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1770, 09, 10, vol. 1-2
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AURO .
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
SEPTEMBRE. 1770 .
Mobilitate viget. VIRGILE.
A PARIS ,
,
Chez LACOMBE , Libraire Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine.
AvecApprobation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'est au Sieur Lacombe libraire , à Paris, rue
Chriſtine , que l'on prie d'adreſſer , francs de porr,
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, les pièces de vers ou de proſe , la muſique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public, & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur . On prie auffi de marquer le prix des livres
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des amateurs des lettres & de ceux qui les
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on recevra avec reconnoiſſance ce qu'ils
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Mémoire fur la musique des Anciens ,
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Satyres de Juvenal ; par M. Duſaulx ,
in 8°. rel. 71.
Recréations économiques , vol . in- 89. br. 2 1.10 1.
Nouvelles recréations phyfiques & mathématiques
, 4 vol . in - 8 ". 241.
Le Dictionnaire de Jurisprudence canonique ,
in-4°. 4 vol. rel. 481.
Meditations fur les Tombeaux , & br .
Dist. Italien d' Antonini, 2 vol. in 4º . rel . 301.
Mémoire pour les Natifs de Genève, in-8°.
11.10f.
broch. 11. 41
MERCURE
DE FRANCE.
SEPTEMBRE. 1770 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
:
SUITE du Printems. Chant premier du
poëme des Saiſons ; Eſſai d'imitation
libre de l'anglois de Thompson.
Éclat de la nature dans le Printems.
L'ASTRE du jour , pourſuivant ſa carriere ,
Darde ſes feux de ſon char du midi :
Dérobons- nous à ſa vive lumiere ,
Et des forêts allons chercher l'abri ,
Arrêtons- nous fous ce lilas ſauvage ,
Aiij
6 MERCURE DE FRANCE.
Qui forme un dais de ſes rameaux enfleurs :
Contemplons -y l'éclat du payſage ,
Et reſpirons les plus douces odeurs.
La primevere & l'humble vialette
S'offrent en foule & parfument les champs :
Près de l'objet qui captive nos ſens ,
Laiffons notre ame heureuſe & fatisfaite
S'abandonner à de tendres élans .
Gloire futile , infipide fumée ,
Du conquérant encouragez l'ardeur :
Baiſer cueilli ſur une bouche aimée
Eſt préférable à votre éclat trompeur.
Quelle ſuperbe &vaſte perſpective !
Quelle fraîcheur ! quels coteaux enchantés !
Dépouille- toi de ta frayeur oiſive ,
OMuſe , & viens détailler ces beautés.
Maispourras tu décrire la nature ?
Mêlera-tu , comme elle , tes couleurs ?
Comment , comment animer ta peinture ,
Et varier la nuance des fleurs ?
Pourſuis toujours : quand le dieu du Parnaſſe
Dédaigneroit de fourire à tes voeux ;
Tu trouveras du prix à ton audace ,
Tant ce travail ſera délicieux.
Venez , bergers; venez , jeunes bergeres ,
Raflemblez- vous ſous ces berceaux charmans ,
Pour y former mille danſes légeres
SEPTEMBRE. 1770 . 7
Et vous livrer à d'amoureux penchans.
Et toi , Zélis , objet de ma tendreſſe ,
Toi que j'adore& qui fais mon bonheur ,
Quitte la ville , ô ma belle maîtreſſe ,
Et viens aux champs régner parta candeur.
Le doux Printems , ydéployant ſes graces ,
Offre ſes dons qu'embellit le matin :
Viens , desbouquets qui naiſſent ſur ſes traces ,
Orner ta tête& parfumer ton ſein.
Vois , ma Zélis , vois le long des prairies
Comme les fleurs s'abreuventdes ruiſſeaux !
Errons enſemble au pied de ces côteaux
Qu'ont parfumé mille tiges fleuries :
Ne trouvons point indignes de nos pas
Ces champs , ces bois tapiſſés de verdure :
Quede beautés ! O combien ad'appas
Lenégligé de la ſimple nature !
Pour recueillir un précieux butin
Au point du jour l'abeille printanniere
Parcourt le thym , dépouille la bruyere ,
Etdans la ruche expoſe ſon larcin .
Rentrons , Zélis , dans ces jardins où Flore
Toujours loumiſe à l'art qui les décore ,
Sur le parterre exerce ſes pinceaux :
Là ſes préſens , qui s'empreſſent d'éclore,
Offrent à l'oeil les plus riches tableaux.
Des maroniers l'impénétrable ombrage ,
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
Interceptant les rayons du ſoleil ,
Forme un couvert dont la fraîcheur engage
A favourer les douceurs du ſommeil.
Dansles baſſins ombragés de verdure',
Parcent tuyaux l'onde écume &jaillit:
Tout yconcourt à parer la nature ,
Que l'art heureux quelquefois embellit.
Source de l'Etre , immuable puiſſance ,
Moteur divin , ame de l'Univers ,
Tout eſt empreint du ſceau de ta clémence ;
Tu combles tout de tes bienfaits divers :
Ta voix commande , & la tendre roſée
Vient au matin ſur l'aîle du Printems
Rendre la vie à la terre épuiſée ,
Et nuancer ſes riches vêtemens .
L'homme , grand Dieu! te doit ſon exiſtence :
Sur ſes vergers , ſes coteaux , ſesguérets ,
Autour de lui tu répands l'abondance :
C'eſt te chanter que chanter tes bienfaits.
Par M. Willemain d'Abancourt .
EPIGRAMME.
CERETRATAIINN ſoir dans un cercle un auteur recitoit
(Etourdic de leurs vers eſt aſſez leur manie)
SEPTEMBRE .
9 1770 .
Un joli Madrigal qu'il diſoit avoir fait ,
Mais que , pour ſon malheur , ſavoit la compagnie:
Un vieux Gaſcon , qui l'écoutoit ,
Lui dit fort plaiſamment : Monfieur , fans menterie
,
J'ai lu pareil morceau dans tel livre. A ce trait
Notre auteur prétendu , l'oeil ardent de colere ,
Se leve , fait un geste... Ah! paix ; entendonsnous
,
Pourſuivit leGaſcon , modérez ce courroux :
Si quelqu'auteur l'a fait , vous l'avez bien pu
faire.
Par le même.
LE BUCHERON & LE ROSSIGNOL.
Fable imitée de l'allemand.
CHANTEZ , diſoit à Philomele
Un Bucheron charmé des doux fons de ſa voix:
Comment voulez- vous , reprit-elle ,
Que de mes chants je remplifle les bois ?
Entendez- vous la grenouille envienſe
Qui ſemble exprès redoubler les éclats
De ſa voix rauque &dédaigneuſe ? -
Si vous chantiez , je ne l'entendrois pas .
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Chantez , Auteurs fameux , qui des fruits duGénie
Pouvez enrichir vos climats . -
Eh ! n'entendez- vous point la cabale ennemie
Qui croaſlant s'acharne fur nos pas ? -
Si vous chantiez , je ne l'entendrois pas.
Parlemême.
ODE à M. le Gendre , étudiant en mathématique
au collège Mazarin , à l'occaſion
de ſa thèſe , foutenue en préſence
de l'Académie royale des ſciences , qui
en avoit agréé la dédicace.
Sunt hîc etiam fua præmia laudi. Virg.
QU'AUX pieds de la grandeur , une mufe vênale
,
Dépoſe ſon hommage , &brûle ſon encens :
Jebrave dans ſes dons la fortune inégale ,
Je chante les talens .
J'applaudis ton élève , ô ſublime Uranie;
Viens placer ſur ſon front , la couronne des arts :
Sans titres faſtueux , il ne doit qu'au génie
L'honneur de tes regards.
SEPTEMBRE. 1770. II
Si ta cour en ces lieux avec toi le contemple ,
Cen'eſt pas pour fourire à l'orgueil d'unCréſus ;
Tes miniſtres ſacrés ne quittent point ton temple
Pour l'autel de Plutus .
Ces hommes courageux , nés pour régir le
monde ,
Voudroient perpétuer l'amour de leurs travaux ;
Enfanter tout - à-coup une race féconde
De ſucceſſeurs nouveaux.
Toi , leur fils adoptif, que ce projet enflamme 3
Renonce pour jamais à la frivolité :
La retraite & l'étude élèveront ton ame
Juſqu'à la vérité.
Pour foutenir tes pas dans un ſentier pénible,
De tesguides hardis obſerve les efforts ;
De l'émulation vois l'ardeur invincible
Déployer ſes refforts.
Loindes cris inſultans de l'altiere ignorance
Ces ſages réunis au palais de nos Rois ,
Méditent , à l'envi , dans la paix du ſilence,
La nature & ſes lois.
L'un armé du compas , de l'art profond d'Enclide,
Veut étendre l'empire & reculer les bords :
D'une courbe nouvelle à ſon calcul rapide
Il foumet les rapports.
vj
12 MERCURE DE FRANCE.
L'autre , à l'aide du priſme , éclairant l'analyſe,
De ſon oeil étonné corrige les erreurs :
De l'écharpe d'Iris , il aſſemble ou diviſe
Les riantes couleurs .
Celui-ci s'élançant vers la céleſte voûte ,
Meſure ce foyer qui nous verſe le jour ;
Ou d'un aftre effrayant fait découvrir la route
Et fixer le retour.
Plus humble dans ſon vol, ſans être moins
utile,
Celui- là de la terre ouvre les fondemens ;
Et la main tour-à-tour , de l'or & de l'argile ,
Peſe les élemens.
Chacun ſur les objets dont le charme l'entraîne
,
Ne cefle d'appliquer ſes avides eſprits :
D'unprocédé ſavant on retrouve la chaîne
Dans de mâles écrits .
Al'aſpectde ce corps dont la France s'honore ,
Je vois fuir à grands pas les préjugés nombreux ;
Et la raiſon plus libre a préparé l'aurore
D'un changement heureux.
Ames yeux ſe préſente une liſte immortelle.
Quels noms fameux j'ai lus ! d'Alembert &Buffon!
...
SEPTEMBRE. 1770. 13
Et vous , que ce portique aujourd'hui nous rappelle
,
La Caille & Varignon !
Du fond de leur tombeau , j'entends une voix
fombre
Qui crie à leur diſciple : " Ofe nous imiter :
>>>Comme nous , loin du monde , enseveli dans
l'ombre ,
Apprends à méditer .
>>> Sans crainte & fans eſpoir , pour ſervir tes
ſemblables ,
>>Marche dans le chemin que nous t'avons frayé ;
>>S>i tu peux t'aſſurerdes amis véritables
>>Tu ſeras trop payé. >>
ParM. Coffon , profeſſeur au
collègeMazarin.
LA BIENFAISANCE.
Conte Perfan ; par M. B....
HUSSEIN , attaqué d'une maladie
contagieuſe qui ſe répandoit dans la ville
de Tauris , envoya chercher un ſage de
ſes amis retiré dans les montagnes. Il le
conjura de ſe charger de fon fils , autant
pour le ſauver du danger de refter plus
14 MERCURE DE FRANCE.
long - tems dans les murs d'une ville défolée
, que pour lui procurer une inftruction
qui pût le rendre heureux dans la
ſuite; parce qu'une longue expérience
l'avoit convaincu que le plus grand nombredes
malheurs ddee l'humanité appartenoit
à ſes vices .
Il inſtruifit Ibar ( c'étoit le nom du fage)
du lieu fecret où il renfermeroit les
tréſors qu'il devoit laiſſer après lui , mais
qu'il ne regardoit plus comine la première
fource du bonheur de ſon fils . Ce moment
terrible où l'homme oubliant les
tems , porte un pas vers l'éternité , change
communément toutes ſes idées , & il
ne voit plus de véritable tréſor qne celui
des vertus.
Ibar accepta avec plaiſir le ſoin d'élever
le fils d'un ami dont il apperçut la
deſtruction prochaine dans le changement
ſubit de ſes anciennes opinions , &
dans le mépris qu'il faiſoit alors de la
fortune qu'il avoit trop aimée .
Voilà done Ibn - Huſſein éloigné de
bonne heure de la capitale de l'Aderbijan
* , & fous la protection d'un ſolitaire
qui le conduiſoit au ſommet du co-
*Grandeprovince dePerſe.
: SEPTEMBRE. 1770. 15
teau ſur lequel il avoit placé ſon habitation
.
La culture des fruits & l'art de combiner
& de plier des joncs ſous des formes
différentes furent l'occupation d'lbar
comme ils l'avoient toujours été , & devinrent
celle d'Ibn Huſſein .
,
La Perfe , fertile en raiſonneurs ſpéculatifs
, avoit beaucoup de traités d'éducation
merveilleux dans la théorie & fous
dans la pratique. Ibar ſe fit une méthode
fimple & peu compliquée. Sois bienfaifant
& tu feras heureux , c'eſt - là ce qu'il
répétoit ſans ceſſe à fon diſciple.
Il eſt vrai que, lorſqu'ils étoient defcendus
dans les villes & les bourgs
pour y vendre leurs fruits & leurs corbeilles
, ils ne remontoient point chez
eux fans aller à la rencontre des pauvres
pour leur diſtribuer une partie du
produit de leur vente. C'eſt ainſi qu'un
précepte appuié de l'exemple ſe grave aifément
dans l'eſprit de la jeuneſſe imitatrice.
Ibn-Huſſein ſe pénétra fi bien de cette
maniere de ſe rendre heureux , qu'il ne
defiroit chaque jour que de travailler encore
plus , afin de faire une vente plus
utile qui les mît à portée de ſecourir un
plus grand nombre de miférables.
16 MERCURE DE FRANCE.
Lorſqu'lbar ſe fut bien aſſuré de la difpoſition
de ſon élève à l'imiter le reſte de
ſa vie; mon fils , lui dit il , fi la Providence
aujourd'hui vous faiſoit jouir d'une
fortune plus grande que celle que produiſoit
notre art & nos travaux , fi elle
faifoit tomber des tréſors dans vos mains,
quel uſage croyez vous qu'elle vous prefcritoit
d'en faire ? -Celui de fecourir&
de ſervir mes freres malheureux. Eli qu'en
ferois je pour moi - même ? Qu'ai je à
ſouhaiter autre choſe que la ſanté , la
gaîté & le plaifir délicieux de dire à l'indigent
, tiens , reçois ces ſecours , travaille
, fois content & fage comme Ibar.
-Eh bien , mon fils , demain , oui dès
que le Dieu de la lumiere déploira dans
le champ des airs ſes drapeaux éclatans
de pourpre & de feu , je vous procurerai
les moyens de multiplier ces plaiſirs purs
dont votre ame eſt avide. Heureux le
pauvre , le foible & l'innocent opprimé
qui ſe trouveront ſur vos pas , vous pourrez
leur dire : banniſſez vos craintes , ô
mes freres ! féchez vos larmes , Ibn Huffein
vit auprès de vous , il veille ſur votre
fort , il eſt l'appui de ce qui tombe&
la confolation de tout ce qui fouffre .
En effet l'hymne facrée des oiſeaux
commençoit à peine à s'élever vers l'afSEPTEMBRE.
1770. 1
tre du jour , qu'lbar conduiſit ſon diſciple
auprès des débris d'un antique tombeau.
Il n'eut pas plutôt ſoulevé une pierre
aſſez large , à l'aide d'un levier qu'il
avoit apporté , qu'ils apperçurent un efcalier
tortueux qui les conduiſit ſous une
voûte éclairée foiblement par quelques
fentes pratiquées dans un rocher qu'elle
ſupportoit.
Quelques coffrets remplis de poudre
d'or &de pierres d'un prix inestimable
furent ouverts & remis à Ibn-Huſſein qui
s'écria , en voiant les richeſſes qu'ils contenoient
: O funeſte principe des maux
de ce globe ! tyran furieux de l'humanité
foible ! Cruel Arimane , * frémis !
Par-tout où je pourrai pénétrer , j'enchaînerai
les miniſtres de tes fureurs , ils ne
feront plus verſer de larmes à mes freres.
Satisfaitdu noble enthouſiaſme dujeune
homme , Ibar ſe félicita d'avoir ſi bien
réuſſi dans cette éducation qu'il alloit terminer.
Il conduifit Ibn-Huſſein à Tauris,
&le quitra en l'embraſſant , pénétré furtour
des efforts ſans nombre qu'avoit fait
* Les Perfans diftinguoient deux fouverains
principes , l'un du bien& l'autre du mal. Le premier
s'appelloit Oromaze & le fecondArimane.
18 MERCURE DE FRANCE.
fon élève pour lui faire partager ſes tréfors
& pour l'engager à ne le point quitter.
Déjà Ibn- Huſſein s'eſt logé commodément
dans le lieu de ſa naiſſance . Déjà il
a ouvert ſa table à des gens heureux de la
partager , à d'aimables fainéans , aux jolis
rimeurs du pays. Déjà les indigens environnent
ſa maiſon , il jouit tous les jours
de la félicité de terminer les peines de
quelqu'un.
Une circonstance plus heureuſe en apparence
pour ſon coeur augmenta encore
ſes plaifirs. Il rencontra par hafard , à ce
qu'il croyoit , une jeune Vénitienne en
larmes , qui ſe diſoit abandonnée dans le
pays par fon pere , & qui ſavoit affez la
langue franque pour ſe faire entendre . Sa
figure qu'embelliſſoit ſon infortune auprès
d'Ibn-Huſſein lui avoit plû , il pourvut
en homme généreux à tous ſes befoins;
mais il craignit de lui parler de
l'intérêt qu'elle lui inſpiroit, dans la crainte
de paſſer auprès d'elle pour un homme
qui ſongeà ſe payer de lesbienfaits .
Spinetta l'entretint bientôt des malheurs
de fon frere Claudio , qui étoit ré.
duit à l'eſclavage chez le plus féroce des
maîtres , &bientôt Claudio fut libre &
l'intendant d'Ibn-Huſſein .
SEPTEMBRE. 1770. 19
Logée dans ſa maiſon , Spinetta lui parut
plus belle encore , & le charme de la
voir chaque jour triompha de la délicateſſe
qu'il avoit de mêler à ſa bienfaiſance
des deſirs moins vertueux. Il parla , il
oſa ſoupiter & Spinetta promit de l'écouter
; mais quelques jours après , Claudio&
ſa prétendue foeur l'abandonnerent.
Le départ d'une caravanne avoit facilité
leur fuite & leur ingratitude horrible ,
car ils avoient emporté de chez leur bienfaiteur
tout ce qui avoit pu tomber ſous
leurs mains.
Etonné de la conduite de Claudio &
de Spinetta , il apprit par un homme de
leur pays que d'autres noeuds que ceux
du fang les uniſſoit enſemble , que Spinetta
avoit été eſclave comme Claudio
mais qu'elle s'en étoit tirée par certaines
complaiſances pour le marchand qui les
avoitconduit àTauris .
,
Humilié , confus , pénétré de douleur ,
Ibn-Huffein eut beſoin pour tranquillifer
fon ame agitée de trouver une prompte
occaſion de faire du bien. On l'inſtruifit
qu'un marchand de ſes voiſins étoit dans
le plus grand embarras , & qu'on alloit
vendre ſes effets à grande perte. Il va le
trouver , & par les offres les plus réelles
il le met , dès le même jour , en état d'ap10
MERCURE DE FRANCE.
paiſer ſes créanciers les plus acharnés à le
perdre.
Ibn Huſſein qui , ſous les yeux & par
les ſoins d'Ibar, étoit devenu un des plus
habiles cultivateurs de la Perſe , voulut
encore , pour ſe diſtraire du ſouvenir de
Spinetta , augmenter ſon jardin. Une piéce
de terre preſqu'inculte touchoit à fes
murs. Il defira de l'y renfermer. Il ſçut
que cechamp dont il avoit beſoin appartenoit
au marchand qu'il avoit fecouru :
il alla avec quelque confiance le lui demander
; mais,quoiqu'il offrît de le payer
au double , une infinité de mauvaiſes raifons
lui furent oppoſées,&ilne put ſe procurer
la pièce de terre qui lui convenoit
qu'en cédant au marchand tout ce qu'il lui
avoit prêté fans aucun intérêt & qui valoit
cent fois le terrein en queſtion.
Preſque en même tems on vit courir
par la ville quelques chanfons mordantes
contre Ibn. Hullein , & chacun l'affura
qu'elles étoient de quelques uns de ſes ingénieux
convives .
Mais ce qui lui fut le plus ſenſible ,
c'eſt que l'envie qu'excitoit ſa fortune &
ſadépenſe fit imaginer qu'il les foutenoit
par un commerce prohibé. Ce bruit injuſte
s'accrut au point qu'il ſe vit un jour
traîné chez le cadi , où preſque tous ſes
SEPTEMBRE. 1770 . 21
voiſins & ſes amis avoient déposé contre
lui des faits qui prouvoient cette accufation.
Ibn - Huſſein , pour toute défenſe ,
ſupplia le cadi d'envoier dans ſa maiſon
&d'y faire les recherches les plus exactes
tandis qu'il reſteroitrenfermé dans la ſalle
d'audience. La viſite fut faite avec les plus
grands foins & démentit pleinement les
lâches accuſateurs .
L'humiliation qu'il venoit d'éprouver
en ſe voiant amener comme un criminel
chez le juge , à travers une haie compoſée
de tous les indigens qu'il avoit foulagés,
l'empêcha de jouir de la fatisfaction
d'avoir vaincu la calomnie. Ibn-Huſlein
perdit ſa gaîté & preſque aufli-tô l'exercice
de ſes vertus. La miſantropie dans
laquelle il tomba lui fit fermer ſa porte
àtout le monde; en un mot il devint
malheureux , & le ſéjour de Tauris lui
parut inſupportable .
Dans un des accès de ſa profonde trifteſſe
il part & vient trouver Ibar. Inſenſé!
(lui dit-il ) connois - tu les hommes que
ru m'as fait aimer ? Sais - tu qu'ils font
ingrats , traîtres & méchans ? Pourquoi
m'inſpiras - tu pour eux des ſentimens
dont ils font ſi peu dignes ? -Pour ton
propre bonheur. -Pour mon bonheur !
22 MERCURE DE FRANCE.
Eh je ſuis devenu le plus infortuné des
enfans d'Ali . * -Apprenez - moi donc ,
mon fils , ce qui vous eſt arrivé , dit Ibar.
Ibn - Huffein raconta alors & l'hiſtoire
du marchand & celle des petits rimeurs,
& celle de Claudio &de Spinetta , & l'affront
ſanglant qu'il avoit reçu chez le
Cadi : Jeune homme , lui dit Ibar , ai-je
mis une taxe à la vertu ? Vous ai - je dit
qu'il falloit vous attendre au ſalaire exact
de toutes vos bonnes actions ? Pourquoi
vous êtes- vous propoſé le trafic de la reconnoiſſance
& du bienfait ? Allez , retournez
à Tauris & faites des ingrats. Le
ſeul prix de la vertu c'eſt elle- même , il
n'appartient pas à la terre de la récompenſer.
Cependant étudiez les hommes
pour votre fatisfaction particuliere , &
n'attendez rien fur-tout ni des promeſſes
des flateurs & des poëtes , ni des larmes
d'une femme , ni de l'opinion de la multitude.
Ibn - Huſſein revint à Tauris , choiſit
un peu mieux ſes gens , continua à faire
du bien fans y trouver& fans y chercher
aucun intérêt , & paſſa de la ſituation heu-
* Gendre de Mahomet. Les Perſans ſuivent ſa
doctrine.
SEPTEMBRE. 1770. 23
reuſe dans laquelle il avoit vécu longtems
dans le ſein de l'être dont il avoit
imité la bienfaiſance .
Avis aux Flateurs. Fable orientale.
DE tous les grands de ſa patrie
Le rimeur Nebati faiſoit des bienfaiteurs .
Al'aſpect des moindres malheurs
Il peignoit leur ame attendrie.
VoyezMalik , diſoit- il dans ſes vers ,
Je connois bien fon carattere ,
Allez lui conter vos revers ,
Ases regards offrez votre mifére ,
J'enfuis garant , point de refus amers ,
Indigens, opprimés , il fera votre pere.
Or , un beau jour, le flateur Nebati
Se vit cité chez le Cadi ;
De cent dinars * on lui fait la demande..
Quoi , cent dinars ? Et comment & par où ?
Si je les dois , je veux bien qu'on me pende ,
Faites montrer mon billet à ce fou.
Ledemandeur , auſſi- tôt de ſa poche
Tire les vers de Nebati :
* Monnoie d'or enuſage dans leLevant
poids d'un ſequin de Venife.
&du
24 MERCURE DE FRANCE.
Tiens , lui dit- il , regarde , approche ,
Ne m'as -tu pas , dans les vers que voici ,
Garanti de Malik la ſûre bienfaiſance ?
Sur ta parole , à ſes pieds aujourd'hui
J'ai dévoilé mon indigence ;
Il me rejette , &j'ai recours àtoi.
Ta promeſſe eſt publique , elle devient ta loi.
Donne-moi cent dinars que Malik me refuſe.
Nebati cependant obtient quelque délais ;
Court chez Malik , rend ſon ame confuſe
Du danger de ſe voir la fable du palais :
Allez , dit le Satrape , envoyez-moi votrehomme,
Pour cette fois je lui pairai la ſomme ;
Mais vos éloges ſont trop chers.
Retenez-bien l'avis que je vous donne ,
Mon cher Nebati , dans vos vers
Ne compromettez plus perſonne.
Par M. B....
STANCES.
A une Revendeuſe à la toilette .
DESEs feſtons de la mode on te voit couronner
Les folâtres Amours qui volent ſur tes traces ,
Tu ne crains pas de les orner ,
Bien füre que tu les effaces.
Le
SEPTEMBRE. 1770. 25
Le triomphe de tes appas
Alarme plus d'une conquête ,
En arrivant à leur toilette
Quel trouble n'y caules-tu pas !
Un aimable inconſtant , que ta préſence enflamme
,
Interrompt ſans regret le plus tendre entretien ,
Il paroît oublier le minois de ſa Dame
Pour ne regarder que le tien.
Un bruſque financier s'apprête
At'éblouir par ſon argent ,
Il médite envain ta conquête ,
Elle eſt le prix du ſentiment .
Lorſque ta beauté printaniere
Aux faux attraits de l'art vient à ſe comparer ,
C'eſt pour eux un échec que ne peut réparer
Tout le ſoin d'une chambriere.
Un abbé ſémillant te dit tont bas le mot
Dont il fait rougir chaque belle ;
Un robin te lorgnant , careſſe le jabot
Dont tu lui vendis la dentelle.
Il faudra céder à ton tour
Ala douce langueur , à la flamme ſecréte ,
Que ta raiſon combat , que ta fierté rejette ,
Onn'en revend point à l'amour.
B
26 MERCURE DE FRANCE,
L'ajustement que tu propoſes
Paroît toujours le plus galant ,
Notre naiflante ardeur voit tout couleur de roſes
Etpour le gris-de- lin ſe décide à l'inſtant.
Par M. de la Louptiere.
LE PASSE - DIX.
Proverbe dramatique.
PERSONNAGES :
M. le Préſident DORVILLE.
L'Abbé DURSAINT , précepteur du petic
Dorville.
Le petit DORVILLE , âgé de 14à 15 ans.
Le petit VILLERS , ami du petit Dorville .
SAINT - JEAN , domeſtique.
La ſcène est à D.... dans la maison de
M. Dorville.
Le théâtre repréſente la chambre de l'Abbé
Durſaint. On voit dans le fond une
porte vitrée ; fur le devant du théâtre eft
une table à tiroirfur laquellefont quelques
livres , quelques papiers&une écritoire.
SEPTEMBRE. 1770. 27
L'actionſe paſſe ſur les deux heures après
midi.
SCÈNE PREMIERE.
L'Abbé DURSAINT , le petit DORVILLE
L'Abbé DURSAINT entre danssa chambre;
il eftfuivi du petit Dorville qui pleure.
ALLLOLONNSS , Monfieur , entrez ; d'aujourd'hui
vous ne ſortirez d'ici , cela est fort
joli vraiment ; à votre âge ! tenir de pareils
propos ; en vérité , mais , il n'y a plus
d'enfans. Ce ſont ſûrement ces amis , ces
lectures de toute eſpèce qui vous rendent
prématuré.
Le petit DORVILLE. Mon Dieu, voyez
donc ; parce que j'ai dit quelques mots
pour rire à Mlle Tiennette & dont elle
ne s'eſt ſeulement pas fâchée , vous faites
du bruit comme tout.
L'Abbé DURSAINT. Qu'appelez - vous ,
petit libertin , des mots pour rire ? Des
équivoques , des indécences ; un morveux
de votre eſpéce !
Le petit DORVILLE. Oui , morveux ;
je fais bien que vous me traitez toujours
comme ſi j'en étois un, mais je ne le ſuis
pourtant pas autant que vous le penſez ;
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
j'ai eu avant-hier quatorze ans enfin : &
il n'eſt pas auſſi mal à moi de dire ce que
j'ai dit , qu'à vous d'embraſfer , comme
vous le faites en cachette , la femme-dechambre
de maman ... là .
L'Abbé DURSAINT rougiſſant. Taiſezvous
, petit impoſteur , je vous crois bien
capable de répandre cette calomnie; mais
heureuſement nous ſommes trop connus
l'un & l'autre pour appréhender que qui
que ce ſoit y ajoute foi .
Le petit DORVILLE . Ho ! vous croyez
donc que votre air devot en impoſe. Allez
; ſi j'ai ſi ſouvent tort avec vous , c'eſt
parce que vous êtes mon précepteur : fi
j'étois le vôtre , moi , je ſaurois bien faire
connoître à mon papa & à ma maman
des choſes...
L'Abbé DURSAINT , avec colere. Et
bien ? Quoi ? Petit monſtre , vous auriez
la ſcélerateſſe d'inventer ... Vous mériteriez
... ( Il le menace.
Le petit DORVILLE. Ah , par exemple,
aviſez- vous de me donner un foufflet pour
voir... comme mon papa ne le ſauroit pas
tout- à l'heure !
L'Abbé DURSAINT , avec unfang froid
forcé. Allez , vous êtes un petit malheureux
, je ne vous crains.... Je me vous
SEPTEMBRE. 1770 . 29
crains point du tout , vous dis-je ; mais
par proviſion vous aurez la bonté de garder
la chambre tout le reſte de la journée
&de me traduire les deux premiers chapitres
de l'apocalipſe... A propos le jeu
de cartes avec lequel vous jouïez ce matin
avec Mile votre ſoeur , où est- il ?
Le petit DORVILLE. Dame , eſt ceque
je le fais , moi ? Elle l'a pris, ou il eſt reſté
fur la table.
L'Abbé DURSAINT. Vous êtes un menteur
; car je vous l'ai vu mettre dans votre
poche , tenez , il doit être dans cellelà.
( Il montre unedes poches du petit Dorville.
) Donnez- le moi tout- à- l'heure , ou
je ſaurai vous le faire donner d'une maniere
qui ne vous fera pas agréable .
Le petit DORVILLE , avec un ris forcé.
Oh , la belle vengeance ! vous croyez me
faire bien de la peine : ( Il tire deſa poche
le jeu de cartes , & en le donnant le
froiſſe avec les mains & en répand la moitiéà
terre. ) Allez , tenez , le voilà votre
jeude cartes.
L'Abbé DURSAINT . prenant les cartes
& pouffant hors de la chambre avec le pied
celles qui font à terre. Hum ,le mauvais
ſujet ! Qu'un précepteur eſt à plaindre
lorſqu'il a affaire à de pareils garnemens.
Biij
30
MERCURE DE FRANCE .
(Au petit Dorville :) Allons , Monfieur ,
à l'ouvrage. Dites adieu pour long- tems
aux divertiſſemens , à la promenade &
fur-tout au jeu ; car il ne vous manquoit
plus , pour avoir tous les défauts , que
d'être un déterminé joueur. Heureuſement
il n'y a ici ni cartes , ni dez ; d'ailleurs
vous n'aurez perſonne avec qui vous
puiſſiez jouer ; ainſi , ſi vous ne prenez le
parti de faire l'ouvrage que je vous ai
donné , vous aurez tout le tems de vous
entretenir avec vos charmantes idées ; il
eſt vrai que vous n'aurez pas l'agrément
d'épier mes démarches&de les traveftir
au gré de votre aimable caractere ; mais
c'eſt un petit plaiſir dont vous vous pafſerez
aujourd'hui , s'il vous plaît. Travaillez
, je vous le conſeille , ſinon vous
ferez encore enfermé demain , je vous en
avertis. ( Ilfort & ferme la porte de la
chambreàdouble tour.
SCÈNE ΙΙ .
Le petit DORVILLE ſeul.
(Il prend son dictionnaire & le jette de
toutesses forces contre la porte. )
Va , chien d'Abbé , tu n'oublies rien
pour me faire enrager , mais ſi je puis jaSEPTEMBRE.
1770 . 31
..
ne compte
-
mais te rendre la pareille .
pas avoir affaire à un ingrat. -Cela eſt
bien fot toujours , un précepteur ; il ſemble
que ces gens-là ne foient au monde
que pour nous tourmenter , & qu'y gagnent
- ils au bout du compte , bien des
déſagrémens... bien des chagrins ... &
puis c'eſt tout ; car nous ſavons auſſi quelque
fois prendre notre revanche .-(Ilfe
leve &se promene dans la chambre ) Que
vais- je donc faire ? Il eſt pourtant bien
ennuyeux de paſſer ici toute la ſoirée .
Il n'a fûrement pas oublié de fermer la
porte à double tour. ( Il va à la porte &
Secoue la ferrure. ) Maudit pédant ! que
le le hais ! ( Il retourne à ja table. )
Auſſi mon papa eſt bien fingulier , de me
donner un précepteur , à mon âge ; il devroit
pourtant bien ſavoir qu'à quatorze
ans on n'eſt plus un enfant ,&qu'un grand
garçon comme moi eſt bien capable de
ſe conduire lui - même. -( Il s'affied)
Mon Dieu , comme je m'ennuie... Je
m'en vais faire ma verſion , peut- être que
cela me déſennuiera. ( Il feuillette le livre.
) Oh , chien .... comme c'eſt long...
copier tout cela... & de larin en françois
encore! .. je n'en aurai jamais le courage
; & puis M. l'Abbé feroit trop content;
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
non , pour le faire enrager , je n'écrirai
pas un ſeul mot. ( Il fait plufieurs tours
de chambre d'un air déſoeuvré & revient à
fa place. ) Cependant , ſi je ne travaille
point, je ſerai encore enfermé demain.-
M. l'Abbé a oublié ; je crois , de fermer
fon tiroir . ( Il ouvre le tiroir de la table. )
Ah ! voyons. ( Il cherche dans le tiroir &
en tire un livre. ) Voici de quoi me défennuyer...
C'eſt peut- être un livre de dévotion
. ( Il ouvre le livre. ) Les contes de la
Fontaine. Ah des contes ! cela doit être
joli , des contes ; ( Il parcourt le livre. )
Regardons d'abord les images .
Le petit VILLERS , du dedans. Dorville...
DORVILLE ... )
Le petit DORVILLE . Ah , voilà Villers
qui m'appelle , ... Je lui avois donné parole...
Que cela eſt enrageant ! mais il
ne faut rien dire .
SCÈNE III .
Le petit DORVILLE , VILLERS .
VILLERS , regardant à travers les vitres
de la porte. Dorville , qu'est - ce que tu
fais donc là ?
SEPTEMBRE. 1770. 33
Le petit DORVILLE , fans regarder.
Laiſſe - moi tranquille , j'ai de l'ouvrage
preffé.
VILLERS. De l'ouvrage preſſé , dis-tu .
Bon , bon , il faut remettre cela à une autre
fois. Je vas te donner ta revanche de
ce que je t'ai gagné hier au foir. Eh bien?..
mais... ouvre donc ta porte au moins.
Le petit DORVILLE. Non , je te dis que
je ne peux ... que je n'en ai pas le tems
encore une fois .
VILLERS. Diable ! voici du fruit nouveau
: tu refuſes ta revanche , ceci eft extraordinaire
. ( Ilfrappe à la porte de toutes
fesforces. ) Allons , allons , ouvre donc ,
ne badinons pas ... Mais , par aventure,
ne ſerois- tu pas enfermé, mon drôle ?
Le petit DORVILLE. Enfermé! Ah je le
voudrois bien voir... D'ailleurs , qu'estce
que ça te fait ? Va te promener , laiffe-
moi en repos .
VILLERS. Hé , mon Dieu ! tu te fâches ;
pardi quand cela feroit , voyez le grand
malheur , toutes les fois qu'il m'arrive
pis...
Le petit DORVILLE. Cela ſeroit bien
By
34 MERCURE DE FRANCE.
étonnant , un morveux ! .. mais un grand
garçon comme moi , ne ſe mène pas de
cette façon là. Sérieuſement , va- t'en , tu
m'ennuies.
VILLERS , riant. Dorville , ſans tant
faire le fin , veux tu ta revanche ? Je trouverai
bien le moyen dejouer quoique tu
fois enfermé , ſinon je ſuis ton ferviteur.
Le petit DORVILLEse retourne. Bon ,
&comment t'y prendrois tu ?
VILLERS. Rien de plus ſimple ; voilà
un carreau de vitres qui ne tient qu'à quatre
pointes , il nous eſt aiſé de l'ôter & de
jouer par là.
Le petit DORVILLE. Ah ! pardi,voïons.
(Il s'approche de la porte. )
VILLERS. Tiens , l'affaire en eſt faite.
Le petit DORVILLE. Je m'en vais prendre
mon dictionnaire , en le mettant en
travers il nous fervira de table. ( Il met
le livre en travers de la vitre & s'affied auprès.)
Il eſt heureuſement de la largeur de
la vitre.
VILLERS. Bien imaginé ! vive les gens
d'eſprit , ils ne font jamais embaraffés.
LepetitDORVILLE. Je t'avertis d'abord
que je n'ai ni cartes , ni dez .
VILLERS. Ne t'inquiéte pas , je ne vais
SEPTEMBRE. 1770 . 35
jamais ſans cela, moi ; tiens , voilà des dez ,
notre table eſt trop petite pour jouer aux
cartes.
Le petit DORVILLE. C'eſt bon , auffibien
je veux jouer au Paffe-dix ; celui qui
perd adroit de choiſir le jeu .
VILLERS. Comme tu voudras , veux tu
lesdez ?
Le petit DORVILLE. Non , tiens- les ,
toi ; allons les fix liv . que tu m'as gagnées
hier.
VILLERS. C'eſt beaucoup ; les voilà ,
je ne veux pas diſputer. (Iljoue ) Rien ...
Rien encore... Voilà pourtant dix-fept.
Le petit DORVILLE. J'ai mal fait de
jouer ; je ſuis en malheur ; tu vas me gagner
tout mon argent. Allons les douze
francs.
VILLERS. Allons ... ( Iljoue ) Rien...
Rien ... Dix - ſept , encore gagné. Veuxtu
jouer le louis , quoique ce ſoit la tuoifiéme
main , tu vois bien que je n'ai pas
enviede gagner ton argent.
Le petit DORVILLE. Comme tu joues
de bonheur ! allons tu vas me ruiner , vot .
là mon reſte. ( Il met le louis ſur le livre.)
VILLERS. Oh ! non ; car je me fens en
malheur à ce coup- ci . ( Iljoue ) Rien...
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Rien... Je vais perdre ... Ma foi non ,
voilà dix-huit. ( Il tire brusquement les enjeux.
)
Le petit DORVILLE. M. Villers , doucement
, s'il vous plaît ; voilà trois fois de
ſuite que vous paſſez , cela n'eſt pas naturel
, & vous trichez certainement .
VILLERS. Qu'appelles- tu , tricher ? Tu
es plaifant : parce que tu perds , tu esde
mauvaiſe humeur , tu me dis des ſottiſes;
ſi tun'étois pas enfermé , je t'apprendrois
à parler , tricher !
Le petit DORVILLE. Je me moque de
cela , tu m'as fûrement trompé , & je veux
ravoir mon argent , entends tu ? Allons ,
rends-le moi , où je vais faire un bruit de
diable.
VILLERS. Ah ! pardi , celui là eſt bon :
que je te le rende ; il m'appartient , je l'ai
bien gagné , tout ce que je peux faire ,
c'eſt de te donner ta revanche , vois ſi tu
le veux.
Le petit DORVILLE. Non , il me faut
mon argent ; ſi je ne l'ai pas tout à l'heure
, je vais appeler M. l'Abbé qui te le fera
bien rendre.
VILLERS,ſeſauvant. Je me moque de
M. l'Abbé & de toi auffi .
SEPTEMBRE . 1770. 37
SCÈNE IV .
Le petit DORVILLE ,feul.
Villers... Villers... écoute donc je
veux bien jouer la revanche , ( Villers reparoît.)
mais pourvû que tu me faſſes
crédit. ( Villers diſparoît. ) Villers ... entends-
tu ? .. Je ne demande que ma revanche...
Il eſt parti . ( Il crie de toutes
fes forces. ) Villers... Villers ... Ah le
fripon... Il emporteroit comme cela mon
argent... Villers... Saint - Jean ... arrêtez
donc Villers qui me vole ... ( Il donne
de grands coups de livres contre la
porte.)
SCÈNE V.
Le petit DORVILLE , M. le Préſident
DORVILLE & un Domestique en - dedans.
M. DORVILLE. Mais , qu'est - ce que
tout ceci ſignifie donc ? Voilà un vacarme
épouvantable ; eſt - ce que vous êtes enfermé
là- dedans , Dorville ?
Le petit DORVILLE. Oui , mon papa ;
mais faites donc vîte courir après le petit
Villers qui m'a pris mon argent &qui fe
fauve avec.
-
38 MERCURE DE FRANCE.
M DORVILLE. Comment , M. Villers
s'enfuit avec votre argent , & de quelle
maniere vous l'a- t il pris ?
Le petit DORVILLE. Mon papa , c'eſt à
travers cette vitre ... C'eſt que...
M. DORVILLE . A travers cette vitre ,
cela eſt fingulier... Je conçois... Vous
jouïez par - là tous deux , n'eſt - ce pas ?
Nous allons voir cela . ( Il appelle ) Saint-
Jean... Allez demander à M. l'Abbé la
clefde fa chambre.
ST JEAN . Oui , Monfieur.
M. DORVILLE . Où est- il M. l'Abbé ?
ST JEAN. Monfieur , il eſt là-bas dans
le ſalon , il joue avec M. l'Abbé Bigotin.
M. DORVILLE. Dites - lui en mêmetems
qu'il ſe rende ici ſur le champ , que
c'eſt moi qui le demande , qu'il quitte
tour.
ST JEAN. Oui , Monfieur.
SCÈNE VI.
M. DORVILLE , le petit DORVILLE.
Le petit DORVILLE. Mon papa , faites
plutôt courir après Villers , cela eſt plus
prellé ; il eſt peut- être déjà bien loin.
SEPTEMBRE . 1770. 39
M. DORVILLE . Taiſez vous , petit
coquin , tout- à- l'heure nous allons compter
enſemble.
SCÈNE VII .
M. DORVILLE , l'Abbé DURSAINT ,
le petit DORVILLE.
L'Abbé DURSAINT , ouvrant la porte.
Ah ! Monfieur , j'aurois voulu vous épargner
le chagrin d'apprendre les fredaines
de M votre fils ; mais je vois qu'elles
éclatent malheureuſement malgré moi :
je me fuis trouvé obligé cet après - midi
de le renfermer pour le punir de fon
amour pour tout ce qui peut le diſtraire
de l'étude & principalement pour le jeu.
M. DORVILLE. Vous avez fort bien
réuſſi , & , pour commencer ſa réforme ,
ce petit Monfieur jouoit à l'inſtant avec
unde ſes amis à travers cette vitre.
L'Abbé DURSAINT , au petit Dorville.
Comment , Monfieur , après toutes mes
remontrances ? de quoi vous ont donc
fervi les longs &fréquens diſcours que
je vous ai tenus ſur les inconvéniens du
jeu , & l'horreur que tous les honnêtes
gens doivent avoir pour cette paffion ?
M. DORVILLE. M. l'Abbé , vos dif
40 MERCURE DE FRANCE.
cours étoient admirables , ſans contredit :
ſi cependant vous euſſiez pris la peine de
veiller vous même fur mon fils, tout ceci
ne ſeroit point arrivé. Qu'est-ce que vous
lui aviezdonné à faire ?
L'Abbé DURSAINT. Hélas , Monfieur,
il devoit me traduire les deux premiers
chapitres de l'apocalipſe : il eſt bon qu'en
l'inſtruiſant dans les ſciences , on lui inculque
, en même tems , les ſacrés principes
de notre religion .
M. DORVILLE. Votre méthode eſt excellente
, & vous vous y preniez admirablement.
Voyons ſon ouvrage. ( Il prend
un livre fur la table. ) Mais , que diable !
ceci ne reſſemble point du tout à l'apocalipſe
: les Contes de la Fontaine. Comment
, petit drole , vous lifez de ces fortesde
livres ?
Le petit DORVILLE . Oh ! mon papa ,
ce livre ne peut pas être mauvais ; car il
appartient à M. l'Abbé , je l'ai trouvé dans
fon tiroir.
L'Abbé DURSAINT , au petit Dorville,
àdemi- bas. Je n'ai pas cru que vous euffiez
pouffé la hardieſſe juſqu'à fouiller
dans mes tiroirs. (AM. Dorville. ) Monſieur
, ne penſez pas que je faſſe ma lec
SEPTEMBRE. 1770. 4I
ture d'un ſemblable livre , c'eſt un de mes
amis qui l'avoit laiſſé ici ... &...
M. DORVILLE. Je fais à quoi m'en
tenir là-deſſus , M. l'Abbé. ( àsonfils. )
Retirez - vous , nous nous verrons tantôt :
ſi jamais je trouve des livres de cette efpéce
dans vos mains : prenez garde à ce
qui vous en arrivera ... Allez ... (le petis
Dorvillefort. )
SCÈNE VIII . & DERNIERE.
M. DORVILLE , l'Abbé DURSAINT.
M. DORVILLE. Pour vous , M. l'Abbé,
je vous fuis infiniment obligé de vos fervices;
mais je ſens la néceffité de veiller
moi-même ſur mon fils .
L'Abbé DURSAINT. Je ne crois pas ,
Monfieur , que vous ayez ſujet de vous
plaindre de moi , j'ai toujours pris ſoin
de former autant qu'il a été en mon pouvoir
l'eſprit & le coeur de M. votre fils ;
j'y ai travaillé juſqu'à préſent avec une
affiduité qui a peu d'exemples , & il eſt
bien humiliant pour moi de ne voir ainſi
congedié .
M. DORVILLE. A vous parler franchement
, M. l'Abbé , je ſuis peu touché de
cette affiduité; je ne me plains pas de vos
42 MERCURE DE FRANCE.
leçons,je veux bien croire que mon filsn'en
areçu de vous que d'excellentes ; mais il
auroit été à - propos qu'elles euſſent été
foutenues par de bons exemples .
L'Abbé DURSAINT . Comment , Monfieur
, de bons exemples ! Qui eſt- ce qui
pourroit taxer ma conduite de la moindre
irrégularité?
M. DORVILLE . Tenez , M. l'Abbé ne
me preflez pas davantage : j'ai le malheur
d'être franc , vous n'y trouveriez pas votre
compte. Enfin vous êtes inexcuſable
de n'avoir pas eu les yeux fur mon fils ,
de l'avoir laiſſé continuellement à luimême
comme vous l'avez fait. Vous l'enfermez
dans votre chambre , pour vous
divertir de votre côté plus à votre aiſe, enſuite
vous avez des amis qui laiſſent dans
vos tiroirs de mauvais livres qui tombent
malheureuſement entre les mains de mon
fils ... Tout cela & quelques petites découvertes
que j'ai faires & que je ne juge
pas à propos de rapporter , m'ont déterminé
depuis longtems au projet que
j'exécute aujourd'hui. J'éprouve de plus
en plus , qu'il n'eſt , comme dit le proverbe,
rien tel que...
ParM. Garnier avocat à Auxerre ; auteur
duProverbe le Vingt- un , dont le mot eſt à trop
ferrerla corde rompt.
SEPTEMBRE. 1770 . 43
TRAIT remarquable de la vie du Czar
Pierrele Grand.
CEhéros étonnant qui ſçut du
Deſcendre pour le mériter.
rang ſuprême
Qui créa ſes ſujets , ſon empire & lui -même ;
Pierre fût grand ſans doute , on doit le reſpecter
Lorſqu'en l'art des combats inſtruit par les difgraces
,
Il eſt à Pultawa le favori de Mars ;
Ou quand , plus grand encore , il porte ſur ſes
glaces
Le ſouffle du génie & le flambeau des arts.
Que pour le célébrer embouchant la trompette,
Thomas , ( 1 ) d'un vol hardi s'élève vers les cieux;
Je m'enfonce avec Pierre au fond de ſa retraite ,
Et ſabonté frappe mes yeux .
Aux bords de la Neva , (2) ſous un heureux ombrage
,
S'élève avec ſimplicité
Un palais où le Czar cherchant la liberté,
(1 ) On fait que M. Thomas , de l'académie
françoiſe , travaille à un poëme épique , intitulé
laPétréide.
(2) Riviere à l'embouchure de laquelle fut bâti
Petersbourg.
44
MERCURE DE FRANCE.
Des fers de lagrandeur quelquefois ſe dégage.
Dans cet aſyle , ſon ouvrage ,
Quelques-uns des mortels qu'il a, par ſes bienfaits,
Fixés ſous un climat ſauvage ,
Compagnons de leur maître admirent ſes projets,
Celui ci qu'un chantier vit naître ,
Paiſible citoyen de l'heureuſe Amſterdam ,
Fume la pipe avec fon maître ,
Et, le rabot en main , croit le voir à Sardam; (1 )
Avec ce lavant infulaire , (2)
Né dans le pays de Newton ,
Pierre ouvre le compas & dirige l'équerre ;
Il obſerve avec Ferguflon. ( 3 )
Un François l'a ſuivi ; Villebois eſt ſonnom
Et la Bretagne ſa patrie ,
Je ne fais quels talens illuſtrerent ſa vie ;
Mais qu'il atteſte ici combien le Czar fut bon !
Va , lui dit-il unjour , va , porte à Catherine
>>Ces mots tracés par ſon époux ;
Tout projet , tu le ſais , eſt commun entrenous,
>> Préſente- lui ce plan & qu'elle l'examine. >>
Il part ; la neige & les frimats,
(1 ) Village où le Czar fut garçon conftructeur.
( 2) Perry, ingénieur Anglois , attiré enRuffic.
( 3 ) Aſtronome Ecoffois.
SEPTEMBRE . 1770 . 45
L'horreur d'une nuit effroyable
Ne ſauroient arrêter ſes pas.
Il avale à longs traits la liqueur ſecourable ( 1 )
Dont l'abus inſenſé va le rendre coupable ,
Mais néceſſaire en ces climats .
Il arrive , l'aube nouvelle
Eclairoit les frimats qui couronnent Cromlot. (2)
«C'eſt Villebois , du Czar le meſlager fidèle ,
>>> Dit-on à Catherine éveillée en ſurſaut.
>> Qu'il entre , » chacun ſe retire ,
Catherine l'ordonne , & notre ambafladeur
Remet entre ſes mains le ſecret de l'empire.
Tout François eſt galant , tout Breton eſt buveur.
Animé de la double ivreſle
Et de Bacchus & de l'Amour ,
Ilne voit que Vénus , ſans témoins & fans cour ,
Le ſujet inſolent fait parler ſa tendreſſe.
L'effroi de Catherine a retenu la voix ;
Ainſi Rome vit autrefois
Expirer la vertu de la chaſte Lucréce :
Catherine plus ſage , après un tel affront ,
S'en prend à celui qui l'outrage ;
Il eſt chargé de fers , & par un prompt meſſage
Le Czar eſt informé du malheur de ſon front.
Pierre écume de rage à ce récit funeſte ;
(1 ) L'eau-de-vic.
(2) Fort qui défend le port de Petersbourg.
46 MERCURE DE FRANCE.
Le crime eſt inoui , mais ſa femme l'atteſte ;
Amoureux &jaloux , ſon coeur eſt déchiré.
« Eh ! quoi , s'écria-t-il , honteux , déſeſpéré ,
>>Un vil mortel a pu deshonorer ma couche ,
> J'ai livré mon épouſe à ce monſtre farouche ;.
Qu'un fupplice nouveau pour lui ſoit préparé.
Mais non ... attends , dit- il au garde qui s'em-
>>prelle ,
>>Qu'a fait ce furieux ſorti de ſon ivreſſe ?
>>>Seigneur , il eſt tombé dans un profond ſom-
»meil.
Il dort , reprend le Czar. à l'inſtant du reveil,
..
-Dans le fond d'un cachot quel accident me
>> plonge ,
>Dira-t- il , eſt - ce donc un ſonge ?
>>P>ourquoi ces fers&qu'ai-je fait?
>>> Quand on lui dira ſon forfait ,
>> Il ne le croira pas , en croirai -je ma rage ?
>>C>e malheureux m'a fait le plus fanglant ou-
>> trage ,
» Moi-même j'en frémis d'horreur...
>>Cependant , il brava la mort pour mon ſervice,
>>> Et s'il n'avoit pas bu la perfide liqueur ,
>> La mort avec le froid pénétroit dans ſon coeur ..
>>>Le verrai-je expirer dans un aftreux fupplice ?
>>V>illebois s'enivra ; mais toi , dans ce feſtin ,
>>Qùta foible raiſon s'égara dans le vin ,
SEPTEMBRE. 1770 . 47
En proie aux noirs tranſports d'un courroux im
>> placable ,
>>N>'allois- tu pas , lâche aſlaſſin ,
>>>Poiguarder un ami qui n'étoit point coupa-
»ble ? (1)
>> Puniflous Villebois de ſes honteux excès
>>Comme un pere itrité punit le fils qu'il aime ;
>>Mais , en punıflant tes ſujets ,
>> Pierre , ſi tu le peux , réforme toi toi -même. »
C'enpſt fait , la raiſon étouffe dans ſon coeur
Le cri perçant de la vengeance ,
Pierre , de lui même vainqueur ,
Se laiſſe vaincre à la clémence.
«Qu'on metre ce pauvre animal , (2)
> Dit- il , pour deux ans à la chaîne ,
>> Je veux de ce tranſport brutal
Que ce ſoit-là toute la peine. >>
L'amitié vient eacor parler pour Villebois ,
L'amitié fait valoir ſes droits .
Quelques mois expires , ſon maître lui pardonne,
Lui rend ſes honneurs , ſes emplois ,
Daigne le rappeler auprès de ſa perſonne ,
Et peut- être avec lui s'enivre quelquefois.
Enfin, un jour il lui préſente
(1) Le Fort que Pierre le Grand voulut tuer
dans le vin, faute qu'il expia par un repentir fublime.
(2) Propres paroles duCzar.
:
48 MERCURE DE FRANCE.
Une Rufle belle , innocente ;
« Eh ! que dis-tu de ce minois ?
•Comment le trouves - tu ? -Vous badinez , je
>> crois ,
>> Sire , cette fille eſt charmante ,
>>Digne de la couche des rois .
>> Oui , reprit l'Empereur , je ſais combien ton
ame
>> Brûle à l'aſpect de la beauté ;
Je connois ton beſoin , il ſera contenté ;
* Villebois , qu'elle ſoit ta femme. »
ParM. le chevalier de C ...
M. le Baron de Castelet , fur sa
médecine univerſelle .
DIGINGNEE fils d'un illuſtre pere
Qui te tranſmit ſa charité ;
Combiend'infortunés , qu'un mal héréditaire ,
Une incurable infirmité ,
Tentoient au ſein de la miſére
De finir leur calamité
Par un trépas précipité ,
Aton remede ſalutaire ,
Aux ſeuls ſecours de tabonté
Doivent la vie & la ſanté ,
:
Par
SEPTEMBRE. 1770. 49,
Par une ſuite néceſſaire
Le baume exquis de la gaîté !
Santé ! gaîté ! fans vous que faire
Des biens dont la proſpérité
Eblouït une ame vulgaire ?
Aquoi bon l'immortalité ?
Tendre ami des humains , citoyen reſpecté,
De leur reconnoiſſance & publique & fincere
Reçois dans cer eſſai le tribut mérité
Qu'ils t'offrent par mon miniſtere ;
J'y joins auſſi la mienne avec ſimplicité ;
C'eſt l'atour de la vérité ,
Le plus für moyen de te plaire.
Surdes maux detout genre, en tous tems,en tous
lieux ,
Sur des langueurs déſeſpérées ,
Par ce remede précieux
Combien de cures opérées
Et ſur moi-même , & ſous mes yeux !)
Combien par-tout de célébrées
En dépitde tes envieux !
Combien plus encor d'ignorées !
Lorſque je vante ici la douce activité
Du plus grand purgatif dont ait parlé l'hiſtoire,
Sapuiſſante efficacité ;
Lemoins crédule peut m'en croire:
C
JO MERCURE DE FRANCE.
Pardonne à ma ſincérité ,
Je penſebienmoins à ta gloire
Qu'au bonheur de l'humanité.
Par M. de Bologne , aſſocié aux académies
des belles- lettres de la Rochelle , &c.
, VERS adreſſfés à Madame *** lejour
defa Fête. Parodie d'un air du ballet
des Sens , qui commence par ces mots;
De l'Amour tout fubit les loix,
RONDEAU.
DE Philis chantons les attraits ,
L'Amour lui prodigua ſes traits ,
Pour intéreſſer & pour plaire ;
Non , Cypris ne parut jamais
Un objet plus doux , plus touchants
Dans fon regard tendre & brillant ,
On voit les graces de la mere
Et lesjeux de l'enfant.
Son eſprit léger &badin
Amuſant l'amoureux eflaim,
S'il lance quelque trait malin ,
Momus lui- même applaudit ſoudain.
De Philis chantons , &c.
C
P
SEPTEMBRE. 1770.
Vainement pour toucher ſon coeur ,
Mille amans lui rendent hommage;
Eſpoir cruel & trompeur !
Son humeur
Coquette& volage
Rit de tant d'ardeur ;
Plaire ſans aimer fait ſon bonheur.
De Philis chantons , &c .
Par M. le comte de L.
A
LA CARAIBE.
QUOIQUE l'amour ne dut avoir qu'un
ſeut langage , il ne s'en exprime pas
moins diverſement ſuivant les climats .
Par exemple , en France l'uſage eſt de
faire parler ce dieu comme celui du plaifir
phyſique , ſans qu'il ſoit nullement
queſtion de nos ames ; mais,chez les Sauvages
de l'Amérique , l'expreſſion des
ſentimens amoureux eſt auſſi ſimple que
leurs habillemens . Ils n'ont même aucun
terme dans leur langue pour exprimer inconſtance
, ſéduction , rapt , artifice , &c.
Dans l'iſle d'Anamibou , une des con
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
trées les plus'méridionales de l'Amérique
, & où l'on tenoit la Lune pour divinité
, on apperçut les débris d'un vaiſſeau
qui venoit de faire naufrage. De tout
l'équipage un ſeul homme s'étoit ſauvé,
On l'appeloit le chevalier Ventillak ,
interprête de toutes les langues de l'Amérique
, &c. L'on avoit coutume dans l'iſle
d'Anamiboud'immoler à la Lune tous les
étrangers qu'on pouvoit attraper dans le
pays , n'importe comment ni dans quelle
voiture ilsy fuſſent venus. L'on s'empare
donc en conféquence du chevalier Ven
tillak , qu'on traîne chez le grand Prêtre
de laLune.
A ſept heures &un quart du matin
l'on vint annoncer au chevalier que l'on
avoit heureuſement trouvé tous les bois
&aromates preſcrits dans le rituel du
grand prêtre pour la brûlure publique des
étrangers . Chacun lui fit à ce ſujet un
compliment de félicitation qui ne lui plut
guère. Le grand prêtre lui remit un paquet
delettres adreffées à l Lune, en lepriantde
votement d'en avoir bien ſoin en route ,
&de les lui remettre en main propre. Il
donna au chevalier, ſuivant l'uſage , une
coquille couleur aurore pour ſes frais de
poſte. C'eſt une monnoie courante de
SEPTEMBRE. 1770. 93
l'ifle , & qui revient juſte à ce qu'on paie
à Paris pour la petite poſte. Le lecteur
obſervera que le grand prêtre ayant contreſigné
le paquet , c'étoit pure générofité
de ſa part que le préſent d'une coquille
aurore .
Tout le peuple aſſemblé avec les prêtres
lunatiques ſe faisoient un vrai plaifir
de dépêcher , par la voie du feu , un
courier à leur déeſſe ; il commençoit à
s'impatienter de voir notre étranger ne
pas folliciter vivement en faveur du brafier
qui l'attendoit. Il ne manquoit plus
qu'une cérémonie pour contenter tout le
monde , à l'exception du chevalier , qui ,
quoiqueGaſcon, n'en avoit pas plus d'envie
d'être rôti à petitfeu. Cette fameuse cérémonie
conſiſtoitdonc en ce que la plus
belle fille Anamibouenne avoit ſeule le
privilege excluſif d'arracher la chevelure
&de couper le petit doigt de la main
gauche au patient. La charmante Rême ,
fille unique du grand prêtre , parut. Les
Caraïbes , émerveillés de ſa beauté , ſe
mirent à ſifler en choeur , pour marquer ,
ſuivant leur coutume , leur approbation
générale. Quede piéces nouvelles en Fran.
ce auroient eu beſoin d'être crues jugées
par ces innocens Caraïbes.
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
Le coeur ingénu de la belle Rême , ſous
le voile généreux d'une tendre pitié , refſentoit
le plus vif amour pour le chevalier
Ventillak , & notre Caraïbe ne s'en
doutoit pas. Il eſt bon d'avertir ceux qui
ne le ſavent pas , que la loi immuable
de l'ifle permet qu'on ſauve la victime
de la Lune , ſi la fille qui doit faire l'opération
de la chevelure , a le courage de
ſe couper le petit doigt de la main gauche
; mais il n'y a pas de remiffion à
eſpérer pour la chevelure du patient. La
Lune n'entend point raiſon ſur cet article
. La belle Rême qui commençoit à
lire clairement dans ſon ame , ſa paffion
pour le chevalier , voulant s'éclaircir fur
ce qu'il penſoit d'elle , demanda à la
joyeuſe aſſemblée la permiſſion d'entretenir
en ſecret le patient , ce qui lui fut
accordé. Ce chevalier & la tendre Rême
eurent fûrement enſemble une des plus
belles converſations qui ſe ſoit jamais tenue
dans toute l'Amérique , & dont par
malheur il ne m'eſt revenu que les dernieres
phraſes que voici.
J'obſerverai ſeulement que la politeſſe
de la langue anamibouenne eſt de ſe tutoyer
, fur- tout entre perſonnes de condition
, & que j'ai pris la peine de traduire
SEPTEMBRE. 1770. 55
le tout en françois , vû que mes lecteurs
ne ſont pas obligés , ainſi que moi , de
ſavoir tous les idiômes de l'Amérique.
-
Me feras tu fidèle ?-Sandis ! comme
l'ombre l'eft au corps. -Qui me garantira
ta conſtance ? -Tes charmes .-Ils
paſſeront ainſi que ton ardeur. -Jarnibious
, un blafpheme l'un & l'autre .
Quoi ! je te ferois chere ? -Plus qu'un
tréfor. Et ta flamme ?-Sera éternelle.
-Ah ! je meurs de plaiſir. -Et moi d'amour.
C'eſt peut - être bien plutôt de
peur . --Cadedis ! Je ſuis Gaſcon,& la peur
ne m'eſt connue que dans le coeur de mes
ennemis. Rême alloit lui repliquer quand
le grand prêtre vint les interrompre. Ii ſe
revêtit gravement de fon habit de cérémonie,
puis il prononça le diſcours fuivant
:
O vous ! hommes & femmes lunatiques
, bon foir.
" O chevalier , dix- sept ſoixante - dix
fois heureux étranger , bénis à jamais le
fortuné deſtin qui t'a amené ſur nos côtes
. Réjouis toi , illuſtre favori de la Lune
notre adorable déeſſe ! Elle a ſans dou .
te préſidé à ta naiſſance , & régit tous les
Gafcons. Oui , cher Ventillak , notre di
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
vinité veut bien te faire l'honneur d'afſiſter
à ton enterrement. Ah ! quelle
gloire pour toi d'aller ce ſoir fouper
tête - à - tête avec la Lune ! Conſidére ,
contemple de ſang froid toute l'étendue
de ta félicité. Tu vas être brûlé
à un feu lent & doux , qui te purifiera
agréablement en te réduiſant en cendres ,
que l'on confervera précieuſement dans
une tabatiere de vernis de Martin. Tous
les bois qui compoſent ton bucher font
odoriférans . Juge donc de quel agréable
parfum tu te vas ſentir embaumé , quand
nous aurons commencé la cérémonie.
Nous te ſouhaitons un bon voyage . Je lis
dans tes yeux la noble envie que tu as
de te voir confumer en douceur. Nous
allons te ſervir ſuivant tes defirs ... Patiente
encore quelques inſtans. Vas , nous
aurons du moins autant de plaiſir que
toi. »
Le chevalier Ventillak , fort mécontent
de la harangue du grand prêtre & de
cette cuiſſon , eut beaucoup de peine à
fe contenir pour ne pas invectiver tous les
Anamibouins . Il y parvint cependant &
répliqua en ces termes , à l'aſſemblée des
Caraïbes ;
SEPTEMBRE. 1770 . 57
MESSIEURS ,
« Je ſuis François , & qui plus eſt Gafcon
, par conféquent point fanfaron , mais
bien galant & amateur du beau ſexe. Je
me ferois un vrai plaifir d'aller ce ſoir
ſouper avec la Lune , ſans la petite cérémonie
qu'elle exige ici de tous les étrangers.
J'aurois trop de peine à m'y accou
tumer. Si j'étois moins poli , je vous dirois
que vous êtes tous des mal appris ; au
furplus votre coutume finguliere de faire
rôtir , en faveur de la Lune , tous les cutieux
qui viennent voir votre pays n'eſt
ni honnête ni décente , cela m'empêche
de me faire naturaliſer chez vous ; cependant
pour vous marquer ma déférence
pour votre déeſſe qui aime , dites - vous ,
avec paffion les chevelures étrangeres ...
je lui fais préſent de la mienne & lui fouhaite
le bon foir , ainſi qu'à toute la compagnie.
»
Pour l'intelligence de ce trait qui paroît
Romain , je ſuis obligé de prévenir
mon lecteur que le chevalier Ventillak
portoit perruque , & même s'étoit fait raſer
la tête le jour du naufrage , de forte
qu'il n'eut pas de grands efforts à faire
pour jeter au nez du grand prêtre ſa per
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
ruque à la brigadiere. Les Caraïbes qui ,
de ce côté-là , n'en favent pas tant que
nous , furent étrangement ſtupefaits , &
crierent en chorus au miracle.
Le grand prêtre ramaſſa avecune piété
exemplaire la tignaſſe du chevalier , puis
la frottant fept fois d'huile de palmier ,
la poſa très devotement ſur l'autel de la
Lune. L'on entonna une hymne en fauxbourdon
à l'honneur de la déeffe , & l'on
aſpergea cinq fois le chevalier avec de la
bouze de vache , ſuivant le rituel anamibouin.
Au fignal donné par le grand prêtre ,
parut la naïve Reme , n'ayant d'autre couverture
que la pudeur , pour corſet que la
beauté , & les graces au lieu de cotillon .
Elle tenoit avec majesté une paire de ciſeaux
de Montmirel dans un étui garni de
pinchebec. Le chevalier la contemplant ,
la dévoroit de ſes regards enflammés fans
penfer à fon petit doigt de la main gauche,
qu'on devoit lui faire fauter.
La tendre Reme, après avoir reſpeczueufement
poſé les cifeaux conſacrés à
la Lune fur l'orteil du pied droit de fon
pere , s'inclina vers l'autel de la Lune, &
prononça modeſtement le diſcours fui
vant:
SEPTEMBRÉ. 1770. 59
« Mes pere & mere , parens , amis ,
amans & chers compatriotes lunatiques ,
me croyez vous donc affez inhumaine
pour aller de fang froid couper le petit
doigtà ce bel étranger , que vous ne manqueriez
pas de faire griller tout de ſuite en
l'honneurde la Lune , que vous ſuppoſez
tous avoir un goût décidé pour les viandes
étrangeres rôties; que celaſoit vrai oufaux,
peu m'importe. Remarquez ſeulement
que les dieux ont préſervé du naufrage le
chevalier Ventillak , & cela par une faveur
des plus ſignalées. O vous , qui vous
dites les miniſtres ſacrés de la Lune, vous
ofez vous montrer ainſi plus impitoyables
que la Divinité qu'adore le chevalier.
Je puis le ſauver , la loi eſt poſitive.
Qu'il vive , un petit doigt de plus ou de
moins pour une amante Caraïbe n'eſt rien .
( Ici Reme se coupe le petit doigt , lejette
dans un brafier , & le grand prêtrey jette
en même tems , en pleurant , la perruque du
chevalier. ) Cher François ! c'eſt ainſi
qu'une amante ſincere te fait l'aveu de ſa
flamme. O vous , prêtres cruels , ſouvenez-
vous à jamais que le ſeul moyen de
reſſembler à la Divinité , c'eſt d'être humain
, magnanime , généreux & compatiffant.
Oui , l'unique hommage digne
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
vraiment des auguſtes dieux eſt celui d'un
coeur pur & fincere .>>
Le chevalier Ventillak , enchanté de
tant de grandeur d'ame , pour avoir trop
àdire en cette admirable occaſion , garda
un filence énergique. Son mariage avec
la belle Reme fut à l'inſtant célébré ſuivant
le rit anamibouin , & le bucher aromatique
du François converti en un fea
de joie.
Ce perfide chevalier oublia bientôt le
petit doigt& les charmes de ſa généreuſe
époufe. Il ſe perdit ainſi ; la tendre Reme
qui connoiffoit la rigueur exceſſive des
loix de l'iſte contre les époux inconftans,
dévora long-tems en fecret ſes larmes, &
fit tout au monde pour rappeler vers elle
cet époux volage , mais inutilement ; enfin
ſes ameres douleurs & fon déſeſpoir
extrême trancherent à leur printems la
trame de ſes jours infortunes. Ainſi le
barbare chevalier , qui ne refpiroit que
par la générofité de la trop tendre Reme,
lui donna lâchement pour récompenſe la
mort par ſa funeſte inconſtance. Il comptoit
être quitte de tout pour prendre ſimplement
le deuil de ſa femme ; mais, fuivant
la coutume locale de l'iſle envers les
infidèles maris , il fut rôti & mangé en
SEPTEMBRE. 1770. 61
cérémonie au premier repas public. L'on
ne ſauroit punir trop ſévérement la noire
ingratitude . Ce vice honteux avilit l'ame
& flétrit nos coeurs. Ah ! que d'aimables
&agréables époux ſeroient rótis en Fran-
се, ſi les loix d'Anamibou pouvoient y
avoir lieu !
ParM. Araignon , avocat.
L'Auteur ſe propoſe de donner par ſouſcription
&périodiquement chez Knapen &de la Guette ,
libraires - imprimeurs , au bas du pont St Michel ,
plufieurs volumes de contes philoſophiques dans
desgenres variés .
LA ROSE D'ANCENIS ,
Vers que l'on peut chanter fur l'AIR de
Tendre fruit des pleurs de l'Aurore .
ROSOSEE,, ton deſtineſt l'image
Du fort qu'éprouve la beauté ;
Enelle on voit même avantage ,
En toi même fragilité.
Chez Flore , ſans aucun partage ,
Tu règnes ſur toutes les fleurs;
A labeauté tout rend hommage ,
Sonempire eſt celui des coeurs.
62 MERCURE DE FRANCE .
Audoux printems on te voit naître ,
Pour ravit & charmer nos fens ;
Bientôt l'on te voit difparoître
Sur l'aîle rapide du tems.
Roſe brillante , ta verdure
Embellit encor tes attraits ;
La fimple & légere parure
Ala beauté donne des traits.
Souvent une traîtreſſe épine
Nous rend tes appas moins charmans
D'une belle , l'humeur chagrine
Dépare ainſi les agrémens.
Du Sud les brûlantes carefles
Forcent ton ſein d'épanouir ;
Les feux de la vive tendrefle
Entr'ouvrent ſon coeur au plaifir.
Onvoit fans ceſſe ton feuillage
Frémir au ſouffle du zéphir ;
Unebelle eſt auffi volage
Livrée aux élans du deſir.
Des vents ennemis , un orage
Flétrifſent ton vif incarnat
SEPTEMBRE . 1770. 63
De la fiévre ainſi le ravage ,
D'une belle ternit l'éclat.
Souvent une abeille ſauvage
Butine tes douces faveurs ;
Souvent une belle peu fage
Devient en proie aux ravifleurs.
Roſe , ton parfum nous moleſte
Quand nous le reſpirons trop fort ;
Une belle devient funeſte
Pour qui s'y livre avec tranſport.
Par M. Pinaudier , Abonné au Mercure.
DIALOGUE
Entre COLBERT , RACINE& LEBRUN.
COLBERT.
ENFIN NFIN , je retrouve deux de mes amis.
RACIN
Et deux de vos obligés.
COLBERT.
Hélas ! je marquai le même zèle pour
64 MERCURE DE FRANCE.
toutes les profeffions. Les gens de lettres
parurent ſeuls en être reconnoiſſans .
LE BRUN.
Je vous réponds auſſi des peintres.
COLBERT.
Peut- être Girardon me répondroit- il
auſſi des ſculpteurs , & Manſard des architectes
; mais tout cela ne fait point
nombre dans un état peuplé de vingt mil- -
lions d'habitans.
RACIN E.
Vous ſavez que la deſtinée du grand
nombre eſt d'être toujours éclairée& conduite
par le petit. Le Peuple crioit fous
votre adminiſtration comme il fera fous
celle de bien d'autres . Vous réuniſſez
maintenant tous les fuffrages . Nul homme
en place ne nous intéreſſera jamais
inutilement à fa réputation.
COLBERT.
J'avoue que la mienne eſt bien établie;
mais vous ſavez que je n'épargnai rien
pour mériter vos éloges.
RACINE.
Auſſi ne vous furent-ils point épargnés,
SEPTEMBRE. 1770. 65
Si nul de nous ne ſe fût montré juſte à
votre égard , la France entiere ſeroit encore
injuſte envers vous.
COLBERT.
Il faut convenir que les miniftres ſont
bien matjugés par le Peuple.
RACINE.
Il ne juge guères mieux d'abord ceux
qui perpétuent la réputation des miniſtres .
Notre art eſt , ſans contredit , le plus difficile
de tous les arts. C'eſt pourtant celui
qu'on apprécie le plus légèrement.
Tel qui n'eut jamais les premiers principes
de fa langue maternelle , qui n'en
connut jamais nila marche , ni les finefſes
, ni les reſſources , ni le véritable génie
, juge impitoyablement les meilleures
productions ; profcrit tout ce que fon
ineptie ne lui permet pas d'entendre , &
laiſſe échapper tout ce que la groſſiéreté
de ſon tact l'empêche de ſaiſir. J'ai vu
quelques couplets de Pont neuf ridiculifer
la meilleure de mes tragédies . Ils
étoient dans toutes les bouches , & les
vers de Phédre ne ſe trouvoient dans aucune.
Il eſt vrai que le petit nombre des
connoiffeurs parvint à ramener le grand
nombre des ignorans àſon opinion ; Phè66
MERCURE DE FRANCE.
dre eſt aujourd'hui citée parmi les chefsd'oeuvres
du théâtre ; mais la diſcuſſion
de ce procès fut longue , & je mourus
avant qu'il pût être terminé .
COLBERT.
,
Voilà ce que j'éprouvai moi - même.
Croyez qu'il y a encore moins de connoiffeurs
en politique & en adminiſtration
qu'en littérature. Je trouvai la France
épuisée ; fans induſtrie , ſans marine
fans argent. Il falloit tout créer & j'y
réuffis. J'encourageai les arts , les manufactures
, le commerce. En peu de tems
nos vaiſſeaux couvrirent les deux mers &
nos flottes y rétablirent l'équilibre ; fouvent
même elles y donnerent la loi . La
France devint le magaſin de l'Europe &
lemodèle des autres Etats. Quelle fur ma
récompenſe ? Il avoit fallu puiſer chez la
nation une partie des avances qu'exigeoient
ces établiſſemens. Elle auroit
voulu n'y point contribuer & en recueillir
tous les fruits. Elle regretoit des dépenſes
néceſſaires qui lui procuroient le ſuperflu.
L'étranger me combloit d'éloges & le
François de malédictions. Je n'eus pour
amis que le monarque dont je ſecondois
les grandes vues , & quelques particuliers
dont je mettois au jour les talens. Le ref
SEPTEMBRE. 1770. 67
tede la France en uſoit envers moi comme
un maître impérieux envers ſon économe
: il jouit , ſans examen de l'accroifſement
de ſes revenus , & chicanne toujours
ſur les mémoires.
LE BRUN .
Pour moi , je n'eus qu'à me louer & du
chef , & des grands & de toute la nation.
J'en excepte quelques artiſtes jaloux, à qui
je le rendis bien .
RACINE .
Le grand nombre vous rendoitjuſtice,
parce qu'il n'oſoit pas vous juger.Votre art
tient à des procédés qui ſemblent tenir de
la magie. Il entre encore plus de magie
dans le nôtre ; & tout le monde ſe croit
initié dans nos ſecrets. Quelle peut être
la raiſon de cette circonfpection d'une
part , & de cette préſomption de l'autre ?
C'eſt qu'on ne rougitpoint d'avouer qu'on
n'eſt pas peintre , & qu'on rougiroit d'avouer
qu'on a peu d'eſprit .
COLBERT .
Et voilà encore ce qui ſuſcite aux miniſtres
tant de frondeurs. Tel , qui n'eſt
pas même capable de régir ſa maiſon , ſe
croit propre à gouverner un état . On nous
8 MERCURE DE FRANCE.
juge ſur les détails &non ſur l'enſemble.
On oublie que , dans le jeu d'une grande
machine , le plus habile mechanicien ne
peut donner le même afcendant à toutes
les parties ; qu'il en eſt toujours quelques-
unes dont l'emploi eſt ſubordonné
àd'autres , & que c'eſt de la ſupériorité
de ces dernieres que dépend la force &
l'accord du mouvement général . Chaque
citoyen ſe regarde comme un être iſolé ;
il compte pour rien le corps dont il n'eſt
que ſimple membre. Celui qui ſé croit
tant foit peu léfé ſe plaint; celui qui profite
de nos opérations garde le filence.
Heureux même s'il ne murmure pas comme
les autres .
RACINE .
On ſupporte aiſement les murmures
quand on eſt le maître . Vous l'étiez , ou
du moins , vous n'en aviez qu'un à fatisfaire
, & celui-là vous rendoit juſtice. Ma
deſtinée fut bien différente ; j'eus autant
de maîtres que j'avois d'auditeurs. Vous
faifiez le fort de la multitude , & la multitude
faiſoit le mien. Je fus toujours en
bute à deux partis . D'un côté , l'on me
blâmoit d'avoir fait mon Hippolite
amoureux , & l'on m'eût offlé , de l'autre,
ſi j'en euſſe fait un philoſophe.
SEPTEMBRE. 17701 69
LE BRUN ,
Pour moi , j'ai toujours bravé la mul
titude & ſouvent même les connoiffeurs .
Je ne conſultai que mon génie& je m'en
trouvai bien. J'ai laiſſe plus d'une fois
ſubſiſter des défauts qui ne m'échappoient
pas. Je m'apperçus bien , par exemple ,
que ma fameuſe Madeleine avoit le pied
trop grand . Je pouvoir y remédier , & je
ne daignai pas le faire. On verra , dis- je
alors fièrement , que c'est un homme qui
l'a peinte,
RACIN E ,
C'eſt ce que devroit ſe dire l'homme
de génie dans ſes productions , & l'homme
en place dans ſa conduite. On riſque
d'obtenir peu de fuffrages quand on les
ambitionne tous. C'eſt l'apologue de
Malherbe à Racan. J'aurois vécu plus
heureux ſi j'euſſe été moins ſenſible aux
obfervations .
COLBERT.
J'aurois vécu plus heureux , fi j'euffe
moins ambitionné les éloges.
70 MERCURE DE FRANCE.
LE BRUN.
Je vécus heureux , parce que je me mis
au-deſſus des unes & des autres. Je fus
comblé d'honneurs & de biens durant
ma vie , & l'on m'érigea un ſuperbe tombeau
après ma mort.
RACINE.
Il n'exiſte à ma gloire d'autre monu
ment que mes ouvrages.
COLBERT.
On m'envia preſque l'honneur d'être
enterré.
RACINE.
Le tems a tout remis à ſa place. On
nous rend aujourd'hui juſtice à tous trois .
Le fort des plus grands hommes eſt d'être
toujours mal appréciés de leur vivant.
Le fort du vulgaire ſera de n'admirer
jamais complettement que ce qu'il n'ofe
apprécier .
ParM. de la Dixmerie.
SEPTEMBRE . 1770 . 71
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du Mercure d'Août 1770 , eſt
Château en Espagne; celui de la ſeconde
eſt l'Amour ; celui de la troiſiéme eſt Mule
, chauſſure ; celui de la quatrième eſt
Année. Le mot du premier logogryphe
eſt Mai , où ſe trouve ami. Celui du ſecond
eſt Marron , où se trouvent marron
châtaigne , marron attince , Maron , furnom
de Virgile , marron d'Inde , Marron
le reſte des Maures ou Sarrafins reſtés
dans les Alpes , maron de cheveux , or ,
an , roman. Celui du troiſiéme eſt Cataftrophe
, où ſe trouvent Até, déelle du mal,
Rofe , fator , porte , aftre , Acte , re , or ,
rat , carte à jouer , pâte , afte , crote , roc
port , pré,fara , tort , char , Capet , Aphetor
, haras , carpe , chape , ha , fec , arc ,
chat , capot & trop .
ÉNIGME
Je ſuis au bal , au ſpectacle , à l'églife ,
Tantôt en feu , quelquefois en chemiſe .
Volontiers j'aſſiſte au ſermon ;
,
72 MERCURE DE FRANCE!
Chez le Roi , le Duc , laMarquiſe
Je ſuis au milieu du ſalon ,
Quelquefois je me dépaïſe
Chez le bourgeois du plus haut ton.
Je ſuis deſſus l'habit d'un petit maître ,
Jaloux de briller , de paroître ,
Cen'eſt point là mon ſeul deſtin,
Des maux je ſuis l'origine & la fin .
Trop répété je mis au tombeau votre ancêtre.
Comptez- moi juſqu'à trois , juſqu'à cinq , peut
être ,
Jeune Hébé , je vois ton printems ,
Ces appas encor ſéduiſans
Dont brille la jeuneſſe
A l'âge de quinze ans ;
Paflé cela je mene à la vieilleſſe.
ParM. de Vat.
J
AUTRE .
E dois mon être à plus d'une ſubſtance :
Trois , d'un commun accord , me donnent l'exif
tence.
Jc
e
E
Pag. 71 .
73
Septemb
1770 .
*, je ſuis
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72
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Paflé
JE dois m
Trois , d'ur
SEPTEMBRE. 1770 . 73
Je tiens de celle - ci toute ma fermeté ;
Je dois à celle - là ma flexibilité ;
La troifiéme me ſert à décorer ma tête ,
Etje ne ferois pas , ſans elle , de défaite.
Je ſuis maigre de corps , je ſuis long , je ſuis
court ,
Sans chaîne ni jalons je meſurele cours.
Souvent aux curieux j'envoie une dragée
Qui peut les mettre au lit pour plusd'unejournée.
Je ne ſuis bon à rien , ſi je ſuis en repos ;
Un violent , par moi , peut cauſer de grands
maux.
Si jeſuis nud , alors je n'ai plus qu'un principe ;
Tonlinge meconnoît , il fait que je le fripe.
Devine , ſi tu peux , tu n'avois pas vingt ans ,
Que , déjà , je ſervois à tes amuſemens.
Par Mde Jannet de Laon.
AUTRE ANGLOISE.
T Ihave Ho Large my Belly , yes no Guts
Graſs Jdon't eat , and meat Jnever Crave
My Colour's ſometimes Jirty , fometimes fresh
D
74 MERCURE DE FRANCE.
And Now and then. J'm stuff'e with bones &
flesh
Sake , cave for in my tail J Beara fting.
Can prick&Draw the Blood Like amy thing.
By M. G......
Imitation Françoise.
MÊME forme & même grandeur
Me rendent ſemblable à ma ſoeur.
Dansdes corps affez grands , nous n'avons point
d'entraille ;
Nous ſervons le marquis ainſi que la canaille.
Quoiqu'avec allez d'embonpoint ,
On nous nourrit de peu , car nous ne mangeons
point.
Toujours de chair & d'os notre panſe eſt remplie ,
Et c'eſt pour bien courir qu'on nous donne la
vie:
Mais , malgré notre activité ,
Le mouvement n'eſt pas notre partage ,
Nous avons pour tout appanage ,
Force , noirceur & dureté.
C'eſt trop développer notre être.
SEPTEMBRE. 1770 . 75
Prends garde , ami lecteur , que pour mieux nous
connoître ,
Tu n'approches trop près ; il fort de notre flanc
Unéguillon pointu qui pique juſqu'au ſang.
Par M. A-a de Marseille.
LOGOGRYPHE.
JE ſuis , mon cher lecteur , un meuble très-utile,
Lorſque je ſors des mains d'un ouvrier habile.
Tu me vois rarement chez l'humble payſan ;
Toujours chez le ſeigneur , ſouvent chez l'artifan.
Je ſuis d'un grand ſecours à celui qui voyage,
Et jedonne ſans ceſſe à refléchir au ſage ,
Puiſque j'offre à ſes yeux le terrible moment
Qui réduira ſon corps dans la nuit du néant ;
Pour que tu puifle mieux encor me reconnoître ,
Je vais dans un inſtant décompoſer mon être .
J'exiſte ſur fix pieds , & t'offre tour- à- tour
Un métal précieux , objet de ton amour ;
De tous les élémens celui le plus perfide ;
Une divinité de nos jours fort avide;
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Lemotdont tu te ſers pour défigner quelqu'un ;
Une note , un poiſſon en Provence commun ;
Un ſynonime ancien , un tribunal à Rome.
Te le dirai-je encor , un excrément de l'homme ;
La ville du St Pere , un endroit aëré ,
Et pour finir enfin , un ſiége révéré .
Une fois chaque jour tu me donnes la vie ,
Lecteur , ſi tu me tiens nomme moi , je t'en prie.
Par M. B. ... à Clermont enAuvergne.
AUTRE.
PERCHÉ ſur quatre pieds , ils forment tout mon
être;
Sors de chez toi , lecteur , tu me verras paroître:
Si tu tranches mon chefje n'offre rien de beau ,
Et deviens un objet giſſant dans ton tonneau .
:
Par lemême.
:
SEPTEMBRE, 1770. 77
ÉNIGME LOGOGRYPHIQUE .
FAITE AITE pour contenir un fluide élément ,
Non vraiment ,
Je ne ſerai pas fitôt prête
A recevoir & loger dans mon fein
Un eflaim ;
11 faudroit pour le coup avoir perdu la tête.
:
Par M. Courtat , de Troyes.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Hiftoire des variations des Eglises Proteftantes
; defenfe de cette hiſtoire , avertiffement
aux Proteftans,& inftructions
paftorales ſur les promeſſes de J. C. à
fon Eglife ; par Meſſire Jacques- Benigne
Boſſuet , évêque de Meaux , confeiller
du Roi en ſes conſeils , & ordinaire
en fon conſeil d'état , précepteur
de Mgt le Dauphin , &c. 5 vol.in 12 .
A Paris , de l'imprimerie de L. Cellor,
rueDauphine.
٠
Le grand Boffuet penſoit qu'un des
meilleurs moyens pour ouvrir les yeux
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
aux Proteftans étoit de leur faire connoître
l'origine & le progrès de leur religion
prétendue réformée. Les variations dont
il fait l'hiſtoire ne ſont pas celles des docteurs
particuliers , mais celles des Égliſes
entieres. Ces variations ſe trouventdans
leurs confeffions de foi & dans tous
leurs autres livres qu'ils appellent ſymbo.
liques. La nouvelle édition de l'hiſtoire
de ces variations eftaugmentée d'une préface
très bien faite & très- inſtructive
contenant l'hiſtoire littéraire des ouvrages
de M. Boſſuer. L'éditeur donne une
idée juſte & ſubſtantielle de la doctrine
renfermée dans ces ouvrages , & procure
par ce moyen aux lecteurs l'avantage de
les lire avec plus d'intérêt & de tirer de
cette lecture plus d'utilité . Cette nouvelle
édition eſt encore enrichie de la
défenſe des variations , d'un avertiffement
laiſſe imparfait par M. Boffuet , &
de deux inſtructions pastorales du même
fur les promeſſes de J. C. à fon Églife ,
ouvrage traitant les mêmes matieres que
l'hiſtoire des variations . Cette nouvelle
édition doit donc être regardée comme
ſupérieure à toutes celles qui ont paru ;
elle a d'ailleurs été revue ſur un exemplaire
corrigé par M. Boſſuet lui- même .
SEPTEMBRE. 1770. 79
Leçons de Mathématiques ; par M. l'Abbé
de la Caille , de l'académie royale des
ſciences , de celles de Peterſbourg , de
Berlin , de Stockholm , de Gottingue ,
& de l'inſtitut de Bologne; profeſſeur
de mathématiques au collége Mazarin.
Nouvelle édition , augmentée de
la réſolution des problêmes indéterminés
, d'une introduction à la théorie
des équations des degrés ſupérieurs ,
de la méthode inverſe des ſéries , du
calcul analytique des logarithmes , de
nouveaux élémens de géométrie , de
trigonométrie &de ſections coniques ,
de la defcription de pluſieurs autres
courbes , & des principes du calcul
différentiel & du calcul intégral . Par
M. l'Abbé Matie , de la maifon & fociété
de Sorbonne , cenſeur royal , ancien
profeſſeur de philofophie au col .
lége du Pleſſis , profeffeur de mathématiques
au collége Mazarin ; volume
in- 8°. A Paris , chez Defaint , libraire,
sue du Foin.
Les élémens de mathématiques du favant
Abbéde la Caille devenusplus complets
par les ſoins de M. l'Abbé Marie ,
feront d'une utilité encore plus étendué
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
& en même-tems plus fatisfaiſante pour
ceux qui s'adonnent à l'étude des ſciences
abſtraites. Les démonstrations qui exigent
un peu de contention d'eſprit font
dans cette édition imprimées en petits caracteres
, enforte que ceux qui ne veulent
apprendre que les premiers élémens des
mathématiques peuvent ſe borner à cequi
eſt en gros caractere .
د
Vie de Nicolas Claude Peireſc , conſeiller
au parlement de Provence ; où l'on
trouve quantité de choſes curienfes
concernant la phyſique , l'hiſtoire &
l'antiquité. Par M. Requier , vol. in-
12. A Paris , chez Muſier pere , libraire
, quai des Auguſtins , à l'olivier ;
Saillant & Nyon , rue St Jean- de-Beauvais
, & Deſſaint , rue du Foin .
Peireſc , mort en 1638 , âgé de cinquante-
fix ans , étoit un bon phyſicien ,
un littérateur profond , un ſavant verſé
dans la connoiffance de toutes les antiquités
, & ce qui est encore plus précieux
un citoyen bienfaiſant & plein de zèle
pour le progrès des ſciences & des arts.
Tous les ſavans ſes contemporains entretenoient
avec lui une correſpondance directe
, & la vie de cet homme illuftre
SEPTEMBRE. 1770. 81
peut être regardée en quelque forte comme
une histoire littéraire de ſon ſiècle.
M. Requier l'a compoſée d'après celle
queGaffendi nous a laiſſée en latin. Lorfqu'on
a lu cette vie de Peireſc on eſt
moins étonné que ce ſavant , quia laiflé
beaucoup de manufcrits , n'en ait terminé
aucun. Les différentes ſciences qu'il
cultivoit à la fois étoient pour lui autant
de maîtreſſes impérieuſes qui lui déroboient
tous ſes momens. Fort curieux de
connoiffances phyſiques , il voyoit fréquemment
le médecin Jean Dortoman ,
homme d'un rare ſavoir. Ce médecin fir
part à fon ami d'un fait qui doitun peu
troubler ceux qui , ignorant tous les jeux
de la nature , cherchent à combattre la
poſſibilité des naiſſances tardives. Dortoman
apprit à Peireſc , qu'il venoit de
confulter pour une femme de Beaucaire
groffe de vingt- trois mois. «Cette fem
» me qui est à ſon ſecond mariage ,
>> ajouta- t- il , a eu, du premier, quelques
>> enfans au terme ordinaire. Elle en a
>> eu , du ſecond , trois , dont un de onze
>> mois , un de quatorze , un de dix- huit;
» &, comme ces trois accouchemens, qui
>> ont été dangereux , lui font conjecturer
>> que le quatrieme le ſera beaucoup , elle
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
>> confulté les médecins . » La femme
dont Dortoman rapportoit l'hiſtoire , accoucha
peu de tems après d'un enfant qui
avoit des dents & des cheveux , & elle
obtint de fon mari qu'il ne la verroit
plus.
Au mois de Juillet 1608 , les habitans
de la ville d'Aix furent effrayés d'une
prétendue pluie de ſang tombée au commencement
de Juillet. On ſe rappeloit
alors la pluie de ſang que Gregoire de
Tours dit être tombée en divers endroits
de Paris& fur une maiſon du territoire
de Senlis du tems deChildebert. Peireſc
en phyſicien éclairé , rejetta l'opinion
du vulgaire & de quelques théologiens
qui vouloient que cette pluie fut l'ouvrage
des ſpectres&desdemons. Une chryfalide
qu'il avoit miſe depuis quelques
mois dans une boëte , lui donna l'explicationde
cette eſpéce de phénomène . Il
avoit oublié cette chryfalide lorſqu'il entendit
un bruiſſement dans la boëte où
elle étoit renfermée ; il ouvre cette boëte
&trouve l'infecte qui , de chenille , étoit
devenu très - beau papillon. Ce papillon
s'envola & laiſſa une goute rouge aflez
large. Or , comme ceci eut lieu vers le
commencement de Juillet, ainſi que la
SEPTEMBRE. 1770 . 83
prétendue pluie de fang , & que dans le
même tems on obſerva une multitude incroyable
de papillons qui traverſoientles
airs , Peireſc jugea que ces infectes , ſe
repoſant par intervalles ſur les murailles ,
yavoient laiſſé les goutes qu'on y voyoir,
pareilles en grandeur à celle de ſa chryfalide.
Ayant fait en conféquence de nouveau
ſon obſervation ſur cette mêmepluie,
il reconnut que les goutes ne ſe trouvoient
ni fur les toits ni ſur l'uni des pierres
, comme cela auroit dû arriver s'il
avoit réellement plu du ſang , mais dans
les trous où les infectes avoient niché ,
ſelon toute apparence ; que ce n'étoit pas
les murailles ſituées au milieu des villes
qui ſe trouvoient teintes , mais les murailles
voifines de la campagne ; qu'enfin
elles l'étoient ſeulement à une moyenne
hauteur , telle que celle à laquelle les papillons
volent d'ordinaire.
Le goût de Peireſc pour les médailles
&pour les antiquités lui fit faire pluſieurs
heureuſes découvertes en cegenre; c'eſt lui
qui , le premier , a fait connoître que l'agathe
orientale de la Ste Chapelle de Paris
ne repréſentoit point l'hiſtoire de Jofeph
régnanten Egypte, mais l'apothéoſe d'Auguſte.
Il engagea le célèbre Rubens à en
Dvj
$4 MERCURE DE FRANCE.
faire un tableau qui a été gravé à Anvers
par Vorſterman .
Peireſc recueilloit avec empreſſement
les médailles , les cachets , les armoiries,
les diplomes & les inſcriptions. Il les regardoit
comme des témoins incorruptibles
de l'hiſtoire dont il préféroit l'étude
à celle de la philofophie. Celle - ci , difoit
- il , inſtruit par les difcours , mais
l'hiſtoire enflamme par les exemples. Elle
nous donne moins de regret ſur la briéveté
de la vie ; elle prolonge en quelque
forte nos jours en nous rendant participant
des événemens & des âges paffés .
On s'eſt appliqué dans cette vie de Peirefc
à nous faire connoître les vertus de
ce ſavant , à nous peindre ſes moeurs, fon
caractere de bienfaiſance ; mais c'eft principalement
dans les lettres qu'il adreffoit
aux écrivains de fon fiécle que fon
ame ſe déploie avec le plus de candeur.
Il ne ceſſe d'avertir les gens de lettres de
ſe défendre de ces querelles indécentes
qui les rendent le jouet d'un public, tou- .
jours prêt à ſe venger , par un ris mocqueur
, de ceux qui ont forcé ſon eſtime.
Il recommande fur-tout à ceux qui , après
la vertu , comptent la gloire pour le plus
grand des biens , de s'appliquer plutôtà
SEPTEMBRE. 1770 . 85
produire , qu'à détruire les productions
des autres. Il regardoit la critique conume
un ridicule de plus dans celui qui ne s'étoit
pas mis par fes ouvrages au- deſſus des
écrivains qu'il critiquoit.
,
Inſtituts de Chymie de M. Jacques Reinbold
Spielmann , docteur en philofophie&
en médecine , profefleur public
ordinaire en chymie , en botanique &
en matiere médicale dans l'univerſité
de Strasbourg , afſocié des académies
impériales des Curieux de la Nature &
de Petersbourg , de celles de Berlin
de Mayence & de Heydelberg, & chanoine
du chapitre de St Thomas ; traduits
du latin, ſur la ſeconde édition ,
par M. Cadet le jeune , ancien apothicaire
major de l'hôtel royal des Invalides;
2 vol . in- 12 . A Paris , chez Vincent
, imprimeur- libraire , rue Saint-
Severin.
L'Allemagne a été long-tems la meilleure
école de Chymie de l'Europe. Le
nombre de ſes chymiſtes eſt encore le
plus confidérable. Cependant il eſt facile
de ſe convaincre , d'après beaucoup de livres
de chymie allemande traduits nowvellement
, que nous n'avons rien à leur
86 MERCURE DE FRANCE.
envier du côté de l'érudition , & que le
fonddes connoiſſancesde quelques- uns
de nos chymiſtes François eſt beaucoup
plus riche , plus fécond en expériences
bien faites & concluantes. L'ouvrage de
M. Spielmann n'eſt certainement pas fans
mérite. L'auteur l'a entrepris dans la vue
de le préſenter à ſes élevés & de le faire
ſervir de guide dans les leçons qu'il leur
donne. Ce font des eſpéces d'élémens de
chymie faits d'après les chymiſtes de tous
les âges , tels que Geber , Avicenne, Raimond
Lulle , Bafile Valentin , Ifaac le
Hollandois , Tachenius , &c. L'auteur a
joint à la fin de fon ouvrage un catalogue
des livres &des auteurs qu'il a conſultés.
La plupart des procédés qu'il donne font
extraits d'anciens chymiſtes. Il eſt glorieux
pour M. Spielmann d'avoir ſçu les .
défricher ; car ils font tous ſi obfcurs qu'il
faut s'armer de courage & de patience
pour vaincre ledégoût & l'ennui queleur
lecture inſpire. Quoiqu'il en ſoit,ces inftituts
ont le mérite de préſenter une forte
d'hiſtoire de la chymie que M. Spielman
diviſe en dix claſſes d'opérations , la
diffolution , l'extraction , la fufion , la
diftillation , la fublimation , la calcination
, la précipitation , la réduction , la
SEPTEMBRE. 1770 . 87
vitrification & la fermentation . Chaque
claſſe eſt ſubdiviſée en paragraphes contenant
les généralités de la doctrine chymique
des auteurs que nous venons de
citer.
L'étude de l'ancienne chymie qui n'eſt
pas rectifiée par celle de bons élémens de
chymie moderne beaucoup plus méthodique
, fondée ſur des expériences mieux
ſuivies , plus expérimentale & par conſéquent
plus lumineuſe , doit néceſſairement
jeter l'écrivain dans des définitions
obfcures & embarraſſées , & même dans
pluſieurs erreurs ; c'eſt auſſi ce qui eſt arrivé
à M. Spielman & à fon traducteur
qui a cherché à éclaircir le texte par des
notes. Nous citerons quelques exemples
de ces erreurs tirées ſeulement du premier
volume. Si le traducteur , par exemple
, eût confulté les élémens de pharmacie
de M. Baumé , pag. 163 & fon manuel
de chymie , pag. 431 , il auroit vu
que l'alkali fixe n'eſt pas toujours le produit
du feu; que le coronafotis fournit de
l'alkali fixe ſans combustion , & que le
petit lait en fournit également. Cependant
dans une note, pag. 158 , le traducteur cite
le coronafolis parmi les plantes nitreuſes
dont il parle , comme contenant plus de
88 MERCURE DE FRANCE.
nitre que les autres , & il ne dit rien de
l'alkali fixe que le bois de la tige de cette
plante contient abondamment.
A la page 231 , M. Spielmann donne
un procédé pour retirer le ſel qui ſe trouve
mêlé aux roches ou aux terres métalliques.
Il recommande de les calciner dans
une cornue ouà feu nud ; & à la pag . 232 ,
il dit que c'eſt de cette maniere qu'on ſépare
les vitriols , l'alun , le nitre & le ſel
commun. Le nouveau dictionnaire de
chynie & tous les livres élémentaires de
cette ſcience lui auroient appris que le
nitre ne peut être traitéde cette maniere ,
attendu qu'il ſe décompoſe par le contact
du phlogiſtique & qu'il ne reſte que de
Palkali fixe .
A la page 117 , le traducteur rapporte
cette obſervation , que de l'eau qui avoit
Séjourné dans une fontaine de plomb
avoit formé du ſelde Saturne ; il auroit
dû dire du vitriol de plomb & nondu fel
de Saturne , parce que ce dernier ſel ne
peut être formé que par la combinaiſon du
vinaigre avec le plomb.
Code matrimonial, ou recueil complet de
toutes les loix canoniques & civiles de
France , des diſpoſitions des conciles ,
SEPTEMBRE. 1770 . 89
des capitulaires , ordonnances , édits
& déclarations ; & des arrêts & reglemens
de tous les parlemens & tribunaux
fouverains , rangés par ordre alphabétique
, ſur les queſtions de mariage
. On y a joint la notice des auteurs
les plus célèbres fur ces mêmes queftions&
des recherches fur les naiſſances
tardives ; ouvrage néceſſaire aux
prélats , curés& vicaires , aux jurifconfultes&
à tous ceux qui ont à décider
des queſtions de mariage. Nouvelle
édition , par M. *** , avocat au parlement
; 2 vol . in 4°. A Paris , chez
Hériflant fils , libraire , rue St Jacques.
Comme le mariage eſt reglé parmi
nous par les diſpoſitions canoniques &
les loix civiles , ce code matrimonial ,
beaucoup plus riche & plus complet que
ceux qui l'ont précédé , fait d'abord connoître
les canons & les regles de la diſcipline
eccléſiaſtique reçue en France ſur le
mariage ; c'eſt l'objet de la premiere partie.
La ſeconde contient les loix de la
puiſſance civile en France ſur le mariage.
On trouve dans la troiſiéme différens arrêts
, réglemens & déciſions de cours fouveraines
fur les queſtions de mariage .
Ainſi les curés & vicaires , les jurifcon१०
MERCURE DE FRANCE .
ſultes & tous ceux qui font obligés de
prononcer ou de confulter ſur les queftions
de mariage , auront également l'avantage
d'avoir ſous les yeux toutes les
loix relatives à ces queſtions , & les déciſions
qui ont interpreté les loix . La maniere
dont ces déciſions font recueillies
&rapprochées donnera en même - tems
la facilité de connoître les motifs qui les
ont déterminées , de les comparer avec
les déciſions contraires , s'il s'en trouve ,
de diſtinguer la jurisprudence conftante
d'avec ce qui ne forme que des préjugés
douteux , la jurisprudence ancienne , &
quine ſubſiſteplus,d'avec lajuriſprudence
actuellement obſervée.
Le Voyageur François , ou connoiſſance
de l'ancien& du nouveau Monde , mis
au jour par M. l'Abbé de la Porte ;
Tomes XI & XII . A Paris , chez L.
Cellot , imprimeur-libraire , rue Dauphine.
Le Voyageur François eſt un ami com .
plaifant qui a ſoin d'écarter de la route
de ceux qui veulent voyager avec lui,tout
ce qui pourroit leur faire appercevoir la
longueur du voyage. Il ne préſente à ſes
lecteurs que ce qui peut les inſtruire ou
SEPTEMBRE. 1770 . 91
exciter leur curioſité. Il leur fait parcourir
aujourd'hui l'iſle de St Domingue , les
Antilles , la Guiane , la Terre- Ferme , le
Perou , le Chili& les Terres Magellaniques.
Perſonne n'ignore que ce futChriftophe
Colomb qui , à l'aide de la boufſole
, nous ouvrit le Nouveau Monde &
découvrit le premier l'ifle de St Domin
gue , appelée Hayti lorſque Colomb y
aborda . Le Voyageur François nous donne
au commencement de ſon onzième
volume , l'hiſtoire de ce fameux navigateur
, dont le courage fut d'autant plus
grand qu'il eut àvainere les préjugés de
fes contemporains &àeffuyer les refus de
tous les princes. La cour d'Eſpagne qui
confentit enfin au bien que Colomb vouloit
lui faire , ne lui accorda cependant les
ſecours qu'il demandoit qu'après huit ans
de follicitations. Lorſque ce navigateur
annonçoit un nouvel hémisphère , on lui
foutenoit qu'il ne pouvoit exiſter ; &
quand il l'eut découvert , on prétendit
qu'il l'avoit été long-tems avant lui. Ceux
qui ne lui conteſtoient point cette découverte
cherchoient à en diminuer le mérite
, en la repréſentant comme facile . La
réponſe de Colomb eſt célèbre : il propoſa
à ſes envieux de faire tenir un oeuf de
92 MERCURE DE FRANCE.
:
bout ſur une affiette. Aucun d'eux n'ayant
réufli , il caffa le bout de l'oeuf & le fit
tenir. Cela étoit bien aifé , dirent les
>>aſſiſtans ; que ne vous en aviſiez vous
»donc , répondit Colomb. >> رو
,
En parcourant les vaſtes contrées de
l'Amérique , habitées par des ſauvages
on voit par tout les préjugés & la ſuperſtition
, compagne de l'ignorance , gouverner
ces nations. Les habitans de l'Orenoque
, avant de marier leurs filles , les afſujettiſſent
pendant fix ſemaines à un jeune
ſi rigoureux , que le jour de leur noce
elles reſſemblent plutôt à des ſquelettes
qu'à dejeunes mariées. Ils difent pour raiſonque
lorſqu'elles étoientdans leursjours
critiques elles corrompoient tout ce qu'el.
les touchoient. Pour éviter un pareil
danger & remettre ces filles bien pures
entre les mains de leurs futurs époux , on
les renferme , & on ne leur donne que
trois dattes par jour , trois onces de caffave
& de l'eau. La nuit qui précéde le
mariage eſt employée toute entiere à
peindre & à emplumer le corps de ces
momies. Dès que le ſoleil paroît , une
troupe de muſiciens & de danſeurs , au
ſondes inſtrumens , font pluſieurs fois le
tour de la maiſon. On leur préſente un
F
SEPTEMBRE . 1770 . 93
plat de viande; ils le prennent, s'enfuient
dans lesbois& le jettent à terre , en criant ,
Tiens , prends cela , chien de demon, &
laitfe- nous tranquilles pour aujourd'hui.
Ils reviennent enſuite couronnés de fleurs ,
tenant un bouquet d'une main,& de l'autre
des ſonnettes. Alors la mariée paroît ,
mais dans un état à faire compaſſion ,
après quarante jours d'abſtinence & une
nuit ſans avoir fermé l'oeil. A côté d'elles
marchent deux vieilles femmes qui pleurent
& rient , chantant alternativement
des couplets relatifs à la fête .
Pluſieurs de ces Indiens regardent comme
un très - grand deshonneur pour les
maris , que leurs épouſes mettent au monde
deux enfans à la fois. Cette folie va ſi
loin, que les autres femmes , fans penfer
qu'il peut leur en arriver autant , ſe rendent
chez l'accouchée pour ſe moquer
d'elle. Elles lui diſent qu'elle eſt parente
des fouris , qui font leurs petits quatre à
quatre . Ce qu'il y a d'affreux , c'eſt qu'une
mere qui vient d'être délivrée d'un enfant
, & qui en attend un ſecond , enterre
au plutôt le premier , pour ne point être
expoſée à la raillerie de ſes voiſins & aux
reproches de ſon mari qui ne peut pas
croire que ces deux enfans ſoient de lui,
:
94 MERCURE DE FRANCE.
Il enreconnoîtun pour le ſien & regarde
l'autre comme le fruit de l'infidélité de
ſa femme. Aufſi , dès qu'elle eſt relevée
il la fait venir devant la porte de ſa cabanne
; & après l'avoir blânée publiquement
de ſa mauvaiſe conduite , il prend
un faiſceau de verges , & la fouette jufqu'au
fang , exhortant tous les maris à
ſuivre ſon exemple en pareil cas.
Chez ces mêmes Indiens , dès que la
ſaiſon des labours eſt arrivée , on range
par file les jeunes gens , & des vieillatds,
armés de fouets , font tomber , fur leurs
épaules nues , une grèle de coups qui fouvent
leur enlevent la peau . Un miſſionnaire
leur demanda un jour quelle faute
les coupables avoient commiſe. Aucune ,
lui répondit un vieillard; mais, comme le
tems eſt venu d'arroſer & de nettoyer la
terre pour y ſemer du maïs , nous ôtons,
avec ces fouets la pareſſe à cette jeuneſſe
qui , fans cela , reſteroit dans l'indolence.
Lorſque l'on voit chez les différentes
peuplades de ſauvages le ſexe le plus foibleoutragé
, on est obligé de reconnoître
queles femmes doivent moins à leurs charmes
qu'aux progrès de nos connoiffances&
à cettehumanité que les ſciences & les arts
inſpirent , le bien être dont elles jouiffent
SEPTEMBRE. 1770. 95
chez les nations policées de l'Europe.
Écoutons une femme ſauvage de la Guiane
. Le plus grand bonheur , felon elle
qu'une mere puiſſe procurer à ſa fille eſt
de la faire mourir dès l'inſtant qu'elle voit
le jour. Un miſſionnaire reprochoit à une
Indienne cette inhumanité. Elle l'écouta
d'abord fans lever les yeux ; & lorſqu'il
eut ceffé de parler , elle lui dit : Pere, ſi
>> tu veux le permettre je t'avouerai ce que
>> j'ai dans le coeur. Plût-à-Dien que ma
» mere , en me mettant au monde , eût
>> eu aſſez de compaffion &d'amour pour
> moi pour m'épargner les peines quej'ai
> endurées juſqu'à préſent ,& que j'aurai
>> encore à fouffrir juſqu'à la fin de mes
>> jours. Repréſente - tot bien , Pere , les
>> maux auxquels une femme eſt ſujette
» parmi nous . Nos maris vont à la chaſſe
» avec leurs arcs & leurs Aéches , & c'eſt
>>à quoi ſe borne toute leur fatigue ;
>> nous , au contraire , nous y allons char-
>> gées d'une corbeille , d'un enfant qui
>> pend à nos mammelles , & d'un autre
>> que nous portons dans ce panier. Nos
» hommes vont tuer un oiſeau ou un
>> poiffon ; & nous , nous béchons la terre
» & fupportons tous les travaux du ména-
" ge. Ils reviennent le foir fans aucun
96 MERCURE DE FRANCE.
>> fardeau ; & nous , outre celui de nos
> enfans , nous leur apportons des raci-
» nes & du maïs. En arrivant chez eux ,
>> ils vont s'entretenir avec leurs amis ;
»& nous allons chercher du bois & de
>>l'eau pour leur préparer à fouper. Ont-ils
>>mangé, ils ſe mettent à dormir ; au lieu
• que nous paflons preſque toute la nuit
» à faire leur boiſlon : & à quoi aboutif-
» ſent toutes nos veilles ? ils boivent &
>> s'enivrent ; & tous hors d'eux-mêmes ,
" ils nous rouent de coups de bâtons ,
>> nous traînent par les cheveux & nous
>> foulent aux pieds . Ah ! Pere , plût à-
» Dieu que ma mere m'eût enterrée dès
>> l'inſtant qu'elle m'a miſe au monde !
» Tu fais toi-même que nous nous plai-
>> gnons avec raifon , puiſque tu vois ,
>>>tous les jours la vérité de ce que je
>> viens de te dire ; mais tu ne connois
>> pas encore notre plus grande peine !
>> qu'il eſt triſte de voir une pauvre In-
>> dienne ſervir fon époux comme une
>> eſclave , aux champs accablée de ſueur,
» & au logis privée de ſommeil , tandis
» que ce mari , dédaignant ſa premiere
>> femme , prend au bout de vingt ans de
» mariage , une épouſe plus jeune , qui
>> bat mes enfans & nous maltraite nous-
>>mêmes
SEPTEMBRE. 1770. 97
» mêmes. Si nous ofons nous plaindre ,
>> on nous impoſe ſilence avec un fouet .
>> Une mere peut - elle procurer un plus
>>grand bien à ſa fille , que de l'exempter
>> de toutes ces peines ,&de la tirer d'une
>> ſetvitude pire que la mort ? Plûr-à-
>> Dieu , Pere , je le répéte , plût-à Dieu,
» que celle qui m'a donné la vie , m'eût
>> témoigné fon amour, en me l'ôtant dès
>> ma naiſſance ! Mon coeur auroit moins
>> à fouffrir , & mes yeux moins à pleu-
» rer. "
LaGuiane nourrit beaucoup de finges ,
& ces animaux font des ennemis contre
leſquels les Sauvages doivent être toujour
en garde. Ils viennent en grand
nombre & en filence dans les campagnes
ſemées de maïs . Ils examinent du haut
des arbres s'il n'y a perſonne dans les
environs . Ils laiſſent un de leurs camarades
en fentinelle dans un lieu élevé , ſe
répandent dans les champs & emportent
chacun cinq épis , un dans la bouche
deux ſous lesbras & un dans chaque main.
Si , dans ce moment , un homme paroît ,
celui qui fait le guet crie ; & tous les autres
ſe ſauvent , mais fans jamais lâcher
ce qu'ils ont volé : ils ſe laiſſeroient plû
tôt aſſommer que de s'en deſſaiſir. Cette
E
,
98
MERCURE DE FRANCE.
opiniâtreté a fait imaginer un moyen fingulier
de les prendre. On met dans la
campagne des bouteilles de terre , dont
le col eſt étroit ; & on les remplit de maïs .
Les ſinges arrivent , les examinent , enfoncent
le bras pour prendre ce qu'il y a
dedans , & rempliffent leurs mains qu'ils
ne peuvent plus retirer. Ils font des efforts
inutiles , & jettent des cris de déſeſpoir
, mais fans vouloir lâcher prife.
Ces cris avertiſſent les Indiens , qui viennent
avec des bâtons ; & ces animaux avides
ſe laiſſent tuer plutôt que d'abandonner
leur proie en ouvrant la main.
Les peuplades de la Guiane ſont peu
confidérables. En parcourant , avec notre
voyageur , les autres contrées de l'Amérique
, on remarque que la population
n'eſt jamais nombreuſe chez les Sauvages
, parce que la population n'accroît
qu'en raiſon de la ſageſſe ou de la bonté
du gouvernement & des loix ; or , chez un
peuple errant & vagabond , il ne peut y
avoir ni loix ni gouvernement. On n'a
trouvé en Amérique d'habitans nombreux
que dans le Mexique & le Perou , c'eſt àdire
chez des nations policées & confé--
quemment fédentaires.
SEPTEMBRE. وو . 1770
Plan d'Education publique , vol . in - 12 .
A Paris , chez la Veuve Duchefne , rue
St Jacques , au Temple du Goût.
L'éducation privée doit- elle obtenir la
préférence ſur l'éducation publique ? Si
cette derniere éducation eſt portée à ce
degré de perfection dont elle eſt fufceptible
& dont un eſtimable écrivain , M.
l'Abbé Coger , expoſe le plan dans l'ouvrage
que nous annonçons , la queſtion
fera bientôt décidée. L'auteur , pour rendre
ſon ouvrage auſſi utile qu'il le peut
être , s'eſt familiariſé de bonne heure
avec tous les écrivains qui ont traité cette
matiere importante. Il a profité de leurs
obſervations , mais en homme inſtruit ,
éclairé , & qui fait diſcuter le pour & le
contre avec autant d'eſprit que de ſagacité.
Quand on refféchit , dit M. l'Abbé
Coger , ſur l'homme naiſſant ; la premiere
idée qui ſe préſente , c'eſt qu'il eſt compoſé
de corps & d'ame. La ſeconde , c'eſt
que ſes facultés corporelles & fpirituelles
demandent à ſortir de l'engourdiſſement
où la nature , qui ne fait rien tout- à- coup,
les produit. De- là deux parties dans l'éducation
; celle qui regarde le corps , c'eſt la
partie phyſique ; l'autre a l'ame pour ob
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
jet , c'eſt la partie morale. C'eſt de ces
deux points de vue qu'il faut tirer toutes
les lignes qui forment le plan d'éducation
tracé dans cet ouvrage , & comme l'éducation
dépend beaucoup de la conſtitution
des colléges , l'auteur examine dans
une troiſième partie quelle doit être cette
conftitution .
La partie phyſique & la partie morale
de cet ouvrage font traitées avec autant
d'agrément que d'utilité. Lorſque l'auteur
parle de la premiere , il ne néglige aucun
des foins néceſſaires à la ſanté. Il vou.
droit que l'on accoutumât de bonne heure
les enfans à ſupporter également les ardeurs
de l'été & les frimats de l'hiver. Le
chancelier Bacon prétend , dans fon
traité de la vie &de la mort , que les viciffitudes
de l'air ſont les principales cauſes
de la deſtruction des êtres vivans. II
eſt donc eſſentiel d'armer l'homme contre
ces ennemis inévitables. L'honnêteté
publique preſcrit ſans doute à l'homme
civiliſé de ſe vêtir. La nature ne l'avoit
pointdit.Voilàpourquoi l'on a trouvé tant
de peuples fauvages dans une abſolue nudité&
d'une ſanté vigoureuſe. Mais , s'il
faut ſe couvrir , il n'eſt pas néceſſaire de
ſe charger. Vous ne voulez pas que cet
SEPTEMBRE. 1770 . ΙΟΙ
enfant fouffre du froid : vous l'habillez
chaudement aux approches de l'hiver.
Que ferez- vous dans la rigueur de la faifon
? Vous l'accablerez. Vos ſoins malentendus
le rendront bien plus ſenſible.
C'eſt l'habitude qui décide du plus ou du
moins de ſenſibilité. Quoi de plus délicat
que cette jeune beauté , qui ne reſpire
que pour plaire ? Demandez - lui fi la
nudité des charmes qu'elle peut montrer
lui cauſe de la douleur. Le philofophe
Scythe , qui alloit nud au milieu des frimats
, avoit raiſon de dire : Je ſuis tout
visage.
On connoît affez les qualités qu'un
corps bien conſtitué doit avoit ; mais on
croit qu'il faut que la nature nous les donne.
L'art de les acquérir eſt entierement
oublié ; & c'eſt cet art d'exercer la force
& l'adreſſe que l'auteur cherche ſur- tout
à rappeler ici . Lorſqu'Anacharſis voyoit
les jeux des Lutteurs Athéniens , à quoi
fervent, diſoit-il , ces combats, ces coups,
ces contorſions , ces efforts violens ? A
faire naître la vigueur & l'adreſſe , répondoit
Solon. Anacharſis ſe moquoit auffi
des couronnes d'olivier , de pin , d'ache ,
qui étoient le prix de la victoire. C'eſt
que tu ne vois pas , reprenoit le légifla-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
teur , les grands biens qui font entrelacés
dans ces couronnes. Si ces jeunes gens ,
pour une couronne d'ache,ſe portent avec
tant d'ardeur aux exercices gymnaſtiques,
que ne feront- ils pas pour la défenſe de la
patrie , de leurs femmes ,de leurs enfans
& pour l'immortalité ? L'auteur préſente
une eſquiſſe de la lute ancienne,à laquelle
on peut faire des changemens , des additions
ou des retranchemens ; mais il conſeille
d'en retenir le fond. Nous ne pouvons
fuivre l'auteur dans tout ce qu'il nous
dit fur la natation , l'équitation , l'exercice
, la danſe, &c. Platon , en parlant des
jeux qu'il deſtinoit aux enfans de farépublique
, y met une importance qui étonne
les lecteurs frivoles. C'eſt que Platon
voyoit en philofophe politique ; & c'eſt
le propre du vrai génie , de produire de
grands effets par de petits moyens.
L'éducation morale forme la ſeconde
partie de ce bon ouvrage . La nature de
P'ame étant pius cachée que celle du corps,
l'éducation morale eſt un ouvrage beaucoup
plus difficile que l'éducation phyſi .
que. Pour foriner l'homme moral , il faut
éclairer fon eſprit& placer la vertu dans
fon coeur. Si l'éducation ne faifoit rien
l'homme ſeroit moins perfectible que la
SEPTEMBRE . 1770. 101
brute qu'on affouplit par la difcipline .
Lorſque les Lacédémoniens n'étoient pas
encore perfuadés de l'énergie de l'éducation,
Lycurgue leur préſenta deux chiens,
nés du même pere & de la même mere ,
mais élevés différemment , l'un glouton
&libertin, l'autre diſcipliné pour la chaf
fe . On apporta un plat de viande & un
liévre vivant. Le premier ſe jeta à la mangeaille
; l'autre courut au liévie. Ces Lacédémoniens
n'étoient pas invincibles ;
mais, dans leur défaite même, ils étoient
encore redoutables par la force de leur
éducation : Philopemen en étoit pénétré ,
lui qui les contraignit d'abandonner la
maniere d'élever leurs enfans , fachant
bien que fans cela ils auroient toujours
l'ame grande& le coeur haut. Mais enfin
ceuxqui rejettent le bien ou le mal fur la
trempe des ames , ne nient pas du moins
qu'on ne puiſſe éclairer l'eſprit de l'homme
par des connoiffances utiles. L'auteur
en fait le choix. Il cherche enfuite les
moyens de placer la vertu dans le coeur
des élèves.
Aces deux parties de l'éducation, l'une
phyſique , l'autre morale , doit répondre
une conſtitution de colléges qui puiffe
mettre en mouvement tous les reffortsde
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
l'éducation ; & conféquemment cette
conftitution préſente deux rapports , l'un
au phyſique , l'autre au moral. C'eſt l'objet
de la troifiéme partie de ce bon ouvrage
qui , ainſi que les deux premieres ,
doitêtre lue& méditée .
Si , écartant les préjugés & les autres
obſtacles qui arrêtent encore parmi nous
les progrès de l'éducation , nous adoptons
le plan propoſé par l'eſtimable auteur de
cet écrit , les François pourront alors ſe
rappeler ce que diſoient les Grecs à Xenophon
, dans leur retraite à jamais célèbre
: « Nous avons des corps plus robuf-
>> tes , plus endurcis à la peine que ceux
>> des Perſes , qui nous pourſuivent : nous
>> avons auſſi des anies plus fortes , plus
» généreuſes . La victoire doit être conf-
>> tamment pour nous. » Ces braves gens,
par l'énergie de l'inſtitution , étoient encore
en état de rendre tout autre ſervice
à leur patrie.
Les Baifers , précédés du mois de Mai ,
poëme; vol . grand in- 8 ° . imprimé ſur
papier de Hollande & orné de 47 figures.
A la Haye; & ſe trouve à Paris ,
chez Lambert , imprimeur , rue de la.
Harpe , & Delalain , rue de la Comédie
Françoiſe ; prix 24 liv .
SEPTEMBRE. 1770. 105
Les poëfies de Tibulle & de Catulle ,
&les baifers de Jean Second , font les
modèles d'après leſquels M. Dorat a compoſé
les tableaux qu'il nous donne aujourd'hui
de cette tendre & naïve volupté
qui naît de la nature , ſe développe par
l'eſtime & trouve ſes plus grands charmes
dans les privations mêmes qu'elle
s'impoſe .
Quand neufbaiſers m'auront été promis ,
Me m'endonne que huit , & , malgré ta promeffe,
Soudain , échappe , ma Thaïs.
En la trompant , augmente mon ivreſſe :
Cours te cacher derriere tes rideaux ,
Dans ton alcove , aſyle du miſtere ,
Sous l'ombrage de tes berceaux ;
Fuis , réparois , &ris de ma colere.
Deberceaux en berceaux , de réduit en réduit ,
J'épierai de tes pas la trace fugitive ;
Je t'atteindrai , tu ſeras ma captive :
Lebonheur double alors qu'on le pourſuit.
Défends toi bien , réſiſte avant que de te rendre ;
J'aurai beau gémir , t'accufer ;
Détourne avec ait le baifer ,
Quand ma bouche , avec art , ſera prêteà le pren
dre.
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
: C'eſt ainſi qu'il eſt doux de ſe voir abufer.
Les huitpremiers , accordés par toi même ,,
Mettront le comble à ma félicité ;
Mais je mourrai de plaifir au neuviéme ,
Et fur-tout s'il m'eſt diſputé.
Mais pour juger plus fûrement de la
maniere du Poëte François & des refſources
qu'il a trouvées dans ſa langue , on
peut rapprocher un de ſes tableaux d'un
autre de Jean Second. Nous choiſirons
parmi ces petits poëmes ceux qui ont le
moins d'étendue , &, quoique les penſées.
en foientdifférentes , il fera facile de comparer
lefaire des deux poëtes .
Da mihi fuaviolum , dicebam , blanda puella
Libaſti labris mox mea labra tuis.
Inde , velutpreſſo qui territus angue resultat,
Ora repente meo vellis ab ore procul.
'Non hoc fuaviolum dare , lux mea,fed dare tantùm
Eft defiderium flebile fuavioli.
Donne-moi , ma belle maîtreſſe ,
Donne-moi , diſois-je , unbaifer,
Doux , amoureux , plein de tendreſſe..
SEPTEMBRE. 1770. 107
Tu n'ofas me le refufer :
Mais que mon bonheur fut rapide!
Ta bouche à peine , fouviens- t- en
Eut effleuré ma bouche avide ,
Elle s'en détache à l'inſtant .
Ainſi s'exhale une étincelle;
Oui , plus que Tantale agité ,
Je vois , comme une onde infidelle
Fuir le bien qui m'eſt préſenté.
Ton baifer m'échappe , cruelle !!
Le defir ſeul m'eſt reſté.
La languelatine peut uſer de diminutifs
très-commodes & très propres à donner
au ſtyle cet air naif& enfantin quit
plaîtaux amours. Mais le tableau de Jean
Seconda de plus cette délicateſſe de touche&
cette précision que l'on defire dans:
ces fortes de petits poëmes qui doivent:
être terminés avec le plus grand foin. L'iinage
d'ailients du ferpent employé par le
Poëte Latin , eſt pris dans la nature & par
conféquent preferable à celle de Tantales
du Poëte François qui eſt empruntée de
la mythologie. Nous pouvons encore ob
ſerver que la penfée par laquelle Jean Se--
cond termine fon petit poëme paroît plus)
Evj
108 MERCURE DE FRANCE..
appartenir au coeur , celle de M. Dorat à
l'eſprit ; le Poëte Latin peint un ſentiment
, & le Poëte François exprime une
agréable naiveté.
Ces baifers , au nombre de vingt, font
précédés d'un poëme intitulé le Mois de
Mai , poëme d'un coloris très frais & qui
eſt heureuſement terminé par un épiſode
relatif au mariage de Mgr le Dauphin &
de Madame la Dauphine. Le tout eſt orné
de gravures qui retracent aux yeux une
partie des tableaux que ces poëſies char-
Imantes ont peints à l'imagination. Ces
gravures , au nombre de 47 , ont été exécutées
par différens graveurs , d'après les
jolis deſſins de M. Eiſen. Elles enrichiffent
cette édition qui ,du côté de la partie
typographique , ne laiſſe rien à defirer&
pour la beauté du papier & pour la netteté
des caracteres .
Le Sauvage de Taïti aux François , avec
un envoi à un Philoſophe amides Sauvages
; brochure in 12. de 149 pages.
A Londres ; & ſe trouve à Paris , chez
le Jay , libraire , rue St Jacques , au
grand Corneille .
L'ifle de Taïti , ſitué dans la mer du
Sud & découverte par M. de BougainSEPTEMBRE.
1770. 109
ville , a fixé l'attention des François , &
les Parifiens ſe ſont empreſſés de ſe procurer
la vue d'un de ſes habitans amené
parmi eux. La plupart des ſpectateurs
n'ont peut être pas demandé comment
on peut être Taïtien, mais ils ont paru furpris
que cet inſulaire ne connût pas une infinité
de commodités que nous nommons
beſoins & qu'il appelle tout ſimplement
fervitudes . Ce Taïtien eſt l'homme de la
nature qu'un auteur eſtimable déjà bien
connu par des fictions ingénieuſes fait
aujourd'hui parler pour nous reprocher
avec plus de force & d'agrément nos défauts&
nos ridicules . « Nous avons des
>>jeux , dit le prétendu Sauvage aux Parifiens
; mais ils nous amufent , &
>> quelques-uns des vêtres vous déſeſpé-
>>rent. Que ſignifient ces petits morceaux
>> de carton que vous tourmentez fans
>> ceſſe , que vous jetez l'un après l'autre
>> ſur une table , & que ſouvent vous fe-
>> riez tenté de vous jeter à la tête ? L'in-
>>térêt ſeul préſide à cette recréation rui-
>> neuſe. Le bonheur de l'un fait le mal-
>> heur de l'autre . Eſt- il de vrai bonheur
» à ce prix. Je ſais , Meſſieurs , qu'un
» autre intérêt peut encore ſe mettre de
>>la partie. C'eſt alors être adroit que de
>>jouer mal adroitement. Nous jouons
110 MERCURE DE FRANCE.
>> auſſi à certains jeux avec nos bellesTaï-
>> tiennes , & nous attachons à ces jeux
>> certaines conditions. La différence eft
>> que chez nous il faut ſavoir gagner, &
>> que chez vous il faut ſavoir perdre.
>>On me conduiſit un jour dans une de
>> vos ſociétés , où l'on raiſonne. Lesfo-
>> ciétés de cette eſpéce ne forment pas ,
» dit- on , chez vous , le plus grandnom-
>> bre. Un étranger qui étoit préſent , fai-
>>foir l'éloge de votre langue. Il en par-
>> loit de maniere à prouver qu'elle ne lui
>>étoit pas étrangere. Comment ſe peur-
>>il faire , lui demanda quelqu'un , qu'on
>> parle ſi bon françois au fond du Nord ?
>> Je vous le dirai , reprit il , mais dites-
>> moi comment il ſe peut faire qu'on ne
>> le poſſéde pas mieux au ſein de Paris ?
>>C'eſt , lui répondit-on , qu'il faudroit
→ en faire une étude à part , & que cela
>> n'entre jamais dans l'ordre de nos étu-
>> des. Hé bien ! reprit le Suédois , cette
>> étude , au contraire , entre toujours
>> dans l'ordre des nôtres. Voilà ma ré-
>> ponſe. J'ai voyagé preſque dans toute
>>>l'Europe , & par tout j'ai vu qu'on étudioit
la langue françoife , excepté en
>>>France . Vous cultivez , il est vrai, celle
>> de vos anciens maîtres. Vous temblez
craindre qu'on n'oublie que vous fûtes
SEPTEMBRE. 1770. H
..
>> autrefois efſclaves des Romains : Raffu-
>> rez - vous , il n'y a pas long tems que
>> vous l'étiez encore . Maisfi votre
>> langue eſt devenue celle de toute l'Eu-
>> rope , à qui doit - elle cet avantage ?
» Elle eût été la derniere de toutes , fi
>> quelques hommes de génie ne lui euf-
>> fent pas fait connoître ſes richeſſes ,
>> diſons plutôt ſes reſſources. Elle ne
» doit qu'à eux ſa gloire& fon univerſa-
>> lité. Cette gloire même influe ſur la
» vôtre. Ce n'eſt point à l'effort de vos
>> armes que vous la devez ; chaque na-
>> tion eut ſes héros & ſes conquérans..
>> Votre langue a pénétré dans des cli-
» mats où vos guerriers ne pénétrerent
>> jamais. J'ai vu vos livres entre les mains
>> des Dames Tartares. Tel auteur que
>> vous négligez feroit accueilli dans la
>> patrie de Gengiskhan. Ce n'eſt , en un
mot , que la culture des arts & des bel-
>> les lettres qui vous conſerve encore au-
>> jourd'hui l'aſcendant fur tant d'autres
>> peuples. Retranchez ce point , chaque
nation fera valoir à côté de vous ſes,
>> avantages.
>>>J'ai vu , continue le Taïtien en par-
>>>la>ntdes laboureurs, ces hommes fi fim-
>>>ples & fi utiles ; ces hommes que votre
>>orgneil dédaigne & tyrannife. Je les ai
112 MERCURE DE FRANCE.
» vus , chaque matin , devancer le retour
>> du grand aftre , &reprendre en chan-
>>tant ces durs travaux ſi utiles pour vous,
>> ſi ſtériles pour eux. C'eſt pour vous
» qu'ils ouvrent le ſein de la terre , qu'ils
>>y dépoſent ce germe qu'elle doit déve-
>>lopper , qu'ils moiſſonnent les fruits
>>qu'elle fait éclore. Voyez le ſein brûlé
>>de leurs compagnes robuſtes & fécon-
>> des ; c'eſt à ces mêmes travaux qu'elles
>> immolent ce qu'une femme chérit le
>>plus , l'éclat du teint , la délicateſſe des
> traits , en un mot, la beauté. Cette jeu-
>> ne fille que la nature a doué de tous ces
- avantages , va les perdre comme ſa
» mere. Elle eût fixé vos regards,& peut-
>> être vos hommages , elle auroit pu dif-
>> puter à tant d'autres le privilége de
>>>vous ruiner ; elle borne ſes ſoins à vous
>> enrichir. Elle doit, par cette raifon ,
> renoncer à tout eſpoir de récompenfe.
>>Un linge groffier , une étoffe groſſiere ,
>> couvriront perpétuellement cette peau
» qui va bientôt ceſſer d'être délicate .
>> Cette famille enfin , dévouée aux plus
>>>durs travaux , n'attend de vous aucun
>> foulagement. Elle a des droits à votre
>> reconnoiffance , & ne peut même ef-
>> quiver vos mépris . >>
Cette diatribe dont nous n'avons pudé
SEPTEMBRE. 1770. 113
tacher que quelques morceaux , eſt ſuivie
d'un envoi à un Philoſophe ami des Sauvages.
On reconnoîtra aisément en lifant
cet envoi , le Philoſophe auquel le Taîtiendonne
ce titre d'ami des Sauvages.
Traité politique & économique des Com
munes , ou obſervations ſur l'agriculture
, ſur l'origine , la deſtination &
l'état actuel des biens communs , &
fur les moyens d'en tirer les ſecours
les plus piquans & les plus durables
pour les communautés qui les poſfédent
& pour l'état ; vol. in- 8°. A Paris
, chez Deſaint , libraire , rue du
Foin St Jacques .
L'auteur , après avoir parlé , dans les
premiers chapitres de ſon traité,de l'origine
des communes , de leur état actuel ,
des vices principaux de l'adminiſtration
préſente des biens communs , fait voir
dans les chapitres ſuivans la néceſſité de
partager ces biens pour les mettre en valeur.
Il expoſe les principaux avantages
qui réſulteroient de ce partage , & indique
les précautions les plus ſages pour
empêcher que ce partage ne porte atteinte
à la conſervation de ces biens. L'auteur
termine ſes réflexions par démontrer que
114 MERCURE DE FRANCE.
le partage des biens communs tel qu'il le
propoſe , loin d'être contraire aux loix&
aux diſpoſitions des coutumes , eft parfaitement
conforme à leur véritable eſprit
& aux defirs des législateurs . Ce traité
doit être lu ; il eſt l'ouvrage d'un bon citoyen
, d'un agriculteur éclairé & d'un
économiſte intelligent.
Dictionnaire pour l'intelligence des aureurs
claſſiques Grecs & latins , tant
facrés que profanes , contenant la géographie
, l'histoire , la fable & les antiquités
; dédié à M. le Duc de Choiſeul
. Par M. Sabbathier , profefleur au
collége de Châlons- fur- Marne , & fecrétaire
perpétuel de l'académie de la
même ville ; tome VII . A Châlonsfur-
Marne , chez Seneuze , imprimeur
du Roi ; & à Paris , chez Delalain , libraire
, rue de la Comédie Françoife ;
Barbou , imprimeur - libraire , rue des
Mathurins ; Hériſſant fils , libraire, rue
StJacques.
Ce dernier volume qui termine la lettreB,
confirme la réputation que l'auteur
s'eſt déjà acquiſe par les premiers. Les
recherches ſavantes dont cette eſpéce de
bibliothèque eſt remplie & les notices
SEPTEMBRE. 1770. 115
qu'elle donne ſur toutes fortes de matiè- .
res , l'ont déjà fait regarder comme l'interprêre
le plus utile & le plus commode
des livres claſſiques. M. Sabbathier ne
néglige pas même de ſe rendre utile aux
deffinateurs , aux peintres & à tous ceux
qui veulent étudier le coſtume ancien . Il
remarque que le blond ardent étoit la couleur
favorite des anciens . LesDames Romaines
, dont les cheveux étoient blancs
ou mêlés , ſe ſervoient de ſafran pour en
changer la couleur , & pour ſe donner le
blond le plus vif. La fureur du blond ne
régnoit pas moins chez les hommes que
chez les femmes. Ils ſe ſervoient d'une
poudre d'or qui entroit dans la teinture
qu'ils donnoient à leurs cheveux. Le
blond eſt auſſi devenu la couleur à la
mode de nos Dames , & peut - être leur
prendra - t - il fantaiſie de ſubſtituer une
poudre d'or à leur poudre rouffe. L'Empereur
Commode , qui avoit la vanité
d'un roi de théâtre , avoit , par le moyen
d'un poudre d'or , rendu ſa chevelure fi
blonde & fi éclatante , que lorſqu'il étoit
au foleil on eût cru que ſa tête étoit toute
en feu.
Ce ſeptiéme volume eſt précédé d'un
avis où l'auteur annonce qu'il a publié un
116 MERCURE DE FRANCE.
nouveau Profpectus , concernant la ſoufcription
de cet ouvrage , ainſi que celle
des planches &cartes géographiques qui
doivent l'accompagner. On diftribue gra.
tis un exemplaire de ce Profpectus aux
ſouſcripteurs. Comme on y trouve le jugement
qui a été porté de ce dictionnaire,
on l'a imprimé ſur le même format , de
maniere qu'on pourra le faire relier avec
le ſeptiéme volume ou tel autre que l'on
jugera à- propos .
Journal de musique.
Cet ouvrage qui manquoit à la littéra
ture vient de paſſer dans les mains d'un
auteur également répandu dans les lettres
&dans la muſique. Le Public paroît avoir
reçu avec fatisfaction la nouvelle forme
qu'il lui a donné ; on y trouve un choix
très- varié & très- intéreſſant de matieres
propres non - ſeulement à ceux qui pratiquent
cet art , mais à ceux qui n'en ont
que le ſimple goût. On y a vu , pour la
premiere fois , un extrait très - exact &
très - ſenſible de inorceaux de muſique ,
même de ceux qui ne font point aidés de
l'expreffion des paroles. D'ailleurs l'auteur
faitprofeſſion d'une impartialité auffi
eſtimable qu'agréable à ſes lecteurs .
SEPTEMBRE. 1770. 117
Ce Journal eſt dédié à Madame la Dauphine
, & lui a été préſenté le 4 Juillet
dernier à Marli .
La ſouſcription eſt de 18 liv. pour Paris
, &de 24 l. pour la province. On s'adreſſe
pour les envois de muſique , de
piéces de vers , de découvertes, d'airs , de
queſtions , &c. ainſi que pour les commiſſions
de muſique , au bureau de ce
Journal , rue de Sartine près celle de Viarmes
à la nouvelle halle. C'eſt au même
bureau , ou chez les libraires indiqués à la
tête de chaque volume , qu'on prie d'envoyer
d'avance , & franc de port , le prix
des ſouſcriptions.
Le Public eſt averti de ne point confondre
ce bureau avec celui d'abonnement
muſicalqui eſt au paſſage de l'ancien grand
cerf.
Sur les Fables de la Fontaine.
LIVRE 2 , FABLE 2. Conseil tenu
par les Rats.
: :
:
: :
Un Chat nommé Rodilardus.
:
:
Pantagruel le voyant... égratigné des
118 MERCURE DE FRANCE.
gryphes du célèbre chat Rodilardus. Liv.
4,6,7 .
Rodilardus , rongeur de lard. L'inventeur
de ce nom eſt Eliſius Calentinus , un
des illuftres de Paul Jove. Note du Commentateur
de R.
:
J'ai maints chapitres vus ,
Qui , pour néant , ſe ſont ainſi tenus.
Vus , eſt ici faute de langage ; mais la
F. ſe met ſouvent au-deſſus des règles..
FABLES . La Chauve - Souris , & les
deux Belettes .
: : : :
Pluſieurs ſe ſont trouvés , qui d'écharpes changeans
Aux dangers , ainſi qu'elle , ont ſouvent fait la
figue.
L'ung d'eulx voyant le portrait papal ..
luifeit lafigue, qui eſt en icelui pays ſigne
de contemnement & de dériſion manifeſte.
Pour icelles venger les Papimanes..
faccageårent & ruinarent toute l'ifle des
Guaillardets : taillatent à fil d'eſpée tout
homme portant barbe , aux femmes &
jouvenceaulx pardonnarent avecques conSEPTEMBRE.
1770 . 119
dition ſemblable à celle dont l'empereur
Féderic Barberouſſe jadis uſa envers les
Milanois . Les Milanois s'eſtoient contre
lui abſent rebellés , & avoient l'impératrice
ſa femme chaffée hors la ville igno .
minieuſement montée ſus une vieille
mule nomméeThacor , à chevauchons de
rebours ; ſavoir eſt , le cul tourné vers la
teſte de la mule , & la face vers la croppiere.
Fédericà fon retour les ayant fubjugués
& reſſerrés , feit telle diligence
qu'il receuvra la célèbre mule de Thacor.
Adoncques au milieu du grand brouet
par fon ordonnance le bourreau miſt ès
membres honteux de Thacor une figue ,
préſens & voyans les citadins captifs :
puis cria de par l'Empereur à fon de
trompe , que quiconcques d'iceulx voudroit
la mort évader , arrachant publiquement
, puis la remiſt en propre lieu
fans aide des mains. Quiconcques en feroit
refus feroit ſus l'inſtant pendu & eftranglé.
Aulcuns d'iceulx eurent honte &
horreur de telle tant abominable amende
, la portpeſarent à la crainte de mort ,
& furent pendus ; & aultres , la crainte
de mort domina ſur telle honte. Iceulx
avoir à belles dents tiré la figue , la monftroient
au boye apertement difans : Ecco
lofico. R. 1. 4, 45.
120 MERCURE DÉ FRANCE.
FABLE 6. L'Oiseau , bleſſsé d'unefléche.
: :: : •
Mortellement atteint d'une fléche empennée.
Glaterons enpennés de petites plumes
d'oifons ou des chappons. Liv . 2 , 16 .
: : : : :
Des enfans de Japet toujours une moitié
Fournira des armes à l'autre.
•
Si , ſelon la fable , dit M. Coſte , les
hommes font enfans de Japet , on ne voit
pas trop bien comment elle a pu attribuer
la formation de l'homme à Promethée ,
fils de Japet ; mais il ſeroit ridicule de
s'arrêter ici à démêler cette fufée.
Mais ne feroit- ce point ce vers d'Horace
, audax Japetigenus , qui auroit donné
lieu au préjugé , que nous ſommes enfans
de Japet ? Ce vers aura peut- être été
pris pour une ſentence , & peut- être, par
mégarde , on l'aura entendu du genre humain
au lieu de l'entendre de Promethée,
comme c'eſt le ſens d'Horace.
M. de Voltaire lui donne ce ſens ,
dans ſes élémens de la philoſophie de
Newton , premiere partie , chap.9 , où il
dit:
Si
SEPTEMBRE. 1770. 121
Si on a jamais pû dire , audax Japeti
genus , c'eſt dans dans la recherche que
les hommes ont ofé faire de ces premiers
élémens , qui ſemblent être placés à une
diſtance infinie de la ſphère de nos connoiſſances.
FABLE 10. L'Ane chargé d'éponges , &
l'Ane chargé defel.
• :
Camarade Epongier prit exemple ſur lui ,
Comme un Mouton qui va deſſus la foi d'autrui.
Soubdain je ne ſcay comment feut le
cas ſubit , je n'eus loiſir le conſidérer.
Panurge ſans aultre choſe dire jecte en
pleine mer fon mouton criant& bellant.
Tous les aultres moutons crians & bellans
en pareille intonation commençarent
ſoy jecter & faulter en mer après à
la file. La foulle eſtoit à qui premier y
ſalteroit après leur compaignon. Poflible
n'eſtoit les en guarder. Comme vous favez
eſtre du mouton le naturel , toujours
ſuivre le premier , quelque part qu'il aille
. Liv . 4 , 8 .
LIVRE 3 , FABLE I. Le Meunier , fon
Fils & l'Ane .
F
122 MERCURE DE FRANCE.
:
La feinte eſt un pays plein de terres déſertes :
Tous les jours nos auteurs y font des découvertes.
M. de la Rochefoucault , dont la F.
connoiffoit les maximes , a dit auſſi , que
l'amour-propre eſt un pays où il reſte encore
bien des découvertes à faire .
:
Mais j'ai les miens , la cour , le peuple à contenter.
Malherbe là-deſſus : contenter tout lemonde !
Ecoutez ce recit , avant que je réponde.
Ce contenter tout le monde ! convient
aſſez bien au génie bruſque de Malherbe.
Quelques connoiffeurs regardent cette
fable comme le chef- d'oeuvre de la F.
D'autres font pour la premiere du 7. livre
: Les animaux malades de la peste.
Mais la F. a plus d'un chef - d'oeuvre. Il
n'y a qu'une maniere de raconter. Celui
qui a rencontré cette maniere unique , a
fait un chef-d'oeuvre . Cela ſuppoſé , il y
en apluſieurs dans le Fabuliſte François.
C'en fera un , par exemple , que la fable 6
du 1 liv . La Géniffe , la Chèvre , &c .
SEPTEMBRE. 1770. 123
FABLE 12. Le Cigne & le Cuisinier.
,
Quoi ! je mettrois, dit - il , un tel chanteur en
ſoupe!
Le chant mélodieux des Cignes n'eſt
fondé que fur une tradition poëtique ,
dont la vérité n'a jamais été confirmée par
l'événement. Note de l'éditeur.
L'origine de cette fauſſe tradition, c'eſt
queles poëtes ont métamorphofé en Cigne.
un Roi des Gaules de ce nom , qui étoit
grandmuſicien.
Soupe , ne ſignifie point ici la ſoupe du
potage. Rabelais entend ce mot dans le
même ſens que nous diſons , des ſoupes
de pain .
FABLE 18. Le Chat & un vieux Rat.
• :
J'ai lu chez un conteur de fables ,
Qu'un ſecond Rodilard , l'Alexandre des chats,
L'Attila , les fléau des rats ,
Rendoit ces derniers miférables.
Rendre miférable , en ce ſens , eſt une
expreffion picarde.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Notre maître Mitis
:
Pour la ſeconde fois les trompe & les affine.
Affine , eft encore de Rabelais .
Ainſi en font les Génevois ( les Génois
) quand au matin dedans leurs efcriptoires
& cabinets diſcouru , propenfé
& réſolu de qui & de quels celui jour ils
pourront tirer denares , & qui par leur
aſtuce ſera belliné , corbiné , trompé &
affiné. Nouv . prol. du liv. 4 .
DIALOGUE entre CHARLES LE
HARDI , dernier Duc de Bourgogne ,
& RENÉ II , Duc de Lorraine.
CHARLES . Oui , vous dis je ; j'en ſuis certain .
Je fais que Campobaſſo n'auroit pas ofé ſans vous
conſpirer ma perte : je ne vous pardonnerai jamais
ma mort.
RENÉ. Il y a près de trois cens ans , fi ma mémoire
ne me trompe , & fi les morts favent calculer
juſte , que vous me la reprochez , lans que je
connoiſſe les motifs de cette injustice. Vous n'ignorez
pas cependant , que je vous fis rendre , en
ennemi généreux , tous les honneurs funèbres
que vous auriez pu recevoir dans vos propres
SEPTEMBRE. 1770. 125
états , & dreffer un ſuperbe mauſolée , avec votre
effigie au naturel .
CHARLES. Je ne me laiſſe point ſéduire par un
faux éclat& par de vaines apparences. C'eſt pour
votre gloire , & non pour la mienne , que vous
fites les frais d'un vain cérémonial , dont je vous
aurois volontiers diſpenſé. Mais , je le repète ,
vous tramâtes ma mort avec cet Italien , & vous
ne pûtes vous empêcher d'en marquer votre joie ,
par ces paroles inſultantes : Heded, beau Cousin,
vous nous avezfait mouli de maux.
VOUS RENÉ. Quelques années auparavant ,
vous étiez emparé de mes états , que la force ſeule
vous avoit contraint de me reftituer. Contre la
foi des traités vous venez enſuite affliéger ma capitale;
vous êtes tué dans l'attaquede cette place.
De bonne foi , exigeriez- vous que j'eufle verfé
des larmes , & témoigné un grand regret de votre
mort ? Ne feriez - vous pas forti de votre tombeau,
pourmedire?
« O foupirs ! ô reſpect ! ô qu'il eſt doux de plain-
>>>dre
>> Le fort d'un ennemi , quand il n'eſt plus à craindre
! »
CHARLES. Non ; je ne ſuis point injuſte . Vos
regrets ne m'étoient pas dus ; mais ce que vous
vous deviez à vous - même , c'étoit de ne point
tremper dans le complot d'un traître ; c'étoit de
renfermer dans votre coeur les ſentimens que ma
mort pouvoit vous inſpirer ; n'eût- ce été que pour
tâcher d'écarter les trop juſtes ſoupçons,que vous
aviez acheté la perfidie du ſcélerat , qui me fit fi
Fiij
1 126 MERCURE DE FRANCE.
cruellement périr ; foupçons dont vous ne vous
laverez jamais aux yeux de la poſtérité.
RENE , En tout autre lieu , je préſume que vous
n'oſeriez me tenir un pareil langage. Quand j'adreſſai
à votre cadavre , les paroles , hélas ! trop
méritées , dont vous vous plaignez , j'étois aflez
connu pour ne point appréhender qu'on me crût
capable d'entrer dans des projets que l'honneur
déſavoue. Et plût- au-Ciel que vous euſſiez été
également attentifà prévenir tout ce qui pouvoit
donner lieu à ces exécrables entrepriſes !
CHARLES. Eh ! qu'ai je donc fait qui ait pu me
ſuſciter des ennemis ſi perfides ?
RENÉ . Les vivans prétendent ne devoir aux
morts que la vérité ; à plus forte raiſon , la même
liberté doit être permiſe entre nous. Je vous dirai
donc avec fincérité , puiſque vous me le demandez
, qu'un loufflet , donné à un gentilhomme , eſt
un affront fi fanglant , qu'il ne peut être lavé que
dans le fang de l'offenſeur. Vous vous fouvenez
apparemment de celui , dont votre main , armée
d'un gantelet , couvrit le viſage de Campobaſſo ;
vous deviez donc vous défier de lui & ne le pas
croire affez vertueux , ou affez lâche , pour oublier
une pareille injure . Chifton , que vous fites
pendre , vouloit , dit- on , avant cet infâme fupplice
, vous découvrir la trahifon de Campobaſſo.
Vous ne daignâtes pas l'entendre ; & dans l'aveugle
tranſport de votre colère , vous ordonnâtes
qu'on le fit mourir ſur le champ. Vous ſavez fur
combien de vos ſujets ( 1 ) cette mort fut vengée.
(1) Sur plusde cent vingt.
SEPTEMBRE. 1770. 127
Lebon Chifron fut enterré fort près de vous, comme
pour vous reprocher éternellement votre injustice
& votre obſtination , & vous dire tacitement
: Prince , nous n'aurions perdu la vie , ni
vous , ni moi , fi vous aviez voulu m'entendre.
Vous me l'auriezdonnée , &je vousl'auroisfauvée.
Quelques auteurs diſent cependant que vous
ne maltraitâtes Campobaflo que parce qu'il vous
demanda la grace de Chifron avec une libené qui
vous déplut . L'hiſtoire varie fur cette matiere;
puiſque , ſuivant d'autres , ce fut Campobatio qui
vous pretla de faire mourir Chifron ; qu'il avança
même ſon exécution , dans la crainte qu'il ne révélât
la prétendue intelligence que ce comteItalien
avoit avec moi; que le ſoufflet avoit une toute autre
cauſe , & qu'il avoit été donné long -tems
avant la mort de Chifron. Peut-être n'y a-t- il que
vous & moi qui pourrions donner des lumieres lur
ceſujet. Quoiqu'il en foit , vous traitâtes Philippe
de Comines , à-peu - près de même que Campobaſſo
, & , à ce qu'il paroît , auſſi injuſtement.
CHARLES . Vous êtes dans l'erreur . Souffrez
queje vous en tire , en vous découviant le morif
qui m'engagea à maltraiter Comines ; motif que
ſa vanité ne lui a pas permis de configner dans
fon hiftoire. Sachez donc que , revenant un jour
de la chaſſe , il eut l'audace de me dire , en plaifantant
: Charles , voudriez- vous bien me tirer mes
bottes ? J'eus cette complaifance ; mais je lui en
donnai enſuite pluſieurs coups avec les éperons ,
&lui mis tout le viſage en fang , d'où il fut appelé
, dans ma cour , la Tête bottée. Pouvois - je
punir plus doucement l'inſolence d'un ſujet qui
oſe exiger de ſon maître les ſervices du plus vil
domeſtique?
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE .
RENE' . Non ; mais ce que je trouve deplus facheux
pour vous ; c'eſt qu'il s'eſt vengé en hiſtorien
par desmémoires où il laiffe àla poſtérité
mille odieux portraits de votre préſomption , de
votre témérité , de votre mauvaiſe foi , de votre
cruauté , de votre ambition , enfin de toute la conduite
que vous avez tenue dans le gouvernement
de vos états , où vous avez ſi peu réſidé , pour
ufurper ceux de vos voiſins. L'une de vos plus
grandes fautes , fi nous ajoutons foi à cet hiſtorien,
qui s'eſt fi bien payé de l'affront que vous
lui fîtes en préſence de toute votre cour , fut de
croireque toutes les graces & honneurs que vous
aviez reçus en ce monde , étoient procédés de votre
fens & de votre vertu , fans les attribuer à Dieu ,
comme vous deviez.
CHARLES. Et voilà juſtement ce qui décrédite
fon hiſtoire Quelle foi peut mériter ,je vous prie,
un écrivain paflionné ?
RENE' . Je conviens que la choſe devroit être
ainſi ; mais malheureuſement le Public eſt plus
diſpoſé à croire le mal que le bien ; & plus malheureuſement
encore , cet hiſtorien s'accorde affez
avec les autres dans tout ce qu'il raconte de
vous.
د
CHARLES. Permettez que je vous détrompe encore.
Il prétend que j'eus tant de douleur & de
honte de la perte de la bataille de Granſon , que j'en
tombai dangereuſement malade , & que jamais
depuis je n'eus l'entendement auſſi bon que je l'avois
eu auparavant. Cependant il avoue que la
pertequeje fis à cette bataille , étoit fort peu confidérable.
Quoiqu'il en diſe , j'eus l'eſprit auſſi ſain
quejamais ; je le conſervai juſqu'au fiége de Nan
SEPTEMBRE . 1770. 129
cy , où , loin de perdre la tête dans cette fatale
journée , qui me coûta la vie , je me précipitai
par-tout où lecombat étoit le plus furieux , & je
donnai tantde marques de bravoure &de courage
, que , fi j'avois été ſecondé de mes troupes ,
j'aurois infailliblement fait perdre à l'ennemi l'avantage
qu'il avoit gagné ſur elles.
RENE'. Vous aviez de la valeur , il est vrai;
mais à quoi ſert la valeur fans la prudence ? votre
réputation de Prince violent , au reſte , eſt ſi
bien établie , qu'un mort nouvellementarrivéici,
& né dans une province qui a été ſous votre domination
, me diſoitdernierement que leDucPhilippe
, votre pere , ayant laiſſé une groſſe ſomme
d'argent pour la dépenſe de ſa ſépulture , vous la
demandâtes aux dépositaires , avec promefle de la
rendre ; que , ſur quelques remontrances que vous
fit l'un d'eux , vous lui donnâtes un ſi rude ſouffilet,
qu'il en fut renversé par terre . Je m'apperçois
que cette matiere vous cauſe quelque peine.
Je reviens à la prudence qui doit toujours accompagner
la valeur Que n'imitiez vous Louis XI ,
leplus fagedes Princes de ſon tems ?
CHARLES. Si je n'avois pas été ſon ennemi , &
fi par conséquentje n'étois pas ſuſpect dans tout
ce queje pourrois dire de lui , il ne me ſeroit peutêtre
pas difficile de prouver qu'aucun fouverain
ne mérita moins la louange que vous lui donnez ,
&que tout ſon règne n'a été qu'un titlu de bizarreries
, d'inconféquences , de contradictions,d'imprudences
& de témérités. Je veux vous en citer
un exemple infigne qui en vaut mille. Pendant
qu'il fait foulever les Liégeois , mes ſujets , contre
mon autorité , il vient , dans ma ville de Pe
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
ronne ſe livrer entre mes mains. Il me rend ainfi
par ſa faute l'arbitre de ſon fort ; & , fije le traitai
mieux qu'ilne méritoit , il ne doit point l'attribuer
àcette ſageſle que vous lui prêtez gratuitement.
Lorſqu'il eut apperçu trois Princes , ſes ennemis ,
qui étoient venus me rendre viſite , il me pria de
le loger dans le château . C'étoit , dit un hiſtorien,
paffer le guichet&ſe rendre prisonnier. Pour combler
fa honte , je le forçai de me ſuivre au fiége
de Liége , afin qu'il fût témoin du châtiment que
je devois faire lubir à une ville rebelle , qu'il avoit
excitée à prendre les armes. Voilà comment je
traitai ce Roi , que vous qualifiez le plus ſage
Prince de fon fiécle.
RENE' . Vous auriez dû , pour votre honneur ,
fupprimer cette derniere circonftance qui rappelle
la barbarie , avec laquelle vous châtiâtes cette
malheureuſe ville , que vous prêtes d'affaut. On
affure que vous fires mettre à mort tous les habitans
qu'on rencontra , qu'on n'eut égard ni à l'âge
ni au sèxe ; que les prêtres furent égorgés dans
les égliſes , même pendant la célébration de la
Mefle ; qu'on jeta dans la riviere douze mille
femmes , &qu'on tua quarante mille hommes. On
obſerve même que les ſoldats n'égorgeoient les
filles qu'après les avoir violées. Vous dires avec
raiſon que ce fut le comble du déplaiſir pour
Louis XI d'être le témoin , & , en quelque forte ,
l'auteur d'une ſemblable cruauté. Bien en prit à
votre arriere- petit- fils , l'Empereur Charles-Quint
d'avoir trouvé dans François I un ennemi plus
généreux. La ville de Gand s'étant ſoulevée, &
ayant offert de ſe donner à la France , le Roi, nonſeulement
n'accepta point ſes offres , mais ilen
avertit l'Empereur qui , ne trouvant point de plus
SEPTEMBRE. 1770. 131
prompt remède à un mal dont les ſuites étoient à
craindre , que d'y accourir en perſonne , demanda
paflage par la France , toute autre voie lui paroiffant
trop longue & trop périlleuſe. Il obtint
ce qu'il demandoit , & reçut des honneurs extraordinaires
par tout le royaume , principalement
à la cour. Il eut cependant une alarme bien
chaude. A l'entrée du château d'Amboife, un page,
approchant trop près ſon flambeau d'une tapiflerie
, y mit le feu. L'Empereur en fut quitte pour
beaucoup de frayeur& un peu de fumée. Comme
il fut impoſſible de connoître l'auteur de l'embraſement
, le Roi fit arrêter & livrer à ce Prince ceux
qui en furent ſoupçonnés. Mais l'Empereur étoit
trop fin pour ſe venger d'une action qu'il ſavoit
n'être que l'effet du hafard ; il aima mieux la réferver
pour une occaſion dans laquelle elle ferviroit
de prétexte àune récrimination. Si le Roi
ne mérite pas des louanges , pour n'avoir pas violé
les droits de l'hospitalité , il en mérite beaucoup
pour avoir permis àl'Empereur de pafler par
ſes états ; à l'Empereur , dis-je , qui l'avoit trompé
mille fois . Peut - être même eſt - ce à Charles-
Quint une heureuſe témérité de s'être confiée à la
foide François I.
CHARLES. S'il y a d'heureuſes témérités , il n'y
en a aucune qui ne mérite d'être malheureuſe ,
autrement elle ceſſleroit d'être une témérité. Ce
que vous m'avez appris de cette ombre qui vous
a fait le recit de l'argent , que mon pere avoit mis
en dépôt , me fait connoître qu'on s'entretient encoredemoi
ſur la terre , &j'eſpere qu'on s'en entretiendra
long-tems. 1
RENE' . Ne vous flattez pas ; il vaut infiniment
miçux ne point faire parler de foi que d'en faire
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
parler en mal. Vous aviez , fans contredit , de
grandes qualités , mais des défauts encore plus
grands. Souvenez - vous que le Public eſt plus enclin
à blâmer le vice qu'à louer la vertu. Comptez
que fi le bien & le mal qu'on peut dire juſtement
de vous , étoient mis dans les deux plats
d'une balance , & qu'aucun d'eux ne l'emportât
fur l'autre , lejugement des hommes feroit penchercelui
qui contienddrrooiittlemal.
CHARLES. J'en conclus que tout ce qu'ils diſent
ou penſent ne doit pas nous affliger .
RENE'. Il paroît cependant que vous vous êtes
plus occupé de leur jugement que de votre tranquillité.
Quel aiſe eut- il (C'eſt une ſage ré-
>>flexion de Comines , parlant de vous ; réflexion
>>que vous ne pouvez contredire. ) Il eut toujours
travail , fans nul plaiſir , & de ſa perſonne
>&de l'entendement ; car la gloire lui monta au
>> coeur& l'émut de conquérir tout ce qu'il lui étoit
>>bien ſéant. Tous les étés tenoit les champs , en
>>grand péril de ſa perſonne, &prenoit tout le ſoin
>>&la cure de l'oft , ( armée ) & n'en avoit pas en-
*** core aflez à fon gré. Il ſe levoit le premier & ſe
couchoit le dernier , comme le plus pauvre de
l'oft. S'il ſe repoſoit aucun hiver , il faiſoit ſes
>> diligences de trouver de l'argent. A chacun jour
>>i>l beſognoit de fix heures au matin ,&prenoit
>>grande peine de recueillir & ouïr grand nombre
>>d'ambaſladeurs ; & en ce travail & miſére finit
>> ſes jours & fut tué des Suifles devant Nancy...
Et ne pourroit - on dire qu'il eut jamais eu un
bon jour , lepuis qu'il commença à entrepren-
>>d>re de ſe faire plus grand juſques à ſon trépas.
- Quel acqueſt a- t-il eu en ce labeur ? Quel be-
- foin enavoit- il? lui , qui étoit ſi riche & avoit
SEPTEMBRE. 1770. 133
>>tant de belles villes & feigneuries en ſon obéif-
>> ſance , où il eût été ſi aiſe s'il eût voulu. » II
feroit à defirer que tous les Princes appriflent par
coeur ce beau paflage , & qu'ils en profitaflent ; ils
travailleroient égalementà leur felicité & à celle
de leurs ſujets. J'ignore fi François I , ce monarque
fi paſſionné pour la belle gloire l'avoit lu ;
mais il paroît qu'il penſoit comme Philippe de
Comines; car il diſoit que l'ambition d'un ſouverainqui
ne feroit pas fatisfaite par la poſleſſiondu
royaume de France , ne le feroit pas par ceiledu
monde entier.
CHARLES. Il y a quelque choſe de vrai dans le
paflage de Comines & dans votre commentaire.
Mais ce que vous conſidérez comme le malheur
des Princes, n'eſt pour eux qu'un moindre mal. Ils
feroientbeaucoup plus miſérables s'ils ſe bornoient
aux fonctions qui peuvent rendre leurs peuples
heureux. Ils veulent jouer un grand perſonnage
&attirer les regards de toute la terre. Sans cette
inquiétude , ils languiroient dans un repos mille
fois plus cruel. L'épithète de pacifique , dans un
fouverain , eſt preſque toujours le ſynonime de
fainéant, l'opprobre de la royauté , du moins aux
yeux du vulgaire. Ce feroit fans doute le comble
de l'héroïsme , d'embraſler ce parti ; maisje doute
qu'un homme qui peut tenter tout ce qu'il veut ,
en ſoit capable. Un célèbre Poëte François voulant
me prouver la folie de l'ambition , me récisa
, il n'y a pas long- tems , un de ſes ouvrages, où
il me fit remarquer ces vers :
«Pourquoi ces éléphans , ces armes , ce bagage,
* Et ces vaiſſeaux tout prêts à quitter le rivage?
>>Diſoit au Roi Pyrrhus unſage confident,
134 MERCURE DE FRANCE.
>>Conſeiller trés- ſenſé d'un Roi très - imprudent.
>>Je vais , lui dit ce Prince , à Rome où l'on m'ap-
>>pelle.
>>Quoi faire ? l'afliéger. L'entrepriſe eſt fort
belle ,
>>Et digne ſeulement d'Alexandre ou de vous.
>>Mais , Rome priſe enfin , Seigneur , où courons-
>> nous?
>> Du reſte des Latins la conquête eſt facile.
> Sans doute on les peut vaincre. Eit- ce tout ? La
>>>Sicile
>> De- là nous tend les bras , & bientôt ſans effort
>> Syracuſe reçoit nos vaiſſeaux dans ſon porr.
>> Bornez- vous là vos pas ? Dès que nous l'aurons
>>p>riſe ,
>> Il ne faut qu'un bon vent & Carthage eſt con-
>>quiſe .
>> Les chemins ſont ouverts ; qui peut nous arrê-
>> ter ?
>>Je vous entends , Seigneur , nous allons tout
>>>domter.
>>>Nous allons traverſer les ſables de Lybie ,
>> Aflervir en paſſant l'Egypte , l'Arabie ,
>>>Courir delà le Gange en de nouveaux pays ,
>> Faire trembler le Scythe au bord du Tanaïs :
>>>Et ranger ſous nos loix tout ce vaſte hémiſ-
*
>>phère.
Mais de retour enfin , que prétendez- vous faire ?
Alors , cher Cinéas , victorieux,contens ,
(
SEPTEMBRE . 1770. 135
>>Nous pourrons rire à l'aiſe & prendre du bon
>> tems .
>>>Hé , Seigneur , dès ce jour , ſans fortir de l'E-
>> pire ,
Du matin juſqu'au ſoir qui vous défend de
>> rire?
>>Le conſeil étoit ſage&facile à goûter.
>> Pyrrhus vivoit heureux s'il eût pû l'écouter. >>
S'il eût pû l'écouter. Voilà à - peu- près la ré
flexion de Comines , miſe en aſſez beaux vers . Je
tâchai de lui faire entendre doucement ; car la nation
des poëtes eſt indocile , que fa maxime étoit
fortbonne fi la pratique en étoit poflible ; qu'à la
ſuppoſer telle , Pyrrhus , en réſiſtant à l'ambition
qui le tourmentoit , auroit été beaucoup plus
malheureux. N'avez vous jamais pris garde à
l'agitation des enfans , qui ſont dans un mouvement
perpétuel ? On a beau les menacer , s'ils ne
reſtent tranquilles. Vainement les fait- on reflouvenir
qu'ils ſe ſont ſouvent bleſfés en courant , ils
ne peuvent demeurer en place. Si on les y oblige
ils ſouffrent plus de cette contrainte que de toute
autre peine. Au riſque de ſe caſſer encore la tête ,
ils n'aſpirent qu'à la liberté de courir , & ils comptent
pour rien les dangers & les châtimens aufquels
ils s'expoſent. Quelle est donc l'ignorance
&l'illufion de leurs parens , qui leur répétent ſans
cefle: Imitez notre exemple ; nous voyez - vous
courir à chaque inſtant çà& là? Ne pouvez- vous,
comme nous, étre tranquilles ? Non , ils ac le
136 MERCURE DE FRANCE.
peuvent ; ils ont un beſoin continuel d'agir; ils
le ſentent parfaitement , parce que c'eſt la nature,
infaillible dans ſa marche , qui le leur inſpire.
Voilà en petit le portrait de l'ambitieux .
RENE' . Mais les enfans n'ont point de raiſon ,
& les hommes qui en ont , doivent en faire uſage .
Charles. Vous vous trompez encote. Les enfans
font auſſi éclairés ſur leurs petits intérêts ,
& peut- être plus , que les hommes fur des intérêts
plus conſidérables. Je ſoutiendrois même aifément
une eſpéce de paradoxe ; c'eſt que les brutes
qui n'ont point de raiſon , ſe conduiſent comme
fi elles en avoient , & que les hommes qui ſe vantent
de l'avoir en partage ſe conduiſent preſque
toujours comme s'ils ne l'avoient point,
RENE'. Du moins l'ambitieux devroit choiſir les
moyens qui peuvent le faire parvenir plus fürement
àl'objet de ſes defirs. Les Suifles , par exemple
, auxquels vous fites fi malheureuſement la
guerre , vous repréſenterent inutilement que vous
n'aviez rien à gagner contre eux ; que les épérons
& les mords des chevaux de votre armée valoient
beaucoup plus d'argent que tout leur territoire ;
qu'il étoit plus ſage de tourner ailleurs vos atmes
. Qu'arriva - t-il de votre obſtination à les
combattre ? Ils taillerent en piéces toutes vos
troupes ; ils firent un butin immenfe & ineſtimable.
Votre plus beau diamant , qui étoit le plus
gros de la Chrétienté , fut vendu un florin , le
reſte à proportion de leur ignorance. Les malheurs
qui ſuivirent cette défaite ne peuvent être fortis
de votre mémoire . Enfin , vous terminâtes devant
Nancy une vie infortunée au milieu de vouc
carrière.
SEPTEMBRE . 1770. 137
Environ deux fiécles après votre mort , parut
fur le théâtre du monde un phénomène qui avoit
avec vous beaucoup de reſſemblance. C'eſt un
Prince qui portoit votre nom , & s'eſt couvert
d'une gloire éclatante ; elle ſeroit beaucoup plus
folide s'il avoit joint la prudence à la valeur. Plutarque
eût fait de vous & de lui un de ſes plus
beaux parallèles. Auſſi intrépide , mais auflitéméraire
que vous lorſque vous attaquâtes les Suifſes
, il aima mieux aller conquérir des rochers au
milieu des neiges & des glaces , dans l'âpreté de
l'hiver , que d'aller reprendre ſes belles provinces
del'Allemagnedes mains de ſes ennemis. Comme
vous il fut tué dans un âge un peu moins avancé
que le vôtre , dans la plus rigoureuſe ſaiſon , au
fiége d'une ville ( Frederic - Shall ) qu'il comptoir
prendre huit jours après. On répanditde lui , comme
de vous , le bruit le plus injurieux & le plus
faux ; qu'il avoit été tué en trahiſon par ſon aidede-
camp , qui auroit donné mille fois la vie pour
la fienne. Comme vous... je ne veux pas poufler
plus loin ce parallèle; je me contente de cette réflexionde
ſon illuftre hiſtorien ? « Sa vie doit ap-
>>prendre aux Rois combien un gouvernement
>>> pacifique & heureux eft au - deſſus de tant de
>>>gloire. » Il paroît qu'il avoit aſlez mal profité
de votre exemple .
CHARLES . N'en ſoiez pas ſurpris. Moi-même
avois-je profité des exemples domeſtiques & des
funeſtes diviſions qui avoient déchiré , preſque
fous mes yeux , ma maison & celle d'Orléans ?
Avois-je profité de l'exemple de tant d'autres Princes
, dont l'ambition a caufé la perte & fait le
malheurd'une multitude innombrable de peuples
qu'ils ont ſacrifiés à l'idole d'une gloire frivole ?
138 MERCURE DE FRANCE.
Les fautes des pères , obſerve judicieuſement un
bel eſprit François , ſont perdues pour leurs enfans.
Mais quittons cette matiere ; quelque long
que foit le loiſir dont nous jouiflons ici , nous ne
viendrions pas à bout de l'épuiſer.
RENE' . J'y conſens volontiers . Parlons de quelque
choſe de moins sérieux &de plus agréable.
Vous connoiſlez , fans doute , toutes les marques
d'honneur dont ma maiſon est décorée ?
CHARLES. Je ne vois pas à quel propos vous
me faites cette queſtion. Vous n'ignorez pas vousmême
que je fors de celle de France , qui eſt la plus
illuftre de l'Univers. Quant à la vôtre , je ſçais
qu'elle eſt montée , il n'y a pas fort long-tems , fur
letrône impérial; ce qui eſt la plus grande gloire
qu'elle pût recevoir .
RENE'. Quelque ſenſible que j'y ſois , je ne me
tiens pas moins honoré des alliances qu'elle a contractées
avec celle de France .
CHARLES. Je ſçais que Claude , fille de Henri
II , épouſa Charles II , Duc de Lorraine ; que
Henri III , fils de ce monarque , eut pour femme
Louiſe de Lorraine , fille de Nicolas , duc de
Mercoeur & comte de Vaudemont ; que Catherine
de Bourbon , foeur de Henri le Grand , fut mariée
à Henri , duc de Bar. Voilà , fi je ne me trompe ,
à-peu-près toutes les alliances de votre Maiſon
avec celle de France ; & c'eſt aflez pour l'illuftrer
àjamais.
RENE' . Eſt - ce là tout ce que vous ſavez.
CHARLES. Je ne m'en rappelle pas davantage...
Attendez ; j'en oublie peut être quelques - unes
avec des Princes d'Eſpagne , fortis de la Maiſon
SEPTEMBRE. 1770. 139
de France .... Je puis en oublier quelques au
tres.
RENE' . Il faut donc vous en apprendre une
nouvelle qui met le comble à toutes les autres &
qui me pénétre de la joie la plus vive. MARIEANTOINETTE
, qui fort en ligne directe de vous
&de moi , fille d'une Héroïne que vous comptez
parmi vos deſcendans , épouſe aujourd'hui le
DAUPHIN DE FRANCE.
CHARLES. Ah ! quelle heureuſe nouvelle vous
m'apprennez. Mais est-elle bien aſſurée ?
RENE' . Elle est indubitable . Il y a précisément
deux fiécles que Charles IX épouſa Eliſabeth
d'Autriche , fille de Maximilien. La violence &
l'emportement formoient le caractere de ce Prince
; celui du DAUPHIN eſt la douceur & la bonté,
qui rendront notre aimable Princeſſe auffi heureuſe
qu'elle mérite de l'être ; c'eſt à dire , la plus
heureuſe de toutes les Princeſſes . Elle a trouvé
votre gros diamant que vous perdîtes à la bataille
deGranſon ; il ornera la tête , avec pluſieurs autres
, qui ne font pas d'une moindre valeur. Quel
eſt l'excès de ma félicité ! Combien n'y dois - je
pas être ſenſible , en conſidérant que ma Maiſon
remplira les deux premiers trônes du monde :
Lorſque Lours LE BIEN - AIME' ,
Par ſes vertus , par lon courage ,
D'un pôle à l'autre renommé ,
Le modèle accompli des Princes de ſon âge ,
De la Divinité la plus parfaite image ;
A ſes peuples chéris , aux fidèles François ,
Pendant un ſiècle &plus , aura donné des loix:
140 MERCURE DE FRANCE.
Enfin , lorſque quittant le ſéjour de la terre ,
Le ſouverain maître des dieux ,
Jupiter , dans ſes mains remettra ſon tonnerre ,
Et le fera régner avec lui dans les cieux.
Il veillera ſur toi , France trop fortunée !
Sans cefle tu feras préſente à ſon grand coeur ;
Tu le verras ſur toitépandre ſa faveur ,
Et de tout l'Univers régler la deſtinée.
Je n'ai pu réſiſter à cette eſpéce d'enthouſiaſme
qui vient de me faifir; les qualités de ce grand
Roi & le mariage de ton auguſte petit-fils feront
mon excufe.
CHARLES. Je ne puis , non plus que vous , contenir
les fentimens que m'inſpire cet événement
auffi heureux qu'imprévû. Si les embres avoient
un corps , je vous embraſſetois avec tendreſſe , en
reconnoulance de la joie que vous me cauſez . Au
défaut de ce gage extérieur de ma réconciliation,
recevez l'aflurance , que j'oublie , dès ce moment,
en faveur de cette auguſte union , tous les ſujets
de plaintes que j'avois contre vous , & que je ne
vous veux plus de mal de ma mort que je n'ai pu
vous pardonner pendant trois fiécles.
RENE'. Avant que de commencer notre entretien
, j'étois certain d'avoir trouvé le ſecret d'étouffer
votre reflentiment , & de calmer votre colère;
avantage queje defirois depuis long- tems &
dont je me féliciterai éternellement. Adieu. Je
vais me réjouir de cette nouvelle alliance avec tous
les Princes de ma nombreuſe Maiſon .
CHARLES. Et moi , je cours l'annoncer à ma
SEPTEMBRE. 1770. 141
fille Marie , à ſon petit fils Charles - Quint , & aux
autres Empereurs de la mienne.
Par M. l'Abbé JOLY , Cenfeur royal.
Le Déserteur, drame en cinq actes & en
proſe ; par M. Mercier , grand in- 8 °.
AParis , chez Lejay , libraire , rue St
Jacques , au-deſſus de celle des Mathurins
, au grand Corneille .
Durimel , fils d'un ſoldat , élevé loin
des yeux de ſes parens , dépourvu de refſources
, emporté par l'exemple , ſuivit ,
à l'âge de ſeize ans, la carriere des armes
; mais il n'eut pas la conſolation de
ſe trouver dans le régiment où ſervoit fon
pere. Ce régiment avoit paflé les mers&
onn'en recevoit point alors de nouvelles.
Durimel avoit pour colonel le plus dur ,
le plus inflexible des hommes. Injuſtement
moleſté par ce colonel , il veut répondre
, il ſe ſent fraper. Il fait quelque
geſte de colere , dans le moment on fe
ſaiſit de lui & on le jete dans une prifon .
Il profite du ſeul inſtant qui s'offroit &
prend la fuite. Il eſt dénoncé déſerteur&
jugé àmort le même jour. Errant , fugitif
il ſe rend dans une ville frontiere d'Allemagne
, il trouve un aſyle chez une
veuve qui faisoit le commerce. Cette
142 MERCURE DE FRANCE.
veuve avoit une fille unique nommée
Clary. Les ſervices qu'il rend pendant
ſept ans dans cette maiſon , la régularité
de ſa conduite , ſon goût pour les chofes
honnêtes , la douceur de fon caractere le
rendent agréable à la mere & cher à Clary.
Durimel faifoit conſiſter ſon bonheur
à plaire à cette aimable fille & voyoit arriver
le jour heureux où leur union alloit
être célébrée ; mais,la veille même de ce
jour ſi deſiré , la guerre amene dans la
ville qu'il habite le même régiment qui
porte ſon arrêt de mort. Le trouble , les
chagrins , les inquiétudes les plus cruelles
s'emparent de cette famille défolée.
La veuve & fa fille cherchent à dérober
aux regards de tous les officiers l'infortu
né Durimel ; mais cette famille eſt indignement
trahie par un ami perfide qui ne
voyoit dans Durimel qu'un rival favorifé.
Il eſt livré aux foldats du régiment.
Ce drame , qui eſt dans le genre que l'on
appelle larmoyant , préſente ici une ſituation
très - pathétique. Le major du régiment
reconnoît dans ce déſerteur ſon fils
unique. Sa poſition eſt même d'autant
plus cruelle qu'il eſt obligé de dévorer ſes
Iarmes . S'il laiſſoit échaper ſes pleurs paternelles
, on ne manqueroit pas de lui
ſter ſon prifonnier , on le priveroit de ſa
SEPTEMBRE.
1770. 143
vue & de ſes derniers momens ; & ce
malheureux pere regarde comme la ſeule
confolation qui lui reſte d'accompagner
dans ces momens cruels les pas de ſon
fils , de l'affermir , de l'encourager. La
nature cependant fait entendre ſa voix.
Le major engage ſon fils à profiter d'une
occaſion qui ſe préſente &de ſe ſauver ;
mais Durimel aime mieux fubir la mort
que de compromettre l'honneur de fon
pere auquel le prifonnier a été confié. A
Î'heure marquée pour l'exécution , lorſque
les régimens ſont rangés, Durimel s'avance
, traverſe les rangs d'un pas égal &
tranquille. Le malheureux major paroifſoit
être la victime qu'on alloit immoler.
Chacun le connoiſſoit humain , fenſible
& généreux ; mais on ne ſavoit à
quoi attribuer tant d'amour & de tendreſſe.
11 embraſle vingt fois le prifonnier
, & , felon ſa coutume , défend aux
foldats de crier grace ſous peine de vie...
Sa voix s'altère ... Il s'apprête à donnerle
ſignal ... mais fon bras ne peut ſe lever.
Tout- à- coup il s'arrête , & s'écrie en fanglotant
: " Non , vous n'exigerez pas que
>> cette main tremblante donne le ſignal
>> de ſon trépas. La nature l'emporte &
>> m'arrache mon ſecret. Blamez - moi
144 MERCURE DE FRANCE.
- encore d'embraſſer la cauſe de ces in-
>>fortunés . Celui que vous voyez ... ap.
>> prenez tous qu'il eſt mon fils ; oui,mon
>> fils. Frappez deux victimes ... » Il ſe
rejette dans ſes bras, il le preſſe ſur ſon
ſein ; il ne peut s'en ſéparer. Chacun verſe
des latmes ; mais la loix inflexible a
parlé , & feule elle eſt écoutée ... On
entraîne le pere malheureux. On lui dé.
robe cette ſcène enſanglantée. Quoique
cette action ne ſoit qu'en recit dans le
drame , elle ne peut manquerde faire fon
effet , on gémira fur la cruauté de la loi ;
mais on admirera le héros qui a préféré
l'honneur d'un pere à ſa propre vie.
LETTRE à M. ***.
Il a paru , il y a quelque tems , une nouvelle
relation de l'Angleterre , intitulée , Londres ; je
connois pluſieurs Anglois de beaucoup d'eſprit
qui ne peuvent reconnoître leur patrie & leurs
compatriotes au portrait qu'on en faitdans ce livre.
L'homme de lettres , qui on l'attribue , eſt
trop honnête , ſans doute , pour qu'on puiſſe le
ſoupçonner d'aucune infidélité volontaire ; mais
peut- être a-t-il recueilli , avec trop de confiance ,
des anecdotes hafardées & des propos de cafés . Ce
n'eſt pas à moi d'entrer dans ce détail de critique ;
jeme contenterai de relever une erreur de fait qui
intéreſſe unhomme célèbre , dont j'eſtime , j'aime
&j'honore la perſonne & les talens.
L'auteur
SEPTEMBRE. 1770. 145
L'auteur de Londres dit à la page 89 du tome
premier. « Garrick , le plus grand Acteur qu'ait
>>jamais eu l'Angleterre & peut- être l'Europe , ſe
>> trouvant à la tête de l'entrepriſe du théâtre de
>>> Drury- lane , crut pouvoir ſe ſervir de la confi-
-dération que lui méritoient ſes talens pour mettre
ſon théâtre ſur le pied de ceux de Paris. >>>
Voici le fait. On étoit dans l'uſage , aux deux
théâtres de Londres , de laiſſer entrer pour la moitié
du prix ordinaire , ceux qui ſe préſentoient
après le troifiéme acte de la premiere piéce . M.Garrick
voulut fupprimer cet ufage : cette innovation
fouleva une grande partie du public : le jour où le
nouvel arrangement fut annoncé, il y eut un tumulte
épouvantable à Drury - lane ; on ne voulut
pas permettre aux acteurs de jouer, & l'on finit par
démolir les loges & tous les ornemens de la falle.
Le récit que l'auteur de Londres fait de cette aventure
eſt exact , à quelques circonstances près qui
fervent fans doute à rendre le tableau plus piquant
; mais il ajoute : « Le théâtre ayant été ré-
>>>paré & r'ouvert, la même foule y revint , &
>>G>arrick ayant paru pour faire quelques excuſes
לכ fur ce qui s'étoit paffé, il fut traité comme un
>>>homme qui auroit attenté à la majesté du Peu-
>>>ple Anglais : pour réparation de quoi , on exi-
>> gea de lui , ſous peine de démolition totale de
>>>ſon théâtre , qu'il demanderoit pardon à ge-
>>> noux : il le fit , & n'a pas depuis reparu ſur la
>>> ſcène , &c . »
Je peux affirmer que cette anecdote eſt abſol 1-
ment faufle. On n'exigea point que M. Garrick(e
mît à genoux & demandât pardon ; & , quand on
l'auroit exigé , il a l'ame trop élevée & trop fiere
pour s'abaiſſer à une ſemblable humiliation. Un
G
146 MERCURE DE FRANCE.
comédien Anglois eſt un citoyen , un homme li
bre qui ne reconnoît aucune eſpéce de deſpotiſme,
pas même celui de la populace. Il eſt d'ailleuts
bien étonnant que l'auteur de Londres ajoute que
M. Garrick n'a pas reparu , depuis , fur la ſcène.
Il faut que cet écrivain ait parfaitement rompu
tout commerce avec l'Angleterre pour ignorer que
M. Garrick , depuis ſon retour de ſes voyages ,
c'est -à-dire , depuis environ quatre ans , n'a pas
ceflédejouer ſur ſon théâtre.
Je me fuis chargé , avec plaiſir , de faire àM.
Garrick la réparation que l'auteur de Londres lui
auroit fans doute faite lui- même , s'il avoit été
détrompé ſur l'erreur qui lui eſt échappée. M. Garrick
eft non-ſeulement,comme le dit cet écrivain, le
plusgrand acteur del'Angleterre&peut- être de l'Europe;
c'eſt encore un homme de lettres diftingué ,
&l'un des meilleurs auteurs comiques qu'ait aujourd'hui
l'Angleterre. Il joint d'ailleurs à tous
ces talens un caractere honnête & des moeurs aimables
, qui lui ont mérité l'eſtime & l'amitié de
tous ceux qui le connoiflent perſonnellement.
Mais il ne faut pas tant de titres pour lui faire
rendre la juſtice qu'il a droit d'exiger. J'eſpère ,
Monfieur , que vous voudrez bien imprimer cette
Jettre dans votre Journal.
J'ai l'honneur d'être , &c.
SEPTEMBRE. 1770. 147
SUR la ſtructure des muscles , l'actio'n
qu'ils reçoivent des eſprits animaux &
leur usage ; parM. Gautier Dagoty
pere , anatomiſte penſionné du Roi.
CETTE matiere a été agitée pluſieurs fois , il
ſemble cependant qu'elle n'eſt pas encore aflez développée
, parce qu'il faut démontrer la ſtructure
des fibres qui compoſent les muſcles , de quelle
façon elles font dirigées pour une plus grande action
, comment elles font cette action & ce qui les
force de la faire.
Le muſcle n'eſt autre choſe qu'un aflemblage de
fibres qu'on appelle motrices . La fibre motrice eft
ordinairement compoſée de trois parties ; celledu
milieu est charnue , & les deux extrêmités tendineuſes.
La partie charnue eſt molle & de couleur
rouge, & la tendineuſe eſt ferme , dure & blanchâtre.
Ily a cependant des muſcles , comme le quarré
pronateur de l'avant - bras & pluſieurs autres , qui
n'ont aucune partie tendineuſe.
La ſtructure des fibres charnues a été long- tems
indéciſe. Pluſieurs anatomiſtes ont prétendu qu'elle
avoit la figure d'un petit priſme , à trois pans ,
compoſé de pluſieurs filets auxquels ils donnoient
pluſieurs formes . Borelly foutenoit que chaque
fibre devoit être confidérée comme un canal cylindrique
& rempli d'une ſubſtance ſpongieuse qui
laiſſoit des eſpaces lozanges dans leur entrelaffement.
Bernoulli regarde avec raiſon la fibre muf
culeuſe & charnue comme une eſpéce de tuyau qui.
eſt lié de telle maniere d'eſpace en eſpace par les
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
fibres membraneuſes qui l'entourent, qu'en ſegon
flant il ſe forme entre les ligatures autant de véſieules
qui , par la communication qu'elles ont encore
entr'elles , malgré ces ligatures , s'enflent
toutes à la fois au moyende la matiere fluide dont
elles ſont continuellement abreuvées. *
C'eſt ici la conjecture la mieux établie , &plufieurs
remarques que j'ai faites en démontrent la
vérité. La chair de boeuf ou de cheval , cuite ou
ſurpriſe pat l'eau bouillante , fait appercevoir ces
ligatures racornies , & par ce moyen les fibres
charnues compoſées de ces véſicules. Dans la chair
de vieille vache ou de truie , la molefle de membranes
muſculeuſes empêche la contraction dans
l'eau bouillante,& les fibres reſtent molles & filandreuſes
; on n'apperçoit pas leurs interfections .
Les fibres tendineuſes ſont des filets blancs , ermes
, durs , ferrés & élastiques : ces filets ſe ſéparent
ailément dans quelques tendons qu'on a fait
tremper dans l'eau & qui commencent à ſe pourrir.
Les tendons deviennent quelquefois oſſeux ,
comme cela ſe voit dans ceux des jambes de plufieurs
oiſeaux qui deviennent ofſeux dans toute
leur étendue , à la réſerve des endroits par où ils
paſſent ſur les articles ; ce qu'on remarque dans
les coqs- d'inde , dans les grues , &c. Dans tous
les muſcles la chair tient lieu dereffort , c'est-àdire
qu'elle a la propriété de ſe racourcir & de ſe
* Obstat nimia fibrarum carnearum exilitas
quæ nimis veram earumdem ſtructuram oculis
etiam optimo microscopio armatis liceat infpicere,
hinc ideo meris conjecturis cogimur affequi.
SEPTEMBRE. 1770. 149
gonfler , & le tendon fait l'office d'une ſimple corde;
en effet on voit par la diflection des animaux
vivans, que , dans l'action des muſcles, il n'y a que
les fibres charnues qui ſe contractent ou ſe racourciflent
, & que les tendons auxquels les fibres
charnues ſont attachées , retiennent toujours leur
même longueur & ont toujours les mêmes dimenfions
*
Les fibres charnues font arrangées inégalement
dans chaque muſcle , de maniere que pour l'ordinaire
le plan des chairs a la figure d'un rombe ou
d'un romboïde , & les tendons oppoſés ont celle
d'un trapèze ; & lorſque , pour tirer avec plus de
force, elles font obligées d'aflembler pluſieurs de
ces plans , elle leur donnent à-peu-près la forme
d'une plume dont les barbes repréſentent les deux
plans des fibres charnues , &le tuyau , le tendon
mitoyen qui , étant ordinairement grêle & délié ,
n'occupe par fon infertion qu'un très -petit elpace
fur le corpsdel'os .
L'arrangement des fibres , en forme de plume
péniforme , fait à-peu-près le même effet qu'une
corde tirée fur toute la longueur par une jufinité
de points latéraux; c'eſt par ce moyen que le
Créateur place ſans difformité plusieurs muſcles
très - charnus les uns parmi les autres ſur les os ;
au lieu que, ſi les fibres charnues étoient d'un bout
àl'autre d'un muſcle , les plans qu'ils forment ſeroientpoſés
les uns ſur les autres à- peu près commedes
cartes , & le ventre du muſcle ſeroit épais
* Nullus fit motus in corpore animalifiveſpontaneus
fitfive voluntarius , five mixtus nifi àfibra
motrice ; hinc , nonnulli malè definiunt musculum
quòdfit motûs voluntarii organum.
Giij
50 MERCURE DE FRANCE.
&demanderoit un grand eſpace ſans faire pour
cela plus d'éffort. D'ailleurs ce gros paquet de
fibres qu'il faudroit alors à chaque muſcle , ainſi
entaflés les uns fur les autres , rendroient les parties
peſantes , difformes & monstrueuſes .
Toutes les fibres charnues dans un même mufcle
ſont égales , mais celles qui compoſent les
tendons font diſpoſées de telle maniere que la
plus longue d'un tendon répond à la plus courte
du tendon oppoſé ; on voit par- là qu'un tendon ,
quelque délié qu'il puifle être , renferme autant de
fibres ou de filets qu'il y a de fibres charnues .
Ilya un nombre infini de fibres membraneuſes
qui font implantées dans les fibres charnues , elles
naiſſentde la memorane propre du muſcle. Ces
fibres font parallèles entr'elles & entrecoupent
tranſverſalement les fibres charnues , & les lient
étroitement entr'elles & fur leurs longueurs par
interfection , comme dit Bernoulli.
Chaque muſclea ſon enveloppe particuliere qui
eſt formée par un tiſſu ferme & ferré , de laquelle
naiſſent les fibres membraneuſes dont on vient de
parler. Cette membrane tient en état les fibres
charnues& empêche leur défunion.
Si tous les muſcles n'étoient retenus fimplement
que par leur membrane propre , dans des
actions violentes , ils s'écarteroient les uns des autres
& ſe jeteroient en - dehors , ce qui cauſeroit
des gonflemens qui rendroient la ſurface des parzies
inégale. Cette enveloppe ne ſert pas feulement
d'étui au muſcle ; elle fournit encore plufieurs
alongemens qui , comme autant de cloifons,
lient, féparent & diftinguent les muſcles
des parties voiſines.
Chaque muſcle eſt parſemé d'un très - grand
SEPTEMBRE. 1770. 11
nombre d'artères , de veines & de nerfs qui percent
différemment le ventre du muſcle , tantôt en
un endroit , tantôt à l'autre , ſelon la ſituation &
la route des vaiſſeaux d'où ils tirent leur origine.
Quandces nerfs , artères& veines font entrés dans
les muſcles ils ſe partagent en mille petits rameaux,
qui ſe diviſent enſuite de telle maniere
fur la furface de chaque fibre charnue , qu'ils font
un reſeau ou lacis qui la couvre entierement. On
voit auffi un très-grand nombre de vaiſſeaux lymphatiques
qui les entourent & qui naiſſent de la
membrane propre de chaque muſcle.
Couper prétend avoir obſervé pardes injections
mercurieles que les artères capillaires s'ouvrent
dans le tiſſu véſiculaire des fibres charnues. L'abondance
de ſang dont ces fibres ſont imbibées
leur donne la couleur rouge , qu'on appelle communément
couleur de chair. Cela eſt ſi vrai qu'à
meſure que l'on feringue de l'eau tiède dans un
muscle&qu'on en ôte le fang , ſes fibres deviennent
pâles & blanches .
Les ligatures membraneuſes des fibres charnues
font les ſeuls inſtrumens dont la nature ſe ſert
pourgonfler & racourcir les fibres qui font cylindriques
& creuſes , & cela ſe fait en arrêtant les
fluides qui les parcourent. Alors le muſcle attaché
fur deux os différens les rapproche & cauſe leurs
mouvemens de flexion l'un ſur l'autre , ou d'écartement;
& celui de rotation , de pronation ou de
fupination eſt occaſionné par le concours & les
attaches de pluſieurs muſcles qui agiſſent tout- àla
fois & ſe racourciſſent ou tirent tour-à-tour les
parties auxquelles ilsfont attachés . Aucun muscle
parconséquent, ne peut s'alonger par ce méchaniſme;
cequi eſt en effet ; mais les parties qui ont
beſoin d'être alongées & de groſſir en même tems
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
par le moyen des ligatures membraneuſes , qui
font les ſeuls inftrumens de tout mouvement animal
, font compoſées de corps caverneux dans lefquels
le fang & les fluides en général ſe répandent,
& lorſque les ligatures membraneuſes referrent
les vaiſſeaux qui fervent au retour de ces fuides
, comme les veines honteuſes dans le penil ,
fur- tout celle qui paſſe ſous le ligament fufpenfoire
, par les productions duquel elles font refferrées;
alors le ſang & les liqueurs qui fuent
dans les corps caverneux , fans un retour proportionné
, groffiilent & alongent la partie à laquelle
les corps caverneux font attachés.
Ces deux mouvemens ne s'opèrent pas avec la
même facilité & la même promptitude , quoique
produits de la même façon , c'eſt - à - dire par le
moyen ſeulde la contraction des ligatures membraneuſes.
Le mouvement mufculaire le fait par
le moyen des fibres creuſes & cylindriques toujours
pleines , que la ſeule contraction momentanée
& fpontanée de toutes les ligatures à la fois
racourcit fur le champ & par conféquent le mufcle,
uniquement compoſé de ces fibres ; au lieu
que , dans celui des parties dant nous venons de
parler , la contraction des ligatures , quoique
prompte , ne fait que commencer l'épanchement
des fluides dans les corps caverneux qui eſt plus
ou moins lent , ſelon la force de la contraction ,
l'abondance des eſprits & celle des autres fluides.
Je crois qu'il eſt démontré comme les muſcles
font conftruits , de la façon que leurs fibres ſe racourciflent
; mais il reſte à voir la cauſe de cette
contraction prompte & ſpontanée , qui dépend de
la ſeule volonté , fi ce n'eſt dans les convulfions ;
d'une autre part elle ſe trouve en nous dans les
muſcles de la reſpiration & dans ceux qui forment
SEPTEMBRE. 1770. 153
les mouvemens où la volonté n'a aucune part ,
comme ceux de diastole & de ſyſtole du coeur.
La contraction des filets membraneux qui lient
les fibres charnues de tous les muſcles en général ,
ne peut être produite que par les filers nerveux répandus
& extrêmement diviſés dans les membranes
qui produiſent & qui font les ligatures des
fibres charnues. Le nerf en lui-même n'a aucun
mouvement , non plus que les veines ; & celui
qu'ont les artères n'eſt pas un mouvement qui leur
foit propre , mais ſeulement l'impulfion du fluide
qu'elles contiennent & que le coeur leur pouſle par
-ſyſtole. Les nerfs ne font , comme les artères, que
porteurs d'un autre fluide bien plus délié qui part
du cerveau & qu'on nomme eſprits animaux , qui
n'eſt autre choſe que des parties de feu. Ce fluide
peut ſeul caufer la contraction des filets membraneux.
Mais, ſi les eſprits animaux que portent les
nerfs n'avoient point d'iſſue & un retour auffi facile
, pat le moyen d'autres nerfs qui les reçoivent
&les rapportent au cerveau avec autant de promptitude
qu'ils arrivent dans la partie qu'ils font
agir , ils n'occaſionneroient que des inflammations
; & comme dans les convulfions , la tenſion
des muſcles ſeroit longue & déſordonnée , c'eſt
ce retour qui fait toute la liberté de la contraction
des ligatures des fibres charnues & de leur diſtention.
*
De forte que la contraction des ligatures mem-
* Ce ſyſtême d'impulfion du fluide nerveux
:par le cervelet & de ſa réaction dans le cerveau ,
eſt de moi ; je le donnai dans mes tables anatomiques
en 1750. On a voulu fe l'approprier dans unης
theſe demédecine environ dix ansaprès... رو
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
braneuſes ſur toute la longueurdes fibres charnues
qui occafionne le mouvement des muſcles ou leur
racourciflement , dépend de la ſuppreffion du re .
tour des eſprits animaux dans le cerveau , & la
liberté du retour remet ſur le champ le muſcle
dans ſon état naturel & d'inaction. Mais , comme
ces mouvemens- ſont ſpontanés & que nous ne
connoiflons aucun autre Auide qui puiſſe arrêter le
retour des efprits animaux comme ceux-ci arrêtent
celui du fang , les fluides ne pouvant ſe contenir&
s'arrêter eux-mêmes , il faut que ce retour
volontaire ou ſpontané dépende d'un être différent
de tout ce qui tombe ſous nos ſens , c'eft-à-dire
d'une ame libre & immatérielle.
Al'égard des mouvemens involontaires comme
ceux des muſcles de la reſpiration &de ceux du
coeur , celui des inteſtins , &c. ils nous ſcroient
nuifibles s'ils dépendoient de la volonté & ne pouvoient
pas même s'exécuter dans notre ſommeil .
Tout comme le balancier d'une montre que le reffort
prefle continuellement , &que les pignons &
les roues renvoient de même par des rencontres
oppoſées , ainfi , dans le coeur , la contraction
des mufcles qui compoſent les ventricules ou le
mouvement, de ſyſtoſe occaſionne la dilatation
*ou le diastole des oreillettes, &par contre-coup le
fyſtole de ceux- ci occafione la dilatation des ventricules.
Les eſprits animaux que fourniffent continuellement
les nerfs au coeur refuent de l'une à
l'autre partie de ce viſcere ſans aucun retour dans
le cerveau. Ce qui arrive dans la preſſion des poumons&
les convulfions , qui ſont des mouvemens
involontaires , doit être par l'obſtruction ou l'engorgement
des eſprits animaux dans les nerfs , quž
fupprime le retour au cerveau de ces eſprits; c'eſt
ce que l'on voit dans des vers & d'autres infectes
SEPTEMBRE. 1770. 155
que l'on coupe par morceau. Enun mot , le reffort
de la montre ne fait aller le balancier & les roues
que parce qu'une main active l'a mis dans ſa tenfion,
& les nerfs qui agiſſent ſur toutes les parties
du corps n'opèrent que parce qu'un être actif
les monte & les met en mouvement.
NB. M. Gautier Dagoty pere , auteur de la pré-
*ſente differtation , donne la ſeconde diſtribution
de fon cours d'anatomie en figures de couleur naturelle
avec leurs tables explicatives grand format
, & donne en même tems , la premiere diſtribution
des mêmes tables & des mêmes figures petit
format , édition très - commode aux étudians
en médecine & en chirurgie. On trouve le projet
de cet ouvrage tout au long , &les adreſſes dans
les avis de la fin du Mercure de Juin dernier.
Sur l'art de faire le Vin .
EXTRAIT des regiſtres de lafaculté de médecine
de Paris.
La faculté de médecine étant aſſemblée le ſamedi
12 Mars 1768 , MM. Macquer , Roux & d'Arcet
, docteurs-régens de ladite faculté & commiffaires
nommés pour examiner un ouvrage de M.
Maupin , ſur l'art de faire le vin , ont fait le rapportſuivant.
Nous ſouſſignés commiſſaires nommés par la
faculté pour examiner un livre imprimé qui a pour
titre : Effai fur l'art defaire le vin rouge , le vin
blanc& le cidre , avec un manuscrit deſtipé à en
faire la fuite , avons jugé que les moyens que l'auteur
propoſe & qu'il a déja mis en ulage pour ac
Gyj
I136 MERCURE DE FRANCE.
céleret la fermentation ordinairement trop lente
des vins de nos provinces ſeptentrionales , ſont
très- propres à remédier aux défauts les plus ordinaires
de ces fortes de vin. * Il nous a paru en
conféquence que cet auteur méritoit d'être encouragé
dans des recherches auſſi utiles , & qu'on ne
fauroittrop multiplier. A Paris , le 12 Mars 1768 .
Signé, MACQUER , ROUX & D'ARCET.
Ouï le rapport de MM. les Commiſſaires , la
faculté a approuvé l'ouvrage de M. Maupin & les
moyens qu'il propoſe pour perfectionner le vin.
AParis , le 12 Mars 1768 .
Signé , BERCHER , doyen.
Au refte ces défauts que , d'après mon dernier
fuccès je me fuis fait fort de corriger entierement
dans telle province &dans tel vignoble qu'il plaira
au miniſtere de me nommer, ſont communsdu
plus au moins , à preſque tous les vignobles du
royaume. On les trouve dans les vins du Berry ,
du Poitou & de beaucoup d'autres provinces ,
comme dans ceux de la Picardie & de la Brie ; &
quand les vins n'ont pas les défauts de la verdeur,
ils en ont d'autres que l'on peut encore prévenir
par mes procédés ; on peut voir ces défauts & mes
procédés ce font les mêmes que j'ai ſuivis dans
ma derniere expérience ) dans l'ouvrage qui ſe
vend à Paris , chez Muſierfils , libraire , quaides
Augustins.
* Les défauts ordinairesdes vins de nos provinces
ſeptentrionales ſont d'être verds , & par conféquent
cruds , froids , durs , indigeſtes , ſouvent
groffiers & toujours défagréables & malfaifans.
SEPTEMBRE. 1770. 157
SPECTACLE S.
CONCERT SPIRITUEL.
LEmercredi 15 Aoûr , fête de l'aſſomption
de la Vierge , on a donné au Concert
Spirituel Cantate Domino , nouveau motet
à grand choeur de M. Azais , maître
de muſique du Collège de Sorcze en
Languedoc. Sa compoſition a paru d'un
bon ſtyle , d'une expreſſion juſte & d'un
effet picquant. M. Balbâtre a fait entendre
ſur l'orgue un de ſes concerto , qu'il
a parfaitement exécuté. Madame Julien
a chanté afferte Domino , motet agréable
de M. le Febvre . On a donné de
nouveaux applaudiſlemens au jeu brillant
deM. Traverſa , premier violonde S. A. S.
Mgr. le P. de Carignan. M. l'abbé Platel ,
très-belle baſſe- taille , a chanté , avec
goût , un excellent motet à voix ſeule de
M. l'abbé Girouſt . Le Concert a fini par
Laudate , motet arrangé fur pluſieurs airs
de M. Grétri , dont la muſique fçavante
& agréable ne peut manquer de plaire ,
fous telle forme qu'on la reproduife.
I158 MERCURE DE FRANCE.
OPERA.
Il y a eu pluſieurs débuts , à l'opéra ,
dans les dernières repréſentations des
fragmens.
Mlle. Girardin , élève des écoles de
l'académie , a chanté le rôle de la Bergère
dans l'acte de la danse des talens
lyriques. La timidité qui a gêné fon
chant, & le peu de tems d'ailleurs qu'elle
a paru ſur la ſcène , ne peuvent guère
mettre à portée de juger de ſes talens&
de l'étendue de ſa voix que le public
pourtant a trouvée agréable.
Mlle. Vincent , élève de M. l'Ecuyer
ordinaire de l'académie royale de muſique
, a auſſi débuté dans le même acte ,
par le Roffignol de Rameau , & par l'ariette
Vénus à qui deux beaux yeux , de
M. Berton , l'un des directeurs de l'académie
royale de muſique. On a fortapplaudi
les deux morceaux qu'elle a chantés
fucceffivement. On lui a trouvé un beau
ſon de voix , beaucoup de légéreté , de
préciſion & de juſteſſe. On lui reproche
ſeulement un accent étranger , qu'elle a
ſans doute contracté en chantant l'italien ;
SEPTEMBRE. 1770. 159
mais , avec un peu de travail & d'attenrion
, elle deviendra un ſujet agréable
&utile dans le genre qu'elle a choifi
pour ſon début.
M. Tramar , danſeur , arrivant de la
cour de Vienne , a débuté dans une entrée
ſur une loure ajoutée à l'acte de la
danſe. Ce danſeur est bien fait de ſa
perfonne , d'une taille ſvelte & avantageuſe
; ſes talens ont été accueillis ,
& il est très - propre à ſuppléer MM.
Veſtris & Gardel .
On a remis le mardi 28 , les Fêtes
Grecques & Romaines , parroles de Fuzellier
, muſique deBlamont. Nous rendrons
compte de cette repriſe dans le
Mercure prochain .
COMÉDIE FRANÇOISE.
Le ſamedi 28 Juiller , on a repréſenté
Phedre & Hyppolite , tragédie , dans
laquelle Mlle. St. Val arendu , avec
beaucoupde ſenſibilité & d'intelligence ,
le rôle de Phedre .
M. de la Haye a débuté , fans avoir
été annoncé , dans le rôle de Clitandre
du Jaloux déſabuſé. Le double talent
160 MERCURE DE FRANCE .
qu'ila , de jouer dans la comédie , & de
chanter , le rendra très utile à ce ſpeccacle.
les comédiens françois , ordinaires du
Roi , ont donné le lundi 30 Juillet , la
première repréſentation de la Veuve du
Malabar , tragédie de M. le Miere.
Le grand prêtre de Brama prépare le
facrifice d'une veuve du Malabar , qui
doit ſe jeter au milieu des flammes d'un
bûcher , pour honorer la mémoire de fon
mari . Ce grand prêtre regarde cet acte
rigoureux , comme un préjugé favorable
à fa religion & effentiel à l'affermiflement
du culte de Brama. Un jeune Bramine
ofe lui repréſenter le fanatiſme de
cette coutume , qui offenſe à la fois , la
nature l'humanité , la Religion. Le
grand prêtre repouſſe cette foibleſſe d'un
coeur fenfible. Il objecte le préjugé qui
laiſſe à la Veuve , le choix entre la mort
ou l'ignominie . Vouloit , dit- il , conferver
une vie honteuſe :
,
Eft ce vivre en effet , c'eſt mourir plus long-tems.
Il lui retrace & lui détaille les tourmens
volontaires des Bramines & de
ces hommes qui s'impofent , & bravent
des fupplices continuels.
SEPTEMBRE. 1770. 161
Mais , comme le remarque le jeune
bramine :
Qui ſe haittant lui même aime peu fon femblable.
Il blâme ces tourmens par leſquels le
fanatique attente à ſa conſervation :
Comme s'il étoit né ſous des dieux mal faiſans
Dont il dût repouſſer les funeſtes préfens .
Le grand prêtre lui ordonne l'obéiffance
& le filence , & preſſe l'exécution
du facrifice. Ce bramine eſt chargé d'annoncer
à la veuve l'arrivée du grand
prêtre ; il gémit en même-tems ſur le
fort de cette veuve , & déteste les devoirs
affreux de ſon miniſtère . La Veuve
du Malabar voit approcher , ſans effroi ,
le moment fatal où elle doit périr pour
un époux qu'elle a peu connu , qu'elle
n'a jamais aimé , & qui eſt loin d'elle.
Elle regarde avec indifférence , des jours
qu'elle n'a pu conſacrer à un françois
qu'elle a connu dans une traverſée de
mer , & dont elle a cru pénétrer la paffion
pour elle .
Cet officier françois, chefd'une eſcadre ,
profite d'une trêve pour venir parler des
moyens de paix , qui peuvent prévenir
162 MERCURE DE FRANCE.
la deſtruction de la ville qu'il eſt prêt
d'affiéger ; l'intérêt de ſon amour , &
l'eſpérance de voir ſa maîtreſſe l'amenent
auſſi ; il apprend les horreurs du ſacrifice
qu'on prépare , ſans ſçavoir qui doit être
la victime ; & par un ſentiment généreux
, il s'écrie :
Oublions mon amour , l'humanité m'appelle.
Il fait des reproches très- vifs au grand
prêtre de fouffrir une telle barbarie ; le
Bramine veut en vain appuyer ce culte
cruel par l'exemple même des autres nations;
l'officier françois pénétre l'avarice
de ce miniſtre qui s'enrichit des dépouilles
de la victime , & le fanatiſme
par lequel il prétend en impofer :
Et par un pacte affreux le préjugé hautain
Soumet l'homme crédule au mortel inhumain.
Il menace , il proteſte qu'il ne ſouffrira
pointces horreurs. Le grand prêtre irrité ,
lui demande de quel droit il oſe lui
commander :
Es-tu vainqueur ici pour me parler en maître ?
L'officier repond :
Je parle en homme.
SEPTEMBRE. 1770. 163
Le jeune Bramine vient trouver le françois
, & lui témoigne avec quelle indignation
il voit cette cruauté d'un culte
auquel il eſt malheureuſement attaché ;
il lui apprend qu'il y a ſous le temple
un chemin qui a fervi autrefois à ſauver
une de ces malheureuſes victimes ; mais
que le prêtre qui avoit occaſionné ſa fuite
a été enchaîné & puni de mort par les
autres bramines.
Il offre cependant ſes ſecours pour
tromper l'avidité & la cruauté des miniſtres
de Brama , & pour ſauver la
Veuve du Malabar. Cette Veuve eſt ſollicitée
par ſes compagnes de ne point
dévouer à la mort ſa jeuneſſe &ſes appas.
Mais elle ne peut foutenir l'idée de racheter
ſa vie au prix de l'ignominie ;
c'eſt un préjugé de ſa nation , mais ce
préjugé eſt impérieux , & lui commande
de ſe devouer en victime obéillante .
Tant l'aveugle coutume étouffela raiſon .
Elle promet augrand bramine,àqui elle
necache point ſes ſentimens , d'accomplir
le ſacrifice qu'il attend d'elle. Elle dit :
Je ne fais qu'un ſeul voeu dufond de cet abyme ,
C'eſt d'être de l'honneur la derniere victime.
Le françois conduit par la pitié ,vient
164 MERCURE DE FRANCE.
confoler cette Veuve , & lui promete
ſes ſecours ; à cette voix qui frappe fa
fens , elle ſe trouble , elle s'étonne , elle
s'évanouit , & tombe entre les bras de
ſes femmes ; l'amant reconnoît dans cette
Veuve , ſa maîtreſſe ; il jette un cri
d'effroi , & lui jure qu'elle vivra ; elle
lui repréſente combien ſa mort eſt neceffaire
& préférable à l'ignominie qui
obfcurciroit ſa vie, ſielle étoit affez lâche
pour la conferver à ce prix ; il offre de
l'emmener dans d'autres climats , où ce
préjugé horrible ne ſubſiſte pas ; mais
elle eft toujours effrayée de la mémoire
honteuſe qu'elle laiſſera dans ſon pays.
Le grand prêtre inſtruit des projets du
françois , veut hater l'accompliſſement
du ſacrifice ; c'eſt même la raiſon de la
trêve qui a été demandée pour ménager
aux prêtres le loiſir de donner au peuple
ce ſpectacle horrible ; le miniſtre de
Brama corrompt des françois , & fait
brûler leurs vaiſſeaux ; on croit que leur
général a péri ; cependant le bûcher eſt
allumé ; la Veuve veut s'élancer dans les
flammes ; elle eſt retenue par ſes femmes
; elle leur échape ; &, fur le bord
du précipice , elle en eſt enlevée par fon
amant , qui accourt à la tête de fes foldats
par le chemin fouterreindutemple ,
!
SEPTEMBRE. 1770. 165
ni en chaſſe les prêtres inhumains ; &,
eul maître de la ville& vainqueur , il
polit ces facrifices barbares.
Il y a des vers heureux & des traits
de ſentiment dans cette tragédie ; elle
offre un beau ſpectacle à la curiofité ;
elle ſoutient l'attention par des récits de
moeurs fingulieres & barbares ; elle intéreſſe
même par des ſituations frappantes.
Le public jugera s'il y a unité d'intérêt
; fi les caractères ſont marqués &
foutenus ; ſi ce drame a les conditions
d'une tragédie pour étonner & émouvoir
le ſpectateur ; s'il n'y a pas trop de ſentences
, au lieu de ſentimens ; & trop
de diſcours , au lieu d'action ; enfin , ſi
le ſujet eſt d'un bon choix & s'il eſt
traité avec l'art néceffaire pourjeter l'effroi
& la pitié dans tous les coeurs.
,
M. Molé a joué le rôle de l'Amant
François , avec cette chaleur & cette
énergie qui caractériſent ſon talent. M.
Brifart a rendu avec dignité & avec le
ton convénable , le perſonnage du Grand
- Prêtre. Madame Veſtris a mis de la ſenſilité&
de la nobleſſe dans le rôle de la
Veuve du Malabar. Madame Molé a fait
valoir le rôle de Fatime , eſclave , qu'elle
remplit auprès de la Veuve. M. d'Au
166 MERCURE DE FRANCE.
berval a joué avec intelligence le confi
dent de l'Officier François ; M. d'Alinval
le confident duGrand-Prêtre; & M. Monvel
, le jeune Bramine , rôle ſententieux
& plein de réflexions philoſophiques.
L'auteur a retiré ſa pièce après la ſixiè
me repréſentation .
Le 18 Août on a donné la première
repréſentation des Amazones Modernes ,
comédie en trois actes en proſe , remiſe
au théâtre avec ſes agrémens . Cette pièce
eft de Legrand , & n'avoit pas été jouée
depuis 1727. Il y a , comme dans toutes
les comédies de cet auteur , de la gaieté
& de la ſaillie ; cette pièce offre de plus
le ſpectacle agréable des Amazones ſous
les armes. Madame. Bellecourt , Mlle.
Luzi & M. de la Haye , ont chanté dans
les divertiſſemens .
M. Baudron , premier violon de la
comédie Françoiſe , a refait avec ſuccès ,
la plus grande partie de l'ancienne muſique
, qui étoit de Quinault , célèbre
comédien. Le ballet a été deſſiné par M,
Deshayes , compofiteur- ingénieux , qui
a de l'invention & de la fécondité pour
varier les formes des pas & des figures .
Il a lui même danſé avec Mlle. Luſy une
allemande qui a été fort applaudie .
SEPTEMBRE . 1770. 167
DISTRIBUTION des Prix de
l'Univerſité de Paris.
C'EST PEST une inſtitution bien propre à exciter
l'émulation , & à faire reffortir les
talens de la jeuneſſe ſtudieuſe , que la
folemnité avec laquelle l'Univerſité diftribue
tous les ans , des couronnes &
des prix aux élèves qui font vainqueurs
de leurs riyaux.
,
Ces prix établis par le parlement ,
ont été formés des fondations réunies
de MM. le Gendre , Coignard , Coffin
&autres. Ils font diſtribués dans les
écoles de Sorbonne avec autant d'équité
, que de pompe. Des profeſſeurs ,
la plupart retirés , & fans intérêt parti
culier , examinent les compoſitions , &
les jugent , ſans en connoître les auteurs ,
fuivant la méthode des académies litté
raires . Les concurrens font des athletes
diftingués & choiſis dans les dix colléges
de l'Univerſité.
Le parlement , le châtelet & d'autres
corps aſſiſtent par députés à cette fête,
168 MERCURE DE FRANCE.
M. le premier préſident du parlement
de Paris , donne lui-même le prix d'honneur
, qui eſt le premier prix de l'élo .
quence latine en rhétorique. La langue
latinea , dans cette occaſion , l'avantage
fur la françoiſe , parce qu'elle eſt une
langue ſçavante , particuliere à l'Univerſité
, & d'ailleurs , ancienne & étrangère.
Cette folemnité littéraire a été renouvellée
le 6 Août de cette année. La ſéance
a été ouverte , ſuivant l'uſage , par un
diſcours latin , qui a été prononcé par
M. l'abbé de Lille , profeſſeur au collége
de la Marche , un des plus illuſtres
élèves de l'Univerſité , auteurde pluſieurs
beaux morceaux de poësie , & tout récemment
de l'excellente traduction en
vers françois des géorgiques de Virgile ,
dont il a fi bien ſaiſi le génie , & rendu
l'art pittoreſque . Ce diſcours a été trouvé
philofophique , bien penſé , & un modelede
latinité élégante& pure. M. l'abbé
de Lille examine les écueils que les gens
de lettres ont à éviter pour parvenir au
plus haut degré de talent& de ſuccès. II
parcourt le fautes dans lesquelles tombent
les écrivains , relativement à leurs
travaux
SEPTEMBRE. 1770: 169
travaux & à leurs études , & les erreurs
qu'ils doivent éviter dans leur genre de
vie & dans leurs moeurs .
Nous ne pouvons ſuivre M. l'abbé de
Lille dans ſon diſcours , qu'il faudroit
rapporter en entier. Il eſt ſur-tout intéreflant
dans la péroraiſon qu'il adreſſe
aux élèves de l'Univerſité. Il peint avec
des couleurs vives leur impatience , leur
émulation , la gloire des vainqueurs , les
applaudiſſemens qu'ils reçoivent d'une
illuſtre aſſemblée, témoin de leurs avantages
; la ſenſibilité de leurs familles , les
eſpérances qu'ils font concevoir par des
ſuccès qui en préſagent d'autres dans la
ſociété. Quels triomphes plus folemnels
& plus délicieux ! Ils renouvellent ceux
de l'ancienne Grèce , où le vainqueur
jouiſſoit , non- feulement de ſa propre
gloire , mais encore en faifoit réjaillir
Péclat ſur ſa nation. Le célèbre maréchal
de Villars avoit coutume de dire , que
la plus grande fatisfaction qu'il eût éprouvée
, étoit d'avoir triomphe au collége
&fur le champ de bataille.
Après ce difcours , qui a été très-applaudi
, on a proclamé le nom de ceux
qui ont mérité des prix , & qui en ont
le plus approché. Il a paru cette année ,
un élève du collège du Pleſſis , jeune
H
170 MERCURE DE FRANCE.
,
homme qui a le caractère de la modestie
&du génie , n'ayant pas encore 16 ans
accomplis , étant à la première année de
rhétorique , & qui a remporté ſur des
vétérans illuſtrés par plus d'une victoire ,
le premier prix , le prix d'honneur qu'il
a reçu des mains de M. le premier préfident
du parlement. Ce jeune homme
couronné trois fois , tergeminis honoribus ,
a remporté encore les ſeconds prix en
amplification françoiſe ,en verſion grecque
,& le premier acceffit en vers ; il n'a
pas moins eu de ſuccès dans la diftribution
des prix du collège du Pleflis . Ce
vainqueur ſe nomme Antoine - Marie-
Henty BOULARD , écuyer. Il eſt fils
d'un père célèbre & honoré dans ſon
état , Henry Boulard , écuyer , avocat
au parlement , notaire à Paris , & le
petit- fils de Pierre -Maurille Boulard ,
écuyer , chevalier , commandeur , fécre .
raire - général & greffier de l'ordre royal
militaire & hofpitalier de Notre Dame
de Montcarmel & de St Lazare de Jérufalem
intendant & ſécretaire des
commandemens de S. A. S. Mgr. le
prince de Conti. Un de ſes aïeux , fécretaire
d'ambaſſade , a été honoré de lettres
de nobleſſe pour lui& fa poſtérité ,
par lettres-patentes du mois de Février
د
SEPTEMBRE. 1770. 171
1719 , à cauſe de ſes longs ſervices &
& de fon zèle éclairé pour les intérêts de
l'état & la gloire du ſouverain. ( 1 ) Ce
jeune homme a auſſi d'excellens modeles
& qui lui font chers à confulter & à
imiter dans MM. le Brun & Deſcheſnes ,
ſes beaux - frères , notaires diftingués à
Paris. Nous rappelons ici avec plaifir
les vertus , les ſervices & les titres que
ce digne rejetton d'une famille honorable
& méritante , vient de promettre ſi
folemnellement de perpétuer , & dont
pluſieurs illuftres magiſtrats ont conçu &
annoncé , d'après ſes ſuccès , les plus favorables
augures.
On a entendu proclamer parmi les
athletes couronnés en rhétorique , le nom
du jeune marquis de LA FARE , etudiant
au collège de Harcourt , qui a
remporté le premier prix d'amplification
françoiſe & celui de la verſion françoiſe
par-deſſus les vétérans ; il a ainſi aſſociéla
gloire de l'éloquence à celle de la poësie ,
qui a illustré un de ſes ancêtres.
Le premier prix de vers latins a été
obtenu par un jeune étudiant du collége
du Pleſſis, dont le nom promet beaucoup ;
(1) Voy. le Mercure de Février 1734 , p. 401.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
il s'appele RACINE , mais il n'est pas de la
famille du poëte célèbre.
Quel ſpectacle plus intéreſſant que le
triomphe de cette jeuneſſe laborieuſe ,
la plus belle eſpérance de la patrie !
