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1770, 10, vol. 1-2
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MERCURE
173
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO Ι .
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
OCTOBRE . 1770 .
PREMIER VOLUME .
Mobilitate viget . VIRGILE.
D
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilège du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'E'ESSTT au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
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, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
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in-8°. rel.
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, 4 vol . in 8 " . 241.
Le Dictionnaire de Jurisprudence canonique ,
in - 4 °. 4 vol . rel . 481 .
Dist. Italien d' Antonini, 2 vol. in- 4°. rel. 301.
Meditations fur les Tombeaux , 8 br . 11.10 (.
Mémoire pour les Natifs de Genève , in-8 ° .
broch. 11. 46
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE. 1770.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE à Mde la Comteffe d' *** , fur
l'éducation de fon Fils.
TESEs VvOoeCux ſont donc remplis , mère ſenſible&
tendre;
Ton fils croît ſous tes yeux & commence à t'entendre.
Tout eſt nouveau pour lui , tout vient frapper ſes
fens ;
Tout occupe à la fois ſes organes naiſſans .
Aiij
6 MERCURE DE FRANCE.
Ses yeux cherchent tes yeux , ſa main preſſe la
tienne.
Il a beſoin encor que ton bras le ſoutienne ;
Il héfire , chancelle , & bientôt , fans effroi ,
,
Viendra d'un pied plus fûr courir autour de toi.
Lorſque tu lui ſouris , ſa langue embarraſſée
Voudroit articuler les fons de la penſée.
Oque j'aime à te voir , avec vivacité
De ſes jeux innocens partager la gaîté ,
De l'amour maternel épuiſer les tendreſſes ,
Lui rendre à chaque inſtant careſſes pour carefles,
Epier ſes defirs , & prévenant ſes pleurs ,
De ſon berceau tranquille écarter les douleurs !
Ces vertus d'une mère appellent monhommage.
Mais tandis qu'en mes vers j'en retrace l'image,
Ton fils avec ſesjours voit croître ſes beſoins .
D'autres tems à ton coeur demandent d'autres
foins .
Veux-tu que rout conſpire à remplir ton envie ?
Il faut ſemer de fleurs l'aurore de ſa vie ;
Mais que les fruits toujours fe cachent ſous les
fleurs.
Ton fils ne te doit rien , s'il ne te doit des moeurs .
C'eſt le voeu de l'hymen , c'eſt la dette facrée
Que t'impoſe le Ciel , que ta bouche a jurée.
Tu lui donnas le jour ; &, pour lui donner plus ,
Dans l'ame de ton fils cultive tes vertus .
Rends- le digne , en un mot , de ſes deſtins profpères.
OCTOBRE. 1770 . 7
Qu'il apprenne à porter le grand nom de ſes pères,
Et qu'en ſe rappelant un ſi beau ſouvenir ,
It tranſmette le fien aux fiècles à venir.
Ainſi le jeune Aiglon , échappé de ſon aire ,
Oſe enfin s'élever au ſéjour du tonnerre ,
Etdans leur vol fublime , imitant ſes aïeux ,
Fixe l'aſtre brûlant qui règne ſur les cieux.
Mais,avant que ton fils ait comblé ton attente ,
Tu dois plier aujoug la jeuneſſe inconftante ,
Inſtruis-le par degrés , & , dès ſes premiers ans ,
Montre- lui la raiſon lous des traits féduifans .
Vois tu ce jardinier , d'une main attentive ,
Elaguer avec ſoin l'arbriſſeau qu'il cultive ?
Laplante ſécheroit & languiroit fans lui .
A fa tige naiſſante il préſente un appui .
Il abreuve tantôt la racine alterée ,
Tantôt preſcrit un cours à la sève égarée ,
Et contre l'aquilon tâche de protéger
Ce débile arbrifleau , l'eſpoir de ſon verger.
Les ſoins de fon miniſtre à Pomone ont ſu plaire.
Un jour, un jour viendra qu'ils auront leur falaire.
Déjà l'automne approche , & ſes tréſors nouveaux
Dujardinier ſoigneux vont payer les travaux ,
L'arbre eſt chargé de fruits qu'il doit à la culture.
Ainſi l'att des mortels peut aider la nature
Et , dans un tendre enfant voyyaanntt l'homme futur ,
Diſpoſer ſon jeune âge aux fruits del'âge mûr,
Aiv
s MERCURE DE FRANCE.
Ton fils eſt l'arbriſſeau dont la foiblefle implore
Les regards careſlans de Pomone & de Flore.
Prodigue- lui tes ſoins , & nourris dans ſon coeur
De tous les ſentimens la féconde chaleur ;
Ta franchiſe déjà ſe peint ſur ſon viſage ,
D'un eſprit généreux favorable préſage ,
Gardons-nous d'étouffer cette ingénuité !
Elle honore ſon âge & prouve ſa bonté.
Qu'il croie à la vertu ſans ſoupçonner le crime !
Ah ! fi c'eſt une erreur , cette erreur eſt ſublime.
Il faut par les humains ſe laiſſer abuſer ,
Plutôt que de les craindre ou de les méprifer.
Si de ton fils déjà la mémoire fertile
Peut garder le dépôt d'une lecture utile ,
Qu'il parcoure , en jouant , ces chef - d'oeuvres
vantés
Que l'Eſope François a jadis enfantés .
Que ces récits naïfs ont d'attraits pour fon âge!
La raiſon les approuve , & leur doux badinage
Qu'un fophifte éloquent vainement a profcrit ,
Sait au profit du coeur amufer notre eſprit .
Eh! que fert d'élever une voix doctorale ?
La Fontaine avec art déguiſant ſa morale ,
Aux humains qu'elle inſtruit préſente un hameçon
,
Ainſi que le pêcheur au crédule poiſſon .
Sans doute l'art d'inſtruire eſt né de l'art de plais
re.
Et tonfils qui craindroit la coupe ſalutaire ,
OCTOBRE . 1770 .
و
Sans le miel ſéducteur dont les bords ſont couverts
,
Chérit la vérité ſous le maſque des vers ,
Sur- tout qu'il n'aille point dans la poudre des
claſſes ,
De fon âge trop tendre enſevelir les graces ,
Et des pédans obſcurs habiter la priſon.
Ces triſtes raiſonneurs font haïr la raiſon .
Tu n'imiteras point la marâtre infidèle
Qui veut que ſes enfans ſoient exilés loin d'elle ,
Et , ne jetant ſut eux qu'un regard paſlager ,
Abandonne leur fort aux mains d'un étranger.
Mais je vois chaque jour ton élève docile
Prêter à tes conſeils une oreille facile .
De ta voix qu'il adore il répéte les ſons;
La bouche d'une mère embellit les leçons.
Délaflé dans tes bras d'une pénible étude ,
Il ſe fait de te plaire une douce habitude ;
Pour prix de ſes efforts , ſon légitime orgueil
Ne brigue qu'un ſourire & ne veut qu'un coupd'oeil
.
Alors , ſans fatiguer ſes organes novices ,
De ſa foible raiſon recueillant les prémices ,
Tu pourras quelquefois ranimer la langueur ,
Menacer ſans colere & punir ſans rigueur.
Il eſt des inſenſés qui , pour la moindre offenſe ,
Ne ſavent qu'effrayer & tourmenter l'enfance ;
Mais ton fils n'eſt puni que par le ſentiment ;
La honte fuit la faute , elle eſt ſon châtiment .
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Souvent tes entretiens dans le fond de fon ame
Porteront des vertus la généreuſe flamme ;
Et quand tu le verras ſenſible à tes diſcours ,
Des larmesde tendreſſe en troubleront le cours.
Mon fils , lui diras -tu , ſeul eſpoir de ta mère ,
Non ,je ne forme point une vaine chimère ,
Quand j'attends de ton coeur de nobles mouvemens
.
Le tems vole , mon fils , profite des momens.
L'uſage de la vie en étend la durée.
Pour tenter la carriere à tes voeux préparée ,
Pour faire ton bonheur , il n'eſt qu'un ſeul moyen ;
Mon fils , fois vertueux , fois homme & citoyen .
Entends- tu dans ton coeur une voix qui te crie ,
Qu'il faut aimer ſon maître & fervir ſa patrie ?
Cet inſtinct généreux , dans tes veines tranſmis ,
Eſt le plus beau tréſor que je laiſſe à mon fils.
Ecarte loin de toi la fraude infidieuſe ,
La coupable moleſſe & l'envie odieuſe ,
Fuis le luxe indigent & l'orgueil effronté.
Apprends que la grandeur n'eſt rien ſans la bonté.
Ah ! lorſqu'un malheureux ſuccombeà ſes alarmes
,
La grandeur véritable eſt d'eſſuyer ſes larmes .
Mais ſurtout , dans le ſein de la religion ,
Des communes erreurs fuis la contagion .
Chéris l'Etre Suprême & fois utile aux hommes.
Si d'autres Spinoſa , dans le ſiècle où nous ſom
mes ,
OCTOBRE. 1770. II
Infectent les eſprits de conſeils vénimeux ,
Rejette loin de toi leur délire fameux.
Crains fur-tout , crains le doute où leur ame eft
flottante.
Ah! mon fils , qu'au tombeau jedeſcendrai contente
,
Si tu ſuis la raiſon , ſi tu chéris l'honneur.
Mais quels regrets amers , quel trouble empoifonneur
Viendroient flétrir mon ame &deflécher mavie ,
Si de triſtes erreurs ta jeuneſſe ſuivie ,
Dans le vain tourbillon des coupables plaifirs
Peut loin de moi jamais égarer tes deſirs.
Hélas ! pardonne aux pleurs qui mouillent mon
viſage.
Mon coeur n'accepte point ce funeſte préſage :
Mon fils , pour rafſurer ce coeur trop combattu ,
Jure d'aimer toujours ta mère & la vertu .
Aces diſcourstouchans , à ce tendre langage ,
Je vois pleurer ton fils ; je l'entends qui s'engage
Par le ſerment ſacré que tu lui veux dicter ,
D'embraſſer la vertu pour ne la point quitter.
Va , ce ſerment n'eſt point une chaîne frivole ,
Il promet à ſa mère , il tiendra ſa parole ,
Sur ſes lévres alors ſon coeur eſt tout entier ;
Et ſon ame à la tienne aime à ſe confier.
Ainſi de ſes devoirs offre-lui la ſcience ;
Qu'il croifſe ſous l'abri de ton expérience ;
-
Avj
12 MERCURE DE FRANCE.
Tel le pilote veille au milieu de la nuit ,
Et dérobe aux écueils le vaiſſeau qu'il conduit.
Cependant l'âge vient où ton fils moins débile
S'accoutume au travail ſous un Mentor habile .
L'Antiquité dévoile à ſes yeux aſſidus
Ses hommes immortels , ſes dieux qui ne ſont
plus.
Il ravit les tréſors & de Rome & d'Athènes .
L'étude le tranſporte aux tems des Démosthè-
;
nes ,
Aux beaux jours d'Alexandre , au fiècle des Céfars
,
Parmi tous les enfans de Minerve & des Arts.
Fier & fenfible Achille , il reſſent ton outrage ,
Frémit de ta vengeance & chérit ton courage.
Didon , à tes regrets il ſe laiſſe toucher ;
Et ſes pleurs , d'Euryale , arroſent le bucher.
Racine l'intéreſſe aux plaintes d'Andromaque.
Il ſuit chez Calypſo le jeune Télémaque ;
Avec lui dans l'Egypte il croit être captif;
Il vole ſur les pas d'Ulyffe fugitif.
Il voit avec tranſport aux murs d'Idomenée
L'équité floriſlante & la paix ramenée .
Quelle est donc ta magie , ô divin Fénelon !
Ta proſe enchantereſſe eût ſéduit Apollon .
Chez toi le ſentiment s'uniſſoit au génie ,
Les Graces t'inſpiroient une mâle harmonie ,
Et Minerve elle - même eut recours à ta voix
Pour le bien des mortels & l'exemple des Rois.
OCTOBRE. 1770 . 13
Quels coeurs à tes diſcours pourroient être rebelles?
Notre élève charmé de fictions ſi belles ,
Pourdes objets nouveaux brûle d'un nouveau feu
Et ſe renddigne enfin de lire Monteſquieu.
Du climat ſur les moeurs il diftingue l'empreinte;
Il voit le deſpotiſme affermi par la crainte ,
Et l'honneur ſous les Rois déployer ſa fierté ,
Etla Vertu marcher avec la Liberté .
Dans le Dédale obſcur où l'eſprit s'enveloppe ,
Il s'avance au flambeau de Montagne & de Pope ,
Er , des vains préjugés heureuſement vainqueur ,
Habite avec ſoi - même & deſcend dans ſon coeur.
Il pénétre le temple où la ſage Uranie
Trace de l'Univers l'éternelle harmonie ,
Et va , du grand Newton diſciple audacieux ,
Peſer dans ſa balance & la terre & les cieux .
Un verre aflujettit à fon regard avide
Tous les globes épars dans les plaines du vuide.
Il les voit l'un vers l'autre attirés dans leur cours ,
Et toujours s'approcher & s'éloigner toujours.
Ils obéiflent tous aux loix qu'il leur impoſe.
En ſept rayons égaux ſon priſme décompoſe
Un rayon échappé des céleſtes lambris ,
Et ſurprend les couleurs de l'écharpe d'Iris.
Des feux brûlans dujour il raſſemble l'élite ;
Ettoi de notreglobe , ô pâle Satellite ,
Ildevine ta marche , il la règle , & tu vois
14 MERCURE DE FRANCE.
Tes courſiers vagabonds dociles à ſa voix.
Les comêtes pour lui ne ſont plus ces fantômes
De qui l'aſpect vengeur menaçoit les royaumes.
Il fait que le ſoleil , à ces aſtres errans ,
D'une flamme nouvelle emprunte les torrens .
Il prédit leur retour & marque leur diſtance.
Des élémens rivaux le choc & la ſubſtance ,
Ces trois règnes fameux qu'en Egypte autre fois ,
Hermès à ſon pouvoir ſoumettoit tous les trois ;
La nature , en un mot , eſt l'objet de ſes veilles .
Ocombien cet amas de ſublimes merveilles ,
Combien cegrand ſpectacle étonnera ſes yeux !
Il verra que l'étude eſt un préſent des cieux .
C'eſt un tréſor ſacré que le vulgaire ignore.
Midas hait les talens , Fréderic les honore :
Son nom par le trépas ne ſera point vaincu ;
Mais qui vit ſans penſer , meurt ſans avoir vécu.
L'existence eſt un poids dont la mort le délivre.
Tandis que ton élève à l'étude ſe livre ,
Tu dois , pour régler mieux l'emploi de ſes momens
,
Profiter avec art de ſes délaſſemens .
Qu'il tente chaque jour un pénible exercice ;
Au travail obſtiné que ſon corps s'endurciſſe :
La molleſſe jamais ne forma les héros .
Eh ! ſi toujours Achille eût langui dans Scyros ,
De la lyre d'Homère auroit- il été digne ?
Non : d'un loiſir honteux ſa grande ame s'indi
gne.
OCTOBRE. 1770. IS
Il ſent qu'un tel repos eſt une lâcheté ,
Et que par le travail l'honneur eft acheté.
Chiron , de qui les ſoins formerent ſon jeune âge ,
L'inſtruiſit à paſſer les fleuves à la nage ;
Abriſer des torrens les flots impétueux ;
A fuir les vains apprêts d'un luxe infructueux ;
Avaincre dansla lice , où les fils de la Gréce ,
Joignoient l'art au courage & la force à l'adreſſe ;
Adompter les courſiers , à ſupporter enfin
L'ardente canicule , & la ſoif & la faim .
Qu'il brûle maintenant de rentrer dans la lice !
Son inſtinct vertueux ſert la fraude d'Ulyſſe ,
Et laiſſant la molleſle àdes bras énervés ,
Il vole à ces honneurs qui lui ſont réſervés .
Jadis chez nos Français quelques ames ſtoïques
Conſerverent les moeurs de ces tems héroïques.
On vit tout Paladin , loyal & courageux ,
De la Gréce imiter les combats & les jeux..
D'un bras que n'avoit point affoibli l'indolence ;
Il ſavoit , jeune encore , eſſayer une lance ;
Accoutumoit au frein un rebelle courſier ,
Etne dédaignoit pas un mets ſimple & groffier.
Mais cette courtoiſie , autrefois tant priſée ,
Serviroit aujourd'hui de fable & de riſée ;
Chaque jour , chaque inſtant voit changer nos
humeurs ;
Les faux beſoins du luxe ent corrompu nos
moeurs.
Ohonte ! O de ce ſiécle éternelle infamie !
4
16 MERCURE DE FRANCE. }
Le citoyen chérit la molleſſe ennemie ,
Et de l'oiſiveté préfère les pavots
Aux lauriers deſtinés pour les nobles travaux.
Tous les jours ſont perdus dans un oubli pro
fane.
La fleur de ſa jeuneſſe avant le tems ſe fane :
Et les molles langueurs qu'adopta Sybaris ,
De nos braves Hectors font de lâches Pâris .
Ton Elève fuira leurs trompeuſes amorces ;
Il pourra , dès que l'âge aura muri ſes forces ,
Vouer à ſa parrie un courage afſuré ,
Et, dans un corps robuſte , un eſprit éclairé.
Je touche à cette époque où le cri de la gloire
Fera voler ton fils aux champs de la victoire .
De Bellone à les yeux quand la flamme aura lui ,
Mère tendre , il faudra te ſéparer de lui .
Il faudra que ſon front de lauriers ſe décore .
De Thierry ſon aïeul la palme fraîche encore ,
Au temple des vainqueurs l'appele ſur ſes pas ,
Et lui promet un nom qui ne périra pas.
Mais pourquoi retracer ces images ſanglantes ?
Mars eſt trop déteſté par les mères tremblantes ;
A l'aſpect de ce dieu la nature frémit :
Sur ſes crimes brillans l'humanité gémir.
Ah ! puiſſe un dieu plus doux , pour le bien de la
terre ,
Etouffer à jamais la diſcorde & la guerre !
Puiflent les Rois un jour ne diſputer entr'eux ,
Que ſur l'art peu connu de faire des heureux !
OCTOBRE. 1770. 17
Si mes voeux ſont remplis , ſi l'olive ſacrée
Couvre long- tems le front de l'Europe éplorée ,
Ton fils ranimera les beaux arts abattus.
Il ſera dans la paix héros par ſes vertus .
Il me ſemble le voir dans ces vallons champêtres ,
Al'ombre de ces bois qu'ont planté ſes ancêtres ,
Juger les différends des peuples d'alentour ,
Etdu bonheur des frens être heureux à fon tour.
Par un faſte érayé fur des ruſes obliques ,
Il n'inſultera point aux mifères publiques.
Que d'autres , profanant de culte de Palès ,
Du fang des malheureux cimentent leurs palais !
Ah ! loin de s'abreuverdes pleurs de la patrie ,
Il nourrit l'indigence , il ſoutient l'induſtrie ,
Il recueille , pour prix des foins qui l'ont formé,
La gloire d'être utile , & fur -tout d'être aimé
Son nom fera chanté par les muſes divines .
Qu'un torrent en fureur , grondant dans les ravines,
D'un cours impétueux précipite les eaux ,
Entraîne les forêts , dévore les troupeaux ,
Détruiſe à chaque inſtant & change les rivages ;
On voudroit oublier ſes funeftes ravages ,
1
Les nymphes , en fuyant , évitent fon courroux.
Le ruifleau plus paiſible offre un tableau plus
doux.
Il fuit parmi les fleurs , & ſous l'ombre chérie
Desjeunes peupliers qui bordent la prairie.
Soncours tranquille & pur fertiliſe les champs ,
18 MERCURE DE FRANCE.
Et lesbergers en font le ſujet de leurs chants.
Ainſi ton fils unjour te prendra pour modèle.
Il ſera bienfaiſant ; & ma lyre fidèle ,
Mais plus touchante alors & plus digne de lui ,
Chantera ſes vertus quej'augure aujourd'hui.
ParM. François de Neufchâteau ,
de plusieurs académies.
LE JOLI. A Mademoiselle An...
PERE des ris , des jeux , monnom c'eſt leJoti.
Je ſuis enfant du goût , & vous êtes ma mere.
De votre art quelque fois trahiſſant le myſtere ,
Je nais d'unjour heureux que ménage un repli.
Sous mes doigts délicats on voit la roſe éclore ;
Je ſuis un doux parfum que répand ſonbeau ſein;
Un aimable printems , un gracieux matin
Qui ſourit au retour de la naiſſante aurore ;
Un trait qui paſſe à l'ame & parle au ſentiment
Et la belle nature en négligé galant.
Les Graces de mon fard compoſent leur parure.
C'eſt moi qui , de Vénus , ait tiſſu la ceinture.
Je broyai les couleurs dont me peignitGreſſet.
Je donnai le deſſin de ce riant boſquer.
Je joue avec les fleurs : je ris ſur votre bouche :
C'eſt moi que vous placez en mettant une mou
che.
OCTOBRE . 1770 . 19
Je prête à vos appas tous leurs traits ſéduiſans ;
Tout eſt charmant enfin quand c'eſt moi qui l'ordonne.
Vous auriez bien ſans moi des autels , de l'encens
:
Mais pour les coeurs , Eglé , c'eſt moi qui vous les
donne.
ParM. Opoix , de Provins.
TANT PIS POUR ELLE.
Plus histoire que conte.
Les parens de Lucette , bonnes gens de
ce monde, croyoient avoir bien élevé leur
fille parce qu'elle étoit affez jolie & qu'elle
ſembloit avoir l'air affez doux , mais
rien n'étoit plus trompeur que cet air ; &,
à la bien examiner , on trouvoit dans ſes
yeux , qu'elle ne levoit qu'avec modeſtie,
certaine ſéchereſſe à laquelle il faut toujours
reconnoître l'amour de ſoi- même ,
grand ennemi de l'amour des autres , &
par conféquent de la bonté.
Il ſe préſenta pour Lucette , qui n'étoit
pas riche , plus d'un parti convenable , fi
elle ne s'étoit priſée que ce qu'elle valoit;
mais, ſansofer dire la véritable rai20
MERCURE DE FRANCE.
fon de fes refus , elle eut toujours l'art de
leur donner pour motif ſon peu de goût
pour le mariage .
Il n'échapa qu'une ſeule fois à ſon pere
de lui dire , comme par inftinct , altendez
vous un Prince ? Lucette rougit , &
ſe crat devinée: cependant la bouhommie
de ce pere reparut auffi tôt pour la raſfurer
, & elle ſe flatta d'être déſormais impénétrable
pour ceux à qui le droit de la
naiſſance donnoit quelque autorité ſur
elle. Empire qu'elle ſupportoit avec peine
, & que fon orgueilreſtreignoit intérieurement
à peu de choſe .
Cléon , jeune homme aimable, vit un
peu plus clair que le pere de Lucette . Il
s'étoit mis fur les rangs ; il étudia la jeune
prude ; il vit qu'elle étoit vaine ; qu'il
n'y avoitde place dans ſon coeur que pour
elle , & que fa haute opinion d'elle-même
, renfermée dans ſon ſein comme les
vents dans les entrailles de la terre , menaçoit
d'une exploſion dont il étoit pru-
'dent de ſe garantir.
Elle avoit une ſoeur d'une figuremoins
aimable , mais d'un caractere excellent.
Cléon la préféra à Lucette , & ce fut tant
pis pour elle ; car il rendir ſa foeur une
des plus heureuſes femmes du pays .
Un goût naturel pour la coquetterie ,
OCTOBRE. 1770 . :
21
parce qu'elle eſt une des expreſſions de
l'amour - propre qui veut occuper les autres&
en être carellé , attiroit de tems en
tems des ſoupirans à Lucette ; mais elle
n'avoit plus de ſoeur à pourvoir , & ils ſe
retiroient tout à fait de la maiſon .
Elle leur rendoit l'amour infupportable
par la parure dont elle vouloit le
charger. L'amour du fiécle lui paroilloit
nud , & toutes les vieilles Guipures de
l'Aſtrée lui ſembloient faites pour le couvrir
à ſes yeux. Elle eût inventé la Carte
de tendre & toutes les rivieres de ce genre
, fi Cathos , Magdelon * & Mlle Scuderi
en avoient laiflé quelqu'une à imaginer
à cet égard.
Je ne fais ſi quelqu'un l'a déjà remarqué
, mais il arrive preſque toujours que
ce goût exceffif pour le romaneſque du
fentiment& pour la haute délicateſſe , eſt
le partage de ces beautés vaines qui ne
voient dans la façon cavaliere d'aimer
d'aujourd'hui que la perte de leur empi
re. En effet le vieux ſyſtème de galanterie
qu'elles regrettent fi fort n'eſt que la
liturgie d'un culte dont elles étoient l'objet;
au lieu que,dans nos moeurs plus fim
* Les Précieuſes ridicules de Moliere ,
22 MERCURE DE FRANCE,
ples, le prêtre & l'idole traitent à-peu-près
d'égal à égal.
On n'en diſconviendra pas , Lucette
évoir vertueuſe dans ce ſens qui ne laiſſe
à une femme que l'exercice d'une ſeule
vertu à qui l'orgueil peut donner quelquefois
la conſiſtance qui lui manquoit
pour ſe foutenir.
Indignée de l'opinion qu'on avoit généralement
de la foibleſſe de ſon sèxe ,
elle ne manquoit guère l'occaſion de faire
obſerver qu'une femme ſavoit & pouvoit
réſiſter toujours . La gloire qu'elle en tiroit
la dédommageoit des plaiſirs qu'elle
lui faiſoit perdre : plus d'un de ſes amans
lui dit en la quittant que c'étoittant pis
pour elle.
Avec ſes ſublimes prétentions, Lucette
toujours occupée d'elle - même , ne vit
plus perſonne s'en occuper ; & quoiqu'elle
ſe fut apperçue la derniere que ſa fraîcheur
l'avoit quittée , elle commença à
redouter de paſſer ſeule ſa vieilleſſe , &
de n'avoir perſonne avec qui elle pût ſe
vanter d'avoir toujours été ſage.
Une de ſes peines ſecrettes étoit de
voir depuis long-tems ſa cadette mariée
avec l'honnête Cléon , qu'elle avoit pu
s'attacher & qui étoit un des meilleurs
maris de la ville. Elle voulut enfin être à
OCTOBRE. 1770 . 23
ſon tour une épouſe heureuſe , comme ti
la félicité de ſa ſoeur n'eût pas été le fruit
d'un caractere abſolument oppofé au
fien.
Le bon Ariſte lui faiſoit ſa cour alors;
il étoit entré dans les vues d'avoir une
femme douce , & aſſurément il s'adreſſoit
mal : mais fur toutes les choſes de la vie
il avoit toujours cru aisément ce qu'on
vouloit lui faire croire , & ce qu'il avoit
ſouhaité ; & Lucette , qui avoit connu fon
foible pour la douceur , augmenta ſi bien
lesdehors de la ſienne , qu'Ariſte y fut
pris& qu'il fut écouté.
Un entretien qu'il avoit eu avec Lucette
quelques jours avant leur union ,
l'avoit effrayé . Le mot terrible de devoir
lui étoit échapé ; & ce mot avoit fi fort
contrarié l'humeur cachée de la future ,
qu'elle n'avoit pu s'empêcher de montrer
la révolte de ſon coeur contre ce mot &
l'idée qu'on y attache.
Il y réfléchit. Il balança ; mais il avoit
promis, il continua d'aller en avant. Il ſe
flatta que fon expérience& fa raiſon prévaudroient
un jour ſur l'eſprit de Lucette.
Il ſe croyoit aimé,&que n'obtenons- nous
pas de l'objet qui nous aime ?
Il ne ſe trompoit pas juſqu'à un certain
point;il avoit intéreſſé le coeur de Lucette;
24 MERCURE DE FRANCE.
mais le goût qu'elle avoit pris pour lui
étoit bien fubordonné à l'eſtime qu'elle
faifoit d'elle même; & de ſon côté, fûre
de paroître aimable aux yeux d'un homme
honnête , mais foible en général , elle
voyoit tomber fur lui tout le poidsdujoug
qu'ils alloient prendre.
C'eſt dans cette ſituation qu'Ariſte &
Lucette contracterentdes noeuds qui firent
leur malheur commun. Mde Ariſte conçut
preſque auſſi - tôt , pour régner plus
entierement fur fon mari, le projet de lui
faire perdre ſes anciens amis. Il en fut
épouvanté: il eſt un âge où l'amitié eſt
celui des biens dont le ſacrifice entraîneroit
tout le charme de la vie. Il réſiſta aux
deſſeins de fon épouſe opiniâtre qui malheureuſement
n'aiant jamais eu d'amis ,
n'en connoiſſoit pas la douceur; & c'étoit
tant pis pour elle .
On difputa , on s'aigrit long tems fur
cet objet. Ariſte defiroit fincerement de
bien vivre avec ſa moitié ; mais il voyoit
avec douleur qu'elle en rendoitles moyens
impraticables . Il emploia tout ce que la
raiſon peut fuggérer de plus convaincant
pour ramener un eſprit qui s'égare.
Sa femme ne vit dans ſes oppofitions ,
qu'une préférence qu'on accordoit ſur elle
à ce qu'elle appeloit des étrangers , tant
elle
OCTOBRE. 1770. 25
elle étoit loin d'avoir l'idée d'un ami.
Elle alla juſqu'à manquer d'égards pour
ceux d'Ariſte qui le ſouffrit enfin avec
impatience , & qui , n'ayant rien à ſe reprocher
ſur ſes devoirs , fut vivement affecté
de la certitude cruelle de n'être point
aimé comme il l'avoit eſpéré.
Ce n'eſt pas que ſon épouſe ne cherchat
ſouvent à le raſſurer fur cet article , elle
vouloit même qu'il reconnut l'amour à ſa
haine pour toute eſpéce de partage, mais
qu'eſt ce qu'un amour qui ne céde rien ,
qui ne plie jamais , qui veut tout impérieuſement
, qui fait fans ceſſe gémir
l'objet aimé , qui ſe fait un jeu cruel de
ſes peines & qui s'applaudit chaque jour
de les augmenter?
Arifte fut convaincu , malgré lui , que
l'impérieuſe Lucette n'avoit jamais aimé
qu'elle- même ; qu'un orgueil ridicule &
concentré étoit l'ame de toutes ſes actions
&de tous ſes deſirs ; que la fauſſeré de
ſes idées lui faiſoit trouverun mérite dans
ſon invincible opiniâtreté , & qu'il falloit
renoncer à vivre heureux avec elle .
Cependant il defiroit la paix , & pour
l'obtenir il alla juſqu'à faire craindre à
ſes amis qu'il ne les ſacrifiât un jour
tout- à- fait aux injuſtes prétentions de ſa
I. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
femme ; mais ce ne fut point aflez pour
elle , ſa ſotte vanité vouloit le facrifice
total, éclatant & prompt. Arifte rougit de
ſa foibleſſe & revint àſa ſeule confolation,
àl'amitié .
Nouveaux débats , nouveaux troubles.
MdeAriſte ofa demander ſa liberté , fon
époux en frémit d'abord; mais elle revint
ſi ſouvent à cette infolente propoſition
, qu'enfin il ſentit lui - même un
mouvement d'orgueil qui lui conſeilla
d'accepter.
Il fut libre , & devint moins malheureux
parce qu'il étoit ſans remords &
qu'il conſerva ſes amis. Pour ſa femme
elle n'eut plus perſonne àdéſeſperer ; ſes
jours ſe terminerent dans l'ennui , & dans
l'abandon preſque général de tous ceux
qui l'avoient connu . Furieuſe d'avoir
manquélagloire d'aſſervir un galant hom.
me, elle porta ſes plaintes vaines de tous
côtés , mais on y fut peu ſenſible; on trouva
que tout étoit dans l'ordre ; qu'un caractere
, aigre , impérieux comme le ſien
devoit rendre malheureux , & que c'étoit
tant pis pour elle.
Par M. B.
OCTOBRE. 1770 . 27
INVOCATION AUX MUSES.
MUSUESESS ,, venez , montez ma lyre ,
Du dieu des vers je veux ſuivre les loix.
Que l'Amour en murmure & que Vénus foupire ;
J'ai trop long- tems vécu ſous leur empire ,
Etmon coeur dégagé va faire un plusbeau choix:
Pour toujours fidèle à vos voix ,
Je renonce à l'Amour , je renonce à Thémire ;
Son nom dont ſi ſouvent ont retenti nos bois-
Vous l'entendez pourla derniere fois.
Muſes , venez , montez ma tyre ,
Du dieu des vers je veux ſuivre les loix.
Thémire... Eh bien! Thémire eſt belle ,
Rendons juſtice à ſes appas.
Mais ne peut-on vivre ſans elle ?
Faut- il pour être heureux toujours ſuivre ſes pas
Dans nos hameaux bien plus d'une bergere
Mérite de fixer les regards d'un berger ?
On admire en Cloris une taille légere ,
Chaque jour cependant je la vois ſans danga
Le ſoir , au retour de la plaine ,
Vers le tems où chacun ramene
Ses troupeaux pleins &bondiſſans ,
Si de la jeune Eglé la voix ſe fait enterdre,
Attirés par ſes ſons puiſſans ,
T
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Bergeres & bergers s'empreſſent de ſe rendre ;
Pour tout autre que moi ſes airs ſont raviſſans ;
Je daigne à peine écouter ſes accens .
Quoi ! vous doutez encore ? .. Oferiez - vous me
dire
Que , dans mon aimable Thèmire,
Graces , beauté , talens , tout ſe trouve à la fois ?
Muſes , venez , montez ma lyre ,
Dudieu des vers je veux ſuivre les loix.
Commencez ... mais pour votre gloire
Que l'Amour a jamais ſoit banni de nos chants.
Vous faurez bien ſans lui les rendre auſſi touchans
.
Ne lui devez en rien votre victoire.
Eſſayons ... Arrêtez ... laquelle d'entre vous
Doit entreprendre cet ouvrage ?
Anacreon eut en partage
L'heureux don de former tous les fons les plus
doux ;
Alaquelle dut-il un ſi rare avantage ?
Bacchus eut ſon premier hommage,'
Il chanta de ce dieu la gloire & les plaiſirs ;
Ses airs fans doute étoient dignes de plaire ,
Mais , s'il n'eût pas chanté les attraits de Glycère
Parleroit- on de ſes loiſirs ?
Du fameux berger de Mantoue
Eſt- ce à moi de ſuivre les pas ?
Déjà Clio me délavoue ;
Elle a raiſon , je n'en murmure pas ,
OCTOBRE. 1770. 29
Etje reconnois ma foibleſle.
Cependant... Mais puis-je le déclarer ,
Sans qu'un pareil aveu vous bleſſe ?
Quand ce berger qu'il vout plut d'inſpirer ,
Oubliant nos chansons , dédaignant ſa muſette ,
Oſa s'élever juſqu'aux cieux ,
Et, pour mieux célébrer les héros & les dieux ,
Avec audace emboucher la trompette ;
Si ſon vol n'eût été foutenu par l'Amour ,
Quelle eût été ſon aventure ?
Mais ce dieu vient exprès du céleſte ſéjour
Del'illuftre Didon' lui faire la peinture ;
Leberger chante alors ſes malheurs , ſa beauté ,
EtDidon le conduit à l'immortalité.
Mais quel eſt cet autre modèle
Dontvous voulez que je prenne le ton ?
L'avez- vous inſpiré ? Que vois -je ! Fontenelle ?
Hélas ! de nos bergers chez lui reconnoît-on
Le langage ſans artifice ?
Ne me vantez pas aujourd'hui
Ce que vous avez fait pour lui ;
S'il a des vers heureux , il les doit à Clarice.
Qu'importe ? animez - moi ; que j'éprouve en ce
jour ,
Déeſſes , ce que peut votre auguſte préſence !
Quoi ! pas un vers ? vaine eſpérance !
Eft-ce là ce qu'on gagne à vous faire la cour ?
Où ſont donc ces tréſors que votre main diſpenſe?
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
Muſes , partez , retournez au vallon ;
L'Amour bien mieux que vous faura monter ma
lire.
Qu'ai -je beſoin d'invoquer Apollon ?
Tout ſon art ne vaut pas un regard de Themise.
Par M. le Prevôt d'Exmes.
LA MÉTAMORPHOSE DE L'AMOUR.
Stances à Mlle G. D. L. M. fur une
roſe qu'elle avoit donnée à l'auteur ,
après l'avoir portée.
OUS la forme de cette refe
Qui vient d'expirer ſur ton ſein ,
Et que je reçois de ta main ,
Julie , un dieu caché repofe.
De ce nouveau déguiſement
C'eſt à toi de ſavoir la cauſe ;
Moi , je reconnois aiſément
L'amour dans ſa métamorphoſe.
Comment l'Amour dans une fleur ?
Oui , c'eſt lui qui la rend plus belle ,
Et c'eſt au dieu qu'elle recèle
Qu'elle doit ſa tendre couleur.
OCTOBRE. 1770 . 31
Cette feuille verte & légere
Qui croît , s'étend pour la couvrir ;
C'eſt l'eſpérance menfongere
Dont l'Amour aime à ſe nourrir.
Ces épines ſi redoutables
Etqui cauſent tant de douleurs ;
Ce font les traits inévitables
Dont ce dieu blefle tous les coeurs.
Tu vois donc dans quelle imprudence
Ton préſent pourroit m'engager ;
Sije te le rends je t'offenſe ;
Sije le garde , quel danger !
Par M. Jorel de Saint - Brice , Garde
du Roi , compagnie de Beauvau.
LA SAIGNÉE. *
Proverbe dramatique .
PERSONNAGES :
M. DORMEL .
Madame DORMEL .
* Le ſujetde ce proverbe eſt tiré Le Jacques,
anecdote hiftorique par M. d'Arnaud , inférée
dans le premier volume du Mercure de Juillet
1770.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
DORMEL l'aîné , fils , âgé de vingt ans .
SOPHIE , fille de M. Dormel , âgée de
dix-huit ans .
DORMEL le cadet , âgé de ſix ans .
Le Marquis D'ORIVAL .
DUBOIS , valet - de- chambre du Marquis .
Le Comte DE SAINT - BON .
Un laquais du Comte , perſonnage muer.
Laſcène est à Paris , dans la maison de
M. Dormel.
Le théâtre représente une chambre des
plus délabrées ; on y voit quelques vieux
meubles ufés , un chevalet dreſſfé fur lequel
eft un tableau commencé , une table à écrire
, &c . Dans lefonds eft une couchettefur
laquelle est un enfant endormi ; elle eft couverte
d'une mauvaiſe tapiſſerie.
SCÈNE PREMIERE.
Madame DORMEL , SOPHIE ,
DORMEL le cadet.
Mde Dormel file au grand rouet fur le
devant du théâtre . Son fils est à côté d'elle
& carde du coton ; la laffitude le force
d'interrompre de tems en tems ſon travail
qu'il reprend enfuite avec vivacité; fa mere
OCTOBRE. 1770. 33
jette fur lui par intervalles des regards de
pitié.
• Sophie tricotte auprès de la couchette où
est l'enfant ; elle est placée vis- à- vis de la
porte qu'elle regarde auſſi de tems en tems
d'un air inquiet & rêveur.
It
L eſt environ trois heures après-midi.
Sophie leve un peu la tapiſſerie qui cou
vre la couchette. ( à part. ) Etre à jeun depuis
hier ſept heures , & dormir ! Il eſt
bienheureux.
Mde DORMEL. Dort- il , Sophie ?
SOPHIE . Oui , ma chere mere .
Mde DORMEL. Puiſſe- t- il dormir encore
long - tems , le pauvre malheureux !
que je crains ſon reveil .... Où est allé
votre pere ?
SOPHIE . Il a dit qu'il alloit demander
quelque à- compte ſur ces deſſus de porte
qu'ila entrepris.
Mde DORMEL . Quoi , il n'est pas de
retour , depuis neufheures qu'il eſt parti
! ... Que deviendrons- nous ſi ſa courſe
eft inutile.
SOPHIE. Cela n'eſt pas à craindre; qui
. By
34 MERCURE DE FRANCE.
eſt ce qui pourroit être inſenſible à notre
infortune ?
Mde DORMEL. Ah , ma pauvre Sophie,
que tu connois peu les hommes ! Qu'estcefur
la terre qu'un artiſan malheureux ,
qu'un homme du petit peuple ?
SOPHIE . Mais enfin , c'eſt ſon bien qu'il
va demander , c'eſt le prix de ſon travail.
Mde DORMEL. Cela eſt vrai , mon enfant
; mais les ouvrages ne font pas entierement
finis , & il faut qu'ils le foient
pour qu'il puiſſe en exiger le paiement .
SOPHIE . Celui à qui il s'adreſſe eſt ſi riche
; d'ailleurs il ne riſque rien , l'ouvrage
eſt fi avancé.
Mde DORMEL. Pauvres raiſons. Les
plus riches font les plus impitoyables. Et
puis celui à qui il a affaire eſt un homme
de rien , que j'ai vu dans la derniere indigence
, auffi pauvre que nous le ſommes.
Il étoit alors notre égal, l'ami de
votre pere , il a voulu l'aſſocier à ſoncommerce
... Mais , Dieu, quel commerce ! ..
Combien la pauvreté , toute affreuſe
qu'elle eſt , lui eſt préférable ! ... Votre
pere a refuſé ; Pouyoit- il faire autrement?
.. L'indigence la plus cruelle a été
le prix de ſon vertueux déſintéreſſement...
L'autre a fait fortune , mais fon coeur s'eſt
...
OCTOBRE. 1770 . 35
endurci .... Votre pere a perdu ſon ami,
il en a été méconnu , c'eſt par une grace
ſinguliere qu'il veut bien depuis quelque
tems lui donner de l'emploi , acheter au
prix le plus modique le fruit de ſes ſueurs
&de ſes veilles ... Ah Sophie ! ces fortes
de gens font le fleau de l'humanité.
SOPHIE. Cela est - il poſſible , être riche
& fans pitié pour les pauvres ; encore
après avoir éprouvé toutes les horreurs du
beſoin ! pour moi je vous avouerai qu'il
ne m'eſt pas poſſible de le comprendre .
Mde DORMEL. Tant mieux , ma fille ,
toutes tes penſées ſont honnêtes & vertueuſes
! Puiſſes- tu ne jamais changer.
(Il se fait un inftant de filence , après
lequelon entendfonner trois heures.
Le petit DORMEL , interrompant for
ouvrage. Maman , voilà trois heures qui
ſonnent , eſt- ce que nous ne dinons pas
aujourd'hui ?
Mde DORMEL , Sévèrement. Dormel ,
qu'est- ce que cela veut dire ? Votre pere
&votre frere font fortis; eſt-ce que vous
voudriez dîner ſans eux ?
Le petit DORMEL. Oh non , Maman...
Mais... Ils ont peut- être dîné , nous ne
ſavons pas où ils ont été, enfin ...
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
Mde DORMEL. Et bien, dans cette incertitude
, dîneriez- vous tranquillement ?
Le petit DORMEL. Oh non , Maman; ..
Mais... c'eſt qu'il eſt bien tard... & il ſe
pourroit faire que ...
Mde DORMEL. Taiſez - vous. Ils font
àjeun auffi - bien que vous. D'ailleurs ne
voyez-vous pas que j'attens , moi ; votre
foeur en fait autant , & votre petit frere ..
N'êtes - vous pas plus en état de ſupporter
le beſoin que lui ? Il ne ſe plaint pas cependant.
Le petit DORMEL. Oui , Maman ....
Mais... c'eſt que... j'ai bien faim. ( Il
dit ces dernieres paroles en pleurant de touzesfesforces.
)
Mde DORMEL , allant à lui les larmes
aux yeux . Mon enfant , mon cher enfant
, tranquilife- toi... Allons ... Quelques
efforts ... Ton pere va rentrer , il
nous apportera de quoi dîner ; crois
je ſouffre autant que toi de ta peine .
que
Le petit DORMEL l'embraſſe en effuyant
fes larmes. Oh non , Maman , ne ſouffrez
pas, je vous en prie ; car je ſouffrirois
bien davantage , moi ; tenez , je ne pleure
plus: voilà qui eſt fini. Est-ce que je ne
peux pas me paſſer de dîner auſſi-bien que
vous ? Que je me veux de mal d'avoir
OCTOBRE. 1770 . 37
pleuré , mais c'eſt malgré moi ... Je m'en
vais travailler ſi fort , qu'il faudra bien
que j'oublie que j'ai faim . ( Ilſe remet à
Son ouvrage & travaille avec plus d'ardeur.
)
Mde DORMEL , reprenant fon ouvrage.
(à part) Mon malheur eft- il aſſez grand?
Ahciel ! comment puis-je le ſupporter.
SOPHIE . Mon pere ne revient point ;
s'il lui étoit arrivé quelque malheur.
Mde DORMEL. Je devine celui qui lui
eſt arrivé , on l'aura refuſé& il ne peut ſe
déterminer à paroître ici les mains vuides
.... Mais c'eſt votre frere ; .... c'eſt
Dormel qui me ſurprend ; à quelle heure
eſt-il forti ?
SOPHIE. Dès la pointe dujour , à quatre
heures du matin .
Mde DORMEL. Qui l'auroit cru ! lui
en qui j'avois toujours reconnu des ſentimens
ſi dignes de ſon éducation , nous
abandonner en de pareilles circonſtances ,
lorſque nous avons le plus beſoin de fon
ſecours ! .. Je ne m'y ſerois jamais attendue.
۱
SOPHIE. Que cela ne vous attriſte pas ,
nere ; c'eſt ſûrement pour un bon
deſſein qu'il eſt ſorti ; je connois l'excel
ma mere
38 MERCURE DE FRANCE.
lence de ſon coeur , je ſais combien il eſt
pénétré de notre triſte ſituation ; il eſt allé
y chercher du remède & ſeconder les
efforts de mon pere.
Mde DORMEL. Que fera-t- il fans appui
, fans ſecours , fans connoiſſances ?
SOPHIE . Nosbeſoins le rendront induftrieux...
Il me paroiſſoit au déſeſpoir.
Mde Dormel . Que dis-tu là ? Ah ! Sophie
, ah , ma chere fille ! s'il alloit ſe deshonorer
, c'eſt ce coup - là qui me feroit
mortel ; on ſupporte tous les maux , mais
linfamie...
SOPHIE . Ne craignez rien , je connois
mon frere .
SCÈNE I I.
Le Marquis D'ORIVAL , DUBOIS ,
Mde DORMEL , SOPHIE , le petit
DORMEL .
Le Marquis & Dubois entrent brusquement
, le premier vêtu magnifiquement.
DUBOIS. C'eſt ici , Monfieur , que je
l'ai vu entrer .
LE MARQUIS. En es- tu bien für? ( ap .
percevant Sophie) Effectivement je crois
que la voilà. ( Il s'approche d'elle familie
OCTOBRE. 1770 . 39
rement.) Bon jour , la belle enfant ; c'eſt
donc vous qui faifiez hier la petite farouche
; c'étoit pour m'afriander davantage ,
n'eſt- ce pas friponne ? ( Il veut lui prendre
les mains. )
SOPHIE ,Se retirant. Vous vous trompez
, Monfieur ; c'eſt très - ſérieuſement
que vos manieres me déplaiſent ; vous
auriez bien dû vous contenter de l'infulte
que vous m'avez faite hier dans la rue ,
fans venir augmenter les chagrins de ma
mere en la réiterant à ſes yeux.
LE MARQUIS. Tu te moques, je crois ,
mon enfant , une inſulte ! les careſſes d'un
homme commemoi ne peuvent que t'honorer.
( Il veut l'embraffer deforce.)
SOPHIE , lui donnant un ſouflet. Ah !
miel , quelle infolence ! (Élle ſeſauve. )
SCÈNE III.
LE MARQUIS , DUBOIS , Mde DORMEL ,
DORMEL le cadet.
LE MARQUIS à Dubois , d'un air
étonné. Diable , elle eft vive ; qu'en distu?
DUBOIS. Oui , ma foi .
Mde DORMEL, Votre procédé eſt bien
40 MERCURE DE FRANCE.
indigne , Monfieur ; ſi vous mépriſez notre
pauvreté , reſpectez du moins notre
honneur, notre vertu ; quel mal vous avonsnous
donc fait , pour vouloir nousenlever
le ſeul bien qui nous reſte ? Et lorſque . ..
LE MARQUIS. Point de fermons , ma
Bonne , ils m'ennuient. Etes vous la mere
de cette gentille poulette- là ?
Mde DORMEL , après avoir héſité quelque
tems. Oui , Monfieur.
LE MARQUIS , parcourant des yeux
toute la chambre. En deux mots : vous êtes
fort pauvres ; voulez - vous que je falſe
votre fortune ? & pour commencer à effectuer...
( Il tire une bourſe . )
Mde DORMEL. Non , Monfieur , je
vois d'ici à quel prix vous voudriez la
mettre... Malgré notre extrême beſoin
dont je n'ai pas la foibleſſe de rougir , je
nebalance pas à vous refuſer.
Le petit DORMEL. Maman , ce Monfieur
veut vous donner tout plein d'or &
vous n'en voulez pas ; prenez au moins
pour vous & pour mon papa .
Mde DORMEL . Paix , mon fils .
LE MARQUIS. Mais , ma bonne , vous
êtes folle; penſez y à deux fois , je veux
bien vous en laiſſer le tems ; j'ai cent ai
OCTOBRE. 1770 . 41
mables filles , auſſi jolies que la vôtre , &
que je peux choiſir : je lui donne la préférence
; vous êtes trop heureuſe.
Mde DORMEL . Et nous ne ſentons
point cebonheur-là. Croyez -moi , Monfſieur
, courez chez les malheureuſes que
vous connoiſſez ſi diſpoſées à vous vendre
leur honneur ; en quelque tems que ce
foit, ma fille ni moi n'accepterons vos
offres.
LE MARQUIS. Ma foi , tant pis pour
vous. Allons Dubois ; auſſi-bien auroisje
eu peut-être de la peine à venir à bout
de cette petite mijaurée-là .
DUBOIS. Adieu , ma bonne , je vous
ſouhaite avec la continuation de ces beaux
ſentimens - là , un bon appetit.
(Ils fortent. )
SCÈNE IV.
Mde DORMEL , le petit DORMEL .
SOPHIE , qui furvient.
Mde DORMEL . Va miſérable , ta dureté
ne me ſurprend point ; elle eſt la
ſuite néceſſaire de l'infame dépravation
de tes moeurs. Les maux ſuivent en foule
le pauvre , heureux qui ſçait les ſuppor42
MERCURE DE FRANCE.
ter avec conſtance ; mais que le courage
&la fermeté ſont difficileslorſque la nasure
eſt défaillante !
SOPHIE . Ah ma mere ! l'aurois - je jamais
imaginé , qu'il y eût des hommes
capables de fe faire un titre de notre indigence
, pour... ( Elle se jete au cou de
famere.)
Mde DORMEL , attendrie. Ma chere
enfant, ta vertu me charme , tu viens
d'en donner un exemple héroïque....
Mais , que je ſuis inquiette de ton pere !
il n'aura pu réuſſir... Il va revenir accablé
de douleur , de fatigue & de beſoin .
Sophie . Je voudrois bien lui épargner
toutes ces peines; vous le ſavez , fi l'on
n'avoit exigé que ma vie...
Mde DORMEL. Je te rends juſtice, ma
fille ... Mes chers enfans , l'état de votre
pere me perce l'ame , il faut avoir recours
au dernier des moyens , à celui qui
déchire un coeur ſenſible... Il faut que
Dormel me prête ici ſon ſecours.
Le petit DORMEL. Moi , maman ; oh
commandez ; tout me ſera facile pour
vous .
Mde DORMEL. C'eſt bien , mon tils ,
embraſlez moi... Dormel, mon cher fils..
OCTOBRE. 1770 . 43
Dure néceſſité a quoi me réduis-ta ? ... II
faut que tu ailles implorer l'aſſiſtance des
hommes , que tu leur expoſes notre mifére
, que tu leur arraches , par tes inſtances&
par tes larmes , quelque légère portion
de leur ſuperflu... La tâche eſt difficileàremplir,
mon cher enfant; tu trouveras
des ames viles qui ne croient pas
qu'il foit poffible d'être pauvre& eſtimable,
de ces coeurs de pierre contre leſquels
les cris des malheureux vont ſe brifer
inutilement ; mais peut- être auſſi rencontreras-
tu quelque homme vraiment digne
de ce nom , & certainement je crois qu'il
en eſt encore , qui voudra bien jeter fur
nous un regard de commifération& nous
retirer au moinspour un tems de l'affreux
abyme où nous ſommes plongés .
,
Le petit Dormel , après l'avoir écoutée
avec la plus grande attention . Maman
n'est- ce pas ce qu'on appelle demander
l'aumône ?
Mde DORMEL. (àpart) Ah ciel ! (haut)
oui , mon fils .
Le petit DORMEL. Cela me fera bien.
de la peine de demander l'aumône ....
Mais... faudra - t - il demander à tout le
monde?
Mde DORMEL. Oui , mon fils ; à tout
44 MERCURE DE FRANCE.
le monde, à tous ceux que tu verras en
étatde t'affitter .
Le petit DORMEL. C'eſt qu'il y en a qui
ſont ſi vilains , ſi rebutans , qui traitent fi
mal les pauvres ! je voudrois bien ne leur
point demander à ceux là.
Mde DORMEL. Que veux-tu , mon fils?
Il n'eſt pas poſſible de les diſtinguer . Demande
avec inſtance , les coeurs ne s'émeuvent
guère à la premiere ſecouffe ,
fans cependant te rendre importun ; fois
humble , ſans avoir l'air bas & rampant .
Le petit DORMEL , triſtement, Allons
donc, embraſſez-moi , maman.
Mde DORMEL , l'embraſſant. Va , mon
fils ; fi la vie de ton pere & cellede tes freres
& de tes foeurs ne m'étoient attachées ;
je n'exigerois pas un pareil ſacrifice .
(Le petit Dormelfort en pleurant. )
SCÈNE V.
Mde DORMEL , SOPHIE .
SOPHIE le regardefortir , les larmes aux
yeux. Le pauvre enfant ! non , il n'eſt perfonne
que fa figure ne touche , que ſes
larmes n'attendriſſent. Cette démarche lui
coûte beaucoup.
OCTOBRE. 1770. 45
Mde DORMEL. Hélas , elle n'eſt honteuſe
que parce qu'un indigne abus l'a
avilie.
SOPHIE . Vous avez raiſon . Voici mon
pere. Ah ! mon cher pere . ( Elle court audevant
defon pere. )
SCÈNE VI .
M. DORMEL , Mde DORMEL , SOPHIE.
M. DORMEL entre d'un airfombre ; il
est pâle & défait ; fes habits annoncent la
plus grande mifére. Ah ma femme ! ah ma
fille! il nous faut mourir. (Il s'affied &
regarde de tous côtés d'un air égare. ) Où
eſtdonc mon cadet ? Dormel eſt - il de retour
?
Mde DORMEL. Mon cher mari , j'en
avois un fecret preſſentiment , tu n'as rien
obtenu.
M. DORMEL , avec fureur. Tous accès
àla pitié eft fermé dans le coeur deshommes
.... Un miférable ! .. que j'ai bien
voulu honorer de mon amitié dans des
tems plus heureux... J'étois à mon aiſe
alors ; il étoit pauvre & homme de bien ...
En changeant de moeurs il a fait fortune...
Que la terre l'engloutiſſe ! le ſcélerat ! il
me vole lâchement le fruit de mes tra T
46 MERCURE DE FRANCE.
vaux... Il nous porte à tous le coup de la
mort...
Mde DORMEL, Comment , il ne veut
pas vous payer ?
M. DORMEL. Le monſtre ! Il implore
àfon fecours la lettre de la loi pour m'affaffiner...
Achevez votre ouvrage,je vous
paierai , juſque-là je ne dois rien : voilà
fon unique réponſa. En vain lui ai-je repréſenté
l'excès de ma mifére , qu'il ne
m'étoit pas poſſible de travailler fans me
nourrir , que je me contenterois de la
moitié du prix de l'ouvrage , que je regarderois
ce ſecours , s'il le jugeoit à - propos
comme un don. Il a été fourd à toutes
mes prieres : je ne dois rien , m'a-t'il reparti
durement , & je n'ai point d'aumône
à vous faire... J'inſiſtois ; qu'on me
débarraſſede cet importun , a t- il dit à fes
gens , & fur le champ on me porte dans
la rue à demi-mort d'épuiſement & d'indignation.
Mde DORMEL. Remettez vous , mon
cher ami ; diminuez nos maux en vous
appéſantiſſant moins fur les vôtres. J'ai
envoie votre cadet par la ville... Peutêtre
ſera- t- il aſſez heureux pour nous trouver
quelque ſecours.
M. DORMEL. N'eſpère rien , ma chere.
Ah des hommes , des hommes ! non ; il
OCTOBRE. 1770. 47
n'en eſt plus ; il n'eſt que des bêtes féroces
... Ton état a - t- il pu me permettre
d'oublier ce moyen , il eſt vrai que je l'ai
rejeté long - tems. La honte... Te l'avouerai-
je , l'amour- propre , l'orgueil...
où ont- ils été ſe nicher ? Malheureux que
je ſuis ! l'homme eſt toujours homme...
Ces différentes paſſions ont long - tems
combattu dans mon coeur ; ma tendreſſe
pour toi , pour ces chers enfans l'a emporté,
je me fuis adreſſé au premier pafſant
; je l'aborde les larmes aux yeux
avec une phyſionomie renverſée . J'ai une
femme & quatre enfans qui font dans le
beſoin le plus preſſant , lui ai je dit
d'une voix baffe & d'un ton mal articulé.
Travaillez , me répond bruſquement
cet homme , vous le pouvez encore ; il
n'eſt point de métier qui ne foitplus honnête
que celui que vous faites : en même
tems il tire de ſa poche une bourſe des
mieux fournies , y cherche la plus petite
des monnoies & me la met dans la main ..
J'étois immobile de dépit ; je voulois
parler , mais ma langue étoit glacée , & il
étoitdéjà bien loin lorſque j'en recouvrai
l'uſage.
SOPHIE . Un homme riche infulter la
mifére& ne pas la ſecourir ! à qui donc s'adreffer?
48 MERCURE DE FRANCE.
M. DORMEL. A perſonne , ma fille ,
quand on eſt auſſi malheureux que nous
le ſommes, il faut ſavoir mourir... Mais
Dormel m'étonne , il n'a pas accoutumé
de s'abſenter fi long-tems , ni de fortir ſi
matin.
Mde DORMEL. C'eſt ce que je diſois à
l'inftant. Je ne peux pas croire qu'il ait eu
deflein de nous abandonner .
M. DORMEL. Je ne le crois pas non
plus. Mais devoit- il fortir dans une circonſtance
auſſi fâcheuſe , lorſque ſon ſecours
nous eſt ſi néceſſaire. Ne fait- il pas
que la plus légere interruption de fon travail
nous fait un tort irréparable. Non , il
ne s'excuſera jamais.
SOPHIE . J'entends quelqu'un ; c'eſt ſûrement
lui . ( Elle va à la porte . )
M. DORMEL. Qu'il ne paroiſſe pas devant
mes yeux .
SCÈNE VII .
M. DORMEL , Mde DORMEL , SOPHIE .
DORMEL l'aîné. Il a l'air foible & abbatu
; ſes bras font entourés de linges , il
porte deux pains & une bouteille de vin.
DORMEL fils , jetant les pains fur la
table
OCTOBRE. 1770. 49
table & mettant la bouteille à terre . Tenez,
mangez ... Ils me coûtent bien cher ; ...
je n'en puis plus. ( Ilſe laiſſe allerfur un
vieux coffre.)
M. DORMEL. Qu'eſt ce à dire ? Seroitce
le fruit d'un crime ! ah malheureux !
Mde DORMEL. Seroit- il poſſible !
DORMEL fils. Mangez , vous dis- je ,je
ſuis digne de vous.
M. DORMEL . Mais encore que ſignifie
l'état où vous voilà .
Mde DORMEL. Des bandages , des linges
, du ſang ! vous feriez- vous battu ?
SOPHIE . Ah ma mere ! il s'eſt fait faigner
, tenez voilà une ligature défaite ; le
ſang coule de ſon bras .
DORMEL fils . Mon pere ! .. ma mere..
ma foeur... c'étoit ... pour vous donner
dupain.
M. & Mde DORMEL , ensemble. Ah !
mon fils !
SOPHIE . Ah ! mon frere !
( Ils s'approchent de Dormel fils , l'embraſſent
étroitement ; Sophie refferre Sa
ligature.)
1. Vol. C
So
MERCURE DE FRANCE.
SCÈNE VIII . & DERNIERE.
M. & Mde DORMEL , SOPHIE ,
DORMEL l'aîné , le Comte DE ST BON,
DORMEL le cadet , un Domeſtique du
Comte , portant quelques proviſions.
Le COMTE DE ST BON. Où font- ils ces
pauvres malheureux ? Comment ont - ils
pu ſe cacher ſi long-tems à mes yeux.
DORMEL le cadet. Les voilà , Monſieur...
c'eſt mon pere... c'eſt ma mere...
Ils meurent de faim.
Mde DORMEL, au Comte. Hélas,Monſieur
, que votre généroſité eſt touchante!
nous en ſentons tout le prix ; mais comment
en pourrions-nous jouir , tandis que
ce cher enfant , le mortel le plus reſpectable
... eſt près d'expirer? .. Ah! ſi vous
faviez ...
Le petit DORMEL. Mon cher frere ,
Comme vous voilà. (Il court àſonfrere.)
LE COMTE , à Dormel l'aîné. Comment
, vous auroit- on maltraité ?
DORMEL fils , d'une voix foible & interrompue.
Non , Monfieur ; je n'ai pu
ſupporter l'état où ſe trouve réduite ma
malheureuſe famille. -Je ſuis forti ce
OCTOBRE. 1770.
-
matin , le déſeſpoir dans l'ame , détermi .
né à leur trouver du ſecours ou à mourir.
-Je rencontre un de mes amis auſſi pauvre
, auſſi malheureux que moi. Mon air
déſeſpéré l'effraie. -Où vastu , me ditil
, que t'eſt- il arrivé ? Ah mon cher ! ils
n'ont pas mangé depuis hier au foir...
mon pere... ma mere ... Je ne ſais où je
vais... où je ſuis... Ils vont mourir .
Tiens , mon ami , me dit cet homme vertueux
, en me donnant une pièce de deux
ſols ; voilà tout ce que je poſſéde ; ſi tu
voulois gagner de l'argent , je ſçais un
moyen.-Ah , disje , je ferai tout ; il eſt
honnête ſans doute. -Eh bien , me dit
ce généreux ami , il y a un particulier qui
demeure auprès de l'école de chirurgie ,
il apprend à ſaigner & il donne de l'argent
à ceux qui... J'entends , ai-je interrompu.
Je le quitte à l'inſtant. -Je
vole chez ce particulier.-Il me faigne
& me donne de l'argent. -Je vais chez
un autre . -On m'en fait autant. -Je
viens avec ces pains , & je meurs . Heureux
ſi ma mort retarde de quelques inftans
celle des infortunés à qui je dois le
jour.
LE COMTE . Ah ! mon ami , vous êtes
un prodige de vertu ; mais vous avez un
1
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
frerequi ſe montre votre digne émule ...
cepetit malheureux ( en montrant le petit
Dormel) eſt tombé en défaillance à ma
porte , je l'ai fait tranſporter chez moi ;
quelques verres de liqueur lui ont fait
reprendre ſes ſens. Il meurt d'inanition ,
dit un médecin qui étoit alors à la maifon
, & fur le champ je lui fais préſenter
quelque nourriture ; il la refuſe conſtamment...
C'eſt mon pere... C'eſt ma mere
qu'il faut ſecourir ; pourrois -je manger ,
tandis qu'ils meurent de faim ?
M. DORMEL , attendri . Ah , mes chers
enfans ! ... vous méritez un meilleur
fort.
Le Comte. Que leur fort ne vous inquiette
plus , j'en fais actuellement mon
affaire , je bénirai chaque jour l'heureux
inſtant où j'ai pu ſecourir des malheureux
auſſi peu faits pour l'être... Votre fils
n'eſt heureuſement qu'affoibli : à fon âge,
fort comme il le paroît , il ſe tirera aifément
d'affaire ... ( Iljette une bourse fur
la table. ) Voilà pour aider à ſa guérifon
& à votre ſubſiſtance pendant quelques
jours. Dans peu vous aurez de mes nouvelles.
( M. Dormel &fa famille veulentsejeter
aux pieds du Comte , il les retient. )
OCTOBRE. 1770. 53
Point de remercîmens , mes chers enfans
; ce que je fais m'eſt bien doux ; j'en
ai déjà reçu la récompenſe au fond de
mon coeur. ( à M. & Mde Dormel) Je ne
peux me laffer d'admirer l'effet de l'éducation&
des bons exemples que vous avez
donnés à vos enfans , ils me donnent une
haute idée de vos ſentimens ; car , dit le
proverbe ....
Par M. Garnier , Avocat àAuxerre.
EPITRE à M. de la Galaiziere ,
Intendant de Lorraine , & c.
0 ΤΟΙ ! dont les regards éveillent l'induſtrie,
Toi , qui ſais réunir dans tes nobles projets
Le miniſtre du Prince & l'ami des ſujets ,
Reçois l'encens de ma patrie .
Tu l'as bien mérité. Tes ſoins confolateurs
Ont rendu l'eſpérance à nos cultivateurs .
Sans toi nous aurions vu la famine cruelle
Déployer fur nos fonts les voiles du trépas .
Le déſeſpoir tremblant s'avançoit avec elle ,
Et les crimes marquoient la trace de ſes pas .
Ah ! tandis que d'autres rivages
S'étonnoient de jouir des fruits de nos guérets ,
Nos peuples gémiſſans dans le ſein des forêts
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
Se nourrifſfoient d'herbes ſauvages.
Nous rappelions en vain les tréſors de Cérès.
Dieux! falloit- il encor de plus triftes ravages
Pour ajouter à nos regrets ?
Les orages grondans au ſommet des montagnes ,
De l'affreuſe diſette ont redoublé l'horreur.
Les vents ſéditieux y mêloient leur fureur ,
Et les flots irrités venoient dans nos campagnes
Noyer l'eſpoir du laboureur.
Il imploroit , hélas ! ta bonté paternelle.
Touché de ſes malheurs , tu fais les réparer ;
A force de bienfaits tu veux te préparer
Une renommée éternelle .
Déjà de toutes parts tes rapides ſecours
Des pleurs de l'indigence interrompent le cours.
Tu n'as point imité ces mortels inflexibles ,
Ces monftres qui craindroient de paroître fenfibles
Et qui , de notre ſang , s'abreuvent à loiſir :
Les publiques douleurs font leur affreux plaifir ;
Mais l'humanité même en ton ame reſpire.
Ta gloire eſt d'être utile & généreux ;
Ton rang n'eſt que le droit de faire des heureux.
Ah! fuis la vertu qui t'inſpire.
J'ai vu nos villageois , ſous un ombrage épais ,
De tes foins fortunés s'entretenir en paix .
« C'eſt par lui , diſoient - ils , que nous pouvons
>>>fans crainte
>>A l'eſpoir le plus doux nous livrer déſormais ,
OCTOBRE. 1770 . SS
>>Sûrs que,de nos travaux, une affreuſe contrainte
>> Ne nous écartera jamais.
Il éloigne de nous la famine accablante ;
» Il vole où nos beſoins appellent ſes bienfaits.
>> Il ne rejette point la priere tremblante
>> Et les voeux que le pauvre a faits.
>> Sur-tout il eſt ami de la ſimple nature ;
>> Charmé de nous inſtruire & de nous ſecourir ,
>> Il nous apprend lui-même à connoître , à chérir
>>> Les tréſors de l'agriculture.
> Voyez-vous ces hauts peupliers
>> Qui protègent nos prés de leur nouvel ombra-
»ge ?
>>Voyez-vous dans nos champs ces rapides courfiers
>>Eſſayer leurjeune courage ?
*C'eſt lui de qui la main nous prodigue ces dons ;
>>> C'eſt lui qui nous rendra les deſtins plus pro-
>>pices ,
>> Et la tranquillité , qu'au Ciel nous demandons ,
>> Endeſcendra ſous les auspices . >>
Ainſi de nos hameaux les groſſiers habitans
Conſacrent à la fois ta gloire & leurs hommages ,
Ainſi de ta vertu les fidèles images
Vaincront les Parques & les Tems.
Ah !méritefans ceſle , en dépit de l'Envie ,
Des éloges ſi doux au coeur d'un citoyen.
Du culte de Cérès fois le digne ſoutien.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Etque l'on diſe un jour en parlant de ta vie :
Lebonheur public fut le ſien.
Par M. François de Neufchâteau.
MAXIMES fur l'Education ; par M. le
Chevalierde Solignac.
RIEIENN de parfait ne fort des mains de la nature ;
L'homme même en naifiant n'est qu'à peine ébauché.
Nelui refuſez pas une prompte culture ;
C'eſt un champ qui veut être au plutôt défriché.
Le tems où la raiſon dans un enfant ſommeille
Autant qu'un autre eſt propre à le rendte parfait.
Que de foins épargnés fi lorſqu'elle s'éveille ,
Ce qu'on en doit attendre eſt preſque déjà fair.
Quelque jeune qu'il ſoit , ſon ame eſt immore
telle;
Qu'il en ſente au plutôt toute la dignité ,
Qu'au plutôt il apprenne à reſpecter en elle
Leſouffle précieux de la divinité.
Qu'un louable penchant devance en lui l'étude ;
Que le remede en lui prévienne le poiſon ,
Quel charmede le voir faire par habitude
Ce qu'on eft fi long-tems à faire par raifon !
OCTOBRE. 1770. 57
D'un pédant ombrageux & toujours en colère
N'affectez avec lui ni l'air ni les diſcours .
A vous voir il croiroit la vertu trop auſtere ,
Et s'en dégoûteroit peut- être pour toujours.
Elevez- lui le coeur , qu'il l'ait grand , magnanime,
Qu'il ſache comme on doit penſer & defirer .
Eſt- il rien de ſi beau , de fi grand , ſi fublime ,
Où notre eſprit ne puifle & ne doive aſpirer ?
Par un étude aiſée & priſe avec meſure ,
Cultivez ſon eſprit , formez fon jugement :
L'étude à la jeuneſſe eſt une nourriture ;
Dans la vieilleſſe elle eſt un doux amusement.
L'ignorance à la mort eſt à-peu- près ſemblable ;
Elle étend ſur les yeux un auſſi noir bandeau ;
Et l'eſprit d'un mortel qui de rien n'eſt capable ,
Repoſe dans ſon corps comme dans un tombeau .
A Monfieur D. S.
J'AI reconnu le ſage à la main qui le trace ,
C'eſt la langue du coeur , de l'eſprit c'eſt le ton.
Cet aimable Cenſeur joint la force à la grace ,
Et les vers de Virgile aubon ſens de Caton .
Par le même.
Cv
SS MERCURE DE FRANCE.
VERS aux Demoiselles G.... , quétant
pour les pauvres le Jeudi Saint.
DANAnSs ce jour ſolemnel , où par la charité
Chacun penſe expier ſes fautes ,
Si les dons des ames devotes
Répondent à votre beauté,
Je vais voir abolir l'uſage de nos quêtes.
La vôtre enrichira nos pauvres à jamais :
Onne les verra plus s'attrouper déſormais
Pour nous importuner aux jours des grandes fêtes ,
Mais, pour prier le Ciel que beautés ſi parfaites
Jouiſſent d'un bonheur égal à leurs attraits ;
Vous méritez cette gloire ſuprême :
Mais , brillantes Gibert , de la part des pécheurs ,
N'attendez pas cette ferveur extrême .
Le plus riche d'entr'eux ſeroit pauvre lui-même
S'il meſuroit ſes dons ſur vos traits enchanteurs.
Ainfi contentez-vous , pour prix de votre zèle ,
De la recette la plus belle
Etde l'encens de tous les coeurs.
Par M. de Seveirac , officier d'infanterie.
OCTOBRE. 1770 . 59
mon Oncle , en lui envoyant un bouquet
le jour de ſa fête.
Aux autels de l'Amour , à ceux de l'Amitié
On célèbre aujourd'hui la plus belle des fêtes ,
Et les plus doux parfums , les fleurs les plus parfaites
Ornent leur temple auguſte , y brûlent par moirie
A l'honneur des Louis , à l'honneur des Liſettes .
Comme ami , comme amant , on m'a vu tour-àtour
Moiſſonner les tréſors de l'empire de Flore ;
Mais , guéri déſormais des flammes de l'amour ,
Les fleurs , qu'avec plaiſir ma main cueille en ce
jour ,
Sont pour l'oncle charmant que j'aime & que j'honore.
Cette offrande légère aux yeux d'un amateur , *
De lui , de l'Univers pourroit être admirée ,
Si les dieux en régloient l'éclat & la durée
Sur la tendre amitié que lui porte mon coeur.
Par M. le François , ancien officier
de cavalerie.
* Mon oncle aime beaucoup les fleurs , &s'amuſe
à en cultiver de très-belles.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
LES DANGERS DE L'INEXPÉRIENCE.
Conte moral.
M
DE VELCOUR quitte le ſervice , ſe
retire dans ſa province , épouſe une Demoiſelle
d'un âge conforme au fien , &
ne ſouhaite plus que d'être pere pour vivre
parfaitement heureux . Un voeu ſi refpectable
fut rempli. On laiſſa le jeune
enfant livré à lui - même & aux plaifurs
innocens de fon âge juſqu'à douze ans.
Alors M. de Velcour crat qu'il étoit tems
de fonger à l'éducation de ce fils chéri ,
& voulut ſe charger lui-même de ce ſoin .