C'eſt en voyant la noble émulation
qui l'anime , qu'on peut ſe convaincre
des avantages de l'éducation publique
fur l'éducation particuliere. Que de talens
qui auroient langui dans une éducation
privée , acquièrent d'activité &
& d'éclat dans ces combats d'efprits
réunis ! Ce choc &ces frotemens , pour
ainſi dire , de caractères différens , eſt
bien fait pour les polir & les adoucir,
C'eſt dans le ſein de l'Univerſité , que
cette élite de jeunes citoyens peuvent
perfectionner & éclairer leur raiſon ,
puiſer les principes du bon goût & de
la faine littérature , ſe préparer enfin à
remplir les fonctions différentes que la
naiffance , les richeſſes , le fort , ou les
talens doivent un jour leur diſtribuer,
I I.
Ecole Vétérinaire,
Le mardi 31 Juillet 1770 , les élèves
de l'école royale vérérinaire de Paris , fe
SEPTEMBRE. 1770. 17
livrerent , dans une ſéance publique , a
la recherche des raiſons de la nature dans
la ſtructure & la conformation du cheval ,
&ils s'efforcèrent de démontrer les avantages
de la connoiſſance de ces mêmes
raiſons.
,
Ces élèves , au nombre de ſeize , font
les ſieurs Pertat Lombard , Bafin ,
Doublet , cadet , Maranger , de la province
de Champagne , Huzard & Vatel ,
de Paris , entretenus par leurs pères ,
maîtres maréchaux ; Vaugien de la
province de Lorraine ; Dutronc , de celle
de Normandie ; Bravi , cadet , de celle
d'Orléans ; Préau , de la généralité de
Berri ; Auger , de la province de Bourgogne
; Commaille , de celle de Nivernois
; Dufour , dragon de Damas ;
Drigon , maréchal des logis du colonelgénéral
, dragon ; Gauvillers , maréchal
des logis du meſtre de camp général ,
cavalerie
Les ſieurs Lombard , Drigon , Huzard
obtinrent le prix : le ſort l'adjugea au
dernier.
Le ſieur Bravi , cadet , eut le premier
acceffit , & le fieur Lombard , le ſecond.
L'aſſemblée parut en général auſſi fatisfaite
du zèle des élèves , que des may
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
,
tières qui avoient été difcutées. Le directeur
général des écoles , qui tint la
ſéance en l'absence du ministre , annonça
aux élèves la marque honorable que
S. A. R. M. le Prince Charles a donnée
au fieur Chanut , leur confrère , de fon
confentement eu égard aux ſervices
qu'il a tendus dans le duché de Luxembourg
, en y combattant une maladie
dont les ravages étoient énormes. Ce
Prince , en effet , a daigné envoyer pour
lui une boëte d'or , contenant une lettre
de change de cent louis. Ce trait de
bonté de la part de S. A. R. fournit au
directeur général , l'occaſion de faire
ſentir aux élèves la néceflité de ne pas
ſe livrer uniquement à une théorie vaine ,
dès qu'elle n'eſt pas alliée à la pratique :
l'intention du gouvernement étant de
peupler les provinces , non de gens
raifonneurs , mais d'hommes véritablement
eſtimables & utiles.
ACADÉMIE royale de Peinture &
Sculpture.
Le ſamedi 28 Juillet, Mile. Vallayer ,
âgée de 22 à 23 ans , a été préſentée &
agréée le même jour à l'académie royale
de peinture & ſculpture. Ses tableaux ,
SEPTEMBRE. 1770. 175
dans le genre de fleurs , de fruits , de
bas reliefs , d'animaux , ont été la meilleure
recommandation de ſes talens .
Elle peut ſe placer à côté des maîtres
célèbres qui compoſent la première académie
de l'europe , pour les arts ; & , dans
un âge ſi tendre , & malgré les obſtacles
- de ſon ſexe , elle a porté l'art fi difficile
de rendre la nature , à un degré de perfection
qui enchante & qui étonne.
VERS à Mile Vallayer , nouvellement
reçue à l'académie royale de peinture &
deSculpture.
C'EST l'équité , non la faveur
Qui t'ouvre avec tranſport le temple de la gloire ;
Faut- il qu'une tropjuſte & trop fainte douleur
Flérrifle les lauriers que t'offre la victoire ! *
Les Plaiſirs , les Amours , vers toi prompts àvo
ler ,
S'empreſſent de ſécher des larmes
Qu'eux ſeuls voudroient faire couler.
Qui ne connoîtroit pas tes charmes
* Cette Demoiſelle a perdu, le ſur- lendemain
de fa réception , M. ſon père,
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Qui ne verroit que tes talens
Tecroiroit à l'automne , & tu n'es qu'auprintems.
Que tes tableaux divers rendent bien la nature !
Tu peins deux arts que tu chéris ,
Et la Muſique & la Peinture:
Quelle touche ! quel coloris !
Tu ne pouvois manquer cette double couronne ;
Bas -relief, vafe , fruits , légumes & lapin ,
Sous tes magiques doigts tout a fon trait certain,
On s'approche , on s'éloigne , on revient , ons'étonne!
Mais quel que ſoit l'effort de ton pinceau , je croi
Qu'il ne fera jamais rien de ſi beau que toi .
Par M. Guichard.
ARTS.
GRAVURE.
I.
Le Coucher de la Mariée , eſtampe d'environ
18 pouces de haut , fur 12 de
large , gravée d'après le tableau original
de M. Baudouin , peintre du Roi , par
M. Moreau le jeune , qui l'a commencée
à l'eau forte ; & par M. Simomet,
qui la terminée auburin .AParis ,
SEPTEMBRE. 1770. 177
chez Moreau le jeune , graveur , demeurant
rue de la Harpe,vis-à- vis M. le
Bas , graveur du cabinet du Roi ; prix ,
8 liv.
CETTE eftampe eſt une de celles dont
la compofition faitle plus d'honneur à M.
Baudouin. La mariée eſt ici repréſentée
dans le moment, que , foutenue par fa
mère , elle va ſe mettre au lit. Un
reſte de pudeur qu'elle fait paroître ,
ſemble donner un nouveau prix aux
faveurs qu'elle eſt prête d'accorder. Som
jeune époux s'eſt ſaiſi d'un de ſes
bras , & un genoux en terre lui jure
un amour éternel . Toute cette fcère
inſpire une volupté douce & pure . La
chambre où elle ſe paſſe eſt richement.
ornée. Des femmes qui s'empreffent de
ſervir la mariée , donnent du mouvement
à la compoſition de cette eſtampe ,
dont la gravure délicate & foignée , ne
peut manquer de plaire aux amateurs..
Ι Γ..
,
:
Les Douceurs de l'Été , eſtampe d'envion
15 pouces de haur , fur ro de
large , gravée par M. Moitre, graveur
H
178 MERCURE DE FRANCE.
du Roi , d'après le deſſin original de
François Boucher . A Paris , chez l'auteur
, rue St Victor , la troiſième
porte cochere àgauche , en entrant par
la place maubert ; prix , 3 liv.
Les douceurs de l'été font ici caractérifées
par une jeune & aimable femme ,
qui goûte la fraîcheur de l'air auprès d'un
canal , dans lequel elle vient de ſe baigner.
Elle eft accompagnée de ſa femme
de chambre . Un piedestal , fur lequel
eſt élevé un groupe de deux enfans , qui
jouent avec une chevre , fert d'ornement
à cette eſtampe gravée d'un burin net
& exercé.
III.
Arc de Triomphe de Titus - Vefpafien ,
eſtampe de 17 pouces de large , fur
13 de haut , gravée par M. Lemire ,
d'après le tableau original de M. de
la Croix . A Paris , chez Lemite , graveur
, rue St Etienne des Grès , prix ,
2liv. 8 f.
L'arc de Triomphe de Titus & quelques
autres fabriques onnent le fond de
cette agréable eſtampe , qui repréſente
SEPTEMBRE. 1770. 179
une marine. Sur le devant , pluſieurs
groupes de pêcheurs paroiſſent occupés
à tirer leurs filets . La gravure en eſt traitée
avec foin & d'un bon effet .
I V.
Portrait de Madame Louiſe - Marie de
Francé , née à Versailles le 13 Juiller
1737 , religieufe Carmélite , ſous le
nom de Soeur Thérèſe de St Augustin ,
au couvent de St Denis , en 1770. Се
portrait a été deſſiné & gravé parC. A.
Littrel . On le diſtribue à Paris , chez
Bligny , Cours du manège aux Thuilleries;
prix , liv. 4 f.
V.
Portrait de Mgr. le Duc de Chevreuse ,
pair de France , colonel-général des
dragons , & gouverneur de la ville
deParis , deſſiné parGuiller , &gravé
par Ingouf. Mgr. le duc de Chevreuſe
eſt ici repréſenté ſous l'uniforme de
dragon . A Paris , à la même adreffe
ci-deſſus.
VI.
Portrait de Profpert Joliot de Crebillon ,
gravé par J. B. Bradel , d'après le ta
Hvj
8 MERCURE DE FRANCE.
bleau de H. Doyen. A Paris chez
l'auteur , rue d'Enfer , au caffé de
Toulouſe.
Ce portrait eſt de format in-4°. Il fera
très bien placé à la tête de la belle édition
des oeuvres de ce célébre poëte tragique
, imprimée au Louvre. L'artiſte
l'a repréſenté en buſte ; le vifage eſt des
trois quarts , & n'ayant pour coëffure ,
que des cheveux blancs & très - courts.
VIL
Portrait de M. l'Abbé Aubert , deſſiné
par Aubert, & gravé par de Lorraine ,
qui le diſtribue chez lui , rue des
Francs -Bourgeois , place de St. Michel
, maiſon de M. Gouin..
Ce portrait eſt de profil & en forme
de médaillon. Il eſt principalement deftiné
à être placé à la tête des fables nou.
velles & du poëme de Pfiché , de l'aur
teur..
1
VIII..
Portrait de François Petit , médecin
de S. A. S. le duc d'Orléans , mort
en 1766 , peint par de Lorme , &
gravé par François-Robert Ingouf. A
SEPTEMBRE . 1770. 188
Paris , chez l'auteur , rue de la Parcheminerie
, vis-à-vis le paſſage St
Severin , chez un limonadier , au troiſième
; prix , 2liv.
M. Perit , revêtu de la robe de docveur,
eft ici repréſenté de face. L'eſtampe
a environ 14 pouces de haut , ſur 10 de
large. م
L'on diſtribue à la même adreſſe , le
portrait& médaillon de M. Louis-René
de la Chalotais , procureur général du
Roi au parlement de Bretagne ; prix ,
1. liv.
ÉLOGE de M. Boucher , premier peintre
du Roi & directeur de l'académie royale
de peinture & Sculpture , mort le 30
Mai 1770.
Si l'intérêt ou la vanité prodiguent des élogess
àceux qui n'ont été que grands, la justice &la
reconnoiffance dictent ceux des hommes qui ſe
font rendus utiles. Qui peut mieux y prétendre
que les artiſtes célèbres dont les noms immortels
illuftrent à jamais leur patrie ? L'hommage que
l'on rend à leur mémoire n'eſt pas ſeulement um
honneur que l'on accorde à leurs cendres , c'eſt una
182 MERCURE DE FRANCE.
tribut que l'on doit à leurs travaux & que l'on
paie à leurs talens .
•L'orgueil n'auroit ſans doute autrefoisjeté qu'un
regard dédaigneux fur l'éloge d'un homme qui
n'eut d'autres titres que ſes crayons & ſes pinceaux
; mais, dans un fiécle éclairé par le flambeau
de la philoſophie , on diftingue aisément le faux
éclat du vrai mérite , & les ſages qui compoſent
le corps le plus reſpectable de la nation, ont enfin
oſé donner l'exemple utile d'honorer fans diftinction
tous les hommes de génie: Dans le temple
auguſte des muſes nous avons vû mêlées enſemble
Ies couronnes de Deſcartes & de Sully , de Daguefleau
&de Moliere , & nous ne doutons point
que l'académie françoiſe n'eût un jour accordé aux
peintres célèbres les honneurs qu'elle a rendus aux
hommes illuftres , fi ces honneurs n'appartenoient
plus immédiatement à celle dans laquelle ces arriftes
fameux ont mérité d'occuper la premiere
place. Mieux inſtruite ſans doute du mérite de
celui que cette académie vient de perdre , elle eft
plus capable de louer dignement celui que nous
regrettons avec elle & nous ne prétendons point
entrer en lice.
:
Dans l'éloge que nous ofons entreprendre , le
fiendeviendra le trophée élevé à la gloire de ce
grand homme , le nôtre ne ſera que le monument
denos regrets.
François Boucher nâquit à Paris en 1704. Eleve
de M. le Moine , il remporta le premier prix de
peinture le 28 Août 1723 , étant âgé de dix -neuf
ans. Les grandes eſpérances qu'il donnoit alors
ne furent point trompées. Afon retour de Rome ,
il fut unanimement agréé le 24 Octobre 1731 , à
J'académie royale de peinture qui le reçut le 30
SEPTEMBRE. 1770. 183
Janvier 1734. M. Boucher éroit alors au plus haut
degré de ſa gloire; il fut nommé adjoint à profeſſeur
le 2 Juillet 1735 , & profefleur le 6 Juillet
1737. Bien différent de ceux qu'un ſeul ſuccès a
fait connoître & qui , ſentant leur incapacité ,
craignent de compromettre leur réputation en
rentrantdans la carriere , M. Boucher ne chercha
qu'à foutenir la fienne par de nouvelles productions
, & ſes ſuccès ne ſe démentirent pas plus que
ſes travaux. Il fut nommé adjointà recteur le 29
Juillet 1752 , & élu recteur le premier Août 1761 :
enfin il obtint , le 23 Août 1765 , l'honneur d'être
choiſi par le Roi pour occuper la place de premier
peintre de S. M. dans laquelle il fuccéda à
Carle-Vanloo.Tout le Public applaudit à ce choix,
& l'académie fit connoître combien il lui étoit
agréable, en donnant la place de directeur au premier
peintre , qui ne la poſſéde pas toujours , &
qui ne l'obtient que par le ſuffrage de les confreres.
Plusjaloux de leur amitié que des égards dus
à ſa place , il en abandonna volontiers tous les
droits; il lui fuffiſoit de l'avoir méritée : il avoit
enfin obtenu tous les honneurs qu'il pouvoit efpérer
de la France , &il étoit loin de s'attendre à
ceux qu'alloit y joindre une nation étrangere.
L'académie de St Petersbourg defirant entretenir
une correſpondance intime avec celle de France ,
lui écrivit qu'elle fouhaitoit s'attacher , en qualité
d'aflocié libre , quelqu'un des membres de notre
académie , à laquelle elle laiſſoit le choix , il
tomba unanimement ſur le premier peintre , qui
y fut ſenſible ſans s'en prévaloir.
Les principales époques de la vie de cet artiſte
n'ayant donc été marquées que par les dignités
qu'il a méritées & obtenues dans lon académie
nous paflerons rapidement fur cet objet. La meile
134 MERCURE DE FRANCE.
Jeure maniere de louer ce grand homme feroitde
parler de ſes ouvrages ; mais le nombre en eft fi
prodigieux qu'un volume énorme ſuffiroit à peine
pour en contenir les noms ſeulement ; le burin
d'ailleurs en a conſacré la plupart , & preſque tous
ſe trouvent à chaque inſtant ſous les yeux de tout
le monde: le ſeul parti qui nous reſte eſt de hafarder
quelques réflexions ſur les talens particuliers
de M. Boucher ; ce peintre devant néceflairement
faire époque dans l'école françoiſe , cette
matiere n'eſt pas,je penſe,la plus indifférente pour
les vrais amateurs & fur- tout pour les jeunes arriſtes;
l'éloge raiſonné d'un grand homme doit
êtreune leçonpour ceux qui ſe diſpoſent à le ſuivre.
L'Invention , fille du Génie &mere de la peinture
comme de tous les arts , fut pour ainfi dire
au commandement de M. Boucher. Nul peintre ,
dans les trois écoles ne fut plus fécond ; aucun ne
le fut autant dans l'école françoife. Un travail
continuel de plus de douze heures par jour depuis
T'inſteur de for enfance où il prit les crayons jufqu'aux
derniers momens de ſa vie, n'avoit pu
parvenir à deflécher ſon génie. C'étoit une mine
intariſlable que le tems ne pouvoit épuiſer ; plufieurs
perſonnes ont entendu dire à cet artiſte qui
ne ſavoit ce que c'étoit que de ſe vanter , puilqu'il
n'en avoit pas befoin ; qu'il comptoit n'avoit
pas compoſé moins de dix mille deſfins croqués
ou finis , & plus de mille tableaux en y comprenant
les ébauches & les eſquiſſes . Mais ce qui paroît
inconcevable dans cette étonnante fécondité,
c'eſt qu'il ne peignit la nature qu'en beau , qu'il
ne la montra jamais que ſous un aſpect aimable
& riant ; il évita fur - tout ce mêlange ridicule
d'objets qui ne ſe ſontjamais trouvés enſemble &
1
SEPTEMBRE. 1770. 185
,
qui répugnent au goût en mettant le jugement en
défaut : s'il s'égaya quelquefois dans le genre de
Bamboche , il ſout l'embellir fans le dénaturer &
n'offrit jamais des objets odieux ou dégoûtans
parce qu'il ſavoit que les yeux ont horreur des
choſes que les mains ne voudroient pas toucher.
Fidèle à ſon ſujet , il n'admetroit jamais dans ſes
compofitions rien qui lui pût être étranger ou inutile
, quoiqu'il eût coutume de rendre ſes tableaux
très-riches (& c'eſt en cela qu'il fit admirer fon
goût ) ce même goût qui l'avoit éclairé dans le
choix& la diftribution de ſon ſujet le guidoit encore
lorſqu'il prenoit le crayon. Ses figures contraſtées
ſe balançoient également ſur leur centre
&leurs contours , ondoyans comme la flamme ,
étoient coulans & preſque imperceptibles. Il favoit
rendre compte de tous les muſcles avec connoiflance
, mais ſans affectation d'anatomie , à
moins que ce ne fut dans des mouvemens contraints
ou dans des paſſions violentes .
L'expreſſion , cette partie qui ſe refuſe au pinceau
quand elle n'est pas fortement conçue dans
la tête , ne manquoit jamais à notre artiſte , parce
qu'il ſavoit quel trait ou quelle ombre plus ou
moins prononcée ſont propres à marquer l'amour
ou la haine , la joie ou la triſteſſe , l'eſpérance ou
le déſeſpoir , la terreur ou l'intrépidité , la clémence
ou la colere , & qu'une grande habitude
lui faisoit ſur le champ trouver le caractere des
paſſions avant que ſa penſée eût le tems de s'affaiblir
ou de s'évaporer , ce qui ne manque pas
d'arriver lorſqu'on eft obligé de tâter l'expreffion ;
celle de la tête , & fur - tout celle des yeux font
fans doute les plus propres à montrer les affections
de l'ame, mais il faut que toutes les autres parzies
du corps y concourent , & ne point donner à
186 MERCURE DE FRANCE .
une figure une attitude impoſante , un geſte arrogant
lorſque ſa tête baillée n'annonce que l'humilité;
ces contreſens ne font que trop fréquens
fur tout chez les jeunes gens , par la fureur qu'ils
ont de prononcer tous les muscles. Il fant encore
prendre garde aux bienféances , & que la colere
d'un prince ne reſſemble point à la férocité d'un
foldat ; car l'éducation , qui est devenue une ſeconde
nature , le fait encore fentir dans les paffions
les plus violentes ; c'eſt ce qu'obferva toujours
fcrupuleuſement le premier peintre dont
nous faiſons l'éloge .
Les expreffions fortes ne font pas les ſeules
qu'un peintre doive rechercher. Il n'eſt pas moins
difficile d'émouvoir la compaffion que d'inſpirer
la terreur ; & la Reine Médicis regardant le fils
auquel elle vient de donner lejour , n'est pas moins
un chef d'oeuvre de l'art que l'Héliodore de Raphaël
: fi la fierté nous en impoſe , les graces nous
touchent& nous entraînent , & l'on ne peut difconvenir
qu'elles conduifirent toujours les pinceaux
de Boucher. Il leur fut toujours fidèle &
jamais elles ne l'abandonnerent ; mais le ſecret de
les fixer ne peut s'enſeigner , c'eſt un préſent de
la nature ; celui qui ne l'a point reçu doit y renoncer
, car elles fuient dès que l'on court après
elles.
Le coloris que les anciens appeloient la Dame
d'atour de la peinture , n'eſt guère plus fufceptible
de ſe réduire en préceptes ; c'eſt une magie
dont le ſecret ne s'apprend que par les yeux ; les
tableaux des grands maîtres ſont les meilleures
leçons , & ceux du bon tems de M. Boucher
doivent être regardés comme d'excellens modeles
; la couleur étoit vraie , locale harmoSEPTEMBRE.
1770. 187
nieuſe , quoique toujours brillante ; ce qui lui
donnoit un effet en même tems ſi juſte & fi .
agréable , c'eſt la grande connoiſlance avec laquelle
il ſçavoit conduire ſes tons & diftribuer
fes lumières & ſes ombres ; il faisoit valoir ſes
corps , éclairés par des ombres qui ſçavoient arrêter
l'oeil , & ne lui permettoient d'aller plus
loin , qu'après avoir examiné l'objet qui l'avoit
appelé : dans un art fait pour la vue , c'eſt principalement
elle qu'il faut chercher à fatisfaire ;
mais elle ne peut l'être , qu'autant qu'elle eſt
trompée ; c'eſt pour cela que les parties ſaillantes
doivent être traitées , comme le montre un
miroir convexe; c'est - à - dire , plus vives que
nature ; & celles qui tournent , plus rompues &
plus éteintes par la privation de la lumière. Il
faut donc ſe garder d'introduire deux jours
égaux dans le même tableau .Que la lumière frappe
fortement le milieu , & ſe renvoie par écho fur
toutes les parties faillantes , en diminuant toujours
à mesure qu'elle s'éloigne de ton foyer ;
mais toutesfois tans papilloter aux yeux , &
qu'après de grands jours , il ſe trouve de grandes
ombres. La vue doit encore être fatisfaite par
l'union des couleurs , qui doivent être amies &
participer à l'harmonie des objets qui le touchent,
&qui ne doivent être , pour ainſi dire , dißinguées
, que par la dégradation du clait - obícur ,
fur-tout dans les parties éloignées , l'accord
d'un tableau vient encore du champ , qui doit
être fait du mélange de toutes les couleurs qui
compoſent l'ouvrage , comme ſeroit le teſte de la
palette avec laquelle il auroit été peint ; c'eſt ce
que l'on reinarque , fur- tout dans les tableaux
de M. Chardın,& ce que l'on admiroit dans ceux
de M. Boucher,
188 MERCURE DE FRANCE .
Après avoir parlé du coloris de ce peintre des
graces , il ne nous reſte plus qu'à admirer fa
touche facile , élégante & toujours ſpirituelle ;
mais je n'inviterai point les jeunes artiſtes à
l'imiter ſervilement ; il faut que chacun ait la
fienne , &, lorſqu'on veut ſuivre les grands hommes
, il faut chercher à s'approprier leurs talens ,
fans s'aſſervir à leur manière. Les graces ne fe
copient point ; elles ceffent de l'être , dès qu'elles
font étudiées ; le génie ne s'acquiert pas davantage
; Minerve fortit toute armée du cerveau de
Jupiter & Vénus parut toute formée pour
plaire , ſur le ſein de l'onde où elle avoit pris la
naiſſance : les maîtres les plus habiles n'ont
ſouvent laiflé que de foibles copiſtes . Pater &
Lancret nous font regreter Wateau , & c'eſt en
vain que quelques élèves de M. Boucher , cherchentà
nous déguiſer les graces qu'ils lui ont
dérobées ; il n'ont fait que les rendre étranges , en
les affublant d'habillemens étrangers.
La mémoire de ce peintre célèbre que l'on
nous fait regreter de tant de manières , ne gagnera
pas moins à l'éloge de ſon coeur , qu'à
celui de ſes talens; il fut ſenſible , obligeant ,
déſintéreſſé , modeſte & très - généreux ; aucun
artiſte n'a plus que lui enrichi ſes amis de ſes
productions précieuſes ; il ne ſçut jamais profiter
de ſa grande réputation pour augmenter le prix
de ſes ouvrages ; il étoit plus avide de gloire
que de richeſſes , & , avec cette nobleſſe de
fentimens , plus l'honneur est certain , moins
l'intérêt ſe fait fentir. M. Boucher donnoit ſes
avis avec franchiſe à ceux qui venoient le confulter
, & recevoit avec reconnoiffance , ceux
dont il ſentoit la juſteſle; il avoit de l'eſprit
SEPTEMBRE 1770. 189
naturel & du penchant à la gaité ; mais le ſel
de la plaifanterie ne devint jamais amer dans
fabouche; il aimoit les lettres , ſe plaiſoit avec
ceux qui les cultivent , & le cabinet de curioſité
de preſque tous les genres qu'il a formé à
grands frais , & qui fans contredit eſt un des
plus intéreſſans de l'europe par ſa variété , atteſte
également ſon goût & ſes connoiffances.
Nous n'appréhendons point que les louanges
que nous prodiguerions à la mémoire de cet
homme célèbre, exciraffent l'envie après ſa mort ,
puiſque , malgré ſes talens , il n'eut que des
amis pendant ſa vie ; mais nous craignons
d'augmenter les regrets en rappelant ſes belles
qualités : nous ne pourrions jamais répandre
autant de fleurs ſur ſa tombe , que les arts &
l'amitié y verſeront de larmes ; & , fi quelque
choſe peut adoucir la perte ſenſible que nous
venons de faire d'un artiſte ſi cheri , c'eſt de
voir ſes places remplies par un ſucceſſeur qui n'inf.
pire pas moins d'eſtime pour ſa perfonne , &
d'admiration pour ſes talens. (1 )
(1 ) La place de premier peintre du Roi & celle
de directeur de l'académie , ont été données à M.
Pierre , premier peintre de S. A. S. Mgr. le duc
d'Orléans , chevalier de l'ordre de Saint Michel
, &c.
Par M. Desboulmiers , ancien capitaine
de cavalerie,
190 MERCURE DE FRANCE.
MÉMOIRE fur la destruction des Loups.
LEs loups font un des fléaux les plus redoutables
dans les campagnes ; on ne fauroit imaginer
les ravages énormes qu'ils y font , & il ſemble
qu'on n'y a fait une ſérieuſe attention que depuis
que leur rage s'eſt exercée avec fureur ſur unnombre
conſidérable de perſonnes de tout âge & de
tout sexe.
La deftruction de ces animaux qui , dans pluſieurs
provinces, attaquent les poulains, les boeufs
& les bêtes à laine , & en raviffent un nombre
prodigieux , ſeroit donc un objet d'autant plus
effentiel que l'eſpéce des chevaux élevés dans les
forêts & en plein air , ſeroit infiniment meilleure;
que les moutons toujours parqués fans danger ,
bonifieroient les terres , & donneroient une laine
d'une qualité ſupérieure ſi l'on pouvoit fupprimer
les bergeries; &qu'enfin on préviendroit une quantité
de malheurs dont l'humanité qui en gémit ,
n'eſt que trop ſouvent la victime.
Ce ſont ces réflexions ſans doute qui ont donné
naiſſance àpluſieurs projets qu'on préſente tous
les jours pour la deſtruction des loups ; mais la
plûpart , ſous le prétexte du bien public , n'ont
pourbut qu'un intérêt particulier , & les différens
moyens qu'on propoſe ſont plus diſpendieux les
uns que les autres .
Un gentilhomme du Nivernois , qui fait toutes
les années des pertes immenfes & qui a vu les
loups enlever , à un de ſes voiſins , vingt - trois
SEPTEMBRE. 1770. 191I
poulains ſur vingt- quatre , a recherchéles moyens
de procurer , non ſeulementà ſon canton , toute
fûreté ſur ce point , mais encore à tout le royaume.
La chaſle faite avec bruit n'opère , pour ces animaux
, que la fuite d'un lieu à un autre ;ils ſe portent
pendant quelques jours plus loin , & après
avoir commis des dégâts dans la partie où ils ont
été ſe réfugier , ils reviennent dans l'autre lorfqu'on
n'y chaſle plus .
Le poifon , comme on l'a employé juſqu'à pré.
ſent, a produit plus d'effet; mais , quand il n'eſt
mis en uſage que dans un canton , ce même canton
ſe repeuple bien vîte& en très - peu de tems
d'autres loups.
A l'égard des piéges & des appâts , peu de gens
s'en ſervent , & ce moyen ne s'étend que ſur un
trop petit nombre de ces animaux.
Ce gentilhomme prétend avec raiſon que le
loup eſt un animal qui imite tous les animaux
carnaffiers; il eſt obligé de parcourir une grande
étendue de pays pour chercher ſa nourriture : le
printems& l'été , il habite les bois , dans leſquels
il ſe repaît de faons , de marcaſſins & de jeunes
animaux de toute eſpéce dont il fast fon aliment
journalier; auſſi voit- on, que dans l'une & l'autre
de ces ſaiſons , il laiſſe aſſez ordinairement les
grands animaux & les animaux domestiques tranquilles
: en hiver & en automne , le gibier eft plus
en état de ſe défendre &de fe dérober à ſes pourfuites
, il rode ſans cefle alors autour des différens
troupeaux , & en dévaſte une grande partie.
Onlait alors avec quelle rapacité il ſe jette ſur les
charognes qu'il rencontre : il s'agiroit donc de
faire un règlement général qui preſcriroit àtous
192 MERCURE DE FRANCE.
les villages , à tels jours fixés , aux fêtes de Noël,
par exemple , ou au commencement de l'année ,
d'empoiſonner une bête quelconque , capable de
fervir de pâture à pluſieurs loups , & cela pendant
plufieurs années confécutives. Chaque paroifle
acheteroit une bête au plus bas prix , foit âne ,
cheval , boeufou vache : cette bête ſeroit conduite
au jour indiqué , dans un endroit déſigné , & le
plus à la portéedes bois , là elle ſeroit tuée & écor
chée , on en découperoit les muſcles , on ſaupoudreroit
le tout de noix vomique pilée , tant en-dedans
qu'en- dehors de l'animal , au bout de huit
jours d'expoſition de cette bête on en enterreroit
les reſtes qui pourroient nuire aux chiens : un ſyndic
feroit chargé de cette opération , & il ſeroit
tenu , ſous peine d'une forte amende , d'envoyer
dans le mois ſuivant au miniſtre , un certificat
ſigné du ſeigneur , du curé , & de pluſieurs notables
, de l'exactitude avec laquelle l'opération auroit
été faite.
On doit ajouter ici que ce moyen ne coûteroit
pas ce que chaque paroiſſe ſupporte en taxation
par tête de loup; l'eftimation d'une mauvaiſe bête
peut être portée à huit ou dix livres , deux livres
de noix vomique coûteroient quarante ſous , ainſi
la dépenſe ne ſeroir pas bien grande , & ne ſeroit
point onéreuſe aux campagnes.
On fera peut- être cette objection , que les chiens
pourroient être empoisonnés ; mais tous les payſans
inſtruits les renfermeront pendant ce léger
eſpace de tems , & ceux qui n'auroient pas cette
attention mériteront de les perdre,
On pourra ajouter encore que c'eſt en quelque
forte un nouvel impôt que l'on mettroit ſur les
paroifles , mais d'autres moyens qu'on a propoſés
feroient
SEPTEMBRE. 1770. 193
feroient vraiment onéreux & deviendroient une
impoſition bien plus cruelle; d'ailleurs l'avantage
qu'on retireroitde la deſtruction des loups , pourroitdéterminer
des arrangemens qui faciliteroient
certe modique dépenſe.
De l'Imprimerie royale.
LETTRE fur la conſtruction de la charpente
de la nouvellefalle de Versailles ;
parM. P.....
La deſcription de la magnifique falle de ſpectacle
nouvellement conſtruite à Verſailles , qui a
été inférée dans le Mercure du mois d'Août 1770,
doit être très - fatisfaiſante , tant pour les amateurs
en ce genre que pour les artiſtes qui ont
concouru par leurs talens à la perfection de ce monument.
L'on n'a rien négligé pour en faire connoître
la forme & les proportions , ainſi que la
maniere noble , riche & élégante dont cette falle
eſt décorée. Les ſoins que l'on a pris (& qui méritent
d'être imités) pour la rendre ſonore n'ont
point été oubliés ; enfin cette falle que l'on a taché
de rendre dignede la majeſté &de lamagnificence
du Roi , peut aller de pair avec le château dont
elle faitpartie.
La charpente du comble de cette falle mérite
fur-tout l'attention des connoiffeurs & des maîtres
de l'art ; ce qui en a été dit dans la defctiption
de cette falle eſt certainement très- mérité , mais
n'eſt pas affez étendu pour donnerune idée de fa
conftruction.
194 MERCURE DE FRANCE.
Les arts , au progrès deſquels il eſt permis à
tout citoyen de s'intéreſſer , exigent que l'on fupplée
à ce quia été obmis , & qu'on ne pouvoit ſe
difpenfer d'inférer dans la deſcription mentionnée
ci-deſlus .
Un motif non moins puiſſant eſt l'utilité ; car ,
non - ſeulement cette charpente eſt un excellent
modèle pour toute ſalle de ſpectacle , mais encore
elle pourroit s'adapter à tout édifice de la plus
grande portée.
Telles font les raiſons qui nous engagent à la
décrire , malgré les difficultés qu'il y a de ſe faire
entendre ſans l'aide du deſſin .
Onn'entrera pas dans le détail des obſtacles
qu'eut à furmonter M. Arnoult , ingénieur-Machiniſte
de Sa Majeſté , à qui l'on doit la coupe
de cette charpente ; il a d'autant mieux réuffi à
cet égard, qu'il a été parfaitement bien ſecondé
par le Sr Brian , maître charpentier du Roi , qui
l'a exécutée avec toute la précition&toute la net
teté poſſible ; c'eſt une juſtice que l'on doit rendre
aux talens du Sr Briand , en difant qu'il eſt
entré avec beaucoup d'intelligence dans les vues
de cet habile machiniſte .
La ſtructure de cette charpente , auſſi hardie
qu'ingénieuſe , a un rapport immédiat avec les
machines & avec le plafond de la ſalle de ſpectacle.
C'eſt avec cette rélation ou ſans cette rélation
qu'on peut la conſidérer.
Cette charpente , ainſi qu'il a déjà été dit , a 63
pieds de portée dans oeuvre; elle occupe tout le
deſſus du théâtre ainſi que le deſſus de la ſalle ,&
forme une galerie longue de cent cinquante pieds,
large entre les clefs pendantes ou poteaux de 20
pieds &haute dans toute ſon étendue, entre les3
SEPTEMBRE . 1770. 195
deux entraits , de onze pieds. Cette galerie eſt ou
ſe fait le ſervice des machines .
La charpente dont il s'agit n'eſt compoſée que
dedouze fermes , diftantes les unes des autres de
douze pieds dans leur milieu. Ce comble ſe termine
par une croupe à ſes extrêmités.
Chaqueferme eſt compoſée d'un grand entrait,
de 69 pieds de long , en trois parties aflemblées à
mi -bois & àdoubles queues d'aronde, lequel porte
le plancher des machines. Le grand mobile de la
charpente eſtdeux moiſes de chaque côté de la ferme
, leſquelles ont 42 pieds de longueur. Ces
moiſes ſont des piéces de bois parallèles , leſquelles
uniflent & afſujettiſſent dans toute leur longueurtoutes
les pièces de bois qui compofent la
ferme; ſavoir , les clefs pendantes ou poteaux entre
le grand & le petit entrait; cinq contre-fiches
qui , de leur autre bout , ſont aſſemblées dans l'arbalétrier
, avec lequel ces moiſes ſont parallèles ;
ces moiſes ſe trouvent aflujetties par le haut dans
le poinçon , & par le bas elles ſont enclavées dans
deux autres moiſes ou jumelles de vingt pieds de
long , leſquelles ſont parallèles au mur , à deux
&trois pouces de diſtance. Ces dernieres moiſes
ou jumelles aſſujettiſſent ſur le grand entrait le
pied de l'arbalétrier à 38 pieds de long & s'aflemblent
par le haut dans le poinçon. Le poinçon eſt
enclavé dans le petit entrait qui lui fert de baſe ,
&lepetit entrait lui-même ſe trouve enclavé par
les grandes moiſes.
Lapartie latérale de la charpente entre chaque
arbalétrier eft tenue en écartement par le feſtage ,
cinq pannes portant les chevrons & la plate forme
qui reçoit l'aboût des chevrons , ainſi que l'aboût
des grands entraits. Dans l'intérieur du comble
I ij
MERCURE DE FRANCE.
1
les écartemens ſont tenus par quatre entretoifes
allemblées dans les clefs pendantes ou poteaux .
Ce qui rend cette charpente unique dans ſon
genre , c'eſt qu'elle eſt aſlemblée de maniere que
rien ne tire ni ne pouſſe contre les murs puiſqu'elle
n'y touche qu'en partie , au moyen des moiſes ou
jumelles dontnous venons de parler : fon aflemblage
dans les parties n'eſt pas moins particulier ;
ce ne font que des entailles approchées par des
boulons de fer à écroux , ce qui produit par-tout
la force du bois de bout.
Tous les cylindres relatifs aux machines font
agencés dans la charpente qui lui ſert de ſupport .
Voilà ce qui concerne la partie du comble au-deffusdu
théâtre.
Au-deflus de la ſalle , la charpente est compoſée
de fix fermes ſemblables à celles du theâtre; la
différence qui s'y trouve, c'eſt qu'au - deſſous des
grands entraits on en a ſuſpendu cinq autres qui
portentun plancher& le plafond de la ſalle. Ces
cinq entraits ont quatre - vingt - quatre pieds de
long , font aflemblés comme les autres & font
Luſpendus pardes étriers de fer. Les abouts ſont
dans les murs , &ils ſont encore ſoutenus pardes
pans de bois qui portent directement ſur les co-
Jonnes de la galerie des troiſièmes loges que l'on
a dit être de menuiserie , mais qui n'en font que
revêtues . Le noyau de ces colonnes eſt de charpente
, auffi fort que l'a pu permettre le diamètre
de l'ordre. Ces colonnes qui , en apparence, ſemblent
ne porter que le plafond de la falle, portent
en effet tout le comble de la ſalle , à l'exception
ſeulement de la croupe qui porte ſur le mur circulaire.
On peut ſentir la difficulté qu'ilya cu
pour aſſujettir des fermes auffi confidérables fur
des colonnes iſolées.
SEPTEMBRE. 1770. 19
Le plafond de la ſalle dont la ſtructure a été
heureuſement imaginée par M. Arnoult , eſt ſufpendu
par des crochets de fer qui tiennent d'un côtéà
lamenuiserie , &de l'autre à des ſolives de 60
pieds de long , poſées en vibration ſur les derniers
entraits &fans être autrement attachées ; ce qui
contribue à rendre la ſalle fonore.
Toute cette charpente eſt peinte en couleur de
bois, & la ferrure eſt rechampie en fer , ce qui produit
un coup -d'oeil agréable ; ajoutez que le peu
deconfufion qui y tègne en fait aifément appercevoir
toutes les parties. On ne dira rien dela maniere
dontle comble eſt éclairé ; on ne s'eſt attaché qu'à
donner quelques notions de cette belle charpente ,
où tout eft fi bien proportionné que fon inſpection
ne peut que faire honneur à ſon inventeur.
A Versailles , le 19 Août 1770.
DE L'ENNUI.
ON cherche l'origine de l'ennui , cette mala
die de l'eſprit , ce défordre de l'ame qui nous force
àcourir ſans cefle après des objets vains & frivoles
? Si l'on croïoit que les objets mépriſables &
futiles qui nous occupent, les diffipations tumultuaires
des hommes fuflent la cauſede leur ennui ,
on ſe tromperoit fans doute , & l'on prendroit
pour le mal dont nous cherchons l'origine , les
triſtes moyens qu'on emploie pour le ſoulager.
Semblables à ces malheureux que la douleur tour
mente , & qui adoptent aveuglement tous les remèdes
qu'on leur propoſe, les hommes , par la
,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
diffipation & la recherche variée des plaiſirs , s'éforcent
d'échaper à la mélancolie qui les confume
, mais ils l'eſpérent en vain : envain les merveilles
de la nature ſe raſſemblent- elles pour contenter
leur ame , en vain l'imagination menfongere
des hommes forme - t-elle des êtres idéaux
pour qu'ils puiflent fatisfaire leur coeur; on peut les
abufer un moment , mais la magie ceſſe , l'illufion
paſſe , & l'homme livré à lui- même , l'eſt à la douleur
, au mécontentement , au trouble &à la triftefle.
Ce ne font donc pas les occupations diverſes
où les hommes s'abandonnent qui produiſent l'ennui
dont ils font dévorés ; c'eſt dans le propre état
de leur condition naturelle qu'il faut en chercher
la principale cauſe ; c'eſt le ſpectacle affligeant de
nous - mêmes qui nous jetant , ou dans l'humiliation
la plus douloureuſe à l'amour - propre , ou
dans les labyrinthes du doute & de l'incertitude ,
nous fait chercher avec avidité tout ce qui nous
dérobe à nous , & nous tient ainſi dans l'agitation
&dans un trouble perpétuel .
Vainement les objets de nos diſſipations auroient-
elles une importance plus grande qu'on ne
leur en ſuppoſe communément, ils ne tarderoient
pas à s'impregner des vapeurs de l'ennui & du dégoût
de notre exiſtence ; ils prendroient bientôt
la teinte triſte& ſombre du poiſon qui nous confume
, & bientôt nous courrions après de nouveaux
objets qui , n'ayant pas encore eu de rapports
directs avec nous , ne nous rappeleroient
pas encore la vue denotre mifére effective ; de-là
l'obligation de les varier ſans ceſſe, de-là ces goûts
monstrueux , ces fantaiſies biſarres , ces erreurs
aimables qui tour - à - tour nous charment, nous
déplaiſent , nous amuſent &nous ennuient ; fi ,
SEPTEMBRE. 1770. 199
fatigués de courir après ces fantômes de bonheur
qui nous échapent & s'évanouiflent au moment
quenous croions les tenir , nous voulons rentrer
dans notre ame , qu'y trouvons- nous ? Un vuide
affreux , des penſées accablantes , des réflexions
triſtes & funeſtes , le mépris de nous - même , les
regrets du paflé , l'horreur de l'avenir, les remords.
Alors effrayés de nous voir , tremblans à la vue
des ſpectres que notre raiſon vient d'évoquer ,
nous rejetons ces images phantaſtiques du bonheur
, nous les cherchons encore , & nous courons
nous précipiter avec elles dans les abymes du
menſonge , des illuſions & de l'eſpérance. Ces
hommes courbés ſous le faix , ſe ſoutenant à peine
, chantent encore en marchant pour endormir
leurs maux & ſe diſtraire du fardeau qui les accable
; pourquoi donc, par des occupations multipliées
, dans des diſtractions éternelles , ne chercherions-
nous pas aufli à alléger le poids accablant
de nous-mêmes ; ce ſont à la vérité des reſſources
bientôt uſées & qui ſe nuiſent entr'elles , mais
rapportons - nous- en à nos inconſtances éternelles
&aux bizarreries de notre humeur pour les voir
ſerenouveller fans ceſle ; mais quoi ! l'erreur ſeule
peut- elle adoucir nos maux , & faut - il donc devoir
à un ſi triſte remede un ſoulagement paflager
? Quoi , la philoſophie , la ſageſſe , la modération
, ne donnent - elles pas des moyens pour
échapper au mal qui nous pourſuit ; & l'art de réſiſter
à ſes penchans ne ſera-t- il pas plus ſalutaire
que l'habitude de s'y abandonner ? Non. Cette
nouvelle occupation nous rapprochant plus de
nous , nous rappelera davantage à nos maux .
Autrefois on appeloit philofophie l'amour de
la ſageſſe. Il faut définir l'amour de la ſageſle; ce
I iv
400 MERCURE DE FRANCE.
peut- être l'amour de l'ordre qu'il faudra encore
définir, & de ces définitions il réſultera que la
philoſophie eft le defir d'être heureux. Tous les
hommes l'ont , & font fûrement plus éclairés fur
les moyens de le devenir que ne peuvent l'être
tous les philoſophes de la terre. Aujourd'hui on
appele philoſophie la connoiffance très - douteuſe
dequelques loix du monde phyſique , l'explication
de plufieurs phénomènes de la nature , la recherche
des principes de la morale , de ceux de
meilleur gouvernement &l'étude ſyſtématique du
coeur humain. Où conduiſent ces prétendues ſciences
? Si l'on fe repaît d'une connoiffance ſtérile fur
ces objets , c'eſt une erreur raifonnée qui , pour
nous diſtraire , comme toutes les autres, de notre
ennui , n'en détruit point pour cela le principe ;
1nous prétendons pénétrerjuſqu'à la vérité , nous
appercevrons bientôt l'impoſſibilité de la connoître
jamais. Nos opinions changeront , le doute
fubfiftera , & l'étude augmentera notre mélancolie
en nous montrant évidemment la mifére de
notre condition. Auſſi les hommes qui ont bien
ſenti la néceffité d'en éloigner de leurs yeux le
ſpectacle affligeant , ont renoncé à leur condition
naturelle pour s'occuper principalement de leur
condition civile; l'ambition nâquit alors , cette
petitefle de l'eſprit qui fait attacher un grand prix
àdes choſes frivoles, & fi vaines que dès qu'il les
pofféde , l'homme s'ennuie aumilieu de ſa gloire,
de fes titres & de ſes envieux. Ces honneurs qui
auroient dû , ce ſemble , fatisfaire fon coeur , n'y
portent que le dégoûe , le vuide & l'inquiétude ,
il revient alors à lui-même , c'est-à-dire à l'ennui
intéparable de ſon exiſtence. Rien ne peut - il
donc l'y ſouſtraire ? L'amour le peut. Cette ſeule
paffion détournant eutierement nos regards de
SEPTEMBRE . 1770 . 201
4
nous-même & les fixant ſur l'objet de notre idolâtrie
, attaque directement la ſource de notre
ennui ; mais les remèdes qu'elle emploie laiſſeront
àjamais l'impreſſion de leur violence , & le preftige
de l'amour étant une fois évanoui , le vuide
& l'ennui où nous retomberons ſeront d'autant
plus effraïans que nous ferons moins accoutumés
àla vue odieuſe de nous - même , au ſentiment
affligeantdenotre exiſtence &à la penſée de notre
fin prochaine qui , plaçant les objets dans leur
véritable jour , & montrant la vanité des choſes ,
ne nous laiſſera que le choix affreux de l'ennui ou
dudéſeſpoir.
Mais , dira-t- on , il y ades perſonnes qui ne
s'ennuient point ? Les animaux en effet ne paroiſſent
pas connoître beaucoup l'ennui , &, parmi
les hommes , ceux qui leur reſſemblent leplus
paroiſſent auffi être les moins fufceptibles de ceriemaladie
, ou plutôt elle eſt en eux moins développée.
En général ceux qui penſent le moins en
font toujours moins atteints. Ce qui confirme
bien que l'ennui naît abſolument de la vue de
nous - même &des réflexions que cette vue fuggére.
Cette maladie agiſſant lentement , fourdement&
fans relâche , pourra même quelquefois
n'être pas obſervée de ceux qui en ſeront le plus
confumés. Faute d'être capables de replier leurs
penſées ſur eux , ils ne découvriront jamais
leur mal , & communiquant l'ennui à tour
ce qui les environne , ils ſe féliciteront de ne le
pas connoître. Il est vrai que,n'ayant pas du bonheur,
de la vertu &de l'éternité, les grandes idées
qui naiſſent dans une ame ſenſible & éclairée ,
n'ayant pas de notion du prix réel des chofes , ils.
auront moins de ſujets de ſe déplaire à eux -mê-
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
me que ceux qui , ſe traçant fortement cet érat
parfait de bonheur , de jouiflance & de vertu ,
s'attriſtent d'en être ſi loin & tombent dans la
douleur & l'amertume où doit néceſſairement jeter
une privation ſi grande. Plus nos pensées ſe
feront élevées , plus notre imagination , échauffée
par la contemplation des choſes incréées , ſe
ſera égarée dans l'immenſité des poffibles , & plus
nous retomberons dans la triſteſſe & l'anéantiſſement
, lorſque la vérité , conduite par le ſentiment
, nous aura impitoïablement ramené à notre
véritable condition naturelle. Ces ſonges d'un
homme éveillé , ces defirs , ces projets , cette vue
continuelle & rapide d'objets heureux & fatisfaits
, ces êtres divins que l'imagination crée, embellit
, & rapproche à ſon gré, ces fiécles qui pafſent
comme un trait pour en amener qui ne finiront
jamais , ce nouvel univers qui s'éleve pour
nous , où tout ce qui peut ſéduire & charmer nos
ſens ſe trouve voluptueuſement diſpoſé pour les
tenir dans l'ivreſſe la plus délicieuſe : toutes ces
ſcènes magiques offertes à notre ame , l'élèvent à
un état preſque digne d'elle. Dans quel abyme
netombe - t elle donc pas, lorſque l'imagination
épuisée faiſant tout diſparoître , la laifle à ellemême
& à ce ſpectacle ténébreux de puérilités ,
de con radictions , de manoeuvres , de baſleſles ,
de taufferés , d'erreurs & de confufion , où elle
joue pour un moment un rôle ſi froid & fi fatigant
! Dans quel ennui n'eſt -elle pas plongée
alors ! Si elle ſe rappelle encore confufément ce
qu'elle a vu & ce qu'elle a été , c'eſt pour ſentir
plus amérement ce qu'elle voit& ce qu'elle eſt.
Que tout ce qui l'entoure de grand doit alors lui
paroître petit& mépriſable !
Apeine l'homme eſt-il venu au monde que , par
SEPTEMBRE.
1770. 203
des liens&des précautions barbares que la nature
n'exigea jamais , on lui ôte une partie des forces
qu'elle lui avoit deſtinées. Mais ſon eſprit ſera
bien plus gêné encore. On va le troubler par diverſes
chimères & le remplir de mille foins différens.
Semblables à ces méchantes fées qui préſid
doient aux accouchemens , des maîtres de toute
eſpéce vont avec profuſion répandre lur l'homme
leurs dons pernicieux ; voyez- le acquérir avec les
années les règles de la conduite qu'il doit tenir ,
écouter avec avidité les conſeils d'augınenter fa
fortune , chercher à diſtinguer les nuances de la
probité , recevoir les ſemences de la vanité , de
L'avarice & de l'ambition ſous les noms d'honneur,
de fortune & de grandeur; balancer les opinions ,
tout croire , tout nier & douter enfuite ; acquérir
des connoiſlances la plus cruelle de toutes , celle
de lui - même. L'homme iſolé au milieu de cette
multiplicité de lois , de cet amas de contradictions
, de ces obligations infinies , de ces erreurs,
deces folies ſyſtématiques , ſe fatigue pendant
long-tems à les vouloit concevoir & tombe enfuitedans
la pareſſe , l'indifférence& le dégout.
Par M. le C. de B.
HUMANITE & GENEROSITĖ .
MADAME de StGeneſt - Laval , nous a
communiqué une lettre du 18 Juillet
dernier , que Madame la comteſſe de
St Fargeau - de-Puiſieux , ſon amie , lui
८
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
écrit. Cette Dame lui raconte , que s'étant
trouvée dans la foule , & près de
périr avec tant d'autres perſonnes , qui
ont été écrasées dans le tumulte arrivé
après la fête donnée à la nouvelle place ,
elle eut le bonheur d'être fécourue &
enlevée d'entre les morts , par M. Dey,
fergent des gardes françoiſes. Ce jeune
militaire montra le plus grand courage
& l'humanité la plus active pour ſoulager
dans cette mêlée , & aux riſques de ſa
vie , pluſieurs perſonnes qu'il a fauvées
du trépas. Il peut compter au nombre de
ſes victoires , d'avoir garanti Madame
la comteſſe de St Fargeau & un chevalier
de St Louis , qui lui doivent la confervation
de leurs jours. Cette Dame animée
d'une tendre reconnoiſſance envers
ſon libérateur , l'a attiré dans ſa
fociété , dont il fait l'agrément par fon
eſprit , par la douceur de ſes moeurs & la
bonté de fon caractére.
Madame la Comteſſe , après avoir été
alitée pendantquarante ſeptjours , célébra
fa convalefcence avec ſes amis , & durant
le repas , elle offrit inſtamment une
partie de ſa forrune à M. Dey , qui re
fuſa conftamment le moindre tribut de
la plus juſte resonnoiffance, priant que
SEPTEMBRE. 1770. 205
fes ſervices fuſſent oubliés , parce qu'ils
étoient payés par le bonheur de les avoir
rendus. Madame de St Fargeau marque à
fon amie , fa généreuſe inquiétude pour
s'acquitter envers fon bienfaiteur ; &
fa peine eſt de trouver en lui tant de
déſintéreſſement. Elle fent qu'il n'y a
que l'honneur , la plus chère récompenſe
d'un militaire , auquel M. Dey
foit ſenſible , & elle fait des voeux pour
qu'il obtienne l'avancement dû à ſes ſervices.
Nous ne doutons point que ce combat
de ſentimens généreux ne faſſe plaiſir
aux ames honnêtes .
ANECDOTES.
I.
Un des élèves de notre académie de
peinture , ſe promenant dans les rues de
Naples , vit un pauvre eſpagnol , couvert
de haillons & d'une exceſſive malpropreté
, vice dont en général on accuſe
ce peuple; mais il remarqua que fes
mains étoient aſſez bien pour lui inſpirer
l'envie de les deſſiner , l'eſpagnol
206 MERCURE DE FRANCE.
confentit , moyennant quelque argent ;
mais , lui dit le peintre , quand il l'eut
conduit à ſa maiſon , il faudroit vous
laver les mains : foit , dit l'autre , puis
en revenant & comme par réflexion , laquelle
, Monfieur , voulez - vous deſſiner ?
I I.
Un comédien que l'on n'engageoit que
par conſidération pour ſa femme , qui
avoit des talens réels , repréſenta un
jour ſur la ſcène , après avoir un peu
plus dîné que ne le permettoit la bienféance
théâtrale ; cet état d'ivreſſe , joint
à fon peu de talent , irrita le parterre ,
qui le ſiffloit impitoyablement : mon
homme , ſans ſe déconcerter, interromp
ſon rôle , s'approche des bords du théâtre
&commence ſa harangue. Mefſieurs
, dit - il , vous me fifflez , c'eſt
fort bien fait , je ne me plains pas de
cela ; mais vous ne ſçavez pas une choſe,
c'eſt que mes camarades prennent tous
les bons rôles , & me laiſſent les Gerontes
, les Dorantes. Oh ! fil'on me donnoit
un Arifte , un Prince , un Paſquin , vous
verriez ; mais , qu'eſt ceque vous voulez
queje faffe d'unDorante , d'un Geronte :
qu'en feriez vous à ma place , là, par
SEPTEMBRE. 1770. 207
lons raiſon ? Vous ne dites mot ; il faut
donc que je continue , & vous êtes encore
bien heureux , que je m'en donne la
peine. Le public applaudit , & l'orateur
continua fon rôle. C'étoit Dorante dans
le Joueur.
III.
Le grand Condé paſſantdans ſon gouvernement
, fut complimenté par l'abbé
Boileau , à la tête du chapitre de Sens .
Le Prince voulut s'amuſer à déconcerter
l'orateur ; l'abbé , qui s'en apperçut ,
feignit d'être étonné , & dit au grand
Condé , avec une crainte affectée : Monfeigneur
, votre alteſſe ne doit pas être furpriſe
de me voir trembler , en paroissant
devant elle à la têted'une compagnie d'Eccléſiaſtiques
; car , ſij'étois à la têted'une
armée de quarante mille hommes ,jetrem
blerois bien davantage.
IV.
Il y a quelques années qu'un des filsde
Jonathan , célèbre Juif , fut fur le point
de ſe marier à une jeune Chrétienne ;
ſon père ne faiſoit aucune objection fur
la religion de la fille qu'on vouloit lui
208 MERCURE DE FRANCE .
donner ; mais il ſe récrioit beaucoup fur
ſon peu de fortune. Il refuſa en conféquence
fon confentement ; le fils qui étoit
fort amoureux , ménaça le père de ſe
paſſer de fon aveu ; celui-ci le ménaça
de ne pas lui donner un ſcheling ; le
jeunehomme répondit qu'ill'y forceroit ;
& que , s'il refufſoit de lui faire part de
fon bien , il ſe feroit baptiſer pour jouir
de la Loi Angloiſe , qui donne à un
enfant Juifqui ſe faitChrétien , la moitié
des biens de ſon père. Jonathan demeura
confondu à cette réponfe ; il alla
trouver un Jurifconfulte pour prendre
ſonavis & fçavoir s'il exiſtoit réellement
une Loi pareille ; l'Avocat la lui confirma
; mais , ajouta-t- il , fi vous voulez
me faire préſent de dix guinées ,je vous
donnerai un moyen de tromper l'eſpérance
de votre fils, & l'ingrat n'aura pas le
droit d'obtenir la moindre choſe. Jonathan
ſe conſole à ces mots , compte les
dix guinées , & ſupplie l'Avocat de ne
pas le faire languir. Vous n'avez , reprit
le Conſeiller , qu'à vous faire Chrétien
auſſi , & la Loi ne donnera rien à votre
fits
:
SEPTEMBRE. 1770. 209
DECLARATIONS , ARRÊTS , & c .
I.
DÉCLARATION du Roi , donnée à Versailles
le 27 Mai 1770 , concernant l'adminiſtration des
bâtimens du Roi.
II.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 29 Mars
1770 , & lettres- patentes ſur icelui , regiftrées en
la cour des Aides le 30 Mai 1770 ; qui déchargent
les habitans des lieux dénommés dans l'état
annexé au préſent arrêt , de toute contribution
aux droits établis &perçus ſous le titre de Droits
rélervés .
LETTRE de M. de Voltaire à M. Du
pont , auteur des Ephémerides du Citoyen
, &c .
De Ferney , le 16 Juillet 1770.
M. Berenger m'a fait le plaifir , Monfieur , de
m'apporter votre ouvrage , qui eſt véritablement
d'un Citoyen. Berenger l'eſt auſſi , & c'eſt ce qui
fait qu'il eſt hors de ſa patrie. Je crois que c'eſt
lui qui a rectifié un peu les premieres idées qu'on
avoit données d'abord ſur Genève. Pour moi qui
ſuis citoyen du monde , j'ai reçu chez moi une
210 MERCURE DE FRANCE.
vingtaine de familles Génevoiſes , fans m'informer
nt de quel parti , ni de quelle religion elles
étoient Je leur ai bâti des maiſons ; j'ai encouragé
une manufacture affez conſidérable , & le
miniftere & le Roi lui-même m'ont approuvé.
C'eſt un eflai de tolérance & une preuve évidente
que , dans le fiécle éclairé où nous vivons , cette
tolérance ne peut avoir aucun effet dangereux ;
car un étranger qui demeureroit trois mois chez
moi , ne s'appercevroit pas qu'il y a deux religions
différentes. Liberté de commerce & liberté de
contcience , Monfieur , voilà les deux pivots de
l'opulence d'un état petit ou grand.
Je prouve par les faits dans mon hameau ce que
vous & M. l'Abbé Rouband vous prouvez éloquemment
par vos ouvrages .
J'ai lû avec l'attention que mes maladies me
permettent encore,tout ce que vous dites de mieux
fur la compagnie des Indes & ſur le ſyſtême. Tout
cela n'est pas à l'honneur de la nation. Vous m'avouerez
au moins que cet extravagant ſyſteme
n'auroit pas été adopté du tems de Louis XIV , &
que Jean-Baptiste Colbert avoit plus de bon ſens
que Jean Law.
Al'égard de la Compagnie des Indes , je doute
fort que ce commerce puiſſe jamais être floriflant
entre les mains des particuliers . J'ai bien peur
qu'il n'efluie autant d'avanies que de pertes , &
que la Compagnie Angloiſe ne regarde nos négocians
comme de petits interlopes qui viennent
ſegliffer entre les jambes . Les vraies richeſſes ſont
chez nous , elles ſont dans notre induſtrie. Je vois
cela de mes yeux. Mon bled nourrit tous mes domeſtiques
; mon mauvais vin qui n'eſt point malSEPTEMBRE.
1770. 211
faiſant les abreuve ; ines vers à ſoie me donnent
des bas ; mes abeilles me fourniſſent d'excellent
miel & de la cire ; mon chanvre & mon lin me
fourniflent du linge. On appele cette vie patriarchale
; mais jamais patriarche n'a eu de grange
telle que la mienne , & je doute que les poulers
d'Abraham fuflent meilleurs que les miens. Mon
petit pays que vous n'avez vû qu'un moment eſt
entierement changé en très- peu de tems.
Vous avez bien raiſon , Monfieur ; la terre &
letravail font la ſource de tout; & il n'y a point
de pays qu'on ne puiſſe bonifier . Continuez à infpirer
le goût de la culture , & puiſſe le gouvernement
ſeconder vos vues patriotiques.
Mettez - moi , je vous en prie , aux pieds de
M. le Duc de *** , qui m'a paru fait pour rendre
un jour de véritables ſervices à ſa patrie , &
dontj'ai conçu les plus grandes eſpérances.
I
J'ai l'honneur d'être avec la plus haute eſtime
& tous les autres ſentimens que je vous dois ,
MONSIEUR ,
Votre très - humble & trèsobéiflant
ſerviteur ,
VOLTAIRE .
Voulez-vous bien , Monfieur , faire mes tendres
complimens à M. l'Abbé Morellet , quand
vous le verrez.
412 MERCURE DE FRANCE.
AVIS.
I.
L'OBSERVATEUR Français à Londres ſe debite
actuellement chez Lacombe , libraire , rue Chriftine
, &chez Didot l'aîné , imprimeur - libraire ,
rue Pavée , au coin du quai des Auguſtins . Ilen
paroît vingt-quatre parties ou cahiers de fix feuilles
chacun , compoſant huit volumes par an ;
chaque cahier ſe publie exactement de quinze en
quinze jours , le premier& le 16 de chaque mois.
Le prix de la ſouſcription pour l'année eſt de 301.
rendu port franc à Paris , & de 36 , port franc,
par la poſte , en province.
On trouvera chez les mêmes libraires , & au
même prix , des ſuites complettes des huit volumes
de l'année précédente , ou des huit volumes
qui font le commencement de ce recueil intéreſfant.
Les Souſcripteurs ſont priés de s'adrefler à l'un
des libraires ci- deſſus nommés , & d'affranchir les
lettres d'avis & le port d'argent.
Ceux qui ont des avis ou des obſervations relativement
aux objets traités dans ce recueil , font
priés de les faire parvenir , francs de port. On
nommeta avec reconnoiſſance les perſonnes qui
voudront l'être , & qui voudront bien s'intèrefler
au ſuccès &à l'utilité de ce recueil périodique.
Le but que l'Obſervateur ſe propoſe eſt de faire
connoître les moeurs , les loix , les uſages , le ca
sactere , les forces , le génie , les finances , la lit
SEPTEMBRE . 1770. 213
térature , le commerce ; enfin ce qui conſtitue
dans le moral , le phyſique & le politique la nationAngloiſe.
Ce peuple s'occupe ſi fort des François qu'il regarde
comme les rivaux de ſa puiflance & de la
gloire , & les gazettes , les journaux , les papiers
fans nombre , publiés en Angleterre , font tellement
remplis des avantures , des deſſeins ou des
choſes vraies ou ſuppoſées que les Anglois nous
attribuent, qu'un Obfervateur François peut aufli
raiſonner fur leurs actions domeſtiqueess ou publiques
, fur leurs entrepriſes , & fur leurs relations
avec les autres gouvernemens . On le propoſe donc
de préſenter , avec la réſerve qui convient à un
ſpectateur philoſophe tout ce qu'il y a d'intéreſ
fant , de nouveau &de curieux à rapporter concernant
laNation Angloile & les autres peuples
avec leſquels elle communique; de faire connoître
ce qu'il y a de plus piquant dans les papiers anglois
, & de relever par des notes hiſtoriques , critiques
&politiques tout ce qui mérite d'être éclairci
, ou ce qui a beſoin d'être interprêté. On n'oubliera
point de parler auſſi de l'induſtrie des Anglois
, & de donner des notices , & même des def-
Teins de leurs inventions , des machines nouvelles,
&autres chofes fingulieres qui paroiffent en An
gleterre.
I L
Avis au sujet de l'Histoire naturelle du
Sénégal; par M. Adanson , de l'académie
royale des ſciences , &c.
Le premier volume de l'Histoire naturelle du
Sénégal , qui traite des coquillages particuliers à
214 MERCURE DE FRANCE.
ce pays , ayant langui depuis l'année 1757 , l'au
teur , pénétré du vif empreſſement que témoignent
ſes ſouſcripteurs d'en voir la continuation , a cru
ne devoir pas différer à faire jouir le Public de
cette fatisfaction ſi juſteinent due à l'accueil flatteur
qu'il a bien voulu faire à ce premier volume ;
en conféquence il a fait ceſſer les caules qui arrêtoient
la vente de cet ouvrage , en ſe rendant maî
tre du petit nombre d'exemplaires qui en reſtoient,
pour en faire imprimer la ſuite.
On trouve actuellement des exemplaires de ce
premier volume in - 4°. prix,broché , 16 liv. chez
les libraires ſuivans.
Didot le Jeune , quai des Auguſtins.
Defaint , rue du Foin St Jacques.
Heriffant , rue St Jacques .
Delalain , rue & à côté de la Comédie Franç.
Lacombe , rue Chriſtine .
Coftard , rue St Jean de Beauvais.
Dans un nouveau Prospectus on donnera une
notice des matieres qui feront traitées dans le ſecond
& dernier volume qui aura pour objet l'hiſtoire
phyſique& civile du Sénégal.
LETTRE de M. Pomme à M. Tiſſot , au
fujet defon livre , intitulé : Elfais ſur
les maladies des gens du monde.
MONSIEUR ,
Les vérités que vous venez d'annoncer aux
gens du monde, ſur l'abus qu'ils font de leur
SEPTEMBRE . 1770. 215
fanté , ( 1 ) les ſages conſeils que vous avez donnés
à la jeuneſle , (2) au peuple , ( 3 ) & aux gens
lettrés , ( 4) le zèle enfin que vous avez montré
dans un écrit , qui intéreſſe tant l'humanité ( 5 )
vous élèvent au rang de nos premiers maîtres ,
& vous méritent , au ſur-plus , le titreglorieux
d'ami des hommes ...
Je ſouſcris volontiers à cet éloge , & comme
ami , puiſque vous me décorez d'un ſi beau nom ,
je me place à la tête de vos plus zélés ſecta .
teurs : je viens , en effet , d'admirer votre ſagacité
dans votre dernier ouvrage , & j'applaudirois
avec le même enthouſiaſme , ſije n'avois trouvé
une critique de mon ſyſtême , qui pouvant devenir
dangereuſe pour ceux que votre autorité
ſubjugueroit , m'oblige à m'élever contre elle...
Dans un endroit de cet ouvrage , où vous
traitez des maladies des nerfs , vous faites l'expoſé
de la méthode fortifiante , & de celle qui
lui eſt diametralement oppoſée; & , après avoir
blâmé la premiére , & loué la ſeconde , vous
les rejettez enſuite l'une & l'autre ; les adoptant
cependant , au cas où elles vous paroiflent convenir
, ce qui vous fait conclure en faveur d'une
troiſième , qui eſt celle qui les confond toutes
les deux enſemble...
que - là , vous êtes irréprochable. Mais
(1) Eſſais ſur les maladies des gens du monde.
(2) L'Onaniſme.
(3 ) Avis au Peuple ſur ſa ſanté.
(4) De la ſanté des Gens de lettres.
(5) L'Inoculation juſtifiée.
216 MERCURE DE FRANCE.
vous devenez partial , quand vous ajoutez ;
en finiſſant votre analyſe , que les partiſans des
deux méthodes oppofées: ſçavoir , l'échauffante ,
& la rafraîchiſſante , font chacun de la leur ,
une méthode générale , qu'ils appliquent indiftinctement
à tous les maux de nerfs , & vous
les outragez , en comparant leur conduite à celle
des empiriques.
« Si les hommes pleins de génie & de connoiffance
, dites- vous , qui font à la tête de
>>>ces ſyſtèmes , vouloient bien jeter les yeux
fur les obſervations qui leur ſont étrangères ;
>>voir les inconvéniens qu'il y a à traiter des
>> maux oppofés dans leurs cauſes par une ſeule
2 méthode; à l'étendre trop loin ; àmépriſer tout
» ce qui y eſt étranger , ils ajouteroient à leurs
ſuccès, & à la reconnoiſſance que le public leur
>> doit; & ils ſentiroient bien-tôt , que les règles
>& les méthodes générales ſont dangereuſes en
>>médecine ; eles rapprochent les plus grands
médecins , des empiriques qui veulent tout
*guérir par un ſeul remède , & prétendent que
>>tous les maux dépendent d'une feule cauſe.
> Effaifur les maladies des gens du monde, par
M. Tiffot , pag. 185.
,
Si vous ne m'aviez pas cité plus haut , & fi
vous ne m'aviez pas même nommécomme l'auteur
du ſyſtême des relachans , je ne réléverois
pas les expreffions par leſquelles vous condamnez
également les deux méthodes ; mais ,
après avoir réclamé les droits que
que
votre amitié
me donne ſur votre indulgence , il me ſera permis
de vous faire remarquer , que , pour mériter
le reproche que vous me faites , il faut
fuppofer 1º. Que j'emploie la méthode humectante
SEPTEMBRE. 1770. 217
canteà tous les maux de nerfs . 2º. Il faut fuppofer
encore, que la maladie queje traite , reconnoît
pluſieurs cauſes. Je réponds a la première queftion
, en vous priant d'obſerver , que je ne me
fuis point avisé , à l'exemple de tant d'autres ,
de traiter des maladies des nerfs en général ;
mais que je me ſuis borné aux affections vapo
reuſes des deux ſexes , & au traitement d'une
feule partie des maladies nerveuſes , qui eſt celle ,
qui , de l'aveu de tous les médecins , reconnoît
pour cauſe, le ſpaſine , ou la tenfion de la
fibre , tandis que l'autre comprend celles qui
fontproduires par le relâchement... Je réponds.
à la ſeconde queſtion , en vous priant d'obſerver
encore , que la cauſe que j'établis , eſt la ſeule ;
&que toutes celles que l'on veut affocier à
celle-ci , étant éloignées , lui ſont entiérement
ſoumiles ; ce qui m'autoriſe à conclure en faveur
d'un ſeul remède , quand la maladie eſt
ſimple , & fans complication...
,
&
D'après cet expoſé, il reſte à prouver , que le
Ipaſme n'eſt pas le produit de la tenfion
qu'il y a des maladies vaporeuſes , qui reconnoilent
pour cauſe le relâchement des nerfs ,
quoiqu'elles foient toutes caractériſées par le
ſpaſme. Vous ſcavez très -bien , Monfieur , que
cette queſtion , depuis long - tems agitée .. doit
être décidée par celui qui fournira des obſervas
tions contraires aux miennes vous paroiflez
perfuadé qu'il en exiſte de ces obſervations ;
mais , où font-elles ? Seroient- ce celles que vous
appelez étrangères ? Hélas! toutes celles qu'o
m'a préſentées juſqu'ici , font tellement étrangères
à la queſtion , qu'elles me deviennent favorables
. M. Brun l'a démontré , par ſa réponſe
àM. Roſtain & à M. Marteau. ( Voyez les Ga-
K
218 MERCURE DE FRANCE .
zettes Salut. du 11 & 18 Janvier 1770. ) &
j'attends encore celle qui doit terminer la diſpute.
Si vous vouliez prendre la peine de la fournir
vous m'obligeriez ſenſiblement carje cherche
plus à m'éclaircir qu'à inſtruire.
Répéterai - je encore une fois , que ce n'eſt
point un ſymptôme vaporeux , ſuſpendu par
l'ettet enchanteur d'un antiſpaſinodique , que je
demande ; mais une affection hyſtérique ou hypocondriaque
, réellement guérie par ces prétendus
ſpècifiques ; & cette maladie ne ſe trouve
point chez l'enfant de neuf ans , ni chez celui de
neufmois : ( 1 ) la fibre à cet âge , n'a point encore
contracté le vice en queſtion ; on ne la trouve
donc que chez les adultes : les mouvemens convulfifs
de ceux - ci appartiennent réellement au
vice de la fibre ; tandis que ceux des autres ,
trouvent leur cauſe dans le cerveau : distinction
queje ne fais pas pour vous , mais pour ceux qui
ofent entrer en lice avec de telles armes. (2)
Je vous prie de vouloir bien obſerver encore ,
Monfieur , que , quoique je n'admette qu'une
`cauſe, il n'eſt pas vrai que je ne lui oppoſe qu'un
ſeul remède , & votre reproche eſt encore ici trèsmal-
fondé. J'ai reconnu des complications à la
cauſe vaporeuſe , leſquelles demandent des remèdes
différens .
Ces remèdes ſont détaillés dans mon Traité des
Vapeurs , & adaptés à chacune des complications
de cette maladie: ils ſont pris dans la claſſe des
(1 ) Voyez le Journ. deMéd. tom. xxix . pag.
273 .
(2) Voy. ibid. fupplém. à l'année 1770 , Onzième
cahier , pag. 13 .
SEPTEMBRE. 1770. 219
remèdes altétans , tels que les apéritifs , les fondans
, les ſtomachiques , les antiſcorbutiques, &
autres; je ne rejette pas même la ſaignée , les
vomitifs & les purgatifs : comment donc cette
pratique ſera-t- elle appelée , méthode générale
qui n'admet qu'un ſeul remède ? Et en quoi refſemblera-
t-elle à celle des empiriques ? ...
Je pardonne à des adverſaires mal- adroits , intéreſlés
à décrier mon ſyſtême , toutes les qualifications
qu'ils ont donné à la méthode aqueuſe.
Je me reproche même d'avoir pris la peine de
répondre aux invectives de pluſieurs ; mais , le
dernier a fi bien comblé la méſure , qu'il m'a
appris à les mépriſer tous ; auſſi ai-je promis de
garder , à l'avenir , le plus profond filence. Je
croirois vous inſulter grievement , & manquer
au devoir que l'amitié m'impoſe , ſi je vous comprenois
avec eux , & fi je ne vous faifois part de
la ſurpriſe que m'a cauſé votre critique.
Je ſuis , &c.
AParis , ce 9 Mai 1770 .
Ромм .
RÉPONSE de M. Tiſſot à la Lettre
de M. Pomme.
Avantque de répondre à votre lettre , Monfieur
& cher ami , dont je ſuis infiniment flatté ,
& qui eft remplie de politefles & d'amitié , je
dois vous témoigner tous mes regrets , fur ce
que , par la faute de mon libraire , mon livre
vous eſt parvenu par d'autres que par moi ; l'un
des premiers exemplaires vous étoit deſtiné , &
1
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
j'eſpére qu'au moins , la ſeconde édition vous
parviendra dans peu. Malheureuſement elle reffemblera
trop à la première , parce que je n'ai
pas pu profiter des avis du public & de mes amis ;
les vôtres me feroient bien précieux , & fi vous
vouliez bien me les communiquer .je les recevrois
avec toute la reconnoiffance poffible , & je ſerois
très-empreflé à en faire ufage.... Vous avez pu
voir dans la troiſième édition de la ſanté des Gens
de lettres , mon empreflement à reftituer un mot
qui m'honore , & de la fuppreffion duquel vous
m'aviez fait la grace de vous plaindre. Vous verrez,
dans la ſecondeédition des Maladies des Gens
du monde , que , fi la rapidité avec laquelle cet
euvrage a été compofé , a occaſionné un jugement
trop général fur les traitemens employés
dans les maux de nerfs , la vérité& lajuſtice ſçauront
réparer cette erreur d'une façon , qui rendra
témoignage à mes vrais ſentimens pour vous ;
Quelques voyageurs anglois ont déjà pu vous en
inftruire verbalement , & je ſaiſirai toujours, avec
un plaſfit infini , toutes les occafions de vous en
donnerdes preuves publiques ... Quant au fond
des matières , fur lesquelles nous ne ſommes pas
d'accord , vous me permettrez de vous renvoyer ,
comme je l'ai déjafait , à un ouvrage qui ne tardera
pas à paroître , & dans lequel j'examinerai
cet article avec toute l'attention & l'impartialité
poffible.
Fai l'honneur d'être , avec la plus parfaite conſidération
, Monfieur ,
Votre très -humble
& très obéiſſant ferviteur ,
:
Lausanne , ce 13 Mai 1770.
TISSOT.
SEPTEMBRE . 1770. 221
ΙΙΙ .
M. le Roy de la Faudignere , demeurant cidevant
rue de Montmorreennccyy ,, connu par ſa manière
de préſerver & guérir les maladies des gencives
& des dens ; demeure présentement Ifle St
Louis , quay d'Orléans , vis- à - vis l'abreuvoir , où
il continue de donner ſes ſoins gratis aux pauvres
, tous les vendredis matin , depuis neufheures
juſqu'à midi.
I V.
Nouvelle Penfion établie au collège de la
Marche, rue & montagne Ste Genevieve,
àParis.
M. Jacquin , recteur de l'univerſité de Paris S
principal du collége de la Marche , recevra des
penſionnaires , au même prix que les bourſes de
foncollége.
Ils feront nourris , chauffés & éclairés , pour la
fommede 28a liv .
Ils paieront de plus que les bourſiers , pour le
logement , les honoraires des maitres , le ſervice
des domestiques , l'uſage des uitenſiles du réfectoire&
de la cuiſine , celle de. 70 liv.
Total pour l'année , non compris le
blanchiſſage • 350 liv .
S'adreſſfer dès à présent à M. Jacquin , ou à
M. Cafaxe , procureur au collège de la Marche
ou à M. Caboche , préfet & directeur du penfion-
,
nat.
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE .
NOUVELLES POLITIQUES.
De Smyrne , le 30 Juillet 1770.
La peſte enleve encore ici , chaquejour , deux
ou trois perſonnes ; cependant , comme le tems
pendant lequel elle fait le plus de ravage eſt déjà
paflé & qu'on eípére qu'elle ne tardera pas de ceffer
entierement , on n'a point empêché la communication
générale. Trois bâtimens hollandois
font dans le port & n'attendent plus qu'un vent
favorable pour retourner dans leur patrie.
De Pétersbourg , le 27 Juillet 1770.
L'Impératrice ayant reçu la nouvelle de l'im - -
portante victoire remportée ſur les Turcs & les
Tartares , le 18 de ce mois , par le général de
Romanzow , revint ſur le champ de Petershoffen
cette capitale , avec le Grand Duc , & ſe rendit à
l'égliſe de Calan où s'étoient raſſemblés les eccléſiaſtiques
du premier ordre & les principales perfonnes
de la cour &de la ville. Après la lecture de
la relation de cet événement , on chanta le Te
Deum au bruit du canon .
On a appris depuis que le prince Proſowski, qui
apaflé le Nieſter le 9 & le 10 de ce mois , s'étoit
approché , le 19 , de la fortereſle d'Oczakow , &
qu'il y avoit eu quelques eſcarmouches entre ſes
troupes & des corps détachés de la garniſon de la
place; que ce commandant avoit eu avis que cette
garniſon étoit compoſée de plus de trois mille
hommes, commandés par un pacha à deux queues,
& qu'il avoit pris le parti de s'éloigner de la place
&d'obſerver , à une certaine diſtance , les mouvemens
des ennemis.
SEPTEMBRE . 1770 . 223
De Coppenhague , le 7 Août 1770 .
Te Roi a fait publier une ordonnance de la
chancellerie de Gluckſtadt , par laquelle Sa Majeſté
défend l'émigration de ſes ſujets dans la partie
du duché de Holſtein appartenante à la couronne
& dans la ſeigneurie de Pinneberg.
De Vienne , le & Août 1770.
On mande des frontieres de Turquie , par des
lettres du 13 du mois dernier , que les inondations
continuelles du Danube retenoient le grand Viſir
à Iſaktcha & l'empêchoient de paffer ce fleuve avec
ſon armée ; mais que Capi Kiram , aga des janilfaires
, l'avoit paſſé , dès le mois dernier , à la tête
d'un corps conſidérable , pour ſe réunir au kan des
Tartares & commencer les opérations.
De Venise , le 24 Juillet 1770.
La Porte eſt ſi ſatisfaite de la conduite que la
République a tenue relativementà la guerre actuelle
, que leGrand Seigneur a renouvellé , par
un nouveau Firman , l'ordre déjà donné aux Dulcignotes&
à tous les autres peuples qui ont coutume
d'arborer ſon pavillon , de reſpecter en tour
lieu celui de Venife.
On penſe ſérieuſement à mettre les forces de
terre de la République ſur un pied reſpectable & à
les porter à vingt régimens , qui feront entretenus
en tout tems ſur le pied complet.
De Gênes, le 4 Août 1770.
La cour a reçu la liſte de la cargaiſon de la
flotte Eſpagnole , arrivée dernierement des Indes
à Cadix : ſuivant cette liſte , elle monte à dixhuit
millions de piaſtres , tant en argent qu'en
marchandiſes.
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
De Londres , le 17 Août 1770 .
Les commiſſaires de la marine à Portsmouth
ont envoyé à l'amirauté le réſultat des recherches
qu'il ont faites au ſujet de l'incendie des magaſins
de ce port ; il ne paroît pas qu'on ait acquis encore
aucune preuve du prétendu complot , auquel
une partie du public attribue cet incendie.
Suivant les lettres qu'on a reçues , cette ſemaine
, de l'Amérique Septentrionale & des Indes Occidentales
, il ne paroît pas que nos Ifles aient
fouffert du tremblement de terre , du 3 Juin dernier
, dont les effets ont été ſi funeſtes à Saint-
Domingue.
: On mande de la Nouvelle-Yorck qu'il a été mis
en queſtion dans une aſſemblée des habitans , ſi
l'on feroit venir de la Grande Bretagne toutes fortes
de marchandiſes , àl'exception du thé quieft
reſté chargéd'un impôt, où ſi l'on s'en tiendroit à
la réſolution qu'on a priſe de ne tirer d'Angleterre
aucune forte de marchandise , & que la premiere
propofition a paffé à la pluralité des voix , de ſorte
qu'il y a apparence qu'elle ſera adoptée. En conféquence
, nos négocians ſont occupés à faire des
envois confidérables à la Nouvelle - Yorck & à
d'autres Colonies .
De Compiegne, le 1 Août 1770.
( Le Roi a accordé , il y a quelques jours les
honneurs du Louvre au Comte de la Tour- d'Auvergne
: en conféquence la Comteſſe dela Tourd'Auvergne
a pris le Tabouret chez madame la
Dauphine.
Du 4 Août.
Le ſieur le Preſtre-de-Château-Giron , Avocat
Général au Parlement de Bretagne , vient d'être
nommé à la place de Sur- Intendant des finances
SEPTEMBRE. 1770. 225
&maiſon de Madame la Dauphine , en ſurvi.
vance du Préſident Henault ; il a eu l'honneur
de faire fes très -humbles remercimens à Sa Majeſté
a cette occaſion , & d'être préſenté à la famille
Royale en cette qualité.
Le baron de Choiſeul , ambaſſadeur de Sa
Majesté auprès du Roi de Sardaigne , a eu l'honneur
de prendre congé de Sa Majefté le 3 de
ce mois pour retourner à Tutin.
Du 8 Août.
Le due de Duras , Pair de France , lieutenantgénéral
des armées du Roi , chevalier de ſes
ordres & premier gentilhomme de ſa chambre ,
prêta ferment , le même jour , entre les mains
de Sa Majesté , pour le gouvernement de la Franche-
Comté , vacant par la mort du Maréchal de
Duras , fon pere , dont il avoit la ſurvivance .
Sa Majesté vient d'accorder au duc de Villequier
, maréchal de ſes camps & armées , & premier
gentilhomme de la chambre , la ſurvivance
du gouvernement de Boulonois , dont le duc
d'Aumont , fon pere , eſt pourvu. Il a eu l'honneur
de faire , à cette occafion , le 4, ſes trèshumbles
remercimens au Roi.
Avant-hier , le chevalier de la Tour-Saint-
Quentin , général des galeres de Malte , eut
T'honneur de prendre congé du Roi pour ſe rendre
à Malte.
Le marquis de Duras , a pris avec l'agrément
du Roi , le nom de duc de Durfort.
Sa Majesté a donné l'Abbaye de Saint Julien ,
ordre de faint Benoît , ville & diocèſe de Dijon ,
à la Dame de Thiard-de- Biffy , abbeffe des Iflesd'Auxerre
; & le prieuré perpétuel de Saint Ge .
neſt les - Moines , ordre de Saint Benoît , diocèſe
226 MERCURE DE FRANCE.
de Clermont , à la dame de Sarrafin-de-Baffignac
, religieuſe profeſſe du même prieuré.
Le duc de Villequier , premier gentilhomme
de la chambre du Roi , en ſurvivance , prêta
ferment entre les mains de Sa Majesté le 22.
Août , pour le gouvernement du Boulonois ,
dont il a obtenu la ſurvivance,
Du 22 Août.
Le Roi a nommé au gouvernement des ville
& château de Saumur , & à celui de la Province
du Saumurois , vacans par la mort du marquis
d'Aubigné , le comte de Broglie , chevalier des
ordres de Sa Majesté , lieutenant-général de ſes
armées , & ci -devant fon ambaſladeur auprès
du Roi & de la République de Pologne .
De Paris , le 6 Août 1770.
Le chevalier de la Tour - Saint -Quentin ,
nommé général des galeres de Malte , a fait
l'émiſſion de ſes voeux, le 30 du mois dernier ,
dans l'abbaye Royale de Panthemont. Il ne
tardera pas à ſe rendre à Malte.
Du 10 Août .
L'académie royale des Inſcriptions & Belles-
Lettres , dans fon aſſemblée du 6 de ce mois ,
élut, le ſieur de la Porte-du-Theil , ſous-lieurenant
aux Gardes Françoiſes , à la place d'Aſſocié ,
vacante par la promotion du ſieur de Sigrais à
lapenfion.
Du 17 Août.
L'académie royale des Sciences a fait choix de
l'abbé Boſſut , un des adjoints dans la claſſe de
geometrie , pour remplir , dans la même claſſe
la place d'afſocié , vacante par la promotion du
SEPTEMBRE. 1770. 227
chevalier d'Arcy , à celle de penſionnaire furnuméraire.
Du 20 Août.
Le corps de Ville tint , le 16 de ce mois , une
aſſemblée générale , dans laquelle le ſieur Bignon
fut continué prévôt des marchands : le ſieurCheval
de Saint Hubert , Quartinier , & le ſieur Pia
furent élus échevins dans la même aſſemblée.
L'académie royale de peinture & de ſculpture
vient de faire placer dans la ſalle de ſes affemblées
, le buſte du Roi. Ce monument de fon
reſpect & de ſa reconnoiſſance eſt élevé ſur un
piédeſtal décoré d'un bas - relief allégorique ,
dont le ſujet eſt la protection que Sa Majefté
daigne accorder à cette académie. Le tout eſt
exécuté en marbre.
Du 24 Août.
L'académie royale des ſciences annonça , au
mois d'Avril dernier , par un avis particulier ,
que les montres , pendules ou inſtrumens qui
Jui feroient préſentés pour le prix de 1771 , dont
le ſujet eft de déterminer la meilleure maniere de
mesurerle tems à la mer , ſeroient éprouvés fur
une frégate armée par les ordres du Roi ; qu'en
conféquences elle n'exigeoit plus les épreuves à
la mer , ſur leſquelles elle avoit infiſté dans ſon
programme , & qu'il ſuffiſoit de faire remettre
ſimplement ces montres ou inftrumens à l'académie
avant le premier Septembre prochain .
Mais le duc de Praſlin ayant écrit à l'académie
que leRoi avoit jugé à propos de différer l'armement
de la frégate juſqu'au mois de Mars 1771 ,
cette académie , voulant en profitant de ce
délai , donner aux concurrens encore plus de
,
228 MERCURE DE FRANCE:
tems pour perfectionner & éprouver leurs machines
ou inftrumens , les avertit qu'il fuffira
qu'ils les lui faſſent remettre avant le premier
Février 1771. Ceux qui feront préſentés après
ce terme , ne feront point admis au concours.
Du 25 Août.
Le Roi a nommé le comte d'Aché , lieutenantgénéral
des armées navales , à la place de viceamiral
des mers du Ponent , vacante par la
mort du marquis de Maſſiac. Sa Majesté a accordé
la dignité de grand'croix de l'ordre de S.
Louis , vacante auſſi par cette mort , au ſieur
de Bompar , commandeur du même ordre , &
lieutenant-général , commandant de la marine
à Toulon , & la dignité de commandeur , au
fieur de Naurville , chef d'eſcadre.
MARIAGES.
De Compiegne , le 8 Août 1770 .
Le Roi & la famille royale ſignerent , les de
ce mois , le contrat de mariage du marquis de
Choiſeul , maréchal des camps & armées de Sa
Majesté , & l'un des menins de Monſeigneur le
Dauphin , avec demoiſelle de Raby .
Dimanche dernier , le Roi & la Famille
Royale fignerent le contrat de mariage du marquis
Deflacs d'Arcambal , brigadier des armées
du Roi , colonel de la légion royale de Corſe ,
avec demoiſelle de Creſt de Chigi , veuve du
fieur Gautier de Mondorge , receveur de la
chambre aux deniers , & celui du Marquis de
l'Efcours , colonel dans le corps des Grenadiers de
France , avec Dlle du Dreneuc , fille du comte du
SEPTEMBRE. 1770. 229
Dreneuc , capitaine au régiment des Gardes Françoiſes.
NAISSANCES.
De Londershausen , le 28 Juillet 1770.
Chriſtine - Elifabeth Albertine , née princeſſe d'Anhalt-
Bernbourg , épouſe du prince Auguſte de Sondershauſen ,
eft accouchée d'un prince le 15 de ce mois , à dix heures
du foir. Il a été nommé , ſur les fonts de Baptême , Guil
laume Louis Gunther.
De Paris , le 13 Août 1770.
La Duchefle de Charoſt eft accouchée d'un garçon , les
de cemois.
MORT S.
L'Abbé Gaudin , ancien vicaire général de Troyes , Abbé
commendataire de l'abbaye royale d'Angles , ordre de St
Benoît , diocèſe de Luçon , eſt mort dernierement , aux
caux de Vichy , âgé de près de foixante ans.
L'Abbé de Valory, ancien prévôt de l'égliſe royalede St
Pierre de Lille , abbé commendataire de l'abbaye royale de
Jauve , ordre de St Benoît , diocèse d'Alais , mourut en la
maiſon du Mont Saint - Adrien , le 21 du mois dernier ,
dans la quatre- vingt-neuvième année de fon âge .
Pierre - Marie Comte de Luppé , colonel d'infanterie ,
gentilhomme de la Manche de Mgr le Dauphin , chevalier
del'ordre royal & militaire de Saint Louis , &de celui de
Notre- Dame de Mont Carmel & de St Lazare , eſt mort
ici , le 24du mois de Juillet , âgé de 45 ans .
Guillaume-François Rouelle , célèbre chymiſte , démonftrateur
en chymie, au Jardin du Roi , membre des académies
royales des ſciences de Paris &de Stockolm , & de
l'académie électorale d'Erford , eſt mortà Paffy , le 3 , âgé
de67 ans.
Marie Johan , native d'Arlon , pays de Luxembourg ,
veuve de Louis de Villeneuve , chevalier de Saint Louis&
Lieutenant-colonel du régiment de Nice , tué en 1734 au
fiége de Philisbourg , eſt morte à Thionville , le 6 Juin dern,
er, âgée de cent-huit ans. Elle a conſervé juſqu'au der
230 MERCURE DE FRANCE.
nier momentde ſavie beaucoup de mémoire &de préfenced'efprit,
& jamais elle n'a vu de médecins ni de chirurgiens.
DeMunich , le 10 Août..
Clément- François - Paul Duc de Baviere eſt mort lundi
dernier des ſuites d'une paralyfie à laquelle s'eſt jointe une
hydropiſie de poitrine. Ce prince, né le 19 Avril 1722 ,
étoit filsdu duc Ferdinand de Baviere, frere de l'Empereur
CharlesVII. Il avoit épousé , le 17 Janvier 1742 , Marie-
Anne , comteffe Palatın de Sultzbach , née le 21 Juin 1722.
Claude-LouisMarquis de Maſſiac , vice- amiral de France,
grand'croix de l'ordre royal & militaire de St Louis ,
ancien ſecrétaire d'état au département de la marine , eft
mort en cette ville, le afde ce mois, dans la quatre-vingtquatriéme
année de ſon âge .
Le même jour , Barthelemi de Vanolles , conſeiller d'état
ordinaire , ancien intendant du Bourbonnois , de Franche-
Comté , d'Alface &des armées du Roi , eſt mort ici ,
Agé de quatre- vingt-huit ans .
LOTERIES.
Lecent quinziéme tirage de la loterie de l'hôtel-de-ville
s'est fait le 26de Juillet en la maniere accoutumée. Lelot
de cinquante mille livres eſt échu au No. 47026 ; celui de
vingt mille livres au N°. 47961 , & les deux de dix mille
aux numéros 55751 & 57460 .
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire s'eſt fait
le 6 Août. Les numéros fortis de la roue de fortune font
75,69 , 64 , 76 , 66.
ERRATA.
NB. Supprimez la note de la page 61 où l'on annonce
une ſouſcription périodique qui n'aura pas lieu de Contes
philoſophiques de M. Araignan.
SEPTEMBRE. 1770. 231
P
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en proſe , page
Suite du Printems. Chant premier du Poëme des Saifons
,
Epigramme ,
Le Bucheron & le Roffignol. Fable imitée de l'allemand,
Ode à M. le Gendre ,
La Bienfaiſance ,
Avis aux Flatteurs. Fable orientale ,
Stances à une Revendeuſe à la toilette ,
Le Pafle-dix . Proverbe dramatique ,
Trait remarquable de la vie du Czar Pierre le Grand ,
A M. le Baron de Castelet ,
Vers adreſſés à Mde *** , pour le jour de ſa fête ,
La Caraïbe ,
La Roſe d'Ancenis ,
Dialogue entre Colbert , Racine & le Brun ,
Explication des énigmes & des logogryphes ,
5
ibid.
8
9
10
13
23
24
25
43
48
50
52
61
63
71
ENIGMES , 72
LOGOGRYPHES ,
75
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
77
Hiſtoire des Variations des Egliſes Protestantes , &c. ibid.
Leçons de mathématiques , par M. l'Abbé de la Caille , 79
Vie de Nicolas-Claude Pereiſc , 80
Inſtituts de chymie , par Spielman ,
85
Code matrimonial , 88
Le Voyageur François ,
१०
Plan d'Education publique ,
99
Les Baifers , 104
Le Sauvage de Taïti aux François ,
138
Traité politique des Communes , 113
Dictionnaire pour l'intelligence des Auteurs Grecs &
Latins , &c.
114
JournaldeMuſique , 116
Sur les Fablesde la Fontaine ,
117
Dialogue entre Charles duc de Bourgogue & René duc
deLorraine ,
Le Déſorteuf. Drame ,
124
141
232 MERCURE DE FRANCE.
Lettre à M. *** ,
Sur la ſtructure des muſcles ,
Sur l'art de faire le vin ,
SPECTACLES . Concert ſpirituel ,
Opéra,
Comédie françoiſe ,
Distribution des Prix de l'Univerſité ,
Ecole vétérinaire ,
Académie de Peinture & Sculpture ,
Vers à Mlle Vallayer ,
ARTS ,
Gravure ,
Eloge de M. Boucher ,
Mémoire ſur la deſtruction des loups ,
Lettre fur la conftruction de la nouvelle ſalle de Ver-
144
147
151
157
158
159
167
172
174
175
176
ibid.
181
190
failles, 193
De l'Ennui , 197
Humanité & généroſité , 203
Anecdotes , 205
Déclarations , Arrêt , &c . 209
Lettre de M. de Voltaire à M. Dupont , ibid.
Avis , 212
Lettre de M. Pomme à M. Tiflot, 215
Réponſe de M Tiffot à M. Pomme , 219
Nouvelles politiques , 222
Naiflances , 219
Morts , 230
Loteries,
ibid.
J
APPROBATION.
'AI lu , par ordre de Mgu le Chancelier , le volume
du Mercure de Septembre 1770 , & je n'y ai rien trouvé qui
m'ait paru devoir en empêcher l'impreffion .
AParis , le 30 Août 1770 .
১৯
RÉMOND DE STE ALBINE.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue dela Harpe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO Ι .
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
OCTOBRE. 1770 .
PREMIER VOLUME.
Mobilitate viget. VIRGILE .
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi .
AVERTISSEMENT.
C'E'ESSTT au Sieur LACOMBE libraire , àParis, rue
Chriftine , que l'on prie d'adreſſer , francs de pore,
les paquets& lettres , ainſi que les livres , les éltampes,
les pièces de vers ou de proſe , la muſique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, éévvéénnemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , &généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres& de ceux quiles
cultivent , ils font invités à concourirà ſaperfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenſes ſur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv.
que l'on paiera d'avance pour ſeize volumes rendus
francs deport .
L'abonnement pour la province eſtde 32 livres
pareillement pour ſeize volumes rendus francs de
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Le prix de chaque volume eſt de 36 fols pour
ceux quin'ont pas ſouſcrit,au lieu de 30 fols pour
ceux qui font abonnés.
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, 4 vol. in - 8 " . 241.
Le Dictionnaire de Jurisprudence canonique ,
in-4°. 4 vol. rel. 481.
Dict. Italiend' Antonini, 2 vol. in-4°. rel. 301.
Meditationsfur les Tombeaux , 8 br. 11. 10f.
Mémoire pour les Natifs de Genève, in-8 °.
broch. 11. 46
1
MERCURE
DE FRANCE .
OCTOBRE. 1770 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE à Mde la Comteſſe d' *** ,fur
l'éducation de fon Fils.
TEESs vVoeux ſont donc remplis , mère ſenſible&
tendre ;
Ton fils croît ſous tes yeux &commence à t'entendre.
Tout eſt nouveau pour lui , tout vient frapper ſes
ſens;
Tout occupe à la fois ſes organes naiſſans.
Aiij
6 MERCURE DE FRANCE .
Ses yeux cherchent tes yeux , fa main preſſe la
tienne.
Il abeſoin encor que ton bras le ſoutienne ;
Ilhéfite , chancelle , & bientôt , ſans effroi ,
Viendra d'un pied plus fûr courir autour de toi.
• Lorſque tu lui ſouris , ſa langue cinbarraffée
Voudroit articuler les fons de la penſée.
Oquej'aimeà te voir , avec vivacité ,
De ſes jeux innocens partager lagaîté ,
De l'amour maternel épuiſer les tendreſſes,
Lui rendre à chaque inſtant carefſes pourcareſſes,
Epier fes defirs , & prévenant ſes pleurs ,
De ſon berceau tranquille écarter les douleurs !
Ces vertus d'une mère appellent monhommage.
Mais tandis qu'en mes vers j'en retrace l'image,
Ton fils avec ſesjours voit croître ſes beſoins .
D'autres tems à ton coeur demandent d'autres
foins.
Veux-tu que tout conſpire à remplir ton envie?
Ilfaut ſemer de fleurs l'aurore de ſa vie ;
Mais que les fruits toujours ſe cachent ſous les
fleurs .
Ton fils ne te doit rien , s'il ne te doit des moeurs.
C'eſt le voeu de l'hymen , c'eſt la dette facrée
Que t'impoſe le Ciel , que ta bouche ajurée.
Tu lui donnas le jour ; &, pour lui donner plus ,
Dans l'ame de ton fils cultive tes vertus .
Rends - le digne , en un mot, de ſes deſtins prof.
** pères .
OCTOBRE. 1770. 7
Qu'il apprenne à porter le grand nomde ſes pères,
Et qu'en ſe rappelant un fi beau ſouvenir ,
Il tranſmette le ſien aux fiècles à venir.
Ainſi le jeune Aiglon , échappé de ſon aire ,
Ofe enfin s'élever au féjour du tonnerre ,
Etdans leur vol ſublime , imitant ſes aïeux,
Fixe l'aſtre brûlant qui règne ſur les cieux.
Mais,avant que ton fils ait comblé ton attente ,
Tu dois plier au joug ſa jeuneffe inconſtante ,
Inſtruis-le par degrés , &, dès ſes premiers ans ,
Montre- lui la raiſon ſous des traits féduiſans.
Vois tu ce jardinier , d'une main attentive ,
Elaguer avec ſoin l'arbriſſeau qu'il cultive ?
La plante ſécheroit&languiroit ſans lui .
A fa tige naiſſante il préſente un appui .
Il abreuve tantôt la racine alterée ,
Tantôt preſcrit un cours à la sève égarée ,
Et contre l'aquilon tâche de protéger
Ce débile arbrifleau , l'eſpoir de ſon verger.
Les ſoins de fon miniſtre à Pomone ont ſu plaire.
Un jour , un jour viendra qu'ils auront leur falaire.
Déjà l'automne approche , & ſes tréſors nouveaux
Dujardinier ſoigneux vont payer les travaux ,
L'arbre est chargé de fruits qu'il doit à la culture.
Ainfi l'art des mortels peut aider la nature
Et , dans un tendre enfant voyant l'homme futur ,
Diſpoſer ſon jeune âge aux fruits de l'âge mûr,
1
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
Ton fils eſt l'arbrifſeau dont la foiblefle implore
Les regards careflans de Pomone & de Flore.
Prodigue- lui tes ſoins , & nourris dans ſon coeur
De tous les ſentimens la féconde chaleur ;
Ta franchiſe déjà ſe peint ſur ſon vilage ,
D'un eſprit généreux favorable préſage ,
Gardons-nous d'étouffer cette ingénuité !
Elle honore ſon âge & prouve ſa bonté.
Qu'il croie à la vertu ſans ſoupçonner le crime !
Ah! fi c'eſt une erreur , cette erreur eſt ſublime.
Il faut par les humains ſe laiſſer abuſer ,
Plutôt que de les craindre ou de les mépriſer.
Si de ton fils déjà la mémoire fertile
Peut garder le dépôt d'une lecture utile ,
Qu'il parcoure , en jouant , ces chef- d'oeuvres
vantés
Que l'Eſope François a jadis enfantés.
Que ces récits naïfs ont d'attraits pour ſon âge !
La raiſon les approuve , & leur doux badinage
Qu'un ſophiste éloquent vainement a proſcrit ,
Sait au profit du coeur amufer notre eſprit.
Eh ! que ſert d'élever une voix doctorale ?
La Fontaine avec art déguiſant ſa morale ,
Aux humains qu'elle inſtruit préſente un hameçon
,
Ainſi que le pêcheur au crédule poiſſon.
Sans doute l'artd'inſtruire eſt né de l'art de plaire.
Etton fils qui craindroit la coupe alutaire ,
OCTOBRE. 1770. ,
Sans le miel ſéducteur dont les bords ſont couverts
,
Chérit la vérité ſous le maſque des vers.
Sur-tout qu'il n'aille point dans la poudre des
claſſes ,
De lon âge trop tendre enſevelir les graces ,
Et des pédans obſcurs habiter la prifon .
Ces triſtes raiſonneurs font haïr la raiſon.
Tu n'imiteras point la marâtre infidèle
Qui veut que fes enfans ſoient exilés loin d'elle
Et , ne jetant ſut eux qu'un regard paſſager ,
Abandonne leur fort aux mains d'un étranger.
Mais je vois chaque jour ton élève docile
Prêter à tes conſeils une oreille facile.
De ta voix qu'il adore il répéte les ſons ;
La bouche d'une mèreembellit les leçons.
Delaflé dans tes bras d'une pénible étude ,
Il ſe fait de te plaire une douce habitude ;
Pour prix de ſes efforts , ſon légitime orgueil
Ne brigue qu'un ſourire &ne veut qu'un coupd'oeil
.
Alors , ſans fatiguer ſes organes novices ,
De la foible raiſon recueillant les prémices ,
Tu pourras quelquefois ranimer la langueur ,
Menacer ſans colere & punir ſans rigueur.
Il eſt des inſenſés qui , pour la moindre offenſe ,
Ne ſavent qu'effrayer & tourmenter l'enfance ;
Mais ton fils n'eſt puni que par le ſentiment ;
La honte ſuit la faute ,elle eſtſon châtiment.
Ay
10 MERCURE DE FRANCE.
Souvent res entretiens dans le fond de ſon ame
Porteront des vertus la généreuſe flamme ;
Et quand tu le verras ſenſible à tes diſcours ,
Des larmesde tendreſſe en troubleront le cours.
Mon fils , lui diras-tu, ſeul eſpoir de ta mère,
Non , je ne forme point une vaine chimère ,
Quand j'attends de ton coeur de nobles mouve
mens .
Le tems vole , mon fils , profite des momens.
L'ufage de la vie en étend la durée.
Pour tenter la carriere à tes voeux préparée ,
Pourfaire ton bonheur , il n'eſt qu'un ſeul moyen ;
Mon fils , fois vertueux , fois homme & citoyen.
Entends- tu dans ton coeur une voix qui te crie ,
Qu'il faut aimer ſon maître & fervir ſa patrie ?
Cet inſtinct généreux , dans tes veines tranſmis ,
Eſt le plus beau tréſor que je laiſſe à mon fils .
Ecarte loin de toi la fraude infidieuſe ,
La coupable moleſſe & l'envie odieuſe ,
Fuis le luxe indigent &l'orgueil effronté.
Apprends que la grandeur n'eſt rien ſans la bonté.
Ah ! lorſqu'un malheureux ſuccombe à ſes alarmes
,
La grandeur véritable eſt d'eſſuyer ſes larmes.
Mais ſurtout , dans le ſein de la religion ,
Des communes erreurs fuis la contagion .
Chéris l'Etre Suprême & fois utile aux hommes.
Si d'autres Spinoſa , dans le ſiècle où nous fom
mes ,
OCTOBRE. 1770. 11
Infectent les eſprits de conſeils venimeux;
Rejette loin de toi leur délire fameux.
Crains fur-tout , crains le doute où leur ame eſt
flottante.
Ah! mon fils , qu'au tombeau je deſcendrai contente,
Si tu ſuis la raiſon , ſi tu chéris l'honneur.
Mais quels regrets amers , quel trouble empoifonneur
Viendroient flétrir mon ame &deflécher ma vie ,
Side triſtes erreurs ta jeuneſſe ſuivie ,
Dans le vain tourbillon des coupables plaiſirs
Peut loin de moi jamais égarer tes defirs.
Hélas ! pardonne aux pleurs qui mouillent mon
viſage.
Mon coeur n'accepte pointce funeſte préſage:
Mon fils , pour raſſurer ce coeur trop combattu ,
Jure d'aimer toujours ta mère& la vertu.
Aces diſcours touchans , à ce tendre langage ,
Je vois pleurer ton fils ; je l'entends qui s'engage
Par le ferment facré que tu lui veux dicter ,
D'embrafler la vertu pour ne la point quitter.
Va , ce ſerment n'eſt point une chaîne frivole ;
Il promet à ſa mère , il tiendra ſa parole ,
Sur ſes lévres alors ſon coeur eſt tout entier;
Etſon ame à la tienne aime à ſe confier.
Ainfi de ſes devoirs offre-lui la ſcience;
Qu'il croiſſe ſous l'abri de ton expérience ;
vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Tel le pilote veille au milieu de la nuit ,
Et dérobe aux écueils le vaiſſeau qu'il conduit.
Cependant l'âge vient où ton fils moins débile
S'accoutume au travail ſous un Mentor habile .
L'Antiquité dévoile à ſes yeux aſſidus
Ses hommes immortels , ſes dieux qui ne font
plus.
Il ravit les tréſors &de Rome & d'Athènes .
L'étude le tranſporte aux tems des Démosthè
nes ,
Aux beaux jours d'Alexandre , au fiècle des Céfars
,
Parmi tous les enfans de Minerve & des Arts.
Fier & ſenſible Achille , il reflent ton outrage ,
Frémitde ta vengeance & chérit ton courage.
Didon , à tes regrets il ſe laiſſe toucher ;
Et ſes pleurs , d'Euryale , arrofent le bucher.
Racine l'intéreſſe aux plaintes d'Andromaque.
Il ſuit chez Calyplo le jeune Télémaque ;
Avec lui dans l'Egypte il croit être captif;
Il vole ſur les pas d'Ulyſſe fugitif.
Il voit avec tranſport aux murs d'Idomenée
L'équité floriſlante & la paix ramenée .
Quelle eft donc ta magie , ô divin Fénelon !
Taproſe enchantereſſe eût ſéduit Apollon .
Chez toi le ſentiment s'unifſoit au génie ,
Les Graces t'inſpiroient une mâle harmonie ,
Et Minerve elle - même eut recours à ta voix
Pour le biendes mortels & l'exemple des Rois.
OCTOBRE. 1770. 13
Quels coeurs à tes diſcours pourroient être rebelles?
Notre élève charmé de fictions fi belles ,
Pourdes objets nouveaux brûle d'un nouveau feu
Etſe rend digne enfinde lire Monteſquieu.
Duclimat ſur les moeurs il diftingue l'empreinte;
Il voit le deſpotiſme affermi par la crainte,
Et l'honneur ſous les Rois déployer ſa fierté ,
Et la Vertu marcher avec la Liberté.
Dans le Dédale obſcur où l'eſprit s'enveloppe ,
Il s'avance au flambeau de Montagne & de Pope ,
Et , des vains préjugés heureuſement vainqueur ,
Habite avec loi-mêine & deſcend dans ſon coeur.
Il pénétre le temple où la ſage Uranie
Trace de l'Univers l'éternelle harmonie ,
Et va , du grand Newton diſciple audacieux ,
Peſer dans ſa balance & la terre & les cicux .
Un verre afſujettit à ſon regard avide
Tous les globes épars dans les plaines du vuide.
Il les voit l'un vers l'autre attirés dans leur cours,
Ettoujours s'approcher & s'éloigner toujours.
Ils obéiflent tous aux loix qu'il leur impoſe.
En ſept rayons égaux ſon priſme décompoſe
Un rayon échappé des célestes lambris ,
Et ſurprend les couleurs de l'écharpe d'Iris.
Des feux brûlans dujour il raſſemble l'élite ;
Et toi de notreglobe , ô pâle Satellite ,
Ildevine ta marche , il la règle , & ta vois
14 MERCURE DE FRANCE.
Tes courſiers vagabonds dociles à ſa voix.
Les comêtes pour lui ne ſont plus ces fantômes
De qui l'aſpect vengeur menaçoit les royaumes.
Il fait que le ſoleil , à ces aſtres errans ,
D'une flamme nouvelle emprunte les torrens.
Il prédit leur retour & marque leur diſtance.
Des élémens rivaux le choc & la ſubſtance ,
Ces trois règnes fameux qu'en Egypte autre fois ,
Hermès à ſon pouvoir ſoumettoit tous les trois ;
La nature , en un mot , eſt l'objet de ſes veilles.
Ocombien cet amas de ſublimes merveilles ,
Combien ce grand ſpectacle étonnera ſes yeux !
Il verra que l'étude eſt un préſent des cieux.
C'eſt un tréſor ſacré que le vulgaire ignore.
Midas hait les ralens , Fréderic les honore :
Son nom par le trépas ne ſera point vaincu ;
Mais qui vit ſans penſer , meurt ſans avoir vécu.
L'existence eſt un poids dont la mort le délivre.
Tandis que ton élève à l'étude ſe livre ,
Tu dois , pour régler mieux l'emploi de ſes momens
,
Profiter avec art de ſes délaflemens .
Qu'il tente chaque jour un pénible exercice ;
Au travail obſtiné que ſon corps s'endurcifle :
La molleſſe jamais ne forma les héros .
Eh ! ſi toujours Achille eût langui dans Scyros ,
De la lyre d'Homère auroit-il été digne ?
Non : d'un loiſir honteux ſa grande ame s'indi
gne.
OCTOBRE. 1770. 15
Il ſent qu'un tel repos eſt une lâcheté ,
Et que par le travail l'honneur est acheté.
Chiron,dequi les foins formerent ſonjeune âge ,
L'inſtruiſit à paſſer les fleuves à la nage ;
Abriſer des torrens les flots impétueux ;
Afuir les vains apprêts d'un luxe infructueux ;
Avaincre dans la lice , où les fils de la Grèce ,
Joignoient l'art au courage & la force à l'adreſſe ;
Adompter les courſiers , à ſupporter enfin
L'ardente canicule , & la ſoif & la faim .
Qu'ilbrûle maintenant de rentrer dans la lice !
Son inſtinct vertueux ſert la fraude d'Ulyſſe ,
Et laiſlant la molleſle à des bras énervés ,
Il vole à ces honneurs qui lui font réſervés.
Jadis chez nos Français quelques ames ſtoïques
Conſerverent les moeurs de ces tems héroïques.
On vit tout Paladin , loyal & courageux ,
De la Gréce imiter les combats & les jeux.
D'un bras que n'avoit point affoibli l'indolence ,
Il ſavoit , jeune encore , eſſayer une lance ;
Accoutumoit au frein un rebelle courſier ,
Et ne dédaignoit pas un mets ſimple & groffier.
Mais cette courtoiſie , autrefois tant priſée ,
Servitoit aujourd'hui de fable & de riſées
Chaque jour , chaque inſtant voit changer nos
humeurs ;
Les faux beſoins du luxe ont corrompu nos
moeurs .
@honte ! O de ce ſiécle éternelle infamie !
16 MERCURE DE FRANCE.
Le citoyen chérit la molleſſe ennemie ,
Et de l'oifiveté préfère les pavots
Aux lauriers deſtinés pour les nobles travaux.
Tous les jours ſont perdus dans un oubli pro
1
fane.
La fleur de ſa jeuneſſe avant le tems ſe fane :
Et les molles langueurs qu'adopta Sybaris ,
De nos braves Hectors font de lâches Pâris .
Ton Elève fuira leurs trompeuſes amorces ;
Il pourra , dès que l'âge aura mûri les forces ,
Vouer à ſa parrie un courage aſſuré ,
Et , dans un corps robuſte , un eſprit éclairé.
Je touche à cette époque où le cri de la gloire
Fera voler ton fils aux champs de la victoire .
De Bellone à ſes yeux quand la flamme aura lui ,
Mère tendre , il faudra te ſéparer de lui.
Il faudra que ſon front de lauriers ſe décore .
De Thierry ſon aïeul la palme fraîche encore ,
Au temple des vainqueurs l'appele ſur ſes pas ,
Et lui promet un nom qui ne périra pas.
Maispourquoi retracer ces images ſanglantes ?
Mars eſt trop déteſté par les mères tremblantes ;
Al'aſpect de ce dieu la nature frémit :
Sur ſes crimes brillans l'humanité gémit.
Ah! puifle undieu plus doux , pour le biendela
terre ,
Etouffer à jamais la diſcorde & la guerre !
Puiflent les Rois un jour ne diſputer entr'eux ,
Que ſur l'art peu connu de faire des heureux !
OCTOBRE. 1770. 17
Si mes voeux ſont remplis , fi l'olive ſacrée
Couvrelong-teins le front de l'Europe éplorée ,
Ton fils ranimera les beaux arts abattus.
Il ſera dans la paix héros par les vertus .
Il me ſemble le voir dans ces vallons champêtres ,
A l'ombre de ces bois qu'ont planté ſes ancêtres ,
Juger les différends des peuples d'alentour ,
Etdu bonheur des ſiens être heureux à ſon tour.
Par un faſte érayé (ur des ruſes obliques ,
Il n'inſultera point aux mifères publiques.
Qued'autres , profanant le culte de Palès ,
Du fang des malheureux cimentent leurs palais!
Ah ! loin de s'abreuver des pleurs de la patrie ,
Il nourrit l'indigence , il ſoutient l'induſtrie ,
Il recueille , pour prix des foins qui l'ont formé ,
Lagloire d'être utile ,& fur -tout d'être aimé
Son nom fera chanté par les muſes divines .
Qu'un torrent en fureur , grondant dans les ra
vines ,
D'un cours impétueux précipite fes eaux ,
Entraîne les forêts , dévore les troupeaux
Détruiſe à chaque inſtant & change ſes rivages ;
On voudroit oublier ſes funeſtes ravages ,
Les nymphes , en fuyant , évitent ſon courroux.
Le ruifleau plus paiſible offre un tableau plus
doux.
Il fuit parmi les fleurs ,& ſous l'ombre chérie
Desjeunes peupliers qui bordent la prairie.
Son cours tranquille& pur fertiliſe les champs,
18 MERCURE DE FRANCE.
Etlesbergers en font le ſujet de leurs chants.
Ainſi ton fils un jour te prendra pour modèle.
Il ſera bienfaiſant ; & ma lyre fidèle ,
Mais plus touchante alors & plus digne de lui ,
Chantera ſes vertus quej'augure aujourd'hui .
Par M. François de Neufchâteau ,
de plusieurs académies .
LE JOLI. A Mademoiselle An...
PERE des ris , desjeux , monnom c'eſt le Joli.
Je ſuis enfant du goût , & vous êtes ma mere.
Devotre art quelque fois trahiſſant le myſtere ,
Je nais d'unjour heureux que ménage un repli.
Sous mes doigts délicats on voit la roſe éclore ;
Je ſuis un doux parfum que répand ſon beau ſeins
Un aimable printems , un gracieux matin
Qui ſourir au retour de la naiſſante aurore ;
Un trait qui paſſe à l'ame & parle au ſentiment
Et la belle nature en négligé galant.
Les Graces de mon fard compoſent leur parure.
C'eſt moi qui , de Vénus , ait tiſſu la ceinture.
Je broyai les couleurs dont me peignitGreſſet.
Je donnai le deffin de ce riant boſquer.
Je joue avec les fleurs: je ris ſur votre bouche :
C'eſt moi que vous placez en mettant une mou
che.
OCTOBRE. 1770. 19
Je prête à vos appas tous leurs traits ſéduifans ;
Tout eſt charmant enfin quand c'eſt moi qui l'or
donne.
Vous auriez bien ſans moi des autels , de l'encens
:
Mais pour les coeurs,Eglé , c'eſt moi qui vous les
donne.
ParM. Opoix, de Provins.
TANT PIS POUR ELLE.
Plus histoire que conte.
LES
Es parens de Lucette, bonnes gens de
ce monde, croyoient avoir bien élevé lour
fille parce qu'elle étoit aſſez jolie & qu'el .
le ſembloit avoir l'air affez doux , mais
rien n'étoit plus trompeur que cet air ; &,
à la bien examiner , on trouvoit dans ſes
yeux , qu'elle ne levoit qu'avec modeftie,
certaine féchereſſe à laquelle il faut toujours
reconnoître l'amour de foi-même ,
grand ennemi de l'amour des autres , &
par conféquent de la bonté.
Il ſe préſenta pour Lucette , qui n'étoit
pas riche , plus d'un parti convenable , ſi
elle ne s'étoit priſée que ce qu'elle valoit;
mais, fans oſer dire la véritable rai20
MERCURE DE FRANCE.
fon de ſes refus , elle eut toujours l'artde
leur donner pour motif ſon peu de goût
pour le mariage.
&
Il n'échapa qu'une feule fois à fon pere
de lui dire , comme par instinct , auendez
vous un Prince? Lucette rougit ,
ſe crutdevinée: cependant la bonhommie
de ce pere reparut aufli- tôt pour la raffurer
, & elle ſe flatta d'être déſormais impénétrable
pour ceux à qui le droit de la
naiſſance donnoit quelque autorité fur
elle. Empire qu'elle ſupportoit avec peine
, &que fon orgueil reſtreignoit intérieurement
à peu de choſe.
Cléon , jeune homme aimable, vit un
peu plus clair que le pere de Lucette. II
s'étoit mis fur les rangs ; il étudia la jeune
prude ; il vit qu'elle étoit vaine ; qu'il
n'y avoit de place dans ſon coeur que pour
elle, & que fa haute opinion d'elle-même
, renfermée dans ſon ſein comme les
vents dans les entrailles de la terre , menaçoit
d'une exploſion dont il étoit prudent
de ſe garantir.
Elle avoit une ſoeur d'une figuremoins
aimable , mais d'un caractere excellent.
Cléon la préféra à Lucette , & ce fut tant
pis pour elle; car il rendit ſa ſoeur une
des plus heureuſes femmes du pays .
Un goût naturel pour la coquetterie ,
OCTOBRE. 1770. 20
parce qu'elle eſt une des expreffions de
l'amour - propre qui veut occuper les autres
&en être careſſé , attiroit de tems en
tems des ſoupirans à Lucette ; mais elle
n'avoit plus de foeurà pourvoir , & ils ſe
retiroient tout à fait de la maison .
Elie leur rendoit l'amour infupportable
par la parure dont elle vouloit le
charger. L'amour du fiécle lui parvifloit
nud , & toutes les vieilles Guipures de
l'Aſtrée lui tembloient faites pour le couvrir
à ſes yeux . Elle eût inventé la Carte
de tendre & toutes les rivieres de ce genre
, fi Cathos , Magdelon * & Mile Scuderi
en avoient laiſlé quelqu'une à imaginer
à cet égard.
Je ne fais fi quelqu'un l'a déjà remarqué
, mais il arrive preſque toujours que
ce goût exceſſif pour le romaneſque du
ſentiment& pour la haute délicateſſe , eſt
le partage de ces beautés vaines qui ne
voient dans la façon cavaliere d'aimer
d'aujourd'hui que la perte de leur empire.
En effet le vieux ſyſtême de galanterie
qu'elles regrettent fi fort n'eſt que la
lirurgie d'un culte dont elles étoient l'objet;
au lieu que, dans nos moeurs plus fim-
*Les Précieuſes ridicules de Moliere.
22 MERCURE DE FRANCE.
ples, le prêtre& l'idole traitent à-peu-près
d'égal à égal.
On n'en diſconviendra pas , Lucette
évoir vertueuſe dans ce ſens qui ne laiſſe
à une femine que l'exercice d'une feule
vertu à qui l'orgueil peut donner quelquefois
la conſiſtance qui lui manquoit
pour ſe foutenir.
Indignée de l'opinion qu'on avoit généralement
de la foibleſſe de ſon sèxe ,
elle ne manquoit guère l'occaſionde faire
obſerver qu'une femme ſavoit& pouvoit
réſiſter toujours. La gloire qu'elle en tiroit
la dédommageoit des plaiſirs qu'elle
lui faifoit perdre : plus d'un de ſes amans
lui dit en la quittant que c'étoit tant pis
pour elle.
Avecſes ſublimes prétentions, Lucette
toujours occupée d'elle - même , ne vie
plus perſonne s'en occuper ; &quoiqu'elle
ſe fut apperçue la derniere que ſa fraîcheur
l'avoit quittée , elle commença à
redouter de paſſer ſeule ſa vieilleſſe , &
de n'avoir perſonne avec qui elle pût ſe
vanter d'avoir toujours été ſage.
Une de ſes peines ſecrettes étoit de
voir depuis long tems ſa cadette mariée
avec l'honnête Cléon , qu'elle avoit pu
s'attacher & qui étoit un des meilleurs
maris de la ville. Elle voulut enfin être à
OCTOBRE. 1770 . 23
fon tour une épouſe heureuſe , comme i
la félicité de ſa ſoeur n'eût pas été le fruit
d'un caractere abſolument oppofé au
fen.
Le bon Ariſte lui faiſoit ſa cour alors ;
il étoit entré dans les vues d'avoir une
femme douce , & affurément il s'adreſſoit
mal : mais fur toutes les choſes de la vie
il avoit toujours cru aisément ce qu'on
vouloit lui faire croire ,& ce qu'il avoit
fouhaité ; & Lucette , qui avoit connu fon
foible pour la douceur , augmenta ſi bien
les dehors de la ſienne , qu'Ariſte y fut
pris & qu'il fut écouté.
Un entretien qu'il avoit eu avec Lucette
quelques jours avant leur union ,
l'avoit effrayé. Le mot terrible de devoir
lui étoit échapé ; & ce mot avoit fi fort
contrarié l'humeur cachée de la future ,
qu'elle n'avoit pu s'empêcher de montrer
la révolte de ſon coeur contre ce mot &
l'idée qu'on y attache.
Il y réfléchit. Il balança ; mais il avoit
promis , il continua d'aller en avant. Il ſe
Hatta que fon expérience & fa raiſon prévaudroient
un jour ſur l'eſprit de Lucette.
Il ſe croyoit aimé, &que n'obtenans nous
pas de l'objet qui nous aime ?
Il ne ſe trompoit pas juſqu'à un certain
point;il avoit intéreſſé le coeur de Lucetts ;
14 MERCURE DE FRANCE.
mais le goût qu'elle avoit pris pour lui
étoit bien fubordonné à l'eſtime qu'elle
faifoit d'elle même ; & de ſon côté, füre
de paroître aimable aux yeux d'un homme
honnête , mais foible en général , elle
voyoit tomber ſur lui tout le poidsdujoug
qu'ils alloient prendre .
C'eſt dans cette ſituation qu'Ariſte &
Lucette contracterent des noeuds qui firent
leur malheur commun. Mde Ariſte conçut
preſque auſſi - tôt , pour régner plus
entierement ſur ſon mari , le projet de lui
faire perdre ſes anciens amis. Il en fut
épouvanté : il eſt un âge où l'amitié eſt
celui des biens dont le ſacrifice entraîneroit
tout le charme de la vie . Il réſiſta aux
deſſeins de ſon épouſe opiniâtre qui malheureuſement
n'aiant jamais eu d'amis ,
n'en connoiſſoit pas la douceur ; & c'étoit
tant pis pour elle.
On difputa , on s'aigrit longtems fur
cet objet. Ariſte defiroit fincerement de
bien vivre avec ſa moitié ; mais il voyoit
avecdouleur qu'elle en rendoitles moyens
impraticables . Il emploia tout ce que la
raiſon peut fuggérer de plus convaincant
pour ramener un eſprit qui s'égare.
Sa femme ne vit dans ſes oppoſitions ,
qu'une préférence qu'on accordoit fur elle
à ce qu'elle appeloit des étrangers , tant
elle
1
1
OCTOBRE. 1770. 25
elle étoit loin d'avoir l'idée d'un ami .
Elle alla juſqu'à manquer d'égards pour
ceux d'Ariſte qui le ſouffrit enfin avec
impatience , & qui , n'ayant rien à ſe reprocher
ſur ſes devoirs , fut vivement affecté
de la certitude cruelle den'être point
aimé comme il l'avoit eſpéré.
Ce n'eſt pas que ſon épouſe ne cherchat
ſouvent à le raffurer ſur cet article , elle
vouloit même qu'il reconnut l'amour à ſa
haine pour toute eſpéce de partage , mais
qu'eſt ce qu'un amour qui ne céde rien ,
qui ne plie jamais , qui veut tout impérieuſement
, qui fait fans ceſſe gémir
l'objet aimé , qui ſe fait un jeu cruel de
ſes peines & qui s'applaudit chaque jour
de les augmenter?
Arifte fut convaincu , malgré lui , que
l'impérieuſe Lucette n'avoit jamais aimé
qu'elle-même ; qu'un orgueil ridicule &
concentré étoit l'ame de toutes ſes actions
&de tous ſes defirs ; que la fauſſeté de
ſes idées lui faifoit trouver un mérite dans
ſon invincible opiniâtreté , &qu'il falloit
renoncer à vivre heureux avec elle.
Cependant il defiroit la paix , & pour
l'obtenir il alla juſqu'à faire craindre à
ſes amis qu'il ne les ſacrifiât un our
tout- à- fait aux injuſtes prétentions de fa
I. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
femme ; mais ce ne fut point aflez pour
elle , ſa ſotte vanité vouloit le facrifice
total , éclatant & prompt. Arifte rougitde
ſa foibleſſe & revint àſa ſeule confolation,
àl'amitié.
Nouveaux débats , nouveaux troubles .
Mde Ariſte oſa demander ſa liberté , fon
époux en frémit d'abord ; mais elle revint
ſi ſouvent à cette infolente propoſition
, qu'enfin il ſentit lui - même un
mouvement d'orgueil qui lui conſeilla
d'accepter .
Il fut libre , & devint moins malheureux
parce qu'il étoit fans remords &
qu'il conſerva ſes amis. Pour ſa femme
elle n'eut plus perſonne à déſeſperer ; ſes
jours fe terminerent dans l'ennui , &dans
l'abandon preſque général de tous ceux
qui l'avoient connu. Furieuſe d'avoir
manqué lagloire d'aſſervir un galant hom.
me, elle porta ſes plaintes vaines de tous
côtés , mais on yfut peu ſenſible; on trouva
que tout étoit dans l'ordre ; qu'un caractere
, aigre , impérieux comme le ſien
devoit rendre malheureux , & que c'étoit
tant pis pour elle.
Par M. B.
OCTOBRE. 1770. 27
INVOCATION AUX MUSES .
MuUSES , venez , montez ma lyre ,
Du dieu des versje veux ſuivre les loix.
Que l'Amouren murmure & que Vénus foupire;
J'ai trop long- tems vécu ſous leur empire ,
Et mon coeur dégagé va faire un plus beau choix,
Pour toujours fidèle à vos voix ,
Je renonce à l'Amour , je renonce à Thémire ;
Son nom dont a ſouvent ont retenti nos bois ,
Vous l'entendez pour la derniere fois .
Muſes , venez , montez ma lyre ,
Du dieu des vers je veux ſuivre les loix.
Thémire... Eh bien! Thémire eſt belle ,
Rendons juſtice à ſes appas.
Mais ne peut- on vivre ſans elle ?
Faut- il pour être heureux toujours ſuivre ſespas
Dans nos hameaux bien plus d'une bergere
Mérite de fixer les regards d'un berger ?
On admire en Cloris une taille légere ,
Chaque jour cependant je la vois ſansdanger
Le ſoir , au retour de la plaine ,
Vers le tems où chacun ramene
Ses troupeaux pleins &bondiſſans ,
Si de lajeune Eglé la voix ſe fait enterdre,
Attirés par ſes fons puiſſans ,
Bif
28 MERCURE DE FRANCE.
Bergeres & bergers s'empreſſent de ſe rendre ;
Pour tout autre que moi ſes airs font raviſlans ;
Je daigne à peine écouter ſes accens .
Quoi ! vous doutez encore ? .. Oferiez - vous me
dire
Que , dans mon aimable Thèmire ,
Graces, beauté, talens , tout ſe trouve à la fois ?
Muſes , venez , montez ma lyre ,
Dudieu des vers je veux ſuivre les loix .
Commencez ... mais pour votre gloire
Que l'Amour a jamais ſoit banni de nos chants.
Vous faurez bien ſans lui les rendre auſſi tou
chans.
Ne lui devez en rien votre victoire .
Eſſayons... Arrêtez ... laquelle d'entre vous
Doit entreprendre cet ouvrage ?
Anacreon eut en partage
L'heureux don de former tous les fons les plus
doux ;
Alaquelle dut il un ſi rare avantage ?
Bacchus eut ſon premier hommage,
Il chanta de ce dieu la gloire & les plaiſirs ;
Seş airs fans doute étoient dignes de plaire ,
Mais , s'il n'eût pas chanté les attraits de Glycère
Parleroit - on de ſes loiſirs ?
Du fameux berger de Mantoue
Est- ce à moi de ſuivre les pas ?
Déjà Clio me déſavoue ;
Elle a raiſon , je n'en murmure pas ,
OCTOBRE. 1770. 29
Et je reconnois ma foibleſſe .
Cependant... Mais puis -je le déclarer ,
Sans qu'un pareil a veu vous bleſle ?
Quand ce berger qu'il vout plut d'inſpirer ,
Oubliant nos chansons , dédaignant ſa muſette
Oſa s'élever juſqu'aux cieux ,
Et, pour mieux célébrer les héros & les dieux ,
Avec audace emboucher la trompette ;
Si ſon vol n'eût été foutenu par l'Amour ,
Quelle eût été ſon aventure ?
Mais ce dieu vient exprès du céleſte ſéjour
Del'illuftre Didon' lui faire la peinture ;
Leberger chante alors ſes malheurs , ſa beauté ,
EtDidon le conduit à l'immortalité .
Mais quel eſt cet autre modèle
Dont vous voulez que je prenne le ton ?
L'avez-vous inſpiré ? Que vois -je! Fontenelle ?
Hélas! de nosbergers chez lui reconnoît -on
Le langage ſans artifice ?.
Ne me vantez pas aujourd'hui
Ce que vous avez fait pour lui ;
S'il a des vers heureux , il les doit à Clarice.
Qu'importe ? animez - moi ; que j'éprouve en ce
jour ,
Déeſſes , ce que peut votre auguſte préſence!
Quoi ! pas un vers ? vaine eſpérance !
Eſt-ce là ce qu'on gagne à vous faire la cour ?
Où ſont donc ces tréſors que votre main diſpenſe!
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
Muſes , partez , retournez au vallon ;
L'Amour bien mieux que vous faura monter ma
lire.
Qu'ai-jebeſoin d'invoquer Apollon ?
Tout fon art ne vaut pas un regard de Themire!
Par M. le Prevêt d'Exmes.
LA MÉTAMORPHOSE DE L'AMOUR.
Stances à Mlle G. D. L. M. fur une
roſe qu'elle avoit donnée à l'auteur ,
après l'avoir portée.
OUS la forme de cette rofe
Qui vient d'expirer ſur ton fein ,
Et que je reçois de ta main ,
Julie , un dieu caché repoſe.
De ce nouveau déguiſement
C'eſt à toi de ſavoir la cauſe;
Moi , je reconnois aiſément
L'amour dans ſa métamorphofe.
Comment l'Amour dans une fleur ?
Qui , c'eſt lui qui la rend plus belle,
Et c'eſt au dieu qu'elle recèle
Qu'elle doit ſa tendre couleur.
J
OCTOBRE. 1770 . 3
Cette feuille verte & légere
Qui croît , s'étend pour la couvrir ;
C'eſt l'eſpérance menfongere
Dont l'Amour aime à ſe nourrir.
Ces épines ſi redoutables
Et qui cauſent tant de douleurs ;
Ce font les traits inévitables
Dont ce dieu blefle tous les coeurs.
Tu vois donc dans quelle imprudence
Ton préſent pourroit m'engager ;
Si je te le rends je t'offense ;
Sije le garde , quel danger !
ParM. Jorel de Saint - Brice , Garde
du Roi , compagnie de Beauvau.
LA SAIGNÉE. *
Proverbe dramatique.
PERSONNAGES :
M. DORMEL .
Madame DORMEL .
* Le ſujet de ce proverbe eſt tiré de Jacques
anecdote hiftorique par M. d'Arnaud , inférée
dans le premier volume du Mercure de Juillet
1770.
/
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
DORMEL l'aîné , fils , âgé de vingt ans .
SOPHIE , fille de M. Dormel , âgée de
dix-huit ans .
DORMEL le cadet , âgé de ſix ans.
Le Marquis D'ORIVAL .
DUBOIS , valet - de-chambre du Marquis.
Le Comte DE SAINT - BON .
Un laquais du Comte , perſonnage muet .
Laſcène eft à Paris , dans la maison de
M. Dormel.
Le théâtre représente une chambre des
plus délabrées ; on y voit quelques vieux
meubles ufés , un chevalet dreſſe fur lequel
est un tableau commencé , une table à écrire
, &c . Dans lefonds eft une couchettefur
laquelle est un enfant endormi ; elle eft couverte
d'une mauvaiſe tapifſferie.
SCÈNE PREMIERE.
Madame DORMEL , SOPHIE ,
DORMEL le cadet.
Mde Dormel file au grand rouet fur le
devant du théâtre. Son fils est à côté d'elle
& carde du coton ; la laffitude le force
d'interrompre de tems en tems ſon travail
qu'il reprend ensuite avec vivacité;sa mere
OCTOBRE. 1770. 35
jettefur lui par intervalles des regards de
pitié.
Sophie tricotte auprès de la couchette où
est l'enfant ; elle est placée vis-à- vis de la
porte qu'elle regarde auſſi de tems en tems
d'un air inquiet& rêveur.
It eſt environ trois heures après- midi.
Sophie leve un peu la tapiſſerie qui cou
vre la couchette. ( à part. ) Etre à jeun depuis
hier ſept heures , & dormir ! Il eſt
bien heureux.
Mde DORMEL. Dort-il , Sophie ?
SOPHIE . Oui , ma chere mere.
Mde DORMEL. Puiſſe-t-il dormir encore
long - tems , le pauvre malheureux !
que je crains ſon reveil.... Où eſt allé
votre pere ?
SOPHIE . Il a dit qu'il alloit demander
quelque à- compte ſur ces deſſus de porte
qu'il a entrepris.
Mde DORMEL. Quoi , il n'eſt pas de
retour , depuis neufheures qu'il eſt parti
! ... Que deviendrons-nousſi ſa courſe
eſt inutile.
SOPHIE. Cela n'eſt pas àcraindre; qui
By
34 MERCURE DE FRANCE.
eſt ce qui pourroit être inſenſible à notre
infortune ?
Mde DORMEL. Ah , ma pauvre Sophie,
que tu connois peu les hommes ! Qu'estcefur
la terre qu'un artifan malheureux ,
qu'un homme du petit peuple ?
SOPHIE . Mais enfin, c'eſt ſon bien qu'il
va demander , c'eſt le prix de ſon travail.
Mde DORMEL. Cela est vrai , mon enfant
; mais les ouvrages ne font pas entierement
finis , & il faut qu'ils le foient
pour qu'il puiſſe en exiger le paiement.
SOPHIE . Celui à qui il s'adreſſe eſt ſi riche;
d'ailleurs il ne riſque rien, l'ouvrage
eſt fi avancé.
Mde DORMEL. Pauvres raiſons. Les
plus riches font les plus impitoyables. Et
puis celui àqui il a affaire eſt un homme
de rien , que j'ai vu dans la derniere indigence
, auſſi pauvre que nous le fommes.
Il étoit alors notre égal , l'ami de
votre pere , il a voulu l'aſſocier à ſoncommerce...
Mais, Dieu, quel commerce! ..
Combien la pauvreté , toute affreuſe
qu'elle eft , lui eſt préférable ! ... Votre
pere a refuſé ; Pouvoit-il faire autrement
? .. L'indigence la plus cruelle a été
le prix de ſon vertueux déſintéreſſement...
L'autre a fait fortune , mais foncoeur s'eft
...
OCTOBRE. 1770 . 35
endurci .... Votre pere a perdu ſon ami,
il en a été méconnu , c'eſt par une grace
finguliere qu'il veut bien depuis quelque
tems lui donner de l'emploi , acheter au
prix le plus modique le fruit de ſes ſueurs
&de ſes veilles... Ah Sophie ! ces fortes
de gens font le fleau de l'humanité.
SOPHIE . Cela est- il poſſible , être riche
& fans pitié pour les pauvres ; encore
après avoir éprouvé toutes les horreurs du
beſoin ! pour moi je vous avouerai qu'il
ne m'eſt pas poſſible de le comprendre .
Mde DORMEL. Tant mieux , ma fille ,
toutes tes penſées ſont honnêtes & vertueuſes
! Puiſſes- tu ne jamais changer.
(Il se fait un inſtant de filence , après
lequel on entend fonner trois heures .
Le petit DORMEL , interrompant fon
ouvrage. Maman, voilà trois heures qui
fonnent , eſt- ce que nous ne dinons pas
aujourd'hui ?
Mde DORMEL , févèrement. Dormel ,
qu'est- ce que cela veut dire ? Votre pere
& votre frere font fortis ; eſt-ce que vous
voudriez dîner ſans eux ?
Le petit DORMEL. Oh non , Maman...
Mais... Ils ont peut - être dîné , nous ne
favons pas où ils ont été , enfin ...
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
Mde DORMEL. Et bien , dans cette in
certitude , dîneriez- vous tranquillement ?
Le petit DORMEL. Oh non , Maman;..
Mais... c'eſt qu'il eſt bien tard... & il ſe
pourroit faire que ...
Mde DORMEL. Taiſez - vous. Ils font
àjeun auſſi -bien que vous. D'ailleurs ne
voyez-vous pas que j'attens , moi ; votre
foeur en fait autant , & votre petit frere ..
N'êtes- vous pas plus en état de ſupporter
le beſoin que lui ? Il ne ſe plaint pas cependant.
Le petit DORMEL. Oui , Maman ....
Mais... c'eſt que... j'ai bien faim . ( IL
dit ces dernieres paroles en pleurant de touzesfesforces.
)
Mde DORMEL , allant à lui les larmes
aux yeux. Mon enfant , mon cher enfant
, tranquilife- toi... Allons ... Quetques
efforts... Ton pere va rentrer , il
nous apportera de quoi dîner ; crois que
je ſouffre autant que toi de ta peine.
Le petit DORMEL l'embraſſe en effuyant
fes larmes. Oh non , Maman , ne fouffrez
pas, je vous en prie ; car je ſouffrirois
biendavantage , moi; tenez , je ne pleure
plus: voilà qui eſt fini. Est-ce que je ne
peux pas me paffer de dîner auſſi -bien que
vous? Que je me veux de mal d'avoir
OCTOBRE. 1770 . 37
pleuré, mais c'eſt malgré moi ... Je m'en
vais travailler ſi fort , qu'il faudra bien
que j'oublie que j'ai faim . ( Ilse remet à
Son ouvrage & travaille avec plus d'ardeur.)
Mde DORMEL , reprenantfon ouvrage.
(à part) Mon malheur eft- il affez grand?
Ah ciel ! comment puis-je le ſupporter.
SOPHIE. Mon pere ne revient point ;
s'il lui étoit arrivé quelque malheur .
Mde DORMEL . Je devine celui qui lui
eſt arrivé , on l'aura refufé& il ne peut ſe
déterminer à paroître ici les mains vuides....
Mais c'eſt votre frere; .... c'eſt
Dormel qui me ſurprend ; à quelle heure
eft-il forti ?
SOPHIE . Dès la pointe dujour, à quatre
heures du matin .
Mde DORMEL. Qui l'auroit cru ! lui
en qui j'avois toujours reconnudes ſentimens
ſi dignes de ſon éducation , nous
abandonner en de pareilles circonstances,
lorſque nous avons le plus beſoin de fon
fecours ! .. Je ne m'y ferois jamais atrendue.
SOPHIE . Que cela ne vous attriſte pas ,
ma mere ; c'eſt ſûrement pour un bon
deſſein qu'il eſt ſorti; je connois l'excel
38 MERCURE DE FRANCE.
lence de ſon coeur , je fais combien il eſt
pénétréde notre triſte ſituation ; il eſt allé
y chercher du remède & feconder les
efforts de mon pere.
Mde DORMEL. Que fera-t- il fans appui
, fans fecours , fans connoiſſances ?
SOPHIE . Nosbeſoins le rendront induftrieux...
Il me paroiſſoit au défefpoir.
Mde Dormel . Que dis -tu là ? Ah ! Sophie
, ah , ma chere fille ! s'il alloit ſe deshonorer
, c'eſt ce coup - là qui me feroit
mottel ; on ſupporte tous les maux , mais
linfamie ...
SOPHIE . Ne craignez tien , je connois
mon frere .
SCÈNE II.
Le Marquis D'ORIVAL , DUBOIS ,
Mde DORMEL , SOPHIE , le petit
DORMEL.
Le Marquis & Dubois entrent brusquement
, le premier vécu magnifiquement.
DUBOIS. C'eſt ici , Monfieur , que je
l'ai vu entrer.
LE MARQUIS. En es-tu bien für? (ap.
percevant Sophie ) Effectivement je crois
que la voilà . (Il s'approche d'elle familie
OCTOBRE . 1770 . 39
rement. ) Bon jour , la belle enfant ; c'eſt
donc vous qui faifiez hier la petite farouche
; c'étoit pour m'afriander davantage ,
n'est- ce pas friponne ? ( Il veutlui prendre
les mains. )
SOPHIE , Se retirant. Vous vous trompez
, Monfieur ; c'eſt très- férieuſement
que vos manieres me déplaiſent ; vous
auriez bien dû vous contenter de l'infulte
que vous m'avez faite hier dans la rue ,
fans venir augmenter les chagrins de ma
mere en la réiterant à ſes yeux .
LE MARQUIS. Tu te moques, je crois ,
mon enfant , une infulte ! les careffes d'un
homme comme moi ne peuvent que t'honorer.
( Il veut l'embraffer deforce. )
SOPHIE , lui donnant un fouflet. Ah!
ciel , quelle inſolence ! (Élle fefauve. )
SCÈNE III
LE MARQUIS , DUBOIS , Mde DORMEL ,
DORMEL le cader.
LE MARQUIS à Dubois , d'un air
étonné. Diable , elle eſt vive ; qu'en distu?
DUBOIS. Oui , ma foi .
MdeDORMEL. Votre procédé eſt bien
40 MERCURE DE FRANCE.
indigne , Monfieur ; ſi vous mépriſez no
tre pauvreté , reſpectez du moins notre
honneur,notre vertu;quel mal vous avonsnous
donc fait , pour vouloir nous enlever
le ſeulbien qui nous reſte ? Et lorſque...
LE MARQUIS. Point de fermons , ma
Bonne , ils m'ennuient. Etes vous la mere
de cette gentille poulette- là ?
Mde DORMEL , après avoir héſité quelque
tems . Oui , Monfieur.
LE MARQUIS , parcourant des yeux
toute la chambre. En deux mots : vous êtes
fort pauvres ; voulez - vous que je fatſe
votre fortune ? & pour commencer à effectuer...
( Il tire une bourſe. )
Mde DORMEL. Non , Monfieur , je
vois d'ici à quel prix vous voudriez la
mettre... Malgré notre extrême beſoin
dont je n'ai pas la foibleſſe de rougir , je
ne balance pas à vous refuſer.
Le petitDORMEL. Maman , ce Monheur
veut vous donner tout plein d'or &
vous n'en voulez pas ; prenez au moins
pour vous& pour inon papa .
Mde DORMEL. Paix , mon fils .
LE MARQUIS. Mais , ma bonne, vous
êtes folle ; penſez -y àdeux fois, je veux
bien vous en laiſſfer le tems ; j'ai cent ai
OCTOBRE. 1770. 41
mables filles , auſſi jolies que la vôtre , &
que je peux choiſir : je lui donne la préférence
; vous êtes trop heureuſe .
Mde DORMEL. Et nous ne ſentons
point ce bonheur- là. Croyez- moi , Monſieur
, courez chez les malheureuſes que
vous connoiſſez ſi diſpoſées à vous vendre
leur honneur ; en quelque tems que ce
foit , ma fille ni moi n'accepterons vos
offres,
LE MARQUIS. Ma foi , tant pis pour
vous. Allons Dubois ; auſſi bien auroisje
eu peut- être de la peine à venir à bout
de cette petite mijaurée-là.
DUBOIS. Adieu , ma bonne , je vous
ſouhaite avec la continuation de ces beaux
ſentimens- là , un bon appetit.
(Ils fortent. )
SCÈNE IV.
Mde DORMEL , le petit DORMEL.
SOPHIE , qui furvient.
Mde DORMEL . Va miférable , ta dureté
ne me ſurprend point; elle eſt la
fuite néceffaire de l'infame dépravation
de tes moeurs. Les maux fuivent en foule
le pauvre, heureux qui ſçait les ſuppor
42 MERCURE DE FRANCE.
ter avec conſtance ; mais que le courage
&la fermeté font difficiles lorſque la nature
est défaillante !
SOPHIE. Ah ma mere ! l'autois - je jamais
imaginé , qu'il y eût des hommes
capables de ſe faire un titre de notre indigence
, pour... ( Elle se jete au cou de
fa mere.)
Mde DORMEL , attendrie . Ma chere
enfant , ta vertu me charme , tu viens
d'en donner un exemple héroïque....
Mais , que je ſuis inquiettede ton pere !
il n'aura pu réuſſir... Il va revenir accablé
de douleur , de fatigue & de beſoin .
Sophie . Je voudrois bien lui épargner
toutes ces peines; vous le ſavez , ſi l'on
n'avoit exigé que ma vie ...
Mde DORMEL. Je te rends juſtice, ma
fille ... Mes chers enfans , l'état de votre
pere me perce l'ame , il faut avoir recours
au dernier des moyens , à celui qui
déchire un coeur ſenſible... Il faut que
Dormel me prête ici ſon ſecours .
Le perit DORMEL. Moi , maman ; oh
commandez ; tout me ſera facile pour
vous .
Mde DORMEL. C'eſt bien , mon tils ,
embraffez moi ... Dormel, mon cher fils ..
1
OCTOBRE. 1770. 43
Dure néceffité a quoi me réduis-tu ? ... 11
faut que tu ailles implorer l'aſſiſtance des
hommes , que tu leur expoſes notre mifére
, que tu leur arraches , par tes inftances&
par tes larmes , quelque légère portion
de leur fuperflu... La tâche eſt diffi
cileà remplir , mon cher enfant ; tu trouveras
des ames viles qui ne croient pas
qu'il foit poffible d'être pauvre & eſtimable,
de ces coeurs de pierre contre leſquels
les cris des malheureux vont ſe brifer
inutilement ; mais peut-être auſſi rencontreras-
tu quelque homme vraiment digne
de ce nom , & certainement je crois qu'il
en eſt encore , qui voudra bien jeter fur
nous un regard decommifération & nous
retirer au moins pour un tems de l'affreux
abyme où nous ſommes plongés .
د
Le petit Dormel , après l'avoir écoutée
avec la plus grande attention . Maman
n'est- ce pas ce qu'on appelle demander
l'aumône ?
Mde DORMEL. (àpart) Ah ciel ! (haut)
oui , mon fils .
Le petit DORMEL. Cela me fera bien
de la peine de demander l'aumône ....
Mais... faudra - t - il demander à tout le
monde?
Mde DORMEL. Oui , mon fils; à tout
44 MERCURE DE FRANCE.
le monde, à tous ceux que tu verras en
état de t'affilter .
Le petit DORMEL. C'eſt qu'il y en a qui
ſont ſi vilains , fi rebutans , qui traitent fi
mal les pauvres ! je voudrois bien ne leur
point demander à ceux là.
Mde DORMEL. Que veux tu , mon fils?
Il n'est pas poffible de les diſtinguer. Demande
avec inſtance , les coeurs ne s'émeuvent
guère à la premiere ſecouſſe ,
fans cependant te rendre importun ; fois
humble , fans avoir l'ait bas & rampant.
Le petit DORMEL , triſtement Allons
donc , embraffez moi , maman .
Mde DORMEL , l'embraffant . Va , mon
fils ; fi la vie deton pere& celledetes freres
& de tes foeurs ne m'étoient attachées ;
je n'exigerois pas un pareil ſacrifice.
( Le petit Dormelfort en pleurant. )
SCÈNE V.
Mde DORMEL , SOPHIE .
SOPHIE le regarde fortir , les larmes aux
yeux. Le pauvre enfant ! non, il n'eſt perfonne
que fa figare ne touche , que fes
larmes n'attendriffent. Cette démarche lui
coûte beaucoup.
OCTOBRE. 1770 . 45
Mde DORMEL. Hélas , elle n'eſt homteuſe
que parce qu'un indigne abus l'a
avilie.
SOPHIE . Vous avez raiſon . Voici mon
pere. Ah ! mon cher pere . ( Elle court audevant
defon pere. )
SCÈNE VI.
M. DORMEL , Mde DORMEL , SOPHIE.
M. DORMEL entre d'un airfombre ; il
est påle & défait ; fes habits annoncent la
plus grande mifére. Ah ma femme ! ah ma
fille! il nous faut mourir. ( Il s'affied &
regarde de tous côtés d'un air égaré. ) Où
eft donc mon cadet ? Dormel est- il de retour?
Mde DORMEL. Mon cher mari , j'en
avois un fecret preſſentiment , tu n'asrien
obtenu.
M. DORMEL , avec fureur. Tous accès
àla pitié eſt fermé dans le coeur des hommes....
Un miférable ! .. que j'ai bien
voulu honorer de mon amitié dans des
tems plus heureux... J'étois à mon aiſe
alors; il étoit pauvre & homme de bien...
En changeantde moeurs il a fait fortune ...
Que la terre l'engloutiſſe ! le ſcélerat ! il
me vole lâchement le fruit de mes tra
46 MERCURE DE FRANCE.
vaux... Il nous porte à tous le coup de la
mort...
Mde DORMEL. Comment , il ne veut
pas vous payer ?
M. DORMEL. Le monſtre ! It implore
àſonſecours la lettre de la loi pour m'affaffiner...
Achevez votre ouvrage, je vous
paierai , juſque-là je ne dois rien : voilà
fon unique réponſe. En vain lui ai je repréſenté
l'excès de ma miſére , qu'il ne
m'étoit pas poſſible de travailler fans me
nourrir , que je me contenterois de la
moitié du prix de l'ouvrage , que je regarderois
ce ſecours , s'il le jugeoit à- propos
comme un don. Il a été fourd à toutes
mes prieres : je ne dois rien , m'a- t'il reparri
durement , & je n'ai point d'aumône
à vous faire ... J'inſiſtois ; qu'on me
débarraſſe de cet importun , a t-il dit à fes
gens , & fur le champ on me porte dans
la rue à demi- mortd'épuiſement & d'indignation.
Mde DORMEL. Remettez vous , mon
cher ami ; diminuez nos maux en vous
appéſantiſſant moins fur les vôtres . J'ai
envoie votre cadet par la ville... Peutêtre
fera- t- il affez heureux pour nous trouver
quelque ſecours.
M. DORMEL. N'eſpère rien , ma chere .
Ah des hommes , des hommes ! non ; il
OCTOBRE. 1770 . 47
m'en eſt plus ; il n'eſt que des bêtes féroces...
Ton état a - t-il pu me permettre
d'oublier ce moyen , il eſt vrai que je l'ai
rejeté long - tems. La honte... Te l'avouerai
-je , l'amour- propre , l'orgueil...
où ont- ils été ſe nicher ? Malheureux que
je ſuis ! l'homme eſt toujours homme...
Ces différentes paſſions ont long - tems
combattu dans mon coeur ; ma tendreſſe
pour toi , pour ces chers enfans l'a emporté,
je me fuis adreſſé au premier paffant;
je l'aborde les larmes aux yeux
avecune phyſionomie renverſée . J'ai une
femme & quatre enfans qui font dans le
befoin le plus preſſant , lui ai je dit
d'une voix baffe & d'un ton mal articulé.
Travaillez , me répond bruſquement
cet homme , vous le pouvez encore ; il
n'eſt point de métier qui ne ſoitplus honnête
que celui que vous faites : en même
tems il tire de ſa poche une bourſe des
mieux fournies , y cherche la plus petite
des monnoies & me la met dans la main ..
J'étois immobile de dépit ; je voulois
parler, mais ma langue étoit glacée , & il
étoit déjà bien loin lorſquej'en recouvrai
l'ufage.
SOPHIE . Un homme riche infulter la
mifére & ne pas la ſecourir ! àquidonc s'adreffer?
48 MERCURE DE FRANCE.
M. DORMEL. A perfonne , ma fille ,
quand on eſt auſſi malheureux que nous
le ſommes, il faut ſavoir mourir... Mais
Dormel m'étonne , il n'a pas accoutumé
de s'abſenter fi long-tems , ni de fortir ſi
matin.
Mde DORMEL. C'eſt ce que je difois à
l'inftant. Je ne peux pas croire qu'il ait eu
delfeinde nous abandonner.
M. DORMEL. Je ne le crois pas non
plus. Mais devoit-il fortir dans une circonſtance
auſſi fâcheuſe , lorſque ſon ſecours
nous eſt ſi néceſſaire. Ne fait- il pas
que la plus légere interruption de fon tra.
vail nous fait un tort irréparable. Non , il
ne s'excufera jamais.
SOPHIE. J'entends quelqu'un ; c'eſt ſûrement
lui . ( Elle va à la porte. )
M. DORMEL. Qu'il ne paroiſſe pas devant
mes yeux.
SCÈNE VII .
M. DORMEL , Mde DORMEL , SOPHIE .
DORMEL l'aîné. Il a l'air foible & abbatu
; ses bras font entourés de linges , il
porte deux pains & une bouteille de vin.
DORMEL fils , jetant les pains fur la
table
OCTOBRE. 1770 . 49
table & mettant la bouteille à terre . Tenez,
mangez... Ils me coûtent bien cher ; ...
je n'en puis plus. ( Ilſe laiſſe aller fur un
vieux coffre. )
M. DORMEL. Qu'eſt ce à dire ? Seroitce
le fruit d'un crime ! ah malheureux !
Mde DORMEL. Seroit- il poffible !
DORMEL fils. Mangez , vous dis-je , je
ſuis digne de vous.
M. DORMEL. Mais encore que ſignifie
l'état où vous voilà .
Mde DORMEL. Des bandages , des linges
, du ſang ! vous feriez vous battu ?
SOPHIE . Ah ma mere ! il s'eſt fait faigner
, tenez voilà une ligature défaite ; le
ſang coule de fon bras .
DORMEL fils . Mon pere ! .. ma mere..
ma foeur... c'étoit... pour vous donner
du pain.
M. & Mde DORMEL , ensemble. Ah !
mon fils !
SOPHIE . Ah ! mon frere !
(Ils s'approchent de Dormel fils , l'embraſſent
étroitement ; Sophie refferrefa
ligature. )
I. Vol. C
5. MERCURE DE FRANCE.
SCÈNE VIII . & DERNIERE.
M. & Mde DORMEL , SOPHIE ,
DORMEL l'aîné , le Comte DE ST BON,
DORMEL le cadet , un Domeſtique du
Comte , portant quelques proviſions.
Le COMTE DE ST BON. Où font-ils ces
pauvres malheureux ? Comment ont - ils
pu ſe cacher ſi long-tems à mes yeux.
DORMEL le cadet. Les voilà , Monſieur
... c'eſt mon pere... c'eſt ma mere
... Ils meurent de faim,
Mde DORMEL, au Comte. Hélas, Monſieur
, que votre générofité eſt touchante !
nous en ſentons tout le prix ; mais comment
en pourrions-nous jouir , tandis que
ce cher enfant , le mortel le plus reſpectable
... eſt près d'expirer? .. Ah! ſi vous
faviez...
Le petit DORMEL. Mon cher frere ,
Comme vous voilà . (Il court àfonfrere.)
LE COMTE , à Dormel l'aîné. Comment
, yous auroit- on maltraité ?
DORMEL fils , d'une voix foible & interrompue.
Non , Monfieur ; je n'ai pu
ſupporter l'état où se trouve réduite ma
malheureuſe famille. -Je ſuis forti ce
OCTOBRE . 1770 . SI
-
matin , le déſeſpoir dans l'ame , détermi.
né à leur trouver du ſecours ou à mourir.
-Je rencontre un de mes amis auffi pauvre
, aufli malheureux que moi . Mon air
déſeſpéré l'effraie. -Où vastu , meditil
, que t'eſt-il arrivé ? Ah mon cher ! ils
n'ont pas mangé depuis hier au foir...
mon pere..: ma mere ... Je ne fais où je
vais... où je ſuis... Ils vont mourir .
Tiens , mon ami , me dit cet homme vertueux,
en me donnant une pièce de deux
fols ; voilà tout ce que je poſſéde ; fi tu
voulois gagner de l'argent , je ſçais un
moyen .-Ah , dis je , je ferai tout ; il eſt
honnête fans doute. -Eh bien , me dit
ce généreux ami , il y a un particulier qui
demeure auprès de l'école de chirurgie ,
il apprend à ſaigner & il donne de l'argent
à ceux qui ... J'entends , ai je interrompu.
-Je le quitte à l'inſtant. -Je
vole chez ce particulier.-Il me faigne
& me donne de l'argent. -Je vais chez
un autre . -On m'en fait autant. -Je
viens avec ces pains , & je meurs. Heureux
ſi ma mort retarde de quelques inftans
celle des infortunés à qui je dois le
jour.
LE COMTE . Ah ! mon ami , vous êtes
un prodige de vertu ; mais vous avez un
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
,
frerequi ſe montre votre digne émule...
ce petit malheureux ( en montrant le petit
Dormel) eft tombé en défaillance à ma
porte , je l'ai fait tranſporter chez moi ;
quelques verres de liqueur lui ont fait
reprendre ſes ſens. Il meurt d'inanition
dit un médecin qui étoit alors à la maifon
, & fur le champ je lui fais préſenter
quelque nourriture; il la refuſe conſtamment...
C'est mon pere... C'eſt ma mere
qu'il faut fecourir ; pourrois je manger ,
tandis qu'ils meurent de faim ?
M. DORMEL , attendri . Ah , mes chers
enfans ! ... vous méritez un meilleur
fort.
LE Comte. Que leur fort ne vous inquiette
plus , j'en fais actuellement mon
affaire , je bénirai chaque jour l'heureux
inſtant où j'ai pu ſecourir des malheureux
auſſi peu faits pour l'être... Votre fils
n'eſt heureuſement qu'affoibli : à fon âge,
fort comme il le paroît , il ſe tirera aifément
d'affaire... ( Iljette une bourſe fur
la table. ) Voilà pour aider à ſa guérifon
& à votre ſubſiſtance pendant quelques
jours. Dans peu vous aurez de mes nouvelles.
(M. Dormel &sa famille veulentſejeter
aux pieds du Comte , il les retient. )
OCTOBRE. 1770. 53
Point de remercimens , mes chers enfans
; ce que je fais m'eſt bien doux ; j'en
ai déjà reçu la récompenſe au fond de
mon coeur. (à M. & Mde Dormel) Je ne
peux me laffer d'admirer l'effet de l'éducation&
des bons exemples que vous avez
donnés à vos enfans , ils me donnent une
haute idée de vos ſentimens ; car , dit le
proverbe ....
Par M. Garnier , Avocat à Auxerre.
EPITRE à M. de la Galaiziere ,
Intendant de Lorraine , &c .
OTO1 ! dont les regards éveillent l'induſtrie,
Toi , qui fais réunir dans tes nobles projets
Le miniſtre du Prince & l'ami des ſujets ,
Reçois l'encens de ma patrie.
Tu l'as bien mérité. Tes ſoins confolateurs
Ont rendu l'eſpérance à nos cultivateurs .
Sans toi nous aurions vu la famine cruelle
Déployer ſur nos fronts les voiles du trépas .
Le déſeſpoir tremblant s'avançoit avec elle ,
Et les crimes marquoient la trace de ſes pas.
Ah! tandis que d'autres rivages
S'étonnoient de jouir des fruits de nos guérets ,
Nos peuples gémiſſans dans le ſein des forêts
Ciij
54
MERCURE DE FRANCE.
Se nourriffoient d'herbes fauvages .
Nous rappelions en vain les tréſors de Cérés.
Dieux! falloit- il encor de plus triftes ravages
Pour ajouter à nos regrets ?
Les orages grondans au ſommet des montagnes ,
De l'affreuſe diſette ont redoublé l'horreur.
Les vents ſéditieux ymêloient leur fuseur ,
Et les flots irrités venoient dans nos campagnes
Noyer l'eſpoir du laboureur.
Il imploroit , hélas ! ta bonté paternelle.
Touché de fes malheurs , tu fais les réparer ,
Aforce de bienfaits tu veux te préparer
Une renommée éternelle .
Déjà de toutes parts tes rapides ſecours
Des pleurs de l'indigence interrompent le cours
Tu n'as point imité ces mortels inflexibles ,
Ces monftres qui craindroient de paroître fent
bles
Et qui , de notre ſang , s'abreuvent à loiſir :
Les publiques douleurs font leur affreux plaiſir ;
Mais l'humanité même en ton ame refpire.
Ta gloire eſt d'être utile& généreux ;
Ton rang n'eſt que le droit de faire des heureux.
Ah! fuis la vertu qui t'inſpire.
J'ai vu nos villageois , ſous un ombrage épais ,
De tes foius fortunés s'entretenir en paix .
■C'eſt par lui , dıſoient - ils , que nous pouvons
>>>ſans crainte
A l'eſpoir le plus doux nous livrer déſormais ,
OCTOBRE. 1770 . 55
Sûrs que,de nos travaux, une affreuſe contrainte
>> Ne nous écartera jamais.
> Il éloigne de nous la famine accablante ;
>>>Il vole où nos beſoins appellent ſes bienfaits.
>> Il ne rejette point la priere tremblante
>> Et les voeux que le pauvre a faits.
> Sur-tout il eſt ami de la ſimple nature ;
>> Charmé de nous inſtruire & de nous ſecourir ,
> Il nous apprend lui- même à connoître , à chérir
Les tréſors de l'agriculture.
> Voyez -vous ces hauts peupliers
>>Qui protègent nos prés de leur nouvel ombra-
১ge ?
>> Voyez-vous dans nos champs ces rapides cour-
>> fiers
>>Eſ>ſayerleurjeune courage ?
>>C'>eſt lui de qui la main nous prodigue ces dons ;
>>C>'eſt lui qui nous rendra les deſtins plus pro-
>>pices ,
>>>Et la tranquillité , qu'auCiel nous demandons ,
>> En defcendra ſous les auſpices. >>
Ainſi de nos hameaux les groſſiers habitans
Conſacrent à la fois ta gloire & leurs hommages ,
Ainfi de ta vertu les fidèles images
Vaincront les Parques & les Tems.
Ah !mérite fans ceſſe , en dépit de l'Envie ,
Des éloges ſi doux au coeur d'un citoyen.
Du culte deCérès fois le digne ſoutien.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Etque l'ondiſe un jour en parlant de ta vie :
Le bonheur public fut le fien.
Par M. François de Neufchâteau.
MAXIMES fur l'Education ; par M. le
Chevalier de Solignac .
RIEN de parfait ne fort des mains de la nature;
L'homme même en naiſſant n'est qu'à peine ébauché.
Ne lui refuſez pas une prompte culture ;
C'eſt un champ qui veut être au plutôt défriché.
Le tems où la raiſon dans un enfant ſommeille
Autantqu'un autre eſt propre à le rendte parfait.
Que de toins épargnés ſi lorſqu'elle s'éveille ,
Ce qu'on en doit attendre eft preſque déjà fait.
Quelque jeune qu'il ſoit , ſon ame eſt immor
telie;
Qu'il en lente au plutôt toute la dignité ,
Qu'au plutôt il apprenne a refpecter en elle
Le fouffle précieux de la divinité.
Qu'un lovable penchant devance en lui l'étude ;
Que le remede en lui prévienne le poiſon ,
Quel charmedelevoirfaire par habitude
Cequ'on eft fi long-tems à faire par raifon!
OCTOBRE. 1770 . 57
D'un pédant ombrageux & toujours en colère
N'affectez avec lui ni l'air ni les diſcours.
Avous voir il croiroit la vertu trop auſtere ,
Et s'en dégoûteroit peut- être pour toujours .
Elevez- lui le coeur , qu'il l'ait grand, magnanime,
Qu'il fache comme on doit penfer & defirer .
Eſt- il rien de ſi beau , de fi grand , fi fublime ,
Où notre eſprit ne puifle & ne doive afpirere
Par un étude aiſée & priſe avec meſure ,
Cultivez ſon eſprit , formez fon jugement:
L'étude à la jeuneſſe eſt une nourriture ;
Dans la vieilleſſe elle eſt un doux amulement.
L'ignorance à la mort eſt à-peu près ſemblable;
Elle étend fur les yeux un auſſi noir bandeau ;
Etl'eſprit d'un mortel qui de rien n'eſt capable ,
Repoſe dans ſon corps comme dans un tombeau .
JAL
A Monfieur D. S.
Al reconnu le ſage à la main qui le trace ,
C'eſt la langue du coeur , de l'eſprit c'eſt le ton.
Cet aimable Cenſeur joint la force à la grace ,
Et les vers de Virgile aubon ſens de Caton.
Par le même.
Cv
38S MERCURE DE FRANCE .
VERS aux Demoiselles G.... , quétant
pour les pauvres le Jeudi Saint.
DANS ce jour folemnel , où par la charité
Chacun penſe expier ſes fautes ,
Si les dons des ames devotes
Répondent à votre beauté,
Je vais voir abolir l'uſage de nos quêtes.
La vôtre enrichira nos pauvres àjamais :
On ne les verra plus s'attrouper déſormais
Pour nous importuner aux jours des grandes fêtes ,
Mais, pour prier le Ciel que beautés ſi parfaites
Jouiffent d'un bonheur égal à leurs attraits ;
Vous méritez cette gloire ſuprême :
Mais , brillantes Gibert , de la part des pécheurs ,
N'attendez pas cette ferveur extrême .
Le plus riche d'entr'eux ſeroit pauvre lui -même
S'il meſuroit ſes dons ſur vos traits enchanteurs.
Ainfi contentez -vous , pour prix de votre zèle ,
De la recette la plus belle
Et de l'encens de tous les coeurs.
Par M. de Seveirac , officier d'infanterie ,
OCTOBRE. 1770 . 59
mon Oncle , en lui envoyant un bouquet
le jour de fa fête.
Aux autels de l'Amour , à ceux de l'Amitié
On célèbre aujourd'hui la plus belle des fêtes ,
Et les plus doux parfums , les fleurs les plus parfaites
Ornent leur temple auguſte , ybrûlent par moirić
Al'honneurdes Louis , à l'honneur des Liſettes .
Comme ami , comme amant , on m'a vu tour-àtour
Moiſſonner les tréſors de l'empire de Flore ;
Mais , guéri déſormais des flammes de l'amour ,
Les fleurs , qu'avec plaiſir ma main cueille en ce
jour ,
Sont pour l'oncle charmant que j'aime & que j'honore.
Cette offrande légère aux yeux d'un amateur , *
De lui , de l'Univers pourroit être admirée ,
Si les dieux en régloient l'éclat & la durée
Sur la tendre amitié que lui porte mon coeur.
Par M. le François , ancien officier
de cavalerie.
*Mon oncle aime beaucoup les fleurs , &s'amuſe
à en cultiver de très-belles.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
LES DANGERS DE L'INEXPÉRIENCE.
Conte moral.
M DE VELCOUR quitte le ſervice , ſe
retire dans ſa province , épouſe une Demoiſelle
d'un áge conforme aufien , &
ne fouhaite plus que d'être pere pour vivre
parfaitement heureux. Un voeu fi refpectable
fut rempli. On laiſſa le jeune
enfant livré à lui - même & aux plaifirs
innocens de fon âge juſqu'à douze ans.
Alors M. de Velcour crut qu'il étoit tems
de fonger à l'éducation de ce fils chéri ,
&voulut ſe charger lui-même de ce ſoin .
Pourquoi des intentions ſi louables &
dont nous voyons malheureuſement fi
peu d'exemples , n'étoient elles que la
fuite du defir de mettre en pratique un
faux ſyſtème ? Jeveux , diſoit - il à fon
épouſe , que l'éducation de notre fils foit
bonne , mais ſimple. Ma fortune ſuffira
pour le faire vivre très - heureux , il eſt
donc inutile qu'il courre après de vains
honneurs qu'onn'obtient ſouventqu'à force
de ſoins qui ne peuvent pas toujours
plaire àun honnête homme. Pour le fixer
abfolument ici , je le marierai très-jeune
OCTOBRE. 1770 . 61
& ne lui donnerai pas le tems de ſe livrer
à des plaifirs dont on ſe repent , ou
que l'on regrette dans les bras d'une femme
honnête. Quoi , dit Me de Velcour ,
vous ne l'enverrez ſeulement pas à Paris
pour y faire fes exercices ?-A Paris ! ...
je voudrois qu'il tremblât au nom de cette
ville , véritable écueil de la ſageffe . -
Vous voulez faire de notre fils un triſte
citadin , un pareſſeux , un être inutile
dans le monde ? -Inutile! non,ma chere,
il ne le fera pas ; Velcour marié jeune
aura beaucoup d'enfans à qui il ſera néceſſaire,
& ce n'eſt pas être inutile que de
former de bons citoyens. Je veux le garantir
, s'il eſt poſſible du même fort que
moi , & qu'il n'arrive pas à cinquante ans
fans avoir vécu pour lui- même &fenti le
bonheur d'exiſter; bonheurqu'on n'éprouve
réellement que dans les bras d'une
épouſe auſſi vertueuſe que toi , au ſein
d'une famille qu'on rend heureuſe. -Le
bonheur dontvous me parlez, Monfieur ,
n'eſt ordinairement ſenti que par ceux
qui , jetés dans le tourbillondu monde ,
ont eu le tems de connoître ſes travers &
de s'en dégouter ; mais notre fils , fans
expérience fur ce monde qui peut plaire
quand on ne le connoît pas , ſouhaitera
fans doute d'y paroître &d'y jouer un
64 MERCURE DE FRANCE.
abfolument maître de ſes actions , il ſe
livra davantage au defir qu'il avoit toujours
eu d'être quelque choſe dans le
monde & de lailler un état à ſes enfans .
Une place qui vient à vaquer dans fa
province lui préſente l'occaſion de fatisfaire
ſa légitime ambition. Il ne s'agit
pour l'obtenir que de ſe rendre à la
cour ; ſes amis l'y engagent & Mde
de Velcour , malgré fon extrême répugnance
à voir fon mari s'éloigner d'elle ,
le détermine à partir.
Il arrive donc à Paris à l'âge de vingtcinq
ans , n'ayant à la vérité fecoué aucun
préjugé , mais aufli ſans cette expérience
qu'on évite rarement d'acquérir à ſes dépens.
Il prend un logement dans un hôtel
garni , & va trouver enfuite M. de Longpré
, conſeiller au parlement , homme du
plus rare mérite , jouiſſant de la confiance
d'ungrandfeigneur. Ce reſpectable magif
trat, veufde la niéce de Mde Duriffe, reçut
Velcour comme un allié qui lui étoit fortement
recommandé. Après lui avoir
promis de le préſenter , il le prie de regarder
ſa maiſon comme la ſienne , veut
même qu'il y vienne loger. Velcour ,
pour fon malheur , ne l'accepta pas , &
M. de Longpré , livrét ut entier à fon
état , ne put que rarement être avec lui.
OCTOBRE. 1770 . 65
Le lendemain matin ils furent à la porte
de lear protecteur , où ils apprirent qu'un
accident qui lui étoit ſurvenu les priveroit
pendant quelques ſemaines de l'honneur
de le voir. Velcour , déſeſpéré du contretems
, qui alloit le retenir plus qu'il ne
l'avoit projeté , ne peut s'empêcher de
laiffer appercevoir la mauvaiſe humeur
que cela lui donnoit . Pourquoi vous chagriner
de ce petit revers , lui dit M. de
Longpté ? Paris doit avoir des droits fur
votre curiofité , les édifices , les ſpectacles
méritent l'attention d'un homme de
goût ; allez , par exemple , aujourd'hui à
l'opéra , & comptez que chaque jour vous
fournira des plaiſirs nouveaux. Velcour
fuivitce conſeil .
A peine entroit-il dans la ſalle qu'il
apperçut le chevalier de *** fon ancien
ami , fon voiſir , qui avoit quitté la province
depuis pluſieurs années. Ce malheureux
, dont la rencontre devoit lui être
ſi funeſte , vivoit des reſſources du jeu &
des fecours honteux defemmes qui, dans
leur hiver prématuré , rendent à la brillante
jeuneſſe ce qu'elles ont reçu dans
leur printems pour prix de leurs appas.
Velcour ſe livra , comme un homme fans
expérience , à l'honnêteté de l'extérieur
& aux proteſtations d'amitié que lui fit le
66 MERCURE DE FRANCE.
chevalier , qui ne le quitta plus. Pour
donner à ce faux ami une marque entiere
de ſa confiance , Velcour lui dit le ſujet
de fon voyage & ce que M. de Longpré,
l'amide ce ſeigneur,lui avoitpromis . Bon ,
l'ami , s'écria le chevalier , tu t'abuſes ,
mon cher , c'eſt à l'amie qu'il faut s'adreſſer.
Tu as de l'argent comptant fans
doute ? Oui & même une ſomme affez
conſidérable. -Tant mieux ! Tu en facrifierois
volontiers une petite partie pour
obtenir ce que tu demandes ? -Oui , li
cela étoit néceſſaire .-Néceſſaire ? indifpenſable
! Et ſi tu veux ſuivre mes conſeils
, ton affaire eſt faite dans vingtquatre
heures. -Seroit - il poffible ? -
Oui , puiſque je le dis. Je ſuis dans les
bonnes graces de pluſieurs Dames... là..
tu m'entends bien , & tout à - l'heure je
veux te procurer la connoiſſance d'une...
-Je te remercie , ce moyen me déplaît
&je ne m'en fervirai pas .--Tant pis, car il
eſt certain , immanquable ; j'en connois
qui te valent bien , qui ne font pas ſi dé.
licats. Cela peut- être , au reſte;je confulterai
là-deſſus M. de Longpré.-Non
vraiment , ce feroit bleſſer ſa délicateſſe ,
il eſt abſolument inutile de lui en parler.
-Il s'eſt prêté de ſi bonne grace à m'obliger
que ce feroir...-Bon , autre fcru
OCTOBRE. 1770. 67
pule ! ne t'abuſe pas , mon cher : Longpré
eſt un brave homme , je le connois ,
mais il t'a promis plus qu'il ne peur. Cependant...
Mais , enfin , ſuis - je moins
ton ami que lui , nous nous connoiffons
dès l'enfance ; d'ailleurs quel intérêt aije
à tout cela que celui de t'obliger ?-Je
le ſens bien.-Si tu en es perfuadé laiſſetoi
donc conduire , ou bien je t'obligerai
malgré toi , ce ſera ma derniere reſſource.
-Oh ! pour le coup je me rends & fuis
prêt à faire tout ce que tu me conſeilleras.
Velcour fut conduit au même inſtant
chez une femme qui, pour le mieux tromper
, trancha du grand; joua les moeurs ,
la vertu , & promit de terminer bientôt
fon affaire. Pourl'accélérer il fe crut obligé
de cultiver l'amitié de cette femme
précieuſe. C'étoit là ce qu'elle & le chevalier
defiroient , il ne falloit plus que le
rendre amoureux pour en être tout-à-fait
maître. La niéce prétendue de cette femme
fut choiſie pour le féduire ; l'air du
libertinage l'eût effraïé , on fit jouer à la
petite malheureuſe le rôle d'une agnès ,
qui fent les premiers traits de l'amour ;
ſes yeux ſembloient dire à Velcour , ah !
ſi je pouvois échaper aux regards ſurveillans
de ma tante , vous fauriez combien
68 MERCURE DE FRANCE.
je vous aime. La trouvoit - il ſeule , elle
excitoit fes defits par fa réſiſtance & fa
feinte modestie , ou paroiſſoit prête à ſe
rendre quand elle le voyoit ſe repentir de
ſa ſéduction .
Le jour vint enfin d'avoir audience du
ſeigneur , & il eut le chagrin d'apprendre
de lui-même que la cour étoit dans l'in .
tention de réunir l'emploi qu'il demandoit
; cependant , Monfieur , lui dit ce
digne ſeigneur , je tâcherai qu'on laiffe
ſubſiſter cette charge en votre faveur ,
prenez patience & venez me voir. Mon
avis , lui dit M. de Longpré en fortant ,
eſt que vous attendiez .-C'eſt auſſi mon
deffein , & dans cet inſtant Velcour penfoit
qu'il lui ſeroit facile de terminer
promptement ſon affaire par la voie que
le chevalier lui avoit procurée. Hélas !
qu'il étoit dupe de ſa bonne foi , & qu'il
alloit être victime de ſon inexpérience &
de l'éducation qu'il avoit reçue . Le monf.
tre qui avoit entrepris ſa ruine & qui vivoit
à ſes dépensdepuis un mois, ayant fu
delui- mêmelaréponſedel'homme en pla.
ce perſuada à Velcour que c'étoit l'inſtant
favorable pour faire un préſent qui détermineroit
à de nouveaux efforts. Pour
épargner , lui dit - il , la délicateſſe de
cette femme qui rougiroit peut être de
OCTOBRE 1770 .
69
recevoir de vous la fomme dont vous
voulez lui faire préſent , je vous conſeille
de me charger de lui remettre de votre
part : ne trouvez vous pas , mon ami, que
cela fera plus honnête ? Velcour le veut
& lui donne cent louis. Si ce malheureux
ſe fût borné à le friponner , la perte n'eût
pas été grande , la diffipation de l'argent
le répare , ou l'on s'en paſſe ; mais la vertu
, la réputation , l'honneur ne ſe recouvrent
pas facilement. On ſe ſervit du
piége adroit qu'on lui avoit tendu pour
le faire tomber tout-à-fait dans le précipice
qui , pour être couvert de fleurs , n'étoit
que plus dangereux. Enfin, obfédé par
le chevalier , entraîné par l'exemple des
libertins dont on lui avoit procuré la con.
noillance ; plus épris que jamais des charmes
trompeurs de la perfide qui lejouoit,
il paya de cent louis les premieres faveurs
de cette innocente, qui les avoit déjà vendues
vingt fois.
Ce défordre entraîna tous les autres . Il
joua de moitié avec le chevalier , qui tint
toujours les cartes & ne gagna jamais.
Pour fournir à ſes dépenses & payer les
dettes qu'il contractoit journellement , il
engagea une de ſes terres pour moitié de
ſa valeur , & crut trouver un ami dans
72 MERCURE DE FRANCE.
avoit été fi funeſte. C'eſt donc ici , diſoitelle
, que je dois moutir ou regagner le
coeur de mon époux ! M. de Longpré qui
les attendoit ſe trouva chez lui à leur arrivée.
Comme il n'étoit encore que ſept
heures du matin, il ne crut pas que Mde
de Velcour , malgré ſes fatigues , dût dif.
férer d'un inſtant à ſe rendre chez fon
mari; les momens que vous perdriez , lui
dit- il , en feroient autant d'ajoutés à votre
malheur ; partez , Madame , ma voiture
eſt prête . -Quoi , ſeule ! .. je n'en
aurai jamais le courage.-Il faut cependant
vous y réfoudre ,un témoin eſt toujours
de trop dans une ſcène de cette nature.
Mde de Velcour embraſſe ſes enfans
, ſe jette dans les bras de ſa mere&
part. Arrivée à la porte de Velcour , elle
monte à fon appartement & n'y trouve
qu'un coureur effronté couché ſur un canapé.
Au bruit qu'elle fait en entrant il
s'éveille & lui demande ce qu'elle veur.
M. de Velcour , lui dit-elle. -Affeyezvous
, ma belle enfant , mon maître n'eſt
pas encore rentré , mais ſi vous voulez
l'attendre , vous aurez bientôt le plaiſir
de le voir , & je vous aſſure qu'il n'en
aura pas moins que vous. Oui , malgré
qu'il foit encore chez ſa maîtreſſe , où il
2
OCTOBRE. 1770 . 37
a paſſé la nuit , vous ne ſerez pas de trop .
Comment vous rougiſſez ? Eh ! bien , j'aime
cela , par exemple , c'eſt un mérite de
plus pour les filles qui font votre métier ;
je gage qu'il n'y a pas long-tems que vous
êtes dans la profeſſion ? Mde de Velcour
eût impofé filenceà cet infolent en ſe faifant
connoître , mais c'étoit trop riſquer ;
fon mari , prévenu de ſon arrivée , pouvoit
lui échapper. Elle fut donc obligée de
fouffrir les mauvais propos de ce valet libertin
juſqu'à ce qu'il lui plût de la laiſſer
feule. Qui pourroit rendre compte des
divers mouvemens qui l'agitoient , de la
vivacité avec laquelle ils ſe ſuccédoient !
Convainçue par les diſcours du coureur de
l'excès du libertinage où ſon mari étoit
plongé , elle perd l'eſpérancede le rame.
ner , craint de l'attendre , prend le parti
de lui écrire , y renonce , s'y décide ; mais
elle en eſt empêchée par le coureur qui
lui apprend , en rentrant , que Velcour ne
reviendra pas de la journée & qu'il vient
d'envoyer chercher un habit &du linge.
Pourriez- vous , lui dit- elle alors , me faire
le plaifir d'aller trouver votre maître &
le prier , de ma part , de ſe rendre ici fur
les fix heures du ſoir , vous lui direz
qu'une Dame voudroit lui parler ſur quel-
I. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE .
que choſe qui l'intéreſſe &qui ne peut
être différé. -Diable ! c'eſt donc de conſéquence
? Ah ! je devine , vous avez appris
que cette maudite Italienne , que je
voudrois de tout mon coeur qu'il quittât
pour vous , car vous avez l'air plus douce
& plus honnête , va ſans doute lui faire
quelque mauvais tour. J'entends , j'entends
, je lui parlerai de la bonne forte ,
il viendra ſur ma parole . Adieu, mon petit
coeur , ne manquez pas au moins.
Humiliée , déſeſpérée , Mde de Velcour
retourne chez M. de Longpré . A
peine a-t-on pu la calmer un peu & lui
faire prendre la plus foible nourriture,que
l'heure de retourner chez fon mari eft
déjà venue. Elle eſt reçue du coureur fur
le même ton que le matin ; il l'aſſure cependant
que fon maître a promis de ſe
trouver à l'heure indiquée. Deux heures
font pourtant écoulées ſans qu'il arrive ;
il eſt déjà nuit obfcure , une feule bougie
éclaire l'appartement& Mde de Velcour,
tremblante à chaque voiture qui paſſe, ou
ſemble s'arrêter , ſouhaite , craint & déſeſpère
de voir fon mari ; quand tout- àcoup
elle entend dans la maiſon un tumulte
confus : pluſieurs voix répétent du
ton le plus douloureux , ah ! le pauvre
OCTOBRE. 1770 . 75
jeune homme... Quel malheur ! .. Le
pauvre jeune homme !. le bruit redouble
en s'approchant. Mde de Velcour fuit le
coureur vers la porte ; mais hélas ! qu'ap.
perçoit telle? C'eſt ſon mari , c'eſt Velcour
mourant , pâle , ſanglant , défiguré ,
que quatre perſonnes ont peine à porter.
Elle ne réſiſte pas à cet horrible ſpectacle
& tombe évanouie . Ce n'eſt qu'après un
quart d'heure que le coureur & l'hôteſle
la rappellent durement à la vie. A peine
a-t- elle ouvert les yeux , qu'ils la font lever
bruſquement & veulent la faire fortir
en l'accablant d'injures , en lui diſant
qu'elle & fes pareilles font cauſe de
la mort de ce jeune homme . Quoi ! il eſt
mort , s'écrie Mde de Velcour en voulant
ſe précipiter ſur le corps de fon mari
qu'on avoit mis ſur ſon lit. On l'arrête ,
on l'entraîne , on alloit même la frapper
ſans l'écouter , lorſqu'à force de ſe nommer
, de dire qu'elle eſt l'épouſe infortunée
du malheureux Velcour , on confent
enfin de la laiſſer rentrer. Reconnoifſez-
moi , leur dit - elle , à ma douleur , à
mes larmes ; en pareille occaſion celles
pour qui vous me prenez en verſent- elles
jamais d'auſſi amères ? N'étant plus retenue
elle ſe jette ſur ſon époux , l'appelle
des noms les plus cendres , mais c'eſt en
,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
vain ; la quantité de ſang que lui a fait
perdre un grand coup d'épée , qu'il vient
de recevoir , l'a privé de tous ſes ſens.
Le chirurgien arrive : qu'on juge de la
ſituation deMdede Velcour pendant qu'il
fonde la plaie. Immobile , ſes yeux ſuivent
l'inſtrument qui va preſque toucher
le coeur de ſon mari ,elle le voit , pour
ainſi dire , agir dans l'intérieur. Tremblante
& n'ofant reſpirer , elle attend le
réſultat d'une opération qui ſera l'arrêt de
mort ou de vie de ſon époux. Enfin la
déciſion du chirurgien eſt favorable .
Mde Duriſſe & M. de Longpré , aver
tis par le domeſtique qui avoit ſuivi Mde
de Velcour , arrivent dans cet inſtant,
Pour prévenir la révolution que cauſeroit
au malade la vue inopinée de ſa femme ,
on l'entraîne dans la chambre voifine.
Cette infortunée ſe perfuade que cette
précaution n'eſt que pour lui dérober l'infraut
de la mort de fon mari , elle croit
déjà l'avoir perdu. C'eſt en vain qu'on la
raſſure ; la fièvre qui lui ſurvient eſt ſuivie
du plus violent tranſport , & les convulfions
les plus horribles font craindre
pour ſes jours.
Quelle ſituation pour une tendre mère
! Elle va perdre à la fois ſa fille & fon
gendre ; elle fuccombe ſous le poids des
OCTOBRE. 1770 . 77
ans , de la fatigue &de la douleur. M. de
Longpré , qui ne quitte pas Velcour , a
perdu le courage & l'eſpoir ; l'art des mé.
decins ne peut le raſſurer , il n'a plus de
confiance que dans les bontés du Ciel qui
eut pitié d'eux tous. Mais à peine Mde de
Velcour a recouvert ſa raiſon , qu'elle
veut voir fon mari ou croit l'avoir perdu.
Une plus longue réſiſtance pourroit devenir
dangereuſe, M. de Longpré qui le
ſent bien demande un inſtant pour prévenir
Velcour. Avec quelle prudence il
lui annonce cette entrevue , combien il
eſt prompt à le raſſurer ſur la démarche
de ſa femme. Elle eſt venue , lui dit- il ,
réclamer votre coeur ,& non pas vous reprocher
vos égaremens. -Ah ! Monfieur,
ils étoient plus grands que je ne puis le
dire ; fans le coup d'épée que j'ai reçu de
la main du chevalier , de ce monſtre en
qui j'avois mis toute ma confiance , j'allois
dès le lendemain me jeter dans une
entrepriſe deshonorante & qui pouvoit
avoir des ſuites ſuneſtes. Vous frémiriez
ſi je vous diſois... Oui , Monfieur , c'eſt
un bonheur pour moi d'avoir reçu ce
coup d'épée , il m'a donné le temsde fortirde
mon ivreſſe & va me remettre dans
les bras d'une épouſe vertueuſe. Ah ! que
tarde- telle ? ... Dans cet inſtantMde de
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Velcour , malgré fa foibleſſe , accourt , fe
précipite dans les brasde ſon mari & l'arroſe
de ſes larmes . Tous deux gardent un
profond filence , les paroles font trop foibles
pour rendre les divers ſentimens de
lear coeur. On entend cependant par intervalle
ces mots , entrecoupés de fanglors
, ma chere amie ! ... mon cher
époux ! .. Ah ! fi tu me rends ton coeur ! ..
Eft-il encore digne du tien ? Oui , .. oui ..
toujours.
Ce premier tranſport ralenti , Mde de
Velcour pria fon mati de ne jamais parler
du paffé . J'y confens , lui dit-il , mes
remords prendront ſoin de te venger.
Que ne puis- je quitter à l'inſtant un lieu
qui m'a été fi funefte , que ne puis je voir
mes enfans , hélas ! j'avois pu les oublier!
-Tes enfans ... Ils font ici. -Ils font
ici , qu'ils viennent donc promptement,
qu'ils foient frappés de mon horrible état,
il leur ſervira de leçon lorſque je leur
apprendrai...
Dans cet inſtant on amène les enfans.
Quel ſpectacle pour l'humanité ! ces enfans
paffent des bras d'une tendre mere
dans ceux d'un pere qui les baigne de larmes
& leur dit les chofes les plus touchantes
. On entend ces innocens confoler
leurs parens avec cette naïveté de leur
OCTOBRE. 1770 . 79
âge , on les voit les careſſer tour- à- tour
&pleurer avec eux .
Apeine Velcout eſt en état de ſoutenir
le mouvement d'une voiture qu'il propoſe
à ſa femine de partir. Quittons , lui ditil
, ce Paris , cette ville où le vice triomphe
au milieu de tant de vertus. Retournons
dans notre province , c'eſt là , chere
moitié de moi - même , que je veux , à
force de ſoins , de tendrefle & d'amour ,
te faire oublier , s'il eſt poſſible , que j'ai
pu ceſſer de t'aimer & devenir indigne
detoi.
Ils partirent deux jours après & ne regretterent
que M. de Longpré. Ce digne
ami leur donna, avant de s'en ſéparer, la
marque d'attachement la plus forte. Il
adopta le fils de Velcour & le déclara fon
héritier. Puiffe , ce cher enfant , leur ditil
, en reconnoiſſance de ce bienfait , foutenir
ma vieilleſſe , puiſſe -je vivre affez
long- tems pour le voir digne de nous ,
affis au nombre de nos magiftrats en être
le plus juſte & le plus humain. Le Ciel
exauça ſes voeux , & il jouit quelque tems
du fruitde ſes ſoins .
Velcour , de retour chez lui , répara par
fon économie le déſordre où il avoit mis
ſa fortune , fit le bonheur de fon épouſe
& n'eut pendant toute ſa vie d'autre cha
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
grin que celui d'apprendre que le chevalier
n'avoit pas eu le tems de ſe repentir &
qu'il avoit péri malheureuſement.
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du Mercure de Septembre 1770,
eſt un Luftre; Celui de la ſeconde eſt Bat.
toir; celui de la troiſieme , Bottes fortes,
Le mot du premier logogryphe eſt Mon
tre , où se trouvent , or , mer , mort , nom ,
re , ton , mon , rote ( tribunal ) étron , Rome
, mont , trône. Celui du ſecond eſt
Ciel , où ſe trouve lie. Celui de l'énigme
logogryphique , Cruche , où , en ôtant la
premiere lettre , on trouve ruche.
N
ÉNIGME
ULLE beauté dans la nature
N'a plus que moi de ſoupirans.
J'en puis compter dans tous les rangs ,
Aqui jedonne la torture ;
Fidèles malgré mes rigueurs ,
Et qui , dans leur folle eſpérance,
Ont oublié que mes faveurs ,
D'une vaine perſévérance ,
Pag. 80.
:
Par M.Bouvin .
Gratioso.
1770. g
Quandje te vois mon cher
- vandreJe sens un plaisir en -cho
お
3
= teur;L'aspect dun objet si tendrenit
aussi tot ma douleur Loin
toije respire a peine,L'ennui
pare de moi Mais lors = qu
M
l'amour te ra : mei: ne La vo
=te vient avec toi
De l'ImprimeriedeRécoquilliée,Rue de la Huchette, au
8. MERCURE DE FRANCE.
Qu'il y ait de Paris à Rome
Occupent les affections ,
Le coeur & l'eſprit du pauvre homme;
Enfin il en eft fou. Mais le plus ſurprenant ,
C'eſt que lamuſe enchantereſle
Ait olé célébrer , ſur un ton raviſſant ,
Ces beaux objets de ſa tendreſſe.
Voici le vrai portrait des quatre illuftres ſoeurs.
La premiere eft froide , inconſtante ,
Capricieufe & d'une humeur piquante ,
Avec cela coquette & mettant des couleurs.
Jugez combien la galante bergere ,
Depuis long- tems ſexagenaire ,
Avec cette humeur-là doit plaire à fonMedor.
La ſeconde eſt pire encor.
C'eſt la plus chaude créature
Qui foit dans toute la nature.
La troifiéme , au premier abord
Paroît plus fage , & cependant la Dame ,
Apparemment par boncé d'ame ,
Avec les gens eft de fi bon accord ,
Que, dans maints lieux , en vérité,
Onconnoît ſa fécondité.
La quatrième eſt ſale & dégoûtante.
Toujours hargneufe & toujours rebutante.
Cen'est qu'a ſa difformité
Qu'elle doit ſa célébrité.
ParlefecondClercd'unprocureurBasBreton
:
OCTOBRE. 1770 . 83
U
AUTRE.
N element est non grand pere ,
L'autre est mon trône & ſouvent mon tombeau.
Amon deſtin un autre est néceſſaire ,
Le quatriéme eft mon fléau.
Par lemême.
?
AUTRE.
LECTEUR ,j'expoſe ſous tes yeux ,
Qu'en moi l'on a tant de confiance ,
Qu'on abandonne à ma puiflance
Ce qu'on a de plus précieux ;
Dehors ou-dedans ſon aſyle ,
Si le citoyen eſt tranquille
C'eſt qu'il compte beaucoup fur moi
Car chacun me porte avec ſoi ,
Dumoins c'eſt aſſez la coutume:
Mot ne dirai de mon volume ,
Qu'il ſoit petit ou qu'il foit gros,
Il n'en fait pas moins ton repos.
Je fers très-bien à la muſique ,
Sous pluſieurs formes l'on m'y peint
Je ſuis l'attribut d'un grand Saint :
Mais par trop ici je m'explique ;
Dj
$4 MERCURE DE FRANCE.
Certes j'ouvre à tant m'exprimer
Ce que je devrois renfermer.
- ParM. M.... de Savigny.
LOGOGRYPH Ε.
AMI lecteur , loin de ce doux aſyle,
Pour la premiere fois mes yeux virent le jour
Moins difert , il est vrai , mais auffi plus tranquile,
Jenâquis dans ces lieux où l'Inde fait ſontour.
Otrop funeſtes avantages ,
Lenocher curieux épris de ma beauté
Nepénétradans nos ſombres bocages
Qu'aux dépens de ma liberté.
Depuis ce tems en vain ma maîtreſſe me flatte,
Etfous les fleurs cache mes fers 5
Je regrette toujours ces aimables déſerts
D'où m'arracha la main ingrate.
Mais veux- tu , cher lecteur , comme il eſt uſité
Renverſer toute la machine ?
Neuf pieds font mon enſemble ,&fi tu les combine
Tutrouveras enville un lieu très-fréquentés
Un autre par les champs ſur lequel on chemine;
D'Abraham la patrie &la ſoeur de Neftor ;
La mort de l'aſſaſſin, pays voisin deChine
OCTOBRE. 1770 . 85
Ledevant d'un vaiſſeau : tupeux y voir encor
Un vaſe , un dieu fameux par lesmétamorphefes;
Ce fleuve en Italie où Phébus fit capot;
Saifon , ce que l'avare aime ſur toutes choſes ;
Note , ville en Turquie , un adverbe en unmot;
Certain morceau d'architecture
Qui , pris au genre mafculin ,
Devient cet inſtrument divin
Où le bois prend mainte tournure ;
Ton plus proche parent ; & deux ventoſités
Qui ne chatouillent pas le nez ;
Une riviere en France ou mieux en Normandie;
Unmot qui vaut excès , Cité dans l'Arabie;
Chut... Rabaiſſons notre caquet ,
Mais voyez un peu l'indifcret ,
Il jaſe comme une ſalope.
Pardon , lecteur , j'ai pris ce défaut en Europe ;
Et , ma foi , je ne puis finir
Sans teproduire ici l'épithète à Zéphir.
ParM. A. Mauger , deRouen.
ENTIER
AUTRE.
NTIER je t'offre un vêtement.
Sans tête au jeu jedeviens néceſſaire ;
Mais veux-tuvoir tout ce que je fais faire ?
86 MERCURE DE FRANCE.
Si lemilieu vient au commencement ,
Tu n'as de moi plus qu'une particule ,
Dans un portrait ſi ridicule ,
Ami lecteur ne vois- tu rien ?
Non pas encore... Oh ! cherche bien.
Par le même.
AUTRE.
INSTRUMENT néceffaire
Aux ouvriers de Cérès ,
On me promene &je ſuis fait exprès .
Ma premiere moitié ne ſe plaît qu'à mal faire :
Te le dirai - je , ami lecteur ?
C'eſt un infigne voleur.
Mais ma ſeconde partie
Sert abfolument à la vie :
Sans elle c'en eſt fait de tous les animaux ;
Sans elle , adieu les végétaux.
Enfin tu dois me connoître ,
Six pieds forment mon être.
ParM. Dubled, àAngers.
OCTOBRE. 1770. 87
:
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Effaifur l'histoire générale de Picardie ,
les moeurs , les uſages,le commerce &
l'eſprit de ſes habitans , juſqu'au regne
de Louis XIV ; 2 vol . in- 12 . A Abbeville
, chez la Veuve Devérité , libraire
; & à Paris , chez Ganeau , rue Saint
Severin ; la Veuve Duchefne , rue St
Jacques ; Saillant & Nyon , rue St Jean
de Beauvais , & Lacombe , rue Chriftine
; prix liv . reliés,
L'A'AUUTTEEUURR commence ſon eſſai hiſtorique
par expofer les recherches qu'il a fai.
tes fur l'origine des Picards , leur ancienne
religion & la forme de leur gouvernement.
Mais ces recherches n'ont pu le
conduire à découvrir la véritable étimologie
du nom Picard. Ce terme vient- il
du mot piquer & de la facilité de cette
nation à ſe choquer & à ſe piquer aifément
? Ou a ton trouvé quelque reflemblance
entre le naturel des habitans de
cette province& celui de cet oiſeau qu'on
nomme la pie, pica ? Le Picard eſt- il comme
lui opiniâtre & colere ? L'hiſtorien
$8 MERCURE DE FRANCE.
rapporte encore quelqu'autres origines
de ce nom , que l'on a foutenues & com.
battues tour à- tour , & qu'il n'entreprend
point de difcuter. Il s'occupe plus utilement
pour fon lecteur à lui préſenter la
fuite des événemens particuliers à cette
province ou qui lient ſon hiſtoire à l'hif
toire générale de France. Il s'applique
principalement à nous faire connoître les
moeurs , uſages & coutumes des anciens
Picards , & les progrès de leur commerce
, de leur induſtrie &de leurs connoiffances.
Dans les premiers ſiècles de la monarchie
, la Picardie , ainſi que plufieurs autres
provinces de France , étoit en proieà
de petits tyrans qui , ſur le moindre prétexte
, fe faifoient la guerre pour avoir
occafion de mettre à contribution les marchands
& les laboureurs , & d'exercer
leurs pirateries. Toutes les routes étoient
infettées de brigands. Dans le douzième
fiécle , Lambert , évêque d'Arras , s'excufa
d'aller affiſter au ſacre de Baudry ,
nommé à l'évêché de Noyon , à cauſe du
peu de fûreté des chemins. Cedéfaut de
police donna lieu à pluſieurs aventures
cruelles , & l'hiſtorien nous fait part de
celle d'Adele de Ponthieu , qui peut intéreſſer
nos lecteurs. Thomas , ſeigneur
OCTOBRE. 1770 . 89
de St Valery , s'étoit mis en chemin avec
ſon épouſe Adèle , fille d'un comte de
Ponthieu. Ils furent attaqués près d'une
forêt par huit hommes armés, qui les chargent
le ſabre à la main. Le ſeigneur de St
Valery , après en avoir renverſé trois &
déſarmé le quatrième , fut dépouillé par
ces voleurs qui lui lierent pieds &mains
&le jeterent dans un buiſſon. La vertueuſe
Adèle ſubit encore un fort plus
cruel ; emporté dans l'obſcurité de la fos
rêt , elle fut forcée d'y eſſuier la violence
& la brutalité de ces brigands : ils la remirent
enfuite nue ſur le grand chemin.
Elle y retrouva ſon mari . Elle le débaraſſa
de ſes liens , & ils s'en retournerent
enſemble. Leurs gens , qu'ils avoient laifſés
derriere eux dans une hôtellerie , les
rencontrerent bientôt dans cet état affreux
, & couvrirent leur nudité de deux
manteaux. De retour au château de leur
pere à Abbeville , ils lui conterent leur
infortune. Ce pere barbare , égaré par de
fauſſes idées ſur l'honneur , propoſe quelques
jours après à ſa fille d'aller ſe promener
dans la ville de Rue. On côtoye
le rivage de la mer. De-là on s'embarque
dans une chaloupe comme pour mieux
prendre le frais . Déjà l'on étoit éloigné
१० MERCURE DE FRANCE.
de la côte de trois lieues lorſque le comre
de Ponthieu ſe levant tout-à- coup : Dame
de Domart , dit- il à ſa fille d'une voix
terrible , il faut maintenant que la mort
efface la vergogne que notre malheur apporte
à toute notre race. Des matelots la
ſaiſiſſent à l'inſtant , l'enferment dans un
tonneau & la précipitent dans la mer. La
chaloupe regagna la côte. Heureuſement
un vaiſſeau flamand qui vint à paffer , apperçut
ce tonneau , l'équipage l'attire à
lui : l'ouvre ; mais quelle ſurpriſe ! Adele
mourante déclare ſa condition : on la met
à terre. Elle va rejoindre ſon mari , dont
le château n'étoit pas éloigné ; elle ſejet
te dans ſes bras au moment même que
cet époux pleuroit la mort de ſa chère
Adele. Quelle ſcène plus attendriſſante ?
Jean , comte de Ponthieu , reconnut ſon
crime & s'en repentit. Il chercha à l'expier
en donnant aux moines de St Valery
le droit de pêche trois jours dans l'année ,
danslesmêmes paragesd'où l'on venoitde
tirer ſa fille. Dans ces ſiècles d'ignorance
on croyoit appaiſer l'Erre Suprême en faiſant
quelques donations aux monafteres .
Les fuperftitions les plus groſſieres
étoient également l'appanage de ces fiéclesde
barbarie. L'hiſtorien fait mention
OCTOBRE. 1770 . 91
de la fête de l'âne qui ſe célébroit dans la
cathédrale de Beauvais & de pluſieurs autres
fêtes qui étoient peu propres à s'accorder
avec la décence qu'exige le culte
de l'églife. Mais ce qui doit faire gémir
l'humanité , eſt de voir , dans ces mêmes
fiécles , des hommes & des femmes condamnés
aux flammes comme forciers , &
dont le ſeul crime étoit d'avoir l'eſprit
foible& dérangé. L'hiſtorien cite l'exemple
d'un curé qui baptifa un crapaud , &
d'une femme qui prétendit ſe ſervir de ce
crapaud pour donner la mort à un fermier
contre lequel le curé venoitde perdre un
procès. Cette femme, ſaiſie au moment
où elle alloit placer ſon prétendu fortilége
ſous la table du campagnard , fut
brûlée vive. Ce qui favoriſoit le plus
dans le ſeizième & dix - ſeptième ſiécle
des illuſions auſſi groſſieres , étoient ces
ſpectacles qu'on nommoit les petites ou
grandes diableries à deux ou à quatre perſonnages
, d'où eſt venu l'expreſſion proverbiale
de faire le diable à quatre. On y
voyoit des figures hideuſes pouffer des
hurlemens terribles , jeter des flammes
par la bouche , fecouer avec fureur des
Torches allumées. La multitude à qui ces
ſpectacles plaifoient beaucoup , les imita
92 MERCURE DE FRANCE.
bientôt dans les champs , au milieu des
bois. Les habitans des campagnes s'y rendoient
dans l'obſcurité de la nuit pour ſe
délaſſer de leurs travaux , & ils s'y livrerent
inſenſiblement aux déréglemens de
l'imagination la plus égarée , aux vices
les plus infâmes , aux outrages les plus
cruels qu'on puiſſe faire à la nature. Cette
multitude apportoit avec elle des balais .
De là on nommoit dans le Valois ceux
qui ſe rendoient à ces ſabbats des Chevaucheurs
de ramons : de-là peut - être aufli ,
ajoute l'hiſtorien , a- t- on dit proverbialement
d'un homme connu par ſes débauches
, qu'il a róti le balai.
LaNobleſſe dans ces fiécles s'étoit arrogé
ſur ſes vaſſaux les prérogativesles plus
indécentes & les plus infames . Un feigneur
d'Auxi , dans le Ponthieu , avoit le
droit de mactorer ( immoler ) la virginité
de gentilles femmes , fringantes Damoiſel.
les , belles Nonaines , en donnant un écu &
dix ſols pariſis de droit au comte de Ponthieu.
Quelques ſeigneurs vouloient bien
qu'on pût racheter cette infamie par quelqu'argent.
C'eſt ce qu'on appelloit le droit
pudicitiæ redimendæ caufa. Mais on ap .
prend avec une douce ſatisfaction que ,
tandis que la pudeur étoit ainſi par- tout
OCTOBRE . 1770 .
93
infultée dans la Picardie , on couronnoit
la modeſtie & la ſageſſe dans un village
de cette même province , nommé Salenci
près de Noyon. L'hiſtorien donne une
courte deſcription de cette fête. Il nous
entretient avec autant d'agrément des
plaids & jeux fous l'ormel , c'eſt - à - dire
des aſſemblées de Gentilshommes & de
Dames ſous un orme où l'on s'exerçoit
à la courtoisie & gentilleſſe. On décidoit
dans ces cours d'amour mille queſtions
agréables & galantes que les Seigneurs &
les Dames ſe propoſoient réciproquement.
Les Picards avoientun talent propre
pour ces fortes de jeux qui demandoient
de la naïveté & de la vivacité , ce
qui forine affez le fond de leur caractère.
La province de Picardie ſe rappelle
avec plaiſir que notre bon Roi Henri IV
diſoit volontiers qu'il étoit affectionné Picard
, qu'il avoit été engendré à Abbeville.
On obſerva en effet que Henri IV nâquit
précisément neufmois après le paſſage de
ſes pere & mere par cette ville. Il pric
ſoin lui même de le faire remarquer aux
officiers municipaux d'Abbeville , en répondant
à laharangue qu'ilvencient delui
faire lors de fon paſſage par cette ville.
Durant les guerres civiles , ce prince
94 MERCURE DE FRANCE.
ſe trouvant dans la Picardie près de Sain
tines , fut frappé de la hauteur & de la
beauté d'un grand donjon qu'il appercevoit.
Ce château appartenoit au ſeigneur
de Vieux- Pont. Il entre ; il examine. Le
maître du logis en le reconduiſant , le fait
paſſer ſur un pont - levis ébranlé par les
injures du tems, dont les planches étoient
mal aſſemblées. Il avertit le Roi de poſer
ſon pied ſolidement & de bien choiſir le
lieu ; mais Henri ſe retourne & le fixe . Il
lui met la main ſur l'épaule & s'appuie
en lui diſant : Je ſuis ferme fur ce vieux
pont ; mot heureux par lequel il faifoit
l'éloge d'un ſujet &gagnoit la confiance
d'uncourtiſan.
L'orateur qui harangua Henri IV , lotfque
ce prince , fatigué d'une longue traite
qu'il avoit été obligé de faire pour le ſecours
de Cambrai, paſſoit par Amiens ,
fut fans doute moins content que le ſeigneur
de Vieux-Pont des bons mots de
Henri . Cet orateur ayant commencé ſa
harangue par ces titres de très-grand, trèsclément
, très - magnanime.... Ajoutez
auſſi , lui dit le Roi , & très - las. Le harangueur
fut déconcerté & ne put ache
ver.
OCTOBRE. 1770 . 95
Dictionnaire des Pronostics , ou l'art de
prévoir les bons ou mauvais événemens
dans les maladies ; par M. D. T.
docteur en médecine ; vol . in - 12. A
Paris , chez Vincent , imprimeur - libraire
, rue St Severin .
Ceux qui font perfuadés que l'obſervation
eſt la baſe de toutes nos connoiſſances
en phyſique , & principalement en
médecine , ſentiront mieux l'utilité &
même l'importance de ce dictionnaire .
C'eſt un recueil très-bien fait où ſont
caſſemblées , ſous un ordre facile à faifir,
Les obſervations qui indiquent la marche
de la nature. Les médecins , obſervateurs
anciens & modernes , ont été mis à con-
Gribution pour rendre ce recueil plus comblet.
L'auteur y a joint les réflexions
qu'une pratique ſuivie dans les hôpitaux
ui a fuggérées . Si , nonobſtant tout cela ,
on trouve encore quelques doutes répan-
Hues ſur les généralités des prédictions ,
c'eſt moins la faute de l'ouvrage que de la
matiere qui y eſt traitée,
Sanctorii Juftinopolitani doctoris medici
&medicinæ olim profeſſoris primarii in
Lycao Patavino de medicina statica
96 MERCURE DE FRANCE.
aphorifmi ; commentaria , notaſque ad
didit A. C. Lorry ; vol . in- 12 . A Paris
, chez Cavelier , libraire rue St
Jacques , au lys d'or .
2
Les recherches auſſi intéreſſantes que
curieuſes de Sanctorius ſur la médecine
ſtatique ont dévoilé les myſteres de la
tranſpiration inſenſible , ſes avantages &
les maladies qui réſultent de ſa diminution
& de ſa ſuppreffion. Ce médecin
mourut au commencement du ſiécle dernier.
Comme il voulut traiter à fond
l'objet de la tranſpiration , qu'il regardoit
comme une des plus eſſentielles&
des plus utiles parties de la médecine , il
ne négligea rien pour ſe procurer les expériences
les plus exactes . Il fit faire une
balance dans laquelle il eut la patience
de paſſer une partie de ſa vie ; il parvint,
enpeſant ſes alimens & ſes excrémens à
déterminer la quantité de nourriture qu'il
faut prendre pour réparer la perte deshumeurs
que la tranſpiration a diſſipées . Sa
médecineftatique eſt le réſultat de ſes expériences
& de ſes obſervations ſur la
conduite de la nature dans la tranſpiration.
Elle fut imprimée, pour la première
fois, en 1614. Dans la nouvelle édition
que
OCTOBRE. 1770.
97
que nous annonçons , M. Lorry a confirmé
ou éclairci par ſes obſervations & par
ſes notes les principes de Sanctorius.
Traité des Bêtes à laine , ou méthode
d'élever & de gouverner les troupeaux
aux champs & à la bergerie : ouvrage
pratique , ſuivi du dénombrement&
de la deſcription des principales eſpèces
de bêtes à laine dont on fait commerce
en France ; avec un état des différentes
qualités de laine & des uſages
auxquelles elles ſervent dans les mafactures.
Par M. Carlier ; 2 vol. in - 4°.
De l'imprimerie de Louis Bertrand , à
Compiegne ; & le vend à Paris , chez
Vallat- la-Chapelle , libraire au palais ,
fur le perron de la SteChapelle.
Ce traité eſt diviſé en deux parties. La
premiere forme un corps d'inſtructions
fur la maniere de gouverner les bêtes à
laine, La ſeconde contient un dénombrement
& une deſcription des principales
eſpèces de bêtes à laine dont on fait
commerce en France , avec un état des
différentes qualités de laines &des uſages
auxquels elles ſervent dans les manufac
tures
I. Vol E
98 MERCURE DE FRANCE.
La premiere partie , c'eſt à dire le corps
de l'ouvrage eſt ſubdiviſé en huit chapitres
. Le premier eſt employé à faire connoître
toutes les races de moutons , tant
communes qu'étrangeres. Le chapitre ſe.
cond , dans lequel l'auteur nous entretient
du berger & de ſes fonctions , eſt
auſſi intéreſſant que curieux par les détails
qu'il contient. Les chiens font pour
les bergers un ſecours dont ils peuvent
rarement ſe priver. La manoeuvrede ces
animaux cauſe autant de plaiſir que de
ſurpriſe. Ils apportent en naiſſant un inftint
qui vient de race & que l'éducation
perfectionne. Veiller la nuit , courir le
jour , eſt la vie d'un chien de berger , au
parc fur- tout. Auſſi les laboureurs & les
gens de campagne regardent cet animal
comme un ſurveillant néceſſaire dont un
berger ne peut ſe paſſer. Ils diſent d'un
fort travailleur qu'il a du mal comme un
chien de berger ; &d'un mauvais ſujet qui
revient d'une maladie dangereuſe , mourroitplutôt
un bon chien de berger.
Les chapitres trois & quatre méritent
à tous égards l'attention des propriétaites
&des bergers eux- mêmes. M. C. y paffe
en revue tout ce qui a rapport à la génération
des bêtes à laine & à la formation
OCTOBRE. 1770. ११
des troupeaux . Il y traite ſucceſſivement
du bélier & de la brebis , des agneaux &
dumouton.
Le chapitre cinquiéme, qui regarde les
pâturages&les fourrages , contient beaucoup
de connoiffances pratiques que l'auteur
a acquiſes dans la ſociété des bergers
& des cultivateurs. Il diftingue &
ſubdiviſe toutes les qualités des pâturages
&des fourrages relativement aux différentes
natures des territoires qui les produifent.
Il faut lire tout entier le chapitre fix
pour s'inſtruire de ce que l'on doit obferver
dans le gouvernement des troupeaux,
au parc & à la bergerie. L'auteur démontre
ſans réplique que la conſervation des
bêtes à laine ne dépend pas moins de l'uſage
du grand air & de la propreté des
bergeries que des bonnes nourritures.
M. C. après avoir détaillé toutes les
parties d'utilité qui rendent le mouton
un animal précieux à la ſociété , l'examine
dans le chapitre ſeptiéme comme un objet
de commerce relativement à la vente
&au produit qu'on en tire .
Le huitieme & dernier chapitre renferme
une defcription des maladies auxquelles
les bêtes à laine ſont ſujettes ,
E ij
১০০ MERCURE DE FRANCE.
avec le nom des remèdes &des préſerva
tifs qu'on doit employer pour guérir ces
maladies ou pour les prévenir. M. C. inviolablement
attaché aux bergers dans la
ſociété deſquels il a puiſé la plupart de
fes connoiflances pratiques , revendique
par- tout en leur faveur le privilege d'être
les ſeuls médecins des troupeaux .
La feconde partie de cet ouvrage a un
rapport plus direct au commercede France.
L'auteur y donne le dénombrement
&la defcription des principales eſpèces
de bêtes à laine dont on fait commerce
dans ce royaume , & l'état différent des
qualités de laine qui s'emploient dans
les manufactures. M. C. fait voir pardes
détails inſtructifs que nous poſlédons dans
la France méridionale , des troupeaux
preſque auſſi parfaits que ceux d'Eſpagne;
&dans la France ſeptentrionale des moutons
comparables par le corſage & pour
la toiſon , aux meilleures races d'Angleterre
& de Hollande. Les Eſpagnols &
les Anglois ne l'emportent fur nous que
par l'afliduité avec laquelle ils veillent à
l'éducation de leurs troupeaux. En partant
de ce principe , qui est développé &prouvé
par des faits très- bien établis , il eſt
comme démontré qu'il ne dépend plus
OCTOBRE. 1770 . 101
que de nos cultivateurs d'accroître la richeſle
de la nation en ſe conformant aux
règles de conduite que l'auteur a preſcrites
dans le corps du traité ; règles ſi ſimples
& fi peu difpendieuſes , que les propriétaires
ne peuvent que gagner à les
mettre en pratique. L'exercice au grand
air , la proprété des bergeries & le foin
de proportionner le nombre des bêtes à
la quantité des nourritures qu'on peut leur
donner font la baſe & le fondement de
ces règles. Cette ſeconde partie eſt terminée
par des réflexions judicieuſes ſur
l'état actuel des manufactures de France.
L'ouvrage entier ſera d'autant plus utile
aux propriétaires de troupeaux & aux fabriquans
en laine que l'auteur parle continuellement
d'après l'expérience,&qu'il
met ſes connoiffances acquiſes à la portée
de tous les lecteurs. Un autre mérite
de ce traité c'eſt de nous faire connoître
pluſieurs termes conſacrés par l'uſage &
dont on chercheroit en vain l'explication
dans les vocabulaires .
Les Jours , pour ſervir de correctif & de
ſupplément aux Nuits d'Young ; par un
Mouſquetaire Noir ; brochure in - 12 .
ALondres ; & ſe trouve à Paris , chez
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
Valade , libraire , rue St Jacques , vis
à- vis celle de la Parcheminerie.
Cette production eſt celle d'un eſprit
enjoué & qui a cherché à nous diſtraire
un moment par des peintures burleſques
des images fombres du chantre des nuits.
L'auteur , dans ſon cinquiemejour , inti.
tulé l'Immortalité , félicite Uranie d'être
parvenue à ſe rendre immortelle. « Mal-
>> glé ſes ſoixante ans , Uranie a trouvé
>> le fecret de facrifier à l'Amour à l'in-
>> ſçu de la nature : ſi ce n'eſt pas là être
>> immortelle , je n'entends plus rien à
>> l'immortalité. Chaque jour Uranie ſe
>>>leve avant l'aurore , afin de travailler
» avec ſes femmes au grand oeuvre de ſa
>> réſurrection. Le ſoleil eſt à peine au
>> milieu de ſa courſe que les ridesde fon
>> front commencent à diſparoître. On
>> continue le travail , & déjà ſon ſque-
>> Iette a repris la fraîcheur & les contours
>> de l'adolefcence. Heureuſe Uranie ! се
>> teint frais & vermeil vous affure la
>> jeuneſſe & la beauté pour huit heures
>>>aumoins. Le charmantpapillon ! ce foir
>> il rentrera hideux dans ſon tombeau ,
>> & demain nous l'en verrons ſortir en-
>> core plus jeune , plus ſémillant & plus
OCTOBRE. 1770. 103
>> radieux. Ainsi , Uranie prolonge nos
>> jouiſſances en éterniſant ſes appas. Elle
>> a tous les âges à la fois : vénérable au
>>>fortir du lit, elle obtient de nous des
>> hommages bien reſpectueux ; rajeunie
>> l'après - diner, elle a déjà quelques droits
>> à nos foupirs ; fur la brune , devenue
>>plus piquante & plus céleste , Uranie a
>> le bonheur de nous rendre infolens &
>> foux , à mesure que le jour s'épaiffit.
>> Eſt il un fort comparable à celui d'Ura-
>> nie ? Ses nuits ont encore la férénité
>> des beaux jours. Ils ne font troublés
» que par la douce image de ſes victoires
>> remportées ſur des rivales de quinze
>> ans. Uranie a-t-elle tort ? Je n'oſerois
>>prononcer. Il faudroit être ce qu'elle
>> eſt , il faudroit ſentir ce qu'elle fent ,
» & il ne m'appartient pointde le deſi
» rer. »
Dans ce mêmejour l'auteur affecte des
mouvemens convulfifs , & nous préſente
un choc de mots & de penſées , fans doute
à deſlein de parodier les obſcurités
qu'il prétend trouver dans l'auteur Anglois.
« La mort découle du ſein de la
» vie , la vie jaillit du ſein de la morr.
» Ces deux extrêmes du mouvement cir-
>> culent , s'entrechoquent , ſe confone
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
>>dent , s'organiſent de mille manieres.
>> lci la matiere dort dans l'inertie , là
>> elle offre une étincelle , là un flamme
>>légère , plus loin une douce aurore ,
>>>ailleurs un volcan déſaſtreux : la ſenſi-
>>bilité a des foyers de différens diamè-
>> tres qui ramaſſent plus ou moins des
>> rayons du grand aftre, ſuivant leur cou-
>> leur & leur tranſparence. Tour à tour
>> victorieuſes & terraffées , la mort & la
>> vie ſe jouent à travers l'immenfité , aux
>>dépens , comme au profit , des élémens
>> qui l'empliſſent; & les frêles humains
>> font peut- être les ſeuls des êtres ſenſi-
>> bles qui oſent contempler ces jeux
>> étranges. Au moment même où l'hom-
> me fert de jouet à la mort , il obſerve ,
>>il recueille , il médite & décrit les phé .
>> nomènes dont il eſt la victime . »
Ce cinquiémejour eſt ſuivi d'un ſixiéme,
intitulé les Eſprits. L'auteur y rappelle
une anecdote , & il ſemble tirer des
différens recits auxquels cette anecdote a
donné lieu des conféquences pour établir
le pyrrhoniſme de l'hiſtoire. Mais tout
ceci ne fert qu'à confirmer cet adage d'un
ſage de l'antiquité : « Avant d'accorder
>> votre organe à un fait qui vient d'arri-
> ver , confultez l'écho , c'est - à-dire ,
OCTOBRE. 1770 . 105
laiſſez paſſer les premieres rumeurs toujours
troubles & tumultueuſes ,&n'écoutez
que ce qui vous fera rapporté par des
gens graves &de ſang froid.
Dictionnaire portatif de commerce , contenant
la connoiſſance des marchandiſes
de tous les pays , ou les principaux
& nouveaux articles concernant le
commerce & l'économie ; les arts , les
manufactures , les fabriques , la minéralogie
, les drogues , les plantes , les
pierres précieuſes , &c. vol . in 8 ° .
grand format. A Bouillon , aux dépens
de la ſociété typographique ; & ſe trouve
à Liège , chez C. Plomtueux , & à
Paris , chez Lacombe , libraire , rue
Christine.
Ce dictionnaire peut être regardé comme
une bibliothéque portative dont les
différens articles , rangés par ordre alphabétiqne
, donnent des notions prompres ,
faciles & fatisfaiſantes ſur toutes les matieres
premieres & fur celles miſes en
oeuvre par l'induſtrie. Comme la théorie
du commerce n'entroit point dans leplan
de ce dictionnaire , il a été facile à l'auteur
de donner de l'étendue aux articles
Εν
106 MERCURE DE FRANCE.
d'induſtrie , & à ceux qui regardent les
beaux arts . Il rapporte à l'article Camayeu
les heureuſes rentatives qu'a faite M. Palmeus
pour faire imprimer des eſtampes
en camayeu bleu. Cet artiſte a employé
la fardoine (couleur rouge ) avec le même
ſuccès qu'il avoit employé le lapis ,
& il a obtenu un camayeu rouge trèsbeau.
Mais nous penfons que ces couleurs
, quelqu'agréables qu'elles puiffent
être dans l'emploi , ne réuffiront cependant
jamais auſſi-bien que le noir des imprimeurs
en taille-douce , dont les nuances
varient àl'infini & donnent à l'eſtampe
un ton mat & velouté très - ami de
l'oeil . L'impreſſion en camayeu bleu peut
être cependant très utile pour copier les
deſſins de pluſieurs peintres Italiens dont
l'uſage étoit de laver leurs deſſins avecdu
bleu d'indigo.
Effais fur la Religion Chrétienne & fur
les ſyſtèmes des philoſophes modernes,
accompagnés de quelques réflexions
fur les campagnes ; par un ancien Militaire
retiré ; vol . in 12. A Paris , de
l'imprimerie de Ph. de Pierres.
Cet écrit eſt celui d'un bon citoyen ,
d'un ancien militaire qui , ayant vécu
OCTOBRE. 1770 . 107
long-tems au milieu d'une jeuneſſe diffipée
& impatiente du joug qu'impoſe la
Religion Chrétienne , connoît mieux les
erreurs de cette jeuneſſe & les objections
qu'elle ſe fait pour autoriſer ſes défordres
ou pour en répandre un nuage ſur les vérités
ſévères qui troubleroient ſes plaiſirs.
Ces eſſais fur la Religion ſont ſuivis de
réflexions ſur les campagnes. L'auteur y
examine quelle eſt la véritable cauſe de
leur dépopulation.
Manuel des Pulmoniques , ou traité complet
des maladies de la poitrine , où
l'on trouve la théorie la plus naturelle ,
les règles de pratique les plus ſimples
& les plus fûres pour combattre les
maladies de cette cavité. On y a joint
une nouvelle méthode de reconnoître
ces mêmes maladies , par la percuffion
du thorax , traduite du latin d'Avenbragger
; par M. Roziere de la Chafſagne
, docteur en médecine de la faculté
de Montpellier , de la ſociété
royale des ſciences de la même ville ,
&afſſocié - étranger de l'académie de
Clermont Ferrand ; vol . in- 12 . A Paris
, chez Humaire , libraire , rue du
marché Pallu. Prix 2 liv. 8 f. br .
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
L'eſprit d'obſervation , introduit ar
jourd'hui dans la phyſique , & particuliérement
dans la médecine , a préſidé à ce
traité des maladies de la poitrine. Laſthéorie
qu'elle contient eſt celle des obfervareurs
les plus exacts & les plus éclairés ,
celle que M. de laChaſſagne a vu s'accorder
avec les faits..
Traité méthodique de la goutte & du thumatiſme
, où l'on enſeigne d'après l'ex
périence les vrais moyens de ſe délivrer
&de ſe préſerverde ces maladies ;
par M. Ponfart , docteur en médecine;
vol. in- 12 . A Paris , chez Des Ventes
de la Doué , libraire , rue St Jarques ,
vis- à- vis le collége de Louis le Grand..
Prix 3 liv.
On a juſqu'ici regardé la goutte com
me une maladie rebelle à tous les remè
des. Un traité qui nous prouve que cette
maladie peut être attaquée efficacement
ne peutdonc manquer d'être accueilli des
phyſiciens & des médecins. Les perfonnes
qui ont déjà reſſenti les douleurs vives&
brûlantes de cette cruelle maladie
trouveront une eſpéce de conſolation à
lire ce traité qui leur annoncera que leurs
mauxne font point incurables , & les inf
OCTOBRE. 1770. 109
truira des remedes qu'ils doivent employer
& du régime qu'il leur est néceffaire
d'obſerver. M. Ponſart , après avoir
donné , dans le premier chapitre de fon
traité, la définition de la goutte , ſon hiftoire
abregée ſuivie des diverſes dénominations
qu'elle a reçues en différens
tems, expoſe,dans le ſecond, la diftinction
que les modernes ont faite entre la goutte
&le thumatiſme. Dans le troifiéme chapitre
, l'auteur entre dans le détail des différentes
eſpèces de gouttes , & il fait voir
que la goutte n'eſt point héréditaire comme
on le penſe aſſez ordinairement. De
cetteconnoiffance extérieure, pour ainfidire
,de la goutte , il paſſe à l'examen approfondide
cette maladie , il en recherche la
nature,lesprincipes&lescauſes; c'eſtl'objet
des cinq chapitres ſuivans. L'auteur penſe,
d'après ſes obſervations &ſes expériences,
que la goutte n'a point d'autres cauſes
efficientes que l'oblitération de la majeure
partie des vaiſſeaux excréteurs de la
pean ou au moins la diminution de leur
calibre , & la tranſpiration ſequeſtrée &
interceptée ; ce qu'il confirme par l'expli
cation de divers phénomènes & accidens
de la goutte. L'habile médecin traite avec
l'étendue que demande l'importance du
ſujet dans les huitième, neuvième, dixić
TIO MERCURE DE FRANCE.
me & onziéme chapitres , les ſymptômes
de l'accès de la goutte regulière ; ceux de
la goutte remontée à la tête ; le diagnoftic
; le prognoſtic. Il expoſe, dans le douziéme
chapitre, la méthode de ſoulager le
malade attaqué de la goutte ; il rapporte
dans le troifiéme la maniere de traiter la
goute remontée , & joint par tout les
preuves les plus ſolides aux moyens qu'il
propoſe. Enfin, dans le quatorziéme chapitre,
il fait fentir la poſſibilité de guérir
radicalement la goutte hors de ſon accès ;
il annonce la pratique de cette curation ,
& il la développe autant que la prudence
pouvoit le lui permettre. Ce bon traité
eſt terminé par des obſervations ſur les
rhumatiſmes , qui ſont en quelque forte
une eſpéce ou un commencement de
goutte.
Selicourt nouvelle , par M. d'Arnaud ;
in- sº . avec des gravures. AParis , chez
le Jay , libraire , rue St Jacques , audeſſus
de la rue des Mathurins , au
grand Corneille .
Le chevalier de Selicourt , deſtiné au
ſervice, avoit été envoyé à Paris comme
à la fource d'une éducation convenable à
l'état qu'il avoit embraſſé. Il avoit une
OCTOBRE. 1770 . 111
phyſionomie avantageuſe ; cherchant la
raiſon dans un âge où l'on ſe fait gloire
de ne point la connoître , il réfléchiffoit
au milieu de l'étourdiſſement des plaifirs
, & il avoit déjà affez d'expérience
pour ſentir que le véritable amour est
bien différent de ces engagemens paffagers
qui ſont preſque toujours fuivis de la
langueur&du dégoût.Selicourtétoitmoins
jaloux de plaire que d'aimer : c'étoit donc
à un attachement vif & folide que ſe
fixoient tous ſes defirs. Et quelle femme
plus capable de lui inſpirer cet attachement
que la marquiſe de Menneville ?
Deux grands yeux noirs & pleins d'une
langueur intéreſſante , épargnoient en
quelque forte à ſa bouche le foin de s'exprimer.
On eût dit qu'elle appréhendoit
de paroître belle , & qu'elle vouloit ſe le
diſſimuler à elle- même. Les graces l'animoient
juſque dans ces riens qui font fi
déciſifs dans le détail , & qu'on ne peut
guère définir. On lui trouvoit toujours de
nouveaux charmes ; ſa converſation touchoit
plus qu'elle ne brilloit; il ne lui
échappoitpoint une parole qui n'excitât le
ſentiment. Elle avoit pour amie la baronne
Darmilli . Celle - ci réuniſſoit à une
figure extrêmement reguliere , une taille
déliée & majestueuſe ,& un eſprit facile
112 MERCURE DE FRANCE.
/
qui s'approprioit tous les tours. En reconnoiffant
le pouvoir de ſes agrémens ,
on étoit fâché cependant de leur céder ,
parce que tout en elle reſpiroit le defir
de dominer ; & la tyrannie , même dans
ce sèxe ſi bien fait pour nous ſubjuguer ,
déplaît à notre orgueil & l'offenfe . La baronne
étoit entourée d'une foule d'adorateurs
; une fortune conſidérable ajoutoit
à ſes attraits ; malgré cette fierté impoſante
, elle avoitde la ſenſibilité ; mais
fon deſſein étoit de faire un choix dont
ſa vanité eut lieu de s'applaudir , & il n'y
avoit pas à craindre que l'amour - propre
fut facrifié à la tendreſſe.
L'empire de la beauté & la jalouſie des
conquêtes qui , pour l'ordinaire diviſent
les femmes & les empêchent de goûter
les douceurs de la tendre amitié , n'altererent
en rien celle que la baronne Darmilli
& la marquiſe de Menneville s'étoient
vouée . Les lecteurs qui s'intéreſfent
à la gloire du beau sèxe ( & qui font
les indifférens qui ne s'y intéreſſent pas ?)
verront avec une fecrette fatisfaction ces
deux amies faire tour à tour le ſacrifice
de leur paffion la plus chere , renoncer à
l'amour le plus tendre qu'avoit ſçu lear
inſpirer le chevalier de Seticourt , & travailler
chacune au bonheur de fon amie,
OCTOBRE. 1770 113
Elles n'obtiennent cependant point ces
victoires fur elles- mêmes fans de grands
combats , & c'eſt ce qui jette de l'intérêt
dans cette nouvelle. La marquiſe de Menneville
, fuccombant en quelque forte à
tant d'efforts , étoit tombée dans une langueur
mortelle. Son amant va trouver la
baronne Darmilli : " Ah ! Madame , s'é-
>>crie- t- il, en ſe précipitant à ſes genoux ,
>> je vais tout perdre , il n'y a que vous
» qui puiffiez me fecourir , ſauvez du
>> moins votre amie , &je viens mourir
» à vos pieds . -Selicourt , expliquez-
>> vous. -J'apprends que la marquiſe eſt
>> dangereuſement malade ; c'eſt , n'en
>>doutez pas , la ſuite des combats que ſa
>>générofité s'efforce de foutenir pour
>> vaincre un ſentiment... qui vous of-
>> fenfe ; oui , j'attendsde votre vertu , de
>> votre grandeur d'ame , une démarche ...
>> Croyez que l'amitié , la reconnoiffance
>> ont fur moi un pouvoir infini. -Che-
>> valier , ils n'auront jamais le pouvoir
>> de l'amour... Veus m'allez connoître,
>>jugez ſi je fais aimer. » Auſfi-tôt Madame
Darmilli demande ſon caroffe.
« Chevalier , donnez-moi la main. » La
baronne ſe fait conduire chez Madame
de Menneville ; elle monte , traverſe les
appartemens malgré les domeſtiques, pé.
114 MERCURE DE FRANCE.
nètre enfin juſqu'à la chambre de la malade
, tandis que Selicourt l'attendoit dans
la piéce précédente. Madame de Menneville
étoit en effet expirante ; elle avoit
la tête appuyée ſur ſon bras , & , de ſes
grands yeux noirs qu'une mortelle langueurs
rendoit encore plus intéreſſans ,
tomboient de ces larmes qui décèlent la
profonde affliction ; elle ne peut s'empêcher
de jeter un cri à l'aſpect de ſa rivale...
« Que ma vue , lui dit la baronne,
» ne vous caufe aucune peine ; c'eſt la plus
>> tendre amie que vous revoyez , qui
» n'aſpire qu'à votre bonheur , & qui
>> vient y contribuer; c'eſt trop abuſer de
>>l'amitié : il faut qu'elle cède à l'amour.
>> Votre fort a changé , vous êtes maîtrefle
» de votre coeur , de votre main ; je vous
»demande moi - même l'un & l'autre
» pour Selicourt. La marquiſe veut repliquer.
« Entrez , chevalier , pourſuit
„Madame Darmilli : voilà cet amant ,
» toujours digne de vous , que je vous
>> préſente , qu'il devienne bientôt votre
» époux , &.... ne voyez point couler
mes pleurs ; ce ſont les derniers fou-
» pirs d'une paffion.. que je vaincrai ; je
>>n'en connois plus d'autre que celle de
» vous rappeler tous deux à la vie & de
>> vous rendre heureux . »
OCTOBRE. 1770. 115
La baronne s'étoit elle même trompée
fur la victoire qu'elle avoit cru dans le
moment remporter ſur ſon propre coeur ;
elle ne recouvra le calme & la paix de
l'ame que par les conſeils d'un vieillard
fage & expérimenté , & par une retraite
à la campagne que ce vieillard fut lui
perfuader. Sinville , c'eſt le nom de ce
vieillard , prétendoit que le ſéjour de Paris
affoiblifſoit le ſentiment ; qu'on y refpiroit
, en quelque forte avec l'air , la
frivolité & la corruption ; il ajoutoit que ,
pour être vertueux , il faut trouver le tems
de s'interroger & de defcendre en foimême
, & qu'il n'y a que la folitude qui
puiſſe faire germer les femences d'un hetreux
naturel , & les développer ; il penſoit
que laſociété entraîne beaucoup plus
de maux qu'elle ne produitde biens &
d'avantages. Combien d'hommes , diſoitil
, font confondus avec la multitude de
la capitale , & ont à peine une exiſtence,
qui auroient eu un caractère propre , &
auroient joui de la dignité attachée à notre
être , s'ils avoient eu le courage de ne
pas abandonner la province ! Il étoit du
ſentiment de cet Anglois qui compare
nos. François , livrés au tourbillon du
monde , à ces médailles altérées par un
116 MERCURE DE FRANCE.
frottement continuel , & où l'on ne fauroit
plus rien déchiffrer.
Cette nouvelle de Selicourt forme la
feconde hiſtoire du ſecond volume des
Epreuves du Sentiment que nous promet
M. d'Arnaud. Cet écrivain eſtimable, encouragé
par l'accueil que le Public fait à
ſes productions, ne tardera point à publier
Sidney , hiſtoire angloiſe , & les
deux autres hiſtoires qui doivent completter
ce ſecond volume.
Méditations fur les tombeaux; par Hetvey
, traduites de l'anglois. A Paris ,
chez Lacombe , libraire , rue Chriftine.
«Je voyageois fans deſſein & fans
>> ſuite dans la province de Cornouaille.
>> Le hafard me conduifit dans un village
>> affez conſidérable de ce canton . Les ha-
>> bitans, occupés de leurs travaux, étoient
» répandus dans la campagne . La fécu-
>> rité gardoit leurs maiſons. Un mouve-
>> ment de piété ou peut- être même d'une
» ſimple curioſité dirigea mes pas vers
>>l'égliſe. J'en trouvai les portes ouver-
>> tes comme celles du Ciel où elles con-
>>duiſent. J'adorai l'Eternel qui y réſide
*& bientôt une douce mélancolie vint
1
OCTOBRE. 1770. 117
» s'emparer de mon ame. La méditation
> au regard fixe , à l'air penſif & recueilli
, ſembla ſe détacher de la voûte ſa-
>> crée & ſe repoſer ſur moi. C'étoit fans
> doure l'ange même préposé à la garde
» de ce lieu redoutable. Il me faiſit & fe
> rendit maître de mes penſées. Une vo-
» lupré céleſte ſe répandit dans tour mon
-être , & pendant pluſieurs joursde ſui-
>> te je vins la goûter dans ce temple dont
> rien ne pouvoit plus m'arracher. Cette
» égliſe déjà ancienne s'élevoit au mi-
>> lieu d'un large cimetiere , éloignée du
» bruit & du tumulte des hommes. Les
>> mains qui l'ont bâtie ſont réduites en
>> pouſſiére depuis pluſieurs fiécles. Celui
» qui en fut l'architecte voulut que fon
>> corps y fut déposé après ſa mort , fous
>> une tombe qu'on voit encore au milieu
a de la grande nef; ſemblable à cet in-
>> ſecte induſtrieux , lequel après avoir
>> formé ces fils que nous admirons , ſe
>> forme un tombeau de fon propre ou-
>>> vrage . »
L'auteur qui raconte ainſi le ſujet de
fon livre parcourt ſucceſſivement les différens
tombeaux qui s'offrent à ſa vue &
qui font les objets de ſes réflexions. Il
apperçoit celui d'un enfant. Que cou
118 MERCURE DE FRANCE.
» vre encore cette pierre blanche , em-
„ blême de la candeur & de l'innocence ?
>> C'eſt un enfant qui a exhalé fon ame
>> tendre preſque au même inſtant qu'il
» l'avoit reçue . Il n'a connu ni la peine
» ni la douleur. Il ne s'eſt arrêté qu'un
>> moment fur le feuil du monde . Sa foi-
>> ble paupière s'eſt ouverte & refermée
» auſſi tôt , en voyant la foule redouta-
>> ble de maux qui alloient fondre ſur lui.
e Il s'eſt élancé du néant au tombeau , &
» a dit au tems un adieu rapide . Il eſt
» écrit du Sauveur, fouffrant ſur la croix,
>> que lorſqu'il eut goûté du vinaigre mê-
>>lé de fiel , il n'en voulut point boire.
>> C'eſt ainſi que ce jeune étranger com-
>> mença à boire dans la coupe de la vie ,
» mais l'ayant trouvée trop amère , il la
>> repouſſa de ſa foible main , en tournant
>> la tête & refuſa le breuvage. >>
Il defcend dans un caveau où ſontdépofés
des grands , il s'écrie: << Dieu ! quel
>> ſpectacle d'horreur ! combien ce ſéjour
>> eſt affreux ! ici règne une éternelle obf-
>> curité. L'antique nuit y a établi ſon
» empire. Que cette folitude eſt noire
> & profonde ! chaque objet afflige
>> la vue & porte la frayeur dans l'ame.
La douleur & l'épouvante ſemblent
OCTOBRE . 1770. II
s'être réunies dans ce lieu pour en faire
>> leur demeure. Quel ſon lugubre frappe
» mon oreille ! cette voûte fouterraine
>> retentit à chaque pas que je fais . Les
>> échos qui ont dormi long - tems font
>>reveillés , & je les entends murmuret
>> fourdement le long des murs. Quel-
>> ques rayons de lumière pénétrent avec
>> moi dans ces lieux inacceſſibles au jour
» & vont frapper les lames d'or dont les
>> ſépulchres ſont couverts. Une foible
» clarté en eſt réfléchie dans l'enceinte
>> ténébreuſe. La plupart de ces maufo-
>> lées font à moitié cachés dans les om-
>> bres. L'autre moitié , éclairée obfcuré-
>> ment par le lugubre crépuscule , ajoute
» à l'horreur de ces demeures ſombres ....
>>J'ai ſouvent porté mes pas vers un ro-
>> cher ſourcilleux, dont la cime inclinée
>> vers la terre ſembloit menacer de m'en
>> gloutir ſous ſa ruine prochaine. Je me
>> fuis arrêté ſous les immenfes concavi-
>> tés d'un promontoire ſuſpendu ſur les
>> flots . J'ai traverſé plufieurs fois les ef
>> paces arides d'un vaſte déſert & péné
>> tré dans les profondes retraites des ca-
>> vernes ténébreuſes ; mais jamais je ne
» vis la nature auſſi fombre ni ſous une
>> forme plus effrayante que ſous ces vou.
120 MERCURE DE FRANCE ..
>> tes filentieuſes. Jamais je n'ai reſſenti
>> un effroi plus glaçant. La mélancolie
>> la triſte mélancolie y étend ſes aîles
> noires & lugubres. Sortons de cette af-
>> freuſe obſcurité. Adieu ſéjour de déſo-
>> lations & de pleurs. Je vais revoir le
>> royaume du jour.
Il revient au temple , & fon imagination
exaltée lui repréſente les grandes
images de la deſtruction du monde &de
l'éternité. Il tombe dans une eſpéce d'extaſe.
" Un grand bruit qui ſe fit ſoudain
>> dans le temple me fit revenir de la
>> froide extaſe où j'étois plongé. L'ef-
>> frayante éternité ſe retira de devant
> mes yeux . Rien ne s'offrit plus à moi
» que les ſombres piliers de l'enceinte
>> facrée. Le jour baiſſoit. On venoit pour
» fermer les portes du temple. J'en for-
>> tis comme on fort d'un ſpectacle tragi-
» que & ſanglant , le coeur ſerré par la
» douleur & la crainte & l'ame remplie
>> des images terribles de la mort & de
» l'éternité. »
Quoique cet ouvrage ne ſoit pas ſemé
de traits auffi heuteux que ceux qui ſe
trouvent dans les nuits d'Young , cependant
il eſt en général d'un ton à peu près
ſemblable & fait pour plaite à ceux qui
aiment à réfléchir & à s'attrifter .
Let tres
OCTOBRE. 1770 . 121
Lettresfur la théorie des Loix civiles , &c .
A Amſterdam .
Pour donner une idée de cette brochure & de
toutes celles qu'a publiées le même auteur , il
n'eſt pas inutile de tranſcrire d'abord ce qu'il a
dit de lui-même & de ſes productions à la tête des
révolutions de l'Empire Romain , l'un des ouvrages
dont ces lettres contiennent l'apologie . « Vous
>> vous ſouvenez bien plus que le Public ( dit- il à
>> un ami ) de l'imprudence qui m'a fait riſquer
>>>un volume il y a trois ans , ſous le titre dhif-
>> toire du Siècle d'Alexandre. C'étoit chez moi
>>>le fruit de la premiere eiterveſcence de la jeu-
> neſſe. Je m'y étois livré à un feu plus raisonna-
> ble peut- être que prudent. J'aurois voulu eſlayer
>> de porter la lumiere autant qu'il eſt poſſible dans
>>le ccaahhooss de l'hiſtoire ancienne , ou du moins de
>> ne tirer des ruines où elle eſt enſevelie que ce
» qui en vaut la peine. L'ouvrage pouvoit paroî-
>> tre intéreſſant au moins de ce côté . La nouveau-
>> té des vues ſembloit lui donner une eſpèce de
>>m>érite. Cependant il n'a pas été accueilli. Ceux
>> qui le liſoient avoient la bonté d'en parler avec
>>éloge; mais très-peu de perſonnes le liſoient.
>>Après un moment d'une vie languiſſante , il eſt
>>mort ſans bruit comme il étoit né. Il eſt resté ,
>> ainſi que bien d'autres , étouffé dès ſon berceau.
» La même aventure m'eſt arrivée depuis, pluſieurs
fois. Aucune de mes tentatives ne m'a réuffi .
>>E>lles m'ont attiré quelquefois des éloges de la
>> part de l'amitié ; mais le Public n'y a pas ſouf-
>>> crit. J'ai hafardé des eſſais réitérés en plus d'un
genre , je l'avoue avec franchiſe , ils ne m'ont
I. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
>>pas mené loin. .... J'ai va que dans la lite
>>>rérature , & en général dans tous les arts , il eſt
>> bien plus difficile de ſe faire une réputation que
>> de la mériter. J'ai vu que la patience , l'intrigue
>& le bonheur yconduiſoient plutôt que les ta-
>> lens. Je me fuis convaincu que le temple de la
>>>gloire littéraire ne s'ouvroit , comme les palais
>>>des grands , qu'aux hommes titrés , ou à ceux
>>>qui ont l'art de remplacer par des manoeuvres
fecretes les titres brillans qui leur manquent.
>> Ces réflexions , mon cher ami , m'ont confolé
>> de mon obfcurité... Elles m'ont engagé à quit-
>> ter la littérature , à lui préférer une profeffion
>> plus noble par le préjugé public , moins agréa-
>>b>le, il est vrai , par les objets qu'elle embraſſe ,
>> mais certainement plus utile par ſes fonctions,
Tels font les aveux qu'en 1766 faiſoit M. Linguet
avec une bonne foi très-louable. Il convient
du peu de ſuccès de ſes ouvrages , & c'eſt beaucoup
; mais il paroît perſuadé qu'il ne lui a manqué
que de l'intrigue pour les faire réuffir ,&probablement
il ſe trompe. Ce fiécle d'Alexandre dont
il parle eſt la compilation la plus ſuperficielle ſur
un ſujet très -beau & très - heureux. Nous ne ſavons
ce qu'il veutdire par cefeu plus raisonnable
que prudent. Il n'y avoit de feu d'aucune eſpèce.
C'étoit un amas d'épigrammes puériles & d'antithètes
meſquines. Rien de penſé , rien de ſenti,
nulle peinture forte, nul intérêt. Le ſiècle d'Alexandre
, ce tableau fi grand & fi majestueux ,
ainſi traveſti , reſſemble à une ſtatue antique
habillée de chiffons & de lambeaux. Quant aux
autres tentatives qui n'ont pas réuſſi , faute d'ingrigue
,nous ne pouvons deviner ce que c'eſt ,
OCTOBRE. 1770. 123
moins que l'auteur ne veuille parler d'une cacomonade
, facétie très - froide & très -dégoutante ,
du fanatisme des philoſophes , feuille ſatirique &
ignorée , c'eſt tout dire. Nous ofons aflurer que ,
quandM. Linguet autoit été un homme titré, le
temple de lagloire littéraire ne ſe ſeroit jamais ouvert
pour de pareils ouvrages .
Reſte à parler de ceux qu'il a compoſés depuis
qu'il a quitté la littérature & qui ne ſont pas reftés
étouffés dès le berceau. C'eſt d'abord cette hiſtoire
des révolutions de l'Empire Romain qui n'a pas
encore été lue beaucoup , mais qui a beaucoup
indigné ceux quil'ont lue. C'eſt dans ce livreque
tous les principes du deſpotiſme ſont regardés
comme néceſſaires au maintien de la tranquillité
publique; les débauches de Tibére traitées de fables
, parce qu'on ne peut pas être vieux &débauché;
ſes cruautés juſtifiées par les maximes de
tous les princes qui facrifient tout pour être obéis;
ſon règne propoſé comme un modèle , &fon nom
mis à côté de celui d'Henri IV ; ( Nous demandons
pardon à nos lecteurs de prononcer ce parallèle
ſacrilége; ) c'eſt encore dans ce livreque l'on
ditque la mémoire de Titus ſeroit deshonorée s'il
avoit dit ce mot qu'on lui attribue : mes amis,j'ai
perdu un jour , & que cet autre mot , il ne faut
pas que perſonne forte mécontent de l'audience
d'unprince , raſſemble ce qu'il y a de plus odieux ,
L'infidélité , l'imprudence & la cruauté; que les
philoſophes ( car M. Linguet les pourſuit parcout)
ont été l'unique cauſe de la chûte de l'Empire
Romain , & quantité de découvertes auſſi
merveilleuſes . Une partie de ces inconcevables
aflertions ſera refutée endétaildans les notes qui
accompagnent la traduction du SuéronequeM. de
JaHarpe publiera inceſſamment.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Parut enſuite la théorie des loix , fur laquelle
l'auteur revient aujourd'hui. Il y a beaucoupd'efprit&
d'abus d'eſprit dans cet ouvrage qui a été
plus connu que les autres de M. Linguet. On fut
révolté des principes qu'il développe , de l'éloge
dudeſpotiſme qui est toujours l'idole de l'auteur ,
de ſon mépris pour M. de Monteſquieu; les gens
de goût ne lut pardonnerent pas la profufion de
métaphores ridicules qui ſurcharge ſon ſtyle.
Elles étoient en ſi grand nombre qu'on s'amuſa à
les compter , & M. Dupont , l'un des auteurs des
éphémerides , prétendit que la ſomme totale ſe
montait à 4379. Cette plaiſanterie de Monfieur
Dupont & la liberté qu'il prit de relever les
bévues , où le même auteur étoit tombé dans
un traité des canaux navigables , lui attirent aujourd'hui
une réplique qui fait partie de ces nouvelles
lettres ſur la théorie des loix , & cette réplique
eſt du ton le plus indécent. Mais nousdevons
obſerver que le diſcours préliminaire de ce
traité des canaux navigables eſt un morceau trèsbien
écrit , le ſeul de tout ce qu'a fait l'auteur
qui ait plû aux bons eſprits & qui mérite de refter
, & qui fuffiroit pour lui faire ſentiràlui-même
, en le mettant à côté de ſes autres écrits , la
différence dubon ſtyle aumauvais .
,
Nous avons vu paroître depuis, une histoire du
feizièmefiècle , écrite en ſtyle de rhéteur , & où
les métaphores ne ſont pas plus épargnées que
dans la théorie des loix . Nous en relevâmes quelques-
unes des plus choquantes , &nous parlames
de l'ouvrage en général avec une exceſſive modération.
M. Linguet qui n'étoit pas content de
nos louanges qu'il trouvoit trop réſervées & de nos
critiques qu'il trouvoit trop évidentes , prit le
parti de le faire écrire une lettre beaucoupplus
OCTOBRE. 1770. 125
étendue que notre extrait , où il eſt mis au-deſſus
de tous les écrivains préſens , paflés & à venir.
Nous tranſcrivîmes la lettre dans toute ſa longueur
; elle fut inférée dans le Mercure , & nous
nous gardâmes bien d'y faire la moindre réponfe.
M. Linguet , tout en quittant la littérature,
nous a encore donné une traduction du théâtre
eſpagnol , c'est- à-dire de quelques piéces parmi
leſquelles il y en a fort peu qui méritent d'être traduites.
Il paroît que la profeſſion d'avocat qu'il a
embraflée ne l'occupe pas tout entier. Elle eſt noble
ſans doute ; mais pourquoi la trouve-t- il plus
nobleque les lettres ? Il ne les a pas vues dans toute
leur noblefle. Nous le ferons ſouvenir que Peliffons'expolant
à tout pour défendre un miniſtre
malheureux contre un monarque irrité , étoit fort
au deſſus de Patru & de le Maître , défendant pour
de l'argent le bien de quelques particuliers , &
nous ajouterons que les plaidoyers qu'on ist encore,
valent beaucoup mieux que ceux de ces deux
avocats qu'on ne lit plus; nous lui rappelerons
que M. de Voltaire dénonçant à l'Europe un arrêt
injuſte rendu contre un innocent vieillard , intéreflant
les Rois au ſoulagement de la famille , &
parvenant enfin à venger l'innocence , donnoit un
exemple beaucoup plus éclatant qu'aucun avocat
en ait jamais donné ; nous lui obſerverons que la
plume de tout écrivain ſupérieur appartient à quiconque
eſt opprimé ; que celui qui combat des
opinions funeftes , ſauve un bien plusgrand nombre
d'infortunés que l'orateur du barreau le plus
employé n'en peutdéfendre dans toute ſa vie; que,
depuis un ſiècle, les gens de lettres plaident devant
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE .
les nations &devant les puiſſances la grande cau
ſe de l'humanité ; & qu'enfin , pour tout dire , en
un mot , il n'y a rien au-deſſus d'un bon écrivain
& rien au- deflous d'un mauvais.
M. Linguet qui , dans la théorie des loix , regrettoit
beaucoup l'eſclavage , le juſtifie encore
dans un avertiſſement qui précède ces nouvelles
lettres. Il tire ſon plus fort argument du ſalaire
modique qui fuffit à peine à la ſubſiſtance de nos
journaliers & qui eſt fort inférieur au prix dont
on paie un eſclave. Mais ce n'est pas en ne confidérant
qu'un côté des objets qu'on peut les apprécier.
Il falloit convenir d'abord que nous avons
beaucoup de fermiers aifés & heureux qui certainement
ne donneroient pas leur exiſtence pour
celle d'un eſclave. Il falloit examiner enſuite fi
le grand nombre d'eſclaves traités durement par
desmaîtres cruels dont rien ne peut les défendre ,
ne peut pas équivaloir au nombre des journaliers
mal payés & mal vêtus ; & il réſulteroit,de ce calcul,
que la plus grande partie des hommes paroiffant
deſtinée au travail & à la misère par l'irrémédiable
imperfection des gouvernemens , il vant
mieux encore porter des haillons que des fers , &
manger de mauvais pain que de recevoir cent
coups de bâton. Il falloit ſe demander ſi, en aſſemblant
tous les payſans d'Europe qui ne ſont pas
ferfs & leur demandant s'ils veulent l'être , on
feroit für que la propoſition fût acceptée. Sans
détailler ici les autres conſidérations politiques ,
il y auroit eu au moins de la bonne foi dans cet
examen qui pouvoit mener fort loin. Mais il eſt
plus aifé de trancher d'un ſeul mot toutes les difficultés
& de mettre les aſſertions à la place des
raiſonnemens,
OCTOBRE. 1770. 127
On a reproché à M. Linguet ſon mépris pourM.
de Monteſquieu. Il eſt bien éloigné d'en rien rabattre.
" J'ai vu que preſque tous ſes principes
> n'étoient que des mots auxquels il avoit enfuite
> accommodé les faits pour les ériger en axiomes.
>>>Je me ſuis convaincu que l'eſprit des loix étoit
> précisément un ouvrage d'imagination , un vrai
>> roman politique , où l'on n'employoit preſque
>>jamais des noms réels , que pour les placer à
>> contre- fens . -Et ailleurs. M. de Monteſquieu
>>>élevé dans l'idée de la prééminence due à la ro-
>> be , n'a point imaginé de gouvernemens plus
>>parfaits que ceux où les compagnies dominoient..
Un gentilhomme Hottentot qui com-
>>poſeroit un eſpritdes loix ſur les rochers du cap
>> de Bonne Eſpérance , mettroit auſſi au premier
>> rang les conſeils dont les membres accroupis
>>>en rond , chacun dans un trou , commencent
>> leurs délibérations par ſe faire donner un ca-
>>> mouflet de fumée de tabac. » ( -Cette comparaiſon
eſt décente & polie. ) « Des trois définitions
>> ſur leſquelles porte la maſſe de l'eſprit des loix ,
>>i>l n'yen apas une qui ſoit , je ne dis pas exacte,
>>mais même ſoutenable en une ſeule de ſes par-
دو
>> ties . >>
..
On est un peu étonné d'un pareil ton, il faut l'avouer
; mais ce qui confond , c'eſt de voir comment
raiſonne celui qui reproche à M. de Monteſquieu
de déraiſonner. Nous ne pouvons ſuivre pasà-
pas M. Linguet dans la foule des idées étranges
& infoutenables qu'il entaſſe les unes ſur les autres.
Nous en difcuterons quelques- unes rapidedement.
Elles ſuffiront pour faire juger des autres.
Il y a trois fortes de gouvernemens ; ( a ditM.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
de Monteſquieu ) le républicain où le peuple en
corps , ou ſeulement une partie du peuple a la
puiſlance ſouveraine ; le monarchique , où un ſeul
gouverne , mais ſelon des loix fixes & établies ;
le deſpotiſme , où un ſeul ſans loi & fans règle
entraîne tout par la volonté & par ſes caprices.
M. Linguet attaque ces trois définitions. Iln'y
apoint de république , dit- il , quand unepartiedu
peuplefeulement a la ſouveraine puiſſance. Une
république est l'adminiſtration où tous les citoyens
Jontfouverains en commun. Oui, ſans doute, pourroit
on due à ce grand raiſonneur ; mais vous
conviendrez bien qu'il faut qu'il y ait quelques
repréſentans de cette ſouveraineté. Tous ces fouverains
de droit ne peuvent pas l'être de fait ; tous
ne peuvent pas être archontes , doges , (yndics ,
&c. fans cela ce feroit un état tout compoſé de
fouverains , ce qui ſeroit merveilleux ; il eſt néceffaire
que le boulanger& le tailleur , qui n'ont
pas le temsde rendre la juſtice à leur voiſin , parce
qu'ils font occupés à faire du pain& deshabits,
&qui ne peuvent pas recevoir des ambaſſadeurs ,
parce qu'ils ne ſont pas de grands politiques, commettentàleurplace
quelques perſonnes pour prendre
cette peine & faire exécuter les loix en vertu
deſquelles le boulanger vend ſon pain& le tailleur
ſe faitpayer de ſon travail. Dèsl'inſtant qu'il exifte,
dit M. Linguet , uneportionfaifſie exclusivement
dudroitd'ordonner,iln'ya doncplus derépublique,
c'est une véritable monarchie ; peu importe qu'elle
foit exercéepar un prince ou par cent ; que le trône
foit occupé par un roi ou par un fénat, il est für
qu'ily a un trône &desſujets ; par conféquentla
république est détruite. M. Linguet eſt un grand
légiflateur , s'il conçoit un état où perſonne ne
commande & où perſonne n'obéifle ; s'il ne veut
OCTOBRE. 1770 . 129
pas que les loix aient dans une république un
trône & des sujets , & fi trois cent fénateurs qui
n'ont pas le droit de vieni de mort fur qui que ce
foit & qui peuvent être jugés & condamnés par
une aſſemblée du peuple quand ils n'ont pas obſervé
les loix dans leur adminiſtration , lui paroiſſent
précisément la même choſe que le poffeffeur
d'un état héréditaire , à qui le trône appartient
au moment où il eſt né ; qui ne doit en effer
gouverner que ſuivant des loix établies & convenues
, mais qui , s'il les viole , n'en doit rendre
compte qu'à la confcience & à Dieu , parce que le
droit de juger le pouvoir ſuprême ſeroit encore
plusdangereux pour l'état, que l'abus même de ce
pouvoir ; & parce qu'enfin toutes les fois qu'on a
fait un contrat , il faut en porter les charges pour
en recueillir les avantages. M. Linguet eſt un
grand législateur s'il prétend ne point reconnoître
de monarchie par - tout où celui qui gouverne eft
aftreint à fuivre des loix fixes & établies , comme
fi tout pouvoir , pour être réel , devoit être abfurde
, illégal & inconféquent. M. Linguet eſt un
grand législateur , s'il a pu ſe convaincre que dans
les gouvernemens d'Afie il n'est pas vrai qu'un
feulhommefans règle&fans loi entraîne tout par
fon caprice; qu'il n'y a point de nation fur la
terre chez qui lajustice foit plus égale , les loix
plus respectées & le nom d'homme en général plus
conſidéré. Ainfi donc rien ne ſoutient plus ladignité
du nom d'homme que d'y joindre le nom
d'eſclave dont les orientaux ſe glorifient . On n'au
toit pas cru que ces deux noms qui devroient être
inalliables,puſſent jamais ſe donner du luſtre l'un
àl'autre. Ainsi donc cette foule d'individus muti
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
lés qu'on appelle eunuques , eſt un honneur rendu
à l'humanité ! ainſi donc un viſir , un pacha
font traités en hommes lorſque , du fond
du ſerrail , arrive un ordre de mourir , qu'il faut
regarder comme ſacré & dont ils n'ont pas même
ledroitde ſe plaindre ! « Mais , dit M. Linguet
c'eſt précisément le bonheur des peuples afiati-
>>>ques.On y faitjuſtice des grandsqui ſont ailleurs
>>impunis. Les peuples ſont vengés & conſolés ; ce
>>d>eſpotiſme qu'on peint fi terrible , ne l'eſt que
>>p>ourunpetit nombre d'hommes qui approchent
>>du trône. C'est unſoleil dont l'activité brûle , en-
>> dommage les objets quienfonttropproches. »Voilà
l'argument ſur lequel M. Linguet revient fans
cefle, qu'il rebat avec un air de triomphe. Les autres
écrivains n'ont cherché qu'à flatter lesgrands;
lui ſeul aime les peuples ,& les peuples font toujours
heureux,dès qu'on étrangle les miniſtres ſans
forme deprocès. Ileſt bien vrai que le pacha d'Egy
pte peut accabler d'impôts, d'exactions &d'injuftices
la province qui lui eſt affermée , & y faire tout
lemal qu'il voudra , pourvu qu'il envoie exactement
le tribut au tréſor de l'empire ; il est vrai
encore que le dernier des officiers du viſir eſt au
moins auſſi à craindre que lui , parce qu'il eſt de
lanaturedu deſpotiſme de ſe ſubdiviſer ſans perdre
de ſa force; qu'il eſt bien rare qu'un Grec
obtienneJuſtice d'un Janiſſaire , & qu'en général
c'eſt un principe reçu dans l'Afie qu'il n'y a jamais
rien à répliquer à quiconque commande , àmoins
qu'on ne puiſſe l'empaler& ſe mettre à ſa place.
Mais enfin la punition vient, les muets paroifſent
avec le lacer , & c'eſt un bien beau jour pour
les peuples. Ils n'en ſont que plus foulés par le
fucceffeur du pacha ou du viſir à qui on a ferré le
OCTOBRE , 1770 . 131
col; mais ils ont encore la même conſolation à
attendre , & c'eſt un grand agrément. « Comment
>>>ofe- t- on donc ſe livrer , conclud M. Linguet , à
des déclamations indécentes contre une ma-
ככ niere de gouverner qui aflure lebonheurde tous
>> ceux qui la reconnoiſſent ? Un ſeul homme eſt
>> diſpenſé des loix , mais c'eſt pour y ſoumettre
>> indiſtinctement tous les autres , comme un officierfort
de la file quand il commande l'exercice. »
Il n'y a rien à répliquer à une pareille comparaifon
, & il faut croire ſur la parole de l'auteur que
les pachas qui périſſent par le fabre ou le cordon
font toujours exécutés légalement. Il eſt évident
queM. Linguet a paſlé une partie de ſa vie dans
les cours d'Afie , comme il a vécu autrefois avec
Tibère dans l'ifle de Caprée & aſſiſté auxfoupers
gais & agréables que faifoit Tibère avec fes
amis.*
Au panégyrique le plus pompeux des monarques
d'Afie qui font les plus doux des hommes, les
plus humains des Rois , les plus équitables des
Princes, l'auteur oppoſe la cenfure de quelquesuns
des abus de nos jurifdictions , & aſſurément
il a grande raiſon ; mais il eſt clair que la réponſe
à cette maniere de raiſonner ne pourroit être bien
faite que par un Turc ou un Perſan qui détailleroit
les abus journaliers de ſon pays & qui pourroit
étonner un peu M. Linguet , quoiqu'en généval
il ait l'air de ne s'étonner de rien . La Perfe
eſt le royaume dont il admire le plus le gouvernement.
Il n'en parle qu'avec tranſport : ce qui
* Voyez dans les révolutions de l'Empire Romain
la defcription de la vie agréable que menoit
Tibère dans Caprée.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
l'enchante ſur-tout , c'eſt que le Sophi de Perfe
mange avec les ambaſſadeurs étrangers. Parmi
nous ce ſont de tristes comédiens. En Perſe fa-
>> vez- vous en quoi conſiſtent les mêmes cérémo-
>> nies ? En un fouper ſplendide que le vin anime
>>>& dont la cruelle étiquette eſt ſévérement ban-
>> nie ; & ce ne font pas les ambaſladeurs ſeuls que
>> le monarque honore de ce joyeux accueil ; ce
30 font de fimples particuliers qui lui ont plû , de
>> ſes ſujets ſouvent qu'il chérit ; il les appelle ſes
>>>hôtes ; il connoît ce doux & inestimable plaifir
१०de manger avec ses amis , de ſatisfaire à la fois
>> par le plus délicieux des mélanges fon appetit
>>& fon coeur ; il partage la fatisfaction de ſes
>> convives ; il leur verſe à boire de ſa main ; il ſe
>> réjouit de leur gaîté , il l'excite , il l'encourage,
>> il ne ſe croit Roi qu'autant qu'on est heureux
>> auprès de lui. Eh ! qui ne s'écrieroit dans les
>> transports d'une ivreſſe de refpect , d'amour , de
>> reconnoiflance , vive le grand homme , le grand
>> prince & le fortuné climat où il déploie tant de
vertus,
Quelque envie que l'on ait d'être ſérieux dans
un aufli grave ſujet,il eſt difficile de ne pas rire
un peu de ce bel enthouſiaſme de M. Linguet qui,
écrivant tranquillement dans fon cabinet, ſe
tranſporte en idée à la table du Sophi , boit à fa
fanté , & s'écrie dans une ivreſſe de refpect , vive
Je Sophi qui mange avec ſes ſujets , car les autres
Rois mangent tout ſeuls; vive le grand homme
qui fatisfait à la fois fon appetit & fon coeur ,
le coeur& l'appetit doivent toujours aller enfemble
, & c'eſt le plus délicieux des mélanges que le
mêlange du coeur avec l'appetit .
car
Ce qui n'eſt pas inutile à obſerver , c'est qu'un
OCTOBRE. 1770. 133
& ſurprenant délire eſt précisément ce que quelques
gens prennent pour de la chaleur. C'eſt ainſi qu'écrit
une certaine claſſe d'auteurs chauds & brulans
qui brûlent le papier & qui glacent leur prochain ,
qui parlent toujours d'ame , & ne parlent pas à la
nôtre , & qui , lorſqu'ils déraiſonnent , fe croient
tout pleins de ſenſibilité. Voilà où nous en ſommes
venus , & ce que les gens de goût qui ne font
pas toujours d'humeur àen fire ne peuvent s'empêcher
de déplorer quelquefois .
En effet , ſuivons M. Linguet & nous verrons
qu'il n'y a plus moyen de rire. « Nous vivons de
>> pain nous autres occidentaux ; notre existence
>> dépend de cette drogue dont la corruption est le
premier élément , que noussommes obligés d'altérer
par un poison pour la rendre moins mal
>>faine ; ... ( Nous croyons qu'il eſt impoffible à
>>M>. Linguet lui-mêmede donner à cette phrafe
>>u>nſens raisonnable. ") Nous avons lafolie de la
regarder comme la nourriture feule digne de
l'homme.... Ainſi nous avons labouré nos terres
par un ſentiment d'orgueil. >> Elle est devenue
>> le premier objet des petits foins &des courtes
>> vues de nos empires , le premier beſoin des
>>êtres qui s'énorgueilliſſent de porter des cha-
>>peaux; mais auſſi elle eft la reſſource la plus
>>>fûre du deſpotiſme & la plus cruelle chaîne dont
>>> on ait chargé les enfans d'Adarn . Pareille à ces
>> poisons dont l'habitude mene au tombeau & dont
>> la privation cauſeroit également la mort.
(Nous prierons encore M. Linguet d'expliquer
cette phraſe. ) « Nous ne pouvons y renoncer ni
>> enjouir... M. de Monteſquieu a la légéreté de
>> dire que les pays où croît le riz ſont ſujets à de
>fréquentes famines. Je ne ſçais s'il y a un trait
134 MERCURE DE FRANCE.
A
>> d'aveuglement pareil à celui-là . Il y a plus que
de la légèreté à s'exprimer ainfi , & l'aveuglement
conſiſte à nier ce que diſent toutes les hiſtoires
orientales où l'on voit que les famines ſont prefqu'auſſi
fréquentes dans l'Orient que les tremblemens
de terre .
« Ceflons , mon cher ami , ceſſons d'inſulter à
>>>la raiſon & au genre humain. -Après ces deux
lignes , l'auteur devoit cefler d'écrire. « Malheu-
>>>r>eux galériens , renfermés dans le plus infect
>>>de tous les bagnes , gardons - nous d'outrager
>> nos maîtres en tout genre, >>
Quand on oſe parler ainſi des pays où l'on vit ,
quand on vientde faire la ſatire la plus amèredes
abus qui ont réſiſté juſqu'ici aux progrès de la
raiſon , & qui ſans doute leur céderont quelque
jour ; quand on s'indigne contre un citoyen & un
homme de lettres tel que M. de St Lambert , pour
avoir dit , en parlant des jours de la moiſſon & de
la vendange :
Omortelsfortunes , vos travauxfontdesfêtes.
Ce qui paroîtra vrai à quiconque a vu les
moiffons & les vendanges ; quand on ne s'eſt révolté
contre ce vers que parce qu'on a voulu y
voir une infulte à la mifére des payſans que
l'on peint des couleurs les plus affreuſes ; lortqu'enfuite
on reproche à ce même M. de St Lambert
de s'élever avec tant de juſtice contre l'abus
des corvées & qu'on oſe écrire que la deſcription
des corvées eft indécente , fauſſe & dangereuse;
que de pareilles déclamations font un signal de
Soulévement, que , ſous prétexte de revendiquer la
liberté on prêche la révolte ; alors une réfutation
OCTOBRE. 1770 . 135
littéraire n'a plus de termes pour réprimer de pareils
excès .
Nous nediſcuterons pas plus long-tems les inconſéquences
révoltantes de M. Linguer. Il y met le
comble en regardantle gouvernement anglois comme
le plus abſurdede tous les gouvernemens,cclui,
dit- il,que M. de Montesquieu a choifi dansfon fanatiſme
anti - oriental pour autoriſer ſes déclamations.
M. Linguet qui n'a écrit dans ſa vie quedes
déclamations , ofer appeler déclamateur le Tacite
François ! Il ſe ſert pour décrier la conſtitution
angloiſe d'un artifice fingulier. Il va déterrer
une de ces loix biſares & cruelles de l'antique juriſprudence
que l'on retrouveroit dans tous les
états de l'Europe & qui font généralement ignorées
; il invective enſuite en rhéteur ſcholaſtique
contre ceux qui ont loué ce que le gouvernement
anglois a de louable , & il leur fait un crime d'avoir
loué cette loi qui certainement leur étoit inconnue
, comme elle l'eſt à la plupart des Anglois
. Il s'écrie : « Le ſang me bout dans les vei
>> nes en tranſcrivant cette effroyable ordonnance...
Législateurs plus barbares cent fois que
>>l>es Bufiris& les Procuſtes : ... Vos panégyriftes
>> oſent vanter votre philoſophie , votre humanité!
ah ! puiflent- ils l'éprouver , les lâches qu'ils
>>font ! puiffent leurs gémiflemens élancés du
fond des entrailles brûlantesde ce taureau dont
>> ils ont tant célébré la beauté , délabuyerl'univers
fur ces éloges perfides ; ou plutôt qu'ils
>>c>eflent de ſe paſſionner pourune firéne qui dé-
>> vore ſes amans. -Sans le taureau & la firéne,
fans le ridicule exceſſif d'un pareil ſtyle, on ne
liroit pas tranquillement ces imprécations. Quel
ton! quelle maniere de differter ! c'eſt celle de
136 MERCURE DE FRANCE.
M. Linguet d'un bout à l'autre de ſa brochure ;
c'eſt d'après cette lettre qu'il faut, dit- il lui-même,
apprécierfon coeur. Comme il peut la relire & ſe
repentir de l'avoir écrite , il ſeroit trop cruel de
leprendre au mot.
C'eſt aſlez parler de ſes raiſonnemens. Il faut
mettre ſous les yeux du lecteur les plus curieux .
échantillons de ſon ſtyle. " On a prétendu que la
théorie des loix étoit le fruit du délire de la ma-
> nie paradoxale. Au fon dun écu on eſt ſûr de.
"faire elancer du ſein de la terre une foule de
>>>malheureux , On escamoteles morceaux au ma-
>>>nouvrier libre , & on lui ſcelleroit la bouche ſi
> on l'ofoit . On a empoisonné nos humeurs de
>> cette fombre contrainte , de cette défiance concentrée
, de ce goût d'une crapulefolitaire quife
>font naturalifés à Londres parmi les fuméesful-
>>>phureuſes du charbon de terre : à la premiere &
>> trop durable explosion de cette peste agronomique
, &c . on révére ces cirons périodiques qui ,
>> à force de gratter l'épiderme des bons ouvrages,
>>> parviennent quelque fois à y faire naître des
>>>ampoules. Des mites raisonnantes le font rabat-
>>>tues ſur le bled , fur le pain , la moûture ; elles
>> y ont porté la corruption. Toutes blanches en-
>> core de la poudrefarineuse dont ellesfefont cou ·
>>vertes dans leur boulangerie , elles s'aviſent d'in-
>>>ſulter les vermiſſeaux indifcrets qui ne rougiffent
pas de s'éloigner de la huche. Il en eſt
>>des hommes & des gouvernemens comme
>> des notes de musique. En hauſſant & baiſſant
la clef, vous changez toute la gamme.. Il y a
>>donc à choisir entre les gammes politiques. Nos
philofophistes ne manquent pas de citer quelques
2כlambeaux des coutumes angloiſes &de venir,
OCTOBRE. 1770. 137
>>>armés de cefumier infect , inſulter impudemment
>> les uſages de leur patrie. La vérité eſt ma maî-
>> treffe chérie , quoiqu'elle reſſemble un peu aux
>> Catins , & que fon commerce ne rapporte ni
>> honneur ni profit. Je me ſuis apperçu de l'exif-
> tence des éphémérides comme de celles des pu-
> ces , par une morfure. Vivez monfautillant cen-
>>leur. Les variations dans le prix du pain ſont
>> une vérole politique qui songe l'état dans toutes
> ſes parties nobles Les approviſionnemens d'or-
>> donnance font le mercure ſecourable qui peut le
>>>guérir. Mais avant que de l'employer il faut le
>> modifier par une manipulation très-aiſée . Si on
>> le donne tout crud , on fera enfler & créver le
>>> malade. Augmenter le vingtieme & appliquer à
>> ce remplacement le produit de l'augmentation ,
>> c'eſt demander à un lion qui enrage de faim de
>> ne manger que la moitié d'une brebis qu'il a
>> tuée& de lailler le reſte à des loups qui ont be-
>>f>oi>naufli>, >
Telles font les figures nobles & élégantes , les
métaphores juſtes & naturelles qui ſe préſentent
toujours à l'imagination de M. Linguet.
Nous voudrions en finiſſant pouvoir perfuader
àM. Linguet que ce n'eſt pas aſlez pour être un
homme de lettres d'être enfin parvenu à faire lire
quelques brochures à force de paradoxes ; qu'il
faut avoir produit quelqu'ouvrage qui parleou à
notre ame ou à notre raiſon ; que rien n'eſt ſi
trompeur que des connoiſſances mal digérées , &
qu'il faudroit paſſer à s'inſtruire le tems qu'on
pafle à décrier ceux qui nous ont inftruits. Voilà
ceque nous nous contenterions de lui dire , s'il
nous étoit démontré qu'il a écrit de bonne foi.
138 MERCURE DE FRANCE.
Mais , s'il n'eſt pas vraiſemblable qu'un homme
d'eſprit déteſte ſérieusement le gouvernement
d'Angleterre à cauſe d'une loi qu'on n'y connoît
pas ; idolâtre celui des Turcs parce qu'on y étran
gle des viſirs; & celui de Perſe , parce que le Roi
dine avec les ambaſſadeurs ; ſe paſſionne pour
l'Orient parce qu'on y mange du riz ; & abhorre
l'Occident parce qu'on y mange du pain ; fi aucune
de ces folies n'a pu être foutenue ſérieuſement
, alors nous lui disons qu'il a pris , pour fe
faire lire , un fort mauvais parti ; que ſe jouer
ainſi de la vérité & du bon lens , c'eſt avoir beaucoup
de mépris pour les lecteurs , & qu'on ne
gagne rien à ce mépris - là ; qu'on peut trèsbien
être abſurde ſans en être plus amuſant
; que , s'il a l'ambition de reſſembler à Jean-
Jacques Roufleau , il ne ſuffit pas pas pour cela
de mettre à la tête de ſes ouvrages , Simon-Henri-
Nicolas Linguet , parce qu'à moins d'être auſſi
éloquent que le Génevois &de mêler comme lui
une foule de vérités intéreſlantes à des paradoxes
ingénieux , le Simon- Henri-Nicolas ne fera pas
la fortune du J. Jacques ; nous lui dirons que lorfqu'on
veut diſputer avec honneur ſous les yeux du
public , il faut ou railler avec fineſſe ou raiſonner
avec vigueur, & que, quand on prodigue les injures
, le lecteur penſe avec raiſon que celui qui ne
reſpecte rien ne ſe reſpecte guère lui - même ; qu'il
yauroit beaucoup de mérite à prouver que M. de
Monteſquieu s'eſt trompé , mais qu'il n'y en a
aucun à l'appeler fanatique & déclamateur ; qu'il
ne faut pas dire de ſes adverſaires le Sr Baudeau,
le Sr Dupont , parce qu'une feuille polémique
n'eſt pas un factum. Enfin nous l'avertirons , que
quoiqu'il puiffe avoir ſes raiſons pour regarder
OCTOBRE. 1770. 139
comme un très -grand bonheur l'avantage d'être
avocat , il ne faut pas en parler dans vingt endroits
d'une brochure, & que, fi c'eſt quelque choſe
d'être avocat , il ſe pourroit cependant à toute
force qu'on fût avocat & qu'on fut encore trèspeude
choſe.
ACADÉMIE FRANÇOISE.
Le vingt - cinquième jour du mois
d'Août 177711 ,, fête de St Louis , l'Académie
Françoiſe donnera deux prix , l'un
d'éloquence , l'autre de poësie . *
Le prix d'éloquence ſera une médaille
d'or de la valeur de ſix cens livres. L'Académie
propoſe pour ſujet l'Eloge de
François de Salignac-de- la- Motte- Fénelon,
archevêque de Cambrai , précepteur des Enfans
de France. Le difcours ne paffera
pas trois quarts d'heure de lecture.
Le prix de poëſie ſera une médaille
d'or de la valeur de cinq cens livres. Le
* Le prix de l'Académie eſt formé des fondations
réunies de Meſſieurs de Balzac , de Clermont-
Tonnerre évêque de Noyon , & Gaudron,
140 MERCURE DE FRANCE.
ſujet , le genre du poëme & la meſure
des vers , font au choix des auteurs . La
pièce ſera de cent vers au moins , & de
deux cens au plus .
Toutes perſonnes , excepté les Quarante
de l'académie , feront reçues à compoſer
pour ces prix.
Les auteurs mettront leur nom dans
un billet cacheté à la pièce , ſur lequel
ſera écrite la ſentence qu'ils auront miſe
à la tête de leur ouvrage.
Ceux qui prétendent au prix font avertisque,
s'ils ſe fontconnoître avant le jugement
, ou s'ils font connus , foit par
l'in difcrétion de leurs amis , foit par des
lectures faites dans des maiſons particulieres
, leurs pièces ne feront point admifes
au concours.
Les ouvrages feront envoyés avant le
premier jourdu mois de Juillet prochain,
& ne pourront être remis qu'à la Veuve
Regnard, imprimeur de l'Académie Françoiſe
, rue baſſe de l'hôtel des Urſins , ou
grand'ſalle du palais , à la Providence ;
& fi le port n'en eſt point affranchi , ils
ne feront point retirés .
L'académie a déclaré , dans la même
ſéance,que les piéces envoyéespour lecon
OCTOBRE. 1770. 141
cours du prix de poëſie dont le ſujet étoit
les inconvéniens du Luxe , n'avoient point
paru mériter le prix qui a été remis à l'an .
née prochaine , comme l'annonce le programme
ci - deſſus. M. Thomas a lu l'éloge
de l'Empereur Marc-Aurèle. Il feint
qu'Apollonius , philoſophe , qui fut le
précepteur & l'ami de cet Empereur , arrête
la pompe funèbre & prononce , appuyé
ſur ſon cercueil , au milieu des Romains
en pleurs , le panégyrique de ce ſouverain
, en rappelant l'hiſtoire de ſes ſentimens
, de ſes vertus & de ſes actions
pour le bonheur des peuples ſoumis à ſa
domination.
M. Thomas a auſſi imaginé de tracer
le plande conduite que s'étoit fait Marc-
Aurèle&de faire dire à cet Empereur les
motifs & les principes de ſes actions ; il
remonte à l'effence des chofes , aux premières
cauſes de l'ordre & des vertus , &
cette grande théorie eſt fondée ſur l'exemple
que Marc- Aurèle a donné au monde
d'un Empereur philoſophe. Cet éloge eſt
animé par une forte d'action dramatique ,
par des fentimens profonds & par une
diction noble & foutenue.
On a entendu avec la plus grande fatisfaction
pluſieurs fables , compoſées &
142 MERCURE DE FRANCE.
lues par M. le duc de Nivernois , qui préſente
les vérités utiles ſous les charmes
de la fiction la plus agréable , & qui plaît .
toujours en inſtruifant.
Le jeudi 6 Septembre , l'académie françoiſe
tint une ſéance publique pour la reception
de M. l'archevêque de Toulouſe,
qui a été élu à la place vacante par la mort
du duc de Villars. M. Thomas , en qualité
de directeur , répondit au diſcours de
remercîment du récipiendaire. M. Marmontel
lut enſuite un morceau d'un nouvel
ouvrage qu'il ſe propoſe de donner
bientôt au Public , & qui a pour titre les
Incas ou la ruine de l'empire du Perou.
La ſéance finit par la lecture que M. le
duc de Nivernois fit de pluſieurs fables
de ſa compoſition.
III.
La Rochelle.
L'Académie royale des belles - lettres
de la Rochelle tint ſon aſſemblée publique
le 2 Mai dernier. M. Bernonde Sa
lins , directeur , ouvrit la féance par un
diſcours dans lequel il donna l'idée d'un
ouvrage qu'il a compofé ſur l'Education ,
OCTOBRE. 1770. 143
dont il lut le chapitre qui traite de l'obligation
où sont les femmes de nourrir leurs
enfans.
M. Raoult , avocat , lut enſuite une
Differtation hiſtorique fur le barreau françois
&fur les progrès de l'éloquencejudiciaire
parmi nous.
M. l'Abbé Gervaud fit lecture d'un ou
vrage de M. de Montaudouin , négociant
de Nantes , académicien aſſocié, fur cette
queſtion , Eft - il néceffaire que le Peuple
foit inftruit ? Queſtion ſur laquelle il ſe
décide pour l'affirmative.
M. Delaire , négociant, lut un ouvrage
dont le titre eſt Eſſai fur une éducation
particulière aux Négocians , ou Difcours
fur l'avantage qu'ily auroit d'établir des
écoles publiques pour lesjeunes gens quiſe
deftinent au commerce.
M. de la Coſte termina la féance par
la lecture d'un poëme fur la néceſſité d'être
indulgent , par M. Gaillardde l'académie
des inſcriptions & belles - lettres , aſſocié
de celle de la Rochelle,
144 MERCURE DE FRANCE.
I V.
Amiens.
L'Académie des ſciences , belles lettres
& arts d'Amiens tint , le 25 Août , fon
aſſemblée publique.
M. Bourgeois , maître en chirurgie ,
M. Sélis , profeſſeur d'éloquence , & M.
Goffart , avocat , firent leurs diſcours de
remercîment : le premier traita des Contrecoups;
le ſecond parla des inconvéniens
du luxe , & le troiſième , de l'influence
des lettresfur le commerce. M. Boullet de
Varennes , avocat , directeur , leur répondit&
paya le tribut que l'académie devoit
à la mémoire de M. le Couvreur , avocat;
de M. Marteau , médecin , & de M. l'Abbé
Choderlos , académiciens morts pendant
le cours de l'année .
M. de Lavoisier , fermier-général , adjoint
de l'académie royale des ſciences ,
lut un mémoire ſur l'Histoire minéralogique
de la France , &particulierement de la
Picardie.
M. Baron , avocat , ſecrétaire de l'académie
, lut l'Eloge de feu M. le Duc de
Chaulnes , protecteur de cette compagnie.
M.
OCTOBRE. 1770 . 145
M. Selis termina la féance par une Epitre
en vers à un poëtefiflé.
L'un des prix propoſés par l'académie
ayant pour ſujet les moyens de rendre le
port de St Valery- fur- Somme plusfúr &
plus commode , ou les moyens d'en faire
un autre au bourg d'Aut ou autre endroit
intermédiaire de la côte toujours avec communication
à la Somme , a été adjugé à
M. Magot , ingénieur des ponts & chauffées&
ports de commerce.
Un autre prix , dont le ſujet étoit la
description de la fiévre miliaire , ſa nature,
Sa méthode curative , a été donné à M. Darailon
, docteur en médecine du Ludovicée
de Montpellier , & médecin à ChambonenCombrailles
.
L'ouvrage qui en a le plus aproché eſt
de M. Planchon , médecin à Tournai .
L'Académie propoſe pour ſujet d'un
des prix qu'elle diſtribuera le 25 Août
1771 , l'Eloge de Voiture .
L'époque à laquelle cet homme célèbre
a paru , l'influence qu'il a eu ſur ſes con.
temporains , fon bel eſprit , ſes défauts
mêmes , & fur - tout la comparaiſon de
l'eſprit de ſon ſiècle avec celui du nôtre,
font les nuances que l'académie préſente
aux auteurs qui traiteront ce ſujet ,
&qui , rendues par un homme de goût ,
1. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
peuvent fournir des détails neufs & inté
reffans.
Pour ſujet d'un autre , l'Académie demande
quelle est l'influence des moeurs des
Françoisfur leursanté , de quelles maladies
nos moeurs actuelles nous ont délivrés,
& quelles maladies nouvelles elles nous ont
données?
Chacun des prix eſt une médaille d'or
de la valeur de 300 liv .
Les ouvrages feront adreflés , francs de
port , à M. Baron , ſecrétaire de l'académie
, à Amiens , avant le premier Juillet
1771 .
V.
Académie royale desſciences , inſcriptions
& belles - lettres de Toulouse.
Le ſujet propoſé pour le prix de 1770,
étoit de déterminer 1º. les révolutions qu'é.
prouverent les Tectoſages , la forme que
prit leur gouvernement , & l'état de leur
paysſous la domination ſucceſſive des Romains
& des Visigots. 2°. Leurs loix &
leur caractere ſous la puiſſance des Romains.
L'Académie n'ayant pu adjuger
le prix , elle a délibéré de le joindre à
celui de 1773 , qui fera double , & pour
lequel elle propoſe le même ſujer.
OCTOBRE . 1776. 147
On fut informé en 1768 que l'académie
propoſoit , pour le prix de 1771 ,
d'affigner les loix du retardement qu'éprou
vent lesfluides dans les conduits de toute
espèce.
Quant au prix de 1772 , l'académie annonça
l'année derniere qu'elle propoſoit
pour ſujet , de déterminer les avantages &
la meilleure méthode d'inoculer la petite
vérole.
Le prix que l'académie diſtribue eſt de
la valeur de soo liv. Il eſt dû aux libéralités
de la ville de Toulouſe , qui le fonda
en 1745 , pour contribuer toujours de
plus en plus au progrès des ſciences &
des lettres.
Les ſçavans ſont invités à travailler fur
les ſujets propoſés. Les membres de l'académie
font exclus de prétendre au prix ,
à la réſerve des alſociés étrangers.
Ceux qui compoſeront font priés d'écrire
en françois ou en latin , & de remettre
une copie de leurs ouvrages qui
foit bien liſible , ſur-tout quand il y aura
des calculs algébriques. i
Les auteurs écriront au bas de leurs
ouvrages une ſentence ou deviſe ; mais
ils pourront néanmoins y joindre un billet
ſéparé ou cacheté , qui contienne la
même ſentence oudeviſe , avec leur nom,
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
leurs qualités & leurs adreſſes ; l'académie
exige même qu'ils prennent cette
précaution , lorſqu'ils adreſſeront leurs
écrits au ſecrétaire. Ce biller ne ſera point
ouvert , ſi la pièce n'a remporté le prix.
Ceux qui travailleront pour le prix ,
pourront adreffer leurs ouvrages à M.
l'abbé de Rey , conſeiller au parlement ,
fecrétaire perpétuel de l'académie , ou les
lui faire remettre par quelque perſonne
domiciliée à Toulouſe. Dans ce dernier
cas il en donnera ſon récépiffé , ſur lequel
ſera écrite la ſentence de l'ouvrage , avec
fon numéro , ſelon l'ordre dans lequel il
aura été reçu.
Les paquets adreſſés au ſecrétaire doivent
être affranchis de port.
Les ouvrages ne feront reçus que jufqu'au
dernier jour de Janvier des années
pour le prix deſquelles ils auront été compoſés.
L'académie proclamera dans ſon afſemblée
publique du 24 du mois d'Août
de chaque année , la pièce qu'elle aura
couronnée.
Si l'ouvrage, qui aura remportéle prix ,
a été envoyé au ſecrétaire à droiture , le
tréſorier de l'académie ne délivrera le
prix qu'à l'auteur même qui ſe fera conOCTOBRE
. 1770. 149
noître , ou au porteur d'une procuration
de fa part.
S'il y a un récépiſſé du ſecrétaire , le
prix fera délivré à celui qui le repréſentera
.
L'académie , qui ne preſcrit aucun ſyſtême
, déclare auſſi qu'elle n'entend point
adopter les principes des ouvrages qu'elle
couronnera .
VI.
Bordeaux.
Du 25 Aout 1770 .
L'Académie de Bordeaux avoit , cette
année , deux prix à diſtribuer ; l'un dou--
ble & l'autre ſimple.
Elle avoit proposé pour ſujet du premier
, que l'on établit le genre , & que l'on
développât les caractères effentiels des maladies
épidémiques qu'occaſionne ordinairement
le deſſféchement des marais dans les
cantons qui les environnent ; qu'on indiquât
les précautions néceſſaires pour préve.
nir ces maladies , & les moyens d'en garantir
les travailleurs ; & qu'on donnát une
méthode curative , fondée ſur l'expérience,
que l'on pût mettre en pratique avecfuccès.
Pour ſujet du ſecond , elle avoit de-
1
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
mandé : Quelle est la meilleure maniere de
mesurersur mer la viteſſe ou lefillage des
vaiſſeaux , indépendamment des obfervations
astronomiques & de l'impulsion ou de
la force du vent ; fi, à défaut de quelque
méthode nouvelle & meilleure que celle du
lock ordinaire , il n'y auroit pas quelque
moyen de perfectionner cet instrument , au
point de pouvoir en faire usage lorſque la
mer est agitée , & d'empêcher la ficelle de
s'alonger ou de ſe raccourcir , du moins
Senſiblement ; & s'il ne feroit pas poffible
de mesurer , par quelque inſtrument également
fimple & peu coûteux , le tems de 30
ſecondes que dure ordinairement l'obfervazion
, plus exactement que l'on nefait avec
les fabliers dont on a coutume defefervir.
Iº. C'eſt pour la troiſième fois qu'elle
avoit propoſé le premier de ces deux fujets
; &, en le propoſant, elle avoitdéclaré
qu'elle ſouhaitoit principalement que les
auteurs qui voudroient ſe mettre ſur les
rangs , priffent pour guides dans leur travail
, l'obfervation & la pratique,& qu'ils
ne s'en tinſſent pas uniquement à une
théorie qui , quelqu'éclairée qu'elle puiffe
être , peut ſouvent , dans la curation des
maladies , conduire à des erreurs preſque
toujours funeſtes : ou , pour mieux dire ,
ce deſir qu'elle avoit annoncé , formoit
OCTOBRE. 1770. 15
dans ſes vues une condition eſſentielle
qu'elle entendoit que l'on remplit pour
pouvoir être admis au concours .
N'ayant point trouvé cette condition
remplie dans les pièces qui lui furent envoyées
en 1766 & 1768 , elle avoit été ,
à ces époques , forcée par ce motif de ne
point adjuger le prix; mais , entraînée par
l'importance & l'utilité du ſujet, à le repropoſer
encore , elle n'avoit pas déſeſpéré
qu'un nouveau travail &de nouveaux
efforts ne puſſent enfin lui procurer quelque
ouvrage qui ne lui laiſſeroit plus rien
àdefirer ſur la partie du programme qu'el
le avoit le plus à coeur.
Son eſpoir à cet égard a été encore
trompé cette année ; & , fi elle n'avoit
voulu confulter que la rigueur de la loi
qu'elle s'étoit preſcrite à elle-même , elle
auroit eu encore cette fois , le regret de
ne pouvoir , fur ce ſujet , couronner aucun
des concurrens ; mais , jugeant que
s'il ne leur a pas été poſſible de répondre
plus parfaitement à ſes vues , s'ils ne ſe
font point trouvés dans des circonstances
àpouvoir ſe procurer par la pratique les
obſervations qu'elle auroit deſirées , elle
ne pouvoit du moins juſtement laiſſer
ſans récompenſe les efforts qu'ils ont faits
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
pour la fatisfaire ; & convaincue qu'il
n'eſt pas moins de ſon devoir d'encourager
les talens que de les récompenfer ;
trouvant d'ailleurs , dans la pièce N°. IV,
(ayant pour deviſe ces mots : Alta neu
crede Paludi , aut ubi odor cæni gravis ...
Virg. lib. IV. Georg. ) qui , dès 1766 ,
avoit particulièrement fixé ſon attention ,
& que les changemens & les augmentations
que l'auteur y a faits , ont rendue
encore plus digne des éloges qu'elle lui
avoit déjà donnés * , un ouvrage qui pouvoit
être préſenté utilement au public ,
cette compagnie s'eſt déterminée à lui accorder
une partie du prix , qu'elle n'avoir
deſtiné qu'à un ouvrage qui eût rempli
fon objet en entier.
En conféquence , elle a dédoublé ce
prix , & a adjugé à l'auteur de cette pièce
la médaille qui en faiſoit partie. Cet auteur
est le Sr Fournier - Choiſy , médecin
àMonclar , en Agenois.
II °. Quant à la queſtion propoſée ſur
les moyens de perfectionner le lock , l'académie
n'ayant été fatisfaite d'aucun des
mémoires qui lui ont été envoyés ſur ce
fujet, elle le repropoſe pour l'année 1772 ;
*Programe du 25 Août 1766.
OCTOBRE. 1770. 153
&a réuni au prix qui lui eſt deſtiné, les
trois cents liv. qui faifoient partie de celui
qu'elle a dédoublé.
Pour ſujet du prix courant qu'elle aura
en outre à diſtribuer , cette même année
1772 , elle demande : Quels sont les alimens
les plus analogues à l'espèce humaine
?
Elle ne recevra les ouvrages qui lui ſeront
envoyés far ces deux ſujets , que jul
qu'au premier Avril , excluſivement.
*
M. Dupaty , avocat - général au parlement
de Bordeaux , undes membres de
cette compagnie , ayant offertde faire les
frais d'une médaille à diſtribuer par l'académie
, au meilleur difcours écrit em
françois , dont le ſujet ſera l'Eloge deMir
chel de Montagne , elle annonce aujourd'hui
, en propoſant auſſi ce ſujet , pour
1772 , qu'elle diſtribuera ce prix dans
une affemblée publique qu'elle tiendra
*C'eſt à ce jeune magiſtrat qui montre tantde
zèle & de goût pour les belles- lettres que l'on eft
déjà redevable du prix qu'il a fondé dans l'Académie
dela Rochelle dont il eft membre , pour l'éloge
de Henri IV. Ilalu dans la ſéance de l'académie
de Bordeaux , que nous venons d'annon
eer , des confidérationsfur la nature , qui n'ont pu
être faites que parle génie..
/
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
extraordinairement dans la ſemaine de
pâques ; & elle demande cette année que
les ouvrages , quant à ce prix , lui foient
envoyés avant le premier Janvier .
Les auteurs , pour ce ſujet , comme pour
les autres , auront attention de ne point
ſe faire connoître , & de mettre ſeulement
leur nom & leurs qualités dans un
billet cacheté , joint à leur ouvrage .
Les paquets feront affranchis de port ,
& adreſlés à M. de Lamontaigne , fils ,
conſeiller au parlement & fecrétaire pertuel
de l'académie.
Ontrouvera les ouvrages qui ont remporté le
prix de l'académie, chez Briaflon , à Paris ; Forêt,
a Toulouſe ; Chambaud , à Avignon ; Bruiflet , à
Lyon ; Lallemand , à Rouen ; Couret de Villeneuve,
àOrléans ;& chez la V. Vatar , à Nantes.
A M. Dupaty , avocat- général du parlement
de Bordeaux , à l'occaſion de
l'éloge de Montagne qu'il a fait propofer
par l'académie de cette ville&de la
médaille d'or qu'il deſtine au meilleur
discours.
Magnus ab integro faclorum nafcitur ordo.
VIRG.
ENFIN , après mille ansd'une profonde nuit,
Après mille ans de barbaric ,
OCTOBRE. 1770. 155
Se lève le ſoleil de la philoſophie ,
La lumière paroît , l'ignorance s'enfuit ,
Et , de la vérité la terrible ennemie ,
L'affreule erreur ſe cache& fon règne eſt détruit.
Quel changement heureux dans ma triſte patrie ?
C'eſt toi , jeune étranger , c'eſt toi , l'ami des arts
Qui reveilles l'honneur endormi dans nos ames ,
Tu nous prefles , tu nous enflammes,
Sur le prix des talens tu fixes nos regards .
Oui , nous irons dans les champs de lagloire ,
Nous irons ſur tes pas moiſſonner des lauriers ,
Animés par ta voix , les plus jeunes guerriers
Oferont à l'envi défier la victoire ;
Et moi peut - être , auſh , plein d'ardeur , à ton
nom ,
(Si mon zèle me trompe,ô Montagne , pardonne , )
Jirai , d'une main foible encore , à ta couronne
Me mêlant dans la foule , attacher un fleuron.
Au nom du créateur de la philoſophie ,
De ce penſeur profond qui nâquit parmi vous ,
Reveillez - vous , fortez de votre léthargie ,
Omes concitoyens , tombez à les genoux.
Votre eſprit eſt glacé , votre ame eſt engourdie ,
Unnouveau jour vous luit , revenez à la vie ,
Quittez ces vains calculs , laiſſez- là vos tréfors;
Le fordide intérêt étouffe le génie ;
Que la palme des arts croifle enfin ſurnosbords;
Et toi , qui de Thémis diriges la balance ,
Toi , de qui les vertus honorent mon pays ,
Gvj
136 MERCURE DE FRANCE..
Toi , qui ſur le tombeau du plus grand des Henris
Fis entendre la voix de la reconnoiffance ,
Pourfuis , ó Dupaty , tes deſtins glorieux ,
Traverſe à pas hardis cette carrière immenfe ,
Toi ſeul viens de l'ouvrir , nous t'y ſuivrons des
yeux ;
Danne- nous les portraits de ces ſages fameux
De ces ſages , l'amour & l'orgueil de la France ,
Les Montagnes ,les Montesquieux
Unjour viendra , qu'on te peindra comme eux.
Afpice venturo latentur ut omnia faclo.
VIRG.
Par M. Romain de Sexe.
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL .
LeE famedi 8 Septembre , on a donné au
Concert Spirituel , pour la feconde fois ,
Cantate Domino , motet à grand choeur
de M. Azais : Mile Delcambre a chanté
dans le goût Italien Salve Regina , moter
à voix ſeule del Signor Galuppi .
M. Bezozzi , ordinaire de la muſique
du Roi , a reçu de nouveaux témoignages.
de fatisfaction dans l'exécution d'un con
OCTOBRE. 1770 . 157
certo de hautbois de ſa compoſition. M.
l'Abbé Platel a chanté avec le ſuccès qui
lui eſt ordinaire , un nouveau motet à
voix ſeule de M. l'Abbé Girouſt. L'exécution
brillante & préciſe de M. Caperon
fur le violon , & la belle compoſition de
fon concerto ont été fort applaudis . Le
concert a été terminé par Miserere mei
Deus , motet à grand choeur de M. l'Abbé
Girouft.
OPÉRA.
LES Fêtes grecques & romaines , ballet
héroïque , repréſenté pour la première
fois en 1723 ; repris en 1733 , 1741 &
1753 ; ont été remiſes au théâtre le mardi
28 Août dernier. Les paroles font de
Fuzelier , & la muſique de Colin de Blamont.
Ce ballet eſt compoſé d'un prologue&
de trois entrées , les Jeux olympi
ques , les Bacchanales & les Saturnales .
Dans le prologue,le théâtre repréſente
le temple de mémoire orné des ftatues
des grands hommes. Clio , muſe de l'hiftoire
, invite les élèves d'Erato à célébrer
dans leurs chants les héros.
158 MERCURE DE FRANCE.
Apollon & Terpſicore prennent part à
cette fête.
Erato & Apollon célèbrent les louanges
de Terpſicore ,& la muſe de la danſe
en exprime les chants par ſes pas & fes
attitudes.
Quelle danſe vive & légère !
Lesjeux , les ris vous ſuivent tous :
Muſe brillante , auprès de vous
On voit plus d'amours qu'à Cythère.
Vous peignez à mes yeux les tranſports des
amans ,
Les tendres ſoins , la flatteuſe eſpérance ,
Le déſeſpoir jaloux , la cruelle vengeance ;
Tous vos pas ſont des ſentimens.
Mlles de Beaumeſnil & Châteauneuf
ont chanté dans le prologue les rôles d'Erato
, muſe de la muſique , & de Clio ,
muſedel'hiſtoire.M. Caſſaignade a chanté
celui d'Apollon. L'enſemble de ce prologue
a paru agréable. Mlle Guimard y
repréſentoit Terpſicore avec toutes les
graces qui font le charme de ſadanſe.
Elle a été remplacée par Mlle Duperey ,
qui a été auſſi très-applaudie. Les fentimens
qu'elle exprimoit , formoient autant
de tableaux ſi vrais , fi pittoreſques , fi
hardis qu'il a été aiſé de s'appercevoir que
OCTOBRE 1770. 159
l'auteur de ce pas étoit M. d'Auberval
qui , le premier , a introduit fur ce théâtre
un genre de danſe de caractère auſſi
intéreſſant pour le coeur que flatteur pour
les yeux . M. Veſtris y a danſé une chaconne
, & Mile Dervieux , une entrée.
Cettejeune danſeuſe fait,dans ſon art, des
progrèsquine tarderont pas à la placer dans
le rang des premiers talens. Mlle Niel
ne donne pas moins d'eſpérances pour le
grand genre de la danſe auquel elle ſe
deſtine avec les avantages que lui donnent
la nature & l'étude .
Les Jeux olympiques ou les jeux de la
lutte & de la danſe font la première entrée
, que l'on avoit différé de donner à
cauſe de la longueur du ſpectacle pour la
faiſon . Ils ont été mis au théâtre le
Septembre . Cet acte repréſente le triomphe
d'Alcibiade dans les jeux olympiques,
&l'inconſtance de ſes amours. Alcibiade,
aimé de Timée , la quitte pour Afpafie
, jeune Grecque qui doit diftribuer
les prix aux vainqueurs des jeux .
Il chante lui-même l'éloge de l'inconftance
.
Notre coeur doit changer ſans ceſſe
Pour n'avoir que d'heureux momens;
160 MERCURE DE FRANCE.
Les premiers jours de la tendreſſe
En font les jours les plus charmans .
De la divinité l'amour est le partage.
Les ſoupirs font l'hommage
Qu'exigent de beaux yeux.
:
Gardons -nous de former des chaînes éternelles .
Ondoit encenſer tous les dieux ;
On doit aimer toutes les belles..
En vain Timée veut lui faire reprendre
ſes premières chaînes en lui diſant :
Reviens; l'amour conſtant près de moi te rappelles .
Tu ne rougis pas de changer ,
Change encore une fois pour devenir fidèle..
Alcibiade lui répond.
Calmez ce dépit éclatant;
Votre courroux m'eſt favorable :
Plus on ſe plaint d'un inconſtant ,
Plus on le fait paroître aimable.
M. Larrivée , qui n'avoit pas chante
depuis quelque tems à cauſe d'une indifpoſition,
a paru dans le rôle d'Alcibiade-
&a été accueilli avec tranſport par le Public
, charmé de revoir cet acteur & de
jouirde ſes talens.
OCTOBRE . 1770. 161
Mlle de Beaumeſnil a fait le plus grand
plaiſir dans le rôle de Timée , qu'elle a
rendu avec autant d'intérêt que de nobleffe.
Mlle d'Hauterive , dans le rôle
d'Afpafie , Mlle d'Avantois , repréſentant
Zélide , confidente de Timée , & M. Cavallier
, dans le rôle d'Amintas , confident
d'Alcibiade , ont été applaudis.
Mile Heinel , qui paroît dans le choeur
des danſeuſes telle que Diane au milieu
de ſes nymphes , a bien dédommagé le
Public des regrets qu'il avoit éprouvés en
ne la voyant pas aux premières repréſentations
de la remiſe de ce ballet.
Le pas des lutteurs,de la compoſition de
M. d'Auberval , fait honneur à ſon génie.
O y admire des fituations neuves , vigoureuſes
& vraies. Le prix qu'il remporte
& l'hommage qu'il en fait à Mile
Heinel ont été confirmés par les fuffrages
unanimes des ſpectateurs.
Les Bacchanales ou les fêtes de Bacchus
font la feconde entrée. Cléopatre ,
Reine d'Egypte , environnée de la pompe
la plus brillante , vient triompher par
l'éclatde fes attraits de l'indifférenced'Antoine.
Il ne peut réſiſter aux charmes de
la beauté. Il fait l'aveu de ſa défaite en
lui difant :
162 MERCURE DE FRANCE.
Lorſque loin de vos yeux on me peignoit vos
charmes,
La ſévère raiſon me promettoit des armes
Contre leurs plus aimables traits ;
Mais , helas ! quelle différence
D'entendre vanter leur puiſſance
Ou de voir briller leurs attraits !
MM. Gelin & Durand ont joué ſucceſſivement
le rôle de Marc Antoine , &
M. Muguet celui d'Eros fon affranchi .
Mile Duplant , repréſentant Cléopatre ,
amisdans fon jeu &dans ſon chant de la
dignité & de l'expreffion .
M. Gardel a été facilement diftingué
par la nobleſſe , le fini & la précifion de
ſa danſe. Il a exécuté avec applaudiſſement
une entrée dans ce divertitlement ,
ainſi que Mlles Niel & Dervieux.
Les Saturnales ou les fêtes des Eſclaves
font le ſujet de la troiſième entrée.
Délie , parente de Mécène , eſt inſtruite
de la paffion qu'a pour elle Tibule,
chevalier Romain , déguisé en eſclave
fous le nom d'Arcas . Elle veut l'inquiéter
& lui déclarer elle même ſon amour
par une feinte confidence : Tibule ne ſe
croyant point connu , n'oſe s'attribuer l'aveu
qu'elle fait de ſa tendreſſe.
OCTOBRE. 1770 . 163
DÉLIE.
Je méprifois l'amour, je fuyois ſes plaiſirs
Etje bornois tous mes defirs
Ala paiſible indifférence.
Enſoumettantmon coeur à ſa douce puiſſance ,
L'amour croit s'être bien vengé.
Je l'aurois plutôt outragé ,
Si j'avois prévu la vengeance.
TIBULE .
Vous aimez donc ? l'amour aura ſu vous choiſir
Unamantdigne de vous plaire ?
DÉLIE .
Le dieu qui règne dans Cythère
Eſt le plus éclairé des dieux :
L'aimable choix qu'il m'a fait faire
Prouve bien qu'il n'a pas un bandeau ſur les yeux.
Mlle Roſalie , qui fait tous les joursde
nouveaux progrès dans l'art du chant &
dans le jeu théâtral , a été très- applaudie
repréſentant Délie. Mlle Beaumeſnil
qui a chanté enſuite ce rôle , en a ſaiſi
l'eſprit& les fineffes . M. Legros a rempli
avec ſupériorité , dans les premières repréſentations
, le rôle de Tibule ; mais
une maladie très-dangereuſe a fait crain164
MERCURE DE FRANCE.
:
dre pour ſes jours qui heureuſement font
actuellement hors de danger.
MM. Muguet & Tirotl'ont fucceffivement
remplacé avec ſuccès. Ona vu avec
plaifir M. Veſtris & Mlle Guimard joindre
dans ce divertiſſement les graces de
leur danſe à la gaîté de celle de M. d'Auberval
&de Mile Pellin.
C'eſt M. Veſtris quia compoſé lesballets
du prologue &des trois entrées .
Mlle Vincent, dont la voix eſt brillante
& légère , a continué avec applaudiffement
fon debutjuſqu'à la dernière repréſentation
des fragmens. Le Roſſignol de
Rameau & l'Ariette de M. Berton , qu'elle
a chantés , ont fait d'autant plus de plaiſir
que l'on s'eſt apperçu dans les accompagnemens
de flute que M. Rault étoit
rentré dans l'orcheſtre où ſon talent le
rend précieux.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LES. Comédiens François ordinaires du
Roi ont remis ſur leur théâtre , le lundi
3. Septembre , l'Ecole des Bourgeois , comédie
en trois actes , en proſe , de l'Abbé
d'Allainyal .
OCTOBRE. 1770. 165
Cette pièce eſt de l'ancien comique ,
mais de ce comique qui fait rire & qui
peint fortement le ridicule & les moeurs.
Cette Ecole des Bourgeois a pluſieurs ſcènes
très bien faites & dignes de Moliere .
Telle eſt celle où l'Homme de Condition
obtient , par de feintes politeſſes , le conſentement
d'un bourgeois , oncle de ſa
prétendue , qui étoit le plus oppoſé à fon
mariage. Cette comédie a été ſupérieurement
jouée par M. & Mde Belcourt ,
par Mde Drouin , par Mlle Doligni , par
MM . Dauberval & Monvel . Les partiſans
de l'ancien genre de la comédie la
reverront avec plaifir .
M. Dorceville a debuté le 23 Août par
le tôle de Titus dans Brutus ; d'Egiſte dans
Mérope ; de D. Pedre dans Inès ; de Lyncée
dans Hypermeneſtre ; de Defronais
dans Dupuis .
Ce jeune acteur a une figure agréable ;
il a du feu , de l'intelligence & un jeu vif
& fenti . Il emploie ſans doute trop de
mouvement & des geſtes trop grands ou
trop multipliés ; mais ces défauts légers
font faciles à corriger , & le public fouhaiteroit
qu'il pût ſe fixer à ce théâtre,
166 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ordinaires du
Roi ont donné fur leur théâtre , le jeudi
20 Septembre , la première repréſentation
du Nouveau Marié ou les Importuns,
opéra comique en un acte mêlé d'ariettes ;
paroles de M. Cailhava d'Eſtandoux , muque
deM. Baccelli , compoſiteur italien .
Les Acteurs de cette pièce font
Le nouveau Marié , M. Clairval.
La Mariée , Mde Trial.
M. Simon , oncle du Marié , M. Caillot.
Le Bailli & fa Femme , père & mère de la
mariée , M. Laruette & Mde Berard.
Le Magifter , M. Suin.
Le Chirurgien , M. des Broffes.
Le Notaire , M. Toutvoix .
Janot& (domeſti.
Toinon, ques , }
M. Trial.
Mile Frederick.
Il eſt minuit , on eſt encore à table , &
le nouveau Marié repréſente qu'il eſt
tems de ſe retirer ; mais les gens de la
nôce veulent danſer juſqu'au jour ; le Magifter
recite un épithalame :
OCTOBRE. 1770. 167
Hymen , amour ,
Venez en ce jour ,
Defcendez .
...
La mémoire lui inanque , il repère def.
cendez... Le nouveau Marié le diſpenſe
d'achever , fe chargeant de finir l'épithalame
avec la muſe qui l'inſpire . On emmène
la Mariée pour danſer , mais elle
s'écrie qu'elle ne veut danſer qu'avec fon
mari . Le Marié , furieuxde ce contretems,
dit à Jeannot d'enfermer les importuns &
àToinon de faire venir ſa femme. Cependant
l'oncle , ſans le conſentement duquel
le mariage a été fait , ſurvient ſans
être apperçu. Ce M. Simon eſt un goguenard
, un railleur qui ſonge au moyen
de ſe venger de fon neveu , & de s'amufer
à ſes dépens , en éprouvant le caractère
de la Mariée. Il ſe cache & éteint les
lumières. Le marié revient dans le ſalon ;
il entend marcher. Il croit que c'eſt ſa
femme , & lui dit beaucoup de galanteries.
Il ſaiſit une main qu'il baiſe avec
tranſport ; mais bientôt il reconnoît que
c'eſt un homme , il appelle du ſecours.
Jeannot vient avec de la lumière; quelle
furpriſe! quel effroi pour le maître & le
valet quand ils voient l'oncle dont ils
168 MERCURE DE FRANCE.
..
craignoient fi fort le retour ! le nouveau
marié s'excuſe , mais l'oncle affecte de la
colère; il menace de lui ôter ſon eſtime,
& fon bien ; le neveu offre d'expier ſa
faute par ſa ſoumiffion , par ſa complaifance.
M. Simon le prend au mot, &
comme il doit partir le lendemain , il
exige. -Quoi ? de l'accompagner. -
Non, dit l'oncle , je ne ſuis pas fi cruel
que de vouloir mettre quatre lieues entre
deux nouveaux époux. Il demande. Un
lit pour ſe repoſer ? Non , mais que
fon neveu lui tienne compagnie juſqu'au
jour. Le nouveau marié s'afflige de cette
demande.. Enfin l'oncle exige pour ſa
punition qu'il ne dira que deux mots...
Quoi ! s'écrie le neveu , que deux mots à
ma femme , lorſque j'ai tant de choſes à
lui dire!. L'oncle inſiſte & veut choiſir
deux mots bien fous, bien burleſques, bien
ridicules .. Le Marié ſe ſoumet&promet
d'obéir.. Ces mots ſont ziſte , zeſte ; le neveu
a beau ſe recrier , il n'y a pas moyen
de refuſer à moins de perdre l'amitié &
le bien de fon oncle.. Le marié dit à fon
valet de prévenir ſa femme; mais l'oncle
arrête le valet & lui promet cent écus
pour épouſer Toinon à condition qu'il
dira pour toute réponſepif, pouf; & pour
jouir
OCTOBRE. 1770. 169
jouir de l'effet de ſa plaifanterie , il ſe cache
ſous une table , & force fon neveu par
ſignes à ne pas prononcer d'autres paroles.
Toinon arrive & vient dire au Marié
que ſa femme l'attend ſeule avecunetendre
impatience. Le mari répond fur un
ton douloureux ziſte. La ſervante attribuant
ce mot au mépris , veut en aller
avertir la Mariée ; l'époux l'arrête en lui
repétant avec alarme ziſte , zeste. Elle s'adreſſe
au valetqui répond pif, pouf, dont
la replique eſt un ſoufflet que lui donne
Toinon. La Mariée vient& le neveu lui
dit très - tendrement ziſte , zefte. Elle s'afflige
de ces mots. Le Bailli , la Baillive
& les gens de la noce qui ne peuvent tirer
d'autre réponſe du nouveau Marié , le
croient fou ; l'onclerit, mais le neveu eſt
furieux .. Le chirurgien veut le ſaigner ;
le Bailli parle de faire caſſer ſon mariage;
le valet eſt battu par Toinon , & fuyant
ſes coups il renverſe la table. M. Simon
paroît , & fa préſence donne bientôt le
ſens de l'énigme. Le mari s'excuſe , &
Poncle lui -même ramène la joie en donnant
fon conſentement au mariage ; il
embraſſe la Mariée & la complimente
d'avoir montré de la douceur dans une
circonftance où tant d'autres femmes au
I. Vol.
170 MERCURE DE FRANCE.
roient fait le diable-à - quatre; il affure
fon héritage aux nouveaux époux.
Cette comédie - parade , a été reçue
avec plaifir ; elle a fait rire , & l'auteur a
rempli fon objet. Elle eſt ſupérieurement
-jouée. La muſique en eſt agréable. Les
repréſentations ſe continuent avec fuccès.
M. Julien , qui avoit déjà debuté, il y
a quelques années,fur ce théâtre , a reparu
dans Ninette à la cour , dans On ne s'aviſe
jamais de tout , dans le Roi& le Fermier ,
dans Isabelle & Gertrude , & dans d'autres
pièces où il a fait le principal rôle ; cer
acteur a été très - accueilli par le Public ;
il connoît bien la ſcène ; il joue avec
intelligence & fentiment; il chante avec
goût , & il a de la voix fur - tout dans le
haut. Il peut être très utile à ce théâtre,
ARTS.
MUSIQUE.
Troisième recueil de petits airs de chants
de la Comédie Italienne les plus nouveaux
avec accompagnementde mandoline
, dédié à Madame la Baronne
(
OCTOBRE. 1770. 171
de Cruffol : par M. Pietro Denis. Prix
3 liv . 12 f. A Paris , chez l'auteur ,
rue Montmartre , la porte cochere en
face de la rue Notre-Dame-des - Victoires
, à côté d'un perruquier , & aux
adreſſes ordinairesde muſique.
Ges airs font très agréables , & tres
bien diſpoſéspour l'inſtrument.
ARCHITECTURE.
Projet d'un temple funéraire deſtiné à
honorer les cendres des Rois & des
grands hommes , par M. Deſprez Architecte
& Profeſſeur de deſſin à l'école
royale militaire, à Paris chez Joulain
marchand d'eſtampes , quai de la
Megiſſerie à la ville de Rome. Prix
6liv.
Ce Projet eſt gravé en trois'planches
qui , raſſemblées , portent cinq pieds de
haut fur deux pieds quatre pouces de large.
On y voit le plan général del'édifice ,
fon élévation & ſes différentes coupes .
L'artiſte a fait uſage d'un ſtyle noble &
ſévère qui convient très-bien à ce genre
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
de monument. Ses diſtributions ſont bien
entendues , & il y a un rapport heureux
entreles parties& le tout. Ce projet avoit
été donné par l'Académie Royale d'Architecture
pour ſujet de ſon prix qui a
été remporté par M. Deſprez en juin
1766. L'auteur a fait hommage de fon
travail à M. de Voltaire , dans les ouvrages
duquel il reconnoît avoir puifé
la première idée du ſien,
PEINTURE.
Le jeudi , 20 Septembre , le St Vincent
de Montpetit , peintre , eut l'honneur de
préſenter au Roi & à toute la Famille
Royale un tableau allégorique repréſentant
Madame la Dauphine peinte dans
une rofe. Cette fleur eft accompagnée
d'un lis & forme un bouquet agréablement
nuancé d'immortelles & de feuilles
de roſiers , fortant d'un vaſe de lapis enrichi
d'ornemens en or avec différens attributs
relatifs à l'alliance des auguſtes
•Maiſons de France & d'Autriche.
Au-deſſusdu cercle ſupérieur qui orne
le vaſe, eſt placée la couronne du deſtin ,
d'où part de droite &de gauche une chaî
OCTOBRE. 1770. 173
he de fleurs-de- lis qui va ſe joindre à urt
coq & un aigle qui la tiennent , en ſe
jouant , à leur bec , & forment les anſes
du vaſe : ces deux oiſeaux font portés fur
des cornes d'abondance foutenues par le
čercle inférieur. Il eſt écrit fur la couronne
du deſtin : Sic fata voluere. Dans le
milieu du vaſe ſont deux coeurs accolés ,
formans un foleil rayonnant avec cette
légende : Ilsfont unis pour notre bonheur.
Le pieddu vaſe eſt orné dans fon pourtour
de différens attributs de l'amour conjugal.
On voit fur le devant deux tourrerelles
qui ſe careſſent ſur des roſes d'où
partent des branches d'oliviers .
Ce vaſe eſt poſé ſur un tapis de velours
pourpre qui termine le bas de ce tableau
allégorique dans lequel il n'y a aucune
forme ni couleur qui ne ſoit ſymbolique.
On a trouvé le portrait de Madame la
Dauphine fort reſſemblant& la compofition
d'une allégorie neuve & ingénieuſe.
Le pinceau du plus grand fini , joint au
poli de la glace , rend ce chef - d'oeuvre
Téduifant dans toutes ſes parties. Auſſi at-
il fait l'admiration de toute la cour , &
a mérité au Sr de Montpetit cette fatisfaction
délicieuſe , la récompenſe d'un
artiſte qui préfère la gloire à l'intérêt , &
qui , animé de l'amour de ſes Princes ,
:
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE!
exprime l'entouſiaſme de ſes ſentimens
par ſestalens.
Ce qui rend encore cetableau plus prétieux
, c'eſt qu'il eſt peint dans la manière
éludorique inventée par le Sr de Montpetit
, pour rendre la peinture à l'huile
inaltérable & tranſmettre aux ſiécles à venir
, avec toute leur fraîcheur , les traits
d'une Princeſſe qui fait le bonheur & l'ornement
de ſon ſiècle .
GRAVURE.
I.
La conversation Espagnole , eſtamped'environ
21 pouces de haut fur 15 de
large : deffinée & gravée par J. Beauvarlet
, graveur du Roi , d'après le tableau
peint par Carle Vanloo , Chevalier
de l'Ordre du Roi , ſon premier
peintre. Prix 12 liv. AParis, chez l'auteur
, rue du petit-bourbon , attenant
lafoire S. Germain .
Un jeune & galant Eſpagnol ſe préſente
reſpectueuſement devantune jolie
femme qui et aſſiſe & paroît occupée à
faire répéter une leçonde muſique à une
OCTOBRE. 1770 . 175
petite fille fort aimable. Derrière elle
une jeune perſonne tenant une guittare
prend part à cette leçon interrompue par
l'arrivée de l'Eſpagnol. La ſcène ſe paſſe
dans un belvedere décoré d'un ordre
d'architecture Toſcan : de grandes arcades
percées à jour , donnent de l'étendue
à cette ſcène , & produiſent des accidens
de lumière très-propres à faire briller
les principaux perſonnages de cettecompoſition
, non moins recommandable par
les graces & l'élegance du deſſein , la
douceur des caractères de têtes , & la
richeſſe des étoffes , que par l'agrément
du coſtume Eſpagnol qui eſt auſli celui
de la galanterie. M. Beauvarlets'eſt ſurpaílé
en quelque forte dans cette nou
velle gravure ; il a cherché à rendre par
la douceur , la netteté & le fini précieux
de fon burin , la touche ſuave & la belle
fonte de couleurs du tableau original
qu'il copioit & qui a été expoſé au falon
du Louvre en 1765 .
II.
Le Rendez - vous à la Colonne , eſtampe
d'environ 16 pouces de haut fur 12 de
large , gravée par Anne Philberte Cou.
let , d'après le tableau original de Ni-
Hiv
170 MERCURE DE FRANCE.
colas Berghem. A Paris , chez Lempereur
, graveur du Roi , rue & porte St
Jacques , au - deſſus du petit marché.
Prix , 3 liv.
Un jeune berger fait danſer ici ſa bergère
au ſon du chalumeau. La colonne
fert auffi de rendez- vous à d'autres amans.
Pluſieurs animaux répandus ſur le ſite de
ce payſage le rendent intéreſſant& carac
zériſent plus particulièrement le genre
favori de Berghem . Mlle Coulet annonce
avantageuſement fon talent par cette
gravure.
4
III.
LapetiteMoiſſonneuse , d'après François
Boucher.
1
'Le petit Muficien , d'après St Quentin .
Tête d'Enfant , d'après Carle Vanloo ;
prix , 16 f. les deux premieres & 12 f.
la dernière . A Paris , chez Briceau, rue
St Honoré près l'Oratoire .
Ces trois eſtampes , dont les deux premières
font pendant , ont été gravées avec
foin par le Sr Briceau , dans la manière
du deſſin au crayon rouge.
OCTOBRE. 1770. 177
I V.
Portrait de Henri IV, Roi de France ,
deſſiné par C. N. Cochin & gravé par
L. J. Cathelin . A Paris , chez Buldet ,
rue de Gèvres ; prix , 1 liv. 4 f.
Ce portrait , qui eſt de profil & en formedemédaillon
, fait pendant à celui de
Sa Majesté Louis XV , deſſiné par le même
artiſte & gravé par Prevoſt.
Portrait de Sa Majesté Louis XV, gravé
d'après le tableau original de Michel
Vanloo, peintre du Roi. AParis, chez
Bonnet , graveur , rue Galande , place
* Maubert ; prix , 3 liv .
+
Ce portrait eſt vu des trois quarts. Il
eſt gravé dans la manière du deſſin au
crayon noir eftompé. L'eſtampe porte 19
pouces dehaut fur 14de large.
Le même arriſte diſtribue chez lui le
portrait de M. René de Caradeuc de la
Chalotais. Ce portrait eſt de profil & ren.
fermé dans un médaillon. Il a été deſſiné
parC. N. Cochin & gravé par C. Baron .
Prix, 1 liv. 4 f.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
V.
Portrait de Joseph Vernet , peintre du
Roi , peint par L. M. Vanloo en 1768
& gravé par L. J. Cathelin en 1770 .
AParis , chez l'auteur , rue St Andrédes-
Arts , la première porte cochere à
droite en entrant par le pont StMi
chel ; prix , 3 liv.
L'artiſte , qui eſt ici repréſenté avec
beaucoup de vérité , eſt vu de face& en
robe de chambre. Il tient ſa palette &
fes pinceaux , & paroît échauffé du génie
que l'on admire dans ſes tableaux. L'eftampe
a environ 14 pouces de haut fur
de largé. La gravure en eſt de très - bon
goût &du meilleur effer.
V I..
Portrait d'Hubert Gravelot, gravé par J.
Matfard d'après le tableau original de
M. de la Tour. A Paris , chez Maffard,
ruedes Francs- Bourgeois porte StMichel
, maiſon de M. Gouin.
Les deſſins de M. Gravelot ſont bien
connus des amateurs. Le portrait de cet
artiſte eſt ici vu des trois quarts ; & il eft
renfermé dans un médaillon.
OCTOBRE. 1770. 179
VII.
Portraitde Pierre- Louis Dubus de Preville
, Comédien François & penfionnaire
du Roi , deſſiné & gravé par Romanet.
A Paris , chez l'auteur , place
du pont St Michel , vis-à-vis le quai
des Auguſtins , maiſon de Mde Petit-
Jean , marchande chapeliere. Prix , 2
liv. 8 f.
M. Romaner s'eſt ici étu dié à nous rappeler
, avec toute la vérité poſſible , les
traits d'un acteur qui fait l'agrément de
nôtre ſcène comique. Son portrait, ſous
l'habillement de Criſpin , eſt en bufte &
vu des trois quarts. Il eſt renfermé dans
un médaillon d'environ 11 pouces de
haut fur , de large. Au bas de ce médail
lon, ſont placés des maſques , une marotte&
autres attributs de la comédie , &
fix vers françois à la louange de l'acteur.
LETTRE à l'Auteur du Mercure
3
VOULEZ- VOU
de France.
OULEZ - VOUS bien , Monfieur, me faire le
plaifir d'inférer cette Lettre dans votre Journal ?
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
On a répandu dans le Public un fragment de réponſede
M. Patte à M. le Marquis de Marigny ,
déjà imprimé dans votre Mercure , avec des additions
manufcrites qui paroiſſent du même auteur.
On y avance aflez légèrement que les écrits anonymes
comportent la mauvaiſe foi , & font la marque
infaillible d'une mauvaiſe cause. Il faut donc
détruire ces apparences ſuſpectes & le nommer.
C'eſt le moyende s'appliquer cette imaxime :
Quand j'accuſe que qu'un , je le dois & me
nomme avec plus de juſtice que ne fait M. Patte ,
qui ne le devoit pas , au lieu que je le dois à la
juſtice&à l'amitié.
Je me ſuis couvert de l'anonyme parce qu'il
étoit affez généralement convenu chez tous les
habiles architectes & chez les praticiens éclairés,
que lemémoire de M. Patte ne méritoît pas qu'on
yrépondît ſérieuſement. On préſumoit que l'agrefleur
pourroit annoncer ſon triomphe dans
quelques cafés & perfuader des perſonnes peu inf
truites dans ces matières , mais on penſoit que le
eri général d'improbation étouferoit ce foible
bruit. Je ſerai ſans doute blamé par ces artiſtes
de m'être nommé , je les prie de me le pardonner,
M. Patte paroît défirer de connoître ceux qui blâ
ment ſa conduite , je crois devoir le ſatisfaire en
cequimeconcerne.
Je déclare donc nettement que je ſuis l'auteur
dela brochure intitulée , Doutes raisonnables d'un
Marguillier , &c . qui ſe ſent , à la vérité , d'avoir
été écrite& imprimée à la hâte ; mais je defirois la
voir paroître avant les autres plaifanteries queje
favois qu'on préparoit à M. Patte. Quoique je
fufle affez d'avis que fon attaque ne méritoit pas
qu'on la repouſsât autrement que par l'ironie , je
OCTOBRE. 1770. 18r
croyois cependant qu'on ne devoit l'employer
qu'eny joignant des raiſons ſérieuſes , quoique
préſentées d'une façonbadine. Il me paroiſloit né
ceflaire d'indiquer aux honnêtes gens qui cherchent
la vérité de bonne foi , en quoi conſiſtoit le
captieux de ce mémoire. Mais, en prenant ce ton
de plaiſanterie , je ne crus pas devoir me faire connoître;
perfuadé que, lorſqu'on ſe nomme , on ſe
doit à ſoi-même de parler ſérieuſement.
J'ai doncdit& je ſoutiens encore que toutes les
démonstrations de M. Patte , juſtes ou non , tombent
d'elles - mêmes , puiſqu'elles ne ſont point
applicablesà la coupole que M. Souflot ſe propoſe
d'élever , &qui fait le véritable fond de la queftion
: qu'elles ne font relatives qu'à une ſuppoſition
de coupole placée différemment &d'une autre
eſpèce.
J'ai crû devoir faire ſentir à M. Patte que fon
procédé , en fafcinant les yeux du Public par un
étalage ſuperflu d'algèbre pour couvrir un raifonnement
fondé fur une ſuppoſition fauſſe & étrangère
à la queſtion , ne pouvoit que lui attirer l'animadverſion
des honnêtes gens qui en appercevroient
le faux. Sur quoi je renvoie aux doutes du
Marguillier , en continuant de maintenir la vérité
detout ce que cebon citoyen a avancé.
Je ſoutiens également à M. Patte qu'il m'a dit
Jui-même , avant que de publier ſon mémoire ,
qu'il s'en rapporteroit au jugementdeM. Peronet,
qu'il le reconnoiſſoit pour être profond dans la
théorie&dans la pratique. Cependant , lorſque
M. Pattea vu que la déciſion de ce dernier étoit
entierement en faveur de M. Souflot , il a recufé
lejuge que lui- même avoit choiſi. C'eſt au Public
àjuger de ce qu'on doit penſer d'une telle cong
duite,
182 MERCURE DE FRANCE.
J'ai quelque répugnance cependant à attribuer
àM. Patre les additions manuſcrites que l'on diftribue
ſous ſon nom , attendu les fauffetés , les
petits detours & les faux - fuyans captieux quej'aurois
peine à croire qu'il fût capable de ſe permettre.
Il eſt faux , par exemple , que la voûte du
foyer de la ſalle de la comédie, à Lyon, ſoit tombée
, mais il est vrai que l'architecte qui avoit été
chargéde veiller à ſa conſtruction en l'absence de
M. Souflot , s'appercevant que l'entrepreneur n'avoit
pas pris les loins qu'il jugeoit néceſſaires pour
ſa meilleure exécution, en a fait démolir une partie
commencée & l'a fait refaire fous ſes yeux. Sur
quoi l'on demande à M. Patte depuis quand on a
droit de blâmer un architecte de la ſévérité qu'il
emplois pour affurer la ſolidité de ſes ouvrages ?
Et peut-on hafarder des affertions dont la fauſſeté
prouvéea droitde nous faire rougir : Il est notoire
que,depuis que cette voûte a éré achevée & donnée
pour telle, elle n'a point varié.
Il n'étoit pas difficile de prévoir que M. Patte
n'accepteroitpoint le pari propoſé par M. Souflot,
jene le parierois pas, maisj'en jurerois , dit M.
Watp dans la comédie de l'Ecoſloſe; il propofe
un autre défi dans lequel il ne hafarde rien. Mais
les deux propofitions ne font pas dans le même degré
de faveur. M. Patre est l'agrellor , & par conléquent
n'a pas le chorx des armes. Son refus ,
malgré les raiſons entortillées dont il tâche de le
colorer , eft plus clair qu'il ne le penfe ; s'il étoit
en état de prouver que ſon équation démontre
Timpoffibilité d'exécuter la coupolede M. Soufor,
il devoir accepter le pari : fi elle ne le démontre
pas, comme il eſt forcé de l'avouer dans la lettre,
elle eft ururile & étrangère à la question . Com
ment donc qualifier cette levée de boucliera
OCTOBRE. 1770. 183
M. Patte finit par aflurer qu'il defirede tout fon
coeur que l'architecte de Ste Genevieve puifle produire
des moyens de conſtruction qui ſoient reputés
exécutables au dire des principaux lavars ,
ſeuls juges compétens dans une pareille matière.
Il auroit déjà en cette fatisfaction s'il eût accepté
la gageure , & plutôt encore , s'il eût voulu s'en
rapporter à M. Peronet, juge très-compétent , &
dont nul autre n'appelleroit. Mais il la lui faut
pleine& entière, & il peut ſe tranquilliſer; car,
indépendamment de quelques ouvrages où cette
vérité fera démontréegéométriquement , l'Académie
d'architecture prononcera , & alors tout fera
dit.
Je luis, &c.
COCHIN.
EPREUVE des Horloges marines de
M. Ferdinand Berthoud.
LE filence que M. Berthoud s'eſt impoſe juta
qu'à préſent ſur les nouvelles recherches qu'ila
faites pour déterminer les longitudes en mer , par
leſecours des horloges marines , a pu faire penfer
au Public qu'elles n'avoient pas eu le ſuccès qu'on
s'en étoit promis. Mais, quelque empreflé que fût
cet artiſte d'obtenir des fuffrages qui l'auroient
flatté, il ne luia pas été permis d'expofer aux yeux
du Public le travail qui auroit pu les lui mériter.
Engagé par des ordres fupérieurs à l'exécution des
horloges marines dont Sa Majesté failoit les frais
184 MERCURE DE FRANCE.
1767 ,
&dontElle s'étoit réſervé de faire faire les épreu
ves , M. Berthoud n'a point dû mettre ſes horloges
au concours , lorſque l'Académie des fcrences
a propoſé pour le ſujet du prix des années
69 & 70 de la meilleure manière de mesurer le
tems en mer. On fait cependant que , depuis près
de vingt ans , M. Berthoud s'occupoit de ces recherches
importantes , & M. l'Abbé Chappe , dont
l'Europe entière regrette la perte rendit compte
àl'académie des fciences , dans la ſéance publique
du 14 Novembre 1764, de la ſuite des travaux
qui , juſqu'à cette époque , avoient occupé M.
Berthoud. Dix ans auparavant , dès le 20 Novembre
1754 , cet artiſte avoit conſigné au ſecrérariat
de l'académie la théorie & les plans des horloges
marines qu'il avoit exécutées ; il rendit public
une partie de ſon travail dans ton Effaifur
Horlogerie , qui parut en 1763 .
La célébrité de M. Berthoud engagea , dans
l'année 1764 , M. le Duc de Choiſeul , alors miniſtre
de la marine , à faire faire l'épreuve d'une
montre , de l'invention de cet artiſte , & propre à
déterminer les longitudes . Sa Majesté chargeaM.
l'Abbé Chappe de faire à Breſt , & fur mer , les
obfervations qui ſeroient néceſſaires pour conftater
la validité de l'épreuve. Cette montre eſt la
première machine de cette eſpèce qui ait été ef-
Layée en France . M. l'Abbé Chappe rendit compte
du ſuccès de l'épreuve dans le mémoire qu'il lut
àla ſéance publique de l'académie , tenue le 14
Novembre 1764. On est étonné de ne point trouver
ce mémoire dans le recueil de ceux que l'Académie
a fait imprimer pour la même année &
pour les années ſuivantes. Il réſulta, de l'épreuve,
que la montre de M. Berthoud n'avoit pas varié
de plus de troisfecondes un dixième parjour,l'un
OCTOBRE. 1770 . 195
portant l'autre ; c'eſt-à-dire , qu'elle auroit donné
la longitude à la préciſion d'un demi- degré , à-peuprès
, dans une traverſée de fix ſemaines . Cepremier
efſſai ne fatisfit pas M. Berthoud ; il avoit
reconnu que certaines parties de la machine
avoient beſoin d'être perfectionnées : il entreprit
avec courageun nouveau travail , dans lequel ,
fans abandonner ſes principes , il s'occupa à en
rectifier l'application .
,
Dès ce tems il travailla par l'ordre & aux frais
du Roi ; &en 1768 , il fut en état de livrer deux
nouvelles horloges marines de ſon invention
dont Sa Majefté ordonna l'épreuve. Elle fit armer
pour cet effet au port de Rochefort , une frégate
dont elle confia le commandement à M. d'Eveux
de Fleurieu , enſeigne de vaifleau ; elle nomma
M. Pingré , chanoine régulier de SteGenevieve ,
de l'académiedes ſciences , aſtronome géographe
de la marine , pout faire conjointement , avecM.
deFleurieu , toutes les obſervations qui devoient
concourir à vérifier la marche des horloges deM.
* Berthoud , & à s'aſſurer du degré d'exactitude auquel
ces machines pouvoient donner les longitu
es en mer.
Jamais épreuve ne fut plus longue , plus ſévè-
&plus authentique. Sa durée a été de plus d'une
année: la multiplicité des relâches a prévenu les
compenfations d'erreurs : les obſervations ſont ſi
nombreuſes & faites avec une ſi grande préciſion
qu'elles doivent inſpirer la confiance la plus entière.
Quantà la forme qu'on s'étoit preſcrite dans
l'épreuve , elle ne paroît rien laiſſer à defirer. Les
horloges étoient fermées ſous trois clefs : MM. de
Fleurien & Pingré en avoient chacun une différente
, & la troiſième reſtoit entre les mains de
l'officier qui étoit chargé de la garde de la frégato
186 MERCURE DE FRANCE.
dans le port , ou du quart à la mer. Les caiſſes des
horloges ne pouvoient jamais être ouvertes fans
le concours des trois témoins. Toutes les obfervations
aſtronomiques ont été faites ſéparément
par M. de Fleurieu & par M. Pingré , en préſence
des officiers de la frégate , qui ont figné au procès-
verbal de chaque obſervation , qu'on a dreflé
fur le lieu même qui ſervoitd'obſervatoire. Chaque
procès- verbal fat envoyé , dans ſon tems , à
M. le Duc de Praflin , miniſtre & fecrétaire d'état
au département de la marine ; & il en a été laiflé
une copie aux gouverneurs des places ou aux confuls
de la nation dans les ports où l'on a relâché.
C'eft de cette épreuve dont il nous eſt aujourd'huipermis
de rendre compte , &dont le Public
ignore entièrement le ſuccès ; car on en auroiz
une idée peu exacte , ſi on la jugeoit d'après ce
que nous en avons dit dans notre Journal du mois
de Juillet 1770 , ( pag. 1433 ) & que nous n'avons
pas pu rapporter avec plus de certitude ,
n'ayant pas encore connoiflance des procès- verbaux
dont on vient de parler. On y lit que « les
>>ho>rloges marinesde M. Berthoud ont donné la
>>l>ongitude affez exactement , quoiqu'il foit vrai
qu'une des deux ait été arrêtée.>> On pourra juger
de l'exactitude de ces machines d'après l'extrait
que nous allons donner , & que nous tirerons
du rapport que l'Académie des ſciences a
adreflé à M. le Duc de Pralin , qui avoit ſoumis à
l'examen de cette ſavante compagnie le recueil
des obſervations de MM. de Fleurieu &Pingré.
Quant à l'affertion , qu'une des deux horlogess'est
arrêtée, nous devons à la vérité de rapporter le
fait qui a donné lieu à cette imputation. Le 3
Mars , à Cadix , MM. de Fleuricu & Pingré s'étoient
tranſportés à l'obſervatoire pour y prendre
OCTOBRE. 1770. 187
deshauteurs correſpondantes du ſoleil: la mer devintſi
orageuſe& le vent ſi violent qu'il ne leur
fut pas poflible de ſe rendre à la frégate avant fix
heures du foir. Les horloges n'avoient point été
remontées. Celle que nous déſignerons ſous le
nom d'horloge No. 6, &quine peut marcher plus
de 28 heures , étoit à bas lorſqu'on put regagner
la frégate: la ſeconde horloge , ſous le nom de
Nº. & , étoit encore en mouvement. On remonta
l'une& l'autre , & l'on remit les éguilles de l'horloge
Nº. 6 fur cellesdu No. 8 , en confervant cependant
, dans le rapport du tems qu'on fit marquer
aux deux horloges , la même différence qu'on
y avoit obſervée la veille. Ondreſſa un procès
verbal qui fut envoyé à M. le Duc de Praflin , &
qui a pallé ſous les yeux de l'Académie des ſciences.
L'Académie n'a pas conclu que l'horloge N° .
ſe fût arrêtée.
La durée de l'épreuve des horloges de M. Berthoud
comprend pluſieurs périodes qui peuvent
être regardées comme autant d'épreuves particulières.
Nous ne pouvons donner ici que des réfultats:
ilnenous eft pas poſſible d'entrer dans ledé
tail des obſervations & des calculs.
Du 18 Janvier 1768 , jour où l'on fit des obſervations
à l'iſle d'Aix , juſqu'au 4 Mars , jour
auquel on fit de nouvelles obſervations à Cadix ,
c'est-à-dire après un intervalle de quarante - cinq
jours, l'erreur de chaque horloge marine n'a été
que d'unfixième dedegré.
En comprant d'après le mouvement moyen de
chaque horloge, tel qu'on l'avoit établi à Cadis,
du4Mars au 27 du même mois , jour auquel on
a fait des oblervations à Ste Croix de Ténériffe ,
après vingt - troisjours , l'horloge No. 8 a donné
188 MERCURE DE FRANCE.
pour la longitude de ce port , à deux minutes de
degréprès , celle que le P. Feuillée a déterminée
par des obſervations astronomiques. L'horloge
No. 6 donnoit une erreur de eing minutes de
degré.
Du 4 Mars au 7 Avril , jour auquel on a fait des
obſervations à l'iſle de Gorée , après trente- quatre
jours, la longitude donnée par chaque horloge a
étéfort approchante de celle que MM. Deshayes ,
deGlos & Varin , de l'Académie des ſciences ,ont
établie pour ce port ; mais cette longitude ne paroît
pas aſlez bien conſtatée.
Entre les obſervations qui avoient été faites à
Cadix le 4Mars , & celles qu'on fit au Fort Royal
de la Martinique le It Mai ſuivant , il s'étoit
écoulé ſoixante-huitjours. Le 13 Avril , on avoit -
vérifié dans la rade de la Praya , le mouvement
moyen de chaque horloge , & on avoit reconnu
qu'à cette époque celui de l'horloge No. 8 retardoit
de trois ſecondes , & celui de l'horloge N°. 6
de deux ſecondes deux dixièmes de plus qu'à Cadia.
En employant , du 4 Mars au 13 Avril , pendant
quarante jours , le mouvement moyen obſervé
à Cadix , & du 13 Avril au 11 Mai , pendant
vingt- huit jours , le mouvement moyen obſervéà
la Praya , l'horloge No. 8 , aprèssoixantehuitjours
, adonné la longitude du Fort Royal ,
àun tiers de degré près , la même que celle qu'on
conclut des obſervations que le P. Feuillée avoit
faites auGros-Morne de la Martinique. L'erreur
étoitla même pour l'horlogeN° . 6.
Si l'on emploie pareillement , du4Mars au 13
Avril , le mouvement moyen obſervé à Cadix , &
du 30 Avril au 30 Mai , celui qu'on reconnut à la
Praya , l'horloge No. 8 , après quatre- vingt -Sept
OCTOBRE. 1770. 189
jours, adonné la longitude du Cap- François de
St Domingue la même , à un demi degré près, que
celle que MM. de Fleurieu & Pingré ont conclue
des hauteurs de la lune qu'ils ont obſervée dans
cette ville , &du paſſage de Vénus devant le difque
du ſoleil. L'erreur de l'horloge Ns. 6 n'étoir
que de vingt- cinq minutes de degré.
Dans la période de cent quarante-quatrejours ,
qui eſt l'intervalle de tems compris entre les deux
ſtations faitesà Ste Croix de Ténériffe , en ayant
égard, comme cela doit être , aux vérifications
du mouvement moyen faites dans les différentes
relâches , l'erreur de chaque horloge a été de cinquante
minutes de degré.
De Ténériffe à Cadix , aprèsquarante-fixjours,
Ferreur de l'horloge N°. 8 n'a été que de huit minutes
de degré : celle de l'horloge Nº. 6 a été de
cinquante minutes.
Dans la période dedeux cent quatorze jours ,
qui eſt l'intervalle compris entre les deux ſtations
faites à Cadix, l'erreur de l'horloge No. 8 a été
des trois quarts d'un degré , &' celle de l'horloge
No. 6 , d'undegré&demi.
DeCadix à l'ifle d'Aix , après vingt- quatrejours,
-l'erreur de l'horloge N° 8 a été d'un fixième de
degré : celle de l'horloge No. 6 , d'un peuplus d'un
quart.
Dans la période de deux cent quatre- vingt-fept
jours, compriſe entre les deux ſtations faites à
Tifle d'Aix , on a pour l'erreur de l'horloge N° . 8 ,
cinquante - quatre minutes de degré , & un degré
cinquanteminutes pour celle de l'horloge No. 6.
L'uſage continuelque M. de Fleurieu a fait de
ces horloges pour diriger ſûrement la route de la
frégate, & la préciſion des atterrages eſt ung
192 MERCURE DE FRANCE.
finguliere qui prouve la même choſe. J'eſpère que
vous voudrez bien contribuer à raſſurer le Public,
en l'inférantdans votre Mercure prochain. Le 13
Février dernier , j'eus l'honneur d'inoculer Mde
laDuchefle de Beauvilliers , qui avoit été préparée
à cette opération par M. de Bordeu ſon médecin.
L'infertion fut faite aux deux bras par la ſimple
piquure;méthode que j'ai déjà pratiquée à Paris
Iurplus de cent ſujets , avec un ſuccès conſtant.
Tous les accidens de la petite vérole parurent à
l'ordinaire ; mais l'éruption ne procura que trois
puſtules dans l'endroit même de l'inſertion qui ,
jointes à l'odeur varioleuſe qui ſe fit fortement
ſentir pendant pluſieursjours , ne permettoit pas
aux gens de l'art de douter de la réalité de la petite
vérole. Mais ſa bénignité la fit regarder de
Mde la Ducheſle&de ſa famille , comme une maladie
inutile , qui ne la préſerveroit point de la
petite vérole naturelle ; & , malgré la confiance
que le ſavoir&les ſuccès avoient fait mériter à
M. deBordeu dans cette famille , ſon témoignage
ne fit qquue diminuer les craintes&la prévention.
Il faut , Monfieur , s'être trouvé dans des circonſtances
auffi critiques pour ſerepréſenter Il''embarras
pénible d'un inoculateur qui s'intéreſſe vivementà
la tranquillité & au ſalut de ſes malades,
&qui croit voir dans les paroles , les geſtes , le
maintien& le regard de ceux qui les environnent,
des reproches d'un mal qu'il regarde lui - même
commeunbienfait de la nature.
Le rapport exact & fidèle d'une infinité d'exemples
ſemblables , ne faiſant que peu d'effet pour
La perfuafion , non-ſeulement je réſolus de réinoculerMdedeBeauvilliers
, mais je propoſai encoxed'inoculer
un autre ſujet avec de la matière ti-
τές
OCTOBRE. 1770 . 193
rée de les boutons qu'on ne vouloit point regarder
comme varioleux . Ma propoſition ayant été
acceptée , le 25 Février j'inoculai avec le pusune
petitefille de la campagne , âgée de huit ans , par
Ja fimple piquure. Dès le troiſième jour , les premières
marques de l'inſertion parurent aux deux
bras , tous les autres accidens fuivirent de près ,
&plus de cent boutons répandus tant fur les bräs
que ſur le reſte du corps , ne permettoit pas même
à ceux qui auroient été les moins clairvoyans
de douter de l'existence de la petite vérole. Dans
lemême tems j'inoculai Mde la Duchefle pour la
ſeconde fois , avec de la nouvelle matière priſe
d'une petite vérole naturelle , ſans qu'elle ait refſenti
le nioindre effet de cette opération .
Mde la Duchelle voyoit à chaque inſtant la petite
inoculée , qui habita toujours dans la même
maifon , la touchoit ſouvent dans le plus fortde
l'éruption , & reſpiroit le même air ; mais ce fut
en vain ; elle avoit payé le tribut à la nature & à
l'art , elle n'étoit plus ſuſceptible de contagion .
1
Cette nouvelle inſertion , & la petite inoculée
à qui Mde la Duchefle avoit donné la petite vérole
, lui auroient procuré un nouveau levain , s'il
eût été vrai que le premier n'eût fait qu'impasfai- .
tement fon opération. En effet cette petite fille
étant retournée chez ſa mere , avant que les croûtes
de les bras fuſſent entierement détachées , elle
communiqua naturellement la petite vérole à ſes
freres & foeurs qui l'eurent confluente.
Tous ces faits font atteſtés par les illuftres parens
de Mde la Ducheſſe & autres perſonnes de
qualité qui l'ont viſitée & qui ont aſſiſté aux inoculations
, & par des gens de l'art qui ont obfervé
, comme moi , la marche de la maladie. Je me
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
crois donc en droit de conclure que la variété
qu'on obſerve dans la petite vérole naturelle ou
inoculée , dépend moins de la nature ou de l'intenſité
du virus , que du tempérament ou de la
diſpoſition particulière des ſujets, ainſi que du traitement
de la maladie : en ſecond lieu , que l'éruption
ſoit légère on conſidérable , qu'il n'y ait
qu'un ſeul bouton ou qu'il y en ait cent mille , la
maladie eſt la même de ſa nature ; & par conféquent
cette obſervation est très propre a raflurer
ceux quin'ont eu ou qui n'auront à l'avenir qu'une
très- petite quantité de boutons , par la petite vérole
naturelle ou inoculée.
J'ai l'honneur , &c.
JAUBERTHON.
Il eſt bon de faire obſerver que Mde la Ducheſſe
& la petite fille inoculée ont été aflujetties pendant
le traitement , au régime ordinaire , mais
plus végétal qu'animal. Elles n'ont point ceflé
d'être expoſées au grand air & de ſe promener
tous les jours dans les jardins ou en pleine campagne
, malgré la rigueur de la ſaiſon: c'eſt àce
régime ſi peumeſuré en apparence , & que le préjugé
a rendu ſi redoutable , que la petite vérole
inoculéedoit principalement labénignité.
OCTOBRÉ. 1770. 195
ACTES de générosité & de bienfaisance.
さI.
UN enfant de douze ans , fils d'un militaire
, l'ami & le bienfaiteur des foldats
de ſa compagnie & des malheureux
qu'il peut fecourir , vient de donner un
trait de bonté & de générosité digne d'être
conſervé . Le pere de cet enfant avoit
cautionné pourun emploi un homme qui,
s'y étant mal comporté , fut renvoyé en
laiſfant dans ſa recette un vuide de deux
mille écus que ſa caution a été obligée de
payer. La choſe étoit reſtée inconnue à
ſa famille & à ſes amis , lorſqu'un jour
cet homme vint ſe préſenter dans la maifonde
ſon protecteur . Madame , épouſe
de l'officier , mere de l'enfant , fit à ce
jeune homme une leçon ſur ſon inconduire
cette juſte remontrance l'affe-
Eta beaucoup , & l'enfant , témoin de
fonchagrin , crut le conſoler & contenter
ſa mere en s'écriant par un ſentiment
d'humanité : » Maman , vous m'avez dit
>> qu'une parente m'avoit laiſſé , l'année
>> dernière , un legs de quatre mille li-
>> vres; cette fomme peut remplacer en
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
>>partie celle que cet infortuné doit a
mon papa ; rendez lui vos bontés ; il
>> feroit tropa plaindre de les perdre ſans
>>retour . » Ce cri d'un coeur bienfaifant
dans un âge ſi foible , tira des larmes de
joie & de tendreſſe des père & mere &
de l'aſſemblée.
II.
Claude Péchon , agé de 58 ans , pere
de huit enfans , pauvre vigneron du vil.
lage de Mombré - lez- Reims , reçut chez
Jui le 10 Mars de cette année un beaufrère
infirme & à charge à ſa famille
qu'il s'étoit engagé de nourrir & loger le
refte de ſa vie moyennant une donation
d'un bien modique évalué 400 livres. Le
penſionnaire tombe malade le lendemain
11 , meurt le 12 , eſt enterré le 13. Après
l'office célébré , on ſe rend à la cabanne
du défunt ; alors Claude Péchon remet
les titres du bien qui lui avoit été donné
, &, malgré les remontrances du Curé
& du Notaire , il remet la donation , difant
que pour deuxjours qu'il a gardéſon
penfionnaire,il ne veut pas avoir , aupréjudice
desesparens la conscience chargéed'un
bien acquis à fibon marché.
Ephémérides du Citoyen.
OCTOBRE. 1770. 197
ANECDOTES.
I.
On dit que la le Couvreur rioit avecle
parterre des pieces qui prenoient mal , &
contribuoit à leur chûte au lieu de les
foutenir ; elle faifoit ſa cour au parterre
aux dépens des fauteurs. Par ce manege ,
preſque toutes les pieces nouvelles où
elle jouoit tomboient , malgré ſes talens.
I I.
• L'Epreuve réciproque. Comme cette
piece eſt fort courte ; au ſortir de la premiere
repréſentation Lamotte qui trouva
Alainà qui on l'attribuoit , lui ditdans les
foyers : M. Alain , vous n'avez pas affez
alongé la courroie. Alain étoit ſellier.
III.
Le feu princede Galles étoit allé voirun
jour les curiofités que l'on conſerve dans la
tour de Londres ; il étoit accompagné de
pluſieursjeunes ſeigneurs;le vieux concier
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
ge le conduiſoit , lui montroit les curiofités
& les lui expliquoit. Il lui fit voir
entre autres choſes un pectoral d'un ſacri
ficateur dont la partie inférieure avoit été
emportée par un boulet de canon. » Le
» même boulet , ajouta le concierge , fra-
>>caſſa le ventre de celui qui portoit ce
>> pectoral , &lui mit les entrailles en
>> mille pieces. Un habile chirurgien en
>>prit ſoin , le guérit ; il vêcut encore dix
>> ans après cet accident. >> La compagnie
fourit de la gravité avec laquelle le
concierge racontoit cette fottiſe , & le
prince ſe tournant vers lui , dit avec beaucoup
de bonhomie : » Je me souviens
>> d'avoir lu autrefois une hiſtoire à- peu-
>> près telle que la vôtre. Un foldat ,
>> dans une mêlée , reçut un coup de ſa-
>> bre ſur la tête qui la lui fendit juſqu'au
>> col en deux parties égales , de maniere
>> qu'un côté tomba ſur l'épaule droite &
>> l'autre fur l'épaule gauche. Un de fes
>> camarades, étendantles mains, releva les
>> deux pieces de la tête , les rejoignit &
>> pour les faire tenir il les lia enſemble
> avec ſon mouchoir; le bleſſe ſe trouva
>>parfaitement bien ; il but ſa pinte de
>>biere le même jour, &le lendemain on
>> ne vit aucune trace de ſa bleſſure . »
Tous ceux qui entendirent le Prince écla
OCTOBRE. 1770. 199
terent de rire , le concierge s'apperçut
qu'on ſe moquoitde lui ,& fe garda bien
depuis ce tempsde répéter ſon hiſtoire.
FÊTE donnée par les Mousquetaires.
LES
És Mouſquetaires de la ſeconde Compagnie
n'ayant pu , à cauſe des exercices qui ont précédé
leur revue , donner plutôt des marques publiques
de la joie dont le mariage de Monfeigneur
le Dauphin les avoit pénétrés , l'ont fait
éclater à Noyon où ils étoient en quartier pendant
le voyage du Roi à Compiegne.
Le Dimaiclie 27 Août , jour qu'ils avoient
choiſi pour donné une fête à l'occaſion de cet
beureux événement , les principaux habitans
de la Ville , la Noblefie des environs & les Officiers
des garaiſons voisines qui avoient été invités
, ſe ſont rendus à l'Hôtel de Ville , que l'on
avoit , pour cette fête , diſpoſée dans le goût
d'un Wauxhall : la façade en étoit illuminée ,
une grande & belle galerie , deſtinée à fervir de
fallede bal , étoit décorée en forme de tonne de
verdure , & diftribuée en portiques de treillages
peints en verd , couleur de rofe & argent. Chacun
de ces portiques , dont les points de vue offroient
alternativement une perſpective en colonnade
, un payſage ou une caſcade peints au naturel
, étoient ornés dans leurs ceintres d'une couronne
de fleurs ovale , en forme de médaillon ,
ſuſpendue & foutenue par des draperies , imitant
le taffetas chiné , blanc , incarnat & cou
liv
200 MERCURE DE FRANCE.
leur de roſe , bouillonné & noué de noeuds de
gaze d'argent : l'arrête des treillages , ainſi que
les voûtes , étoient garnies de guirlandes de verdure
, mêlée de fleurs , & émaillée de noeuds de
toutes couleurs , mêlées d'argent. Les guirlandes,
dans chaque travée , formoient un pavillon : du
milieu de chaque pavillon pendoit un lustre , qui
répondoit à des bras en fleurs d'émail , chargés
de bougies , placés ſur les pilaſtres du treillage.
Dans une ſalle qui ſuivoit , on avoit dreſſé une
table en fer à cheval , ſervie en ambigu. Une
autre ſalle étoit deſtinée pour le jeu & les rafraîchiflemens.
Cette fête , qui a duré toute la nuit,
a été terminée par une diſtribution conſidérable
de pain aux pauvres de la Ville.
La décoration de cette fête eſt entièrement due
au goût & aux talens finguliers de M. le Chevalier
de Lirou , Mouſquetaire de la Compagnie.
Les Mouſquetaires Noirs , qui ont , dans cette
occafion , aſſocié les Habitans de Noyon à leurs
plaifirs , ont partagé leurs peines dans une autre
circonstance. Un incendie a confumé pluſieurs
maiſons pendant leur ſéjour ; leurs foins & leur
exemple ont beaucoup contribué à arrêter les
progrès des flammes .
'ARRÊTS , LETTRES - PATENTES , &c.
I.
LE Roi a accordé un brevet de Conſeiller d'Etat
à M. de la Martiniere , ſon premier Chirurgien
en faveur duquel Sa Majesté a donné auſſi
OCTOBRE. 1770. 201
,
une Déclaration enregiſirée au Parlement le 6
de ce mois par laquelle il eſt ordonné qu'à
l'avenir le premier Chirurgien du Roi prêtera ferment
immédiatement entre les mains de Sa Majeſté
, & qu'il recevía celui des Chirurgiens
ordinaires & de quartier , & de la Famille Royale.
Cette même Déclaration ordonne qu'aucun
fujet ne pourra être nommé à l'avenir aux charges
de Chirurgien de la Cour , fans avoir été
reçu à la Maîtriſe en la Chirurgie , dans quel
qu'une des principales Villes du Royaume , &
fansrapporter un certificat de ſa ſuffiſance &de
ſa capacité , ſigné du premier Chirurgien du
Roi.
:
ΙΙ.
9
,
Lettres-Patentes du Roi , données à Marly au
mois de Juillet dernier , & entegiſtrées au Parle
ment le 6 du mois ſuivant , par leſquelles le Roi
déclare les Citoyens & Habitans des Villes Impé
riales de Ratisbonne , Cologne , Augsbourg
Nuremberg , Worms , Ulm , Spire , Eflingen ,
Noerdlingen , Hall en Suabe , Nordhauten ,
Rotweil , Dortmand , Uberlingen , Fridberg ,
Fleilibroun , Welzlar , Memmingen , Lindau
Dunckeilſpiel , Offenbourg & Gengenbach
exempts. du droit d'aubaine dans toute l'étendue
de ſon Royaume , Sa Majesté voulant qu'ils y
foient favorablement traités pour leurs perfonnes
& commerce , à condition que fes Sujets
jouiront dans leſdites Villes des mêmes exemptions
du droit d'aubaine , & y feront auſſi favorablement
traités que les Sujets d'aucune au
tre Nation étrangère,
,
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
LUNDI
AVIS.
I.
Place au concours.
UNDI IS Octobre à trois heures préciſes de l'ai
prèsmidi il ſera ouvert chez M. Bachelier auxTuileries
, cour des Princes , en préſence de pluſieurs
membres des académies royales,un concours pour
la nomination d'une place d'adjoint à profefleur
de mathématiques & d'architecture dans l'école
royale de deffin . On n'y admettra que ceux qui
ſe ſeront fait infcrire huit jours auparavant chez
M. Bachelier.
I I.
Coursde Grammaire allemande .
M. Junker , de l'académie royale de Goettin
gue, auteur desNouveaux Principes de la langue
Allemande, à l'usage de MM. les Eleves de l'EcoleRoyale
Militaire , recommencera ſon cours
deGrammaire Allemande , le 14 Novembre prochain
,& le finira vers le milieudu mois de Mai
1771. Il fuivra l'Abrégé de ſes principes , qui ſe
vend 3 livres relié chez M. Muſier , fils , libraire
quai des Auguſtins , &qu'on trouve auffi chez
l'auteur. Les leçons ſe donneront trois fois par ſemaine
, le lundi , mercredi & vendredi depuis
neuf heures du matin juſqu'à dix heures &demic.
OCTOBRE. 1770 . 203
Ceux qui aſſiſteront à ce cours avec l'application
néceſſaire , peuvent comprer qu'ils y profiteront
aſſez pour pouvoir continuer l'étude de la
langue Allemande ſans le ſecours d'un maître ; au
reſte ils auront la facilité , s'ils lejugent à propos ,
defaire un autre cours pratique , qui ſera de fix
mois auſſi , & que M. Junker ouvrira à la fin du
premier , en faveur de ceux qui voudront ſe perfectionner
dans cette partie..
Le prix de ce cours eſt de trente- fix livres .
M. Junker donne auſſi des leçons particulières
pour le droit naturel & des Gens , la géographie ,
I'hiſtoire & le droit public d'Allemagne.
Il demeure rue Saint Dominique d'Enfer , la
porte cochere vis-à-vis le charron , chez M. Jarinthe
, Chirurgien.
ΙΙΙ .
Nouveau Scaphandre.
Ilfaut avouer que M. l'Abbé de la Chapelle a
porté le nouveau ſcaphandre à un point de perfection
admirable. Un particulier de Huningue
peu inſtruit dans l'art de nager , mais zélé pour
les découvertes utiles , a eſſayé le mois dernier
dans le rhin , un de ces inſtrumens que M. l'Abbé
laChapelle a fait conſtruire ſur les principes , &
qu'il a cu la bonté d'envoyer , dès le deuxiéme
Mai . La perſonne enhardie ne s'eſt fait qu'un jeu
de pafler & repaſſer le Rhin dans les endroits
les plus larges & les plus profonds , d'en parcou
rir, en deſcendant, un eſpace conſidérable , marchant
dans l'eau debout à la manière des firènes,
comme ſi elle eût été portée par enchantement.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Rien n'eſt plus agréable , Monfieur , que ce ſpectacle
; ni plus utile que le fruit que l'on peur
retirer de cette admirable invention , tant pour la
mer , que pout bien des circonstances de Guerre
où il eſt eflentiel de porter à la hâte un petit corps
de troupes de l'autre côté d'un fleuve où l'on
arrive prêt à combatre ; mais c'eſt à l'auteur à décrire
lui-même , comme il ſe le propoſe , tous
les avantages que l'on doit attendre de ſa décou
verte.
Jai l'honneurd'être , &c.
D'ARTUS , Capitaine au Corps
du Génie à.Huningue.
I V.
Remède contre les maux de dents.
,
Le Sicur DAVID , demeurant à Paris rue
des orties , butre S. Roch , au petit hôtel Nothe
-Dame , à main droite en entrant par la rue
Ste Anne , vis -à - vis d'un perruquier , continue
de débiter un remède infaillible pour guérir toutes
fortes de maux de dents , quelque gatées qu'elles
foient, fans qu'on ſoit obligé de les faire arracher.
Ce remède , approuvé par Meffieurs les Doyens
de la Faculté de Médecine & autorité par M. le
Lieutenant-Général de Police , & dont les ſuccès
ont été annoncés dans tous les Journaux &
papiers publics depuis huit ans , confifte en un
topique que l'on applique le ſoir en ſe couchant
fur l'artere temporale , du côté de la douleur :
il la guérit ainſi que les fluxions qui en pre
OCTOBRE. 1770. 205
viennent , les maux de tête , migraines & rhumes
de cerveau : auffitôt qu'il eſt appliqué ik
procure un ſommeil paiſible , pendant lequel il
ſe fait une tranſpiration douce : le matin ce topique
tombe de lui-même , ſans laifler aucune
marque, ni caufer dommage à la peau , & on eft
guéri fans retour.
Mais , ce remède n'opérant la guériſon que
lors qu'on eſt couché & le mal de dents prenant
dans tous les momens du jour , ce qui empêcheroit
de vaquer à ſes affaires , le ſieur David vend
une eau ſpiritueuſe incorruptible d'une nouvelle
compofition , très-agréable au goût & à l'odorat
, dont les vertus ſont de faire ceſler dans la
minute les douleurs de dents les plus violentes.
Elle purifieles gencives gonflées , fait tranfpirer
les ferofités , raffermit les dents , prévient &
détruit la carie& les affections (corbutiques , dilfipe
la mauvaiſe odeur causée par les dents gâ
tées , fait tomber le tartre & leur conferve la
blancheur, ſi l'on en fait ulage deux ou trois fois
la temaine. Meſſieurs les marins en portent ordinairement
par précaution, ainſi que des topiques,
lorſqu'ils vont s'embarquer.
Le prix des bouteilles eſt de 3 & de 6 liv . , &
celui des topiques 11.4 f. chaque: il donne un
imprimé quiindique la manière d'employer l'un
& l'autre . On le trouve chez lui tous les jours
juſqu'à dix heures du foir.
Les perſonnes de Paris ſont priées d'apporter
pour les topiques un morceau de linge fin , blanc
deleffive.
208 MERCURE DE FRANCE.
Cematin, Cara Ofman Oglou ,riche Turc, qui
ades terres conſidérables dans les environs & qui
a été de tout tems l'ami des François , eſt entré
engrande pompe dans cette ville , accompagné
de mille hommes d'infanterie & de mille de cavalerie.
Il a été ſalué de l'artillerie du château ; tous
les grands du pays ont été au- devant de lui , excepté
le cadi & les deux douaniers , dont les intentions
font fort fuſpectes. Les drogmans des
différens confulats ſe ſont préſentés chez lui aujourd'hui
; il les a reçus avec beaucoup de diſtinction&
les a chargés d'aſſurer leurs confuls refpectifs
, que ſa préſence devoit diſſiper toutes leurs
craintes & que Smyrne alloit jouir d'une grande
tranquillité.
4 Il y a eu environ fix cens Grecs & trois Francs
qui ont péri dans le maſſacre du 8. Preſque tous
les Francs s'étoient réfugiés dans les navires ; le
reſte s'étoit barricadé dans les maiſons. Quelques
Janiſſaires font venusàbout de contenir , ſeuls
une populace furieuſe , & ont prévenu de plus
grands malheurs.
De Francfort , le 1 Septembre 17701
On écrit de Vienne que toutes les troupes Autri
chiennes qui ſe trouvoient dans la Tranſilvanie ,
font en mouvement. On ajoute que , ſuivant des
lettres qu'on y a reçues des frontières , les Tartares
quiont été défaits dans l'action du 8 Juillet dernier
, n'étoient qu'au nombre de huit mille , &
qu'un corps de cavalerie Turque , avoit furpris
enfuite , à peu de diſtance de Bender , un détachement
de cavalerie de huit mille Rufles qui , à leur
tour, avoient été entièrement défaits . Les mêmes
avis annoncent que le courage des Confédérés le
ranime de plus en plus en Pologne ; qu'ils font
journellement aux mains avec les Ruffes ; qu'ils
2
:
CTOBRE. 1770 . 209
ont défait le corps que commandoit le colonel
Nowieski , & que ce colonel a été fait prifonnier.
De Rome , les Septembre 1770.
Samedi dernier , on exécuta fur la place deNotre-
Dame del Popolo deux aſlaſſins , dont l'un fut
pendu & l'autre atlommé , égorgé & coupé enfuite
par quartiers . L'abbé Merli , bénéficier de la
paroifle de St Eustache , qui exhortoit le dernier ,
s'étant jeté trop en arrière au moment où le bourreau
déchargeoit ſon coup de maflue , tomba de
l'échaffaud fur le pavé & fe bleffa dangereuſement
àla tête. Le peuple jeta des cris perçans & le
bourreau , qui ne s'étoit pas apperçu de cette chûte
&qui croyoit que c'étoit à lui qu'on en vouloit ,
prit auſſi- tôt la fuite. Les sbirres , de leur côté ,
voulant appaiſer le tumulte , l'augmenterent par
les coups de bourrade qu'ils donnoient au peuple;
on dit même qu'un cheval échappé & deux chevaux
qui prirent le mords aux dents , mirent le
comble à ce défordre qui cependant n'eut pas de
fuites funeſtes , &dans lequel pluſieurs perſonnes
perdirent ſeulement quelques effets & curent une
partie de leurs vêtemens déchirés .
De Civita - Vecchia , le 1 ' Septembre 1770.
Ilya très longtems qu'on n'a vu ici une récolte
degrains auſſi abondante que celle de cette année.
De Venise , le 18 Août 1770.
On apprend par des lettres particulières , que
les Turcs ont fortifié les deux châteaux des Dardanelles
, & ont conſtruit pluſieurs redoutes le
long des bords du canal ; que les Rufles , après le
combat dus Juillet , ayant voulu forcer le paſſa-,
ge& entrer dans le détroit , ont étéfort maltraités
par l'artilleriede ces forts .
210 MERCURE DE FRANCE.
De Londres , le 17 Septembre 1770 .
Il ſe tint , le 12 de ce mois , à Saint-James , en
préſence du Roi , un grand confeil , auquel la plupart
des miniſtres aſiſtèrent & qui eut pour objet
les affaires de la marine & pluſieurs dépêches reque
, le 11 , de différentes cours étrangères. On
aflure que Sa Majeſté a invité le lord Chatam à affiſter
à tous les conſeils qui ſe tiendront à la cour
fur les affaires générales.
Avant-hier , il arriva de la Caroline méridionale
une malle qui a apporté pluſieurs lettres ,dont
quelques-unes annoncent une prochaine rupture
entre les Sauvages qui habitent l'ouest de cette
colonie. On a appris , par la même voie qu'un
vaiſſeau Eſpagnol , de ſoixante quatorze canons ,
for leſquels étoient embarqués le général O- Reilly
& pluſieurs autres officiers Eſpagnols , & qui
avoit à bord une ſomme confidérable d'argent ,
avoit échoué près du cap Floride. Le général , les
autres officiers & l'équipage ſe ſont ſauvés àCuba
dans leur chaloupe , fur laquelle ils avoient recueilli
l'argent ; mais le vaiſſeau a été entierement
perdu . Ce bâtiment étoit parti de la Havane au
commencement de Juin dernier pour repaſſer en
France.
De Compiegne, le 29 Août 1770 .
Le Roi vient d'accorder à l'Evêque - Comte de
Noyonles entrées de fa chambre.
De Versailles , le 15 Septembre 1770 .
Le Roi a donné l'abbaye de Montier- Rancey ,
ordre de S. Benoît , dioceſe de Troyes , à l'Evêque
de Tulle; celle de Chaume , même ordre ,
diocèſe de Sens , à l'Abbé Collet , confeffeur de
feu Monſeigneur le Dauphin : celle de Fontaine-
Blanche , ordre de Citeaux , diocèſe de Tours ,
OCTOBRE. 1770. 211
à l'abbé de Çaulaincourt , aumonier du Roi , vicaire-
général du diocèle de Rheims : celle de S.
Guilhem-du Deſert , ordre de S. Benoît , diocèle
de Lodeve , à l'abbé de Bayanne , vicairegénéral
du diocèſe deCoutances : celle d'Angles , ordrede
Saint Auguſtin , diocèſe de Luçon , à l'abbé
de Sinety , vicaire général du diocèſe de Noyon :
celle de Sauve , ordre de Saint Benoît , diocèle
d'Alais , à l'abbé de Villevielle , vicairegénéral
du diocèſe d'Alby: celle de la Boiſſière , ordre de
Citeaux , diocèse d'Angers , à l'abbé de Saluces ,
vicaire général du diocèle de Meaux : celle de S.
Sauveur de Lodeve , ordre de Saint Benoît , diocèſe
de Lodeve , à l'abbé de Leyſſin , vicaire général
du diocèle d'Embrun: celle des Iſles -d'Auxerre
, ordre de Citeaux , diocèſe d'Auxerre , à
la dame de Bufferan, religieuſe de l'abbaye de
Chabons en Dauphiné , & le prieuré perpétuelde
Notre-Dame de Montons , ordre de Saint Benoît,
Diocèse d'Avranches , à la dame de Coetlogon ,
religieuſe Bénédictine à Coutances.
LeNonce du Pape a été chargé par Sa Sainteté
de faire , en fon nom , & en qualité de ſon Rea
préſentant, la cérémonie de la priſe d'habit de
Madame Louiſe de France au Monastère des Carmelites
de S. Dênis ; en conféquenc: ce Miniftre
cut , le 9 de Septembre , une audience du Roi , à
qui il remit le Brefdu Saint Père à ee ſujet. Ayant
obtenu l'agrément de Sa Majesté , il ſe tranſporta
le lendemain , engrande cérémonie , au Couvent
des Carmelites ; Madame la Dauphine , qui devoit
donner le voile à Madame Louiſe , y arriva
àtrois heures après midi : il y eut un Sermon
prononcé par l'ancien Evêque de Troyes ; après
quoi le Nonce fit la cérémonie , à laquelle aſſiſtèrent
vingt-quatre Archevêques & Evêques . Tout
ſe paſſa avec l'ordre & la décence convenables,
MERCURE DE FRANCE.
é le peu d'eſpace qu'il y avoit dans l'EMe
pour contenir la multitude des perſonnes de
cout rang , qui s'étoient rendues à Saint Denis
pour cet objet. Les Muſiciens du Roi exécutèrent
de la muſique en faux-bourdon , ſous la conduite
du ſieur Mathieu , Maître de Muſique de la
Chapelle de Sa Majefté.
Du 19 Septembre.
Madame s'eſt rendue le 16 de ce mois au Monaſtère
des Carmelites , à Saint Denis , & y a
donné le voileà la demoiſelle de Beaujeu . L'Evê
que de Senlis , premier aumonier du Roi , a officiépontificalement
à cette cérémonie.
Madame Adélaïde a préſenté le mêmejour au
Roi la Marquiſe de Laval , en qualité de dame
pour accompagner cette Princefle
Le Comte d'Aché lieutenant-général des armées
navales , & grand- croix de l'ordre royal & militaire
de S. Louis a eu l'honneurde prêter ſerment
entre les mainsde Sa Majesté , en qualité de vice-
Amiral des mers du Ponent .
La marquiſe d'Havrincourt & la marquiſe de
Choiſeul ont eu l'honneur d'être préſentées au
Roi & à la FamilleRoyale par les marquiſes d'Havrincourt
& de Choiſeul leurs belles - meres .
De Paris , le 31 Août 1770.
L'abbé de Cicé , nommé par le Roi à l'évêché
de Rhodes , & l'abbé de Guernes , nomné à l'évêché
d'Aléria furent ſacrés le 27 de ce mois dans
l'Egliſe des Grands- Augustins par l'Archevêque
Duc de Reims aſſiſté de l'Evêque d'Auxerre& de
l'Evêque d'Autun.
NAISSANCES.
De la Haye , le 23 Août 1770.
La Princefle , épouſe du Prince Héréditaire de
Brunswich , eft accouchée heureuſement d'un
OCTOBRE. 1770 . 2.13
Prince, le 18 de ce mois , à cinq heures après
midi.
La Ducheſle d'Altemps, née Corſini , accoucha,
le 19 , d'une fille , qui fut baptiſée le lendemain.
Elle eut pour Parrain le Prince Bartholomée
Corfini , & fut nommée Marie- Angélique.
DePétersbourg , le 27 Août 1770.
L'Impératrice a reçu du Roi de Prufſe une
lettre , par laquelle Sa Majesté Prufſienne lui
certifie la naiſlance du Prince , dont la Princeſſe
Héréditaire de Pruſſe vient d'accoucher , & la
prie en même tems d'en être la Marraine.
MORTS.
Charles-Philippe de Vallois , Marquisde Murſay
, Baron d'Autricourt , de Mauzé & de Craon,
Seigneur de Turgis , la Loge , Pomblain , Nınville
, Damphale & Lecourt , eſt mort dans ſon
Château d'Autricourt en Bourgogne , le 28 Août
1770 , âgé de 67 ans. Il étoit fils du feu Comte
deMurſay , Lieutenant-Général des Armées du
Roi , Inſpecteur Général de la Cavalerie , mort
àTurin de ſes bleſſures , petit-fils du Marquis de
Villette , Lieutenant Général des Armées Navalles.
t
Il avoit épousé en 1746 Jeanne - Suzanne de
Paris , petite-ničce de M. de Paris , Grand Prieur
deFrance en 116656. De ce mariage , il ne refte
plus qu'une fille , qui eſt Angélique-Madelaine de
Vallois de Murſay.
Antoine-Marie Berard-de-Montalet-de-Ville
breuil, ancien Abbé Commendataire de l'Abbaye
Royale deMoutier- la-Celle , Ordrede S. Benoît ,
Congrégation de S. Vannes , Diocèſede Troyes ,
&, en cette qualité , Doyen des Abbés Commen
dataires de France , eſt mortàParis le 6Septem
214 MERCURE DE FRANCE.
bre , dans la quatre- vingt quatorzième année de
fon âge.
Dame Anne-Marie de Briqueville , épouse de
Jacques Gabriel Bazin , Marquis de Bezons & de
Mailons , Lieutenant Général des Armées du Roi,
eſt décédéeà Paris le 4 du mois de Septembre, âgée
de trente-cing ans .
Elle laiſſe deux enfans ; ſavoir , Jacques Gabriel-
Alexandre Bazin de Bezons , Officier dans le
Corps Royal d'Artillerie ,
EtArmande- Marie-Gabrielle Bazin de Befons .
Leon de Charry des Gouttes , Chevalier , Profes
de l'Ordre de S. Jean de Jérusalem , ancien
Capitaine des Vaiſſeaux du Roi , Commandeur de
la Commanderie de Sainte Anne , eſt mort à
Moulins , au mois de Septembre , dans la cinquante-
deuxième année de fon âge.
Marie-Louife-Auguftine de Laval-Montmorency
, épouse d'Antoine-Louis Crozat , Baron de
Thiers, Brigadier des Armées du Roi , Lieutenant-
Général & Commandant pour Sa Majesté dans la
Province de Champagne , eſt morte aux eaux
dc Barege , le 23 Août ; fon corps a été tranfporté
à Tarbes , & a été inhumé dans l'Egliſe Cathédrale
de cette Ville .
Louis Billouard de Kerlerec, Chevalier de l'Ordre
Royal & Militaire de S. Louis , Brigadier des
Armées du Roi , ancien Gouverneur de la Louifiane
, eſt mort à Paris le 9 de Septembre , âgé
d'environ ſoixante- fix ans.
१
LOTERIES.
Le cent ſeizième tirage de la lorerie de l'hôtel de ville
dest fait le 23 de Septembre en la maniere accoutumée. Le
lotde cinquante mille livres eſt échu an N° . 76363 ; celui
OCTOBRE. 1770 . 215
devingtmille livres auNo. 64943 , & les deux de dix milie
aux numéros 61179 & 70941 .
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire s'eſt fait
le 5 du même mois. Les numéros fortis de la roue de fortune
font 8 , 9 , 1 , 30 , 3 .
FAUTES à corriger dans le Mercure
de Septembre.
PAC. AG. 29 , lig. 2 , conquête , lifez coquette.
210, 18 , de mieux , lifez de curieux.
NB. Les boîtes de cire pour la peinture de M. le Baron
de Taubenheim oot été annoncées mal à propos dans le
Journal Encyclopédique du 15 Juillet 1770 , page 312 ,
10 liv au lieu de 24.
P
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers& en proſe , page
Epître à Mde la Comteſſe de **** , ſur l'éducation
de fon Fils ,
Le Joli , à Mademoiselle A *** ,
Tant pis pour elle , plus hiſtoire que conte ,
Invocation aux Muſes ,
La métamorphoſe de l'Amour , ſtances ,
La Saignée , proverbe dramatique ,
Epître à M. de la Galaiziere ,
Maximes fur l'éducation , par M. de Solignac ,
A M. D. S.
Vers aux Demoiſelles, quêtant le Jeudi Saint ,
Amon Oncle , le jour de fa Fête ,
Les dangers de l'inexpérience , conre moral ,
Explication des énigmes & des logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES,
Effai ſur l'hiſtoire générale de Picardie ,
Traité des bêtes à laine ,
S
ibid.
18
19
27
30
31
53
56
57
7
d
58
رو
60
So
ibid.
84
87
ibid.
97
216 MERCURE DE FRANCE.
Les Jours pour ſervir de ſupplément aux Nuits
d'Young,
Dictionnaire portatif de commerce ,
Effais fur la Religion Chrétienne ,
Manuel des Pulmoniques ,
Traité de la goutte & du rhumatiſme ,
Sélicourt nouvelle , par M. d'Arnaud ,
Méditations ſur les toinbeaux , trad. de l'anglois ,
Lettres fur les lois civiles ,
ACADEMIES,
A M. Dupaty , ſur l'éloge de Montagne ,
SPECTACLES. Concert ſpirituel ,
Opéra ,
Comédie françoiſe ,
Comédie italienne ,
ARTS, Muſique ,
Architecture,
Peinture ,
Gravure ,
Lettre à l'Auteur du Mercure de France ,
Epreuvedes horloges marines de M. Berthoud ,
Lettre fur l'inoculation, par M. Jauberthon ,
Actes de générofité & de bienfaiſance.
Anecdotes ,
Fête donnée par les Mouſquetaires ,
Lettres-patentes , Arrêts , &c .
Avis ,
Nouvelles politiques ,
Naiſlances,
Morts ,
Loteries ,
IOI
105
106
107
108
110
116
121
139
152
154
155
162
164
170
171
172
174
179
183
191
• 195
197
199
200
202
206
212
213
214
JAI
APPROBATION.
lu , par ordrede Mgr le Chancelier , le premiervol:
du Mercure d'Octobre 1770 , & je n'y ai rien trouvé qui
m'ait parudevoir en empêcher l'impreſſion.
AParis , le 29 Septembre 1770 .
RÉMOND DE STE ALBINE ..
De l'Imp . de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
OCTOBRE. 1770 .
SECOND VOLUME.
Mobilitate viget . VIRGILE.
100172V/
DOCY
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'EST au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriſtine , que l'on prie d'adreſſer , francs de port,
les paquets & lettres , ainſi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de proſe , la muſique,
les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auſſi de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres& de ceux quiles
cultivent , ils font invités à concourir à ſa perfection
; on recevra avec reconnoiſſance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenſes ſur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv.
que l'on paierad'avance pour ſeize volumes rendus
francs de port .
L'abonnement pour la province eſtde 32 livres
pareillement pour ſeize volumes rendus francs de
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ceux qui n'ont pas ſouſcrit,au lieu de 30 fols pour
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Mémoire fur la conſtruction de la Coupole
projetée pour couronner la nouvelleEglife
de Ste Genevieve , in- 4° . 11.101.
Satyres de Juvenal ; par M. Duſaulx ,
in 8°. rel . 71 .
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Nouvelles recréations physiques & mathématiques
, 4 vol . in - 8 " . 241.
'Le Dictionnaire de Jurisprudence canonique ,
in-4°. 4vol. rel. 481 .
Dict. Italien d'Antonini, 2 vol. in - 4°. rel. 301 .
Méditations fur les Tombeaux , 8 br. 11.106.
Mémoire pour les Natifs de Genève, in- 8 ° .
broch. 11. 41.
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE. 1770 .
PIÉCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE
SUITE du Printems . Chant premier du
poëme des Saiſons ; Eſſai d'imitation
libre de Thompson.
Amours des Oiseaux .
MON ſujet m'ouvre une route nouvelle ;
Prends aufli , prends , ô Muſe , un vol nouveau :
De ces boſquets la muſique t'appelle ;
Viens y mêler le ſon de ton pipeau .
Vous , Roſſignols , que votre voix touchante
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Fafle éclater ſes ſublimes accens !
Prêtez-les moi : leur grace ſéduiſante
Demille attraits embellira mes chants.
L'amour renaît : cette ame univerſelle
Prend ſon effor , pénètre , échauffe l'air ,
Et , diſſipant les langueurs de l'hiver ,
Répand fur tout une vigueur nouvelle :
La troupe ailée , avide de plaiſirs ,
Reffent bientôt l'aurore des defirs ;
Leur feu s'allume ; il donneàfon plumage,
En circulant , de plus vives couleurs :
Un doux eſpoir animant ſon ramage ,
Tout retentit de concerts enchanteurs ,
Et l'harmonie habite le feuillage.
Cette muſique est la voix de l'amour ;
Aces amans il apprend l'art de plaire ,
Etd'obtenir le plus tendre retour.
Chacun dès-lors efſaie à ſa manière
De pratiquer ces charmantes leçons ;
Et , courtiſant l'objet de ſes chanfons ,
Produit au jour ſon ame toute entière.
Ils font dans l'air mille tours différens :
On les voit fuir , ſe rapprocher ſans ceffe,
S'enfuir encor , revenir plus preſlans ,
Pour attirer leur ſenſible maîtreffe ,
Qui paroît fourde à leurs concerts touchans ,
Voulant ainſi redoubler leur tendrefle ;
Mais elle cède à leurs tranſports brûlans ,
OCTOBRE. 1770 . 7
Et va bientôt partager leur ivreſle.
Au fond des bois conduits par leurs deſirs
Ils vont goûter les plus eharmans plaiſirs :
Fidèle aux loix , au voeu de la nature ,
Leur coeur brûlant exhale ces ſoupirs
Qu'excite ſeule une tendreſſe pure.
Mais de l'hymen les gages ſontdonnés :
Le ſoin preſſant d'élever un aſyle
Vient commander ces époux fortunés :
Ont- ils choiſi quelque enceinte tranquille ,
Pour échauffer leur demeure fragile
D'une aile fûre ils raſent les troupeaux ,
Leur dérobant une laine inutile ,
Et qui ſuffit à leurs pieux travaux.
Au moindre bruit inquiette , en alarmes ,
La mère veille à ce dépôt ſacré :
Du doux printems en vain brillent les charmés ;
Afon objet ſon coeur reſte livré.
Son tendre époux , perché ſous le feuillage ,
Gai , fatisfait & d'amour enivré ,
La divertit par ſon joyeux ramage.
Lorſque , par fois cédant à fes beſoins ,
Elle aſſouvit la faim qui la dévore ,
Il la remplace &partage ſes ſoins.
L'inſtant marqué , les petits , nuds encore,
Mais parvenus à leur première aurore ,
Pour s'échapper ont briſé leur lien :
Frêles roſeaux , leur impuiſſance implore
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
De leurs auteurs & l'aide & le ſoutien .
Quels sentimens , quelle vive tendreſſe
Vont s'emparer de ces nouveaux parens !
Comme aux besoins de leurs foibles enfans
Sçaura fournir leur prévoyante adreſſe !
Tel au village un couple vertueux ,
Touché du fort d'une famille entière
Qui gémiſſoit fous des revers affreux ,
Pour foulager ſa profonde misère ,
Court lui porter des ſecours généreux.
De ces époux la vigilante adreſſe
Sçait éloigner les dangers menaçans :
Toujours leur nid , objet de leur tendrefle,
Eſt à l'abri de l'orage & des vents .
Si quelque bruit vient troubler ſon aſyle,
L'oiſeau ruſé ſoudain d'une aile agile
Vole fans bruit ſur un buifion voiſin :
Il fort bientôt , comme plein d'épouvante,
Fuit en criant & trompe ainſi l'attente
Etla fureur de l'écolier malin .
Rafant des champs la furface ondoyante,
Telle Pluvier écarte l'oiſeleur ;
Détour pieux ! fraude pure , innocente ,
Quiledérobe à ſon bras deſtructeur !
Muſe , pleurons ces malheureux eſclaves,
Mis dans les fers par de cruels tyrans :
Déſeſpérés de ces triſtes entraves ,
Leur voix ne rend que de lugubres chants .
OCTOBRE. 1770. 9
Leur éclat fuit ; leurs beautés ſont fannées ;
Leur oeil ſans feu peint leurs fombres douleurs :
Vous , qui d'amour connoiflez les douceurs ,
Ah ! faites grace à ces tendres lignées ,
Et que leur fort attendriſſe vos coeurs !
Gardez -vous bien d'affliger Philomèle ,
En raviſſant les gages de les feux :
Des fombres bois ce chantre harmonieux
Ne peut fouffrir une priſon cruelle.
Quel déſeſpoir pour ces tendres parens !
Quelle douleur les ſaiſit , les accable ,
Lorſqu'une main avide , impitoyable ,
En leur abſence a ravi leurs enfans !
L'oeil abattu , d'une aile languiſſante
Ils vont chercher un aſyle voiſin :
Là , dévorés d'une douleur cuiſante ,
Tout à leurs yeux retrace leur deſtin :
Leur voix s'épuiſe en accens lamentables ;
L'aſpect des bois redouble leurs tourmens :
L'écho , touché de ces fons déplorables ,
Semble répondre à leurs gémiſlemens.
Mais , cependant , paré de ſon plumage,
Chaque petit veut s'affranchir des fers :
Impatiens de meſurer les airs ,
Ils volent tous de branchage en branchage ,
Et font déjà mille circuits divers.
Le poids de l'air à leur aile novice
Av
ro MERCURE DE FRANCE.
Montre à flotter fur ce vaſte élément :
A leurs efforts le feuillage eſt propice ;
Dejour en jour leur vol eſt plus bruyant.
Mais , une fois que la crainte eft bannie ,
Rien ne retient ces volages enfans :
Fiers de ſe voir arbitres de leur vie ,
Ils ontlaiflé pour jamais leurs parens.
Tandis qu'au ſein de l'ombre des bocages ,
Tous les oiſeaux ſe livrent au plaifir ,
Unmonde entier d'animaux plus lauvages
Eprouve aufli l'aiguillon du defir :
LeTaureau fent la paffion brûlante
Avec ardeur circuler dans fon fang;
Il fuit des prés l'herbe fraîche &riante ,
Cherche les bois , ſe roule & bat fon flanc.
Levant aux cieux ſa tête étincelante ,
Le fier courſier , rebelle au châtiment ,
N'obéit plus au mords qui le tourmente.
:
Juſques au fondde l'humide élément
L'amour vainqueur exerce fa puiflance :
L'hôte écaillé de l'humide élément
.. D'un feu fecret reflent l'effervefcence .
Maismon fujet m'emporte trop avant :
Mamuſe qublie en fon égarement
Qu'elle le chante aux beautés de la France:
Leux doux aſpect m'impoſe le filence
Etme ramène au pied de ces côteaux ,
OCTOBRE. 1770. 11
Où , dans la paix , le calme & l'innocence ,
Les bergers font réſonner leurs pipeaux.
Sçavant hardi , ſcrutateur téméraire ,
Parle; quelle eſt cette eſſence première ,
Cefeumoteur & ce ſouffle puiſſant
Qui donne l'être à la nature entière !
C'eſt l'Eternel , qui tira du néant
Le mouvement , la lumière & la vie ,
Qui règle tout par ſon vaſte génie ,
Etfoutient ſeul l'Univers chancelant.
Quoiqu'il ſe cache à l'oeil le plus perçanr ,
L'Auteur divin paroît dans ſes ouvrages :
C'eſt toi , ſur- tout , c'eſt toi , Printems charmant
,
Qui nous découvre un maître bienfaiſant ,
UnMaître enfin digne de nos hommages.
Tandis que l'air , & la terre & les eaux ,
Marquent ſes ſoins , atteſtent ſa clémence,
Il fait agir l'inſtinct des animaux ,
Et de ſes feux il fond leur indolence .
4
Par M. Willemain d'Abancourt.
:
!
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
S1
1
MADRIGAL.
1 ma Zélis n'étoit que belle ,
Pourroit- elle charmer mon coeur ?
Mais elle eſt douce , attrayante , fidèle ,
Et méconnoît ſon pouvoir enchanteur :
Chaque jour je découvre en elle
Mille talens , mille vertus ;
Jecrois , en l'entendant , entendre Philomèle :
Je crois , en la voyant , voir Minerve ou Vénus.
Par le même.
LE CHEVAL & LANE.
Fable imitée de l'allemand.
CeE nn''eefſtt point toutdeprêcherleshumains
Sans l'à propos vos difcours feront vains ;
Lebien faifir eſt unpoint néceflaire.
Un cheval gras , diſpos , &dont ſoir &matin
On renouvelloit la litière ,
Vit un ane abattu , maigre & mourant de faim
Qui ſe plaignoit des rigueurs du deſtin :
Pourquoi donc cette plainte amère ,
Lui cria-t- il; des dieux redoutez le courroux;
OCTOBRE. 1770. 13
Plus bas que vous jetez les yeux , mon frère ;
Combien d'ânons plus à plaindre que vous !
Souffrez donc avec patience ;
Réſignez- vous & baiſſez votre ton :
Le Ciel vous aime , & c'eſt par bienveillance...
Ahidit l'âne en courroux , maugrebleu du ſermon:
Débiterois- tu ces merveilles ,
Ayantle ventre auſſi vuide que moi ?
Les recevrois - tu bien ? Allons ; retire- toi : -
Ventre affamé n'a point d'oreilles .
Par le même.
STANCES.
A la Fille d'un Maréchal- ferrants
QUEL eſt letrouble de nos ames !
Etque nos yeux ſont enchantés !
Lorſque tu fais jaillir des flammes
Du ſeindes métaux indomptés.
Tes beaux bras dans cet exercice
N'ont rien perdu de leur blancheur,
Si le ciel à mes voeux eût été plus propice ,
Ilm'eût fait forgeron pour amollir ton coeur,
1
14 MERCURE DE FRANCE.
L'amour avant ton exiſtence
Par de foibles liens enchainoit l'Univers ,
Rien ne réſiſte à ſa puiſſance
Depuis que tu forges ſes fers.
Lorſqu'à coups redoublés tu frappes ſur l'enclume,
C'eſt Vénus au milieu des antres de Lemnos;
Des mêmes feux ta beauté nous confume
Lorſque tu prens quelque repos.
Pour mieux réaliſer l'emblême de la fable ,
Prens un cyclope pour époux ,
Qu'à Vulcain il ſoit tout ſemblable ,
Qu'il craigne ſes malheurs & les éprouve tous.
Par M. de la Louptiere.
LA NULT.
PAISIBLE NUIT ! que tu m'as agréablement
furpris ! affis fur le gafon , je
contemplois Phébus , je le voyois ſe perdre
derrière le ſommet de ces hautes
montagnes : il ſe retiroit couvert d'un
nuage léger, &, ſemblable àun voile doré
il s'éloignoit des côteaux , des bocages &
des prairies , en leur dardant encore quelOCTOBRE.
1770. 15
ques foibles rayons. Toute la nature étoit
éclairée pardes ondes de pourpre & d'azur ,
&desnuës enflammées embraſfoientl'athmoſphère
. Les oiſeaux chantoient , ils
célébroient la retraite de l'aſtre radieux
en cherchant un gîte aſſuré : le berger retournoit
dans ſa cabane , lorſqu'un doux
fommeil furprit mes fens .
Qui m'a éveillé ! eſt-ce toi , Philomèle?
Sont - ce tes tendres accens , ou le
bruit de quelque nymphe poursuivie par
un faune , dont les ardens defirs la forcent
de ſe dérober à fes yeux ?
Oh! que tout ce qui m'environne offre
de beautés à mon ame ſenſible ! toute
la contrée eſt plongée dans undoux ſommeil
, dans un filence voluptueux .
Mes regards errent dans l'obſcurité de
ces lieux : la fombre clarté des étoiles ,
la lune dont les pâles rayons percent à travers
le feuillage agité d'un léger frémiffement;
tout me caufe une ſenſation délicieuſe.
Ici , un lit de verdure , parfemé
de fleurs , offre un doux repos : là , de
grands arbres , dont les branches touffues
rendent l'obſcurité impénétrable, me caufent
une religieuſe horreur : plus loin,les
Hots argentés font un doux murmure,&je
voisdes flammes légères qui voltigentdans
16 MERCURE DE FRANCE.
les champs & vent ſe perdre parmi l'eau
limpide d'un ruiſſeau pour renaître &
mourir encore .
La Lune s'avance : ſon char eſttiré par
des dragons ; leurs corps replié & tortueux
& leurs aîles bruyantes annoncent
l'arrivée de la courière de la Nuit.
Quel parfum exquis s'exhale autour de
moi ? O toi , violette , qui choiſis la nuit
pour embaumer ces lieux , que tu rends
cette folitude délicieuſe ! tu te caches en
vain. Je ne vois point tes couleurs charmantes
& variées , mais la volupté que
tu me fais reſpirer te découvre à mes fens.
Le tendre zéphire repoſe ſur ton ſein : empreſſé
au tour de toi , les jours qui s'écoulent,
font pour lui des momens : la fatigue
l'aſſoupit mollement : ce repos te prépare
de nouveaux plaiſirs . Demain au lever de
l'aurore , il s'éveillera & répandra fur toi
les perles brillantes d'une douce roſée ,
dont ſes ailes font chargées.
Quel est ce bruit qui trouble& fuccède
au filence profond de toute la nature ?Ce
font les habitantes des marais qui adreffent
leurs chants enroués à la Lune ; cachées
entre les roſeaux & levant leur têres
du fond de leurs marécages. Leurs
croaffemens ont pour elles autant de char
OCTOBRE. 1770 . 17
mes que l'harmonie voluptueuſe du tendre
roffignol . Tel eſt un poëte obfcur qui
chante fon mécène : prévenu en faveurde
ſa muſe , émerveillé de l'opulence de fon
protecteur , il eſpère & croit mériter d'être
admis à ſa table : il prend ſa lyre ; fa
tête s'embraſe , il s'eſtime au - deſſus des
chantres d'Apollon : ce dieu lui – même
peut à peine l'égaler.
Derrière la prairie s'élève un côteau ,
couronné de jeunes chênes. Dans ce beau
lieu , la Lune diſpute l'empire aux ténèbres
, & forme en cet endroit un contraſte
charmant. J'entends le ruiſſeau couler
au pied de ce côteau. Son murmure
eſt rapide , il ſe briſe ſur des cailloutages ,
ſe précipite dans ce vallon , & fes eaux
brillantées arrofent les fleurs qui naillent
fur fes bords.
C'eſt ici , c'eſt dans cet endroit même ,
c'eſt ſur ce gaſon chéri que je trouvai la
plus belle des bergères ! elle étoit là, couchée
ſur ces fleurs : une robe voltigeante
la couvroit à demi. Elle tenoit un luth,&
ſes mains délicates, plus blanches que la
neige entiroient des fons légers , enchan.
teurs. Ils excitèrent mes tranſports ; je les
préférai aux plus doux chants du roffignol :
cède , cède , ô Philomèle , à ma bergère.
18 MERCURE DE FRANCE.
Elle chantoit , toute la contrée ſembloitl'écouter
: les oiſeaux ceſſèrent leurs
ramages , les zéphits n'osèrent la troubler
, ils en preſsèrent plus tendrement
les rofes; tout partagea mon raviſſement .
L'Amour couché à l'ombre auprès d'un
buiflon l'écoutoit avec ſurpriſe. Je ſuis le
dieu de la tendreſſe , dit - il , j'excite les
tranſports les plus doux ; mais , j'en jure
par le Stix ! Jamais , non jamais je n'ai
joui d'une volupté ſemblable à celle que
j'éprouve.
Diane elle-même arrête ſes courſiers ;
penchée fur le bord de fon char, elle écoute...
Elle foupire ...
La bergère ſe tut : déjà l'écho avoit repété
trois fois les derniers accens de fa
voix , toute la nature écoutoit encore. Le
roffignol , perché ſur un myrte , n'oſoit
ſe faire entendre. Je m'approchai d'elle :
Fille céleste ! déeſſe , lui dis - je , je
pris ſa main , la preſſai en tremblant & je
foupirai . La bergere baiſſa ſesbeaux yeux,
rougit & fourit. Je tombai à ſes pieds , je
balbutiai quelques mots , & j'exprimai
mon raviſſement d'une voix tremblante .
...
Ma main erroit au tour de ſes vêtemens
: les ſiennes ſervoient à couvrir fon
ſein d'albâtre... La bergère ſoupira, j'enOCTOBRE.
1770. 19
tendis ce foupir, un regard ſuppliant m'arrêta
. Son embarras , ſa rougeur la rendirent
encore plus belle ; également honteux
de ma foibleffe & de mon tranſport , je
laiſſai échaper une victoire preſque cerraine.
O bergère ! adorable bergère ! où ſuisje?
Qu'ai je fait ? Bien tôt je ſuccombe ;
je ſuis tranſporté , enivré ; je meurs ...
Mais Dieux ! que vois-je dans cette fombre
prairie ? Des flammes ſe jouent avec
des flammes ! elles s'uniffent , ſe ſéparent;
elles forment une couronne , difparoifſent
auſſi vite que l'éclair , & fuient au
travers des bois & des bocages .
Ce font des divinités ! l'homme cham.
pêtre tremble devant elles , & le citadin
orgueilleux les nomme vapeurs enfammées
. Oui , vous êtes des dieux bienfaiſans
qui paroiffez pour favorifer de tendres
amans : vous éclairez les bergères
qu'un tendre foin amène dans les builfons
& vous écartez les argus qui s'oppoſent
aux myſtères de Cypris .
Mais qu'êtes - vous devenus ? Vous êtes
diſparus à mes yeux étonnés. Je n'apperçois
plus qu'une lumière pâle , ſemblable
à la foible lampe d'un ſavant quis'endort
fur ſes livres , pendant qu'une époufe ai
20 MERCURE DE FRANCE.
mable & délaiſſée cherche un repos qui
la fuit. Un ver , un infecte ſi petit produit
cette lumière ! O muſe ! apprens moi
d'où provient cette merveille ? Jupiter aima
une jeune mortelle , * charmante ,
belle comme Vénus . Junon , irritée des
fréquentes infidélités de ſon époux , le
fuivoit fans ceſſe. Cette déeſſe, obſervant
un jour Jupiter, le vit ſe transformer en
papillon & voltiger ſur le ſein de la bergère
. Ses yeux s'enflammèrent du plus
violent coutroux. Eh quoi ! les papillons
aiment leurs femblables , mais un ver ailé
brûler pour une mortelle ! Elle dit & defcendit
fur la terre au moment que Jupiter
, reprenant fa forme naturelle , tenoit
dans fes bias la bergère étonnée. « Sois
>> ce qu'il étoit avant ton crime. » Ainfr
parla Junon , les yeux étincelans de colère.
L'infortunée bergère s'échapa des
bras du dieu & rampa fur une deur . Pour
éternifer fon affront & fa vengeance , Junon
détacha un rayon de l'étoile du foir
&l'attacha fur le corps de ce nouvel infecte.
Que vois- je ? des nuës furmontent les
étoiles , les cachent; elles font argentées
&brillantes comme elles. Sur le bord
OCTOBRE. 1770 . 21
des pampres ſe jouent de petits amours ,
ils laiffent dégouter les pleurs de l'autore
pour épanouir les roſes & mûrir les raifins.
Ces petits dieux favent ce que peut
le jus pétillant de la vigne & le parfum
des rofes!
Cependant la Lune ſe cache ; pourquoi
t'envelopper de fombres voiles , ô déetſe?
Qui te fait ainfi pâlt ? Ne peux tu éclairet
ni fouffrir les jeux de l'Olympe , ou
bien un fatyre cruel re ravit il ton cher
Endimion ? Chaſte déefle , daigne m'éclairer!
je veux fortir de ce bocage , vifi
ter ce coreau , où le ruiſſeau ferpentant ,
ombragé d'arbrilleaux , coule à travers les
bofquets , où le pampre rampant fuccombe
fous l'effort des grappes . C'eſt dans ce
lieu , couché fur ces tapisde gafon , que
j'ai fouvent chanté , avec mes amis , des
chanfons qu'Haguedorn & Gleim *
poſent ſur les plaiſirs & fur l'amour.
com-
Je ſens une pluie fine tomber à travers
le boſquet. Une douce & bienfaiſante
rofée defcend ſur cette voûte de verdure ,
car Bacchus l'a priſe ſous ſa protection .
Souvent, pendant une nuit profonde ,
on entend avec étonnement chanter des
*Deux poëtes fameux,
22 MERCURE DE FRANCE.
hymnes à l'honneur du fils de Semèle , &
le bruit argentin des coupes qui s'entrechoquent.
Le voyageur égaré s'arrête ,
regarde autour de lui : ſurpris de ne rien
voir , il tremble , friſſonne , fait quelques
pas en arrière ; regarde encore , & plein
de terreur , franchit cet eſpace conſacré
au dieu du vin .
Je vous ſalue , fombre berceau , dont
les grappes pendent au haut de la voûte.
Que le clair de lune eſt favorable à vos
feuilles ; que le murmure en eſt doux !
د
*
Queleſt ce bruit que j'entens , qui agite
ainſi ces grappes ? Sont - ce les zéphirs ?
Mamuſe le croit ainfi.-Ou ce ſont des
ſylphes légers que d'officieux zéphirs
portent ſur leurs aîles. Ils ſe jouent avec
de petits amours , s'aſſemblent ſur le coton
des grappes &folâtrent dans ce labyrinthe
délicieux. Sont-ils fatigués , ils ſe
couchent ſur les feuilles des pampres , ou
ſe baignent dans le ſein des roſes & s'endorment
ſur l'oeillet. Leur plaiſir redouble
lorſqu'une jeune beauté a cueilli la
fleur ; ils badinent avec volupté ſur ſon
ſeind'albâtre .
* Il y a dans l'original , atomen kéinftigen
frgünde , des atomes d'Amis à venir ou prochains,
CTOBRE. 1770 . 23
O mes amis ! vous êtes à préſent dans
les bras du ſommeil.Ah ! que n'êtes- vous
ici ? déjà j'aurois entendu vos chants !
j'aurois volé vers vous ; ma voix ſe ſeroit
unie aux vôtres , j'aurois partagé votre
joie , ah ! je l'aurois encore excitée.
Mais quels accens ? mes joyeux compagnons
paroiffent ſur le côteau ! Peutêtre
eſt- ce Bacchus avec ſa ſuite qui vient,
par ſa préſence , embellir ces lieux .
C'eſt vous , mes amis !je vous vois !
vous montez ſur le côteau ! venez ! couronnons-
nous de pampre , affeyons- nous
fous ce berceau , accordons nos voix ; les
bocages d'alentour retentiront de nos
chants ,& les échos les rediront aux échos.
Le faune qui ſommeille dans ſon antre
nous entend & s'éveille : étonné , il écoute
, ſe lève , ſaute , bégaie quelques fons
enroués& finit par ouvrir ſon outre .
Phébus paroît ſur ſon char , derrière
cette montagne; il nous trouve encore.
Ah ! s'écrie - t- il , jamais je n'ai goûté de
joie auſſi pure , depuis que je ſuis rétabli
dans l'Olimpe ! il dit &raſſemblant des
nuës épaiſſes , il fait ſuccéder un triſte
jour à la plus belledes nuits.
Traduit de l'allemand de M. Gessner,
par Mlle Matné de Morville,
24
MERCURE DE FRANCE.
VERS contre l'inoculation qui ont engagé
la Demoiselle à qui ils étoient
adreſſés àse faire inoculer.
JEUNE & charmante Rofalie ,.
Ne croyez point aux inoculateurs;
Fermez l'oreille à toute apologie
D'un art qui vous expoſe à de très - grands
malheurs.
On vous dira qu'en Circaffie
Ce ſecret dès long-tems conſerve la beauté.
Ce n'est pas un bonheur d'être en Francejolie ,
C'eſt plutôt un obſtacle à la félicité.
Une belle ame , un coeur ſenſible ,
Font à regret des malheureux ,
L'honneur n'en veut pas moins qu'on ſoit inacceffible
Au ſentimentqui parleroit pour eux,
Il eſt vrai qu'entous lieux vous feriez adorée;
Que cet art de voslys conſervant la fraîcheur ,
Etde tous vos attraits aſſurant la durée ,
De R** & M** ( 1 ) on vous croiroit la ſoeur :
Mais il faudroit recevoir nos hommages ,
(1) Deux Dames de la même ſociété , fort jolies.
:
1
Vous
OCTOBRE. 1770. 25
Vous ſeriez expoſée à la célébrité ,
Du venin bienfaiſant attendez les ravages ,
Ils vous aſſureront la douce obſcurité.
Par M. le Chev. de Freſlon , capitaine
aide-major du régiment des Vaiſſeaux.
RÉPONSE de la mere de Rofalie.
COURAGE , Chevalier , travaillez à détruire
Ce fléau que Tronchin vous apprit à braver ,
Malte du moins doit conſerver
L'être qu'elle a fait vooeu de ne pas reproduire.
Par le même.
A la belle Agnès , en lui envoyant une
immortelle & un anana le jour d'une
defesfêtes.
L'aimable dieu que j'ai choisi pour maître ,
Par ſa douce chaleur féconde l'Univers .
La terre ne produit que ce qu'il y fait naître.
Il embellit le plaisir d'être ;
Il inſpire les jolis vers.
Si ce Dien , qu'en tremblant je ſers,
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
Me prêtoit ſa lyre immortelle ,
Je chanterois d'une façon nouvelle ,
Tes vertus , ta belle ame & tes charmes divers.
Mes vers , en peu de mots , diroient beaucoup de
choſes.
J'en proſcrirois les lieux communs.
Ils brilleroient ſans fadeur , ſans emprunts,
Comme tes graces & tes roles .
Voltaire qui nous étonne
Par les riches beautés de ſon mâle langage ;
Seroit aufſi jaloux de mon petit ouvrage ,
Que d'Athalie& de Cinna .
Mais l'éloquence , hélas ! n'etant pas mon partage;
Modeſte dans mes voeux , ſimple dans mon hommage
,
Je t'offre une immortelle avec un anana.
ParM. le François , ancien
officier de cavalerie.
IMPROMPTU. A Mlle d'Avejan , au
Sujet d'une pièce de vers adreffée dans un
bal , à la plus belle .
ΟN cache envain le nom de la beauté divine
Dont on nous peint ſi bien les graces , les appas ;
OCTOBRE. 1770 . 27
Qui vous connoîtne le demande pas,
Qui vous voit d'abord le devine.
Par le même.
CHANSON à Mde d'A ** , qui l'a
demandée pour Mllefa foeur.
Sur l'AIR : de la Romance de Gaviniés.
Sans ANS l'aimer de tout ſon coeur
On ne peut connoître ma ſoeur
L'objet le plus joli ,
Le plus accompli ,
C'eſt ***.
Dieux! quelle ſageſſe !
Dans ſon eſprit quelle fineſſe !
Quej'aime ſa voix ,
Son minois!
Je dirai ſans ceſſe :
Sans l'aimerde tout ſon coeur
On ne peut connoître ma ſoeur,
L'objet le plus joli ,
Le plus accompli ,
C'eſt ***.
Par M. *** , d'Auxerre .
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
LE RENARD & LE DOGUE.
Fable.
CERTAIN renard d'un coq faiſoit ſon ordinaire,
Des reſtes de la bête & du renard auſſi
Un mâtin s'emparoit. Ami ,
Dit le matois au chien , que veux- tu faire ?
Ce que tu fais , répondic celui-ci.
Sans être coq , renard ou dogue ,
Ni même bel eſprit ; ſans moi
Tout lecteur pourra bien , je croi ,
Trouver le ſens de l'apologue.
LE CHÊNE & L'ARBRISSEAU.
Apologue,
Un arbrifleau végétoit à l'ombrage
D'un chêne fier & vigoureux ,
Dont la tête orgueilleuſe élevoitjuſqu'anx cieux
Le ſuperbe contour de ſon épais feuillage.
Fâché d'un pareil voiſinage ,
OCTOBRE. 1770. 29
Un jour l'arbrifleau dit : « Que je ferois heureux,
Sij'étois ſeul dans ces aimableslieux !
>>> Le front couronné de verdure ,
>> J'y ferois le plaiſir des yeux
>>Et l'ornementde la nature.
>>Mon voiſin ne doit fa grandeur
>> Qu'au détriment de ma ſubſtance ;
>>>Plus loin de lui , plein de vigueur ,
>>Je montrerois mon exiftence...
Livré dans ce moment à toute ſon humeur ,
Il déclamoit encor , lorſque ſoudain la foudre
Frappe le chêne & le réduit en poudre.
Que devient l'arbriſſeau ? Tremblez , vous qui des
grands
ככ
Ne demandez que l'opprobre & la chûte :
Ce jeune arbuſte aux injures du tems ,
Foible , iſolé , demeure en butte ,
Et périt le jouet de l'orage &des vents .
ParM. Dareau , à Guéret dans la Marche.
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
PORTRAIT DE ZELMIRE ,
à Riom en Auvergne.
Un front ferein ,
Unair humain ,
Eclatde roſe
Tout-fraiche écloſe :
Debeaux yeux bleus,;
Deblonds cheveux ;
Bouche riante ,
Appétiſſante.
De bruns fourcis,
Blancheur de lis ;
Gorge éclatante ,
Eblouiſlante ;
Corſagefin.
Quoi plus enfin ?
Sous mouſſeline
D'autres appas
Qu'on ne voit pas
Mais qu'on devine.
Jambe qu'amour
A faite au tour ;
Pié qui des graces
Marque les traces ;
Eſprit charmant ,
OCTOBRE. 1770. 31
Coeur excellent ;
Un peu lévère ,
Mais ſans myſtère ;
Fille ſans fard
Qui plaît ſans art :
Fille jolie ,
Fille accomplie:
De ſon portrait
Voilà l'extrait .
Parlemême.
VERS à deux modernes Praxitèles , à
l'occaſion de leurs Vénus.
DEs deux Vénus que votre art fit éclorre ,
J'admire l'une , & l'autre , je l'adore.
Par M. C ** , à Versailles.
LE RETOUR DES VENDANGES .
Laisse- AISSE là ta chaumière ,
Mon aimable Mopſus ,
Couronne-toi de lierre ,
Chante le dieu Bacchus ;
Dans ces jours Timarette
Oubliant les troupeaux ,
Biv
-32
MERCURE DE FRANCE.
Quitte la molle herbette
Et vient ſur noscoteaux.
3 D'un ton plein d'énergie ,
Et le verre à la main ,
Vas publier l'orgie
Du puiſſant dieu du vin.
Célébrons la vendange ,
Son jus plus précieux
Que les tréſors du Gange ;
Et la liqueur des dieux .
Bergers , déjà l'automne
Fait ſes plus beaux préſens :
Amaſſons dans la tonne
Ces fruits ſi bienfaiſans .
A l'ombre de nos treilles ,
Venez avecMopfus
Vuider quelquesbouteilles
En l'honneur de Bacchus .
Les ris , l'amour volage ,
Pour combler nos defirs
Sur ce divin breuvage
Fontanager les plaiſirs ;
Tandis qu'une bergere
Répéte la chanſon ,
Qu'hier ſur la fougère
Elle apprit deDamon .
Par M. Merat d'Auxerre .
OCTOBRE. 1770 . 33
LE LEGS.
Proverbe dramatique.
PERSONNAGES :
JULIE , foeurs âgées de dix - huit à
VICTORINE , Svingt ans. Julie eſt l'ainée.
FANCHON , vieille ſervante .
:
Mde FONTANGE , revendeuſe à la toilette...
UN FACTEUR .
Lascène est dans une ville de province,
chez les Dilles Valmont. Ilest environ dix
heures du matin.
Le théâtre repréfente une falle baſſe : on
y voit une table , un canapé & un petit
métier de tapiſſerie tendu.
SCÈNE PREMIERE.
JULIE ſeule : elle est aſſiſe & acheve de
monter un bonnet.
IL faut pourtant que je fois bien complaiſante
: Mlle Victorine dort à ſonaiſe
By
1
34 MERCURE DE FRANCE.
la graffe matinée , & je la paſſe , moi , à
monter ſon bonnet..... Ma tapiflerie
n'avance point pendant ce tems-là....
La pauvre fille ! depuis qu'elle fait
qu'un de nos oncles nous a legué cent
mille écus & que cette ſomme arrive fur
un vaiſſeau , la tête lui a tourné ; elle ne
fonge qu'à ſe donner des airs , elle imagine
mille manières de dépenſer cet argent
, toutes plus extravagantes les unes
que les autres. Reprenons notre ouvrage.
(Elle s'approche du métier de tapifferie &
travaille. )
SCÈNE II.
JULIE , FANCHON.
FANCHON , pleurant. Mademoiselle.
JULIE , travaillant fans la regarder.
Fanchon , ma ſoeur eſt - elle éveillée ?
FANCHON . Oui , Mademoiselle , je
viens de lui porter ſon chocolat.
JULIE , levant les épaules. Dans ſon lit
ſans doute ( regardant Fanchon. ) Qu'astu
donc à pleurer ?
FANCHON. Dame ſi je pleure , c'eſt
que j'en ai ſujet; depuis vingt ans que je
fers dans la maiſon & fans reproches ,
OCTOBRE. 1770 . 35
:
Dieu merci , me voir donner comme çì
mon congé , çà n'eſt guère gracieux .
JULIE. Ton congé , &qui eſt-ce qui te
congédie ?
FANCHON. Et mais , c'eſt Mlle votre
foeur : à çt'heure qu'elle dit qu'il lui eſt
venu de l'autre monde de quoi faire la
groſſe Dame , elle ne veut plus de mon
ſervice ; il lui faut une femme-de -chambre.
JULIE. Ma foeur eſt une folle , elle
prendra ſi elle le veut une femme-dechambre
, mais je te retiens , moi , entends-
tu ? tu ſeras à mon ſervice.
FANCHON. Bon , je ne ſervirai plus que
vous , toute ſeule ?
JULIE . Non , Fanchon .
FANCHON. Ah que je ſuis contente !
tenez , ma bonne Demoiselle , ſije pleurois
, c'étoit de vous quitter ; car vous êtes
ſi douce , ſi bonne...
JULIE. C'eſt bien , Fanchette ; va , retourne-
t-endans ta cuiſine , fais bien ton
ouvrage , tu n'auras à faire qu'à moi .
FANCHON. Mlle votre ſoeur m'avoit
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
donné bien des commiſſions , mais je ne
les ferai qu'avec votre petmiffion , dà ...
JULIE . Quelles font ces commiffions?
FANCHON. Ah , ma foi , il y en a tant
&tant que je ne m'en ſouviens plus : elle
les a toutes griffonnées ſur ce morceau de
papier-là. (Elle donne un papier.)
JULIE. Donne; je crois que voilà qui
contient de jolies choſes. ( elle lit) Paffer
chez Jolibois & lui demander où enfont
mon caroffe & mes deux berlines doublées
de velours d'Utrecht.
-ChezM. Jacquinot procureur , & le prier
d'arrêter pour moi le prix de la maison de
Beauregard.
-ChezM. Doré,jouaillier , &c . Oh ciel !
que d'extravagances ! ma pauvre fooeur a
tout- à- fait perdu l'eſprit.
SCÈNE III.
VICTORINE , JULIE , FANCHON.
VICTORINE entre en deshabillé. Bon
jour, ma petite foeur , que je te conte le
rêve le plus charmant.
JULIE . Oui , je crois que tu rêves de
belleschofes.
OCTOBRE. 1770 . 37
VICTORINE , avec transport. Je t'en.
répons : imagine toi , ma petite foeur, que
notre vaiſſeau étoit arrivé chargé de richefſes
immenfes. J'étois là préſente ,
comme tu dois le penſer ; oh , ma chere
foeur , quel plaiſir ! jamais , jamais on n'a
vu tant d'or. Le vaiſſeau en étoit templi ...
Et puis c'étoit la mine des gens du vaiffeau
, matelots & paſſagers , qui étoit divertiſſante...
Mon or & moi partagions
leur admiration & leur reſpect. Dieu fait
avec quel air de dignité je ſoutenois mon
nouveaurôle : enfin j'étois ſur le point de
fendre la preſſe de ces importuns &de faire
enlever ma fortune...
JULIE , riant. Lorſque tu t'es éveillée ,
n'est- ce pas ?
VICTORINE. Oui , cette miférable Fanchon
a ouvert la porte de ma chambre ,
&je me ſuis éveillée en ſurſaut . Oh ! je
crois que je l'aurois bien battue.
JULIE . Effectivement, il eſt déſagréable
de ſe réveiller en pareille circonſtance
; ſi je n'étois que de toi , j'irois me coucher
pour achever mon rêve.
VICTORINE. Ne penſe pas rire ; j'étois
ſi contente que je ſouhaiterois de tout
mon coeur dormir ainſi pendant toute ma
vie.
38 MERCURE DE FRANCE.
JULIE , à Fanchon . Fanchon , allez
dans votre cuiſine .
FANCHON . J'avois oublié de demander
le bonnet de Mlle Victorine .
JULIE . La voilà elle-même pour le
demander.
VICTORINE. A propos de mon bonnet
, tu ne l'as ſurement pas monté , ma
petite foeur; laiſſe - le juſqu'à tantôt , je
t'en prie.
JULIE . Pourquoi donc , tu me preſſois
tant?
VICTORINE. Bon , eſt- ce que tu ne vois
pas que jene puis plus mettre une pareille
guenille; la dentelle ne vaut que fix francs;
on doit m'en apporter à l'inſtant à quatre
louis.
JULIE . A quatre louis !
VICTORINE . Oui , ma bonne amie ,
j'en aurai pour le bonnet & pour deux paires
de manchettes à trois rangs .
JULIE. Bon Dieu ! & où prendras-tu
pour payer tout cela ; nos revenus font
modiques , & jamais notre tuteur ne vou
dra donner cet argent-là .
VICTORINE. Net'inquiéte pas , va, j'ai
bon crédit.
OCTOBRE. 1770 . 39
JULIE. Mais enfin , il en faudra toujours
venir à s'acquitter.
VICTORINE. Oui , & ces cent mille
écus qui nous viennent du legs de notre
oncle, nous ne ſommes que deux pour
les partager ; eft- ce qu'ils ne me mettent
pasdans le cas defournir à ces dépenſes ?
JULIE. Hum , c'eſt tout au plus ; fi tu
continues , cela n'ira pas loin ; un caroſſe ,
deux berlines , une maiſonde campagne .
Que fais-je , moi ? de ce train- là , ce legs
ſera bientôt mangé.
VICTORINE. Que veux-tu dire , un caroſſe
, deux berlines , une maifon de campagne
?
JULIE. Oh , c'eſt que je préſume qu'il
faudra de tout cela à une grande Dame
comme toi ; mais notre tuteur ne fera
peut- être pas de cet avis , & malheureuſement
ces fonds-là feront unpeu de tems
entre ſes mains.
VICTORINE. Il faudra bien que notre
tuteur entende raiſon , ſi je ſuis riche , je
veux me fentir de mon bien. Mais je vois
que cette fotte de Fanchon t'a parlé. (à
Fanchon) Qu'est-ce que vous faites ici ,
mamie ?
40 MERCURE DE FRANCE.
FANCHON. J'attens la fin de votre rêve,
Mameſelle ; il eſt ſi joli.
VICTORINE . Mais , voyez cette impertinente
; vous devriez être dehors , ma
bonne ; je vous avois dit que nous n'avions
plus beſoin de vous.
FANCHON. Aufli ne vous appartiens-je
plus , non : je ne ſuis plus qu'à Mlle votre
foeur toute fine ſeule , afin que vous le
fachiez.
JULIE. Fanchon , encore une fois , allez
àvotre cuiſine .
(Fanchonfort , in faisant la mine à
Victorine.)
SCÈNE IV.
JULIE , VICTORINE.
:
VICTORINE. Quoi , tu gardes cette
vieille faliffon- là ?
JULIE. Sans doute , pourquoi non ?
VICTORINE. Tu n'as pas de raiſon , ma
foeur ; pour moi je ne veux plus de cette
figure , fi donc c'eſt bon , pour fervir
dans une auberge .
JULIE. Tu feras comme tu voudras;
pour moi , j'en fuis contente ; elle est
fidèle , ſoigneuſe , intelligente ; ce font
OCTOBRE . 1770 . 41
des qualités impayables chez ces fortes de
gens , en conféquence je la garde . D'ailleurs
c'eſt un vieux domeſtique , qu'il y
auroit de la barbarie à renvoyer maintenant
.
VICTORINE . Quoi , tu ne veux pas entendre
que , dans notre état préſent, cette
tille ne nous convient point : cela faute
aux yeux pourtant ; car enfin nous fommes
pour faire une certaine figure actuellement
; il faut nous monter ſur un
certain ton ; nous ne pouvons nous difpenſer
d'avoir chacune une femme-dechambre
, & puis une cuiſiniere & une
bonne groffe fille pour tout le tracas fatigantdu
ménage.
JULIE , riant. Et quand tu auras ton
caroffe & tes berlines, il en faudra bien
d'autres.
VICTORINE , d'un airpiqué. Je lecomptebien
auſſi . J'ai déjà arrêté une femmede-
chambre pour moi ; c'eſt une grande
brane , affez jolie , les yeux vifs , fort
bien miſe : elle fort de chez une préſidente
qui l'a renvoyée parce qu'elle plaifoit
trop à fon mari .
JULIE. En vérité , ma ſoeur , je craindrois
qu'on t'entendît , tu paſſerois pour
folle achevée au moins. Cet état florif42
MERCURE DE FRANCE .
fant , cette fortune conſidérable qui nous
met dans le cas de faire la figure la plus
brillante ; où tout cela eſt- il ? ſur l'eau.
Du reſte rien de plus médiocre que nos
biens.
VICTORINE. Mais , eſt ce que cela peut
nous manquer ?
JULIE . Mais ſi le vaiſſeau fait naufrage.
VICTORINE. Oh ...... fi la maiſon
tombe , nous ferons écrasées ; tu n'as
que des malheurs à prévoir !
JULIE. Ma chere foeur, parlons raifon
ſi tu veux l'entendre; cette fortune qui
t'enchante , qui te met hors de toi-même,
n'eſt pas encore arrivée , il ſe peut même
faire qu'elle n'arrive point ; car tu as beau
dire , cela eſt très - poſſible ; quel inconvénient
y auroit- il pour toi de te mettre
en état de t'en paffer ? Aucun , je penſe ,
tu n'en ſentirois pas moins le prix lors
de ſon arrivée : c'eſt le parti que j'ai pris :
la nouvelle de ma fortune ne m'a point
aveuglée , je n'ai point changé mon premier
genre de vie ; ſi nos eſpérances ſe
trouvoient trompées , je ne ſerois point
fans reffource , & mon économie me tirera
toujours d'affaire. Je ne peux te difſimuler
, ma chere ſoeur , qu'il en eſt bien
OCTOBRE. 1770. 43
autrement à ton égard. Dieu veuille que
tu n'aie jamais lieu de t'en repentir.
VICTORINE , baillant. Ah ! finis donc ,
tu me fais bailler , tu as le talent de voir
d'une maniere ſombre & triſte les objets
les plusrians.
JULIE. Mais enfin que t'auroit- il coûté
d'attendre l'arrivée de ce vaiſſeau , avant
que de t'engager ainſi dans toutes fortes
dedépenſes.
VICTORINE , avec vivacité. L'impatience
de jouir... on ne peut être heureux
affez tôt , ni affez long-tems .
SCÈNE V.
1
۱
JULIE , VICTORINE , FANCHON .
FANCHON , à Julie. Il y a une femme
là bas qui porte une boîte ſous ſon bras ,
faut- il la faire entrer , Mademoiselle .
JULIE . Oui , Fanchon. ( à Victorine. )
C'eſt probablement à toi qu'on en veut.
SCÈNE V I.
i
JULIE , VICTORINE , Mde FONTANGE ,
portant un carton ſous le bras.
Mde FONTANGE,faisant une profonde
révérence. Votre ſervante , Meſdemoifel44
MERCURE DE FRANCE.
les , laquelle de vous deux , s'il vous plaît,
eſt Mile Victorine Valmont.
VICTORINE ,fans ſe lever , d'un airnégligent.
Je fais ce que c'eſt : vous êtes la
veuve Fontange fans doute , apportezvous
mes dentelles !
Mde FONTANGE . Oui , Mademoiselle.
(Elle ouvre le carton & en tire les dentelles.
) Vous pouvez vous vanter d'avoir là
ce qu'il y a de plus diſtingué. J'en portai
l'autre jour de pareilles à la veuve d'un
caiflier , parce qu'une femme de condition
les avoit trouvées trop cheres ; auſſi
me furent- elles payées cent francs.
JULIE , examinant les dentelles. Voilà
qui est vraiment magnifique .
VICTORINE. Cela fuffir :Mde Fontange
vous pouvez les laiſſer, le prix eſt arrêté
à quatre louis .
Mde FONTANGE . Hélas , ma chereDemoiſelle
, c'eſt marché donné , j'y perds ,
envérité; mais, pour obliger une aimable
perſonne comme vous , qui m'a promis
ſa pratique , il faut faire des efforts , &
puis j'eſpère que vous me dédommagerez
une autre fois.
VICTORINE . Oui, oui , allez, ma chere,
je vous affure que vous trouverez en moi
OCTOBRE. 1770 . 45
une de vos meilleures pratiques... Vous
pouvez laiſſer vos dentelles , vous dis-je,
jelesprens.
Mde FONTANGE. J'entens bien , Mademoiſelle
, mais... de l'argent.
VICTORINE, Ne ſoyez pas inquiete ,
cela vous fera payé dans quelques jours.
Mde FONTANGE. Dansquelques jours,
(elle renferme ſes dentelles ) oh , Mademoiſelle
, je ne peux pas attendre, je ſuis
une pauvre femme qui vis au jour la journée
, voyez - vous ; & puis qui eſt- ce qui
me répondra de ma marchandiſe ?
JULIE , à part. Que voilà qui eſt bien
fait!
VECTORINE ,se levant. Mais, ma chè
re Mde Fontange , vous n'y penſez pas ;
je ſuis bonne , je crois , pour payer vos
dentelles , &le tems queje vousdemande
n'eſt pas long.
Mde FONTANGE. Et mais , bonne , fi
vous voulez , je n'entre point là-dedans ,
moi ; toujours eſt- il que je ne peux vous
les laiſſer à crédit que vous ne me donniez
un bon répondant.
JULIE , àfafoeur. Laiſſe cela , ma ſoeur;
cette femme vad'impertinences en imper
46 MERCURE DE FRANCE.
tinences , & elle eſt décidée à remporter
ſesdentelles.
VICTORINE , à Julie vivement. Mademoiſelle
, mêlez -vous , s'il vous plaît, de
vos affaires. En vérité , Mde Fontange ,
cela est bien mal à vous ; nous allons toucher
inceſſfament un legs de cent mille
écus qui nous vient d'un oncle qui avoit
faitune fortune conſidérable dans les Indes.
Mde FONTANGE , froidement. Il eſt vrai
qu'ily a un peu de tems que j'en ai entendu
parler , mais cela ne vient guère vîte .
VICTORINE , avec viteſſe & s'approchant
deMde Fontange. Et ſi , ma bonne : cet
argent arrive ſur un vaiſſeau , nous l'attendons
de jour en jour , vous ne pouvez
manquer d'être payée.
Mde FONTANGE . Oh bien , je vous
garderai les dentelles : faites moi avertir
dès que le vaiſſeau ſera arrivé.
VICTORINE , la careſſant d'un airfuppliant.
Ma chere Mde Fontange , je ſuis
morte ſi je neporte pas dimanche ces dentelles
; j'en ai parlé à quelques amies qui
s'attendent à me les voir , & qui me déſespéreront
ſi je ne les ai pas.... vous
rêvez .
OCTOBRE. 1770. 47
Mde FONTANGE. Oui , je rêve ; mes
dentelles me reviennent à plus de quatre
louis , après cela comment les donner à
crédit& à perte encore .
VICTORINE , vivement. Hé , qui eſt - ce
qui vous dit de les donner à perte ?
JULIE. Mde Fontange, ces dentelleslà
fontbelles , mais franchement vous les
portez au-delàde leur valeur.
Mde FONTANGE , d'un air dédaigneux.
Au-delà de leur valeur ! des dentelles
comme celles- là ? Vous êtes connoiſſeuſe
à ce qu'il me paroît. Au-delà de leur valeur.
Eſt- ce qu'on veut voler le monde ,
eſt- ce qu'on n'a pas un honneur à garder ?
(Elle fait mine de s'en aller. )
VICTORINE , l'arrêtant. Et mon Dieu ,
laiſſez la dire , c'eſt à moi ſeule que vous
avez affaire. ( à Julie ) Ma foeur , je vous
avois prié de nous laiſſer tranquilles .
Mde FONTANGE , revenant. Mais, Mademoiselle
, je ſonge que je ne puis me
tirer honnêtement qu'en les laiſſanr à
quatre louis & demi ... Oui , de cette
façon- là , je puis en confcience vous les
donner à crédit pendant quelques jours,
48 MERCURE DE FRANCE.
SCÈNE VII .
JULIE , VICTORINE , Mde FONTANGE ,
UN FACTEUR .
LE FACTEUR , donnant une lettre.
Mlle Valmont l'aînée; dix- huit ſols .
JULIE , prenant la lettre. De l'Orient :
voilà des nouvelles ſûrement , je reconnois
l'écriturede notre correſpondant. (au
Fačteur , en le payant. ) Tenez , mon ami .
(Le Facteur s'en va. )
SCÈNE VIII.
JULIE , VICTORINE , Mde FONTANGE.
Julie parcourt la lettre. Victorine la lui
prend avec vivacité.
VICTORINE . Donne que je la life , ma
foeur.
JULIE , triſtement. Tiens , va , je l'avois
preſque prévu.
VICTORINE , après avoir lu quelques
lignes. Ah Ciel ! tout eſt perdu. (Elle se
jettefur un canapé, la têtepenchéefurfes
mains , dans l'attitude de la douleur la
plus profonde. ) .
JULIE.
OCTOBRE. 1770. 49
JULIE . Et bien... la folle... voyez le
bel état... Maudit amour du luxe ! .. je
n'aurois jamais cru qu'elle ſe fût affectée
àce point-là .
Mde FONTANGE , à part. Voilà les
cent mille écus à vau-leau , allons nousen.
( Elle s'esquive. )
SCÈNE IX . & DERNIERE.
JULIE , VICTORINE .
VICTORINE , pleurant. Ah , ma chere
foeur ! me voilà perdue , ruinée , anéantie
! comment cela s'eſt- il pu faire ?
JULIE. Rien de plus ſimple , le vaiſſeau
a fait naufrage à la vue du port , & la mer
aenglouti notre fortune .
VICTORINE . Comme tu contes cela
tranquillement , ah ciel ! .. Après un coup
pareil conſerver ſon ſang froid ! ... Mais
tu as raiſon , tu te tireras toujours d'affaire
... C'eſt moi, malheureuſe que je
fuis... C'eſt moi ſeule que ceci regarde...
Ah , mon Dieu ! je n'y ſurvivrai
pas . ( Ses pleurs redoublent. )
JULIE. Et bien , & bien , tu ne deviendras
donc jamais ſage ; allons , ma chere
foeur , tire profit de ce malheur , qu'il te
II. Vol. C
९०
MERCURE DE FRANCE.
ſerve à te corriger ; conſole - toi , tu n'es
pas plus à plaindre que moi , nous vivrons
enſemble tant que tu voudras : notre fortune
toute médiocre qu'elle eſt , avec de
l'économie , ſuffira pour nous tirer d'affaire
toutes deux très-honnêtement ; je ne
te demande ſeulement que de dépoſer
tes grands airs; nous ſommes hors d'état
de les foutenir. Voilà un petit mémoire
de dépenſes qui eſt le comble de l'extravagance
, je crois que tu n'y ſonges plus ;
(elle donne le mémoire à Victorine qui le
déchire fans le regarder.) Du reſte je te
diſpenſe de me ſeconder ; ce ſeroit trop
exiger , tu n'y es pas encore accoutumée ;
tu feras , fi tu veux pour cela , quelques
efforts.
Victorine ne trouvant point d'expreffions
pour remercierfa foeur,ſejette àſon cou
&l'embraffe les larmes aux yeux .
JULIE. Que ceci te ſerve de leçon. Deviens
plus ſage &je ſuis contente. Souviens
toi bien que c'eſt avec raiſon que le
proverbedit....
Par M. G ** , Avocat à Auxerre.
Le mot du proverbe dramatique inférédans le
premier volume d'Octobre est bonfang ne peut
jamais mentir.
OCTOBRE. 1770. SI
CHANSON , tirée en partie de la première
Idille de Mofchus.
Sur l'AIR: Jeſuis né pour leplaisir , bien fou
qui s'en paſſe , &c. ]
La mère du tendre amour ,
Nuit &jour ſoupire ;
Onn'entend plus dans ſa cour
Folâtrer , chanter & rire .
Vénus a perdu ſon fils ,
Sa perte a banni les ris
De ſon charmant empire
Humains , dit- elle en pleurant ,
Si mon mal vous touche ,
Cherchez-moi , mon cher enfant ,
Vous connoifſſez le farouche.
Celui qui le trouvera ,
Pour ſa peine cueillera
Trois baiſers ſur ma bouche.
Le fripon porte un flambeau ,
Un carquois , des aîles ,
Ses yeux , malgré ſon bandeau,
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
Font partir mille étincelles.
Défiez - vous du méchant ;
Prenez garde , en le cherchant ,
A ſes fléches cruelles .
Bornez vos ſoins douloureux ,
Brillante déeſſe ,
Iris a dans ſes beaux yeux
L'objet de votre tendreſſe.
Enchanté de tant d'attraits
Il s'y cache, & de ſes traits
C'eſt de- là qu'il me bleſſe.
Mais ſides baiſers promis
Votre coeur conteſte
Le loyer qui m'eſt acquis ,
Au lieu de ce don céleste ,
Obtenez pour noi d'Iris
Un feul baifer ; à ce prix
Je vous quitte du reſte.
ParM. Des Forges Maillard.
OCTOBRE. 1770. 53
CAPRICE.
Sur l'AIR : Je nefuis né ni Roi ni Prince.
Si les beautés I d'argent avides ,
En bâtiſſoient des pyramides
Comme Rodope fit jadis ; *
Grace aux largeſſes de ces filles ,
La noble ville de Paris
Ne feroit qu'un grand jeu dequilles.
Parlemême.
L'EPERVIER & LA CORNEILLE.
N
Fable .
E veux-tu point penſer à l'hymenée ?
Diſoit une corneille à certain épervier .
* Hæc funt pyramidum miracula ; fupremumque
illud, ne quis Regum opus , miretur , minimam
ex his , fed laudatiffimam , à Rhodope meretricula
factam .
C. Plin. fecundi hist . lib. 36.
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
Vieux garçon , philoſophe , aimé dans ſon quartiet
,
Ayant l'ame bonne & bien née
Autant qu'oiſeau de ſon métier.
Brunette , lui dit - il , pourquoi multiplier
Sur les foibles oiſeaux une engeance acharnée.
Notre nombre contre eux n'eſt déjà que trop
grand
Ah! la gent épervière au bec dur & tranchant ,
A la rapine habituée ,
Aflez ſansmon ſecours ſera perpétuée.
Qued'hommes dans le monde en pourroient dire
autant !
Par lemême.
EPIGRAMME contre un mauvais Poëte
médiſant , dont le très - petit corps eft
emmanché d'un très - long cou.
PETIT mauvais Poëtereau
Qui vous croyez poëte infigne ,
Si vous avez le cou d'un cigne ,
Vous avez la voix d'un corbeau.
Par le même.
OCTOBRE. 1770. SS
Remontrance charitable à une jeune Per-
Sonne jolie & lettrée , qu'on preffoiz
d'épouser un homme d'un age fors
avancé.
Sur l'AIR : Des triolets.
Un jeune époux , homme àtalens,
Iris , ſeroit bien votre affaire :
Vous aimeriez dans ſon printems
Unjeune époux , homme à talens.
Mais Jean peut- il en cheveux blancs
Avoir tous ceux qu'il faut pour plaire.
Unjeune époux , homme à talens ,
Iris , ſeraitbien votre affaire.
Par le même.
EPITRE à M. l'Abbé Aubert , aufujet
defes fables.
RIVAL charmant de la Fontaine ,
J'admire ces rians tableaux ,
Oùtu peins , ſous le nom de divers animaux ,
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Les travers de l'eſpèce humaine.
L'homme , contre la loi , mutiné vainement ;
C'eſt le DogueMouflar , * traînant par - toutja
chaine.
Cet åne philoſophe , indocile & gourmand ,
Nous peint la créature ingrate envers ſon maître
Ces animaux , ce peuple vain ,
Aqui le docteur Merle annonce un ſouverain
Que ſous leurs propres traits ils ont cru reconnoître
,
Repréſentent l'orgueil humain ,
Attribuant à Dieu les défauts de ſon être.
Les fourmis ſont pour nous un exemple frappant
Des maux qu'entraîne l'anarchie ,
Quand pouvant vivre heureux dans une monarchie
Onveut vivre indépendant ;
Et la leçon eſt applicable
Atout autre gouvernement.
Par-tout , dans tes écrits , je vois un ſage aimable
Qui ſaiſit la nature & la rend avec goût ;
* Vers de M. l'Abbé Aphere
OCTOBRE. 1770 . 57
Mais je ſuis enchanté ſur- tout
Des tendres ſoins de la fauvette ,
Des propos médiſans du babil de Nanette.
Tu veux nous réformer par d'utiles leçons ;
Mais le charme de tes crayons
Nous adoucit l'aigreur d'une morale auſtère ;
Aide-nous à porter un joug ſi ſalutaire !
L'homme eſt comme un enfant malade à qui le
Ciel,
D'un peu d'abſynthe , a deſtiné l'uſage;
Si le vaſe eſt bordé de miel ,
Il trouvera moins amer le breuvage.
Quand notre Fablier mourut ,
On crut long-tems ſa perte irréparable.
L'apologue en gémit : le préjugé s'accrut
Par le ſuccès peu favorable
Qui , de ſes concurrens , couronna les travaux :
En voulant lui donner des ornemens nouveaux ,
On défigura ſa nature.
Aucun d'eux n'a connu ſa naïve parure.
La Fontaine emporta ſon ſecretau tombeau :
On veut parer Vénus , croyant la rendrebelle ;
Mais cet auteur charmant te remit ſon pinceau :
Lebongoûtdont il eſt encore le modèle ,
C
S MERCURE DE FRANCE.
Tu le poſlédes aujourd'hui :
La fable , dans tes vers , reçoit un nouvel être :
Tu n'as pas déplacé ton maître ;
Mais tu t'aſſieds auprès de lui .
Par M. Cahoüet , Chanoine regulier.
ELOGE de la Fontaine minérale de
l'Epervière , à une lieue de la ville
d'Angers.
Illa mihi pleno defonte miniftrat.
OVID. FAS .
Dis que l'amante de Céphale
Ouvre la barrière du jour ,
Je vole fur mon bucéphale,
Plus galant que l'amant d'Omphale ,
Pour aller te faire ma cour :
Etma diligente paupière
N'attend jamais que la lumière
Lui vienne anoncer ſon retour ;
Ouque le berger dans la plaine ,
Embouchant ſon bruïant pipeau ,
Ait reveillé la tendre écho
QueZéphir , par ſa douce haleine
OCTOBRE . 1770 . 59
Plongeoit dans un ſommeil nouveau.
O toi , la reine des fontaines ,
Qui , dans les fources ſouterreines ,
Changes le cryſtal en liqueur ,
Ton eau qui roule dans mes veines
Yporte une douce chaleur
Qui rend l'équilibre à mon coeur.
Son ſalutaire ſpécifique ,
Se partageant en cent canaux ,
Par la force du phlogiſtique
Chafle l'humeur mélancolique ,
Remet des principes nouveaux :
Et la rouille de tes méraux
Devient pour moi plus efficace
Que ces Fontaines du Parnaſſe
Dont tant de fois j'ai bu les eaux.
Dans les ſources aganipides ,
Et dans les ondes caſtalides
Lorſque j'abreuvois mon cerveau,
Je n'en remportois qu'une ivreſſe ,
Souvent la honte du permeſſe
Et l'ennui du chaſte troupeau :
Mais , dans tes eaux , chere Epervière ,
Je reprens ma force première
Cvj
MERCURE DE FRANCE.
Qui , d'un vicillard près du tombeau ,
Fait preſqu'un jeune Jouvenceau :
Et de la triſte perſpective ,
De la fombre & fatale rive
Où ſont deſcendus mes aïeux ,
Tu recules le point affreux .
Déjà , dans ma nouvelle audace ,
Dirigeant un courſier fougueux ,
D'un pas rapide & fourcilleux
Tenant la tête de la chaſſe ,
Je pourſuis un cerfà la trace
Qui bientôt pris de meute à mort , *
Malgré ſes rules , ſes défaites ,
Toujours forcé dans ſes retraites ,
Verſe des larmes ſur ſon ſort :
Etd'un long repas qui termine
Dans une ruſtique chaumine
La noble fatigue du jour ,
Bacchus célèbre le retour.