Pourquoi des intentions fi louables &
dont nous voyons malheureuſement ſi
peu d'exemples , n'étoient elles que la
ſuite du defir de mettre en pratique un
faux ſyſtême ? Je veux , diſoit - il à fon
épouſe , que l'éducation de notre fils ſoit
bonne , mais ſimple. Ma fortune ſuffira
pour le faire vivre très - heureux , il eſt
donc inutile qu'il courre après de vains
honneurs qu'on n'obtientſouventqu'àforce
de ſoins qui ne peuvent pas toujours
plaire àun honnête homme. Pour le fixer
abfolument ici , je le marierai très-jeune
OCTOBRE . 1770 . 61
&ne lui donnerai pas le tems de ſe livrer
à des plaiſirs dont on ſe repent , ou
que l'on regrette dans les bras d'une femme
honnête. Quoi , dit Me de Velcour ,
vous ne l'enverrez ſeulement pas à Paris
pour y faire ſes exercices ? -A Paris ! ...
je voudrois qu'il tremblât au nom de cette
ville , véritable écueil de la ſageſſfe. -
Vous voulez faire de notre fils un triſte
citadin , un pareſſeux , un être inutile
dans le monde ? --Inutile ! non ,ma chere ,
il ne le ſera pas ; Velcour marié jeune
aura beaucoup d'enfans à qui il ſera néceſſaire
, & ce n'eſt pas être inutile que de
former de bons citoyens. Je veux le garantir
, s'il eſt poſſible du même fort que
moi , & qu'il n'arrive pas à cinquante ans
fans avoir vécu pour lui-même & fenti le
bonheur d'exiſter; bonheurqu'on n'éprouve
réellement que dans les bras d'une
épouſe auſſi vertueuſe que toi , au ſein
d'une famille qu'on rend heureuſe.-Le
bonheur dont vous me parlez, Monfieur ,
n'eſt ordinairement fenti que par ceux
qui , jetés dans le tourbillon du monde ,
ont eu le tems de connoître ſes travers &
de s'en dégouter ; mais notre fils , fans
expérience fur ce monde qui peut plaire
quand on ne le connoît pas , ſouhaitera
ſans doute d'y paroître & d'y jouer un
62 MERCURE DE FRANCE.
rôle . Etoufferez- vous en lui toute ambition
, pouvez - vous vous promettre qu'il
foit inſenſible aux plaiſirs dont on jouit
dans la capitale , & qu'il entendra vanter
chaque jour ? -Oui , Madame , j'aurai
ſoin de l'en dégoûter. Je lui peindrai de
couleurs fi .... -Il ne vous croira pas :
ſes paſſions, pour avoir été long- tems retenues
, n'en feront que plus fortes , &
peut - être il en ſera la victime dans un
âge où les autres , à force d'expérience ,
ont appris à les maîtriſer. Croyez - moi
Monfieur, ce n'eſt qu'en combattant qu'on
apprend à vaincre , ne feroit- il pas cruel
pour nous que Velcour... -Raſſurezvous
, Madame , il ſera digne nous & fera
la confolation de nos vieux jours.
,
En ſuivant ſes principes , M. de Velcour
parvint à faire de fon fils un jeune
homme ſans vices , à la vérité , mais auſſi
fans grandes qualités , ni talens. Ilne lui
reſtoit donc plus , pour remplir en entier
ſon chimérique plan d'éducation &pour
aſſurer le prétendu bonheur de la vie de
ce cher fils que de le marier promptement.
Le choix étoit déjà fait & le jeune
Velcour ſembloit l'avoir confirmé. Mile
Duriſſe , qu'on lui deſtinoit , joignoit à
toutes les qualités du coeur & de l'eſprit
toutes les graces du corps. Deux grands
OCTOBRE. 1770. 63
yeux noirs , où ſe peignoient tour- a- tour
la tendreſſe & la modestie , animoient les
traits les plus réguliers. Une taille élégante
& majestueuſe décorée d'un ſein
d'albâtre, qui paroiſſoit ému des premiers
ſoupiss de l'amour , rendoit cette tête
divine encore plus intéreſſante. Enfin on
eût ditque la nature s'étoit ſurpaſſée pour
en former un être accompli .
Les parens , égaux en naiſſance & en
fortune , eurent bientôt conclu ce mariage
, & les deux jeunes amans furent conduits
aux pieds des autels . On eût dit
qu'on alloit marier une Veſtale à l'Amour.
On n'avoit jamais vu d'époux plus intéreſſans
, de parens plus fatisfaits du bonheur
de leurs enfans. La joie la plus pure
préſida au feſtin , & l'on dit que le jeune
Velcour avoit le lendemain autant d'expérience
qu'un homme de trente ans.
Ils jouirent , pendant cinq ans , d'une
félicité ſi parfaite qu'elle fut au deſſus de
tout ce qu'on en pourroit dire. Deux enfans
, gages précieux de leur amour , faifoient
leurs délices. Le bonheur de ces
tendres époux fut troublé par la mort du
pere & de la mere de Velcour. Les premiers
inſtans de fa douleur furent fi vifs
qu'il penſa en perdre la vie. Revenu enfin
à lui - même , & devenu par cette perte
64 MERCURE DE FRANCE.
abfolument maître de ſes actions , il ſe
livra davantage au deſir qu'il avoit toujours
eu d'être quelque choſe dans le
monde & de laiſſer un état à ſes enfans .
Une place qui vient à vaquer dans ſa
province lui préſente l'occaſion de fatisfaire
ſa légitime ambition. Il ne s'agit
pour l'obtenir que de ſe rendre à la
cour ; ſes amis l'y engagent & Mde
de Velcour , malgré ſon extrême répugnance
à voir fon mati s'éloigner d'elle ,
le détermine à partir.
Il arrive donc à Paris à l'âge de vingtcinq
ans , n'ayant à la vérité ſecoué aucun
préjugé , mais auſſi ſans cette expérience
qu'on évite rarement d'acquérir à ſes dépens.
Il prend un logement dans un hôtel
garni , & va trouver enfuite M. de Longpré
, conſeiller au parlement , homme du
plus rare mérite , jouiſſant de la confiance
d'un grand ſeigneur. Ce reſpectable magif.
trat, veufdelaniéce de Mde Duriffe, reçut
Velcour commeun allié qui lui étoit fortement
recommandé. Après lui avoir
promis de le préſenter , il le prie de regarder
ſa maiſon comme la ſienne , veut
même qu'il y vienne loger. Velcour
pour fon malheur , ne l'accepta pas , &
M. de Longpré , livré tout entier à fon
état , ne put que rarement être avec lui .
OCTOBRE. 1770 . 65
Le lendemain matin ils furent à la porte
de leur protecteur , où ils apprirent qu'un
accident qui lui étoit ſurvenu les priveroit
pendant quelques ſemaines de l'honneur
de le voir. Velcour , déſeſpéré du contretems
, qui alloit le retenir plus qu'il ne
l'avoit projeté , ne peut s'empêcher de
laiſſer appercevoir la mauvaiſe humeur
que cela lui donnoit. Pourquoi vous chagriner
de ce petit revers , lui dit M. de
Longpré ? Paris doit avoir des droits fur
votre curiofité , les édifices , les ſpectacles
méritent l'attention d'un homme de
goût ; allez , par exemple , aujourd'hui à
l'opéra , & comptez que chaque jour vous
fournira des plaiſirs nouveaux. Velcour
fuivit ce confeil .
Apeine entroit-il dans la ſalle qu'il
apperçut le chevalier de *** , ſon ancien
ami , ſon voiſin , qui avoit quitté la province
depuis pluſieurs années. Ce malheureux
, dont la rencontre devoitlui être
ſi funeſte , vivoit des reſſources du jeu &
des ſecours honteux de femmes qui, dans
leur hiver prématuré , rendent à la brillante
jeuneſſe ce qu'elles ont reçu dans
leur printems pour prix de leurs appas.
Velcour ſe livra , comme un homme ſans
expérience , à l'honnêteté de l'extérieur
&aux proteſtations d'amitié que lui fit le
66 MERCURE DE FRANCE.
chevalier , qui ne le quitta plus. Pour
donner à ce faux ami une marque entiere
de ſa confiance , Velcour lui dit le ſujet
de ſon voyage & ce que M. de Longpré ,
l'amide ce ſeigneur,lui avoitpromis. Bon,
l'ami , s'écria le chevalier , tu t'abuſes ,
mon cher , c'eſt à l'amie qu'il faut s'adreſſer.
Tu as de l'argent comptant fans
doute ? -Oui & même une ſomme affez
conſidérable. -Tant mieux ! Tu en facrifierois
volontiers une petite partie pour
obtenir ce que tu demandes ? -Oui , fi
cela étoit néceſſaire. -Néceſſaire ? indiſpenſable
! Et ſi tu veux ſuivre mes conſeils
, ton affaire eſt faite dans vingtquatre
heures . -Seroit - il poſſible ? -
Oui , puiſque je le dis. Je ſuis dans les
bonnes graces de pluſieurs Dames ... là..
tu m'entends bien , & tout- à - l'heure je
veux te procurer la connoiſſance d'une...
-Je te remercie , ce moyen me déplaît
&je ne m'en ſervirai pas .--Tant pis,car il
eſt certain , immanquable ; j'en connois
qui te valent bien , qui ne ſont pas ſi délicats
. Cela peut- être , au reſte ;je confulterai
là- deſſus M. de Longpré.-Non
vraiment , ce feroit bleſſer ſa délicateſſe ,
il eſt abſolument inutile de lui en parler.
-Il s'eſt prêté de ſi bonne grace à m'obliger
que ce ſeroit ...-Bon , autre ſcru
OCTOBRE . 1770 . 67
pule ! ne t'abuſe pas , mon cher : Longpré
eſt un brave homme , je le connois ,
mais il t'a promis plus qu'il ne peur. Cependant...
Mais , enfin , ſuis - je moins
ton ami que lui , nous nous connoiffons
dès l'enfance ; d'ailleurs quel intérêt aije
à tout cela que celui de t'obliger ?-Je
le ſens bien.-Si tu en es perfuadé laiſſetoi
donc conduire , ou bien je t'obligerai
malgré toi , ce ſera ma derniere reſſource.
-Oh ! pour le coup je me rends & fuis
prêt à faire tout ce que tu me conſeilleras.
Velcour fut conduit au même inſtant
chez une femme qui, pour le mieux tromper
, trancha du grand; joua les moeurs ,
la vertu , & promit de terminer bientôt
fon affaire . Pour l'accélérer il ſe crut obligé
de cultiver l'amitié de cette femme
précieuſe. C'étoit là ce qu'elle & le chevalier
deſiroient , il ne falloit plus que le
rendre amoureux pour en être tout- à-fait
maître. La niéce prétendue de cette femme
fut choiſie pour le ſéduire ; l'air du
libertinage l'eût effraïé , on fit jouer à la
petite malheureuſe le rôle d'une agnès ,
qui ſent les premiers traits de l'amour ;
ſes yeux ſembloient dire à Velcour , ah!
ſi je pouvois échaper aux regards ſurveillans
de ma tante , vous fauriez combien
68 MERCURE DE FRANCE.
je vous aime. La trouvoit - il ſeule , elle
excitoit ſes deſirs par ſa réſiſtance & fa
feinte modeſtie , ou paroiſſoit prête à ſe
rendre quand elle le voyoit ſe repentir de
ſa ſéduction .
Le jour vint enfin d'avoir audience du
ſeigneur , & il eut le chagrin d'apprendre
de lui-même que la cour étoit dans l'in .
tention de réunir l'emploi qu'il demandoit
; cependant , Monfieur , lui dit ce
digne ſeigneur , je tâcherai qu'on laiffe
fubfifter cette charge en votre faveur ,
prenez patience & venez me voir. Mon
avis , lui dit M. de Longpré en fortant ,
eſt que vous attendiez . -C'eſt aufli mon
deffein , & dans cet inſtant Velcour penfoit
qu'il lui feroit facile de terminer
promptement fon affaire par la voie que
le chevalier lui avoit procurée . Hélas !
qu'il étoit dupe de fa bonne foi , & qu'il
alloit être victime de fon inexpérience &
de l'éducation qu'il avoit reçue. Le monftre
qui avoit entrepris ſa ruine & qui vivoit
à ſes dépensdepuis un mois, ayant fu
delui-mêmelaréponſe del'hommeen pla .
ce perfuada à Velcour que c'étoit l'inſtant
favorable pour faire un préſent qui détermineroit
à de nouveaux efforts . Pour
épargner , lui dit - il , la délicateſle de
cette femme qui rougiroit peut - être de
OCTOBRE 1770 .
69
recevoir de vous la ſomme dont vous
voulez lui faire préſent , je vous conſeille
de me charger de lui remettre de votre
part : ne trouvez- vous pas , mon ami, que
cela fera plus honnête ? Velcour le veut
&lui donne cent louis. Si ce malheureux
ſe fût borné à le friponner , la perte n'eût
pas été grande , la diffipation de l'argent
ſe répare , ou l'on s'en paſſe ; mais la vertu
, la réputation , l'honneur ne ſe recouvrent
pas facilement. On ſe ſervit du
piége adroit qu'on lui avoit tendu pour
le faire tomber tout-à-fait dans le précipice
qui , pour être couvert de fleurs , n'étoit
que plus dangereux . Enfin, obſédé par
le chevalier , entraîné par l'exemple des
libertins dont on lui avoit procuré la connoiſſance
; plus épris que jamais des charmes
trompeurs de la perfide qui lejouoit,
il paya de cent louis les premieres faveurs
decette innocente, qui les avoit déjà vendues
vingt fois.
Ce défordre entraîna tous les autres. Il
joua de moitié avec le chevalier , qui tint
toujours les cartes & ne gagna jamais.
Pour fournir à ſes dépenses & payer les
dettes qu'il contractoit journellement , il
engagea une de ſes terres pour moitié de
ſa valeur , & crut trouver un ami dans
70 MERCURE DE FRANCE .
l'ufurier qui lui prêta à gros intérêt. Sa
maîtreſſe fut infidèle , mais cette perfidie
ne le corrigea pas , il étoitdéjà trop corrompu.
Pour s'en venger il en prit une
autre qu'il paya encore plus chere . Je me
garderai d'entrer dans le détail de la vie
qu'il mena; le tableau en ſeroit trop licentieux&
la peinture trop groſſiere pour
être vu ſans dégoût. Il ſuffira de dire que,
pour ſe livrer tout entier à la débauche, il
abandonna tout- à- fait M. de Longpré ,
rejeta ſes conſeils & n'écrivit plus à ſa
femme.
Cette épouſe infortunée étoit loin de
ſuppoſer que le filence de ſon mari fût un
effet du libertinage & de l'indifférence ;
alarmée ſur ſa ſanté , craignant pour ſes
jours , elle avoit écrit à M. de Longpré.
Avecquelle impatience elle attendoitune
réponſe qui alloit lui porter le coup le plus
ſenſible! Elle arrive enfin; la tendre épouſe
étoit ſeule avec ſes enfans lorſqu'on luiremit
cette lettre funeſte , à peine en a-t-elle
lu la moitié qu'elle tombe évanouie. L'effroi
s'empare de ces petites créatures , ils
ſe jettent fur elle , l'embraſſent , pleurent
&l'appellent à grand cris. Mde Duriſſe
les entend , accourt. Quel ſpectacle pour
sette bonne mere ! ſa fille ſans connoifOCTOBRE.
1770 . 71
ſance , la pâleur de la mort ſur le viſage,
ſes petits enfans déſeſpérés qui s'écrient
en la voyant : regardez , ma bonne maman
, regardez , c'eſt ce papier ! c'eſt ce
papier! ..
Ledanger de fa fille lui donne la force
de la rappeler à la vie , mais elle n'ouvre
les yeux que pour laiſſer couler un torrent
de larmes. Hélas ! s'écrie-t- elle , je
l'ai perdu pour toujours ce coeur qui me
fut ſi cher ! c'eſt en vain que M. de Longpré
me flatteque ma préſence... Ah! s'il
étoit poſſible... Ma mere , croyez - vous
qu'il vît ſes enfans ſans en être attendri ;
leurs innocentes careſſes n'auroient - elles
plus de droits ſur leur pere ? Maman , dit
l'aîné , témoin des larmes de ſa mere, me
nez-moi voir mon papa , je le baiferai fi
fort , je lui dirai ſi bien que vous avez eu
beaucoup de chagrin,qu'il ne vous en fera
plus du tout . Oui , mon enfant , lui dit ſa
mere en le ferrant dans ſes bras , je t'y
menerai ; nous irons enſemble , & dans
l'inſtant tout fut préparé pour le départ.
Un criminel que l'on charge de chaî
nes pour le conduire dans le plus horrible
cachot n'éprouve pas eny entrant la terreur
que reſſentit Mde de Velcour en ſe
voyant dans Paris , dans ce lieu qui lại
72 MERCURE DE FRANCE.
avoit été ſi funeſte. C'eſt donc ici , diſoitelle
, que je dois mourir ou regagner le
coeur de mon époux ! M. de Longpré qui
les attendoit ſe trouva chez lui à leur arrivée.
Comme il n'étoit encore que ſept
heures du matin, il ne crut pas que Mde
de Velcour , malgré ſes fatigues , dût différer
d'un inſtant à ſe rendre chez fon
mari ; les momens que vous perdriez , lui
dit- il , en feroient autant d'ajoutés à votre
malheur ; partez , Madame , ma voiture
eſt prête. -Quoi , ſeule ! .. je n'en
aurai jamais le courage.-Il faut cependant
vous y réſoudre , un témoin eſt toujours
de trop dans une ſcène de cette nature.
Mde de Velcour embraſſe ſes enfans
, ſe jette dans les bras de ſa mere&
part. Arrivée à la porte de Velcour , elle
monte à fon appartement & n'y trouve
qu'un coureur effronté couché ſur un canapé.
Au bruit qu'elle fait en entrant il
s'éveille & lui demande ce qu'elle veur.
M. de Velcour , lui dit-elle. -Affeyezvous
, ma belle enfant , mon maître n'eſt
pas encore rentré , mais ſi vous voulez
l'attendre , vous aurez bientôt le plaiſir
de le voir , & je vous aſſure qu'il n'en
aura pas moins que vous. Oui , malgré
qu'il foit encore chez ſa maîtreſſe , où il
a
OCTOBRE. 1770 . 37
apaſſfé la nuit , vous ne ferez pas de trop.
Comment vous rougiſſez ? Eh ! bien , j'aime
cela , par exemple , c'eſt un mérite de
plus pour les filles qui font votre métier ;
je gage qu'il n'y a pas long- tems que vous
êtes dans la profeſſion ? Mde de Velcour
eût impoſé filenceà cet infolent en ſe faifant
connoître , mais c'étoit trop riſquer ;
ſon mari , prévenu de ſon arrivée , pouvoit
lui échapper. Elle fut donc obligée de
ſouffrir les mauvais propos de ce valet libertin
juſqu'à ce qu'il lui plût de la laiſſer
ſeule. Qui pourroit rendre compte des
divers mouvemens qui l'agitoient , de la
vivacité avec laquelle ils ſe ſuccédoient !
Convainçue par les diſcours du coureurde
l'excès du libertinage où ſon mari étoit
plongé , elle perd l'eſpérance de le ramener
, craint de l'attendre , prend le parti
de lui écrire , y renonce , s'y décide ; mais
elle en eſt empêchée par le coureur qui
lui apprend , en rentrant , que Velcourne
reviendra pas de la journée & qu'il vient
d'envoyer chercher un habit &du linge.
Pourriez - vous , lui dit- elle alors , me faire
le plaifir d'aller trouver votre maître &
le prier , de ma part , de ſe rendre ici ſur
les fix heures du ſoir , vous lui direz
qu'une Dame voudroit lui parler ſurquel-
I. Vol.
D
74 MERCURE DE FRANCE.
que choſe qui l'intéreſſe & qui ne peut
être différé. -Diable ! c'eſt donc de conſéquence
? Ah ! je devine , vous avez appris
que cette maudite Italienne , que je
voudrois de tout mon coeur qu'il quittât
pour vous , car vous avez l'air plus douce
& plus honnête , va fans doute lui faire
quelque mauvais tour. J'entends , j'entends
, je lui parlerai de la bonne forte ,
il viendra ſur ma parole . Adieu, mon petit
coeur , ne manquez pas au moins.
Humiliée , déſeſpérée , Mde de Velcour
retourne chez M. de Longpré . A
peine a-t-on pu la calmer un peu & lui
faireprendre la plus foible nourriture,que
l'heure de retourner chez fon mari eſt
déjà venue. Elle eſt reçue du coureur fur
le même ton que le matin ; il l'aſſure cependant
que fon maître a promis de ſe
trouver à l'heure indiquée. Deux heures
font pourtant écoulées ſans qu'il arrive ;
il eſt déjà nuit obfcure , une ſeule bougie
éclaire l'appartement& Mde deVelcour,
tremblante à chaque voiture qui paſſe, ou
ſemble s'arrêter , ſouhaite , craint & déſeſpère
de voir fon mari ; quand tout-àcoup
elle entend dans la maiſon un tumulte
confus : pluſieurs voix répétent du
ton leplus douloureux , ah ! le pauvre
OCTOBRE. 1770 . 75
jeune homme ... Quel malheur ! .. Le
pauvre jeune homme !. le bruit redouble
en s'approchant. Mde de Velcour fuit le
coureur vers la porte ; mais hélas ! qu'apperçoit
telle ? C'eſt ſon mari , c'eſt Velcour
mourant , pâle , ſanglant , défiguré ,
que quatre perſonnes ont peine à porter.
Elle ne réſiſte pas à cet horrible ſpectacle
& tombe évanouie . Ce n'eſt qu'après un
quart d'heure que le coureur & l'hôtelle
la rappellent durement à la vie. A peine
a-t- elle ouvert les yeux , qu'ils la font lever
bruſquement & veulent la faire fortir
en l'accablant d'injures , en lui diſant
qu'elle & ſes pareilles font cauſe de
la mort de ce jeune homme. Quoi ! il eſt
mort , s'écrie Mde de Velcour en voulant
ſe précipiter ſur le corps de ſon mari ,
qu'on avoit mis ſur ſon lit. On l'arrête ,
on l'entraîne , on alloit même la frapper
ſans l'écouter , lorſqu'à force de ſe nommer
, de dire qu'elle eſt l'épouſe infortunée
du malheureux Velcour , on confent
enfin de la laiſſer rentrer. Reconnoiffez-
moi , leur dit - elle , à ma douleur , à
mes larmes ; en pareille occaſion celles
pour qui vous me prenez en verſent-elles
jamais d'auſſi amères ? N'étant plus retenue
elle ſe jette ſur ſon époux , l'appelle
des noms les plus tendres , mais c'eſt en-
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
vain; la quantité de ſang que lui a fait
perdre un grand coup d'épée , qu'il vient
de recevoir , l'a privé de tous ſes ſens.
Le chirurgien arrive : qu'on juge de la
ſituation de Mde de Velcour pendant qu'il
fonde la plaie. Immobile , ſes yeux fuivent
l'inſtrument qui va preſque toucher
le coeur de fon mari , elle le voit , pour
ainſi dire , agit dans l'intérieur. Tremblante
& n'ofant reſpirer , elle attend le
réſultat d'une opération qui ſera l'arrêt de
mort ou de vie de ſon époux. Enfin la
déciſion du chirurgien eſt favorable .
Mde Duriffe & M. de Longpré , aver
tis par le domeſtique qui avoit ſuivi Mde
de Velcour , arrivent dans cet inſtant,
Pour prévenir la révolution que cauſeroit
au malade la vue inopinée de ſa femme ,
on l'entraîne dans la chambre voifine .
Certe infortunée ſe perfuade que cette
précaution n'eſt que pour lui dérober l'inflantde
la mort de fon mari , elle croit
déjà l'avoir perdu. C'eſt en vain qu'on la
raſſure; la fièvre qui lui ſurvient eſt ſuiviedu
plus violent tranſport , & les convulfions
les plus horribles font craindre
pour ſesjours.
Quelle ſituation pour une tendre mè
re ! Elle va perdre à la fois ſa fille & fon
gendre ; elle fuccombe ſous le poids des
OCTOBRE. 1770 . 77
ans , de la fatigue &de la douleur . M. de
Longpré , qui ne quitte pas Velcour , a
perdu le courage & l'eſpoir ; l'art des médecins
ne peut le raſſurer , il n'a plus de
confiance que dans les bontés du Ciel qui
eut pitié d'eux tous. Mais à peine Mde de
Velcour a recouvert ſa raiſon , qu'elle
veut voir fon mari ou croit l'avoir perdu.
Une plus longue réſiſtance pourroit devenir
dangereuſe, M. de Longpré qui le
ſent bien demande un inſtant pour prévenir
Velcour. Avec quelle prudence il
lui annonce cette entrevue , combien il
eſt prompt à le raſſurer ſur la démarche
de ſa femme. Elle est venue , lui dit- il ,
réclamer votre coeur ,& non pas vous reprocher
vos égaremens.-Ah ! Monfieur,
ils étoient plus grands que je ne puis le
dire; ſans le coup d'épée que j'ai reçu de
la main du chevalier , de ce monſtre en
qui j'avois mis toute ma confiance , j'allois
dès le lendemain me jeter dans une
entrepriſe deshonorante & qui pouvoit
avoirdes ſuites ſuneſtes. Vous frémiriez
ſi je vous diſois... Oui , Monfieur , c'eſt
un bonheur pour moi d'avoir reçu ce
coup d'épée , il m'a donné le tems de fortir
de mon ivreſſe & va me remettre dans
les bras d'une épouſe vertueuſe. Ah ! que
tarde- telle ? ... Dans cet inſtant Mde de
?
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Velcour , malgré ſa foibleſſe , accourt , fe
précipite dans les bras de ſon mari & l'arroſe
de ſes larmes . Tous deux gardent un
profond filence , les paroles font trop foibles
pour rendre les divers ſentimens de
leur coeur. On entend cependant par intervalle
ces mots , entrecoupés de ſanglots
, ma chere amie ! ... mon cher
époux ! .. Ah ! fi tu me rends ton coeur ! ..
Eft- il encore digne du tien ? Oui , .. oui..
toujours.
Ce premier tranſport ralenti , Mde de
Velcour pria fon mari de ne jamais parler
du paffé. J'y confens , lui dit- il , mes
remords prendront ſoin de te venger.
Que ne puis je quitter à l'inſtant un lieu
qui m'a été fi funeſte , que ne puis je voir
mes enfans, hélas ! j'avois pu les oublier!
-Tes enfans ... Ils font ici . -Ils font
ici , qu'ils viennent donc promptement,
qu'ils foient frappés de mon horrible état,
il leur fervira de leçon lorſque je leur
apprendrai ...
Dans cet inſtant on amène les enfans.
Quel ſpectacle pour l'humanité ! ces enfans
paſſent des bras d'une tendre mere
dans ceux d'un pere qui les baigne de larmes
& leur dit les chofes les plus touchantes
. On entend ces innocens confoler
leurs parens avec cette naïveté de leur
OCTOBRE. 1770. 79
âge , on les voit les careſſer tour- à- tour
&pleurer avec eux .
A peine Velcour eſt en état de ſoutenir
le mouvement d'une voiture qu'il propoſe
à ſa femme de partir. Quittons , lui ditil
, ce Paris , cette ville où le vice triomphe
au milieu de tant de vertus. Retournons
dans notre province , c'eſt là , chere
moitié de moi - même , que je veux ,
force de foins , de tendrefle & d'amour ,
te faire oublier , s'il eſt poſſible , que j'ai
pu ceſſer de t'aimer & devenir indigne
de toi.
à
Ils partirent deux jours après & ne regretterent
que M. de Longpré. Ce digne
ami leur donna , avant de s'en ſéparer, la
marque d'attachement la plus forte. Il
adopta le fils de Velcour & le déclara fon
héritier. Puifle , ce cher enfant , leur ditil
, en reconnoiſſance de ce bienfait, foutenir
ma vieilleſſe , puiffé-je vivre affez
long - tems pour le voir digne de nous ,
affis au nombre de nos magiſtrats en être
le plus juſte & le plus humain. Le Ciel
exauça ſes voeux , & il jouit quelque tems
du fruit de ſes ſoins .
Velcour , de retour chez lui , répara par
fon économie le déſordre où il avoit mis
ſa fortune , fit le bonheur de ſon épouſe
& n'eut pendant toute ſa vie d'autre cha
Div
8 . MERCURE DE FRANCE.
grin que celui d'apprendre que le chevalier
n'avoit pas eu le tems de ſe repentir &
qu'il avoit péri malheureuſement.
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du Mercure de Septembre 1770 ,
eſt un Luftre; Celui de la ſeconde eſt Battoir;
celui de la troiſième , Bottes fortes .
Le mot du premier logogryphe eſt Montre
, où se trouvent , or , mer , mort , nom ,
re , ton , mon , rote ( tribunal ) étron , Rome
, mont , trône. Celui du ſecond eft
Ciel , où se trouve lie. Celui de l'énigme
logogryphique , Cruche , où , en ôtant la
premiere lettre , on trouve ruche.
ÉNIGME
NULLE beauté dans la nature
N'a plus que moi de ſoupirans.
J'en puis compter dans tous les rangs
Aquijedonne la torture ;
Fidèles malgré mes rigueurs ,
Et qui , dans leur folle eſpérance,
Ont oublié que mes faveurs ,
D'une vaine persévérance ,
Rag. 80..
ParM.Bouwin
Gratioso.
3 3
2
1770.
Quandje te vois mon cher Sil -
vandreJe sens un plaisir enchan
teur;L'aspect d'un objet si tendre Ban
pit aussi tot ma douleur . Loin de
toije respire a peine,L'ennui s'em
pare de moi Mais lors =
l'amour
que
tera: mei:ne La volup
:te vient
M
toi avec
De l'Imprimerie de Récoquilliée,Rue de la Hau Paniy

OCTOBRE. 1770. 81
Ne doivent point être le prix.
Mais, dans cette foule inſenſée ,
J'excepte quelques favoris ,
Dans leur démarche noble , aisée,
Sans peine on voitque je les ſuis.
D'Athène& de Rome ignorée ,
Quand leurs beaux jours étoient cheris ;
Dans la nuit du goût je ſuis née ,
En d'autres ſiècles plus polis ,
Auxplus grands honneurs élevée ;
J'ai ſû plaire àtous les eſprits.
Sans une compague fidèle ,
On ne me voit jamais marcher.
Si je parois , elle m'appele.
Jene puis long- tems me cacher.
Tel qui s'amuſe à me chercher ,
Sans s'en douter , ne fait peut- être
Que cequ'il a fait mille fois.
Lecteur , tu vas me reconnoître,
Et me nommer , car tu me vois.
AUTRE.
Un bel eſprit célèbre , & qui paffe à Paris
Pour un hommeført raiſonnable ,
Depuis quelque tems s'eſt épris
Dugoût le plus étrange & le plus déplorable,
Les quatre plus vieilles guénons
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
Qu'il y ait de Paris à Rome
Occupent les affections ,
Le coeur & l'eſprit du pauvre homme;
Enfinil en eſt fou. Mais le plus ſurprenant ,
C'eſt que ſa muſe enchanterefle
Ait olé célébrer, ſur un ton raviſſant ,
Ces beaux objets de fa tendreſſe.
Voici le vrai portrait des quatre illuftres foeurs.
La premiere eft froide , inconſtante ,
Capricieuſe & d'une humeur piquante ,
Avec cela coquette & mettant des couleurs..
Jugez combien la galante bergere ,
Depuis long tems fexagenaire ,
Avec cettehumeur là doit plaire à ſonMedor.
La ſeconde eft pire encor.
C'eſt la plus chaude créature
Qui ſoit dans toute la nature.
La troifiéme , au premier abord
Paroît plus ſage , & cependant la Dame
Apparemment par boncé d'ame ,
Avec les gens eft de ſi bon accord ,
Que, dans maints lieux , en vérité,
On connoît ſa fécondité.
La quatrième eſt ſale & dégoûtante.
Toujours hargneufe & toujours rebutante.
Ce n'est qu'à ſa difformité
Qu'elle doit ſa célébrité.
ParlefecondClercd'unprocureur Bas Breton.
OCTOBRE. 1770 . 83
U
AUTRE.
N element eſt mon grand pere ,
L'autre eſt mon trône & ſouvent mon tombeau.
Amon deſtin un autre eſt néceſſaire ,
Lequatriéme eſt mon fléau.
Par le même.
AUTRE.
LECTEUR , j'expoſe ſous tes yeux ,
Qu'en moi l'on a tant de confiance ,
Qu'on abandonne à ma puiſlance
Ce qu'on a de plus précieux ;
Dehors ou - dedans ſon aſyle ,
Si le citoyen eſt tranquille
C'eſt qu'il compte beaucoup fur moi ;
Car chacun me porte avec ſoi ,
Du moins c'eſt aſſez la coutume:
Mot ne dirai de mon volume ,
Qu'il foit petit ou qu'il foit gros,
Il n'en fait pas moins ton repos.
Je ſers très -bien à la muſique ,
Sous pluſieurs formes l'onm'y peints
Je ſuis l'attribut d'un grand Saint :
Mais par trop ici je m'explique;
:
Dvj
$4 MERCURE DE FRANCE.
Certes j'ouvre àtant m'exprimer
Ce que je devrois renfermer.
ParM. M.... de Savigny.
LOGOGRYPΗ Ε .
AMI lecteur , loindecedoux aſyle ,
Pour la premiere fois mes yeux virent lejour
Moins difert , il est vrai, mais auffi plus tranquile
,
Je nâquis dans ces lieux où l'Inde fait ſontour.
Otrop funeſtes avantages ,
Lenocher curieux épris de ma beauté
Ne pénétra dans nos ſombresbocages:
Qu'aux dépens de ma liberté.
Depuis ce tems en vain ma maîtreſſe me flatte
Et fous les fleurs cache mes fers ;
Je regrette toujours ces aimables déſerts
D'où m'arracha la main ingrate.
Mais veux-tu , cher lecteur , comme il eſt uſite
Renverfer toute la machine ?
Neufpieds font mon enſemble, & fitu les com
bine
Tu trouveras en ville un lieu très- fréquenté';
Unautre par les champs ſur lequel on chemine
D'Abraham la patrie & la fooeur de Neſtor ;
La mortde l'aſſaſſin , pays voiſin de Chines
OCTOBRE. 1770.
85
Ledevant d'un vaiſſean : tu peux y voir encor
Un vaſe , un dieu fameux par les métamorpho
fes;
Ce fleuve en Italie où Phébus fit capot ;
Saiſon , ce que l'avare aime ſur toutes choſes ;
Note , ville enTurquie , un adverbe en un mot;
Certain morceau d'architecture
Qui , pris au genre maſculin
Devient cet inſtrument divin
Où le bois prend mainte tournure ;
Ton plus proche parent; & deux ventoſités
Cui ne chatouillent pas le nez ;
Une riviere en France ou mieux en Normandie 3
Unmot qui vaut excès , Cité dans l'Arabie ;
Chut... Rabaiflons notre caquet ,
Mais voyez un peu l'indifcret,
Iljaſe comme une falope.
Pardon , lecteur , j'ai pris ce défaut en Europes
Et , ma foi , je ne puis finir
Sans te produire ici l'épithète à Zéphir.
ParM.A. Mauger , de Rouen.
ENTIER
AUTRE.
NTIER je t'offre un vêtement.
Sans tête au jeu jedeviens néceſſaire
Mais veux- tuvoir tout ce que je fais faire ?
86 MERCURE DE FRANCE.
Si lemilieu vient au commencement ,
Tu n'as de moi plus qu'une particule ,
Dans un portrait ſi ridicule ,
Ami lecteur ne vois- tu rien ?
Nonpas encore... Oh ! cherche bien.
Par le même.
I
AUTRE.
NSTRUMMEENNTT néceffaire
Aux ouvriers de Cérès ,
On me promene &je ſuis fait exprès.
Ma premiere moitiéne ſe plaît qu'à mal faire :
Te le dirai -je , ami lecteur ?
C'eſt un infigne voleur.
Mais ma ſeconde partie
Sert abſolument à la vie:
Sans elle c'en eſt fait de tous les animaux ;
Sans elle , adieu les végétaux.
Enfin tu dois me connoître ,
Six pieds forment mon être.
ParM. Dubled, àAngersi :
OCTOBRE. 1770. 87
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Effaifur l'histoire générale de Picardie ,
les moeurs , les uſages, le commerce &
l'eſprit de fes habitans , juſqu'au regne
de Louis XIV ; 2 vol . in - 12 . A Abbeville
, chez la Veuve Devérité , libraire
; & à Paris , chez Ganeau , rue Saint
Severin ; la Veuve Duchefne , rue St
Jacques ; Saillant & Nyon , rue St Jean
de Beauvais , & Lacombe , rue Chriſtine
; prix sliv . reliés.
L'AUTEUR commence fon effai hiſtorique
par expoſer les recherches qu'il a fai.
tes ſur l'origine des Picards , leur ancienne
religion & la forme de leur gouvernement.
Mais ces recherches n'ont pu le
conduire à découvrir la véritable étimologie
du nom Picard. Ce terme vient- il
du mor piquer & de la facilité de certe
nation à ſe choquer & à ſe piquer aifément
? Ou a ton trouvé quelque reflemblance
entre le naturel des habitans de
cette province & celui de cet oiſeau qu'on
nomme la pie, pica ? Le Picard eſt il comme
lui opiniâtre & colere ? L'hiſtorien.
88 MERCURE DE FRANCE .
rapporte encore quelqu'autres origines
de ce nom , que l'on a foutenues & combattues
tour à tour , & qu'il n'entreprend
point de diſcuter. Il s'occupe plus utilement
pour ſon lecteur à lui préſenter la
ſuite des événemens particuliers à cette
province ou qui lient ſon hiſtoire à l'hiſtoire
générale de France. Il s'applique
principalement à nous faire connoître les
moeurs , uſages & coutumes des anciens
Picards , & les progrès de leur commerce
, de leur induſtrie &de leurs connoiffances.
Dans les premiers ſiècles de la monarchie
, la Picardie , ainſi que pluſieurs autres
provinces de France , étoit en proie à
de petits tyrans qui , ſur le moindre prétexte
, ſe faifoient la guerre pour avoir
occaſion de mettre à contribution les marchands
& les laboureurs , & d'exercer
leurs pirateries. Toutes les routes étoient
infettées de brigands. Dans le douzième
fiécle , Lambert , évêque d'Arras , s'excuſa
d'aller aſſiſter au facre de Baudry ,
nommé à l'évêché de Noyon , à cauſe du
peu de fûreté des chemins. Cedéfaut de
police donna lieu à pluſieurs aventures
cruelles , & l'hiſtorien nous fait part de
celle d'Adele de Ponthieu , qui peut intéreſſer
nos lecteurs. Thomas , ſeigneur
OCTOBRE. 1770. 89
de St Valery , s'étoit mis en chemin avec
ſon épouſe Adèle , fille d'un comte de
Ponthieu. Ils furent attaqués près d'une .
forêt par huit hommes armés, qui les chargent
le fabre à la main. Le ſeigneur de St
Valery , après en avoir renverſé trois &
déſarmé le quatrième , fut dépouillé par
ces voleurs qui lui lierent pieds &mains
&le jeterent dans un buiſſon. La vertueuſe
Adèle ſubit encore un fort plus
cruel ; emporté dans l'obſcurité de la forêt
, elle fut forcée d'y eſſuier la violence
&la brutalité de ces brigands : ils la remirent
enfuite nue ſur le grand chemin .
Elle y retrouva ſon mari. Elle le débaraſſa
de fes liens , & ils s'en retournerent
enſemble. Leurs gens , qu'ils avoient laiffés
derriere eux dans une hôtellerie , les
rencontrerent bientôt dans cet état affreux
, & couvrirent leur nudité de deux
manteaux. De retour au château de leur
pere à Abbeville , ils lui conterent leur
infortune. Ce pere barbare , égaré par de
fauſſes idées fur l'honneur , propoſe quelques
jours après à ſa fille d'aller ſe promener
dans la ville de Rue. On côtoye
le rivage de la mer. De- là on s'embarque
dans une chaloupe comme pour mieux
prendre le frais. Déjà l'on étoit éloigné
9. MERCURE DE FRANCE.
de la côte de trois lieues lorſque le comte
de Ponthieu ſe levant tout-à- coup : Dame
de Domart , dit- il à ſa fille d'une voix
terrible , il faut maintenant que la mort
efface la vergogne que notre malheur apporte
à toute notre race. Des matelots la
faiſiſſent à l'inftant , l'enferment dans un
tonneau & la précipitent dans la mer. La
chaloupe regagna la côte. Heureuſement
un vaiſſeau Aamand qui vint à paſſer , apperçut
ce tonneau , l'équipage l'attire à
lui : l'ouvre ; mais quelle ſurpriſe ! Adele
mourante déclare fa condition : on la met
à terre. Elle va rejoindre ſon mari , dont
le château n'étoit pas éloigné ; elle ſe jette
dans ſes bras au moment même que
cet époux pleuroit la mort de ſa chère
Adele. Quelle ſcène plus attendriſſante ?
Jean , comte de Ponthieu , reconnut fon
crime & s'en repentit. Il chercha à l'expier
en donnant aux moines de St Valery
le droit de pêche trois jours dans l'année,
dansles mêmes parages d'où l'on venoitde
tirer ſa fille. Dans ces ſiècles d'ignorance
on croyoit appaiſer l'Etre Suprême en faiſant
quelques donations aux monafteres.
Les ſuperſtitions les plus groffieres
étoient également l'appanage de ces fiéclesde
barbarie. L'hiſtorien fait mention
OCTOBRE . 1770.
ود
de la fête de l'âne qui ſe célébroit dans la
cathédrale de Beauvais & de pluſieurs autres
fêtes qui étoient peu propres à s'accorder
avec la décence qu'exige le culte
de l'églife. Mais ce qui doit faire gémir
P'humanité , eſt de voir , dans ces mêmes
fiécles , des hommes &des femmes condamnés
aux flammes comme forciers , &
dont le feul crime étoit d'avoir l'eſprit
foible & dérangé . L'hiſtorien cite l'exemple
d'un curé qui baptifa un crapaud , &
d'une femme qui prétendit ſe ſervir de ce
crapaud pour donner la mort à un fermier
contre lequel le curé venoitde perdre un
procès. Cette femme , ſaiſie au moment
où elle alloit placer ſon prétendu fortilége
ſous la table du campagnard , fut
brûlée vive. Ce qui favoriſoit le plus
dans le ſeizième & dix - ſeptième fiécle
des illuſions auſſi groſſieres , étoient ces
ſpectacles qu'on nommoit les petites ou
grandes diableries à deux ou à quatre perſonnages
, d'où eſt venu l'expreflion proverbiale
de faire le diable à quatre . On y
voyoit des figures hideuſes pouffer des
hurlemens terribles , jeter des flammes
par la bouche , ſecouer avec fureur des
torches allumées. La multitude à qui ces
ſpectacles plaifoient beaucoup , les imita
92 MERCURE DE FRANCE.
bientôt dans les champs , au milieu des
bois. Les habitans des campagnes s'y rendoient
dans l'obſcurité de la nuit pour ſe
délaſſer de leurs travaux , & ils s'y livrerent
inſenſiblement aux déréglemens de
l'imagination la plus égarée , aux vices
les plus infâmes , aux outrages les plus
cruels qu'on puiſſe faire à la nature. Cette
multitude apportoit avec elle des balais .
De là on nommoit dans le Valois ceux
qui ſe rendoient à ces ſabbats des Chevaucheurs
de ramons : de-là peut- être aufli ,
ajoute l'hiſtorien , a-t- on dit proverbialement
d'un homme connu par ſes débauches
, qu'il a rôti le balai,
La Nobleſſe dans ces fiécles s'étoit arrogé
ſur ſes vaſſaux les prérogativesles plus
indécentes & les plus infames. Un feigneur
d'Auxi , dans le Ponthieu , avoit le
droit de mactorer ( immoler ) la virginité
de gentilles femmes , fringantes Damoifelles,
belles Nonaines , en donnant un écu &
dix fols pariſis de droit au comte de Ponthieu.
Quelques ſeigneurs vouloient bien
qu'on pût racheter cette infamie par quelqu'argent.
C'eſt ce qu'on appelloit le droit
pudicitiæ redimenda cauſa. Mais on apprend
avec une douce ſatisfaction que ,
tandis que la pudeur étoit ainſi par- tout
OCTOBRE . 1770 . 93
infultée dans la Picardie , on couronnoit
la modeſtie & la ſageſſe dans un village
de cette même province , nommé Salenci
près de Noyon. L'hiſtorien donne une
courte deſcription de cette fête. Il nous
entretient avec autant d'agrément des
plaids &jeux fous l'ormel , c'est- à- dire
des aſſemblées de Gentilshommes & de
Dames ſous un orme où l'on s'exerçoit
à la courtoisie & gentilleffe. On décidoit
dans ces cours d'amour mille queſtions
agréables & galantes que les Seigneurs &
les Dames ſe propofoient réciproquement.
Les Picards avoientun talent propre
pour ces fortes de jeux qui demandoientde
la naïveté & de la vivacité , ce
qui forme aſſez le fond de leur caractère.
La province de Picardie ſe rappelle
avec plaiſir que notre bon Roi Henri IV
diſoit volontiers qu'il étoit affectionné Picard
, qu'il avoit été engendréà Abbeville,
On obſerva en effet que Henri IV nâquit
précisément neufmois après le paſſage de
fes pere & mere par cette ville. Il prit
ſoin lui même de le faire remarquer aux
• officiers municipaux d'Abbeville , en répondant
à la harangue qu'il venoientdelui
faire lors de ſon paſſage par cette ville.
Durant les guerres civiles , ce prince
94 MERCURE DE FRANCE.
ſe trouvant dans la Picardie près de Sain
tines , fut frappé de la hauteur & de la
beauté d'un grand donjon qu'il appercevoit.
Ce château appartenoit au ſeigneur
de Vieux Pont. Il entre ; il examine. Le
maître du logis en le reconduiſant , le fait
paſſer ſur un pont - levis ébranlé par les
injures du tems, dont les planches étoient
mal affemblées . Il avertit le Roi de poſer
fon pied folidement & de bien choiſir le
lieu ; mais Henri ſe retourne & le fixe . Il
lui met la main ſur l'épaule & s'appuïe
en lui diſant : Je ſuis ferme sur ce vieux
pont; mot heureux par lequel il faifoit
l'éloge d'un ſujet & gagnoit la confiance
d'uncourtifan.
L'orateur qui harangua Henri IV , lorf.
que ce prince , fatigué d'une longue traite
qu'il avoit été obligé de faire pour le ſecours
de Cambrai , paſſoit par Amiens ,
fut fans doute moins content que le ſeigneur
de Vieux- Pont des bons mots de
Henri . Cet orateur ayant commencé ſa
harangue par ces titres de très-grand , trèsclément
, très - magnanime.... Ajoutez
auſſi , lui dit le Roi , & très - las. Le harangueur
fut déconcerté & ne put achever.
:
OCTOBRE . 1770 . 95
Dictionnaire des Pronostics , ou l'art de
prévoir les bons ou mauvais événemens
dans les maladies ; par M. D. T.
docteur en médecine ; vol . in - 12. A
Paris , chez Vincent , imprimeur - libraire
, rue St Severin .
Ceux qui font perfuadés que l'obſerva
tion eft la baſe de toutes nos connoillances
en phyſique , & principalement en
médecine , ſentiront mieux l'utilité &
même l'importance de ce dictionnaire .
C'eſt un recueil très-bien fait où ſont
raſſemblées , ſous un ordre facile à faifir,
les obſervations qui indiquent la marche,
de la nature . Les médecins , obfervateurs
anciens & modernes , ont été mis à contribution
pour rendre ce recueil plus complet.
L'auteur y a joint les réflexions
qu'une pratique ſuivie dans les hôpitaux
lui a ſuggérées. Si , nonobſtant tout cela ,
on trouve encore quelques doutes répandues
ſur les généralités des prédictions ,
c'eſt moins la faute de l'ouvrage que de la
matiere qui y eſt traitée.
Sanctorii Juftinopolitani doctoris medici
& medicinæ olim profefforis primarii in
Lycao Palavino de medicina ſtatica
:
MERCURE DE FRANCE.
aphorifmi ; commentaria , notaſque ad
didit A. C. Lorry; vol. in- 12 . A Paris
, chez Cavelier , libraire rue St
Jacques , au lys d'or .
د
Les recherches auſſi intéreſſantes que
curieuſes de Sanctorius ſur la médecine
ſtatique ont dévoilé les myſteres de la
tranſpiration inſenſible , ſes avantages &
les maladies qui réſultent de ſa diminution
& de ſa ſuppreffion. Ce médecin
mourut au commencement du ſiécle dernier.
Comme il voulut traiter à fond
l'objet de la tranſpiration , qu'il regardoit
comme une des plus eſſentielles &
des plus utiles parties de la médecine , il
ne négligea rien pour ſe procurer les expériences
les plus exactes. Il fit faire une
balance dans laquelle il eut la patience
de paſſer une partie de ſa vie; il parvint,
en peſant ſes alimens & ſes excrémens à
déterminer la quantité de nourriture qu'il
faut prendre pour réparer la perte deshumeurs
que la tranſpiration a diſſipées. Sa
médecine ſtatique eſt le réſultat de ſes expériences
& de ſes obſervations ſur la
conduite de la nature dans la tranſpiration
. Elle fut imprimée, pour la première
fois, en 1614. Dans la nouvelle édition
que
OCTOBRE. 1770 .
97
que nous annonçons , M. Lorry a confirmé
ou éclairci par ſes obſervations & par
fes notes les principes de Sanctorius.
Traité des Bêtes à laine , ou méthode
d'élever & de gouverner les troupeaux
aux champs & à la bergerie : ouvrage
pratique , ſuivi du dénombrement &
de la deſcription des principales eſpèces
de bêtes à laine dont on fait commerce
en France ; avec un état des différentes
qualités de laine &des uſages
auxquelles elles ſervent dans les mafactures.
Par M. Carlier; 2 vol. in-4°.
De l'imprimerie de Louis Bertrand , à
Compiegne ; & ſe vend à Paris , chez
Vallat- la-Chapelle , libraire au palais ,
ſur le perronde la SteChapelle.
Ce traité eſt diviſé en deux parties. La
premiere forme un corps d'inſtructions
fur la maniere de gouverner les bêtes à
laine. La ſeconde contient un dénombrement
& une deſcription des principales
eſpèces de bêtes à laine dont on fait
commerce en France , avec un état des
différentes qualités de laines & des uſages
auxquels elles ſervent dans les manufac
tures
1. Yol E
98 MERCURE DE FRANCE.
La premiere partie , c'eſt à dire le corps
de l'ouvrage eſt ſubdivisé en huit chapitres.
Le premier eſt employé à faire connoître
toutes les races de moutons', 'tant
communes qu'étrangeres. Le chapitre ſecond
, dans lequel l'auteur nous entretient
du berger & de ſes fonctions , eſt
auſſi intéreſſant que curieux par les détails
qu'il contient. Les chiens ſont pour
les bergers un ſecours dont ils peuvent
rarement ſe priver. La manoeuvre de ces
animaux cauſe autant de plaiſir que de
ſurpriſe. Ils apportent en naiſſant un inftint
qui vient de race & que l'éducation
perfectionne. Veiller la nuit , courir le
jour , eſt la vie d'un chien de berger , au
parc fur- tout. Auſſi les laboureurs & les
gens de campagne regardent cet animal
comme un furveillant néceſſaire dont un
berger ne peut ſe paſſer. Ils diſent d'un
fort travailleur qu'il a du mal comme un
chien de berger ; &d'un mauvais ſujet qui
revient d'une maladie dangereuſe , mourroitplutôt
un bon chien de berger.
Les chapitres trois & quatre méritent
à tous égards l'attention des propriétaites
&des bergers eux- mêmes. M. C. y paffe
en revue tout ce qui a rapport à la générarion
des bêtes à laine & à la formation
OCTOBRE. 1770. 99
des troupeaux . Il y traite ſucceſſivement
du bélier & de la brebis , des agneaux &
du mouton.
Le chapitre cinquiéme, qui regarde les
pâturages & les fourrages , contient beaucoup
de connoiffances pratiques que l'auteur
a acquiſes dans la ſociété des bergers
& des cultivateurs. Il diftingue &
ſubdiviſe toutes les qualités des pâturages
&des fourrages relativement aux différentes
natures des territoires qui les produifent.
Il faut lire tout entier le chapitre fix
pour s'inſtruire de ce que l'on doit obferver
dans le gouvernement des troupeaux,
au parc & à la bergerie. L'auteur demontre
ſans réplique que la conſervation des
bêtes à laine ne dépend pas moins de l'uſage
du grand air & de la propreté des
bergeries que des bonnes nourritures.
M. C. après avoir détaillé toutes les
parties d'utilité qui rendent le mouton
un animal précieux à la ſociété , l'examine
dans le chapitre ſeptiéme comme un objetde
commerce relativement à la vente
&au produit qu'on en tire .
Le huitieme & dernier chapitre renferme
une deſcription des maladies auxquelles
les bêtes à laine ſont ſujettes ,
E ij
YOO MERCURE DE FRANCE.
avec le nom des remèdes &des préſerva
rifs qu'on doit employer pour guérir ces
maladies ou pour les prévenir. M. C. inviolablement
attaché aux bergers dans la
ſociété deſquels il a puiſé la plupart de
ſes connoillances pratiques , revendique
par- tout en leur faveur le privilege d'être
Jes ſeuls médecins des troupeaux .
La ſeconde partie de cet ouvrage a un
rapport plus direct au commerce de France.
L'auteur y donne le dénombrement
& la deſcription des principales eſpèces
de bêtes à laine dont on fait commerce
dans ce royaume , & l'état différent des
qualités de laine qui s'emploient dans
les manufactures. M. C. fait voir par des
détails inſtructifs que nous poflédons dans
Ja France méridionale , des troupeaux
preſque auffi parfaits que ceux d'Eſpagne;
&dans la France feptentrionale des moutons
comparables par le corſage & pour
Ja toifon , aux meilleurės races d'Angleterre
& de Hollande. Les Eſpagnols &
les Anglois ne l'emportent fur nous que
par l'affiduité avec laquelle ils veillent à
l'éducation de leurs troupeaux . En partant
de ce principe , qui eſt développé & prouvé
par des faits très- bien établis , il eſt
comme démontré qu'il ne dépend plus
OCTOBRE. 1770. 101
que de nos cultivateurs d'accroître la richeſſede
la nation en ſe conformant aux
règles de conduite que l'auteur a prefcritesdans
le corps du traité ; règles ſi timples
& fi peu difpendieuſes , que les propriétaires
ne peuvent que gagner à les
mettre en pratique. L'exercice au grand
air , la proprété des bergeries & le foin
de proportionner le nombre des bêtes à
la quantité des nourritures qu'on peut leur
donner font la baſe & le fondement de
ces règles. Cette ſeconde partie eſt terminée
par des réflexions judicieuſes ſur
l'état actuel des manufactures de France .
L'ouvrage entier ſera d'autant plus utile
aux propriétaires de troupeanx &aux fabriquans
en laine que l'auteur parle continuellement
d'après l'expérience, & qu'il
met ſes connoiffances acquiſes à la portée
de tous les lecteurs. Un autre mérite
de ce traité c'eſt de nous faire connoître
pluſieurs termes conſacrés par l'uſage &
dont on chercheroit en vain l'explication
dans les vocabulaires .
Les Jours, pour fervir de correctif & de
ſupplément aux Nuits d'Young ; par un
Mouſquetaire Noir ; brochure in -12.
ALondres ; & ſe trouve à Paris , chez
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
Valade , libraire , rue St Jacques , vis
à- vis celle de la Parcheminerie.
Cette production eſt celle d'un eſprit
enjoué & qui a cherché à nous diſtraire
un moment par des peintures burleſques
des images fombres du chantre des nuits.
L'auteur , dans ſon cinquiemejour , intitulé
l'Immortalité , félicite Uranie d'être
parvenue à ſe rendre immortelle. « Mal-
>> glé ſes ſoixante ans , Uranie a trouvé
>> le ſecret de ſacrifier à l'Amour à l'in-
>> ſçu de la nature : ſi ce n'eſt pas là être
>> immortelle , je n'entends plus rien à
>> l'immortalité. Chaque jour Uranie ſe
>> leve avant l'aurore., afin de travailler
» avec ſes femmes au grand oeuvre de ſa
refurrection . Le ſoleil eſt à peine au
» milieu de ſa courſe que les rides de ſon
>> front commencent à diſparoître . On
>> continue le travail , & déjà ſon ſque-
>> Iette a repris la fraîcheur& les contours
>> de l'adolefcence. Heureuſe Uranie ! ce
>>>teint frais & vermeil vous afure la
>> jeuneſſe & la beauté pour huit heures
>> au moins. Le charmant papillon ! ce ſoir
>> il rentrera hideux dans ſon tombeau ,
» & demain nous l'en verrons fortir en-
>> core plus jeune , plus ſémillant & plus
OCTOBRE. 1770 . 103
>> radieux. Ainsi , Uranie prolonge nos
>> jouiſſances en éterniſant ſes appas. Elle
>>a tous les âges à la fois : vénérable au
>>> fortir du lit , elle obtient de nous des
» hommages bien reſpectueux ; rajeunie
>>l'après- diner, elle a déjà quelques droits
» à nos foupirs ; ſur la brune , devenue
>>plus piquante & plus céleste , Uranie a
>> le bonheur de nous rendre infolens &
>> foux , à meſure que le jour s'épaiffit .
>> Eſt-il un fort comparable à celui d'Ura-
>> nie ? Ses nuits ont encore la ſérénité
>> des beaux jours. Ils ne font troublés
>>que par la douce image de ſes victoires
>>remportées ſur des rivales de quinze
>> ans . Uranie a- t-elle tort ? Je n'oferois
>> prononcer. Il faudroit être ce qu'elle
>> eſt , il faudroit ſentir ce qu'elle fent ,
» & il ne m'appartient pointde le deſi-
» rer.
Dans ce mêmejour l'auteur affecte des
mouvemens convulfifs , & nous préſente
un choc de mots & de penſées , fans doute
à deſſein de parodier les obfcurités
qu'il prétend trouver dans l'auteur Anglois.
« La mort découle du ſein de la
» vie , la vie jaillit du ſein de la mort.
» Ces deux extrêmes du mouvement cir-
>> culent , s'entrechoquent , ſe confone
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
> dent , s'organiſent de mille manieres.
>> Ici la matiere dort dans l'inertie , là
>> elle offre une étincelle , là un flamme
>>>légère , plus loin une douce aurore ,
>>>ailleurs un volcan déſaſtreux : la ſenſi-
>>bilité a des foyers de différens diamè-
>> tres qui ramaſſent plus ou moins des
>> rayons du grand aſtre, ſuivant leur cou-
>> leur & leur tranſparence. Tour à tour
>> victorieuſes & terraflées , la mort & la
>> vie ſe jouent àtravers l'immenſité , aux
>> dépens , comme au profit , des élémens
>> qui l'emplitſent; & les frêles humains
>> font peut- être les ſeuls des êtres ſenſi-
>> bles qui ofent contempler ces jeux
» étranges. Au moment même où l'hom-
» me fert de jouet à la mort , il obſerve ,
>> il recueille , il médite & décrit les phé.
>> nomènes dont il eſt la victime. >>
Ce cinquiémejour eſt ſuivi d'un ſixiéme,
intitulé les Eſprits. L'auteur y rappelle
une anecdote , & il ſemble tirer des
différens recits auxquels cette anecdote a
donné lieu des conféquences pour établir
le pyrrhoniſme de l'hiſtoire. Mais tout
ceci ne fert qu'à confirmer cet adage d'un
ſage de l'antiquité : « Avant d'accorder
>> votre organe à un fait qui vient d'arri-
» ver , confultez l'écho , c'est - à- dire ,
OCTOBRE. 1770. 105
1
laiſſez paſſer les premieres rumeurs toujours
troubles & tumultueuſes , & n'écoutez
que ce qui vous fera rapporté par des
gens graves &de ſang froid.
Dictionnaire portatif de commerce , contenant
la connoiſſance des marchandiſes
de tous les pays , ou les principaux
& nouveaux articles concernant le
commerce & l'économie ; les arts ,, les
manufactures , les fabriques , la minéralogie
, les drogues , les plantes , les
pierres précieuſes , &c. vol. in - 8 ° .
grand format. A Bouillon , aux dépens
de la ſociété typographique ; & ſe trouve
à Liège , chez C. Plomtueux , & à
Paris , chez Lacombe , libraire , rue
Christine .
Ce dictionnaire peut être regardé comme
une bibliothéque portative dont les
différens articles , rangés par ordre alphabétiqne
, donnent des notions promptes ,
faciles& fatisfaiſantes ſur toutes les matieres
premieres & fur celles miſes en
oeuvre par l'induſtrie. Comme la théorie
du commerce n'entroit point dans leplan
de ce dictionnaire , il a été facile à l'auteur
de donner de l'étendue aux articles
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
d'induſtrie , & à ceux qui regardent les
beaux arts. Il rapporte à l'article Camayeu
les heureuſes rentatives qu'a faite M. Palmeus
pour faire imprimer des eſtampes
en camayeu bleu. Cet artiſte a employé
la fardoine (couleur rouge ) avec le même
ſuccès qu'il avoit employé le lapis ,
& il a obtenu un camayeu rouge trèsbeau.
Mais nous penſons que ces couleurs
, quelqu'agréables qu'elles puiffent
être dans l'emploi , ne réuffiront cependant
jamais aufli-bien que le noir des imprimeurs
en taille- douce , dont les nuances
varient à l'infini & donnent à l'eſtampe
unton mat & velouté très - ami de
l'oeil . L'impreſſion en camayeu bleu peut
être cependant très - utile pour copier les
deffins de pluſieurs peintres Italiens dont
l'uſage étoit de laver leurs deffins avec du
bleud'indigo.
Effais fur la Religion Chrétienne & fur
les ſyſtêmes des philoſophes modernes,
accompagnés de quelques réflexions
fur les campagnes ; par un ancien Militaire
retiré ; vol. in- 12 . A Paris , de
l'imprimerie de Ph. de Pierres .
Cet écrit eſt celui d'un bon citoyen ,
d'un ancien militaire qui , ayant vécu
OCTOBRE. 1770 . 107
long- tems au milieu d'une jeuneſſe diffipée
& impatiente du joug qu'impoſe la
Religion Chrétienne , connoît mieux les
erreurs de cette jeuneſſe & les objections
qu'elle ſe fait pour autoriſer ſes défordres
ou pour en répandre un nuage ſur les vérités
ſévères qui troubleroient ſes plaiſirs.
Ces eſſais ſur la Religion ſont ſuivis de
réflexions ſur les campagnes. L'auteur y
examine quelle eſt la véritable cauſe de
leur dépopulation .
Manuel des Pulmoniques , ou traité complet
des maladies de la poitrine , où
l'on trouve la théorie la plus naturelle ,
les règles de pratique les plus ſimples
& les plus fûres pour combattre les
maladies de cette cavité. On y a joint
une nouvelle méthode de reconnoître
ces mêmes maladies , par la percuffion
du thorax , traduite du latin d'Avenbragger
; par M. Roziere de la Chafſagne
, docteur en médecine de la faculté
de Montpellier , de la ſociété
royale des ſciences de la même ville ,
& alſocié - étranger de l'académie de
Clermont Ferrand ; vol. in- 12 . A Paris
, chez Humaire , libraire , rue du
marché Pallu. Prix 2 liv. 8 f. br.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
L'eſprit d'obſervation , introduit atrjourd'hui
dans la phyſique , & particuliérement
dans la médecine , a préſidé à ce
traité des maladiesde la poitrine. La théorie
qu'elle contient eſt celle des obſervateurs
les plus exacts & les plus éclairés ,
celle que M. de la Chaſſagne a vu s'accorder
avec les faits.
Traité méthodique de la goutte & du thumatiſme
, où l'on enſeigne d'après l'expérience
les vrais moyens de ſe délivrer&
de ſe préſerverde ces maladies;
par M. Ponfart , docteur en médecine ;
vol. in- 12 . A Paris , chez Des Ventes
de la Doué , libraire , rue St Jarques ,
vis-à- vis le collége de Louis le Grand.
Prix 3 liv.
On a juſqu'ici regardé la goutte comme
une maladie rebelle à tous les remèdes.
Un traité quinous prouve que cette
maladie peut être attaquée efficacement
ne peutdonc manquer d'être accueilli des
phyficiens & des médecins. Les perfonnes
qui ont déjà reſſenti les douleurs vives
& brûlantes de cette cruelle maladie
trouveront une eſpéce de confolation à
lire ce traité qui leur annoncera que leurs
mauxne font point incurables , & les inf
OCTOBRE. 1770. 109
truira des remedes qu'ils doivent em-,
ployer & du régime qu'il leur est néceffaire
d'obſerver. M. Ponfart , après avoir
donné , dans le premier chapitre de fon
traité, la définition de la goutte , fon hiftoire
abregée ſuivie des diverſes dénominations
qu'elle a reçues en différens
tems, expoſe,dans le ſecond, la distinction
que les modernes ont faite entre la goutte
&le rhumatiſme. Dans le troifiéme chapitre
, l'auteur entre dans le détail des différentes
eſpèces de gouttes , & il fait voir
que la goutte n'eſt point héréditaire comme
on le penſe aſſez ordinairement. De
cetteconnoiffance extérieure, pour ainſidire
, de lagoutte , il paſſe à l'examen approfondide
cette maladie , il en recherche la
nature,lesprincipes&les cauſes; c'eſtl'objet
descinq chapitres ſuivans. L'auteur penſe ,
d'après ſes obſervations &ſes expériences,
que la goutte n'a point d'autres cauſes
efficientes que l'oblitération de la majeure
partie des vaiſſeaux excréteurs de la
peau ou au moins la diminution de leur
calibre , & la tranſpiration fequeftrée &
interceptée ; ce qu'il confirme par l'explication
de divers phénomènes & accidens
de la goutte . L'habile médecin traite avec
l'étendue que demande l'importance du
ſujet dans les huitieme, neuvié.ne, dixićTIO
MERCURE DE FRANCE.
me & onziéme chapitres , les ſymptômes
de l'accès de la goutte regulière ; ceux de
la goutte remontée à la tête ; le diagnoſtic
; le prognoſtic . Il expoſe, dans le douziéme
chapitre, la méthode de ſoulager le
malade attaqué de la goutte ; il rapporte
dans le troifiéme la maniere de traiter la
goute remontée , & joint par tout les
preuves les plus folides aux moyens qu'il
propoſe. Enfin , dans le quatorziéme chapitre
, il fait ſentir la poſſibilité de guérir
radicalement la goutte hors de ſon accès ;
il annonce la pratique de cette curation ,
& il la développe autant que la prudence
pouvoit le lui permettre. Ce bon traité
eſt terminé par des obſervations fur les
rhumatiſmes , qui font en quelque forte
une eſpéce ou un commencement de
goutte.
Selicourt nouvelle , par M. d'Arnaud ;
in- 8 °. avec des gravures. AParis, chez
le Jay , libraire , rue St Jacques , audeſſus
de la rue des Mathurins , au
grand Corneille .
Le chevalier de Selicourt , deſtiné au
ſervice , avoit été envoyé à Paris comme
à la ſource d'une éducation convenable à
l'état qu'il avoit embraſſé. Il avoit une
OCTOBRE. 1770 .
phyſionomie avantageuſe ; cherchant la
raifon dans un âge où l'on ſe fait gloire
de ne point la connoître , il réfléchiffoit
au milieu de l'étourdiſſement des plaifirs
, & il avoit déjà affez d'expérience
pour ſentir que le véritable amour est
bien différent de ces engagemens paffagers
qui font preſque toujours fuivis de la
langueur&dudégoût.Selicourt étoit moins
jaloux de plaire que d'aimer : c'étoit donc
à un attachement vif & ſolide que ſe
fixoient tous ſes deſirs. Et quelle femme
plus capable de lui inſpirer cet attachement
que la marquiſe de Menneville ?
Deux grands yeux noirs & pleins d'une
langueur intéreſſante , épargnoient en
quelque forte à ſa bouche le foin de s'exprimer.
On eût dit qu'elle appréhendoit
de paroître belle , & qu'elle vouloit ſe le
diffimuler à elle- même. Les graces l'animoient
jusque dans ces riens qui font fi
décififs dans le détail , & qu'on ne peut
guère définir. On lui trouvoit toujours de
nouveaux charmes ; fa converſation touchoit
plus qu'elle ne brilloit ; il ne lui
échappoitpointune parole qui n'excitat le
ſentiment. Elle avoit pour amie la baronne
Darmilli . Celle - ci réuniſſoit à une
figure extrêmement reguliere , une taille
déliée & majestueuse , & un eſprit facile
112 MERCURE DE FRANCE.
qui s'approprioit tous les tours. En reconnoiffant
le pouvoir de ſes agrémens ,
on étoit fâché cependant de leur céder ,
parce que tout en elle reſpiroit le deſir
de dominer ; & la tyrannie , même dans
ce sèxe ſi bien fait pour nous ſubjuguer ,
déplaît à notre orgueil & l'effenſe. Labaronne
étoit entourée d'une foule d'adorateurs
; une fortune conſidérable ajoutoit
à ſes attraits ; malgré cette fierté impoſante
, elle avoit de la ſenſibilité; mais
fon deſſein étoit de faire un choix dont
ſa vanité eut lieu de s'applaudir , & il n'y
avoit pas à craindre que l'amour - propre
fut facrifié à la tendreſſe.
L'empire de la beauté & la jalouſie des
conquêtes qui , pour l'ordinaire diviſent
les femmes & les empêchent de goûter
les douceurs de la tendre amitié , n'altererent
en rien celle que la baronne Darmilli
& la marquiſe de Menneville s'étoient
vouée. Les lecteurs qui s'intéreſſent
à la gloire du beau sèxe ( & qui font
les indifférens qui ne s'y intéreſſent pas ?)
verront avec une ſecrette fatisfaction ces
deux amies faire tour à tour le ſacrifice
de leur paffion la plus chere , renoncer à
l'amour le plus tendre qu'avoit ſçu leur
inſpirer le chevalier de Selicourt , & travailler
chacune au bonheur de ſon amie .
OCTOBRE . 1770 II
Elles n'obtiennent cependant point ces
victoires ſur elles-mêmes fans de grands
combats , & c'eſt ce qui jette de l'intérêt
dans cette nouvelle. La marquife de Menneville
, fuccombant en quelque forte à
tant d'efforts , étoit tombée dans une langueur
mortelle. Son amant va trouver la
baronne Darmilli : " Ah ! Madame , s'é-
>> crie- t- il, en ſe précipitant à ſesgenoux ,
>> je vais tout perdre , il n'y a que vous
» qui puiffiez me ſecourir , ſauvez du
>> moins votre amie , & je viens mourir
» à vos pieds. -Selicourt , expliquez-
>> vous. -J'apprends que la marquiſe eſt
>> dangereuſement malade ; c'eſt , n'en
>>doutez pas , la ſuite des combats que fa
>>générofité s'efforce de foutenir pour
>> vaincre un ſentiment... qui vous of-
>> fenſe; oui , jotends de votre vertu , de
>> votre grandeur d'ame , une démarche...
>> Croyez que l'amitié , la reconnoiffance
>> ont ſur moi un pouvoir infini. -Che-
>> valier , ils n'auront jamais le pouvoir
» de l'amour... Veus m'allez connoître,
>>jugez ſi je ſais aimer. » Auſfi-tôt Madame
Darmilli demande fon caroffe .
« Chevalier , donnez-moi la main. » La
baronne ſe fait conduire chez Madame
de Menneville ; elle monte , traverſe les
appartemens malgré les domeſtiques , pé
رد
114 MERCURE DE FRANCE.
nètre enfin juſqu'à la chambre de la malade
, tandis que Selicourt l'attendoit dans
la piéce précédente. Madame de Menneville
étoit en effet expirante ; elle avoit
la tête appuyée ſur ſon bras , & , de ſes
grands yeux noirs qu'une mortelle_langueurs
rendoit encore plus intéreſſans ,
tomboient de ces larmes qui décèlent la
profonde affliction; elle ne peut s'empêcher
de jeter un cri à l'aſpect de ſa rivale
... Que ma vue , lui dit la baronne ,
>> ne vous cauſe aucune peine ; c'eſt la plus
>> tendre amie que vous revoyez , qui
>> n'aſpire qu'à votre bonheur , & qui
>> vient y contribuer; c'eſt trop abufer de
>> l'amitié : il faut qu'elle cède à l'amour.
>> Votre fort a changé , vous êtes maîtrefle
» de votre coeur , de votre main ; je vous
» demande moi - même l'un & l'autre
» pour Selicourt. La marquiſe veut repliquer.
« Entrez , chevalier , pourfuit
"Madame Darmilli : voilà cet amant ,
>> toujours digne de vous , que je vous
>> préſente , qu'il devienne bientôt votre
» époux , &.... ne voyez point couler
>> mes pleurs ; ce ſont les derniers fou-
>> pirs d'une paſſion.. que je vaincrai ; je
>> n'en connois plus d'autre que celle de
>> vous rappeler tous deux à la vie &de
>> vous rendre heureux.
OCTOBRE. 1770. 115
La baronne s'étoit elle même trompée
fur la victoire qu'elle avoit cru dans le
moment remporter ſur ſon propre coeur ;
elle ne recouvra le calme & la paix de
l'ame que par les conſeils d'un vieillard
fage & expérimenté , & par une retraite
à la campagne que ce vieillard fut lui
perfuader. Sinville , c'eſt le nom de ce
vieillard , prétendoit que le ſéjour de Paris
affoibliſſoit le ſentiment; qu'on y refpiroit
, en quelque forte avec l'air , la
frivolité & la corruption ; il ajoutoit que ,
pour être vertueux, il faut trouver le tems
de s'interroger & de deſcendre en foimême
, & qu'il n'y a que la folitude qui
puiſſe faire germer les ſemences d'un heureux
naturel , & les développer ; il penſoit
que la ſociété entraîne beaucoup plus
de maux qu'elle ne produit de biens &
d'avantages. Combien d'hommes , difoiril
, font confondus avec la multitude de
la capitale , & ont à peine une exiſtence,
qui auroient eu un caractère propre , &
auroient joui de la dignité attachée à notre
être , s'ils avoient eu le courage de ne
pas abandonner la province ! Il étoit du
ſentiment de cet Anglois qui compare
nos François , livrés au tourbillon du
monde , à ces médailles altérées par un
116 MERCURE DE FRANCE.
frottement continuel , & où l'on ne fau
roit plus rien déchiffrer .