Cependant ſur ſon char rapide ,
Sans que rien le puiſſe arrêter ,
Phébus , vers l'élément humide ,
* Termes de chaffe.
OCTOBRE. 1770 . 61
Vole &va ſe précipiter :
Thétis , dans ſa grotte profonde,
Va cacher le flambeau du monde ,
Le dérober à nos regards :
Et déjà , du haut des montagnes ,
L'ombre tombant ſur les campagnes ,
Raſlemble les troupeaux épars
Que le berger & la bergère ,
Quittant à regret la fougère ,
Vont mettre à couvert des halards :
Et près de l'aimable Glycère ,
Ramenant le nouvel Eſon , *
On entend un ſexagénaire
Qui fait badiner la raiſon.
Mais hélas ! eſt - ce un avantage
De pouvoir reculer ſon âge
Au-delà du terme fatal ?
N'interrogeons jamais le livre
Des deſtins du bien & du mal ;
Vivons , fans defirer de vivre;
Et partons de ce point moral.
"Quand la Parque injufte & volage ,
* Voyez le rajeuniſſement du vieillard Eſon ,
dans les métamorpholes d'Ovide.
62 MERCURE DE FRANCE.
>>>Détournant au loin ſes fléaux ,
>>> Fermeroit fur nous ſes ciſeaux
>> Pour vingt luftres & davantage ,
>>L'homme n'en ſeroit pas plus ſage
>> Et tous les tems ſeroient égaux. »
Par M. de la Soriniere.
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du premier volume du Mercure
d'Octobre 1770 , eſt Rime. Celui de la
ſeconde , Saiſons ; celui de la troiſième
Vaisseau ; celui de la quatrième , clef.
Le mot du premier logogryphe eſt Perroquet
, où l'on trouve , rue , route , ur ,
pero , roue , Perou , proue , pot , Protée ,
Pó , été , or , er , or , or , ( adverbe ) tour,
tour , tour , pere , pet , rot , Epte , trop tốt
& pur. Celui du ſecond eſt Bas , où ſe
trouve as , abs . Celui du troiſième eſt
Rateau , où se trouvent rat & eau.
OCTOBRE. 1770. 63
ÉNIGME
FIILLSS de Cybèle&neveudeMérope,
J'ai pluſieurs pères à la fois
Quime font parcourir l'Europe ,
En poſte , à peine âgé d'un mois.
AUTRE.
DEVANT moi , chaque jour ,
Mille gens tour-a-tour
S'empreſſent de paraître.
Coquette & petit-maître
Sur-tout me font la cour;
Le valet prend la place
Du ſémillant marquis ,
Et la laideur efface
Juſqu'à la moindre trace
Des graces &des ris.
ParlaMuse Auxerroife.
64 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE
Ma forme eſt arbitraire , & dans un bean
feftin ,
Je ſuis , ami lecteur , grand , moyen & pteit ;
Tour-à- tour je parois ſous un nouveau deſſin ,
Et ce que je préſente échauffe ou rafraîchit.
Malgré que deux amans dégagés de tow
ſoins ,
,
Pour goûter le plaifir d'un tendre tête-à-tête ,
Se cachent des jaloux , évitent les témoins ,
Je puis être avec eux & j'ajoute à la fête .
Etes- vous amoureux ? Si de votre maîtreſſe
Vous n'avez éprouvé qu'une injuſte rigueur ,
D'elle vous pourrez prendre avec un peu d'adreſſe ,
Sur mes humides bords une douce faveur.
ParM. Vandart.
AUTRE.
J'ARRIVE à tous momens & je m'enfuis de même,
A tes yeux fort ſouventj'emporte un grandbutin;
OCTOBRE. 1770 . 65
Etquoique rarement je ſuive un droit chemin ,
On peut me voir paſſer ſans aucun ſtratagême :
J'arrête un voyageur , ſouvent mal-à - propos ;
Je marche ſans relâche en cherchant le repos ;
Quand il fait mauvais tems , j'avance encor plus
vîte ;
Mais croiras - tu , lecteur , qu'avec tant de travaux
,
Mes voiſins ſont fâchés quand beaucoup je profite
?
ParM. B... à Sèves.
H
LOGOGRYPH Ε.
ONNEUR à la manique : un maître ſavetier
Va vous fervir un plat de fon métier
Et vous pouffer une petite botte.
Diable! un grivois de ſa façon
N'a pas appris qu'à fiffler la linote ,
Le ſanſonnet& le pinçon.
Sans invoquer , comme c'eſt d'étiquette ,
Le dieu Blondin qui donne la-mi - la ,
Il a fait ce matin , à la bonne franquette,
Le logogryphe que voilà.
MERCURE DE FRANCE:
Mon édifice eft de huit pièces ,
Qu'on les arrange artiſtement
On verra bien du changement.
Sans celui- ci , comment chanter des meſſes?
Comment ſans celui-là jouer du violon ?
Après ceux- ci c'eſt autre choſe :
Un poiſſon qui n'eſt point l'aloſe ;
Le cabriolet d'Apollon ;
Que fais-je encore ! quatre bêtes ,
L'une miaule , l'autre brait ,
Les autres font comme il leur plaît.
J'ai pitié de vos pauvres têtes.
Mes chers lecteurs , entre nous ,
Dites donc , en tenez-vous ?
Par M. le Chevalier d'Hugot.
AUTRE.
DANS le moral ou le phyſique ,
Me perdre eſt le plus grand malheur;
Eſt- il beſoin queje m'explique
Plus clairement , mon cher lecteur ?
OCTOBRE. 1770. 67
Tien , ſi tu veux trancher ma tête ,
Je t'offre alors une ſaiſon ;
Mais chut , il faut queje m'arrête ,
Carj'aidit en entier mon nom.
Par M. Poulhariez, écuyer.
AUTRE.
Mon cher lecteur , je ſuis un aliment ,
Neufpiésfont toute ma ſtructure.
J'ai d'abord un pronom avec un élément ;
Unmétal précieux que produit la nature ;
Un Saint de Montpelier; des forêts l'inſtrument ;
Ma dernière moitié fait l'ornement de Flore :
Si tu lamets àbas , malgré ce changement ,
Je fers de nourriture encore.
ParM. Bouvet , de Gifors.
68 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Obfervations fur Boileau , fur Racine ,
fur Crébillon , ſur M. de Voltaire
& fur la Langue Françoiſe en général ,
par M. d'Acarq , des Académies d'Ar.
ras & de la Rochelle , à Paris , chez
Valade , Libraire , rue S. Jacques ,
vis à-vis celle de la Parcheminerie.
,
"L'AUTEUR ayant fait imprimer en
>> 1764 un très- petit nombre de ces ob-
>> ſervations pour les communiquer à
>>quelques particuliers , & ne les ayant
>> point expoſées en vente ,juge à propos
>> de les donner ici au Public avec leur
>> ſuite. Le tout enſemble ſervira depen-
» dant aux remarques de grammaire fur
>> Racine par l'Abbé d'Olivet , & contri-
>> buera à maintenirla pureté de la diction .
>> En nous acquittant d'avance vis-à- vis
>> de nos ſouſcripteurs des ſeize feuilles
>>de fupplément que nous avons promis
>> de leur fournir durant le cours de l'an-
>> née entière , puiſſent - ils agréer notre
>>empreſſement & nous honorer de leurs
>>fuffrages ! »
OCTOBRE. 1770. 69
Ce ſouhait eſt bien engageant; mais , fur
la tournure de ce petit avis ,il n'eſt pas
probable que beaucoup de gensjugent àproposde
lire ces obfervations. On auroit
tott cependant , elles ſont curieuſes , &
nous eſpérons que l'expoſé fort court que
nous en allons donner vaudra quelques
lecteurs à M. d'Açarq , & c'eſt ce qu'il
paroît deſirer le plus.
Il examine d'abord l'art poëtique de
Boileau que nous critiquerons , dit- il , en
l'admirant toujours , & que nous n'aurions
garde de critiquer fans la double confidéra
tion qui nousfert de motiffacré.
C'eſt en vain qu'au Parnaſſe un téméraire auteur
Penſe de l'art des vers atteindre la hauteur.
«Boileau ne ſemble-t- il pas confondre
>> dans ce ſecond vers l'art des vers avec
>>l'art poëtique , la partie avec le tout ? »
S'il ne ſent point du ciel l'influence ſecrette ,
Și ſon aftre en naiſſant ne l'a formé poëte.
« Le premier de ces deux vers ne ſe-
>> roit- il pas uniquement pour la rime ,
& le fecond pour le ſens ? Boileau a
voulu rendre par ce diſtique le naf-
» cuntur poete que le premier vers ne
ود
70
MERCURE DE FRANCE.
>> rend point , & que le ſecond rendroit
» plutôt. A la rigueur ce que l'on fent
>> eſt- il Secret ? Ce qui eſt ſecret lefent-
» on ? Ce qui eſtſecret ne ceſſe - t- il pas
>> de l'être dès ſa naiſſance par ſon aftre ?
» Cela ne reſſemble-t- il pas un peu à la
doctrine horoscopique des phéniciens &
» à celle de nos almanachs ? »
On s'attend bien que nous ne ferons
point d'obſervation ſur de pareilles ob-
Servations. Nous nous contenterons d'affurer
les lecteurs que nous tranfcrirons
fidèlement.
Et conſultez long-tems votre eſprit&vos forces.
« Votre eſprit & vos forces produit un
>>pléonaſine vicieux : vos forces figni-
>>fient les forces de votre eſprit. Il auroit
>>peut- être fallu dire ;
>>E>t conſultez long-tems votreeſprit&ſes forces.
» Ou :
>>Et conſultez long-tems de votre eſprit les forces.
» Ou bien :
>>Et conſultez long-tems la valeurde vos forces .
» valeur auroit même répondu au quid
» valeant. »
OCTOBRE. 1770. 71
On voit que M. d'Açarq corrige bien
heureuſement Boileau. Il continue à le
critiquer de même.
Etjuſqu'à d'Aflouci , tout trouve des lecteurs.
« D'Allouci étant un auteur & non un
>> ouvrage , tout lemonde & non tout étoit
>> ce qu'il falloit dire,
Ses vers plats & groffiers dépouillés d'agrément,
Toujours baiſent la terre & rampent triſtement.
« Des vers qui toujours baiſent la terre
>> ne dénotent-ils pas une muſe qui s'embourbe
dans les marais du Permeſſe ? »
Comme M. d'Açarq a le ton noble &
le ſtyle ingénieux !
Vante unbaifer cueilli fur les lévres d'Iris.
" Que ſignifie un baifer cueilli ? Est-ce
>> un baifer donné ? Est-ce un baifer reçu ?
Le baiſer n'eſt cueilli dans aucun des
» deux cas, >> 1
M. d'Açarq ſe connoît en baiſers com
me en vers. De l'art poëtique de Boileau
il paſſe à la Berenice de Racine que M. de
Voltaire avoit déjà commentée ; mais
M. d'Açarq eſt bien un autre commentateur.
72 MERCURE DE FRANCE.
Cent fois je me ſuis fait une douceur extrême
D'entretenir Titus dans un autre lui - même .
« N'est - il pas d'une fadeur extrême ce
>> premier vers ?
Je fuis des yeux diſtraits
Qui mevoyant toujours ne me voyoient jamais.
« Toujours , jamais , voir , ne voir
>>point , n'eſt - ce point trop jouer ſur les
» mots ? »
La cour ſera toujours du parti de vos voeux.
<<Métaphore outrée.
Foibles amuſemens d'une douleur & grande.
« Vers puérile.
Héquoi ! Seigneur hé ! quoi ! cette magnificence
Qui va juſqu'à l'Euphrate étendre ſa puiſſance.
« La puiſſance d'une magnificence..grands
>> mots , terme métaphysique ſur terme
>> métaphyfique. Hé quoi ! hé quoi ! pa-
» roles , paroles. »
Quoique nous nous ſoyons propofés de
ne rien répondre à M. d'Açarq , il faut
pourtant
OCTOBRE. 1770. 73
pourtant lui dire qu'il devroit lire Racine
avec plus d'attention. Sa puiſſance
ſe rapporte à Antiochus & non pas à magnificence
; & en liſant les deux vers précédens,
le ſens eſt de la plus grande clarté.
Ainſi la métaphysique & la logique de
M. d'Açarq font ici endéfaut. Rien n'eſt
ſi communque de défigurer ce qu'il y a
de meilleur en tronquant un paffage &
citant infidèlement.
Votre deuil eſt fini , rien n'arrête vospas.
« Le deuil commence , le deuilfinit; on
→ parle différemment ſur le Parnaſſe. »
Que M. d'Açarq connoît bien le langage
du Parnaffe ! Quel dommage qu'il
n'ait refait qu'un ſeul vers de Boileau !
Un auſſi heureux eſſai devroit l'engager à
corriger ainſi tous les endroits défectueux
&deBoileau &de Racine.
Ellepaſſe ſesjours , Paulin, ſans rien prétendre
Que quelque heure à me voir &le reſte àm'at
tendre,
• Quelque heure pour me voir & le
> reſte pour m'attendre ſeroit moins
»mal,»
II. Vol. D
74. MERCURE DE FRANCE.
On eſt tenté d'avoir un peu d'humeur,
lorſqu'on entend parier de ce ton furdeux
vers de Racine , qui font au nombre des
plus beaux qu'il ait faits. Mais nous n'avons
pas le courage de nous fâcher contre
M. d'Açarq , & nous prions les lecteurs
de vouloir bien lui pardonner comme
nous. Ils nous diſpenſeront auffi de le fuivre
dans l'examen d'Athalie &de Phédre.
C'est toujours la même juſteſſe de
tact , la même fineſſe de vue , le même
agrément dans la diction & les tournures.
Il porte enfuite ſa vue ſur Electre
& Rhadamisthe de Monfieur de Crébillon
qui ſe trouve au rang des auteurs
claſſiques. L'auteur de Rhadamiſthe étoit
certainement un homme de génie. Mais
de n'eſt pas dans ſes pièces qu'il faut étudier
notre langue. Zaïre & Mérope font
parmi les pièces de M. de Voltaire celles
que M. d'Açarq foumet à ſa critique , &
il y trouve bien plus de fautes que dans
Electre & Rhadamisthe , ce qui est bien
naturel. Il faut ſe rappeler que M. d'Açarq
a fait une grammaire. C'eſt un légiflateur
en fait de goût & de langage ;
& nous allons rapporter quelques en
droits curieux de Monfieur d'Açarq qui
atteſteront les ſervices qu'il a rendus à
OCTOBRE. 1770. 75
notre langue & qu'il peut lui rendre encore..
« Le rapport mutuel& précis des mots
» fait les refforts divins d'une langue , &
>> c'eſt ce rapport eſſentiel que néglige
» M. de Voltaire , facrifiant aux agrémens
ود matériels l'active précision qui eſt d'un
>> ordre ſupérieur & qui eſt préférable à
" tout. Jeune , on ne ſe doute point de
» cela , affervi qu'on est à l'empire des
» ſens ; vieux , on l'apperçoit , on ne s'en
>>corrige pas plus... Le ſtyle grammatical
ود du 4º acte de Mérope eſt plus pur en
» général , & il y a de grandes beautés
» dans le ſtyle personnel... Quel bour-
ود
دو
د
donnement ! quel tintamarre ! Etoit ce
» le cas de monter aux nuës pour y travailler
une comparaiſon météorologique?
La verve fpiritueuse de M. de Voltaire
„ elt inépuisable en cés fortes d'éclatsful-
» phureux & retentiſſans. Racine a une al-
» lure tendre , Crébillon une allure terri-
„ ble , M. de Voltaire va en tout lens ,
» va toujours & n'a point d'allure certai-
» ne... Si Paris avoit eu deux pommes
„ d'or à diſtribuer entre ces trois auteurs,
>> il en eût donné la plus belle à Racine &
» l'autre à Crébillon , regrettant de n'en
avoir pas une troiſième. »
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Malheureuſement M. d'Açarq n'eſt
point Paris , & il n'a point de pommes
d'or.
Encore une phrafe , car on ne peut pas
quitter M. d'Açarg. " Après avoir lu Racine
, on ne manque pas de s'écrier
» que cela est bean ! Après avoir lu Cré-
. » billon , que cela eſt fort ! Après avoir
❤lu M. de Voltaire , que cela eſt joli !
Nous ne pouvons nous empêcher de
nous écrier , comme Hector dans le
Joueur ,
Que ces mots font bien dits & que c'eſt bien
penfe!
En effet c'eſt une bienjolie choſe que
le s . acte de Brutus, le se . acte d'Alzire ,
le 4º. de Sémiramis. Nous ne ſavons pas
pourtant ſi le 40. acte de Mahomet n'auroit
pas encore quelque choſe de plusjoli.
Nous nous en rapportons à M. d'Açarq.
Parlons ſérieuſement ; nous eſpérons
que les gens de goût voudront bien nous
pardonner de les avoir occupés un moment
d'un pareil ouvrage. Les étrangers
croiroient que nous retombons dans la
barbarie ſi les gens de lettres n'élevoient
pas la voix de tems en tems pour venger
OCTOBRE. 1770 . 77
le bon goût & l'honneur de la nation.
C'eſt le ſeul motif qui nous détermine
quelquefois à parler de livres ignorés dans
la capitale , mais qui ſe répandent aux
frontières &dans les pays voiſins où tour
ſe vend.
Pour reconcilier M. d'Açarq avec le lecteur
, il faut citer de ſes vers; car il en a
mis à la ſuite de ſes obfervations , pour
donner , comme Boileau , le précepte &
l'exemple.
Une ode à la jeuneſſe deMgr le Dau
phin commence ainfi .
De l'Etat illuſtre eſpérance,
Rejeton de nos demi - dieux ,
Vous , que votre inexpérience
Doit juſtifier à nos yeux ;
Gardez , vous dit par nous Minerve;
Que le plaifir qui tout énerve ,
N'amolliſſe vos premiers pas ;
L'âge vous lance au ſein du monde,
Ennaufrages mer très - féconde ,
Les écueils y font des appas .
. :
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Une foif implacable entraîne
Le caprice aux plus vils ruiſſeaux.
La liberté n'est qu'une chaîne
Qui nous lie à tous nos défauts .
Le célibat plus que la guerre ,
De tout tems dépeupla la terre ,
Par un preſtige fuborneur.
L'homme fut créé pour la femme ,
Votre ame demande une autre ame ,
De l'union naît le bonheur.
Après ces vers de M. d'Açarq , on peut
faire grace à ſa profe .
1
OCTOBRE. 1770. 79
L'Obfervateur François à Londres , ou lettres
fur l'état préſent de l'Angleterre ,
relativement à ſes forces , à ſon commerce
& à ſes moeurs , avec des notes
fur les papiers anglois , & des remarques
hiſtoriques , critiques & politiques
de l'éditeur. Seconde année , tome
premier. A Londres ; & ſe trouve à
Paris , chez Lacombe , rue Chriſtine ,
près la rue Dauphine ; Didot l'aîné ,
libraire & imprimeur , rue Pavée , au
coin du quai des Auguſtins.
La variété , l'utilité , l'agrément caractériſent
cet ouvrage périodique . L'Ob .
fervateur commence le premier cahier de
ſa ſeconde année par nous donner des
réflexions ſur l'hiſtoire. On lira avec un
intérêt touchant ce trait qui caractériſe la
bonté de coeur de Clément XIV. Le fouverain
Pontife n'étant encore que cordelier
voyoit ſouvent un peintre italien fort
médiocre . Il aimoit ſon caractère , ſes
moeurs & vivoit avec lui dans la plus
grande intimité . Elevé au cardinalat , il
devint pour le pauvre artiſte un grand
ſeigneur dont , ſuivant l'uſage ordinaire ,
l'abord devoit être fort difficile : auſſi le
peintre n'ofa- t il pas lui-même réclamer
ſa protection. Le cardinal penſoit diffé
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
remment. Etonné de ne pas voir paroître
à ſes audiences ſon ancien ami , il ſe rertdit
chez lui dans toute la pompe du plus
grand ſeigneur in fiocchi. L'artiſte , furpris
de cette viſite inattendue , le fut bien
plus encore lorſque l'Eminence , en le
preſſant dans ſes bras , l'aſſura qu'elle n'avoit
pas oublié leur ancienne liaiſon. Venez
donc me voir , lui dit affectueuſement
le cardinal , mon palais vous fera
toujours ouvert ; je ſerai toujours vifible
pour vous , & je ne ceſſerai jamais de
vous aimer. Elevé à la chaire pontificale,
on préſenta , ſuivant l'ufage , au nouveau
Souverain l'état de ſa maiſon , ſur lequel
le cardinal Major avoit placé l'un des
plus fameux peintres d'Italie . J'approuve
l'état , dit le St Père , à l'exception de
l'article du peintre. Celui que vous me
propoſez eſt ſans doute excellent ; mais
ma figure n'eſt point affez diftinguée pour
que les portraits qu'il en feroit puffent
ajouter à la réputation ; il eſt riche, d'ailleurs
, & peut bien ſe paſſer de moi . Je
connois un peintre moins célèbre , beaucoup
moins opulent , qui a toujours été
mon ami , que j'aime également & que
je prends pour mon premier peintre .
L'action ſuivante de l'Empereur actuel .
lement régnant eſt une leçon d'humanité
OCTOBRE. 1770 . δι
&de justice pour tous les Souverains.
L'Empereur aime à voir par lui- même &
à connoître ce que penſe le peuple ; il va
ſouvent tout ſeul ſe promener dans la
ville , & même quelquefois dans la campagne.
Une femme aſſez bien miſe , &
dont l'air trifte le toucha , ſe trouva , depuis
peu , ſur ſes pas. Ce Prince l'aborde,
cauſe avec elle , & lui demande ce qui
peut occafionner ſon extrême mélancolie
. Je ſuis veuve d'un officier au ſervice
de l'Empereur , ( lui dit- elle en foupirant)
j'ai très-peu de fortune , & j'ai vainement
préſenté les placets les plus preſſans pour
obtenir le paiement des appointemens
qui étoient dus à feu mon mari. Trouvez-
vous demain matin au palais , lui dit
ce Prince , j'y ai quelque crédit ; demandez
à préſenter votre placet à l'Empereur
même ; je me charge du reſte. La veuve
fut exacte au rendez - vous : on l'introduiſit
dans le cabinet de ſon Souverain .
Que l'on juge de ſon étonnement quand
elle reconnut en lui l'inconnu en qui elle
comptoit n'avoir rencontré qu'un protecteur.
Elle tomba à ſes pieds & obtint tout
ce qu'elle demandoit. L'Empereur , avant
que de la congédier , fit appeler celui qui
avoit le départementde ces fortes d'affai
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
res , le reprimanda & lui ordonna d'être à
Pavenir plus attentif à ſes devoirs .
L'Obfervateur , dans ce même cahier ,
nous intruit du jugement rendu au banc
du Roi d'Angleterre , en faveur des imprimeurs
& publicateurs de la lettre de
Junius , ainſi que du procès du duc de
Cumberland , cité au tribunal de la loi
pour avoir eu un commerce illicite avec
la femme du lord Grosvenord . L'avocat
de ce lord , après avoir conclu à ce que
l'accufé fut condamné envers ſa partie à
une amende de 100000 livres ſterlings ,
prévint l'objection que les juges pourroient
faire fur ce que la ſomme excédoit
la fortune de l'accufé , & prétendit que
plus le rang du coupable étoit éminent,
plus ledélit étoit grave , &que,dans nombre
de cas ſemblables , la justice avoit
moins confulté la fortune du criminel
que la nature de fon crime Jacques II ,
dit- il , n'étant encore que duc d'Yorck ,
attaqua un marchand de la cité pour caufe
de diffamation , & obtint contre lui une
amande encore plus conſidérable que celle
que je demande. Le lord Belvidere , en
Irlande , a obtenu contre fon beau frère
M.de Rochfort , qu'il avoit furpris avec
ſa femme , 20000 livres ſterlings. La forOCTOBRE.
1770 . 83
tune de M. de Rochford ne montoit
pourtant pas à cette fomme; & hors d'état
de la lui payer , il fut mis en prifon ,
où il reſta tant qu'il plut à fon beau- frere .
Cependant , malgré toute l'éloquence de
l'avocat , malgré la force de ſes exemples,
les juges n'accordèrent au lord Grofvenord
, qu'une fomme de 10000 liv. ſterlings
, que l'on prétend qu'il recevra ,
mais pour en diſpoſer en faveur de l'hôpital
des orphelins .
Ontrouve ici l'étimologie du wauxhall.
Ce mot Hall, en anglois , veut dire
falle , & Waux est le nom d'un particulier
de Londres , fils d'un refugié François
, qui a fait bâtir cette falle a ſes dépens.
Ainsi Wauxhall ne ſignifie rien
autre choſe que la ſalle de M. Waux .
L'Obfervateur , après avoir continué
de nous entretenir des mouvemens des
Colonies Angloiſes , nous donne pluſieurs
extraits des papiers anglois , & ces extrairs
font très-piquants par les connoiffances
qu'ils nous procurent des moeurs ,
des uſages & de la façon de penfer des
Anglois , de leur littérature& de leur induſtrie.
Ces extraits contiennent quelques
anecdotes . En voici une tirée de la Ga-
: zette univerſelle du 11 Août. Un chirurgien
de Paris , s'étant rendu à St Denis
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
poury voir les tombeaux des Rois de
France, ſe jeta à genoux devant celui de
Charles VIII . Que faites - vous , lui dit
un religieux de l'abbaye ? Cette tombe ne
renferme pas les reliques d'un Saint. Je
le ſais , lui dit le chirurgien ; mais ſi celui
qui eſt dans ce tombeau n'eſt pas un
Saint pour vous , il l'eſt pour moi : c'eſt
lui qui a apporté en France une maladie
qui m'a fait gagner 150000 .
L'Obſervateur rapporte d'après le London
Chronicle du même mois , qu'il y a
dans la province de Kent un gentilhomme,
qui a été l'ami particulier du célèbre
Prior : il vit dans ſa terre & eſt âgé de
cent vingt - deux ans ; il ſe nomme M.
Flect-Wood Shepherd.
Inſtitutions mathématiques , ſervant d'introduction
à un cours de philoſophie
à l'uſage des univerſités de France, ouvragedans
lequel on a renfermé l'arithmétique
, l'algèbre , les fractions ordinaires
& décimales , l'extraction des
racines quarrées & cubiques , le calcul
des radicaux & des expoſans , les raifons
, proportions & progreſſionsarithmétiques
& géométriques ; les logarithmes
, les équations , les problêmes
indéterminés , la théorie de l'infini, les
OCTOBRE. 1770 . 85
combinaiſons , la géométrie & trigonométrie
; la méthode de lever les
plans, la meſure des terreins , la divifion
des champs & le nivellement , les
ſections coniques & les principes du
calcul différentiel & du calcul intégral ,
&pluſieurs connoiſſances utiles aux
militaires. Les matières ſont traitées
clairement & miſes à la portée des commençants
. Par M. l'Abbé Sauri , ancien
profeſleur de philoſophie de l'univerſité
de Montpellier , vol. in - 8 °. A Paris
, chez Valade , libraire , rue St Jacques
, vis - à - vis celle de la Parcheminerie
.
Ce bon livre élémentaire a obtenu les
fuffrages des perſonnes verſées dans les
mathématiques , & de tous ceux qui recherchent
dans ces fortes d'ouvrages clafſiques
la méthode&la clarté. Il ſera mis
pour cette raiſon avec fruit entre les mains
des jeunes gens pour lesquels on ne peut
trop faciliter l'étude des ſciences abſtraites.
C'eſt auſſi le jugement qu'en a porté
l'académie royaledes ſciences. Cette aca.
démie a jugé ſur le rapport de MM. d'Alembert
& l'Abbé Boſſut : " Que cet ou-
>> vrage étoit fait avec clarté ; qu'il avoit
» l'avantage de renfermer un affez grand
86 MERCURE DE FRANCE.
" nombre de chofes dans un volume de
>> médiocre groſſeur , & qu'il y avoit tout
> lieu de penſer qu'il pourra être utile aux
>> commençans& fur- tout aux jeunes étu-
>> dians en philofophie auxquels il eſt
>> principalement deſtiné. >>
Epitre à M. Petit , docteur - régent de la
faculté de médecine de l'univerſité de
Paris , membre des académies royales
des ſciences de Paris & de Stockholm ,
&c. Par M. Leclerc de Montmerci ,
avocat au parlement & docteur en droit
de la faculté de Paris 1770 , in- 8 °. de
88 pages . A Paris , chez Gogué , libraire
, quai des Auguſtins.
L'amitié a dicté cet épîrre qui a plusde
deux mille vers , car l'amitié aime volontiers
à s'épancher. Les connoiſſances variées
que le poëte y a répandues & les
louanges qu'il donne à pluſieurs hommes
illuſtres de nos jours pourront intéreſſer
le lecteur & lui plaire .
Ouvrages de M. Lesley , contre les Déiftes
& les Juifs avec des défenfes , & un
traité du jugement particulier & de
l'autorité en matière de foi ; traduits
de l'anglois ſur la VII . édition ; par
OCTOBRE. 1770 . 87
le R. P. Houbigant , Prêtre de l'Oratoire
; vol . in 8°. A Paris , chez A. M.
Lottin l'aîné , libraire- imprimeur , rue
St Jacques , près de St Yves , au coq.
Charles Lefley , fils du docteur Jean
Leſley , qui étoit évêque proteftant de
Clogher en Irlande , avoit étudié la jurifprudence
avant de ſe livrer à la théologie.
Il prit les ordres en 1680 felon le
rit anglican , fut fait chancelier de l'égliſe
de Connor en 1687 , & mourut en 1722 .
Les différentes poſitions où se trouva Lefley
, ou plutôt ſon goût pour les écrits
polémiques , lui fit compoſer plufieurs
ouvrages tant théologiques que politiques
. Le P. Houbigant a raſſemblé dans
le recueil que nous annonçons ceux de ces
écrits qui peuvent être d'une utilité plus
particulière aux théologiens & à tous ceux
qui veulent ſe mettre en garde contre les
objections des Juifs , des Preſbytériens ,
des Quakers , des Sociniens , &c. Comme
Leſley avoit beaucoup vécu avec ces différentes
ſectes , il avoit étudié leurs principes
, leurs difficultés , leurs objections ;
& il les a puiſſamment combattus dans
différens écrits très recherchés encore aujourd'hui
par la méthode vive & ferrée
de l'écrivain . Ces écrits ont été imprimés
88 MERCURE DE FRANCE .
en anglois dans un volume in - 8°. qui
contient 1º. une méthode courte & ailée
contre les Deiſtes ; 2 °. Une méthode
courte & aiſée contre les Juifs ; 3 ° . Une
défenſe de la méthode contre les Déiſtes;
4°. Une lettre concernant le dieu des Siamois
; 5º. Une lettre de l'auteur à un déifte
converti ; 6 °. La vérité du chriftianifme
démontrée , dialogue entre un Chrétien
& un Déiſte ; 7°. Une diſſertatio,n
fur le jugement particulier & l'autorité
en matière de foi . De ces ſept ouvrages
le traducteur n'a omis que le ſixième , où
le Théologien Anglois ſe contente de
mettre en dialogues ce qu'il avoit ditdans
ſes deux méthodes. Comme Lefſley ſuivoit
les préjugés de l'égliſe anglicane, on
trouvera dans ſon dernier traité quelques
objections contre l'égliſe romaine. Le
traducteur ne les a point diſſimulées ; &
il s'eſt réſervé de les combattre dans ſes
favantes notes .
Matière médicale , extraite des meilleurs
auteurs , & principalement du traité
des médicamens de M. de Tournefort
& des leçons de M. Ferrein ; par
M, *** , docteur en médecine ; 3 vol .
in - 12. AParis , chez Deburre , fils
OCTOBRE. 1770. 8,
jeune , libraire , quai des Auguſt. près
le pont St Michel à St Paul.
L'étude de la médecine a deux objets
principaux ; la connoiſſance des maladies
&celle des médicamens. Les médicamens
ſe tirent des trois règnes. Le règne
végétal eſt celui qui en fournit le nombre
le plus conſidérable. Aidé des lumières
de la ſaine phyſique , on eſt aujourd'hui
à portée de ranger les médicamens
ſous des claſſes méthodiques. L'illuftre
botaniſte Tournefort a boucoup contribué
par ſes recherches aux progrès de la
ſcience des médicamens. Ses leçons , au
jardin du Roi & au collége royal , ont été
recueillies par pluſieurs de ſes diſciples ;
on doit , à l'un d'entr'eux , l'ouvrage qui
a pour titre : Traité de la matière médicale
, Paris 1717 , 2 vol. in 12. Le ſçavant
M. Ferrein s'eſt également occupé de cet
objet dans ſes cours , tant publics que
particuliers. La méthode qu'il a ſuivie
pour rendre l'étude des médicamens
moins épineuſe eſt ſimple , vraie & facile
à ſaiſir . Un médecin , qui ſe glorifie d'avoir
été fon diſciple , s'étant propoſé de
donner une nouvelle édition de la matière
médicale de Tournefort , a penſé
avec raiſon qu'il ne pouvoit rien faire de
و ه
MERCURE DE FRANCE.
mamieux
que d'adopter le plan de M. Fer
rein . Les explications de ces deux habiles
profefleurs ſe trouvent par cemoyen
réunies & comme fondues enſemble dans
les trois volumes que nous venons d'annoncer
, ce qui augmente le mérite de
cette nouvelle édition. Ce traité de
tière médicale peut être regardé comme
faiſant partie du cours de médecine pratique
, publiée l'année dernière. Ces deux
ouvrages ſe prêtent un ſecours mutuel.
L'un fait connoître les différentes maladies&
la manière de les combattre ; l'autre
donne l'hiſtoire des moyens qui doivent
être employés.
Le Père avare , ou les malheurs de l'éducation
; contenant une idée de ceux
de la Colonie des C***. 3 vol. in 12 .
A Paris , chez Duſventes de la Doué ,
libraire , rue St Jacques .
D'Erigny , c'eſt le nom du Père avare ,
parvenu du ſein de la pauvreté à la plus
haute fortune , & avide de diftinctions de
tout genre , chercha à s'en procurer avec
de l'or. Il crut qu'on achetoit de même
le plaifir , & il lemarchanda. Des femmes
perdues lui firent payer chérement des
faveurs qu'elles prodiguoient ailleurs .
OCTOBRE. 1770 . 91
D'Erigny ſe reſſouvenoit cependant qu'il
avoit été pauvre ; mais il ne ſe rappeloit
fon premier état , que pour outrer
la parcinoniedans le ſecretde ſa maiſon ,
& refufer à ſon fils unique tous les
moyens de s'occuper utilement , de s'inftruire
& de s'éclairer. Auſſi ce jeune
homme devint tout- à-coup le jouet de
ſa crédulité , de ſes paſſions & de fon
ignorance. Des femmes , qui n'ont pour
toure fortune qu'un peu d'appas & beaucoup
d'artifice , abuſent de ſa foibleſſe ,
&lui mettent le bandeau de l'amour fur
les yeux pour mieux le dépouiller. Leurs
feintes careſſes le précipitent dans des
dépenſes énormes , auxquelles il ne peut
fubvenir que par des emprunts ruineux ,
desbaffefles & même des vols faits dans
la maiſon paternelle. Lorſque ſes refl
ſources ſont épuiſées , il devient un objet
de mépris pour ces mêmes femmes qu'il
a comblées de biens. Il apprend à les
connoître , mais trop tard. Livré à l'ignominie
de ſa conduite , en proie aux regrets
les plus cuifans , preffé par ſes
créanciers , & craignant les menaces
d'un père irrité , il ſe refugie dans les pays
étrangers. Il y fait des connoiſſances qui
le précipitent dans de nouveaux égare92
MERCURE DE FRANCE.
mens. Il s'oublie même , au point d'abu
fer de la confiance d'une mère de famille
pour ſéduire ſa fille. Il ſe ſert du pouvoir
qu'il a fur cette fille , pour enlever un
dépôt d'argent qu'il remet entre les mains
d'une comédienne. Celle- ci imagine facilement
une rufſe pour s'approprier l'argent
, & ſe débarraſſer de l'homme vil
qui le lui apporte. Le jeune d'Erigny n'a
plus d'autre reſſource que de changer de
nom , & de ſe mettre aux gages d'une
troupe de comédiens. Il paſſe pluſieurs
mois dans cet état d'aviliſſement. Quelques
aventures qui lui arrivent l'obligent
de déclarer ſon vrai nom & fa famille ,
qui ignoroit le lieu de ſa retraite. Une
mère oublie aifément les égaremens de
fon fils , & Madame d'Erigny engage
fon mari à rappeler leur fils nnique , &
à lui donner un état. Lejeune d'Erigny ,
dans le ſein de ſa famille , & jouillant
d'une partie de ſa fortune , ſe fit d'abord
quelque peine de ſe répandre dans les
fociétés. Il craignit qu'on ne ſe rappelat
ſes anciens égaremens ; "mais il fut
>>bien- tôt convaincu , nous dit- il , dans
» ſes Mémoires , qu'il n'eſt point de
>> défordres que l'éclat de la richeſſe ne
> couvre ; & que nos actions , quelque
OCTOBRE. 1770 . 93
>> criminelles qu'elles puiſſent être , font
>> moins la mesure de l'accueil que le pu-
„ blic nous fait , que l'air d'importance&
>> l'appareil faſtueux qui nous environne ;
>> mille regards ſurpris tombèrent fur
>>> moi ; aucun n'étoit chargé de ces dé.
>>>dains repouſſans que j'avois tant ap-
>> préhendés ; on me conſidéroit avec
> des yeux d'envie ; on m'abordoit avec
>> un ſourire careffant ; toute l'attention
>> ſeportoit fur l'opulence qui relevoitma
» perſonne & mon équipage. Les fautes
>> que j'avois commiſes étoient dans l'ou-
>> bli ; on ne voyoit en moi que la dé-
>> coration extérieure : je fus étonné de
>> trouver tant d'indulgence ; j'en conclus
> que l'enveloppe brillante de l'homme
>> riche eſt un rempart qui le garantit
des traits de la curioſité&de la haine ,
» & par- là , comme dans un ſanctuaire
» impénétrable , à l'abri des voiles pré-
>> cieux qui l'entourent , il peut tout faire
>> impunément. Cette réflexion jeta de
>>profondes racines dans mon coeur , &
>> devinrent bien-tôt ſourdement le prin
>>cipe de nouveaux égaremens. » Une
femme aimable & vertueuſe qu'on lui
fit épouſer , ne put le diſtraire de ſes
malheureux penchans. Son époux infidèle
94 MERCURE DE FRANCE .
la reſpecta aſſez peu pour la rendre victime
du fruit de ſes débauches . Le venin
dont il étoit lui-même infecté , jeta
dans fon caractère un fond de triſteſſe &
de mélancohe qui le rendit odieux à ſes
propres yeux & injufte envers tout le
monde. Ses réflexions ſur ſa conduite
aigriffoient encore fon humeur farouche.
La vue d'un homme de bien étoit pour
lui un fupplice , & il fut affez pervers
pour ſuppoſer des crimes à un vieillard
reſpectable , qui n'avoit d'autre tort auprès
de lui , que d'avoir ſu gagner l'eftime
du public par la pratique des vertus.
Cette lâche intrigue ſe découvre : d'Erigny
eſt dénoncé à la Juſtice. On le pourfuit.
Sa famille s'aſſemble , & ne voit
d'autre parti pour le ſouſtraire au ſupplice
ignominieux qui l'attendoit , que
de le faire partir pour les Ifles. Il eſt
tranſporté dans l'Iſſe de C*** . On voit ,
avec une forte d'intérêt , ce malheureux
expatrié , montrer un coeur ſenſible aux
maux de la Colonie , & nous offrir la
pathetique image d'une troupe de Colons
, qui , ayant tout quitté , patrie ,
parens , amis , pour procurer quelque
foulagement à leur famille , ne trouvent,
OCTOBRE. 1770 . 95
!
que la difette , les maladies & la mort.
Ce tableau effrayant , & l'impreffion
douloureuſe qu'il fait ſur le lecteur , ne
peut être effacé que par l'image fatisfaiſante
d'un village entier que d'Erigny ,
de retour en France , édifie par ſes bienfaits.
C'eſt dans ce hameau que , ſous le
nom de Silvain , il apprend à diftinguer
le vrai bonheur , d'avec ce qui n'en a
que l'apparence. Il recouvre enfin la paix
de l'ame & une épouſe vertueuſe qui
n'avoit jamais ceſſé de lui être attachée .
L'homme qui n'eſt pas fans entrailles
& qui a négligé l'éducationde ſes enfans ,
pourra un jour verſer ſur ſa faute bien
des larmes améres . Il ſe convaincra du
moins , en lifant ces Mémoires, que la
bonne éducation eſt la meilleure richeſle
que l'on puiſſe laiſſer à des enfans ; que
c'eſt la voie la plus fûre pour les conduire
au bonheur. " O vous ! s'écrie
» d'Erigny , à la fin de ſes Mémoires ,
» qui diſſipez d'immenfes richeſſes en
>> frivolités , à payer de faux plaifirs ;
>> comme vous, je les achetai au poids de
>>>l'or ; comme vous , fuyant le vaide de
» mon ame, dévoré d'inquiétudes & de
regrets , plus je cherchois le bonheur
» par la prodigalité , plus j'étois mal
C
26 MERCURE DE FRANCE.
>> heureux ! Puiſſiez-vous , comme moi ;
>> faire l'eſſai des délices ineftimables
* qui ſuivent les ſentimens de bienveil-
>> lance envers les malheureux , & les ſe-
>> cours que l'on fait verſer dans leur
>> fein. «
Avis aux Mères qui veulent nourrir leurs
Enfans. Seconde édition , revue &
conſidérablement angmentée. Par Madame
L. R. in- 12. petit format ; chez
Didot le jeune , libraire , Quai des
Auguſtins,
Il paroîtra affez étonnant que l'on foit
obligé d'écrire pour indiquer lameilleure
manière de réuſſir à nourrir. C'eſt une
choſe ſi naturele & ſi aiſée , que , ſi les
mères étoient livrées à elles - mèmes ,
aux ſeules indications de la nature , &
fur-tout fans conſeils & fans ſyſtême ,
elles réuſſiroient fans peine & fans douleur.
C'eſt donc moins pour dire ce
qu'il faut faire dans les commencemens ,
que pour avertir de ce qu'il faut éviter ,
que Madame L. R. publie ce traité. « J'ai
obſervé , ajoute cette Dame eſtimable ,
>> les cauſes des difficultés qu'ont éproupyées
pluſieurs mères en voulant rem-
» plic
OCTOBRE. 1770 . 97
» plir le devoir ſi louable d'alaiter leurs
>> enfans . C'eſt l'intérêt que je prends à
>> ces dignes mères , à celles qui voudront
>> les imiter , & aux enfans , qui m'enga-
» ge à publier mes obſervations & le ré-
>> ſultat de mon expérience. J'ai moi-
- même été victime , juſqu'à un certain
>> point , des mauvais conſeils & des pré-
»jugés. J'aurois eu bien de la peine de
>> moins à ma première nourriture ſi j'euf-
>> ſe été ſeule avec mon enfant , ou que
>>j'euſſe ſçu ce que je vais communiquer.
>> Je n'ai pas la ſcience des médecins ,
>> mais j'ai l'expérience pratique. Je ne
>> dirai tien donc que je ne fois fûre. J'ai-
» me mieux ne pas dire tout ce qui eſt
>> relatif à la première éducation des en-
>> fans que de riſquer d'induire quelqu'un
» en erreur. »
Ce petit traité, ſi intéreſſant pour l'humanité
, ne pouvoit manquer d'obtenir le
fuffrage de la faculté de médecine de Paris.
Cette faculté exhorte les mères à s'y
conformer exactement . Par-là elles éviteront
bien de maux , & conferveront à
l'état bien des ſujets qui font la victime
de la méthode qu'on n'eſt que trop dans
l'uſage de ſuivre .
II. Vol. E
:
98 MERCURE DE FRANCE.
La Mimographe , ou idées d'une honnête
femme pour la réformation du
théâtre national . A Amſterdam & à la
Haye : A Paris , chez Delalain , libraire
, rue & à côté de la Comédie Françoiſe
; & Edme , libraire , quai des Auguſtins
, ſous la porte du grand couvent
; vol. in 8°. de 450 pages. Prix ,
4liv . 16 fols.
Un écrivain anonyme qui a beaucoup
d'eſprit & beaucoup d'idées fingulières ,
publia l'année dernière le Pornographe ,
ouvrage vraiment fingulier , pour ne rien
dire de plus , dans lequel il propoſoit les
moyens de prévenir les malheurs qu'occaſionne
le publicijme des femmes. Il expoſe
aujourd'hui dans ce nouveau volume
divers articles de reforme pour remédier
à pluſieurs inconvéniens qui accom
pagnent le théâtre. Le principal & le
plus fingulier en même tems feroit de
fupprimer les comédiens de profeffion &
de leur ſubſt tuer des jeunes gens de l'un
& de l'autre sèxe pour leſquels la déclamation
ſeroit un exercice libre , honorable
, & qu'ils pourroient cultiver fans
renoncer aux emplois de la ſociété. Il feroit
peut - être néceſſaire auparavant de
OCTOBRE. 1770. 99
reformer nos uſages , notre façon de penfer
&de nous rappeler aux inftitutions
des Grecs . Quoiqu'il en ſoit , l'auteur a
compofé fon ouvrage en forme de lettres
dont la partie hiſtorique retrace l'avanture
d'un mari qui , méconnoiflant les
véritables plaiſirs du coeur , néglige une
épouſe aimable & vertueuſe pour s'attacher
à une fille de théâtre. Les héros de
cette avanture font les mêmes qui ont
paru dans l'intrigue qui ſeit d'enveloppe
au Pornographe , mais confidérés dans
d'autres circonstances . Tout ceci eſt accompagné
de citations , de notes , d'obſervations
qui ne préſentent au premier
coup d'oeil qu'un aſſemblage de matériaux
pour ur vaſte édifice. Comme l'efprit
& l'érudition ſont répandues dans
ces notes , le lecteur pourra les parcourir
ou pour s'inſtruire ou pour s'amuſer . Mais
le fréquent néologiſme de l'auteur le re
butera quelquefois. Ce n'eſt point cependantque
, parmi les expreſſions nouvellesqu'il
eſſaie d'introduire , il n'y en ait
d'heureuſes , & d'autant plus admiſſibles
qu'elles tirent leur origine de mots actuellement
en uſage.
La mimographe a raſſemblé dans une
de ſes notes ce que différens auteurs nous
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
ont dit ſur les ſpectacles pantomimes des
Anciens. Cet écrivain auroit dû nous fuggérer
ici quelques moyens propres à renouveller
parmi nous ce genre de ſpectacle
néceſſaire , fur-tout dans les fêtes &
les aſſemblées publiques , pour amufer
une multitude innombrable de ſpectateurs.
Le drame pantomime , dont nous
ne connoillons point affez les reſſources ,
pourroit devenir un ſpectacle intéreſſant
entre les mains d'un compoſiteur de muſique
qui feroit homme de génie. Ce muſicien
, privé du ſecours des paroles , fe
verroit obligé d'y ſuppléer en donnant à
ſa muſique un caractère très - marqué &
très expreffif. Il lui ſeroit peut - être néceſſaire
pour amener les airs de mouvement
&de paſſion de ſon ſpectacle pantomime
, d'y introduire une forte de recitatif
obligé qui ſeroit joué par l'acteur
pantomime. En effet , ſi les airs font les
expreffions de la paſſion exaltée , on doit
ſuppoſer que quelque cauſe a donné lieu
à cette vive expreſſion , & c'eſt la néceffité
d'amener cette cauſe & de la faire
connoître au ſpectateur qui doit rendre
le récitatif indiſpenſable non ſeulement
dans le drame vocal , mais encore dans
le drame pantomime. Une muſique pitOCTOBRE.
1770. 101
toreſque ajouteroit aux geſtes de l'acteur
pantomime , les développeroit , les échauferoit
même & leur donneroit cette énergie
néceſſaire pour faire impreſſion. Comme
il ſeroit facile de doubler l'orcheſtre
&que la repréſentation pantomime pourroit
être vue de très loin , on conçoit
qu'aucun ſpectacle ne ſeroit plus propre
àamuſer une nombreuſe aſſemblée. C'eft
auſſi une des principales raiſons qui l'avoit
fait adopter par les Romains , dont
les amphithéâtres contenoient ſouvent
plus de vingt mille ſpectateurs.
Obfervations phyſiques & morales ſur l'inftinct
des animaux , leur induſtrie &
leurs moeurs. Par Hermann Samuel
Reimar , profeſſeur de philoſophie à
Hambourg , & membre de l'académie
impériale des ſciences de Peterſbourg.
Ouvrage traduit de l'allemand ſur la
dernière édition par M. H *** de
L** , 2 vol . in 12. A Amſterdam ,
chez Changuion ; & ſe trouve à Paris ,
chez Jombert fils , rue Dauphine.
-
,
L'auteur de cet ouvrage , M. Reimar ,
eſt mort , il y a environdeux ans , à Hambourg
ſa patrie , avec la réputation d'un
bon citoyen , d'un obſervateur exact &
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
d'un phyſicien éclairé. Perſonne juſqu'ici
n'a développé avec autant d'exactitude &
dans un aufli grand détail que ce profeffeur
les instincts des animaux dont il
diſtingue trois eſpèces , des inſtincts mécaniques
, des instincts repréſentatifs &
des instincts ſpontanés ou volontaires .
Les premiers appartiennent au corps; ce
font des mouvemens organiques qui ,
fans aucun fentiment ni aucun choix de
l'animal , portent la machine à exécuter
certaines actions pour l'entretien & la
confervation de la vie. Les instincts repréſentatifs
font des diſpoſitions de l'ame
qui la portent à connoître les objets , ſe .
lon leur rapport avec l'état préſent ou
pallé du corps auquel elle eſt attachée. A
l'égard des inſtincts volontaires l'auteur
les définit des efforts ſpontanés de l'ame
qui la portent à rechercher & à ſe procurer
, autant qu'il dépend d'elle , les objets
qui , ſelon le ſentiment de la perception
qu'elle en a , lui promettent du plaifir ,&
àcraindre & éviter tout ce qui la menace
de quelque ſenſation douloureuſe. Ces
instincts ſpontanés font ceux que l'on défigne
communément par le ſimple mot
d'inſtinct impetus : cependant , ajoure M.
Reimar , il nous ſemble convenir auſſi
proprement aux deux autres eſpèces , qui
OCTOBRE. 1770 . 103
conſiſtent également dans un penchant
naturel pour certaines actions & dans l'activité
de certaines forces : on ne ſçauroit
même parvenir à une entière connoillance
des inſtincts des animaux , ſans recourir
aux inſtincts mécaniques & aux inftincts
repréſentatifs ,
Comme l'auteur s'eſt principalement
appliqué à généraliſer ſes obfervations ,
fon ouvrage plaira peut - être moins au
commun des lecteurs que s'il eût commencé
par donner une deſcription détaillée
du genre de vie & des opérations ,
ſoit d'un animal , ſoit d'un autre. Cette
deſcription particuliere , par ſa variété &
par les faits qu'elle préſente , ſoutient l'attention
& pique beaucoup plus la curiofité
que tout ce qui n'eſt que général . La
traduction de ce bon ouvrage a été faite
avec ſoin , & le traducteur l'a enrichi de
quelques notes utiles .
ACADÉMIES.
I.
Marseille..
L'ACADÉMIE des belles- lettres , ſciences
& arts de Marseille a propoſé pour ſujet
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
du prix de poësie qu'elle adjugera le 25
Août 1771 , la Corſe ſous les loix de la
France.
Les ouvrages feront adreſſes , francs de
port à M. Mourraine , ſecrétaire perpétuel
de l'Académie , &ils ne feront reçus
que juſqu'au 15 Mai incluſivement. Le
prix eſt une médaille d'or de la valeur de
300 liv .
I I.
Lyon.
L'Académie des ſciences , belles - lettres
& arts de Lyon , propoſe pour le prix
de mathématiques fondé par M. Chriftin
, qui ſera diftribué à la fête de St Louis
1772 , le ſujet ſuivant : Quels font les
moyens le plus faciles & les moins difpendieux
de procurer à la ville de Lyon , la
meilleurs eau , & d'en diftribuer une quantitéfuffisante
dans tous ſes quartiers.
Les eaux de puits , preſque toujours
déſagréables , font généralement reconnues
pour mal-faines , lorſque les puits
font placés dans l'enceinte d'une ville
peuplée. Les eaux de rivieres & celles des
ſources choiſies font au contraire les plus
pures & les plus falubres.
OCTOBRE. 1770 .
105
La ville de Lyon eſt ſituée au confluent
de deux grandes rivières ,& entourée de
collines qui fourniſſent les eaux ſaines &
abondantes ; cependant ſes habitans , dans
le plus grand nombre de ſes quartiers ,
n'uſent que des eaux de puits .
Tels font les objets du problême propoſé.
L'Académie exige des auteurs qui
voudront le réſoudre , de déterminer la
qualité des eaux qu'ils indiqueront , d'afſigner
la quantité néceſſaire à la confommation
, & de joindre à leurs projets le
plan des machines qu'ils voudront employer
, le calcul de leur produit & de
leur entretien , celui des nivellemens néceſſaires
, & le devis des frais .
Toutes perfonnes pourront aſpirer à ce
prix . Il n'y aura d'exception que pour les
membres de l'académie , tels que les académiciens
ordinaires& les vétérans. Les
aſſociés , réſidans hors de Lyon , auront la
liberté d'y concourir.
Ceux qui enverront des mémoires font
priésde les écrire en françois ou en latin ,
&d'une manière liſible .
Les auteurs mettront une deviſe à la tête
de leurs ouvrages ; ils y joindront un
billet cacheté qui contiendra la même
deviſe , avec leurs nom , demeure & qua
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
lités. La piècé qui aura remporté le prix
fera la ſeule dont on ouvrira le billet.
On n'admettra point au concours les
mémoires dont les auteurs ſe ſeront fait
connoître directement ou indirectement
avant la décifion.
Les ouvrages feront adreſſés , fanrcs de
port , à Lyon : à Mi de la Tourrette ,
confeiller à la cour des monnoies , fecrétaire
perpétuelpour la claſſe des ſciences ,
rue Boiffac .
Ou à M. Bollioud Mermet , ſecrétaire
perpétuel pour la claſſe des belles-lettres ,
ruedu Plat.
Ou chez Aimé de la Roche , imprimeur-
libraire de l'académie , aux Halles
de la Grenette.
Les Sçavans Etrangers ſont avertis qu'il
ne ſuffit pas d'acquitter le port de leurs
paquetsjuſqu'aux frontières de la France ,
mais qu'ils doivent auſſi commettre quelqu'un
pour affranchir ces paquets depuis
la frontière juſqu'a Lyon , ſans quoi les
mémoires ne ſeroient point admis au
concours .
Aucun ouvrage ne ſera point reçu après
le premier Avril 1772. L'Académie,dans
une aſſemblée publique qui ſuivra immédiatement
la fête de St Louis , proclamera
la pièce qui aura mérité les fuffrages.
OCTOBRE. 1770. 107
Le prix eſt une médaille d'or de la valeur
de 300 liv. Elle ſera donnée à celui
qui , au jugement de l'académie , aura fait
le meilleur mémoire ſur le ſujet propoſé.
Cette médaille ſera délivrée à l'auteur
même qui fe fera connoître , ou au porteur
d'une procuration de ſa part, dreſſée en
bonne forme .
Prix des Arts pour l'année 17718
Lamême Académie avoit propoſé pour
le ſujet du concours de l'année 1765 , de
trouver le moyen de durcir les cuirs , &c.
elle continua ce ſujet pour l'année 1768 ,
le prix étant double; mais , les mémoires
qui lui font adreſſés n'ayant aucunement
rempli ſes vues , elle fut dans le cas de
réſerver un prix triple , ou trois médailles
de cent écus chacune , pour l'année
1771. Elle délibéra dès-lors de ne fixer
dans cette occaſion aucun ſujet déterminé
à ceux qui voudroient concourir ; elle
annonça , par un programme particulier ,
qu'en l'année 1771 , elle décerneroit le
prix triple à celui qui , ſous la forme des
mémoires qu'on adreſſe aux académies
lui communiqueroit la découverte la plus
utile dans les arts , en établiſſant que cette
découverte lui appartient , & n'est pas an
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
térieure à la date du premier programme ,
publié le 30 Août 1768 .
L'académie deſire que ceux qui voudront
concourir , ſe conforment aux conditions
ordinaires énoncées dans le programme
ci-deſſus pour l'année 1772 , &
qu'ils joignent à leurs mémoires , les figures
, les plans ou les modèles qui feront
relatifs à leurs découvertes. Les mémoires
ne feront point admis paſſé le premier
Avril 1771 ; la diſtribution ſe fera dans
l'affemblée publique qui ſuivra la fête de
St Louis .
Prix de Physique pour l'année 1773 .
L'Académie avoit propoſé le ſujet fuivant
, pour le prix de phyſique qu'elle devoit
adjuger cette année 1770 :
Déterminer quelsfont les Principes qui
constituent la Lymphe; quel eft le véritable
organe qui la prépare ; fi les vaiſſeaux ,
qui la portent dans toutes les parties du
corps, font une continuation des dernières
diviſions des artères fanguines , oufi ce
font des canaux totalement différens&par.
ticuliers à cefluide ; enfin quel estfon usage
dans l'économie animale.
Les auteurs , qui ont concouru , n'ayant
pas entièrement rempli les vues de l'acaOCTOBRE.
1770. 109
:
démie , elle a cru devoir continuer le même
ſujet à l'année 1773 , ſans néanmoins
rejeter du concours les mémoires qui y
ont été admis ; elle s'empreſſe même de
donner des éloges à celui qui porte ces
mots pour deviſe : Cui lecta potenter erit
res , nec facundia deferet hunc , nec lucidus
ordo. Hor. L'auteur lui paroît très en état
d'approfondir davantage cette matière
importante. Elle invite particulièrement
ceux qui voudront s'en occuper , à déterminer
par des expériences , la nature de
la lymphe comparée aux autres humeurs ,
&àdécrire ſon cours dans toute l'habitude
du corps .
Le prix , conſiſtant en une médaille
d'or , de la valeur de cent écus , fera double.
Les conditions font les mêmes que
celles du programme ci deſſus , pour l'an .
née 1772 ; avec cette ſeule différence que,
dans la vue de donner plus de tems à l'examen
des mémoires & à la vérification des
expériences , l'académie exige qu'ils lui
foient remis dans le courant du mois de
Janvier 1773 , après lequel tems ils ne
feront plus admis. La diſtribution du prix
ſe fera après la fête de St Louis.
112 MERCURE DE FRANCE.
établiſſent les indications dans ſes différens
ſièges , ſes diverſes eſpèces & fes
divers états ; qu'ils remontent aux prin.
cipes qui y donnent lieu ; qu'ils dérerminent
la manière de les reconnoître ,
en donnent une théorie fatisfaiſante ;
qu'ils indiquent les meilleurs ſpécifiques
connus dans tous les cas , en démonmontrant
leur pouvoir ou leur ſuffifance;
qu'ils donnent enfin , s'il eſt poſſible .
de nouvelles vues ſur les découvertes
à faire , & fur les moyens d'y parvenir.
L'académie invite auſſi les auteurs ,
à dreſſer des tables raiſonnées , qui contiennent
l'extrait de ce qu'ils auront dit
ou rapporté de plus eſſentiel.
Les conditions d'ailleurs font les
mêmes que celles qui ſont énoncées
dans le programme ci-deſſus , pour l'année
1772 ; à l'exception néanmoins
que l'académie exige que les mémoires
lui foient rendus dans le courant du,
mois de Janvier 1773 paffé lequel
tems , ils ne ſarant plus admis. La diſtribution
ſera faite dans la même ſéance
que celle du prix précédent.
L'académie croit devoir renouveller
ici l'avis qui concerne l'affranchiffement
des paquets ; elle a été contrainte ,
OCTOBRE. 1770. 113
à regret , de laiſſer à la poſte , un mémoire
envoyé d'un bureau de Flandres ,
nommé St. Nicolas près de Gand , ce
mémoire n'ayant pas été affranchi depuis
la frontiére juſqu'à Lyon , comme l'exige
le programme de l'académie , conformément
à l'uſage de tous les Corps littéraires
de l'Europe.
III .
Montauban.
L'Académie a célébré , ſelon fon uſage,
la fête de St Louis. Elle a aſſiſté le matin
à une meſſe ſuivie de l'Exaudiat pour le
Roi & du panégyrique du Saint , prononcé
par le R. P. Martin , prieur des carmes
de cette ville .
Elle a tenu à quatre heures de relevée ,
une affemblée publique dans la grande
ſalle de l'hôtel-de- ville , ſuivant le réglement
qui lui a été donné par le Roi .
M. de Saint- Hubert , chevalier de l'ordre
royal & militaire de St Louis , directeur
de quartier , a ouvert la ſéance par
des vers agréables , & a enfuite annoncé
le ſujet de l'aſſemblée.
M. l'Abbé Bellet a lu un diſcours en
vers , où la Patrie repréſenteſes droits àfes
114 MERCURE DE FRANCE.
enfans , & les maux auxquels elle defire
qu'ils apportent du remède.
Cette lecture a été ſuivie de celle d'une
épître aux Dames ſur les modes littéraires,
par M.l'Abbé Teulieres , où il compare
ces modes à celles de la parure , pour en
conclure que les unes altèrent & corrompent
l'art , quand les autres l'égaient &
l'embelliſſent quelquefois .
M. de Savignac , préſident de la cour
des aides , a lu des Stances fur le doute
raisonnable , à Mde de **** , par M. le
chevalier de Malartic la Devèze , capitaine
au régiment de Vermandois , l'un
des académiciens.
M. l'Abbé Bellet a lu un diſcours où ,
après avoir dir que la Vérité est un tréfor
dont l'acquifition fait l'opulince & la gloire
des Académies; il a indiqué les moyens
les plus propres à leur en aſſurer la poffefſion
dans tous les genres .
M. de St Hubert a recité des Srances ,
qu'il a appelées la Philofophie de l'honnête
Homme ; & d'un pinceau également léger
& philofophique il a tracé des maximes
dont il feroit à ſouhaiter que la pratique
fût ſuivie dans la ſociété.
Le prix de poëſie a été adjugé à une ode,
dont le R. P. Lombart , de la Doctrine
Chrétienne , l'un des profeſſeurs du colOCTOBRE
. 1770. 115
lége de l'Eſquille , à Toulouſe , s'eſt déclaré
l'auteur , & dont M. de Broca , conſeiller
à la cour des aides , a fait la lecture.
La ſéance a été terminée par la diftribution
du programme ſuivant.
L'Académie des belles lettres deMontauban
diſtribue tous les ans , le 25 Août,
fête de St Louis , un prix d'éloquence ,
fondé par M. de Latour , doyen du chapitre
, l'un des trente de la même académie.
Ce prix eſt une médaille d'or ,
de la valeur de 250 liv. portant d'un
côté les armes de l'académie , avec ces
paroles dans l'exergue : Academia Montalbanenfisfundata
auspice LuDOVICO
XV, P. P. P. F. A. imperii anno XXIX :
& fur le revers , ces mots renfermés dans
une couronne de laurier ; Ex munificentia
viri academici D. D. Bertrandi de
la Tour Decani Eccl. Montalb . м.
DCC. LXIII. Il eſt deſtiné à celui qui
ſe trouvera avoir fait le meilleur difcours
ſur un ſujet relatif à quelque point
de morale , tiré des livres ſaints.
و
Le ſujet de ce diſcours fera pour l'année
1771 .
Le désintéreſſement est la marque la
moins équivoque d'une grande ame : conformément
à ces paroles de l'écriture :
Divitias nihil effe duxi. Sap. VII . 8 .
116 MERCURE DE FRANCE.
Les auteurs font avertis de s'attacher
àbien prendre le ſens du ſujet qui leur
eſt propofé , d'éviter le ton de déclamateur
, de ne point s'écarter de leur
plan , & d'en remplir toutes les parties
avec juſteſſe & avec préciſion .
Les diſcours ne feront , tout au plus ,
que de demie heure , & finiront par
une courte prière à JESUS-CHRIST .
On n'en recevra aucun , qui n'aitune
approbation , ſignée de deux docteurs en
théologie.
Le prix de 1770 , ayant été réſervé ,
l'académie le deſtine à une ode ou à un
poëme , dont le ſujer ſera :
Les grands hommes dégradés dans le
fein de la molleſſe.
,
Le prix du poësie qu'elle a diſtribué,
a été adjugé à une ode qui a pour
ſentence : Laudemus viros gloriofos quorum
pietates non defuerunt. Eccl . 44.
Les auteurs ne mettront point leur
nom fur leurs ouvrages , mais feulement
une marque ou paraphe , avec un
paſſage de l'écriture- fainte , on d'un père
de l'égliſe , qu'on écrira auſſi ſur le regiſtre
du ſecrétaire de l'académie .
Ils feront remettre leurs ouvrages par
tout le mois de Mai prochain , entre
les mains de M. l'abbé Bellet , ſecrétaire
OCTOBRE
1770 . 117
perpétuel de l'académie , en ſa maiſon ,
rue Cour-de-Toulouſe.
Le prix ne ſera délivré à aucun , qu'il
ne ſe nomme , & qu'il ne ſe préſente en
perſonne , ou par procureur , pour le
recevoir & figner le diſcours .
Les auteurs ſont priés d'adreſſer à M. le
ſecrétaire , trois copies liſibles de leurs
ouvrages , & d'affranchir les paquets qui
ſont envoyés par la poſte.
I V.
Académie étrangère.
L'académie royale des beaux arts de
Parme a tenu ſa ſéance publique le 29
Avril 1770. pour la diftribution des
prix de peinture & d'architecture. Elle a
couronné dans la peinture , le tableau
qui a pour déviſe : Volat dubiis victoria
pennis. Il eſt de M. Spirito Antonio
Gibelin , demeurant à Rome , & élève
de M. Coſte , profeſſeur de l'académie
de peinture de Marſeille.
Le prix d'archiieſture a été remporté
par M. François Jourdan , élève de M.
Petitor , architecte & profeſſeur royal.
Son deſſein avoit pour deviſe : Aspiras
primo fortuna labori,
118 MERCURE DE FRANCE.
L'académie propoſe pour ſujet du prix
de peinture , pour le concours de l'année
1771 , » Annibal , vainqueur , qui , du
>> haut des Alpes , jette pour la première
>> fo's un coup d'oeil ſur l'Italie. « Ce
ſujet eſt emprunté de ce beau ſonnet de
l'abbé Frugoni.
Ferocemente la viſiera bruna
Alzò ſull' Alpe l'affrican guerriero
Cur la vittrice militar fortuna
Splendea negli atti del ſembiante altero.
Rimitò Italia , e qual chi in petto aduna
Il giurato ſull' ara odio primiero
Malignotife , non credendo alcuna
Parte ſecura del nimico impero.
Indi col forte immaginar rivolto
Alle venture memorande impreſe
Tacito , etutto in ſuoi penfier raccolto.
Sequendo il genio , che per man lo proſe,
Coll' ite ultrici , & le minacce in volto ,
Terror d'Auſonia , e del Tarpio diſceſe.
L'académie demande qu'Annibal foit
repréſenté dans le moment , que , levant
OCTOBRE . 1770. 119
,
la viſière de fon caſque , & fe retournant
vers le génie qui le prend par la
main il remarque de loin les belles
campagne d'Italie. La joie qu'il reffent
intérieurement perce dans ſes yeux , &
l'on doit voir déja briller fur fon front
la noble confiance de ſes prochaines
victires .
Le ſujet du prix d'architecture , eſt le
plan d'un magnifique théâtre , propre à
la repréſentation de toutes fortes de poêmes
dramatiques. L'académie dans fon
programme exige des defſins ſéparés des
plans , coupes & élévations de ce théâtre
, & un plan général qui réuniſſe les
différentes patties de ſa diſtribution &
de ſa décoration intérieure & extérieure.
Ce plan doit contenir les formes & les
dimenſions les plus convénables pour
l'emplacement de l'orchestre , des loges ,
des amphithéâtres & du théâtre , pour
le changement de la ſcène , la pompe
&la magnificence de la repréſentation .
Les architectes qui voudront concourir
, auront toujours foin de ſe rappeler
que ce theâtre doit ſervir alternativement
pour la repréſentation des drames liriques
, tragiques & comiques ; & ils fe
conformeront , pour la grandeur & l'étendue
de l'édifice , à ce qui eſt aujour
120 MERCURE DE FRANCE .
d'hui pratiqué dans les premières villes
d'Italie.
Le prix de peinture & celui d'Architecture
, font une médaille d'or de cinq
onces. Cette médaille aura pour empreinte
, les noms auguſtes du Souverain
, & des attributs relatifs à chacun
de ces arts. Les concurrens obſerveront
exactement les conditions ſuivantes.
1º. Ils donneront avis de l'intention
où ils ſont de concourir , à M. le comte
Rezzonico , ſécrétaire perpétuel , qui
les informera s'ils font admis , ou non.
2º. Après l'admiſſion , s'ils demeurent
dans des villes étrangères , ils ſe
préſenterent aux académiciens députés
par l'académie dans ces villes ; & , ces
académiciens , que le ſécrétaire leur indiquera
, leur feront connoître les précautions
qu'ils auront à prendre ſur leurs
ouvrages. Dans les villes où il n'y aura
point d'académiciens délégués , l'académie
s'en rapportera à la bonne foi & à
l'honnêteté des concurrens .
3°. Les tableaux & les deſſins d'ar.
chitecture , s'enverront directement à
Parme , à l'adreſſe de M. le conte Rezzonico
, fécrétaire , dans le courant du
mois d'Avril , pour être jugés dans le
mois
OCTOBRE. 1770 . 121
moi de Mai ; & les prix feront diſtribués
dans la première aſſemblée générale .
4°. Chaque concurrent mettra à fon
tableau ou deflin , une ſentence pour fa
deviſe , dont il fera part an ſeul ſécrétaire
, par une lettre ſignéede fon propre
nom. Ceux qui ſe ſeront fait connoître
à d'autres perſonnes qu'au ſécrétaire , ou
qui auront follicité des recommandations
, feront exclus du concours .
5°. L'académie exige que chaque
concurrent , outre fon nom , informe le
ſécrétaire , dans la lettre qu'il lui écrira ,
de fon pays & du maître ſous lequel
il a étudié.
Les tableaux & les deſſins s'enverront
à Parme , aux frais des concurrens . Ceux
qui auront été couronnés , reſteront à
l'académie ; les autres feront renvoyés à
leurs auteurs , aux dépens de l'académie .
SPECTACLES.
OPÉRA.
L'ACADÉMIE royale de muſique continue
les repréſentations des Fêtes grecques
&romaines. Elle donnera inceſſamment
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
Ajax , tragédie lyrique , dont les paroles
font de Menneffon &la muſique de Bertin.
On a accueilli avec vivacité Mlle de
Châteauvieux , qui a débuté dans le chant.
Une voix agréable , moëlleuſe & fort
étendue fait concevoir les plus grandes
eſpérances de ce jeune ſujet qui joint à
la beauté de fon organe une figure trèsintéreſſante.
し
VERS à Mlle de Châteauvieux ,
débutante à l'Opéra .
QUELLE eft cette beauté nouvelle
Qui brille à nos regards (urpris ?
Châteauvieux raſſemble autour d'elle
La cour & des jeux & des ris.
Dans ſes accens l'Amour ſoupires
Dans ſes yeux il place ſes traits.
Elle ſurprend par ſon ſourire ,
Et triomphe par ſes attraits.
Oui , c'eſt la reine de Cythère...
Mais , qu'entens-je ... quels ſons touchans!
Vénus joint-elle à l'art de plaire ,.
L'art de ſéduire par ſes chants ?
7
OCTOBRE. 1770 . 123
COMÉDIE FRANÇOISE.
On a remis fur ce théâtre pluſieurs repréſentations
du Père de famille , qui a
reçu de nouveaux applaudiſſemens. L'illuſionde
la ſcène eſt parfaite par l'art &
l'enſemble du jeu des acteurs. M. Molé,
M. Brizart , Mde Preville , Mlle Doligni
font les perſonnages mêmes qu'ils
repréfentent. Il n'eſt pas poffible de porter
plus loin la vérité de l'action & de
donner plus d'énergie , plus d'éclat , plus
de feu aux fentimens &aux paffions qu'ils
font paſſer dans l'ame du ſpectateur.
ENVOI à Mile d'Oligny , de la Comédie
Françoise.
Aimable élève de Thalie , touchante
Doligny, la nature nous a bien favorifés ,
en vous prodiguant fes dons! Vos accens
pénétrent nos ames ; ils arrachent nos
larmes. Quand vousrepréſentez les beaux
modèles de fille vertueuſe , de rendre
amante , d'épouſe , de mère affection
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
née , l'illuſion entraîne tous les coeurs
ſenſibles . Nous devons fans doute ce jeu
naturel à la délicateſſe de votre belle
ame , qui vous fait préférer l'innocence
des moeurs aux offres les plus féduifantes.
Je vais me permettre quelques réflexions
fur votre art , dans la confiance
que vous n'attribuerez la franchiſe de
mon examen qu'à mon zèle pour votre
gloire , & pour la perfection de l'érat
que vous honorez par vos vertus.
C'eſt ſans doute à juſte titre que la
bonne comédie eſt en poſſeſſion de charmer
nos loiſirs ; mais , ſi pour la goûter ,
le ſpectateur doit être pourvu d'un ſentiment
délicat , le jeu de l'acteur peut
feul rendre l'illuſion complette. L'expérience
fait voir que cette tâche n'eſt pas
facile à remplir ; auſſi , dans tous les
tems & dans tous les pays , les grands
Acteurs ont- ils joui d'une conſidération
juſtement acquiſe. En effet , animer les
tableaux des heureux génies , qui ont fu
peindre avec tant de vérité les ridicules ,
les vices & les vertus , n'est- ce pas en
quelque forte participer à leur gloire ?
Vous pourriez , charmante actrice ,
renouveller les beaux jours où MelpoOCTOBRE.
1770. 125
mène & Thalie exprimoient tour- à- tour ,
par lemême organe, leurs tendres& généreuſes
paſſions. Ces deux muſes vous y invitent.
Que vous manque-t- il pour réuſſir?
Figure heureuſe , taille intéreſſante , organe
flexible ; la nature vous a tout
donné. Jeune & belle Zaïre vous fauriez
fi bien exprimer les remords ! Malheureuſe
Andromaque , vous nous pénétrériez
de ſes vives douleurs !
La tragédie demande un ton de voix
foutenu , du pathétique dans la déclamation
, leport majestueux , la démarche
aſſurée ; enfin , juſqu'au développement
des bras , il le faut noble & bien
marqué ; vous auriez tout cela . Pour
la fublime ſenſibilité , l'ame de ce genre ,
c'eſt votre triomphe ! La célèbre Mademoiſelle
Goffin ne poſſédoit pas plus
parfairement cette éminente qualité. Eftce
la délicateſſe de votre poitrine qui
nous prive de voir reparaître cette tendre
actrice dans ſes rôles tragiques ? Dans
ce cas ſeulement , conſervez - vous pour
faire long- tems le charme de la touchante
comédie!
D***.
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE ITALIENNE.
MDE LARUETTE , que ſes indiſpofitions
avoient obligée de s'abſenter pendant
quelque tems , a reparu ſur la ſcène
dans la Servante maîtreffe & dans le Tableau
parlant. Elle a été applaudie avec
tranſport ; & elle a bien juſtifié les ſuffrages
du Public enchanté de revoir cette
actrice admirable par l'intelligence &
la fineſſe de ſon jeu , par l'art&le goût
exquis qu'elle metdans ſon chant , & par
le charme d'une voix légère & argentine,
qu'elle conduit & qu'elle ménage avec
une adreſſe qui lui eſt particulière.
OCTOBRE. 1770 . 127
DETAIL des Fêtes & Spectacles donnés
à Versailles à l'occaſion du mariage de
Monseigneur le Dauphin. ( 1)
LAcérémoniede ce Mariage auguſte ayant été
fixée au 16 Mai , la Chapelle & les Appartemens
avoient été diſpoſés & ornés de la manière fuivante.
On avoit conſtruit & placé au pourtour du
Sanctuaire & dans les Tribunes de la Chapelle
des gradins à fix rangs , afin de procurer au public
la facilité de voir la Cérémonie. Tous ces
gradins portoient des appuis peints en marbre ,
&maſquoient un couloir , pratiqué au- deſſous ,
pour communiquer d'un endroit à l'autre. Dans
la Tribune du Roi étoit un amphithéâtre , def-
(1) Les notices , répandues dans quelques Journaux
, des fêtes & des ſpectacles qui ont eu lieu
à la Cour dans cette circonstance , ſe trouvant
éparfes , & d'ailleurs n'en offrant qu'un précis
non- fuffifant ; on a cru devoir réunir tout ce qui
* y a rapport , & le placer dans le Journal de la
Nation , qui en eſt le dépoſitaire naturel. On auroit
fort defiré de fatisfaire plutôt l'empreflement
du Public fur cet objet ; mais pour rendre un
compte exact de ces fêtes , & pour ne le point
morceler , on a été obligé d'attendre que les ſpectacles
fuflent terminés ,&qu'on eût des uns &des
autres un detail fidele & approuvé.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
tiné à placer nombre de perſonnes de la Cour;
d'une taçon aufli agréable par rapport à l'enfemble
général , qu'officieuse pour les Spectateurs.
Dans le Sallon de la Chapelle , en face de la Tribune
du Roi , s'élevoit un autre amphithéâtre ,
ferné par devant , d'où l'on voyoit paſſer la Cour ,
tant pour aller à la Chapelle le jour du Mariage ,
que pour ſe rendre les jours ſuivans à la Salle de
Spectacle & au Bal paré. Les Sallons d'Hercule ,
de Vénus , des Tribunes & de Mercure étoient
autfi décorés d'amphithéâtres fermés par des appuis
en marbre. Attenant les portes de ces Sallons ,
ainſi que de ceux de l'Abondance,du Trône & de la
Guerre , étoient des baluſtrades peintes des mêmes
marbres , & derrière lesquelles on avoit placé des
banquettes , qui rempliſloient les vuidesjuſqu'aux
amphithéâtres , & fervoient tout- à- la fois à contenir
aflis un monde confiderable .
Dans toute la longueur de la Galerie , à huit
piés de diſtance des croifées , & en retour joignant
la porte de l'antichambre du Roi & celle du
Sallon de la Guerre , regnoit une balustrade en
marbre , de même que dans le Sallon de la Paix.
L'eſpace formé par ces balustrades étoit rempli
d'eſpeces de gradins , & contenoit une quantité
prodigieuſe de ſpectateurs , dont l'arrangement &
la parure offroient , fur-tout des bouts de cette
immenfe& fuperbe Galerie , un coup-d'oeil qu'on
chereheroit inutilement ailleurs , & duquel on ne
ſauroit avoir d'idée , à moins que d'en avoir
joui.
On avoit eu ſoin de poſer des barrières à toutes
les portes de la Cour Royale , ainfi qu'aux iſſues
de la Chapelle , des eſcaliers , des ſalles des Cent-
Suifles , des Gardes - du - Corps du Roi & des Antichambres
de forte que , malgré l'affluence la
OCTOBRE. 1770 . 129
plus nombreuſe , les paſſages n'ont point éré gênés
&que la circulation a été parfaitement libre , au
moyen de la précaution qu'on avoit priſe de ne
permettre l'entrée que par le Sallon de laChapelle,
& la fortie que par les appartemens de la Reine ,
perſonne n'ayant même la liberté de revenir ſur
ſes pas. Aufli chacun at- il eu la facilité de voir
pafler la Famille Royale & la Cour, le matin pour
aller à la Chapelle , & l'après midi pour les Appartemens
, que le Roi a tenus dans la grande
Galerie , où il y a eu jeu une partie de la ſoirée.
DESCRIPTION de la Salle du Festin
Royal.
On ſe ſervit de la Salle de Spectacle, dont on
releva le plancher à la hauteur de celui du théâtre.
La Table étoit de 22 couverts,pour la Famille
Royale , les Princes & Princeſſes du Sang. On
avoit pratiqué , pour la facilité du ſervice , une
Balustrade très -riche en marbre & en ornemens
d'or , quientouroit la Table à diſttance , & léparoit
, en dedans , les Officiers qui ſervoient , d'avec
les ſpectateurs , qui étoient en dehors. Les balcons
qui font au bas des premières loges , & toutes
les loges , étoient occupés par une nombreuſe
quantité de perſonnes de diſtinction .
La ſalle étoit éclairée par des luſtres qui pendoient
des rofettes du pourtour du plafond de la
Galerie des troiſièmes loges , dont le renfoncement
de chaque entre-colonnement , formé par
des portiques de glaces , étoit orné , fur chacun
deriches rideaux d'étoffe brochée bleu & argent ,
,
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
&bordés de frange d'argent; ces rideaux étoient
rattachés de cordons & glands pareils : du milieu
du ceintre de chaque arcade pendoit un luftre ,
qui ſe répétoit dans les glaces.
La partie de l'avant - ſcène , & qui borde le
théâtre , étoit fermée par une grande arcade de
32 piés de haut fur 14 piés de large , dont le
vuide ſervoit d'entrée à un Salon de muſique, élevé
fur la partie du devant du théâtre.
,
Sur chacun des côtés de l'arcade étoient élevées
deux grandes colonnes d'Ordre Corinthien , pareilles
à celles qui forment l'avant - ſcène ; ces
colonnes de marbre ſéracolin , dont les baſes ,
chapiteaux rofeaux & graines étoient d'or ,
portoient 30 piés de haut , & étoient élevées ſur
un focle de 4 piés en marbre de Grillotte d'Italie.
Entre ces colonnes & celles de l'avant- ſcène ,.
qui portoient les fophites ſervant de plafond ,
décorés de riches de ornemens d'or , fur un fondde
marbre féracolin; étoient deux portes , par lefquelles
ſe faifoit le ſervice de la table ; ces portes
, ornées de riches chambranles d'or taillés ,
l'étoient auffi de portieres pareilles aux rideaux
qui ornoient les glaces ..
Au- deſſus des portes étoient des tribunes à deux
étages , l'une ſur l'autre , ſemblables à celles qui
font dans la partie de l'avant - ſcène , dont les
balcons étoient foutenus fur de riches conſoles ,
décorées en ornemens d'or fur des fonds de marbre..
Dans les pans-coupés de l'avant- ſcène étoient
poſés ſur des focles de marbre vert- campan , des
candelabres de criſtal montés ſur des piédeſtaux
richement fculptés & dorés , de 18 piés de haut,
&chargés chacun de 120 lumieres.
OCTOBRE. 1770. 113
Le Salon de Muſique , vu à travers cette grande
arcade , étoit de 31 piés de profondeur, fur 27
piésde large & 30 piés de haut, ce Salon étoit décoré
dehuit colonnes d'Ordre Ionique de 20 piés de
haut , dont les baſes , chapiteaux & futs étoient
d'or ; l'entablement regnant au - deſſus étoit de
même ordonnance , tous les ornemens étoient
en or ; entre ces colonnes étoient des arcades en
glaces , ornées de rideaux retrouflés de riche étoffe,
frange & glands d'argent.
Tous les corps & fonds , en marbre ſéracolin
& vert- vert , répondoient au décor de la Salle
& tous les ornemens étoient de relief en or.
Dans chaque partie, entre les arcades & les colonnes
, étoient des tables ſaillantes en marbre ,
portant des trophées de muſique en or.
Au-deſlus de chaque arcade , au milieu des archivoltes
, étoient des Génies grouppés , portant
les chiffres de Mgr le Dauphin , & de Madame
la Dauphine , en relief & en or.
Le plafond en vouſſure au-deſſus de l'entablement
, s'élevoit de fix piés au-deſſus du focle poſé
fur la corniche ; à plomb de chaque arcade dans
la vouſlure , étoient de grandes lunettes , leſquelles
étoient percées de ciel , & encadrées de riches
bordures, foutenues par des aigles d'or , portant
des guirlandes de chêne en or , & rattachant des
bordures de tableaux de coloris dans les angles
repréſentant des Enfans jouant de divers inftrumens
de muſique .
,
Les compartimens de la vouſſure étoient formés
pat huit grandes conſoles d'or , décorées de
cannelures , dans lesquelles étoient des fleurons
auffi en or ; les conſoles étoient poſées ſur le ſocie
de l'entablement à plomb de chaque colonne , &
ſe ragraffoient dans une riche bordure circulaire
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
en fruits d'or , qui encadroit un grand tableau
de coloris repréſentantApollon touchant ſa lyre ,
accompagné des Muſes , portées par des nuages
fur un ciel lumineux , le tout peint par M. Boquet
fils .
Entre ce plafond & la grande arcade , étoit un
tableau de coloris repréſentant des Zéphirs ſemant
des fleurs.
Dans les angles du plafond , étoient quatre
rofettes en or , d'où étoient ſuſpendus , par de
riches cordons , autant de luftres , portant chacun
32 lumières .
Dans les angles du Salon étoient poſés ſur des
focles de marbre,vert-campan de riches candelabres
en or , furmontés de girandoles de cristal ,
portant chacune 68 lumières .
Du milieu des arcades de glaces , pendoient
aufli des luftres de criſtal à 8 lumières.
Quatre-vingtsMuſiciens,placés tur des gradins
en amphithéâtre , laiffoient fur le devant la place
du Surintendant de la Muſique du Roi , qui fit
pendant le ſouper exécuter pluſieurs morceaux de
fimphonies ; & au - devant , dans l'épaiſſeur de
l'embraſement de la grande arcade , étoient poſés
d'autres gradins en amphithéâtre juſqu'à la baluſtrade
qui fermoit le bord de l'avant- ſcène , fur
leſquels gradins ont été placées des Dames pendant
le Festin Royal .
Spectacles .
Le jeudi , 17 Mai 1770 , on a donné la première
repréſentation de Perfée , ouvrage des deux inftituteurs
de la ſcène lyrique en France , Quinault
& Lulli. La néceflité de donner plus d'étendue
aux divertifle mens , afin de profiter de tous les
progrès de la danſe , avoit déterminé à réduire cet
OCTOBRE. 1770. 133
opera en quatre actes. MM. Rebel , Francoeur ,
de Buri , & d'Auvergne , ſurintendans de la muſique
de Sa Majesté , avoient fait à celle de cet ouvrage
les changemens qu'exigeoient ceux du poëme
; ils avoient auſſi fait la muſique d'un nombre
de nouveaux morceaux de chant répandus dans
les fêtes , ainſi que celle des divertiſlemens , dans
leſquels on n'avoit pu laiſſer ſubſiſter que quelques
airs de Lulli . M. Joliveau , l'un des directeurs
de l'académie royale de muſique, avoit été chargé
de faire , dans ce poëme , les coupures jugées néceflaires
& les liaiſons qui en réfultoient : il avoit
heureuſement ainené dans le ze acte un ballet ,
formé par les miniſtres du ſommeil pour l'enchantement
des Gorgonnes , & avoit rendu le divertiſſement
du dernier acte plus particulierement
analogue à la circonſtance, par une allégorie
fimple & même ingénieuſe.
Les principaux rôles ont été remplis : celui de
Cephée , par le Sr Gélin ; celui de Cafliope , par
la Dile Dubois ; celui d'Andromede , par la Dile
Arnould , la Dlle Roſalie a rempli celui de Mérope;
le Sr Larrivée , celui de Phinée ; le Sr Legros,
celui de Perſée ; la Dile Duplant , celui de Méduſe
; la Dlle Larrivée , celui de Vénus ; le Sr Muguet
, celui de Mercure ; les Sieurs Cuvillier , Durais
, Caflaignade , Durand , Cavallier & Peré ,
les Dlles Avenaux & Morizet ont rempli les rôles
accefloires . Les ballets de cet opera , ainſi que
ceux de tous les autres qui ont été donnés depuis
à la cour , étoient de la compoſition de M. de Laval
, maître des ballets du Roi , & raſlembloient
tous les talens dans l'art de la danſe ; nommément
les Srs Veftris , Gardel , d'Auberval ; les Diles Gélin
, Guimard , Heinel , Aflelin , Mion , Pitrot ,
Duperei , Dervieux , &c.
134 MERCURE DE FRANCE .
Malgré les efforts réunis de toutes les perfon
nes qui concouroient à ce grand enſemble,malgré
la pompe impoſante d'un opera fait pour étonner
&pour plaire , par le merveilleux qui lui eſt particulier,
autant que par la magnificence dont il eſt
fufceptible : quelques longueurs dans l'ouvrage
même , le défaut de préciſion , de preſteſle dans le
changement des décorations , dans le jeu de quelques
machines , en un mot dans plufieurs parties
du fervice théâtral , ont répandu un peu de langueur
fur l'effet de cette premiere repréſentation ,
fans nuire cependant à l'impreſſion qui devoit
réſulter de ce beau ſpectacle & qu'il a généralementproduite.
Il ſeroit injuſte de ne pas faire remarquer ici
que l'artiſte , dont la réputation eft fi bien méritée
, M. Arnould, chargé de cette prodigieuſe machine
, avoit à peine eu le tems de faire fes difpofitions
générales ; qu'outre l'in poffibilité abfolue
où le met ſa fituationde ſe porter pendant les repréſentations
dans tous les endroits d'un théâtre
immenſe , une derniere chute l'avoit forcé de
garder le lit preſque juſqu'au moment de l'exécution
des fêtes ; que leur fucceſſion, exceflivement
rapide & dans le même local , n'avoit pas permis
de combiner fuffisamment entr'elles les différentes
décorations , encore moins d'en avoir & d'en
diſcuter des eſquiſſes ; que , dans la prodigieuſe
quantité de gens- d'oeuvre néceſſaires pour faire
mouvoir tous les objets que raſſembloit un théâ
tre, auſſi vaſte qu'il étoit néceſſairement peu connu
, aucun n'étoit formé & n'avoit même pu être
exercé à une maniere d'opérer à laquelle cette forte
d'hommes ne parvient que par l'habitude; enfin
que , malgré la multitude & l'importance des détails
que l'artiſte ſe trouvoit obligé d'embraſſer à.
OCTOBRE. 1770 . 135
la fois ; malgré les obſtacles qu'il avoit à furmon--
ter ; il a trouvé en lui- même des reflources ſingulières
& a fait voir , particulierement dans la derniere
décoration de Perſée , que le vrai talent faits
vaincre toutes les difficultés.
Bal paré.
La ſalledubal paré joignoit celle du ſpectacle ,
par l'avant-ſcène , & étoit conſtruite ſur toute la
partie qu'occupe le théâtre ; elle contenoit 80
piés de largeur , fur 78 de profondeur & 55 de
hauteur.
Le plan étoitun quarré-long, pris ſur la largeur
&dont les quatre angles formoient des pans - coupés
, deux deſquels joignoient les colonnes de
l'avant-ſcène par deux avants-corps .
Les deux autres étoient réunis au fond par une
partie circulaire.
Tout cet édifice formoit trois étages de galeries
l'une fur l'autre ; la premiere de neuf piés de
haut , fur huit de large , étoit pratiquée dans le
foubaſſement , formé par des piédeſtaux , & féparéeà
plomb des entre-colonnemens par uneba--
luſtrade à hauteur d'appui , dont les corps étoient
d'or , & les baluſtres d'argent ; cette même balur
trade regnoit au- deſlus des marches qui ſéparoient
les deux falles ,& laiſſoit au milieu un pafſage
de douze piés pour l'entrée.
Aux deux avant-corps de l'avant- ſcène étoient, à
plomb des colonnes,dans le ſoubaſlement, des médaillonsde
reliefavec des trophées ſervant d'agraffes
à des bordures en argent qui encadroient des
glaces appliquées ſur des tables d'émeraude, ornées
deMoſaïque d'or,
136 MERCURE DE FRANCE.
Aux ſoubaſſemens des quatre pans - coupés
étoient de mêmes tables , ſur leſquelles étoient
ſculptés en argent des trophées de l'Himen & de
l'Amour .
Au-devant des piédeſtaux des colonnes au pour .
tour de la ſalle étoient , ſur des focles de marbre
vert- campan , douze grands candelabres de 12
piés de hauteur , formés par des rainſeaux & ornemens
d'argent ſculptés , dans lesquels étoient
des enfans, auffi d'argent , tenant differents attributs
de l'Amour ; fur ces candelabres étoient
placées douze girandoles de criſtal , qui tenoient
les unes aux autres par des guirlandes de même
criſtal ; chacun de ces morceaux portoit 68 bougies.
Quatre autres candelabres , en forme de lys',
de ſeize prés de haut , aufli en argent , avec des
enfans , ſur leſquels étoient douze girandoles de
même criſtal , contenoient enſemble foixante-huit
lumières , placées au - devant des pans - coupés.
L'intérieur de cette galerie étoit tendu en brocard
bleu & argent , & les devants, décorés de rideaux
de même étoffe , bordés de frange , &retrouflés
avec des cordons & glands d'argent.
La ſeconde galerie de dix piés de large , audeffus
du ſoubaſſement , étoit formée par vingtquatre
colonnes de vingt piés trois pouces de
haut, poſées ſur des ſocles de deux piés trois pouces
, dont les corps étoient d'or , les fonds en
éméraude , & étoient enrichis de couronnes
de toſes qui encadroient des fleurs-de- lys , le tout
en argent de relief, ainſi que les ornemens des
moulures ; cette galerie paroiſſoit diviſée en cinq
parties , ſavoir: deux parties à l'avant- ſcène joignant
les pans-coupés , avoient chacune quatre
OCTOBRE . 1770 . 137.
colonnes accouplées ſur les côtés , &ſéparées au
milieu par une balustrade ſculptée & cannelée or
&argent, qui regnoit dans tous les entre- colonnemens.
Deux autres parties , en arrière- corps , joignant
par leurs extrémités les 4 pans - coupés , avoient
chacune quatre colonnes eſpacées également.
La cinquième partie , joignant auſſi deux des
pans-coupés au fond fur la partie circulaire, avoit
huit colonnes dans ſon pourtour.
Toutes ces colonnes étoient d'ordre Ionique , le
fond des cannelures d'éméraude , les liſtels d'or ,
les roſeaux & graines en reliefd'argent , les bâſes
& chapitaux d'or avec leurs ornemens auſſi d'argent.
Dans les pans-coupés , au deſſus des ſocles , ornés
de tables d'émeraudes encadrées d'or à moulures
d'argent , étoient quatre niches , fond d'éméraude
, dans lesquelles étoient quatre figures d'atgent
en ronde-bofle, repréſentant , Junon , Minerve
, Venus & Hébé .
Au deſſus de chaque niche étoient deux conſoles,
richement décorées , ſoutenant une corniche , fur
laquelle des génies de reliefen argent ſupportoient
chacun une girandole de criſtal à ſeize lumières.
Dans le fond de la galerie , en face de chaque
entre- colonnement , étoient quinze arcades de
ſeize piés de haut fur fix & demi de large , couronnée
chacune de riches archivoltes d'or avec
moulures incrustées d'argent, ſur leſquelles étoient
des grouppes d'enfans en bas- reliefs foutenant un
médaillon chargé des emblêmes de Mgr leDauphin
& de Madame la Dauphine ; ces enfans tenoient
138 MERCURE DE FRANCE .
auſſi des guirlandes qui ſuſpendoient, dans les panaches,
des trophées d'argent ſurdes fonds d'éméraude.
Les trumeaux qui ſéparoient ces arcades étoient
ornés de trophées & moulures de reliefen argent,
fur des fonds d'émeraude . L'impoſte , qui les féparoit
d'avec les panaches , regnoit au pourtour
de la falle , & étoit ornée de riches moulures en
argent.
Dix portes d'or étoient placées à chaque extrémité
des diviſions de cette galerie , & avoient
dans leurs panneaux de riches trophées & moulures
en argent fur des fonds d'émeraude.
Les chambranles qui encadroient ces portes ,
étoient couronnés de friſes & corniches , dont les
moulures taillées , ainſi que les trophées en relief
pofés fur l'amortiflement , étoient d'argent.
Au-deſſus des corniches & à l'a-plomb des chambranles
étoient des encadremens à moulures taillées
qui renfermoient de grands médaillons , fur
leſquels étoient peints en coloris des Amours
jouant avec des Dauphins & desAigles ; les bordures
étoient des faiſceaux d'or, liés par des branches
de mirthe & attachés par des chutes en relief,
auffi de mirthe & de roſes en argent .
Des rideaux de brocard bleu & argent , bordés
de crête& frange, étoient retrouflés avec des cordons
& glands d'argent dans chaque arcade , &
Faifloient voir des glaces , dans lesquelles lesdifférens
points de vue de la ſalle réfléchiffoient ,
ainſi que des demi- luftres de cristal , qui étoient
ſuſpendus par des cordons &glands, & portoient
chacunhuit lumières.
Un riche entablement dont l'architrave pofé
fur les chapitaux , formoit par ſes retours les foOCTOBRE
. 1770. 139
phites qui encadroient quinze tableaux qui décoroient
le plafond de cette ſecondegalerie.
Ces ſophites , ou platebandes , étoient décorés
d'entrelas & roſettes d'argent fur des fonds d'éméraude
; une grande gorge au-deſſusen vouſlure
fond d'or , fur laquelle étoient incruſtés en argent
des poftes & rinceaux , ſervoit de bordure aux
quinze tableaux , ou plafonds de coloris, dont les
fujets étoient les différentes divinités ſubalternes
partageant les plaiſirs de la fête.
Au-deſſus de l'architrave, dont les corps étoient
d'or & les moulures taillées en argent , regnoit
un grande friſe en éméraude , ſur laquelle étoient
foixante- dix-huit conſoles , auſſi d'émeraude ;
leurs têtes incrustées d'écailles d'argent , ainfi
que les graines en fleurons qui rempliffoient les
cannelures étoient renfermées par des liftels
d'or.
د
Ces conſoles , eſpacées également , formoien
par leurs intervalles des métopes , décorés de
riches trophées en argent de relief; elles foutenoient
une corniche en or à moulures d'argent
qui regnoit au pourtour de toute la falle & dont
leplafond du larmier, en éméraude , étoit décoré
d'une riche moſaïque à roſettes incruſtées d'argent
, entre chaque tailloir des conſoles.
La troiſième gallerie de dix piés de haut , & à
l'à-plomb de celle de deſſous , étoit au niveau de
la corniche , & regnoit au-deſſus de l'avant- ſcène :
elle étoit tendue , dans ſon intérieur , de brocard
bleu& argent ; le focle généralde deſſus la corniche
ſervoit d'appui à toutes les ouvertures de
cettegalerie , qui étoit décorée de riches rideaux
demêmebrocard , retrouſlés avec des cordons &
glands d'argent ; & devant chacun des trumeaux,
140 MERCURE DE FRANCE.
ou pilaſtres, étoient poſées,fur des ſocles d'argent,
trente-deux girandoles de criſtal portant chacune
ſeize lumières .
, La partie adoſſée à l'avant- ſcène étoit décorée
au-deſſous de la corniche , d'un grand rideau de
brocard bleu & argent , ſéparant par le haut les
deux falles .
Au- deſſus de la corniche , ſur le ſocle , étoient
trois arcades ,qui joignoient les deux avant-corps;
celle du milieu avoit vingt - deux piés de large
furquatorze de haut , les deux autres chacune ſept
piésde large.
Six pilaftres , dont quatre accouplés avec impofte,
foutenoient les archivoltes & ſéparoient
ces trois arcades; les deux panaches en coloris audeſſus
des pilaftres accouplés repréſentoient des
génies.
Ils étoient encadrés de riches bordures en or ,
fur leſquelles étoient des fleurs & fruits en argent,
furdes fonds d'émeraude .
Toute cette partie étoit couronnée par le plafond
, dont les arcs-doubleaux , ornés de guirlandes
de fruits en argent , ſur des fonds d'émeraude
encadrés d'or , partoient des quatre colonnes d'angles
des avant-corps. Ce plafond étoit décoré de
deux arcades en lunettes , dont les impoſtes
étoient ſuportées pardeux pilaſtres chacune ; entre
ces lunettes , qui étoientdécorées dans leurs
vouſſures de grands rainſeaux & roſettes d'argent,
fur des fonds d'émeraude , étoit un grand tableau
de coloris de trente- fix piés ſur douze , repréſentant
le lever de l'aurore ſur des nuages & des zé
phirs ſemant des roſes .
Cetableau étoit renfermé par une riche bordure
ceintrée ſur ſes extremités & formée de gros fruits
OCTOBRE. 1770 . 141
d'or en relief, liés enſembles d'un large cordon
d'argent.
Aux deux angles de cette bordure joignant les
deux lunettes étoient quatre grands rainſeaux de
reliefen argent ſur des fonds d'émeraude .
Aux deux faces latérales, à plomb des colonnes
d'angles joignant de chaque côté les pans-coupés,
partoient deux grands archivoltes en or , taillés
demoulures incrustées d'argent , ayant dans leurs
plafonds des compartimens à roſettes d'argent ,
Tur un fond d'émeraude .
Au-deſſus des deux colonnes,au milieu de chaque
côté étoient deux pilaſtres en or, décorés, ſur leurs
quatre faces , d'ornemens d'argent ſur des tables
d'émeraude, portant chacun un entablement ceintré
pris en ſaillie ſur les archivoltes ; ſur ces entablemens
étoient placées les armes du Roi , ſur
de riches cartels en or , couronnés & foutenus par
des anges de ronde-boſſe en argent.
Ces cartels étoient adoſlés à de riches vouſſures
qui prenoient leurs naiſſances ſur les archivoltes
& ſe terminoient aux deux arcs-doubleaux qui
partoient des colonnes d'angles des deux avantcorps
& rejoignoient les deux angles de la partie
circulaire.
Ces vouſſures étoient ornées de caiſſons d'or
&panneaux de forme circulaire fond d'émeraude ,
fur leſquels étoient de grandes roſettes d'argent
de relief encadrées de doubles moulures auſſi taillées
en argent,
Dans le fond , au-deſſus de la partie circulaire
&à plomb de chaque colonne , étoient fix pilaftres
pareils à ceux des faces latérales & portoient
les impoſtes & archivoltes de trois arcades cein
140 MERCURE DE FRANCE.
ou pilaſtres, étoient poſées,for des focles d'argent,
trente - deux girandoles de criſtal portant chacune
ſeize lumières .
La partie adoſſée à l'avant- ſcène étoit décorée
au- deſſous de la corniche , d'un grand rideau de
brocard bleu & argent , ſéparant par le haut les
deux falles .
Au- deſſus de la corniche , ſur le ſocle , étoient
trois arcades , qui joignoient les deux avant- corps ;
celle du milieu avoit vingt - deux piés de large
fur quatorze de haut , les deux autres chacune ſept
piés de large .
Six pilaftres , dont quatre accouplés avec impofte
, foutenoient les archivoltes & ſéparoient
ces trois arcades ; les deux panaches en coloris audeſſus
des pilaftres accouplés repréſentoient des
génies.
Ils étoient encadrés de riches bordures en or ,
fur leſquelles étoient des fleurs & fruits en argent,
furdes fonds d'émeraude .
Toute cette partie étoit couronnée par le plafond
, dont les arcs -doubleaux , ornés de guirlandes
de fruits en argent , ſur des fonds d'émeraude
encadrés d'or , partoient des quatre colonnes d'angles
des avant-corps. Ce plafond étoit décoré de
deux arcades en lunettes , dont les impoſtes
étoient fuportées pardeux pilaſtres chacune; entre
ces lunettes , qui étoientdécorées dans leurs
vouſſures degrands rainſeaux & roſettes d'argent,
fur des fonds d'émeraude , étoit un grand tableau
de coloris de trente- fix piés ſur douze , repréſentant
le lever de l'aurore ſur des nuages & des zé
phirs ſemant des roſes.
Ce tableau étoit renfermé par une riche bordure
ceintrée ſur ſes extremités & formée de gros fruits
OCTOBRE. 1770 . 141
d'or en relief , liés enſembles d'un large cordon
d'argent.
Aux deux angles de cette bordure joignant les
deux lunettes étoient quatre grands rainſeaux de
reliefen argent ſur des fonds d'émeraude .
Aux deux faces latérales , à plomb des colonnes
d'angles joignant de chaque côté les pans-coupés,
partoient deux grands archivoltes en or , taillés
demoulures incruſtées d'argent , ayant dans leurs
plafonds des compartimens à roſettes d'argent ,
fur un fond d'émeraude .
Au- deſſus des deux colonnes,au milieu de chaque
côté étoient deux pilaſtres en or, décorés, ſur leurs
quatre faces , d'ornemens d'argent ſur des tables
d'émeraude, portant chacun un entablement ceintré
pris en ſaillie ſur les archivoltes ; ſur cesentablemens
étoient placées les armes du Roi , ſur
deriches cartels en or , couronnés & foutenus par
des anges de ronde-boſſe en argent,
Ces cartels étoient adoſſés à de riches vouſſures
qui prenoient leurs naiſſances ſur les archivoltes
& ſe terminoient aux deux arcs-doubleaux qui
partoient des colonnes d'angles des deux avantcorps
& rejoignoient les deux anglesdela partie
circulaire.
Ces vouſſures étoient ornées de caiſſons d'or
&panneaux de forme circulaire fond d'émeraude ,
fur leſquels étoient de grandes roſettes d'argent
de relief encadrées de doubles moulures auffi taillées
en argent,
Dans le fond , au-deſſus de la partie circulaire
&à plomb de chaque colonne , étoient fix pilaftres
pareils à ceux des faces latérales & portoient
les impoſtes & archivoltes de trois arcades cein
144 MERCURE DE FRANCE.
pour mieux imiter les barreaux de la grille.Aufſitôt
après qu'on eut tiré les trois cens fuſées d'honneur
, on mit le feu aux deux grandes girandoles
poſées dans les baſſins , avec fix ſphères & fix
piramides , accompagnées d'une grande quantité
de pieces d'artifice-d'eau , & pendant la durée de
ce coup de feu , toute la grille , montée ſur des
roulettes , fut repliée de droite & de gauche ,
pour laiſſer voir une batterie , repréſentant une
mosaïque , avec cinquante deux bombes de neuf
pouces de diametre , à laquelle ſuccedèrent trenteun
caprices , qui rempliſſoient un eſpace de quatre-
vingt toiſes de face , en forme piramidale ,
depuis quinze piés juſqu'à cinquante piés d'élévation.
Auſſitôt après on tira un corps de feu ,
compoſé de dix mille fuſées volantes, mille gros
pots à feu & vingt-quatre bombes , pendant lequel
, à force de bras & de leviers , on enleva
toute la charpente des caprices , poſée ſur roulettes
,pour laifler voir le temple de l'Himen , ac
compagné de colonnades & caſcades , dont le
feu ſeul deſſinoit toute l'architecture : il étoit ſurmonté
de pluſieurs gloires ou ſoleils , dont les
diſques étoient remplis des armes du Roi & des
chiffres de Mgr le Dauphin & de Madame la Dauphine.
Cette partie d'artifice fut terminée par une volée
de vingt-quatre bombes , qui annonça une
grande & magnifique girande de vingt mille fulées
, tellement arrangées dans des caiſſes d'une
nouvelle invention, qu'en partant ſucceſſivement,
elles faifoient un feu roulant qui dura long-tems.
Elle étoit accompagnée d'un bruit de guerre
formé par fix mille gros marons , & fut ſuivie
d'un bouquet composé de quatre mille fufées de
pluſieurs
OCTOBRE. 1770 . 145
pluſieurs grofleurs , &de vingt-cinq bombes de
douze pouces de diamètre.
Quoique les meſures euſſent été priſes avec les
plus grands ſoins par les Sieurs Morel & Torré ,
Artificiers du Roi , compoſiteurs de ce feu , qui
occupait les baſſins en face du Château, la terraſle'
de Latone , les parterres de Latone , & un tiers
du tapis-vert , pour pareràtous les accidens qui
pouvoient ſurvenir dans un artifice auſſi immenſe;
une fufée, qui mit le feu à un if voiſin du
quatrième coup de feu , compoſé de trente- un
caprices , porta quelque confuſion dans les premiers
momens de l'exécution ; mais bientôt les
deux Artificiers rétablitent l'ordre , & on a pu juger
par leur belle Ordonnance de la beauté de ce
feu , qui , malgré les pluies continuelles , & les
deux orages violens qu'il eſſuya le 16 , jour du
mariage , a cependant réuſſi au- delà de ce qu'on
en pouvoit elpérer-
Toutes les parties dedécoration , charpente ,
batteries , caifles de lagirande&dubouquet , qui
compoſoient ce feu , furent enlevées , & le tapisvert
fut nétoyé en moins d'une heure. Bientôr on
vit briller une ſuperbe illumination , qui charma
le public , furpris de la promptitude avec laquelle
plus de cent ſoixante mille lampions & terrines
prirentfeu.
A la tête du canal , étoit un édifice de cent trente
piés de baſe ſur cent vingt d'élévation. Ce
monument préſentoit le portique d'un temple ,
furmonté d'un fronton , au ſommet duquel étoit
fixé un ſoleil de cent quatre- vingt piés de circonférence,&
dont le diſque,formé d'une réunion
de grands reverbères , avoit ſoixante piés de
circuit. Les lignes qui traçoient l'architecture de
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
cette grande partie , ainſi que les rayons du fo
leil , n'étoient formées que par des lampions ,
dont la lumière cédoit au prodigieux effet des reverbères.
Quatre fontaines , fur lesquelles s'élevoient
des étoiles , dont les centres étoient auſſi couverts
de reverbères , accompagnoient ce grand
édifice ,& réuniſſoient leurs feux à ceux des bords
du canal , garnis d'un double rang de lampions &
d'ifs ilolés , depuis fon commencement juſqu'à
ſon extrémité , ce qui formoit une perſpective immenfe.
Les feux répétés de cette quantité d'objets ſur
Ja ſurfacedes eaux , s'uniffoient au brillant ſpectacle
que préſentoit une flotte lumineuſe , compoſée
de quarante bâtimens & gondolles , appareillées
avec des lanternes , qui en marquoient
tous les agrès, & qui , lorſque le Roi rentra dans
la galerie après ſon ſouper , partirent , au ſignal
d'une bombe , des croitées de Trianon & de la
Ménagerie , pour s'avancer en bon ordre dans le
milieu du canal , où elles formèrent une marche
foutenue d'une muſique éclatante , & firent le
seſte de la nuit pluſieurs évolutions.
Dans la partie immenſe qui s'étend depuis le
tapis-vert juſqu'au grand canal, eſt le baffin d'Apollon,
dont les vaſtes contours étoient couverts
d'undouble cordon lumineux .
Vingt arcades , d'une architecture ruſtique , de
quarante- cinq piés d'élévation , ſéparées par de
grandes piramides , formoient une immense décoration
autour de cet eſpace. Toutes les parties
de l'architecture , celles des pilaſtres , entablemens
, focles , vaſes & piédeſtaux , étoient tra
OCTOBRE. 1770. 147
tées pardes lignes de lumière. Des luftres , chargés
de plus de cent lampions , étoient ſuſpendus
ſous les archivoltes de ces arcades , entre des
guirlandes de feux , dont l'éclat , réuni à la mafle
générale , ſe reproduiſoit à l'infini dans les eaux
du baſſin d'Apollon & dans celles du canal. La
promptitude avec laquelle toutes ces parties ont
été allumées , eſt due à M. Varenne de Beoſt ,
Receveur Général des Finances , qui a fait partà
l'Académie Royale des Sciences de la préparation
des meches,dont la communication s'eſt faite avec
tant de rapidité.
Deux Mai , placés entre le baſſin d'Apollon &
le bout du canal , ſurmontés de couronnes , &
entourés de guirlandes de fleurs , couvroient deux
orcheſtres nombreux , dont la muſique invitant
à former pluſieurs danſes , animoit encore dans
cette partie ce magnifique ſpectacle , auquel la
fatisfaction publique concouroit.
Douze des plus beaux boſquets du Parc réunif
foient la beauté & la variété de leurs eaux aux
feux des différens objets dont ils étoient décorés.'
Toutes les allées qui y conduiſoient etoient
éclairées par des luftres ſuſpendus à des diſtances
égales dans leurs milieux & à leurs extré
mités.
La ſalle des Maroniers , conſacrée à la danſe ,
avoit de très-grands orchestres ; ſon enceinte
étoit éclairée par des luſtres entre les arbres ,
qui formoient tout-au-tour un cercle lumineux.
Un concours prodigieux s'empreſſoit dans cette
grande ſalle à partager les plaiſirs de cette fête .
L'Iſle-d'Amour étoit entourée de grandes piramides
; le Boulingrin & les bords de la grande
allée étoient garnis d'un double rang de lumiè
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
res. En face de cette contre-allée , dans une des
grilles du mail , étoit placé un théâtre du ſieur
Gaudon , ſur lequel ondonna des repréſentations
comiques , dont pluſieurs ſe ſuccédèrent dans
l'après-midi , & le renouvellèrent pendant la
nuit.
La ſuperbe colonnade , & le boſquet des Dames
de l'autre côté de l'allée Royale , offrirent
un coup-d'oeil des plus agréables. L'entablement
de la première , ſon acrotère , & les vaſes qui
la couronnent , étoient ornés d'un triple cordon
de lumières ; chaque arcade avoit un luſtre ſufpendu
ſous ſon archivolte , au-deſſus des eaux
jailliſſantes de ſes fontaines: à l'autre , un double
cordon ,placé ſur les balustrades qui entourent
le baffin , en éclairoit le milieu , & répondoit à
la lumière des obéliſques. L'intérieur des ſuperbes
fallons de marbre qu'ils renferment , étoit
éclairé par des girandoles , placées à chacun de
ſes angles. Des luſtres , ſuſpendus auprès des
charmilles , paroiſloient en occuper le milieu ;
deux cordons de lumières couronnoient leurs
amortiſſemens .
L'Encelade & la Gerbe préſentojent un tableau
varié : la décoration de l'Encelade étoit
compoſée de grandes piramides, placées dans chacune
des faces octogones de ce grand boſquer ,
jointes àun cordon de lumières ſur la bordure ,
& le boulingrin qui entoure le baffin . La forme
du baſſin de la Gerbe , élevé fur des gradins de
gazon , partagés en caſcades dans leurs milieux ,
n'étoit deſſinée que par des lumières rangées ſur
chacun de ſes degrés : des girandoles poſées ſur
des piédeſtaux qui terminent la partie rampante
de ſes caſcades , accompagnoient la mafle d'eau
OCTOBRE. 1770. 149
que forme cette gerbe , & ſe réfléchiſſoient dans
le double baſſin qui l'entoure.
L'allée Royale , communément appelée le ta
pis- vert , la partie circulaire qui la précede , les
charmilles qui entourent les deſcentes de Latone,
étoient ornées , entre chaque vaſe & figure
de înarbre , d'ifs & piramides de trente piés
dehaut, dont les formes variées préſentoient différens
effets de lumière , leſquelles ſe joignoient
aux feux qui entouroient les fontaines des Lyons
&les bas du Parterre en face du Château .
De très-grands pots-à-feu ,poſés ſur les mortiers
qui avoient ſervi au feu d'artifice, couvroient
les rampes ſupérieures du baſſin de Latone , &
produiſoient un effet prodigieux par leurs mafles
de lumière.
Dans le boſquet Dauphin étoit élevé un théâtre
de quatre - vingt piés de profondeur & cinquante
piés de face , fur lequel le ſieur Nicolet
a repréſenté dans l'après - midi & au milieu de la
nuit des pièces analogues à la fête , précédées
dedanſes ſur la corde , ſauts , voltiges & tours
de force. Ce boſquet étoit orné de luftres entre ſes
arbres , d'obéliſques , piramides & grouppes de
Dauphins. L'effet & la grande quantité des lumieres
, joints au ſpectacle , attiroient unpeuple
immenſe , qui fe renouvelloit à chaque inſtant.
Des maſſes de lumière , diſtribuées ſur des ifs ,
annonçoient un autre théâtre du Sr Gaudon , pardelà
les baffins des Saiſons , à l'extrémité de l'allée
qui deſcend du parterre du nord à la contreallée
du baſſin d'Apollon : on y repréſenta auſſi
des pièces analogues à la fête , entremêlées de
fauts , voltiges & danſes de corde.
Giij
ISO MERCURE DE FRANCE.
La ſalle du bal , dont la forme eſt ſi avanta
geuſement conçue pour ſon objet , étoit entourée
de gradins , peints en charmille , & remplis
d'une foule prodigieuſe , qui venoit partager les
plaiſirs de la danſe pour laquelle ce lieu étoitpréparé.
La partie ſupérieure , au-deſlus de l'amphithéâtre
, étoit décorée de pyramides & de grouppes
de Dauphins , couverts de lumières. Chacun
des beaux vafes & guéridons qui s'élèvent audeſſus
des jets d'eau & caſcades , & ornent le milieu
de ceboſquet, ſervoient de baſes à de grandes
gitandoles : des cordons lumineux deſſinoient les
rampes , celles des caſcades & le tour des baffins.
Des lumières , placées dans le fond des rochers ,
étoient apperçues à travers la limpidité des eaux
pendant le jeu de leurs caſcades. Les broderies &
bordures des baffins des trois parterres d'eau , du
midi&du nord; la balustrade fupérieure de l'o-
Tangerie; les bords des terraſſes du côté du nord
&du midi, étoient garnies de lumières artiſtement
diftribuées, qui en diftinguoient la maile & la variété;
& au milieu s'élévoit un ifde fer iſolé de 40
piés de haut , couvert de 2000 lumières dont les
feux ſe multiplioient de tous côtés à travers les
parties de fa baſe& celles de ſon ſommet , formées
en treillage & à jour .
La cour des miniſtres fut éclairée par un cordon
de lumières , poſé ſur la double balustrade
qui l'entoure , près de laquelle étoient placés , à
diſtance égale dans la partie inférieure , des ifs
chargés de feux. La cour royale , celle des princes
&celle de la chapelle étoient couronnées ſur leurs
entablemens d'un filet de lumière .
Dans l'après midi , cent bateliers & ſeize gondoliers
de la petite Veniſe , habillés tout en blanc
avec des petits chapeaux à l'angloiſe , portant des
OCTOBRE. 1770 . 1st
écharpes , cocardes , roſettes & noeuds d'épaule ,
moitié rouges & moitié bleus , la rame fur l'épaule
, ſe promenèrent dans tout le parc , ayant
à leur tête la muſique du dépôt des Gardes- Françoiſes
, & s'arrêtèrent aux differens orcheſtres où
danſoit le public , auquel ils ſe joignirent pour
partager avec lui les plaiſirs d'une fête aufli brillante.
Cent vingt muficiens , diſtribués dans les or
cheſtres du parc, animèrent les danſes, qui ſe ſuccédèrent
ſans interruption juſqu'à fix heures du
matin , que le Public vit arriver trop tôt pour terminer
ſesplaiſirs.
Jamais fête ne s'eſt paſſée avec autant d'ordre
&de tranquilité ; car , malgré la foule innombrabled'un
peuple immenſe répandu dans lesjardins,
le ſervice du feu d'artifice , de l'illumination &
l'enlevement de toute la charpente qui avoit ſervi
au feu, fut fait avec une promptitude & une facilité
qu'on n'avoit point lieu d'eſpérer. Sept cent
hommes de la Garde- Suiſſe , diſtribués avec intelligence
dans les paflages , boſquets & allées , &
pouvant ſe donner tous des ſecours mutuels , &
une chaîne de Gardes - Françoiſes placée autour
du feu d'artifice pour empêcher le peuple d'y pénétrer
lors de ſon exécution , ont été un für garantde
la fûreté publique .
Cette illumination , dont le ſuccès a été fi heureux
, eſt en partie due aux deſſins du Sr Challe ,
deflinateur du cabinet du Roi , & à l'intelligence
& aux foins du Sr Girault , architecte & contrôleurdes
menus-plaiſirs , qui en a donné les projets
en partie , & qui , dans le bon ordre pour la réuffite,
a été ſecondé par le Sr Houdon , garde-magaſindes
menus-plaiſirs du Roi à Paris.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
Bal masqué.
La nuit du Lundi 21 au Mardi 22 , il y eut
Bal maíqué dans la grandeGalerie , ainſi que dans
les ſalons d'Hercule , de Mercure & des Tribunes .
Les balustrades établies dans les appartemens
avoient été enlevées ; on avoit laiſlé ſubſiſter tous
les amphithéâtres , tant parce qu'ils formoient
décoration , que pour les orchestres qu'on avoit
placés dans les ſalons qui viennent d'être nommés
, & qui font les ſeuls où l'on ait danſé.
Dans les embraſures des croiſées de la Galerie
on avoit établi des gradins à deux rangs de banquettes
: on avoit auſſi garni d'un rang de banquettes
le pourtour de toutes les pièces qui
n'étoient pas deſtinées pour la danſe , & où les
inaſques trouvoient à ſe repofer commodément.
Vingt luftres de cristal , dont les cordons de
fleurs formoient , en ſe réuniflant par des guirlandes
, différens compartimens agréablement
variés , & quarante quatre girandoles , à quinze
lumières chacune, pofées fur des torcheres , des
plus belles formes & d'un grand effet , ordonnées
& exécutées exprès pour le Mariage , éclairoient
Ja grande Galerie , & y répandoient une maſſe de
lumière qui ſe répétoit dans les glaces dont elle
eft décorée , & fervoit à faire valoir la variété
des déguifemens de la foule prodigieuſe des mafques
qui ſe portoient de tous côtés , & formoient
un ſpectacle enchanteur , qu'il eſt difficile de décrire.
Les ſalons où l'on danſoit n'offroient pas un
tableau moins brillant ni moins piquant. Il en
étoit de même des fatons de Vénus , de la Guerre
OCTOBRE. 1770 . 153
&de la Paix , dans lesquels des buffets , pleins
de goût & de galanterie , ajoutoient à la beauté
de chacune de ces pièces , qu'un concours continuel
de maſques rendoit auſſi riante qu'animée.
L'ordre le mieux conçu & le mieux obſervé
s'allioit à la vivacité du bal , & à la liberté du
maſque , au point de faire de cette nuit une des
plus agréables dont on puiſſe concevoir l'idée.
Suite des Spectacles .
Le jeudi , 24 Mai , on a repréſenté Athalie
avec toute la pompe dont cette admirable tragédie
eſt ſuſceptible. Ladécoration repréfentant le
remple de Jerufalem , parfaitement bien peinte
&de la plus grande ordonnance , répondoit en
tout à l'idée qu'on a de ce ſuperbe édifice : elle occupoit
entierement le théâtre , dont l'étendue eſt
de plus de cent piés de largeur ſur une profondeur
égale. On l'avoit diviſée en deux parties :
dans celle joignant l'avant ſcène , on avoit pratiqué
deux galeries de côté qui ſervoient à la faire
paroître encore plus vaſte , & à faciliter les entrées
& les forties des prêtres , des lévites & des
peuples , ainſi que celles des foldats d'Athalie &
lecombatqui ſe donne au se acte , & qui , mis en
action ſous les yeux du ſpectateur & au bruit
d'une ſymphonie d'un grand effet , a rendu ce
moment tel que l'auteur avoit pu le concevoir, &
infiniment plus impoſant , plus vrai qu'il n'a jamais
pu l'être ſur le théâtre de la Comédie. La
partie intérieure du temple , formée par une arcade
affez haute & affez ouverte pour que l'oeil
ne perdît rien de la nobleſſe & de l'élévation de
l'architecture dont elle étoit embellie , étoit terminée
au fond par une colonnade circulaire , au-
/
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
deſſus de laquelle on avoit pratiqué une galerie
deſtinée à recevoir une quantité conſidérable de
prêtres &de peuples dans l'inſtant où Joas paroît
ſur ſon trône , entouré de fes défenſeurs victorieux.
Il ſeroit difficile de donner une véritable
idée de la beauté majestueuſe de ce ſpectacle , rendu
encore plusfrappant par des choeurs nombreux,
&de l'expreffion la plus pathétique & la plus propre
aux differentes ſituations auxquelles ils étoient
adaptés. Les habillemens ont contribué à l'effet
général par la richeſſe & l'élégante ſimplicité qui
les failoient valoir respectivement & qui offroient
un contraſte très - heureux lorſque les foldats de
la Reine , vêtus & armés à l'antique , remplifloient
un des côtés du théâtre.
Quant à l'exécution dramatique , il ſuffira de
dire que la DileClairon , quoique retirée du théâtre
depuis pluſieurs années , a joué le rôle d'Athalie
de maniere à ajouter encore aux regrets que
cauſe ſa retraite ; & que la Dlle Dubois , dans le
rôle de Joſabeth , le Sr Brizard , dans celui de
Joad , le Sr le Kain , dans celui d'Abner , le Sieur
Belcour , dans celui de Mathan , ainſi que les Srs
Molé & d'Alainval , les Diles Molé , Veftris &
Doligny, dans les rôles moins confidérables , ont
diſputé de zèle&de talent pour rendre cette repréſentation
auſſi ſatisfaiſante qu'on pouvoit le
ſouhaiter: le rôle du Roi Joas a été rempli par
une jeune enfant , la Dile Teſſier , d'une figure
intéreſſante & agréable, & qui montre d'heureuſes
diſpoſitions pour le théâtre.
Le ſamedi , 26 Mai , on a donné une feconde
repréſentationde Perfée.
Quelques retranchemens , faits à- propos dans
les ſcènes&fur-tout dans les ballets ; plus d'exas
OCTOBRE. 1770 . 155
titude & de célérité dans l'exécution théâtrale ;
plus de confiance de la part des acteurs & un enſemble
plus heureux dans le total , ont , pour ainſi
dire, montré cet opera ſous un nouveau point de
vue : auſſi a-t-il fait le plaiſir qu'on en devoit attendre
, & d'autant plus qu'on étoit parvenu à dégager
le théâtre de la poufſiere & de l'eſpece de
brouillard qui l'obícurcifloient le premier jour ;
& qu'à la faveur d'une lumière vive & nette , le
ſpectacle offroit une richefle & une élégance qui
n'avoient pu être qu'entrevues à la premiere repréſentation
, & dont à celle - ci on jouiſſoit avec
autant de ſurpriſe que de ſatisfaction .
Le famedi 9 , & le mercredi 13 Juin , on a repréſenté
Castor & Pollux , dont le poëme eſt de
M. Bernard & la muſique de Rameau .
Il ſeroit ſuperflu d'entrer en détail par rapport
à cet opera , dont le nom ſeul atteſte la réuflite :
il ſuffira de dire que la magnificence & le goût
avoient préſidé aux habillemens ; que plusieurs
des décorations étoient de la plus grande manière
&bien peintes ; que fur-tout celle de la fin du s
acte , repréſentant le palais de Jupiter , communiquant
des deux côtés par des colonnades aux
pavillons des principales divinités célestes , déſignées
par leurs divers attributs , & montrant dans
le lointain une partie du zodiaque , répondoit
parfaitementà l'idée brillante & poëtique de M.
Bernard. On ne doit pas omettre que le ſoleil dans
ſon char , éclatant d'or & de pierreries & parcourant
la carrière , étoit d'un méchaniſme vraiment
ingénieux & produiſoit la plus heureuſe illufion.
Les Dlles Arnould & Dubois , dans les rôles de
Télaire& de Phébé ; & les Srs Gélin , Larrivée &
Legros ,dans ceux de Jupiter,de Pollux & de Caf-
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
1
tor , ont contribué au ſuccès de cet ouvrage , dont
les rôles d'une moindre importance ont été remplis
par les Sis Durand, Muguet, Caſſaignade &
Cavallier. La ſanté de la Dile Larrivée ne lui
ayant pas permis de remplir ceux d'une ſuivante
d'Hébé au 3 acte & d'une ombre heureuſe au se
elle a été remplacée par la Dile Roſalie. Ala ſeconde
repréſentation le Sieur Durand a remplacé
dans les trois derniers actes le Sr Larrivée , qu'un
enrouement très - conſidérable a forcé de quitter le
rôle de Pollux dont il étoit chargé : le Sr Peré a
fuppléé le Sr Durand à cette repréſentation , dans
le rôle du grand- prêtre de Jupiter. Tous les ſujets
diftingués dans la danſe étoient avantageuſement
placés dans les divertiſlemens de cet opera , dont
les ballets étoient généralement bien compofés &
d'un effet agréable.
Lemercredi 20 Juin, on a donné une repréſentation
de Tancrede , tragédie de M. de Voltaire . La Dile
Clairon a rendu le rôle d'Aménaïde avec cette ſupériorité
qui réunit tous les fuffrages ; le rôle de
Tancrede a fait véritablement honneur au Sr Molé
, de même que celui d'Argire au Sr Brizard : les
Srs Belcourt , d'Auberval , d'Alainval & Deſmarets
ont rempli les rôles de Loredan , Orbaflan ,
Catane & Aldamon , d'une façon très - fatisfaifante
& proportionnément à ce que chacun de ces
perſonnages a d'importance & d'intérêt dans l'ouvrage,
qui a produit l'effet qu'on s'en étoit promis.
Après Tancrede , on a donné une repréſentation
de la Tourenchantée, ballet figuré , mêlé de
chant , auquel on a cru devoir joindre quelques
ſcênes fort courtes & uniquement deſtinées à
éclaircir & à lier entr'eux les différens divertiſſe
OCTOBRE. 1770 . 157
1 mens qui forment le fond de ce ballet , dont l'ob
jet principal eſt le tournoi qui le termine.. Pour
l'amener plus convenablement , voici la fable
qu'on a imaginée. Margian , génie mal - faiſant ,
antoureux de Zélénie , fille de la Reine des Ifles
d'Or , n'ayant pu obtenir cette princeſſe de ſa
mere , a porté la guerre dans fes états , la fait prifonniere
ainſi que Zélénie , qu'il tient enfermée
dans une tour magique. C'eſt à ce moment que
commence l'action. Margian paroît au milieu des
miniftres de fon art & de les foldats , qu'il a rafſemblés
dans fon palais. Il leur dit qu'il ſait que
Renaud d'Eſt , chevalier François & fon rival , ſe
prépare à affranchir la princefle de ſa captivité ,
& il les excite à fſignaler de nouveau leurs efforts
& leur zèle pour le faire triompher de Renaud ,
qu'il veut attaquer & furprendre dans ſon camp.
Les uns & les autres ſe diſpoſent à fervir fa jaloufie
& fa vengeance ; des démons leur apportent
des ferpens , des poignards & des torches allumées
, pour faciliter leur projet , & Margian fort
avec eux tous pour l'exécution. Alors le théâtre
change & repréſente , dans le fond , une tour lumineuſe
, gardée & défendue par des géants & des
monftres formidables , &dans laquelle on apperçoit
la princefle gémiſſante ; d'un côté , des murailles
&une fortereſte , en partie démantelées ; &
de l'autre , le camp de Renaud d'Eſt. Il fort de ſa
tente , ſuivi de Florestan ſon écuyer , qu'il inſtruit
du deſſein où il eſt de ſauver Zélénie & la Reine ,
ou de périr. Florestan l'engage à profiter du ſecours
que lui offrent quelques guerriers des Iſles
d'Or , que l'éclat de ſes exploits a rafſemblés auprès
de lui. Renaud les appelle;ils paroiffent, confternés
&l ans armes : il leur retrace la gloire de
leurs ancêtres , ce qu'ils doivent à eux - mêmes &
158 MERCURE DE FRANCE.
fur-tout à leur ſouveraine; ils ſe raniment à fa
voix & rentrent dans leurs tentes pour ſe couvrir
de leurs armes. Unguerrier vient annoncer à Re .
naud que le magicien approche : dans le même
inſtant les troupes paroiflent d'un côté , d'un autre,
les guerriers de Renaud reviennentarmés & en
bon ordre fur la ſcène. Il ſe met à leur tête & l'action
s'engage. Au fort du combat, Margian arrive
fur un char traîné par des griffons quijettent feu
& flamme; lui- même eſt armé de torches ardentes:
Renaud l'apperçoit , laiſſe ſon écuyer à la tête
des fiens , & s'élance ſeul contre le géant; il le
combat& le tue . A l'instant le tonnerre ſe fait entendre
, la foudre écraſe les géans & les monftres
qui défendoient la tour ; elle eſt brîfée; la princefle
s'éleve ſur un nuage lumineux qui diſparoît ;
les foldats de Margian ſont défairs & mis en fuite,
& la Reine des Ifles d'Or s'avance dans un char
éclatant , où , après avoir remercié Renaud , elle
le fait placer pour le conduire dans fon palais &
l'unir à ſa fille ; le char les enleve l'un & l'autre
pendant un choeur de triomphe , exécuté par les
vainqueurs , qui ſe retirent enfuite. Le théâtre
change & repréſente un cirque , préparé pour un
tournoi. La Reine revient , avec la princefle &
Renaud; elle les unit aux yeux de toute ſa cour ,
& ils vont ſeplacer dans une tribune , ſurmontée
d'un riche pavillon , d'où ils voient le tournoi
qu'elle a ordonné pour embellir la fête d'un fi
beaujour. Les quadrilles arrivent ſur des marches
différentes ; ceux des tenans , compoſés de Grecs
&de Syriens ; ceux des aflaillans , de Scythes &
d'Indiens; Minerve , déeffe des Grecs , le Soleil ,
dieu des Syriens , Mars , dieu des Scythes , & Bacchus
, dicu des Indiens , chacun dans un char orné
des attributs qui lui fon propres , & attelé de deux
OCTOBRE . 1770 . 159
chevaux , fermentla marche de chaque quadrilles
le tournoi s'exécute ; le chevalier vainqueur , le
Sr Veftris , reçoit le prix de fa victoire , dont il
faithommage à ſa dame , la Dile Guimard ; & des
Troubadours qui furviennent , terminent le ballet
d'une manière auffi vive que piquante. Muſique ,
danſe , richefle bien entendue , pompe théâtrale
&d'un genre neuf, décorations , tout ſe réunifloit
pour faire de ce ſpectacle le tableau le plus magnifique
& le plus varié qu'on puifle offrir. Les
rôles étoient rendus ; la Reine , par la Dlle Dubois
; Zélénie , par la Dile Arnould ; Renaudd'Eſt
, par le Sr Larrivée ; Florestan , par le Sieur
Pillot ; Margian , par le Sr Peré : le Sieur le Gros
chantoit une ariette vive& gaie dans le divertiffement
des Troubadours , à l'agrément duquel les
Srs Lani & d'Auberval , avec les Diles Peflin &
Pitrot ont beaucoup contribué. La muſique de ce
ballet figuré eſt de M. d'Auvergne ; les paroles des
ſcènes , ainſi que celles de pluſieurs des morceaux
parodiés, ſontde M. Joliveau.
Le famedi , 14 Juillet , on a donné une repréfentation
de Sémiramis , tragédie de M. de Voltaire
, dont les rôles ont été rendus : Arface ou
Ninias , par le Sr Molé ; Affur , par le Sr d'Auberval
; Oroës , grand prêtre , par le Sr Brizard ;
Mitrane , par le Sr Monvel ; Cédar , par le Sieur
Delmarets ; l'Ombre de Ninus , par le Sr d'Alainval:
la Dile Dumeſnil a rempli celui de Sémiramis
avec cette chaleur & cette vérité de ſentiment qui
la caractériſent ; la Dile Dubois a joué celui d'Azéma
, & la Dile Molé celui d'Orane .
L'Impromptu de Campagne , comédie en un acte
&en vers de Poiffon , a ſuivi Sémiramis. Les Srs
Bonneval , Monyel , d'Alainval , Preville , Augé
160 MERCURE DE FRANCE.
& d'Auberval dans les rôles du comte,d'Eraste, de
Damis , de Frontin , de Lucas & d'un Laquais ; &
les Diles Drouin, Doligny & Fannier dans ceux de
la comteſſe , d'Ifabelle&de Liſette , ont prêté à la
repréſentation de cette comédie tout l'agrément
dont elle eſt ſuſceptible.
Ce ſpectacle a terminé les fêtes de la cour , qui
ont été ordonnées par M. le duc d'Aumont , premier
gentilhomme de la chambre du Roi , ca
exercice; & conduites par M. de la Ferté , intendant
des menus plaiſirs de Sa Majesté. M. Rebel ,
furintendant de ſemeſtre , a été particulierement
chargé de l'exécution des ſpectacles , ainſi que de
la muſique au feſtin royal , au bal paré & au bal
maſqué: il a été ſecondé , dans ce ſervice confidérable
, par MM. Franccoeur , de Buri & d'Auvergne.
M Boquet , peintre - décorateur & deffinateur
des habits , a donné en cette occafion de nouvelles
preuves du talent & du goût qu'on lui connoît.
Les principaux artiſtes , employés à la peinture
des décorations , font M. Machi , de l'académie
royale , pour l'architecture ; le Sr Canot , pour la
figure & les gloires en nuages; le Sr Boquet fils ,
pour les plafonds en tableaux de coloris ; les Srs
Baudon pere& fils, pour le payſage: les Srs Sarazin
& Subraut ont été chargés de la partie de la trace
&des dégradations perſpectives de l'architecture.
OCTOBRE. 1770. 161
ARTS.
ARCHITECTURE.
Projet d'un Temple funéraire , deſtiné à
honorer les cendres des Rois & des
grands hommes ; par M. Deſprez ,
architecte & profeſſeur de deſſin à
l'Ecole Royale Militaire. A Paris ,
chez Joullain , marchand d'eſtampes ,
Quai de la Mégiſſerie , à la ville de
Rome ; prix 6 liv .
Ce projet a été propofé par l'académie
royale d'architecture pour ſujet d'un
prix remporté par M. Deſprez en 1766 .
La gravure de ce projet est très - bien
exécutée, en trois planches , qui , dans
leur réunion portents piés de haut fur
*deux piés 4pouces de large. On y voit
le plan général de l'édifice , ſon élévation
& ſes différentes coupes. Ce beau monument
est dédié à M. de Voltaire .
,
162 MERCURE DE FRANCE.
AGRICULTURE.
Arbres , Arbriſſeaux .
LES Amateurs du jardinage & les Agriculteurs
qui defirent de ſe procurer des
arbres ou des arbriſſeaux étrangers & curieux
, foit par leurs fleurs , foit par la
beauté de leurs feuillages ou parla fingularité
de leurs formes , peuvent s'adreffer
à M. d'Aubenton , maite & fubdélégué
à Montbard , en Bourgogne .
On fournit , à la même adreſſe , de
grands arbres d'alignement pour former
des allées , des falles , des quinconces ;
des arbriſſeaux & arbustes fleuriſſans pour
former des boſquets & orner les parterres
; des arbres & arbriſſeaux toujours
verds pour faire des boſquets d'hiver &
des paliſlades ; des arbriſſeaux grimpans
pour garnir des murs &des berceaux ;
des arbres fruitiers de toute eſpèce , précieux&
curieux , & d'une variété infinie :
le tout à un prix modique.
OCTOBRE. 1770. 163
MUSIQUE.
Deuxième Concerto de Louis Boccherini
, pour violencelle oblige , deux
violons, alto , baffe & contrebaſſe ; prix ,
3 liv. 12 fol . A Paris , au bureau d'abonnement
muſical , cour de l'ancien grand
cerf , aux adreſſes ordinaires de muſique.
GRAVURE.
I.
Portrait de M.de Chenneviere , commiffaire-
ordonnateur , inſpecteur général
des hôpitaux , & premier commis
de la guerre , gravé en 1770 par
Ficquet , graveur de leurs Majestés
impériales & royales. A Paris, chez
les différens graveurs & marchands
d'eſtampes ; prix , 3 liv .
Ce portrait , qui eſt renfermé dans un
médaillon , eſt vu des trois quarts. Il eſt
164 MERCURE DE FRANCE.
d'un format propre à être placé à la tête
des Détails militaires , & autres écrits de
M. de Chenneviere. Ce dernier portrait
de M. Ficquet n'eſt pas inférieur à ceux
qu'il a publiés précédemment. On y admire
la même préciſion , le même fini ,
la même légéreté d'outil. On lit au bas
ces cinq vers de M. Thomas.
:
Chéri des belles & des grands ,
Bon citoyen , ami ſincère ,
Poëte aimable , Chenneviere
Eut des amis dans tous les rangs ,
Il ſçut aimer comme il fçut plaire.
I I.
PortraitdeM. Crebillon , deſſiné & gravé
par M. de St Aubin , d'après le
buſte en terre cuite fait par J. B.
Lemoine , fculpteur du Roi . A Paris ,
chez l'auteur , rue des Mathurins , au
petit hôtel de Clugny , & aux adreſſes
ordinaires de gravure ; prix I liv .
10 fols.
Ce portrait eſt du format de la belle
edition in- 4°. de M. Crébillon , imprimée
au Louvre. Ce poëte tragique eſt
OCTOBRE. 1770. 165
ici vu des trois quarts , & tête nue. Les
attributs de la tragédie & les écrits de
Sophocle , d'Euripide , d'Eſchyle , que
l'on voit au bas du portrait déſignent le
genre dans lequel M. Crébillon a excellé ,
& l'étude qu'il a faite des poëtes tragiques
grecs. La gravure de ce portrait a
beaucoup de douceur &de netteté.
On diſtribue chez le même artiſte , &
chez Joullain , marchand d'eſtampes ,
Quai de la Mégiſſerie , le portrait de
J. B. Lully , écuyer , furintendant de
la muſique du Roi , né à Florence en
16.33 , mort à Paris en 1687 ; prix ,
1 liv. 4 fols. Ce portrait eſt de profil &
en forme de médaillon . Il a été deſſiné
par C. N. Cochin , d'après le buſte de
Colignon , & gravé par Auguſtin de St
Aubin. Cet artiſte ſe propoſe de donner
pour pendant à ce portrait celui de
Quinault , le créateur de notre ſcène
lyrique , & auquel Lully doit la plus
grande partie de ſa gloire.
965 MERCURE DE FRANCE.
:
GÉOGRAPHIE.
Le ſieur le Rouge , 'ingénieur géographe
du Roi , rue des grands Auguſtins ,
vient de publier la Moldavie en deux
feuilles moyennes : la Grèce & l'Archipel
une feuille moyenne : la Morée une
feuille moyenne ; prix , 3 liv. en blanc ,
6 liv. lavées ſur papier de Hollande .
Ces cartes fervent de ſupplément aux
troubles de l'Est .
Carte allégorique de l'Iſle duMariage ,
par le docteur Jococofus , de la ſociété
royale de Stutopolis. A Paris , chez
Croisey , graveur & marchand d'eſtampes
& de géographie , Quai des Auguſtins
, à la Minerve ; & rue Dauphine ,
Hôtel de Genlis , vis-à- vis la rue Chrif
tine.
Ornemens en fleurs.
Parmi les divers ornemens de fleurs
qui peuvent ſervirà des deſſus de portes ,
OCTOBRE. 1770. 167
dont le ſieur Breſſon de Maillard , graveur
& marchand d'eſtampes , tient affortiment
, on en trouvera d'une nouvelle
invention . Ceux ci ſont peints ſur un
fond préparé , enfuite déposés ſur glace ,
ce qui produit un effet affez agréable . On
évite d'ailleurs , par ce moyen , qquue les
objets peints ne foient expoſés à la pouffière.
Le ſieur Breſſon de Maillard demeure
rue Saint Jacques , près celle des Mathurins.
On trouve dans fon magaſin toutes
forres d'emblêmes , de deviſes , de deſſins
pour garnir les boîtes , des cartons , &c .
Il vend auſſi des caractères & des deſſins
encuivre , d'un uſage auffi utile , qu'amu
fant,
Ecole Vétérinaire.
,
Lundi premier Octobre , les élèves
de l'Ecole royale vétérinaire de Paris
recherchèrent dans un concours public
les raiſons de la nature dans la conformation
du cheval. Ils en développèrent
les proportions & le mechaniſme , &
fatisfirent l'aſſemblée en difcutant cette
168 MERCURE DE FRANCE.
matière , auſſi neuve , qu'intéreſſante.
Ces élèves , qui doivent leur ſuccès au
ſieur Aubert , élève entretenu par la ville
de Vitry- le- François , & chef de brigade
, étoient au nombre de douze. Le
prix fut adjugé aux ſieurs Maillet , de
la province d'Auvergne ;.Quedeville ,
de celle de Normandie ; & Prieur , de
celle de Bourgogne.
VERS pour mettre au bas du portrait
de M. le Duc de Choiseul.
ILLAa ,, par ſes brillans travaux ,
Sçu déſarmer la terre & l'onde ;
Il cut pû n'être qu'un héros ,
Mais il fit le bonheur du monde.
Par un Officier.
OCTOBRE . 1770 . 169
LETTRE de M. Patte , en réponse à
celle de M. Cochin.
J'ai été fort étonné , Monfieur , deme voir interpelé
par M. Cochin , dans votre dernier Mercure
, au ſujet de mon mémoire fur l'infuffiſance
des piliers de Sainte-Génévieve , pour porter une
coupole. Qu'a de commun fon talent avec la
diſcuſſion dont il s'agit ? Est-il un géomètre , un
constructeur , ou un architecte ? N'étant ni l'un
ni l'autre , le titre qu'il prend d'ami de M. Souflot
, ne'ſçauroit donc être d'aucun poids en cette
occafion; il a pu fans conféquence quitter fon
maſque de marguillier , ou le garder , cela eft àpeu-
près égal au public. Maintenant , ſon écrit
anonyme , & fa lettre , s'expliquent tout nacurellement.
Mon mémoire ne méritoit pas ,
ſelon lui , une réponſe ſérieuſe , & mes démonftrations,
bonnes ou non , dit - il , ne font pas
applicables à la coupole de M. Souflot , fans
doute il n'a pas entendu quejaréſolu la queſtion
dans toute la généralité , & que le but de mon
mémoire , ( c'eſt pourtant ſon titre ) , eſt de prouver
que , quelle que puiſſe être la coupole projetée,
les piliers déja élévés ne font point en état de porter&
contreventer fes voûtes avec folidité.
Je n'ai jamais eu non plus le deſſein, comme
M. Cochin a voulu le perfuader , de prendre , ni
luini M. Peronet, pourjuges de mon mémoire ;
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
mais le vrai eſt , que j'ai invité l'un & l'autre
, parce que je ſuis honnête, à communiquer
en fecret, àM. Souflot, mes obfervations ſur ſa
coupole , & que , bien qu'ils fuſſent ſes intimes
amis , ils n'ont pas voulu s'en charger , ce qui
m'a obligé de les remettre àM. le marquis de
Marigny.
Pour abréger ma réponſe àla lettre deM. Cochin
, ainſi qu'à tous les écrits anonymes , libelles
ou autres écrits de cette trempe que l'on ſçait
avoir été répandus à l'occaſion de mon mémoire;
jemebornerai , par reſpect pour le public, à citer
quelques fragmens , de deux lettres (1 ) qui
m'ont été écrites par l'oracle de tous les conftructeurs
, le célèbre M. Frezier , directeur-général
des fortifications de Bretagne.
Dans la première , en date du 21 Maidernier,
il eſt dit , & fuivant la connoiſſance qui me refte
> de l'art de bâtir , j'ai trouvé que vous raiſonniez
>> dans votre ouvrage très-juſtement & très-con-
> ſéquemminent , àl'impoſſibilité d'achever le bâ-
→timent de Sainte-Genevieve avec ſolidité, fur
- l'état où l'on a pouffé ſon élévation , à la hau-
>> teur de la corniche intérieure , qui doit cou-
>> ronner la colonade ........ j'ai déja tant fait
>> de cas de vos ſavantes remarques ſur l'impoflibilité
de faire ſervir la baſe de la tour du dôme ,
>>fans y faire des changemens confidérables ,
!
(1) Ces lettres ont été communiquées à M. le
marquis de Marigny.
OCTOBRE. 1770. 171
১১
בכ
১১
وכ
23
que j'en ai parlé par converſation à ce que
nous avons à Breft de perſonnes capables d'en
juger , c'est-à-dire , d'entendre cette matière
ſavante , qui confiſte à conclure parfaitement
fur la pouſſée des voûtes à élever fur des colonnes
iſolées ........ Je vous remercie de
l'honneur que vous m'avez fait de me conful-
„ ter , en ce que vous avez acquis une grande
réputation d'habile architecte , ayant plusde
théorie fur cet art , qu'on n'en trouve ordinai
rement parmi ceux qui en font profeſſion......
& dans la feconde lettre en date du 16 Septembre
, j'apprends que l'architecte de Sainte-Genevieve
, au lieu de répondre au beau & favant
mémoire que vous avez donné au public , s'eſt
avifé de publier un déſi pécuniaire , nouveau
,, genre d'apologie , où l'on met en paralelle
» l'argent avec les opérations de l'eſprit. Je ne
>> doute pas que beaucoup d'architectes ne foient
, en droit de faire un ſemblable parallele , parce
„ que la théorie de l'architecture détachée de la
conſtruction matérielle n'eſt pas à la portée de
tout le monde .
১১
ככ
১১
১১
ככ
23
ככ
33
.... Quant aux exemples
ſur leſquels M. Souflot prétend ſe fonder ,
tels que St Charles du Cours à Rome , que j'ai
vu ſur les lieux ; vous obſerverez qu'il n'y a
„ aucun rapport du plan de cette Egliſe à celui
de Sainte-Genevieve ; en ce que le plan de
l'intérieur de l'égliſe St Charles eſt une ellipſe
>> dont les extrêmités du grand axe ne font point
>> portées par des colonnes latérales , mais ſou-
>> tiennent deux eſpèces de niches ſolidement
>>>conſtruites , qui fervent de butées à la pouffée
>que peut cauſer un dome ſphéroïde ſurmonté
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
d'une lanterne , & que les colonnes latérales
>>>ne ſont point iſolées , mais engagées dans des
•murs contenus , dont la pouffée peut être fou-
>> tenue par les voutes de communication d'un
>>eſcalier à une eſpèce de ſacriſtie , & contre-
>>butée à la droite par le bâtiment adjacent ,
>> au lieu que dans le plan de l'Eglife de Sainte-
Genevieve , il y a environ ſoixante colonnes
>> ifolées ».
Je vous prie , Monfieur , de vouloir bien infé.
rer cette réponſe dans le prochain mercure. Peu
m'importe que M. Souflot continue ſon dôme
fur les piliers ,&qu'on cherche par toutes fortes
de moyens à affoiblir l'effetde mon Mémoire ;
la vérité eſt une , & l'exécution dans ſon tems
mejuſtifiera.
J'ai l'honneur d'être , &c.
PATTE,
OCTOBRE . 1770. 173
LETTRE fur le ſyſtème de la Nature.
PUISQUE le ſyſtême de la Nature a des enthou
fiaftes , comme il n'a fait rire perſonne , & qu'afſurément
il ne pouvoit élever les ames ni les attendrir
, apparemment qu'on a trouvé dans cet
ouvrage une métaphyfique fimple & profonde , &
fur-tout un enchaînement de raſonnemens féduifans.
Peut - être ai -je mal conçu ceux de l'auteur
; mais s'il n'a pas prévû mes queſtions , l'on
peut dire qu'il a fini ſon livre avant de l'avoir
commencé. Je vais m'expliquer d'avantage
en m'adreſſant à ſes admirateurs.... Ils doivent
applanir mes difficultés , d'autant plus volontiers
, qu'elles regardent tous les livres du même
genre ; car je ſoutiens qu'ils ſuppoſent tous
gratuitement ce qui est indémontrable & ce qu'il
faudroit cependant prouver en toute rigueur,mais
raiſonnons fans déclamer.
Je vous prie , Meſſieurs , de me dire naïvement
fi vous ne convenez pas que l'expérience de tous
les fiècles a montré à tous les hommes une influence
réciproque de nos eſprits fur nos corps , & de
nos corps fur nos eſprits ? Ne convenez- vous pas
que ce fait étrange , qu'on voit & qu'on n'expliquepoint,
ne nous apprendra jamais comment une
certaine difpofition d'organes fait ſubitement
éclorre le ſentiment & la penſée ?Ne trouvez- vous
pas même que les philoſophes & les manans font
ici précisément dans la même clafle, parce que
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
tous les hommes ſe reſſemblent en ce qu'aucun
d'eux ne peut rien conclure lorſqu'il ne peut rien
concevoir ? Car, Meſſieurs , en ſuppoſant , comme
vous êtes obligés de le faire , des qualités occultes
dans les corps , je vois que vous n'en êtes
pas plus avancés , parce qu'un inconcevable de
plus ne pourra jamais vous conduire à trouver
quelques rapports entre des idées qui , par l'effence
même de notre eſprit, ſembleront toujours
incompatibles. Pour m'expliquer encore plus fimplement
je dis que l'expérience m'apprendque mon
corps agit fur ma penſée, &que ma penſée agit fur
moncorps; car moncorps fait ſouffrir mon ame
& mes membres obéiflent à ma volonté. Or , je
vous demande ſi l'on peut raisonnablement conclure
de ces deux faits que c'eſt la matière qui
tient le gouvernail &non la penſée , que cette admirable
matière modifie & produit ?
En attendant votre réponſe , je vous avouerar
franchement que cette affertion paroîtra toujours
un peu fingulière ; mais ne ſeroit-ce point cette
union& cette incompatibilité apparente des penſées
& des formes , des mouvemens &de la volonté
qui vous auroit perfuadés que nous ſommes
compoſés d'une ſeule ſubſtance que vous avez
fait corps plutôt qu'eſprit. Cependant votre hypothèſe
, autant que je puis la concevoir , netranche
point la difficulté ; car en n'admetrant , parce
qu'il vous plaît ainſi , qu'une matière mouvante&
penfante , nous n'en voyons pas mieux ,
ce me ſemble , le raport qui peut unir la partie
corporelle à la partie ſpirituelle qui , tour-à- tour
commande & obéit ? En effet , je veux , pour un
moment , que l'étendue & la penſée foient modes
1
OCTOBRE. 1770. 175
d'un même ſujet ; est - ce que l'action & la réaction
de ces modalités ſi différentes ne vous étonneroient
pas tout autant que celle des deux fubftances
diſtinctes ? Et même ne peut- on pas à ſon
gré nommer , eſprit ou corps , cette ſubſtance
unique qui renferine , ſelon vous , l'étendue , le
mouvement & la penſée ? Il me paroît au moins
qu'il n'y a pas plus de raiſon pour ſoutenir que le
matériel inexplicable de notre être produit des
ſentimens &des idées , que pour penſer que c'eſt
au contraire un certain fond ſpirituel& inconcevable
qui poule au-dehors des mouvemens &des
formes.
Je crois que vous devez commencer à vous appercevoir
que , dans toutes les ſuppoſitions , la penſée
diffère autant de l'étendue , que l'étendue diffère
de la penſée : il eſt vrai que vous prétendez auſſi
que les formes , les mouvemens , les qualités ſenfibles
des corps & leur fucceſſion & celle des êtres
penfans font éternelles comme le monde ; je lais
quedans votre ſyſtême , vous êtes obligés de vous
appuyer fur cette baſe qu'on a cent fois renverfée
; mais,quand vous pourriez la rétablir , vous
ſentez bien que nous pourrions toujours ſuppoſer
qu'un eſprit, éternel comme le monde, agit de tous
les tems fur tous les eſprits & fur tous les corps.
Hélas ! Meſſieurs, plusj'y penſe, & plus je vois que
vos affertions n'auront aucun avantage fur cellesde
vos adverſaires , tant que vous ne ſurpendrez point
la nature dans un moment ou le miracle de la penſée
réſulte évidemment de quelques phénomènes
purement matériels. Mais que diriez vous fi je
vous faifois voir à préſent que nous réclamous
nous - mêmes cette expérience dont vous parlez
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
fans cefle , &que , dans cette concurrence des efprits&
des corps , elle ſemble donner le fceptre
àl'eſprit?
Soyons debonne foi ; je vous en conjure , parlons
fans humeur , ſans enthouſiaſme & fans aucunepartialité
: n'êtes - vous pas , dans le fond,
bien plus fürs d'agir ſur les membres de votre
corps , parun mouvement de votre volonté , que
vous n'êtes aſſurés que cette volonté qui commande
à la matière , eft elle - même commandée
parune cauſe purement materielle ? J'avoue qu'il
m'eft impoffible de ne pas croire que vous avez ,
ainti que moi , la confcience de cette vérité ; &
même j'ole eſpérer que votre reſpect pour l'uniformité
des vores de la nature peut vous ramener
unjour aux pieds de cet Etre bon, qui ne vous tolère
peut être que pour vous pardonner : Ecoutez - moi
tranquilement ; jamais vous ne vous prouverez à
vous mêmes que l'existence d'un Dieu eſt métaphyſiquement
impoffible : or , quand il ſeroit
vrai que la penſée ne peut exifter fans être jointe
àl'érendue, il ne ſeroit pas moins vrai pour cela
qu'une fois qu'elle exiſte , cette penſée , elle meur
des êtres corporels : hé ! ne voyez - vous pas déjà
que s'il a yunDieu , (de quelque nature qu'il foit)
alors il n'y a point de corps qui ne ſoit actuellement
mû & ordonné par un eſprit , au lieu que s'it
n'y a point de Dieu , quelquefois le mouvement
eſt produit par la volonté d'une intelligence , &
leplus ſouvent les corps ſe meuvent & s'arrangent
d'eux mêmes ſans la médiation d'aucun être ſpirituel
? Je vous demande , Meffieurs , comment
vous trouvez cette ſeconde ſuppoſition : eft il en
bonne philofophie rien de plus choquant , de plus
abſurde , de plus contraire à notre ſentiment in
OCTOBRE . 1770. 177
time , à l'expérience & à l'uniformité des voies de
la nature; n'eſt - elle pas également reſpectée &
connue par le peuple & par les philofophes , par
les théiſtes & par les athées. Mais je vous jure ,
Meſſieurs , que je vous eſtime aflez pour juger ,
qu'une fois que vous aurez bien faifi ma pentée ,
elle vous tourmentera continuellement.
Je crois qu'il n'en faut pas davantage pour défoler
une athée dogmatique , cependant vous
pourriez aller plus loin enjoignant , à ce que nous
avons dit , la ſage réflexiond'un homme que vous
eftimez; je me louviens que Loke ſoutient , quelque
part , que , de la manière dont nous ſommes
faits , nous ne voyons pas plus de rapport entre
une volonté & le déplacementd'un corps qu'entre
la création ſubite d'un corps ou même celle du
monde , & la volonté d'un être ſpirituel qui le
crée, parce qu'il veut qu'il foit : en effer , vous
fentez bien que ces deux myſtères (dont l'un eft
pourtant une choſe de fait) ne peuvent être ni
plus ni moins inconcevables;premièrement, parce
qu'il n'y a point de nuances dans les inconcevables
qui n'impliquent point clairement dans les
termes; d'ailleurs il eſt viſible que la difficulté eft
précisément la même , puiſque c'eſt toujours le
même défaut de rapport entre l'effet & la caufe ,
qui fait que les uns nient la création , & que perfonne
n'a compris juſqu'à préſent comment la volonté
peut agir fur la matière. Cependant , Meffieurs
, dès que la création n'est pas plus inconcevable
que l'action d'un eſprit for un corps , dont
nous ſommes journellement témoins ; & que ,
d'autre part , l'analogie , comme nous venons de
levoir , nous conduit à penfer qu'il existe un Etre
intelligent dont la volonté meut & gouverne le
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
monde; il me ſemble , en vérité , qu'à partir de
ces réflexions i fimples & fi confolantes , il eſt difficile
de regarder comme abfurde l'hypothète de
la créationdes eſprits & des corps par un être immatériel
: mais il y a plus , fi l'expérience joignoit
àces raiſons , au cri du genre humain & aux monumens
de la nouveauté de l'Univers , ſi elle y
ajoutoit encore l'exemple d'une création , de quelque
nature qu'elle fût , ne ſeriez vous pas enfin
très-diſpoſés à penser que le monde lui- même a
du commencer à l'ordre d'un Efprit Créateur ? De
grace raiſonnons encore par analogie , puiſqu'elle
nous a fi bien réuſſi : vous me direz peut - être
que vous n'avez jamais vû créer de corps ni d'efprit;
mais je doute fort que , dans la confcience
de votre raifon , vous puffiez le foutenir dans un
moment.
Permettez- moi de renouveller une petire queftion
qu'on a louvent rebattue : croyez - vous que
cet eſprit ou cette matière qui admire le ſyſtême
de la nature , en inſultant fon, maître croyezvous
que cette perſonnalité philoſophique avec
laquelle j'ai l'honneur de caufer à préſent ait commencé
dans le tems ; ou la croyez vous éternelle
comme le monde ? Je me figure que l'éternité de
votre ame vous inquiéteroit beaucoup plus que
celle de l'Univers ; mais pourtant , fi vous croyez
avoir commencé un certain jour , voici donc au
moins la création de ce moi penfant qui veut être
athée , la voilà démontrée malheureufement par
les faits; par conféquent nous avons connu , en
quelque forte , les voies de la Providence ou celles
de la nature ; & même nous devons admettre
aflez volontiers la création du monde entier qui,
dans le fond , n'eſt pas plus inconcevable que le
OCTOBRE. 1770. 179
commencement de notre ame , ſi l'on enjuge ſans
humeur & fans prévention.
,
Qu'en penſez- vous , Meſſieurs , parlez de bonne
foi : la création d'un corps vous étonneroitelle
plus que celle d'un eſprit ? Celle d'une ſubſtance
nouvelle vous étonneroit - elle davantage
que celle d'un mode nouveau , ( comme vous
appelez notre ame ) qui ſemble avoir fi peu de
rapport avec la ſubſtance dont vous le faites fortir
, & qui n'exiſtoit pas l'inſtant d'auparavant ;
d'ailleurs vous eft - il moins facile de croire
que le corps eſt une modalité de l'ame , que de
fuppofer que l'ame eſt une modalité de la matière?
Seriez- vous plus furpris du commencement
d'une particule d'étendue que de celui d'un tout
penſant qui a la confcience de lui- même ? Pour
trancher , concevez vous mieux l'étendue & fes
qualités occultes ( que vous ſuppoſez ) indépendamment
de fes qualités ſenſibles qui ne font que
dans votre ame , que vous ne concevez une ame
indépendamment de la matière & de ſes propriérés
inconnues ? En un mot , trouvez-vous plus de
priſe , à parler philoſophiquement , dans les corps
que dans les eſprits ? En tout cas , je puis vous
répondre que ce lage Anglois * qui vous paroît fi
raisonnable , ne ſeroit point de votre avis à cet
égard. Au furplus vous n'avez qu'une réponſe à
faire; vous êtes forcés de vous rendre ou d'affirmer
que votre perſonnalité exiſtoit en puiflance
dans ungerme incorruptible ou dans les propriétés
ſecrétes de quelques particules de matière qui
devoient la produire dans telles circonstances
*M. Loke.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
données.... Ah ! Meſſieurs , ſi vous êtes réduits à
nous faire nettement cet aveu , fi vous penſez fincèrement
que l'efprit caché dans le ſein des corps.
peut le montrer tout à coup , parce qu'il existe en
puiflance avant d'exiſter véritablement; hé ! pour--
quoi donc ne pourrions nous pas ſuppoſer a notre
tour que l'Univers exiſta éternellement en
puiſlance dans cette intelligence féconde qui l'a
Iubitement réalifé .
Je ne ſais , Meffieurs , ce que vous penſerez de
cette métaphysique analogique & expérimentale
en quelque forte :je crois cependant que vous
conviendrez entre vous que vos dogmes font fort
ébranlés , du moins en tant que vous aviez cru
vos preuves démonstratives ; mais je ne me flatte
point que les vérités contraires à vos fables aient
dans ma bouche une autorité qui puifle entraîner:
tous mes lecteurs , c'eſt à eux de les apprécier. Je
vais raflembler encore quelques réflexions trèsfimples
qui renferment,je crois, ce que nous avons
ditd'important.
J'obſerverai pour finir , 1º. Que nous ſommes
aumoins auſſi ſurs que notre eſprit agit fur notre
corps , que nous le ſommes que notre corps aquelque
empire fur notre efprit .
2°. Que l'on ne conçoit pas mieux le rapport
d'une forme avec une penſée que celui d'une penfée
avec une forme , d'où l'on doit conclure qu'iln'eſt
pas plus facile de concevoir comment l'éten
due produit la penſée que de comprendre comment
l'eſprit remue la matière , & même comment un
Dieu peut la créer en voulant qu'elle fort .
3°. Que nous ſavons par expérience & par fentiment
que notre volonté remue des corps , au
Dieu que nous ne pouvons avoir le fentiment&
OCTOBRE. 1770. 181
Fexpérience de l'impoſſibilité d'une intelligence
qui agit continuellement fur la nature entière.
4. Que s'il n'y a point de Dieu , il y a des
corps qui marchent d'eux- mêmes , ou pour m'expliquer
plus clairement , il yades mouvemens où
préſide une intelligence , & d'autres qui s'opèrent
fans l'intervention d'aucun être ſpirituel.
5°.Que le commencement de la partie penſante
de nous-mêmes , qui eſt prouvé par le fait, n'eſt
pas plus inconcevable que celui de notre être corporel
.
6°. Que cemiracle journalier ſemble proclamer
que tout ce qui n'est pas Dieu ( &même le monde
entier qui ſans doute eſt une créature mortelle
comme tout ce qu'il contient) doit avoir commencé.
7°.Qu'on peut foutenir que le corps n'eſt qu'une
apparence ſenſible , tout aufli-bien pour le moins ,
que l'on foutient gratuitement que l'eſprit n'eft
qu'une modalité des êtres matériels .
8 °. Que, fi , pour expliquer la création apparente
& journalière des êtres ſpirituels , on dit que les
elprits exiftent en puiſſancedans les corps quiles
font éclorre ſucceſſivement , on peutauſſi-bien prétendre
que l'Eſprit Créateur contenoit éternellement
l'Univers en puiſſance , qu'il a voulu créer
dans le tems. Mais , non ſeulement il me ſemble
que le commencement de ce que nous appelons
des ames , dont nous ne pouvons guères douter ,
accoutume à l'idée d'une création univerſelle; je
penſe de plus , comme je viens de l'infinuer , que
le corps entier de la nature qui reflemble du moins
au nôtre , en ce qu'il eſt étendu & organisé comme
le nôtre , doit fans doute , ainſi que le nôtre,
avoir dans le tems un commencement & une fin .
182 MERCURE DE FRANCE.
Je termine ici toutes mes réflexions qui ont eu
un peu plus d'étendue que je ne l'avois imaginé.
Je ne parlerai pas du fataliſme de l'auteur , parce
que cette opinion ſuppoſe toujours qu'on a ſuffiſamment
détruit la Divinité & qu'on a clairement
prouvé la matérialité de ces ames , quelquefois fi
fublimes, qui ont pourtant la confcience intime de
leur liberté. Je crois que , ſi l'auteur avoit bien
éclairci ces difficultés , dès les premières pages de
fon livre , il auroit pu ſe diſpenſer d'analyſer ſi
triſtement d'affreuſes queſtions qui ne fervent
qu'à inquiéter encore pendant les jours d'une fi
courte vie ces pauvres êtres qu'il dévoue au néant;
mais il eſt inconcevable qu'il ait gliffé ſi légèrement
fur l'eflentiel , il eſt étonnant qu'il n'ait fait
que rebattre des objections faftidieuſes & ulées
ſans jamais entrer profondément dans les objets
qu'il falloit diſcuter avec préciſion& clarté : il eſt
vrai qu'il eſt encore plus étrange que fes enthoufiaftes
( dont quelques uns font gens d'eſprit )
foient fi faciles à contenter dans une matière de
cette importance.
ANECDOTE S.
I.
Le général A..... étant obligé de ſe
rendre dans ſes terres d'Ecoffe_pour des
affaires qui lui étoient perſonnelles , n'oſa
ſuivre la grande route d'Edimbourg ,
parce qu'il craignoit d'être inſulté parla
OCTOBRE. 1770 . 183
multitude ; on ne dit point pour quel fujet
. Il prit le chemin de Carlifle , où il efperoit
n'être point reconnu. Il cut occaſion
de paffer un bac ; c'étoit un homme
fort dur , fort ſévère ; il ne fut pas plutôt
dans le bateau qu'il maltraita de paroles
le matelot qui le conduiſoit. Tu es
un fripon , lui dit-il , ainſi que tous tes
Semblables ; vous ne vous occupez qu'à
paffer de la contrebande ; vous trompex le
Roi , vous méritez tous le gibet. Cela eft
vrai , répondit le batelier nous fraudons
quelquefois les droits , mais vous êtes
le premier général que j'aie paffé en com.
trebande dans ma vie .
11 .
د
Pendant l'ufurpation d'Olivier Cromwell
, Sir John Howorth de Surrey , un
des officiers du Protecteur , & des plus
attachés à fon parti , fut attaqué en juſtice
par le curé de ſa paroiſſe , au ſujet des
dîmes . Pendant que le procès étoit en
inſtance , Sir John s'imagina que le miniſtre
le déſignoit dans ſes fermons tous
les Dimanches : il en porta ſes plaintes
au Protecteur , qui fit venir le miniſtre;
mais , celui- ci ayant répondu qu'il prê
184 MERCURE DE FRANCE.
,
choit ſeulement en général contre les débauchés
crapuleux , les ivrognes , les
menteurs , les voleurs & les filoux
Cromwel le renvoya , & dit à l'officier :
Sir John , retournez dans votre maison ,
& vivez mieux à l'avenir avec votre curé.
La parole du Seigneur cherche le pécheur
&dévoile ses iniquités ; je fuis faché pour
vous qu'elle vous ait trouvé.
III.
Le général Kirk avoit commandé à
Tanger pendant pluſieurs années . Lorfqu'il
revint en Angleterre , Jacques II .
entreprit de le ramener à la Religion
Catholique ; il le preſſa vivement , &
lui promit , à ce prix , fa faveur & fes
bienfaits. Le général l'écouta avec la
plus grande attention ; & , lorſqu'il eut
fini , il lui témoigna le plus vif regret
de ne pouvoir le fatisfaire , & l'affura
que ſa parole , qu'il avoit engagée , ne
le lui permettoit pas. Comment , lui de.
manda le Roi , qu'entendez vous par là ?
Sire , répondit Kik, pendantmonféjour
en Afrique , j'ai promis à l'Empereur
de Maroc , que , fi je changeois jamais
de Religion , je me ferois Mahometan.
OCTOBRE. 1770. 185
Je ſuis homme d'honneur , Sire , ma
parole est donnée ; votre Majesté ne voudroit
pas meforcer d'y manquer.
I V.
Deux hommes ſe trouvant un jour
dans un cabaret à Londres , s'entretenoient
de différens traits de la Bible , ils
parlerent de la fameuſe défaite des Philiſtins
par Sanfon ; l'un prétendit qu'il ſe
fervitde la machoire d'un vieil âne , l'autre
de celle d'un jeune ; chacun foutint
fon opinion avec chaleur , une gagure
ſuivit. Pluſieurs perſonnes qui étoient
dans le même lieu furent priſes pour
juges. Les raiſons de l'un & de l'autre
furent écoutées gravement ; les ſentimens
ſe partagerent ; les juges difputerent
entre eux ; la querelle s'échauffa ;
on fit beaucoup de bruit , & on alloit ſe
battre lorſque l'hôte , aidé de les valets ,.
faifit les deux premiers auteurs de la difpute&
les conduifit chez l'Alderman du
quartier. Celui -ci ne put s'empêcher de
rire en apprenant le fujet de cette querelle
qui recommençoit devant lui; it
eut beaucoup de peine à impoſer ſilence
aux deux ivrognes , & les renvoya en
186 MERCURE DE FRANCE.
leur diſant:je ne m'attendois pas à voir
aujourd'hui deux ânes à mon tribunal.
Cela n'est pas étonnant , reprit auffitôt
un des diſputans , puiſqu'ily en a un qui
ypréfide.
V.
Une perſonne , à la campagne , commande
à ſon domestique d'aller voir à
un cadran folaire , poſe ſur une pierre
dans un jardin , l'heure qu'il eſt au foleil
; le domeſtique , fort embarraílé ,
apporte officieuſement le cadran ſolaire
à fon maître , & lui dit : cherchez l'heure ,
carje ne m'y connois pas.
LETTREfur une Automate qui joue
aux échecs .
APresbourg, ce 24 Juillet 1770.
M. Je laifle à d'autres le ſoin de faire le récit
des fêtes brillantes qu'a occaſionnées ici la préſence
de l'Impératrice -Reine , de l'Empereur , &de
toute la famille impériale; il me ſemble trop
difficile de pouvoir parler dignement de la manière
extrêmement affable , & remplie de confiance
avec laquelle les ſouverains ſe communiquent
ici à leurs ſujets , & le retour précieux
d'amour & de vénération dont ils font payés par
OCTOBRE . 1770 . 187
ces mêmes ſujets. Je me contenterai d'informer
le public par votre canal d'un fait auffi imfortant
à l'honneur des ſciences , que glorieux
pour Presbourg qui l'a produit .
Pendant mon ſéjour à Presbourg , j'ai eu l'a- vantage de faire connoiſſance avec M. de Kempel
, conſeiller aulique , & directeur-général des falines en Hongrie. On ne peut porter plus loin qu'il l'a fait les connoiſſances dans la méchanique
, du moins n'a -t-on point encore vu perſonne
qui ait mis au jour un ouvrage plus merveilleux
dans ce genre que celui qu'il a compoſé de- puis un an . M. de Kempel , animé par le récit
des productions du celebre M. de Vaucanſon
, & de quelques autres hommes de génie , ne vouloit d'abord que marcher ſur leurs
traces ; mais il a fait plus , il les a devancés , & il eſt parvenu à compoſer un automate
qui peut jouer aux échecs contre les plus habiles
joueurs. Cet automate repréſente un homme de
grandeur naturelle habillé à la turque , affis de- vantune table d'environ trois pieds & demi de
longueur , fur deux pieds & demi de largeur , fur laquelle est un échiquier. Cette table eſt
poſée ſur quatre pieds à roulettes , afin de pouvoir
la changer facilement de ſituation , ce que l'auteur ne manque pas de faire pour éloigner
tout ſoupçon de communication. La table & la figure font remplies de roues , de refforts & de leviers. L'auteur ne fait aucune difficulté de laiffer
voir l'intérieur de la machine , fur-tout depuis
qu'il a ſçu qu'on le ſoupçonnoit d'y tenir un enfant caché; j'ai examiné avec attention
toutes les parties de la table & de la figure , & je me fuis afſuré que cette imputation n'avoit pas
18.8 MERCURE DE FRANCE.
le moindre fondement. J'ai joué une partie d'échecs
avec l'automate , j'ai remarqué fur-tour
avec étonnement la préciſion avec laquelle ſe
faifoient les mouvemens variés & compliqués dứ
bras avec lequel il joue; il leve ce bras , il l'avance
vers la partie de l'échiquier où eſt la piéce
qu'il doit jouer ; & enſuite , par un mouvement
depoignet , ramene la main au-deſſus de la pièce,
ouvre la main, la referme ſur la piéce pour s'en
faifir , l'enlever , & la placer ſur la caſe où il
veut ; & il remet enfin ſon bras ſur un couffin
qui eſt à côté de l'Echiquier. S'il doit prendre
une pièce à fon adverfaire , par un mouvement
entier du bras , il met cette piéce hors de l'échiquier
, & par les mêmes mouvemens que je viens
de décrire , revient prendre ſa piéce pour lui
faire occuper la caſe que l'autre laiſſoit vacante.
J'eſſayai de lui faire une petite fupercherie en
prêtant à la dame la marche du Cavalier , mais
l'automate n'en fut pas ladure; il prit ma dame
& la remit à la cafe d'où je l'avois fait partir ?
tout cela ſe fit avec la même promptitude qu'un
joueur ordinaire met à ce jeu , & j'ai fait des
parties avec pluſieurs perſonnes qui ne jouoient
ni fi vite , ni fi bien que l'automate , & qui auroient
été cependant fort choquées qu'on les eût
comparées avec lui. Vous vous attendez peutêtre
, Monfieur , que je propoſe quelques conjectures
ſur le moyen employé pour diriger cette
machine dans ſes mouvemens. Je ſouhaiterois
fort en pouvoir former de raiſonnables , mais
malgré toute l'attention que j'apportai dans mes
obſervations , il ne m'a pas été poflible de remarquer
rien qui pût fatisfaire mon eſprit làdeſſus.
L'ambaſſadeur d'Angleterre , le prince
2
OCTOBRE. 1770 . 189
Giustiniani , & quelques ſeigneurs anglois , pour,
qui l'auteur avoit la complaifance de faire jouer
Pautomate , étoient autour de la table lorſque je
fis cette partie ; tous avoient les yeux ſur M. de
Kempell , qui étoit à côté de la table , ou s'en
tenoit éloigné quelquefois juſqu'à la diſtance de
cinq ou fix pieds : pas un ne remarqua en lui le
moindre mouvement qui pût influer ſur l'automate.
Ceux qui avoient vu les effets produits par
la vertu de l'aiman ſur les boulevards à Paris
ſe recrièrent que l'aiman devoit être le moyen
employé pour diriger le bras ; mais , outre qu'il y
apluſieurs objections à faire contre cette conjecture
; l'auteur avec qui j'ai eu depuis de longues
converſations , s'offre pour la détruire , de
laiffer apporter près de la table , la pierre d'aiman
la plus forte & la mieux armée , ou un
poids de fer , quelque conſidérable qu'il ſoit ,
fans craindre que les mouvemens de fon automate
en puiſſent être dérangés : il s'en écarte auſſi
àune diſtance quelconque , & le laiſſe jouer jufqu'à
quatre coups de ſuite fans en approcher . Il
eſt inutile de remarquer que le merveilleux de cet
automate conſiſte principalement en ce qu'il n'a
point , ( comme d'autres déja tant célébrés ) une
fuite de mouvemens déterminés ; mais ſe meur
toujours en conféquence de la façon de jouer de
fon adverſaire , ce qui produit une multitude
prodigieuſe de combinaiſons différentes dans ſes
mouvemens. M. de Kempell remonte de tems
en tems les refforts du bras de l'automate pour
renouveller la force mouvante , ce qui n'a aucun
rapport avecla force directrice qui fait le grand
mérite de cet ouvrage. En général , je crois que
l'auteur influe fur la direction de preſque chaque
190 MERCURE DE FRANCE.
ce
coup que joue l'automate ; quoique , comme je
viens de le dire , on l'ait vu quelquefois l'abandonner
à lui-même pour pluſieurs coups ,
qui eſt ſelon moi , la circonſtance la plus difficile
comprendre de tout ce qui regarde cette machine
. M. de Kempell a d'autant plus de mérite
dans cette production qu'il ſe plaint de n'avoir
pas été ſecondé par desouvriers auſſi habiles que
l'exigeoit la préciſion d'un ouvrage de ce genre ,
& il eſpère pouvoir bientôt mettre au jour des
choſes encor plus ſurprenantes que celle- ci . On
peut s'attendre à tout de ſes lumières , qui font
infiniment relevées par la rare modeſtie ; jamais
génie ne triompha avec moins de faſte.
J'ai l'honneur d'être , & c.
L. DUTENS .
LETTRE de M. le Comte de Moncade ,
fur la guérison du cancer.
Quelque ſenſible que je fois , Monfieur , aux
éloges flatteurs & aux follicitations preſſantes
des ſavans & des malades , tant du Royaume ,
que du pays étranger , je ne prévoyois pas cependant
pouvoir condeſcendre ſi - tôt à leurs
defirs. Je ne ceſſois d'appréhender , qu'en me
hâtant de publier les obſervations que j'ai eu
occafion de faire pendant pluſieurs années
fur les maladies des glandes , ainſi que fur les
remèdes les plus efficaces pour les vaincre , il
ne s'y gliflât quelque mépriſe , qui pût donner
OCTOBRE . 1770. 191
lieu à des ſuites funeftes. J'appréhendois auſſi ,
qu'en accordant indifféremment à tous ceux qui
m'écrivoient , les moyens que j'ai découverts
pour guérir le cancer au ſein , il ne s'y commit
encore dans la manière de les adminiſtrer des
fautes qui pourroient être dangereuſes. Mais
j'ai été raſſuré pardes perſonnes éclairées , qu'à
l'aide des précautions qu'elles m'ont conſeillé
de prendre , le public retireroit infailliblement
les avantages que j'ai voulu lui procurer par
cettedécouverte. Lors donc qu'on m'adreffera
une rélation affez circonstanciée pour me faire
porter un jugement ſolide , tant fur la nature
du cancer , que ſur les principaux ſymptômes
qui l'accompagnent ; j'indiquerai très-volontiers
les ſecours que j'eſtime les plus propres , pour
en opérer une cure radicale. Pluſieurs grands
maîtres de l'art ayant defiré d'adminiſtrer euxmêmes
à leurs malades , ces préparations médicinales
, je leur en ferai ceder aufſi , à raifon
de douze fols la priſe , pourvu qu'ils ſe fourniſſent
des bouteilles pour l'eau de Mafra , que
j'y joins en même - tems pour chaque panſement.
C'eſt pour ménager la délicateſſe des
perſonnes de rang , qui ſe faifoient une peine
de me demander ce remède, lorſque je le donnois
gratis , & pour pouvoir d'ailleurs en fournir
àun plus grand nombre de malades , qu'on m'a
conſeillé de le faire vendre * à ce prix modique.
* Rue de Condé, au coin de celle du Petit Lyon,
vis-à- vis le paſſage du Riche-Laboureur , chez
M. Joffe , Marchand Epicier.
i
:
192 MERCURE DE FRANCE.
Je tâcherai de convaincre par - là les plus incrédules
de l'efficacité de ma méthode pour
guérir le cancer. Quand on n'en ſaura plus
douter, je ne manquerai pas d'en rendre publicstous
les détails pour le bien de l'humanité
ainſi que je l'ai promis. Je dirai ſeulement en
paſſant , que c'eſt à la Chymie , dont j'ai fait
toujours mes délices , que je ſuis redevable de
ces moyens ſalutaires.
Comme c'eſt par une ſuite d'obſervations
que je ſuis parvenu à m'aſſurer du ſuccès des
remèdes en queſtion , tant pour la cure du
cancer , que pour fondre les glandes skirrheuſes
au ſein , avant qu'elles s'ouvrent ; j'ajoute
qu'ils font également propres pour vaincre les
maladies chroniques les plus rebelles. En effet ,
on ne peut diſconvenir que le rhumatiſme , la
plupart des fièvres , l'hydropifie , la goutte , &
tant d'autres maux, dont l'énumération deviendroit
ennuyeuſe , ne dépendent que de l'engorgement
d'humeurs , qui s'eſt formé dans
les glandes de différentes parties du corps . Ce
n'eft , au reſte , qu'en aidant ſimplement la
nature à furmonter les obstacles , qui troublent
le cours de ſes opérations, qu'agit principalement
cettePanacée Martiale. J'ai cru luidevoir donner
cé nom , parce que c'eſt du fer que je retire le
plus d'avantages pour atteindre le but. Je n'en
ai eu d'autre , que de me rendre utile au public
, en facrifiant mes veilles à découvrir les
moyens de guérir le cancer , fans contredit , la
plus cruelle de toutes les maladies , dont les
perſonnes du ſexe puiſſent être attaquées. C'eſt
dans cette vue que je vais leur faire part des
Lettres que j'ai reçues de quelques Dames guérie
,
OCTOBRE. 1770. 193
ries par cette méthode. Les relations naïves de
leurs maux , & les expreſſions fincères de leur
réconnoiffance à mon égard , tiendront lieu
dans cette occafion , des autres preuves plus
authentiques que j'aurois pu aisément me procurer.
J'ai l'honneur d'être , &c .
LE COMTE DE MONCADE.
ARRÊTS , DECLARATIONS , & c .
I.
ARRIT du conſeil d'étar du Roi , du 2 Juillet
1770 ; pour l'ouverture de l'annuel de l'ang
née 1771 .
I I.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 6 Juillet
1770 , & Lettres-patentes fur icelui , regiſtrées
en la cour des Monnoies le 18 Août 1770 ; qui
ordonnent la fabrication des nouvelles eſpèces
de cuivre dans les Monnoies deTroyes &de Strafbourg.
III.
Déclaration du Roi , donnée à Verſailles le 15
Juillet 1770 ; portant attribution de fix mille livres
au Prévôt général des Monnoies du déparrement
de Lyon , pour appointemens & folde de
ſacompagnie.
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
1 V.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 29. Août
1770 ; qui ordonne que le chapitre ordinaire de
laCongrégation de Saint-Vanne , qui doit s'afſembler
la quatrième ſemaine d'après Pâques de
l'année prochaine 1771 , fera tenu dans l'abbaye
de Montiers- en-Der.
V.
Arrêt du parlement en date du 29 Août dernier
, par lequel il eſt ordonné par proviſion , ſous
le bon plaifir du Roi , que toute perſonne qui
voudra faire le commerce des grains & farines
ſera tenue de faire infcrire au greffe des jurifdictions
ordinaires des lieux où elle exercera ce commerce
, fon nom , ſes qualités , demeure & domicile
, ainſi que les noms , qualités , demeures &
domiciles de ſes aflociés ou commettans , enſemble
le lieu dans lequel elle tiendra ſes magaſins &
de tenir enbonne &due forme un regiſtie d'achat
&de vente des grains & farines dont elle fera le
commerce. Le même arrêt enjoint aux perſonnes
faiſant ce commerce d'apporter une quantité ſuffifante
de grains & farines dans les marchés , à
l'effet de les garnir ; en conféquence il autoriſe
les officiers de police à les obliger , dans les cas
de néceſſité , de les y faire apporter , le tout ſous
les peines portées par les ordonnances ; fait défenſes
à toutes perſonnes faiſant ce commerce
d'acheter leſdits grains &de les enarrher , comme
auffi à tous laboureurs & fermiers de les vendre
, ſoit en verd , ſoit ſur pied avant la moiſſon
& avant qu'ils feient conduits dans les granges ,
fous peine d'être pourſuivis extraordinairement ;
OCTOBRE. 1770 . 195
déclarant dès-à-préfent nuls & de nul effet tous
les marchés de ce genre qui pourroient avoir été
faits ou qui le feroient par la ſuite , en contraventionà
la préſente diſpoſition .
V I.
Arrêts du conſeil d'état du Roi , des 10 Décembre
1759 , 4 Juin & 22 Juillet 1770 , & Lertres-
patentes fur iceux , regiſtrées en la cour des
Aides le 29 Août 1770 ; portant que la régie des
droits rétablis & réunis ſera continuée par Jean-
Baptiste Foache , pendant fix années , qui commenceront
au premier Janvier 1771 .
VII .
Déclaration du Roi , donnée à Verſailles le premier
Septembre 1770 , concernant les Requêtes
civiles ; regiſtrée en parlement le 6 Septembre
ſuivant, laquelle ordonne que toutes les requêtes
civiles qui ont été miſes aux grands rôles , depuis
&compris celui de la Saint - Jean 1769 , juſques
&compris celui de la Saint Jean 1770 , & qui
n'auront pas été plaidées , ſoient & demeurent
appointées à la fin deflits rôles , ainſi que les autres
cauſes , & foient renvoyées dans les chambres
où auront été rendus les arrêts , contre lefquels
leſdites requêtes civiles auront été obtenues,
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
VERS fur la Priſe d'Habit de Madame
LOUISE- MARIE de France.
La vertu ſe dévoue & la grandeur s'immole :
Sacrifice éclatant digne de l'Immortel !
LOUISE de l'orgueil confond , briſe l'idole ,
Abandonne le thrône & s'enchaîne à l'autel .
Par M. Guichard.
AVIS.
I.
MÉMOIRES far la nature, les effets , propriétés
& avantage du feude charbon de terre apprêté ,
pour être employé commodement , économiquement
, & fans inconvénient , au chauffage & à
tous les uſages domeſtiques , avec figures en
taille-douce. Par M. Morand le Médecin , Affefſeurhonoraire
du Collège des Médecins de Liège,
&c. in -folio & in - 12 . ( Ignoti nulla cupido ) . A
Paris , chez Delalain , Libraire , rue & à côté de
la Comédie Françoiſe 1770 .
OCTOBRE. 1770. 197
I I.
Leçons théoriques & pratiques de la coupe
des pierres ou trait , & cours de géométrie
, utiles aux architectes , auxjeunes
gens qui se deſtinent à entrer dans les
ponts & chauffées ou dans le génie militaire
, aux entrepreneurs de bâtimens ,
&c.
Ane conſidérer l'art de la coupe des pierres ,
queMathurin Jouſſe appele le ſecret de l'architecture
, que du côté de l'appareil des pierres ;
il eſt déjà recommandable & tout le monde ſçait
combien il eſt eſſentiel d'avoir de bons appareilleurs
pour la conſtruction des bâtimens. Mais on
concevra de cet art une idée plus relevée , & l'on
peut dire plus vraie & plus juſte ; fi l'on veut
remarquer que ce n'est que par une étude réfléchie
& approfondie de cet art , qu'un Architecte
peut, d'un côté ; dans ſes deſſeins , allier la bonne
construction avec l'économie des matériaux
rendre ſes voûtes légères , ſans cependant que la
folidité en ſouffre , & s'abandonner même à fon
génie fans craindre d'être arrêté par les inconveniens
de la conſtruſtion ; & que d'un autre côté
il peut véritablement préſider dans la conſtruction
des bâtimens ou il doit autant ſe diftinguer
des ouvriers par la théorie des arts relatifs aux
bâtimens , qu'il leur eft fupérieur par état. Il eſt
aiſe de ſentir d'après ce qui vient d'être dit, que
ce ne peut être que lorſque les reſſorts de cet
art feront bien connus & fentis par nos Archi
,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
tectes , que nous pourrons joindre aux belles
proportions de l'architecture antique & à une
diftribution commode & agréable , une conftruction
folide & légère dont nous trouvons des
exemples dignes d'admiration dans les édifices
gothiqnes ; & que nous pourrons eſpérer de furpatler
les étrangers dans cette partie de l'archizecture
qui est la plus utile & la plus importante.
Un Architecte qui veut ſe diftinguer dans ſa
profeffion , ne doit donc pas ſe borner à une fimplepratique
de cet art ; en effet , on convient aujourd'hui
unanimement que ce n'eſt que depuis
que les arts ont été éclairés par les ſciencesqu'ils
font parvenus à un certain degré de perfection .
C'eſt pour ces conſidérations qu'on a cru devoir
joindre aux leçons théoriques & pratiques de la
coupe des pierres un cours de Géomètrie , afin
que les élèves puiſſent avancer d'un pas égal
dans la pratique & dans la théorie de cet art.
Onfuivra dans ce cours les Elémens de Géométrie
de M. le Camus : on a préféré cet Auteur à d'autres.
1º. Parce qu'il eſt entre les Auteurs qui ont
-eraité ſynthetiquement de cette ſcience un des
plusgénéralement eftimés. 2 °. Parce que c'eſt ſur
ces Elémens que ſont examinés Meſſieurs les Ingénieurs
militaires Pluſieurs Auteurs ont traité
de la coupe des pierres & les deux plus eſtimés
font M. de la Rue Architecte du Roi & M. Frezier
Ingénieur militaire du Roi en chef à Landau.
Le premier eſt recommandable par les bonnes
méthodes-pratiques qu'il donne , & par la
clarté & la netteté des épures , mais il eſt entiérement
dépourvu de demonſtrations & il n'eſt
pas exempt d'erreurs. Le ſecond a développé avec
beaucoup de ſcience & de génie la théorie & la
OCTOBRE. 1770. 199
pratique de cet art , & l'on peut dire qu'il ena
approfondi la théorie d'une maniere à ne laiffer ,
pour ainſi dire , rienàdefirer. Le premier , comme
il eſt aiſé de le ſentir , ne peut fuffire au beſoin
d'un Architecte. Le fecond , au contraire, у
fournit abondamment. Les ſeuls inconveniens
qu'il y ait , font que cet ouvrage eſt très- long ,
très-difficile, que les épures en ſont petites&par
conféquent ſouvent confuſes,de maniere que peu
d'artiftes ont le tems & la conſtance néceſſaires
pour ſuivre un ouvrage d'une auffi longuehalei
ne. C'eft pour toutes les raiſons fuſdites , qu'on
a penſé que des leçons théoriques & pratiques de
la coupe des pierres,accompagnées d'un cours de
Géométrie pourroient être utiles& agréables aux
artiſtes. On a à cet effet fait les épures des
pièces de trait les plus utiles & les plus intéreſſantes
; ces épures ſont faites en grand , ce qui a
donné lieud'y obſerver plus d'ordre &de clarté,
&,pour faciliter encore davantage l'étude de cet
art,on a auſſi fait les modèles en platre & talc
des piéces de trait les plus utiles , qui feront d'un
grand ſecours aux élèves ; en outre on'les fecondera
dans leurs travaux par les démonſtrations
néceſſaires , àfur &à meſure qu'ils en auront befoin,
on difcutera les avantages , &défavantages
des différentes méthodes ; enfin on fera fes
efforts pour ne rien laiſſer à definer à ceux qui
voudront approfondir cet art.
C'eſt chez le ſieur Delaunay Architecte , rue
Planche-Mibray , même maiſon que M. Huguet
qu'il faudra ſe faire infcrire. Il commencera les
leçons de la coupe des pierres le lundi s Novembre
1770 & le cours de géométrie le lundi
ſuivant. Il ſeroit à-propos de ſe faire infcrire
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
au moins avant le 12 Novembre , afin de ſe trouver
à l'ouverture du cours de Géométrie. Ceux
qui viendront chez lui pour ſe faire infcrire
pourront y voir les épures & modèles des piéces
de trait , les plus utiles & les plus intéreſſantes.
III.
Lettrefur laguériſon des Hernies.
Connoiffant votre zèle , & votre attention
pour tout ce qui peut contribuer au bien de l'humanité
, je ne doute pas que la méthode que
j'ai de guérir les hernies ne trouve une place
dans unouvrage deſtiné à l'utilité comme à l'amuſement
du public. De toutes les infirmités
attachées à notre triſte existence; il n'en eſtguèze
de plus fréquentes , &de plus dangereuſes
que cette maladie ? ce n'eſt pas affez qu'elle afſujetiſſe
à la gêne inſupportable d'un bandage ,
il arrive ſouvent que le bandage , quoiqu'exécuté,
& appliqué par une main habile , n'empêche
pas une hernie de s'échapper , & même de
s'étrangler. Dans cette derniere circonstance ,
le malade eſt expoſé à des accidens funeſtes qui
peuvent devenir mortels , s'il n'eſt promptement
fecouru. Ma méthode étant phyſiquement füre
tout le monde a intérêt de la connoître ;lesgens
de l'art ont vu & atteſté mes expériences ; M.
Briffon Defcautières , Commiſſaire des guerres
àDunkerque que j'ai guéri , excité par la reconnoiffance
, & par l'amour du bien public , a certifié
par une lettre dans les ouvrages deM Freron
les effers heureux de ma méthode : M. Crif
tille , chez M. Moulin Marchand àVille- neuveOCTOBRE.
1770. 201
,
le-Roi en Bourgogne , a auffi annoncé ſa guériſon
dans le même Auteur. M. de Boulanger ,
Bourgeois de Paris , rxe des Tournelles au Marais
, m'a rendu auſſi à ce ſujet dans votre Journal
le témoignage le plus flatteur , & beaucoup
d'autres perſonnes n'ayant pas voulu être nommées
dans les papiers publics , m'ont permis de
les nommer de vive voix à ceux qui defireroient
de plus grands éclairciſſemens. Parmi ces
perfonnes pluſieurs ont repris par des efforts ou
par d'autres accidens des defcentes du côté oppoſé
à celui que j'avois guéri ; ainſi ma méthode
rapproche les chairs & les muſcles , & leur
donne plus de ſolidité & d'énergie qu'ils n'en
avoient dans leur état naturel ; enfin mes fuccès,
le fruit de dix années d'application & d'étude
, font appuyés ſur des faits averés. Je vous
prie , Monfieur , de donner place à cette lettre
dans votre Journal , l'amour du bien public ,
me l'a dictée , le même motif vous engagera à
la publier : je vous dois cette confiance.
J'ai l'honneur d'être , &c.
MAGET ancien Chirurgien Major dans la
Marine ; il demeure toujours rue d'Orléans
près le jardin du Roi.
I V.
COMPLIMENT.
Le lundi 13 Août 1770 , le Comte Danér ,
Gouverneur de la Ville de S. Denis , a été inſtallé
à l'Hôtel de Ville de Paris , en qualité de Lieutenant
Général au Gouvernement de Paris pour Sa
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
Majesté , par tout le corps de Ville , aflemblé à
cet effet , & a adreſlé le diſcours ſuivant àMM..
les Prévôt des Marchands & Echevins .
MESSIEURS ,
C'eſt ſans doute un avantage exttêmement
>> flatteur pour moi que d'occuper aujourd'hui
>>une place auffi diftinguée, que celle dont Sa
Majesté a daigné me donner l'agrément, quime
>> procurele droit de remplacer dans les occafions:
leGouverneur de cette Capitale de la France.
Mais , Meſſieurs , cet avantage me devient infiniment
plus précieux par celui d'y être inf-
>>tallé par un Corps auſſi reſpectable que celui
de la Villede Paris , qui mérita dans tous les
tems la bienveillance de ſes Souverains , la
>>conſidération des Grands de l'Etat , & eut tou-
>jours à ſa tête les plus grands Seigneurs de la
>>>Cour , & les Magiſtrats du rang & du mérite leplus
diftingué.
>> C'eſt vous , Monfieur , que la Ville a le bon--
heur d'avoir aujourd'hui pour Chef. Quelle
preuve plus éclatante des bontés dont notre
auguſteMonarque l'honore , que le choix qu'il
>> a fait , pour veiller à ſes intérêts ,&en conſerver,
>>lesdroits, d'un Magiſtrat comme vous , Monfieur
, qui réunit à la naiſlance la plus illuftre
> les hautes connoiſſances des Belles-Lettres &
>> de la Magistrature , qui vous mettent ſi en état
d'exercer après vos glorieux prédéceſſeurs les
grandes qualités dont vous êtes revêtu .
Je, ſais , Meſſieurs , que je ſuis bien loin
d'atteindre à ce rare mérite , & à celui que
je vois brilter dans les membres dont votre il-
>> luſtreCorps eſt compoſé. Maisj'espère que fi
OCTOBRE. 1775. 203
par unhaſard heureux , quelque occafion favo-
>>>rable ſe préſente dans le poſte que j'occupe ,
>>je vous ferai connoître que perſonne n'eſt plus
>> rempli que moi d'un zèle ardent pour le ſervice
>> de fon Roi , & pour ſoutenir les intérêts & la
>>>gloire d'une Ville , à qui les plus célèbres Ca
>> pitales de l'Univers n'oſent ſe comparer
V.
USAGES ANCIENS.
Les oeufs de la St Gal.
Il ſeroit difficile de rendre raiſon des uſages
finguliers de nos aïeux , mais il peut être utile
de les faire connoître : les recherches fur les
moeurs du gouvernement féodal ont été trop
négligées dans nos hiſtoires , & les faits dont
l'existence ſe trouve conſtatée par des chartes ,
font des monumens précieux , pour connoître
les coutumes de chaque fiécle ; nous devons
être inſtruits de toutes ces bifarreries pour en
juger les hommes.
Le Châtelain du Bourg de Chillac en Auvergne
faifoit acheter tous les ans , aux dépens
du fire de Mercoeur , Seigneur de Chillac , mille
ou douze cens oeufs , & alloit , « par coutume
> & introduction ancienne , « accompagné dess
gens & officiers de ſa juſtice , le jour de Saint
Gal, premier Juillet , à Langeac : cette fête ,
qui eſt celle de l'un des Patrons de la ville
raſſembloit une quantité de peuple du voisinage ,
quidreffoit des cabannes deverdure par les prairies
voiſines&y danſoit , ſuivant l'uſages des fêtes ba
ladoires. Dès le matinde Châtelain de Chillac
ود
Lvj
204 MERCURE DE FRANCE.
ſescompagnons entroient dans la ville par la porte
'appelé des farghes ; ils parcouroient certaines
rues dans l'enceinte des murs , « en jetant lef-
>> dirs oeufs à grant moqueton & fcandalles ,
>> avec irrifion de juſtice , fans aulcun prouffit
>>>utille ne a occafion de choſe méritoire , au
>> moyen duquel tirement d'oeufs fe faifoient
>> afſemblées du peuple, &y ſurvenoient pluſieurs
noiſes , débats & infolences & auſſi ſe comectoit
>> desjuremens & blafphemes abominables. « La
promenade finie , chacun alloit ſe divertir où
bon lui ſembloit. En 1360 , la ville de Langeac
étoit fermée à cauſe des partis Anglois qui couroient
la Province d'Auvergne. On préſenta
une requête au Seigneur au nom du Sire de
Mercoeur , le 17 Juin , pour avoir l'ouverture
d'une porte de la ville , ne voulant point interrompre
une cérémonie auffi importante , pendant
la guerre. Heustache , Chevalier , Seigneur
en partie de Langeac , permit ( au riſque même
du pillage de la ville , qui pouvoit ſe commettre
par les ennemis , ) au fire de Mercoeur ,
ou à ſes gens , de jetter les oeufs ſuivant l'ancien
ufage. « Volumus & concedimus quòd idem
>>> dominus comes , feu ejus gentes poffint facere
>> tranfitumperportalem de lasfarghas dicte ville,
> quod deprefenti eft claufum ob deffenfionem dide
ville Langiacipro timore uerre que nunc est in
patriâ cerverine projiciendo dicta ova illa die
>> feſti Beati Galli dum apperiretur & remanebit
>>appertum pro ut antea erat fieri confuetum. »
En 1740 , le premier Juillet , les gens de
Chillac ſe préſenterent pour jeter ou tirer les
oeufs ; le paſſaged'un petit ruiſſeau qui eſt hors
l'enceinte des murs, étoit par fortune démoli,
OCTOBRE . 1770 . 205
>>>parce que ledit ruiſſeau avoit charrié après
>> un orage ; & auſſi que d'un couſté & d'autre
>> avoit été porté grande quantité de terre par
>> aucuns habitans . " Cet accident imprévu cauſa
beaucoup de mécontentement aux officiers du
fire de Mercoeur , qui firent les proteſtations les
plus folennelles contre l'infraction de leurs
uſages , & le trouble qu'on leur occafionnoit ;
«à cauſe de quoi eſtoit'une eſpérance de mou-
>> voir procès entre Meſſeigneurs de Chillac &
>>de Langeac. <«< La matière miſeen délibération
entre les Juges des deux endroits , on décida ,
« que , par autre part fût miſe & jectée une
>> pierre audit ruiſſeau , lequel étoit impoſſible
>>à faillir en un fault , fur laquelle pierre les
>>>officiers de Langeac mirent le pié , & paf-
>> ferent outre ſans danger de leurs perfon-
>> nes , & après eux , les gens de Chillac paſſe-
>> rent pour tirer leurs oeufs. « On dreſſa l'acte
autentique , que je copie ici , & on ftipula que ,
pour cette fois , les officiers de Chillac s'étoient
détournés du chemin ordinaire ; qu'il ne leur
feroit attribué aucun nouveau droit qui pût
porter atteinte aux priviléges du Seigneur de
Langeac & de ſa ville. S'il avoit été queſtion
de limiter deux Empires , les précautions n'auroient
pas été plus grandes. Enfin , le Connétable
de Bourbon , fire de Mercoeur , abolit cet
uſage , en tournant à fon profit la dépenſe qui
ſe faiſoit des deniers de ſa recette , par lettrespatentes
données à Moulins , le 7 Mai 1522.
enrégiſtrées en ſa Chambre des Comptes , le 20.
du même mois , & à Chillac , le 25. de Juin
fuivant.
206 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES POLITIQUES.
DeWarsovie, le 19 Septembre 1770.
LESEs lettres de Cracovie portent que les Confédérés
du ſieur Pulawski viennent de s'emparer
du Couvent de Czentoſchau dont ils ſe propofent
de faire une place d'armes, &que le Colonel
Drewitz raſſemble toutesſes forces pour le
combattre. Suivant d'autres avis , le ſieur Zaremba
a attaqué ſur les frontieres de Siléfie ,
un détachentent Ruſſe , de ſoixante hommes,
dont la plupart ont été faits priſonniers.
On mande de Podolie & de Volhinie que la
peſte y diminue ſenſiblenient.
De Dantrick , le 22 Septembre 1770 .
On a publié ici , le 31 du mois dernier ,
uneOrdonnance du Magiftrat & du Sénat , par
laquelle il eſt enjoint aux bourgeois & habitans
de cette ville de ſe conduire amicalement les
uns envers les autres , de n'offenſer qui que ce
foit, far-tout de reſpecter les perſonnes revêtues
d'un caractère public , &qui défend à tous,
fous peine d'être ſéverement punis comme perturbateursdu
repospublic; de s'affembler tumul
tuairement dans les rues & de tenir des affemblées
clandeftines & illicites. La même Ordom
nance promet une récompenſe de mille florins à
quiconque dénoncera au Préſident-Bourguemef
tre l'auteur de pluſieurs libelles qui ont été der
nierement affichés
OCTOBRE. 1770. 107
De Stockolm ,le 18 Septembre 1770.
Les Directeurs de l'hôpital des Orphelins ont
fait un réglement par lequel il eſt arrêté qu'on
feroit apprendre un métier à ceux de ces Orphelins
que quelques infirmités ne rendroient
pas propres au ſervice , & que chaque artiſan qui
ſe chargeroit de leur apprendre ſa profeſſion,
recevroit pour cet effet une ſomme annuelle.
De Coppenhague , le 18 Septembre 1770.
Le Roi a donné des ordres pour faire faire le
dénombrement des habitans de ce Royaume. Ils
feront rangés ſousdifférentes claſſes , dont la pre .
miere comprendra les enfans de huit ans & audeſſous
, & la derniere , les perſonnes âgées de
quarante-huit ans& au-deſſus.
De Vienne , le 29 Septembre 1770.
Le bruit court que les Ruffes , qui étoient à
la pourfuite des Confédérés en Pologne, avoient
pénétré juſqu'au bourg Werecke & que n'y en
ayant trouvé aucun , ils avoient tué huit payfans
, douze foldats Autrichiens & huit chevaux ;
mais que les Autrichiens s'étant raſſemblés
avoient tué vingt-ſept hommes & pris trente
chevanx qu'ils ont envoyés à Mungacz.
La Société d'Agriculture du duché de Styrie
vient de propoſer un prix qui ſera donné à la
fin de Février 1771 , à l'auteur du meilleur ouvrage
fur cette queſtion; à quelle cauſe faut-il
attribuer i'échauffement des grains , & quel est le
moyen de le prévenir ? Le prix confifte en une
médaille de trente- fix ducats.
De Cadix, le 14 Septembre 1770:
Sur les avis qu'on aeus que pluſieurs vaiſſeaux
,
208 MERCURE DE FRANCE.
de l'Archipel & dans la Méditerranée étoient
infectés de la peſte , on a publié derniérement
ici un réglement qui fixe la durée des quarantaines
, auxquelles feront afſujettis les vaiſſeaux
qui viendront de la Méditerranée , & qui indique
les précautions qu'il fera néceſſaire de prendre
dorénavant , pour empêcher que la conragion
ne pénétre ici , ou pour en prévenir les
fuites.
Il eſt arrivé , il y a quelques jours , de l'Amérique
en cette baye , pluſieurs navires Eſpagnols ,
entr'autres , la Levrette , la Concorde & l'Aurore
, leſquels viennent de Lima , & dont les
cargaiſons montent enſemble à trois millions
cinq eens mille piastres , fans compter les marchandiſes
qu'ils ont à bord , & qui confiftent en
cuivre , cacao , laine de vigogne & drogues
médicinales , De ce nombre font auſſi le Matamore
, venant de la Vera- Cruz & de la Havane
avec une cargaiſon de ſucre & autres productions
; la Polacre la Minerve , qui arrive de
Cartagene des Indes & de la Havane , chargée
de cacao , de cuirs , de coton & de bois de
teinture , & cinq ou fix autres bâtimens venant ,
de la Havane avec des cargaiſons de tabac &
de fucre.
De Londres , les Octobre 1770 .
Hier, le Roi eut à Saint-James une longue
conférence avec ſes miniftres. Aujourd'hui , il
s'est tenu un grand conſeil à la Cour.
Le 27 du mois dernier , il y eut , à l'hôtelde-
ville , une aſſemblée générale du conſeil
commun , dans lequel on propoſa d'examiner
la conduite du Recorder de la Cité , lequel refufa
d'accompagner, le 14 Mars dernier , le
OCTOBRE. 1770. 209
,
Lord- Maire & les Députés chargés de repré-
Tenter au Roi la remontrance de la Cité. Cet
officier , l'un des plus confiérables du corps de
ville , allégua pour ſa défenſe , qu'ayant déſapprouvé
& ayant regardé comme illégale cette
remontrance il ne lui convenoit pas d'être un
de ceux qui la préſenteroient à Sa Majesté. On
lui objecta qu'il lui étoit permis d'avoir telle
opinion qu'il jugeroit à propos ſur les ſujets
qui étoient mis en délibération ; mais que , lorfqu'il
y avoit une déciſion de l'aſſemblée générale
, il devoit s'y conformer , & qu'il étoit
obligé , par le devoir de ſa charge , d'accompaguer
le Lord-maire & les autres officiers de
la ville dans toutes les occaſions où ſa préſence
étoit requiſe. Il fut arrêté , à la pluralité de
quatre-vingt- feize voix contre cinquante- fept ,
que le Recorder avoit manqué à fon ferment
&audevoir de fa charge. On remit à une autre
aſſemblée à prononcer un jugement ultérieur
fur ceſujet.
,
Le 29 ſuivant , il y eut une autre affemblée à
l'hôtel -de - ville dans laquelle on procéda à
l'élection d'un Lord - Maire pour l'année prochaine.
Le choix de l'affemblée tomba fur le
fieur Grosby , Alderman , connu par ſon zèle
pour le parti de l'oppoſition . Ceux des Aldermans
qui font attachés au miniſtère & qui furent
propoſés pour la place du Lord-Maite , furent
reçus par l'aſſemblée avec des huées & des fifflemens.
Il paroît , par ce qui s'eſt paffé dans ces
deux dernières aſſemblées , que l'eſprit antiminiſtérial
de la Cité conferve encore toute fa
violence.
La preſſe des matelots , qui a déja ceſſé dans
210 MERCURE DE FRANCE.
quelques - uns des ports de ce Royaume , ne
tardera pas , dit- on, de ceſſer auffi dans cette
capitale. Les gratifications que le Roi a accordées
à ceux qui ſe préſenteroient volontairement
pour ſervir ſur les navires , ont ranimé le zèle
des matelors , au point qu'il s'en trouve à préſent
un nombre a-peu-près ſuffiſant pour l'armement
des vaiſſeaux de guerre qu'on ſe propoſe
de mettre à la mer. La Cour vient d'envoyer
ordre à Portsmouth d'y préparer les vaiſſeaux
de ligne la Bretagne , de cent vingt canons ;
la Princeffe Auguste , de quatre - vingt - dix ;
l'Effex , de foixante-quatre ; le Foudroyant
leWarspire, les Worcester & le Modeste , de
foixante- quatorze , & le Northumberland, de
foixante- dix , ainſi que les frégates la Pallas &
la Vénus , de trente- fix canons , la Junon , de
tente-deux. Dans le cas où l'on ne trouveroit
pas dans ce port tout ce qui est néceſſaire pour
les mettre inceſſamment en état de tenir la
mer , le Commiſſaire eft chargé d'avoir recours
aux chantiers des particuliers.
Onditque le corps d'artillerie va être augmenté
d'un bataillon , & qu'on a envoyé ordre
en Irlande de rendre complets tous les régimens
qui ſont ſur cet établiſſement.
Le vaiſſeau du Roi le Liverpool eſt arrivé à
Spithead , de la Méditerranée & en dernier lieu
de Cadix , d'où il a apporté ſept cens mille
dollars pour le compte de nos négocians.Afon
départ de Cadix , trois vaiſſeaux de guerre Ffpagnols
& fix bâtimens de tranſport , ſur lefquels
on avoit embarqué mille hommes de
troupes , venoient de partir pour aller , dit-on ,
renforcer la garniſon de la Havanne.
OCTOBRE. 1770. 211
Ondit ici que le capitaine de la frégate la
Favorite, laquelle a ramené en Angleterre les
Sujets de Sa Majesté qui s'étoient établis au
Port Egmont , d'où ils ont été chaffés par les
Eſpagnols , a été réprimandé ſur la conduite
qu'il a tenue à cette occaſion ; on dit même
qu'il fera caflé.
Pluſieurs de nos négocians ont reçu de Petersbourg
des lettres qui portent que pluſieurs vaiſ
feaux de ligne Rufles , conſtruits fur un nouveau
modèle , s'y ſont approviſionnés pour neuf mois ,
&que leurs équipages étoient preſque complets :
on ne dit pas encore quelle eſt leur deſtination .
Suivant des lettres de Port- Royal dans la Jamaïque
, deux chefs des Sauvages de Moſquito y
font arrivés à bord du vaiſſeau la Providence ,
& doivent s'embarquer inceſſamment pour l'Angleterre
où ils font chargés de traiter d'affaires.
importantes.
De Paris, le 12 Octobre 1770 .
Différens avis portent qu'on a fait partir d'Al
gerune frégate , de quarante canons ; une barque,
de vingt, & deux chebecs de vingt - quatre ,
montés de deux mille corſaires d'élite qui vont ſe
joindre aux Turcs.
On mande de Marfeille que le Sr Sieuve , naturaliſte
, déjà connu par un traité ſur les vers qui
piquent les olives& par un mémoire ſur le moyen
de préſerver les étoffes de laine, des vers qui s'y
attachent , ouvrage couronné par l'académie de
Bordeaux , vient de découvrir ſur les pins la matièred'une
nouvelle ſoie argentine , forte , élaftique&
très - abondante , qui ne provient pas d'un
cocon de chenilles à papillon , mais qui eſt l'ouvrage
des vers à mouches. Il a fait , fur cette fins
gulière découverte , un mémoire qui doit être lu
212 MERCURE DE FRANCE.
à l'académie royale des ſciences , après la rentrée.
Le Sicur Sicuve efl parti , le premier de ce mois ,
pour différens endroits de la Provence , où il a été
invité à ſe rendre , afin d'y viſiter huit mille pieds
d'oliviers, furlesquelsila faitappliquer fon goudron
propre à préſerver ces arbres de la piquûre des vers,
&pour yconftater lui-même le ſuccès de ſon expérience
,laquelle a déjà réuffi à Marseille ſur les
oliviers de deux particuliers de cette ville.
On écritde la même ville que le Sr d'Evant , cidevant
conful de France à Salonique , lequel venoit
d'obtenir ſa retraite , y eſt mort ſubitement
en rentrant chez lui .
PRESENTATIONS.
Le 30 Septembre , la marquiſe de Caraman eut
l'honneur d'être préſentée au Roi & à la Famille
Royale par la comtefle de Caraman la bellefoeur.
Le 25 de ce mois , le comte d'Argental , miniftre
plénipotentiaire de Son Altefle Royale l'Infant
Duc de Parme , eut l'honneur de préſenter
au Roi & à la Famille Royale un ouvrage intitulé:
Deſcrizione , &c. ou Description des Fêtes célébrées
à Parme , àl'occaſion du mariage de Son Alteffe
Royale l'Infant avec l'Archiduchefſfe Amélie.
Cet onvrage , enrichi de planches , eft exécuté
pour l'impreſſion & pour la gravure , avec
autant de goût que de magnificence.
Le 26 Septembre , la Dame de Puifieux eut
Phonneur de préſenter au Roi les deux premiers
volumes de l'histoire de Charles VII , ouvrage de
ſa compoſition dédié à Sa Majefté.
L'Evêque de Langres a prêté ſerment entre les
mains de Sa Majesté.
Le même jour, l'Abbé Compan eut l'honneur
OCTOBRE. 1770. 213
depréſenter àMgr le Dauphin , une nouvelleMéthode
Géographique , dédiée à Madame , à qui il
cut l'honneur de la préſenter auff .
ap-
Le Sr Meffier , de l'académie royale des ſciences
, aſtronome de la marine , eut Thonneur de
préſenter au Roi , le 30 Septembre , une grande
carte céleste où il avoit tracé la route
parente de la comète de cette année , d'après les
obſervations qu'il a faires , tant à l'obfervatoire
de la marine qu'à la guérite du collège de Louisle-
Grand , depuis le 14 Juin juſqu au 30 Septembre.
La comète étoit , ce dernier jour , peu éloignée
de Saturne & à peu de diſtance de fon parallèle
; à 3 heures , 47 minutes , 46 fecondes du
matin , teins vrai , ſon afcenfion droite étoit de
131 degrés , 22 minutes , 14 secondes , & la dé.
clinaiſon boréale , de 16 degrés , so minutes , 44
ſecondes. Le 3 du courant , à 3 heures , 54 minutes
, 30 secondes du matin , ſon afcenfion droite
étoit de 132 degrés , 48 min . 53 sec ., & fadéclinaiton
, de 16 deg. 29 min. 20 fec.
MARIAGES .
De Versailles , le 28 Septembre 1770.
Dimanche dernier , le Roi & la Famille Royale
fignèrent le contrat de mariage du comte de Fougieres
, maréchal des camps & armées de Sa Majesté
, & lous gouverneur des Enfans de France ,
avec Demoiselle de Veaux , fille du comte de
Veaux lieutenant- général , grand'croix de l'ordre
royal & militaire de St Louis , & ci -devant commandant
en Corſe ; & celui du marquis de Valanglart,
enſeigne des Gendarmes - Dauphin , avec
Dilede Fougieres , fille du comte de ce nom.
Le Roi & la Famille Royale ſignèrent , le 30
Septembre , le contrat de mariage du marquis de
14 MERCURE DE FRANCE.
l'Aubeſpine , officier au régiment du Roi , avec
Demoiselle de Choiſeul.
MORTS.
De la Haye , le 3 Octobre 1770.
La nommée Jacomina Gaude , native de Leyde,
eſt morte ici , avant- hier , dans la cent quatrième
année de fon âge.
Marie- Suzanne deBordeilles , veuve de Charles-
Auguſte d'Appellevoiſin , marquis de la Roche-
du - Maine , ſoeur de l'évêque de Soiffons &
mere du marquis de la Roche du-Maine,cornette
des Chevaux - Légers de la Garde Ordinaire du
Roi & meſtre-de-camp de cavalerie , eſt morte à
Poitiers , le 24 du mois de Sept , âgée de 53 ans.
Marguerite - Françoiſe de Jaucen , Dame &
Vicomteſle de Brigneuil en Poitou , veuve de François
Martial Defmontiers , marquis de Merinville
, maréchal des camps & armées du Roi , eſt
morte au château de Fraifſſe en Poitou , dans la
ſoixante-onzième année de ſon âge.
Chriſtine Guimet , veuve d'Etienne Chapeau ,
laboureur , eſt morte , le 19 du mois de Septembre
, à la Flacheres , près de Grenoble , âgée de
cent fix ans. Elle laiſſe pluſieurs enfans dont l'aîné
a ſoixante- ſeize ans. Juſqu'au moment de ſa maladie
, qui n'a duré que trois jours , elle alloit &
venoit ſans le ſecours de perſonne : elle n'a jamais
fait uſage de lunettes.
LOTERIES.
Le centdix-ſeptième tirage de laLoterie de l'hêtel-
de- ville s'eſt fait , le 25 du mois dernier , en
lamaniere accoutuméa Lelotde cinquante mille
livres eſt échu au No. 98822. Celui de vingt mille
OCTOBRE. 1770. 215
livres au No. 89268 , & les deux de dix mille aux
numéros 87224 & 97644.
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire
s'est fait le s de ce mois. Les numéros ſortis de la
rouede fortune font , 79,73,41 , 67 , 24. Le prochaintirage
le fera les Novembre.
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en proſe , page
ibid.
P
Suite du Printems ,
Madrigal , 12
Le Cheval &l'Ane. Fable , ibid.
Stances à la Fille d'un Maréchal- ferrant, 13
La Nuit , 114
Vers contre l'Inoculation, 24
Réponſe , 25
Ala belle Agnès , en lui envoyant une immortelle ,
&un anana le jour d'une de ſes fêtes , ibid.
Impromptu à Mlle d'Avejan , 26
Chanfon à Mde l'Ab .. d'A.. qui l'a demandée pour
Mlle ſa foeur , 27
Autre à Mile ***, 28
Le Chêne & l'Arbriſſeau , apologue , 29
Portrait de Zelmire , 30
Vers à deux modernes Praxitèles , 31
Le Retour des Vendanges , ibid.
Le Legs , proverbe dramatique , 33
Chanfon tirée en partiede la prem, Idylle de Mofchus.
Caprice , $3
L'Epervier& la Corneille. Fable , ibid.
Remontrance à une jeune perſonne jolie & lettrée , 55
Epître à M. l'Abbé Aubert , ibid.
Elogede la fontaine minérale de l'Epervière , 18
Explication des énigmes & des logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Obſervations ſur Boileau , Racine , &c.
L'Obſervateur François à Londres ,
Inſtitutions mathématiques ,
Epître à M. Petit ,
62
63
66
68
ibid.
79
84
8.6
216 MERCURE DE FRANCE
Ouvrage de M. Leficy ,
Matière médicale ,
Le Père avate , ou les malheurs de l'éducation
Avis aux mères qui veulent nourrir leurs enfans ,
La Mimographe ,
Obfervations phyſiques & morales ſur l'instinct des
animaux , &c..
ACADEMIES ,
SPECTACLES . Opéra ,
Vers à Mllede Châteauvieux ,
Comédie françoife ,
Comédie italienne ,
Détail des Fêtes & SpaAacles donnés àVerſaillesà l'occafion
du mariage de Mgr le Dauphin ,
ibid.
88
90
96
98
101
103
121
122
123
126
127
161
162
163
ibid.
166
167
ARTS , Archhitecture ,
Agriculture ,
Mufique ,
Gravure ,
Ecole vétérinaire ,
Géographie,
Vers pour mettre au bas du portrait deM. de Choiſeul, 168
Lettre de M. Patte , en réponſe à celle de M. Cochin , 169
Lettre ſur le ſyſtême de la Nature , 173
Anecdotes ,
182
Lettre ſur un Automate qui joue aux échecs ,
186
Lestre de M. de Moncade , ſur la guériſon du cancer , 190
Arrêts , Déclarations , &c . 193
Vers fur la prife d'habit de Mde Louiſe - Marie de
France ,
196
Avis ,
ibid.
Nouvelles politiques ,
286
Mariages,
214
Merts ,
ibid.
Loteries ,
215
:
J
APPROBATIΟ Ν.
'A I lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le fecond vol.
du Mercure d'Octobre 1770 , & je n'y ai rien trouvé qui
m'ait paru devoir en empêcher l'impreſſion .
A Paris , le 14 Octobre 1770 .
RÉMOND DE STE ALBINE.
De l'Imp . de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AURO .
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
SEPTEMBRE. 1770 .
Mobilitate viget. VIRGILE.
A PARIS ,
,
Chez LACOMBE , Libraire Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine.
AvecApprobation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'est au Sieur Lacombe libraire , à Paris, rue
Chriſtine , que l'on prie d'adreſſer , francs de porr,
les paquets & lettres , ainſi que les livres , les eftampes
, les pièces de vers ou de proſe , la muſique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public, & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur . On prie auffi de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique .
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres & de ceux qui les
cultivent , ils font invités àconcourir à ſa perfection;
on recevra avec reconnoiſſance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titrede
préférence pour obtenir des récompenſes ſur le
produitdu Mercure .
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv .
que l'on paiera d'avance pour ſeize volumes rendus
francsdeport.
L'abonnement pour la province eſtde 32 livres
pareillement pour ſeize volumes rendus francs de
portpar la poſte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eſt de 36 fols pour
ceuxquin'ontpas ſouſcrit,au lieu de 30 fols pour
ceux qui ſont abonnés.
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DICTIONNAIRE portatif de commerce ,
201. 1770 , 4 vol. in- 8 °. gr. format rel.
Le Droit commun de la France & la Coutume
de Paris; par M. Bourjon, n . éd. inf.br. 241.
Traité de lajurisdiction eccléſiaſtique contensieuse,
2 vol. in- 4°. br. 211.
Effſai furles erreurs &fuperftitions anciennes
&modernes , 2 vol . in -8 °. br. 41.
LeDiogène moderne , ou le Déſaprobateur ,
2 vol. in- 8 ° . br. s liv.
Le Mendiant boîteux , 2 part. en un volume
in-8°, br. 21.10f.
Confidérationsfur les causes phyſiques ,
in-8°. rel. sl .
Mémoire fur la musique des Anciens ,
in-4°. br.
و ا
Mémoire fur la conſtruction de la Coupole
projetée pour couronner la nouvelle
Eglife de Ste Genevieve , in- 4° . 11.101.
Satyres de Juvenal ; par M. Duſaulx ,
in 8°. rel. 71.
Recréations économiques , vol . in- 89. br. 2 1.10 1.
Nouvelles recréations phyfiques & mathématiques
, 4 vol . in - 8 ". 241.
Le Dictionnaire de Jurisprudence canonique ,
in-4°. 4 vol. rel. 481.
Meditations fur les Tombeaux , & br .
Dist. Italien d' Antonini, 2 vol. in 4º . rel . 301.
Mémoire pour les Natifs de Genève, in-8°.
11.10f.
broch. 11. 41
MERCURE
DE FRANCE.
SEPTEMBRE. 1770 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
:
SUITE du Printems. Chant premier du
poëme des Saiſons ; Eſſai d'imitation
libre de l'anglois de Thompson.
Éclat de la nature dans le Printems.
L'ASTRE du jour , pourſuivant ſa carriere ,
Darde ſes feux de ſon char du midi :
Dérobons- nous à ſa vive lumiere ,
Et des forêts allons chercher l'abri ,
Arrêtons- nous fous ce lilas ſauvage ,
Aiij
6 MERCURE DE FRANCE.
Qui forme un dais de ſes rameaux enfleurs :
Contemplons -y l'éclat du payſage ,
Et reſpirons les plus douces odeurs.
La primevere & l'humble vialette
S'offrent en foule & parfument les champs :
Près de l'objet qui captive nos ſens ,
Laiffons notre ame heureuſe & fatisfaite
S'abandonner à de tendres élans .
Gloire futile , infipide fumée ,
Du conquérant encouragez l'ardeur :
Baiſer cueilli ſur une bouche aimée
Eſt préférable à votre éclat trompeur.
Quelle ſuperbe &vaſte perſpective !
Quelle fraîcheur ! quels coteaux enchantés !
Dépouille- toi de ta frayeur oiſive ,
OMuſe , & viens détailler ces beautés.
Maispourras tu décrire la nature ?
Mêlera-tu , comme elle , tes couleurs ?
Comment , comment animer ta peinture ,
Et varier la nuance des fleurs ?
Pourſuis toujours : quand le dieu du Parnaſſe
Dédaigneroit de fourire à tes voeux ;
Tu trouveras du prix à ton audace ,
Tant ce travail ſera délicieux.
Venez , bergers; venez , jeunes bergeres ,
Raflemblez- vous ſous ces berceaux charmans ,
Pour y former mille danſes légeres
SEPTEMBRE. 1770 . 7
Et vous livrer à d'amoureux penchans.
Et toi , Zélis , objet de ma tendreſſe ,
Toi que j'adore& qui fais mon bonheur ,
Quitte la ville , ô ma belle maîtreſſe ,
Et viens aux champs régner parta candeur.
Le doux Printems , ydéployant ſes graces ,
Offre ſes dons qu'embellit le matin :
Viens , desbouquets qui naiſſent ſur ſes traces ,
Orner ta tête& parfumer ton ſein.
Vois , ma Zélis , vois le long des prairies
Comme les fleurs s'abreuventdes ruiſſeaux !
Errons enſemble au pied de ces côteaux
Qu'ont parfumé mille tiges fleuries :
Ne trouvons point indignes de nos pas
Ces champs , ces bois tapiſſés de verdure :
Quede beautés ! O combien ad'appas
Lenégligé de la ſimple nature !
Pour recueillir un précieux butin
Au point du jour l'abeille printanniere
Parcourt le thym , dépouille la bruyere ,
Etdans la ruche expoſe ſon larcin .
Rentrons , Zélis , dans ces jardins où Flore
Toujours loumiſe à l'art qui les décore ,
Sur le parterre exerce ſes pinceaux :
Là ſes préſens , qui s'empreſſent d'éclore,
Offrent à l'oeil les plus riches tableaux.
Des maroniers l'impénétrable ombrage ,
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
Interceptant les rayons du ſoleil ,
Forme un couvert dont la fraîcheur engage
A favourer les douceurs du ſommeil.
Dansles baſſins ombragés de verdure',
Parcent tuyaux l'onde écume &jaillit:
Tout yconcourt à parer la nature ,
Que l'art heureux quelquefois embellit.
Source de l'Etre , immuable puiſſance ,
Moteur divin , ame de l'Univers ,
Tout eſt empreint du ſceau de ta clémence ;
Tu combles tout de tes bienfaits divers :
Ta voix commande , & la tendre roſée
Vient au matin ſur l'aîle du Printems
Rendre la vie à la terre épuiſée ,
Et nuancer ſes riches vêtemens .
L'homme , grand Dieu! te doit ſon exiſtence :
Sur ſes vergers , ſes coteaux , ſesguérets ,
Autour de lui tu répands l'abondance :
C'eſt te chanter que chanter tes bienfaits.
Par M. Willemain d'Abancourt .
EPIGRAMME.
CERETRATAIINN ſoir dans un cercle un auteur recitoit
(Etourdic de leurs vers eſt aſſez leur manie)
SEPTEMBRE .
9 1770 .
Un joli Madrigal qu'il diſoit avoir fait ,
Mais que , pour ſon malheur , ſavoit la compagnie:
Un vieux Gaſcon , qui l'écoutoit ,
Lui dit fort plaiſamment : Monfieur , fans menterie
,
J'ai lu pareil morceau dans tel livre. A ce trait
Notre auteur prétendu , l'oeil ardent de colere ,
Se leve , fait un geste... Ah! paix ; entendonsnous
,
Pourſuivit leGaſcon , modérez ce courroux :
Si quelqu'auteur l'a fait , vous l'avez bien pu
faire.
Par le même.
LE BUCHERON & LE ROSSIGNOL.
Fable imitée de l'allemand.
CHANTEZ , diſoit à Philomele
Un Bucheron charmé des doux fons de ſa voix:
Comment voulez- vous , reprit-elle ,
Que de mes chants je remplifle les bois ?
Entendez- vous la grenouille envienſe
Qui ſemble exprès redoubler les éclats
De ſa voix rauque &dédaigneuſe ? -
Si vous chantiez , je ne l'entendrois pas .
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
Chantez , Auteurs fameux , qui des fruits duGénie
Pouvez enrichir vos climats . -
Eh ! n'entendez- vous point la cabale ennemie
Qui croaſlant s'acharne fur nos pas ? -
Si vous chantiez , je ne l'entendrois pas.
Parlemême.
ODE à M. le Gendre , étudiant en mathématique
au collège Mazarin , à l'occaſion
de ſa thèſe , foutenue en préſence
de l'Académie royale des ſciences , qui
en avoit agréé la dédicace.
Sunt hîc etiam fua præmia laudi. Virg.
QU'AUX pieds de la grandeur , une mufe vênale
,
Dépoſe ſon hommage , &brûle ſon encens :
Jebrave dans ſes dons la fortune inégale ,
Je chante les talens .
J'applaudis ton élève , ô ſublime Uranie;
Viens placer ſur ſon front , la couronne des arts :
Sans titres faſtueux , il ne doit qu'au génie
L'honneur de tes regards.
SEPTEMBRE. 1770. II
Si ta cour en ces lieux avec toi le contemple ,
Cen'eſt pas pour fourire à l'orgueil d'unCréſus ;
Tes miniſtres ſacrés ne quittent point ton temple
Pour l'autel de Plutus .
Ces hommes courageux , nés pour régir le
monde ,
Voudroient perpétuer l'amour de leurs travaux ;
Enfanter tout - à-coup une race féconde
De ſucceſſeurs nouveaux.
Toi , leur fils adoptif, que ce projet enflamme 3
Renonce pour jamais à la frivolité :
La retraite & l'étude élèveront ton ame
Juſqu'à la vérité.
Pour foutenir tes pas dans un ſentier pénible,
De tesguides hardis obſerve les efforts ;
De l'émulation vois l'ardeur invincible
Déployer ſes refforts.
Loindes cris inſultans de l'altiere ignorance
Ces ſages réunis au palais de nos Rois ,
Méditent , à l'envi , dans la paix du ſilence,
La nature & ſes lois.
L'un armé du compas , de l'art profond d'Enclide,
Veut étendre l'empire & reculer les bords :
D'une courbe nouvelle à ſon calcul rapide
Il foumet les rapports.
vj
12 MERCURE DE FRANCE.
L'autre , à l'aide du priſme , éclairant l'analyſe,
De ſon oeil étonné corrige les erreurs :
De l'écharpe d'Iris , il aſſemble ou diviſe
Les riantes couleurs .
Celui-ci s'élançant vers la céleſte voûte ,
Meſure ce foyer qui nous verſe le jour ;
Ou d'un aftre effrayant fait découvrir la route
Et fixer le retour.
Plus humble dans ſon vol, ſans être moins
utile,
Celui- là de la terre ouvre les fondemens ;
Et la main tour-à-tour , de l'or & de l'argile ,
Peſe les élemens.
Chacun ſur les objets dont le charme l'entraîne
,
Ne cefle d'appliquer ſes avides eſprits :
D'unprocédé ſavant on retrouve la chaîne
Dans de mâles écrits .
Al'aſpectde ce corps dont la France s'honore ,
Je vois fuir à grands pas les préjugés nombreux ;
Et la raiſon plus libre a préparé l'aurore
D'un changement heureux.
Ames yeux ſe préſente une liſte immortelle.
Quels noms fameux j'ai lus ! d'Alembert &Buffon!
...
SEPTEMBRE. 1770. 13
Et vous , que ce portique aujourd'hui nous rappelle
,
La Caille & Varignon !
Du fond de leur tombeau , j'entends une voix
fombre
Qui crie à leur diſciple : " Ofe nous imiter :
>>>Comme nous , loin du monde , enseveli dans
l'ombre ,
Apprends à méditer .
>>> Sans crainte & fans eſpoir , pour ſervir tes
ſemblables ,
>>Marche dans le chemin que nous t'avons frayé ;
>>S>i tu peux t'aſſurerdes amis véritables
>>Tu ſeras trop payé. >>
ParM. Coffon , profeſſeur au
collègeMazarin.
LA BIENFAISANCE.
Conte Perfan ; par M. B....
HUSSEIN , attaqué d'une maladie
contagieuſe qui ſe répandoit dans la ville
de Tauris , envoya chercher un ſage de
ſes amis retiré dans les montagnes. Il le
conjura de ſe charger de fon fils , autant
pour le ſauver du danger de refter plus
14 MERCURE DE FRANCE.
long - tems dans les murs d'une ville défolée
, que pour lui procurer une inftruction
qui pût le rendre heureux dans la
ſuite; parce qu'une longue expérience
l'avoit convaincu que le plus grand nombredes
malheurs ddee l'humanité appartenoit
à ſes vices .
Il inſtruifit Ibar ( c'étoit le nom du fage)
du lieu fecret où il renfermeroit les
tréſors qu'il devoit laiſſer après lui , mais
qu'il ne regardoit plus comine la première
fource du bonheur de ſon fils . Ce moment
terrible où l'homme oubliant les
tems , porte un pas vers l'éternité , change
communément toutes ſes idées , & il
ne voit plus de véritable tréſor qne celui
des vertus.
Ibar accepta avec plaiſir le ſoin d'élever
le fils d'un ami dont il apperçut la
deſtruction prochaine dans le changement
ſubit de ſes anciennes opinions , &
dans le mépris qu'il faiſoit alors de la
fortune qu'il avoit trop aimée .
Voilà done Ibn - Huſſein éloigné de
bonne heure de la capitale de l'Aderbijan
* , & fous la protection d'un ſolitaire
qui le conduiſoit au ſommet du co-
*Grandeprovince dePerſe.
: SEPTEMBRE. 1770. 15
teau ſur lequel il avoit placé ſon habitation
.
La culture des fruits & l'art de combiner
& de plier des joncs ſous des formes
différentes furent l'occupation d'lbar
comme ils l'avoient toujours été , & devinrent
celle d'Ibn Huſſein .
,
La Perfe , fertile en raiſonneurs ſpéculatifs
, avoit beaucoup de traités d'éducation
merveilleux dans la théorie & fous
dans la pratique. Ibar ſe fit une méthode
fimple & peu compliquée. Sois bienfaifant
& tu feras heureux , c'eſt - là ce qu'il
répétoit ſans ceſſe à fon diſciple.
Il eſt vrai que, lorſqu'ils étoient defcendus
dans les villes & les bourgs
pour y vendre leurs fruits & leurs corbeilles
, ils ne remontoient point chez
eux fans aller à la rencontre des pauvres
pour leur diſtribuer une partie du
produit de leur vente. C'eſt ainſi qu'un
précepte appuié de l'exemple ſe grave aifément
dans l'eſprit de la jeuneſſe imitatrice.
Ibn-Huſſein ſe pénétra fi bien de cette
maniere de ſe rendre heureux , qu'il ne
defiroit chaque jour que de travailler encore
plus , afin de faire une vente plus
utile qui les mît à portée de ſecourir un
plus grand nombre de miférables.
16 MERCURE DE FRANCE.
Lorſqu'lbar ſe fut bien aſſuré de la difpoſition
de ſon élève à l'imiter le reſte de
ſa vie; mon fils , lui dit il , fi la Providence
aujourd'hui vous faiſoit jouir d'une
fortune plus grande que celle que produiſoit
notre art & nos travaux , fi elle
faifoit tomber des tréſors dans vos mains,
quel uſage croyez vous qu'elle vous prefcritoit
d'en faire ? -Celui de fecourir&
de ſervir mes freres malheureux. Eli qu'en
ferois je pour moi - même ? Qu'ai je à
ſouhaiter autre choſe que la ſanté , la
gaîté & le plaifir délicieux de dire à l'indigent
, tiens , reçois ces ſecours , travaille
, fois content & fage comme Ibar.
-Eh bien , mon fils , demain , oui dès
que le Dieu de la lumiere déploira dans
le champ des airs ſes drapeaux éclatans
de pourpre & de feu , je vous procurerai
les moyens de multiplier ces plaiſirs purs
dont votre ame eſt avide. Heureux le
pauvre , le foible & l'innocent opprimé
qui ſe trouveront ſur vos pas , vous pourrez
leur dire : banniſſez vos craintes , ô
mes freres ! féchez vos larmes , Ibn Huffein
vit auprès de vous , il veille ſur votre
fort , il eſt l'appui de ce qui tombe&
la confolation de tout ce qui fouffre .
En effet l'hymne facrée des oiſeaux
commençoit à peine à s'élever vers l'afSEPTEMBRE.
1770. 1
tre du jour , qu'lbar conduiſit ſon diſciple
auprès des débris d'un antique tombeau.
Il n'eut pas plutôt ſoulevé une pierre
aſſez large , à l'aide d'un levier qu'il
avoit apporté , qu'ils apperçurent un efcalier
tortueux qui les conduiſit ſous une
voûte éclairée foiblement par quelques
fentes pratiquées dans un rocher qu'elle
ſupportoit.
Quelques coffrets remplis de poudre
d'or &de pierres d'un prix inestimable
furent ouverts & remis à Ibn-Huſſein qui
s'écria , en voiant les richeſſes qu'ils contenoient
: O funeſte principe des maux
de ce globe ! tyran furieux de l'humanité
foible ! Cruel Arimane , * frémis !
Par-tout où je pourrai pénétrer , j'enchaînerai
les miniſtres de tes fureurs , ils ne
feront plus verſer de larmes à mes freres.
Satisfaitdu noble enthouſiaſme dujeune
homme , Ibar ſe félicita d'avoir ſi bien
réuſſi dans cette éducation qu'il alloit terminer.
Il conduifit Ibn-Huſſein à Tauris,
&le quitra en l'embraſſant , pénétré furtour
des efforts ſans nombre qu'avoit fait
* Les Perfans diftinguoient deux fouverains
principes , l'un du bien& l'autre du mal. Le premier
s'appelloit Oromaze & le fecondArimane.
18 MERCURE DE FRANCE.
fon élève pour lui faire partager ſes tréfors
& pour l'engager à ne le point quitter.
Déjà Ibn- Huſſein s'eſt logé commodément
dans le lieu de ſa naiſſance . Déjà il
a ouvert ſa table à des gens heureux de la
partager , à d'aimables fainéans , aux jolis
rimeurs du pays. Déjà les indigens environnent
ſa maiſon , il jouit tous les jours
de la félicité de terminer les peines de
quelqu'un.
Une circonstance plus heureuſe en apparence
pour ſon coeur augmenta encore
ſes plaifirs. Il rencontra par hafard , à ce
qu'il croyoit , une jeune Vénitienne en
larmes , qui ſe diſoit abandonnée dans le
pays par fon pere , & qui ſavoit affez la
langue franque pour ſe faire entendre . Sa
figure qu'embelliſſoit ſon infortune auprès
d'Ibn-Huſſein lui avoit plû , il pourvut
en homme généreux à tous ſes befoins;
mais il craignit de lui parler de
l'intérêt qu'elle lui inſpiroit, dans la crainte
de paſſer auprès d'elle pour un homme
qui ſongeà ſe payer de lesbienfaits .
Spinetta l'entretint bientôt des malheurs
de fon frere Claudio , qui étoit ré.
duit à l'eſclavage chez le plus féroce des
maîtres , &bientôt Claudio fut libre &
l'intendant d'Ibn-Huſſein .
SEPTEMBRE. 1770. 19
Logée dans ſa maiſon , Spinetta lui parut
plus belle encore , & le charme de la
voir chaque jour triompha de la délicateſſe
qu'il avoit de mêler à ſa bienfaiſance
des deſirs moins vertueux. Il parla , il
oſa ſoupiter & Spinetta promit de l'écouter
; mais quelques jours après , Claudio&
ſa prétendue foeur l'abandonnerent.
Le départ d'une caravanne avoit facilité
leur fuite & leur ingratitude horrible ,
car ils avoient emporté de chez leur bienfaiteur
tout ce qui avoit pu tomber ſous
leurs mains.
Etonné de la conduite de Claudio &
de Spinetta , il apprit par un homme de
leur pays que d'autres noeuds que ceux
du fang les uniſſoit enſemble , que Spinetta
avoit été eſclave comme Claudio
mais qu'elle s'en étoit tirée par certaines
complaiſances pour le marchand qui les
avoitconduit àTauris .
,
Humilié , confus , pénétré de douleur ,
Ibn-Huffein eut beſoin pour tranquillifer
fon ame agitée de trouver une prompte
occaſion de faire du bien. On l'inſtruifit
qu'un marchand de ſes voiſins étoit dans
le plus grand embarras , & qu'on alloit
vendre ſes effets à grande perte. Il va le
trouver , & par les offres les plus réelles
il le met , dès le même jour , en état d'ap10
MERCURE DE FRANCE.
paiſer ſes créanciers les plus acharnés à le
perdre.
Ibn Huſſein qui , ſous les yeux & par
les ſoins d'Ibar, étoit devenu un des plus
habiles cultivateurs de la Perſe , voulut
encore , pour ſe diſtraire du ſouvenir de
Spinetta , augmenter ſon jardin. Une piéce
de terre preſqu'inculte touchoit à fes
murs. Il defira de l'y renfermer. Il ſçut
que cechamp dont il avoit beſoin appartenoit
au marchand qu'il avoit fecouru :
il alla avec quelque confiance le lui demander
; mais,quoiqu'il offrît de le payer
au double , une infinité de mauvaiſes raifons
lui furent oppoſées,&ilne put ſe procurer
la pièce de terre qui lui convenoit
qu'en cédant au marchand tout ce qu'il lui
avoit prêté fans aucun intérêt & qui valoit
cent fois le terrein en queſtion.
Preſque en même tems on vit courir
par la ville quelques chanfons mordantes
contre Ibn. Hullein , & chacun l'affura
qu'elles étoient de quelques uns de ſes ingénieux
convives .
Mais ce qui lui fut le plus ſenſible ,
c'eſt que l'envie qu'excitoit ſa fortune &
ſadépenſe fit imaginer qu'il les foutenoit
par un commerce prohibé. Ce bruit injuſte
s'accrut au point qu'il ſe vit un jour
traîné chez le cadi , où preſque tous ſes
SEPTEMBRE. 1770 . 21
voiſins & ſes amis avoient déposé contre
lui des faits qui prouvoient cette accufation.
Ibn - Huſſein , pour toute défenſe ,
ſupplia le cadi d'envoier dans ſa maiſon
&d'y faire les recherches les plus exactes
tandis qu'il reſteroitrenfermé dans la ſalle
d'audience. La viſite fut faite avec les plus
grands foins & démentit pleinement les
lâches accuſateurs .
L'humiliation qu'il venoit d'éprouver
en ſe voiant amener comme un criminel
chez le juge , à travers une haie compoſée
de tous les indigens qu'il avoit foulagés,
l'empêcha de jouir de la fatisfaction
d'avoir vaincu la calomnie. Ibn-Huſlein
perdit ſa gaîté & preſque aufli-tô l'exercice
de ſes vertus. La miſantropie dans
laquelle il tomba lui fit fermer ſa porte
àtout le monde; en un mot il devint
malheureux , & le ſéjour de Tauris lui
parut inſupportable .
Dans un des accès de ſa profonde trifteſſe
il part & vient trouver Ibar. Inſenſé!
(lui dit-il ) connois - tu les hommes que
ru m'as fait aimer ? Sais - tu qu'ils font
ingrats , traîtres & méchans ? Pourquoi
m'inſpiras - tu pour eux des ſentimens
dont ils font ſi peu dignes ? -Pour ton
propre bonheur. -Pour mon bonheur !
22 MERCURE DE FRANCE.
Eh je ſuis devenu le plus infortuné des
enfans d'Ali . * -Apprenez - moi donc ,
mon fils , ce qui vous eſt arrivé , dit Ibar.
Ibn - Huffein raconta alors & l'hiſtoire
du marchand & celle des petits rimeurs,
& celle de Claudio &de Spinetta , & l'affront
ſanglant qu'il avoit reçu chez le
Cadi : Jeune homme , lui dit Ibar , ai-je
mis une taxe à la vertu ? Vous ai - je dit
qu'il falloit vous attendre au ſalaire exact
de toutes vos bonnes actions ? Pourquoi
vous êtes- vous propoſé le trafic de la reconnoiſſance
& du bienfait ? Allez , retournez
à Tauris & faites des ingrats. Le
ſeul prix de la vertu c'eſt elle- même , il
n'appartient pas à la terre de la récompenſer.
Cependant étudiez les hommes
pour votre fatisfaction particuliere , &
n'attendez rien fur-tout ni des promeſſes
des flateurs & des poëtes , ni des larmes
d'une femme , ni de l'opinion de la multitude.
Ibn - Huſſein revint à Tauris , choiſit
un peu mieux ſes gens , continua à faire
du bien fans y trouver& fans y chercher
aucun intérêt , & paſſa de la ſituation heu-
* Gendre de Mahomet. Les Perſans ſuivent ſa
doctrine.
SEPTEMBRE. 1770. 23
reuſe dans laquelle il avoit vécu longtems
dans le ſein de l'être dont il avoit
imité la bienfaiſance .
Avis aux Flateurs. Fable orientale.
DE tous les grands de ſa patrie
Le rimeur Nebati faiſoit des bienfaiteurs .
Al'aſpect des moindres malheurs
Il peignoit leur ame attendrie.
VoyezMalik , diſoit- il dans ſes vers ,
Je connois bien fon carattere ,
Allez lui conter vos revers ,
Ases regards offrez votre mifére ,
J'enfuis garant , point de refus amers ,
Indigens, opprimés , il fera votre pere.
Or , un beau jour, le flateur Nebati
Se vit cité chez le Cadi ;
De cent dinars * on lui fait la demande..
Quoi , cent dinars ? Et comment & par où ?
Si je les dois , je veux bien qu'on me pende ,
Faites montrer mon billet à ce fou.
Ledemandeur , auſſi- tôt de ſa poche
Tire les vers de Nebati :
* Monnoie d'or enuſage dans leLevant
poids d'un ſequin de Venife.
&du
24 MERCURE DE FRANCE.
Tiens , lui dit- il , regarde , approche ,
Ne m'as -tu pas , dans les vers que voici ,
Garanti de Malik la ſûre bienfaiſance ?
Sur ta parole , à ſes pieds aujourd'hui
J'ai dévoilé mon indigence ;
Il me rejette , &j'ai recours àtoi.
Ta promeſſe eſt publique , elle devient ta loi.
Donne-moi cent dinars que Malik me refuſe.
Nebati cependant obtient quelque délais ;
Court chez Malik , rend ſon ame confuſe
Du danger de ſe voir la fable du palais :
Allez , dit le Satrape , envoyez-moi votrehomme,
Pour cette fois je lui pairai la ſomme ;
Mais vos éloges ſont trop chers.
Retenez-bien l'avis que je vous donne ,
Mon cher Nebati , dans vos vers
Ne compromettez plus perſonne.
Par M. B....
STANCES.
A une Revendeuſe à la toilette .
DESEs feſtons de la mode on te voit couronner
Les folâtres Amours qui volent ſur tes traces ,
Tu ne crains pas de les orner ,
Bien füre que tu les effaces.
Le
SEPTEMBRE. 1770. 25
Le triomphe de tes appas
Alarme plus d'une conquête ,
En arrivant à leur toilette
Quel trouble n'y caules-tu pas !
Un aimable inconſtant , que ta préſence enflamme
,
Interrompt ſans regret le plus tendre entretien ,
Il paroît oublier le minois de ſa Dame
Pour ne regarder que le tien.
Un bruſque financier s'apprête
At'éblouir par ſon argent ,
Il médite envain ta conquête ,
Elle eſt le prix du ſentiment .
Lorſque ta beauté printaniere
Aux faux attraits de l'art vient à ſe comparer ,
C'eſt pour eux un échec que ne peut réparer
Tout le ſoin d'une chambriere.
Un abbé ſémillant te dit tont bas le mot
Dont il fait rougir chaque belle ;
Un robin te lorgnant , careſſe le jabot
Dont tu lui vendis la dentelle.
Il faudra céder à ton tour
Ala douce langueur , à la flamme ſecréte ,
Que ta raiſon combat , que ta fierté rejette ,
Onn'en revend point à l'amour.
B
26 MERCURE DE FRANCE,
L'ajustement que tu propoſes
Paroît toujours le plus galant ,
Notre naiflante ardeur voit tout couleur de roſes
Etpour le gris-de- lin ſe décide à l'inſtant.
Par M. de la Louptiere.
LE PASSE - DIX.
Proverbe dramatique.
PERSONNAGES :
M. le Préſident DORVILLE.
L'Abbé DURSAINT , précepteur du petic
Dorville.
Le petit DORVILLE , âgé de 14à 15 ans.
Le petit VILLERS , ami du petit Dorville .
SAINT - JEAN , domeſtique.
La ſcène est à D.... dans la maison de
M. Dorville.
Le théâtre repréſente la chambre de l'Abbé
Durſaint. On voit dans le fond une
porte vitrée ; fur le devant du théâtre eft
une table à tiroirfur laquellefont quelques
livres , quelques papiers&une écritoire.
SEPTEMBRE. 1770. 27
L'actionſe paſſe ſur les deux heures après
midi.
SCÈNE PREMIERE.
L'Abbé DURSAINT , le petit DORVILLE
L'Abbé DURSAINT entre danssa chambre;
il eftfuivi du petit Dorville qui pleure.
ALLLOLONNSS , Monfieur , entrez ; d'aujourd'hui
vous ne ſortirez d'ici , cela est fort
joli vraiment ; à votre âge ! tenir de pareils
propos ; en vérité , mais , il n'y a plus
d'enfans. Ce ſont ſûrement ces amis , ces
lectures de toute eſpèce qui vous rendent
prématuré.
Le petit DORVILLE. Mon Dieu, voyez
donc ; parce que j'ai dit quelques mots
pour rire à Mlle Tiennette & dont elle
ne s'eſt ſeulement pas fâchée , vous faites
du bruit comme tout.
L'Abbé DURSAINT. Qu'appelez - vous ,
petit libertin , des mots pour rire ? Des
équivoques , des indécences ; un morveux
de votre eſpéce !
Le petit DORVILLE. Oui , morveux ;
je fais bien que vous me traitez toujours
comme ſi j'en étois un, mais je ne le ſuis
pourtant pas autant que vous le penſez ;
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
j'ai eu avant-hier quatorze ans enfin : &
il n'eſt pas auſſi mal à moi de dire ce que
j'ai dit , qu'à vous d'embraſfer , comme
vous le faites en cachette , la femme-dechambre
de maman ... là .
L'Abbé DURSAINT rougiſſant. Taiſezvous
, petit impoſteur , je vous crois bien
capable de répandre cette calomnie; mais
heureuſement nous ſommes trop connus
l'un & l'autre pour appréhender que qui
que ce ſoit y ajoute foi .
Le petit DORVILLE . Ho ! vous croyez
donc que votre air devot en impoſe. Allez
; ſi j'ai ſi ſouvent tort avec vous , c'eſt
parce que vous êtes mon précepteur : fi
j'étois le vôtre , moi , je ſaurois bien faire
connoître à mon papa & à ma maman
des choſes...
L'Abbé DURSAINT , avec colere. Et
bien ? Quoi ? Petit monſtre , vous auriez
la ſcélerateſſe d'inventer ... Vous mériteriez
... ( Il le menace.
Le petit DORVILLE. Ah , par exemple,
aviſez- vous de me donner un foufflet pour
voir... comme mon papa ne le ſauroit pas
tout- à l'heure !
L'Abbé DURSAINT , avec unfang froid
forcé. Allez , vous êtes un petit malheureux
, je ne vous crains.... Je me vous
SEPTEMBRE. 1770 . 29
crains point du tout , vous dis-je ; mais
par proviſion vous aurez la bonté de garder
la chambre tout le reſte de la journée
&de me traduire les deux premiers chapitres
de l'apocalipſe... A propos le jeu
de cartes avec lequel vous jouïez ce matin
avec Mile votre ſoeur , où est- il ?
Le petit DORVILLE. Dame , eſt ceque
je le fais , moi ? Elle l'a pris, ou il eſt reſté
fur la table.
L'Abbé DURSAINT. Vous êtes un menteur
; car je vous l'ai vu mettre dans votre
poche , tenez , il doit être dans cellelà.
( Il montre unedes poches du petit Dorville.
) Donnez- le moi tout- à- l'heure , ou
je ſaurai vous le faire donner d'une maniere
qui ne vous fera pas agréable .
Le petit DORVILLE , avec un ris forcé.
Oh , la belle vengeance ! vous croyez me
faire bien de la peine : ( Il tire deſa poche
le jeu de cartes , & en le donnant le
froiſſe avec les mains & en répand la moitiéà
terre. ) Allez , tenez , le voilà votre
jeude cartes.
L'Abbé DURSAINT . prenant les cartes
& pouffant hors de la chambre avec le pied
celles qui font à terre. Hum ,le mauvais
ſujet ! Qu'un précepteur eſt à plaindre
lorſqu'il a affaire à de pareils garnemens.
Biij
30
MERCURE DE FRANCE .
(Au petit Dorville :) Allons , Monfieur ,
à l'ouvrage. Dites adieu pour long- tems
aux divertiſſemens , à la promenade &
fur-tout au jeu ; car il ne vous manquoit
plus , pour avoir tous les défauts , que
d'être un déterminé joueur. Heureuſement
il n'y a ici ni cartes , ni dez ; d'ailleurs
vous n'aurez perſonne avec qui vous
puiſſiez jouer ; ainſi , ſi vous ne prenez le
parti de faire l'ouvrage que je vous ai
donné , vous aurez tout le tems de vous
entretenir avec vos charmantes idées ; il
eſt vrai que vous n'aurez pas l'agrément
d'épier mes démarches&de les traveftir
au gré de votre aimable caractere ; mais
c'eſt un petit plaiſir dont vous vous pafſerez
aujourd'hui , s'il vous plaît. Travaillez
, je vous le conſeille , ſinon vous
ferez encore enfermé demain , je vous en
avertis. ( Ilfort & ferme la porte de la
chambreàdouble tour.
SCÈNE ΙΙ .
Le petit DORVILLE ſeul.
(Il prend son dictionnaire & le jette de
toutesses forces contre la porte. )
Va , chien d'Abbé , tu n'oublies rien
pour me faire enrager , mais ſi je puis jaSEPTEMBRE.
1770 . 31
..
ne compte
-
mais te rendre la pareille .
pas avoir affaire à un ingrat. -Cela eſt
bien fot toujours , un précepteur ; il ſemble
que ces gens-là ne foient au monde
que pour nous tourmenter , & qu'y gagnent
- ils au bout du compte , bien des
déſagrémens... bien des chagrins ... &
puis c'eſt tout ; car nous ſavons auſſi quelque
fois prendre notre revanche .-(Ilfe
leve &se promene dans la chambre ) Que
vais- je donc faire ? Il eſt pourtant bien
ennuyeux de paſſer ici toute la ſoirée .
Il n'a fûrement pas oublié de fermer la
porte à double tour. ( Il va à la porte &
Secoue la ferrure. ) Maudit pédant ! que
le le hais ! ( Il retourne à ja table. )
Auſſi mon papa eſt bien fingulier , de me
donner un précepteur , à mon âge ; il devroit
pourtant bien ſavoir qu'à quatorze
ans on n'eſt plus un enfant ,&qu'un grand
garçon comme moi eſt bien capable de
ſe conduire lui - même. -( Il s'affied)
Mon Dieu , comme je m'ennuie... Je
m'en vais faire ma verſion , peut- être que
cela me déſennuiera. ( Il feuillette le livre.
) Oh , chien .... comme c'eſt long...
copier tout cela... & de larin en françois
encore! .. je n'en aurai jamais le courage
; & puis M. l'Abbé feroit trop content;
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
non , pour le faire enrager , je n'écrirai
pas un ſeul mot. ( Il fait plufieurs tours
de chambre d'un air déſoeuvré & revient à
fa place. ) Cependant , ſi je ne travaille
point, je ſerai encore enfermé demain.-
M. l'Abbé a oublié ; je crois , de fermer
fon tiroir . ( Il ouvre le tiroir de la table. )
Ah ! voyons. ( Il cherche dans le tiroir &
en tire un livre. ) Voici de quoi me défennuyer...
C'eſt peut- être un livre de dévotion
. ( Il ouvre le livre. ) Les contes de la
Fontaine. Ah des contes ! cela doit être
joli , des contes ; ( Il parcourt le livre. )
Regardons d'abord les images .
Le petit VILLERS , du dedans. Dorville...
DORVILLE ... )
Le petit DORVILLE . Ah , voilà Villers
qui m'appelle , ... Je lui avois donné parole...
Que cela eſt enrageant ! mais il
ne faut rien dire .
SCÈNE III .
Le petit DORVILLE , VILLERS .
VILLERS , regardant à travers les vitres
de la porte. Dorville , qu'est - ce que tu
fais donc là ?
SEPTEMBRE. 1770. 33
Le petit DORVILLE , fans regarder.
Laiſſe - moi tranquille , j'ai de l'ouvrage
preffé.
VILLERS. De l'ouvrage preſſé , dis-tu .
Bon , bon , il faut remettre cela à une autre
fois. Je vas te donner ta revanche de
ce que je t'ai gagné hier au foir. Eh bien?..
mais... ouvre donc ta porte au moins.
Le petit DORVILLE. Non , je te dis que
je ne peux ... que je n'en ai pas le tems
encore une fois .
VILLERS. Diable ! voici du fruit nouveau
: tu refuſes ta revanche , ceci eft extraordinaire
. ( Ilfrappe à la porte de toutes
fesforces. ) Allons , allons , ouvre donc ,
ne badinons pas ... Mais , par aventure,
ne ſerois- tu pas enfermé, mon drôle ?
Le petit DORVILLE. Enfermé! Ah je le
voudrois bien voir... D'ailleurs , qu'estce
que ça te fait ? Va te promener , laiffe-
moi en repos .
VILLERS. Hé , mon Dieu ! tu te fâches ;
pardi quand cela feroit , voyez le grand
malheur , toutes les fois qu'il m'arrive
pis...
Le petit DORVILLE. Cela ſeroit bien
By
34 MERCURE DE FRANCE.
étonnant , un morveux ! .. mais un grand
garçon comme moi , ne ſe mène pas de
cette façon là. Sérieuſement , va- t'en , tu
m'ennuies.
VILLERS , riant. Dorville , ſans tant
faire le fin , veux tu ta revanche ? Je trouverai
bien le moyen dejouer quoique tu
fois enfermé , ſinon je ſuis ton ferviteur.
Le petit DORVILLEse retourne. Bon ,
&comment t'y prendrois tu ?
VILLERS. Rien de plus ſimple ; voilà
un carreau de vitres qui ne tient qu'à quatre
pointes , il nous eſt aiſé de l'ôter & de
jouer par là.
Le petit DORVILLE. Ah ! pardi,voïons.
(Il s'approche de la porte. )
VILLERS. Tiens , l'affaire en eſt faite.
Le petit DORVILLE. Je m'en vais prendre
mon dictionnaire , en le mettant en
travers il nous fervira de table. ( Il met
le livre en travers de la vitre & s'affied auprès.)
Il eſt heureuſement de la largeur de
la vitre.
VILLERS. Bien imaginé ! vive les gens
d'eſprit , ils ne font jamais embaraffés.
LepetitDORVILLE. Je t'avertis d'abord
que je n'ai ni cartes , ni dez .
VILLERS. Ne t'inquiéte pas , je ne vais
SEPTEMBRE. 1770 . 35
jamais ſans cela, moi ; tiens , voilà des dez ,
notre table eſt trop petite pour jouer aux
cartes.
Le petit DORVILLE. C'eſt bon , auffibien
je veux jouer au Paffe-dix ; celui qui
perd adroit de choiſir le jeu .
VILLERS. Comme tu voudras , veux tu
lesdez ?
Le petit DORVILLE. Non , tiens- les ,
toi ; allons les fix liv . que tu m'as gagnées
hier.
VILLERS. C'eſt beaucoup ; les voilà ,
je ne veux pas diſputer. (Iljoue ) Rien ...
Rien encore... Voilà pourtant dix-fept.
Le petit DORVILLE. J'ai mal fait de
jouer ; je ſuis en malheur ; tu vas me gagner
tout mon argent. Allons les douze
francs.
VILLERS. Allons ... ( Iljoue ) Rien...
Rien ... Dix - ſept , encore gagné. Veuxtu
jouer le louis , quoique ce ſoit la tuoifiéme
main , tu vois bien que je n'ai pas
enviede gagner ton argent.
Le petit DORVILLE. Comme tu joues
de bonheur ! allons tu vas me ruiner , vot .
là mon reſte. ( Il met le louis ſur le livre.)
VILLERS. Oh ! non ; car je me fens en
malheur à ce coup- ci . ( Iljoue ) Rien...
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Rien... Je vais perdre ... Ma foi non ,
voilà dix-huit. ( Il tire brusquement les enjeux.
)
Le petit DORVILLE. M. Villers , doucement
, s'il vous plaît ; voilà trois fois de
ſuite que vous paſſez , cela n'eſt pas naturel
, & vous trichez certainement .
VILLERS. Qu'appelles- tu , tricher ? Tu
es plaifant : parce que tu perds , tu esde
mauvaiſe humeur , tu me dis des ſottiſes;
ſi tun'étois pas enfermé , je t'apprendrois
à parler , tricher !
Le petit DORVILLE. Je me moque de
cela , tu m'as fûrement trompé , & je veux
ravoir mon argent , entends tu ? Allons ,
rends-le moi , où je vais faire un bruit de
diable.
VILLERS. Ah ! pardi , celui là eſt bon :
que je te le rende ; il m'appartient , je l'ai
bien gagné , tout ce que je peux faire ,
c'eſt de te donner ta revanche , vois ſi tu
le veux.
Le petit DORVILLE. Non , il me faut
mon argent ; ſi je ne l'ai pas tout à l'heure
, je vais appeler M. l'Abbé qui te le fera
bien rendre.
VILLERS,ſeſauvant. Je me moque de
M. l'Abbé & de toi auffi .
SEPTEMBRE . 1770. 37
SCÈNE IV .
Le petit DORVILLE ,feul.
Villers... Villers... écoute donc je
veux bien jouer la revanche , ( Villers reparoît.)
mais pourvû que tu me faſſes
crédit. ( Villers diſparoît. ) Villers ... entends-
tu ? .. Je ne demande que ma revanche...
Il eſt parti . ( Il crie de toutes
fes forces. ) Villers... Villers ... Ah le
fripon... Il emporteroit comme cela mon
argent... Villers... Saint - Jean ... arrêtez
donc Villers qui me vole ... ( Il donne
de grands coups de livres contre la
porte.)
SCÈNE V.
Le petit DORVILLE , M. le Préſident
DORVILLE & un Domestique en - dedans.
M. DORVILLE. Mais , qu'est - ce que
tout ceci ſignifie donc ? Voilà un vacarme
épouvantable ; eſt - ce que vous êtes enfermé
là- dedans , Dorville ?
Le petit DORVILLE. Oui , mon papa ;
mais faites donc vîte courir après le petit
Villers qui m'a pris mon argent &qui fe
fauve avec.
-
38 MERCURE DE FRANCE.
M DORVILLE. Comment , M. Villers
s'enfuit avec votre argent , & de quelle
maniere vous l'a- t il pris ?
Le petit DORVILLE. Mon papa , c'eſt à
travers cette vitre ... C'eſt que...
M. DORVILLE . A travers cette vitre ,
cela eſt fingulier... Je conçois... Vous
jouïez par - là tous deux , n'eſt - ce pas ?
Nous allons voir cela . ( Il appelle ) Saint-
Jean... Allez demander à M. l'Abbé la
clefde fa chambre.
ST JEAN . Oui , Monfieur.
M. DORVILLE . Où est- il M. l'Abbé ?
ST JEAN. Monfieur , il eſt là-bas dans
le ſalon , il joue avec M. l'Abbé Bigotin.
M. DORVILLE. Dites - lui en mêmetems
qu'il ſe rende ici ſur le champ , que
c'eſt moi qui le demande , qu'il quitte
tour.
ST JEAN. Oui , Monfieur.
SCÈNE VI.
M. DORVILLE , le petit DORVILLE.
Le petit DORVILLE. Mon papa , faites
plutôt courir après Villers , cela eſt plus
prellé ; il eſt peut- être déjà bien loin.
SEPTEMBRE . 1770. 39
M. DORVILLE . Taiſez vous , petit
coquin , tout- à- l'heure nous allons compter
enſemble.
SCÈNE VII .
M. DORVILLE , l'Abbé DURSAINT ,
le petit DORVILLE.
L'Abbé DURSAINT , ouvrant la porte.
Ah ! Monfieur , j'aurois voulu vous épargner
le chagrin d'apprendre les fredaines
de M votre fils ; mais je vois qu'elles
éclatent malheureuſement malgré moi :
je me fuis trouvé obligé cet après - midi
de le renfermer pour le punir de fon
amour pour tout ce qui peut le diſtraire
de l'étude & principalement pour le jeu.
M. DORVILLE. Vous avez fort bien
réuſſi , & , pour commencer ſa réforme ,
ce petit Monfieur jouoit à l'inſtant avec
unde ſes amis à travers cette vitre.
L'Abbé DURSAINT , au petit Dorville.
Comment , Monfieur , après toutes mes
remontrances ? de quoi vous ont donc
fervi les longs &fréquens diſcours que
je vous ai tenus ſur les inconvéniens du
jeu , & l'horreur que tous les honnêtes
gens doivent avoir pour cette paffion ?
M. DORVILLE. M. l'Abbé , vos dif
40 MERCURE DE FRANCE.
cours étoient admirables , ſans contredit :
ſi cependant vous euſſiez pris la peine de
veiller vous même fur mon fils, tout ceci
ne ſeroit point arrivé. Qu'est-ce que vous
lui aviezdonné à faire ?
L'Abbé DURSAINT. Hélas , Monfieur,
il devoit me traduire les deux premiers
chapitres de l'apocalipſe : il eſt bon qu'en
l'inſtruiſant dans les ſciences , on lui inculque
, en même tems , les ſacrés principes
de notre religion .
M. DORVILLE. Votre méthode eſt excellente
, & vous vous y preniez admirablement.
Voyons ſon ouvrage. ( Il prend
un livre fur la table. ) Mais , que diable !
ceci ne reſſemble point du tout à l'apocalipſe
: les Contes de la Fontaine. Comment
, petit drole , vous lifez de ces fortesde
livres ?
Le petit DORVILLE . Oh ! mon papa ,
ce livre ne peut pas être mauvais ; car il
appartient à M. l'Abbé , je l'ai trouvé dans
fon tiroir.
L'Abbé DURSAINT , au petit Dorville,
àdemi- bas. Je n'ai pas cru que vous euffiez
pouffé la hardieſſe juſqu'à fouiller
dans mes tiroirs. (AM. Dorville. ) Monſieur
, ne penſez pas que je faſſe ma lec
SEPTEMBRE. 1770. 4I
ture d'un ſemblable livre , c'eſt un de mes
amis qui l'avoit laiſſé ici ... &...
M. DORVILLE. Je fais à quoi m'en
tenir là-deſſus , M. l'Abbé. ( àsonfils. )
Retirez - vous , nous nous verrons tantôt :
ſi jamais je trouve des livres de cette efpéce
dans vos mains : prenez garde à ce
qui vous en arrivera ... Allez ... (le petis
Dorvillefort. )
SCÈNE VIII . & DERNIERE.
M. DORVILLE , l'Abbé DURSAINT.
M. DORVILLE. Pour vous , M. l'Abbé,
je vous fuis infiniment obligé de vos fervices;
mais je ſens la néceffité de veiller
moi-même ſur mon fils .
L'Abbé DURSAINT. Je ne crois pas ,
Monfieur , que vous ayez ſujet de vous
plaindre de moi , j'ai toujours pris ſoin
de former autant qu'il a été en mon pouvoir
l'eſprit & le coeur de M. votre fils ;
j'y ai travaillé juſqu'à préſent avec une
affiduité qui a peu d'exemples , & il eſt
bien humiliant pour moi de ne voir ainſi
congedié .
M. DORVILLE. A vous parler franchement
, M. l'Abbé , je ſuis peu touché de
cette affiduité; je ne me plains pas de vos
42 MERCURE DE FRANCE.
leçons,je veux bien croire que mon filsn'en
areçu de vous que d'excellentes ; mais il
auroit été à - propos qu'elles euſſent été
foutenues par de bons exemples .
L'Abbé DURSAINT . Comment , Monfieur
, de bons exemples ! Qui eſt- ce qui
pourroit taxer ma conduite de la moindre
irrégularité?
M. DORVILLE . Tenez , M. l'Abbé ne
me preflez pas davantage : j'ai le malheur
d'être franc , vous n'y trouveriez pas votre
compte. Enfin vous êtes inexcuſable
de n'avoir pas eu les yeux fur mon fils ,
de l'avoir laiſſé continuellement à luimême
comme vous l'avez fait. Vous l'enfermez
dans votre chambre , pour vous
divertir de votre côté plus à votre aiſe, enſuite
vous avez des amis qui laiſſent dans
vos tiroirs de mauvais livres qui tombent
malheureuſement entre les mains de mon
fils ... Tout cela & quelques petites découvertes
que j'ai faires & que je ne juge
pas à propos de rapporter , m'ont déterminé
depuis longtems au projet que
j'exécute aujourd'hui. J'éprouve de plus
en plus , qu'il n'eſt , comme dit le proverbe,
rien tel que...
ParM. Garnier avocat à Auxerre ; auteur
duProverbe le Vingt- un , dont le mot eſt à trop
ferrerla corde rompt.
SEPTEMBRE. 1770 . 43
TRAIT remarquable de la vie du Czar
Pierrele Grand.
CEhéros étonnant qui ſçut du
Deſcendre pour le mériter.
rang ſuprême
Qui créa ſes ſujets , ſon empire & lui -même ;
Pierre fût grand ſans doute , on doit le reſpecter
Lorſqu'en l'art des combats inſtruit par les difgraces
,
Il eſt à Pultawa le favori de Mars ;
Ou quand , plus grand encore , il porte ſur ſes
glaces
Le ſouffle du génie & le flambeau des arts.
Que pour le célébrer embouchant la trompette,
Thomas , ( 1 ) d'un vol hardi s'élève vers les cieux;
Je m'enfonce avec Pierre au fond de ſa retraite ,
Et ſabonté frappe mes yeux .
Aux bords de la Neva , (2) ſous un heureux ombrage
,
S'élève avec ſimplicité
Un palais où le Czar cherchant la liberté,
(1 ) On fait que M. Thomas , de l'académie
françoiſe , travaille à un poëme épique , intitulé
laPétréide.
(2) Riviere à l'embouchure de laquelle fut bâti
Petersbourg.
44
MERCURE DE FRANCE.
Des fers de lagrandeur quelquefois ſe dégage.
Dans cet aſyle , ſon ouvrage ,
Quelques-uns des mortels qu'il a, par ſes bienfaits,
Fixés ſous un climat ſauvage ,
Compagnons de leur maître admirent ſes projets,
Celui ci qu'un chantier vit naître ,
Paiſible citoyen de l'heureuſe Amſterdam ,
Fume la pipe avec fon maître ,
Et, le rabot en main , croit le voir à Sardam; (1 )
Avec ce lavant infulaire , (2)
Né dans le pays de Newton ,
Pierre ouvre le compas & dirige l'équerre ;
Il obſerve avec Ferguflon. ( 3 )
Un François l'a ſuivi ; Villebois eſt ſonnom
Et la Bretagne ſa patrie ,
Je ne fais quels talens illuſtrerent ſa vie ;
Mais qu'il atteſte ici combien le Czar fut bon !
Va , lui dit-il unjour , va , porte à Catherine
>>Ces mots tracés par ſon époux ;
Tout projet , tu le ſais , eſt commun entrenous,
>> Préſente- lui ce plan & qu'elle l'examine. >>
Il part ; la neige & les frimats,
(1 ) Village où le Czar fut garçon conftructeur.
( 2) Perry, ingénieur Anglois , attiré enRuffic.
( 3 ) Aſtronome Ecoffois.
SEPTEMBRE . 1770 . 45
L'horreur d'une nuit effroyable
Ne ſauroient arrêter ſes pas.
Il avale à longs traits la liqueur ſecourable ( 1 )
Dont l'abus inſenſé va le rendre coupable ,
Mais néceſſaire en ces climats .
Il arrive , l'aube nouvelle
Eclairoit les frimats qui couronnent Cromlot. (2)
«C'eſt Villebois , du Czar le meſlager fidèle ,
>>> Dit-on à Catherine éveillée en ſurſaut.
>> Qu'il entre , » chacun ſe retire ,
Catherine l'ordonne , & notre ambafladeur
Remet entre ſes mains le ſecret de l'empire.
Tout François eſt galant , tout Breton eſt buveur.
Animé de la double ivreſle
Et de Bacchus & de l'Amour ,
Ilne voit que Vénus , ſans témoins & fans cour ,
Le ſujet inſolent fait parler ſa tendreſſe.
L'effroi de Catherine a retenu la voix ;
Ainſi Rome vit autrefois
Expirer la vertu de la chaſte Lucréce :
Catherine plus ſage , après un tel affront ,
S'en prend à celui qui l'outrage ;
Il eſt chargé de fers , & par un prompt meſſage
Le Czar eſt informé du malheur de ſon front.
Pierre écume de rage à ce récit funeſte ;
(1 ) L'eau-de-vic.
(2) Fort qui défend le port de Petersbourg.
46 MERCURE DE FRANCE.
Le crime eſt inoui , mais ſa femme l'atteſte ;
Amoureux &jaloux , ſon coeur eſt déchiré.
« Eh ! quoi , s'écria-t-il , honteux , déſeſpéré ,
>>Un vil mortel a pu deshonorer ma couche ,
> J'ai livré mon épouſe à ce monſtre farouche ;.
Qu'un fupplice nouveau pour lui ſoit préparé.
Mais non ... attends , dit- il au garde qui s'em-
>>prelle ,
>>Qu'a fait ce furieux ſorti de ſon ivreſſe ?
>>>Seigneur , il eſt tombé dans un profond ſom-
»meil.
Il dort , reprend le Czar. à l'inſtant du reveil,
..
-Dans le fond d'un cachot quel accident me
>> plonge ,
>Dira-t- il , eſt - ce donc un ſonge ?
>>P>ourquoi ces fers&qu'ai-je fait?
>>> Quand on lui dira ſon forfait ,
>> Il ne le croira pas , en croirai -je ma rage ?
>>C>e malheureux m'a fait le plus fanglant ou-
>> trage ,
» Moi-même j'en frémis d'horreur...
>>Cependant , il brava la mort pour mon ſervice,
>>> Et s'il n'avoit pas bu la perfide liqueur ,
>> La mort avec le froid pénétroit dans ſon coeur ..
>>>Le verrai-je expirer dans un aftreux fupplice ?
>>V>illebois s'enivra ; mais toi , dans ce feſtin ,
>>Qùta foible raiſon s'égara dans le vin ,
SEPTEMBRE. 1770 . 47
En proie aux noirs tranſports d'un courroux im
>> placable ,
>>N>'allois- tu pas , lâche aſlaſſin ,
>>>Poiguarder un ami qui n'étoit point coupa-
»ble ? (1)
>> Puniflous Villebois de ſes honteux excès
>>Comme un pere itrité punit le fils qu'il aime ;
>>Mais , en punıflant tes ſujets ,
>> Pierre , ſi tu le peux , réforme toi toi -même. »
C'enpſt fait , la raiſon étouffe dans ſon coeur
Le cri perçant de la vengeance ,
Pierre , de lui même vainqueur ,
Se laiſſe vaincre à la clémence.
«Qu'on metre ce pauvre animal , (2)
> Dit- il , pour deux ans à la chaîne ,
>> Je veux de ce tranſport brutal
Que ce ſoit-là toute la peine. >>
L'amitié vient eacor parler pour Villebois ,
L'amitié fait valoir ſes droits .
Quelques mois expires , ſon maître lui pardonne,
Lui rend ſes honneurs , ſes emplois ,
Daigne le rappeler auprès de ſa perſonne ,
Et peut- être avec lui s'enivre quelquefois.
Enfin, un jour il lui préſente
(1) Le Fort que Pierre le Grand voulut tuer
dans le vin, faute qu'il expia par un repentir fublime.
(2) Propres paroles duCzar.
:
48 MERCURE DE FRANCE.
Une Rufle belle , innocente ;
« Eh ! que dis-tu de ce minois ?
•Comment le trouves - tu ? -Vous badinez , je
>> crois ,
>> Sire , cette fille eſt charmante ,
>>Digne de la couche des rois .
>> Oui , reprit l'Empereur , je ſais combien ton
ame
>> Brûle à l'aſpect de la beauté ;
Je connois ton beſoin , il ſera contenté ;
* Villebois , qu'elle ſoit ta femme. »
ParM. le chevalier de C ...
M. le Baron de Castelet , fur sa
médecine univerſelle .
DIGINGNEE fils d'un illuſtre pere
Qui te tranſmit ſa charité ;
Combiend'infortunés , qu'un mal héréditaire ,
Une incurable infirmité ,
Tentoient au ſein de la miſére
De finir leur calamité
Par un trépas précipité ,
Aton remede ſalutaire ,
Aux ſeuls ſecours de tabonté
Doivent la vie & la ſanté ,
:
Par
SEPTEMBRE. 1770. 49,
Par une ſuite néceſſaire
Le baume exquis de la gaîté !
Santé ! gaîté ! fans vous que faire
Des biens dont la proſpérité
Eblouït une ame vulgaire ?
Aquoi bon l'immortalité ?
Tendre ami des humains , citoyen reſpecté,
De leur reconnoiſſance & publique & fincere
Reçois dans cer eſſai le tribut mérité
Qu'ils t'offrent par mon miniſtere ;
J'y joins auſſi la mienne avec ſimplicité ;
C'eſt l'atour de la vérité ,
Le plus für moyen de te plaire.
Surdes maux detout genre, en tous tems,en tous
lieux ,
Sur des langueurs déſeſpérées ,
Par ce remede précieux
Combien de cures opérées
Et ſur moi-même , & ſous mes yeux !)
Combien par-tout de célébrées
En dépitde tes envieux !
Combien plus encor d'ignorées !
Lorſque je vante ici la douce activité
Du plus grand purgatif dont ait parlé l'hiſtoire,
Sapuiſſante efficacité ;
Lemoins crédule peut m'en croire:
C
JO MERCURE DE FRANCE.
Pardonne à ma ſincérité ,
Je penſebienmoins à ta gloire
Qu'au bonheur de l'humanité.
Par M. de Bologne , aſſocié aux académies
des belles- lettres de la Rochelle , &c.
, VERS adreſſfés à Madame *** lejour
defa Fête. Parodie d'un air du ballet
des Sens , qui commence par ces mots;
De l'Amour tout fubit les loix,
RONDEAU.
DE Philis chantons les attraits ,
L'Amour lui prodigua ſes traits ,
Pour intéreſſer & pour plaire ;
Non , Cypris ne parut jamais
Un objet plus doux , plus touchants
Dans fon regard tendre & brillant ,
On voit les graces de la mere
Et lesjeux de l'enfant.
Son eſprit léger &badin
Amuſant l'amoureux eflaim,
S'il lance quelque trait malin ,
Momus lui- même applaudit ſoudain.
De Philis chantons , &c.
C
P
SEPTEMBRE. 1770.
Vainement pour toucher ſon coeur ,
Mille amans lui rendent hommage;
Eſpoir cruel & trompeur !
Son humeur
Coquette& volage
Rit de tant d'ardeur ;
Plaire ſans aimer fait ſon bonheur.
De Philis chantons , &c .
Par M. le comte de L.
A
LA CARAIBE.
QUOIQUE l'amour ne dut avoir qu'un
ſeut langage , il ne s'en exprime pas
moins diverſement ſuivant les climats .
Par exemple , en France l'uſage eſt de
faire parler ce dieu comme celui du plaifir
phyſique , ſans qu'il ſoit nullement
queſtion de nos ames ; mais,chez les Sauvages
de l'Amérique , l'expreſſion des
ſentimens amoureux eſt auſſi ſimple que
leurs habillemens . Ils n'ont même aucun
terme dans leur langue pour exprimer inconſtance
, ſéduction , rapt , artifice , &c.
Dans l'iſle d'Anamibou , une des con
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
trées les plus'méridionales de l'Amérique
, & où l'on tenoit la Lune pour divinité
, on apperçut les débris d'un vaiſſeau
qui venoit de faire naufrage. De tout
l'équipage un ſeul homme s'étoit ſauvé,
On l'appeloit le chevalier Ventillak ,
interprête de toutes les langues de l'Amérique
, &c. L'on avoit coutume dans l'iſle
d'Anamiboud'immoler à la Lune tous les
étrangers qu'on pouvoit attraper dans le
pays , n'importe comment ni dans quelle
voiture ilsy fuſſent venus. L'on s'empare
donc en conféquence du chevalier Ven
tillak , qu'on traîne chez le grand Prêtre
de laLune.
A ſept heures &un quart du matin
l'on vint annoncer au chevalier que l'on
avoit heureuſement trouvé tous les bois
&aromates preſcrits dans le rituel du
grand prêtre pour la brûlure publique des
étrangers . Chacun lui fit à ce ſujet un
compliment de félicitation qui ne lui plut
guère. Le grand prêtre lui remit un paquet
delettres adreffées à l Lune, en lepriantde
votement d'en avoir bien ſoin en route ,
&de les lui remettre en main propre. Il
donna au chevalier, ſuivant l'uſage , une
coquille couleur aurore pour ſes frais de
poſte. C'eſt une monnoie courante de
SEPTEMBRE. 1770. 93
l'ifle , & qui revient juſte à ce qu'on paie
à Paris pour la petite poſte. Le lecteur
obſervera que le grand prêtre ayant contreſigné
le paquet , c'étoit pure générofité
de ſa part que le préſent d'une coquille
aurore .
Tout le peuple aſſemblé avec les prêtres
lunatiques ſe faisoient un vrai plaifir
de dépêcher , par la voie du feu , un
courier à leur déeſſe ; il commençoit à
s'impatienter de voir notre étranger ne
pas folliciter vivement en faveur du brafier
qui l'attendoit. Il ne manquoit plus
qu'une cérémonie pour contenter tout le
monde , à l'exception du chevalier , qui ,
quoiqueGaſcon, n'en avoit pas plus d'envie
d'être rôti à petitfeu. Cette fameuse cérémonie
conſiſtoitdonc en ce que la plus
belle fille Anamibouenne avoit ſeule le
privilege excluſif d'arracher la chevelure
&de couper le petit doigt de la main
gauche au patient. La charmante Rême ,
fille unique du grand prêtre , parut. Les
Caraïbes , émerveillés de ſa beauté , ſe
mirent à ſifler en choeur , pour marquer ,
ſuivant leur coutume , leur approbation
générale. Quede piéces nouvelles en Fran.
ce auroient eu beſoin d'être crues jugées
par ces innocens Caraïbes.
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
Le coeur ingénu de la belle Rême , ſous
le voile généreux d'une tendre pitié , refſentoit
le plus vif amour pour le chevalier
Ventillak , & notre Caraïbe ne s'en
doutoit pas. Il eſt bon d'avertir ceux qui
ne le ſavent pas , que la loi immuable
de l'ifle permet qu'on ſauve la victime
de la Lune , ſi la fille qui doit faire l'opération
de la chevelure , a le courage de
ſe couper le petit doigt de la main gauche
; mais il n'y a pas de remiffion à
eſpérer pour la chevelure du patient. La
Lune n'entend point raiſon ſur cet article
. La belle Rême qui commençoit à
lire clairement dans ſon ame , ſa paffion
pour le chevalier , voulant s'éclaircir fur
ce qu'il penſoit d'elle , demanda à la
joyeuſe aſſemblée la permiſſion d'entretenir
en ſecret le patient , ce qui lui fut
accordé. Ce chevalier & la tendre Rême
eurent fûrement enſemble une des plus
belles converſations qui ſe ſoit jamais tenue
dans toute l'Amérique , & dont par
malheur il ne m'eſt revenu que les dernieres
phraſes que voici.
J'obſerverai ſeulement que la politeſſe
de la langue anamibouenne eſt de ſe tutoyer
, fur- tout entre perſonnes de condition
, & que j'ai pris la peine de traduire
SEPTEMBRE. 1770. 55
le tout en françois , vû que mes lecteurs
ne ſont pas obligés , ainſi que moi , de
ſavoir tous les idiômes de l'Amérique.
-
Me feras tu fidèle ?-Sandis ! comme
l'ombre l'eft au corps. -Qui me garantira
ta conſtance ? -Tes charmes .-Ils
paſſeront ainſi que ton ardeur. -Jarnibious
, un blafpheme l'un & l'autre .
Quoi ! je te ferois chere ? -Plus qu'un
tréfor. Et ta flamme ?-Sera éternelle.
-Ah ! je meurs de plaiſir. -Et moi d'amour.
C'eſt peut - être bien plutôt de
peur . --Cadedis ! Je ſuis Gaſcon,& la peur
ne m'eſt connue que dans le coeur de mes
ennemis. Rême alloit lui repliquer quand
le grand prêtre vint les interrompre. Ii ſe
revêtit gravement de fon habit de cérémonie,
puis il prononça le diſcours fuivant
:
O vous ! hommes & femmes lunatiques
, bon foir.
" O chevalier , dix- sept ſoixante - dix
fois heureux étranger , bénis à jamais le
fortuné deſtin qui t'a amené ſur nos côtes
. Réjouis toi , illuſtre favori de la Lune
notre adorable déeſſe ! Elle a ſans dou .
te préſidé à ta naiſſance , & régit tous les
Gafcons. Oui , cher Ventillak , notre di
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
vinité veut bien te faire l'honneur d'afſiſter
à ton enterrement. Ah ! quelle
gloire pour toi d'aller ce ſoir fouper
tête - à - tête avec la Lune ! Conſidére ,
contemple de ſang froid toute l'étendue
de ta félicité. Tu vas être brûlé
à un feu lent & doux , qui te purifiera
agréablement en te réduiſant en cendres ,
que l'on confervera précieuſement dans
une tabatiere de vernis de Martin. Tous
les bois qui compoſent ton bucher font
odoriférans . Juge donc de quel agréable
parfum tu te vas ſentir embaumé , quand
nous aurons commencé la cérémonie.
Nous te ſouhaitons un bon voyage . Je lis
dans tes yeux la noble envie que tu as
de te voir confumer en douceur. Nous
allons te ſervir ſuivant tes defirs ... Patiente
encore quelques inſtans. Vas , nous
aurons du moins autant de plaiſir que
toi. »
Le chevalier Ventillak , fort mécontent
de la harangue du grand prêtre & de
cette cuiſſon , eut beaucoup de peine à
fe contenir pour ne pas invectiver tous les
Anamibouins . Il y parvint cependant &
répliqua en ces termes , à l'aſſemblée des
Caraïbes ;
SEPTEMBRE. 1770 . 57
MESSIEURS ,
« Je ſuis François , & qui plus eſt Gafcon
, par conféquent point fanfaron , mais
bien galant & amateur du beau ſexe. Je
me ferois un vrai plaifir d'aller ce ſoir
ſouper avec la Lune , ſans la petite cérémonie
qu'elle exige ici de tous les étrangers.
J'aurois trop de peine à m'y accou
tumer. Si j'étois moins poli , je vous dirois
que vous êtes tous des mal appris ; au
furplus votre coutume finguliere de faire
rôtir , en faveur de la Lune , tous les cutieux
qui viennent voir votre pays n'eſt
ni honnête ni décente , cela m'empêche
de me faire naturaliſer chez vous ; cependant
pour vous marquer ma déférence
pour votre déeſſe qui aime , dites - vous ,
avec paffion les chevelures étrangeres ...
je lui fais préſent de la mienne & lui fouhaite
le bon foir , ainſi qu'à toute la compagnie.
»
Pour l'intelligence de ce trait qui paroît
Romain , je ſuis obligé de prévenir
mon lecteur que le chevalier Ventillak
portoit perruque , & même s'étoit fait raſer
la tête le jour du naufrage , de forte
qu'il n'eut pas de grands efforts à faire
pour jeter au nez du grand prêtre ſa per
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
ruque à la brigadiere. Les Caraïbes qui ,
de ce côté-là , n'en favent pas tant que
nous , furent étrangement ſtupefaits , &
crierent en chorus au miracle.
Le grand prêtre ramaſſa avecune piété
exemplaire la tignaſſe du chevalier , puis
la frottant fept fois d'huile de palmier ,
la poſa très devotement ſur l'autel de la
Lune. L'on entonna une hymne en fauxbourdon
à l'honneur de la déeffe , & l'on
aſpergea cinq fois le chevalier avec de la
bouze de vache , ſuivant le rituel anamibouin.
Au fignal donné par le grand prêtre ,
parut la naïve Reme , n'ayant d'autre couverture
que la pudeur , pour corſet que la
beauté , & les graces au lieu de cotillon .
Elle tenoit avec majesté une paire de ciſeaux
de Montmirel dans un étui garni de
pinchebec. Le chevalier la contemplant ,
la dévoroit de ſes regards enflammés fans
penfer à fon petit doigt de la main gauche,
qu'on devoit lui faire fauter.
La tendre Reme, après avoir reſpeczueufement
poſé les cifeaux conſacrés à
la Lune fur l'orteil du pied droit de fon
pere , s'inclina vers l'autel de la Lune, &
prononça modeſtement le diſcours fui
vant:
SEPTEMBRÉ. 1770. 59
« Mes pere & mere , parens , amis ,
amans & chers compatriotes lunatiques ,
me croyez vous donc affez inhumaine
pour aller de fang froid couper le petit
doigtà ce bel étranger , que vous ne manqueriez
pas de faire griller tout de ſuite en
l'honneurde la Lune , que vous ſuppoſez
tous avoir un goût décidé pour les viandes
étrangeres rôties; que celaſoit vrai oufaux,
peu m'importe. Remarquez ſeulement
que les dieux ont préſervé du naufrage le
chevalier Ventillak , & cela par une faveur
des plus ſignalées. O vous , qui vous
dites les miniſtres ſacrés de la Lune, vous
ofez vous montrer ainſi plus impitoyables
que la Divinité qu'adore le chevalier.
Je puis le ſauver , la loi eſt poſitive.
Qu'il vive , un petit doigt de plus ou de
moins pour une amante Caraïbe n'eſt rien .
( Ici Reme se coupe le petit doigt , lejette
dans un brafier , & le grand prêtrey jette
en même tems , en pleurant , la perruque du
chevalier. ) Cher François ! c'eſt ainſi
qu'une amante ſincere te fait l'aveu de ſa
flamme. O vous , prêtres cruels , ſouvenez-
vous à jamais que le ſeul moyen de
reſſembler à la Divinité , c'eſt d'être humain
, magnanime , généreux & compatiffant.
Oui , l'unique hommage digne
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
vraiment des auguſtes dieux eſt celui d'un
coeur pur & fincere .>>
Le chevalier Ventillak , enchanté de
tant de grandeur d'ame , pour avoir trop
àdire en cette admirable occaſion , garda
un filence énergique. Son mariage avec
la belle Reme fut à l'inſtant célébré ſuivant
le rit anamibouin , & le bucher aromatique
du François converti en un fea
de joie.
Ce perfide chevalier oublia bientôt le
petit doigt& les charmes de ſa généreuſe
époufe. Il ſe perdit ainſi ; la tendre Reme
qui connoiffoit la rigueur exceſſive des
loix de l'iſte contre les époux inconftans,
dévora long-tems en fecret ſes larmes, &
fit tout au monde pour rappeler vers elle
cet époux volage , mais inutilement ; enfin
ſes ameres douleurs & fon déſeſpoir
extrême trancherent à leur printems la
trame de ſes jours infortunes. Ainſi le
barbare chevalier , qui ne refpiroit que
par la générofité de la trop tendre Reme,
lui donna lâchement pour récompenſe la
mort par ſa funeſte inconſtance. Il comptoit
être quitte de tout pour prendre ſimplement
le deuil de ſa femme ; mais, fuivant
la coutume locale de l'iſle envers les
infidèles maris , il fut rôti & mangé en
SEPTEMBRE. 1770. 61
cérémonie au premier repas public. L'on
ne ſauroit punir trop ſévérement la noire
ingratitude . Ce vice honteux avilit l'ame
& flétrit nos coeurs. Ah ! que d'aimables
&agréables époux ſeroient rótis en Fran-
се, ſi les loix d'Anamibou pouvoient y
avoir lieu !
ParM. Araignon , avocat.
L'Auteur ſe propoſe de donner par ſouſcription
&périodiquement chez Knapen &de la Guette ,
libraires - imprimeurs , au bas du pont St Michel ,
plufieurs volumes de contes philoſophiques dans
desgenres variés .
LA ROSE D'ANCENIS ,
Vers que l'on peut chanter fur l'AIR de
Tendre fruit des pleurs de l'Aurore .
ROSOSEE,, ton deſtineſt l'image
Du fort qu'éprouve la beauté ;
Enelle on voit même avantage ,
En toi même fragilité.
Chez Flore , ſans aucun partage ,
Tu règnes ſur toutes les fleurs;
A labeauté tout rend hommage ,
Sonempire eſt celui des coeurs.
62 MERCURE DE FRANCE .
Audoux printems on te voit naître ,
Pour ravit & charmer nos fens ;
Bientôt l'on te voit difparoître
Sur l'aîle rapide du tems.
Roſe brillante , ta verdure
Embellit encor tes attraits ;
La fimple & légere parure
Ala beauté donne des traits.
Souvent une traîtreſſe épine
Nous rend tes appas moins charmans
D'une belle , l'humeur chagrine
Dépare ainſi les agrémens.
Du Sud les brûlantes carefles
Forcent ton ſein d'épanouir ;
Les feux de la vive tendrefle
Entr'ouvrent ſon coeur au plaifir.
Onvoit fans ceſſe ton feuillage
Frémir au ſouffle du zéphir ;
Unebelle eſt auffi volage
Livrée aux élans du deſir.
Des vents ennemis , un orage
Flétrifſent ton vif incarnat
SEPTEMBRE . 1770. 63
De la fiévre ainſi le ravage ,
D'une belle ternit l'éclat.
Souvent une abeille ſauvage
Butine tes douces faveurs ;
Souvent une belle peu fage
Devient en proie aux ravifleurs.
Roſe , ton parfum nous moleſte
Quand nous le reſpirons trop fort ;
Une belle devient funeſte
Pour qui s'y livre avec tranſport.
Par M. Pinaudier , Abonné au Mercure.
DIALOGUE
Entre COLBERT , RACINE& LEBRUN.
COLBERT.
ENFIN NFIN , je retrouve deux de mes amis.
RACIN
Et deux de vos obligés.
COLBERT.
Hélas ! je marquai le même zèle pour
64 MERCURE DE FRANCE.
toutes les profeffions. Les gens de lettres
parurent ſeuls en être reconnoiſſans .
LE BRUN.
Je vous réponds auſſi des peintres.
COLBERT.
Peut- être Girardon me répondroit- il
auſſi des ſculpteurs , & Manſard des architectes
; mais tout cela ne fait point
nombre dans un état peuplé de vingt mil- -
lions d'habitans.
RACIN E.
Vous ſavez que la deſtinée du grand
nombre eſt d'être toujours éclairée& conduite
par le petit. Le Peuple crioit fous
votre adminiſtration comme il fera fous
celle de bien d'autres . Vous réuniſſez
maintenant tous les fuffrages . Nul homme
en place ne nous intéreſſera jamais
inutilement à fa réputation.
COLBERT.
J'avoue que la mienne eſt bien établie;
mais vous ſavez que je n'épargnai rien
pour mériter vos éloges.
RACINE.
Auſſi ne vous furent-ils point épargnés,
SEPTEMBRE. 1770. 65
Si nul de nous ne ſe fût montré juſte à
votre égard , la France entiere ſeroit encore
injuſte envers vous.
COLBERT.
Il faut convenir que les miniftres ſont
bien matjugés par le Peuple.
RACINE.
Il ne juge guères mieux d'abord ceux
qui perpétuent la réputation des miniſtres .
Notre art eſt , ſans contredit , le plus difficile
de tous les arts. C'eſt pourtant celui
qu'on apprécie le plus légèrement.
Tel qui n'eut jamais les premiers principes
de fa langue maternelle , qui n'en
connut jamais nila marche , ni les finefſes
, ni les reſſources , ni le véritable génie
, juge impitoyablement les meilleures
productions ; profcrit tout ce que fon
ineptie ne lui permet pas d'entendre , &
laiſſe échapper tout ce que la groſſiéreté
de ſon tact l'empêche de ſaiſir. J'ai vu
quelques couplets de Pont neuf ridiculifer
la meilleure de mes tragédies . Ils
étoient dans toutes les bouches , & les
vers de Phédre ne ſe trouvoient dans aucune.
Il eſt vrai que le petit nombre des
connoiffeurs parvint à ramener le grand
nombre des ignorans àſon opinion ; Phè66
MERCURE DE FRANCE.
dre eſt aujourd'hui citée parmi les chefsd'oeuvres
du théâtre ; mais la diſcuſſion
de ce procès fut longue , & je mourus
avant qu'il pût être terminé .
COLBERT.
,
Voilà ce que j'éprouvai moi - même.
Croyez qu'il y a encore moins de connoiffeurs
en politique & en adminiſtration
qu'en littérature. Je trouvai la France
épuisée ; fans induſtrie , ſans marine
fans argent. Il falloit tout créer & j'y
réuffis. J'encourageai les arts , les manufactures
, le commerce. En peu de tems
nos vaiſſeaux couvrirent les deux mers &
nos flottes y rétablirent l'équilibre ; fouvent
même elles y donnerent la loi . La
France devint le magaſin de l'Europe &
lemodèle des autres Etats. Quelle fur ma
récompenſe ? Il avoit fallu puiſer chez la
nation une partie des avances qu'exigeoient
ces établiſſemens. Elle auroit
voulu n'y point contribuer & en recueillir
tous les fruits. Elle regretoit des dépenſes
néceſſaires qui lui procuroient le ſuperflu.
L'étranger me combloit d'éloges & le
François de malédictions. Je n'eus pour
amis que le monarque dont je ſecondois
les grandes vues , & quelques particuliers
dont je mettois au jour les talens. Le ref
SEPTEMBRE. 1770. 67
tede la France en uſoit envers moi comme
un maître impérieux envers ſon économe
: il jouit , ſans examen de l'accroifſement
de ſes revenus , & chicanne toujours
ſur les mémoires.
LE BRUN .
Pour moi , je n'eus qu'à me louer & du
chef , & des grands & de toute la nation.
J'en excepte quelques artiſtes jaloux, à qui
je le rendis bien .
RACINE .
Le grand nombre vous rendoitjuſtice,
parce qu'il n'oſoit pas vous juger.Votre art
tient à des procédés qui ſemblent tenir de
la magie. Il entre encore plus de magie
dans le nôtre ; & tout le monde ſe croit
initié dans nos ſecrets. Quelle peut être
la raiſon de cette circonfpection d'une
part , & de cette préſomption de l'autre ?
C'eſt qu'on ne rougitpoint d'avouer qu'on
n'eſt pas peintre , & qu'on rougiroit d'avouer
qu'on a peu d'eſprit .
COLBERT .
Et voilà encore ce qui ſuſcite aux miniſtres
tant de frondeurs. Tel , qui n'eſt
pas même capable de régir ſa maiſon , ſe
croit propre à gouverner un état . On nous
8 MERCURE DE FRANCE.
juge ſur les détails &non ſur l'enſemble.
On oublie que , dans le jeu d'une grande
machine , le plus habile mechanicien ne
peut donner le même afcendant à toutes
les parties ; qu'il en eſt toujours quelques-
unes dont l'emploi eſt ſubordonné
àd'autres , & que c'eſt de la ſupériorité
de ces dernieres que dépend la force &
l'accord du mouvement général . Chaque
citoyen ſe regarde comme un être iſolé ;
il compte pour rien le corps dont il n'eſt
que ſimple membre. Celui qui ſé croit
tant foit peu léfé ſe plaint; celui qui profite
de nos opérations garde le filence.
Heureux même s'il ne murmure pas comme
les autres .
RACINE .
On ſupporte aiſement les murmures
quand on eſt le maître . Vous l'étiez , ou
du moins , vous n'en aviez qu'un à fatisfaire
, & celui-là vous rendoit juſtice. Ma
deſtinée fut bien différente ; j'eus autant
de maîtres que j'avois d'auditeurs. Vous
faifiez le fort de la multitude , & la multitude
faiſoit le mien. Je fus toujours en
bute à deux partis . D'un côté , l'on me
blâmoit d'avoir fait mon Hippolite
amoureux , & l'on m'eût offlé , de l'autre,
ſi j'en euſſe fait un philoſophe.
SEPTEMBRE. 17701 69
LE BRUN ,
Pour moi , j'ai toujours bravé la mul
titude & ſouvent même les connoiffeurs .
Je ne conſultai que mon génie& je m'en
trouvai bien. J'ai laiſſe plus d'une fois
ſubſiſter des défauts qui ne m'échappoient
pas. Je m'apperçus bien , par exemple ,
que ma fameuſe Madeleine avoit le pied
trop grand . Je pouvoir y remédier , & je
ne daignai pas le faire. On verra , dis- je
alors fièrement , que c'est un homme qui
l'a peinte,
RACIN E ,
C'eſt ce que devroit ſe dire l'homme
de génie dans ſes productions , & l'homme
en place dans ſa conduite. On riſque
d'obtenir peu de fuffrages quand on les
ambitionne tous. C'eſt l'apologue de
Malherbe à Racan. J'aurois vécu plus
heureux ſi j'euſſe été moins ſenſible aux
obfervations .
COLBERT.
J'aurois vécu plus heureux , fi j'euffe
moins ambitionné les éloges.
70 MERCURE DE FRANCE.
LE BRUN.
Je vécus heureux , parce que je me mis
au-deſſus des unes & des autres. Je fus
comblé d'honneurs & de biens durant
ma vie , & l'on m'érigea un ſuperbe tombeau
après ma mort.
RACINE.
Il n'exiſte à ma gloire d'autre monu
ment que mes ouvrages.
COLBERT.
On m'envia preſque l'honneur d'être
enterré.
RACINE.
Le tems a tout remis à ſa place. On
nous rend aujourd'hui juſtice à tous trois .
Le fort des plus grands hommes eſt d'être
toujours mal appréciés de leur vivant.
Le fort du vulgaire ſera de n'admirer
jamais complettement que ce qu'il n'ofe
apprécier .
ParM. de la Dixmerie.
SEPTEMBRE . 1770 . 71
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du Mercure d'Août 1770 , eſt
Château en Espagne; celui de la ſeconde
eſt l'Amour ; celui de la troiſiéme eſt Mule
, chauſſure ; celui de la quatrième eſt
Année. Le mot du premier logogryphe
eſt Mai , où ſe trouve ami. Celui du ſecond
eſt Marron , où se trouvent marron
châtaigne , marron attince , Maron , furnom
de Virgile , marron d'Inde , Marron
le reſte des Maures ou Sarrafins reſtés
dans les Alpes , maron de cheveux , or ,
an , roman. Celui du troiſiéme eſt Cataftrophe
, où ſe trouvent Até, déelle du mal,
Rofe , fator , porte , aftre , Acte , re , or ,
rat , carte à jouer , pâte , afte , crote , roc
port , pré,fara , tort , char , Capet , Aphetor
, haras , carpe , chape , ha , fec , arc ,
chat , capot & trop .
ÉNIGME
Je ſuis au bal , au ſpectacle , à l'églife ,
Tantôt en feu , quelquefois en chemiſe .
Volontiers j'aſſiſte au ſermon ;
,
72 MERCURE DE FRANCE!
Chez le Roi , le Duc , laMarquiſe
Je ſuis au milieu du ſalon ,
Quelquefois je me dépaïſe
Chez le bourgeois du plus haut ton.
Je ſuis deſſus l'habit d'un petit maître ,
Jaloux de briller , de paroître ,
Cen'eſt point là mon ſeul deſtin,
Des maux je ſuis l'origine & la fin .
Trop répété je mis au tombeau votre ancêtre.
Comptez- moi juſqu'à trois , juſqu'à cinq , peut
être ,
Jeune Hébé , je vois ton printems ,
Ces appas encor ſéduiſans
Dont brille la jeuneſſe
A l'âge de quinze ans ;
Paflé cela je mene à la vieilleſſe.
ParM. de Vat.
J
AUTRE .
E dois mon être à plus d'une ſubſtance :
Trois , d'un commun accord , me donnent l'exif
tence.
Jc
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E
Pag. 71 .
73
Septemb
1770 .
*, je ſuis
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Trois , d'ur
SEPTEMBRE. 1770 . 73
Je tiens de celle - ci toute ma fermeté ;
Je dois à celle - là ma flexibilité ;
La troifiéme me ſert à décorer ma tête ,
Etje ne ferois pas , ſans elle , de défaite.
Je ſuis maigre de corps , je ſuis long , je ſuis
court ,
Sans chaîne ni jalons je meſurele cours.
Souvent aux curieux j'envoie une dragée
Qui peut les mettre au lit pour plusd'unejournée.
Je ne ſuis bon à rien , ſi je ſuis en repos ;
Un violent , par moi , peut cauſer de grands
maux.
Si jeſuis nud , alors je n'ai plus qu'un principe ;
Tonlinge meconnoît , il fait que je le fripe.
Devine , ſi tu peux , tu n'avois pas vingt ans ,
Que , déjà , je ſervois à tes amuſemens.
Par Mde Jannet de Laon.
AUTRE ANGLOISE.
T Ihave Ho Large my Belly , yes no Guts
Graſs Jdon't eat , and meat Jnever Crave
My Colour's ſometimes Jirty , fometimes fresh
D
74 MERCURE DE FRANCE.
And Now and then. J'm stuff'e with bones &
flesh
Sake , cave for in my tail J Beara fting.
Can prick&Draw the Blood Like amy thing.
By M. G......
Imitation Françoise.
MÊME forme & même grandeur
Me rendent ſemblable à ma ſoeur.
Dansdes corps affez grands , nous n'avons point
d'entraille ;
Nous ſervons le marquis ainſi que la canaille.
Quoiqu'avec allez d'embonpoint ,
On nous nourrit de peu , car nous ne mangeons
point.
Toujours de chair & d'os notre panſe eſt remplie ,
Et c'eſt pour bien courir qu'on nous donne la
vie:
Mais , malgré notre activité ,
Le mouvement n'eſt pas notre partage ,
Nous avons pour tout appanage ,
Force , noirceur & dureté.
C'eſt trop développer notre être.
SEPTEMBRE. 1770 . 75
Prends garde , ami lecteur , que pour mieux nous
connoître ,
Tu n'approches trop près ; il fort de notre flanc
Unéguillon pointu qui pique juſqu'au ſang.
Par M. A-a de Marseille.
LOGOGRYPHE.
JE ſuis , mon cher lecteur , un meuble très-utile,
Lorſque je ſors des mains d'un ouvrier habile.
Tu me vois rarement chez l'humble payſan ;
Toujours chez le ſeigneur , ſouvent chez l'artifan.
Je ſuis d'un grand ſecours à celui qui voyage,
Et jedonne ſans ceſſe à refléchir au ſage ,
Puiſque j'offre à ſes yeux le terrible moment
Qui réduira ſon corps dans la nuit du néant ;
Pour que tu puifle mieux encor me reconnoître ,
Je vais dans un inſtant décompoſer mon être .
J'exiſte ſur fix pieds , & t'offre tour- à- tour
Un métal précieux , objet de ton amour ;
De tous les élémens celui le plus perfide ;
Une divinité de nos jours fort avide;
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Lemotdont tu te ſers pour défigner quelqu'un ;
Une note , un poiſſon en Provence commun ;
Un ſynonime ancien , un tribunal à Rome.
Te le dirai-je encor , un excrément de l'homme ;
La ville du St Pere , un endroit aëré ,
Et pour finir enfin , un ſiége révéré .
Une fois chaque jour tu me donnes la vie ,
Lecteur , ſi tu me tiens nomme moi , je t'en prie.
Par M. B. ... à Clermont enAuvergne.
AUTRE.
PERCHÉ ſur quatre pieds , ils forment tout mon
être;
Sors de chez toi , lecteur , tu me verras paroître:
Si tu tranches mon chefje n'offre rien de beau ,
Et deviens un objet giſſant dans ton tonneau .
:
Par lemême.
:
SEPTEMBRE, 1770. 77
ÉNIGME LOGOGRYPHIQUE .
FAITE AITE pour contenir un fluide élément ,
Non vraiment ,
Je ne ſerai pas fitôt prête
A recevoir & loger dans mon fein
Un eflaim ;
11 faudroit pour le coup avoir perdu la tête.
:
Par M. Courtat , de Troyes.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Hiftoire des variations des Eglises Proteftantes
; defenfe de cette hiſtoire , avertiffement
aux Proteftans,& inftructions
paftorales ſur les promeſſes de J. C. à
fon Eglife ; par Meſſire Jacques- Benigne
Boſſuet , évêque de Meaux , confeiller
du Roi en ſes conſeils , & ordinaire
en fon conſeil d'état , précepteur
de Mgt le Dauphin , &c. 5 vol.in 12 .
A Paris , de l'imprimerie de L. Cellor,
rueDauphine.
٠
Le grand Boffuet penſoit qu'un des
meilleurs moyens pour ouvrir les yeux
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
aux Proteftans étoit de leur faire connoître
l'origine & le progrès de leur religion
prétendue réformée. Les variations dont
il fait l'hiſtoire ne ſont pas celles des docteurs
particuliers , mais celles des Égliſes
entieres. Ces variations ſe trouventdans
leurs confeffions de foi & dans tous
leurs autres livres qu'ils appellent ſymbo.
liques. La nouvelle édition de l'hiſtoire
de ces variations eftaugmentée d'une préface
très bien faite & très- inſtructive
contenant l'hiſtoire littéraire des ouvrages
de M. Boſſuer. L'éditeur donne une
idée juſte & ſubſtantielle de la doctrine
renfermée dans ces ouvrages , & procure
par ce moyen aux lecteurs l'avantage de
les lire avec plus d'intérêt & de tirer de
cette lecture plus d'utilité . Cette nouvelle
édition eſt encore enrichie de la
défenſe des variations , d'un avertiffement
laiſſe imparfait par M. Boffuet , &
de deux inſtructions pastorales du même
fur les promeſſes de J. C. à fon Églife ,
ouvrage traitant les mêmes matieres que
l'hiſtoire des variations . Cette nouvelle
édition doit donc être regardée comme
ſupérieure à toutes celles qui ont paru ;
elle a d'ailleurs été revue ſur un exemplaire
corrigé par M. Boſſuet lui- même .
SEPTEMBRE. 1770. 79
Leçons de Mathématiques ; par M. l'Abbé
de la Caille , de l'académie royale des
ſciences , de celles de Peterſbourg , de
Berlin , de Stockholm , de Gottingue ,
& de l'inſtitut de Bologne; profeſſeur
de mathématiques au collége Mazarin.
Nouvelle édition , augmentée de
la réſolution des problêmes indéterminés
, d'une introduction à la théorie
des équations des degrés ſupérieurs ,
de la méthode inverſe des ſéries , du
calcul analytique des logarithmes , de
nouveaux élémens de géométrie , de
trigonométrie &de ſections coniques ,
de la defcription de pluſieurs autres
courbes , & des principes du calcul
différentiel & du calcul intégral . Par
M. l'Abbé Matie , de la maifon & fociété
de Sorbonne , cenſeur royal , ancien
profeſſeur de philofophie au col .
lége du Pleſſis , profeffeur de mathématiques
au collége Mazarin ; volume
in- 8°. A Paris , chez Defaint , libraire,
sue du Foin.
Les élémens de mathématiques du favant
Abbéde la Caille devenusplus complets
par les ſoins de M. l'Abbé Marie ,
feront d'une utilité encore plus étendué
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
& en même-tems plus fatisfaiſante pour
ceux qui s'adonnent à l'étude des ſciences
abſtraites. Les démonstrations qui exigent
un peu de contention d'eſprit font
dans cette édition imprimées en petits caracteres
, enforte que ceux qui ne veulent
apprendre que les premiers élémens des
mathématiques peuvent ſe borner à cequi
eſt en gros caractere .
د
Vie de Nicolas Claude Peireſc , conſeiller
au parlement de Provence ; où l'on
trouve quantité de choſes curienfes
concernant la phyſique , l'hiſtoire &
l'antiquité. Par M. Requier , vol. in-
12. A Paris , chez Muſier pere , libraire
, quai des Auguſtins , à l'olivier ;
Saillant & Nyon , rue St Jean- de-Beauvais
, & Deſſaint , rue du Foin .
Peireſc , mort en 1638 , âgé de cinquante-
fix ans , étoit un bon phyſicien ,
un littérateur profond , un ſavant verſé
dans la connoiffance de toutes les antiquités
, & ce qui est encore plus précieux
un citoyen bienfaiſant & plein de zèle
pour le progrès des ſciences & des arts.
Tous les ſavans ſes contemporains entretenoient
avec lui une correſpondance directe
, & la vie de cet homme illuftre
SEPTEMBRE. 1770. 81
peut être regardée en quelque forte comme
une histoire littéraire de ſon ſiècle.
M. Requier l'a compoſée d'après celle
queGaffendi nous a laiſſée en latin. Lorfqu'on
a lu cette vie de Peireſc on eſt
moins étonné que ce ſavant , quia laiflé
beaucoup de manufcrits , n'en ait terminé
aucun. Les différentes ſciences qu'il
cultivoit à la fois étoient pour lui autant
de maîtreſſes impérieuſes qui lui déroboient
tous ſes momens. Fort curieux de
connoiffances phyſiques , il voyoit fréquemment
le médecin Jean Dortoman ,
homme d'un rare ſavoir. Ce médecin fir
part à fon ami d'un fait qui doitun peu
troubler ceux qui , ignorant tous les jeux
de la nature , cherchent à combattre la
poſſibilité des naiſſances tardives. Dortoman
apprit à Peireſc , qu'il venoit de
confulter pour une femme de Beaucaire
groffe de vingt- trois mois. «Cette fem
» me qui est à ſon ſecond mariage ,
>> ajouta- t- il , a eu, du premier, quelques
>> enfans au terme ordinaire. Elle en a
>> eu , du ſecond , trois , dont un de onze
>> mois , un de quatorze , un de dix- huit;
» &, comme ces trois accouchemens, qui
>> ont été dangereux , lui font conjecturer
>> que le quatrieme le ſera beaucoup , elle
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
>> confulté les médecins . » La femme
dont Dortoman rapportoit l'hiſtoire , accoucha
peu de tems après d'un enfant qui
avoit des dents & des cheveux , & elle
obtint de fon mari qu'il ne la verroit
plus.
Au mois de Juillet 1608 , les habitans
de la ville d'Aix furent effrayés d'une
prétendue pluie de ſang tombée au commencement
de Juillet. On ſe rappeloit
alors la pluie de ſang que Gregoire de
Tours dit être tombée en divers endroits
de Paris& fur une maiſon du territoire
de Senlis du tems deChildebert. Peireſc
en phyſicien éclairé , rejetta l'opinion
du vulgaire & de quelques théologiens
qui vouloient que cette pluie fut l'ouvrage
des ſpectres&desdemons. Une chryfalide
qu'il avoit miſe depuis quelques
mois dans une boëte , lui donna l'explicationde
cette eſpéce de phénomène . Il
avoit oublié cette chryfalide lorſqu'il entendit
un bruiſſement dans la boëte où
elle étoit renfermée ; il ouvre cette boëte
&trouve l'infecte qui , de chenille , étoit
devenu très - beau papillon. Ce papillon
s'envola & laiſſa une goute rouge aflez
large. Or , comme ceci eut lieu vers le
commencement de Juillet, ainſi que la
SEPTEMBRE. 1770 . 83
prétendue pluie de fang , & que dans le
même tems on obſerva une multitude incroyable
de papillons qui traverſoientles
airs , Peireſc jugea que ces infectes , ſe
repoſant par intervalles ſur les murailles ,
yavoient laiſſé les goutes qu'on y voyoir,
pareilles en grandeur à celle de ſa chryfalide.
Ayant fait en conféquence de nouveau
ſon obſervation ſur cette mêmepluie,
il reconnut que les goutes ne ſe trouvoient
ni fur les toits ni ſur l'uni des pierres
, comme cela auroit dû arriver s'il
avoit réellement plu du ſang , mais dans
les trous où les infectes avoient niché ,
ſelon toute apparence ; que ce n'étoit pas
les murailles ſituées au milieu des villes
qui ſe trouvoient teintes , mais les murailles
voifines de la campagne ; qu'enfin
elles l'étoient ſeulement à une moyenne
hauteur , telle que celle à laquelle les papillons
volent d'ordinaire.
Le goût de Peireſc pour les médailles
&pour les antiquités lui fit faire pluſieurs
heureuſes découvertes en cegenre; c'eſt lui
qui , le premier , a fait connoître que l'agathe
orientale de la Ste Chapelle de Paris
ne repréſentoit point l'hiſtoire de Jofeph
régnanten Egypte, mais l'apothéoſe d'Auguſte.
Il engagea le célèbre Rubens à en
Dvj
$4 MERCURE DE FRANCE.
faire un tableau qui a été gravé à Anvers
par Vorſterman .
Peireſc recueilloit avec empreſſement
les médailles , les cachets , les armoiries,
les diplomes & les inſcriptions. Il les regardoit
comme des témoins incorruptibles
de l'hiſtoire dont il préféroit l'étude
à celle de la philofophie. Celle - ci , difoit
- il , inſtruit par les difcours , mais
l'hiſtoire enflamme par les exemples. Elle
nous donne moins de regret ſur la briéveté
de la vie ; elle prolonge en quelque
forte nos jours en nous rendant participant
des événemens & des âges paffés .
On s'eſt appliqué dans cette vie de Peirefc
à nous faire connoître les vertus de
ce ſavant , à nous peindre ſes moeurs, fon
caractere de bienfaiſance ; mais c'eft principalement
dans les lettres qu'il adreffoit
aux écrivains de fon fiécle que fon
ame ſe déploie avec le plus de candeur.
Il ne ceſſe d'avertir les gens de lettres de
ſe défendre de ces querelles indécentes
qui les rendent le jouet d'un public, tou- .
jours prêt à ſe venger , par un ris mocqueur
, de ceux qui ont forcé ſon eſtime.
Il recommande fur-tout à ceux qui , après
la vertu , comptent la gloire pour le plus
grand des biens , de s'appliquer plutôtà
SEPTEMBRE. 1770 . 85
produire , qu'à détruire les productions
des autres. Il regardoit la critique conume
un ridicule de plus dans celui qui ne s'étoit
pas mis par fes ouvrages au- deſſus des
écrivains qu'il critiquoit.
,
Inſtituts de Chymie de M. Jacques Reinbold
Spielmann , docteur en philofophie&
en médecine , profefleur public
ordinaire en chymie , en botanique &
en matiere médicale dans l'univerſité
de Strasbourg , afſocié des académies
impériales des Curieux de la Nature &
de Petersbourg , de celles de Berlin
de Mayence & de Heydelberg, & chanoine
du chapitre de St Thomas ; traduits
du latin, ſur la ſeconde édition ,
par M. Cadet le jeune , ancien apothicaire
major de l'hôtel royal des Invalides;
2 vol . in- 12 . A Paris , chez Vincent
, imprimeur- libraire , rue Saint-
Severin.
L'Allemagne a été long-tems la meilleure
école de Chymie de l'Europe. Le
nombre de ſes chymiſtes eſt encore le
plus confidérable. Cependant il eſt facile
de ſe convaincre , d'après beaucoup de livres
de chymie allemande traduits nowvellement
, que nous n'avons rien à leur
86 MERCURE DE FRANCE.
envier du côté de l'érudition , & que le
fonddes connoiſſancesde quelques- uns
de nos chymiſtes François eſt beaucoup
plus riche , plus fécond en expériences
bien faites & concluantes. L'ouvrage de
M. Spielmann n'eſt certainement pas fans
mérite. L'auteur l'a entrepris dans la vue
de le préſenter à ſes élevés & de le faire
ſervir de guide dans les leçons qu'il leur
donne. Ce font des eſpéces d'élémens de
chymie faits d'après les chymiſtes de tous
les âges , tels que Geber , Avicenne, Raimond
Lulle , Bafile Valentin , Ifaac le
Hollandois , Tachenius , &c. L'auteur a
joint à la fin de fon ouvrage un catalogue
des livres &des auteurs qu'il a conſultés.
La plupart des procédés qu'il donne font
extraits d'anciens chymiſtes. Il eſt glorieux
pour M. Spielmann d'avoir ſçu les .
défricher ; car ils font tous ſi obfcurs qu'il
faut s'armer de courage & de patience
pour vaincre ledégoût & l'ennui queleur
lecture inſpire. Quoiqu'il en ſoit,ces inftituts
ont le mérite de préſenter une forte
d'hiſtoire de la chymie que M. Spielman
diviſe en dix claſſes d'opérations , la
diffolution , l'extraction , la fufion , la
diftillation , la fublimation , la calcination
, la précipitation , la réduction , la
SEPTEMBRE. 1770 . 87
vitrification & la fermentation . Chaque
claſſe eſt ſubdiviſée en paragraphes contenant
les généralités de la doctrine chymique
des auteurs que nous venons de
citer.
L'étude de l'ancienne chymie qui n'eſt
pas rectifiée par celle de bons élémens de
chymie moderne beaucoup plus méthodique
, fondée ſur des expériences mieux
ſuivies , plus expérimentale & par conſéquent
plus lumineuſe , doit néceſſairement
jeter l'écrivain dans des définitions
obfcures & embarraſſées , & même dans
pluſieurs erreurs ; c'eſt auſſi ce qui eſt arrivé
à M. Spielman & à fon traducteur
qui a cherché à éclaircir le texte par des
notes. Nous citerons quelques exemples
de ces erreurs tirées ſeulement du premier
volume. Si le traducteur , par exemple
, eût confulté les élémens de pharmacie
de M. Baumé , pag. 163 & fon manuel
de chymie , pag. 431 , il auroit vu
que l'alkali fixe n'eſt pas toujours le produit
du feu; que le coronafotis fournit de
l'alkali fixe ſans combustion , & que le
petit lait en fournit également. Cependant
dans une note, pag. 158 , le traducteur cite
le coronafolis parmi les plantes nitreuſes
dont il parle , comme contenant plus de
88 MERCURE DE FRANCE.
nitre que les autres , & il ne dit rien de
l'alkali fixe que le bois de la tige de cette
plante contient abondamment.
A la page 231 , M. Spielmann donne
un procédé pour retirer le ſel qui ſe trouve
mêlé aux roches ou aux terres métalliques.
Il recommande de les calciner dans
une cornue ouà feu nud ; & à la pag . 232 ,
il dit que c'eſt de cette maniere qu'on ſépare
les vitriols , l'alun , le nitre & le ſel
commun. Le nouveau dictionnaire de
chynie & tous les livres élémentaires de
cette ſcience lui auroient appris que le
nitre ne peut être traitéde cette maniere ,
attendu qu'il ſe décompoſe par le contact
du phlogiſtique & qu'il ne reſte que de
Palkali fixe .
A la page 117 , le traducteur rapporte
cette obſervation , que de l'eau qui avoit
Séjourné dans une fontaine de plomb
avoit formé du ſelde Saturne ; il auroit
dû dire du vitriol de plomb & nondu fel
de Saturne , parce que ce dernier ſel ne
peut être formé que par la combinaiſon du
vinaigre avec le plomb.
Code matrimonial, ou recueil complet de
toutes les loix canoniques & civiles de
France , des diſpoſitions des conciles ,
SEPTEMBRE. 1770 . 89
des capitulaires , ordonnances , édits
& déclarations ; & des arrêts & reglemens
de tous les parlemens & tribunaux
fouverains , rangés par ordre alphabétique
, ſur les queſtions de mariage
. On y a joint la notice des auteurs
les plus célèbres fur ces mêmes queftions&
des recherches fur les naiſſances
tardives ; ouvrage néceſſaire aux
prélats , curés& vicaires , aux jurifconfultes&
à tous ceux qui ont à décider
des queſtions de mariage. Nouvelle
édition , par M. *** , avocat au parlement
; 2 vol . in 4°. A Paris , chez
Hériflant fils , libraire , rue St Jacques.
Comme le mariage eſt reglé parmi
nous par les diſpoſitions canoniques &
les loix civiles , ce code matrimonial ,
beaucoup plus riche & plus complet que
ceux qui l'ont précédé , fait d'abord connoître
les canons & les regles de la diſcipline
eccléſiaſtique reçue en France ſur le
mariage ; c'eſt l'objet de la premiere partie.
La ſeconde contient les loix de la
puiſſance civile en France ſur le mariage.
On trouve dans la troiſiéme différens arrêts
, réglemens & déciſions de cours fouveraines
fur les queſtions de mariage .
Ainſi les curés & vicaires , les jurifcon१०
MERCURE DE FRANCE .
ſultes & tous ceux qui font obligés de
prononcer ou de confulter ſur les queftions
de mariage , auront également l'avantage
d'avoir ſous les yeux toutes les
loix relatives à ces queſtions , & les déciſions
qui ont interpreté les loix . La maniere
dont ces déciſions font recueillies
&rapprochées donnera en même - tems
la facilité de connoître les motifs qui les
ont déterminées , de les comparer avec
les déciſions contraires , s'il s'en trouve ,
de diſtinguer la jurisprudence conftante
d'avec ce qui ne forme que des préjugés
douteux , la jurisprudence ancienne , &
quine ſubſiſteplus,d'avec lajuriſprudence
actuellement obſervée.
Le Voyageur François , ou connoiſſance
de l'ancien& du nouveau Monde , mis
au jour par M. l'Abbé de la Porte ;
Tomes XI & XII . A Paris , chez L.
Cellot , imprimeur-libraire , rue Dauphine.
Le Voyageur François eſt un ami com .
plaifant qui a ſoin d'écarter de la route
de ceux qui veulent voyager avec lui,tout
ce qui pourroit leur faire appercevoir la
longueur du voyage. Il ne préſente à ſes
lecteurs que ce qui peut les inſtruire ou
SEPTEMBRE. 1770 . 91
exciter leur curioſité. Il leur fait parcourir
aujourd'hui l'iſle de St Domingue , les
Antilles , la Guiane , la Terre- Ferme , le
Perou , le Chili& les Terres Magellaniques.
Perſonne n'ignore que ce futChriftophe
Colomb qui , à l'aide de la boufſole
, nous ouvrit le Nouveau Monde &
découvrit le premier l'ifle de St Domin
gue , appelée Hayti lorſque Colomb y
aborda . Le Voyageur François nous donne
au commencement de ſon onzième
volume , l'hiſtoire de ce fameux navigateur
, dont le courage fut d'autant plus
grand qu'il eut àvainere les préjugés de
fes contemporains &àeffuyer les refus de
tous les princes. La cour d'Eſpagne qui
confentit enfin au bien que Colomb vouloit
lui faire , ne lui accorda cependant les
ſecours qu'il demandoit qu'après huit ans
de follicitations. Lorſque ce navigateur
annonçoit un nouvel hémisphère , on lui
foutenoit qu'il ne pouvoit exiſter ; &
quand il l'eut découvert , on prétendit
qu'il l'avoit été long-tems avant lui. Ceux
qui ne lui conteſtoient point cette découverte
cherchoient à en diminuer le mérite
, en la repréſentant comme facile . La
réponſe de Colomb eſt célèbre : il propoſa
à ſes envieux de faire tenir un oeuf de
92 MERCURE DE FRANCE.
:
bout ſur une affiette. Aucun d'eux n'ayant
réufli , il caffa le bout de l'oeuf & le fit
tenir. Cela étoit bien aifé , dirent les
>>aſſiſtans ; que ne vous en aviſiez vous
»donc , répondit Colomb. >> رو
,
En parcourant les vaſtes contrées de
l'Amérique , habitées par des ſauvages
on voit par tout les préjugés & la ſuperſtition
, compagne de l'ignorance , gouverner
ces nations. Les habitans de l'Orenoque
, avant de marier leurs filles , les afſujettiſſent
pendant fix ſemaines à un jeune
ſi rigoureux , que le jour de leur noce
elles reſſemblent plutôt à des ſquelettes
qu'à dejeunes mariées. Ils difent pour raiſonque
lorſqu'elles étoientdans leursjours
critiques elles corrompoient tout ce qu'el.
les touchoient. Pour éviter un pareil
danger & remettre ces filles bien pures
entre les mains de leurs futurs époux , on
les renferme , & on ne leur donne que
trois dattes par jour , trois onces de caffave
& de l'eau. La nuit qui précéde le
mariage eſt employée toute entiere à
peindre & à emplumer le corps de ces
momies. Dès que le ſoleil paroît , une
troupe de muſiciens & de danſeurs , au
ſondes inſtrumens , font pluſieurs fois le
tour de la maiſon. On leur préſente un
F
SEPTEMBRE . 1770 . 93
plat de viande; ils le prennent, s'enfuient
dans lesbois& le jettent à terre , en criant ,
Tiens , prends cela , chien de demon, &
laitfe- nous tranquilles pour aujourd'hui.
Ils reviennent enſuite couronnés de fleurs ,
tenant un bouquet d'une main,& de l'autre
des ſonnettes. Alors la mariée paroît ,
mais dans un état à faire compaſſion ,
après quarante jours d'abſtinence & une
nuit ſans avoir fermé l'oeil. A côté d'elles
marchent deux vieilles femmes qui pleurent
& rient , chantant alternativement
des couplets relatifs à la fête .
Pluſieurs de ces Indiens regardent comme
un très - grand deshonneur pour les
maris , que leurs épouſes mettent au monde
deux enfans à la fois. Cette folie va ſi
loin, que les autres femmes , fans penfer
qu'il peut leur en arriver autant , ſe rendent
chez l'accouchée pour ſe moquer
d'elle. Elles lui diſent qu'elle eſt parente
des fouris , qui font leurs petits quatre à
quatre . Ce qu'il y a d'affreux , c'eſt qu'une
mere qui vient d'être délivrée d'un enfant
, & qui en attend un ſecond , enterre
au plutôt le premier , pour ne point être
expoſée à la raillerie de ſes voiſins & aux
reproches de ſon mari qui ne peut pas
croire que ces deux enfans ſoient de lui,
:
94 MERCURE DE FRANCE.
Il enreconnoîtun pour le ſien & regarde
l'autre comme le fruit de l'infidélité de
ſa femme. Aufſi , dès qu'elle eſt relevée
il la fait venir devant la porte de ſa cabanne
; & après l'avoir blânée publiquement
de ſa mauvaiſe conduite , il prend
un faiſceau de verges , & la fouette jufqu'au
fang , exhortant tous les maris à
ſuivre ſon exemple en pareil cas.
Chez ces mêmes Indiens , dès que la
ſaiſon des labours eſt arrivée , on range
par file les jeunes gens , & des vieillatds,
armés de fouets , font tomber , fur leurs
épaules nues , une grèle de coups qui fouvent
leur enlevent la peau . Un miſſionnaire
leur demanda un jour quelle faute
les coupables avoient commiſe. Aucune ,
lui répondit un vieillard; mais, comme le
tems eſt venu d'arroſer & de nettoyer la
terre pour y ſemer du maïs , nous ôtons,
avec ces fouets la pareſſe à cette jeuneſſe
qui , fans cela , reſteroit dans l'indolence.
Lorſque l'on voit chez les différentes
peuplades de ſauvages le ſexe le plus foibleoutragé
, on est obligé de reconnoître
queles femmes doivent moins à leurs charmes
qu'aux progrès de nos connoiffances&
à cettehumanité que les ſciences & les arts
inſpirent , le bien être dont elles jouiffent
SEPTEMBRE. 1770. 95
chez les nations policées de l'Europe.
Écoutons une femme ſauvage de la Guiane
. Le plus grand bonheur , felon elle
qu'une mere puiſſe procurer à ſa fille eſt
de la faire mourir dès l'inſtant qu'elle voit
le jour. Un miſſionnaire reprochoit à une
Indienne cette inhumanité. Elle l'écouta
d'abord fans lever les yeux ; & lorſqu'il
eut ceffé de parler , elle lui dit : Pere, ſi
>> tu veux le permettre je t'avouerai ce que
>> j'ai dans le coeur. Plût-à-Dien que ma
» mere , en me mettant au monde , eût
>> eu aſſez de compaffion &d'amour pour
> moi pour m'épargner les peines quej'ai
> endurées juſqu'à préſent ,& que j'aurai
>> encore à fouffrir juſqu'à la fin de mes
>> jours. Repréſente - tot bien , Pere , les
>> maux auxquels une femme eſt ſujette
» parmi nous . Nos maris vont à la chaſſe
» avec leurs arcs & leurs Aéches , & c'eſt
>>à quoi ſe borne toute leur fatigue ;
>> nous , au contraire , nous y allons char-
>> gées d'une corbeille , d'un enfant qui
>> pend à nos mammelles , & d'un autre
>> que nous portons dans ce panier. Nos
» hommes vont tuer un oiſeau ou un
>> poiffon ; & nous , nous béchons la terre
» & fupportons tous les travaux du ména-
" ge. Ils reviennent le foir fans aucun
96 MERCURE DE FRANCE.
>> fardeau ; & nous , outre celui de nos
> enfans , nous leur apportons des raci-
» nes & du maïs. En arrivant chez eux ,
>> ils vont s'entretenir avec leurs amis ;
»& nous allons chercher du bois & de
>>l'eau pour leur préparer à fouper. Ont-ils
>>mangé, ils ſe mettent à dormir ; au lieu
• que nous paflons preſque toute la nuit
» à faire leur boiſlon : & à quoi aboutif-
» ſent toutes nos veilles ? ils boivent &
>> s'enivrent ; & tous hors d'eux-mêmes ,
" ils nous rouent de coups de bâtons ,
>> nous traînent par les cheveux & nous
>> foulent aux pieds . Ah ! Pere , plût à-
» Dieu que ma mere m'eût enterrée dès
>> l'inſtant qu'elle m'a miſe au monde !
» Tu fais toi-même que nous nous plai-
>> gnons avec raifon , puiſque tu vois ,
>>>tous les jours la vérité de ce que je
>> viens de te dire ; mais tu ne connois
>> pas encore notre plus grande peine !
>> qu'il eſt triſte de voir une pauvre In-
>> dienne ſervir fon époux comme une
>> eſclave , aux champs accablée de ſueur,
» & au logis privée de ſommeil , tandis
» que ce mari , dédaignant ſa premiere
>> femme , prend au bout de vingt ans de
» mariage , une épouſe plus jeune , qui
>> bat mes enfans & nous maltraite nous-
>>mêmes
SEPTEMBRE. 1770. 97
» mêmes. Si nous ofons nous plaindre ,
>> on nous impoſe ſilence avec un fouet .
>> Une mere peut - elle procurer un plus
>>grand bien à ſa fille , que de l'exempter
>> de toutes ces peines ,&de la tirer d'une
>> ſetvitude pire que la mort ? Plûr-à-
>> Dieu , Pere , je le répéte , plût-à Dieu,
» que celle qui m'a donné la vie , m'eût
>> témoigné fon amour, en me l'ôtant dès
>> ma naiſſance ! Mon coeur auroit moins
>> à fouffrir , & mes yeux moins à pleu-
» rer. "
LaGuiane nourrit beaucoup de finges ,
& ces animaux font des ennemis contre
leſquels les Sauvages doivent être toujour
en garde. Ils viennent en grand
nombre & en filence dans les campagnes
ſemées de maïs . Ils examinent du haut
des arbres s'il n'y a perſonne dans les
environs . Ils laiſſent un de leurs camarades
en fentinelle dans un lieu élevé , ſe
répandent dans les champs & emportent
chacun cinq épis , un dans la bouche
deux ſous lesbras & un dans chaque main.
Si , dans ce moment , un homme paroît ,
celui qui fait le guet crie ; & tous les autres
ſe ſauvent , mais fans jamais lâcher
ce qu'ils ont volé : ils ſe laiſſeroient plû
tôt aſſommer que de s'en deſſaiſir. Cette
E
,
98
MERCURE DE FRANCE.
opiniâtreté a fait imaginer un moyen fingulier
de les prendre. On met dans la
campagne des bouteilles de terre , dont
le col eſt étroit ; & on les remplit de maïs .
Les ſinges arrivent , les examinent , enfoncent
le bras pour prendre ce qu'il y a
dedans , & rempliffent leurs mains qu'ils
ne peuvent plus retirer. Ils font des efforts
inutiles , & jettent des cris de déſeſpoir
, mais fans vouloir lâcher prife.
Ces cris avertiſſent les Indiens , qui viennent
avec des bâtons ; & ces animaux avides
ſe laiſſent tuer plutôt que d'abandonner
leur proie en ouvrant la main.
Les peuplades de la Guiane ſont peu
confidérables. En parcourant , avec notre
voyageur , les autres contrées de l'Amérique
, on remarque que la population
n'eſt jamais nombreuſe chez les Sauvages
, parce que la population n'accroît
qu'en raiſon de la ſageſſe ou de la bonté
du gouvernement & des loix ; or , chez un
peuple errant & vagabond , il ne peut y
avoir ni loix ni gouvernement. On n'a
trouvé en Amérique d'habitans nombreux
que dans le Mexique & le Perou , c'eſt àdire
chez des nations policées & confé--
quemment fédentaires.
SEPTEMBRE. وو . 1770
Plan d'Education publique , vol . in - 12 .
A Paris , chez la Veuve Duchefne , rue
St Jacques , au Temple du Goût.
L'éducation privée doit- elle obtenir la
préférence ſur l'éducation publique ? Si
cette derniere éducation eſt portée à ce
degré de perfection dont elle eſt fufceptible
& dont un eſtimable écrivain , M.
l'Abbé Coger , expoſe le plan dans l'ouvrage
que nous annonçons , la queſtion
fera bientôt décidée. L'auteur , pour rendre
ſon ouvrage auſſi utile qu'il le peut
être , s'eſt familiariſé de bonne heure
avec tous les écrivains qui ont traité cette
matiere importante. Il a profité de leurs
obſervations , mais en homme inſtruit ,
éclairé , & qui fait diſcuter le pour & le
contre avec autant d'eſprit que de ſagacité.
Quand on refféchit , dit M. l'Abbé
Coger , ſur l'homme naiſſant ; la premiere
idée qui ſe préſente , c'eſt qu'il eſt compoſé
de corps & d'ame. La ſeconde , c'eſt
que ſes facultés corporelles & fpirituelles
demandent à ſortir de l'engourdiſſement
où la nature , qui ne fait rien tout- à- coup,
les produit. De- là deux parties dans l'éducation
; celle qui regarde le corps , c'eſt la
partie phyſique ; l'autre a l'ame pour ob
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
jet , c'eſt la partie morale. C'eſt de ces
deux points de vue qu'il faut tirer toutes
les lignes qui forment le plan d'éducation
tracé dans cet ouvrage , & comme l'éducation
dépend beaucoup de la conſtitution
des colléges , l'auteur examine dans
une troiſième partie quelle doit être cette
conftitution .
La partie phyſique & la partie morale
de cet ouvrage font traitées avec autant
d'agrément que d'utilité. Lorſque l'auteur
parle de la premiere , il ne néglige aucun
des foins néceſſaires à la ſanté. Il vou.
droit que l'on accoutumât de bonne heure
les enfans à ſupporter également les ardeurs
de l'été & les frimats de l'hiver. Le
chancelier Bacon prétend , dans fon
traité de la vie &de la mort , que les viciffitudes
de l'air ſont les principales cauſes
de la deſtruction des êtres vivans. II
eſt donc eſſentiel d'armer l'homme contre
ces ennemis inévitables. L'honnêteté
publique preſcrit ſans doute à l'homme
civiliſé de ſe vêtir. La nature ne l'avoit
pointdit.Voilàpourquoi l'on a trouvé tant
de peuples fauvages dans une abſolue nudité&
d'une ſanté vigoureuſe. Mais , s'il
faut ſe couvrir , il n'eſt pas néceſſaire de
ſe charger. Vous ne voulez pas que cet
SEPTEMBRE. 1770 . ΙΟΙ
enfant fouffre du froid : vous l'habillez
chaudement aux approches de l'hiver.
Que ferez- vous dans la rigueur de la faifon
? Vous l'accablerez. Vos ſoins malentendus
le rendront bien plus ſenſible.
C'eſt l'habitude qui décide du plus ou du
moins de ſenſibilité. Quoi de plus délicat
que cette jeune beauté , qui ne reſpire
que pour plaire ? Demandez - lui fi la
nudité des charmes qu'elle peut montrer
lui cauſe de la douleur. Le philofophe
Scythe , qui alloit nud au milieu des frimats
, avoit raiſon de dire : Je ſuis tout
visage.
On connoît affez les qualités qu'un
corps bien conſtitué doit avoit ; mais on
croit qu'il faut que la nature nous les donne.
L'art de les acquérir eſt entierement
oublié ; & c'eſt cet art d'exercer la force
& l'adreſſe que l'auteur cherche ſur- tout
à rappeler ici . Lorſqu'Anacharſis voyoit
les jeux des Lutteurs Athéniens , à quoi
fervent, diſoit-il , ces combats, ces coups,
ces contorſions , ces efforts violens ? A
faire naître la vigueur & l'adreſſe , répondoit
Solon. Anacharſis ſe moquoit auffi
des couronnes d'olivier , de pin , d'ache ,
qui étoient le prix de la victoire. C'eſt
que tu ne vois pas , reprenoit le légifla-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
teur , les grands biens qui font entrelacés
dans ces couronnes. Si ces jeunes gens ,
pour une couronne d'ache,ſe portent avec
tant d'ardeur aux exercices gymnaſtiques,
que ne feront- ils pas pour la défenſe de la
patrie , de leurs femmes ,de leurs enfans
& pour l'immortalité ? L'auteur préſente
une eſquiſſe de la lute ancienne,à laquelle
on peut faire des changemens , des additions
ou des retranchemens ; mais il conſeille
d'en retenir le fond. Nous ne pouvons
fuivre l'auteur dans tout ce qu'il nous
dit fur la natation , l'équitation , l'exercice
, la danſe, &c. Platon , en parlant des
jeux qu'il deſtinoit aux enfans de farépublique
, y met une importance qui étonne
les lecteurs frivoles. C'eſt que Platon
voyoit en philofophe politique ; & c'eſt
le propre du vrai génie , de produire de
grands effets par de petits moyens.
L'éducation morale forme la ſeconde
partie de ce bon ouvrage . La nature de
P'ame étant pius cachée que celle du corps,
l'éducation morale eſt un ouvrage beaucoup
plus difficile que l'éducation phyſi .
que. Pour foriner l'homme moral , il faut
éclairer fon eſprit& placer la vertu dans
fon coeur. Si l'éducation ne faifoit rien
l'homme ſeroit moins perfectible que la
SEPTEMBRE . 1770. 101
brute qu'on affouplit par la difcipline .
Lorſque les Lacédémoniens n'étoient pas
encore perfuadés de l'énergie de l'éducation,
Lycurgue leur préſenta deux chiens,
nés du même pere & de la même mere ,
mais élevés différemment , l'un glouton
&libertin, l'autre diſcipliné pour la chaf
fe . On apporta un plat de viande & un
liévre vivant. Le premier ſe jeta à la mangeaille
; l'autre courut au liévie. Ces Lacédémoniens
n'étoient pas invincibles ;
mais, dans leur défaite même, ils étoient
encore redoutables par la force de leur
éducation : Philopemen en étoit pénétré ,
lui qui les contraignit d'abandonner la
maniere d'élever leurs enfans , fachant
bien que fans cela ils auroient toujours
l'ame grande& le coeur haut. Mais enfin
ceuxqui rejettent le bien ou le mal fur la
trempe des ames , ne nient pas du moins
qu'on ne puiſſe éclairer l'eſprit de l'homme
par des connoiffances utiles. L'auteur
en fait le choix. Il cherche enfuite les
moyens de placer la vertu dans le coeur
des élèves.
Aces deux parties de l'éducation, l'une
phyſique , l'autre morale , doit répondre
une conſtitution de colléges qui puiffe
mettre en mouvement tous les reffortsde
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
l'éducation ; & conféquemment cette
conftitution préſente deux rapports , l'un
au phyſique , l'autre au moral. C'eſt l'objet
de la troifiéme partie de ce bon ouvrage
qui , ainſi que les deux premieres ,
doitêtre lue& méditée .
Si , écartant les préjugés & les autres
obſtacles qui arrêtent encore parmi nous
les progrès de l'éducation , nous adoptons
le plan propoſé par l'eſtimable auteur de
cet écrit , les François pourront alors ſe
rappeler ce que diſoient les Grecs à Xenophon
, dans leur retraite à jamais célèbre
: « Nous avons des corps plus robuf-
>> tes , plus endurcis à la peine que ceux
>> des Perſes , qui nous pourſuivent : nous
>> avons auſſi des anies plus fortes , plus
» généreuſes . La victoire doit être conf-
>> tamment pour nous. » Ces braves gens,
par l'énergie de l'inſtitution , étoient encore
en état de rendre tout autre ſervice
à leur patrie.
Les Baifers , précédés du mois de Mai ,
poëme; vol . grand in- 8 ° . imprimé ſur
papier de Hollande & orné de 47 figures.
A la Haye; & ſe trouve à Paris ,
chez Lambert , imprimeur , rue de la.
Harpe , & Delalain , rue de la Comédie
Françoiſe ; prix 24 liv .
SEPTEMBRE. 1770. 105
Les poëfies de Tibulle & de Catulle ,
&les baifers de Jean Second , font les
modèles d'après leſquels M. Dorat a compoſé
les tableaux qu'il nous donne aujourd'hui
de cette tendre & naïve volupté
qui naît de la nature , ſe développe par
l'eſtime & trouve ſes plus grands charmes
dans les privations mêmes qu'elle
s'impoſe .
Quand neufbaiſers m'auront été promis ,
Me m'endonne que huit , & , malgré ta promeffe,
Soudain , échappe , ma Thaïs.
En la trompant , augmente mon ivreſſe :
Cours te cacher derriere tes rideaux ,
Dans ton alcove , aſyle du miſtere ,
Sous l'ombrage de tes berceaux ;
Fuis , réparois , &ris de ma colere.
Deberceaux en berceaux , de réduit en réduit ,
J'épierai de tes pas la trace fugitive ;
Je t'atteindrai , tu ſeras ma captive :
Lebonheur double alors qu'on le pourſuit.
Défends toi bien , réſiſte avant que de te rendre ;
J'aurai beau gémir , t'accufer ;
Détourne avec ait le baifer ,
Quand ma bouche , avec art , ſera prêteà le pren
dre.
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
: C'eſt ainſi qu'il eſt doux de ſe voir abufer.
Les huitpremiers , accordés par toi même ,,
Mettront le comble à ma félicité ;
Mais je mourrai de plaifir au neuviéme ,
Et fur-tout s'il m'eſt diſputé.
Mais pour juger plus fûrement de la
maniere du Poëte François & des refſources
qu'il a trouvées dans ſa langue , on
peut rapprocher un de ſes tableaux d'un
autre de Jean Second. Nous choiſirons
parmi ces petits poëmes ceux qui ont le
moins d'étendue , &, quoique les penſées.
en foientdifférentes , il fera facile de comparer
lefaire des deux poëtes .
Da mihi fuaviolum , dicebam , blanda puella
Libaſti labris mox mea labra tuis.
Inde , velutpreſſo qui territus angue resultat,
Ora repente meo vellis ab ore procul.
'Non hoc fuaviolum dare , lux mea,fed dare tantùm
Eft defiderium flebile fuavioli.
Donne-moi , ma belle maîtreſſe ,
Donne-moi , diſois-je , unbaifer,
Doux , amoureux , plein de tendreſſe..
SEPTEMBRE. 1770. 107
Tu n'ofas me le refufer :
Mais que mon bonheur fut rapide!
Ta bouche à peine , fouviens- t- en
Eut effleuré ma bouche avide ,
Elle s'en détache à l'inſtant .
Ainſi s'exhale une étincelle;
Oui , plus que Tantale agité ,
Je vois , comme une onde infidelle
Fuir le bien qui m'eſt préſenté.
Ton baifer m'échappe , cruelle !!
Le defir ſeul m'eſt reſté.
La languelatine peut uſer de diminutifs
très-commodes & très propres à donner
au ſtyle cet air naif& enfantin quit
plaîtaux amours. Mais le tableau de Jean
Seconda de plus cette délicateſſe de touche&
cette précision que l'on defire dans:
ces fortes de petits poëmes qui doivent:
être terminés avec le plus grand foin. L'iinage
d'ailients du ferpent employé par le
Poëte Latin , eſt pris dans la nature & par
conféquent preferable à celle de Tantales
du Poëte François qui eſt empruntée de
la mythologie. Nous pouvons encore ob
ſerver que la penfée par laquelle Jean Se--
cond termine fon petit poëme paroît plus)
Evj
108 MERCURE DE FRANCE..
appartenir au coeur , celle de M. Dorat à
l'eſprit ; le Poëte Latin peint un ſentiment
, & le Poëte François exprime une
agréable naiveté.
Ces baifers , au nombre de vingt, font
précédés d'un poëme intitulé le Mois de
Mai , poëme d'un coloris très frais & qui
eſt heureuſement terminé par un épiſode
relatif au mariage de Mgr le Dauphin &
de Madame la Dauphine. Le tout eſt orné
de gravures qui retracent aux yeux une
partie des tableaux que ces poëſies char-
Imantes ont peints à l'imagination. Ces
gravures , au nombre de 47 , ont été exécutées
par différens graveurs , d'après les
jolis deſſins de M. Eiſen. Elles enrichiffent
cette édition qui ,du côté de la partie
typographique , ne laiſſe rien à defirer&
pour la beauté du papier & pour la netteté
des caracteres .
Le Sauvage de Taïti aux François , avec
un envoi à un Philoſophe amides Sauvages
; brochure in 12. de 149 pages.
A Londres ; & ſe trouve à Paris , chez
le Jay , libraire , rue St Jacques , au
grand Corneille .
L'ifle de Taïti , ſitué dans la mer du
Sud & découverte par M. de BougainSEPTEMBRE.
1770. 109
ville , a fixé l'attention des François , &
les Parifiens ſe ſont empreſſés de ſe procurer
la vue d'un de ſes habitans amené
parmi eux. La plupart des ſpectateurs
n'ont peut être pas demandé comment
on peut être Taïtien, mais ils ont paru furpris
que cet inſulaire ne connût pas une infinité
de commodités que nous nommons
beſoins & qu'il appelle tout ſimplement
fervitudes . Ce Taïtien eſt l'homme de la
nature qu'un auteur eſtimable déjà bien
connu par des fictions ingénieuſes fait
aujourd'hui parler pour nous reprocher
avec plus de force & d'agrément nos défauts&
nos ridicules . « Nous avons des
>>jeux , dit le prétendu Sauvage aux Parifiens
; mais ils nous amufent , &
>> quelques-uns des vêtres vous déſeſpé-
>>rent. Que ſignifient ces petits morceaux
>> de carton que vous tourmentez fans
>> ceſſe , que vous jetez l'un après l'autre
>> ſur une table , & que ſouvent vous fe-
>> riez tenté de vous jeter à la tête ? L'in-
>>térêt ſeul préſide à cette recréation rui-
>> neuſe. Le bonheur de l'un fait le mal-
>> heur de l'autre . Eſt- il de vrai bonheur
» à ce prix. Je ſais , Meſſieurs , qu'un
» autre intérêt peut encore ſe mettre de
>>la partie. C'eſt alors être adroit que de
>>jouer mal adroitement. Nous jouons
110 MERCURE DE FRANCE.
>> auſſi à certains jeux avec nos bellesTaï-
>> tiennes , & nous attachons à ces jeux
>> certaines conditions. La différence eft
>> que chez nous il faut ſavoir gagner, &
>> que chez vous il faut ſavoir perdre.
>>On me conduiſit un jour dans une de
>> vos ſociétés , où l'on raiſonne. Lesfo-
>> ciétés de cette eſpéce ne forment pas ,
» dit- on , chez vous , le plus grandnom-
>> bre. Un étranger qui étoit préſent , fai-
>>foir l'éloge de votre langue. Il en par-
>> loit de maniere à prouver qu'elle ne lui
>>étoit pas étrangere. Comment ſe peur-
>>il faire , lui demanda quelqu'un , qu'on
>> parle ſi bon françois au fond du Nord ?
>> Je vous le dirai , reprit il , mais dites-
>> moi comment il ſe peut faire qu'on ne
>> le poſſéde pas mieux au ſein de Paris ?
>>C'eſt , lui répondit-on , qu'il faudroit
→ en faire une étude à part , & que cela
>> n'entre jamais dans l'ordre de nos étu-
>> des. Hé bien ! reprit le Suédois , cette
>> étude , au contraire , entre toujours
>> dans l'ordre des nôtres. Voilà ma ré-
>> ponſe. J'ai voyagé preſque dans toute
>>>l'Europe , & par tout j'ai vu qu'on étudioit
la langue françoife , excepté en
>>>France . Vous cultivez , il est vrai, celle
>> de vos anciens maîtres. Vous temblez
craindre qu'on n'oublie que vous fûtes
SEPTEMBRE. 1770. H
..
>> autrefois efſclaves des Romains : Raffu-
>> rez - vous , il n'y a pas long tems que
>> vous l'étiez encore . Maisfi votre
>> langue eſt devenue celle de toute l'Eu-
>> rope , à qui doit - elle cet avantage ?
» Elle eût été la derniere de toutes , fi
>> quelques hommes de génie ne lui euf-
>> fent pas fait connoître ſes richeſſes ,
>> diſons plutôt ſes reſſources. Elle ne
» doit qu'à eux ſa gloire& fon univerſa-
>> lité. Cette gloire même influe ſur la
» vôtre. Ce n'eſt point à l'effort de vos
>> armes que vous la devez ; chaque na-
>> tion eut ſes héros & ſes conquérans..
>> Votre langue a pénétré dans des cli-
» mats où vos guerriers ne pénétrerent
>> jamais. J'ai vu vos livres entre les mains
>> des Dames Tartares. Tel auteur que
>> vous négligez feroit accueilli dans la
>> patrie de Gengiskhan. Ce n'eſt , en un
mot , que la culture des arts & des bel-
>> les lettres qui vous conſerve encore au-
>> jourd'hui l'aſcendant fur tant d'autres
>> peuples. Retranchez ce point , chaque
nation fera valoir à côté de vous ſes,
>> avantages.
>>>J'ai vu , continue le Taïtien en par-
>>>la>ntdes laboureurs, ces hommes fi fim-
>>>ples & fi utiles ; ces hommes que votre
>>orgneil dédaigne & tyrannife. Je les ai
112 MERCURE DE FRANCE.
» vus , chaque matin , devancer le retour
>> du grand aftre , &reprendre en chan-
>>tant ces durs travaux ſi utiles pour vous,
>> ſi ſtériles pour eux. C'eſt pour vous
» qu'ils ouvrent le ſein de la terre , qu'ils
>>y dépoſent ce germe qu'elle doit déve-
>>lopper , qu'ils moiſſonnent les fruits
>>qu'elle fait éclore. Voyez le ſein brûlé
>>de leurs compagnes robuſtes & fécon-
>> des ; c'eſt à ces mêmes travaux qu'elles
>> immolent ce qu'une femme chérit le
>>plus , l'éclat du teint , la délicateſſe des
> traits , en un mot, la beauté. Cette jeu-
>> ne fille que la nature a doué de tous ces
- avantages , va les perdre comme ſa
» mere. Elle eût fixé vos regards,& peut-
>> être vos hommages , elle auroit pu dif-
>> puter à tant d'autres le privilége de
>>>vous ruiner ; elle borne ſes ſoins à vous
>> enrichir. Elle doit, par cette raifon ,
> renoncer à tout eſpoir de récompenfe.
>>Un linge groffier , une étoffe groſſiere ,
>> couvriront perpétuellement cette peau
» qui va bientôt ceſſer d'être délicate .
>> Cette famille enfin , dévouée aux plus
>>>durs travaux , n'attend de vous aucun
>> foulagement. Elle a des droits à votre
>> reconnoiffance , & ne peut même ef-
>> quiver vos mépris . >>
Cette diatribe dont nous n'avons pudé
SEPTEMBRE. 1770. 113
tacher que quelques morceaux , eſt ſuivie
d'un envoi à un Philoſophe ami des Sauvages.
On reconnoîtra aisément en lifant
cet envoi , le Philoſophe auquel le Taîtiendonne
ce titre d'ami des Sauvages.
Traité politique & économique des Com
munes , ou obſervations ſur l'agriculture
, ſur l'origine , la deſtination &
l'état actuel des biens communs , &
fur les moyens d'en tirer les ſecours
les plus piquans & les plus durables
pour les communautés qui les poſfédent
& pour l'état ; vol. in- 8°. A Paris
, chez Deſaint , libraire , rue du
Foin St Jacques .
L'auteur , après avoir parlé , dans les
premiers chapitres de ſon traité,de l'origine
des communes , de leur état actuel ,
des vices principaux de l'adminiſtration
préſente des biens communs , fait voir
dans les chapitres ſuivans la néceſſité de
partager ces biens pour les mettre en valeur.
Il expoſe les principaux avantages
qui réſulteroient de ce partage , & indique
les précautions les plus ſages pour
empêcher que ce partage ne porte atteinte
à la conſervation de ces biens. L'auteur
termine ſes réflexions par démontrer que
114 MERCURE DE FRANCE.
le partage des biens communs tel qu'il le
propoſe , loin d'être contraire aux loix&
aux diſpoſitions des coutumes , eft parfaitement
conforme à leur véritable eſprit
& aux defirs des législateurs . Ce traité
doit être lu ; il eſt l'ouvrage d'un bon citoyen
, d'un agriculteur éclairé & d'un
économiſte intelligent.
Dictionnaire pour l'intelligence des aureurs
claſſiques Grecs & latins , tant
facrés que profanes , contenant la géographie
, l'histoire , la fable & les antiquités
; dédié à M. le Duc de Choiſeul
. Par M. Sabbathier , profefleur au
collége de Châlons- fur- Marne , & fecrétaire
perpétuel de l'académie de la
même ville ; tome VII . A Châlonsfur-
Marne , chez Seneuze , imprimeur
du Roi ; & à Paris , chez Delalain , libraire
, rue de la Comédie Françoife ;
Barbou , imprimeur - libraire , rue des
Mathurins ; Hériſſant fils , libraire, rue
StJacques.
Ce dernier volume qui termine la lettreB,
confirme la réputation que l'auteur
s'eſt déjà acquiſe par les premiers. Les
recherches ſavantes dont cette eſpéce de
bibliothèque eſt remplie & les notices
SEPTEMBRE. 1770. 115
qu'elle donne ſur toutes fortes de matiè- .
res , l'ont déjà fait regarder comme l'interprêre
le plus utile & le plus commode
des livres claſſiques. M. Sabbathier ne
néglige pas même de ſe rendre utile aux
deffinateurs , aux peintres & à tous ceux
qui veulent étudier le coſtume ancien . Il
remarque que le blond ardent étoit la couleur
favorite des anciens . LesDames Romaines
, dont les cheveux étoient blancs
ou mêlés , ſe ſervoient de ſafran pour en
changer la couleur , & pour ſe donner le
blond le plus vif. La fureur du blond ne
régnoit pas moins chez les hommes que
chez les femmes. Ils ſe ſervoient d'une
poudre d'or qui entroit dans la teinture
qu'ils donnoient à leurs cheveux. Le
blond eſt auſſi devenu la couleur à la
mode de nos Dames , & peut - être leur
prendra - t - il fantaiſie de ſubſtituer une
poudre d'or à leur poudre rouffe. L'Empereur
Commode , qui avoit la vanité
d'un roi de théâtre , avoit , par le moyen
d'un poudre d'or , rendu ſa chevelure fi
blonde & fi éclatante , que lorſqu'il étoit
au foleil on eût cru que ſa tête étoit toute
en feu.
Ce ſeptiéme volume eſt précédé d'un
avis où l'auteur annonce qu'il a publié un
116 MERCURE DE FRANCE.
nouveau Profpectus , concernant la ſoufcription
de cet ouvrage , ainſi que celle
des planches &cartes géographiques qui
doivent l'accompagner. On diftribue gra.
tis un exemplaire de ce Profpectus aux
ſouſcripteurs. Comme on y trouve le jugement
qui a été porté de ce dictionnaire,
on l'a imprimé ſur le même format , de
maniere qu'on pourra le faire relier avec
le ſeptiéme volume ou tel autre que l'on
jugera à- propos .
Journal de musique.
Cet ouvrage qui manquoit à la littéra
ture vient de paſſer dans les mains d'un
auteur également répandu dans les lettres
&dans la muſique. Le Public paroît avoir
reçu avec fatisfaction la nouvelle forme
qu'il lui a donné ; on y trouve un choix
très- varié & très- intéreſſant de matieres
propres non - ſeulement à ceux qui pratiquent
cet art , mais à ceux qui n'en ont
que le ſimple goût. On y a vu , pour la
premiere fois , un extrait très - exact &
très - ſenſible de inorceaux de muſique ,
même de ceux qui ne font point aidés de
l'expreffion des paroles. D'ailleurs l'auteur
faitprofeſſion d'une impartialité auffi
eſtimable qu'agréable à ſes lecteurs .
SEPTEMBRE. 1770. 117
Ce Journal eſt dédié à Madame la Dauphine
, & lui a été préſenté le 4 Juillet
dernier à Marli .
La ſouſcription eſt de 18 liv. pour Paris
, &de 24 l. pour la province. On s'adreſſe
pour les envois de muſique , de
piéces de vers , de découvertes, d'airs , de
queſtions , &c. ainſi que pour les commiſſions
de muſique , au bureau de ce
Journal , rue de Sartine près celle de Viarmes
à la nouvelle halle. C'eſt au même
bureau , ou chez les libraires indiqués à la
tête de chaque volume , qu'on prie d'envoyer
d'avance , & franc de port , le prix
des ſouſcriptions.
Le Public eſt averti de ne point confondre
ce bureau avec celui d'abonnement
muſicalqui eſt au paſſage de l'ancien grand
cerf.
Sur les Fables de la Fontaine.
LIVRE 2 , FABLE 2. Conseil tenu
par les Rats.
: :
:
: :
Un Chat nommé Rodilardus.
:
:
Pantagruel le voyant... égratigné des
118 MERCURE DE FRANCE.
gryphes du célèbre chat Rodilardus. Liv.
4,6,7 .
Rodilardus , rongeur de lard. L'inventeur
de ce nom eſt Eliſius Calentinus , un
des illuftres de Paul Jove. Note du Commentateur
de R.
:
J'ai maints chapitres vus ,
Qui , pour néant , ſe ſont ainſi tenus.
Vus , eſt ici faute de langage ; mais la
F. ſe met ſouvent au-deſſus des règles..
FABLES . La Chauve - Souris , & les
deux Belettes .
: : : :
Pluſieurs ſe ſont trouvés , qui d'écharpes changeans
Aux dangers , ainſi qu'elle , ont ſouvent fait la
figue.
L'ung d'eulx voyant le portrait papal ..
luifeit lafigue, qui eſt en icelui pays ſigne
de contemnement & de dériſion manifeſte.
Pour icelles venger les Papimanes..
faccageårent & ruinarent toute l'ifle des
Guaillardets : taillatent à fil d'eſpée tout
homme portant barbe , aux femmes &
jouvenceaulx pardonnarent avecques conSEPTEMBRE.
1770 . 119
dition ſemblable à celle dont l'empereur
Féderic Barberouſſe jadis uſa envers les
Milanois . Les Milanois s'eſtoient contre
lui abſent rebellés , & avoient l'impératrice
ſa femme chaffée hors la ville igno .
minieuſement montée ſus une vieille
mule nomméeThacor , à chevauchons de
rebours ; ſavoir eſt , le cul tourné vers la
teſte de la mule , & la face vers la croppiere.
Fédericà fon retour les ayant fubjugués
& reſſerrés , feit telle diligence
qu'il receuvra la célèbre mule de Thacor.
Adoncques au milieu du grand brouet
par fon ordonnance le bourreau miſt ès
membres honteux de Thacor une figue ,
préſens & voyans les citadins captifs :
puis cria de par l'Empereur à fon de
trompe , que quiconcques d'iceulx voudroit
la mort évader , arrachant publiquement
, puis la remiſt en propre lieu
fans aide des mains. Quiconcques en feroit
refus feroit ſus l'inſtant pendu & eftranglé.
Aulcuns d'iceulx eurent honte &
horreur de telle tant abominable amende
, la portpeſarent à la crainte de mort ,
& furent pendus ; & aultres , la crainte
de mort domina ſur telle honte. Iceulx
avoir à belles dents tiré la figue , la monftroient
au boye apertement difans : Ecco
lofico. R. 1. 4, 45.
120 MERCURE DÉ FRANCE.
FABLE 6. L'Oiseau , bleſſsé d'unefléche.
: :: : •
Mortellement atteint d'une fléche empennée.
Glaterons enpennés de petites plumes
d'oifons ou des chappons. Liv . 2 , 16 .
: : : : :
Des enfans de Japet toujours une moitié
Fournira des armes à l'autre.
•
Si , ſelon la fable , dit M. Coſte , les
hommes font enfans de Japet , on ne voit
pas trop bien comment elle a pu attribuer
la formation de l'homme à Promethée ,
fils de Japet ; mais il ſeroit ridicule de
s'arrêter ici à démêler cette fufée.
Mais ne feroit- ce point ce vers d'Horace
, audax Japetigenus , qui auroit donné
lieu au préjugé , que nous ſommes enfans
de Japet ? Ce vers aura peut- être été
pris pour une ſentence , & peut- être, par
mégarde , on l'aura entendu du genre humain
au lieu de l'entendre de Promethée,
comme c'eſt le ſens d'Horace.
M. de Voltaire lui donne ce ſens ,
dans ſes élémens de la philoſophie de
Newton , premiere partie , chap.9 , où il
dit:
Si
SEPTEMBRE. 1770. 121
Si on a jamais pû dire , audax Japeti
genus , c'eſt dans dans la recherche que
les hommes ont ofé faire de ces premiers
élémens , qui ſemblent être placés à une
diſtance infinie de la ſphère de nos connoiſſances.
FABLE 10. L'Ane chargé d'éponges , &
l'Ane chargé defel.
• :
Camarade Epongier prit exemple ſur lui ,
Comme un Mouton qui va deſſus la foi d'autrui.
Soubdain je ne ſcay comment feut le
cas ſubit , je n'eus loiſir le conſidérer.
Panurge ſans aultre choſe dire jecte en
pleine mer fon mouton criant& bellant.
Tous les aultres moutons crians & bellans
en pareille intonation commençarent
ſoy jecter & faulter en mer après à
la file. La foulle eſtoit à qui premier y
ſalteroit après leur compaignon. Poflible
n'eſtoit les en guarder. Comme vous favez
eſtre du mouton le naturel , toujours
ſuivre le premier , quelque part qu'il aille
. Liv . 4 , 8 .
LIVRE 3 , FABLE I. Le Meunier , fon
Fils & l'Ane .
F
122 MERCURE DE FRANCE.
:
La feinte eſt un pays plein de terres déſertes :
Tous les jours nos auteurs y font des découvertes.
M. de la Rochefoucault , dont la F.
connoiffoit les maximes , a dit auſſi , que
l'amour-propre eſt un pays où il reſte encore
bien des découvertes à faire .
:
Mais j'ai les miens , la cour , le peuple à contenter.
Malherbe là-deſſus : contenter tout lemonde !
Ecoutez ce recit , avant que je réponde.
Ce contenter tout le monde ! convient
aſſez bien au génie bruſque de Malherbe.
Quelques connoiffeurs regardent cette
fable comme le chef- d'oeuvre de la F.
D'autres font pour la premiere du 7. livre
: Les animaux malades de la peste.
Mais la F. a plus d'un chef - d'oeuvre. Il
n'y a qu'une maniere de raconter. Celui
qui a rencontré cette maniere unique , a
fait un chef-d'oeuvre . Cela ſuppoſé , il y
en apluſieurs dans le Fabuliſte François.
C'en fera un , par exemple , que la fable 6
du 1 liv . La Géniffe , la Chèvre , &c .
SEPTEMBRE. 1770. 123
FABLE 12. Le Cigne & le Cuisinier.
,
Quoi ! je mettrois, dit - il , un tel chanteur en
ſoupe!
Le chant mélodieux des Cignes n'eſt
fondé que fur une tradition poëtique ,
dont la vérité n'a jamais été confirmée par
l'événement. Note de l'éditeur.
L'origine de cette fauſſe tradition, c'eſt
queles poëtes ont métamorphofé en Cigne.
un Roi des Gaules de ce nom , qui étoit
grandmuſicien.
Soupe , ne ſignifie point ici la ſoupe du
potage. Rabelais entend ce mot dans le
même ſens que nous diſons , des ſoupes
de pain .
FABLE 18. Le Chat & un vieux Rat.
• :
J'ai lu chez un conteur de fables ,
Qu'un ſecond Rodilard , l'Alexandre des chats,
L'Attila , les fléau des rats ,
Rendoit ces derniers miférables.
Rendre miférable , en ce ſens , eſt une
expreffion picarde.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Notre maître Mitis
:
Pour la ſeconde fois les trompe & les affine.
Affine , eft encore de Rabelais .
Ainſi en font les Génevois ( les Génois
) quand au matin dedans leurs efcriptoires
& cabinets diſcouru , propenfé
& réſolu de qui & de quels celui jour ils
pourront tirer denares , & qui par leur
aſtuce ſera belliné , corbiné , trompé &
affiné. Nouv . prol. du liv. 4 .
DIALOGUE entre CHARLES LE
HARDI , dernier Duc de Bourgogne ,
& RENÉ II , Duc de Lorraine.
CHARLES . Oui , vous dis je ; j'en ſuis certain .
Je fais que Campobaſſo n'auroit pas ofé ſans vous
conſpirer ma perte : je ne vous pardonnerai jamais
ma mort.
RENÉ. Il y a près de trois cens ans , fi ma mémoire
ne me trompe , & fi les morts favent calculer
juſte , que vous me la reprochez , lans que je
connoiſſe les motifs de cette injustice. Vous n'ignorez
pas cependant , que je vous fis rendre , en
ennemi généreux , tous les honneurs funèbres
que vous auriez pu recevoir dans vos propres
SEPTEMBRE. 1770. 125
états , & dreffer un ſuperbe mauſolée , avec votre
effigie au naturel .
CHARLES. Je ne me laiſſe point ſéduire par un
faux éclat& par de vaines apparences. C'eſt pour
votre gloire , & non pour la mienne , que vous
fites les frais d'un vain cérémonial , dont je vous
aurois volontiers diſpenſé. Mais , je le repète ,
vous tramâtes ma mort avec cet Italien , & vous
ne pûtes vous empêcher d'en marquer votre joie ,
par ces paroles inſultantes : Heded, beau Cousin,
vous nous avezfait mouli de maux.
VOUS RENÉ. Quelques années auparavant ,
vous étiez emparé de mes états , que la force ſeule
vous avoit contraint de me reftituer. Contre la
foi des traités vous venez enſuite affliéger ma capitale;
vous êtes tué dans l'attaquede cette place.
De bonne foi , exigeriez- vous que j'eufle verfé
des larmes , & témoigné un grand regret de votre
mort ? Ne feriez - vous pas forti de votre tombeau,
pourmedire?
« O foupirs ! ô reſpect ! ô qu'il eſt doux de plain-
>>>dre
>> Le fort d'un ennemi , quand il n'eſt plus à craindre
! »
CHARLES. Non ; je ne ſuis point injuſte . Vos
regrets ne m'étoient pas dus ; mais ce que vous
vous deviez à vous - même , c'étoit de ne point
tremper dans le complot d'un traître ; c'étoit de
renfermer dans votre coeur les ſentimens que ma
mort pouvoit vous inſpirer ; n'eût- ce été que pour
tâcher d'écarter les trop juſtes ſoupçons,que vous
aviez acheté la perfidie du ſcélerat , qui me fit fi
Fiij
1 126 MERCURE DE FRANCE.
cruellement périr ; foupçons dont vous ne vous
laverez jamais aux yeux de la poſtérité.
RENE , En tout autre lieu , je préſume que vous
n'oſeriez me tenir un pareil langage. Quand j'adreſſai
à votre cadavre , les paroles , hélas ! trop
méritées , dont vous vous plaignez , j'étois aflez
connu pour ne point appréhender qu'on me crût
capable d'entrer dans des projets que l'honneur
déſavoue. Et plût- au-Ciel que vous euſſiez été
également attentifà prévenir tout ce qui pouvoit
donner lieu à ces exécrables entrepriſes !
CHARLES. Eh ! qu'ai je donc fait qui ait pu me
ſuſciter des ennemis ſi perfides ?
RENÉ . Les vivans prétendent ne devoir aux
morts que la vérité ; à plus forte raiſon , la même
liberté doit être permiſe entre nous. Je vous dirai
donc avec fincérité , puiſque vous me le demandez
, qu'un loufflet , donné à un gentilhomme , eſt
un affront fi fanglant , qu'il ne peut être lavé que
dans le fang de l'offenſeur. Vous vous fouvenez
apparemment de celui , dont votre main , armée
d'un gantelet , couvrit le viſage de Campobaſſo ;
vous deviez donc vous défier de lui & ne le pas
croire affez vertueux , ou affez lâche , pour oublier
une pareille injure . Chifton , que vous fites
pendre , vouloit , dit- on , avant cet infâme fupplice
, vous découvrir la trahifon de Campobaſſo.
Vous ne daignâtes pas l'entendre ; & dans l'aveugle
tranſport de votre colère , vous ordonnâtes
qu'on le fit mourir ſur le champ. Vous ſavez fur
combien de vos ſujets ( 1 ) cette mort fut vengée.
(1) Sur plusde cent vingt.
SEPTEMBRE. 1770. 127
Lebon Chifron fut enterré fort près de vous, comme
pour vous reprocher éternellement votre injustice
& votre obſtination , & vous dire tacitement
: Prince , nous n'aurions perdu la vie , ni
vous , ni moi , fi vous aviez voulu m'entendre.
Vous me l'auriezdonnée , &je vousl'auroisfauvée.
Quelques auteurs diſent cependant que vous
ne maltraitâtes Campobaflo que parce qu'il vous
demanda la grace de Chifron avec une libené qui
vous déplut . L'hiſtoire varie fur cette matiere;
puiſque , ſuivant d'autres , ce fut Campobatio qui
vous pretla de faire mourir Chifron ; qu'il avança
même ſon exécution , dans la crainte qu'il ne révélât
la prétendue intelligence que ce comteItalien
avoit avec moi; que le ſoufflet avoit une toute autre
cauſe , & qu'il avoit été donné long -tems
avant la mort de Chifron. Peut-être n'y a-t- il que
vous & moi qui pourrions donner des lumieres lur
ceſujet. Quoiqu'il en foit , vous traitâtes Philippe
de Comines , à-peu - près de même que Campobaſſo
, & , à ce qu'il paroît , auſſi injuſtement.
CHARLES . Vous êtes dans l'erreur . Souffrez
queje vous en tire , en vous découviant le morif
qui m'engagea à maltraiter Comines ; motif que
ſa vanité ne lui a pas permis de configner dans
fon hiftoire. Sachez donc que , revenant un jour
de la chaſſe , il eut l'audace de me dire , en plaifantant
: Charles , voudriez- vous bien me tirer mes
bottes ? J'eus cette complaifance ; mais je lui en
donnai enſuite pluſieurs coups avec les éperons ,
&lui mis tout le viſage en fang , d'où il fut appelé
, dans ma cour , la Tête bottée. Pouvois - je
punir plus doucement l'inſolence d'un ſujet qui
oſe exiger de ſon maître les ſervices du plus vil
domeſtique?
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE .
RENE' . Non ; mais ce que je trouve deplus facheux
pour vous ; c'eſt qu'il s'eſt vengé en hiſtorien
par desmémoires où il laiffe àla poſtérité
mille odieux portraits de votre préſomption , de
votre témérité , de votre mauvaiſe foi , de votre
cruauté , de votre ambition , enfin de toute la conduite
que vous avez tenue dans le gouvernement
de vos états , où vous avez ſi peu réſidé , pour
ufurper ceux de vos voiſins. L'une de vos plus
grandes fautes , fi nous ajoutons foi à cet hiſtorien,
qui s'eſt fi bien payé de l'affront que vous
lui fîtes en préſence de toute votre cour , fut de
croireque toutes les graces & honneurs que vous
aviez reçus en ce monde , étoient procédés de votre
fens & de votre vertu , fans les attribuer à Dieu ,
comme vous deviez.
CHARLES. Et voilà juſtement ce qui décrédite
fon hiſtoire Quelle foi peut mériter ,je vous prie,
un écrivain paflionné ?
RENE' . Je conviens que la choſe devroit être
ainſi ; mais malheureuſement le Public eſt plus
diſpoſé à croire le mal que le bien ; & plus malheureuſement
encore , cet hiſtorien s'accorde affez
avec les autres dans tout ce qu'il raconte de
vous.
د
CHARLES. Permettez que je vous détrompe encore.
Il prétend que j'eus tant de douleur & de
honte de la perte de la bataille de Granſon , que j'en
tombai dangereuſement malade , & que jamais
depuis je n'eus l'entendement auſſi bon que je l'avois
eu auparavant. Cependant il avoue que la
pertequeje fis à cette bataille , étoit fort peu confidérable.
Quoiqu'il en diſe , j'eus l'eſprit auſſi ſain
quejamais ; je le conſervai juſqu'au fiége de Nan
SEPTEMBRE . 1770. 129
cy , où , loin de perdre la tête dans cette fatale
journée , qui me coûta la vie , je me précipitai
par-tout où lecombat étoit le plus furieux , & je
donnai tantde marques de bravoure &de courage
, que , fi j'avois été ſecondé de mes troupes ,
j'aurois infailliblement fait perdre à l'ennemi l'avantage
qu'il avoit gagné ſur elles.
RENE'. Vous aviez de la valeur , il est vrai;
mais à quoi ſert la valeur fans la prudence ? votre
réputation de Prince violent , au reſte , eſt ſi
bien établie , qu'un mort nouvellementarrivéici,
& né dans une province qui a été ſous votre domination
, me diſoitdernierement que leDucPhilippe
, votre pere , ayant laiſſé une groſſe ſomme
d'argent pour la dépenſe de ſa ſépulture , vous la
demandâtes aux dépositaires , avec promefle de la
rendre ; que , ſur quelques remontrances que vous
fit l'un d'eux , vous lui donnâtes un ſi rude ſouffilet,
qu'il en fut renversé par terre . Je m'apperçois
que cette matiere vous cauſe quelque peine.
Je reviens à la prudence qui doit toujours accompagner
la valeur Que n'imitiez vous Louis XI ,
leplus fagedes Princes de ſon tems ?
CHARLES. Si je n'avois pas été ſon ennemi , &
fi par conséquentje n'étois pas ſuſpect dans tout
ce queje pourrois dire de lui , il ne me ſeroit peutêtre
pas difficile de prouver qu'aucun fouverain
ne mérita moins la louange que vous lui donnez ,
&que tout ſon règne n'a été qu'un titlu de bizarreries
, d'inconféquences , de contradictions,d'imprudences
& de témérités. Je veux vous en citer
un exemple infigne qui en vaut mille. Pendant
qu'il fait foulever les Liégeois , mes ſujets , contre
mon autorité , il vient , dans ma ville de Pe
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
ronne ſe livrer entre mes mains. Il me rend ainfi
par ſa faute l'arbitre de ſon fort ; & , fije le traitai
mieux qu'ilne méritoit , il ne doit point l'attribuer
àcette ſageſle que vous lui prêtez gratuitement.
Lorſqu'il eut apperçu trois Princes , ſes ennemis ,
qui étoient venus me rendre viſite , il me pria de
le loger dans le château . C'étoit , dit un hiſtorien,
paffer le guichet&ſe rendre prisonnier. Pour combler
fa honte , je le forçai de me ſuivre au fiége
de Liége , afin qu'il fût témoin du châtiment que
je devois faire lubir à une ville rebelle , qu'il avoit
excitée à prendre les armes. Voilà comment je
traitai ce Roi , que vous qualifiez le plus ſage
Prince de fon fiécle.
RENE' . Vous auriez dû , pour votre honneur ,
fupprimer cette derniere circonftance qui rappelle
la barbarie , avec laquelle vous châtiâtes cette
malheureuſe ville , que vous prêtes d'affaut. On
affure que vous fires mettre à mort tous les habitans
qu'on rencontra , qu'on n'eut égard ni à l'âge
ni au sèxe ; que les prêtres furent égorgés dans
les égliſes , même pendant la célébration de la
Mefle ; qu'on jeta dans la riviere douze mille
femmes , &qu'on tua quarante mille hommes. On
obſerve même que les ſoldats n'égorgeoient les
filles qu'après les avoir violées. Vous dires avec
raiſon que ce fut le comble du déplaiſir pour
Louis XI d'être le témoin , & , en quelque forte ,
l'auteur d'une ſemblable cruauté. Bien en prit à
votre arriere- petit- fils , l'Empereur Charles-Quint
d'avoir trouvé dans François I un ennemi plus
généreux. La ville de Gand s'étant ſoulevée, &
ayant offert de ſe donner à la France , le Roi, nonſeulement
n'accepta point ſes offres , mais ilen
avertit l'Empereur qui , ne trouvant point de plus
SEPTEMBRE. 1770. 131
prompt remède à un mal dont les ſuites étoient à
craindre , que d'y accourir en perſonne , demanda
paflage par la France , toute autre voie lui paroiffant
trop longue & trop périlleuſe. Il obtint
ce qu'il demandoit , & reçut des honneurs extraordinaires
par tout le royaume , principalement
à la cour. Il eut cependant une alarme bien
chaude. A l'entrée du château d'Amboife, un page,
approchant trop près ſon flambeau d'une tapiflerie
, y mit le feu. L'Empereur en fut quitte pour
beaucoup de frayeur& un peu de fumée. Comme
il fut impoſſible de connoître l'auteur de l'embraſement
, le Roi fit arrêter & livrer à ce Prince ceux
qui en furent ſoupçonnés. Mais l'Empereur étoit
trop fin pour ſe venger d'une action qu'il ſavoit
n'être que l'effet du hafard ; il aima mieux la réferver
pour une occaſion dans laquelle elle ferviroit
de prétexte àune récrimination. Si le Roi
ne mérite pas des louanges , pour n'avoir pas violé
les droits de l'hospitalité , il en mérite beaucoup
pour avoir permis àl'Empereur de pafler par
ſes états ; à l'Empereur , dis-je , qui l'avoit trompé
mille fois . Peut - être même eſt - ce à Charles-
Quint une heureuſe témérité de s'être confiée à la
foide François I.
CHARLES. S'il y a d'heureuſes témérités , il n'y
en a aucune qui ne mérite d'être malheureuſe ,
autrement elle ceſſleroit d'être une témérité. Ce
que vous m'avez appris de cette ombre qui vous
a fait le recit de l'argent , que mon pere avoit mis
en dépôt , me fait connoître qu'on s'entretient encoredemoi
ſur la terre , &j'eſpere qu'on s'en entretiendra
long-tems. 1
RENE' . Ne vous flattez pas ; il vaut infiniment
miçux ne point faire parler de foi que d'en faire
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
parler en mal. Vous aviez , fans contredit , de
grandes qualités , mais des défauts encore plus
grands. Souvenez - vous que le Public eſt plus enclin
à blâmer le vice qu'à louer la vertu. Comptez
que fi le bien & le mal qu'on peut dire juſtement
de vous , étoient mis dans les deux plats
d'une balance , & qu'aucun d'eux ne l'emportât
fur l'autre , lejugement des hommes feroit penchercelui
qui contienddrrooiittlemal.
CHARLES. J'en conclus que tout ce qu'ils diſent
ou penſent ne doit pas nous affliger .
RENE'. Il paroît cependant que vous vous êtes
plus occupé de leur jugement que de votre tranquillité.
Quel aiſe eut- il (C'eſt une ſage ré-
>>flexion de Comines , parlant de vous ; réflexion
>>que vous ne pouvez contredire. ) Il eut toujours
travail , fans nul plaiſir , & de ſa perſonne
>&de l'entendement ; car la gloire lui monta au
>> coeur& l'émut de conquérir tout ce qu'il lui étoit
>>bien ſéant. Tous les étés tenoit les champs , en
>>grand péril de ſa perſonne, &prenoit tout le ſoin
>>&la cure de l'oft , ( armée ) & n'en avoit pas en-
*** core aflez à fon gré. Il ſe levoit le premier & ſe
couchoit le dernier , comme le plus pauvre de
l'oft. S'il ſe repoſoit aucun hiver , il faiſoit ſes
>> diligences de trouver de l'argent. A chacun jour
>>i>l beſognoit de fix heures au matin ,&prenoit
>>grande peine de recueillir & ouïr grand nombre
>>d'ambaſladeurs ; & en ce travail & miſére finit
>> ſes jours & fut tué des Suifles devant Nancy...
Et ne pourroit - on dire qu'il eut jamais eu un
bon jour , lepuis qu'il commença à entrepren-
>>d>re de ſe faire plus grand juſques à ſon trépas.
- Quel acqueſt a- t-il eu en ce labeur ? Quel be-
- foin enavoit- il? lui , qui étoit ſi riche & avoit
SEPTEMBRE. 1770. 133
>>tant de belles villes & feigneuries en ſon obéif-
>> ſance , où il eût été ſi aiſe s'il eût voulu. » II
feroit à defirer que tous les Princes appriflent par
coeur ce beau paflage , & qu'ils en profitaflent ; ils
travailleroient égalementà leur felicité & à celle
de leurs ſujets. J'ignore fi François I , ce monarque
fi paſſionné pour la belle gloire l'avoit lu ;
mais il paroît qu'il penſoit comme Philippe de
Comines; car il diſoit que l'ambition d'un ſouverainqui
ne feroit pas fatisfaite par la poſleſſiondu
royaume de France , ne le feroit pas par ceiledu
monde entier.
CHARLES. Il y a quelque choſe de vrai dans le
paflage de Comines & dans votre commentaire.
Mais ce que vous conſidérez comme le malheur
des Princes, n'eſt pour eux qu'un moindre mal. Ils
feroientbeaucoup plus miſérables s'ils ſe bornoient
aux fonctions qui peuvent rendre leurs peuples
heureux. Ils veulent jouer un grand perſonnage
&attirer les regards de toute la terre. Sans cette
inquiétude , ils languiroient dans un repos mille
fois plus cruel. L'épithète de pacifique , dans un
fouverain , eſt preſque toujours le ſynonime de
fainéant, l'opprobre de la royauté , du moins aux
yeux du vulgaire. Ce feroit fans doute le comble
de l'héroïsme , d'embraſler ce parti ; maisje doute
qu'un homme qui peut tenter tout ce qu'il veut ,
en ſoit capable. Un célèbre Poëte François voulant
me prouver la folie de l'ambition , me récisa
, il n'y a pas long- tems , un de ſes ouvrages, où
il me fit remarquer ces vers :
«Pourquoi ces éléphans , ces armes , ce bagage,
* Et ces vaiſſeaux tout prêts à quitter le rivage?
>>Diſoit au Roi Pyrrhus unſage confident,
134 MERCURE DE FRANCE.
>>Conſeiller trés- ſenſé d'un Roi très - imprudent.
>>Je vais , lui dit ce Prince , à Rome où l'on m'ap-
>>pelle.
>>Quoi faire ? l'afliéger. L'entrepriſe eſt fort
belle ,
>>Et digne ſeulement d'Alexandre ou de vous.
>>Mais , Rome priſe enfin , Seigneur , où courons-
>> nous?
>> Du reſte des Latins la conquête eſt facile.
> Sans doute on les peut vaincre. Eit- ce tout ? La
>>>Sicile
>> De- là nous tend les bras , & bientôt ſans effort
>> Syracuſe reçoit nos vaiſſeaux dans ſon porr.
>> Bornez- vous là vos pas ? Dès que nous l'aurons
>>p>riſe ,
>> Il ne faut qu'un bon vent & Carthage eſt con-
>>quiſe .
>> Les chemins ſont ouverts ; qui peut nous arrê-
>> ter ?
>>Je vous entends , Seigneur , nous allons tout
>>>domter.
>>>Nous allons traverſer les ſables de Lybie ,
>> Aflervir en paſſant l'Egypte , l'Arabie ,
>>>Courir delà le Gange en de nouveaux pays ,
>> Faire trembler le Scythe au bord du Tanaïs :
>>>Et ranger ſous nos loix tout ce vaſte hémiſ-
*
>>phère.
Mais de retour enfin , que prétendez- vous faire ?
Alors , cher Cinéas , victorieux,contens ,
(
SEPTEMBRE . 1770. 135
>>Nous pourrons rire à l'aiſe & prendre du bon
>> tems .
>>>Hé , Seigneur , dès ce jour , ſans fortir de l'E-
>> pire ,
Du matin juſqu'au ſoir qui vous défend de
>> rire?
>>Le conſeil étoit ſage&facile à goûter.
>> Pyrrhus vivoit heureux s'il eût pû l'écouter. >>
S'il eût pû l'écouter. Voilà à - peu- près la ré
flexion de Comines , miſe en aſſez beaux vers . Je
tâchai de lui faire entendre doucement ; car la nation
des poëtes eſt indocile , que fa maxime étoit
fortbonne fi la pratique en étoit poflible ; qu'à la
ſuppoſer telle , Pyrrhus , en réſiſtant à l'ambition
qui le tourmentoit , auroit été beaucoup plus
malheureux. N'avez vous jamais pris garde à
l'agitation des enfans , qui ſont dans un mouvement
perpétuel ? On a beau les menacer , s'ils ne
reſtent tranquilles. Vainement les fait- on reflouvenir
qu'ils ſe ſont ſouvent bleſfés en courant , ils
ne peuvent demeurer en place. Si on les y oblige
ils ſouffrent plus de cette contrainte que de toute
autre peine. Au riſque de ſe caſſer encore la tête ,
ils n'aſpirent qu'à la liberté de courir , & ils comptent
pour rien les dangers & les châtimens aufquels
ils s'expoſent. Quelle est donc l'ignorance
&l'illufion de leurs parens , qui leur répétent ſans
cefle: Imitez notre exemple ; nous voyez - vous
courir à chaque inſtant çà& là? Ne pouvez- vous,
comme nous, étre tranquilles ? Non , ils ac le
136 MERCURE DE FRANCE.
peuvent ; ils ont un beſoin continuel d'agir; ils
le ſentent parfaitement , parce que c'eſt la nature,
infaillible dans ſa marche , qui le leur inſpire.
Voilà en petit le portrait de l'ambitieux .
RENE' . Mais les enfans n'ont point de raiſon ,
& les hommes qui en ont , doivent en faire uſage .
Charles. Vous vous trompez encote. Les enfans
font auſſi éclairés ſur leurs petits intérêts ,
& peut- être plus , que les hommes fur des intérêts
plus conſidérables. Je ſoutiendrois même aifément
une eſpéce de paradoxe ; c'eſt que les brutes
qui n'ont point de raiſon , ſe conduiſent comme
fi elles en avoient , & que les hommes qui ſe vantent
de l'avoir en partage ſe conduiſent preſque
toujours comme s'ils ne l'avoient point,
RENE'. Du moins l'ambitieux devroit choiſir les
moyens qui peuvent le faire parvenir plus fürement
àl'objet de ſes defirs. Les Suifles , par exemple
, auxquels vous fites fi malheureuſement la
guerre , vous repréſenterent inutilement que vous
n'aviez rien à gagner contre eux ; que les épérons
& les mords des chevaux de votre armée valoient
beaucoup plus d'argent que tout leur territoire ;
qu'il étoit plus ſage de tourner ailleurs vos atmes
. Qu'arriva - t-il de votre obſtination à les
combattre ? Ils taillerent en piéces toutes vos
troupes ; ils firent un butin immenfe & ineſtimable.
Votre plus beau diamant , qui étoit le plus
gros de la Chrétienté , fut vendu un florin , le
reſte à proportion de leur ignorance. Les malheurs
qui ſuivirent cette défaite ne peuvent être fortis
de votre mémoire . Enfin , vous terminâtes devant
Nancy une vie infortunée au milieu de vouc
carrière.
SEPTEMBRE . 1770. 137
Environ deux fiécles après votre mort , parut
fur le théâtre du monde un phénomène qui avoit
avec vous beaucoup de reſſemblance. C'eſt un
Prince qui portoit votre nom , & s'eſt couvert
d'une gloire éclatante ; elle ſeroit beaucoup plus
folide s'il avoit joint la prudence à la valeur. Plutarque
eût fait de vous & de lui un de ſes plus
beaux parallèles. Auſſi intrépide , mais auflitéméraire
que vous lorſque vous attaquâtes les Suifſes
, il aima mieux aller conquérir des rochers au
milieu des neiges & des glaces , dans l'âpreté de
l'hiver , que d'aller reprendre ſes belles provinces
del'Allemagnedes mains de ſes ennemis. Comme
vous il fut tué dans un âge un peu moins avancé
que le vôtre , dans la plus rigoureuſe ſaiſon , au
fiége d'une ville ( Frederic - Shall ) qu'il comptoir
prendre huit jours après. On répanditde lui , comme
de vous , le bruit le plus injurieux & le plus
faux ; qu'il avoit été tué en trahiſon par ſon aidede-
camp , qui auroit donné mille fois la vie pour
la fienne. Comme vous... je ne veux pas poufler
plus loin ce parallèle; je me contente de cette réflexionde
ſon illuftre hiſtorien ? « Sa vie doit ap-
>>prendre aux Rois combien un gouvernement
>>> pacifique & heureux eft au - deſſus de tant de
>>>gloire. » Il paroît qu'il avoit aſlez mal profité
de votre exemple .
CHARLES . N'en ſoiez pas ſurpris. Moi-même
avois-je profité des exemples domeſtiques & des
funeſtes diviſions qui avoient déchiré , preſque
fous mes yeux , ma maison & celle d'Orléans ?
Avois-je profité de l'exemple de tant d'autres Princes
, dont l'ambition a caufé la perte & fait le
malheurd'une multitude innombrable de peuples
qu'ils ont ſacrifiés à l'idole d'une gloire frivole ?
138 MERCURE DE FRANCE.
Les fautes des pères , obſerve judicieuſement un
bel eſprit François , ſont perdues pour leurs enfans.
Mais quittons cette matiere ; quelque long
que foit le loiſir dont nous jouiflons ici , nous ne
viendrions pas à bout de l'épuiſer.
RENE' . J'y conſens volontiers . Parlons de quelque
choſe de moins sérieux &de plus agréable.
Vous connoiſlez , fans doute , toutes les marques
d'honneur dont ma maiſon est décorée ?
CHARLES. Je ne vois pas à quel propos vous
me faites cette queſtion. Vous n'ignorez pas vousmême
que je fors de celle de France , qui eſt la plus
illuftre de l'Univers. Quant à la vôtre , je ſçais
qu'elle eſt montée , il n'y a pas fort long-tems , fur
letrône impérial; ce qui eſt la plus grande gloire
qu'elle pût recevoir .
RENE'. Quelque ſenſible que j'y ſois , je ne me
tiens pas moins honoré des alliances qu'elle a contractées
avec celle de France .
CHARLES. Je ſçais que Claude , fille de Henri
II , épouſa Charles II , Duc de Lorraine ; que
Henri III , fils de ce monarque , eut pour femme
Louiſe de Lorraine , fille de Nicolas , duc de
Mercoeur & comte de Vaudemont ; que Catherine
de Bourbon , foeur de Henri le Grand , fut mariée
à Henri , duc de Bar. Voilà , fi je ne me trompe ,
à-peu-près toutes les alliances de votre Maiſon
avec celle de France ; & c'eſt aflez pour l'illuftrer
àjamais.
RENE' . Eſt - ce là tout ce que vous ſavez.
CHARLES. Je ne m'en rappelle pas davantage...
Attendez ; j'en oublie peut être quelques - unes
avec des Princes d'Eſpagne , fortis de la Maiſon
SEPTEMBRE. 1770. 139
de France .... Je puis en oublier quelques au
tres.
RENE' . Il faut donc vous en apprendre une
nouvelle qui met le comble à toutes les autres &
qui me pénétre de la joie la plus vive. MARIEANTOINETTE
, qui fort en ligne directe de vous
&de moi , fille d'une Héroïne que vous comptez
parmi vos deſcendans , épouſe aujourd'hui le
DAUPHIN DE FRANCE.
CHARLES. Ah ! quelle heureuſe nouvelle vous
m'apprennez. Mais est-elle bien aſſurée ?
RENE' . Elle est indubitable . Il y a précisément
deux fiécles que Charles IX épouſa Eliſabeth
d'Autriche , fille de Maximilien. La violence &
l'emportement formoient le caractere de ce Prince
; celui du DAUPHIN eſt la douceur & la bonté,
qui rendront notre aimable Princeſſe auffi heureuſe
qu'elle mérite de l'être ; c'eſt à dire , la plus
heureuſe de toutes les Princeſſes . Elle a trouvé
votre gros diamant que vous perdîtes à la bataille
deGranſon ; il ornera la tête , avec pluſieurs autres
, qui ne font pas d'une moindre valeur. Quel
eſt l'excès de ma félicité ! Combien n'y dois - je
pas être ſenſible , en conſidérant que ma Maiſon
remplira les deux premiers trônes du monde :
Lorſque Lours LE BIEN - AIME' ,
Par ſes vertus , par lon courage ,
D'un pôle à l'autre renommé ,
Le modèle accompli des Princes de ſon âge ,
De la Divinité la plus parfaite image ;
A ſes peuples chéris , aux fidèles François ,
Pendant un ſiècle &plus , aura donné des loix:
140 MERCURE DE FRANCE.
Enfin , lorſque quittant le ſéjour de la terre ,
Le ſouverain maître des dieux ,
Jupiter , dans ſes mains remettra ſon tonnerre ,
Et le fera régner avec lui dans les cieux.
Il veillera ſur toi , France trop fortunée !
Sans cefle tu feras préſente à ſon grand coeur ;
Tu le verras ſur toitépandre ſa faveur ,
Et de tout l'Univers régler la deſtinée.
Je n'ai pu réſiſter à cette eſpéce d'enthouſiaſme
qui vient de me faifir; les qualités de ce grand
Roi & le mariage de ton auguſte petit-fils feront
mon excufe.
CHARLES. Je ne puis , non plus que vous , contenir
les fentimens que m'inſpire cet événement
auffi heureux qu'imprévû. Si les embres avoient
un corps , je vous embraſſetois avec tendreſſe , en
reconnoulance de la joie que vous me cauſez . Au
défaut de ce gage extérieur de ma réconciliation,
recevez l'aflurance , que j'oublie , dès ce moment,
en faveur de cette auguſte union , tous les ſujets
de plaintes que j'avois contre vous , & que je ne
vous veux plus de mal de ma mort que je n'ai pu
vous pardonner pendant trois fiécles.
RENE'. Avant que de commencer notre entretien
, j'étois certain d'avoir trouvé le ſecret d'étouffer
votre reflentiment , & de calmer votre colère;
avantage queje defirois depuis long- tems &
dont je me féliciterai éternellement. Adieu. Je
vais me réjouir de cette nouvelle alliance avec tous
les Princes de ma nombreuſe Maiſon .
CHARLES. Et moi , je cours l'annoncer à ma
SEPTEMBRE. 1770. 141
fille Marie , à ſon petit fils Charles - Quint , & aux
autres Empereurs de la mienne.
Par M. l'Abbé JOLY , Cenfeur royal.
Le Déserteur, drame en cinq actes & en
proſe ; par M. Mercier , grand in- 8 °.
AParis , chez Lejay , libraire , rue St
Jacques , au-deſſus de celle des Mathurins
, au grand Corneille .
Durimel , fils d'un ſoldat , élevé loin
des yeux de ſes parens , dépourvu de refſources
, emporté par l'exemple , ſuivit ,
à l'âge de ſeize ans, la carriere des armes
; mais il n'eut pas la conſolation de
ſe trouver dans le régiment où ſervoit fon
pere. Ce régiment avoit paflé les mers&
onn'en recevoit point alors de nouvelles.
Durimel avoit pour colonel le plus dur ,
le plus inflexible des hommes. Injuſtement
moleſté par ce colonel , il veut répondre
, il ſe ſent fraper. Il fait quelque
geſte de colere , dans le moment on fe
ſaiſit de lui & on le jete dans une prifon .
Il profite du ſeul inſtant qui s'offroit &
prend la fuite. Il eſt dénoncé déſerteur&
jugé àmort le même jour. Errant , fugitif
il ſe rend dans une ville frontiere d'Allemagne
, il trouve un aſyle chez une
veuve qui faisoit le commerce. Cette
142 MERCURE DE FRANCE.
veuve avoit une fille unique nommée
Clary. Les ſervices qu'il rend pendant
ſept ans dans cette maiſon , la régularité
de ſa conduite , ſon goût pour les chofes
honnêtes , la douceur de fon caractere le
rendent agréable à la mere & cher à Clary.
Durimel faifoit conſiſter ſon bonheur
à plaire à cette aimable fille & voyoit arriver
le jour heureux où leur union alloit
être célébrée ; mais,la veille même de ce
jour ſi deſiré , la guerre amene dans la
ville qu'il habite le même régiment qui
porte ſon arrêt de mort. Le trouble , les
chagrins , les inquiétudes les plus cruelles
s'emparent de cette famille défolée.
La veuve & fa fille cherchent à dérober
aux regards de tous les officiers l'infortu
né Durimel ; mais cette famille eſt indignement
trahie par un ami perfide qui ne
voyoit dans Durimel qu'un rival favorifé.
Il eſt livré aux foldats du régiment.
Ce drame , qui eſt dans le genre que l'on
appelle larmoyant , préſente ici une ſituation
très - pathétique. Le major du régiment
reconnoît dans ce déſerteur ſon fils
unique. Sa poſition eſt même d'autant
plus cruelle qu'il eſt obligé de dévorer ſes
Iarmes . S'il laiſſoit échaper ſes pleurs paternelles
, on ne manqueroit pas de lui
ſter ſon prifonnier , on le priveroit de ſa
SEPTEMBRE.
1770. 143
vue & de ſes derniers momens ; & ce
malheureux pere regarde comme la ſeule
confolation qui lui reſte d'accompagner
dans ces momens cruels les pas de ſon
fils , de l'affermir , de l'encourager. La
nature cependant fait entendre ſa voix.
Le major engage ſon fils à profiter d'une
occaſion qui ſe préſente &de ſe ſauver ;
mais Durimel aime mieux fubir la mort
que de compromettre l'honneur de fon
pere auquel le prifonnier a été confié. A
Î'heure marquée pour l'exécution , lorſque
les régimens ſont rangés, Durimel s'avance
, traverſe les rangs d'un pas égal &
tranquille. Le malheureux major paroifſoit
être la victime qu'on alloit immoler.
Chacun le connoiſſoit humain , fenſible
& généreux ; mais on ne ſavoit à
quoi attribuer tant d'amour & de tendreſſe.
11 embraſle vingt fois le prifonnier
, & , felon ſa coutume , défend aux
foldats de crier grace ſous peine de vie...
Sa voix s'altère ... Il s'apprête à donnerle
ſignal ... mais fon bras ne peut ſe lever.
Tout- à- coup il s'arrête , & s'écrie en fanglotant
: " Non , vous n'exigerez pas que
>> cette main tremblante donne le ſignal
>> de ſon trépas. La nature l'emporte &
>> m'arrache mon ſecret. Blamez - moi
144 MERCURE DE FRANCE.
- encore d'embraſſer la cauſe de ces in-
>>fortunés . Celui que vous voyez ... ap.
>> prenez tous qu'il eſt mon fils ; oui,mon
>> fils. Frappez deux victimes ... » Il ſe
rejette dans ſes bras, il le preſſe ſur ſon
ſein ; il ne peut s'en ſéparer. Chacun verſe
des latmes ; mais la loix inflexible a
parlé , & feule elle eſt écoutée ... On
entraîne le pere malheureux. On lui dé.
robe cette ſcène enſanglantée. Quoique
cette action ne ſoit qu'en recit dans le
drame , elle ne peut manquerde faire fon
effet , on gémira fur la cruauté de la loi ;
mais on admirera le héros qui a préféré
l'honneur d'un pere à ſa propre vie.
LETTRE à M. ***.
Il a paru , il y a quelque tems , une nouvelle
relation de l'Angleterre , intitulée , Londres ; je
connois pluſieurs Anglois de beaucoup d'eſprit
qui ne peuvent reconnoître leur patrie & leurs
compatriotes au portrait qu'on en faitdans ce livre.
L'homme de lettres , qui on l'attribue , eſt
trop honnête , ſans doute , pour qu'on puiſſe le
ſoupçonner d'aucune infidélité volontaire ; mais
peut- être a-t-il recueilli , avec trop de confiance ,
des anecdotes hafardées & des propos de cafés . Ce
n'eſt pas à moi d'entrer dans ce détail de critique ;
jeme contenterai de relever une erreur de fait qui
intéreſſe unhomme célèbre , dont j'eſtime , j'aime
&j'honore la perſonne & les talens.
L'auteur
SEPTEMBRE. 1770. 145
L'auteur de Londres dit à la page 89 du tome
premier. « Garrick , le plus grand Acteur qu'ait
>>jamais eu l'Angleterre & peut- être l'Europe , ſe
>> trouvant à la tête de l'entrepriſe du théâtre de
>>> Drury- lane , crut pouvoir ſe ſervir de la confi-
-dération que lui méritoient ſes talens pour mettre
ſon théâtre ſur le pied de ceux de Paris. >>>
Voici le fait. On étoit dans l'uſage , aux deux
théâtres de Londres , de laiſſer entrer pour la moitié
du prix ordinaire , ceux qui ſe préſentoient
après le troifiéme acte de la premiere piéce . M.Garrick
voulut fupprimer cet ufage : cette innovation
fouleva une grande partie du public : le jour où le
nouvel arrangement fut annoncé, il y eut un tumulte
épouvantable à Drury - lane ; on ne voulut
pas permettre aux acteurs de jouer, & l'on finit par
démolir les loges & tous les ornemens de la falle.
Le récit que l'auteur de Londres fait de cette aventure
eſt exact , à quelques circonstances près qui
fervent fans doute à rendre le tableau plus piquant
; mais il ajoute : « Le théâtre ayant été ré-
>>>paré & r'ouvert, la même foule y revint , &
>>G>arrick ayant paru pour faire quelques excuſes
לכ fur ce qui s'étoit paffé, il fut traité comme un
>>>homme qui auroit attenté à la majesté du Peu-
>>>ple Anglais : pour réparation de quoi , on exi-
>> gea de lui , ſous peine de démolition totale de
>>>ſon théâtre , qu'il demanderoit pardon à ge-
>>> noux : il le fit , & n'a pas depuis reparu ſur la
>>> ſcène , &c . »
Je peux affirmer que cette anecdote eſt abſol 1-
ment faufle. On n'exigea point que M. Garrick(e
mît à genoux & demandât pardon ; & , quand on
l'auroit exigé , il a l'ame trop élevée & trop fiere
pour s'abaiſſer à une ſemblable humiliation. Un
G
146 MERCURE DE FRANCE.
comédien Anglois eſt un citoyen , un homme li
bre qui ne reconnoît aucune eſpéce de deſpotiſme,
pas même celui de la populace. Il eſt d'ailleuts
bien étonnant que l'auteur de Londres ajoute que
M. Garrick n'a pas reparu , depuis , fur la ſcène.
Il faut que cet écrivain ait parfaitement rompu
tout commerce avec l'Angleterre pour ignorer que
M. Garrick , depuis ſon retour de ſes voyages ,
c'est -à-dire , depuis environ quatre ans , n'a pas
ceflédejouer ſur ſon théâtre.
Je me fuis chargé , avec plaiſir , de faire àM.
Garrick la réparation que l'auteur de Londres lui
auroit fans doute faite lui- même , s'il avoit été
détrompé ſur l'erreur qui lui eſt échappée. M. Garrick
eft non-ſeulement,comme le dit cet écrivain, le
plusgrand acteur del'Angleterre&peut- être de l'Europe;
c'eſt encore un homme de lettres diftingué ,
&l'un des meilleurs auteurs comiques qu'ait aujourd'hui
l'Angleterre. Il joint d'ailleurs à tous
ces talens un caractere honnête & des moeurs aimables
, qui lui ont mérité l'eſtime & l'amitié de
tous ceux qui le connoiflent perſonnellement.
Mais il ne faut pas tant de titres pour lui faire
rendre la juſtice qu'il a droit d'exiger. J'eſpère ,
Monfieur , que vous voudrez bien imprimer cette
Jettre dans votre Journal.
J'ai l'honneur d'être , &c.
SEPTEMBRE. 1770. 147
SUR la ſtructure des muscles , l'actio'n
qu'ils reçoivent des eſprits animaux &
leur usage ; parM. Gautier Dagoty
pere , anatomiſte penſionné du Roi.
CETTE matiere a été agitée pluſieurs fois , il
ſemble cependant qu'elle n'eſt pas encore aflez développée
, parce qu'il faut démontrer la ſtructure
des fibres qui compoſent les muſcles , de quelle
façon elles font dirigées pour une plus grande action
, comment elles font cette action & ce qui les
force de la faire.
Le muſcle n'eſt autre choſe qu'un aflemblage de
fibres qu'on appelle motrices . La fibre motrice eft
ordinairement compoſée de trois parties ; celledu
milieu est charnue , & les deux extrêmités tendineuſes.
La partie charnue eſt molle & de couleur
rouge, & la tendineuſe eſt ferme , dure & blanchâtre.
Ily a cependant des muſcles , comme le quarré
pronateur de l'avant - bras & pluſieurs autres , qui
n'ont aucune partie tendineuſe.
La ſtructure des fibres charnues a été long- tems
indéciſe. Pluſieurs anatomiſtes ont prétendu qu'elle
avoit la figure d'un petit priſme , à trois pans ,
compoſé de pluſieurs filets auxquels ils donnoient
pluſieurs formes . Borelly foutenoit que chaque
fibre devoit être confidérée comme un canal cylindrique
& rempli d'une ſubſtance ſpongieuse qui
laiſſoit des eſpaces lozanges dans leur entrelaffement.
Bernoulli regarde avec raiſon la fibre muf
culeuſe & charnue comme une eſpéce de tuyau qui.
eſt lié de telle maniere d'eſpace en eſpace par les
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
fibres membraneuſes qui l'entourent, qu'en ſegon
flant il ſe forme entre les ligatures autant de véſieules
qui , par la communication qu'elles ont encore
entr'elles , malgré ces ligatures , s'enflent
toutes à la fois au moyende la matiere fluide dont
elles ſont continuellement abreuvées. *
C'eſt ici la conjecture la mieux établie , &plufieurs
remarques que j'ai faites en démontrent la
vérité. La chair de boeuf ou de cheval , cuite ou
ſurpriſe pat l'eau bouillante , fait appercevoir ces
ligatures racornies , & par ce moyen les fibres
charnues compoſées de ces véſicules. Dans la chair
de vieille vache ou de truie , la molefle de membranes
muſculeuſes empêche la contraction dans
l'eau bouillante,& les fibres reſtent molles & filandreuſes
; on n'apperçoit pas leurs interfections .
Les fibres tendineuſes ſont des filets blancs , ermes
, durs , ferrés & élastiques : ces filets ſe ſéparent
ailément dans quelques tendons qu'on a fait
tremper dans l'eau & qui commencent à ſe pourrir.
Les tendons deviennent quelquefois oſſeux ,
comme cela ſe voit dans ceux des jambes de plufieurs
oiſeaux qui deviennent ofſeux dans toute
leur étendue , à la réſerve des endroits par où ils
paſſent ſur les articles ; ce qu'on remarque dans
les coqs- d'inde , dans les grues , &c. Dans tous
les muſcles la chair tient lieu dereffort , c'est-àdire
qu'elle a la propriété de ſe racourcir & de ſe
* Obstat nimia fibrarum carnearum exilitas
quæ nimis veram earumdem ſtructuram oculis
etiam optimo microscopio armatis liceat infpicere,
hinc ideo meris conjecturis cogimur affequi.
SEPTEMBRE. 1770. 149
gonfler , & le tendon fait l'office d'une ſimple corde;
en effet on voit par la diflection des animaux
vivans, que , dans l'action des muſcles, il n'y a que
les fibres charnues qui ſe contractent ou ſe racourciflent
, & que les tendons auxquels les fibres
charnues ſont attachées , retiennent toujours leur
même longueur & ont toujours les mêmes dimenfions
*
Les fibres charnues font arrangées inégalement
dans chaque muſcle , de maniere que pour l'ordinaire
le plan des chairs a la figure d'un rombe ou
d'un romboïde , & les tendons oppoſés ont celle
d'un trapèze ; & lorſque , pour tirer avec plus de
force, elles font obligées d'aflembler pluſieurs de
ces plans , elle leur donnent à-peu-près la forme
d'une plume dont les barbes repréſentent les deux
plans des fibres charnues , &le tuyau , le tendon
mitoyen qui , étant ordinairement grêle & délié ,
n'occupe par fon infertion qu'un très -petit elpace
fur le corpsdel'os .
L'arrangement des fibres , en forme de plume
péniforme , fait à-peu-près le même effet qu'une
corde tirée fur toute la longueur par une jufinité
de points latéraux; c'eſt par ce moyen que le
Créateur place ſans difformité plusieurs muſcles
très - charnus les uns parmi les autres ſur les os ;
au lieu que, ſi les fibres charnues étoient d'un bout
àl'autre d'un muſcle , les plans qu'ils forment ſeroientpoſés
les uns ſur les autres à- peu près commedes
cartes , & le ventre du muſcle ſeroit épais
* Nullus fit motus in corpore animalifiveſpontaneus
fitfive voluntarius , five mixtus nifi àfibra
motrice ; hinc , nonnulli malè definiunt musculum
quòdfit motûs voluntarii organum.
Giij
50 MERCURE DE FRANCE.
&demanderoit un grand eſpace ſans faire pour
cela plus d'éffort. D'ailleurs ce gros paquet de
fibres qu'il faudroit alors à chaque muſcle , ainſi
entaflés les uns fur les autres , rendroient les parties
peſantes , difformes & monstrueuſes .
Toutes les fibres charnues dans un même mufcle
ſont égales , mais celles qui compoſent les
tendons font diſpoſées de telle maniere que la
plus longue d'un tendon répond à la plus courte
du tendon oppoſé ; on voit par- là qu'un tendon ,
quelque délié qu'il puifle être , renferme autant de
fibres ou de filets qu'il y a de fibres charnues .
Ilya un nombre infini de fibres membraneuſes
qui font implantées dans les fibres charnues , elles
naiſſentde la memorane propre du muſcle. Ces
fibres font parallèles entr'elles & entrecoupent
tranſverſalement les fibres charnues , & les lient
étroitement entr'elles & fur leurs longueurs par
interfection , comme dit Bernoulli.
Chaque muſclea ſon enveloppe particuliere qui
eſt formée par un tiſſu ferme & ferré , de laquelle
naiſſent les fibres membraneuſes dont on vient de
parler. Cette membrane tient en état les fibres
charnues& empêche leur défunion.
Si tous les muſcles n'étoient retenus fimplement
que par leur membrane propre , dans des
actions violentes , ils s'écarteroient les uns des autres
& ſe jeteroient en - dehors , ce qui cauſeroit
des gonflemens qui rendroient la ſurface des parzies
inégale. Cette enveloppe ne ſert pas feulement
d'étui au muſcle ; elle fournit encore plufieurs
alongemens qui , comme autant de cloifons,
lient, féparent & diftinguent les muſcles
des parties voiſines.
Chaque muſcle eſt parſemé d'un très - grand
SEPTEMBRE. 1770. 11
nombre d'artères , de veines & de nerfs qui percent
différemment le ventre du muſcle , tantôt en
un endroit , tantôt à l'autre , ſelon la ſituation &
la route des vaiſſeaux d'où ils tirent leur origine.
Quandces nerfs , artères& veines font entrés dans
les muſcles ils ſe partagent en mille petits rameaux,
qui ſe diviſent enſuite de telle maniere
fur la furface de chaque fibre charnue , qu'ils font
un reſeau ou lacis qui la couvre entierement. On
voit auffi un très-grand nombre de vaiſſeaux lymphatiques
qui les entourent & qui naiſſent de la
membrane propre de chaque muſcle.
Couper prétend avoir obſervé pardes injections
mercurieles que les artères capillaires s'ouvrent
dans le tiſſu véſiculaire des fibres charnues. L'abondance
de ſang dont ces fibres ſont imbibées
leur donne la couleur rouge , qu'on appelle communément
couleur de chair. Cela eſt ſi vrai qu'à
meſure que l'on feringue de l'eau tiède dans un
muscle&qu'on en ôte le fang , ſes fibres deviennent
pâles & blanches .
Les ligatures membraneuſes des fibres charnues
font les ſeuls inſtrumens dont la nature ſe ſert
pourgonfler & racourcir les fibres qui font cylindriques
& creuſes , & cela ſe fait en arrêtant les
fluides qui les parcourent. Alors le muſcle attaché
fur deux os différens les rapproche & cauſe leurs
mouvemens de flexion l'un ſur l'autre , ou d'écartement;
& celui de rotation , de pronation ou de
fupination eſt occaſionné par le concours & les
attaches de pluſieurs muſcles qui agiſſent tout- àla
fois & ſe racourciſſent ou tirent tour-à-tour les
parties auxquelles ilsfont attachés . Aucun muscle
parconséquent, ne peut s'alonger par ce méchaniſme;
cequi eſt en effet ; mais les parties qui ont
beſoin d'être alongées & de groſſir en même tems
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
par le moyen des ligatures membraneuſes , qui
font les ſeuls inftrumens de tout mouvement animal
, font compoſées de corps caverneux dans lefquels
le fang & les fluides en général ſe répandent,
& lorſque les ligatures membraneuſes referrent
les vaiſſeaux qui fervent au retour de ces fuides
, comme les veines honteuſes dans le penil ,
fur- tout celle qui paſſe ſous le ligament fufpenfoire
, par les productions duquel elles font refferrées;
alors le ſang & les liqueurs qui fuent
dans les corps caverneux , fans un retour proportionné
, groffiilent & alongent la partie à laquelle
les corps caverneux font attachés.
Ces deux mouvemens ne s'opèrent pas avec la
même facilité & la même promptitude , quoique
produits de la même façon , c'eſt - à - dire par le
moyen ſeulde la contraction des ligatures membraneuſes.
Le mouvement mufculaire le fait par
le moyen des fibres creuſes & cylindriques toujours
pleines , que la ſeule contraction momentanée
& fpontanée de toutes les ligatures à la fois
racourcit fur le champ & par conféquent le mufcle,
uniquement compoſé de ces fibres ; au lieu
que , dans celui des parties dant nous venons de
parler , la contraction des ligatures , quoique
prompte , ne fait que commencer l'épanchement
des fluides dans les corps caverneux qui eſt plus
ou moins lent , ſelon la force de la contraction ,
l'abondance des eſprits & celle des autres fluides.
Je crois qu'il eſt démontré comme les muſcles
font conftruits , de la façon que leurs fibres ſe racourciflent
; mais il reſte à voir la cauſe de cette
contraction prompte & ſpontanée , qui dépend de
la ſeule volonté , fi ce n'eſt dans les convulfions ;
d'une autre part elle ſe trouve en nous dans les
muſcles de la reſpiration & dans ceux qui forment
SEPTEMBRE. 1770. 153
les mouvemens où la volonté n'a aucune part ,
comme ceux de diastole & de ſyſtole du coeur.
La contraction des filets membraneux qui lient
les fibres charnues de tous les muſcles en général ,
ne peut être produite que par les filers nerveux répandus
& extrêmement diviſés dans les membranes
qui produiſent & qui font les ligatures des
fibres charnues. Le nerf en lui-même n'a aucun
mouvement , non plus que les veines ; & celui
qu'ont les artères n'eſt pas un mouvement qui leur
foit propre , mais ſeulement l'impulfion du fluide
qu'elles contiennent & que le coeur leur pouſle par
-ſyſtole. Les nerfs ne font , comme les artères, que
porteurs d'un autre fluide bien plus délié qui part
du cerveau & qu'on nomme eſprits animaux , qui
n'eſt autre choſe que des parties de feu. Ce fluide
peut ſeul caufer la contraction des filets membraneux.
Mais, ſi les eſprits animaux que portent les
nerfs n'avoient point d'iſſue & un retour auffi facile
, pat le moyen d'autres nerfs qui les reçoivent
&les rapportent au cerveau avec autant de promptitude
qu'ils arrivent dans la partie qu'ils font
agir , ils n'occaſionneroient que des inflammations
; & comme dans les convulfions , la tenſion
des muſcles ſeroit longue & déſordonnée , c'eſt
ce retour qui fait toute la liberté de la contraction
des ligatures des fibres charnues & de leur diſtention.
*
De forte que la contraction des ligatures mem-
* Ce ſyſtême d'impulfion du fluide nerveux
:par le cervelet & de ſa réaction dans le cerveau ,
eſt de moi ; je le donnai dans mes tables anatomiques
en 1750. On a voulu fe l'approprier dans unης
theſe demédecine environ dix ansaprès... رو
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
braneuſes ſur toute la longueurdes fibres charnues
qui occafionne le mouvement des muſcles ou leur
racourciflement , dépend de la ſuppreffion du re .
tour des eſprits animaux dans le cerveau , & la
liberté du retour remet ſur le champ le muſcle
dans ſon état naturel & d'inaction. Mais , comme
ces mouvemens- ſont ſpontanés & que nous ne
connoiflons aucun autre Auide qui puiſſe arrêter le
retour des efprits animaux comme ceux-ci arrêtent
celui du fang , les fluides ne pouvant ſe contenir&
s'arrêter eux-mêmes , il faut que ce retour
volontaire ou ſpontané dépende d'un être différent
de tout ce qui tombe ſous nos ſens , c'eft-à-dire
d'une ame libre & immatérielle.
Al'égard des mouvemens involontaires comme
ceux des muſcles de la reſpiration &de ceux du
coeur , celui des inteſtins , &c. ils nous ſcroient
nuifibles s'ils dépendoient de la volonté & ne pouvoient
pas même s'exécuter dans notre ſommeil .
Tout comme le balancier d'une montre que le reffort
prefle continuellement , &que les pignons &
les roues renvoient de même par des rencontres
oppoſées , ainfi , dans le coeur , la contraction
des mufcles qui compoſent les ventricules ou le
mouvement, de ſyſtoſe occaſionne la dilatation
*ou le diastole des oreillettes, &par contre-coup le
fyſtole de ceux- ci occafione la dilatation des ventricules.
Les eſprits animaux que fourniffent continuellement
les nerfs au coeur refuent de l'une à
l'autre partie de ce viſcere ſans aucun retour dans
le cerveau. Ce qui arrive dans la preſſion des poumons&
les convulfions , qui ſont des mouvemens
involontaires , doit être par l'obſtruction ou l'engorgement
des eſprits animaux dans les nerfs , quž
fupprime le retour au cerveau de ces eſprits; c'eſt
ce que l'on voit dans des vers & d'autres infectes
SEPTEMBRE. 1770. 155
que l'on coupe par morceau. Enun mot , le reffort
de la montre ne fait aller le balancier & les roues
que parce qu'une main active l'a mis dans ſa tenfion,
& les nerfs qui agiſſent ſur toutes les parties
du corps n'opèrent que parce qu'un être actif
les monte & les met en mouvement.
NB. M. Gautier Dagoty pere , auteur de la pré-
*ſente differtation , donne la ſeconde diſtribution
de fon cours d'anatomie en figures de couleur naturelle
avec leurs tables explicatives grand format
, & donne en même tems , la premiere diſtribution
des mêmes tables & des mêmes figures petit
format , édition très - commode aux étudians
en médecine & en chirurgie. On trouve le projet
de cet ouvrage tout au long , &les adreſſes dans
les avis de la fin du Mercure de Juin dernier.
Sur l'art de faire le Vin .
EXTRAIT des regiſtres de lafaculté de médecine
de Paris.
La faculté de médecine étant aſſemblée le ſamedi
12 Mars 1768 , MM. Macquer , Roux & d'Arcet
, docteurs-régens de ladite faculté & commiffaires
nommés pour examiner un ouvrage de M.
Maupin , ſur l'art de faire le vin , ont fait le rapportſuivant.
Nous ſouſſignés commiſſaires nommés par la
faculté pour examiner un livre imprimé qui a pour
titre : Effai fur l'art defaire le vin rouge , le vin
blanc& le cidre , avec un manuscrit deſtipé à en
faire la fuite , avons jugé que les moyens que l'auteur
propoſe & qu'il a déja mis en ulage pour ac
Gyj
I136 MERCURE DE FRANCE.
céleret la fermentation ordinairement trop lente
des vins de nos provinces ſeptentrionales , ſont
très- propres à remédier aux défauts les plus ordinaires
de ces fortes de vin. * Il nous a paru en
conféquence que cet auteur méritoit d'être encouragé
dans des recherches auſſi utiles , & qu'on ne
fauroittrop multiplier. A Paris , le 12 Mars 1768 .
Signé, MACQUER , ROUX & D'ARCET.
Ouï le rapport de MM. les Commiſſaires , la
faculté a approuvé l'ouvrage de M. Maupin & les
moyens qu'il propoſe pour perfectionner le vin.
AParis , le 12 Mars 1768 .
Signé , BERCHER , doyen.
Au refte ces défauts que , d'après mon dernier
fuccès je me fuis fait fort de corriger entierement
dans telle province &dans tel vignoble qu'il plaira
au miniſtere de me nommer, ſont communsdu
plus au moins , à preſque tous les vignobles du
royaume. On les trouve dans les vins du Berry ,
du Poitou & de beaucoup d'autres provinces ,
comme dans ceux de la Picardie & de la Brie ; &
quand les vins n'ont pas les défauts de la verdeur,
ils en ont d'autres que l'on peut encore prévenir
par mes procédés ; on peut voir ces défauts & mes
procédés ce font les mêmes que j'ai ſuivis dans
ma derniere expérience ) dans l'ouvrage qui ſe
vend à Paris , chez Muſierfils , libraire , quaides
Augustins.
* Les défauts ordinairesdes vins de nos provinces
ſeptentrionales ſont d'être verds , & par conféquent
cruds , froids , durs , indigeſtes , ſouvent
groffiers & toujours défagréables & malfaifans.
SEPTEMBRE. 1770. 157
SPECTACLE S.
CONCERT SPIRITUEL.
LEmercredi 15 Aoûr , fête de l'aſſomption
de la Vierge , on a donné au Concert
Spirituel Cantate Domino , nouveau motet
à grand choeur de M. Azais , maître
de muſique du Collège de Sorcze en
Languedoc. Sa compoſition a paru d'un
bon ſtyle , d'une expreſſion juſte & d'un
effet picquant. M. Balbâtre a fait entendre
ſur l'orgue un de ſes concerto , qu'il
a parfaitement exécuté. Madame Julien
a chanté afferte Domino , motet agréable
de M. le Febvre . On a donné de
nouveaux applaudiſlemens au jeu brillant
deM. Traverſa , premier violonde S. A. S.
Mgr. le P. de Carignan. M. l'abbé Platel ,
très-belle baſſe- taille , a chanté , avec
goût , un excellent motet à voix ſeule de
M. l'abbé Girouſt . Le Concert a fini par
Laudate , motet arrangé fur pluſieurs airs
de M. Grétri , dont la muſique fçavante
& agréable ne peut manquer de plaire ,
fous telle forme qu'on la reproduife.
I158 MERCURE DE FRANCE.
OPERA.
Il y a eu pluſieurs débuts , à l'opéra ,
dans les dernières repréſentations des
fragmens.
Mlle. Girardin , élève des écoles de
l'académie , a chanté le rôle de la Bergère
dans l'acte de la danse des talens
lyriques. La timidité qui a gêné fon
chant, & le peu de tems d'ailleurs qu'elle
a paru ſur la ſcène , ne peuvent guère
mettre à portée de juger de ſes talens&
de l'étendue de ſa voix que le public
pourtant a trouvée agréable.
Mlle. Vincent , élève de M. l'Ecuyer
ordinaire de l'académie royale de muſique
, a auſſi débuté dans le même acte ,
par le Roffignol de Rameau , & par l'ariette
Vénus à qui deux beaux yeux , de
M. Berton , l'un des directeurs de l'académie
royale de muſique. On a fortapplaudi
les deux morceaux qu'elle a chantés
fucceffivement. On lui a trouvé un beau
ſon de voix , beaucoup de légéreté , de
préciſion & de juſteſſe. On lui reproche
ſeulement un accent étranger , qu'elle a
ſans doute contracté en chantant l'italien ;
SEPTEMBRE. 1770. 159
mais , avec un peu de travail & d'attenrion
, elle deviendra un ſujet agréable
&utile dans le genre qu'elle a choifi
pour ſon début.
M. Tramar , danſeur , arrivant de la
cour de Vienne , a débuté dans une entrée
ſur une loure ajoutée à l'acte de la
danſe. Ce danſeur est bien fait de ſa
perfonne , d'une taille ſvelte & avantageuſe
; ſes talens ont été accueillis ,
& il est très - propre à ſuppléer MM.
Veſtris & Gardel .
On a remis le mardi 28 , les Fêtes
Grecques & Romaines , parroles de Fuzellier
, muſique deBlamont. Nous rendrons
compte de cette repriſe dans le
Mercure prochain .
COMÉDIE FRANÇOISE.
Le ſamedi 28 Juiller , on a repréſenté
Phedre & Hyppolite , tragédie , dans
laquelle Mlle. St. Val arendu , avec
beaucoupde ſenſibilité & d'intelligence ,
le rôle de Phedre .
M. de la Haye a débuté , fans avoir
été annoncé , dans le rôle de Clitandre
du Jaloux déſabuſé. Le double talent
160 MERCURE DE FRANCE .
qu'ila , de jouer dans la comédie , & de
chanter , le rendra très utile à ce ſpeccacle.
les comédiens françois , ordinaires du
Roi , ont donné le lundi 30 Juillet , la
première repréſentation de la Veuve du
Malabar , tragédie de M. le Miere.
Le grand prêtre de Brama prépare le
facrifice d'une veuve du Malabar , qui
doit ſe jeter au milieu des flammes d'un
bûcher , pour honorer la mémoire de fon
mari . Ce grand prêtre regarde cet acte
rigoureux , comme un préjugé favorable
à fa religion & effentiel à l'affermiflement
du culte de Brama. Un jeune Bramine
ofe lui repréſenter le fanatiſme de
cette coutume , qui offenſe à la fois , la
nature l'humanité , la Religion. Le
grand prêtre repouſſe cette foibleſſe d'un
coeur fenfible. Il objecte le préjugé qui
laiſſe à la Veuve , le choix entre la mort
ou l'ignominie . Vouloit , dit- il , conferver
une vie honteuſe :
,
Eft ce vivre en effet , c'eſt mourir plus long-tems.
Il lui retrace & lui détaille les tourmens
volontaires des Bramines & de
ces hommes qui s'impofent , & bravent
des fupplices continuels.
SEPTEMBRE. 1770. 161
Mais , comme le remarque le jeune
bramine :
Qui ſe haittant lui même aime peu fon femblable.
Il blâme ces tourmens par leſquels le
fanatique attente à ſa conſervation :
Comme s'il étoit né ſous des dieux mal faiſans
Dont il dût repouſſer les funeſtes préfens .
Le grand prêtre lui ordonne l'obéiffance
& le filence , & preſſe l'exécution
du facrifice. Ce bramine eſt chargé d'annoncer
à la veuve l'arrivée du grand
prêtre ; il gémit en même-tems ſur le
fort de cette veuve , & déteste les devoirs
affreux de ſon miniſtère . La Veuve
du Malabar voit approcher , ſans effroi ,
le moment fatal où elle doit périr pour
un époux qu'elle a peu connu , qu'elle
n'a jamais aimé , & qui eſt loin d'elle.
Elle regarde avec indifférence , des jours
qu'elle n'a pu conſacrer à un françois
qu'elle a connu dans une traverſée de
mer , & dont elle a cru pénétrer la paffion
pour elle .
Cet officier françois, chefd'une eſcadre ,
profite d'une trêve pour venir parler des
moyens de paix , qui peuvent prévenir
162 MERCURE DE FRANCE.
la deſtruction de la ville qu'il eſt prêt
d'affiéger ; l'intérêt de ſon amour , &
l'eſpérance de voir ſa maîtreſſe l'amenent
auſſi ; il apprend les horreurs du ſacrifice
qu'on prépare , ſans ſçavoir qui doit être
la victime ; & par un ſentiment généreux
, il s'écrie :
Oublions mon amour , l'humanité m'appelle.
Il fait des reproches très- vifs au grand
prêtre de fouffrir une telle barbarie ; le
Bramine veut en vain appuyer ce culte
cruel par l'exemple même des autres nations;
l'officier françois pénétre l'avarice
de ce miniſtre qui s'enrichit des dépouilles
de la victime , & le fanatiſme
par lequel il prétend en impofer :
Et par un pacte affreux le préjugé hautain
Soumet l'homme crédule au mortel inhumain.
Il menace , il proteſte qu'il ne ſouffrira
pointces horreurs. Le grand prêtre irrité ,
lui demande de quel droit il oſe lui
commander :
Es-tu vainqueur ici pour me parler en maître ?
L'officier repond :
Je parle en homme.
SEPTEMBRE. 1770. 163
Le jeune Bramine vient trouver le françois
, & lui témoigne avec quelle indignation
il voit cette cruauté d'un culte
auquel il eſt malheureuſement attaché ;
il lui apprend qu'il y a ſous le temple
un chemin qui a fervi autrefois à ſauver
une de ces malheureuſes victimes ; mais
que le prêtre qui avoit occaſionné ſa fuite
a été enchaîné & puni de mort par les
autres bramines.
Il offre cependant ſes ſecours pour
tromper l'avidité & la cruauté des miniſtres
de Brama , & pour ſauver la
Veuve du Malabar. Cette Veuve eſt ſollicitée
par ſes compagnes de ne point
dévouer à la mort ſa jeuneſſe &ſes appas.
Mais elle ne peut foutenir l'idée de racheter
ſa vie au prix de l'ignominie ;
c'eſt un préjugé de ſa nation , mais ce
préjugé eſt impérieux , & lui commande
de ſe devouer en victime obéillante .
Tant l'aveugle coutume étouffela raiſon .
Elle promet augrand bramine,àqui elle
necache point ſes ſentimens , d'accomplir
le ſacrifice qu'il attend d'elle. Elle dit :
Je ne fais qu'un ſeul voeu dufond de cet abyme ,
C'eſt d'être de l'honneur la derniere victime.
Le françois conduit par la pitié ,vient
164 MERCURE DE FRANCE.
confoler cette Veuve , & lui promete
ſes ſecours ; à cette voix qui frappe fa
fens , elle ſe trouble , elle s'étonne , elle
s'évanouit , & tombe entre les bras de
ſes femmes ; l'amant reconnoît dans cette
Veuve , ſa maîtreſſe ; il jette un cri
d'effroi , & lui jure qu'elle vivra ; elle
lui repréſente combien ſa mort eſt neceffaire
& préférable à l'ignominie qui
obfcurciroit ſa vie, ſielle étoit affez lâche
pour la conferver à ce prix ; il offre de
l'emmener dans d'autres climats , où ce
préjugé horrible ne ſubſiſte pas ; mais
elle eft toujours effrayée de la mémoire
honteuſe qu'elle laiſſera dans ſon pays.
Le grand prêtre inſtruit des projets du
françois , veut hater l'accompliſſement
du ſacrifice ; c'eſt même la raiſon de la
trêve qui a été demandée pour ménager
aux prêtres le loiſir de donner au peuple
ce ſpectacle horrible ; le miniſtre de
Brama corrompt des françois , & fait
brûler leurs vaiſſeaux ; on croit que leur
général a péri ; cependant le bûcher eſt
allumé ; la Veuve veut s'élancer dans les
flammes ; elle eſt retenue par ſes femmes
; elle leur échape ; &, fur le bord
du précipice , elle en eſt enlevée par fon
amant , qui accourt à la tête de fes foldats
par le chemin fouterreindutemple ,
!
SEPTEMBRE. 1770. 165
ni en chaſſe les prêtres inhumains ; &,
eul maître de la ville& vainqueur , il
polit ces facrifices barbares.
Il y a des vers heureux & des traits
de ſentiment dans cette tragédie ; elle
offre un beau ſpectacle à la curiofité ;
elle ſoutient l'attention par des récits de
moeurs fingulieres & barbares ; elle intéreſſe
même par des ſituations frappantes.
Le public jugera s'il y a unité d'intérêt
; fi les caractères ſont marqués &
foutenus ; ſi ce drame a les conditions
d'une tragédie pour étonner & émouvoir
le ſpectateur ; s'il n'y a pas trop de ſentences
, au lieu de ſentimens ; & trop
de diſcours , au lieu d'action ; enfin , ſi
le ſujet eſt d'un bon choix & s'il eſt
traité avec l'art néceffaire pourjeter l'effroi
& la pitié dans tous les coeurs.
,
M. Molé a joué le rôle de l'Amant
François , avec cette chaleur & cette
énergie qui caractériſent ſon talent. M.
Brifart a rendu avec dignité & avec le
ton convénable , le perſonnage du Grand
- Prêtre. Madame Veſtris a mis de la ſenſilité&
de la nobleſſe dans le rôle de la
Veuve du Malabar. Madame Molé a fait
valoir le rôle de Fatime , eſclave , qu'elle
remplit auprès de la Veuve. M. d'Au
166 MERCURE DE FRANCE.
berval a joué avec intelligence le confi
dent de l'Officier François ; M. d'Alinval
le confident duGrand-Prêtre; & M. Monvel
, le jeune Bramine , rôle ſententieux
& plein de réflexions philoſophiques.
L'auteur a retiré ſa pièce après la ſixiè
me repréſentation .
Le 18 Août on a donné la première
repréſentation des Amazones Modernes ,
comédie en trois actes en proſe , remiſe
au théâtre avec ſes agrémens . Cette pièce
eft de Legrand , & n'avoit pas été jouée
depuis 1727. Il y a , comme dans toutes
les comédies de cet auteur , de la gaieté
& de la ſaillie ; cette pièce offre de plus
le ſpectacle agréable des Amazones ſous
les armes. Madame. Bellecourt , Mlle.
Luzi & M. de la Haye , ont chanté dans
les divertiſſemens .
M. Baudron , premier violon de la
comédie Françoiſe , a refait avec ſuccès ,
la plus grande partie de l'ancienne muſique
, qui étoit de Quinault , célèbre
comédien. Le ballet a été deſſiné par M,
Deshayes , compofiteur- ingénieux , qui
a de l'invention & de la fécondité pour
varier les formes des pas & des figures .
Il a lui même danſé avec Mlle. Luſy une
allemande qui a été fort applaudie .
SEPTEMBRE . 1770. 167
DISTRIBUTION des Prix de
l'Univerſité de Paris.
C'EST PEST une inſtitution bien propre à exciter
l'émulation , & à faire reffortir les
talens de la jeuneſſe ſtudieuſe , que la
folemnité avec laquelle l'Univerſité diftribue
tous les ans , des couronnes &
des prix aux élèves qui font vainqueurs
de leurs riyaux.
,
Ces prix établis par le parlement ,
ont été formés des fondations réunies
de MM. le Gendre , Coignard , Coffin
&autres. Ils font diſtribués dans les
écoles de Sorbonne avec autant d'équité
, que de pompe. Des profeſſeurs ,
la plupart retirés , & fans intérêt parti
culier , examinent les compoſitions , &
les jugent , ſans en connoître les auteurs ,
fuivant la méthode des académies litté
raires . Les concurrens font des athletes
diftingués & choiſis dans les dix colléges
de l'Univerſité.
Le parlement , le châtelet & d'autres
corps aſſiſtent par députés à cette fête,
168 MERCURE DE FRANCE.
M. le premier préſident du parlement
de Paris , donne lui-même le prix d'honneur
, qui eſt le premier prix de l'élo .
quence latine en rhétorique. La langue
latinea , dans cette occaſion , l'avantage
fur la françoiſe , parce qu'elle eſt une
langue ſçavante , particuliere à l'Univerſité
, & d'ailleurs , ancienne & étrangère.
Cette folemnité littéraire a été renouvellée
le 6 Août de cette année. La ſéance
a été ouverte , ſuivant l'uſage , par un
diſcours latin , qui a été prononcé par
M. l'abbé de Lille , profeſſeur au collége
de la Marche , un des plus illuſtres
élèves de l'Univerſité , auteurde pluſieurs
beaux morceaux de poësie , & tout récemment
de l'excellente traduction en
vers françois des géorgiques de Virgile ,
dont il a fi bien ſaiſi le génie , & rendu
l'art pittoreſque . Ce diſcours a été trouvé
philofophique , bien penſé , & un modelede
latinité élégante& pure. M. l'abbé
de Lille examine les écueils que les gens
de lettres ont à éviter pour parvenir au
plus haut degré de talent& de ſuccès. II
parcourt le fautes dans lesquelles tombent
les écrivains , relativement à leurs
travaux
SEPTEMBRE. 1770: 169
travaux & à leurs études , & les erreurs
qu'ils doivent éviter dans leur genre de
vie & dans leurs moeurs .
Nous ne pouvons ſuivre M. l'abbé de
Lille dans ſon diſcours , qu'il faudroit
rapporter en entier. Il eſt ſur-tout intéreflant
dans la péroraiſon qu'il adreſſe
aux élèves de l'Univerſité. Il peint avec
des couleurs vives leur impatience , leur
émulation , la gloire des vainqueurs , les
applaudiſſemens qu'ils reçoivent d'une
illuſtre aſſemblée, témoin de leurs avantages
; la ſenſibilité de leurs familles , les
eſpérances qu'ils font concevoir par des
ſuccès qui en préſagent d'autres dans la
ſociété. Quels triomphes plus folemnels
& plus délicieux ! Ils renouvellent ceux
de l'ancienne Grèce , où le vainqueur
jouiſſoit , non- feulement de ſa propre
gloire , mais encore en faifoit réjaillir
Péclat ſur ſa nation. Le célèbre maréchal
de Villars avoit coutume de dire , que
la plus grande fatisfaction qu'il eût éprouvée
, étoit d'avoir triomphe au collége
&fur le champ de bataille.
Après ce difcours , qui a été très-applaudi
, on a proclamé le nom de ceux
qui ont mérité des prix , & qui en ont
le plus approché. Il a paru cette année ,
un élève du collège du Pleſſis , jeune
H
170 MERCURE DE FRANCE.
,
homme qui a le caractère de la modestie
&du génie , n'ayant pas encore 16 ans
accomplis , étant à la première année de
rhétorique , & qui a remporté ſur des
vétérans illuſtrés par plus d'une victoire ,
le premier prix , le prix d'honneur qu'il
a reçu des mains de M. le premier préfident
du parlement. Ce jeune homme
couronné trois fois , tergeminis honoribus ,
a remporté encore les ſeconds prix en
amplification françoiſe ,en verſion grecque
,& le premier acceffit en vers ; il n'a
pas moins eu de ſuccès dans la diftribution
des prix du collège du Pleflis . Ce
vainqueur ſe nomme Antoine - Marie-
Henty BOULARD , écuyer. Il eſt fils
d'un père célèbre & honoré dans ſon
état , Henry Boulard , écuyer , avocat
au parlement , notaire à Paris , & le
petit- fils de Pierre -Maurille Boulard ,
écuyer , chevalier , commandeur , fécre .
raire - général & greffier de l'ordre royal
militaire & hofpitalier de Notre Dame
de Montcarmel & de St Lazare de Jérufalem
intendant & ſécretaire des
commandemens de S. A. S. Mgr. le
prince de Conti. Un de ſes aïeux , fécretaire
d'ambaſſade , a été honoré de lettres
de nobleſſe pour lui& fa poſtérité ,
par lettres-patentes du mois de Février
د
SEPTEMBRE. 1770. 171
1719 , à cauſe de ſes longs ſervices &
& de fon zèle éclairé pour les intérêts de
l'état & la gloire du ſouverain. ( 1 ) Ce
jeune homme a auſſi d'excellens modeles
& qui lui font chers à confulter & à
imiter dans MM. le Brun & Deſcheſnes ,
ſes beaux - frères , notaires diftingués à
Paris. Nous rappelons ici avec plaifir
les vertus , les ſervices & les titres que
ce digne rejetton d'une famille honorable
& méritante , vient de promettre ſi
folemnellement de perpétuer , & dont
pluſieurs illuftres magiſtrats ont conçu &
annoncé , d'après ſes ſuccès , les plus favorables
augures.
On a entendu proclamer parmi les
athletes couronnés en rhétorique , le nom
du jeune marquis de LA FARE , etudiant
au collège de Harcourt , qui a
remporté le premier prix d'amplification
françoiſe & celui de la verſion françoiſe
par-deſſus les vétérans ; il a ainſi aſſociéla
gloire de l'éloquence à celle de la poësie ,
qui a illustré un de ſes ancêtres.
Le premier prix de vers latins a été
obtenu par un jeune étudiant du collége
du Pleſſis, dont le nom promet beaucoup ;
(1) Voy. le Mercure de Février 1734 , p. 401.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
il s'appele RACINE , mais il n'est pas de la
famille du poëte célèbre.
Quel ſpectacle plus intéreſſant que le
triomphe de cette jeuneſſe laborieuſe ,
la plus belle eſpérance de la patrie !