Cette nouvelle de Selicourt forme la
feconde hiſtoire du fecond volume des
Epreuves du Sentiment que nous promet
M. d'Arnaud. Cet écrivain eſtimable , encouragé
par l'accueil que le Public fait à
ſes productions , ne tardera point à publier
Sidney , hiſtoire angloife , & les
deux autres hiſtoires qui doivent completter
ce ſecond volume.
Méditations fur les tombeaux; par Hervey
, traduites de l'anglois. A Paris ,
chez Lacombe , libraire , rue Chriftine.
« Je voyageois fans deſſein & fans
>> ſuite dans la province de Cornouaille .
>>Le haſard me conduiſit dans un village
>> affez confidérable de ce canton . Les ha-
>> bitans, occupés de leurs travaux,étoient
>> répandus dans la campagne . La fécu-
>> rité gardoit leurs maiſons. Un mouve-
>> ment de piété ou peut- être même d'une
> ſimple curioſité dirigea mes pas vers
» l'égliſe. J'en trouvai les portes ouver-
> tes comme celles du Ciel où elles con-
>> duifent. J'adorai l'Eternel qui y réſide
» & bientôt une douce mélancolie vint
OCTOBRE. 1770. 117
s'emparer de mon ame. La méditation
* au regard fixe , à l'air penſif & recueilli
, ſembla ſe détacher de la voûte ſa-
» crée & ſe repoſer ſur moi. C'étoit ſans
>>doute l'ange même préposé à la garde
>> de ce lieu redoutable . Il me faiſit & fe
> rendit maître de mes penſées. Une vo-
» lupté céleſte ſe répandit dans tour mon
-être , & pendant pluſieurs jours de fui-
>>te je vins la goûter dans ce temple dont
> rien ne pouvoit plus m'arracher. Cette
» égliſe déjà ancienne s'élevoit au mi-
>>lieu d'un large cimetiere , éloignée du
>> bruit&du tumulte des hommes. Les
>>mains qui l'ont bâtie font réduites en
>>pouſliére depuis pluſieurs fiécles . Celui
>>qui en fut l'architecte voulut que ſon
>>corps y fut déposé après ſa mort , fous
> une tombe qu'on voit encore au milieu
a de la grande net; ſemblable à cet in-
>>ſecte induſtrieux , lequel après avoir
>>formé ces fils que nous admirons , fe
>> forme un tombeau de fon propre ou-
» vrage. »
L'auteur qui raconte ainſi le ſujet de
fon livre parcourt ſucceſſivement les différens
tombeaux qui s'offrent à ſa vue &
qui font les objets de ſes réflexions. II
apperçoit celui d'un enfant, Que cou
لو
118 MERCURE DE FRANCE.
19
3
» vre encore cette pierre blanche , em-
» blême de la candeur & de l'innocence ?
>> C'eſt un enfant qui a exhalé fon ame
>> tendre preſque au même inſtant qu'il
» l'avoit reçue . It n'a connu ni la peine
» ni la douleur. Il ne s'eſt arrêté qu'un
>>>moment fur le feuil du monde. Sa foi-
>> ble paupière s'eſt ouverte & refermée
>> auſſi tôt, en voyant la foule redouta-
>> ble de maux qui alloient fondre ſur lui.
e Il s'eſt élancé du néant au tombeau , &
>> a dit au tems un adieu rapide. Il eſt
> écrit du Sauveur , fouffrant ſur la croix,
>> que lorſqu'il eut goûté du vinaigre mê-
>> lé de fiel , il n'en voulut point boire.
>> C'eſt ainſi que ce jeune étranger com-
>> mença à boire dans la coupe de la vie ,
mais l'ayant trouvée trop amère , il la
>> repouſſa de ſa foible main , en tournant
>> la têre& refuſa le breuvage. »
Il deſcend dans un caveau où ſontdépoſés
des grands , il s'écrie : << Dieu ! quel
>> ſpectacle d'horreur ! combien ce ſéjour
>> eſt affreux ! ici règne une éternelle obſ-
>> curité. L'antique nuit y a établi fon
>> empire. Que cette folitude eſt noire
» & profonde ! chaque objet afflige
>> la vue & porte la frayeur dans l'ame.
? La douleur & l'épouvante ſemblent
OCTOBRE . 1770. II
ود
» s'être réunies dans ce lieu pour en faire
>> leur demeure. Quel fon lugubre frappe
>>>mon oreille ! cette voûte fouterraine
retentit à chaque pas que je fais. Les
>> échos qui ont dormi long - tems font
>> reveillés , & je les entends murmuret
>> fourdement le long des murs. Quel-
>> ques rayons de lumière pénétrent avec
>> moi dans ces lieux inacceſſibles au jour
» & vont frapper les lames d'or dont les
>> ſépulchres font couverts. Une foible
» clarté en eſt réfléchie dans l'enceinte
» ténébreuſe. La plupart de ces mauſo-
» lées ſont à moitié cachés dans les om-
>> bres . L'autre moitié , éclairée obfcuré-
>> ment par le lugubre crépuscule , ajoute
» à l'horreur de ces demeures ſombres ....
>> J'ai ſouvent porté mes pas vers un ro-
>>>cher fourcilleux , dont la cime inclinée
>> vers la terre ſembloit menacer de m'en-
>> gloutir ſous ſa ruine prochaine. Je me
>> fuis arrêté ſous les immenfes concavi-
>> tés d'un promontoire ſuſpendu ſur les
>> flots. J'ai traverſé pluſieurs fois les ef-
>> paces arides d'un vaſte défert & péné-
>> tré dans les profondes retraites des ca-
>> vernes ténébreuſes; mais jamais je ne
» vis la nature auſſi ſombre ni ſous une
>> forme plus effrayante que ſous ces voû.
120 MERCURE DE FRANCE .
>> tes filentieuſes. Jamais je n'ai reſſenti
>> un effroi plus glaçant. La mélancolie
>> la triſte mélancolie y étend ſes aîles
» noires & lugubres. Sortons de cette af-
>> freuſe obfcurité. Adieu ſéjour de déſo-
>>lations & de pleurs. Je vais revoir le
> royaume du jour.
Il revient au temple , & fon imagination
exaltée lui repréſente les grandes
images de la deſtruction du monde &de
l'éternité . Il tombe dans une eſpéce d'extaſe.
" Un grand bruit qui ſe fit ſoudain
>> dans le temple me fit revenir de la
>> froide extaſe où j'étois plongé. L'ef-
>> frayante éternité ſe retira de devant
» mes yeux. Rien ne s'offrit plus à moi
» que les fombres piliers de l'enceinte
» ſacrée. Le jour baiſſoit. On venoit pour
>> fermer les portes du temple. J'en for-
>> tis comme on fort d'un ſpectacle tragi-
>> que & fanglant , le coeur ferré par la
>> douleur & la crainte & l'ame remplie
>> des images terribles de la mort & de
» l'éternité. »
Quoique cet ouvrage ne ſoit pas ſemé
de traits auffi heuteux que ceux qui ſe
trouvent dans les nuits d'Young , cependant
il eſt en général d'un ton à peu près
ſemblable & fait pour plaire à ceux qui
aiment à réfléchir & à s'attrifter.
Let tres
OCTOBRE. 1770. 121
:
Lettresfur la théorie des Loix civiles , &c .
A Amſterdam .
Pour donner une idée de cette brochure & de
toutes celles qu'a publiées le même auteur , il
n'eſt pas inutile de tranſcrire d'abord ce qu'il a
dit de lui-même & de ſes productions à la tête des
révolutions de l'Empire Romain , l'un des ouvragesdont
ces lettres contiennent l'apologie. « Vous
>>vous ſouvenez bien plus que le Public ( dit- il à
>>un ami ) de l'imprudence qui m'a fait riſquer
>>>un volume il y a trois ans , ſous le titre d'hiftoire
du Siècle d'Alexandre. C'étoit chez moi
>> le fruit de la premiere etterveſcence de la jeu-
>>neſſe. Je m'y étois livré à un feu plus raisonna-
>>ble peut- être que prudent. J'aurois voulu eſlayer
>de porter la lumiere autant qu'il eſt poſſible dans
le cahos de l'hiſtoire ancienne , ou du moins de
>>>ne tirer des ruines où elle eſt enſevelie que ce
>>q>ui en vaut la peine. L'ouvrage pouvoit paroî-
>>tre intéreſſant au moins de ce côté. La nouveau-
>> té des vues ſembloit lui donner une eſpèce de
>>mérite. Cependant il n'a pas été accueilli. Ceux
>>q>ui le liſoient avoient la bonté d'en parler avec
>>éloge; mais très-peu de perſonnes le liſoient.
»Après un moment d'une vie languiſſante , il eſt
>>mort ſans bruit comme il étoit né. Il eſt refté ,
>>>ainſi que bien d'autres , étouffé dès ſon berceau .
» La même aventure m'eſt arrivée depuis,pluſieurs
fois. Aucune de mes tentatives ne m'a réuſſi .
>>E>lles m'ont attiré quelquefois des éloges de la
>> part de l'amitié ; mais le Public n'y a pas ſouf-
>> crit. J'ai haſardé des eſſais réitérés en plus d'un
genre , je l'avoue avec franchiſe , ils ne m'ont
I. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
>>pas mené loin . ... J'ai vu que dans la lit
>>térature, & en général dans tous les arts , il eſt
>>bien plus difficile de ſe faire une réputation que
>> de la mériter. J'ai vu que la patience , l'intrigue
>>& le bonheur y conduiſoient plutôt que les ta-
>>l>ens. Jemefuis convaincuque le temple dela
gloire littéraire ne s'ouvroit , comme les palais
>>d>e>s grands , qu'aux hommes titrés , ou à ceux
>>qui ont l'art de remplacer par des manoeuvres
>>>ſecretes les titres brillans qui leur manquent.
>> Ces réflexions , mon cher ami , m'ont conſolé
>>>de mon obſcurité... Elles m'ont engagé à quitter
la littérature , à lui préférer une profeffion
>>plus noble par le préjugé public , moins agréable
, il est vrai , par les objets qu'elle embrafle ,
>> mais certainement plus utile par ſes fonctions,
Tels fontles aveux qu'en 1766 faifoit M. Linguet
avec unebonne foi très-louable. Il convient
du peu de ſuccès de ſes ouvrages, & c'eſt beaucoup;
mais il paroît perfuadé qu'il ne lui aman
qué que de l'intrigue pour les faire réuſſir ,& probablementil
ſe trompe. Ce fiécled'Alexandre dont
il parle eſt la compilation la plus ſuperficielle ſur
un ſujet très - beau &très -heureux. Nous ne favons
ce qu'il veutdire par cefeu plus raisonnable
queprudent. Il n'y avoit defeu d'aucune eſpèce,
C'étoit un amas d'épigrammes puériles & d'antithèſes
meſquines. Rien de penſfé , sien de ſenti ,
nulle peinture forte , nul intérêt. Le fiécle d'Alexandre
, ce tableau ſi grand & fi majestueux ,
ainſi travesti , reſſemble à une ſtatue antique
babillée de chiffons & de lambeaux . Quant aux
autres tentatives qui n'ont pas réuſſi , faute d'intrigue
, nous ne pouvons deviner ce que c'eſt ,
OCTOBRE. 1770 . 123
moins que l'auteur ne veuille parler d'une cacomonade,
facétie très - froide & très- dégoutante ,
dufanatisme des philoſophes , feuille fatirique &
ignorée , c'eſt tout dire. Nous ofons aſſurer que ,
quand M. Linguet autoit été un homme titré , le
templede la gloire littéraire ne ſe ſeroit jamais ouvert
pour de pareils ouvrages .
Reſte à parler de ceux qu'il a compoſés depuis
qu'il a quittélalittérature & qui ne ſont pas reftés
étouffésdès le berceau. C'eſt d'abord cette hiſtoire
des révolutions de l'Empire Romain qui n'a pas
encore été lue beaucoup , mais qui a beaucoup
indigné ceux qui l'ont lue. C'eſt dans ce livre que
tous les principes du deſpotiſme font regardés
comme néceſſaires au maintien de la tranquillité
publique; les débauches de Tibére traitées de fables
, parce qu'on ne peut pas être vieux & débauché;
ſes cruautés juſtifiées par les maximes de
tous lesprinces qui ſacrifient tout pour être obéis;
ſonrègnepropoſé comme un modèle , & fon nom
mis à côté de celui d'Henri IV ; ( Nous demandons
pardon à nos lecteurs de prononcer ce parallèle
ſacrilége; ) c'eſt encore dans ce livreque l'on
ditque lamémoire de Titus feroit deshonorée s'il
avoit dit ce mot qu'on lui attribue : mes amis,j'ai
perdu un jour, &que cet autre mot , il ne faut
pas que perſonne forte mécontent de l'audience
d'unprince, raflemble ce qu'il yade plus odieux ,
L'infidélité , l'imprudence & la cruauté; que les
philoſophes ( car M. Linguet les pourſuit partout)
ont été l'unique cauſe de la chûttee de l'Empire
Romain , & quantité de découvertes auſſi
merveilleuſes . Une partie de ces inconcevables
aſſertions ſera refutée en détail dans les notes qui
accompagnentllaatraduction du Suétone queM.de
laHarpepubliera inceſſamment.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Parut enſuite la théorie des loix , ſur laquelle
l'auteur revient aujourd'hui. Il y a beaucoup d'efprit&
d'abus d'eſpritdans cet ouvrage qui a été
plus connu que les autres de M. Linguet. On fut
révolté des principes qu'il développe , de l'éloge
dudeſpotiſme qui eſt toujours l'idole de l'auteur,
de ſon mépris pour M. de Monteſquieu; les gens
de goût ne lui pardonnerent pas la profufion de
métaphores ridicules qui ſurcharge ſon ſtyle.
Elles étoient en fi grand nombre qu'on s'amuſa à
les compter , & M. Dupont , l'un des auteurs des
éphémerides , prétendit que la ſomme totale ſe
montait à 4379. Cette plaiſanterie de Monfieur
Dupont & la liberté qu'il prit de relever les
bévues , où le même auteur étoit tombé dans
un traité des canaux navigables , lui attirent aujourd'hui
une réplique qui fait partie de ces nouvelles
lettres fur la théorie des loix , & cette réplique
eſt du ton le plus indécent. Mais nous devons
obſerver que le diſcours préliminaire de ce
traité des canaux navigables eſt un morceau trèsbien
écrit , le feul de tout ce qu'a fait l'auteur
qui ait plû aux bons eſprits & qui mérite de refter
, & qui fuffiroit pour lui faire ſentir à lui-même,
en le mettant à côté de ſes autres écrits , la
différence dubon ſtyle au mauvais.
Nous avons vu paroître depuis, une histoire du
feizièmesiècle , écrite en ſtyle de rhéteur , & où
les métaphores ne font pas plus épargnées que
dans la théorie des loix . Nous en relevâmes quelques-
unes des plus choquantes , &nous parlames
de l'ouvrage en général avec une exceffive modération.
M. Linguet qui n'étoit pas content de
nos louanges qu'il trouvoit trop réſervées & de nos
critiques qu'il trouvoit trop évidentes , prit le
parti de le faire écrire une lettre beaucoup plus
OCTOBRE. 1770. 125
étendue que notre extrait , où il eſt mis au-deſſus
de tous les écrivains préſens , paflés & à venir.
Nous tranſcrivîmes la lettre dans toute ſa longueur
; elle fut inſérée dans le Mercure , & nous
nous gardâmes bien d'y faire la moindre réponfe.
M. Linguet , tout en quittant la littérature,
nous a encore donné une traduction du théâtre
eſpagnol , c'est- à-dire de quelques piéces parmi
Jeſquelles ily en a fort peu qui méritent d'être traduites.
Il paroît que la profeſſion d'avocat qu'il a
embraflée ne l'occupe pas tout entier. Elle est noble
ſans doute ; mais pourquoi la trouve- t- il plus
nobleque les lettres ? Il ne les a pas vues dans toute
leur noblefle. Nous le ferons ſouvenir que Peliffons'expolant
à tout pour défendre un miniſtre
malheureux contre un monarque irrité , étoit fort
au deflus de Patru & de le Maître , défendant pour
de l'argent le bien de quelques particuliers , &
nous ajouterons que les plaidoyers qu'on lit encore,
valent beaucoup mieux que ceux de ces deux
avocats qu'on ne lit plus ; nous lui rappelerons
queM. de Voltaire dénonçant à l'Europe un arrêt
injuſte rendu contre un innocent vieillard , intéreflant
les Rois au ſoulagement de la famille , &
parvenant enfin à venger l'innocence , donnoit un
exemple beaucoup plus éclatant qu'aucun avocat
en ait jamais donné; nous lui obſerverons que la
plume de tout écrivain ſupérieur appartient à quiconque
eſt opprimé ; que celui qui combat des
opinions funeftes , ſauve un bien plus grand nombre
d'infortanés que l'orateur du barreau le plus
employén'en peutdéfendre dans toute ſa vie; que,
depuis un ſiècle, les gens de lettres plaident devant
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE .
lesnations &devant les puiſſances la grande cau
ſe de l'humanité ; & qu'enfin , pour tout dire , en
un mot , il n'y a rien au-deſſus d'un bon écrivain
&rien au- deſſous d'un mauvais.
M. Linguet qui , dans la théorie des loix , regrettoit
beaucoup l'eſclavage , le juſtific encore
dans un avertiſſement qui précède ces nouvelles
lettres. Il tire ſon plus fortargument du ſalaire
modique qui ſuffit à peine à la ſubſiſtance de nos
journaliers & qui eſt fort inférieur au prix dont
on paie un eſclave. Mais ce n'eſt pas en ne confidérant
qu'un côté des objets qu'on peut les apprécier.
Il falloit convenir d'abord que nous avons
beaucoup de fermiers aiſés &heureux qui certainement
ne donneroient pas leur exiſtence pour
celle d'un eſclave. Il falloit examiner enſuite fi
legrand nombre d'eſclaves traités durement par
desmaîtres cruels dont tien ne peut les défendre ,
ne peut pas équivaloir au nombre des journaliers
mal payés & mal vêtus ; & il réſulteroit ,de ce calcul,
que la plus grande partie des hommes paroiffant
destinée au travail & à la misère par l'irrémédiable
imperfection des gouvernemens , il vaut
mieux encore porter des haillons que des fers , &
manger de mauvais pain que de recevoir cent
coups debâton. Il falloit ſe demander ſi, en affemblant
tous les payſans d'Europe qui ne ſont pas
ferfs & leur demandant s'ils veulent l'être , on
feroit für que la propoſition fût acceptée. Sans
détailler ici les autres confidérations politiques ,
ily auroit eu au moins de la bonne foi dans cet
examen qui pouvoit mener fort loin. Mais il eſt
plus aiſé de trancher d'un ſeul mot toutes les difficultés
&de mettre les aſſertions à la place des
raifonnemens,
OCTOBRE. 1770 . 127
On a reproché à M. Linguet ſon mépris pouť M.
de Monteſquieu . Il eſt bien éloigné d'en rien rabattre.
« J'ai vu que preſque tous ſes principes
>> n'étoient que des mots auxquels il avoit enſuite
>> accommodé les faits pour les ériger en axiomes.
ود
Je me fuis convaincu que l'eſprit des loix étoit
>> précisément un ouvrage d'imagination , un vrai
>> roman politique , où l'on n'employoit preſque
>>jamais des noms réels , que pour les placer à
>> contre- fens . -Et ailleurs. M. de Monteſquieu
>> élevé dans l'idée de la prééminence due à la ro-
>> be , n'a point imaginé de gouvernemens plus
>> parfaits que ceux où les compagnies dominoient...
Un gentilhomme Hottentot qui com-
>>poſeroit un eſprit des loix ſur les rochers du cap
>> de Bonne Eſpérance , mettroit auſſi au premier
>> rang les conſeils dont les membres accroupis
>> en rond , chacun dans un trou , commencent
>>leurs délibérations par ſe faire donner un ca-
>> mouflet de fumée de tabac. >> ( -Cette comparaiſon
eſt décente &polie. ) « Des trois définitions
>>>ſur lesquelles porte la maſſe de l'eſprit des loix ,
>> il n'y en a pas une qui ſoit , je ne dis pas exacte,
> mais même ſoutenable en une ſeule de ſes par-
>> ties. »
On eſt un peu étonné d'un pareil ton,il faut l'avouer
; mais ce qui confond, c'eſt de voir com .
mentraiſonne celui qui reproche à M. de Montefquieu
dedéraiſonner. Nous ne pouvons ſuivre pasà-
pas M. Linguet dans la foule des idées étranges
&infoutenables qu'il entaſſe les unes fur les autres.
Nous en difcuterons quelques-unes rapidedement.
Elles ſuffiront pour faire juger des autres.
Il y a trois fortes de gouvernemens ; ( a dit M.
/
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
deMonteſquieu ) le républicain où le peuple en
corps , ou ſeulement une partie du peuple a la
puiflance ſouveraine ; le monarchique , où un ſeul
gouverne , mais ſelon des loix fixes & établies ;
le deſpotiſme , où un ſeul ſans loi & ſans règle
entraîne tout par la volonté& par ſes caprices.
M. Linguet attaque ces trois définitions. Iln'y
apoint de république , dit- il , quand unepartie du
peuple feulement a la souveraine puiſſance. Une
république est l'adminiſtration ou tous les citoyens
fontfouverains en commun. Oui, ſans doute, pourroit
on dire à ce grand raiſonneur ; mais vous
conviendrez bien qu'il faut qu'il y ait quelques
repréſentans de cette ſouveraineté. Tous ces ſouverains
de droit ne peuvent pas l'être de fait ;tous
ne peuvent pas être archontes , doges , ſyndics ,
&c. fans cela ce ſeroit un état tout compoſé de
fouverains , ce qui ſeroit merveilleux ; il eſt néceffaire
que le boulanger & le tailleur , qui n'ont
pas le tems de rendrela juſtice à leur voiſin , parte
qu'ils font occupés à faire du pain &deshabits,
&quine peuvent pas recevoir des ambaſſadeurs ,
parce qu'ils ne font pas de grands politiques, commettentàleurplace
quelques perſonnes pour prendre
cette peine& faire exécuter les loix en vertu
deſquelles le boulanger vend ſon pain& le tailleur
ſe fait payer de ſon travail. Dès l'inſtant qu'ilexif.
te, ditM. Linguet , une portionfaifie exclusivement
dudroit d'ordonner,iln'y a doncplus de république,
c'est une véritable monarchie ; peu importe qu'elle
foit exercéepar un prince ou par cent ; que le trône
foit occupé par un roi ou par un fenat , il est für
qu'ilya un trône & des ſujets ; par conséquent la
république est détruite. M. Linguet est un grand
législateur , s'il conçoit un état on perſonne ne
commande & où perſonne n'obéitle ; s'il ne veut
OCTOBRE. 1770 . 129
pas que les loix aient dans une république un
trône & des sujets , & fi trois cent fénateurs qui
n'ont pas le droit de vieni de mort fur qui que ce
foit & qui peuvent être jugés & condamnés par
uneaſſemblée du peuple quand ils n'ont pas obſervé
les loix dans leur adminiſtration , lui pa
roiffent précisément la même choſe que le poffetfeur
d'un état héréditaire ,à qui le trône appartient
au moment où il eſt né ; qui ne doit en effer
gouverner que ſuivant des loix établies & convenues
, mais qui , s'il les viole , n'en doit rendre
compte qu'à la confcience & à Dieu , parce que le
droit de juger le pouvoir ſuprême ſeroit encore
plus dangereux pour l'état, que l'abus même de ce
pouvoir ; & parce qu'enfin toutes les fois qu'on a
fait un contrat , il faut en porter les charges pour
en recueillir les avantages . M. Linguet eſt un
grand législateur s'il prétend ne point reconnoître
demonarchie par - tout où celui qui guverne eft
aftreint àfuivre des loix fixes & établies , comme
fitout pouvoir , pour être réel , devoit être abfurde
, illégal & inconféquent. M. Linguet eſt un
grand législateur , s'il a pu ſe convaincre que dans
les gouvernemens d'Afie il n'est pas vrai qu'un
feuthommefans règle &fans loi entraîne tout par
fon caprice ; qu'il n'y a point de nation fur la
terre chez qui lajustice foit plus égale , les loix
plus respectées & le nom d'homme en généralplus
confidéré. Ainſi donc rien ne ſoutient plus ladigaité
du nom d'homme que d'y joindre le nom
d'eſclavedont les orientaux ſe glorifient. On n'auroit
pas cru que ces deux noms qui devroient être
inalliables,puſſent jamais ſe donner du luſtre l'un
àl'autre. Ainsi donc cette foule d'individus muti
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
lés qu'on appelle eunuques , eſt un honneur rendu
à l'humanité ! ainſi donc un viſir , un pacha
font traités en hommes , lorſque , du fond
du ferrail , arrive un ordre de mourir , qu'il faur
regarder comme ſacré & dont ils n'ont pas même
• ledroitde ſe plaindre ! Mais , dit M. Linguer ,
c'eſt précisément le bonheur des peuples aſiati-
>>q>ues.Onyfaitjuſticedesgrands qui fontailleurs
>>impunis. Les peuples font vengés & confolés ; ce
>> deſpotiſme qu'on peint ſi terrible , ne l'eſt que
>>pour un petit nombre d'hommes qui approchent
>> du trône. C'est unfoleildont l'activité brûle, endommage
les objets quienfonttropproches. Voilà
l'argument ſur lequel M. Linguet revient fans
ceffe, qu'il rebat avec un air de triomphe. Les autresécrivains
n'ont cherché qu'à flatter lesgrands;
lui ſeul aime les peuples , & les peuples font toujours
heureux,dès qu'on étrangle les miniſtres fans
formedeprocès. Il eſt bien vrai que lepachad'Egy
pte peut aceabler d'impôts, d'exactions & d'injufti
ces laprovincequi lui eſt affermée , & y faire tout
le mal qu'il voudra , pourvu qu'il envoie exactement
le tribut au tréſor de l'empire ; il eſt vrai
encore que le dernier des officiers du viſir eſt au
moins auſſi à craindre que lui , parce qu'il eſt de
la nature du deſpotiſme de ſe ſubdiviſer ſans perdre
de ſa force; qu'il eſt bien rare qu'un Grec
obtienne Juſtice d'un Janiſſaire , & qu'en général
c'eſt un principe reçu dans l'Aſie qu'il n'ya jamais
rienà répliquer à quiconque commande , àmoins
qu'on ne puiſſe l'empaler &ſe mettre à ſa place.
Mais enfin la punition vient , les muets paroiffentavec
le lacer , & c'eſt un bien beau jour pour
les peuples. Ils n'en ſont que plus foulés par le
Succeffeur du pacha ou du viſur à qui on a ferré le
OCTOBRE. 1770 . 131
col ; mais ils ont encore la même conſolation à
attendre , & c'eſt un grand agrément . « Comment
>> oſe- t- on donc ſe livrer , conclud M. Linguet , à
>>>des déclamations indécentes contre une ma-
১১ niere de gouverner qui affure le bonheur de tous
>> ceux qui la reconnoiflent ? Un ſeul homme eſt
>> diſpenſé des loix , mais c'eſt pour y ſoumettre
>> indiſtinctement tous les autres , comme un officierfort
de la file quandil commande l'exercice. »
Il n'y a rien à répliquer à une pareille comparaifon
, & il faut croire ſur la parole de l'auteur que
les pachas qui périſſent par le fabre ou le cordon
font toujours exécutés légalement. Il eſt évident
queM. Linguet a paflé une partie de ſa vie dans
les cours d'Afie , comme il a vécu autrefois avec
Tibère dans l'iſle de Caprée & aſſiſté auxfoupers
gais & agréables que faiſoit Tibère avec fes
amis.*
Au panégyrique le plus pompeux des monarques
d'Afie qui font les plus doux des hommes, les
plus humains des Rois , les plus équitables des
Princes , l'auteur oppoſe la cenſure de quelquesuns
des abus de nos jurifdictions , & aſſurément
il a grande raiſon ; mais il eſt clair que la réponſe
à cette maniere de raiſonner ne pourroit être bien
faite que par un Turc ou un Perſan qui détailleroit
les abus journaliers de ſon pays & qui pourroit
étonner un peu M. Linguet , quoiqu'en gé
néral il ait l'air de ne s'étonner de rien. La Perfe
eft le royaume dont il admire le plus le gouvernement.
Il n'en parle qu'avec tranſport : ce qui
*Voyez dans les révolutions de l'Empire Romain
la deſcription de la vie agréable que menoit
Tibère dans Capréc.
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
l'enchante fur-tout , c'eſt que le Sophi de Perſe
mange avec les ambaſſadeurs étrangers. Parmi
nous ce ſont de triſtes comédiens. En Perſe fa-
55 vez- vous en quoi conſiſtent les mêmes cérémo-
>> nies ? En un fouper ſplendide que le vin anime
»& dont la cruelle étiquette eſt ſévérement ban-
>> nie ; & ce ne font pas les ambaſladeurs ſeuls que
>> le monarque honore de ce joyeux accueil ; ce
>> font de fimples particuliers qui lui ont plû , de
>>ſes ſujets ſouvent qu'il chérit ; il les appelle ſes
>>h>ôtes; il connoît ce doux & inestimable plaifir
de manger avecses amis, de fatisffaaiirreeàà la fois
>> par le plus délicieux des mélanges fon appetit
» & fon coeur ; il partage la fatisfaction de ſes
>>>convives ; il leur verſe à boire de fa main ; il ſe
>>r>éjouit de leur gaîté , il l'excite , il l'encourage,
il ne ſe croit Roi qu'aurant qu'on est heureux
>> auprès de lui. Eh ! qui ne s'écrieroit dans les
3> transports d'une ivreſſe de reſpett , d'amour , de
>>>reconnoiſlance , vive le grand homme , le grand
>> prince & le fortuné climat où il déploie tant de
33 vertus ,
Quelque envie que l'on ait d'être ſérieux dans
un aufli grave ſujet , il eſt difficile de ne pas rire
un peu de ce bel enthouſiaſme de M. Linguet qui,
écrivant tranquillement dans fon cabinet , ſe
tranſporte en idée à la table du Sophi , boit à fa
ſanté , & s'écrie dans une ivrefſſe de respect , vive
le Sophi qui mange avec ſes ſujets , car les autres
Rois mangent tout seuls ; vive le grand homme
qui farisfait à la fois fon appetit & fon coeur , car
le coeur& l'appetit doivent toujours aller enfemble
, & c'eſt le plus délicieux des mélanges que le
mêlange du coeur avec l'appetit .
Ce qui n'eſt pas inutile à obſerver , c'eſt qu'un
OCTOBRE. 1770. 133
&ſurprenant délire eſt précisément ce que quelques
gens prennentpourde la chaleur. C'eſt ainſi qu'écritune
certaine claſſe d'auteurs chauds & brûlans
qui brûlent le papier & qui glacent leur prochain ,
qui parlent toujours d'ame , & ne parlent pas à la
nôtre , &qui , lorſqu'ils déraiſonnent , fe croient
tout pleins deſenſibilité. Voilà où nous en fommes
venus , & ce que les gens de goût qui ne font
pas toujours d'humeur à en rire ne peuvent s'empêcher
de déplorer quelquefois .
En effet , ſuivons M. Linguet & nous verrons
qu'il n'y a plus moyen de rire . « Nous vivons de
>>>pain nous autres occidentaux ; notre existence
> dépend de cette drogue dont la corruption est le
>> premier élément , que nous sommes obligés d'al-
> térer par un poison pour la rendre moins mal
>>faine ; ... ( Nous croyons qu'il eſt impoſſible à
>>>M. Linguet lui- même de donner à cette phrafe
>> un fens raisonnable . ") Nous avons lafolie de la
regarder comme la nourriture feule digne de
l'homme.... Ainfi nous avons labouré nos terres
par un ſentiment d'orgueil. >> Elle eſt devenue
>>le premier objet des petits foins &des courtes
>> vues de nos empires , le premier beſoin des
>>êtres qui s'énorgueilliffent de porter des chapeaux
; mais auſſi elle eſt la reſſource la plus
>> fûredu deſpotiſme & la plus cruelle chaîne dont
>>o>n ait chargé les enfans d'Adarn. Pareille à ces
>>poisons dont l'habitude mene au tombeau &dont
>la privation cauferoit également la mort.
(Nous prierons encore M. Linguet d'expliquer
cette phiaſe. ) « Nous ne pouvons y renoncer ni
>> enjouir... M. de Montesquieu a la légéreté de
>> dire que les pays où croît le riz ſont ſujets à de
>> fréquentes famines. Je ne ſçais s'il y a un trait
134 MERCURE DE FRANCE.
>>d>'aveuglement pareil à celui-là. » Il ya plusque
de la légèreté à s'exprimer ainſi , & l'aveuglement
conſiſte à nier ce que diſent toutes les hiſtoires
orientales où l'on voit que les famines font prefqu'auſſi
fréquentes dans l'Orient que les tremblemens
de terre .
« Ceflons , mon cher ami , ceſſions d'inſulter à
>>> la raiſon& au genre humain. -Après ces deux
lignes , l'auteur devoit ceſſer d'écrire. « Malheu-
>>>reux galériens , renfermés dans le plus infect
>>>de tous les bagnes , gardons - nous d'outrager
>> nos maîtres en tout genre, >>
Quand on oſe parler ainſi des pays où l'on vit ,
quand on vientde faire la fatire la plus amère des
abus qui ont réſiſté jusqu'ici aux progrès de la
raiſon , & qui ſans doute leur céderont quelque
jour ; quand on s'indigne contre un citoyen & un
homme de lettres tel que M. de St Lambert , pour
avoir dit , en parlant des jours de la moifſſon & de
la vendange :
O mortelsfortunes , vos travauxsont desfêtes.
Ce qui paroîtra vrai à quiconque a vu les
moiſſons &les vendanges ; quand on ne s'eſt révolté
contre ce vers que parce qu'on a voulu y
voir une infulte à la miſére des payſans que
l'on peint des couleurs les plus affreuſes ; lorfqu'enfuite
on reproche à ce même M. de St Lambert
de s'élever avec tant de justice contre l'abus
des corvées & qu'on oſe écrire que la deſcription
des corvées eft indécente , fauſſe & dangereuse ;
que de pareilles déclamations font un signal de
foulévement, que , fous prétexte de revendiquer la
liberté on prêche la révolte ; alors une réfutation
OCTOBRE . 1770. 135
littéraire n'a plus de termes pour réprimer de pareils
excès .
Nous ne difcuterons pas plus long-tems les inconféquences
révoltantes de M. Linguet. Il y met le
comble en regardantle gouvernement anglois com
me le plus abſurdedetous les gouvernemens, celui,
dit- il,que M. de Monteſquieu a choiſi dansfonfanatifmeanti
- oriental pour autoriſer ſes déclamations.
M. Linguet qui n'a écrit dans ſa vie que des
déclamations , ofer appeler déclamateur le Tacite
François ! Il ſe ſert pour décrier la conſtitution
angloiſe d'un artifice fingulier. Il va déterrer
unede ces loix biſares & cruelles de l'antiquejuriſprudence
que l'on retrouveroit dans tous les
états de l'Europe &qui font généralement ignorées
; il invective enſuite enrhéteur fcholaftique
contre ceux qui ont loué ce que le gouvernement
anglois a de louable , & il leur fait un crime d'avoir
loué cette loi qui certainement leur étoit inconnue
, comme elle l'eft à la plupart des Anglois.
Il s'écrie : « Le ſang me bout dans les vei-
>> nes en tranſcrivant cette effroyable ordonnance...
Législateurs plus barbares cent fois que
>>les Bufiris& les Procuſtes : ... Vos panégyriſtes
>>oſent vanter votre philoſophie , votre humani-
>> té ! ah ! puiflent-ils l'éprouver , les lâches qu'ils
>> font ! puiſſent leurs gémiſſemens élancés du
>> fond des entrailles brûlantes de ce taureau dont
>> ils ont tant célébré la beauté , défabuſer l'univers
ſur ces éloges perfides ; ou plutôt qu'ils
>> ceflent de ſe paſſionner pour une firéne qui dé-
>> vore fes amans. -Sans le taureau & la firéne ,
ſans le ridicule exceffif d'un pareil ſtyle , on ne
liroit pas tranquillement ces imprécations. Quel
ton! quelle maniere de differter ! c'eſt celle de
136 MERCURE DE FRANCE.
M. Linguet d'un bout à l'autre de ſa brochure ;
c'eſt d'après cette lettre qu'il faut, dit- il lui-même,
apprécier fon coeur. Comme il peut la relire & fe
repentir de l'avoir écrite , il ſeroit trop cruel de
le prendre au mot.
C'eſt affez parler de ſes raiſonnemens. Il faut
mettre ſous les yeux du lecteur les plus curieux
échantillons de ſon ſtyle. « On a prétendu que la
>> théorie des loix étoit le fruit du délire de la ma-
» nie paradoxale. Au fon d'un écu on eft fûr de
" faire elancer du ſein de la terre une foule de
>>>malheureux , On escamoteles morceaux au ma-
>>>nouvrier libre , & on lui ſcelleroit la bouche ſfi
> on l'oſoit. On a empoisonné nos humeurs de
>> cette fombre contrainte , de cette défiance concentrée
, de ce goût d'une crapule folitaire quiſe
>font naturalisés à Londres parmi les funéesful-
>>phureuſes du charbon de terre : à la premiere &
trop durable explosion de cette peste agronomique
, &c. on révére ces cirons périodiques qui ,
>>> à force degratter l'épiderme des bons ouvrages ,
>>>parviennent quelque fois à y faire naître des
>> ampoules. Des mites raisonnantes le font rabat-
>>>tues ſur le bled , fur le pain , la moûture ; elles
>> y ont porté la corruption. Toutes blanches en-
>> core de la poudrefarineuse dont ellesfefont cou .
vertes dans leur boulangerie , elles s'aviſent d'in-
>>>ſulter les vermiſſeaux indifcrets qui ne rougiffent
pas de s'éloigner de la huche. Il en eſt
>>>des hommes & des gouvernemens comme
30 des notes de musique. En hauffant & baiſſant
la clef, vous changer toute la gamme. Il y a
>> donc à choisir entre les gammes politiques . Nos
philofophiftes ne manquent pas de citer quelques
lambeaux des coutumes angloiſes & de venir ,
OCTOBRE. 1770. 137
>armés de cefumier infect , inſulter impudemment
>> les uſages de leur patrie. La vérité eſt ma maî-
>> treſſe chérie , quoiqu'elle reſſemble un peu aux
» Catins , & que ſon commerce ne rapporte ni
>> honneur ni profit Je me ſuis apperçu de l'exif-
>> tence des éphémérides comme de celles des pu-
» ces , par une morfure. Vivez monfautillant cen-
>> ſeur. Les variations dans le prix du pain ſont
>> une vérole politique qui ronge l'état dans toutes
> ſes parties nobles Les approvisionnemensd'or-
>>donnance font le mercure fecourable qui peut le
>>>guérir. Mais avant que de l'employer il faut le
>>>modifier par une manipulation très-aiſée . Si on
>>>le donne tout crud , on fera enfler & crever le
>>>malade. Augmenter le vingtieme & appliquer à
>> ce remplacement le produit de l'augmentation ,
>> c'eſt demander à un lion qui enrage de faim de
>> ne manger que la moitié d'une brebis qu'il a
> tuée&de lailler le reſte à des loups qui ont befoinaufli
,
Telles font les figures nobles & élégantes , les
métaphores juſtes & naturelles qui ſe préſentent
toujours à l'imagination de M. Linguet.
Nous voudrions en finiſſant pouvoir perfuader
àM. Linguet que ce n'eſt pas aſſez pour être un
homme delettres d'être enfin parvenu à faire lire
quelques brochures à force de paradoxes ; qu'il
faut avoir produit quelqu'ouvrage qui parle ou à
notre ame ou à notre raiſon ; que rien n'eſt ſi
trompeur que des connoiffances maldigérées , &
qu'il faudroit paſſer à s'inſtruire le tems qu'on
pafle à décrier ceux qui nous ont inftruits . Voilà
ce que nous nous contenterions de lui dire , s'il
nous étoit démontré qu'il a écrit de bonne foi,
138 MERCURE DE FRANCE.
Mais , s'il n'eſt pas vraiſemblable qu'un homme
d'elprit déteſte ſérieuſement le gouvernement
d'Angleterre à cauſe d'une loi qu'on n'y connoît
pas; idolâtre celui des Turcs parce qu'on y étrangle
des viſirs; & celui de Perſe , parce que le Roi
dine avec les ambaſſadeurs ; ſe paſſionne pour
l'Orient parce qu'on y mange du riz; & abhorre
l'Occident parce qu'on y mange du pain; fi aucune
de ces folies n'a pu être foutenue ſérieuſement
, alors nous lui dirons qu'il a pris , pour ſe
faire lire , un fort mauvais parti ; que ſe jouer
ainſi de la vérité & du bon ſens , c'eſt avoir beaucoup
de mépris pour ſes lecteurs , & qu'on ne
gagne rien à ce mépris - là ; qu'on peut trèsbien
être abſurde ſans en être plus amuſant
; que , s'il a l'ambition de reflembler à Jean-
Jacques Roufleau , il ne ſuffit pas pas pour cela
de mettre à la têtre de ſes ouvrages , Simon-Henri-
Nicolas Linguet , parce qu'à moins d'être auffi
éloquent que le Génevois &de mêler comme lui
une foule de vérités intéreſlantes à des paradoxes
ingénieux , le Simon- Henri-Nicolas ne fera pas
la fortune du J. Jacques ; nous luidirons que lorfqu'on
veut diſputer avec honneur fous les yeux du
public, il faut ou railler avec fineſſe ou raiſonner
avec vigueur, & que, quand on prodigue les injures
, le lecteur penſe avec raiſon que celui qui ne
reſpecte rien ne ſe reſpecte guère lui- même ; qu'il
yauroit beaucoup de mérite à prouver que M. de
Monteſquieu s'eſt trompé , mais qu'il n'y en a
aucun à l'appeler fanatique & déclamateur ; qu'il
ne faut pasdire de ſes adverſaires le Sr Baudeau,
le Sr Dupont, parce qquu'uune feuille polémique
n'eſt pas un factum. Enfin nous l'avertirons , que
quoiqu'il puiſſe avoir ſes raiſons pour regardez
OCTOBRE. 1770. 139
comme un très -grand bonheur l'avantage d'être
avocat , il ne faut pas en parler dans vingt endroits
d'une brochure, & que, ſi c'eſt quelque choſe
d'être avocat , il ſe pourroit cependant à toute
force qu'on fût avocat & qu'on fût encore trèspeude
choſe.
ACADÉMIE FRANÇOISE.
;
Le vingt - cinquième jour du mois
d'Août 1771 , fête de ST LOUIS , l'Académie
Françoiſe donnera deux prix , l'un
d'éloquence , l'autre de poësie. *
Le prix d'éloquence ſera une médaille
d'or de la valeur de fix cens livres. L'Académie
propoſe pour ſujet l'Eloge de
François de Salignac-de- la- Motte- Fénelon ,
archevêque de Cambrai , précepteur des Enfans
de France. Le diſcours ne paſſera
pas trois quarts d'heure de lecture.
Le prix de poëſie ſera une médaille
d'or de la valeur de cinq cens livres. Le
* Le prix de l'Académie eſt formé des fondations
réunies de Meſſieurs de Balzac, de Clermont
Tonnerre évêque de Noyon , & Gaudron,
140 MERCURE DE FRANCE.
1
ſujet , le genre du poëme & la meſure
des vers , font au choix des auteurs . La
pièce ſera de cent vers au moins , & de
deux cens au plus .
Toutes perſonnes , excepté les Quarante
de l'académie , feront reçues à compoſer
pour ces prix.
Les auteurs mettront leur nom dans
un billet cacheré à la pièce , ſur lequel
ſera écrite la ſentence qu'ils auront mife
à la tête de leur ouvrage.
Ceux qui prétendent au prix ſont avertis
que , s'ils ſe fontconnoître avant le jugement
, ou s'ils font connus , foit par
l'in lifcrétion de leurs amis , ſoit par des
lectures faites dans des maiſons particulieres
, leurs pièces ne feront point admiſes
au concours .
Les ouvrages feront envoyés avant le
premier jourdu mois de Juillet prochain ,
& ne pourront être remis qu'à la Veuve
Regnard, imprimeur de l'Académie Françoiſe
, rue baſſe de l'hôtel des Urſins , ou
grand'ſalle du palais , à la Providence ;
& fi le port n'en eſt point affranchi , ils
ne feront point retirés .
L'académie a déclaré , dans la même
ſéance,que les piéces envoyées pour le con.
OCTOBRE. 1770. 141
cours du prix de poëſie dont le ſujet étoit
les inconvéniens du Luxe , n'avoient point
paru mériter le prix qui a été remis à l'année
prochaine , comme l'annonce le programme
ci - deſſus. M. Thomas a lu l'éloge
de l'Empereur Marc-Aurèle. Il feint
qu'Apollonius , philoſophe, qui fut le
précepteur & l'ami de cet Empereur , arrête
la pompe funèbre & prononce , appuyé
ſur fon cercueil , au milieu des Romains
enpleurs , le panegyrique de ce ſouverain
, en rappelant l'hiſtoire de ſes ſentimens
, de ſes vertus & de ſes actions
pour le bonheur des peuples foumis à ſa
domination .
M. Thomas a auſſi imaginé de tracer
le plande conduite que s'étoit fait Marc-
Aurèle&de faire dire à cet Empereur les
motifs & les principes de ſes actions ; il
remonte à l'eſſence des chofes , aux premières
cauſes de l'ordre & des vertus ,&
cettegrande théorie eſt fondée ſur l'exemple
que Marc-Aurèle a donné au monde
d'un Empereur philoſophe. Cet éloge eſt
animé par une forte d'action dramatique ,
par des ſentimens profonds & par une
diction noble & foutenue.
On a entendu avec la plus grande fatisfaction
pluſieurs fables , compoſées &
142 MERCURE DE FRANCE.
lues par M. le duc de Nivernois , qui préſente
les vérités utiles ſous les charmes
de la fiction la plus agréable , & qui plaît
toujours en inſtruiſant.
Le jeudi 6 Septembre , l'académie françoiſe
tint une ſéance publique pour la reception
de M. l'archevêque de Toulouſe,
qui a été élu à la place vacante par la mort
du duc de Villars. M. Thomas , en qualité
de directeur , répondit au diſcours de
remercîment du récipiendaire. M. Marmontel
lut enſuite un morceau d'un nouvel
ouvrage qu'il ſe propoſe de donner
bientôt au Public , & qui a pour titre les
Incas ou la ruine de l'empire du Perou .
La ſéance finit par la lecture que M. le
duc de Nivernois fit de pluſieurs fables
de ſa compoſition.
III.
La Rochelle.
L'Académie royale des belles - lettres
de la Rochelle tint ſon aſſemblée publique
le 2 Mai dernier. M. Bernon de Salins
, directeur , ouvrit la ſéance par un
diſcours dans lequel il donna l'idée d'un
ouvrage qu'il acompoſe ſur l'Education ,
OCTOBRE. 1770. 143
dont il lut le chapitre qui traite de l'obligation
oùsont lesfemmes de nourrir leurs
enfans.
M. Raoult , avocat , lut enfuite une
Differtation historique fur le barreau françois
& fur les progrès de l'éloquencejudiciaire
parmi nous.
M. l'Abbé Gervaud fit lecture d'un ou
vrage de M. de Montaudouin , négociant
de Nantes , académicien aſſocié,fur cette
queſtion , Est - il néceſſaire que le Peuple
foit inftruit ? Queſtion fur laquelle il ſe
décide pour l'affirmative.
M. Delaire , négociant, lut un ouvrage
dont le titre eſt Effai fur une éducation
particulière aux Négocians , ou Discours
fur l'avantage qu'ily auroit d'établir des
écoles publiques pour lesjeunes gens quife
deftinent au commerce.
M. de la Coſte termina la féance par
la lecture d'un poëme ſur la néceffitéd'être
indulgent , par M. Gaillard de l'académie
des inſcriptions &belles - lettres , aſſocić
de celle de la Rochelle,
144 MERCURE DE FRANCE.
I V.
Amiens.
L'Académie des ſciences , belles-lettres
& arts d'Amiens tint , le 25 Août , fon
aſſemblée publique.
M. Bourgeois , maître en chirurgie ,
M. Sélis , profeſſeur d'éloquence , & M.
Goffart , avocat , firent leurs diſcours de
remercîment : le premier traita des Contrecoups;
le ſecond parla des inconvéniens
du luxe , & le troiſième , de l'influence
des lettresfur le commerce. M. Boulletde
Varennes , avocat , directeur , leur répondit&
paya le tribut que l'académie devoit
àla mémoire de M. le Couvreur , avocat;
de M. Marteau , médecin , &de M. l'Abbé
Choderlos , académiciens morts pendant
le cours de l'année.
M. de Lavoiſier , fermier général , adjoint
de l'académie royale des ſciences
lut un mémoire fur l'Histoire minéralogique
de la France , &particulierement de la
Picardie.
M. Baron , avocat , ſecrétaire de l'académie
, lut l'Eloge de feu M.le Duc de
Chaulnes , protecteur de cette compagnie.
Μ.
OCTOBRE . 1770. 145
• M. Selis termina la féance par une Epitre
en vers à un poëtefiflé.
L'un des prix proposés par l'académie
ayant pour ſujet les moyens de rendre le
port de St Valery- fur- Somme plusfúr &
plus commode , ou les moyens d'en faire
un autre au bourg d'Aut ou autre endroit
intermédiaire de la côte toujours avec communication
à la Somme , a été adjugé à
M. Magot , ingénieur des ponts & chaufſées&
ports de commerce.
Un autre prix , dont le ſujet étoit la
defcription de la fiévre miliaire , fa nature,
Sa méthode curative , a été donné à M. Darailon
, docteur en médecine du Ludovicée
de Montpellier , & médecin à Chambon
enCombrailles .
L'ouvrage quien a le plus aproché eft
de M. Planchon , médecin à Tournai .
L'Académie propoſe pour ſujet d'un
des prix qu'elle diſtribuera le 25 Août
1771 , l'Eloge de Voiture.
L'époque à laquelle cet homme célèbre
aparu , l'influence qu'il a eu ſur ſes contemporains
, ſon bel eſprit , ſes défauts
mêmes , & fur tout la comparaiſon de
l'eſprit de ſon ſiècle avec celui du nôtre,
font les nuances que l'académie préſente
aux auteurs qui traiteront ce ſujer ,
& qui , rendues par un homme de goût ,
I. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
peuvent fournir des détails neufs & inté
reffans.
Pour ſujet d'un autre , l'Académie demande
quelle est l'influence des moeurs des
Françoisfur leursanté , de quelles maladies
nos moeurs actuelles nous ont délivrés,
& quelles maladies nouvelles elles nous ont
données?
Chacun des prix eſt une médaille d'or
de la valeur de 300 liv .
Les ouvrages feront adreſlés , francs de
port , à M. Baron , ſecrétaire de l'académie
, à Amiens , avant le premier Juillet
1771 .
V.
Académie royale des ſciences , inſcriptions
& belles - lettres de Toulouse.
Le ſujet propoſé pour le prix de 1770,
droit de déterminer 1º. les révolutions qu'é.
prouverent les Tectoſages , la forme que
prit leur gouvernement , & l'état de leur
paysfous la domination ſucceſſive des Romains
& des Visigots. 2°. Leurs loix &
leur caractere ſous la puiſſance des Romains.
L'Académie n'ayant pu adjuger
le prix , elle a délibéré de le joindre à
celui de 1773 , qui fera double , & pour
lequel elle propoſe le même ſujet.
OCTOBRE. 1770. 147
On fut informé en 1768 que l'académie
propoſoit , pour le prix de 1771 ;
d'affigner les loix du retardement qu'éprou.
vent les fluides dans les conduits de toute
espèce.
Quant au prix de 1772 , l'académie annonça
l'année derniere qu'elle propoſoit
pour ſujet, de déterminer les avantages &
la meilleure méthode d'inoculer la petite
vérole.
Le prix que l'académie diſtribue eſt de
la valeur de 500 liv. Il eſt dû aux libéralités
de la ville de Toulouſe , qui le fonda
en 1745 , pour contribuer toujoursde
plus en plus au progrès des ſciences &
des lettres.
Les ſçavans font invités à travailler fur
les ſujets propoſés . Les membres de l'académie
font exclus de prétendre au prix,
à la réſerve des aſſociés étrangers.
Ceux qui compoſeront font priés d'écrire
en françois ou en latin , & de remettre
une copie de leurs ouvrages qui
ſoit bien liſible , ſur-tout quand ily aura
des calculs algébriques .
Les auteurs écriront au bas de leurs
ouvrages une ſentence ou deviſe ; mais
ils pourront néanmoins y joindre un billet
ſéparé ou cacheté , qui contienne la
même ſentence ou deviſe , avec leur nom,
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
leurs qualités & leurs adreſſes ; l'académie
exige même qu'ils prennent cette
précaution , lorſqu'ils adreſſeront leurs
écrits au ſecrétaire. Ce billet ne ſera point
ouvert , ſi la pièce n'a remporté le prix .
Ceux qui travailleront pour le prix ,
pourront adreffer leurs ouvrages à M.
l'abbé de Rey , conſeiller au parlement ,
ſecrétaire perpétuel de l'académie , ou les
lui faire remettre par quelque perſonne
domiciliée à Toulouſe. Dans ce dernier
cas il endonnera fon récépiffé , ſur lequel
fera écrite la ſentence de l'ouvrage , avec
ſon numéro , felon l'ordre dans lequel il
aura été reçu .
Les paquets adreſſés au ſecrétaire doivent
être affranchis de port.
Les ouvrages ne feront reçus que jufqu'au
dernier jour de Janvier des années
pour le prix deſquelles ils auront été compoſés.
L'académie proclamera dans ſon afſemblée
publique du 24 du mois d'Août
de chaque année , la pièce qu'elle aura
couronnée.
Si l'ouvrage, qui aura remportéleprix,
a été envoyé au ſecrétaire à droiture , le
tréſorier de l'académie ne délivrera le
prix qu'à l'auteur même qui ſe fera conOCTOBRE
. 1770. 149
noître , ou au porteur d'une procuration
de fa part .
S'il y a un récépillé du ſecrétaire , le
prix ſera délivré à celui qui le repréſentera
.
L'académie , qui ne preſcrit aucun ſyftême
, déclare auſſi qu'elle n'entend point
adopter les principes des ouvrages qu'elle
couronnera .
VI.
Bordeaux.
Du 25 Aout 1770 .
L'Académie de Bordeaux avoit , cette
année , deux prix à diſtribuer ; l'un double
& l'autre ſimple .
Elle avoit proposé pour ſujet du premier
, que l'on établit le genre , & que l'on
développât les caractères effentiels des maladies
épidémiques qu'occaſionne ordinairement
le deſſéchement des marais dans les
canions qui les environnent ; qu'on indiquát
les précautions néceffaires pour préve.
nir ces maladies , & les moyens d'en garantir
les travailleurs ; & qu'on donnát une
méthode curative , fondée ſur l'expérience,
quel'on pût mettre en pratique avecfuccès.
Pour ſujet du ſecond , elle avoit de
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
mandé : Quelle est la meilleure maniere de
mesurerfur mer la viteſſe ou le fillage des
vaiſſeaux , indépendamment des obfervations
astronomiques & de l'impulsion ou de
la force du vent ; fi, à défaut de quelque
méthode nouvelle & meilleure que celle du
lock ordinaire , il n'y auroit pas queique
moyen de perfectionner cet inftrument , au
point de pouvoir en faire uſage lorſque la
mer eft agitée , & d'empêcher la ficelle de
s'alonger ou de ſe raccourcir , du moins
ſenſiblement ; & s'il ne feroit pas poffible
de mesurer , par quelque inſtrument également
fimple & peu coûteux , le tems de 30
fecondes que dure ordinairement l'obfervazion
, plus exactement que l'on nefait avec
les fabliers dont on a coutume defefervir.
Iº. C'eſt pour la troifiéme fois qu'elle
avoit propoſé le premier de ces deux fujets
; &, en le propoſant, elle avoitdéclaré
qu'elle fouhaitoit principalement que les
auteurs qui voudroient ſe mettre ſur les
rangs , priffent pour guides dans leur travail,
l'obſervation& la pratique,& qu'ils
ne s'en tinſſent pas uniquement à une
théorie qui , quelqu'éclairée qu'elle puiſſe
être , peut ſouvent , dans la curation des
maladies , conduire à des erreurs preſque
toujours funeſtes : on , pour mieux dire,
ce defir qu'elle avoit annoncé , formoit
OCTOBRE. 1770 . 151
dans ſes vues une condition eſſentielle
qu'elle entendoit que l'on remplit pour
pouvoir être admis au concours.
N'ayant point trouvé cette condition
remplie dans les pièces qui lui furent envoyées
en 1766 & 1768 , elle avoit été ,
à ces époques , forcée par ce motif de ne
point adjuger le prix; mais, entraînée par
l'importance & l'utilité du ſujet , à le repropoſer
encore , elle n'avoit pas défefpéré
qu'un nouveau travail&de nouveaux
efforts ne puffent enfin lui procurer quelque
ouvrage qui ne lui laiſferoit plus rien
àdefirer ſur la partie du programme qu'el
le avait le plus à coeur.
Son eſpoir à cet égard a été encore
trompé cette année ; & , i elle n'avoit
voulu confulter que la rigueur de la loi
qu'elle s'étoit preſcrite à elle- même , elle
auroit eu encore cette fois , le regret de
ne pouvoir , fur ce ſujet , couronner aucun
des concurrens ; mais , jugeant que
s'il ne leur a pas été poſſible de répondre
plus parfaitement à les vues , s'ils ne fe
font point trouvés dans des circonstances
à pouvoir ſe procurer par la pratique les
obſervations qu'elle auroit defirées , elle
ne pouvoit du moins juſtement laiffer
fans récompenſe les efforts qu'ils ont faits
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
pour la fatisfaire ; & convaincue qu'il
n'eſt pas moins de fon devoir d'encourager
les talens que de les récompenfer ;
trouvant d'ailleurs , dans la pièce N °. IV,
(ayant pour deviſe ces mots : Alta neu
crede Paludi , aut ubi odor cæni gravis ...
Virg. lib. IV. Georg. ) qui , dès 1766 ,
avoit particulièrement fixé ſon attention ,
&que les changemens & les augmentations
que l'auteury a faits , ont rendue
encore plus digne des éloges qu'elle lui
avoit déjà donnés * , un ouvrage qui pouvoit
être préſenté utilement au public ,
cette compagnie s'eſt déterminée à lui accorderune
partie du prix , qu'elle n'avoit
deſtiné qu'à un ouvrage qui eût rempli
fon objet en entier.
i En conféquence , elle a dédoublé ce
prix , & a adjugé à l'auteur de cette pièce
la médaille qui en faifoit partie. Cet auteur
eſt le Sr Fournier - Choiſy , médecin
àMonclar , en Agenois.
11°. Quant à la queſtion propoſée ſur
les moyens de perfectionner le lock , l'académie
n'ayant été fatisfaite d'aucun des
mémoires qui lui ont été envoyés fur co
fujer, elle le repropoſe pour l'année 1772;
*** Programe du 25 Août 1766. 4
OCTOBRE. 1770 . 153
&a réuni au prix qui lui eſt deſtiné , les
trois cents liv . qui faifoient partie de celui
qu'elle a dédouble.
Pour ſujet du prix courant qu'elle aura
en outre à diſtribuer , cette même année
1772 , elle demande : Quels sont les alimens
les plus analogues à l'espèce humaine
2
Elle ne recevra les ouvrages qui lui ſeront
envoyés fur ces deux ſujets, quejuf
qu'au premier Avril , excluſivement.
:
M. Dupaty , avocat - général au parlement
de Bordeaux , * un des membres de
cette compagnie , ayant offert de faire les
frais d'une médaille à diſtribuer par l'a--
cadémie , au meilleur difcours écrit en
françois , dont le ſujet ſera l'Eloge deMichel
de Montagne , elle annonce aujourd'hui
, en propofant auſſi ce ſujet , pour
1772 , qu'elle diſtribuera ce prix dans
une affemblée publique qu'elle tiendra
*C'eſtà ce jeune magiſtrat qui montre tantde
zèle & de goût pour les belles- lettres que l'on eft
déjà redevable du prix qu'il a fondé dans l'Académie
de la Rochelle dont il eſt membre , pour l'é--
loge de Henri IV. Il a lu dans la féance de l'académie
de Bordeaux , que nous venons d'annon
cer ,des confidérationsfur la nature , qui n'ont pu
être faites que par le génie..
154 MERCURE DE FRANCE.
extraordinairement dans la ſemaine de
pâques ; & elle demande cette année que
les ouvrages , quant à ce prix , lui foient
envoyés avant le premier Janvier.
Les auteurs , pour ce ſujer , comme pour
les autres , auront attention de ne point
ſe faire connoître , & de mettre ſeulement
leur nom & leurs qualités dans un
billet cacheté , joint à leur ouvrage .
Les paquets feront affranchis de port ,
& adreſſés à M. de Lamontaigne , fils ,
conſeiller au parlement & fecrétaire pertuel
de l'académie.
Ontrouvera les ouvrages qui ont remporté le
prixde l'académie, chez Briaflon ,à Paris ; Forêt,
àToulouſe ; Chambaud , à Avignon ; Bruiffet , à
Lyon; Lallemand , àRouen ; Couret de Villeneuve,
à Orléans ; & chez la V. Vatar , à Nantes.
'A M. Dupaty , avocat - général du parlement
de Bordeaux , à l'occaſion de
l'éloge de Montagne qu'il a fait propoferpar
l'académie de cette ville & de la
médaille d'or qu'il deſtine au meilleur
difcours.
Magnus ab integro faclorum nafcitur ordo.
VIRG.
:
ENEIN , après mille ans d'une profonde nuit;
Après mille ans de barbarie ,
OCTOBRE. 1770. ISS
Se lève le ſoleil de la philoſophie ,
La lumière paroît , l'ignorance s'enfuit ,
Et , de la vérité la terrible ennemie ,
L'affreuſe erreur ſe cache& fon règne eſt détruit.
Quel changement heureux dans ma triſte patrie ?
C'eſt toi , jeune étranger , c'eſt toi , l'ami des arts
Qui reveilles l'honneur endormi dans nos ames ,
Tu nous preſles , tu nous enflammes ,
Sur le prix des talens tu fixes nos regards.
Oui , nous irons dans les champs de la gloire ,
Nous irons ſur tes pas moiſſonner des lauriers ,
Animés par ta voix , les plus jeunes guerriers
Oferont à l'envi défier la victoire ;
Et moi peut - être , auſſi , plein d'ardeur , à tou
nom ,
(Si mon zèle me trompe,ô Montagne , pardonne, )
J'irai , d'une main foible encore , à ta couronne
Me mêlant dans la foule , attacher un fleuron .
Au nom du créateur de la philoſophie ,
De ce penſeur profond qui nâquit parmi vous ,
Reveillez- vous , fortez de votre léthargie ,
Omes concitoyens , tombez à les genoux .
Votre eſprit eſt glacé , votre ame eſt engourdie ,
Un nouveau jour vous luit , revenez à la vie ,
Quittez ces vains calculs , laiſſez - là vos tréſors ;
Le ſordide intérêt étouffe le génie ;
Que la palme des arts croifle enfin ſur nos bords ;
Et toi , qui de Thémis diriges la balance ,
Toi , de qui les vertus honorent mon pays ,
2
Gvj
136 MERCURE DE FRANCE.
Toi , qui ſur le tombeau duplus grand des Henris
Fis entendre la voix de la reconnoiffance,
Pourfuis , & Dupaty , tes deſtins glorieux ,
Traverſe à pas hardis cette carrière immenfe ,
Toi feul viens de l'ouvrir , nous t'y ſuivrons des
yeux ;
:
Donne- nous les portraits de ces ſages fameux ,
De ces ſages , l'amour & l'orgueil de la France ,
Les Montagnes , les Monteſquieux :
Unjour viendra , qu'on te peindra comme eux.
Afpice venturo latentur ut omnia fæclo.
VIRG.
Par M. Romain de Sexe. -
SPECTACLES..
CONCERT SPIRITUEL...
T
Le famedi 8 Septembre , ona donné au
Concert Spirituel , pour la ſeconde fois,
Cantate Domino , motet à grand choeur
de M. Azais : Mile Delcambre a chanté
dans le goût Italien SalveRegina , moter
à voix feule del Signor Galuppi.
M. Bezozzi , ordinaire de la muſique
du Roi , a reçu de nouveaux témoignages.
de fatisfaction dans l'exécution d'un com
OCTOBRE. 1770 . 157
certo de hautbois de ſa compoſition. M.
l'Abbé Platel a chanté avec le ſuccès qui
lui eſt ordinaire , un nouveau motet à
voix ſeule de M. l'Abbé Girouſt . L'exécution
brillante & précife de M. Caperon
fur le violon , & la belle compoſition de
fon concerto ont été fort applaudis. Le
concert a été terminé par Miserere mei
Deus , motet à grand choeur de M. l'Abbé
Girouft.
OPERA.
LES Fêtes grecques&romaines , ballet
héroïque , repréſenté pour la première
fois en 1723 ; repris en 1733 , 1741 &
1753 ; ont été remiſes au théâtre le mardi
28 Août dernier. Les paroles font de
Fuzelier, & la muſique de Colin de Blamont.
Ce ballet est composé d'un prologue&
de trois entrées , les Jeux olympiques
, les Bacchanales & les Saturnales.
Dans le prologue,le théâtre repréſente
le temple de mémoire orné des ftatues
des grands hommes. Clio, mufe de l'hiftoire
, invite les élèves d'Erato à célébrer
dans leurs chants les héros.
11
1
158 MERCURE DE FRANCE.
Apollon & Terpficore prennent part à
cette fête.
Erato & Apollon célèbrent les louanges
de Terpſicore ,& la muſe de la danſe
en exprime les chants par ſes pas & fes
attitudes.
1
Quelledanſe vive & légère !
Lesjeux , les ris vous ſuivent tous :
Muſe brillante , auprès de vous
On voit plus d'amours qu'à Cythère.
Vous peignez à mes yeux les tranſports des
amans ,
Les tendres ſoins , la flatteuſe eſpérance ,
Le déſeſpoir jaloux , la cruelle vengeance ;
Tous vos pas ſont des ſentimens .
Mlles de Beaumeſnil & Châteauneuf
ont chanté dans le prologue les rôles d'Erato
, muſe de la muſique , & de Clio ,
mufe de l'hiſtoire,M. Caſſaignade a chanté
celui d'Apollon. L'enſemble de ce prologue
a paru agréable. Mlle Guimard y
repréſentoit Terpſicore avec toutes les
graces qui font le charme de fadanſe.
Elle a été remplacée par Mlle Duperey
qui a été auffi très- applaudie. Les ſentimens
qu'elle exprimoit , formoient autant
de tableaux fi vrais , ſi pittoreſques , fi
hardis qu'il a été aifé de s'appercevoir que
OCTOBRE 1770. 159
l'auteur de ce pas étoit M. d'Auberval
qui , le premier , a introduit fur ce théâtre
un genre de danſe de caractère aufli
intéreſſant pour le coeur que flatteur pour
les yeux. M. Veſtris y a danſé une chaconne
, & Mile Dervieux , une entrée.
Cettejeune danſeuſe fait,dans ſon art, des
progrès qui netarderontpas à la placer dans
le rang des premiers talens . Mile Niel
ne donne pas moins d'eſpérances pour le
grand genre de la danſe auquel elle ſe
deſtine avec les avantages que lui donnent
la nature &l'étude .
Les Jeux olympiques ou les jeux de la
lutte &de la danſe font la première entrée
, que l'on avoit différé de donner à
cauſe de la longueur du ſpectacle pour la
faifon. Ils ont été mis au théâtre le
Septembre. Cet acte repréſente le triomphe
d'Alcibiade dans les jeux olympiques,
&l'inconſtance de ſes amours. Alcibiade,
aimé de Timée , la quitte pour Afpafie
, jeune Grecque qui doit diftribuer
les prix aux vainqueurs des jeux . 14
Il chante lui-même l'éloge de l'inconftance.
Notre coeur doit changer fans cefle
Pour n'avoir que d'heureux momens;
160 MERCURE DE FRANCE.
Les premiers jours de la tendreſſe
En ſont les jours les plus charmans .
De la divinité l'amour est le partage.
Les ſoupirs font l'hommage
Qu'exigent de beaux yeux.
:
Gardons-nous de former des chaînes éternelles .
On doit encenſer tous les dieux ;
On doit aimer toutes les belles .
En vain Timée veut lui faire reprendre
ſes premières chaînes en lui diſant :
Reviens; l'amour conſtant près de moi te rappelle..
Tu ne rougis pas de changer ,
Change encore une fois pour devenir fidèle.
2.
Alcibiade lui répond..
Calmez ce dépit éclatant;
Votre courroux m'eſt favorable :
Plus on ſe plaint d'un inconftant ,
Plus on le fait paroître aimable.
r
M. Larrivée , qui n'avoit pas chanté
depuis quelque tems à cauſe d'une indif
poſition , a paru dans le rôle d'Alcibiade:
& a été accueilli avec tranſport par le Public
, charmé de revoir cet acteur &de
jouirde festalens
OCTOBRE. 1770 . 161
Mlle de Beaumeſnil a fait le plus grand
plaifir dans le rôle de Timée , qu'elle a
rendu avec autant d'intérêt que de nobleſſe..
Mlle d'Hauterive , dans le rôle
d'Aſpaſie , Mlle d'Avantois , repréſentant
Zélide , confidente de Timée , & M.Cavallier
, dans le rôle d'Amintas , confident
d'Alcibiade , ont été applaudis.
Mile Heinel , qui paroît dans le choeur
desdanſeuſes telle que Diane au milieu
de ſes nymphes , a bien dédommagé le
Public des regrets qu'il avoit éprouvés en
ne la voyant pas aux premières repréſentations
de la remiſe de ce baller.
Le pas des lutteurs,de la compoſition de
M. d'Auberval , fait honneurà fon génie.
On y admire des ſituations neuves , vigoureuſes
& vraies. Le prix qu'il remporte
& l'hommage qu'il en fait à Mile
Heinel ont été confirmés par les fuffrages
unanimes des ſpectateurs .
Les Bacchanales ou les fêtes de Bac--
chas font la ſeconde entrée. Cléopatre ,
Reine d'Egypte , environnée de la pompe
la plus brillante , vient triompher par
l'éclatde fesattraits de l'indifférence d'Antoine.
Il ne peut réſiſter aux charmes de
la beauté. Il fait l'aveu de ſa défaite en
lui diſant:
162 MERCURE DE FRANCE .
Lorſque loin de vos yeux on me peignoit vos
charmes,
Laſévère raiſon me promettoitdes armes
Contre leurs plus aimables traits ;
Mais , hélas ! quelle différence
D'entendre vanter leur puiflance
Ou de voir briller leurs attraits !
MM. Gelin & Durand ont joué fucceffivement
le rôle de Marc-Antoine , &
M. Muguet celui d'Eros ſon affranchi .
Mile Duplant , repréſentant Cléopatre ,
amisdans fon jeu& dans ſon chant de la
dignité & de l'expreffion.
M. Gardel a été facilement diftingué
par la nobleſſe , le fini & la préciſion de
ſa danſe. Il a exécuté avec applaudiffement
une entrée dans ce divertiſſement ,
ainſi que Mlles Niel & Dervieux .
Les Saturnales ou les fêtes des Eſclaves
font le ſujet de la troiſième entrée.
Délie , parente de Mécène , eſt inftruite
de la paffion qu'a pour elle Tibule,
chevalier Romain , déguisé en efclave
fous le nom d'Arcas. Elle veut l'inquiéter&
lui déclarer elle même ſon amour
par une feinte confidence : Tibule ne ſe
croyant point connu , n'oſe s'attribuer l'aveu
qu'elle fait de ſa tendreſſe .
OCTOBRE. 1770. 163
DÉLIE .
Je mépriſois l'amour , je fuyois ſes plaiſirs
Et je bornois tous mes deſirs
A la paiſible indifférence.
Enſoumettant mon coeur à ſa douce puiſſance ,
L'amour croit s'être bien vengé.
Je l'aurois plutôt outragé ,
Si j'avois prévu la vengeance.
TIBULE .
Vous aimez donc ? l'amour aura ſu vous choiſis
Unamantdignede vous plaire ?
DÉLIE .
Ledieu qui règne dans Cythère
Eſt le plus éclairé des dieux :
L'aimable choix qu'il m'a fait faire
Prouve bien qu'il n'a pas un bandeau ſur les yeux.
Mlle Roſalie , qui fait tous lesjours de
nouveaux progrès dans l'art du chant &
dans le jeu théâtral , a été très- applaudie
repréſentant Délie. Mlle Beaumefnil
qui a chanté enſuite ce rôle , en a ſaiſi
l'eſprit & les finelles. M. Legros a rempli
avec ſupériorité, dans les premières repréſentations
, le rôle de Tibule ; mais
une maladie très-dangereuſe a fait crain
164 MERCURE DE FRANCE.
dre pour ſes jours qui heureuſement font
actuellement hors de danger.
MM.Muguet & Tirot l'ont ſucceſſivement
remplacé avec ſuccès. Ona vu avec
plaifir M. Veſtris & Mlle Guimard joindre
dans ce divertiſſement les graces de
leur danſe à la gaîté de celle de M. d'Auberval
& de Mile Pellin .
C'eſt M. Veſtris qui a compofé les ballets
du prologue & des trois entrées .
Mlle Vincent, dont la voix eſt brillante
& légère , a continué avec applaudiffement
fon debut juſqu'à la dernière repréſentation
des fragmens. Le Roſſignol de
Rameau & l'AriettedeM. Berton, qu'elle
a chantés , ont fait d'autant plus de plaiſir
que l'on s'eſt apperçu dans les accompagnemens
de flute que M. Rault étoit
rentré dans l'orcheſtre où ſon talent le
rend précieux .
COMÉDIE FRANÇOISE.
LES Comédiens François ordinaires du
Roi ont remis ſur leur théâtre , le lundi
3. Septembre , l'Ecole des Bourgeois , comédie
en trois actes , en proſe , de l'Abbé
d'Allainyal .