C'eſt en voyant la noble émulation
qui l'anime , qu'on peut ſe convaincre
des avantages de l'éducation publique
fur l'éducation particuliere. Que de talens
qui auroient langui dans une éducation
privée , acquièrent d'activité &
& d'éclat dans ces combats d'efprits
réunis ! Ce choc &ces frotemens , pour
ainſi dire , de caractères différens , eſt
bien fait pour les polir & les adoucir,
C'eſt dans le ſein de l'Univerſité , que
cette élite de jeunes citoyens peuvent
perfectionner & éclairer leur raiſon ,
puiſer les principes du bon goût & de
la faine littérature , ſe préparer enfin à
remplir les fonctions différentes que la
naiffance , les richeſſes , le fort , ou les
talens doivent un jour leur diſtribuer,
I I.
Ecole Vétérinaire,
Le mardi 31 Juillet 1770 , les élèves
de l'école royale vérérinaire de Paris , fe
SEPTEMBRE. 1770. 17
livrerent , dans une ſéance publique , a
la recherche des raiſons de la nature dans
la ſtructure & la conformation du cheval ,
&ils s'efforcèrent de démontrer les avantages
de la connoiſſance de ces mêmes
raiſons.
,
Ces élèves , au nombre de ſeize , font
les ſieurs Pertat Lombard , Bafin ,
Doublet , cadet , Maranger , de la province
de Champagne , Huzard & Vatel ,
de Paris , entretenus par leurs pères ,
maîtres maréchaux ; Vaugien de la
province de Lorraine ; Dutronc , de celle
de Normandie ; Bravi , cadet , de celle
d'Orléans ; Préau , de la généralité de
Berri ; Auger , de la province de Bourgogne
; Commaille , de celle de Nivernois
; Dufour , dragon de Damas ;
Drigon , maréchal des logis du colonelgénéral
, dragon ; Gauvillers , maréchal
des logis du meſtre de camp général ,
cavalerie
Les ſieurs Lombard , Drigon , Huzard
obtinrent le prix : le ſort l'adjugea au
dernier.
Le ſieur Bravi , cadet , eut le premier
acceffit , & le fieur Lombard , le ſecond.
L'aſſemblée parut en général auſſi fatisfaite
du zèle des élèves , que des may
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
,
tières qui avoient été difcutées. Le directeur
général des écoles , qui tint la
ſéance en l'absence du ministre , annonça
aux élèves la marque honorable que
S. A. R. M. le Prince Charles a donnée
au fieur Chanut , leur confrère , de fon
confentement eu égard aux ſervices
qu'il a tendus dans le duché de Luxembourg
, en y combattant une maladie
dont les ravages étoient énormes. Ce
Prince , en effet , a daigné envoyer pour
lui une boëte d'or , contenant une lettre
de change de cent louis. Ce trait de
bonté de la part de S. A. R. fournit au
directeur général , l'occaſion de faire
ſentir aux élèves la néceflité de ne pas
ſe livrer uniquement à une théorie vaine ,
dès qu'elle n'eſt pas alliée à la pratique :
l'intention du gouvernement étant de
peupler les provinces , non de gens
raifonneurs , mais d'hommes véritablement
eſtimables & utiles.
ACADÉMIE royale de Peinture &
Sculpture.
Le ſamedi 28 Juillet, Mile. Vallayer ,
âgée de 22 à 23 ans , a été préſentée &
agréée le même jour à l'académie royale
de peinture & ſculpture. Ses tableaux ,
SEPTEMBRE. 1770. 175
dans le genre de fleurs , de fruits , de
bas reliefs , d'animaux , ont été la meilleure
recommandation de ſes talens .
Elle peut ſe placer à côté des maîtres
célèbres qui compoſent la première académie
de l'europe , pour les arts ; & , dans
un âge ſi tendre , & malgré les obſtacles
- de ſon ſexe , elle a porté l'art fi difficile
de rendre la nature , à un degré de perfection
qui enchante & qui étonne.
VERS à Mile Vallayer , nouvellement
reçue à l'académie royale de peinture &
deSculpture.
C'EST l'équité , non la faveur
Qui t'ouvre avec tranſport le temple de la gloire ;
Faut- il qu'une tropjuſte & trop fainte douleur
Flérrifle les lauriers que t'offre la victoire ! *
Les Plaiſirs , les Amours , vers toi prompts àvo
ler ,
S'empreſſent de ſécher des larmes
Qu'eux ſeuls voudroient faire couler.
Qui ne connoîtroit pas tes charmes
* Cette Demoiſelle a perdu, le ſur- lendemain
de fa réception , M. ſon père,
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
Qui ne verroit que tes talens
Tecroiroit à l'automne , & tu n'es qu'auprintems.
Que tes tableaux divers rendent bien la nature !
Tu peins deux arts que tu chéris ,
Et la Muſique & la Peinture:
Quelle touche ! quel coloris !
Tu ne pouvois manquer cette double couronne ;
Bas -relief, vafe , fruits , légumes & lapin ,
Sous tes magiques doigts tout a fon trait certain,
On s'approche , on s'éloigne , on revient , ons'étonne!
Mais quel que ſoit l'effort de ton pinceau , je croi
Qu'il ne fera jamais rien de ſi beau que toi .
Par M. Guichard.
ARTS.
GRAVURE.
I.
Le Coucher de la Mariée , eſtampe d'environ
18 pouces de haut , fur 12 de
large , gravée d'après le tableau original
de M. Baudouin , peintre du Roi , par
M. Moreau le jeune , qui l'a commencée
à l'eau forte ; & par M. Simomet,
qui la terminée auburin .AParis ,
SEPTEMBRE. 1770. 177
chez Moreau le jeune , graveur , demeurant
rue de la Harpe,vis-à- vis M. le
Bas , graveur du cabinet du Roi ; prix ,
8 liv.
CETTE eftampe eſt une de celles dont
la compofition faitle plus d'honneur à M.
Baudouin. La mariée eſt ici repréſentée
dans le moment, que , foutenue par fa
mère , elle va ſe mettre au lit. Un
reſte de pudeur qu'elle fait paroître ,
ſemble donner un nouveau prix aux
faveurs qu'elle eſt prête d'accorder. Som
jeune époux s'eſt ſaiſi d'un de ſes
bras , & un genoux en terre lui jure
un amour éternel . Toute cette fcère
inſpire une volupté douce & pure . La
chambre où elle ſe paſſe eſt richement.
ornée. Des femmes qui s'empreffent de
ſervir la mariée , donnent du mouvement
à la compoſition de cette eſtampe ,
dont la gravure délicate & foignée , ne
peut manquer de plaire aux amateurs..
Ι Γ..
,
:
Les Douceurs de l'Été , eſtampe d'envion
15 pouces de haur , fur ro de
large , gravée par M. Moitre, graveur
H
178 MERCURE DE FRANCE.
du Roi , d'après le deſſin original de
François Boucher . A Paris , chez l'auteur
, rue St Victor , la troiſième
porte cochere àgauche , en entrant par
la place maubert ; prix , 3 liv.
Les douceurs de l'été font ici caractérifées
par une jeune & aimable femme ,
qui goûte la fraîcheur de l'air auprès d'un
canal , dans lequel elle vient de ſe baigner.
Elle eft accompagnée de ſa femme
de chambre . Un piedestal , fur lequel
eſt élevé un groupe de deux enfans , qui
jouent avec une chevre , fert d'ornement
à cette eſtampe gravée d'un burin net
& exercé.
III.
Arc de Triomphe de Titus - Vefpafien ,
eſtampe de 17 pouces de large , fur
13 de haut , gravée par M. Lemire ,
d'après le tableau original de M. de
la Croix . A Paris , chez Lemite , graveur
, rue St Etienne des Grès , prix ,
2liv. 8 f.
L'arc de Triomphe de Titus & quelques
autres fabriques onnent le fond de
cette agréable eſtampe , qui repréſente
SEPTEMBRE. 1770. 179
une marine. Sur le devant , pluſieurs
groupes de pêcheurs paroiſſent occupés
à tirer leurs filets . La gravure en eſt traitée
avec foin & d'un bon effet .
I V.
Portrait de Madame Louiſe - Marie de
Francé , née à Versailles le 13 Juiller
1737 , religieufe Carmélite , ſous le
nom de Soeur Thérèſe de St Augustin ,
au couvent de St Denis , en 1770. Се
portrait a été deſſiné & gravé parC. A.
Littrel . On le diſtribue à Paris , chez
Bligny , Cours du manège aux Thuilleries;
prix , liv. 4 f.
V.
Portrait de Mgr. le Duc de Chevreuse ,
pair de France , colonel-général des
dragons , & gouverneur de la ville
deParis , deſſiné parGuiller , &gravé
par Ingouf. Mgr. le duc de Chevreuſe
eſt ici repréſenté ſous l'uniforme de
dragon . A Paris , à la même adreffe
ci-deſſus.
VI.
Portrait de Profpert Joliot de Crebillon ,
gravé par J. B. Bradel , d'après le ta
Hvj
8 MERCURE DE FRANCE.
bleau de H. Doyen. A Paris chez
l'auteur , rue d'Enfer , au caffé de
Toulouſe.
Ce portrait eſt de format in-4°. Il fera
très bien placé à la tête de la belle édition
des oeuvres de ce célébre poëte tragique
, imprimée au Louvre. L'artiſte
l'a repréſenté en buſte ; le vifage eſt des
trois quarts , & n'ayant pour coëffure ,
que des cheveux blancs & très - courts.
VIL
Portrait de M. l'Abbé Aubert , deſſiné
par Aubert, & gravé par de Lorraine ,
qui le diſtribue chez lui , rue des
Francs -Bourgeois , place de St. Michel
, maiſon de M. Gouin..
Ce portrait eſt de profil & en forme
de médaillon. Il eſt principalement deftiné
à être placé à la tête des fables nou.
velles & du poëme de Pfiché , de l'aur
teur..
1
VIII..
Portrait de François Petit , médecin
de S. A. S. le duc d'Orléans , mort
en 1766 , peint par de Lorme , &
gravé par François-Robert Ingouf. A
SEPTEMBRE . 1770. 188
Paris , chez l'auteur , rue de la Parcheminerie
, vis-à-vis le paſſage St
Severin , chez un limonadier , au troiſième
; prix , 2liv.
M. Perit , revêtu de la robe de docveur,
eft ici repréſenté de face. L'eſtampe
a environ 14 pouces de haut , ſur 10 de
large. م
L'on diſtribue à la même adreſſe , le
portrait& médaillon de M. Louis-René
de la Chalotais , procureur général du
Roi au parlement de Bretagne ; prix ,
1. liv.
ÉLOGE de M. Boucher , premier peintre
du Roi & directeur de l'académie royale
de peinture & Sculpture , mort le 30
Mai 1770.
Si l'intérêt ou la vanité prodiguent des élogess
àceux qui n'ont été que grands, la justice &la
reconnoiffance dictent ceux des hommes qui ſe
font rendus utiles. Qui peut mieux y prétendre
que les artiſtes célèbres dont les noms immortels
illuftrent à jamais leur patrie ? L'hommage que
l'on rend à leur mémoire n'eſt pas ſeulement um
honneur que l'on accorde à leurs cendres , c'eſt una
182 MERCURE DE FRANCE.
tribut que l'on doit à leurs travaux & que l'on
paie à leurs talens .
•L'orgueil n'auroit ſans doute autrefoisjeté qu'un
regard dédaigneux fur l'éloge d'un homme qui
n'eut d'autres titres que ſes crayons & ſes pinceaux
; mais, dans un fiécle éclairé par le flambeau
de la philoſophie , on diftingue aisément le faux
éclat du vrai mérite , & les ſages qui compoſent
le corps le plus reſpectable de la nation, ont enfin
oſé donner l'exemple utile d'honorer fans diftinction
tous les hommes de génie: Dans le temple
auguſte des muſes nous avons vû mêlées enſemble
Ies couronnes de Deſcartes & de Sully , de Daguefleau
&de Moliere , & nous ne doutons point
que l'académie françoiſe n'eût un jour accordé aux
peintres célèbres les honneurs qu'elle a rendus aux
hommes illuftres , fi ces honneurs n'appartenoient
plus immédiatement à celle dans laquelle ces arriftes
fameux ont mérité d'occuper la premiere
place. Mieux inſtruite ſans doute du mérite de
celui que cette académie vient de perdre , elle eft
plus capable de louer dignement celui que nous
regrettons avec elle & nous ne prétendons point
entrer en lice.
:
Dans l'éloge que nous ofons entreprendre , le
fiendeviendra le trophée élevé à la gloire de ce
grand homme , le nôtre ne ſera que le monument
denos regrets.
François Boucher nâquit à Paris en 1704. Eleve
de M. le Moine , il remporta le premier prix de
peinture le 28 Août 1723 , étant âgé de dix -neuf
ans. Les grandes eſpérances qu'il donnoit alors
ne furent point trompées. Afon retour de Rome ,
il fut unanimement agréé le 24 Octobre 1731 , à
J'académie royale de peinture qui le reçut le 30
SEPTEMBRE. 1770. 183
Janvier 1734. M. Boucher éroit alors au plus haut
degré de ſa gloire; il fut nommé adjoint à profeſſeur
le 2 Juillet 1735 , & profefleur le 6 Juillet
1737. Bien différent de ceux qu'un ſeul ſuccès a
fait connoître & qui , ſentant leur incapacité ,
craignent de compromettre leur réputation en
rentrantdans la carriere , M. Boucher ne chercha
qu'à foutenir la fienne par de nouvelles productions
, & ſes ſuccès ne ſe démentirent pas plus que
ſes travaux. Il fut nommé adjointà recteur le 29
Juillet 1752 , & élu recteur le premier Août 1761 :
enfin il obtint , le 23 Août 1765 , l'honneur d'être
choiſi par le Roi pour occuper la place de premier
peintre de S. M. dans laquelle il fuccéda à
Carle-Vanloo.Tout le Public applaudit à ce choix,
& l'académie fit connoître combien il lui étoit
agréable, en donnant la place de directeur au premier
peintre , qui ne la poſſéde pas toujours , &
qui ne l'obtient que par le ſuffrage de les confreres.
Plusjaloux de leur amitié que des égards dus
à ſa place , il en abandonna volontiers tous les
droits; il lui fuffiſoit de l'avoir méritée : il avoit
enfin obtenu tous les honneurs qu'il pouvoit efpérer
de la France , &il étoit loin de s'attendre à
ceux qu'alloit y joindre une nation étrangere.
L'académie de St Petersbourg defirant entretenir
une correſpondance intime avec celle de France ,
lui écrivit qu'elle fouhaitoit s'attacher , en qualité
d'aflocié libre , quelqu'un des membres de notre
académie , à laquelle elle laiſſoit le choix , il
tomba unanimement ſur le premier peintre , qui
y fut ſenſible ſans s'en prévaloir.
Les principales époques de la vie de cet artiſte
n'ayant donc été marquées que par les dignités
qu'il a méritées & obtenues dans lon académie
nous paflerons rapidement fur cet objet. La meile
134 MERCURE DE FRANCE.
Jeure maniere de louer ce grand homme feroitde
parler de ſes ouvrages ; mais le nombre en eft fi
prodigieux qu'un volume énorme ſuffiroit à peine
pour en contenir les noms ſeulement ; le burin
d'ailleurs en a conſacré la plupart , & preſque tous
ſe trouvent à chaque inſtant ſous les yeux de tout
le monde: le ſeul parti qui nous reſte eſt de hafarder
quelques réflexions ſur les talens particuliers
de M. Boucher ; ce peintre devant néceflairement
faire époque dans l'école françoiſe , cette
matiere n'eſt pas,je penſe,la plus indifférente pour
les vrais amateurs & fur- tout pour les jeunes arriſtes;
l'éloge raiſonné d'un grand homme doit
êtreune leçonpour ceux qui ſe diſpoſent à le ſuivre.
L'Invention , fille du Génie &mere de la peinture
comme de tous les arts , fut pour ainfi dire
au commandement de M. Boucher. Nul peintre ,
dans les trois écoles ne fut plus fécond ; aucun ne
le fut autant dans l'école françoife. Un travail
continuel de plus de douze heures par jour depuis
T'inſteur de for enfance où il prit les crayons jufqu'aux
derniers momens de ſa vie, n'avoit pu
parvenir à deflécher ſon génie. C'étoit une mine
intariſlable que le tems ne pouvoit épuiſer ; plufieurs
perſonnes ont entendu dire à cet artiſte qui
ne ſavoit ce que c'étoit que de ſe vanter , puilqu'il
n'en avoit pas befoin ; qu'il comptoit n'avoit
pas compoſé moins de dix mille deſfins croqués
ou finis , & plus de mille tableaux en y comprenant
les ébauches & les eſquiſſes . Mais ce qui paroît
inconcevable dans cette étonnante fécondité,
c'eſt qu'il ne peignit la nature qu'en beau , qu'il
ne la montra jamais que ſous un aſpect aimable
& riant ; il évita fur - tout ce mêlange ridicule
d'objets qui ne ſe ſontjamais trouvés enſemble &
1
SEPTEMBRE. 1770. 185
,
qui répugnent au goût en mettant le jugement en
défaut : s'il s'égaya quelquefois dans le genre de
Bamboche , il ſout l'embellir fans le dénaturer &
n'offrit jamais des objets odieux ou dégoûtans
parce qu'il ſavoit que les yeux ont horreur des
choſes que les mains ne voudroient pas toucher.
Fidèle à ſon ſujet , il n'admetroit jamais dans ſes
compofitions rien qui lui pût être étranger ou inutile
, quoiqu'il eût coutume de rendre ſes tableaux
très-riches (& c'eſt en cela qu'il fit admirer fon
goût ) ce même goût qui l'avoit éclairé dans le
choix& la diftribution de ſon ſujet le guidoit encore
lorſqu'il prenoit le crayon. Ses figures contraſtées
ſe balançoient également ſur leur centre
&leurs contours , ondoyans comme la flamme ,
étoient coulans & preſque imperceptibles. Il favoit
rendre compte de tous les muſcles avec connoiflance
, mais ſans affectation d'anatomie , à
moins que ce ne fut dans des mouvemens contraints
ou dans des paſſions violentes .
L'expreſſion , cette partie qui ſe refuſe au pinceau
quand elle n'est pas fortement conçue dans
la tête , ne manquoit jamais à notre artiſte , parce
qu'il ſavoit quel trait ou quelle ombre plus ou
moins prononcée ſont propres à marquer l'amour
ou la haine , la joie ou la triſteſſe , l'eſpérance ou
le déſeſpoir , la terreur ou l'intrépidité , la clémence
ou la colere , & qu'une grande habitude
lui faisoit ſur le champ trouver le caractere des
paſſions avant que ſa penſée eût le tems de s'affaiblir
ou de s'évaporer , ce qui ne manque pas
d'arriver lorſqu'on eft obligé de tâter l'expreffion ;
celle de la tête , & fur - tout celle des yeux font
fans doute les plus propres à montrer les affections
de l'ame, mais il faut que toutes les autres parzies
du corps y concourent , & ne point donner à
186 MERCURE DE FRANCE .
une figure une attitude impoſante , un geſte arrogant
lorſque ſa tête baillée n'annonce que l'humilité;
ces contreſens ne font que trop fréquens
fur tout chez les jeunes gens , par la fureur qu'ils
ont de prononcer tous les muscles. Il fant encore
prendre garde aux bienféances , & que la colere
d'un prince ne reſſemble point à la férocité d'un
foldat ; car l'éducation , qui est devenue une ſeconde
nature , le fait encore fentir dans les paffions
les plus violentes ; c'eſt ce qu'obferva toujours
fcrupuleuſement le premier peintre dont
nous faiſons l'éloge .
Les expreffions fortes ne font pas les ſeules
qu'un peintre doive rechercher. Il n'eſt pas moins
difficile d'émouvoir la compaffion que d'inſpirer
la terreur ; & la Reine Médicis regardant le fils
auquel elle vient de donner lejour , n'est pas moins
un chef d'oeuvre de l'art que l'Héliodore de Raphaël
: fi la fierté nous en impoſe , les graces nous
touchent& nous entraînent , & l'on ne peut difconvenir
qu'elles conduifirent toujours les pinceaux
de Boucher. Il leur fut toujours fidèle &
jamais elles ne l'abandonnerent ; mais le ſecret de
les fixer ne peut s'enſeigner , c'eſt un préſent de
la nature ; celui qui ne l'a point reçu doit y renoncer
, car elles fuient dès que l'on court après
elles.
Le coloris que les anciens appeloient la Dame
d'atour de la peinture , n'eſt guère plus fufceptible
de ſe réduire en préceptes ; c'eſt une magie
dont le ſecret ne s'apprend que par les yeux ; les
tableaux des grands maîtres ſont les meilleures
leçons , & ceux du bon tems de M. Boucher
doivent être regardés comme d'excellens modeles
; la couleur étoit vraie , locale harmoSEPTEMBRE.
1770. 187
nieuſe , quoique toujours brillante ; ce qui lui
donnoit un effet en même tems ſi juſte & fi .
agréable , c'eſt la grande connoiſlance avec laquelle
il ſçavoit conduire ſes tons & diftribuer
fes lumières & ſes ombres ; il faisoit valoir ſes
corps , éclairés par des ombres qui ſçavoient arrêter
l'oeil , & ne lui permettoient d'aller plus
loin , qu'après avoir examiné l'objet qui l'avoit
appelé : dans un art fait pour la vue , c'eſt principalement
elle qu'il faut chercher à fatisfaire ;
mais elle ne peut l'être , qu'autant qu'elle eſt
trompée ; c'eſt pour cela que les parties ſaillantes
doivent être traitées , comme le montre un
miroir convexe; c'est - à - dire , plus vives que
nature ; & celles qui tournent , plus rompues &
plus éteintes par la privation de la lumière. Il
faut donc ſe garder d'introduire deux jours
égaux dans le même tableau .Que la lumière frappe
fortement le milieu , & ſe renvoie par écho fur
toutes les parties faillantes , en diminuant toujours
à mesure qu'elle s'éloigne de ton foyer ;
mais toutesfois tans papilloter aux yeux , &
qu'après de grands jours , il ſe trouve de grandes
ombres. La vue doit encore être fatisfaite par
l'union des couleurs , qui doivent être amies &
participer à l'harmonie des objets qui le touchent,
&qui ne doivent être , pour ainſi dire , dißinguées
, que par la dégradation du clait - obícur ,
fur-tout dans les parties éloignées , l'accord
d'un tableau vient encore du champ , qui doit
être fait du mélange de toutes les couleurs qui
compoſent l'ouvrage , comme ſeroit le teſte de la
palette avec laquelle il auroit été peint ; c'eſt ce
que l'on reinarque , fur- tout dans les tableaux
de M. Chardın,& ce que l'on admiroit dans ceux
de M. Boucher,
188 MERCURE DE FRANCE .
Après avoir parlé du coloris de ce peintre des
graces , il ne nous reſte plus qu'à admirer fa
touche facile , élégante & toujours ſpirituelle ;
mais je n'inviterai point les jeunes artiſtes à
l'imiter ſervilement ; il faut que chacun ait la
fienne , &, lorſqu'on veut ſuivre les grands hommes
, il faut chercher à s'approprier leurs talens ,
fans s'aſſervir à leur manière. Les graces ne fe
copient point ; elles ceffent de l'être , dès qu'elles
font étudiées ; le génie ne s'acquiert pas davantage
; Minerve fortit toute armée du cerveau de
Jupiter & Vénus parut toute formée pour
plaire , ſur le ſein de l'onde où elle avoit pris la
naiſſance : les maîtres les plus habiles n'ont
ſouvent laiflé que de foibles copiſtes . Pater &
Lancret nous font regreter Wateau , & c'eſt en
vain que quelques élèves de M. Boucher , cherchentà
nous déguiſer les graces qu'ils lui ont
dérobées ; il n'ont fait que les rendre étranges , en
les affublant d'habillemens étrangers.
La mémoire de ce peintre célèbre que l'on
nous fait regreter de tant de manières , ne gagnera
pas moins à l'éloge de ſon coeur , qu'à
celui de ſes talens; il fut ſenſible , obligeant ,
déſintéreſſé , modeſte & très - généreux ; aucun
artiſte n'a plus que lui enrichi ſes amis de ſes
productions précieuſes ; il ne ſçut jamais profiter
de ſa grande réputation pour augmenter le prix
de ſes ouvrages ; il étoit plus avide de gloire
que de richeſſes , & , avec cette nobleſſe de
fentimens , plus l'honneur est certain , moins
l'intérêt ſe fait fentir. M. Boucher donnoit ſes
avis avec franchiſe à ceux qui venoient le confulter
, & recevoit avec reconnoiffance , ceux
dont il ſentoit la juſteſle; il avoit de l'eſprit
SEPTEMBRE 1770. 189
naturel & du penchant à la gaité ; mais le ſel
de la plaifanterie ne devint jamais amer dans
fabouche; il aimoit les lettres , ſe plaiſoit avec
ceux qui les cultivent , & le cabinet de curioſité
de preſque tous les genres qu'il a formé à
grands frais , & qui fans contredit eſt un des
plus intéreſſans de l'europe par ſa variété , atteſte
également ſon goût & ſes connoiffances.
Nous n'appréhendons point que les louanges
que nous prodiguerions à la mémoire de cet
homme célèbre, exciraffent l'envie après ſa mort ,
puiſque , malgré ſes talens , il n'eut que des
amis pendant ſa vie ; mais nous craignons
d'augmenter les regrets en rappelant ſes belles
qualités : nous ne pourrions jamais répandre
autant de fleurs ſur ſa tombe , que les arts &
l'amitié y verſeront de larmes ; & , fi quelque
choſe peut adoucir la perte ſenſible que nous
venons de faire d'un artiſte ſi cheri , c'eſt de
voir ſes places remplies par un ſucceſſeur qui n'inf.
pire pas moins d'eſtime pour ſa perfonne , &
d'admiration pour ſes talens. (1 )
(1 ) La place de premier peintre du Roi & celle
de directeur de l'académie , ont été données à M.
Pierre , premier peintre de S. A. S. Mgr. le duc
d'Orléans , chevalier de l'ordre de Saint Michel
, &c.
Par M. Desboulmiers , ancien capitaine
de cavalerie,
190 MERCURE DE FRANCE.
MÉMOIRE fur la destruction des Loups.
LEs loups font un des fléaux les plus redoutables
dans les campagnes ; on ne fauroit imaginer
les ravages énormes qu'ils y font , & il ſemble
qu'on n'y a fait une ſérieuſe attention que depuis
que leur rage s'eſt exercée avec fureur ſur unnombre
conſidérable de perſonnes de tout âge & de
tout sexe.
La deftruction de ces animaux qui , dans pluſieurs
provinces, attaquent les poulains, les boeufs
& les bêtes à laine , & en raviffent un nombre
prodigieux , ſeroit donc un objet d'autant plus
effentiel que l'eſpéce des chevaux élevés dans les
forêts & en plein air , ſeroit infiniment meilleure;
que les moutons toujours parqués fans danger ,
bonifieroient les terres , & donneroient une laine
d'une qualité ſupérieure ſi l'on pouvoit fupprimer
les bergeries; &qu'enfin on préviendroit une quantité
de malheurs dont l'humanité qui en gémit ,
n'eſt que trop ſouvent la victime.
Ce ſont ces réflexions ſans doute qui ont donné
naiſſance àpluſieurs projets qu'on préſente tous
les jours pour la deſtruction des loups ; mais la
plûpart , ſous le prétexte du bien public , n'ont
pourbut qu'un intérêt particulier , & les différens
moyens qu'on propoſe ſont plus diſpendieux les
uns que les autres .
Un gentilhomme du Nivernois , qui fait toutes
les années des pertes immenfes & qui a vu les
loups enlever , à un de ſes voiſins , vingt - trois
SEPTEMBRE. 1770. 191I
poulains ſur vingt- quatre , a recherchéles moyens
de procurer , non ſeulementà ſon canton , toute
fûreté ſur ce point , mais encore à tout le royaume.
La chaſle faite avec bruit n'opère , pour ces animaux
, que la fuite d'un lieu à un autre ;ils ſe portent
pendant quelques jours plus loin , & après
avoir commis des dégâts dans la partie où ils ont
été ſe réfugier , ils reviennent dans l'autre lorfqu'on
n'y chaſle plus .
Le poifon , comme on l'a employé juſqu'à pré.
ſent, a produit plus d'effet; mais , quand il n'eſt
mis en uſage que dans un canton , ce même canton
ſe repeuple bien vîte& en très - peu de tems
d'autres loups.
A l'égard des piéges & des appâts , peu de gens
s'en ſervent , & ce moyen ne s'étend que ſur un
trop petit nombre de ces animaux.
Ce gentilhomme prétend avec raiſon que le
loup eſt un animal qui imite tous les animaux
carnaffiers; il eſt obligé de parcourir une grande
étendue de pays pour chercher ſa nourriture : le
printems& l'été , il habite les bois , dans leſquels
il ſe repaît de faons , de marcaſſins & de jeunes
animaux de toute eſpéce dont il fast fon aliment
journalier; auſſi voit- on, que dans l'une & l'autre
de ces ſaiſons , il laiſſe aſſez ordinairement les
grands animaux & les animaux domestiques tranquilles
: en hiver & en automne , le gibier eft plus
en état de ſe défendre &de fe dérober à ſes pourfuites
, il rode ſans cefle alors autour des différens
troupeaux , & en dévaſte une grande partie.
Onlait alors avec quelle rapacité il ſe jette ſur les
charognes qu'il rencontre : il s'agiroit donc de
faire un règlement général qui preſcriroit àtous
192 MERCURE DE FRANCE.
les villages , à tels jours fixés , aux fêtes de Noël,
par exemple , ou au commencement de l'année ,
d'empoiſonner une bête quelconque , capable de
fervir de pâture à pluſieurs loups , & cela pendant
plufieurs années confécutives. Chaque paroifle
acheteroit une bête au plus bas prix , foit âne ,
cheval , boeufou vache : cette bête ſeroit conduite
au jour indiqué , dans un endroit déſigné , & le
plus à la portéedes bois , là elle ſeroit tuée & écor
chée , on en découperoit les muſcles , on ſaupoudreroit
le tout de noix vomique pilée , tant en-dedans
qu'en- dehors de l'animal , au bout de huit
jours d'expoſition de cette bête on en enterreroit
les reſtes qui pourroient nuire aux chiens : un ſyndic
feroit chargé de cette opération , & il ſeroit
tenu , ſous peine d'une forte amende , d'envoyer
dans le mois ſuivant au miniſtre , un certificat
ſigné du ſeigneur , du curé , & de pluſieurs notables
, de l'exactitude avec laquelle l'opération auroit
été faite.
On doit ajouter ici que ce moyen ne coûteroit
pas ce que chaque paroiſſe ſupporte en taxation
par tête de loup; l'eftimation d'une mauvaiſe bête
peut être portée à huit ou dix livres , deux livres
de noix vomique coûteroient quarante ſous , ainſi
la dépenſe ne ſeroir pas bien grande , & ne ſeroit
point onéreuſe aux campagnes.
On fera peut- être cette objection , que les chiens
pourroient être empoisonnés ; mais tous les payſans
inſtruits les renfermeront pendant ce léger
eſpace de tems , & ceux qui n'auroient pas cette
attention mériteront de les perdre,
On pourra ajouter encore que c'eſt en quelque
forte un nouvel impôt que l'on mettroit ſur les
paroifles , mais d'autres moyens qu'on a propoſés
feroient
SEPTEMBRE. 1770. 193
feroient vraiment onéreux & deviendroient une
impoſition bien plus cruelle; d'ailleurs l'avantage
qu'on retireroitde la deſtruction des loups , pourroitdéterminer
des arrangemens qui faciliteroient
certe modique dépenſe.
De l'Imprimerie royale.
LETTRE fur la conſtruction de la charpente
de la nouvellefalle de Versailles ;
parM. P.....
La deſcription de la magnifique falle de ſpectacle
nouvellement conſtruite à Verſailles , qui a
été inférée dans le Mercure du mois d'Août 1770,
doit être très - fatisfaiſante , tant pour les amateurs
en ce genre que pour les artiſtes qui ont
concouru par leurs talens à la perfection de ce monument.
L'on n'a rien négligé pour en faire connoître
la forme & les proportions , ainſi que la
maniere noble , riche & élégante dont cette falle
eſt décorée. Les ſoins que l'on a pris (& qui méritent
d'être imités) pour la rendre ſonore n'ont
point été oubliés ; enfin cette falle que l'on a taché
de rendre dignede la majeſté &de lamagnificence
du Roi , peut aller de pair avec le château dont
elle faitpartie.
La charpente du comble de cette falle mérite
fur-tout l'attention des connoiffeurs & des maîtres
de l'art ; ce qui en a été dit dans la defctiption
de cette falle eſt certainement très- mérité , mais
n'eſt pas affez étendu pour donnerune idée de fa
conftruction.
194 MERCURE DE FRANCE.
Les arts , au progrès deſquels il eſt permis à
tout citoyen de s'intéreſſer , exigent que l'on fupplée
à ce quia été obmis , & qu'on ne pouvoit ſe
difpenfer d'inférer dans la deſcription mentionnée
ci-deſlus .
Un motif non moins puiſſant eſt l'utilité ; car ,
non - ſeulement cette charpente eſt un excellent
modèle pour toute ſalle de ſpectacle , mais encore
elle pourroit s'adapter à tout édifice de la plus
grande portée.
Telles font les raiſons qui nous engagent à la
décrire , malgré les difficultés qu'il y a de ſe faire
entendre ſans l'aide du deſſin .
Onn'entrera pas dans le détail des obſtacles
qu'eut à furmonter M. Arnoult , ingénieur-Machiniſte
de Sa Majeſté , à qui l'on doit la coupe
de cette charpente ; il a d'autant mieux réuffi à
cet égard, qu'il a été parfaitement bien ſecondé
par le Sr Brian , maître charpentier du Roi , qui
l'a exécutée avec toute la précition&toute la net
teté poſſible ; c'eſt une juſtice que l'on doit rendre
aux talens du Sr Briand , en difant qu'il eſt
entré avec beaucoup d'intelligence dans les vues
de cet habile machiniſte .
La ſtructure de cette charpente , auſſi hardie
qu'ingénieuſe , a un rapport immédiat avec les
machines & avec le plafond de la ſalle de ſpectacle.
C'eſt avec cette rélation ou ſans cette rélation
qu'on peut la conſidérer.
Cette charpente , ainſi qu'il a déjà été dit , a 63
pieds de portée dans oeuvre; elle occupe tout le
deſſus du théâtre ainſi que le deſſus de la ſalle ,&
forme une galerie longue de cent cinquante pieds,
large entre les clefs pendantes ou poteaux de 20
pieds &haute dans toute ſon étendue, entre les3
SEPTEMBRE . 1770. 195
deux entraits , de onze pieds. Cette galerie eſt ou
ſe fait le ſervice des machines .
La charpente dont il s'agit n'eſt compoſée que
dedouze fermes , diftantes les unes des autres de
douze pieds dans leur milieu. Ce comble ſe termine
par une croupe à ſes extrêmités.
Chaqueferme eſt compoſée d'un grand entrait,
de 69 pieds de long , en trois parties aflemblées à
mi -bois & àdoubles queues d'aronde, lequel porte
le plancher des machines. Le grand mobile de la
charpente eſtdeux moiſes de chaque côté de la ferme
, leſquelles ont 42 pieds de longueur. Ces
moiſes ſont des piéces de bois parallèles , leſquelles
uniflent & afſujettiſſent dans toute leur longueurtoutes
les pièces de bois qui compofent la
ferme; ſavoir , les clefs pendantes ou poteaux entre
le grand & le petit entrait; cinq contre-fiches
qui , de leur autre bout , ſont aſſemblées dans l'arbalétrier
, avec lequel ces moiſes ſont parallèles ;
ces moiſes ſe trouvent aflujetties par le haut dans
le poinçon , & par le bas elles ſont enclavées dans
deux autres moiſes ou jumelles de vingt pieds de
long , leſquelles ſont parallèles au mur , à deux
&trois pouces de diſtance. Ces dernieres moiſes
ou jumelles aſſujettiſſent ſur le grand entrait le
pied de l'arbalétrier à 38 pieds de long & s'aflemblent
par le haut dans le poinçon. Le poinçon eſt
enclavé dans le petit entrait qui lui fert de baſe ,
&lepetit entrait lui-même ſe trouve enclavé par
les grandes moiſes.
Lapartie latérale de la charpente entre chaque
arbalétrier eft tenue en écartement par le feſtage ,
cinq pannes portant les chevrons & la plate forme
qui reçoit l'aboût des chevrons , ainſi que l'aboût
des grands entraits. Dans l'intérieur du comble
I ij
MERCURE DE FRANCE.
1
les écartemens ſont tenus par quatre entretoifes
allemblées dans les clefs pendantes ou poteaux .
Ce qui rend cette charpente unique dans ſon
genre , c'eſt qu'elle eſt aſlemblée de maniere que
rien ne tire ni ne pouſſe contre les murs puiſqu'elle
n'y touche qu'en partie , au moyen des moiſes ou
jumelles dontnous venons de parler : fon aflemblage
dans les parties n'eſt pas moins particulier ;
ce ne font que des entailles approchées par des
boulons de fer à écroux , ce qui produit par-tout
la force du bois de bout.
Tous les cylindres relatifs aux machines font
agencés dans la charpente qui lui ſert de ſupport .
Voilà ce qui concerne la partie du comble au-deffusdu
théâtre.
Au-deflus de la ſalle , la charpente est compoſée
de fix fermes ſemblables à celles du theâtre; la
différence qui s'y trouve, c'eſt qu'au - deſſous des
grands entraits on en a ſuſpendu cinq autres qui
portentun plancher& le plafond de la ſalle. Ces
cinq entraits ont quatre - vingt - quatre pieds de
long , font aflemblés comme les autres & font
Luſpendus pardes étriers de fer. Les abouts ſont
dans les murs , &ils ſont encore ſoutenus pardes
pans de bois qui portent directement ſur les co-
Jonnes de la galerie des troiſièmes loges que l'on
a dit être de menuiserie , mais qui n'en font que
revêtues . Le noyau de ces colonnes eſt de charpente
, auffi fort que l'a pu permettre le diamètre
de l'ordre. Ces colonnes qui , en apparence, ſemblent
ne porter que le plafond de la falle, portent
en effet tout le comble de la ſalle , à l'exception
ſeulement de la croupe qui porte ſur le mur circulaire.
On peut ſentir la difficulté qu'ilya cu
pour aſſujettir des fermes auffi confidérables fur
des colonnes iſolées.
SEPTEMBRE. 1770. 19
Le plafond de la ſalle dont la ſtructure a été
heureuſement imaginée par M. Arnoult , eſt ſufpendu
par des crochets de fer qui tiennent d'un côtéà
lamenuiserie , &de l'autre à des ſolives de 60
pieds de long , poſées en vibration ſur les derniers
entraits &fans être autrement attachées ; ce qui
contribue à rendre la ſalle fonore.
Toute cette charpente eſt peinte en couleur de
bois, & la ferrure eſt rechampie en fer , ce qui produit
un coup -d'oeil agréable ; ajoutez que le peu
deconfufion qui y tègne en fait aifément appercevoir
toutes les parties. On ne dira rien dela maniere
dontle comble eſt éclairé ; on ne s'eſt attaché qu'à
donner quelques notions de cette belle charpente ,
où tout eft fi bien proportionné que fon inſpection
ne peut que faire honneur à ſon inventeur.
A Versailles , le 19 Août 1770.
DE L'ENNUI.
ON cherche l'origine de l'ennui , cette mala
die de l'eſprit , ce défordre de l'ame qui nous force
àcourir ſans cefle après des objets vains & frivoles
? Si l'on croïoit que les objets mépriſables &
futiles qui nous occupent, les diffipations tumultuaires
des hommes fuflent la cauſede leur ennui ,
on ſe tromperoit fans doute , & l'on prendroit
pour le mal dont nous cherchons l'origine , les
triſtes moyens qu'on emploie pour le ſoulager.
Semblables à ces malheureux que la douleur tour
mente , & qui adoptent aveuglement tous les remèdes
qu'on leur propoſe, les hommes , par la
,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
diffipation & la recherche variée des plaiſirs , s'éforcent
d'échaper à la mélancolie qui les confume
, mais ils l'eſpérent en vain : envain les merveilles
de la nature ſe raſſemblent- elles pour contenter
leur ame , en vain l'imagination menfongere
des hommes forme - t-elle des êtres idéaux
pour qu'ils puiflent fatisfaire leur coeur; on peut les
abufer un moment , mais la magie ceſſe , l'illufion
paſſe , & l'homme livré à lui- même , l'eſt à la douleur
, au mécontentement , au trouble &à la triftefle.
Ce ne font donc pas les occupations diverſes
où les hommes s'abandonnent qui produiſent l'ennui
dont ils font dévorés ; c'eſt dans le propre état
de leur condition naturelle qu'il faut en chercher
la principale cauſe ; c'eſt le ſpectacle affligeant de
nous - mêmes qui nous jetant , ou dans l'humiliation
la plus douloureuſe à l'amour - propre , ou
dans les labyrinthes du doute & de l'incertitude ,
nous fait chercher avec avidité tout ce qui nous
dérobe à nous , & nous tient ainſi dans l'agitation
&dans un trouble perpétuel .
Vainement les objets de nos diſſipations auroient-
elles une importance plus grande qu'on ne
leur en ſuppoſe communément, ils ne tarderoient
pas à s'impregner des vapeurs de l'ennui & du dégoût
de notre exiſtence ; ils prendroient bientôt
la teinte triſte& ſombre du poiſon qui nous confume
, & bientôt nous courrions après de nouveaux
objets qui , n'ayant pas encore eu de rapports
directs avec nous , ne nous rappeleroient
pas encore la vue denotre mifére effective ; de-là
l'obligation de les varier ſans ceſſe, de-là ces goûts
monstrueux , ces fantaiſies biſarres , ces erreurs
aimables qui tour - à - tour nous charment, nous
déplaiſent , nous amuſent &nous ennuient ; fi ,
SEPTEMBRE. 1770. 199
fatigués de courir après ces fantômes de bonheur
qui nous échapent & s'évanouiflent au moment
quenous croions les tenir , nous voulons rentrer
dans notre ame , qu'y trouvons- nous ? Un vuide
affreux , des penſées accablantes , des réflexions
triſtes & funeſtes , le mépris de nous - même , les
regrets du paflé , l'horreur de l'avenir, les remords.
Alors effrayés de nous voir , tremblans à la vue
des ſpectres que notre raiſon vient d'évoquer ,
nous rejetons ces images phantaſtiques du bonheur
, nous les cherchons encore , & nous courons
nous précipiter avec elles dans les abymes du
menſonge , des illuſions & de l'eſpérance. Ces
hommes courbés ſous le faix , ſe ſoutenant à peine
, chantent encore en marchant pour endormir
leurs maux & ſe diſtraire du fardeau qui les accable
; pourquoi donc, par des occupations multipliées
, dans des diſtractions éternelles , ne chercherions-
nous pas aufli à alléger le poids accablant
de nous-mêmes ; ce ſont à la vérité des reſſources
bientôt uſées & qui ſe nuiſent entr'elles , mais
rapportons - nous- en à nos inconſtances éternelles
&aux bizarreries de notre humeur pour les voir
ſerenouveller fans ceſle ; mais quoi ! l'erreur ſeule
peut- elle adoucir nos maux , & faut - il donc devoir
à un ſi triſte remede un ſoulagement paflager
? Quoi , la philoſophie , la ſageſſe , la modération
, ne donnent - elles pas des moyens pour
échapper au mal qui nous pourſuit ; & l'art de réſiſter
à ſes penchans ne ſera-t- il pas plus ſalutaire
que l'habitude de s'y abandonner ? Non. Cette
nouvelle occupation nous rapprochant plus de
nous , nous rappelera davantage à nos maux .
Autrefois on appeloit philofophie l'amour de
la ſageſſe. Il faut définir l'amour de la ſageſle; ce
I iv
400 MERCURE DE FRANCE.
peut- être l'amour de l'ordre qu'il faudra encore
définir, & de ces définitions il réſultera que la
philoſophie eft le defir d'être heureux. Tous les
hommes l'ont , & font fûrement plus éclairés fur
les moyens de le devenir que ne peuvent l'être
tous les philoſophes de la terre. Aujourd'hui on
appele philoſophie la connoiffance très - douteuſe
dequelques loix du monde phyſique , l'explication
de plufieurs phénomènes de la nature , la recherche
des principes de la morale , de ceux de
meilleur gouvernement &l'étude ſyſtématique du
coeur humain. Où conduiſent ces prétendues ſciences
? Si l'on fe repaît d'une connoiffance ſtérile fur
ces objets , c'eſt une erreur raifonnée qui , pour
nous diſtraire , comme toutes les autres, de notre
ennui , n'en détruit point pour cela le principe ;
1nous prétendons pénétrerjuſqu'à la vérité , nous
appercevrons bientôt l'impoſſibilité de la connoître
jamais. Nos opinions changeront , le doute
fubfiftera , & l'étude augmentera notre mélancolie
en nous montrant évidemment la mifére de
notre condition. Auſſi les hommes qui ont bien
ſenti la néceffité d'en éloigner de leurs yeux le
ſpectacle affligeant , ont renoncé à leur condition
naturelle pour s'occuper principalement de leur
condition civile; l'ambition nâquit alors , cette
petitefle de l'eſprit qui fait attacher un grand prix
àdes choſes frivoles, & fi vaines que dès qu'il les
pofféde , l'homme s'ennuie aumilieu de ſa gloire,
de fes titres & de ſes envieux. Ces honneurs qui
auroient dû , ce ſemble , fatisfaire fon coeur , n'y
portent que le dégoûe , le vuide & l'inquiétude ,
il revient alors à lui-même , c'est-à-dire à l'ennui
intéparable de ſon exiſtence. Rien ne peut - il
donc l'y ſouſtraire ? L'amour le peut. Cette ſeule
paffion détournant eutierement nos regards de
SEPTEMBRE . 1770 . 201
4
nous-même & les fixant ſur l'objet de notre idolâtrie
, attaque directement la ſource de notre
ennui ; mais les remèdes qu'elle emploie laiſſeront
àjamais l'impreſſion de leur violence , & le preftige
de l'amour étant une fois évanoui , le vuide
& l'ennui où nous retomberons ſeront d'autant
plus effraïans que nous ferons moins accoutumés
àla vue odieuſe de nous - même , au ſentiment
affligeantdenotre exiſtence &à la penſée de notre
fin prochaine qui , plaçant les objets dans leur
véritable jour , & montrant la vanité des choſes ,
ne nous laiſſera que le choix affreux de l'ennui ou
dudéſeſpoir.
Mais , dira-t- on , il y ades perſonnes qui ne
s'ennuient point ? Les animaux en effet ne paroiſſent
pas connoître beaucoup l'ennui , &, parmi
les hommes , ceux qui leur reſſemblent leplus
paroiſſent auffi être les moins fufceptibles de ceriemaladie
, ou plutôt elle eſt en eux moins développée.
En général ceux qui penſent le moins en
font toujours moins atteints. Ce qui confirme
bien que l'ennui naît abſolument de la vue de
nous - même &des réflexions que cette vue fuggére.
Cette maladie agiſſant lentement , fourdement&
fans relâche , pourra même quelquefois
n'être pas obſervée de ceux qui en ſeront le plus
confumés. Faute d'être capables de replier leurs
penſées ſur eux , ils ne découvriront jamais
leur mal , & communiquant l'ennui à tour
ce qui les environne , ils ſe féliciteront de ne le
pas connoître. Il est vrai que,n'ayant pas du bonheur,
de la vertu &de l'éternité, les grandes idées
qui naiſſent dans une ame ſenſible & éclairée ,
n'ayant pas de notion du prix réel des chofes , ils.
auront moins de ſujets de ſe déplaire à eux -mê-
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
me que ceux qui , ſe traçant fortement cet érat
parfait de bonheur , de jouiflance & de vertu ,
s'attriſtent d'en être ſi loin & tombent dans la
douleur & l'amertume où doit néceſſairement jeter
une privation ſi grande. Plus nos pensées ſe
feront élevées , plus notre imagination , échauffée
par la contemplation des choſes incréées , ſe
ſera égarée dans l'immenſité des poffibles , & plus
nous retomberons dans la triſteſſe & l'anéantiſſement
, lorſque la vérité , conduite par le ſentiment
, nous aura impitoïablement ramené à notre
véritable condition naturelle. Ces ſonges d'un
homme éveillé , ces defirs , ces projets , cette vue
continuelle & rapide d'objets heureux & fatisfaits
, ces êtres divins que l'imagination crée, embellit
, & rapproche à ſon gré, ces fiécles qui pafſent
comme un trait pour en amener qui ne finiront
jamais , ce nouvel univers qui s'éleve pour
nous , où tout ce qui peut ſéduire & charmer nos
ſens ſe trouve voluptueuſement diſpoſé pour les
tenir dans l'ivreſſe la plus délicieuſe : toutes ces
ſcènes magiques offertes à notre ame , l'élèvent à
un état preſque digne d'elle. Dans quel abyme
netombe - t elle donc pas, lorſque l'imagination
épuisée faiſant tout diſparoître , la laifle à ellemême
& à ce ſpectacle ténébreux de puérilités ,
de con radictions , de manoeuvres , de baſleſles ,
de taufferés , d'erreurs & de confufion , où elle
joue pour un moment un rôle ſi froid & fi fatigant
! Dans quel ennui n'eſt -elle pas plongée
alors ! Si elle ſe rappelle encore confufément ce
qu'elle a vu & ce qu'elle a été , c'eſt pour ſentir
plus amérement ce qu'elle voit& ce qu'elle eſt.
Que tout ce qui l'entoure de grand doit alors lui
paroître petit& mépriſable !
Apeine l'homme eſt-il venu au monde que , par
SEPTEMBRE.
1770. 203
des liens&des précautions barbares que la nature
n'exigea jamais , on lui ôte une partie des forces
qu'elle lui avoit deſtinées. Mais ſon eſprit ſera
bien plus gêné encore. On va le troubler par diverſes
chimères & le remplir de mille foins différens.
Semblables à ces méchantes fées qui préſid
doient aux accouchemens , des maîtres de toute
eſpéce vont avec profuſion répandre lur l'homme
leurs dons pernicieux ; voyez- le acquérir avec les
années les règles de la conduite qu'il doit tenir ,
écouter avec avidité les conſeils d'augınenter fa
fortune , chercher à diſtinguer les nuances de la
probité , recevoir les ſemences de la vanité , de
L'avarice & de l'ambition ſous les noms d'honneur,
de fortune & de grandeur; balancer les opinions ,
tout croire , tout nier & douter enfuite ; acquérir
des connoiſlances la plus cruelle de toutes , celle
de lui - même. L'homme iſolé au milieu de cette
multiplicité de lois , de cet amas de contradictions
, de ces obligations infinies , de ces erreurs,
deces folies ſyſtématiques , ſe fatigue pendant
long-tems à les vouloit concevoir & tombe enfuitedans
la pareſſe , l'indifférence& le dégout.
Par M. le C. de B.
HUMANITE & GENEROSITĖ .
MADAME de StGeneſt - Laval , nous a
communiqué une lettre du 18 Juillet
dernier , que Madame la comteſſe de
St Fargeau - de-Puiſieux , ſon amie , lui
८
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
écrit. Cette Dame lui raconte , que s'étant
trouvée dans la foule , & près de
périr avec tant d'autres perſonnes , qui
ont été écrasées dans le tumulte arrivé
après la fête donnée à la nouvelle place ,
elle eut le bonheur d'être fécourue &
enlevée d'entre les morts , par M. Dey,
fergent des gardes françoiſes. Ce jeune
militaire montra le plus grand courage
& l'humanité la plus active pour ſoulager
dans cette mêlée , & aux riſques de ſa
vie , pluſieurs perſonnes qu'il a fauvées
du trépas. Il peut compter au nombre de
ſes victoires , d'avoir garanti Madame
la comteſſe de St Fargeau & un chevalier
de St Louis , qui lui doivent la confervation
de leurs jours. Cette Dame animée
d'une tendre reconnoiſſance envers
ſon libérateur , l'a attiré dans ſa
fociété , dont il fait l'agrément par fon
eſprit , par la douceur de ſes moeurs & la
bonté de fon caractére.
Madame la Comteſſe , après avoir été
alitée pendantquarante ſeptjours , célébra
fa convalefcence avec ſes amis , & durant
le repas , elle offrit inſtamment une
partie de ſa forrune à M. Dey , qui re
fuſa conftamment le moindre tribut de
la plus juſte resonnoiffance, priant que
SEPTEMBRE. 1770. 205
fes ſervices fuſſent oubliés , parce qu'ils
étoient payés par le bonheur de les avoir
rendus. Madame de St Fargeau marque à
fon amie , fa généreuſe inquiétude pour
s'acquitter envers fon bienfaiteur ; &
fa peine eſt de trouver en lui tant de
déſintéreſſement. Elle fent qu'il n'y a
que l'honneur , la plus chère récompenſe
d'un militaire , auquel M. Dey
foit ſenſible , & elle fait des voeux pour
qu'il obtienne l'avancement dû à ſes ſervices.
Nous ne doutons point que ce combat
de ſentimens généreux ne faſſe plaiſir
aux ames honnêtes .
ANECDOTES.
I.
Un des élèves de notre académie de
peinture , ſe promenant dans les rues de
Naples , vit un pauvre eſpagnol , couvert
de haillons & d'une exceſſive malpropreté
, vice dont en général on accuſe
ce peuple; mais il remarqua que fes
mains étoient aſſez bien pour lui inſpirer
l'envie de les deſſiner , l'eſpagnol
206 MERCURE DE FRANCE.
confentit , moyennant quelque argent ;
mais , lui dit le peintre , quand il l'eut
conduit à ſa maiſon , il faudroit vous
laver les mains : foit , dit l'autre , puis
en revenant & comme par réflexion , laquelle
, Monfieur , voulez - vous deſſiner ?
I I.
Un comédien que l'on n'engageoit que
par conſidération pour ſa femme , qui
avoit des talens réels , repréſenta un
jour ſur la ſcène , après avoir un peu
plus dîné que ne le permettoit la bienféance
théâtrale ; cet état d'ivreſſe , joint
à fon peu de talent , irrita le parterre ,
qui le ſiffloit impitoyablement : mon
homme , ſans ſe déconcerter, interromp
ſon rôle , s'approche des bords du théâtre
&commence ſa harangue. Mefſieurs
, dit - il , vous me fifflez , c'eſt
fort bien fait , je ne me plains pas de
cela ; mais vous ne ſçavez pas une choſe,
c'eſt que mes camarades prennent tous
les bons rôles , & me laiſſent les Gerontes
, les Dorantes. Oh ! fil'on me donnoit
un Arifte , un Prince , un Paſquin , vous
verriez ; mais , qu'eſt ceque vous voulez
queje faffe d'unDorante , d'un Geronte :
qu'en feriez vous à ma place , là, par
SEPTEMBRE. 1770. 207
lons raiſon ? Vous ne dites mot ; il faut
donc que je continue , & vous êtes encore
bien heureux , que je m'en donne la
peine. Le public applaudit , & l'orateur
continua fon rôle. C'étoit Dorante dans
le Joueur.
III.
Le grand Condé paſſantdans ſon gouvernement
, fut complimenté par l'abbé
Boileau , à la tête du chapitre de Sens .
Le Prince voulut s'amuſer à déconcerter
l'orateur ; l'abbé , qui s'en apperçut ,
feignit d'être étonné , & dit au grand
Condé , avec une crainte affectée : Monfeigneur
, votre alteſſe ne doit pas être furpriſe
de me voir trembler , en paroissant
devant elle à la têted'une compagnie d'Eccléſiaſtiques
; car , ſij'étois à la têted'une
armée de quarante mille hommes ,jetrem
blerois bien davantage.
IV.
Il y a quelques années qu'un des filsde
Jonathan , célèbre Juif , fut fur le point
de ſe marier à une jeune Chrétienne ;
ſon père ne faiſoit aucune objection fur
la religion de la fille qu'on vouloit lui
208 MERCURE DE FRANCE .
donner ; mais il ſe récrioit beaucoup fur
ſon peu de fortune. Il refuſa en conféquence
fon confentement ; le fils qui étoit
fort amoureux , ménaça le père de ſe
paſſer de fon aveu ; celui-ci le ménaça
de ne pas lui donner un ſcheling ; le
jeunehomme répondit qu'ill'y forceroit ;
& que , s'il refufſoit de lui faire part de
fon bien , il ſe feroit baptiſer pour jouir
de la Loi Angloiſe , qui donne à un
enfant Juifqui ſe faitChrétien , la moitié
des biens de ſon père. Jonathan demeura
confondu à cette réponfe ; il alla
trouver un Jurifconfulte pour prendre
ſonavis & fçavoir s'il exiſtoit réellement
une Loi pareille ; l'Avocat la lui confirma
; mais , ajouta-t- il , fi vous voulez
me faire préſent de dix guinées ,je vous
donnerai un moyen de tromper l'eſpérance
de votre fils, & l'ingrat n'aura pas le
droit d'obtenir la moindre choſe. Jonathan
ſe conſole à ces mots , compte les
dix guinées , & ſupplie l'Avocat de ne
pas le faire languir. Vous n'avez , reprit
le Conſeiller , qu'à vous faire Chrétien
auſſi , & la Loi ne donnera rien à votre
fits
:
SEPTEMBRE. 1770. 209
DECLARATIONS , ARRÊTS , & c .
I.
DÉCLARATION du Roi , donnée à Versailles
le 27 Mai 1770 , concernant l'adminiſtration des
bâtimens du Roi.
II.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 29 Mars
1770 , & lettres- patentes ſur icelui , regiftrées en
la cour des Aides le 30 Mai 1770 ; qui déchargent
les habitans des lieux dénommés dans l'état
annexé au préſent arrêt , de toute contribution
aux droits établis &perçus ſous le titre de Droits
rélervés .
LETTRE de M. de Voltaire à M. Du
pont , auteur des Ephémerides du Citoyen
, &c .
De Ferney , le 16 Juillet 1770.
M. Berenger m'a fait le plaifir , Monfieur , de
m'apporter votre ouvrage , qui eſt véritablement
d'un Citoyen. Berenger l'eſt auſſi , & c'eſt ce qui
fait qu'il eſt hors de ſa patrie. Je crois que c'eſt
lui qui a rectifié un peu les premieres idées qu'on
avoit données d'abord ſur Genève. Pour moi qui
ſuis citoyen du monde , j'ai reçu chez moi une
210 MERCURE DE FRANCE.
vingtaine de familles Génevoiſes , fans m'informer
nt de quel parti , ni de quelle religion elles
étoient Je leur ai bâti des maiſons ; j'ai encouragé
une manufacture affez conſidérable , & le
miniftere & le Roi lui-même m'ont approuvé.
C'eſt un eflai de tolérance & une preuve évidente
que , dans le fiécle éclairé où nous vivons , cette
tolérance ne peut avoir aucun effet dangereux ;
car un étranger qui demeureroit trois mois chez
moi , ne s'appercevroit pas qu'il y a deux religions
différentes. Liberté de commerce & liberté de
contcience , Monfieur , voilà les deux pivots de
l'opulence d'un état petit ou grand.
Je prouve par les faits dans mon hameau ce que
vous & M. l'Abbé Rouband vous prouvez éloquemment
par vos ouvrages .
J'ai lû avec l'attention que mes maladies me
permettent encore,tout ce que vous dites de mieux
fur la compagnie des Indes & ſur le ſyſtême. Tout
cela n'est pas à l'honneur de la nation. Vous m'avouerez
au moins que cet extravagant ſyſteme
n'auroit pas été adopté du tems de Louis XIV , &
que Jean-Baptiste Colbert avoit plus de bon ſens
que Jean Law.
Al'égard de la Compagnie des Indes , je doute
fort que ce commerce puiſſe jamais être floriflant
entre les mains des particuliers . J'ai bien peur
qu'il n'efluie autant d'avanies que de pertes , &
que la Compagnie Angloiſe ne regarde nos négocians
comme de petits interlopes qui viennent
ſegliffer entre les jambes . Les vraies richeſſes ſont
chez nous , elles ſont dans notre induſtrie. Je vois
cela de mes yeux. Mon bled nourrit tous mes domeſtiques
; mon mauvais vin qui n'eſt point malSEPTEMBRE.
1770. 211
faiſant les abreuve ; ines vers à ſoie me donnent
des bas ; mes abeilles me fourniſſent d'excellent
miel & de la cire ; mon chanvre & mon lin me
fourniflent du linge. On appele cette vie patriarchale
; mais jamais patriarche n'a eu de grange
telle que la mienne , & je doute que les poulers
d'Abraham fuflent meilleurs que les miens. Mon
petit pays que vous n'avez vû qu'un moment eſt
entierement changé en très- peu de tems.
Vous avez bien raiſon , Monfieur ; la terre &
letravail font la ſource de tout; & il n'y a point
de pays qu'on ne puiſſe bonifier . Continuez à infpirer
le goût de la culture , & puiſſe le gouvernement
ſeconder vos vues patriotiques.
Mettez - moi , je vous en prie , aux pieds de
M. le Duc de *** , qui m'a paru fait pour rendre
un jour de véritables ſervices à ſa patrie , &
dontj'ai conçu les plus grandes eſpérances.
I
J'ai l'honneur d'être avec la plus haute eſtime
& tous les autres ſentimens que je vous dois ,
MONSIEUR ,
Votre très - humble & trèsobéiflant
ſerviteur ,
VOLTAIRE .
Voulez-vous bien , Monfieur , faire mes tendres
complimens à M. l'Abbé Morellet , quand
vous le verrez.
412 MERCURE DE FRANCE.
AVIS.
I.
L'OBSERVATEUR Français à Londres ſe debite
actuellement chez Lacombe , libraire , rue Chriftine
, &chez Didot l'aîné , imprimeur - libraire ,
rue Pavée , au coin du quai des Auguſtins . Ilen
paroît vingt-quatre parties ou cahiers de fix feuilles
chacun , compoſant huit volumes par an ;
chaque cahier ſe publie exactement de quinze en
quinze jours , le premier& le 16 de chaque mois.
Le prix de la ſouſcription pour l'année eſt de 301.
rendu port franc à Paris , & de 36 , port franc,
par la poſte , en province.
On trouvera chez les mêmes libraires , & au
même prix , des ſuites complettes des huit volumes
de l'année précédente , ou des huit volumes
qui font le commencement de ce recueil intéreſfant.
Les Souſcripteurs ſont priés de s'adrefler à l'un
des libraires ci- deſſus nommés , & d'affranchir les
lettres d'avis & le port d'argent.
Ceux qui ont des avis ou des obſervations relativement
aux objets traités dans ce recueil , font
priés de les faire parvenir , francs de port. On
nommeta avec reconnoiſſance les perſonnes qui
voudront l'être , & qui voudront bien s'intèrefler
au ſuccès &à l'utilité de ce recueil périodique.
Le but que l'Obſervateur ſe propoſe eſt de faire
connoître les moeurs , les loix , les uſages , le ca
sactere , les forces , le génie , les finances , la lit
SEPTEMBRE . 1770. 213
térature , le commerce ; enfin ce qui conſtitue
dans le moral , le phyſique & le politique la nationAngloiſe.
Ce peuple s'occupe ſi fort des François qu'il regarde
comme les rivaux de ſa puiflance & de la
gloire , & les gazettes , les journaux , les papiers
fans nombre , publiés en Angleterre , font tellement
remplis des avantures , des deſſeins ou des
choſes vraies ou ſuppoſées que les Anglois nous
attribuent, qu'un Obfervateur François peut aufli
raiſonner fur leurs actions domeſtiqueess ou publiques
, fur leurs entrepriſes , & fur leurs relations
avec les autres gouvernemens . On le propoſe donc
de préſenter , avec la réſerve qui convient à un
ſpectateur philoſophe tout ce qu'il y a d'intéreſ
fant , de nouveau &de curieux à rapporter concernant
laNation Angloile & les autres peuples
avec leſquels elle communique; de faire connoître
ce qu'il y a de plus piquant dans les papiers anglois
, & de relever par des notes hiſtoriques , critiques
&politiques tout ce qui mérite d'être éclairci
, ou ce qui a beſoin d'être interprêté. On n'oubliera
point de parler auſſi de l'induſtrie des Anglois
, & de donner des notices , & même des def-
Teins de leurs inventions , des machines nouvelles,
&autres chofes fingulieres qui paroiffent en An
gleterre.
I L
Avis au sujet de l'Histoire naturelle du
Sénégal; par M. Adanson , de l'académie
royale des ſciences , &c.
Le premier volume de l'Histoire naturelle du
Sénégal , qui traite des coquillages particuliers à
214 MERCURE DE FRANCE.
ce pays , ayant langui depuis l'année 1757 , l'au
teur , pénétré du vif empreſſement que témoignent
ſes ſouſcripteurs d'en voir la continuation , a cru
ne devoir pas différer à faire jouir le Public de
cette fatisfaction ſi juſteinent due à l'accueil flatteur
qu'il a bien voulu faire à ce premier volume ;
en conféquence il a fait ceſſer les caules qui arrêtoient
la vente de cet ouvrage , en ſe rendant maî
tre du petit nombre d'exemplaires qui en reſtoient,
pour en faire imprimer la ſuite.
On trouve actuellement des exemplaires de ce
premier volume in - 4°. prix,broché , 16 liv. chez
les libraires ſuivans.
Didot le Jeune , quai des Auguſtins.
Defaint , rue du Foin St Jacques.
Heriffant , rue St Jacques .
Delalain , rue & à côté de la Comédie Franç.
Lacombe , rue Chriſtine .
Coftard , rue St Jean de Beauvais.
Dans un nouveau Prospectus on donnera une
notice des matieres qui feront traitées dans le ſecond
& dernier volume qui aura pour objet l'hiſtoire
phyſique& civile du Sénégal.
LETTRE de M. Pomme à M. Tiſſot , au
fujet defon livre , intitulé : Elfais ſur
les maladies des gens du monde.
MONSIEUR ,
Les vérités que vous venez d'annoncer aux
gens du monde, ſur l'abus qu'ils font de leur
SEPTEMBRE . 1770. 215
fanté , ( 1 ) les ſages conſeils que vous avez donnés
à la jeuneſle , (2) au peuple , ( 3 ) & aux gens
lettrés , ( 4) le zèle enfin que vous avez montré
dans un écrit , qui intéreſſe tant l'humanité ( 5 )
vous élèvent au rang de nos premiers maîtres ,
& vous méritent , au ſur-plus , le titreglorieux
d'ami des hommes ...
Je ſouſcris volontiers à cet éloge , & comme
ami , puiſque vous me décorez d'un ſi beau nom ,
je me place à la tête de vos plus zélés ſecta .
teurs : je viens , en effet , d'admirer votre ſagacité
dans votre dernier ouvrage , & j'applaudirois
avec le même enthouſiaſme , ſije n'avois trouvé
une critique de mon ſyſtême , qui pouvant devenir
dangereuſe pour ceux que votre autorité
ſubjugueroit , m'oblige à m'élever contre elle...
Dans un endroit de cet ouvrage , où vous
traitez des maladies des nerfs , vous faites l'expoſé
de la méthode fortifiante , & de celle qui
lui eſt diametralement oppoſée; & , après avoir
blâmé la premiére , & loué la ſeconde , vous
les rejettez enſuite l'une & l'autre ; les adoptant
cependant , au cas où elles vous paroiflent convenir
, ce qui vous fait conclure en faveur d'une
troiſième , qui eſt celle qui les confond toutes
les deux enſemble...
que - là , vous êtes irréprochable. Mais
(1) Eſſais ſur les maladies des gens du monde.
(2) L'Onaniſme.
(3 ) Avis au Peuple ſur ſa ſanté.
(4) De la ſanté des Gens de lettres.
(5) L'Inoculation juſtifiée.
216 MERCURE DE FRANCE.
vous devenez partial , quand vous ajoutez ;
en finiſſant votre analyſe , que les partiſans des
deux méthodes oppofées: ſçavoir , l'échauffante ,
& la rafraîchiſſante , font chacun de la leur ,
une méthode générale , qu'ils appliquent indiftinctement
à tous les maux de nerfs , & vous
les outragez , en comparant leur conduite à celle
des empiriques.
« Si les hommes pleins de génie & de connoiffance
, dites- vous , qui font à la tête de
>>>ces ſyſtèmes , vouloient bien jeter les yeux
fur les obſervations qui leur ſont étrangères ;
>>voir les inconvéniens qu'il y a à traiter des
>> maux oppofés dans leurs cauſes par une ſeule
2 méthode; à l'étendre trop loin ; àmépriſer tout
» ce qui y eſt étranger , ils ajouteroient à leurs
ſuccès, & à la reconnoiſſance que le public leur
>> doit; & ils ſentiroient bien-tôt , que les règles
>& les méthodes générales ſont dangereuſes en
>>médecine ; eles rapprochent les plus grands
médecins , des empiriques qui veulent tout
*guérir par un ſeul remède , & prétendent que
>>tous les maux dépendent d'une feule cauſe.
> Effaifur les maladies des gens du monde, par
M. Tiffot , pag. 185.
,
Si vous ne m'aviez pas cité plus haut , & fi
vous ne m'aviez pas même nommécomme l'auteur
du ſyſtême des relachans , je ne réléverois
pas les expreffions par leſquelles vous condamnez
également les deux méthodes ; mais ,
après avoir réclamé les droits que
que
votre amitié
me donne ſur votre indulgence , il me ſera permis
de vous faire remarquer , que , pour mériter
le reproche que vous me faites , il faut
fuppofer 1º. Que j'emploie la méthode humectante
SEPTEMBRE. 1770. 217
canteà tous les maux de nerfs . 2º. Il faut fuppofer
encore, que la maladie queje traite , reconnoît
pluſieurs cauſes. Je réponds a la première queftion
, en vous priant d'obſerver , que je ne me
fuis point avisé , à l'exemple de tant d'autres ,
de traiter des maladies des nerfs en général ;
mais que je me ſuis borné aux affections vapo
reuſes des deux ſexes , & au traitement d'une
feule partie des maladies nerveuſes , qui eſt celle ,
qui , de l'aveu de tous les médecins , reconnoît
pour cauſe, le ſpaſine , ou la tenfion de la
fibre , tandis que l'autre comprend celles qui
fontproduires par le relâchement... Je réponds.
à la ſeconde queſtion , en vous priant d'obſerver
encore , que la cauſe que j'établis , eſt la ſeule ;
&que toutes celles que l'on veut affocier à
celle-ci , étant éloignées , lui ſont entiérement
ſoumiles ; ce qui m'autoriſe à conclure en faveur
d'un ſeul remède , quand la maladie eſt
ſimple , & fans complication...
,
&
D'après cet expoſé, il reſte à prouver , que le
Ipaſme n'eſt pas le produit de la tenfion
qu'il y a des maladies vaporeuſes , qui reconnoilent
pour cauſe le relâchement des nerfs ,
quoiqu'elles foient toutes caractériſées par le
ſpaſme. Vous ſcavez très -bien , Monfieur , que
cette queſtion , depuis long - tems agitée .. doit
être décidée par celui qui fournira des obſervas
tions contraires aux miennes vous paroiflez
perfuadé qu'il en exiſte de ces obſervations ;
mais , où font-elles ? Seroient- ce celles que vous
appelez étrangères ? Hélas! toutes celles qu'o
m'a préſentées juſqu'ici , font tellement étrangères
à la queſtion , qu'elles me deviennent favorables
. M. Brun l'a démontré , par ſa réponſe
àM. Roſtain & à M. Marteau. ( Voyez les Ga-
K
218 MERCURE DE FRANCE .
zettes Salut. du 11 & 18 Janvier 1770. ) &
j'attends encore celle qui doit terminer la diſpute.
Si vous vouliez prendre la peine de la fournir
vous m'obligeriez ſenſiblement carje cherche
plus à m'éclaircir qu'à inſtruire.
Répéterai - je encore une fois , que ce n'eſt
point un ſymptôme vaporeux , ſuſpendu par
l'ettet enchanteur d'un antiſpaſinodique , que je
demande ; mais une affection hyſtérique ou hypocondriaque
, réellement guérie par ces prétendus
ſpècifiques ; & cette maladie ne ſe trouve
point chez l'enfant de neuf ans , ni chez celui de
neufmois : ( 1 ) la fibre à cet âge , n'a point encore
contracté le vice en queſtion ; on ne la trouve
donc que chez les adultes : les mouvemens convulfifs
de ceux - ci appartiennent réellement au
vice de la fibre ; tandis que ceux des autres ,
trouvent leur cauſe dans le cerveau : distinction
queje ne fais pas pour vous , mais pour ceux qui
ofent entrer en lice avec de telles armes. (2)
Je vous prie de vouloir bien obſerver encore ,
Monfieur , que , quoique je n'admette qu'une
`cauſe, il n'eſt pas vrai que je ne lui oppoſe qu'un
ſeul remède , & votre reproche eſt encore ici trèsmal-
fondé. J'ai reconnu des complications à la
cauſe vaporeuſe , leſquelles demandent des remèdes
différens .
Ces remèdes ſont détaillés dans mon Traité des
Vapeurs , & adaptés à chacune des complications
de cette maladie: ils ſont pris dans la claſſe des
(1 ) Voyez le Journ. deMéd. tom. xxix . pag.
273 .
(2) Voy. ibid. fupplém. à l'année 1770 , Onzième
cahier , pag. 13 .
SEPTEMBRE. 1770. 219
remèdes altétans , tels que les apéritifs , les fondans
, les ſtomachiques , les antiſcorbutiques, &
autres; je ne rejette pas même la ſaignée , les
vomitifs & les purgatifs : comment donc cette
pratique ſera-t- elle appelée , méthode générale
qui n'admet qu'un ſeul remède ? Et en quoi refſemblera-
t-elle à celle des empiriques ? ...
Je pardonne à des adverſaires mal- adroits , intéreſlés
à décrier mon ſyſtême , toutes les qualifications
qu'ils ont donné à la méthode aqueuſe.
Je me reproche même d'avoir pris la peine de
répondre aux invectives de pluſieurs ; mais , le
dernier a fi bien comblé la méſure , qu'il m'a
appris à les mépriſer tous ; auſſi ai-je promis de
garder , à l'avenir , le plus profond filence. Je
croirois vous inſulter grievement , & manquer
au devoir que l'amitié m'impoſe , ſi je vous comprenois
avec eux , & fi je ne vous faifois part de
la ſurpriſe que m'a cauſé votre critique.
Je ſuis , &c.
AParis , ce 9 Mai 1770 .
Ромм .
RÉPONSE de M. Tiſſot à la Lettre
de M. Pomme.
Avantque de répondre à votre lettre , Monfieur
& cher ami , dont je ſuis infiniment flatté ,
& qui eft remplie de politefles & d'amitié , je
dois vous témoigner tous mes regrets , fur ce
que , par la faute de mon libraire , mon livre
vous eſt parvenu par d'autres que par moi ; l'un
des premiers exemplaires vous étoit deſtiné , &
1
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
j'eſpére qu'au moins , la ſeconde édition vous
parviendra dans peu. Malheureuſement elle reffemblera
trop à la première , parce que je n'ai
pas pu profiter des avis du public & de mes amis ;
les vôtres me feroient bien précieux , & fi vous
vouliez bien me les communiquer .je les recevrois
avec toute la reconnoiffance poffible , & je ſerois
très-empreflé à en faire ufage.... Vous avez pu
voir dans la troiſième édition de la ſanté des Gens
de lettres , mon empreflement à reftituer un mot
qui m'honore , & de la fuppreffion duquel vous
m'aviez fait la grace de vous plaindre. Vous verrez,
dans la ſecondeédition des Maladies des Gens
du monde , que , fi la rapidité avec laquelle cet
euvrage a été compofé , a occaſionné un jugement
trop général fur les traitemens employés
dans les maux de nerfs , la vérité& lajuſtice ſçauront
réparer cette erreur d'une façon , qui rendra
témoignage à mes vrais ſentimens pour vous ;
Quelques voyageurs anglois ont déjà pu vous en
inftruire verbalement , & je ſaiſirai toujours, avec
un plaſfit infini , toutes les occafions de vous en
donnerdes preuves publiques ... Quant au fond
des matières , fur lesquelles nous ne ſommes pas
d'accord , vous me permettrez de vous renvoyer ,
comme je l'ai déjafait , à un ouvrage qui ne tardera
pas à paroître , & dans lequel j'examinerai
cet article avec toute l'attention & l'impartialité
poffible.
Fai l'honneur d'être , avec la plus parfaite conſidération
, Monfieur ,
Votre très -humble
& très obéiſſant ferviteur ,
:
Lausanne , ce 13 Mai 1770.
TISSOT.
SEPTEMBRE . 1770. 221
ΙΙΙ .
M. le Roy de la Faudignere , demeurant cidevant
rue de Montmorreennccyy ,, connu par ſa manière
de préſerver & guérir les maladies des gencives
& des dens ; demeure présentement Ifle St
Louis , quay d'Orléans , vis- à - vis l'abreuvoir , où
il continue de donner ſes ſoins gratis aux pauvres
, tous les vendredis matin , depuis neufheures
juſqu'à midi.
I V.
Nouvelle Penfion établie au collège de la
Marche, rue & montagne Ste Genevieve,
àParis.
M. Jacquin , recteur de l'univerſité de Paris S
principal du collége de la Marche , recevra des
penſionnaires , au même prix que les bourſes de
foncollége.
Ils feront nourris , chauffés & éclairés , pour la
fommede 28a liv .
Ils paieront de plus que les bourſiers , pour le
logement , les honoraires des maitres , le ſervice
des domestiques , l'uſage des uitenſiles du réfectoire&
de la cuiſine , celle de. 70 liv.
Total pour l'année , non compris le
blanchiſſage • 350 liv .
S'adreſſfer dès à présent à M. Jacquin , ou à
M. Cafaxe , procureur au collège de la Marche
ou à M. Caboche , préfet & directeur du penfion-
,
nat.
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE .
NOUVELLES POLITIQUES.
De Smyrne , le 30 Juillet 1770.
La peſte enleve encore ici , chaquejour , deux
ou trois perſonnes ; cependant , comme le tems
pendant lequel elle fait le plus de ravage eſt déjà
paflé & qu'on eípére qu'elle ne tardera pas de ceffer
entierement , on n'a point empêché la communication
générale. Trois bâtimens hollandois
font dans le port & n'attendent plus qu'un vent
favorable pour retourner dans leur patrie.
De Pétersbourg , le 27 Juillet 1770.
L'Impératrice ayant reçu la nouvelle de l'im - -
portante victoire remportée ſur les Turcs & les
Tartares , le 18 de ce mois , par le général de
Romanzow , revint ſur le champ de Petershoffen
cette capitale , avec le Grand Duc , & ſe rendit à
l'égliſe de Calan où s'étoient raſſemblés les eccléſiaſtiques
du premier ordre & les principales perfonnes
de la cour &de la ville. Après la lecture de
la relation de cet événement , on chanta le Te
Deum au bruit du canon .
On a appris depuis que le prince Proſowski, qui
apaflé le Nieſter le 9 & le 10 de ce mois , s'étoit
approché , le 19 , de la fortereſle d'Oczakow , &
qu'il y avoit eu quelques eſcarmouches entre ſes
troupes & des corps détachés de la garniſon de la
place; que ce commandant avoit eu avis que cette
garniſon étoit compoſée de plus de trois mille
hommes, commandés par un pacha à deux queues,
& qu'il avoit pris le parti de s'éloigner de la place
&d'obſerver , à une certaine diſtance , les mouvemens
des ennemis.
SEPTEMBRE . 1770 . 223
De Coppenhague , le 7 Août 1770 .
Te Roi a fait publier une ordonnance de la
chancellerie de Gluckſtadt , par laquelle Sa Majeſté
défend l'émigration de ſes ſujets dans la partie
du duché de Holſtein appartenante à la couronne
& dans la ſeigneurie de Pinneberg.
De Vienne , le & Août 1770.
On mande des frontieres de Turquie , par des
lettres du 13 du mois dernier , que les inondations
continuelles du Danube retenoient le grand Viſir
à Iſaktcha & l'empêchoient de paffer ce fleuve avec
ſon armée ; mais que Capi Kiram , aga des janilfaires
, l'avoit paſſé , dès le mois dernier , à la tête
d'un corps conſidérable , pour ſe réunir au kan des
Tartares & commencer les opérations.
De Venise , le 24 Juillet 1770.
La Porte eſt ſi ſatisfaite de la conduite que la
République a tenue relativementà la guerre actuelle
, que leGrand Seigneur a renouvellé , par
un nouveau Firman , l'ordre déjà donné aux Dulcignotes&
à tous les autres peuples qui ont coutume
d'arborer ſon pavillon , de reſpecter en tour
lieu celui de Venife.
On penſe ſérieuſement à mettre les forces de
terre de la République ſur un pied reſpectable & à
les porter à vingt régimens , qui feront entretenus
en tout tems ſur le pied complet.
De Gênes, le 4 Août 1770.
La cour a reçu la liſte de la cargaiſon de la
flotte Eſpagnole , arrivée dernierement des Indes
à Cadix : ſuivant cette liſte , elle monte à dixhuit
millions de piaſtres , tant en argent qu'en
marchandiſes.
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
De Londres , le 17 Août 1770 .
Les commiſſaires de la marine à Portsmouth
ont envoyé à l'amirauté le réſultat des recherches
qu'il ont faites au ſujet de l'incendie des magaſins
de ce port ; il ne paroît pas qu'on ait acquis encore
aucune preuve du prétendu complot , auquel
une partie du public attribue cet incendie.
Suivant les lettres qu'on a reçues , cette ſemaine
, de l'Amérique Septentrionale & des Indes Occidentales
, il ne paroît pas que nos Ifles aient
fouffert du tremblement de terre , du 3 Juin dernier
, dont les effets ont été ſi funeſtes à Saint-
Domingue.
: On mande de la Nouvelle-Yorck qu'il a été mis
en queſtion dans une aſſemblée des habitans , ſi
l'on feroit venir de la Grande Bretagne toutes fortes
de marchandiſes , àl'exception du thé quieft
reſté chargéd'un impôt, où ſi l'on s'en tiendroit à
la réſolution qu'on a priſe de ne tirer d'Angleterre
aucune forte de marchandise , & que la premiere
propofition a paffé à la pluralité des voix , de ſorte
qu'il y a apparence qu'elle ſera adoptée. En conféquence
, nos négocians ſont occupés à faire des
envois confidérables à la Nouvelle - Yorck & à
d'autres Colonies .
De Compiegne, le 1 Août 1770.
( Le Roi a accordé , il y a quelques jours les
honneurs du Louvre au Comte de la Tour- d'Auvergne
: en conféquence la Comteſſe dela Tourd'Auvergne
a pris le Tabouret chez madame la
Dauphine.
Du 4 Août.
Le ſieur le Preſtre-de-Château-Giron , Avocat
Général au Parlement de Bretagne , vient d'être
nommé à la place de Sur- Intendant des finances
SEPTEMBRE. 1770. 225
&maiſon de Madame la Dauphine , en ſurvi.
vance du Préſident Henault ; il a eu l'honneur
de faire fes très -humbles remercimens à Sa Majeſté
a cette occaſion , & d'être préſenté à la famille
Royale en cette qualité.
Le baron de Choiſeul , ambaſſadeur de Sa
Majesté auprès du Roi de Sardaigne , a eu l'honneur
de prendre congé de Sa Majefté le 3 de
ce mois pour retourner à Tutin.
Du 8 Août.
Le due de Duras , Pair de France , lieutenantgénéral
des armées du Roi , chevalier de ſes
ordres & premier gentilhomme de ſa chambre ,
prêta ferment , le même jour , entre les mains
de Sa Majesté , pour le gouvernement de la Franche-
Comté , vacant par la mort du Maréchal de
Duras , fon pere , dont il avoit la ſurvivance .
Sa Majesté vient d'accorder au duc de Villequier
, maréchal de ſes camps & armées , & premier
gentilhomme de la chambre , la ſurvivance
du gouvernement de Boulonois , dont le duc
d'Aumont , fon pere , eſt pourvu. Il a eu l'honneur
de faire , à cette occafion , le 4, ſes trèshumbles
remercimens au Roi.
Avant-hier , le chevalier de la Tour-Saint-
Quentin , général des galeres de Malte , eut
T'honneur de prendre congé du Roi pour ſe rendre
à Malte.
Le marquis de Duras , a pris avec l'agrément
du Roi , le nom de duc de Durfort.
Sa Majesté a donné l'Abbaye de Saint Julien ,
ordre de faint Benoît , ville & diocèſe de Dijon ,
à la Dame de Thiard-de- Biffy , abbeffe des Iflesd'Auxerre
; & le prieuré perpétuel de Saint Ge .
neſt les - Moines , ordre de Saint Benoît , diocèſe
226 MERCURE DE FRANCE.
de Clermont , à la dame de Sarrafin-de-Baffignac
, religieuſe profeſſe du même prieuré.
Le duc de Villequier , premier gentilhomme
de la chambre du Roi , en ſurvivance , prêta
ferment entre les mains de Sa Majesté le 22.
Août , pour le gouvernement du Boulonois ,
dont il a obtenu la ſurvivance,
Du 22 Août.
Le Roi a nommé au gouvernement des ville
& château de Saumur , & à celui de la Province
du Saumurois , vacans par la mort du marquis
d'Aubigné , le comte de Broglie , chevalier des
ordres de Sa Majesté , lieutenant-général de ſes
armées , & ci -devant fon ambaſladeur auprès
du Roi & de la République de Pologne .
De Paris , le 6 Août 1770.
Le chevalier de la Tour - Saint -Quentin ,
nommé général des galeres de Malte , a fait
l'émiſſion de ſes voeux, le 30 du mois dernier ,
dans l'abbaye Royale de Panthemont. Il ne
tardera pas à ſe rendre à Malte.
Du 10 Août .
L'académie royale des Inſcriptions & Belles-
Lettres , dans fon aſſemblée du 6 de ce mois ,
élut, le ſieur de la Porte-du-Theil , ſous-lieurenant
aux Gardes Françoiſes , à la place d'Aſſocié ,
vacante par la promotion du ſieur de Sigrais à
lapenfion.
Du 17 Août.
L'académie royale des Sciences a fait choix de
l'abbé Boſſut , un des adjoints dans la claſſe de
geometrie , pour remplir , dans la même claſſe
la place d'afſocié , vacante par la promotion du
SEPTEMBRE. 1770. 227
chevalier d'Arcy , à celle de penſionnaire furnuméraire.
Du 20 Août.
Le corps de Ville tint , le 16 de ce mois , une
aſſemblée générale , dans laquelle le ſieur Bignon
fut continué prévôt des marchands : le ſieurCheval
de Saint Hubert , Quartinier , & le ſieur Pia
furent élus échevins dans la même aſſemblée.
L'académie royale de peinture & de ſculpture
vient de faire placer dans la ſalle de ſes affemblées
, le buſte du Roi. Ce monument de fon
reſpect & de ſa reconnoiſſance eſt élevé ſur un
piédeſtal décoré d'un bas - relief allégorique ,
dont le ſujet eſt la protection que Sa Majefté
daigne accorder à cette académie. Le tout eſt
exécuté en marbre.
Du 24 Août.
L'académie royale des ſciences annonça , au
mois d'Avril dernier , par un avis particulier ,
que les montres , pendules ou inſtrumens qui
Jui feroient préſentés pour le prix de 1771 , dont
le ſujet eft de déterminer la meilleure maniere de
mesurerle tems à la mer , ſeroient éprouvés fur
une frégate armée par les ordres du Roi ; qu'en
conféquences elle n'exigeoit plus les épreuves à
la mer , ſur leſquelles elle avoit infiſté dans ſon
programme , & qu'il ſuffiſoit de faire remettre
ſimplement ces montres ou inftrumens à l'académie
avant le premier Septembre prochain .
Mais le duc de Praſlin ayant écrit à l'académie
que leRoi avoit jugé à propos de différer l'armement
de la frégate juſqu'au mois de Mars 1771 ,
cette académie , voulant en profitant de ce
délai , donner aux concurrens encore plus de
,
228 MERCURE DE FRANCE:
tems pour perfectionner & éprouver leurs machines
ou inftrumens , les avertit qu'il fuffira
qu'ils les lui faſſent remettre avant le premier
Février 1771. Ceux qui feront préſentés après
ce terme , ne feront point admis au concours.
Du 25 Août.
Le Roi a nommé le comte d'Aché , lieutenantgénéral
des armées navales , à la place de viceamiral
des mers du Ponent , vacante par la
mort du marquis de Maſſiac. Sa Majesté a accordé
la dignité de grand'croix de l'ordre de S.
Louis , vacante auſſi par cette mort , au ſieur
de Bompar , commandeur du même ordre , &
lieutenant-général , commandant de la marine
à Toulon , & la dignité de commandeur , au
fieur de Naurville , chef d'eſcadre.
MARIAGES.
De Compiegne , le 8 Août 1770 .
Le Roi & la famille royale ſignerent , les de
ce mois , le contrat de mariage du marquis de
Choiſeul , maréchal des camps & armées de Sa
Majesté , & l'un des menins de Monſeigneur le
Dauphin , avec demoiſelle de Raby .
Dimanche dernier , le Roi & la Famille
Royale fignerent le contrat de mariage du marquis
Deflacs d'Arcambal , brigadier des armées
du Roi , colonel de la légion royale de Corſe ,
avec demoiſelle de Creſt de Chigi , veuve du
fieur Gautier de Mondorge , receveur de la
chambre aux deniers , & celui du Marquis de
l'Efcours , colonel dans le corps des Grenadiers de
France , avec Dlle du Dreneuc , fille du comte du
SEPTEMBRE. 1770. 229
Dreneuc , capitaine au régiment des Gardes Françoiſes.
NAISSANCES.
De Londershausen , le 28 Juillet 1770.
Chriſtine - Elifabeth Albertine , née princeſſe d'Anhalt-
Bernbourg , épouſe du prince Auguſte de Sondershauſen ,
eft accouchée d'un prince le 15 de ce mois , à dix heures
du foir. Il a été nommé , ſur les fonts de Baptême , Guil
laume Louis Gunther.
De Paris , le 13 Août 1770.
La Duchefle de Charoſt eft accouchée d'un garçon , les
de cemois.
MORT S.
L'Abbé Gaudin , ancien vicaire général de Troyes , Abbé
commendataire de l'abbaye royale d'Angles , ordre de St
Benoît , diocèſe de Luçon , eſt mort dernierement , aux
caux de Vichy , âgé de près de foixante ans.
L'Abbé de Valory, ancien prévôt de l'égliſe royalede St
Pierre de Lille , abbé commendataire de l'abbaye royale de
Jauve , ordre de St Benoît , diocèse d'Alais , mourut en la
maiſon du Mont Saint - Adrien , le 21 du mois dernier ,
dans la quatre- vingt-neuvième année de fon âge .
Pierre - Marie Comte de Luppé , colonel d'infanterie ,
gentilhomme de la Manche de Mgr le Dauphin , chevalier
del'ordre royal & militaire de Saint Louis , &de celui de
Notre- Dame de Mont Carmel & de St Lazare , eſt mort
ici , le 24du mois de Juillet , âgé de 45 ans .
Guillaume-François Rouelle , célèbre chymiſte , démonftrateur
en chymie, au Jardin du Roi , membre des académies
royales des ſciences de Paris &de Stockolm , & de
l'académie électorale d'Erford , eſt mortà Paffy , le 3 , âgé
de67 ans.
Marie Johan , native d'Arlon , pays de Luxembourg ,
veuve de Louis de Villeneuve , chevalier de Saint Louis&
Lieutenant-colonel du régiment de Nice , tué en 1734 au
fiége de Philisbourg , eſt morte à Thionville , le 6 Juin dern,
er, âgée de cent-huit ans. Elle a conſervé juſqu'au der
230 MERCURE DE FRANCE.
nier momentde ſavie beaucoup de mémoire &de préfenced'efprit,
& jamais elle n'a vu de médecins ni de chirurgiens.
DeMunich , le 10 Août..
Clément- François - Paul Duc de Baviere eſt mort lundi
dernier des ſuites d'une paralyfie à laquelle s'eſt jointe une
hydropiſie de poitrine. Ce prince, né le 19 Avril 1722 ,
étoit filsdu duc Ferdinand de Baviere, frere de l'Empereur
CharlesVII. Il avoit épousé , le 17 Janvier 1742 , Marie-
Anne , comteffe Palatın de Sultzbach , née le 21 Juin 1722.
Claude-LouisMarquis de Maſſiac , vice- amiral de France,
grand'croix de l'ordre royal & militaire de St Louis ,
ancien ſecrétaire d'état au département de la marine , eft
mort en cette ville, le afde ce mois, dans la quatre-vingtquatriéme
année de ſon âge .
Le même jour , Barthelemi de Vanolles , conſeiller d'état
ordinaire , ancien intendant du Bourbonnois , de Franche-
Comté , d'Alface &des armées du Roi , eſt mort ici ,
Agé de quatre- vingt-huit ans .
LOTERIES.
Lecent quinziéme tirage de la loterie de l'hôtel-de-ville
s'est fait le 26de Juillet en la maniere accoutumée. Lelot
de cinquante mille livres eſt échu au No. 47026 ; celui de
vingt mille livres au N°. 47961 , & les deux de dix mille
aux numéros 55751 & 57460 .
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire s'eſt fait
le 6 Août. Les numéros fortis de la roue de fortune font
75,69 , 64 , 76 , 66.
ERRATA.
NB. Supprimez la note de la page 61 où l'on annonce
une ſouſcription périodique qui n'aura pas lieu de Contes
philoſophiques de M. Araignan.
SEPTEMBRE. 1770. 231
P
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en proſe , page
Suite du Printems. Chant premier du Poëme des Saifons
,
Epigramme ,
Le Bucheron & le Roffignol. Fable imitée de l'allemand,
Ode à M. le Gendre ,
La Bienfaiſance ,
Avis aux Flatteurs. Fable orientale ,
Stances à une Revendeuſe à la toilette ,
Le Pafle-dix . Proverbe dramatique ,
Trait remarquable de la vie du Czar Pierre le Grand ,
A M. le Baron de Castelet ,
Vers adreſſés à Mde *** , pour le jour de ſa fête ,
La Caraïbe ,
La Roſe d'Ancenis ,
Dialogue entre Colbert , Racine & le Brun ,
Explication des énigmes & des logogryphes ,
5
ibid.
8
9
10
13
23
24
25
43
48
50
52
61
63
71
ENIGMES , 72
LOGOGRYPHES ,
75
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
77
Hiſtoire des Variations des Egliſes Protestantes , &c. ibid.
Leçons de mathématiques , par M. l'Abbé de la Caille , 79
Vie de Nicolas-Claude Pereiſc , 80
Inſtituts de chymie , par Spielman ,
85
Code matrimonial , 88
Le Voyageur François ,
१०
Plan d'Education publique ,
99
Les Baifers , 104
Le Sauvage de Taïti aux François ,
138
Traité politique des Communes , 113
Dictionnaire pour l'intelligence des Auteurs Grecs &
Latins , &c.
114
JournaldeMuſique , 116
Sur les Fablesde la Fontaine ,
117
Dialogue entre Charles duc de Bourgogue & René duc
deLorraine ,
Le Déſorteuf. Drame ,
124
141
232 MERCURE DE FRANCE.
Lettre à M. *** ,
Sur la ſtructure des muſcles ,
Sur l'art de faire le vin ,
SPECTACLES . Concert ſpirituel ,
Opéra,
Comédie françoiſe ,
Distribution des Prix de l'Univerſité ,
Ecole vétérinaire ,
Académie de Peinture & Sculpture ,
Vers à Mlle Vallayer ,
ARTS ,
Gravure ,
Eloge de M. Boucher ,
Mémoire ſur la deſtruction des loups ,
Lettre fur la conftruction de la nouvelle ſalle de Ver-
144
147
151
157
158
159
167
172
174
175
176
ibid.
181
190
failles, 193
De l'Ennui , 197
Humanité & généroſité , 203
Anecdotes , 205
Déclarations , Arrêt , &c . 209
Lettre de M. de Voltaire à M. Dupont , ibid.
Avis , 212
Lettre de M. Pomme à M. Tiflot, 215
Réponſe de M Tiffot à M. Pomme , 219
Nouvelles politiques , 222
Naiflances , 219
Morts , 230
Loteries,
ibid.
J
APPROBATION.
'AI lu , par ordre de Mgu le Chancelier , le volume
du Mercure de Septembre 1770 , & je n'y ai rien trouvé qui
m'ait paru devoir en empêcher l'impreffion .
AParis , le 30 Août 1770 .
১৯
RÉMOND DE STE ALBINE.
De l'Imp. de M. LAMBERT , rue dela Harpe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO Ι .
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
OCTOBRE. 1770 .
PREMIER VOLUME.
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A PARIS ,
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Chriſtine , près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi .
AVERTISSEMENT.
C'E'ESSTT au Sieur LACOMBE libraire , àParis, rue
Chriftine , que l'on prie d'adreſſer , francs de pore,
les paquets& lettres , ainſi que les livres , les éltampes,
les pièces de vers ou de proſe , la muſique
, les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, éévvéénnemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , &généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auffi de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres& de ceux quiles
cultivent , ils font invités à concourirà ſaperfection
; on recevra avec reconnoiffance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenſes ſur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv.
que l'on paiera d'avance pour ſeize volumes rendus
francs deport .
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ceux quin'ont pas ſouſcrit,au lieu de 30 fols pour
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, 4 vol. in - 8 " . 241.
Le Dictionnaire de Jurisprudence canonique ,
in-4°. 4 vol. rel. 481.
Dict. Italiend' Antonini, 2 vol. in-4°. rel. 301.
Meditationsfur les Tombeaux , 8 br. 11. 10f.
Mémoire pour les Natifs de Genève, in-8 °.
broch. 11. 46
1
MERCURE
DE FRANCE .
OCTOBRE. 1770 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE à Mde la Comteſſe d' *** ,fur
l'éducation de fon Fils.
TEESs vVoeux ſont donc remplis , mère ſenſible&
tendre ;
Ton fils croît ſous tes yeux &commence à t'entendre.
Tout eſt nouveau pour lui , tout vient frapper ſes
ſens;
Tout occupe à la fois ſes organes naiſſans.
Aiij
6 MERCURE DE FRANCE .
Ses yeux cherchent tes yeux , fa main preſſe la
tienne.
Il abeſoin encor que ton bras le ſoutienne ;
Ilhéfite , chancelle , & bientôt , ſans effroi ,
Viendra d'un pied plus fûr courir autour de toi.
• Lorſque tu lui ſouris , ſa langue cinbarraffée
Voudroit articuler les fons de la penſée.
Oquej'aimeà te voir , avec vivacité ,
De ſes jeux innocens partager lagaîté ,
De l'amour maternel épuiſer les tendreſſes,
Lui rendre à chaque inſtant carefſes pourcareſſes,
Epier fes defirs , & prévenant ſes pleurs ,
De ſon berceau tranquille écarter les douleurs !
Ces vertus d'une mère appellent monhommage.
Mais tandis qu'en mes vers j'en retrace l'image,
Ton fils avec ſesjours voit croître ſes beſoins .
D'autres tems à ton coeur demandent d'autres
foins.
Veux-tu que tout conſpire à remplir ton envie?
Ilfaut ſemer de fleurs l'aurore de ſa vie ;
Mais que les fruits toujours ſe cachent ſous les
fleurs .
Ton fils ne te doit rien , s'il ne te doit des moeurs.
C'eſt le voeu de l'hymen , c'eſt la dette facrée
Que t'impoſe le Ciel , que ta bouche ajurée.
Tu lui donnas le jour ; &, pour lui donner plus ,
Dans l'ame de ton fils cultive tes vertus .
Rends - le digne , en un mot, de ſes deſtins prof.
** pères .
OCTOBRE. 1770. 7
Qu'il apprenne à porter le grand nomde ſes pères,
Et qu'en ſe rappelant un fi beau ſouvenir ,
Il tranſmette le ſien aux fiècles à venir.
Ainſi le jeune Aiglon , échappé de ſon aire ,
Ofe enfin s'élever au féjour du tonnerre ,
Etdans leur vol ſublime , imitant ſes aïeux,
Fixe l'aſtre brûlant qui règne ſur les cieux.
Mais,avant que ton fils ait comblé ton attente ,
Tu dois plier au joug ſa jeuneffe inconſtante ,
Inſtruis-le par degrés , &, dès ſes premiers ans ,
Montre- lui la raiſon ſous des traits féduiſans.
Vois tu ce jardinier , d'une main attentive ,
Elaguer avec ſoin l'arbriſſeau qu'il cultive ?
La plante ſécheroit&languiroit ſans lui .
A fa tige naiſſante il préſente un appui .
Il abreuve tantôt la racine alterée ,
Tantôt preſcrit un cours à la sève égarée ,
Et contre l'aquilon tâche de protéger
Ce débile arbrifleau , l'eſpoir de ſon verger.
Les ſoins de fon miniſtre à Pomone ont ſu plaire.
Un jour , un jour viendra qu'ils auront leur falaire.
Déjà l'automne approche , & ſes tréſors nouveaux
Dujardinier ſoigneux vont payer les travaux ,
L'arbre est chargé de fruits qu'il doit à la culture.
Ainfi l'art des mortels peut aider la nature
Et , dans un tendre enfant voyant l'homme futur ,
Diſpoſer ſon jeune âge aux fruits de l'âge mûr,
1
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
Ton fils eſt l'arbrifſeau dont la foiblefle implore
Les regards careflans de Pomone & de Flore.
Prodigue- lui tes ſoins , & nourris dans ſon coeur
De tous les ſentimens la féconde chaleur ;
Ta franchiſe déjà ſe peint ſur ſon vilage ,
D'un eſprit généreux favorable préſage ,
Gardons-nous d'étouffer cette ingénuité !
Elle honore ſon âge & prouve ſa bonté.
Qu'il croie à la vertu ſans ſoupçonner le crime !
Ah! fi c'eſt une erreur , cette erreur eſt ſublime.
Il faut par les humains ſe laiſſer abuſer ,
Plutôt que de les craindre ou de les mépriſer.
Si de ton fils déjà la mémoire fertile
Peut garder le dépôt d'une lecture utile ,
Qu'il parcoure , en jouant , ces chef- d'oeuvres
vantés
Que l'Eſope François a jadis enfantés.
Que ces récits naïfs ont d'attraits pour ſon âge !
La raiſon les approuve , & leur doux badinage
Qu'un ſophiste éloquent vainement a proſcrit ,
Sait au profit du coeur amufer notre eſprit.
Eh ! que ſert d'élever une voix doctorale ?
La Fontaine avec art déguiſant ſa morale ,
Aux humains qu'elle inſtruit préſente un hameçon
,
Ainſi que le pêcheur au crédule poiſſon.
Sans doute l'artd'inſtruire eſt né de l'art de plaire.
Etton fils qui craindroit la coupe alutaire ,
OCTOBRE. 1770. ,
Sans le miel ſéducteur dont les bords ſont couverts
,
Chérit la vérité ſous le maſque des vers.
Sur-tout qu'il n'aille point dans la poudre des
claſſes ,
De lon âge trop tendre enſevelir les graces ,
Et des pédans obſcurs habiter la prifon .
Ces triſtes raiſonneurs font haïr la raiſon.
Tu n'imiteras point la marâtre infidèle
Qui veut que fes enfans ſoient exilés loin d'elle
Et , ne jetant ſut eux qu'un regard paſſager ,
Abandonne leur fort aux mains d'un étranger.
Mais je vois chaque jour ton élève docile
Prêter à tes conſeils une oreille facile.
De ta voix qu'il adore il répéte les ſons ;
La bouche d'une mèreembellit les leçons.
Delaflé dans tes bras d'une pénible étude ,
Il ſe fait de te plaire une douce habitude ;
Pour prix de ſes efforts , ſon légitime orgueil
Ne brigue qu'un ſourire &ne veut qu'un coupd'oeil
.
Alors , ſans fatiguer ſes organes novices ,
De la foible raiſon recueillant les prémices ,
Tu pourras quelquefois ranimer la langueur ,
Menacer ſans colere & punir ſans rigueur.
Il eſt des inſenſés qui , pour la moindre offenſe ,
Ne ſavent qu'effrayer & tourmenter l'enfance ;
Mais ton fils n'eſt puni que par le ſentiment ;
La honte ſuit la faute ,elle eſtſon châtiment.
Ay
10 MERCURE DE FRANCE.
Souvent res entretiens dans le fond de ſon ame
Porteront des vertus la généreuſe flamme ;
Et quand tu le verras ſenſible à tes diſcours ,
Des larmesde tendreſſe en troubleront le cours.
Mon fils , lui diras-tu, ſeul eſpoir de ta mère,
Non , je ne forme point une vaine chimère ,
Quand j'attends de ton coeur de nobles mouve
mens .
Le tems vole , mon fils , profite des momens.
L'ufage de la vie en étend la durée.
Pour tenter la carriere à tes voeux préparée ,
Pourfaire ton bonheur , il n'eſt qu'un ſeul moyen ;
Mon fils , fois vertueux , fois homme & citoyen.
Entends- tu dans ton coeur une voix qui te crie ,
Qu'il faut aimer ſon maître & fervir ſa patrie ?
Cet inſtinct généreux , dans tes veines tranſmis ,
Eſt le plus beau tréſor que je laiſſe à mon fils .
Ecarte loin de toi la fraude infidieuſe ,
La coupable moleſſe & l'envie odieuſe ,
Fuis le luxe indigent &l'orgueil effronté.
Apprends que la grandeur n'eſt rien ſans la bonté.
Ah ! lorſqu'un malheureux ſuccombe à ſes alarmes
,
La grandeur véritable eſt d'eſſuyer ſes larmes.
Mais ſurtout , dans le ſein de la religion ,
Des communes erreurs fuis la contagion .
Chéris l'Etre Suprême & fois utile aux hommes.
Si d'autres Spinoſa , dans le ſiècle où nous fom
mes ,
OCTOBRE. 1770. 11
Infectent les eſprits de conſeils venimeux;
Rejette loin de toi leur délire fameux.
Crains fur-tout , crains le doute où leur ame eſt
flottante.
Ah! mon fils , qu'au tombeau je deſcendrai contente,
Si tu ſuis la raiſon , ſi tu chéris l'honneur.
Mais quels regrets amers , quel trouble empoifonneur
Viendroient flétrir mon ame &deflécher ma vie ,
Side triſtes erreurs ta jeuneſſe ſuivie ,
Dans le vain tourbillon des coupables plaiſirs
Peut loin de moi jamais égarer tes defirs.
Hélas ! pardonne aux pleurs qui mouillent mon
viſage.
Mon coeur n'accepte pointce funeſte préſage:
Mon fils , pour raſſurer ce coeur trop combattu ,
Jure d'aimer toujours ta mère& la vertu.
Aces diſcours touchans , à ce tendre langage ,
Je vois pleurer ton fils ; je l'entends qui s'engage
Par le ferment facré que tu lui veux dicter ,
D'embrafler la vertu pour ne la point quitter.
Va , ce ſerment n'eſt point une chaîne frivole ;
Il promet à ſa mère , il tiendra ſa parole ,
Sur ſes lévres alors ſon coeur eſt tout entier;
Etſon ame à la tienne aime à ſe confier.
Ainfi de ſes devoirs offre-lui la ſcience;
Qu'il croiſſe ſous l'abri de ton expérience ;
vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Tel le pilote veille au milieu de la nuit ,
Et dérobe aux écueils le vaiſſeau qu'il conduit.
Cependant l'âge vient où ton fils moins débile
S'accoutume au travail ſous un Mentor habile .
L'Antiquité dévoile à ſes yeux aſſidus
Ses hommes immortels , ſes dieux qui ne font
plus.
Il ravit les tréſors &de Rome & d'Athènes .
L'étude le tranſporte aux tems des Démosthè
nes ,
Aux beaux jours d'Alexandre , au fiècle des Céfars
,
Parmi tous les enfans de Minerve & des Arts.
Fier & ſenſible Achille , il reflent ton outrage ,
Frémitde ta vengeance & chérit ton courage.
Didon , à tes regrets il ſe laiſſe toucher ;
Et ſes pleurs , d'Euryale , arrofent le bucher.
Racine l'intéreſſe aux plaintes d'Andromaque.
Il ſuit chez Calyplo le jeune Télémaque ;
Avec lui dans l'Egypte il croit être captif;
Il vole ſur les pas d'Ulyſſe fugitif.
Il voit avec tranſport aux murs d'Idomenée
L'équité floriſlante & la paix ramenée .
Quelle eft donc ta magie , ô divin Fénelon !
Taproſe enchantereſſe eût ſéduit Apollon .
Chez toi le ſentiment s'unifſoit au génie ,
Les Graces t'inſpiroient une mâle harmonie ,
Et Minerve elle - même eut recours à ta voix
Pour le biendes mortels & l'exemple des Rois.
OCTOBRE. 1770. 13
Quels coeurs à tes diſcours pourroient être rebelles?
Notre élève charmé de fictions fi belles ,
Pourdes objets nouveaux brûle d'un nouveau feu
Etſe rend digne enfinde lire Monteſquieu.
Duclimat ſur les moeurs il diftingue l'empreinte;
Il voit le deſpotiſme affermi par la crainte,
Et l'honneur ſous les Rois déployer ſa fierté ,
Et la Vertu marcher avec la Liberté.
Dans le Dédale obſcur où l'eſprit s'enveloppe ,
Il s'avance au flambeau de Montagne & de Pope ,
Et , des vains préjugés heureuſement vainqueur ,
Habite avec loi-mêine & deſcend dans ſon coeur.
Il pénétre le temple où la ſage Uranie
Trace de l'Univers l'éternelle harmonie ,
Et va , du grand Newton diſciple audacieux ,
Peſer dans ſa balance & la terre & les cicux .
Un verre afſujettit à ſon regard avide
Tous les globes épars dans les plaines du vuide.
Il les voit l'un vers l'autre attirés dans leur cours,
Ettoujours s'approcher & s'éloigner toujours.
Ils obéiflent tous aux loix qu'il leur impoſe.
En ſept rayons égaux ſon priſme décompoſe
Un rayon échappé des célestes lambris ,
Et ſurprend les couleurs de l'écharpe d'Iris.
Des feux brûlans dujour il raſſemble l'élite ;
Et toi de notreglobe , ô pâle Satellite ,
Ildevine ta marche , il la règle , & ta vois
14 MERCURE DE FRANCE.
Tes courſiers vagabonds dociles à ſa voix.
Les comêtes pour lui ne ſont plus ces fantômes
De qui l'aſpect vengeur menaçoit les royaumes.
Il fait que le ſoleil , à ces aſtres errans ,
D'une flamme nouvelle emprunte les torrens.
Il prédit leur retour & marque leur diſtance.
Des élémens rivaux le choc & la ſubſtance ,
Ces trois règnes fameux qu'en Egypte autre fois ,
Hermès à ſon pouvoir ſoumettoit tous les trois ;
La nature , en un mot , eſt l'objet de ſes veilles.
Ocombien cet amas de ſublimes merveilles ,
Combien ce grand ſpectacle étonnera ſes yeux !
Il verra que l'étude eſt un préſent des cieux.
C'eſt un tréſor ſacré que le vulgaire ignore.
Midas hait les ralens , Fréderic les honore :
Son nom par le trépas ne ſera point vaincu ;
Mais qui vit ſans penſer , meurt ſans avoir vécu.
L'existence eſt un poids dont la mort le délivre.
Tandis que ton élève à l'étude ſe livre ,
Tu dois , pour régler mieux l'emploi de ſes momens
,
Profiter avec art de ſes délaflemens .
Qu'il tente chaque jour un pénible exercice ;
Au travail obſtiné que ſon corps s'endurcifle :
La molleſſe jamais ne forma les héros .
Eh ! ſi toujours Achille eût langui dans Scyros ,
De la lyre d'Homère auroit-il été digne ?
Non : d'un loiſir honteux ſa grande ame s'indi
gne.
OCTOBRE. 1770. 15
Il ſent qu'un tel repos eſt une lâcheté ,
Et que par le travail l'honneur est acheté.
Chiron,dequi les foins formerent ſonjeune âge ,
L'inſtruiſit à paſſer les fleuves à la nage ;
Abriſer des torrens les flots impétueux ;
Afuir les vains apprêts d'un luxe infructueux ;
Avaincre dans la lice , où les fils de la Grèce ,
Joignoient l'art au courage & la force à l'adreſſe ;
Adompter les courſiers , à ſupporter enfin
L'ardente canicule , & la ſoif & la faim .
Qu'ilbrûle maintenant de rentrer dans la lice !
Son inſtinct vertueux ſert la fraude d'Ulyſſe ,
Et laiſlant la molleſle à des bras énervés ,
Il vole à ces honneurs qui lui font réſervés.
Jadis chez nos Français quelques ames ſtoïques
Conſerverent les moeurs de ces tems héroïques.
On vit tout Paladin , loyal & courageux ,
De la Gréce imiter les combats & les jeux.
D'un bras que n'avoit point affoibli l'indolence ,
Il ſavoit , jeune encore , eſſayer une lance ;
Accoutumoit au frein un rebelle courſier ,
Et ne dédaignoit pas un mets ſimple & groffier.
Mais cette courtoiſie , autrefois tant priſée ,
Servitoit aujourd'hui de fable & de riſées
Chaque jour , chaque inſtant voit changer nos
humeurs ;
Les faux beſoins du luxe ont corrompu nos
moeurs .
@honte ! O de ce ſiécle éternelle infamie !
16 MERCURE DE FRANCE.
Le citoyen chérit la molleſſe ennemie ,
Et de l'oifiveté préfère les pavots
Aux lauriers deſtinés pour les nobles travaux.
Tous les jours ſont perdus dans un oubli pro
1
fane.
La fleur de ſa jeuneſſe avant le tems ſe fane :
Et les molles langueurs qu'adopta Sybaris ,
De nos braves Hectors font de lâches Pâris .
Ton Elève fuira leurs trompeuſes amorces ;
Il pourra , dès que l'âge aura mûri les forces ,
Vouer à ſa parrie un courage aſſuré ,
Et , dans un corps robuſte , un eſprit éclairé.
Je touche à cette époque où le cri de la gloire
Fera voler ton fils aux champs de la victoire .
De Bellone à ſes yeux quand la flamme aura lui ,
Mère tendre , il faudra te ſéparer de lui.
Il faudra que ſon front de lauriers ſe décore .
De Thierry ſon aïeul la palme fraîche encore ,
Au temple des vainqueurs l'appele ſur ſes pas ,
Et lui promet un nom qui ne périra pas.
Maispourquoi retracer ces images ſanglantes ?
Mars eſt trop déteſté par les mères tremblantes ;
Al'aſpect de ce dieu la nature frémit :
Sur ſes crimes brillans l'humanité gémit.
Ah! puifle undieu plus doux , pour le biendela
terre ,
Etouffer à jamais la diſcorde & la guerre !
Puiflent les Rois un jour ne diſputer entr'eux ,
Que ſur l'art peu connu de faire des heureux !
OCTOBRE. 1770. 17
Si mes voeux ſont remplis , fi l'olive ſacrée
Couvrelong-teins le front de l'Europe éplorée ,
Ton fils ranimera les beaux arts abattus.
Il ſera dans la paix héros par les vertus .
Il me ſemble le voir dans ces vallons champêtres ,
A l'ombre de ces bois qu'ont planté ſes ancêtres ,
Juger les différends des peuples d'alentour ,
Etdu bonheur des ſiens être heureux à ſon tour.
Par un faſte érayé (ur des ruſes obliques ,
Il n'inſultera point aux mifères publiques.
Qued'autres , profanant le culte de Palès ,
Du fang des malheureux cimentent leurs palais!
Ah ! loin de s'abreuver des pleurs de la patrie ,
Il nourrit l'indigence , il ſoutient l'induſtrie ,
Il recueille , pour prix des foins qui l'ont formé ,
Lagloire d'être utile ,& fur -tout d'être aimé
Son nom fera chanté par les muſes divines .
Qu'un torrent en fureur , grondant dans les ra
vines ,
D'un cours impétueux précipite fes eaux ,
Entraîne les forêts , dévore les troupeaux
Détruiſe à chaque inſtant & change ſes rivages ;
On voudroit oublier ſes funeſtes ravages ,
Les nymphes , en fuyant , évitent ſon courroux.
Le ruifleau plus paiſible offre un tableau plus
doux.
Il fuit parmi les fleurs ,& ſous l'ombre chérie
Desjeunes peupliers qui bordent la prairie.
Son cours tranquille& pur fertiliſe les champs,
18 MERCURE DE FRANCE.
Etlesbergers en font le ſujet de leurs chants.
Ainſi ton fils un jour te prendra pour modèle.
Il ſera bienfaiſant ; & ma lyre fidèle ,
Mais plus touchante alors & plus digne de lui ,
Chantera ſes vertus quej'augure aujourd'hui .
Par M. François de Neufchâteau ,
de plusieurs académies .
LE JOLI. A Mademoiselle An...
PERE des ris , desjeux , monnom c'eſt le Joli.
Je ſuis enfant du goût , & vous êtes ma mere.
Devotre art quelque fois trahiſſant le myſtere ,
Je nais d'unjour heureux que ménage un repli.
Sous mes doigts délicats on voit la roſe éclore ;
Je ſuis un doux parfum que répand ſon beau ſeins
Un aimable printems , un gracieux matin
Qui ſourir au retour de la naiſſante aurore ;
Un trait qui paſſe à l'ame & parle au ſentiment
Et la belle nature en négligé galant.
Les Graces de mon fard compoſent leur parure.
C'eſt moi qui , de Vénus , ait tiſſu la ceinture.
Je broyai les couleurs dont me peignitGreſſet.
Je donnai le deffin de ce riant boſquer.
Je joue avec les fleurs: je ris ſur votre bouche :
C'eſt moi que vous placez en mettant une mou
che.
OCTOBRE. 1770. 19
Je prête à vos appas tous leurs traits ſéduifans ;
Tout eſt charmant enfin quand c'eſt moi qui l'or
donne.
Vous auriez bien ſans moi des autels , de l'encens
:
Mais pour les coeurs,Eglé , c'eſt moi qui vous les
donne.
ParM. Opoix, de Provins.
TANT PIS POUR ELLE.
Plus histoire que conte.
LES
Es parens de Lucette, bonnes gens de
ce monde, croyoient avoir bien élevé lour
fille parce qu'elle étoit aſſez jolie & qu'el .
le ſembloit avoir l'air affez doux , mais
rien n'étoit plus trompeur que cet air ; &,
à la bien examiner , on trouvoit dans ſes
yeux , qu'elle ne levoit qu'avec modeftie,
certaine féchereſſe à laquelle il faut toujours
reconnoître l'amour de foi-même ,
grand ennemi de l'amour des autres , &
par conféquent de la bonté.
Il ſe préſenta pour Lucette , qui n'étoit
pas riche , plus d'un parti convenable , ſi
elle ne s'étoit priſée que ce qu'elle valoit;
mais, fans oſer dire la véritable rai20
MERCURE DE FRANCE.
fon de ſes refus , elle eut toujours l'artde
leur donner pour motif ſon peu de goût
pour le mariage.
&
Il n'échapa qu'une feule fois à fon pere
de lui dire , comme par instinct , auendez
vous un Prince? Lucette rougit ,
ſe crutdevinée: cependant la bonhommie
de ce pere reparut aufli- tôt pour la raffurer
, & elle ſe flatta d'être déſormais impénétrable
pour ceux à qui le droit de la
naiſſance donnoit quelque autorité fur
elle. Empire qu'elle ſupportoit avec peine
, &que fon orgueil reſtreignoit intérieurement
à peu de choſe.
Cléon , jeune homme aimable, vit un
peu plus clair que le pere de Lucette. II
s'étoit mis fur les rangs ; il étudia la jeune
prude ; il vit qu'elle étoit vaine ; qu'il
n'y avoit de place dans ſon coeur que pour
elle, & que fa haute opinion d'elle-même
, renfermée dans ſon ſein comme les
vents dans les entrailles de la terre , menaçoit
d'une exploſion dont il étoit prudent
de ſe garantir.
Elle avoit une ſoeur d'une figuremoins
aimable , mais d'un caractere excellent.
Cléon la préféra à Lucette , & ce fut tant
pis pour elle; car il rendit ſa ſoeur une
des plus heureuſes femmes du pays .
Un goût naturel pour la coquetterie ,
OCTOBRE. 1770. 20
parce qu'elle eſt une des expreffions de
l'amour - propre qui veut occuper les autres
&en être careſſé , attiroit de tems en
tems des ſoupirans à Lucette ; mais elle
n'avoit plus de foeurà pourvoir , & ils ſe
retiroient tout à fait de la maison .
Elie leur rendoit l'amour infupportable
par la parure dont elle vouloit le
charger. L'amour du fiécle lui parvifloit
nud , & toutes les vieilles Guipures de
l'Aſtrée lui tembloient faites pour le couvrir
à ſes yeux . Elle eût inventé la Carte
de tendre & toutes les rivieres de ce genre
, fi Cathos , Magdelon * & Mile Scuderi
en avoient laiſlé quelqu'une à imaginer
à cet égard.
Je ne fais fi quelqu'un l'a déjà remarqué
, mais il arrive preſque toujours que
ce goût exceſſif pour le romaneſque du
ſentiment& pour la haute délicateſſe , eſt
le partage de ces beautés vaines qui ne
voient dans la façon cavaliere d'aimer
d'aujourd'hui que la perte de leur empire.
En effet le vieux ſyſtême de galanterie
qu'elles regrettent fi fort n'eſt que la
lirurgie d'un culte dont elles étoient l'objet;
au lieu que, dans nos moeurs plus fim-
*Les Précieuſes ridicules de Moliere.
22 MERCURE DE FRANCE.
ples, le prêtre& l'idole traitent à-peu-près
d'égal à égal.
On n'en diſconviendra pas , Lucette
évoir vertueuſe dans ce ſens qui ne laiſſe
à une femine que l'exercice d'une feule
vertu à qui l'orgueil peut donner quelquefois
la conſiſtance qui lui manquoit
pour ſe foutenir.
Indignée de l'opinion qu'on avoit généralement
de la foibleſſe de ſon sèxe ,
elle ne manquoit guère l'occaſionde faire
obſerver qu'une femme ſavoit& pouvoit
réſiſter toujours. La gloire qu'elle en tiroit
la dédommageoit des plaiſirs qu'elle
lui faifoit perdre : plus d'un de ſes amans
lui dit en la quittant que c'étoit tant pis
pour elle.
Avecſes ſublimes prétentions, Lucette
toujours occupée d'elle - même , ne vie
plus perſonne s'en occuper ; &quoiqu'elle
ſe fut apperçue la derniere que ſa fraîcheur
l'avoit quittée , elle commença à
redouter de paſſer ſeule ſa vieilleſſe , &
de n'avoir perſonne avec qui elle pût ſe
vanter d'avoir toujours été ſage.
Une de ſes peines ſecrettes étoit de
voir depuis long tems ſa cadette mariée
avec l'honnête Cléon , qu'elle avoit pu
s'attacher & qui étoit un des meilleurs
maris de la ville. Elle voulut enfin être à
OCTOBRE. 1770 . 23
fon tour une épouſe heureuſe , comme i
la félicité de ſa ſoeur n'eût pas été le fruit
d'un caractere abſolument oppofé au
fen.
Le bon Ariſte lui faiſoit ſa cour alors ;
il étoit entré dans les vues d'avoir une
femme douce , & affurément il s'adreſſoit
mal : mais fur toutes les choſes de la vie
il avoit toujours cru aisément ce qu'on
vouloit lui faire croire ,& ce qu'il avoit
fouhaité ; & Lucette , qui avoit connu fon
foible pour la douceur , augmenta ſi bien
les dehors de la ſienne , qu'Ariſte y fut
pris & qu'il fut écouté.
Un entretien qu'il avoit eu avec Lucette
quelques jours avant leur union ,
l'avoit effrayé. Le mot terrible de devoir
lui étoit échapé ; & ce mot avoit fi fort
contrarié l'humeur cachée de la future ,
qu'elle n'avoit pu s'empêcher de montrer
la révolte de ſon coeur contre ce mot &
l'idée qu'on y attache.
Il y réfléchit. Il balança ; mais il avoit
promis , il continua d'aller en avant. Il ſe
Hatta que fon expérience & fa raiſon prévaudroient
un jour ſur l'eſprit de Lucette.
Il ſe croyoit aimé, &que n'obtenans nous
pas de l'objet qui nous aime ?
Il ne ſe trompoit pas juſqu'à un certain
point;il avoit intéreſſé le coeur de Lucetts ;
14 MERCURE DE FRANCE.
mais le goût qu'elle avoit pris pour lui
étoit bien fubordonné à l'eſtime qu'elle
faifoit d'elle même ; & de ſon côté, füre
de paroître aimable aux yeux d'un homme
honnête , mais foible en général , elle
voyoit tomber ſur lui tout le poidsdujoug
qu'ils alloient prendre .
C'eſt dans cette ſituation qu'Ariſte &
Lucette contracterent des noeuds qui firent
leur malheur commun. Mde Ariſte conçut
preſque auſſi - tôt , pour régner plus
entierement ſur ſon mari , le projet de lui
faire perdre ſes anciens amis. Il en fut
épouvanté : il eſt un âge où l'amitié eſt
celui des biens dont le ſacrifice entraîneroit
tout le charme de la vie . Il réſiſta aux
deſſeins de ſon épouſe opiniâtre qui malheureuſement
n'aiant jamais eu d'amis ,
n'en connoiſſoit pas la douceur ; & c'étoit
tant pis pour elle.
On difputa , on s'aigrit longtems fur
cet objet. Ariſte defiroit fincerement de
bien vivre avec ſa moitié ; mais il voyoit
avecdouleur qu'elle en rendoitles moyens
impraticables . Il emploia tout ce que la
raiſon peut fuggérer de plus convaincant
pour ramener un eſprit qui s'égare.
Sa femme ne vit dans ſes oppoſitions ,
qu'une préférence qu'on accordoit fur elle
à ce qu'elle appeloit des étrangers , tant
elle
1
1
OCTOBRE. 1770. 25
elle étoit loin d'avoir l'idée d'un ami .
Elle alla juſqu'à manquer d'égards pour
ceux d'Ariſte qui le ſouffrit enfin avec
impatience , & qui , n'ayant rien à ſe reprocher
ſur ſes devoirs , fut vivement affecté
de la certitude cruelle den'être point
aimé comme il l'avoit eſpéré.
Ce n'eſt pas que ſon épouſe ne cherchat
ſouvent à le raffurer ſur cet article , elle
vouloit même qu'il reconnut l'amour à ſa
haine pour toute eſpéce de partage , mais
qu'eſt ce qu'un amour qui ne céde rien ,
qui ne plie jamais , qui veut tout impérieuſement
, qui fait fans ceſſe gémir
l'objet aimé , qui ſe fait un jeu cruel de
ſes peines & qui s'applaudit chaque jour
de les augmenter?
Arifte fut convaincu , malgré lui , que
l'impérieuſe Lucette n'avoit jamais aimé
qu'elle-même ; qu'un orgueil ridicule &
concentré étoit l'ame de toutes ſes actions
&de tous ſes defirs ; que la fauſſeté de
ſes idées lui faifoit trouver un mérite dans
ſon invincible opiniâtreté , &qu'il falloit
renoncer à vivre heureux avec elle.
Cependant il defiroit la paix , & pour
l'obtenir il alla juſqu'à faire craindre à
ſes amis qu'il ne les ſacrifiât un our
tout- à- fait aux injuſtes prétentions de fa
I. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
femme ; mais ce ne fut point aflez pour
elle , ſa ſotte vanité vouloit le facrifice
total , éclatant & prompt. Arifte rougitde
ſa foibleſſe & revint àſa ſeule confolation,
àl'amitié.
Nouveaux débats , nouveaux troubles .
Mde Ariſte oſa demander ſa liberté , fon
époux en frémit d'abord ; mais elle revint
ſi ſouvent à cette infolente propoſition
, qu'enfin il ſentit lui - même un
mouvement d'orgueil qui lui conſeilla
d'accepter .
Il fut libre , & devint moins malheureux
parce qu'il étoit fans remords &
qu'il conſerva ſes amis. Pour ſa femme
elle n'eut plus perſonne à déſeſperer ; ſes
jours fe terminerent dans l'ennui , &dans
l'abandon preſque général de tous ceux
qui l'avoient connu. Furieuſe d'avoir
manqué lagloire d'aſſervir un galant hom.
me, elle porta ſes plaintes vaines de tous
côtés , mais on yfut peu ſenſible; on trouva
que tout étoit dans l'ordre ; qu'un caractere
, aigre , impérieux comme le ſien
devoit rendre malheureux , & que c'étoit
tant pis pour elle.
Par M. B.
OCTOBRE. 1770. 27
INVOCATION AUX MUSES .
MuUSES , venez , montez ma lyre ,
Du dieu des versje veux ſuivre les loix.
Que l'Amouren murmure & que Vénus foupire;
J'ai trop long- tems vécu ſous leur empire ,
Et mon coeur dégagé va faire un plus beau choix,
Pour toujours fidèle à vos voix ,
Je renonce à l'Amour , je renonce à Thémire ;
Son nom dont a ſouvent ont retenti nos bois ,
Vous l'entendez pour la derniere fois .
Muſes , venez , montez ma lyre ,
Du dieu des vers je veux ſuivre les loix.
Thémire... Eh bien! Thémire eſt belle ,
Rendons juſtice à ſes appas.
Mais ne peut- on vivre ſans elle ?
Faut- il pour être heureux toujours ſuivre ſespas
Dans nos hameaux bien plus d'une bergere
Mérite de fixer les regards d'un berger ?
On admire en Cloris une taille légere ,
Chaque jour cependant je la vois ſansdanger
Le ſoir , au retour de la plaine ,
Vers le tems où chacun ramene
Ses troupeaux pleins &bondiſſans ,
Si de lajeune Eglé la voix ſe fait enterdre,
Attirés par ſes fons puiſſans ,
Bif
28 MERCURE DE FRANCE.
Bergeres & bergers s'empreſſent de ſe rendre ;
Pour tout autre que moi ſes airs font raviſlans ;
Je daigne à peine écouter ſes accens .
Quoi ! vous doutez encore ? .. Oferiez - vous me
dire
Que , dans mon aimable Thèmire ,
Graces, beauté, talens , tout ſe trouve à la fois ?
Muſes , venez , montez ma lyre ,
Dudieu des vers je veux ſuivre les loix .
Commencez ... mais pour votre gloire
Que l'Amour a jamais ſoit banni de nos chants.
Vous faurez bien ſans lui les rendre auſſi tou
chans.
Ne lui devez en rien votre victoire .
Eſſayons... Arrêtez ... laquelle d'entre vous
Doit entreprendre cet ouvrage ?
Anacreon eut en partage
L'heureux don de former tous les fons les plus
doux ;
Alaquelle dut il un ſi rare avantage ?
Bacchus eut ſon premier hommage,
Il chanta de ce dieu la gloire & les plaiſirs ;
Seş airs fans doute étoient dignes de plaire ,
Mais , s'il n'eût pas chanté les attraits de Glycère
Parleroit - on de ſes loiſirs ?
Du fameux berger de Mantoue
Est- ce à moi de ſuivre les pas ?
Déjà Clio me déſavoue ;
Elle a raiſon , je n'en murmure pas ,
OCTOBRE. 1770. 29
Et je reconnois ma foibleſſe .
Cependant... Mais puis -je le déclarer ,
Sans qu'un pareil a veu vous bleſle ?
Quand ce berger qu'il vout plut d'inſpirer ,
Oubliant nos chansons , dédaignant ſa muſette
Oſa s'élever juſqu'aux cieux ,
Et, pour mieux célébrer les héros & les dieux ,
Avec audace emboucher la trompette ;
Si ſon vol n'eût été foutenu par l'Amour ,
Quelle eût été ſon aventure ?
Mais ce dieu vient exprès du céleſte ſéjour
Del'illuftre Didon' lui faire la peinture ;
Leberger chante alors ſes malheurs , ſa beauté ,
EtDidon le conduit à l'immortalité .
Mais quel eſt cet autre modèle
Dont vous voulez que je prenne le ton ?
L'avez-vous inſpiré ? Que vois -je! Fontenelle ?
Hélas! de nosbergers chez lui reconnoît -on
Le langage ſans artifice ?.
Ne me vantez pas aujourd'hui
Ce que vous avez fait pour lui ;
S'il a des vers heureux , il les doit à Clarice.
Qu'importe ? animez - moi ; que j'éprouve en ce
jour ,
Déeſſes , ce que peut votre auguſte préſence!
Quoi ! pas un vers ? vaine eſpérance !
Eſt-ce là ce qu'on gagne à vous faire la cour ?
Où ſont donc ces tréſors que votre main diſpenſe!
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
Muſes , partez , retournez au vallon ;
L'Amour bien mieux que vous faura monter ma
lire.
Qu'ai-jebeſoin d'invoquer Apollon ?
Tout fon art ne vaut pas un regard de Themire!
Par M. le Prevêt d'Exmes.
LA MÉTAMORPHOSE DE L'AMOUR.
Stances à Mlle G. D. L. M. fur une
roſe qu'elle avoit donnée à l'auteur ,
après l'avoir portée.
OUS la forme de cette rofe
Qui vient d'expirer ſur ton fein ,
Et que je reçois de ta main ,
Julie , un dieu caché repoſe.
De ce nouveau déguiſement
C'eſt à toi de ſavoir la cauſe;
Moi , je reconnois aiſément
L'amour dans ſa métamorphofe.
Comment l'Amour dans une fleur ?
Qui , c'eſt lui qui la rend plus belle,
Et c'eſt au dieu qu'elle recèle
Qu'elle doit ſa tendre couleur.
J
OCTOBRE. 1770 . 3
Cette feuille verte & légere
Qui croît , s'étend pour la couvrir ;
C'eſt l'eſpérance menfongere
Dont l'Amour aime à ſe nourrir.
Ces épines ſi redoutables
Et qui cauſent tant de douleurs ;
Ce font les traits inévitables
Dont ce dieu blefle tous les coeurs.
Tu vois donc dans quelle imprudence
Ton préſent pourroit m'engager ;
Si je te le rends je t'offense ;
Sije le garde , quel danger !
ParM. Jorel de Saint - Brice , Garde
du Roi , compagnie de Beauvau.
LA SAIGNÉE. *
Proverbe dramatique.
PERSONNAGES :
M. DORMEL .
Madame DORMEL .
* Le ſujet de ce proverbe eſt tiré de Jacques
anecdote hiftorique par M. d'Arnaud , inférée
dans le premier volume du Mercure de Juillet
1770.
/
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
DORMEL l'aîné , fils , âgé de vingt ans .
SOPHIE , fille de M. Dormel , âgée de
dix-huit ans .
DORMEL le cadet , âgé de ſix ans.
Le Marquis D'ORIVAL .
DUBOIS , valet - de-chambre du Marquis.
Le Comte DE SAINT - BON .
Un laquais du Comte , perſonnage muet .
Laſcène eft à Paris , dans la maison de
M. Dormel.
Le théâtre représente une chambre des
plus délabrées ; on y voit quelques vieux
meubles ufés , un chevalet dreſſe fur lequel
est un tableau commencé , une table à écrire
, &c . Dans lefonds eft une couchettefur
laquelle est un enfant endormi ; elle eft couverte
d'une mauvaiſe tapifſferie.
SCÈNE PREMIERE.
Madame DORMEL , SOPHIE ,
DORMEL le cadet.
Mde Dormel file au grand rouet fur le
devant du théâtre. Son fils est à côté d'elle
& carde du coton ; la laffitude le force
d'interrompre de tems en tems ſon travail
qu'il reprend ensuite avec vivacité;sa mere
OCTOBRE. 1770. 35
jettefur lui par intervalles des regards de
pitié.
Sophie tricotte auprès de la couchette où
est l'enfant ; elle est placée vis-à- vis de la
porte qu'elle regarde auſſi de tems en tems
d'un air inquiet& rêveur.
It eſt environ trois heures après- midi.
Sophie leve un peu la tapiſſerie qui cou
vre la couchette. ( à part. ) Etre à jeun depuis
hier ſept heures , & dormir ! Il eſt
bien heureux.
Mde DORMEL. Dort-il , Sophie ?
SOPHIE . Oui , ma chere mere.
Mde DORMEL. Puiſſe-t-il dormir encore
long - tems , le pauvre malheureux !
que je crains ſon reveil.... Où eſt allé
votre pere ?
SOPHIE . Il a dit qu'il alloit demander
quelque à- compte ſur ces deſſus de porte
qu'il a entrepris.
Mde DORMEL. Quoi , il n'eſt pas de
retour , depuis neufheures qu'il eſt parti
! ... Que deviendrons-nousſi ſa courſe
eſt inutile.
SOPHIE. Cela n'eſt pas àcraindre; qui
By
34 MERCURE DE FRANCE.
eſt ce qui pourroit être inſenſible à notre
infortune ?
Mde DORMEL. Ah , ma pauvre Sophie,
que tu connois peu les hommes ! Qu'estcefur
la terre qu'un artifan malheureux ,
qu'un homme du petit peuple ?
SOPHIE . Mais enfin, c'eſt ſon bien qu'il
va demander , c'eſt le prix de ſon travail.
Mde DORMEL. Cela est vrai , mon enfant
; mais les ouvrages ne font pas entierement
finis , & il faut qu'ils le foient
pour qu'il puiſſe en exiger le paiement.
SOPHIE . Celui à qui il s'adreſſe eſt ſi riche;
d'ailleurs il ne riſque rien, l'ouvrage
eſt fi avancé.
Mde DORMEL. Pauvres raiſons. Les
plus riches font les plus impitoyables. Et
puis celui àqui il a affaire eſt un homme
de rien , que j'ai vu dans la derniere indigence
, auſſi pauvre que nous le fommes.
Il étoit alors notre égal , l'ami de
votre pere , il a voulu l'aſſocier à ſoncommerce...
Mais, Dieu, quel commerce! ..
Combien la pauvreté , toute affreuſe
qu'elle eft , lui eſt préférable ! ... Votre
pere a refuſé ; Pouvoit-il faire autrement
? .. L'indigence la plus cruelle a été
le prix de ſon vertueux déſintéreſſement...
L'autre a fait fortune , mais foncoeur s'eft
...
OCTOBRE. 1770 . 35
endurci .... Votre pere a perdu ſon ami,
il en a été méconnu , c'eſt par une grace
finguliere qu'il veut bien depuis quelque
tems lui donner de l'emploi , acheter au
prix le plus modique le fruit de ſes ſueurs
&de ſes veilles... Ah Sophie ! ces fortes
de gens font le fleau de l'humanité.
SOPHIE . Cela est- il poſſible , être riche
& fans pitié pour les pauvres ; encore
après avoir éprouvé toutes les horreurs du
beſoin ! pour moi je vous avouerai qu'il
ne m'eſt pas poſſible de le comprendre .
Mde DORMEL. Tant mieux , ma fille ,
toutes tes penſées ſont honnêtes & vertueuſes
! Puiſſes- tu ne jamais changer.
(Il se fait un inſtant de filence , après
lequel on entend fonner trois heures .
Le petit DORMEL , interrompant fon
ouvrage. Maman, voilà trois heures qui
fonnent , eſt- ce que nous ne dinons pas
aujourd'hui ?
Mde DORMEL , févèrement. Dormel ,
qu'est- ce que cela veut dire ? Votre pere
& votre frere font fortis ; eſt-ce que vous
voudriez dîner ſans eux ?
Le petit DORMEL. Oh non , Maman...
Mais... Ils ont peut - être dîné , nous ne
favons pas où ils ont été , enfin ...
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
Mde DORMEL. Et bien , dans cette in
certitude , dîneriez- vous tranquillement ?
Le petit DORMEL. Oh non , Maman;..
Mais... c'eſt qu'il eſt bien tard... & il ſe
pourroit faire que ...
Mde DORMEL. Taiſez - vous. Ils font
àjeun auſſi -bien que vous. D'ailleurs ne
voyez-vous pas que j'attens , moi ; votre
foeur en fait autant , & votre petit frere ..
N'êtes- vous pas plus en état de ſupporter
le beſoin que lui ? Il ne ſe plaint pas cependant.
Le petit DORMEL. Oui , Maman ....
Mais... c'eſt que... j'ai bien faim . ( IL
dit ces dernieres paroles en pleurant de touzesfesforces.
)
Mde DORMEL , allant à lui les larmes
aux yeux. Mon enfant , mon cher enfant
, tranquilife- toi... Allons ... Quetques
efforts... Ton pere va rentrer , il
nous apportera de quoi dîner ; crois que
je ſouffre autant que toi de ta peine.
Le petit DORMEL l'embraſſe en effuyant
fes larmes. Oh non , Maman , ne fouffrez
pas, je vous en prie ; car je ſouffrirois
biendavantage , moi; tenez , je ne pleure
plus: voilà qui eſt fini. Est-ce que je ne
peux pas me paffer de dîner auſſi -bien que
vous? Que je me veux de mal d'avoir
OCTOBRE. 1770 . 37
pleuré, mais c'eſt malgré moi ... Je m'en
vais travailler ſi fort , qu'il faudra bien
que j'oublie que j'ai faim . ( Ilse remet à
Son ouvrage & travaille avec plus d'ardeur.)
Mde DORMEL , reprenantfon ouvrage.
(à part) Mon malheur eft- il affez grand?
Ah ciel ! comment puis-je le ſupporter.
SOPHIE. Mon pere ne revient point ;
s'il lui étoit arrivé quelque malheur .
Mde DORMEL . Je devine celui qui lui
eſt arrivé , on l'aura refufé& il ne peut ſe
déterminer à paroître ici les mains vuides....
Mais c'eſt votre frere; .... c'eſt
Dormel qui me ſurprend ; à quelle heure
eft-il forti ?
SOPHIE . Dès la pointe dujour, à quatre
heures du matin .
Mde DORMEL. Qui l'auroit cru ! lui
en qui j'avois toujours reconnudes ſentimens
ſi dignes de ſon éducation , nous
abandonner en de pareilles circonstances,
lorſque nous avons le plus beſoin de fon
fecours ! .. Je ne m'y ferois jamais atrendue.
SOPHIE . Que cela ne vous attriſte pas ,
ma mere ; c'eſt ſûrement pour un bon
deſſein qu'il eſt ſorti; je connois l'excel
38 MERCURE DE FRANCE.
lence de ſon coeur , je fais combien il eſt
pénétréde notre triſte ſituation ; il eſt allé
y chercher du remède & feconder les
efforts de mon pere.
Mde DORMEL. Que fera-t- il fans appui
, fans fecours , fans connoiſſances ?
SOPHIE . Nosbeſoins le rendront induftrieux...
Il me paroiſſoit au défefpoir.
Mde Dormel . Que dis -tu là ? Ah ! Sophie
, ah , ma chere fille ! s'il alloit ſe deshonorer
, c'eſt ce coup - là qui me feroit
mottel ; on ſupporte tous les maux , mais
linfamie ...
SOPHIE . Ne craignez tien , je connois
mon frere .
SCÈNE II.
Le Marquis D'ORIVAL , DUBOIS ,
Mde DORMEL , SOPHIE , le petit
DORMEL.
Le Marquis & Dubois entrent brusquement
, le premier vécu magnifiquement.
DUBOIS. C'eſt ici , Monfieur , que je
l'ai vu entrer.
LE MARQUIS. En es-tu bien für? (ap.
percevant Sophie ) Effectivement je crois
que la voilà . (Il s'approche d'elle familie
OCTOBRE . 1770 . 39
rement. ) Bon jour , la belle enfant ; c'eſt
donc vous qui faifiez hier la petite farouche
; c'étoit pour m'afriander davantage ,
n'est- ce pas friponne ? ( Il veutlui prendre
les mains. )
SOPHIE , Se retirant. Vous vous trompez
, Monfieur ; c'eſt très- férieuſement
que vos manieres me déplaiſent ; vous
auriez bien dû vous contenter de l'infulte
que vous m'avez faite hier dans la rue ,
fans venir augmenter les chagrins de ma
mere en la réiterant à ſes yeux .
LE MARQUIS. Tu te moques, je crois ,
mon enfant , une infulte ! les careffes d'un
homme comme moi ne peuvent que t'honorer.
( Il veut l'embraffer deforce. )
SOPHIE , lui donnant un fouflet. Ah!
ciel , quelle inſolence ! (Élle fefauve. )
SCÈNE III
LE MARQUIS , DUBOIS , Mde DORMEL ,
DORMEL le cader.
LE MARQUIS à Dubois , d'un air
étonné. Diable , elle eſt vive ; qu'en distu?
DUBOIS. Oui , ma foi .
MdeDORMEL. Votre procédé eſt bien
40 MERCURE DE FRANCE.
indigne , Monfieur ; ſi vous mépriſez no
tre pauvreté , reſpectez du moins notre
honneur,notre vertu;quel mal vous avonsnous
donc fait , pour vouloir nous enlever
le ſeulbien qui nous reſte ? Et lorſque...
LE MARQUIS. Point de fermons , ma
Bonne , ils m'ennuient. Etes vous la mere
de cette gentille poulette- là ?
Mde DORMEL , après avoir héſité quelque
tems . Oui , Monfieur.
LE MARQUIS , parcourant des yeux
toute la chambre. En deux mots : vous êtes
fort pauvres ; voulez - vous que je fatſe
votre fortune ? & pour commencer à effectuer...
( Il tire une bourſe. )
Mde DORMEL. Non , Monfieur , je
vois d'ici à quel prix vous voudriez la
mettre... Malgré notre extrême beſoin
dont je n'ai pas la foibleſſe de rougir , je
ne balance pas à vous refuſer.
Le petitDORMEL. Maman , ce Monheur
veut vous donner tout plein d'or &
vous n'en voulez pas ; prenez au moins
pour vous& pour inon papa .
Mde DORMEL. Paix , mon fils .
LE MARQUIS. Mais , ma bonne, vous
êtes folle ; penſez -y àdeux fois, je veux
bien vous en laiſſfer le tems ; j'ai cent ai
OCTOBRE. 1770. 41
mables filles , auſſi jolies que la vôtre , &
que je peux choiſir : je lui donne la préférence
; vous êtes trop heureuſe .
Mde DORMEL. Et nous ne ſentons
point ce bonheur- là. Croyez- moi , Monſieur
, courez chez les malheureuſes que
vous connoiſſez ſi diſpoſées à vous vendre
leur honneur ; en quelque tems que ce
foit , ma fille ni moi n'accepterons vos
offres,
LE MARQUIS. Ma foi , tant pis pour
vous. Allons Dubois ; auſſi bien auroisje
eu peut- être de la peine à venir à bout
de cette petite mijaurée-là.
DUBOIS. Adieu , ma bonne , je vous
ſouhaite avec la continuation de ces beaux
ſentimens- là , un bon appetit.
(Ils fortent. )
SCÈNE IV.
Mde DORMEL , le petit DORMEL.
SOPHIE , qui furvient.
Mde DORMEL . Va miférable , ta dureté
ne me ſurprend point; elle eſt la
fuite néceffaire de l'infame dépravation
de tes moeurs. Les maux fuivent en foule
le pauvre, heureux qui ſçait les ſuppor
42 MERCURE DE FRANCE.
ter avec conſtance ; mais que le courage
&la fermeté font difficiles lorſque la nature
est défaillante !
SOPHIE. Ah ma mere ! l'autois - je jamais
imaginé , qu'il y eût des hommes
capables de ſe faire un titre de notre indigence
, pour... ( Elle se jete au cou de
fa mere.)
Mde DORMEL , attendrie . Ma chere
enfant , ta vertu me charme , tu viens
d'en donner un exemple héroïque....
Mais , que je ſuis inquiettede ton pere !
il n'aura pu réuſſir... Il va revenir accablé
de douleur , de fatigue & de beſoin .
Sophie . Je voudrois bien lui épargner
toutes ces peines; vous le ſavez , ſi l'on
n'avoit exigé que ma vie ...
Mde DORMEL. Je te rends juſtice, ma
fille ... Mes chers enfans , l'état de votre
pere me perce l'ame , il faut avoir recours
au dernier des moyens , à celui qui
déchire un coeur ſenſible... Il faut que
Dormel me prête ici ſon ſecours .
Le perit DORMEL. Moi , maman ; oh
commandez ; tout me ſera facile pour
vous .
Mde DORMEL. C'eſt bien , mon tils ,
embraffez moi ... Dormel, mon cher fils ..
1
OCTOBRE. 1770. 43
Dure néceffité a quoi me réduis-tu ? ... 11
faut que tu ailles implorer l'aſſiſtance des
hommes , que tu leur expoſes notre mifére
, que tu leur arraches , par tes inftances&
par tes larmes , quelque légère portion
de leur fuperflu... La tâche eſt diffi
cileà remplir , mon cher enfant ; tu trouveras
des ames viles qui ne croient pas
qu'il foit poffible d'être pauvre & eſtimable,
de ces coeurs de pierre contre leſquels
les cris des malheureux vont ſe brifer
inutilement ; mais peut-être auſſi rencontreras-
tu quelque homme vraiment digne
de ce nom , & certainement je crois qu'il
en eſt encore , qui voudra bien jeter fur
nous un regard decommifération & nous
retirer au moins pour un tems de l'affreux
abyme où nous ſommes plongés .
د
Le petit Dormel , après l'avoir écoutée
avec la plus grande attention . Maman
n'est- ce pas ce qu'on appelle demander
l'aumône ?
Mde DORMEL. (àpart) Ah ciel ! (haut)
oui , mon fils .
Le petit DORMEL. Cela me fera bien
de la peine de demander l'aumône ....
Mais... faudra - t - il demander à tout le
monde?
Mde DORMEL. Oui , mon fils; à tout
44 MERCURE DE FRANCE.
le monde, à tous ceux que tu verras en
état de t'affilter .
Le petit DORMEL. C'eſt qu'il y en a qui
ſont ſi vilains , fi rebutans , qui traitent fi
mal les pauvres ! je voudrois bien ne leur
point demander à ceux là.
Mde DORMEL. Que veux tu , mon fils?
Il n'est pas poffible de les diſtinguer. Demande
avec inſtance , les coeurs ne s'émeuvent
guère à la premiere ſecouſſe ,
fans cependant te rendre importun ; fois
humble , fans avoir l'ait bas & rampant.
Le petit DORMEL , triſtement Allons
donc , embraffez moi , maman .
Mde DORMEL , l'embraffant . Va , mon
fils ; fi la vie deton pere& celledetes freres
& de tes foeurs ne m'étoient attachées ;
je n'exigerois pas un pareil ſacrifice.
( Le petit Dormelfort en pleurant. )
SCÈNE V.
Mde DORMEL , SOPHIE .
SOPHIE le regarde fortir , les larmes aux
yeux. Le pauvre enfant ! non, il n'eſt perfonne
que fa figare ne touche , que fes
larmes n'attendriffent. Cette démarche lui
coûte beaucoup.
OCTOBRE. 1770 . 45
Mde DORMEL. Hélas , elle n'eſt homteuſe
que parce qu'un indigne abus l'a
avilie.
SOPHIE . Vous avez raiſon . Voici mon
pere. Ah ! mon cher pere . ( Elle court audevant
defon pere. )
SCÈNE VI.
M. DORMEL , Mde DORMEL , SOPHIE.
M. DORMEL entre d'un airfombre ; il
est påle & défait ; fes habits annoncent la
plus grande mifére. Ah ma femme ! ah ma
fille! il nous faut mourir. ( Il s'affied &
regarde de tous côtés d'un air égaré. ) Où
eft donc mon cadet ? Dormel est- il de retour?
Mde DORMEL. Mon cher mari , j'en
avois un fecret preſſentiment , tu n'asrien
obtenu.
M. DORMEL , avec fureur. Tous accès
àla pitié eſt fermé dans le coeur des hommes....
Un miférable ! .. que j'ai bien
voulu honorer de mon amitié dans des
tems plus heureux... J'étois à mon aiſe
alors; il étoit pauvre & homme de bien...
En changeantde moeurs il a fait fortune ...
Que la terre l'engloutiſſe ! le ſcélerat ! il
me vole lâchement le fruit de mes tra
46 MERCURE DE FRANCE.
vaux... Il nous porte à tous le coup de la
mort...
Mde DORMEL. Comment , il ne veut
pas vous payer ?
M. DORMEL. Le monſtre ! It implore
àſonſecours la lettre de la loi pour m'affaffiner...
Achevez votre ouvrage, je vous
paierai , juſque-là je ne dois rien : voilà
fon unique réponſe. En vain lui ai je repréſenté
l'excès de ma miſére , qu'il ne
m'étoit pas poſſible de travailler fans me
nourrir , que je me contenterois de la
moitié du prix de l'ouvrage , que je regarderois
ce ſecours , s'il le jugeoit à- propos
comme un don. Il a été fourd à toutes
mes prieres : je ne dois rien , m'a- t'il reparri
durement , & je n'ai point d'aumône
à vous faire ... J'inſiſtois ; qu'on me
débarraſſe de cet importun , a t-il dit à fes
gens , & fur le champ on me porte dans
la rue à demi- mortd'épuiſement & d'indignation.
Mde DORMEL. Remettez vous , mon
cher ami ; diminuez nos maux en vous
appéſantiſſant moins fur les vôtres . J'ai
envoie votre cadet par la ville... Peutêtre
fera- t- il affez heureux pour nous trouver
quelque ſecours.
M. DORMEL. N'eſpère rien , ma chere .
Ah des hommes , des hommes ! non ; il
OCTOBRE. 1770 . 47
m'en eſt plus ; il n'eſt que des bêtes féroces...
Ton état a - t-il pu me permettre
d'oublier ce moyen , il eſt vrai que je l'ai
rejeté long - tems. La honte... Te l'avouerai
-je , l'amour- propre , l'orgueil...
où ont- ils été ſe nicher ? Malheureux que
je ſuis ! l'homme eſt toujours homme...
Ces différentes paſſions ont long - tems
combattu dans mon coeur ; ma tendreſſe
pour toi , pour ces chers enfans l'a emporté,
je me fuis adreſſé au premier paffant;
je l'aborde les larmes aux yeux
avecune phyſionomie renverſée . J'ai une
femme & quatre enfans qui font dans le
befoin le plus preſſant , lui ai je dit
d'une voix baffe & d'un ton mal articulé.
Travaillez , me répond bruſquement
cet homme , vous le pouvez encore ; il
n'eſt point de métier qui ne ſoitplus honnête
que celui que vous faites : en même
tems il tire de ſa poche une bourſe des
mieux fournies , y cherche la plus petite
des monnoies & me la met dans la main ..
J'étois immobile de dépit ; je voulois
parler, mais ma langue étoit glacée , & il
étoit déjà bien loin lorſquej'en recouvrai
l'ufage.
SOPHIE . Un homme riche infulter la
mifére & ne pas la ſecourir ! àquidonc s'adreffer?
48 MERCURE DE FRANCE.
M. DORMEL. A perfonne , ma fille ,
quand on eſt auſſi malheureux que nous
le ſommes, il faut ſavoir mourir... Mais
Dormel m'étonne , il n'a pas accoutumé
de s'abſenter fi long-tems , ni de fortir ſi
matin.
Mde DORMEL. C'eſt ce que je difois à
l'inftant. Je ne peux pas croire qu'il ait eu
delfeinde nous abandonner.
M. DORMEL. Je ne le crois pas non
plus. Mais devoit-il fortir dans une circonſtance
auſſi fâcheuſe , lorſque ſon ſecours
nous eſt ſi néceſſaire. Ne fait- il pas
que la plus légere interruption de fon tra.
vail nous fait un tort irréparable. Non , il
ne s'excufera jamais.
SOPHIE. J'entends quelqu'un ; c'eſt ſûrement
lui . ( Elle va à la porte. )
M. DORMEL. Qu'il ne paroiſſe pas devant
mes yeux.
SCÈNE VII .
M. DORMEL , Mde DORMEL , SOPHIE .
DORMEL l'aîné. Il a l'air foible & abbatu
; ses bras font entourés de linges , il
porte deux pains & une bouteille de vin.
DORMEL fils , jetant les pains fur la
table
OCTOBRE. 1770 . 49
table & mettant la bouteille à terre . Tenez,
mangez... Ils me coûtent bien cher ; ...
je n'en puis plus. ( Ilſe laiſſe aller fur un
vieux coffre. )
M. DORMEL. Qu'eſt ce à dire ? Seroitce
le fruit d'un crime ! ah malheureux !
Mde DORMEL. Seroit- il poffible !
DORMEL fils. Mangez , vous dis-je , je
ſuis digne de vous.
M. DORMEL. Mais encore que ſignifie
l'état où vous voilà .
Mde DORMEL. Des bandages , des linges
, du ſang ! vous feriez vous battu ?
SOPHIE . Ah ma mere ! il s'eſt fait faigner
, tenez voilà une ligature défaite ; le
ſang coule de fon bras .
DORMEL fils . Mon pere ! .. ma mere..
ma foeur... c'étoit... pour vous donner
du pain.
M. & Mde DORMEL , ensemble. Ah !
mon fils !
SOPHIE . Ah ! mon frere !
(Ils s'approchent de Dormel fils , l'embraſſent
étroitement ; Sophie refferrefa
ligature. )
I. Vol. C
5. MERCURE DE FRANCE.
SCÈNE VIII . & DERNIERE.
M. & Mde DORMEL , SOPHIE ,
DORMEL l'aîné , le Comte DE ST BON,
DORMEL le cadet , un Domeſtique du
Comte , portant quelques proviſions.
Le COMTE DE ST BON. Où font-ils ces
pauvres malheureux ? Comment ont - ils
pu ſe cacher ſi long-tems à mes yeux.
DORMEL le cadet. Les voilà , Monſieur
... c'eſt mon pere... c'eſt ma mere
... Ils meurent de faim,
Mde DORMEL, au Comte. Hélas, Monſieur
, que votre générofité eſt touchante !
nous en ſentons tout le prix ; mais comment
en pourrions-nous jouir , tandis que
ce cher enfant , le mortel le plus reſpectable
... eſt près d'expirer? .. Ah! ſi vous
faviez...
Le petit DORMEL. Mon cher frere ,
Comme vous voilà . (Il court àfonfrere.)
LE COMTE , à Dormel l'aîné. Comment
, yous auroit- on maltraité ?
DORMEL fils , d'une voix foible & interrompue.
Non , Monfieur ; je n'ai pu
ſupporter l'état où se trouve réduite ma
malheureuſe famille. -Je ſuis forti ce
OCTOBRE . 1770 . SI
-
matin , le déſeſpoir dans l'ame , détermi.
né à leur trouver du ſecours ou à mourir.
-Je rencontre un de mes amis auffi pauvre
, aufli malheureux que moi . Mon air
déſeſpéré l'effraie. -Où vastu , meditil
, que t'eſt-il arrivé ? Ah mon cher ! ils
n'ont pas mangé depuis hier au foir...
mon pere..: ma mere ... Je ne fais où je
vais... où je ſuis... Ils vont mourir .
Tiens , mon ami , me dit cet homme vertueux,
en me donnant une pièce de deux
fols ; voilà tout ce que je poſſéde ; fi tu
voulois gagner de l'argent , je ſçais un
moyen .-Ah , dis je , je ferai tout ; il eſt
honnête fans doute. -Eh bien , me dit
ce généreux ami , il y a un particulier qui
demeure auprès de l'école de chirurgie ,
il apprend à ſaigner & il donne de l'argent
à ceux qui ... J'entends , ai je interrompu.
-Je le quitte à l'inſtant. -Je
vole chez ce particulier.-Il me faigne
& me donne de l'argent. -Je vais chez
un autre . -On m'en fait autant. -Je
viens avec ces pains , & je meurs. Heureux
ſi ma mort retarde de quelques inftans
celle des infortunés à qui je dois le
jour.
LE COMTE . Ah ! mon ami , vous êtes
un prodige de vertu ; mais vous avez un
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
,
frerequi ſe montre votre digne émule...
ce petit malheureux ( en montrant le petit
Dormel) eft tombé en défaillance à ma
porte , je l'ai fait tranſporter chez moi ;
quelques verres de liqueur lui ont fait
reprendre ſes ſens. Il meurt d'inanition
dit un médecin qui étoit alors à la maifon
, & fur le champ je lui fais préſenter
quelque nourriture; il la refuſe conſtamment...
C'est mon pere... C'eſt ma mere
qu'il faut fecourir ; pourrois je manger ,
tandis qu'ils meurent de faim ?
M. DORMEL , attendri . Ah , mes chers
enfans ! ... vous méritez un meilleur
fort.
LE Comte. Que leur fort ne vous inquiette
plus , j'en fais actuellement mon
affaire , je bénirai chaque jour l'heureux
inſtant où j'ai pu ſecourir des malheureux
auſſi peu faits pour l'être... Votre fils
n'eſt heureuſement qu'affoibli : à fon âge,
fort comme il le paroît , il ſe tirera aifément
d'affaire... ( Iljette une bourſe fur
la table. ) Voilà pour aider à ſa guérifon
& à votre ſubſiſtance pendant quelques
jours. Dans peu vous aurez de mes nouvelles.
(M. Dormel &sa famille veulentſejeter
aux pieds du Comte , il les retient. )
OCTOBRE. 1770. 53
Point de remercimens , mes chers enfans
; ce que je fais m'eſt bien doux ; j'en
ai déjà reçu la récompenſe au fond de
mon coeur. (à M. & Mde Dormel) Je ne
peux me laffer d'admirer l'effet de l'éducation&
des bons exemples que vous avez
donnés à vos enfans , ils me donnent une
haute idée de vos ſentimens ; car , dit le
proverbe ....
Par M. Garnier , Avocat à Auxerre.
EPITRE à M. de la Galaiziere ,
Intendant de Lorraine , &c .
OTO1 ! dont les regards éveillent l'induſtrie,
Toi , qui fais réunir dans tes nobles projets
Le miniſtre du Prince & l'ami des ſujets ,
Reçois l'encens de ma patrie.
Tu l'as bien mérité. Tes ſoins confolateurs
Ont rendu l'eſpérance à nos cultivateurs .
Sans toi nous aurions vu la famine cruelle
Déployer ſur nos fronts les voiles du trépas .
Le déſeſpoir tremblant s'avançoit avec elle ,
Et les crimes marquoient la trace de ſes pas.
Ah! tandis que d'autres rivages
S'étonnoient de jouir des fruits de nos guérets ,
Nos peuples gémiſſans dans le ſein des forêts
Ciij
54
MERCURE DE FRANCE.
Se nourriffoient d'herbes fauvages .
Nous rappelions en vain les tréſors de Cérés.
Dieux! falloit- il encor de plus triftes ravages
Pour ajouter à nos regrets ?
Les orages grondans au ſommet des montagnes ,
De l'affreuſe diſette ont redoublé l'horreur.
Les vents ſéditieux ymêloient leur fuseur ,
Et les flots irrités venoient dans nos campagnes
Noyer l'eſpoir du laboureur.
Il imploroit , hélas ! ta bonté paternelle.
Touché de fes malheurs , tu fais les réparer ,
Aforce de bienfaits tu veux te préparer
Une renommée éternelle .
Déjà de toutes parts tes rapides ſecours
Des pleurs de l'indigence interrompent le cours
Tu n'as point imité ces mortels inflexibles ,
Ces monftres qui craindroient de paroître fent
bles
Et qui , de notre ſang , s'abreuvent à loiſir :
Les publiques douleurs font leur affreux plaiſir ;
Mais l'humanité même en ton ame refpire.
Ta gloire eſt d'être utile& généreux ;
Ton rang n'eſt que le droit de faire des heureux.
Ah! fuis la vertu qui t'inſpire.
J'ai vu nos villageois , ſous un ombrage épais ,
De tes foius fortunés s'entretenir en paix .
■C'eſt par lui , dıſoient - ils , que nous pouvons
>>>ſans crainte
A l'eſpoir le plus doux nous livrer déſormais ,
OCTOBRE. 1770 . 55
Sûrs que,de nos travaux, une affreuſe contrainte
>> Ne nous écartera jamais.
> Il éloigne de nous la famine accablante ;
>>>Il vole où nos beſoins appellent ſes bienfaits.
>> Il ne rejette point la priere tremblante
>> Et les voeux que le pauvre a faits.
> Sur-tout il eſt ami de la ſimple nature ;
>> Charmé de nous inſtruire & de nous ſecourir ,
> Il nous apprend lui- même à connoître , à chérir
Les tréſors de l'agriculture.
> Voyez -vous ces hauts peupliers
>>Qui protègent nos prés de leur nouvel ombra-
১ge ?
>> Voyez-vous dans nos champs ces rapides cour-
>> fiers
>>Eſ>ſayerleurjeune courage ?
>>C'>eſt lui de qui la main nous prodigue ces dons ;
>>C>'eſt lui qui nous rendra les deſtins plus pro-
>>pices ,
>>>Et la tranquillité , qu'auCiel nous demandons ,
>> En defcendra ſous les auſpices. >>
Ainſi de nos hameaux les groſſiers habitans
Conſacrent à la fois ta gloire & leurs hommages ,
Ainfi de ta vertu les fidèles images
Vaincront les Parques & les Tems.
Ah !mérite fans ceſſe , en dépit de l'Envie ,
Des éloges ſi doux au coeur d'un citoyen.
Du culte deCérès fois le digne ſoutien.
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Etque l'ondiſe un jour en parlant de ta vie :
Le bonheur public fut le fien.
Par M. François de Neufchâteau.
MAXIMES fur l'Education ; par M. le
Chevalier de Solignac .
RIEN de parfait ne fort des mains de la nature;
L'homme même en naiſſant n'est qu'à peine ébauché.
Ne lui refuſez pas une prompte culture ;
C'eſt un champ qui veut être au plutôt défriché.
Le tems où la raiſon dans un enfant ſommeille
Autantqu'un autre eſt propre à le rendte parfait.
Que de toins épargnés ſi lorſqu'elle s'éveille ,
Ce qu'on en doit attendre eft preſque déjà fait.
Quelque jeune qu'il ſoit , ſon ame eſt immor
telie;
Qu'il en lente au plutôt toute la dignité ,
Qu'au plutôt il apprenne a refpecter en elle
Le fouffle précieux de la divinité.
Qu'un lovable penchant devance en lui l'étude ;
Que le remede en lui prévienne le poiſon ,
Quel charmedelevoirfaire par habitude
Cequ'on eft fi long-tems à faire par raifon!
OCTOBRE. 1770 . 57
D'un pédant ombrageux & toujours en colère
N'affectez avec lui ni l'air ni les diſcours.
Avous voir il croiroit la vertu trop auſtere ,
Et s'en dégoûteroit peut- être pour toujours .
Elevez- lui le coeur , qu'il l'ait grand, magnanime,
Qu'il fache comme on doit penfer & defirer .
Eſt- il rien de ſi beau , de fi grand , fi fublime ,
Où notre eſprit ne puifle & ne doive afpirere
Par un étude aiſée & priſe avec meſure ,
Cultivez ſon eſprit , formez fon jugement:
L'étude à la jeuneſſe eſt une nourriture ;
Dans la vieilleſſe elle eſt un doux amulement.
L'ignorance à la mort eſt à-peu près ſemblable;
Elle étend fur les yeux un auſſi noir bandeau ;
Etl'eſprit d'un mortel qui de rien n'eſt capable ,
Repoſe dans ſon corps comme dans un tombeau .
JAL
A Monfieur D. S.
Al reconnu le ſage à la main qui le trace ,
C'eſt la langue du coeur , de l'eſprit c'eſt le ton.
Cet aimable Cenſeur joint la force à la grace ,
Et les vers de Virgile aubon ſens de Caton.
Par le même.
Cv
38S MERCURE DE FRANCE .
VERS aux Demoiselles G.... , quétant
pour les pauvres le Jeudi Saint.
DANS ce jour folemnel , où par la charité
Chacun penſe expier ſes fautes ,
Si les dons des ames devotes
Répondent à votre beauté,
Je vais voir abolir l'uſage de nos quêtes.
La vôtre enrichira nos pauvres àjamais :
On ne les verra plus s'attrouper déſormais
Pour nous importuner aux jours des grandes fêtes ,
Mais, pour prier le Ciel que beautés ſi parfaites
Jouiffent d'un bonheur égal à leurs attraits ;
Vous méritez cette gloire ſuprême :
Mais , brillantes Gibert , de la part des pécheurs ,
N'attendez pas cette ferveur extrême .
Le plus riche d'entr'eux ſeroit pauvre lui -même
S'il meſuroit ſes dons ſur vos traits enchanteurs.
Ainfi contentez -vous , pour prix de votre zèle ,
De la recette la plus belle
Et de l'encens de tous les coeurs.
Par M. de Seveirac , officier d'infanterie ,
OCTOBRE. 1770 . 59
mon Oncle , en lui envoyant un bouquet
le jour de fa fête.
Aux autels de l'Amour , à ceux de l'Amitié
On célèbre aujourd'hui la plus belle des fêtes ,
Et les plus doux parfums , les fleurs les plus parfaites
Ornent leur temple auguſte , ybrûlent par moirić
Al'honneurdes Louis , à l'honneur des Liſettes .
Comme ami , comme amant , on m'a vu tour-àtour
Moiſſonner les tréſors de l'empire de Flore ;
Mais , guéri déſormais des flammes de l'amour ,
Les fleurs , qu'avec plaiſir ma main cueille en ce
jour ,
Sont pour l'oncle charmant que j'aime & que j'honore.
Cette offrande légère aux yeux d'un amateur , *
De lui , de l'Univers pourroit être admirée ,
Si les dieux en régloient l'éclat & la durée
Sur la tendre amitié que lui porte mon coeur.
Par M. le François , ancien officier
de cavalerie.
*Mon oncle aime beaucoup les fleurs , &s'amuſe
à en cultiver de très-belles.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
LES DANGERS DE L'INEXPÉRIENCE.
Conte moral.
M DE VELCOUR quitte le ſervice , ſe
retire dans ſa province , épouſe une Demoiſelle
d'un áge conforme aufien , &
ne fouhaite plus que d'être pere pour vivre
parfaitement heureux. Un voeu fi refpectable
fut rempli. On laiſſa le jeune
enfant livré à lui - même & aux plaifirs
innocens de fon âge juſqu'à douze ans.
Alors M. de Velcour crut qu'il étoit tems
de fonger à l'éducation de ce fils chéri ,
&voulut ſe charger lui-même de ce ſoin .
Pourquoi des intentions ſi louables &
dont nous voyons malheureuſement fi
peu d'exemples , n'étoient elles que la
fuite du defir de mettre en pratique un
faux ſyſtème ? Jeveux , diſoit - il à fon
épouſe , que l'éducation de notre fils foit
bonne , mais ſimple. Ma fortune ſuffira
pour le faire vivre très - heureux , il eſt
donc inutile qu'il courre après de vains
honneurs qu'onn'obtient ſouventqu'à force
de ſoins qui ne peuvent pas toujours
plaire àun honnête homme. Pour le fixer
abfolument ici , je le marierai très-jeune
OCTOBRE. 1770 . 61
& ne lui donnerai pas le tems de ſe livrer
à des plaifirs dont on ſe repent , ou
que l'on regrette dans les bras d'une femme
honnête. Quoi , dit Me de Velcour ,
vous ne l'enverrez ſeulement pas à Paris
pour y faire fes exercices ?-A Paris ! ...
je voudrois qu'il tremblât au nom de cette
ville , véritable écueil de la ſageffe . -
Vous voulez faire de notre fils un triſte
citadin , un pareſſeux , un être inutile
dans le monde ? -Inutile! non,ma chere,
il ne le fera pas ; Velcour marié jeune
aura beaucoup d'enfans à qui il ſera néceſſaire,
& ce n'eſt pas être inutile que de
former de bons citoyens. Je veux le garantir
, s'il eſt poſſible du même fort que
moi , & qu'il n'arrive pas à cinquante ans
fans avoir vécu pour lui- même &fenti le
bonheur d'exiſter; bonheurqu'on n'éprouve
réellement que dans les bras d'une
épouſe auſſi vertueuſe que toi , au ſein
d'une famille qu'on rend heureuſe. -Le
bonheur dontvous me parlez, Monfieur ,
n'eſt ordinairement ſenti que par ceux
qui , jetés dans le tourbillondu monde ,
ont eu le tems de connoître ſes travers &
de s'en dégouter ; mais notre fils , fans
expérience fur ce monde qui peut plaire
quand on ne le connoît pas , ſouhaitera
fans doute d'y paroître &d'y jouer un
64 MERCURE DE FRANCE.
abfolument maître de ſes actions , il ſe
livra davantage au defir qu'il avoit toujours
eu d'être quelque choſe dans le
monde & de lailler un état à ſes enfans .
Une place qui vient à vaquer dans fa
province lui préſente l'occaſion de fatisfaire
ſa légitime ambition. Il ne s'agit
pour l'obtenir que de ſe rendre à la
cour ; ſes amis l'y engagent & Mde
de Velcour , malgré fon extrême répugnance
à voir fon mari s'éloigner d'elle ,
le détermine à partir.
Il arrive donc à Paris à l'âge de vingtcinq
ans , n'ayant à la vérité fecoué aucun
préjugé , mais aufli ſans cette expérience
qu'on évite rarement d'acquérir à ſes dépens.
Il prend un logement dans un hôtel
garni , & va trouver enfuite M. de Longpré
, conſeiller au parlement , homme du
plus rare mérite , jouiſſant de la confiance
d'ungrandfeigneur. Ce reſpectable magif
trat, veufde la niéce de Mde Duriffe, reçut
Velcour comme un allié qui lui étoit fortement
recommandé. Après lui avoir
promis de le préſenter , il le prie de regarder
ſa maiſon comme la ſienne , veut
même qu'il y vienne loger. Velcour ,
pour fon malheur , ne l'accepta pas , &
M. de Longpré , livrét ut entier à fon
état , ne put que rarement être avec lui.
OCTOBRE. 1770 . 65
Le lendemain matin ils furent à la porte
de lear protecteur , où ils apprirent qu'un
accident qui lui étoit ſurvenu les priveroit
pendant quelques ſemaines de l'honneur
de le voir. Velcour , déſeſpéré du contretems
, qui alloit le retenir plus qu'il ne
l'avoit projeté , ne peut s'empêcher de
laiffer appercevoir la mauvaiſe humeur
que cela lui donnoit . Pourquoi vous chagriner
de ce petit revers , lui dit M. de
Longpté ? Paris doit avoir des droits fur
votre curiofité , les édifices , les ſpectacles
méritent l'attention d'un homme de
goût ; allez , par exemple , aujourd'hui à
l'opéra , & comptez que chaque jour vous
fournira des plaiſirs nouveaux. Velcour
fuivitce conſeil .
A peine entroit-il dans la ſalle qu'il
apperçut le chevalier de *** fon ancien
ami , fon voiſir , qui avoit quitté la province
depuis pluſieurs années. Ce malheureux
, dont la rencontre devoit lui être
ſi funeſte , vivoit des reſſources du jeu &
des fecours honteux defemmes qui, dans
leur hiver prématuré , rendent à la brillante
jeuneſſe ce qu'elles ont reçu dans
leur printems pour prix de leurs appas.
Velcour ſe livra , comme un homme fans
expérience , à l'honnêteté de l'extérieur
& aux proteſtations d'amitié que lui fit le
66 MERCURE DE FRANCE.
chevalier , qui ne le quitta plus. Pour
donner à ce faux ami une marque entiere
de ſa confiance , Velcour lui dit le ſujet
de fon voyage & ce que M. de Longpré,
l'amide ce ſeigneur,lui avoitpromis . Bon ,
l'ami , s'écria le chevalier , tu t'abuſes ,
mon cher , c'eſt à l'amie qu'il faut s'adreſſer.
Tu as de l'argent comptant fans
doute ? Oui & même une ſomme affez
conſidérable. -Tant mieux ! Tu en facrifierois
volontiers une petite partie pour
obtenir ce que tu demandes ? -Oui , li
cela étoit néceſſaire .-Néceſſaire ? indifpenſable
! Et ſi tu veux ſuivre mes conſeils
, ton affaire eſt faite dans vingtquatre
heures. -Seroit - il poffible ? -
Oui , puiſque je le dis. Je ſuis dans les
bonnes graces de pluſieurs Dames... là..
tu m'entends bien , & tout à - l'heure je
veux te procurer la connoiſſance d'une...
-Je te remercie , ce moyen me déplaît
&je ne m'en fervirai pas .--Tant pis, car il
eſt certain , immanquable ; j'en connois
qui te valent bien , qui ne font pas ſi dé.
licats. Cela peut- être , au reſte;je confulterai
là-deſſus M. de Longpré.-Non
vraiment , ce feroit bleſſer ſa délicateſſe ,
il eſt abſolument inutile de lui en parler.
-Il s'eſt prêté de ſi bonne grace à m'obliger
que ce feroir...-Bon , autre fcru
OCTOBRE. 1770. 67
pule ! ne t'abuſe pas , mon cher : Longpré
eſt un brave homme , je le connois ,
mais il t'a promis plus qu'il ne peur. Cependant...
Mais , enfin , ſuis - je moins
ton ami que lui , nous nous connoiffons
dès l'enfance ; d'ailleurs quel intérêt aije
à tout cela que celui de t'obliger ?-Je
le ſens bien.-Si tu en es perfuadé laiſſetoi
donc conduire , ou bien je t'obligerai
malgré toi , ce ſera ma derniere reſſource.
-Oh ! pour le coup je me rends & fuis
prêt à faire tout ce que tu me conſeilleras.
Velcour fut conduit au même inſtant
chez une femme qui, pour le mieux tromper
, trancha du grand; joua les moeurs ,
la vertu , & promit de terminer bientôt
fon affaire. Pourl'accélérer il fe crut obligé
de cultiver l'amitié de cette femme
précieuſe. C'étoit là ce qu'elle & le chevalier
defiroient , il ne falloit plus que le
rendre amoureux pour en être tout-à-fait
maître. La niéce prétendue de cette femme
fut choiſie pour le féduire ; l'air du
libertinage l'eût effraïé , on fit jouer à la
petite malheureuſe le rôle d'une agnès ,
qui fent les premiers traits de l'amour ;
ſes yeux ſembloient dire à Velcour , ah !
ſi je pouvois échaper aux regards ſurveillans
de ma tante , vous fauriez combien
68 MERCURE DE FRANCE.
je vous aime. La trouvoit - il ſeule , elle
excitoit fes defits par fa réſiſtance & fa
feinte modestie , ou paroiſſoit prête à ſe
rendre quand elle le voyoit ſe repentir de
ſa ſéduction .
Le jour vint enfin d'avoir audience du
ſeigneur , & il eut le chagrin d'apprendre
de lui-même que la cour étoit dans l'in .
tention de réunir l'emploi qu'il demandoit
; cependant , Monfieur , lui dit ce
digne ſeigneur , je tâcherai qu'on laiffe
ſubſiſter cette charge en votre faveur ,
prenez patience & venez me voir. Mon
avis , lui dit M. de Longpré en fortant ,
eſt que vous attendiez .-C'eſt auſſi mon
deffein , & dans cet inſtant Velcour penfoit
qu'il lui ſeroit facile de terminer
promptement ſon affaire par la voie que
le chevalier lui avoit procurée. Hélas !
qu'il étoit dupe de ſa bonne foi , & qu'il
alloit être victime de ſon inexpérience &
de l'éducation qu'il avoit reçue . Le monf.
tre qui avoit entrepris ſa ruine & qui vivoit
à ſes dépensdepuis un mois, ayant fu
delui- mêmelaréponſedel'homme en pla.
ce perſuada à Velcour que c'étoit l'inſtant
favorable pour faire un préſent qui détermineroit
à de nouveaux efforts. Pour
épargner , lui dit - il , la délicateſſe de
cette femme qui rougiroit peut être de
OCTOBRE 1770 .
69
recevoir de vous la fomme dont vous
voulez lui faire préſent , je vous conſeille
de me charger de lui remettre de votre
part : ne trouvez vous pas , mon ami, que
cela fera plus honnête ? Velcour le veut
& lui donne cent louis. Si ce malheureux
ſe fût borné à le friponner , la perte n'eût
pas été grande , la diffipation de l'argent
le répare , ou l'on s'en paſſe ; mais la vertu
, la réputation , l'honneur ne ſe recouvrent
pas facilement. On ſe ſervit du
piége adroit qu'on lui avoit tendu pour
le faire tomber tout-à-fait dans le précipice
qui , pour être couvert de fleurs , n'étoit
que plus dangereux. Enfin, obfédé par
le chevalier , entraîné par l'exemple des
libertins dont on lui avoit procuré la con.
noillance ; plus épris que jamais des charmes
trompeurs de la perfide qui lejouoit,
il paya de cent louis les premieres faveurs
de cette innocente, qui les avoit déjà vendues
vingt fois.
Ce défordre entraîna tous les autres . Il
joua de moitié avec le chevalier , qui tint
toujours les cartes & ne gagna jamais.
Pour fournir à ſes dépenses & payer les
dettes qu'il contractoit journellement , il
engagea une de ſes terres pour moitié de
ſa valeur , & crut trouver un ami dans
72 MERCURE DE FRANCE.
avoit été fi funeſte. C'eſt donc ici , diſoitelle
, que je dois moutir ou regagner le
coeur de mon époux ! M. de Longpré qui
les attendoit ſe trouva chez lui à leur arrivée.
Comme il n'étoit encore que ſept
heures du matin, il ne crut pas que Mde
de Velcour , malgré ſes fatigues , dût dif.
férer d'un inſtant à ſe rendre chez fon
mari; les momens que vous perdriez , lui
dit- il , en feroient autant d'ajoutés à votre
malheur ; partez , Madame , ma voiture
eſt prête . -Quoi , ſeule ! .. je n'en
aurai jamais le courage.-Il faut cependant
vous y réfoudre ,un témoin eſt toujours
de trop dans une ſcène de cette nature.
Mde de Velcour embraſſe ſes enfans
, ſe jette dans les bras de ſa mere&
part. Arrivée à la porte de Velcour , elle
monte à fon appartement & n'y trouve
qu'un coureur effronté couché ſur un canapé.
Au bruit qu'elle fait en entrant il
s'éveille & lui demande ce qu'elle veur.
M. de Velcour , lui dit-elle. -Affeyezvous
, ma belle enfant , mon maître n'eſt
pas encore rentré , mais ſi vous voulez
l'attendre , vous aurez bientôt le plaiſir
de le voir , & je vous aſſure qu'il n'en
aura pas moins que vous. Oui , malgré
qu'il foit encore chez ſa maîtreſſe , où il
2
OCTOBRE. 1770 . 37
a paſſé la nuit , vous ne ſerez pas de trop .
Comment vous rougiſſez ? Eh ! bien , j'aime
cela , par exemple , c'eſt un mérite de
plus pour les filles qui font votre métier ;
je gage qu'il n'y a pas long-tems que vous
êtes dans la profeſſion ? Mde de Velcour
eût impofé filenceà cet infolent en ſe faifant
connoître , mais c'étoit trop riſquer ;
fon mari , prévenu de ſon arrivée , pouvoit
lui échapper. Elle fut donc obligée de
fouffrir les mauvais propos de ce valet libertin
juſqu'à ce qu'il lui plût de la laiſſer
feule. Qui pourroit rendre compte des
divers mouvemens qui l'agitoient , de la
vivacité avec laquelle ils ſe ſuccédoient !
Convainçue par les diſcours du coureur de
l'excès du libertinage où ſon mari étoit
plongé , elle perd l'eſpérancede le rame.
ner , craint de l'attendre , prend le parti
de lui écrire , y renonce , s'y décide ; mais
elle en eſt empêchée par le coureur qui
lui apprend , en rentrant , que Velcour ne
reviendra pas de la journée & qu'il vient
d'envoyer chercher un habit &du linge.
Pourriez- vous , lui dit- elle alors , me faire
le plaifir d'aller trouver votre maître &
le prier , de ma part , de ſe rendre ici fur
les fix heures du ſoir , vous lui direz
qu'une Dame voudroit lui parler ſur quel-
I. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE .
que choſe qui l'intéreſſe &qui ne peut
être différé. -Diable ! c'eſt donc de conſéquence
? Ah ! je devine , vous avez appris
que cette maudite Italienne , que je
voudrois de tout mon coeur qu'il quittât
pour vous , car vous avez l'air plus douce
& plus honnête , va ſans doute lui faire
quelque mauvais tour. J'entends , j'entends
, je lui parlerai de la bonne forte ,
il viendra ſur ma parole . Adieu, mon petit
coeur , ne manquez pas au moins.
Humiliée , déſeſpérée , Mde de Velcour
retourne chez M. de Longpré . A
peine a-t-on pu la calmer un peu & lui
faire prendre la plus foible nourriture,que
l'heure de retourner chez fon mari eft
déjà venue. Elle eſt reçue du coureur fur
le même ton que le matin ; il l'aſſure cependant
que fon maître a promis de ſe
trouver à l'heure indiquée. Deux heures
font pourtant écoulées ſans qu'il arrive ;
il eſt déjà nuit obfcure , une feule bougie
éclaire l'appartement& Mde de Velcour,
tremblante à chaque voiture qui paſſe, ou
ſemble s'arrêter , ſouhaite , craint & déſeſpère
de voir fon mari ; quand tout- àcoup
elle entend dans la maiſon un tumulte
confus : pluſieurs voix répétent du
ton le plus douloureux , ah ! le pauvre
OCTOBRE. 1770 . 75
jeune homme... Quel malheur ! .. Le
pauvre jeune homme !. le bruit redouble
en s'approchant. Mde de Velcour fuit le
coureur vers la porte ; mais hélas ! qu'ap.
perçoit telle? C'eſt ſon mari , c'eſt Velcour
mourant , pâle , ſanglant , défiguré ,
que quatre perſonnes ont peine à porter.
Elle ne réſiſte pas à cet horrible ſpectacle
& tombe évanouie . Ce n'eſt qu'après un
quart d'heure que le coureur & l'hôteſle
la rappellent durement à la vie. A peine
a-t- elle ouvert les yeux , qu'ils la font lever
bruſquement & veulent la faire fortir
en l'accablant d'injures , en lui diſant
qu'elle & fes pareilles font cauſe de
la mort de ce jeune homme . Quoi ! il eſt
mort , s'écrie Mde de Velcour en voulant
ſe précipiter ſur le corps de fon mari
qu'on avoit mis ſur ſon lit. On l'arrête ,
on l'entraîne , on alloit même la frapper
ſans l'écouter , lorſqu'à force de ſe nommer
, de dire qu'elle eſt l'épouſe infortunée
du malheureux Velcour , on confent
enfin de la laiſſer rentrer. Reconnoifſez-
moi , leur dit - elle , à ma douleur , à
mes larmes ; en pareille occaſion celles
pour qui vous me prenez en verſent- elles
jamais d'auſſi amères ? N'étant plus retenue
elle ſe jette ſur ſon époux , l'appelle
des noms les plus cendres , mais c'eſt en
,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
vain ; la quantité de ſang que lui a fait
perdre un grand coup d'épée , qu'il vient
de recevoir , l'a privé de tous ſes ſens.
Le chirurgien arrive : qu'on juge de la
ſituation deMdede Velcour pendant qu'il
fonde la plaie. Immobile , ſes yeux ſuivent
l'inſtrument qui va preſque toucher
le coeur de ſon mari ,elle le voit , pour
ainſi dire , agir dans l'intérieur. Tremblante
& n'ofant reſpirer , elle attend le
réſultat d'une opération qui ſera l'arrêt de
mort ou de vie de ſon époux. Enfin la
déciſion du chirurgien eſt favorable .
Mde Duriſſe & M. de Longpré , aver
tis par le domeſtique qui avoit ſuivi Mde
de Velcour , arrivent dans cet inſtant,
Pour prévenir la révolution que cauſeroit
au malade la vue inopinée de ſa femme ,
on l'entraîne dans la chambre voifine.
Cette infortunée ſe perfuade que cette
précaution n'eſt que pour lui dérober l'infraut
de la mort de fon mari , elle croit
déjà l'avoir perdu. C'eſt en vain qu'on la
raſſure ; la fièvre qui lui ſurvient eſt ſuivie
du plus violent tranſport , & les convulfions
les plus horribles font craindre
pour ſes jours.
Quelle ſituation pour une tendre mère
! Elle va perdre à la fois ſa fille & fon
gendre ; elle fuccombe ſous le poids des
OCTOBRE. 1770 . 77
ans , de la fatigue &de la douleur. M. de
Longpré , qui ne quitte pas Velcour , a
perdu le courage & l'eſpoir ; l'art des mé.
decins ne peut le raſſurer , il n'a plus de
confiance que dans les bontés du Ciel qui
eut pitié d'eux tous. Mais à peine Mde de
Velcour a recouvert ſa raiſon , qu'elle
veut voir fon mari ou croit l'avoir perdu.
Une plus longue réſiſtance pourroit devenir
dangereuſe, M. de Longpré qui le
ſent bien demande un inſtant pour prévenir
Velcour. Avec quelle prudence il
lui annonce cette entrevue , combien il
eſt prompt à le raſſurer ſur la démarche
de ſa femme. Elle eſt venue , lui dit- il ,
réclamer votre coeur ,& non pas vous reprocher
vos égaremens. -Ah ! Monfieur,
ils étoient plus grands que je ne puis le
dire ; fans le coup d'épée que j'ai reçu de
la main du chevalier , de ce monſtre en
qui j'avois mis toute ma confiance , j'allois
dès le lendemain me jeter dans une
entrepriſe deshonorante & qui pouvoit
avoir des ſuites ſuneſtes. Vous frémiriez
ſi je vous diſois... Oui , Monfieur , c'eſt
un bonheur pour moi d'avoir reçu ce
coup d'épée , il m'a donné le temsde fortirde
mon ivreſſe & va me remettre dans
les bras d'une épouſe vertueuſe. Ah ! que
tarde- telle ? ... Dans cet inſtantMde de
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Velcour , malgré fa foibleſſe , accourt , fe
précipite dans les brasde ſon mari & l'arroſe
de ſes larmes . Tous deux gardent un
profond filence , les paroles font trop foibles
pour rendre les divers ſentimens de
lear coeur. On entend cependant par intervalle
ces mots , entrecoupés de fanglors
, ma chere amie ! ... mon cher
époux ! .. Ah ! fi tu me rends ton coeur ! ..
Eft-il encore digne du tien ? Oui , .. oui ..
toujours.
Ce premier tranſport ralenti , Mde de
Velcour pria fon mati de ne jamais parler
du paffé . J'y confens , lui dit-il , mes
remords prendront ſoin de te venger.
Que ne puis- je quitter à l'inſtant un lieu
qui m'a été fi funefte , que ne puis je voir
mes enfans , hélas ! j'avois pu les oublier!
-Tes enfans ... Ils font ici. -Ils font
ici , qu'ils viennent donc promptement,
qu'ils foient frappés de mon horrible état,
il leur ſervira de leçon lorſque je leur
apprendrai...
Dans cet inſtant on amène les enfans.
Quel ſpectacle pour l'humanité ! ces enfans
paffent des bras d'une tendre mere
dans ceux d'un pere qui les baigne de larmes
& leur dit les chofes les plus touchantes
. On entend ces innocens confoler
leurs parens avec cette naïveté de leur
OCTOBRE. 1770 . 79
âge , on les voit les careſſer tour- à- tour
&pleurer avec eux .
Apeine Velcout eſt en état de ſoutenir
le mouvement d'une voiture qu'il propoſe
à ſa femine de partir. Quittons , lui ditil
, ce Paris , cette ville où le vice triomphe
au milieu de tant de vertus. Retournons
dans notre province , c'eſt là , chere
moitié de moi - même , que je veux , à
force de ſoins , de tendrefle & d'amour ,
te faire oublier , s'il eſt poſſible , que j'ai
pu ceſſer de t'aimer & devenir indigne
detoi.
Ils partirent deux jours après & ne regretterent
que M. de Longpré. Ce digne
ami leur donna, avant de s'en ſéparer, la
marque d'attachement la plus forte. Il
adopta le fils de Velcour & le déclara fon
héritier. Puiffe , ce cher enfant , leur ditil
, en reconnoiſſance de ce bienfait , foutenir
ma vieilleſſe , puiſſe -je vivre affez
long- tems pour le voir digne de nous ,
affis au nombre de nos magiftrats en être
le plus juſte & le plus humain. Le Ciel
exauça ſes voeux , & il jouit quelque tems
du fruitde ſes ſoins .
Velcour , de retour chez lui , répara par
fon économie le déſordre où il avoit mis
ſa fortune , fit le bonheur de fon épouſe
& n'eut pendant toute ſa vie d'autre cha
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
grin que celui d'apprendre que le chevalier
n'avoit pas eu le tems de ſe repentir &
qu'il avoit péri malheureuſement.
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du Mercure de Septembre 1770,
eſt un Luftre; Celui de la ſeconde eſt Bat.
toir; celui de la troiſieme , Bottes fortes,
Le mot du premier logogryphe eſt Mon
tre , où se trouvent , or , mer , mort , nom ,
re , ton , mon , rote ( tribunal ) étron , Rome
, mont , trône. Celui du ſecond eſt
Ciel , où ſe trouve lie. Celui de l'énigme
logogryphique , Cruche , où , en ôtant la
premiere lettre , on trouve ruche.
N
ÉNIGME
ULLE beauté dans la nature
N'a plus que moi de ſoupirans.
J'en puis compter dans tous les rangs ,
Aqui jedonne la torture ;
Fidèles malgré mes rigueurs ,
Et qui , dans leur folle eſpérance,
Ont oublié que mes faveurs ,
D'une vaine perſévérance ,
Pag. 80.
:
Par M.Bouvin .
Gratioso.
1770. g
Quandje te vois mon cher
- vandreJe sens un plaisir en -cho
お
3
= teur;L'aspect dun objet si tendrenit
aussi tot ma douleur Loin
toije respire a peine,L'ennui
pare de moi Mais lors = qu
M
l'amour te ra : mei: ne La vo
=te vient avec toi
De l'ImprimeriedeRécoquilliée,Rue de la Huchette, au
8. MERCURE DE FRANCE.
Qu'il y ait de Paris à Rome
Occupent les affections ,
Le coeur & l'eſprit du pauvre homme;
Enfin il en eft fou. Mais le plus ſurprenant ,
C'eſt que lamuſe enchantereſle
Ait olé célébrer , ſur un ton raviſſant ,
Ces beaux objets de ſa tendreſſe.
Voici le vrai portrait des quatre illuftres ſoeurs.
La premiere eft froide , inconſtante ,
Capricieufe & d'une humeur piquante ,
Avec cela coquette & mettant des couleurs.
Jugez combien la galante bergere ,
Depuis long- tems ſexagenaire ,
Avec cette humeur-là doit plaire à fonMedor.
La ſeconde eſt pire encor.
C'eſt la plus chaude créature
Qui foit dans toute la nature.
La troifiéme , au premier abord
Paroît plus fage , & cependant la Dame ,
Apparemment par boncé d'ame ,
Avec les gens eft de fi bon accord ,
Que, dans maints lieux , en vérité,
Onconnoît ſa fécondité.
La quatrième eſt ſale & dégoûtante.
Toujours hargneufe & toujours rebutante.
Cen'est qu'a ſa difformité
Qu'elle doit ſa célébrité.
ParlefecondClercd'unprocureurBasBreton
:
OCTOBRE. 1770 . 83
U
AUTRE.
N element est non grand pere ,
L'autre est mon trône & ſouvent mon tombeau.
Amon deſtin un autre est néceſſaire ,
Le quatriéme eft mon fléau.
Par lemême.
?
AUTRE.
LECTEUR ,j'expoſe ſous tes yeux ,
Qu'en moi l'on a tant de confiance ,
Qu'on abandonne à ma puiflance
Ce qu'on a de plus précieux ;
Dehors ou-dedans ſon aſyle ,
Si le citoyen eſt tranquille
C'eſt qu'il compte beaucoup fur moi
Car chacun me porte avec ſoi ,
Dumoins c'eſt aſſez la coutume:
Mot ne dirai de mon volume ,
Qu'il ſoit petit ou qu'il foit gros,
Il n'en fait pas moins ton repos.
Je fers très-bien à la muſique ,
Sous pluſieurs formes l'on m'y peint
Je ſuis l'attribut d'un grand Saint :
Mais par trop ici je m'explique ;
Dj
$4 MERCURE DE FRANCE.
Certes j'ouvre à tant m'exprimer
Ce que je devrois renfermer.
- ParM. M.... de Savigny.
LOGOGRYPH Ε.
AMI lecteur , loin de ce doux aſyle,
Pour la premiere fois mes yeux virent le jour
Moins difert , il est vrai , mais auffi plus tranquile,
Jenâquis dans ces lieux où l'Inde fait ſontour.
Otrop funeſtes avantages ,
Lenocher curieux épris de ma beauté
Nepénétradans nos ſombres bocages
Qu'aux dépens de ma liberté.
Depuis ce tems en vain ma maîtreſſe me flatte,
Etfous les fleurs cache mes fers 5
Je regrette toujours ces aimables déſerts
D'où m'arracha la main ingrate.
Mais veux- tu , cher lecteur , comme il eſt uſité
Renverſer toute la machine ?
Neuf pieds font mon enſemble ,&fi tu les combine
Tutrouveras enville un lieu très-fréquentés
Un autre par les champs ſur lequel on chemine;
D'Abraham la patrie &la ſoeur de Neftor ;
La mort de l'aſſaſſin, pays voisin deChine
OCTOBRE. 1770 . 85
Ledevant d'un vaiſſeau : tupeux y voir encor
Un vaſe , un dieu fameux par lesmétamorphefes;
Ce fleuve en Italie où Phébus fit capot;
Saifon , ce que l'avare aime ſur toutes choſes ;
Note , ville en Turquie , un adverbe en unmot;
Certain morceau d'architecture
Qui , pris au genre mafculin ,
Devient cet inſtrument divin
Où le bois prend mainte tournure ;
Ton plus proche parent ; & deux ventoſités
Qui ne chatouillent pas le nez ;
Une riviere en France ou mieux en Normandie;
Unmot qui vaut excès , Cité dans l'Arabie;
Chut... Rabaiſſons notre caquet ,
Mais voyez un peu l'indifcret ,
Il jaſe comme une ſalope.
Pardon , lecteur , j'ai pris ce défaut en Europe ;
Et , ma foi , je ne puis finir
Sans teproduire ici l'épithète à Zéphir.
ParM. A. Mauger , deRouen.
ENTIER
AUTRE.
NTIER je t'offre un vêtement.
Sans tête au jeu jedeviens néceſſaire ;
Mais veux-tuvoir tout ce que je fais faire ?
86 MERCURE DE FRANCE.
Si lemilieu vient au commencement ,
Tu n'as de moi plus qu'une particule ,
Dans un portrait ſi ridicule ,
Ami lecteur ne vois- tu rien ?
Non pas encore... Oh ! cherche bien.
Par le même.
AUTRE.
INSTRUMENT néceffaire
Aux ouvriers de Cérès ,
On me promene &je ſuis fait exprès .
Ma premiere moitié ne ſe plaît qu'à mal faire :
Te le dirai - je , ami lecteur ?
C'eſt un infigne voleur.
Mais ma ſeconde partie
Sert abfolument à la vie :
Sans elle c'en eſt fait de tous les animaux ;
Sans elle , adieu les végétaux.
Enfin tu dois me connoître ,
Six pieds forment mon être.
ParM. Dubled, àAngers.
OCTOBRE. 1770. 87
:
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Effaifur l'histoire générale de Picardie ,
les moeurs , les uſages,le commerce &
l'eſprit de ſes habitans , juſqu'au regne
de Louis XIV ; 2 vol . in- 12 . A Abbeville
, chez la Veuve Devérité , libraire
; & à Paris , chez Ganeau , rue Saint
Severin ; la Veuve Duchefne , rue St
Jacques ; Saillant & Nyon , rue St Jean
de Beauvais , & Lacombe , rue Chriftine
; prix liv . reliés,
L'A'AUUTTEEUURR commence ſon eſſai hiſtorique
par expofer les recherches qu'il a fai.
tes fur l'origine des Picards , leur ancienne
religion & la forme de leur gouvernement.
Mais ces recherches n'ont pu le
conduire à découvrir la véritable étimologie
du nom Picard. Ce terme vient- il
du mot piquer & de la facilité de cette
nation à ſe choquer & à ſe piquer aifément
? Ou a ton trouvé quelque reflemblance
entre le naturel des habitans de
cette province& celui de cet oiſeau qu'on
nomme la pie, pica ? Le Picard eſt- il comme
lui opiniâtre & colere ? L'hiſtorien
$8 MERCURE DE FRANCE.
rapporte encore quelqu'autres origines
de ce nom , que l'on a foutenues & com.
battues tour à- tour , & qu'il n'entreprend
point de difcuter. Il s'occupe plus utilement
pour fon lecteur à lui préſenter la
fuite des événemens particuliers à cette
province ou qui lient ſon hiſtoire à l'hif
toire générale de France. Il s'applique
principalement à nous faire connoître les
moeurs , uſages & coutumes des anciens
Picards , & les progrès de leur commerce
, de leur induſtrie &de leurs connoiffances.
Dans les premiers ſiècles de la monarchie
, la Picardie , ainſi que plufieurs autres
provinces de France , étoit en proieà
de petits tyrans qui , ſur le moindre prétexte
, fe faifoient la guerre pour avoir
occafion de mettre à contribution les marchands
& les laboureurs , & d'exercer
leurs pirateries. Toutes les routes étoient
infettées de brigands. Dans le douzième
fiécle , Lambert , évêque d'Arras , s'excufa
d'aller affiſter au ſacre de Baudry ,
nommé à l'évêché de Noyon , à cauſe du
peu de fûreté des chemins. Cedéfaut de
police donna lieu à pluſieurs aventures
cruelles , & l'hiſtorien nous fait part de
celle d'Adele de Ponthieu , qui peut intéreſſer
nos lecteurs. Thomas , ſeigneur
OCTOBRE. 1770 . 89
de St Valery , s'étoit mis en chemin avec
ſon épouſe Adèle , fille d'un comte de
Ponthieu. Ils furent attaqués près d'une
forêt par huit hommes armés, qui les chargent
le ſabre à la main. Le ſeigneur de St
Valery , après en avoir renverſé trois &
déſarmé le quatrième , fut dépouillé par
ces voleurs qui lui lierent pieds &mains
&le jeterent dans un buiſſon. La vertueuſe
Adèle ſubit encore un fort plus
cruel ; emporté dans l'obſcurité de la fos
rêt , elle fut forcée d'y eſſuier la violence
& la brutalité de ces brigands : ils la remirent
enfuite nue ſur le grand chemin.
Elle y retrouva ſon mari . Elle le débaraſſa
de ſes liens , & ils s'en retournerent
enſemble. Leurs gens , qu'ils avoient laifſés
derriere eux dans une hôtellerie , les
rencontrerent bientôt dans cet état affreux
, & couvrirent leur nudité de deux
manteaux. De retour au château de leur
pere à Abbeville , ils lui conterent leur
infortune. Ce pere barbare , égaré par de
fauſſes idées ſur l'honneur , propoſe quelques
jours après à ſa fille d'aller ſe promener
dans la ville de Rue. On côtoye
le rivage de la mer. De-là on s'embarque
dans une chaloupe comme pour mieux
prendre le frais . Déjà l'on étoit éloigné
१० MERCURE DE FRANCE.
de la côte de trois lieues lorſque le comre
de Ponthieu ſe levant tout-à- coup : Dame
de Domart , dit- il à ſa fille d'une voix
terrible , il faut maintenant que la mort
efface la vergogne que notre malheur apporte
à toute notre race. Des matelots la
ſaiſiſſent à l'inſtant , l'enferment dans un
tonneau & la précipitent dans la mer. La
chaloupe regagna la côte. Heureuſement
un vaiſſeau flamand qui vint à paffer , apperçut
ce tonneau , l'équipage l'attire à
lui : l'ouvre ; mais quelle ſurpriſe ! Adele
mourante déclare ſa condition : on la met
à terre. Elle va rejoindre ſon mari , dont
le château n'étoit pas éloigné ; elle ſejet
te dans ſes bras au moment même que
cet époux pleuroit la mort de ſa chère
Adele. Quelle ſcène plus attendriſſante ?
Jean , comte de Ponthieu , reconnut ſon
crime & s'en repentit. Il chercha à l'expier
en donnant aux moines de St Valery
le droit de pêche trois jours dans l'année ,
danslesmêmes paragesd'où l'on venoitde
tirer ſa fille. Dans ces ſiècles d'ignorance
on croyoit appaiſer l'Erre Suprême en faiſant
quelques donations aux monafteres .
Les fuperftitions les plus groſſieres
étoient également l'appanage de ces fiéclesde
barbarie. L'hiſtorien fait mention
OCTOBRE. 1770 . 91
de la fête de l'âne qui ſe célébroit dans la
cathédrale de Beauvais & de pluſieurs autres
fêtes qui étoient peu propres à s'accorder
avec la décence qu'exige le culte
de l'églife. Mais ce qui doit faire gémir
l'humanité , eſt de voir , dans ces mêmes
fiécles , des hommes & des femmes condamnés
aux flammes comme forciers , &
dont le ſeul crime étoit d'avoir l'eſprit
foible& dérangé. L'hiſtorien cite l'exemple
d'un curé qui baptifa un crapaud , &
d'une femme qui prétendit ſe ſervir de ce
crapaud pour donner la mort à un fermier
contre lequel le curé venoitde perdre un
procès. Cette femme, ſaiſie au moment
où elle alloit placer ſon prétendu fortilége
ſous la table du campagnard , fut
brûlée vive. Ce qui favoriſoit le plus
dans le ſeizième & dix - ſeptième ſiécle
des illuſions auſſi groſſieres , étoient ces
ſpectacles qu'on nommoit les petites ou
grandes diableries à deux ou à quatre perſonnages
, d'où eſt venu l'expreſſion proverbiale
de faire le diable à quatre. On y
voyoit des figures hideuſes pouffer des
hurlemens terribles , jeter des flammes
par la bouche , fecouer avec fureur des
Torches allumées. La multitude à qui ces
ſpectacles plaifoient beaucoup , les imita
92 MERCURE DE FRANCE.
bientôt dans les champs , au milieu des
bois. Les habitans des campagnes s'y rendoient
dans l'obſcurité de la nuit pour ſe
délaſſer de leurs travaux , & ils s'y livrerent
inſenſiblement aux déréglemens de
l'imagination la plus égarée , aux vices
les plus infâmes , aux outrages les plus
cruels qu'on puiſſe faire à la nature. Cette
multitude apportoit avec elle des balais .
De là on nommoit dans le Valois ceux
qui ſe rendoient à ces ſabbats des Chevaucheurs
de ramons : de-là peut - être aufli ,
ajoute l'hiſtorien , a- t- on dit proverbialement
d'un homme connu par ſes débauches
, qu'il a róti le balai.
LaNobleſſe dans ces fiécles s'étoit arrogé
ſur ſes vaſſaux les prérogativesles plus
indécentes & les plus infames . Un feigneur
d'Auxi , dans le Ponthieu , avoit le
droit de mactorer ( immoler ) la virginité
de gentilles femmes , fringantes Damoiſel.
les , belles Nonaines , en donnant un écu &
dix ſols pariſis de droit au comte de Ponthieu.
Quelques ſeigneurs vouloient bien
qu'on pût racheter cette infamie par quelqu'argent.
C'eſt ce qu'on appelloit le droit
pudicitiæ redimendæ caufa. Mais on ap .
prend avec une douce ſatisfaction que ,
tandis que la pudeur étoit ainſi par- tout
OCTOBRE . 1770 .
93
infultée dans la Picardie , on couronnoit
la modeſtie & la ſageſſe dans un village
de cette même province , nommé Salenci
près de Noyon. L'hiſtorien donne une
courte deſcription de cette fête. Il nous
entretient avec autant d'agrément des
plaids & jeux fous l'ormel , c'eſt - à - dire
des aſſemblées de Gentilshommes & de
Dames ſous un orme où l'on s'exerçoit
à la courtoisie & gentilleſſe. On décidoit
dans ces cours d'amour mille queſtions
agréables & galantes que les Seigneurs &
les Dames ſe propoſoient réciproquement.
Les Picards avoientun talent propre
pour ces fortes de jeux qui demandoient
de la naïveté & de la vivacité , ce
qui forine affez le fond de leur caractère.
La province de Picardie ſe rappelle
avec plaiſir que notre bon Roi Henri IV
diſoit volontiers qu'il étoit affectionné Picard
, qu'il avoit été engendré à Abbeville.
On obſerva en effet que Henri IV nâquit
précisément neufmois après le paſſage de
ſes pere & mere par cette ville. Il pric
ſoin lui même de le faire remarquer aux
officiers municipaux d'Abbeville , en répondant
à laharangue qu'ilvencient delui
faire lors de fon paſſage par cette ville.
Durant les guerres civiles , ce prince
94 MERCURE DE FRANCE.
ſe trouvant dans la Picardie près de Sain
tines , fut frappé de la hauteur & de la
beauté d'un grand donjon qu'il appercevoit.
Ce château appartenoit au ſeigneur
de Vieux- Pont. Il entre ; il examine. Le
maître du logis en le reconduiſant , le fait
paſſer ſur un pont - levis ébranlé par les
injures du tems, dont les planches étoient
mal aſſemblées. Il avertit le Roi de poſer
ſon pied ſolidement & de bien choiſir le
lieu ; mais Henri ſe retourne & le fixe . Il
lui met la main ſur l'épaule & s'appuie
en lui diſant : Je ſuis ferme fur ce vieux
pont ; mot heureux par lequel il faifoit
l'éloge d'un ſujet &gagnoit la confiance
d'uncourtiſan.
L'orateur qui harangua Henri IV , lotfque
ce prince , fatigué d'une longue traite
qu'il avoit été obligé de faire pour le ſecours
de Cambrai, paſſoit par Amiens ,
fut fans doute moins content que le ſeigneur
de Vieux-Pont des bons mots de
Henri . Cet orateur ayant commencé ſa
harangue par ces titres de très-grand, trèsclément
, très - magnanime.... Ajoutez
auſſi , lui dit le Roi , & très - las. Le harangueur
fut déconcerté & ne put ache
ver.
OCTOBRE. 1770 . 95
Dictionnaire des Pronostics , ou l'art de
prévoir les bons ou mauvais événemens
dans les maladies ; par M. D. T.
docteur en médecine ; vol . in - 12. A
Paris , chez Vincent , imprimeur - libraire
, rue St Severin .
Ceux qui font perfuadés que l'obſervation
eſt la baſe de toutes nos connoiſſances
en phyſique , & principalement en
médecine , ſentiront mieux l'utilité &
même l'importance de ce dictionnaire .
C'eſt un recueil très-bien fait où ſont
caſſemblées , ſous un ordre facile à faifir,
Les obſervations qui indiquent la marche
de la nature. Les médecins , obſervateurs
anciens & modernes , ont été mis à con-
Gribution pour rendre ce recueil plus comblet.
L'auteur y a joint les réflexions
qu'une pratique ſuivie dans les hôpitaux
ui a fuggérées . Si , nonobſtant tout cela ,
on trouve encore quelques doutes répan-
Hues ſur les généralités des prédictions ,
c'eſt moins la faute de l'ouvrage que de la
matiere qui y eſt traitée,
Sanctorii Juftinopolitani doctoris medici
&medicinæ olim profeſſoris primarii in
Lycao Patavino de medicina statica
96 MERCURE DE FRANCE.
aphorifmi ; commentaria , notaſque ad
didit A. C. Lorry ; vol . in- 12 . A Paris
, chez Cavelier , libraire rue St
Jacques , au lys d'or .
2
Les recherches auſſi intéreſſantes que
curieuſes de Sanctorius ſur la médecine
ſtatique ont dévoilé les myſteres de la
tranſpiration inſenſible , ſes avantages &
les maladies qui réſultent de ſa diminution
& de ſa ſuppreffion. Ce médecin
mourut au commencement du ſiécle dernier.
Comme il voulut traiter à fond
l'objet de la tranſpiration , qu'il regardoit
comme une des plus eſſentielles&
des plus utiles parties de la médecine , il
ne négligea rien pour ſe procurer les expériences
les plus exactes . Il fit faire une
balance dans laquelle il eut la patience
de paſſer une partie de ſa vie ; il parvint,
enpeſant ſes alimens & ſes excrémens à
déterminer la quantité de nourriture qu'il
faut prendre pour réparer la perte deshumeurs
que la tranſpiration a diſſipées . Sa
médecineftatique eſt le réſultat de ſes expériences
& de ſes obſervations ſur la
conduite de la nature dans la tranſpiration.
Elle fut imprimée, pour la première
fois, en 1614. Dans la nouvelle édition
que
OCTOBRE. 1770.
97
que nous annonçons , M. Lorry a confirmé
ou éclairci par ſes obſervations & par
ſes notes les principes de Sanctorius.
Traité des Bêtes à laine , ou méthode
d'élever & de gouverner les troupeaux
aux champs & à la bergerie : ouvrage
pratique , ſuivi du dénombrement&
de la deſcription des principales eſpèces
de bêtes à laine dont on fait commerce
en France ; avec un état des différentes
qualités de laine & des uſages
auxquelles elles ſervent dans les mafactures.
Par M. Carlier ; 2 vol. in - 4°.
De l'imprimerie de Louis Bertrand , à
Compiegne ; & le vend à Paris , chez
Vallat- la-Chapelle , libraire au palais ,
fur le perron de la SteChapelle.
Ce traité eſt diviſé en deux parties. La
premiere forme un corps d'inſtructions
fur la maniere de gouverner les bêtes à
laine, La ſeconde contient un dénombrement
& une deſcription des principales
eſpèces de bêtes à laine dont on fait
commerce en France , avec un état des
différentes qualités de laines &des uſages
auxquels elles ſervent dans les manufac
tures
I. Vol E
98 MERCURE DE FRANCE.
La premiere partie , c'eſt à dire le corps
de l'ouvrage eſt ſubdiviſé en huit chapitres
. Le premier eſt employé à faire connoître
toutes les races de moutons , tant
communes qu'étrangeres. Le chapitre ſe.
cond , dans lequel l'auteur nous entretient
du berger & de ſes fonctions , eſt
auſſi intéreſſant que curieux par les détails
qu'il contient. Les chiens font pour
les bergers un ſecours dont ils peuvent
rarement ſe priver. La manoeuvrede ces
animaux cauſe autant de plaiſir que de
ſurpriſe. Ils apportent en naiſſant un inftint
qui vient de race & que l'éducation
perfectionne. Veiller la nuit , courir le
jour , eſt la vie d'un chien de berger , au
parc fur- tout. Auſſi les laboureurs & les
gens de campagne regardent cet animal
comme un ſurveillant néceſſaire dont un
berger ne peut ſe paſſer. Ils diſent d'un
fort travailleur qu'il a du mal comme un
chien de berger ; &d'un mauvais ſujet qui
revient d'une maladie dangereuſe , mourroitplutôt
un bon chien de berger.
Les chapitres trois & quatre méritent
à tous égards l'attention des propriétaites
&des bergers eux- mêmes. M. C. y paffe
en revue tout ce qui a rapport à la génération
des bêtes à laine & à la formation
OCTOBRE. 1770. ११
des troupeaux . Il y traite ſucceſſivement
du bélier & de la brebis , des agneaux &
dumouton.
Le chapitre cinquiéme, qui regarde les
pâturages&les fourrages , contient beaucoup
de connoiffances pratiques que l'auteur
a acquiſes dans la ſociété des bergers
& des cultivateurs. Il diftingue &
ſubdiviſe toutes les qualités des pâturages
&des fourrages relativement aux différentes
natures des territoires qui les produifent.
Il faut lire tout entier le chapitre fix
pour s'inſtruire de ce que l'on doit obferver
dans le gouvernement des troupeaux,
au parc & à la bergerie. L'auteur démontre
ſans réplique que la conſervation des
bêtes à laine ne dépend pas moins de l'uſage
du grand air & de la propreté des
bergeries que des bonnes nourritures.
M. C. après avoir détaillé toutes les
parties d'utilité qui rendent le mouton
un animal précieux à la ſociété , l'examine
dans le chapitre ſeptiéme comme un objet
de commerce relativement à la vente
&au produit qu'on en tire .
Le huitieme & dernier chapitre renferme
une defcription des maladies auxquelles
les bêtes à laine ſont ſujettes ,
E ij
১০০ MERCURE DE FRANCE.
avec le nom des remèdes &des préſerva
tifs qu'on doit employer pour guérir ces
maladies ou pour les prévenir. M. C. inviolablement
attaché aux bergers dans la
ſociété deſquels il a puiſé la plupart de
fes connoiflances pratiques , revendique
par- tout en leur faveur le privilege d'être
les ſeuls médecins des troupeaux .
La feconde partie de cet ouvrage a un
rapport plus direct au commercede France.
L'auteur y donne le dénombrement
&la defcription des principales eſpèces
de bêtes à laine dont on fait commerce
dans ce royaume , & l'état différent des
qualités de laine qui s'emploient dans
les manufactures. M. C. fait voir pardes
détails inſtructifs que nous poſlédons dans
la France méridionale , des troupeaux
preſque auſſi parfaits que ceux d'Eſpagne;
&dans la France ſeptentrionale des moutons
comparables par le corſage & pour
la toiſon , aux meilleures races d'Angleterre
& de Hollande. Les Eſpagnols &
les Anglois ne l'emportent fur nous que
par l'afliduité avec laquelle ils veillent à
l'éducation de leurs troupeaux. En partant
de ce principe , qui est développé &prouvé
par des faits très- bien établis , il eſt
comme démontré qu'il ne dépend plus
OCTOBRE. 1770 . 101
que de nos cultivateurs d'accroître la richeſle
de la nation en ſe conformant aux
règles de conduite que l'auteur a preſcrites
dans le corps du traité ; règles ſi ſimples
& fi peu difpendieuſes , que les propriétaires
ne peuvent que gagner à les
mettre en pratique. L'exercice au grand
air , la proprété des bergeries & le foin
de proportionner le nombre des bêtes à
la quantité des nourritures qu'on peut leur
donner font la baſe & le fondement de
ces règles. Cette ſeconde partie eſt terminée
par des réflexions judicieuſes ſur
l'état actuel des manufactures de France.
L'ouvrage entier ſera d'autant plus utile
aux propriétaires de troupeaux & aux fabriquans
en laine que l'auteur parle continuellement
d'après l'expérience,&qu'il
met ſes connoiffances acquiſes à la portée
de tous les lecteurs. Un autre mérite
de ce traité c'eſt de nous faire connoître
pluſieurs termes conſacrés par l'uſage &
dont on chercheroit en vain l'explication
dans les vocabulaires .
Les Jours , pour ſervir de correctif & de
ſupplément aux Nuits d'Young ; par un
Mouſquetaire Noir ; brochure in - 12 .
ALondres ; & ſe trouve à Paris , chez
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
Valade , libraire , rue St Jacques , vis
à- vis celle de la Parcheminerie.
Cette production eſt celle d'un eſprit
enjoué & qui a cherché à nous diſtraire
un moment par des peintures burleſques
des images fombres du chantre des nuits.
L'auteur , dans ſon cinquiemejour , inti.
tulé l'Immortalité , félicite Uranie d'être
parvenue à ſe rendre immortelle. « Mal-
>> glé ſes ſoixante ans , Uranie a trouvé
>> le fecret de facrifier à l'Amour à l'in-
>> ſçu de la nature : ſi ce n'eſt pas là être
>> immortelle , je n'entends plus rien à
>> l'immortalité. Chaque jour Uranie ſe
>>>leve avant l'aurore , afin de travailler
» avec ſes femmes au grand oeuvre de ſa
>> réſurrection. Le ſoleil eſt à peine au
>> milieu de ſa courſe que les ridesde fon
>> front commencent à diſparoître. On
>> continue le travail , & déjà ſon ſque-
>> Iette a repris la fraîcheur & les contours
>> de l'adolefcence. Heureuſe Uranie ! се
>> teint frais & vermeil vous affure la
>> jeuneſſe & la beauté pour huit heures
>>>aumoins. Le charmantpapillon ! ce foir
>> il rentrera hideux dans ſon tombeau ,
>> & demain nous l'en verrons ſortir en-
>> core plus jeune , plus ſémillant & plus
OCTOBRE. 1770. 103
>> radieux. Ainsi , Uranie prolonge nos
>> jouiſſances en éterniſant ſes appas. Elle
>> a tous les âges à la fois : vénérable au
>>>fortir du lit, elle obtient de nous des
>> hommages bien reſpectueux ; rajeunie
>> l'après - diner, elle a déjà quelques droits
>> à nos foupirs ; fur la brune , devenue
>>plus piquante & plus céleste , Uranie a
>> le bonheur de nous rendre infolens &
>> foux , à mesure que le jour s'épaiffit.
>> Eſt il un fort comparable à celui d'Ura-
>> nie ? Ses nuits ont encore la férénité
>> des beaux jours. Ils ne font troublés
» que par la douce image de ſes victoires
>> remportées ſur des rivales de quinze
>> ans. Uranie a-t-elle tort ? Je n'oſerois
>>prononcer. Il faudroit être ce qu'elle
>> eſt , il faudroit ſentir ce qu'elle fent ,
» & il ne m'appartient pointde le deſi
» rer. »
Dans ce mêmejour l'auteur affecte des
mouvemens convulfifs , & nous préſente
un choc de mots & de penſées , fans doute
à deſlein de parodier les obſcurités
qu'il prétend trouver dans l'auteur Anglois.
« La mort découle du ſein de la
» vie , la vie jaillit du ſein de la morr.
» Ces deux extrêmes du mouvement cir-
>> culent , s'entrechoquent , ſe confone
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
>>dent , s'organiſent de mille manieres.
>> lci la matiere dort dans l'inertie , là
>> elle offre une étincelle , là un flamme
>>légère , plus loin une douce aurore ,
>>>ailleurs un volcan déſaſtreux : la ſenſi-
>>bilité a des foyers de différens diamè-
>> tres qui ramaſſent plus ou moins des
>> rayons du grand aftre, ſuivant leur cou-
>> leur & leur tranſparence. Tour à tour
>> victorieuſes & terraffées , la mort & la
>> vie ſe jouent à travers l'immenfité , aux
>>dépens , comme au profit , des élémens
>> qui l'empliſſent; & les frêles humains
>> font peut- être les ſeuls des êtres ſenſi-
>> bles qui oſent contempler ces jeux
>> étranges. Au moment même où l'hom-
> me fert de jouet à la mort , il obſerve ,
>>il recueille , il médite & décrit les phé .
>> nomènes dont il eſt la victime . »
Ce cinquiémejour eſt ſuivi d'un ſixiéme,
intitulé les Eſprits. L'auteur y rappelle
une anecdote , & il ſemble tirer des
différens recits auxquels cette anecdote a
donné lieu des conféquences pour établir
le pyrrhoniſme de l'hiſtoire. Mais tout
ceci ne fert qu'à confirmer cet adage d'un
ſage de l'antiquité : « Avant d'accorder
>> votre organe à un fait qui vient d'arri-
> ver , confultez l'écho , c'est - à-dire ,
OCTOBRE. 1770 . 105
laiſſez paſſer les premieres rumeurs toujours
troubles & tumultueuſes ,&n'écoutez
que ce qui vous fera rapporté par des
gens graves &de ſang froid.
Dictionnaire portatif de commerce , contenant
la connoiſſance des marchandiſes
de tous les pays , ou les principaux
& nouveaux articles concernant le
commerce & l'économie ; les arts , les
manufactures , les fabriques , la minéralogie
, les drogues , les plantes , les
pierres précieuſes , &c. vol . in 8 ° .
grand format. A Bouillon , aux dépens
de la ſociété typographique ; & ſe trouve
à Liège , chez C. Plomtueux , & à
Paris , chez Lacombe , libraire , rue
Christine.
Ce dictionnaire peut être regardé comme
une bibliothéque portative dont les
différens articles , rangés par ordre alphabétiqne
, donnent des notions prompres ,
faciles & fatisfaiſantes ſur toutes les matieres
premieres & fur celles miſes en
oeuvre par l'induſtrie. Comme la théorie
du commerce n'entroit point dans leplan
de ce dictionnaire , il a été facile à l'auteur
de donner de l'étendue aux articles
Εν
106 MERCURE DE FRANCE.
d'induſtrie , & à ceux qui regardent les
beaux arts . Il rapporte à l'article Camayeu
les heureuſes rentatives qu'a faite M. Palmeus
pour faire imprimer des eſtampes
en camayeu bleu. Cet artiſte a employé
la fardoine (couleur rouge ) avec le même
ſuccès qu'il avoit employé le lapis ,
& il a obtenu un camayeu rouge trèsbeau.
Mais nous penfons que ces couleurs
, quelqu'agréables qu'elles puiffent
être dans l'emploi , ne réuffiront cependant
jamais auſſi-bien que le noir des imprimeurs
en taille-douce , dont les nuances
varient àl'infini & donnent à l'eſtampe
un ton mat & velouté très - ami de
l'oeil . L'impreſſion en camayeu bleu peut
être cependant très utile pour copier les
deſſins de pluſieurs peintres Italiens dont
l'uſage étoit de laver leurs deſſins avecdu
bleu d'indigo.
Effais fur la Religion Chrétienne & fur
les ſyſtèmes des philoſophes modernes,
accompagnés de quelques réflexions
fur les campagnes ; par un ancien Militaire
retiré ; vol . in 12. A Paris , de
l'imprimerie de Ph. de Pierres.
Cet écrit eſt celui d'un bon citoyen ,
d'un ancien militaire qui , ayant vécu
OCTOBRE. 1770 . 107
long-tems au milieu d'une jeuneſſe diffipée
& impatiente du joug qu'impoſe la
Religion Chrétienne , connoît mieux les
erreurs de cette jeuneſſe & les objections
qu'elle ſe fait pour autoriſer ſes défordres
ou pour en répandre un nuage ſur les vérités
ſévères qui troubleroient ſes plaiſirs.
Ces eſſais fur la Religion ſont ſuivis de
réflexions ſur les campagnes. L'auteur y
examine quelle eſt la véritable cauſe de
leur dépopulation.
Manuel des Pulmoniques , ou traité complet
des maladies de la poitrine , où
l'on trouve la théorie la plus naturelle ,
les règles de pratique les plus ſimples
& les plus fûres pour combattre les
maladies de cette cavité. On y a joint
une nouvelle méthode de reconnoître
ces mêmes maladies , par la percuffion
du thorax , traduite du latin d'Avenbragger
; par M. Roziere de la Chafſagne
, docteur en médecine de la faculté
de Montpellier , de la ſociété
royale des ſciences de la même ville ,
&afſſocié - étranger de l'académie de
Clermont Ferrand ; vol . in- 12 . A Paris
, chez Humaire , libraire , rue du
marché Pallu. Prix 2 liv. 8 f. br .
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
L'eſprit d'obſervation , introduit ar
jourd'hui dans la phyſique , & particuliérement
dans la médecine , a préſidé à ce
traité des maladies de la poitrine. Laſthéorie
qu'elle contient eſt celle des obfervareurs
les plus exacts & les plus éclairés ,
celle que M. de laChaſſagne a vu s'accorder
avec les faits..
Traité méthodique de la goutte & du thumatiſme
, où l'on enſeigne d'après l'ex
périence les vrais moyens de ſe délivrer
&de ſe préſerverde ces maladies ;
par M. Ponfart , docteur en médecine;
vol. in- 12 . A Paris , chez Des Ventes
de la Doué , libraire , rue St Jarques ,
vis- à- vis le collége de Louis le Grand..
Prix 3 liv.
On a juſqu'ici regardé la goutte com
me une maladie rebelle à tous les remè
des. Un traité qui nous prouve que cette
maladie peut être attaquée efficacement
ne peutdonc manquer d'être accueilli des
phyſiciens & des médecins. Les perfonnes
qui ont déjà reſſenti les douleurs vives&
brûlantes de cette cruelle maladie
trouveront une eſpéce de conſolation à
lire ce traité qui leur annoncera que leurs
mauxne font point incurables , & les inf
OCTOBRE. 1770. 109
truira des remedes qu'ils doivent employer
& du régime qu'il leur est néceffaire
d'obſerver. M. Ponſart , après avoir
donné , dans le premier chapitre de fon
traité, la définition de la goutte , ſon hiftoire
abregée ſuivie des diverſes dénominations
qu'elle a reçues en différens
tems, expoſe,dans le ſecond, la diftinction
que les modernes ont faite entre la goutte
&le thumatiſme. Dans le troifiéme chapitre
, l'auteur entre dans le détail des différentes
eſpèces de gouttes , & il fait voir
que la goutte n'eſt point héréditaire comme
on le penſe aſſez ordinairement. De
cetteconnoiffance extérieure, pour ainfidire
,de la goutte , il paſſe à l'examen approfondide
cette maladie , il en recherche la
nature,lesprincipes&lescauſes; c'eſtl'objet
des cinq chapitres ſuivans. L'auteur penſe,
d'après ſes obſervations &ſes expériences,
que la goutte n'a point d'autres cauſes
efficientes que l'oblitération de la majeure
partie des vaiſſeaux excréteurs de la
pean ou au moins la diminution de leur
calibre , & la tranſpiration ſequeſtrée &
interceptée ; ce qu'il confirme par l'expli
cation de divers phénomènes & accidens
de la goutte. L'habile médecin traite avec
l'étendue que demande l'importance du
ſujet dans les huitième, neuvième, dixić
TIO MERCURE DE FRANCE.
me & onziéme chapitres , les ſymptômes
de l'accès de la goutte regulière ; ceux de
la goutte remontée à la tête ; le diagnoftic
; le prognoſtic. Il expoſe, dans le douziéme
chapitre, la méthode de ſoulager le
malade attaqué de la goutte ; il rapporte
dans le troifiéme la maniere de traiter la
goute remontée , & joint par tout les
preuves les plus ſolides aux moyens qu'il
propoſe. Enfin, dans le quatorziéme chapitre,
il fait fentir la poſſibilité de guérir
radicalement la goutte hors de ſon accès ;
il annonce la pratique de cette curation ,
& il la développe autant que la prudence
pouvoit le lui permettre. Ce bon traité
eſt terminé par des obſervations ſur les
rhumatiſmes , qui ſont en quelque forte
une eſpéce ou un commencement de
goutte.
Selicourt nouvelle , par M. d'Arnaud ;
in- sº . avec des gravures. AParis , chez
le Jay , libraire , rue St Jacques , audeſſus
de la rue des Mathurins , au
grand Corneille .
Le chevalier de Selicourt , deſtiné au
ſervice, avoit été envoyé à Paris comme
à la fource d'une éducation convenable à
l'état qu'il avoit embraſſé. Il avoit une
OCTOBRE. 1770 . 111
phyſionomie avantageuſe ; cherchant la
raiſon dans un âge où l'on ſe fait gloire
de ne point la connoître , il réfléchiffoit
au milieu de l'étourdiſſement des plaifirs
, & il avoit déjà affez d'expérience
pour ſentir que le véritable amour est
bien différent de ces engagemens paffagers
qui ſont preſque toujours fuivis de la
langueur&du dégoût.Selicourtétoitmoins
jaloux de plaire que d'aimer : c'étoit donc
à un attachement vif & folide que ſe
fixoient tous ſes defirs. Et quelle femme
plus capable de lui inſpirer cet attachement
que la marquiſe de Menneville ?
Deux grands yeux noirs & pleins d'une
langueur intéreſſante , épargnoient en
quelque forte à ſa bouche le foin de s'exprimer.
On eût dit qu'elle appréhendoit
de paroître belle , & qu'elle vouloit ſe le
diſſimuler à elle- même. Les graces l'animoient
juſque dans ces riens qui font fi
déciſifs dans le détail , & qu'on ne peut
guère définir. On lui trouvoit toujours de
nouveaux charmes ; ſa converſation touchoit
plus qu'elle ne brilloit; il ne lui
échappoitpoint une parole qui n'excitât le
ſentiment. Elle avoit pour amie la baronne
Darmilli . Celle - ci réuniſſoit à une
figure extrêmement reguliere , une taille
déliée & majestueuſe ,& un eſprit facile
112 MERCURE DE FRANCE.
/
qui s'approprioit tous les tours. En reconnoiffant
le pouvoir de ſes agrémens ,
on étoit fâché cependant de leur céder ,
parce que tout en elle reſpiroit le defir
de dominer ; & la tyrannie , même dans
ce sèxe ſi bien fait pour nous ſubjuguer ,
déplaît à notre orgueil & l'offenfe . La baronne
étoit entourée d'une foule d'adorateurs
; une fortune conſidérable ajoutoit
à ſes attraits ; malgré cette fierté impoſante
, elle avoitde la ſenſibilité ; mais
fon deſſein étoit de faire un choix dont
ſa vanité eut lieu de s'applaudir , & il n'y
avoit pas à craindre que l'amour - propre
fut facrifié à la tendreſſe.
L'empire de la beauté & la jalouſie des
conquêtes qui , pour l'ordinaire diviſent
les femmes & les empêchent de goûter
les douceurs de la tendre amitié , n'altererent
en rien celle que la baronne Darmilli
& la marquiſe de Menneville s'étoient
vouée . Les lecteurs qui s'intéreſfent
à la gloire du beau sèxe ( & qui font
les indifférens qui ne s'y intéreſſent pas ?)
verront avec une fecrette fatisfaction ces
deux amies faire tour à tour le ſacrifice
de leur paffion la plus chere , renoncer à
l'amour le plus tendre qu'avoit ſçu lear
inſpirer le chevalier de Seticourt , & travailler
chacune au bonheur de fon amie,
OCTOBRE. 1770 113
Elles n'obtiennent cependant point ces
victoires fur elles- mêmes fans de grands
combats , & c'eſt ce qui jette de l'intérêt
dans cette nouvelle. La marquiſe de Menneville
, fuccombant en quelque forte à
tant d'efforts , étoit tombée dans une langueur
mortelle. Son amant va trouver la
baronne Darmilli : " Ah ! Madame , s'é-
>>crie- t- il, en ſe précipitant à ſes genoux ,
>> je vais tout perdre , il n'y a que vous
» qui puiffiez me fecourir , ſauvez du
>> moins votre amie , &je viens mourir
» à vos pieds . -Selicourt , expliquez-
>> vous. -J'apprends que la marquiſe eſt
>> dangereuſement malade ; c'eſt , n'en
>>doutez pas , la ſuite des combats que ſa
>>générofité s'efforce de foutenir pour
>> vaincre un ſentiment... qui vous of-
>> fenfe ; oui , j'attendsde votre vertu , de
>> votre grandeur d'ame , une démarche ...
>> Croyez que l'amitié , la reconnoiffance
>> ont fur moi un pouvoir infini. -Che-
>> valier , ils n'auront jamais le pouvoir
>> de l'amour... Veus m'allez connoître,
>>jugez ſi je fais aimer. » Auſfi-tôt Madame
Darmilli demande ſon caroffe.
« Chevalier , donnez-moi la main. » La
baronne ſe fait conduire chez Madame
de Menneville ; elle monte , traverſe les
appartemens malgré les domeſtiques, pé.
114 MERCURE DE FRANCE.
nètre enfin juſqu'à la chambre de la malade
, tandis que Selicourt l'attendoit dans
la piéce précédente. Madame de Menneville
étoit en effet expirante ; elle avoit
la tête appuyée ſur ſon bras , & , de ſes
grands yeux noirs qu'une mortelle langueurs
rendoit encore plus intéreſſans ,
tomboient de ces larmes qui décèlent la
profonde affliction ; elle ne peut s'empêcher
de jeter un cri à l'aſpect de ſa rivale...
« Que ma vue , lui dit la baronne,
» ne vous caufe aucune peine ; c'eſt la plus
>> tendre amie que vous revoyez , qui
» n'aſpire qu'à votre bonheur , & qui
>> vient y contribuer; c'eſt trop abuſer de
>>l'amitié : il faut qu'elle cède à l'amour.
>> Votre fort a changé , vous êtes maîtrefle
» de votre coeur , de votre main ; je vous
»demande moi - même l'un & l'autre
» pour Selicourt. La marquiſe veut repliquer.
« Entrez , chevalier , pourſuit
„Madame Darmilli : voilà cet amant ,
» toujours digne de vous , que je vous
>> préſente , qu'il devienne bientôt votre
» époux , &.... ne voyez point couler
mes pleurs ; ce ſont les derniers fou-
» pirs d'une paffion.. que je vaincrai ; je
>>n'en connois plus d'autre que celle de
» vous rappeler tous deux à la vie & de
>> vous rendre heureux . »
OCTOBRE. 1770. 115
La baronne s'étoit elle même trompée
fur la victoire qu'elle avoit cru dans le
moment remporter ſur ſon propre coeur ;
elle ne recouvra le calme & la paix de
l'ame que par les conſeils d'un vieillard
fage & expérimenté , & par une retraite
à la campagne que ce vieillard fut lui
perfuader. Sinville , c'eſt le nom de ce
vieillard , prétendoit que le ſéjour de Paris
affoiblifſoit le ſentiment ; qu'on y refpiroit
, en quelque forte avec l'air , la
frivolité & la corruption ; il ajoutoit que ,
pour être vertueux , il faut trouver le tems
de s'interroger & de defcendre en foimême
, & qu'il n'y a que la folitude qui
puiſſe faire germer les femences d'un hetreux
naturel , & les développer ; il penſoit
que laſociété entraîne beaucoup plus
de maux qu'elle ne produitde biens &
d'avantages. Combien d'hommes , diſoitil
, font confondus avec la multitude de
la capitale , & ont à peine une exiſtence,
qui auroient eu un caractère propre , &
auroient joui de la dignité attachée à notre
être , s'ils avoient eu le courage de ne
pas abandonner la province ! Il étoit du
ſentiment de cet Anglois qui compare
nos. François , livrés au tourbillon du
monde , à ces médailles altérées par un
116 MERCURE DE FRANCE.
frottement continuel , & où l'on ne fauroit
plus rien déchiffrer.
Cette nouvelle de Selicourt forme la
feconde hiſtoire du ſecond volume des
Epreuves du Sentiment que nous promet
M. d'Arnaud. Cet écrivain eſtimable, encouragé
par l'accueil que le Public fait à
ſes productions, ne tardera point à publier
Sidney , hiſtoire angloiſe , & les
deux autres hiſtoires qui doivent completter
ce ſecond volume.
Méditations fur les tombeaux; par Hetvey
, traduites de l'anglois. A Paris ,
chez Lacombe , libraire , rue Chriftine.
«Je voyageois fans deſſein & fans
>> ſuite dans la province de Cornouaille.
>> Le hafard me conduifit dans un village
>> affez conſidérable de ce canton . Les ha-
>> bitans, occupés de leurs travaux, étoient
» répandus dans la campagne . La fécu-
>> rité gardoit leurs maiſons. Un mouve-
>> ment de piété ou peut- être même d'une
» ſimple curioſité dirigea mes pas vers
>>l'égliſe. J'en trouvai les portes ouver-
>> tes comme celles du Ciel où elles con-
>>duiſent. J'adorai l'Eternel qui y réſide
*& bientôt une douce mélancolie vint
1
OCTOBRE. 1770. 117
» s'emparer de mon ame. La méditation
> au regard fixe , à l'air penſif & recueilli
, ſembla ſe détacher de la voûte ſa-
>> crée & ſe repoſer ſur moi. C'étoit fans
> doure l'ange même préposé à la garde
» de ce lieu redoutable. Il me faiſit & fe
> rendit maître de mes penſées. Une vo-
» lupré céleſte ſe répandit dans tour mon
-être , & pendant pluſieurs joursde ſui-
>> te je vins la goûter dans ce temple dont
> rien ne pouvoit plus m'arracher. Cette
» égliſe déjà ancienne s'élevoit au mi-
>> lieu d'un large cimetiere , éloignée du
» bruit & du tumulte des hommes. Les
>> mains qui l'ont bâtie ſont réduites en
>> pouſſiére depuis pluſieurs fiécles. Celui
» qui en fut l'architecte voulut que fon
>> corps y fut déposé après ſa mort , fous
>> une tombe qu'on voit encore au milieu
a de la grande nef; ſemblable à cet in-
>> ſecte induſtrieux , lequel après avoir
>> formé ces fils que nous admirons , ſe
>> forme un tombeau de fon propre ou-
>>> vrage . »
L'auteur qui raconte ainſi le ſujet de
fon livre parcourt ſucceſſivement les différens
tombeaux qui s'offrent à ſa vue &
qui font les objets de ſes réflexions. Il
apperçoit celui d'un enfant. Que cou
118 MERCURE DE FRANCE.
» vre encore cette pierre blanche , em-
„ blême de la candeur & de l'innocence ?
>> C'eſt un enfant qui a exhalé fon ame
>> tendre preſque au même inſtant qu'il
» l'avoit reçue . Il n'a connu ni la peine
» ni la douleur. Il ne s'eſt arrêté qu'un
>> moment fur le feuil du monde . Sa foi-
>> ble paupière s'eſt ouverte & refermée
» auſſi tôt , en voyant la foule redouta-
>> ble de maux qui alloient fondre ſur lui.
e Il s'eſt élancé du néant au tombeau , &
» a dit au tems un adieu rapide . Il eſt
» écrit du Sauveur, fouffrant ſur la croix,
>> que lorſqu'il eut goûté du vinaigre mê-
>>lé de fiel , il n'en voulut point boire.
>> C'eſt ainſi que ce jeune étranger com-
>> mença à boire dans la coupe de la vie ,
» mais l'ayant trouvée trop amère , il la
>> repouſſa de ſa foible main , en tournant
>> la tête & refuſa le breuvage. >>
Il defcend dans un caveau où ſontdépofés
des grands , il s'écrie: << Dieu ! quel
>> ſpectacle d'horreur ! combien ce ſéjour
>> eſt affreux ! ici règne une éternelle obf-
>> curité. L'antique nuit y a établi ſon
» empire. Que cette folitude eſt noire
> & profonde ! chaque objet afflige
>> la vue & porte la frayeur dans l'ame.
La douleur & l'épouvante ſemblent
OCTOBRE . 1770. II
s'être réunies dans ce lieu pour en faire
>> leur demeure. Quel ſon lugubre frappe
» mon oreille ! cette voûte fouterraine
>> retentit à chaque pas que je fais . Les
>> échos qui ont dormi long - tems font
>>reveillés , & je les entends murmuret
>> fourdement le long des murs. Quel-
>> ques rayons de lumière pénétrent avec
>> moi dans ces lieux inacceſſibles au jour
» & vont frapper les lames d'or dont les
>> ſépulchres ſont couverts. Une foible
» clarté en eſt réfléchie dans l'enceinte
>> ténébreuſe. La plupart de ces maufo-
>> lées font à moitié cachés dans les om-
>> bres. L'autre moitié , éclairée obfcuré-
>> ment par le lugubre crépuscule , ajoute
» à l'horreur de ces demeures ſombres ....
>>J'ai ſouvent porté mes pas vers un ro-
>> cher ſourcilleux, dont la cime inclinée
>> vers la terre ſembloit menacer de m'en
>> gloutir ſous ſa ruine prochaine. Je me
>> fuis arrêté ſous les immenfes concavi-
>> tés d'un promontoire ſuſpendu ſur les
>> flots . J'ai traverſé plufieurs fois les ef
>> paces arides d'un vaſte déſert & péné
>> tré dans les profondes retraites des ca-
>> vernes ténébreuſes ; mais jamais je ne
» vis la nature auſſi fombre ni ſous une
>> forme plus effrayante que ſous ces vou.
120 MERCURE DE FRANCE ..
>> tes filentieuſes. Jamais je n'ai reſſenti
>> un effroi plus glaçant. La mélancolie
>> la triſte mélancolie y étend ſes aîles
> noires & lugubres. Sortons de cette af-
>> freuſe obſcurité. Adieu ſéjour de déſo-
>> lations & de pleurs. Je vais revoir le
>> royaume du jour.
Il revient au temple , & fon imagination
exaltée lui repréſente les grandes
images de la deſtruction du monde &de
l'éternité. Il tombe dans une eſpéce d'extaſe.
" Un grand bruit qui ſe fit ſoudain
>> dans le temple me fit revenir de la
>> froide extaſe où j'étois plongé. L'ef-
>> frayante éternité ſe retira de devant
> mes yeux . Rien ne s'offrit plus à moi
» que les ſombres piliers de l'enceinte
>> facrée. Le jour baiſſoit. On venoit pour
» fermer les portes du temple. J'en for-
>> tis comme on fort d'un ſpectacle tragi-
» que & ſanglant , le coeur ſerré par la
» douleur & la crainte & l'ame remplie
>> des images terribles de la mort & de
» l'éternité. »
Quoique cet ouvrage ne ſoit pas ſemé
de traits auffi heuteux que ceux qui ſe
trouvent dans les nuits d'Young , cependant
il eſt en général d'un ton à peu près
ſemblable & fait pour plaite à ceux qui
aiment à réfléchir & à s'attrifter .
Let tres
OCTOBRE. 1770 . 121
Lettresfur la théorie des Loix civiles , &c .
A Amſterdam .
Pour donner une idée de cette brochure & de
toutes celles qu'a publiées le même auteur , il
n'eſt pas inutile de tranſcrire d'abord ce qu'il a
dit de lui-même & de ſes productions à la tête des
révolutions de l'Empire Romain , l'un des ouvrages
dont ces lettres contiennent l'apologie . « Vous
>> vous ſouvenez bien plus que le Public ( dit- il à
>> un ami ) de l'imprudence qui m'a fait riſquer
>>>un volume il y a trois ans , ſous le titre dhif-
>> toire du Siècle d'Alexandre. C'étoit chez moi
>>>le fruit de la premiere eiterveſcence de la jeu-
> neſſe. Je m'y étois livré à un feu plus raisonna-
> ble peut- être que prudent. J'aurois voulu eſlayer
>> de porter la lumiere autant qu'il eſt poſſible dans
>>le ccaahhooss de l'hiſtoire ancienne , ou du moins de
>> ne tirer des ruines où elle eſt enſevelie que ce
» qui en vaut la peine. L'ouvrage pouvoit paroî-
>> tre intéreſſant au moins de ce côté . La nouveau-
>> té des vues ſembloit lui donner une eſpèce de
>>m>érite. Cependant il n'a pas été accueilli. Ceux
>> qui le liſoient avoient la bonté d'en parler avec
>>éloge; mais très-peu de perſonnes le liſoient.
>>Après un moment d'une vie languiſſante , il eſt
>>mort ſans bruit comme il étoit né. Il eſt resté ,
>> ainſi que bien d'autres , étouffé dès ſon berceau.
» La même aventure m'eſt arrivée depuis, pluſieurs
fois. Aucune de mes tentatives ne m'a réuffi .
>>E>lles m'ont attiré quelquefois des éloges de la
>> part de l'amitié ; mais le Public n'y a pas ſouf-
>>> crit. J'ai hafardé des eſſais réitérés en plus d'un
genre , je l'avoue avec franchiſe , ils ne m'ont
I. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
>>pas mené loin. .... J'ai va que dans la lite
>>>rérature , & en général dans tous les arts , il eſt
>> bien plus difficile de ſe faire une réputation que
>> de la mériter. J'ai vu que la patience , l'intrigue
>& le bonheur yconduiſoient plutôt que les ta-
>> lens. Je me fuis convaincu que le temple de la
>>>gloire littéraire ne s'ouvroit , comme les palais
>>>des grands , qu'aux hommes titrés , ou à ceux
>>>qui ont l'art de remplacer par des manoeuvres
fecretes les titres brillans qui leur manquent.
>> Ces réflexions , mon cher ami , m'ont confolé
>> de mon obfcurité... Elles m'ont engagé à quit-
>> ter la littérature , à lui préférer une profeffion
>> plus noble par le préjugé public , moins agréa-
>>b>le, il est vrai , par les objets qu'elle embraſſe ,
>> mais certainement plus utile par ſes fonctions,
Tels font les aveux qu'en 1766 faiſoit M. Linguet
avec une bonne foi très-louable. Il convient
du peu de ſuccès de ſes ouvrages , & c'eſt beaucoup
; mais il paroît perſuadé qu'il ne lui a manqué
que de l'intrigue pour les faire réuffir ,&probablement
il ſe trompe. Ce fiécle d'Alexandre dont
il parle eſt la compilation la plus ſuperficielle ſur
un ſujet très -beau & très - heureux. Nous ne ſavons
ce qu'il veutdire par cefeu plus raisonnable
que prudent. Il n'y avoit de feu d'aucune eſpèce.
C'étoit un amas d'épigrammes puériles & d'antithètes
meſquines. Rien de penſé , rien de ſenti,
nulle peinture forte, nul intérêt. Le ſiècle d'Alexandre
, ce tableau fi grand & fi majestueux ,
ainſi traveſti , reſſemble à une ſtatue antique
habillée de chiffons & de lambeaux. Quant aux
autres tentatives qui n'ont pas réuſſi , faute d'ingrigue
,nous ne pouvons deviner ce que c'eſt ,
OCTOBRE. 1770. 123
moins que l'auteur ne veuille parler d'une cacomonade
, facétie très - froide & très -dégoutante ,
du fanatisme des philoſophes , feuille ſatirique &
ignorée , c'eſt tout dire. Nous ofons aflurer que ,
quandM. Linguet autoit été un homme titré, le
temple de lagloire littéraire ne ſe ſeroit jamais ouvert
pour de pareils ouvrages .
Reſte à parler de ceux qu'il a compoſés depuis
qu'il a quitté la littérature & qui ne ſont pas reftés
étouffés dès le berceau. C'eſt d'abord cette hiſtoire
des révolutions de l'Empire Romain qui n'a pas
encore été lue beaucoup , mais qui a beaucoup
indigné ceux quil'ont lue. C'eſt dans ce livreque
tous les principes du deſpotiſme ſont regardés
comme néceſſaires au maintien de la tranquillité
publique; les débauches de Tibére traitées de fables
, parce qu'on ne peut pas être vieux &débauché;
ſes cruautés juſtifiées par les maximes de
tous les princes qui facrifient tout pour être obéis;
ſon règne propoſé comme un modèle , &fon nom
mis à côté de celui d'Henri IV ; ( Nous demandons
pardon à nos lecteurs de prononcer ce parallèle
ſacrilége; ) c'eſt encore dans ce livreque l'on
ditque la mémoire de Titus ſeroit deshonorée s'il
avoit dit ce mot qu'on lui attribue : mes amis,j'ai
perdu un jour , & que cet autre mot , il ne faut
pas que perſonne forte mécontent de l'audience
d'unprince , raſſemble ce qu'il y a de plus odieux ,
L'infidélité , l'imprudence & la cruauté; que les
philoſophes ( car M. Linguet les pourſuit parcout)
ont été l'unique cauſe de la chûte de l'Empire
Romain , & quantité de découvertes auſſi
merveilleuſes . Une partie de ces inconcevables
aflertions ſera refutée endétaildans les notes qui
accompagnent la traduction du SuéronequeM. de
JaHarpe publiera inceſſamment.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Parut enſuite la théorie des loix , fur laquelle
l'auteur revient aujourd'hui. Il y a beaucoupd'efprit&
d'abus d'eſprit dans cet ouvrage qui a été
plus connu que les autres de M. Linguet. On fut
révolté des principes qu'il développe , de l'éloge
dudeſpotiſme qui est toujours l'idole de l'auteur ,
de ſon mépris pour M. de Monteſquieu; les gens
de goût ne lut pardonnerent pas la profufion de
métaphores ridicules qui ſurcharge ſon ſtyle.
Elles étoient en ſi grand nombre qu'on s'amuſa à
les compter , & M. Dupont , l'un des auteurs des
éphémerides , prétendit que la ſomme totale ſe
montait à 4379. Cette plaiſanterie de Monfieur
Dupont & la liberté qu'il prit de relever les
bévues , où le même auteur étoit tombé dans
un traité des canaux navigables , lui attirent aujourd'hui
une réplique qui fait partie de ces nouvelles
lettres ſur la théorie des loix , & cette réplique
eſt du ton le plus indécent. Mais nousdevons
obſerver que le diſcours préliminaire de ce
traité des canaux navigables eſt un morceau trèsbien
écrit , le ſeul de tout ce qu'a fait l'auteur
qui ait plû aux bons eſprits & qui mérite de refter
, & qui fuffiroit pour lui faire ſentiràlui-même
, en le mettant à côté de ſes autres écrits , la
différence dubon ſtyle aumauvais .
,
Nous avons vu paroître depuis, une histoire du
feizièmefiècle , écrite en ſtyle de rhéteur , & où
les métaphores ne ſont pas plus épargnées que
dans la théorie des loix . Nous en relevâmes quelques-
unes des plus choquantes , &nous parlames
de l'ouvrage en général avec une exceſſive modération.
M. Linguet qui n'étoit pas content de
nos louanges qu'il trouvoit trop réſervées & de nos
critiques qu'il trouvoit trop évidentes , prit le
parti de le faire écrire une lettre beaucoupplus
OCTOBRE. 1770. 125
étendue que notre extrait , où il eſt mis au-deſſus
de tous les écrivains préſens , paflés & à venir.
Nous tranſcrivîmes la lettre dans toute ſa longueur
; elle fut inférée dans le Mercure , & nous
nous gardâmes bien d'y faire la moindre réponfe.
M. Linguet , tout en quittant la littérature,
nous a encore donné une traduction du théâtre
eſpagnol , c'est- à-dire de quelques piéces parmi
leſquelles il y en a fort peu qui méritent d'être traduites.
Il paroît que la profeſſion d'avocat qu'il a
embraflée ne l'occupe pas tout entier. Elle eſt noble
ſans doute ; mais pourquoi la trouve-t- il plus
nobleque les lettres ? Il ne les a pas vues dans toute
leur noblefle. Nous le ferons ſouvenir que Peliffons'expolant
à tout pour défendre un miniſtre
malheureux contre un monarque irrité , étoit fort
au deſſus de Patru & de le Maître , défendant pour
de l'argent le bien de quelques particuliers , &
nous ajouterons que les plaidoyers qu'on ist encore,
valent beaucoup mieux que ceux de ces deux
avocats qu'on ne lit plus; nous lui rappelerons
que M. de Voltaire dénonçant à l'Europe un arrêt
injuſte rendu contre un innocent vieillard , intéreflant
les Rois au ſoulagement de la famille , &
parvenant enfin à venger l'innocence , donnoit un
exemple beaucoup plus éclatant qu'aucun avocat
en ait jamais donné ; nous lui obſerverons que la
plume de tout écrivain ſupérieur appartient à quiconque
eſt opprimé ; que celui qui combat des
opinions funeftes , ſauve un bien plusgrand nombre
d'infortunés que l'orateur du barreau le plus
employé n'en peutdéfendre dans toute ſa vie; que,
depuis un ſiècle, les gens de lettres plaident devant
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE .
les nations &devant les puiſſances la grande cau
ſe de l'humanité ; & qu'enfin , pour tout dire , en
un mot , il n'y a rien au-deſſus d'un bon écrivain
& rien au- deflous d'un mauvais.
M. Linguet qui , dans la théorie des loix , regrettoit
beaucoup l'eſclavage , le juſtifie encore
dans un avertiſſement qui précède ces nouvelles
lettres. Il tire ſon plus fort argument du ſalaire
modique qui fuffit à peine à la ſubſiſtance de nos
journaliers & qui eſt fort inférieur au prix dont
on paie un eſclave. Mais ce n'est pas en ne confidérant
qu'un côté des objets qu'on peut les apprécier.
Il falloit convenir d'abord que nous avons
beaucoup de fermiers aifés & heureux qui certainement
ne donneroient pas leur exiſtence pour
celle d'un eſclave. Il falloit examiner enſuite fi
le grand nombre d'eſclaves traités durement par
desmaîtres cruels dont rien ne peut les défendre ,
ne peut pas équivaloir au nombre des journaliers
mal payés & mal vêtus ; & il réſulteroit,de ce calcul,
que la plus grande partie des hommes paroiffant
deſtinée au travail & à la misère par l'irrémédiable
imperfection des gouvernemens , il vant
mieux encore porter des haillons que des fers , &
manger de mauvais pain que de recevoir cent
coups de bâton. Il falloit ſe demander ſi, en aſſemblant
tous les payſans d'Europe qui ne ſont pas
ferfs & leur demandant s'ils veulent l'être , on
feroit für que la propoſition fût acceptée. Sans
détailler ici les autres conſidérations politiques ,
il y auroit eu au moins de la bonne foi dans cet
examen qui pouvoit mener fort loin. Mais il eſt
plus aifé de trancher d'un ſeul mot toutes les difficultés
& de mettre les aſſertions à la place des
raiſonnemens,
OCTOBRE. 1770. 127
On a reproché à M. Linguet ſon mépris pourM.
de Monteſquieu. Il eſt bien éloigné d'en rien rabattre.
" J'ai vu que preſque tous ſes principes
> n'étoient que des mots auxquels il avoit enfuite
> accommodé les faits pour les ériger en axiomes.
>>>Je me ſuis convaincu que l'eſprit des loix étoit
> précisément un ouvrage d'imagination , un vrai
>> roman politique , où l'on n'employoit preſque
>>jamais des noms réels , que pour les placer à
>> contre- fens . -Et ailleurs. M. de Monteſquieu
>>>élevé dans l'idée de la prééminence due à la ro-
>> be , n'a point imaginé de gouvernemens plus
>>parfaits que ceux où les compagnies dominoient..
Un gentilhomme Hottentot qui com-
>>poſeroit un eſpritdes loix ſur les rochers du cap
>> de Bonne Eſpérance , mettroit auſſi au premier
>> rang les conſeils dont les membres accroupis
>>>en rond , chacun dans un trou , commencent
>> leurs délibérations par ſe faire donner un ca-
>>> mouflet de fumée de tabac. » ( -Cette comparaiſon
eſt décente & polie. ) « Des trois définitions
>> ſur leſquelles porte la maſſe de l'eſprit des loix ,
>>i>l n'yen apas une qui ſoit , je ne dis pas exacte,
>>mais même ſoutenable en une ſeule de ſes par-
دو
>> ties . >>
..
On est un peu étonné d'un pareil ton, il faut l'avouer
; mais ce qui confond , c'eſt de voir comment
raiſonne celui qui reproche à M. de Monteſquieu
de déraiſonner. Nous ne pouvons ſuivre pasà-
pas M. Linguet dans la foule des idées étranges
& infoutenables qu'il entaſſe les unes ſur les autres.
Nous en difcuterons quelques- unes rapidedement.
Elles ſuffiront pour faire juger des autres.
Il y a trois fortes de gouvernemens ; ( a ditM.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
de Monteſquieu ) le républicain où le peuple en
corps , ou ſeulement une partie du peuple a la
puiſlance ſouveraine ; le monarchique , où un ſeul
gouverne , mais ſelon des loix fixes & établies ;
le deſpotiſme , où un ſeul ſans loi & fans règle
entraîne tout par la volonté & par ſes caprices.
M. Linguet attaque ces trois définitions. Iln'y
apoint de république , dit- il , quand unepartiedu
peuplefeulement a la ſouveraine puiſſance. Une
république est l'adminiſtration où tous les citoyens
Jontfouverains en commun. Oui, ſans doute, pourroit
on due à ce grand raiſonneur ; mais vous
conviendrez bien qu'il faut qu'il y ait quelques
repréſentans de cette ſouveraineté. Tous ces fouverains
de droit ne peuvent pas l'être de fait ; tous
ne peuvent pas être archontes , doges , (yndics ,
&c. fans cela ce feroit un état tout compoſé de
fouverains , ce qui ſeroit merveilleux ; il eſt néceffaire
que le boulanger& le tailleur , qui n'ont
pas le temsde rendre la juſtice à leur voiſin , parce
qu'ils font occupés à faire du pain& deshabits,
&qui ne peuvent pas recevoir des ambaſſadeurs ,
parce qu'ils ne ſont pas de grands politiques, commettentàleurplace
quelques perſonnes pour prendre
cette peine & faire exécuter les loix en vertu
deſquelles le boulanger vend ſon pain& le tailleur
ſe faitpayer de ſon travail. Dèsl'inſtant qu'il exifte,
dit M. Linguet , uneportionfaifſie exclusivement
dudroitd'ordonner,iln'ya doncplus derépublique,
c'est une véritable monarchie ; peu importe qu'elle
foit exercéepar un prince ou par cent ; que le trône
foit occupé par un roi ou par un fénat, il est für
qu'ily a un trône &desſujets ; par conféquentla
république est détruite. M. Linguet eſt un grand
légiflateur , s'il conçoit un état où perſonne ne
commande & où perſonne n'obéifle ; s'il ne veut
OCTOBRE. 1770 . 129
pas que les loix aient dans une république un
trône & des sujets , & fi trois cent fénateurs qui
n'ont pas le droit de vieni de mort fur qui que ce
foit & qui peuvent être jugés & condamnés par
une aſſemblée du peuple quand ils n'ont pas obſervé
les loix dans leur adminiſtration , lui paroiſſent
précisément la même choſe que le poffeffeur
d'un état héréditaire , à qui le trône appartient
au moment où il eſt né ; qui ne doit en effer
gouverner que ſuivant des loix établies & convenues
, mais qui , s'il les viole , n'en doit rendre
compte qu'à la confcience & à Dieu , parce que le
droit de juger le pouvoir ſuprême ſeroit encore
plusdangereux pour l'état, que l'abus même de ce
pouvoir ; & parce qu'enfin toutes les fois qu'on a
fait un contrat , il faut en porter les charges pour
en recueillir les avantages. M. Linguet eſt un
grand législateur s'il prétend ne point reconnoître
de monarchie par - tout où celui qui gouverne eft
aftreint à fuivre des loix fixes & établies , comme
fi tout pouvoir , pour être réel , devoit être abfurde
, illégal & inconféquent. M. Linguet eſt un
grand législateur , s'il a pu ſe convaincre que dans
les gouvernemens d'Afie il n'est pas vrai qu'un
feulhommefans règle&fans loi entraîne tout par
fon caprice; qu'il n'y a point de nation fur la
terre chez qui lajustice foit plus égale , les loix
plus respectées & le nom d'homme en général plus
conſidéré. Ainfi donc rien ne ſoutient plus ladignité
du nom d'homme que d'y joindre le nom
d'eſclave dont les orientaux ſe glorifient . On n'au
toit pas cru que ces deux noms qui devroient être
inalliables,puſſent jamais ſe donner du luſtre l'un
àl'autre. Ainsi donc cette foule d'individus muti
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
lés qu'on appelle eunuques , eſt un honneur rendu
à l'humanité ! ainſi donc un viſir , un pacha
font traités en hommes lorſque , du fond
du ſerrail , arrive un ordre de mourir , qu'il faut
regarder comme ſacré & dont ils n'ont pas même
ledroitde ſe plaindre ! « Mais , dit M. Linguet
c'eſt précisément le bonheur des peuples afiati-
>>>ques.On y faitjuſtice des grandsqui ſont ailleurs
>>impunis. Les peuples ſont vengés & conſolés ; ce
>>d>eſpotiſme qu'on peint fi terrible , ne l'eſt que
>>p>ourunpetit nombre d'hommes qui approchent
>>du trône. C'est unſoleil dont l'activité brûle , en-
>> dommage les objets quienfonttropproches. »Voilà
l'argument ſur lequel M. Linguet revient fans
cefle, qu'il rebat avec un air de triomphe. Les autres
écrivains n'ont cherché qu'à flatter lesgrands;
lui ſeul aime les peuples ,& les peuples font toujours
heureux,dès qu'on étrangle les miniſtres ſans
forme deprocès. Ileſt bien vrai que le pacha d'Egy
pte peut accabler d'impôts, d'exactions &d'injuftices
la province qui lui eſt affermée , & y faire tout
lemal qu'il voudra , pourvu qu'il envoie exactement
le tribut au tréſor de l'empire ; il est vrai
encore que le dernier des officiers du viſir eſt au
moins auſſi à craindre que lui , parce qu'il eſt de
lanaturedu deſpotiſme de ſe ſubdiviſer ſans perdre
de ſa force; qu'il eſt bien rare qu'un Grec
obtienneJuſtice d'un Janiſſaire , & qu'en général
c'eſt un principe reçu dans l'Afie qu'il n'y a jamais
rien à répliquer à quiconque commande , àmoins
qu'on ne puiſſe l'empaler& ſe mettre à ſa place.
Mais enfin la punition vient, les muets paroifſent
avec le lacer , & c'eſt un bien beau jour pour
les peuples. Ils n'en ſont que plus foulés par le
fucceffeur du pacha ou du viſir à qui on a ferré le
OCTOBRE , 1770 . 131
col; mais ils ont encore la même conſolation à
attendre , & c'eſt un grand agrément. « Comment
>>>ofe- t- on donc ſe livrer , conclud M. Linguet , à
des déclamations indécentes contre une ma-
ככ niere de gouverner qui aflure lebonheurde tous
>> ceux qui la reconnoiſſent ? Un ſeul homme eſt
>> diſpenſé des loix , mais c'eſt pour y ſoumettre
>> indiſtinctement tous les autres , comme un officierfort
de la file quand il commande l'exercice. »
Il n'y a rien à répliquer à une pareille comparaifon
, & il faut croire ſur la parole de l'auteur que
les pachas qui périſſent par le fabre ou le cordon
font toujours exécutés légalement. Il eſt évident
queM. Linguet a paſlé une partie de ſa vie dans
les cours d'Afie , comme il a vécu autrefois avec
Tibère dans l'ifle de Caprée & aſſiſté auxfoupers
gais & agréables que faifoit Tibère avec fes
amis.*
Au panégyrique le plus pompeux des monarques
d'Afie qui font les plus doux des hommes, les
plus humains des Rois , les plus équitables des
Princes, l'auteur oppoſe la cenfure de quelquesuns
des abus de nos jurifdictions , & aſſurément
il a grande raiſon ; mais il eſt clair que la réponſe
à cette maniere de raiſonner ne pourroit être bien
faite que par un Turc ou un Perſan qui détailleroit
les abus journaliers de ſon pays & qui pourroit
étonner un peu M. Linguet , quoiqu'en généval
il ait l'air de ne s'étonner de rien . La Perfe
eſt le royaume dont il admire le plus le gouvernement.
Il n'en parle qu'avec tranſport : ce qui
* Voyez dans les révolutions de l'Empire Romain
la defcription de la vie agréable que menoit
Tibère dans Caprée.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
l'enchante ſur-tout , c'eſt que le Sophi de Perfe
mange avec les ambaſſadeurs étrangers. Parmi
nous ce ſont de tristes comédiens. En Perſe fa-
>> vez- vous en quoi conſiſtent les mêmes cérémo-
>> nies ? En un fouper ſplendide que le vin anime
>>>& dont la cruelle étiquette eſt ſévérement ban-
>> nie ; & ce ne font pas les ambaſladeurs ſeuls que
>> le monarque honore de ce joyeux accueil ; ce
30 font de fimples particuliers qui lui ont plû , de
>> ſes ſujets ſouvent qu'il chérit ; il les appelle ſes
>>>hôtes ; il connoît ce doux & inestimable plaifir
१०de manger avec ses amis , de ſatisfaire à la fois
>> par le plus délicieux des mélanges fon appetit
>>& fon coeur ; il partage la fatisfaction de ſes
>> convives ; il leur verſe à boire de ſa main ; il ſe
>> réjouit de leur gaîté , il l'excite , il l'encourage,
>> il ne ſe croit Roi qu'autant qu'on est heureux
>> auprès de lui. Eh ! qui ne s'écrieroit dans les
>> transports d'une ivreſſe de refpect , d'amour , de
>> reconnoiflance , vive le grand homme , le grand
>> prince & le fortuné climat où il déploie tant de
vertus,
Quelque envie que l'on ait d'être ſérieux dans
un aufli grave ſujet,il eſt difficile de ne pas rire
un peu de ce bel enthouſiaſme de M. Linguet qui,
écrivant tranquillement dans fon cabinet, ſe
tranſporte en idée à la table du Sophi , boit à fa
fanté , & s'écrie dans une ivreſſe de refpect , vive
Je Sophi qui mange avec ſes ſujets , car les autres
Rois mangent tout ſeuls; vive le grand homme
qui fatisfait à la fois fon appetit & fon coeur ,
le coeur& l'appetit doivent toujours aller enfemble
, & c'eſt le plus délicieux des mélanges que le
mêlange du coeur avec l'appetit .
car
Ce qui n'eſt pas inutile à obſerver , c'est qu'un
OCTOBRE. 1770. 133
& ſurprenant délire eſt précisément ce que quelques
gens prennent pour de la chaleur. C'eſt ainſi qu'écrit
une certaine claſſe d'auteurs chauds & brulans
qui brûlent le papier & qui glacent leur prochain ,
qui parlent toujours d'ame , & ne parlent pas à la
nôtre , & qui , lorſqu'ils déraiſonnent , fe croient
tout pleins de ſenſibilité. Voilà où nous en ſommes
venus , & ce que les gens de goût qui ne font
pas toujours d'humeur àen fire ne peuvent s'empêcher
de déplorer quelquefois .
En effet , ſuivons M. Linguet & nous verrons
qu'il n'y a plus moyen de rire. « Nous vivons de
>> pain nous autres occidentaux ; notre existence
>> dépend de cette drogue dont la corruption est le
premier élément , que noussommes obligés d'altérer
par un poison pour la rendre moins mal
>>faine ; ... ( Nous croyons qu'il eſt impoffible à
>>M>. Linguet lui-mêmede donner à cette phrafe
>>u>nſens raisonnable. ") Nous avons lafolie de la
regarder comme la nourriture feule digne de
l'homme.... Ainſi nous avons labouré nos terres
par un ſentiment d'orgueil. >> Elle est devenue
>> le premier objet des petits foins &des courtes
>> vues de nos empires , le premier beſoin des
>>êtres qui s'énorgueilliſſent de porter des cha-
>>peaux; mais auſſi elle eft la reſſource la plus
>>>fûre du deſpotiſme & la plus cruelle chaîne dont
>>> on ait chargé les enfans d'Adarn . Pareille à ces
>> poisons dont l'habitude mene au tombeau & dont
>> la privation cauſeroit également la mort.
(Nous prierons encore M. Linguet d'expliquer
cette phraſe. ) « Nous ne pouvons y renoncer ni
>> enjouir... M. de Monteſquieu a la légéreté de
>> dire que les pays où croît le riz ſont ſujets à de
>fréquentes famines. Je ne ſçais s'il y a un trait
134 MERCURE DE FRANCE.
A
>> d'aveuglement pareil à celui-là . Il y a plus que
de la légèreté à s'exprimer ainfi , & l'aveuglement
conſiſte à nier ce que diſent toutes les hiſtoires
orientales où l'on voit que les famines ſont prefqu'auſſi
fréquentes dans l'Orient que les tremblemens
de terre .
« Ceflons , mon cher ami , ceſſons d'inſulter à
>>>la raiſon & au genre humain. -Après ces deux
lignes , l'auteur devoit cefler d'écrire. « Malheu-
>>>r>eux galériens , renfermés dans le plus infect
>>>de tous les bagnes , gardons - nous d'outrager
>> nos maîtres en tout genre, >>
Quand on oſe parler ainſi des pays où l'on vit ,
quand on vientde faire la ſatire la plus amèredes
abus qui ont réſiſté juſqu'ici aux progrès de la
raiſon , & qui ſans doute leur céderont quelque
jour ; quand on s'indigne contre un citoyen & un
homme de lettres tel que M. de St Lambert , pour
avoir dit , en parlant des jours de la moiſſon & de
la vendange :
Omortelsfortunes , vos travauxfontdesfêtes.
Ce qui paroîtra vrai à quiconque a vu les
moiffons & les vendanges ; quand on ne s'eſt révolté
contre ce vers que parce qu'on a voulu y
voir une infulte à la mifére des payſans que
l'on peint des couleurs les plus affreuſes ; lortqu'enfuite
on reproche à ce même M. de St Lambert
de s'élever avec tant de juſtice contre l'abus
des corvées & qu'on oſe écrire que la deſcription
des corvées eft indécente , fauſſe & dangereuse;
que de pareilles déclamations font un signal de
Soulévement, que , ſous prétexte de revendiquer la
liberté on prêche la révolte ; alors une réfutation
OCTOBRE. 1770 . 135
littéraire n'a plus de termes pour réprimer de pareils
excès .
Nous nediſcuterons pas plus long-tems les inconſéquences
révoltantes de M. Linguer. Il y met le
comble en regardantle gouvernement anglois comme
le plus abſurdede tous les gouvernemens,cclui,
dit- il,que M. de Montesquieu a choifi dansfon fanatiſme
anti - oriental pour autoriſer ſes déclamations.
M. Linguet qui n'a écrit dans ſa vie quedes
déclamations , ofer appeler déclamateur le Tacite
François ! Il ſe ſert pour décrier la conſtitution
angloiſe d'un artifice fingulier. Il va déterrer
une de ces loix biſares & cruelles de l'antique juriſprudence
que l'on retrouveroit dans tous les
états de l'Europe & qui font généralement ignorées
; il invective enſuite en rhéteur ſcholaſtique
contre ceux qui ont loué ce que le gouvernement
anglois a de louable , & il leur fait un crime d'avoir
loué cette loi qui certainement leur étoit inconnue
, comme elle l'eſt à la plupart des Anglois
. Il s'écrie : « Le ſang me bout dans les vei
>> nes en tranſcrivant cette effroyable ordonnance...
Législateurs plus barbares cent fois que
>>l>es Bufiris& les Procuſtes : ... Vos panégyriftes
>> oſent vanter votre philoſophie , votre humanité!
ah ! puiflent- ils l'éprouver , les lâches qu'ils
>>font ! puiffent leurs gémiflemens élancés du
fond des entrailles brûlantesde ce taureau dont
>> ils ont tant célébré la beauté , délabuyerl'univers
fur ces éloges perfides ; ou plutôt qu'ils
>>c>eflent de ſe paſſionner pourune firéne qui dé-
>> vore ſes amans. -Sans le taureau & la firéne,
fans le ridicule exceſſif d'un pareil ſtyle, on ne
liroit pas tranquillement ces imprécations. Quel
ton! quelle maniere de differter ! c'eſt celle de
136 MERCURE DE FRANCE.
M. Linguet d'un bout à l'autre de ſa brochure ;
c'eſt d'après cette lettre qu'il faut, dit- il lui-même,
apprécierfon coeur. Comme il peut la relire & ſe
repentir de l'avoir écrite , il ſeroit trop cruel de
leprendre au mot.
C'eſt aſlez parler de ſes raiſonnemens. Il faut
mettre ſous les yeux du lecteur les plus curieux .
échantillons de ſon ſtyle. " On a prétendu que la
théorie des loix étoit le fruit du délire de la ma-
> nie paradoxale. Au fon dun écu on eſt ſûr de.
"faire elancer du ſein de la terre une foule de
>>>malheureux , On escamoteles morceaux au ma-
>>>nouvrier libre , & on lui ſcelleroit la bouche ſi
> on l'ofoit . On a empoisonné nos humeurs de
>> cette fombre contrainte , de cette défiance concentrée
, de ce goût d'une crapulefolitaire quife
>font naturalifés à Londres parmi les fuméesful-
>>>phureuſes du charbon de terre : à la premiere &
>> trop durable explosion de cette peste agronomique
, &c . on révére ces cirons périodiques qui ,
>> à force de gratter l'épiderme des bons ouvrages,
>>> parviennent quelque fois à y faire naître des
>>>ampoules. Des mites raisonnantes le font rabat-
>>>tues ſur le bled , fur le pain , la moûture ; elles
>> y ont porté la corruption. Toutes blanches en-
>> core de la poudrefarineuse dont ellesfefont cou ·
>>vertes dans leur boulangerie , elles s'aviſent d'in-
>>>ſulter les vermiſſeaux indifcrets qui ne rougiffent
pas de s'éloigner de la huche. Il en eſt
>>des hommes & des gouvernemens comme
>> des notes de musique. En hauſſant & baiſſant
la clef, vous changez toute la gamme.. Il y a
>>donc à choisir entre les gammes politiques. Nos
philofophistes ne manquent pas de citer quelques
2כlambeaux des coutumes angloiſes &de venir,
OCTOBRE. 1770. 137
>>>armés de cefumier infect , inſulter impudemment
>> les uſages de leur patrie. La vérité eſt ma maî-
>> treffe chérie , quoiqu'elle reſſemble un peu aux
>> Catins , & que fon commerce ne rapporte ni
>> honneur ni profit. Je me ſuis apperçu de l'exif-
> tence des éphémérides comme de celles des pu-
> ces , par une morfure. Vivez monfautillant cen-
>>leur. Les variations dans le prix du pain ſont
>> une vérole politique qui songe l'état dans toutes
> ſes parties nobles Les approviſionnemens d'or-
>> donnance font le mercure ſecourable qui peut le
>>>guérir. Mais avant que de l'employer il faut le
>> modifier par une manipulation très-aiſée . Si on
>> le donne tout crud , on fera enfler & créver le
>>> malade. Augmenter le vingtieme & appliquer à
>> ce remplacement le produit de l'augmentation ,
>> c'eſt demander à un lion qui enrage de faim de
>> ne manger que la moitié d'une brebis qu'il a
>> tuée& de lailler le reſte à des loups qui ont be-
>>f>oi>naufli>, >
Telles font les figures nobles & élégantes , les
métaphores juſtes & naturelles qui ſe préſentent
toujours à l'imagination de M. Linguet.
Nous voudrions en finiſſant pouvoir perfuader
àM. Linguet que ce n'eſt pas aſlez pour être un
homme de lettres d'être enfin parvenu à faire lire
quelques brochures à force de paradoxes ; qu'il
faut avoir produit quelqu'ouvrage qui parleou à
notre ame ou à notre raiſon ; que rien n'eſt ſi
trompeur que des connoiſſances mal digérées , &
qu'il faudroit paſſer à s'inſtruire le tems qu'on
pafle à décrier ceux qui nous ont inftruits. Voilà
ceque nous nous contenterions de lui dire , s'il
nous étoit démontré qu'il a écrit de bonne foi.
138 MERCURE DE FRANCE.
Mais , s'il n'eſt pas vraiſemblable qu'un homme
d'eſprit déteſte ſérieusement le gouvernement
d'Angleterre à cauſe d'une loi qu'on n'y connoît
pas ; idolâtre celui des Turcs parce qu'on y étran
gle des viſirs; & celui de Perſe , parce que le Roi
dine avec les ambaſſadeurs ; ſe paſſionne pour
l'Orient parce qu'on y mange du riz ; & abhorre
l'Occident parce qu'on y mange du pain ; fi aucune
de ces folies n'a pu être foutenue ſérieuſement
, alors nous lui disons qu'il a pris , pour fe
faire lire , un fort mauvais parti ; que ſe jouer
ainſi de la vérité & du bon lens , c'eſt avoir beaucoup
de mépris pour les lecteurs , & qu'on ne
gagne rien à ce mépris - là ; qu'on peut trèsbien
être abſurde ſans en être plus amuſant
; que , s'il a l'ambition de reſſembler à Jean-
Jacques Roufleau , il ne ſuffit pas pas pour cela
de mettre à la tête de ſes ouvrages , Simon-Henri-
Nicolas Linguet , parce qu'à moins d'être auſſi
éloquent que le Génevois &de mêler comme lui
une foule de vérités intéreſlantes à des paradoxes
ingénieux , le Simon- Henri-Nicolas ne fera pas
la fortune du J. Jacques ; nous lui dirons que lorfqu'on
veut diſputer avec honneur ſous les yeux du
public , il faut ou railler avec fineſſe ou raiſonner
avec vigueur, & que, quand on prodigue les injures
, le lecteur penſe avec raiſon que celui qui ne
reſpecte rien ne ſe reſpecte guère lui - même ; qu'il
yauroit beaucoup de mérite à prouver que M. de
Monteſquieu s'eſt trompé , mais qu'il n'y en a
aucun à l'appeler fanatique & déclamateur ; qu'il
ne faut pas dire de ſes adverſaires le Sr Baudeau,
le Sr Dupont , parce qu'une feuille polémique
n'eſt pas un factum. Enfin nous l'avertirons , que
quoiqu'il puiffe avoir ſes raiſons pour regarder
OCTOBRE. 1770. 139
comme un très -grand bonheur l'avantage d'être
avocat , il ne faut pas en parler dans vingt endroits
d'une brochure, & que, fi c'eſt quelque choſe
d'être avocat , il ſe pourroit cependant à toute
force qu'on fût avocat & qu'on fut encore trèspeude
choſe.
ACADÉMIE FRANÇOISE.
Le vingt - cinquième jour du mois
d'Août 177711 ,, fête de St Louis , l'Académie
Françoiſe donnera deux prix , l'un
d'éloquence , l'autre de poësie . *
Le prix d'éloquence ſera une médaille
d'or de la valeur de ſix cens livres. L'Académie
propoſe pour ſujet l'Eloge de
François de Salignac-de- la- Motte- Fénelon,
archevêque de Cambrai , précepteur des Enfans
de France. Le difcours ne paffera
pas trois quarts d'heure de lecture.
Le prix de poëſie ſera une médaille
d'or de la valeur de cinq cens livres. Le
* Le prix de l'Académie eſt formé des fondations
réunies de Meſſieurs de Balzac , de Clermont-
Tonnerre évêque de Noyon , & Gaudron,
140 MERCURE DE FRANCE.
ſujet , le genre du poëme & la meſure
des vers , font au choix des auteurs . La
pièce ſera de cent vers au moins , & de
deux cens au plus .
Toutes perſonnes , excepté les Quarante
de l'académie , feront reçues à compoſer
pour ces prix.
Les auteurs mettront leur nom dans
un billet cacheté à la pièce , ſur lequel
ſera écrite la ſentence qu'ils auront miſe
à la tête de leur ouvrage.
Ceux qui prétendent au prix font avertisque,
s'ils ſe fontconnoître avant le jugement
, ou s'ils font connus , foit par
l'in difcrétion de leurs amis , foit par des
lectures faites dans des maiſons particulieres
, leurs pièces ne feront point admifes
au concours.
Les ouvrages feront envoyés avant le
premier jourdu mois de Juillet prochain,
& ne pourront être remis qu'à la Veuve
Regnard, imprimeur de l'Académie Françoiſe
, rue baſſe de l'hôtel des Urſins , ou
grand'ſalle du palais , à la Providence ;
& fi le port n'en eſt point affranchi , ils
ne feront point retirés .
L'académie a déclaré , dans la même
ſéance,que les piéces envoyéespour lecon
OCTOBRE. 1770. 141
cours du prix de poëſie dont le ſujet étoit
les inconvéniens du Luxe , n'avoient point
paru mériter le prix qui a été remis à l'an .
née prochaine , comme l'annonce le programme
ci - deſſus. M. Thomas a lu l'éloge
de l'Empereur Marc-Aurèle. Il feint
qu'Apollonius , philoſophe , qui fut le
précepteur & l'ami de cet Empereur , arrête
la pompe funèbre & prononce , appuyé
ſur ſon cercueil , au milieu des Romains
en pleurs , le panégyrique de ce ſouverain
, en rappelant l'hiſtoire de ſes ſentimens
, de ſes vertus & de ſes actions
pour le bonheur des peuples ſoumis à ſa
domination.
M. Thomas a auſſi imaginé de tracer
le plande conduite que s'étoit fait Marc-
Aurèle&de faire dire à cet Empereur les
motifs & les principes de ſes actions ; il
remonte à l'effence des chofes , aux premières
cauſes de l'ordre & des vertus , &
cette grande théorie eſt fondée ſur l'exemple
que Marc- Aurèle a donné au monde
d'un Empereur philoſophe. Cet éloge eſt
animé par une forte d'action dramatique ,
par des fentimens profonds & par une
diction noble & foutenue.
On a entendu avec la plus grande fatisfaction
pluſieurs fables , compoſées &
142 MERCURE DE FRANCE.
lues par M. le duc de Nivernois , qui préſente
les vérités utiles ſous les charmes
de la fiction la plus agréable , & qui plaît .
toujours en inſtruifant.
Le jeudi 6 Septembre , l'académie françoiſe
tint une ſéance publique pour la reception
de M. l'archevêque de Toulouſe,
qui a été élu à la place vacante par la mort
du duc de Villars. M. Thomas , en qualité
de directeur , répondit au diſcours de
remercîment du récipiendaire. M. Marmontel
lut enſuite un morceau d'un nouvel
ouvrage qu'il ſe propoſe de donner
bientôt au Public , & qui a pour titre les
Incas ou la ruine de l'empire du Perou.
La ſéance finit par la lecture que M. le
duc de Nivernois fit de pluſieurs fables
de ſa compoſition.
III.
La Rochelle.
L'Académie royale des belles - lettres
de la Rochelle tint ſon aſſemblée publique
le 2 Mai dernier. M. Bernonde Sa
lins , directeur , ouvrit la féance par un
diſcours dans lequel il donna l'idée d'un
ouvrage qu'il a compofé ſur l'Education ,
OCTOBRE. 1770. 143
dont il lut le chapitre qui traite de l'obligation
où sont les femmes de nourrir leurs
enfans.
M. Raoult , avocat , lut enſuite une
Differtation hiſtorique fur le barreau françois
&fur les progrès de l'éloquencejudiciaire
parmi nous.
M. l'Abbé Gervaud fit lecture d'un ou
vrage de M. de Montaudouin , négociant
de Nantes , académicien aſſocié, fur cette
queſtion , Eft - il néceffaire que le Peuple
foit inftruit ? Queſtion ſur laquelle il ſe
décide pour l'affirmative.
M. Delaire , négociant, lut un ouvrage
dont le titre eſt Eſſai fur une éducation
particulière aux Négocians , ou Difcours
fur l'avantage qu'ily auroit d'établir des
écoles publiques pour lesjeunes gens quiſe
deftinent au commerce.
M. de la Coſte termina la féance par
la lecture d'un poëme fur la néceſſité d'être
indulgent , par M. Gaillardde l'académie
des inſcriptions & belles - lettres , aſſocié
de celle de la Rochelle,
144 MERCURE DE FRANCE.
I V.
Amiens.
L'Académie des ſciences , belles lettres
& arts d'Amiens tint , le 25 Août , fon
aſſemblée publique.
M. Bourgeois , maître en chirurgie ,
M. Sélis , profeſſeur d'éloquence , & M.
Goffart , avocat , firent leurs diſcours de
remercîment : le premier traita des Contrecoups;
le ſecond parla des inconvéniens
du luxe , & le troiſième , de l'influence
des lettresfur le commerce. M. Boullet de
Varennes , avocat , directeur , leur répondit&
paya le tribut que l'académie devoit
à la mémoire de M. le Couvreur , avocat;
de M. Marteau , médecin , & de M. l'Abbé
Choderlos , académiciens morts pendant
le cours de l'année .
M. de Lavoisier , fermier-général , adjoint
de l'académie royale des ſciences ,
lut un mémoire ſur l'Histoire minéralogique
de la France , &particulierement de la
Picardie.
M. Baron , avocat , ſecrétaire de l'académie
, lut l'Eloge de feu M. le Duc de
Chaulnes , protecteur de cette compagnie.
M.
OCTOBRE. 1770 . 145
M. Selis termina la féance par une Epitre
en vers à un poëtefiflé.
L'un des prix propoſés par l'académie
ayant pour ſujet les moyens de rendre le
port de St Valery- fur- Somme plusfúr &
plus commode , ou les moyens d'en faire
un autre au bourg d'Aut ou autre endroit
intermédiaire de la côte toujours avec communication
à la Somme , a été adjugé à
M. Magot , ingénieur des ponts & chauffées&
ports de commerce.
Un autre prix , dont le ſujet étoit la
description de la fiévre miliaire , ſa nature,
Sa méthode curative , a été donné à M. Darailon
, docteur en médecine du Ludovicée
de Montpellier , & médecin à ChambonenCombrailles
.
L'ouvrage qui en a le plus aproché eſt
de M. Planchon , médecin à Tournai .
L'Académie propoſe pour ſujet d'un
des prix qu'elle diſtribuera le 25 Août
1771 , l'Eloge de Voiture .
L'époque à laquelle cet homme célèbre
a paru , l'influence qu'il a eu ſur ſes con.
temporains , fon bel eſprit , ſes défauts
mêmes , & fur - tout la comparaiſon de
l'eſprit de ſon ſiècle avec celui du nôtre,
font les nuances que l'académie préſente
aux auteurs qui traiteront ce ſujet ,
&qui , rendues par un homme de goût ,
1. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
peuvent fournir des détails neufs & inté
reffans.
Pour ſujet d'un autre , l'Académie demande
quelle est l'influence des moeurs des
Françoisfur leursanté , de quelles maladies
nos moeurs actuelles nous ont délivrés,
& quelles maladies nouvelles elles nous ont
données?
Chacun des prix eſt une médaille d'or
de la valeur de 300 liv .
Les ouvrages feront adreflés , francs de
port , à M. Baron , ſecrétaire de l'académie
, à Amiens , avant le premier Juillet
1771 .
V.
Académie royale desſciences , inſcriptions
& belles - lettres de Toulouse.
Le ſujet propoſé pour le prix de 1770,
étoit de déterminer 1º. les révolutions qu'é.
prouverent les Tectoſages , la forme que
prit leur gouvernement , & l'état de leur
paysſous la domination ſucceſſive des Romains
& des Visigots. 2°. Leurs loix &
leur caractere ſous la puiſſance des Romains.
L'Académie n'ayant pu adjuger
le prix , elle a délibéré de le joindre à
celui de 1773 , qui fera double , & pour
lequel elle propoſe le même ſujer.
OCTOBRE . 1776. 147
On fut informé en 1768 que l'académie
propoſoit , pour le prix de 1771 ,
d'affigner les loix du retardement qu'éprou
vent lesfluides dans les conduits de toute
espèce.
Quant au prix de 1772 , l'académie annonça
l'année derniere qu'elle propoſoit
pour ſujet , de déterminer les avantages &
la meilleure méthode d'inoculer la petite
vérole.
Le prix que l'académie diſtribue eſt de
la valeur de soo liv. Il eſt dû aux libéralités
de la ville de Toulouſe , qui le fonda
en 1745 , pour contribuer toujours de
plus en plus au progrès des ſciences &
des lettres.
Les ſçavans ſont invités à travailler fur
les ſujets propoſés. Les membres de l'académie
font exclus de prétendre au prix ,
à la réſerve des alſociés étrangers.
Ceux qui compoſeront font priés d'écrire
en françois ou en latin , & de remettre
une copie de leurs ouvrages qui
foit bien liſible , ſur-tout quand il y aura
des calculs algébriques. i
Les auteurs écriront au bas de leurs
ouvrages une ſentence ou deviſe ; mais
ils pourront néanmoins y joindre un billet
ſéparé ou cacheté , qui contienne la
même ſentence oudeviſe , avec leur nom,
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
leurs qualités & leurs adreſſes ; l'académie
exige même qu'ils prennent cette
précaution , lorſqu'ils adreſſeront leurs
écrits au ſecrétaire. Ce biller ne ſera point
ouvert , ſi la pièce n'a remporté le prix.
Ceux qui travailleront pour le prix ,
pourront adreffer leurs ouvrages à M.
l'abbé de Rey , conſeiller au parlement ,
fecrétaire perpétuel de l'académie , ou les
lui faire remettre par quelque perſonne
domiciliée à Toulouſe. Dans ce dernier
cas il en donnera ſon récépiffé , ſur lequel
ſera écrite la ſentence de l'ouvrage , avec
fon numéro , ſelon l'ordre dans lequel il
aura été reçu.
Les paquets adreſſés au ſecrétaire doivent
être affranchis de port.
Les ouvrages ne feront reçus que jufqu'au
dernier jour de Janvier des années
pour le prix deſquelles ils auront été compoſés.
L'académie proclamera dans ſon afſemblée
publique du 24 du mois d'Août
de chaque année , la pièce qu'elle aura
couronnée.
Si l'ouvrage, qui aura remportéle prix ,
a été envoyé au ſecrétaire à droiture , le
tréſorier de l'académie ne délivrera le
prix qu'à l'auteur même qui ſe fera conOCTOBRE
. 1770. 149
noître , ou au porteur d'une procuration
de fa part.
S'il y a un récépiſſé du ſecrétaire , le
prix fera délivré à celui qui le repréſentera
.
L'académie , qui ne preſcrit aucun ſyſtême
, déclare auſſi qu'elle n'entend point
adopter les principes des ouvrages qu'elle
couronnera .
VI.
Bordeaux.
Du 25 Aout 1770 .
L'Académie de Bordeaux avoit , cette
année , deux prix à diſtribuer ; l'un dou--
ble & l'autre ſimple.
Elle avoit proposé pour ſujet du premier
, que l'on établit le genre , & que l'on
développât les caractères effentiels des maladies
épidémiques qu'occaſionne ordinairement
le deſſféchement des marais dans les
cantons qui les environnent ; qu'on indiquât
les précautions néceſſaires pour préve.
nir ces maladies , & les moyens d'en garantir
les travailleurs ; & qu'on donnát une
méthode curative , fondée ſur l'expérience,
que l'on pût mettre en pratique avecfuccès.
Pour ſujet du ſecond , elle avoit de-
1
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
mandé : Quelle est la meilleure maniere de
mesurersur mer la viteſſe ou lefillage des
vaiſſeaux , indépendamment des obfervations
astronomiques & de l'impulsion ou de
la force du vent ; fi, à défaut de quelque
méthode nouvelle & meilleure que celle du
lock ordinaire , il n'y auroit pas quelque
moyen de perfectionner cet instrument , au
point de pouvoir en faire usage lorſque la
mer est agitée , & d'empêcher la ficelle de
s'alonger ou de ſe raccourcir , du moins
Senſiblement ; & s'il ne feroit pas poffible
de mesurer , par quelque inſtrument également
fimple & peu coûteux , le tems de 30
ſecondes que dure ordinairement l'obfervazion
, plus exactement que l'on nefait avec
les fabliers dont on a coutume defefervir.
Iº. C'eſt pour la troiſième fois qu'elle
avoit propoſé le premier de ces deux fujets
; &, en le propoſant, elle avoitdéclaré
qu'elle ſouhaitoit principalement que les
auteurs qui voudroient ſe mettre ſur les
rangs , priffent pour guides dans leur travail
, l'obfervation & la pratique,& qu'ils
ne s'en tinſſent pas uniquement à une
théorie qui , quelqu'éclairée qu'elle puiffe
être , peut ſouvent , dans la curation des
maladies , conduire à des erreurs preſque
toujours funeſtes : ou , pour mieux dire ,
ce deſir qu'elle avoit annoncé , formoit
OCTOBRE. 1770. 15
dans ſes vues une condition eſſentielle
qu'elle entendoit que l'on remplit pour
pouvoir être admis au concours .
N'ayant point trouvé cette condition
remplie dans les pièces qui lui furent envoyées
en 1766 & 1768 , elle avoit été ,
à ces époques , forcée par ce motif de ne
point adjuger le prix; mais , entraînée par
l'importance & l'utilité du ſujet, à le repropoſer
encore , elle n'avoit pas déſeſpéré
qu'un nouveau travail &de nouveaux
efforts ne puſſent enfin lui procurer quelque
ouvrage qui ne lui laiſſeroit plus rien
àdefirer ſur la partie du programme qu'el
le avoit le plus à coeur.
Son eſpoir à cet égard a été encore
trompé cette année ; & , fi elle n'avoit
voulu confulter que la rigueur de la loi
qu'elle s'étoit preſcrite à elle-même , elle
auroit eu encore cette fois , le regret de
ne pouvoir , fur ce ſujet , couronner aucun
des concurrens ; mais , jugeant que
s'il ne leur a pas été poſſible de répondre
plus parfaitement à ſes vues , s'ils ne ſe
font point trouvés dans des circonstances
àpouvoir ſe procurer par la pratique les
obſervations qu'elle auroit deſirées , elle
ne pouvoit du moins juſtement laiſſer
ſans récompenſe les efforts qu'ils ont faits
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
pour la fatisfaire ; & convaincue qu'il
n'eſt pas moins de ſon devoir d'encourager
les talens que de les récompenfer ;
trouvant d'ailleurs , dans la pièce N°. IV,
(ayant pour deviſe ces mots : Alta neu
crede Paludi , aut ubi odor cæni gravis ...
Virg. lib. IV. Georg. ) qui , dès 1766 ,
avoit particulièrement fixé ſon attention ,
& que les changemens & les augmentations
que l'auteur y a faits , ont rendue
encore plus digne des éloges qu'elle lui
avoit déjà donnés * , un ouvrage qui pouvoit
être préſenté utilement au public ,
cette compagnie s'eſt déterminée à lui accorder
une partie du prix , qu'elle n'avoir
deſtiné qu'à un ouvrage qui eût rempli
fon objet en entier.
En conféquence , elle a dédoublé ce
prix , & a adjugé à l'auteur de cette pièce
la médaille qui en faiſoit partie. Cet auteur
est le Sr Fournier - Choiſy , médecin
àMonclar , en Agenois.
II °. Quant à la queſtion propoſée ſur
les moyens de perfectionner le lock , l'académie
n'ayant été fatisfaite d'aucun des
mémoires qui lui ont été envoyés ſur ce
fujet, elle le repropoſe pour l'année 1772 ;
*Programe du 25 Août 1766.
OCTOBRE. 1770. 153
&a réuni au prix qui lui eſt deſtiné, les
trois cents liv. qui faifoient partie de celui
qu'elle a dédoublé.
Pour ſujet du prix courant qu'elle aura
en outre à diſtribuer , cette même année
1772 , elle demande : Quels sont les alimens
les plus analogues à l'espèce humaine
?
Elle ne recevra les ouvrages qui lui ſeront
envoyés far ces deux ſujets , que jul
qu'au premier Avril , excluſivement.
*
M. Dupaty , avocat - général au parlement
de Bordeaux , undes membres de
cette compagnie , ayant offertde faire les
frais d'une médaille à diſtribuer par l'académie
, au meilleur difcours écrit em
françois , dont le ſujet ſera l'Eloge deMir
chel de Montagne , elle annonce aujourd'hui
, en propoſant auſſi ce ſujet , pour
1772 , qu'elle diſtribuera ce prix dans
une affemblée publique qu'elle tiendra
*C'eſt à ce jeune magiſtrat qui montre tantde
zèle & de goût pour les belles- lettres que l'on eft
déjà redevable du prix qu'il a fondé dans l'Académie
dela Rochelle dont il eft membre , pour l'éloge
de Henri IV. Ilalu dans la ſéance de l'académie
de Bordeaux , que nous venons d'annon
eer , des confidérationsfur la nature , qui n'ont pu
être faites que parle génie..
/
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
extraordinairement dans la ſemaine de
pâques ; & elle demande cette année que
les ouvrages , quant à ce prix , lui foient
envoyés avant le premier Janvier .
Les auteurs , pour ce ſujet , comme pour
les autres , auront attention de ne point
ſe faire connoître , & de mettre ſeulement
leur nom & leurs qualités dans un
billet cacheté , joint à leur ouvrage .
Les paquets feront affranchis de port ,
& adreſlés à M. de Lamontaigne , fils ,
conſeiller au parlement & fecrétaire pertuel
de l'académie.
Ontrouvera les ouvrages qui ont remporté le
prix de l'académie, chez Briaflon , à Paris ; Forêt,
a Toulouſe ; Chambaud , à Avignon ; Bruiflet , à
Lyon ; Lallemand , à Rouen ; Couret de Villeneuve,
àOrléans ;& chez la V. Vatar , à Nantes.
A M. Dupaty , avocat- général du parlement
de Bordeaux , à l'occaſion de
l'éloge de Montagne qu'il a fait propofer
par l'académie de cette ville&de la
médaille d'or qu'il deſtine au meilleur
discours.
Magnus ab integro faclorum nafcitur ordo.
VIRG.
ENFIN , après mille ansd'une profonde nuit,
Après mille ans de barbaric ,
OCTOBRE. 1770. 155
Se lève le ſoleil de la philoſophie ,
La lumière paroît , l'ignorance s'enfuit ,
Et , de la vérité la terrible ennemie ,
L'affreule erreur ſe cache& fon règne eſt détruit.
Quel changement heureux dans ma triſte patrie ?
C'eſt toi , jeune étranger , c'eſt toi , l'ami des arts
Qui reveilles l'honneur endormi dans nos ames ,
Tu nous prefles , tu nous enflammes,
Sur le prix des talens tu fixes nos regards .
Oui , nous irons dans les champs de lagloire ,
Nous irons ſur tes pas moiſſonner des lauriers ,
Animés par ta voix , les plus jeunes guerriers
Oferont à l'envi défier la victoire ;
Et moi peut - être , auſh , plein d'ardeur , à ton
nom ,
(Si mon zèle me trompe,ô Montagne , pardonne , )
Jirai , d'une main foible encore , à ta couronne
Me mêlant dans la foule , attacher un fleuron.
Au nom du créateur de la philoſophie ,
De ce penſeur profond qui nâquit parmi vous ,
Reveillez - vous , fortez de votre léthargie ,
Omes concitoyens , tombez à les genoux.
Votre eſprit eſt glacé , votre ame eſt engourdie ,
Unnouveau jour vous luit , revenez à la vie ,
Quittez ces vains calculs , laiſſez- là vos tréfors;
Le fordide intérêt étouffe le génie ;
Que la palme des arts croifle enfin ſurnosbords;
Et toi , qui de Thémis diriges la balance ,
Toi , de qui les vertus honorent mon pays ,
Gvj
136 MERCURE DE FRANCE..
Toi , qui ſur le tombeau du plus grand des Henris
Fis entendre la voix de la reconnoiffance ,
Pourfuis , ó Dupaty , tes deſtins glorieux ,
Traverſe à pas hardis cette carrière immenfe ,
Toi ſeul viens de l'ouvrir , nous t'y ſuivrons des
yeux ;
Danne- nous les portraits de ces ſages fameux
De ces ſages , l'amour & l'orgueil de la France ,
Les Montagnes ,les Montesquieux
Unjour viendra , qu'on te peindra comme eux.
Afpice venturo latentur ut omnia faclo.
VIRG.
Par M. Romain de Sexe.
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL .
LeE famedi 8 Septembre , on a donné au
Concert Spirituel , pour la feconde fois ,
Cantate Domino , motet à grand choeur
de M. Azais : Mile Delcambre a chanté
dans le goût Italien Salve Regina , moter
à voix ſeule del Signor Galuppi .
M. Bezozzi , ordinaire de la muſique
du Roi , a reçu de nouveaux témoignages.
de fatisfaction dans l'exécution d'un con
OCTOBRE. 1770 . 157
certo de hautbois de ſa compoſition. M.
l'Abbé Platel a chanté avec le ſuccès qui
lui eſt ordinaire , un nouveau motet à
voix ſeule de M. l'Abbé Girouſt. L'exécution
brillante & préciſe de M. Caperon
fur le violon , & la belle compoſition de
fon concerto ont été fort applaudis . Le
concert a été terminé par Miserere mei
Deus , motet à grand choeur de M. l'Abbé
Girouft.
OPÉRA.
LES Fêtes grecques & romaines , ballet
héroïque , repréſenté pour la première
fois en 1723 ; repris en 1733 , 1741 &
1753 ; ont été remiſes au théâtre le mardi
28 Août dernier. Les paroles font de
Fuzelier , & la muſique de Colin de Blamont.
Ce ballet eſt compoſé d'un prologue&
de trois entrées , les Jeux olympi
ques , les Bacchanales & les Saturnales .
Dans le prologue,le théâtre repréſente
le temple de mémoire orné des ftatues
des grands hommes. Clio , muſe de l'hiftoire
, invite les élèves d'Erato à célébrer
dans leurs chants les héros.
158 MERCURE DE FRANCE.
Apollon & Terpſicore prennent part à
cette fête.
Erato & Apollon célèbrent les louanges
de Terpſicore ,& la muſe de la danſe
en exprime les chants par ſes pas & fes
attitudes.
Quelle danſe vive & légère !
Lesjeux , les ris vous ſuivent tous :
Muſe brillante , auprès de vous
On voit plus d'amours qu'à Cythère.
Vous peignez à mes yeux les tranſports des
amans ,
Les tendres ſoins , la flatteuſe eſpérance ,
Le déſeſpoir jaloux , la cruelle vengeance ;
Tous vos pas ſont des ſentimens.
Mlles de Beaumeſnil & Châteauneuf
ont chanté dans le prologue les rôles d'Erato
, muſe de la muſique , & de Clio ,
muſedel'hiſtoire.M. Caſſaignade a chanté
celui d'Apollon. L'enſemble de ce prologue
a paru agréable. Mlle Guimard y
repréſentoit Terpſicore avec toutes les
graces qui font le charme de ſadanſe.
Elle a été remplacée par Mlle Duperey ,
qui a été auſſi très-applaudie. Les fentimens
qu'elle exprimoit , formoient autant
de tableaux ſi vrais , fi pittoreſques , fi
hardis qu'il a été aiſé de s'appercevoir que
OCTOBRE 1770. 159
l'auteur de ce pas étoit M. d'Auberval
qui , le premier , a introduit fur ce théâtre
un genre de danſe de caractère auſſi
intéreſſant pour le coeur que flatteur pour
les yeux . M. Veſtris y a danſé une chaconne
, & Mile Dervieux , une entrée.
Cettejeune danſeuſe fait,dans ſon art, des
progrèsquine tarderont pas à la placer dans
le rang des premiers talens. Mlle Niel
ne donne pas moins d'eſpérances pour le
grand genre de la danſe auquel elle ſe
deſtine avec les avantages que lui donnent
la nature & l'étude .
Les Jeux olympiques ou les jeux de la
lutte & de la danſe font la première entrée
, que l'on avoit différé de donner à
cauſe de la longueur du ſpectacle pour la
faiſon . Ils ont été mis au théâtre le
Septembre . Cet acte repréſente le triomphe
d'Alcibiade dans les jeux olympiques,
&l'inconſtance de ſes amours. Alcibiade,
aimé de Timée , la quitte pour Afpafie
, jeune Grecque qui doit diftribuer
les prix aux vainqueurs des jeux .
Il chante lui-même l'éloge de l'inconftance
.
Notre coeur doit changer ſans ceſſe
Pour n'avoir que d'heureux momens;
160 MERCURE DE FRANCE.
Les premiers jours de la tendreſſe
En font les jours les plus charmans .
De la divinité l'amour est le partage.
Les ſoupirs font l'hommage
Qu'exigent de beaux yeux.
:
Gardons -nous de former des chaînes éternelles .
Ondoit encenſer tous les dieux ;
On doit aimer toutes les belles..
En vain Timée veut lui faire reprendre
ſes premières chaînes en lui diſant :
Reviens; l'amour conſtant près de moi te rappelles .
Tu ne rougis pas de changer ,
Change encore une fois pour devenir fidèle..
Alcibiade lui répond.
Calmez ce dépit éclatant;
Votre courroux m'eſt favorable :
Plus on ſe plaint d'un inconſtant ,
Plus on le fait paroître aimable.
M. Larrivée , qui n'avoit pas chante
depuis quelque tems à cauſe d'une indifpoſition,
a paru dans le rôle d'Alcibiade-
&a été accueilli avec tranſport par le Public
, charmé de revoir cet acteur & de
jouirde ſes talens.
OCTOBRE . 1770. 161
Mlle de Beaumeſnil a fait le plus grand
plaiſir dans le rôle de Timée , qu'elle a
rendu avec autant d'intérêt que de nobleffe.
Mlle d'Hauterive , dans le rôle
d'Afpafie , Mlle d'Avantois , repréſentant
Zélide , confidente de Timée , & M. Cavallier
, dans le rôle d'Amintas , confident
d'Alcibiade , ont été applaudis.
Mile Heinel , qui paroît dans le choeur
des danſeuſes telle que Diane au milieu
de ſes nymphes , a bien dédommagé le
Public des regrets qu'il avoit éprouvés en
ne la voyant pas aux premières repréſentations
de la remiſe de ce ballet.
Le pas des lutteurs,de la compoſition de
M. d'Auberval , fait honneur à ſon génie.
O y admire des fituations neuves , vigoureuſes
& vraies. Le prix qu'il remporte
& l'hommage qu'il en fait à Mile
Heinel ont été confirmés par les fuffrages
unanimes des ſpectateurs.
Les Bacchanales ou les fêtes de Bacchus
font la feconde entrée. Cléopatre ,
Reine d'Egypte , environnée de la pompe
la plus brillante , vient triompher par
l'éclatde fes attraits de l'indifférenced'Antoine.
Il ne peut réſiſter aux charmes de
la beauté. Il fait l'aveu de ſa défaite en
lui difant :
162 MERCURE DE FRANCE.
Lorſque loin de vos yeux on me peignoit vos
charmes,
La ſévère raiſon me promettoit des armes
Contre leurs plus aimables traits ;
Mais , helas ! quelle différence
D'entendre vanter leur puiſſance
Ou de voir briller leurs attraits !
MM. Gelin & Durand ont joué ſucceſſivement
le rôle de Marc Antoine , &
M. Muguet celui d'Eros fon affranchi .
Mile Duplant , repréſentant Cléopatre ,
amisdans fon jeu &dans ſon chant de la
dignité & de l'expreffion .
M. Gardel a été facilement diftingué
par la nobleſſe , le fini & la précifion de
ſa danſe. Il a exécuté avec applaudiſſement
une entrée dans ce divertitlement ,
ainſi que Mlles Niel & Dervieux.
Les Saturnales ou les fêtes des Eſclaves
font le ſujet de la troiſième entrée.
Délie , parente de Mécène , eſt inſtruite
de la paffion qu'a pour elle Tibule,
chevalier Romain , déguisé en eſclave
fous le nom d'Arcas . Elle veut l'inquiéter
& lui déclarer elle même ſon amour
par une feinte confidence : Tibule ne ſe
croyant point connu , n'oſe s'attribuer l'aveu
qu'elle fait de ſa tendreſſe.
OCTOBRE. 1770 . 163
DÉLIE.
Je méprifois l'amour, je fuyois ſes plaiſirs
Etje bornois tous mes defirs
Ala paiſible indifférence.
Enſoumettantmon coeur à ſa douce puiſſance ,
L'amour croit s'être bien vengé.
Je l'aurois plutôt outragé ,
Si j'avois prévu la vengeance.
TIBULE .
Vous aimez donc ? l'amour aura ſu vous choiſir
Unamantdigne de vous plaire ?
DÉLIE .
Le dieu qui règne dans Cythère
Eſt le plus éclairé des dieux :
L'aimable choix qu'il m'a fait faire
Prouve bien qu'il n'a pas un bandeau ſur les yeux.
Mlle Roſalie , qui fait tous les joursde
nouveaux progrès dans l'art du chant &
dans le jeu théâtral , a été très- applaudie
repréſentant Délie. Mlle Beaumeſnil
qui a chanté enſuite ce rôle , en a ſaiſi
l'eſprit& les fineffes . M. Legros a rempli
avec ſupériorité , dans les premières repréſentations
, le rôle de Tibule ; mais
une maladie très-dangereuſe a fait crain164
MERCURE DE FRANCE.
:
dre pour ſes jours qui heureuſement font
actuellement hors de danger.
MM. Muguet & Tirotl'ont fucceffivement
remplacé avec ſuccès. Ona vu avec
plaifir M. Veſtris & Mlle Guimard joindre
dans ce divertiſſement les graces de
leur danſe à la gaîté de celle de M. d'Auberval
&de Mile Pellin.
C'eſt M. Veſtris quia compoſé lesballets
du prologue &des trois entrées .
Mlle Vincent, dont la voix eſt brillante
& légère , a continué avec applaudiffement
fon debutjuſqu'à la dernière repréſentation
des fragmens. Le Roſſignol de
Rameau & l'Ariette de M. Berton , qu'elle
a chantés , ont fait d'autant plus de plaiſir
que l'on s'eſt apperçu dans les accompagnemens
de flute que M. Rault étoit
rentré dans l'orcheſtre où ſon talent le
rend précieux.
COMÉDIE FRANÇOISE.
LES. Comédiens François ordinaires du
Roi ont remis ſur leur théâtre , le lundi
3. Septembre , l'Ecole des Bourgeois , comédie
en trois actes , en proſe , de l'Abbé
d'Allainyal .
OCTOBRE. 1770. 165
Cette pièce eſt de l'ancien comique ,
mais de ce comique qui fait rire & qui
peint fortement le ridicule & les moeurs.
Cette Ecole des Bourgeois a pluſieurs ſcènes
très bien faites & dignes de Moliere .
Telle eſt celle où l'Homme de Condition
obtient , par de feintes politeſſes , le conſentement
d'un bourgeois , oncle de ſa
prétendue , qui étoit le plus oppoſé à fon
mariage. Cette comédie a été ſupérieurement
jouée par M. & Mde Belcourt ,
par Mde Drouin , par Mlle Doligni , par
MM . Dauberval & Monvel . Les partiſans
de l'ancien genre de la comédie la
reverront avec plaifir .
M. Dorceville a debuté le 23 Août par
le tôle de Titus dans Brutus ; d'Egiſte dans
Mérope ; de D. Pedre dans Inès ; de Lyncée
dans Hypermeneſtre ; de Defronais
dans Dupuis .
Ce jeune acteur a une figure agréable ;
il a du feu , de l'intelligence & un jeu vif
& fenti . Il emploie ſans doute trop de
mouvement & des geſtes trop grands ou
trop multipliés ; mais ces défauts légers
font faciles à corriger , & le public fouhaiteroit
qu'il pût ſe fixer à ce théâtre,
166 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE ITALIENNE.
LES Comédiens Italiens ordinaires du
Roi ont donné fur leur théâtre , le jeudi
20 Septembre , la première repréſentation
du Nouveau Marié ou les Importuns,
opéra comique en un acte mêlé d'ariettes ;
paroles de M. Cailhava d'Eſtandoux , muque
deM. Baccelli , compoſiteur italien .
Les Acteurs de cette pièce font
Le nouveau Marié , M. Clairval.
La Mariée , Mde Trial.
M. Simon , oncle du Marié , M. Caillot.
Le Bailli & fa Femme , père & mère de la
mariée , M. Laruette & Mde Berard.
Le Magifter , M. Suin.
Le Chirurgien , M. des Broffes.
Le Notaire , M. Toutvoix .
Janot& (domeſti.
Toinon, ques , }
M. Trial.
Mile Frederick.
Il eſt minuit , on eſt encore à table , &
le nouveau Marié repréſente qu'il eſt
tems de ſe retirer ; mais les gens de la
nôce veulent danſer juſqu'au jour ; le Magifter
recite un épithalame :
OCTOBRE. 1770. 167
Hymen , amour ,
Venez en ce jour ,
Defcendez .
...
La mémoire lui inanque , il repère def.
cendez... Le nouveau Marié le diſpenſe
d'achever , fe chargeant de finir l'épithalame
avec la muſe qui l'inſpire . On emmène
la Mariée pour danſer , mais elle
s'écrie qu'elle ne veut danſer qu'avec fon
mari . Le Marié , furieuxde ce contretems,
dit à Jeannot d'enfermer les importuns &
àToinon de faire venir ſa femme. Cependant
l'oncle , ſans le conſentement duquel
le mariage a été fait , ſurvient ſans
être apperçu. Ce M. Simon eſt un goguenard
, un railleur qui ſonge au moyen
de ſe venger de fon neveu , & de s'amufer
à ſes dépens , en éprouvant le caractère
de la Mariée. Il ſe cache & éteint les
lumières. Le marié revient dans le ſalon ;
il entend marcher. Il croit que c'eſt ſa
femme , & lui dit beaucoup de galanteries.
Il ſaiſit une main qu'il baiſe avec
tranſport ; mais bientôt il reconnoît que
c'eſt un homme , il appelle du ſecours.
Jeannot vient avec de la lumière; quelle
furpriſe! quel effroi pour le maître & le
valet quand ils voient l'oncle dont ils
168 MERCURE DE FRANCE.
..
craignoient fi fort le retour ! le nouveau
marié s'excuſe , mais l'oncle affecte de la
colère; il menace de lui ôter ſon eſtime,
& fon bien ; le neveu offre d'expier ſa
faute par ſa ſoumiffion , par ſa complaifance.
M. Simon le prend au mot, &
comme il doit partir le lendemain , il
exige. -Quoi ? de l'accompagner. -
Non, dit l'oncle , je ne ſuis pas fi cruel
que de vouloir mettre quatre lieues entre
deux nouveaux époux. Il demande. Un
lit pour ſe repoſer ? Non , mais que
fon neveu lui tienne compagnie juſqu'au
jour. Le nouveau marié s'afflige de cette
demande.. Enfin l'oncle exige pour ſa
punition qu'il ne dira que deux mots...
Quoi ! s'écrie le neveu , que deux mots à
ma femme , lorſque j'ai tant de choſes à
lui dire!. L'oncle inſiſte & veut choiſir
deux mots bien fous, bien burleſques, bien
ridicules .. Le Marié ſe ſoumet&promet
d'obéir.. Ces mots ſont ziſte , zeſte ; le neveu
a beau ſe recrier , il n'y a pas moyen
de refuſer à moins de perdre l'amitié &
le bien de fon oncle.. Le marié dit à fon
valet de prévenir ſa femme; mais l'oncle
arrête le valet & lui promet cent écus
pour épouſer Toinon à condition qu'il
dira pour toute réponſepif, pouf; & pour
jouir
OCTOBRE. 1770. 169
jouir de l'effet de ſa plaifanterie , il ſe cache
ſous une table , & force fon neveu par
ſignes à ne pas prononcer d'autres paroles.
Toinon arrive & vient dire au Marié
que ſa femme l'attend ſeule avecunetendre
impatience. Le mari répond fur un
ton douloureux ziſte. La ſervante attribuant
ce mot au mépris , veut en aller
avertir la Mariée ; l'époux l'arrête en lui
repétant avec alarme ziſte , zeste. Elle s'adreſſe
au valetqui répond pif, pouf, dont
la replique eſt un ſoufflet que lui donne
Toinon. La Mariée vient& le neveu lui
dit très - tendrement ziſte , zefte. Elle s'afflige
de ces mots. Le Bailli , la Baillive
& les gens de la noce qui ne peuvent tirer
d'autre réponſe du nouveau Marié , le
croient fou ; l'onclerit, mais le neveu eſt
furieux .. Le chirurgien veut le ſaigner ;
le Bailli parle de faire caſſer ſon mariage;
le valet eſt battu par Toinon , & fuyant
ſes coups il renverſe la table. M. Simon
paroît , & fa préſence donne bientôt le
ſens de l'énigme. Le mari s'excuſe , &
Poncle lui -même ramène la joie en donnant
fon conſentement au mariage ; il
embraſſe la Mariée & la complimente
d'avoir montré de la douceur dans une
circonftance où tant d'autres femmes au
I. Vol.
170 MERCURE DE FRANCE.
roient fait le diable-à - quatre; il affure
fon héritage aux nouveaux époux.
Cette comédie - parade , a été reçue
avec plaifir ; elle a fait rire , & l'auteur a
rempli fon objet. Elle eſt ſupérieurement
-jouée. La muſique en eſt agréable. Les
repréſentations ſe continuent avec fuccès.
M. Julien , qui avoit déjà debuté, il y
a quelques années,fur ce théâtre , a reparu
dans Ninette à la cour , dans On ne s'aviſe
jamais de tout , dans le Roi& le Fermier ,
dans Isabelle & Gertrude , & dans d'autres
pièces où il a fait le principal rôle ; cer
acteur a été très - accueilli par le Public ;
il connoît bien la ſcène ; il joue avec
intelligence & fentiment; il chante avec
goût , & il a de la voix fur - tout dans le
haut. Il peut être très utile à ce théâtre,
ARTS.
MUSIQUE.
Troisième recueil de petits airs de chants
de la Comédie Italienne les plus nouveaux
avec accompagnementde mandoline
, dédié à Madame la Baronne
(
OCTOBRE. 1770. 171
de Cruffol : par M. Pietro Denis. Prix
3 liv . 12 f. A Paris , chez l'auteur ,
rue Montmartre , la porte cochere en
face de la rue Notre-Dame-des - Victoires
, à côté d'un perruquier , & aux
adreſſes ordinairesde muſique.
Ges airs font très agréables , & tres
bien diſpoſéspour l'inſtrument.
ARCHITECTURE.
Projet d'un temple funéraire deſtiné à
honorer les cendres des Rois & des
grands hommes , par M. Deſprez Architecte
& Profeſſeur de deſſin à l'école
royale militaire, à Paris chez Joulain
marchand d'eſtampes , quai de la
Megiſſerie à la ville de Rome. Prix
6liv.
Ce Projet eſt gravé en trois'planches
qui , raſſemblées , portent cinq pieds de
haut fur deux pieds quatre pouces de large.
On y voit le plan général del'édifice ,
fon élévation & ſes différentes coupes .
L'artiſte a fait uſage d'un ſtyle noble &
ſévère qui convient très-bien à ce genre
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
de monument. Ses diſtributions ſont bien
entendues , & il y a un rapport heureux
entreles parties& le tout. Ce projet avoit
été donné par l'Académie Royale d'Architecture
pour ſujet de ſon prix qui a
été remporté par M. Deſprez en juin
1766. L'auteur a fait hommage de fon
travail à M. de Voltaire , dans les ouvrages
duquel il reconnoît avoir puifé
la première idée du ſien,
PEINTURE.
Le jeudi , 20 Septembre , le St Vincent
de Montpetit , peintre , eut l'honneur de
préſenter au Roi & à toute la Famille
Royale un tableau allégorique repréſentant
Madame la Dauphine peinte dans
une rofe. Cette fleur eft accompagnée
d'un lis & forme un bouquet agréablement
nuancé d'immortelles & de feuilles
de roſiers , fortant d'un vaſe de lapis enrichi
d'ornemens en or avec différens attributs
relatifs à l'alliance des auguſtes
•Maiſons de France & d'Autriche.
Au-deſſusdu cercle ſupérieur qui orne
le vaſe, eſt placée la couronne du deſtin ,
d'où part de droite &de gauche une chaî
OCTOBRE. 1770. 173
he de fleurs-de- lis qui va ſe joindre à urt
coq & un aigle qui la tiennent , en ſe
jouant , à leur bec , & forment les anſes
du vaſe : ces deux oiſeaux font portés fur
des cornes d'abondance foutenues par le
čercle inférieur. Il eſt écrit fur la couronne
du deſtin : Sic fata voluere. Dans le
milieu du vaſe ſont deux coeurs accolés ,
formans un foleil rayonnant avec cette
légende : Ilsfont unis pour notre bonheur.
Le pieddu vaſe eſt orné dans fon pourtour
de différens attributs de l'amour conjugal.
On voit fur le devant deux tourrerelles
qui ſe careſſent ſur des roſes d'où
partent des branches d'oliviers .
Ce vaſe eſt poſé ſur un tapis de velours
pourpre qui termine le bas de ce tableau
allégorique dans lequel il n'y a aucune
forme ni couleur qui ne ſoit ſymbolique.
On a trouvé le portrait de Madame la
Dauphine fort reſſemblant& la compofition
d'une allégorie neuve & ingénieuſe.
Le pinceau du plus grand fini , joint au
poli de la glace , rend ce chef - d'oeuvre
Téduifant dans toutes ſes parties. Auſſi at-
il fait l'admiration de toute la cour , &
a mérité au Sr de Montpetit cette fatisfaction
délicieuſe , la récompenſe d'un
artiſte qui préfère la gloire à l'intérêt , &
qui , animé de l'amour de ſes Princes ,
:
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE!
exprime l'entouſiaſme de ſes ſentimens
par ſestalens.
Ce qui rend encore cetableau plus prétieux
, c'eſt qu'il eſt peint dans la manière
éludorique inventée par le Sr de Montpetit
, pour rendre la peinture à l'huile
inaltérable & tranſmettre aux ſiécles à venir
, avec toute leur fraîcheur , les traits
d'une Princeſſe qui fait le bonheur & l'ornement
de ſon ſiècle .
GRAVURE.
I.
La conversation Espagnole , eſtamped'environ
21 pouces de haut fur 15 de
large : deffinée & gravée par J. Beauvarlet
, graveur du Roi , d'après le tableau
peint par Carle Vanloo , Chevalier
de l'Ordre du Roi , ſon premier
peintre. Prix 12 liv. AParis, chez l'auteur
, rue du petit-bourbon , attenant
lafoire S. Germain .
Un jeune & galant Eſpagnol ſe préſente
reſpectueuſement devantune jolie
femme qui et aſſiſe & paroît occupée à
faire répéter une leçonde muſique à une
OCTOBRE. 1770 . 175
petite fille fort aimable. Derrière elle
une jeune perſonne tenant une guittare
prend part à cette leçon interrompue par
l'arrivée de l'Eſpagnol. La ſcène ſe paſſe
dans un belvedere décoré d'un ordre
d'architecture Toſcan : de grandes arcades
percées à jour , donnent de l'étendue
à cette ſcène , & produiſent des accidens
de lumière très-propres à faire briller
les principaux perſonnages de cettecompoſition
, non moins recommandable par
les graces & l'élegance du deſſein , la
douceur des caractères de têtes , & la
richeſſe des étoffes , que par l'agrément
du coſtume Eſpagnol qui eſt auſli celui
de la galanterie. M. Beauvarlets'eſt ſurpaílé
en quelque forte dans cette nou
velle gravure ; il a cherché à rendre par
la douceur , la netteté & le fini précieux
de fon burin , la touche ſuave & la belle
fonte de couleurs du tableau original
qu'il copioit & qui a été expoſé au falon
du Louvre en 1765 .
II.
Le Rendez - vous à la Colonne , eſtampe
d'environ 16 pouces de haut fur 12 de
large , gravée par Anne Philberte Cou.
let , d'après le tableau original de Ni-
Hiv
170 MERCURE DE FRANCE.
colas Berghem. A Paris , chez Lempereur
, graveur du Roi , rue & porte St
Jacques , au - deſſus du petit marché.
Prix , 3 liv.
Un jeune berger fait danſer ici ſa bergère
au ſon du chalumeau. La colonne
fert auffi de rendez- vous à d'autres amans.
Pluſieurs animaux répandus ſur le ſite de
ce payſage le rendent intéreſſant& carac
zériſent plus particulièrement le genre
favori de Berghem . Mlle Coulet annonce
avantageuſement fon talent par cette
gravure.
4
III.
LapetiteMoiſſonneuse , d'après François
Boucher.
1
'Le petit Muficien , d'après St Quentin .
Tête d'Enfant , d'après Carle Vanloo ;
prix , 16 f. les deux premieres & 12 f.
la dernière . A Paris , chez Briceau, rue
St Honoré près l'Oratoire .
Ces trois eſtampes , dont les deux premières
font pendant , ont été gravées avec
foin par le Sr Briceau , dans la manière
du deſſin au crayon rouge.
OCTOBRE. 1770. 177
I V.
Portrait de Henri IV, Roi de France ,
deſſiné par C. N. Cochin & gravé par
L. J. Cathelin . A Paris , chez Buldet ,
rue de Gèvres ; prix , 1 liv. 4 f.
Ce portrait , qui eſt de profil & en formedemédaillon
, fait pendant à celui de
Sa Majesté Louis XV , deſſiné par le même
artiſte & gravé par Prevoſt.
Portrait de Sa Majesté Louis XV, gravé
d'après le tableau original de Michel
Vanloo, peintre du Roi. AParis, chez
Bonnet , graveur , rue Galande , place
* Maubert ; prix , 3 liv .
+
Ce portrait eſt vu des trois quarts. Il
eſt gravé dans la manière du deſſin au
crayon noir eftompé. L'eſtampe porte 19
pouces dehaut fur 14de large.
Le même arriſte diſtribue chez lui le
portrait de M. René de Caradeuc de la
Chalotais. Ce portrait eſt de profil & ren.
fermé dans un médaillon. Il a été deſſiné
parC. N. Cochin & gravé par C. Baron .
Prix, 1 liv. 4 f.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
V.
Portrait de Joseph Vernet , peintre du
Roi , peint par L. M. Vanloo en 1768
& gravé par L. J. Cathelin en 1770 .
AParis , chez l'auteur , rue St Andrédes-
Arts , la première porte cochere à
droite en entrant par le pont StMi
chel ; prix , 3 liv.
L'artiſte , qui eſt ici repréſenté avec
beaucoup de vérité , eſt vu de face& en
robe de chambre. Il tient ſa palette &
fes pinceaux , & paroît échauffé du génie
que l'on admire dans ſes tableaux. L'eftampe
a environ 14 pouces de haut fur
de largé. La gravure en eſt de très - bon
goût &du meilleur effer.
V I..
Portrait d'Hubert Gravelot, gravé par J.
Matfard d'après le tableau original de
M. de la Tour. A Paris , chez Maffard,
ruedes Francs- Bourgeois porte StMichel
, maiſon de M. Gouin.
Les deſſins de M. Gravelot ſont bien
connus des amateurs. Le portrait de cet
artiſte eſt ici vu des trois quarts ; & il eft
renfermé dans un médaillon.
OCTOBRE. 1770. 179
VII.
Portraitde Pierre- Louis Dubus de Preville
, Comédien François & penfionnaire
du Roi , deſſiné & gravé par Romanet.
A Paris , chez l'auteur , place
du pont St Michel , vis-à-vis le quai
des Auguſtins , maiſon de Mde Petit-
Jean , marchande chapeliere. Prix , 2
liv. 8 f.
M. Romaner s'eſt ici étu dié à nous rappeler
, avec toute la vérité poſſible , les
traits d'un acteur qui fait l'agrément de
nôtre ſcène comique. Son portrait, ſous
l'habillement de Criſpin , eſt en bufte &
vu des trois quarts. Il eſt renfermé dans
un médaillon d'environ 11 pouces de
haut fur , de large. Au bas de ce médail
lon, ſont placés des maſques , une marotte&
autres attributs de la comédie , &
fix vers françois à la louange de l'acteur.
LETTRE à l'Auteur du Mercure
3
VOULEZ- VOU
de France.
OULEZ - VOUS bien , Monfieur, me faire le
plaifir d'inférer cette Lettre dans votre Journal ?
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
On a répandu dans le Public un fragment de réponſede
M. Patte à M. le Marquis de Marigny ,
déjà imprimé dans votre Mercure , avec des additions
manufcrites qui paroiſſent du même auteur.
On y avance aflez légèrement que les écrits anonymes
comportent la mauvaiſe foi , & font la marque
infaillible d'une mauvaiſe cause. Il faut donc
détruire ces apparences ſuſpectes & le nommer.
C'eſt le moyende s'appliquer cette imaxime :
Quand j'accuſe que qu'un , je le dois & me
nomme avec plus de juſtice que ne fait M. Patte ,
qui ne le devoit pas , au lieu que je le dois à la
juſtice&à l'amitié.
Je me ſuis couvert de l'anonyme parce qu'il
étoit affez généralement convenu chez tous les
habiles architectes & chez les praticiens éclairés,
que lemémoire de M. Patte ne méritoît pas qu'on
yrépondît ſérieuſement. On préſumoit que l'agrefleur
pourroit annoncer ſon triomphe dans
quelques cafés & perfuader des perſonnes peu inf
truites dans ces matières , mais on penſoit que le
eri général d'improbation étouferoit ce foible
bruit. Je ſerai ſans doute blamé par ces artiſtes
de m'être nommé , je les prie de me le pardonner,
M. Patte paroît défirer de connoître ceux qui blâ
ment ſa conduite , je crois devoir le ſatisfaire en
cequimeconcerne.
Je déclare donc nettement que je ſuis l'auteur
dela brochure intitulée , Doutes raisonnables d'un
Marguillier , &c . qui ſe ſent , à la vérité , d'avoir
été écrite& imprimée à la hâte ; mais je defirois la
voir paroître avant les autres plaifanteries queje
favois qu'on préparoit à M. Patte. Quoique je
fufle affez d'avis que fon attaque ne méritoit pas
qu'on la repouſsât autrement que par l'ironie , je
OCTOBRE. 1770. 18r
croyois cependant qu'on ne devoit l'employer
qu'eny joignant des raiſons ſérieuſes , quoique
préſentées d'une façonbadine. Il me paroiſloit né
ceflaire d'indiquer aux honnêtes gens qui cherchent
la vérité de bonne foi , en quoi conſiſtoit le
captieux de ce mémoire. Mais, en prenant ce ton
de plaiſanterie , je ne crus pas devoir me faire connoître;
perfuadé que, lorſqu'on ſe nomme , on ſe
doit à ſoi-même de parler ſérieuſement.
J'ai doncdit& je ſoutiens encore que toutes les
démonstrations de M. Patte , juſtes ou non , tombent
d'elles - mêmes , puiſqu'elles ne ſont point
applicablesà la coupole que M. Souflot ſe propoſe
d'élever , &qui fait le véritable fond de la queftion
: qu'elles ne font relatives qu'à une ſuppoſition
de coupole placée différemment &d'une autre
eſpèce.
J'ai crû devoir faire ſentir à M. Patte que fon
procédé , en fafcinant les yeux du Public par un
étalage ſuperflu d'algèbre pour couvrir un raifonnement
fondé fur une ſuppoſition fauſſe & étrangère
à la queſtion , ne pouvoit que lui attirer l'animadverſion
des honnêtes gens qui en appercevroient
le faux. Sur quoi je renvoie aux doutes du
Marguillier , en continuant de maintenir la vérité
detout ce que cebon citoyen a avancé.
Je ſoutiens également à M. Patte qu'il m'a dit
Jui-même , avant que de publier ſon mémoire ,
qu'il s'en rapporteroit au jugementdeM. Peronet,
qu'il le reconnoiſſoit pour être profond dans la
théorie&dans la pratique. Cependant , lorſque
M. Pattea vu que la déciſion de ce dernier étoit
entierement en faveur de M. Souflot , il a recufé
lejuge que lui- même avoit choiſi. C'eſt au Public
àjuger de ce qu'on doit penſer d'une telle cong
duite,
182 MERCURE DE FRANCE.
J'ai quelque répugnance cependant à attribuer
àM. Patre les additions manuſcrites que l'on diftribue
ſous ſon nom , attendu les fauffetés , les
petits detours & les faux - fuyans captieux quej'aurois
peine à croire qu'il fût capable de ſe permettre.
Il eſt faux , par exemple , que la voûte du
foyer de la ſalle de la comédie, à Lyon, ſoit tombée
, mais il est vrai que l'architecte qui avoit été
chargéde veiller à ſa conſtruction en l'absence de
M. Souflot , s'appercevant que l'entrepreneur n'avoit
pas pris les loins qu'il jugeoit néceſſaires pour
ſa meilleure exécution, en a fait démolir une partie
commencée & l'a fait refaire fous ſes yeux. Sur
quoi l'on demande à M. Patte depuis quand on a
droit de blâmer un architecte de la ſévérité qu'il
emplois pour affurer la ſolidité de ſes ouvrages ?
Et peut-on hafarder des affertions dont la fauſſeté
prouvéea droitde nous faire rougir : Il est notoire
que,depuis que cette voûte a éré achevée & donnée
pour telle, elle n'a point varié.
Il n'étoit pas difficile de prévoir que M. Patte
n'accepteroitpoint le pari propoſé par M. Souflot,
jene le parierois pas, maisj'en jurerois , dit M.
Watp dans la comédie de l'Ecoſloſe; il propofe
un autre défi dans lequel il ne hafarde rien. Mais
les deux propofitions ne font pas dans le même degré
de faveur. M. Patre est l'agrellor , & par conléquent
n'a pas le chorx des armes. Son refus ,
malgré les raiſons entortillées dont il tâche de le
colorer , eft plus clair qu'il ne le penfe ; s'il étoit
en état de prouver que ſon équation démontre
Timpoffibilité d'exécuter la coupolede M. Soufor,
il devoir accepter le pari : fi elle ne le démontre
pas, comme il eſt forcé de l'avouer dans la lettre,
elle eft ururile & étrangère à la question . Com
ment donc qualifier cette levée de boucliera
OCTOBRE. 1770. 183
M. Patte finit par aflurer qu'il defirede tout fon
coeur que l'architecte de Ste Genevieve puifle produire
des moyens de conſtruction qui ſoient reputés
exécutables au dire des principaux lavars ,
ſeuls juges compétens dans une pareille matière.
Il auroit déjà en cette fatisfaction s'il eût accepté
la gageure , & plutôt encore , s'il eût voulu s'en
rapporter à M. Peronet, juge très-compétent , &
dont nul autre n'appelleroit. Mais il la lui faut
pleine& entière, & il peut ſe tranquilliſer; car,
indépendamment de quelques ouvrages où cette
vérité fera démontréegéométriquement , l'Académie
d'architecture prononcera , & alors tout fera
dit.
Je luis, &c.
COCHIN.
EPREUVE des Horloges marines de
M. Ferdinand Berthoud.
LE filence que M. Berthoud s'eſt impoſe juta
qu'à préſent ſur les nouvelles recherches qu'ila
faites pour déterminer les longitudes en mer , par
leſecours des horloges marines , a pu faire penfer
au Public qu'elles n'avoient pas eu le ſuccès qu'on
s'en étoit promis. Mais, quelque empreflé que fût
cet artiſte d'obtenir des fuffrages qui l'auroient
flatté, il ne luia pas été permis d'expofer aux yeux
du Public le travail qui auroit pu les lui mériter.
Engagé par des ordres fupérieurs à l'exécution des
horloges marines dont Sa Majesté failoit les frais
184 MERCURE DE FRANCE.
1767 ,
&dontElle s'étoit réſervé de faire faire les épreu
ves , M. Berthoud n'a point dû mettre ſes horloges
au concours , lorſque l'Académie des fcrences
a propoſé pour le ſujet du prix des années
69 & 70 de la meilleure manière de mesurer le
tems en mer. On fait cependant que , depuis près
de vingt ans , M. Berthoud s'occupoit de ces recherches
importantes , & M. l'Abbé Chappe , dont
l'Europe entière regrette la perte rendit compte
àl'académie des fciences , dans la ſéance publique
du 14 Novembre 1764, de la ſuite des travaux
qui , juſqu'à cette époque , avoient occupé M.
Berthoud. Dix ans auparavant , dès le 20 Novembre
1754 , cet artiſte avoit conſigné au ſecrérariat
de l'académie la théorie & les plans des horloges
marines qu'il avoit exécutées ; il rendit public
une partie de ſon travail dans ton Effaifur
Horlogerie , qui parut en 1763 .
La célébrité de M. Berthoud engagea , dans
l'année 1764 , M. le Duc de Choiſeul , alors miniſtre
de la marine , à faire faire l'épreuve d'une
montre , de l'invention de cet artiſte , & propre à
déterminer les longitudes . Sa Majesté chargeaM.
l'Abbé Chappe de faire à Breſt , & fur mer , les
obfervations qui ſeroient néceſſaires pour conftater
la validité de l'épreuve. Cette montre eſt la
première machine de cette eſpèce qui ait été ef-
Layée en France . M. l'Abbé Chappe rendit compte
du ſuccès de l'épreuve dans le mémoire qu'il lut
àla ſéance publique de l'académie , tenue le 14
Novembre 1764. On est étonné de ne point trouver
ce mémoire dans le recueil de ceux que l'Académie
a fait imprimer pour la même année &
pour les années ſuivantes. Il réſulta, de l'épreuve,
que la montre de M. Berthoud n'avoit pas varié
de plus de troisfecondes un dixième parjour,l'un
OCTOBRE. 1770 . 195
portant l'autre ; c'eſt-à-dire , qu'elle auroit donné
la longitude à la préciſion d'un demi- degré , à-peuprès
, dans une traverſée de fix ſemaines . Cepremier
efſſai ne fatisfit pas M. Berthoud ; il avoit
reconnu que certaines parties de la machine
avoient beſoin d'être perfectionnées : il entreprit
avec courageun nouveau travail , dans lequel ,
fans abandonner ſes principes , il s'occupa à en
rectifier l'application .
,
Dès ce tems il travailla par l'ordre & aux frais
du Roi ; &en 1768 , il fut en état de livrer deux
nouvelles horloges marines de ſon invention
dont Sa Majefté ordonna l'épreuve. Elle fit armer
pour cet effet au port de Rochefort , une frégate
dont elle confia le commandement à M. d'Eveux
de Fleurieu , enſeigne de vaifleau ; elle nomma
M. Pingré , chanoine régulier de SteGenevieve ,
de l'académiedes ſciences , aſtronome géographe
de la marine , pout faire conjointement , avecM.
deFleurieu , toutes les obſervations qui devoient
concourir à vérifier la marche des horloges deM.
* Berthoud , & à s'aſſurer du degré d'exactitude auquel
ces machines pouvoient donner les longitu
es en mer.
Jamais épreuve ne fut plus longue , plus ſévè-
&plus authentique. Sa durée a été de plus d'une
année: la multiplicité des relâches a prévenu les
compenfations d'erreurs : les obſervations ſont ſi
nombreuſes & faites avec une ſi grande préciſion
qu'elles doivent inſpirer la confiance la plus entière.
Quantà la forme qu'on s'étoit preſcrite dans
l'épreuve , elle ne paroît rien laiſſer à defirer. Les
horloges étoient fermées ſous trois clefs : MM. de
Fleurien & Pingré en avoient chacun une différente
, & la troiſième reſtoit entre les mains de
l'officier qui étoit chargé de la garde de la frégato
186 MERCURE DE FRANCE.
dans le port , ou du quart à la mer. Les caiſſes des
horloges ne pouvoient jamais être ouvertes fans
le concours des trois témoins. Toutes les obfervations
aſtronomiques ont été faites ſéparément
par M. de Fleurieu & par M. Pingré , en préſence
des officiers de la frégate , qui ont figné au procès-
verbal de chaque obſervation , qu'on a dreflé
fur le lieu même qui ſervoitd'obſervatoire. Chaque
procès- verbal fat envoyé , dans ſon tems , à
M. le Duc de Praflin , miniſtre & fecrétaire d'état
au département de la marine ; & il en a été laiflé
une copie aux gouverneurs des places ou aux confuls
de la nation dans les ports où l'on a relâché.
C'eft de cette épreuve dont il nous eſt aujourd'huipermis
de rendre compte , &dont le Public
ignore entièrement le ſuccès ; car on en auroiz
une idée peu exacte , ſi on la jugeoit d'après ce
que nous en avons dit dans notre Journal du mois
de Juillet 1770 , ( pag. 1433 ) & que nous n'avons
pas pu rapporter avec plus de certitude ,
n'ayant pas encore connoiflance des procès- verbaux
dont on vient de parler. On y lit que « les
>>ho>rloges marinesde M. Berthoud ont donné la
>>l>ongitude affez exactement , quoiqu'il foit vrai
qu'une des deux ait été arrêtée.>> On pourra juger
de l'exactitude de ces machines d'après l'extrait
que nous allons donner , & que nous tirerons
du rapport que l'Académie des ſciences a
adreflé à M. le Duc de Pralin , qui avoit ſoumis à
l'examen de cette ſavante compagnie le recueil
des obſervations de MM. de Fleurieu &Pingré.
Quant à l'affertion , qu'une des deux horlogess'est
arrêtée, nous devons à la vérité de rapporter le
fait qui a donné lieu à cette imputation. Le 3
Mars , à Cadix , MM. de Fleuricu & Pingré s'étoient
tranſportés à l'obſervatoire pour y prendre
OCTOBRE. 1770. 187
deshauteurs correſpondantes du ſoleil: la mer devintſi
orageuſe& le vent ſi violent qu'il ne leur
fut pas poflible de ſe rendre à la frégate avant fix
heures du foir. Les horloges n'avoient point été
remontées. Celle que nous déſignerons ſous le
nom d'horloge No. 6, &quine peut marcher plus
de 28 heures , étoit à bas lorſqu'on put regagner
la frégate: la ſeconde horloge , ſous le nom de
Nº. & , étoit encore en mouvement. On remonta
l'une& l'autre , & l'on remit les éguilles de l'horloge
Nº. 6 fur cellesdu No. 8 , en confervant cependant
, dans le rapport du tems qu'on fit marquer
aux deux horloges , la même différence qu'on
y avoit obſervée la veille. Ondreſſa un procès
verbal qui fut envoyé à M. le Duc de Praflin , &
qui a pallé ſous les yeux de l'Académie des ſciences.
L'Académie n'a pas conclu que l'horloge N° .
ſe fût arrêtée.
La durée de l'épreuve des horloges de M. Berthoud
comprend pluſieurs périodes qui peuvent
être regardées comme autant d'épreuves particulières.
Nous ne pouvons donner ici que des réfultats:
ilnenous eft pas poſſible d'entrer dans ledé
tail des obſervations & des calculs.
Du 18 Janvier 1768 , jour où l'on fit des obſervations
à l'iſle d'Aix , juſqu'au 4 Mars , jour
auquel on fit de nouvelles obſervations à Cadix ,
c'est-à-dire après un intervalle de quarante - cinq
jours, l'erreur de chaque horloge marine n'a été
que d'unfixième dedegré.
En comprant d'après le mouvement moyen de
chaque horloge, tel qu'on l'avoit établi à Cadis,
du4Mars au 27 du même mois , jour auquel on
a fait des oblervations à Ste Croix de Ténériffe ,
après vingt - troisjours , l'horloge No. 8 a donné
188 MERCURE DE FRANCE.
pour la longitude de ce port , à deux minutes de
degréprès , celle que le P. Feuillée a déterminée
par des obſervations astronomiques. L'horloge
No. 6 donnoit une erreur de eing minutes de
degré.
Du 4 Mars au 7 Avril , jour auquel on a fait des
obſervations à l'iſle de Gorée , après trente- quatre
jours, la longitude donnée par chaque horloge a
étéfort approchante de celle que MM. Deshayes ,
deGlos & Varin , de l'Académie des ſciences ,ont
établie pour ce port ; mais cette longitude ne paroît
pas aſlez bien conſtatée.
Entre les obſervations qui avoient été faites à
Cadix le 4Mars , & celles qu'on fit au Fort Royal
de la Martinique le It Mai ſuivant , il s'étoit
écoulé ſoixante-huitjours. Le 13 Avril , on avoit -
vérifié dans la rade de la Praya , le mouvement
moyen de chaque horloge , & on avoit reconnu
qu'à cette époque celui de l'horloge No. 8 retardoit
de trois ſecondes , & celui de l'horloge N°. 6
de deux ſecondes deux dixièmes de plus qu'à Cadia.
En employant , du 4 Mars au 13 Avril , pendant
quarante jours , le mouvement moyen obſervé
à Cadix , & du 13 Avril au 11 Mai , pendant
vingt- huit jours , le mouvement moyen obſervéà
la Praya , l'horloge No. 8 , aprèssoixantehuitjours
, adonné la longitude du Fort Royal ,
àun tiers de degré près , la même que celle qu'on
conclut des obſervations que le P. Feuillée avoit
faites auGros-Morne de la Martinique. L'erreur
étoitla même pour l'horlogeN° . 6.
Si l'on emploie pareillement , du4Mars au 13
Avril , le mouvement moyen obſervé à Cadix , &
du 30 Avril au 30 Mai , celui qu'on reconnut à la
Praya , l'horloge No. 8 , après quatre- vingt -Sept
OCTOBRE. 1770. 189
jours, adonné la longitude du Cap- François de
St Domingue la même , à un demi degré près, que
celle que MM. de Fleurieu & Pingré ont conclue
des hauteurs de la lune qu'ils ont obſervée dans
cette ville , &du paſſage de Vénus devant le difque
du ſoleil. L'erreur de l'horloge Ns. 6 n'étoir
que de vingt- cinq minutes de degré.
Dans la période de cent quarante-quatrejours ,
qui eſt l'intervalle de tems compris entre les deux
ſtations faitesà Ste Croix de Ténériffe , en ayant
égard, comme cela doit être , aux vérifications
du mouvement moyen faites dans les différentes
relâches , l'erreur de chaque horloge a été de cinquante
minutes de degré.
De Ténériffe à Cadix , aprèsquarante-fixjours,
Ferreur de l'horloge N°. 8 n'a été que de huit minutes
de degré : celle de l'horloge Nº. 6 a été de
cinquante minutes.
Dans la période dedeux cent quatorze jours ,
qui eſt l'intervalle compris entre les deux ſtations
faites à Cadix, l'erreur de l'horloge No. 8 a été
des trois quarts d'un degré , &' celle de l'horloge
No. 6 , d'undegré&demi.
DeCadix à l'ifle d'Aix , après vingt- quatrejours,
-l'erreur de l'horloge N° 8 a été d'un fixième de
degré : celle de l'horloge No. 6 , d'un peuplus d'un
quart.
Dans la période de deux cent quatre- vingt-fept
jours, compriſe entre les deux ſtations faites à
Tifle d'Aix , on a pour l'erreur de l'horloge N° . 8 ,
cinquante - quatre minutes de degré , & un degré
cinquanteminutes pour celle de l'horloge No. 6.
L'uſage continuelque M. de Fleurieu a fait de
ces horloges pour diriger ſûrement la route de la
frégate, & la préciſion des atterrages eſt ung
192 MERCURE DE FRANCE.
finguliere qui prouve la même choſe. J'eſpère que
vous voudrez bien contribuer à raſſurer le Public,
en l'inférantdans votre Mercure prochain. Le 13
Février dernier , j'eus l'honneur d'inoculer Mde
laDuchefle de Beauvilliers , qui avoit été préparée
à cette opération par M. de Bordeu ſon médecin.
L'infertion fut faite aux deux bras par la ſimple
piquure;méthode que j'ai déjà pratiquée à Paris
Iurplus de cent ſujets , avec un ſuccès conſtant.
Tous les accidens de la petite vérole parurent à
l'ordinaire ; mais l'éruption ne procura que trois
puſtules dans l'endroit même de l'inſertion qui ,
jointes à l'odeur varioleuſe qui ſe fit fortement
ſentir pendant pluſieursjours , ne permettoit pas
aux gens de l'art de douter de la réalité de la petite
vérole. Mais ſa bénignité la fit regarder de
Mde la Ducheſle&de ſa famille , comme une maladie
inutile , qui ne la préſerveroit point de la
petite vérole naturelle ; & , malgré la confiance
que le ſavoir&les ſuccès avoient fait mériter à
M. deBordeu dans cette famille , ſon témoignage
ne fit qquue diminuer les craintes&la prévention.
Il faut , Monfieur , s'être trouvé dans des circonſtances
auffi critiques pour ſerepréſenter Il''embarras
pénible d'un inoculateur qui s'intéreſſe vivementà
la tranquillité & au ſalut de ſes malades,
&qui croit voir dans les paroles , les geſtes , le
maintien& le regard de ceux qui les environnent,
des reproches d'un mal qu'il regarde lui - même
commeunbienfait de la nature.
Le rapport exact & fidèle d'une infinité d'exemples
ſemblables , ne faiſant que peu d'effet pour
La perfuafion , non-ſeulement je réſolus de réinoculerMdedeBeauvilliers
, mais je propoſai encoxed'inoculer
un autre ſujet avec de la matière ti-
τές
OCTOBRE. 1770 . 193
rée de les boutons qu'on ne vouloit point regarder
comme varioleux . Ma propoſition ayant été
acceptée , le 25 Février j'inoculai avec le pusune
petitefille de la campagne , âgée de huit ans , par
Ja fimple piquure. Dès le troiſième jour , les premières
marques de l'inſertion parurent aux deux
bras , tous les autres accidens fuivirent de près ,
&plus de cent boutons répandus tant fur les bräs
que ſur le reſte du corps , ne permettoit pas même
à ceux qui auroient été les moins clairvoyans
de douter de l'existence de la petite vérole. Dans
lemême tems j'inoculai Mde la Duchefle pour la
ſeconde fois , avec de la nouvelle matière priſe
d'une petite vérole naturelle , ſans qu'elle ait refſenti
le nioindre effet de cette opération .
Mde la Duchelle voyoit à chaque inſtant la petite
inoculée , qui habita toujours dans la même
maifon , la touchoit ſouvent dans le plus fortde
l'éruption , & reſpiroit le même air ; mais ce fut
en vain ; elle avoit payé le tribut à la nature & à
l'art , elle n'étoit plus ſuſceptible de contagion .
1
Cette nouvelle inſertion , & la petite inoculée
à qui Mde la Duchefle avoit donné la petite vérole
, lui auroient procuré un nouveau levain , s'il
eût été vrai que le premier n'eût fait qu'impasfai- .
tement fon opération. En effet cette petite fille
étant retournée chez ſa mere , avant que les croûtes
de les bras fuſſent entierement détachées , elle
communiqua naturellement la petite vérole à ſes
freres & foeurs qui l'eurent confluente.
Tous ces faits font atteſtés par les illuftres parens
de Mde la Ducheſſe & autres perſonnes de
qualité qui l'ont viſitée & qui ont aſſiſté aux inoculations
, & par des gens de l'art qui ont obfervé
, comme moi , la marche de la maladie. Je me
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
crois donc en droit de conclure que la variété
qu'on obſerve dans la petite vérole naturelle ou
inoculée , dépend moins de la nature ou de l'intenſité
du virus , que du tempérament ou de la
diſpoſition particulière des ſujets, ainſi que du traitement
de la maladie : en ſecond lieu , que l'éruption
ſoit légère on conſidérable , qu'il n'y ait
qu'un ſeul bouton ou qu'il y en ait cent mille , la
maladie eſt la même de ſa nature ; & par conféquent
cette obſervation est très propre a raflurer
ceux quin'ont eu ou qui n'auront à l'avenir qu'une
très- petite quantité de boutons , par la petite vérole
naturelle ou inoculée.
J'ai l'honneur , &c.
JAUBERTHON.
Il eſt bon de faire obſerver que Mde la Ducheſſe
& la petite fille inoculée ont été aflujetties pendant
le traitement , au régime ordinaire , mais
plus végétal qu'animal. Elles n'ont point ceflé
d'être expoſées au grand air & de ſe promener
tous les jours dans les jardins ou en pleine campagne
, malgré la rigueur de la ſaiſon: c'eſt àce
régime ſi peumeſuré en apparence , & que le préjugé
a rendu ſi redoutable , que la petite vérole
inoculéedoit principalement labénignité.
OCTOBRÉ. 1770. 195
ACTES de générosité & de bienfaisance.
さI.
UN enfant de douze ans , fils d'un militaire
, l'ami & le bienfaiteur des foldats
de ſa compagnie & des malheureux
qu'il peut fecourir , vient de donner un
trait de bonté & de générosité digne d'être
conſervé . Le pere de cet enfant avoit
cautionné pourun emploi un homme qui,
s'y étant mal comporté , fut renvoyé en
laiſfant dans ſa recette un vuide de deux
mille écus que ſa caution a été obligée de
payer. La choſe étoit reſtée inconnue à
ſa famille & à ſes amis , lorſqu'un jour
cet homme vint ſe préſenter dans la maifonde
ſon protecteur . Madame , épouſe
de l'officier , mere de l'enfant , fit à ce
jeune homme une leçon ſur ſon inconduire
cette juſte remontrance l'affe-
Eta beaucoup , & l'enfant , témoin de
fonchagrin , crut le conſoler & contenter
ſa mere en s'écriant par un ſentiment
d'humanité : » Maman , vous m'avez dit
>> qu'une parente m'avoit laiſſé , l'année
>> dernière , un legs de quatre mille li-
>> vres; cette fomme peut remplacer en
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
>>partie celle que cet infortuné doit a
mon papa ; rendez lui vos bontés ; il
>> feroit tropa plaindre de les perdre ſans
>>retour . » Ce cri d'un coeur bienfaifant
dans un âge ſi foible , tira des larmes de
joie & de tendreſſe des père & mere &
de l'aſſemblée.
II.
Claude Péchon , agé de 58 ans , pere
de huit enfans , pauvre vigneron du vil.
lage de Mombré - lez- Reims , reçut chez
Jui le 10 Mars de cette année un beaufrère
infirme & à charge à ſa famille
qu'il s'étoit engagé de nourrir & loger le
refte de ſa vie moyennant une donation
d'un bien modique évalué 400 livres. Le
penſionnaire tombe malade le lendemain
11 , meurt le 12 , eſt enterré le 13. Après
l'office célébré , on ſe rend à la cabanne
du défunt ; alors Claude Péchon remet
les titres du bien qui lui avoit été donné
, &, malgré les remontrances du Curé
& du Notaire , il remet la donation , difant
que pour deuxjours qu'il a gardéſon
penfionnaire,il ne veut pas avoir , aupréjudice
desesparens la conscience chargéed'un
bien acquis à fibon marché.
Ephémérides du Citoyen.
OCTOBRE. 1770. 197
ANECDOTES.
I.
On dit que la le Couvreur rioit avecle
parterre des pieces qui prenoient mal , &
contribuoit à leur chûte au lieu de les
foutenir ; elle faifoit ſa cour au parterre
aux dépens des fauteurs. Par ce manege ,
preſque toutes les pieces nouvelles où
elle jouoit tomboient , malgré ſes talens.
I I.
• L'Epreuve réciproque. Comme cette
piece eſt fort courte ; au ſortir de la premiere
repréſentation Lamotte qui trouva
Alainà qui on l'attribuoit , lui ditdans les
foyers : M. Alain , vous n'avez pas affez
alongé la courroie. Alain étoit ſellier.
III.
Le feu princede Galles étoit allé voirun
jour les curiofités que l'on conſerve dans la
tour de Londres ; il étoit accompagné de
pluſieursjeunes ſeigneurs;le vieux concier
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
ge le conduiſoit , lui montroit les curiofités
& les lui expliquoit. Il lui fit voir
entre autres choſes un pectoral d'un ſacri
ficateur dont la partie inférieure avoit été
emportée par un boulet de canon. » Le
» même boulet , ajouta le concierge , fra-
>>caſſa le ventre de celui qui portoit ce
>> pectoral , &lui mit les entrailles en
>> mille pieces. Un habile chirurgien en
>>prit ſoin , le guérit ; il vêcut encore dix
>> ans après cet accident. >> La compagnie
fourit de la gravité avec laquelle le
concierge racontoit cette fottiſe , & le
prince ſe tournant vers lui , dit avec beaucoup
de bonhomie : » Je me souviens
>> d'avoir lu autrefois une hiſtoire à- peu-
>> près telle que la vôtre. Un foldat ,
>> dans une mêlée , reçut un coup de ſa-
>> bre ſur la tête qui la lui fendit juſqu'au
>> col en deux parties égales , de maniere
>> qu'un côté tomba ſur l'épaule droite &
>> l'autre fur l'épaule gauche. Un de fes
>> camarades, étendantles mains, releva les
>> deux pieces de la tête , les rejoignit &
>> pour les faire tenir il les lia enſemble
> avec ſon mouchoir; le bleſſe ſe trouva
>>parfaitement bien ; il but ſa pinte de
>>biere le même jour, &le lendemain on
>> ne vit aucune trace de ſa bleſſure . »
Tous ceux qui entendirent le Prince écla
OCTOBRE. 1770. 199
terent de rire , le concierge s'apperçut
qu'on ſe moquoitde lui ,& fe garda bien
depuis ce tempsde répéter ſon hiſtoire.
FÊTE donnée par les Mousquetaires.
LES
És Mouſquetaires de la ſeconde Compagnie
n'ayant pu , à cauſe des exercices qui ont précédé
leur revue , donner plutôt des marques publiques
de la joie dont le mariage de Monfeigneur
le Dauphin les avoit pénétrés , l'ont fait
éclater à Noyon où ils étoient en quartier pendant
le voyage du Roi à Compiegne.
Le Dimaiclie 27 Août , jour qu'ils avoient
choiſi pour donné une fête à l'occaſion de cet
beureux événement , les principaux habitans
de la Ville , la Noblefie des environs & les Officiers
des garaiſons voisines qui avoient été invités
, ſe ſont rendus à l'Hôtel de Ville , que l'on
avoit , pour cette fête , diſpoſée dans le goût
d'un Wauxhall : la façade en étoit illuminée ,
une grande & belle galerie , deſtinée à fervir de
fallede bal , étoit décorée en forme de tonne de
verdure , & diftribuée en portiques de treillages
peints en verd , couleur de rofe & argent. Chacun
de ces portiques , dont les points de vue offroient
alternativement une perſpective en colonnade
, un payſage ou une caſcade peints au naturel
, étoient ornés dans leurs ceintres d'une couronne
de fleurs ovale , en forme de médaillon ,
ſuſpendue & foutenue par des draperies , imitant
le taffetas chiné , blanc , incarnat & cou
liv
200 MERCURE DE FRANCE.
leur de roſe , bouillonné & noué de noeuds de
gaze d'argent : l'arrête des treillages , ainſi que
les voûtes , étoient garnies de guirlandes de verdure
, mêlée de fleurs , & émaillée de noeuds de
toutes couleurs , mêlées d'argent. Les guirlandes,
dans chaque travée , formoient un pavillon : du
milieu de chaque pavillon pendoit un lustre , qui
répondoit à des bras en fleurs d'émail , chargés
de bougies , placés ſur les pilaſtres du treillage.
Dans une ſalle qui ſuivoit , on avoit dreſſé une
table en fer à cheval , ſervie en ambigu. Une
autre ſalle étoit deſtinée pour le jeu & les rafraîchiflemens.
Cette fête , qui a duré toute la nuit,
a été terminée par une diſtribution conſidérable
de pain aux pauvres de la Ville.
La décoration de cette fête eſt entièrement due
au goût & aux talens finguliers de M. le Chevalier
de Lirou , Mouſquetaire de la Compagnie.
Les Mouſquetaires Noirs , qui ont , dans cette
occafion , aſſocié les Habitans de Noyon à leurs
plaifirs , ont partagé leurs peines dans une autre
circonstance. Un incendie a confumé pluſieurs
maiſons pendant leur ſéjour ; leurs foins & leur
exemple ont beaucoup contribué à arrêter les
progrès des flammes .
'ARRÊTS , LETTRES - PATENTES , &c.
I.
LE Roi a accordé un brevet de Conſeiller d'Etat
à M. de la Martiniere , ſon premier Chirurgien
en faveur duquel Sa Majesté a donné auſſi
OCTOBRE. 1770. 201
,
une Déclaration enregiſirée au Parlement le 6
de ce mois par laquelle il eſt ordonné qu'à
l'avenir le premier Chirurgien du Roi prêtera ferment
immédiatement entre les mains de Sa Majeſté
, & qu'il recevía celui des Chirurgiens
ordinaires & de quartier , & de la Famille Royale.
Cette même Déclaration ordonne qu'aucun
fujet ne pourra être nommé à l'avenir aux charges
de Chirurgien de la Cour , fans avoir été
reçu à la Maîtriſe en la Chirurgie , dans quel
qu'une des principales Villes du Royaume , &
fansrapporter un certificat de ſa ſuffiſance &de
ſa capacité , ſigné du premier Chirurgien du
Roi.
:
ΙΙ.
9
,
Lettres-Patentes du Roi , données à Marly au
mois de Juillet dernier , & entegiſtrées au Parle
ment le 6 du mois ſuivant , par leſquelles le Roi
déclare les Citoyens & Habitans des Villes Impé
riales de Ratisbonne , Cologne , Augsbourg
Nuremberg , Worms , Ulm , Spire , Eflingen ,
Noerdlingen , Hall en Suabe , Nordhauten ,
Rotweil , Dortmand , Uberlingen , Fridberg ,
Fleilibroun , Welzlar , Memmingen , Lindau
Dunckeilſpiel , Offenbourg & Gengenbach
exempts. du droit d'aubaine dans toute l'étendue
de ſon Royaume , Sa Majesté voulant qu'ils y
foient favorablement traités pour leurs perfonnes
& commerce , à condition que fes Sujets
jouiront dans leſdites Villes des mêmes exemptions
du droit d'aubaine , & y feront auſſi favorablement
traités que les Sujets d'aucune au
tre Nation étrangère,
,
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
LUNDI
AVIS.
I.
Place au concours.
UNDI IS Octobre à trois heures préciſes de l'ai
prèsmidi il ſera ouvert chez M. Bachelier auxTuileries
, cour des Princes , en préſence de pluſieurs
membres des académies royales,un concours pour
la nomination d'une place d'adjoint à profefleur
de mathématiques & d'architecture dans l'école
royale de deffin . On n'y admettra que ceux qui
ſe ſeront fait infcrire huit jours auparavant chez
M. Bachelier.
I I.
Coursde Grammaire allemande .
M. Junker , de l'académie royale de Goettin
gue, auteur desNouveaux Principes de la langue
Allemande, à l'usage de MM. les Eleves de l'EcoleRoyale
Militaire , recommencera ſon cours
deGrammaire Allemande , le 14 Novembre prochain
,& le finira vers le milieudu mois de Mai
1771. Il fuivra l'Abrégé de ſes principes , qui ſe
vend 3 livres relié chez M. Muſier , fils , libraire
quai des Auguſtins , &qu'on trouve auffi chez
l'auteur. Les leçons ſe donneront trois fois par ſemaine
, le lundi , mercredi & vendredi depuis
neuf heures du matin juſqu'à dix heures &demic.
OCTOBRE. 1770 . 203
Ceux qui aſſiſteront à ce cours avec l'application
néceſſaire , peuvent comprer qu'ils y profiteront
aſſez pour pouvoir continuer l'étude de la
langue Allemande ſans le ſecours d'un maître ; au
reſte ils auront la facilité , s'ils lejugent à propos ,
defaire un autre cours pratique , qui ſera de fix
mois auſſi , & que M. Junker ouvrira à la fin du
premier , en faveur de ceux qui voudront ſe perfectionner
dans cette partie..
Le prix de ce cours eſt de trente- fix livres .
M. Junker donne auſſi des leçons particulières
pour le droit naturel & des Gens , la géographie ,
I'hiſtoire & le droit public d'Allemagne.
Il demeure rue Saint Dominique d'Enfer , la
porte cochere vis-à-vis le charron , chez M. Jarinthe
, Chirurgien.
ΙΙΙ .
Nouveau Scaphandre.
Ilfaut avouer que M. l'Abbé de la Chapelle a
porté le nouveau ſcaphandre à un point de perfection
admirable. Un particulier de Huningue
peu inſtruit dans l'art de nager , mais zélé pour
les découvertes utiles , a eſſayé le mois dernier
dans le rhin , un de ces inſtrumens que M. l'Abbé
laChapelle a fait conſtruire ſur les principes , &
qu'il a cu la bonté d'envoyer , dès le deuxiéme
Mai . La perſonne enhardie ne s'eſt fait qu'un jeu
de pafler & repaſſer le Rhin dans les endroits
les plus larges & les plus profonds , d'en parcou
rir, en deſcendant, un eſpace conſidérable , marchant
dans l'eau debout à la manière des firènes,
comme ſi elle eût été portée par enchantement.
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Rien n'eſt plus agréable , Monfieur , que ce ſpectacle
; ni plus utile que le fruit que l'on peur
retirer de cette admirable invention , tant pour la
mer , que pout bien des circonstances de Guerre
où il eſt eflentiel de porter à la hâte un petit corps
de troupes de l'autre côté d'un fleuve où l'on
arrive prêt à combatre ; mais c'eſt à l'auteur à décrire
lui-même , comme il ſe le propoſe , tous
les avantages que l'on doit attendre de ſa décou
verte.
Jai l'honneurd'être , &c.
D'ARTUS , Capitaine au Corps
du Génie à.Huningue.
I V.
Remède contre les maux de dents.
,
Le Sicur DAVID , demeurant à Paris rue
des orties , butre S. Roch , au petit hôtel Nothe
-Dame , à main droite en entrant par la rue
Ste Anne , vis -à - vis d'un perruquier , continue
de débiter un remède infaillible pour guérir toutes
fortes de maux de dents , quelque gatées qu'elles
foient, fans qu'on ſoit obligé de les faire arracher.
Ce remède , approuvé par Meffieurs les Doyens
de la Faculté de Médecine & autorité par M. le
Lieutenant-Général de Police , & dont les ſuccès
ont été annoncés dans tous les Journaux &
papiers publics depuis huit ans , confifte en un
topique que l'on applique le ſoir en ſe couchant
fur l'artere temporale , du côté de la douleur :
il la guérit ainſi que les fluxions qui en pre
OCTOBRE. 1770. 205
viennent , les maux de tête , migraines & rhumes
de cerveau : auffitôt qu'il eſt appliqué ik
procure un ſommeil paiſible , pendant lequel il
ſe fait une tranſpiration douce : le matin ce topique
tombe de lui-même , ſans laifler aucune
marque, ni caufer dommage à la peau , & on eft
guéri fans retour.
Mais , ce remède n'opérant la guériſon que
lors qu'on eſt couché & le mal de dents prenant
dans tous les momens du jour , ce qui empêcheroit
de vaquer à ſes affaires , le ſieur David vend
une eau ſpiritueuſe incorruptible d'une nouvelle
compofition , très-agréable au goût & à l'odorat
, dont les vertus ſont de faire ceſler dans la
minute les douleurs de dents les plus violentes.
Elle purifieles gencives gonflées , fait tranfpirer
les ferofités , raffermit les dents , prévient &
détruit la carie& les affections (corbutiques , dilfipe
la mauvaiſe odeur causée par les dents gâ
tées , fait tomber le tartre & leur conferve la
blancheur, ſi l'on en fait ulage deux ou trois fois
la temaine. Meſſieurs les marins en portent ordinairement
par précaution, ainſi que des topiques,
lorſqu'ils vont s'embarquer.
Le prix des bouteilles eſt de 3 & de 6 liv . , &
celui des topiques 11.4 f. chaque: il donne un
imprimé quiindique la manière d'employer l'un
& l'autre . On le trouve chez lui tous les jours
juſqu'à dix heures du foir.
Les perſonnes de Paris ſont priées d'apporter
pour les topiques un morceau de linge fin , blanc
deleffive.
208 MERCURE DE FRANCE.
Cematin, Cara Ofman Oglou ,riche Turc, qui
ades terres conſidérables dans les environs & qui
a été de tout tems l'ami des François , eſt entré
engrande pompe dans cette ville , accompagné
de mille hommes d'infanterie & de mille de cavalerie.
Il a été ſalué de l'artillerie du château ; tous
les grands du pays ont été au- devant de lui , excepté
le cadi & les deux douaniers , dont les intentions
font fort fuſpectes. Les drogmans des
différens confulats ſe ſont préſentés chez lui aujourd'hui
; il les a reçus avec beaucoup de diſtinction&
les a chargés d'aſſurer leurs confuls refpectifs
, que ſa préſence devoit diſſiper toutes leurs
craintes & que Smyrne alloit jouir d'une grande
tranquillité.
4 Il y a eu environ fix cens Grecs & trois Francs
qui ont péri dans le maſſacre du 8. Preſque tous
les Francs s'étoient réfugiés dans les navires ; le
reſte s'étoit barricadé dans les maiſons. Quelques
Janiſſaires font venusàbout de contenir , ſeuls
une populace furieuſe , & ont prévenu de plus
grands malheurs.
De Francfort , le 1 Septembre 17701
On écrit de Vienne que toutes les troupes Autri
chiennes qui ſe trouvoient dans la Tranſilvanie ,
font en mouvement. On ajoute que , ſuivant des
lettres qu'on y a reçues des frontières , les Tartares
quiont été défaits dans l'action du 8 Juillet dernier
, n'étoient qu'au nombre de huit mille , &
qu'un corps de cavalerie Turque , avoit furpris
enfuite , à peu de diſtance de Bender , un détachement
de cavalerie de huit mille Rufles qui , à leur
tour, avoient été entièrement défaits . Les mêmes
avis annoncent que le courage des Confédérés le
ranime de plus en plus en Pologne ; qu'ils font
journellement aux mains avec les Ruffes ; qu'ils
2
:
CTOBRE. 1770 . 209
ont défait le corps que commandoit le colonel
Nowieski , & que ce colonel a été fait prifonnier.
De Rome , les Septembre 1770.
Samedi dernier , on exécuta fur la place deNotre-
Dame del Popolo deux aſlaſſins , dont l'un fut
pendu & l'autre atlommé , égorgé & coupé enfuite
par quartiers . L'abbé Merli , bénéficier de la
paroifle de St Eustache , qui exhortoit le dernier ,
s'étant jeté trop en arrière au moment où le bourreau
déchargeoit ſon coup de maflue , tomba de
l'échaffaud fur le pavé & fe bleffa dangereuſement
àla tête. Le peuple jeta des cris perçans & le
bourreau , qui ne s'étoit pas apperçu de cette chûte
&qui croyoit que c'étoit à lui qu'on en vouloit ,
prit auſſi- tôt la fuite. Les sbirres , de leur côté ,
voulant appaiſer le tumulte , l'augmenterent par
les coups de bourrade qu'ils donnoient au peuple;
on dit même qu'un cheval échappé & deux chevaux
qui prirent le mords aux dents , mirent le
comble à ce défordre qui cependant n'eut pas de
fuites funeſtes , &dans lequel pluſieurs perſonnes
perdirent ſeulement quelques effets & curent une
partie de leurs vêtemens déchirés .
De Civita - Vecchia , le 1 ' Septembre 1770.
Ilya très longtems qu'on n'a vu ici une récolte
degrains auſſi abondante que celle de cette année.
De Venise , le 18 Août 1770.
On apprend par des lettres particulières , que
les Turcs ont fortifié les deux châteaux des Dardanelles
, & ont conſtruit pluſieurs redoutes le
long des bords du canal ; que les Rufles , après le
combat dus Juillet , ayant voulu forcer le paſſa-,
ge& entrer dans le détroit , ont étéfort maltraités
par l'artilleriede ces forts .
210 MERCURE DE FRANCE.
De Londres , le 17 Septembre 1770 .
Il ſe tint , le 12 de ce mois , à Saint-James , en
préſence du Roi , un grand confeil , auquel la plupart
des miniſtres aſiſtèrent & qui eut pour objet
les affaires de la marine & pluſieurs dépêches reque
, le 11 , de différentes cours étrangères. On
aflure que Sa Majeſté a invité le lord Chatam à affiſter
à tous les conſeils qui ſe tiendront à la cour
fur les affaires générales.
Avant-hier , il arriva de la Caroline méridionale
une malle qui a apporté pluſieurs lettres ,dont
quelques-unes annoncent une prochaine rupture
entre les Sauvages qui habitent l'ouest de cette
colonie. On a appris , par la même voie qu'un
vaiſſeau Eſpagnol , de ſoixante quatorze canons ,
for leſquels étoient embarqués le général O- Reilly
& pluſieurs autres officiers Eſpagnols , & qui
avoit à bord une ſomme confidérable d'argent ,
avoit échoué près du cap Floride. Le général , les
autres officiers & l'équipage ſe ſont ſauvés àCuba
dans leur chaloupe , fur laquelle ils avoient recueilli
l'argent ; mais le vaiſſeau a été entierement
perdu . Ce bâtiment étoit parti de la Havane au
commencement de Juin dernier pour repaſſer en
France.
De Compiegne, le 29 Août 1770 .
Le Roi vient d'accorder à l'Evêque - Comte de
Noyonles entrées de fa chambre.
De Versailles , le 15 Septembre 1770 .
Le Roi a donné l'abbaye de Montier- Rancey ,
ordre de S. Benoît , dioceſe de Troyes , à l'Evêque
de Tulle; celle de Chaume , même ordre ,
diocèſe de Sens , à l'Abbé Collet , confeffeur de
feu Monſeigneur le Dauphin : celle de Fontaine-
Blanche , ordre de Citeaux , diocèſe de Tours ,
OCTOBRE. 1770. 211
à l'abbé de Çaulaincourt , aumonier du Roi , vicaire-
général du diocèle de Rheims : celle de S.
Guilhem-du Deſert , ordre de S. Benoît , diocèle
de Lodeve , à l'abbé de Bayanne , vicairegénéral
du diocèſe deCoutances : celle d'Angles , ordrede
Saint Auguſtin , diocèſe de Luçon , à l'abbé
de Sinety , vicaire général du diocèſe de Noyon :
celle de Sauve , ordre de Saint Benoît , diocèle
d'Alais , à l'abbé de Villevielle , vicairegénéral
du diocèſe d'Alby: celle de la Boiſſière , ordre de
Citeaux , diocèse d'Angers , à l'abbé de Saluces ,
vicaire général du diocèle de Meaux : celle de S.
Sauveur de Lodeve , ordre de Saint Benoît , diocèſe
de Lodeve , à l'abbé de Leyſſin , vicaire général
du diocèle d'Embrun: celle des Iſles -d'Auxerre
, ordre de Citeaux , diocèſe d'Auxerre , à
la dame de Bufferan, religieuſe de l'abbaye de
Chabons en Dauphiné , & le prieuré perpétuelde
Notre-Dame de Montons , ordre de Saint Benoît,
Diocèse d'Avranches , à la dame de Coetlogon ,
religieuſe Bénédictine à Coutances.
LeNonce du Pape a été chargé par Sa Sainteté
de faire , en fon nom , & en qualité de ſon Rea
préſentant, la cérémonie de la priſe d'habit de
Madame Louiſe de France au Monastère des Carmelites
de S. Dênis ; en conféquenc: ce Miniftre
cut , le 9 de Septembre , une audience du Roi , à
qui il remit le Brefdu Saint Père à ee ſujet. Ayant
obtenu l'agrément de Sa Majesté , il ſe tranſporta
le lendemain , engrande cérémonie , au Couvent
des Carmelites ; Madame la Dauphine , qui devoit
donner le voile à Madame Louiſe , y arriva
àtrois heures après midi : il y eut un Sermon
prononcé par l'ancien Evêque de Troyes ; après
quoi le Nonce fit la cérémonie , à laquelle aſſiſtèrent
vingt-quatre Archevêques & Evêques . Tout
ſe paſſa avec l'ordre & la décence convenables,
MERCURE DE FRANCE.
é le peu d'eſpace qu'il y avoit dans l'EMe
pour contenir la multitude des perſonnes de
cout rang , qui s'étoient rendues à Saint Denis
pour cet objet. Les Muſiciens du Roi exécutèrent
de la muſique en faux-bourdon , ſous la conduite
du ſieur Mathieu , Maître de Muſique de la
Chapelle de Sa Majefté.
Du 19 Septembre.
Madame s'eſt rendue le 16 de ce mois au Monaſtère
des Carmelites , à Saint Denis , & y a
donné le voileà la demoiſelle de Beaujeu . L'Evê
que de Senlis , premier aumonier du Roi , a officiépontificalement
à cette cérémonie.
Madame Adélaïde a préſenté le mêmejour au
Roi la Marquiſe de Laval , en qualité de dame
pour accompagner cette Princefle
Le Comte d'Aché lieutenant-général des armées
navales , & grand- croix de l'ordre royal & militaire
de S. Louis a eu l'honneurde prêter ſerment
entre les mainsde Sa Majesté , en qualité de vice-
Amiral des mers du Ponent .
La marquiſe d'Havrincourt & la marquiſe de
Choiſeul ont eu l'honneur d'être préſentées au
Roi & à la FamilleRoyale par les marquiſes d'Havrincourt
& de Choiſeul leurs belles - meres .
De Paris , le 31 Août 1770.
L'abbé de Cicé , nommé par le Roi à l'évêché
de Rhodes , & l'abbé de Guernes , nomné à l'évêché
d'Aléria furent ſacrés le 27 de ce mois dans
l'Egliſe des Grands- Augustins par l'Archevêque
Duc de Reims aſſiſté de l'Evêque d'Auxerre& de
l'Evêque d'Autun.
NAISSANCES.
De la Haye , le 23 Août 1770.
La Princefle , épouſe du Prince Héréditaire de
Brunswich , eft accouchée heureuſement d'un
OCTOBRE. 1770 . 2.13
Prince, le 18 de ce mois , à cinq heures après
midi.
La Ducheſle d'Altemps, née Corſini , accoucha,
le 19 , d'une fille , qui fut baptiſée le lendemain.
Elle eut pour Parrain le Prince Bartholomée
Corfini , & fut nommée Marie- Angélique.
DePétersbourg , le 27 Août 1770.
L'Impératrice a reçu du Roi de Prufſe une
lettre , par laquelle Sa Majesté Prufſienne lui
certifie la naiſlance du Prince , dont la Princeſſe
Héréditaire de Pruſſe vient d'accoucher , & la
prie en même tems d'en être la Marraine.
MORTS.
Charles-Philippe de Vallois , Marquisde Murſay
, Baron d'Autricourt , de Mauzé & de Craon,
Seigneur de Turgis , la Loge , Pomblain , Nınville
, Damphale & Lecourt , eſt mort dans ſon
Château d'Autricourt en Bourgogne , le 28 Août
1770 , âgé de 67 ans. Il étoit fils du feu Comte
deMurſay , Lieutenant-Général des Armées du
Roi , Inſpecteur Général de la Cavalerie , mort
àTurin de ſes bleſſures , petit-fils du Marquis de
Villette , Lieutenant Général des Armées Navalles.
t
Il avoit épousé en 1746 Jeanne - Suzanne de
Paris , petite-ničce de M. de Paris , Grand Prieur
deFrance en 116656. De ce mariage , il ne refte
plus qu'une fille , qui eſt Angélique-Madelaine de
Vallois de Murſay.
Antoine-Marie Berard-de-Montalet-de-Ville
breuil, ancien Abbé Commendataire de l'Abbaye
Royale deMoutier- la-Celle , Ordrede S. Benoît ,
Congrégation de S. Vannes , Diocèſede Troyes ,
&, en cette qualité , Doyen des Abbés Commen
dataires de France , eſt mortàParis le 6Septem
214 MERCURE DE FRANCE.
bre , dans la quatre- vingt quatorzième année de
fon âge.
Dame Anne-Marie de Briqueville , épouse de
Jacques Gabriel Bazin , Marquis de Bezons & de
Mailons , Lieutenant Général des Armées du Roi,
eſt décédéeà Paris le 4 du mois de Septembre, âgée
de trente-cing ans .
Elle laiſſe deux enfans ; ſavoir , Jacques Gabriel-
Alexandre Bazin de Bezons , Officier dans le
Corps Royal d'Artillerie ,
EtArmande- Marie-Gabrielle Bazin de Befons .
Leon de Charry des Gouttes , Chevalier , Profes
de l'Ordre de S. Jean de Jérusalem , ancien
Capitaine des Vaiſſeaux du Roi , Commandeur de
la Commanderie de Sainte Anne , eſt mort à
Moulins , au mois de Septembre , dans la cinquante-
deuxième année de fon âge.
Marie-Louife-Auguftine de Laval-Montmorency
, épouse d'Antoine-Louis Crozat , Baron de
Thiers, Brigadier des Armées du Roi , Lieutenant-
Général & Commandant pour Sa Majesté dans la
Province de Champagne , eſt morte aux eaux
dc Barege , le 23 Août ; fon corps a été tranfporté
à Tarbes , & a été inhumé dans l'Egliſe Cathédrale
de cette Ville .
Louis Billouard de Kerlerec, Chevalier de l'Ordre
Royal & Militaire de S. Louis , Brigadier des
Armées du Roi , ancien Gouverneur de la Louifiane
, eſt mort à Paris le 9 de Septembre , âgé
d'environ ſoixante- fix ans.
१
LOTERIES.
Le cent ſeizième tirage de la lorerie de l'hôtel de ville
dest fait le 23 de Septembre en la maniere accoutumée. Le
lotde cinquante mille livres eſt échu an N° . 76363 ; celui
OCTOBRE. 1770 . 215
devingtmille livres auNo. 64943 , & les deux de dix milie
aux numéros 61179 & 70941 .
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire s'eſt fait
le 5 du même mois. Les numéros fortis de la roue de fortune
font 8 , 9 , 1 , 30 , 3 .
FAUTES à corriger dans le Mercure
de Septembre.
PAC. AG. 29 , lig. 2 , conquête , lifez coquette.
210, 18 , de mieux , lifez de curieux.
NB. Les boîtes de cire pour la peinture de M. le Baron
de Taubenheim oot été annoncées mal à propos dans le
Journal Encyclopédique du 15 Juillet 1770 , page 312 ,
10 liv au lieu de 24.
P
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers& en proſe , page
Epître à Mde la Comteſſe de **** , ſur l'éducation
de fon Fils ,
Le Joli , à Mademoiselle A *** ,
Tant pis pour elle , plus hiſtoire que conte ,
Invocation aux Muſes ,
La métamorphoſe de l'Amour , ſtances ,
La Saignée , proverbe dramatique ,
Epître à M. de la Galaiziere ,
Maximes fur l'éducation , par M. de Solignac ,
A M. D. S.
Vers aux Demoiſelles, quêtant le Jeudi Saint ,
Amon Oncle , le jour de fa Fête ,
Les dangers de l'inexpérience , conre moral ,
Explication des énigmes & des logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES,
Effai ſur l'hiſtoire générale de Picardie ,
Traité des bêtes à laine ,
S
ibid.
18
19
27
30
31
53
56
57
7
d
58
رو
60
So
ibid.
84
87
ibid.
97
216 MERCURE DE FRANCE.
Les Jours pour ſervir de ſupplément aux Nuits
d'Young,
Dictionnaire portatif de commerce ,
Effais fur la Religion Chrétienne ,
Manuel des Pulmoniques ,
Traité de la goutte & du rhumatiſme ,
Sélicourt nouvelle , par M. d'Arnaud ,
Méditations ſur les toinbeaux , trad. de l'anglois ,
Lettres fur les lois civiles ,
ACADEMIES,
A M. Dupaty , ſur l'éloge de Montagne ,
SPECTACLES. Concert ſpirituel ,
Opéra ,
Comédie françoiſe ,
Comédie italienne ,
ARTS, Muſique ,
Architecture,
Peinture ,
Gravure ,
Lettre à l'Auteur du Mercure de France ,
Epreuvedes horloges marines de M. Berthoud ,
Lettre fur l'inoculation, par M. Jauberthon ,
Actes de générofité & de bienfaiſance.
Anecdotes ,
Fête donnée par les Mouſquetaires ,
Lettres-patentes , Arrêts , &c .
Avis ,
Nouvelles politiques ,
Naiſlances,
Morts ,
Loteries ,
IOI
105
106
107
108
110
116
121
139
152
154
155
162
164
170
171
172
174
179
183
191
• 195
197
199
200
202
206
212
213
214
JAI
APPROBATION.
lu , par ordrede Mgr le Chancelier , le premiervol:
du Mercure d'Octobre 1770 , & je n'y ai rien trouvé qui
m'ait parudevoir en empêcher l'impreſſion.
AParis , le 29 Septembre 1770 .
RÉMOND DE STE ALBINE ..
De l'Imp . de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
OCTOBRE. 1770 .
SECOND VOLUME.
Mobilitate viget . VIRGILE.
100172V/
DOCY
A PARIS ,
Chez LACOMBE , Libraire , Rue
Chriſtine , près la rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
C'EST au Sieur LACOMBE libraire , à Paris, rue
Chriſtine , que l'on prie d'adreſſer , francs de port,
les paquets & lettres , ainſi que les livres , les eftampes
, les piéces de vers ou de proſe , la muſique,
les annonces , avis , obſervations , anecdotes
, événemens finguliers , remarques ſur les
ſciences & arts libéraux & méchaniques , & généralement
tout ce qu'on veut faire connoître au
Public , & tout ce qui peut inſtruire ou amuſer le
Lecteur. On prie auſſi de marquer le prix des livres
, eſtampes & piéces de muſique.
Ce Journal devant être principalement l'ouvrage
des amateurs des lettres& de ceux quiles
cultivent , ils font invités à concourir à ſa perfection
; on recevra avec reconnoiſſance ce qu'ils
enverront au Libraire ; on les nommera quand
ils voudront bien le permettre , & leurs travaux ,
utiles au Journal , deviendront même un titre de
préférence pour obtenir des récompenſes ſur le
produit du Mercure.
L'abonnement du Mercure à Paris eſt de 24 liv.
que l'on paierad'avance pour ſeize volumes rendus
francs de port .
L'abonnement pour la province eſtde 32 livres
pareillement pour ſeize volumes rendus francs de
port par la poſte.
On s'abonne en tout temps.
Le prix de chaque volume eſt de 36 ſols pour
ceux qui n'ont pas ſouſcrit,au lieu de 30 fols pour
ceux qui font abonnés.
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in-4° . br.
Mémoire fur la conſtruction de la Coupole
projetée pour couronner la nouvelleEglife
de Ste Genevieve , in- 4° . 11.101.
Satyres de Juvenal ; par M. Duſaulx ,
in 8°. rel . 71 .
Recréations économiques , vol . in - 8º. br. 2 1. 10 (.
Nouvelles recréations physiques & mathématiques
, 4 vol . in - 8 " . 241.
'Le Dictionnaire de Jurisprudence canonique ,
in-4°. 4vol. rel. 481 .
Dict. Italien d'Antonini, 2 vol. in - 4°. rel. 301 .
Méditations fur les Tombeaux , 8 br. 11.106.
Mémoire pour les Natifs de Genève, in- 8 ° .
broch. 11. 41.
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE. 1770 .
PIÉCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE
SUITE du Printems . Chant premier du
poëme des Saiſons ; Eſſai d'imitation
libre de Thompson.
Amours des Oiseaux .
MON ſujet m'ouvre une route nouvelle ;
Prends aufli , prends , ô Muſe , un vol nouveau :
De ces boſquets la muſique t'appelle ;
Viens y mêler le ſon de ton pipeau .
Vous , Roſſignols , que votre voix touchante
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Fafle éclater ſes ſublimes accens !
Prêtez-les moi : leur grace ſéduiſante
Demille attraits embellira mes chants.
L'amour renaît : cette ame univerſelle
Prend ſon effor , pénètre , échauffe l'air ,
Et , diſſipant les langueurs de l'hiver ,
Répand fur tout une vigueur nouvelle :
La troupe ailée , avide de plaiſirs ,
Reffent bientôt l'aurore des defirs ;
Leur feu s'allume ; il donneàfon plumage,
En circulant , de plus vives couleurs :
Un doux eſpoir animant ſon ramage ,
Tout retentit de concerts enchanteurs ,
Et l'harmonie habite le feuillage.
Cette muſique est la voix de l'amour ;
Aces amans il apprend l'art de plaire ,
Etd'obtenir le plus tendre retour.
Chacun dès-lors efſaie à ſa manière
De pratiquer ces charmantes leçons ;
Et , courtiſant l'objet de ſes chanfons ,
Produit au jour ſon ame toute entière.
Ils font dans l'air mille tours différens :
On les voit fuir , ſe rapprocher ſans ceffe,
S'enfuir encor , revenir plus preſlans ,
Pour attirer leur ſenſible maîtreffe ,
Qui paroît fourde à leurs concerts touchans ,
Voulant ainſi redoubler leur tendrefle ;
Mais elle cède à leurs tranſports brûlans ,
OCTOBRE. 1770 . 7
Et va bientôt partager leur ivreſle.
Au fond des bois conduits par leurs deſirs
Ils vont goûter les plus eharmans plaiſirs :
Fidèle aux loix , au voeu de la nature ,
Leur coeur brûlant exhale ces ſoupirs
Qu'excite ſeule une tendreſſe pure.
Mais de l'hymen les gages ſontdonnés :
Le ſoin preſſant d'élever un aſyle
Vient commander ces époux fortunés :
Ont- ils choiſi quelque enceinte tranquille ,
Pour échauffer leur demeure fragile
D'une aile fûre ils raſent les troupeaux ,
Leur dérobant une laine inutile ,
Et qui ſuffit à leurs pieux travaux.
Au moindre bruit inquiette , en alarmes ,
La mère veille à ce dépôt ſacré :
Du doux printems en vain brillent les charmés ;
Afon objet ſon coeur reſte livré.
Son tendre époux , perché ſous le feuillage ,
Gai , fatisfait & d'amour enivré ,
La divertit par ſon joyeux ramage.
Lorſque , par fois cédant à fes beſoins ,
Elle aſſouvit la faim qui la dévore ,
Il la remplace &partage ſes ſoins.
L'inſtant marqué , les petits , nuds encore,
Mais parvenus à leur première aurore ,
Pour s'échapper ont briſé leur lien :
Frêles roſeaux , leur impuiſſance implore
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
De leurs auteurs & l'aide & le ſoutien .
Quels sentimens , quelle vive tendreſſe
Vont s'emparer de ces nouveaux parens !
Comme aux besoins de leurs foibles enfans
Sçaura fournir leur prévoyante adreſſe !
Tel au village un couple vertueux ,
Touché du fort d'une famille entière
Qui gémiſſoit fous des revers affreux ,
Pour foulager ſa profonde misère ,
Court lui porter des ſecours généreux.
De ces époux la vigilante adreſſe
Sçait éloigner les dangers menaçans :
Toujours leur nid , objet de leur tendrefle,
Eſt à l'abri de l'orage & des vents .
Si quelque bruit vient troubler ſon aſyle,
L'oiſeau ruſé ſoudain d'une aile agile
Vole fans bruit ſur un buifion voiſin :
Il fort bientôt , comme plein d'épouvante,
Fuit en criant & trompe ainſi l'attente
Etla fureur de l'écolier malin .
Rafant des champs la furface ondoyante,
Telle Pluvier écarte l'oiſeleur ;
Détour pieux ! fraude pure , innocente ,
Quiledérobe à ſon bras deſtructeur !
Muſe , pleurons ces malheureux eſclaves,
Mis dans les fers par de cruels tyrans :
Déſeſpérés de ces triſtes entraves ,
Leur voix ne rend que de lugubres chants .
OCTOBRE. 1770. 9
Leur éclat fuit ; leurs beautés ſont fannées ;
Leur oeil ſans feu peint leurs fombres douleurs :
Vous , qui d'amour connoiflez les douceurs ,
Ah ! faites grace à ces tendres lignées ,
Et que leur fort attendriſſe vos coeurs !
Gardez -vous bien d'affliger Philomèle ,
En raviſſant les gages de les feux :
Des fombres bois ce chantre harmonieux
Ne peut fouffrir une priſon cruelle.
Quel déſeſpoir pour ces tendres parens !
Quelle douleur les ſaiſit , les accable ,
Lorſqu'une main avide , impitoyable ,
En leur abſence a ravi leurs enfans !
L'oeil abattu , d'une aile languiſſante
Ils vont chercher un aſyle voiſin :
Là , dévorés d'une douleur cuiſante ,
Tout à leurs yeux retrace leur deſtin :
Leur voix s'épuiſe en accens lamentables ;
L'aſpect des bois redouble leurs tourmens :
L'écho , touché de ces fons déplorables ,
Semble répondre à leurs gémiſlemens.
Mais , cependant , paré de ſon plumage,
Chaque petit veut s'affranchir des fers :
Impatiens de meſurer les airs ,
Ils volent tous de branchage en branchage ,
Et font déjà mille circuits divers.
Le poids de l'air à leur aile novice
Av
ro MERCURE DE FRANCE.
Montre à flotter fur ce vaſte élément :
A leurs efforts le feuillage eſt propice ;
Dejour en jour leur vol eſt plus bruyant.
Mais , une fois que la crainte eft bannie ,
Rien ne retient ces volages enfans :
Fiers de ſe voir arbitres de leur vie ,
Ils ontlaiflé pour jamais leurs parens.
Tandis qu'au ſein de l'ombre des bocages ,
Tous les oiſeaux ſe livrent au plaifir ,
Unmonde entier d'animaux plus lauvages
Eprouve aufli l'aiguillon du defir :
LeTaureau fent la paffion brûlante
Avec ardeur circuler dans fon fang;
Il fuit des prés l'herbe fraîche &riante ,
Cherche les bois , ſe roule & bat fon flanc.
Levant aux cieux ſa tête étincelante ,
Le fier courſier , rebelle au châtiment ,
N'obéit plus au mords qui le tourmente.
:
Juſques au fondde l'humide élément
L'amour vainqueur exerce fa puiflance :
L'hôte écaillé de l'humide élément
.. D'un feu fecret reflent l'effervefcence .
Maismon fujet m'emporte trop avant :
Mamuſe qublie en fon égarement
Qu'elle le chante aux beautés de la France:
Leux doux aſpect m'impoſe le filence
Etme ramène au pied de ces côteaux ,
OCTOBRE. 1770. 11
Où , dans la paix , le calme & l'innocence ,
Les bergers font réſonner leurs pipeaux.
Sçavant hardi , ſcrutateur téméraire ,
Parle; quelle eſt cette eſſence première ,
Cefeumoteur & ce ſouffle puiſſant
Qui donne l'être à la nature entière !
C'eſt l'Eternel , qui tira du néant
Le mouvement , la lumière & la vie ,
Qui règle tout par ſon vaſte génie ,
Etfoutient ſeul l'Univers chancelant.
Quoiqu'il ſe cache à l'oeil le plus perçanr ,
L'Auteur divin paroît dans ſes ouvrages :
C'eſt toi , ſur- tout , c'eſt toi , Printems charmant
,
Qui nous découvre un maître bienfaiſant ,
UnMaître enfin digne de nos hommages.
Tandis que l'air , & la terre & les eaux ,
Marquent ſes ſoins , atteſtent ſa clémence,
Il fait agir l'inſtinct des animaux ,
Et de ſes feux il fond leur indolence .
4
Par M. Willemain d'Abancourt.
:
!
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
S1
1
MADRIGAL.
1 ma Zélis n'étoit que belle ,
Pourroit- elle charmer mon coeur ?
Mais elle eſt douce , attrayante , fidèle ,
Et méconnoît ſon pouvoir enchanteur :
Chaque jour je découvre en elle
Mille talens , mille vertus ;
Jecrois , en l'entendant , entendre Philomèle :
Je crois , en la voyant , voir Minerve ou Vénus.
Par le même.
LE CHEVAL & LANE.
Fable imitée de l'allemand.
CeE nn''eefſtt point toutdeprêcherleshumains
Sans l'à propos vos difcours feront vains ;
Lebien faifir eſt unpoint néceflaire.
Un cheval gras , diſpos , &dont ſoir &matin
On renouvelloit la litière ,
Vit un ane abattu , maigre & mourant de faim
Qui ſe plaignoit des rigueurs du deſtin :
Pourquoi donc cette plainte amère ,
Lui cria-t- il; des dieux redoutez le courroux;
OCTOBRE. 1770. 13
Plus bas que vous jetez les yeux , mon frère ;
Combien d'ânons plus à plaindre que vous !
Souffrez donc avec patience ;
Réſignez- vous & baiſſez votre ton :
Le Ciel vous aime , & c'eſt par bienveillance...
Ahidit l'âne en courroux , maugrebleu du ſermon:
Débiterois- tu ces merveilles ,
Ayantle ventre auſſi vuide que moi ?
Les recevrois - tu bien ? Allons ; retire- toi : -
Ventre affamé n'a point d'oreilles .
Par le même.
STANCES.
A la Fille d'un Maréchal- ferrants
QUEL eſt letrouble de nos ames !
Etque nos yeux ſont enchantés !
Lorſque tu fais jaillir des flammes
Du ſeindes métaux indomptés.
Tes beaux bras dans cet exercice
N'ont rien perdu de leur blancheur,
Si le ciel à mes voeux eût été plus propice ,
Ilm'eût fait forgeron pour amollir ton coeur,
1
14 MERCURE DE FRANCE.
L'amour avant ton exiſtence
Par de foibles liens enchainoit l'Univers ,
Rien ne réſiſte à ſa puiſſance
Depuis que tu forges ſes fers.
Lorſqu'à coups redoublés tu frappes ſur l'enclume,
C'eſt Vénus au milieu des antres de Lemnos;
Des mêmes feux ta beauté nous confume
Lorſque tu prens quelque repos.
Pour mieux réaliſer l'emblême de la fable ,
Prens un cyclope pour époux ,
Qu'à Vulcain il ſoit tout ſemblable ,
Qu'il craigne ſes malheurs & les éprouve tous.
Par M. de la Louptiere.
LA NULT.
PAISIBLE NUIT ! que tu m'as agréablement
furpris ! affis fur le gafon , je
contemplois Phébus , je le voyois ſe perdre
derrière le ſommet de ces hautes
montagnes : il ſe retiroit couvert d'un
nuage léger, &, ſemblable àun voile doré
il s'éloignoit des côteaux , des bocages &
des prairies , en leur dardant encore quelOCTOBRE.
1770. 15
ques foibles rayons. Toute la nature étoit
éclairée pardes ondes de pourpre & d'azur ,
&desnuës enflammées embraſfoientl'athmoſphère
. Les oiſeaux chantoient , ils
célébroient la retraite de l'aſtre radieux
en cherchant un gîte aſſuré : le berger retournoit
dans ſa cabane , lorſqu'un doux
fommeil furprit mes fens .
Qui m'a éveillé ! eſt-ce toi , Philomèle?
Sont - ce tes tendres accens , ou le
bruit de quelque nymphe poursuivie par
un faune , dont les ardens defirs la forcent
de ſe dérober à fes yeux ?
Oh! que tout ce qui m'environne offre
de beautés à mon ame ſenſible ! toute
la contrée eſt plongée dans undoux ſommeil
, dans un filence voluptueux .
Mes regards errent dans l'obſcurité de
ces lieux : la fombre clarté des étoiles ,
la lune dont les pâles rayons percent à travers
le feuillage agité d'un léger frémiffement;
tout me caufe une ſenſation délicieuſe.
Ici , un lit de verdure , parfemé
de fleurs , offre un doux repos : là , de
grands arbres , dont les branches touffues
rendent l'obſcurité impénétrable, me caufent
une religieuſe horreur : plus loin,les
Hots argentés font un doux murmure,&je
voisdes flammes légères qui voltigentdans
16 MERCURE DE FRANCE.
les champs & vent ſe perdre parmi l'eau
limpide d'un ruiſſeau pour renaître &
mourir encore .
La Lune s'avance : ſon char eſttiré par
des dragons ; leurs corps replié & tortueux
& leurs aîles bruyantes annoncent
l'arrivée de la courière de la Nuit.
Quel parfum exquis s'exhale autour de
moi ? O toi , violette , qui choiſis la nuit
pour embaumer ces lieux , que tu rends
cette folitude délicieuſe ! tu te caches en
vain. Je ne vois point tes couleurs charmantes
& variées , mais la volupté que
tu me fais reſpirer te découvre à mes fens.
Le tendre zéphire repoſe ſur ton ſein : empreſſé
au tour de toi , les jours qui s'écoulent,
font pour lui des momens : la fatigue
l'aſſoupit mollement : ce repos te prépare
de nouveaux plaiſirs . Demain au lever de
l'aurore , il s'éveillera & répandra fur toi
les perles brillantes d'une douce roſée ,
dont ſes ailes font chargées.
Quel est ce bruit qui trouble& fuccède
au filence profond de toute la nature ?Ce
font les habitantes des marais qui adreffent
leurs chants enroués à la Lune ; cachées
entre les roſeaux & levant leur têres
du fond de leurs marécages. Leurs
croaffemens ont pour elles autant de char
OCTOBRE. 1770 . 17
mes que l'harmonie voluptueuſe du tendre
roffignol . Tel eſt un poëte obfcur qui
chante fon mécène : prévenu en faveurde
ſa muſe , émerveillé de l'opulence de fon
protecteur , il eſpère & croit mériter d'être
admis à ſa table : il prend ſa lyre ; fa
tête s'embraſe , il s'eſtime au - deſſus des
chantres d'Apollon : ce dieu lui – même
peut à peine l'égaler.
Derrière la prairie s'élève un côteau ,
couronné de jeunes chênes. Dans ce beau
lieu , la Lune diſpute l'empire aux ténèbres
, & forme en cet endroit un contraſte
charmant. J'entends le ruiſſeau couler
au pied de ce côteau. Son murmure
eſt rapide , il ſe briſe ſur des cailloutages ,
ſe précipite dans ce vallon , & fes eaux
brillantées arrofent les fleurs qui naillent
fur fes bords.
C'eſt ici , c'eſt dans cet endroit même ,
c'eſt ſur ce gaſon chéri que je trouvai la
plus belle des bergères ! elle étoit là, couchée
ſur ces fleurs : une robe voltigeante
la couvroit à demi. Elle tenoit un luth,&
ſes mains délicates, plus blanches que la
neige entiroient des fons légers , enchan.
teurs. Ils excitèrent mes tranſports ; je les
préférai aux plus doux chants du roffignol :
cède , cède , ô Philomèle , à ma bergère.
18 MERCURE DE FRANCE.
Elle chantoit , toute la contrée ſembloitl'écouter
: les oiſeaux ceſſèrent leurs
ramages , les zéphits n'osèrent la troubler
, ils en preſsèrent plus tendrement
les rofes; tout partagea mon raviſſement .
L'Amour couché à l'ombre auprès d'un
buiflon l'écoutoit avec ſurpriſe. Je ſuis le
dieu de la tendreſſe , dit - il , j'excite les
tranſports les plus doux ; mais , j'en jure
par le Stix ! Jamais , non jamais je n'ai
joui d'une volupté ſemblable à celle que
j'éprouve.
Diane elle-même arrête ſes courſiers ;
penchée fur le bord de fon char, elle écoute...
Elle foupire ...
La bergère ſe tut : déjà l'écho avoit repété
trois fois les derniers accens de fa
voix , toute la nature écoutoit encore. Le
roffignol , perché ſur un myrte , n'oſoit
ſe faire entendre. Je m'approchai d'elle :
Fille céleste ! déeſſe , lui dis - je , je
pris ſa main , la preſſai en tremblant & je
foupirai . La bergere baiſſa ſesbeaux yeux,
rougit & fourit. Je tombai à ſes pieds , je
balbutiai quelques mots , & j'exprimai
mon raviſſement d'une voix tremblante .
...
Ma main erroit au tour de ſes vêtemens
: les ſiennes ſervoient à couvrir fon
ſein d'albâtre... La bergère ſoupira, j'enOCTOBRE.
1770. 19
tendis ce foupir, un regard ſuppliant m'arrêta
. Son embarras , ſa rougeur la rendirent
encore plus belle ; également honteux
de ma foibleffe & de mon tranſport , je
laiſſai échaper une victoire preſque cerraine.
O bergère ! adorable bergère ! où ſuisje?
Qu'ai je fait ? Bien tôt je ſuccombe ;
je ſuis tranſporté , enivré ; je meurs ...
Mais Dieux ! que vois-je dans cette fombre
prairie ? Des flammes ſe jouent avec
des flammes ! elles s'uniffent , ſe ſéparent;
elles forment une couronne , difparoifſent
auſſi vite que l'éclair , & fuient au
travers des bois & des bocages .
Ce font des divinités ! l'homme cham.
pêtre tremble devant elles , & le citadin
orgueilleux les nomme vapeurs enfammées
. Oui , vous êtes des dieux bienfaiſans
qui paroiffez pour favorifer de tendres
amans : vous éclairez les bergères
qu'un tendre foin amène dans les builfons
& vous écartez les argus qui s'oppoſent
aux myſtères de Cypris .
Mais qu'êtes - vous devenus ? Vous êtes
diſparus à mes yeux étonnés. Je n'apperçois
plus qu'une lumière pâle , ſemblable
à la foible lampe d'un ſavant quis'endort
fur ſes livres , pendant qu'une époufe ai
20 MERCURE DE FRANCE.
mable & délaiſſée cherche un repos qui
la fuit. Un ver , un infecte ſi petit produit
cette lumière ! O muſe ! apprens moi
d'où provient cette merveille ? Jupiter aima
une jeune mortelle , * charmante ,
belle comme Vénus . Junon , irritée des
fréquentes infidélités de ſon époux , le
fuivoit fans ceſſe. Cette déeſſe, obſervant
un jour Jupiter, le vit ſe transformer en
papillon & voltiger ſur le ſein de la bergère
. Ses yeux s'enflammèrent du plus
violent coutroux. Eh quoi ! les papillons
aiment leurs femblables , mais un ver ailé
brûler pour une mortelle ! Elle dit & defcendit
fur la terre au moment que Jupiter
, reprenant fa forme naturelle , tenoit
dans fes bias la bergère étonnée. « Sois
>> ce qu'il étoit avant ton crime. » Ainfr
parla Junon , les yeux étincelans de colère.
L'infortunée bergère s'échapa des
bras du dieu & rampa fur une deur . Pour
éternifer fon affront & fa vengeance , Junon
détacha un rayon de l'étoile du foir
&l'attacha fur le corps de ce nouvel infecte.
Que vois- je ? des nuës furmontent les
étoiles , les cachent; elles font argentées
&brillantes comme elles. Sur le bord
OCTOBRE. 1770 . 21
des pampres ſe jouent de petits amours ,
ils laiffent dégouter les pleurs de l'autore
pour épanouir les roſes & mûrir les raifins.
Ces petits dieux favent ce que peut
le jus pétillant de la vigne & le parfum
des rofes!
Cependant la Lune ſe cache ; pourquoi
t'envelopper de fombres voiles , ô déetſe?
Qui te fait ainfi pâlt ? Ne peux tu éclairet
ni fouffrir les jeux de l'Olympe , ou
bien un fatyre cruel re ravit il ton cher
Endimion ? Chaſte déefle , daigne m'éclairer!
je veux fortir de ce bocage , vifi
ter ce coreau , où le ruiſſeau ferpentant ,
ombragé d'arbrilleaux , coule à travers les
bofquets , où le pampre rampant fuccombe
fous l'effort des grappes . C'eſt dans ce
lieu , couché fur ces tapisde gafon , que
j'ai fouvent chanté , avec mes amis , des
chanfons qu'Haguedorn & Gleim *
poſent ſur les plaiſirs & fur l'amour.
com-
Je ſens une pluie fine tomber à travers
le boſquet. Une douce & bienfaiſante
rofée defcend ſur cette voûte de verdure ,
car Bacchus l'a priſe ſous ſa protection .
Souvent, pendant une nuit profonde ,
on entend avec étonnement chanter des
*Deux poëtes fameux,
22 MERCURE DE FRANCE.
hymnes à l'honneur du fils de Semèle , &
le bruit argentin des coupes qui s'entrechoquent.
Le voyageur égaré s'arrête ,
regarde autour de lui : ſurpris de ne rien
voir , il tremble , friſſonne , fait quelques
pas en arrière ; regarde encore , & plein
de terreur , franchit cet eſpace conſacré
au dieu du vin .
Je vous ſalue , fombre berceau , dont
les grappes pendent au haut de la voûte.
Que le clair de lune eſt favorable à vos
feuilles ; que le murmure en eſt doux !
د
*
Queleſt ce bruit que j'entens , qui agite
ainſi ces grappes ? Sont - ce les zéphirs ?
Mamuſe le croit ainfi.-Ou ce ſont des
ſylphes légers que d'officieux zéphirs
portent ſur leurs aîles. Ils ſe jouent avec
de petits amours , s'aſſemblent ſur le coton
des grappes &folâtrent dans ce labyrinthe
délicieux. Sont-ils fatigués , ils ſe
couchent ſur les feuilles des pampres , ou
ſe baignent dans le ſein des roſes & s'endorment
ſur l'oeillet. Leur plaiſir redouble
lorſqu'une jeune beauté a cueilli la
fleur ; ils badinent avec volupté ſur ſon
ſeind'albâtre .
* Il y a dans l'original , atomen kéinftigen
frgünde , des atomes d'Amis à venir ou prochains,
CTOBRE. 1770 . 23
O mes amis ! vous êtes à préſent dans
les bras du ſommeil.Ah ! que n'êtes- vous
ici ? déjà j'aurois entendu vos chants !
j'aurois volé vers vous ; ma voix ſe ſeroit
unie aux vôtres , j'aurois partagé votre
joie , ah ! je l'aurois encore excitée.
Mais quels accens ? mes joyeux compagnons
paroiffent ſur le côteau ! Peutêtre
eſt- ce Bacchus avec ſa ſuite qui vient,
par ſa préſence , embellir ces lieux .
C'eſt vous , mes amis !je vous vois !
vous montez ſur le côteau ! venez ! couronnons-
nous de pampre , affeyons- nous
fous ce berceau , accordons nos voix ; les
bocages d'alentour retentiront de nos
chants ,& les échos les rediront aux échos.
Le faune qui ſommeille dans ſon antre
nous entend & s'éveille : étonné , il écoute
, ſe lève , ſaute , bégaie quelques fons
enroués& finit par ouvrir ſon outre .
Phébus paroît ſur ſon char , derrière
cette montagne; il nous trouve encore.
Ah ! s'écrie - t- il , jamais je n'ai goûté de
joie auſſi pure , depuis que je ſuis rétabli
dans l'Olimpe ! il dit &raſſemblant des
nuës épaiſſes , il fait ſuccéder un triſte
jour à la plus belledes nuits.
Traduit de l'allemand de M. Gessner,
par Mlle Matné de Morville,
24
MERCURE DE FRANCE.
VERS contre l'inoculation qui ont engagé
la Demoiselle à qui ils étoient
adreſſés àse faire inoculer.
JEUNE & charmante Rofalie ,.
Ne croyez point aux inoculateurs;
Fermez l'oreille à toute apologie
D'un art qui vous expoſe à de très - grands
malheurs.
On vous dira qu'en Circaffie
Ce ſecret dès long-tems conſerve la beauté.
Ce n'est pas un bonheur d'être en Francejolie ,
C'eſt plutôt un obſtacle à la félicité.
Une belle ame , un coeur ſenſible ,
Font à regret des malheureux ,
L'honneur n'en veut pas moins qu'on ſoit inacceffible
Au ſentimentqui parleroit pour eux,
Il eſt vrai qu'entous lieux vous feriez adorée;
Que cet art de voslys conſervant la fraîcheur ,
Etde tous vos attraits aſſurant la durée ,
De R** & M** ( 1 ) on vous croiroit la ſoeur :
Mais il faudroit recevoir nos hommages ,
(1) Deux Dames de la même ſociété , fort jolies.
:
1
Vous
OCTOBRE. 1770. 25
Vous ſeriez expoſée à la célébrité ,
Du venin bienfaiſant attendez les ravages ,
Ils vous aſſureront la douce obſcurité.
Par M. le Chev. de Freſlon , capitaine
aide-major du régiment des Vaiſſeaux.
RÉPONSE de la mere de Rofalie.
COURAGE , Chevalier , travaillez à détruire
Ce fléau que Tronchin vous apprit à braver ,
Malte du moins doit conſerver
L'être qu'elle a fait vooeu de ne pas reproduire.
Par le même.
A la belle Agnès , en lui envoyant une
immortelle & un anana le jour d'une
defesfêtes.
L'aimable dieu que j'ai choisi pour maître ,
Par ſa douce chaleur féconde l'Univers .
La terre ne produit que ce qu'il y fait naître.
Il embellit le plaisir d'être ;
Il inſpire les jolis vers.
Si ce Dien , qu'en tremblant je ſers,
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
Me prêtoit ſa lyre immortelle ,
Je chanterois d'une façon nouvelle ,
Tes vertus , ta belle ame & tes charmes divers.
Mes vers , en peu de mots , diroient beaucoup de
choſes.
J'en proſcrirois les lieux communs.
Ils brilleroient ſans fadeur , ſans emprunts,
Comme tes graces & tes roles .
Voltaire qui nous étonne
Par les riches beautés de ſon mâle langage ;
Seroit aufſi jaloux de mon petit ouvrage ,
Que d'Athalie& de Cinna .
Mais l'éloquence , hélas ! n'etant pas mon partage;
Modeſte dans mes voeux , ſimple dans mon hommage
,
Je t'offre une immortelle avec un anana.
ParM. le François , ancien
officier de cavalerie.
IMPROMPTU. A Mlle d'Avejan , au
Sujet d'une pièce de vers adreffée dans un
bal , à la plus belle .
ΟN cache envain le nom de la beauté divine
Dont on nous peint ſi bien les graces , les appas ;
OCTOBRE. 1770 . 27
Qui vous connoîtne le demande pas,
Qui vous voit d'abord le devine.
Par le même.
CHANSON à Mde d'A ** , qui l'a
demandée pour Mllefa foeur.
Sur l'AIR : de la Romance de Gaviniés.
Sans ANS l'aimer de tout ſon coeur
On ne peut connoître ma ſoeur
L'objet le plus joli ,
Le plus accompli ,
C'eſt ***.
Dieux! quelle ſageſſe !
Dans ſon eſprit quelle fineſſe !
Quej'aime ſa voix ,
Son minois!
Je dirai ſans ceſſe :
Sans l'aimerde tout ſon coeur
On ne peut connoître ma ſoeur,
L'objet le plus joli ,
Le plus accompli ,
C'eſt ***.
Par M. *** , d'Auxerre .
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
LE RENARD & LE DOGUE.
Fable.
CERTAIN renard d'un coq faiſoit ſon ordinaire,
Des reſtes de la bête & du renard auſſi
Un mâtin s'emparoit. Ami ,
Dit le matois au chien , que veux- tu faire ?
Ce que tu fais , répondic celui-ci.
Sans être coq , renard ou dogue ,
Ni même bel eſprit ; ſans moi
Tout lecteur pourra bien , je croi ,
Trouver le ſens de l'apologue.
LE CHÊNE & L'ARBRISSEAU.
Apologue,
Un arbrifleau végétoit à l'ombrage
D'un chêne fier & vigoureux ,
Dont la tête orgueilleuſe élevoitjuſqu'anx cieux
Le ſuperbe contour de ſon épais feuillage.
Fâché d'un pareil voiſinage ,
OCTOBRE. 1770. 29
Un jour l'arbrifleau dit : « Que je ferois heureux,
Sij'étois ſeul dans ces aimableslieux !
>>> Le front couronné de verdure ,
>> J'y ferois le plaiſir des yeux
>>Et l'ornementde la nature.
>>Mon voiſin ne doit fa grandeur
>> Qu'au détriment de ma ſubſtance ;
>>>Plus loin de lui , plein de vigueur ,
>>Je montrerois mon exiftence...
Livré dans ce moment à toute ſon humeur ,
Il déclamoit encor , lorſque ſoudain la foudre
Frappe le chêne & le réduit en poudre.
Que devient l'arbriſſeau ? Tremblez , vous qui des
grands
ככ
Ne demandez que l'opprobre & la chûte :
Ce jeune arbuſte aux injures du tems ,
Foible , iſolé , demeure en butte ,
Et périt le jouet de l'orage &des vents .
ParM. Dareau , à Guéret dans la Marche.
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
PORTRAIT DE ZELMIRE ,
à Riom en Auvergne.
Un front ferein ,
Unair humain ,
Eclatde roſe
Tout-fraiche écloſe :
Debeaux yeux bleus,;
Deblonds cheveux ;
Bouche riante ,
Appétiſſante.
De bruns fourcis,
Blancheur de lis ;
Gorge éclatante ,
Eblouiſlante ;
Corſagefin.
Quoi plus enfin ?
Sous mouſſeline
D'autres appas
Qu'on ne voit pas
Mais qu'on devine.
Jambe qu'amour
A faite au tour ;
Pié qui des graces
Marque les traces ;
Eſprit charmant ,
OCTOBRE. 1770. 31
Coeur excellent ;
Un peu lévère ,
Mais ſans myſtère ;
Fille ſans fard
Qui plaît ſans art :
Fille jolie ,
Fille accomplie:
De ſon portrait
Voilà l'extrait .
Parlemême.
VERS à deux modernes Praxitèles , à
l'occaſion de leurs Vénus.
DEs deux Vénus que votre art fit éclorre ,
J'admire l'une , & l'autre , je l'adore.
Par M. C ** , à Versailles.
LE RETOUR DES VENDANGES .
Laisse- AISSE là ta chaumière ,
Mon aimable Mopſus ,
Couronne-toi de lierre ,
Chante le dieu Bacchus ;
Dans ces jours Timarette
Oubliant les troupeaux ,
Biv
-32
MERCURE DE FRANCE.
Quitte la molle herbette
Et vient ſur noscoteaux.
3 D'un ton plein d'énergie ,
Et le verre à la main ,
Vas publier l'orgie
Du puiſſant dieu du vin.
Célébrons la vendange ,
Son jus plus précieux
Que les tréſors du Gange ;
Et la liqueur des dieux .
Bergers , déjà l'automne
Fait ſes plus beaux préſens :
Amaſſons dans la tonne
Ces fruits ſi bienfaiſans .
A l'ombre de nos treilles ,
Venez avecMopfus
Vuider quelquesbouteilles
En l'honneur de Bacchus .
Les ris , l'amour volage ,
Pour combler nos defirs
Sur ce divin breuvage
Fontanager les plaiſirs ;
Tandis qu'une bergere
Répéte la chanſon ,
Qu'hier ſur la fougère
Elle apprit deDamon .
Par M. Merat d'Auxerre .
OCTOBRE. 1770 . 33
LE LEGS.
Proverbe dramatique.
PERSONNAGES :
JULIE , foeurs âgées de dix - huit à
VICTORINE , Svingt ans. Julie eſt l'ainée.
FANCHON , vieille ſervante .
:
Mde FONTANGE , revendeuſe à la toilette...
UN FACTEUR .
Lascène est dans une ville de province,
chez les Dilles Valmont. Ilest environ dix
heures du matin.
Le théâtre repréfente une falle baſſe : on
y voit une table , un canapé & un petit
métier de tapiſſerie tendu.
SCÈNE PREMIERE.
JULIE ſeule : elle est aſſiſe & acheve de
monter un bonnet.
IL faut pourtant que je fois bien complaiſante
: Mlle Victorine dort à ſonaiſe
By
1
34 MERCURE DE FRANCE.
la graffe matinée , & je la paſſe , moi , à
monter ſon bonnet..... Ma tapiflerie
n'avance point pendant ce tems-là....
La pauvre fille ! depuis qu'elle fait
qu'un de nos oncles nous a legué cent
mille écus & que cette ſomme arrive fur
un vaiſſeau , la tête lui a tourné ; elle ne
fonge qu'à ſe donner des airs , elle imagine
mille manières de dépenſer cet argent
, toutes plus extravagantes les unes
que les autres. Reprenons notre ouvrage.
(Elle s'approche du métier de tapifferie &
travaille. )
SCÈNE II.
JULIE , FANCHON.
FANCHON , pleurant. Mademoiselle.
JULIE , travaillant fans la regarder.
Fanchon , ma ſoeur eſt - elle éveillée ?
FANCHON . Oui , Mademoiselle , je
viens de lui porter ſon chocolat.
JULIE , levant les épaules. Dans ſon lit
ſans doute ( regardant Fanchon. ) Qu'astu
donc à pleurer ?
FANCHON. Dame ſi je pleure , c'eſt
que j'en ai ſujet; depuis vingt ans que je
fers dans la maiſon & fans reproches ,
OCTOBRE. 1770 . 35
:
Dieu merci , me voir donner comme çì
mon congé , çà n'eſt guère gracieux .
JULIE. Ton congé , &qui eſt-ce qui te
congédie ?
FANCHON. Et mais , c'eſt Mlle votre
foeur : à çt'heure qu'elle dit qu'il lui eſt
venu de l'autre monde de quoi faire la
groſſe Dame , elle ne veut plus de mon
ſervice ; il lui faut une femme-de -chambre.
JULIE. Ma foeur eſt une folle , elle
prendra ſi elle le veut une femme-dechambre
, mais je te retiens , moi , entends-
tu ? tu ſeras à mon ſervice.
FANCHON. Bon , je ne ſervirai plus que
vous , toute ſeule ?
JULIE . Non , Fanchon .
FANCHON. Ah que je ſuis contente !
tenez , ma bonne Demoiselle , ſije pleurois
, c'étoit de vous quitter ; car vous êtes
ſi douce , ſi bonne...
JULIE. C'eſt bien , Fanchette ; va , retourne-
t-endans ta cuiſine , fais bien ton
ouvrage , tu n'auras à faire qu'à moi .
FANCHON. Mlle votre ſoeur m'avoit
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
donné bien des commiſſions , mais je ne
les ferai qu'avec votre petmiffion , dà ...
JULIE . Quelles font ces commiffions?
FANCHON. Ah , ma foi , il y en a tant
&tant que je ne m'en ſouviens plus : elle
les a toutes griffonnées ſur ce morceau de
papier-là. (Elle donne un papier.)
JULIE. Donne; je crois que voilà qui
contient de jolies choſes. ( elle lit) Paffer
chez Jolibois & lui demander où enfont
mon caroffe & mes deux berlines doublées
de velours d'Utrecht.
-ChezM. Jacquinot procureur , & le prier
d'arrêter pour moi le prix de la maison de
Beauregard.
-ChezM. Doré,jouaillier , &c . Oh ciel !
que d'extravagances ! ma pauvre fooeur a
tout- à- fait perdu l'eſprit.
SCÈNE III.
VICTORINE , JULIE , FANCHON.
VICTORINE entre en deshabillé. Bon
jour, ma petite foeur , que je te conte le
rêve le plus charmant.
JULIE . Oui , je crois que tu rêves de
belleschofes.
OCTOBRE. 1770 . 37
VICTORINE , avec transport. Je t'en.
répons : imagine toi , ma petite foeur, que
notre vaiſſeau étoit arrivé chargé de richefſes
immenfes. J'étois là préſente ,
comme tu dois le penſer ; oh , ma chere
foeur , quel plaiſir ! jamais , jamais on n'a
vu tant d'or. Le vaiſſeau en étoit templi ...
Et puis c'étoit la mine des gens du vaiffeau
, matelots & paſſagers , qui étoit divertiſſante...
Mon or & moi partagions
leur admiration & leur reſpect. Dieu fait
avec quel air de dignité je ſoutenois mon
nouveaurôle : enfin j'étois ſur le point de
fendre la preſſe de ces importuns &de faire
enlever ma fortune...
JULIE , riant. Lorſque tu t'es éveillée ,
n'est- ce pas ?
VICTORINE. Oui , cette miférable Fanchon
a ouvert la porte de ma chambre ,
&je me ſuis éveillée en ſurſaut . Oh ! je
crois que je l'aurois bien battue.
JULIE . Effectivement, il eſt déſagréable
de ſe réveiller en pareille circonſtance
; ſi je n'étois que de toi , j'irois me coucher
pour achever mon rêve.
VICTORINE. Ne penſe pas rire ; j'étois
ſi contente que je ſouhaiterois de tout
mon coeur dormir ainſi pendant toute ma
vie.
38 MERCURE DE FRANCE.
JULIE , à Fanchon . Fanchon , allez
dans votre cuiſine .
FANCHON . J'avois oublié de demander
le bonnet de Mlle Victorine .
JULIE . La voilà elle-même pour le
demander.
VICTORINE. A propos de mon bonnet
, tu ne l'as ſurement pas monté , ma
petite foeur; laiſſe - le juſqu'à tantôt , je
t'en prie.
JULIE . Pourquoi donc , tu me preſſois
tant?
VICTORINE. Bon , eſt- ce que tu ne vois
pas que jene puis plus mettre une pareille
guenille; la dentelle ne vaut que fix francs;
on doit m'en apporter à l'inſtant à quatre
louis.
JULIE . A quatre louis !
VICTORINE . Oui , ma bonne amie ,
j'en aurai pour le bonnet & pour deux paires
de manchettes à trois rangs .
JULIE. Bon Dieu ! & où prendras-tu
pour payer tout cela ; nos revenus font
modiques , & jamais notre tuteur ne vou
dra donner cet argent-là .
VICTORINE. Net'inquiéte pas , va, j'ai
bon crédit.
OCTOBRE. 1770 . 39
JULIE. Mais enfin , il en faudra toujours
venir à s'acquitter.
VICTORINE. Oui , & ces cent mille
écus qui nous viennent du legs de notre
oncle, nous ne ſommes que deux pour
les partager ; eft- ce qu'ils ne me mettent
pasdans le cas defournir à ces dépenſes ?
JULIE. Hum , c'eſt tout au plus ; fi tu
continues , cela n'ira pas loin ; un caroſſe ,
deux berlines , une maiſonde campagne .
Que fais-je , moi ? de ce train- là , ce legs
ſera bientôt mangé.
VICTORINE. Que veux-tu dire , un caroſſe
, deux berlines , une maifon de campagne
?
JULIE. Oh , c'eſt que je préſume qu'il
faudra de tout cela à une grande Dame
comme toi ; mais notre tuteur ne fera
peut- être pas de cet avis , & malheureuſement
ces fonds-là feront unpeu de tems
entre ſes mains.
VICTORINE. Il faudra bien que notre
tuteur entende raiſon , ſi je ſuis riche , je
veux me fentir de mon bien. Mais je vois
que cette fotte de Fanchon t'a parlé. (à
Fanchon) Qu'est-ce que vous faites ici ,
mamie ?
40 MERCURE DE FRANCE.
FANCHON. J'attens la fin de votre rêve,
Mameſelle ; il eſt ſi joli.
VICTORINE . Mais , voyez cette impertinente
; vous devriez être dehors , ma
bonne ; je vous avois dit que nous n'avions
plus beſoin de vous.
FANCHON. Aufli ne vous appartiens-je
plus , non : je ne ſuis plus qu'à Mlle votre
foeur toute fine ſeule , afin que vous le
fachiez.
JULIE. Fanchon , encore une fois , allez
àvotre cuiſine .
(Fanchonfort , in faisant la mine à
Victorine.)
SCÈNE IV.
JULIE , VICTORINE.
:
VICTORINE. Quoi , tu gardes cette
vieille faliffon- là ?
JULIE. Sans doute , pourquoi non ?
VICTORINE. Tu n'as pas de raiſon , ma
foeur ; pour moi je ne veux plus de cette
figure , fi donc c'eſt bon , pour fervir
dans une auberge .
JULIE. Tu feras comme tu voudras;
pour moi , j'en fuis contente ; elle est
fidèle , ſoigneuſe , intelligente ; ce font
OCTOBRE . 1770 . 41
des qualités impayables chez ces fortes de
gens , en conféquence je la garde . D'ailleurs
c'eſt un vieux domeſtique , qu'il y
auroit de la barbarie à renvoyer maintenant
.
VICTORINE . Quoi , tu ne veux pas entendre
que , dans notre état préſent, cette
tille ne nous convient point : cela faute
aux yeux pourtant ; car enfin nous fommes
pour faire une certaine figure actuellement
; il faut nous monter ſur un
certain ton ; nous ne pouvons nous difpenſer
d'avoir chacune une femme-dechambre
, & puis une cuiſiniere & une
bonne groffe fille pour tout le tracas fatigantdu
ménage.
JULIE , riant. Et quand tu auras ton
caroffe & tes berlines, il en faudra bien
d'autres.
VICTORINE , d'un airpiqué. Je lecomptebien
auſſi . J'ai déjà arrêté une femmede-
chambre pour moi ; c'eſt une grande
brane , affez jolie , les yeux vifs , fort
bien miſe : elle fort de chez une préſidente
qui l'a renvoyée parce qu'elle plaifoit
trop à fon mari .
JULIE. En vérité , ma ſoeur , je craindrois
qu'on t'entendît , tu paſſerois pour
folle achevée au moins. Cet état florif42
MERCURE DE FRANCE .
fant , cette fortune conſidérable qui nous
met dans le cas de faire la figure la plus
brillante ; où tout cela eſt- il ? ſur l'eau.
Du reſte rien de plus médiocre que nos
biens.
VICTORINE. Mais , eſt ce que cela peut
nous manquer ?
JULIE . Mais ſi le vaiſſeau fait naufrage.
VICTORINE. Oh ...... fi la maiſon
tombe , nous ferons écrasées ; tu n'as
que des malheurs à prévoir !
JULIE. Ma chere foeur, parlons raifon
ſi tu veux l'entendre; cette fortune qui
t'enchante , qui te met hors de toi-même,
n'eſt pas encore arrivée , il ſe peut même
faire qu'elle n'arrive point ; car tu as beau
dire , cela eſt très - poſſible ; quel inconvénient
y auroit- il pour toi de te mettre
en état de t'en paffer ? Aucun , je penſe ,
tu n'en ſentirois pas moins le prix lors
de ſon arrivée : c'eſt le parti que j'ai pris :
la nouvelle de ma fortune ne m'a point
aveuglée , je n'ai point changé mon premier
genre de vie ; ſi nos eſpérances ſe
trouvoient trompées , je ne ſerois point
fans reffource , & mon économie me tirera
toujours d'affaire. Je ne peux te difſimuler
, ma chere ſoeur , qu'il en eſt bien
OCTOBRE. 1770. 43
autrement à ton égard. Dieu veuille que
tu n'aie jamais lieu de t'en repentir.
VICTORINE , baillant. Ah ! finis donc ,
tu me fais bailler , tu as le talent de voir
d'une maniere ſombre & triſte les objets
les plusrians.
JULIE. Mais enfin que t'auroit- il coûté
d'attendre l'arrivée de ce vaiſſeau , avant
que de t'engager ainſi dans toutes fortes
dedépenſes.
VICTORINE , avec vivacité. L'impatience
de jouir... on ne peut être heureux
affez tôt , ni affez long-tems .
SCÈNE V.
1
۱
JULIE , VICTORINE , FANCHON .
FANCHON , à Julie. Il y a une femme
là bas qui porte une boîte ſous ſon bras ,
faut- il la faire entrer , Mademoiselle .
JULIE . Oui , Fanchon. ( à Victorine. )
C'eſt probablement à toi qu'on en veut.
SCÈNE V I.
i
JULIE , VICTORINE , Mde FONTANGE ,
portant un carton ſous le bras.
Mde FONTANGE,faisant une profonde
révérence. Votre ſervante , Meſdemoifel44
MERCURE DE FRANCE.
les , laquelle de vous deux , s'il vous plaît,
eſt Mile Victorine Valmont.
VICTORINE ,fans ſe lever , d'un airnégligent.
Je fais ce que c'eſt : vous êtes la
veuve Fontange fans doute , apportezvous
mes dentelles !
Mde FONTANGE . Oui , Mademoiselle.
(Elle ouvre le carton & en tire les dentelles.
) Vous pouvez vous vanter d'avoir là
ce qu'il y a de plus diſtingué. J'en portai
l'autre jour de pareilles à la veuve d'un
caiflier , parce qu'une femme de condition
les avoit trouvées trop cheres ; auſſi
me furent- elles payées cent francs.
JULIE , examinant les dentelles. Voilà
qui est vraiment magnifique .
VICTORINE. Cela fuffir :Mde Fontange
vous pouvez les laiſſer, le prix eſt arrêté
à quatre louis .
Mde FONTANGE . Hélas , ma chereDemoiſelle
, c'eſt marché donné , j'y perds ,
envérité; mais, pour obliger une aimable
perſonne comme vous , qui m'a promis
ſa pratique , il faut faire des efforts , &
puis j'eſpère que vous me dédommagerez
une autre fois.
VICTORINE . Oui, oui , allez, ma chere,
je vous affure que vous trouverez en moi
OCTOBRE. 1770 . 45
une de vos meilleures pratiques... Vous
pouvez laiſſer vos dentelles , vous dis-je,
jelesprens.
Mde FONTANGE. J'entens bien , Mademoiſelle
, mais... de l'argent.
VICTORINE, Ne ſoyez pas inquiete ,
cela vous fera payé dans quelques jours.
Mde FONTANGE. Dansquelques jours,
(elle renferme ſes dentelles ) oh , Mademoiſelle
, je ne peux pas attendre, je ſuis
une pauvre femme qui vis au jour la journée
, voyez - vous ; & puis qui eſt- ce qui
me répondra de ma marchandiſe ?
JULIE , à part. Que voilà qui eſt bien
fait!
VECTORINE ,se levant. Mais, ma chè
re Mde Fontange , vous n'y penſez pas ;
je ſuis bonne , je crois , pour payer vos
dentelles , &le tems queje vousdemande
n'eſt pas long.
Mde FONTANGE. Et mais , bonne , fi
vous voulez , je n'entre point là-dedans ,
moi ; toujours eſt- il que je ne peux vous
les laiſſer à crédit que vous ne me donniez
un bon répondant.
JULIE , àfafoeur. Laiſſe cela , ma ſoeur;
cette femme vad'impertinences en imper
46 MERCURE DE FRANCE.
tinences , & elle eſt décidée à remporter
ſesdentelles.
VICTORINE , à Julie vivement. Mademoiſelle
, mêlez -vous , s'il vous plaît, de
vos affaires. En vérité , Mde Fontange ,
cela est bien mal à vous ; nous allons toucher
inceſſfament un legs de cent mille
écus qui nous vient d'un oncle qui avoit
faitune fortune conſidérable dans les Indes.
Mde FONTANGE , froidement. Il eſt vrai
qu'ily a un peu de tems que j'en ai entendu
parler , mais cela ne vient guère vîte .
VICTORINE , avec viteſſe & s'approchant
deMde Fontange. Et ſi , ma bonne : cet
argent arrive ſur un vaiſſeau , nous l'attendons
de jour en jour , vous ne pouvez
manquer d'être payée.
Mde FONTANGE . Oh bien , je vous
garderai les dentelles : faites moi avertir
dès que le vaiſſeau ſera arrivé.
VICTORINE , la careſſant d'un airfuppliant.
Ma chere Mde Fontange , je ſuis
morte ſi je neporte pas dimanche ces dentelles
; j'en ai parlé à quelques amies qui
s'attendent à me les voir , & qui me déſespéreront
ſi je ne les ai pas.... vous
rêvez .
OCTOBRE. 1770. 47
Mde FONTANGE. Oui , je rêve ; mes
dentelles me reviennent à plus de quatre
louis , après cela comment les donner à
crédit& à perte encore .
VICTORINE , vivement. Hé , qui eſt - ce
qui vous dit de les donner à perte ?
JULIE. Mde Fontange, ces dentelleslà
fontbelles , mais franchement vous les
portez au-delàde leur valeur.
Mde FONTANGE , d'un air dédaigneux.
Au-delà de leur valeur ! des dentelles
comme celles- là ? Vous êtes connoiſſeuſe
à ce qu'il me paroît. Au-delà de leur valeur.
Eſt- ce qu'on veut voler le monde ,
eſt- ce qu'on n'a pas un honneur à garder ?
(Elle fait mine de s'en aller. )
VICTORINE , l'arrêtant. Et mon Dieu ,
laiſſez la dire , c'eſt à moi ſeule que vous
avez affaire. ( à Julie ) Ma foeur , je vous
avois prié de nous laiſſer tranquilles .
Mde FONTANGE , revenant. Mais, Mademoiselle
, je ſonge que je ne puis me
tirer honnêtement qu'en les laiſſanr à
quatre louis & demi ... Oui , de cette
façon- là , je puis en confcience vous les
donner à crédit pendant quelques jours,
48 MERCURE DE FRANCE.
SCÈNE VII .
JULIE , VICTORINE , Mde FONTANGE ,
UN FACTEUR .
LE FACTEUR , donnant une lettre.
Mlle Valmont l'aînée; dix- huit ſols .
JULIE , prenant la lettre. De l'Orient :
voilà des nouvelles ſûrement , je reconnois
l'écriturede notre correſpondant. (au
Fačteur , en le payant. ) Tenez , mon ami .
(Le Facteur s'en va. )
SCÈNE VIII.
JULIE , VICTORINE , Mde FONTANGE.
Julie parcourt la lettre. Victorine la lui
prend avec vivacité.
VICTORINE . Donne que je la life , ma
foeur.
JULIE , triſtement. Tiens , va , je l'avois
preſque prévu.
VICTORINE , après avoir lu quelques
lignes. Ah Ciel ! tout eſt perdu. (Elle se
jettefur un canapé, la têtepenchéefurfes
mains , dans l'attitude de la douleur la
plus profonde. ) .
JULIE.
OCTOBRE. 1770. 49
JULIE . Et bien... la folle... voyez le
bel état... Maudit amour du luxe ! .. je
n'aurois jamais cru qu'elle ſe fût affectée
àce point-là .
Mde FONTANGE , à part. Voilà les
cent mille écus à vau-leau , allons nousen.
( Elle s'esquive. )
SCÈNE IX . & DERNIERE.
JULIE , VICTORINE .
VICTORINE , pleurant. Ah , ma chere
foeur ! me voilà perdue , ruinée , anéantie
! comment cela s'eſt- il pu faire ?
JULIE. Rien de plus ſimple , le vaiſſeau
a fait naufrage à la vue du port , & la mer
aenglouti notre fortune .
VICTORINE . Comme tu contes cela
tranquillement , ah ciel ! .. Après un coup
pareil conſerver ſon ſang froid ! ... Mais
tu as raiſon , tu te tireras toujours d'affaire
... C'eſt moi, malheureuſe que je
fuis... C'eſt moi ſeule que ceci regarde...
Ah , mon Dieu ! je n'y ſurvivrai
pas . ( Ses pleurs redoublent. )
JULIE. Et bien , & bien , tu ne deviendras
donc jamais ſage ; allons , ma chere
foeur , tire profit de ce malheur , qu'il te
II. Vol. C
९०
MERCURE DE FRANCE.
ſerve à te corriger ; conſole - toi , tu n'es
pas plus à plaindre que moi , nous vivrons
enſemble tant que tu voudras : notre fortune
toute médiocre qu'elle eſt , avec de
l'économie , ſuffira pour nous tirer d'affaire
toutes deux très-honnêtement ; je ne
te demande ſeulement que de dépoſer
tes grands airs; nous ſommes hors d'état
de les foutenir. Voilà un petit mémoire
de dépenſes qui eſt le comble de l'extravagance
, je crois que tu n'y ſonges plus ;
(elle donne le mémoire à Victorine qui le
déchire fans le regarder.) Du reſte je te
diſpenſe de me ſeconder ; ce ſeroit trop
exiger , tu n'y es pas encore accoutumée ;
tu feras , fi tu veux pour cela , quelques
efforts.
Victorine ne trouvant point d'expreffions
pour remercierfa foeur,ſejette àſon cou
&l'embraffe les larmes aux yeux .
JULIE. Que ceci te ſerve de leçon. Deviens
plus ſage &je ſuis contente. Souviens
toi bien que c'eſt avec raiſon que le
proverbedit....
Par M. G ** , Avocat à Auxerre.
Le mot du proverbe dramatique inférédans le
premier volume d'Octobre est bonfang ne peut
jamais mentir.
OCTOBRE. 1770. SI
CHANSON , tirée en partie de la première
Idille de Mofchus.
Sur l'AIR: Jeſuis né pour leplaisir , bien fou
qui s'en paſſe , &c. ]
La mère du tendre amour ,
Nuit &jour ſoupire ;
Onn'entend plus dans ſa cour
Folâtrer , chanter & rire .
Vénus a perdu ſon fils ,
Sa perte a banni les ris
De ſon charmant empire
Humains , dit- elle en pleurant ,
Si mon mal vous touche ,
Cherchez-moi , mon cher enfant ,
Vous connoifſſez le farouche.
Celui qui le trouvera ,
Pour ſa peine cueillera
Trois baiſers ſur ma bouche.
Le fripon porte un flambeau ,
Un carquois , des aîles ,
Ses yeux , malgré ſon bandeau,
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
Font partir mille étincelles.
Défiez - vous du méchant ;
Prenez garde , en le cherchant ,
A ſes fléches cruelles .
Bornez vos ſoins douloureux ,
Brillante déeſſe ,
Iris a dans ſes beaux yeux
L'objet de votre tendreſſe.
Enchanté de tant d'attraits
Il s'y cache, & de ſes traits
C'eſt de- là qu'il me bleſſe.
Mais ſides baiſers promis
Votre coeur conteſte
Le loyer qui m'eſt acquis ,
Au lieu de ce don céleste ,
Obtenez pour noi d'Iris
Un feul baifer ; à ce prix
Je vous quitte du reſte.
ParM. Des Forges Maillard.
OCTOBRE. 1770. 53
CAPRICE.
Sur l'AIR : Je nefuis né ni Roi ni Prince.
Si les beautés I d'argent avides ,
En bâtiſſoient des pyramides
Comme Rodope fit jadis ; *
Grace aux largeſſes de ces filles ,
La noble ville de Paris
Ne feroit qu'un grand jeu dequilles.
Parlemême.
L'EPERVIER & LA CORNEILLE.
N
Fable .
E veux-tu point penſer à l'hymenée ?
Diſoit une corneille à certain épervier .
* Hæc funt pyramidum miracula ; fupremumque
illud, ne quis Regum opus , miretur , minimam
ex his , fed laudatiffimam , à Rhodope meretricula
factam .
C. Plin. fecundi hist . lib. 36.
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
Vieux garçon , philoſophe , aimé dans ſon quartiet
,
Ayant l'ame bonne & bien née
Autant qu'oiſeau de ſon métier.
Brunette , lui dit - il , pourquoi multiplier
Sur les foibles oiſeaux une engeance acharnée.
Notre nombre contre eux n'eſt déjà que trop
grand
Ah! la gent épervière au bec dur & tranchant ,
A la rapine habituée ,
Aflez ſansmon ſecours ſera perpétuée.
Qued'hommes dans le monde en pourroient dire
autant !
Par lemême.
EPIGRAMME contre un mauvais Poëte
médiſant , dont le très - petit corps eft
emmanché d'un très - long cou.
PETIT mauvais Poëtereau
Qui vous croyez poëte infigne ,
Si vous avez le cou d'un cigne ,
Vous avez la voix d'un corbeau.
Par le même.
OCTOBRE. 1770. SS
Remontrance charitable à une jeune Per-
Sonne jolie & lettrée , qu'on preffoiz
d'épouser un homme d'un age fors
avancé.
Sur l'AIR : Des triolets.
Un jeune époux , homme àtalens,
Iris , ſeroit bien votre affaire :
Vous aimeriez dans ſon printems
Unjeune époux , homme à talens.
Mais Jean peut- il en cheveux blancs
Avoir tous ceux qu'il faut pour plaire.
Unjeune époux , homme à talens ,
Iris , ſeraitbien votre affaire.
Par le même.
EPITRE à M. l'Abbé Aubert , aufujet
defes fables.
RIVAL charmant de la Fontaine ,
J'admire ces rians tableaux ,
Oùtu peins , ſous le nom de divers animaux ,
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Les travers de l'eſpèce humaine.
L'homme , contre la loi , mutiné vainement ;
C'eſt le DogueMouflar , * traînant par - toutja
chaine.
Cet åne philoſophe , indocile & gourmand ,
Nous peint la créature ingrate envers ſon maître
Ces animaux , ce peuple vain ,
Aqui le docteur Merle annonce un ſouverain
Que ſous leurs propres traits ils ont cru reconnoître
,
Repréſentent l'orgueil humain ,
Attribuant à Dieu les défauts de ſon être.
Les fourmis ſont pour nous un exemple frappant
Des maux qu'entraîne l'anarchie ,
Quand pouvant vivre heureux dans une monarchie
Onveut vivre indépendant ;
Et la leçon eſt applicable
Atout autre gouvernement.
Par-tout , dans tes écrits , je vois un ſage aimable
Qui ſaiſit la nature & la rend avec goût ;
* Vers de M. l'Abbé Aphere
OCTOBRE. 1770 . 57
Mais je ſuis enchanté ſur- tout
Des tendres ſoins de la fauvette ,
Des propos médiſans du babil de Nanette.
Tu veux nous réformer par d'utiles leçons ;
Mais le charme de tes crayons
Nous adoucit l'aigreur d'une morale auſtère ;
Aide-nous à porter un joug ſi ſalutaire !
L'homme eſt comme un enfant malade à qui le
Ciel,
D'un peu d'abſynthe , a deſtiné l'uſage;
Si le vaſe eſt bordé de miel ,
Il trouvera moins amer le breuvage.
Quand notre Fablier mourut ,
On crut long-tems ſa perte irréparable.
L'apologue en gémit : le préjugé s'accrut
Par le ſuccès peu favorable
Qui , de ſes concurrens , couronna les travaux :
En voulant lui donner des ornemens nouveaux ,
On défigura ſa nature.
Aucun d'eux n'a connu ſa naïve parure.
La Fontaine emporta ſon ſecretau tombeau :
On veut parer Vénus , croyant la rendrebelle ;
Mais cet auteur charmant te remit ſon pinceau :
Lebongoûtdont il eſt encore le modèle ,
C
S MERCURE DE FRANCE.
Tu le poſlédes aujourd'hui :
La fable , dans tes vers , reçoit un nouvel être :
Tu n'as pas déplacé ton maître ;
Mais tu t'aſſieds auprès de lui .
Par M. Cahoüet , Chanoine regulier.
ELOGE de la Fontaine minérale de
l'Epervière , à une lieue de la ville
d'Angers.
Illa mihi pleno defonte miniftrat.
OVID. FAS .
Dis que l'amante de Céphale
Ouvre la barrière du jour ,
Je vole fur mon bucéphale,
Plus galant que l'amant d'Omphale ,
Pour aller te faire ma cour :
Etma diligente paupière
N'attend jamais que la lumière
Lui vienne anoncer ſon retour ;
Ouque le berger dans la plaine ,
Embouchant ſon bruïant pipeau ,
Ait reveillé la tendre écho
QueZéphir , par ſa douce haleine
OCTOBRE . 1770 . 59
Plongeoit dans un ſommeil nouveau.
O toi , la reine des fontaines ,
Qui , dans les fources ſouterreines ,
Changes le cryſtal en liqueur ,
Ton eau qui roule dans mes veines
Yporte une douce chaleur
Qui rend l'équilibre à mon coeur.
Son ſalutaire ſpécifique ,
Se partageant en cent canaux ,
Par la force du phlogiſtique
Chafle l'humeur mélancolique ,
Remet des principes nouveaux :
Et la rouille de tes méraux
Devient pour moi plus efficace
Que ces Fontaines du Parnaſſe
Dont tant de fois j'ai bu les eaux.