OCTOBRE . 1770. 163
Cette pièce eſt de l'ancien comique ,
mais de ce comique qui fait tire & qui
peint fortement le ridicule & les moeurs.
Cette Ecole des Bourgeois a pluſieurs ſcènes
très bien faites & dignes de Moliere.
Telle est celle où l'Homme de Condition
obtient , par de feintes politeſſes, le conſentement
d'un bourgeois , oncle de ſa
prétendue , qui étoit le plus oppoſé à ſon
mariage. Cette comédie a été ſupérieurement
jouée par M. & Mde Belcourt ,
par Mde Drouin , par Mlle Doligni , par
MM . Dauberval & Monvel . Les partiſans
de l'ancien genre de la comédie la
reverront avec plaifir.
M. Dorceville a debuté le 23 Août par
le rôle de Titus dans Brutus ; d'Egiſte dans
Mérope ; de D. Pedre dans Inès ; de Lyncée
dans Hypermeneſtre ; de Defronais
dans Dupuis.
Ce jeune acteur a une figure agréable ;
il a du feu , de l'intelligence &un jeu vif
& fenti . Il emploie ſans doute trop de
mouvement & des geſtes trop grands ou
trop multipliés ; mais ces défauts légers
font faciles à corriger , & le public fouhaiteroit
qu'il pût ſe fixer à ce théâtre.
166 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ordinaires du
Roi ont donné ſur leur théâtre , le jeudi
20 Septembre , la première repréſentation
du Nouveau Marié ou les Importuns,
opéra comique en un acte mêlé d'ariettes ;
paroles de M. Cailhava d'Eſtandoux , muſique
deM. Baccelli , compoſiteur italien .
Les Acteurs de cette pièce ſont
Le nouveau Marié , M. Clairval.
La Mariée , Mde Trial.
M. Simon , oncle du Marié , M. Caillot.
LeBailli & fa Femme , père & mère de la
mariée , M. Laruette & Mde Berard.
Le Magiſter , M. Suin .
Le Chirurgien , M. des Broffes.
Le Notaire , M. Toutvoix .
Janot & fdomeſti.
Toinon, ( ques , { }
M. Trial.
Mite Frederick.
Il eſt minuit , on eſt encore à table , &
le nouveau Marié repréſente qu'il eſt
tems de ſe retirer; mais les gens de la
nôce veulent danſer juſqu'au jour; le Magifter
recite un épithalame :
OCTOBRE. 1770 . 167
Hymen , amour ,
Venez en cejour ,
Defcendez.
..
...
La mémoire lui manque , il repète defcendez.
Le nouveau Marié le diſpenſe
d'achever , ſe chargeant de finit l'épithalame
avec la muſe qui l'inſpire . On emmène
la Mariée pour danfer , mais elle
s'écrie qu'elle ne veut danſer qu'avec fon
mari . Le Marié , furieuxde ce contreteins,
dit à Jeannot d'enfermer les importuns&
à Toinon de faire venir ſa femme . Cependant
l'oncle , ſans le conſentement duquel
le mariage a été fait, ſurvient ſans
être apperçu. Ce M. Simon eſt un goguenard
, un railleur qui ſonge au moyen
de ſe venger de fon neveu , &de s'amufer
à ſes dépens , en éprouvant le caractère
de la Mariée. Il ſe cache & éteint les
lumières. Le marié revient dans le ſalon ;
il entend marcher. Il croit que c'eſt ſa
femme , & lui dit beaucoup de galanteries.
Il ſaiſit une main qu'il baiſe avec
tranſport ; mais bientôt il reconnoît que
c'eſt un homme , il appelle du ſecours .
Jeannot vient avec de la lumière ; quelle
furpriſe ! quel effroi pour le maître & le
valet quand ils voient l'oncle dont ils
168 MERCURE DE FRANCE.
..
craignoient fi fort le retour ! le nouveau
marié s'excuſe , mais l'oncle affecte de la
colère; il menace de lui ôter ſon eſtime
& fon bien ; le neveu offre d'expier ſa
faute par ſa ſoumiffion , par ſa complaiſance.
M. Simon le prend au mot , &
comme il doit partir le lendemain , il
exige. -Quoi ? de l'accompagner . -
Non , dit l'oncle, je ne ſuis pas fi cruel
que de vouloir mettre quatre lieues entre
deux nouveaux époux. Il demande.-Un
lit pour ſe repoſer ? Non , mais que
ſon neveu lui tienne compagnie juſqu'au
jour. Le nouveau marié s'afflige de cette
demande.. Enfin l'oncle exige pour ſa
punition qu'il ne dira que deux mots...
Quoi! s'écrie le neveu , que deux mots à
ma femme , lorſque j'ai tant de choſes à
lui dire !. L'oncle infifte & veut choific
deux mots bien fous, bien burleſques, bien
ridicules.. Le Marié ſe ſoumet & promet
d'obéir.. Ces mots ſont ziſte , zeſte ; le neveu
a beau ſe recrier , il n'y a pas moyen
de refuſer à moins de perdre l'amitié &
lebiende ſon oncle .. Le marié dit à fon
valet de prévenir ſa femme ; mais l'oncle
arrête le valet & lui promet cent écus
pour épouſer Toinon à condition qu'il
dira pour toute réponſepif, pouf; & pour
jouir
OCTOBRE. 1770. 169
jouir de l'effet de ſa plaiſanterie , il ſe cache
ſous une table , & force fon neveu par.
fignes à ne pas prononcer d'autres paroles.
Toinon arrive & vient dire au Marié
que ſa femme l'attend ſeule avecune tendre
impatience. Le mari répond ſur un
ton douloureux ziste. La ſervante attribuant
ce mot au mépris , veut en aller
avertir la Mariée ; l'époux l'arrête en lui
repétant avec alarme ziſte , zeste. Elle s'adreſſe
au valet qui répond pif,pouf, dont
la replique eſt un ſoufflet que lui donne
Toinon. La Mariée vient& le neveu lui
dit très- tendrement xiſte , zefte. Elle s'afflige
de ces mots. Le Bailli , la Baillive
& les gens de la noce qui ne peuvent ti
rer d'autre réponſe du nouveau Marié , le
croient fou ; l'oncle rit , mais le neveu eſt
furieux .. Le chirurgien veut le ſaigner ;
le Bailli parle de faire caſſer ſon mariage;
le valet eſt battu par Toinon , & fuyant
ſes coups il renverſe la table. M. Simon
paroît, & fa préſence donne bientôt le
ſens de l'énigme. Le mari s'excuſe , &
Poncle lui -même ramène la joie en donnant
fon confentement au mariage ; il
embraſſe la Mariée & la complimente
d'avoir montré de la douceur dans une
circonftance où tant d'autres femmes au
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
roient fait le diable- à - quatre ; il affure
ſon héritage aux nouveaux époux .
Cette comédie - parade , a été reçue
avec plaifir ; elle a fait rire, & l'auteur a
rempli fon objet. Elle eſt ſupérieurement
jouée . La muſique en eſt agréable. Les
repréſentations ſe continuent avec fuccès.
M. Julien , qui avoit déjà debuté, il y
a quelques années ,ſur ce théâtre , a reparu
dans Ninette à la cour , dans On ne s'aviſe
jamais de tout , dans le Roi& le Fermier ,
dans Ifabelle & Gertrude , & dans d'autres
pièces où il a fait le principal rôle ; cet
acteur a été très - accueilli par le Public ;
il connoît bien la ſcène ; il joue avec
intelligence & fentiment; il chante avec
goût , & il a de la voix ſur - tout dans le
haut. Il peut être très- utile à ce théâtre .
ARTS.
MUSIQUE.
Troiſième recueil de petits airs de chants
de la Comédie Italienne les plus nouveaux
avec accompagnement de mandoline,
dédié à Madame la Baronne
OCTOBRE. 1770. 171
de Cruffol : par M. Pietro Denis. Prix
3 liv. 12 f. A Paris , chez l'auteur ,
rue Montmartre , la porte cochere en
face de la rue Notre-Dame-des- Victoires
, à côté d'un perruquier , & aux
adreſſes ordinairesde muſique.
CES airs font très agréables , & très
bien diſpoſés pour l'inſtrument.
ARCHITECTURE.
Projet d'un temple funéraire deſtiné à
honorer les cendres des Rois & des
grands hommes , par M. Deſprez Architecte
& Profeſſeur de deſſin à l'école
royale militaire, à Paris chez Joulain
marchand d'eſtampes , quai de la
Megiſſerie à la ville de Rome. Prix
6liv.
Ce Projet eſt gravé en trois planches
qui , raſſemblées , portent cinq pieds de
haut fur deux pieds quatre pouces de large.
On y voit le plan général de l'édifice ,
fon élévation & ſes différentes coupes .
L'artiſte a fait uſage d'un ſtyle noble &
ſévère qui convient très-bien à ce genre
1
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
de monument. Ses diſtributions font bien
entendues , & il y a un rapport heureux
entre les parties& le tour. Ce projet avoit
été donné par l'Académie Royale d'Architecture
pour ſujet de ſon prix qui a
été remporté par M. Defprez en juin
1766. L'auteur a fait hommage de fon
travail à M. de Voltaire , dans les ouvrages
duquel il reconnoît avoir puifé
la première idée du ſien.
ΡΕΙΝΤURE.
Le jeudi , 20 Septembre , le St Vincent
de Montpetit , peintre , eut l'honneur de
préſenter au Roi & à toute la Famille
Royale un tableau allégorique repréſentant
Madame la Dauphine peinte dans
une rofe . Cette fleur est accompagnée
d'un lis & forme un bouquet agréablement
nuancé d'immortelles & de feuilles
de roſiers , fortant d'un vaſe de lapis enrichi
d'ornemens en or avec différens artributs
relatifs à l'alliance des auguſtes
Maiſons de France & d'Autriche. :
Au-deſſus du cercle ſupérieur qui orne
le vaſe, eſt placée la couronne du deſtin ,
d'où part de droite &de gauche une chaî
OCTOBRE. 1770 . 173
he de fleurs- de- lis qui va ſe joindre à un
coq & un aigle qui la tiennent , en ſe
jouant , à leur bec , & forment les anſes
du vaſe: ces deux oiſeaux font portés fur
des cornes d'abondance foutenues par le
cercle inférieur. Il eſt écrit ſur la couronne
du deſtin : Sic fata voluere. Dans le
milieu du vaſe ſont deux coeurs accolés ,
formans un foleil rayonnant avec cette
légende : Ilsfont unis pour notre bonheur.
Le pied du vaſe eſt orné dans ſon pourtour
de différens attributs de l'amour conjugal.
On voit fur le devant deux tourterelles
qui ſe careſſent ſur des roſes d'où
partent des branches d'oliviers.
Ce vaſe eſt poſé ſur un tapis de velours
pourpre qui termine le bas de ce tableau
allégorique dans lequel il n'y a aucune
forme ni couleur qui ne ſoit ſymbolique .
On a trouvé le portrait de Madame la
Dauphine fort reſſemblant& la compofition
d'une allégorie neuve & ingénieuſe .
Le pinceau du plus grand fini , joint au
poli de la glace , rend ce chef - d'oeuvre
Téduifant dans toutes ſes parties. Aufli at-
il fait l'admiration de toute la cour , &
amérité au Sr de Montpetit cette fatisfaction
délicieuſe , la récompenſe d'un
artiſte qui préfère la gloire à l'intérêt , &
qui , animé de l'amour de fes Princes ,
Hij
174 MERCURE DE FRANCE.
exprime l'entouſiaſme de ſes ſentimens
par ſes talens.
Ce qui rend encore cetableau plus prétieux
, c'eſt qu'il eſt peintdans la manière
éludorique inventée par le Sr de Montpetit
, pour rendre la peinture à l'huile
inaltérable & tranſmettre aux ſiécles à venir
, avec toute leur fraîcheur , les traits
d'une Princeſſe qui fait le bonheur& l'ornement
de ſon ſiècle.
GRAVURE.
I.
La conversation Espagnole , eſtamped'environ
21 ponces de haut fur is de
large: deffinée & gravée par J. Beauvarlet
, graveur du Roi , d'après le tableau
peint par Carle Vanloo , Chevalier
de l'Ordre du Roi , ſon premier
peintre. Prix 12 liv.AParis, chez l'auteur
, rue du petit-bourbon , attenant
la foire S. Germain.
Un jeune & galant Eſpagnol ſe préſente
reſpectueuſement devant une jolie
femme qui est aſſiſe & paroît occupée à
faire répéter une leçonde muſique à une
OCTOBRE. 1770 . 175
petite fille fort aimable. Derrière elle
une jeune perſonne tenant une guittare
prend part à cette leçon interrompue par
l'arrivée de l'Eſpagnol. La ſcène ſe paſſe
dans un belvedere décoré d'un ordre
d'architecture Toſcan : de grandes arcades
percées à jour , donnent de l'étendue
à cette ſcène , & produiſent des accidens
de lumière très-propres à faire briller
les principaux perſonnages de cette compoſition
,non moins recommandable par
les graces & l'élegance du deſſein , la
douceur des caractères de têtes , & la
richeſſe des étoffes , que par l'agrément
du coſtume Eſpagnol qui eſt auſli celui
de la galanterie. M. Beauvarlet s'eſt ſurpaifé
en quelque forte dans cette nouvelle
gravure ; il a cherché à rendre par
la douceur , la netteté & le fini précieux
de ſon burin , la touche ſuave & la belle
fonte de couleurs du tableau original
qu'il copioit & qui a été expofé au ſalon
du Louvre en 1765 .
I I.
Le Rendez - vous à la Colonne , eſtampe
d'environ 16 pouces de haut fur 12 de
large , gravée par Anne Philberte Coulet,
d'après le tableau original de Ni-
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
colas Berghem . A Paris , chez Lempereur
, graveur du Roi , rue & porte St
Jacques , au - deſſus du petit marché.
Prix , 3 liv.
Unjeune berger fait danſer ici ſa bergère
au fon du chalumeau. La colonne
fert auffide rendez- vous à d'autres amans.
Pluſieurs animaux répandus ſur le ſite de
ce payſage le rendent intéreſſant& carac
tériſent plus particulièrement le genre
favori de Berghem. Mlle Coulet annonce
avantageuſement ſon talent par cette
gravure.
III.
La petite Moiſſonneuse , d'après François
Boucher.
Le petit Muficien , d'après St Quentin.
Tête d'Enfant , d'après Carle Vanloo ;
prix , 16 f. les deux premieres & 1 2 f.
ladernière. A Paris , chez Briceau, rue
St Honoré près l'Oratoire .
Ces trois eſtampes , dont les deux premières
font pendant , ont été gravées avec
foin par le Sr Briceau , dans la manière
du deſſin au crayon rouge.
OCTOBRE. 1770. 177
:
IV.
Portrait de Henri IV , Roi de France ,
deſſiné par C. N. Cochin & gravé pat
L. J. Cathelin . A Paris , chez Buldet ,
rue de Gèvres ; prix , 1 liv. 4 f.
Ce portrait , qui eſt de profil & en formede
médaillon , fait pendant à celui de
Sa Majesté Louis XV , deſſiné par le même
artiſte &gravé par Prevoſt.
Portrait de Sa Majesté Louis XV, gravé
d'après le tableau original de Michel
Vanloo , peintre du Roi. A Paris, chez
Bonnet , graveur , rue Galande , place
Maubert; prix , 3. liv .
Ce portrait eſt vu des trois quarts. Il
eſt gravé dans la manière du deſſin au
crayon noir eftompé . L'eſtampe porte 19
pouces de haut fur 14de large.
Le même artiſte diſtribue chez lui le
portrait de M. René de Caradeuc de la
Chalotais. Ce portrait eſt de profil & ren.
fermé dans un médaillon. Il a été deſſiné
par C. N. Cochin & gravé par C. Вагов.
Prix , 1 liv. 4. f
178 MERCURE DE FRANCE.
V.
Portrait de Joseph Vernet , peintre du
Roi , peint par L. M. Vanloo en 1768
& gravé par L. J. Cathelin en 1770.
AParis , chez l'auteur , rue St Andrédes-
Arts , la première porte cochere à
droite en entrant par le pont St Mi
chel ; prix , 3 liv.
L'artiſte , qui eſt ici repréſenté avec
beaucoup de vérité , eſt vu de face& en
robe de chambre. Il tient ſa palette &
ſes pinceaux , & paroît échauffé du génie
que l'on admire dans ſes tableaux. L'eframpe
a environ 14pouces de haut fur I
de large. La gravure en eſt de très- bon
goût & du meilleur effer.
V I.
Portrait d'Hubert Gravelot, gravé parJ
Maſſard d'après le tableau original de
M. de la Tour. A Paris , chez Maffard,
rue des Francs - Bourgeois porte StMi
chel , maifon de M. Gouin .
Les deſſins de M. Gravelot font bien
connus des amateurs. Le portrait de cet
artiſte eft ici vu des trois quarts ; & il eft
renfermé dans un médaillon.
OCTOBRE. 1770. 179
VII .
Portrait de Pierre- Louis Dubus de Preville
, Comédien François & penſionnaire
du Roi , deſſiné & gravé par Romanet.
A Paris , chez l'auteur , place
du pont St Michel , vis-à-vis le quai
des Auguſtins , maiſon de Mde Petit-
Jean , marchande chapeliere . Prix , 2
liv. 8 f.
M. Romaner s'eſt ici étudié à nous rappeler
, avec toute la vérité poſſible , les
traits d'un acteur qui fait l'agrément de
nôtre ſcène comique. Son portrait , ſous
l'habillement de Criſpin , eſt en buſte &
vu des trois quarts. Il eſt renfermé dans
un médaillon d'environ 11 pouces de
haut fur 9 de large. Au bas de ce médaillon,
ſont placés des marques , une marotte
& autres attributs de la comédie , &
fix vers françois à la louange de l'acteur.
LETTRE à l'Auteur du Mercure
de France.
VOULEZ -YOUS bien , Monfieur , me faire le
plaifir d'inférer cette Lettre dans votre Journal ?
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
On a répandu dans le Public un fragment de ré
ponſe de M. Patte à M. le Marquis de Marigny ,
déjà imprimé dans votre Mercure , avec des additions
manufcrites qui paroiſſent du même auteus.
On y avance aflez légèrement que les écrits anonymes
comportent la mauvaise foi , & font la marque
infaillible d'une mauvaiſe cause. Il faut donc
détruire ces apparences ſuſpectes & le nommer.
** C'eſt le moyen de s'appliquer cette maxime :
Quand j'accuſe que qu'un , je le dois & me
'nomme avec plus de justice que ne fait M. Patte ,
qui ne le devoit pas , au lieu que je le dois à la
juſtice &à l'amitié.
Je' me fuis couvert de l'anonyme parce qu'il
étoit aſſez généralement convenu chez tous les
habiles architectes & chez les praticiens éclairés ,
que le mémoire de M. Patte ne méritoit pas qu'on
ý répondît ſérieuſement. On préfumoit que l'agrefleur
pourroit annoncer ſon triomphe dans
quelques cafés & perfuader des perſonnes peu inftruites
dans ces matières , mais on penſoit que le
cri général d'improbation étouferoit ce foible:
bruit. Je ſerai ſans doute blamé par ces artiſtes
de m'être nommé , je les prie de me le pardonner,
M. Patte paroîtdéſirer de connoître ceux qui blâ
ment ſa conduite , je crois devoir le ſatisfaire en
sequi me concerne.
Je déclare donc nettement que je ſuis l'auteur
dela brochure intitulée , Doutes raisonnables d'un
Marguillier, & c. qui ſe ſent , à la vérité, d'avoir
été écrite & imprimée à la hâte ; maisje defirois la
voir paroître avant les autres plaiſanteries que je
favois qu'on préparoit à M. Patre. Quoique je
• fufle aflez d'avis que ſon attaque ne méritoit pas.
qu'on la repouísât autrement que par l'ironie ,je
OCTOBRE. 1770. 18г
croyois cependant qu'on ne devoit l'employer
qu'en y joignant des raiſons ſérieuſes , quoique
préſentées d'une façon badıne. Il me paroifloit néceflaire
d'indiquer aux honnêtes gens qui cherchent
la vérité de bonne foi , en quorconſiſtoit le
captieux de ce mémore. Mais, en prenant ce ton
de plaifanterie , je ne crus pas devoir me faire con-
Boître; perfuadé que, lorſqu'on ſe nomme , on ſe
doit à ſoi-même de parler ſérieuſement.
J'ai doncdit & je ſoutiens encore que toutes les
démonstrations de M. Patte , juſtes ou non , tombentd'elles
- mêmes , puiſqu'elles ne font point
applicables à la coupole que M. Souflot ſe propoſe
d'élever , &qui fait le véritable fond de la queftion
: qu'elles ne font relatives qu'à une ſuppoſi--
tion de coupole placée différemment & d'une autre
eſpèce.
J'ai crû devoir faire ſentir à M. Patte que ſom
procédé , en fafcinant les yeux du Public par un
étalage ſuperflu d'algèbre pour couvrir un raifonnement
fondé fur une ſuppoſition fauſſe & étrangère
à la queſtion , ne pouvoit que lui attirer l'a
nimadverfion des honnêtes gens quien appercevroient
le faux. Sur quoi je renvoie aux doutes du
Marguillier ,en continuant de maintenir la vérité
de tout ce que cebon citoyen a avancé.
Je ſoutiens également à M. Patte qu'il m'a dit
lui-même , avant que de publier ſon mémoire ,
qu'il s'en rapporteroit au jugement de M. Peronet,
qu'il le reconnoifloit pour être profond dans la
théorie&dans la pratique. Cependant , lorſque
M. Pattea vu que la déciſion de ce dernier étoit
entierement en faveur de M. Souflot , il a recufé
lejuge que lui- même avoit choiſi . C'eſt au Public
àjuger de ce qu'on doit penſer d'une telle cong
Suite,
182 MERCURE DE FRANCE.
J'ai quelque répugnance cependant à attribuer
àM. Patte les additions manuſcrites que l'on diftribue
ſous ſon nom , attendu les fauſſetés , les
petits detours & les faux- fuyans captieux quej'auroispeine
à croire qu'il fût capable de ſe permettre.
Il eſt faux , par exemple , que la voûte du
foyer de la ſalle de la comédie, à Lyon , ſoit tombée
, mais il eſt vrai que l'architecte qui avoit été
chargéde veillerà ſa conſtruction en l'abſence de
M. Soufiot , s'appercevant que l'entrepreneur n'avoit
pas pris les ſoins qu'il jugeoit néceflaires pour
ſa meilleure exécution, en a fait démolir une partie
commencée & l'a fait refaire ſous ſes yeux. Sur
quoi l'on demande à M. Patte depuis quand on a
droit de blâmer un architecte de la févérité qu'il
cmplois pour affurer la ſolidité de ſes ouvrages ?
Etpeut-on hafarder des affertions dont la faufferé
prouvée a droit de nous faire rougir ? Il eſt notoire
que,depuis que cette voûte a été achevée & donnéc
pour telle , elle n'a point varié.
Il n'étoit pas difficile de prévoir que M. Patte
n'accepteroit point le pari propoſé par M. Souflot,
jene le parierois pas, maisj'en jurerois , dit M.
Waip dans la comédie de l'Ecofloiſe; il propoſe
un autre défi dans lequel il ne hafarde rien. Mais
les deux propofitions ne font pas dans le même degréde
faveur. M. Patte eſt l'agrefleur , & par conléquent
n'a pas le choix des armes . Son refus ,
malgré les raiſons entortillées dont il tâche de le
colorer , eſt plus clair qu'ilne le penſe ; s'il étoie
en état de prouver que ſon équation démontre
Pimpoſſibilité d'exécuter la coupole de M. Souffor,
il devoit accepter le pari : fi elle ne le démontre
pas , comme il eſt forcé de l'avouer dans la lettre,
elle eſt inutile& étrangère à la question. Comment
donc qualifier cette levée de bouclier ?
OCTOBRE. 1770 . 183
M. Patte finit par aſſurer qu'il defire de tout fòn
ecoeur que l'architecte de Ste Genevieve puifle produire
des moyens de conſtruction qui ſoient reputés
exécutables au dire des principaux favar's ,
ſeulsjuges competens dans une pareille matière.
Ilauroitdéjà en cette fatisfaction s'il eût accepté
la gageure , & plutôt encore , s'il eût voulu s'en
rapporter à M. Peronet , juge très-compétent , &
dont nul autre n'appelleroit. Mais il la lui faut
pleine& entière, & il peut se tranquillifer; car,
indépendamment de quelques ouvrages où cette
vérité ſera démontrée géométriquement , l'Académie
d'architecture prononcera , a alors tout fera
dit.
Je fuis, &c.
COCHIN.
EPREUVE des Horloges marines de
M. Ferdinand Berthoud.
Le filence queM. Berthoud s'est impolejul
qu'à préſent fur les nouvelles recherches qu'il a
faites pour déterminer les langitudes en mer , par
le ſecours des horloges marines , a pu faire penſer
au Public qu'elles n'avoient pas eu le fuccès qu'on
s'en étoit promis. Mais, quelque empreflé que fût
cer artiſte d'obtenir des fuftrages qui l'auroient
flatré, il ne lui a pas été permis d'expofer aux yeux
du Public le travail qui auroit pu les lui mériter.
Engagé par des ordres ſupérieurs à l'exécution des
horloges marinesdont Sa Majeité faifoit les frais
A
184 MERCURE DE FRANCE.
4
&dont Elle s'étoit réſervé de faire faire les épre
ves , M. Berthoud n'a point dû mettre ſes horlo
ges au concours , lorſque l'Académie des ſciences
a propoſé pour le ſujet du prix des années 1767 ,
63 & 70 de la meilleure manière de mesurer le
tems en mer. On fait cependant que , depuis près
de vingt ans , M. Berthoud s'occupoit de ces re
cherches importantes , & M. l'Abbé Chappe , dont
l'Europe entière regrette la perte rendit compte
àl'académiedes fciences , dans la ſéance publique
du 14 Novembre 1764 , de la ſuite des travaux
qui , juſqu'à cette époque , avoient occupé M.
Berthoud. Dix ans auparavant , dès le 20 Novembre
1754 , cet artiſte avoit conſigné au ſecrérariat
de l'académie la théorie & les plans des horloges
marines qu'il avoit exécutées ; il rendit public
une partie de ſon travail dans fon Effaifur
Horlogerie, qui parut en 1763 .
La célébrité de M. Berthoud engagea , dans
Tannée 1764 , M. le Duc de Choiſeul , alors miniſtre
de la marine , à faire faire l'épreuve d'une
montre , de l'invention de cet artiste , & propre à
déterminer les longitudes . Sa Majefté chargeaM..
P'Abbé Chappe de faire à Breft , & fur mer , les
obſervations qui ſeroient néceſſaires pour conftater
la validité de l'épreuve. Cette montre eſt la
première machine de cette eſpèce qui ait été effayée
en France. M. l'Abbé Chappe rendit compte
du ſuccès de l'épreuve dans le mémoire qu'il lut
àla ſéance publique de l'académie , tenue le 14
Novembre 1764. On est étonné de ne point trouver
ce mémoire dans le recueil de ceux que l'Aca
démie a fait imprimer pour la même année &
pour les années ſuivantes. Il réſulta, de l'épreuve,
que la montre de M. Berthoud n'avoit pas varié
de plus de trois ſecondes un dixième parjour l'un
OCTOBRE. 1770, 185
portant l'autre ; c'est-à-dire , qu'elle auroit donné
la longitude à la préciſion d'un demi- degré , à-peuprès
, dans une traverſée de fix ſemaines. Cepremier
eflai ne fatisfit pas M. Berthoud ; il avoit
reconnu que certaines parties de la machine
avoient beſoin d'être perfectionnées : il entreprit
avec courage un nouveau travail , dans lequel ,
fans abandonner ſes principes , il s'occupa à en
rectifier l'application.
Dès ce tems il travailla par l'ordre & aux frais
du Roi , & en 1768 , il fut en état de livrer deux
nouvelles horloges marines de ſon invention ,
dont Sa Majefté ordonna l'épreuve . Elle fit armer
pour cet effet au port de Rochefort , une frégate
dont elle confia le commandement à M. d'Eveux
de Fleurieu , enſeigne de vaifleau ; elle nomma
M. Pingré , chanoine régulier de Ste Génevieve ,
de l'académie des ſciences , aſtronome géographe
de la marine , pout faire conjointement , avec M.
de Fleurieu , toutes les obſervations quidevoient
concourir à vérifier la marche des horloges deM.
Berthoud , & à s'aflurer du degré d'exactitude auquel
ces machines pouvoient donner les longitu
des enmer.
Jamais épreuve ne fut plus longue , plus ſévère&
plus authentique. Sa durée a été de plus d'une
année: la multiplicité des relâches a prévenu les
compenfations d'erreurs: les obſervations ſont ſi
nombreuſes & faites avec une ſi grande préciſion
qu'elles doivent inſpirer la confiance la plus entière.
Quant à la forme qu'on s'étoit preſcrite dans
l'épreuve , elle ne paroît rien laiſſer à defirer. Les
horloges étoient fermées ſous trois clefs : MM. de
Fleurieu & Pingré en avoient chacun une diffésente
, & la troiſième reſtoit entre les mains de
l'officier qui étoit chargé de la garde de la frégate
186 MERCURE DE FRANCE.
dans le port , ou du quart à la mer. Les caiſſes des
horloges ne pouvoient jamais être ouvertes ſans
le concours des trois témoins. Toutes les obfervations
aſtronomiques ont été faites ſéparément
par M. de Fleurieu & par M. Pingré , en préſence
des officiers de la frégate , qui ont figné au procès-
verbal de chaque obſervation , qu'on a dreflé
ſur le lieu même qui fervoit d'obſervatoire. Chaque
procès-verbal fut envoyé , dans ſon tems , à
M. le Ducde Praſlin , miniſtre & fecrétaire d'état
au département de la marine ; & il en a été laillé
une copie aux gouverneurs des places ou aux conſulsde
la nation dans les ports où l'on a relâché.
C'eſt de cette épreuve dont il nous est aujourd'hui
permis de rendre compte , &dont le Public
ignore entièrement le ſuccès; car on en auroiz
une idée peu exacte , ſi on la jugeoit d'après ce
quenous en avons ditdans notre Journal du mois
de Juillet 1770 , ( pag. 1433 ) & que nous n'avons
pas pu rapporter avec plus de certitude ,
n'ayant pas encore connoiflance des procès- verbaux
dont on vient de parler. On y lit que « les
>>>horloges marines de M. Berthoud ont donné la
longitude affez exactement , quoiqu'il foit vrai
qu'une des deux ait été arrêtée. » On pourra juger
de l'exactitude de ces machines d'après l'extrait
que nous allons donner , & que nous tirerons
du rapport que l'Académie des ſciences a
adreflé à M. le Duc de Praßin , qui avoit ſoumis à
l'examen de cette ſavante compagnie le recueil
des obſervations de MM. de Fleurieu & Pingré.
Quant à l'affertion , qu'une des deux horlogess'eft
errêtée, nous devons à la vérité de rapporter le
fait qui a donné lieu à cette imputation. Le 3
Mars , à Cadix , MM de Fleurieu & Pingré s'étoient
tranſportésà l'obſervatoire pour y prendre
OCTOBRE. 1770. 187
deshauteurs correſpondantesdu ſoleil : la mer devint
fi orageuſe & le vent ſi violent qu'il ne leur
fut pas poſſible de ſe rendre à la frégate avant fix
heures du foir. Les horloges n'avoient point été
remontées. Celle que nous déſignerons ſous le
nom d'horloge Nº. 6 , & qui ne peut marcher plus
de 28 heures , étoit à bas lorſqu'on put regagner
la frégate : la ſeconde horloge, ſous le nom de
Nº. 8 , étoit encore en mouvement. On remonta
l'une & l'autre , & l'on remit les éguilles de l'horloge
Nº. 6 ſur celles du No. 8 , en conſervant cependant
, dans le rapport du tems qu'on fit marqueraux
deux horloges , la même différence qu'on
yavoitobſervée la veille. On dreſſa un procèsverbal
qui fut envoyé à M. le Duc de Praſflin , &
qui apaílé ſous les yeux de l'Académie des ſciences
. L'Académie n'a pas conclu que l'horloge Nº. 6
ſe fûtarrêtée.
La durée de l'épreuve des horloges de M. Berthoud
comprend pluſieurs périodes qui peuvent
être regardées comme autant d'épreuves particulières.
Nous ne pouvons donner ici que des réfultats:
il nenous eſt pas poſſible d'entrer dans le ddtaildes
obſervations &des calculs .
Du 18 Janvier 1768 , jour où l'on fit des obſervations
à l'ifle d'Aix , juſqu'au 4 Mars , jour
auquel on fit de nouvelles obſervations à Cadix ,
c'est-à-dire après un intervalle de quarante - cinq
jours, l'erreur de chaque horloge marine n'a été
que d'unfixième dedegré.
En comptant d'après le mouvement moyen de
chaque horloge , tel qu'on l'avoit établi à Cadir,
du 4 Mars au 27 du même mois , jour auquel on
a fait des obſervations à Ste Croix de Ténériffe ,
aprèsvingt- troisjours , l'horloge No. 8 a donné
188 MERCURE DE FRANCE.
pour la longitude de ce port , à deux minutes de
degréprès , celle que le P. Feuillée a déterminée
par des obfervations aſtronomiques. L'horloge
N'. 6 donnoit une erreur de cinq minutes de
degré.
Du 4 Mars au 7 Avril , jour auquel on a faitdes
obſervations à l'ifle de Gorée , après trente-quatre
jours, la longitude donnée par chaque horloge a
étéfort approchante de celle que MM. Deshayes ,
de Glos & Varin , de l'Académie des ſciences , ont
établie pour ce port ; mais cette longitude ne paroît
pas aflez bien conſtatée .
Entre les obſervations qui avoient été faites à
Cadix le 4 Mars , & celles qu'on fit au Fort Royal
de la Martinique le it Mai ſuivant , il s'étoit
écoulé ſoixante-huit jours. Le 13 Avril , on avoit
vérifié dans la rade de la Praya , le mouvement
moyen de chaque horloge , & on avoit reconnu
qu'à cette époque celui de l'horloge No. 8 retardoit
de trois ſecondes , & celui de l'horloge Nº . 6
dedeux lecondes deux dixièmes de plus qu'à Cadix.
En employant , du 4 Mars au 13 Avril , pendant
quarante jours , le mouvement moyen obfervé
à Cadix , & du 13 Avril au 11 Mai , pendant
vingt-huit jours , le mouvement moyen obſervé
à la Praya , l'horloge No. 8 , après foixantehuitjours
, a donné la longitude du Fort Royal ,
àun tiers de degré près , la même que celle qu'on
conclut des obſervations que le P. Feuillée avoit
faites au Gros-Morne de la Martinique. L'erreur
étoit la même pour l'horloge N° . 6.
Si l'on emploie parcillement , du4Mars au 13
Avril , le mouvement moyen obſervé à Cadix , &
du 30 Avril au 30 Mai , celui qu'on reconnut à la
Praya ,l'horloge No.8 , après quatre- vingt -fext
OCTOBRE. 1770 .
!
189
jours , adonné la longitude du Cap- François de
St Domingue la même , à un demi degré près , que
celle que MM. de Fleurieu& Pingré ont conclue
des hauteurs de la lune qu'ils ont obſervée dans
cette ville , &du paſſage de Vénus devant le difque
du ſoleil. L'erreur de l'horloge Ns . 6 n'étoit
que de vingt- cinq minutes dedegré.
Dans la périodede cent quarante-quatrejours ,
qui eſt l'intervalle de tems compris entre les deux
ſtations faitesà Ste Croix de Ténériffe , en ayant
égard , comme cela doit être , aux vérifications
du mouvement moyen faites dans les différentes
relâches , l'erreur de chaque horloge a été de cinquante
minutes de degré.
De Ténériffe à Cadix , après quarante-fixjours,
l'erreur de l'horloge N°. 8 n'a été que de huit minutes
de degré : celle de l'horloge No. 6 a été de
cinquante minutes.
Dans la période de deux cent quatorze jours ,
qui eſt l'intervalle compris entre les deux ſtations
faites à Cadis , l'erreur de l'horloge Nº . 8 a été
des trois quarts d'un degré , & celle de l'horloge
No.6 , d'undegré & demi.
DeCadix à l'ifle d'Aix , après vingt- quatre jours,
P'erreur de l'horloge N 8 a été d'un fixième de
degré: celledel'horlogeNo.6 , d'unpeu plus d'un
quart.
:
Dans la période de deux cent quatre-vingt-ſept
jours, compriſe entre les deux ſtations faites à
T'ifle d'Aix , on a pour l'erreur de l'horloge Nº . 8 ,
cinquante - quatre minutes de degré , & un degré
cinquante minutes pour celle de l'horloge No. 6 .
L'uſage continuel que M. de Fleurieu a fait de
ceshorloges pour diriger fûrement la route de la
frégate,& la préciſion des atterrages eſt uns
نوم MERCURE DE FRANCE.
preuve nouvelle de leut utilité&de leur exactitude.
Nous remarquerons , en finiſſant , que les variations
de l'horloge N°. 8 ont été à-peu près los
mêmes dans tout le cours de l'épreuve. Son retardjournalier
a augmenté progreſſivement; mais
dans aucun cas , cette augmentation n'a donné
une erreur d'un densi degré , après une intervalle
dequarante- cing jours. L'erreur n'a ſouvent été
qu'àun tiers , à un quart& même à un fixième de
degré.
Les variations de l'horloge N°. 6 ont été trèspeu
confidérables dans les fix premiers mois de
l'épreuve: cen'eſt que dans les derniers que ſa régularité
s'eſt altérée plus ſenſiblement. Maisnous
nedevons pas laifler ignorer qu'avant l'épreuve
M. Berthoud avoit déclaré , dans un écrit adreflé
àM. leDuc de Praſlin , que l'horloge N°. 8 , par
la nature de ſes principes & de la conſtruction .
étoit fufceptible d'une plus grande juſteſſe que
I'horlogeN°. 6.
Nous ne nous arrêterons point à relever ici le
mérite du travail de M. Berthoud. Les productions
médiocres ont ſeules beſoin d'être exaltées : avec
ce ſecours on parvient quelquefois à faire illuſion
àla multitude ; mais on ne trompe jamais les Sçavans:
ils renverſent le phantôme & jugent l'homme.
Les ſuccès de M. Berthoud pouvoient ſuffire
àſa gloire & à ſon ambition ; mais nous apprenons
que M. le Duc de Praſlin , toujours occupé à
favorifer ,, par des encouragemens les progrès
des ſciences , &fur-tout de la navigation , ayant
rendu compte au Roi de l'épreuve des horloges
marines deM. Berthoud , SaMajesté , en confidé.
xation des recherches multipliées& des ſuccès de
setArtiſte, vient de lui accorder une penſion de
1
OCTOBRE. 1770 19
trois mille livres , à titre d'appointemens , avec la
qualité d'Horloger Mécanicien du Roi & de la
Marine , ayant l'inſpectiondes horloges marines.
LETTRE fur les avantages de l'inoculation;
par M. Jauberthon , ancien chirurgien
des hôpitaux.
LESEs avantages de l'inoculation ſont fi précieux
àl'humanité , & le Public eſt ſi aveugle &fi indifférent
ſur ſes plus grands intérêts , qu'on ne
peut trop prendre de loin pour lui faire voir la
vérité ſur un objet d'une auſſi grande importance.
Quand l'inoculation parut en France , ledanger
qu'elle tenoit encore de l'imperfection des
méthodes fit que bien de gens ne la redoutoient
pasmoins que la petite vérole naturelle. Mainrenant
que l'art plus perfectionné la fait paroître.
fans danger , la légèreté de la maladie qu'elle
donne a formé un préjugé contre l'avantage
qu'elle a de préſerver d'une analadie auffi dangereule
que déſagréable. Envain les inoculateurs
ont-ils réinoculé une ſeconde fois ceux qui étoient
dans la crante de recevoir encore la perite vérole
de la nature , pour n'en avoir reçu qu'une trèslégèrede
l'art : ceux-ci étoient induſtrieux à trouver
des raifons de l'inutilité de la ſeconde opération.
M. Dimsdal, médecin Anglois , a fait plus ;
il a inoculé avec le pus de ceux qui , n'ayant eu
qu'un très- petit nombre de boutons , ne croyoient
point avoireu la petite vérole , & ces inoculations
ont réuſſi. Je vais vous fournir une obſervation
192 MERCURE DE FRANCE.
finguliere qui prouve la même choſe J'eſpère que
vous voudrez bien contribuer à raffurer le Public,
en l'inférantdans votre Mercure prochain. Le 13
Février dernier , j'eus l'honneur d'inoculer Mde
laDuchefle de Beauvilliers , qui avoit été préparée
à cette opération par M. de Bordeu ſon médecin.
L'infertion fut faite aux deux bras par la fimple
piquure;méthode que j'ai déjà pratiquée à Paris
fur plus de cent ſujets , avec un ſuccès conſtant.
Tous les accidens de la petite vérole parurent à
l'ordinaires mais l'éruption ne procura que trois
puſtules dans l'endroit même de l'inſertion qui ,
jointes à l'odeur varioleuſe qui ſe fit fortement
ſentir pendant pluſieurs jours , ne permettoit pas
aux gens de l'art de douter de la réalité de la petite
vérole. Mais ſa bénignité la fit regarder de
Mde la Duchefle & de ſa famille , comme une maladie
inutile , qui ne la préſerveroit point de la
petite vérole naturelle ; & , malgré la confiance
que le ſavoir & les ſuccès avoient fait mériter à
M. de Bordeu dans cette famille , ſon témoignage
ne fit que diminuer les craintes & la prévention.
Il faut , Monfieur , s'être trouvé dans des circonſtances
auffi critiques pour ſe repréſentér l'embarras
pénible d'un inoculateur qui s'intéreſſe vivement
à la tranquillité & au ſalut de ſes malades,
& qui croit voir dans les paroles , les geſtes , le
maintien&le regard de ceux qui les environnent,
des reproches d'un mal qu'il regarde lui - même
comme unbienfait de la nature.
Le rapport exact & fidèle d'une infinité d'exemples
ſemblables , ne faiſant que peu d'effet pour
la perfuafion , non- ſeulement je réfolus de réineculer
Mde de Beauvilliers , mais je propoſai encoze
d'inoculer un autre ſujet avec de la matière ti-
Fée
OCTOBRE. 1770 . 193
réede les boutons qu'on ne vouloit point regarder
comme varioleux . Ma propoſition ayant été
acceptée , le 25 Février j'inoculai avec le pus une
petite fille de la campagne , âgée de huit ans , par
la fimple piquure. Dès le troiſième jour , les premières
marques de l'inſertion parurent aux deux
bras , tous les autres accidens ſuivirent de près ,
& plus de cent boutons répandus tant fur les bras
que ſur le reſte du corps , ne permettoit pas même
à ceux qui auroient été les moins clairvoyans
de douter de l'exiſtence de la petite vérole. Dans
le même tems j'inocular Mde la Ducheſle pour la
ſeconde fois , avec de la nouvelle matière priſe
d'une petite vérole naturelle , ſans qu'elle ait refſenti
le moindre effetde cette opération .
Mde la Duchefle voyoit à chaque inſtant la petite
inoculée , qui habita toujours dans la même
maifon , la touchoit ſouvent dans le plus fort de
l'éruption , & reſpiroit le même air ; mais ce fut
en vain ; elle avoit payé le tribut à la nature & à
l'art , elle n'étoit plus fufceptible de contagion .
Cette nouvelle inſertion , & la petite inoculée
à qui Mde la Duchefle avoit donné la petite vérole
, lui auroient procuré un nouveau levain , s'il
eût été vrai que le premier n'eût fait qu'impa faitement
ſon opération. En effet cette petite fille
étant retournée chez ſa mere , avant que les croûtes
de ſesbras fuſſent entierement détachées , elle
communiqua naturellement la petite vérole à ſes
freres & foeurs qui l'eurent confluente.
Tous ces faits font atteſtés par les illuftres parens
de Mde la Duchefle & autres perſonnes de
qualité qu: l'ont viſitée & qui ont affifté aux inoculations
, & par des gens de l'art qui ont obſervé
, comme moi , la marche de la maladie Je me
I. Vol. 1
194 MERCURE DE FRANCE.
crois donc en droit de conclure que la variété
qu'on obſerve dans la petite vérole naturelle ou
inoculée , dépend moins de la nature ou de l'intenſité
du virus , que du tempérament ou de la
diſpoſition particulière des ſujets , ainſi que du traitement
de la maladie : en ſecond lieu , que l'éruption
ſoit légère ou confidérable , qu'il n'y ait
qu'un ſeul bouton ou qu'il y en ait cent mille , la
maladie eſt la même de ſa nature ; & par conféquent
cette obſervation eſt très- propre a raflurer
ceux quin'ont eu ou qui n'auront àl'avenir qu'une
très-petite quantiré deboutons , par la petite vérole
naturelle ou inoculée.
J'ai l'honneur , &c.
JAUBERTHON.
Il eſtbonde faireobſerver que Mde la Ducheſſe
&la petite fille inoculée ont été aſſujetties pendant
le traitement , au régime ordinaire , mais
plus végétal qu'animal. Elles n'ont point ceflé
d'être expoſées au grand air & de ſe promener
tous les jours dans les jardins ou en pleine campagne
, malgré la rigueur de la ſaiſon : c'eſt à ce
régime ſi peumeſuré en apparence , & que le préjugé
a rendu ſi redoutable , que la petite vérole
inoculée doit principalement la bénignité.
OCTOBRÉ. 1770. 195
ACTES degénérosité & de bienfaisance.
I.
UN enfant de douze ans , fils d'un militaire
, l'ami & le bienfaiteur des foldats
de ſa compagnie & des malheureux
qu'il peut fecourir , vient de donner un
trait de bonté & de générosité digne d'être
conſervé . Le pere de cet enfant avoit
cautionné pourunemploi un homme qui,
s'y étant mal comporté , fut renvoyé en
laiffant dans ſa recette un vuide de deux
mille écus que ſa caution a été obligée de
payer. La choſe étoit teſtée inconnue à
ſa famille & à ſes amis , lorſqu'un jour
cet homme vint ſe préſenter dans la maiſonde
ſon protecteur. Madame , épouſe
de l'officier , mere de l'enfant , fit à ce
jeune homme une leçon ſur ſon inconduite
: cette juſte remontrance l'affe-
Eta beaucoup , & l'enfant , témoin de
fon chagrin , crut le confoler & contenter
ſa mere en s'écriant par un ſentiment
d'humanité : » Maman , vous m'avez dit
>> qu'une parente m'avoit laiſſé , l'année
>> dernière , un legs de quatre mille li-
>> vres; cette fomme peut remplacer en
I ij
1.96 MERCURE DE FRANCE.
>>partie celle que cet infortuné doit à
>> mon papa ; rendez lui vos bontés ; il
>>ferpit trop à plaindre de les perdre ſans
>>>retour . » Ce cri d'un coeur bienfaifant
dans un âge fi foible , tira des larmes de
joie & de tendreſſe des père & mere &
⚫de l'aſſemblée.
I I.
Claude Péchon , agé de 38 ans , pere
de huit enfans , pauvre vigneron du village
de Mombré - lex- Reims , reçut chez
lui le 10 Mars de cette année un beaufrère
infirme & à charge à ſa famille ,
qu'il s'étoit engagé de nourrir & loger le
refte de ſa vie moyennant une donation
d'un bien modique évalué 400 livres. Le
penſionnaire tombe malade le lendemain
11 , meurt le 12 , eſt enterré le 13. Après
l'office célébré , on ſe rend à la cabanne
dudéfunt ; alors Claude Péchon remet
les titres du bien qui lui avoit été donné
, &, malgré les remontrances du Curé
& du Notaire , il remet la donation , difant
que pour deuxjours qu'il a gardéfon
penfionnaire il ne veut pas avoir , aupréjudice
desesparens laconfcience chargée d'un
bien acquis à fi bon marché.
Ephémérides du Citoyen.
OCTOBRE. 1770. 197
ANECDOTES.
I.
N dit que la le Couvreur rioit avecle
parterre des pieces qui prenoient mal', &
contribuoit à leur chûte au lieu de les
foutenir ; elle faiſoit ſa cour au parterre
aux dépens des fauteurs. Par ce manege ,
preſque toutes les pieces nouvelles où
elle jouoit tomboient , malgré ſes talens.
I I.
L'Epreuve réciproque. Comme cette
piece eſt fort courte ; au fortir de la premiere
repréſentation Lamotte qui trouva
Alain à qui on l'attribuoit , lui ditdans les
foyers : M. Alain vous n'avez pas affez
alongè la courroie . Alain étoit ſellier.
III.
Le feu princede Galles étoit allé voir un
jour les curioſités que l'on conferve dans la
tour de Londres ; il étoit accompagné de
pluſieursjeunes ſeigneurs;le vieux concier
Liij
I198 MERCURE DE FRANCE.
ge le conduiſoit , lui montroit les curiofités
& les lui expliquoit. Il lui fit voir
entre autres choſes un pectoral d'un facrificateur
dont la partie inférieure avoit été
emportée par un boulet de canon . » Le
>> même boulet , ajouta le concierge , fra-
>> caſſa le ventre de celui qui portoit ce
>>pectoral , & lui mit les entrailles en
>> mille pieces. Un habile chirurgien en
>> prit ſoin , le guérit ; il vécut encore dix
>>ans après cet accident.>> La compagnie
fourit de la gravité avec laquelle le
concierge racontoit cette fottiſe , & le
prince ſe tournant vers lui , dit avec beaucoup
de bonhomie : » Je me ſouviens
>>d'avoir lu autrefois une hiſtoire à- peu-
>> près telle que la vôtre. Un foldat ,
>> dans une mêlée , reçut un coup de ſa-
>> bre ſur la tête qui la lui fendit juſqu'au
>> col en deux parties égales , de maniere
>>qu'un côtétomba ſur l'épaule droite &
>> l'autre fur l'épaule gauche. Un de ſes
>> camarades, étendantles mains, releva les
>> deux pieces de la tête , les rejoignit &
» pour les faire tenir il les lia enſemble
>avec fon mouchoir ; le bleſſé ſe trouva
>> parfaitement bien ; il but ſa pinte de
>>biere le même jour , &le lendemain on
>> ne vit aucune trace de ſa bleſſure. »
Tous ceux qui entendirent le Prince écla
OCTOBRE. 1770. 199
terent de rire , le concierge s'apperçut
qu'on ſe moquoit de lui ,& fe garda bien
depuis ce tempsde répéter ſon hiſtoire.
FÊTE donnée par les Mousquetaires.
LES Mouſquetaires de la ſeconde Compagnie
n'ayant pu , à cauſe des exercices qui ont précédé
leur revue , donner plutôt des marques publiques
de la joie dont le mariage de Monfeigneur
le Dauphin les avoit pénetrés , l'ont fait
éclater à Noyon où ils étoient en quartier pendant
le voyage du Roi à Compiegne.
Le Dimanche 27 Août , jour qu'ils avoient
choiſi pour donné une fête à l'occaſion de cer
heureux événement , les principaux habitans
de la Ville , la Nobleſſe des environs & les Officiers
des garniſons voifines qui avoient été invités
, ſe ſout rendus à l'Hôtel de Ville , que l'on
avoit , pour cette fête , diſpoſée dans le goût
d'un Wauxhall : la façade en étoit illuminée
une grande & belle galerie , deſtinée à ſervir de
fallede bal , étoit décorée en forme de tonne de
verdure , & diftribuée en portiques de treillages
peints en verd , couleur de roſe & argent. Chacun
de ces portiques , dont les points de vue of
froient alternativement une perſpective en colonnade
, un payſage ou une cascade peints au naturel
, étoient ornés dans leurs ceintres d'une couronne
de fleurs ovale , en forme de médaillon ,
ſuſpendue & foutenue par des draperies imitant
le taffetas chiné , blanc , incarnat & cou-
,
liv
200 MERCURE DE FRANCE.
leur de roſe , bouillonné & noué de noeuds de
gaze d'argent : l'arrête des treillages , ainſi que
les voûtes , étoient garnies de guirlandes de verdure
, îmêlée de fleurs , & émaillée de noeuds de
toutes couleurs , mêlées d'argent. Les guirlandes,
dans chaque travée , formoient un pavillon : du
milieu de chaque pavillon pendoit un lustre , qui
répondoit à des bras en fleurs d'émail , chargés
de bougies , placés ſur les pilaſtres du treillage.
Dans une falle qui ſuivoit , on avoit dreſſé une
table en fer à cheval , ſervie en ambigu . Une
autre ſalle étoit deſtinée pour le jeu & les rafraîchiflemens.
Cette fête , qui a duré toute la nuit,
a été terminée par une diſtribution conſidérable
de pain aux pauvres de la Ville.
La décoration de cette fête eſt entièrement due
au goût& aux talens finguliers de M. le Chevalierde
Lirou , Mouſquetaire de la Compagnie.
Les Mouſquetaires Noirs , qui ont , dans cette
occafion , aflocié les Habitans de Noyon à leurs
plaifirs , ont partagé leurs peines dans une autre
circonstance. Un incendie a confumé pluſieurs
maiſons pendant leur ſéjour ; leurs foins & leur
exemple ont beaucoup contribué à arrêter les
progies des flammes.
ARRÊTS , LETTRES - PATENTES , & c.
I.
T
Roi a accordé un brevet de Conſeiller d'Erat
à M. de la Martiniere , fon premier Chirurgien
en faveur duquel Sa. Majefté a donné auffi
OCTOBRE. 1770. 201
,
une Déclaration enregiffrée au Parlement le 6
de ce mois par laquelle il eſt ordonné qu'à
l'avenir le premier Chirurgien du Roi prêtera ferment
immédiatement entre les mains de Sa Majeſté
, & qu'il recevra celui des Chirurgiens
ordinaires & de quartier , & de la Famille Royale.
Cette même Déclaration ordonne qu'aucun
ſujet ne pourra être nommé à l'avenir aux charges
de Chirurgien de la Cour , fans avoir été
reçu à la Maîtriſe en la Chirurgie , dans quel
qu'une des principales Villes du Royaume , &
fans rapporter un certificat de ſa ſuffiſance & de
ſa capacité , ſigné du premier Chirurgien du
Roi.
,
II.
2
2.
Lettres-Patentes du Roi , données à Marly au
mois de Juillet dernier , & enregiſtrées au Parle
ment le 6 du mois ſuivaur , par leſquelles le Roi
déclare lesCitoyens & Habitans des Villes Impériales
de Ratisbonne , Cologne , Augsbourg
Nuremberg , Worms , Ulm , Spire , Eflingen ,
Noerdlingen Hail en Suabe , Nordhaufen
Rotweil , Dortmand , Uberlingen , Fridberg
Heillbroun , Welzlar , Memmingen , Lindau
Dunckeilſpiel , Offenbourg & Gengenbach
exempts du droit d'aubaine dans toute l'étendue
de ſon Royaume , Sa Majesté voulant qu'ils y
foient favorablement traités pour leurs perfonnes
& commerce , à condition que fes Sujets
jouiront dans leſdites Villes des mêmes exemptions
du droit d'aubaine , & y feront auffi favorablement
traités que les Sujets d'aucune au
the Nation étrangère.
1
Iv
202 MERCURE DE FRANCE,
LUNDI
AVIS.
I.
Place au concours.
UNDI IS Octobre à trois heures préciſes de l'ai
près midi il ſera ouvert chez M. Bachelier aux Tui .
leries , cour des Princes , en préſencedepluſieurs
membres des académies royales,un concours pour
la nomination d'une place d'adjoint à profeſleur
demathématiques & d'architecture dans l'école
royale de deſſin. On n'y admettra que ceux qui
ſe feront fait infcrire huit jours auparavant chez
M. Bachelier.
I I.
Cours de Grammaire allemande .
M. Junker , de l'académie royale de Goettingue
, auteur desNouveaux Principes de la langue
Allemande , àl'usage deMM. les Eleves de l'Ecole
Royale Militaire , recommencera ſon cours
deGrammaire Allemande , le 14 Novembre prochain
, & le finira vers le milieu du mois de Mai
1771. Il ſuivra l'Abrégé de ſes principes , qui ſe
vend 3 livres relié chez M. Muſier , fils , libraire
quai des Auguſtins , & qu'on trouve auſſi chez
l'auteur. Les leçons ſe donneront trois fois par femaine
, le lundi , mercredi & vendredi depuis
neuf heures du matin juſqu'à dix heures & demic.
OCTOBRE. 1770. 203
Ceux qui afſiſteront à ce cours avec l'application
néceſſaire , peuvent comprer qu'ils y profiteront
afſlez pour pouvoir continuer l'étude de la
langue Allemande ſans le ſecours d'un maître ; au
refte ils auront la facilité , s'ils le jugent à propos ,
de faire un autre cours pratique , qui ſera de fix
mois auſſi , & que M. Junker ouvrira à la fin du
premier , en faveur de ceux qui voudront ſe perfectionner
dans cette partie.
Le prix de ce cours eſt de trente - fix livres.
M. Junker donne auſſi des leçons particulières
pour le droit naturel & des Gens , la géographie ,
T'hiſtoire & le droit public d'Allemagne.
Il demeure rue Saint Dominique d'Enfer , la
porte cochere vis- à-vis le charron , chez M. Jarinthe
, Chirurgien. )
III.
Nouveau Scaphandre.
Ilfaut avouer que M. l'Abbé de la Chapelle a
portéle nouveau ſcaphandre à un point de perfection
admirable. Un particulier de Huningue
peu inſtruit dans l'art de nager , mais zélé pour
les découvertes utiles , a eſſayé le mois dernier ,
dans le rhin, unde ces inſtrumens que M. l'Abbé
laChapelle a fait conſtruire ſur ſes principes , &
qu'il a eu la bonté d'envoyer , dès le deuxième
Mai . La perſonne enhardie ne s'est fait qu'un jeu
de paffer & repaſſer le Rhin dans les endroits
les plus larges & les plus profonds , d'en parcourir,
en deſcendant, un eſpace conſidérable , marchant
dans l'eau debout à la manière des ſirènes,
comme si elle eût été portée par enchantement.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Rien n'eſt plus agréable , Monfieur , que ce ſpectacle
; ni plus utile que le fruit que l'on peut
retirer de cette admirable invention ,tant pour la
mer , que pout bien des circonstances de Guerre
où il eſt effentiel de porter à la hâte un petit corps
de troupes de l'autre côté d'un fleuve où l'on
arrive prêt à combatre ; mais c'eſt à l'auteur à décrire
lui-même, comme il ſe le propoſe , tous
les avantages que l'on doit attendre de ſa décou
:
verte. :
Jai l'honneurd'être , &c ..
D'ARTUS , Capitaine au Corps
du Génieà Huningue.
IV.
Remède contre les maux de dents.
Le Sieur DAVID , demeurant à Paris , rue
des orties , butre S. Roch , au petit hôtel Notre-
Dame , à main droite en entrant par la rue
Ste Anne , vis-à-vis d'un perruquier , continue
de débiter un remède infaillible pour guérir toutes
fortes de maux de dents , quelque gatées qu'elles
foient, ſans qu'on foit obligé de les faire arracher.
Ce remède , approuvé par Meſſicurs les Doyens.
de la Faculté de Médecine & autorité par M. le
Lieutenant-Général de Police , & dont les fuccès
ont été annoncés dans tous les Journaux &
papiers publics depuis huit ans , confifte en un
topique que l'on applique le ſoir en ſe couchant
fur l'arteré temporale , du côté de la douleur :
il la guérit ainſi que les fluxions qui en pro
OCTOBRE. 1770. 205
viennent , les maux de tête , migraines & rhumes
de cerveau : auſſitôt qu'il eſt appliqué il
procure un ſommeil paiſible , pendant lequel il
ſe fait une tranſpiration douce : le matin ce topique
tombe de lui-même , ſans laiſſer aucune
marque, ni cauſer dommage à la peau , & on eft
guéri fans retour.
Mais , ce remède n'opérant la guérifon que
lors qu'on eſt couché & le mal de dents prenant
danstous les momens du jour , ce qui empêcheroit
de vaquer à ſes affaires , le ſieurDavid vend
une eau ſpiritueuſe incorruptible d'une nouvelle
compofition , très-agréable au goût & à l'odorat
, dont les vertus font de faire cefler dans la
minute les douleurs de dents les plus violentes.
Elle purafie les gencives gonflées , fair tranfpirer
les ferofités , raffermit les dents , prévient &
détruit la carie & les affections fcorbutiques,dif
fipe la mauvaiſe odeur cauſée par les dents gâ
tées , fait tomber le tartre & leur conſerve la
blancheur, ſi l'on en fait utage deux ou trois fois
la temaine. Meſſieurs les marins en portent ordinairementpar
précaution , ainſi que des topiques,
lorſqu'ils vont s'embarquer.
Le prix des bouteilles eſt de 3 & de 6 liv . , &
celui des topiques 11. 4 f. chaque : il donne un
imprimé qui indique la manière d'employer l'un
& l'autre. On le trouve chez lui tous les jours
juſqu'à dix heures du ſoir.
Les perſonnes de Paris ſont priées d'apporter
pour les topiques un morceau de linge fin , blanc
de leſſive.
206 MERCURE DE FRANCE.
V.
Remède contre les cors des pieds.
Le Sieur Rouflel donne avis au public qu'il a
trouvé un remede efficace pour les corsdes pieds.
On le trouve tous les jours , excepté les Fêtes
&Dimanches. On prie les perſonnes d'affranchir
leurs lettres .
Le prix des boëtes à douze Mouches eſtde 3 1 .
Celui des boëtes à fix mouches , eſt de 1 1. 101.
Le Sieur Rouffel , demeurant à Paris , rue Jean
de l'Epine , chez le Sr Marin , Grenetier près de
la Grève , donne auſſi avis au public qu'il débite
avec permiffion des bagues , dont la propriété eſt
de guérir la goutte. Le prix de ces bagues , monrées
en or , eſt 36 liv . & celles en argent , de 24
livres.
NOUVELLES POLITIQUES.
De la Haye , le 12 Septembre 1770 .
LEE prince Gallitzin , ambaſſadeurdeRuffie au
prèsde la République, a reçu de ſa cour une lettre
contenant le détail des avantages remportés par
les Ruſſes ſur les troupes Ottomanes. Il y eſt dit
que le général Bauer , s'étant avancé juſqu'aux
bords duDanube , avoit rencontré mille Janifiaires
retranchés vis-à- vis d'Iſaktcha à l'endroit où
les Turcs avoient conſtruit un pont ſur le Danube,&
que cette milice , qui avoit avec elle vingt
canons , ainſi que les bagages & équipages de
OCTOBRE. 1770 . 207
1
l'armée , n'ayant pas eu le temsde paffer le fleuve,
s'étoit rendu priſonniere de guerre; que le Grand
Viſir qui , après avoir fait rompre le pont , s'étoit
ſervide quelques centaines de bateaux pour paſſer
leDanube avec le gros de ſon armée , avoit vu ,
de la rive oppoſée , la priſe de ces Janiflaires&la
deftruction d'un grand nombre d'autres bateaux
qui ſe rendoient à l'autre bord de ce fleuve ; que
le prince Repnin ayant été détaché avec un autre
corps vers Iſmaïlow , avoit été attaqué par vingt
mille Janiſlaires & vingt mille Spahis , mais qu'il
les avoit repouflés , & qu'une partie s'étoit retirée
ſous Kilia , & l'autre vers l'endroit où se trouve le
détachement dugénéral Bauer; que le prince Repnin
s'eſt porté enſuite ſur la ville d'Iſmaïlow dont
il s'eſt rendu maître par capitulation. Suivant les
mêmes détails , les Tartares de Crimée & de Budziak
, qui faiſoient partie de la grande armée
Turque , ont fair demander au comte de Romanzow
la permiſſion de retourner chez eux ; mais ce
général leur a fait répondre qu'il ne pouvoit yconſentir
, à moins qu'ils ne ſe ſoumiſſent à l'Impératrice
de Ruffie .
De Smyrne , le 31 Juillet 1770.
Nous commençons à être plus tranquilles : on
publia , il y a trois jours , une ordonnance du
Grand Seigneur , par laquelle Sa Hauteſſe recommande
dans les termes les plus précis , tous les
Francs aux ſoins & àl'attention du gouvernement.
Il eſt arrivé ici , hier au matin , un officier de la
Porte chargé de maintenir l'ordre & de rechercher
les auteurs des violences commiſes , le 8 de ce
mois , par la populace. On eſpère qu'Ibrahim Aga,
receveur des douanes , premier moteur de ce défordre
, fera puni comme il lemérite.
208 MERCURE DE FRANCE.
Ce matin , Cara Ofman Oglou , riche Turc,qui
a des terres conſidérables dans les environs & qui
a été de tout tems l'ami des François , eſt entré
en grande pompe dans cette ville , accompagné
de mille hommes d'infanterie& de mille de cavalerie.
Il a été ſalué de l'artillerie du château ; tous
lesgrands du pays ont été au-devant de lui , excepté
le cadi & les deux douaniers , dont les intentions
font fort ſuſpectes. Les drogmans des
différens conſulats ſe ſont préſentés chez lui aujourd'hui
; illes a reçus avec beaucoup de diſtinction&
les a chargés d'aſſurer leurs confuls reſpectifs
, que fa préſence devoit diſſiper toutes leurs
craintes & que Smyrne alloit jouir d'une grande
tranquillité.
Ily a eu environ fix cens Grecs & trois Francs
qui ont péri dans le maſſacre du 8. Preſque tous
les Francs s'étoient réfugiés dans les navires ; le
refte s'étoit barricadé dans les maiſons. Quelques
Janiſſaires font venus à bout de contenir , ſeuls ,
une populace furieuse , & ont prévenu de plus,
grands malheurs .
De Francfort , le 1 Septembre 1770 .
On écritde Vienne que toutes les troupes Autrichiennes
qui ſe trouvoient dans la Tranfilvanie ,
font en mouvement. On ajoute que , ſuivant des
lettres qu'on y a reçues des frontières , les Tartares
qui ont été défaits dans l'action du 8. Juillet dernier
, n'étoient qu'au nombre de huit mille , &
qu'un corps de cavalerie Turque , avoit furpris
enfuite , à peu de diſtance de Bender , un détachement
de cavalerie de huit mille Ruſſes qui , à leur
tour , avoient été entièrement défaits . Les mêmes
avis annoncent que le courage des Confédérés le
ranime de plus en plus en Pologne ; qu'ils font
journellement aux mains avec les Ruffes ; qu'ils
OCTOBRE. 1770 . 209
ont défait le corps que commandoit le colonel
Nowieski , & que ce colonel a été fait prifonnier.
De Rome , les Septembre 1770.
Samedi dernier , on exécuta fur la place de Notre-
Dame del Popolo deux aflaſſins , dont l'un fut
pendu & l'autre allommé , égorgé & coupé enfuite
par quartiers. L'abbé Merli , bénéficier de la
paroiile de St Eustache , qui exhortoit le dernier ,
s'étant jeté trop en arrière au moment où le bourreau
déchargeoit ſon coup de maflue , tomba de
l'échaffaud fur le pavé & te bleſſa dangereuſement
àla tête. Le peuple jeta des cris perçans & le
bourreau , qui ne s'étoit pas apperçu de cette chûte
&qui croyoit que c'étoit à lui qu'on en vouloit
prit auſſi tôt la fuite. Les sbirres , de leur côté
voulant appaifer le tumulte , l'augmenterent par
les coups de bourrade qu'ils donroient au peuple;
on dit même qu'un cheval échappé & deux chevaux
qui prirent le mords aux dents, mirent le
comble à ce défordre qui cependant n'eut pas de
fuites funeftes , &dans lequel pluſieurs perſonnes
perdirent ſeulement quelques effets & curent une
partie de leurs vêtemens déchirés.
De Civita - Vecchia , le 1 Septembre 1770 .
Il y a très longtems qu'on n'a vu ici une récolte
degrains auſſi abondante que celle de cette année.
De Venise , le 18 Août 1770.
On apprend par des lettres particulières , que
lesTurcs ont forufié les deux châteaux des Dardanelles
, & ont conſtruit plufieurs redoutes le
long des bords du canal ; que les Rufies , après le
combat dus Juillet , ayant voulu forcer le paffage&
entrer dans le détroit , ont été fort maltraités
par l'artilleriede ces forts.
,
210 MERCURE DE FRANCE.
De Londres , le 17 Septembre 1770.
Il ſe tint, le 12 de ce mois , à Saint-James , en
préſence du Roi ,un grand confeil , auquel la plupart
des miniſtres aſſiſtèrent & qui eut pour objet
les affaires de la marine & pluſieurs dépêches reçue
, lerr , de différentes cours étrangères. On
afſure que Sa Majefté a invité le lord Chatam à affiſter
à tous les conſeils qui ſe tiendront à la cour
fur les affaires générales.
Avant-hier , il arriva de la Caroline méridionale
une malle qui a apporté plufieurs lettres,dont
quelques-unes annoncent une prochaine rupture
entre les Sauvages qui habitent l'ouest de cette
colonie. On a appris , par la même voie qu'un
vaiſleau Eſpagnol , de ſoixante quatorze canons ,
fur leſquels étoient embarqués le général O-Reil-
Jy& pluſieurs autres officiers Eſpagnols , & qui
avoit à bord une ſomme confidérable d'argent ,
avoit échoué près du cap Floride. Le général , les
autres officiers & l'équipage ſe ſont ſauvés àCuba
dans leur chaloupe , fur laquelle ils avoient recueilli
l'argent ; mais le vaiſleau a été entierement
perdu. Ce bâtiment étoit parti de la Havane au
commencement de Juin dernier pour repaffer en
France.
De Compiegne , le 29 Août 1770 .
Le Roi vient d'accorder à l'Evêque - Comte de
Noyonles entrées de ſa chambre.
De Versailles , le 15 Septembre 1770.
Le Roi a donné l'abbaye de Montier- Rancey ,
ordre de S. Benoît , dioceſe de Troyes , à l'Evêquede
Tulle; celle de Chaume , même ordre ,
diocèſe de Sens , à l'Abbé Collet , confefleur de
feu Monſeigneur le Dauphin : celle de Fontaine-
Blanche , ordre de Citeaux, diocèſe de Tours ,
OCTOBRE. 1770. 211
à l'abbé de Caulaincourt , aumonier du Roi , vicaire-
général du diocèle de Rheims : celle de S.
Guilhem-du Deſert , ordre de S. Benoît , diocèſe
de Lodeve , à l'abbé de Bayanne , vicaire général
du diocèſe de Coutances : celle d'Angles , ordre
de Saint Auguſtin , diocèſe de Luçon , à l'abbé
de Sinety , vicaire général du diocèſe de Noyon :
celle de Sauve , ordre de Saint Benoît , diocèle
d'Alais , à l'abbé de Villevielle , vicairegénéral
du diocèſe d'Alby : celle de la Boiſſière , ordre de
Cîteaux ,diocèſe d'Angers , à l'abbé de Saluces ,
vicaire général du diocèle de Meaux : celle de S.
Sauveur de Lodeve , ordre de Saint Benoît , diocèſe
de Lodeve , à l'abbé de Leyſſin , vicaire général
du diocèſe d'Embrun : celle des Iles-d'Auxerre
, ordre de Citeaux , dioceſe d'Auxerre , à
la dame de Bufferan , religieuſe de l'abbaye de
Chabons en Dauphiné , & le prieuré perpétuel de
Notre- Dame de Montons , ordre de Saint Benoît,
Diocèſe d'Avranches , à la dame de Coetlogon ,
religieuſe Bénédictine à Coutances .
LeNonce du Pape a été chargé par Sa Sainteté
de faire , en fon nom , & en qualité de ſon Repréſentant
, la cérémonie de la priſe d'habit de
Madame Louiſe de France au Monastère des Carmelites
de S. Dênis ; en conféquence ce Miniſtre
eut, le 9 de Septembre , une audience du Roi , à
qui il remitle Brefdu Saint Père à ee ſujet. Ayant
obtenu l'agrément de Sa Majesté , il ſe tranſporta
le lendemain , en grande cérémonie , au Couvent
des Carmelites ; Madame la Dauphine , qui devoit
donner le voile à Madame Louiſe , y arriva
àtrois heures après midi : il y eut un Sermon
prononcé par l'ancien Evêque de Troyes ; après
quoi le Nonce fit la cérémonie , à laquelle aſſiſtèrentvingt-
quatre Archevêques & Evêques. Tout
ſe paſſa avec l'ordre& la décence convenables ,
212 MERCURE DE FRANCE .
malgré le peu d'eſpace qu'il y avoit dans l'Egliſe
pour contenir la multitude des perſonnes de
tout rang , qui s'étoient rendues à Saint-Denis
pour cet objet. Les Muficiens du Roi exécutèrent
de la muſique en faux- bourdon , ſous la conduitedu
freurMathieu , Maître de Muſique de la
Chapelle de Sa Majeſté.
Du 19 Septembre.
Madame s'eſt rendue le 16 de ce mois au Monaſtère
des Carmelites , à Saint Denis , & ya
donné le voile à la demoiſelle de Beaujeu . L'Evêque
de Senlis , premier aumonier du Roi , a officié
pontificalement à cette cérémonie.
Madame Adélaïde a préfenté le mêmejour au
Roi la Marquise de Laval , en qualité de dame
pour accompagner cette Princefle.
Le Comte d'Aché lieutenant-général des armées
navales , & grand- croix de l'ordre royal & militaire
de S. Louis a eu l'honneur de prêter ferment
entre les mains de Sa Majesté , en qualité de vice-
Amiral des mers du Ponent.
La marquiſe d'Havrincourt & la marquiſe de
Choiſeul ont eu l'honneur d'être préſentées au
Roi & à laFamilleRoyale par les marquiſes d'Havrincourt
& de Choiseul leurs belles- neres .
De Paris , le 31 Août 1770.
L'abbé de Cicé , nommé par le Roi à l'évêché
de Rhodes , & l'abbé de Guernes , nommé à l'évêché
d'Aléria furent ſacrés le 27 de ce mois dans
l'Egliſe des Grands-Augustins par l'Archevêque
Ducde Reims afſiſté de l'Evêque d'Auxerre & de
l'Evêque d'Autun.
NAISSANCES.
De la Haye , le 23 Août 1770 .
LaPrincefle , épouſe du Prince Héréditaire de
Brunswich , eft accouchée heureuſement d'un
OCTOBRE . 1770. 213
Prince , le 18 de ce mois , à cinq heures après
midi.
4
La Duchefle d'Altemps, née Corſini , accoucha,
le 19 , d'une fille , qui fut baptiſée le lendemain.
Elle eut pour Parrain le Prince Bartholomée
Corſini , & fut nommée Marie- Angélique.
De Pétersbourg , le 27 Août 1770.
L'Impératrice a reçu du Roi de Pruſſe une
lettre , par laquelle Sa Majesté Pruſſienne lui
certifie la naiſſance du Prince , dont la Princeſſe
Héréditaire de Pruſſe vient d'accoucher , & la
prie en même tems d'en être la Marraine.
MORTS.
Charles-Philippe de Vallois , Marquisde Murſay
, Baron d'Autricourt , de Mauzé & de Craon,
Seigneur de Turgis , la Loge , Pomblain , Ninville
, Damphale & Lecourt , eſt mort dans ſon
Château d'Autricourt en Bourgogne , le 28 Août
1770 , âgé de 67 ans. Il étoit fils du feu Comte
de Murſay , Lieutenant-Général des Armées du
Roi , Inſpecteur Général de la Cavalerie , mort
àTurin de ſes bleſſures , petit- fils du Marquis de
Villette , Lieutenant Général des Armées Navalles.
Il avoit épousé en 1746 Jeanne - Suzanne de
Paris , petite-nièce de M. de Paris , Grand Prieur
de France en 1656. De ce mariage , il ne refte
plus qu'une fille , qui eſt Angélique-Madelaine de
Vallois de Murſay.
Antoine - Marie Berard-de- Montalet-de -Villebreuil
, ancien Abbé Commendataire de l'Abbaye
Royale de Moutier-la- Celle , Ordre de S. Benoît ,
Congrégation de S. Vannes , Diocèle de Troyes ,
&, en cette qualité , Doyen des Abbés Commendataires
de France , eſt mort à Paris le 6 Septem
214 MERCURE_DE FRANCE.
bre , dans la quatre- vingt- quatorzième année de
fon âge.
Dame Anne-Marie de Briqueville, épouse de
Jacques Gabriel Bazin , Marquis de Bezons & de
Mailons , LieutenantGénéral des Armées du Roi,
eſt décédée à Paris le 4 du mois de Septembre, âgée
de trente-cinq ans.
Elle laiſle deux enfans ; ſavoir , Jacques -Gabriel-
Alexandre Bazin de Bezons , Officier dans le
Corps Royal d'Artillerie ,
EtArmande- Marie-Gabrielle Bazin de Befons.
Leon de Charry des Gouttes , Chevalier , Profès
de l'Ordre de S. Jean de Jérusalem , ancien
Capitaine des Vaiſſeaux du Roi , Commandeurde
la Commanderie de Sainte Anne , eſt mort à
Moulins , au mois de Septembre , dans la cinquante-
deuxième année de ſon âge.
Marie- Louiſe-Auguſtine de Laval-Montmorency
, épouſe d'Antoine-Louis Crozat , Baron de
Thiers, Brigadier des Armées du Roi , Lieutenant-
Général & Commandant pour Sa Majeſté dans la
Province de Champagne , eſt morte aux eaux
dc Barege , le 23 Août ; ſon corps a été tranſporté
àTarbes , &a été inhumé dans l'Egliſe Cathédrale
de cette Ville.
Louis Billouard de Kerlerec, Chevalier de l'Ordre
Royal & Militaire de S. Louis , Brigadier des
Armées du Roi , ancien Gouverneur de la Louifiane
, eſt mort à Paris le 9 de septembre , âgé
d'environ ſoixante fix ans .
,
LOTERIES.
Le cent ſeizième tirage de la loterie de l'hôtel -de - ville
s'est fait le 23 de Septembre en la maniere accoutumée . Le
lotde cinquante mille livres eſt échu au N° . 76363 ; celui
OCTOBRE. 1770 . 215
devingt mille livres auNo 64943 , & les deux de dix mille
aux numéros 61179 & 70941 .
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire s'eſt fait
les du même mois . Les numéros fortis de la roue de fortune
ſont8 , 9 , 1 , 30 , 30
FAUTES à corriger dans le Mercure
de Septembre.
AG . 29 , lig. 2 , conquête , lifez coquette.
210 , 18 , de mieux , lifez de curieux.
NB. Les boîtes de cire pour la peinture de M. leBaron
de Taubenheim oot été annoncées mal-à-propos dans le
Journal Encyclopédique du 15 Juillet 1770 , page 312 , à
10 liv. au lieu de 24.
P
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en proſe , page
Epître à Mde la Comteſſe de **** , ſur l'éducation
de fon Fils ,
Le Joli , à Mademoiſelle A *** ,
Tant pis pour elle , plus hiſtoire que conte ,
Invocation aux Muſes ,
La métamorphoſe de l'Amour , ſtances ,
La Saignée , proverbe dramatique ,
Epître à M. de la Galaiziere ,
Maximes fur l'éducation , par M. de Solignac ,
A M. D. S.
Vers aux Demoiſelles , quêtant le Jeudi Sainr ,
A mon Oncle , le jour de ſa Fête ,
Les dangers de l'inexpérience , conre moral ,
Explication des énigmes & des logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Eſſai ſur l'hiſtoire générale de Picardie,
Traité des bêtes à laine ,
5
ibid.
:
18
19
27
30
31
53
16
57
58
59
60
80
ibid.
84
87
ibid.
97
216 MERCURE DE FRANCE.
Les Jours pour ſervir de ſupplément aux Nuits
d'Young ,
Dictionnaire portatif de commerce ,
Effais ſur la Religion Chrétienne ,
Manuel des Pulmoniques ,
Traité de la goutte & du rhumatiſme ,
Sélicourt nouvelle , par M. d'Arnaud ,
Méditations ſur les tombeaux , trad . de l'anglois ,
Lettres ſur les lois civiles ,
ACADÉMIES,
A M. Dupaty , ſur l'éloge de Montagne ,
SPECTACLES. Concert ſpirituel ,
Opéra ,
Comédie françoiſe ,
Comédie italienne ,
ARTS , Muſique ,
Architecture ,
Peinture ,
Gravure ,
Lettre à l'Auteur du Mercure de France ,
Epreuve des horloges marines de M. Berthoud ,
Lettre ſur l'inoculation, par M. Jauberthon ,
Actes de générosité & de bienfaiſance.
Anecdotes ,
Fête donnée par les Mouſqueraires ,
Lettres-patentes , Arrêts , &c .
Avis ,
Nouvelles politiques ,
Naiſſances ,
Morts ,
Loteries ,
101
105
106
107
108
110
116
121
139
152
154
155
162
164
173
171
172
174
179
183
195
197
199
200
202
286
212
213
214
J
APPROBATION.
'AI lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le premiervol:
du Mercure d'Octobre 1770 , & je n'y ai rien trouvé qui
m'ait paru devoir en empêcher l'impreſſion .
AParis , le 29 Septembre 1770 .
RÉMOND DE STE ALBINE.
De l'imp . de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO Ι.
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
OCTOBRE. 1770 .
SECOND VOLUME.
Mobilitate viget. VIRGILE .
RENG
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine .
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'est au Sieur Lacombe libraire , à Paris, rue
Chriſtine , que l'on prie d'adreſſer , francs de port,
les paquets & lettres , ainſi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de proſe , la muſique,
les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auſſi de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres& de ceux qui les
cultivent , ils font invités à concourir à ſa perfection
; on recevra avec reconnoiſſance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titrede
préférence pour obtenir des récompenſes ſur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv.
que l'on paiera d'avance pour ſeize volumes rendus
francs de port.
L'abonnement pour la province eſt de 32 livres
pareillement pour ſeize volumes rendus francs de
portpar la poſte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eſt de 36 ſols pour
ceux qui n'ont pas ſouſcrit, au lieu de 30 fols pour
ceux qui font abonnés.
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de chaque ſemaine , & qui donne la notice
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'Mémoire fur la musique des Anciens ,
in-4°. br. 91.
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projetée pour couronner la nouvelle
Eglife de Ste Genevieve , in -4°. 11.101.
Satyres de Juvenal ; par M. Duſaulx , :
in-8°. rel. 71.
Recréations économiques , vol. in-8º. br. 2 1. 10 1.
Nouvelles recréations phyſiques & mathématiques
, 4 vol. in - 8 " . 241.
Le Dictionnaire de Jurisprudence canonique ,
in-4°. 4 vol . rel . 481.
Dict. Italien d'Antonini, 2 vol. in- 4°. rel . 301.
Meditationsfur les Tombeaux , 8 br . 11. 106.
Mémoire pour les Natifs de Genève, in-8 °.
broch, 11. 41.
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE. 1770 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SUITE du Printems . Chant premier du
poëme des Saiſons ; Eſſai d'imitation
libre de Thompson.
MON
Amours des Oiseaux.
ON ſujet m'ouvre une route nouvelle ;
Prends aufſi , prends , ô Muſe , un vol nouveau :
De ces boſquets la muſique t'appelle ;
Viens y mêler le ſon de ton pipeau .
Vous , Roſſignols , que votre voix touchante
:
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Fafle éclater ſes ſublimes accens !
Prêtez- les moi : leur grace ſéduiſante
De mille attraits embellira mes chants .
L'amour renaît : cette ame univerſelle
Prend fon effor , pénètre , échauffe l'air ,
Et, diffipant les langueurs de l'hiver ,
Répand fur tout une vigueur nouvelle :
La troupe ailée , avide de plaiſirs ,
Reflent bientôt l'aurore des defirs ;
Leur feu s'allume ; il donne à ſon plumage ,
En circulant , de plus vives couleurs :
Un doux eſpoir animant ſon tamage ,
Tout retentitde concerts enchanteurs ,
Et l'harmonie habite le feuillage.
Cette muſique est la voix de l'amour ;
A ces amans il apprend l'art de plaire ,
Et d'obtenir le plus tendre retour.
Chacun dès-lors eſſaie à ſa manière
De pratiquer ces charmantes leçons ;
Et , courtiſant l'objet de ſes chanfons ,
Produit au jour ſon ame toute entière.
Ils font dans l'air mille tours différens :
On les voit fuir , ſe rapprocher fans cefle,
S'enfuir encor , revenir plus preſlans ,
Pour attirer leur ſenſible maîtreffe ,
Qui paroît fourde à leurs concerts touchans ,
Voulant ainſi redoubler leur tendrefle ;
Mais elle eède à leurs tranſports brûlans ,
OCTOBRE. 1770 . 7
Etva bientôt partager leur ivreſle.
Au fonddesbois conduits par leurs deſirs ,
Ils vont goûter les plus charmans plaiſirs :
Fidèle aux loix , au voeu de la nature ,
Leur coeur brûlant exhale ces ſoupirs
Qu'excite ſeule une tendreſſe pure.
Mais de l'hymen les gages ſont donnés :
Le ſoin preſlant d'élever un aſyle
Vient commander ces époux fortunés :
Ont- ils choiſi quelque enceinte tranquille ,
Pour échauffer leur demeure fragile
D'une aile fûre ils raſent les troupeaux ,
Leur dérobant une laine inutile ,
Et qui ſuffit à leurs pieux travaux.
Au moindre bruit inquiette , en alarmes ,
La mère veille à ce dépôt ſacré :
Du doux printemsen vain brillent les charmes ;
Afon objet ſon coeur reſte livré .
Son tendre époux , perché ſous le feuillage ,
Gai , fatisfait & d'amour enivré ,
La divertit par ſon joyeux ramage.
Lorſque , par fois cédant à ſes beſoins ,
Elle aſſouvit la faim qui la dévore ,
Il la remplace & partage les ſoins .
L'inſtant marqué , les petits , nuds encore ,
Mais parvenus à leur première aurore ,
Pour s'échapper ont briſé leur lien :
Frêles roſeaux , leur impuiſſance implore
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
De leurs auteurs & l'aide & le ſoutien .
Quels sentimens , quelle vive tendreſſe
Vont s'emparer de ces nouveaux parens !
Comme aux beſoins de leurs foibles enfans
Sçaura fournir leur prévoyante adreſſe !
Tel au village un couple vertueux ,
Touché du fort d'une famille entière
Qui gémiſſoit ſous des revers affreux ,
Pour foulager fa profonde misère ,
Court lui porter des ſecours généreux.
De ces époux la vigilante adreſſe
Sçait éloigner les dangers menaçans :
Toujours leur nid , objet de leur tendreſſe,
Eſt à l'abri de l'orage & des vents .
Si quelque bruit vient troubler ſon aſyle ,
L'oiſeau ruſé ſoudain d'une aile agile
Vole fans bruit fur un buiffon voiſin :
Il fort bientôt , comme plein d'épouvante,
Fuiten criant & trompe ainſi l'attente
Etla fureur de l'écolier malin.
Raſant des champs la furface ondoyante ,
Tel le Pluvier écarte l'oiſeleur ;
Détour pieux ! fraude pure , innocente ,
Qui le dérobe à ſon bras deſtructeur !
Muſe , pleurons ces malheureux eſclaves ,
Mis dans les fers par de cruels tyrans :
Déſeſpérés de ces triſtes entraves ,
Leur voix ne rend que de lugubres chants.
OCTOBRE. 1770. 9
t
Leur éclat fuit; leurs beautés ſont fannées ;
Leur oeil ſans feu peint leurs ſombres douleurs 2
Vous , qui d'amour connoiflez les douceurs ,
Ah ! faites grace à ces tendres lignées ,
Et que leur fort attendriſſe vos coeurs !
Gardez -vous bien d'affliger Philomèle ,
En raviſſant les gages de ſes feux :
Des fombres bois ce chantre harmonieux
Ne peut fouffrir une priſon cruelle.
Quel déſeſpoir pour ces tendres parens !
Quelle douleur les ſaiſit , les accable ,
Lorſqu'une main avide , impitoyable ,
En leur abſence a ravi leurs enfans !
L'oeil abattu , d'une aile languiſlante
Ils vont chercher un aſyle voiſin :
Là , dévorés d'une douleur cuifante ,
Tout à leurs yeux retrace leur deſtin :
Leur voix s'épuiſe en accens lamentables ;
L'aſpect des bois redouble leurs tourmens :
L'écho , touché de ces fons déplorables ,
Semble répondre à leurs gémiſlemens.
Mais , cependant , paré de ſon plumage ,
Chaque petit veut s'affranchir des fers :
Impatiens de meſurer les airs ,
Ils volent tous de branchage en branchage ,
Et font déjà mille circuits divers .
Le poids de l'air à leur aile novice
:
Av
Ю MERCURE DE FRANCE.
Montre àBotter ſur ce vaſte élément :
Adeurs efforts le feuillage eft propice ;
Dejour enjour leur vol eſt plus bruyant
Mais , une fois que la crainte eſt bannie ,
Rien ne retient ces volages enfans :
Fiers de ſe voir arbitres de leur vie ,
Ils ont laiflé pour jamais leurs parens.
Tandisqu'au ſein de l'ombre des bocages ,
Tous les oiſeaux ſe livrent au plaifir ,
Un monde entier d'animaux plus fauvages
Eprouve aufli l'aiguillon du defir :
Le Taureau ſent la paflion brûlante
Avec ardeur circuler dans ſon ſang ;
Il fuit des prés l'herbe fraîche & riante ,
Cherche les bois , ſe roule & bat ſon flanc.
Levant aux cieux ſa têre étincelante ,
Le fier courfier , sebelle au châtiment ,
N'obéit plus au mords qui le tourmente.
Juſques au fond de l'humide élément
L'amour vainqueur exerce ſa puiflance :
L'hôte écaillé de l'humide élément
D'un feu ſecret reſſent l'effervefcence .
Mais mon ſujet m'emporte trop avant :
Ma muſe oublie en ſon égarement
Qu'elle le chante aux beautés de la France:
Leux doux aſpect m'impoſe le filence
Et me ramène au pied de ces côteaux ,
OCTOBRE. 1770 . II
Où , dans la paix , le calme & l'innocence ,
Les bergers font réſonner leurs pipeaux.
Sçavant hardi , ſcrutateur téméraire ,
Parle ; quelle eſt cette eſſence première ,
Ce feu moteur & ce ſouffle puiſſant
Qui donne l'être à la nature entière !
C'eſt l'Eternel , qui tira du néant
Le mouvement , la lumière & la vie ,
Qui règle tout par ſon vaſte génie ,
Et ſoutient ſeul l'Univers chancelant.
Quoiqu'il ſe cache à l'oeil le plus perçanr ,
L'Auteur divin paroît dans ſes ouvrages :
C'eſt toi , ſur- tout , c'eſt toi , Printems charmant
,
Qui nous découvre un maître bienfaiſant ,
UnMaître enfin dignede nos hommages.
Tandis que l'air , & la terre & les eaux ,
Marquent ſes ſoins , atteſtent ſa clémence,
Il fait agir l'inſtinct des animaux ,
Et de ſes feux il fond leur indolence .
Par M. Willemain d'Abancourt.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
MADRIGAL.
Si ma Zélis n'étoit que belle ,
Pourroit- elle charmer mon coeur ?
Mais elle est douce , attrayante , fidèle,
Et méconnoît ſon pouvoir enchanteur :
Chaque jour je découvre en elle
Mille talens , mille vertus ;
Je crois , er l'entendant , entendre Philomèle :
Je crois , en la voyant , voir Minecrve ou Vénus.
Par le même.
LE CHEVAL & L'ANE.
Fable imitée de l'allemand.
Ce n'eſt point tout de prêcher les humains:
Sans l'à-propos vos diſcours feront vains ;
Lebien ſaiſir eſt un point néceſſaire.
Un cheval gras , diſpos , & dont ſoir & matin
On renouvelloit la litière ,
Vit un âne abattu , maigre & mourant de faim
Qui ſe plaignoit des rigueurs du deſtin :
Pourquoi donc cette plainte amère ,
Lui cria-t-il ; des dieux redoutez le courroux ;
OCTOBRE. 1770 . 13
Plus bas que vous jetez les yeux , mon frère ;
Combien d'ânons plus à plaindre que vous !
Souffrez donc avec patience ;
Réſignez- vous & baiflez votre ton :
Le Ciel vous aime , & c'eſt par bienveillance..
Ah! dit l'âne en courroux , maugrebleu du ſermon:
Débiterois- tu ces merveilles ,
Ayantle ventre auſſi vuide que moi ?
Les recevrois - tu bien ? Allons ; retire- toi :
Ventre affamé n'a point d'oreilles .
Par le même.
STANCES .
A la Fille d'un Maréchal-ferrant.
UEL eſt QUE le trouble de nos ames !
Et que nos yeux ſont enchantés !
Lorſque tu fais jaillir des flammes
Du ſein des métaux indomptés.
Tes beaux bras dans cet exercice
N'ont rien perdu de leur blancheur,
Si le ciel à mes voeux eût été plus propice ,
Ilm'eût fait forgeron pour amollir ton coeur.
14 MERCURE DE FRANCE.
L'amour avant ton exiſtence
Par de foibles liens enchainoit l'Univers ,
Rien ne réſiſte à ſa puiſſance
Depuis que tu forges ſes fers .
Lorſqu'à coups redoublés tu frappes ſur l'enclume,
C'eſt Vénus au milieu des antres de Lemnos ;
Des mêmes feux ta beauté nous conſume
Lorſque tu prens quelque repos.
Pour mieux réaliſer l'emblême de la fable ,
Prens un cyclope pour époux ,
Qu'à Vulcain il ſoit tout ſemblable ,
Qu'il craigne ſes malheurs & les éprouve tous .
Par M. de la Louptiere.
LA NU 11.
0 PAISIBLE NUIT ! que tu m'as agréablement
ſurpris ! aſſis ſur le gaſon , je
contemplois Phébus , je le voyois ſe perdre
derrière le ſommet de ces hautes
montagnes : il ſe retiroit couvert d'un
nuage léger, &, ſemblable à un voile doré
il s'éloignoit des côteaux , des bocages &
des prairies , en leur dardant encore quel
OCTOBRE. 1770 . 15
ques foibles rayons. Toute la nature étoit
éclairée pardes ondes de pourpre & d'azur ,
&desnuës enflammées embraſſoientl'athmoſphère
. Les oiſeaux chantoient , ils
célébroient la retraite de l'aſtre radieux
en cherchant un gîte aſſuré : le berger retournoit
dans ſa cabane, lorſqu'un doux
fommeil furprit mes ſens .
Qui m'a éveillé ! eſt- ce toi , Philomèle
? Sont ce tes tendres accens , ou le
bruit de quelque nymphe pourſuivie par
un faune , dont les ardens defirs la forcent
de ſe dérober à ſes yeux ?
Oh ! que tout ce qui m'environne offre
de beautés à mon ame ſenſible ! toute
la contrée eſt plongée dans undoux ſommeil
, dans un filence voluptueux .
Mes regards errent dans l'obſcurité de
ces lieux : la fombre clarté des étoiles ,
la lune dont les pâles rayons percent à tra
vers le feuillage agité d'un léger frémiſſement;
tout me cauſe une ſenſationdélicieuſe.
Ici , un lit de verdure , parfemé
de fleurs , offre un doux repos : là , de
grands arbres , dont les branches touffues
rendent l'obſcurité impénétrable , me caufent
une religieuſe horreur : plus loin,les
flots argentés font un doux murmure, & je
voisdes flammes légères qui voltigentdans
16 MERCURE DE FRANCE.
les champs & vent ſe perdre parmi l'eau
limpide d'un ruiſſeau pour renaître &
mourir encore .
La Lune s'avance : ſon char eſt tiré par
des dragons ; leurs corps replié & tortueux
& leurs aîles bruyantes annoncent
l'arrivée de la courière de la Nuit .
Quel parfum exquis s'exhale autour de
moi ? O toi , violette , qui choiſis la nuit
pour embaumer ces lieux , que tu rends
cette folitude délicieuſe ! tu te caches en
vain. Je ne vois point tes couleurs charmantes
& variées , mais la volupté que
tu me fais reſpirer te découvre à mes fens.
Le tendre zéphire repoſe ſur ton ſein : empreſſé
au tourde toi , les jours qui s'écoulent,
font pour lui des momens :la fatigue
Paſſoupit mollement : ce repos te prépare
de nouveaux plaiſirs . Demain au lever de
Paurore , il s'éveillera & répandra fur toi
les perles brillantés d'une douce rofée ,
dont fes ailes font chargées.
Quel est ce bruit qui trouble & fuccède
au falence profond de toute la nature ?Ce
font les habitantes des marais qui adreffent
leurs chants enroués à la Lune; cachées
entre les roſeaux & levant leur têtes
du fond de leurs marécages. Leurs
creaffemens ontpour elles autant de char
OCTOBRE. 1770. 17
mes que l'harmonie voluptueuſe du tendre
roſſignol. Tel eſt un poëte obſcur qui
chante fon mécène : prévenu en faveur de
ſa muſe , émerveillé de l'opulence de ſon
protecteur , il eſpère & croit mériter d'être
admis à ſa table : il prend ſa lyre ; fa
tête s'embraſe , il s'eſtime au - deſſus des
chantres d'Apollon : ce dieu lui – même
peut à peine l'égaler.
Derrière la prairie s'élève un côteau ,
couronné de jeunes chênes. Dans ce beau
lieu , la Lune diſpute l'empire aux ténèbres
, & forme en cet endroit un contraſte
charmant. J'entends le ruiſſeau couler
au pied de ce côteau. Son murmure
eſt rapide , il ſe briſe ſur des cailloutages ,
ſe précipite dans ce vallon , & fes eaux
brillantées arroſent les fleurs qui naiſlent
fur ſes bords.
C'eſt ici , c'eſt dans cet endroitmême,
c'eſt ſur cegafon chéri que je trouvai la
plus belle des bergères ! elle étoit là, couchée
ſur ces fleurs : une robe voltigeante
la couvroit à demi. Elle tenoit un luth,&
fes mains délicates, plus blanches que la
neige en tiroient des fons légers , enchan.
teurs. Ils excitèrent mes tranſports; je les
préférai aux plus doux chants du roffignol:
cède , cède , ô Philomèle , à ma bergère .
18 MERCURE DE FRANCE.
Elle chantoit , toute la contrée ſembloitl'écouter
: les oiſeaux ceſſèrent leurs
ramages , les zéphirs n'osèrent la troubler
, ils en preſsèrent plus tendrement
les rofes ; tout partagea mon raviſſement .
L'Amour couché à l'ombre auprès d'un
buiflon l'écoutoit avec ſurpriſe. Je ſuis le
dieu de la tendreſſe , dit - il , j'excite les
tranſports les plus doux ; mais , j'en jure
par le Stix ! Jamais , non jamais je n'ai
joui d'une volupté ſemblable à celle que
j'éprouve.
Diane elle-même arrête ſes courſiers ;
penchée ſur le bord de fon char,elle écoute
... Elle foupire ...
La bergère ſe tut : déjà l'écho avoit repété
trois fois les derniers accens de ſa
voix , toute la nature écoutoit encore. Le
roffignol , perché ſur un myrte , n'oſoit
ſe faire entendre. Je m'approchai d'elle :
Fille céleste ! déeſſe , lui dis - je , je
pris ſa main , la preſſai en tremblant & je
foupirai . La bergere baiſſa ſes beaux yeux ,
rougit & fourit. Je tombai à ſes pieds , je
balbutiai quelques mots , & j'exprimai
mon raviffement d'une voix tremblante.
...
Ma main erroit au tour de ſes vêtemens
: les fiennes ſervoient à couvrir fon
ſein d'albâtre... La bergère ſoupira, j'en-
:
OCTOBRE. 1770. 19
tendis ce foupir, un regard ſuppliant m'arrêta
. Son embarras , ſa rougeur la rendirent
encore plusbelle ; également honteux
de ma foibleſſe & de mon tranſport , je
laiſſai échaper une victoire preſque certaine.
Obergère ! adorable bergère ! où ſuisje
? Qu'ai je fait ? Bien tot je ſuccombe ;
je ſuis tranſporté , enivré ; je meurs ...
Mais Dieux ! que vois-je dans cette fombre
prairie ? Des flammes ſe jouent avec
des flammes ! elles s'uniſſent , ſe ſéparent;
elles forment une couronne , difparoifſent
aufli vite que l'éclair , & fuient au
travers des bois & des bocages .
Ce font des divinités !l'homme cham
pêtre tremble devant elles , & le citadin
orgueilleux les nomme vapeurs enflammées
. Oui , vous êtes des dieux bienfaiſans
qui paroiffez pour favorifer de tendres
amans : vous éclairez les bergères
qu'un tendre ſoin amène dans les buiffons
& vous écartez les argus qui s'oppoſent
aux myſtères de Cypris .
Mais qu'êtes vous devenus ? Vous êtes
diſparus à mes yeux étonnés. Je n'apperçois
plus qu'une lumière pâle , ſemblable
à la foible lampe d'un ſavant qui s'endort
ſur ſes livres , pendant qu'une épouſe ai
20 MERCURE DE FRANCE.
mable & délaiſſée cherche un repos qui
la fuit. Un ver , un infecte ſi petit produitcette
lumière !Omuſe! aappprens moi
d'où provient cette merveille ? Jupiter aima
une jeune mortelle , * charmante ,
belle comme Vénus. Junon , irritée des
fréquentes infidélités de fon époux , le
fuivoit fans ceſſe. Cette déeſſe, obfervant
un jour Jupiter , le vit ſe transformer en
papillon& voltiger ſurle ſein de la bergère
. Ses yeux s'enflammèrent du plus
violent courroux. Eh quoi ! les papillons
aiment leurs femblables, mais un ver ailé
brûler pour une mortelle ! Elle dit & defcendit
fur la terre au moment que Jupiter
, reprenant fa forme naturelle , tenoit
dans ſes bras la bergère étonnée . « Sois
>> ce qu'il étoit avant ton crime. Ainfi
parla Junon , les yeux étincelans de colère.
L'infortunée bergère s'échapa des
bras du dieu & rampa fur une fleur. Pour
éternifer fon affront & fa vengeance , Junon
détacha un rayon de l'étoile du foir
&l'attacha fur le corps de ce nouvel infecte.
Que vois je ? des nuës furmontent les
étoiles , les cachent; elles font argentées
&brillantes comme elles. Sur le bord
OCTOBRE. 1770. 21
des pampres ſe jouent de petits amours ,
ils laiſſent dégouter les pleurs de l'aurore
pour épanouir les roſes & mûrir les raifins.
Ces petits dieux ſavent ce que peut
le jus pétillant de la vigne & le parfum
des rofes!
Cependant la Lune ſe cache ; pourquoi
t'envelopper de fombres voiles , ô déeſſe?
Qui te fait ainſi pâlir? Ne peux tu éclairer
ni fouffrir les jeux de l'Olympe , ou
bien un fatyre cruel te ravit il ton cher
Endimion ? Chaſte déefle , daigne m'éclairer
! je veux fortir de ce bocage , vifiter
ce coteau , où le ruiſſeau ferpentant ,
ombragé d'arbrifleaux , coule à travers les
boſquets , où le pampre rampant fuccombe
ſous l'effort des grappes . C'eſt dans ce
lieu , couché fur ces tapis de gafon , que
j'ai fouvent chanté , avec mes amis , des
chanſons qu'Haguedorn & Gleim *
poſent fur les plaiſirs &fur l'amour.
com-
Je ſens une pluie fine tomber à travers
le boſquet. Une douce & bienfaifante
rofée defcend furcette voûte de verdure ,
car Bacchus l'a priſe ſous ſa protection .
Souvent , pendant une nuit profonde ,
on entend avec étonnement chanter des
*Deux poëtes fameux.
22 MERCURE DE FRANCE.
hymnes à l'honneur du fils de Semèle , &
le bruit argentin des coupes qui s'entrechoquent.
Le voyageur égaré s'arrête ,
regarde autour de lui : ſurpris de ne rien
voir , il tremble , friſſonne , fait quelques
pas en arrière ; regarde encore , & plein
de terreur , franchit cet eſpace conſacré
au dieu du vin .
Je vous ſalue , fombre berceau , dont
les grappes pendent au haut de la voûte.
Que le clair de lune eſt favorable à vos
feuilles ; que le murmure en eſt doux !
Quelest ce bruitque j'entens , qui agite
ainſi ces grappes ? Sont - ce les zéphirs ?
Mamuſe le croit ainfi . -Ou ce ſont des
ſylphes légers , * que d'officieux zéphirs
portent fur leurs aîles. Ils ſe jouent avec
de petits amours , s'aſſemblent ſur le coton
des grappes &folâtrent dans ce labyrinthe
délicieux . Sont-ils fatigués , ils ſe
couchent fur les feuilles des pampres , ou
ſe baignent dans le ſein des roſes & s'endorment
ſur l'oeiller. Leur plaifir redou-
'ble lorſqu'une jeune beauté a cueilli la
fleur ; ils badinent avec volupté ſur ſon
ſein d'albâtre.
-
* Il y a dans l'original , atomen kéinftigen
fraünde, des atomes d'Amis à venir ou prochains.
OCTOBRE. 1770 . 23
O mes amis ! vous êtes à préſent dans
les bras du ſommeil . Ah ! que n'êtes- vous
ici ? déjà j'aurois entendu vos chants !
j'aurois volé vers vous; ma voix ſe ſeroit
unie aux vôtres , j'aurois partagé votre
joie , ah ! je l'aurois encore excitée.
Mais quels accens ? mes joyeux compagnons
paroiſſent ſur le côteau ! Peutêtre
eft- ce Bacchus avec ſa ſuite qui vient,
par ſa préſence , embellir ces lieux .
C'eſt vous , mes amis ! je vous vois !
vous montez ſur le côteau ! venez ! couronnons-
nous de pampre , aſſeyons- nous
ſous ce berceau , accordons nos voix; les
bocages d'alentour retentiront de nos
chants ,& les échos les rediromt aux échos .
Le faune qui ſommeille dans ſon antre
nous entend & s'éveille : étonné , il écoute
, ſe lève , ſaute , bégaie quelques fons
enroués & finit par ouvrir ſon outre .
Phébus paroît fur ſon char , derrière
cette montagne , il nous trouve encore.
Ah ! s'écrie - t- il , jamais je n'ai goûté de
joie auſſi pure , depuis que je ſuis rétabli
dans l'Olimpe ! il dit & raſſemblant des
nuës épaiſſes , il fait ſuccéder un triſte
jour à la plus belle des nuits.
Traduit de l'allemandde M. Gessner
par Mlle Matné de Morville.
يت
24 MERCURE DE FRANCE .
VERS contre l'inoculation qui ont engagé
la Demoiselle à qui ils étoient
adreſſés à se faire inoculer.
JEUNE & charmante Roſalie ,
Ne croyez point aux inoculateurs ;
Fermez l'oreille à toute apologie
D'un art qui vous expoſe à de très - grands
malheurs .
On vous dira qu'en Circaſſie
Ce ſecretdès long- tems conſerve la beauté.
Ce n'eſt pas un bonheur d'être en Francejolie ,
C'eſt plutôt un obſtacle à la félicité.
Une belle ame , un coeur ſenſible ,
Font à regret des malheureux ,
L'honneur n'en veut pas moins qu'on ſoit inacceffible
Au ſentiment qui parleroit pour eux,
Il eſt vrai qu'en tous lieux vous feriez adorée ;
Que cet art de vos lys conſervant la fraîcheur ,
Et de tous vos attraits aſſurant la durée ,
De R** & M** (1) on vous croiroit la ſoeur :
Mais il faudroit recevoir nos hommages ,
(1) Deux Dames de la même ſociété , fort jolies,
Vous
OCTOBRE. 1770 . 25
Vous ſeriez expoſée à la célébrité ,
Du venin bienfaiſant attendez les ravages ,
Ils vous affureront la douce obſcurité .
Par M. le Chev de Freſlon , capitaine
aide- major du régiment des Vaiſſeaux .
RÉPONSE de la mere de Rofalie.
COURAGE , Chevalier , travaillez à détruire
Ce fléau que Tronchin vous apprit à braver ,
Malte du moins doit conferver
L'être qu'elle a fait voeu de ne pas reproduire.
Par le même.
A la belle Agnès , en lui envoyant une
immortelle & un anana le jour d'une
defes fêtes .
L'aimable dieu que j'ai choisi pour maître ,
Par ſa douce chaleur féconde l'Univers .
La terre ne produit que ce qu'il y fait naître.
Il embellit le plaisir d'être ;
Il inſpire les jolis vers .
Si ce Dieu , qu'en tremblantje ſers ,
11. Vol. B
26
1
MERCURE DE FRANCE.
Me prêroit ſa lyre immortelle ,
Je chanterois d'une façon nouvelle ,
Tes vertus , ta belle ame & tes charmes divers .
Mes vers , en peu de mots , diroient beaucoup de
choſes.
J'en proſcrirois les lieux communs .
Ils brilleroient ſans fadeur , fans emprunts ,
Comme tes graces & tes rofes .
Voltaire qui nous étonne
Par les riches beautés de fon mâle langage ;
Seroit auſſi jaloux de mon petit ouvrage ,
Que d'Athalie & de Cinna .
Mais l'éloquence , hélas ! n'etant pas mon partage
;
Modeſte dans mes voeux , ſimple dans mon hommage
,
Je t'offre une immortelle avec un anana.
ParM. le François , ancien
officier de cavalerie.
MPROMPTU . A Mlle d'Avejan , au
Sujet d'une pièce de vers adreſſée dans un
bal , à la plus belle.
ΟN cache envain le nom de la beauté divine
Dont on nous peint ſi bien les graces , les appas ;
4
OCTOBRE. 1770 . 27
Qui vous connoît ne le demande pas,
Qui vous voit d'abord le devine .
Par le même."
CHANSON à Mde d'A ** , qui l'a
demandée pour Mlle sa soeur.
Sur l'AIR : de la Romance de Gaviniés.
Sans ANS l'aimer de tout fon coeur
On ne peut connoître ma soeur ;
L'objet le plus joli ,
Le plus accompli ,
C'eſt ***.
Dieux! quelle ſageſſe !
Dans ſon eſprit quelle ſineſſe !
Que j'aime ſa voix ,
Son minois!
Je dirai ſans cefle :
Sans l'aimer de tout ſon coeur
On ne peut connoître ma soeur ,
L'objet le plus joli ,
Le plus accompli ,
C'eſt ***,
Par M. *** , d'Auxerre .
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
LE RENARD & LE DOGUE.
Fable.
CERTAIN renard d'un coq faifoit ſon ordinaire.
Des reftes de la bête & du renard aufli
Un mâtin s'emparoit. Ami ,
Dit le matois au chien , que veux- tu faire a
Ce que tu fais , répondic celui- ci.
Sans être coq , renard ou dogue ,
Ni même bel eſprit ; fans moi
Tout lecteur pourra bien , je croi ,
Trouver le ſens de l'apologue .
LE CHÊNE & L'ARBRISSEAU、
Apologue.
Un arbrifleau végétoit à l'ombrage
D'un chêne fier & vigoureux ,
Dont la tête orgueilleuſe élevoitjuſqu'anx cieux
Le fuperbe contourde ſon épais feuillage.
Fâché d'un pareil voisinage ,
OCTOBRE. 1770 . 29:
Un jour l'arbrifleau dit : « Que je ferois heuɔɔreux
,
>> Si j'étois feul dans ces aimables lieux !
>>L>e front couronné de verdure ,
>> J'y ferois le plaiſir des yeux
>>Et l'ornement de la nature.
:
>>Mon voiſin ne doit ſa grandeur
>> Qu'au détriment de ma ſubſtance ;
>> Plus loin de lui , plein de vigueur ,
>>>Je montrerois mon exiſtence ... "
:
Livré dans ce moment à toute ſon humeur,
Il déclamoit encor , lorſque ſoudain la foudre
Frappe le chêne & le réduit en poudre.
Que devient l'arbriſſeau ? Tremblez , vous qui des
grands
i
Ne demandez que l'opprobre & la chûte :
Ce jeune arbuſte aux injures du tems ,
Foible , iſolé , demeure enbutte ,
Et périt le jouet de l'orage&des vents .
ParM. Dareau , à Guéretdans laMarche.
Bij
30 MERCURE DE FRANCE.
PORTRAIT DE ZELMIRE ,
à Riom en Auvergne.
Un front ferein ,
Un air humain ,
Eclat de roſe
Tout- fraiche écloſe :
De beaux yeux bleus ,
De blonds cheveux ;
Bouche riante ,
Appétiſſante.
Debruns ſourcis ,
Blancheur de lis ;
Gorge éclatante ,
Eblouiflante ;
Corſage fin .
Quoi plus enfin ?
Sous mouffeline
D'autres appas
Qu'on ne voit pas
Mais qu'on devine.
Jambe qu'amour
A faite au tour ;
Pié qui des graces
Marque les traces ;
Eſprit charmant ,
1
OCTOBRE. 1770. 31
Coeur excellent ;
Un peu lévère ,
Mais ſans myſtère ;
Fille fans fard
Qui plaît ſans art :
Fille jolie ,
Fille accomplie :
De ſon portrait
Voilà l'extrait.
Parlemême.
VERS à deux modernes Praxitèles , à
l'occaſion de leurs Vénus.
DES deux Vénus que votre art fit éclorre ,
J'admire l'une , & l'autre , je l'adore .
Par M. C ** , à Versailles ,
LE RETOUR DES VENDANGES .
LAISSE- là ta chaumière ,
Mon aimable Mopſus ,
Couronne- toi de lierre ,
Chante le dieu Bacchus ;
Dans ces jours Timarette
Oubliant les troupeaux ,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
Quitte la molle herbette
Et vient fur nos coteaux .
D'un ton plein d'énergie ,
Et le verre à la main ,
Vas publier l'orgie
Du puiſſant dieu du vin.
Célébrons la vendange ,
Son jus plus précieux
Que les tréſorsdu Gange ;
Et la liqueur des dieux .
Bergers , déjà l'automne
Fait ſes plus beaux préſens :
Amaſſons dans la tonne
Ces fruitsfi bienfaifans .
A l'ombre de nos treilles ,
Venez avec Moplus
Vuider quelques bouteilles
En l'honneur de Bacchus.
Les ris , l'amour volage ,
Pour combler nos defirs
Sur ce divin breuvage
Font nager les plaifirs ;
Tandis qu'une bergere
Répéte la chanson ,
Qu'hier fur la fougère
Elle apprit de Damon .
Par M. Merat d'Auxerre.
OCTOBRE. 1770. 35
JULIE ,
LE LEGS .
Proverbe dramatique.
PERSONNAGES :
foeurs âgées dedix-huità
1
VICTORINE vingt ans . Julie eſt l'aînée.
و
FANCHON , vieille fervante .
Mde FONTANGE , revendeuſe à la toi
lette.
UN FACTEUR.
Lascène est dans une ville de province,
chez les Diles Valmont. Ilest environ dix
heures du matin.
Le théâtre repréſente une falle baffe : on
y voit une table , un canapé & un petit
métier de tapifferie tendu.
SCÈNE PREMIERE.
JULIE feule : elle est affife & acheve de
monter un bonnet.
IL faut pourtant que je fois bien complaifante
: Mlle Victorine dort à fonaiſe
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
la graſſe matinée , & je la paſſe , moi , à
monter fon bonnet..... Ma tapiflerie
n'avance point pendant ce tems-là ....
La pauvre fille ! depuis qu'elle fait
qu'un de nos oncles nous a legué cent
mille écus & que cette fomme arrive fur
un vaiſſeau , la tête lui a tourné ; elle ne
fonge qu'à ſe donner des airs , elle imagine
mille manières de dépenſer cet argent
, toutes plus extravagantes les unes
que les autres . Reprenons notre ouvrage .
( Elle s'approche du métier de tapifferie &
travaille. )
SCÈNE II.
JULIE , FANCHON .
FANCHON , pleurant. Mademoiselle.
JULIE , travaillant fans la regarder.
Fanchon , ma ſoeur eſt- elle éveillée ?
FANCHON . Oui , Mademoiselle , je
viens de lui porter fon chocolat.
JULIE , levant les épaules. Dans ſon lit
ſans doute ( regardant Fanchon . ) Qu'astu
donc à pleurer ?
FANCHON . Dame ſi je pleure , c'eſt
que j'en ai ſujet; depuis vingt ans que je
fers dans la maifon & fans reproches ,
1
OCTOBRE. 1770 . 3
Dieu merci , me voir donner comme çì
mon congé , çà n'eſt guère gracieux .
JULIE . Ton congé , & qui eſt- ce qui te
congédie?
FANCHON. Et mais , c'eſt Mlle votre
foeur : à çt'heure qu'elle dit qu'il lui eſt
venu de l'autre monde de quoi faire la
groffe Dame , elle ne veut plus de mon
ſervice ; il lui faut une femme-de- chambre.
JULIE. Ma ſoeur eſt une folle , elle
prendra ſi elle le veut une femme-dechambre
, mais je te retiens , moi , entends-
tu ? tu ſeras à mon ſervice.
FANCHON . Bon , je ne ſervirai plus que
vous , toute ſeule ?
JULIE . Non , Fanchon .
FANCHON. Ah que je fuis contente !
tenez , ma bonne Demoiselle , ſije pleurois
, c'étoit de vous quitter ; car vous êtes
ſi douce , ſi bonne ...
JULIE . C'eſt bien , Fanchette ; va , rerourne-
t- en dans ta cuiſine , fais bien ton
ouvrage , tu n'auras à faire qu'à moi .
FANCHON. Mlle votre ſoeur m'avoit
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
donné bien des commiflions , mais je ne
les ferai qu'avec votre petmiflion , dà ...
JULIE. Quelles ſont ces commif-
Gons?
FANCHON. Ah, ma foi , il y en a tant
&tant que je ne m'en fouviens plus : elle
les a toutes griffonnées fur ce morceau de
papier-là. (Elle donne un papier.)
JULIE. Donne;je crois que voilà qui
contientde jolies chofes, ( elle tit ) Paffer
chez Jolibois & lui demander où en font
mon caroffe & mes deux berlines doublées
de velours d'Utrecht.
-ChezM. Jacquinot procureur , & leprier.
d'arrêter pour moi le prix de la maison de
Beauregard.
-Chez M. Doré,jouaillier , &c. Oh ciel!
que d'extravagances ! ma pauvre fooeur a
tout à fait perdu l'eſprit.
SCÈNE III.
VICTORINE , JULIE , FANCHON.
VICTORINE entre en deshabillé. Bon
jour , ma petite foeur , que je te conte le
rêve le plus charmant.
JULIE. Oui , je crois que tu rêves de
belles chofes
OCTOBRE. 1770. 37
VICTORINE , avec transport. Je t'en
répons : imagine toi , ma petite foeur, que
notre vaiſſeau étoit arrivé chargé de richeffes
immenfes. J'étois là préſente ,
comme tu dois le penſer ; oh , ma chere
foeur , quel plaifir ! jamais , jamais on n'a
vu tant d'or. Le vaiſſeau en étoit rempli...
Et puis c'étoit la mine des gens du vaiffeau
, matelots& paffagers , qui étoit divertiſſante...
Mon or & moi partagions
leur admiration & leur reſpect. Dieu fait
avec quel air de dignité je foutenois mon
nouveaurôle : enfin j'étois fur le point de
fendre la preſſe de ces importuns &de faire
enlever ma fortune...
JULIE , riant. Loiſque tu t'es éveillée ,
n'est- ce pas ?
VICTORINE . Oui , cette miférable Fanchon
a ouvert la porte de ma chambre
&je me fuis éveillée en furfaut. Oh ! je
crois que je l'aurois bien battue.
JULIE . Effectivement, il est déſagréable
de ſe réveiller en pareille circonftance;
ſi je n'étois que de toi ,j'irois me coucher
pourachever mon rêve.
VICTORINE. Ne penſe pas rire ; j'étois
fi contente que je ſouhaiterois de tout
mon coeur dormir ainſi pendant toute ma
vie.
38 MERCURE DE FRANCE.
JULIE , à Fanchon. Fanchon , allez
dans votre cuiine .
FANCHON . J'avois oublié de demander
le bonnet de Mile Victorine.
JULIE . La voilà elle-même pour le
demander.
VICTORINE . A propos de mon bonnet
, tu ne l'as ſurement pas monté , ma
petite foeur; laiſſe - le juſqu'à tantôt , je
t'en prie .
JULIE. Pourquoi donc , tu me preffois
tant?
VICTORINE. Bon , eſt ce que tunevois
pas que je ne puis plus mettre une pareille
guenille; la dentelle ne vautque fix francs;
ondoit m'en apporter à l'inſtant à quatre
louis.
JULIE . A quatre louis !
VICTORINE. Oui , ma bonne amie ,
j'en aurat pour le bonnet & pour deux pairesde
manchettes à trois rangs .
JULIE . Bon Dieu ! & où prendras-tu
pour payer tout cla ; nos revenus font
modiques , & jamais notre tuteur ne vou
dra donner cet argent- là .
VICTORINE . Net'inquiéte pas , va, j'ai
bon crédit.
:
OCTOBRE. 1770 . 39
JULIE. Mais enfin , il en faudra toujours
venir à s'acquitter.
VICTORINE. Oui , & ces cent mille
écus qui nous viennent du legs de notre
oncle, nous ne ſommes que deux pour
les partager ; eſt-ce qu'ils ne me mettent
pasdans le cas de fournir à ces dépenſes ?
JULIE . Hum , c'eſt tout au plus ; fi tu
continues , cela n'ira pas loin ; un caroffe ,
deux berlines , une maiſonde campagne .
Que fais-je , moi ? de ce train-là , ce legs
ſera bientôt mangé .
VICTORINE. Que veux- tu dire , un caroſſe
, deux berlines , une maiſon de campagne
?
JULIE. Oh , c'eſt que je préſume qu'il
faudra de tout cela à une grande Dame
comme toi ; mais notre tuteur ne fera
peut être pas de cet avis , & malheureuſement
ces fonds-là feront unpeudetems
entre ſes mains.
VICTORINE. Il faudra bien que notre
tuteur entende raiſon , ſije ſuis riche , je
veux me ſentir de mon bien . Mais je vois
que cette fotte de Fanchon t'a parlé. ( à
Fanchon) Qu'est ce que vous faites ici ,
ma mie ?
40 MERCURE DE FRANCE.
FANCHON . J'attens la fin de votre rêve,
Mameſelle ; il eſt i joli.
VICTORINE . Mais , voyez cette imper
tinente ; vous devriez être dehors , ma
bonne ; je vous avois dit que nous n'avions
plus beſoin de vous.
FANCHON. Aufli ne vous appartiens-je
plus , non : je ne ſuis plus qu'à Mile votre
foeur toute fine ſeule , afin que vous le
fachiez.
JULIE. Fanchon , encore une fois , allez
à votre cuiſine.
(Fanchon fort , en faisant la mine à
Victorine.)
SCÈNE IV.
JULIE , VICTORINE .
VICTORINE . Quoi , tu gardes cette
vieille faliffon-là ?
JULIE. Sans doute , pourquoi non ?
VICTORINE . Tu n'as pas de raiſon , ma
foeur ; pour moi je ne veux plus de cette
figure , fi donc c'eſt bon , pour fervir
dans une auberge .
JULIE. Tu feras comme tu voudras ;
pour moi , j'en fuis contente ; elle eſt
fidèle , ſoigneuſe , intelligente ; ce font
OCTOBRE. 1770 . 41
4
des qualités impayables chez ces fortes de
gens , en conféquence je la garde. D'ail--
leurs c'eſt un vieux domeſtique , qu'il y
auroit de la barbarie à renvoyer maintenant.
VICTORINE. Quoi , tu ne veux pas entendre
que , dans notre état préſent, cette
tille ne nous convient point : cela faute
aux yeux pourtant; car enfin nous fommes
pour faire une certaine figure actuellement
; il faut nous monter ſur un
certainton ; nous ne pouvons nous difpenſer
d'avoir chacune une femme- dechambre
, & puis une cuiſiniere & une
bonne groffe fille pour tout le tracas fatigantdu
ménage.
JULIE , riant. Et quand tu auras ton
caroffe & tes berlines, il en faudra bien
d'autres.
VICTORINE , d'un airpiqué. Je lecompte
bien auſſi . J'ai déjà arrêté une femmede-
chambre pour moi ; c'eſt une grande
brane , affez jolie , les yeux vifs , fort
bien miſe : elle fort de chez une préſidente
qui l'a renvoyée parce qu'elle plaifoit
trop à fon mari.
JULIE . En vérité , ma ſoeur , je craindrois
qu'on t'entendît , tu paſſerois pour
folle achevée au moins. Cet état florif42
MERCURE DE FRANCE.
fant , cette fortune conſidérable qui nous
met dans le cas de faire la figure la plus
brillante ; où tout cela eſt-il ? fur l'eau .
Du reſte rien de plus médiocre que nos
biens.
VICTORINE . Mais , eſt ce que cela peut
nous manquer ?
JULIE . Mais ſi le vaiſſeau fait naufrage.
VICTORINE. Oh fi ... G ... G la maiſon
tombe , nous ferons écrasées ; tu n'as
que des malheurs à prévoir !
JULIE. Ma chere ſoeur , parlons raiſon
ſi tu veux l'entendre; cette fortune qui
t'enchante , qui te met hors de toi - même,
n'eſt pas encore arrivée , il ſe peut même
faire qu'elle n'arrive point; car tu as beau
dire , cela eſt très - poſſible ; quel inconvénient
y auroit-il pour toi de te mettre
en état de t'en paſſer ? Aucun , je penſe ,
tu n'en ſentirois pas moins le prix lors
de fon arrivée : c'eſt le parti que j'ai pris :
la nouvelle de ma fortune ne m'a point
aveuglée , je n'ai point changé mon premier
genre de vie ; ſi nos eſpérances ſe
trouvoient trompées , je ne ſerois point
fans reſſource , &mon économie me tirera
toujours d'affaire. Je ne peux te diffimuler
, ma chere ſoeur , qu'il en eſt bien
OCTOBRE . 1770 . 43
autrement à ton égard. Dieu veuille que
tu n'aie jamais lieu de t'en repentir.
VICTORINE , baillant. Ah ! finis donc ,
tu me fais bailler , tu as le talent de voir
d'une maniere ſombre & triſte les objets
les plus rians .
JULIE. Mais enfin que t'auroit il coûté
d'attendre l'arrivée de ce vaiſſeau , avant
que de t'engager ainſi dans toutes fortes
dedépenſes .
VICTORINE , avec vivacité. L'impatience
de jouir... on ne peut être heureux
aſſez tôt , ni aſſez long-tems .
SCÈNE V.
JULIE , VICTORINE , FANCHON .
FANCHON , à Julie. Il y a une femme
là bas qui porte une boîte ſous ſon bras ,
faut- il la faire entrer , Mademoiselle .
JULIE . Oui , Fanchon. ( à Victorine. )
C'eſt probablement à toi qu'on en veut.
1
SCÈNE VI .
JULIE , VICTORINE , Mde FONTANGE ,
portant un carton fous le bras.
Mde FONTANGE , faisant une profonde
révérence. Votre ſervante , Meſdemoiſel44
MERCURE DE FRANCE.
les , laquelle de vous deux , s'il vous plaît,
eft Mile Victorine Valmont.
VICTORINE ,fans fe lever , d'un airnégligent.
Je fais ce que c'eſt : vous êtes la
veuve Fontange fans doute , apportezvous
mes dentelles !
Mde FONTANGE. Oui , Mademoiselle.
( Elle ouvre le carton & en tire les dentelles.
) Vous pouvez vous vanter d'avoir là,
ce qu'il y a de plus diſtingué. J'en portai
l'autre jour de pareilles à la veuve d'un
caiffier , parce qu'une femme de condition
les avoit trouvées trop cheres ; aufli
me furent- elles payées cent francs.
JULIE , examinant les dentelles. Voilà
qui est vraiment magnifique.
VICTORINE . Cela ſuffit : Mde Fontangevous
pouvez les laiſſer , le prix eſt arrêté
à quatre louis .
Mde FONTANGE . Hélas , ma chere Demoiſelle
, c'eſt marché donné , j'y perds ,
en vérité; mais, pour obliger une aimable
perſonne comme vous , qui 'm'a promis
ſa pratique , il faut faire des efforts , &
puis j'eſpère que vous me dédommagerez
une autre fois.
:
VICTORINE. Oui, oui , allez, ma chere,
je vous affure que vous trouverez en moi
OCTOBRE. 1770 . 45
une de vos meilleures pratiques... Vous
pouvez laiſſer vos dentelles , vous dis - je ,
jelesprens.
Mde FONTANGE. J'entens bien , Mademoiſelle
, mais ... de l'argent.
VICTORINE. Ne ſoyez pas inquiete ,
cela vous ſera payé dans quelques jours.
Mde FONTANGE . Dans quelques jours,
¡elle renferme ſes dentelles ) oh , Mademoiſelle
, je ne peux pas attendre, je ſuis
une pauvre femme qui vis au jour la journée
, voyez vous ; & puis qui eſt- ce qui
me répondra de ma marchandiſe ?
JULIE , à part. Que voilà qui eſt bien
fait!
VECTORINE ,se levant. Mais, ma chè
re Mde Fontange , vous n'y penſez pas ;
je ſuis bonne , je crois , pour payer vos
dentelles , &le tems queje vousdemande
n'eſt pas long.
Mde FONTANGE. Er mais , bonne , ſi
vous voulez , je n'entre point là- dedans ,
moi ; toujours eſt- il que je ne peux vous
les laiſſer à crédit que vous ne me donniez
un bon répondant.
JULIE , àfafoeur. Laiſſe cela , ma ſoeur ;
cette femme va d'impertinences enimper
46 MERCURE DE FRANCE.
tinences , & elle eſt décidée à remporter
fes dentelles.
VICTORINE , à Julie vivement. Mademoiſelle
, mêlez vous , s'il vous plaît, de
vos affaires. En vérité , Mde Fontange ,
cela est bien înal à vous ; nous allons toucher
inceſſament un legs de cent milte
écus qui nous vient d'un oncle qui avoit
faitune fortune conſidérable dans les Indes.
Mde FONTANGE , froidement . Il eſt vrai
qu'ily a un peu de tems que j'en ai entendu
parler , mais cela ne vient guère vite.
VICTORINE , avec viteſſe & s'approchant
deMde Fontange. Et fi , mabonne : cet
argent arrive ſur un vaiffeau , nous l'attendons
de jour en jour , vous ne pouvez
manquer d'être payée.
Mde FONTANGE . Oh bien , je vous
garderai les dentelles: faites moi avertir
dès que le vaiſſeau fera arrivé.
VICTORINE , la careſſant d'un airfuppliant.
Ma chere Mde Fontange , je ſuis
morte fije ne porte pas dimanche ces dentelles
; j'en ai parlé à quelques amies qui
s'attendent à me les voir , & qui me défespéreront
fi je ne les ai pas .... vous
rêvez.
OCTOBRE. 1770. 47
Mde FONTANGE . Oui , je rêve ; mes
dentelles me reviennent à plus de quatre
louis , après cela comment les donner à
crédit & à perte encore .
VICTORINE , vivement. Hé , qui eſt- ce
gai vous dit de les donner à perte ?
JULIE . Mde Fontange , ces dentelleslà
font belles , mais franchement vous les
portez au- delà de leur valeur.
Mde FONTANGE , d'un air dédaigneux .
Au - delà de leur valeur ! des dentelles
comme celles là ? Vous êtes connoiffeuſe
à ce qu'il me paroît. Au-delà de leur valeur.
Est- ce qu'on veut voler le monde ,
eſt- ce qu'on n'a pas un honneur à garder ?
(Elle fait mine de s'en aller. )
VICTORINE , l'arrêtant. Et mon Dieu ,
laiſſez la dire , c'eſt à moi ſeule que vous
avez affaire . ( à Julie ) Ma foeur , je vous
avois prié de nous laiffer tranquilles .
Mde FONTANGE , revenant . Mais, Mademoiselle
, je ſonge que je ne puis me
riter honnêtement qu'en les laiſſant à
quatre louis & demi... Oui , de cette
façon- là , je puis en confcience vous les
donner à crédit pendant quelques jours,
48 MERCURE DE FRANCE.
SCÈNE VII .
JULIE , VICTORINE , Mde FONTANGE ,
UN FACTEUR .
LE FACTEUR , donnant une lettre . A
Mile Valmont l'aînée; dix-huit ſols .
JULIE , prenant la lettre. De l'Orient :
voilà des nouvelles ſûrement , je reconnois
l'écriture de notre correſpondant. (au
Facteur , en le payant. ) Tenez , mon ami .
(Le Facteur s'en va. )
SCÈNE VIII .
JULIE , VICTORINE , Mde FONTANGE .
Julie parcourt la lettre. Victorine la lui
prend avec vivacité.
VICTORINE. Donne que je la life , ma
foeur.
JULIE , triſtement. Tiens , va , je l'avois
preſque prévu.
VICTORINE , après avoir lu quelques
lignes. Ah Ciel ! tout eſt perdu. (Elle se
jettefur un canapé , la tête penchéefurfes
mains , dans l'attitude de la douleur la
plus profonde. )
JULIE.
OCTOBRE. 1770. 49
JULIE. Et bien ... la folle ... voyez le
bel état... Maudit amour du luxe ! .. je
n'aurois jamais cru qu'elle ſe fût affectée
à ce point-là .
Mde FONTANGE , à part. Voilà les
cent mille écus à vau-leau , allons nousen
. ( Elle s'esquive. )
SCÈNE IX . & DERNIERE.
JULIE , VICTORINE .
VICTORINE , pleurant. Ah , ma chere
ſoeur ! me voilà perdue , ruinée , anéantie
! comment cela s'eſt il pu faire ?
JULIE. Riende plus ſimple , le vaiſſeau
a fait naufrage à la vue du port , & la mer
a englouti notre fortune.
VICTORINE . Comme tu contes cela
tranquillement , ah ciel ! .. Après un coup
pareil conferver ſon ſang froid! ... Mais
tu as raiſon , tu te tireras toujours d'affaire...
C'eſt moi, malheureuſe que je
fuis ... C'eſt moi ſeule que ceci regarde
... Ah , mon Dieu ! je n'y ſurvivrai
pas. ( Ses pleurs redoublent. )
JULIE . Et bień , &bien , tu ne deviendras
doncjamais ſage ; allons , ma chere
foeur , tire profit de ce malheur , qu'il te
II. Vol. C
So
MERCURE DE FRANCE.
ſerve à te corriger ; conſole - toi , tu n'es
pas plus à plaindre que moi , nous vivrons
enſemble tant que tu voudras : notre fortune
toute médiocre qu'elle eſt , avec de
l'économie , ſuffira pour nous tirer d'affaire
toutes deux très-honnêtement ; je ne
te demande ſeulement que de dépoſer
tes grands airs ; nous ſommes hors d'état
de les foutenir. Voilà un petit mémoire
de dépenſes qui eſt le comble de l'extravagance
, je crois que tu n'y fonges plus ;
(elle donne le mémoire à Victorine qui le
déchire fans le regarder.) Du reſte je te
difpenfe de me ſeconder ; ce ſeroit trop
exiger , tu n'y es pas encore accoutumée ;
tu feras , ſi tu veux pour cela , quelques
efforts.
Victorine ne trouvant point d'expreſſions
pour remercierfa foeur,ſejette àfon cou
& l'embraffe les larmes aux yeux .
JULIE. Que ceci te ſerve de leçon. Deviens
plus ſage& je ſuis contente. Souviens
toi bien que c'eſt avec raiſon que le
proverbe dit.....
Par M. G ** , Avecat à Auxerre.
Le mot du proverbe dramatique inféré dans le
premier volume d'Octobre est bonsang ne peut
jamais mentir.
OCTOBRE . 1770 .
CHANSON , tirée en partie de la première
Idille de Mofchus .
Sur l'AIR : Jeſuis ne pour leplaisir , bienfou
qui s'en paſſe , &c .
LAA
mère du tendre amour ,
Nuit & jour loupire ;
On n'entend plus dans ſa cour
Folâtrer , chanter & rire .
Vénus a perdu ſon fils ,
)
Sa perte a banni les ris
De ſon charmant empire.
Humains , dit-elle en pleurant ,
Si mon mal vous touche ,
Cherchez -moi , mon cher enfant ,
Vous connoiffez le farouche.
Celui qui le trouvera ,
Pour ſa peine cueillera
:
F
Trois baiſers ſur ma bouche.
Le fripon porte un flambeau ,
Un carquois , des aîles ,
Ses yeux , malgré ſon bandeau ,
Cij
52 MERCURE DE FRANCE .
Font partir mille étincelles.
Défiez - vous du méchant ;
Prenez garde , en le cherchant ,
A ſes fléches cruelles .
Bornez vos ſoins douloureux ,
Brillante déefle ,
Iris a dans ſes beaux yeux
L'objet de votre tendreſſe.
Enchanté de tant d'attraits
Il s'y cache , & de ſes traits
C'eſt de- là qu'il me bleſſe .
Mais ſi des baifers promis
Votre coeur conteſte
Le loyer qui m'eſt acquis ,
Au lieude ce don céleste ,

Obtenez pour moi d'Iris
Un ſeul baifer ; à ce prix
Je vous quitte du refte.
ParM. Des-Forges Maillard.
OCTOBRE. 1770. 53
CAPRICE.
Sur l'AIR : Je neſuis né ni Roi ni Prince.
1
Si les beautés d'argent avides ,
En bâtiſſoient des pyramides
Comme Rodope fit jadis ; *
Grace aux largeſſes de ces filles ,
La noble ville de Paris
Ne feroit qu'un grand jeu de quilles.
Parle méme.
L'EPERVIER & LA CORNEILLE.
Fable.
Ne veux-tu point penfer à l'hymenée ?
Diſoit une corneille à certain épervier .
* Hæc funt pyramidum miracula ;fupremumque
illud ne quis Regum opus , miretur , minimam
ex his , fed laudatiſſimam , à Rhodope meretricula
factam .
C. Plin. fecundi hist . lib . 36.
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
Vieux garçon , philoſophe , aimé dans ſon quartier
,
Ayant l'amebonne & bien née
Autant qu'oiſeau de ſon métier .
Brunette , lui dit- il , pourquoi multiplier
Sur les foibles oiſeaux une engeance acharnée.
Notre nombre contre eux n'eſt déjà que trop
grand
Ah! la gent épervière au bec dur & tranchant ,
A la rapine habituée ,
Aflez fans mon ſecours ſera perpétuée.
Que d'hommes dans le monde en pourroient dire
autant !
Par le même.
EPIGRAMME contre un mauvais Poëte
médifant , dont le très- petit corps eft
emmanché d'un très - long cou.
PETIT mauvais Poëtereau
Qui vous croyez poëte infigne ,
Si vous avez le cou d'un cigne ,
Vous avez la voix d'un corbeau.
Par le même.
OCTOBRE. 1770. SS
Remontrance charitable à une jeune Perfonne
jolie & lettrée , qu'on preffoit
d'épouser un homme d'un âge fort
avancé.
Sur l'AIR : Des triolets.
Un jeune époux , homme à talens ,
Iris , feroitbien votre affaire :
Vous aimeriez dans ſon printems
Un jeune époux , homme à talens.
Mais Jean peut- il en cheveux blancs
Avoir tous ceux qu'il faut pour plaire.
Unjeune époux , homme à talens ,
Iris , feroit bien votre affaire.
Par le même.
Epitre à M. l'Abbé Aubert , au sujet
defes fables.
RIVAL charmant de la Fontaine ,
J'admire ces rians tableaux ,
Où tu peins , ſous le nom de divers animaux ,
Civ
56 MERCURE DE FRANCE .
Les travers de l'eſpèce humaine.
L'homme , contre la loi , mutiné vainement ;
C'eſt le Dogue Mouflar , * traînant par - toutfa
ohaine.
Cet ane philoſophe , indocile & gourmand ,
Nous peint la créature ingrate envers ſon maître.
Ces animaux , ce peuple vain ,
Aqui le docteur Merle annonce un ſouverain
Que ſous leurs propres traits ils ont cru reconnoître
,
Repréſentent l'orgueil humain ,
Attribuant à Dieu les défauts de ſon être .
Les fourmis ſont pour nous un exemple frappant
Des maux qu'entraîne l'anarchie ,
Quand pouvant vivre heureux dans une monarchie
Onveut vivre indépendant ;
Et la leçon eſt applicable
Atout autre gouvernement.
Par- tout , dans tes écrits , je vois un ſage aimable
Qui ſaiſit la nature & la rend avec goût ;
* Vers de M. l'Abbé Aubert.
OCTOBRE. 1770. 57
Mais je ſuis enchanté ſur- tout
Des tendres ſoins de la fauvette ,
Des propos médiſans du babil de Nanette.
Tu veux nous réformer par d'utiles leçons ;
Mais le charme de tes crayons
Nous adoucit l'aigreur d'une morale auſtère ;
Aide- nous à porter un joug ſi ſalutaire !
L'homme eſt comme un enfant malade à qui le
Ciel,
D'un peu d'abſynthe , a deſtiné l'uſage ;
Si le vaſe eſt bordé de miel ,
Il trouvera moins amer le breuvage.
Quand notre Fablier mourut ,
On crut long-tems ſa perte irréparable.
L'apologue en gémit : le préjugé s'accrut
Par le ſuccès peu favorable
Qui , de ſes concurrens , couronna les travaux :
En voulant lui donner des ornemens nouveaux ,
On défigura la nature.
Aucun d'eux n'a connu ſa naïve parure.
La Fontaine emporta ſon ſecret au tombeau:
On veut parer Vénus , croyant la rendrebelle ;
Mais cet auteur charmant te remit ſon pinceau':
Lebon goût dont il eſt encore le modèle ,
Cv
SS MERCURE DE FRANCE.
Tu le poflédes aujourd'hui :
La fable , dans tes vers , reçoit un nouvel être :
Tun'aspas déplacé ton maître ;
Mais tu t'aſſieds auprès de lui.
Par M. Cahoüet , Chanoine regulier.
ELOGE de la Fontaine minérale de
l'Epervière , à une lieue de la ville
d'Angers.
Illa mihi pleno defonte miniſtrat.
OVID. FAS.
Dis que l'amante de Céphale
Ouvre la barrière du jour ,
Je vole ſur mon bucéphale ,
Plus galant que l'amant d'Omphale ,
Pour aller te faire ma cour :
Etma diligente paupière
N'attendjamais que la lumière
Lui vienne anoncer fon retour ;
Ouque le berger dans la plaine ,
Embouchant ſon bruïant pipeau ,
Ait reveillé la tendre écho
QueZéphir , par ſa douce haleine
OCTOBRE. 1770 . 59
Plongeoit dans un ſommeil nouveau .
Otoi , la reine des fontaines ,
Qui , dans les ſources fouterreines ,
Changes le cryſtal en liqueur ,
Ton eau qui roule dans mes veines
Yporteune douce chaleur
Qui rend l'équilibre à mon coeur.
Son lalutaire ſpécifique ,
Se partageant en cent canaux ,
Par la force du phlogiſtique
Chaſle l'humeur mélancolique ,
Remetdes principes nouveaux :
Etla rouille de tes méraux
Devient pour moi plus efficace
Que ces Fontaines du Parnafle
Dont tant de fois j'ai bu les eaux.
Dans les fources aganipides ,
Et dans les ondes caſtalides
Lorſque j'abreuvois mon cerveau ,
Je n'en remportois qu'une ivreſſe ,
Souvent la honte du permeſſe
Et l'ennui du chaſte troupeau :
Mais , dans tes eaux , chere Epervière ,
Je reprens ma force première
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE .
Qui , d'un vieillard près du tombeau ,
Fait preſqu'un jeune Jouvenceau :
Et de la triſte perſpective ,
De la fombre & fatale rive
àmort,*
Où ſont deſcendus mes aïeux ,
Tu recules le point affreux .
Déjà , dans ma nouvelle audace ,
Dirigeant un courſier fougueux ,
D'un pas rapide & ſourcilleux
Tenant la rête de la chaſſe ,
Je pourſuis un cerfà la trace
Qui bientôt pris de meute
Malgré ſes ruſes , ſes défaites ,
Toujours forcé dans ſes retraites ,
Verſe des larmes ſur ſon fort :
Et d'un long repas qui termine
Dans une ruſtique chaumine
La noble fatigue du jour ,
Bacchus célèbre le retour.
Cependant fur ſon char rapide ,
Sans que rien le puiſſe arrêter ,
Phébus , vers l'élément humide ,
* Termes de chaſſe.
OCTOBRE . 1770 . 61
Vole & va ſe précipiter :
Thétis , dans ſa grotte profonde ;
Va cacher le flambeau du monde ,
Le dérober à nos regards :
Et déjà , du haut des montagnes ,
L'ombre tombant ſur les campagnes ,
Raſſemble les troupeaux épars
Que le berger & la bergère ,
Quittant à regret la fougère ,
Vont mettre à couvert des hafards :
Et près de l'aimable Glycère ,
Ramenant le nouvel Eſon , *
On entend un ſexagénaire
Qui fait badiner la raiſon.
Mais hélas ! eſt - ce un avantage
De pouvoir reculer fon âge
Au-delà du terme fatal ?
N'interrogeons jamais le livre
Des deſtins du bien & du mal ;
Vivons , ſans deſirer de vivre;
Etpartons de ce point moral.
"Quand la Parque injuſte & volage ,
* Voyez le rajeuniſſement du vieillard Eſon ,
dans lesmétamorphoſes d'Ovide.
62 MERCURE DE FRANCE.
>>Détournant au loin ſes fléaux ,
>> Fermeroit ſur nous ſes ciſeaux
>> Pour vingt luſtres & davantage ,
>> L'homme n'en ſeroit pas plus ſage
>>>Et tous les tems ſeroient égaux. »
Par M. de la Soriniere.
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du premier volume du Mercure
d'Octobre 1770 , eſt Rime. Celui de la
ſeconde , Saiſons ; celui de la troiſième
Vaisseau ; celui de la quatrième , clef.
Le mot du premier logogryphe eſt Perroquet
, où l'on trouve , rue ,
pero , roue , Perou , proue , pot , Protée
Pó , été , or , er , or , or , ( adverbe ) tour,
tour , tour , pere , pet , rot , Epte , trop tot
& pur. Celui du ſecond eſt Bas , où ſe
trouve as , abs. Celui du troiſième eſt
Rateau , où le trouvent rat & eau.
route ,ur ,
,
OCTOBRE. 1770. 63
FILS
ÉNIGME
de Cybèle & neveu de Mérope ,
J'ai pluſieurs pères à la fois
Qui me font parcourir l'Europe ,
En poſte , à peine âgé d'un mois.
AUTRE.
DEVANT moi , chaque jour ,
Mille gens tour-à- tour
S'empreſſent de paraître .
Coquette & petit- maître
Sur- tout me font la cour ;
Le valet prend la place
Du fémillant marquis ,
Et la laideur efface
Juſqu'à la moindre trace
Des graces &des ris .
Par la Muse Auxerroise.
64 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
MA forme eſt arbitraire , & dans un beau
feftin ,
Je ſuis , ami lecteur , grand , moyen & pteit ;
Tour-à- tour je parois ſous un nouveau deſſin ,
Et ce que je préſente échauffe ou rafraîchit.
Malgré que deux amans , dégagés de tous
foins ,
Pour goûter le plaifir d'un tendre tête-à-tête ,
Se cachent des jaloux , évitent les témoins ,
Je puis être avec eux & j'ajoute à la fête .
Etes- vous amoureux ? Si de votre maîtreſſe
Vous n'avez éprouvé qu'une injuſte rigueur ,
D'elle vous pourrez prendre avec un peu d'adreſſe ,
Sur mes humides bords une douce faveur.
ParM. Vandart.
AUTRE.
JAARRIVE tous momens &je m'enfuis de même,
A tes yeux fort ſouvent j'emporte un grandbutin;
OCTOBRE. 1770 . 65
Et quoique rarement je ſuive un droit chemin ,
On peut me voir paſſer ſans aucun ſtratagême :
J'arrête un voyageur , ſouvent mal-à- propos ;
Je marche ſans relâche en cherchant le repos ;
Quand il fait mauvais tems , j'avance encor plus
vîte ;
Mais croiras - tu , lecteur , qu'avec tant de travaux
,
Mes voiſins ſont fâchés quand beaucoup je profite
?
Par M. B... à Sèves.
H
LOGOGRYPH Ε.
ONNEUR à la manique : un maître ſavetier
Va vous fervir un plat de fon métier
Et vous pouffer une petite botte.
Diable ! un grivois de ſa façon
N'a pas appris qu'à fiffler la linote ,
Le ſanſonnet & le pinçon .
Sans invoquer , comme c'eſt d'étiquette ,
Le dieu Blondin qui donne la-mi- la ,
Il a fait ce matin , à la bonne franquette ,
Le logogryphe que voilà .
66 MERCURE DE FRANCE.
MON édifice eſt de huit pièces ,
Qu'on les arrange artiſtement
On verra bien du changement.
Sans celui - ci , comment chanter des meſſes ?
Comment fans celui - là jouer du violon ?
Après ceux- ci c'eſt autre choſe :
Un poiſſon qui n'eſt point l'aloſe 3
Le cabriolet d'Apollon ;
Que fais- je encore ! quatre bêtes ,
L'une miaule , l'autre brait ,
Les autres font comme il leur plaît .
J'ai pitié de vos pauvres têtes .
Mes chers lecteurs , entre nous ,
Dires donc , en tenez -vous ?
Par M. le Chevalier d'Hugot.
AUTRE.
Dans le moral ou le phyſique ,
Me perdre eſt le plus grand malheur ;
Eſt il beſoin que je m'explique
Plus clairement , mon cher lecteur ?
OCTOBRE. 1770 . 67
Tien , ſi tu veux trancher ma tête ,
Je t'offre alors une ſaiſon ;
Mais chut , il faut queje m'arrête ,
Car j'ai dit en entier mon nom.
Par M. Poulhariez, écuyer.
M
AUTRE.
ON cher lecteur , je ſuis un aliment ,
Neufpiés font toute ma ſtructure.
J'ai d'abord un pronom avec un élément ;
Un métal précieux que produit la nature ;
Un Saint de Montpelier ; des forêts l'inſtrument ;
Ma dernière moitié fait l'ornement de Flore :
Si tu la mets à bas , malgré ce changement ,
Je ſers de nourriture encore.
Par M. Bouvet , de Gifors.
68 MERCURE DE FRANCE .
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
,
,
Obfervations fur Boileau , fur Racine
fur Crébillon , fur M. de Voltaire
& fur la Langue Françoiſe en général ,
par M. d'Acarq , des Académies d'Arras
& de la Rochelle , à Paris , chez
Valade , Libraire , rue S. Jacques ,
vis à- vis celle de la Parcheminerie .
"L'AUTEUR ayant fait imprimer en
> 1764 un très petit nombre de ces ob-
>> ſervations pour les communiquer à
>> quelques particuliers , & ne les ayant
>>point expoſées en vente ,juge à propos
>> de les donner ici au Public avec leur
" ſuite. Le tout enſemble ſervira depen-
> dant aux remarques de grammaire fur
>> Racine par l'Abbé d'Olivet , & contri-
>> buera à maintenir la pureté de la diction .
>> En nous acquittant d'avance vis- à- vis
>> de nos foufcripteurs des ſeize feuilles
>>de fupplément que nous avons promis
>> de leur fournir durant le cours de l'an-
» née entière , puiſſent - ils agréer notre
>> empreſſement & nous honorer de leurs
>>fuffrages ! >> رد
OCTOBRE. 1770. 69
M
Cefouhait eſtbien engageant; mais ,fur
la tournure de ce petit avis , il n'eſt pas
probable que beaucoup de gensjugent àpropos
de lire ces obfervations . On auroit
tort cependant , elles font curieuſes , &
nous eſpérons que l'expofé fort court que
nous en allons donner vaudra quelques
lecteurs à M. d'Açarq , & c'eſt ce qu'il
paroît defirer le plus.
Il examine d'abord l'art poëtique de
Boileau que nous critiquerons , dit- il , en
l'admirant toujours , & que nous n'aurions
garde de critiquer fans la double confidération
qui nous fert de motiffacré.
C'eſt en vain qu'au Parnaſſe un téméraire auteur
Penſe de l'art des vers atteindre la hauteur .
«Boileau ne ſemble- t- il pas confondre
>> dans ce ſecond vers l'art des vers avec
>>l'art poëtique , la partie avec le tout ? >>
S'il ne ſent point du ciel l'influence ſecrette ,
Si ſon aftre en naiſſant ne l'a formé poëte.
رد
د
« Le premier de ces deux vers ne ſe-
>> roit- il pas uniquement pour la rime
>> & le ſecond pour le ſens ? Boileau a
>> voulu rendre par ce diſtique le naf-
» cuntur poetæ que le premier vers ne
70 MERCURE DE FRANCE.
>> rend point , & que le ſecond rendroit
>>plutôt. A la rigueur ce que l'on fent
>> est - il Secret ? Ce qui eſt ſecret lefent-
>> on ? Ce qui eſt ſecret ne ceſſe - t- il pas
>> de l'être dès ſa naiſſance par ſon aftre ?
» Cela ne reſſemble-t- il pas un peu à la
>> doctrine horoscopique des phéniciens &
>> à celle de nos almanachs ? »
On s'attend bien que nous ne ferons
point d'obſervation ſur de pareilles ob-
Jervations. Nous nous contenterons d'affurer
les lecteurs que nous tranfcrirons
fidèlement .
Et conſultez long-tems votre elprit& vos forces.
« Votre eſprit & vos forces produit un
>> pléonafine vicieux : vos forces ſigni-
>>fient les forcesde votre eſprit. Il auroit
>> peut- être fallu dire :
>Et confultez long-tems votre eſprit& ſes forces.
»Ou:
>>>Et conſultez long- tems de votre eſprit les forces.
» Ou bien :
>> Et conſultez long- tems la valeurde vos forces .
» valeur auroit même répondu au quid
» valeant. »
OCTOBRE. 1770. 71
On voit que M. d'Açarq corrige bien
heureuſement Boileau. Il continue à le
critiquer de même.
Et juſqu'à d'Allouci , tout trouve des lecteurs.
« D'Aſſouci étant un auteur & non un
» ouvrage , tout le monde & non tout étoit
>> ce qu'il falloit dire,
Şes vers plats & groſſiers dépouillés d'agrément ,
Toujours bailent la terre & rampent triſtement.
« Des vers qui toujours baiſent la terre
>> ne dénotent- ils pas une muſe qui s'em-
> bourbe dans les marais du Permeſſe ? »
Comme M. d'Açarqa le ton noble &
le ſtyle ingénieux !
Vante un baiſer cueilli ſur les lévres d'Iris .
« Que fignifie un baifer cueilli ? Est- ce
>>un baiſer donné ? Est-ce un baifer reçu ?
Le baifer n'eſt cueilli dans aucun des
deux cas , 0
M. d'Açarq ſe connoît en baiſers com
me en vers . De l'art poëtique de Boileau
il paſſe à la Bérenice de Racine que M. de
Voltaire avoit déjà commentée ; mais
M. d'Açarq eſt bien un autre commentareur,
72 MERCURE DE FRANCE.
:
Cent fois je me ſuis fait une douceur extrême
D'entretenir Titus dans un autre lui -même.
<<N'eſt - il pas d'une fadeur extréme ce
>> premier vers ?
Je fuis des yeux diſtraits
Qui me voyant toujours ne me voyoient jamais.
« Toujours , jamais , voir , ne voir
>> point , n'eſt - ce point trop jouer ſur les
» mots ? »
La cour ſera toujours du parti de vos voeux.
« Métaphore outrée.
Foibles amuſemens d'une douleur fi grande.
« Vers puérile.
Hé quoi ! Seigneur hé ! quoi ! cette magnificence
Qui va juſqu'à l'Euphrate étendre ſa puiſſance.
« La puiſſance d'une magnificence..grands
>> mots , terme métaphysique fur terme
» métaphysique. Hé quoi ! hé quoi ! pa-
» roles , paroles . »
Quoique nous nous ſoyons propoſés de
'ne rien répondre à M. d'Açarq , il faut
pourtant
OCTOBRE. 1770. 73
pourtant lui dire qu'il devroit lire Racine
avec plus d'attention. Sa puiſſance
ſe rapporte à Antiochus & non pas à magnificence
; & en lifant les deux vers précédens
, le ſens eſt de la plus grande clarté.
Ainſi la métaphysique & la logique de
M. d'Açarq font ici en défaut. Rien n'eſt
fi commun que de défigurer ce qu'il y a
de meilleur en tronquant un paſſage &
citant infidèlement .
Votre deuil eſt fini , rien n'arrête vos pas.
« Le deuil commence , le deuil finit ; on
> parle différemment ſur le Parnaſſe, »
Que M. d'Açarq connoît bien le langage
du Parnaffe ! Quel dommage qu'il
n'ait refait qu'un ſeul vers de Boileau !
Un auſſi heureux eſſai devroit l'engager à
corriger ainſi tous les endroits défectueux
&de Boileau & de Racine .
Ellepaſſe ſes jours , Paulin , ſans rien prétendre
Que quelque heure à me voir &le reſte àm'at
tendre,
"Quelque heure pour me voir & le
refte pour m'attendre feroit moins
» mal. »
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
7
On eſt tenté d'avoir un peu d'humeur,
lorſqu'on entend parler de ce tonfurdeux
veis de Racine , qui font au nombre des
plus beaux qu'il ait faits. Mais nous n'avons
pas le courage de nous fâcher contre
M. d'Açarq , & nous prions les lecteurs
de vouloir bien lui pardonner comme
nous. Ils nous diſpenſeront auſſi de le ſuivre
dans l'examen d'Athalie & de Phédre.
C'est toujours la même juſteſſe de
tact, la même fineſſe de vue , le même
agrément dans la diction & les tournures.
Il porte enſuite ſa vue ſur Electre
&Rhadamisthe de Monfieur de Crébillon
qui ſe trouve au rang des auteurs
claſſiques. L'auteur de Rhadamiſthe étoit
certainement un homme de génie . Mais
ce n'eſt pas dans ſes pièces qu'il faut étudier
notre langue. Zaïre & Mérope ſont
parmi les pièces de M. de Voltaire celles
que M. d'Açırq foumet à ſa critique , &
il y trouve bien plus de fautes que dans
Electre & Rhadamiſthe , ce qui est bien
naturel. Il faut ſe rappeler que M. d'Açarq
a fait une grammaire. C'eſt un légiflateur
en fait de goût & de langage ;
& nous allons rapporter quelques, en
-droits curieux de Monfieur d'Açarq qui
atteſteront les ſervices qu'il a rendus à
(..
OCTOBRE. 1770 . 75
notre langue & qu'il peut lui rendre encore
.
« Le rapport mutuel & précis des mots
» fait les refforts divins d'une langue , &
» c'eſt ce rapport eſſentiel que néglige
» M. de Voltaire , ſacrifiant aux agréinens
» matériels l'active préciſion qui eſt d'un
>> ordre ſupérieur & qui eſt préférable à
>> tout. Jeune , on ne ſe doute point de
cela , aſſervi qu'on est à l'empire des
» ſens ; vieux , on l'apperçoit , on ne s'en
>> corrige pas plus... Le ſtyle grammatical
» du 4º acte de Mérope eſt plus pur en
>> général , & il y a de grandes beautés
> dans le ſtyle personnel... Quel bour
> donnement ! quel tintamarre ! Etoit- ce
» le cas de monter aux nuës pour y tra-
♫ vailler une comparaiſon météorologique?
» La verve ſpiritueuse de M. de Voltaire
» eſt inépuisable en cesfortes d'éclatsful-
» phureux & retentiſſans. Racine a une al-
» lure tendre , Crébillon une allure terri-
„ ble , M. de Voltaire va en tout sens ,
» va toujours & n'a point d'allure certai-
» ne... Si Paris avoit eu deux pommes
» d'or à diſtribuer entre ces trois auteurs,
>> il en eût donné la plus belle à Racine &
>> l'autre à Crébillon , regrettant de n'en
> avoir pas une troiſième. »
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Malheureuſement M. d'Açarq n'eſt
point Paris , & il n'a point de pommes
d'or,
Encore une phrafe , car on ne peut pas
quitter M. d'Açarq. " Après avoir lu Racine
, on ne manque pas de s'écrier
>> que cela eſt bean ! Après avoir lu Crébillon
, que cela eſt fort ! Après avoir
>> lu M. de Voltaire , que cela eſt joli !
Nous ne pouvons nous empêcher de
nous écrier , comme Hector dans le
Joueur
Que ces mots font bien dits & que c'eſt bien
penſé !
En effet c'eſt une bienjolie choſe que
les . acte de Brutus , le se. acte d'Alzire
le 4º. de Sémiramis. Nous ne favons pas
pourtant fi le 49. acte de Mahomet n'auroit
pas encore quelque choſe de plusjoli.
Nous nous en rapportons à M. d'Açarq.
Parlons ſérieuſement ; nous espérons
que les gens de goût voudront bien nous
pardonner de les avoir occupés un moment
d'un pareil ouvrage. Les étrangers
croiroient que nous retombons dans la
barbarie ſi les gens de lettres n'élevoient
pas la voix de tems en tems pour venger
OCTOBRE. 1770 . 77
le bon goût & l'honneur de la nation .
C'eſt le ſeul motif qui nous détermine
quelquefoisà parler de livres ignorés dans
la capitale , mais qui ſe répandent aux
frontières &dans les pays voiſins où tout
ſe vend.
Pour reconcilier M. d'Açarq avec le lecteur
, il faut citer de ſes vers ; car il en a
mis à la ſuite de ſes obfervations , pour
donner , comme Boileau , le précepte &
l'exemple.
Une ode à la jeuneſſe deMgr le Dauphin
commence ainfi .
De l'Etat illuftre eſpérance ,
Rejeton de nos demi - dieux ,
Vous , que votre inexpérience
Doit juftifier à nos yeux ;
Gardez , vous dit par nous Minerve;
Que le plaiſir qui tout énerve ,
N'amolliſſe vos premiers pas ;
L'âge vous lance au sein du monde ,
En naufrages mer très - féconde ,
Les écueils y ſont des appas .
:
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Une foif implacable entraîne
Le caprice aux plus vils ruiſſeaux.
La liberté n'est qu'une chaîne
Qui nous lie à tous nos défauts.
Le célibat plus que la guerre ,
De tout tems dépeupla la terre ,
Parun preſtige ſuborneur.
L'homme fut créé pour la femme ,
Votre ame demande une autre ame
De l'union naît le bonheur.
Après ces vers de M. d'Açarq , on peut
faire grace à ſa profe.
OCTOBRÉ. 1770. 79
L'Obfervateur François à Londres , ou lettres
ſur l'état préſent de l'Angleterre ,
relativement à ſes forces , à ſon commerce
& à ſes moeurs , avec des notes
fur les papiers anglois , & des remarques
hiſtoriques , critiques & politiques
de l'éditeur. Seconde année , tome
premier. A Londres ; & fe trouve à
Paris , chez Lacombe , rue Chriſtine ,
près la rue Dauphine ; Didot l'aîné
libraire & imprimeur , rue Pavée , au
coin du quai des Auguſtins .
La variété , l'utilité , l'agrément caractériſent
cet ouvrage périodique. L'Obſervateur
commence le premier cahier de
fa ſeconde année par nous donner des
réflexions ſur l'histoire . On lira avec un
intérêt touchant ce trait qui caractériſe la
bonté de coeur de Clément XIV. Le fouverain
Pontife n'étant encore que cordelier
voyoit ſouvent un peintre italien fort
médiocre . Il aimoit ſon caractère , fes
moeurs & vivoit avec lui dans la plus
grande intimité. Elevé au cardinalat , il
devint pour le pauvre artiſte un grand
ſeigneur dont , ſuivant l'uſage ordinaire,
l'abor 1 devoit être fort difficile : auſſi le
peintre n'ofa- t il pas lui-même réclamer
ſa protection. Le cardinal penſoit diffé
Div
8. MERCURE DE FRANCE.
remment. Etonné de ne pas voir paroître
à ſes audiences ſon ancien ami , il ſe rendit
chez lui dans toute la pompe du plus
grand ſeigneur in fiocchi. L'artiſte , furpris
de cette viſite inattendue , le fut bien
plus encore lorſque l'Eminence en le
preſſant dans ſes bras , l'aſſura qu'elle n'avoit
pas oublié leur ancienne liaiſon. Venez
donc me voir , lui dit affectueuſement
le cardinal , mon palais vous fera
toujours ouvert ; je ſerai toujours viſible
pour vous , & je ne cefferai jamais de
vous aimer. Elevé à la chaire pontificale,
on préſenta , fuivant l'uſage , au nouveau
Souverain l'état de fa maiſon , ſur lequel
le cardinal Major avoit placé l'un des
plus fameux peintres d'Italie. J'approuve
Férat , dit le St Père , à l'exception de
P'article du peintre. Celui que vous me
propofez eft fans doute excellent ; mais
ma figure n'eſt point affez diſtinguée pour
que les portraits qu'il en feroit puſſent
ajouter à la réputation;il eſt riche, d'ailleurs
, & peut bien ſe paſſer de moi. Je
connois un peintre moins célèbre , beaucoup
moins opulent , qui a toujours été
mon ami , que j'aime également & que
je prends pour mon premier peintre .
L'action ſuivante de l'Empereur actuel .
lement régnant eſt une leçon d'humanité
OCTOBRE. 1770 . 81
& de justice pour tous les Souverains .
L'Empereur aime à voir par lui - même &
à connoître ce que penſe le peuple ; il va
ſouvent tout ſeul ſe promener dans la
ville , & même quelquefois dans la campagne.
Une femme affez bien miſe , &
dont l'air trifte le toucha , ſe trouva , depuis
peu , ſur ſes pas. Ce Prince l'aborde ,
cauſe avec elle , & lui demande ce qui
peut occafionner ſon extrême mélancolie
. Je ſuis veuve d'un officier au ſervice
de l'Empereur , ( lui dit- elle en ſoupirant)
j'ai très- peu de fortune ,& j'ai vainement
préſenté les placets les plus preſſans pour
obtenir le paiement des appointemens
qui étoient dus à feu mon mari. Trouvez-
vous demain matin au palais , lui dit
ce Prince , j'y ai quelque crédit ; demandez
à préſenter votre placet à l'Empereur
même ; je me charge du reſte. La veuve
fut exacte au rendez vous : on l'introduiſit
dans le cabinet de ſon Souverain .
Que l'on juge de ſon étonnement quand
elle reconnut en lui l'inconnu en qui elle
comproit n'avoirrencontré qu'un protecteur.
Elle tomba à ſes pieds&obtint tout
ce qu'elle demandoit. L'Empereur , avant
que de la congédier , fit appeler celui qui
avoit le département de ces fortes d'affai
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
res , le reprimanda & lui ordonna d'être d
l'avenir plus attentif à ſes devoirs .
L'Obſervateur , dans ce même cahier,
nous intruit du jugement rendu au banc
du Roi d'Angleterre , en faveur des imprimeurs
& publicateurs de la lettre de
Junius , ainſi que du procès du duc de
Cumberland , cité au tribunal de la loi
pour avoir eu un commerce illicite avec
la femme du lord Grosvenord . L'avocat
de ce lord , après avoir conclu à ce que
l'accuſé fut condamné envers ſa partie à
une amende de 100000 livres ſterlings ,
prévint l'objection que les juges pourroient
faire fur ce que la ſomme excédoit
la fortune de l'accuſé , & prétendit que
plus le rang du coupable étoit éminent ,
plus le délit étoit grave , & que , dans nombre
de cas ſemblables , la juſtice avoit
moins confulté la fortune du criminel
que la nature de fon crime. Jacques II ,
dit- il , n'étant encore que duc d'Yorck
attaqua un marchand de la cité pourcauſe
de diffamation , & obtint contre lui une
amande encore plus conſidérable que celle
que je demande. Le lord Belvidere , en
Irlande , a obtenu contre fon beau- frère
M. de Rochfort , qu'il avoit furpris avec
fa femme , 20000 livres ſterlings. La førOCTOBRE.
$770. 83
tune de M. de Rochford ne montoit
pourtant pas à cette ſomme; & hors d'état
de la lui payer, il fut mis en priſon ,
où il reſta tant qu'il plut à fon beau- frère.
Cependant , malgré toute l'éloquence de
l'avocat , malgré la force de ſes exemples,
les juges n'accordèrent au lord Grofvenord
, qu'une ſomme de 10000 liv . ſterlings
, que l'on prétend qu'il recevra ,
mais pour en diſpoſer en faveur de l'hộ-
pital des orphelins.
On trouve ici l'étimologie du wauxhall.
Ce mot Hall, en anglois , vent dire
falle , & Waux eſt le nom d'un particulier
de Londres , fils d'un refugié François
, qui a fait bâtir cette falle à fes dépens
. Ainſi Wauxhall ne ſignifie rien
autre choſe que la ſalle de M. Waux.
L'Obſervateur , après avoir continué
de nous entretenir des mouvemens des
Colonies Angloiſes , nous donne pluſieurs
extraits des papiers anglois , & ces extraits
font très-piquants par les connoiffances
qu'ils nous procurent des moeurs ,
des uſages & de la façon de penſer des
Anglois , de leur littérature &de leurinduſtrie.
Ces extraits contiennent quelques
anecdotes. En voici une tirée de la Gazette
univerſelle du 11 Août. Un chirurgien
de Paris , s'étant rendu à St Denis
1
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
poury voir les tombeaux des Rois de
France , ſe jeta à genoux devant celui de
Charles VIII. Que faites - vous , lui dit
un religieux de l'abbaye ? Cette tombe ne
renferme pas les reliques d'un Saint. Je
le fais , lui dit le chirurgien; mais fi celui
qui eſt dans ce tombeau n'eſt pas un
Saint pour vous , il l'eſt pour moi : c'eſt
lui qui a apporté en France une inaladie
qui m'a fait gagner 150000.
L'Obſervateur rapporte d'après le London
Chronicle du même mois , qu'il ya
dans la province de Kent un gentilhomme
, qui a été l'ami particulier du célèbre
Prior : il vit dans fa terre & eft âgé de
cent vingt- deux ans ; il ſe nomme M.
Flect-Wood Shepherd.
Inſtitutions mathématiques , fervant d'introduction
à un cours de philofophie
à l'uſage des univerſités de France, ouvragedans
lequel on a renfermé l'arithmétique
,l'algèbre , les fractions ordi.
naires & décimales , l'extraction des
racines quarrées & cubiques , le calcul
des radicaux & des expoſans , les raifons
, proportions & progreffions arith
mériques & géométriques ; les logarithmes
, les équations , les problêmes
indéterminés , la théorie de l'infini, les
OCTOBRE. 1770. 85
:
combinaiſons , la géométrie & trigonométrie
; la méthode de lever les
plans , la meſure des terreins , la divifion
des champs & le nivellement , les
ſections coniques & les principes du
calcul différentiel&du calcul intégral,
& pluſieurs connoiſſances utiles aux
militaires . Les matières font traitées
clairement & miſes àla portée des com.
mençants . Par M. l'Abbé Sauri, ancien
profeſleur de philoſophie de l'univerfité
de Montpellier , vol . in - 8 ° . A Paris
, chez Valade , libraire , rue St Jacques
, vis - à - vis celle de la Parcheminerie.
Ce bon livre élémentaire a obtenu les
fuffrages des perſonnes verſées dans les
mathématiques , & de tous ceux qui recherchent
dans ces fortes d'ouvrages claffiques
la méthode&la clarté. Il ſera mis
pour cette raiſon avec fruit entre les mains
des jeunes gens pour lesquels on ne peut
trop faciliter l'étude des ſciences abſtraites.
C'eſt auſſi le jugement qu'en a porté
l'académie royale des ſciences. Cette académie
a jugé ſur le rapport de MM. d'Alembert
& l'Abbé Boſfut : " Que cet ou-
>>vrage étoit fait avec clarté ; qu'il avoit
» l'avantage de renfermer un affez grand
86 MERCURE DE FRANCE.
» nombre de choſes dans un volume de
>> médiocre groſſeur , & qu'il y avoit tout
>>lieu de penſer qu'il pourra être utile aux
>> commençans & fur- tout aux jeunes étu-
>> dians en philofophie auxquels il eſt
>> principalement deſtiné.>>
Epître à M. Petit , docteur - régent de la
faculté de médecine de l'univerſité de
Paris , membre des académies royales
desſciences de Paris & de Stockholm ,
&c. Par M. Leclerc de Montmerci ,
avocat au parlement & docteur en droit
de la faculté de Paris 177700 , in 8°. de
88 pages. A Paris , chez Gogué , libraire
, quai des Auguſtins.
L'amitié a dicté cet épître qui a plusde
deux mille vers , car l'amitié aime volontiers
à s'épancher. Les connoiffances variées
que le poëte y a répandues & les
louanges qu'il donne à pluſieurs hommes
illuſtres de nos jours pourront intéreffer
le lecteur & lui plaire.
Ouvrages de M. Lesley, contre les Déiftes&
les Juifs avec des défenſes ,&un
traité du jugement particulier & de
l'autorité en matière de foi ; traduits
de l'anglois ſur la VII . édition ; par
OCTOBRE. 1770. 87
le R. P. Houbigant , Prêtre de l'Oratoire
; vol . in 8°. A Paris , chez A. M.
Lottin l'aîné , libraire- imprimeur, rue
St Jacques , près de St Yves , au coq.
Charles Leſley , fils du docteur Jean
Leſley , qui étoit évêque proteſtant de
Clogher en Irlande , avoit étudié la juriſprudence
avant de ſe livrer à la théologie.
Il prit les ordres en 1680 felon le
rit anglican , fut fait chancelier de l'égliſe
de Connor en 1687 , & mourut en 1722 .
Les différentes poſitions où ſe trouva Lefley
, ou plutôt ſon goût pour les écrits
polémiques , lui fit compoſer pluſieurs
ouvrages tant théologiques que politiques
. Le P. Houbigant a raſſemblé dans
le recueil que nous annonçons ceux de ces
écrits qui peuvent être d'une utilité plus
particulière aux théologiens & à tous ceux
qui veulent ſe mettre en garde contre les
objections des Juifs , des Preſbytériens ,
des Quakers , des Sociniens , &c.Comme
Leſley avoit beaucoup vécu avec ces différentes
ſectes , il avoit étudié leurs principes
, leurs difficultés , leurs objections ;
& il les a puiſſamment combattus dans
différens écrits très recherchés encore aujourd'hui
par la méthode vive & ferrée
de l'écrivain . Ces écrits ont été imprimés
88 MERCURE DE FRANCE.
en anglois dans un volume in - 8 °. qui
contient 1º. une méthode courte & ailée
contre les Déiſtes ; 2 °. Une méthode
courte & aifée contre les Juifs ; 3 ° . Une
défenſe de la méthode contre les Déiftes;
4°. Une lettre concernant le dieu des Siamois
; 5º. Une lettre de l'auteur à un déifte
converti ; 6 °. La vérité du chriftianifme
démontrée , dialogue entre un Chrétien
& un Déiſte ; 7°. Une differtation
fur le jugement particulier & l'autorité
en matière de foi. De ces ſept ouvrages
le traducteur n'a omis que le ſixième , où
le Théologien Anglois ſe contente de
mettre en dialogues ce qu'il avoit dit dans
ſes deux méthodes. Comme Leſley ſuivoit
les préjugés de l'égliſe anglicane, on
trouvera dans ſon dernier traité quelques
objections contre l'égliſe romaine. Le
traducteur ne les a point diffimulées ; &
il s'eſt réſervé de les combattre dans fes
favantes notes .
Matière médicale , extraite des meilleurs
auteurs , & principalement du traité
: des médicamens de M. de Tournefort
& des leçons de M. Ferrein ; par
M. *** , docteur en médecine ; 3 vol .
in - 12 . A Paris , chez Deburre , fils
OCTOBRE. 1770 .
jeune , libraire , quai des Auguſt. près
le pont St Michel à St Paul .
L'étude de la médecine a deux objets
principaux ; la connoiſſance des maladies
&celle des médicamens . Les médicamens
ſe tirent des trois règnes. Le règne
végétal eſt celui qui en fournit le nombre
le plus conſidérable . Aidé des lumières
de la ſaine phyſique , on eſt aujourd'hui
à portée de ranger les médicamens
fous des claſſes méthodiques. L'illuſtre
botaniſte Tournefort a boucoup contribué
par ſes recherches aux progrès de la
ſcience des médicamens. Ses leçons , au
jardin du Roi & au collége royal , ont été
recueillies par pluſieurs de ſes diſciples ;
on doit , à l'un d'entr'eux , l'ouvrage qui
a pour titre : Traité de la matière médicale
, Paris 1717 , 2 vol . in 12. Le ſçavant -
M. Ferrein s'eſt également occupé de cet
objet dans ſes cours , tant publics que
particuliers. La méthode qu'il a ſuivie
pour rendre l'étude des médicamens
moins épineuſe eſt ſimple , vraie & facile
à ſaiſir. Un médecin , qui ſe glorifie d'avoir
été fon diſciple , s'étant propoſé de
donner une nouvelle édition de la matière
médicale de Tournefort , a penſé
avec raiſon qu'il ne pouvoit rien faire de
وه MERCURE DE FRANCE.
mieux que d'adopter le plan de M. Ferrein.
Les explications de ces deux habiles
profeſſeurs ſe trouvent par ce moyen
réunies& comme fondues enſemble dans
les trois volumes que nous venons d'annoncer
, ce qui augmente le mérite de
cette nouvelle édition . Ce traité de matière
médicale peut être regardé comme
faiſant partie du cours de médecinepratique
, publiée l'année dernière . Ces deux
ouvrages ſe prêtent un fecours mutuel.
L'un fait connoître les différentes maladies
& la manière de les combattre; l'autre
donne l'hiſtoire des moyens qui doivent
être employés.
Le Père avare , ou les malheurs de l'éducation
; contenant une idée de ceux
de la Colonie des C*** . 3 vol. in- 12 .
A Paris , chez Deſventes de la Doué ,
libraire , rue St Jacques .
D'Erigny , c'eſt le nom du Père avare ,
parvenu du ſein de la pauvreté à la plus
haute fortune , & avide de distinctions de
tout genre , chercha à s'en procurer avec
de l'or. Il crut qu'on achetoit de même
le plaifir , & il lemarchanda. Des femmes
perdues lui firent payer chérement des
faveurs qu'elles prodiguoient ailleurs.
OCTOBRE. 1770. 91
D'Erigny ſe reſſouvenoit cependant qu'il
avoit été pauvre ; mais il ne ſe rappeloit
fon premier état , que pour outrer
la parcinonie dans le ſecret de ſa maiſon ,
& refufer à ſon fils unique tous les
moyens de s'occuper utilement , de s'inftruire
& de s'éclairer. Auſſi ce jeune
homme devint tout-à-coup le jouer de
fa crédulité , de ſes paffions & de fon
ignorance. Des femmes , qui n'ont pour
toute fortune qu'un peud'appas & beaucoup
d'artifice , abuſent de fa foibleſſe ,
&lui mettent le bandeau de l'amour fur
les yeux pour mieux le dépouiller. Leurs
feintes careſſes le précipitent dans des
dépenfes énormes , auxquelles il ne peut
fubvenir que par des emprunts ruineux ,
des baſſelles & même des vols faits dans
la maiſon paternelle. Lorſque ſes refſources
font épuiſées , ildevient un objet
de mépris pour ces mêmes femmes qu'il
a comblées de tiens. Il apprend à les
connoître , mais trop tard . Livré à l'ignominie
de ſa conduite , en proie aux regrets
les plus cuifans , preffé par ſes
créanciers , & craignant les menaces
d'un père irrité , il ſe refugie dans les pays
étrangers. Il y faitdes connoiſſances qui
le précipitent dans de nouveaux égare92
MERCURE DE FRANCE.
mens. Il s'oublie même , au point d'abu
fer de la confiance d'une mère de famille
pour ſéduire fa fille. Il ſe ſert du pouvoir
qu'il a fur cette fille , pour enlever un
dépôt d'argent qu'il remet entre les mains
d'une comédienne. Celle - ci imagine facilement
une rufe pour s'approprier l'argent
, & fe débarraffer de l'homme vil
qui le lui apporte. Le jeune d'Erigny n'a
plus d'autre reſſource que de changer de
nom , &de ſe mettre aux gages d'une
troupe de comédiens. Il paſſe pluſieurs
mois dans cet état d'aviliſſement. Quelques
aventures qui lui arrivent l'obligent
de déclarer fon vrai nom & fa famille ,
qui ignoroit le lieu de ſa retraite . Une
mère oublie aifément les égaremens de
fon fils , & Madame d'Erigny engage
fon mari à rappeler leur fils unique , &
à lui donner un état. Lejeune d'Erigny ,
dans le ſein de ſa famille , & jouiffant
d'une partie de ſa fortune , ſe fit d'abord
quelque peine de ſe répandre dans les
ſociétés. Il craignit qu'on ne ſe rappelât
ſes anciens égaremens ; «mais il fut
» bien - tôt convaincu , nous dit- il , dans
>> ſes Mémoires , qu'il n'eſt point de
>> défordres que l'éclat de la richeſſe ne
>> couvre; & que nos actions , quelque
OCTOBRE . 1770. 93
» criminelles qu'elles puiſſent être , font
>> moins la meſure de l'accueil que le pu-
>> blic nous fait , que l'air d'importance &
>> l'appareil faſtueux qui nous environne ;
>> mille regards ſurpris tombèrent fur
>> moi ; aucun n'étoit chargé de ces dé .
>> dains repouſſans que j'avois tant ap-
>> préhendés ; on me conſidéroit avec
>> des yeux d'envie ; on m'abordoit avec
>>un ſourire careſſant ; toute l'attention
>> ſe portoit fur l'opulence qui relevoitma
>>perſonne & mon équipage. Les fautes
>> que j'avois commiſes étoient dans l'ou-
>> bli ; on ne voyoit en moi que la dé-
>> coration extérieure : je fus étonné de
>> trouver tant d'indulgence ; j'en conclus
>> que l'enveloppe brillante de l'homme
>> riche eſt un rempart qui le garantit
>> des traits de la curioſité &de la haine ,
» & par- là , comme dans un ſanctuaire
>>impénétrable , à l'abri des voiles pré-
>> cieux qui l'entourent , il peut tout faire
>> impunément. Cette réflexion jeta de
>> profondes racines dans mon coeur , &
>> devinrent bien- tôt ſourdement le prin-
>> cipe de nouveaux égaremens. » Une
femme aimable & vertueuſe qu'on lui
fit épouſer , ne put le diſtraire de ſes
malheureux penchans. Son époux infidèle
24 MERCURE DE FRANCE.
la reſpecta aſſez peu pour la rendre victime
du fruit de ſes débauches . Le venin
dont il étoit lui-même infecté , jeta
dans ſon caractère un fond de triſteſſe &
de mélancolie qui le rendit odieux à ſes
propres yeux & injuſte envers tout le
monde. Ses réflexions ſur ſa conduite
aigriſſoient encore ſon humeur farouche.
La vue d'un homme de bien étoit pour
lui un fupplice , & il fut aſſez pervers
pour ſuppoſer des crimes à un vieillard
reſpectable , qui n'avoit d'autre tort auprès
de lui , que d'avoir ſu gagner l'eftime
du public par la pratique des vertus.
Cette lâche intrigue ſe découvre : d'Erigny
eſt dénoncé à la Juſtice. On le pourfuit.
Sa famille s'aſſemble , & ne voit
d'autre parti pour le ſouſtraire au fopplice
ignominieux qui l'attendoit , que
de le faire partir pour les Iſles. Il eſt
tranſporté dans l'Iſle de C*** . On voit ,
avec une forte d'intérêt , ce malheureux
expatrié , montrer un coeur ſenſible aux
maux de la Colonie , & nous offrir la
pathétique image d'une troupe de Colons
, qui , ayant tout quitté , patrie ,
parens , amis , pour procurer quelque
foulagement à leur famille , ne trouvent,
OCTOBRE. 1770 . 95
que la diſette , les maladies & la mort.
Če tableau effrayant , & l'impreffion
douloureuſe qu'il fait ſur le lecteur , ne
peut être effacé que par l'image ſatisfaiſante
d'un village entier que d'Erigny ,
de retour en France , édifie par ſes bienfaits.
C'eſt dans ce hameau que , ſous le
nom de Silvain , il apprend à diftinguer
le vrai bonheur , d'avec ce qui n'en a
que l'apparence. Il recouvre enfin la paix
de l'ame & une épouſe vertueuſe qui
n'avoit jamais ceſſé de lui être attachée.
L'homme qui n'eſt pas ſans entrailles
&qui a négligé l'éducationde ſes enfans ,
pourra un jour verſer ſur ſa faute bien
des larmes améres. Il ſe convaincra du
moins , en lifant ces Mémoires , que la
bonne éducation eſt la meilleure richeſſe
que l'on puiſſe laiſſer à des enfans ; que
c'eſt la voie la plus fûre pour les conduire
au bonheur. « O yous ! s'écrie
» d'Erigny , à la fin de ſes Mémoires ,
» qui diſſipez d'immenfes richeſſes en
» frivolités , à payer de faux plaiſirs ;
>> comme vous, je les achetai au poids de
>>>>l'or ; comme vous , fuyant le vuide de
> mon ame , dévoré d'inquiétudes & de
>> regrets , plus je cherchois le bonheur
>> par la prodigalité , plus j'étois mal96
MERCURE DE FRANCE.
:
>> heureux ! Puiffiez - vous , comme moi ,
>> faire l'eſſai des délices ineftimables
« qui ſuivent les ſentimens de bienveil-
>> lance envers les malheureux , & les ſe-
>> cours que l'on fait verſer dans leur
>> fein. «
Avis aux Mères qui veulent nourrir leurs
Enfans. Seconde édition , revue &
conſidérablement angmentée. Par Madame
L. R. in- 12. petit format ; chez
Didot le jeune , libraire , Quai des
Auguſtins,
Il paroîtra affez étonnant que l'on foit
obligé d'écrire pour indiquer la meilleure
manière de réuffit à nourrir. C'eſt une
choſe ſi naturele & fi aiſée , que , ſi les
mères étoient livrées à elles - mèmes
aux ſeules indications de la nature , &
fur-tout fans conſeils & fans ſyſtême ,
elles réuſſiroient fans peine & fans douleur.
C'eſt donc moins pour dire ce
qu'il faut faire dans les commencemens ,
que pour avertir de ce qu'il faut éviter
que Madame L. R. publie ce traité. « J'ai
"obſervé , ajoute cette Dame eſtimable ,
>> les causes des difficultés qu'ont éprou-
» vées pluſieurs mères en voulant rem-
,
>>plir
OCTOBRE. 1770. 97
» plir le devoir ſi louable d'alaiter leurs
» enfans. C'eſt l'intérêt que je prends à
» ces dignes mères , à celles qui voudront
>>les imiter , & aux enfans , qui m'enga-
» ge à publier mes obſervations& le ré-
>> ſultat de mon expérience. J'ai moi-
» même été victime , juſqu'à un certain
>> point , des mauvais conſeils &des pré-
» jugés. J'aurois eu bien de la peine de
>>moins à ma première nourriture ſi j'euf-
>> ſe été ſeule avec mon enfant , ou que
>>j'euſſe ſçu ce que je vais communiquer.
» Je n'ai pas la ſcience des médecins ,
>> mais j'ai l'expérience pratique. Je ne
>>dirai rien doncque je ne fois fûre. J'ai-
» me mieux ne pas dire tout ce qui eſt
> relatif à la première éducation des en-
>> fans que de riſquer d'induire quelqu'un
>> en erreur. »
Ce petit traité , ſi intéreſſant pour l'humanité
, ne pouvoit manquer d'obtenir le
fuffrage de la faculté de médecine de Paris.
Cette faculté exhorte les mères à s'y
conformer exactement . Par là elles éviteront
bien de maux , & conſerveront à
l'état bien des ſujets qui font la victime
de la méthode qu'on n'eſt que trop dans
l'uſage de ſuivre,
II. Vol. E
:
!
98 MERCURE DE FRANCE.
La Mimographe , ou idées d'une hon
nête femme pour la réformation du
théâtre national. A Amſterdam & à la
Haye : A Paris , chez Delalain , libraire
, rue & à côté de la Comédie Françoiſe
; & Edme , libraire , quai des Auguſtins
, ſous la porte du grand couvent
; vol . in 8 °. de 450 pages. Prix ,
4liv. 16 fols,
Un écrivain anonyme qui a beaucoup
d'eſprit & beaucoup d'idées fingulières ,
publia l'année dernière le Pornographe ,
ouvrage vraiment fingulier , pour ne rien
dire de plus , dans lequel il propofoit les
moyens de prévenir les malheurs qu'occaſionne
le publicisme des femmes. Il expoſe
aujourd'hui dans ce nouveau volume
divers articles de reforme pour remédier
à pluſieurs inconvéniens qui accom
pagnent le théâtre. Le principal & le
plus fingulier en même tems feroit de
fupprimer les comédiens de profeſſion &
de leur fubſtituer des jeunes gens de l'un
& de l'autre sexe pour lesquels la déclamation
feroit un exercice libre , honorable
, & qu'ils pourroient cultiver ſans
renoncer aux emplois de la ſociété. Il ſeroit
peut - être néceſſaire auparavant de
OCTOBRE. 1770. 99
reformer nos uſages, notre façon de penfer
&de nous rappeler aux inſtitutions
des Grecs . Quoiqu'il en foit , l'auteur a
compoſé fon ouvrage en forme de lettres
dont la partie hiſtorique retrace l'avanture
d'un mari qui , méconnoiffant les
véritables plaiſirs du coeur , néglige une
épouſe aimable & vertueuſe pour s'attacher
à une fille de théâtre. Les héros de
cette avanture ſont les mêmes qui ont
paru dans l'intrigue qui fert d'enveloppe
au Pornographe , mais conſidérés dans
d'autres circonstances . Tour ceci eſt accompagné
de citations , de notes , d'obſervations
qui ne préſentent au premier
coup d'oeil qu'un aſſemblage de matériaux
pour ur vaſte édifice. Comme l'efprit
& l'érudition font répandues dans
ces notes , le lecteur pourra les parcourir
ou pour s'inſtruire ou pour s'amuſer. Mais
le fréquent néologiſme de l'auteur le rebutera
quelquefois. Ce n'eſt point cependant
que , parmi les expreſſions nouvellesqu'ileſſaie
d'introduire , il n'y en ait
d'heureuſes , & d'autant plus admiſſibles
qu'elles tirent leur origine de mots actuellement
en uſage.
La mimographe a raſſemblé dans une
de ſes notes ce que différens auteurs nous
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
ont dit ſur les ſpectacles pantomimes des
Anciens.Cet écrivain auroit dû nous fuggérer
ici quelques moyens propres à renouveller
parmi nous ce genre de ſpectacle
néceſſaire , ſur-tout dans les fêtes &
les aſſemblées publiques , pour amufer
une multitude innombrable de ſpectateurs.
Le drame pantomime , dont nous
ne connoiſſons point aſſez les reſſources ,
pourroit devenir un ſpectacle intéreſſant
entre les mains d'un compoſiteur de muſique
qui ſeroit homme de génie. Ce muſicien
, privé du ſecours des paroles , ſe
verroit obligé d'y ſuppléer en donnant à
ſa muſique un caractère très - marqué &
très- expreffif. Il lui feroit peut- être néceſſaire
pour amener les airs de mouvement
&de paſſion de ſon ſpectacle pantomime
, d'y introduire une forte de recitatif
obligé qui ſeroit joué par l'acteur
pantomime. En effet , fi les airs font les
expreſſions de la paſſion exaltée , on doit
ſuppoſer que quelque cauſe a donné lieu
à cette vive expreſſion , & c'eſt la nécefſité
d'amener cette cauſe & de la faire
connoître au ſpectateur qui doit rendre
le récitatif indiſpenſable non ſeulement
dans le drame vocal , mais encore dans
le drame pantomime. Une muſique pit
OCTOBRE. 1770. ΙΟΥ
toreſque ajouteroit aux geſtes de l'acteur
pantomime, lesdévelopperoit , les échauferoit
même & leur donneroit cette énergie
néceſſaire pour faire impreſſion. Comme
il ſeroit facile de doubler l'orchestre
&que la repréſentation pantomime pourroit
être vue de très loin , on conçoit
qu'aucun ſpectacle ne ſeroit plus propre
àamuſer une nombreuſe aſſemblée. C'eſt
auſſi une des principales raiſons qui l'avoit
fait adopter par les Romains , dont
les amphithéâtres contenoient ſouvent
plus de vingt mille ſpectateurs.
Obfervations phyſiques & morales ſur l'inftinct
des animaux , leur induſtrie &
leurs moeurs. Par Hermann Samuel
Reimar , profeſſeur de philoſophie à
Hambourg , & membre de l'académie
impériale des ſciences de Peterſbourg.
Ouvrage traduit de l'allemand ſur la
dernière édition , par M. H *** de
L** , 2 vol . in - 12. A Amſterdam ,
chez Changuion ; & fe trouve à Paris ,
chez Jombert fils , rue Dauphine.
L'auteur de cet ouvrage , M. Reimar ,
eſt mort , il y a environ deux ans , à Hambourg
ſa patrie , avec la réputation d'un
bon citoyen , d'un obfervateur exact &
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
d'un phyſicien éclairé. Perſonne juſqu'ici
n'a développé avec autant d'exactitude &
dans un auſſi grand détail que ce profeffeur
les instincts des animaux dont il
diſtingue trois eſpèces , des inſtincts mécaniques
, des instincts repréſentatifs &
des instincts ſpontanés ou volontaires .
Les premiers appartiennent au corps ; ce
font des mouvemens organiques qui ,
fans aucun ſentiment ni aucun choix de
l'animal , portent la machine à exécuter
certaines actions pour l'entretien & la
confervation de la vie. Les inſtincts repréſentatifs
font des diſpoſitions de l'ame
qui la portent à connoître les objets , ſe .
Jon leur rapport avec l'état préſent ou
pallé du corps auquel elle eſt attachée. A
l'égard des inſtincts volontaires l'auteur
les définit des efforts ſpontanés de l'ame
qui la portent à rechercher & à ſe procurer
, autant qu'il dépend d'elle , les objets
qui , ſelon le ſentiment de la perception
qu'elle en a , lui promettent du plaifir, &
à craindre & éviter tout ce qui la menace
de quelque ſenſation douloureuſe . Ces
inſtincts ſpontanés ſont ceux que l'on défigne
communément par le ſimple mot
d'inſtinct impetus : cependant , ajoute M.
Reimar , il nous ſemble convenir auſſi
proprement aux deux autres eſpèces , qui
OCTOBRE. 1770.103
confiftent également dans un penchant
naturel pour certaines actions & dans l'activité
de certaines forces : on ne ſçauroit
même parvenir à une entière connoiflance
des inſtincts des animaux , fans recourir
aux instincts mécaniques & aux inftincts
repréſentatifs ,
Comme l'auteur s'eſt principalement
appliqué à généraliſer ſes obfervations ,
fon ouvrage plaira peut - être moins au
commun des lecteurs que s'il eût commencé
par donner une deſcription détaillée
du genre de vie & des opérations ,
foit d'un animal , ſoit d'un autre . Cette
deſcription particuliere , par ſa variété &
par les faits qu'elle préſente , ſoutient l'attention
&pique beaucoup plus la curioſité
que tout ce qui n'eſt que général. La
traduction de ce bon ouvrage a été faite
avec ſoin , & le traducteur l'a enrichi de
quelques notes utiles.
ACADÉMIES.
I. "..
Marseille.
L'ACADÉMIE des belles- lettres , ſciences
& arts de Marfeille a propoſé pour ſujet
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
du prix de poësie qu'elle adjugera le 25
Août 1771 , la Corſe ſous les loix de la
France.
Les ouvrages feront adreſſes , francs de
port à M. Mourraine , ſecrétaire perpétuel
de l'Académie , &ils ne feront reçus
que juſqu'au 15 Mai incluſivement. Le
prix eſt une médaille d'or de la valeur de
300liv .
I I.
Lyon.
L'Académie des ſciences , belles - lettres
& arts de Lyon , propoſe pour le prix
de mathématiques fondé par M. Chriftin
, qui ſera diſtribué à la fête de St Louis
1772 , le ſujet ſuivant : Quels sont les
moyens le plus faciles & les moins diſpendieux
de procurer à la ville de Lyon , la
meilleurs cau , & d'en diſtribuer une quan-.
titéfuffisante dans tousfes quartiers.
Les eaux de puits , preſque toujours
déſagréables , font généralement reconnues
pour mal-faines , lorſque les puits
font placés dans l'enceinte d'une ville
peuplée. Les eaux de rivieres & celles des
ſources choiſies font au contraire les plus
pures & les plus falubres.
OCTOBRE. 1770. τος
La ville de Lyon eſt ſituée au confluent
de deux grandes rivières ,& entourée de
collines qui fourniſſent les eaux ſaines&
abondantes ; cependant ſes habitans , dans
le plus grand nombre de ſes quartiers ,
n'ufent que des eaux de puits.
Tels font les objets du problême propofé.
L'Académie exige des auteurs qui
voudront le réfoudre , de déterminer la
qualité des eaux qu'ils indiqueront , d'affigner
la quantité néceſſaire à la confommation
, & de joindre à leurs projets le
plandes machines qu'ils voudront employer
, le calcul de leur produit & de
leur entretien , celuides nivellemens néceſſaires
, & le devis des frais . :
Toutes perfonnes pourront aſpirer à ce
prix . Il n'y aura d'exception que pour les
membres de l'académie , tels que les académiciens
ordinaires& les vétérans. Les
aflociés , réfidans hors de Lyon , auront la
liberté d'y concourir.
Ceux qui enverront des mémoires font
priésde les écrire en françois ou en latin ,
&d'une manière liſible .
Les auteurs mettront une deviſe à la tête
de leurs ouvrages ; ils y joindront un
billet cacheté qui contiendra la même
deviſe , avec leurs nom , demeure & qua
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
lités. La pièce qui aura remporté le prix
fera la ſeule dont on ouvrira le billet.
On n'admettra point au concours les
mémoires dont les auteurs ſe ſeront fait
connoître directement ou indirectement
avant la déciſion.
Les ouvrages feront adreſſés , fantcs de
port , à Lyon : à Mi de la Tourrette ,
confeiller à la cour des monnoies , ſecrétaire
perpétuelpour la claſſe des ſciences ,
rue Boiffac.
Ou à M. Bollioud Mermet , ſecrétaire
perpétuel pour la claſſe des belles- lettres ,
rue du Plat.
Ou chez Aimé de la Roche , imprimeur-
libraire de l'académie , aux Halles
de laGrenette.
Les Sçavans Etrangers font avertisqu'il
ne ſuffit pas d'acquitter le port de leurs
paquetsjuſqu'aux frontières de la France ,
mais qu'ils doivent auſſi commettre quelqu'un
pour affranchir ces paquets depuis
la frontière juſqu'a Lyon , ſans quoi les
mémoires ne ſeroient point admis au
concours .
Aucun ouvrage neſera point reçu après
le premier Avril 1772. L'Académie ,dans
une aſſemblée publique qui ſuivra immédiatement
la fête de St Louis , proclamera
la pièce qui aura mérité les fuffrages.
OCTOBRE. 1770. 107
Le prix eſt une médaille d'or de la valeurde
300 liv. Elle ſera donnée à celui
qui , au jugement de l'académie , aura fait
le meilleur mémoire ſur le ſujet propoſé.
Cette médaille ſera délivrée à l'auteur
même qui ſe fera connoître , ou au porteur
d'une procuration de ſa part , dreffée en
bonne forme.
2
Prix desArts pour l'année 1771 .
La même Académie avoit propoſé pour
le ſujet du concours de l'année 1765 , de
trouver le moyen de durcir les cuirs , &c .
elle continua ce ſujet pour l'année 1768 ,
le prix étant double ; mais , les mémoires
qui lui font adreſſés n'ayant aucunement
rempli ſes vues , elle fut dans le cas de
réſerver un prix triple , ou trois médailles
de cent écus chacune , pour l'année
1771. Elle délibéra dès- lors de ne fixer,
dans cette occafion aucun ſujet déterminé
à ceux qui voudroient concourir ; elle
annonça , par un programme particulier ,
qu'en l'année 1771 , elle décerneroit le
prix triple à celui qui , ſous la forme des
mémoires qu'on adreſſe aux académies
lui communiqueroit la découverte laplus.
utile dans les arts , en établiſſant que cette
decouverte lui appartient , & n'est pas an-
2.
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
térieure à la date du premierprogramme ,
publié le 30 Août 1768 .
L'académie defire que ceux qui voudront
concourir , ſe conforment aux conditions
ordinaires énoncées dans le programme
ci -deſſus pour l'année 1772 , &
qu'ils joignent à leurs mémoires , les figures,
les plans ou les modèles qui feront
relatifs à leurs découvertes. Les mémoires
ne feront point admis paffé le premier
Avril 1771 ; la diſtribution ſe fera dans
l'affemblée publique qui ſuivra la fête de
StLouis.
Prix de Physique pour l'année 1773 .
L'Académie avoit propoſé le ſujet fuivant
, pour le prix de phyſique qu'elle devoir
adjuger cette année 1770 :
Déterminer quelsfont les Principes qui
constituent la Lymphe ; quel est le véritable
organe qui la prépare ; fi les vaiſfeaux ,
qui la portent dans toutes les parties du
corps ,font une continuation des dernières
diviſions des artères fanguines , oufi ce
font des canaux totalement différens&particuliers
à cefluide ; enfin quel estfon usagedans
l'économie animale.
Les auteurs , qui ont concouru , n'ayant
pas entièrement rempli les vues de l'acaOCTOBRE.
1770 . 109
démie , elle a cru devoir continuer le même
ſujet à l'année 1773 , fans néanmoins
rejeter du concours les mémoires qui y
ont été admis ; elle s'empreſſe même de
donner des éloges à celui qui porte ces
mots pour deviſe : Cui lecta potenter erit
res , necfacundia deferet hunc , nec lucidus
ordo. Hor. L'auteur lui paroît très en état
d'approfondir davantage cette matière
importante. Elle invite particulièrement
ceux qui voudront s'en occuper , à déterminer
par des expériences , la nature de
la lymphe comparée aux autres humeurs ,
&àdécrire fon cours dans toute l'habitude
du corps.
Le prix , conſiſtant en une médaille
d'or , de la valeur de cent écus , ſera double.
Les conditions font les mêmes que
celles du programme ci deſſus , pour l'année
1772 ; avec cette ſeule différence que,
dans la vue dedonner plus de tems à l'examen
des mémoires &à la vérification des
expériences , l'académie exige qu'ils lui
foient remis dans le courant du mois de
Janvier 1773 , après lequel tems ils ne
feront plus admis. Ladiſtribution du prix
fe fera après la fêre de St Louis.
110 MERCURE DE FRANCE.
Autre Prix pour la même année 1773.
M. Pouteau le fils , chirurgien gradué,
de l'académie royale de chirurgie de
Paris , de celle de Rouen , & l'un des
membres de l'académie de Lyon , après
avoir fait de profondes recherches fur
le vice cancéreux , a voulu exciter les
favans à s'occuper d'un ſujet qui intéreſſe
eſſentiellement l'humanité. Il a dé.
poſé 600 liv. pour être diſtribuées à
celui , qui , au jugement de l'académie
de Lyon , l'auroit le mieux traité. Cette
compagnie a agréé l'engagement de M.
Pouteau , & avoit propoſé ce prix , pour
la préſente année 1770 , dans les termes
fuivans :
Ondemande des recherchesfur les causes
du Vice Cancereux , qui conduisent à déterminersa
nature , ſes effets, & les meilleurs
moyens de le combattre.
fur Quoique l'académie ait reçu ,
cette queſtion , des ouvrages intéreſſans ,
ils lui ont paru laiſſer encore trop à defirer
ſur un ſujet auſſi important , pour
ne pas le continuer , & renvoyer la diftribution
du prix à l'année 1773 , en
confervaut néanmoins le droit du con
OCTOBRE. 1770. III
cours , aux mémoires qui lui ont été
adreſſés . Le prix ſera double. Les belles
actions n'ont pas feulement leur mérite
propre : elles ont encore celui d'inſpirer
le deſir de les imiter. Un Citoyen généreux,
qui n'a pasvoulu donneràl'académie,
la fatisfactiondele connoître &de publier
fon nom , a fait déposer une ſomme de
600 liv. pour être jointe à celle qu'a
propoſée M. Pouteau ; ainſi le prix fera
de so louis. L'académie eſpère que ce
nouvel encouragement produira de nouveaux
efforts de la part des auteurs .
,
Elle demande , qu'après avoir défini
ce qu'on entend par Cancer , ils développent
les progrès que la médecine a
faits , juſqu'à nos jours , dans la connoiſſance
des maladies cancéreuses ; qu'ils
analyſent les obſervations les expériences
& les opinions des auteurs les
plus célèbres , en raſſemblant les moyens
diætétiques , chirurgicaux & pharmacéutiques
, employés juſqu'à préſent pour
attaquer ces maladies formidables ; qu'ils
les décrivent , rapportent leurs obſervations
pratiques & leurs expériences ;
qu'ils apprécient les ſymptômes , qui précédent
accompagnent & fuivent le
Cancer ; qu'ils fixent le pronoſtic , &
112 MERCURE DE FRANCE.
établiſſent les indications dans ſes differens
ſièges , ſes diverſes eſpèces & fes
divers états ; qu'ils remontent aux prin
cipes qui y donnent lieu ; qu'ils dérerminent
la manière de les reconnoître ,
en donnent une théorie fatisfaiſante ;
qu'ils indiquent les meilleurs ſpécifiques
connus dans tous les cas , en démonmontrant
leur pouvoir ouleur ſuffiſance;
qu'ils donnent entin , s'il eſt poſſible .
de nouvelles vues ſur les découvertes
à faire , & fur les moyens d'y parvenir .
L'académie invite auſſi les auteurs ,
àdreſſer des tables raiſonnées , qui contiennent
l'extrait de ce qu'ils auront dit
ou rapporté de plus eſſentiel.
Les conditions d'ailleurs font les
mêmes que celles qui font énoncées
dans le programme ci-deſſus , pour l'année
1772 ; à l'exception néanmoins
que l'académie exige que les mémoires
lui foient rendus dans le courant du
mois de Janvier 1773 , paflé lequel
tems , ils ne feront plus admis. La diſtribution
ſera faite dans la même ſéance
que celle du prix précédent.
L'académie croit devoir renouveller
ici l'avis qui concerne l'affranchiſſement
des paquets ; elle a été contrainte ,
OCTOBRE. 1770. 113
à regret , de laiſſer à la poſte , un mémoire
envoyé d'un bureau de Flandres ,
nommé St. Nicolas près de Gand , ce
mémoire n'ayant pas été affranchi depuis
la frontiére juſqu'à Lyon , comine l'exige
le programme de l'académie , conformément
à l'uſage de tous les Corps littéraires
de l'Europe.
III.
Montauban.
L'Académie a célébré , ſelon ſon uſage,
la fêre de St Louis . Elle a aſſiſté le matin
à une meſſe ſuivie de l'Exaudiat pour le
Roi & du panégyrique du Saint , prononcé
par le R. P. Martin , prieur des carmes
de cette ville.
Elle a tenu à quatre heures de relevée ,
une aſſemblée publique dans la grande
ſalle de l'hôtel- de- ville , ſuivant le réglement
qui lui a été donné par le Roi .
M. de Saint- Hubert , chevalier de l'ordre
royal & militaire de St Louis , directeur
de quartier , a ouvert la ſéance par
des vers agréables , & a enſuite annoncé
le ſujet de l'aſſemblée.
M. l'Abbé Bellet a lu un diſcours en
vers , où la Patrie repréſenteſes droits àfes
114 MERCURE DE FRANCE.
enfans , & les maux auxquels elle defire
qu'ils apportent du remède.
Cette lecture a été ſuivie de celle d'une
épître aux Dames ſur les modes littéraires,
par M. l'Abbé Teulieres , où il compare
ces modes à celles de la parure , pour en
conclure que les unes altèrent & corrompent
l'art , quand les autres l'égaient &
l'embelliſſent quelquefois.
M. de Savignac , préſident de la cour
des aides , a lu des Stances ſur le doute
raisonnable , à Mde de *** , par M. le
chevalier de Malartic-la Devèze , capitaine
au régiment de Vermandois , l'un
des académiciens .
M. l'Abbé Bellet a lu un diſcours où ,
après avoir dit que la Vérité est un tréfor
dont l'acquifition fait l'opulince &la gloire
des Académies;il a indiqué les moyens
les plus propres à leur en aſſurer la poſſeſ,
fiondans tous les genres .
M. de St Hubert a recité,des Stances,
qu'il a appelées la Philofophie de l'honnête
Homme ; & d'un pinceau également léger
& philofophique il a tracé des maximes
dont il feroit à ſouhaiter que la pratique
fût ſuivie dans la ſociéré.
Le prix de poëfie a été adjugé àune ode,
dont le R. P. Lombart , de la Doctrine
Chrétienne , l'un des profeſſeurs du col
OCTOBRE. 1770. :
115
lége de l'Eſquille , à Toulouſe , s'eſt déclaré
l'auteur , & dont M. de Broca , conſeiller
à la cour des aides , a fait la lecture .
La ſéance a été terminée par la diftribution
du programme ſuivant.
L'Académie des belles lettres deMontauban
diſtribue tous les ans , le 25 Août,
fête de St Louis , un prix d'éloquence ,
fondé par M. de Latour , doyen du chapitre
, l'un des trente de la même académie.
Ce prix eſt une médaille d'or ,
de la valeur de 250 liv. portant d'un
côté les armes de l'académie , avec ces
paroles dans l'exergue : Academia Montalbanenfis
fundata auspice LUDOVICO
XV, P. P. P.F. A. imperii anno XXIX :
& fur le revers , ces mots renfermés dans
une couronne de laurier ; Ex munificen.
tiâ viri academici D. D. Bertrandi de
la Tour , Decani Eccl. Montalb. M.
DCC. LXIII. Il eſt deſtiné à celui qui
ſe trouvera avoir fait le meilleur difcours
furun fujet relatif à quelque point
de morale , tiré des livres ſaints .
Le ſujetde ce diſcours ſera pour l'année
1771 .
Le déſintéreſſement est la marque la
moins équivoque d'une grande ame : conformément
à ces paroles de l'écriture :
Divitias nihil effe duxi. Sap. VII . 8 .
116 MERCURE DE FRANCE.
Les auteurs font avertis de s'attacher
àbien prendre le ſens du ſujet qui leur
eſt propoſé , d'éviter le ton de déclamateur
, de ne point s'écarter de leur
plan , & d'en remplir toutes les parties
avec juſteſſe & avec préciſion .
Les diſcours ne feront , tout au plus ,
que de demie heure , & finiront par
une courte prière à JESUS-CHRIST.
On n'en recevra aucun , qui n'ait une
approbation , ſignée de deux docteurs en
théologie.
Le prix de 1770 , ayant été réſervé ,
l'académie le deſtine à une ode ou à un
poëme , dont le ſujet ſera :
Les grands hommes dégradés dans le
feinde la molleffe.
,
Le prix du poësie qu'elle a diſtribué ,
a été adjugé à une ode qui a pour
ſentence : Laudemus viros gloriofos quorum
pietates non defuerunt. Eccl. 44.
Les auteurs ne mettront point leur
nom ſur leurs ouvrages , mais ſeulement
une marque ou paraphe , avec un
paſſage de l'écriture- ſainte , ou d'un père
de l'égliſe , qu'on écrira auſſi ſur le regiſtre
du ſecrétaire de l'académie.
Ils feront remettre leurs ouvrages par
tout le mois de Mai prochain , entre
les mains de M. l'abbé Bellet , ſecrétaire
OCTOBRE 1770. 117
/
perpétuel de l'académie , en ſa maifon ,
rue Cour-de- Toulouſe .
Le prix ne ſera délivré à aucun , qu'il
ne ſe nomme , & qu'il ne ſe préſente en
perſonne , ou par procureur , pour le
recevoir & figner le diſcours .
Les auteurs font priés d'adreſſer à M. le
ſecrétaire , trois copies liſibles de leurs
ouvrages , & d'affranchir les paquets qui
font envoyés par la poſte .
I V.
Académie étrangère.
L'académie royale des beaux arts de
Parme a tenu ſa ſéance publique le 29
Avril 1770. pour la diſtribution des
prix de peinture & d'architecture. Elle a
couronné dans la peinture , le tableau
qui a pour déviſe : Volat dubiis victoria
pennis. Il eſt de M. Spirito Antonio
Gibelin , demeurant à Rome , & élève
de M. Coſte , profeſſeur de l'académie
de peinture de Marſeille.
Le prix d'archiieſture a été remporté
par M. François Jourdan , élève de M.
Petitor , architecte & profeſſeur royal.
Son deſſein avoit pour deviſe : Aspirat
primo fortuna labori. 7
118 MERCURE DE FRANCE.
L'académie propoſe pour ſujet du prix
de peinture , pour le concours de l'année
1771 , » Annibal , vainqueur , qui , du
>> haut des Alpes , jette pour la première
>> fois un coup d'oeil ſur l'Italie. «
ſujet eſt emprunté de ce beau ſonnet de
l'abbé Frugoni .
Ferocemente la viſiera bruna
Alzò ſull' Alpe l'affrican guerriero
Cui la vittrice militar fortuna
Splendea negli atti del ſembiante altero.
Rimirò Italia , e qual chi in petto aduna
Il giurato ſull' ara odio primiero
Malignoriſfe , non credendo alcuna
Parte ſecura del nimico impero.
Indi col forte immaginar rivolto
Alle venture memorande impreſe
Tacito , e tutto in ſuoi penfier raccolto.
Sequendo il genio , che per man lo profe ,
Coll' ire ultrici , & le minacce in volte ,
Terror d'Auſonia , e del Tarpio diſcefe.
Ce
L'académie demande qu'Annibal foit
repréſenté dans le moment , que , levant
3
ة
i
OCTOBRE. 1770. 119
la viſière de ſon caſque , & ſe retournant
vers le génie qui le prend par la
main , il remarque de loin les belles
campagne d'Italie. La joie qu'il reffent
intérieurement perce dans ſes yeux , &
l'on doit voir déja briller ſur ſon front
la noble confiance de fes prochaines
victoires.
Le ſujet du prix d'architecture , eſt le
plan d'un magnifique theatre , propre à
la repréſentation de toutes fortes de poêmes
dramatiques. L'académie dans ſon
programme exige des deſſins ſéparés des
plans , coupes & élévations de ce théâtre
, & un plan général qui réuniſſe les
différentes parties de ſa diſtribution &
de ſa décoration intérieure & extérieure.
Ce plan doit contenir les formes & les
dimenſions les plus convenables pour
l'emplacement de l'orchestre , des loges ,
des amphithéâtres & du théâtre , pour
le changement de la ſcène , la pompe
&la magnificence de la repréſentation .
Les architectes qui voudront concourir,
auront toujours ſoin de ſe rappeler
que ce théâtre doit ſervir alternativement
pour la repréſentation des drames liriques
, tragiques & comiques ; & ils ſe
conformeront , pour la grandeur & l'étendue
de l'édifice , à ce qui est aujour
120 MERCURE DE FRANCE .
d'hui pratiqué dans les premières villes
d'Italie.
Le prix de peinture & celui d'Architecture
, font une médaille d'or de cinq
onces. Cette médaille aura pour empreinte
, les noms auguſtes du Souverain
, & des attributs relatifs à chacun
de ces arts. Les concurrens obſerveront
exactement les conditions fuivantes .
1º. Ils donneront avis de l'intention
où ils ſont de concourir , à M. le comte
Rezzonico , ſécrétaire perpétuel , qui
les informera s'ils font admis , ou non .
2º. Après l'admiffion , s'ils demeurent
dans des villes étrangères , ils ſe
préſenteront aux académiciens députés
par l'académie dans ces villes ; & , ces
académiciens , que le ſécrétaire leur indiquera
, leur feront connoître les précautions
qu'ils auront à prendre ſur leurs
ouvrages. Dans les villes où il n'y aura
point d'académiciens délégués , l'académie
s'en rapportera à la bonne foi & à
l'honnêteté des concurrens .
3°. Les tableaux & les deſſins d'architecture
, s'enverront directement à
Parme , à l'adreſſe de M. le comte Rezzonico
, ſécrétaire , dans le courant du
mois d'Avril , pour être jugés dans le
L
mois
OCTOBRE. 1770 . 121
moi de Mai ; & les prix feront diſtribués
dans la première aſſemblée générale.
4°. Chaque concurrent mettra à fon
tableau ou deſlin , une ſentence pour fa
deviſe , dont il fera part au ſeul fécrétaire
, par une lettre ſignéede ſon propre
nom. Ceux qui ſe feront fait connoître
àd'autres perſonnes qu'au ſécrétaire , ou
qui auront follicité des recommandations
, feront exclus du concours.
5°. L'académie exige que chaque
concurrent , outre ſon nom , informele
ſécrétaire , dans la lettre qu'il lui écrira ,
de ſon pays & du maître ſous lequel
il a étudié.
Les tableaux & les deſſins s'enverront
à Parme , aux frais des concurrens . Ceux
qui auront été couronnés , reſteront à
l'académie ; les autres feront renvoyés à
leurs auteurs , aux dépens de l'académie.
SPECTACLES.
OPÉRA.
L'ACADÉMIE royale de muſique continue
les repréſentations des Fêtes grecques
&romaines. Elle donnera inceſſamment
II. Vol.
f
F
122 MERCURE DE FRANCE .
Ajax , tragédie lyrique , dont les paroles
font de Menneflon &la muſique de Bertin
.
On a accueilli avec vivacité Mlle de
Châteauvieux , qui a débuté dans le chant.
Une voix agréable , moëllenſe & fort
étendue fait concevoir les plus grandes
eſpérances de ce jeune ſujet qui joint à
la beauté de ſon organe une figure trèsintéreſſante
.
VERS à Mlle de Chateauvieux ,
débutante à l'Opéra .
QUEULELLLE eſt cette beauté nouvelle
Qui brille à nos regards ſurpris ?
Châteauvieux raſſemble autour d'elle
La cour& des jeux & des ris .
Dans ſes accens l'Amour ſoupire ;
Dans ſes yeux il place ſes traits.
Elle ſurprend par ſon ſourire,
Et triomphe par ſes attraits.
Oui , c'eſt la reine de Cythère...
Mais , qu'entens je... quels ſons touchans !
Vénus joint- elle à l'art de plaire ,
L'art deféduire par ſes chants ?
OCTOBRE . 1770 . 123
COMÉDIE FRANÇOISE.
On a remis ſur ce théâtre pluſieurs repréſentations
du Père de famille , qui a
reçu de nouveaux applaudiſſemens. L'illuſion
de la ſcène eſt parfaite par l'art &
l'enſemble du jeu des acteurs. M. Molé,
M. Brizart , Mde Preville , Mlle Doligni
font les perſonnages mêmes qu'ils
repréſentent. Il n'est pas poſſible de porter
plus loin la vérité de l'action & de
donner plus d'énergie , plus d'éclat , plus
de feu aux fentimens & aux paffions qu'ils
font paſſer dans l'ame du ſpectateur.
ENVOI à Mile d'Oligny , de la Comédie
Françoise.
Aimable élève de Thalie , touchante
Doligny , la nature nous a bien favoriſés ,
en vous prodiguant ſes dons ! Vos accens
pénétrent nos ames ; ils arrachent nos
larmes. Quand vous repréſentez les beaux
modèles de fille vertueuſe , de tendre
amante , d'épouſe , de mère affection
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
née , l'illuſion entraîne tous les coeurs
ſenſibles . Nous devons fans doute ce jeu
naturel à la délicateſſe de votre belle
ame , qui vous fait préférer l'innocence
des moeurs aux offres les plus féduifantes.
Je vais me permettre quelques réflexions
ſur votre art , dans la confiance
que vous n'attribuerez la franchiſe de
mon examen qu'à mon zèle pour votre
gloire , & pour la perfection de l'état
que vous honorez par vos vertus.
C'eſt ſans doute à juſte titre que la
bonne comédie eſt en poſſeſſion de charmer
nos loiſirs ; mais , ſi pour la goûter ,
le ſpectateur doit être pourvu d'un ſentiment
délicat , le jeu de l'acteur peut
ſeul rendre l'illuſion complette . L'expérience
fait voir que cette tâche n'eſt pas
facile à remplir ; auſſi , dans tous les
tems & dans tous les pays , les grands
Acteurs ont- ils joui d'une conſidération
juſtement acquiſe. En effet , animer les
tableaux des heureux génies , qui ont fu
peindre avec tant de vérité les ridicules ,
les vices & les vertus , n'est-ce pas en
quelque forte patticiper à leur gloire ?
Vous pourriez , charmante actrice ,
renouveller les beaux jours où Melpo
OCTOBRE. 1770. 125
mène & Thalie exprimoient tour à tour ,
parle même organe, leurs tendres & généreuſes
paffions. Ces deux muſes vous y invitent.
Que vous manque-t- il pour réuſſir?
Figure heureuſe , taille intéreſſante , organe
flexible ; la nature vous a tout
donné. Jeune & belle Zaïre vous fauriez
ſi bien exprimer les remords ! Malheureuſe
Andromaque , vous nous pénétrériez
de ſes vives douleurs !
La tragédie demande un ton de voix
foutenu , du pathétique dans la déclamation
, leport majestueux , la démarche
aſſurée ; enfin , juſqu'au développement
des bras , il le faut noble & bien
marqué ; vous auriez tout cela . Pour
la fublime ſenſibilité , l'ame de ce genre ,
c'eſt votre triomphe ! La célèbre Mademoiſelle
Goffin ne poſſédoit pas plus
parfairement cette éminente qualité. Eftce
la délicateſſe de votre poitrine qui
nous prive de voir reparaître cette tendre
actrice dans ſes rôles tragiques ? Dans
ce cas ſeulement , conſervez- vous pour
faire long- tems le charme de la touchante
comédie!
D***.
Fiij
16 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE ITALIENNE.
MDE LARUETTE , que ſes indiſpofitions
avoient obligée de s'abſenter pendant
quelque tems , a repatu ſur la ſcène
dans la Servante maîtreffe & dans le Tableau
parlant. Elle a été applaudie avec
tranſport ; & elle a bien juſtifié les ſuffrages
du Public enchanté de revoir cette
actrice admirable par l'intelligence &
la fineſſe de ſon jeu , par l'art & le goût
exquis qu'elle met dans ſon chant , & par
le charme d'une voix légère & argentine,
qu'elle conduit & qu'elle ménage avec
une adreſſe qui lui eſt particulière.
OCTOBRE. 1770. 127
DETAIL des Fêtes & Spectacles donnés
à Versailles à l'occaſion du mariage de
Monseigneur le Dauphin . ( 1 )
LAcérémonie de ce Mariage auguſte ayant été
fixée au 16 Mai , la Chapelle & les Appartemens
avoient été diſpoſés & ornés de la manière fuivante.
On avoit conſtruit & placé au pourtour du
Sanctuaire & dans les Tribunes de la Chapelle
des gradins à fix rangs , afin de procurer au public
la facilité de voir la Cérémonie. Tous ces
gradins portoient des appuis peints en marbre ,
& mafquoient un couloir , pratiqué au- deſſous ,
pour communiquer d'un endroit à l'autre . Dans
la Tribune du Roi étoit un amphithéâtre , def-
(1 ) Les notices, répandues dans quelques Journaux
, des fêtes & des ſpectacles qui ont eu lieu
à la Cour dans cette circonstance , ſe trouvant
éparſes , & d'ailleurs n'en offrant qu'un précis
non- fuffisant ; on a cru devoir réunir tout ce qui
y a rapport , & le placer dans le Journal de la
Nation , qui en eſt le dépofitaire naturel. On auroit
fort defiré de fatisfaire plutôt l'empreſlement
du Public fur cet objet ; mais pour rendre un
compte exact de ces fêtes , & pour ne le point
morceler , on a été obligé d'attendre que les ſpectacles
fuflent terminés , & qu'on eût des uns &des
autres un detail fidele & approuvé.
Fiv
123 MERCURE DE FRANCE.
tiné à placer nombre de perſonnes de la Cour ,
d'une taçon auſſi agréable par rapport à l'enfemble
général , qu'officieuſe pour les Spectateurs .
Dans le Sallon de ta Chapelle , en face de la Tribune
du Roi , s'élevoit un autre amphithéâtre ,
fermé par devant , d'où l'on voyoit paſler la Cour ,
tant pour aller à la Chapelle le jour du Mariage ,
que pour ſe rendre les jours ſuivans à la Salle de
Spectacle & au Bal paré. Les Sallons d'Hercule ,
de Vénus , des Tribunes & de Mercure étoient
auſſi décorés d'amphithéâtres fermés par des appuis
en marbre. Attenant les portes de ces Sallons ,
ainſi que de ceux de l'Abondance, du Trône & de la
Guerre , étolent des balustrades peintes des mêmes
marbres , & derrière leſquelles on avoit placé des
banquettes , qui remplifloientles vuidesjuſqu'aux
amphithéâtres , & fervoient tout- à -la fois à contenir
affis un monde confiderable.
Dans toute la longueur de la Galerie , à huit
piés de diſtance des croifées , & en retour joignant
la porte de l'antichambre du Roi & celle du
Sallon de la Guerre , regnoit une balustrade en
marbre , de même que dans le Sallon de la Paix.
L'efpace formé par ces baluſtrades étoit rempli
d'eſpeces de gradins , & contenoit une quantité
prodigieuſe de ſpectateurs , dont l'arrangement &
la parure offroient , fur-tout des bouts de cette
immenfe & fuperbe Galerie , un coup-d'oeil qu'on
chereheroit inutilement ailleurs , & duquel on ne
fauroit avoir d'idée , à moins que d'en avoir
joui.
On avoit eu ſoin de poſer des barrières à toutes
les portes de la Cour Royale , ainſi qu'aux iſſues
de la Chapelle , des eſcaliers , des falles des Cent-
Suifles , des Gardes- du-Corps du Roi & des Antichambres
: de forte que , malgré l'affluence la
OCTOBRE. 1770 . 129
plus nombreuſe, les paſlages n'ont point éré gênés
&que la circulation a été parfaitement libre , au
moyen de la précaution qu'on avoit priſe de ne
permettre l'entrée que par le Sallon de la Chapelle,
& la fortie que par les appartemens de la Reine
perſonne n'ayant même la liberté de revenir fur
ſes pas. Aufli chacun a t-il eu la facilité de voir
pafler la Famille Royale & la Cour, le matin pour
aller à la Chapelle , & l'après-midi pour les Appartemens
, que le Roi a tenus dans la grande
Galerie , où il y a eu jeu une partie de la ſoirée.
DESCRIPTION de la Salle du Festin
Royal.
On ſe ſervit de la Salle de Spectacle, dont on
releva le plancher à la hauteur de celui du théâtre.
La Table étoit de 22 couverts,pour la Famille
Royale , les Princes & Princeſſes du Sang. On
avoit pratiqué , pour la facilité du ſervice , une
Balustrade très-riche en marbre & en ornemens
d'or , qui entouroit la Table à difttance , & léparoit
, en dedans , les Officiers qui ſervoient , d'avec
les ſpectateurs , qui étoient en dehors. Les balcons
qui font au bas des premières loges, & toutes
les loges , étoient occupés par une nombreuſe
quantité de perſonnes de diſtinction .
La falle étoit éclairée par des luftres qui pendoient
des roſettes du pourtour du plafond de la
Galerie des troiſièmes loges , dont le renfoncement
de chaque entre-colonnement , formé par
des portiques de glaces , étoit orné , fur chacun ,
de riches rideaux d'étoffe brochée bleu & argent ,
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
&bordés de frange d'argent; ces rideaux étoient
rattachés de cordons &glands pareils : du milieu
du ceintre de chaque arcade pendoit un luftre ,
qui le répétoit dans les glaces.
La partie de l'avant - ſcène , & qui borde le
théâtre , étoit fermée par une grande arcade de
32 piés de haut fur 14 piés de large, dont le
vuide ſervoit d'entrée à un Salon de muſique,élevé
fur la partie du devant du théâtre .
Sur chacun des côtés de l'arcade étoient élevées
deux grandes colonnes d'Ordre Corinthien , pareilles
à celles qui forment l'avant - ſcène ; ces
colonnes de marbre ſéracolin , dont les bafes ,
chapiteaux , roſeaux & graines étoient d'or ,
portoient 30 piés de haut , & étoient élevées ſur
un ſocle de 4 piés en marbre de Grillotte d'Italie.
Entre ces colonnes & celles de l'avant- ſcène ,
qui portoient les ſophites ſervant de plafond ,
décorés de riches ornemens d'or , ſur un fond de
marbre ſéracolin; étoient deux portes , par lefquelles
le faifoit le ſervice de la table ; ces portes
, ornées de riches chambranles d'or taillés ,
l'étoient auſſi de portieres pareilles aux rideaux
qui ornoient les glaces.
Au-deſſus des portes étoientdes tribunes à deux
étages , l'une ſur l'autre , ſemblables à celles qui
font dans la partie de l'avant - ſcène , dont les
balcons étoient foutenus fur de riches confoles ,.
décorées en ornemens d'or ſur des fonds de marbre..
Dans les pans-coupés de l'avant- ſcène étoient
poſés ſur des ſocles de marbre vert- campan , des
candelabres de criſtal montés ſur des piédeſtaux
richement ſculptés &dorés , de 18 piés de haut ,
& chargés chacun de 120 lumieres.
OCTOBRE. 1770. 113
Le Salon de Muſique , vu à travers cette grande
arcade,, étoit de 31 piés de profondeur, ſur 27
piésde large & 30 piés de haut, ce Salon étoit décoré
de huit colonnes d'Ordre lonique de 20 piés de
haut , dont les baſes , chapiteaux & futs étoient
d'or ; l'entablement regnant au - deſſus étoit de
même ordonnance , tous les ornemens étoient
en or ; entre ces colonnes étoient des arcades en
glaces , ornées de rideaux retrouflés de riche étoffe,
frange & glands d'argent.
Tous les corps & fonds , en marbre ſéracolin
& vert- vert , répondoient au décor de la Salle ,
& tous les ornemens étoient de relief en or.
Dans chaque partie, entre les arcades & les colonnes
, étoient des tables ſaillantes en marbre ,
portant des trophées de muſique en or.
Au-deſſus de chaque arcade , au milieu des archivoltes
, étoient des Génies grouppés , portant
les chiffres de Mgr le Dauphin , & de Madame
laDauphine , en relief & en or.
Le plafond en vouſſure au-deſſus de l'entablement
, s'élevoit de fix piés au-deſlus du ſocle poſé
fur la corniche ; à plomb de chaque arcade dans
la vouſſure , étoient de grandes lunettes , leſquelles
étoient percées de ciel , & encadrées de riches
bordures, foutenues par des aigles d'or , portant
des guirlandes de chêne en or , & rattachant des
bordures de tableaux de coloris dans les angles ,
repréſentant des Enfans jouant de divers inftru
mens de muſique.
Les compartimens de la vouſſure étoient for
més pat huit grandes conſoles d'or , décorées de
cannelures , dans lesquelles étoient des fleurons
auffi en or ; les conſoles étoient pofées ſur le ſocle
de l'entablement à plomb de chaque colonne , &
ſe ragraffoient dans une riche bordure.circulaire
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
en fruits d'or , qui encadroit un grand tableau
de coloris repréſentantApollon touchant ſa lyre ,
accompagné des Muſes , portées par des nuages
fur un ciel lumineux , le tout peint par M. Boquet
fils .
Entre ce plafond & la grande arcade , étoit un
tableaude coloris repréſentant des Zéphirs ſemant
des fleurs .
Dans les angles du plafond , étoient quatre
roſettes en or , d'où étoient ſuſpendus , par de
riches cordons , autant de luftres , portant chacun
32 lumières .
Dans les angles du Salon étoient poſés ſur des
focles de marbre vert-campan de riches candelabres
en or , furmontés de girandoles de cristal ,
portant chacune 68 lumières .
Du milieu des arcades de glaces , pendoient
auſſi des luftres de cristal à 8 lumières .
Quatre-vingts Muſiciens,placés fur des gradins
en amphithéâtre , laiſſoient fur ledevant la place
du Surintendant de la Muſique du Roi , qui fit
pendant le ſouper exécuter pluſieurs morceaux de
fimphonies ; & au- devant , dans l'épaiffeur de
l'embraſement de la grande arcade, étoient poſés
d'autres gradins en amphithéâtre juſqu'à la baluſtrade
qui fermoit le bord de l'avant- ſcène , fur
leſquels gradins ont été placées des Dames pendant
le FeſtinRoyal .
Spectacles .
Lejeudi , 17 Mai 1770 , on a donné la première
repréſentation de Perſée , ouvrage des deux inítituteurs
de la ſcène lyrique en France , Quinault
& Lulli. La néceſſité de donner plus d'étendue
aux divertifle mens afin de profiter de tous les
progrès de la danſe , avoit déterminé à réduire cet
OCTOBRE. 1770. 133
-opera en quatre actes. MM. Rebel , Francoeur ,
de Buri , &d'Auvergne , ſurintendans de la muſique
de Sa Majesté , avoient fait à celle de cet ouvrage
les changemens qu'exigeoient ceux du poëme;
ils avoient auſſi fait la muſique d'un nombre
*de nouveaux morceaux de chant répandus dans
les fêtes , ainſi que celle des divertiſlemens , dans
leſquels on n'avoit pu laiſſer ſubſiſter que quelques
airs de Lullı . M. Joliveau , l'un des directeurs
de l'académie royale de muſique, avoit été chargé
de faire , dans ce poëme , les coupures jugées néceflaires
& les liaiſons qui en réſfultoient : il avoit
heureuſement ainené dans le ze acte un ballet ,
formé par les miniſtres du ſommeil pour l'enchantement
des Gorgonnes , & avoit rendu le.divertiſſement
du dernier acte plus particulierement
analogue à la circonſtance, par une allégorie
fimple & même ingénieuſe .
Les principaux rôles ont été remplis : celui de
Cephée , par le Sr Gélin ; celui de Cafliope , par
la Dile Dubois ; celui d'Andromede , par la Dile
Arnould , la Dlle Roſalie a rempli celui de Mérope;
le Sr Larrivée , celui de Phinée ; le Sr Legros,
celui de Perſée ; la Dile Duplant , celui de Médufe
; la Dlie Larrivée , celui de Vénus ; le Sr Muguer
, celui de Mercure ; les Sieurs Cuvillier , Durais
, Caflaignade , Durand , Cavallier & Peré ,
lesDlles Avenaux & Morizer ont rempli les rôles
accefloires. Les ballets de cet opera , ainſi que
ceux de tous les autres qui ont été donnés depuis
à la cour , étoient de la compoſition de M. de Laval
, maître des ballets du Roi , & raflembloient
tous les talens dans l'art de la danſe ; nommément
les Srs Veftris , Gardel , d'Auberval ; les Diles Gélin
, Guimard , Heinel , Affelin , Mion , Pitrot ,
Duperei , Dervieux , &c. :.
134 MERCURE DE FRANCE .
Malgré les efforts réunis de toutes les perfonnes
qui concouroient à ce grand enſemble,malgré
la pompe impoſante d'un opera fait pour étonner
&pour plaire , par le merveilleux qui lui eſt particulier,
autant quepar la magnificence dont il eſt
fufceptible : quelques longueurs dans l'ouvrage
même, le défaut de préciſion , de preſteſſe dans le
changement des décorations , dans le jeu de quelques
machines , en un motdans pluſieurs parties
du ſervice théâtral , ont répandu un peu de langueur
ſur l'effet de cette premiere repréſentation, -
fans nuire cependant à l'impreſſion qui devoit
réſulter de ce beau ſpectacle & qu'il a généralementproduite.
Il ſeroit injuſte de ne pas faire remarquer ici
que l'artiſte , dont la réputation eſt ſi bien méritée
, M. Arnould, chargé de cette prodigieuſe machine
, avoit à peine eu le tems de faire ſes diſpofitions
générales ; qu'outre l'impoffibilité abfolue
où le met ſa ſituation de ſe porter pendant les repréſentations
dans tous les endroits d'un théâtre
immenſe , une derniere chute l'avoit forcé de
garder le lit preſque juſqu'au moment de l'exécution
des fêtes ; que leur fucceſſion, exceſſivement
rapide & dans le même local , n'avoit pas permis
de combiner ſuffisamment entr'elles les différentes
décorations , encore moins d'en avoir & d'en
discuter des efquiffes ; que , dans la prodigieuſe
quantité de gens- d'oeuvre néceſſaires pour faire
mouvoir tous les objets que raſſembloit un théâ
tre, auſſi vaſte qu'il étoit néceſſairement peu connu
, aucun n'étoit formé & n'avoit même pu être
exercé à une maniere d'opérer à laquelle cette forte
d'hommes ne parvient que par l'habitude ; enfin
que , malgré la multitude & l'importance des détails
que l'artiſte ſe trouvoit obligé d'embraſſer à
1
OCTOBRE. 1770 . 135
la fois; malgré les obſtacles qu'il avoit à ſurmon--
ter ; il a trouvé en lui - même des reſſources fingulières
& a fait voir , particulierement dans-la derniere
décoration de Perfée , que le vrai talent faits
vaincre toutes les difficultés.
Bal paré.
La ſalle dubal paré joignoit celle du ſpectacle ,
par l'avant-ſcène , & étoit conſtruite ſur toute la
partie qu'occupe le théâtre ; elle contenoit 80
piés de largeur , fur 78 de profondeur & 55 de
hauteur.
Le plan étoit un quarré-long,pris ſur la largeur
&dont les quatre angles formoient des pans -coupés
, deux deſquels joignoient les colonnes de
l'avant-ſcène par deux avants-corps .
Les deux autres étoient réunis au fond par une
partie circulaire .
Tout cet édifice formoit trois étages de galeries
l'une fur l'autre ; la premiere de neuf piés de
haut , ſur huitde large , étoit pratiquée dans le
foubaſſement , formé par des piédeſtaux , & féparéeàplomb
des entre- colonnemens par une ba-
Iuftrade à hauteur d'appui , dont les corps étoient
d'or , & les baluftres d'argent ;cette même balur
trade regnoit au - deflus des marches qui léparoient
les deux falles ,& laiſſoit au milieu un paffage
de douze piés pour l'entrée .
Aux deux avant- corps de l'avant- ſcène étoient, à
plomb des colonnes,dans le ſoubaſlement, des mé
daillonsde reliefavec des trophées ſervant d'agraf--
fes à des bordures en argent qui encadroient des
glaces appliquées ſurdes tables d'émeraude , or
nées deMofaïque d'or..
136 MERCURE DE FRANCE.
Aux ſoubaſſemens des quatre pans - coupés
étoient de mêmes tables , ſur leſquelles étoient
ſculptés en argent des trophées de l'Himen & de
l'Amour.
Au-devant des piédeſtaux des colonnes au pourtour
de la ſalle étoient , ſur des ſocles de marbre
vert-campan , douze grands candelabres de 12
piés de hauteur , forinés par des rainſeaux & ornemens
d'argent ſculptés , dans lesquels étoient
des enfans, aufli d'argent , tenant differents attributs
de l'Amour ; fur ces candelabres étoient
placées douze girandoles de cristal , qui tenoient
les unes aux autres par des guirlandes de même
criſtal ; chacun de ces morceaux portoit 68 bougies.
Quatre autres candelabres , en forme de lys',
de ſeize prés de haut , auſſi en argent , avec des
enfans , fur leſquels étoient douze girandoles de
même criſtal , contenoient enſemble ſoixante-huit
lumières , placées au -devant des pans- coupés.
L'intérieur de cette galerie étoit tendu en brocard
bleu& argent , & les devants, décorés de rideaux
de même étoffe , bordés de frange , & retrouſlés
avec des cordons & glands d'argent.
La ſeconde galerie de dix piés de large , audeſſusdu
ſoubaſſement , étoit formée par vingtquatre
colonnes de vingt piés trois pouces de
haut, poſées fur des ſocles dedeux piés trois pouces
, dont les corps étoient d'or , les fonds en
éméraude , & étoient enrichis de couronnes
de toles qui encadroient des fleurs de lys , le tout
en argent de relief, ainſi que les ornemens des
moulures ; cette galerie paroiſſoit diviſée en cinq
parties , ſavoir: deux parties à l'avant- ſcène joignant
les pans-coupés , avoient chacune quatre
OCTOBRE . 1770 . 137
solonnes accouplées ſur les côtés , & ſéparées au
milieu par une balustrade ſculptée & cannelée or
& argent, qui regnoit dans tous les entre- colonnemens
.
Deux autres parties , en arrière- corps , joignant
par leurs extrémités les 4 pans - coupés , avoient
chacune quatre colonnes eſpacées également.
La cinquième partie , joignant auſſi deux des
pans-coupés au fond fur la partie circulaire, avoit
huit colonnes dans ſon pourtour.
Toutes ces colonnes étoient d'ordre Ionique , le
fond des cannelures d'éméraude , les liftels d'or ,
les roſeaux & graines en reliefd'argent , les bâſes
& chapitaux d'or avec leurs ornemens auſſi d'argent.
Dans les pans-coupés , au deflus des ſocles , ornés
de tables d'éméraudes encadrées d'or à moulures
d'argent , étoient quatre niches , fond d'éméraude
, dans lesquelles étoient quatre figures d'argent
en ronde-bofle , repréſentant , Junon , Minerve
, Venus & Hébé.
Au deſſus de chaque niche étoient deux conſoles,
richement décorées , foutenant une corniche , fur
laquelle des génies de reliefen argent ſupportoient
chacun une girandole de cristal à ſeize lumières.
Dans le fond de la galerie , en face de chaque
entre-colonnement , étoient quinze arcades de
ſeize piés de haut fur fix & demi de large , couronnée
chacune de riches archivoltes d'or avec
moulures incrustées d'argent,ſur leſquelles étoient
des grouppes d'enfans en bas-reliefs foutenant un
médaillon chargé des emblêmes deMgr leDauphin
& de Madame la Dauphine ; ces enfans tenoient
138 MERCURE DE FRANCE.
auſſi des guirlandes qui ſuſpendoient, dans les panaches,
des trophées d'argent fur des fonds d'éméraude.
Les trumeaux qui ſéparoient ces arcades étoient
ornés de trophées & moulures de reliefen argent,
fur des fonds d'émeraude. L'impoſte , qui les ſéparoit
d'avec les panaches , regnoit au pourtour
dela falle , & étoit ornée de riches moulures en
argent.
Dix portes d'or étoient placées à chaque extrémité
des diviſions de cette galerie , & avoient
dans leurs panneaux de riches trophées & moulures
en argent fur des fonds d'émeraude.
Les chambranles qui encadroient ces portes ,
étoient couronnés de friſes & corniches , dont les
moulures taillées , ainſi que les trophées en relief
poſés fur l'amortiſſement , étoient d'argent.
Au-deſſus des corniches & à l'a-plomb des chambranles
étoient des encadremens à moulures taillées
qui renfermoient de grands médaillons , fur
leſquels étoient peints en coloris des Amours
jouant avec des Dauphins & desAigles ; les bordures
étoient des faiſceaux d'or , liés par des branches
de mirthe & attachés par des chutes en relief,
auſſi de mitthe & de roles en argent .
Des rideaux de brocard bleu & argent , bordés
de crête& frange, étoient retrouſtés avec des cordons
& glands d'argent dans chaque arcade , &
laiſloient voir des glaces , dans leſquelles les différens
points de vue de la ſalle réfléchiffoient
ainſi que des demi- luftres de criſtal , qui étoient
ſuſpendus par des cordons & glands, & portoient
chacunhuit lumières.
,
Un riche entablement dont l'architrave poſé
fur les chapitaux , formoit par ſes retours les ſoOCTOBRE.
1770. 139
phites qui encadroient quinze tableaux qui décoroient
le plafond de cette ſecondegalerie..
Ces ſophites , ou platebandes , étoient décorés
d'entrelas & roſettes d'argent ſur des fonds d'éméraude
; une grande gorge au-deſſus en vouſſure
fondd'or , fur laquelle étoient incruſtés en argent
des poftes & rinceaux , ſervoit de bordure aux
quinze tableaux, ou plafonds de coloris, dont les
ſujets étoient les différentes divinités fubalternes
partageant les plaiſirs de la fête.
Au-deſſus de l'architrave , dont les corps étoient
d'or & les moulures taillées en argent , regnoit
un grande friſe en éméraude , fur laquelle étoient
foixante- dix-huit conſoles , auſſi d'émeraude ;
leurs têtes incrustées d'écailles d'argent , ainfi
que les graines en fleurons qui rempliffoient les
cannelures étoient renfermées par des liftels
d'or.
,
Ces conſoles , eſpacées également , formoien
par leurs intervalles des métopes , décorés de
riches trophées en argent de relief; elles foutenoient
une corniche en or à moulures d'argent
qui regnoit au pourtour de toute la falle & dont
leplafond du larmier, en émeraude , étoit décoré
d'une riche moſaïque à roſettes incruſtées d'argent
, entre chaque tailloir des conſoles .
La troiſième gallerie de dix piés de haut , & à
l'à-plomb de celle de deſſous , étoit au niveau de
la corniche , &regnoit au-deſſus de l'avant-ſcène:
elle étoit tendue , dans ſon intérieur , de brocard
bleu & argent ; le focle général de deſſus la corniche
ſervoit d'appui à toutes les ouvertures de
cettegalerie , qui étoit décorée de riches rideaux
de même brocard , retrouſlés avec des cordons &
glands d'argent : & devant chacun des trumeaux,
140 MERCURE DE FRANCE.
oupilaſtres, étoient poſées,fur des focles d'argent,
trente -deux girandoles de criſtal portant chacune
ſeize lumières .
La partie adoſlée à l'avant- ſcène étoit décorée ,
au- deflous de la corniche , d'un grand rideau de
brocard bleu & argent , ſéparant par le haut les
deux falles .
Au- deſſus de la corniche , ſur le ſocle , étoient
trois arcades , qui joignoient les deux avant- corps;
celle du milieu avoit vingt - deux piés de large
furquatorze de haut , les deux autres chacune ſept
piésde large.
Sıx pilaltres , dont quatre accouplés avec impofte
, foutenoient les archivoltes & féparoient
ces trois arcades ; les deux panaches en coloris audeſlus
des pilaſtres accouplés repréſentoient des
génies.
Ils étoient encadrés de riches bordures en or ,
fur leſquelles étoient des fleurs & fruits en argent,
fur des fonds d'émeraude.
Toute cette partie étoit couronnée par le plafond
, dont les arcs -doubleaux , ornés de guitlandes
de fruits en argent , ſur des fonds d'émeraude
encadrés d'or , partoient des quatre colonnes d'angles
des avant- corps . Ce plafond étoit décoré de
deux arcades en lunettes , dont les impoftes
étoient ſuportées par deux pilaftres chacune; entre
ces lunettes , qui étoient décorées dans leurs
vouſſures de grands rainſeaux & roſettes d'argent,
fur des fonds d'émeraude , étoit un grand tableau
de coloris de trente- fix piés ſur douze , repréſentantle
lever de l'aurore ſur des nuages & des zéphirs
ſemant des rofes .
Cetableau étoit renfermé par une richebordure
ceintrée ſur ſes extremités &formée de gros fruits
OCTOBRE. 1770 . 141
d'or en relief, liés enſembles d'un large cordon
d'argent.
Aux deux angles de cette bordure joignant les
deux lunettes étoient quatre grands rainſeaux de
relief en argent ſur des fonds d'émeraude.
Aux deux faces latérales, à plomb des colonnes
d'angles joignant de chaque côté les pans-coupés,
partoient deux grands archivoltes en or , taillés
demoulures incruſtées d'argent , ayant dans leurs
plafonds des compartimens à roſettes d'argent ,
Tur un fond d'émeraude .
Au- deſſus des deux colonnes,au milieu de chaque
côté étoient deux pilaſtres en or, décorés, fur leurs
quatre faces , d'ornemens d'argent ſur des tables
d'émeraude, portant chacun un entablement ceintré
pris en ſaillie ſur les archivoltes ; fur ces entablemens
étoient placées les armes du Roi , ſur
de riches cartels en or , couronnés & foutenus par
des anges de ronde-boſle en argent,
Ces cartels étoient adoſlés à de riches vouſſures
qui prenoient leurs naiſſances ſur les archivoltes
& ſe terminoient aux deux arcs-doubleaux qui
partoient des colonnes d'angles des deux avantcorps
& rejoignoient les deux angles de la partie
circulaire.
Ces vouſſures étoient ornées de caiſſons d'or
&panneaux de fotone circulaire fond d'émeraude ,
fur leſquels étoient de grandes roſettes d'argent
de relief encadrées de doubles moulures auſſi taillées
en argent.
Dans le fond, au-deſſus de la partie circulaire
& à plomb de chaque colonne , étoient fix pilaftres
pareils à ceux des faces latérales & portoient
les impoſtes & archivoltes de trois arcades ceins
142 MERCURE DE FRANCE.
trées : les quatre autres ouvertures , qui étoient à
l'alternative de ces arcades , ſe trouvoient fermées
en haut par l'impoſte qui leur ſervoit de platebande
, & étoient foutenues par huit confoles
d'or , incrustrées d'argent , & adaptées aux
pilaſtres.
Les plafonds entre ces conſoles , ainſi que ceux
des arcades , étoient ornés de caiſions avec roſettesd'argent.
Au-deſſus de ces arcades , étoit peint ſur une
grande vouſlure de ſoixante piés , le triomphe
de Neptune & d'Amphitrite : ce tableau ſe terminoit
par le haut à un des quatre arcs - doubleaux
qui partoient des deux colonnes d'angles de la partie
circulaire.
Ces quatre arcs doubleaux formoient quatre
grands panaches , décorés de riches bordures d'or
en relief , ſculptées & incrustées d'ornemens d'argent
, leſquelles renfermoient des tableaux de co-
Joris repréſentant differens inſtants de l'hiſtoire
de Pfiché; ſon enlevement par Zéphire; Pfiché à ſa
toilette ; l'Amour embraſſant Jupiter pour obtenir
grace pour Pfiché , & Mercure commandé
par les Plaiſirs.
Autour de ces bordures regnoient de larges
champsen or , qui joignoient une double bordure
en reliefde fix piés de large, compoſée de faiſceaux
d'or , liés par des feuilles d'acante en argent , fur
le côté oppoſé du tableau.
Les moulures du dedans de cette bordure , auffi
d'or & d'argent , étoient taillées de feuilles d'eau
& d'acante & de miroirs dans une platebande
d'émeraude , diviſée par ſeize grandes rolettes
auſſi en argent , àhuit deſquelles étoient fufpendus,
par de riches cordons bleus & argent, des lufOCTOBRE.
1770 . 143
tres de cristal , chargés chacun de trente-deux lumières
.
Cette riche bordure encadroit un magnifique
tableau ovale de trente-fix prés , ſur vingt- buit ,
qui formoit le plafond de la falle: le ſujet de ce
tableau repréſentoit Ptiché , conduite à l'Immor
talité par l'Amour , & admife au rang des Divinités.
Ce tableau offroit quatre inſpections diffe
rentes .
1º. Pfiché devant le trône de Jupiter & de
Junon .
2º. Le Dieu du Goût accordant la lyre & formant
un concert avec les Muſes.
3 °. Les quatre Saiſons.
4°. Diane defcendant ſur la terre pour prendre
les plaiſirs de la chaffe .
Description du Feu d'artifice & de l'Illumination
dans les jardins de Versailles,
lesamedi 19 Mai 1770.
Au fortir du bal paré , le Roi , accompagné de
la Famille Royale , revint dans la galerie , d'où il
donna le ſignal pour tirer le feu d'artifice , qui
avoit été préparé pour le 16 , jour du mariage , &
dont le mauvais tems avoit fait retarder l'execution.
On avoit établi une grille de cent vingt toifes
de longueur , qui embraſſoit toute la largeur
de la terraſſe , dont chaque travée étoit formée de
pilaftres , peints en pierre , couronnés de vaſes
portés fur des focles ; & , d'un pilaftre à l'autre,
étoient des fulées d'honneur , peintes en noir , 217
144 MERCURE DE FRANCE.
1
pour mieux imiter les barreaux de la grille. Aufſitôt
après qu'on eut tiré les trois cens fuſées d'honneur
, on mit lefeu aux deux grandes girandoles
poſées dans les baſſins , avec fix ſphères & fix
piramides , accompagnées d'une grande quantité
de pieces d'artifice-d'eau , & pendant la durée de
ce coup de feu , toute la grille , montée ſur des
roulettes , fut repliée de droite & de gauche ,
pour laiſſer voir une batterie , repréſentant une
moſaïque , avec cinquante deux bombes de neuf
pouces de diametre , à laquelle fuccedèrent trenteun
caprices , qui rempliffoient un eſpace de quatre-
vingt toiſes de face , en forme piramidale ,
depuis quinze piés juſqu'à cinquante piés d'élévation.
Auffitôt après on tira un corps de feu ,
compoſé de dix mille fuſées volantes, mille gros
pots à feu & vingt-quatre bombes , pendant lequel
, à force de bras& de leviers , on enleva
toute la charpente des caprices , poſée ſur roulettes
, pour laifler voir le temple de l'Himen , accompagné
de colonnades & caſcades , dont le
feu ſeul deſſinoit toute l'architecture : il étoit ſurmonté
de pluſieurs gloires ou ſoleils , dont les
diſques étoient remplis des armes du Roi & des
chiffres de Mgr le Dauphin & de Madame la Dauphine.
Cette partie d'artifice fut terminée par une volée
de vingt-quatre bombes , qui annonça une
grande & magnifique girande de vingt mille fulées
, tellement arrangées dans des caiſſes d'une
nouvelle invention, qu'en partant ſucceſſivement,
elles faifoient un feu roulant qui dura long-tems .
Elle étoit accompagnée d'un bruit de guerre
formé par fix mille gros marons. & fut fuivie
d'un bouquet compoſé de quatre mille fufées de
pluſieurs
OCTOBRE. 1770 . 145
plufieurs grofleurs , &de vingt-cinq bombes de
douze pouces de diamètre.
Quoique les meſures euſſent été priſes avec les
plus grands foins par les Sieurs Morel & Torré ,
Artificiers du Roi , compoſiteurs de ce feu , qui
occupoit les baſſins en face du Château, la terraile
de Latone , les parterres de Latone , & un tiers ,
du tapis-vert , pour pareràtous les accidens qui
pouvoient ſurvenir dans un artifice auſſi immenſe;
une fufée, qui mit le feu à un if voiſin du
quatrième coup de feu , compoſé de trente- un
caprices , porta quelque confufion dans les premiers
momens de l'exécution ; mais bientôt les
deux Artificiers rétablirent l'ordre , & on a pu juger
par leur belle Ordonnance de la beauté de ce
feu , qui , malgré les pluies continuelles , & les
deux orages violens qu'il eſſuya le 16 , jour du
mariage , a cependant réuſſi au-delà de ce qu'on
en pouvoit eſpérer-
Toutes les parties de décoration , charpente ,
batteries , caifles de la girande & du bouquet, qui
compoſoient ce feu , furent enlevées , & le tapisvert
fut n'toyé en moins d'une heure. Bientôr on
vit briller une ſuperbe illumination , qui charma
lepublic , furpris de la promptitude avec laquelle
plus de cent ſoixante mille lampions & terrines
prirentfeu.
Ala tête du canal , étoit un édifice de cent tren .
te piés de baſe ſur cent vingt d'élévation . Ce
monument préſentoit le portique d'un temple ,
furmonté d'un fronton , au sommet duquel étoit
fixé un ſoleil de cent quatre- vingt piés de circonférence,
& dont le diſque,formé d'une réunion
de grands reverbères , avoit ſoixante piés de
circuit. Les lignes qui traçoient l'architecture de
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
cette grande partie , ainſi que les rayons du ſoleil
, n'étoient formées que par des lampions ,
dont la lumière cédoit au prodigieux effet des reverbères.
Quatre fontaines , fur lesquelles s'élevoient
des étoiles , dont les centres étoient auffi couverts
de reverbères , accompagnoient ce grand
édifice ,& réuniſſoient leurs feux à ceux des bords
ducanal , garnis d'un double rang de lampions&
d'ifs iſolés , depuis fon commencement juſqu'à
fon extrémité , ce qui formoitune perſpective im
menfe.
Les feux répétés de cette quantité d'objets fur
Ja furfacedes eaux , s'uniffoient au brillant ſpectacle
que préſentoit une flotte lumineuſe , com
poſée de quarante bâtimens &gondolles , appareillées
avec des lanternes , qui en marquoient
tous les agrès, & qui , lorſque le Roi tentra dans
la galerie après ſon ſouper, partirent , au ſignal
d'une bombe , des croilées de Trianon & de la
Ménagerie , pour s'avancer en bon ordredans le
milieu du canal , où elles formèrent une marche
foutenue d'une muſique éclatante , & firent le
reſte de la nuit pluſieurs évolutions.
Dans la partie immenfe qui s'étend depuis le
tapis-vert juſqu'au grand canal, eſt le baffin d'Apollon
, dont les vaſtes contours étoient couverts
d'un double cordon lumineux .
Vingt arcades , d'une architecture ruftique , de
quarante- cinq piés d'élévation , féparées par de
grandes piramides , formoient une immenfe décoration
autour de cet efpace. Toutes les parties
de l'architecture , celles des pilaſtres , entablemens,
focles, vafes & piédeſtaux , étoient tra
OCTOBRE 1770. 147
ečes par des lignes de lumière. Des luſtres , chargés
de plus de cent lampions , étoient ſuſpendus
Tous les archivoltes de ces arcades , entre des
guirlandes de feux , dont l'éclat , réuni à la maſle
générale , ſe reproduiſeit à l'infini dans les eaux
du baffin d'Apollon & dans celles du canal. La
promptitude avec laquelle toutes ces parties ont
été allumées , eſt due à M. Varenne de Beoft
ReceveurGénéral des Finances , qui a fait parta
l'Académie Royale des Sciences de la préparation
des meches,dont la communication s'eſt faite avec
tantde rapidité.
Deux Mai , placés entre le baffin d'Apollon &
le bout du canal , ſurmontés de couronnes ,&
entourés de guirlandes de fleurs , couvroient deux
orcheſtres nombreux , dont la muſique invitant
à former pluſieurs danſes , animoit encore dans
cette partiece magnifique ſpectacle , auquel la
fatisfaction publique concouroit.
Douze des plus beaux boſquets du Parc réuniſ
foient la beauté & la variété de leurs eaux aux
feux des différens objets dont ils étoient décorés.
Toutes les allées qui y conduifoient etoient
éclairées par des luſtres ſuſpendus à des diſtances
égales dans leurs milieux & à leurs extré
mités.
La ſalle des Maroniers , conſacréeà ladante ;
avoit de très-grands orchestres ; ſon enceinte
étoit éclairée par des luftres entre les arbres
qui formoient tout-au-tour un cercle lumineux.
Unconcours prodigieux s'empreſſoit dans cette
grande falle à partager les plaiſirs de cette fête.
L'Iſle-d'Amour étoit entourée de grandes piramides;
le Boulingrin & les bords de la grande
allée étoient garnis d'un double rang de lumiè
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
res. En face de cette contre-allée dans une des
grilles du mail , étoit placé un théâtre du ſieur
Gaudon , ſur lequel on donna des repréſentations
comiques , dont pluſieurs ſe ſuccédèrent dans
l'après-midi , & le renouvellèrent pendant la
nuit.
La ſuperbe colonnade , & le boſquet desDames
de l'autre côté de l'allée Royale , offrirent.
un coup- d'oeil des plus agréables. L'entablement
de la première , ſon acrotère , & les vaſes qui
la couronnent , étoient ornés d'un triple cordon
de lumières ; chaque arcade avoit un luſtre ſuſpendu
ſous fon archivolte , au-deſſus des eaux
jailliſſantes de ſes fontaines : à l'autre , un double
cordon ,placé ſur les balustrades qui entourent
le baſſin , en éclairoit le milieu , & répondoit à
la lumière des obéliſques. L'intérieur des ſuperbes
fallons de marbre qu'ils renferment , étoit
éclairé par des girandoles , placées à chacun de
ſes angles. Des luſtres , ſuſpendus auprès des
charmilles , paroiſſoient en occuper le milieu ;
deux cordons de lumières couronnoient leurs
amortiflemens .
L'Encelade & la Gerbe préſentoient un tableau
varié : la décoration de l'Encelade étoit
compoſée de grandes piramides, placées dans chacune
des faces octogones de ce grand boſquet,
jointes àuncordon de lumières ſur la bordure ,
& le boulingrin qui entoure le baffin. La forme
du baffin de laGerbe , élevé ſur des gradins de
gazon , partagés en caſcades dans leurs milieux ,
n'étoit deſſinée que par des lumières rangées ſur
chacun de ſes degrés : des girandoles poſées ſur
des piédeſtaux qui terminent la partie rampante
de ſes cafcades , accompagnoient la mafle d'eau
OCTOBRE. 1770. 149
que forme cette gerbe , & ſe réfléchiſſoient dans
le double baffin qui l'entoure.
L'allée Royale , communément appelée le tapis
- vert , la partie circulaire qui la précede , les
charmilles qui entourent les deſcentes de Latone,
étoient ornées , entre chaque vaſe & figure
de marbre , d'ifs & piramides de trente piés
de haut ,dont les formes variées préſentoient différens
effets de lumière , leſquelles ſe joignoient
aux feux qui entouroient les fontaines des Lyons
&les bas du Parterre en face du Château .
De très-grands pots-à-feu , poſés ſur les mortiers
qui avoient ſervi au feu d'artifice , couvroient
Jes rampes ſupérieures du baſſin de Latone , &
produiſoient un effet prodigieux par leurs mafles
de lumière.
Σ
Dans le boſquet Dauphin étoit élevé un théâtre
de quatre - vingt piés de profondeur & cinquante
piés de face , fur lequel le ſieur Nicolet
arepréſentédans l'après - midi & au milieu de la
nuit des pièces analogues à la fête , précédées
dedanſes ſur la corde , ſauts , voltiges & tours
de force. Ce boſquet étoit orné de luſtres entre ſes
arbres , d'obéliſques , piramides & grouppes de
Dauphins . L'effet & la grande quantité des lumieres
, joints au ſpectacle , attiroient un peuple
immenſe , qui ſe renouvelloit à chaque inſtant.
Des maſſes de lumière , diſtribuées ſur des ifs ,
annonçoient un autre théâtre du St Gaudon , pardelà
les baſſins des Saiſons , à l'extrêmité de l'allée
qui deſcend du parterre du nord à la contreallée
du baſſin d'Apollon : on y repréſenta auffi
des pièces analogues à la fête , entremêlées de
fauts , voltiges &danſes de corde.
:
Giij
50 MERCURE DE FRANCE.
La ſalle du bal , dont la forme eſt ſi avanta
geuſement conçue pour ſon objet , étoit entourée
de gradins , peints en charmille , & remplis
d'une foule prodigieuſe , qui venoit partager les
plaiſirs de ladanſe pour laquelle ce lieu étoitpréparé.
La partie ſupérieure, au-deſſus de l'amphithéâtre
, étoit décorée de pyramides & de grouppes
de Dauphins , couverts de lumières. Chacun
des beaux vafes & guéridons qui s'élèvent audetlus
des jets d'eau &caſcades , & ornent le milieu
deceboſquet, ſervoient de bafes à de grandes
girandoles : des cordons lumineux deſſinoient les
rampes , celles des caſcades& le tour des baffins.
Des lumières, placées dans le fond des rochers ,
étoient apperçues à travers la limpidité des eaux
pendant le jeu de leurs caſcades . Les broderies &
bordures des baffins des trois parterres d'eau , du
midi &du nord; la balustrade ſupérieure de l'orangerie;
les bords des terraſſes du côté du nord
&du midi, étoient garnies de lumières artiſtement
diſtribuées,qui en diftinguoient la maile & la variété;
& au milieu s'élévoit un ifde fer iſolé de40
piés de haut , couvert de 2000 lumières dont les
feux ſe multiplioient de tous côtés à travers les
parties de ſa baſe &celles de ſon ſommet , formées
en treillage& à jour.
La cour des miniſtres fut éclairée par un cordon
de lumières , poſé ſur la double balustrade
qui l'entoure , près de laquelle étoient placés ,à
diſtance égale dans la partie inférieure , des ifs
chargés de feux. La cour royale, celle des princes
&cellede la chapelle étoient couronnées ſur leurs
entablemens d'un filet de lumière.
Dans l'après- midi , cent bateliers & ſeize gondoliersde
la petite Veniſe , habillés tout en blanc
avec des petits chapeaux à l'angloiſe , portant des
OCTOBRE. 1770 . 152
écharpes , cocardes , roſettes & noeuds d'épaule ,
moitié rouges & moitié bleus , la rame ſur l'épaule
, ſe promenèrent dans tout le parc , ayant
aleur têre la muſique du dépôt des Gardes- Françoiſes
, & s'arrêtèrent aux differens orchestres où
danſoit le public , auquel ils ſe joignirent pour
partager avec lui les plaiſirs d'une fête auſſi brillante.
Cent vingt muficiens , diſtribués dans les or
cheſtres du parc, antmèrent les danſes, qui ſe ſuc
cédèrent fans interruption juſqu'à fix heuresdu
matin , que le Public vit arriver trop tôt pour terminer
ſes plaifirs .
Jamais fêre ne s'eſt paſſée avec autant d'ordre
&de tranquilité ; car , malgré la foule innombrable
d'un peuple immenſe répandu dans lesjardins,
'le fervice du feu d'artifice , de l'illumination &
l'enlevement de toute la charpente qui avoit ſervi
au feu, fut fait avec une promptitude &une facilité
qu'on n'avoit point lieu d'eſpérer. Sept cent
bommesde laGarde-Suiſſe ,diſtribués avec intel
ligence dans les paſſages , boſquets & allées , &
pouvant ſe donner tous des lecours mutuels , &
une chaîne de Gardes - Françoiſes placée autour
du feu d'artifice pour empêcher le peupled'y pénétrer
lors de ſon exécution , ont été un für garant
de la ſûreté publique .
Cette illumination , dont le ſuccès a été ſi heureux
, eft en partie due aux deſſins du Sr Challe ,
deſſinateur du cabinet du Roi , & à l'intelligence
& aux foins du Sr Girault , architecte & contrôleur
des menus-plaiſirs , qui en a donné les projets
en partie , & qui , dans le bon ordre pour la réuffire
, aété ſecondé par le Sr Houdon , garde-magaſindes
menus-plaiſirs du Roi à Paris.
Giv
132 MERCURE DE FRANCE.
Bal masqué.
:
La nuit du Lundi 21 au Mardi 22 , il y eut
Bal maſqué dans la grande Galerie , ainſi que dans
les ſalons d'Hercule , de Mercure & des Tribunes .
Les balustrades établies dans les appartemens
avoient été enlevées ; on avoit laiflé ſubſiſter tous
-les amphithéâtres , tant parce qu'ils formoient
-décoration , que pour les orcheſtres qu'on avoit
placés dans les ſalons qui viennent d'être nommés
, & qui font les ſeuls où l'on ait danſé.
Dans les embraſures des croiſées de la Galeric
on avoit établi des gradins à deux rangs de banquettes
: on avoit auſſi garni d'un rang de banquettes
le pourtour de toutes les pièces qui
n'étoient pas deſtinées pour la danſe , & où les
maſques trouvoient à ſe repoſer commodément.
Vingt luftres de criſtal , dont les cordons de
fleurs formoient , en ſe réuniſlant par des guirlandes
, différens compartimens agréablement
variés , & quarante quatre girandoles , à quinze
lumières chacune , poſées ſur des torcheres , des
plus belles formes & d'un grand effet , ordonnées
& exécutées exprès pour le Mariage , éclairoient
Ja grande Galerie , & y répandoient une maſſe de
lumière qui ſe répétoit dans les glaces dont elle
eſt décorée , & fervoit à faire valoir la variété
des déguiſemens de la foule prodigieuſe des mafques
qui ſe portoient de tous côtés , & formoient
un ſpectacle enchanteur , qu'il eſt difficile de décrire.
Les ſalons où l'on danſoit n'offroient pas un
tableau moins brillant ni moins piquant. Il en
étoit de même des ſalons de Vénus , de la Guerre
OCTOBRE. 1770. 153
& de la Paix , dans leſquels des buffets , pleins
de goût & de galanterie , ajoutoient à la beauté
de chacune de ces pièces , qu'un concours continuel
de maſques rendoit auſſi riante qu'animée.
L'ordte le mieux conçu & le mieux obſervé
s'allioit à la vivacité du bal , & à la liberté du
maſque , au point de faire de cette nuit une des
plus agréables dont on puiſſe concevoir l'idée.
Suite des Spectacles .
Le jeudi , 24 Mai , on a repréſenté Athalie
avec toute la pompe dont cette admirable tragédie
eſt ſuſceptible. La décoration repréſentant le
temple de Jerufalem , parfaitement bien peinte
&de la plus grande ordonnance , répondoit en
tout à l'idée qu'on a de ce ſuperbe édifice : elle occupoit
entierement le théâtre , dont l'étendue eſt
de plus de cent piés de largeur ſur une profon
deur égale. On l'avoit diviſée en deux parties :
dans celle joignant l'avant- ſcène , on avoit pratiqué
deux galeries de côté qui ſervoient à la faire
paroître encore plus vaſte , &à faciliter les entrées
& les forties des prêtres , des lévites & des
peuples , ainſi que celles des foldats d'Athalie &
le combat qui ſe donne au se acte , & qui , mis en
action ſous les yeux du ſpectateur & au bruit
d'une ſymphonie d'un grand effet , a rendu ce
moment tel que l'auteur avoit pu le concevoir, &
infiniment plus impoſant , plus vrai qu'il n'a jamais
pu l'être ſur le théâtre de la Comédie. La
partie intérieure du temple , formée par une arcade
affez haute & affez ouverte pour que l'oeil
ne perdît rien de la nobleſle & de l'élévation de
l'architecture dont elle étoit embellie , étoit ter
minée au fond par une colonnade circulaire , au
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
deſſusde laquelle on avoit pratiqué une galerie
deſtinée àrecevoir une quantité conſidérable de
prêtres &de peuples dans l'inſtant on Joas paroît
fur fon trône , entouré de ſes défenſeurs victorieux.
Il ſeroit difficile de donner une véritable
idée de la beauté majestueuſe de ce ſpectacle , rendu
encore plusfrappant par des choeurs nombreux,
&de l'expreffion la plus pathétique & la plus propre
aux differentes fituations auxquelles ils étoient
adaptés. Les habillemens ont contribué à l'effet
général par la richefle & l'élégante fimplicité qui
les faifoient valoir reſpectivement& qui offroient
un contraſte très - heureux lorſque les ſoldats de
laReine , vêtus & armés à l'antique , remplifloient
undes côtés du théâtre.
Quant à l'exécution dramatique, il ſuffira de
direque la DileClairon , quoique retirée du théâ
tre depuis pluſieurs années , a joué le rôle d'Athalie
de maniere à ajouter encore aux regrets que
cauſe la retraite ; & que la Dile Dubois , dans le
rôle de Joſabeth. , le Sr Brizard , dans celui de
Joad , le St le Kain , dans celui d'Abner , le Sieur
Belcour ,dans celui de Mathan , ainſique les Srs
Molé & d'Alainval , les Diles Molé , Veftris &
Doligny , dans les rôles moins conſidérables , ont
diſputé de zèle&de talent pour rendre cette reprétentation
auffi fatisfaiſante qu'on pouvoit le
fouhaiter : le rôle du Roi Joas a été rempli par
une jeune enfant , la Dile Teffier , d'une figure
intéreflante & agréable, & qui montre d'heureuſes
difpofitions pour le théâtre.
Le famedi , 26.Mai , on a donné une ſeconde
repréſentation de Perfée.
Quelques retranchemens , faits à propos dans
es ſcènes & fur-tout dans les ballets ; plus d'exac
OCTOBRE. 1770. 155
titude & de célérité dans l'exécution théâtrale;
plus de confiance de la part des acteurs & un enſemble
plus heureux dans le total , ont , pour ainſi
dire, montré cet opera ſous un nouveau point de
vue : auſſi a-t- il fait le plaifir qu'on en devoit attendre,
& d'autant plus qu'on étoit parvenu à dégager
le théâtre de la pouffiere & de l'eſpece de
brouillard qui l'obſcurciſſoient le premier jour ;
& qu'à la faveur d'une lumière vive & nette , le
ſpectacle offroit une richefle &une élégance qui
n'avoient pu être qu'entrevues à la premiere repréſentation
, &dont à celle - ci on jouiffoit avec
autantde ſurpriſe que de ſatisfaction.
Le famed 9 , & le mercredi 13 Juin , on a re
préſenté Castor & Pollux , dont le poëme eſt de
M Bernard & la muſique de Rameau.
Il ſeroit ſuperflu d'entrer en détail par rappore
à cet opera , dont le nom ſeul atteſte la réuffite :
il ſuffira de dire que la magnificence & le goût
avoient préſidé aux habillemens ; que pluſieurs
des décorations étoient de la plus grande manière
&bien peintes ; que fur tout celle de la fin du s
acte , repréſentant le palais de Jupiter , communiquant
des deux côtés par des colonnades aux
pavillonsdes principales divinités célestes , déſignées
par leurs divers attributs , & inontrant dans
le lointain une partie du zodiaque , répondoit
parfaitementà l'idée brillante & poëtique de M.
Bernard. On ne doit pas omettre que le ſoleildans
fon char , éclatant d'or & de pierreries & parcourant
la carrière , étoit d'un mechaniſine vraiment
ingénieux & produifot la plus heureuſe illufion.
Les Dlies Arnould & Dubois , dans les rôles de
Télaire & de Phébé ; & les Sts Gélin , Larrivée &&
Legros ,dans ceux de Jupiter de Pollux &de Ca
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
tor , ont contribué au ſuccès de cet ouvrage , dont
les rôles d'une moindre importance ont été remplis
par les Srs Durand , Muguet , Caſſaignade &
Cavallier . La ſanté de la Dile Larrivée ne lui
ayant pas permis de remplir ceux d'une ſuivante
d'Hébé au 3 acte & d'une ombre heureuſe au se ,
elle a été remplacée par la Dile Roſalie. A la ſeconde
repréſentation le Sieur Durand a remplacé
dans les trois derniers actes le Sr Larrivée , qu'un
ebrouement très- conſidérable a forcé de quitter le
rôle de Pollux dont il étoit chargé : le Sr Peré a
fuppléé le Sr Durand à cette repréſentation , dans
le tôle du grand-prêtre de Jupiter. Tous les ſujets
diftingués dans la danſe étoient avantageuſement
placés dans les divertiſlemens de cet opera , dont
les ballets étoient généralement bien compofés&
d'un effet agréable.
Lemercredi 20Juin on a donnéune repréſentation
de Tancrede , tragédie de M. de Voltaire. La Dile
Clairon a rendu le rôle d'Aménaïde avec cette fupériorité
qui réunit tous les fuffrages ; le rôle de
Tancrede a fait véritablement honneur au Sr Molé
, de même que celui d'Argire au Sr Brizard : les
Srs Belcourt , d'Auberval , d'Alainval & Delmarets
ont rempli les rôles de Loredan , Orbaflan
Catane & Aldamon , d'une façon très - fatisfaifante
& proportionnément à ce que chacun de ces
perſonnages ad'importance & d'intérêt dans l'ouvrage
, qui a produit l'effet qu'on s'en étoit promis.
Après Tancrede , on a donné une repréſentation
de la Tour enchantée , ballet figuré , mêlé de
chant, auquel on a cru devoir joindre quelques
ſcênes fort courtes & uniquement deſtinées à
éclaircir & à lier entr'eux les différens divertiſſeOCTOBRE
. 1770 . 197
(
mens qui forment le fond de ce ballet , dont l'ob
jet principal eſt le tournoi qui le termine. Pour
l'amener plus convenablement , voici la fable
qu'on a imaginée. Margian , génie mal - faiſant ,
amoureux de Zélénie , fille de la Reine des Ifles
d'Or , n'ayant pu obtenir cette princeſſe de ſa
mere , a porté la guerre dans ſes états , la fait prifonniere
ainſi que Zélénie , qu'il tient enfermée
dans une tour magique. C'eſt à ce moment que
commence l'action . Margian paroît au milieu des
miniſtres de fon art & de ſes ſoldats , qu'il a rafſemblés
dans ſon palais. Il leur dit qu'il fait que
Renaud d'Eft , chevalier François & fon rival , ſe
prépare à affranchir la princefle de ſa captivité ,
& il les excite à ſignaler de nouveau leurs efforts
& leur zèle pour le faire triompher de Renaud ,
qu'il veut attaquer & furprendre dans ſon camp .
Les uns & les autres ſe diſpoſent à ſervir ſa jaloufie
& la vengeance ; des démons leur apportent
des ferpens , des poignards & des torches allumées
, pour faciliter leur projet , & Margian fort
avec eux tous pour l'exécution. Alors le théâtre
change & repréſente, dans le fond, une tour lumineuſe
, gardée& défendue par des géants & des
monftres formidables , & dans laquelle on apper .
çoit la princefle gémillante ; d'un côté , des murailles
&une forterefle , en partie démantelées ; &
de l'autre, le camp de Renaud d'Est. Il fort de ſa
tente , ſuivi de Florestan ſon écuyer , qu'il inſtruic
du deſlein où il eſt de ſauver Zélénie & la Reine ,
ou de périr. Florestan l'engage à profiter du ſecours
que lui offrent quelques guerriers des Iſles
d'Or , que l'éclat de ſes exploits a raſſemblés auprès
de lui. Renaud les appelle; ils paroiffent, confternés
& ans armes : il leur retrace la gloire de
leurs ancêtres , ce qu'ils doivent à eux- mêmes &
I158 MERCURE DE FRANCE.
fur-tout à leur fouveraine; ils ſe raniment à fa
voix & rentrent dans leurs tentes pour ſe couvrir
de leurs armes. Unguerrier vient annoncer à Re.
naud que le magieien approche : dans le même
inttant les troupes paroiſlent d'un côté , d'un autre,
les guerriers de Renaud reviennentarmés & en
bon ordre fur la ſcène. Il ſe met à leur tête & l'action
s'engage. Au fort du combat, Margian arrive
fur un chat traîné par des griffons quijettent feu
& flamme; lui - même eſt armé de torches ardenres:
Renaud l'apperçoit , laiffe fon écuyer à la têre
des ſiens , & s'élance ſeul contre le géant ; il le
combat& le tue . A l'inſtant le tonnerre fe fait entendre
, la foudre écraſe les géans & les monftres
qui défendoient la tour ; elle eſt brûlée; la princefle
s'éleve fur un nuage lumineux qui difparoît ;
les foldats de Margian ſont défairs & mis en fuite,
&la Reine des Ifles d'Or s'avance dans un char
éclatant , où , après avoir remercié Renaud , elte
le fait placer pour le conduire dans ſon palais &
l'unir à ſa fille ; le char ſes enleve l'un & l'autre
pendant un choeur de triomphe , exécuté par les
vainqueurs , qui fe retirent enſuite. Le théâtre
change& repréfente un cirque , préparé pour un
tournoi. La Reine revient , avec la princefle &
Renaud; elle les unit aux yeux de toute fa cour ,
&ils vont fe placerdans une tribune , furmontée
d'un riche pavillon , d'où ils voient le tournoi
qu'elle a ordonné pour embellir la fêre d'un fi
beaujour. Les quadrilles arrivent fur des marches
différentes; ceux des tenans , compofés de Grecs
&de Syriens ; ceux des aflaillans , de Scythes &
d'Indiens ; Minerve , deeffe des Grecs , le Soleil ,
dieudes Syriens , Mars , dieu des Scythes , & Bacchus,
dieu des Indiens , chacun dans un char orne
des attributs qui lui ſon propres , & attelé de deux
OCTOBRE. 1770 . 199
chevaux , ferment la marche de chaque quadrilles
letournoi s'exécute; le chevalier vainqueur , le
Sr Veſtris , reçoit le prix de ſa victoire , dont il
fait hommage à ſa dame,laDileGuimard; & des
Troubadours qui ſurviennent , terminent le baller
d'une manière auffi vive que piquante. Muſique ,
danſe , richefle bien entendue , pompe théâtrale
&d'an genre neuf, décorations , tout le réunifloit
pour fairede ce ſpectacle le tableau le plus magnifique
& le plus varié qu'on puifle offrir. Les
rôles étoient rendus ; la Reine , par la Dile Dubois
; Zélénie , par la Dlle Arnould ; Renaudd'Eſt
, par le Sr Larrivée ; Florestan , par le Sieur
Pillot ; Margian , par le St Peré : le Sieur le Gros
chantoit une ariette vive& gaie dans le divertiffement
des Troubadours , à l'agrément duquel les
Srs Lani & d'Auberval , avec les Diles Peſlin &
Pitrot ont beaucoup contribué. La muſique de ce
ballet figuré eſtde M. d'Auvergne ;les paroles des
fcènes ,ainſi que cellesde pluſieurs des morceaux
parodiés,fontdeM.Joliveau.
Le ſamedi , 14 Juillet , on a donné une repréfentation
de Semiramis , tragédie de M. de Volvaire
, dont les rôles ont été rendus : Arface ou
Ninias , par le Sr Molé ; Affur , par le Sr d'Auberval
; Oroës , grand prêtre , par le Sr Brizard;
Mitrane , par le Sr Monvel ; Cédar , par le Sieur
Delmarets; Fombre de Ninus , par le Sr d'Alainval
: la Dile Dumeſnil a rempli celui de Sémiramis
avec cette chaleur & certe vérité de ſentiment qui
la caractériſent ; la Dlle Dubois a joué celui d'Azéma
, & la Dile Molé celui d'Otane.
L'Impromptu de Campagne, comédie en un acte
&en vers de Poiſſon , a ſuivi Sémiramis. Les Srs,
Bonneval ,Monvek , d'Alainval ,Preville , Auge
160 MERCURE DE FRANCE.
& d'Auberval dans les rôles du comte,d'Eraſte, de
Damis , de Frontin , de Lucas & d'un Laquais ; &
les Dlles Drouin, Doligny & Fannier dans ceux de
la comteffe , d'Iſabelle & de Liſette , ont prêté à la
repréſentation de cette comédie tout l'agrément
dont elle eſt ſuſceptible.
Ce ſpectacle a terminé les fêtes de la cour , qui
ont été ordonnées par M. le duc d'Aumont , premier
gentilhomme de la chambre du Roi , en
exercice ; & conduites par M. de la Ferté , intendant
des menus plaiſirs de Sa Majefté. M. Rebel ,
furintendant de ſemeſtre , a été particulierement
chargé de l'exécution des ſpectacles , ainſi que de
la muſique au feſtin royal , au bal paré & au bal
maſqué : il a été ſecondé , dans ce ſervice conſidé
rable , par MM. Francoeur , de Buri & d'Auvergne.
M. Boquet , peintre - décorateur & deſſinateur
des habits , a donné en cette occaſion de nouvelles
preuves du talent & du goût qu'on lui connoît.
Les principaux artiſtes , employés à la peinture
des décorations , ſont M. Machi , de l'académie
royale , pour l'architecture ; le Sr Canot , pour la
figure & les gloires en nuages ; le Sr Boquet fils ,
pour les plafonds en tableaux de coloris ; les Sts
Baudon pere& fils, pour le payſage : les Srs Sarazin
&Subraut ont été chargés de la partie de la trace
&des dégradations perſpectives de l'architecture.
OCTOBRE . 1770. IGI
ARTS.
ARCHITECTURE
.
Projet d'un Temple funéraire , deſtiné à
honorer les cendres des Rois & des
grands hommes ; par M. Deſprez ,
architecte & profeſſeur de deſſin à
l'Ecole Royale Militaire. A Paris ,
chez Joullain , marchand d'eſtampes ,
Quai de la Mégiſſerie , à la ville de
Rome ; prix 6 liv .
Ce projet a été propoſé par l'académie
royale d'architecture , pour ſujet d'un
prix remporté par M. Deſprez en 1766 .
La gravure de ce projet eſt très - bien
exécutée , en trois planches , qui , dans
leur réunion portents piés de haut fur
deux piés 4 pouces de large . On y voit
le plan général de l'édifice , ſon élévation
& ſes différentes coupes. Ce beau monument
est dédié à M. de Voltaire .
162 MERCURE DE FRANCE.
AGRICULTURE.
Arbres , Arbriffeaux .
LES Amateurs du jardinage & les Agriculteurs
qui defirent de ſe procurer des
arbres ou des arbriſſeaux étrangers & curieux
, foit par leurs fleurs, foit par la
beauté de leurs feuillages ou par la fingularitéde
leurs formes , peuvent s'adreſfer
à M. d'Aubenton , maire & fubdélégué
à Montbard , en Bourgogne .
On fournit , à la même adreſſe , de
grands arbres d'alignement pour former
des allées , des ſalles , des quinconces ;
des arbriſſeaux & arbustes fleuriſſans pour
former des boſquets & orner les parterres
; des arbres & arbriſſeaux toujours
verds pour faire des boſquets d'hiver &
des paliſlades ; des arbriffeaux grimpans
pour garnir des murs & des berceaux ;
des arbres fruitiers de toute eſpèce . précieux
& curieux , &d'une variété infinie :
le tout à un prix modique .
OCTOBRE. 1770 . 163
MUSIQUE.
Deuxième Concerto de Louis Boccherini
, pour violencelle oblige , deux
violons, alto , baffe & contrebatfe; prix ,
3 liv. 12 fol. A Paris , au bureau d'abonnement
muſical , cour de l'ancien grand
cerf , aux adreſſes ordinaires de muſique.
GRAVURE.
I.
Portrait de M. de Chenneviere , commif
faire-ordonnateur inſpecteur général
des hôpitaux , & premier commis
de la guerre , gravé en 1770 par
Ficquet , graveur de leurs Majestés
impériales & royales. A Paris , chez
les différens graveurs & marchands
d'eſtampes ; prix , 3 liv.
Ce portrait , qui eſt renfermé dans un
médaillon , eſt vu des trois quarts. Il eſt
164 MERCURE DE FRANCE.
d'un format propre à être placé à la tête
des Détails militaires , & autres écrits de
M. de Chenneviere . Ce dernier portrait
de M. Ficquet n'eſt pas inférieur à ceux
qu'il a publiés précédemment. On y admire
la même préciſion , le même fini ,
la même légéreté d'outil. On lit au bas
ces cinq vers de M. Thomas .
Chéri des belles & des grands ,
Bon citoyen , ami fincère ,
Poëte aimable , Chenneviere
Eut des amis dans tous les rangs ,
Il ſçut aimer comme il ſçut plaire.
FI.
:
Portrait de M. Crebillon , deſſiné & gravé
par M. de St Aubin , d'après le
buſte en terre cuite fait par J. B.
Lemoine , ſculpteur du Roi. A Paris ,
chez l'auteur , rue des Mathurins , au
petit hôtel de Clugny , & aux adreſſes
ordinaires de gravure ; prix i liv.
10 fols.
Ce portrait eſt du format de la belle
édition in- 4°. de M. Crébillon , imprimée
au Louvre. Ce poëte tragique eſt
OCTOBRE. 1770 . 165
ici vu des trois quarts , & tête nue. Les
attributs de la tragédie & les écrits de ..
Sophocle , d'Euripide , d'Eſchyle , que
l'on voit au bas du portrait déſignent le
genre dans lequel M. Crébillon a excellé ,
& l'étude qu'il a faite des poëtes tragiques
grecs. La gravure de ce portrait a
beaucoup de douceur & de netteté.
:
On diſtribue chez le même artiſte , &
chez Joullain , marchand d'eſtampes ,
Quai de la Mégiſſerie , le portraitde
J. B. Lully , écuyer , ſurintendant de
la muſique du Roi , né à Florence en
1633 , mort à Paris en 1687 ; prix ,
1 liv. 4 fols. Ce portrait eſt de profil &
en forme de médaillon. Il a été deſſiné
par C. N. Cochin , d'après le buſte de
Colignon , & gravé par Auguſtin de St
Aubin. Cet artiſte ſe propoſe de donner
pour pendant à ce portrait celui de
Quinault , le créateur de notre ſcène
lyrique , & auquel Lully doit la plus
grande partie de ſa gloire. :
165 MERCURE DE FRANCE.
GÉOGRAPHIE.
La ſieur le Rouge , ingénieur géographe
du Roi , rue des grands Auguſtins ,
vient de publier la Moldavie en deux
feuilles moyennes : la Grèce & l'Archipel
une feuille moyenne : la Morée une
feuille moyenne ; prix , 3 liv . en blanc ,
6 liv. lavées ſur papier de Hollande .
Ces cartes fervent de ſupplément aux
troubles de l'Eſt .
Carte allégorique de l'Iſle duMariage ;
par le docteur Jococofus , de la ſociété
royale de Stutopolis. A Paris , chez
Croisey , graveur & marchand d'eſtampes
& de géographie , Quai des Auguſtins
, à la Minerve ; & rue Dauphine ,
Hôtel de Genlis , vis-à-vis la rue Chriftine.
Ornemens en fleurs.
Parmi les divers ornemens de fleurs
qui peuvent ſervirà des deſſus de portes ,
OCTOBRE. 1770. 167
dont le fieur Breffon de Maillard , graveur
& marchand d'eſtampes , tient affortiment
, on en trouvera d'une nouvelle
invention. Ceux ci ſont peints fur un
fond préparé , enſuite déposés fur glace ,
ce qui produit un effet affez agréable . On
évite d'ailleurs , par ce moyen , que les
objets peints ne foient expoſés à la pouffière.
Le ſieur Breffonde Maillard demeure
rue Saint Jacques , près celle des Matharins.
On trouve dans ſon magaſin toutes
forres d'emblêmes , de deviſes ,de deſlins
pour garnir les boîtes , des cartons , &c.
Il vend auſſi des caractères & des deſſins
encuivre ,d'un uſage auffi utile , qu'amufant.
Ecole Vétérinaire.
Lundi premier Octobre , les élèves
de l'Ecole royale vérérinaire de Paris
recherchèrent dans un concours public
les raiſons de la nature dans la conformation
du cheval. Ils en développèrent
les proportions & le méchaniſme , &
fatisfirent l'aſſemblée en difcutant cette
168 MERCURE DE FRANCE.
matière , auſſi neuve , qu'intéreſſante.
Ces élèves , qui doivent leur fuccès au
ſieur Aubert , élève entretenu par la ville
de Vitry- le-François , & chef de brigade
, étoient au nombre de douze. Le
prix fut adjugé aux ſieurs Maillet , de
la province d'Auvergne ; Quedeville ,
de celle de Normandie ; & Prieur , de
celle de Bourgogne .
VERS pour mettre au bas du portrait
de M. le Duc de Choiseul.
IsLaa ,, par ſes brillans travaux ,
Sçu déſarmer la terre & l'onde ;
- Il eut pû n'être qu'un héros ,
Mais il fit le bonheur du monde .
Par un Officier.
:
OCTOBRE. 1770. 169
LETTRE de M. Patte , en réponse à
celle de M. Cochin.
J'ai été fort étonné , Monfieur , de me voir interpelé
par M. Cochin , dans votre dernier Mercure
, au ſujet de mon mémoire ſur l'inſuffiſance
des piliers de Sainte- Genevieve , pour porter une
coupole. Qu'a de commun ſon talent avec la
difcuffion dont il s'agit ? Est-il un géomètre , un
conftructeur , ou un architecte ? N'étant ni l'un
ni l'autre , le titre qu'il prend d'ami de M. Souflot
, ne sçauroit donc être d'aucun poids en cette
occafion; il a pu ſans conféquence quitter fon
maſque de marguillier , ou le garder , cela eſt àpeu-
près égal au public. Maintenant , ſon écrit
anonyme , & ſa lettre , s'expliquent tout naturellement.
Mon mémoire ne méritoit pas ,
ſelon lui , une réponſe ſérieuſe , & mes démonftrations,
bonnes ou non , dit - il , ne font pas
applicables à la coupole de M. Souflot , fans
doute il n'a pas entendu quej'airéſolu la queſtion
dans toute la généralité , & que le but de mon
mémoire , ( c'eſt pourtant ſon titre ) , eſt de prouver
que , quelle que puiſſe être la coupole projetée,
les piliers déja élévés nefont point en état de porter
& contreventer fes voûtes avec folidité.
Je n'ai jamais eu non plus le deſſein, comme
M. Cochin a voulu le perfuader , de prendre , ni
lui ni M. Peronet, pour juges de mon mémoire ;
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
mais le vrai eſt , que j'ai invité l'un & l'autre
, parce que je fuis honnête , à communiquer
en ſecret, à M. Souflot , mes obſervations ſur ſa
coupole , & que , bien qu'ils fuſſent ſes intimes
amis , ils n'ont pas voulu s'en charger , ce qui
m'a obligé de les remettre àM. le marquis de
Marigny.
Pour abréger ma réponſe à la lettre de M. Cochin
, ainſi qu'à tous les écrits anonymes , libelles
ou autres écrits de cette trempe que l'on ſçait
avoir été répandus à l'occaſion de mon mémoire ;
je me bornerai , par reſpect pour le public , à citer
quelques fragmens , de deux lettres ( 1 ) qui
m'ont été écrites par l'oracle de tous les conftructeurs
, le célèbre M. Frezier , directeur-général
des fortifications de Bretagne .
Dans la première , en date du 21 Mai dernier ,
il eft dit , « fuivant la connoiſſance qui me reſte
>> de l'art de bâtir , j'ai trouvé que vous raiſonniez
>> dans votre ouvrage très-juſtement & très-con-
> ſéquemment , à l'impoſſibilité d'achever le bâ-
>> timent de Sainte-Genevieve avec ſolidité , fur
- l'état où l'on a pouffé ſon élévation , à la hau-
>>>teur de la corniche intérieure , qui doit cou-
(>> ronner la celonade ........ j'ai déja tant fait
• >> de cas de vos ſavantes remarques ſur l'impoffi-
>> bilité de faire ſervir la baſe de la tour du dôme ,
>> ſans y faire des changemens confidérables ,
(1 ) Ces lettres ont été communiquées à M. le
marquis de Marigny.
OCTOBRE. 1770. 171
כ ১
ود
১১
que j'en ai parlé par converſation à ce que
nous avons à Breſt de perſonnes capables d'en
juger , c'est-à -dire , d'entendre cette matière
ſavante , qui conſiſte à conclure parfaitement
fur la pouſſée des voûtes à élever ſur des colonnes
iſolées . Je vous remercie de
l'honneur que vous m'avez fait de me confulter
, en ce que vous avez acquis une grande
„ réputation d'habile architecte , ayant plus de
théorie fur cet art , qu'on n'en trouve ordinairement
parmi ceux qui en font profeſſion ......
&dans laseconde lettre en date du 16 Septembre
, j'apprends que l'architecte de Sainte-Genevieve
, au lieu de répondre au beau & ſavant
mémoire que vous avez donné au public , s'eſt
aviſé de publier un déſi pécuniaire , nouveau
>> genre d'apologie , où l'on met en paralelle
, l'argent avec les opérations de l'eſprit. Je ne
לכ
33
ככ
בכ
ככ
১১
১১
ככ
ככ
doute pas que beaucoup d'architectes ne foient
,, en droit de faire un ſemblable parallele , parce
,, que la théorie de l'architecture détachée de la
conſtruction matérielle n'eſt pas à la portée de
tout le monde . Quant aux exemples
fur leſquels M. Souflot prétend ſe fonder ,
tels que St Charles du Cours à Rome , que j'ai
, vu ſur les lieux ; vous obſerverez qu'il n'y a
» aucun rapport du plan de cette Egliſe à celui
SC
১১
30
ככ
de Sainte-Genevieve ; en ce que le plan de
l'intérieur de l'égliſe St Charles eſt une ellipſe
dont les extrémités du grand axe ne ſont point
>> portées par des colonnes latérales , mais fou-
>> tiennent deux eſpèces de niches ſolidement
>> conſtruites , qui fervent de butées à la pouſſée
>> que peut cauſer un dome ſphéroïde furmonté
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
>> d'une lanterne , & que les colonnes latérales
>> ne font point iſolées, mais engagées dans des
>>>murs contenus , dont la pouffée peut être fou-
>> tenue par les voutes de communication d'un
>> eſcalier à une eſpèce de ſacriſtie , & contre-
>> butée à la droite par le bâtiment adjacent ,
>> au lieu que dans le plan de l'Egliſe de Sainte-
>> Genevieve , il y a environ ſoixante colonnes
>> ifolées».
Je vous prie , Monfieur , de vouloir bien infé.
rer cette réponſe dans le prochain mercure. Peu
m'importe que M. Souflot continue ſon dôme
fur les piliers , & qu'on cherche par toutes fortes
demoyens à affoiblir l'effetde mon Mémoire ;
la vérité eft une , & l'exécution dans ſon tems
me juftifiera.
J'ai l'honneur d'être , &c.
PATTE
OCTOBRE. 1770. 173
LETTRE fur le ſyſtéme de la Nature.
PUISQUE le ſyſtème de la Nature a des enthou
ſiaſtes , comme il n'a fait rire perſonne , & qu'affurément
il ne pouvoit élever les ames ni les at
tendrix , apparemment qu'on a trouvé dans cet
ouvrage une métaphysique fimple & profonde , &
fur-tout un enchainement de raiſonnemens ſéduifans.
Peut - être ai je mal conçu ceux de l'auteur
; mais s'il n'a pas prévû mes queſtions , l'on
peut dire qu'il a fini ſon livre avant de l'avoir
commencé . Je vais m'expliquer d'avantage
en m'adreſſant à ſes admirateurs.... Ils doivent
applanir mes difficultés , d'autant plus volontiers
, qu'elles regardent tous les livres du même
genre ; car je ſoutiens qu'ils ſuppoſent tous
gratuitement ce qui eſt indémontrable & ce qu'il
faudroit cependant prouver en toute rigueur, mais
raifonnons fans déclamer.
Je vous prie , Meſſieurs , de me dire naïvement
fi vous ne convenez pas que l'expérience de tous
les fiècles a montré à tous les hommes une influence
réciproque de nos eſprits fur nos corps , & de
nos corps fur nos eſprits ? Ne convenez- vous pas
que ce fait étrange , qu'on voit & qu'on n'expliquepoint,
ne nous apprendra jamais comment une
certaine difpofition d'organes fait ſubitement
éclorre le ſentiment & la penſée ?Ne trouvez- vous
pas même que les philoſophes & les manans font
ici précisément dans la même claſſe , parce que
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
tous les hommes ſe reſſemblent en ce qu'aucun
d'eux ne peut rien conclure lorſqu'il ne peut rien
concevoir ? Car , Meffieurs ,en ſuppoſant , comme
vous êtes obligés de le faire , des qualités occultes
dans les corps , je vois que vous n'en êtes
pas plus avancés , parce qu'un inconcevable de
plus ne pourra jamais vous conduire à trouver
quelques rapports entre des idées qui , par l'effence
même de notre eſprit , ſembleront toujours
incompatibles. Pour m'expliquer encore plus fimplement,
je dis que l'expérience m'apprendque mon
corps agit fur ma penſée, & que ma penfée agit fur
moncorps ; car mon corps fait ſouffrir mon ame ,
&mes membres obéiflent à ma volonté. Or , je
vous demande ſi l'on peut raiſonnablement conclure
de ces deux faits que c'eſt la matière qui
tient le gouvernail& non la penſée , que cette admirable
matière modifie & produit ?
En attendant votre réponſe , je vous avouerai
franchement que cette afſertion paroîtra toujours
un peu fingulière ; mais ne ſeroit- ce point cette
union& cette incompatibilité apparente des penſées
& des formes , des mouvemens &de la volonté
qui vous auroit perfuadés que nous ſommes
compoſés d'une ſeule ſubſtance que vous avez
fait corps plutôt qu'eſprit. Cependant votre hypothèſe
, autant que je puis la concevoir , ne tranche
pointla difficulté ; car en n'admettant , parce
qu'il vous plaît ainſi , qu'une matière mouvante
&penſante , nous n'en voyons pas mieux ,
ce îne ſemble , le rapport qui peut unir la partie
corporelle à la partie ſpirituelle qui , tour-à - tour
commande & obéit ? En effet , je veux , pour un
moment , que l'étendue & la penſée foient imodes
OCTOBRE. 1770 . 175
d'un même ſujet ; eſt - ce que l'action & la réaction
de ces modalités ſi différentes ne vous étonneroient
pas tout autant que celle des deux ſubſtances
diſtinctes ? Et même ne peut- on pas à ſon
gré nommer , eſprit ou corps , cette ſubſtance
unique qui renferme , ſelon vous , l'étendue , le
mouvement & la penſée ? Il me paroît au moins
qu'il n'y a pas plus de raiſon pour ſoutenir que le
matériel inexplicable de notre être produit des
ſentimens & des idées , que pour penſer que c'eſt
au contraire un certain fond ſpirituel & inconcevable
qui poule au- dehors des mouvemens & des
formes .
Je crois que vous devez commencer à vous appercevoir
que , dans toutes les ſuppoſitions , la penſée
diffère autant de l'étendue , que l'étendue diffère
de la penſée : il eſt vrai que vous prétendez aufli
que les formes , les mouvemens , les qualités ſenfibles
des corps & leur fucceffion & celle des êtres
penſans ſont éternelles comme le monde ; je fais
que dans votre ſyſtême , vous êtes obligés de vous
appuyer ſur cette baſe qu'on a cent fois renverſée
; mais,quand vous pourriez la rétablir , vous
ſentez bien que nous pourrions toujours ſuppoſer
qu'un eſprit, éternel comme le monde, agit de tous
les tems ſur tous les eſprits & fur tous les corps.
Hélas ! Meſſieurs, plus j'y penfe, & plus je vois que
vos aſſertions n'auront aucun avantagefur cellesde
vos adverſaires , tantque vous ne ſurpendrez point
la nature dans un moment où le miracle de la penſée
réſulte évidemment de quelques phénomènes
purement matériels . Mais que diriez - vous ſi je
vous faifois voir à préſent que nous réclamons
nous - mêmes cette expérience dont vous parlez
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
fans cefle , & que , dans cette concurrence des efprits&
des corps , elle ſemble donner le fceptre
al'efprit?
Soyons de bonne foi ; je vous en conjure , parlons
fans humeur , fans enthouſiaſme & fans aucune
partialité : n'êtes - vous pas , dans le fond,
bien plus fürs d'agir ſur les membres de votre
corps, par un mouvement de votre volonté , que
vous n'êtes aſſurés que cette volonté qui commande
à la matière , eſt elle - même commandée
parune cauſe purement materielle ? J'avoue qu'il
m'eft impoflible de ne pas croire que vous avez ,
ainſi que moi , la confcience de cette vérité ; &
même j'ole eípérer que votre reſpect pour l'uniformité
des voies de la nature peut vous ramener
unjour aux pieds de cetEtre bon,qui ne vous tolère
peut- être que pour vous pardonner : Ecoutez-moi
tranquilement; jamais vous ne vous prouverez à
vous-mêmes que l'existence d'un Dieu est méraphyſiquement
impoffible : or , quand il feroit
vrai que la penſée ne peut exiſter ſans être jointe
àl'étendue ; il ne feroit pas moins vrai pour cela
qu'une fois qu'elle exifte , certe penſée , elle meut
des êtres corporels : hé ! ne voyez - vous pas déjà
que s'il a y unDieu , (de quelque nature qu'il foit)
alors il n'y a point de corps qui ne foit actuellement
mû & ordonné par un efprit , au lieu que s'it
n'y a point de Dieu , quelquefois le mouvement
eſt produit par la volonté d'une intelligence , &
leplus ſouvent les corps ſe meuvent & s'arrangent
d'eux mêmes ſans la médiation d'aucun être ſpirituel
? Je vous demande , Meffieurs , comment
vous trouvez cette ſeconde ſuppoſition : eft il en
bonne philofophie riende plus choquant ,de plus
abſurde , de plus contraire à notre ſentiment in
OCTOBRE. 1770 . 177
time , à l'expérience & à l'uniformité des voies de
la nature ; n'eſt - elle pas également reſpectée &
connue par le peuple & par les philoſophes , par
les théiftes & par les athées. Mais je vous jure ,
Meſſieurs , que je vous eſtime affez pour juger ,
qu'une fois que vous aurez bien ſaiſi ma penſée ,
elle vous tourmentera continuellement.
Je crois qu'il n'en faut pas davantage pour défoler
une athée dogmatique , cependant vous
pourriez aller plus loin en joignant , à ce que nous
avons dit , la ſage réflexion d'un liomme que vous
eſtimez ; je me souviens que Loke ſoutient , quelque
part , que , de la manière dont nous ſommes
faits , nous ne voyons pas plus de rapport entre
une volonté & le déplacement d'un corps qu'entre
la création ſubite d'un corps ou même celle du
monde , & la volonté d'un être ſpirituel qui le
crée , parce qu'il veut qu'il foit : en effet , vous
fentez bien que ces deux myſtères (dont l'un eft
pourtant une choſe de fait) ne peuvent être ni
plus nimoins inconcevables ; premièrement, parce
qu'il n'y a point de nuances dans les inconcevables
qui n'impliquent point clairement dans les
termes; d'ailleurs il eſt viſible que la difficulté eſt
précisément la même , puiſque c'eſt toujours le
mêmedéfaut de rapport entre l'effet & la cauſe ,
qui fait que les uns nient la création , &que perfonnen'a
compris juſqu'à préſent comment la vo
lonté peutagir fur la matière. Cependant , Mefſieurs
, dès que la création n'eſt pas plus inconce
vable que l'action d'un eſprit ſur un corps , dont
nous ſommes journellement témoins ; & que ,
d'autre part , l'analogie, comme nous venons de
le voir , nous conduit à penſer qu'il exiſte un Etre
intelligent dont la volonté meut & gouverne le
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
monde ; il me ſemble , en vérité , qu'à partir de
ces réflexions ſi ſimples & fi confolantes , il eſt difficile
de regarder comme abſurde l'hypothèſe de
la création des eſprits & des corps par un être immatériel
: mais il ya plus , ſi l'expérience joignoit
à ces raifons , au cri du genre humain & aux monumens
de la nouveauté de l'Univers , ſi elle y
ajoutoit encore l'exemple d'une création , de quelque
nature qu'elle fût , ne ſeriez - vous pas enfin
très-diſpoſés à penser que le monde lui-même a
dû commencer à l'ordre d'un Eſprit Créateur ? De
grace raiſonnons encore par analogie , puiſqu'elle
nous a ſi bien réuſſi : vous me direz peut - être
que vous n'avez jamais vû créer de corps ni d'efprit
; mais je doute fort que , dans la conſcience
de votre raiſon , vous puiſſiez le ſoutenir dans un
moment .
Permettez -moi de renouveller une petite queftion
qu'on a ſouvent rebattue : croyez - vous que
cet eſprit ou cette matière qui admire le ſyſtême
de la nature , en inſultant ſon maître , croyezvous
que cette perſonnalité philoſophique avec
laquelle j'ai l'honneur de cauſer à préſent ait commencé
dans le tems ; ou la croyez - vous éternelle
comme le monde? Je me figure que l'éternité de
votre ame vous inquiéteroit beaucoup plus que
celle de l'Univers ; mais pourtant , fi vous croyez
avoir commencé un certain jour , voici donc au
moins la création de ce moi penfant qui veut être
athée , la voilà démontrée malheureuſement par
les faits ; par conséquent nous avons connu , en
quelque forte ,les voies de la Providence ou celles
de la nature ; & même nous devons admettre
aflez volontiers la création du monde entier qui ,
dans le fond , n'eſt pas plus inconcevable que le
OCTOBRE. 1770. 179
commencement de notre ame , ſi l'on en juge ſans
humeur & fans prévention .
Qu'en penfez- vous , Meffieurs , pariez de bonne
foi : la création d'un corps vous étonneroitelle
plus que celle d'un eſprit ? Celle d'une ſubſ
tance nouvelle vous étonneroit - elle davantage
que celle d'un mode nouveau , ( comme vous
appelez notre ame ) qui ſemble avoir ſi peu de
rapport avec la ſubſtance dont vous le faites fortir
, & qui n'exiſtoit pas l'inſtant d'auparavant ;
d'ailleurs , vous est - il moins facile de croire
que le corps eſt une modalité de l'ame , que de
ſuppoſer que l'ame eſt une modalité de la matière?
Seriez- vous plus ſurpris du commencement
d'une particule d'étendue que de celui d'un tout
penſant qui a la confcience de lui - même ? Pour
trancher , concevez - vous mieux l'étendue & fes
qualités occultes (que vous ſuppoſez ) indépendamment
de les qualités ſenſibles qui ne font que
dans votre ame , que vous ne concevez une ame
indépendamment de la matière & de ſes propriétés
inconnues ? En un mot , trouvez- vous plus de
priſe , à parler philoſophiquement , dans les corps
que dans les efprits ? En tout cas , je puis vous
répondre que ce ſage Anglois * qui vous paroît ſi
raiſonnable , ne ſeroit point de votre avis à cet
égard. Au furplus vous n'avez qu'une réponſe à
faire ; vous êtes forcés de vous rendre ou d'affir
mer que votre perſonnalité exiſtoit en puiſlance
dans un germe incorruptible ou dans les propriétés
ſecrétes de quelques particules de matière qui
devoient la produire dans telles circonstances
*M. Loke.
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
données .... Ah ! Meſſieurs , ſi vous êtes réduits à
nous faire nettement cet aveu , fi vouspenſez fincèrement
que l'eſprit caché dans le ſein des corps
peut fe montrer tout- à- coup , parce qu'il exifte en
puiſſance avantd'exiſter véritablement; hé ! pour--
quoi donc ne pourrions- nous pas ſuppoſer à notre
tour que l'Univers exiſta éternellement en
puiſſance dans cette intelligence féconde qui l'a
Iubitement réaliſé.
Je ne fais , Meffieurs , ce que vous penſerez de
cette métaphyfique analogique & expérimentale:
en quelque forte : je crois cependant que vous
conviendrez entre vous que vos dogmes font fort
ébranlés , du moins en tant que vous aviez cru
vos preuves démonstratives ; mais je ne me flatte
point que les vérités contraires à vos fables aient
dans ma bouche une autorité qui puiſſe entraîner
tous mes lecteurs , c'eſt à eux delesapprécier. Je
vais raffembler encore quelques réflexions trèsfimples
quirenferment,je crois , ce que nous avons
ditd'important.
J'obſerverai pour finir , 1 °. Que nous ſommes
aumoins auſſi fürs que notre eſprit agit fur notre
corps , que nous le ſommes que notre corps aquel
que empire fur notre eſprit .
2°.Que l'on ne conçoit pas mieux le rapport
d'une forme avec une penſée que celui d'une penſée
avec une forme , d'où l'on doit conclure qu'il n'eſt
pas plus facile de concevoir comment l'étendue
produitla penſée que de comprendre comment
l'eſprit remue la matière , & même comment un
Dieu peut la créer en voulant qu'elle foir .
3 °. Que nous ſavons par expérience & par ſentiment
que notre volonté remue des corps , au
lieu que nous ne pouvons avoir le ſentiment&
:
:
OCTOBRE. 1770. ISF
Vexpérience de l'impoſſibilité d'une intelligence:
qui agit continuellement ſur la nature entière .
4. Que s'il n'y a point de Dieu , il y a des
corps qui marchent d'eux- mêmes , ou pour m'expliquer
plus clairement , il y ades mouvemens o
préſide une intelligence , & d'autres qui s'opèrent
fans l'intervention d'aucun être ſpirituel.
5.Que le commencement de la partie penſante
de nous- mêmes , qui eſt prouvé par le fait , n'eſt
pas plus inconcevable que celui de notre être corporel.
6°. Que ce miracle journalier ſemble proclamer
quetout ce qui n'est pas Dieu (& même le monde
entier qui ſans doute eſt une créature mortelle
comme tout ce qu'il contient) doit avoir commencé...
7°.Qu'on peut foutenir que le corps n'eſt qu'une
apparence ſenſible , tout aufli-bien pour le moins
que l'on ſoutient gratuitement que l'eſprit n'eſt
qu'une modalité des êtres matériels .
8 °. Que, fi , pour expliquer la création apparente
&journalière des êtres ſpirituels , on dit que les
eſprits exiſtent en puiſſance dans les corps qui les
font éclorre ſucceſſivement , on peut auffi-bien prétendre
que l'Eſprit Créateur contenoit éternellement
l'Univers en puiſſance , qu'il a voulu créer
dans le tems. Mais, non-feulement il me ſemble
que le commencement de ce que nous appelons
des ames , dont nous ne pouvons guères douter ,
accoutume à l'idée d'une création univerſelle ; je
penſe de plus , comme je viens de l'infinuer , que
le corps entier de la nature qui reſſemble du moins
au nôtre , en ce qu'il eſt étendu & organiſé comme
le nôtre , doit ſans doute , ainſi que lenôtre ,
avoir dans le tems un commencement & une fin .
182 MERCURE DE FRANCE .
Je termine ici toutes mes réflexions qui ont eu
un peu plus d'étendue que je ne l'avois imaginé.
Je ne parlerai pas du fataliſme de l'auteur , parce
que cette opinion ſuppoſe toujours qu'on a ſuffiſamment
détruit la Divinité & qu'on a clairement
prouvé la matérialité de ces ames , quelquefois ſi
ſublimes, qui ont pourtant la confcience intime de
leur liberté . Je crois que , ſi l'auteur avoit bien
éclairci ces difficultés , dès les premières pages de
fon livre , il auroit pu fe diſpenſer d'analyſer fi
triſtement d'affreuſes queſtions qui ne fervent
qu'à inquiéter encore pendant les jours d'une ſi
courte vie ces pauvres étres qu'il dévoue au néant;
mais il eſt inconcevable qu'il ait gliffé ſi légèrement
ſur l'effentiel , il eſt étonnant qu'il n'ait fait
que rebattre des objections faftidieufes &ufées
fansjamais entrer profondément dans les objets
qu'il falloit diſcuter avec préciſion& clarté : il eſt
vrai qu'ileſtencore plus étrange que ſes enthoufiaftes
( dont quelques uns font gens d'eſprit )
foient fi faciles à contenter dans une matière de
cette importance.
1
ANECDOTES.
I.
Le général A..... étant obligé de ſe
rendre dans ſes terres d'Ecoſſe pour des
affaires qui lui étoient perſonnelles , n'ofa
ſuivre la grande route d'Edimbourg ,
parce qu'il craignoit d'être inſulté par la
OCTOBRE. 1770 . 183
multitude ; on ne dit point pour quel fujet.
Il prit le chemin de Carlifle , où il eſperoit
n'être point reconnu. Il eut occafion
de paſſer un bac ; c'étoit un homme
fort dur , fort ſévère ; il ne fut pas plutôt
dans le bateau qu'il maltraita de paroles
le matelot qui le conduiſoit. Tu es
unfripon , lui dit-il , ainſi que tous tes
femblables ; vous ne vous occupez qu'à
paffer de la contrebande ; vous trompez le
Roi , vous méritez tous le gibet. Cela eft
vrai , répondit le batelier , nous fraudons
quelquefois les droits , mais vous êtes
le premier général quej'aie paſſé en con
trebande dans ma vie .
I I.
Pendant l'ufurpation d'Olivier Cromwell
, Sir John Howorth de Surrey , un
des officiers du Protecteur , & des plus
attachés à ſon parti , fut attaqué en juſtice
par le curé de fa paroiſſe , au ſujet des
dîmes. Pendant que le procès étoit en
inſtance , Sir John s'imagina que le miniſtre
le déſignoit dans ſes ſermons tous
les Dimanches : il en porta ſes plaintes
au Protecteur , qui fit venir le miniſtre ;
mais , celui - ci ayant répondu qu'il prê
184 MERCURE DE FRANCE .
choit ſeulement en général contre les dé
bauchés. crapuleux , les ivrognes , les
, menteurs , les voleurs & les filoux
Cromwel le renvoya , & dit à l'officier :
Sir John , retournez dans votre maison ,
& vivez mieux à l'avenir avec voire curé.
La parole du Seigneur cherche le pécheur
& dévoiteses iniquités ; je fuis fachépour
vous qu'elle vous ait trouvé.
III
Le général Kirk avoir commandé à
Tanger pendant pluſieurs années . Lorfqu'il
revint en Angleterre , Jacques II.
entreprit de le ramener à la Religion
Catholique; il le preſſa vivement , &
lui promit , à ce prix , ſa faveur & fes
bienfaits. Le général l'écouta avec la
plus grande attention ; & , lorſqu'il eut
fini , il lui témoigna le plus vif regret
de ne pouvoir le fatisfaire , & l'affura
que ſa parole , qu'il avoit engagée , ne
le lui permettoit pas. Comment, lui de.
manda le Roi , qu'entendez- vous par là?
Sire , répondit Kisk, pendant monféjour
en Afrique , j'ai promis à l'Empereur
de Maroc , que , fi je changeois jamais
de Religion , je me ferois Mahometan.
OCTOBRE. 1770. 185
ma Je ſuis homme d'honneur , Sire ,
parole eft donnée ; votre Majesté ne voudroit
pas me forcer d'y manquer.
I V.
Deux hommes ſe trouvant un jour
dans un cabaret à Londres , s'entretenoient
de différens traits de la Bible , ils
parlerent de la fameuſe défaite des Philiſtins
par Sanfon ; l'un prétendit qu'il ſe
fervit de lamachoire d'un vieil âne , l'autre
de celle d'un jeune ; chacun foutint
fon opinion avec chaleur , une gagure
fuivit. Pluſieurs perſonnes qui étoient
dans le même lieu furent priſes pour
juges. Les raiſons de l'un & de l'autre
furent écoutées gravement; les fentimens
ſe partagerent ; les juges diſputerent
entre eux ; la querelle s'échauffa
on fit beaucoup de bruit , & on alloit ſe
battre lorſque l'hôte , aidé de ſes valets ,
faiſit les deux premiers auteurs de la difpute&
les conduifit chez l'Alderman du
quartier. Celui-ci ne put s'empêcher de
rire en apprenant le ſujet de cette querelle
qui recommençoit devant lui ; il
eut beaucoup de peine à impoſer filence
aux deux ivrøgnes , & les renvoya en
186 MERCURE DE FRANCE.
leur diſant :je ne m'attendois pas à voir
aujourd'hui deux anes à mon tribunal.
Cela n'est pas étonnant , reprit auffitôt
undes diſputans , puiſqu'ily en a un qui
ypréſide.
V.
Une perſonne , à la campagne , commande
à fon domeſtique d'aller voir à
un cadran ſolaire , poſe ſur une pierre
dans un jardin , l'heure qu'il eſt au foleil
; le domeſtique , fort embarraflé
apporte officieuſement le cadran folaire
àfon maître , & lui dit : cherchez l'heure ,
carje ne m'y connoispas.
LETTRE fur une Automate qui joue
aux échecs .
A Presbourg, ce 24 Juillet 1770.
M. Je laiſſe à d'autres le ſoin de faire le récit
des fêtes brillantes qu'a occaſionnées ici la préfence
de l'Impératrice - Reine , de l'Empereur , & de
toute la famille impériale ; il me ſemble trop
difficile de pouvoir parler dignement de la manière
extrêmément affable , & remplie de confiance
avec laquelle les ſouverains ſe communiquent
ici à leurs ſujets , & le retour précieux
d'amour & de vénération dont ils ſont payés par
OCTOBRE. 1770. 187
ces mêmes ſujets. Je me contenterai d'informer
le public par votre canal d'un fait auſſi important
à l'honneur des ſciences , que glorieux
pour Presbourg qui l'a produit .
Pendant mon ſéjour à Presbourg , j'ai eu l'avantage
de faire connoiſſance avec M. de Kempel
, conſeiller aulique , & directeur-général des
falines en Hongrie. On ne peut porter plus loin
qu'il l'a fait les connoiſſances dans la méchanique
, du moins n'a-t-on point encore vu perſonne
qui ait mis au jour un ouvrage plus merveilleux
dans ce genre que celui qu'il a compoſé depuis
un an . M. de Kempel , animé par le récit
des productions du celebre M. de Vaucanfon
, & de quelques autres hommes de génie ,
ne vouloit d'abord que marcher fur leurs
traces ; mais il a fait plus , il les a devancés ,
& il eſt parvenu à compoſer un automate .
qui peut jouer aux échecs contre les plus habiles
joueurs. Cet automate repréſente un homme de
grandeur naturelle habillé à la turque , aſſis de-.
vant une table d'environ trois pieds & demi de
longueur , fur deux pieds & demi de largeur ,
fur laquelle eſt un échiquier. Cette table eſt
poſée ſur quatre pieds à roulettes , afin de pouvoir
la changer facilement de ſituation , ce que
l'auteur ne manque pas de faire pour éloigner
tout foupçon de communication. La table & la
figure font remplies de roues , de refforts & de
leviers . L'auteur ne fait aucune difficulté de laiffer
voir l'intérieur de la machine , fur-tout depuis
qu'il a ſçu qu'on le ſoupçonnoit d'y tenir
un enfant caché; j'ai examiné avec attention
toutes les parties de la table & de la figure , &
jeme fuis afſuré que cette imputation n'avoit pas
188 MERCURE DE FRANCE.
le moindre fondement. J'ai joué une partie d'é
checs avec l'automate , j'ai remarqué fur-tout
avec étonnement la préciſion avec laquelle ſe
faifoient les mouvemens variés & compliqués du
bras avec lequel il joue ; il leve ce bras , il l'avance
vers la partie de l'échiquier où eſt la piéce
qu'il doit jouer ; & enfuite , par un mouvement
de poignet , ramene la main au-deſſus de la pièce,
ouvre la main , la referme ſur la piéce pour s'en
faifir , l'enlever , & la placer ſur la caſe où il
veut ; & il remet enfin ſon bras ſur un couffin
qui eſt à côté de l'Echiquier. S'il doit prendre
une piéce à ſon adverfaire , par un mouvement
entier du bras , il met cette piéce hors de l'échiquier
, & par les mêmes mouvemens que je viens
de décrire , revient prendre ſa piéce pour lui
faire occuper la cafe que l'autre laiſſoit vacante.
J'eſſayai de lui faire une petire ſupercherie en
prêtant à la dame la marche du Cavalier , mais
l'automaten'en fut pas la dupe ; il prit ma dame ,
&la remit à la caſe d'où je l'avois fait partir ?
tout cela ſe fit avec la même promptitude qu'un
joueur ordinaire met à ce jeu , & j'ai fait des
parties avec pluſieurs perſonnes qui ne jouoient
ni fi vite , ni fi bien que l'automate , & qui auroient
été cependant fort choquées qu'on les eût
comparées avec lui . Vous vous attendez peutêtre
, Monfieur , que je propoſe quelques conjectures
ſur le moyen employé pour diriger cette
machine dans ſes mouvemens. Je ſouhaiterois
fort en pouvoir former de raiſonnables , mais ,
malgré toute l'attention que j'apportai dans mes
obſervations , il ne m'a pas été poflible de remarquer
rien qui pût fatisfaire mon eſprit ladeſſus.
L'ambaſladeur d'Angleterre , le prince
OCTOBRE. 1770 . 189
,
Giuftiniani , & quelques ſeigneurs anglois , pour ,
qui l'auteur avoit la complaiſance de faire jouer
P'automate , étoient autour de la table lorſque je
fis cette partie ; tous avoient les yeux fur M. de
Kempell , qui étoit à côté de la table , ou s'en
tenoit éloigné quelquefois juſqu'à la diſtance de
cinq ou fix pieds ; pas un ne remarqua en lui le
moindre mouvement qui put influer fur l'automate.
Ceux qui avoient vu les effets produits par
la vertu de l'aiman fur les boulevards à Paris
ſe recrièrent que l'aiman devoit étre le moyen
employé pour diriger le bras ; mais , outre qu'il y
a pluſieurs objections à faire contre cette conjecture
; l'auteur avec qui j'ai eu depuis de longues
converſations , s'offre pour la détruire , de
laiſſer apporter près de la table , la pierre d'aiman
la plus forte & la mieux armée , ou un
poids de fer , quelque conſidérable qu'il ſoit ,
Tans craindre que les mouvemens de fon automate
en puiffent être dérangés : il s'en écarte auſſi
à une diſtance quelconque , & le laiſſe jouerjufqu'à
quatre coups de ſuite fans en approcher. Il
eft inutile de remarquer que le merveilleux de cet
automate conſiſte principalement en ce qu'il n'a
point , ( comme d'autres déja tant célébrés ) une
Tuite de mouvemens déterminés ; mais ſe meur
toujours en conféquence de la façon de jouer de
ſon adverſaire , ce qui produit une multitude
prodigieuſe de combinaiſons différentes dans ſes
mouvemens. M. de Kempell remonte de tems
en tems les refforts du bras de l'automate pour
renouveller la force mouvante , ce qui n'a aucun
rapport avedla force directrice qui fait le grand
mérite de cet ouvrage. En général , je crois que
l'auteur influe ſur la direction de preſque chaque
190 MERCURE DE FRANCE.
coup que joue l'automate ; quoique , comme je
viens de le dire , on l'ait vu quelquefois l'abandonner
à lui-même pour pluſieurs coups , ce
qui eſt ſelon moi , la circonftance la plus difficile
àcomprendre de tout ce qui regarde cette machine.
M. de Kempell a d'autant plus de mérite
dans cette production qu'il ſe plaint de n'avoir
pas été ſecondé par des ouvriers auſſi habiles que
l'exigeoit la préciſion d'un ouvrage de ce genre ,
& il eſpère pouvoir bientôt mettre au jour des
chofes encor plus ſurprenantes que celle- ci . On
peut s'attendre à tout de ſes lumières , qui font
infiniment relevées par ſa rare modeſtie ; jamais
génie ne triompha avec moins de fafte.
J'ai l'honneur d'être , & c.
L. DUTENS.
LETTRE de M. le Comte de Moncade ,
fur la guérison du cancer.
Quelque ſenſible que je fois , Monfieur , aux
éloges flatteurs & aux follicitations preffantes
des ſavans & des malades , tant du Royaume ,
quedu pays étranger , je ne prévoyois pas cependant
pouvoir condeſcendre ſi - tôt à leurs
defirs. Je ne ceſſois d'appréhender , qu'en me
hâtant de publier les obſervations que j'ai eu
occafion de faire pendant pluſieurs années
fur les maladies des glandes , ainſi que ſur les
remèdes les plus efficaces pour les vaincre , il
ne s'y gliflat quelque mépriſe , qui pût donner
OCTOBRE. 1770. 191
lieu à des ſuites funeftes. J'appréhendois auſſi ,
qu'en accordant indifféremment à tous ceux qui
m'écrivoient , les moyens que j'ai découverts
pour guérir le cancer au ſein , il ne s'y commit
encore dans la manière de les adminiſtrer des
fautes qui pourroient être dangereuſes. Mais
j'ai été raſſuré par des perſonnes éclairées , qu'à
l'aide des précautions qu'elles m'ont conſeillé
de prendre , le public retireroit infailliblement
les avantages que j'ai voulu lui procurer par
cette découverte. Lors donc qu'on m'adreſſera
une rélation aſſez circonstanciée pour me faire
porter un jugement ſolide , tant ſur la nature
du cancerr ,, que ſur les principaux ſymptômes
qui l'accompagnent ; j'indiquerai très - volontiers
les ſecours que j'eſtime les plus propres , pour
en opérer une cure radicale. Pluſieurs grands
maîtres de l'art ayant deſiré d'adminiſtrer euxmêmes
à leurs malades ces préparations médicinales
, je leur en ferai ceder aufli , à raiſon
de douze ſols la priſe , pourvu qu'ils ſe fourniſſent
des bouteilles pour l'eau de Mafra , que
j'y joins en même - tems pour chaque panſement.
C'eſt pour ménager la délicateſſe des
perſonnes de rang , qui ſe faisoient une peine
de me demander ce remède , lorſque je le donnois
gratis , & pour pouvoir d'ailleurs en fournir
àun plus grand nombre de malades , qu'on m'a
conſeillé de le faire vendre * à ce prix modique.
* Rue de Condé, au coin de celle du Petit Lyon,
vis- à- vis le paſſage du Riche-Laboureur , chez
M. Joffe , Marchand Epicier.
192 MERCURE DE FRANCE.
Je tâcherai de convaincre par - là les plus incrédules
de l'efficacité de ma méthode pour
guérir le cancer. Quand on n'en faura plus
douter, je ne manquerai pas d'en rendre publicstous
les détails pour le bien de l'humanité ,
ainſi que je l'ai promis. Je dirai ſeulement en
paſſant, que c'eſt à la Chymie , dont j'ai fait
toujours mes délices , que je ſuis redevable de
ces moyens ſalutaires .
Comme c'eſt par une ſuite d'obſervations
que je ſuis parvenu à m'aſſurer du ſuccès des
remèdes en queſtion , tant pour la cure du
cancer , que pour fondre les glandes skirrheuſes
au ſein avant qu'elles s'ouvrent ; j'ajoute
qu'ils font également propres pour vaincre les
maladies chroniques les plus rebelles . En effet ,
on ne peut diſconvenir que le rhumatiſme , la
plupart des fièvres , l'hydropifie , la goutte , &
tant d'autres maux, dont l'énumération deviendroit
ennuyeuſe , ne dépendent que de l'engorgement
d'humeurs , qui s'eſt formé dans
les glandés de différentes parties du corps. Ce
n'eſt , au reſte , qu'en aidant ſimplement la
nature à furmonter les obſtacles , qui troublent
le cours de fes opérations, qu'agit principalement
cette Panacée Martiale. J'ai crului devoir donner
ce nom , parce que c'eſt du fer que je retire le
plus d'avantages pour atteindre le but. Je n'en
ai eu d'autre , que de me rendre utile au public
, en ſacrifiant mes veilles à découvrir les
moyens de guérir le cancer , fans contredit , la
plus cruelle de toutes les maladies , dont les
perſonnes du ſexe puiſſent être attaquées. C'eſt
dans cette vue que je vais leur faire part des
Lettres que j'ai reçues de quelques Dames guérie
OCTOBRE. 1770. 193
ries par cette méthode. Les relations naïves de
leurs maux , & les expreſſions ſincères de leur
réconnoiſſance à mon égard , tiendront lieu
dans cette occafion , des autres preuves plus
authentiques que j'aurois pu aisément me procurer.
J'ai l'honneur d'être , &c.
LE COMTE DE MONCADE.
ARRÊTS , DECLARATIONS , &c.
I.
,
ARRÊT du conſeil d'état du Roi , du 2 Juillet
1770 ; pour l'ouverture de l'annuel de l'ang
née1771.
I I.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 6 Juillet
1770 , & Lettres -patentes fur icelui , regiſtrées
en la cour des Monnoies le 18 Août 1770 ; qui
ordonnent la fabrication des nouvelles eſpèces
de cuivredans les Monnoies deTroyes &de Strafbourg.
III.
Déclaration du Roi , donnée à Verſailles le 15
Juillet 1770 ; portant attribution de fix mille livres
au Prévôt général des Monnoies du déparrementde
Lyon , pour appointemens & folde de
ſacompagnic.
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE,
I V.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 29 Août
1770 ; qui ordonne que le chapitre ordinaire de
la Congrégation de Saint-Vanne , qui doit s'afſembler
la quatrième ſemaine d'après Pâques de
l'année prochaine 1771 , ſera tenu dans l'abbaye
de Montiers-en-Der.
V.
• Arrêt du parlement en date du 29 Août der
nier, par lequel il eſt ordonné par provifion, fous
le bon plaifir du Roi , que toute perſonne qui
voudra faire le commerce des grains & farines
ſera tenue de faire inſcrire au greffe des jurifdictions
ordinaires des lieux où elle exercera ce commerce
, fon nom , ſes qualités , demeure & domicile
, ainſi que les noms , qualités , demeures &
domiciles de ſes aſſociés ou commettans , enſemble
le lieudans lequel elle tiendra ſes magaſins &
de tenir en bonne &due forme un regiſtre d'achat
&de vente des grains & farines dont elle fera le
commerce. Le même arrêt enjoint aux perſonnes
faiſant cecommerce d'apporter une quantité fuffiſante
de grains & farines dans les marchés , à
l'effet de les garnir ; en conféquence il autoriſe
les officiers de police à les obliger , dans les cas
de néceſſité , de les yfaire apporter , le tout ſous
les peines portées par les ordonnances ; fait défenſes
à toutes perſonnes faiſant ce commerce
d'acheter leſdits grains &de les enarrher , comme
auſſi à tous laboureurs & fermiers de les vendre
, ſoit en verd , ſoit ſur pied avant la moiſſon
&avant qu'ils foient conduits dans les granges ,
"ſous peine d'être pourſuivis extraordinairement ,
OCTOBRE. 1770 .
déclarant dès-à-préſent nuls & de nul effet tous
les marchés de ce genre qui pourroient avoir été
faits ou qui le ſeroient par la ſuite , en contraventionà
la préſente diſpoſition.
V I.
Arrêts du conſeil d'état du Roi , des 10 Décembre
1769 , 4 Juin & 22 Juillet 1770 , & Lettres-
patentes fur iceux , regiſtrées en la cour des
Aides le 29 Août 1770 ; portant que la régie des
droits rétablis & réunis ſera continuée par Jean-
Baptiste Foache , pendant fix années , qui commenceront
au premier Janvier 1771 .
VII .
Déclaration du Roi , donnée à Verſailles le premier
Septembre 1770 , concernant les Requêtes
civiles; regiſtrée en parlement le 6 Septembre
fuivant , laquelle ordonne que toutes les requêtes
civiles qui ont été miſes aux grands rôles , depuis
&compris celui de la Saint- Jean 1769 , juſques
&compris celui de la Saint Jean 1770 , & qui
n'auront pas été plaidées , ſoient & demeurent
appointées à la fin deſdits rôles , ainſi que les autres
cauſes , & foient renvoyées dans les chambres
où auront été rendus les arrêts , contre lefquels
leſdites requêtes civiles auront été obtenues.
۱
I ij
196 MERCURE DE FRANCE,
VERS fur la Prise d'Habit de Madame
LOUISE- MARIE de France.
La vertu ſe dévoue&la grandeurs'immole :
Sacrifice éclarant digne de l'Immortel !
LOUISE de l'orgueil confond, briſe l'idole ,
Abandonne le throne & s'enchaîne à l'autel .
Par M. Guichard.
AVIS.
I.
MÉMOIRES far la nature , les effets , propriétés
& avantage du feu de charbon de terre apprêté ,
pour être employé commodement , économiquement
, & fans inconvénient , au chauffage & à
tous les uſages domeſtiques , avec figures en
taille- douce. Par M. Morand le Médecin , Affeffeurhonoraire
du Collège des Médecins de Liége,
&c. in-folio & in 12. ( Ignoti nulla cupido ) . A
Paris , chez Delalain , Libraire , rue & à côté de
la Comédie Françoiſe 1770.
OCTOBRE. 1770. 197
I I.
Leçons théoriques & pratiques de la coupé
des pierres ou trait , & cours de géométrie
, utiles aux architectes , auxjeunes
gens qui se deſtinent à entrer dans les
ponts & chauffées ou dans le génie militaire
, aux entrepreneurs de bâtimens ,
&c.
Ane confidérer l'art de la coupe des pierres ,
que Mathurin Jouſſe appele le ſecret de l'architecture
, que du côté de l'apparcil des pierres ;
il eſt déjà recommandable & tout le monde ſçait
combien il eſt eſſentiel d'avoir de bons appareilleurs
pour la conſtruction des bâtimens . Mais on
concevra de cet art une idée plus relevée , &l'on
peut dire plus vraie & plus juſte ; ſi l'on veut
remarquer que ce n'eſt que par une étude réfléchie
& approfondie de cet art , qu'un Architecte
peut, d'un côté ; dans ſes defſcins , allier la bonne
conftruction avec l'économie des matériaux
rendie ſes voûtes légères , ſans cependant que la
folidité en ſouffre , & s'abandonner même à fon
génie ſans craindre d'être arrêté par les inconveniens
de la conftruſtion ; & que d'un autre côté
il peut véritablement préſider dans la conſtruction
desbâtimens ou il doit autant ſe diftinguer
des ouvriers par la théorie des arts relatifs aux
bâtimens , qu'il leur eſt ſupérieur par état. Il eſt
aifé de fentir d'après ce qui vient d'être dit , que
ce ne peut être que lorſque les refforts de cet
art feront bien connus & fentis par nos Archi
I iij
198. MERCURE DE FRANCE.
tectes , que nous pourrons joindre aux belles
proportions de l'architecture antique & à une
diftribution commode & agréable , une conftruction
folide & légère dont nous trouvons des
exemples dignes d'admiration dans les édifices
gothiqnes ; & que nous pourrons eſpérer de furpaſſer
les étrangers dans cette partie de l'architecture
qui eſt la plus utile & la plus importante.
Un Architecte qui veut ſe diftinguer dans ſa
profeſſion , ne doit donc pas ſe borner à une ſimple
pratique de cet art ; en effet , on convient aujourd'hui
unanimement que ce n'eſt que depuis
que les arts ont été éclairés par les ſciences qu'ils
font parvenus à un certain degré de perfection .
C'eſt pour ces conſidérations qu'on a cru devoir
joindre aux leçons théoriques & pratiques de la
coupe despierres un cours de Géomètrie , afin
que les élèves puiffent avancer d'un pas égal
dans la pratique & dans la théorie de cet art .
Onſuivra dans ce cours les Elémens de Géométrie
de M. le Camus : on a préféré cet Auteur à d'autres.
1º. Parce qu'il eſt entre les Auteurs qui ont
raité ſynthetiquement de cette ſcience un des
plusgénéralement eftimés. 2 ° . Parce que c'eſt ſur
ces Elémens que font examinés Meſſieurs les Ingénieurs
militaires. Pluſieurs Auteurs ont traité
de la coupe des pierres & les deux plus eſtimés
font M. de la Rue Architecte du Roi & M. Frezier
Ingénieur militaire du Roi en chef à Landau.
Le premier eſt recommandable par les bonnes
méthodes-pratiques qu'il donne , & par la
clarté & la netteté des épures , mais il eſt entiérement
dépourvu de démonstrations & il n'eſt
pas exempt d'erreurs. Le ſecond adéveloppé avec
beaucoup de ſcience & de génie la théorie &la
OCTOBRE. 1770. 199
pratique de cet art , & l'on peut dire qu'il ena
approfondi la théorie d'une maniere à ne laiſſer ,
pour ainfi dire , rienà defirer. Le premier , comme
il eſt aiſé de le ſentir, ne peut ſuffire au beſoin
d'un Architecte. Le ſecond , au contraire, y
fournit abondamment. Les ſeuls inconveniens
qu'il y ait , ſont que cet ouvrage eſt très- long ,
très- difficile, que les épures en ſont petites & par
conféquent ſouvent confuſes,de maniere que peu
d'artiſtes ont le tems & la conſtance néceſſaires
pour ſuivre un ouvrage d'une auffi longue halei
ne. C'eſt pour toutes les raiſons ſuſdites , qu'on
a penſé que des leçons théoriques & pratiques de
la coupe des pierres , accompagnées d'un coursde
Géométrie pourroient être utiles& agréables aux
artistes. On a à cet effet fait les épures des
pièces de trait les plus utiles & les plus intéreſfantes
; ces épures ſont faites en grand , ce qui a
donné lieu d'y obſerver plus d'ordre & de clarté ,
&, pour faciliter encore davantage l'étude de cer
art,on a auſſi fait les modèles en platre & talca
des piéces de trait les plus utiles , qui feront d'un
grand ſecours aux élèves ; en outre on les ſecom--
dera dans leurs travaux par les démonstrations
néceſſaires , àfur & à meſure qu'ils en auront befoin,
on difcutera les avantages , & défavantages
des différentes méthodes; enfin on fera ſes
efforts pour ne rien laiſſer à deſirer à ceux qui
voudront approfondir cet art.
C'eſt chez le ſieur Delaunay Architecte , rue
Planche - Mibray , même maiſon que M. Huguet
qu'il faudra ſe faire infcrire. Il commencera les
leçons de la coupe des pierres le lundi s Novembre
1770 & le cours de géométrie le lundi
fuivant. Il ſeroit à-propos de ſe faire infcrire
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
aumoins avantle 12 Novembre , afinde ſe trouver
à l'ouverture du cours de Géométric. Ceux
qui viendront chez lui pour ſe faire inſcrire
pourront y voir les épures & modèles des piéces
detrait , les plus utiles&les plus intéreſfantes.
III.
Lettrefur la guériſon des Hernies.
Connoiſſant votre zèle , & votre attention
pour tout ce qui peut contribuer au bien de l'humanité
, je ne doute pas que la méthode que
j'ai de guérir les hernies ne trouve une place
dans un ouvrage deſtiné à l'utilité comme à l'amuſement
du public . De toutes les infirmités
attachées à notre triſte exiſtence; il n'en eſt guèze
de plus fréquentes , &de plus dangereuſes
que cette maladie ? ce n'eſt pas aſſez qu'elle afſujetiſſe
à la gêne inſupportable d'un bandage ,
il arrive ſouvent que le bandage , quoiqu'exécuté,
&appliqué par une main habile , n'empêche
pas une hernniieede s'échapper , &même de
s'étrangler. Dans cette derniere circonstance ,
le malade eſt expoſéà des accidens funeſtes qui
peuvent devenir mortels , s'il n'eſt promptement
ſecouru, Ma méthode étant phyſiquement füre
tout le monde a intérêt de la connoître ; les gens
de l'art ont vu & atteſté mes expériences ; M.
Briffon Deſcautières , Commiſſaire des guerres
àDunkerque que j'ai guéri , excité par la recon -
noiffance, & par l'amour du bien public , a certifié
par une lettre dans les ouvrages deM. Freron
les effets heureux de ma méthode : M. Crif
tille, chez M. Moulin Marchand à Ville- neuveOCTOBRE.
1770 . 201

le-Roi en Bourgogne , a auſſi annoncé ſa guérifon
dans le même Auteur. M. de Boulanger ,
Bourgeois de Paris rxe des Tournelles au Marais
, m'a rendu auſſi à ce ſujet dans votre Journal
le témoignage le plus flatteur , & beaucoup
d'autresperſonnes n'ayant pas voulu être nommées
dans les papiers publics , m'ont permis de
les nommer de vive voix , à ceux qui defireroient
de plus grands éclairciſſemens. Parmi ces
perſonnes pluſieurs ont repris par des efforts ou
par d'autres accidens des deſcentes du côté oppoſé
à celui que j'avois guéri ; ainſi ma méthode
rapproche les chairs & les muſcles , & leur
donne plus de ſolidité & d'énergie qu'ils n'en .
avoient dans leur état naturel ; enfin mes fuccès,
le fruit de dix années d'application & d'é--
tude , font appuyés ſur des faits averés. Je vous
prie , Monfieur , de donner place à cette lettre
dans votre Journal , l'amour du bien public ,
me l'a dictée , le même motif vous engagera à
la publier : je vous dois cette confiance.
J'ai l'honneur d'être , &c.
MAGET ancien Chirurgien Major dans la
Marine ; il demeure toujours rue d'Orléans ,
près le jardin du Roi.
IV.
COMPLIMENT.
Le lundi 13 Août 1770 , le Comte Danés ,
Gouverneur de la Ville de S. Denis ,a été inſtallé
à l'Hôtel de Ville de Paris , en qualité de LicurenantGénéral
auGouvemement de Paris pour Sa
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
Majefté , par tout le corps de Ville , aflemblé à
cet effet , & a adreflé le diſcours ſuivant à Mм.
les Prévôt des Marchands & Echevins .
MESSIEURS ,
>>C>'eſt ſans doute un avantage extrêmement
>> flatteur pour moi que d'occuper aujourd'hui
>> une place auffi diftinguée que celle dont Sa
>>Majesté a daigné me donner l'agrément, qui me
>> procure le droit de remplacer dans les occaſions
>>leGouverneur de cette Capitale de la France.
>>Mais , Meffieurs , cet avantage me devient in-
>> finiment plus précieux par celui d'y être inf-
>> tallé par un Corps auffi reſpectable que celui
30de la Ville de Paris , qui mérita dans tous les
25 tems la bienveillance de ſes Souverains , la
>>conſidération des Grands de l'Etat , & eut tou-
>>jours à ſa tête les plus grands Seigneurs de la
>>Cour , & les Magiſtrats du rang&du méritele
→plus diftingué.
>> C'eſt vous , Monfieur , que la Ville a le bon-
>>>heur d'avoir aujourd'hui pour Chef. Quelle
>> preuve plus éclatante des bontés dont notre
>> auguſte Monarque l'honore , que le choix qu'il
>> a fait, pour veiller à ſes intérêts ,&en conferver
>>l>esdroits, d'un Magiſtrat comme vous , Mon-
>> fieur , qui réunit àla naiſlance la plus illuftre
> les hautes connoiſſances des Belles-Lettres &
>> de la Magistrature , qui vous mettent ſi en état
>>d'exercer après vos glorieux prédéceſſeurs les
>>grandes qualités dont vous êtes revêtu .
>> Je fais , Meſſieurs , que je ſuis bien loin
>> d'atteindre à ce rare mérite , & à celui que
23 je vois briller dans les membres dont votre il-
>> luſtre Corps eſt compoſé. Maisj'eſpère que ſi ,
OCTOBRE . 1779. 203
>> par un hafard heureux , quelque occaſion favo-
>>r>able ſe préſente dans le poſte que j'occupe ,
>>>je vous fetai connoître que perſonne n'eſt plus
>> rempli que moi d'un zèle ardent pour le ſervice
>> de fon Roi , & pour ſoutenir les intérêts & la
>>>gloire d'une Ville , à qui les plus célèbres Ca-
>>>pitales de l'Universn'oſent ſe comparer ».
V.
USAGES ANCIENS.
Les oeufs de la St Gal.
Il ſeroit difficile de rendre raiſon des uſages
finguliers de nos aïeux , mais il peut être utile
de les faire connoître les recherches fur les
moeurs du gouvernement féodal ont été trop
négligées dans nos hiſtoires , & les faits dont
l'exiſtence ſe trouve conſtatée par des chartes
font des monumens précieux , pour connoître
les coutumes de chaque fiécle ; nous devons
être inſtruits de toutes ces bifarreries pour en
juger les hommes.
Le Châtelain du Bourg de Chillac en Auvergne
faiſoit acheter tous les ans , aux dépens
du fire de Mercoeur , Seigneur de Chillac , mille
ou douze cens æoeufs , & alloit , « par coutume
>> & introduction ancienne , « accompagné des
gens & officiers de ſa juſtice , le jour de Saint
Gal, premier Juillet , à Langeac : cette fête ,
qui eſt celle de l'un des Patrons de la ville ,
raſſembloit unequantité de peuple du voisinage ,
qui dreſſoit des cabannes deverdure par les prairies
voifines &y danſoit , ſuivant l'uſages des fêtesbaladoires.
Dès le matin , le Châtelain de Chillac &
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
au
fescompagnons entroientdans la ville par la porte
appelé des farghes ; ils parcouroient certaines
rues dans l'enceinte des murs , « en jetant lef-
>> dirs oeufs à grant moqueton & fcandalles ,
>> avec irrifion de juſtice , fans aulcun prouffit
utille ne a occafion de choſe méritoire
moyen duquel tirement d'oeufs ſe faifoient
>> aflemblées du peuple, &y ſurvenoient pluſieurs
noiſes , débats & inſolences & auffi ſe comectoit
>> desjuremens & blafphemes abominables. « La
promenade finie , chacun alloit ſe divertir où
bon lui ſembloit. En 1360 , laville de Langeac
étoit fermée à cauſe des partis Anglois qui couroient
la Province d'Auvergne. On préſenta
une requête au Seigneur au nom du Sire de
Mercoeur , le 17 Juin , pour avoir l'ouverture
d'une porte de la ville , ne voulant point interrompre
une cérémonie aufſi importante , pendant
la guerre. Heustache , Chevalier , Seigneur
en partie de Langeac , permit ( au riſque même
du pillage de la ville , qui pouvoit ſe commettre
par les ennemis , ) au fire de Mercoeur ,
ou à ſes gens , de jetter les oeufs ſuivant l'ancien
ufage. « Volumus & concedimus quòdidem
>> dominus comes , seu ejus gentes poffint facere
tranfitumperportalem de lasfarghas dicte ville,
»quod depreſenti eft claufum ob deffenfionem difte
>> ville Langiacipro timore guerre que nunc eft in
>>patriâ cerverine projiciendo difta ova illa die
festi Beati Galli dum apperiretur & remanebit
appertum pro ut antea erat fieri confuetum. >>
En 1740 , le premier Juillet , les gens de
Chillac ſe préſenterent pour jeter ou tirer les
oeufs ; le paſſaged'un petit ruiſſeau qui eſt hors
l'enceinte des murs,étoit par fortunedémoli
!
OCTOBRE. 1770 . 20
> parce que ledit ruiſſeau avoit charrié après.
> un orage ; & auſſi que d'un couſté & d'autre
>> avoit été porté grande quantité de terre par
>> aucuns habitans. Cet accident imprévu caula
beaucoup de mécontentement aux officiers du
fire de Mercoeur , qui firent les proteſtations les
plus folennelles contre l'infraction de leurs
ufages , & le trouble qu'on leur occafionnoit ;
«à cauſe de quoi eſtoit'une eſpérance de mou-
>>>voir procès entre Meſſeigneurs de Chillac &
>>>de Langeac. « La matière miſe en délibération
entre les Juges des deux endroits , on décida ,
« que , par autre part fut miſe & jectée une
>> pierre audit ruiſſeau , lequel étoit impoffible
>à faillir en un fault , fur laquelle pierre les
>> officiers de Langeac mirent le pié , & paf-
>> ferent outre ſans danger de leurs perſon-
>> nes , & après eux , les gens de Chillac paſſe-
>> rent pour tirer leurs oeufs. On dreſſa l'acte
antentique , que je copie ici , & on ſtipula que ,
pour cette fois , les officiers de Chillac s'étoient
détournés du chemin ordinaire ; qu'il ne leur
feroit attribué aucun nouveau droit qui pût
porter atteinte aux priviléges du Seigneur de
Langeac & de ſa ville. S'il avoit été queſtion
de limiter deux Empires , les précautions n'auroient
pas été plus grandes. Enfin , le Connétable
de Bourbon , fire de Mercoeur , abolit cet
uſage , en tournant à fon profit la dépenfe qui
ſe faiſoit des deniers de fa recette , par lettrespatentes
données à Moulins , le 7 Mai 1522.
enregiſtrées enſa Chambre des Comptes , le 20.
du même mois , & à Chillac , le 25. de Juin
fuivant. .
206 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES POLITIQUES.
LES
DeWarsovie, le 19 Septembre 1770.
Es lettres de Cracovie portent que les Confédérés
du ſieur Pulawski viennent de s'emparer
du Couvent de Czentoſchau dont ils ſe propoſent
de faire une place d'armes , & que le Colonel
Drewitz raſſemble toutes ſes forces pour le
combattre. Suivant d'autres avis , le ſieur Zaremba
a attaqué ſur les frontieres de Siléſie ,
un détachement Ruſſe , de ſoixante hommes ,
dont la plupart ont été faits priſonniers.
On mande de Podolie & de Volhinie que la
peſte y diminue ſenſiblement.
De Dantrick , le 22 Septembre 1770 .
On a publié ici , le 31 du mois dernier ,
uneOrdonnance du Magiſtrat & du Sénat , par
laquelle il eſt enjoint aux bourgeois & habitans
de cette ville de ſe conduire amicalement les
uns envers les autres , de n'offenſer qui que ce
foit, fur-tout de reſpecter les perſonnes revêtues
d'un caractère public , & qui défend à tous ,
ſous peine d'être ſéverement punis comme perturbateursdu
repos public; de s'aflembler tumultuairement
dans les rues & de tenir des affemblées
clandeſtines & illicites. La même Ordonnance
promet une récompenſe de mille florins à
quiconque dénoncera au Préſident-Bourguemeftre
l'auteur de pluſieurs libelles qui ont été dernierement
affichés .
OCTOBRE. 1770. 207
De Stockolm , le 18 Septembre 1770 .
Les Directeurs de l'hôpital des Orphelins ont
fait un réglement par lequel il eſt arrêté qu'on
feroit apprendre un métier à ceux de ces Orphelins
que quelques infirmités ne rendroient
pas propres au ſervice , & que chaque artiſan quí
ſe chargeroit de leur apprendre ſa profeſſion ,
recevroit pour cet effet une ſomme annuelle .
De Coppenhague , le 18 Septembre 1770 .
Le Roi a donné des ordres pour faire faire le
dénombrement des habitans de ce Royaume. Ils
feront rangés ſous différentes claſſes , dont la premiere
comprendra les enfans de huit ans & audeſſous
, & la derniere , les perſonnes âgées de
quarante-huit ans & au-deſſus.
De Vienne , le 29 Septembre 1770 .
Le bruit court que les Ruſſes , qui étoient à
la pourſuite des Confédérés en Pologne, avoient
pénétré juſqu'au bourg Werecke & que n'y en
ayant trouvé aucun , ils avoient tué huit payfans
, douze ſoldats Autrichiens & huit chevaux ;
mais que les Autrichiens s'étant raſſemblés
avoient tué vingt-ſept hommes & pris trente
chevanx qu'ils ont envoyés à Mungacz.
La Société d'Agriculture du duché de Styrie
vient de propofer un prix qui ſem donné àla
fin de Février 1771 , à l'auteur du meilleur ouvrage
fur cette queſtion ; à quelle cauſe faut-il
attribuer l'échauffement des grains , & quel est le
moyen de le prévenir ? Le prix confifte en une
médaille de trente- fix ducats.
De Cadix , le 14 Septembre 1770.
Sur les avis qu'on a cus que pluſieurs vaiſſeaux
208 MERCURE DE FRANCE.
de l'Archipel & dans la Méditerranée étoient
infectés de la peſte , on a publié derniérement
ici un réglement qui fixe la durée des quaranraines
, auxquelles feront aſſujettis les vaiſleaux
qui viendront de la Méditerranée , & qui indique
les précautions qu'il ſera néceſſaire de prendre
dorénavant , pour empêcher que la contagion
ne pénétre ici , ou pour en prévenir les
fuites.
Il est arrivé , il y a quelques jours , de l'Amérique
en cette baye , pluſieurs navires Eſpagnols ,
entr'autres , la Levrette , la Concorde & l'Aurore
, leſquels viennent de Lima , & dont les
cargaiſons montent enſemble à trois millions
cinq eens mille piaſtres , fans compter les marchandiſes
qu'ils ont à bord , & qui confiftent en
cuivre , cacao , laine de vigogne & drogues
médicinales . De ce nombre font auffi le Matamore
, venant de la Vera- Cruz & de la Havane
avec une cargaiſon de ſucre & autres productions
; la Polacre la Minerve , qui arrive de
Cartagene des Indes & de la Havane , chargée
de cacao , de cuirs , de coton & de bois de
teinture , & cinq ou fix autres bâtimens venant ,
de la Havane avec des cargaiſons de tabac &
de fucre.
De Londres , les Octobre 1770.
Hier, le Roi eut à Saint-James une longue
conférence avec ſes miniſtres. Aujourd'hui , il
s'eſt tenu un grand conſeil à la Cour.
Le 27 du mois dernier , il y eut , à l'hôtelde-
ville , une affemblée générale du confeil
commun , dans lequel on propoſa d'examiner
la conduite du Recorderdela Cité , lequel refufa
d'accompagner, le 14 Mars dernier , le
OCTOBRE. 1770 . 202
Lord - Maire & les Députés chargés de repréſenter
au Roi la remontrance de la Cité. Cet
officier , l'un des plus confiérables du corps de
ville, allégua pour ſa défenſe , qu'ayant déſapprouvé
& ayant regardé comme illégale cette
remontrance , il ne lui convenoit pas d'être un
de ceux qui la préſenteroient à Sa Majefté. On
lui objecta qu'il lui étoit permis d'avoir telle
opinion qu'il jugeroit à propos ſur les ſujets
qui étoient mis en délibération; mais que , lorfqu'il
y avoit une déciſion de l'aſſemblée générale
, il devoit s'y conformer , & qu'il étoit
obligé , par le devoir de ſa charge , d'accompagner
le Lord- maire & les autres officiers de
la ville dans toutes les occaſions ou ſa préſence
étoit requiſe. Il fut arrêté , à la pluralité de
quatre-vingt-feize voix contre cinquante- fept ,
que le Recorder avoit manqué à fon ferment
& au devoir de ſa charge. On remit à une autre
affemblée à prononcer un jugement ultérieur
fur ceſujer.
,
Le 29 ſuivant , il y est une autre affemblée à
l'hôtel - de - ville dans laquelle on procéda à
l'élection d'un Lord - Maire pour l'année prochaine.
Le choix de l'aſſemblée tomba fur le
fieur Grosby , Alderman , connu par fon zèle
pour le parti de l'oppoſtion, Ceux des Aldermans
qui font attachés au miniſtère & qui furent
propoſés pour la place du Lord- Maire , furent
reçus par l'aſſemblée avec des huées & des fifflemens.
Il paroît , par ce qui s'eſt paffé dans ces
deux dernières aſſemblées , que l'eſprit antiminiſtérial
de la Cité conferve encore toute fa
violence .
La preſſe des matelots , qui a déja ceſſé dans
210 MERCURE DE FRANCE.
2
quelques - uns des ports de ce Royaume , ne
tardera pas , dit-on , de ceſſer auſſi dans cette
capitale. Les gratifications que le Roi a accordées
à ceux qui fe préſenteroient volontairement
pour fervir fur les navires , ont ranimé le zèle
des matelots , au point qu'il s'en trouve à préſentun
nombre à-peu-près ſuffiſant pour Farmement
des vaiſſeaux de guerre qu'on ſe propoſe
de mettre à la mer. La Cour vient d'envoyer
ordre à Portſmouth d'y préparer les vaiſſeaux
de ligne la Bretagne , de cent vingt canons ;
la Princeffe Auguſte , de quatre - vingt - dix ;
l'Effex , de ſoixante-quatre ; le Foudroyant ,
le Warspire , les Worcester & le Modefte , de
foixante -quatorze , & le Northumberland , de
foixante- dix , ainſi que les frégates la Pallas &
la Vénus , de trente- fix canons , la Junon , de
tente-deux. Dans le cas où l'on ne trouveroit
pas dans ce port tout ce qui est néceffaire pour
les mettre inceſſamment en état de tenir la
mer , le Commiſſaire est chargé d'avoir recours
aux chantiers des particuliers.
On dit que le corps d'artillerie va être augmenté
d'un bataillon , & qu'on a envoyé ordre
en Irlande de rendre complets tous les régimens
qui ſont ſur cet établiſſement.
Le vaiſſeau du Roi le Liverpool eſt arrivé à
Spithead , de la Méditerranée & en dernier lieu
de Cadix , d'où il a apporté ſept cens mille
dollars pour le compte de nos négocians.A fon
départ de Cadix , trois vaiſſeaux de guerre Ffpagnols
& fix bâtimens de tranſport , ſur lefquels
on avoit embarqué mille hommes de
troupes , venoient de partir pour aller , dit- on ,
renforcer la garniſon de la Havanne.
OCTOBRE. 1770. 211
Ondit ici que le capitaine de la frégate la
Favorite, laquelle a ramené en Angleterre les
Sujets de Sa Majesté qui s'étoient établis au
Port Egmont , d'où ils ont été chaffés par les
Eſpagnols , a été réprimandé ſur la conduite
qu'il a tenue à cette occafion ; on dit même
qu'il fera caffe.
Pluſieurs de nos négocians ont reçu de Peters
bourg des lettres qui portent que pluſieurs vaifſeaux
de ligne Ruſſes , conftruits fur un nouveau
modèle , s'y font approviſionnés pour neufmois ,
&que leurs équipages étoient preſque complets :
on ne dit pas encore quelle eſt leur deſtination.
Suivant des lettres de Port - Royal dans la Jamaïque
, deux chefs des Sauvages de Moſquito y
font arrivés à bord du vaiffeau la Providence ,
& doivent s'embarquer inceflamment pour l'Angleterre
où ils font chargés de traiter d'affaires
importantes.
De Paris, le 12 Octobre 1770 .
Différens avis portent qu'on a fait partird'Alger
une frégate , de quarante canons ; une barque,
de vingt , & deux chebecs de vingt - quatre ,
montés de deux mille corſaires d'élite qui vont ſe
joindre aux Turcs.
On mande de Marſeille que le Sr Sieuve , naturaliſte
, déjà connu par un traité ſur les vers qui
piquent les olives & par un rnémoire ſur le moyen
de préſerver les étoffes de laine , des vers qui s'y
attachent , ouvrage couronné par l'académie de
Bordeaux , vient de découvrir ſur les pins la matièred'une
nouvelle foie argentine , forte , élaftique&
très - abondante , qui ne provient pas d'un
cocon de chenilles à papillon , mais qui eſt l'ouvrage
des vers à mouches. Il a fait , fur cette fingulière
découverte , un mémoire qui doit être lu
212 MERCURE DE FRANCE.
à l'académie royale des ſciences , après la rentrée.
Le Sieur Sieuve efl parti , le premier de ce mois ,
pour différens endroits de la Provence , où il a été
invité à ſe rendre , afin d'y viſiter huit mille pieds
d'oliviers , furlesquelsila faitappliquer ſon goudron
propreà préſerver ces arbres de la piquûre des vers,
&pour yconſtater lui-même le ſuccès de ſon expérience
, laquelle a déjà réuſſi à Marseille ſur les
oliviers de deux particuliers de cette ville .
On écrit de la même ville que le Srd'Evant , cidevant
conful de France à Salonique , lequel venoit
d'obtenir ſa retraite, yeſt mort ſubitement
en rentrant chez lui.
PRÉSENTATIONS.
Le 30 Septembre , la marquiſe de Caraman eur
P'honneur d'être préſentée au Roi &à la Famille
Royale par la comtefle de Caraman (a bellefoeur.
Le 25 de ce mois , le comte d'Argental , miniſtre
plénipotentiaire de Son Altefle Royale l'infant
Duc de Parme , eut l'honneur de préſenter
au Roi & à la Famille Royale un ouvrage intitulés,
Deſcrizione. &c. ou Description des Fêtes célébrées
à Parme, à l'occaſion du mariage de Son Alteſſe
Royale l'Infant avec l'Archiduchefſfe Amélie.
Cet onvrage , entuchi de planches , eſt exécuté
pour l'impreffion & pour la gravure , avec
autant de goût que de magnificence .
Le 26 Septembre , la Dame de Puifieux eut
l'honneur de préſenter au Roi les deux premiers
volumes de l'histoire de Charles VII , ouvrage de
ſa compofition dédié à Sa Majefté.
L'Evêque de Langres a prêté ſerment entre les
mains de Sa Majeſté.
Le même jour , l'Abbé Compan eut l'honneur
OCTOBRE. 1770 . 213
de préſenter à Mgr le Dauphin , une nouvelleMéthode
Géographique , dédiée à Madame , à qui il
cut l'honneurde la préſenter auff .
Le Sr Meflier , de l'académie royale des ſciences
, aſtronome de la marine , eut l'honneur de
préſenter au Roi , le 30 Septembre , une grande
carte céleste où il avoit tracé la route apparente
de la comète de cette année , d'après les
obfervations qu'il a faires , tant à l'obfervatoire
de la marine qu'à la guérite du collége de Louisle-
Grand , depuis le 14Juin juſqu'au 30 Septembre.
La comète étoit , ce dernier jour , peu éloignéede
Saturne & àpeu de diſtance de ſon parallèle;
à 3 heures , 47 minutes , 46 secondes du
matin , tems vrai , ſon afcenfion droite étoit de
131 degrés , 22 minutes , 14 ſecondes , & fa dé.
clinaiſon boréale , de 16 degrés , so minutes , 44
ſecondes. Le 3 du courant , à 3 heures , 54 minutes
, 30 ſecondes du matin , ſon afcenfion droite
étoit de 132 degrés , 48 min . 53 ſec . ,& fa déclinaiſon,
de 16 deg. 29 min. 20 fec.
MARIAGES.
De Versailles , le 28 Septembre 1770 .
Dimanche dernier , le Roi & la Famille Royale
fignèrentle contrat de mariage du comte de Fougieres
,maréchal des camps & armées de SaMajeſté
, & fous- gouverneur des Enfans de France ,
avec Demoiselle de Veaux , fille du comte de
Veaux lieutenant-général , grand'croix de l'ordre
royal & militaire de St Louis , & ci - devant commandanten
Corſe ; &celuidu marquis de Valanglart
, enſeigne des Gendarmes -Dauphin , avec
Dilede Fougieres , fille du comte de ce nom.
Le Roi & la Famille Royale ſignèrent , le 30
Septembre ,le contrat de mariage du marquis de
214 MERCURE DE FRANCE .
l'Aubeſpine , officier au régiment du Roi , avec
Demoiselle de Choiſeul.
MORT S.
De la Haye , le 3 Octobre 1770.
La nommée Jacomina Gaude , native de Leyde,
eſt morte ici , avant- hier , dans la cent quatrième
année de fon âge.
Marie- Suzanne de Bordeilles , veuve de Charles-
Auguſte d'Appellevoiſin , marquis de la Roche
- du - Maine , ſoeur de l'évêque de Soiſſons &
mere du marquis de la Roche du-Maine,cornette
des Chevaux - Légers de la Garde Ordinaire du
Roi & meſtre-de-camp de cavalerie , eſt morte à
Poitiers , le 24 du mois de Sept , âgée de 53 ans.
Marguerite - Françoiſe de Jaucen , Dame &
Vicomtefle deBrigneuil en Poitou , veuve de François
Martial Deſmontiers , marquis de Merinville
, maréchal des camps & armées du Roi , eſt
morte au château de Fraiſſe en Poitou , dans la
ſoixante- onzième année de ſon âge.
Christine Guimet , veuve d'Etienne Chapeau ,
laboureur , eſt morte , le 19 du mois de Septembre
, à la Flacheres , près de Grenoble , âgée de
cent fix ans. Elle laiſſe pluſieurs enfans dont l'aîné
a foixante- ſeize ans Juſqu'au moment de ſa maladie
, qui n'a duré que trois jours , elle alloit &
venoit lans le ſecours de perſonne : elle n'a jamais
fait uſage de lunettes .
LOTERIES.
Le centdix-ſeptième tiragede la Loteriede l'hôtel-
de- ville s'eſt fait , le 25 du mois dernier , en
la maniere accoutumé.e Lelotde cinquante mille
livres eſt échu au No. 98822 , Celui de vingt mille
OCTOBRE. 1770. 215
livres au No. 89268 , & les deux de dix mille aux
numéros 87224 & 97644 .
Le tiragede la loterie de l'école royale militaire
s'eſt fait le s de ce mois. Les numéros ſortis de la
rouede fortune ſont , 79 , 73 , 41 , 67 , 24. Le prochaintirage
ſe fera le s Novembre.
P
TABLE.
IECES FUGITIVES on vers & en proſe , page
ibid.
12
Suite du Printems ,
Madrigal ,
Le Cheval & l'Ane. Fable , ibid.
Stances à la Fille d'un Maréchal- ferrant , 13
La Nuit , 114
Vers contre l'Inoculation , 24
Réponſe , 25
Ala belie Agnès , en lui envoyant une immortelle ,
&un anana le jour d'une de ſes fêtes , ibid.
Impromptu à Mile d'Avejan , 26
Chanſon à Mde l'Ab .. d'A .. qui l'a demandée pour
Mlle fa foeur, 27
Autre àMlle ***, 28
Le Chêne & l'Arbriſſeau , apologue , 29
Portrait de Zelmire , 30
Vers à deux modernes Praxitèles , 3E
Le Retour des Vendanges , ibid.
LeLegs , proverbe dramatique , 33
Chanſon tirée en partie de la prem, Idylle de Mofchus. 5
Caprice , 53
L'Epervier& la Corneille. Fable , ibid.
Remontrance à une jeune perſonne jolie & lettrée , 55
Epître à M. l'Abbé Aubert , ibid.
Eloge de la fontaine minérale de l'Epervière , 18
ENIGMES ,
Explication des énigmes & des logogryphes ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Obſervations fur Boileau , Racine , &c .
L'Obfervateur François à Londres ,
Inſtitutions mathématiques ,
Epitre à M. Petit,
62
63
66
68
! ibid.
79
84
86
216 MERCURE DE FRANCE
Ouvrage de M. Lefley ,
Matière médicale ,
Le Père avare , ou les malheurs de l'éducation
Avisaux mères qui veulent nourrir leurs enfans ,
La Mimographe ,
Obfervations phyſiques & morales ſur l'inftinct des
ibid.
88
५०
96
98
animaux , &c.
ACADÉMIES,
SPECTACLES. Opéra ,
Vers à Mlle de Châteauvieux ,
Comédie françoife ,
Comédie italienne ,
101
103
121
122
123
126
Détail des Fêtes & Spectaclesdonnés àVerfailles à l'occafion
du mariage de Mgr le Dauphin , 127
ARTS , Archhitecture , 161
Agriculture ,
162
Muſique , 163
Gravure ,
ibid.
Géographie ,
166
Ecole vétérinaire , 167
Vers pour mettre au basdu portraitdeM. de Choiſeul, 168
Lettre de M. Parte , en réponſeà cellede M. Cochin , 169
Lettre ſur le ſyſtême de la Nature , 173
Anecdotes , 182
Lettre ſur un Automate qui joue aux échecs ,
186
Lettre de M. de Moncade , fur la guériſon du cancer, 199
Arrêts , Déclarations , & c . 193
Vers fur la prife d'habit de Mde Louiſe -Marie de
France ,
196
Avis ,
ibid.
Nouvelles politiques ,. 286
Mariages, 214
Morts ,
ibid.
Loteries , 215
APPROBATION.
'A I lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le ſecond vol.
du Mercure d'Octobre 1770 , & je n'y ai rien trouvé qui
m'ait parudevoir en empêcher l'impreſſion .
A Paris , le 14 Octobre 1770.
< RÉMOND DE STE ALBINE.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le