Dans les ſources aganipides ,
Et dans les ondes caſtalides
Lorſque j'abreuvois mon cerveau,
Je n'en remportois qu'une ivreſſe ,
Souvent la honte du permeſſe
Et l'ennui du chaſte troupeau :
Mais , dans tes eaux , chere Epervière ,
Je reprens ma force première
Cvj
MERCURE DE FRANCE.
Qui , d'un vicillard près du tombeau ,
Fait preſqu'un jeune Jouvenceau :
Et de la triſte perſpective ,
De la fombre & fatale rive
Où ſont deſcendus mes aïeux ,
Tu recules le point affreux .
Déjà , dans ma nouvelle audace ,
Dirigeant un courſier fougueux ,
D'un pas rapide & fourcilleux
Tenant la tête de la chaſſe ,
Je pourſuis un cerfà la trace
Qui bientôt pris de meute à mort , *
Malgré ſes rules , ſes défaites ,
Toujours forcé dans ſes retraites ,
Verſe des larmes ſur ſon ſort :
Etd'un long repas qui termine
Dans une ruſtique chaumine
La noble fatigue du jour ,
Bacchus célèbre le retour.
Cependant ſur ſon char rapide ,
Sans que rien le puiſſe arrêter ,
Phébus , vers l'élément humide ,
* Termes de chaffe.
OCTOBRE. 1770 . 61
Vole &va ſe précipiter :
Thétis , dans ſa grotte profonde,
Va cacher le flambeau du monde ,
Le dérober à nos regards :
Et déjà , du haut des montagnes ,
L'ombre tombant ſur les campagnes ,
Raſlemble les troupeaux épars
Que le berger & la bergère ,
Quittant à regret la fougère ,
Vont mettre à couvert des halards :
Et près de l'aimable Glycère ,
Ramenant le nouvel Eſon , *
On entend un ſexagénaire
Qui fait badiner la raiſon.
Mais hélas ! eſt - ce un avantage
De pouvoir reculer ſon âge
Au-delà du terme fatal ?
N'interrogeons jamais le livre
Des deſtins du bien & du mal ;
Vivons , fans defirer de vivre;
Et partons de ce point moral.
"Quand la Parque injufte & volage ,
* Voyez le rajeuniſſement du vieillard Eſon ,
dans les métamorpholes d'Ovide.
62 MERCURE DE FRANCE.
>>>Détournant au loin ſes fléaux ,
>>> Fermeroit fur nous ſes ciſeaux
>> Pour vingt luftres & davantage ,
>>L'homme n'en ſeroit pas plus ſage
>> Et tous les tems ſeroient égaux. »
Par M. de la Soriniere.
L'EXPLICATION du mot de la premiere
énigme du premier volume du Mercure
d'Octobre 1770 , eſt Rime. Celui de la
ſeconde , Saiſons ; celui de la troiſième
Vaisseau ; celui de la quatrième , clef.
Le mot du premier logogryphe eſt Perroquet
, où l'on trouve , rue , route , ur ,
pero , roue , Perou , proue , pot , Protée ,
Pó , été , or , er , or , or , ( adverbe ) tour,
tour , tour , pere , pet , rot , Epte , trop tốt
& pur. Celui du ſecond eſt Bas , où ſe
trouve as , abs . Celui du troiſième eſt
Rateau , où se trouvent rat & eau.
OCTOBRE. 1770. 63
ÉNIGME
FIILLSS de Cybèle&neveudeMérope,
J'ai pluſieurs pères à la fois
Quime font parcourir l'Europe ,
En poſte , à peine âgé d'un mois.
AUTRE.
DEVANT moi , chaque jour ,
Mille gens tour-a-tour
S'empreſſent de paraître.
Coquette & petit-maître
Sur-tout me font la cour;
Le valet prend la place
Du ſémillant marquis ,
Et la laideur efface
Juſqu'à la moindre trace
Des graces &des ris.
ParlaMuse Auxerroife.
64 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE
Ma forme eſt arbitraire , & dans un bean
feftin ,
Je ſuis , ami lecteur , grand , moyen & pteit ;
Tour-à- tour je parois ſous un nouveau deſſin ,
Et ce que je préſente échauffe ou rafraîchit.
Malgré que deux amans dégagés de tow
ſoins ,
,
Pour goûter le plaifir d'un tendre tête-à-tête ,
Se cachent des jaloux , évitent les témoins ,
Je puis être avec eux & j'ajoute à la fête .
Etes- vous amoureux ? Si de votre maîtreſſe
Vous n'avez éprouvé qu'une injuſte rigueur ,
D'elle vous pourrez prendre avec un peu d'adreſſe ,
Sur mes humides bords une douce faveur.
ParM. Vandart.
AUTRE.
J'ARRIVE à tous momens & je m'enfuis de même,
A tes yeux fort ſouventj'emporte un grandbutin;
OCTOBRE. 1770 . 65
Etquoique rarement je ſuive un droit chemin ,
On peut me voir paſſer ſans aucun ſtratagême :
J'arrête un voyageur , ſouvent mal-à - propos ;
Je marche ſans relâche en cherchant le repos ;
Quand il fait mauvais tems , j'avance encor plus
vîte ;
Mais croiras - tu , lecteur , qu'avec tant de travaux
,
Mes voiſins ſont fâchés quand beaucoup je profite
?
ParM. B... à Sèves.
H
LOGOGRYPH Ε.
ONNEUR à la manique : un maître ſavetier
Va vous fervir un plat de fon métier
Et vous pouffer une petite botte.
Diable! un grivois de ſa façon
N'a pas appris qu'à fiffler la linote ,
Le ſanſonnet& le pinçon.
Sans invoquer , comme c'eſt d'étiquette ,
Le dieu Blondin qui donne la-mi - la ,
Il a fait ce matin , à la bonne franquette,
Le logogryphe que voilà.
MERCURE DE FRANCE:
Mon édifice eft de huit pièces ,
Qu'on les arrange artiſtement
On verra bien du changement.
Sans celui- ci , comment chanter des meſſes?
Comment ſans celui-là jouer du violon ?
Après ceux- ci c'eſt autre choſe :
Un poiſſon qui n'eſt point l'aloſe ;
Le cabriolet d'Apollon ;
Que fais-je encore ! quatre bêtes ,
L'une miaule , l'autre brait ,
Les autres font comme il leur plaît.
J'ai pitié de vos pauvres têtes.
Mes chers lecteurs , entre nous ,
Dites donc , en tenez-vous ?
Par M. le Chevalier d'Hugot.
AUTRE.
DANS le moral ou le phyſique ,
Me perdre eſt le plus grand malheur;
Eſt- il beſoin queje m'explique
Plus clairement , mon cher lecteur ?
OCTOBRE. 1770. 67
Tien , ſi tu veux trancher ma tête ,
Je t'offre alors une ſaiſon ;
Mais chut , il faut queje m'arrête ,
Carj'aidit en entier mon nom.
Par M. Poulhariez, écuyer.
AUTRE.
Mon cher lecteur , je ſuis un aliment ,
Neufpiésfont toute ma ſtructure.
J'ai d'abord un pronom avec un élément ;
Unmétal précieux que produit la nature ;
Un Saint de Montpelier; des forêts l'inſtrument ;
Ma dernière moitié fait l'ornement de Flore :
Si tu lamets àbas , malgré ce changement ,
Je fers de nourriture encore.
ParM. Bouvet , de Gifors.
68 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Obfervations fur Boileau , fur Racine ,
fur Crébillon , ſur M. de Voltaire
& fur la Langue Françoiſe en général ,
par M. d'Acarq , des Académies d'Ar.
ras & de la Rochelle , à Paris , chez
Valade , Libraire , rue S. Jacques ,
vis à-vis celle de la Parcheminerie.
,
"L'AUTEUR ayant fait imprimer en
>> 1764 un très- petit nombre de ces ob-
>> ſervations pour les communiquer à
>>quelques particuliers , & ne les ayant
>> point expoſées en vente ,juge à propos
>> de les donner ici au Public avec leur
>> ſuite. Le tout enſemble ſervira depen-
» dant aux remarques de grammaire fur
>> Racine par l'Abbé d'Olivet , & contri-
>> buera à maintenirla pureté de la diction .
>> En nous acquittant d'avance vis-à- vis
>> de nos ſouſcripteurs des ſeize feuilles
>>de fupplément que nous avons promis
>> de leur fournir durant le cours de l'an-
>> née entière , puiſſent - ils agréer notre
>>empreſſement & nous honorer de leurs
>>fuffrages ! »
OCTOBRE. 1770. 69
Ce ſouhait eſt bien engageant; mais , fur
la tournure de ce petit avis ,il n'eſt pas
probable que beaucoup de gensjugent àproposde
lire ces obfervations. On auroit
tott cependant , elles ſont curieuſes , &
nous eſpérons que l'expoſé fort court que
nous en allons donner vaudra quelques
lecteurs à M. d'Açarq , & c'eſt ce qu'il
paroît deſirer le plus.
Il examine d'abord l'art poëtique de
Boileau que nous critiquerons , dit- il , en
l'admirant toujours , & que nous n'aurions
garde de critiquer fans la double confidéra
tion qui nousfert de motiffacré.
C'eſt en vain qu'au Parnaſſe un téméraire auteur
Penſe de l'art des vers atteindre la hauteur.
«Boileau ne ſemble-t- il pas confondre
>> dans ce ſecond vers l'art des vers avec
>>l'art poëtique , la partie avec le tout ? »
S'il ne ſent point du ciel l'influence ſecrette ,
Și ſon aftre en naiſſant ne l'a formé poëte.
« Le premier de ces deux vers ne ſe-
>> roit- il pas uniquement pour la rime ,
& le fecond pour le ſens ? Boileau a
voulu rendre par ce diſtique le naf-
» cuntur poete que le premier vers ne
ود
70
MERCURE DE FRANCE.
>> rend point , & que le ſecond rendroit
» plutôt. A la rigueur ce que l'on fent
>> eſt- il Secret ? Ce qui eſt ſecret lefent-
» on ? Ce qui eſtſecret ne ceſſe - t- il pas
>> de l'être dès ſa naiſſance par ſon aftre ?
» Cela ne reſſemble-t- il pas un peu à la
doctrine horoscopique des phéniciens &
» à celle de nos almanachs ? »
On s'attend bien que nous ne ferons
point d'obſervation ſur de pareilles ob-
Servations. Nous nous contenterons d'affurer
les lecteurs que nous tranfcrirons
fidèlement.
Et conſultez long-tems votre eſprit&vos forces.
« Votre eſprit & vos forces produit un
>>pléonaſine vicieux : vos forces figni-
>>fient les forces de votre eſprit. Il auroit
>>peut- être fallu dire ;
>>E>t conſultez long-tems votreeſprit&ſes forces.
» Ou :
>>Et conſultez long-tems de votre eſprit les forces.
» Ou bien :
>>Et conſultez long-tems la valeurde vos forces .
» valeur auroit même répondu au quid
» valeant. »
OCTOBRE. 1770. 71
On voit que M. d'Açarq corrige bien
heureuſement Boileau. Il continue à le
critiquer de même.
Etjuſqu'à d'Aflouci , tout trouve des lecteurs.
« D'Allouci étant un auteur & non un
>> ouvrage , tout lemonde & non tout étoit
>> ce qu'il falloit dire,
Ses vers plats & groffiers dépouillés d'agrément,
Toujours baiſent la terre & rampent triſtement.
« Des vers qui toujours baiſent la terre
>> ne dénotent-ils pas une muſe qui s'embourbe
dans les marais du Permeſſe ? »
Comme M. d'Açarq a le ton noble &
le ſtyle ingénieux !
Vante unbaifer cueilli fur les lévres d'Iris.
" Que ſignifie un baifer cueilli ? Est-ce
>> un baifer donné ? Est-ce un baifer reçu ?
Le baiſer n'eſt cueilli dans aucun des
» deux cas, >> 1
M. d'Açarq ſe connoît en baiſers com
me en vers. De l'art poëtique de Boileau
il paſſe à la Berenice de Racine que M. de
Voltaire avoit déjà commentée ; mais
M. d'Açarq eſt bien un autre commentateur.
72 MERCURE DE FRANCE.
Cent fois je me ſuis fait une douceur extrême
D'entretenir Titus dans un autre lui - même .
« N'est - il pas d'une fadeur extrême ce
>> premier vers ?
Je fuis des yeux diſtraits
Qui mevoyant toujours ne me voyoient jamais.
« Toujours , jamais , voir , ne voir
>>point , n'eſt - ce point trop jouer ſur les
» mots ? »
La cour ſera toujours du parti de vos voeux.
<<Métaphore outrée.
Foibles amuſemens d'une douleur & grande.
« Vers puérile.
Héquoi ! Seigneur hé ! quoi ! cette magnificence
Qui va juſqu'à l'Euphrate étendre ſa puiſſance.
« La puiſſance d'une magnificence..grands
>> mots , terme métaphysique ſur terme
>> métaphyfique. Hé quoi ! hé quoi ! pa-
» roles , paroles. »
Quoique nous nous ſoyons propofés de
ne rien répondre à M. d'Açarq , il faut
pourtant
OCTOBRE. 1770. 73
pourtant lui dire qu'il devroit lire Racine
avec plus d'attention. Sa puiſſance
ſe rapporte à Antiochus & non pas à magnificence
; & en liſant les deux vers précédens,
le ſens eſt de la plus grande clarté.
Ainſi la métaphysique & la logique de
M. d'Açarq font ici endéfaut. Rien n'eſt
ſi communque de défigurer ce qu'il y a
de meilleur en tronquant un paffage &
citant infidèlement.
Votre deuil eſt fini , rien n'arrête vospas.
« Le deuil commence , le deuilfinit; on
→ parle différemment ſur le Parnaſſe. »
Que M. d'Açarq connoît bien le langage
du Parnaffe ! Quel dommage qu'il
n'ait refait qu'un ſeul vers de Boileau !
Un auſſi heureux eſſai devroit l'engager à
corriger ainſi tous les endroits défectueux
&deBoileau &de Racine.
Ellepaſſe ſesjours , Paulin, ſans rien prétendre
Que quelque heure à me voir &le reſte àm'at
tendre,
• Quelque heure pour me voir & le
> reſte pour m'attendre ſeroit moins
»mal,»
II. Vol. D
74. MERCURE DE FRANCE.
On eſt tenté d'avoir un peu d'humeur,
lorſqu'on entend parier de ce ton furdeux
vers de Racine , qui font au nombre des
plus beaux qu'il ait faits. Mais nous n'avons
pas le courage de nous fâcher contre
M. d'Açarq , & nous prions les lecteurs
de vouloir bien lui pardonner comme
nous. Ils nous diſpenſeront auffi de le fuivre
dans l'examen d'Athalie &de Phédre.
C'est toujours la même juſteſſe de
tact , la même fineſſe de vue , le même
agrément dans la diction & les tournures.
Il porte enfuite ſa vue ſur Electre
& Rhadamisthe de Monfieur de Crébillon
qui ſe trouve au rang des auteurs
claſſiques. L'auteur de Rhadamiſthe étoit
certainement un homme de génie. Mais
de n'eſt pas dans ſes pièces qu'il faut étudier
notre langue. Zaïre & Mérope font
parmi les pièces de M. de Voltaire celles
que M. d'Açarq foumet à ſa critique , &
il y trouve bien plus de fautes que dans
Electre & Rhadamisthe , ce qui est bien
naturel. Il faut ſe rappeler que M. d'Açarq
a fait une grammaire. C'eſt un légiflateur
en fait de goût & de langage ;
& nous allons rapporter quelques en
droits curieux de Monfieur d'Açarq qui
atteſteront les ſervices qu'il a rendus à
OCTOBRE. 1770. 75
notre langue & qu'il peut lui rendre encore..
« Le rapport mutuel& précis des mots
» fait les refforts divins d'une langue , &
>> c'eſt ce rapport eſſentiel que néglige
» M. de Voltaire , facrifiant aux agrémens
ود matériels l'active précision qui eſt d'un
>> ordre ſupérieur & qui eſt préférable à
" tout. Jeune , on ne ſe doute point de
» cela , affervi qu'on est à l'empire des
» ſens ; vieux , on l'apperçoit , on ne s'en
>>corrige pas plus... Le ſtyle grammatical
ود du 4º acte de Mérope eſt plus pur en
» général , & il y a de grandes beautés
» dans le ſtyle personnel... Quel bour-
ود
دو
د
donnement ! quel tintamarre ! Etoit ce
» le cas de monter aux nuës pour y travailler
une comparaiſon météorologique?
La verve fpiritueuse de M. de Voltaire
„ elt inépuisable en cés fortes d'éclatsful-
» phureux & retentiſſans. Racine a une al-
» lure tendre , Crébillon une allure terri-
„ ble , M. de Voltaire va en tout lens ,
» va toujours & n'a point d'allure certai-
» ne... Si Paris avoit eu deux pommes
„ d'or à diſtribuer entre ces trois auteurs,
>> il en eût donné la plus belle à Racine &
» l'autre à Crébillon , regrettant de n'en
avoir pas une troiſième. »
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Malheureuſement M. d'Açarq n'eſt
point Paris , & il n'a point de pommes
d'or.
Encore une phrafe , car on ne peut pas
quitter M. d'Açarg. " Après avoir lu Racine
, on ne manque pas de s'écrier
» que cela est bean ! Après avoir lu Cré-
. » billon , que cela eſt fort ! Après avoir
❤lu M. de Voltaire , que cela eſt joli !
Nous ne pouvons nous empêcher de
nous écrier , comme Hector dans le
Joueur ,
Que ces mots font bien dits & que c'eſt bien
penfe!
En effet c'eſt une bienjolie choſe que
le s . acte de Brutus, le se . acte d'Alzire ,
le 4º. de Sémiramis. Nous ne ſavons pas
pourtant ſi le 40. acte de Mahomet n'auroit
pas encore quelque choſe de plusjoli.
Nous nous en rapportons à M. d'Açarq.
Parlons ſérieuſement ; nous eſpérons
que les gens de goût voudront bien nous
pardonner de les avoir occupés un moment
d'un pareil ouvrage. Les étrangers
croiroient que nous retombons dans la
barbarie ſi les gens de lettres n'élevoient
pas la voix de tems en tems pour venger
OCTOBRE. 1770 . 77
le bon goût & l'honneur de la nation.
C'eſt le ſeul motif qui nous détermine
quelquefois à parler de livres ignorés dans
la capitale , mais qui ſe répandent aux
frontières &dans les pays voiſins où tour
ſe vend.
Pour reconcilier M. d'Açarq avec le lecteur
, il faut citer de ſes vers; car il en a
mis à la ſuite de ſes obfervations , pour
donner , comme Boileau , le précepte &
l'exemple.
Une ode à la jeuneſſe deMgr le Dau
phin commence ainfi .
De l'Etat illuſtre eſpérance,
Rejeton de nos demi - dieux ,
Vous , que votre inexpérience
Doit juſtifier à nos yeux ;
Gardez , vous dit par nous Minerve;
Que le plaifir qui tout énerve ,
N'amolliſſe vos premiers pas ;
L'âge vous lance au ſein du monde,
Ennaufrages mer très - féconde ,
Les écueils y font des appas .
. :
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Une foif implacable entraîne
Le caprice aux plus vils ruiſſeaux.
La liberté n'est qu'une chaîne
Qui nous lie à tous nos défauts .
Le célibat plus que la guerre ,
De tout tems dépeupla la terre ,
Par un preſtige fuborneur.
L'homme fut créé pour la femme ,
Votre ame demande une autre ame ,
De l'union naît le bonheur.
Après ces vers de M. d'Açarq , on peut
faire grace à ſa profe .
1
OCTOBRE. 1770. 79
L'Obfervateur François à Londres , ou lettres
fur l'état préſent de l'Angleterre ,
relativement à ſes forces , à ſon commerce
& à ſes moeurs , avec des notes
fur les papiers anglois , & des remarques
hiſtoriques , critiques & politiques
de l'éditeur. Seconde année , tome
premier. A Londres ; & ſe trouve à
Paris , chez Lacombe , rue Chriſtine ,
près la rue Dauphine ; Didot l'aîné ,
libraire & imprimeur , rue Pavée , au
coin du quai des Auguſtins.
La variété , l'utilité , l'agrément caractériſent
cet ouvrage périodique . L'Ob .
fervateur commence le premier cahier de
ſa ſeconde année par nous donner des
réflexions ſur l'hiſtoire. On lira avec un
intérêt touchant ce trait qui caractériſe la
bonté de coeur de Clément XIV. Le fouverain
Pontife n'étant encore que cordelier
voyoit ſouvent un peintre italien fort
médiocre . Il aimoit ſon caractère , ſes
moeurs & vivoit avec lui dans la plus
grande intimité . Elevé au cardinalat , il
devint pour le pauvre artiſte un grand
ſeigneur dont , ſuivant l'uſage ordinaire ,
l'abord devoit être fort difficile : auſſi le
peintre n'ofa- t il pas lui-même réclamer
ſa protection. Le cardinal penſoit diffé
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
remment. Etonné de ne pas voir paroître
à ſes audiences ſon ancien ami , il ſe rertdit
chez lui dans toute la pompe du plus
grand ſeigneur in fiocchi. L'artiſte , furpris
de cette viſite inattendue , le fut bien
plus encore lorſque l'Eminence , en le
preſſant dans ſes bras , l'aſſura qu'elle n'avoit
pas oublié leur ancienne liaiſon. Venez
donc me voir , lui dit affectueuſement
le cardinal , mon palais vous fera
toujours ouvert ; je ſerai toujours vifible
pour vous , & je ne ceſſerai jamais de
vous aimer. Elevé à la chaire pontificale,
on préſenta , ſuivant l'ufage , au nouveau
Souverain l'état de ſa maiſon , ſur lequel
le cardinal Major avoit placé l'un des
plus fameux peintres d'Italie . J'approuve
l'état , dit le St Père , à l'exception de
l'article du peintre. Celui que vous me
propoſez eſt ſans doute excellent ; mais
ma figure n'eſt point affez diftinguée pour
que les portraits qu'il en feroit puffent
ajouter à la réputation ; il eſt riche, d'ailleurs
, & peut bien ſe paſſer de moi . Je
connois un peintre moins célèbre , beaucoup
moins opulent , qui a toujours été
mon ami , que j'aime également & que
je prends pour mon premier peintre .
L'action ſuivante de l'Empereur actuel .
lement régnant eſt une leçon d'humanité
OCTOBRE. 1770 . δι
&de justice pour tous les Souverains.
L'Empereur aime à voir par lui- même &
à connoître ce que penſe le peuple ; il va
ſouvent tout ſeul ſe promener dans la
ville , & même quelquefois dans la campagne.
Une femme aſſez bien miſe , &
dont l'air trifte le toucha , ſe trouva , depuis
peu , ſur ſes pas. Ce Prince l'aborde,
cauſe avec elle , & lui demande ce qui
peut occafionner ſon extrême mélancolie
. Je ſuis veuve d'un officier au ſervice
de l'Empereur , ( lui dit- elle en foupirant)
j'ai très-peu de fortune , & j'ai vainement
préſenté les placets les plus preſſans pour
obtenir le paiement des appointemens
qui étoient dus à feu mon mari. Trouvez-
vous demain matin au palais , lui dit
ce Prince , j'y ai quelque crédit ; demandez
à préſenter votre placet à l'Empereur
même ; je me charge du reſte. La veuve
fut exacte au rendez - vous : on l'introduiſit
dans le cabinet de ſon Souverain .
Que l'on juge de ſon étonnement quand
elle reconnut en lui l'inconnu en qui elle
comptoit n'avoir rencontré qu'un protecteur.
Elle tomba à ſes pieds & obtint tout
ce qu'elle demandoit. L'Empereur , avant
que de la congédier , fit appeler celui qui
avoit le départementde ces fortes d'affai
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
res , le reprimanda & lui ordonna d'être à
Pavenir plus attentif à ſes devoirs .
L'Obfervateur , dans ce même cahier ,
nous intruit du jugement rendu au banc
du Roi d'Angleterre , en faveur des imprimeurs
& publicateurs de la lettre de
Junius , ainſi que du procès du duc de
Cumberland , cité au tribunal de la loi
pour avoir eu un commerce illicite avec
la femme du lord Grosvenord . L'avocat
de ce lord , après avoir conclu à ce que
l'accufé fut condamné envers ſa partie à
une amende de 100000 livres ſterlings ,
prévint l'objection que les juges pourroient
faire fur ce que la ſomme excédoit
la fortune de l'accufé , & prétendit que
plus le rang du coupable étoit éminent,
plus ledélit étoit grave , &que,dans nombre
de cas ſemblables , la justice avoit
moins confulté la fortune du criminel
que la nature de fon crime Jacques II ,
dit- il , n'étant encore que duc d'Yorck ,
attaqua un marchand de la cité pour caufe
de diffamation , & obtint contre lui une
amande encore plus conſidérable que celle
que je demande. Le lord Belvidere , en
Irlande , a obtenu contre fon beau frère
M.de Rochfort , qu'il avoit furpris avec
ſa femme , 20000 livres ſterlings. La forOCTOBRE.
1770 . 83
tune de M. de Rochford ne montoit
pourtant pas à cette fomme; & hors d'état
de la lui payer , il fut mis en prifon ,
où il reſta tant qu'il plut à fon beau- frere .
Cependant , malgré toute l'éloquence de
l'avocat , malgré la force de ſes exemples,
les juges n'accordèrent au lord Grofvenord
, qu'une fomme de 10000 liv. ſterlings
, que l'on prétend qu'il recevra ,
mais pour en diſpoſer en faveur de l'hôpital
des orphelins .
Ontrouve ici l'étimologie du wauxhall.
Ce mot Hall, en anglois , veut dire
falle , & Waux est le nom d'un particulier
de Londres , fils d'un refugié François
, qui a fait bâtir cette falle a ſes dépens.
Ainsi Wauxhall ne ſignifie rien
autre choſe que la ſalle de M. Waux .
L'Obfervateur , après avoir continué
de nous entretenir des mouvemens des
Colonies Angloiſes , nous donne pluſieurs
extraits des papiers anglois , & ces extrairs
font très-piquants par les connoiffances
qu'ils nous procurent des moeurs ,
des uſages & de la façon de penfer des
Anglois , de leur littérature& de leur induſtrie.
Ces extraits contiennent quelques
anecdotes . En voici une tirée de la Ga-
: zette univerſelle du 11 Août. Un chirurgien
de Paris , s'étant rendu à St Denis
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
poury voir les tombeaux des Rois de
France, ſe jeta à genoux devant celui de
Charles VIII . Que faites - vous , lui dit
un religieux de l'abbaye ? Cette tombe ne
renferme pas les reliques d'un Saint. Je
le ſais , lui dit le chirurgien ; mais ſi celui
qui eſt dans ce tombeau n'eſt pas un
Saint pour vous , il l'eſt pour moi : c'eſt
lui qui a apporté en France une maladie
qui m'a fait gagner 150000 .
L'Obſervateur rapporte d'après le London
Chronicle du même mois , qu'il y a
dans la province de Kent un gentilhomme,
qui a été l'ami particulier du célèbre
Prior : il vit dans ſa terre & eſt âgé de
cent vingt - deux ans ; il ſe nomme M.
Flect-Wood Shepherd.
Inſtitutions mathématiques , ſervant d'introduction
à un cours de philoſophie
à l'uſage des univerſités de France, ouvragedans
lequel on a renfermé l'arithmétique
, l'algèbre , les fractions ordinaires
& décimales , l'extraction des
racines quarrées & cubiques , le calcul
des radicaux & des expoſans , les raifons
, proportions & progreſſionsarithmétiques
& géométriques ; les logarithmes
, les équations , les problêmes
indéterminés , la théorie de l'infini, les
OCTOBRE. 1770 . 85
combinaiſons , la géométrie & trigonométrie
; la méthode de lever les
plans, la meſure des terreins , la divifion
des champs & le nivellement , les
ſections coniques & les principes du
calcul différentiel & du calcul intégral ,
&pluſieurs connoiſſances utiles aux
militaires. Les matières ſont traitées
clairement & miſes à la portée des commençants
. Par M. l'Abbé Sauri , ancien
profeſleur de philoſophie de l'univerſité
de Montpellier , vol. in - 8 °. A Paris
, chez Valade , libraire , rue St Jacques
, vis - à - vis celle de la Parcheminerie
.
Ce bon livre élémentaire a obtenu les
fuffrages des perſonnes verſées dans les
mathématiques , & de tous ceux qui recherchent
dans ces fortes d'ouvrages clafſiques
la méthode&la clarté. Il ſera mis
pour cette raiſon avec fruit entre les mains
des jeunes gens pour lesquels on ne peut
trop faciliter l'étude des ſciences abſtraites.
C'eſt auſſi le jugement qu'en a porté
l'académie royaledes ſciences. Cette aca.
démie a jugé ſur le rapport de MM. d'Alembert
& l'Abbé Boſſut : " Que cet ou-
>> vrage étoit fait avec clarté ; qu'il avoit
» l'avantage de renfermer un affez grand
86 MERCURE DE FRANCE.
" nombre de chofes dans un volume de
>> médiocre groſſeur , & qu'il y avoit tout
> lieu de penſer qu'il pourra être utile aux
>> commençans& fur- tout aux jeunes étu-
>> dians en philofophie auxquels il eſt
>> principalement deſtiné. >>
Epitre à M. Petit , docteur - régent de la
faculté de médecine de l'univerſité de
Paris , membre des académies royales
des ſciences de Paris & de Stockholm ,
&c. Par M. Leclerc de Montmerci ,
avocat au parlement & docteur en droit
de la faculté de Paris 1770 , in- 8 °. de
88 pages . A Paris , chez Gogué , libraire
, quai des Auguſtins.
L'amitié a dicté cet épîrre qui a plusde
deux mille vers , car l'amitié aime volontiers
à s'épancher. Les connoiſſances variées
que le poëte y a répandues & les
louanges qu'il donne à pluſieurs hommes
illuſtres de nos jours pourront intéreſſer
le lecteur & lui plaire .
Ouvrages de M. Lesley , contre les Déiftes
& les Juifs avec des défenfes , & un
traité du jugement particulier & de
l'autorité en matière de foi ; traduits
de l'anglois ſur la VII . édition ; par
OCTOBRE. 1770 . 87
le R. P. Houbigant , Prêtre de l'Oratoire
; vol . in 8°. A Paris , chez A. M.
Lottin l'aîné , libraire- imprimeur , rue
St Jacques , près de St Yves , au coq.
Charles Lefley , fils du docteur Jean
Leſley , qui étoit évêque proteftant de
Clogher en Irlande , avoit étudié la jurifprudence
avant de ſe livrer à la théologie.
Il prit les ordres en 1680 felon le
rit anglican , fut fait chancelier de l'égliſe
de Connor en 1687 , & mourut en 1722 .
Les différentes poſitions où se trouva Lefley
, ou plutôt ſon goût pour les écrits
polémiques , lui fit compoſer plufieurs
ouvrages tant théologiques que politiques
. Le P. Houbigant a raſſemblé dans
le recueil que nous annonçons ceux de ces
écrits qui peuvent être d'une utilité plus
particulière aux théologiens & à tous ceux
qui veulent ſe mettre en garde contre les
objections des Juifs , des Preſbytériens ,
des Quakers , des Sociniens , &c. Comme
Leſley avoit beaucoup vécu avec ces différentes
ſectes , il avoit étudié leurs principes
, leurs difficultés , leurs objections ;
& il les a puiſſamment combattus dans
différens écrits très recherchés encore aujourd'hui
par la méthode vive & ferrée
de l'écrivain . Ces écrits ont été imprimés
88 MERCURE DE FRANCE .
en anglois dans un volume in - 8°. qui
contient 1º. une méthode courte & ailée
contre les Deiſtes ; 2 °. Une méthode
courte & aiſée contre les Juifs ; 3 ° . Une
défenſe de la méthode contre les Déiſtes;
4°. Une lettre concernant le dieu des Siamois
; 5º. Une lettre de l'auteur à un déifte
converti ; 6 °. La vérité du chriftianifme
démontrée , dialogue entre un Chrétien
& un Déiſte ; 7°. Une diſſertatio,n
fur le jugement particulier & l'autorité
en matière de foi . De ces ſept ouvrages
le traducteur n'a omis que le ſixième , où
le Théologien Anglois ſe contente de
mettre en dialogues ce qu'il avoit ditdans
ſes deux méthodes. Comme Lefſley ſuivoit
les préjugés de l'égliſe anglicane, on
trouvera dans ſon dernier traité quelques
objections contre l'égliſe romaine. Le
traducteur ne les a point diſſimulées ; &
il s'eſt réſervé de les combattre dans ſes
favantes notes .
Matière médicale , extraite des meilleurs
auteurs , & principalement du traité
des médicamens de M. de Tournefort
& des leçons de M. Ferrein ; par
M, *** , docteur en médecine ; 3 vol .
in - 12. AParis , chez Deburre , fils
OCTOBRE. 1770. 8,
jeune , libraire , quai des Auguſt. près
le pont St Michel à St Paul.
L'étude de la médecine a deux objets
principaux ; la connoiſſance des maladies
&celle des médicamens. Les médicamens
ſe tirent des trois règnes. Le règne
végétal eſt celui qui en fournit le nombre
le plus conſidérable. Aidé des lumières
de la ſaine phyſique , on eſt aujourd'hui
à portée de ranger les médicamens
ſous des claſſes méthodiques. L'illuftre
botaniſte Tournefort a boucoup contribué
par ſes recherches aux progrès de la
ſcience des médicamens. Ses leçons , au
jardin du Roi & au collége royal , ont été
recueillies par pluſieurs de ſes diſciples ;
on doit , à l'un d'entr'eux , l'ouvrage qui
a pour titre : Traité de la matière médicale
, Paris 1717 , 2 vol. in 12. Le ſçavant
M. Ferrein s'eſt également occupé de cet
objet dans ſes cours , tant publics que
particuliers. La méthode qu'il a ſuivie
pour rendre l'étude des médicamens
moins épineuſe eſt ſimple , vraie & facile
à ſaiſir . Un médecin , qui ſe glorifie d'avoir
été fon diſciple , s'étant propoſé de
donner une nouvelle édition de la matière
médicale de Tournefort , a penſé
avec raiſon qu'il ne pouvoit rien faire de
و ه
MERCURE DE FRANCE.
mamieux
que d'adopter le plan de M. Fer
rein . Les explications de ces deux habiles
profefleurs ſe trouvent par cemoyen
réunies & comme fondues enſemble dans
les trois volumes que nous venons d'annoncer
, ce qui augmente le mérite de
cette nouvelle édition. Ce traité de
tière médicale peut être regardé comme
faiſant partie du cours de médecine pratique
, publiée l'année dernière. Ces deux
ouvrages ſe prêtent un ſecours mutuel.
L'un fait connoître les différentes maladies&
la manière de les combattre ; l'autre
donne l'hiſtoire des moyens qui doivent
être employés.
Le Père avare , ou les malheurs de l'éducation
; contenant une idée de ceux
de la Colonie des C***. 3 vol. in 12 .
A Paris , chez Duſventes de la Doué ,
libraire , rue St Jacques .
D'Erigny , c'eſt le nom du Père avare ,
parvenu du ſein de la pauvreté à la plus
haute fortune , & avide de diftinctions de
tout genre , chercha à s'en procurer avec
de l'or. Il crut qu'on achetoit de même
le plaifir , & il lemarchanda. Des femmes
perdues lui firent payer chérement des
faveurs qu'elles prodiguoient ailleurs .
OCTOBRE. 1770 . 91
D'Erigny ſe reſſouvenoit cependant qu'il
avoit été pauvre ; mais il ne ſe rappeloit
fon premier état , que pour outrer
la parcinoniedans le ſecretde ſa maiſon ,
& refufer à ſon fils unique tous les
moyens de s'occuper utilement , de s'inftruire
& de s'éclairer. Auſſi ce jeune
homme devint tout- à-coup le jouet de
ſa crédulité , de ſes paſſions & de fon
ignorance. Des femmes , qui n'ont pour
toure fortune qu'un peu d'appas & beaucoup
d'artifice , abuſent de ſa foibleſſe ,
&lui mettent le bandeau de l'amour fur
les yeux pour mieux le dépouiller. Leurs
feintes careſſes le précipitent dans des
dépenſes énormes , auxquelles il ne peut
fubvenir que par des emprunts ruineux ,
desbaffefles & même des vols faits dans
la maiſon paternelle. Lorſque ſes refl
ſources ſont épuiſées , il devient un objet
de mépris pour ces mêmes femmes qu'il
a comblées de biens. Il apprend à les
connoître , mais trop tard. Livré à l'ignominie
de ſa conduite , en proie aux regrets
les plus cuifans , preffé par ſes
créanciers , & craignant les menaces
d'un père irrité , il ſe refugie dans les pays
étrangers. Il y fait des connoiſſances qui
le précipitent dans de nouveaux égare92
MERCURE DE FRANCE.
mens. Il s'oublie même , au point d'abu
fer de la confiance d'une mère de famille
pour ſéduire ſa fille. Il ſe ſert du pouvoir
qu'il a fur cette fille , pour enlever un
dépôt d'argent qu'il remet entre les mains
d'une comédienne. Celle- ci imagine facilement
une rufſe pour s'approprier l'argent
, & ſe débarraſſer de l'homme vil
qui le lui apporte. Le jeune d'Erigny n'a
plus d'autre reſſource que de changer de
nom , & de ſe mettre aux gages d'une
troupe de comédiens. Il paſſe pluſieurs
mois dans cet état d'aviliſſement. Quelques
aventures qui lui arrivent l'obligent
de déclarer ſon vrai nom & fa famille ,
qui ignoroit le lieu de ſa retraite. Une
mère oublie aifément les égaremens de
fon fils , & Madame d'Erigny engage
fon mari à rappeler leur fils nnique , &
à lui donner un état. Lejeune d'Erigny ,
dans le ſein de ſa famille , & jouillant
d'une partie de ſa fortune , ſe fit d'abord
quelque peine de ſe répandre dans les
fociétés. Il craignit qu'on ne ſe rappelat
ſes anciens égaremens ; "mais il fut
>>bien- tôt convaincu , nous dit- il , dans
» ſes Mémoires , qu'il n'eſt point de
>> défordres que l'éclat de la richeſſe ne
> couvre ; & que nos actions , quelque
OCTOBRE. 1770 . 93
>> criminelles qu'elles puiſſent être , font
>> moins la mesure de l'accueil que le pu-
„ blic nous fait , que l'air d'importance&
>> l'appareil faſtueux qui nous environne ;
>> mille regards ſurpris tombèrent fur
>>> moi ; aucun n'étoit chargé de ces dé.
>>>dains repouſſans que j'avois tant ap-
>> préhendés ; on me conſidéroit avec
> des yeux d'envie ; on m'abordoit avec
>> un ſourire careffant ; toute l'attention
>> ſeportoit fur l'opulence qui relevoitma
» perſonne & mon équipage. Les fautes
>> que j'avois commiſes étoient dans l'ou-
>> bli ; on ne voyoit en moi que la dé-
>> coration extérieure : je fus étonné de
>> trouver tant d'indulgence ; j'en conclus
> que l'enveloppe brillante de l'homme
>> riche eſt un rempart qui le garantit
des traits de la curioſité&de la haine ,
» & par- là , comme dans un ſanctuaire
» impénétrable , à l'abri des voiles pré-
>> cieux qui l'entourent , il peut tout faire
>> impunément. Cette réflexion jeta de
>>profondes racines dans mon coeur , &
>> devinrent bien-tôt ſourdement le prin
>>cipe de nouveaux égaremens. » Une
femme aimable & vertueuſe qu'on lui
fit épouſer , ne put le diſtraire de ſes
malheureux penchans. Son époux infidèle
94 MERCURE DE FRANCE .
la reſpecta aſſez peu pour la rendre victime
du fruit de ſes débauches . Le venin
dont il étoit lui-même infecté , jeta
dans fon caractère un fond de triſteſſe &
de mélancohe qui le rendit odieux à ſes
propres yeux & injufte envers tout le
monde. Ses réflexions ſur ſa conduite
aigriffoient encore fon humeur farouche.
La vue d'un homme de bien étoit pour
lui un fupplice , & il fut affez pervers
pour ſuppoſer des crimes à un vieillard
reſpectable , qui n'avoit d'autre tort auprès
de lui , que d'avoir ſu gagner l'eftime
du public par la pratique des vertus.
Cette lâche intrigue ſe découvre : d'Erigny
eſt dénoncé à la Juſtice. On le pourfuit.
Sa famille s'aſſemble , & ne voit
d'autre parti pour le ſouſtraire au ſupplice
ignominieux qui l'attendoit , que
de le faire partir pour les Ifles. Il eſt
tranſporté dans l'Iſſe de C*** . On voit ,
avec une forte d'intérêt , ce malheureux
expatrié , montrer un coeur ſenſible aux
maux de la Colonie , & nous offrir la
pathetique image d'une troupe de Colons
, qui , ayant tout quitté , patrie ,
parens , amis , pour procurer quelque
foulagement à leur famille , ne trouvent,
OCTOBRE. 1770 . 95
!
que la difette , les maladies & la mort.
Ce tableau effrayant , & l'impreffion
douloureuſe qu'il fait ſur le lecteur , ne
peut être effacé que par l'image fatisfaiſante
d'un village entier que d'Erigny ,
de retour en France , édifie par ſes bienfaits.
C'eſt dans ce hameau que , ſous le
nom de Silvain , il apprend à diftinguer
le vrai bonheur , d'avec ce qui n'en a
que l'apparence. Il recouvre enfin la paix
de l'ame & une épouſe vertueuſe qui
n'avoit jamais ceſſé de lui être attachée .
L'homme qui n'eſt pas fans entrailles
& qui a négligé l'éducationde ſes enfans ,
pourra un jour verſer ſur ſa faute bien
des larmes améres . Il ſe convaincra du
moins , en lifant ces Mémoires, que la
bonne éducation eſt la meilleure richeſle
que l'on puiſſe laiſſer à des enfans ; que
c'eſt la voie la plus fûre pour les conduire
au bonheur. " O vous ! s'écrie
» d'Erigny , à la fin de ſes Mémoires ,
» qui diſſipez d'immenfes richeſſes en
>> frivolités , à payer de faux plaifirs ;
>> comme vous, je les achetai au poids de
>>>l'or ; comme vous , fuyant le vaide de
» mon ame, dévoré d'inquiétudes & de
regrets , plus je cherchois le bonheur
» par la prodigalité , plus j'étois mal
C
26 MERCURE DE FRANCE.
>> heureux ! Puiſſiez-vous , comme moi ;
>> faire l'eſſai des délices ineftimables
* qui ſuivent les ſentimens de bienveil-
>> lance envers les malheureux , & les ſe-
>> cours que l'on fait verſer dans leur
>> fein. «
Avis aux Mères qui veulent nourrir leurs
Enfans. Seconde édition , revue &
conſidérablement angmentée. Par Madame
L. R. in- 12. petit format ; chez
Didot le jeune , libraire , Quai des
Auguſtins,
Il paroîtra affez étonnant que l'on foit
obligé d'écrire pour indiquer lameilleure
manière de réuſſir à nourrir. C'eſt une
choſe ſi naturele & ſi aiſée , que , ſi les
mères étoient livrées à elles - mèmes ,
aux ſeules indications de la nature , &
fur-tout fans conſeils & fans ſyſtême ,
elles réuſſiroient fans peine & fans douleur.
C'eſt donc moins pour dire ce
qu'il faut faire dans les commencemens ,
que pour avertir de ce qu'il faut éviter ,
que Madame L. R. publie ce traité. « J'ai
obſervé , ajoute cette Dame eſtimable ,
>> les cauſes des difficultés qu'ont éproupyées
pluſieurs mères en voulant rem-
» plic
OCTOBRE. 1770 . 97
» plir le devoir ſi louable d'alaiter leurs
>> enfans . C'eſt l'intérêt que je prends à
>> ces dignes mères , à celles qui voudront
>> les imiter , & aux enfans , qui m'enga-
» ge à publier mes obſervations & le ré-
>> ſultat de mon expérience. J'ai moi-
- même été victime , juſqu'à un certain
>> point , des mauvais conſeils & des pré-
»jugés. J'aurois eu bien de la peine de
>> moins à ma première nourriture ſi j'euf-
>> ſe été ſeule avec mon enfant , ou que
>>j'euſſe ſçu ce que je vais communiquer.
>> Je n'ai pas la ſcience des médecins ,
>> mais j'ai l'expérience pratique. Je ne
>> dirai tien donc que je ne fois fûre. J'ai-
» me mieux ne pas dire tout ce qui eſt
>> relatif à la première éducation des en-
>> fans que de riſquer d'induire quelqu'un
» en erreur. »
Ce petit traité, ſi intéreſſant pour l'humanité
, ne pouvoit manquer d'obtenir le
fuffrage de la faculté de médecine de Paris.
Cette faculté exhorte les mères à s'y
conformer exactement . Par-là elles éviteront
bien de maux , & conferveront à
l'état bien des ſujets qui font la victime
de la méthode qu'on n'eſt que trop dans
l'uſage de ſuivre .
II. Vol. E
:
98 MERCURE DE FRANCE.
La Mimographe , ou idées d'une honnête
femme pour la réformation du
théâtre national . A Amſterdam & à la
Haye : A Paris , chez Delalain , libraire
, rue & à côté de la Comédie Françoiſe
; & Edme , libraire , quai des Auguſtins
, ſous la porte du grand couvent
; vol. in 8°. de 450 pages. Prix ,
4liv . 16 fols.
Un écrivain anonyme qui a beaucoup
d'eſprit & beaucoup d'idées fingulières ,
publia l'année dernière le Pornographe ,
ouvrage vraiment fingulier , pour ne rien
dire de plus , dans lequel il propoſoit les
moyens de prévenir les malheurs qu'occaſionne
le publicijme des femmes. Il expoſe
aujourd'hui dans ce nouveau volume
divers articles de reforme pour remédier
à pluſieurs inconvéniens qui accom
pagnent le théâtre. Le principal & le
plus fingulier en même tems feroit de
fupprimer les comédiens de profeffion &
de leur ſubſt tuer des jeunes gens de l'un
& de l'autre sèxe pour leſquels la déclamation
ſeroit un exercice libre , honorable
, & qu'ils pourroient cultiver fans
renoncer aux emplois de la ſociété. Il feroit
peut - être néceſſaire auparavant de
OCTOBRE. 1770. 99
reformer nos uſages , notre façon de penfer
&de nous rappeler aux inftitutions
des Grecs . Quoiqu'il en ſoit , l'auteur a
compofé fon ouvrage en forme de lettres
dont la partie hiſtorique retrace l'avanture
d'un mari qui , méconnoiflant les
véritables plaiſirs du coeur , néglige une
épouſe aimable & vertueuſe pour s'attacher
à une fille de théâtre. Les héros de
cette avanture font les mêmes qui ont
paru dans l'intrigue qui ſeit d'enveloppe
au Pornographe , mais confidérés dans
d'autres circonstances . Tout ceci eſt accompagné
de citations , de notes , d'obſervations
qui ne préſentent au premier
coup d'oeil qu'un aſſemblage de matériaux
pour ur vaſte édifice. Comme l'efprit
& l'érudition ſont répandues dans
ces notes , le lecteur pourra les parcourir
ou pour s'inſtruire ou pour s'amuſer . Mais
le fréquent néologiſme de l'auteur le re
butera quelquefois. Ce n'eſt point cependantque
, parmi les expreſſions nouvellesqu'il
eſſaie d'introduire , il n'y en ait
d'heureuſes , & d'autant plus admiſſibles
qu'elles tirent leur origine de mots actuellement
en uſage.
La mimographe a raſſemblé dans une
de ſes notes ce que différens auteurs nous
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
ont dit ſur les ſpectacles pantomimes des
Anciens. Cet écrivain auroit dû nous fuggérer
ici quelques moyens propres à renouveller
parmi nous ce genre de ſpectacle
néceſſaire , fur-tout dans les fêtes &
les aſſemblées publiques , pour amufer
une multitude innombrable de ſpectateurs.
Le drame pantomime , dont nous
ne connoillons point affez les reſſources ,
pourroit devenir un ſpectacle intéreſſant
entre les mains d'un compoſiteur de muſique
qui feroit homme de génie. Ce muſicien
, privé du ſecours des paroles , fe
verroit obligé d'y ſuppléer en donnant à
ſa muſique un caractère très - marqué &
très expreffif. Il lui ſeroit peut - être néceſſaire
pour amener les airs de mouvement
&de paſſion de ſon ſpectacle pantomime
, d'y introduire une forte de recitatif
obligé qui ſeroit joué par l'acteur
pantomime. En effet , ſi les airs font les
expreffions de la paſſion exaltée , on doit
ſuppoſer que quelque cauſe a donné lieu
à cette vive expreſſion , & c'eſt la néceffité
d'amener cette cauſe & de la faire
connoître au ſpectateur qui doit rendre
le récitatif indiſpenſable non ſeulement
dans le drame vocal , mais encore dans
le drame pantomime. Une muſique pitOCTOBRE.
1770. 101
toreſque ajouteroit aux geſtes de l'acteur
pantomime , les développeroit , les échauferoit
même & leur donneroit cette énergie
néceſſaire pour faire impreſſion. Comme
il ſeroit facile de doubler l'orcheſtre
&que la repréſentation pantomime pourroit
être vue de très loin , on conçoit
qu'aucun ſpectacle ne ſeroit plus propre
àamuſer une nombreuſe aſſemblée. C'eft
auſſi une des principales raiſons qui l'avoit
fait adopter par les Romains , dont
les amphithéâtres contenoient ſouvent
plus de vingt mille ſpectateurs.
Obfervations phyſiques & morales ſur l'inftinct
des animaux , leur induſtrie &
leurs moeurs. Par Hermann Samuel
Reimar , profeſſeur de philoſophie à
Hambourg , & membre de l'académie
impériale des ſciences de Peterſbourg.
Ouvrage traduit de l'allemand ſur la
dernière édition par M. H *** de
L** , 2 vol . in 12. A Amſterdam ,
chez Changuion ; & ſe trouve à Paris ,
chez Jombert fils , rue Dauphine.
-
,
L'auteur de cet ouvrage , M. Reimar ,
eſt mort , il y a environdeux ans , à Hambourg
ſa patrie , avec la réputation d'un
bon citoyen , d'un obſervateur exact &
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
d'un phyſicien éclairé. Perſonne juſqu'ici
n'a développé avec autant d'exactitude &
dans un aufli grand détail que ce profeffeur
les instincts des animaux dont il
diſtingue trois eſpèces , des inſtincts mécaniques
, des instincts repréſentatifs &
des instincts ſpontanés ou volontaires .
Les premiers appartiennent au corps; ce
font des mouvemens organiques qui ,
fans aucun fentiment ni aucun choix de
l'animal , portent la machine à exécuter
certaines actions pour l'entretien & la
confervation de la vie. Les instincts repréſentatifs
font des diſpoſitions de l'ame
qui la portent à connoître les objets , ſe .
lon leur rapport avec l'état préſent ou
pallé du corps auquel elle eſt attachée. A
l'égard des inſtincts volontaires l'auteur
les définit des efforts ſpontanés de l'ame
qui la portent à rechercher & à ſe procurer
, autant qu'il dépend d'elle , les objets
qui , ſelon le ſentiment de la perception
qu'elle en a , lui promettent du plaifir ,&
àcraindre & éviter tout ce qui la menace
de quelque ſenſation douloureuſe. Ces
instincts ſpontanés font ceux que l'on défigne
communément par le ſimple mot
d'inſtinct impetus : cependant , ajoure M.
Reimar , il nous ſemble convenir auſſi
proprement aux deux autres eſpèces , qui
OCTOBRE. 1770 . 103
conſiſtent également dans un penchant
naturel pour certaines actions & dans l'activité
de certaines forces : on ne ſçauroit
même parvenir à une entière connoillance
des inſtincts des animaux , ſans recourir
aux inſtincts mécaniques & aux inftincts
repréſentatifs ,
Comme l'auteur s'eſt principalement
appliqué à généraliſer ſes obfervations ,
fon ouvrage plaira peut - être moins au
commun des lecteurs que s'il eût commencé
par donner une deſcription détaillée
du genre de vie & des opérations ,
ſoit d'un animal , ſoit d'un autre. Cette
deſcription particuliere , par ſa variété &
par les faits qu'elle préſente , ſoutient l'attention
& pique beaucoup plus la curiofité
que tout ce qui n'eſt que général . La
traduction de ce bon ouvrage a été faite
avec ſoin , & le traducteur l'a enrichi de
quelques notes utiles .
ACADÉMIES.
I.
Marseille..
L'ACADÉMIE des belles- lettres , ſciences
& arts de Marseille a propoſé pour ſujet
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
du prix de poësie qu'elle adjugera le 25
Août 1771 , la Corſe ſous les loix de la
France.
Les ouvrages feront adreſſes , francs de
port à M. Mourraine , ſecrétaire perpétuel
de l'Académie , &ils ne feront reçus
que juſqu'au 15 Mai incluſivement. Le
prix eſt une médaille d'or de la valeur de
300 liv .
I I.
Lyon.
L'Académie des ſciences , belles - lettres
& arts de Lyon , propoſe pour le prix
de mathématiques fondé par M. Chriftin
, qui ſera diftribué à la fête de St Louis
1772 , le ſujet ſuivant : Quels font les
moyens le plus faciles & les moins difpendieux
de procurer à la ville de Lyon , la
meilleurs eau , & d'en diftribuer une quantitéfuffisante
dans tous ſes quartiers.
Les eaux de puits , preſque toujours
déſagréables , font généralement reconnues
pour mal-faines , lorſque les puits
font placés dans l'enceinte d'une ville
peuplée. Les eaux de rivieres & celles des
ſources choiſies font au contraire les plus
pures & les plus falubres.
OCTOBRE. 1770 .
105
La ville de Lyon eſt ſituée au confluent
de deux grandes rivières ,& entourée de
collines qui fourniſſent les eaux ſaines &
abondantes ; cependant ſes habitans , dans
le plus grand nombre de ſes quartiers ,
n'uſent que des eaux de puits .
Tels font les objets du problême propoſé.
L'Académie exige des auteurs qui
voudront le réſoudre , de déterminer la
qualité des eaux qu'ils indiqueront , d'afſigner
la quantité néceſſaire à la confommation
, & de joindre à leurs projets le
plan des machines qu'ils voudront employer
, le calcul de leur produit & de
leur entretien , celui des nivellemens néceſſaires
, & le devis des frais .
Toutes perfonnes pourront aſpirer à ce
prix . Il n'y aura d'exception que pour les
membres de l'académie , tels que les académiciens
ordinaires& les vétérans. Les
aſſociés , réſidans hors de Lyon , auront la
liberté d'y concourir.
Ceux qui enverront des mémoires font
priésde les écrire en françois ou en latin ,
&d'une manière liſible .
Les auteurs mettront une deviſe à la tête
de leurs ouvrages ; ils y joindront un
billet cacheté qui contiendra la même
deviſe , avec leurs nom , demeure & qua
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
lités. La piècé qui aura remporté le prix
fera la ſeule dont on ouvrira le billet.
On n'admettra point au concours les
mémoires dont les auteurs ſe ſeront fait
connoître directement ou indirectement
avant la décifion.
Les ouvrages feront adreſſés , fanrcs de
port , à Lyon : à Mi de la Tourrette ,
confeiller à la cour des monnoies , fecrétaire
perpétuelpour la claſſe des ſciences ,
rue Boiffac .
Ou à M. Bollioud Mermet , ſecrétaire
perpétuel pour la claſſe des belles-lettres ,
ruedu Plat.
Ou chez Aimé de la Roche , imprimeur-
libraire de l'académie , aux Halles
de la Grenette.
Les Sçavans Etrangers ſont avertis qu'il
ne ſuffit pas d'acquitter le port de leurs
paquetsjuſqu'aux frontières de la France ,
mais qu'ils doivent auſſi commettre quelqu'un
pour affranchir ces paquets depuis
la frontière juſqu'a Lyon , ſans quoi les
mémoires ne ſeroient point admis au
concours .
Aucun ouvrage ne ſera point reçu après
le premier Avril 1772. L'Académie,dans
une aſſemblée publique qui ſuivra immédiatement
la fête de St Louis , proclamera
la pièce qui aura mérité les fuffrages.
OCTOBRE. 1770. 107
Le prix eſt une médaille d'or de la valeur
de 300 liv. Elle ſera donnée à celui
qui , au jugement de l'académie , aura fait
le meilleur mémoire ſur le ſujet propoſé.
Cette médaille ſera délivrée à l'auteur
même qui fe fera connoître , ou au porteur
d'une procuration de ſa part, dreſſée en
bonne forme .
Prix des Arts pour l'année 17718
Lamême Académie avoit propoſé pour
le ſujet du concours de l'année 1765 , de
trouver le moyen de durcir les cuirs , &c.
elle continua ce ſujet pour l'année 1768 ,
le prix étant double; mais , les mémoires
qui lui font adreſſés n'ayant aucunement
rempli ſes vues , elle fut dans le cas de
réſerver un prix triple , ou trois médailles
de cent écus chacune , pour l'année
1771. Elle délibéra dès-lors de ne fixer
dans cette occaſion aucun ſujet déterminé
à ceux qui voudroient concourir ; elle
annonça , par un programme particulier ,
qu'en l'année 1771 , elle décerneroit le
prix triple à celui qui , ſous la forme des
mémoires qu'on adreſſe aux académies
lui communiqueroit la découverte la plus
utile dans les arts , en établiſſant que cette
découverte lui appartient , & n'est pas an
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
térieure à la date du premier programme ,
publié le 30 Août 1768 .
L'académie deſire que ceux qui voudront
concourir , ſe conforment aux conditions
ordinaires énoncées dans le programme
ci-deſſus pour l'année 1772 , &
qu'ils joignent à leurs mémoires , les figures
, les plans ou les modèles qui feront
relatifs à leurs découvertes. Les mémoires
ne feront point admis paſſé le premier
Avril 1771 ; la diſtribution ſe fera dans
l'affemblée publique qui ſuivra la fête de
St Louis .
Prix de Physique pour l'année 1773 .
L'Académie avoit propoſé le ſujet fuivant
, pour le prix de phyſique qu'elle devoit
adjuger cette année 1770 :
Déterminer quelsfont les Principes qui
constituent la Lymphe; quel eft le véritable
organe qui la prépare ; fi les vaiſſeaux ,
qui la portent dans toutes les parties du
corps, font une continuation des dernières
diviſions des artères fanguines , oufi ce
font des canaux totalement différens&par.
ticuliers à cefluide ; enfin quel estfon usage
dans l'économie animale.
Les auteurs , qui ont concouru , n'ayant
pas entièrement rempli les vues de l'acaOCTOBRE.
1770. 109
:
démie , elle a cru devoir continuer le même
ſujet à l'année 1773 , ſans néanmoins
rejeter du concours les mémoires qui y
ont été admis ; elle s'empreſſe même de
donner des éloges à celui qui porte ces
mots pour deviſe : Cui lecta potenter erit
res , nec facundia deferet hunc , nec lucidus
ordo. Hor. L'auteur lui paroît très en état
d'approfondir davantage cette matière
importante. Elle invite particulièrement
ceux qui voudront s'en occuper , à déterminer
par des expériences , la nature de
la lymphe comparée aux autres humeurs ,
&àdécrire ſon cours dans toute l'habitude
du corps .
Le prix , conſiſtant en une médaille
d'or , de la valeur de cent écus , fera double.
Les conditions font les mêmes que
celles du programme ci deſſus , pour l'an .
née 1772 ; avec cette ſeule différence que,
dans la vue de donner plus de tems à l'examen
des mémoires & à la vérification des
expériences , l'académie exige qu'ils lui
foient remis dans le courant du mois de
Janvier 1773 , après lequel tems ils ne
feront plus admis. La diſtribution du prix
ſe fera après la fête de St Louis.
112 MERCURE DE FRANCE.
établiſſent les indications dans ſes différens
ſièges , ſes diverſes eſpèces & fes
divers états ; qu'ils remontent aux prin.
cipes qui y donnent lieu ; qu'ils dérerminent
la manière de les reconnoître ,
en donnent une théorie fatisfaiſante ;
qu'ils indiquent les meilleurs ſpécifiques
connus dans tous les cas , en démonmontrant
leur pouvoir ou leur ſuffifance;
qu'ils donnent enfin , s'il eſt poſſible .
de nouvelles vues ſur les découvertes
à faire , & fur les moyens d'y parvenir.
L'académie invite auſſi les auteurs ,
à dreſſer des tables raiſonnées , qui contiennent
l'extrait de ce qu'ils auront dit
ou rapporté de plus eſſentiel.
Les conditions d'ailleurs font les
mêmes que celles qui ſont énoncées
dans le programme ci-deſſus , pour l'année
1772 ; à l'exception néanmoins
que l'académie exige que les mémoires
lui foient rendus dans le courant du,
mois de Janvier 1773 paffé lequel
tems , ils ne ſarant plus admis. La diſtribution
ſera faite dans la même ſéance
que celle du prix précédent.
L'académie croit devoir renouveller
ici l'avis qui concerne l'affranchiffement
des paquets ; elle a été contrainte ,
OCTOBRE. 1770. 113
à regret , de laiſſer à la poſte , un mémoire
envoyé d'un bureau de Flandres ,
nommé St. Nicolas près de Gand , ce
mémoire n'ayant pas été affranchi depuis
la frontiére juſqu'à Lyon , comme l'exige
le programme de l'académie , conformément
à l'uſage de tous les Corps littéraires
de l'Europe.
III .
Montauban.
L'Académie a célébré , ſelon fon uſage,
la fête de St Louis. Elle a aſſiſté le matin
à une meſſe ſuivie de l'Exaudiat pour le
Roi & du panégyrique du Saint , prononcé
par le R. P. Martin , prieur des carmes
de cette ville .
Elle a tenu à quatre heures de relevée ,
une affemblée publique dans la grande
ſalle de l'hôtel-de- ville , ſuivant le réglement
qui lui a été donné par le Roi .
M. de Saint- Hubert , chevalier de l'ordre
royal & militaire de St Louis , directeur
de quartier , a ouvert la ſéance par
des vers agréables , & a enfuite annoncé
le ſujet de l'aſſemblée.
M. l'Abbé Bellet a lu un diſcours en
vers , où la Patrie repréſenteſes droits àfes
114 MERCURE DE FRANCE.
enfans , & les maux auxquels elle defire
qu'ils apportent du remède.
Cette lecture a été ſuivie de celle d'une
épître aux Dames ſur les modes littéraires,
par M.l'Abbé Teulieres , où il compare
ces modes à celles de la parure , pour en
conclure que les unes altèrent & corrompent
l'art , quand les autres l'égaient &
l'embelliſſent quelquefois .
M. de Savignac , préſident de la cour
des aides , a lu des Stances fur le doute
raisonnable , à Mde de **** , par M. le
chevalier de Malartic la Devèze , capitaine
au régiment de Vermandois , l'un
des académiciens.
M. l'Abbé Bellet a lu un diſcours où ,
après avoir dir que la Vérité est un tréfor
dont l'acquifition fait l'opulince & la gloire
des Académies; il a indiqué les moyens
les plus propres à leur en aſſurer la poffefſion
dans tous les genres .
M. de St Hubert a recité des Srances ,
qu'il a appelées la Philofophie de l'honnête
Homme ; & d'un pinceau également léger
& philofophique il a tracé des maximes
dont il feroit à ſouhaiter que la pratique
fût ſuivie dans la ſociété.
Le prix de poëſie a été adjugé à une ode,
dont le R. P. Lombart , de la Doctrine
Chrétienne , l'un des profeſſeurs du colOCTOBRE
. 1770. 115
lége de l'Eſquille , à Toulouſe , s'eſt déclaré
l'auteur , & dont M. de Broca , conſeiller
à la cour des aides , a fait la lecture.
La ſéance a été terminée par la diftribution
du programme ſuivant.
L'Académie des belles lettres deMontauban
diſtribue tous les ans , le 25 Août,
fête de St Louis , un prix d'éloquence ,
fondé par M. de Latour , doyen du chapitre
, l'un des trente de la même académie.
Ce prix eſt une médaille d'or ,
de la valeur de 250 liv. portant d'un
côté les armes de l'académie , avec ces
paroles dans l'exergue : Academia Montalbanenfisfundata
auspice LuDOVICO
XV, P. P. P. F. A. imperii anno XXIX :
& fur le revers , ces mots renfermés dans
une couronne de laurier ; Ex munificentia
viri academici D. D. Bertrandi de
la Tour Decani Eccl. Montalb . м.
DCC. LXIII. Il eſt deſtiné à celui qui
ſe trouvera avoir fait le meilleur difcours
ſur un ſujet relatif à quelque point
de morale , tiré des livres ſaints.
و
Le ſujet de ce diſcours fera pour l'année
1771 .
Le désintéreſſement est la marque la
moins équivoque d'une grande ame : conformément
à ces paroles de l'écriture :
Divitias nihil effe duxi. Sap. VII . 8 .
116 MERCURE DE FRANCE.
Les auteurs font avertis de s'attacher
àbien prendre le ſens du ſujet qui leur
eſt propofé , d'éviter le ton de déclamateur
, de ne point s'écarter de leur
plan , & d'en remplir toutes les parties
avec juſteſſe & avec préciſion .
Les diſcours ne feront , tout au plus ,
que de demie heure , & finiront par
une courte prière à JESUS-CHRIST .
On n'en recevra aucun , qui n'aitune
approbation , ſignée de deux docteurs en
théologie.
Le prix de 1770 , ayant été réſervé ,
l'académie le deſtine à une ode ou à un
poëme , dont le ſujer ſera :
Les grands hommes dégradés dans le
fein de la molleſſe.
,
Le prix du poësie qu'elle a diſtribué,
a été adjugé à une ode qui a pour
ſentence : Laudemus viros gloriofos quorum
pietates non defuerunt. Eccl . 44.
Les auteurs ne mettront point leur
nom fur leurs ouvrages , mais feulement
une marque ou paraphe , avec un
paſſage de l'écriture- fainte , on d'un père
de l'égliſe , qu'on écrira auſſi ſur le regiſtre
du ſecrétaire de l'académie .
Ils feront remettre leurs ouvrages par
tout le mois de Mai prochain , entre
les mains de M. l'abbé Bellet , ſecrétaire
OCTOBRE
1770 . 117
perpétuel de l'académie , en ſa maiſon ,
rue Cour-de-Toulouſe.
Le prix ne ſera délivré à aucun , qu'il
ne ſe nomme , & qu'il ne ſe préſente en
perſonne , ou par procureur , pour le
recevoir & figner le diſcours .
Les auteurs ſont priés d'adreſſer à M. le
ſecrétaire , trois copies liſibles de leurs
ouvrages , & d'affranchir les paquets qui
ſont envoyés par la poſte.
I V.
Académie étrangère.
L'académie royale des beaux arts de
Parme a tenu ſa ſéance publique le 29
Avril 1770. pour la diftribution des
prix de peinture & d'architecture. Elle a
couronné dans la peinture , le tableau
qui a pour déviſe : Volat dubiis victoria
pennis. Il eſt de M. Spirito Antonio
Gibelin , demeurant à Rome , & élève
de M. Coſte , profeſſeur de l'académie
de peinture de Marſeille.
Le prix d'archiieſture a été remporté
par M. François Jourdan , élève de M.
Petitor , architecte & profeſſeur royal.
Son deſſein avoit pour deviſe : Aspiras
primo fortuna labori,
118 MERCURE DE FRANCE.
L'académie propoſe pour ſujet du prix
de peinture , pour le concours de l'année
1771 , » Annibal , vainqueur , qui , du
>> haut des Alpes , jette pour la première
>> fo's un coup d'oeil ſur l'Italie. « Ce
ſujet eſt emprunté de ce beau ſonnet de
l'abbé Frugoni.
Ferocemente la viſiera bruna
Alzò ſull' Alpe l'affrican guerriero
Cur la vittrice militar fortuna
Splendea negli atti del ſembiante altero.
Rimitò Italia , e qual chi in petto aduna
Il giurato ſull' ara odio primiero
Malignotife , non credendo alcuna
Parte ſecura del nimico impero.
Indi col forte immaginar rivolto
Alle venture memorande impreſe
Tacito , etutto in ſuoi penfier raccolto.
Sequendo il genio , che per man lo proſe,
Coll' ite ultrici , & le minacce in volto ,
Terror d'Auſonia , e del Tarpio diſceſe.
L'académie demande qu'Annibal foit
repréſenté dans le moment , que , levant
OCTOBRE . 1770. 119
,
la viſière de fon caſque , & fe retournant
vers le génie qui le prend par la
main il remarque de loin les belles
campagne d'Italie. La joie qu'il reffent
intérieurement perce dans ſes yeux , &
l'on doit voir déja briller fur fon front
la noble confiance de ſes prochaines
victires .
Le ſujet du prix d'architecture , eſt le
plan d'un magnifique théâtre , propre à
la repréſentation de toutes fortes de poêmes
dramatiques. L'académie dans fon
programme exige des defſins ſéparés des
plans , coupes & élévations de ce théâtre
, & un plan général qui réuniſſe les
différentes patties de ſa diſtribution &
de ſa décoration intérieure & extérieure.
Ce plan doit contenir les formes & les
dimenſions les plus convénables pour
l'emplacement de l'orchestre , des loges ,
des amphithéâtres & du théâtre , pour
le changement de la ſcène , la pompe
&la magnificence de la repréſentation .
Les architectes qui voudront concourir
, auront toujours foin de ſe rappeler
que ce theâtre doit ſervir alternativement
pour la repréſentation des drames liriques
, tragiques & comiques ; & ils fe
conformeront , pour la grandeur & l'étendue
de l'édifice , à ce qui eſt aujour
120 MERCURE DE FRANCE .
d'hui pratiqué dans les premières villes
d'Italie.
Le prix de peinture & celui d'Architecture
, font une médaille d'or de cinq
onces. Cette médaille aura pour empreinte
, les noms auguſtes du Souverain
, & des attributs relatifs à chacun
de ces arts. Les concurrens obſerveront
exactement les conditions ſuivantes.
1º. Ils donneront avis de l'intention
où ils ſont de concourir , à M. le comte
Rezzonico , ſécrétaire perpétuel , qui
les informera s'ils font admis , ou non.
2º. Après l'admiſſion , s'ils demeurent
dans des villes étrangères , ils ſe
préſenterent aux académiciens députés
par l'académie dans ces villes ; & , ces
académiciens , que le ſécrétaire leur indiquera
, leur feront connoître les précautions
qu'ils auront à prendre ſur leurs
ouvrages. Dans les villes où il n'y aura
point d'académiciens délégués , l'académie
s'en rapportera à la bonne foi & à
l'honnêteté des concurrens .
3°. Les tableaux & les deſſins d'ar.
chitecture , s'enverront directement à
Parme , à l'adreſſe de M. le conte Rezzonico
, fécrétaire , dans le courant du
mois d'Avril , pour être jugés dans le
mois
OCTOBRE. 1770 . 121
moi de Mai ; & les prix feront diſtribués
dans la première aſſemblée générale .
4°. Chaque concurrent mettra à fon
tableau ou deflin , une ſentence pour fa
deviſe , dont il fera part an ſeul ſécrétaire
, par une lettre ſignéede fon propre
nom. Ceux qui ſe ſeront fait connoître
à d'autres perſonnes qu'au ſécrétaire , ou
qui auront follicité des recommandations
, feront exclus du concours .
5°. L'académie exige que chaque
concurrent , outre fon nom , informe le
ſécrétaire , dans la lettre qu'il lui écrira ,
de fon pays & du maître ſous lequel
il a étudié.
Les tableaux & les deſſins s'enverront
à Parme , aux frais des concurrens . Ceux
qui auront été couronnés , reſteront à
l'académie ; les autres feront renvoyés à
leurs auteurs , aux dépens de l'académie .
SPECTACLES.
OPÉRA.
L'ACADÉMIE royale de muſique continue
les repréſentations des Fêtes grecques
&romaines. Elle donnera inceſſamment
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
Ajax , tragédie lyrique , dont les paroles
font de Menneffon &la muſique de Bertin.
On a accueilli avec vivacité Mlle de
Châteauvieux , qui a débuté dans le chant.
Une voix agréable , moëlleuſe & fort
étendue fait concevoir les plus grandes
eſpérances de ce jeune ſujet qui joint à
la beauté de fon organe une figure trèsintéreſſante.
し
VERS à Mlle de Châteauvieux ,
débutante à l'Opéra .
QUELLE eft cette beauté nouvelle
Qui brille à nos regards (urpris ?
Châteauvieux raſſemble autour d'elle
La cour & des jeux & des ris.
Dans ſes accens l'Amour ſoupires
Dans ſes yeux il place ſes traits.
Elle ſurprend par ſon ſourire ,
Et triomphe par ſes attraits.
Oui , c'eſt la reine de Cythère...
Mais , qu'entens-je ... quels ſons touchans!
Vénus joint-elle à l'art de plaire ,.
L'art de ſéduire par ſes chants ?
7
OCTOBRE. 1770 . 123
COMÉDIE FRANÇOISE.
On a remis fur ce théâtre pluſieurs repréſentations
du Père de famille , qui a
reçu de nouveaux applaudiſſemens. L'illuſionde
la ſcène eſt parfaite par l'art &
l'enſemble du jeu des acteurs. M. Molé,
M. Brizart , Mde Preville , Mlle Doligni
font les perſonnages mêmes qu'ils
repréfentent. Il n'eſt pas poffible de porter
plus loin la vérité de l'action & de
donner plus d'énergie , plus d'éclat , plus
de feu aux fentimens &aux paffions qu'ils
font paſſer dans l'ame du ſpectateur.
ENVOI à Mile d'Oligny , de la Comédie
Françoise.
Aimable élève de Thalie , touchante
Doligny, la nature nous a bien favorifés ,
en vous prodiguant fes dons! Vos accens
pénétrent nos ames ; ils arrachent nos
larmes. Quand vousrepréſentez les beaux
modèles de fille vertueuſe , de rendre
amante , d'épouſe , de mère affection
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
née , l'illuſion entraîne tous les coeurs
ſenſibles . Nous devons fans doute ce jeu
naturel à la délicateſſe de votre belle
ame , qui vous fait préférer l'innocence
des moeurs aux offres les plus féduifantes.
Je vais me permettre quelques réflexions
fur votre art , dans la confiance
que vous n'attribuerez la franchiſe de
mon examen qu'à mon zèle pour votre
gloire , & pour la perfection de l'érat
que vous honorez par vos vertus.
C'eſt ſans doute à juſte titre que la
bonne comédie eſt en poſſeſſion de charmer
nos loiſirs ; mais , ſi pour la goûter ,
le ſpectateur doit être pourvu d'un ſentiment
délicat , le jeu de l'acteur peut
feul rendre l'illuſion complette. L'expérience
fait voir que cette tâche n'eſt pas
facile à remplir ; auſſi , dans tous les
tems & dans tous les pays , les grands
Acteurs ont- ils joui d'une conſidération
juſtement acquiſe. En effet , animer les
tableaux des heureux génies , qui ont fu
peindre avec tant de vérité les ridicules ,
les vices & les vertus , n'est- ce pas en
quelque forte participer à leur gloire ?
Vous pourriez , charmante actrice ,
renouveller les beaux jours où MelpoOCTOBRE.
1770. 125
mène & Thalie exprimoient tour- à- tour ,
par lemême organe, leurs tendres& généreuſes
paſſions. Ces deux muſes vous y invitent.
Que vous manque-t- il pour réuſſir?
Figure heureuſe , taille intéreſſante , organe
flexible ; la nature vous a tout
donné. Jeune & belle Zaïre vous fauriez
fi bien exprimer les remords ! Malheureuſe
Andromaque , vous nous pénétrériez
de ſes vives douleurs !
La tragédie demande un ton de voix
foutenu , du pathétique dans la déclamation
, leport majestueux , la démarche
aſſurée ; enfin , juſqu'au développement
des bras , il le faut noble & bien
marqué ; vous auriez tout cela . Pour
la fublime ſenſibilité , l'ame de ce genre ,
c'eſt votre triomphe ! La célèbre Mademoiſelle
Goffin ne poſſédoit pas plus
parfairement cette éminente qualité. Eftce
la délicateſſe de votre poitrine qui
nous prive de voir reparaître cette tendre
actrice dans ſes rôles tragiques ? Dans
ce cas ſeulement , conſervez - vous pour
faire long- tems le charme de la touchante
comédie!
D***.
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE ITALIENNE.
MDE LARUETTE , que ſes indiſpofitions
avoient obligée de s'abſenter pendant
quelque tems , a reparu ſur la ſcène
dans la Servante maîtreffe & dans le Tableau
parlant. Elle a été applaudie avec
tranſport ; & elle a bien juſtifié les ſuffrages
du Public enchanté de revoir cette
actrice admirable par l'intelligence &
la fineſſe de ſon jeu , par l'art&le goût
exquis qu'elle metdans ſon chant , & par
le charme d'une voix légère & argentine,
qu'elle conduit & qu'elle ménage avec
une adreſſe qui lui eſt particulière.
OCTOBRE. 1770 . 127
DETAIL des Fêtes & Spectacles donnés
à Versailles à l'occaſion du mariage de
Monseigneur le Dauphin. ( 1)
LAcérémoniede ce Mariage auguſte ayant été
fixée au 16 Mai , la Chapelle & les Appartemens
avoient été diſpoſés & ornés de la manière fuivante.
On avoit conſtruit & placé au pourtour du
Sanctuaire & dans les Tribunes de la Chapelle
des gradins à fix rangs , afin de procurer au public
la facilité de voir la Cérémonie. Tous ces
gradins portoient des appuis peints en marbre ,
&maſquoient un couloir , pratiqué au- deſſous ,
pour communiquer d'un endroit à l'autre. Dans
la Tribune du Roi étoit un amphithéâtre , def-
(1) Les notices , répandues dans quelques Journaux
, des fêtes & des ſpectacles qui ont eu lieu
à la Cour dans cette circonstance , ſe trouvant
éparfes , & d'ailleurs n'en offrant qu'un précis
non- fuffifant ; on a cru devoir réunir tout ce qui
* y a rapport , & le placer dans le Journal de la
Nation , qui en eſt le dépoſitaire naturel. On auroit
fort defiré de fatisfaire plutôt l'empreflement
du Public fur cet objet ; mais pour rendre un
compte exact de ces fêtes , & pour ne le point
morceler , on a été obligé d'attendre que les ſpectacles
fuflent terminés ,&qu'on eût des uns &des
autres un detail fidele & approuvé.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
tiné à placer nombre de perſonnes de la Cour;
d'une taçon aufli agréable par rapport à l'enfemble
général , qu'officieuse pour les Spectateurs.
Dans le Sallon de la Chapelle , en face de la Tribune
du Roi , s'élevoit un autre amphithéâtre ,
ferné par devant , d'où l'on voyoit paſſer la Cour ,
tant pour aller à la Chapelle le jour du Mariage ,
que pour ſe rendre les jours ſuivans à la Salle de
Spectacle & au Bal paré. Les Sallons d'Hercule ,
de Vénus , des Tribunes & de Mercure étoient
autfi décorés d'amphithéâtres fermés par des appuis
en marbre. Attenant les portes de ces Sallons ,
ainſi que de ceux de l'Abondance,du Trône & de la
Guerre , étoient des baluſtrades peintes des mêmes
marbres , & derrière lesquelles on avoit placé des
banquettes , qui rempliſloient les vuidesjuſqu'aux
amphithéâtres , & fervoient tout- à- la fois à contenir
aflis un monde confiderable .
Dans toute la longueur de la Galerie , à huit
piés de diſtance des croifées , & en retour joignant
la porte de l'antichambre du Roi & celle du
Sallon de la Guerre , regnoit une balustrade en
marbre , de même que dans le Sallon de la Paix.
L'eſpace formé par ces balustrades étoit rempli
d'eſpeces de gradins , & contenoit une quantité
prodigieuſe de ſpectateurs , dont l'arrangement &
la parure offroient , fur-tout des bouts de cette
immenfe& fuperbe Galerie , un coup-d'oeil qu'on
chereheroit inutilement ailleurs , & duquel on ne
ſauroit avoir d'idée , à moins que d'en avoir
joui.
On avoit eu ſoin de poſer des barrières à toutes
les portes de la Cour Royale , ainfi qu'aux iſſues
de la Chapelle , des eſcaliers , des ſalles des Cent-
Suifles , des Gardes - du - Corps du Roi & des Antichambres
de forte que , malgré l'affluence la
OCTOBRE. 1770 . 129
plus nombreuſe , les paſſages n'ont point éré gênés
&que la circulation a été parfaitement libre , au
moyen de la précaution qu'on avoit priſe de ne
permettre l'entrée que par le Sallon de laChapelle,
& la fortie que par les appartemens de la Reine ,
perſonne n'ayant même la liberté de revenir ſur
ſes pas. Aufli chacun at- il eu la facilité de voir
pafler la Famille Royale & la Cour, le matin pour
aller à la Chapelle , & l'après midi pour les Appartemens
, que le Roi a tenus dans la grande
Galerie , où il y a eu jeu une partie de la ſoirée.
DESCRIPTION de la Salle du Festin
Royal.
On ſe ſervit de la Salle de Spectacle, dont on
releva le plancher à la hauteur de celui du théâtre.
La Table étoit de 22 couverts,pour la Famille
Royale , les Princes & Princeſſes du Sang. On
avoit pratiqué , pour la facilité du ſervice , une
Balustrade très -riche en marbre & en ornemens
d'or , quientouroit la Table à diſttance , & léparoit
, en dedans , les Officiers qui ſervoient , d'avec
les ſpectateurs , qui étoient en dehors. Les balcons
qui font au bas des premières loges , & toutes
les loges , étoient occupés par une nombreuſe
quantité de perſonnes de diſtinction .
La ſalle étoit éclairée par des luſtres qui pendoient
des rofettes du pourtour du plafond de la
Galerie des troiſièmes loges , dont le renfoncement
de chaque entre-colonnement , formé par
des portiques de glaces , étoit orné , fur chacun
deriches rideaux d'étoffe brochée bleu & argent ,
,
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
&bordés de frange d'argent; ces rideaux étoient
rattachés de cordons & glands pareils : du milieu
du ceintre de chaque arcade pendoit un luftre ,
qui ſe répétoit dans les glaces.
La partie de l'avant - ſcène , & qui borde le
théâtre , étoit fermée par une grande arcade de
32 piés de haut fur 14 piés de large , dont le
vuide ſervoit d'entrée à un Salon de muſique, élevé
fur la partie du devant du théâtre.
,
Sur chacun des côtés de l'arcade étoient élevées
deux grandes colonnes d'Ordre Corinthien , pareilles
à celles qui forment l'avant - ſcène ; ces
colonnes de marbre ſéracolin , dont les baſes ,
chapiteaux rofeaux & graines étoient d'or ,
portoient 30 piés de haut , & étoient élevées ſur
un focle de 4 piés en marbre de Grillotte d'Italie.
Entre ces colonnes & celles de l'avant- ſcène ,.
qui portoient les fophites ſervant de plafond ,
décorés de riches de ornemens d'or , fur un fondde
marbre féracolin; étoient deux portes , par lefquelles
ſe faifoit le ſervice de la table ; ces portes
, ornées de riches chambranles d'or taillés ,
l'étoient auffi de portieres pareilles aux rideaux
qui ornoient les glaces ..
Au- deſſus des portes étoient des tribunes à deux
étages , l'une ſur l'autre , ſemblables à celles qui
font dans la partie de l'avant - ſcène , dont les
balcons étoient foutenus fur de riches conſoles ,
décorées en ornemens d'or fur des fonds de marbre..
Dans les pans-coupés de l'avant- ſcène étoient
poſés ſur des focles de marbre vert- campan , des
candelabres de criſtal montés ſur des piédeſtaux
richement fculptés & dorés , de 18 piés de haut,
&chargés chacun de 120 lumieres.
OCTOBRE. 1770. 113
Le Salon de Muſique , vu à travers cette grande
arcade , étoit de 31 piés de profondeur, fur 27
piésde large & 30 piés de haut, ce Salon étoit décoré
dehuit colonnes d'Ordre Ionique de 20 piés de
haut , dont les baſes , chapiteaux & futs étoient
d'or ; l'entablement regnant au - deſſus étoit de
même ordonnance , tous les ornemens étoient
en or ; entre ces colonnes étoient des arcades en
glaces , ornées de rideaux retrouflés de riche étoffe,
frange & glands d'argent.
Tous les corps & fonds , en marbre ſéracolin
& vert- vert , répondoient au décor de la Salle
& tous les ornemens étoient de relief en or.
Dans chaque partie, entre les arcades & les colonnes
, étoient des tables ſaillantes en marbre ,
portant des trophées de muſique en or.
Au-deſlus de chaque arcade , au milieu des archivoltes
, étoient des Génies grouppés , portant
les chiffres de Mgr le Dauphin , & de Madame
la Dauphine , en relief & en or.
Le plafond en vouſſure au-deſſus de l'entablement
, s'élevoit de fix piés au-deſſus du focle poſé
fur la corniche ; à plomb de chaque arcade dans
la vouſlure , étoient de grandes lunettes , leſquelles
étoient percées de ciel , & encadrées de riches
bordures, foutenues par des aigles d'or , portant
des guirlandes de chêne en or , & rattachant des
bordures de tableaux de coloris dans les angles
repréſentant des Enfans jouant de divers inftrumens
de muſique .
,
Les compartimens de la vouſſure étoient formés
pat huit grandes conſoles d'or , décorées de
cannelures , dans lesquelles étoient des fleurons
auffi en or ; les conſoles étoient poſées ſur le ſocie
de l'entablement à plomb de chaque colonne , &
ſe ragraffoient dans une riche bordure circulaire
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
en fruits d'or , qui encadroit un grand tableau
de coloris repréſentantApollon touchant ſa lyre ,
accompagné des Muſes , portées par des nuages
fur un ciel lumineux , le tout peint par M. Boquet
fils .
Entre ce plafond & la grande arcade , étoit un
tableau de coloris repréſentant des Zéphirs ſemant
des fleurs.
Dans les angles du plafond , étoient quatre
rofettes en or , d'où étoient ſuſpendus , par de
riches cordons , autant de luftres , portant chacun
32 lumières .
Dans les angles du Salon étoient poſés ſur des
focles de marbre,vert-campan de riches candelabres
en or , furmontés de girandoles de cristal ,
portant chacune 68 lumières .
Du milieu des arcades de glaces , pendoient
aufli des luftres de criſtal à 8 lumières.
Quatre-vingtsMuſiciens,placés tur des gradins
en amphithéâtre , laiffoient fur le devant la place
du Surintendant de la Muſique du Roi , qui fit
pendant le ſouper exécuter pluſieurs morceaux de
fimphonies ; & au - devant , dans l'épaiſſeur de
l'embraſement de la grande arcade , étoient poſés
d'autres gradins en amphithéâtre juſqu'à la baluſtrade
qui fermoit le bord de l'avant- ſcène , fur
leſquels gradins ont été placées des Dames pendant
le Festin Royal .
Spectacles .
Le jeudi , 17 Mai 1770 , on a donné la première
repréſentation de Perfée , ouvrage des deux inftituteurs
de la ſcène lyrique en France , Quinault
& Lulli. La néceflité de donner plus d'étendue
aux divertifle mens , afin de profiter de tous les
progrès de la danſe , avoit déterminé à réduire cet
OCTOBRE. 1770. 133
opera en quatre actes. MM. Rebel , Francoeur ,
de Buri , & d'Auvergne , ſurintendans de la muſique
de Sa Majesté , avoient fait à celle de cet ouvrage
les changemens qu'exigeoient ceux du poëme
; ils avoient auſſi fait la muſique d'un nombre
de nouveaux morceaux de chant répandus dans
les fêtes , ainſi que celle des divertiſlemens , dans
leſquels on n'avoit pu laiſſer ſubſiſter que quelques
airs de Lulli . M. Joliveau , l'un des directeurs
de l'académie royale de muſique, avoit été chargé
de faire , dans ce poëme , les coupures jugées néceflaires
& les liaiſons qui en réfultoient : il avoit
heureuſement ainené dans le ze acte un ballet ,
formé par les miniſtres du ſommeil pour l'enchantement
des Gorgonnes , & avoit rendu le divertiſſement
du dernier acte plus particulierement
analogue à la circonſtance, par une allégorie
fimple & même ingénieuſe.
Les principaux rôles ont été remplis : celui de
Cephée , par le Sr Gélin ; celui de Cafliope , par
la Dile Dubois ; celui d'Andromede , par la Dile
Arnould , la Dlle Roſalie a rempli celui de Mérope;
le Sr Larrivée , celui de Phinée ; le Sr Legros,
celui de Perſée ; la Dile Duplant , celui de Méduſe
; la Dlle Larrivée , celui de Vénus ; le Sr Muguet
, celui de Mercure ; les Sieurs Cuvillier , Durais
, Caflaignade , Durand , Cavallier & Peré ,
les Dlles Avenaux & Morizet ont rempli les rôles
accefloires . Les ballets de cet opera , ainſi que
ceux de tous les autres qui ont été donnés depuis
à la cour , étoient de la compoſition de M. de Laval
, maître des ballets du Roi , & raſlembloient
tous les talens dans l'art de la danſe ; nommément
les Srs Veftris , Gardel , d'Auberval ; les Diles Gélin
, Guimard , Heinel , Aflelin , Mion , Pitrot ,
Duperei , Dervieux , &c.
134 MERCURE DE FRANCE .
Malgré les efforts réunis de toutes les perfon
nes qui concouroient à ce grand enſemble,malgré
la pompe impoſante d'un opera fait pour étonner
&pour plaire , par le merveilleux qui lui eſt particulier,
autant que par la magnificence dont il eſt
fufceptible : quelques longueurs dans l'ouvrage
même , le défaut de préciſion , de preſteſle dans le
changement des décorations , dans le jeu de quelques
machines , en un mot dans plufieurs parties
du fervice théâtral , ont répandu un peu de langueur
fur l'effet de cette premiere repréſentation ,
fans nuire cependant à l'impreſſion qui devoit
réſulter de ce beau ſpectacle & qu'il a généralementproduite.
Il ſeroit injuſte de ne pas faire remarquer ici
que l'artiſte , dont la réputation eft fi bien méritée
, M. Arnould, chargé de cette prodigieuſe machine
, avoit à peine eu le tems de faire fes difpofitions
générales ; qu'outre l'in poffibilité abfolue
où le met ſa fituationde ſe porter pendant les repréſentations
dans tous les endroits d'un théâtre
immenſe , une derniere chute l'avoit forcé de
garder le lit preſque juſqu'au moment de l'exécution
des fêtes ; que leur fucceſſion, exceflivement
rapide & dans le même local , n'avoit pas permis
de combiner fuffisamment entr'elles les différentes
décorations , encore moins d'en avoir & d'en
diſcuter des eſquiſſes ; que , dans la prodigieuſe
quantité de gens- d'oeuvre néceſſaires pour faire
mouvoir tous les objets que raſſembloit un théâ
tre, auſſi vaſte qu'il étoit néceſſairement peu connu
, aucun n'étoit formé & n'avoit même pu être
exercé à une maniere d'opérer à laquelle cette forte
d'hommes ne parvient que par l'habitude; enfin
que , malgré la multitude & l'importance des détails
que l'artiſte ſe trouvoit obligé d'embraſſer à.
OCTOBRE. 1770 . 135
la fois ; malgré les obſtacles qu'il avoit à furmon--
ter ; il a trouvé en lui- même des reflources ſingulières
& a fait voir , particulierement dans la derniere
décoration de Perſée , que le vrai talent faits
vaincre toutes les difficultés.
Bal paré.
La ſalledubal paré joignoit celle du ſpectacle ,
par l'avant-ſcène , & étoit conſtruite ſur toute la
partie qu'occupe le théâtre ; elle contenoit 80
piés de largeur , fur 78 de profondeur & 55 de
hauteur.
Le plan étoitun quarré-long, pris ſur la largeur
&dont les quatre angles formoient des pans - coupés
, deux deſquels joignoient les colonnes de
l'avant-ſcène par deux avants-corps .
Les deux autres étoient réunis au fond par une
partie circulaire.
Tout cet édifice formoit trois étages de galeries
l'une fur l'autre ; la premiere de neuf piés de
haut , fur huit de large , étoit pratiquée dans le
foubaſſement , formé par des piédeſtaux , & féparéeà
plomb des entre-colonnemens par uneba--
luſtrade à hauteur d'appui , dont les corps étoient
d'or , & les baluſtres d'argent ; cette même balur
trade regnoit au- deſlus des marches qui ſéparoient
les deux falles ,& laiſſoit au milieu un pafſage
de douze piés pour l'entrée.
Aux deux avant-corps de l'avant- ſcène étoient, à
plomb des colonnes,dans le ſoubaſlement, des médaillonsde
reliefavec des trophées ſervant d'agraffes
à des bordures en argent qui encadroient des
glaces appliquées ſur des tables d'émeraude, ornées
deMoſaïque d'or,
136 MERCURE DE FRANCE.
Aux ſoubaſſemens des quatre pans - coupés
étoient de mêmes tables , ſur leſquelles étoient
ſculptés en argent des trophées de l'Himen & de
l'Amour .
Au-devant des piédeſtaux des colonnes au pour .
tour de la ſalle étoient , ſur des focles de marbre
vert- campan , douze grands candelabres de 12
piés de hauteur , formés par des rainſeaux & ornemens
d'argent ſculptés , dans lesquels étoient
des enfans, auffi d'argent , tenant differents attributs
de l'Amour ; fur ces candelabres étoient
placées douze girandoles de criſtal , qui tenoient
les unes aux autres par des guirlandes de même
criſtal ; chacun de ces morceaux portoit 68 bougies.
Quatre autres candelabres , en forme de lys',
de ſeize prés de haut , aufli en argent , avec des
enfans , ſur leſquels étoient douze girandoles de
même criſtal , contenoient enſemble foixante-huit
lumières , placées au - devant des pans - coupés.
L'intérieur de cette galerie étoit tendu en brocard
bleu & argent , & les devants, décorés de rideaux
de même étoffe , bordés de frange , &retrouflés
avec des cordons & glands d'argent.
La ſeconde galerie de dix piés de large , audeffus
du ſoubaſſement , étoit formée par vingtquatre
colonnes de vingt piés trois pouces de
haut, poſées ſur des ſocles de deux piés trois pouces
, dont les corps étoient d'or , les fonds en
éméraude , & étoient enrichis de couronnes
de toſes qui encadroient des fleurs-de- lys , le tout
en argent de relief, ainſi que les ornemens des
moulures ; cette galerie paroiſſoit diviſée en cinq
parties , ſavoir: deux parties à l'avant- ſcène joignant
les pans-coupés , avoient chacune quatre
OCTOBRE . 1770 . 137.
colonnes accouplées ſur les côtés , &ſéparées au
milieu par une balustrade ſculptée & cannelée or
&argent, qui regnoit dans tous les entre- colonnemens.
Deux autres parties , en arrière- corps , joignant
par leurs extrémités les 4 pans - coupés , avoient
chacune quatre colonnes eſpacées également.
La cinquième partie , joignant auſſi deux des
pans-coupés au fond fur la partie circulaire, avoit
huit colonnes dans ſon pourtour.
Toutes ces colonnes étoient d'ordre Ionique , le
fond des cannelures d'éméraude , les liſtels d'or ,
les roſeaux & graines en reliefd'argent , les bâſes
& chapitaux d'or avec leurs ornemens auſſi d'argent.
Dans les pans-coupés , au deſſus des ſocles , ornés
de tables d'émeraudes encadrées d'or à moulures
d'argent , étoient quatre niches , fond d'éméraude
, dans lesquelles étoient quatre figures d'atgent
en ronde-bofle, repréſentant , Junon , Minerve
, Venus & Hébé .
Au deſſus de chaque niche étoient deux conſoles,
richement décorées , ſoutenant une corniche , fur
laquelle des génies de reliefen argent ſupportoient
chacun une girandole de criſtal à ſeize lumières.
Dans le fond de la galerie , en face de chaque
entre- colonnement , étoient quinze arcades de
ſeize piés de haut fur fix & demi de large , couronnée
chacune de riches archivoltes d'or avec
moulures incrustées d'argent, ſur leſquelles étoient
des grouppes d'enfans en bas- reliefs foutenant un
médaillon chargé des emblêmes de Mgr leDauphin
& de Madame la Dauphine ; ces enfans tenoient
138 MERCURE DE FRANCE .
auſſi des guirlandes qui ſuſpendoient, dans les panaches,
des trophées d'argent ſurdes fonds d'éméraude.
Les trumeaux qui ſéparoient ces arcades étoient
ornés de trophées & moulures de reliefen argent,
fur des fonds d'émeraude . L'impoſte , qui les féparoit
d'avec les panaches , regnoit au pourtour
de la falle , & étoit ornée de riches moulures en
argent.
Dix portes d'or étoient placées à chaque extrémité
des diviſions de cette galerie , & avoient
dans leurs panneaux de riches trophées & moulures
en argent fur des fonds d'émeraude.
Les chambranles qui encadroient ces portes ,
étoient couronnés de friſes & corniches , dont les
moulures taillées , ainſi que les trophées en relief
pofés fur l'amortiflement , étoient d'argent.
Au-deſſus des corniches & à l'a-plomb des chambranles
étoient des encadremens à moulures taillées
qui renfermoient de grands médaillons , fur
leſquels étoient peints en coloris des Amours
jouant avec des Dauphins & desAigles ; les bordures
étoient des faiſceaux d'or, liés par des branches
de mirthe & attachés par des chutes en relief,
auffi de mirthe & de roſes en argent .
Des rideaux de brocard bleu & argent , bordés
de crête& frange, étoient retrouflés avec des cordons
& glands d'argent dans chaque arcade , &
Faifloient voir des glaces , dans lesquelles lesdifférens
points de vue de la ſalle réfléchiffoient ,
ainſi que des demi- luftres de cristal , qui étoient
ſuſpendus par des cordons &glands, & portoient
chacunhuit lumières.
Un riche entablement dont l'architrave pofé
fur les chapitaux , formoit par ſes retours les foOCTOBRE
. 1770. 139
phites qui encadroient quinze tableaux qui décoroient
le plafond de cette ſecondegalerie.
Ces ſophites , ou platebandes , étoient décorés
d'entrelas & roſettes d'argent fur des fonds d'éméraude
; une grande gorge au-deſſusen vouſlure
fond d'or , fur laquelle étoient incruſtés en argent
des poftes & rinceaux , ſervoit de bordure aux
quinze tableaux , ou plafonds de coloris, dont les
fujets étoient les différentes divinités ſubalternes
partageant les plaiſirs de la fête.
Au-deſſus de l'architrave, dont les corps étoient
d'or & les moulures taillées en argent , regnoit
un grande friſe en éméraude , ſur laquelle étoient
foixante- dix-huit conſoles , auſſi d'émeraude ;
leurs têtes incrustées d'écailles d'argent , ainfi
que les graines en fleurons qui rempliffoient les
cannelures étoient renfermées par des liftels
d'or.
د
Ces conſoles , eſpacées également , formoien
par leurs intervalles des métopes , décorés de
riches trophées en argent de relief; elles foutenoient
une corniche en or à moulures d'argent
qui regnoit au pourtour de toute la falle & dont
leplafond du larmier, en éméraude , étoit décoré
d'une riche moſaïque à roſettes incruſtées d'argent
, entre chaque tailloir des conſoles.
La troiſième gallerie de dix piés de haut , & à
l'à-plomb de celle de deſſous , étoit au niveau de
la corniche , & regnoit au-deſſus de l'avant- ſcène :
elle étoit tendue , dans ſon intérieur , de brocard
bleu& argent ; le focle généralde deſſus la corniche
ſervoit d'appui à toutes les ouvertures de
cettegalerie , qui étoit décorée de riches rideaux
demêmebrocard , retrouſlés avec des cordons &
glands d'argent ; & devant chacun des trumeaux,
140 MERCURE DE FRANCE.
ou pilaſtres, étoient poſées,fur des ſocles d'argent,
trente-deux girandoles de criſtal portant chacune
ſeize lumières .
, La partie adoſſée à l'avant- ſcène étoit décorée
au-deſſous de la corniche , d'un grand rideau de
brocard bleu & argent , ſéparant par le haut les
deux falles .
Au- deſſus de la corniche , ſur le ſocle , étoient
trois arcades ,qui joignoient les deux avant-corps;
celle du milieu avoit vingt - deux piés de large
furquatorze de haut , les deux autres chacune ſept
piésde large.
Six pilaftres , dont quatre accouplés avec impofte,
foutenoient les archivoltes & ſéparoient
ces trois arcades; les deux panaches en coloris audeſſus
des pilaftres accouplés repréſentoient des
génies.
Ils étoient encadrés de riches bordures en or ,
fur leſquelles étoient des fleurs & fruits en argent,
furdes fonds d'émeraude .
Toute cette partie étoit couronnée par le plafond
, dont les arcs-doubleaux , ornés de guirlandes
de fruits en argent , ſur des fonds d'émeraude
encadrés d'or , partoient des quatre colonnes d'angles
des avant-corps. Ce plafond étoit décoré de
deux arcades en lunettes , dont les impoſtes
étoient ſuportées pardeux pilaſtres chacune ; entre
ces lunettes , qui étoientdécorées dans leurs
vouſſures de grands rainſeaux & roſettes d'argent,
fur des fonds d'émeraude , étoit un grand tableau
de coloris de trente- fix piés ſur douze , repréſentant
le lever de l'aurore ſur des nuages & des zé
phirs ſemant des roſes .
Cetableau étoit renfermé par une riche bordure
ceintrée ſur ſes extremités & formée de gros fruits
OCTOBRE. 1770 . 141
d'or en relief, liés enſembles d'un large cordon
d'argent.
Aux deux angles de cette bordure joignant les
deux lunettes étoient quatre grands rainſeaux de
reliefen argent ſur des fonds d'émeraude .
Aux deux faces latérales, à plomb des colonnes
d'angles joignant de chaque côté les pans-coupés,
partoient deux grands archivoltes en or , taillés
demoulures incrustées d'argent , ayant dans leurs
plafonds des compartimens à roſettes d'argent ,
Tur un fond d'émeraude .
Au-deſſus des deux colonnes,au milieu de chaque
côté étoient deux pilaſtres en or, décorés, ſur leurs
quatre faces , d'ornemens d'argent ſur des tables
d'émeraude, portant chacun un entablement ceintré
pris en ſaillie ſur les archivoltes ; ſur ces entablemens
étoient placées les armes du Roi , ſur
de riches cartels en or , couronnés & foutenus par
des anges de ronde-boſſe en argent.
Ces cartels étoient adoſlés à de riches vouſſures
qui prenoient leurs naiſſances ſur les archivoltes
& ſe terminoient aux deux arcs-doubleaux qui
partoient des colonnes d'angles des deux avantcorps
& rejoignoient les deux angles de la partie
circulaire.
Ces vouſſures étoient ornées de caiſſons d'or
&panneaux de forme circulaire fond d'émeraude ,
fur leſquels étoient de grandes roſettes d'argent
de relief encadrées de doubles moulures auſſi taillées
en argent,
Dans le fond , au-deſſus de la partie circulaire
&à plomb de chaque colonne , étoient fix pilaftres
pareils à ceux des faces latérales & portoient
les impoſtes & archivoltes de trois arcades cein
140 MERCURE DE FRANCE.
ou pilaſtres, étoient poſées,for des focles d'argent,
trente - deux girandoles de criſtal portant chacune
ſeize lumières .
La partie adoſſée à l'avant- ſcène étoit décorée
au- deſſous de la corniche , d'un grand rideau de
brocard bleu & argent , ſéparant par le haut les
deux falles .
Au- deſſus de la corniche , ſur le ſocle , étoient
trois arcades , qui joignoient les deux avant- corps ;
celle du milieu avoit vingt - deux piés de large
fur quatorze de haut , les deux autres chacune ſept
piés de large .
Six pilaftres , dont quatre accouplés avec impofte
, foutenoient les archivoltes & ſéparoient
ces trois arcades ; les deux panaches en coloris audeſſus
des pilaftres accouplés repréſentoient des
génies.
Ils étoient encadrés de riches bordures en or ,
fur leſquelles étoient des fleurs & fruits en argent,
furdes fonds d'émeraude .
Toute cette partie étoit couronnée par le plafond
, dont les arcs -doubleaux , ornés de guirlandes
de fruits en argent , ſur des fonds d'émeraude
encadrés d'or , partoient des quatre colonnes d'angles
des avant-corps. Ce plafond étoit décoré de
deux arcades en lunettes , dont les impoſtes
étoient fuportées pardeux pilaſtres chacune; entre
ces lunettes , qui étoientdécorées dans leurs
vouſſures degrands rainſeaux & roſettes d'argent,
fur des fonds d'émeraude , étoit un grand tableau
de coloris de trente- fix piés ſur douze , repréſentant
le lever de l'aurore ſur des nuages & des zé
phirs ſemant des roſes.
Ce tableau étoit renfermé par une riche bordure
ceintrée ſur ſes extremités & formée de gros fruits
OCTOBRE. 1770 . 141
d'or en relief , liés enſembles d'un large cordon
d'argent.
Aux deux angles de cette bordure joignant les
deux lunettes étoient quatre grands rainſeaux de
reliefen argent ſur des fonds d'émeraude .
Aux deux faces latérales , à plomb des colonnes
d'angles joignant de chaque côté les pans-coupés,
partoient deux grands archivoltes en or , taillés
demoulures incruſtées d'argent , ayant dans leurs
plafonds des compartimens à roſettes d'argent ,
fur un fond d'émeraude .
Au- deſſus des deux colonnes,au milieu de chaque
côté étoient deux pilaſtres en or, décorés, ſur leurs
quatre faces , d'ornemens d'argent ſur des tables
d'émeraude, portant chacun un entablement ceintré
pris en ſaillie ſur les archivoltes ; ſur cesentablemens
étoient placées les armes du Roi , ſur
deriches cartels en or , couronnés & foutenus par
des anges de ronde-boſſe en argent,
Ces cartels étoient adoſſés à de riches vouſſures
qui prenoient leurs naiſſances ſur les archivoltes
& ſe terminoient aux deux arcs-doubleaux qui
partoient des colonnes d'angles des deux avantcorps
& rejoignoient les deux anglesdela partie
circulaire.
Ces vouſſures étoient ornées de caiſſons d'or
&panneaux de forme circulaire fond d'émeraude ,
fur leſquels étoient de grandes roſettes d'argent
de relief encadrées de doubles moulures auffi taillées
en argent,
Dans le fond , au-deſſus de la partie circulaire
&à plomb de chaque colonne , étoient fix pilaftres
pareils à ceux des faces latérales & portoient
les impoſtes & archivoltes de trois arcades cein
144 MERCURE DE FRANCE.
pour mieux imiter les barreaux de la grille.Aufſitôt
après qu'on eut tiré les trois cens fuſées d'honneur
, on mit le feu aux deux grandes girandoles
poſées dans les baſſins , avec fix ſphères & fix
piramides , accompagnées d'une grande quantité
de pieces d'artifice-d'eau , & pendant la durée de
ce coup de feu , toute la grille , montée ſur des
roulettes , fut repliée de droite & de gauche ,
pour laiſſer voir une batterie , repréſentant une
mosaïque , avec cinquante deux bombes de neuf
pouces de diametre , à laquelle ſuccedèrent trenteun
caprices , qui rempliſſoient un eſpace de quatre-
vingt toiſes de face , en forme piramidale ,
depuis quinze piés juſqu'à cinquante piés d'élévation.
Auſſitôt après on tira un corps de feu ,
compoſé de dix mille fuſées volantes, mille gros
pots à feu & vingt-quatre bombes , pendant lequel
, à force de bras & de leviers , on enleva
toute la charpente des caprices , poſée ſur roulettes
,pour laifler voir le temple de l'Himen , ac
compagné de colonnades & caſcades , dont le
feu ſeul deſſinoit toute l'architecture : il étoit ſurmonté
de pluſieurs gloires ou ſoleils , dont les
diſques étoient remplis des armes du Roi & des
chiffres de Mgr le Dauphin & de Madame la Dauphine.
Cette partie d'artifice fut terminée par une volée
de vingt-quatre bombes , qui annonça une
grande & magnifique girande de vingt mille fulées
, tellement arrangées dans des caiſſes d'une
nouvelle invention, qu'en partant ſucceſſivement,
elles faifoient un feu roulant qui dura long-tems.
Elle étoit accompagnée d'un bruit de guerre
formé par fix mille gros marons , & fut ſuivie
d'un bouquet composé de quatre mille fufées de
pluſieurs
OCTOBRE. 1770 . 145
pluſieurs grofleurs , &de vingt-cinq bombes de
douze pouces de diamètre.
Quoique les meſures euſſent été priſes avec les
plus grands ſoins par les Sieurs Morel & Torré ,
Artificiers du Roi , compoſiteurs de ce feu , qui
occupait les baſſins en face du Château, la terraſle'
de Latone , les parterres de Latone , & un tiers
du tapis-vert , pour pareràtous les accidens qui
pouvoient ſurvenir dans un artifice auſſi immenſe;
une fufée, qui mit le feu à un if voiſin du
quatrième coup de feu , compoſé de trente- un
caprices , porta quelque confuſion dans les premiers
momens de l'exécution ; mais bientôt les
deux Artificiers rétablitent l'ordre , & on a pu juger
par leur belle Ordonnance de la beauté de ce
feu , qui , malgré les pluies continuelles , & les
deux orages violens qu'il eſſuya le 16 , jour du
mariage , a cependant réuſſi au- delà de ce qu'on
en pouvoit elpérer-
Toutes les parties dedécoration , charpente ,
batteries , caifles de lagirande&dubouquet , qui
compoſoient ce feu , furent enlevées , & le tapisvert
fut nétoyé en moins d'une heure. Bientôr on
vit briller une ſuperbe illumination , qui charma
le public , furpris de la promptitude avec laquelle
plus de cent ſoixante mille lampions & terrines
prirentfeu.
A la tête du canal , étoit un édifice de cent trente
piés de baſe ſur cent vingt d'élévation. Ce
monument préſentoit le portique d'un temple ,
furmonté d'un fronton , au ſommet duquel étoit
fixé un ſoleil de cent quatre- vingt piés de circonférence,&
dont le diſque,formé d'une réunion
de grands reverbères , avoit ſoixante piés de
circuit. Les lignes qui traçoient l'architecture de
II. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
cette grande partie , ainſi que les rayons du fo
leil , n'étoient formées que par des lampions ,
dont la lumière cédoit au prodigieux effet des reverbères.
Quatre fontaines , fur lesquelles s'élevoient
des étoiles , dont les centres étoient auſſi couverts
de reverbères , accompagnoient ce grand
édifice ,& réuniſſoient leurs feux à ceux des bords
du canal , garnis d'un double rang de lampions &
d'ifs ilolés , depuis fon commencement juſqu'à
ſon extrémité , ce qui formoit une perſpective immenfe.
Les feux répétés de cette quantité d'objets ſur
Ja ſurfacedes eaux , s'uniffoient au brillant ſpectacle
que préſentoit une flotte lumineuſe , compoſée
de quarante bâtimens & gondolles , appareillées
avec des lanternes , qui en marquoient
tous les agrès, & qui , lorſque le Roi rentra dans
la galerie après ſon ſouper , partirent , au ſignal
d'une bombe , des croitées de Trianon & de la
Ménagerie , pour s'avancer en bon ordre dans le
milieu du canal , où elles formèrent une marche
foutenue d'une muſique éclatante , & firent le
seſte de la nuit pluſieurs évolutions.
Dans la partie immenſe qui s'étend depuis le
tapis-vert juſqu'au grand canal, eſt le baffin d'Apollon,
dont les vaſtes contours étoient couverts
d'undouble cordon lumineux .
Vingt arcades , d'une architecture ruſtique , de
quarante- cinq piés d'élévation , ſéparées par de
grandes piramides , formoient une immense décoration
autour de cet eſpace. Toutes les parties
de l'architecture , celles des pilaſtres , entablemens
, focles , vaſes & piédeſtaux , étoient tra
OCTOBRE. 1770. 147
tées pardes lignes de lumière. Des luftres , chargés
de plus de cent lampions , étoient ſuſpendus
ſous les archivoltes de ces arcades , entre des
guirlandes de feux , dont l'éclat , réuni à la mafle
générale , ſe reproduiſoit à l'infini dans les eaux
du baſſin d'Apollon & dans celles du canal. La
promptitude avec laquelle toutes ces parties ont
été allumées , eſt due à M. Varenne de Beoſt ,
Receveur Général des Finances , qui a fait partà
l'Académie Royale des Sciences de la préparation
des meches,dont la communication s'eſt faite avec
tant de rapidité.
Deux Mai , placés entre le baſſin d'Apollon &
le bout du canal , ſurmontés de couronnes , &
entourés de guirlandes de fleurs , couvroient deux
orcheſtres nombreux , dont la muſique invitant
à former pluſieurs danſes , animoit encore dans
cette partie ce magnifique ſpectacle , auquel la
fatisfaction publique concouroit.
Douze des plus beaux boſquets du Parc réunif
foient la beauté & la variété de leurs eaux aux
feux des différens objets dont ils étoient décorés.'
Toutes les allées qui y conduiſoient etoient
éclairées par des luftres ſuſpendus à des diſtances
égales dans leurs milieux & à leurs extré
mités.
La ſalle des Maroniers , conſacrée à la danſe ,
avoit de très-grands orchestres ; ſon enceinte
étoit éclairée par des luſtres entre les arbres ,
qui formoient tout-au-tour un cercle lumineux.
Un concours prodigieux s'empreſſoit dans cette
grande ſalle à partager les plaiſirs de cette fête .
L'Iſle-d'Amour étoit entourée de grandes piramides
; le Boulingrin & les bords de la grande
allée étoient garnis d'un double rang de lumiè
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
res. En face de cette contre-allée , dans une des
grilles du mail , étoit placé un théâtre du ſieur
Gaudon , ſur lequel ondonna des repréſentations
comiques , dont pluſieurs ſe ſuccédèrent dans
l'après-midi , & le renouvellèrent pendant la
nuit.
La ſuperbe colonnade , & le boſquet des Dames
de l'autre côté de l'allée Royale , offrirent
un coup-d'oeil des plus agréables. L'entablement
de la première , ſon acrotère , & les vaſes qui
la couronnent , étoient ornés d'un triple cordon
de lumières ; chaque arcade avoit un luſtre ſufpendu
ſous ſon archivolte , au-deſſus des eaux
jailliſſantes de ſes fontaines: à l'autre , un double
cordon ,placé ſur les balustrades qui entourent
le baffin , en éclairoit le milieu , & répondoit à
la lumière des obéliſques. L'intérieur des ſuperbes
fallons de marbre qu'ils renferment , étoit
éclairé par des girandoles , placées à chacun de
ſes angles. Des luſtres , ſuſpendus auprès des
charmilles , paroiſloient en occuper le milieu ;
deux cordons de lumières couronnoient leurs
amortiſſemens .
L'Encelade & la Gerbe préſentojent un tableau
varié : la décoration de l'Encelade étoit
compoſée de grandes piramides, placées dans chacune
des faces octogones de ce grand boſquer ,
jointes àun cordon de lumières ſur la bordure ,
& le boulingrin qui entoure le baffin . La forme
du baſſin de la Gerbe , élevé fur des gradins de
gazon , partagés en caſcades dans leurs milieux ,
n'étoit deſſinée que par des lumières rangées ſur
chacun de ſes degrés : des girandoles poſées ſur
des piédeſtaux qui terminent la partie rampante
de ſes caſcades , accompagnoient la mafle d'eau
OCTOBRE. 1770. 149
que forme cette gerbe , & ſe réfléchiſſoient dans
le double baſſin qui l'entoure.
L'allée Royale , communément appelée le ta
pis- vert , la partie circulaire qui la précede , les
charmilles qui entourent les deſcentes de Latone,
étoient ornées , entre chaque vaſe & figure
de înarbre , d'ifs & piramides de trente piés
dehaut, dont les formes variées préſentoient différens
effets de lumière , leſquelles ſe joignoient
aux feux qui entouroient les fontaines des Lyons
&les bas du Parterre en face du Château .
De très-grands pots-à-feu ,poſés ſur les mortiers
qui avoient ſervi au feu d'artifice, couvroient
les rampes ſupérieures du baſſin de Latone , &
produiſoient un effet prodigieux par leurs mafles
de lumière.
Dans le boſquet Dauphin étoit élevé un théâtre
de quatre - vingt piés de profondeur & cinquante
piés de face , fur lequel le ſieur Nicolet
a repréſenté dans l'après - midi & au milieu de la
nuit des pièces analogues à la fête , précédées
dedanſes ſur la corde , ſauts , voltiges & tours
de force. Ce boſquet étoit orné de luftres entre ſes
arbres , d'obéliſques , piramides & grouppes de
Dauphins. L'effet & la grande quantité des lumieres
, joints au ſpectacle , attiroient unpeuple
immenſe , qui fe renouvelloit à chaque inſtant.
Des maſſes de lumière , diſtribuées ſur des ifs ,
annonçoient un autre théâtre du Sr Gaudon , pardelà
les baffins des Saiſons , à l'extrémité de l'allée
qui deſcend du parterre du nord à la contreallée
du baſſin d'Apollon : on y repréſenta auſſi
des pièces analogues à la fête , entremêlées de
fauts , voltiges & danſes de corde.
Giij
ISO MERCURE DE FRANCE.
La ſalle du bal , dont la forme eſt ſi avanta
geuſement conçue pour ſon objet , étoit entourée
de gradins , peints en charmille , & remplis
d'une foule prodigieuſe , qui venoit partager les
plaiſirs de la danſe pour laquelle ce lieu étoitpréparé.
La partie ſupérieure , au-deſlus de l'amphithéâtre
, étoit décorée de pyramides & de grouppes
de Dauphins , couverts de lumières. Chacun
des beaux vafes & guéridons qui s'élèvent audeſſus
des jets d'eau & caſcades , & ornent le milieu
de ceboſquet, ſervoient de baſes à de grandes
gitandoles : des cordons lumineux deſſinoient les
rampes , celles des caſcades & le tour des baffins.
Des lumières , placées dans le fond des rochers ,
étoient apperçues à travers la limpidité des eaux
pendant le jeu de leurs caſcades. Les broderies &
bordures des baffins des trois parterres d'eau , du
midi&du nord; la balustrade fupérieure de l'o-
Tangerie; les bords des terraſſes du côté du nord
&du midi, étoient garnies de lumières artiſtement
diftribuées, qui en diftinguoient la maile & la variété;
& au milieu s'élévoit un ifde fer iſolé de 40
piés de haut , couvert de 2000 lumières dont les
feux ſe multiplioient de tous côtés à travers les
parties de fa baſe& celles de ſon ſommet , formées
en treillage & à jour .
La cour des miniſtres fut éclairée par un cordon
de lumières , poſé ſur la double balustrade
qui l'entoure , près de laquelle étoient placés , à
diſtance égale dans la partie inférieure , des ifs
chargés de feux. La cour royale , celle des princes
&celle de la chapelle étoient couronnées ſur leurs
entablemens d'un filet de lumière .
Dans l'après midi , cent bateliers & ſeize gondoliers
de la petite Veniſe , habillés tout en blanc
avec des petits chapeaux à l'angloiſe , portant des
OCTOBRE. 1770 . 1st
écharpes , cocardes , roſettes & noeuds d'épaule ,
moitié rouges & moitié bleus , la rame fur l'épaule
, ſe promenèrent dans tout le parc , ayant
à leur tête la muſique du dépôt des Gardes- Françoiſes
, & s'arrêtèrent aux differens orcheſtres où
danſoit le public , auquel ils ſe joignirent pour
partager avec lui les plaiſirs d'une fête aufli brillante.
Cent vingt muficiens , diſtribués dans les or
cheſtres du parc, animèrent les danſes, qui ſe ſuccédèrent
ſans interruption juſqu'à fix heures du
matin , que le Public vit arriver trop tôt pour terminer
ſesplaiſirs.
Jamais fête ne s'eſt paſſée avec autant d'ordre
&de tranquilité ; car , malgré la foule innombrabled'un
peuple immenſe répandu dans lesjardins,
le ſervice du feu d'artifice , de l'illumination &
l'enlevement de toute la charpente qui avoit ſervi
au feu, fut fait avec une promptitude & une facilité
qu'on n'avoit point lieu d'eſpérer. Sept cent
hommes de la Garde- Suiſſe , diſtribués avec intelligence
dans les paflages , boſquets & allées , &
pouvant ſe donner tous des ſecours mutuels , &
une chaîne de Gardes - Françoiſes placée autour
du feu d'artifice pour empêcher le peuple d'y pénétrer
lors de ſon exécution , ont été un für garantde
la fûreté publique .
Cette illumination , dont le ſuccès a été fi heureux
, eſt en partie due aux deſſins du Sr Challe ,
deflinateur du cabinet du Roi , & à l'intelligence
& aux foins du Sr Girault , architecte & contrôleurdes
menus-plaiſirs , qui en a donné les projets
en partie , & qui , dans le bon ordre pour la réuffite,
a été ſecondé par le Sr Houdon , garde-magaſindes
menus-plaiſirs du Roi à Paris.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
Bal masqué.
La nuit du Lundi 21 au Mardi 22 , il y eut
Bal maíqué dans la grandeGalerie , ainſi que dans
les ſalons d'Hercule , de Mercure & des Tribunes .
Les balustrades établies dans les appartemens
avoient été enlevées ; on avoit laiſlé ſubſiſter tous
les amphithéâtres , tant parce qu'ils formoient
décoration , que pour les orchestres qu'on avoit
placés dans les ſalons qui viennent d'être nommés
, & qui font les ſeuls où l'on ait danſé.
Dans les embraſures des croiſées de la Galerie
on avoit établi des gradins à deux rangs de banquettes
: on avoit auſſi garni d'un rang de banquettes
le pourtour de toutes les pièces qui
n'étoient pas deſtinées pour la danſe , & où les
inaſques trouvoient à ſe repofer commodément.
Vingt luftres de cristal , dont les cordons de
fleurs formoient , en ſe réuniflant par des guirlandes
, différens compartimens agréablement
variés , & quarante quatre girandoles , à quinze
lumières chacune, pofées fur des torcheres , des
plus belles formes & d'un grand effet , ordonnées
& exécutées exprès pour le Mariage , éclairoient
Ja grande Galerie , & y répandoient une maſſe de
lumière qui ſe répétoit dans les glaces dont elle
eft décorée , & fervoit à faire valoir la variété
des déguifemens de la foule prodigieuſe des mafques
qui ſe portoient de tous côtés , & formoient
un ſpectacle enchanteur , qu'il eſt difficile de décrire.
Les ſalons où l'on danſoit n'offroient pas un
tableau moins brillant ni moins piquant. Il en
étoit de même des fatons de Vénus , de la Guerre
OCTOBRE. 1770 . 153
&de la Paix , dans lesquels des buffets , pleins
de goût & de galanterie , ajoutoient à la beauté
de chacune de ces pièces , qu'un concours continuel
de maſques rendoit auſſi riante qu'animée.
L'ordre le mieux conçu & le mieux obſervé
s'allioit à la vivacité du bal , & à la liberté du
maſque , au point de faire de cette nuit une des
plus agréables dont on puiſſe concevoir l'idée.
Suite des Spectacles .
Le jeudi , 24 Mai , on a repréſenté Athalie
avec toute la pompe dont cette admirable tragédie
eſt ſuſceptible. Ladécoration repréfentant le
remple de Jerufalem , parfaitement bien peinte
&de la plus grande ordonnance , répondoit en
tout à l'idée qu'on a de ce ſuperbe édifice : elle occupoit
entierement le théâtre , dont l'étendue eſt
de plus de cent piés de largeur ſur une profondeur
égale. On l'avoit diviſée en deux parties :
dans celle joignant l'avant ſcène , on avoit pratiqué
deux galeries de côté qui ſervoient à la faire
paroître encore plus vaſte , & à faciliter les entrées
& les forties des prêtres , des lévites & des
peuples , ainſi que celles des foldats d'Athalie &
lecombatqui ſe donne au se acte , & qui , mis en
action ſous les yeux du ſpectateur & au bruit
d'une ſymphonie d'un grand effet , a rendu ce
moment tel que l'auteur avoit pu le concevoir, &
infiniment plus impoſant , plus vrai qu'il n'a jamais
pu l'être ſur le théâtre de la Comédie. La
partie intérieure du temple , formée par une arcade
affez haute & affez ouverte pour que l'oeil
ne perdît rien de la nobleſſe & de l'élévation de
l'architecture dont elle étoit embellie , étoit terminée
au fond par une colonnade circulaire , au-
/
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
deſſus de laquelle on avoit pratiqué une galerie
deſtinée à recevoir une quantité conſidérable de
prêtres &de peuples dans l'inſtant où Joas paroît
ſur ſon trône , entouré de fes défenſeurs victorieux.
Il ſeroit difficile de donner une véritable
idée de la beauté majestueuſe de ce ſpectacle , rendu
encore plusfrappant par des choeurs nombreux,
&de l'expreffion la plus pathétique & la plus propre
aux differentes ſituations auxquelles ils étoient
adaptés. Les habillemens ont contribué à l'effet
général par la richeſſe & l'élégante ſimplicité qui
les failoient valoir respectivement & qui offroient
un contraſte très - heureux lorſque les foldats de
la Reine , vêtus & armés à l'antique , remplifloient
un des côtés du théâtre.
Quant à l'exécution dramatique , il ſuffira de
dire que la DileClairon , quoique retirée du théâtre
depuis pluſieurs années , a joué le rôle d'Athalie
de maniere à ajouter encore aux regrets que
cauſe ſa retraite ; & que la Dlle Dubois , dans le
rôle de Joſabeth , le Sr Brizard , dans celui de
Joad , le Sr le Kain , dans celui d'Abner , le Sieur
Belcour , dans celui de Mathan , ainſi que les Srs
Molé & d'Alainval , les Diles Molé , Veftris &
Doligny, dans les rôles moins confidérables , ont
diſputé de zèle&de talent pour rendre cette repréſentation
auſſi ſatisfaiſante qu'on pouvoit le
ſouhaiter: le rôle du Roi Joas a été rempli par
une jeune enfant , la Dile Teſſier , d'une figure
intéreſſante & agréable, & qui montre d'heureuſes
diſpoſitions pour le théâtre.
Le ſamedi , 26 Mai , on a donné une feconde
repréſentationde Perfée.
Quelques retranchemens , faits à- propos dans
les ſcènes&fur-tout dans les ballets ; plus d'exas
OCTOBRE. 1770 . 155
titude & de célérité dans l'exécution théâtrale ;
plus de confiance de la part des acteurs & un enſemble
plus heureux dans le total , ont , pour ainſi
dire, montré cet opera ſous un nouveau point de
vue : auſſi a-t-il fait le plaiſir qu'on en devoit attendre
, & d'autant plus qu'on étoit parvenu à dégager
le théâtre de la poufſiere & de l'eſpece de
brouillard qui l'obícurcifloient le premier jour ;
& qu'à la faveur d'une lumière vive & nette , le
ſpectacle offroit une richefle & une élégance qui
n'avoient pu être qu'entrevues à la premiere repréſentation
, & dont à celle - ci on jouiſſoit avec
autant de ſurpriſe que de ſatisfaction .
Le famedi 9 , & le mercredi 13 Juin , on a repréſenté
Castor & Pollux , dont le poëme eſt de
M. Bernard & la muſique de Rameau .
Il ſeroit ſuperflu d'entrer en détail par rapport
à cet opera , dont le nom ſeul atteſte la réuflite :
il ſuffira de dire que la magnificence & le goût
avoient préſidé aux habillemens ; que plusieurs
des décorations étoient de la plus grande manière
&bien peintes ; que fur-tout celle de la fin du s
acte , repréſentant le palais de Jupiter , communiquant
des deux côtés par des colonnades aux
pavillons des principales divinités célestes , déſignées
par leurs divers attributs , & montrant dans
le lointain une partie du zodiaque , répondoit
parfaitementà l'idée brillante & poëtique de M.
Bernard. On ne doit pas omettre que le ſoleil dans
ſon char , éclatant d'or & de pierreries & parcourant
la carrière , étoit d'un méchaniſme vraiment
ingénieux & produiſoit la plus heureuſe illufion.
Les Dlles Arnould & Dubois , dans les rôles de
Télaire& de Phébé ; & les Srs Gélin , Larrivée &
Legros ,dans ceux de Jupiter,de Pollux & de Caf-
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
1
tor , ont contribué au ſuccès de cet ouvrage , dont
les rôles d'une moindre importance ont été remplis
par les Sis Durand, Muguet, Caſſaignade &
Cavallier. La ſanté de la Dile Larrivée ne lui
ayant pas permis de remplir ceux d'une ſuivante
d'Hébé au 3 acte & d'une ombre heureuſe au se
elle a été remplacée par la Dile Roſalie. Ala ſeconde
repréſentation le Sieur Durand a remplacé
dans les trois derniers actes le Sr Larrivée , qu'un
enrouement très - conſidérable a forcé de quitter le
rôle de Pollux dont il étoit chargé : le Sr Peré a
fuppléé le Sr Durand à cette repréſentation , dans
le rôle du grand- prêtre de Jupiter. Tous les ſujets
diftingués dans la danſe étoient avantageuſement
placés dans les divertiſlemens de cet opera , dont
les ballets étoient généralement bien compofés &
d'un effet agréable.
Lemercredi 20 Juin, on a donné une repréſentation
de Tancrede , tragédie de M. de Voltaire . La Dile
Clairon a rendu le rôle d'Aménaïde avec cette ſupériorité
qui réunit tous les fuffrages ; le rôle de
Tancrede a fait véritablement honneur au Sr Molé
, de même que celui d'Argire au Sr Brizard : les
Srs Belcourt , d'Auberval , d'Alainval & Deſmarets
ont rempli les rôles de Loredan , Orbaflan ,
Catane & Aldamon , d'une façon très - fatisfaifante
& proportionnément à ce que chacun de ces
perſonnages a d'importance & d'intérêt dans l'ouvrage,
qui a produit l'effet qu'on s'en étoit promis.
Après Tancrede , on a donné une repréſentation
de la Tourenchantée, ballet figuré , mêlé de
chant , auquel on a cru devoir joindre quelques
ſcênes fort courtes & uniquement deſtinées à
éclaircir & à lier entr'eux les différens divertiſſe
OCTOBRE. 1770 . 157
1 mens qui forment le fond de ce ballet , dont l'ob
jet principal eſt le tournoi qui le termine.. Pour
l'amener plus convenablement , voici la fable
qu'on a imaginée. Margian , génie mal - faiſant ,
antoureux de Zélénie , fille de la Reine des Ifles
d'Or , n'ayant pu obtenir cette princeſſe de ſa
mere , a porté la guerre dans fes états , la fait prifonniere
ainſi que Zélénie , qu'il tient enfermée
dans une tour magique. C'eſt à ce moment que
commence l'action. Margian paroît au milieu des
miniftres de fon art & de les foldats , qu'il a rafſemblés
dans fon palais. Il leur dit qu'il ſait que
Renaud d'Eſt , chevalier François & fon rival , ſe
prépare à affranchir la princefle de ſa captivité ,
& il les excite à fſignaler de nouveau leurs efforts
& leur zèle pour le faire triompher de Renaud ,
qu'il veut attaquer & furprendre dans ſon camp.
Les uns & les autres ſe diſpoſent à fervir fa jaloufie
& fa vengeance ; des démons leur apportent
des ferpens , des poignards & des torches allumées
, pour faciliter leur projet , & Margian fort
avec eux tous pour l'exécution. Alors le théâtre
change & repréſente , dans le fond , une tour lumineuſe
, gardée & défendue par des géants & des
monftres formidables , &dans laquelle on apperçoit
la princefle gémiſſante ; d'un côté , des murailles
&une fortereſte , en partie démantelées ; &
de l'autre , le camp de Renaud d'Eſt. Il fort de ſa
tente , ſuivi de Florestan ſon écuyer , qu'il inſtruit
du deſſein où il eſt de ſauver Zélénie & la Reine ,
ou de périr. Florestan l'engage à profiter du ſecours
que lui offrent quelques guerriers des Iſles
d'Or , que l'éclat de ſes exploits a rafſemblés auprès
de lui. Renaud les appelle;ils paroiffent, confternés
&l ans armes : il leur retrace la gloire de
leurs ancêtres , ce qu'ils doivent à eux - mêmes &
158 MERCURE DE FRANCE.
fur-tout à leur ſouveraine; ils ſe raniment à fa
voix & rentrent dans leurs tentes pour ſe couvrir
de leurs armes. Unguerrier vient annoncer à Re .
naud que le magicien approche : dans le même
inſtant les troupes paroiflent d'un côté , d'un autre,
les guerriers de Renaud reviennentarmés & en
bon ordre fur la ſcène. Il ſe met à leur tête & l'action
s'engage. Au fort du combat, Margian arrive
fur un char traîné par des griffons quijettent feu
& flamme; lui- même eſt armé de torches ardentes:
Renaud l'apperçoit , laiſſe ſon écuyer à la tête
des fiens , & s'élance ſeul contre le géant; il le
combat& le tue . A l'instant le tonnerre ſe fait entendre
, la foudre écraſe les géans & les monftres
qui défendoient la tour ; elle eſt brîfée; la princefle
s'éleve ſur un nuage lumineux qui diſparoît ;
les foldats de Margian ſont défairs & mis en fuite,
& la Reine des Ifles d'Or s'avance dans un char
éclatant , où , après avoir remercié Renaud , elle
le fait placer pour le conduire dans fon palais &
l'unir à ſa fille ; le char les enleve l'un & l'autre
pendant un choeur de triomphe , exécuté par les
vainqueurs , qui ſe retirent enfuite. Le théâtre
change & repréſente un cirque , préparé pour un
tournoi. La Reine revient , avec la princefle &
Renaud; elle les unit aux yeux de toute ſa cour ,
& ils vont ſeplacer dans une tribune , ſurmontée
d'un riche pavillon , d'où ils voient le tournoi
qu'elle a ordonné pour embellir la fête d'un fi
beaujour. Les quadrilles arrivent ſur des marches
différentes ; ceux des tenans , compoſés de Grecs
&de Syriens ; ceux des aflaillans , de Scythes &
d'Indiens; Minerve , déeffe des Grecs , le Soleil ,
dieu des Syriens , Mars , dieu des Scythes , & Bacchus
, dicu des Indiens , chacun dans un char orné
des attributs qui lui fon propres , & attelé de deux
OCTOBRE . 1770 . 159
chevaux , fermentla marche de chaque quadrilles
le tournoi s'exécute ; le chevalier vainqueur , le
Sr Veftris , reçoit le prix de fa victoire , dont il
faithommage à ſa dame , la Dile Guimard ; & des
Troubadours qui furviennent , terminent le ballet
d'une manière auffi vive que piquante. Muſique ,
danſe , richefle bien entendue , pompe théâtrale
&d'un genre neuf, décorations , tout ſe réunifloit
pour faire de ce ſpectacle le tableau le plus magnifique
& le plus varié qu'on puifle offrir. Les
rôles étoient rendus ; la Reine , par la Dlle Dubois
; Zélénie , par la Dile Arnould ; Renaudd'Eſt
, par le Sr Larrivée ; Florestan , par le Sieur
Pillot ; Margian , par le Sr Peré : le Sieur le Gros
chantoit une ariette vive& gaie dans le divertiffement
des Troubadours , à l'agrément duquel les
Srs Lani & d'Auberval , avec les Diles Peflin &
Pitrot ont beaucoup contribué. La muſique de ce
ballet figuré eſt de M. d'Auvergne ; les paroles des
ſcènes , ainſi que celles de pluſieurs des morceaux
parodiés, ſontde M. Joliveau.
Le famedi , 14 Juillet , on a donné une repréfentation
de Sémiramis , tragédie de M. de Voltaire
, dont les rôles ont été rendus : Arface ou
Ninias , par le Sr Molé ; Affur , par le Sr d'Auberval
; Oroës , grand prêtre , par le Sr Brizard ;
Mitrane , par le Sr Monvel ; Cédar , par le Sieur
Delmarets ; l'Ombre de Ninus , par le Sr d'Alainval:
la Dile Dumeſnil a rempli celui de Sémiramis
avec cette chaleur & cette vérité de ſentiment qui
la caractériſent ; la Dile Dubois a joué celui d'Azéma
, & la Dile Molé celui d'Orane .
L'Impromptu de Campagne , comédie en un acte
&en vers de Poiffon , a ſuivi Sémiramis. Les Srs
Bonneval , Monyel , d'Alainval , Preville , Augé
160 MERCURE DE FRANCE.
& d'Auberval dans les rôles du comte,d'Eraste, de
Damis , de Frontin , de Lucas & d'un Laquais ; &
les Diles Drouin, Doligny & Fannier dans ceux de
la comteſſe , d'Ifabelle&de Liſette , ont prêté à la
repréſentation de cette comédie tout l'agrément
dont elle eſt ſuſceptible.
Ce ſpectacle a terminé les fêtes de la cour , qui
ont été ordonnées par M. le duc d'Aumont , premier
gentilhomme de la chambre du Roi , ca
exercice; & conduites par M. de la Ferté , intendant
des menus plaiſirs de Sa Majesté. M. Rebel ,
furintendant de ſemeſtre , a été particulierement
chargé de l'exécution des ſpectacles , ainſi que de
la muſique au feſtin royal , au bal paré & au bal
maſqué: il a été ſecondé , dans ce ſervice confidérable
, par MM. Franccoeur , de Buri & d'Auvergne.
M Boquet , peintre - décorateur & deffinateur
des habits , a donné en cette occafion de nouvelles
preuves du talent & du goût qu'on lui connoît.
Les principaux artiſtes , employés à la peinture
des décorations , font M. Machi , de l'académie
royale , pour l'architecture ; le Sr Canot , pour la
figure & les gloires en nuages; le Sr Boquet fils ,
pour les plafonds en tableaux de coloris ; les Srs
Baudon pere& fils, pour le payſage: les Srs Sarazin
& Subraut ont été chargés de la partie de la trace
&des dégradations perſpectives de l'architecture.
OCTOBRE. 1770. 161
ARTS.
ARCHITECTURE.
Projet d'un Temple funéraire , deſtiné à
honorer les cendres des Rois & des
grands hommes ; par M. Deſprez ,
architecte & profeſſeur de deſſin à
l'Ecole Royale Militaire. A Paris ,
chez Joullain , marchand d'eſtampes ,
Quai de la Mégiſſerie , à la ville de
Rome ; prix 6 liv .
Ce projet a été propofé par l'académie
royale d'architecture pour ſujet d'un
prix remporté par M. Deſprez en 1766 .
La gravure de ce projet est très - bien
exécutée, en trois planches , qui , dans
leur réunion portents piés de haut fur
*deux piés 4pouces de large. On y voit
le plan général de l'édifice , ſon élévation
& ſes différentes coupes. Ce beau monument
est dédié à M. de Voltaire .
,
162 MERCURE DE FRANCE.
AGRICULTURE.
Arbres , Arbriſſeaux .
LES Amateurs du jardinage & les Agriculteurs
qui defirent de ſe procurer des
arbres ou des arbriſſeaux étrangers & curieux
, foit par leurs fleurs , foit par la
beauté de leurs feuillages ou parla fingularité
de leurs formes , peuvent s'adreffer
à M. d'Aubenton , maite & fubdélégué
à Montbard , en Bourgogne .
On fournit , à la même adreſſe , de
grands arbres d'alignement pour former
des allées , des falles , des quinconces ;
des arbriſſeaux & arbustes fleuriſſans pour
former des boſquets & orner les parterres
; des arbres & arbriſſeaux toujours
verds pour faire des boſquets d'hiver &
des paliſlades ; des arbriſſeaux grimpans
pour garnir des murs &des berceaux ;
des arbres fruitiers de toute eſpèce , précieux&
curieux , & d'une variété infinie :
le tout à un prix modique.
OCTOBRE. 1770. 163
MUSIQUE.
Deuxième Concerto de Louis Boccherini
, pour violencelle oblige , deux
violons, alto , baffe & contrebaſſe ; prix ,
3 liv. 12 fol . A Paris , au bureau d'abonnement
muſical , cour de l'ancien grand
cerf , aux adreſſes ordinaires de muſique.
GRAVURE.
I.
Portrait de M.de Chenneviere , commiffaire-
ordonnateur , inſpecteur général
des hôpitaux , & premier commis
de la guerre , gravé en 1770 par
Ficquet , graveur de leurs Majestés
impériales & royales. A Paris, chez
les différens graveurs & marchands
d'eſtampes ; prix , 3 liv .
Ce portrait , qui eſt renfermé dans un
médaillon , eſt vu des trois quarts. Il eſt
164 MERCURE DE FRANCE.
d'un format propre à être placé à la tête
des Détails militaires , & autres écrits de
M. de Chenneviere. Ce dernier portrait
de M. Ficquet n'eſt pas inférieur à ceux
qu'il a publiés précédemment. On y admire
la même préciſion , le même fini ,
la même légéreté d'outil. On lit au bas
ces cinq vers de M. Thomas.
:
Chéri des belles & des grands ,
Bon citoyen , ami ſincère ,
Poëte aimable , Chenneviere
Eut des amis dans tous les rangs ,
Il ſçut aimer comme il fçut plaire.
I I.
PortraitdeM. Crebillon , deſſiné & gravé
par M. de St Aubin , d'après le
buſte en terre cuite fait par J. B.
Lemoine , fculpteur du Roi . A Paris ,
chez l'auteur , rue des Mathurins , au
petit hôtel de Clugny , & aux adreſſes
ordinaires de gravure ; prix I liv .
10 fols.
Ce portrait eſt du format de la belle
edition in- 4°. de M. Crébillon , imprimée
au Louvre. Ce poëte tragique eſt
OCTOBRE. 1770. 165
ici vu des trois quarts , & tête nue. Les
attributs de la tragédie & les écrits de
Sophocle , d'Euripide , d'Eſchyle , que
l'on voit au bas du portrait déſignent le
genre dans lequel M. Crébillon a excellé ,
& l'étude qu'il a faite des poëtes tragiques
grecs. La gravure de ce portrait a
beaucoup de douceur &de netteté.
On diſtribue chez le même artiſte , &
chez Joullain , marchand d'eſtampes ,
Quai de la Mégiſſerie , le portrait de
J. B. Lully , écuyer , furintendant de
la muſique du Roi , né à Florence en
16.33 , mort à Paris en 1687 ; prix ,
1 liv. 4 fols. Ce portrait eſt de profil &
en forme de médaillon . Il a été deſſiné
par C. N. Cochin , d'après le buſte de
Colignon , & gravé par Auguſtin de St
Aubin. Cet artiſte ſe propoſe de donner
pour pendant à ce portrait celui de
Quinault , le créateur de notre ſcène
lyrique , & auquel Lully doit la plus
grande partie de ſa gloire.
965 MERCURE DE FRANCE.
:
GÉOGRAPHIE.
Le ſieur le Rouge , 'ingénieur géographe
du Roi , rue des grands Auguſtins ,
vient de publier la Moldavie en deux
feuilles moyennes : la Grèce & l'Archipel
une feuille moyenne : la Morée une
feuille moyenne ; prix , 3 liv. en blanc ,
6 liv. lavées ſur papier de Hollande .
Ces cartes fervent de ſupplément aux
troubles de l'Est .
Carte allégorique de l'Iſle duMariage ,
par le docteur Jococofus , de la ſociété
royale de Stutopolis. A Paris , chez
Croisey , graveur & marchand d'eſtampes
& de géographie , Quai des Auguſtins
, à la Minerve ; & rue Dauphine ,
Hôtel de Genlis , vis-à- vis la rue Chrif
tine.
Ornemens en fleurs.
Parmi les divers ornemens de fleurs
qui peuvent ſervirà des deſſus de portes ,
OCTOBRE. 1770. 167
dont le ſieur Breſſon de Maillard , graveur
& marchand d'eſtampes , tient affortiment
, on en trouvera d'une nouvelle
invention . Ceux ci ſont peints ſur un
fond préparé , enfuite déposés ſur glace ,
ce qui produit un effet affez agréable . On
évite d'ailleurs , par ce moyen , qquue les
objets peints ne foient expoſés à la pouffière.
Le ſieur Breſſon de Maillard demeure
rue Saint Jacques , près celle des Mathurins.
On trouve dans fon magaſin toutes
forres d'emblêmes , de deviſes , de deſſins
pour garnir les boîtes , des cartons , &c .
Il vend auſſi des caractères & des deſſins
encuivre , d'un uſage auffi utile , qu'amu
fant,
Ecole Vétérinaire.
,
Lundi premier Octobre , les élèves
de l'Ecole royale vétérinaire de Paris
recherchèrent dans un concours public
les raiſons de la nature dans la conformation
du cheval. Ils en développèrent
les proportions & le mechaniſme , &
fatisfirent l'aſſemblée en difcutant cette
168 MERCURE DE FRANCE.
matière , auſſi neuve , qu'intéreſſante.
Ces élèves , qui doivent leur ſuccès au
ſieur Aubert , élève entretenu par la ville
de Vitry- le- François , & chef de brigade
, étoient au nombre de douze. Le
prix fut adjugé aux ſieurs Maillet , de
la province d'Auvergne ;.Quedeville ,
de celle de Normandie ; & Prieur , de
celle de Bourgogne.
VERS pour mettre au bas du portrait
de M. le Duc de Choiseul.
ILLAa ,, par ſes brillans travaux ,
Sçu déſarmer la terre & l'onde ;
Il cut pû n'être qu'un héros ,
Mais il fit le bonheur du monde.
Par un Officier.
OCTOBRE . 1770 . 169
LETTRE de M. Patte , en réponse à
celle de M. Cochin.
J'ai été fort étonné , Monfieur , deme voir interpelé
par M. Cochin , dans votre dernier Mercure
, au ſujet de mon mémoire fur l'infuffiſance
des piliers de Sainte-Génévieve , pour porter une
coupole. Qu'a de commun fon talent avec la
diſcuſſion dont il s'agit ? Est-il un géomètre , un
constructeur , ou un architecte ? N'étant ni l'un
ni l'autre , le titre qu'il prend d'ami de M. Souflot
, ne'ſçauroit donc être d'aucun poids en cette
occafion; il a pu fans conféquence quitter fon
maſque de marguillier , ou le garder , cela eft àpeu-
près égal au public. Maintenant , ſon écrit
anonyme , & fa lettre , s'expliquent tout nacurellement.
Mon mémoire ne méritoit pas ,
ſelon lui , une réponſe ſérieuſe , & mes démonftrations,
bonnes ou non , dit - il , ne font pas
applicables à la coupole de M. Souflot , fans
doute il n'a pas entendu quejaréſolu la queſtion
dans toute la généralité , & que le but de mon
mémoire , ( c'eſt pourtant ſon titre ) , eſt de prouver
que , quelle que puiſſe être la coupole projetée,
les piliers déja élévés ne font point en état de porter&
contreventer fes voûtes avec folidité.
Je n'ai jamais eu non plus le deſſein, comme
M. Cochin a voulu le perfuader , de prendre , ni
luini M. Peronet, pourjuges de mon mémoire ;
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
mais le vrai eſt , que j'ai invité l'un & l'autre
, parce que je ſuis honnête, à communiquer
en fecret, àM. Souflot, mes obfervations ſur ſa
coupole , & que , bien qu'ils fuſſent ſes intimes
amis , ils n'ont pas voulu s'en charger , ce qui
m'a obligé de les remettre àM. le marquis de
Marigny.
Pour abréger ma réponſe àla lettre deM. Cochin
, ainſi qu'à tous les écrits anonymes , libelles
ou autres écrits de cette trempe que l'on ſçait
avoir été répandus à l'occaſion de mon mémoire;
jemebornerai , par reſpect pour le public, à citer
quelques fragmens , de deux lettres (1 ) qui
m'ont été écrites par l'oracle de tous les conftructeurs
, le célèbre M. Frezier , directeur-général
des fortifications de Bretagne.
Dans la première , en date du 21 Maidernier,
il eſt dit , & fuivant la connoiſſance qui me refte
> de l'art de bâtir , j'ai trouvé que vous raiſonniez
>> dans votre ouvrage très-juſtement & très-con-
> ſéquemminent , àl'impoſſibilité d'achever le bâ-
→timent de Sainte-Genevieve avec ſolidité, fur
- l'état où l'on a pouffé ſon élévation , à la hau-
>> teur de la corniche intérieure , qui doit cou-
>> ronner la colonade ........ j'ai déja tant fait
>> de cas de vos ſavantes remarques ſur l'impoflibilité
de faire ſervir la baſe de la tour du dôme ,
>>fans y faire des changemens confidérables ,
!
(1) Ces lettres ont été communiquées à M. le
marquis de Marigny.
OCTOBRE. 1770. 171
১১
בכ
১১
وכ
23
que j'en ai parlé par converſation à ce que
nous avons à Breft de perſonnes capables d'en
juger , c'est-à-dire , d'entendre cette matière
ſavante , qui confiſte à conclure parfaitement
fur la pouſſée des voûtes à élever fur des colonnes
iſolées ........ Je vous remercie de
l'honneur que vous m'avez fait de me conful-
„ ter , en ce que vous avez acquis une grande
réputation d'habile architecte , ayant plusde
théorie fur cet art , qu'on n'en trouve ordinai
rement parmi ceux qui en font profeſſion......
& dans la feconde lettre en date du 16 Septembre
, j'apprends que l'architecte de Sainte-Genevieve
, au lieu de répondre au beau & favant
mémoire que vous avez donné au public , s'eſt
avifé de publier un déſi pécuniaire , nouveau
,, genre d'apologie , où l'on met en paralelle
» l'argent avec les opérations de l'eſprit. Je ne
>> doute pas que beaucoup d'architectes ne foient
, en droit de faire un ſemblable parallele , parce
„ que la théorie de l'architecture détachée de la
conſtruction matérielle n'eſt pas à la portée de
tout le monde .
১১
ככ
১১
১১
ככ
23
ככ
33
.... Quant aux exemples
ſur leſquels M. Souflot prétend ſe fonder ,
tels que St Charles du Cours à Rome , que j'ai
vu ſur les lieux ; vous obſerverez qu'il n'y a
„ aucun rapport du plan de cette Egliſe à celui
de Sainte-Genevieve ; en ce que le plan de
l'intérieur de l'égliſe St Charles eſt une ellipſe
>> dont les extrêmités du grand axe ne font point
>> portées par des colonnes latérales , mais ſou-
>> tiennent deux eſpèces de niches ſolidement
>>>conſtruites , qui fervent de butées à la pouffée
>que peut cauſer un dome ſphéroïde ſurmonté
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
d'une lanterne , & que les colonnes latérales
>>>ne ſont point iſolées , mais engagées dans des
•murs contenus , dont la pouffée peut être fou-
>> tenue par les voutes de communication d'un
>>eſcalier à une eſpèce de ſacriſtie , & contre-
>>butée à la droite par le bâtiment adjacent ,
>> au lieu que dans le plan de l'Eglife de Sainte-
Genevieve , il y a environ ſoixante colonnes
>> ifolées ».
Je vous prie , Monfieur , de vouloir bien infé.
rer cette réponſe dans le prochain mercure. Peu
m'importe que M. Souflot continue ſon dôme
fur les piliers ,&qu'on cherche par toutes fortes
de moyens à affoiblir l'effetde mon Mémoire ;
la vérité eſt une , & l'exécution dans ſon tems
mejuſtifiera.
J'ai l'honneur d'être , &c.
PATTE,
OCTOBRE . 1770. 173
LETTRE fur le ſyſtème de la Nature.
PUISQUE le ſyſtême de la Nature a des enthou
fiaftes , comme il n'a fait rire perſonne , & qu'afſurément
il ne pouvoit élever les ames ni les attendrir
, apparemment qu'on a trouvé dans cet
ouvrage une métaphyfique fimple & profonde , &
fur-tout un enchaînement de raſonnemens féduifans.
Peut - être ai -je mal conçu ceux de l'auteur
; mais s'il n'a pas prévû mes queſtions , l'on
peut dire qu'il a fini ſon livre avant de l'avoir
commencé. Je vais m'expliquer d'avantage
en m'adreſſant à ſes admirateurs.... Ils doivent
applanir mes difficultés , d'autant plus volontiers
, qu'elles regardent tous les livres du même
genre ; car je ſoutiens qu'ils ſuppoſent tous
gratuitement ce qui est indémontrable & ce qu'il
faudroit cependant prouver en toute rigueur,mais
raiſonnons fans déclamer.
Je vous prie , Meſſieurs , de me dire naïvement
fi vous ne convenez pas que l'expérience de tous
les fiècles a montré à tous les hommes une influence
réciproque de nos eſprits fur nos corps , & de
nos corps fur nos eſprits ? Ne convenez- vous pas
que ce fait étrange , qu'on voit & qu'on n'expliquepoint,
ne nous apprendra jamais comment une
certaine difpofition d'organes fait ſubitement
éclorre le ſentiment & la penſée ?Ne trouvez- vous
pas même que les philoſophes & les manans font
ici précisément dans la même clafle, parce que
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
tous les hommes ſe reſſemblent en ce qu'aucun
d'eux ne peut rien conclure lorſqu'il ne peut rien
concevoir ? Car, Meſſieurs , en ſuppoſant , comme
vous êtes obligés de le faire , des qualités occultes
dans les corps , je vois que vous n'en êtes
pas plus avancés , parce qu'un inconcevable de
plus ne pourra jamais vous conduire à trouver
quelques rapports entre des idées qui , par l'effence
même de notre eſprit, ſembleront toujours
incompatibles. Pour m'expliquer encore plus fimplement
je dis que l'expérience m'apprendque mon
corps agit fur ma penſée, &que ma penſée agit fur
moncorps; car moncorps fait ſouffrir mon ame
& mes membres obéiflent à ma volonté. Or , je
vous demande ſi l'on peut raisonnablement conclure
de ces deux faits que c'eſt la matière qui
tient le gouvernail &non la penſée , que cette admirable
matière modifie & produit ?
En attendant votre réponſe , je vous avouerar
franchement que cette affertion paroîtra toujours
un peu fingulière ; mais ne ſeroit-ce point cette
union& cette incompatibilité apparente des penſées
& des formes , des mouvemens &de la volonté
qui vous auroit perfuadés que nous ſommes
compoſés d'une ſeule ſubſtance que vous avez
fait corps plutôt qu'eſprit. Cependant votre hypothèſe
, autant que je puis la concevoir , netranche
point la difficulté ; car en n'admetrant , parce
qu'il vous plaît ainſi , qu'une matière mouvante&
penfante , nous n'en voyons pas mieux ,
ce me ſemble , le raport qui peut unir la partie
corporelle à la partie ſpirituelle qui , tour-à- tour
commande & obéit ? En effet , je veux , pour un
moment , que l'étendue & la penſée foient modes
1
OCTOBRE. 1770. 175
d'un même ſujet ; est - ce que l'action & la réaction
de ces modalités ſi différentes ne vous étonneroient
pas tout autant que celle des deux fubftances
diſtinctes ? Et même ne peut- on pas à ſon
gré nommer , eſprit ou corps , cette ſubſtance
unique qui renferine , ſelon vous , l'étendue , le
mouvement & la penſée ? Il me paroît au moins
qu'il n'y a pas plus de raiſon pour ſoutenir que le
matériel inexplicable de notre être produit des
ſentimens &des idées , que pour penſer que c'eſt
au contraire un certain fond ſpirituel& inconcevable
qui poule au-dehors des mouvemens &des
formes.
Je crois que vous devez commencer à vous appercevoir
que , dans toutes les ſuppoſitions , la penſée
diffère autant de l'étendue , que l'étendue diffère
de la penſée : il eſt vrai que vous prétendez auſſi
que les formes , les mouvemens , les qualités ſenfibles
des corps & leur fucceſſion & celle des êtres
penfans font éternelles comme le monde ; je lais
quedans votre ſyſtême , vous êtes obligés de vous
appuyer fur cette baſe qu'on a cent fois renverfée
; mais,quand vous pourriez la rétablir , vous
ſentez bien que nous pourrions toujours ſuppoſer
qu'un eſprit, éternel comme le monde, agit de tous
les tems fur tous les eſprits & fur tous les corps.
Hélas ! Meſſieurs, plusj'y penſe, & plus je vois que
vos affertions n'auront aucun avantage fur cellesde
vos adverſaires , tant que vous ne ſurpendrez point
la nature dans un moment ou le miracle de la penſée
réſulte évidemment de quelques phénomènes
purement matériels. Mais que diriez vous fi je
vous faifois voir à préſent que nous réclamous
nous - mêmes cette expérience dont vous parlez
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
fans cefle , &que , dans cette concurrence des efprits&
des corps , elle ſemble donner le fceptre
àl'eſprit?
Soyons debonne foi ; je vous en conjure , parlons
fans humeur , ſans enthouſiaſme & fans aucunepartialité
: n'êtes - vous pas , dans le fond,
bien plus fürs d'agir ſur les membres de votre
corps , parun mouvement de votre volonté , que
vous n'êtes aſſurés que cette volonté qui commande
à la matière , eft elle - même commandée
parune cauſe purement materielle ? J'avoue qu'il
m'eft impoffible de ne pas croire que vous avez ,
ainti que moi , la confcience de cette vérité ; &
même j'ole eſpérer que votre reſpect pour l'uniformité
des vores de la nature peut vous ramener
unjour aux pieds de cet Etre bon, qui ne vous tolère
peut être que pour vous pardonner : Ecoutez - moi
tranquilement ; jamais vous ne vous prouverez à
vous mêmes que l'existence d'un Dieu eſt métaphyſiquement
impoffible : or , quand il ſeroit
vrai que la penſée ne peut exifter fans être jointe
àl'érendue, il ne ſeroit pas moins vrai pour cela
qu'une fois qu'elle exiſte , cette penſée , elle meur
des êtres corporels : hé ! ne voyez - vous pas déjà
que s'il a yunDieu , (de quelque nature qu'il foit)
alors il n'y a point de corps qui ne ſoit actuellement
mû & ordonné par un eſprit , au lieu que s'it
n'y a point de Dieu , quelquefois le mouvement
eſt produit par la volonté d'une intelligence , &
leplus ſouvent les corps ſe meuvent & s'arrangent
d'eux mêmes ſans la médiation d'aucun être ſpirituel
? Je vous demande , Meffieurs , comment
vous trouvez cette ſeconde ſuppoſition : eft il en
bonne philofophie rien de plus choquant , de plus
abſurde , de plus contraire à notre ſentiment in
OCTOBRE . 1770. 177
time , à l'expérience & à l'uniformité des voies de
la nature; n'eſt - elle pas également reſpectée &
connue par le peuple & par les philofophes , par
les théiſtes & par les athées. Mais je vous jure ,
Meſſieurs , que je vous eſtime aflez pour juger ,
qu'une fois que vous aurez bien faifi ma pentée ,
elle vous tourmentera continuellement.
Je crois qu'il n'en faut pas davantage pour défoler
une athée dogmatique , cependant vous
pourriez aller plus loin enjoignant , à ce que nous
avons dit , la ſage réflexiond'un homme que vous
eftimez; je me louviens que Loke ſoutient , quelque
part , que , de la manière dont nous ſommes
faits , nous ne voyons pas plus de rapport entre
une volonté & le déplacementd'un corps qu'entre
la création ſubite d'un corps ou même celle du
monde , & la volonté d'un être ſpirituel qui le
crée, parce qu'il veut qu'il foit : en effer , vous
fentez bien que ces deux myſtères (dont l'un eft
pourtant une choſe de fait) ne peuvent être ni
plus ni moins inconcevables;premièrement, parce
qu'il n'y a point de nuances dans les inconcevables
qui n'impliquent point clairement dans les
termes; d'ailleurs il eſt viſible que la difficulté eft
précisément la même , puiſque c'eſt toujours le
même défaut de rapport entre l'effet & la caufe ,
qui fait que les uns nient la création , & que perfonne
n'a compris juſqu'à préſent comment la volonté
peut agir fur la matière. Cependant , Meffieurs
, dès que la création n'est pas plus inconcevable
que l'action d'un eſprit for un corps , dont
nous ſommes journellement témoins ; & que ,
d'autre part , l'analogie , comme nous venons de
levoir , nous conduit à penfer qu'il existe un Etre
intelligent dont la volonté meut & gouverne le
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
monde; il me ſemble , en vérité , qu'à partir de
ces réflexions i fimples & fi confolantes , il eſt difficile
de regarder comme abfurde l'hypothète de
la créationdes eſprits & des corps par un être immatériel
: mais il y a plus , fi l'expérience joignoit
àces raiſons , au cri du genre humain & aux monumens
de la nouveauté de l'Univers , ſi elle y
ajoutoit encore l'exemple d'une création , de quelque
nature qu'elle fût , ne ſeriez vous pas enfin
très-diſpoſés à penser que le monde lui- même a
du commencer à l'ordre d'un Efprit Créateur ? De
grace raiſonnons encore par analogie , puiſqu'elle
nous a fi bien réuſſi : vous me direz peut - être
que vous n'avez jamais vû créer de corps ni d'efprit;
mais je doute fort que , dans la confcience
de votre raifon , vous puffiez le foutenir dans un
moment.
Permettez- moi de renouveller une petire queftion
qu'on a louvent rebattue : croyez - vous que
cet eſprit ou cette matière qui admire le ſyſtême
de la nature , en inſultant fon, maître croyezvous
que cette perſonnalité philoſophique avec
laquelle j'ai l'honneur de caufer à préſent ait commencé
dans le tems ; ou la croyez vous éternelle
comme le monde ? Je me figure que l'éternité de
votre ame vous inquiéteroit beaucoup plus que
celle de l'Univers ; mais pourtant , fi vous croyez
avoir commencé un certain jour , voici donc au
moins la création de ce moi penfant qui veut être
athée , la voilà démontrée malheureufement par
les faits; par conféquent nous avons connu , en
quelque forte , les voies de la Providence ou celles
de la nature ; & même nous devons admettre
aflez volontiers la création du monde entier qui,
dans le fond , n'eſt pas plus inconcevable que le
OCTOBRE. 1770. 179
commencement de notre ame , ſi l'on enjuge ſans
humeur & fans prévention.
,
Qu'en penſez- vous , Meſſieurs , parlez de bonne
foi : la création d'un corps vous étonneroitelle
plus que celle d'un eſprit ? Celle d'une ſubſtance
nouvelle vous étonneroit - elle davantage
que celle d'un mode nouveau , ( comme vous
appelez notre ame ) qui ſemble avoir fi peu de
rapport avec la ſubſtance dont vous le faites fortir
, & qui n'exiſtoit pas l'inſtant d'auparavant ;
d'ailleurs vous eft - il moins facile de croire
que le corps eſt une modalité de l'ame , que de
fuppofer que l'ame eſt une modalité de la matière?
Seriez- vous plus furpris du commencement
d'une particule d'étendue que de celui d'un tout
penſant qui a la confcience de lui- même ? Pour
trancher , concevez vous mieux l'étendue & fes
qualités occultes ( que vous ſuppoſez ) indépendamment
de fes qualités ſenſibles qui ne font que
dans votre ame , que vous ne concevez une ame
indépendamment de la matière & de ſes propriérés
inconnues ? En un mot , trouvez-vous plus de
priſe , à parler philoſophiquement , dans les corps
que dans les eſprits ? En tout cas , je puis vous
répondre que ce lage Anglois * qui vous paroît fi
raisonnable , ne ſeroit point de votre avis à cet
égard. Au furplus vous n'avez qu'une réponſe à
faire; vous êtes forcés de vous rendre ou d'affirmer
que votre perſonnalité exiſtoit en puiflance
dans ungerme incorruptible ou dans les propriétés
ſecrétes de quelques particules de matière qui
devoient la produire dans telles circonstances
*M. Loke.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
données.... Ah ! Meſſieurs , ſi vous êtes réduits à
nous faire nettement cet aveu , fi vous penſez fincèrement
que l'efprit caché dans le ſein des corps.
peut le montrer tout à coup , parce qu'il existe en
puiflance avant d'exiſter véritablement; hé ! pour--
quoi donc ne pourrions nous pas ſuppoſer a notre
tour que l'Univers exiſta éternellement en
puiſlance dans cette intelligence féconde qui l'a
Iubitement réalifé .
Je ne ſais , Meffieurs , ce que vous penſerez de
cette métaphysique analogique & expérimentale
en quelque forte :je crois cependant que vous
conviendrez entre vous que vos dogmes font fort
ébranlés , du moins en tant que vous aviez cru
vos preuves démonstratives ; mais je ne me flatte
point que les vérités contraires à vos fables aient
dans ma bouche une autorité qui puifle entraîner:
tous mes lecteurs , c'eſt à eux de les apprécier. Je
vais raflembler encore quelques réflexions trèsfimples
qui renferment,je crois, ce que nous avons
ditd'important.
J'obſerverai pour finir , 1º. Que nous ſommes
aumoins auſſi ſurs que notre eſprit agit fur notre
corps , que nous le ſommes que notre corps aquelque
empire fur notre efprit .
2°. Que l'on ne conçoit pas mieux le rapport
d'une forme avec une penſée que celui d'une penfée
avec une forme , d'où l'on doit conclure qu'iln'eſt
pas plus facile de concevoir comment l'éten
due produit la penſée que de comprendre comment
l'eſprit remue la matière , & même comment un
Dieu peut la créer en voulant qu'elle fort .
3°. Que nous ſavons par expérience & par fentiment
que notre volonté remue des corps , au
Dieu que nous ne pouvons avoir le fentiment&
OCTOBRE. 1770. 181
Fexpérience de l'impoſſibilité d'une intelligence
qui agit continuellement fur la nature entière.
4. Que s'il n'y a point de Dieu , il y a des
corps qui marchent d'eux- mêmes , ou pour m'expliquer
plus clairement , il yades mouvemens où
préſide une intelligence , & d'autres qui s'opèrent
fans l'intervention d'aucun être ſpirituel.
5°.Que le commencement de la partie penſante
de nous-mêmes , qui eſt prouvé par le fait, n'eſt
pas plus inconcevable que celui de notre être corporel
.
6°. Que cemiracle journalier ſemble proclamer
que tout ce qui n'est pas Dieu ( &même le monde
entier qui ſans doute eſt une créature mortelle
comme tout ce qu'il contient) doit avoir commencé.
7°.Qu'on peut foutenir que le corps n'eſt qu'une
apparence ſenſible , tout aufli-bien pour le moins ,
que l'on foutient gratuitement que l'eſprit n'eft
qu'une modalité des êtres matériels .
8 °. Que, fi , pour expliquer la création apparente
& journalière des êtres ſpirituels , on dit que les
elprits exiftent en puiſſancedans les corps quiles
font éclorre ſucceſſivement , on peutauſſi-bien prétendre
que l'Eſprit Créateur contenoit éternellement
l'Univers en puiſſance , qu'il a voulu créer
dans le tems. Mais , non ſeulement il me ſemble
que le commencement de ce que nous appelons
des ames , dont nous ne pouvons guères douter ,
accoutume à l'idée d'une création univerſelle; je
penſe de plus , comme je viens de l'infinuer , que
le corps entier de la nature qui reflemble du moins
au nôtre , en ce qu'il eſt étendu & organisé comme
le nôtre , doit fans doute , ainſi que le nôtre,
avoir dans le tems un commencement & une fin .
182 MERCURE DE FRANCE.
Je termine ici toutes mes réflexions qui ont eu
un peu plus d'étendue que je ne l'avois imaginé.
Je ne parlerai pas du fataliſme de l'auteur , parce
que cette opinion ſuppoſe toujours qu'on a ſuffiſamment
détruit la Divinité & qu'on a clairement
prouvé la matérialité de ces ames , quelquefois fi
fublimes, qui ont pourtant la confcience intime de
leur liberté. Je crois que , ſi l'auteur avoit bien
éclairci ces difficultés , dès les premières pages de
fon livre , il auroit pu ſe diſpenſer d'analyſer ſi
triſtement d'affreuſes queſtions qui ne fervent
qu'à inquiéter encore pendant les jours d'une fi
courte vie ces pauvres êtres qu'il dévoue au néant;
mais il eſt inconcevable qu'il ait gliffé ſi légèrement
fur l'eflentiel , il eſt étonnant qu'il n'ait fait
que rebattre des objections faftidieuſes & ulées
ſans jamais entrer profondément dans les objets
qu'il falloit diſcuter avec préciſion& clarté : il eſt
vrai qu'il eſt encore plus étrange que fes enthoufiaftes
( dont quelques uns font gens d'eſprit )
foient fi faciles à contenter dans une matière de
cette importance.
ANECDOTE S.
I.
Le général A..... étant obligé de ſe
rendre dans ſes terres d'Ecoffe_pour des
affaires qui lui étoient perſonnelles , n'oſa
ſuivre la grande route d'Edimbourg ,
parce qu'il craignoit d'être inſulté parla
OCTOBRE. 1770 . 183
multitude ; on ne dit point pour quel fujet
. Il prit le chemin de Carlifle , où il efperoit
n'être point reconnu. Il cut occaſion
de paffer un bac ; c'étoit un homme
fort dur , fort ſévère ; il ne fut pas plutôt
dans le bateau qu'il maltraita de paroles
le matelot qui le conduiſoit. Tu es
un fripon , lui dit-il , ainſi que tous tes
Semblables ; vous ne vous occupez qu'à
paffer de la contrebande ; vous trompex le
Roi , vous méritez tous le gibet. Cela eft
vrai , répondit le batelier nous fraudons
quelquefois les droits , mais vous êtes
le premier général que j'aie paffé en com.
trebande dans ma vie .
11 .
د
Pendant l'ufurpation d'Olivier Cromwell
, Sir John Howorth de Surrey , un
des officiers du Protecteur , & des plus
attachés à fon parti , fut attaqué en juſtice
par le curé de ſa paroiſſe , au ſujet des
dîmes . Pendant que le procès étoit en
inſtance , Sir John s'imagina que le miniſtre
le déſignoit dans ſes fermons tous
les Dimanches : il en porta ſes plaintes
au Protecteur , qui fit venir le miniſtre;
mais , celui- ci ayant répondu qu'il prê
184 MERCURE DE FRANCE.
,
choit ſeulement en général contre les débauchés
crapuleux , les ivrognes , les
menteurs , les voleurs & les filoux
Cromwel le renvoya , & dit à l'officier :
Sir John , retournez dans votre maison ,
& vivez mieux à l'avenir avec votre curé.
La parole du Seigneur cherche le pécheur
&dévoile ses iniquités ; je fuis faché pour
vous qu'elle vous ait trouvé.
III.
Le général Kirk avoit commandé à
Tanger pendant pluſieurs années . Lorfqu'il
revint en Angleterre , Jacques II .
entreprit de le ramener à la Religion
Catholique ; il le preſſa vivement , &
lui promit , à ce prix , fa faveur & fes
bienfaits. Le général l'écouta avec la
plus grande attention ; & , lorſqu'il eut
fini , il lui témoigna le plus vif regret
de ne pouvoir le fatisfaire , & l'affura
que ſa parole , qu'il avoit engagée , ne
le lui permettoit pas. Comment , lui de.
manda le Roi , qu'entendez vous par là ?
Sire , répondit Kik, pendantmonféjour
en Afrique , j'ai promis à l'Empereur
de Maroc , que , fi je changeois jamais
de Religion , je me ferois Mahometan.
OCTOBRE. 1770. 185
Je ſuis homme d'honneur , Sire , ma
parole est donnée ; votre Majesté ne voudroit
pas meforcer d'y manquer.
I V.
Deux hommes ſe trouvant un jour
dans un cabaret à Londres , s'entretenoient
de différens traits de la Bible , ils
parlerent de la fameuſe défaite des Philiſtins
par Sanfon ; l'un prétendit qu'il ſe
fervitde la machoire d'un vieil âne , l'autre
de celle d'un jeune ; chacun foutint
fon opinion avec chaleur , une gagure
ſuivit. Pluſieurs perſonnes qui étoient
dans le même lieu furent priſes pour
juges. Les raiſons de l'un & de l'autre
furent écoutées gravement ; les ſentimens
ſe partagerent ; les juges difputerent
entre eux ; la querelle s'échauffa ;
on fit beaucoup de bruit , & on alloit ſe
battre lorſque l'hôte , aidé de les valets ,.
faifit les deux premiers auteurs de la difpute&
les conduifit chez l'Alderman du
quartier. Celui -ci ne put s'empêcher de
rire en apprenant le fujet de cette querelle
qui recommençoit devant lui; it
eut beaucoup de peine à impoſer ſilence
aux deux ivrognes , & les renvoya en
186 MERCURE DE FRANCE.
leur diſant:je ne m'attendois pas à voir
aujourd'hui deux ânes à mon tribunal.
Cela n'est pas étonnant , reprit auffitôt
un des diſputans , puiſqu'ily en a un qui
ypréfide.
V.
Une perſonne , à la campagne , commande
à ſon domestique d'aller voir à
un cadran folaire , poſe ſur une pierre
dans un jardin , l'heure qu'il eſt au foleil
; le domeſtique , fort embarraílé ,
apporte officieuſement le cadran ſolaire
à fon maître , & lui dit : cherchez l'heure ,
carje ne m'y connois pas.
LETTREfur une Automate qui joue
aux échecs .
APresbourg, ce 24 Juillet 1770.
M. Je laifle à d'autres le ſoin de faire le récit
des fêtes brillantes qu'a occaſionnées ici la préſence
de l'Impératrice -Reine , de l'Empereur , &de
toute la famille impériale; il me ſemble trop
difficile de pouvoir parler dignement de la manière
extrêmement affable , & remplie de confiance
avec laquelle les ſouverains ſe communiquent
ici à leurs ſujets , & le retour précieux
d'amour & de vénération dont ils font payés par
OCTOBRE . 1770 . 187
ces mêmes ſujets. Je me contenterai d'informer
le public par votre canal d'un fait auffi imfortant
à l'honneur des ſciences , que glorieux
pour Presbourg qui l'a produit .
Pendant mon ſéjour à Presbourg , j'ai eu l'a- vantage de faire connoiſſance avec M. de Kempel
, conſeiller aulique , & directeur-général des falines en Hongrie. On ne peut porter plus loin qu'il l'a fait les connoiſſances dans la méchanique
, du moins n'a -t-on point encore vu perſonne
qui ait mis au jour un ouvrage plus merveilleux
dans ce genre que celui qu'il a compoſé de- puis un an . M. de Kempel , animé par le récit
des productions du celebre M. de Vaucanſon
, & de quelques autres hommes de génie , ne vouloit d'abord que marcher ſur leurs
traces ; mais il a fait plus , il les a devancés , & il eſt parvenu à compoſer un automate
qui peut jouer aux échecs contre les plus habiles
joueurs. Cet automate repréſente un homme de
grandeur naturelle habillé à la turque , affis de- vantune table d'environ trois pieds & demi de
longueur , fur deux pieds & demi de largeur , fur laquelle est un échiquier. Cette table eſt
poſée ſur quatre pieds à roulettes , afin de pouvoir
la changer facilement de ſituation , ce que l'auteur ne manque pas de faire pour éloigner
tout ſoupçon de communication. La table & la figure font remplies de roues , de refforts & de leviers. L'auteur ne fait aucune difficulté de laiffer
voir l'intérieur de la machine , fur-tout depuis
qu'il a ſçu qu'on le ſoupçonnoit d'y tenir un enfant caché; j'ai examiné avec attention
toutes les parties de la table & de la figure , & je me fuis afſuré que cette imputation n'avoit pas
18.8 MERCURE DE FRANCE.
le moindre fondement. J'ai joué une partie d'échecs
avec l'automate , j'ai remarqué fur-tour
avec étonnement la préciſion avec laquelle ſe
faifoient les mouvemens variés & compliqués dứ
bras avec lequel il joue; il leve ce bras , il l'avance
vers la partie de l'échiquier où eſt la piéce
qu'il doit jouer ; & enſuite , par un mouvement
depoignet , ramene la main au-deſſus de la pièce,
ouvre la main, la referme ſur la piéce pour s'en
faifir , l'enlever , & la placer ſur la caſe où il
veut ; & il remet enfin ſon bras ſur un couffin
qui eſt à côté de l'Echiquier. S'il doit prendre
une pièce à fon adverfaire , par un mouvement
entier du bras , il met cette piéce hors de l'échiquier
, & par les mêmes mouvemens que je viens
de décrire , revient prendre ſa piéce pour lui
faire occuper la caſe que l'autre laiſſoit vacante.
J'eſſayai de lui faire une petite fupercherie en
prêtant à la dame la marche du Cavalier , mais
l'automate n'en fut pas ladure; il prit ma dame
& la remit à la cafe d'où je l'avois fait partir ?
tout cela ſe fit avec la même promptitude qu'un
joueur ordinaire met à ce jeu , & j'ai fait des
parties avec pluſieurs perſonnes qui ne jouoient
ni fi vite , ni fi bien que l'automate , & qui auroient
été cependant fort choquées qu'on les eût
comparées avec lui. Vous vous attendez peutêtre
, Monfieur , que je propoſe quelques conjectures
ſur le moyen employé pour diriger cette
machine dans ſes mouvemens. Je ſouhaiterois
fort en pouvoir former de raiſonnables , mais
malgré toute l'attention que j'apportai dans mes
obſervations , il ne m'a pas été poflible de remarquer
rien qui pût fatisfaire mon eſprit làdeſſus.
L'ambaſſadeur d'Angleterre , le prince
2
OCTOBRE. 1770 . 189
Giustiniani , & quelques ſeigneurs anglois , pour,
qui l'auteur avoit la complaifance de faire jouer
Pautomate , étoient autour de la table lorſque je
fis cette partie ; tous avoient les yeux ſur M. de
Kempell , qui étoit à côté de la table , ou s'en
tenoit éloigné quelquefois juſqu'à la diſtance de
cinq ou fix pieds : pas un ne remarqua en lui le
moindre mouvement qui pût influer ſur l'automate.
Ceux qui avoient vu les effets produits par
la vertu de l'aiman ſur les boulevards à Paris
ſe recrièrent que l'aiman devoit être le moyen
employé pour diriger le bras ; mais , outre qu'il y
apluſieurs objections à faire contre cette conjecture
; l'auteur avec qui j'ai eu depuis de longues
converſations , s'offre pour la détruire , de
laiffer apporter près de la table , la pierre d'aiman
la plus forte & la mieux armée , ou un
poids de fer , quelque conſidérable qu'il ſoit ,
fans craindre que les mouvemens de fon automate
en puiſſent être dérangés : il s'en écarte auſſi
àune diſtance quelconque , & le laiſſe jouer jufqu'à
quatre coups de ſuite fans en approcher . Il
eſt inutile de remarquer que le merveilleux de cet
automate conſiſte principalement en ce qu'il n'a
point , ( comme d'autres déja tant célébrés ) une
fuite de mouvemens déterminés ; mais ſe meur
toujours en conféquence de la façon de jouer de
fon adverſaire , ce qui produit une multitude
prodigieuſe de combinaiſons différentes dans ſes
mouvemens. M. de Kempell remonte de tems
en tems les refforts du bras de l'automate pour
renouveller la force mouvante , ce qui n'a aucun
rapport avecla force directrice qui fait le grand
mérite de cet ouvrage. En général , je crois que
l'auteur influe fur la direction de preſque chaque
190 MERCURE DE FRANCE.
ce
coup que joue l'automate ; quoique , comme je
viens de le dire , on l'ait vu quelquefois l'abandonner
à lui-même pour pluſieurs coups ,
qui eſt ſelon moi , la circonſtance la plus difficile
comprendre de tout ce qui regarde cette machine
. M. de Kempell a d'autant plus de mérite
dans cette production qu'il ſe plaint de n'avoir
pas été ſecondé par desouvriers auſſi habiles que
l'exigeoit la préciſion d'un ouvrage de ce genre ,
& il eſpère pouvoir bientôt mettre au jour des
choſes encor plus ſurprenantes que celle- ci . On
peut s'attendre à tout de ſes lumières , qui font
infiniment relevées par la rare modeſtie ; jamais
génie ne triompha avec moins de faſte.
J'ai l'honneur d'être , & c.
L. DUTENS .
LETTRE de M. le Comte de Moncade ,
fur la guérison du cancer.
Quelque ſenſible que je fois , Monfieur , aux
éloges flatteurs & aux follicitations preſſantes
des ſavans & des malades , tant du Royaume ,
que du pays étranger , je ne prévoyois pas cependant
pouvoir condeſcendre ſi - tôt à leurs
defirs. Je ne ceſſois d'appréhender , qu'en me
hâtant de publier les obſervations que j'ai eu
occafion de faire pendant pluſieurs années
fur les maladies des glandes , ainſi que fur les
remèdes les plus efficaces pour les vaincre , il
ne s'y gliflât quelque mépriſe , qui pût donner
OCTOBRE . 1770. 191
lieu à des ſuites funeftes. J'appréhendois auſſi ,
qu'en accordant indifféremment à tous ceux qui
m'écrivoient , les moyens que j'ai découverts
pour guérir le cancer au ſein , il ne s'y commit
encore dans la manière de les adminiſtrer des
fautes qui pourroient être dangereuſes. Mais
j'ai été raſſuré pardes perſonnes éclairées , qu'à
l'aide des précautions qu'elles m'ont conſeillé
de prendre , le public retireroit infailliblement
les avantages que j'ai voulu lui procurer par
cettedécouverte. Lors donc qu'on m'adreffera
une rélation affez circonstanciée pour me faire
porter un jugement ſolide , tant fur la nature
du cancer , que ſur les principaux ſymptômes
qui l'accompagnent ; j'indiquerai très-volontiers
les ſecours que j'eſtime les plus propres , pour
en opérer une cure radicale. Pluſieurs grands
maîtres de l'art ayant defiré d'adminiſtrer euxmêmes
à leurs malades , ces préparations médicinales
, je leur en ferai ceder aufſi , à raifon
de douze fols la priſe , pourvu qu'ils ſe fourniſſent
des bouteilles pour l'eau de Mafra , que
j'y joins en même - tems pour chaque panſement.
C'eſt pour ménager la délicateſſe des
perſonnes de rang , qui ſe faifoient une peine
de me demander ce remède, lorſque je le donnois
gratis , & pour pouvoir d'ailleurs en fournir
àun plus grand nombre de malades , qu'on m'a
conſeillé de le faire vendre * à ce prix modique.
* Rue de Condé, au coin de celle du Petit Lyon,
vis-à- vis le paſſage du Riche-Laboureur , chez
M. Joffe , Marchand Epicier.
i
:
192 MERCURE DE FRANCE.
Je tâcherai de convaincre par - là les plus incrédules
de l'efficacité de ma méthode pour
guérir le cancer. Quand on n'en ſaura plus
douter, je ne manquerai pas d'en rendre publicstous
les détails pour le bien de l'humanité
ainſi que je l'ai promis. Je dirai ſeulement en
paſſant , que c'eſt à la Chymie , dont j'ai fait
toujours mes délices , que je ſuis redevable de
ces moyens ſalutaires.
Comme c'eſt par une ſuite d'obſervations
que je ſuis parvenu à m'aſſurer du ſuccès des
remèdes en queſtion , tant pour la cure du
cancer , que pour fondre les glandes skirrheuſes
au ſein , avant qu'elles s'ouvrent ; j'ajoute
qu'ils font également propres pour vaincre les
maladies chroniques les plus rebelles. En effet ,
on ne peut diſconvenir que le rhumatiſme , la
plupart des fièvres , l'hydropifie , la goutte , &
tant d'autres maux, dont l'énumération deviendroit
ennuyeuſe , ne dépendent que de l'engorgement
d'humeurs , qui s'eſt formé dans
les glandes de différentes parties du corps . Ce
n'eft , au reſte , qu'en aidant ſimplement la
nature à furmonter les obstacles , qui troublent
le cours de ſes opérations, qu'agit principalement
cettePanacée Martiale. J'ai cru luidevoir donner
cé nom , parce que c'eſt du fer que je retire le
plus d'avantages pour atteindre le but. Je n'en
ai eu d'autre , que de me rendre utile au public
, en facrifiant mes veilles à découvrir les
moyens de guérir le cancer , fans contredit , la
plus cruelle de toutes les maladies , dont les
perſonnes du ſexe puiſſent être attaquées. C'eſt
dans cette vue que je vais leur faire part des
Lettres que j'ai reçues de quelques Dames guérie
,
OCTOBRE. 1770. 193
ries par cette méthode. Les relations naïves de
leurs maux , & les expreſſions fincères de leur
réconnoiffance à mon égard , tiendront lieu
dans cette occafion , des autres preuves plus
authentiques que j'aurois pu aisément me procurer.
J'ai l'honneur d'être , &c .
LE COMTE DE MONCADE.
ARRÊTS , DECLARATIONS , & c .
I.
ARRIT du conſeil d'étar du Roi , du 2 Juillet
1770 ; pour l'ouverture de l'annuel de l'ang
née 1771 .
I I.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 6 Juillet
1770 , & Lettres-patentes fur icelui , regiſtrées
en la cour des Monnoies le 18 Août 1770 ; qui
ordonnent la fabrication des nouvelles eſpèces
de cuivre dans les Monnoies deTroyes &de Strafbourg.
III.
Déclaration du Roi , donnée à Verſailles le 15
Juillet 1770 ; portant attribution de fix mille livres
au Prévôt général des Monnoies du déparrement
de Lyon , pour appointemens & folde de
ſacompagnie.
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
1 V.
Arrêt du conſeil d'état du Roi , du 29. Août
1770 ; qui ordonne que le chapitre ordinaire de
laCongrégation de Saint-Vanne , qui doit s'afſembler
la quatrième ſemaine d'après Pâques de
l'année prochaine 1771 , fera tenu dans l'abbaye
de Montiers- en-Der.
V.
Arrêt du parlement en date du 29 Août dernier
, par lequel il eſt ordonné par proviſion , ſous
le bon plaifir du Roi , que toute perſonne qui
voudra faire le commerce des grains & farines
ſera tenue de faire infcrire au greffe des jurifdictions
ordinaires des lieux où elle exercera ce commerce
, fon nom , ſes qualités , demeure & domicile
, ainſi que les noms , qualités , demeures &
domiciles de ſes aflociés ou commettans , enſemble
le lieu dans lequel elle tiendra ſes magaſins &
de tenir enbonne &due forme un regiſtie d'achat
&de vente des grains & farines dont elle fera le
commerce. Le même arrêt enjoint aux perſonnes
faiſant ce commerce d'apporter une quantité ſuffifante
de grains & farines dans les marchés , à
l'effet de les garnir ; en conféquence il autoriſe
les officiers de police à les obliger , dans les cas
de néceſſité , de les y faire apporter , le tout ſous
les peines portées par les ordonnances ; fait défenſes
à toutes perſonnes faiſant ce commerce
d'acheter leſdits grains &de les enarrher , comme
auffi à tous laboureurs & fermiers de les vendre
, ſoit en verd , ſoit ſur pied avant la moiſſon
& avant qu'ils feient conduits dans les granges ,
fous peine d'être pourſuivis extraordinairement ;
OCTOBRE. 1770 . 195
déclarant dès-à-préfent nuls & de nul effet tous
les marchés de ce genre qui pourroient avoir été
faits ou qui le feroient par la ſuite , en contraventionà
la préſente diſpoſition .
V I.
Arrêts du conſeil d'état du Roi , des 10 Décembre
1759 , 4 Juin & 22 Juillet 1770 , & Lertres-
patentes fur iceux , regiſtrées en la cour des
Aides le 29 Août 1770 ; portant que la régie des
droits rétablis & réunis ſera continuée par Jean-
Baptiste Foache , pendant fix années , qui commenceront
au premier Janvier 1771 .
VII .
Déclaration du Roi , donnée à Verſailles le premier
Septembre 1770 , concernant les Requêtes
civiles ; regiſtrée en parlement le 6 Septembre
ſuivant, laquelle ordonne que toutes les requêtes
civiles qui ont été miſes aux grands rôles , depuis
&compris celui de la Saint - Jean 1769 , juſques
&compris celui de la Saint Jean 1770 , & qui
n'auront pas été plaidées , ſoient & demeurent
appointées à la fin deflits rôles , ainſi que les autres
cauſes , & foient renvoyées dans les chambres
où auront été rendus les arrêts , contre lefquels
leſdites requêtes civiles auront été obtenues,
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
VERS fur la Priſe d'Habit de Madame
LOUISE- MARIE de France.
La vertu ſe dévoue & la grandeur s'immole :
Sacrifice éclatant digne de l'Immortel !
LOUISE de l'orgueil confond , briſe l'idole ,
Abandonne le thrône & s'enchaîne à l'autel .
Par M. Guichard.
AVIS.
I.
MÉMOIRES far la nature, les effets , propriétés
& avantage du feude charbon de terre apprêté ,
pour être employé commodement , économiquement
, & fans inconvénient , au chauffage & à
tous les uſages domeſtiques , avec figures en
taille-douce. Par M. Morand le Médecin , Affefſeurhonoraire
du Collège des Médecins de Liège,
&c. in -folio & in - 12 . ( Ignoti nulla cupido ) . A
Paris , chez Delalain , Libraire , rue & à côté de
la Comédie Françoiſe 1770 .
OCTOBRE. 1770. 197
I I.
Leçons théoriques & pratiques de la coupe
des pierres ou trait , & cours de géométrie
, utiles aux architectes , auxjeunes
gens qui se deſtinent à entrer dans les
ponts & chauffées ou dans le génie militaire
, aux entrepreneurs de bâtimens ,
&c.
Ane conſidérer l'art de la coupe des pierres ,
queMathurin Jouſſe appele le ſecret de l'architecture
, que du côté de l'appareil des pierres ;
il eſt déjà recommandable & tout le monde ſçait
combien il eſt eſſentiel d'avoir de bons appareilleurs
pour la conſtruction des bâtimens. Mais on
concevra de cet art une idée plus relevée , & l'on
peut dire plus vraie & plus juſte ; fi l'on veut
remarquer que ce n'est que par une étude réfléchie
& approfondie de cet art , qu'un Architecte
peut, d'un côté ; dans ſes deſſeins , allier la bonne
construction avec l'économie des matériaux
rendre ſes voûtes légères , ſans cependant que la
folidité en ſouffre , & s'abandonner même à fon
génie fans craindre d'être arrêté par les inconveniens
de la conſtruſtion ; & que d'un autre côté
il peut véritablement préſider dans la conſtruction
des bâtimens ou il doit autant ſe diftinguer
des ouvriers par la théorie des arts relatifs aux
bâtimens , qu'il leur eft fupérieur par état. Il eſt
aiſe de ſentir d'après ce qui vient d'être dit, que
ce ne peut être que lorſque les reſſorts de cet
art feront bien connus & fentis par nos Archi
,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
tectes , que nous pourrons joindre aux belles
proportions de l'architecture antique & à une
diftribution commode & agréable , une conftruction
folide & légère dont nous trouvons des
exemples dignes d'admiration dans les édifices
gothiqnes ; & que nous pourrons eſpérer de furpatler
les étrangers dans cette partie de l'archizecture
qui est la plus utile & la plus importante.
Un Architecte qui veut ſe diftinguer dans ſa
profeffion , ne doit donc pas ſe borner à une fimplepratique
de cet art ; en effet , on convient aujourd'hui
unanimement que ce n'eſt que depuis
que les arts ont été éclairés par les ſciencesqu'ils
font parvenus à un certain degré de perfection .
C'eſt pour ces conſidérations qu'on a cru devoir
joindre aux leçons théoriques & pratiques de la
coupe des pierres un cours de Géomètrie , afin
que les élèves puiſſent avancer d'un pas égal
dans la pratique & dans la théorie de cet art.
Onfuivra dans ce cours les Elémens de Géométrie
de M. le Camus : on a préféré cet Auteur à d'autres.
1º. Parce qu'il eſt entre les Auteurs qui ont
-eraité ſynthetiquement de cette ſcience un des
plusgénéralement eftimés. 2 °. Parce que c'eſt ſur
ces Elémens que ſont examinés Meſſieurs les Ingénieurs
militaires Pluſieurs Auteurs ont traité
de la coupe des pierres & les deux plus eſtimés
font M. de la Rue Architecte du Roi & M. Frezier
Ingénieur militaire du Roi en chef à Landau.
Le premier eſt recommandable par les bonnes
méthodes-pratiques qu'il donne , & par la
clarté & la netteté des épures , mais il eſt entiérement
dépourvu de demonſtrations & il n'eſt
pas exempt d'erreurs. Le ſecond a développé avec
beaucoup de ſcience & de génie la théorie & la
OCTOBRE. 1770. 199
pratique de cet art , & l'on peut dire qu'il ena
approfondi la théorie d'une maniere à ne laiffer ,
pour ainſi dire , rienàdefirer. Le premier , comme
il eſt aiſé de le ſentir , ne peut fuffire au beſoin
d'un Architecte. Le fecond , au contraire, у
fournit abondamment. Les ſeuls inconveniens
qu'il y ait , font que cet ouvrage eſt très- long ,
très-difficile, que les épures en ſont petites&par
conféquent ſouvent confuſes,de maniere que peu
d'artiftes ont le tems & la conſtance néceſſaires
pour ſuivre un ouvrage d'une auffi longuehalei
ne. C'eft pour toutes les raiſons fuſdites , qu'on
a penſé que des leçons théoriques & pratiques de
la coupe des pierres,accompagnées d'un cours de
Géométrie pourroient être utiles& agréables aux
artiſtes. On a à cet effet fait les épures des
pièces de trait les plus utiles & les plus intéreſſantes
; ces épures ſont faites en grand , ce qui a
donné lieud'y obſerver plus d'ordre &de clarté,
&,pour faciliter encore davantage l'étude de cet
art,on a auſſi fait les modèles en platre & talc
des piéces de trait les plus utiles , qui feront d'un
grand ſecours aux élèves ; en outre on'les fecondera
dans leurs travaux par les démonſtrations
néceſſaires , àfur &à meſure qu'ils en auront befoin,
on difcutera les avantages , &défavantages
des différentes méthodes ; enfin on fera fes
efforts pour ne rien laiſſer à definer à ceux qui
voudront approfondir cet art.
C'eſt chez le ſieur Delaunay Architecte , rue
Planche-Mibray , même maiſon que M. Huguet
qu'il faudra ſe faire infcrire. Il commencera les
leçons de la coupe des pierres le lundi s Novembre
1770 & le cours de géométrie le lundi
ſuivant. Il ſeroit à-propos de ſe faire infcrire
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
au moins avant le 12 Novembre , afin de ſe trouver
à l'ouverture du cours de Géométrie. Ceux
qui viendront chez lui pour ſe faire infcrire
pourront y voir les épures & modèles des piéces
de trait , les plus utiles & les plus intéreſſantes.
III.
Lettrefur laguériſon des Hernies.
Connoiffant votre zèle , & votre attention
pour tout ce qui peut contribuer au bien de l'humanité
, je ne doute pas que la méthode que
j'ai de guérir les hernies ne trouve une place
dans unouvrage deſtiné à l'utilité comme à l'amuſement
du public. De toutes les infirmités
attachées à notre triſte existence; il n'en eſtguèze
de plus fréquentes , &de plus dangereuſes
que cette maladie ? ce n'eſt pas affez qu'elle afſujetiſſe
à la gêne inſupportable d'un bandage ,
il arrive ſouvent que le bandage , quoiqu'exécuté,
& appliqué par une main habile , n'empêche
pas une hernie de s'échapper , & même de
s'étrangler. Dans cette derniere circonstance ,
le malade eſt expoſé à des accidens funeſtes qui
peuvent devenir mortels , s'il n'eſt promptement
fecouru. Ma méthode étant phyſiquement füre
tout le monde a intérêt de la connoître ;lesgens
de l'art ont vu & atteſté mes expériences ; M.
Briffon Defcautières , Commiſſaire des guerres
àDunkerque que j'ai guéri , excité par la reconnoiffance
, & par l'amour du bien public , a certifié
par une lettre dans les ouvrages deM Freron
les effers heureux de ma méthode : M. Crif
tille , chez M. Moulin Marchand àVille- neuveOCTOBRE.
1770. 201
,
le-Roi en Bourgogne , a auffi annoncé ſa guériſon
dans le même Auteur. M. de Boulanger ,
Bourgeois de Paris , rxe des Tournelles au Marais
, m'a rendu auſſi à ce ſujet dans votre Journal
le témoignage le plus flatteur , & beaucoup
d'autres perſonnes n'ayant pas voulu être nommées
dans les papiers publics , m'ont permis de
les nommer de vive voix à ceux qui defireroient
de plus grands éclairciſſemens. Parmi ces
perfonnes pluſieurs ont repris par des efforts ou
par d'autres accidens des defcentes du côté oppoſé
à celui que j'avois guéri ; ainſi ma méthode
rapproche les chairs & les muſcles , & leur
donne plus de ſolidité & d'énergie qu'ils n'en
avoient dans leur état naturel ; enfin mes fuccès,
le fruit de dix années d'application & d'étude
, font appuyés ſur des faits averés. Je vous
prie , Monfieur , de donner place à cette lettre
dans votre Journal , l'amour du bien public ,
me l'a dictée , le même motif vous engagera à
la publier : je vous dois cette confiance.
J'ai l'honneur d'être , &c.
MAGET ancien Chirurgien Major dans la
Marine ; il demeure toujours rue d'Orléans
près le jardin du Roi.
I V.
COMPLIMENT.
Le lundi 13 Août 1770 , le Comte Danér ,
Gouverneur de la Ville de S. Denis , a été inſtallé
à l'Hôtel de Ville de Paris , en qualité de Lieutenant
Général au Gouvernement de Paris pour Sa
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
Majesté , par tout le corps de Ville , aflemblé à
cet effet , & a adreſlé le diſcours ſuivant àMM..
les Prévôt des Marchands & Echevins .
MESSIEURS ,
C'eſt ſans doute un avantage exttêmement
>> flatteur pour moi que d'occuper aujourd'hui
>>une place auffi diftinguée, que celle dont Sa
Majesté a daigné me donner l'agrément, quime
>> procurele droit de remplacer dans les occafions:
leGouverneur de cette Capitale de la France.
Mais , Meſſieurs , cet avantage me devient infiniment
plus précieux par celui d'y être inf-
>>tallé par un Corps auſſi reſpectable que celui
de la Villede Paris , qui mérita dans tous les
tems la bienveillance de ſes Souverains , la
>>conſidération des Grands de l'Etat , & eut tou-
>jours à ſa tête les plus grands Seigneurs de la
>>>Cour , & les Magiſtrats du rang & du mérite leplus
diftingué.
>> C'eſt vous , Monfieur , que la Ville a le bon--
heur d'avoir aujourd'hui pour Chef. Quelle
preuve plus éclatante des bontés dont notre
auguſteMonarque l'honore , que le choix qu'il
>> a fait , pour veiller à ſes intérêts ,&en conſerver,
>>lesdroits, d'un Magiſtrat comme vous , Monfieur
, qui réunit à la naiſlance la plus illuftre
> les hautes connoiſſances des Belles-Lettres &
>> de la Magistrature , qui vous mettent ſi en état
d'exercer après vos glorieux prédéceſſeurs les
grandes qualités dont vous êtes revêtu .
Je, ſais , Meſſieurs , que je ſuis bien loin
d'atteindre à ce rare mérite , & à celui que
je vois brilter dans les membres dont votre il-
>> luſtreCorps eſt compoſé. Maisj'espère que fi
OCTOBRE. 1775. 203
par unhaſard heureux , quelque occafion favo-
>>>rable ſe préſente dans le poſte que j'occupe ,
>>je vous ferai connoître que perſonne n'eſt plus
>> rempli que moi d'un zèle ardent pour le ſervice
>> de fon Roi , & pour ſoutenir les intérêts & la
>>>gloire d'une Ville , à qui les plus célèbres Ca
>> pitales de l'Univers n'oſent ſe comparer
V.
USAGES ANCIENS.
Les oeufs de la St Gal.
Il ſeroit difficile de rendre raiſon des uſages
finguliers de nos aïeux , mais il peut être utile
de les faire connoître : les recherches fur les
moeurs du gouvernement féodal ont été trop
négligées dans nos hiſtoires , & les faits dont
l'existence ſe trouve conſtatée par des chartes ,
font des monumens précieux , pour connoître
les coutumes de chaque fiécle ; nous devons
être inſtruits de toutes ces bifarreries pour en
juger les hommes.
Le Châtelain du Bourg de Chillac en Auvergne
faifoit acheter tous les ans , aux dépens
du fire de Mercoeur , Seigneur de Chillac , mille
ou douze cens oeufs , & alloit , « par coutume
> & introduction ancienne , « accompagné dess
gens & officiers de ſa juſtice , le jour de Saint
Gal, premier Juillet , à Langeac : cette fête ,
qui eſt celle de l'un des Patrons de la ville
raſſembloit une quantité de peuple du voisinage ,
quidreffoit des cabannes deverdure par les prairies
voiſines&y danſoit , ſuivant l'uſages des fêtes ba
ladoires. Dès le matinde Châtelain de Chillac
ود
Lvj
204 MERCURE DE FRANCE.
ſescompagnons entroient dans la ville par la porte
'appelé des farghes ; ils parcouroient certaines
rues dans l'enceinte des murs , « en jetant lef-
>> dirs oeufs à grant moqueton & fcandalles ,
>> avec irrifion de juſtice , fans aulcun prouffit
>>>utille ne a occafion de choſe méritoire , au
>> moyen duquel tirement d'oeufs fe faifoient
>> afſemblées du peuple, &y ſurvenoient pluſieurs
noiſes , débats & infolences & auſſi ſe comectoit
>> desjuremens & blafphemes abominables. « La
promenade finie , chacun alloit ſe divertir où
bon lui ſembloit. En 1360 , la ville de Langeac
étoit fermée à cauſe des partis Anglois qui couroient
la Province d'Auvergne. On préſenta
une requête au Seigneur au nom du Sire de
Mercoeur , le 17 Juin , pour avoir l'ouverture
d'une porte de la ville , ne voulant point interrompre
une cérémonie auffi importante , pendant
la guerre. Heustache , Chevalier , Seigneur
en partie de Langeac , permit ( au riſque même
du pillage de la ville , qui pouvoit ſe commettre
par les ennemis , ) au fire de Mercoeur ,
ou à ſes gens , de jetter les oeufs ſuivant l'ancien
ufage. « Volumus & concedimus quòd idem
>>> dominus comes , feu ejus gentes poffint facere
>> tranfitumperportalem de lasfarghas dicte ville,
> quod deprefenti eft claufum ob deffenfionem dide
ville Langiacipro timore uerre que nunc est in
patriâ cerverine projiciendo dicta ova illa die
>> feſti Beati Galli dum apperiretur & remanebit
>>appertum pro ut antea erat fieri confuetum. »
En 1740 , le premier Juillet , les gens de
Chillac ſe préſenterent pour jeter ou tirer les
oeufs ; le paſſaged'un petit ruiſſeau qui eſt hors
l'enceinte des murs, étoit par fortune démoli,
OCTOBRE . 1770 . 205
>>>parce que ledit ruiſſeau avoit charrié après
>> un orage ; & auſſi que d'un couſté & d'autre
>> avoit été porté grande quantité de terre par
>> aucuns habitans . " Cet accident imprévu cauſa
beaucoup de mécontentement aux officiers du
fire de Mercoeur , qui firent les proteſtations les
plus folennelles contre l'infraction de leurs
uſages , & le trouble qu'on leur occafionnoit ;
«à cauſe de quoi eſtoit'une eſpérance de mou-
>> voir procès entre Meſſeigneurs de Chillac &
>>de Langeac. <«< La matière miſeen délibération
entre les Juges des deux endroits , on décida ,
« que , par autre part fût miſe & jectée une
>> pierre audit ruiſſeau , lequel étoit impoſſible
>>à faillir en un fault , fur laquelle pierre les
>>>officiers de Langeac mirent le pié , & paf-
>> ferent outre ſans danger de leurs perfon-
>> nes , & après eux , les gens de Chillac paſſe-
>> rent pour tirer leurs oeufs. « On dreſſa l'acte
autentique , que je copie ici , & on ftipula que ,
pour cette fois , les officiers de Chillac s'étoient
détournés du chemin ordinaire ; qu'il ne leur
feroit attribué aucun nouveau droit qui pût
porter atteinte aux priviléges du Seigneur de
Langeac & de ſa ville. S'il avoit été queſtion
de limiter deux Empires , les précautions n'auroient
pas été plus grandes. Enfin , le Connétable
de Bourbon , fire de Mercoeur , abolit cet
uſage , en tournant à fon profit la dépenſe qui
ſe faiſoit des deniers de ſa recette , par lettrespatentes
données à Moulins , le 7 Mai 1522.
enrégiſtrées en ſa Chambre des Comptes , le 20.
du même mois , & à Chillac , le 25. de Juin
fuivant.
206 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES POLITIQUES.
DeWarsovie, le 19 Septembre 1770.
LESEs lettres de Cracovie portent que les Confédérés
du ſieur Pulawski viennent de s'emparer
du Couvent de Czentoſchau dont ils ſe propofent
de faire une place d'armes, &que le Colonel
Drewitz raſſemble toutesſes forces pour le
combattre. Suivant d'autres avis , le ſieur Zaremba
a attaqué ſur les frontieres de Siléfie ,
un détachentent Ruſſe , de ſoixante hommes,
dont la plupart ont été faits priſonniers.
On mande de Podolie & de Volhinie que la
peſte y diminue ſenſiblenient.
De Dantrick , le 22 Septembre 1770 .
On a publié ici , le 31 du mois dernier ,
uneOrdonnance du Magiftrat & du Sénat , par
laquelle il eſt enjoint aux bourgeois & habitans
de cette ville de ſe conduire amicalement les
uns envers les autres , de n'offenſer qui que ce
foit, far-tout de reſpecter les perſonnes revêtues
d'un caractère public , &qui défend à tous,
fous peine d'être ſéverement punis comme perturbateursdu
repospublic; de s'affembler tumul
tuairement dans les rues & de tenir des affemblées
clandeftines & illicites. La même Ordom
nance promet une récompenſe de mille florins à
quiconque dénoncera au Préſident-Bourguemef
tre l'auteur de pluſieurs libelles qui ont été der
nierement affichés
OCTOBRE. 1770. 107
De Stockolm ,le 18 Septembre 1770.
Les Directeurs de l'hôpital des Orphelins ont
fait un réglement par lequel il eſt arrêté qu'on
feroit apprendre un métier à ceux de ces Orphelins
que quelques infirmités ne rendroient
pas propres au ſervice , & que chaque artiſan qui
ſe chargeroit de leur apprendre ſa profeſſion,
recevroit pour cet effet une ſomme annuelle.
De Coppenhague , le 18 Septembre 1770.
Le Roi a donné des ordres pour faire faire le
dénombrement des habitans de ce Royaume. Ils
feront rangés ſousdifférentes claſſes , dont la pre .
miere comprendra les enfans de huit ans & audeſſous
, & la derniere , les perſonnes âgées de
quarante-huit ans& au-deſſus.
De Vienne , le 29 Septembre 1770.
Le bruit court que les Ruffes , qui étoient à
la pourfuite des Confédérés en Pologne, avoient
pénétré juſqu'au bourg Werecke & que n'y en
ayant trouvé aucun , ils avoient tué huit payfans
, douze foldats Autrichiens & huit chevaux ;
mais que les Autrichiens s'étant raſſemblés
avoient tué vingt-ſept hommes & pris trente
chevanx qu'ils ont envoyés à Mungacz.
La Société d'Agriculture du duché de Styrie
vient de propoſer un prix qui ſera donné à la
fin de Février 1771 , à l'auteur du meilleur ouvrage
fur cette queſtion; à quelle cauſe faut-il
attribuer i'échauffement des grains , & quel est le
moyen de le prévenir ? Le prix confifte en une
médaille de trente- fix ducats.
De Cadix, le 14 Septembre 1770:
Sur les avis qu'on aeus que pluſieurs vaiſſeaux
,
208 MERCURE DE FRANCE.
de l'Archipel & dans la Méditerranée étoient
infectés de la peſte , on a publié derniérement
ici un réglement qui fixe la durée des quarantaines
, auxquelles feront afſujettis les vaiſſeaux
qui viendront de la Méditerranée , & qui indique
les précautions qu'il fera néceſſaire de prendre
dorénavant , pour empêcher que la conragion
ne pénétre ici , ou pour en prévenir les
fuites.
Il eſt arrivé , il y a quelques jours , de l'Amérique
en cette baye , pluſieurs navires Eſpagnols ,
entr'autres , la Levrette , la Concorde & l'Aurore
, leſquels viennent de Lima , & dont les
cargaiſons montent enſemble à trois millions
cinq eens mille piastres , fans compter les marchandiſes
qu'ils ont à bord , & qui confiftent en
cuivre , cacao , laine de vigogne & drogues
médicinales , De ce nombre font auſſi le Matamore
, venant de la Vera- Cruz & de la Havane
avec une cargaiſon de ſucre & autres productions
; la Polacre la Minerve , qui arrive de
Cartagene des Indes & de la Havane , chargée
de cacao , de cuirs , de coton & de bois de
teinture , & cinq ou fix autres bâtimens venant ,
de la Havane avec des cargaiſons de tabac &
de fucre.
De Londres , les Octobre 1770 .
Hier, le Roi eut à Saint-James une longue
conférence avec ſes miniftres. Aujourd'hui , il
s'est tenu un grand conſeil à la Cour.
Le 27 du mois dernier , il y eut , à l'hôtelde-
ville , une aſſemblée générale du conſeil
commun , dans lequel on propoſa d'examiner
la conduite du Recorder de la Cité , lequel refufa
d'accompagner, le 14 Mars dernier , le
OCTOBRE. 1770. 209
,
Lord- Maire & les Députés chargés de repré-
Tenter au Roi la remontrance de la Cité. Cet
officier , l'un des plus confiérables du corps de
ville , allégua pour ſa défenſe , qu'ayant déſapprouvé
& ayant regardé comme illégale cette
remontrance il ne lui convenoit pas d'être un
de ceux qui la préſenteroient à Sa Majesté. On
lui objecta qu'il lui étoit permis d'avoir telle
opinion qu'il jugeroit à propos ſur les ſujets
qui étoient mis en délibération ; mais que , lorfqu'il
y avoit une déciſion de l'aſſemblée générale
, il devoit s'y conformer , & qu'il étoit
obligé , par le devoir de ſa charge , d'accompaguer
le Lord-maire & les autres officiers de
la ville dans toutes les occaſions où ſa préſence
étoit requiſe. Il fut arrêté , à la pluralité de
quatre-vingt- feize voix contre cinquante- fept ,
que le Recorder avoit manqué à fon ferment
&audevoir de fa charge. On remit à une autre
aſſemblée à prononcer un jugement ultérieur
fur ceſujet.
,
Le 29 ſuivant , il y eut une autre affemblée à
l'hôtel -de - ville dans laquelle on procéda à
l'élection d'un Lord - Maire pour l'année prochaine.
Le choix de l'affemblée tomba fur le
fieur Grosby , Alderman , connu par ſon zèle
pour le parti de l'oppoſition . Ceux des Aldermans
qui font attachés au miniſtère & qui furent
propoſés pour la place du Lord-Maite , furent
reçus par l'aſſemblée avec des huées & des fifflemens.
Il paroît , par ce qui s'eſt paffé dans ces
deux dernières aſſemblées , que l'eſprit antiminiſtérial
de la Cité conferve encore toute fa
violence.
La preſſe des matelots , qui a déja ceſſé dans
210 MERCURE DE FRANCE.
quelques - uns des ports de ce Royaume , ne
tardera pas , dit- on, de ceſſer auffi dans cette
capitale. Les gratifications que le Roi a accordées
à ceux qui ſe préſenteroient volontairement
pour ſervir ſur les navires , ont ranimé le zèle
des matelors , au point qu'il s'en trouve à préſent
un nombre a-peu-près ſuffiſant pour l'armement
des vaiſſeaux de guerre qu'on ſe propoſe
de mettre à la mer. La Cour vient d'envoyer
ordre à Portsmouth d'y préparer les vaiſſeaux
de ligne la Bretagne , de cent vingt canons ;
la Princeffe Auguste , de quatre - vingt - dix ;
l'Effex , de foixante-quatre ; le Foudroyant
leWarspire, les Worcester & le Modeste , de
foixante- quatorze , & le Northumberland, de
foixante- dix , ainſi que les frégates la Pallas &
la Vénus , de trente- fix canons , la Junon , de
tente-deux. Dans le cas où l'on ne trouveroit
pas dans ce port tout ce qui est néceſſaire pour
les mettre inceſſamment en état de tenir la
mer , le Commiſſaire eft chargé d'avoir recours
aux chantiers des particuliers.
Onditque le corps d'artillerie va être augmenté
d'un bataillon , & qu'on a envoyé ordre
en Irlande de rendre complets tous les régimens
qui ſont ſur cet établiſſement.
Le vaiſſeau du Roi le Liverpool eſt arrivé à
Spithead , de la Méditerranée & en dernier lieu
de Cadix , d'où il a apporté ſept cens mille
dollars pour le compte de nos négocians.Afon
départ de Cadix , trois vaiſſeaux de guerre Ffpagnols
& fix bâtimens de tranſport , ſur lefquels
on avoit embarqué mille hommes de
troupes , venoient de partir pour aller , dit-on ,
renforcer la garniſon de la Havanne.
OCTOBRE. 1770. 211
Ondit ici que le capitaine de la frégate la
Favorite, laquelle a ramené en Angleterre les
Sujets de Sa Majesté qui s'étoient établis au
Port Egmont , d'où ils ont été chaffés par les
Eſpagnols , a été réprimandé ſur la conduite
qu'il a tenue à cette occaſion ; on dit même
qu'il fera caflé.
Pluſieurs de nos négocians ont reçu de Petersbourg
des lettres qui portent que pluſieurs vaiſ
feaux de ligne Rufles , conſtruits fur un nouveau
modèle , s'y ſont approviſionnés pour neuf mois ,
&que leurs équipages étoient preſque complets :
on ne dit pas encore quelle eſt leur deſtination .
Suivant des lettres de Port- Royal dans la Jamaïque
, deux chefs des Sauvages de Moſquito y
font arrivés à bord du vaiſſeau la Providence ,
& doivent s'embarquer inceſſamment pour l'Angleterre
où ils font chargés de traiter d'affaires.
importantes.
De Paris, le 12 Octobre 1770 .
Différens avis portent qu'on a fait partir d'Al
gerune frégate , de quarante canons ; une barque,
de vingt, & deux chebecs de vingt - quatre ,
montés de deux mille corſaires d'élite qui vont ſe
joindre aux Turcs.
On mande de Marfeille que le Sr Sieuve , naturaliſte
, déjà connu par un traité ſur les vers qui
piquent les olives& par un mémoire ſur le moyen
de préſerver les étoffes de laine, des vers qui s'y
attachent , ouvrage couronné par l'académie de
Bordeaux , vient de découvrir ſur les pins la matièred'une
nouvelle ſoie argentine , forte , élaftique&
très - abondante , qui ne provient pas d'un
cocon de chenilles à papillon , mais qui eſt l'ouvrage
des vers à mouches. Il a fait , fur cette fins
gulière découverte , un mémoire qui doit être lu
212 MERCURE DE FRANCE.
à l'académie royale des ſciences , après la rentrée.
Le Sicur Sicuve efl parti , le premier de ce mois ,
pour différens endroits de la Provence , où il a été
invité à ſe rendre , afin d'y viſiter huit mille pieds
d'oliviers, furlesquelsila faitappliquer fon goudron
propre à préſerver ces arbres de la piquûre des vers,
&pour yconftater lui-même le ſuccès de ſon expérience
,laquelle a déjà réuffi à Marseille ſur les
oliviers de deux particuliers de cette ville.
On écritde la même ville que le Sr d'Evant , cidevant
conful de France à Salonique , lequel venoit
d'obtenir ſa retraite , y eſt mort ſubitement
en rentrant chez lui .
PRESENTATIONS.
Le 30 Septembre , la marquiſe de Caraman eut
l'honneur d'être préſentée au Roi & à la Famille
Royale par la comtefle de Caraman la bellefoeur.
Le 25 de ce mois , le comte d'Argental , miniftre
plénipotentiaire de Son Altefle Royale l'Infant
Duc de Parme , eut l'honneur de préſenter
au Roi & à la Famille Royale un ouvrage intitulé:
Deſcrizione , &c. ou Description des Fêtes célébrées
à Parme , àl'occaſion du mariage de Son Alteffe
Royale l'Infant avec l'Archiduchefſfe Amélie.
Cet onvrage , enrichi de planches , eft exécuté
pour l'impreſſion & pour la gravure , avec
autant de goût que de magnificence.
Le 26 Septembre , la Dame de Puifieux eut
Phonneur de préſenter au Roi les deux premiers
volumes de l'histoire de Charles VII , ouvrage de
ſa compoſition dédié à Sa Majefté.
L'Evêque de Langres a prêté ſerment entre les
mains de Sa Majesté.
Le même jour, l'Abbé Compan eut l'honneur
OCTOBRE. 1770. 213
depréſenter àMgr le Dauphin , une nouvelleMéthode
Géographique , dédiée à Madame , à qui il
cut l'honneur de la préſenter auff .
ap-
Le Sr Meffier , de l'académie royale des ſciences
, aſtronome de la marine , eut Thonneur de
préſenter au Roi , le 30 Septembre , une grande
carte céleste où il avoit tracé la route
parente de la comète de cette année , d'après les
obſervations qu'il a faires , tant à l'obfervatoire
de la marine qu'à la guérite du collège de Louisle-
Grand , depuis le 14 Juin juſqu au 30 Septembre.
La comète étoit , ce dernier jour , peu éloignée
de Saturne & à peu de diſtance de fon parallèle
; à 3 heures , 47 minutes , 46 fecondes du
matin , teins vrai , ſon afcenfion droite étoit de
131 degrés , 22 minutes , 14 secondes , & la dé.
clinaiſon boréale , de 16 degrés , so minutes , 44
ſecondes. Le 3 du courant , à 3 heures , 54 minutes
, 30 secondes du matin , ſon afcenfion droite
étoit de 132 degrés , 48 min . 53 sec ., & fadéclinaiton
, de 16 deg. 29 min. 20 fec.
MARIAGES .
De Versailles , le 28 Septembre 1770.
Dimanche dernier , le Roi & la Famille Royale
fignèrent le contrat de mariage du comte de Fougieres
, maréchal des camps & armées de Sa Majesté
, & lous gouverneur des Enfans de France ,
avec Demoiselle de Veaux , fille du comte de
Veaux lieutenant- général , grand'croix de l'ordre
royal & militaire de St Louis , & ci -devant commandant
en Corſe ; & celui du marquis de Valanglart,
enſeigne des Gendarmes - Dauphin , avec
Dilede Fougieres , fille du comte de ce nom.
Le Roi & la Famille Royale ſignèrent , le 30
Septembre , le contrat de mariage du marquis de
14 MERCURE DE FRANCE.
l'Aubeſpine , officier au régiment du Roi , avec
Demoiselle de Choiſeul.
MORTS.
De la Haye , le 3 Octobre 1770.
La nommée Jacomina Gaude , native de Leyde,
eſt morte ici , avant- hier , dans la cent quatrième
année de fon âge.
Marie- Suzanne deBordeilles , veuve de Charles-
Auguſte d'Appellevoiſin , marquis de la Roche-
du - Maine , ſoeur de l'évêque de Soiffons &
mere du marquis de la Roche du-Maine,cornette
des Chevaux - Légers de la Garde Ordinaire du
Roi & meſtre-de-camp de cavalerie , eſt morte à
Poitiers , le 24 du mois de Sept , âgée de 53 ans.
Marguerite - Françoiſe de Jaucen , Dame &
Vicomteſle de Brigneuil en Poitou , veuve de François
Martial Defmontiers , marquis de Merinville
, maréchal des camps & armées du Roi , eſt
morte au château de Fraifſſe en Poitou , dans la
ſoixante-onzième année de ſon âge.
Chriſtine Guimet , veuve d'Etienne Chapeau ,
laboureur , eſt morte , le 19 du mois de Septembre
, à la Flacheres , près de Grenoble , âgée de
cent fix ans. Elle laiſſe pluſieurs enfans dont l'aîné
a ſoixante- ſeize ans. Juſqu'au moment de ſa maladie
, qui n'a duré que trois jours , elle alloit &
venoit ſans le ſecours de perſonne : elle n'a jamais
fait uſage de lunettes.
LOTERIES.
Le centdix-ſeptième tirage de laLoterie de l'hêtel-
de- ville s'eſt fait , le 25 du mois dernier , en
lamaniere accoutuméa Lelotde cinquante mille
livres eſt échu au No. 98822. Celui de vingt mille
OCTOBRE. 1770. 215
livres au No. 89268 , & les deux de dix mille aux
numéros 87224 & 97644.
Le tirage de la loterie de l'école royale militaire
s'est fait le s de ce mois. Les numéros ſortis de la
rouede fortune font , 79,73,41 , 67 , 24. Le prochaintirage
le fera les Novembre.
TABLE.
IECES FUGITIVES en vers & en proſe , page
ibid.
P
Suite du Printems ,
Madrigal , 12
Le Cheval &l'Ane. Fable , ibid.
Stances à la Fille d'un Maréchal- ferrant, 13
La Nuit , 114
Vers contre l'Inoculation, 24
Réponſe , 25
Ala belle Agnès , en lui envoyant une immortelle ,
&un anana le jour d'une de ſes fêtes , ibid.
Impromptu à Mlle d'Avejan , 26
Chanfon à Mde l'Ab .. d'A.. qui l'a demandée pour
Mlle ſa foeur , 27
Autre à Mile ***, 28
Le Chêne & l'Arbriſſeau , apologue , 29
Portrait de Zelmire , 30
Vers à deux modernes Praxitèles , 31
Le Retour des Vendanges , ibid.
Le Legs , proverbe dramatique , 33
Chanfon tirée en partiede la prem, Idylle de Mofchus.
Caprice , $3
L'Epervier& la Corneille. Fable , ibid.
Remontrance à une jeune perſonne jolie & lettrée , 55
Epître à M. l'Abbé Aubert , ibid.
Elogede la fontaine minérale de l'Epervière , 18
Explication des énigmes & des logogryphes ,
ENIGMES ,
LOGOGRYPHES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ,
Obſervations ſur Boileau , Racine , &c.
L'Obſervateur François à Londres ,
Inſtitutions mathématiques ,
Epître à M. Petit ,
62
63
66
68
ibid.
79
84
8.6
216 MERCURE DE FRANCE
Ouvrage de M. Leficy ,
Matière médicale ,
Le Père avate , ou les malheurs de l'éducation
Avis aux mères qui veulent nourrir leurs enfans ,
La Mimographe ,
Obfervations phyſiques & morales ſur l'instinct des
animaux , &c..
ACADEMIES ,
SPECTACLES . Opéra ,
Vers à Mllede Châteauvieux ,
Comédie françoife ,
Comédie italienne ,
Détail des Fêtes & SpaAacles donnés àVerſaillesà l'occafion
du mariage de Mgr le Dauphin ,
ibid.
88
90
96
98
101
103
121
122
123
126
127
161
162
163
ibid.
166
167
ARTS , Archhitecture ,
Agriculture ,
Mufique ,
Gravure ,
Ecole vétérinaire ,
Géographie,
Vers pour mettre au bas du portrait deM. de Choiſeul, 168
Lettre de M. Patte , en réponſe à celle de M. Cochin , 169
Lettre ſur le ſyſtême de la Nature , 173
Anecdotes ,
182
Lettre ſur un Automate qui joue aux échecs ,
186
Lestre de M. de Moncade , ſur la guériſon du cancer , 190
Arrêts , Déclarations , &c . 193
Vers fur la prife d'habit de Mde Louiſe - Marie de
France ,
196
Avis ,
ibid.
Nouvelles politiques ,
286
Mariages,
214
Merts ,
ibid.
Loteries ,
215
:
J
APPROBATIΟ Ν.
'A I lu , par ordre de Mgr le Chancelier , le fecond vol.
du Mercure d'Octobre 1770 , & je n'y ai rien trouvé qui
m'ait paru devoir en empêcher l'impreſſion .
A Paris , le 14 Octobre 1770 .
RÉMOND DE STE ALBINE.
De l'Imp . de M. LAMBERT , rue de la Harpe.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères