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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO Ι .
AVRIL 1765 .
PREMIER VOLUME.
Diverſité , c'est ma deviſe. La Fontaine.
Cothin
Fidice ins
Logillon Saulpa
12180
Chez
A PARIS ,
1 CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis - à-vis la Comédie Françoiſe.
PRAULT , quai deConti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques .
CELLOT , Imprimeur rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
Comfl, sets
higliot
71081
24009
AVERTISSEMENT.
LE
E Bureau du Mercure est chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
,
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie littéraire ,
àM. DE LAPLACE , Auteur du Mercure.
Leprix de chaque volume eſt de 36fols ;
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raison de 30 fols piece.
Les personnes de province auxquelles
on enverra le Mercure par la Pofte ,
payeront pour ſeize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront d'autres voies que
la Poste pour le faire venir , & qui prendront
les frais du port fur leur compte ,
ne payeront comme à Paris , qu'à raiſon
de 30 fols par volume , c'est- à- dire 24 liv .
d'avance , en s'abonnant pourſeize volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
ر
eirangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci-deſſus .
On fupplie les personnes des provinces
d'envoyer par la Pofte , en payant le droit,
leurs ordres , afin que le paiement en foit
fait d'avance au Bureau .
Les paquets qui neferont pas affranchis
refteront au rebut.
On prie les personnes qui envoient des
Livres , Estampes & Musique à annoncer ,
d'en marquer le prix .
Le Nouveau Choix de Pieces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M. DE
LA PLACE , ſe trouve auſſi au Bureau du
Mercure. Cette collection eſt compofée de
cent huit volumes. On en prépare une
Table générale , par laquelle ce Recueil
ſera terminé ; les Journaux ne fourniſſant
plus un affez grand nombre de pieces pour
le continuer.
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL 1765 .
PREMIER VOLUME.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SUITE des Recherches fur la barbe .
II. DÉFEFNENSSEE aux Juifs dans le Lévitique
, chap. 14 , de ſe raſer la barbe. Nec
radetis barbam. Par la manière dont ils la
portent ( car ils n'ont point changé , on
en convient ) , on peut voir comment la
coutume a interprèté cette loi. Ils laiſſent
un filet de barbe depuis le bas de l'oreille
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
juſqu'au milieu du menton , où ils ont un
bouquet de barbe affez long , auſſi-bien que
fur la lévre d'en bas . Ils confervent fur leur
lévre d'en haut deux moustaches ſéparées
au-deſſous du nez. Ils coupoient donc la
barbe d'en haut& celle des joues. Un trait,
regum , 11 , 20 , 9 , pourra éclairer ce que
je viens de dire. David avoit envoyédes
Ambaſſadeurs au Roi des Ammonites..
Celui- ci les prit pour des eſpions , & leur
fit raſer la moitié de la barbe. A leur retour
ils eurent ordre de s'arrêter à Jéricho
juſqu'à ce que leur barbe fût crûe. Manete
in Jericho , donec crefcat barba veftra , &
tunc revertimini. Je conclus de-là qu'il
y avoit une grande infamie à paroître en
public fans barbe. 2°. Que les Juifs ne la
portoient pas bien longue , autrement il
leur auroit fallu refter là long-temps. Une
belle barbe n'eſt pas le fruit de fix mois ni
d'une année.
,
Il eſt vrai que l'uſage étoit de ſe rafer
dans le deuil : d'où vient que la barbe raſe
eſt , dans le ſtyle des prophètes , le ſymbole
ordinaire du deuil. Voyez Jérémie , 48 ,
37. Ezechiel , 5 , 1 ; mais l'uſage étoit auffi
que durant ce temps du deuil, on ne paroiffoit
point en public ; &dans cet intervalle
la barbe , que l'on ne coupoit qu'une
fois , avoit le loiſir de croître.
AVRIL 1765 . 7
Une loi particuliere ne permettoit aux
Prêtres de prendre les marques de deuil
que pour la mort de quelque parent fort
proche , & hors le temps de leur ſervice.
Ainfi les Prêtres chez les Juifs ne paroiffoient
jamais fans barbe , au contraire des
Egyptiens & des Chaldéens. Barud, 6,30.
Quoique l'eſprit du chriftianiſme regarde
comme choſe fort indifférente d'avoir
de la barbe ou de ſe rafer , & que
content de réformer l'homme intérieur ,
il ne condamne pas moins dans l'intérieur
une înalpropreté rebutante , qu'une exceffive
propreté ( Aug. l. 2 de ferm. dom.
cap. 12 ) ; il est vrai cependant que les
Prêtres ſe ſont déclarés pour la barbe , &
qu'ils ont cru qu'un menton barbu convenoit
mieux à un chrétien qu'un menton
ras & uni. Clement Alexandrin , dans une
inſtruction fort détaillée qu'il adreſſe à
tous les fidèles , déclame ( lib.3,0.3 )
fortement contre ceux qui emploient l'art
pour faire diſparoître leur barbe & deshonorer
l'ouvrage de la nature. Il veut bien
( cap. 11 ) qu'on décharge la lévre d'enhaut
, parce que fi la barbe y étoit longue ,
elle incommoderoit en mangeant ; mais
il ne veut pas que l'on ſe ſerve pour cela
du rafoir.
Saint Epiphane , Haref. 80 , n. 7 , ne
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
condamne pas avec moins de roideur la
conduite de certains hérétiques , de ce
qu'ils portoient de longs cheveux , qui
pis eft , deterius quiddam , ſe raſoient la
barbe. Il ajoute que c'eſt faire une choſe
défenduepar les conſtitutions des Apôtres,
où en effet cela ſe trouve. Oportet praterea
non barba pilum corrumpere , lib . 1 , cap . 3 .
Si Saint Epiphane regardoit l'ouvrage qu'il
cite comme un ouvrage authentique : on
fait à préſent ce que l'on en doit penſer.
Il fert du moins à faire voir quel étoit le
fentiment commun de l'Egliſe Grecque ,
& quelle étoit la pratique ordinaire dans
les premiers temps. Mais après tout , Clement
Alexandrin , l'Auteur des Conftitutions
Apoftoliques , & Saint Epiphane ,
en condamnant la mode de ſe raſer la
barbe , ont ſuppoſé qu'un homme grave
n'avoit plus rien dans ſon extérieur qui
le fît reconnoître pour ce qu'il étoit. Cela
pouvoit être vrai autrefois ; mais à préſent
la différence des habits rend inutiles tous
les traits qu'ils lancent , ou du moins ces
traits ne portent que ſur des robes de
chambre.
Les Chrétiens ſuivoientdonc la mode
établie , & l'Egliſe ne déſapprouvoit en
eux que ce qui tenoit de l'affectation &
conduiſoit au défordre. Nous apprenons
AVRIL 1765 . 9
de Tertulien que de fon temps les Africains
ſe rafoient. Défapprouvoit - il cette
conduite ? on ne le voit pas : il condamne
ſeulement ceux qui ſe rafoient *
avec trop de ſoin , & par le motif de
plaire aux femmes . Julien invective contre
les Chrétiens d'Antioche ſur ce qu'ils
étoient fans barbe. Cet uſage avoit été
introduit par Constantin & fes fucceffeurs.
Les Conciles ont fait quelques réglemens
touchant la barbe , mais ils ne
concernent que les Clercs & les Moines .
Les anciens Moines Cénobites laiſſoient
croître & la barbe & les cheveux. Les
Evêques & les Prêtres dans l'Egliſe Grecque,
dès les premiers temps , ne coupoient
ni leurs cheveux ni leurs barbes, Cet ufage
n'a point changé.
Baronius ( tom. 1 , ad ann. 48 ) prétend
que les Eccléſiaſtiques ne portoient point
de barbe , & qu'ils étoient rafés fur le
ſommet de la tête ; mais c'eſt une des
idées de Baronius , qui vouloit montrer
dans l'antiquité tous les uſages dont l'inftitution
eſt moderne. Ç'auroit été une im
prudence , dont je ne puis croire capables
les fondateurs des Egliſes , d'en expoſer les
chefs à la fureur des perfécuteurs , en les
*De cultu femin. lib . 2 , cap . 8 .
2
f
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
faiſantainſireconnoître. Je ne puis pasplus
me perfuader que l'on eût mieux aimé
reſſembler aux Prêtres d'Iſis , qui étoient
rafés , que d'imiter les Apôtres qui portoient
barbe. Baronius poſe comme un fait
certain , que dans les Gaules les Eccléfiaftiques
ſe rafoient la barbe ; mais les Clercs
dece temps-là étant preſque tous Romains
ou Grecs , tels qu'ont été les premiers
Apôtres & les premiers Evêques des Ganles
, ils ſuivoient l'uſage des Grecs & des
Romains. Baronius met en preuve un endroitde
Sidonius Apollinaris , qui parlant
(lib. 1 , cap. 13 ), deGermanicus , Evêque
dans les Gaules , ditqu'il avoitles cheveux
coupés en rond , & la barbe coupée ſi
près , qu'on eût dit que les cifeaux en
étoient allés chercher la racine juſque
dans la profondeur de ſes rides. Mais le
docte Savaron obſerve judicieuſementque
ce Germanicus n'étoit ni Evêque ni Prêtre.
Sidonius ne lui endonne point le titre. Il
eſt ſeulement nommé virſpectabilis. Baronius
fait ce Germanicus Evêque de Chatelle.
Or , Chatelle ne fut jamais ville
épifcopale. Cette manière de ſe faire tailler
les cheveux , dont ufoit Germanicus ,
eſt un de ces rafinemens de propreté , que
Tertulien , comme j'ai dit ci-deſſus , blâme
dans les hommes du monde , bien loin de
AVRIL 1765 . II
convenir aux Eccléſiaſtiques des bons fiécles.
Auffi Germanicus étoit-il un homme
qui avoit vécu dans le plaifir ; & Sidonius
dans la même épître , veut qu'on l'exhorte
à ſe convertir ſur la fin de ſes jours. Cet
endroit de Sidonius , loin de favorifer
Baronius , prouve même contre lai.
و
Voici encore un autre endroit de Sidenius
, lib. 4 , épic. 24 , où parlant d'un de
ſes amis , nommé Maxime , qu'il avoit
vu à laCour , quelques années auparavant ,
en équipage de grand ſeigneur , & qu'il
retrouva tout changé : je demandai , dit-il,
à quelqu'un quel état le Seigneur Maxime
avoit embraffé : s'il étoit Moine , s'il étoit.
Clerc ? on me répondit qu'il étoit Evêque .
Il l'étoit en effet de Toulouſe. Qu'après
cela Baronius ne vienne donc pas nous
dire qu'il confte par l'autorité de Sidonius ,
que le Clergé dans les Gaules &dans tout
P'Occident ne portoit point de barbe. Le.
Père Sirmond., fur ces mots de Sidonius ,
coma brevis ,prolixa barba fait cette note:
obfervare licet in his verbis veterem cultum
Cleri Gallicani , ac totius Ecclefia occidentalis.
UnConciledeCarthage , tenu en 398 ,
où affiftérent deux cens quatorze Evêques ,
entre autres réglemens concernant la difcipline
, en fit un touchant la barbe dess
Avj
12 MERCURE DE FRANCE.
Eccléſiaſtiques. C'eſt le quarante-quatrieme
qui a donné de l'exercice aux critiques par
une variété de leçon très - confidérable.
Quelques collections de canons, & les éditeurs
des Conciles portent : Clericus nec
comam nutriat , nec barbam. Baronius &
les Commentateurs de ce canon ne manquent
pas d'appuyer cette leçon. Un tel
réglement , diſent ils, fut fait pour condamner
la pratique des hérétiques Maffaliens
qui ſe préſenterent en longs cheveux
& barbes longues , qui intonſi prolixam
comam ac barbam alebant. Mais qu'est-ce
que la prévention ? Saint Epiphane condamne
expreſſément les Maffaliens fur ce
qu'ils laiffoient croître leurs cheveux &
rafoient leur barbe. En conféquence , fi
Baronius & ceux qui l'ont ſuivi , avoient
voulu raifonner , ils auroient dit : le décret
condamne les Maſſaliens ; or ces hérétiques
coupoient leur barbe ; donc il défend
aux Clercs de ſe la couper. Et ils auroient
adopté la leçon desplus anciens manufcrits,
qui portent : Clericus nec comam nutriat ,
nec barbam radat...
Le Concile de,Barcelone en 540 adopta
le décret de Carthage , & en fit fon troifieme
canon. Nullus Clericorum comam
nutriat , aut barbam radat. Il n'y a ici
aucune variation dans ces exemplaires.
AVRIL 1765 . 13
4
L'aſſemblée d'Aix-la - Chapelle ſous
Louis le Debonnaire en 807 ordonne que
durant tout le carême les Moines s'abftiendront
de ſe rafer , qu'ils le feront le
famedi faint , le ſamedi dans l'octave de
Pâques , & pendant le cours de l'année
une fois en quinze jours ( 1 ) . Voilà un
changement conſidérable dans l'état monaſtique.
A l'égard du Clergé féculier, les conteſtations
avec les Grecs , en conféquence
du ſchiſme de Photius , nous découvrent
que l'uſage communément reçu dans l'Egliſe
latine étoit de ſe couper la barbe.
Ils nous reprochent , dit le Pape Nicolas I ,
écrivant à Hincmar ( 2) & aux Evêques de
France , que nos Clercs ne font pas difficulté
de se rafer la barbe. Les Grecs avoient
d'autant moins de raiſon de faire ce reproche
aux Latins , que Photius , l'auteurdeleur
fchifme, étoit eunuque. Quand
une fois ils furent ſéparés ,ils ſe firent un
point d'honneur de conferver leurs barbes ;
& les Latins , de leur côté , s'en firent un
de ſe rafer le menton. :
( 1 ) Monachi in quadragefimá , nifi in fabbato
Sanéto non radantur. Alio autem tempore , femel
per quindecim dies radantur
Pafcha.
د
(2) Epist. 70 ,scripta anno 867.
& in octavâ
MERCURE DE FRANCE.
En 1031 unConcile de Bourges, can.7,
ordonna que tous Archidiacres , Abbés ,
Prévôts , Cæpiſcoles , Chanoines , Portiers
&autres exerçans quelque fonction dans
l'égliſe, portaſſent la tonſure eccléſiaſtique,
ou plutôt la monachale , c'est- à-dire la
barbe rafée & la couronne , ou le tour de
cheveux ſur la tête raſe. Ce même réglement
fut approuvé la même année dans
le Concile de Limoges , ſeſſion 2 ; mais
ce n'eſtqu'après avoir reconnu que la choſe
eſt indifférente dans le fond. Un endroit
de ce Concile mérité attention. Il y eſt dit
qu'il eſt à propos que les Eccléſiaſtiques
foient fans barbe pour les diftinguer des
Laïques. La mode étoit donc alors que les
Laïques portaſſent la barbe , & les portraits
du Roi Henry I le confirment.
Grégoire VII ( c'eſt le fameux Hildebrand
) écrivit en 1083 à Jacques , Evêque
de Cagliari , pour lui ordonner de faire
rafer tous les Eccléſiaſtiques de ſa dépendance
, conformément , dit-il , à la pratique
obfervée de tout temps dans l'Egliſe
Latine. Il écrivit en conformité au Podeftat
de Cagliari , & lui donna ordre de
confiſquer au profit de l'Egliſe de Cagliari
les biens de ceux qui ne voudroient pas fe
foumettre. Cette lettre de Grégoire VII fe
trouve parmi les epistola decretalesfummoAVRIL
1765.
rum Pontificum, imprimées à Rome en
1591.
On voit que ce Pape avoit fort à coeur
que les barbes des Eccléſiaſtiques diſparuſſent.
Il avoit été Moine , & peut- être
que c'étoit-là une de ſes raifons ; car de
leur côté les Moines ne travailloient pas
avec moins de zèle à faire diſparoître les
barbes des Laïcs. Le Père Mabillon ( annal.
Bened. tom. 5 , ad ann. 1105, 1.70 ,
n. 8 ) raconte que Serlon d'Abond, Abbé
de S. Evroul & enſuite Evêque de Séez ,
prêcha un jour de Pâques avec tant de
force contre les longues barbes & les longues
chevelures , qu'il diſoit ne convenir
qu'à des efféminés , que le Roi d'Angleterre
Henry , qui étoit au fermon , & tout
le reſte de l'auditoire , confentit ſur le
champ à être tondu : & l'opération ſe fit
par le Prédicateur , qui tira de ſa manche
une paire de ciſeaux &les tondit tous , en
commençant par le Roi.
On voitdans le même ouvrage ( 1.71 ,
2. 116 ) que les Moines non lettrés , que
l'on nomine. Convers , étoient appellé.s
Frères barbus , par oppoſition aux Moines
lettrés & engagés dans les ordres. Voyez
aufli Baluze dans ſes notes ſur les capitulaires
( tom. 11 , p. 1084 ).
Lorfqu'il s'eſt agi de réunir les deux
16 MERCURE DE FRANCE.
Eglifes , la Latine & la Grecque , je ne
vois pas qu'il ait été queſtion de la barbe ,
& on fit bien de n'en point parler. Je ne
fais fi Beffarion , qui certainement l'avoit
fort belle & qui la conſerva , quoiqu'il fût
Cardinal, réconcilia la Cour Romaine
avec la barbe ; mais il eſt ſûr que Jules II ,
&tous les Papes qui font venus depuis,
ont bien dérogé à l'uſage antique de ſe
rafer , que Nicolas &Grégoire foutenoient
avec tant de férieux & fi peu de ménagement.
Léon X & Adrien VI font les ſeuls
qui paroiffent rafés. Celui-ci pouvoit le
faire bonnement par le motif de ſe conformer
aux regles qui paſſoient alors pour
canoniques. Léon X n'a pas la réputation
d'avoir été fort fcrupuleux , & on peut
éroire que s'il ſe raſoit , c'étoit pour quelque
autre raifon. L'exemple de Jules II
fut fuivi par tout le Clergé ; & un ſavant
du ſeizieme fiécle ( 3 ) nous apprend que
fous Clement VII tous les Eccleſiaſtiques ,
depuis le Pape juſqu'aux moindres Prélats ,
étoient pourvus debarbes. Il nous apprend
auſſi que quelques perſonnes de grande
autorité tâchèrent d'obtenir du Saint Père
qu'il publiât une Bulle qui ramenât les
Eccléſiaſtiques à l'uſage qui avoit prévalu
(3) Pierius Valerianus , declam. pag. 10, edit.
Venet. 1604.
AVRIL 1765. 17
pendant les trois derniers fiécles ; & que
même le Cardinal Hippolite de Médicis ,
Vice - Chancelier de la Sainte Eglife ,
ordonna aux Prêtres de ſe raſer par provifion
, en attendant laBulle. Celui qui nous
apprend ces particularités , étant Prêtre
lui-même , & ayant une belle barbe à perdre
, plaida par écrit en faveur de ſes confreres
& de leurs barbes. La fermeté avec
laquelle_il s'expliqua me plut pas au Pape .
Mais enfin ( 4) on ne parla plus de la
Bulle projettée , & les barbes furent épargnées.
Ceci ne regarde que Rome & l'Italie ;
car en France Pasquier nous apprend
( Rech.v111, 9 ) qu'avant certain accident ,
arrivé à François I, les Prêtres ſe rafoient ,
& qu'un menton eccléſiaſtique chargé de
barbe auroit fcandaliſé : mais que le Roi
ayant mis la barbe à la mode , fur fon
exemple les Princes premierement , puis les
Gentilshommes , & finalement tous lesſujets
ſe voulurent former. Il ne fut pas que les
Prêtres neſe miſſent de cette partie : ce qui
eût été trouvé auparavantde mauvais exemple.
Il paroîtde-là que l'on ne trouvoit pas
bon que les Eccléſiaſtiques portaffent la
barbe bien longue. Cela ſentoit le faſte.
Lorsque le Cardinald'Angennes voulutpren-
( 4 ) Minitius Calvus, epift. ad Andr. Alciatum.
MERCURE DE FRANCE.
dre poffeffion de ſon Evêché du Mans , il
fallut des lettres de Juſſion en 1556 pour le
faire admettre avecfa longue barbe , parce
qu'il nepouvoitse résoudre à lafaire couper.
Chez les Grecs modernes le banniffement
& la perte de la barbe vont ordinairement
de compagnie. Les loix uniſſent
ces deux fortes de châtiment. Ce n'eſt qu'à
trente ans qu'il eſt permis chez eux de
porter la barbe pleine. Avant cet âge un
jeune homme ſe raſe les joues & le menton,
&conferve ſeulement les moustaches ,
mais il n'a pas la liberté de ſe raſer pour
la premiere fois quand bon lui ſemble ,
&quand le menton lui demange. Il faut
que l'Egliſe en ſoit avertie , & le Papas ,
ou Curé, a droit de réciter deux oraiſons
ſur la premiere barbe qui ſe coupe. Ces
deux oraiſons ſe trouvent ( 5 ) dans le
rituel des Grecs.
On apprend de nos vieux Hiſtoriens ,
que parmi nous la premiere barbe ne ſe
coupoit pas ( 6 ) ſans quelque cérémonie :
qu'on prenoit un parrain , comme pour le
baptême ; & que toucher la barbe à quelqu'un
, c'étoit l'adopter en quelque
forte.
( 5 ) Euchol . p. 378 , edit . Jacob . Goar.
(6) Du Cange , Differt. 22 , fur Joinville..
AVRIL 1765 . 19
VERS préſentés à Mademoiselle CLAIRON,
- gravés à la tête d'une contredanſe qui
porte lenomdecete célèbre Actrice, & qui
eftde lacomposition du fieur DES HAYES,
Maître des Balets de la Comédie Françoise
*.
LES muſes à l'envi ſe diſputoient la gloire
De réunir en vous ſes plus rares préſens .
Thalie a ſous vos traits mérité notre encens .
Euterpe à Melpomene a cédé la victoire ;
Et Clio plaça vos talens
Dans les faftes ſacrés du temple de mémoire.
Du fond du célèbre vallon
Terpficore à ſon tour vous offre fon hommage.
Elle a voulu que votre nom
Immortalifat un ouvrage
Que je n'oſois croire allez bon
Pour mériter cet avantage :
Daignez , en l'acceptant , confirmer le préfage.
Le Public ne dira pas non ,
Il a trop de plaiſir à célébrer Clairon.
Pour me refuſer ſon ſuffrage .
* La muſique de cette contredanſe eſt du ſieur Deſnoyers;
premier Danfeur au Théâtre François.
Par M.... Rouhier , connu en province
fous le nom de DESCHAMPS.
20 MERCURE DE FRANCE.
A un Chanoine qui trouve mauvais de ce
que je m'éloigne de lui au choeur.
DAMAMOONN , fi je laiſſe à l'office
Deux ou trois ſtales entre nous ,
N'en tirez nul mauvais indice ;
Ce n'eſt pas que je vous haïffe :
J'ai d'autres ſentimens pour vous.
A cinq ou fix pieds de diſtance
Si je me place tout exprès ,
Croyez que c'eſt par complaiſance
Et par égard que je le fais.
Il vous faut , ne vous en déplaife ,
Cet eſpace au moins pour cracher
Flairer du tabac , en mâcher ,
Et le rendre plus à votre aiſe.
Par un Chanoine des environs de Paris.
T
Qu'on permette ici une petite réflexion
àl'Auteur. Il ne fait s'il en eſt des égliſes capitulaires
majeures comme des ſubalternes ;
mais il trouve que dans celles- ci l'on ne ſe
gêne guères avec Dieu ni avec les hommes.
Un Chanoine dans ſa ſtale ſe regarde
comme chez lui , & ne fait nulle difficulté
d'y donner libre carriere àſespetitsbeſoins,
AVRIL 1765 21
ſuivant qu'ils ſe préſentent. Heureux
alors le voiſin , qui ayant quatre ou cinq
ſtales de relais à côté de lui , peut , à l'approche
de la tempête , gagner le large &
ſe garantir du naufrage inévitable auprès
des côtes !
Par un Chanoine des environs de Paris.
1
SUR un bavard impitoyable.
0N demande pourquoi Pliftène
Mâche perpétuellement
Certaine herbe forte qui rend
Sa bouche comme une fontaine ;
La raiſon , vraiſemblablement ,
C'eſt de peur que le feu n'y prenne.
Par un Enfant de choeur de la même égliſe.
SUR le Siège de CALAIS .
QU'ON u'on ne me vante plus ce Siége mémorable ,
Où la troupe des dieux , de ſang inſatiable ,
Aux aveugles humains inſpiroit des forfaits.
Homère rougiroit pour ſes dieux implacables ,
Pour ſes Héros cruels , pour ſes Rois intraitables ,
S'il pouvoit aſſiſter au Siége de Calais.
Par M. WARMĖ.
22 MERCURE DE FRANCE.
ODE pour l'ouverture d'un exercice littéraire
, foutenu à SA NT-HYPOLITE en
Languedoc le 30 Αοût 1764.
DIEU IEU du Pinde & de la lumière ,
Père des talens & du jour ,
Ouvre ta brillante carrière ,
Eclaire & remplis ce ſéjour ;
Contemple , au milieu de la lice ,
Cette jeune & noble milice ,
Qui cueille les lauriers des arts ;
Vois les Pollions de notre âge ,
Les exciter par leur fuffrage ,
Les animer par leurs regards.
Vois Montaran, de qui la gloire
Ferçant les ténèbres des temps,
Dans les faſtes de la victoire
Conſacre les faits éclatans.
Héros , protecteur des Orphées,
Pour éternifer vos trophées ,
Vous uniffez Mars & Phabus ;
Auſſi les maîtres de la lyre ,
Remplis d'un fublime délire ,
Vous offrent de nouveaux tributs.
:
2.
AVRIL 1765 .
Moitié d'un Héros magnanime ,
Noble épouſe d'un noble époux ,
Des mains de la brillante eſtime ,
Recevez l'encens le plus doux.
Et vous , qui marchez ſur ſes traces;
Vous , ſon ſang , ſous les traits des graces
Vous , ſes fils , ſous ceux des amours ,
Soyez l'eſpoir d'une déeſſe ,
Soyez la gloire du Permeſſe ,
Et le prodige de nos jours.
Miniſtres des ſaints tabernacles
Dont les exemples & la voix
Sont en même temps nos oracles ;
Nos guides , nos flambeaux , nos loix
Vous ſavez que les arts profanes ,
Sanctifiés par vos organes ,
Produiſent des fruits immortels ;
Et que les richeſſes fleuries ,
Qu'étalent nos jeunes prairies ,
Brillent même ſur les autels,
Vous que réclame l'innocence
Contre ſes puiſſans ennemis ;
Vous qui joignez à la balance
Le glaive vengeur de Thémis;
Trop ſouvent le parallogiſme ,
Dans les embuches du ſophiſme
12 MERCURE DE FRANCE.
ODE pour l'ouverture d'un exercice littéraire
, foutenu à SA NT-HYPOLITE en
Languedoc le 30 Août 1764.
DIEU IEU du Pinde & de la lumière ,
Père des talens & du jour ,
Ouvre ta brillante carrière ,
Eclaire & remplis ce ſéjour ;
Contemple , au milieu de la lice ,
Cette jeune & noble milice ,
Qui cueille les lauriers des arts ;
Vois les Pollions de notre âge ,
Les exciter par leur fuffrage ,
Les animer par leurs regards.
Vois Montaran, de qui la gloire
Perçant les ténèbres des temps ,
Dans les faſtes de la victoire
Conſacre les faits éclatans.
Héros , protecteur des Orphées ,
Pour éternifer vos trophées ,
Vous uniſſez Mars & Phabus ;
Auſſi les maîtres de la lyre ,
Remplis d'un fublime délire ,
Vous offrent de nouveaux tributs.
:
AVRIL 1765.
Moitié d'un Héros magnanime ,
Noble épouſe d'un noble époux ,
Des mains de la brillante eſtime ;
Recevez l'encens le plus doux.
Et vous , qui marchez ſur ſes traces;
Vous , ſon ſang , ſous les traits des graces
Vous , ſes fils , ſous ceux des amours ,
Soyez l'eſpoir d'une déeſſe ,
Soyez la gloire du Permeſſe ,
Et le prodige de nos jours.
Miniſtres des ſaints tabernacles
Dont les exemples & la voix
Sont en même temps nos oracles ;
Nos guides , nos flambeaux , nos loix
Vous ſavez que les arts profanes ,
Sanctifiés par vos organes ,
Produiſent des fruits immortels;
Et que les richeſſes fleuries ,
Qu'étalent nos jeunes prairies ,
Brillent même ſur les autels,
Vous que réclame l'innocence
Contre ſes puiſſans ennemis ;
Vous qui joignez à la balance
Le glaive vengeur de Thémis ;
Trop ſouvent le parallogiſme ,
Dans les embuches du ſophiſme
24 MERCURE DE FRANCE.
Eût entraîné votre équité ,
Si l'éloquence fructueuſe ,
Par ſa force majestueuſe ,
N'eût défendu la vérité.
O des arts céleste puiſſance !
L'univers te doit ſes attraits ,
L'hiſtoire te doit ſa naiſſance ,
La fiction ſes plus beaux traits .
Par toi le brûlant Démosthènes
Lance la foudre dans Athènes
Et Tullus l'arrache à Céfar ;
Tandis que ſur un lit de roſe ,
L'heureux Anacréon repoſe
Entre la lyre & le nectar.
:
7
Conſervez cette flamme active
Qu'un mortel apporta des cieux ,
Que votre ſageſſe attentive
Veille à ce dépôt précieux.
Magiſtrats , nos chères délices ,
Confuls , fous vos heureux aufpices ,
Elle jette un éclat plus beau ;
Et les rives les plus lointaines
De l'aftre qui luit dans nos plaines ,
Admirent le brillant flambeau.
Parmi les ſavans Teſtoſages ,
Arbitres des nobles travaux ,
N'a-t-on
AVRIL 1765. 25
N'a-t-on pas vu l'un de nos ſages
Etonner ſes pâles rivaux.
Sur ſon front j'apperçois encore
Les fleurs immortelles d'Ifaure
Illuſtre prix de ſes talens.
Hivers , reſpectez ſa couronne ;
Et vous , dont l'éclat l'environne ,
Feſtons , foyez toujours brillans .
Que n'ai-je le pinceau d'Appelles
Pour peindre ces jeunes beautés ,
Dont les grâces , toujours nouvelles ,
S'offrent ici de tous côtés.
En elles j'admire ſans ceſſe ,
L'accord heureux de la ſageſſe ,
Avec tous les dieux de Paphos ,
La jeuneſſe avec la décence ,
Les attraits avec la ſcience ,
Les Vénus avec les Saphos.
Je vois des guerriers redoutables ,
Fameux par leurs nombreux exploits ;
Je vois des ſavans reſpectables ,
Amis des vertus & des loix.
L'Olimpe eſt dans cette affemblée ;
Eſt- il ſurprenant que troublée ,
Notre muſe rampe à vos yeux ?
Mais qu'elle obtienne votre eſtime ;
La gloire auſſi-tôt la ranime ,
Son char l'enlève dans les cieux.
Vol. I. B
1
24
MERCURE DE FRANCE.
Eût entraîné votre équité ,
Si l'éloquence fructueuſe ,
Par ſa force majestueuſe ,
N'eût défendu la vérité.
O des arts céleste puiſſance !
L'univers te doit ſes attraits ,
L'hiſtoire te doit ſa naiſſance ,
La fiction ſes plus beaux traits.
Par toi le brûlant Démosthènes
Lance la foudre dans Athènes
Et Tullus l'arrache à Céfar ;
Tandis que ſur un lit de roſe ,
L'heureux Anacréon repoſe
Entre la lyre & le nectar.
7
Conſervez cette flamme active
Qu'un mortel apporta des cieux ,
Que votre ſageſſe attentive
Veille à ce dépôt précieux .
Magiſtrats , nos chères délices ,
Confuls , fous vos heureux aufpices ,
Elle jette un éclat plus beau ;
Et les rives les plus lointaines
De l'aſtre qui luit dans nos plaines ,
Admirent le brillant flambeau.
Parmi les ſavans Tectoſages ,
Arbitres des nobles travaux ,
:
N'a-t- on
AVRIL 1765. 25
N'a-t-on pas vu l'un de nos ſages
Etonner ſes pâles rivaux.
Sur ſon front j'apperçois encore
Les fleurs immortelles d'Ifaure
Illuſtre prix de ſes talens.
Hivers , reſpectez ſa couronne ;
Et vous , dont l'éclat l'environne ,
Feſtons , foyez toujours brillans.
Que n'ai-je le pinceau d'Appelles
Pour peindre ces jeunes beautés ,
Dont les grâces , toujours nouvelles ,
S'offrent ici de tous côtés.
En elles j'admire ſans ceſſe ,
L'accord heureux de la ſageſſe ,
Avec tous les dieux de Paphos ,
La jeuneſſe avec la décence ,
Les attraits avec la ſcience ,
Les Vénus avec les Saphos.
:
Je vois des guerriers redoutables ,
Fameux par leurs nombreux exploits ;
Je vois des ſavans reſpectables ,
Amis des vertus & des loix.
L'Olimpe eſt dans cette aſſemblée ;
Eſt- il ſurprenant que troublée ,
Notre muſe rampe à vos yeux ?
Mais qu'elle obtienne votre eſtime ;
La gloire auſſi-tôt la ranime ,
Son char l'enlève dans les cieux.
Vol. I. B
26 MERCURE DE FRACE.
1
MADRIGAL à Mademoiselle F... G.
VOUS ous qui joignez à l'avantage
D'être à peine dans vos vingt ans ,
Toutes les grâces du printems
Et la maturité de l'âge ;
Fille d'un père vertueux ,
Qui conduit Thémis égarée
Dans le dédale tortueux
Qu'élève la fraude abhorrée ;
Vous ſavez que les premiers coups
Que porta contre moi l'envie
Pour le fupplice de ma vie
Belle Eglé , tomberent fur vous .
Par une invention peu juſte
On dit que fat , écervellé ,
Me promenant avec Eglé ,
Je la prenois pour un arbuste.
Hé bien ! au gré d'un vil brouillon
J'adopte la métamorphoſe.
Arbuſte du ſacré vallon ,
J'apperçois l'amour qui repoſe
Sous vos rameaux que l'aquilon
Voudroit agiter , & qu'il n'oſe ,
Et je vous vois , comme Apollon
Voit Daphné dans un laurier roſe.
Par le même.
1
AVRIL 1765: 27
IMPROMPTU à une Dame qui demandoit
à l'Auteur pourquoi il n'aimoit pas une
Demoiselle nommée LISE.
LISISEE a de l'eſprit , je l'avoue ,
Life a les yeux pleins de vivacité ,
Liſe eſt charmante , en vérité ;
Mais elle aime trop qu'on la loue.
Par M. D'ABANCOUR.
ЕРІТАРНЕ pour M. RAMEAU.
POUR Our l'épitaphe de Rameau
Chacun exerce ſon génie :
Un vers ſuffit dans ce tombeau
Cy gît le Dieu de l'harmonie.
Par le même.
VERS à Madame BAUR *** , fur ce
qu'elle avoit fait donner la liberté à un
Noir.
D'UN malheureux réduit à la captivité ,
Généreuſe B *** , vous briſez les entraves ;
Vos yeux ont fait aſſez d'eſclaves ,
Pour en mettre un en liberté.
J****
Bij
MERCURE DE FRANCE.
MADRIGAL à M*** fur ce qu'ilse glorifioit
un jour d'être fidèle àfon épouse,
qui s'appelle ROSE.
D
EPUIS qu'himen à Roſe t'a lié ,
Plus tu ne cours de belle en belle ,
Mais bien ton coeur brûle pour ta moitié
D'une flamme toujours nouvelle ;
De ta fidélité , Damon ,
La preuve n'eſt pas étonnante ;
Conſtant doit être un papillon
Sur une fleur auſſi charmante.
DOMICILLE.
SUITE des Lettres d'une jeune Etrangère ,
furquelques modes & usages de France (1 ).
(Cette Lettre traite de l'origine & des
progrès du panier en France. )
NOUouSs ne pouvons nous le cacher,ma
chère Miss : c'eſt notre patrie qui a fourni
à la France les premieres notions de cette
( 1 ) Ces Lettres ont été interrompues par l'abſence
de la jeune perfonne qui les communique,
AVRIL 1765. 19
۱
bizarre machine , qu'on a très-bien nommée
panier , relativement à ſa forme & à
la matière qu'on y employoit d'abord. Je
me ſuis ſouvent étonnée que le nom ſeul
de cet ajuſtement n'en ait pas fait fentir
tout le ridicule. Je me trompois , Miss ;
de tous les ridicules , celui dont certains
individus de notre ſexe rougiroient le plus ,
ſeroit de n'en pas avoir chaque jour un
nouveau. Les antiqués vertugadins , que
les femmes de ce ſiècle trouvoiènt ſi groteſques
en peinture , convertis en mannequins
, leur parurent la plus galante & la
plus agréable de toutes les inventions. Un
léger moyen de foulever les vêtemens , que
la commodité ou l'agrément avoit introduit
parmi nous , étant parvenu en France ,
il n'y reſta qu'un inſtant conforme à fa
foible origine. La preſteſſe de l'oeil eut
peine à ſuivre la rapidité de ſes progrès :
une modique ampleur parvint tout- àcoup
à cet énorme étalage que l'on a vu.
Le panier devint une marque de diftinction
, de rang ou d'opulence. Il n'en falloit
pas davantage pour en multiplier l'eſpéce ,
& pour en accroître, à l'envi , les dimenſions.
J'ai entendu dire que cette ambitieuſe
émulation de ſe diftinguer avoit
tellement étendu ces vaſtes cerceaux, qu'une
femme ne pouvoit plus paffer de front dans
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
un grand nombre de rues de la capitale.
En très -peu de temps toutes les Françoiſes
ſe trouverent plantées juſqu'à la ceinture
dansde larges mannequins , tels qu'on voit
de foibles arbriſſeaux dont les têtes légeres
s'élévent au- deſſus des grandes caiſſes qui
enenvironnent le pied. De proche en proche
la contagionde la mode ſe communiqua,
& l'Europe féminine ſe trouva plus
ou moins amplement encaiffée. Cettemode
s'eſt maintenue beaucoup plus de temps
qu'aucune autre, malgré ſes incommodités.
Cependant peu à peu on diminua la circonférence
des cercles pour la chambre &
pour les courſes de pied. Il couroit déja
d'affez mauvais bruits ſur l'embarras des
paniers , lorſqu'on s'aviſa d'en débarraffer
le Théâtre François , en voulant y introduire
dans les habillemens le costume des
Peintres & des Sculpteurs. Tu crois peutêtre
que ce fut une entrepriſe fort facile
d'accoutumer les femmes en France , &
îmême une partie des hommes , à croire
qu'Andromaque , Cornélie , Agrippine ,
Roxane , Alzire , &c. puſſent paroître
avec quelque dignité ſur la ſcène fans un
grand panier , & qu'à l'Opéra Junon ,
Armide& Iffé fans cette pompe ne fuffent
pas de franches grifettes ? Ehbien il fallut
pour cela perfuader des actrices , les unes
1
AVRIL 1765. 31
par le raiſonnement , les autres par pluſieurs
fortes de ſéduction ; diſputer contre
les ſpectateurs , écrire , parler , faire rougir
l'ignorance & le mauvais goût , intéreſſer
l'amour - propre. Malgré tant d'efforts ,
fans la nouveauté du terme de costume ,
que bien des gens prirent pour nouveauté
de modes & favoriſerent en conféquence ,
on ne feroit jamais parvenu à établir cet
uſage. Mais , comme avec le peuple François
il ne faut qu'être plus opiniâtre pour
lui faire croire qu'on eſt plus éclairé , peu
à peu les paniers ont été bannis du théâtre ,
au moins dans les piéces dont les ſujets
font tirés de l'antiquité , ou dont les perfonnages
font étrangers à l'Europe. Ils ne
ſe ſont maintenus qu'à l'Opéra dans les
danſes , à cauſe de la facilité que procure
leur choc mutuel dans de grands ballets
fur de petits théâtres. Cette réduction
d'ampleur dans les héroïnes ſur la ſcène
a été prête à produire une révolution
dans la parure des femmes du grand
monde : elles avoient toujours entrevu ce
qu'elles facrifioient d'aiſance , & qui plus
eſt , de plaifir à la majeſté du grand panier.
Cet appareil , fans lequel nulle femme
de diſtinction ne pouvoit paroître , étoit
un fâcheux obſtacle à la douceur de n'être
pas toujours ſi diſtinguée. Les hommes ,
Biv
$32 MERCURE DE FRANCE.
deleur côté, avoienttotalementabandonné
ces larges évantails que formoient les bafques
de leurs habits. Quelques femmes
diminuerent le volume de leurs paniers ;
quelques-unes eurent même le courage de
les fupprimer tout-à-fait. Divers noms en
indiquerent les différentes réductions. On
haſarda d'aller ainſi dans les jardins publics
&à quelques viſites familieres , mais
à certaines heures , fans conféquence pour
la cérémonie. Enfin , à l'imitation de la
ſcène héroïque , la ſociété civile alloit
franchir l'eſpace qui reſtoit entre la réforme
&la fuppreffion totale du grand panier ,
lorſque l'auſtère étiquette vint crier a
l'indécence , à l'oubli de tous égards , &
du reſpect dû à certains lieux & à certaines
perfonnes. En effet , comment obferver
ces bienféances ſans être habillée ; &
comment être habillée ſans un vaſte panier ?
Tu ne conçois pas plus que moi le rapport
qu'il y a entre quatre aulnes & demie de
pourtour dans le bas de la figure , & le
reſpect ou même les égards qu'une femme
veut marquer. Tu ne vois pas ce qui intéreffe
fi fort la décence dans une machine
qui ſoutient nos juppes en l'air. Viens
interroger les grandes maîtreſſes du cérémonial
françois , ces têtes ſenſées , qui
décident ſouverainement fur des régles
AVRIL 1765 . 33
dont elles n'ont jamais ſoupçonné les principes.
Elles t'apprendront qu'une femme
n'eſt point habillée quand de longs vêtemens
drapent & couvrent ſes jambes. Cer
état eſt celui d'un négligé trop familier
pour les grandes occafions. On en eſt venu
cependant à tolérer ce négligé à table ,
aux promenades publiques , à certaines
places du ſpectacle qui n'exigent pas le
grand appareil ; mais on a trouvé unmoyen
proportionnel entre l'état de cérémonie&
labienféancede ſimple conſidération. C'eſt
ce dernier nom que portent certains petits
accoudoirs ou paniers tronqués qui ne pafſent
pas les hanches , mais les rendent feulement
trois ou quatre fois plus groſſes que
la nature ne les donne dans ſes plus fortes
conformations. Tu ſens bien donc qu'avec
une conſidération on peut aller par-tout où
le reſpect n'eſt pas exigible. Par-tout où
l'on ſe permet la familiarité , on peut , par.
lamêmeraiſon , fupprimer la conſidération.
Quand on va juſqu'à la bonté , je crois
qu'on a plus encore à ſupprimer. Je ne
fuis pas affez bien inſtruite du coftume
intime des Dames Françoiſes pour rien
affirmer ſur ce dernier point. Je crois au.
reſte qu'elles n'en uſent ainſi qu'à l'égard.
des hommes , car elles ſe conſidérent trop
Bv
34
MERCURE DE FRANCE.
les unes les autres pour employer entre
elles l'étiquette de la bonté.
Tu vois bien que j'ai mis fous tes yeux
toutes les gradations de l'habillement des
Françoiſes : pour le grand cérémonial , le
grand panier ; pour le petit , la confidération
; pour la familiarité, la ſeule robe &
lejuppon. De tout ce que m'ont appris
fur cela les ſavantes en bienféances , tu
concluras avec moi que lorſqu'on rencontre
dans un carroſſe une femme qu'on n'y
apperçoit pas , mais dont on voit par chaque
portiere le deſſous des juppes , c'eſt- là
la grande décence. Lorſqu'à l'entrée d'un
ſpectacle ou d'une promenade les femmes ,
endefcendant de voiture , laiſſent meſurer
des yeux toute l'étendue de leurs jambes
aux oififs curieux poſtés pour cela , elles
font encore dans l'état de grande décence.
Mes doutes fur la folidité des raiſons qui
réglent tous ces uſages ont paru ſi abſurdes
aux femmes qui prenoient la peine de
m'inſtruire , qu'elles n'ont pas daigné
prendre celle d'y répondre autrement que
par, cela est reçu , il faut s'y conformer.
C'eſt un axiôme qui fatisfait à tout ici. Je
prévois delàque le fort des modes prépare
d'avance , dans la coëffure des Françoiſes ,
un très-grand moyen de ſuppléer aux pa
AVRIL 1765 . 35
niers (s'ils viennent à être proſcrits ) pour
marquer les diſtinctions du cérémonial.
Ces monts de chevelures , que les femmes
menacent d'élever juſqu'au ciel , ont fait
des progrès étonnans depuis que je t'en ai
parlé dans mes premieres lettres. Malgré
la perte des -phiſionomies , malgré le renverſement
de toutes proportions , qui rend
aujourd'hui les femmes les mieux faites
autant de bamboches , dont le viſage ſe
trouve placé preſque au milieu de la figure;
l'altière coquetterie de ces nouveaux petits
Titanseſtconvenue généralement d'ajouter
chaque jour de nouveaux rangs de cheveux
fur la tête. Or il n'eſt pas plus difficile que
cette pyramide chevelue ſignifie tout ce
qu'on a fait fignifier aux dimenſions du
panier. Alors la conſidération des Dames
Françoiſes ſeroit en hauteur au lieu d'être
en largeur ; je n'y vois pas grand mal .
Elle ſe meſureroit par pieds & par pouces
au lieu de ſe meſurer à l'aulne. Qu'importe?
Tout fera dans l'ordre dès qu'on pourra
dire , cela est reçu. J'oubliois de te parler
d'un effet encore plus merveilleux des
conventions. Si tu lifois dans quelque
voyageur qu'il y a un peuple aux Indes ,
ou ailleurs , parmi lequel les femmes , par
pudeur , ſe cachent les mains dans des
peaux & ſe découvrent la gorge ; que tu 4
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
rirois avec pitié de ces pauvres gens ! c'e
néanmoins ce qui ſe pratique ici fort férieuſement.
Une femme ne peut , fans
violer toute bienféance , ſans manquer à
foi & aux autres , ſe préſenter en lieu honnêre
les mains nuës ; mais dès qu'elle entre
au ſpectacle , ou dans quelqu'aſſemblée que
ce foit, il faut qu'elle dépoſe auſſi - tôt
mantelet , peliffe , &c. en un mot , tout
ce qui voileroit tant foit peu le nud de la
poitrine&des épaules. Ce feroit une choſe
affez curieuſe à rechercher que la caufe de
l'importance qu'on a attachée aux gands
pour le cérémonial & la décence. L'ordre
naturel qui ſemble avoir indiqué cette
enveloppe , uniquement contre les intempéries
de l'air , ne la rend-elle pas ſuperflue
& même affez ridicule lorſqu'on a
plus à ſe défendre contre la chaleur qu'à
fe préſerver du froid ? Malgré cela je t'affure
que , fans ſavoir pourquoi , & fans
en rendre raifon , les femmes inftruites ne
conçoivent pasque l'on puiffe honnêtement
montrer ſes mains en public. J'en ai entendu
très férieuſement ſe plaindre des progrès
dudéfordre &de l'effronterie,depuis qu'au
théâtre les actrices , dans certains caractères
, ofent paroître ſans gands & vêtues
juſqu'au col. Les petits chagrins des hommes
fur cela ne m'étonnoient pas ; mais
AVRIL 1765 . 37
je t'avoue que la critique de ces Dames
m'a confondue.
Il me reſte , je crois , fort peu de choſe
à ajouter pour achever de te peindre les
Françoiſes dans tous les momens du jour
&dans toutes les ſituations où elles ont
à remplir les devoirs de la ſociété , ou plutôt
le vuide de leur exiſtence. Adieu , ma
chère Miss ; applaudiffons-nous en ſecret
d'avoir éré élevées de bonne heure à voir
les objets de tantd'illuſions ſous leur véri
table forme. Je ſuis toujours ta plus tendre
amie , &toujours occupée de toi au milieu
de la diffipation de cette ville , &c.
LE. Papillon & la Fleur, fable.
UNN papillon careſſoit une fleur.
Il alloit , revenoit , folâtroit autour d'elle ;
Tantôt mariant ſa couleur
Avec les couleurs de la belle ,
Et tantôt exhalant la fraîcheur du zéphir
Par le battement de ſon aîle.
Rien ne pouvoit décourager ſon zèle:
Il étoit fort de l'eſpoir du plaifir .
De tous ces jeux notre fleur fut émue :
Rien de fi beau que le petit badin
Qui demandoit à loger dans ſon ſeing
38 MERCURE DE FRANCE .
De Vénus même il eût charmé la vue ,
Et s'il pouvoit un inſtant être heureux ,
Il n'eût jamais ceffé d'être amoureux.
La fleur qui naît eſt fraîche comme roſe;
Mais il n'a point vécu , ne peut ſavoir grand
choſe:
Or notre fleur , à peine écloſe ,
Ouvre un beau ſein paré de mille attraits.
Le papillon qui voltigeoit auprès ,
Sur elle un inftant ſe repoſe ;
Mais il avoit à peine effleuré ſes appas ,
Qu'on entendit la belle
Soupirer après l'infidelle
Qui voltigeoit au loin , & ne l'écoutoit pas.
Beauté naiſſante eſt cette fleur novice ,
Qui d'un beau papillon ignorant l'artifice ,
De ſes propos ſavoure les douceurs ,
Et s'expoſe aux mêmes douleurs .
IN effigiem FREDERICI MAGNI ,Pruffſia
Regis.
Rex , homo , quid poffint , tu Frederice doces.
CE que pouvoit faire un grand Roi ,
Tout ce qu'un homme pouvoit être ,
On l'ignora , Frederic , juſqu'à toi ;
Il t'étoit réſervé de le faire connoître.
Par l'Auteur de la fable des
Tourterelles & des Enfans.
AVRIL 1765.. 39
VERS adreſſés à M. DE BELLOY , fur
fa Tragédie du SIEGE DE CALAIS.
To1, or , dont le fublime génie ,
Vient de nous retracer les Héros de Calais ,
Je t'offre le tribut que te doit la Patrie.
Quiconque la chérit , quiconque est né François ,
Doit reconnoître au fond de ſon âme attendrie
Les mêmes fentimens dont tu nous peins les traits .
Quel eſt le Citoyen , qui voyant ton ouvrage ,
Pourroit ne pas aimer ſon Prince & ſon Pays ?
Le Maire de Calais , par un noble afſemblage ,
Nous preſcrit des devoirs , élève le courage ;
Les plus grands intérêts en lui font réunis.
Qui pourroit à tes vers refuſer ſon ſuffrage ?
J'ai lu dans les regards du ſpectateur ſurpris ,
( De l'âme , à ce qu'on dit , les regards ſont
l'image )
J'ai vu dans tous les yeux l'eſtime de l'Auteur ,
Digne prix des vertus , du talent & du zèle ,
C'eſt une faveur immortelle ,
Préférable cent fois à ce bruit impoſteur
Que prodigue ſans choix la cabale ou l'erreur :
La nouveauté le forme , il s'envole avec elle.
Ton ſuccès eſt plus pur , ta gloire plus réelle.
Qui te couronne ? c'eſt l'honneur,
MERCURE DE FRANCE.
>
Le François , enchanté de retrouver ſon coeur
Dans l'âme d'un Héros qui s'offre à ſa Patrie
Avec raviſſement t'applaudit & s'écrie :
Voilàmes ſentimens , mon amour pour mon Roi!
Ainſi que ce Vieillard , pour lui prouver ma foi
Je ſuis prêt à donner & mon fang & ma vie .
Oui , nous penſons ainfi , juge de nous par toi ;
Juge fi nous devons protéger ton ouvrage.
Pour l'honneur des François qu'il paſſe d'âge en
âge ,
Et conduiſe ton nom à l'immortalité ,
Citoyen vertueux , ſavant ſans vanité.
Acet éloge mérité.
La rougeur couvre ton viſage !
Je me tais , & je laiſſe à la poſtérité
Le ſoin d'en dire davantage.
....
ROUHIER , connu en province
fous le nom de DESCHAMPS.
AVRIL 1765 .
A Madame D ...... fur l'amitié.
ECOUTEZ , Madame , & mettez-vous
en colère ; la raiſon vous le permet , le
ſentiment vous y excite. O mes amis !
s'écrivit Ariftote , il n'eſt plus d'amis.
Comptez les fiécles depuis ce Philoſophe ,
& voyez un peu à quelle étrange difette
l'amitié doit être réduite dans le nôtre.
Si les amis étoient déja ſi rares il y a deux
mille ans , ils le font donc infiniment
davantage aujourd'hui , car , choſe trèsfûre
, nous ne valons pas mieux , à beaucoup
près , que nos pères du temps d'Arif
tore. Comment , quand on y penſe du
coeur , ne pas fe déſeſpérer ? Il n'y a cependant
pas moyen de douter de cette
triſte vérité ; nous en ſommes tous, plus
ou moins , les auteurs & les témoins .
On comptoit autrefois un Achille & un
Patrocle , un Théfée & un Pirithoüs , un
Oreste & un Pylade , un Pythias & un
Damon , &c. ces noms ſi reſpectables ne
ſe ſont tranfmis prefqu'à perſonne dans
les fiécles fuivans. Le ſeul Péliſſon , ſous
le règne de Louis XIV, a mérité d'être
aflis auprès de ces Héros dans le temple
42 MERCURE DE FRANCE.
de l'amitié : mais quelle honte pour l'humanité
! quel deshonneur pour le fiéclede
Louis le Grand , d'ailleurs fi floriſſant , de
n'avoir produit qu'un ſeul homme digne
de la célébrité du nom d'ami !
On cultive les arts & les ſciences ; on
veut devenir philoſophe ; on prétend aux
connoiffances les plus fublimes & les plus
abſtraites ; on aſpire même à l'encyclopédie
: de tous côtés enfin l'on court après
l'eſprit ; & le coeur, ſans lequel l'eſprit
n'eſt rien , ou que très-peu de choſe , à
peine ſe trouve-t- il quelqu'un qui ſe faſſe
honneur de le former aux fentimens. C'eſt
cependant de cette éducation du coeur que
dépend le bonheur général & particulier
des hommes. Ne feroit-il donc pas plus
glorieux d'être honnête homme & ami
vrai, que de ſavoir expliquer une médaille
de Caracalla , ou d'imaginer l'Oracle des
Philofophes?
Chez les Scythes & les Grecs , l'amitié
étoit une vertu ; chez nous elle n'eſt plus
qu'une politique de convenance , dont le
beſoin & l'intérêt font les principes. Voilà
comme nous avons l'eſprit de changer
l'effence des chofes , & d'apprendre à devenir
amis , comme on devient communément
docteur , en ſubſtituant le nom à
la réalité. Ne croyez pas , Madame , que
AVRIL 1765. 43
ce ſoit là unde ces paradoxes emphatiques ,
dont le célèbre miſantrope de Geneve a
renouvellé l'eſpèce , & que ſon éloquence
a rendus fi vraiſemblables ; jettez ſeulement
un coup d'oeil ſérieux fur les amis
de la Cour & de la Ville , & vous ferez
bientôt convaincue que je n'avance rien
que d'après l'expérience générale & journalière.
Vous me direz peut-être que le Chevalier
de Bourdin & le Chevalier de Reyde
Soupat ont fait revivredepuis peu dans
leurs perſonnes les Pythias& les Damon ,
les Pylade & les Oreste , & qu'il eſt ſaris
doute encore de ces belles âmes, capables
d'une amitié vraie , folide & courageufe :
j'en conviens, Madame ; mais ces exceptions
, fi confolantes d'ailleurs , font en
même temps ſi rares , qu'elles ne prouvent
abfolument rien , ni en faveur de nos
coeurs , ni pour l'excuſe de nos moeurs . Ce
font des phénomènes qui ne font ſfur nous
qu'une impreffion paſſagère. Ils nous étonnent
, nous les admirons , & nous en reftons-
là. La gloire & le plaifir d'imiter de
ſi beaux exemples nous coûteroient apparemment
trop cher. Il en eſt de ces procédés
d'une amitié conſtanté & généreuſe ,
comme des ſentimens héroïques que nous
entendons déclamer ſur la ſcène. On courc
14 MERCURE DE FRANCE.
au ſpectacle ; on s'attache aux Héros repréſentés
; on ſe ſent ému ; on s'attendrit
quelquefois juſqu'aux larmes , & l'on revient
chez foi , ou pour critiquer la piéce ,
ou pour en parler avec emphaſe , ſans ſe
ſouvenir ſeulement , ni des modèles de
vertu qu'elle vient d'expoſer , ni des leçons
pathétiques dont elle eſt remplie.
On lit de même l'hiſtoire de Damon &&
de Pythias , ou celle des Chevaliers de
Bourdin & de Soupat ; mais c'eſt du gothique
pour les uns , & pour les autres ce font
de ces événemensdont on feroit une belle
piéce de théâtre , & fur lesquels il n'eſt
plus ni ſage ni prudent de régler ſes ſentimens
& fa conduite. Que quelques coeurs
philofophes & finguliers s'en affectent tout
debon ; qu'ils s'efforcentd'imiter ces traits
héroïques , à la bonne heure : le ton du
ſiècle , l'eſprit & les moeurs de la nation
ne permettent pas que l'on ſoit des amis
renouvellés des Grecs. L'amitié eſt un don
du ciel , & l'on n'a plus aſſez de religion ,
ni pour le defirer dans ſon coeur , ni pour
l'eſtimer dans celui des autres .
Ces réflexions m'inſpirerent hier , au
fortir d'un cercle de beaux eſprits , une
indignation ſi vive contre l'amitié de nos
jours , que je fis ſur le champ , moi , qui
fuis ſi peu poëte , les ſtances ſuivantes.
AVRIL 1765.
Permettez - moi , Madame , de vous les
adreſſer , non pas comme un impromptu ,
mais ſous le titre plus fimple & plus vrai
d'Humeur contre la rareté des vrais amis.
L'amitié , dont vous m'honorez , eſt le
plus heureux contraſte que je puiſſe leur
donner.
RIEN n'eſt plus doux que l'amitié
Rien auſſi , Zirphé , n'eſt plus rare
De ce don le ciel même avare ,
Ne forme un ami qu'à moitié.
Jadis David & Jonathas ,
Il en faut croire l'Ecriture ,
D'une amitié conſtante & pure
Saimerent juſques au trépas.
Phanor aimoit ainſi Lausus ,
Et Pylade le triſte Oreste ;
L'hiſtoire antique nous l'atteſte
Hélas ! le temps paflé n'eſt plus.
D'ami la tendre qualité
N'eſt aujourd'hui qu'une épithètes
L'amitié n'eſt plus qu'un ſquelète ,
Sans âme & ſans ſolidité.
Sur de frivoles complimens ,
Des dons , des airs , une embraffade
46 MERCURE DE FRANCE.
Chacun d'être ami fait parade ,
Et nul n'en a les ſentimens .
Envain dans ce ſiècle pervers ,
A trouver un coeur on inſiſte ;
C'eſt s'attendre à l'or d'un Chymiſte ,
Et me demander de bons vers .
Pour finir plus agréablement ma lettre ,
voici , Madame , la belle idée que les
Romains s'étoient faite de l'amitié. Ils la
repréſentoient ſous la figure d'une jeune
femme , vêtue d'une tunique blanche , fur
le bord ou la frange de laquelle on liſoit
ces mots , la mort & la vie. Sur fon front
étoient gravés ces autres mots , l'été &
l'hiver. Elle avoit le côté ouvert juſqu'au
coeur , qu'elle montroit du doigt , avec
ces mots , de près & de loin.
Rien de mieux penſé ni de plus pittoreſque
que cet emblême ; il caractériſe
parfaitement l'amitié ; il en exprime éloquemment
la vivacité & la candeur , la
générofité & la conſtance. C'eſt dommage
qu'on n'en puiſſe pas faire honneur au
coeur des Romains. On trouve dans leur
hiſtoire beaucoup de Héros & très - peu
d'amis. Scipion - Emilien eſt preſque le
ſeul de qui elle diſe , qu'il étoit un grand
homme & un bon ami. Tant il eſt vrai ,
AVRIL 1765. 47
Madame , que la plus belle théorie de la
vertu n'en prouve pas toujours la pratique.
Les hommes à cet égard reſſemblent affez
à ces Architectes qui dreſſent des plans
d'édifices magnifiques , &qui les exécutent
rarement .
J'ai l'honneur d'être ſans emblême &
avec le reſpect le plus tendre & le plus
fincère.
Du P... R. B.
LETTRE à M. DE BELLOY , auteur de la
Tragédie du SIEGE DE CALAIS.
JE reviens , Monfieur , émerveillé de la
belle Tragédie que vous avez donnée ,
non- ſeulement au Public littéraire , mais
encore à la France entière. Autant qu'on
peut juger d'un ouvrage , je trouve votre
Tragédie , à peu de choſe près , une des
meilleures qui ſe ſoient faites dans ce
fiècle , & digne par bien des endroits de
trouver place parmi celles du grand Corneille
; je penſe tout cela.
Il ſeroit naturel à préſent que je vous
rendiſſe compte des motifs de ce jugement,
&même de quelques légères imperfections
que j'ai cru appercevoir dans cette piéce ;
48 MERCURE DE FRANCE.
mais je ne ſuis point tragédien , & naturellement
peu critique , fur-tout vis-à-vis
d'un chef-d'oeuvre. D'ailleurs , l'homme
de l'art qui a créé ces beautés , & que l'on
dit par-deſſus le marché modeſte & fage ,
peut , felon moi , mieux que perfonne ,
juger fon oeuvre & la perfectionner.
En général le ſujet m'a paru grandement
tracé , les caractères noblement fentis
, l'action fort ſuivie , graduellement &
vivement intéreſſante. Vos perſonnages ,
qui ne s'effacent point les uns des autres ,
mais plutôt qui ſe prêtent réciproquement
le jour & l'ombre qui conviennent à leur
rôle , ne ſont pas de ceux qui ſe contentent
de parler dans le dialogue , à la manière
de preſque tous nos auteurs modernes.
Ils raiſonnent continûment ; ils penfent
fortement , & s'expriment de même
avec toute l'étendue & dans les bornes du
ſujet où ils agiſſent. C'étoit-là le grand
artde Corneille, undes hommes du monde
qui a eu le génie le plus politique ; cet
art ne s'eſt plus retrouvé depuis dans ceux
qui lui ont fuccédé.
Vousavezdonc, Monfieur, cette grande
reſſemblance avec le premier homme du
théâtre françois : vous avez écrit héroïquement
un ſujet héroïque ; mais ce qu'il y
a de remarquable , c'eſt que vous avez
puifé
AVRIL 1765. 49
puiſé les exemples de votre héroïſme dans
votre propre nation , & que Corneille a
toujours pris les fiens chez les Romains ,
comme étant le premier peuple de l'univers.
Cet Auteur écrivoit dans un temps
où il vouloit ſans doute nous propofer un
plus haut modéle que nous ; aujourd'hui
nous ſommes peut-être à nous-mêmes ce
modéle plus relevé , qu'il nous faut préfenter
: en un mot , vous avez eu la gloire ,
Monfieur , de fentir la grandeur de votre
propre pays , & l'honneur d'employer la
puiſſance de cet exemple. Votre Tragédie
n'eſt pas ſimplement un beau drame , c'eſt
un fenfible & magnifique éloge , au beſoin
une leçon. Ainſi vous élevez dans un même
ouvrage un monument à la ſcène françoiſe ,
&un autre à la nation ; vous honorez à
la fois votre coeur & votre génie.
Que votre pinceau est vrai , & que vos
idées font juſtes ! nos rivaux de gloire &
de puiſſance , en ſe montrant avec tous les
caractères que méritent leur valeur & les
hauts fentimens de leur liberté , font effacés
par la France , juſque dans leur propre
triomphe , par un endroit qui ne les dépriſe
pas , & qu'ils font forcés eux-mêmes
de reconnoître ; je veux parler de l'afcendantde
notre conſtitution fur la leur , toute
admirable qu'on nous la repréſente. Celle
Vol. I. C
50 MERCURE DE FRANCE.
(
des Anglois eſt toute bâtie ſur les loix ;
la nôtre , avec le même appui , paroît encore
plus fondée ſur notre amour pour nos
maîtres. C'eſt ce ciment merveilleux qui
fait une vertu , un génie national , & qui
produit une puiſſance que nulle autre puifſance
n'égale. On dit que le mot depatrie
eſt un mot affez moderne dans notre lanque
,
relativement à nous , & fort nouveau
dans nos idées ; plaiſe au ciel qu'il le foit
toujours ! notre patrie eſt dans notre Roi
réuni à ſes ſujets . La France , comme vous
l'avez très - bien dit, eſt moins un état
qu'une famille ; c'eſt un père , & non un
maître qui nous gouverne : nous ſommes
fes enfans bien plus que ſes ſujets. C'eſt
ainſi que nous nous plaiſons à voir nos
Souverains , & qu'euxà leur tour ont toujours
enviſagé leur royaume. C'eſt une
loi écrite dans l'âme des François , fort
au-deſſus de toutes les loix. Nous rapportons
à nos Rois tout l'Etat , de même que
fa grandeur , & leurs droits & leur puifſance
n'ont d'autres børnes que celles mêmes
de notre amour : ceci vaut bien une
conftitution , puiſque ce font nos coeurs
mêmes qui font ainſi conſtitués. Voilà les
François ; voilà la France. Ah , Monfieur !
que ceux qui méconnoîtroient ce beau
AVRIL 1765 . Γ
rer..
caractère , & qui viendroient à le défigu-
Mais brifons là-deffus , &
revenons à vous & à votre mémorable
ouvrage , qui eſt ſi beau , & fait fi à
propos. Comme Auteur , vous vous êtes
fait un nom célèbre ; comme François ,
vous vous êtes acquis un titre éternel à la
reconnoiſſance des François. Votre Tragédie
eſt une oeuvre pour l'Etat , un bienfait
à la Monarchie ; mais auffi , Monfieur
, rendez graces à la Province qui ,
en vous faifant naître dans le ſein de cet
Etat , vous a donné lieu d'honorer votre
plume d'une production ſi précieuſe, c'eſtà-
dire , foyez encore plus jaloux de votre
titre de François que de votre ouvrage .
Nous venonsd'apprendre que notre Roi,
après avoir demandé la repréſentation de
votre Tragédie à ſa Cour , l'a applaudie , &
l'a enſuite récompenſée. C'eſtſans doute un
grand honneur ; mais j'y vois quelque choſe
de plus , c'eſt l'effet ſur ſon coeur , des touchantes
images des prérogatives de ſa couronne.
Tout langage de ſujet à part , on devoit
en être bien für avec un maître telque
le nôtre. Voilà donc le butde votre ouvrage
rempli ; il a touché le maître comme les
ſujets : voyez l'immenſité de votre ſuccès
dans cellede nos obligations : vous nous
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
avez valu , Monfieur , un acte d'amour de
ſa part , après en avoir fait porter mille
vers ſa perſonne ; c'eſt comme s'il eût dit :
« Oui , je reconnois là mon Empire , l'ef-
>>>prit de mes ancêtres , le caractère de
> mes peuples , je règne pour être aimé
> d'eux. C'eſt ainſi que ma puiſſance me
>>plaît : nulle autre ſur la terre ne lui eſt
» comparable » . Oui , Monfieur , il l'a
dit , & qui pourroit en douter après ce
qu'il vientde faire ? & c'eſt votre ouvrage
qui a fait prononcer cette belle fanction
entre les François & leur Roi ; un ſimple
Maire de Calais , avez-vous dit le premier,
ſauve la France par un attachement héroïque
pour fon Prince. Un Auteur tragique
ſous le préſent règne , en conſacrant ces
traits d'hiſtoire , fait dire au maître & aux
ſujets : « Ah ! ſoyons toujours ce que nous
» avons été , &que nous gardions à jamais
> cette conſtitution unique , qui nous fair
puiſer la force au fein même de notre
" amour " . Voilà le feu ſacré de ce
royaume ; on le voit briller tout- à- coup ;
& c'eſt vous , Monfieur , qui l'avez entretenu
, ou peut- être renouvellé.
Je m'arrête là : ſi j'avois pu vous mieux
louer , je l'aurois fait , par reconnoiſſance
pour votre piece : elle m'a dicté tout ce
AVRIL 1765. 53
que je viens de vous écrire. Je ſuis François
, & je ſens que je vous reſſemble par
le coeur.
Paris , 25 Février 1765 .
J'ai l'honneur d'être , &c .
SUR L'AMOUR.
L'AMO 'AMOUR n'eſt point ce fantaſque defir,
L'amour n'eſt point cette fureur ſoudaine .
Que le moment nous preſſe d'afſouvir ,
Qu'un autre inſtant voit éteindre ſans peine.
L'amour n'eſt point ce qu'un faiſeur de vers
Peint triftement armé de traits , de chaînes ,
Toujours ſuivi de mille maux divers ,
Mauſſades fruits des infipides veines..
Bien moins encor ce qu'un fade galant
Croit reſſentir , exprime avec méthode ,
Sûr du triomphe , en maſquant fon néant
D'un vain éclat qu'il ne doit qu'à la mode.
Non .... l'amour est un ſentiment divin ,
Qu'on rend moins noble en voulant le décrire
Délicieux , même quand on ſoupire ;
Que je connois , veux peindre , ... mais en vain
D. L. P
Cij
34 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de M. DE LA PLACE , auteur
du Mercure de France , a MM. les
Maire & Echevins de Calais.
MESESSISEIEUURRSS.. .
Je vous aurois plutôt fait part du ſuccès
auffi éclatant que juſtement mérité d'une
Tragédie intitulée le Siège de Calais , fi
le mauvais état de ma ſanté & le prodigieux
concours des ſpectateurs m'euffent
permis d'y trouver place avant lacinquiéme
repréſentation.
Jugez , Meffieurs , de l'extrême plaifir
qu'a dû cauſer hier à un coeur vraiment
Calaiſien tout ce qu'un ſi bel ouvrage a
d'honorable , & pour nos ancêtres , & pour
ceux qui les repréfentent fi dignement
aujourd'hui ! Ce ſuccès ſeul a pu me confoler
de l'impoſſibilité où m'a mis une
longue & cruelle maladie , de traiter un
ſujet ſi glorieux pour ma patrie , quoique
J'en euſſe diſpoſé le plan il y a environ cinq
ans. Mais la façon ſupérieure dont il a été
mis au théâtre par M. de Belloy , me laiſſe
d'autant moins de regrets à cet égard , que
AVRIL 1765.
je n'aurois pu me flatter , quels qu'euffent
été mes efforts , d'atteindre à la perfection
dont ce tableau me paroiſſoit fufceptible,
& de vaincre les difficultés dont l'Auteur
de la piéce vient de triompher ſi glorieufement
pour lui-même & pour nous.
L'honneur d'être né dans vos murs ,
par conféquent de vous appartenir , ne me
permet pas , Meſſieurs , d'attendre plus
long-temps à vous faire part d'un événement
qui met le comble à la gloire d'une
ville dont l'inviolable fidélité pour ſes
auguſtes Souverains égale encore , au bout
de plus de quatre fiécles , celle des Héros
d'une piéce que Paris & la Cour admirent.
J'ai l'honneur d'être avec tous les fentimens
dignes d'être joints au reſpect , & c.
AParis , le 24 Février 17650
P. S. La Tragédie du Siége de Calais a éré
jouće Jeudi , 21 de ce mois , devant le Roi , qui
en a marqué publiquement ſa ſatisfaction.
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de M. DE BELLOY , Auteur de
la Tragédie du SIEGE DE CALAIS , à
M. DE LA PLACE .
JE ne puis vous exprimer , Monfieur ,
combienje ſuis touché & à quel point je
me tiens honoré de la lettre que vous avez
bien voulu écrire à Calais au ſujet de ma
Tragédie. Vous parlez en Citoyen qui voit
en grand tout ce qui peut intéreſſer fon
pays. Peut-être que dans le calme de la
réflexion votre eſprit trouvera bien à rétrancher
des éloges que votre coeur m'a
donnés. Au reſte , vous devez fentir combien
un fuffrage tel que le vôtre eft fait
pour exciter l'amour-propre d'un Auteur.
C'eſt de ceux qui courent la même carrière
que nous devons fur - tout chercher
l'approbation . Que l'on feroit heureux
d'avoir des rivaux &des maîtres , s'ils penfoient
tous auſſi noblement que vous ! le
temps ne me permet pas de vous témoigner
tout l'excès de ma ſenſibilité. Dès
que j'aurai un moment de liberté , je ne
manquerai pas d'aller vous remercier de
vive voix , & vous renouveller toutes les
affûrances , &c.
A Paris , ce Jeudi foir.
AVRIL 1765 . SA
RÉPONSE de MM. les Maire & Echevins
de CALAIS , à M. DE LA PLACE ,
Auteur du Mercure de France .
MONSIEUR.
Nous ſommes bien reconnoiſſans de
la manière avec laquelle vous avez eu la
bonté de nous informer du ſuccès de la
Tragédie du Siége de Calais par M. de
Belloy.
Que d'obligations n'avons - nous point
à ce célèbre Auteur d'avoir fait choix d'un
ſujet qui , en retraçant aux yeux de la
France les faits héroïques d'Eustache de
Saint-Pierre&de ſes illuftres compagnons,
caractériſe ſi bien les habitans de Calais ,,
dont la fidélité pour nos auguſtes Souverains
a toujours été & ne ceſſera jamais
d'être inviolable !
M. de Belloy s'eſt concilié tous les fuf---
frages ; ſon mérite & la ſupériorité de ſes
talens font univerſellement reconnus ; les
vrais connoiffeurs admirent la ſfublimité
de fon ouvrage & lui rendent toute la
G
58
MERCURE DE FRANCE.
juſtice qui lui eſt due : il mérite donc les
plus grands éloges , &particulièrement de
notre part. Aufli nous propofons-nous de
lui marquer de la façon la plus folemnelle
les ſentimens que nous lui avons voués ,
& que nous n'avons qu'imparfaitement
exprimés dans la délibération dont vous
recevrez copie avec cette lettre.
Nous nous flatons , Monfieur , que vous
voudrez bien concourir à nos vues , en
acceptant la qualité de député de notre
ville , conjointement avec M. le Sénéchal,
Receveur Général des domaines & bois ,
qui a en la complaifance de nous faire
part, ainſi que vous , de l'approbation générale
qu'a obtenue la pièce , & de nous
offrir ſes bons offices de la façon la plus
honnête & la plus obligeante.
Quelle que foit cependant notre ſatiſfaction
, elle feroit encore infiniment plus
grande , fi nous la devions aux travaux
diftingués d'un Compatriote tel que vous ,
qui,à tous égards, nepeut que nous illuftrer.
Les ſentimens patriotiques dont vous ne
celfez , Monfieur , d'être animé , & que
vous peignez avec tant de délicateffe , font
payés d'un très -parfait retour. C'est avec
le plus grand plaifir du monde que nous
vous en affurons, ainſi que de la véritable
AVRIL 1765. 59
eſtime &du ſincère attachement avec lefquels
nous ſommes , &c .
Signé , LES MAIRE ET ECHEVINS
DE LA VILLE DE CALAIS.
Le 10 Mars 1765
LETTRE de MM. les Maire & Echevins
de Calais , à M. DE BELLOY,
MONSIEUR.
C'EST avec bien de la ſatisfaction que
nous rempliſſons les voeux de nos Concitoyens
, qui nous chargent de vous adreſſer
une copie de la délibération que nous
venonsde faire. Nous eſpérons , Monfieur,
que vous acquiefcerez ànos defirs , en nous
permettant de vous faire préſenter des
lettres de Citoyen de cette ville. Qui les
a jamais mieux méritées ? vous venez d'éternifer
ſa gloire dans le tableau le plus.
frappant d'amour & de fidélité pour ſes
Rois , qui l'ont toujours caractériſée. Le
nomd'Eustache de Saint- Pierre est devenu
inſéparable du vôtre : on ne peut ſe rapy
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
peller fon héroïfme fans admirer vostalens.
Vous avez acquis l'un & l'autre un même
droit à l'immortalité ; vous êtes également
chers à cette ville : elle a vunaîtreEustache,
vous en ferez Citoyen ; perſonne ne fut
plus patriote que lui ; perſonne ne peignit
mieux que vous le vrai patriotiſme.
,
Privés de la fatisfaction de vous pofféder
dans nos murs & de vous y
payer le tribut de notre reconnoiſſance
permettez au moins , Monfieur , qu'en
plaçant votre portrait à côté de ceux de
nos plus illuftres bienfaiteurs , nous laiffions
à nos neveux un ſouvenir éternel du
juſte attachement que la ville de Calais
vous a voué .
Nous avons l'honneur d'être , &c.
Signe , LES MAIRE ET ECHEVINS
DE LA VILLE DE CALAIS ...
Le 10 Mars 1765 .
P
AVRIL 1765 . 6
EXTRAIT des regiſtres aux délibérations de
Hôtel commun de la Ville de Calais .
Al'affemblée de ce jour , 6 Mars 1765 ;
où s'eſt trouvé le Conſeil ordinaire de la
ville , le Procureur du Roi a dit :
MESSIEURS ,
, a
Nous avons appris , avec la joie la
plus vive , que le Siège de Calais que
M. de Belloy vient de mettre au jour ,
été couronné du ſuccès le plus éclatant..
Cet Auteur s'eſt couvert d'une gloire immortelle
, & cette Ville a l'avantage de la
partager avec lui , puiſqu'elle lui a fourni ,
dans le ſujet de ſa piéce , unde ces grands
exemples d'amour , d'attachement & de
fidélité dont tout François doit être animé
pour ſon Roi , & dont cette Ville a donné
rant de preuves , non-feulement lors du
fiége formé par Edouard III , mais encore
dans celui de 1596 , où neufcens ſoixante
des principaux habitans perdirent glorieuſement
la vie ; & lorſque les Eſpagnols
tenterent vainement de la ſurprendre en
1657 : époques mémorables , que nous
62 MERCURE DE FRANCE.
célébrons chaque année * , &qui nous rappellent
la valeur de nos pères. A l'image
de cesHéros (toujours préſente à nos yeux )
va ſe joindre pour jamais celle de l'Auteur
*
L'Auteur du Mercure ſe rappelle d'avoir
entendu , dans fa jeuneſſe , le jour de la proceffion
qui ſe fait en mémoire de cette délivrance
de la Ville , chanter une Romance , dont voici à
peu près les deux premiers couplets .
Le deuxieme du mois de Juillet
Les Bourguignons vinrent à Calais ,
Pour ſurprendre la Ville :
Mais le brave Comte de Charoft ( r )
Leur fit bientôt tourner le dos.
Si vous aviez vu M. de Saint -Martin , ( 2 )
Avec ſon grand fabre à la main ,
Un piſtolet dans l'autre ,
S'écriant : CALAISIENS , mes amis,
Allons battre nos ennemis ..
Cequ'ils firent.
( 1) Gouverneur de Calais. Cette Ville , avant & de
puis cette époque , a eu le bonheur , & en jeuit encore
aujourd'hui , de n'avoir cu de Gouverneurs que de cette
illuftre Maiſon .
( 2) L'un des ayeux de M. le Comte de Saint-Martin ,
dont la fignature & celle de fon fils , Enſeigne aux
gardes - Françoiſes , font au bas de cette délibération.
AVRIL 1765 . 63
eftimable qui a ſçu ſi bien les caractériſer.
Heureux habitans des murs qui ont vu
naître Eustache , ſi nous formons des voeux ,
ce feroit de voir M. de Belloy né dans
la même patrie ! Mais , privés d'une fatisfaction
qui combleroit nos deſirs , nous
pouvons du moins nous la procurer par
adoption.
Acet effet , le Procureur du Roi a conclu
à ce qu'il foit écrit à M. de Belloyune
lettre de félicitation , avec priere de permettre
qu'il lui ſoit préſentédes lettres de
Citoyen de cette Ville , & que fon por
trait foit placé en cet Hôtel , concluant ,
en outre , qu'aux fins d'exécuter la délibé
ration , Meſſieurs le Sénéchal& de la Place,
dont le zèle pour cette Ville eſt ſi connu,
feront priés d'accepter la qualité de Députés
, & les procurations néceſſaires pour
remplir un objet auſſi intéreſſant ; & a
figne , BLANQUART.
Sur quoi l'affemblée , pénétrée d'une
juſte reconnoiſſance, aarrêté unanimement
que les concluſions du Procureur du Roi ,
conformes aux voeux de tous les habitans,
feront littéralement ſuivies.
Acte figné, DU TEIL, Doyen-Curé deCalais;
MALLET;DUELOS; MOREL; PIGAULT,
père; E. BRIDAULT ; CH. THIN ; PIGAULT,
DEL'EPINOY;AUDIBERT, l'aîné ; AUDI64
MERCURE DE FRANCE.
BERT DU PONT ; BLANQUART DES SALIMES
; HACHE ; CARPENTIER ; GADDEBLÉ
GRANDIN ; LE COMTE DE SAINT- MARTIN,
Brigadier des Armées du Roi ; SAINTMARTIN
, fils , Enſeigne aux Gardes- Françoifes
; COCQUART ; MAURRY , fils ;
BENARD ; ANTOINE FELLIER .
MARESSAL DE MARSILLY ; Bd. MARGOLLE
; MOURON ; LE FRANCQ & TEILLIER
LAIDEZ , Maire & Echevins.
En marge eſt écrit :
Arrêté que les lettres de Citoyen feront
préſentées à M. de Belloy dans une boëte
d'or , fur laquelle feront les armes de la
Ville , & ornée d'une deviſe convenable.
RÉFLEXIONS fur la cérémonie du jour
des CENDRES. Epître à M. l'Abbé Cor-
PETTE , Docteur de Sorbonne , & c. au
retour de fa dangereuse maladie , après
fon voyage de Rome.
TouOur couvert encor de la cendre
Que le Prêtre vient de répandre
Sur mon front & mes cheveux blancs
Ami , pourrai-je bien te rendre
L'impreffion que je reſſens
Au ſouvenir des mots frappans
AVRIL 1765 . 65
Qu'à l'autel on m'a fait entendre ?
En frémiſfant , j'ai cru comprendre
Qu'à la demeure des vivans
Je n'avois plus droit de prétendre ;
Et que peut- être en ce moment ,
Touchant au bout de ma carrière ,
Dans les ombres du monument
J'allois retourner en pouffière.
<<H<omme! ſouviens-toi ( m'a-t-ondit)
>>>Que la pouſſière eſt de ton être
>>>Le principe , qu'un rien détruit ;
>> Et que dans l'éternelle nuit
>>>En poufſière il doit diſparciure ».
Quels objets ! quel effroi nouveau!
Dans le fond glacé du tombeau
Où la mort me force à deſcendre ,
Au pâle jour de fon flambleau
J'apperçois l'horrible monceau
Des vers, qui paroiffent m'attendre....
Habitant de ces lieux d'effroi ,
Entouré de voiles funèbres ,
Je n'aurai plus autour de moi
Que le filence & les ténèbres.
Dans cet état d'obfcurité ,
Anéantiſſement extrême !
Bientôt on ignorera même
Qu'en ce monde j'aie exiſté..
1
“ MERCURE DE FRANCE.
C
Humiliante perſpective
Pour vous , mortels ambitieux !
Pour une gloire fugitive
Vainement vous formez des voeux:
Avec vous , à ce dernier terme ,
Votre nom eſt enſeveli ,
Et la tombe qui vous enferme ,
Eſt l'affreux temple de l'oubli .
En ce moment , qui me retrace
Le néant de l'humanité ,
A mes yeux tout change de face
Du temps qui m'étoit limité
Tout- a-coup diſparoît l'eſpace ,
Et je ne vois plus à ſa place
Que la profonde éternité ,
Et le tribunal redoutable
Où le Dieu de ſévérité ,
N'écoutant que ſon équité ,
Peſera le mortel coupable
Dans la balance invariable
De la fuprême vérité.
A cet avenir formidable ,
Du juſte même redouté ,
Et dont l'approche épouvantable
Fait pâlir l'incrédulité ,
Je me diſois : aveugles hommes
Nés pour le Ciel , vains que nous ſommes
AVRIL 1765. 67
Nous méconnoiſſons notre Auteur ,
Et la terre qui nous fafcine
Nous fait oublier l'origine
De notre fublime grandeur !
Chef-d'oeuvre de l'être ſuprême ,
Souffle & portion de lui-même ,
Mortel , conçois ta dignité :
De Dieu ſur toi l'image eſt peinte ,
Et dans ton âme il mit l'empreinte
De ſa propre immortalité.
Pourquoi de cette vérité ,
Que dans nos coeurs le ciel imprime
Par un doute qui nous déprime ,
Etouffons nous l'autorité ?
Les paffions , l'impiété ,
Voilà les ſources infidelles
Qui des lumières éternelies
Obſcurciffent la pureté.
Jouets de l'erreur & des doutes ,
Nous ſuivons leurs trompeuſes routes
D'un pas ferme & précipité.
D'illufions & de menſonges
Nous flartons notre foible coeur ,
Et nous élevons fur des ſonges.
L'idole de notre bonheur !.
Peinture lugubre & touchante
Que tu m'offres d'inſtructions !
68 MERCURE DE FRANCE.
Et qu'en ce jour , cendre éloquente ,
Tu me fait d'utiles leçons !
Foi divine , de ces images
Tempére , efface les couleurs ,
Ecarte les triſtes préſages
QuQuee me préſentent mes frayeurs.
Tu m'exauces : d'autres ſpectacles
Charment mes timides regards;
Effet du plus grand des miracles !
Des morts je vois les os épars
Pénétrés du ſouffle de vie ,
Devenir des corps glorieux ;
Je les vois , citoyens des cieux ;
De l'Etre qui les vivifie
Contempler le front radieux :
Sa préſence les ſanctifie ,
Et ſon amour en fait des Dieux.
Sublime & flatteuſe eſpérance ,
Dont je nourrirai mon amour !
Tu changes ce funèbre jour
En un jour de réjouiſſance.
Oui , la cendre éparſe ſur moi ,
Loin de m'inſpirer l'épouvante ,
A la lumière de la foi ,
M'offre un avenir qui m'enchante.
Ah , mon âme ! qu'un ſaint tranſport
AVRIL 1765 .
ه و
:
A
T'embrâſe dans la vive attente
Du jour qui doit te mettre au port ,
Où tu te verras triomphante
Des maux , du temps & de la mort !
ENVO 1.
peine de retour des champs de l'Auſonie
Dont tu charmas les habitans ,
Avec cet ami rare * & cet heureux génie
Qui raſſemble tous les talens ,
Tu vis la prompte maladie
Arriver ſur tes pas , & imenacer tes ans.
Quels furent , tendre ami , mes ſoupirs & mes
larmes!
Pourquoi , ſi la ſanté te rend de nouveaux jours ,
Par mes accens joyeux ne pas vanter ſes charmes ?
Devrois-je réveiller de mortelles alarmes ,
Et d'une muſe en pleurs emprunter les ſecours
De ces réfléxions en te faiſant l'hommage ,
Je te rends ce qui vient de toi :
C'eſt dans ton âme , dans ta foi ,
Que de ces vérités j'ai puiſé le langage.
Ami , je ne crains pas que leur auſtérité
Du nuage de la triſteſſe ,
Voile chez toi cette gaité
Qui doit à la vertu ſa douce égalité :
M. Watelet , de l'Académie Françoiſe.
MERCURE DE
FRANCE
7
.
Un coeur comme le tien , qu'éclaire la ſageſſe ,
Voit la mort avec
fermeté :
Exempt des
reproches du crime ,
Tranquille il
contemple l'abîme
De
l'effrayante éternité.
DE SAULX , Chanoine de l'Eglise de Reims , &
Chancelier de
l'Univerſité , Membre de
l'Académie
des Arcades de Rome , de celle de Nancy ,
& de la
Société
Littéraire de
Châlons.
VERS mis , par un Amateur , au bas d'une
estampe de Mile
CLAIRON.
CETTE ETTE divinité , que la France idolâtre
N'étaloit qu'à Paris ſes talens précieux.
Il falloit à Clairon un plus vaſte théâtre ;
Par l'effet du burin elle brille en tous lieux.
B*** Y.
LE mot de la première énigme du
Mercure de Mars eſt la
tabatière. Celui
de la ſeconde est lesoupir. Celui du premier
logogryphe eſt l'espérance , dans lequelon
trouve Perfe , Perfan , âne , carpe ,
Nérac , Arène , ré , père , crâne , race ,
A
AVRIL 1765 . 71
écran , crêpe. Celui du ſecond eſt poiſſon ;
ôtez la lettredu milieu , reſte poison. Celui
du troiſiéme eft roſe ; ôtez la premiere &
la dernière lettre , refte os.
:
Q
ENIGME.
UE chacun ſe frotte la tête :
Pour nous trouver le moyen eſt certain
Car par nous ont même deſtin ,
Et l'homme d'eſprit & la bête.
Nous allonsdeux par deux, de maiſons en maiſons,
Au ſéxe maſculin demandant domicile ;
Mais , pour d'excellentes raiſons ,
Cen'eſt que malgré ſoi qu'on nous donne un
aſyle.
Peut-être en ce même moment ,
Lorſque pour me trouver ton eſprit ſe démène ,
Un autre plus intelligent
Dans ton logis t'épargne cette peine .
Lecteur , mən bon ami , conſidéres-toi bien
Mais au ſurplus fois ſage , & fur- tout n'en dis rien.
72 MERCURE DE FRANCE.
N
AUTRE.
ous ſommes deux frères très doux ,
Mais qui ne pouvons vivre enſemble une ſeconde.
Tout le monde en tout lieu nous donne à tout le
monde ;
Et rien n'eſt plus rare que nous.
Nous faiſons tour à tour un compliment d'uſage ;
Et chacun de nous a ſon temps.
Si d'un bruſque refus nous préſentons l'image ,
Tous les temps font indifférens .
Quant à mon mot , il n'échappe à perſonne :
Dévine ou non , Lecteur , on te le donne.
LOGOGRYPΗ Ε.
AMadame DE LA F... aux Mouneroux
en Auvergne.
AIMABLE Egle , tour céde à ma beauté ,
Tout ici bas lui rend les armes ,
Et mon éclat , ſans vanité ,
A vos attraits ajoute bien des charmes.
Ne me traitez pas d'indifcret ,
Si j'oſe me vanter de vous avoir ſçu plaire :
De notre intelligence on ne fait plus myſtère ;
Mais ,
AVRIL 1765. 73
Mais , Eglé , convenez du fait ,
Vous même avez éventé le ſecret ;
Pour le garder , il eût fallu vous taire.
1
Deux pieds fix doigts forment mon corps.
Par le jeu combiné de mes divers refforts
Je tends au débiteur une main ſecourable ,
Et du créancier intraitable
Je fais ſuſpendre la rigueur ;
Mais aux amans moins favorable
J'ai , d'un tête à tête agréable ,
Souvent altéré la douceur ;
Fruit des travaux du laboureur ,
Je fais naître chez lui la joie & l'abondance ;
De la bête que ſuit l'intrépide chaſſeur ,
Je trahis les détours & donne connoiſſance :
Dans un cercle par fois le bruit de ma naiſſance
De mon père confus fait rougir la pudeur.
Tantôt je ſuis un titre de grandeur
Qu'en faveur du Roi ſeul exige la décence;
Ici je ſuis un jeu ; là je ſuis un péché ;
Tantôt je ſuis oiſeau ; tantôt j'aide à les prendre ;
A tout ce que j'ai pu je me ſuis accroché
Pour vous dépayſer & pouvoir vous ſurprendre ;
Mais à ce but en vain je me ſuis attaché ....
Par moi- même , bientôt vous allez me comprendre.
Vol. I. D
74 MERCURE DE FRANCE.
ان
ENVΟΙ.
Du mot que j'ai voilé je n'ai point le pincean
Pour colorer à vos yeux mon hommage ;
Mais au moins , belle Eglé , dans cet eſſai nouveau
Du coeur reconnoiſſez l'ouvrage.
DES MARAIS , du Chambon , en Limousin.
S
AUTRE.
UR men ſein la gaîté , l'ennuyeuſe triſteſſe,
La pétulante joie , & les plus noirs ſoucis ,
Le travail vigilant , & la lente moleſſe ,
Par fois en même temps ſont côte à côte affis.
Ce n'est pas tout , Lecteur , décompoſons mon
être.
J'ai fix pieds ; aisément tu pourras me connoître .
De la belle Syrinx en moi cherche l'amant ;
Cette nôce où ſe fit un prodige éclatant ;
Le trompeur vêtement du Guillot de la fable ;
Cet animal braillard qui fit un jour l'aimable ;
Une Cité célèbre au pays des Normands ;
Un terme fort connu dans la géographie ;
D'un habitant des lacs la compagne chérie....
Si j'en dis plus , Lecteur , j'abuſe de ton temps.
*
*
Vous qui,malgré vos agré-mens,Dans vos ma =
+
4
+
= ris ne trouvés plus d'a mans, Sans en rougir,
+
venés en -tendre Le vrai secret de
ap-prendre
vous les
ren- dre. Roseset lys peuvent charmer,
+ +
Tendres regards tous les coeurs enflamer.
W
W
W
W
Mais roses et
lys seFlé-
A
trissent .De même
+
= mours et soins finissent .
α
AVRIL 1765. 75
Q
AUTRE.
UOIQUE je n'offre rien que de vil à tes yeux,
Pourquoi me mépriſer ? tu me dois l'exiſtence.
Mais ton orgueil veut- il annoblir mon eſſence.
Retranche-moi le chef, j'aurai rang dans les cieux.
Par M. DAREAU , de Guéret dans la Marche.
L'ECOLE des femmes , chanson morale ,
imitée de l'Anglois de M. GARRICK ,
célèbre Acteur & Auteur de Londres .
Votous qui , malgré vos agrémens ,
Dans vos maris ne trouvez plus d'amans ,
Sans en rougir , venez entendre
Le vrai ſecret de vous les rendre .
Roſes & lys peuvent charmer ,
Tendres regards tous les coeurs enflammer
Mais roſes & lys ſe flétriſſent ,
De même amours & ſoins finiſſent.
Quand la lyre , ſur vos genoux ,
Forme des fons auſſi brillans que doux ,
C'eſt que la main qui la careſſe
Se prête à ſa délicateſſe.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Si la guitarre ſous vos doigts ,
Rend plus touchans vos yeux & votre voix ;
C'eſt qu'un coeur tendre , qui veut plaire ,
Fait toujours bien ce qu'il veut faire .
Quand ce defir vous inſpiroit ,
Belle Zirphé , tout pour vous foupiroit ! ...
Si cette ardeur est moins extrême ,
C'eſt que Zirphé n'eſt plus la même.
Ifimène appelle ſon ſerin ;
L'oiſeau s'élance & plane fur fon fein.
Docile à la voix qui l'appelle ,
L'oiſeau fait- il qu'Ifmène eſt belle ?
Non : les charmes de la douceur ,
Du plus farouche apprivoiſent le coeur.
Femme qui fait en faire uſage ,
Eft Reine au ſein de l'eſclavage .
و Si votre coeur n'en eſt pas mieux
Que la gaité brille au moins dans vos yeux.
L'amour naît & croît ſur les traces
Des ſentimens unis aux grâces .
:
C'eſt ainſi , qu'à très-peu de frais ,
Pour vos époux revivront vos attraits .
L'hymen ainſi verra fans peine ,
L'amour conſtant dorer ſa chaîne.
Paroles & Musique de M. D. L. P.
AVRIL 1765 . 77
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure , fur quelques inscriptions .
LE livre intitulé : Confultes tenuës au
College de Louis le Grand pendant la viſite
du Père Provincial , &c . en l'année 1708 ,
imprimé en 1761 , en deux tomes in- 16 ,
&en quatre parties , que j'ai eu bien de
la peine à retrouver , me met dans le cas ,
Monfieur , de m'acquitter de la promeffe
que j'ai faite dans ma lettre du 22 Août
1761 , inférée dans le ſecond volume du
Mercure de Janvier 1762 , page 108 .
Nous liſons dans le tome premier de
cet ouvrage , premiere partie , page 18 ,
que ces deux beaux vers de Juvenal :
Summum crede nefas animam praferre pudori
Et propter vitam vivendi perdere caufas.
que l'on pourroit , ce me femble , bien
rendre en ces termes : regardez comme la
1 Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
choſe la plus horrible de préférer la vie à
T'honneur, & par amour de la vie , deperdre
le droit de vivre , ont été mis autrefois ,
comme une marque éternelle d'infamiefur
le frontispice d'une maison de la rue Saint
Martin , dont l'hôte fut brûlé en Grêve.
Cette maiſon eft qualifiée , quelques lignes
après , de maison de débauche , ſelon l'expreffion
du livre , annoncé comme écrit
en 1708. Si ces vers ont été mis autrefois ,
par ordre des Magiftrats , au-deſſus de la
porte de la maiſon en queſtion , cette
aventure doit avoir une certaine antiquité.
Si en dernier lieu elle a été nommée la
Chaffe Dauphine , & qu'antérieurement
Gabrielle d'Eftrées y ait logé , it paroît
conftant que cette demeure n'a pu être un
lien de débauche durant ces temps , &
qu'il faut , pour en établir l'époque ,
remonter bien avant l'an 1599 , où mourut
Gabrielle d'Estrées ſous Henri IV.
Le livre intitulé : Confultes tenues , &c .
infinue que l'hôte de cette maiſon fur
brûlé en Grêve pour le crime dont Los
jadis fut trouvé exempt. Mais quelle eſt
au juſte l'anecdote attachée à la mife
juridique de ces deux beaux vers au-devant
de cette maifon ? On vientde les ſupprimer
pour jamais, en rebâtiſſant l'hôtel en entier:
AVRIL 1765 . ラダ
P'arrêt du Parlement va reſter éternelle
ment fans effet. Le trait , déja preſque
oublié , s'enſevelira fans retour dans la
nuit des temps. La Juſtice aura manqué
fon but. Comment l'Auteur éclairé des
Effais fur Paris a- t-il négligé de nous
détailler une telle hiſtoire ? Quel antre
Citoyen inſtruit nous la feroit connoître ?
C'eſt ce que l'amour de la vérité & de la
vertu me fait ſouhaiter qu'on entreprenne :
Que celui qui le peut paroiffe & qu'il
mérite , par un éclairciſſement ſuffifant ,
la reconnoiffance des futurs hiſtoriens des
antiquités de Paris & des amateurs des
faits extraordinaires & inftructifs .
Je defirerois bien aufſi , Monfieur , que
quelqu'un nous expliquat les circonstances
qui ont engagé à mettre ces eſpeces de ta
bleaux &d'infcriptions qui font au- devant
de la maifon , rue Saint Martin , au coin
de la petite rue Oignard , dont je parle
aufli dans ma lettre du 22 Août 1762 :
depuis ce temps aucune explication n'a été
donnée. Il paroît par l'idée principale qui
réſulte de tout ce qu'on y voit & qu'on
y lit , que cette maiſon a été en quelque
forte dédiée en 1576 aux trois Rois ou à
laTrinité.
Letableau en plâtre repréſente les trois
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
Rois avec la date au-deſſous de 1576. La
premiere infcription latine :
Tres Reges triplicem Regem venerantur in uno :
trois Rois en adorent un ſeul qui en réunit
trois . La feconde :
Et domus & dominus Domino fint utraque munus.
Que la maison & le maître de la maison
foient tous deux une offrande au Seigneur.
Tout cela , dis-je , me ſemble prouver ce
queje viens de conjecturer.Mais quel étoit
celui qui a fait cette offre ? A l'occaſion
de quoi l'a t il faite ? Quelles autres fingularités
font attachées à cet événement ,
c'eſt ce que l'hiſtoire anecdotique de Paris
exige que l'on éclairciffe.
A l'égard de l'infcription françoiſe :
l'art foi loger , qui ne préſente à l'eſprit
rien de commun avec ce ſens, des deux
infcriptions latines & du tableau , il ne
proît guères poflible d'en deviner fans
clef le ſujet. L'art foi loger ou l'art de ſe
Loger , comme nous dirions à préfent , ne
peut convenir qu'à l'architecture ou à un
Architecte. Le propriétaire de cette maifon
, un peu mieux conſtruite que ſes voifines
, étoit- il en effet un Architecte , qui ,
dans la façon de la bâtir , a voulu montrer
en 1576 un échantillon de fon habileté ?
Il nous faut abfolument quelque Edipe
AYRIL 1765 . επ
pour nous donner le mot de l'énigme.
Paris peut-il être foupçonné d'en manquer ?
J'ai l'honneur d'être , &c.
A Paris , le 10 Mars 1765 .
NOUVEAUX Eſſais en différens genres de
littérature ; par M. DE *** , Membre
de plusieurs Académies. A Genéve , &
ſe trouvent à Paris , chez ROBIN ,
Libraire , rue des Cordeliers.
LApremiere piece de ce recueil eſt une
épître à un jeune Seigneur retiré dans ſes
terres , où il vivoit fans ambition , dans
l'oubli des devoirs de fon rang & de fa
naiffance . L'Auteur démontre cette vérité ,
qui devroit être gravée dans le coeur de
tous les hommes ; que ce n'est qu'après
avoir long-temps ſervi ſa patrie , qu'il eſt
permis de vivre pour foi-même , & de ſe
livrer tout entier aux plaiſirs purs & vrais
qu'on goûte dans l'éloignement du monde
&des affaires.
La liberté fans doute eſt le tréſor du ſage.
>> Heureux qui la connoît & fait en faire uſage !
>> Mais de ce bien ſi cher vous êtes trop jaloux ;
>>A>la fleurde votre âge iln'eſt pas fait pour vous
Dv
82 MERCURE DE FRANCE..
Dans le conte intitulé : Ifimaet Conloski,
on voit un fils préſomptueux , plein de
confiancedans fespropres forces , quis'imagine
que rien ne fera capable de lui faire
oublier les prudens avis de fon père ; mais
il ne tarde pas à reconnoître que l'homme
eſt naturellement foible & inconftant , que
fa conduite eſt ſouvent en contradiction
avec ſes principes , & que la ſageſſe eſt
pour l'ordinaire le fruit de l'expérience &
du temps.
La lettrefur les ſpectacles , qu'on trouve
à la fuite de ce conte moral& intéreſſant.,
offre des idées préſentées fous une forme
agréable. L'Auteur prend le parti de la
Comédie en philofophe qui en connoît les
inconvéniens && les défauts. Les livres de
ce genre ne font pas faits pour être analy
fés. Nous nous bornons à citer quelques
réflexions détachées ..
« Un journaliſte qui ne s'attacheroit
>> qu'à découvrir le bongrain parmil'ivraye
>>de la littérature, feroit peut- être plus utile
>> que fes confrères , s'il arrivoit qu'il fûr
» lu..
ود De tous les ouvrages qu'on a faits fur
>>>l'éducation , on pourroit faire un in - 12
>> affezbon ; encorene feroit-ilutile qu'aux
>> maîtres qui feroient en état de s'en paffer.
>> La nudité eſt la parure des grâces :
AVRIL 1765 . 83
- c'eſt pourquoi les jolies femmes ne font
» en robes habillées que quand elles font
>> à moitié nuės » .
L'alcoran , ſi l'on en croit ſes ſectateurs ,
fut écrit avecune plume de l'Ange Gabriel .
On a célébré dans tous les temps les grands
hommes & leurs plumes , foibles inftrumens
de leurs ſuccès ; mais on ne s'étoit
pas encore avisé d'en faire des reliques.
<< Cette idée , qui fait honneur à M ***
>> à Lyon eft abſolument nouvelle. Il pof-
>> féde une plume de M. de Voltaire , bien
>>>cachetée aux armes de l'auteur de la
>> Henriade , & munie d'un certificat au-
>>thentique. Les curieux peuvent la voir
> à toute heure. Point de regrets en
>> voyant cette belle plume ; M. de Vol-
>> taire en a d'autres » .
...
Ces Effais font précédés d'une préface
moitié férieuſe & moitié badine , où l'on
s'apperçoit que les éloges que l'Auteur a
reçus , & les fatyres qu'il a eſſayées n'ont
pu , ni diminuer ſa modeftie , ni altérer
ſa tranquillité . Nous ne craindrons pas de
le nommer ; c'eſt M. de Campigneulles ,
Tréforier de France de la Généralité de
Lyon , dont on a lu pluſieurs pieces dans
nos Mercures , & dont les ouvrages font
connus du Public.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
CAMÉDRIS , conte , par Mlle MAZARELLI
; à Paris , chez Duchefne , rue
St. Jacques , au temple du goût ; 1765 ;
brochure in- 12 , de 220 pages.
Es premiers pas de Mademoiselle Mazarelli
dans la littérature ont été ſignalés
par des fuccès. On ſe rappelle encore les
applaudiſſemens que lui ont mérités , dans
l'élogede Sully, la délicateſſe de fon eſprit,
les grâces de ſon ſtyle &la juſteſſe de fon
goût. C'étoit , pour ainſi dire , contracter
des engagemens , dont elle commence à
s'acquitter aujourd'hui en publiant cette
production ingénieuſe. La lecture nous
en paroît également agréable & inſtructive:
on reconnoît cette main qui traçoit au
temple de mémoire les vertus du favori
d'Henry IV, & recueilloit, finon les prix
de l'Académie , du moins les fuffrages des
Académiciens & ceux du Public. L'analyſe
que nous allons faire de Camédris ,
justifiera ces éloges & l'eftime qu'on a
déja pour l'Aureur.
"Aftérie,Souveraine des Silphes, parcou-
>> roit fur un char d'azur l'immenſe étendue
>> de fon empire aërien. Accoutumée à la
>> magnificence des cieux, elle en voyoit
AVRIL 1765 . 85
ود
l'éclat avec affez d'indifférence ; & déja
>> fes chevaux aîlés reprenoient la route de
>>ſon palais, lorſqu'elle apperçut un autre
>>char , dont la marche inégale & préci-
>>pitée annonçoit le caractère de celle qui
ود
ود
le conduifoit. Sinaclée , Sylphide d'un
ordre inférieur , s'étoit élevée au plus
» haut des airs , où elle erroit au gré de
>>fes caprices. Aflérie l'arrêta » ....
C'eſt ainſi que Mlle Mazarelli ouvre la
ſcène aux événemens qu'elle va décrire.
Ce début nous paroît noble & poétique ,
& annonce , en peu de mots, le caractère de
deux des principaux perfonnages du roman .
La Silphide du ſecond ordre invite
Aftérie à quitter le ſéjour des airs ; elle
lui montre la terre, dont une partie eſt
confiée à ſes foins , & la prie de l'aider
dans cette pénible adminiſtration . Sinaclée
a tenté inutilement tous les moyens poffibles
pour perfectionner un jeune Prince
auquel elle s'intéreſſe , & qu'un mot feul ,
inconſidérément prononcé par ſa mère , a
rendu malheureux.
La Princeſſe Barzée étant prête à donner
le jour à Camédris , pria Sinaclée , fon
amie , de le douer le plus heureuſement
qu'il feroit poflible , de peur qu'il ne refſemblât
à fon père , qui par ſon indolence
avoit perdu ſes états. Sinaclée n'avoit pas
affez de puiſſance ; mais elle obtint des
86 MERCURE DE FRANCE.
Génies élémentaires, que laPrinceſſe doueroit
elle-même ſon enfant , & que le premier
mot qu'elle prononceroit après l'avoir
mis au monde , fignifieroit ce qu'il devoit
être. Barzée devint mère ; & quelques
momens après ayant entendu le bruit d'un
vaſede porcelaine qu'un de ſes gens venoit
decaffer, elle s'écria : ÉTOURDI! Ce mot fut
l'arrêt faral qui devoit décider du caractère
& du fort de Camedris.
A quinze ans le jeune Prince entra dans
le monde, & s'y fit connoître par des étourderies
qu'il faut lire dans l'ouvrage même.
Elles forment , pour ainſi dire , comme
autant d'épiſodes qui n'ont entre eux aucuns
traits de reſſemblance. Le Prince a
aimé ſucceſſivement pluſieurs femmes ,
dont l'hiſtoire offre des contraſtes agréables
, des tableaux variés & des peintures
du monde. Inſtruite d'une partie des fautes
de Camédris , dont les conféquences
étoient fouvent dangereuſes , Aftérie defcend
avec Sinaclée fur le globe terreſtre.
Elle voit le Prince, le trouve aimable , c
déja s'intéreſſe à fon fort. Les deux Silphides
tiennent un rang confidérable dans
la capitale. Leur maiſon eſt ouverte aux
cercles les plus nombreux & les plus brillans.
Camédris ſuit la foule ; il rend viſite
à Aftérie , dont la beauté le frappe & l'enchante
; il ne fonge plus qu'à plaire à la
AVRIL 1765 . 87
Silphide. Aftérie, de ſon côté , obſerve la
conduite du Prince ; elle veut le connoître
& ſavoir s'il eſt digne de fon amour : mais
ne s'attachant pas aux apparences , comme
la plupart des femmes , elle étudie Camédris
; & fans ajouter foi aux bruits défas
vantageux qui courent contre lui , elle en
démêle les motifs. Le fruit de ces fréquens
examens eſt de trouver toujours le Prince
plus étourdi que coupable. Ce qu'elle fent
pour lui ne lui permet pas d'attendre de
l'âge & de l'expérience qu'il ſe corrige;
elle entreprend elle-même de le rendre
parfait. Camédris étoit abîmé de dettes ;
elle lui fournira des ſecours. Emporté par
fon courage , le Prince a voulu reconquérir
ſes états ; il a fuccombé dans cette expédition,
a été bleſſé& faitprifonnier ; à l'aide
desGnomes Afterie le guéritde ſa bleſſure
&lui rend la liberté. La reconnoiſſance ,
autant que l'amour , attache le Prince à la
Silphide ; il lui fait le récit de ſes foibleffes
, lui promet d'être docile à ſes leçons ;
& bientôt Camédris eſt un homme nouveau.
Il eſt eſtimé , chéri dans le monde ;
mais il ne voit & iln'aime qu' Aftérie , qui
répond également à ſa tendreſſe. Le coeur
rempli du bonheur d'aimer & d'être aimée,
"elle avoit élevé ſes bras vers le ciel :
Camédris ofa la ferrer dans les fiens . Une
88 MERCURE DE FRANCE.
>>frayeur foudaine agite Aflérie; elle craint
>> d'avoir trop accordé ; elle craint d'avoir
>> trop obtenu : mais une lumiere éclatante,
>>fignal de la divinité , brille fur le front
>> de Camédris. Des nuages volent autour
>> du Prince &de la Silphide , s'y raffem-
>> blent , les enlevent ; déja la terre a dif-
>> paru à leurs yeux. Aftérie apperçoit avec
>> tranſport qu'elle remonte au féjour des
>>>Silphes : fon bonheur paſſe ſes efpérances;
>> fes deſtins font remplis ; elle eſt pour
>> jamais unie à fon amant ; & Camedris
» a puiſé l'immortalité dans le ſein même
ود des plaifirs ».
Cette courte analyſe du conte de Mlle
Mazarelli fuffit, fans doute, pour en donner
une idée générale ; mais il contient des
détails qu'on lira avec plaiſir dans cet extrait.
On ne nomme point la patrie de
Camédris ; mais on la reconnoît par des
traits qui la caractériſent. « Vous ne con-
>> noiſſez, pas comme moi, les peuples chez
>> qui vous êtes , dit Sinaclée ; ils font
>> aimables , mais pour ceux qui n'appré-
>> cient point leurs qualités ; charmans aux
>> yeux prévenus ſeulement; ſpirituels pour
>>qui ſe prête à leur jargon ; ils parlent
>>raiſon tant que l'on veut; ils ont même
>> l'air de l'entendre ; mais ſi quelquefois
>> la ſageſſe eſt ſur leurs lévres , la légéreté ,
AVRIL 1765 . 89
>> l'erreur & la folie font toujours dans
>> leurs têtes. Croyez -moi , amufez- vous
>> de leurs travers , fans chercher à leur
>> donner des vertus. Puifque vous ne pou-
>>vez régler leur eſprit , vous ne changerez
>> point leur coeur. Examinez - les bien ;
>> font- ils galans , font-ils gais , font- ils
>> fages ? Les uns ſe ruinent ſans ſe procu-
>>rer de vrais plaiſirs ; les autres s'enri-
>>chiffent fans choiſir les moyens ; ils ont
>> un faſte mal entendu & fans grandeur ;
>>ils applaudiſſent aux mauvais ouvrages ,
>>baillent aux bons , courent après les
>> femmes , les mépriſent , en font mépri-
>> ſés ; n'aiment rien en diſantqu'ils aiment
>> tout ; n'ont que des fantaisies , point de
>>defirs. Quelques philoſophes de nos jours
>> leur ont dit qu'il n'y a ni vice ni vertu :
>> dans ce triſte aveuglement ils ne cher-
>> chent point à s'éclairer par des lumières
>>plus fûres ; cependant ils liſent , ils font
>> inſtruits , fi c'eſt l'être , que de ne ſavoir
» précisément que ce qu'il vaudroit mieux
» ignorer ».
Ce tableau des moeurs de la nation de
Camédris marque que la philofophie a
guidé la main du peintre ;& ce ton de
morale , toujours mêlée d'un peu de critique
, règne avec eſprit dans toutes les
pagesde cette agréable &ingénieuſe fiction.
१० MERCURE DE FRANCE.
On y trouve une de fineſſe de goût , une
juſteſſe de jugement que le ſujet ne fembloit
pas devoir fournir , & qui cependant
ne font jamais étrangères au ſujet. Nous
nousbornerons à rapporter iciquelques penſées
que le hafard nous fait tomber fous la
main : car nous avouons de bonne foi ,
que le choix nous eût embarraffés ; chacune
en particulier ſemble mériter la préférence.
« L'eſprit ſuffit aux malheureux , à peu
>>près comme le ſuperflu aux gens qui
> manquent du néceſſaire.
>>Les jeunes gens ſe flattent en vain d'en
> impofer à la calomnie ; la légéreté de
>> leur conduite lui donne des armes : elle
>> attaque , elle atteint, elle bleſſe ; & fi le
>>temps ſemble guérir les plaies qu'elle a
>> faites, on reconnoît toujours où ſes coups
> ont porté.
>> Cette nation ne fait voyager que ceux
› qui ne peuvent inſpirer par la figure ,
• l'eſprit & les moeurs , ni admiration ,
>> ni eſtime , ni reſpect. Les étrangers , au
>> contraire , nous envoient ce qu'ils ont
» de mieux. Auſſi l'enthouſiaſine nous
>> prend- il à la plus légere apparence de
>> talens , de vertus ou de grâces que nous
→ croyons remarquer en eux ; nous les regardons
de même fort au-deſſus de nous,
AVRIL 1765. 91
**& nous les en avons preſque perfuadés.
>> Lifez les faſtes de votre nation. Il fur
>> un temps , où généreuſe & fiere , fimple
>" & vaillante , elle n'avoit dans toutes ſes
>> actions d'autre mobile que l'honneur.
>> On étoit difficile à la vérité ; on ne
>> rioit pas d'un diſcours injurieux , d'un
>>procédé perfide , d'une conduite indé-
>>cente , de l'ingratitude , de la mauvaiſe
>> foi , de la méchanceté ; mais on s'expri-
>> moit avec nobleſſe , avec décence , avec
>> fimplicité : on ſavoit mériter un bien-
➤ fait, le reconnoître & le rendre. Tout
>>ce qui étoit honteux en foi n'étoit , ni
>> toléré , ni avoué , ni plaifant. La rufe
>>étoitbaſſeſſe , la folie n'étoit point gaité ,
>>l'eſprit ne s'aidoit point du ſecours de
>> l'épigramme , on avoit des moeurs enfin .
>>Par quelle fatalité ce caractère national
>> s'eſt- il perdu ? Si l'on n'a pu le confer-
>> ver , au moins il vaur bien la peine que
>>l'on cherche à le reprendre ; & per-
>> ſonne n'y eft plus obligé que ceux qui ,
>>par leur naiſſance , placés au premier
>> rang , ſemblent devoir ſervir d'exem-
>>ples , de guides & de modèles à tout ce
>> qui leur eſt inférieur. Les peuples ne
>>deviennentmépriſables , que lorſque les
>> grands font mépriſés. La nobleſſe dur
>>fang n'eſt point indifférente ; elle -ajoute
92 MERCURE DE FRANCE .
>>à la honte des vices comme à la gloire de
>> la vertu.
>>Il n'eſt point de vice qui ne puiſſe
>> conduire à quelque vertu : la vengeance
>>donne ſouvent la bravoure ; la colère
>> produit l'intrépidité ; l'envie , l'émula-
>>tion ; par un retour fecret fur foi-même ,
>> la cruauté fait naître la compaffion ; la
>> Satiété rend délicat ; la fauffeté produit
>>la politeſſe , la folie la gaité , la prodi-
>>galité la bienfaiſance , il n'y a que l'a-
>> varice qui ne conduit à rien.
>> Il faut avoir connu le mal pour aimer
>> le bien ; celui qui n'aura jamais fait de
>>fottiſes , ne faura point les éviter. Un
>>pédant de vingt ans feroit à coup für un
>>imbécille à quarante.
>>Une femme a toujours le coeur froid ,
> quand elle a beaucoup d'eſprit.
ود Les femmes fe font reſpecter quand
>> elles veulent. Ce fentiment dépend
>> d'elles ; les hommes ne peuvent s'y
fouftraire : maisledonde leur coeur n'en ود
>> eſt pas toujours la ſuite. Il faut des at-
ود teintes plus fortes ;
on n'eſt pas toujours
>> conduit à l'amour par l'eſtime ; on ne
>> l'eſt pas même par les defirs.
>> On réſiſte plus aisément au plaifir
>> que l'on connoît , qu'à celui qu'on ima-
>> gine.
AVRIL 1765 . 93
>> Rien n'embellit comme le bonheur.
ود C'eſt une erreur de croire que l'ex-
>> trême reconnoiffance porte à l'indifcré-
>> tion . Trop publier un bienfait eſt une
>> eſpece d'ingratitude. Il ſemble que l'on
cherche à foulager fon coeur du poids
de l'obligation , en careſſant la vanité de
>> ceux qui obligent.
ود
ود
>> Les femmes veulent plaire ; & quand
>> cet eſpoir eſt perdu , elles dédaignent
>> celui qu'elles n'ont pu féduire.
"Il eſt des inſtans où les hommes font vrais
>> malgré eux, & perfuafifs fans le ſavoir » .
Il eſt aifé de juger, d'après ces différentes
penſées, combien l'ouvrage de Mlle Mazarelli
différe de la plupart des fictions de
ce genre. Il n'eſt point queſtion de ces
preſtiges de lafeérie,où brille l'imagination
preſque toujours aux dépens du jugement.
Réflexions , efprit, fentiment , graces de
ſtyle , connoiffance du coeur & ufage du
monde , voilà ce qui diſtingue le conte
de Camédris . Ainſi l'avoit jugé avant nous
le Cenfeur de cet ouvrage , dont nous rapportons
l'approbation : nous ne pouvons
mieux finir cet extrait.
« Cette fiction ingénieuſe , dit M. d'Al-
>> baret , n'est pas une lecture de pur amuſement.
La morale yeſt adroitement fe- ود
>> mée. On reconnoît la main des grâces » .
94
MERCURE DE FRANCE.
LES AVENTURES d'un jeune homme, foar
Servir de fupplément à l'histoire de l'Amour
, en deux parties. A Londres , &
ſe trouve à Paris , chez JACQUESFRANÇOIS
QUILLAU , Libraire , rue
Christine , au Magaſin Littéraire.
Nouous nous bornerons à jetter un coup
d'oeil fur cette brochure. Lejeune homme
écrit lui-même ſes aventures. Dès ſa naiffance
il éprouve les coups de la fortune ;
ſa mère , à qui il étoit odieux , le met en
penfion chez un Curé chargé du ſoin de
l'élever & de l'inſtruire. Il avoit un frère
aîné qui étoit l'idole de cette mère injufte.
Son père meurt. La ſituation d'Alexis
c'eſt le nom du héros , n'en devient que
plus triſte. Il s'échappe de l'eſclavage où
le retenoit le Curé : ne fait trop où ſe
réfugier ; il rencontre dans ſa route le fils
d'un domeſtique de ſa mère, qui avoit
marqué quelque compaffion au malheureuxAlexis
; cet homme , qui étoit berger ,
eſt enchanté de retrouver ſon jeune maître
; il lui offre de prendre le même emploi
que lui. Voilà donc Alexis , prenant la
AVRIL 1765 . 95
houlette & la fimplicité pastorale. Il ne
tarde pas à devenir amoureux ; on fait
que l'amour est la paſſion des bergers.
L'objet de cette flamme innocente eſt une
bergere pour laquelle le Lecteur s'intéreſſe
: ſes grâces , fa candeur , ſa vertu ,
tout retrace les charmes d'une beauté de
l'âge d'or , de ce ſiècle où tous les hommes
étoient bergers , & toutes les femmes
fans nulle autre parure que des fleurs , &
d'autre miroir de toilette que le criſtal
fidèle d'une fource argentée. Alexis ſent
tout le prix de fon bonheur. Il aimoit ,
il étoit aimé. Au moment qu'on ſe livre
au partage de ce tableau agréable , Lyse
meurt: on eft fâché de la perdre ; on s'afflige
avec Alexis ; il vient foupirer à Paris.
Le temps , les illuſions de cette Ville ſi
dangereuſe , emportent cet amour conſtant
du coeur d'Alexis : le berger a fait place
à l'homme à bonnes fortunes ; &une riche
veuve paroît avoir quelque amitié pour
lui. Un jour il vouloit lui faire un état ;
il en reçoit même des bienfaits : cependant
cette Dame ne fait aucune démarche
contraire à l'honneur. Alexis devientamoureux
de Sophie . Cette autre héroïne fait
oublier Lyse ; la premiere eſt préſentée
ſous des traits plus enflammés. C'eſt dans
cette eſpece d'épiſode , qui cependant
96 MERCURE, DE FRANCE.
tient très- fort au ſujet , que l'Auteur a répandu
de l'intérêt , de la chaleur , des
ſituations. Il finit par époufer cette Sophie ;
& il reconnoît dans ſa bienfaictrice , ſa
mère , qui avoit perdu ſon fils aîné : elle
a tous les ſentimens maternels ; Alexis la
confole de tous fes malheurs ; & elle donne
les mains au mariage de ſon fils avec
Sophie.
Ce moment a des ſituations , de la
chaleur. L'Auteur annonce beaucoup de
talent , une vérité de ſentiment qui fait
l'éloge de ſon coeur ; il faut ſeulement
qu'il s'attache à ſe montrer plus févère fur
ce qui concerne le goût. Il a des inégalités
dans le ſtyle ; mais ces légers défauts
n'empêchent point que nous ne l'encouragions
à pourſuivre la carrière qu'il vient
de s'ouvrir. Il eſt bien facile de corriger
ſon ſtyle , quand on eſt échauffé par le feu
ſacré de l'âme ; & il eſt rare de pofféder
cet heureux foyer d'où partent les bons
écrits dans les genres de morale & d'agré-
1
mens.
ANNONCES
AVRIL 1765 . 97
S
ANNONCES DE LIVRES.
ERMONS prêchésdevant le Roi pendant
le carême de 1764 , par M. l'Abbé Torné ,
Chanoine de l'Egliſe d'Orléans ; Aumônier
du Roi de Pologne , Duc de Lorraine &
de Bar ; de l'Académie Royale des Sciences
&Belles- Lettres de Nancy : ci-devant Prêtre
de la Doctrine Chrétienne ; à Paris ,
chez Saillant , Libraire , rue St. Jean de
Beauvais , vis - à- vis le College ; 1765 ;
avec approbation & privilége du Roi. 3
vol. in- 12 .
M. l'Abbé Torné ne s'eſt point aſtraint
à l'uſage de diviſer ſes Sermons en deux
points , & chaque point en pluſieurs autres.
Quelquefois il traite ſes ſujets fans autre
plan que l'ordre néceſſaire des preuves , la
ſuite des faits , ou la progreſſion des idées.
D'autres fois il indique le nombre des
points depuis deux juſqu'à huit ; & en
cela il a voulu ſuivre, non les Bourdaloue
& les Maffillon , mais les Pères de l'Egliſe
& les Orateurs profanes. L'Auteur laiſſe
au Public à juger laquelle de ces diverſes
méthodes eſt préférable. Quant au caractère
d'éloquence qu'emploie M. l'Abbé
Torné dans ſes Sermons , nous dirons ,
Vol. I. E
98 MERCURE DE FRANCE.
d'après un Docteur de Sorbonne , que les
grandes vérités de la Religion & les faintes
maximes de la morale évangélique y font
traitées avec beaucoup de clarté , & prouvées
par les livres ſaints , par les lumières
de la droite raiſon , & par ce tribunal de
fentiment & de conviction , que tous les
hommes portent dans leur propre coeur.
MÉMOIRES de M DE *** , pour ſervir
à l'hiſtoire du dix- feptieme fiécle. Seconde
édition ; à Amſterdam , & ſe trouve à
Paris , chez Robin , Libraire , rue des Cordeliers
, près de la rue de la Comédie Francoiſe
; 1765 ; trois volumes in- 12 .
On ne connoît point l'auteur de l'ouvrage
que nous annonçons. Le manufcrit
avoit été acheté à une vente de livres par
un homme qui eſt mort , & n'a laiffé làdeſſus
aucun éclairciſſement. Celui qui a
écrit ces Mémoires nous apprend ſeulement
qu'il poffédoit une charge chez M. le
Duc d'Orleans,Gaston, frère de Louis XIII;
qu'il fut envoyé fucceſſivement en Angleterre
, pour réſider auprès de Cromwel;
en Suede , près de la Reine Christine , avec
laquelle il fit deux fois le voyage d'Italie ;
une feconde fois en Angleterre & de- là à
laHaye ; enPortugal, auprèsd'Alphonse VI;
en Pologne , auprès du Roi Casimir ; en
1
AVRIL 1765. - 99
Hongrie , auprès du Comte de Tekely ,
Chefdes mécontens de ce Royaume , d'où
il alla à Conftantinople. Enfin il repaſſa
encore en Angleterre & revint en France
avec le Roi Jacques II. Ces voyages , qui
ont duré quarante- ſept ans , l'ont mis en
état de voir & de ſuivre les événemens
qui font la matière de ces trois volumes.
Il commence par ceuxde la régence d'Anne
d'Autriche , juſqu'au temps où Louis XIV
eut à foutenir les efforts de toutes les Puifſances
liguées contre lui.
HISTOIRE naturelle , générale & particuliere
, avec la deſcription du Cabinet du
Roi ; à Paris , de l'Imprimerie Royale ;
1764 ; deux volumes de l'édition in- 12 ,
qui font les tomes quatorze & quinze ,
leſquels ſe trouvent chez Panckouske , rue
& à côté de la Comédie Françoife.
Les matières contenues dans ces deux
tomes avoient déja paru dans l'édition
in-4° . Cette annonce n'eſt donc que pour
apprendre à ceux qui prennent l'édition
in- 12 , qu'il en paroît deux volumes nouveaux
, XIV & xv. Nous dirons auffi à
cette occafion que le ſieur Panckoucke vient
de mettre en vente une ſuperbe collection
deplanches d'hiſtoire,naturelleenluminées.
Cetouvrage, entrepris par M. d'Aubenton,
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
de jeune , ſous la direction de M. de Buffon,
eft infiniment ſupérieur aux planches de
1'hiſtoire naturelle, imprimée en Hollande
&àNuremberg , & coûte beaucoup moins.
Le premier cahier contient vingt - quatre
feuilles in-folio , du prix de 15 liv. On en
atiré quelques exemplaires en très-grand
papier , qui coûternt 24 liv. Il paroîtra un
cahier de vingt-quatre feuilles tous les trois
mois . On n'a tiré que trois cens exemplaires
de cet ouvrage.
OEUVRES diverſes de M. de Marivaux ,
de l'Académie Françoiſe ; à Paris , chez
Duchesne , rue St. Jacques , au temple du
goût ; 1765 ; avec approbation & privilége
duRoi ; 15 volumes in- 12, dont pluſieurs
ſe vendent ſéparément.
Il y a plus d'un an que nous préſentâmes
au Public un abrégé de la vie de feu M. de
Marivaux , avec une liſte des ouvrages de
cet Ecrivain , dont on préparoit une édítion
nouvelle , chez Duchesne , Libraire ,
qui les a recueillis avec ſoin. Cette édition
paroît aujourd'hui , & voici de quoi elte
eſt compoſée. 1 °. Quatre volumes d'Euvres
diverſes , contenant la vie de l'auteur ,
Dom Quichotte moderne , l'Iliade en vers
burleſques , l'Education d'un Prince , la
Voiture embourbée,& quelques autres pieAVRIL
1765 1IOT
ces poſthumes de l'Auteur. 20. Deux volumes
du Speilateur François . 3 °. Cinq
volumes de pieces de théâtre. 4°. Quatre
volumes de la Vie de Marianne. Cette édition
eſt très- ſoignée , & préſente à la tête
le portrait de l'Auteur.
RECUEIL d'inſtructions & d'amuſemens
littéraires ; avec cette épigraphe :
Non Autores, modd , fed etiam partes operis
elegeris. Quintil. lib . 1 , cap. s .
par M. de M***. A Amſterdam , & fe
trouve à Paris, chez Ganeau , Libraire , rue
St. Severin , aux armes de Dombes ; 1765
un vol. in- 12 .
Quoique M. deM*** ne s'annonce dans
l'avertiſſement, quepour un ſimple compilateur
, nous croyons avoir remarqué des
choſes neuves dans ſon ouvrage. Il y a du
moins beaucoup de goût dans le choix de
celles qu'ila , dit- il , priſes çà & là ; &
nous penſons que ſes Lecteurs trouveront
qu'il a bien rempli le titre de ſon livre. Il
contient vingt-quatre chapitres , dans lefquels
on traite de l'éducation , du goût, des
livres , des ſavans , de la ſociété , des loix ,
de la philoſophie , de l'hiſtoire , de l'eſprit ,
du coeur , de l'imagination , du génie ,
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
1
de l'homme , de la religion , de l'amitié ,
de l'amour , du mariage , des femmes ,
des Rois , de la Cour, du travail , des
richeſſes , de la vérité , des louanges ,
de la réputation. On y trouve aufli des
portraits , des anecdotes , des bons mots ;
& l'on y donne une idée de quelques Auteurs
latins & françois.
ESSAI ſur les moyens de rétablir les
ſciences & les lettres en Portugal , adreſſé
à MM. les Auteurs duJournaldes Savans ;
contenant un nouveau plan d'étude , par
Antoine Teixera Gamboa. Seconde édition .
A Lisbonne , & fe trouve à Paris chez
Robin , Libraire , rue des Cordeliers , près
de la rue de la Comédie Françoiſe ; 1765 ;
un volume in - 8 °, petit format.
Ce livre a été d'abord écrit en latin par
un Auteur Portugais ; on l'a enfuite traduit
dans notre langue ; & dans cette édition
, le latin eſt à côté du françois. On
trouve dans ce livre un très-beau plan d'étude
avec beaucoup de bonne critique &
de goût , & une connoiſſance étendue des
meilleures fources en tout genre.
Le Pyrrhonien raiſonnable , ou méthode
nouvelle propoſée aux incrédules , par
M. l'Abbé DE ***. A la Haye , & fe
AVRIL 1765: 103
trouve à Paris , chez Vallat- la- Chapelle ,
Libraire au Palais , fur le perron de la
Sainte Chapelle ; 1765 ; un vol. in- 12 .
Prix 1 liv. 10 fols broché.
Ce livre n'a été fait que pour les incrédules
les plus décidés. Sil'Auteur ne forme
pas de vrais chrétiens , il donne du moins
l'envie de le devenir. La queſtion qu'il
traite ſe réduit à examiner ſi l'on peut,
avec de l'attention & du bon fens , fe
ſouſtraire à quelques vérités furnaturelles
qu'il met dans le plus grand jour. Il fait
marcher enſemble les raiſons qui convainquent
, & les inductions qui perfuadent ;
& il les range dans un ordre qui les rend
plus préſentes & plus chères à ſes Lecteurs.
MÉMOIRES géographiques fur quelques
antiquités de la Gaule , par M. Pofumot ,
Ingénieur Géographe du Roi , de la Société
des Sciences & Belles- Lettres d'Auxerre
, avec des cartes géographiques ; à
Paris, chez Louis- Etienne Ganeau Libraire,
rue St. Severin , aux armes de Dombes ;
1765 ; avec approbation & privilége du
Roi . Un volume in- 12 .
Nous jetterons un coup d'oeil fur les
cinq mémoires qui compofent ce recueil.
Dans le premier l'Auteur traite d'abord
de l'origine & de l'étymologie des mots
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
de Celte & de Gaule ; & il expoſe enfuite
quelles ont été les différentes conſtructions
des chemins romains. Dans le ſecond mémoire
M. Pafumot recherche quelle a pu
être l'emplacement d'une habitation ancienne
, nommée Chora , ſituée entre Avalon
& Auxerre. Le troiſieme a pour objet
le détail exact de la voie romaine entre
Auxerre & Avalon. Ony donne une notice
exacte de tous les lieux par leſquels paſſe
ce chemin , & de toutes les ſinuoſités qu'il
décrit. Dans le quatrieme Mémoire l'Auteur
recherche l'emplacement d'une ſtation
ancienne , nommée Bandritum ; & il examine
par quels lieux a pu paſſer la voie
romaine qui communiquoit d'Auxerre à
Sens. Dans le cinquieme enfin il fait voir
qu'un ſavant Auteur s'eſt trompé au ſujet
d'une autre voie romaine qui conduit
d'Autun à Befançon. Il y a dans ces différentes
differtations , des recherches trèsfavantes
, & dignes d'occuper les amateurs
de l'antiquité.
NOUVEAUX contes en vers & épigrammes
, par M*** , avec cette épigraphe :
Demus alienis oblectationibus veniam , ut noftris
impetremus.
A Genève , & ſe trouve à Paris , chez
AVRIL 1765. 105
Ganeau , Libraire , rue St. Severin , aux
armes de Dombes ; 1765 ; un vol . in- 12 ,
de 200 pages.
Ce recueil eſt de l'Auteur des Fables
nouvelles que nous annonçâmes avec éloge
il y a quelques années. Nous ne trouvons
rien iciqui ne confirme l'idée avantageuſe
que fon premier ouvrage nous avoit donnée
de ſon talent pour la poéfie..
TRAITÉ de l'origine du gouvernement
françois , où l'on examine ce qui eſt reſté
en France ſous la premiere race de nos
Rois , de la forme du gouvernement qui
ſubſiſtoit dans les Gaules ſous la domination
romaine ; par M. Garnier , Profeffeur
Royal d'hébreu , & de l'Académie Royale
des Inſcriptions & Belles- Lettres ; à Paris ,
chez Vente , Libraire , au bas de la montagne
Sainte Genevieve , près les RR. PP.
Carmes ; 1765 ; avec approbation & privilége
du Roi. Un vol. in- 12 , de 250 pa--
ges , petit format.
L'Académie Royale des Inſcriptions&
Belles Lettres avoit propofé , pour le ſujet
du prix qu'elle devoit diftribuer à Pâques
de 1761 , ce qui fait aujourd'hui le titre
de ce livre. M. l'Abbé Garnier remporta
le prix ; & dès ce moment il auroit publié
fon Mémoire , s'il ne s'étoit propoſé d'en
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
retoucher certaines parties que les bornes
d'une differtation ne lui avoient pas permis
d'approfondir.
De l'éducation civile , par M. Garnier ,
Profeſſeur Royal d'hébreu , de l'Académie
Royale des Inſcriptions & Belles-
Lettres ; avec cette épigraphe :
Tamen afpice fi quid
Et nos , quod cures propitium feciffe , loquamur.
Horat. Epift .
A Paris , chez Vente , Libraire , au bas de
la montagne Sainte Genevieve , près les
RR. PP. Carmes ; 1765 ; avec approbation
& privilége du Roi. Brochure in- 12 , de
230 pages , petit format.
A meſure qu'on fent le beſoin d'une
bonne éducation, les traités ſur cette matière
ſe multiplient. M. Garnier découvre ,
par la pratique des anciens , la néceſſité
d'une régle de doctrine civile. Il parle
enfuite des matières qu'on enſeignera dans
la nouvelle école ; il examine les Auteurs
dont la lecture fournira le plus de fecours
au nouveau maître ,& les principaux avantages
qu'on doit ſe promettre du nouvel
établiſſement. Il répond aux objections ,
& traite enfin de tout ce qui peut être
relatif à la nouvelle école qu'il propofe.
On ne peut trop louer le zèle de M. l'Abbé
AVRIL 1765. 107
Garnier , ni les vues utiles qu'il communique
au Public pour l'avantage général
des citoyens.
PENSÉES de M. l'Abbé Prévot , précédées
de l'abrégé de ſa vie ; à Amſterdam ,
chez Arské & Merakis , & fe vend à
Paris , chez Defaint& Saillant , rue Saint
Jean de Beauvais , & chez Delormel , rue
du Foin ; 1764 ; un vol. in- 12 .
Quoique la vie , qui eſt à la tête de ce
volume , ne foit préſentée que ſous le
titre d'abrégé on ytrouve cependant des
détails curieux qui ne laiſſent rien à defi,
rer fur cet Ecrivain célèbre. Cet ouvrage
manquoit à la collection complette des
écrits nombreux compofés par M. l'Abbé
Prévot. On doit être charmé de connoître
la vie d'un homme dont on lit tous les
jours les ouvrages. Quant aux penſées fur
divers ſujetsqui font ici rangées ſous différens
titres , nous croyons , avec l'Editeur ,
qu'elles peuvent former une école de morale
, propre à éclairer l'eſprit , & à perfectionner
le coeur. Perſonne n'a mieux
connu que M. l'Abbé Prévot , la marche
des paffions , ni plus travaillé à les régler
dans les perſonnages qu'il fait agir dans
ſes romans. Mais en faveur de ceux qui
ne lifent point de roman , on a choifi les
1
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
penſées les plus capables de régler les
moeurs. On en a formé ce volume , qui
eft comme le précis de la morale contenue
dans tous les écrits de cet excellent.
Auteur. Nous les avons parcourues avec
la plus grande fatisfaction ; & nous avons
cru leur trouver une force & une énergie
qui ne nous avoient pas autant frappés
dans les ouvrages îmêmes d'où elles font
tirées. Le choix en eſt fait avec goût ; &
elles font rangées dans l'ordre le plus
naturel.
MÉMOIRES & voyages du R. P. de
Singlade , Récollet , & Aumônier actuel
de la garnifon , ville & fort de Cette , en
Languedoc; à Paris , chez Nicolas- Auguftin
de Lalain , Libraire , rue St. Jacques ,
à l'image St. Jacques ; 1765 ; avec approbation&
privilége du Roi. 2 parties in- 12 ,
formant , quand elles feront reliées enſemble
, un ſeul volume d'environ soo pages.
Ces mémoires contiennent le récit fidèle.
de ce qui s'eſt paſſé dans l'Iſle de Corſe ;
l'ufurpation d'un aventurier ſous le nom
du Roi Théodore , ſa chûte , ſes diſgraces ,
& la réduction de ces infulaires ſous la
domination des Génois , leurs légitimes
Souverains : les campagnes des François ,
leurs efforts pour réduire les rébelles , &
AVRIL 1765 . 109
tout ce qu'ils ont fait de plus glorieux
pour foutenir l'honneur de la Nation Françoiſe
dans une Iſle , où les élémens & le
climat ne leur étoient pas moins contraires
que la férocité des habitans..
CATALOGUE des livres de la bibliothéque
de feu M. de Launoy , dont la vente
publique commencera le 15 Avril 1765 , rue
Dauphine à Rennes enBretagne; chez Nicolas-
Paul Vatar , Imprimeur- Libraire , rue
Royale ; 1764, volume in- 8 °, de 180 pages .
Pour mieux faire connoître en quoi
conſiſtera cette vente , nous allons donner
ici un état des livres , inſtrumens de mathématiques
& d'aſtronomie , deffeins
gravures , &c. de la bibliothéque de feu
M. de Launoy : 302 volumes de théologie ,
verſions ſyriaque & arabes , textes grec,
latin , françois , Dictionnaire de la bible :
163 volumes de ſciences & arts , philoſophie
, mathématique , médecine & archirecture
: 1090 volumes d'hiſtoire, moderne,
profane , monaftique , étrangère , géographie&
autres: 420 volumes de belles-lettres
, poétique , mithologie & philologie.
Un très-beau quart de cercle à lunette de
deux pieds de rayon , diviſe en minute
une à une , avec ſon pied de fer très- ſolide ,
& une ſeconde lunette qui s'attache au
110 MERCURE DE FRANCE.
centre pour prendrelesangles ſur le terrein;
ouvrage du fameux Butterfields. Une lunette
d'approche de quarante palmes romaines
: les tubes d'un bois odoriférant font
octogones . Outre les verres oculaires qui
fervent pour les objets du ciel , il y a trois
verres qu'on y peuutt adapter pour voir les
objets de terre. Trois autres lunettes de
huit , de fix & de trois pieds. Une pendule
à fecondes avec ſa monture , travaillée à
l'Obfervatoire de Paris , par le ſieur Baradelle
, ſous les yeux de M. Caffini. Undemicercled'unpiedde
diamètre avec ſa lunette,
le rapporteurdumême diamétre , un niveau
de M. Hughens , de treize pouces & demi
avec fon appui & fon équipage. Pluſieurs
autres inſtrumens , comme bouffolles , récipiangles
, cadrans univerſel équinoxial ,
étuis de mathématiques , compas d'épaifſeur
, échelle de parties égales , graphométre
& fon rapporteur ; pluſieurs cartes géographiques
de MM. de Lifle , Nolin ,
Jaillot , de Fer ,le Rouge , Crépy.
Pluſieurs pièces de deſſeins , tant à étude
de payſage , d'académie , que de différens
ſujets , de Teftelin ; pluſieurs peintures ,
tant en grand qu'en mignatures , gravures ,
eſtampes fur différens ſujets , de Carache ,
le Clerc, le Brun , Pouffin , Bernard &
autres. Pluſieurs payſages , par Rubens ,
(
AVRIL 1765 . III
Titien , Raphael , Vautyck , Salvator
Rofa , & c. Pluſieurs plans géométriques ,
élévations de différentes villes , châteaux ,
monumens , & c .
Les Amateurs s'adreſſeront à Mademoiſelle
Launoy , rue Dauphine , à Rennes en
Bretagne.
Il y a des manufcrits arabes & fyriaques.
Les Décius François , Tragédie , ou le
Siége de Calais fous Philippe VI, par
M. de Rozoi ; à Paris, chez Robin, Libraire,
rue des Cordeliers ; 1765 ; in - 12 , de
100 pages.
Cette Tragédie , qui a été préſentée aux
Comédiens , & n'a point été jouée , eft
précédée d'une épître dédicatoire à M. le
Duc de Grammont , & d'une préface , où
M. de Rozoi fait des remarques morales ,
littéraires , hiſtoriques & critiques ſur fa
pièce.
LETTRE du Chevalier M... à Milord
K.... traduite de l'anglois ; à Londres';
1765 ; brochure in - 8 °.
Cette lettre préſente d'abord des réflexions
ſur l'état de Comédien en France.
Elle offre enfuite un recueil des meilleurs
vers faits depuis quelques années à la gloire
de Mlle Clairon. La fameuſe queſtion ,
F12 MERCURE DE FRANCE.
)
ſavoir s'il eſt juſte d'excommunier les Co
médiens , eſt agitée de nouveau dans la
premiere partie de cette brochure. L'Auteur
apporte & fait valoir toutes les raiſons
ſouvent alléguées contre l'excommunication
employée dans le cas dont il s'agit.
Dans la feconde partie de cette lettre ,
outre le recueil de vers dont nous avons
parlé , on cite encore tous les paſſages de
proſe tirés de divers ouvrages , pour mettre
dans tout fon éclat le jeu de cette célèbre
Actrice..
PRIERES d'un pécheur pénitent qui demandepardon
àDieu de ſes fautes , ſuivies
de réflexions en vers ; fixieme édition ,
revue, corrigée & augmentée ; àParis , chez
Saugrain , le jeune , Libraire , quai des
Auguſtins , près du Pont Saint Michel , à
la fleur-de- lys d'or ; 1765 ; avec approbation
& privilége du Roi ; in- 12 , petit format
, de 250 pages .
Ce petit livre contient la meſſe , les
prieres d'un pécheur , qui , pénétré de
douleur de ſes offenfes , demande pardon
de ſes fautes ; avec des réflexions en vers ,
dont le fens , relatif aux ſuſdites prieres ,
eſt renfermé dans un diſtique au bas de
chacune. Les prieres font diviſées en ſept
parties pour les ſept jours de la ſemaine,
AVRIL 1765. 113
& diſpoſées par ordre alphabétique , pour
foulager la méinoire des âmes pénitentes
qui ſouhaiteront les apprendre par coeur.
Après ces prieres font des ſentences chrétiennes
, tirées la plus grande partie de
l'imitation de Jeſus - Chriſt , miſes aufli
par ordre alphabétique. Le tout eft terminé
par deux actes de contrition , qui expriment
, l'un en profe , & l'autre en vers ,
les ſentimens d'un coeur contrit & humilié .
RAPPORT fur le fait de l'inoculation
de la petite vérole , lu en préſence de la
Faculté de Médecine de Paris , & imprimé
par fon ordre pour être communiqué à tous
ſes Docteurs , avant qu'elle donne , fur
certe queſtion , l'avis que le Parlement lui
a demandé par fon Arrêt du 8 Juin 1763 ;
à Paris , F. A. Quillau , Imprimeur de la
Faculté de Médecine , rue du Fouarre ,
près la place Maubert , & chez Babuly
quai des Auguſtins , à l'étoile , près de la
rue Gît- le - coeur ; 1765 ; in-40 , de 130
pages.
Cet écrit eſt de M. de l'Epine , ancien
Profeſſeur & ancien Doyen de la Faculté
de Médecine de Paris. Après l'avoir lu
avec attention , nous avons jugé que malgré
les efforts de l'Auteur pour détourner
le. Public de l'uſage de l'inoculation,cette
114 MERCURE DE FRANCE.
/
méthode n'eſt pas aufli dangereuſe qu'on
entreprend de le perfuader.
DISCOURS à la louange du Roi , établi
& fondé à perpétuité par l'Univerſité
de Perpignan , pour confacrer fon rétabliſfement:
prononcé par le Recteur le 15 Février
, jour de la naiſſance du Roi ; in -4 °,
de 24 pages , avec de belles gravures :
1765 .
Le Roi rétablit en 1759 l'Univerſité de
Perpignan. Par reconnoiffance cette Univerſité
a fondé à perpétuité un difcours
écrit en françois à la gloire de fon reftaurateur
, & il ſe prononce tous les ans le
is Février. Celui que nous annonçons
aujourd'hui offre d'abord un tableau rapide
de tous les événemens qui ont illuftré le
règne de Louis XV: " mais une époque
>>plus remarquable , & qui le caractériſe
>>particulierement, c'eſt ce coup de lumière
22 qui a montré aux principaux Ordres de
>>l'Etat les défauts de l'éducation publique
» & particulière » . C'eſt là-deſſus qu'inſiſte
ſpécialement M. le Recteur dans ce
difcours , qui est très-bien écrit.
MÉMOIRES fur les limites de l'Empire
de Charlemagne , qui a remporté le prix
propofé par l'Académie Royale des Inf
AVRIL 1765. 115
criptions &Belles- Lettres ; parDom Phi-
Lippe-Louis Lieble , Bénédictin de la Congrégation
de Saint Maur , à l'Abbaye de
Saint Germain - des - prés ; à Paris , chez
Vente , Libraire , au bas de la montagne
Sainte Genevieve , proche les RR. PP. Čarmes
; 1765 ; avec approbation & permiffion
. Brochure in- 18 , de 110 pages.
Il y a dans ce mémoire , dont nous avons
déja parlé , des recherches utiles pour l'éclairciſſement
de notre hiſtoire .
LES Légiflatrices , Comédie en un acte
en vers libres , mêlée d'ariettes ; par M.Moline
; avec cet épigraphe :
Leges non omnia preſcribunt ,& virtutis regula docce
On
ubique quidfit honestum , quid turpe. Erafime .
A Paris, chez Claude Hériſſant ,Imprimeur-
Libraire , rue Neuve Notre - Dame , à la
croix d'or ; 1765 ; avec approbation : in 8 ,
de 36 pages .
lita la tête de cette Comédie , que ,
faite pour les Italiens , elle avoit été confiée
à un Muſicien pour en compofer les
ariettes . L'Auteur dit qu'il ne fongeoit
pas à la faire imprimer , lorſqu'il apprit
qu'on devoit donner , fur le même théâtre,
une pièce qui porte le même titre , & qui
différe peu de la fienne. Dans la crainte
116 MERCURE DE FRANCE.
qu'on ne lui raviſſe un bien qui lui appartient,
il croit devoir rendre publique fa
Comédie , perfuadé que par là , il empêchera
qu'on ne joue celle qu'il dit être
entre les mains des Italiens.
Le Tonnelier , Opéra- Comique , mêlé
d'ariettes ; repréſenté par les Comédiens
Italiens ordinaires du Roi , le 16 Mars
1765 : prix 24 fols avec la muſique ; à
Paris , chez Duchesne , Libraire , rue Saint
Jacques , au temple du goût. Avec approbation
& privilège du Roi ; in- 8 ° , de
5.6 pages.
On a repréſenté à l'Opéra - Comique ,
dans la dernière année de la foire Saint
Laurent , une pièce intitulée le Tonnelier ,
dont le ſuccès ne fut pas heureux. Quelques
ſituations théâtrales , &de bons morceauxde
muſique qui s'y trouvoient , firent
naître l'idée de la remettre au théâtre avec
des changemens . Ceux qu'ony a faits font
devenus ſi conſidérables , qu'on pourroit
la donner aujourd'hui comme tout-à-fait
nouvelle. Il en fera rendu compte plus au
long dans l'article des ſpectacles.
1 MÉMOIRE pour l'entière abolition de la
fervitude en France , ou Mémoire pour
les habitans de Sivry-la-perche, près Ver
AVRIL 1765. 117
dun, joints à Jacques le Fevre , l'un d'eux ,
demandeur en caſſation d'un arrêt du Parlement
de Metz ; par M. Damours , Avocat
au Parlement : à Paris , de l'Imprimerie
de Ch. Eft. Chénault , rue de la Vieille-
Draperie ; 1765 ; in- 4º , de 78 pages.
A l'occaſion d'une Cauſe particulière ,
M. Damours a fait des recherches trèsintéreſſantes
& très-curieuſes ſur les cauſes
de la fervitude en France pendant pluſieurs
fiécles , fur fon abolition & fur le droit de
main - morte. C'eſt un morceau d'hiſtoire
très- inſtructif , qui pourra être d'une fort
grande utilité à ceux qui auront à écrire
fur ces matières.
Le Siége de Calais , Tragédie , dédiée
au Roi , par M. de Belloy ; repréſentée
pour la premiere fois par les Comédiens
François ordinaires du Roi , le 13 Février
1765 ; ſuivie de notes hiſtoriques ; avec
cette épigraphe :
ره
• Vestigia Grace
Auſi deferere , & celebrare domestica falta.
A Paris , chez Duchesne , Libraire , rue
Saint Jacques , au temple du goût ; 1765 ;
avec approbation & privilége du Roi ;
in- 8 ° , de 136 pages.
On a lu l'extrait de cette Tragédie dans
118 MERCURE DE FRANCE .
r
le Mercure du mois de Mars : on en parlera
encore dans celui - ci à l'article des
ſpectacles. Nous nous bornons donc à cette
fimple annonce , pour avertir le Public que
la feule édition faite ſous les yeux & par
les foins de l'Auteur , eſt celle qui ſe vend
chez Duchesne , & dont les exemplaires
portent une double Lau bas de la premiere
page. S'il en paroît d'autres éditions , elles
ne pourront être qu'imparfaites & défectueuſes.
L'HONNEUR François , ſtances à M. de
Belloy, auteur du Siége de Calais par M.
Marion ; à Paris , de l'Imprimerie de
Jorry ; 1765 : in- 80 , de 8 pages .
Cette petite feuille eſt écrite en profe &
en vers. L'Auteur , qui ſe dit un jeune
homme , exprime le plaiſir que lui a fait
la Tragédie de M. de Belloy , & rend
hommage aux talens de ce Poëte , également
célèbre & modefte .
LETTRE de Pétrarque à Laure , ſuivie
de remarques fur ce poëte , & de la traduction
de quelques-unes de ſes plus jolies
pièces : avec cette épigraphe :
Sur cette roche fut écrite la lettre qui toucha ton
coeur. Les cailloux tranchans me ſervoient de burin
pour y graver ton chiffre . J. J. R..nouv . Hel .
à Paris , chez Sébastien Jorry , ImprimeurAVRIL
1765. 119
Libraire , rue & vis- à - vis de la Comédie
Françoiſe , au grand Monarque & aux
Cigognes ; 1765 ; avec approbation. Brochure
in- 8 ° , de 50 pages ; avec les ornemens
de la typographie & du burin , qui
diftinguent depuis quelque temps l'Imprimerie
du ſieur Jorry .
Les amours de Pétrarque font plus fouvent
cités que ſes ouvrages. C'eſt d'après
cette idée , la plus générale & la plus répandue,
que l'Auteur a entrepris cette lettre ,
où l'on voit la peinture d'un coeur ſenſible
& plein de ce qu'il aime , dont l'amante
adorée mérite d'exciter les defirs & de'
caufer les regrets. Pour faire rechercher
ce petit ouvrage , l'Auteur n'avoit pas
beſoin de la reſſource nouvellement ufitée
de la gravure & des eftampes.
ODE ſur le rétabliſſement de la bibliothéque
publique des Chanoines Réguliers
de Saint Victor , avec la traduction latine ;
par M. Blanc de Juillet ; 1765 ; feuille
in- 8° .
Nous avons trouvé dans cette ode quelques
ſtrophes qui nous ont paru affez bien
traduites ; ce qui prouve que l'Auteur
entend bien les deux langues. Son talent
pour la verſification n'eſt point équivoque.
OEUVRES de théâtre de M. Bret , Cen120
MERCURE DE FRANCE.
feur Royal , & de l'Académie Royale des
Sciences & Belles - Lettres de Nancy ; à
Paris , chez Prault , petit - fils , Libraire ,
quai des Auguſtins , au-deſſus de la rue
Gît-le- coeur , à l'Immortalité ; 1765 ; vol .
in- 12 , petit format.
Parmi les cinq Comédies qui forment
ce recueil , pluſieurs ont été repréſentées
avec ſuccès , &jouiffent encore de l'avantage
d'amufer quelquefois le Public , telles
que l'Ecole Amoureuse , & c. Nous nous
rappellons d'avoir vu jouer la Double Extravagance
avec des applaudiſſemens mérités.
Les autres pièces ſont le Jaloux ,
l'Entêtement & le Faux Généreux , dont
on ſe rappelle encore pluſieurs ſcènes qui
ont fait le plus grand effet ; mais tout cela
demande des détails qu'on trouvera à l'articledes
ſpectacles dans unde nos prochains
Mercures.
HISTOIRE d'Eustache de Saint- Pierre ,
ou Siége de la ville de Calais , ſous le règne
de Philippe de Valois , Roi de France &
de Navarre , en 1346 & 1347 ; à Calais ,
&ſe trouve à Paris , chez Vente , Libraire,
au bas de la montagne Sainte Genevieve ,
près les RR. PP. Carmes ; 1765 ; brochure
in- 12 , petit format , de 140 pages.
Ce petit morceau de notre hiftoire ,
AVRIL 1763 . 121
à la réimpreſſion duquel la Tragédie de
M. deBelloy a donné lieu , eſt écrit avec
intérêt , & fera encore mieux ſentir les
beautés du poëте.
ESSAI de contes moraux &dramatiques,
par M. B *** , avec cette épigraphe :
La mère en preſcrira la lecture à ſa fille.
La Métromanie .
AParis , chez Prault , petit-fils , quai des
Auguftins , à l'immortalité ; 1765 ; avec
approbation& permiffion. Brochure in- 12 ,
de 160 pages.
Pour éviter ces mots , fi fort ufités dans
les narrations , il dit , il répondit , &c ; pour
éviter auſſi les points dont s'eſt ſervi
M. Marmontel ,& qui diftinguentles interlocuteurs
, l'Auteur de ces nouveaux contes
met en titre, comme dans un drame, le nom
du perſonnage qui va parler : ce font des
contes intéreſſans & inftructifs mis en dialogues.
1-
JEAN Calas à fa femme & à ſes enfans,
héroïde ; avec cette épigraphe :
Tantum relligio potuit fuadere malorum.
Lucret . lib . 1 , par M. Elin de Sainmore.
AParis,de l'Imprimerie de Sébastien Jorry,
rue & vis-à-vis de la Comédie Françoiſe ,
au grand Monarque ; avec permiflion ;
Vol. I.. F
122 MERCURE DE FRANCE.
1765 ; in - 8 , de 24 pages , fans aucuns
de ces ornemens typographiques qui diftinguent
depuis quelques temps l'Imprimerie
de Jorry.
Nous ne pouvons nous empêcher de défapprouver
l'épigraphe de ce poéme. Ce
n'eſt point ſur la religion qu'il faut rejetter
la faute du malheurde Calas ; la religion
n'ajamais perfuadé de faire périr un innocent.
Quant à l'héroïde , elle ne dément
point l'idée avantageuſe que le Public a
conçue des talens de M. Blin de Sain-
More dans ce genre d'écriture ; & le fentiment
qu'elle produit dans le coeur des
Lecteurs , répond à l'intérêt que toute la
France a pris au malheur des Calas.
د
Μικου & Μεzi , conte moral , avec
pluſieurs pièces fugitives en vers ; par
M. Maton ; à la Haye , & ſe trouve à
Paris , chez Durand , neveu , Libraire
rue Saint Jacques , à la ſageſſe ; & à Lille ,
chez Hubert Lemmens , fur la grand'place ;
1765 ; brochure in - 8 ° , de 100
pages.
L'Auteur prévient le Public qu'il s'eft
moins attaché à faire un roman , qu'à donner
un précis de la religion , des moeurs &
du gouvernement de Siam. Il ajoute que
ſi ce mêlange de vérités & de fictions plaît
aux femmes , il ſe promet de les faire
voyager ainſi chez pluſieurs nations. Les
AVRIL 1765 . 123
pièces de versqui terminent cette brochure,
fontun conte , une épître aux paffions , &
une ode fur la modeſtie.
Cette brochure nous paroît amuſante.
MARIA , ou les véritables Mémoires
d'une Dame illuftre par fon mérite , fon
rang & fa fortune. Traduit de l'anglois.
Deux volumes in- 12 , formant enſemble
plusde 650 pages. Prix 3 liv. 12 f. brochés .
A Londres , & fe trouve à Paris , chez
Bauche , Libraire , quai & auprès des Auguſtins
, à Sainte Genevieve & à Saint Jean
dans le défert ; L. Cellot , Imprimeur-
Libraire , grand'Salle du Palais , & rue
Dauphine ; 1765. On affure que ce n'eſt
point un roman , mais une hiſtoire véritable
; que l'Auteur n'a ni le mérite de
l'invention , ni celui d'avoir ajouté des
incidens capables de flatter le goût d'un
certain Public pour les événemens & les
faits merveilleux. Cet ouvrage a paru à
Londres en 1764 , &y a été fort accueilli ;
auſſi en a - t -on fait pluſieurs traductions
qu'il ne faut pas confondre les unes avec
les autres. Il y en a une preſque littérale
qui vient d'être faite à Rotterdam ſous le
titre de Marianne , ou la nouvelle Paméla ;
mais le traducteurde Hollande, loin d'avoir
diminué lesdéfauts de l'AuteurAnglois , y
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
a
en aajouté encore quelques-uns pardes contre-
fens. Au contraire , dans la verſion que
nous annonçons , on dépouillé les Mér
moires de tout ce qui ne tenoit pas effentiellement
au fond , & qui refroidiſfoit
grop la narration. Cependant comme il
eſt eſſentiel qu'un traducteur conſerve au
moins le caractère de l'Auteur original ,
on ne s'eſt pas entièrement écarté de fon
ton&de fa marche. Nous rendrons incefſamment
un compte plus détaillé de ce
zoman intéreſſant & honnête.
CONTES moraux , par M. Marmontel ,
de l'Académie Françoiſe ; nouvelle édition
, augmentée de cinq nouveaux contes
3 volumes in- 8 °, & in- 12 ; avec une eſtampe
au commencement de chaque conte , & le
portrait de l'Auteur à la tête de chaque
exemplaire. AParis , chez Merlin , rue du
mont Saint Hilaire, près le Puits Certain
1765 .
Nous avons annoncé ces deux éditions
avant qu'elles paruffent ; & nous avons la
fatisfaction , depuis qu'elles paroiſſent , de
pouvoir affurer le Public , qu'elles répondent
parfaitement à l'idée que nous en
avions donnée ; les foins duLLiibbraire ,dans
les détails & dans les ornemens typogra
phiques , ayant ſecondé ceux de l'Auteur
AVRIL 1765. 12
-
dans la partie littéraire. Comme M. Marmontel
a enrichi de cinq contes nouveaux
cette double édition , nous nous propo
fons d'en parler plus au long dans nos pro
chains Mercures.
RÉGULUS , Tragédie en trois actes &
en vers , précédée d'une lettre au Solitaire
duGuélaguet ; à Paris , de l'Imprimerie de
Sébastien Jorry, rue & vis-à- vis de la Comé
die Françoife , au grand Monarque & aux
Cigognes ; 1765 ; avec approbation. Brochure
in- 8 °, ornée d'une très-belle vignette
&d'un cul-de- lampe de la maindes meilleurs
artiſtes.
La lettre qui précede la Tragédie nous
a paru pleine d'eſprit & de remarques
judicieuſes. Le Solitaire , à qui elle eſt
adreſſée , eſt un ami de l'Auteur qui vit
dans une terre près de Blois , appellée le
Guélaguet. La Tragédie de Régulus préfente
des ſcènes écrites avec intérêt & avee:
chaleur.
SOLYMAN & Zema , traduit de l'anglois
; par M. D. L. F. A Amſterdam , &
ſe trouve à Paris , chez Mérigot , père ,
quai des Auguſtins , près la rue Gît-lecoeur
; 1765 ; brochure in - 12 , de 180
pages..
!
1
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
Il y a dans ce roman beaucoup de voyages
& d'aventures qui excitent une forte
de curiofité. Il y eſt toujours queſtion
des moeurs étrangères : ce font des tableaux
des peuples des Indes qui n'ont rien de
commun avec ceux de l'Europe.
NOUVELLES obſervations fur les naifſances
tardives , par M. le Bus , Maître
en Chirurgie , Cenfeur Royal , &c ; fuivie
d'une confultation de célèbres Médecins
& Chirurgiens de Paris ; à Paris , chez
Delalain , Libraire , rue Saint Jacques ;
1765 ; brochure in- 8 ° , de 200 pages.
Cettegrande queſtion, à laquelle a donné
lieu l'accouchement tardifd'une Dame de
Bretagne , a produit pluſieurs écrits que
nous avons annoncés dans le temps. Cette
matière eſt le ſujet d'un procès actuellement
pendant au Parlement de Bretagne ;
& la Dame , contre laquelle ce procès a
été intenté , eſt morte au mois de Février.
L'ouvrage de M. le Bas eſt une réponſe à
une réplique de M. Louis.
Le Fanatiſme , ode ; à Amſterdam ;
1765 ; feuille in- 8 ° .
Tous les maux que le fanatiſme a caufés
dans tous les temps , dans tous les pays
du monde , & dans toutes les religions
AVRIL 1765. 127
établies fur la terre , ont chacun leur itrophedans
cette ode.
HISTOIRE Civile, Eccléſiaſtique & Littéraire
de la Ville&du Doyenné de Mondidier
, avec les pièces juftificatives. Par le
Père Daire , Célestin , de l'Académie de
Rouen.
Imprimée à Amiens , & fe vend chez
François , Libraire , rue du Beau-puits , à
la Religion. Se trouve à Paris , chez Ganeau
, rue & près l'égliſe Saint Severin ,
aux armes de Dombes & à Saint Louis ;
& chez Panckoucke , rue & à côté de la
Comédie Françoiſe , au Parnaffe.
Nous rendrons compte avec plaifir de
cet ouvrage.
Cours d'hiſtoire &de géographie univerſelle
, convenable aux deux ſexes , à
tous les âges & aux différentes formes
d'éducation , avec cette épigraphe :
t Refpicere exemplar vita , morum que jubebo.
Horat . Art. Poët. v. 317 .
A Paris , chez Panckoucke , Libraire , rue
de la Comédie Françoiſe ; 1765 ; avec
approbation & privilége du Roi ; feuille
in - 8 ° , de 16 pages.
Ce n'eſt ici que le profpectus d'un ou
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
vrage , dont lebut principal eſt de repréſenter
l'hiſtoire de l'univers ſous les différens
points de vue que lui prêtent la politique
, la morale & la religion ; d'attacher
par une lecture qui n'ait , ni le faftidieux
d'une liſte de faits , ni le férieux d'un
traité de philofophie ; & de rapprocher
toujours les révolutions des principes qui
les ont préparées. Ce cours d'hiſtoire univerſelle
ſera diviſé en deux parties ; les
petits & les grands élémens. Les petits élémens
feront compoſés de tablettes féculaires
, où les événemens feront placés avec
clarté & fimplicité. On obſervera le même
ordre pour les grands élémens ; & cette
ſeconde partie ſervira de développement
à la premiere. On peut lire le profpectus
même fur les autres détails quiconcernent
le plan de l'ouvrage de M. Luneau de
Boisjermain , ainſi que ſur les conditions
dela foufcription.
PROJET de l'édition des oeuvres de Jean
Racine ; feuille in- 8 ° , de quatre pages.
Lesplus célèbres Poëtes du ſièclede Louis
XIVont été imprimés avec beaucoup de
foin&de magnificence.Tout lemonde connoît
les ſuperbes éditions qu'on a publiées.
de la Fontaine & de Corneille. Nous n'avons
point encore en France une édition
AVRIL 1765. 129
de Racine dont les curieux puiſſent enrichir
leur bibliothéque , & qui puiſſe en
même temps ſervir à l'inſtruction des
Gens de Lettres. On propoſe aujourd'hui
par foufcription toutes les oeuvres de cet
illuſtre tragique , avec des remarques hiftoriques
& critiques ſur la langue & fur le
goût , &une traduction des morceaux que
cet Auteur a imités ou empruntés des
Grecs.
Cet ouvrage contiendra fix volumes. II
fera du même format que l'édition de
Corneille, donnée par M. de Voltaire , &
il ſera orné de douze eſtampes en taille--
douce , deſſinées par M. Gravelot , & gravées
par les meilleurs artiſtes. Le Public
peutjuger , par cette annonce , du caractère
&du papier qui ferviront à cette édition.
On fournira aux Souſcripteurs de l'édition
de Corneille , qui ſouſcriront auſſi à cette
édition de Racine , les meilleures épreuves
des eſtampes & les portraits de ces deux
grands hommes, qu'on grave actuellement..
On ſe fera un devoir de placer la liſte
des Souſcripteurs à la tête du premier volume.
Le prix de chaque exemplaire fera
de trente livres. Les perſonnes qui feront
carieuſes de voir les eſtampes deſtinéesà
cette édition , les trouveront gravées-
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
chez M. Luneau de Boisjermain , rue & à
côté de la Comédie Françoiſe , même
maiſon que le Libraire , Panckoucke , chez
lequel on ſouſcrira. Les ſouſcriptions ne
feront ouvertes que juſqu'au premier Juillet
prochain. On paiera quinze livres en
foufcrivant , & quinze livres en recevant
l'exemplaire. On n'imprimera que deux
mille cinq cens exemplaires , afin que tous
les Soufcripteurs puiſſent avoir de bonnes
épreuves des eſtampes. On commence aujourd'hui
à mettre cet ouvrage fous preffe.
On croit pouvoir aſſurer qu'il ſera en état
d'être livré avant la fin de l'année.
: LE Guide de Paris ; chez Denis , Graveur
, rue Saint Jacques , vis-à- vis le Collége
de Louis le Grand.
La difficulté qu'avoient les étrangers en
arrivant dans cette Capitale , a fait naître
l'idée àM. Denis de compofer un ouvrage
dans lequel chacun puiſſe aifément reconnoître
la route qu'il doit tenir pour ſe
rendre dans les différens endroits où il
peut avoir affaire. Cet avantage eſt d'autant
plus grand , que l'on a toujours eu
beaucoupdepeine à trouver dans les plans
de Paris , qui ont paru juſqu'à préſent , les
édifices remarquables , les rues , les culsde-
fac, les places , &c. Pour donner à ce
AVRIL 1765 . 221
livre plus de commodité , on l'a mis dans
un format in- 18 , grandeur auffi portative
qu'un almanach , &qui n'embarraffe point
dans la poche. On trouve à la tête de l'ouvrage
un plangénéral , diviſé en autant de
parties , qu'il y a de places dans le livre ; &
le numéro romain placé dans chaque partie,
indique la page. On y a joint auffi une
table alphabétique qui renvoie à une autre
table placée à côté du plan où ſe trouve
l'endroit defiré.
Le même Graveur débite un autre ouvrage
intitulé : Analyse de la France , qui
eſt de même format , & donne les connoiſſances
néceſſaires fur la France , en
déſignant d'un coup d'oeil la diviſion des
différens gouvernemens , les rivieres principales
, les Capitales de chaque province ,
de quel Archevêché font fuffragans les
différens Evêchés de chaque province , à
quel Parlement reſſortiſſent les Bailliages
& Préfidiaux , & de quelles Généralités dépendent
les différentes Elections. Cet ouvrage
, dreſſé en forme de cathéchifme ,
. & dans lequel l'Auteur s'eſt efforcé de ne
rien obmettre , eſt très-propre à l'inftruction
de la jeuneſſe.
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
Avis aux Amateurs de l'Histoire de
France.
JEAN- Thomas Hériſſant , Imprimeur du
Cabinet du Roi , va mettre ſous preſſe une
nouvelle édition de la Bibliothéque hiſtorique
de la France du Père le Long , avec
des augmentations conſidérables. Les re--
cherches immenfes de l'Editeur, fecondées
de celles de pluſieurs ſavans , tant de la
Capitale que des Provinces , ont plus que
doublé ce livre , & fait difparoître une
grande partie des fautes qui défigurent ,
comme on fait , un ouvrage auſſi néceſſaire
à tous ceux qui étudient notre hiſtoire. Le
defir que l'on a de le rendre le plus com--
plet qu'il foit poſſible , engage à prier les '
perſonnes zélées pour la perfection de ce
livre, de communiquer les notes que leurs
recherches les ont mis ou les mettront en
étatde faire fur ce point.
Ces recherches regardent principalement
l'hiſtoire particulière de chaque ville ou
province ; & leur but eſt de découvrir
pluſieurs ouvrages , differtations & autres
pièces fugitives peu connues , fur- tout
celles qui font encore manufcrites. On
ر
AVRIL 1765 . 133
demande ce détail 1º. fur la géographie
ancienne & moderne , l'hiſtoire naturelle
du pays , les rivieres , fontaines & eaux
minérales , les mines , la botanique , les
animaux,&c. les fingularités, &c. 2 °. L'hiftoire
des Diocèses , des Eglifes , Abbayes
, Monastères , lieux de dévotion , &c.
3 °. L'hiſtoire civile du pays , foit géné
rale , foit particulière , de quelques années.
4°. L'hiſtoire de chaque ville ou bourg ,
foit générale , foit particulière . 5º. Ce qui
a trait aux privilégesde laprovince , & de
chaque ville en particulier, àſes uſages,&c.
6°. Ce qui a rapport aux différens Tribunaux
, à leurs Officiers , & aux démêlés qui
peuvent être ſurvenus entr'eux. 7º. Les
vies particulières des hommes illuftres en
tout genre . 8 °. Les généalogies des familles.
9 °. Les antiquités du pays ,& des lieux
particuliers qui en font partie. Il ſuffira de
donner le titre de chacun de ces ouvrages ,
le nom de leur Auteur, & fes noms de
baptême, qualités , lieu de ſa naiſſance ,
l'année de fa mort , autant que faire fe
pourra. S'ils font imprimés , le lieu & la
date de l'impreffion, le nom de l'Imprimeur
& le format doivent être indiqués.
S'ils font manufcrits , il faut faire connoître
les cabinets dans leſquels ils ſe trou
134 MERCURE DE FRANCE.
vent ; fi c'eſt l'original ou feulement une
copie : fi l'on étoit à portée d'en donner
une courte notice , elle ne pourroit être,
que très-utile aux vues qu'on ſe propoſe.
La plupart des pièces de ce genre que
cite le P. le Long, ont changé de propriétaires
depuis 1719 , foit par la mort des
Auteurs , entre les mains deſquels elles
étoient conſervées , ſoit même par la vente
des bibliothéques où elles ſe trouvoient.
Onn'a pu encore être inſtruit autant qu'on
le fouhaiteroit fur le fort de tous ces manufcrits
, & en particulier fur celui de deux
differtations que Jacques Robbe , Géographe,
mort à Soiffons , ſa patrie , en 1721 ,
avoit entre ſes mains du temps du Pere
le Long ,& que le Dictionnaire de Moreri
dit être écrites en latin. Elles regardent
l'une la fituationde Bibrax Oppidum Rhemorum
, dont il eſt parlé dans Céfur ; l'autre
, le lieu où s'eſt donné la fameuſe bataille
de True dans le Soiſſonnois. Ce ſeroit
rendre ſervice aux Gens de Lettres
que de leur procurer fur ces morceaux&
autres pareils, tous les éclairciſſemens qu'il
eſt poſſible de donner. On demande les
mêmes lumieres ſur un grand nombre
d'ouvrages manufcrits annoncés dans les
Catalogues de MM. Boiffier , d'Estrées ,
le Blanc, Dantzy d'Isnard , &c. &c. &c.
AVRIL 1765 . 135
pas
Il y a lieu d'eſpérer que ceux qui ontacqu's.
ces ouvrages , ou qui ſavent ce qu'ils font
devenus ne refuferont pas d'en donner
avis. Il paroît néceſſaire d'avértir que l'on
a eufoin deparcourir les Mercures& autres
Journaux François , ( à l'exception cependant
de quelques feuilles périodiques publiées
dans certaines Provinces ) les Acta
eruditorum de Leipfick, les Mémoires de
l'Académie des Inſcriptions , &c. & d'en
extraire les titres des pièces relatives à
l'Histoire de France. La difficulté de raffembler
les différens Recueils des pays
étrangers , tels que le Muſeum Helveticum ,
&c. n'a pas permis de dépouiller de même
ces collections qui renferment auſſi quelques
morceaux fur la Gaule. Les Savans
qui les poſſéderont & qui voudront fuppléer
à ce défaut , peuvent être aſſurés de
la reconnoiſſance de l'éditeur & de celle
du public. Toutes ces notices , corrections
& additions fur l'ouvrage du Pere le Long,
feront adreffées le plus promptement qu'il
fera poſſible chez l'Imprimeur , rue S. Jacquesà
Paris.
136 MERCURE DE FRANCE.
Avis touchant divers ouvrages quise trouvent
à Paris , rue Saint Jacques , chez
Paul-Denis Brocas , Libraire , au Chef.
Saint Jean , 1765 , fur lesquels on fait
une diminution conſidérable en faveur
de ceux qui defireront en faire l'acqui
fition.
L
HISTOIRE littéraire de la France , &c .
par des Religieux Bénédictins de la Con--
grégation de S. Maur , onze volumes in-
4°. Le tome I , imprimé en 1733 ; tome
II & III , 1735 ; tome IV, 1738 ; tome
V,, 1740 ; tome VI , 1742 ; tome VII ,
1746 ; tome VIII , 1747 ; tome IX ,
1750 ; tome X , 1756 ; tome XI , 1759 .
Tout le monde connoît cet ouvrage , où
font renfermés les faſtes de notre littérature.
Il n'eſt pas beſoin de remettre ſous
les yeux le but que fe font proposé les Savans
qui font entrés dans cette pénible carriere.
On n'ignore pas qu'ils ont commencé
par rechercher quel étoit l'état des Scien
ces dans les Gaules avant JESUS - CHRIST ;
AVRIL 1765 . 137
qu'ils ont fait voir enfuite celui où elles
furent dans les fiécles ſuivans , & qu'ils
ont donné une notice affez détaillée des
hommes célebres en tout genre. On fait
qu'on en donne ſommairement la vie ,
qu'on indique leurs ouvrages , qu'on les
apprécie , & que l'on en marque les différentes
éditions. Le prix des onze volumes
enblanc eſt de 44 liv. Ceux qui auront befoin
des volumes ſéparés , les paieront 4
liva
II.
BIBLIAfacra vulgata editionis Sixti V,
&Clementis VIII, Pontif. Max, auctoritate
recognita , verficulis distincta , unà cum
Selectis annotationibus ex optimis quibuſque
interpretibus excerptis , tabulis geographicis,
hiftoricis & chronologicis illustrata ,
indiceque Epistolarum & Evangeliorum
aucta : in-fol. 2 vol. de 1300 pages pour
les deux , 173 1 .
M. Hennequin , aux foins duquel eſt
due cette édition de la Bible , s'eſt propoſé
non- feulement d'en donner un texte pur
& correct , mais encore d'en faciliter l'intelligence
par des notes courtes , précifes
&-claires fur chaque verſet : il a tâché de
ne rien dire que d'exact. Pour cela il a en
l'attention de choiſir ce qu'il y avoit de
138 MERCURE DE FRANCE.
mieux dans les différens interprètes de l'Ecriture
fainte : il s'eſt ſervi fur-tout de
l'édition de laBible , publiée en 1706 par
un ſavant théologien , M. Duhamel , Secrétaire
perpétuelde l'Académie des Sciences.
Le prix deces deux volumes en blane
eft de 7 liv.
III.
LIBER pfalmorum vulgata editionis cum
notis , in quibus explicatur titulus , occafio
& argumentum cujuſque pfalmi ; dilucidatur
fenfus litteralis , paucis attingitur fenfus
myfticus , &c. Parifiis , M. DCC. XXIX.
in-4°.
Cet ouvrage , où brillent l'érudition &
les connoiffances les plus profondes del'Ecriture
fainte &de la langue hébraïque , a
mérité les fuffrages des Savans. Son auteur
, M. Bellenger , Docteur de Sorbonne,
a préſidé lui-même à cette édition , & lui
a donné toute l'exactitude dont il étoit capable
, & que reconnoiſſent en lui tous
ceuxqui l'ont connu. Il a eu la fatisfaction
de ſe voir applaudi de fon vivant , & celle
de voir enlever deux éditions in- 12 de
cette favante interprétation des pſeaumes.
Il s'en est donné une troiſieme encore in-
12depuis fa mort, ſur les inſtances de perſonnes
éclairées & le débit qui s'en fait
AVRIL 1765. 139
tous les jours , prouve aſſez ſon mérite &
fon utilité. Quant à l'interprétation des
pſeaumes , qui ſe trouve dans le volume
in-4º dont il s'agit ici , elle eft abſolument
ſemblable à celle de l'édition in- 12. Mais
dans l'in 4º on trouve de plus une préface
affez étendue & fort importante ſur les..
pſeaumes : elle eſt ſuivie de prolegomenes
fur le même ſujet ; l'ouvrage eſt terminé
par un Appendix. Comme ilreſte au même
Libraireun nombre d'exemplaires de l'édition
in-4° , il propoſe une remiſe avantageuſe
aux Eccléſiaſtiques & autres perſonnes
qui voudront fe la procurer , aux conditions
ſuivantes ; prix de l'in- 4° grand
papier , 6 liv. en blanc ; in-4º petit papier ,
4liv.
140 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADÉMIES.
EXTRAIT des ouvrages lus à la féance
publique de l'Académie des Sciences ,
Belles- Lettres & Arts de RoUEN , tenue
le II Août , en présence de M. le Duc
D'HARCOURT , Gouverneur de Normandie
,pour la partie des Belles-Lettres.
MONSIEUR du Boullay , Secrétaire des
Belles- Lettres , rendit compte des travaux
académiques de l'année dans ſon département.
Il le commença par un diſcours adreffé
à M. le Duc d'Harcourt , dans lequel ,
après avoir rappellé toutes les obligations
que l'Académie avoit à feu M. le Maréchal
de Luxembourg , & les efforts qu'elle
afaitssppoouurryy répondre, il eſſayad'exprimer
les fentimens de la compagnie pour fon
nouveau protecteur. « Qu'il eſt flatteur
AVRIL 1765 . 147
> pour nous , dit- il , de placer aujourd'hui
■ au frontiſpice de ce Temple , dedié aux
>> Muſes , ce nom ſi cher à la Normandie ,
» & fi célèbre dans ſes faſtes , ce nom qui
› réveille le ſouvenir de tant de grandes
>>>actions , & la reconnoiſſance de tant de
>>bienfaits ; ce nom enfin qui excite dans
tous les coeurs autant d'amour que de
>> reſpect , & dont les dignes héritiers n'ont
>> ceſſé de donner à leur patrie ,depuis plu-
>>ſieurs fiècles , les exemples de toutes les
>>>>vertus , & les preuves les plus éclatantes
>> d'un attachement ſans bornes » !
Prix de l'Ecole du Deffein.
L'Académie avoit propoſé pour ſujet du
prixdepeinture, le moment où Alexandre ,
après avoir pris la médecine de la mainde
Philippe , remet à ce Médecin la lettre par
laquelle on l'accuſe de vouloir empoifonner
fon malade. Le prix a été remporté
par M. Charles le Carpentier , du Ponteaude-
mer.
Le premier prix du deſſein d'après nature
, par M. Anicet Charles-Gabriel le
Monnier , de Rouen , qui avoit remporté
les deux feconds prix dans cette même
claſſe en 1762 & 1763 .
Le ſecond d'après nature M. Char
142 MERCURE DE FRANCE.
{
les le Carpentier , du Ponteau- de-Mer , qui a
eu le prixde la claſſe de la Boſſe , en1762 .
Le prix d'après la Boſſe , par Mademoi
felle Madeleine Godefroi , de Rouen .
L'Académie a donné un prix extraordinaire
dans cette claſſe àM. Romain Jenfroi,
auffi de Rouen .
Le prix de la claſſe du deſſein , par Nicolas-
Jofeph Billot , du bourg de Leri .
Pour programme en architecture , on a
demandé un Temple de Thémis ; on a
laiſſé aux Artiſtes la liberté d'employer les
ordres en architecture à leur choix ; on a
demandé la coupe & l'élévation de l'édifice.
Les deſſeins de François Gneroult
Charpentier à Sotteville, on mérité ce prix.
د
Grand Prix de la Claſſe des Belles-Lettres.
L'Académie avoit propoſé pour ſujet du
prix de poéſie , donné par feuM. le Maréchal
de Luxembourg , fon protecteur , la
délivrance de Salerne par quarante Chevaliers.
Normands & la fondation du
royaume de Sicile , qui fut la ſuite de
cette expédition .
د
Quelque defir qu'eût l'Académie de couronner
enfin un poëme digne du ſujet , &
du prix double qu'elle y deſtinoit , il lui a
été impoſſible de remplir , à cet égard ,
AVRIL 1765 . 143
l'attente du Public & celle des Auteurs .
Quelques défauts légers & quelques négligences
de détail n'auroient cependant pas
été des obſtacles. Les plus beaux ouvrages
n'en font pas exempts , & l'Académie fait
affez que la perfection abſolue eſt au-deffus
de l'humanité. Mais elle est en droit d'exiger
dans un poëme un plan raiſonnable &
de la poéfie . Parmi les ouvrages en affez
grand nombre qui lui ont été adreſſés , les
uns ne font pas fans mérite du côté de
l'ordonnance & de la compoſition. Mais
on ne voit briller dans les détails aucune
étincelle de ce feu divin, qui eſt le caractère
diftinctif des vrais Poëtes. Ils manquent
abſolument de ce coloris féducteur ,
de cette poéfie de ſtyle , dont le preſtige
donne tout le prix aux plus grandes beautés
, & fait même quelquefois illufion fur
les plus grands défauts; les règles de la langue
, & celles de la verfification y font
ſouvent d'ailleurs violées.
D'autres , dont les Auteurs paroiffent
avoir mieux connu les règles & l'efprit de
l'art , ne ſe ſont pas donné la peine de ſe
former un plan , & fe font contentés de
coudre à la hâte quelques tirades , dans lefquelles
on remarque de beaux vers. Ils ne
ſe font pas ſouvenus que le premier de nøs
Maîtres commence ſon art poétique par
144 MERCURE DE FRANCE.
rejettet hautement ces ouvrages compofés
de parties diſparates & mal aſſorties , dans
leſquels
Purpureus latè qui ſplendeat unus & alter ,
Affuitur
Ce font-là de ces oracles de goût qui
font devenus des loix fondamentales dans
tous les tribunaux littéraires , & dont il
ne leur eſt jamais permis de difpenfer. Si
•un ouvrage froidement régulier ne mérite
pas le nomdepoëme , quelques beaux vers
faits au hafard le méritent encore moins.
L'Académie s'eſt donc déterminée à remettre
encore le même ſujet , dans l'eſpérance
que les Auteurs , au lieu de ſe décourager
, imiteront fa conſtance , & redoubleront
d'efforts pour mériter une couronnequi
n'en deviendra queplusglorieuſe
pour le vainqueur. Elle promet même, dans
le cas où le prix fera adjugé , de faire mention
en entier ou par extrait, dans ſa collection
, des ouvrages qui auront concouru
, lorſqu'ils le mériteront.
Les conditions font les mêmes que dans
les programmes précédens. L'Académie
invite les Auteurs à les relire. Le prix fera
toujours double , & conſiſtera dans deux
médailles d'or de 300 liv. chacune.
Outre le prix dont nous venons de parler,
AVRIL 1765. 169
Il ſeroit à ſouhaiter , ajoute M. de la
Pagerie , que le Conſeil voulût bien entrer
dans ces conſidérations , & que par un
Arrêt il ordonnât la démolition de toutes
les uſines qui exigent des pertuis ſur les
rivières navigables , & en même temps la
deſtruction de quantité de veſtiges d'anciennes
uſines , qui font plus dangereuſes
que les pertuis. Par-là il conferveroit la
vie à bien des ſujets & faciliteroit le
commerce.
Après cette eſpece de préambule , M. de
la Pagerie entre dans un certain détail ;
mais il ſe borne à ce qui regarde la rivière
de Marne , dont le cours eft d'environ cent
vingt lieues , depuis ſa ſource juſqu'à Conflans
, près de Paris , où elle ſe perd dans la
Seine. Il fait voir que fi cette rivière , qui
arroſe une très -grande partie de la Champagne
, étoit débarraffée de tout ce qui
s'oppoſe à la liberté de fon cours , l'état&
les particuliers y gagneroient beaucoup.
Qui croiroit, dit M. de la Pagerie , qu'à
l'appas de vingt & un pertuis conftruits
fur la Marne dans l'eſpace de cent vingt
lieues , on expofår tant de voituriers & de
marchands à périr avec leurs marchandises?
Mais quelque choſe de plus incroyable
encore , c'eſt qu'on n'achève pas de détruire
vingt-cinq à trente goulettes , qui ne font
Vol. I.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
autre choſe que les reſtes ou les veſtiges
d'anciennes uſines que les propriétaires ont
abandonnées.
M. de la Pagerie obſerve que le Duc de
Gefvres , compatiſſant au malheur public ,
a fait détruire le pertuis de Lagny , quoiqu'il
y poſſédât des uſines utiles , & qu'il
feroit à defirer que les autres propriétaires
ſuiviſſent un ſi bel exemple ; mais ce qu'il
y a de bien plus dur pour les mariniers ,
c'eſt que ſouvent ils font obligés d'acheter
à prix d'argent ce terrible paſſage. 4
Comme on pourroit objecter à M. de la
Pagerie que la démolition de ces uſines
préjudicieroit aux branches du commerce
auxquelles on les emploie , il prévient
l'objection en indiquant le moyen de les
ſuppléer. C'eſt en conſtruiſant des moulins,
en auſſi grande quantité qu'il feroit néceffaire
, fur des ruiſſeaux que l'on auroit foin
de ne pas laiſſer manquer d'eau , ſuivant
les régles de l'hydraulique. La même eau
qui fert à un moulin peut fervir à dix ,
quinze , vingt , &c. Enfin les moulins à
vent, fi communs dans certains pays , pourroient
auffi remplacer les moulins qui
feroient démolis ſur une rivière navigable.
1
AVRIL 1765 . 171
ARTICLE IV .
BEAUX ARTS.
ARTS UTILES.
ASTROΝΟΜΙΕ .
HÉMISPHERES célestes , artique & antartique
, calculés& conſtruits pour l'année
1763 , par M. Robert de Vaugondy , Géographe
ordinaire de S. M. Polonoise , Duc
de Lorraine & de Bar , & de la Société
Royale des Sciences & Belles - Lettres de
Nancy. A Paris , chez l'Auteur , quai de
l'Horloge.
ARTS AGRÉABLES.
GRAVURE..
LEDonnnneeuurr de Sérénade&laPareffeuse,
eſtampes Gravées par M. Moitte , graveur
du Roi , d'après les tableaux originaux de
M. Greuze ,tirés du cabinet de M. Boyer
de Fonfcolombe , Chevalier , grand Croix
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
de l'Ordre de S. Michel de Bavière , Envoyé
extraordinaire de France , & Miniftre
Plénipotentiaire du Roi près la République
de Gènes ; fe vendent à Paris chez
l'Auteur , rue S. Victor , la troiſieme porte
cochère à gauche en entrant par la Place
Maubert. Prix , 3 liv. chacune.
Les Amateurs ne pourront qu'applaudir
aux foins qu'a pris M. Moitte de rendre
ces eſtampes dignes des tableaux qu'elles
repréſentent fi agréablement.
On trouve chez le ſieur Bafan , Graveur,
rue du Foin , Saint Jacques , une eſtampe
qui ne peut qu'ajouter à la gloire de M. de
Belloy.
Son médaillon eſt au-deſſus du mauſolée
des Héros de Calais. Un génie , appuyé
fur le médaillon , tient un flambeau renverfé
, qu'il ſecoue , & dont les étincelles
raniment leurs cendres. On y lit les noms
d'Eustache de Saint - Pierrre , de J. Daire
&des deux Wiffant : ceux des deux autres
Citoyens de Calais qui s'étoient dévoués
comme eux , &qui font maintenant ignorés
, ſemblent effacés par le temps.
L'idée de cette compoſition ingénieuſe
femble avoir été priſe de la premiere ſcène
du quatrieme acte de la Tragédie , où le
Maire de Calais s'écrie :
AVRIL 1765 . 173
Que je te dois d'encens , Souverain de mon être !
Pour quels brillans deſtins ta bonté m'a fait naître !
Si dans l'obſcurité tu plaças mon berceau ,
Les rayons de la gloire entourent mon tombeau,
Cette idée , vraiment pittoreſque , nous
paroît faire également honneur au coeur &
à l'efprit de fon Auteur.
Le format de l'eſtampe eſt le même que
celui de la Tragédie , dont elle peut orner
le frontiſpice. Le prix eſt de 12 fols.
On la trouve auſſi chez Duchesne ,
Libraire , rue Saint Jacques .
MUSIQUE.
SEIEI Sinfonie , con obboe & corni da caccia
a piacimento , compoſte da Frederico
Schwindl , virtuoſo di camera di S. E. il
Conte di Colloredo , &c. mis au jour par
M. Venier , feul éditeur deſdits ouvrages ;
opera terza ; prix , 12 liv. compris les parties
& hautbois & cors- de- challe, A Paris ,
chez M. Venier , éditeur de pluſieurs ouvrages
de muſique , à l'entrée de la rue
S. Thomas du Louvre , vis-à- vis le château
d'eau. A Lyon , chez les frères Legoux ,
place des Cordéliers , & Caftan , place de
la Comédie.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
SIX Sonates de harpe , qui peuvent ſe
jouer ſur le clavecin , avec accompagnement
de violon , par M. Lévy , Maître de
muſique & de par deſſus de viole ; prix en
blanc , 9 liv. A Paris , chez l'Auteur , rue
del'Arbrefec, au Caffé de Belleviüe , & aux
adreſſes ordinaires .
LES petites Récréations de la campagne ,
-quatrieme livre , contenant fix duetti à
deux violons , pardeſſus ou mandolines ;
composta da Varri Autori. On peut les exécuter
fur la flûte , en les faiſant accompagner
d'un violon au deuxieme deſſus . Prix ,
2 liv. 8 f. A Paris , aux adreſſes ordinaires
demuſique.
AVRIL 1765. 175
ARTICLE V.
SPECTACLES.
SUITE des Spectacles de la Cour
A VERSAILLES.
LE 26 Février les Comédiens François
jouerent Jodelet , maître & valet , Comédie
en cinq actes & en vers , de SCARON.
Pour ſeconde pièce , l'Amour Médecin ,
Comédie en un acte & en vers de Mo-
LIERE.
Le 27 , les mêmes Comédiens repréſenterent
Amafi , Tragédie de feu M. DE LA
GRANGE. Le rôle de Séſoftris par le ſieur
LE KAIN.Celui d'Amafis par le ſieur MARSAN.
Le rôle de Nitocris par laDlle DUMESNIL.
Celui d'Arthémie par la Dile Du-
BOIS , &C.
Pour petite pièce on donna Heureusement
, Comédie en un acte & en vers , de
M. ROCHON.
Le Samedi , 2 Mars , les Comédiens
Italiens jouerent Arlequin , Prevot & Juge ,
Comédie Italienne , en un acte , ſuivie du
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
BUCHERON , Comédie en un acte , mêlée
d'ariettes , paroles de M. GUICHARD ,
muſique de M. PHILIDOR.
Les, les Comédiens François jouerent
le Complaifant , Comédie en s actes &
en profe. Auteur anonyme. Le rôle du
Complaifant étoit repréſenté par le fieur
GRANDVAL , celui de M. Bryon par le
fieur BRIZARD , Cléandre par le ſieur Du-
BOIS , Argant par le ſieur PRÉVILLE, le
Marquis par le ſieur MOLÉ , &c. Le rôle
de Mde Orgon par la Dile DROUIN , celui
d'Angélique par la Dile DESPINAY , &
Lifette par la Dlle Luzi .
Pour feconde pièce le Galant Coureur ,
Comédie en un acte & en proſe , du feu
fieur LE GRAND. Le rôle du Marquis de
Floribel étoit joué par le ſieur MOLÉ , celui
du Chevalier par le ſieur D'AUBERVAL ,
Ruftaut , cocher , par le ſieur PRÉVILLE ,
la Préfidente par la Dame PRÉVILLE , &c.
Le Mercredi 6 , l'Académie Royale de
Muſique , jointe à la Muſique du Roi ,
exécuta des fragmens , compofés du prologue
des Amours des Dieux, de l'Amour
enjoué, entrée du ballet des Fêtes de Tempé,
& de l'acte de la danse du balet des Talens **
Lyriques.
Le 7 les Comédiens François repréſenterent
, pour la deuxieme fois à la Cour , le
AVRIL 1765 . 177
Siége de Calais , Tragédie de M. de Belloy ,
qui avoit été redemandée .
La petite pièce , qui ſuivit , étoit le
Dédit , Comédie en un acte & en vers ,
de feu M. DUFRESNY , dans laquelle le
fieur ARMAND joua le rôle de valet , la
Dile DOLIGNY le rôle d'Isabelle , les Diles
DROUIN & BELLECOUR les rôles des ſoeurs,
&c.
Le 12 les Comédiens Italiens exécuterent
Rofe & Colas , Comédie à ariettes en
un acte: Paroles de M. SEDAINE , muſique
de M. MONSINY , précédée du Gondolier
Vénitien , pièce italienne en deux actes .
Le 14 les Comédiens François jouerent
le Double Veuvage , Comédie en trois
actes & en profe , de feu M. DUFRESNY ,
&pour ſeconde pièce , les Bourgeoises de
Qualité , autre Comédie en trois actes &
en proſe du feu ſieur DANCOURT. Le ſieur
BELLECOURjoua les rôles d'amoureux dans
ces deux pièces. Preſque tous les autres
acteurs & actrices de la Comédiee Françoiſe
, qui jouent dans le comique , étoient
employées dans la repréſentation de ces
deux Comédies.
Le Samedi 16 on exécuta une ſeconde
repréſentation des fragmens d'Opéra dont
on a parlé ci- deſſus.
Le 19 les Comédiens François jouerent
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
le Diſtrait , Comédie en 5 actes & en vers
de REGNARD , dans laquelle le ſieur BELCour
joua le rôle du Diſtrait. Le ſieur
MOLÉ , celui du Chevalier , & le ſieur
PRÉVILLE le rôle de Valet , &c. La Demoiſelle
PRÉVILLE joua le rôle de Clarice..
La Demoiselle DOLIGNY celui d'Iſabelle.
La Demoiſelle BELLECOUR celuide Lisette.
Pour petite piéce le Cercle , Comédie en
un acte& en profe de M. POINSINET .
Le 20 les Comédiens Italiens jouerent
Tom Jones , comédie nouvelle à ariettes en
3 actes , paroles de M. POINSINET , muſique
de M. PHILIDOR .
Le Jeudi 21 , dernier jour des Spectacles
de la Cour avant Pâques , les Comédiens
François y repréſenterent pour la
troiſieme fois le Siège de Calais ou le Patriotisme
, tragédie de M. DE BELLOY.
Pour petite piéce, l'Impertinent , comédie
en un acte & en vers de M. DESMAHIS.
Fin des Spectacles de l'hyver à la Cour.
AVRIL 1765. 179
SPECTACLES DE PARIS.
OPERA.
ONa continue Caftor & Pollux juſqu'à la
clôture incluſivement. Ce que nous avons
dit dans le précédent vol. duſuccès de cette
repriſe , eſt devenu infiniment inférieur
àl'événement. De jour en jour les recettes
ont tellement augmenté , qu'il n'y a point
d'exemple de produit proportionnellement
égal , occafſſonné par aucune remife
d'ouvrages , ou par quelque nouveauté
que ce foit de la plus grande célébrité.
Tous les trois jours de la ſemaine ont été.
preſque toujours égaux en affluence de
ſpectateurs. Nous avons déja rendu compte
, mais fommairement , d'une partie des
choſes d'attention qui , dans l'exécution de
cetOpera , enont rendu l'effet ſi nouveau ,
&l'impreffion fi univerfellement ſenſible.
Il feroit difficile de détailler ces nuances
, & nous ne pourrions , même en les
indiquant toutes , en faire concevoir le
mérite , aux Lecteurs qui n'ont pas joui des
repréſentations de cette repriſe. Nous citerons
ſeulement deux endroits des plus
remarquables ; celui du ſecond acte dans
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE .
le moment que les peuples & Telaire
viennent célébrer les obsèques de Caftor
fur fon tombeau. La gradation des fons
dans le choeur , que tout s'uniffe , que tout
gémiſſe , &c. ménagée avec un art & une
intelligence de goût admirable , fur- tout
une tenie dans le chant de ce choeur , avec
un refcendo de l'orchestre , forment une
expreffion quibriſe l'ame , & à laquelle ne
peuvent réſiſter les auditeurs les plus froids
ou les plus accoutumés aux grands effets du
théâtre. Dans le quatrieme acte , au ballet
des Ombres heureuſes , il y a des gavottes ,
dans l'exécution deſquelles un retour alternatif
de doux & de fort eft pratiqué
avec tant d'art , tant de fineſſe , & une
union de tact ſi prodigieuſe , qu'on n'ensend
qu'un feul inſtrument ; ou plutôt cet
orchèſtre , le premier de l'Europe pour cette
forte d'enſemble & pour les qualités ſi
précieuſes du goût , devient en ce moment
une voix humaine la plus mélodieufe & la
plus touchante qu'il foit poſſible d'entendre.
Sur ce qu'on vient de dire de la fupériorité
de l'orchèſtre de notre Opera
pour les qualités & pour le genre de perfection
qu'on a déſignés , on ne craint
point d'être démenti par les étrangers impartiaux
, d'un grandtalent , ou doués des
grandes connoiſſances ſur les véritables
AVRIL 1765 . 13
beautés de l'art. Tout ſimple que paroiſſe
ce moyen , on ne fauroit croire combien
cela fait valoir le caractère de l'air , combien
cela l'adapte au lieu & aux perſonnages
de la ſcène. Un certain ſentiment fombre
de tendreffe & de douceur s'imprime
naturellement dans le coeur , faiſit l'imagination
, & tranſporte en effet dans le féjour
fictif des ombres heureuſes. Ce qui
ajoute encore à cette douce illufion , & ce
qui ne peut ſe comparer à rien de ce qu'on
avoit vuau théâtre , c'eſt l'ingénieuſe diſpofition
des entrées de ceballet. Le Compofiteur
( M. DE LAVAL fils,) a rompu l'ordre
ſymétrique des figures, uſité dans toutes les
entrées ordinaires. Les perſonnages font
diftribués par groupes inégaux denombre ,
qui varient & ſe reforment fans ceffe
comme par le feul hazard. C'eſt
multiplicité infinie de ballets différens
qui produiſent un enſemble toujours pittorefque
, toujours vrai , & formé en apparence
par des poſitions fortuites , qui ne
peuvent être cependant que le réſultat
d'une combinaiſon profonde de l'art& de
l'ordre cachés avec un génie &une adreſſe
qu'on ne peut trop applaudir. Les Danfeurs
, de tailles graduées pour la perſpective
, & placés au fond du théâtre , y foutenoientun
mouvement, qui ne laiſſoitde
une
و
182 MERCURE DE FRANCE.
vuide dans aucune partie du ballet , & qui
concouroit à l'illuſion , ſans diſtraire des
objets dominans du ſpectacle. Les ballets
du ſecond acte , dans lequel on voit une
image des jeux funébres des anciens , la
plus approchante de la vérité qu'on ait repréſenté
fur nos théâtres , & dans leſquels
M. DAUBERVAL , par le feu de fon action
, par la juſteſſe de la pantomime ,
donneune idée fidelledes combats d'Athlethes
, est encore de la compoſition de M.
DE LAVAL , & tel qu'il l'avoit fait pour les
repréſentations de cet opera à la Cour. Les
entrées des Démons & des Furies du troifieme
acte ne font pas moins d'honneur à
ce jeune Maître de ballet. Il a profité habilement
de ce qu'un local plus vaſte lui
fourniffoit de plus officieux , pour ajouter
au tableau dontiln'avoit pudonner qu'une
idée réduite ſur le théâtre de la Cour. Il a
joint aux pas & aux figures , les acceſſoires
heureux , que peut procurer le ſecours
des machines liées à l'action. Un mouvement
rapide , une variété perpétuelle , une
forte de bifarrerie & de caricature placée.
avec juſteſſe , donnent à toutes les ſcènes
de ſon ſujet , le véritable caractère , la force
& la fingularité de ſpectacle qui conviennent
en cette occafion.
C'eſt avec joie , c'eſt avec empreſſe
AVRIL 1765 . 183
ment , que nous comblons d'éloges & que
nous exhortons tous les amateurs du théâ
tre à applaudir aux talens & aux efforts
d'unCompofiteur de ballets qui s'attache à
peindre , qui cherche à faire parler la danſe,
à la faire contribuer au but général de
l'opera , & qui s'écarte des habitudes monotomes
de fon art , pour ſe rapprocher des
grandes règles de l'art dramatique.Dans ce
même ballet Mademoiselle ALLARD , entr'autres
talens adınirables qui s'y diftinguoient
, devenoit , malgré les grâces de fa
figure , une véritable Furie par le feu de
fes pas , par la volubilité étonnante de ſes
attitudes , & l'énergie du jeu pantomime
juſques ſur les traits du viſage.
La fuite de notre relation nous a conduits
à parler des danſes avant les rôles; non
pas , à beaucoup près , que ceux qui les
exécutoient n'ayent contribué primitivement
au grand fſuccèsde cette repriſe. On
connoît les talens de Mademoiselle ARNOULD
: on ſait combien ils font heureuſement
placés dans cet opera. On fait de
plus , que le fecours de l'eſprit , qu'une intelligence
très-fine & un fentiment vif,
ajoutent chaque jour de nouvelles vérités
d'expreffion dans un rôle qu'elle joue fouvent
; ainſi l'on ne doit pas douter de la
part qu'elle a eue au plaisir qu'ont fait les
184 MERCURE DE FRANCE.
repréſentations de Cafior . On ne peut fe
refuſer en même temps à reconnoître
comme un des principaux motifs dugrand
empreſſement& du grand concours du Public
, le progrès fenfible , journalier , &
qu'on peut qualifier merveilleux , des talens
de M. LE GROS. Nous en avions déja
fait une mention vraie , & honorable
pour cet Acteur , dans nos précédens Mercures
; ce que nous aurions à en dire aujourd'hui
feroit infiniment au- deſſus. Il a
très-ſagement fait tourner ſes ſuccès au
profit des plaiſirs du Public. Plus de confiance
, fans préſomption , a donné plus
de liberté à ſes organes & à ſes mouvemens.
Ses fons , dont il ménage à propos
les éclats , paroiffent dans toute leur beauté
, & fervent à donner plus de force à
l'expreffion des fentimens. C'eſt au Public
enchanté , & fans ceſſe ramené à ce théâtre
, que nous en appellons pour fournir la
preuve du foible éloge que nous faifons
ici , & que nous devons aux foins & au
travail de ce nouveau ſujet , devenu en
très-peu de temps un des principaux objets
d'attraità ce théâtre .
Nous ne paſſerions pas fous filence , fans
injuftice , ce que mérite M. Gelin dans ie
rôle de Pollux , qu'il a très bien chanté
&dans lequel il a toujours reçu des ap-
و
AVRIL 1765. 185
plaudiſſemens. La ſanté de Mademoiſelle
DUBOIS étant rétablie , elle avoit repris le
rôle de Phoebé ; & quoique par la diftribution
du ſujet , ce ne foit pas un de ceux
qui prêtent le plus d'avantages aux grands
talens , on s'eſt apperçu des progrès du
fien & du fruit de ſes ſuccès dans Armide.
Le Mercredi 13 & le Lundi 18 Mars
on donna pour les Acteurs desfragmens ,
compoſés de l'Acte des Sauvages , de celui
des Incas du Perou & de l'Acte de Pigmalion.
Les beautés fublimes & fuffifamment
reconnues dans la muſique de ces
différens actes , céderenten ce moment au
feu du ſuccès de l'opera de Caftor. Ainfi
ce ſpectacle n'ayant pas produit tout ce
qu'on avoit lieu d'en attendre , on continua
pour les Acteurs & pour la clôture du
théâtre le Samedi 23 le même opera de
Castor & Pollux , qui avoit fourni une recette
forcée la veille même de ce jour , &&
tous les jours précédens, & qui n'en produifit
pas moins ce dernier jour une des
plus fortes qu'on faſſe à ce ſpectacle.
Quoique les diſpoſitions fuffent différentes
pour l'ouverture de ce théâtre , il paroît
qu'on déférera au cri public , qui femble
redemander encore cet opera , pour lequel
le goût & l'empreſſement des ſpecta
186 MERCURE DE FRANCE.
teurs étoit encore plus vifà la fin que pour
les premières repréſentations.
On a continué les Jeudis les Talens Lyriques.
Mademoiselle JUSTINE , jeune
danſeuſe , dont nous avons parlé précédemment
fous le nom de Mademoiſelle
ROBE , s'étant trouvée avoir la voix agréable
& du talent pour le chant , a exécuté
le rôle d'Églé avec beaucoup de ſuccès &
d'applaudiſſemens.
COMÉDIE FRANÇOISE.
ONN a continué juſques à la clôture du
théâtre incluſivement le Siège de Calais ,
dont nous avons donné l'extrait dans le
précédent volume de Mars (1 ). Tout ce
( 1 ) Voyez dans le volume de Mars l'extrait de
cette pièce , & ce qu'on a déja dit de ſon grand
fuccès.
Le Siége de Calais , ou le Patriotisme , Tragédie
, par M. de Belloy , précédée d'une épître
dédicatoire au Roi , d'une préface de l'Auteur ,
fuivie de notes hiſtoriques relatives au ſujet de la
pièce, ſetrouve à Paris, chez DUCHESNE , Libraire ,.
rue Saint Jacques , au temple du goût. Le prix eſt
de 36 fols. Chaque exemplaire eſt timbré à la
premiere page du chiffre royal , afin qu'on ne
foit pas trompé par de fauſſes éditions.
AVRIL 1765 . 187
qu'on a à dire ſur le ſuccès de cette célèbre
pièce eſt ſans exemple depuis la création
du théâtre françois. Bien loin que l'affluence
ſe ſoit rallentie par le nombre des
repréſentations , elle a toujours été tellement
en augmentant , qu'on n'a ceffé de
veiller , par le moyen de la garde royale ,
à ce qu'il n'arrivât point de tumulte aux
bureaux de diſtribution pour les billets
d'entrée , qui étoient, pour ainſi dire , enlevés
par la multitude long - temps avant
l'ouverture des portes.
Le 12 Mars SA MAJESTÉ ayant bien
voulu , par bonté pour le peuple de Paris ,
difpenfer les Comédiens François du fervice
qu'ils devoient faire ce jour- là à la
Cour, ils donnerent ſur leur théâtre une
repréſentation gratis de cette pièce , dont
la célébrité étoit déja tellement répandue
dans le peuple , quedès le matin la rue de
la Comédie & tous les environs fut remplied'unefoule
ſi innombrable , qu'il étoit
impoſſible de la pénétrer. On préfume facilement
avec quelle promptitude & de
quelle quantité de ſpectateurs la ſalle fut
remplie. Dès qu'on eut commencé;le plus
grand filence fuccéda au tumulte , fans
effort& fans avertiſſement. Non-feulement
aucun des grands traits , dans le détail
, n'échappa à la ſenſation naturelle de
188 MERCURE DE FRANCE.
cette aſſemblée , & ne perdit l'honneur
des plus grands applaudiſſemens , mais
pluſieurs autres traits que la ſagacité d'une
critique réfléchie ſemble pouvoir ſeule
goûter & diftinguer , furent vivement fentis
par le peuple , &marqués par des ſignes
non ſuſpects d'approbation .
On donna pour petite pièce le Procureur
Arbitre , qui fut fuivie d'un ballet
compoſé pour la circonſtance par M.
DESHAYES , maître des ballets de ce théâtre.
Le ſujet de ce ballet étoit la Guinguette.
Sur la fin des Danſeurs habillés
en Grenadiers tenoit chacun une pique ,
qui ſe partageant en deux , renfermoit une
lettre ; ces piques plantées par ordre préfentoient
à lire VIVE LE ROI: ce que le
peuple répéta avec tranſport. Ce cri redoublaà
la vue de la ſtatue du ROI , qui ,
dans le même temps s'élevoitde deſſous le
théâtre , enforte que les Danfeurs furent
long temps ſans pouvoir entendre l'orcheſtre.
Il y eut environ une cinquantaine de
louis diſtribués dans cette repréſentation ,
tant par M. le Maréchal DE BIRON , qui
avoit bien voulu prendre fur lui le ſoin de
préſider au bon ordre de ce jour tumultueux
& en même temps à la fatisfaction
du peuple , que par pluſieurs Seigneurs &
AVRIL 1765 . 189
Dames placés ſur le théâtre , ainſi que par
chaque Acteur & Actrice , qui fit ſes géné
rofités à fon choix. Les Poiffardesou Marchandes
des Halles étoient toutes femmes
dans le balcon du côté de la Reine ; &
les Charbonniers , tous hommes , dans le
balcon vis-à- vis . L'argent fut donné dans
chaque balcon , & partagé également entre
-ceux qui y étoient placés.
Dans l'intervalle de la petite pièce au
ballet, les Actrices de la Comédie verferent
à boire aux hommes & les Acteurs aux
femmes , le tout abondamment ; ce qui fut
très-bien reçu & avec de grandes démonftrations
de joie. Après le ſpectacle tout le
peuple danſa , ou plutôt ſauta ſur le théâtre
, le nombre de ceux qui vouloient y
trouver place ayant empêché de lier une
contredanſe . On ne peut dire combien le
nom du ROI y fut répété de fois , & par
quels cris de l'âme cet augufte nom fut célébré.
On y mêla quelquefois celui de
l'Auteur de la tragédie. Celui de M. le
Maréchal DE BIRON n'y fut pas oublié.
Après les témoignages de la plus grande
fatisfaction , tout le monde ſe retira ſans
tumulte & fans aucun défordre.
Après cette eſpèce d'hommage populaire
, qui n'eſt peut-être pas un des moins
flatteurs pour l'Auteur , il a reçu un hon
190 MERCURE DE FRANCE.
neur plus durable : MM. LES MAIRE ET
ECHEVINS de la ville de Calais ayant été
informés dans la nouveauté par une Lettre
de M. DE LA PLACE , l'un de leurs plus
zélés compatriotes & notre collégue dans
la compofition de ce Journal , des grands
ſuccès de la tragédie du Siége de Calais par
M. DE BELLOY , il fut délibéré dans une
aſſemblée générale du Conſeil de la Ville ,
&ſtatué fur les concluſions du Procureur
du Roi , qu'il feroit écrit une Lettre de félicitation
à M. DE BELLOY , avec priere
qu'il lui fût préſenté des Lettres de Citoyen
, & que fon portrait fût placé dans
l'hôtel de cette Ville ; arrêté en outre que
les Lettres feroient préſentées dans une
boëte d'or , ornée des armes de la ville &
d'unedeviſe convenable , & que pour l'exécution
de cet arrêté , MM. DE LA PLACE
& LE SENECHAL ſeroient priés d'accepter la
qualité de Députés. Ces MM. ont déja
exécuté une partie de ce qui a été ſtatué
à cet égard , & donnent tous leurs foins
avec le plus grand zèle & le plus grand
plaifir à ce qui n'a pu être prêt fur le
champ.
Voyez dans l'article des Piéces fugitives
de ce volume les Lettres de M. DE
LA PLACE à MM. LES MAIRE & ECHEAVRIL
1765. 197
▼INS de Calais ; leurs réponſes àM. DE LA
PLACE ; la Lettre à M. DE BELLOY;
celles qu'il a écrites à MM. les MAIRE &
ECHEVINS ainſi qu'à M. DE LA PLACE ;
l'Arrêté du Conseil de la ville de Calais ,
&toutes les pièces concernant ce fait mémorable
dans les faſtes de notre théâtre , & fi
honorable pour les talens de M. DE BELLOY.
M. le Duc de Charot , Gouverneur de
la ville de Calais , a fait préſent particuliérementd'une
très-belle boëte d'or à M.
DE BELLOY,
Le Samedi 23 on donna pour la clôture
du théâtre la dix-neuvieme repréſentation
du Siége de Calais , ſuivie de l'Oracle.
M. BOURET prononça le compliment
ſuivant.
"MESSIEURS , je ſens dans ce moment ,
>>plus que jamais , combien je dois redou-
>>ter votre justice , & ce n'est qu'en trem-
>>blant que je m'avance vers vous pour
>> implorer votre indulgence. Daignez ,
>> Meſſieurs , en faveur de mes camara-
» des , ſi juſtement en poffeffion de vous
>> plaire , & dont je ſuis aujourd'hui l'in-
>>terprête , recevoir par mon foible organe
>> le tribut de notre reſpect &de notre re :
» connoiffance.
192 MERCURE DE FRANCE.
>>Nous vous devons tout en effet ; nos
> protecteurs & nos maîtres , vous foutenez
»le théâtre , & vous formez les Acteurs.
C'eſt par la folidité de votre goût que la
>> ſcène françoiſe , malgré les nuages paffa-
>>>gers qui voudroient l'obſcurcir , con-
> ſerve ſon ancienne ſplendeur. Les chefsd'oeuvres
, qui font ſa gloire , font tou-
>> jours vos plaiſirs , & vous nous aidez
› à vous les tranfinettre dans leur pureté ,
,, en nous indiquant par vos jugemens in-
T
faillibles l'eſprit & le caractère de nos
>> rôles. Vous nous donnez ce ton de la na-
› ture & de la vérité qui , ſouvent échap-
>>pé à nos efforts , n'échappe jamais à vos
» lumières ; & toujours plus indulgens pour
>> ceux qui font les plus lents à le faifir ,
>> vous attendez avec patience l'effet de
>> vos leçons.
>> Aucun de nous , Meſſieurs , ne l'a
>> plus éprouvé que moi , qui, accoutumé
>>depuis long-temps à vos bontés ſur un
>> autre théâtre , n'aurois jamais ofé fran-
>>chir l'intervalle immenfe qui le ſépare
>> de celui-ci, fans la flatteuſe eſpérance d'y
>>être appuyé de votre protection , & gui-
» dé par ces préceptes fublimes dont les
»Auteurs mêmes partagent avec nous
>>l>'utilité. Vous les éclairez auffi , & vous
>> dirigez leurs pas vers le but qu'ils ſe
>>propoſent
AVRIL 1765 . 193
>>>propoſent tous , vos fuffrages & ceux
>>de la poſtérité ; but qu'il n'eſt permis
>>d'atteindre qu'à ceux qui ont acquis l'art
>>ſi difficile de fatisfaire l'eſprit &d'inté-
>> reſſer le coeur.
>>Pluſieursdes pièces nouvelles de cette
» année ont parų avoir cet avantage , &
>> je me ferois , Meſſieurs , un plaifir de
>>vous rappeller ici la juſtice que vous
>>avez rendüe à leurs Auteurs , fi je ne
>>croyois devoir en réſerver le détail à
>> un autre moment , pour ne m'occuper
» dans celui-ci que de l'exemple qui eft
>> actuellement ſous vos yeux , & fur le-
>>quel je vois votre impatience me pré-
>> venir.
>> Vous nommez tous avec moi , Mef-
>> ſieurs , l'Auteur du Siège de Calais , qui
>>vient de combler les eſpérances qu'il vous
>>avoit déja fait concevoir de lui , & de
>>donner au théâtre de la nation la véritable
>>pièce de la nation.
Γ
>>Par les tranſports avec lesquels vous
>>l'avez couronné , vous avezbien prouvé ,
>>Meſſieurs , que les ſentimens qu'il a
>>peints étoient tous dans vos coeurs. Nous
>> les avons vus dans tous les Citoyens ,
» & l'amour des François pour leur Roi a
>> ſi bien réuni tous les rangs , que nous
>> avons toujours eu les mêmes ſpectateurs,
Vol. I. I
138 MERCURE DE FRANCE.
>> lors- même que nous avons paru en
> changer.
» Mais en admirant , Meſſieurs , dans
» M. DE BELLOY l'ame du citoyen , vous
> avez aufli applaudi au génie de l'Auteur.
»C'eſt à ces deux titres qu'il a mérité
> votre approbation , & les récompenfes
>> flatteuſes dont l'a honoré un Monarque
>> qui , père des arts comme il l'eſt de ſes
> peuples , croit devoir à la mémoire des
>>Corneille , des Racine & des Moliere ,
>>de chérir , favorifer & encourager ceux
-qui naîtront d'eux.
„Vous ne devez pas douter , Mef-
>> ſieurs , que les diſtinctions accordées aux
»takens ne raniment l'émulation , & ne -
- produiſent bientôt des fruits utiles. Nous
> allons tous travailler avec ardeur à nous
> rendre plus dignes de vous les offrir.
»Les talens de mes camarades vous répon-
>>dentde leurs fuccès. Pour moi , réduit
> à ne pouvoir vous promettre que du
zèle , j'oſe du moins vous en garantir
» l'activité & la perſévérance ».
ここ
AVRIL 1765 . 195
EXAMEN DU SIEGE DE CALAIS,
Tragédie , par M. DE BELLOY.
LE ſentiment eſt le premier juge & le
moins ſuſpect des ouvrages de théâtre.
Celui qui a décidé le ſuccès ( jusqu'à
préſent ſans exemple ) du Siége de Calais ,
apréſervé cettepiècedes nuées deCritiques
qui fuivent ordinairement les productions
couronnées. Un levain de l'envie , caché
dans le coeur de tous les hommes , leur
fait faifir le plus léger prétexte de retirer
l'admiration qu'ils n'avoient pu refufer au
premier mouvement de la nature. Mais
un motif fublime d'honneur , qui a lié
l'amour- propre des ſpectateurs à la gloire
de l'Auteur , a entraîné tous les fuffrages
pour cette pièce. Il les a multipliés & ranimés
à chaque repréſentation. C'eſt cet
amour pour la patrie , & conféquemment
pour ſes maîtres , en qui elle réfide: fentiment
inné dans le François , aſſoupi quelquefois
, mais dont la ſource n'eſt jamais
ſéchée. Ne feroit-ce qu'à ce preftige refpectable
que le Siège de Calais devroit
l'honneur d'un ſi grand triomphe ? Ne ſeroit-
ce qu'aumérite du fujet , &de l'avoir
Tij
196 MERCURE DE FRANCE.
imaginé le premier , d'avoir montré la nation
à elle-même , dans le jour le plus intéreſſant
& le plus glorieux , qu'il faudroit
rapporter la gloire de l'Auteur ? Son génie
, ſes talens & fon art dans l'exécution
d'un projet auſſi louable , n'ont- ils rien à
prétendre aux applaudiſſemens univerſels ?
C'eſt ce qu'il faut chercher dans l'examen
détaillé de l'ouvrage , en perdant de vue
pour un moment la faveur que lui procure
fon fujet. Suivons pour cela la marche de
l'action dans le fil des ſcènes , la progreffion
de l'intérêt depuis le premier acte jufqu'au
dénouement. Voyons ſi les traits des
caractères font distinctement prononcés ,
& s'ils font foutenus dans toutes les poſitions.
En un mot , portons un regard cririque
ſur le fond & fur les détails de ce
drame, qui occupe & qui intéreſſe aujourd'hui
toute la France.
Les expoſitions doivent coûter beaucoup
aux Maîtres de l'Art , en ce que delà dépend
fondamentalement toute l'économie
& ſouvent tout l'effet de l'ouvrage. Sielles
annoncent trop , & par de longues narrations
, elles fatiguent l'auditeur impatient
de voir commencer l'action. Si elles font
trop refferrées , elles laiſſent un nuage fur
le ſujet& fur les caractères des perſonnages
actifs , ce qui fait obſtacle à l'intérêt.
AVRIL 1765. 197
Dans celle du Siège de Calais , non- feulement
l'Auteur à évité ces deux défauts
mais ily a réuni deux avantages bien eſſentiels
à cette portion d'un drame. Le premier
, d'expoſer par les ſentimens mêmes
du principal perſonnage tout ce qu'il eſt
néceſſaire de ſavoir ſur les événemens antécédens
& actuels , ainſi que les caractères
& les motifs de tous ceux qui doivent concourir
à l'action. Le ſecond , de mettre
cetteaction en mouvement dès le commencement
de la pièce. Si l'on veut bien y faire
attention , les perſonnages intéreſſans ont
déja éprouvé de grandes viciffitudes fur
leur fort , depuis la première ſcène juſqu'à
la dernière du premier acte , moment où
leurdeſtin reſte ſuſpendu entre la crainte
& un eſpoir affez bien fondé. C'eſt préciſément
là ce qui conſtitue le mouvement
de l'action dramatique ; & non pas des événemens
multipliés &. hors du centre de
cette action , c'est-à-dire , qui ne naiffent
point des paffions ou du fait des Acteurs
de la tragédie. L'intérêt & l'action montent
`également , lorſqu'après ce qu'on a pu artendre
des remords du célebre Harcourt &
du crédit qu'il doit avoir ſur l'eſprit d'Edouard
, on vient annoncer de la part de
ce Prince qu'il ne conſent à la retraite du
brave & malheureux peuple de Calais ,
4
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
qu'en lui livrant fix des plus notables
citoyens. Cet intérêt s'accroît encore en
proportion du péril de ces victimes , lorfqu'on
ajoute que cette barbare vengeance
eſt enviſagée par le Monarque vainqueur ,
comme une raiſon d'état , & comme un
moyen néceſſaire à ſes projetsde conquête.
Toutcet intérêt, vague juſques-là, ſe réunit
fur Eustache de Saint- Pierre , fur ce perfonnage
que l'Auteur a eu l'art de faire
connoître déja & de faire aimer , & qui
devient, par cedévouement, l'objetdu plus
refpectable & du plus pathétique attendriffement
que le coeur puiſſe éprouver. Cet
intérét ſe partage au profit toujours de
Saint-Pierre ,le principal héros du poëme ,
lorſque ſon fils ſe dévoue , avec Amblétufe,
autre héros fecondaire de Calais : mais en
ſe partageant l'intérêt ne ſe diviſe ni ne
s'affoiblit: combien il monte au contraire ,
combien la gloire du Maire s'accroît
aux yeux mêmes du Monarque Anglois ,
lorſqu'il apprend que tous les fix dévoués
font de la famille de cet illuſtre
citoyen! Voilà donc l'action de la tragédie
bien conftituée & dans un point de fimplicité
qui doit la rendre recommandable
àtous ceux qui connoiſſent bien les plus
grandes régles. Il s'agit de ſavoir fi les héros
de Calais tomberont fous le fer des
AVRIL 1765. 199
bourreaux d'Edouard , ou fi la grandeur de
leur action les ſauvera ? Si malgré la certitude
apparente de leur mort , elle eft
ſuſpendue juſqu'à la fin par des moyens
quinaiſſent naturellement du ſujet , qui fe
fuccedent fans effort , & qui foient autorifés
par le trait hiſtorique ,l'action aura fa
marche régulière, & fera aufli complette
que la rigueur la plus ſévère de la critique
puiſſe l'exiger. Ils vont paroître devant ce
Monarque ; ce n'eſt point une haine perfonnelle
qui l'enflamme ; ce n'eſt point une
vengeance qui ſoit raſſemblée fur ces infortunés
particulièrement, que fa fureur
pourfuit alors : il peut donc être frappé ; il
peut être touché d'un ſi noble héroïfme
de leur part. Au contraire , leur fermeté
en l'étonnant l'irrite encore davantage , &
ce ſentiment eft fondé , fi l'on fe rappelle
ce qu'il a dit à Harcourt , du defir ardent
qu'il a de regner ſur les François , ce qu'il
faut bien diftinguer du defir ſeulement de
conquérir la France ; nuance adroitement
placée dans le caractère d'Edouard , qu'il
ne faut pas perdre de vue pour juger des
fentimensdontil eſt agité.Dans ces fixvictimes
qui préferent la mort à la néceſſité
de vivre ſous fa loi, Edouard voit & doit
voir tout lePeuple François. Cet héroïfme
doit donc êtrepour lui un outrage ; il doit
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
doncagir enconféquence de ce violent reffentiment.
Un intérêt importantpour lui, &
intimement lié à ſes voeux &à ſes projets ,
peut néanmoins fauver encore ces objets
de ſa fureur ; c'eſt le ſoin de conſerver,
Harcourt, dont les talens, dont le génie eft
ſi néceſſaire à l'exécution de ſes projets.
Les remords de ce jeune héros uniffent indiſſolublement
ſon fort à celui des héros
de Calais. Ce ſentiment eſt fortifié par fon
amour pour Aliénor. L'impétueux zèle de
ce jeune Guerrier ne laiſſe au Monarque
Anglois aucun eſpoir de le ſoumettre. La
politique veut donc qu'il s'adreſſe à cette
Aliénor , qu'il fafſſe agir ſur elle l'attrait le
plus ſéducteur que l'amour , l'ambition , la
digne compaffion même dont elle eſt pénétrée
pour les citoyens dévoués , puiffe
offrir en ce moment à ſon ame attendrie :
mais cette ame eſt toute pleine du même
feu qui conduit , qui fait voler au fupplice
leMaire & fes illuftres compagnons. Il la
trouve inacceſſible à l'offre de la plus grande
élévation pour fon père , à fon union avec
Harcourt , au plaifir ſi ſéduiſant de partager
avec ſon amant un rang égal à celui
des Rois; enfin , de règner elle-même ſur
des compatriotes qu'elle chérit en les ſauvant.
Après ce reffort , que reſte-t-il pour
dérober les héros de Calais à la cruauté
AVRIL 1765. 201
d'un fort devenu en quelque forte néceffaire
, & qu'Edouard ne peut plus changer
ſans ſe démentir ? Ils vont périr , rien ne
peut les ſauver. L'artifice d'Harcourt pour
prendre la place du fils de Saint- Pierre a
été découvert par le courage éclairé de ce
Maire. Pour grace derniere Alienor , cette
ſeconde héroïne de la pièce , a la permifſion
de leur faire ſes adieux. Ce terme de
l'action en peut être regardé comme le
point afcendant. Il ſe trouve précisément
au quatrieme acte , c'est-à- dire , au lieu où
l'ont exigé tous les grands Maîtres en poétique.
Enfin Edouard , attaqué de toutes
parts , d'un côté , par le zèle intrépide du
jeune Harcourt, d'un autre par les prières de
la Reine , par celles de fon propre fils ; &
perfuadé par les remontrances de Mauny , a
recours encore à la politique ; il veutdompter
le courage du Maire : il compte avec
raiſon ſur la force & fur l'importance de
l'exemple, s'il réuffit. Qu'il eſt beau de voir
ici la politique d'un grand Monarque ,
d'un puiſſant Conquérant aux priſes avec
la fidélité d'un ſujet étranger , avec la noble
fermeté d'un héros bourgeois ! Et l'on
n'appellera pas cela de l'action vraiment
dramatique ? On a prévu par le caractère
de ce Maire ; leréſultat de cette tentative ;
mais on n'en eſt pas moins intéreſſé , moins
い
Iv
202 MERCURE DE FRANCE .
attentif au fil de cette difcuffion , à l'évé
nement que produira cette conférence ;
événément qui doit être déciſif. Il eſt tel
en effet que l'ame inébranlable du Maire
l'a dû laiſler prévoir. Sa mort& celle de fes
compagnons en vont être le fruit, lorſque
le heraut de Philippe de Valois vient remettre
à Edouard le cartel d'un combat
fingulier. Dans le premier tranſport qu'excite
ce cartel , 'Edouard ordonne de brifer
l'échaffaut , de rompre les fersdes citoyens
de Calais ; leur falut confole & raffure
un moment. Le Comte de Melun paroît ,
qui vient au nom de tous les Ordres du
Royaume déſavouer le cartel. Le péril renaît
pour les héros de Calais , & devient
plus inévitable que jamais. Nous avons
cherché nous- mêmes à faire quelques reproches
de l'arrivée ſubite d'un Acteur , à
la fin d'une pièce , qui n'a ni paru ni été
annoncé dans aucune ſcène précédente. En
y faiſant plusd'attention , nous avons penfé
qu'on ne pourroit ſans injustice ou fans
mauvaiſe volonté , qualifier de machine
étrangère au ſujet l'intervention de Melun
en ce moment. L'envoi du cartel eft fondé
fur l'hiſtoire ; le défaveu de la nation en
eſt inféparable. Ce déſaveu ne pouvoit ſe
faire que par un Chevalier qualifié , tel que
leComte de Melun. Il n'est point Acteur ;
AVRIL 1765. 203
attendu la circonſtance & l'objet de fon
arrivée , malgré ſa qualité , il ne doit être
conſidéré dans lepoëme que comme meffager
, parcequ'il n'y a & ne devoit y avoir
d'autre emploidans l'action . Ces perfonnagesnon-
feulement fontpermis,mais ils font
indiſpenſablement néceſſairesdans preſque
tous les drames. Ils ne fontpoint coopéransà
l'action, mais fouvent cauſes occaſionnelles
de fa marche & des divers noeuds de l'intrigue.
Ainsi , que le nom n'en impofe
point. Ce ne font point les noms ni les
dignités qui réglent les rangs ou qui conftituent
les Acteurs dans un drame , mais
la part dans l'action que le Poëte afligne à
chaque perſonnage. L'objection qu'on auroit
pu faire à l'égard de celui-ci , tombe
doncpar les règles mêmes de la faine critique.
Revenons au fil de la pièce. Les victimes
d'Edouard , ſouſtraites un momentà
fa fureur par fa propre volonté , retombent
auffi-tôt dans un plus grand péril par le
défaveu du cartel . Mais le zèle intrépide
d'Harcourt a ſaiſi l'inſtant de les faire fortir
de Calais , en ſuppoſant l'ordre d'Edouard&
la rançon des captifs. Le ſpectateur
les croit déja au camp du Roi de
•France , que l'on fait n'être pas éloigné.
Harcourt , Aliénorle comptent de même ;
& tandis que le premier informe Edouard
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
de ſon officieuſe fraude , tandis qu'il lui
fait écouter les acclamations de fon armée
fur la clémence qu'il lui avoit ſuppoſée ,
nos fix héros reviennent d'eux-mêmes. Ils
ont été informés de la ſuppoſition des
ordres & du déſaveu du cartel. Tout conſéquent
que foit ce retour au caractère
d'héroïfme ſi bien foutenujuſques- là dans
le Maire &dans ſes compagnons , cet événement
n'en faitpas une impreſſion moins
forte ſur le ſpectateur. Tel eſt toujours
l'effet des grandes actions & des vertus
fublimes . Edouard en eſt confondu , mais
il ne révoque pas l'arrêt du ſupplice.
Enfin le jeune Auréle , précipité aux pieds
d'Edouard , demande en larmes à périr
avant fon père. Il rappelle au Monarque
le fort du ſien par ce beau vers :
Vous futes malheureux , & vous êtes cruel !
Ce reproche pathétique eſt le trait de la
nature & du ſentiment qui penetre & qui
dompte ce coeur juſques-là inacceſſible à la
clémence . L'Auteur s'éleve avec raiſon
contre ceux qui ont traité ce point du dénouement
de moyen inférieur à tous ceux
auxquels Edouard a réſiſté. Il en appelle
auxdroits ſi chers & fi facrés de la nature .
fur les ames les plus irritées. Il s'autoriſe
avec raiſon des larmes d'Achille , qui n'en
AVRIL 1765 . 205 ン
verſa que lorſque le vieux Priam lui rappella
le ſouvenir de fon père. Nous prendrons
la liberté d'ajouter aux raiſons , déja
très-fortes ,deM. DE BELLOY, que fi Homère,
le peintre de la nature , a donné tant de
force à la tendreſſe filiale ſur l'ame du
plus fougueux de tous les hommes , combien
doit-elle avoir plus de puiſſance fur
unMonarque qui a des vertus moins éloignéesde
la clémence qu'Achille , qui n'eſt
point enflammé comme lui d'une vengeance
perſonnelle , qui n'a point à facrifier
comme ce héros aux mânes d'un ami
éperdument aimé , qui au contraire eſt
cruel alors , moins par paſſion que par une
malheureuſe erreurde la politique. Tel eſt
cet Edouard pendant tout le cours de la
pièce. D'après cela , n'eſt- on pas fondé à
ſoupçonner que fon ame émue , attaquée ,
combattue déja par tant de moyens , ne
demande en fecret que celui de ſe ſauver
de la funeſte & fauſſe honte de céder après
tant de réſiſtance ? Qui ne fait , pour le
malheur de l'humanité , qu'il eſt trop fouvent
dans l'ame des gens puiſſans une ténacité
qu'ils prennent pour fermeté ;
leurs premiers refus ſont des engagemens
•dont l'orgueil leur fait un cruel devoir ?
Edouard ne pouvoit dans ce ſyſtème , qui
malheureuſement eſt celui de la nature
que
206 MERCURE DE FRANCE.
pervertie , ſe dédire & ſe porter à la clémence
que par un motif tout nouveau&
qui ne tint à aucun de ceux qu'on avoit
employés pour le fléchir.Prenons garde encore
, qu'ici ce Monarque accorde librement
, & qu'autrement il eût cédé.Qui ne
fent pas cette distinction , ne connoît ni
la nature de l'orgueil humain , ni celle des
grands ivres de leur pouvoir. Ainfi ce
dénouement eſt non-ſeulement naturel ,,
émané du caractère de celui de qui ildépend
, mais encore il eſt tel que tout autre
moyen feroit une machine hors d'oeuvre ,
&qui feroit fortir ce drame de l'unité &
de la fimplicité d'action , qui en font le
grand mérite. Nous avons ſuivi cette action
pas à pas. Nous avons couru le riſque de la
prolixité en rappellant ici preſque toute la
pièce, en faveur du grand nombre de ceux
qui , malgré l'habitude du théâtre , n'ont
pas une idée préciſe & juſte de ce qu'eſt
eſſentiellement l'action dramatique. Nous
nous flattons d'avoir prouvé que non-feulement
elle exiſte dans le Siége de Calais,
mais qu'elle y exiſte dans toute la rigueur
des règles. Depuis les larmes qu'on a vu
conftamment répandre aux repréſentations
de cette tragédie , nous n'avons rien à répondre
à ceux qui , dans les commencemens
, ont prétendu ou feint de croire qu'il
AVRIL 1765 . 207
n'y avoit point ou fort peu d'intérêt. Une
choſe qui dépoſe en faveur du genre
d'intérêt qui règne dans cette pièce ,
c'eſt que l'on balbutie aujourd'hui fur ce
mot d'intérêt. On n'oſe , pour ainſi dire ,
articuler celui de l'amour , qui en effet ne
domine pas dans cette tragédie. On en
appelloit aux femmes :elles ont prouvé em
cette occafion combien on leur faifoit
injure en ne les croyant ſuſceptibles.
d'intérêt que pour les paffions molles &
efféminées , qui s'effacent ſi ſouvent des
ames qu'elles ont le plus agitées , fans y
laiffer même des traces de leur empire..
Elles ont fait voir que leurs coeurs s'ouvroient
comme les autres aux fublimes fentimens
de l'héroïſme & de l'humanité.
Il nous reſte à remarquer quelle union
il y a entre le dialogue de ce drame & la
marche de fon action . Celle-ci réfulte toujours
du fil des ſcènes , tellement qu'il fetoit
moralement impoſſible que les événemens
n'arrivaſſent pas dans les temps & de
la façon dont ils arrivent. Pour s'en convaincre
, il n'y a qu'à obſerver que ce
n'eſt point , comme dans beaucoup de drames
, un Acteur qui en fait entrer on fortir
d'autres. C'eſt une conduite toute fimple
de motifs néceſſaires qui les amenent fur
la ſcène & qui les en retirent. Nous nous
flattons que ſi , après avoir lu la pièce en
208 MERCURE DE FRANCE.
entier , on veut jetter un coup d'oeil fur
l'extrait que nous en avons donné , on remarquera
ce qu'un connoiffeur , étudiant
beau tableau , remarqueroit lui-même ;
c'est-à-dire , la direction d'un premier
trait unique , pris d'un certain point , &
conduit fans quitter la main , qui enchaîne
toute une grande compoſition.
Après ces parties primitives dans la conftitutiond'un
drame , celle des caractères
eſt une des plus importantes. En examinant
, en détaillant ceux de la nouvelle
tragédie , nous ne pouvons que donner des
éloges à l'art avec lequel ils y font établis
& foutenus , à l'ordre , à la diſtribution
ingénieuſe de ces caractères : ce qui leur
donne à chacun un degré convenable &
proportionné d'intérêt , fans qu'ils ufurpent
les uns fur les autres. Celui du Mairea une
prééminence qu'exigeoit le ſujet. Rien ne
ſe dément dans ce beau caractère : la ſimplicité
relève la grandeur de fon ame ; les
plus fublimes efforts en lui , ne font point
l'effet d'une ivreſſe fanatique , ni du faſte
de l'héroïſme des Grecs & des Romains.
Le ſien paroît toujours le fruit des grands
principes dans lesquels fon ame patriotique
eſt affermie. Son courage inébranlable
n'a pas beſoin des attraits éclatans de la
gloire. Il eſt conforme à ſon état, à ſa conAVRIL
1765 . 209
dition : iln'emprunte point le ſecours des
paſſions violentes ; c'eſt la vertu dans ſa
pureté ; c'eſt la vertu que toute ame peut
pratiquer dans quelque rang où le fort l'ait
placée. Ce moment terrible qui ſemble affranchir
les hommes de tout reſpect humain,
ne déplace point cette ame vertueuſe.
Jamais la morgue , mais toujours la fermeté
, règne dans ſes réponſes au Roi d'Angleterre.
S'il va juſqu'à lui reprocher un
moment la foi qu'il a violée envers fon
Roi par ce vers :
Je n'ai pas comme vous le droit de la trahir..
c'eſt la grande idée qu'il a de la force
des fermens ; c'eſt le ſentiment vif dont
il eſt pénétré , qui lui arrache cette eſpèce
de farcasme ſi l'on peut dire. Il revient
bientôt au ton modeſte de ſon état. Ce
vers admirable dans ſa majestueuſe ſimplicité
,
Seigneur, vous meforcezd'être plusgrandque vous!
peint cette grande ame. Le caractère d'A-'
liénor eſt d'autant plus beau , qu'il rappelle
celui d'Eustache de Saint-Pierre , mais
fans monotonie &dans des nuances qui
le diftinguent ; nuances d'autant plus
juſtes , qu'elles naiſſent & de ſon rang &
de ſon ſexe. Ce n'eſt point le ſuperbe or
210 MERCURE DE FRANCE.
gueil d'une Femme Romaine ; c'eſt une
Françoiſe de qualité fortement pénétrée de
l'amour de ſa patrie , inſtruite de ſes loix ,
& inviolablement attachée à fon Souverain
. Ce que produit ce beau caractère dans
la ſcènede diſcuſſion avec Edouard , peutêtre
une des plus belles en ce genre qui
foit au théâtre , fuffit à notre admiration .
Plus impétueuſe ſans doute que Saint-
Pierre, elle conſerve néanmoins avec
Edouard cette révérence dont l'éducation
fait un principe invariable dans les gens de
qualité. Elle est agitée de plus de mouvemens
que leMaire , par la tendreſſe filiale ,
par celledont elle a rougi, mais qu'elleconſerve
pour le jeune Harcourt : cependant
l'Auteur rameine ſans ceſſetous ſes ſentimens
au point central de ſon ſujet , qui
eſt le patriotiſme. Cet Harcourt , conféquent
dans la vivacité de ſes remords
l'impétuoſité de ſes premières erreurs , eft
un caractère qui nous a paru neuf au théâtre
, qui contraſte très-bien , mais fans le
croifer, celui du généreux Saint-Pierre,
en allant à la même fin par des voies oppoſées.
Le jeuque prête ce caractère dans
la pièce , le reffort qu'il donne à l'action ,
doitnous le faire conſidérer comme un
très-beau trait de l'art. Un autre , dont on
doit tenir compte à l'Auteur , eſt d'avoir
د
a
AVRIL 1765. 211
dans le caractère de Mauny peint celui de
la nation angloiſe , de manière à laiſſer
dans ce ſiecle éclairé la fatisfaction au ſpectateur
, de voir les droits de la vérité refpectés
, & l'honneur d'une nation conſervé
avec juſtice dans un ouvrage confacré à la
gloire & à l'élévation de ſa rivale. C'eſt
une attention dont l'Auteur ne s'eſt point
écarté juſques dans le caractère de l'inflexible
Edouard. On ne fauroit trop le répéter
, ſa cruauté , dont il falloit faire ufage,
& qui eſt le mobile de toute cette tragédie
, n'eſt point un vice du coeur de ce
Monarque. C'eſt avec beaucoup de génie .
que l'Auteur lui prête des motifs trèsplaufibles
, & que n'admettoit que trop
autrefois la politique des Princes , pour
iminoler à fes grands projets les fix héros
de Calais . Nous ne ſavons ſi tous les cririques
ont fait fur cela aſſez d'attention ;
ils y auroient vu deux choſes ; la première ,
comme on l'a déja dit, la cauſe toute préparée
du dénoüement ; la ſeconde , le
ménagement avec lequel Edouard eſt affez
formidable pour imprimer toujours la
juste terreur de voir périr les héros de la
pièce ; mais jamais odieux par ſes qualirés
perſonnelles , jamais avili , quoique
furmonté par l'héroïſme des François ;
c'eſt ce que nous ne prendrons pas la peine
212 MERCURE DE FRANCE.
de prouver , puiſqu'il ſuffit d'envoyer d
une lecture attentive de la pièce même.
Si la beauté de l'ouvrage , & nous le difons
fans flatterie, ne nous avoit entraînés
bien plus loin que nous n'avions prévu ,
ce feroit ici le lieu de parler du coloris &
du ſtyle de cette pièce. Nousnouscontenterons
de répéter ce que le goût a indiqué
déja à preſque tous les ſpectateurs de bonne
foi.Il en eſt peu qui ſoient auſſi remplies de
vers remarquables , fans qu'aucun emprunte
l'éclat des tours & le brillant de
l'eſprit recherché. Ce que nous y avons
fingulierement admiré , c'eſt qu'en employant
toute la majeſté du ſtyle tragique,
toute l'élégance de notre langue moderne ,
l'Auteur a ſagement conſervé la ſimplicité
des temps & de la condition des perfonnages
; art admirable , dont on ne peut
trop recommander l'imitation aux jeunes
Auteurs. Ce moyen eſt peut-être un de
ceux qui ale plus contribué au grand effet ,
à cette impreſſion univerſelle & commune
à tous les ordres de ſpectateurs , quoique
peut-être ce mérite eût échappé à leurs réflexions.
Nous nous flattons d'avoir , quoique
foiblement , rempli à-peu-près les conditions
que nous nous ſommes impoſées au
commencement de cet examen. C'eſt au
AVRIL 1765 . 213
Lecteur à juger à préſent ſi la tragédie du
Siége de Calais ne doit ſon mérite & les
honneurs qu'elle a procurés à fon auteur ,
qu'à la ſeule faveur du ſujet ?
En traçant les divers caractères de la
tragédie , nous avons indiqué les talens des
principaux Acteurs. Ils ſemblent être entrés
chacun tellement dans l'eſprit de l'Auteur
, que nous pourrions dire fans adulation
qu'ils nous ont ſervi , par la juſteſſe
de leur action , à diſtingner , ou du moins
à être plus ſenſiblement frappés des nuances
que nous venons d'expoſer ,& qui contribuent
beaucoup au grand effet que produit
la repréſentation du Siége de Calais.
Nous ne pouvons nous diſpenſer de
communiquer à l'Auteur & aux Acteurs
quelques légères remarques ſur la repréfentation
de cette pièce , recueillies des ſentimens
réunis de pluſieurs ſpectateurs.
1 ° . Quelques perſonnes attachées aux
vraiſemblances hiſtoriques ont regardé
comme un anacroniſme l'ordre de la jarretière
, dont ſe décore l'Acteur qui joue le
rôle d'Edouard III , prétendant que
cet ordre ne fut inſtitué que quelques années
après le ſiége de Calais.
2º . D'autres auroient defiré que le
fils du Maire parût en habit de guerrier ,
parce qu'il arrive fortant du combat. Nous
214 MERCURE DE FRANCE.
croyons qu'on peut répondre à cela que ce
jeune Guerrier entre ſur la ſcène bleſſé au
bras ; qu'il a pû & même dû être défarmé
; & que comme il ne s'agit plus de combattre
dans le reſtede la pièce, il convient
mieux qu'il reſte dans les habits ſimples de
citoyen , avec leſquels il eſt plus uniforme
aux cinq autres bourgeois dévoués pour le
falut de leur patrie.
3º. On a paru généralement improuver
l'action du Comte de Melun , qui ôte fon
caſque pour parler à Edouard. Nous ne
voyons rien qui la justifie , parce qu'en aucun
temps , & chez aucun peuple , cette
action n'a été admiſe pour le falut ou pour
une marque de reſpect. Au contraire elle
le ſeroit plutôt d'une familiarité repréhenſible
en préſence d'un Souverain , en ce
que le caſque étant une armure plutôt
qu'une coëffure , on ne le quittoit que
pour être plus à fon aiſe , & dans le repos.
Ces dernieres obſervations paroîtroient
& feroient de peu d'importance en d'autres
occaſions ; mais rien n'eſt minutieux fur
ce qui concerne la repréſentation d'un ouvrage
devenu auffi célebre ,& adopté avec
tant de chaleurpar la nation.
Fin de l'examen du Siége de Calais.
AVRIL 1765 . 215
}
LETTRE de M. DE BELLOY , auteur de
la Tragédie du SIEGE DE CALAIS à
M. DELAGARDE , Auteur du Mercure
pour la partie desſpectacles.
J'A I l'honneur de vous envoyer , Monſieur
, le petit éclairciſſement dont je vous
avois parlé relativement à l'inſtitution de
l'Ordre de la Jarretière. Il eſt très - vrai que
la plupart des hiſtoriens en fixent l'époque
à l'année 1348 , 1349 on 1350 ; mais
Froiffard , Auteur contemporain , auteur
attaché particulièrement au ſervice & à la
Cour d'Edouard III , atteſte que la première
cérémonie de cette inſtitution eut
lieu dans une fête donnée au château de
Vindfor en 1344 , trois ans avant le fiége
de Calais ( Voyez Froiſſard , tom. premier
, chap. 101 ).Après une telle autorité,
il faudroit bien de la mauvaiſe humeur
pour déſapprouver encore l'Acteur célèbre
qui a cru devoir porter les marques de
l'Ordre de la Jarretière en repréſentant
EdouardIIIdans ma Tragédie. L'anacroniſme
fût- il même aufli conſtant que le
ſoutiennent les Cenſeurs de M. le Kain ,
je ne vois pas qu'un drame ſoit une table
216 MERCURE DE FRANCE.
chronologique : rapprocher ou reculer de
quelques années un événement dont l'époque
eſt douteuſe , c'eſt une liberté trèspermiſe
au théâtre , lorſqu'on ne change
ni le faitprincipal ni les perſonnages qui y
ont eu part. Malheur, dit Boileau , à ces
Poëtes didactiques ,
Qui chantant d'un héros tous les faits éclatans ,
Maigres hiſtoriens , ſuivent l'ordre des tems .
Mais , Monfieur , puiſque je parle de
M. le Kain , il eſt juſte que je lui paie
publiquement le tribut de reconnoiſſance
que je lui dois à ſi juſte titre. Il a fait , pour
le bien de ma pièce , un ſacrifice généreux
que je n'oublierai jamais. Il a cédé un rôle
qu'il trouvoit agréable , pour ſe charger
de celui qui devoit paroître le plus ingrat
&le plus difficile. Ses talens y ont acquis
un nouveau luſtre. Il a répandu leur éclat
fur le fond le plus fombre , & il a prouvé
qu'il n'y a jamais de rôle médiocre pour
un excellent acteur. Au reſte , je ne prétends
point diminuer par-là le mérite de
ceux qui ont fait valoir avec tant d'avantages
des rôles plus ſaillans. Je fais mieux
que perſonne tout ce que mon ouvrage doit
à la fublime énergie de Mlle Clairon , au
pathétique noble & pénétrant de M. Brizard,
à la vérité précieuſe , à l'âme ardente
de
AVRIL 1765 . 217
de M. Molé : & en général aux talens de
tous les autres acteurs qui ſe ſont ſurpaſſés
eux-mêmes dans une pièce où ils avoient
à exprimer leurs propres ſentimens dans
ceux de la nation. Seroit-ce le temps de
ne pas convenir du mérite qu'ils ont prêté
à ma Tragédie lorſque l'impreſſion depoſe
fi hautement en leur faveur ?
Qu'il me ſoit permis de profiter de l'occaſion
de cette lettre pour répondre à un
reproche perſonnel qui mérite toute mon
attention . On veut faire croire que je m'enorgueillis
des bontés du Public ; que ma
préface n'eſt point modeſte ; que je m'érige
en législateur , quand j'annonce un
ouvrage fur les régles de la Tragédie ; &
que je compare infolemment le Siège de
Calais à la Phèdre de Racine. Ceux qui
me connoiſſent ſavent combien la vanité
eſt loin de mon caractère ; ils n'ont pas
beſoinque je me juſtifie à leurs yeux : mais
jedois compte au Public de mes fentimens
&de l'uſage que je fais de ſes bontés .
Je ne m'érige point en légiſlateur : au
contraire , je veux forcer tous les petits
légiflateurs modernes àa reconnoître comme
moi les llooiixx anciennes dont leur caprice a
fecouueélleejoug : &jedéclare formellement
dans ma préface que mon deſſein eſt de
rappeller les grands principes qu'ils cher-
Vol. I. K
218 MERCURE DE FRANCE.
chent à faire oublier ; ce n'eſt pas-là avancer
que je veux faire des régles ; & ceux
qui entendent le françois m'ont fort bien
compris. Ils n'ontpas imaginéqu''eenndiſant
que l'ouvrage dontil s'agit étoit le fruit de
douze années d'étude, cela dût fignifier que
j'y travaillois depuis douze ans. Ils ont
penſé qu'ayant étudié pendant un ſi long
remps les régles du théâtre , j'annonçois
ſeulement les obſervations que je me propoſois
de publier , comme très - différentes
de ces réflexions paſſagères que l'on
débite ordinairement d'après la Tragédie
que l'on vient de donner.
En effet , bien loin que j'aie travaillé
douze ans à l'ouvrage dont je parle , il
eſt àpeine commencé : je ſuis même intertainde
la forme que je lui donnerai. Mais
le fruit de mes longues études a mûri dans
ma tête ; j'y ai rafſemblé les principes , les
autorités , les exemples ſur leſquels j'ai
fondé mes opinions ; & c'eſt avec ces fecours
que j'entreprendrai de renverſer les
nouveaux dogmes que l'ignorance & la
préſomption veulent établir fur les ruines
des véritables régles. Voilà tout ce que
j'ai dit, & tout ce que j'ai voulu dire.
Si j'ai parlé de Phédre en parlant du
Siège de Calais , il eſt clair par les termes
dont je me fuis fervi , quej'ai oppoſé un
AVRIL 1765 . 219
chef- d'oeuvre à un foible eſſai , pour en
faire mieux ſentir la différence. Nous comparons
tous les jours Amaſis à Mérope ;Alcibiade
à Mithridate. Comparer deux ouvrages
, ce n'eſt pas les égaler l'un à l'autre.
Qu'on life ma préface : en voici quelques
traits. Ma Tragédie est bien éloignée de la
perfection .... Phèdre est le chef- d'oeuvre
du Génie.... Trop foible diſciple de Racine,
prétendrois -je être mieux traite que mon
maître?... Qu'on life fur-tout la page 7 , on
verra que je ne m'égale pas même à mes
jeunes Confrères , parce que je fais en effet
qu'ily en a pluſieurs dont le talent eſt fort
au-deſſus du mien. Ce ne ſont pas ceux-là
qui s'irritent de mon bonheur , il eſt pour
eux le préſage aſſuré d'une gloire dont ils
feront plus dignes. Mais ceux qui m'accufent
de vaniteont fans doute leurs raiſons.
Ne voudroient- ils pas , comme le dit ſi bien
Racine :
Groffir , pourse fauver , le nombre des coupables.
Heureuſement le Public n'eſt pas accoutumé
à les croire fur leur parole.
Je vous prie , Monfieur , d'inférer dans
le Mercure la réponſe que j'ai faite à la
lettre dont M. de Voltaire m'a honoré.
Elle achevera de montrer au Public quelle
eſt ina façon de penfer &de fentir.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
T
LETTRE de M. DE BELLOY à M. DE
VOLTAIRE.
1
1
MON maître ! quoi , vous daignez me
prévenir & prendre part à un ſuccès dont
je ne vous ai point encore fait hommage !
Eſt-ce à vous , que la gloire environne , de
vous appercevoir ſi quelques-uns de ſes
rayons ſe ſont égarés vers moi ? Souffrez
que je vous reporte tous ces fuffrages , tous
ces applaudiſſemens dont vous me félicitez.
Je vous les dois , vous m'avez fait le
peu que je fuis : vos ouvrages m'ont ſervi
de leçons , & c'eſt dans ces fources du Génie
que j'ai puiſé quelques traits de feu
dont on veut bien me tenir compte. Si
vous n'euffiez peint avec tant de force
l'ame de Zopire , de Zamti & celle des
deux Brutus , ma foible main eût- elle pu
crayonner les héros de Calais ? Croyez ,
Monfieur , que plus je ferai de progrès
dans mon art , plus je fentirai la prodigieuſe
ſupériorité de votre génie : ſemblable
à ce voyageur, qui ne voit ſe développer
toute la grandeur d'un ſuperbe monument
qu'à meſure qu'il en approche. On
dit que nous avons de jeunes Auteurs très
AVRIL 1765. 221
vains , très-glorieux de leurs talens : ils
n'ont donc jamais réfléchi ſur les vôtres ?
Qu'ils reliſent ſans ceſſe vos ouvrages !
c'eſt le meilleur antidote que nous puiffions
prendre contre la vanité. Le moucheron
peut- il s'admirer quand il léve les
yeux fur l'aigle ?
Le Siége de Calais ſera bientôt imprimé.
J'aurai ſoin de vous l'envoyer ſur le
champ. Si vous n'imitez l'exceſſive indulgence
du Public , vous ferez forcé de convenir
que je ne l'ai guères méritée , &c.
&c. &c.
COMÉDIE ITALIENNE.
On a continue pendant ſeptrepréſentations
Tom Jones. Cette pièce est imprimée,
& ſe trouve à Paris chez Duchesne
Libraire , rue S. Jacques , au temple du
goût.A la lecture , excepté la diſparate des
ariettes , elle ne nous a pas paru mériter
l'accueil défagréable du premier jour de ſa
repréſentation.
Ce theatre a fermé cette année , avec
tous les autres , le Samedi 23 Mars.
Kij
222 MERCURE DE FRANCE .
CONCERTS SPIRITUELS.
Du Dimanche , 24 Mars , & du Lundi
25 , fête de l'Annonciation .
DANS le premier on exécuta pour
grands Motets Omnes gentes de M. DAU
VERGNE , Surintendant de la Muſique du
Roi , & Deus venerunt de feu M. FANTON.
Dans le Concert du Lundi on exécuta
Dominus regnavit de feu M. DE LA LANDE .
Dans les Concerts de ces deux jours Mlle
AVENEAU , de la Muſique du Roi , dont
nous avons parlé dans le temps de fon début
fur le théâtre de la Cour à Fontainebleau
, chanta Ufquequo , petit Motet de
feu M. MOURET. Dans le Concert du
Lundi elle chanta le récit Adorate eum du
Motet de M. DE LA LANDE. Le Public a
paru généralement confirmer les éloges
que nous avions donnés à la qualité de la
voix de cette Cantatrice , & defirer en
même temps , avec nous , qu'elle choiſit
les moyens les plus fûrs pour s'inſtruire
dans l'art d'en faire un uſage conforme à
la beauté de cet organe. Dans les mêmes
Concerts Mlle FEL & M. LE GROS ONE
AVRIL 1765 . 2.2.3
chanté admirablement Exultatejusti , Motet
à deux voix de M. DAUVERGNE. Ce
Motet, d'une compoſition ſavante & agréable
, produit le plus grand effet , & prêta
très - officieuſement aux talens & aux voix
des deux perfonnes qui l'exécutoient. M.
DurORT , de la Muſique de S. A. S. M.
le Prince de Conty , & M. Capron ont exécuté
ces deux jours des Sonates & Concerto
, l'un fur le violoncelle , & l'autre fur
le violon. Ces noms , connus aujourd'hui ,
diſpenſentde rapporter les applaudiſſemens
que reçoivent toujours leurs talens : mais
nous ne pouvons nous diſpenſer d'exhorter
tous les grands talens , fur quelqu'inftrument
que ce ſoit , à préférer de plaire à la
partie nombreuſe du Public , par de la
muſique agréable & intelligible , au vain
honneur d'étonner un petit nombre de
rivaux , ou de prétendus connoiffeurs , par
des difficultés , qui ne produiſent aux autres
qu'un jeu bizarre & confus de fons
auxquels , ni l'eſprit ni le coeur n'entendent
pas plus que les oreilles qui n'ont
pas lebonheurd'être totalement muſicales.
224 MERCURE DE FRANCE.
JA
APPROBATION.
,
'A Ilu par ordre de Monſeigneur le Vice-
Chancelier , le premier volume du Mercure du
mois d'Avril 1765 , & je n'y ai rien trouvé qui
puiſſe en empêcher l'impreſſion. A Paris , ce
premier Avril 1765 .
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
S
ARTICLE PREMIER.
UITE des recherches ſur la barbe..
VERS préſentés à Mile Clairon , & gravés à
la tête d'une contredanſe qui porte le nom
de cette célèbre actrice , &c .
A un Chanoine qui trouve mauvais de ce que
l'Auteur s'éloigne de lui au choeur.
Sur un bavard impitoyable.
Sur le Siège de Calais.
Pour l'ouverture d'un exercice littéraire foutenu
à Saint Hypolite en Languedoc le 30
Août 1764.
MADRIGAL à Mile F... G.
IMPROMPTU à une Dame qui demandoit à
l'Auteur pourquoi il n'aimoit pas une Dile
nommée Life.
19
20
2 1
ibid..
22
26
27
AVRIL 1765 . 225
EPITAPHE pour M. Rameau.
VERS à Madame Baur*** , fur ce qu'elle avoir
fait donner la liberté à un Noir....
MADRIGAL à M*** ſur ce qu'il ſe glorifioit
un jour d'être fidèle à ſon épouſe , qui
ibid.
ibid.
s'appelle Rofe. 28
SUITE des Lettres d'une jeune Etrangère , fur
quelques modes & uſages de France , &c. ibids
Le Papillon & la Fleur , fable . 37
VERS à la louange du Roi de Prufſſe.
VERS adreſſés à M. de Belloy , ſur ſa Traibid.
gédie du Siége de Calais. 39
A Madame D .......
41
LETTRE à M. de Belloy, auteur de laTragédie
du Siége de Calais. 47
Sur l'Amour. 53
LETTRE de M. de la Place, auteurdu Mercure ,
àMM. les Maire & Echevins de Calais. 54
56
LETTRE de M. de Belloy, auteurde la Tragédie
du Siège de Calais , à M. de la Place.
RÉPONSE de MM. les Maire & Echevins de
Calais , a M. de la Place , auteur du Mercure
de France.
LETTRE de MM. les Maire & Echevins de
Calais à M. de Belloy.
EXTRAIT des regiſtres des délibérations de
l'Hôtel commun de la Ville de Calais .
RÉFLEXIONS fur la cérémonie du jour des
Cendres , épître à M. l'Abbé Coppette , Docteur
de Sorbonne , &c.
ENVOI .
1
VERS mis , par un Amateur , au bas d'une
57
19
61
64
69
eſtampe de Mlle Clairon . 70
ENIGMES. 71&72
Meuneroux en Auvergne. ibid. 73& 74
LOGOGRYPHES. A Madame de la F..... aux
126 MERCURE DE FRANCE.
L'ECOLE des femmes , chanſon morale , imitéede
l'angloisde M. Garrick , &c.
ART. II . NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRE à M. de la Place , auteurdu Mercure,
fur quelques inſcriptions inférées dans le
Mercure de Novembre 1764 .
NOUVEAUX Eſſais en différens genres de littérature
; par M. de ***, &c.
▼
LES Aventures d''un jeunehomme, pour ſervir
75
77
81
97
deſupplément à l'hiſtoire de l'Amour , &c. 94
ANNONCES de livres .
Avis aux Amateurs de l'Hiſtoire de France. 132
Avis touchantdivers ouvrages qui ſe trouvent
à Paris, rue Saint Jacques , chez Paul-Denis
Brocas , Libraire , au chef St Jean , &c. 136
ART. III . SCIENCES ET BELLES- LETTRES .
ACADÉMIES.
EXTRAITdes ouvrages lus àla ſéance publique
de l'Académie des Sciences , Belles- Lettres
&Arts de Rouen , tenuele II Août , en
préſence de M. le Duc d'Harcourt , &c .
PROGRAME de l'Académie de Metz. L'Académie
Royale des Sciences & des Arts de
Metz propoſe , pour le Prix de cette année
1765 , de traiter du régime des bois &
forêts , le plus für & le plus utile à la
Province des Trois Evêchés.
140
158
SÉANCE publique de la Société Littéraire de
Châlons- fur-Marne. 159
ART. IV. BEAUX ART S
ARTS UTILES
STRONOMIE, 171
AVRIL 1765. 117
ARTS AGRÉABLES .
GRAVURE. ibid.
MUSIQUE . 173
ART. V. SPECTACLES.
SUITE des ſpectacles de la Cour , à Verſailles. 175
SPECTACLES de Paris. Opéra, 179
COMÉDIE Françoiſe. 18.6
EXAMEN du Siége de Calais , Tragédie , par
M. de Belloy. 195
LETTREdeM. deBelloy, auteur de la Tragédie
du Siége de Calais , à M. de la Garde ,
auteur du Mercure pour la partie des ſpectacles.
LETTRE de M. de Belloy à M. de Voltaire .
COMÉDIE Italienne .
CONCERT Spirituel , du Dimanche , 24 Mars ,
215
220
221
&du Lundi 25 , fête de l'Annonciation. 228
De l'Imprimerie de LOUIS CELLOT , rue
Dauphine.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO Ι.
AVRIL 1765 .
SECOND VOLUME.
Diverſité , c'est ma deviſe. La Fontaine.
Chez.
Cochin
Jaius iam
Papil Sculpe
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à -vis la Comédie Françoiſe.
PRAULT , quai de Conti .
DUCHESNE , rue Saint Jacques .
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , Imprimeur rue Dauphine
Avec Approbation & Privilège du Roi.
1
1
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU RO Ι .
AVRIL 1765.
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'est ma deviſe. La Fontaine .
Cochin
Jajusiam
PapillonSculpe 715
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à- vis la Comédie Françoiſe.
Chez PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques .
✓ CELLOT , Imprimeur rue Dauphine
Avec Approbation & Privilège du Roi.
AVERTISSEMENT.
LEE Bureau du Mercure est chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer ,
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie littéraire ,
àM. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume est de 36fols ;
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour ſeize volumes ,
à raiſon de 30 fols piece.
Les perſonnes de province auxquelles
on enverra le Mercure par la Pofte ,
payeront pour ſeize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront d'autres voies que
la Poste pour le faire venir , & qui prendront
les frais du port fur leur compte ,
ne payeront comme à Paris , qu'à raiſon
de 30 fols par volume , c'est- à-dire , 24 liv .
d'avance , en s'abonnant pourſeize volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
'étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci-deſſus .
On supplie les personnes des provinces
d'envoyer par la Pofte , en payant le droit ,
leurs ordres , afin que le paiement en foit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
resteront au rebut.
On prie les perſonnes qui envoient des
Livres , Estampes & Muſique à annoncer
d'en marquer le prix.
د
Le Nouveau Choix de Pieces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M. DE
LA PLACE , ſe trouve auſſi au Bureau du
Mercure. Cette collection eſt compoſée de
cent huit volumes. On en prépare une
Table générale , par laquelle ce Recueil
ſera terminé ; les Journaux ne fourniſſant
plus un affez grand nombre de pieces pour
lecontinuer.
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL 1765 .
SECOND VOLUME.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LE Mausolée de M. le MARECHAL DUC
DE LUXEMBOURG , ode * .
DANS ce jour ſolemnel , où nos muſes en
pleurs ,
De leurs illuftres morts qélébrent la mémoire ,
Allons ſur ce tombeau répandre quelques fleurs ,
Et d'un vrai citoyen éterniſons la gloire .
* Lue à la féance publique de l'Académie des Sciences
Belles -Lettres & Arts de Rouen , le 11 Août 1764.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Avançons en filence au temple de la mort ,
Abaiſſons nos regards fur ces voûtes funèbres ;
Dans le fort d'un mortel contemplons notre fort ,
puiſons la vérité dans le ſein des ténèbres.
Ce touchant mauſolée élève juſqu'aux cieux
Des humaines grandeurs la pompe & la mifère :
Ce trophée , entouré d'un faſte ambitieux ,
D'armes & de faifceaux couvre un peude pouſſière.
Luxembourg de la mort a donc fubi les loix ,
Ses honneurs font tombés ſous le glaive funeſte.
De toutes les faveurs du meilleur de nos Rois ,
De l'éclat de ſon nom , voilà donc ce qui refte !
S'il n'eût été que grand , nous dirions : il n'est
plus.
Ce mot termineroit ſon obfcure exiſtence :
Mais à ſes dignités il joignoit des vertus ,
Er l'immonalité ſera ſa récompenfe.
Son pouvoir n'a fervi qu'à montrer ſa bonté ;
Cher à fon Prince , il fut père de la patrie :
Près du trône , conduit par la fidélité ,
Il y porta les voeux de ſa chère Neustrie .
Ses généreux bienfaits appelloient tous les ans
Dans ce temple des arts les amans de la gloire ,
Il couronnoit par nous tous les talens naillans ,
Et ſa préſence auguſte illuftroit leur victoire .
AVRIL 1765 . 7
L'utile Flore enſeigne en un riant jardin
A connoître , à choisir de ſalutaires plantes ;
Le ſcalpel , le compas , le pinceau , le burin ,
Sont conduits par les mains de nos muſes ſavantes .
Leurs élèves nombreux , dociles , affidus ,
Dans leurs brillans ſuccès égaleront leurs maîtres,
Et nos contemporains ne regretteront plus
Les fiécles décorés du nom de leurs ancêtres .
C'eſt vous , ô bienfaiteur ! ... ( 1 ) mais ce
triſte tombeau
D'une douce clarté ſe pare , ſe colore ....
Du ſéjour du trépas fort un aftre nouveau.
Quel est donc le ſoleil qu'annonce cette aurore ?
...
C'eſt lui .... Tel autrefois il parut parmi nous ,
Quand il vint préſider à cette aimable fète ;
Et lorſque ſous les traits du charmant dieu du
goût ,
De nos jeunes vainqueurs il couronnoit la tête .
<<< La louange ( dit - il ) eut peu d'attraits pour
>> moi ;
>> Si j'aimai la vertu , ce fut pour elle-même :
>> Protéger ma province auprès de fon grand Roi
>>>Fut monunique gloire & mon bonheur fuprême .
( 1 ) C'eſt à la protection & aux bienfaits de M.le Maréchal
que la ville doit l'établiſſement de pluſieurs priviléges
& manufactures , l'inſtitution de l'Académie , & les prix
qu'elle a diftribués tous les ans , les écoles de deffein , peinture
, architecture , anatomie , géométrie , botanique ,
&c.
t
A iv
8 MERCURE DE FRANCE .
>> L'avenir ſe dévoile.... Il offre àmes regards
>>>Un digne ſucceſſeur , .. un citoyen , .. un fage .
>> Il honore , il cultive à la fois tous les arts ;
2> Je monte vers les cieux , allez lui rendre
>> hommage >>
•
Luxembourg de nos coeurs reçut les tendres voeux .
HARCOURT, vous recevrez nos hommagesfincères ;
Puiffent nos defcendans les rendre à vos neveux
Tels que les ont rendus nos ayeux à vos pères.
Par M. l'Abbé YART , des Académies
de Rouen , de Caën & de Lyon.
VERSfur la mort de M. JORE , Secrétaire
Perpétuel de la Société Royale d' Agriculture
de RoUEN.
AIMABLE & tendre ami , bienfaifant citoyen ;
De notre agriculture & de notre induſtrie ,
Cher Jore , vous étiez le guide & le ſoutien
Vaus mourez ? ... que de pleurs verſera la patrie !
ว
Par le même.
AVRIL 1765 .
IDYLLE , traduite de MoSCHUS .
LA Reine de Cithère un jour perdit ſon fils.
Si quelqu'un par ſes ſoins , s'écrivit la Déeſſe ,
Trouve le fugitif que , cherche ma tendreſſe ,
Il aura pour ſalaire un baifer de Cypris ;
Qu'on me l'amène , & j'en donnerai mille.
Cet enfant dans la foule à connoître eſt facile ;
Sonteint n'eſt point de lys ; mais un feu féducteur
Enflamme fes regards ; fon diſcours eft flatteur ;
Souvent fon coeur dément ce que fa bouche exprime
,
Sa voix douce s'aigritquand ſon courroux l'anime.
De blonds cheveux flottans couvrent fon front
pervers ,
Et ſa main , quoique foible , atteint juſqu'aux
enfers.
Son ſein ſe montre à nu , mais ſon âme eſt voilée :
Comme unoiſeau , ſon vol le tranſporte en tous ,
lieux ,
Ses dards vont fans effort à la voûte étoilée ,
Il en a d'enchanteurs & de ſéditieux ;
L'or brille en ſon carquois ; mais les fléches qu'il
lance
Bleſſent tous les mortels : moi , dont il prit naif
fance,
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
J'en ai fenti l'atteinte , & fon léger flambeau
Brûle le ſoleil même... Ah ! fi de ce tableau
Vous retrouvez l'objet , rendez- moi ſa préſence ;
Sans pitié pour ſes pleurs , donnez- lui des liens ;
Dans ces liens encor redoutez ſa puiffance .
'Redoutez ſes poiſons s'il vous promet des biens ;
Si le traître ſourit , ſoyez fûr qu'il vous trompe ;
Reſſerrez bien ſes fers , de peur qu'il ne les rompe .
S'il vous offre un baifer , craignez en la douceur ,
Les flammes qu'il répand embraſent la nature .
S'il dit prenez ce trait , il vient de mon armure ;
Gardez-vous d'y toucher , c'eſt un préſent trompeur.
IDYLLE , traduite de BION.
BELLI
4
ELLE Vénus , fille des mers ,
Pourquoi mettez-vous en furie
Les cieux , la terre & les enfers ?
Votre fils au plaifir convie :
D'où vient a-t- il votre fierté ?
Pourquoi montre- t - il un génie,
Si différent de ſa beauté ?
Ah ! pourquoi porte-t- il des aîles ,
Et de loin lance-t-il fur nous
Des fléches trop ſouvent mortelles ?
Sans doute il veut qu'aucuns rebelles
N'en puiſſent éviter les coups.
AVRIL 1765 . 11
S
IDÉE d'un bon Peintre.
I l'on peignoit l'Honneur François ,
Je voudrois qu'il fût ceint d'une écharpe éclatante,
Qu'autour d'une taille élégante
Les amours renoiroient fans faſte & fans apprêts .
Ses yeux feroient brillans d'une douce allégrefle ;
Ses longs cheveux , négligemment épars ,
Ne feroient point treſſés des mains de la moleffe :
On reconnoîtroit Mars au feu de ſes regards .
A la victoire il ſembleroit ſourire ;
Ses grâces même auroient un air guerrier :
D'une main il tiendroit des branches de laurier
Et de l'autre des fleurs pour le ſein de Thémire.
On verroit fur fon front reſpirer la candeur :
Sans être interdite & troublée ,
L'infortune à ſes pieds connoîtroit le bonheur ,
Et d'avec lui fortiroit confolée .
On repréſenteroit des fiéges , des combats
Autour de cette auguſte image :
Elle peindroit l'amour , la vertu , le courage ,
Et le nomde B.... ſeroit écrit au bas.
Par M. DORAT .
A vj
1.2 MERCURE DE FRANCE.
L'AFFLICTION raisonnable..
PRÈS de Lubin mourant
Alix ſe lamentoit ;
Lubin , en ſoupirant ,
Son épouſe imitoit
Et le Curé , tout bas ,
Marmottoit pour antiènne :
<< Lubin , craint le trépas ;
» Alix , qu'il n'en revienne » .
D. L. P.
VERS pour le portrait de M. DE BELLOY,
auteur de la Tragédie du Siége de Calais.
L'HONNEUR
'HONNEUR & la vertu dicterent ſon ouvrage ;
Son eſprit fut pour nous l'interprête du coeur :
Du Monarque & du Peuple il obtint le ſuffrage ,
Et la poſtérité verra dans cet Auteur
L'excellent Citoyen , le Poëte & le Sage.
Par M. M ...
AVRIL 1765 . 13
JUGEMENT de SHAKESPÉAR dans la
Rofciade , poëme fatyrique contre les
Acteurs de Londres , par M. CHUR
CHILL. Texte.
Si un ſens male , fi la nature jointe avec
Fart , fi une profonde connoiſſance du
coeur humain , ſi la puiſſance la plus vaſte ,
la plus illimitée de l'action , ſi les moindres
défauts & les plus grandes beautés , fi
l'expreffion forte & le pouvoir étrange
placés dans le cercle magique de l'oeil , fí
une ſenſibilité dont peu de coeurs font
capables comme le tien ,& que tout autre
viſage ne peut rendre , méritent la préférence
, Garrick , place- toi fur le trône &
n'en deſcend que pour le céder à ton égal.
IMITATION libre de ce morceau , par
M. MARMONTEL , de l'Académie
Françoise.
SI d'un ſens mâle & für la juſteſſe hardie ,
Si la nature & l'art , dans un parfait accord ,
Si du coeur des humains l'étude approfondie ,
Si de l'illuſion le charme le plus fort ,
14 MERCURE DE FRANCE.
Si l'action préciſe , éloquente , énergique ,
Des grandes paſſions ſi le rapide jeu
Placé dans le cercle magique
D'un oeil où tout ſe peint avec des traits de feu ,
Si le don d'émouvoir , même par le filence ,
Si le don de ſentir dans le plus haut degré
De juſteſſe & de violence ,
Et de l'exprimer à ſon gré ;
Si ce trouble effrayant, ces remords & ces craintes
Dont peu de coeurs , comme le tien ,
Eprouvent les vives atteintes ,
Etdont nul autre n'a fi bien
Porté fur le front les empreintes ;
Si ce rare affemblage a mérité le prix ,
Ilt'appartient , Garrick ; c'est moi qui te le donne.
De mes lauriers , ſans toi fur ma tombe flétris ,
Ma main te doit une couronne.
Tu n'eus point de modèle , & n'as point de rival .
Viens occuper le trône élevé fur ma cendre ;
Et fi je te ſuis cher , attends pour en deſcendre ,
Que la nature enfin produiſe ton égal.
AVRIL 1765 . 15
CONSIDÉRATIONS fur les causes de la
corruption de l'éloquence .
ATHENES étoit menacée de perdre fa
liberté , Philippe corrompoit les citoyens
de cette fameuſe République , afin de les
fubjuguer plus fûrement ; Démosthènes
'élève la voix : cet orateur vaut une armée
aux Athéniens , & retarde , preſque malgré
eux, le momentde leur eſclavage. Tel eft
le pouvoir de l'éloquence. Perdu de vices
& de dettes , n'ayant de reſſources que
dans la ruine de ſa patrie , Catilina en
médite le renverſement : l'Orateur- Conful
découvre ſes affreux projets , il tonne
fur les coupables ; les conjurés tremblent ,
&leur chef même fuit précipitamment de
cette ville , qu'il ſe croyoit prêt d'aſſervir.
Voilà les triomphes de cet art, que nous
ne connoiffons preſque plus que par les
chefs-d'oeuvres des anciens orateurs. Quelle
en eſt la cauſe ? c'eſt ce que je vais tâcher
d'expofer.
Les premiers modèles d'éloquence qui
nous foient parvenus nous ont été tranfmis
par les Grecs. Cette nation , enrichie de
toutes les connoiſſances que ſes ſages
16 MERCURE DE FRANCE.
avoient été puiſer en Egypte , & qu'ils
avoient eux-mêmes perfectionnées , devenoit
le centre , & comme la patrie des
beaux arts : aſyle des philoſophes , qu'elle
perfécutoit quelquefois , elle l'étoit auffi de
touslestalens,qu'elle encourageoit toujours
par les honneurs qu'elle décernoit à ceux
qui les poffédoient. Naturellement porté
à la curiofité , avide de ſavoir , preſque
toujours oifif , le peuple même étoit inftruit
; & fi la nature du gouvernement ne
l'exigeoit pas , au moins elleycontribuoit
beaucoup ; elle aidoit fur-tout au progrès
de l'éloquence , dans un pays où toutes
les grandes affaires ſe traitant devant la
multitude , leur fuccès dépendoit prefque
toujours de l'art qu'on mettoit à les
développer : le grand nombre eſt bien
plutôt entraîné par les grâces du diſcours
que par la force des raiſonnemens. Ceux-ci
convainquent les ſages , mais celles - là
perfuadent le peuple : il faut des fyllogifmes
dans le cabinet , &des fleurs dans la
tribune. Aufli Démosthènes mêloit- il à la
folidité d'un génie mâle & tranſcendant ,
les agrémensd'un eſprit infinuant& fleuri :
il ſavoit également lancer la foudre & répandre
des fleurs ; toujours noble , fouvent
fublime , il réuniſſoit l'art d'élever
ſes auditeurs juſqu'à lui , & celui de s'aAVRIL
1765. 17.
baiffer juſqu'à eux. Politique profond , it
connoiffoit auffi bien le Monarque contre
lequel il tonnoit , que le républicain dont
il défendoit la liberté ; digne en un mot
de triompher d'un rival , qui ſans lui n'en
auroit point eu ( 1 ) , il fut l'admiration de
fon fiécle , & le modèle de tous les orateurs
qui l'ont ſuivi. Mais auſſi quelle vaſte carrière
s'ouvroit à ſon génie ! quel champ
pour cette éloquence rapide , à laquelle
rien ne réſiſtoit ! quelle gloire pour l'orateur
! quel prix pour le citoyen! Défendre
la liberté de fa patrie , montrer aux Athéniens
les chaînes qu'on leur prépare , ranimer
leur vertu par l'affreux tableau de
l'eſclavage , fixer ſur foi les yeux de la
Grèce entière , combattre ſeul un Roi
puiſſant& habile , découvrir & ruiner ſes
projets , le forcer de vous craindre & de
vous admirer , mériter enfin la reconnoiffance
de ſes compatriotes , les fuffrages de
tous les Grecs , & l'eſtime înême de Philippe
; telles étoient les vues qui devoient
enflammer Démosthènes , en compoſant fes
fameuſes harangues contre les Macédoniens.
Qu'un pareil adverfaire à combattre ,
&une telle cauſe à défendre , donnent de
reffort au génie ! Combien d'idées naiſſent
en foule dans une imagination échauffée
(1 ) Voyez la fameuſe harangue de Corana.
18 MERCURE DE FRANCE.
par de femblables motifs ! Tout concourt
à élever l'âme , à lui faire déployer toutes
fes facultés , à tranſporter ( fi j'ofe m'exprimer
ainfi ) l'orateur au- deſſus des autres
hommes , dont il va régler ladeſtinée.
Oui , le défenſeur d'Athènes , déconcertant
du haut de la tribune les projets ambitieux
d'un Monarque redoutable , me
paroît un être plus qu'humain. Prêt à fixer
le fort d'un peuple immenſe , ſes regards
éblouiffent comme l'éclair , ſa voix éclate
comme la foudre ; il étonne , il perfuade ,
il entraîne tous les eſprits.
Aufſi impétueux , moins égal , Péricles
feroit peu inférieur à Démosthènes ſi l'ardeur
de fon imagination fougueuſe eût
toujours été guidée par le goût inimitable
de ce dernier. Je pourrois parler encore
d'Efchine , d'Ifocrate , &de tant d'autres
orateurs fameux , dont la Grèce ſe glorifie ,
mais je me contenterai de remarquer qu'ils
ont tous vécu fous un gouvernement républicai'n;
que nulle monarchie de ce rempslàn'en
a produit , &qu'enfin Sparte même ,
quoique république , ne nous a tranfmis
aucun morceau célèbre d'éloquence , parce
que fon gouvernement n'étoit point de
nature à la faire fleurir. Les grands motifs
font les grands hommes , & l'art oratoire
n'acquérera jamais un certain degré de
AVRIL 1765 . 19
perfection dans un pays où les orateurs
n'auront à traiter que des ſujets médiocres
&peu intéreſſans.
Deplus, la conſidération que l'éloquence
donnoit chez les Grecs ne contribuoit pas
peu à la faire cultiver. Tel qu'un Général ,
qui d'un mot fait mouvoir des milliers
d'hommes , dont il diſpoſe à fon gré , l'orateur
change en un inſtant & dirige les
eſprits de tout un peuple : que dis-je , fon
-pouvoir eſt encore bien plus étendu. Celui-
là l'exerce ſur les corps , &celui- ci fur
les efprits ; l'un commande , l'autre perfuade
; on obéit aux ordres du Général ,
on eſt entraîné par le génie de l'orateur.
De quelle eſtime ne devoit donc pas jouir
un citoyen qui pouvoit , pour ainſi dire ,
faire changer la face de la République ;
&de quel poids ſon fuffrage n'étoit- il pas
dans les délibérations !De pareils hommes
font au moins reſpectés du peuple , s'ils
n'endeviennentpasmêmel'idole,& craints
des Magiftrats , s'ils n'en font pas les oracles.
Le fiécle qui les poſſéde leur doit des
ſtatues, & la poſtérité qui les regrette , un
tribut éternel d'admiration , quand la vertu
la plus pure réglant l'emploi de leurs talens
, ils n'ont élevé la voix qu'en faveur
de la liberté opprimée ou de l'innocence
prête à fuccomber. Mais fi , prêtant des
20 MERCURE DE FRANCE.
charmes ſéducteurs au crime , & des couleurs
trompeuſes à l'eſclavage, ils ontvendu
leur appui à l'iniquité & rabaiflé la majefté
del'éloquencejuſqu'à favorifer la tyrannie ;
la honte & le mépris doivent être la moindre
punition de pareils citoyens que leurs
talens ne rendent que plus dangereux. Je
terminerai ces réflexions ſur l'état de l'éloquence
chez les Grecs , en remarquant
qu'ils étoient tellement paſſionnés pour les
harangues , que les poëtes tragiques en
mettoient ſouvent d'aſſez longues dans la
bouche de leurs héros , & dans des ſituations
où elles nous paroîtroient aujourd'hui
fort déplacées. Sans parler d'Efchyle, l'inventeur
du dialogue , mais qui n'avoit pas
encore trouvé l'art de le perfectionner en
le coupant , Sophocle , le fublime Sophocle,
ſemble quelquefois faire céder la vivacité
d'action , qui fait l'âme de ſes tragédies
, au plaifirde faire haranguer ſes héros.
Euripide n'eſt pas non plus exempt de ce
défaut ; ce qui le rend encore plus ſenſible
, c'eſt les ſentences qu'il fait à tout
moment débiter à ſes acteurs., preuve bien
évidente du goût général que la Grèce
avoit alors pour les maximes de morale &
les déclamations oratoires.
Les premiers fiécles de la République
romaine s'étoient écoulés dans le tumulte
(
AVRIL 1765. 21
de la guerre. Cette nation , deſtinée à
l'empire de l'univers , s'étoit vue tour à
tour eſclave fous des Rois , libre ſous des
Confuls , tyranniſée par des Décemvirs ,
& fubjuguée , pour ainſi dire , par des
Tribuns ; & les troubles perpétuels qui
l'avoient agitée n'avoient pas favorisé l'établiſſement
des lettres dans un pays où
les bons citoyens n'étoient occupés qu'à
défendre leur liberté , & les mauvais qu'à
fomenter les diſſenſions , ou à en faire
naître de nouvelles. Mais lorſque le gouvernement
prit une forme fixe & confiftante
, lorſque la puiſſance romaine s'accrut
, & qu'une ville , qui n'étoit d'abord
qu'un aſylede brigands , devint la maîtreſſe
de l'Italie ; lorſque , dis-je , la tranquillité
ſe rétablit dans l'état , l'on vit auſſi - tôt
accourir du fond de la Grèce les beaux
arts , & fur-tout l'éloquence , cette divinité
chérie des républicains ; tout prit dans
Rome une forme nouvelle. L'urbanité ,
compagne inféparable des belles- lettres ,
tempéra l'auſtère rudeſſe des moeurs guerrières
; l'amour de la liberté reſta : mais ,
dépouillé de je ne ſais quelle férocité qui
l'accompagne preſque toujours chez les
peuples qui fortent de l'eſclavage , ou qui
craignent d'y rentrer , le langage ſe polit
22 MERCURE DE FRANCE.
& ſe perfectionna ; les coeurs devinrent
plus ſenſibles fans être moins mâles ; les
efprits gagnerent de la délicateſſe ſans perdre
de leurvigueur : en un mot , les ſciences
firent chez les Romains des progrès fi
rapides , qu'ils parvinrent bientôt au point
d'éclairer par leur génie le monde qu'ils
fubjuguoient par leur valeur, & d'étendre
auffi loin leurslumières que leurs conqueres .
A plufieurs célèbres orateurs , dont la
mâle éloquence avoit déja illustré la tribune
de Rome , l'on vit fuccéder Cicéron ,
digne émule de Démosthènes , & par le
génie qui l'éleva aux premieres dignités de
Ia République , & par l'ennemi qu'il eut ,
à combattre ( 2 ) . Protecteur généreux de
la vertu opprimée , ami tendre , citoyen
zélé , il éleva tour à tour la voix pour
l'innocence , l'amitié & fa patrie. Quelle
adreſſe , quelle force de raiſonnement dans
fes harangues célèbres , où il défend d'infortunés
citoyens , accablés fous le poids
de la violence & de l'iniquité ! quelle nobleffe
, quel art dans celles où il accufe un
(2) On me reprochera peut- être d'avoir paffé
fous filence pluſieurs orateurs célèbres chez les
Grecs & les Romains ; mais comme je ne fais
point l'hiſtoire de l'éloquence , & que je ne recherche
que les cauſes de fa corruption , j'ai pu ne
m'arrêter qu'aux orateurs les plus connus .
AVRIL 1765 . 23
Proconful avide & puiſſant , dont les crimes
deshonoroient la République & combloient
la ruine d'une de ſes meilleures
provinces! quelle majesté , quel feu , quelle
rapidité d'éloquence dans ſes difcours foudroyans
, qui briſerent les chaînes dont
Kome étoit prête à être chargée ! Il est vrai
que le génie d'aucun orateur ne fut jamais
enflammé par des motifs plus puiffans.
Rome prête à périr , des citoyens menacés
de la mort & de l'esclavage , la vie de fes
proches & la fienne même en danger , la
haine la plus invétérée contre le coupable ;
tels étoient les objets dont le tableau devoit
échauffer l'imagination de Cicéron. Quelle
ſituation , quel ennemi à repouffer , quelle
cauſe à défendre ! Mériter le nom de ſauveur
de la patrie , ou la voir écrafée fous
ſes ruines ; en être le premier citoyen , ou
tomber d'une même chûte avec elle ; lui
conferver fa liberté , ou fubir foi-même le
joug le plus honteux ; ſauver les jours de
fes amis & de ſes compatriotes , ou rifquer
de terminer les fiens dans les fupplices
; arriver au plus haut point de gloire ,
ou refter bientôt dans l'oubli ; fatisfaire fa
haine fans bleſſer ſa vertu & fon ambition
en ſervant la République , ou demeurer
la victime des fureurs de fon ennemi :
voilà fans doute de quoi vivement agiter
24 MERCURE DE FRANCE.
tous les refforts d'une grande âme , &
l'élever au degré le plus fublime où elle
puiffe atteindre. Auſſi les Catilinaires fontelles
regardées comme un des chefs-d'oeuvre
de l'art oratoire. Aufſi vit - on le chef
audacieux des conjurés trembler devant
l'orateur & quitter Rome auffi- tôt ; & ce
que n'auroient peut- être point fait la politique
la plus confommée & la valeur la
plus héroïque , un ſeul homme l'exécuta
par la force de fon éloquence.
Les Romains ne conſerverent pas longtemps
cette liberté que Ciceron avoit fi bien
défendue. Des ennemis plus dangereux ,
parce qu'ils furent d'abord plus cachés ,
renverferent bientôt la République , dont
ils ſe diſoient tous deux les appuis , & ruinèrent
leur patrie en prétendant la défendre.
Dans un état agité de ſecouſſes auffi
violentes , les beaux arts devoient être
peu cultivés , la vraie éloquence devoit
être anéantie ; elle ne dut point renaître
ſous les Empereurs : la forme du gouvernement
étoit changée , l'ombre même de la
liberté ne ſubſiſtoit plus. Ily eut des poëtes
célèbres , des hiſtoriens éclairés , des philofophes
profonds ; il n'y eut plus d'orateurs.
Le ſiècle d'Auguſte , ſi fécond en
grands hommes dans tous les genres de
Littérature , n'en produifit aucun , & l'éloquence
AVRIL 1765 . 25
quence fut enfevelie ſous les ruines de la
liberté . L'ambition & la gloire trouverent
d'autres moyens de ſe ſatisfaire , & ces
deux mobiles n'excitant plus la jeuneſſe à
cultiver l'art oratoire , il dut néceſſairement
être négligé. En effet , quels objets
pouvoient engager un jeune Romain à
marcher ſur les traces des Démosthènes &
des Cicéron ? l'eſpérance d'arriver aux premieres
dignités de l'état ? elles étoient vendues
aux richeſſes , ou données à la faveur :
l'envie de ſe faire des admirateurs & des
partiſans dans le peuple ? c'eût été travailler
foi-même à ſa ruine , en ſe rendant fufpect
au ſouverain : le deſir de ſe rendre
utile à ſa patrie ? l'éloquence n'étoit plus
un moyen d'y parvenir ; les cauſes ne ſe
plaidoient plus devant le peuple. En vain
un orateur auroit-il élevé la voix en faveur
de l'innocence ou de la liberté : ſes efforts
auroient été infructueux ou punis. Les
lettres étoient cependant toujours cultivées.
La philoſophie fur - tout ſembloit avoir
quitté la Grèce pour Rome , & le goût de
l'étude embraſſant tous les genres , ne put
ſe réſoudre à abandonner totalement celui
qui venoit d'être porté preſqu'à ſa perfection.
Aux véritables orateurs ſuccéderent
donc les théteurs ou déclamateurs : l'eſprit
ſeul eut part à leurs productions ; nuls
Vol. II. B
26 MERCURE DE FRANCE.
grands motifs n'échaufferent leur génie ,
&leurs ouvrages manquerent néceſſairement
de cette chaleur qu'inſpirent les
grands objets que l'on a à traiter. Je ne puis
en apporter une preuve plus convainquante
'qu'enjettant un coup d'oeil fur Sénéque, ce
philofophe , qui , au ſein de l'abondance ,
déclamoit fans ceſſe contre les richeſſes .
Ce Rhéteur , qui compofoit exprès des
amplifications pleines d'antithèſes & de
faux brillans , pour déplorer la perte du
ſtyle ſimple & naturel ; panégyriſte du
bon goût , qu'il contribuoit lui-même à
bannir , il devint le modèle des déclamateurs.
Mais froids copiltes d'un modèle
dont l'imagination vive & échauffée le
maîtriſoit , ils coururent fans ceffe après
T'eſprit : auffi les vit-on ne propoſer que
des énigmes au lecteur , en prétendantlui
offrir des penſées fines & recherchées. Si
Pline ne s'étoit formé que fur de ſemblables
modèles , nous n'aurions pas fansdoute
cette harangue , preſque digne d'un meilleur
temps ; ce morceau , le plus achevé
defon genre qui ſoit paffé à la poſtérité , le
panégyrique de Trajan . On y admire avec
raiſon les grâces , & même la force de
l'expreffion , la fineſſe des louanges , la
variété des tableaux , & fur- tout l'art bien
peu connu de flatter fans baffeffe ,
2
:
&de
AVRIL 1765. 27
louer fans fadeur. Il eſt certainement bien
adroit d'avoir écarté d'un difcours auffi
long le froid preſqu'inſéparable des éloges ,
& c'eſt peut- être le ſeul panégyrique que
la poſtérité relira toujours avec plaifir.
Mais en même temps , qu'il fait regretter
que fon auteur n'ait pas vécu dans les fié
cles brillans de la République ! au lieu du
bel eſprit qu'il affecte quelquefois , fon
ſtyle eût été moins foigné, mais plus noble,
ſes penſées moins recherchées , mais plus
élevées , ſes expreffions plus fimples & plus
fublimes : il eût évité les phraſes obfcures ,
les antithèſes trop fréquentes ; en un mot,
tous les faux brillans qui déparent un difcours
au lieu de l'embellir , & ce froid
enthouſiaſme de l'eſprit, ſi inférieur à la
vraie chaleurdugénie : dans d'autres temps
enfin Pline eût été un orateur. Son fiécle
étoit celui de la déclamation , & il faut
convenir que dans ce genre nous ne lui
connoiffons point de ſupérieur, ni même
d'égal parmi les Romains.
La décadence de leur empire entraîna
celle des lettres : les peuples qui le dévafterent
n'épargne rent aucuns monumens des
beaux arts , & toute l'Europe fut replongée
dans l'ignorance & la barbatie : les
traces mêmes du bon goût furent effacées ,
& pour long-temps ; & tout dans cette
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
partie du monde ſe reſſentit de la férocité
de ſes nouveaux vainqueurs. Les hommes
n'étoient pourtant pas changés de nature ,
& il y en eut toujours à qui leurs lumières
naturelles firent deſirer d'en acquérir de
nouvelles , & de cultiver leur eſprit par
l'étude ; mais malheureuſement pour eux
ils manquerentde guides : le mauvais goût
du ſiècle les entraîna , & leurs travaux
n'ayant que des objets ſtériles & vains ,
leur ſcience fut pédanteſque & futile : des
diſputes grammaticales ou théologiques ,
des recherches de peu d'importance , une
philofophie toute hériffée de grands mots ,
&ſouvent vuide de ſens , des commentaires
, quelquefois plus obſcurs que le texte ,
des poéſios groſſières ou puérilement entortillées
; voilà tout ce qui nous reſte de ces
temps de ténébres & d'ignorance , voilà
les productions des plus beaux eſprits qu'ils
aient eus. Il fallut une longue ſuite de fiécles
pour ramener peu à peu le bon goût ,
oublié depuis ſi long-temps. Il commença
àreparoître en France ſous François I ; on
le vit fur-tout renaître dans les poéſies de
Marot , le modèle de la naïveté & du naturel
: il ſe montra moins dans les autres
genres. On n'étoit pas revenude lamanie
du pédantiſme , & il ne falloit encore ,
pour acquérir la réputation de ſavant ,
AVRIL 1765. 29
qu'avoir mérité celle de compilateur. Il
faut cependant convenir que la république
des lettres doit beaucoup au travail de
ceux mêmedont on ne litplus les ouvrages.
Ilsnous ont épargnéde longues& ennuyeufes
recherches , ils ont fervi à nous éclairer
furpluſieurs objets intéreſſans ; en un mot,
ilsont contribué à former des hommes qui
les ont éclipfés , mais qui leur doivent une
partie de leur gloire.
Je paſſe rapidement ſur les ſiécles qui
ſe ſont ſuccédés après la renaiſſance des
lettres : celuide Louis XIV, le plus fertile`
en grands homines dans tous les genres ,
a-t-il réellement produit de vrais orateurs ?
c'eſt ce que je vais examiner. Le paradoxe
paroît fans doute bien fort; il eſt témé
raire , j'en conviens , de mettre en queſtion
fi les Bourdaloe , les Boſſuet , les Talon ,
&tous les hommes célèbres qui ont illuftré
la chaire & le bareau , méritent le nom
d'orateurs : mais qu'on ſe ſouvienne de la
diſtinction que j'ai faite de l'orateur & du
déclamateur. Qu'on daigne peſer un moment
avec moi les raiſons qui m'engagent
à regarder l'éloquence de l'un ou de l'autre
comme très-differente , & l'on m'accordera
au moins que le ſentiment que j'avance
n'eſt point injurieux à la mémoire de ces
grands hommes.
B. iij こ
30 MERCURE DE FRANCE,
Je crois avoir fait entendre , & je vais
eſſayer de le prouver , que nulle Monarchie
ne peut produire de vrais orateurs ,
& que même toute République où les
affaires ne ſe traiteront pas en public ne
peut eſpérer d'en avoir. Si je joins les faits
aux raiſonnemens , j'aurai réuffi ; & ce qui
paroiſſoit un paradoxe , deviendra une vérité
démontrée. Quels font les peuples qui
nous ont tranfimis ces harangues , que la
poſtérité regardera toujours comme les
chefs-d'oeuvre de l'art oratoire ? les Athéniens
& les Romains. Et dans quels fiécles
ont vécu les Démosthènes & les Ciceron ?
tous deux fous le règne de la liberté ,
tous deux dans des temps où elle étoit
menacée. Quel concours de circonſtances
femblables , quelle conformité de motifs
propres à enflammer leur génie ! Sparte
avoit produit des légiflateurs &des philofophes;
Thèbes ſe glorifioit d'avoir donné
la naiſſance à Epaminondas & Pelopidas .
Chaque contrée de la Grèce nommoit
parmi ſes citoyens les Thalès , les Bias ,
lesAnaxagoras , les Diogènes , les Homère ,
les Pindare , les Sapho , les Theocrites ,
&tantd'autres philoſophes ou poëtes illuftres
, dont les noms ne feront jamais enſevelis
dans l'oubli ; mais Athènes ſeule avoit
porté dans ſon ſein les Périclès , les Iſocrate
, les Demades , les Eſchines & les
AVRIL 1765. 3,1
Démosthènes. Athènes ſeule faiſoit paffer
ſes généraux du champ de bataille dans la
tribune. Sans parler de Phocion , que Dé--
mosthènes appelloit la hachede ſesdifcours ;
de Nicias , qui malgré fon éloquence ne
put empêcher le peuple de lui confier la
conduite de la guerre de Sicile , dont il
cherchoit à le diſſuader ; de Périclès , qui
gouvernoit la multitude par ſes harangues ,
les grands par fon crédit, l'armée par fon
génie , &s'étoit preſque rendu l'arbitre de
laGrèce ; fans parler , dis-je , des Miltiades,
des Thémistocles , nevit-on pas Alcibiade ,
le voluptueux Alcibiade , réunir les talens
oratoires aux militaires , & changer en un
moment les diſpoſitions du peuple en faveur
des Lacédémoniens? alliés d'Athènes,
ils ſe plaignent de ſes liaiſons avec les
Phocéens : Nicias introduit les Ambaſſadeurs
de Sparte dans le Sénat ; on les écoute,
on leur accorde tout : l'approbation du
peuple manque encore au décrét , mais
Nicias promet ſon crédit & répond du
fuccès. Que fait Alcibiade ? politique , il
trompe & amuſe les Lacédémoniens : orateur
, il enflamme le peuple & fe fait donner
le commandementde l'armée: général ,
il remporte fur eux des victoires complettes.
Rome ne le céda point à Athènes : elle
eut comme elle de grands généraux & de
Biv
30 MERCURE DE FRANCE,
Je crois avoir fait entendre , &je vais
eſſayer de le prouver , que nulle Monarchie
ne peut produire de vrais orateurs ,
& que même toute République où les
affaires ne ſe traiteront pas en public ne
peut eſpérer d'en avoir. Si je joins les faits
aux raiſonnemens , j'aurai réuffi ; & ce qui
paroiſſoit un paradoxe , deviendra une vérité
démontrée. Quels font les peuples qui
nous ont tranfimis ces harangues , que la
poſtérité regardera toujours comme les
chefs-d'oeuvre de l'art oratoire ? les Athéniens
& les Romains. Et dans quels fiécles
ont vécu les Démosthènes & les Ciceron ?
tous deux ſous le règne de la liberté ,
tous deux dans des temps où elle étoit
menacée. Quel concours de circonftances
femblables , quelle conformité de motifs
propres à enflammer leur génie ! Sparte
avoit produit des légiflateurs & des philofophes;
Thèbes ſe glorifioit d'avoir donné
la naiſſance à Epaminondas & Pelopidas .
Chaque contrée de la Grèce nommoit
parmi ſes citoyens les Thalès , les Bias ,
lesAnaxagoras , les Diogènes , les Homère ,
les Pindare , les Sapho , les Theocrites ,
&tant d'autres philoſophes ou poëtes illuf
tres , dont les noms ne feront jamais enſevelis
dans l'oubli ; mais Athènes ſeule avoit
porté dans ſon ſein les Périclès , les Ifocrate
les Demadès , les Eſchines & les
AVRIL 1765. 3,1
Démosthènes. Athènes ſeule faifoit paffer
ſes généraux du champ de bataille dans la
tribune. Sans parler de Phocion , que Démosthènes
appelloit la hachede ſes diſcours ;
de Nicias , qui malgré fon éloquence ne
put empêcher le peuple de lui confier la
conduite de la guerre de Sicile , dont il
cherchoit à le diſſuader ; de Périclès , qui
gouvernoit la multitude par ſes harangues ,
les grands par fon crédit , l'armée par fon
génie , &s'étoit preſque rendu l'arbitre de
laGrèce ; fans parler , dis-je , des Miltiades,
des Thémistocles , ne vit- on pas Alcibiade ,
le voluptueux Alcibiade , réunir les talens
oratoires aux militaires , & changer en un
moment les diſpoſitions du peuple en faveur
des Lacédémoniens? alliés d'Athènes,
ils ſe plaignent de ſes liaiſons avec les
Phocéens : Nicias introduit les Ambaſſadeurs
de Sparte dans le Sénat ; on les écoute ,
on leur accorde tout : l'approbation du
peuple manque encore au décrét , mais
Nicias promet ſon crédit & répond du
fuccès. Que fait Alcibiade ? politique , il
trompe & amuſe les Lacédémoniens : orateur
, il enflamme le peuple & ſe fait donner
le commandementde l'armée : général ,
il remporte fur eux des victoires complettes.
Rome ne le céda point à Athènes : elle
eut comme elle de grands généraux & de
Biv
32
MERCURE DE FRANCE.
célèbres orateurs ; comme elle , elle compta
pluſieurs citoyens qui réunirent les talens
oratoires avec les militaires , parce que
fon gouvernement étoit de même nature ,
ou du moins que l'éloquence contribuoit
autant à donner du crédit que les armes.
Ces faits , conſignés dans l'hiſtoire , ne
pouvant être révoqués en doute , difcutons
un moment les raiſons qui me portent à
établir le trône de l'éloquence dans les
Républiques , & à la bannir , pour ainſi
dire , des Monarchies .
Il n'en eſt point de l'art oratoire , confidéré
ſous les points de vue où je l'ai
préſenté juſqu'ici , comme des autres arts :
ils fleuriront fans doute dans tous les pays
où ils feront encouragés ; la forme du
gouvernement ajoutera peu à leur ſplendeur
, il leur fuffit de ſa protection. Mais
un gouvernement purement monarchique
voudra en vain protéger l'éloquence ; fes
bienfaits ne tomberont que fur des déclamateurs.
Je vais plus loin ; s'il ſe formoit
dans ſon ſein un orateur , ce ſeroit un
homme dangereux. L'art des Démosthènes
& des Ciceron doit être exercé par des
hommes d'état ; mais le conſeil du Prince
n'admet point de harangues , elles ne font
faites que pour la tribune.
Dans l'âge où les germes du génie com
AVRIL 1765 . 33
mencent à ſe développer dans un homme ,
trois motifs peuvent le porter à s'appliquer
àun objet plutôt qu'à un autre : le defir
de la gloire , l'intérêt, la protection accordée
à l'art qu'il veut choiſir. Or , l'éloquence
n'offre dans un état monarchique
aucun but à l'ambition , à l'intérêt , à l'émulation
: l'inégalité de ces conditions
interdit au peuple l'eſpérance d'arriver aux
honneurs , & ouvre aux grands d'autres
voies pour y parvenir. Les loix ont des
interprètes plutôt que des défenſeurs : les
affaires les plus importantes ſe traitent par
écrit , & enfin le gouvernement ſuſpecteroitavecraiſon
quiconque choiſiroitmême,
pour être utile à la patrie , d'autres routes
que celles qu'il preſcrit. Quelle carrière
peut donc parcourir un orateur ? dans quel
champ peut-il illuſtrer ſes talens ? la chaire
& le bareau lui reſtent , j'en conviens :
mais l'une & l'autre ne fourniſſent qu'à la
déclamation ; l'une & l'autre ne peuvent
produire que des Rhéteurs. Il eſt ſansdoute
bien doux pour l'humanité d'avoir à défendre
la fortune & la vie des citoyens , &
de faire triompher la vérité déguiſée par
l'injustice , ou l'innocence accablée par
l'iniquité ; mais les moyens qu'offre pour
yparvenir le gouvernement monarchique ,
fourniffent bien peu à la véritable clo-
By
34 MERCURE DE FRANCE.
1
quence : elle devient abſolument inutile
dans les cauſes qui ne ſe plaident point , &
quipar conféquent n'exigent dans celui qui
les rapporte qu'une grande connoiffance
des loix , & l'art de réfumer avec préciſion
les différentes prétentions des parties , &
les fondemens plus ou moins folides fur
leſquels ces prétentions font appuyées : je
ne parle point des affaires criminelles : la
ſageſſe des loix , qui a prévu tous les cas ,
la forme du juger at ufitée ,& prefque
toujours le peu d'importance des coupables
, excluent totalement l'art pratoire ; il
trouve peu de place dans les plaidoiries
mêmes. Difcuter des loix ſouvent obfcures
& embarraffées , déterminer le ſens indécis
d'un acte ancien & peu clair , rapprocher
des commentateurs d'avis différens , concilier
la variété des coutumes , rapporter
les termes d'un contrat ou fixer le temps
d'une vente , entrer dans des détails généalogiques
, enfin mettre ſous les yeux des
Juges des faits intéreſſans pour la cauſe ,
mais preſque toujours indifférens pour
P'auditeur impartial ; (3 ) tout cela , dis-je ,
* ( 3 ) Eloquentiam qua admirationem non habet ,
nullam judico. Cic. in Epift. ad Brut.
On nepent douter que Ciceron n'entende ici ,
par admiratio , ces effets fublimes que produit
l'éloquence fur tout un peuple dont elle change à
fon gré les diſpoſitions ; effets qu'il connoilloit
fibien lui-même.
AVRIL 1765 . 35
ne doit pas contribuer à rendre undifcours
éloquent : tout cela ne peut produire ces
grands effets ſans lesquels Ciceron compte
l'éloquence pour rien.
Il ne reſte donc aux jeunes Orateurs
que les chaires chrétiennes. La carrière de
la prédication ſemble offrir aux talens de
grands motifs , à la vertu de grandes récompenfes
, au zèle de grandes occafions
de ſe ſignaler , à l'ambition même & à
l'amour de la gloire de grands moyens de
parvenir au but qu'ils ſe propoſent : c'eſt
fans doute une perſpective bien flatteuſe
que celle qui ſe préſente aux yeux d'un
jeune Orateur chrétien, Confondre l'incrédule
, terraffer l'impie , raffermir le
Fidéle qui doute ou qui ne pratique pas
ce qu'il croit ; apprendre aux hommes à
craindre l'Etre Suprême & à l'aimer ; ramener
au biendes ames vertueuſes , que la
foibleſſe humaine entraînoît dans les voies
de l'erreur ; donner de nouvelles forces au
juſte&des eſpérances aux pécheurs touchés
de leurs crimes ; en un mot , être auprès
de ſes ſemblables l'interprète de la
Divinité , pour devenir enfuite aux pieds
des autelsleur interceſſeur auprès deDieu :
Tels font les motifs qui ſemblent ſe propofer
au génie d'un Prédicateur. Pourquoi
donc ai -je paru croire que l'éloquence
こ
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
A
n'exiſtoit plus même dans les chaires ?
Pour en faire ſentir les raiſons , je crois
devoir entrer dans un certain détail. Telle
eſt la foibleſſe de l'eſprit humain , que les
objets préfens agiffent avec bien plus de
force fur lui que ceux qui ne lui font préſentés
que dans l'éloignement : nos intérêts
actuels remuent vivement notre ame ;
la perſpective d'un bonheur futur la touche
bien moins : première raiſon pour
détruire ou du moins affoiblir l'enthouſiaſme
des Orateurs , & diminuer le preftige
de l'éloquence. La beauté d'un difcours
conſiſte , ce me ſemble , en deux
choſes : fi les idées en font neuves , hardies
, majestueuſes , il eſt nerveux ; ſi le
ſtyle en eſt correct , élégant , nombreux ,
il eſt fleuri. Si ces deux qualités s'y rencontrent,
il eſt éloquent. Or comme les
ſujets qu'on peut traiter en chaire ſe réduiſent,
pour ainſi dire , à un ſeul , on ne
peut guères ſe flatter d'y rencontrer des
idées neuves ; & le ſtyle Heuri devant en
être banni , il ne reſte plus au Prédicateur
qu'à parler ſavamment ſur le dogme , &
annoncer la vérité avec force. La chaire
ne comporte donc que de la déclamation,
que les peintures du paradis , de l'enfer ,
du vice& de la vertu , peuvent rendre
plus ornée ou plus véhémente ; mais qui
AVRIL 1765 . 37
ne mérite pas pour cela le nom d'éloquence.
S'il exiſtoit encore de vrais Orateurs ,
ce ne pourroit être qu'en Angleterre. Le
génie élevé & hardi de cette nation eſt
propre à l'éloqence : fon gouvernement la
favorife. Mânes des Démosthènes & des
Cicérons , c'eſt là que vous pouvez trouver
des imitateurs , peut-être même des émules.
O vous qui brulez de marcher ſur les
pas de ces grands hommes ! c'eſt là que
votre génie trouvera des motifs dignes de
l'enflammer. Que la Chambre des Communes
retentiffent des fons majestueux de
votre éloquence ; que la patrie vous regarde
comme fondéfenſeur & fon appui ,
les malheureux comme leur père , les méchans
comme leur fléau : que ces citoyens
ambitieux , dont l'orgueil veut tout voir
à ſes pieds tremblent devant vous ; que
leurs trompeuſes promeſſes n'éblouiſſent
point votre vertu ; que la majefté de l'éloquence
ne ſoit point fouillée par l'ombre
même de l'intérêt ; que votre art ne
ſubjugue vos patriotes que pour les rendre
plus heureux , & que toujours le flambeau
de votre génie confonde l'impoſture en
mettant la vérité dans ſon plus beau
jour !
Et vousOrateurs François , ſi les chaires
38. MERGURE DE FRANCE.
& le barreau n'admettent point l'éloquence
des républiques ; il reſte encore de
belles carrières à vos talens , degrands motifs
à vos vertus. Renaiſſez , illuftres défenſeurs
de la religion ; renaiſſez des cendres
des Bourdaloue & des Boffuet : annoncez
dans nos temples les fublimes vérités
de la foi : que l'impie, confondu par la
force de vos raiſonnemens , coure ſe jerter
aux pieds de ces autels qu'il blafphémoit
; que le pécheur , tremblant à la vue
de la foudre qui le menace , mérite par
fon repentir les faveurs que vous lui faites
eſpérer ; que le jufte redouble ſes efforts
pour obtenir le prix que vous promettez à
la vertu.
Marchez fur les traces des Patru &
des Cochin , vous qui leur fuccédez dans
l'honorable emploi d'appuis de l'innocence
& de la juftice : que l'iniquité frémiſſe
devant vous ; que votre aſpect faffe fuir
les ténèbres du menfonge ,&jette unnouvel
éclat ſur la vérité obfcurcie ; que votre
voix , funeſte à l'impoſture , faffe triompher
la mifère opprimée par les richeſſes ,
& l'impuiſſance accablée par le crédit ;
que vos talens incorruptibles prêtent toujours
leur foutien aux malheureux. Pères
des orphélins , réfuges des innocens , confolateurs
des miférables , ſentez le bon
AVRIL 1765 . 39
heur de vous voir entourés de gens qui
vous devront leur vie ou leur fortune ;
goutez la douce fatisfaction d'être les défenfeurs
de la vertu , &jouiſſez de l'amour
desbons & de la haine des méchans !
EPITRE à M. GARDEL , Danfeur &
Penfionnaire du Roi.
D IS - NOUS , Prothée ingénieux ,
Dis-nous par quel ſecret , ou par quelle magie ,
Ton art ſais dans tes pas déployer à nos yeux
Tant de vivacité , de grâces , d'énergie ?
Tantôt Démon impétueux ( 1 ) ,
Tu nous peint d'Alecton l'implacable furie ;
Tantôt Berger galant , ſur les pas d'Egérie ,
Tu voles comme le zéphir ( 2 ) .
Ton gefte , avec décence exprime le defir :
Tadanſe le fait naître en ſon âme attendrie.
Que vois-je ? entouré de ſa cour ,
Eſt-ce Pan qui vers nous s'avance ? ( 3 )
Les Faunes étonnés l'admirent en filence ;
( 1 ) Les furies .
( 2) Pas de deux.
(3 ) Loure.
1
40 MERCURE DE FRANCE.
La Nymphe ne fuit plus ce champêtre ſéjour.
Ah ! fi le dieu des bois eût bien connu ta danſe ,
Cyrinx auroit connu l'amour.
4
Pan diſparoît , Mars le remplace :
Un guerrier indompté s'élance dans les airs ( 4 ) .
Quel éclat ! quelle ardeur ! que de force & d'audace
!
Nos tranſports éclatans étouffent les concerts
Des fiers inftrumens de la Thrace.
Tout change de nouveau : les grâces & les jeux
Ont précédé tes pas dans ce riant aſyle.
Je te vois peindre au milieu d'eux
Les douceurs d'un deſtin tranquile ,
Les charmes d'un amour heureux ( 5 ) .
Ainfi , toujours für de nous plaire ,
Toujours le même , & toujours différent ,
De ton ingénieux talent
On te voit chaque jour étendre encor la ſphère.
Sous tes yeux Terpficore a mis tous ſes ſecrets
Elle te parle ſans embleme ,
Ou plutôt la muſe elle-même
Semble t'avoir choiſi pour orner ſes attraits.
Tu les pares avec meſure ;
Tu ne places rien au hafard ,
(4) Chacone guerrière.
{ 5 ) Chacone des Plaiſirs
AVRIL 1765. 41
Et l'on ne te voit point ſous le maſque de l'art
Nous cacher tous les traits de l'aimable nature .
Ta gloire a dévancé les ans.
Elle excite les voeux d'une rive lointaine.
Le Danube , au moins pour untemps ,
Vouloit t'enlever à la Seine .
Louis n'y peut ſouſcrire. O refus glorieux !
Y confentir , c'étoit te faire outrage.
Eh quel autre ſuccès peut valoir l'avantage ,
L'honneur de briller à ſes yeux ?
Pourſuis , que rien ne ralentiſſe
Et nos plaiſirs & ton ardeur.
De la cour , de la ville épuiſe la faveur ;
Et n'en redoute nul caprice :
Le chaffeur , au gré de ſes voeux ;
Part immoler l'oiſeau timide ,
Mais il reſpecte un aigle impérieux
Qui s'élance d'un vol rapide
Vers la voûte immenſe des cieux.
Par M. DELADIXMERIE.
42 MERCURE DE FRANCE.
EPITAPHE de Mile DE ROCHEFORT ,
fous le nom de PHILIS.
C
I gît l'objet de nos regrets ,
Dont la mort à quinze ans termina la carrière.
Hélas ! faut- il que tant d'attraits
Ne foient plus aujourd'hui qu'une vile pouffière ?
De même qu'au printems naît & périt un lys ,
Ainſi ne fit qu'éclorre & mourir cette belle.
Paſſant , qui connoiffiez la charmante Philis ,
Pleurez , faites des voeux pour elle.
Par M. D *** , penſionnaire
au Collège de la Marche.
PARAPHRASE de l'ariette dal forte non
vilagnate , &c . Aux Dames.
N
E vous plaignez pas davantage
Du deſtin , qui nous fit pour vivre ſous vos loix ;
Efclaves , vous régnez même dans l'eſclavage ,
Et vos charmes toujours l'emportent ſur nos droits.
Un ſeul de vos regards , un aimable foûrire ,
Fait tomber à vos pieds vos maîtres abbatus.
Voulez-vous conſerver un fi charmant empire ?
C'eſt peu de vos attraits , régnez par vos vertus .
Par M. M. D. L.
AVRIL 1765 . 43
MADRIGAL à une Dlle qui m'avoit envoyé
A
un papillon.
ous qui favez ma vie , Hortenfe ,
Pourquoi m'envoyez-vous cet inſecte léger ?
Eft- ce un reproche d'inconſtance ,
Ou bien un avis de changer ?
Adiverſes beautés , avant d'adorer Flore ,
Mon coeur fut infidèle , il le faut avouer.
Peut- être , en vous voyant , il le ſeroit encore ,
Si vous me promettiez de ne la pas venger.
Par l'Auteur de l'épitre à Ménalie.:
A Monfieur DE LA PLACE , auteur du
Mercure de France , fur une fille extraordinaire
.
AYA YANT remarqué , Monfieur , que dans
l'extrait qui a été fait dans le Mercure du
mois d'Août dernier d'un mémoire que
jai adreſſé à l'Académie Royale des Belles-
Lettres de la Rochelle , touchant une fille
privée de la langue & qui parle , il s'y étoit
gliſſé quelques fautes eſſentielles qu'on
pourroit m'imputer. Je vous prie de vou44
MERCURE DE FRANCE.
loir bien rendre publique , par la voie du
Mercure , la lettre que j'ai écrite à ce
ſujet à M. de Villars , Médecin de la
Rochelle. Permettez-moi auſſi, Monfieur ,
de vous adreſſer la traduction du diſtique
latin que compoſa le Comte d'Ericeira , au
ſujetd'une fille Portugaiſe née ſans langue
&qui parloit auffi. Vous en ferez l'uſage
qu'il vous plaira.
Nil mirum , elinguis mulier quod verba loquatur.
Mirum cum linguâ quod taceat mulier.
:
Traduction fur un air connu.
Qu'une femme parle ſans langue ,
Et faſſe même une harangue ,
Je le crois bien.
Qu'ayant une langue , au contraire ,
Une femme puiſſe ſe taire ,
Je n'en crois rien .
Autre.
•
Qu'une femme fans langue ait , dit-on , babillé ,
La choſe ne m'étonne guères.
Mais qu'elle eût eu ſa langue , & qu'elle eût pa
ſe taire ,
J'en euſle été bien plus émerveillé.
AVRIL 1765. 45
CONTE , fur le mêmeſujet.
Sans langue une femme parla ,
Et ce nouveau prodige en tout lieux circula.
Un Moine y ruminant dans ſon âme perplexe ,
Crioit en pleine école : enfans , écoutez-moi !
Je ne veux point ici , frélatant mon emploi ,
Vous faire un argument ou faux ou circonfèxe :
Le cas qui vous ſurprend n'a rien de merveilleux ,
Etſa cauſe à mon ſens eſt plus ſimple qu'implèxe ,
Comme vous l'allez voir après un mot ou deux.
La fureur de parler , commune àtout ſon ſexe ,
remplaça cet organe après maint rude effort ,
D'où ſe forma le jeu de maint autre reſſort.
Mais qu'ayant une langue errante à l'aventure ,
Une femme ſe taiſe , eſt un cas bien plus fort :
Puiſqu'avec le premier ſon penchant eſt d'accord ;
Et que depuis l'inſtant , où le ſerpent parjure ,
Par ſon jargon fourbe & coquet ,
A la bonne mère Eve inſpira ſon caquet ,
Se taire , en une femme eſt contre la nature,
J'ai l'honneur , &c. Bonami , D. M.
46 MERCURE DE FRANCE.
IMPROMPTU adreſſé à Madame la Comteffe
DE B ..... qui venoit de chanter
avec beaucoup de grâces .
PAR AR votre chant nos ſens ont été tranſportés ;
Votre voix eſt jolie , harmonieuſe , tendre .
Si je parlois , Madame , ainſi que vous chantez ,
Vous ne pourriez vous laſſer de m'entendre.
A la belle TROYENNE , en lui renvoyant
la nouvelle Tragédie deM. DE BELLOY.
J'
AI lu , M *** , avec la même volupté
que vous , le Siège de Calais . Qu'il fait
verſer des larmes délicieuſes à un patriote
ſenſible ! C'eſt dans ce doux entoufiafme
que j'ai fait ces vers que j'adreſſe à l'Auteur
, & dont je vous fais hommage. Si ce
nouveau laurier eſt digne de lui , je vous
prie , M *** , de l'en décorer vous -même.
Il ne lui manquoit plus que d'être couronné
par une fi belle main.
AVRIL 1765 . 47
1
Q
A l'Auteur du Patriotisme.
UE mon coeur enchanté , que mon âme
attendrie ,
Partage avec tranſport des ſentimens fi beaux !
Dans ton drame enchanteur l'amour de la patrie
Arrache à tout François des larmes de héros.
A Troyes , le 29 Mars 1765 .
Le Chevalier DE JUILLY - THOMASSIN.
VERS fur le maufolée que le Roi fait
élever , dans sa bibliothéque , à feu M.
DE CRÉBILLON (1).
D
i
Es regrets de Louis ce digne monument
Où triomphe à fon tour Crébillon de la Parque ,
A l'immortalité conſacre également 255
Les talens du Sujet & les ſoins du Monarque.
( 1 ) Auquel travaille M. le Moine.
Par le même.
:
1
48 MERCURE DE FRANCE.
INSCRIPTION pour laſtatue du Roi qu'on
élève à Reims.
QUn ce bronze à nos coeurs , ainſi qu'à nos
regards ,
Du plus chéri des Rois peint bien le caractère !
Couronné par la paix , entouré des beaux- arts ;
Tel eſt d'un peuple heureux le héros & le père !
AUTRE fur le mêmeſujet.
C'EST 'EST ce Roi , qui jaloux d'une paiſible
gloire,
Pour nous d'un tendre amour eſt ſans ceſſe animé.
Que ce bronze immortel , conſacrant ſa mémoire ,
Retrace à tous les coeurs Louis- LE- BIEN -AIME !
Par le même.
LESFlèches del'Amour, ode anacreontique.
D' un ruiſſeau qui coupoit la plaine
Mes pas ſuivoient chaque détour ,
Et bientôt ſa courſe m'entraîne
Près d'un bois où dormoit l'amour.
AVRIL 1765 . 49
t
Ses traits ſur un tapis de mouffe
Sont répandus à ſes cotés;
Qu'un autre que moi les émouſſe ,
J'aime juſqu'à leurs cruautés,
Mais voyant leur plume légère
Différer en tout à mes yeux ,
Je m'occupe de ce miſtère
Dont mon eſprit eſt curieux,
L'amour s'éveille , je friſſonne :
Ami , dit-il avec bonté ,
De ce prodige qui t'étonne
Tu yas percer l'obscurité,
Ai-je à frapper l'âme inquiéte
De quelque amant ſombre & jaloux ?
Je choiſis alors la ſagette
Où ſont les plumes des hiboux.
Pour l'élève de la nature
Le ſentiment est fans attraits,
Quand je lui fais une bleſſure ,
Les moineaux ont paré mes traits.
L'aiglon eſt pour le téméraire ,
Le ſerin pour les beaux conteurs s
Pour le fat , toujours für de plaire ;
Du paon j'emprunte les couleurs.
Vol. II.
CHIC
50
MERCURE DE FRANCE.
Veux-je bleſſer un coeur fidelle ,
Fait pour aimer bien conſtamment ?
La plume de la tourterelle
A ma fléche ſert d'ornement.
Regarde-là , vois qu'elle est belle ;
Sur tout mes traits elle a le prix ....
Ah ! m'écriai-je , amour , c'étoit celle
Dont tu m'a bleffé pour Iris.
Par M. BRET.
L'HOMME & le Chien , fable.
UN homme eft mordu par un chien. ...
Le frappe-t- il ? non ; il l'appelle encore ,
Et , ſans ſe plaindre , il jette à ce vaurien
Son pain , couvert de ſang , que l'animal dévore.
Arrêtez , dit Efope , à cet homme de bien ;
Et fi pour votre peau vous ne redoutez rien ,
Ayez du moins quelque pitié des nôtres.
Si ſes pareils l'ont vu ſi bien traité ,
Ils vont tous eſpérer la même impunité :
Le ſuccès d'un méchant en produit toujours
d'autres.
Par le même.
AVRIL 17650 SI
PAR
!
Le Vifir , fable.
AR une femme un Viſir conſulté ,
Ne put , d'une affaire épineuſe ,
Réſoudre la difficulté.
Alors cette femme orgueilleuſe ,
Dit au Viſir : quittez donc votre emploi ,
Et végétez parmi l'épais vulgaire.
Pourquoi recevez-vous tant de bienfaits du Roi ,
Si vous ne ſavez pas terminer une affaire ? ...
Femme ! ( dit le Viſfir ) vous me faites pitié ,
Et vous mériteriez quelques grains d'ellébore.
C'eſt pour tout ce qu'il fait qu'un Viſir eſt payé ;
Et non pas pour ce qu'il ignore.
Par le même.
:
Cij
12 MERCURE DE FRANCE.
EPITRE à M. BUTEAU, Curé de Châ
teauchinon . 16 Janvier 1765.
JA'
APPRENS que partes ſoins , religieux Buteau ,
De notre commun maître ( 1 ) , une tombe ho
norable
Couvre la cendre reſpectable ,
Et que ta main , ſur ce carreau ,
Traça l'inſcription légère ( 2 )
Que j'avois faite pour te plaire ,
Et non pour orner ſon tombeau.
Si mes trop foibles vers , contre mon eſpérance ;
Du ſuffrage public obtiennent la faveur ,
Ami , le monument qu'exigea ta douleur
En conſacrera deux à la reconnoiſſance ,
L'unoùBazot repoſe ,& l'autre dans mon coeur,
(1 ) M. Bazor, fameux Maître d'Ecole à Châteauchis
non , mort l'année dernière,
(2) Parmi plusieurs épitaphes qui ont paru à fa
Louange , M.le Curé de Châteauchinon , qui lui a érigé
un tombeau dans le cimetière , licu de ſa fepulture ,
bien voulu , par pure amitié pour l'Auteur fans doute,
shotſir le diſtique fuivant pour infcription,
Artium ed Bazor fitus eftfub rupe Magifter :
Quem docuit, magis at , fle , quemnon ille docebit.
Par un Compatriote, Chanoine de Melun.
AVRIL 1765 . 53
HERACLITE ET DÉMOCRITE
VOYAGEURS , CONTE.
LAA folie de ces deux Sages fut d'un
genre bien oppofé. On fait qu'Héraclite
s'affligeoit de tout , & que tout faifoit
rire Démocrite. Ils eurent une manière de
voir& de ſentir en tous points différente.
Ce fut aufli unmotif très différent qui leur
fit parcourir plus d'un climat. Démocrite
vouloit effayer s'il pourroit une ſeule fois
prendre ſon ſérieux ; Héraclite s'il pourroit
une feule fois perdre le ſien.
Le hafard les fit ſe rencontrer à Perfépolis.
Héraclite s'étoit arrêté devant le fuperbe
palais des rois de Perſe. Il verſoit de
groſſes larmes en voyant la belle proportion
des colonnes , la richeſſe des ornemens
, l'élégance des formes , la majesté
de tout l'édifice. Hélas ! diſoit- il , voilà
bien la plus magnifique de toutes les folies
humaines ! Croit-on que ces murs faftueux
puiſſent arrêter au paſſage la goutte ,
la fiévre ou la mort ?
Quelques éclats de rire vinrent le diftraire
de ces réflexions. Il regarde & voit
unhommequi , en effet , rioit beaucoup en
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
contemplant les même objets qui le faifoient
pleurer. Voilà , dit Héraclite , un
de ces êtres d'autant plus à plaindre , qu'ils
ne fentent ni leur imperfection ni leur dé
lire. Il s'approche du rieur , l'interroge.
Que trouvez-vous làde fi réjouiſſant , lui
demanda-t- il ? Ce palais coloffal me paroît
une de ces extravagances humaines ,
propres ſeulement à exciter la compaffion.
Point du tout reprit Démocrite , ( car
c'étoit lui-même ) je trouve fort plaifant
qu'un homme , haut tout au plus de trois
coudées , exige que fa demeure en ait
cent d'élévation. Il ne voit pas que ce palais
giganteſque le fait paroître encore
plus petit. Vous avez raiſon , diſoit Héraclite
, il faut avouer que l'homme eſt un
être bien fragile &bien inſenſé ! Je pleure
fur lui depuis trente ans , & tout ce que
jevois m'annonce que mes larmes ne font
pas prêtes à tarir.
Quoi ! s'écria Démocrite en riant, ferois-
tu cet éternel pleureur qui s'afflige de
tout & ne profite de rien , ce trifte obfervateur
qui voit tout en noir ? Serois-tuHéraclite
enfin ? Oui je le fuis , répliqua ce
dernier : mais, ſi j'encrois mes ſoupçons, tu
dois être ce Démocrite que tout fait rire&
qui eut toujours bonne part à ma compaffion....
Tant mieux , interrompit le cyniAVRIL
1765 . 55
HERACLITE ET DÉMOCRITE
A
VOYAGEURS , CONTE.
La folie de
ces deux Sages fut d'un
genre bien oppoſé. On fait qu'Héraclite
s'affligeoit de tout , & que tout faifoit
rire Démocrite. Ils eurent une manière de
voir& de ſentir en tous points différente.
Ce fut aufli unmotif très différent qui leur
fit parcourir plus d'un climat. Démocrite
vouloit effayer s'il pourroit une ſeule fois
prendre ſon ſérieux ; Héraclite s'il pourroit
une ſeule fois perdre le ſien.
Le hafard les fit ſe rencontrer à Perfépolis.
Héraclite s'étoit arrêté devant le fuperbe
palais des rois de Perſe. Il verſoit de
groſſes larmes en voyant la belle proportiondes
colonnes , la richeſſe des ornemens
, l'élégance des formes , la majeſté
de tout l'édifice. Hélas ! diſoit- il , voilà
bien la plus magnifique de toutes les folies
humaines ! Croit-on que ces murs faftueux
puiſſent arrêter au paſſage la goutte ,
la fiévre ou la mort ?
Quelques éclats de rire vinrent le diftraire
de ces réflexions. Il regarde & voit
unhommequi , en effet , rioit beaucoup en
C iij
56 MERCURE DE FRANCE.
It fuyoit les hommes , & frondoit hautement
leur travers. Apparemment , difoisje,
que lui-même en eſt exempt ? O mortel
né pour ma confolation ! j'accourus
chez lui tout rempli d'eſpérance. Je trouyai
mon Sage dans une colère effroyable
contre un homme qui l'écoutoit avec beaucoup
de flégme. J'en fus ſurpris : c'étoit
un Peintre. Le Sage , qui avoit pour maxime
de fronder tous les arts , accuſoit ce
pendant cet artiſtede mal pratiquer le ſien.
Quelle caricature , s'écrioit-il en contemplant
d'un oeil irrité certain portrait qu'il
tenoit à la main ! ai-je donc les cheveux
auili long , la barbe auſſi courre , leregard
aufli imbécile que vous me les ſuppoſez ?
Il faut rectifier toutes ces bévues , & furtout
imiter le regard qui m'eſt propre , ce
regard analogue au mépris que j'ai pour
l'eſpéce humaine. Surpris de ce difcours ,
je m'approche & j'examine. Hélas ! pourfuivit
Héraclite en ſanglottant , c'étoitmon
ſage qui ſe faifoit peindre ! Il regardoit
comine effentielque fa phiſionomie étroite
&meſquine fût ttanſmiſe fidélement à la
poſtérité. Quel monitrueux orgueil ! quelle
déplorable foibleſſe!.. Il faut avouer, diſoit
Démocrite , en ſe preſſant les côtés , que la
choſe eſt des plus riſibles. Rien de fi plaifant
que cette envie d'apprendre à ſes ne
AVRIL 1765 . 57
veux qu'on a eu le nez plus ou moins
court , la bouche plus ou moins grande ;
qu'on eut deux yeux ou qu'on fut borgne...
Mais pourſuis le triſte narré de tes méfa-
✓ventures.
Hélas ! reprit Héraclite , je voudrois
bien pouvoir l'égayer ; mais l'eſpèce humaine
ſcut ymettre bon ordre. Je quittai
la faſtueuſe Athènes pour me rendre à
T'auſtère Lacédémone. J'augurois biend'un
tel contraſte. Lycurgue , diſois-je , ſcut
donner un frein à l'orgueil , au luxe , à la
cupidité. Je n'aurai point à gémir ſur ces
vices dans ſa ville , & la ſomme des traversy
eſt diminuée d'autant. J'arrive , &
d'abord tout me confirme dans cette idée.
Je n'apperçois que des maiſons groſſiérement
bâties , un peuple groſſiérement vêtu.
J'aſſiſte aux repas publics , & je ſuis
frappé de l'ordre & de la frugalité qui y
régnent : mais je gémis ſur les hommes.
qui ne peuvent être ni réguliers ni fobres
qu'autant que les loix les y contraignent.
Je vis auffi les jeunes Spartiates marquer
une grande vénération pour les vieillards.
Ces derniers recevoient leurs hommages
moins comme une déférence que comme
un tribut. Hélas! diſois-je , en ſoupirant ,
d'où provient cet orgueil ? Est-ce parceque
ceux-ci ont vécu , & que les autres ont à
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
vivre ? .... Il me femble voir , interrompit
Démocrite , un tronc féché par les ans
qui dit à un arbre vigoureux & fertile :
courbe toi pour me rendre hommage , par
la raiſon que tu portes des fruits &que moi
je ne porte pas même de feuilles.
Je pourſuivis mes recherches , ajouta
Héraclite , & je vis que l'enveloppe de la
difcipline couvroit dans cette ville une
infinité d'abus. Je vis dans les Spartiates
un peuple belliqueux ; mais j'y apperçus
moins d'hommes que de foldats. Ils habitoient
un camp plutôt qu'une ville. On
eût dit que l'ennemi étoit fans ceſſe à
leurs portes , ou plutôt ils n'avoient ni
portes ni murs , afin de mieux provoquer
les attaques de l'ennemi. Quel excès d'aveuglement
! m'écriai-je. Dis plutôt quel
excès de ridicule ! intérompit Démocrite.
Ce n'eſt pas tout , reprit le triſte voyageur ;
la pauvreté d'un Spartiate ne fert qu'à
nourrir ſon orgueil: il ſe croit fort fupérieur
à tout Athénien , uniquement parce qu'il
eſt plus mal vêtu;que fa maiſon fut bâtie
parun charpentier , & celle de l'Athénien
par un architecte ; que ſon mets le plus
délicieux eſt laſauſſe noire , tandis que
l'autre épuiſe pour ſa table tous les talens
des élèves de Comus. Quant à lui , il ſe
permet d'aſſommer ſes eſclaves pour fon
AVRIL ود . 1765
plaifir ; de flageller en l'honneur de Diane
ſes plus beaux enfans ; de jetter , pour
leur bien , dans l'Eurotas ceux qui font
nés contrefaits. Paffe encore pour ce dernier
point : il épargne à ces jeunes victimes
des foins , des travers & des malheurs....
Tais - toi , s'écria le cynique ;
la folie de tes Spartiates n'eſt pas moins
triſte que la tienne. En voici une d'un
genre plus raiſonnable .
Tu connois , fans doute , les Sibarites ?
ils font du moins bons à connoître. Il n'y
eutjamais de Lycurgue parmi eux. Le plaifir
eſt la ſeule régle qu'ils confultent , la
ſeule qui puiſſe les aſſujettir. Le principal
ſoinde leurs Magiftrats eſt d'ordonner des
fêtes & d'y procéder. Nulle difcuffion ne
s'élève entre ces voluptueux habitans. Tous
s'aiment , parce que tous ſe croyent néceffaires
les uns aux autres. Le moindre
d'entre eux peut contribuer au fuccès d'un
amufement , & c'en eſt aſſez pour le rendre
cher à toute la nation. En un mot, le feul
noeud qui les lie eſt celui du plaifir ; mais
ce lien n'en eſt que plus difficile à rompre.
Sibaris a des murs & des portes : il est trop
intéreſſant de n'être pas dérangé par l'ennemi
au milieu d'un banquet. Il est vrai
que ces murs font gardés par des troupes
étrangères. Un Sibarite ne ſe croit point
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
fait pour braver l'ardeur du jour ni les
vapeurs de la nuit. Il eſt vêtu , chauffé ,
couché délicatement , & croit valoir plus
que tout autre quand il a le meilleur cuifinier.
Je fus d'abord affez mal reçu dans
cette ville. Mon acoûtrement fit détourner
la tête aux femmes , & m'attira les huées.
de tous leshommes. J'étois couru & montré
au doigt. Mais quand les Sibarites s'apperçurent
que je riois encore plus qu'eux ,
ils changerent de conduite envers moi.
Un d'entre eux s'écria qu'il feroit de moi
quelque choſe , puiſque je ſavois rire. Oh !
pour le talent de rire , lui dis-je , il en eſt.
peu d'entre vous qui puiſſe me le diſputer.
C'eſt - là mon fort , & je ne penſe pas
qu'ici rien m'oblige à prendremon férieux.
A ces mots l'on bat des mains, & chacun
ſe difpute l'honneur de me décraſſer.
L'un m'apporte un manteau de pourpre ,
l'autre une tunique muſquée ; celui - ci
veut que je chauſſe des brodequins délicats
& fourez ; cet autre ordonne qu'on
me parfume. Arrêtez ! mes amis , leur
criai-je ; tenons-nous comme nous fommes
: vous êtes parfaitement bien pour
moi ; je dois n'être pas mal pour vous.
Quoi ! me dit un Sibarite en riant de
routes ſes forces , tu crois pouvoir habiter
parmi nous avec cette barbe hériſſée , cet
AVRIL 1765 . 6
rabit fale & groſſier , cette infâme beſac
&ce ridicule bâton ?
Quoi ? repris-je , en riant plus fort que
lui , tu prétends que je dénature ce qui fair
un des principaux appanages de l'homme ?
tu veux que j'endoſſe un vêtement plus
cher que tu ne voudrois m'acheter moimême
? tu veux enfin que je renonce à
ma beface & à mon bâton , mes deux fidèles
compagnons de voyage ! Ignore tu que
l'un m'épargne de la fatigue , & l'autre
desbeſoins? A
Iln'eſt parmi nous , répliqua le Sibarite ,
ni beſoins , ni fatigue. Et vous n'êtes pas
tous morts d'ennui ? repartis-je. Il alloit
répliquer : une jeune Sibarite vint nous
interrompre. C'étoit une veuve , & chez
cette nation une veuve jouit d'une liberté
ſans bornes. C'eſt à moi , dit- elle , qu'il
appartient de polir cet ours. Qu'on me le
céde , & je ſaurai bien le réduire. On applaudit
beaucoup au diſcours d'Afrofie ,
( c'eſt le nom de la veuve ) & je fus dès
l'inſtant même livré à ſa diſcipline. Tu
préſumes bien qu'elle n'étoit pas rigoureuſe.
Je voyois à mes ordres une troupe
d'eſclaves que mes ordres n'employerent
jamais. Je n'en étois pas moins bien fervi.
Chacund'eux avoit fon emploi particulier.
L'un étoit l'eſclave de mes cheveux , l'au
62 MERCURE DE FRANCE.
tre celui de ma barbe , un troiſieme celui
de ma bouche , un quatrieme celui de ma
tunique , un cinquieme celui de mes brodequins
; enfin preſque chaque partie de
mon corps avoit à ſes ordres un ou pluſieurs
de ces individus.
Quel abfurdité , quelle tyrannie ! s'écria
Héraclite ; mais je pleure fur toi encore
plus que fur ces malheureux. Et moi ,
répliqua l'Abdéritain , je riois beaucoup de
tout ce qui te fait pleurer. Je m'apperçus
même que mes eſclaves prenoient affez
bien leur revanche . Ils s'egayoient à mes
dépens comme tout afclave s'égaye aux
dépens de fes maîtres . Pour Afrofie , elle
s'applaudiſſoit du fruit de ſes ſoins , & ne
doutoit pas que je ne puſſe devenir un
galant homme. Elle-même travailloit de
fon mieux à ma perfection. J'en ris encore,
mais il faut ne rien taire ; je prenois goût
aux attentions d'Afrofie. Il eſt difficile que
celles d'une belle femme nous déplaiſent;
& de tous les ridicules dont le ſéxe eft
entiché , c'eſt un de ceux que je lui pardonne
le plus volontiers . Afroſie , d'ailleurs
, fongeoit moins à me plaire qu'à
me changer. Elle vouloit mériter à ce prix
les fuffrages des Sibarites , & bientôt elle
me jugea digne de paroître à leurs yeux.
Ce fut pour route la ville un jour de fêre.
AVRIL 1765 . 64
-
C'en fut un pour moi- même : j'allois donner
un ſpectacle aux Sibarites , & ils accouroient
en foule me le rendre.
A peine je parus que les applaudiffemens
, les acclamations fe firent ouir de
toutes parts. J'y répondis à ma manière.
On m'entoure , on me félicite , on me
couronne de fleurs , on me promène en
chantant les louanges d'Afrofie : enfin ,
l'on décerne à cette jolie veuve une des
premieres places dans les jeux publics , dix
jeunes eſclaves plus beaux qu'Antinoüs
avec le droit d'eſſayer la premiere toutes
les modes & les fantaisies nouvellement
imaginées.
Et toi , lui demanda triſtement Héraelite
, quel fut ton lot ?
J'allois , reprit le cynique , être admis
au nombre des citoyens , on alloit me défigner
intendant des menus - plaiſirs du
peuple. Arrêtez ! mes amis , leur dis - je ,
la farce n'a déja que trop duré. Continuez ,
j'y confens , le rôle qui vous eſt propre ;
je vais reprendre le mien. Alors je réclamai
ma premiere dépouille & me difpoſai
à quitter celle que j'avois endoſſée.
On murmura de la propoſition ; mais un
peuple voluptueux eſt communément traitable
: on finit par trouver ces métamorphoſes
plaifantes. J'obtins ce que je de64
MERCURE DE FRANCE.
mandois , & je fus accompagné juſqu'aux
portes de la ville avec des huées que je
rendis bien aux rieurs.
Lafuite au Mercure prochain .
VERS à Madame LEC .... à l'occaſion de
Sa groſſeffe.
LA
A nature a réglé les ſaiſons & les temps,
Et la terre ne donne
Les préſens de l'automne
Que lorſqu'elle a perdu les grâces du printemps.
Mais pour vous la nature , adorable Erigone ,
A bien voulu changer ſes loix ,
Pour nous offrir tout à la fois ,
Etles fleursdu printemps & les fruits de l'automne.
Par M. GR.... D'AM.
AVRIL هو . 1765
RÉPONSE de MM. le SÉNÉCHAL * & DE
LA PLACE , àMM. les Maire & Eche
vins de Calais.
MESSIEURS ,
Du 21 Mars 17650
JUGEZ de la fatisfaction que nous a
procurée l'exécution de vos ordres , puifque
nous avons eu antant de plaiſir à les
remplir que d'honneur à les recevoir de
vous. Nous ne pourions vous exprimer que
foiblement l'effufion du coeur de M. de
Belloy en recevant la nouvelle de fon
adoption par votre ville. Nousavons trouvé
en lui une ame toute Calaisienne; c'eſt vous
peindre en un mot toute ſa ſenſibilité &
ſa reconnoiffance.
Nous avons l'honneur d'être , &c..
* Receveur général des domaines & bois de la
Picardie.
66 MERCURE DE FRANCE.
COPIE de la lettre de M. DE BELLOY aux
Maire& Echevins de Calais.
MESSIEURS ,
4
A Paris , le 22 Mars.
1
APRES les graces que le Souverain
a daigné répandre fur moi , celle que
vous voulez bien m'accorder eſt la plus
chère à mon coeur. Se voir adopté par une
ville,dont le nom ſeul eſt un titre de
gloire pour ſes citoyens , être compté parmi
les fucceffeurs d'Eustache de Saint-Pierre ,
c'eſt un honneur dont on aime à s'applaudir
, unbonheur fi pur qu'une ame modeſte
peut le goûter en paix. Je bénirai longtemps
le jour où je conçus la premiere
idée d'expoſer aux regardsde la France un
tableau de la magnanimité de vos ancêtres.
L'empreſſement avec lequel vous daignez
accueillir cette foible eſquiſſe , les tranfports
qu'elle excite dans toute la nation ,
vous font ercore plus d'honneur à vous &
à elle qu'ils ne m'en peuvent faire à moimême.
Les âmes qui ſont ſi fortement
émuës par l'image des grands hommes font
AVRIL 1765 . 67
des âmes à qui il ne manque qu'une occaſion
pour les égaler. Pour moi , Meffieurs ,
pendant tout le temps que j'ai employé à
peindre les vertus des Héros de Calais ,
j'ai tâché d'en pénétrer mon coeur ; puiffe
cette douce habitude me les avoir renduës
propres , ou du moins m'en laiſſer quelques
traces dignes du titre dont vous m'ho
norez . Le premier devoir de l'homme eft
d'aimer en général tous ſes ſemblables ; le
ſecond eſt d'aimer en particulier ſon pays
& ſa nation. Ces deux principes feront
toujours préfens à mon eſprit ; ces deux
ſentimens ne s'effaceront jamais de mon
âme. Je chérirai ſurtout les nouveaux
noeuds par leſquels vous reſſerrez les liens
qui m'attachoient à vous comme François ,
J'étois votre compatriote , vous me faites
votre concitoyen ,&je ſens les obligations
que cette gloire m'impoſe ; heureuſement
j'ai devant les yeux un modèle qui doit
être celui de tous les gens de lettres. Les
procédés ſi honnêtes & ſi eſtimables que
M. de la Place (1 ) vient d'avoir avec moi ,
& auxquels je dois vos premieres bontés ,
( 1 ) Les inſtances de M. de la Place auprès de
M. de Belloy, pour l'engager à ſupprimer ce
qu'ily a ici de trop flatteur pour lui , ont été d'ar
tant plus inutiles , que cette même lettre , impri
mée à Calais , eſt déja répandue dans Paris. 1
68 MERCURE DE FRANCE.
ſont des exemples précieux qui devien
dront peut - être moins rares. Qu'il s'eſt
bienmontrédigne d'être né dans vosmurs!
Il me tend plus chère encore ma nouvelle
patriequi meprocure untel ami. Le Public
apprendde lui, avec une douce fatisfaction,
combien les gens de lettres font refpectables
quand ils lui offrent de nobles ſentimensà
admirer & non d'indignes querelles
àjuger.
J'attends avec la plus vive impatience
mes titres de citoyens de Calais ; & j'ai
l'honneur d'être avec les ſentimensdezèle ,
dereſpect&de reconnoiſſance queje vous
dois après une adoption fi honorable,
MESSIEURS ,
L
Votre très-humble , &c.
Emotde lapremière énigme dupremier
volume d'Avril est cornes. Celui de
la ſeconde est bon jour , bon foir. Celui
du premier logogryphe eſt eſprit , dans lequel
on trouve répit , tiers , épi , piste ,
pet , fire , tri , ire , pie , rets. Celui du
ſecond eft canapé , où l'on trouve Pan ,
Cana , cape , âne , Caen , cap , cane , & celui
du troiſieme eſt fange , retranchez la lettre
f, il reſtera Ange.
AVRIL 1765 . 69
D
ENIGME.
EPUIS le matin juſqu'au foir
Je vais , je viens , je cours ſans voir.
Mon mouvement lent ou rapide
Eſt tel qu'il plaît à celui qui me guide,
Eh! comment pourrois -je voir clair
Je n'ai pas d'yeux & je crains l'air,
Ma peau très-délicate eſt triplement vêtue ,
Et chacun rarement peut la voir toute nue,
Tous les jours on m'enferme en certaine maifon
Tout exprès faite
Pour ma retraite ,
Et qu'on pourroit nommer ambulante priſon,
PLUS
AUTRE.
Lus on me trouve rude ,
Plus on me chérit en tous lieux :
Je plais à la campagne & dans la ſolitude,
Et je charme l'ennui des jeunes & des vieux,
Je ſuis généreuſe & fi bonne ,
Que je rens tout ce qu'on me donne,
Mais ſi je viens à m'adoucir ,
On me mépriſe , on me rejette ,
Et c'eſt à quoi je ſuis ſujette
Lorſque j'ai fait trop de plaifir.
70 MERCURE DE FRANCE.
J
LOGOGRYPΗ Ε.
E nais pour rapiner & pour faire la guerre ;
J'exerce mes talens , & fais purger la terre
D'un genre de brigands , dangereux ennemis ,
Qui ſe cache , qui fuit , qui redoute le hâle.
Otez ma queue , & je deviens mon mâle :
Combinez-moi , je gâte vos habits .
J
AUTRE.
E fuis l'habit commun de tout ce qui reſpire ,
Du berger , du prélat , du maître de l'empire .
Sans chef je n'ai ni ſaveur , ni couleur ,
Je fais pourtant le quart de la nature ,
Et le reméde à la brûlure.
Qu'on me rende mon chef , en m'arrachant le
coeur ,
Je deviens ville de Navarre ;
Si vous favez mes membres afſortir ,
Vous avez ce qu'on trouve à Paris de moins rare :
Puis encor : ah ! c'eſt peu.... Ceſſons de diſcourir.
AVRIL 1765 . 71
Q
AUTRE.
UAND on a du chagrin , mon tout peut
foulager.
Lecteur , ôtez mon chef , je ſuis bon àmanger.
Par M. d'ABANCOURT.
A MAD.... qui vouloit apprendre à faire
des vers . Air : Noussommes précepteurs
d'amour.
Vo
ous voulez apprendre à rimer ,
Et daignez me choiſir pour maître ?
Pour peu que vous fachiez aimer ,
Charmante.Eglé , je veux bien l'être .
Telle est la premiere leçon
Que je donne à mes écolières :
Si le coeur eft votre Apollon ,
Vous remplacerez Deshoulières .
ect
L'eſprit ſouvent parle au hafard ;
La voix du coeur eſt toujours fûre.
Les régles ſont filles de l'art ,
Mais l'art eſt fils de la nature.
72
MERCURE DE FRANCE.
N'écoutez que le ſentiment ,
Son effor eſt toujours ſublime :
Si vous aimez bien votre amant ,
Vous ne chercherez point la rime,
L'eſprit fait de fades chansons ,
La ſeule vanité l'inſpire :
Ovide étoit für de fes fons ,
Lorſque l'amour montoit ſa lyre,
Aimez donc & fuivez la loi
Que lui dictoit ce dieu ſuprême,
Quand vous aimerez comme moi ,
Eglé , vous rimerez de même,
D. L. PA
853719
ARTICLE
AVRIL 1765. 73
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES .
ASTRONOMIE , par M. DE LALANDE ,
de l'Académie des Sciences , & c. ; à
Paris , chez Defaint & Saillant , rue
Saint- Jean-de-Beauvais ; deux volumes
in-4° , avec approbation & privilège du
Roi ; 1764.
C
E livre , qui par fon étendue furpaſſe
tous les ouvrages d'aſtronomie qui avoient
paru juſqu'ici , les furpaſſe encore plus pat
le grand nombre d'objets nouveaux que
l'Auteur y a mis ; c'eſt cette partie de
l'ouvrage que nous allons expoſer au public
: on verra dans chaque article , ou des
marques du progrès que les ſciences font
chaque jour, ou de nouveauxſecours offerts
à ceux qui veulent y pénétrer. Le livre eſt
diviſé en vingt-quatre traités ſur les différentes
branchesde l'aſtronomie ; mais nous
nous réduiſons aux objets qui caractériſent
ſpécialement l'ouvrage de M. de Lalande .
Vol. II. D
74 MERCURE DE FRANCE.
La préface contient d'abord un éloge
pompeux de l'aſtronomie ; on y trouve
tout ce qu'on a dit & ce qu'on peut dire
pour exalter la dignité & les avantages de
cette ſcience, tous les faits hiſtoriques , les
paſſages des poëtes anciens& modernes de
toutes les nations, le cas que les plus grands
Princes en ont fait , les établiſſemens qui
ont fervi à ſes progrès , & le détail de tous
les obſervatoires de l'Europe , dans lefquels
ſe ſont faites & ſe font actuellement
les meilleures obſervations. Elle finit
par un catalogue raiſonné des inſtrumens
d'aſtronomie , téleſcopes , lunettes , &c . &
de leurs prix en France & en Angleterre ;
tout cela eſt propre à inſpirer le goût de
l'aſtronomie .
Les quatre premiers livres renferment
les élémens d'aſtronomie , l'hiſtoire de cette
ſcience , depuis fon origine , & l'énumé
ration des conſtellations ; cette partie n'étoit
pas ſuſceptible de nouveauté : mais on
y trouve 1º, une méthode claire & facile
qui conduit le Lecteur depuis les premiers
objets qui ſe remarquent dans le ciel , jufqu'aux
conféquences les plus fublimes
qu'on en tire ; 2°. beaucoup à diſtinguer
dans l'histoire de l'aſtronomie ancienne ,
les temps& les lieux qu'on avoit trop confondus
juſqu'ici ; 3 °. une nouvellemanière
de connoître les étoiles par de ſimples ali
AVRIL 1765 . 75
gnemens , fans avoir de maître , ni même
de globe ou de cartes céleſtes.
Le cinquieme livre traite des ſyſtemes du
monde ; on n'y trouve que quelques mots
fur les ſyſtêmes de Ptolémée & de Tycho :
mais M. de Lalande explique & démontre
le ſyſtème de Copernic comme le feul qu'on
puiffeadmettre.Toutesles objections qu'on
y avoit faites font expoſées & réſolues de
la manière la plus fatisfaiſante. Le Père
Riccioli avoit propoſé foixante - dix - ſept
argumens contre le mouvementde la terre ;
mais comme le plus grand nombre n'étoit
que la répétition des principaux argumens ,
retournés chacun fous dix ou vingt formes
différentes , M. de Lalande s'eſt attaché aux
fondemens des objections tirées , ou de la
phyſique , ou de l'aſtronomie , ou de l'écriture
fainte ; il les a éclairés de manière
à lever tous les doutes pour ceux qui ne
font pas prévenus & obſtinés. A la fin de
ce cinquieme livre on trouve un article
fur le retour des planètes à même ſituation
par rapport à la terre , c'est-à- dire ,
fur les périodes qui ramènent les planètes
à un même lieu apparent , & dont les
Aftronomes n'ontjamais fait uſage comme
ils le pouvoientpour faciliter leurs calculs ;
par exemple , mercure dans l'eſpace de
Leize ans & rois jours,fait le nombre com
Dij
76 1 MERCURE DE FRANCE.
plet de cinquante - quatre révolutions ; la
terre en fait treize , & l'un & l'autre ſe
retrouve à-peu près comme treize ans auparavant
: ainſi le premier Janvier 1748
& le 3 Janvier 1761 , mercure paffoit également
au méridien à dix heures deux
ſecondes du matin ; & le calcul , qui en
eſt extrêmement long , ſe trouve tout fait
par cette comparaiſon .
Le fixieme livre , qui traite de la théorie
de cinq planettes principales , mercure ,
•vénus , mars , jupiter& faturne , renferme
un grand nombre d'obſervations & de
recherches nouvelles ; on y voit fur-tout
la découverte d'une inégalité ou d'un dérangement
fingulier que M. de Lalande a
obſervé dans le mouvement de ſaturne ,
qui n'avoit point encore été remarqué ,
quoiqu'il produiſe des différences de plus
de trois jours ſur la durée de la révolution
de cette planette. Cette inégalité eſt d'autant
plus étonnante , qu'elle ne fauroit
être produite par l'attraction de jupiter , ni
par celle des autres planettes connues. On
trouve auſſi dans ce ſixieme livre la théorie
d'un changement dans les inclinations des
orbites planétaires , changement qu'on n'avoit
pas même ſoupçonné juſqu'ici , & qui
eſt cependant très- ſenſible ; il eſt produit
par l'attraction mutuelle des planettes les
L
AVRIL 1765. 77
unes fur les autres. Ce livre eſt terminé
par une table des diſtances des diamètres
& des groffeurs des planettes calculées fur
les obſervations les plus récentes , de même
que toutes les autres circonstances de la
théorie & du mouvement des planettes .
Le ſeptieme livre qui contient la théorie
de la lune , d'après l'obſervation & la
conſtruction des tables , renferme fur- tout
deux démonstrations importantes que perſonne
n'avoit données , l'une pour calculer
la ſeconde inégalité de la lune ſans lui fuppoſer
une excentricité variable & unbalancement
de l'apogée , l'autre pour calculer
l'inégalité des latitudes ſans employer une
inclinaiſon variable & un balancement du
noeud ; le huitieme livre traite du calendrier
, des cycles , des heures , ſemaines ,
mois&années , de la chronologie, du lever
cofmique des étoiles , & fur- tout du ſyrius;
on y trouve une differtation curieuſe ſur
cette étoile de la canicule , ſi célèbre dans
l'ancienne Egypte, &qui a conſervéjuſqu'a
notre temps ſa réputation aſtronomique.
Le neuvieme&le dixieme livre traitent
du calcul des éclipſes & de la recherche
des parallaxes , qui font la partie la plus
difficile & la plus effentielle de ces calculs;
on y trouve une méthode nouvelle de
M. de Lalande pour le calcul des éclipſes ,
Dinj
78 MERCURE DE FRANCE.
plus courte & plus exacte que celles qu'on
avoit données juſqu'alors , dans laquelle
il a détaillé tous les cas de manière à ne
laiſſer même aux commençans aucune
incertitude. La méthode des projections
qu'on emploie pour calculer graphique
ment une éclipfe , n'avoitjamais été expliquée
dans aucun livre de manière à en
faire comprendre l'eſprit& les fondemens ,
non plus que la méthode pour calculer la
routede l'ombre ſur la ſurface de la terre.
La méthode du nonagefime y eſt rendue
très-facile par une table calculée ſur une
forme nouvelle pour la latitude de Paris ,
& qu'on peut calculer en une matinée
pour toute autre latitude. La formule de
ta parallaxe en longitude n'avoit été démontrée
dans aucun traité d'aſtronomie
avant M. de Lalande ; elle ſe trouve ici
accompagnée des exemples les plus détaillés
, de même que les corrections qu'elle
exige pour l'applatiſſementde la terre , que
M.de la Caille avoit données ſans tables&
fans démonstrations .
Ala finde cepremier volume on trouve
les tables du foleil de M. de la Caille ,
& celles de la lune de M. Mayer , mais
M. de la Lande les a étendues pour des
fiécles éloignés ; il y a corrigé l'équation
du temps , l'obliquité de l'écliptique , le
AVRIL 1765 . 55
diamètre du ſoleil : il a ajouté les tables
du mouvement horaire de la lune , la table
des réfractionsde M. Bradley , qui n'avoit
point encore paru , le catalogue d'étoiles
de M. l'Abbé de la Caille qu'on ne pouvoir
plus trouver ; il y a joint des exemples
detaillés : enforte que ces tables font les
plus exactes & les plus commodes qu'on
aiteues juſqu'à ce jour , &que les Aſtronomes
ne pourroient les trouver ailleurs que
dans l'ouvrage dont nous parlons.
Le ſecond volume commence par le
onzieme livre , où l'on traite des paſſages
de vénus & de mercure ſur le ſoleil ; ce
fujet , qui a eu beaucoup de célébrité en
1761 , par le grand nombre de voyages
qu'il a occafionnés , en aura encore autant
en 1769. Le paffage de vénus que l'on
attend pour cette année- là eſt le ſeul qui
ſe verra d'ici à cent dix ans : on ſe propoſe
de l'obſerver en Amérique , en Laponie ,
& s'il eſt poſſible aux Terres Auſtrales.
M. de la Lande nous donne là-deſſus un
traité complet , où l'hiſtoire , les méthodes,
les réſultats , ſont détaillés de manière
à ne rien laiſſer à defirer. Il fait voir de
quelle manière le paſſage de 1769 nous
apprendra la vraie diſtance du ſoleil & de
toutes les planettes à la terre , plus exactementque
celui de 1761 ; en effet , celui-ci
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
nous a laiſſé une incertitude d'environ un
dixieme du total , à cauſe des obſtacles
qu'ont apportés le mauvais temps & les
malheurs de la guerre aux obſervations de
divers Aſtronomes.
Le douzieme a pour objet les réfractions
aſtronomiques , les méthodes qui ſervent à
les déterminer , & les effets qu'elles produiſent
; on y trouve une partie nouvelle
& curieuſe , c'eſt la démonſtration d'une
loi fondamentale de réfraction qui s'étend
juſqu'à l'horifon : M. Bradley l'avoit
communiqué à ſes amis ; M. de la Lande
l'apporta d'Angleterre en 1763 , mais perfonne
avant lui n'en avoit donné la démonftration.
Le treizieme & le quatorzieme livre
ont pour objet la pratique de l'aſtronomie ,
la connoiffance de tous les inftrumens , &
la manière de s'en ſervir pour faire de
bonnes obſervations ; on defiroit depuis
long-temps un ſemblable traité d'aſtronomie
pratique : feu M. de la Caille en avoit
formé le projet , M. de Lalande l'a exécuté
avec beaucoup d'étendue ; il donne la
figure de chaque inftrument , ſon application
à chaque genre d'obſervation , les
vérifications qu'elles ſuppoſent , les réductions
qu'elles exigent , les précautions
qu'on y apporte on y trouve , non-feule
AVRIL 1765. 81
ment les inſtrumens dans leur dernier état
de perfection en France & en Angleterre ,
mais encore des vues nouvelles pour les
perfectionner de plus en plus. Les lunettes
achromatiques , dont nous n'avions encore
aucune deſcription , y font expliquées , de
même que les héliomètres , inſtrumens
nouveaux d'une très-grande utilité.
Le quinzieme livre , où M. de Lalande
explique la grandeur& la figure de la terre,
contientun extrait élémentaire& méthodiquede
tous les ouvrages faits fur cette matière
, & des voyages dont elle a été l'objet ;
mais on y trouve des anecdotes qui n'étoient
point connues au ſujet de ces voyages
& de ces opérations.
Les livres ſeize & dix- fept renferment
la théorie des étoiles fixes , c'est- à- dire ,
des petits mouvemens de préceſſion , d'aberration
& de nutation qu'on y obſerve ;
fur chacun de ces objets M. de Lalande
donnedes formules nouvelles, ou démontre
celles que M. de la Caille avoit données ſans
démonstration : il donne une manière de
concevoir le phénomène de l'aberration ,
plus naturelle que celle de l'inventeur
même , que quelques Auteurs avoient jugée
inintelligible & infuffiſante.
Le dix-huitieme livre , qui eſt l'aſtronomie
des fatellites , contient fur - tout des
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
recherches nouvelles & des explications
qu'aucunAuteur n'avoit données ſur leurs
éclipfes , leurs parallaxes , leurs inclinaifons
, leurs noeuds & la conſtruction de
leurs tables ; l'effet de l'applatiſſement de
jupiter , par rapport aux éclipſes de ſes ſatellites
, n'avoit jamais été confidéré & introduit
dans le calcul. M. de Lalande fait voir
quecettenouvelleconſidération yajoute une
nouvelle exactitude ſans y ajouter aucune
difficulté. Il explique fort au long la façon
de trouver les temps où l'on doit voir les
immerfions & les émerſions du ſecond
fatellite ; il y donne la figure & la defcrip
tion d'un inſtrument pour trouver les configurations
des fatellites en rout temps ,
inſtrument qui n'étoit juſqu'ici qu'entre
les mains d'un petit nombre d'Aſtronomes.
Le dix-neuvieme livre , où il s'agit des
comètes , raffemble l'hiſtoire de celles qui
ont eu quelque choſe de remarquable , la
démonftration de leur mouvement , & la.
détermination de leurs orbites par obfer
vation . M. de Lalande y démontre , d'une
manière ſimple & nouvelle , que la vîteſſe
parabolique d'une comète eſt égale à la raeinededeux,
quand on prend pour unité la
vîteſſe circulaire àpareille diſtance ; il explique
une méthode graphique, par laquelle
onsabrégera conſidérablement le calcul des
AVRIL 1765 . 83
comètes obſervées pour la première fois ,
problême le plus difficile de l'aſtronomie
ordinaire.
; Le vingtieme livre , de la rotation des
planettes &de leurs taches , renferme une
théorie de la libration de la lune , qui
étoit juſqu'ici inconnue aux Aſtronomes ,
n'ayant été donnée que dans un mémoire
allemand de M. Mager. On y trouve auſſi
une méthode pour calculer par trois obfervations
des taches du ſoleil , la ſituation
de fon axe & de fon équateur , avec la
durée de ſa rotation, ce qui n'avoit été
traité juſqu'ici que d'une manière trèsincomplette
; enfin M. de Lalande y donne
une méthode abfolument nouvelle pour
prédire les phaſes de l'anneau de ſaturne,
qui eſt une des choſes les plus fingulières
de toute l'aſtronomie.
Le vingt- unieme livre eſt un traité analytique
de la géométrie tranſcendante , des
courbes & des infiniment petits , approprié
à l'aſtronomie , dans lequel M. de
Lalande démontre plufieurs propoſitions
& pluſieurs lemmes qui ne ſe trouvent
point dans les livres ordinaires , quoiqu'on
en faffe uſage dans les calculs de l'attraction
; par exemple , que les ſections d'un
fphéroïde elliptique , faites perpendiculaisement
à l'équateur, ſont des ellipſes fem
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
blables à celle du méridien ; que la folidité
du ſphéroide entier eſt égale aux deux
tiers du produit de fon grand axe par la
furface du méridien. Il ydonne l'intégrale
de toutes les formules différentielles qui
ſe préſententdans ces fortes de recherches.
Le vingt-deuxieme livre , auquel le précédent
fert d'introduction , étoit un des
plus néceſſaires à ceux qui veulent approfondir
la partie géométrique de l'aſtronomie
; le grand principe de l'attraction univerſelle
, fource de tant de découvertes ,
& fur lequel il reſte encore tant de calculs
à faire , y eſt préſenté ſous une forme fimple
& élémentaire , qu'aucun Géomètre
n'avoit pris la peine de lui donner ; les
ouvrages faits juſqu'à ce jour ſur l'attraction
étoient un labyrinthe impénétrable
pour la plupart des Lecteurs. M. de Lalande
en a donné la clef, il en a expliqué l'origine
, la découverte& les principes ; il en
donne l'application pour les inégalités des
planettes , le mouvement des noeuds , l'applatiſſement
de la terre & la préceſſion des
équinoxes ; ce dernier problême , le plus
difficile de tous , & fur lequel on a beaucoup
difputé , y eſt développé dans toutes
ſes parties de manière à ne plus laiſſer aucune
incertitude.
Le vingt-troiſieme livre contient la tri
AVRIL 1765. 85
gonométrie ſphérique & pluſieurs propofitions
de trigonémétrie , rectiligne dont
on a beſoin dans l'aſtronomie , &qui n'étoient
point démontrées dans les Auteurs ,
par exemple , la valeur de la tangente de
la moitié d'un angle , en y employant ſes
cotés ; les formules différentielles que
M.de la Caille avoit données fans démonf
tration pour lespetites variations des trian
gles ſphériques, ſont démontrées dans l'ouvrage
de M. de Lalande ; & ce vingt-troiſieme
livre eft terminé par une méthode
pour réſoudre tous les triangles ſphériques
avec la règle & le compas , dont on peut
faire unuſage commode en bien des occafions.
Le vingt-quatrième & dernier livre eſt
un traité du calcul aſtronomique , plus
étendu & plus détaillé qu'aucun ouvrage
que l'on ait eu ; on y apprend à calculer
toute forte d'obſervations , à les réduire,
à en tirer les conféquences néceſſaires pour
qu'on puiffe faire uſage de ces obfervations
: ces fortes de calculs , que tous les
Aſtronomes favent. par tradition , ou par
lequel ils ſe font des méthodes au beſoin ,
n'avoient jamais été mis à la portée du
public , & raffemblés , comme l'a fait M.
de Lalande , pour completter fon ouvrage.
L'article qui concerne les longitudes en
36 MERCURE DE FRANCE.
mer eſt le dernier de tous ; il devoit natuu
rellement couronner un ouvragedont l'objet
le plus effentiel , ou du moins l'appli
cation la plus importante , eſt la marine
M. de Lalande avoit déja traité cette matière
dans fon expoſition du calcul aftronomique
en 1762 , mais il a donné dans
cet ouvrage ci une comparaiſon des différentes
méthodes , &une nouvelle manière
de trouver les réfractions & les parallaxes
de diſtance plus courte que celles qui
étoient connues juſqu'à préſent. Tout ce
que nous venons de dire des vingt-quatre
livres de cette aſtronomie ne donnera
qu'une légère idée de la multitude des
matières qui y font traitées ; nous n'avons
fait qu'indiquer les endroits remarquables
par leur nouveauté : nous finirons endiſant
que ſur les objets que M. de Lalande n'a
pu approfondir dans l'eſpace de deux volumes
in - 40 , il a indiqué tous les Auteurs ,
enforte que fon ouvrage contient ou un
extrait ou une indication de tout ce qu'on
a fait de bon juſqu'à ce jour ſur toutes
les parties de l'aſtronomie .
:
AVRIL 1765 . 87
JEAN CALAS , à ſa femme & àfes enfans ,
héroïde ; par M. BLIN DE SAINMORE.
A Paris , chez SEBASTIEN JORRY , rue
& vis - à-vis la Comédie Françoise , au
grand Monarque ; 1765. Avec permiffion
; petit in- 8° de vingt- quatre pages
Prix 12fols.
DANANSS un court avertiſſement l'Auteur
rend un compte abrégé de la mort de
Marc- Antoine Calas , du fupplice de fon
père , &de la manière éclatante dont fa
mémoire a été réhabilitée. Nous ne nous
arrêterons point ſur tous ces détails dont
lePu blic eſt ſuffiſamment inſtruit , & nous
nous contenterons de rapporter un trait
curieux que l'on trouve dans cet avertiſſement.
« M. le Maréchal de R *** étant aux
>> Délices devant une nombreuſe aſſem.-
» blée , demanda à M. de Voltaire des
» détails de cette affaire. L'Auteur de la
» Henriade lui raconta tout avec une élo-
>>> quence fi forte & fi pathétique , que
>>>M. le Maréchal & tous les ſpectateurs
>> fondirent en larmes. Alors M. de Vol
88 MERCURE DE FRANCE .
> taire fit entrer un des Calas, fils , qui
» étoit dans une chambre voiſine , &
» M. le Maréchal dit au jeune homme :
» Monfieur , jesuis perfuadé de l'innocence
» de M. votre père ; vos malheurs m'ont
» vivement touché. Vous pouvez compter
>>fur mon crédit & fur mes fecours. Puif-
» que vous n'avez plus de père , c'est à moi
» de vous en ſervir » . C'eſt par des traits
femblables , qui ennobliroient un homme
obfcur , qu'un grand Seigneur fait voir
qu'il fort d'un rang illuftre.
M. Calas eft fuppofé écrire cette épître
à ſa femme & à ſes enfans , à l'inſtant qu'il
vient d'entendre l'arrêt qui l'a condamné.
On voit que cette ſituation n'eſt pas fufceptible
d'un plan ſtrictement régulier. Ce
font les derniers diſcours du plus tendre
des pères & du plus malheureux des hommes
, que l'on va conduire au fupplice ; il
eſt dans le défordre de la défolation ; il
s'adreſſe tour à tour au ciel , à la terre , à
ſes Juges , à ſes ennemis , & les prend tous
à témoin de ſon innocence. Malheur aux
âmes froides qui ſavent ſymmetrifer les
tranſports de la douleur !
Jean Calas commence par annoncer fon
arrêt à fon épouſe d'une manière ferme &
ménagée enmê me temps. Quoi, s'écrie t-il
enfuite ,
AVRIL 1765 . 89
Ces Miniſtres des loix , dont l'équité ſévère
-Réſiſte aux préjugés reçus par le vulgaire ,
Sont- ils , comme un vil peuple , entraînés par
l'erreur ?
Ont- ils , fans examen , adopté ſa fureur ?
Ont-ils cru qu'un vieillard , appéſanti par l'âge ,
Pour un crime inouï , ranimant ſon courage ,
Bravant ce que jamais l'homme eut de plus ſacré ›
Ait porté ſur ſon fils un bras dénaturé ?
Mais ſuppoſant qu'en moi la nature bizarre
Ait formé pour ce crime un coeur affez barbare ,
Ont- ils cru qu'une mère , avec tranquillité ,
Ait vu verſer le ſang que ſes flancs ont porté ,
Et qu'en nous uniſſant , l'himen triſte & fauvage
Dedeux monftres ſanglans ait formé l'aſſemblager
Hélas ! ils ont cru tout. • • &c.
Rien de plus pathétique que les vers où
Calas rappelle , pour ſa justification , l'inftant
où il trouva fon fils mort. Ah ! dit- il ,
en parlant de ſes Juges ,
,
Ah! s'ils nous avoient vus dans ce moment terrible
Où la mort ſe montrant ſous un aſpect horrible
Vint offrir à nos yeux effrayés & furpris
Le corps pâle & glacé de ce malheureux fils ;
Où , le coeur déchiré des plus vives alarmes ,
J'éclatois en fanglots & je fondois en larmes ,
Où , l'appellant cent fois , tu ferrois dans tes bras
Ce fils , ce triſte fils , qui ne répondoit pas !
90
MERCURE DE FRANCE.
Nous auroient-ils jamais ſoupçonnés d'impoſture ?
Se feroient- ils mépris aux cris de la nature ?
Ce ſpectacle touchant pour nous auroit parlé :
Leurs coeurs auroient frémi , leurs pleurs auroient
coulé :
Hélas! notre douleur ne fut que trop fincère! ...&c.
Il n'eſt guères poſſible de parler avec
plus de vérité le langage du déſeſpoir. If
ſemble qu'on eſt préfent à cette malheureuſe
ſcène. Ce triste fils , qui ne répondoit
pas , eſt le principal coup de pinceau ;
c'eſt la circonſtance principale de l'action .
Je vais encore citer quelques morceaux
qui feront juger de la manière dont M.
Blin de Sainmore a ſu traiter le ſentiment.
Cette apostrophe de M. Calas à fon fils
exprime la douleur la plus intéreſſante :
O toi , le premier né de mes triſtes enfans ,
Toi ſur qui je fondois l'eſpoir de mes vieux ans ,
Toi que j'ai tant aimé , toi dont la mort ſanglante
A mes ſens déſolés ſemble toujours préſente :
O mon fils , mon cher fils ! dans quel abîme
affreux
As- tu précipité tes parens malheureux ?
Va, mon coeur te pardonne . Ah ! s'il étoit pof
fible
Qu'à mes triſtes deſtins ton ombre fût ſenſible,
AVRIL 1765.
Bientôt fortant pour moi du goufre des enfers ,
Tu me rendrois l'honneur & tu romprois mes
fers.
Mais , hélas ! inſenſible àmes plaintes funébres ,
Tu dors tranquillement dans le ſein des ténébres,
Etdans ce doux repos tu ne t'informes pas
Si ta mort aujourd'hui va caufer mon trépas
Quelques pages après il avoue qu'il ſe
flatte encore juſqu'au dernier moment ; il
eſpère que ce peuple épouvanté ouvrira
enfin les yeux & lui rendra juſtice. Mais ,
pourfuit- il ,
Mais vois comment le Ciel ſe rit de monerreur :
Un fonge cette nuit , pour mieux tromper mo
cooeur ,
Me faiſoit concevoir le plus heureux augure.
Un ſpectre , à la lueur d'une luntière obſcure ,
S'offre à mois de frayeur tous mes ſens font
faitis.
Raffure- toi , dit- il , que crains-tu de ton fils ,
Mon père ? De tes maux c'eſt moi qui fuis la
cauſe ;
J'en-gémis ; mais fur Dieuque ton coeur ſe repoſe :
11 ne ſouffrira pas qu'un injuſte ſoupçon
Flétriſſe pour jamais & ton coeur & ton nom
Par lui , par ſon ſecours l'innocence vengée >
Voitd'unpiége trompeur ſa marche dégagée.
92 MERCURE DE FRANCE.
Sans doute un jour viendra ... que veux-tu m'annoncer
,
M'écriai-je, ô mon fils ? Je cours pour l'embraſſer ;
Mais je ne trouve plus qu'une vapeur horrible ;
Alors mon cachot s'ouvre avec un bruit terrible :
Je m'éveille ; je crois qu'on va changer mon fort ;
Mais que vois-je ? un bourreau vient m'annoncer
la mort.
Les bornes d'un extrait ne nous permettent
pas de citer ici pluſieurs autres
tirades très-touchantes &bien vérfifiées. Le
principal mérite de cette pièce eſt le ton
de ſenſibilité qui y eſt répandu preſque
par-tout. On trouve dans les difcours de
M. Calas un coeur tendre & abymé dans
la triſteſſe , & une âme généreuse que le
malheur n'a pas endurcie. Les vers font
affortis au genre de la pièce. Point de faux
brillant , point d'eſprit mal placé ; mais
de la douceur , de la vérité , de l'harmonie ,
& le vrai ſtyle du ſentiment. Ceux qui
voient avec intérêt les ouvrages des jeunes
gensqui annoncentdu talentpour lepoëme,
ont obfervé que M. Blin de Sainmore prend
avec facilité le ſtyle & la manière propre
aux différens ſujets qu'il a à traiter.
Dans l'héroïde de Biblis il a peint avec
toute l'énergie & la violence de la paffion
la plus furieuſe les flux & reflux orageux
AVRIL 1765 . 93
des remords & de l'inceſte ; dans Gabrielle
d'Eftrées c'eſt une manière plus agréable ,
plus brillante , plus pompeufe ; & dans
l'épître de Calas c'eſt le coeur ſeul qui
ſemble en avoir dicté les vers : c'eſt la
fimplicité touchante de la douleur.
HISTOIRE des révolutions de Florence
fous les MEDICIS , ouvrage traduit du
Toscan , de BENEDETTO VARCHI ;
par M. REQUIER ; trois volumes in- 12 :
prix 6 livres brochés . A Paris , chez
Muſier fils , quai des Augustins ; Dehanſy
, pont au change ; Durand neveu ,
rue Saint Jacques ; Panckoucke , rue de
la Comédie Françoise.
CE morceau , l'un des plus intéreſſans
qu'on ait fait pafſſer dans notre langue ,
donne une juſte idée d'un peuple à qui
les Lettres doivent leur renaiſſance. Ses
moeurs , ſes coutumes , fes loix , objets
toujours piquans , lorſqu'il eſt queſtion de
l'hiſtoire d'une nation , excitent la curioſité
à l'égard de celle-ci. Elles font tracées
par l'Auteur avec une cérité & une exac
94 MERCURE DE FRANCE.
titude qui ne laiſſent rien à defirer. Il a
placé le détail qu'il en donne à certaines
diſtances , ſagement meſuréesdans le corps
de fon ouvrage. Il en eſt de même de ce
qu'il dit de Siennes , Piſe , Pistoie , Volterra
, Genes & leur gouvernement. Ce
ſont autant d'épiſodes agréables , qu'il lie
àſon ſujet avec beaucoup d'art.
L'hiſtoire qu'il écrit eſt celle de fon
temps ; & preſque tous les événemens
qu'elle renferme , ſe ſont paſſes ſous fes
yeux. Loin que l'avarice ou l'ambition , la
crainte ou l'eſpérance le portent à les altérer
le moins du monde , il les rapporte
avec une hardieſſe qui étonne.On l'entend
remercier Côme II , par l'ordre duquel il
les recueille , dedeux choſes: la premiere ,
de lui avoir donné de quoi vivre ſelon fon
érat; la ſeconde, de lui avoir permis de dire
la vérité ; & toutde ſuite, avec une liberté
au-deſſus de toute expreffion , il met au
grand jour tout ce qui eſt au défavantage
de la Maiſon de Médicis , comme ce qui
eſt à ſon avantage. Cette qualité de Varchi,
la plus eſſentielle ſans contredit de l'Hiftorien
, prévient infiniment en ſa faveur ;
&jointe à tant d'autres qui le diftinguent
des écrivains ordinaires , elle lui a acquis
la plus grande célébrité dans l'empire des
Lettres. La fortune a contribué à ſa répuAVRIL
1765. 95
tation, en faiſant naître comme exprès durant
le petit nombre d'années qu'il parcourt
, des événemens ſi ſinguliers & en
même temps ſi multipliés , qu'ils ſe preſſent
fous ſa plume , & la rendent une des plus
brillantes qui furent jamais.
Il commence fon livre par une eſpèce
d'introduction , où il peint avec une chaleur
finguliere , l'état de Florence , celui
d'Italie , de la France , de l'Empire. Quoique
le premier de ces objets lui fourniſſe
dans le corps de l'ouvrage le fonds effentiel
de ſa matiere , il ne perd pas un inſtant
de vue les trois autres qui y font intimement
liés . Ilnous montre Florence comme
une république , plutôt exempte d'eſclavage
que libre , dans le temps où il écrit ;
déchirée au - dedans par les diviſions de
nombreux partis ; long-temps menacée audehors
par un Pape ambitieux & irrité ( 1 ) ;
abandonnée de ſes alliés , de la France même,
qui ſembloit avoir le plus grand intérêt
à la foutenir ; nullement déconcertée
pour cela , foutenant un long fiége contre
les deux armées combinées du Pape & de
l'Empereur ; opprimée enfin par la trahiſon
de celui à quielle avoit confié ſon ſalut (2);
( 1 ) Clément VII , dont la famille en avoit
été chaffée .
( 2 ) Malatesta Buglioni.
96 MERCURE DE FRANCE.
& devenue eſclave d'une Maiſon qu'elle
• avoit chaffée trois fois de fon enceinte . ( 3 )
+ L'Italie , dans les fers depuis pluſieurs
fiécles , eſt repréſentée faiſant , à diverſes
repriſes , de vains efforts pour les rompre .
Charles-Quint, toujours accompagné de la
victoire , ſoit qu'il arme fon bras ou celui
de ſesGénéraux ,donne des chaînes à Fran
çois I ,qui avoit paffé dans cette contrée
pour recouvrer le Milanez. Toutes les circonftancesde
ce grand événement , la pri
fon du Roi , fon élargiſſement, les traités
de Madrid & de Cambrai , le reſſentiment
des deux Potentats , la ſuite de leurs querelles
, leurs cartels de défi , font rappor
tés avec un intérêt qui attache le lecteur
malgré lui .
Clément VII , forcé deux fois par les
troupes de l'Empereur de ſe refugier dans
leChâteau St. Ange , odieux aux Romains ,
en exécration aux Florentins , méprifé de
tous , defirant pour toute grace de voir les
Médicis ſes neveux rétablis dans le fimple
état de particuliers , vient à bout par fes
artifices , de leur procurer la ſouveraineté.
Les profcriptions, fuites ordinaires de la
tyrannie naiſſante , font marquées & s'exécutent
avec une dureté incroyable , par les
ordres du Paſteur commun des Fidèles. Il
( 3 ) La Maiſon de Médicis.
en
AVRIL 1765. 97
en coûte la vie , les biens , la patrie ou la
liberté à près de 150 Florentins des familles
les plus diftinguées. Le plus grand
nombre des profcrits , fans reſſource &
errans à l'avanture , aiment mieux renon--
cer pour toujours à Florence , que d'y rentrer
pour obéir. L'empriſonnementduCardinal
Hypolite , l'un des deux neveux du
Pape , prive pluſieurs des exilés de leur
unique ſoutien. Le récitde ſa mort eſt d'autant
plus attendriſſant , qu'on trouve dans
Hypolite le caractere de nobleſſe & la magnificence
qui étoient les qualités propres
des Médicis ; tandis qu'on n'apperçoit dans
Alexandre fon cousin ( 4) & dans Clément
VII fon oncle , que des qualités oppoſées.
Rarement la fin des tyrans eſt heureuſe ;
parce qu'ils n'uſent preſque jamais avec
modérationde ce qu'ils ont ufurpé. A peine
Alexandre a opprimé la liberté de Florence
, qu'il ſe livre à des excès qui euſſent
infailliblement fait attenter à ſes jours ,
quand même il eût été Souverain légitime.
Laurent de Médicis fon coufin , dont le
caractère est un des plus finguliers qui
figurent dans cette Hiſtoire , ſe rend fon
meurtrier. Le complot eſt un desplus adroitement
ourdis &des plus fûrement exécu-
(4 ) Oppreffeur de la liberté de Florence , &
premier Grand Duc.
Vol. II. E
98 MERCURE DE FRANCE.
rés.Cette catastrophe , par laquelle l'Auteur
s'étoit d'abord propoſé de finir , arrête le
lecteur comme en ſuſpens par l'étonnement
qu'elle lui caufe, & eſt véritablement théâ
trale.
,
On trouve enfuite le commencementdu
régne de Côme II , fils de Jean de Médicis
, l'un des plus grands perſonnages qui
ſe montrent ſur la ſcène. Cette branche auroit
dû naturellement régner la premiere ;
mais Clément VII avoit préféré à Côme
Alexandre , fils naturelde Laurent lejeune ,
ſelon l'opinion commune & felon quelques-
uns , fils du Pape lui-même. ( 6 ) Le
caractere de Côme II paroît être celui d'un
Prince ſage & modéré. A fon occafion
l'Auteur parle de Paul III ( 7 ) fucceffeur
de Clément VII. L'avarice & l'ambition
rendoient ce Pape auffi odieux aux Romains
, aux Florentins & au reſte de l'Italie
, que l'avoit été ſon prédéceſſeur. Les
décimes exorbitantes qu'il avoit miſes ſur
la Tofcane, & que Côme refuſoit de payer,
firent lancer deux fois l'interdit contre
Florence. L'Auteur, loin dediffimuler aucun
des torts qu'avoit Paul III , en inſtruit
ja poſtérité avec l'exactitude la plus rigou-
( 5 ) Il l'avoit eu , dit-on , d'une pauvre payſanne
du village de Callo-Vecchio,
(6 ) De la Maiſon Farnese,
AVRIL 1765. 99
reuſe , quoiqu'il publie ſon ouvrage fous
fon Pontificat. Ily ajoute le récitd'un attentat
de la part de Pierre- Louis , fils de ce
Pontife , attentat le plus horrible qui fût
jamais commis ; & c'eſt par ce trait qu'il
met fin à ſa narration .
La maniere du Varchi eſt grande , ſa
couleur vive , fon pinceau vigoureux. Parmi
les anciens & les modernes , il y a peu
d'Hiſtoriens de cette force : fon ouvrage
ſe fait lire avec le plus grand plaifir ; on
doit favoir beaucoup de gré à M. Requier
de la bonne traduction qu'il nous donne
de cette Hiſtoire intéreſſante .
NNONCES DE LIVRES.
LE Voyageur françois , ou la connoiffance
de l'ancien & du nouveau Monde.
A Paris , chez Vincent , Libraire , rue St.
Severin , 1765 ; avec approbation & privilége
du Roi ; 2 vol. in- 12 , qui feront fuivis
de pluſieurs autres.
Avant que d'entrer dans les détails curieux
, contenus dans cette nouvelle production
( ce qui fera la matiere de plufieurs
extraits intéreſſans dans nos Mercures)
nous croyons devoir donner aujourd'hui
une idée générale de l'ouvrage , en
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
rapportant l'avertiſſement qui eſt à la tête.
>>L'immenſe collection des voyages , dit
» l'Auteur , formeroit une bibliothéque
>> nombreuſe , dont la lecture occuperoit
>> la vie d'un homme. Sur un plan donné
» par les Anglois , rectifié enſuite par lui-
» même , M. l'abbé Prévôt a réduit à un
ود certain nombre de volumes , cette pro-
>>digieuſe quantité de relations plus ca-
>>pables d'effrayer par leur multitude , que
>> d'exciter la curiofiié par ce qu'elles ont
>> d'intéreſſant ; mais outre les défauts du
>> plan , & une extrême confufion dans les
» détails , on a encore reproché à l'Hiſtoire
de M. l'Abbé Prévôt ſes répétitions fré-
>> quentes & fon exceſſive prolixité. L'ou-
» vrage d'ailleurs n'eſt point achevé : il
> manque à ce recueil la collection des
>> voyages de terre , c'est- à-dire , de toute
>>cette partie de l'ancien monde où ſe ſont
>> paſſés les événemens les plus mémora-
» bles. L'état actuel de ces lieux célèbres ,
>>les révolutions qu'ils ont éprouvées , les
., reſtes précieux des monumens qui atti-
>> rent l'attention des voyageurs , euffent
>> completté cette grande hiſtoire. C'eſt
>> par-là que commencent les relations du
> VOYAGEUR FRANÇOIS ; & quand les
>> deux premiers volumes n'auroient d'autre
utilité que de ſervir de ſupplément,
AVRIL 1765. 101
ور
--
» à l'Histoire générale des Voyages , c'eſt
>>un avantage dont le Public pourroit lui
ſavoir gre : mais ſon projet eſt plus
>>étendu. En portant dans ſes voyages le
>>flambeau de la philofophie & de l'ob-
>> ſervation , il y puiſe des connoiffances
>> utiles qu'il communique à ſes conci-
» toyens. Tous les objets faits pour
>> exciter la curiofité d'un lecteur philo-
> ſophe , les loix , les moeurs , les uſages ,
>> la religion , le gouvernement , le com-
>> merce, les ſciences , les arts , les modes ,
>> l'habillement, les productions naturelles,
» en un mot , la connoiſſance de tous les
» pays & de toutes les nations de l'uni-
» vers , en commençant par les peuples
>>de l'Afie , font la matière de ſes let-
>> tres. Il ne porte ſon attention que fur
>> ce qui lui paroît mériter une juſte curio-
>>ſité; comme ſon but eſt d'intéreſſer &
>>d'inſtruire , tout ce qui ne produit pas
>> ces deux effets ne lui femble pas digne
>>de ſes remarques. Rarement il entretient
>>ſes lecteurs de ce qui le regarde perſon-
>>nellement. Jamais , ni les préparatifs du
>> voyage , ni tous ces petits accidens qui
>> arrivent néceſſairement , ſe dévinent &
>>ſe ſuppoſent durant une longue route ,
>>>ne prennent la place d'un récitplus eſſen-
>> tiel. Ce n'eſt point l'hiſtoire du voya-
1
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
ر
>>geur qu'il importe de ſavoir ; c'eſt celle
>> des pays où il a voyagé ». On voit par
cet avertiſſement quel eſt l'objet de l'ouvrage
que nous annonçons. Les lettres de
l'Auteur font adreſſées à une Dame de
Marseille ; & la première eſt datée de
I'Iſle de Chipre l'an 1735. Les autres pays
qu'il parcourt & qu'il fait connoître font
Alep , Damas , le Mont- Liban , Balbec ,
Palmyre , l'Egypte , les Etats Barbareſques,
la Grèce , la Turquie d'Europe & d'Afie ,
la Circaffie , la Géorgie , la Colchide ou
Mingrelie, l'Armenie , la Médie , la Perſe,
P'Arabie , la Palestine : &c. les différentes
fingularitésde tous ces pays fourniront des
articles curieuxdans le prochain Mercure.
Les infortunés amours du Comte de
Comminge , Romance , par M. le Duc de
L* V**. Prix 12 ſols ; à Paris , chez
Lejay , Marchand , rue Monconfeil , près
la Comédie Italienne , au Concert Italien.
Avec permiffion ; 1765 ; in- 8 ° , de douze
pages , le tout gravé avec la muſique.
Tous les couplets de cette Romance font
dans le genre touchant & pathétique convenable
au ſujet. Elle doit tenir une place
diftinguée parmi les divers écrits qui paroiſſent
depuis quelque temps ſur cette
matière.
AVRIL 1765. 103
LETTRE du Lord Velford , à Milord
Dirton , fon oncle , précédée d'une lettre
de l'Auteur : avec approbation. Brochure
in-8 ° , de foixante pages , imprimée en
beau papier , avec de très-belles gravures.
Il y a quelques années que M. d'Arnaud
traduifitdans notre langue un petit roman
inféré dans un ouvrage périodique , &
réimprimé depuis peu de mois ſous le
titre de Fanni , ou l'Heureux Repentir.
C'eſt de ce roman qu'eſt tiré le ſujet de la
lettre du Lord Velford. Une fille aimable ,
qui , à la plus grande beauté réunit l'innocence,
la candeur & les vertus naïves qui
caractériſent la vie champêtre ; un vieillard,
fon père , qui partage avec elle , au
milieude ſes champs , la touchante fimm
plicité de l'âge d'or ; un homme né vertueux
, mais entraîné dans le crime par un
fourbe ſous le voile de l'amitié ; jouet
des paſſions d'un traître , plongeant luimême
celle qu'il a aimée dans un abyme
de malheurs ; ramené enfin au ſein du
bonheur & de la vertu par un homme
généreux qui s'intéreſſe aux devoirs de
Phumanité ; voilà les caractères qu'à fournis
le roman dont on vient de parler.
L'Auteur de la lettre en vers a traité ce
fujet avec une chaleur , un intérêt & une
beauté de poéfie qui répond à toutes les
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
diverſes ſituations que lui offroit le roman .
Nous ofons affurer que cette nouvelle production
poétique n'eſt pas moins eſtimable
que celles qui depuis quelques années ont
donné une forte de célébrité à l'Imprimerie
de Sébastien Jorry. Celle- ci ſe vend
chez Bauche , quai des Auguſtins , & l'Efclapard
, Libraire , quai de Gêvres , qui n'a
épargné ni foins ni dépenfes , pour que les
ornemens du burin & de la typographie répondiſſent
aumérite littéraire de l'ouvrage.
MÉMOIRES ſecrets tirés des archives
des Souverains de l'Europe , depuis le
règne de Henri IV; ouvrage traduit de
l'Italien : à Amſterdam ; 1765 ; deux parties
in- 12 , qui doivent être ſuivies de
pluſieurs autres . On en trouve des exemplaires
chez Saillant , rue Saint Jean-de-
Beauvais.
Cet ouvrage , dont nous promettons un
extrait , renferme ce qui s'eſt paſſé deplus
mémorable dans les différentes Cours de
l'Europe. Le principal but que l'Auteur ſe
propoſe eſt de dévoiler ce qu'il y a de plus
miſtérieux dans la conduite des Souverains,
en montrant à découvert les reſſorts les plus
délicats , employés à faire mouvoir les
Empires. Il s'applique fur- tout à développer
l'art admirable de règnerdeHenry IV,
:
AVRIL 1765 . 1ος
Prince toujours vivant dans nos coeurs.
COMMENTAIRE ſur l'Edit du mois d'A--
vril 1695 , concernant la jurifdiction eccléſiaſtique
; par M *** , Conſeiller au Préfidiald'Orléans
: nouvelle édition , revue ,
corrigée & augmentée. AParis , chez de
Bure, père , quai des Auguſtins , à l'image
Saint Paul ; 1764 : avec approbation &
privilége du Roi ; trois vol. in- 12 . Prix
7 liv. 4 fols reliés.
Ce commentaire nous paroît renfermer
les éclairciſſemens les plus néceſſaires fur
les différens articles dont l'édit de 1695,
eft compofé , & en général ſur tout ce
qu'il y a de plus important à ſavoir touchant
la jurifdiction eccléſiaſtique . On
s'eſt attaché fur-tout , en traitant ces matières
, à joindre la clarté & l'ordre à la
préciſion. On a imprimé à la fuite de cet
ouvrage , par ordre chronologique , les
principaux édits , ordonnances , déclarations
du Roi , & autres réglémens qui peuvent
ſervir au même objet. Ces réglemens
font très- utiles pour voir les différens
changemens arrivés dans la jurifdiction de
l'Egliſe depuis l'édit de 1695 , & peuvent
beaucoup contribuer à en faire connoître
les véritables diſpoſitions. On a joint à
cette nouvelle édition le traité des libertés
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
de l'Eglife Gallicane de Pierre Pithou
ouvrage dont le mérite eſt trop connu pour
en faire ici l'éloge.
L'ESPRIT de M. Nicole, ou Instructions
fur les vérités de la religion , tirées des
ouvrages de ce grand théologien , tant
fur les dogmes de la foi & des myſtères ,
que fur la morale ,&diſtribuées felon l'ordredes
înatières de la doctrine chrétienne
ouvrage très-utile pour l'inſtruction , l'édification
& la ſanctification des fidèles ;
à Paris , chez G. Desprez, Imprimeur du
Roi & du Clergé de France ; 1765 : avec
approbation & privilége du Roi ; un vol .
in- 12 , avec le portrait de M. Nicole . Prix
en feuilles 2 liv. 10 fols.
Comme on a eu principalement en vue
dans cet ouvrage de répandre parmi les
Fidèles l'eſprit de M. Nicole , on a penfé
que levrai moyen étoit de donner un ſeul
volumequi renfermât tout ce qu'il y a de
plus intéreſſant dans les vingt-trois tomes
de cet Auteur , & qui par-là fût d'une acquifition
facile. Les perſonnes déja inftruites
, & même celles qui ne le font qu'imparfaitement
, en pourront retirerbeaucoup
de profit. Les jeunes-gens fur-tout y trouveront
la connoiſſance de la religion & la
règlede leurs moeurs. Des extraits diſpoſés
AVRIL 1765. 107
dans un bel ordre , fous différens titres ,
femettront ſous les yeux du lecteur des inftructions
diſperſées dans les ouvrages de
M. Nicole ; & ceux qui ne le connoîtront
que par cet abrégé , n'en feront que plus
excités à lire ſes traités en entier.
ELÉMENS de Juriſprudence , par M. Rebelleau
, ſeconde édition , revue , corrigée
& augmentée. A Paris , chez Cellot , Imprimeur-
Libraire , grand ſalle du Palais ,
près l'eſcalier de la Cour des Aydes , &
chez Robin , Libraire , rue des Cordeliers ,
1765 ; avec privilége du Roi ; deux parties
in- 12 , formant enſemble environ 300
pages.
L'Auteur de cet ouvrage avoit écrit une
lettre contre M. de Beaumont , à laquelle
ce dernier a répondu dans le Mercure de
Février de cette année 1765. M. Rabelleau
nous a envoyé une replique pour être inférée
à la ſuite de l'annonce de fon Livre.
Nousdeſirons que cette replique termine la
querelle , ou qu'il nous ſoit permis de n'en
plus faire mention dans les Mercures fui-
ب
vans.
Evi
108 MERCURE DE FRANCE.
RÉPONSE à la lettre de M. DE BEAUMONT
à M. R *** , inférée au Mercure
de Février 1765 .
Je réponds à votre lettre, Monfieur, non
pour vous dire que ſi vous aviez lu mon
ouvrage , vous auriez vu que j'ai lu le vôtre
attentivement, & que j'ai fait plus que le
parcourir ; que j'ai parlé du douaire nonſeulement
à fon article , mais encore aux
mots contrat de mariage , immeubles , réconstitution&
renonciation ,non pour vous
dire qu'il eſt très-vrai , & qu'il n'eſt point
faux que le remplacement des arrérages négligés
, foit fait en pluſieurs fois ; qu'autrement
ce ſeroit récompenfer la négligence
; qu'à la vérité ce remplacement pour
les petites parties qui ſont plus communément
négligées eſt ordonné dans la même
année , & que c'eſt ici le cas de la faveur
où l'exception à la règle eſt plus générale
que la loi même , parce que toutes ces perites
difcuffions ne font point affez intéreffantes
pour meriter d'entrer en lice & chercher
un combat littéraire , dans lequel vous
m'annoncez modeſtement vous-même que
vous auriez l'avantage ; mais ſeulement
pour vous faire connoître votre erreur au
ſujet de l'exclamation par laquelle vous
AVRIL 1765 . 109
finiſſez votre lettre. D'ailleurs , dites-vous
est laborare pro patria. Faire unLivre
de
d. Ice
qui traite de la manière d'acquérir ,
vendre , d'achetter , de donner , de léguer ,
de laiſſer par ſucceſſion & de recevoir des
rentes , droit qui appartient également aux
étrangers comme à nous , c'eſt , ſelon vous,
travailler pour ſa patrie. Ce ſera lorſque
vous travaillerez ſur les moyens qui vont
être employés pour les éteindre , que vous
pourrez appeller cela laborare pro patria.
la
Il réſulte de la matière que vous avez
traitée , des inconvéniens préjudiciables à la
focieté , au commerce & aux moeurs , auxquels
on n'avoit peut-être point encore fait
juſqu'àce jour toute l'attention qu'ils meritent.
Il en réſulte d'un côté que le plus
grand nombre des rentiers qui ont retiré
leurs fonds du commerce pour les placer
dans les emprunts publics , foit au moment
de la création des rentes , foit depuis par
voie des tranſports & des réconſtitutions ,
s'imaginent qu'en acquérant ces rentes ils
ontacquis enmême temps le droitde vivre
retirés , ignorés , inutiles , & à charge à la
ſociété;tandis que d'un autre côté, d'autres,
leurs parens & leurs proches , quelquefois.
leurs propres enfans , pour l'intérêt de leur
crédit , l'honneur de leur commerce , &
fatisfaire à des engagemens , font réduits à
TTO MERCURE DE FRANCE.
trafiquer de ces mêmes rentes fur la place
publiquement , à un prix vil, avec des Particuliers
qui ne les acquierent que pour les
rendre quelque temps après à ces mêmes
gens oififs & retirés ; heureux encore lorfqu'ils
ne font point obligés d'y joindre
d'autres effets tirésdu fond même ducommerce.
De-là ces inégalités prodigieufes
de fortunes dans les mêmes conditions :
de-là ces célibataires de profeſſion parce
que leur revenu eſt trop élevé ou trop audeſſous
de leur état : de-là ces mariages
difproportionnés d'âge , de fortune & de
conditions , déſapprouvés par les loix ,
malgré le confentement même des parens ,
qui , loin d'unir deux familles, fervent au
contraire le plus ſouvent à les diviſer entre
elles : de- là le luxe & lamifère , les défordres
& la licence.
Je fuis , &c.
RABELLEAU .
CATALOGUE des Livres de la bibliothéque
de feue Madame la Marquiſe de Pompadour
, Dame du Palais de la Reine. A
Paris , rue S. Jacques , chez Jean- Thomas
Hérifſfant , imprimeur du Cabinet du Roi,
Maiſons & Bâtimens de S. M. & chez
Jean-Thomas Hériſſant,fils, Libraire, même
AVRIL 1765 . FID
maiſon , 1765 , avec approbation ; un vo
lume in- 8º de près de 500 pages.
La bibliothéque dont on débite actuellement
le catalogue , contient quelques
parties de preſque tous les genres de littérature.
Les claſſes les moins nombreuſes
renferment néanmoins des objets capables
de fixer l'attention du lecteur. Celles des
Belles-Lettres & de l'Hiſtoire font les plus
riches. La partie du Théatre eſt une des
plus complettes. C'eſt principalement dans
cette partie qu'on a multiplié les foins ,
pour montrer la fuite des Poëtes dramatiques
, &mettre le plus de clarté qu'il a été
poffible dans l'immenſe quantité des pièces
détachées. L'ordre alphabétique , felon lequel
elles font rangées , donnera aux perfonnes
qui les raſſemblent une connoiffance
facile pour trouver les pièces qui leurmanquent.
La collection des romans eſt encore
très-conſidérable , & ceux qui ont dans ce
genre le goût des exemplaires rares & curieux
, trouveront à le fatisfaire. L'Hiſtoire
fournit auſſi pluſieurs diviſions aſſez abondantes
, telles que celles de l'hiſtoire de
France & de l'hiſtoire littéraire. Dans
celle-ci , le recueil des Mercures eſt un des
plus complets & des plus riches qu'il y ait
enEurope. Très-peu de cabinets particuliers
poffedent une ſuite auſſi exacte de nos
112 MERCURE DE FRANCE.
1
opera ; & parmi les Livres d'eſtampes ,
on trouve ce qu'il y a de plus beau & de
plus rare en épreuves d'après les grands
maîtres. Ce catalogue , dont on ne peut
trop louer l'ordre & la méthode , eſt terminé
par une table alphabétique des Auteurs,&
une autre des Ouvrages anonymes.
La vente de ces Livres ne tardera pas à être
indiquée dans les écrits publics & par des
affiches particulières ; &l'ordre des vacations
par des liſtes que l'on diſtribuera
chaque ſemaine. On nous a dit que Jean-
Thomas Hériſſant fils avoit eu beaucoup
de part à ce catologue. Ce travail lui fait
honneur : il eſt rare de réunir à fon âge
plus de connoiſſance dans ce genre , &
plus de juſteſſe & de préciſion dans l'efprit.
La Bardinade , ou les Noces de la Stupidité
, poëme diviſé en dix chants , avec
cette épigraphe :
Tanta molis erat Bardorum condere gentem.
Eneid. lib . 1 , 1765 .
vol. in- 8º de 190 pages ; chez les Libraires
où ſe diſtribuent les nouveautés .
La ſtupidité veut établir ſon trône dans
l'empire de l'Europe qui ſe dit le plus
éclairé , & ramener par-là l'Univers à fa
barbarie primitive. Voilà l'objet de ce
AVRIL 1765. 113
poëme , qui ne contient aucune perſonalité.
STULTITIÆ laudatio ; deſiderii Erafmi
declamatio ; editio caftigatiſſima ; Londini
, & venit Parifiis apud Barbou , via
Mathurinenfium ; 1765 ; volume petit in-
৪১.
Cette nouvelle édition latine de l'Eloge
de la Folie , par Eraſme , eſt ſupérieure à
toutes celles que nous avons vues juſqu'à
préſent. Elle eſt imprimée en petit nombre,
& eſt faite pour aller à la ſuite de la fuperbe
collection des Auteurs latins, fi connue
ſous le nom d'édition de Barbou. Ily
a à la têtede ce petit ouvrage une très-jolie
eſtampe , & le papier , qui a été fabriqué
exprès , en est très-beau. Le même Libraire
débite la nouvelle édition de l'introduction
àla Syntaxe latine, pour apprendre aiſément
à compofer en latin , avec des exemples de
thèmes , &c; par M. Klarke , Principal du
college de la ville de Hull, dans le comté
d'Yorck , ouvrage traduit ſur la fixieme
édition angloiſe ; un vol. in- 1 2.
ر
ARBRE chronologique de l'hiſtoire univerſelle
, ou tableau des principaux Etats
Souverains du monde , de l'époque de leur
établiſſement , de leur durée , de leurs fon
114 MERCURE DE FRANCE.
dateurs ,du nombre de leurs Princes &de
ceux qui regnent à-préſent , avec une idée
desprincipales révolutions qu'ils ont fouffertes
, mis dans un ordre fucceffif & propreàen
donner une connoiſſance claire&
exacte; ouvrage néceſſaire aux jeunes gens
qui ſe propoſent d'étudier l'hiſtoire , &
utile aux perſonnes qui la poſſedent ; par
M. Renaudot , avec cette épigraphe :
Omnes ordine nettere partes
Et feries rerum , & certos fibi ponere fines.
Vid. Art. poet.
'A Paris , chez l'Auteur , rue S. Antoine ,
place Baudoyer , à l'hôtel de Malthe , &
Brocas , Libraire , rue S. Jacques , au chef
S. Jean ; 1765 ; avec approbation &privilege
du Roi ; un vol. in - 12 .
Ce Livre est l'explication d'un arbre
gravé fur une grande feuille qui ſe vend
ſéparément , & où l'on voit d'un coup
d'oeil , & fans confufion , tout ce qui eſt
annoncé dans le titre que nous venons de
rapporter. Nous croyons qu'il eſt peu de
méthodes auffi faciles pour apprendre l'hiſtoire
, & qu'il feroit difficile d'y mettre
plus d'ordre & de clarté qu'il y en a dans
cet ouvrage. L'Arbre & le Livre ſont également
néceffaires ; l'un parle aux yeux , &
l'autre à l'efprit; & tous deux font de la
AVRIL 1765 .
plus grande reſſource pour l'étude de l'hif
toire de tous les Etats politiques de l'Univers.
AVIS.
MONSIEUR de Bury, Auteur de lavie
d'Henri IV, avec figures , avertit les perſonnes
qui ont eu la bonté de foufcrire
pour fon ouvrage, qu'il est bien faché de
ne pouvoir fatisfaire dans le temps qu'il
l'avoit promis , à l'engagementqu'il a contracté
avec le Public , ayant été retardé par
la maladie de fon Graveur ; mais il a pris
des juſtes mefures pour délivrer l'ouvrage
entierdans la fin du mois de Maiprochain.
Il eſt imprimé , à l'exception de la table. II
ne manque plus à graver que deux portraits
, dont l'un eſt celui d'Henri IV,
qui eſt commencé , & qui demande les
plus grands foins & les plus grandes attentions.
AVIS ſur la Bible latine & françoiſe ,
avec les Commentaires du P. Carrieres ,
vol. in 4°. 1750 .
La Bible de Carrieres , que l'on propoſe
aujourd'hui , eſt en 6 vol. in-4º de 800
pages chacun ,ornée de cartes& vignettes,
116 MERCURE DE FRANCE.
& imprimée en beaux caractères & fur de
beau papier. Pour en faciliter l'acquiſition à
ceux qui n'ontpas ce Livre ſacré,ouqui l'ont
ſans commentaires , le Clerc , Libraire à
Paris ſur le quai des Auguſtins , le propoſe
à 15 liv. en feuilles juſqu'au premier Juillet
prochain ; paſſé lequel temps , s'il lui en
reſte , il les vendra comme ci-devant. Il
yen a quelques exemplaires en papier fin ,
qu'il vendra 18 liv. au lieu de 48 livres
qu'ils ſe vendoient.
L
AVIS.
E fieur Defaint , Libraire , rue Saint-
Jean-de-Beauvais , vient d'acquérir la collection
de déciſions nouvelles , & de notions
relatives à la Juriſprudence actuelle ,
par Mº J. B. Denifart , Procureur au Châtelet
de Paris ; in-4º , trois gros volumes :
prix relié 36 liv.- Les Actes de notoriété
donnés au Châtelet de Paris , ſur la Jurifprudence
& les uſages qui s'y obſervent ,
avec des notes , par le meme Auteur ; un
vol. in-4° : prix relié 12 liv. Il eſt actuellement
feul propriétaire de ces deux excellens
ouvrages , en ayant acquis la totalité
des exemplaires avec le privilége du Roi.
AVRIL 1765. 117
ARTICLE III .
SCIENCES ET BELLES -LETTRES.
ACADÉMIES.
MATHEMATIQUES.
A Monfieur DE LA PLACE , Auteur du
Mercure de France .
CN lit, Monfieur , dans les Mémoires
de l'Académie royale des Sciences deBerlin
pour l'année 1749 cette lettre de M.
d'Alembert à M. de Maupertuis : « c'eſt
ود ſans doute par inadvertance , Monfieur,
>>que M. Euler m'a fait l'honneur de me
>> citer dans vos Mémoires de 1741 , com-
>> me auteur d'uu théorême ſur les équa-
>>tions différentielles à trois variables que
>> je n'ai jamais prétendu m'approprier , &
>> dont je n'ai même fait mention juſqu'ici
>>dans aucun de mes ouvrages. Ce théo-
>> rême appartient à M. Fontaine , ainfi
>>qu'un grand nombre d'autres découver118
MERCURE DE FRANCE.
> tes ſur la même matière qu'il feroit à
> ſouhaiter que l'Auteur publiat.
Il vient de le faire , Monfieur , en un
volume grand in-4° d'environ 600 pages ,
qui a pour titre , Mémoires donnés à l'Académie
Royale des Sciences non imprimés
dans leur temps ( 1 ). Vous voudrez bien
Monfieur , inférer dans votre Journal cette
courte hiſtoire des pièces contenues dans
ce recueil deſiré depuis fi long-temps.
,
Tous les Géometres connoiſſent cette
queſtion de la théorie des maximis & minimis
, trouver entre deux points donnés
fur une ſurface courbe quelconque la ligne
la plus courte. Ce problème furréſolu d'abord
par MM. Jacques Bernoulli & Taylor.
La ſolution qu'en donna M. Fontaine en
1732 , beaucoup plus fimple & plus générale
, devint bientôt publique : mais on ne
nomma pas l'auteur. Un tel oubli eft fouvent
cauſe qu'on attribue des découvertes
àceux qui ne les ont pas faites ; & peu
d'hommes font auſſi déſintéreſlés & auffi
riches que M. d'Alembert pour ne pas jouir
de l'erreur pulique. A-peu-près dans le
même temps notre Auteur déterminoit la
courbe de la moindre action ; celle que
(1 ) Ce volume ,bien imprimé à l'Imprimerie
Royale , ſe vend aux Tuileries , au bas de l'eſcalier
del'Orangerie ; 12 liv. 10 ſols broché.
AVRIL 1765. 119
doit embraſſer un angle donné pour que
ſon ſommet puiſſe gliſſer le long d'une
courbe donnée , & celles qui ſe développent
elles-mêmes. Ce dernier problême eſt
undes plus curieux qu'on ait jamais propoſés.
M. Hughens trouva le premier que la
cycloide ordinaire étoit une de ces courbes.
Depuis M. Jacques Bernoulli y ajouta la
logarithmique ſpirale. Eufin dans le tome
II . des Mémoires de Pétersbourg M. Krafft
démontre que toutes les épicycloides , les
cycloides ordinaires ,& les logarithmiques
ſpirales , font des courbes qui ſe développent
elles - mêmes. Ce ne fut qu'en
1734 que M. Fontaine donna ſa ſolution
des courbes tautochrones : elle eſt fi fimple
, qu'on ne parla plus de ce problême
que l'ouvrage de M. Jean Bernoulli avoit
rendu fameux .
Le théoreme fondamentaldu calcul intégral
de notre Géometre fut trouvé bientôt
après la ſolution du problême précédent,&
eſt une ſuite de la méthode de cette
ſolution. Lorſque M. Nicole lut à l'Académie
le Mémoire qui a pour titre : Usage
desfuites pour lafolution de certains problêmes
qui ſeroit impoſſible ſans cela , il
les réſolut exactement par le moyen de
fon theoreme. Quelqu'un a mis depuis
pro
120 MERCURE DE FRANCE.
peu cette folution dans undes volumes des
Lavans étrangers.
Vous voyez , Monfieur , que dès la fin
de 1734 on commençoit à preſſentir les
grandes découvertes que M. Fontaine feroit
un jour dans les nouveaux calculs. Ce
ne fut cependant qu'en 1738 qu'il trouva
cette belle méthode de reconnoître quand
une différentielle compoſée de pluſieurs
variables eſt la différentielle exacte de
quelque quantité. Des perſonnes qui en
eurent la communication l'envoyerent à
MM. Bernoulli & Euler. Elle ne devint
publique qu'en 1740 , M. Clairaut s'en
étant ſervi avec ſuccès dans les Mémoires
de l'Académie qui parurent alors. On la
trouva auſſi dans la ſeconde partie du calcul
intégral de M. Bougainville : mais elle
n'eſt démontrée que dans le volume que
j'annonce. M. Fontaine avoit juſqu'ici caché
la route qu'il a toujours ſuivie pour
parvenir à fon but.
M.. de Bougainville dit quelque part
"que le Public attend avec impatience le
>> calcul intégral de M. Fontaine. Son but
>> eſt de réduire tout ce calcul à une régle
>> fondamentale & générale ». Cette dernière
phrafe feroit-elle bien exacte ? Ne
pourroit-elle pas faire croire que le Géomètre
dont il s'agit ne regardoit aucune
équation
AVRIL 1765. 121
équation différentielle comme non intégrable
: ce qui ſeroit abfurde : ce qu'il
s'eſt toujours propoſé , c'eſt de trouver une
méthode unique pour intégrer tout ce qui
eſt intégrable. Que peut-on defirer de
plus ? Avant lui tout l'art des intégrations
ne conſiſtoit que dans la ſéparation des indéterminées.
Je ne connois qu'une méthode
de M. Jean Bernoulli. ( Mémoires
de Pétersbourg , tome 1.) où il ne ſoit pas
néceſſaire de recourir à cette opération :
encore n'integre-t-il que des équations fans
paramètre. Avant M. Fontaine on ne favoit
point encore qu'une équation aux
ſecondes différences a deux intégrales aux
premières ; qu'une aux troiſiemes en a trois
aux fecondes. On ne ſavoit point que
pour chaque intégrale d'une équation aux
premières différences , il n'y a qu'une feule
équation aux premières différences dont
elle foit l'intégrale ; que pour l'intégrale
d'une équation aux ſecondes différences ,
il n'y a qu'une équation aux ſecondes différences
dont elle foit l'intégrale , & ainſi
de ſuite ; & réciproquement on ne ſavoit
pas que la dernière intégrale , c'est-à-dire ,
l'intégrale finie d'une équation différentielle
d'un ordre quelconque , eſt unique.
A cette grande généralité notre Auteur
joint encore le mérite de la fimplicité : il
Vol. II.
F
122 MERCURE DE FRANCE.
réduir tout le calcul intégral à n'avoir jamais
à intégrer que des équations différentielles
fans radicaux.
Il ne manquoitplus à M. Fontaine pour
avoir perfectionné toute l'analyſe algébrique
que de réfoudre les équations de tous
Jes dégrés. Vous favez , Monfieur , que dès
lespremiers temps on réſolut celles du fecond
dégré ; qu'enfuite vint la méthode
de Cardan pour le troiſieme , qui fut fuivie
de celle de Descartes pour le quatrieme.
On voit dans les Mémoires des Académies
que les plus grands Géomètres ont
entrepris des travaux inconcevables fans
avoir pu paffer outre. Cet art entre les
mains de notre Géomètre perd toute fa
difficulté. S'il en reſte une elle ne vientque
de la longueur indiſpenſable des calculs.
M. Fontaine ne s'eſt pas feulement appliqué
à la géométrie pure , comme on
auroit voulu l'infinuer. Dès 1739 il avoit
publié grand nombre de principes pour
réfoudre les problêmes ſur lemouvement
des corps. Celui-ci , dans le conflit de plufieurs
corps , quelle qu'en foit la cause , les
changemens qui arriveront aux états de ces
corps dans l'espace ,feront tels que les forces
qu'ils avoient pour s'y refuser feferont
vaincues mutuellement , ou auront été en
équilibre , est d'une fécondité admirable,
AVRIL 1765. 123
non
M. d'Alembert s'en fert pour réfoudre
ſeulement toutes les queſtions de
dynamique , il en déduit auffi pluſieurs
propriétés fingulières du centre de gravité
, & il en fait le plus grand uſage dans
ſes recherches fur la préceſſion des équinoxes
, dans fon eſſai ſur la réſiſtance
des fluides , & dans ſes réflexions ſur la
cauſe des vents. M. Fontaine , en lifant tous
ces excellens ouvrages du Géomètre philofophe
, doit s'être ſouvent applaudi d'une
ſemblable découverte. Ses autres principes
entre des mains habiles ne ſeroient peutêtre
pas moins féconds que celui-ci. J'en
prends à témoin le petit nombre de problêmes
choiſis qu'il réſoud. Je n'entrerai
dans aucun détail ſur fa nouvelle méthode
d'approximation pour la ſolution des problêmes
qui fe réduiſent aux quadratures ,
ni ſur ſa théorie des logarithmes. Je ne
parlerai pas non-plus de la ſolution qu'il
donne d'un problême ſur les jeux dehafard.
Il me tarde d'arriver à deux ouvrages
qui mettent le comble à ſa gloire: ſa ſolution
duproblême des trois corps,&fa théorie
des comètes. Après avoir propofé ſes
doutes fur les méthodes d'approximations
dont plufieurs Géomètres ſe ſont ſervis
pour déterminer le mouvement de la lune
autour de la terre , M. Fontaine tente lui
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
même de parcourir cette mer fameuſe par
les naufrages de pluſieurs hommes célèbres.
Il réduit tout le problême à réfoudre deux
équations , dont l'une eſt du ſeptième dégré
, & l'autre du quatrième. Je remarque
que le lemme fondamental de cette folution
eſt une théorie toute neuve & trèsbelle
des différences finies , ou ſi l'on veut
des interpellations. Dans l'autre problême
il ſe propoſe de déterminer dans le ſyſtême
de M. Newton la trajectoire d'une comète,
par le moyende trois obſervations , en fuppoſant
qu'elle ſe meut dans une ellipfe
infiniment allongée , ou dans une parabole.
Voilà , Monfieur , une legère idée du
ſavant ouvrage de M. Fontaine , que je
n'aurois pas eu l'honneur de vous adreffer
ſi je n'euſſe éte frappé du filence affecté de
tous les Journaliſtes. Ils ſont ſi empreſſés à
nous faire connoître toutes les bagatelles
qui paroiſſent journellement ; pourquoi
tardent- ils ſi long-temps à aſſurer la France
que dans le ſiécle préſent aucune nation
de l'Europene peut lui diſputer le pas dans
les ſciences mathématiques?
J'ai l'honneur d'être , &c .
CRUD , Profeffeur deMathématiques
du Régiment du Roi.
DeBesançon , ce 28 Janvier 1765 .
1
AVRIL 1765 . 125
MÉDECINE.
LETTRE de M. BONAMY , Docteur-Regent
en Médecine dans l'Univerſité de
Nantes , aſſocié à l'Académie Royale
des Belles - Lettres de la Rochelle , à
M. GIRARD DE VILLARS , Docteur
en Médecine , titulaire & afſocié de la
même Académie .
MONSONISEIEUUR ET CHER CONFRERE.
J'AI lu dans le Mercure de France l'extrait
du mémoire que j'ai adreſſé à l'Académie
de la Rochelle touchant la fille
ſans langue qui parle. Cet extrait eft trèsbien
fait. J'ai cependant remarqué qu'il
s'y étoit gliſſé quelques fautes , ſans doute
par inadvertance.
1º. Après avoir fait mention de Pierre
Durand, jeune Poitevin , qui après avoir
auſſi perdu fa langue à la fuite d'une petite
vérole maligne , ne fut pas privé pour
cela de l'uſage de la parole , on me fait
dire ce qui fuit : « On trouve de pareilles
>> obfervations dans les oeuvres de Riolan ,
>> de Bartholin , &c. au lieu que j'ai écrit :
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
» Cette même obfervation est rapportée
» dans l'Artropographie de Riolan , dans
» l'Anatomie de Bartholin , &fur- tout dans
>> le Dictionnaire de Bayle , au mot Céri-
>> fantes ».
"
En effet, ce n'eſt que la même obfervation
rapportée par pluſieurs Auteurs
différens. Voici ce que dit Roland de
Belebat dans la Préface de ſa brochure ,
dont le titre grec déſigne la deſcription
d'une bouche ſans langue. Les plus
> doctes ont bien de la peine à croire ce
>> fait , s'ils n'en font eux-mêmes les té-
>> moins & les juges , entre leſquels étoit
>> cet incomparable Anatomiſte M. Rio-
>> lan , auparavant que M. Duncan & moi
>>lui euſſions adreffé ce jeune enfant du
>>Poitou » .
Ledit fſieur Riolan , dans ſon Antropographie
, au chap. 8 du liv. 4 , ne rapporte
d'autre obſervation de cette eſpéce
>> que ce qui fuit : « Vidimus Parifiis ex
» Pictonum regione puerum quinquennem
» ex malignis variolis miferè affectum ,
» erofam linguam expuiſſe integra manente
» vulva , absque ullo aut exiguo locutionis
detrimento .
د
Bartholin au. Chap . XIII du liv. 3
de fon Anatomie, cite le même fait , après
avoir rapporté celui dont il eſt fait mention
dans Fulpius. Voici ſes paroles :
AVRIL 1765. 127
«Miraculo vicinum , quod juvenis ille Ve-
>> lopienfis cui Turca linguam radicitus exci-
>>ciderant fit locutus. Salmuri aliis ex va-
>> riolis totam expuit fine vocis defectu.
,
La note du Dictionnaire de Bayle sau
mot Cériſantes , parle auſſi du même enfant.
Voici l'extrait de cette note : " il
>> avoit un valet ( Duncan , Médecin à Sau-
>>mur , père de Cériſantes ,) dont le fils
>> âgé de douze à treize ans , cracha fa
>>langue en touffant & la porta à fon
>> père. Tenez , lui dit-il , voilà ma lan-
>> gue que je viens de cracher. Ce garçon
>> parla auffi-bien après cet accident , ( qui
>>lui vint fans doute de la petite vérole ,
>> qui lui avoit mangé la racine de la
>>langue ) qu'il faifoit auparavant , hormis
>>qu'il prononçoit avec peine la lettre R.
>> Il fut promené par toute l'Europe , & a
>> vécu long- temps. Un Chirurgien de
>>Saumur ayant compofé ſur cela un
>> traité dont M. Duncan lui donna le
>> titre , ſavoir , Agloſſoftomographie , un
>> autre Chirurgien qui n'aimoit pasDunfit
imprimer une diſſertion pour
" prouver qu'il falloit dire Agloſſoſtoma-
> tographie , & mit ces vers à la tête de
>> fon écrit :
» can ,
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
<< Lecteur tu t'émerveilleras
>>>Qu'un garçon qui n'a point de langue
>> Prononce bien une harangue ;
>>>Mais bien plus tu t'étonneras
>>>Qu'un barbier qui ne fait pas lire
>>>Le grec , ſe mêle d'en écrire.
>> Que ſi ce plaiſant épigramme ,
>> Doux fruit d'un penſer de mon âme ,
>> Te ſemble,n'aller pas tant à mal ,
>> C'eſt que je l'ai fait à cheval >>.
>> Quelques gens malins changerent le
>>dernier vers dans les exemplaires qu'ils
>>purent trouver , & y mirent , c'est que
>>je l'ai fait en cheval.
Quelques recherches , Monfieur , que
j'aie pu faire dans les différens Auteurs
, je n'ai pu trouver que les trois
obſervations citées dans mon Mémoire
qui aient rapport à celle dont Marie
Grelard fait le fujet.
د
La première eſt celle qui regarde le
nommé Pierre Durand, jeune Poitevin
dont je viens de parler ,& qui eſt rapportée
par Roland de Belebat , par MM.
Riolan , Bartholin ,Bayle , même par MM.
Winflou & Verdier dans leurs Traités
d'Anatomie , & par M. le Cat dans ſon
Traité des Sens .
La ſeconde eſt celle dont Tulpius fait
AVRIL 1765. 129
mention dans le chap. 41 du premier liv.
de fes obfervations .
Enfin la troifiéme eſt celle touchant la
fille Portugaiſe née ſans langue , dont M.
Antoine de Juffieu a donné la relationdans
les Mémoires de l'Académie Royale des
Sciences de l'année 1718 .
On trouve à la vérité dans la Vie des
Saints de Baillet ( vie de S. Reparat ; ) dans
Evagre , Hift. ecclef. Lib. IV. Chap . XIV ;
& Greg. Lib. 3. Dial. 32 , des exemples
de Martyrs qui parloient , quoiqu'on leur
eût coupé la langue juſqu'à la racine : mais
ces faits ont été des miracles.
2º. Les autres fautes legères que j'ai
remarquées dans l'extrait de ma relation
inférée dans le Mercure, font qu'on a écrit
Balebot ( 1 ) au lieu de Belebat , Bertholin
au lieu de Bartholin ; la conduite du nez , au
lieu des conduits du nez ; Marie Greland ,
au lieu de Marie Grelard.
Il m'a ſemblé auſſi qu'on avoit fupprimé
de mon Mémoire un ou deux articles ,
qui avec ceux qu'on y a laiſſés , aidoient
je crois beaucoup àl'explication du phénomène.
J'ai l'honneur d'être , &c .
BONAMY , D. M.
( 1 ) Si MM. les Auteurs avoient la bonté δε
crire , d'une façon un peu plus liſible , ils nous
feroient moins ſouvent ce rapproche.
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
ASTRONOMI E.
LORSQUE ORSQUE nousavons annoncédans notre
Mercure du mois de Mars les hémisphères
celeftes avec un Mémoire , fous le nom d'Uranographie
, par M. Robert de Vaugondy ,
nous ne ſavions pas que l'Auteur faifoit à
ce Mémoire une addition conſidérable ,
qui confifte en une notice de toutes les
étoiles connues juſqu'à préſent, & déſignées
par leurs grandeurs avec les caractères grecs
& romains. Ce Mémoire , qui ne contenoit
en premier que ſeize pag. in-4°
renferme actuellement 49. Nous croyons
faire plaifir aux Amateurs en réïtérant
P'annoncede cet ouvrage , qui eft préſentement
complet.
en
Le prix des deux hémisphères en feuille ,
grand aigle , avec le Mémoire , eſt de 7 liv.
41.
Il ſe vend chez M. Robert , Géographe
ordinaire du Roi , quai de l'horloge du
Palais , près le pont-neuf.
AVRIL 1765. 131
i
ARCHITECTURE.
ETAT de l'oeuvre de gravure que M. DUMONT ,
Prefeffeur d'Architecture , & Membre des Académies
de Rome , Florence & Bologne , vient de
terminer. AParis , le 24 Janvier 1765. Avec
privilègedu Roi.
SAVOIR.
1º. Méthode de l'Auteur
pour accoupler les
colonnes & pilaftres de
l'ordre dorique.
2°. Parallele d'entablement
& de charpente à
l'italienne , agréé & approuvé
par l'Académie
Royale d'Architecture.
3°. Suite de croifées
des plus beaux palais de
Rome.
4°. Suite de ruines
d'architecture.
5. Divers morceaux
d'architecture de l'Auteur.
6°. Autre ſuite du
même , dont fix perſpectives
& deux plans géométraux..
Nombre des
Prix
petites grandes
planches. planches de chaque
par chaque fuite
P.
12
fuite.
liv.
I10
10 2 I10
9
1 I IQ
3
241
15 3
8 6
F vj
132 MERCURE DE FRANCE .
7° . Suite de plans , coupes &
élévations de trois temples de la
ville de Paſtum ou Poffidonia ,
ville affez conſidérable de la grande
Grèce , près de Salerne , agréée &
approuvée par l'Académie .
8° . Suite d'études d'Architecture
de différens maîtres Italiens .
9. Parallele de ſalles de ſpectacles
d'Italie & de France , agréé
& approuvé par l'Académie.
10. Sacriftie de N. D. de Paris,
compoſition de M. Souflot.
II . Suite des élévations &
profils en entier de la baſilique de
Saint Pierre de Rome , approuvée
& agrée par l'Académie .
12. Autre ſuite de détails des
plus intéreſſantes parties d'architecture
de la baſilique de St. Pierre
de Rome , examinée & approuvée
par l'Academie , & dédiée à M. le
Marquis de Marigny. •
Total.
Total général des planches &montans , & c .
Cet oeuvre ſe trouve
AParis , chez
7
6 I 10
26 6
143
146 :
6415
55571
I
212
51
L'Auteur , à l'Hôtel de Jabach ,
rue Saint Merry.
La veuve Chereaux , aux deux
Piliers d'or.
Mrs Joulain , père & fils , quai
de la Mégifferie , à la ville de
Rome.
Le même ouvrage ſe vend auffi
chezM.Huquier lepère, marchandd'eſtampes,
rue des Ma
thurins , près la Sorbonne.
AVRIL 1765 . 133
-
EXTRAIT des registres de l'Académie
Royale d'Architecture , du Lundi 17
Décembre 1764.
MESSIEURS Souflot & Franque , qui
avoient été nommés par l'Académie pour
examiner les dernières planches que M.
Dumont a ajoutées à celles qu'il avoit déja
préſentées , &qui ont été gravées d'après
ſes deſſeins , ont reconnu que celles qui
concernent Saint Pierre de Rome , ne
peuvent que rendre ſa collection des gravures
de ce vaſte édifice plus intéreſſante.
Ils ont vu auſſi avec plaiſir que M. Dumont
a mis au jour des plans & élévations des
temples de Poeftum ou Poffidonia , ville
affez conſidérable de la grande Grèce , près
de Salerne , qui font d'autant plus importans
pour l'Architecture , qu'ils donnent
connoiffance de l'ordre dorique dans des
temps plus rapprochés de fon origine ; &
enfin , qu'il a publié plufieurs grands théâtres
d'Italie & de France ſur une même
échelle , ainſi que quelques charpentes Italiennes
très - folides , quoique ſimples &
légères. La Compagnie , après avoir entendu
le rapport des Commiſſaires , & vu
134 MERCURE DE FRANCE.
toute la collection qui en eſt l'objet , a
regardé le travail de M. Dumont comme
une preuve de fon zéle pour remplir les
deſirs de l'Académie , & fe rendre utile
au Public.
Je Souſſigné , Secrétaire perpétuel de
l'Académie Royale d'Architecture , certifie
l'extrait ci - deſſus conforme aux registres.
de ladite Académie. A Paris , le 22 Janvier
1765 .
Signé CAMUS.
GÉOMÉTRIE.
Problême.
LE centre d'un cercle étant perdu , &
connoiffant feulement les côtés d'un triangle
qui lui eſt infcrit ; on demande de
trouver le rayon de ce cercle par une méthode
facile , à l'aide du calcul, & fans fe
ſervir de la régle & du compas.
Nota. La figure géométrique néceſſaire
pour démontrer cette méthode devant être
affez simple , on croit qu'ilfuffira du difcours
pour se faire entendre , au moins de
ceux quifont exercés aux folutions .
Par un Etudiant en Mathématiques
au Collège de Vienne enDauphiné
AVRIL 1765 . 135
:
ARTICLE IV..
BEAUX ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE ( I ) .
LETTRE du Frère Cosme à l'Auteur du
Mercure , pour fervir à la défense du
lithotome caché , attaqué dans le premier
volume de Janvier 1765 , page 145 &
Suivantes ,fous le nomde M. FLURANT,
Maître en Chirurgie à Lyon.
MONSIEUR ,
Si le bien public ne l'emportoit ſurmon
averſion pour les diſputes ,je ne groffirois
pas la multitude des écrivains qui ſollicitent
des places dans votre Journal , où mon
nom ne parut jamais comme aggrefleur.
Si M. Flurant ſe fût borné au fait hiftori-
( 1 ) Cet lettre n'a pu être plutôt inférée
dans notre Jurnal ,
136 MERCURE DE FRANCE.
que fingulier de fon obſervation , je tâcherois
d'en profiter comme tant d'autres , malgré
le louche que pluſieurs circonstances
y répandent. On y laiſſe à deviner l'âge du
malade qui a été taillé ; cependant il entre
pour beaucoup dans l'effet des maladies
en général , & plus encore dans les
pierreux que dans tous autres cas. On en
fait autant des inſtrumens prétendus uniques
, dont on s'eſt ſervi ; reticence qui
prive de tous les moyens de pouvoir imiter
le procédé qu'on dit avoir ſuivi . On
uſe de la même réſerve à l'égard de ce
cylindre à l'esprit de vin , qui fait l'office
d'un véritable niveau ; invention plus unique
encore , entierement inconnue juſqu'à
ce jour dans la lithotomie , & par lefecours
de laquelle on prétend diriger des inftrumens
qu'on ne fait pas connoître davantage.
Enfin , on a tiré vingt-quatre pierres ,
dont la balance n'a pu fixer le poids au
juſte ; & pour en publier un , on l'établit
de 15 à 16 onces. S'il eſt un public indulgent
fur cet article , les Cours des monnoies
ne le feroient pas certainement pour
les Officiers de leurs détails.
Je ferois porté à penfer que ces obſervations
contre leſquelles je me ſens obligé
de réclamer , ne font pas l'ouvrage de M.
AVRIL 1765 . 137
Flurant ſeul ; avec de la bonne foi , l'expérience
l'auroit arrêté. On doit bien plutôt
les conſidérer comme une affiche , difons
mieux , comme une affectation de la
partdes ennemis du lithotome caché , qui
dans l'impuiſſance où ils ſont d'en méconnoître
entierement l'utilité , voudroient à
la faveur de quelques faits mal préſentés ,
jetter au moins des doutes ſur l'étendue
de ſes avantages. C'eſt à quoi tend évidemment
cette attention finguliere de groffir
les objets , tant du côté de la maladie que
de celui du ſuccès. On vouloit par- là préparer
l'eſprit des lecteurs à donner plus de
croyance à la dégradation qu'on ſe propofoit.
Le récit de l'opération de M. Flurant
fini , ainſi que l'énumération qu'il fait de
quelques auteurs qui ont travaillé à l'avantage
de l'opération laterale à laquelle il at
tribue ſon ſuccès : Il eſt , dit-il , une autre
méthode qui va au même but , mais d'une
façon trop différente pour n'en pas faire
mention ; je veux parler de celle du frere
Côme , connue d'une part par desfuccès ,&
de l'autre , par les obfervations judicieuses
& critiques qu'elle a fuggérées à l Académie.
Puifque M. Flurant cite les obſervations
académiques pour fon appui ; en attendant
un peu plus de loiſir , pour dire au public
:
138 MERCURE DE FRANCE.
la foi qu'il y peut ajouter , il eſt bonque
ce chirurgien apprenne ici que la premiere
deces obfervations , tome IX , in- 12 , pag.
376 , tombe fur un eccléſiaſtique qu'on
m'y fait tailler dans le mois de juin 1755 ,
mort quelques jours après , duquel on ne
cite ni l'âge , ni le nom , ni le pays , ni la
qualité ; que cet eccléſiaſtique n'a jamais
exiſté , que je n'ai taillé aucun eccléſiaſtique
dans tout le cours de cette année cirée.
Je ne m'arrête pas plus long-temps à
ce trait , fur lequel je ſerois en état de défier
tout l'univers. J'y pourrai revenir un
jour , & le public ne fera pas peu furpris
de voir fur combien de ſuppoſitions portent
ces obfervations ſi vantées dans des
écrits publics par les adverſaires de mon
lithotome.
Mais afin que ma défenſe , toute néceſſaire
qu'elle eſt , n'occupe point trop de
place dans votre journal , je la bornerai
ici à quelques faits qui feront connoître
avec combien peu de fondement on prérendroit
reſtreindre l'uſage du lithotome
caché , ſous prétexte des riſques auxquels
il n'expoſe dans aucun cas , & que l'état
du pierreux de M. Flurant qu'on donne
pourfaitfingulier , & conféquemment pour
très dangereux , eſt au contraire le plus
favorable pour le ſalut du malade , lorſque
AVRIL 1765. 139
tout le vice de ſa ſanté s'y trouve raffemblé.
Le volume pierreux mentionné dans la
Isttre , étoit l'ouvrage de pluſieurs années ,
ainſi qu'il s'obſerve preſque toujours en
pareil cas.
La premiere exiſtence de cet affemblage
calculaire cauſe des douleurs plus ou moins
vives au malade ; elles augmentent avec le
volume que le ſédiment des urines groffit
par des nouvelles couches , de la pierre
ſoit unique ou qu'ily en ait pluſieurs. Les
contractions réitérées des muſcles abdominaux
, excitées par les douleurs aiguës que
le malade reſſent chaque fois qu'il urine ,
compriment le volume inteſtinal contre le
colde la veffie ; celui-ci , à fon tour , en
fait aurant contre le corps étranger qui l'irrite
,& force cecorps d'avancer dans l'embouchure
de l'urétre où ſon col ſe termine ;
il les dilate peu- à-peu par ces efforts redoublés
, qui ſe répétent quelquefois jufqu'à
quinze & vingt fois en moins d'une
heure. Le canal de l'urétre qui eſt à peine
d'un double diametre de plume à écrire
dans l'état naturel , acquiert celui de pluheurs
pouces , mais toujours au moins aufli
ample que le corps étranger qui l'occupe.
Ce corps étranger enfin s'avance , fair
bofle au périné , en amincit le plancher ,
140 MERCURE DE FRANCE.
ſi le malade manque de confeil , de cou
rage , ou s'il uſe de trop longs délais pour
s'en délivrer.
Dans cet état , il ne s'agit plus d'employer
des méthodes de tailler. La ſimple
inciſion ſur la tête de ce corps , avec tel
inſtrument tranchant qu'on voudra , fuffira
pour donner priſe à la tenette , pour l'extraire
en total ou en détail. Le paſſage du
furplus en profondeur n'a point beſoin
d'être dilaté , parce qu'il ſe trouve proportionné
de ſoi-même au volume pierreux
qui l'a formé.
Il en eſt de cette circonſtance , à-peuprès
, comme il arrive lorſque le pus formédans
une poitrine ſe manifeſte au dehors
par fluctuation ; on n'y fuit plus les
régles preſcrites pour l'opération de l'empiéme
, il fuffit d'ouvrir l'abcès, tout eſt
dit. De même ici la pierre a quitté les trois
quarts plus ou moins de la capacité de la
veffie ; le moindre inſtrument tranchant
fuffit pour incifer le plancher du périné ;
fi on décore cet inſtrument du nom de
méthode , ce titre eſt gratuit ; mais fi on
ne le lui prodigue que pour en dégrader
d'autres qui le méritent , c'eſt injustice. Les
faits fuivans confirmeront tout ce que je
viens d'expoſer.
Ma premiere taille ſur le vivant avec le
AVRIL 1765. 141
lithotome caché , fut fur un jeune homme
de l'âge de vingt ans , au mois de ſeptembre
1749 , nommé Demay , de la paroiffe
d'Anvers près Pontoiſe ; une groffe pierre
occupoit toute la capacité de la veffie , &
formoit une boſſe ſaillante de quelques
lignes au périné , elle diſputoit le paffage
à la fonde. Je découvris la tête de ce
corps avec un biſtouri , & je gliſſai obliquement
par-deſſous ce volume énorme
la pointe du lithotome caché d'environ un
pouce de profondeur , mais ſeulement pour
achever plus commodément l'ouverture
qui découvriroit la tête entiere de la pierre.
Ce corps monftrueux ſe briſa dans la
tenette , & fut extrait par morceaux ; le
malade guérit ſans éprouver le plus léger
accident. Le trois février 1751 , ce pauvre
malheureux ſe retrouva dans le même état ,
exactement pour n'avoir pas averti plutôt.
Je recommençai la même manoeuvre ; il
futtrès-bien guéri en peu de jours fans aucun
accident ni panfement. Il a été marié
dans la ſuite , a eu pluſieurs enfans , &
n'a point eu de récidive depuis quatorze
ans ( 2 ) .
( 2 ) Quelques ennemis du lithotome caché
ont fourdement répandu qu'il ôtoit la fécondité :
cet exemple du contraire pourroit être appuyé
par beaucoup d'autres.
S
۱
142 MERCURE DE FRANCE.
Il y a plus de fix ans que je taillai le
nommé Boileau , de la Paroiſſe de Balâtre
près de Roye en Picardie , âgé de 27 ans ,
fon urine couloit au dehors par le canal
naturel , à meſure que les reins la fourniffoient
, parce que la capacitéde la veſſie
étoit occupéejuſqu'au périné par huitpierres
réciproquement entaffées par des engrainures
qui les rendoient immobiles ;
elles furent découvertes & extraites comme
dans les deux précédens exemples ,
après avoir aggrandi l'inciſion avec le lithotome
caché comme plus commode , &
non à titre de méthode.
Un Greffier de la jurisdiction de Châlons
en Champagne , âgé de 72 ans , avoit
une pierre d'environ cinq pouces de longueur
( on manqua de la meſurer au juſte )
cylindrique & raboteuſe , plus groſſe du
double par ſa partie poſtérieure que par
l'autre bout qui avoit quatorze ou quinze
lignes de diamètre : elle occupoit la cavité
de l'urétre juſqu'au plancher du périné
qu'elle aminciſſoit ; elle empêchoit le
paſſage de la fonde; le lithotome caché y
fut employé pour prolonger l'entrée commeaux
autres tailles citées ,&uniquement
comme plus commode que tout autre inftrument.
Tous ces malades font guéris ſans le
AVRIL 1765 . 143
moindre accident , ni panſement ; ils n'ont
éprouvé aucune infirmité du côté de l'opération
, depuis qu'ils font guéris. Boileau
étoit dans le maraſme , il fut plus longtemps
à ſe rétablir dans la totalité de ſa
ſanté que les autres ; mais il n'éprouva ni
accident , ni retard dans l'opération.
Voici un cas plus analogue à celui de
Lyon. Il y a plus de dix ans que j'ai tiré
à M. Malo , ancien Directeur des vivres
de l'armée , quinze pierres du volume d'un
gros mâron chacune : elles peſoient huit
onces&demie toutes enſemble; elles n'occupoient
que la capacité de la veſſie. Ce
taillé a toujours joui ,&jouit encored'une
très-bonne ſanté. Ce ſuccès ſous les yeux
de tout Paris , eſt encore garant du prétendu
danger attribué au lithotome caché.
Si ces exemples ne ſuffifoient pas ,je pourrois
citer vingt-huit pierres tirées à un ſeul
ſujet; vingt- deux à deux autres , & toujours
fans aucun accident du côté de mon
lithotome.
Je me flatte , Monfieur , que mes raifons
& ces exemples , que vous pouvez
tenir pour auffi certains que ſi vous y aviez
aſſiſté , ſuffiront pour convaincre les lecteurs
équitables ,qu'il n'eſt aucun cas de
lithotomie dans les hommes , auxquels le
}
144 MERCURE DE FRANCE.
lithotome caché ne puiſſe êrre utile ( 3 ) ,
fans courir les riſques que la ſpéculation
ſeule a fait hazarder à ſes ennemis ſous le
nom de M. Flurant , que le vrai mérite
diftingue ſupérieurement parmi les gens
de fon art.
A Paris , le 16 Février 1765 .
AVIS INTÉRESSANT.
MONSONISEIEUURR de Wenzel1 , oculiſte de
Leurs Majestés Impériales & Royale, ayant
été obligé de ſe rendre à Londres l'automne
dernier , où il étoit demandé par
des perſonnes de la premiere diſtinction ,
n'a pu par cette raiſon donner ſes ſecours
ànombre de pauvres affligés de maladies
d'yeux , comme Il faifoit ordinairement
dans cette faifon& au printemps. Ils feront
reçus cette année depuis le commencement
d'Avril juſqu'au mois de Septembre , en ſa
maiſon rue Vaugirard , première porte cochère
à droite en entrant par la rue des
Foffés M. le Prince.
( 3 ) Cet inſtrument a différens dégrés d'ouverture
qui le rendent propre à tous les cas , ainſi
qu'on peut le voir amplement dans ſa deſcription
qui ſe vend chez d'Houri , fils , Libraire à Paris.
AVRIL 1765. 145
GÉOGRAPHIE.
LE fieur de Beaurain fils , Géographe , a
eu l'honneur de préſenter au Roi le 25 du
mois de Mars 1765 un ouvrage qui a pour
titre : Carte d'.Allemagne pourfervir à l'intelligence
de l'histoire de la guerre entre le
Roi de France & d'Angleterre , entre leRoi
de Pruffe & l'Impératrice Reine , l'Electeur
de Saxe , l'Empire , la Suède & la
Ruffie , dans laquelle il a marqué les ba--
tailles , combats , priſes de villes& camps
qu'il apu y faire entrer.
Il y a tracé les routes publiques , & joint
une hiſtoire abrégée des principaux faits
militaires arrivés tant ſur terre que fur mer
juſqu'aux traités de paix. Il l'a enrichie&
entourée de 74 plans très- détaillés , repréſentant
les événemens les plus mémorables
arrivés pendant le cours de la guerre commencée
en 1765 , & finie en 1793. Cette
carte eſt dédiée au Roi par le fils du Che
valier de Beaurain , Geographe ordinaire
de SA MAJESTÉ , & ci-devant de l'éducation
de Monſeigneur le Dauphin. Le Roi
a reçu cetouvrage avec fatisfaction , ainfi
que la Famille Royale & les Miniſtres.
Vol. II. G
146 MERCURE DE FRANCE.
L'Auteur avertit le Public qu'il eſt au jour
préſentement. Ildemeure rue Gît-le coeur ,
la première porte cochère en entrant par le
quai des Auguftins. Cet ouvrage ſe vend
auſſi chez le ſieur Charpentier , Libraire ,
quai des Auguftins , à Saint Chrifoftôme.
HORLOGERI E.
TABLE d'équations qui indique la différence
du midi vrai , ou du paſſage duſoleil
par le méridien , au midi d'une pendule qui
va uniformement , calculée pour tous les
jours de l'année , avec les différences en
vingt-quatre heures , fur quatre années de
fuite,ſavoir, la biſextile & les troisfuivantes.
Par lefieur ARSANDAU , Horloger , 1764 .
Cette table eſt endeux parties , qui contiennent
chacune fix mois. Elles font de
format à pouvoir être encadrées & placées
auxdeux côtés d'une pendule. Nous favons
que l'Auteur ne l'a fait imprimer que pour
la diſtribuer aux Amateurs. L'amour de
l'exactitude pour ce qui concerne la nature
du temps doit engager à ſe procurer cet
ouvrage.
L'Auteur demeure au Méridien du
Marché-Neuf.
:
AVRIL 1765. 147
ARTS AGRÉABLES.
MusIQUE.
THÉORIE de la Muſique , par M. BALLIERE
, de l'Académie Royale des
Sciences , Belles - Lettres & Arts de
Rouen ; in-4°. avec figures.
Muſica tota quid eft , numeri niſi cantibus apti
Fraguerii ſchola Platónica.
CETTE épigraphe déſigne le caractère de
l'ouvrage , & l'on peut déja juger que les
Mathématiques y auront le pas. En effet ,
il pourroit auſſi s'intituler , Application de
la Géométrie à la Muſique. Toutes les propoſitions
relatives à la Muſique ſont ici
transformées en problêmes de Géométrie ,
&cette manière de les conſidérer donne
lieu à la découverte de pluſieurs nouveautés
intéreſſantes , tant en Muſique qu'en
Géométrie . Nous nous contenterons d'en
expoſer quelques-unes.
Une expérience fondamentale , ſeule
néceſſaire pour expliquer toutes les loix de
l'harmonie , nous apprend qu'un corps
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
د
fonote fait entendre avec le fon qui lui
eſt propre , pluſieurs autres fons. L'Auteur
les exprimant dans l'ordre qui
les amène appelle 1 le premier , 2 le
ſecond , 3 le troiſiéme , &c. & il exprime
cette progreſſion arithmétique par un
triangle dont la baſe eſt coupée à diſtances
'égales par des lignes paralleles entre elles.
Ces lignes repréſentent les dégrés du fon
ou les dégrés d'acuité.
2,3,4 ,
On obferve dans cette même expérience
que des cordes qui font la moitié , le tiers ,
le quart &c. de la première , rendent fucceffivement
les fons que l'on entend quand
la première corde eſt pincée. La queſtion
devenue problème de géométrie confifte
à trouver une ſuite de lignes paralleles ,
qui foient entr'elles comme 1 , &c.
c'est-à-dire , une progreſſion harmonique.
La figure deuxième en donne la ſolution ;
c'eſt la première fois que la progreffion
harmonique eſt réſolue géométriquement
par lignes paralleles & détachées. Toutes
les propriétés de cette progreſſion , mentionnées
dans les Auteurs , s'expliquent
par cette figure , qui eſt auſſi le germe de
pluſieurs autres propoſitions.
Les Muficiens conſidérant les octaves
comme des repliques , ne font pas mention
dans la progreffion ci-deſſus des termes
& , & donnent le nom de pro-
1
AVRIL 1765. 149
greſſion harmonique à la ſuite des trois
nombres . L'Auteur , après avoir
fait obſerver que cette progreſſion n'eſt
autre que la première , qui a été tronquée ,
ajoute une ſolution particulière , qui
amène les termes & fans amener &
& donne par-là de nouveaux moyens pour
trouver tout d'un coup telle partie qu'on
voudra d'une ligne donnée. Cette méthode
peut ſe joindre dans les élémens de géométrie
à celles qui y font enfeignées pour le
même objet.
و
Si l'on continue les termes d'une progreſſion
harmonique , dont le premier auroit
3 pour dénominateur , ( ce nombre 3
eſt choiſi pour éviter les fractions ) on obtiendra
ceux-ci , 24 , 27, 30 , 33 , 36 , 39 ,
42 , 45 , 48 , qui ont trois pour diſtance
&pour commun diviſeur , & qui repréfentent
l'échelle ut , re , mi , fa , fot , la
Sibémol, fiut. L'Auteur, pour l'expérience,
forme un trapéze , qui eſt une portion de
parallélogramme, &qui diſpenſe de tracer
les termes 3 , 6 , 9 , &c. qui ont précédé
24. Mais comme l'échelle des modernes
n'admet pas defi bémol , & que de plus
elle donne au fa & au la les valeurs 32 &
40 , au lieu de 33 & 39 ; ces altérations
font exprimées géométriquement dans la
même figure qui , ainſi que toutes celles
1
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
de ce livre , préſente les cordes dans leur
longueur ; enforte qu'on a toujours l'inftrument
ſous les yeux.
La queſtion du tempérament , qui confiſte
à partager l'octave en douze intervalles
de demi-tons égaux , eſt traduite
ici en langage géométrique de la manière
ſuivante. Problème : trouvez une
fuite de treize lignes paralleles en progreffion
géométrique , & dont la première
foit double de la treizième. Nos
traités élémentaires ne font point mention
de ce problême , & même on n'y propoſe
point engénéral de trouver une ſuite de
lignes paralleles en progreſſion géométrique
& en raiſon donnée. On y demande
une moyenne , une troifiéme ou une quatriéme
proportionnelle : mais il n'eſt pas
queſtion de lignes paralleles ni de progreflion.
Ce problème ſeroit très-bien placé
dans les élémens. A l'égard du cas particulier
qui nous occupe , l'Auteur obferve
que fi treize lignes font en progreffion , la
première , la cinquiéme , la neuviéme &
la treiziéme y feront auffi. La ſeconde
condition du problême exigeant qu'un des
extrêmes ſoit double de l'autre, le réduit à
chercher deux moyennes proportionnelles
entre 1 & 2 , c'eſt-à-dire , à trouver la
duplication cube. Demander un cube dou
AVRIL 1765. 151
blé d'un autre , ou demander trois tierces
majeures ſemblables dans l'intervalle d'une
octave , c'eſt propoſer la même queſtion
en termes differens. Après avoir réſolu ce
problême par la recherche de deux moyennes
proportionnelles , &par l'introduction
de trois autres lignes dans chaque intervalle
, l'Auteur donne pour trouver les
treize lignes une méthode que les Géométres
verront avec plaifir. Il y profite
d'une loi de l'harmonie qui permer de
ſubſtituer à une corde celle qui en eſt la
moitié ou la double , à cauſe de la refſemblance
des octaves. Ce problême eſt
réſolu par approximation & par la régle
de fauffe pofition, dont l'uſage n'eſt pas fréquent
en géométrie , & dont l'application
fera trouvée très- heureuſe.
Dans un ouvrage tel que celui-ci , on
ne s'étonnera pas de rencontrer pluſieurs
paradoxes , pluſieurs de ces propoſitions
qui choquent les opinions communes :
aufli en est-il rempli. Les Muſiciens liront
avec ſurpriſe que ce qu'on apelle odave
doit s'appeller dans le langage philoſophique
une ſeconde ; que ce qu'on nomme
douziéme doit être nommé tierce , & que
ce qu'on appelle échelle diatonique n'eſt
qu'une partie , n'eſt que le quatrième étage
de l'échelle diatonique complette ; que la
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
note fol tient exactement le milieu entre
ut & fon octave ; enforte que dans le chant
ut fol ut , il y a auſſi loin du premier ut à
fol que dufol au ſecond ut , & quantité
d'autres paradoxes ſemblables.
Mais que diront à leur tour les Géomètres
, quand ils verront nier un théorême
d'Euclide? Le voici : un ton ne peut
être diviſé en deux ni pluſieurs parties.
L'Auteur juftifie ſa hardieſſe en faifant
voir que la démonstration d'Euclide eſt
fondée ſur une erreur qu'il recevoit comme
une donnée. Euclide avance, ce qui est vrai ,
qu'entredeux nombres diſtansde l'unité,on
nepeut introduire une ni pluſieurs moyennes
proportionnelles géométriques. Maisil
n'eſt pas vrai , comme l'ont toujours fuppoſé
les Muſiciens , que pour diviſer en
deux l'intervalle d'un ton , il faille prendre
une moyenne géométrique entre les
deux termes qui limitent cet intervalle. II
faut pour diviſer un intervalle en deux ,
prendre la moitié de la fomme des deux
termes , & non la racine quarrée de leur
produit. La première de ces deux opérations
eſt aſſurément plus facile que la
ſeconde. Combien donc a- t- on fait jufqu'à
préſent de calculs inutiles , & combien
la théorie que nous annonçons l'emporte-
t-elle fur celles qui l'ont précédée ,
AVRIL 17650 153
ſi l'on admet la propoſition ſuivante , par
laquelle nous finiſſfons notre extrait !
« Le mot intervalle , ſuivant toutes les
>>définitions , eſt la diſtance d'un objet à
>> l'autre. Pythagore , au lieu d'exprimer
>> cette diſtance par une ſouſtraction , l'a
>> exprimée par une fraction. Cette erreur ,
>>adoptée pendant vingt-trois fiécles fur
>> l'autorité de ce Philoſophe , eſt la fource
>>de toutes les difficultés qu'on rencontre
>> dans l'étude de la muſique , qui devient
>> aiſée lorſqu'on reftitue au mor inter-
>> valle ſa vraie fignification & ſa vraie
>> expreffion » .
Cet ouvrage eſt à la portée de tous
ceux qui ont la plus legère teinture des
élémens de géométrie. L'Académie de
Rouen en a porté un jugement très-avantageux
, &c .
Il eſt imprimé à Rouen chez Et. V.
Machuel, &fe trouve auſſi à Paris chez
P. Fr. Didot , quai des Auguſtins ; chez
Duchesne , au Temple du Goût , & chez
Panckoucke , près la Comédie Françoiſe.
Prix , fix liv. broché,
EXTRAIT des Obfervationsfur les principes
de l'harmonie , &c ; chez Panckoucke.
La plupart de ceux qui aiment les
:
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
Beaux-Arts ſe contententdu plaifir qu'en
peut procurer la pratique. C'eſt fur- tout à
l'égard de la Mufique que cette remarque
a lieu : mais l'eſprit philofophique eft trop
communde nos jours , pour qu'il n'y ait
pas dans le grand nombre des Amateurs
de cet art agréable , quelques perſonnes
qui foient bien aiſes de joindre aux plaifirs
des ſens & du coeur que peut donner
la pratique , ceux que l'eſprit peut retirer
des lumières d'une théorie judicieuſée.
C'eſtà ce petit nombre d'Amateurs que
font offertes ces Obfervations fur les principes
de l'harmonie. L'Auteur , M. Serre ,
Citoyen de Geneve , s'est déja fait connoître
par un ouvrage ſur le même ſujet ,
où l'on a trouvé un grand nombre de vues
nouvelles exprimées avec autant de netreté
que d'élégance. Depuis la publication
de cette première production , intitulée :
Effaisfur les principes de l'harmonie , & c .
ila paru quelques écrits ſur la même marière.
On trouve en particulier dans le
feptiéme tome de l'Encyclopédie un article
aſſez étendu au mot Fondamental , où
l'on trouve plufieurs queſtions de théorie
muficale traitées par le célebre M. d'Alembert.
M. Tartini , dont le mérite en
faitde compoſitions muſicales eſt ſi connu
, publia en 1754 un ouvrage confidé
AVRIL 1765 . 155
rable fur la théorie d'un Art qu'il poſſléde
au plus haut dégré. Cet ouvrage a pour
titre : Trattato di Muſica ſecondo la vera
fcienza delle armonia , Traité de Muſique
felon la vraie ſcience de l'harmonie . Entre
pluſieurs Livres que M. Geminiani , ( dont
le nom & les talens font très - connus en
France&plus encore en Angleterre; ) entre
pluſieurs Livres , dis - je , que ce célebre
Muſicien adonnés au Public pour faciliter
l'intelligence & la pratique de l'harmonie
, tant fur le clavecin que ſur le violon
, il en eſt un à la compoſition duquel
on fait qu'il a conſacré pluſieurs années
de ſa vie ; années qu'il auroit pu , vu la
grande réputation dont il jouiſſoit à Londres
, employer beaucoup plus avantageuſement
pour l'avancement de ſa fortune.
Voici le titre de cet Ouvrage , qui ,
comine la Préface , eſt en Anglois , aux
premiers mots près , qui font Italiens ,
Guida armonica , ο Dizzionario armonico,
beingafureguidetoharmony andmodulation,
&c. c'est-à-dire , Guide , ou Dictionnaire
harmonique , qui montre exactement les
vraies routes de l'harmonie & de la modulation
, les différentes combinaiſons desfons
confonnans & diſſonnans , les diverses progreffions
des accords , les ſyncopes & les
cadences , tant réelles que fimulées.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
Ce font là les trois écrits ſur leſquels
roulent les obfervations de M. Serre , &
qui lui fourniſſent en même temps l'occafionde
propoſer pluſieurs idées nouvelles
fur la théorie muſicale , très-dignes de
l'attention des amateurs de cette théorie.
La première partie de ces obſervations
contient un examen de pluſieurs propofitions
contenues dans l'article de l'Encyclopédie
que nous avons indiqué.
Cet examen préſente d'abord quelques
remarques ſur l'expérience , par laquelle
on prétend qu'un corps , &c.
avec
Ces différens fujets , que nous nous
contentons d'indiquer , font ici traités
beaucoup de netteté & de préciſion.
L'ordre dans lequel ils ſe ſuivent eſt relatif
à celui dans lequel ils ſe préſentent
dans l'article Fondamental de l'Encyclopédie.
La feconce partie de ces obſervations
eſt deſtinée à donner aux Amateurs de
T'harmonie une juſte idée du Traité de
M. Tartini . Ce Traité eſt diviſé en fix
chapitres , outre un diſcours préliminaire
&une conclufion. M. Tartini expoſe dans
cet Ouvrage un ſyſteme muſical affez
fingulier. Ce ſyſtême porte fur quelques
expériences phyſiques , & fur quelques
raiſonnemens qui en ſont déduits. M.
AVRIL 1765 . 157
Serre s'attache à examiner ce double fondement
de la doctrine du Muſiciende Padoue.
Il fait voir que la deſcription qu'il
faitdequelques expériences ſur le ſon , n'eſt
pas toujours fort exacte , &que la logique
qui régne dans les raiſonnemens participe
affez ſouvent de la nature du ſophifme.
Ce font là des défauts dans ce Traité,
que M. Serre paroît démontrer avec autant
de regret que d'évidence.
L'Ouvrage de M. Geminiani , dont
l'examen fait l'objet de la troiſiéme partie
de ces obfervations , n'eſt pas proprement
un ouvrage de théorie. C'eſt un répertoire
d'exemples d'harmonie ou de
courtes phrafes de baſſe chifrée. Ces exemples
font rangés ou diftribués en un certain
nombre de claſſes , ſelon les différentes
notes par leſquelles ils commencent
; & au bout de chaque exemple on
trouve un chifre qui renvoie à une de ces
claſſes , afin de pouvoir continuer & lier
de ſuite autant qu'on voudra de ces petites
phrafes de baſſe chifrée , ſans jamais
pécher contre les régles de l'harmonie.
Non-ſeulement les Muſiciens peuvent trouver
aisément dans ce guide harmonique
des ſucceſſions d'accord , dont peut-être
ils ne s'aviſeroient pas : mais encore ceux
158 MERCURE DE FRANCE.
qui ignorent parfaitement les régles de la
compoſition , peuvent , en obſervant deux
ou trois avis placés à la tête de l'ouvrage ,
écrire une baſſe chiffrée très-régulière , &
auſſi longue qu'ils le defireront. Quelque
ingénieuſe que foit l'idée & la méthode
de ce guide harmonique , il s'en faut beaucoup
qu'il foit porté au dégré de perfection
dont il eſt ſuſceptible. C'eſt ce que
M. Serre démontre; mais ilne ſe contente
pas de faire voir ce qui manque à cet
ouvrage pour remplir entiérement le but
très-louable de ſon Auteur , il propoſe
les divers moyens qu'on peut aifément
mettre en uſage pour y atteindre. Il fair
voir en quoi la méthode de M. Geminiani
peut être perfectionnée , & il indique un
nombre conſidérable de claſſes d'exemples
à ajouter à celles que renferment cet ouvrage
, pour en faire un guide harmonique
plus commode , plus utile , en un mot ,
plus parfait.
Les Lecteurs feront peut-être bien aiſe
d'apprendre que l'Auteur de ces obfervations
fur les principes de l'harmonie eſt
lui même artiſte; mais que l'art muſical ,
dont il a fi bien pénétré & développé les
principes , n'eſt pas celui qu'il exerce. M.
Serre profeſſe lapeinture en mignature &
AVRIL 1765. 159
en émail dans le genre du portrait, &
c'eſt après s'être fait connoître très-avantageuſement
par ce talent à la Cour de
Vienne& à celle de Londres , qu'il s'eſt
retiré dans fa patrie pour y jouir tranquillement
des douceurs que peuvent procurer
des connoiffances philoſophiques , réunies
à l'intelligence & à la culture des Beaux-
Arts.
LES Menuets de M. le Chevalier d'Harbain
, en trio , pour deux violons & balfe ;
qu'on peut aufli exécuter à deux parties.
Premier Recueil. Prix 1 liv. 16 fols.
A Paris , aux adreſſes ordinaires de Mufique.
,
SYMPHONIE à huit parties , violons ,
hautbois , cors-de-chaſſe , alto & bafle ;
compoſée par M. A. L. Baudron. Prix ,
2 liv. 8 fols. A Paris , chez Cuiſſart , Libraire
fur le Pont-au- Change , & aux
adreſſes ordinaires de Muſique.
و
M. Venier , éditeur des nouvelles Symphonies
de Vanmaldere & de pluſieurs
autres ouvrages de muſique inſtrumentale
vient de mettre au jour :fei finfonie
obbe , è corni da caccia a piacimento , compofte
da Frederico Schwindl , virtuoso di
د
con
1
160 MERCURE DE FRANCE.
Camera di S. E. il Conte di Colloredo , &c.
Opéra 3. Prix 12 liv. compris les parties
d'haut-bois & cors de chaffe. Ces Symphonies
font traitées en grand maître , & d'un
goût nouveau . Elles ſe trouvent à Paris ,
chez M. Venier , rue Saint Thomas du
Louvre& aux adreſſes ordinaires ; à Lyon ,
chez MM. les Freres le Gouy, place des
Cordeliers , & M. Caftau , place de la
Comédie.
Six Sonates à violon ſeul & la baffe
continue, dédiées à Monſeigneur le Comte
de Maillebois , Marquis d'Alègre , Baron
&Grand-Bailli de Châteauneuf en Thimerais
, Chevalier des Ordres du Roi ,
Lieutenant-Général de ſes armées & de la
Province de Languedoc , Gouverneur des
ville & citadelle de Douay ; compoféés
par M. Mahony , Ordinaire de la Comédie
italienne ; gravées par Labaffée ; OEuvre
II . Prix , 6 liv. A Paris , chez M. le Jay ,
Marchand de muſique , rue Mauconſeil ,
à côté de la comédie italienne , au concert
italien , & aux adreſſes ordinaires de mufique.
AVRIL 1765 . 161
GRAVURE.
NOUous annonçons avec plaifir & empreſſement
le portrait du grand Corneille ,
gravé par Ficquet , déja connu par pluſieurs
morceaux en ce genre , dont la beauté
mérite les plus grands éloges. Ce portrait
de grandeur in- 8 °. réunit la parfaite refſemblance
à une fineſſe de burin admirable
; & la bordure allégorique qui l'environne
, ajoute encore à ces perfections par
la maniere dont elle a été deffinée & gravée
par MM. Cochin & Choffard. Il ſe
vend chez les principaux marchands d'eftampes
; chez M. Wille , graveur du Roi ,
quai des Auguſtins ; & chez Duchesne ,
libraire , rue St. Jacques. Prix 3 liv. On
trouve aux mêmes adreſſes les portraits de
MM. de Voltaire , la Fontaine & J. B.
Rouffeau , gravés ſucceſſivement par le
même artiſte.
ARBRE chronologique de l'hiſtoire univerſelle
, dédié& préſenté à Monſeigneur
leDuc de Berry , par M. Renaudot. Cette
carte contient le tableau des principaux
états fouverains du monde , l'époque de
leur établiſſement , leur durée , leurs fon-
4
162 MERCURE DE FRANCE.
dateurs , le nombre de leurs Princes , &de
ceux qui régnent à préſent ; avec une idée
desprincipales révolutions qu'ils ont fouffertes
, mis dans un ordre fucceffif, & propre
àen donner une connoiſſance claire &
exacte. Ouvrage néceſſaire aux jeunes
gens qui ſe propoſent d'étudier l'hiſtoire ,
&utile aux perſonnes qui la poſſédent.
L'explication de l'arbre généalogique ſe
trouve ſéparément dans un in-12 , chez
l'Auteur , rue St. Antoine , place Baudoyer
, à l'hôtel de Malte.
PLANS & deſcription de la ville de
Peckin , par MM. de Lifle & Pingré , astronomes
de la marine , de l'académie royale
des Sciences. Prix 4 liv. A Paris , chez
Lattré, graveur , rue St. Jacques , à la ville
de Bordeaux. On trouve chez le même un
plande Pondichery dans les Indes orientales
, fur papier grand aigle. Prix 3 liv.
-AVRIL 1765. 163
SUPPLÉMENT AUX PIECES FUGITIVES.
LETTRE d'un Caporal du Régiment de
Hainault à M. DE BELLOY.
MONSIEUR ,
Les huit eſcouades de la compagnie ,
aſſemblées par ordre du Capitaine ( 1 ) ,
pour aſſiſter à la lecture de votre incomparable
Tragédie du Siège de Calais , m'ont
chargé de vous écrire , comme chef de la
premiere , combien elles partagent avec
toute la nation les ſentimens de reconnoifſance
qu'elle vous doit.
Les annales du Parnaſſe ne nous offroient
que des faits étrangers ou fabuleux. L'habitude
du courage parmi nous ſembloit
difpenfer nos auteurs du devoir d'en parler
, & les François gémiſſoient en filence
de l'oubli des vertus de leurs ancêtres. Que
ne vous doivent-ils pas ? Plus juſte envers
eux , vous leur conſacrez vos talens ; vous
chantez leur amour pour leur Roi ; vous
réveillez le patriotiſme , & vous développez
le germe de l'héroïſme dans tous les
coeurs.
( 1 ) M. DESTOURS, qui nous honoroit de fa
préſence.
164 MERCURE DE FRANCE.
Pardonnez , ſi pour d'auſſi beaux vers ,
je vous envoie de la proſe infipide. Elevé
dès l'enfance dans le tumulte des armes ,
je fus toujours plus occupé de lauriers que
de fleurs ; un baſtion fut mon parnaffe ;&
ſi j'oſe vous adreſſer nos hommages , c'eſt
pour fatisfaire à l'empreſſement d'une troupe
à qui vous êtes devenu cher , & aux
ſentimens reſpectueux avec leſquels je
fuis , &c.
PRINTEMPS , Caporal de la Compagnie DL
DESTOURS , au Régiment de Hainaut .
AMetz , le 26 Mars 1765 .
:
AVRIL 1765. 165
ARTICLE V.
CONCERTS SPIRITUELS.
0
Du Mercredi , 27 Mars.
Ndonna pour premier grand Motet Omnes
gentes de M. DAUVERGNE , Surintendant de la
Muſique du Roi. M. JANNSON , de la Muſique
de S. A. S. Monſeigneur le Prince de CONTY ,
exécuta fur le violoncelle une Sonate de ſa compoſition
: il fit grand plaifir , tant par l'exécution
que par l'agrément de ce qu'il exécura ; ainſi que
M. BALBATRE , dans ſon Concerto fur l'orgue.
M. LE GROS chanta Coronate , petit Motet a voix
ſeule de feu M. Lefevre. On connoît toutes les
grâces de la compoſition de ce morceau ; on doit
juger de celles qu'y ajoutoient le talent & la voix
de M. LE GROS. Mlle FEL chanta un petit Moter.
Le Concert finit par Dominus regnavit , Motet à
grand cooeur de feu M. de LALANDE , dans lequel
Mile AVENEAU chanta le récit Adcrate eum .
Du Vendredi 29 .
Pour premier grand Motet Benedic anima mea ;
de M. DAUVERGNE . M. JANNSON exécuta une
Sonate de ſa compoſition fur le violoncelle , avec
le même ſuccès que le jour précédent , & M. Berthéaume
, élève de M. LE MIERE , ſur le violon *
166 MERCURE DE FRANCE.
unConcerto de M. GAVINIÉS . Ce jeune Sympho
niſte , âgé de 11 ans, étonna les connoiſſeurs ,
non- feulement relativement à fon âge , mais pour
la force du talent , la préciſion& le tact , comparativement
aux ſujets les plus formés. Nous aurons
occafion de reparler de cet agréable phénomène.
Mile DU BRIEULLE chanta le petit Motet
CantateDomino. Mile AVENEAU , Quemadmodum ,
Motet a voix ſeule de feu M. MOURET , dans
lequel elle fut fort applaudie. Ce Concert finit
par Confitemini , Motet à grand choeur de M.
GOULET , ancien Maître de Muſique de l'Egliſe
de Paris. On remarqua beaucoup de beautés &
deconnoiſſances de l'harmonie dans cet ouvrage.
Du Dimanche des Rameaux 31 Mars.
Le même Motet de M. DAUVERGNE , Benedic
anima. M. BALBATRE exécuta ſur l'orgue un nouveau
Concerto , dans lequel pluſieurs morceaux
d'un chant très -agréable redoublerent les applaudiſſemens
, que les ſeules grâces de ſon exécution
lui méritent toujours. M. CAPRON exécuta un
Concerto de violon . La ſavante pratique de fon
exécution eut les applaudiſſemens ordinaires.Nous
renvoyons pour le reſte à l'invitation du plus
grandnombre des auditeurs , qu'on a lu dans le
vol. précédent , à l'article des Concerts Spirituels.
Mlle ROZET & M. LE GROs chanterent un nouveau
Motet à deux voix ( Jubilate Deo ) , de la compoſition
de M. DAUVERGNE . Le Motet & ceux qui
l'exécutoient furent fort applaudis. Mlle
BRIEULLE chanta un petit Moter. Mile AVENEAU
chanta avec beaucoup de ſuccès un récit dans le
Cantate Domino de feu M. DE LALANDE , par
lequel fut terminé le Concert.
DU
2
AVRIL 1765. 167
Du Lundi premier Avril.
Mile AVENEAU chanta à la fin du Concert le
même récit que le jour précédent , dans le même
Motet de M. DE LALANDE. On avoit commencé
par leMifererede M. DAUVERGNE , Motet à grand
choeur , dans lequel il y a de beatux effets d'harmonie;
on en a parlé dans ſa nouveauté . M. JANN
son exécuta une Sonate ſur le violoncelle. M.
BERTEAUME , que l'on peut avec juſtice nommer
l'enfant merveilleux , exécuta un Concerto de la
compoſition de M. GAVINIÉS. Les maîtres de l'art
& les meilleurs connoiffeurs conviennent qu'ils
admireroient , dans un âge bien plus avancé, les
mêmes qualités & les mêmes perfections de jeu
qui les étonnedans ce ſujet de onze ans . Un archet
fûr & décidé , un ſon plus moëleux qu'il ne paroît
poſſible à la foibleſſe de cet âge de produire , une
exécution facile , nette dans la volubilité , hardie
ſans imprudence ; le tout réglé par un goût qui
paroît venir d'un ſentiment vif& juſte : tel eſt ,
ſans exagération , ce rare ſujet dont ceux qui pratiquent
le même inſtrument trouveroient encor
àdire beaucoup plus que nous ne venons d'en
annoncer. M. QUENTIN , Haute-contre , chanta
Benedictus , Motet à voix ſeule de feu M. MoURET
&MileDU BRIBULLE , Quam bonus Ifrael , autre
petit Motet de M. LE FEVRE.
Du Mardi 2 Avril.
OnexécutaleDeprofundis de M. DAUVERGNE,
duquel nous avons eu à rendre dans le temps un
compte favorable. Mademoiselle BERNARD , trèsjolievoix
, dont nous avons ſouvent parlé , tant
168 MERCURE DE FRANCE.
à l'occaſion du Concert que de l'Opéra , chanta
Nunc dimittis , Motet à voix ſeule de M. BILLON .
Mademoiselle AVENEAU , Quemadmodum , autre
petit Motet de feu M. MOURET. M. BALBATRE
exécuta ſur l'orgue ſon nouveau Concerto. M. CAPRON
joua une ſonate de violon. Le Concert finit
par Exaltabo te , Motet à grand choeur de feu
M. DELALANDE , dans lequel Mademoiſelle AVENEAU
chanta un récit .
Du Mercredi 3 Avril.
Le premier grand Moter fut Diligam te de feu
M. GILLES , dans lequel Mademoiselle AVENEAU
chanta un récit . M. JANNSON exécuta une Sonate
de violoncelle , & M. CAPRON un Concertode
violen. M. LE GROS chanta Confervame, petit Motet
de feu M. MOURET , & Mademoiſelle DU
BRIEULE Un autre Motet à voix ſeule. Le Concert
finit par le Stabat Mater de PERGOLEZE , chanté
par Mademoiſelle FEL & M. RICHER. Comme on
a répété ce Motet les deux jours ſuivans , nous,
parlerons de l'exécution au dernier jour.
Du Jeudi 4 Avril.
- Exaltabo te de feu M. DE LALANDE , Motet à
grand choeur , dans lequel Mademoiſelle AVENEAU
chanta un récit. M. LE GROS chanta Con
ferva me , petit Motet , & Mademoiſelle BERNARD
Nune dimittis . MM. JANNSON & KOHAUT , de la
Muſique de S. A.S. MGR LE PRINE DE CONTI ,
exécuterent des Duo de violoncelle & de luth . Ils
dûrent s'appercevoir de ce que nous avons dit tant
de fois , & qu'on ne peut trop répéter , ſur le ſentiment
univerſel que produisent les morceaux
d'une
:
1
AVRIL 1765 .. 169
d'une muſique agréable , dans leſquels tous les,
efforts de l'art font employés à plaire. On ne peur
en effet donner trop d'éloges à ces deux grands
talens ſur l'exécution& fur le genre de cette mufique.
Ils ont été applaudis avec une forte de ravifſement
. Tous les voeux des amateurs du Concert
ſe réuniſſent pour defirer que cet exemple éclaire
les Symphoniſtes ſurle choix dece qu'ils exécutent.
M. BERTHEAUME exécuta une Sonate de violon .
Il y fit admirer un art prodigieux pour ſon âge..
Nous ſommes fachés , ainſi que le Public , de ne
pouvoir pas dire du genre de mufique de cette
Sonate ce que nous avons dit avec justice de celle
des Duo de MM. KOHAULT & JANNSON, Le Concert
finit par le Stabat .
Du Vendredi Saints Avril.
Le Concert ouvrit par Diligam te Domine, Motet
à grand choeur de feu M. GILLES , dans lequel
Mile AYENEAU chanta deux récits . MM. JANNSON
& KOHAULT Exécuterent , avec tous les applaudif-
( ſemens de l'auditoire , leurs Duo de violoncelle
&de luth . M. CAPRON un Concerto de violon ,
marqué au coin des plus grandes difficultés , conſéquemment
peu intelligible pour le plus grand
nombre , en faveur duquel cependant il ſemble
que les artiſtes & les talens devroient toujours travailler.
M. RICHER chanta un petit Motet , & Mile
BERNARD un autre pour remplacer celui que devoit
chanter M. LE GROS , qui ſe trouva indiſpoſé. Le
Concert finit par le Stabat de PERCOLEZE . Ce
morceau , ficélèbre dans l'Europe , avoit été exécuté
en France par divers ſujets , & preſque toujours
par des Italiens . Il n'avoit jamais été rendu
auſſi avantageuſement que cette année par Mlle
FEL& par M.RICHER.On connoît trop le caractère
Vol. 11. H
170 MERCURE DE FRANCE.
dela voix& le talent de la première pour avoir
beſoind'en faire l'éloge. M. RIGHER eſt le même
qui a été célèbre dès fon enfance , par la voix de
cer âge, qui a continué long-temps , par l'art&
par legoût de ſon chant. Il a confervé , avec une
eſpècede voix de taille , la faculté de chanter les
deffus, fans l'aigreur du fauffet& fans l'aridité des
voix conſervées contre l'ordre de la nature . D'ailleurs
la réunion de ces deux talens , excellens
dans l'artdu chant , a fait ſentir toutes les beautés
d'expreſſion que renferme la muſiquedece Motet.
Du Samedi 6 Avril.
Regina Cæli, Motet à grand choeur de M. DAUVERGNE
, très- agréable & très-brillant. Le jeune
M. BERTHEAUME exécuta fur le violon un Concerto
de violon de la compoſition de M. GAVINIÉS.
Il reçut encore plus d'applaudiſſemens que
lesjours précédens ,& recueillit les mêmes fuffragesdes
connoiffeurs. M. RODOLPHE , de la Mufique
deS. A. S. Menſeigneur LE PRINCE DE CONTI ,
exécuta un Concerto de cor de ſa compoſition,
Nousavons parlé l'année dernière avec éloge des
rares talens de M. RODOLPHE , & nous n'avons pu
en donner qu'une idée imparfaite ; on doit juger
desapplaudiſſemens qu'il a reçus. Mile BERNARD
chanta Paratum , petit Motet de feu M. MOURET,
M. LEGROS ne put chanter dans ce Concert. Il
finit par Diligam te , Motet à grand choeur de feu
M. GILLES, dans lequel Mlle AVENEAU chanta un
récit.
Du Dimanche 7 Avril , jourde Pâques.
On chanta pourpremier Motet à grand choeur le
TeDeum deM. DAUVERGNE,très-beau Motet, d'un
grandgrandeffet&d'une belle expreſſion.Nousen
avons détaillé les beautés dans le temps de fanou-
1
AVRIL 1765 . 171
veauté.M.BALBATRE exécuta le Concerto d'orgue,
danslequel il avoit été déja applauditesjours précédens.
M. CAPRON joua un Concertode violon.Mademoiselle
FEL & M. LE GROS chanterentExultate
Jufti , &c . Motet à deux voix de M. DAUVERGNE,
dont nous avons déja rendu compte. Mademoifelle
AVENEAU chanta le petit Motet Ufquequo &
un récit dans le grand Motet Dominus regnavit ,
defeu M. DELALANDE , par lequel fut terminé le
Concert.
Du Lundi 8 Avril.
On reprit pour premier Motet à grand choeur
Regina Cæli de M. DAUVERGNE . M. BERTHEAUME
exécuta ſur le violon un Concerto de M. LOLLI
dans lequel il fit grand plaifir , & continua d'éton
ner tout l'Auditoire par ſon talent. M. SÉJAN ,
Organiſte de S. André-des-Arts & de S. Severin ,
exécuta un nouveau Concerto d'orgue de ſa compoſition
, agréable & favant , qui fit le plus grand
plaifir. Son exécution fut généralement admirée
&applaudie. La netteté , la preſteſſe & la légéretéde
ſon toucher ſont entr'auttes qualités des parties
remarquables dans le talent de cet habile Organiſte.
Meſdemoiſelles BERNARD & DU BRIEULE
chanterent Confitemini , Motet à deux voix deM.
CORDELET. Mademoiſeile AVENEAU chanta Quemadmodum
, Motet à voix ſeule de feu M. Mου-
RET. LeConcert finit par Judica me nocentes , &c,
Motet de feu M. FANTON , qui n'avoit point encore
été entendu au Concert. Ce morceau porte
en beaucoup d'endroits le caractère de beauté qui
diftingue les productions de ce ſçavant Compoſiteur
; mais on y remarqua quelques longueurs
dont la ſuppreſſion ſeroit facile , & mettroit ce
Motet au nombre de ceux qu'on entend avec le
plusdeplaifir.
L'Articledes Spectacles au Mercure prochain
1
172 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monumens publics.
PUIS-JE: eſpérer , Monfieur , d'obtenir
de vous la grace d'inférer dans votre Journal
Thommage que rend un ancien Citoyen
à l'amour du bien public , à la fageffe
des vues , & aux talens ſupérieurs
qui ont brillé avec tant de ſuccès dans l'illuftre
M. Pontcarré de Viarmes. Je n'ofe
entrer dans l'immenſe détail de tous les
fuperbes & utiles monumens dont il a en.
richi cette capitale. Il l'a rendue la rivale
de l'ancienne Rome. Ila , comme vous
ſavez , magnifiquement rétablil'hôtel-deville.
Il a remis dans leur première ſplendeur
toutes les places triomphales , dont
les marbres & les bronzes étoient dégradés
, les infcriptions effacées . Il a entouré
la moitié de la ville d'un boulevard qui
F'enferme dans un vaſte jardin. Il a élevé
àl'hôtel de Soiffons , pour ſuppléer à la
halle trop reſſerrée , un pompeux édifice ,
qu'on prendroit pour le Colliſée , & il a
Fait fervir la baſe de lacolonne de Médicis
de fontaine publique , & le haut d'un cadran
folaire. Il a conſtruit fur le quai S.
Bernard un immenfe baffin , qui doit être
AVRIL 1768
dans les temps orageux un port affuré pour
tous les bateaux chargés de l'approvifionnement
de cette ville. Il a élevé près l'hôt
tel de Soubiſe une belle fontaine , & il a
placé dans ce même quartier une riche bibliothéque
publique. Il a rétabli tous les
canaux , tous les aqueducs, preſque tous
les ponts. Il n'eſt enfin nulle eſpéce d'édi
fice qu'il n'ait ou réparé ou créé. Qu'il
eût été à defirer que pour perfectionner
tant d'embelliſſemens , il eût démoli cette
maffe barbare , telle qu'on dépeint la caverne
de Demorgorgon ,ce petit Châtelet
, qui eſt prêt à tout écrafer fous fes
affreuſes ruines , & qui n'eſt ſitué au centre
de la ville que pour y caufer fans ceffe
des embarras & des malheurs. Il eſt déja
tant de prifons , & fi elles ne fuffifet
point, il eſt fi facile de les agrandir. Une
telle démolition feroit d'autant plus utile,
qu'en cédant à l'Hôtel-Dieu la partie qui
l'avoiſine juſqu'au Petit- Pont , on augmenteroit
confiderablement cet hôpital , qui
ne peut contenir le prodigieux nombre de
malades dont il eſt en tout temps inondé :
c'eſt ce que tous les bons citoyens defirent
depuis long- temps , & ce qu'ils ofent ef
pérer des lumières & du goût de l'auguſte
fucceſſfeur de M. Viarmes. Ilporte unnom
cher & reſpectable , étant iffu d'une far
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
mille dans laquelle les talens & les vertus
ſemblent être héréditaires. Il doit incefſamment
conſtruire un ſuperbe hôtel des
monnoies ,& l'on parle de pluſieurs autres
grands & utiles monumens dont il a conçu
le projet. On ne peut trop applaudir à
un ſi noble zèle : il contribue à la gloire
de la nation : il fait fleurir les arts , excite
l'émulation des Artiſtes , & enrichit Paris
en yattirant une grande affluence d'étrangers
.
J'ai l'honneur d'être , &c.
MOREL DE LONGPREZ.
SUPPLÉMENT A L'ARTICLE DES ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
Danfe.
LE fieur BACQUOY-GUEDON , Maître
de Danſe à Paris, donne avis au Public ,
que s'étantextrêmement attaché à fon art ,
&ayant trouvé, dans la conformation irrégulièredepluſieurs
écoliers , desdifficultés
infinies à en pouſſer les leçons auffi loin
qu'il auroit voulu , il s'eſt appliqué à pouvoir
ſuppléer au défaut de la nature , par
1 AVRIL 1765. 175
lamanière de faire marcher : il eſt für de
mettre un jeune homme boiteux de naiffance
en état de marcher & danſer ſans
qu'onpuifle s'appercevoir qu'il a une jambe
plus courte que l'autre. Il a éprouvé pluſieurs
fois ſa manière d'y procéder , & il
a eu toujours lieu de croire que fa manière
étoit certaine : il eſt en état de le prouver
par M. le Marquis DE *** , penſionnaire
au Collège du Pleſſis , lequel boitoit de
naiſſance , & ne marchoit que ſur la pointe
du pied. Ce jeune Seigneur marche &
danſe aujourd'hui , au bout de deux ans ,
avec une facilité , une égalité de mouvemens&
un équilibre de corps comme s'il
n'eût jamais boité. Il ne le nomme pas
dans un avis public, mais il offre de le
faireconnoître à ceux qui voudront ſe con,
vaincre de ce qu'il avance ; il en a la permiffion.
Il avertit qu'il n'eſt pas ici queftion
d'allonger une jambe inégale , & encore
moins d'apporter des remédes phyſiques
à cette inégalité. Il n'emploie uniquement
que le toucher des doigts , & l'art de
déterminer&de conduire une marche particulière
qui enſuite amène une marche
générale , exactement conforme à celle de
la nature, & met un jeune homme en état
de recevoir des leçons de danſe , &de dan
Η iv
176 MERCURE DE FRANCE.
fer enfin très - bien fans nulle eſpéce de
contrainte.
Le ſieur BAC QUOY-GUEDON eſt
élève de M. MATIGNON , Penſionnaire
& Académicien du Roi , fi connu & fi
Leſtimé par fes principes de danſe. Il a danſé
fur différens théâtres de Paris , &les quitre
aujourd'hui pour ſe renfermer dans ſon
art & dans celui qu'il a découvert.
Il avertit qu'il pourra recevoir des penfionnaires
chez lui , pourvu qu'ils n'aient
pas paffé l'âge de ſeize ans.
٤٠
Une perſonne digne de foi , & que nous
connoiffons , nous a certifié la vérité de
l'expoſés ci-deſſus.
Il demeure rue du Pourtour , Paroiffe
Saint Gervais , chez M. GENEST , tenant
le bureau de Loterie de l'Ecole Royale
Militaire .
AVRIL 1765 . 177
5
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
L
De WARSOVIE , le 2 Janvier 1765 .
E 31 du mois dernier Sa Majesté donna au fils
aîné du Duc de Biren l'inveſtiture des Duchés de
Courlande & de Sémigalle , qu'il reçut, en- fon
nom & en celui du Duc ſon pere. On a réſervé
dans le diplôme qui lui fut remis , les droits &
prééminences de Duc d'une part , & de l'autre les
'priviléges & libertés des Etats .
De Stockholm , le 24 Janvier 1765 .
On a tué dans le village de Forshem , près de
Scara enWeſtrogothie , une bête extraordinaire ,
dont on a donné la deſcription ſuivante : elle eſt
de la longueur d'un pied , & a la tête d'un mops ,
de petits yeux , des oreilles très-courtes , la lèvre
ſupérieure fendue comme celle d'un lièvre , & de
grands poils à la bouche , ſemblables à ceux d'un
chat. Elle n'a que quatre dents , deux en haut &
deux en bas, longues d'un doigt & recourbées endedans
: lespieds de devant , longs d'environ quatre
pouces , reflemblent aux pattes d'un chien, &
ceux de derrière , qui ne font gueres plus longs , à
ceux d'un oye : les orteils ont cinq pouces de longueur
, avec de petits ongles , dont quatre devant
& le cinquieme derrière , & entre chacun defquels
il y a une membrane très fine . Les pieds
de derrière ſont placés fort avant ſous le ventre;
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
de forte qu'une partie du corps de l'animal pend
parderrière. Laqueue eſt large comme lamain,
& a environ 7 ou 8 lignes d'épaiſſeur. On a jugé
que cet animal étoit amphybie , & qu'il ſe ſervoit
de ſa queue pour nager.
De Coppenhague , le 19 Janvier 1765 .
Hier, lemariage du Prince Royal avec la Princeſſe
Caroline Mathilde , fooeur du Roi d'Angleterre
, a été déclaré à la Cour.
De Vienne , le 26 Janvier 1765- :
Le mariage du Roi des Romains avec la Prin
ceſſede Bavière , fille de Charles VII , a été célébré
le 23 de ce mois.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris ,&c.
L
De VERSAILLES , le 19 Février 1765 .
E Comte d'Eu arriva à la Cour le 19 du mois
dernier , & eut l'honneur de ſaluer le 20 Leurs
Majeſtés , ainti que la Famille Royale. Le même
jour leMarquis de Levis prêta ſerment entre les
mains du Roi pour le Gouvernement d'Artois ,
que Sa Majesté a ſéparé de celui de Picardie.
Le 27 Monſeigneur le Duc de Berry &Madame
Adélaïde tinrent ſur les fonts de Baptême la
fille du fheur Thierry , Ecuyer , Mouſquétaire de
la premiere Compagnie , & fils du premierVa-
Jet-de-Chambre de ce Prince : elle a été nommée
Lonife-Marie- Julienne,& a été baptiſéedans la
1
AVRIL 1765. 179
Chapelledu Château , en préſence du ſieur Allart,
Curé de la Paroiſſe de Notre-Dame , par l'Abbé
du Chaſtel , Aumônier du Roi.
Lepremier de ce mois le fieur le Bel , Recteur
de l'Univerſité de Paris , étant à la tête de la députation
de l'Univerité, a eul'honneur de préſenter,
ſelon l'uſage , le cierge de la Chandeleur à Leurs
Májeſtés & à la Famille Royale .
Le même jour le Pere Touſtain de Fronteboſe
Vicaire Général de l'Ordre de la Mercy , accompagné
de trois Religieux de ſa Maiſon , a eu auſſi
l'honneur de préſenter un cierge àla Reine pour
fatisfaire à une des conditions impoſées à cet
Ordre , lorſque Marie de Medicis en permit l'établiſſement
à Paris .
Le même jour Leurs Majestés & la Famille
Royale ont ſigné le contrat de mariage du Marquis
de Vintimille avec Demoiselle Talbot de
Tyrconel.
Le 2 , jour de la Purification , les Chevaliers ,
Commandeurs & Officiers de l'Ordre du Saint-
Eſprit s'aſſemblerent vers les onze heures du matindans
le cabinet du Roi , qui fortitde ſon appartement
enla maniere accoutumée pour aller à
ła Chapelle Sa Majeſté étoit accompagnée de
Monſeigneur le Dauphin , du Duc de Chartres ,
du Prince de Condé , du Comte deClermont ,
du Prince de Conty , du Comte de la Marche , du
Duc de Penthievre , du Prince de Lamballe , &
des Chevaliers Commandeurs & Officiers de
l'Ordre. Les deux Huiffiers de la Chambre portoient
leurs maſſes devant le Roi , qui étoit en
manteau , ayant par-deffus le collier de l'Ordre &
celui de la Toiſon-d'or. L'Archevêque de Reims ,
Grand-Aumônier , Commandeur de l'Ordre ,
officia; & après la Meſſe , qui fut chantée par da
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
1
Muſique du Roi , Sa Majefté fut reconduite en
fon appartement. La Reine entendit l'Office dans
la tribune , ainſi que Madame la Dauphine , Madame
Adelaide & Mesdames Victoire , Sophie &
-Louiſe. La Comteſle d'Egmont fit la quête. Aprèsmidi
Leurs Majestés & la Famille Royale entendirent
le Sermon du Pere Elizée , Carme-Déchautlé.
Le Chevalier de Beauteville , Lieutenant-Général
des Armées du Roi , Commandeur de l'Ordre
Royal & Militaire de S. Louis , Ambaſſadeur de
Sa Majefté auprès des Cantons Suiſſes , a eu la
permiffion de revenir a la Cour , & a été préſenté
au Roi le 3 par le Duc de Praſlin .
Le même jour la Marquiſe de Laval a été préſentée
a Leurs Majestés & a la Famille Royale par
la Ducheffe de Laval .
Le même jour Leurs Majestés & la Famille
Roya'e fignerent le contrat de mariage du Marquis
de Tourny , Mestre de Camp , Lieutenant
du Régiment de la Rene Cavalerie , avec Demoiſelle
filte du ſieur Bouhier de Lantenay , Préfident
à Mortier du Parlement de Dijon.
Le 4 le Bailli de Froullay , Ambaſſadeur de
Malthe , a préſenté au Roi en préſence du Mar-
Marquis d'Entragues , Grand Fauconnier de France
en ſurvivance du Duc de la Valliere , deux faucons
que le Chevalier de Mandoix a été chargé
dapporter à Sa Majesté de la part du Grand-
Maître de l'Ordre de Malthe .
Le 7 l'Evêque de Tulies prêta ſerment entre les
mains du Roidans la Chapelle du Château .
Le 10 Leurs Majeítés & la Famille Royale
fignerent le contrat de mariage du Comte de Miromenil
, Colonel des Grenadiers Royaux , avec
Dempiſelle fille du ſieur de Segur , Préſident à
Mortier du Parlement de Bordeaux.
AVRIL 1765 .. 181
Le même jour la Comteſſe de Montbel , la Vicomtelle
d'Efclignac & la Marquife d'Autichamp ,
furent préſentées à Leurs Majeſtés & a la Famille
Royale ; la premiere , par la Comtefle de Teffé ;
la feconde , par la Comteſſe de Noailles , & la
troiſieme par la Comtelle de Beaumont.
Le même jour le Comte d'Hauflonville , Brigadier
des Armées du Roi , a pris congé de la
Cour pour ſe rendre a Berlin .
,
Le II le Comte de Fuentes Ambaſſadeur
d'Eſpagne , préſenta à Leurs Majeftés & à la Famille
Royale le Duc d'Oſſuna , qui a été à Vienne
complimenter de la part du Roi Catholique Leurs
Majeſtés Impériales & Royales ſur l'élection du
Roi des Romains . Le Comte de Fuentes eut le
même jour une audience particulière du Roi , &
prit, congé de Leurs Majestés & de la Famille
Royale pour un voyage de quelques mois qu'il va
faire en Eſpagne dans le deffein de rétablir fa
fanté . Pendant l'absence de cet Ambaffadeur le
fieur de Magallon reſtera chargé des affaires de la
Cour d'Eſpagne .
Le 13 la Reine & Monseigneur le Dauphin
ont tenu ſur les fonts de Baptême le fils du fieur
de Cotentin de la Haye Picquenot , Porte manteau
de la Reine , & premier Valet de Garderobe
de Monſeigneur le Duc de Berry . L'enfant a éré
nommé Louis- Joſeph -Xavier. L'Abbé de Sainte-
Hermine , Aumônier de la Reine , a fait la cérémonie
dans la Chapelle du Château , en préſence
du ſieur Allart , Curé de la Paroitle .'
Le is le Comte de Noailles , Gouverneur de
cette ville , accompagné e Officiers du Bailliage
, s'eſt rendu à l'Egliſe de Nôtre- Dame , Paroiſſe
du Château , & y a affifté au Te Deum qu'on
y a chanté à l'occaſion de la naiffiance du Roi,
182 MERCURE DE FRANCE.
Il a allumé enſuite le feu qui avoit été préparé
pourcette fête vis-à-vis du portail de l'Egliſe. La
garde des Invalides , qui s'y étoit rendue , a fait
pluſieurs décharges de mouſqueterie .
Le 17 le Comte de Sade préſenta au Roi le
ſecond volume des Mémoires ſur la vie de Pétrarque.
Le lendemain le Pere de Singlande
Aumônier actuel de la Garniſon des Ville & Forts
deCette en Languedoc , ent l'honneur de préſenter
à Sa Majeſté deux volumes des Mémoires &
Voyages militaires faits par lui-même , & dédiés
àMonſeigneur le Duc de Berry. Le ſieur Patte ,
Architecte du Prince Palatin , Duc regnant de
Deux-Ponts , eut l'honneur de préſenter le 20 du
mois dernier à Leurs Majeftés , ainſi qu'à la Familie
Royale , un volume intitulé : Monumens
érigés en France à la gloire de Louis XV, précédés
d'un tableau du progrès des Arts & des Sciences
fous ce règne , ainsi que d'une description des hon--
neurs &des monumens de gloire accordés aux grands
hommes , tant chez les anciens que chez les modornes.
Leto de ce mois le ſieur de la Lande , de l'Académie
Royale des Sciences , chargé par le Roi
de compoſer chaque année le Livre intitulé :
Connoissance des mouvemens célestes à l'ufage des
Astronomes & des Navigateurs , a eu l'honneur
de préſenter à Sa Majeſté le volume qui doit fervir
pour l'année 1766 .
Le Roi a donné l'Abbaye de la Faiſe , Ordre de
Citeaux , Diocèse de Bordeaux , à l'Abbé de
Guyonnne- Montbalen , Doyen de l'Egliſe de Bordeaux,
& Vicaire Général du même Diocèſe ; celle
deGrandchamp, Ordre de Prémontré , Diocèſe de
Chartres, à l'Abbé Arnaud, Membre de l'Académe
Royale des Inſcriptions & Belles-Lettres, &Direc
AVRIL 1765 . 183
4
teur-Général de la Gazette de France ; celle deMureaux
, Ordre de Prémontré , Diocèse de Toul , à
l'Abbé de Condillac , Précepteur du Prince Ferdinand
Héréditaire de Parme ; celle de Fontenelle ,
Ordre deCiteaux, Diocèle de Cambrai, àla Dame
Bonnaire, Religieuſe de la même Abbaye ; & celle
de Sainte-Menoux , Ordre de S. Benoît , Diocèſe
deBourges , à la Dame de Sainte Hermine
Religieule à l'Abbaye Royale de S. Louis de
Poiffy , Ordre de S. Dominique , Diocèſe de
Chartres.
9
Une Relique de S. Roch , que la Reine a demandée
à l'Archevêque d'Arles , a été transférée
avec beaucoup de ſolemnité le 14 de ce mois de
la Paroiffe de Notre-Dame , où elle avoit éré dépoſée
, dans la Chapelle du grand Commun. Cette
tranſlation s'est faite proceſſionnellement par le
fheur Allart , Curé de la Paroiffe , & par fon Clergé.
La Relique a éte reçue dans la Chapelle par
lesAumôniers& Confeſſeurs de la Maiſon du Roi,
vêtus en rochet. L'Abbé Daunes , un des Aumôniers
a faitun difcours relatif à cette cérémonie,
après lequel on a chanté le Te Deum , & l'on a
dit les prières pour le Roi. Le lendemain la Reine,
accompagnée de Monseigneur le Dauphin & de
Madame la Dauphine , entendit la Meſſe dans
cettemême Chapelle, & fut reçue par les Aumôniers
& Confeffeurs de la Maiſon du Roi ; l'Abbé
de Bretignieres , leur Doyen , eut l'honneur de
préſenter l'eau benite à Sa Majesté , ainſi qu'à
Monſeigneur le Dauphin & à Madame la Dauphine.
CetteRelique de S. Roch , PatrondesMaifons
du Roi & de la Reine , reſtera à perpétuité
expoſée dans ladite Chapelle à la vénération des
Fidéles,
:
184 MERCURE DE FRANCE.
De MONTPELLIER , le 8 Février 1765.
La bête féroce qui déſole le Gevaudan, continue
toujours d'y faire des ravages & d'y répandre la
confternation. Il ſe paſſe peu de jours que l'on
n'apprenne quelque nouvelle affligeante. Le 12
Janvier elle attaqua cinq petits garçons du village
de Villeret , Paroifle de Chanaleilles : les trois
plus âgés avoient environ onze ans , les deux
autres n'en avoient que huit , & ils avoient avec
eux deux petites filles a peu près du même âge.
Ces enfans gardoient du bétail au haut d'une montagne
: ils s'étoient armés chacun d'un bâton , au
bout duquel ils avoient attaché une lame de fer
pointue , de la longueur de quatre doigts . La
bête féroce vint les furprendre , & ils ne l'apperçurent
que lorſqu'elle fut près d'eux: ils ſe rafſemblerent
au plus vite & ſe mirent en défenfe.
La bête les tourna deux ou trois fois , & enfin
s'élança fur un des plus petits garçons : les trois
plus grands fonairent fur elle , la piquerent à
diverſes repriſes ſans pouvoir lui percer la peau .
Cependant , à force de la tourmenter , ils parvinrent
à lui faire lâcher prife :elle ſe retira à deux
pas , après avoir arraché une partie de la joue
droite du petit garçon dont elle s'étoit faifie , &
elle ſe mit a manger devant eux ce lambeau de
chair . Bientôt apres elle revint attaquer ces enfans
avec une nouvelle fureur ; lebras le
plus petit de tous & l'emporta dans,fagueule ; l'un
d'eux , épouvanté , propoſa aux autres de s'enfuir,
pendant qu'elle dévoreroit celui qu'elle venoit de
prendre , mais le plus grand , nommé Portefaix,
qui étoit toujours, à la tête des autres , leur cria
qu'il falloit délivrer leur camarade ou périr avec
lui. Ils ſe mirent donc à poursuivre la bére & la
elle fuifit
>
par
AVRIL 1765 . 185
poufferent dans un marais qui étoit à cinquante
pas , & où le terrein étoit fi mou , qu'elle y enfonçoit
juſqu'au ventre , ce qui retarda ſa courſe &
donna à ces enfans le temps de la joindre. Comme
ils s'étoient apperçus qu'ils ne pouvoient lui percer
la peau avec leurs eſpeces de piques , ilschercherent
à la bleſſer à la tête & fur- tout aux yeux : ils
lui porterent effectivement pluſieurs coups dans la
gueule qu'elle avoit continuellement ouverte, mais
ils ne purent jamais rencontrer les yeux. Pendant
ce combat elle tenoit toujours le petit garçon ſous
ſa patte , mais elle n'eut pas le temps de le mordre
, parce qu'elle étoit trop occupée à eſquiver
les coups qu'on lui portoit. Enfin ces enfans la
harcelerent avec tant de conſtance & d'intrépidité,
qu'ils lui firent lâcher priſe une ſeconde fois , &
le petit garçon qu'elle avolt emporté n'eut d'autre
malqu'une bleſlure au bras par lequel elle l'avoit
ſaiſi , & une légere égratignure au viſage. Comune
la petite troupe ne ceſſoit de crier de toutes ſes
forces , un homme accourut & ſe mit à crier de
fon côté. La bête entendant un nouvel ennemi ,
ſedreſſa ſur ſes pattes de derriere , & ayant apperçu
l'homme qui venoit à elle , elle prit la fuite
&alla ſe jetter dans un ruiſſeau à une demi - lieue
de là. Trois hommes la virent s'y plonger , en
fortir& fe rouler enſuite quelque temps ſur l'herbe,
après quoi elle prit la route du Mazel , où elle
dévora un jeune garçon de quinze ans. Le 21 , elle
ſejetta ſur une jeune fille du même âge , qui
heureuſement fut ſecourue à temps , & dont les
bleſſures , quoique confidérables ne ſont pas
mortelles. Le lendemain , elle attaqua une femme
à Jullianges , ſur la frontiere d'Auvergne , & lui
coupa la tête.
186 MERCURE DE FRANCE.
On a vérifié que , pendant le cours des moisde
Décembre & Janvier , elle a dévoré deux perfonnes
dans le Rouergue & trois en Auvergne : fes
courſes ſe prolongent dans une étendue de pays
deplus de quarante lieues , dont leGevaudan eſt
toujours le centre.
Le ſieur Duhamel , Capitaine de Dragons , &
l'Intendant d'Auvergne , ont concerté une chaſſe
générale qui a dû ſe faire hier ; & fi le ſuccès n'en
eſt pas favorable , on en fera une ſeconde indiquée
pour le ri de ce mois. Le ſieur Duhamel a diviſé
fes Dragons par pelotons : on en a fait habiller
pluſieurs comme les femmes qui accompagnent
les petits enfans lorſqu'ils vont garder les troupeaux.
Il faut eſpérer que toutes ces meſures ,
jointes aux récompenſes promiſes par le Roi *
par la Province & les Diocèſes , nous délivreront
enfinde cet animal terrible , dont l'acharnement
&l'audace ſemblent s'accroître de jour en jour.
DePARIS , le 22 Février 1765 .
Il paroît des Lettres-Patentes du Roi , datées
Ju 7 Janvier 1765 , par leſquelles Sa Majefté
autoriſe le Prévôt des Marchands & Echevins de
la ville de Paris à faire l'acquiſition du terrein
vague placé entre la rue Royale & celle de la
Bonne-Morue , tenant d'un côté à la façade de la
place de Louis XV , & de l'autre à deux maiſons
bâties ſur la rue du fauxbourg S. Honoré , pour y
conſtruire un nouvel hôtel des monnoies.
Le 3 de ce mois l'Archevêque de cette capitale
ſe rendit à l'Egliſe des Religieux Carmes , dits
* Sa Majefté a promis deux mille écusà celui qui tuera
pette bête féroce.
AVRIL 1765 . 187
Billettes , pour y bénir la nouvelle Chapelle de
la Sainte Vierge , dont la décoration a été ordonnée
par le teſtament de feu l'Abbé Cherré , Maître
en la Chambre des Comptesde Paris . Ce Prélat
fut reçu&complimenté en entrant à l Eglife par
le Prieurde la Maiſon , accompagné de tous ſes
Religieux ; & après la bénédiction de la Chapelle
il y célébra la Meſſe .
Le 15 , jour anniverſaire de la naiſſance du Roi,
les Chanoines Réguliers de l'Abbaye Royale de
S. Victor ont célébré pour la première fois la
Meſſe qu'ils ont fondéedans leur Egliſe pour la
conſervation des jours précieux du Roi & de la
Famille Royale. L'Archevêque de Paris y a officié
pontificalement. Le Gouverneur de cette Capitale
a aſſiſté à cette cérémonie , ainſi que le Nonce du
Pape & plufieurs autres perſonnes de diſtinction.
Le Dimanche précédent les Chanoines de Saint
Victor avoient eu l'honneur d'être préſentés à
Leurs Majestés & à la Famille Royale pour leur
faire part de cette folemnité.
Le Roi a fait publier la Déclaration ſuivante ,
donnéeàVerfailles le 19 Janvier 1765. Sa Majesté
s'étant fait rendre compte dans fon Conſeil des
plaintes qui lui ſont revenues fur la conduite que
lecantonde Schwitz a tenue depuisdix-huit mois,
relativement aux affaires de ſon ſervice & de l'al-
Jiance qui ſubſiſte entr'Elle & le louable CorpsHelvétique
, & Sa Majefté ayant reconnu dans tous
les procédés indécens que ce Canton s'eſt permis ,
des marques certaines que ſes ſentimens & fes
diſpoſitions ne répondent nullement à tout ce
qu'Elle devoit attendre des témoignages conftans
&multipliés de ſa généreuſe protection &de ſa
bienveillance pour ceCanton ; Elle a réſolu , de
188 MERCURE DE FRANCE.
>
l'avis de fon Conſeil , & pour fatisfaire à ce qu'exige
la dignité de ſa Couronne , de rompre toute
alliance avec ledit Canton de Schwitz , & de le
priver , ainſi que tous ſes Sujets , des avantages
qu'ils en retiroient , ſoit chez eux , foitdans fon
Royaume ; en conféquence , Sa Majeſté a déclaré
& déclare par ces préſentes , ſignées de ſa main
qu'elle ne compte plus ledit Canton de Schwitz au
nombre de ſes chers , anciens & fideles Alliés du
louable Corps Helvétique , & qu'Elle n'entend
plus conſerver à ſon ſervice les troupes dudit
Canton qui s'y trouvent actuellement , ſoit dans
le Régiment des Gardes- Suifles , foit dans les
autres Régimens Suiſſes à ſa ſolde : leur ordonnant
de ſe retirer dans leur Canton ainfi & de la maniere
qu'il leur fera preſcrit de ſa part. Sa Majeſté
ordonne pareillement à tous les Cent- Suiffes de ſa
Garde , Suiffes des Douze & des Appartemens ,
Suiffes employés dans les châteaux , maiſons
jardins & bâtimens de Sa Majesté , Suiſſes de
portes , & autres du Canton de Schwitz , de vuider
le Royaume dans l'eſpace d'un mois après la
publication de la préſente Déclaration , à peine
d'y être contraints par toutes voies dues & raiſonnables
; défendant Sa Majesté à toutes perſonnes ,
de quelque qualité & condition qu'elles foientdans
ſon Royaume , de garder ni recevoir leſdits Suiſſes
du Canton de Schwitz à leurs gages ou autrement,
àpeine de déſobéiſſance , &c .
LOTERIES.
,
Le quarante-neuvieme tirage de la Loterie de
l'Hôtel-de-Ville s'eſt fait le 25 Janvier en la
maniere accoutumée. Le lot de cinquante mille
AVRIL 1765 . 189 .
liv. eſt échu au numero 36444 ; celui de vingt
mille liv . au numero 30752 , & les deux de dix
mille liv. aux numeros 24975 & 390080 .
Les Février on a tiré la Loterie de l'Ecole
Royale militaire. Les numeros fortis de la roue
de fortune font , 17 , 65 , 45 , 69 , 42 .
MARIAGE.
Lerx Février 1765 Charles- François- Chriſtian:
de Montmorency- Luxembourg , premier Baron '
Chrétien, Prince de Tingry , Comte de Beaumont
en Gatinois , Marquis de Breval au pays
Mantois & autres lieux , Lieutenant Général des
Armées du Roi & au Gouvernement de Flandres ,
Capitaine des Gardes du Corps de Sa Majeſté , a
épousé en troiſieme noces Eléonor - Joſephine
Pulchérie des Laurents , fille de Joſeph Balthazar
des Laurents , Seigneur de Champfort , au Comté
Venaiffin , de Saint-Alexandre & de Saint- Nazaire
& autres lieux , & de Claudine Magdeleine- Ferrand
d'Ecofley ; ils ont reçu la bénédiction nuptiale
dans la Chapelle de l'Hôtel d'Havrech .
Le Prince de Tingry eſt fils aîné de Chriſtian-
Louis de Montmorency Luxembourg , Chevalier
des Ordres du Roi , mort Maréchal de France le
23 Novembre 1746 , & de Louiſe Magdeleine de
Harlay. De ce mariage font encore iflus Joſeph-
Maurice- Annibal , appellé le Comte de Montmorency
, mort en 1762. Eléonor- Marie , qui a été
mariée au Duc de Treſimes , morte en 1755. Marie-
Louiſe Cunegonde, mariée au Duc d'Havrech,
Prince du Saint Empire , Grand d'Eſpagne en
1764.
190 MERCURE DE FRANCE.
En premiere noces le Prince de Tingry avoir
épousé le Octobre 1730 Sabine Olivier , foeur
de Jean-Antoine , Seigneur de Senozan , Confeillerd'État
, morte en 1741 , dont il a eu une fille
unique , Louiſe- Françoiſe Pauline , mariée 1º. au
Duc de Montmorency , dont il lui reſte deux
filles , 2°. en 1764 au Comte de Montmorency-
Croffilles.
Il épouſa en ſecondes noces , le 29 Décembre
1752 , Louiſe-Magdeleine de Fay , reſtée fille
unique du Maréchal de la Tour- Maubourg , Chevalier
des Ordres du Roi , & d'Agnès-Magdeleine
Trudaine en 1754 , fans poſtérité.
La maiſon des Laurents eſt originairede la
villedeCavaillon , dans le Comté Venaiſſin ; une
partie du territoire de cette ville prenoit en 1263
fon nomde Jean Gui , Raimond Gui & François
des Laurents qui le poſſédoient. Raimond Laurenti
de Cavaillon eſt qualifié Chevalier dans un
acte paſſé en 1245 , entre Guillaume de Baux ,
Prince d'Orange , & l'Ordre de Saint Jean de
Jérusalem , où il aſſiſte & figne comme témoin.
Un autre Raimond Laurenti , auſſi Chevalier ,
comparut avec les autres Gentilshommes & habitans
de Cavaillon , dans un hommage rendu au
mois d'Août 1272 à Giraud , leur Evêque & leur
Seigneur. Un troiſieme Raimond Laurent , auf
qualifié Chevalier ( & c'eſt celui depuis lequel la
filiation ſe trouve exactement ſuivie ) , épouſa
vers l'an 1 300 Rambaude de Gorde , de la Maiſon
de Simiane. Son fils , nommé comme lui , &
furnommé le Jeune , & de Gorde , à cauſe de ſa
mere , fut Sergent d'Armes de Charles d'Anjou ,
Duc de Calabre , fils du Roi Robert. De fon mariage
avec Sibille d'Aluis maquit Guillaume Lau
AVRIL 1765. I191
renti , qui s'allia dans la Maiſon de Raimond
d'Avignon, & eut entr'autres enfans Guillaume II
dunom, perede Monet Laurenti , qui fut Maréchal
de Bataille dans les armées de Louis & d'Amédée
IX , Ducs de Savoye , & fut nommé
Capitaine ou Gouverneur du Château de Nice ,
par lettres datées du camp d'Agano du 1 4Novembre
1467. Il épouſa en premiere noces Françoiſe ,
de la Maiſon de Trivulce , & en ſecondes noces
Louiſe Sabionelli , d'une famille noble de Turin .
Louis Laurenti , ſon fils aîné du premier lit , ſe
tranſporta de Nice à Avignon , & quittant la
profeffion des armes , il embraſſa celle des loix ,
qui étoit alors ſuivie par une partie de la nobleſſe
dans les Etats des Souverains Pontifes . Il fut marié
avec Anne de Carence , d'une famille noble ,
originaire d'Aragon , dont il eut dix enfans , cing
garçons &cinq filles. Unedes filles fut mariée à
George de Sabran de Forcalquier . Jérôme des
Laurents, celui de ſes fils qui continua ſa poſtérité,
ayant ſuivi laprofeſſion de ſon pere , fut fait premier
Auditeur de Rote lors de la création de ce
Tribunal en 1570 ; il exerça trois fois la charge
de Viguier , uniquement réſervée à la premiere
nobleſle ; il futdéputé par ſes Concitoyens au Pape
Pie IV , & aux Rois Henry II & Henry III , &
toute ſa vie fut une ſuite de ſervices qu'il rendit à
fa patrie. Les circonstances du temps l'obligerent
de prendre le parti des armes dans le temps des
guerres du Baron des Adrets & de Montbrun ,
dans le Venaiffin , & le Général Serbelloni lui
confia la défenſe d'une tour d'Avignon .
De ſon mariage avec Iſabelle de Lopès deVilla
Nova naquirent pluſieurs enfans. De l'aîné Fran
192 MERCURE DE FRANCE.
çois eſt ſorti la branche des Seigneurs de Champfort
: du ſecond Jean vient la branche des Marquis
de Brantes. Deux freres , arriere - petits - fils de
Jean , ont épousé en 1719 & 1724 deux foeurs ,
filles de François Annibal III , du nom Duc
d'Eſtrées , Pair de France , Chevalier des Ordres
du Roi : l'un eſt Hiacinthe-Dominique des Laurents
, appellé le Marquis des Laurents , Capitaine
au Régiment de Tallard , & Chevalier de
S. Louis ; l'autre eſt Louis- Joſeph des Laurents ,
appellé le Comte d'Ampus , Capitaine de Cavalerie
au Régiment Meſtre de Camp Général ,
Chevalier de l'Ordre de S. Louis , Lieutenant de
Roi honoraire à Saint-Domingue. Ils étoient coufins
de leurs femmes au quatrieme degré par
Julienne- Hypolite d'Eſtrées , Duchefle deBrancas,
leur bifayeule maternelle .
François , qui fuccéda à ſon pere dans la charge
d'Auditeur de Rore , eſt le trifayeul de Joſeph-
Balthazar des Laurents , Officier de Dragons.
C'eſt le pere d'Eléonor- Joſephine Pulchérie , aujourd'hui
Princelle de Tingry , qu'il a eue de fon
mariage avec Claudine- Magdeleine Ferrand d'Ecoffey
, fille de François , Baron d'Averne , Gouverneur
de Navarreins , Chevalier de l'Ordre de
S. Louis , & de Magdeleine de Flexelles de Bregy,
Dame de Flexelles .
Sa Majefté a accordé les honneurs de Duc à
M. le Prince de Tingry.
SERVICE.
Le 7 Février on a célébré à Verſailles dans
l'Eglife Paroiſſiale de Notre-Dame un Service
pour
AVRIL 1765. 193
pour feu Madame Henriette de France. La Reine
y aſſiſta , ainſi que Monseigneur le Dauphin ,
Madame la Dauphine , Madame Adelaide & Mefdames
Victoire , Sophie & Louiſe. Le ſieur Allart
, Curé de la même Paroiſſe , y officia.
MORTS.
Didier d'Arclais de Montamy , Chevalier de
l'Ordre Royal & Militaire de Saint Lazare , &
premier Maître d'Hôtel du Duc d'Orléans , eſt
mort au Palais Royal le 8 Février, âgé de ſoixanteun
ans.
Marie-Urſule de Klinglin , veuve de Valther ,
Comte de Lutzelbourg , Meſtre de Camp de Cavalerie
, eſt morte le 23 Jannvviieerr , en ſon château
de Liſlejan , proche Strasbourg , âgée de quatrevingt-
deux ans.
Anne- Luce- Jacqueline , fille d'Anne-Hilarion
deGalard de Braſſac , Comte de Bearn , & de feu
Olimpe de Caumont la Force , eſt morte le 21
Janvier au Couvent de Cherche-Midy à Paris ,
âgée de dix-neuf ans.
NOUVELLES POLITIQES...
DE COBLENTZ , le 15 Février 1765 .
LE Pere Kreins , Doyen & Profeſſeur de la Fa
culté de Théologie dans l'Univerſité de Trèves ,
ayant avancé dans des thèſes de théologie imprimées
& foutenues publiquement au mois d'Août
1763 , que les plus fameux ſchiſmes dans l'Egliſe
étoient celui des Grecs & celui des François , la
propoſition relative aux François a été regardée
Vol. II. I
194 MERCURE DE FRANCE.
comme faufle & téméraire ; & pour réparation
de l'injure faite à l'Egliſe de France , le Pere
Kreins a été deſtitué de la place de Profeffeur de
théologie & du Décanat de l'Univerſité , déclaré
inhabile à remplir aucune fonction dans les
écoles de l'Archevêché de Trèves , banni des
terres de l'Electorat , & obligé à faire une rétractation
folemnelle imprimée & publique de la
propofition fur le prétendu fchiſmedes François.
DE GENES , le 18 Février 1765 .
Suivant les lettres de Corſe , le nommé Abbatucci
, chefde parti , qui s'étoit fortifié au-delà des
Monts,a été attaqué par le frère du Général Paoli
,& forcé de ſe fauver avec précipitation à Bonifacio
, après un combat très -vif , dans lequel , indépendamment
de beaucoup de monde qu'il a
perdu , on lui a fait environ cinquante priſon
niers.
FRANCE .
Nouvelles de la Cour de Paris , &c .
DE VERSAILLES , le 23 Mars 1765.
LE 24 du mois dernier , Leurs Majestés & la
Famille Royale ont figné le contrat de mariage
du Comte de Vibraye , Meſtre-de- Camp du RégimentDauphin,
avec Demoiſelle Angrand'Alleray
,& celui du Comte de Briſay avec Demoiſelle
Picot deDampierre. Lemême jour le Baron de
Poudenx a eu l'honneur d'être préſenté à Sa Majeſté
en qualité de premier Maître-d'Hôtel du
Duc d'Orléans .
:
Le Roi a accordé les entrées de fa chambre au
Comted'Hautefort & au fieur Senac de Meilhan ,
Maître des Requêtes , fils de ſon premier Més
decin,
AVRIL 1765. 195
Le ſieur de Montholont ayant donné ſa démiffionde
laplacede premier Préſident du Parlement
de Metz , le Roi en a diſpoſé en faveur du ſieur
deMontholent ſon neveu. Sa Majeſté a créé une
place de Conſeiller d'honneur au même Parlement
en faveur du fils du ſieur de Montholont ,
ancien premier Préſident .
,
Sa Majefté a accordé le 27 le gouvernementde
Salfes en Rouffillon au Marquis d'Eſpinchal
Lieutenant-Général de ſes Armées . Cet Officier
Général ayantdonné le 2 de ce mois ſa démiſſion
de la place de premier Lieutenant des Gardes-du-
Corps de la Compagnie Ecoſſoiſe , a été remplacé
, en qualité deChefde Brigade , par le Marquis
de Montchenu , premier Exempt de la Compagnie
, àqui le ſieur de Linieres a fuccédé.
Le ro de ce mois le Roi a accordé les honneurs
du Louvre au Comte de la Rochefoucault , fils
aîné du Duc d'Eſtiſſac ; au Vicomte de Choiſeul ,
fils du Duc de Praflin , & Menin de Monſeigneur
le Dauphin , & au Comte de Guiche , fils du Duc
de Gramont.
Sa Majesté a donné l'Abbaye de la Virginité ,
Ordre de Cîteaux , Diocèſe du Mans , à la Dame
de la Magdeleine , Religieuſe à Hautebruyere.
Sa Majesté a pareillement donné le Doyenné
de l'Egliſe Cathédrale de Toul à l'Abbé Clevi ,
Grand-Chantre de la même Eglife ; le Prieuré
de Tauron , Diocèſe du Mans , à l'Abbé de la
Selve , Vicaire - Général du Diocèſe de Tulles ;
la dignité de Chantre dans l'Egliſe Cathédrale
de Toul , à l'Abbé Drouas Vicaire-
Général du même Diocèſe ; & la Tréſorerie
de l'Egliſe Collégiale de Saint MartindeTours
l'Abbé Barthelemy,de l'Académie des Infcrip
1
I ij
1.95 MERCURE DE FRANCE.
:
tons & Belles- Lettres , & Garde dés médailles &
antiques de la bibliothèque du Roi.
L'Evêque de Coutances , qui avoit été ſacré le
10 de ce mois par le Cardinal de Luynes , affifté
des Evêques d'Autun & de Troyes , prêta ferment
le 16 entre les mains du Roi.
Le même jour Leurs Majestés & la Famille
Royale fignerent le contrat de mariage du Marquisde
la Villemeneuſt avec Demoiselle fille du
feuMarquis de Hantoy , Chambellan de Léopold ,
Duc de Lorraine , & Capitaine Lieutenant d'une
compagnie de Chevaux-Légers de fa garde , & le
18 celui du Marquis de Lambert avec Demoiſelle
Aniſſon.
Le Parlement de Rennes ayant été mandé par
le Roi , a été préſenté à Sa Majesté le 18 par le
Comtede Saint- Florentin , Miniſtre & Secrétaire
d'Etat ayant le département de la Province de
Bretagne , & conduit par le Marquis de Dreux ,
Grand- Maître des cérémonies. Le Roi reçut les
Membres de ce Parlement dans ſon fauteuil , en
préſence de ſes Miniſtres & de ſes grands Officiers.
Le 20 le même Parlement eut une ſeconde
audience du Roi , à laquelle il fut préſenté par le
Comte de Saint- Florentin & conduit par le Marquis
de Dreux.
Le Pere Paul de Colindres , Général des Capucins
, accompagné de pluſieurs Religieux de fon
Ordre , eut le 21 une audience du Roi , de la
Reine & de la Famille Royale. Il fut conduit à
ces audiences par le ſieur de la Live , Introducteur
des Ambaſſadeurs , qui étoit allé le prendre dans
les carroſſes de Leurs Majeſtés : il fut ſervi à ſon
traitement par les Officiers du Roi , & le ſieur
du Hallier , Maître-d'Hôtel du Roi , fut chargé
defaire les honneurs de la table. Après le repas
AVRIL 1765. 197
ce Général fut reconduit à Paris au Couvent des
Capucinsdans le méme carrofle.
La Princeffe de Tingry fut préſentée le 3 à
Leurs Majeftés, ainſi qu'à la Famille Royale, par la
Maréchale de Luxembourg , & prit le même jour
le tabouret chez la Reine .
Le Vicomte d'Adhémar Montfalcon , iſſu de
Fancienne famille d'Adhémar , a eu l'honneur
d'être préſenté le 4 à Sa Majesté , d'après les preuves
examinées & reconnues par le ſieur de Beaujon
, Généalogiſte des Ordres. Sa branche , ſéparée
dès le douziéme fiècle , ſubſiſte encore en
Rouergue dans la perſonne du Comte d'Adhémar-
Panat.
La Vicomteſſe de Choiſeul fut préſentée le 10
à Leurs Majeftés & à la Famille Royale par la
Ducheſſe de Choiſeul , & prit le tabouret chez la
Reine.
2 La Comreſſe de Montmorin a été préſentée le
même jour à Leurs Majestés & à la Famille
Royale par la Ducheſſe de Brillac.
La Comteffe de Guiche & la Comteffe de la
Rochefoucault furent préſentées le 16 au Roi , &
le 17 à la Reine & à la Famille Royale ; la première
, par la Ducheſſe de Gramont ; la ſeconde ,
par la Ducheſſe d'Eſtiſſac : elles ont pris toutes
deux le tabouret chez la Reine.
Le ſieur de l'Averdy , Contrôleur-Général des
Finances , & en cette qualité ayant la police générale
de ce qui concerne la nobleſſe & lesprivilégiés
Nobles , a préſenté au Roi & à Monſeigneur
le Dauphin le huitieme & le neuvieme volumes
des regiſtres de la nobleſſe de France , ſous le titre
d'Armorial Général , dreffé par le ſieur d'Hozier
, Conſeiller du Roi en ſes Conſeils , Juge
d'armes de la nobleſſede France.Le20le fieurde
٦
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
l'Averdy a préſenté au Roi le troiſieme tomedu
Dictionnaire géographique , historique & politique,
des Gaules & de la France , par l'Abbé Expilly.
Le fieur de Belloy eut l'honneur de préſenter le
18 à Leurs Majestés & à la Famille Royale la tragédie
du Siége de Calais , dont le Roi a bieu voulu
agréer la dédicace. Sa Majefté lui a fait donner
une médaille d'or , & lui a accordé une gratification
de mille écus .
DE PARIS , ce 22 Mars 1761.
L'Evêque Comte de Châlons , le Duc de laTremoille
, comme Duc de Thouars , & le Duc de
Charoſt , ont été reçus au Parlement le 12 du
mois dernier , en qualité de Pairs de France.
,
con-
Le Roi ayant été informé que depuis une affemblée
tenue à Utrecht dans les Provinces-Unies des
Pays Bas au mois de Septembre 1763 , ſous la dénomination
de Concile Provincial d'Utrecht , on
cherche à engager divers Sujets , & même divers
Corps du Royaume , à des fignatures de corref
pondance & d'adhéſion en faveur de ladite aſſemblée
, & que ces démarches clandeſtines
traires aux Loix du Royaume , pourroient d'ailleurs
avoir des ſuites capables de troubler la tranquillité
de l'Eglife & de l'Etat : Sa Majeſté voulant
fur-tout qu'une affaire qu'Elle regarde comme
étrangère à fon royaume , ne puille y être une
occafion d'altérer en rien le reſpect dont Elle entend
que tous ſes Sujets ſoient pénétrés pour le
Saint Siége : fon Conſeil d'Etat a rendu un Arrêt
dité du 28 Février dernier , par lequel Sa Majeſté
renouvelle expreffément les défenſes faites
de tout temps en France à tous Sujets d'entretenir
aucune relation en matière d'affaires publiques
avec, les pays étrangers à ſon inſçu& fans fa pers
AVRIL 1765 . 199
miſſion , & leur défend d'entrer en aucune correfpondance
ou engagement pour raiſonde l'affemblée
d'Utrecht , par voie d'acte d'adhéſion ou autrement
, en quelque manière que ce ſoit.
Le Roi ayant permis au Maréchal Duc de Duras
d'entrer dans l'Ordre de S. Jean de Jérusalem,
ceMaréchal a fait les démarches néceflaires auprès
du Grand- Maître & de ſon Conſeil pour ob
tenir la réception , ce qui lui a été accordé. En
attendant que les formalités & les ſolemnités
preſcrites par les ſtaturs puſſent être remplies ,
le Grand- Maître & le Conſeil de l'Ordre lui ont
permis de porter la croix. En conféquence le 16
de ce mois le Bailli de Froullay , Ambaſladeur de
la Religion de Malthe auprès du Roi , fit dans fon
hôtel la cérémonie de revêtir l'aſpirant de la croix
de l'Ordre en préſence de pluſieurs Officiers de
l'Ordre , Grands Croix , Commandeurs , Chevaliers
, Chapelains & Servans d'Armes , Profès &
Novices.
,
Sa Majesté , par un Edit daté de ce mois , &
enregiſtré au Parlement le r2 permet à tous fes
Sujets , de quelque qualité & condition qu'ils
puiflènt être, excepté ceux qui feront actuellement
titulaires& revêtus de Charges de Magiftrature, de
faire librement , tant pour leur compte que par
commiffion , toute forte de commerce en gros ,
tant au dedans qu'au dehors du Royaume , fans
être obligés de ſe faire recevoir dans aucun Corps
ou Communauté . Sa Majesté n'entend cependant
rien innover par rapport à la ville de Paris , où le
commerce continuera de ſe faire comme par le
paffé.
Les Maîtres des Requêtes ordinaires de l'Hôtel
du Roi , en vertu d'un Arrêt d'attribution du
Conſeil dumois de Juin 1764 , ont procédé à la
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
viſite du procès des Calas ; & par Jagement ſouverain
rendu le 9de ce mois, tous les Quartiers
aſſemblés , Anne-Roſe Gabibel , veuve de Jean
Calas , Jean-Pierre Calas ſon fils , Alexandre François-
Gualbert Lavayſſe & JeanneViguiere, enſemble
la mémoire de Jean Calas père , exécuté à
Toulouſe le 10 Mars 1762 , ſont déchargés de l'accuſation
intentée contre eux , & renvoyés à ſe
pourvoir ſur la demande en priſe à partie & en
dommages & intérêts , ainſi qu'ils aviſeront.
On a appris de Bordeaux que le 28 du mois
dernier , la marée , qui ne devoit monter que
fur les 7 heures du matin , commença àmonter
entre fix heures & fix heures &demie , & fit éviter
les vaiſſeaux. Ce qui parut plus ſurprenant ,
c'eſt qu'environ une demi - heure après elledef.
cendit , &que l'eau baiſſa de quatre pouces. Sur les
ſept heures le véritable montant ſe fit fentir , &
dura le temps ordinaire. Ce phénomene a été
apperçu dans toute l'étendue de la rivière où la
marée monte. Il y a quelques années que la même
choſe arriva . Pluſieurs perſonnes attribuent ce dérangement
à un tremblement de terre. D'autres
croient que c'eſt l'effet d'un coup de vent : ily en
eut un très-violent dans la nuit du 27 au 28 .
Suivant une lettre écrite d'Abbeville , il y a eu
le 14du mois dernier dans cette ville &dans les
environs un léger tremblement de terre : mais la
ſecouſſe n'a été vraiment ſenſible que dans la partie
du pays qui eſt au ſud & fud-ouest de la ville ,
&particulièrement à Oiſemont , Liomer, Villers-
Campfart , Senarpont , Caieux , Saint-Vallery &
dans les villages intermédiaires. On a ſeulement
entendu à cette même heure dans la ville & dans
la partiedu pays qui eſt au nord , un bruit fourd
&extraordinaire, venant du côté de la mer &paroiſſant
dirigé du nord au midi. :
AVRIL 1765 . 201
Suivant les nouvelles qu'on a reçues du Gevaudan
, les meſures priſes juſqu'à préſent pourdélivrer
le pays de labête féroce qui le ravage n'ont
pas eu le ſuccès qu'on en attendoit. La première
chaſſe générale , qui avoit été concertée par le
fieur Duhamel , Capitaine des Volontaires de
Clermont , & l'Intendant d'Auvergne , ſe fit le 7
comme on l'avoit annoncé . Soixante-treize Paroiſſes
du Gevaudan & trente de l'Auvergne & du
Rouergue formerent un corps d'environ vingr
mille chaſſeurs conduits par les Subdélégués , les
Confuls& les notables habitans. La bête fut lancée
par les chaſſeurs de la Paroiſſe de Prunieres ; elle
paſſa à gué la rivière de Truiere , dont le bord
oppoſé le trouva malheureuſement dégarni ,
quoique , fuivant les diſpoſitions qui avoient été
faites , il dût être gardé par les habitans de Malzieu.
Le Vicaire de Prunieres &dix de ſes paroiffiens
ſe jetterent dans la rivière , en traverſerent
unepartie à la nage malgré la rigueur de la faifon
, & chafferent l'animal pendant fort longtemps
, en ſuivant les traces qu'il avoit laiffées
dans laneige ; mais il ſe déroba à leur pourſuite
en ſejettantdans des bois d'une grande étendue.
Aune heure après-midi la bête fut rencontrée par
cinq habitans de Malzieu ; l'un d'eux lui tira un
coup de fufil à bale forcée: elle tomba ſur ſes deux
jambes dedevanten pouſſant un grand cri ; mais
elleſe releva promptement , & ils la pourſuivirent
juſqu'à la nuit fans pouvoir l'atteindre d'aſſez près
pour la tirer une ſeconde fois. Le 10 les habitans
de dix-fept Paroiſſes ſe réunirent pour une autre
chaſſe, dans laquelle on ne put rencontrer cet
animal. Le lendemain on fit encore une chaſſe
générale , auſſi nombreuſe que la première , &
qui n'eut pas un plus heureux ſuccès. Le 9
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
cette bête cruelle enleva un enfant àla porte de la
maiſonde fon père, le traîna juſqu'à deux cens
pas, mais fut obligée de l'abandonner à l'arrivée
d'un hommequi la pourſuivit avec ſon chien: les
bleffures de l'enfant , quoiqu'allez grieves , ne
font pas dangereuſes. Le mêmejour elle dévora
au village de Mialonettes une jeune fille de 14
ans; des habitans qui arriverent ſur le lieula con
traignirent de lâcher ſa proie: on laiſſa le cadavre
expoſé dans l'eſpérance qu'elle y retourneroit ,
mais elle ne parut pas. Le 21 elle attaqua fur le
grand chemin de Saint-Chely à Aumont un Muletier
, qui fe défendit long-temps & fut heureufement
ſecouru. Le mêmejour elle bleſſa dangereulement
une jeune filledu lieu de Fau , Paroiffe
de Brion , & la traîna à quelque diſtance. Le 24 à
dixheures du ſoir une femme du village de Croufet
, Paroille d'Aumont , étant devant ſa maiſon ,
fatſaiſiepar derrière par cet animal , qui lui enle
va ſa coeffe , la mordit à l'épaule & lui déchira ſa
robe& fa chemiſe: il lacha priſe à l'approche des
gensqui accoururent au ſecours & échappa à leur
pourfuite à la faveur de l'obfcurité. Enfin le 25 à
neufheures du matin il attaqua au milieu du vil
lage de Javouls deux enfans qui puifoient de l'eau
a la fontaine : un matin ſauta fur la bête & l'abattit;
mais elle ſe dégagea & prit la fuite en
voyant approcher des habitans , qui la pourſuivirent
inutilement pendant quelque temps : on
voulut mettre le chien à la pourſuite , mais il
refula de donner .
Le Roi ayant été informé de la bravoure avec
laquelle lejeune Portefaix , à la tête de ſes camarades
,avoit attaqué la bête le 12 Janvier dernier,
&voulant récompenfer cette action courageuſe,
aaccordé quatre cens liv. de gratification pour
Y
AVRIL 1765 . 203
cet enfant & trois cens liv . àpartager entre ſes
camarades.
On a reçu de Soiſſons les détails ſuivans des
ravages faits par un loup dans les environs de cette
ville. Le 28 du mois dernier à midi une femme de
la paroiſſe de Septmont fut étranglée par ce loup ,
qui lui dévora le viſage , les bras& les cuiffes.
Comme elle étoit enceinte de quatre à cinq mois,
on a ouvert ſon cadavre , d'où l'on a tiré ſon enfant
, qui a reçu le baptême. A une heure & un
quart , & à trois cens pas du même endroit , une
autre femme d'Amberief , & fon fils furent attaqués
par cemême animal ,qui les mordit & les
déchira cruellement en pluſieurs endroits du corps .
Les ſecours mutuels qu'ils ſe ſont rendus en cette
funeſte circonſtance leur ont ſauvé la vie. Le premier
de ce mois , vers les cinq heures du matin ,
cette bête cruelle ſe jetta ſur un homme du village
de Courcelles , qui ſe débattit vivement avec
elle, & qui , par ce moyen , évita la mort après
avoir reçu pluſieurs bleſſures à la tête. Un garçon
Boucher & un garçon Maréchal , qui voyageoient
enſemble & s'en alloient à Paris , furent
auſſi attaqués & grievement bleflés par cet animal
àpeu de diſtance de cet endroit. Il en arriva autant
àun Laboureur qui étoit à cheval : le loup lui
déchiraune grande partie du viſage , & mordit au
poitrail & à la bouche le cheval , qui prit la fuite.
Le Laboureur fut poursuivi juſqu'à un moulin , où
le loup le quitta pour ſe jetter ſur un garçon de
dix- sept ans qu'il laiſſa expirant. Il prit enſuite la
route du village de Bazoches : une femme & une
fillede ce village s'étant trouvées ſur ſon paſſage ,
il attaqua d'abord la fille , qu'il mordit à la joue
& à la main. Sa compagne voulant la ſecourir, fut
la victime de cette bete féroce , qui la déchira
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
cruellement en pluſieurs endroits du corps & lui
coupa preſque entiérement le cou. La fille étant
allée chercher du ſecours au village , pluſieurs
hommes accoururent : mais comme le loup s'étoit
éloigné , ils laiſſerent quatre hommes armés auprès
du cadavre de la femme. Bientôt après l'animal
revint & attaqua les quatre hommes qui ,
malgré leur vigoureuſe défenſe , ne purent éviter
d'être grievement bleſlés. Il arriva dans ce moment
de nouveaux ſecours , & le loup ſe ſanva
dans la cour d'une ferme , où il attaqua un gros
chien quiy étoit enchaîné. Le chien fit un effort fi
violent , qu'il briſa ſa chaîne & fe mit à pourſuivre
le loup : celui- ci en s'enfuyant ſe jetta fur des
moutons , en mordit pluſieurs & étrangla deux
agneaux. Il entra enſuite dans une étable , y mordit
une ſervante de la ferme , deux boeufs & une
vache : enfin , toujours pourſuivi par le chien , il
ſe reſugia dans une grange , d'où il s'échappa un
moment après. Le nommé Antoine Defavenelle ,
ci-devant Milicien qui l'avoit vu entrer dans la
ferme , étoit allé chercher au village une fourehe.
En revenant il rencontra dans une petite rue le
Joup , qui vint à lui la gueule béante. Deſavenelle
l'attendit de pied ferme, lui enfonça la fourche
dans la gueule & le tint pendant plus d'un quart
d'heure aſſujetti contre la terre , juſqu'à ce qu'enfin
on vint à ſon ſecours & on acheva de tuer cc
furieux animal. Les perſonnes qu'il a bleſſées ont
été tranſportées à l'hôpital de Soiffons .
Sa Majefté a accordé à Deſavenelle une gratificationde
trois cens liv. en récompenſe du courage
avec lequel il a attaqué & dompté ce loup.
AVRIL 1765 . 205
LOTERIES.
Le cinquieme tirage de la Loterie de l'Hôtelde-
Ville s'eſt fait le 26 Février en la manière accoutumée.
Le lot de cinquante mille liv. eſt échu
au numéro 55070 ; celui de vingt mille liv. au
numéro 56204 , & les deux de dix mille liv. aux
numéros 41336 & 55112.
Les Mars on a tiré la lotterie de l'Ecole Royale
Militaire . Les numéros fortis de la roue de fortune
font 16 , 1,21 , 6 , 86.
NAISSANCE.
Le 28 Février la Ducheſſe de Fronſac , bellefille
du Maréchal Duc de Richelieu , eſt accouchée
d'un fils .
MORTS.
M. Chaumejean de Fouville , Abbé Contmendataire
de l'Abbaye Royale de S. Vincent , Ordre
de S. Auguſtin , Diocèſe de Senlis , eſt mort à
Paris le 25 Février , âgé de ſoixante - quinze
ans.
Guillaume Richard Shetwind , fils du Lord
Shetwind, & Membre de la Chambre des Communes
d'Angleterre , eſt mort à Limoges lers
Février, âgé de trente-quatre ans. Son corps a été
embaumé & mis dans un cercueil de plomb pour
être tranſporté en Angleterre.
Louis - François - Martial Deſmontiers , Marquis
de Merinville , Maréchal des Camps & Armées
du Roi , ci-devant Capitaine-Lieutenant desGen--
darmes de la Reine , eſt mort dans ſes Terres en
Poitou les Mars.
206 MERCURE DE FRANCE.
Joſeph -Marie , Comte de Lordat , Maréchal
deCamp, &Gouverneurde Brouage , eſt mort à
Paris les Mars .
Scipion- Louis -Joſeph de la Garde , Marquis de
Chambonas , Brigadier des Armées du Roi , eſt
mort à Paris le 27 Février.
LeComte deValori , Meſtre-de- Camp de Cavalerie
, Exempt des Gardes-du- Corps du Roi ,
Compagnie de Beauvau , eſt mort à Verſailles le
premier Mars , âgé de quarante ans .
Jacqueline-Madeleine , Comteſſe de Damas de
Ruffey , Chanoineſſe de Neuville en Breſſe , eſt
morte à Paris le 22 Février dans la ſoixantedixieme
année de ſon âge.
Jeanne Madeleine Théreſe de Bouchet de Sourches
, Comteſſe de Vogué , eſt morte à Paris le
21 Février dans la vingt-deuxieme année de ſon
âge.
Bathilde-Madeleine Félicité de Verdelhan des
Fourniels , épouſe de Jacques Moreton , Comte
de Chabrillant , Maréchal-de-Camp , eſt morte à
Paris le 6 Mars .
AVIS DIVERS.
NOUVEAUX bandages du fieur BROGNIARD ,
rue de la Vieille Monnoie , à Paris , la quatrieme
porte-cochere à gauche en entrant par
la rue des Lombards.
LE fieur Brogniard , reçu à Saint Côme , vient
d'inventer de nouveaux bandages , les plus doux
&les plus commodes pour la guériſon des hernies
AVRIL 1765. 207
ou deſcentes de toutes eſpèces , propres aux hommes
, aux femmes & aux enfans.
Ces bandages , malgré leur ſoupleſſe , ne ſont
point ſujets à ſe caffer , & contiennent les defcentes
les plus violentes , ſavoir : les bandages
pour le nombril , pour l'aîne , pour la crurale ,
pour l'ovalaire , pour l'anus. Bandages pour les
femses nouvellement accouchées , de précaution.
Peſſaires pour la chûte de matrice.
Les perſonnes de province qui s'adreſſeront au
fieur Brogniard , en lui envoyant leur meſure ,
auront ſoind'affranchir leurs lettres .
Permis d'imprimer , ce 15 Novembre 1764 .
Signé , DE SARTINE.
PARbrevet & approbation de la Commiſſion Royale
de Médecine. Du 24 Août 1750. Béchique
ſouverain , ou Syrop pectoral pour les maladies
de poitrine.
En conféquence de la délibération priſe au
Bureau de la Commiffion , ſur les certificats des
Médecins&d'autres perſonnes dignes de foi , concernant
les bons effets d'un Syrop Béchique , de la
compofition de M. V. il lui a été permis de compoſer
, vendre & diſtribuer ledit Syrop Béchique ,
qui a été reconnu comme un remède efficace pour
le foulagement & la guériſon radicale du rhume ,
des toux invétérées , oppreſſion , foiblettes de
poitrine , & un puitfant palliatif dans l'aſthime
humide.
Ufage de ce Béchique.
Dans le rhume , la toux , oppreffion & foibleſſes
de poitrine , la doſe ordinaire ſera de deux grandes
208 MERCURE DE FRANCE.
1
cuillerées à caffé combles , oules deux tiers d'une
caillere à bouche , que l'on délayera à chaud dans
un poiffon d'infufion de fleurs de bouillon blanc
ou de thé ; & à leur défaut , l'on peut ſe ſervir
d'eau , obſervant de le prendre toujours le plus
chaudement qu'il ſe pourra , deux fois le jour ,
ſavoir , le matin à jeun , une heure avant le lever ,
s'il eſt poſſible , & ne rien prendre que deuxheures
après; & le ſoir en ſe couchant , deux heures au
moins après le fouper , qui doit être plus léger
que de coutume ; continuer chaque jour la même
méthode juſqu'à parfaite guériſon , ce qui ne tarderapas
, en tant qu'il rétablit les forces abattues ,
enrappellant peu à peu l'appétit & le ſommeil
comme parfait reſtaurant , par conféquent trèsfalutaire
à la ſuite des longues maladies où les
forces ſont épuiſées .
Quelqu'efficace que foit ce Béchique , il fant le
prendre exactement &de ſuite , vivre de régime ,
c'est-à-dire , s'abſtenir de fruit , ſalade , & en un
mot , de tout ce qui peut nuire ; prendre pour
boiffon , à ſa ſoif ſeulement , une priſanne adouciflante
, telle que l'infuſion de fleurs de bouillon
blanc , celle de tucilage , ou telle autre que les
Médecins jugeront à propos.
Dans les accès de l'aſthme humide , il faut en
faire prendre aux malades une doſe de quatre
grandes cuillerées à caffé combles , délayées &
priſes chaudement comme il a été dit , & trois ou
quatre heures après réitérer la même doſe ; &
fi , contre notre attente , les malades n'en recevoient
pas un foulagement marqué , il faudroit
leur endonner une troiſieme prife , & une quatrieme,
fi elle étoit néceſſaire , obfervant le même
intervallede trois ou quatre heures.Et pour confirmer
le ſoulagement , l'on fera continuer l'uſage
AVRIL 1765 . 209
de ce Béchique pendant trois ou quatre jours ,
matin & foir , à la doſe de deux grandes cueillerées
à caffé combles , délayées & priſes chaudement
comme deſſus. Il eſt conſtant que les accès
decette maladie deviendront par la fuite & moins
violens , & moins fréquens.
En ſuivant exactement la méthode prefcrite
ci-deſſus , on oſe bien garantir le ſuccès de ce
Syrop Béchique , dont l'odeur & le goût ſont
agréables , & qui convient à toutes fortes de perſonnes
, aux enfans mêmes , & aux femmes enceintes
, qui peuvent en uſer avec ſuccès , preuve
de ſa bénignité .
Et pour prouver de plus en plus l'utilité de ce
Syrop Béchique , la Dame Mouton indiquera
grand nombre de perſonnes de tous les états , de
ceux même de l'art , qui prouveront fon efficacité.
Les premiers , par leur propre expérience , ceux
de l'art par les épreuves qu'ils en ont faites , & les
certificats qu'ils en ont délivrés.
La bouteille taxće à fix livres , ſcellée & étiquetée
avec ſon cachet , eſt ſaffiſante pour en éprouver
toute l'efficacité avec ſuccès.
Adreſſe. Il ne ſe débite que chez la Dame veuve
Mouton , Marchande Apotichaire de Paris , rue
Saint Denis , entre la rue Thevenot & la rue des
Filles - Dieu , vis- à- vis le Roi François , à Paris .
Vu à Paris , ce 2 Septembre 1750 , Mq.
Vu l'approbation. Permis d'imprimer , ce 4 Septembre
1750. BERRYER.
Suc de Régliſſe & Pâte de Guimauve.
Mademoiſelle Defmoulins , par brevet & privilége
, confirmés par deux Arrêts du Parlement ,
des 17 Mai &4 Septembre 1747 , depuis plus de
210 MERCURE DE FRANCE.
foixante ans compoſe & diſtribue le véritable Suc
de Régliffe & la Pâte de Guimauve ſans ſucre ,
ſecret qu'elle tient par feue Madame ſa mere de
Mademoiselle Guy , Angloiſe , fille unique , décédée
à Paris en 1714 , plus de vingt ans après
la mort de ſon pere , premier Médecin de Charles
I, Roi d'Angleterre , &l'inventeur de ceſecret.
Ceux on celles qui ſe feignent parens de M. Guy ,
& qui ſe diſent propriétaires de ſon Suc & de ſa
Pâte deGuimauve, ſous lenom de Mademoiselle
Cyrano ou autres , trompent le Public , comme il
eſt prouvé par les Arrêts obtenus contre la Demoifelle
Cyrano. Mademoiselle Deſmoulins continue
ſeule avec ſuccès de les débiter à Paris , à la Cour
de France & dans les autres Cours de l'Europe ,
de l'aveu & avec approbation de Meſſieurs les premiers
Médecins du Roi & de la Faculté de Paris ,
qui les prennent chez elle lorſqu'ils les ordonnent
àleurs malades.
Propriétés& uſages du Suc & de la Pâte
Ils guériffent le rhume , fortifient la poitrine ,
'diſſipent l'enrouement & arrêtent le crachement
deſang. Les poulmoniques , les asthmatiques &
les perſonnes ſujettes à la pituite en ſont ſoulagées.
Ils font utiles à ceux qui ont la poitrine & la gorge
féches . On en peut uſer en tout temps , le jour ,
la nuit , devant & après le repas. Ils ſe tranſportent
par-tout & ſe gardent fans ſe gâter ni rien
perdre de leurs qualités. Comme d'autres ſe ſont
vantés d'en avoir acheté le ſecret , Mademoiſelle
( Defmoulins certifie ne l'avoir ni vendu ni communiqué
à perſonne ; ils ne ſe débitent en aucun
autre endroit que chez elle , où on peut ſe faire
montrer les Arrêts du Parlement , publiés & affi
AVRIL 1765 . 211
chés en 1747 , aux dépens dela Demoiselle
Cyrano , à qui il eſt fait défenſe d'ajouter à fon
nom propre celui de Guy.
Le prix du Suc & de la Pâte eſt de huit francs
lå livre.
Mademoiselle Desmoulins demeure rue du
Cimetiere S. André des Arcs , la premiere porte
quarrée à droite en ſortant du cloître, chezMademoiſelle
Charmeton , au ſecond.
ELIXIR Antiapopleſtique , ftomachique carmthatif
, le plus parfait qui ait encore paru , tant
parfon efficacité que parsafineſſe &Son parfum.
Comme ftomachique , il favoriſe inſenſiblement
la digestion , dont la mauvaiſe qualité eſt
la ſource ordinaire de l'apoplexie , & ce fans aucunement
échauffer. Comme carminatif , il calme
les vapeurs , fur- tout celles occaſionnées par les
vents qu'il diſflipe , ainſi que les coliques qu'ils
occafionnent .
Les bouteilles ſont de demi-ſeptier , à raiſon de
trois livres . Une cuillerée à bouche eſt ſuffiſante
pour en conftarer l'efficacité.
On n'en trouvera que chez le fieur Rouffel ,
Epicier Droguiſte dans l'Abbaye S. Germain- després
, à côté de la fontaine , vis-à-vis Madame
Duliege , Marchande Lingere à Paris ..
Le fieur Macary , Machiniſte privilégié du
Roi & des Etats de Hollande & de West- Frife , a
înventé différentes machines pour enlever les
eaux , principalement pour les deſſéchemens des
marais ; de forte qu'une machine enlevera par
heure vingt-cinq toiſes cuve à fix pieds d'élevation
que quatre hommes feront mouvoir pendant
quatre heures fans beaucoup ſe fatiguer , & quatre
212 MERCURE DE FRANCE.
qui les releveront , de forte qu'il faudra huit
hommes à chaque machine. Il en fera d'autres
qui enleveront à douze pieds d'élévation , dont fix
hommes feront mouvoir pendant quatre heures ,
& relayés par fix autres , de façon que douze
hommes enleveront vingt-cinq toiſes cuve par
heure , c'est-à-dire , fix cents toiſes par vingtquatre
heures.
Il a auſſi inventé une autre machine pour
enlever les eaux des puis , depuis ſoixante pieds
de profondeur juſqu'à cent cinquante. Cette machine
eſt ſi ſimple , qu'un homme , marchant
dans une roue , enlevera trente muids d'eau par
heure de ſoixante pieds de profondeur , pourvu
que les puits ſoient de quatre à cinq pieds de diamètre
; & s'ils étoient de ſept à huit pieds de
diamètre , on enleveroit le double : auffi à proportion
de la hauteur de foixante pieds en fus ,
il faudra mettre des hommes à proportion. Cette
machine n'est pas ſujette à grand entretien &
réparation ; elle eſt plus ſolide que toutes les pompes
connues juſqu'à ce jour. Ceux qui voudront
ſe ſervir de cette invention , le ſieur Macary
demeure rue Dauphine , fauxbourg S. Germain ,
à l'Hôtel d'Eſpagne. On le trouvera depuis ſept
heures du matin juſqu'à huit , & à deux heures
après-midi.
NOUVEAU remède pour conferver toutesses dents,
tant faines que gâtées , fans qu'elles faſſent
jamais aucun mal ni douleur , quelque gâtées
qu'ellesfoient , &fans qu'il faille en faire arracher
aucunes , &dont on commence à perdre l'ufage,&
que l'on quittera bientôt tout-à-fait.
* Ce remède conſiſte en un topique , de la compofitiondu
ſieur David, demeurant à Paris , rue
AVRIL 1765. 213
& à l'Hôtel Sainte Anne , butte S. Roch , vis- à- vis
du Bureau du Mercure & du Sellier de la Reine..
Ce topique s'applique le ſoir en ſe couchant ,
fur l'artere temporal , du côté de la douleur ; il ne
fait aucun dommage ni marque à la peau , il
tombe de lui-même au lever , & on eſt guéri four
la vie des maux de dents , des fluxions qui en
proviennent , des maux de tête , migraine &
rhume de cerveau , ſans qu'il entre rien dans la
bouche ni dans le corps.
Ce remède , qui eſt approuvé par Meffieurs
les Doyens de la Faculté de Médecine , acquiert
journellement des preuves ſans équivoque de ſon
efficacité. Il n'y en eut jamais de plus doux , puiſqu'il
guérit en dormant: plus de 22000 perſonnes,
tantdans Paris que dans les provinces , en ont été
guéries .
Tout le monde ſait que les maux dedents prennentdans
tous les momens de la journée , & que
l'on ne peut pas toujours s'aller coucher ; & pour
que l'on puiſſe vaquer à ſes affaires en attendant le
moment de ſe mettre au lit , ledit ſieur David a
de l'eau ſpiritueuſe d'une nouvelle compofition ,
qui eſt incorruptible , très-agréable au goût & a
l'odorat , qui fait paſſer dans la minute les douleurs
de dents les plus vives , guérit les gencives
gonflées , fait tranſpirer les férofités , raffermit
les dents qui branlent , empêche les mauvaiſes
odeurs des dents gâtées , le commencement& la
continuation de la carie , prennent les humeurs
ſcorbutiques , guérit radicalement de cette maladie
, & généralement de tous les maux qui viennent
dans la bouche.
Meſſieurs les Marins , ainſi que beaucoup de
voyageurs , tant par terre que par mer , en font
proviſion , ainſi que des topiques ,&ſont certains
1
214 MERCURE DE FRANCE.
de faire leurs voyages fans avoir jamais aucun
mal aux dents ni à la bouche ; & les perſonnes
qui ſe ſerventde cette eau ſans être incommodées,
ont toujours les gencives & les dents ſaines. Il ya
des bouteilles à 24 , à 6 ,&à 3 liv. & les topiques
à 24 fols chaque. Il donne un imprimé de la maniere
de ſe ſervir de tous les deux ; & quand on
lui fait l'honneur de l'envoyer chercher , on lui
paie en outre ſa courſe ſuivant l'éloignement. Il
en fournit dans toutes les provinces & hors du
Royaume , & il prie les perſonnes qui auront le
préſent volume de le mettre à part pour y avoir
recours dans le beſoin.
J
APPROBATION.
'AI lu , par ordre de Monſeigneur le Vice-
Chancelier , le ſecond volume du Mercure du
mois d'Avril 1765 , & je n'y ai rien trouvé qui
puiſſe en empêcher l'impreſſion . A Paris , ce
premier Avril 1765 .
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
LE Mauſolée de M. le Maréchal Duc de Luxembourg
, ode. Pages
VERS ſur la mort de M. Jore , &c. 8
IDYLLE , traduitede Moschus. 9
AVRIL 1765. 215
IDYLLE , traduite de Bion.
IDÉE d'un bon Peintre.
L'AFFLICTION raitonnable .
IO
II
12
VERS pour le portrait de M. de Belloy , &c. ibid.
JUGEMENT de Shakespeare dans le poème intitulé
la Refciade , &c . 13
IMITATION libre de ce morceau , par M. Marmontel
, de l'Académie Françoiſe.
CONSIDÉRATIONS fur les cauſes de la corrupibid.
tion de l'éloquence . IS
EPITRE à M. Gardel , Danfeur & Penſionnaire
duRoi. 39
EPITAPHE à Mile de Rochefort , &c .
PARAPHRASE de l'ariette dalforte non vilagnate
, &c.
42
ibid.
MADRIGAL à une Dlle qui m'avoit envoyé un
papillon. 43
A Monfieur de la Place , auteur du Mercure
de France. ibid.
IMPROMPTU adreſſe à Madame la Comteffe
de B ..... &c. 46
A la belle Troyenne , en lui renvoyant la nouvelleTragédiede
M. de Belloy. ibid.
Al'Auteur du Patriotiſme.
47
VERS ſur le mauſolée que le Roi fait élever ,
dans ſa bibliothéque , à feu M. de Crébillon. ibid.
INSCRIPTION pour la ſtatue du Roi qu'on élève
à Reims . 48
LES Fléches de l'Amour , ode anacreontique. ibid.
L'HOMME & le Chien , fable. so
Le Vifir , fable. SE
HERACLITE & Démocrite voyageurs , conte.
VERS a Madame Lec .... &c .
EPITRE à M. Buteau , Curé de Châteauchinon. 52
RÉPONSE de MM. Sénéchal & de la Place , 65
COPIE de la lettre de M. de Belloy auxMaire
53
64
a
216 MERCURE DE FRANCE .
&Echevins de Calais,
ENIGMES.
LOGOGRYPHES .
AMad.... qui vouloit apprendre à faire des
66
69
70
vers. Air: NoussommesPrécepteurs d'amour. 7 1
ART. 11. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
73 ASTRONOMIE , par M. de Lalande , &c .
JEAN Calas , à ſa femme & à ſes enfans , &c. 87
HISTOIRE des révolutions de Florence , &c. 93
ANNONCES de livres .
Avis .
११
115
ART . III . SCIENCES ET BELLES- LETTRES .
ACADÉMIES.
MATHÉMATIQUES. Extrait de l'ouvrage de M.
de Fontaine , de l'Académie des Sciences. 107
LETTRE de M. Bonamy , Docteur-Régent en
Médecine , &c. 125
ASTRONOMIE .
130
ARCHITECTURE . Etat de l'oeuvre de gravure de
M. Dumont , Profeſſeur d'Architecture, &c. 131
GÉOMÉTRIE. Problême .
135
ART . IV . BEAUX ARTS.
ARTS UTILES. CHIRURGIE. Lettre du Frère
Cofme à l'Auteur du Mercure.
135
Avis intéreſſant. 144
HORLOGERIE. 145
ARTS AGRÉABLES . MUSIQUE . Théorie de la
Muſique , par M. Balliere , &c. 147
GRAVURE. 161
ARTICLE V. CONCERTS SPIRITUELS.
165
MONUMENS PUBLICS . 172
SUPPLÉMENT à l'article des Arts . Danſe.
174
ARTICLE VI . NOUVELLES POLITIQUES. 177
Avıs divers . 206
De l'Imprimerie de Louis CELLOT , rue
Dauphine.
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO Ι .
AVRIL 1765 .
PREMIER VOLUME.
Diverſité , c'est ma deviſe. La Fontaine.
Cothin
Fidice ins
Logillon Saulpa
12180
Chez
A PARIS ,
1 CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis - à-vis la Comédie Françoiſe.
PRAULT , quai deConti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques .
CELLOT , Imprimeur rue Dauphine.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
Comfl, sets
higliot
71081
24009
AVERTISSEMENT.
LE
E Bureau du Mercure est chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
,
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie littéraire ,
àM. DE LAPLACE , Auteur du Mercure.
Leprix de chaque volume eſt de 36fols ;
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raison de 30 fols piece.
Les personnes de province auxquelles
on enverra le Mercure par la Pofte ,
payeront pour ſeize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront d'autres voies que
la Poste pour le faire venir , & qui prendront
les frais du port fur leur compte ,
ne payeront comme à Paris , qu'à raiſon
de 30 fols par volume , c'est- à- dire 24 liv .
d'avance , en s'abonnant pourſeize volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
ر
eirangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci-deſſus .
On fupplie les personnes des provinces
d'envoyer par la Pofte , en payant le droit,
leurs ordres , afin que le paiement en foit
fait d'avance au Bureau .
Les paquets qui neferont pas affranchis
refteront au rebut.
On prie les personnes qui envoient des
Livres , Estampes & Musique à annoncer ,
d'en marquer le prix .
Le Nouveau Choix de Pieces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M. DE
LA PLACE , ſe trouve auſſi au Bureau du
Mercure. Cette collection eſt compofée de
cent huit volumes. On en prépare une
Table générale , par laquelle ce Recueil
ſera terminé ; les Journaux ne fourniſſant
plus un affez grand nombre de pieces pour
le continuer.
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL 1765 .
PREMIER VOLUME.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
SUITE des Recherches fur la barbe .
II. DÉFEFNENSSEE aux Juifs dans le Lévitique
, chap. 14 , de ſe raſer la barbe. Nec
radetis barbam. Par la manière dont ils la
portent ( car ils n'ont point changé , on
en convient ) , on peut voir comment la
coutume a interprèté cette loi. Ils laiſſent
un filet de barbe depuis le bas de l'oreille
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
juſqu'au milieu du menton , où ils ont un
bouquet de barbe affez long , auſſi-bien que
fur la lévre d'en bas . Ils confervent fur leur
lévre d'en haut deux moustaches ſéparées
au-deſſous du nez. Ils coupoient donc la
barbe d'en haut& celle des joues. Un trait,
regum , 11 , 20 , 9 , pourra éclairer ce que
je viens de dire. David avoit envoyédes
Ambaſſadeurs au Roi des Ammonites..
Celui- ci les prit pour des eſpions , & leur
fit raſer la moitié de la barbe. A leur retour
ils eurent ordre de s'arrêter à Jéricho
juſqu'à ce que leur barbe fût crûe. Manete
in Jericho , donec crefcat barba veftra , &
tunc revertimini. Je conclus de-là qu'il
y avoit une grande infamie à paroître en
public fans barbe. 2°. Que les Juifs ne la
portoient pas bien longue , autrement il
leur auroit fallu refter là long-temps. Une
belle barbe n'eſt pas le fruit de fix mois ni
d'une année.
,
Il eſt vrai que l'uſage étoit de ſe rafer
dans le deuil : d'où vient que la barbe raſe
eſt , dans le ſtyle des prophètes , le ſymbole
ordinaire du deuil. Voyez Jérémie , 48 ,
37. Ezechiel , 5 , 1 ; mais l'uſage étoit auffi
que durant ce temps du deuil, on ne paroiffoit
point en public ; &dans cet intervalle
la barbe , que l'on ne coupoit qu'une
fois , avoit le loiſir de croître.
AVRIL 1765 . 7
Une loi particuliere ne permettoit aux
Prêtres de prendre les marques de deuil
que pour la mort de quelque parent fort
proche , & hors le temps de leur ſervice.
Ainfi les Prêtres chez les Juifs ne paroiffoient
jamais fans barbe , au contraire des
Egyptiens & des Chaldéens. Barud, 6,30.
Quoique l'eſprit du chriftianiſme regarde
comme choſe fort indifférente d'avoir
de la barbe ou de ſe rafer , & que
content de réformer l'homme intérieur ,
il ne condamne pas moins dans l'intérieur
une înalpropreté rebutante , qu'une exceffive
propreté ( Aug. l. 2 de ferm. dom.
cap. 12 ) ; il est vrai cependant que les
Prêtres ſe ſont déclarés pour la barbe , &
qu'ils ont cru qu'un menton barbu convenoit
mieux à un chrétien qu'un menton
ras & uni. Clement Alexandrin , dans une
inſtruction fort détaillée qu'il adreſſe à
tous les fidèles , déclame ( lib.3,0.3 )
fortement contre ceux qui emploient l'art
pour faire diſparoître leur barbe & deshonorer
l'ouvrage de la nature. Il veut bien
( cap. 11 ) qu'on décharge la lévre d'enhaut
, parce que fi la barbe y étoit longue ,
elle incommoderoit en mangeant ; mais
il ne veut pas que l'on ſe ſerve pour cela
du rafoir.
Saint Epiphane , Haref. 80 , n. 7 , ne
Aiv
8 MERCURE DE FRANCE.
condamne pas avec moins de roideur la
conduite de certains hérétiques , de ce
qu'ils portoient de longs cheveux , qui
pis eft , deterius quiddam , ſe raſoient la
barbe. Il ajoute que c'eſt faire une choſe
défenduepar les conſtitutions des Apôtres,
où en effet cela ſe trouve. Oportet praterea
non barba pilum corrumpere , lib . 1 , cap . 3 .
Si Saint Epiphane regardoit l'ouvrage qu'il
cite comme un ouvrage authentique : on
fait à préſent ce que l'on en doit penſer.
Il fert du moins à faire voir quel étoit le
fentiment commun de l'Egliſe Grecque ,
& quelle étoit la pratique ordinaire dans
les premiers temps. Mais après tout , Clement
Alexandrin , l'Auteur des Conftitutions
Apoftoliques , & Saint Epiphane ,
en condamnant la mode de ſe raſer la
barbe , ont ſuppoſé qu'un homme grave
n'avoit plus rien dans ſon extérieur qui
le fît reconnoître pour ce qu'il étoit. Cela
pouvoit être vrai autrefois ; mais à préſent
la différence des habits rend inutiles tous
les traits qu'ils lancent , ou du moins ces
traits ne portent que ſur des robes de
chambre.
Les Chrétiens ſuivoientdonc la mode
établie , & l'Egliſe ne déſapprouvoit en
eux que ce qui tenoit de l'affectation &
conduiſoit au défordre. Nous apprenons
AVRIL 1765 . 9
de Tertulien que de fon temps les Africains
ſe rafoient. Défapprouvoit - il cette
conduite ? on ne le voit pas : il condamne
ſeulement ceux qui ſe rafoient *
avec trop de ſoin , & par le motif de
plaire aux femmes . Julien invective contre
les Chrétiens d'Antioche ſur ce qu'ils
étoient fans barbe. Cet uſage avoit été
introduit par Constantin & fes fucceffeurs.
Les Conciles ont fait quelques réglemens
touchant la barbe , mais ils ne
concernent que les Clercs & les Moines .
Les anciens Moines Cénobites laiſſoient
croître & la barbe & les cheveux. Les
Evêques & les Prêtres dans l'Egliſe Grecque,
dès les premiers temps , ne coupoient
ni leurs cheveux ni leurs barbes, Cet ufage
n'a point changé.
Baronius ( tom. 1 , ad ann. 48 ) prétend
que les Eccléſiaſtiques ne portoient point
de barbe , & qu'ils étoient rafés fur le
ſommet de la tête ; mais c'eſt une des
idées de Baronius , qui vouloit montrer
dans l'antiquité tous les uſages dont l'inftitution
eſt moderne. Ç'auroit été une im
prudence , dont je ne puis croire capables
les fondateurs des Egliſes , d'en expoſer les
chefs à la fureur des perfécuteurs , en les
*De cultu femin. lib . 2 , cap . 8 .
2
f
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
faiſantainſireconnoître. Je ne puis pasplus
me perfuader que l'on eût mieux aimé
reſſembler aux Prêtres d'Iſis , qui étoient
rafés , que d'imiter les Apôtres qui portoient
barbe. Baronius poſe comme un fait
certain , que dans les Gaules les Eccléfiaftiques
ſe rafoient la barbe ; mais les Clercs
dece temps-là étant preſque tous Romains
ou Grecs , tels qu'ont été les premiers
Apôtres & les premiers Evêques des Ganles
, ils ſuivoient l'uſage des Grecs & des
Romains. Baronius met en preuve un endroitde
Sidonius Apollinaris , qui parlant
(lib. 1 , cap. 13 ), deGermanicus , Evêque
dans les Gaules , ditqu'il avoitles cheveux
coupés en rond , & la barbe coupée ſi
près , qu'on eût dit que les cifeaux en
étoient allés chercher la racine juſque
dans la profondeur de ſes rides. Mais le
docte Savaron obſerve judicieuſementque
ce Germanicus n'étoit ni Evêque ni Prêtre.
Sidonius ne lui endonne point le titre. Il
eſt ſeulement nommé virſpectabilis. Baronius
fait ce Germanicus Evêque de Chatelle.
Or , Chatelle ne fut jamais ville
épifcopale. Cette manière de ſe faire tailler
les cheveux , dont ufoit Germanicus ,
eſt un de ces rafinemens de propreté , que
Tertulien , comme j'ai dit ci-deſſus , blâme
dans les hommes du monde , bien loin de
AVRIL 1765 . II
convenir aux Eccléſiaſtiques des bons fiécles.
Auffi Germanicus étoit-il un homme
qui avoit vécu dans le plaifir ; & Sidonius
dans la même épître , veut qu'on l'exhorte
à ſe convertir ſur la fin de ſes jours. Cet
endroit de Sidonius , loin de favorifer
Baronius , prouve même contre lai.
و
Voici encore un autre endroit de Sidenius
, lib. 4 , épic. 24 , où parlant d'un de
ſes amis , nommé Maxime , qu'il avoit
vu à laCour , quelques années auparavant ,
en équipage de grand ſeigneur , & qu'il
retrouva tout changé : je demandai , dit-il,
à quelqu'un quel état le Seigneur Maxime
avoit embraffé : s'il étoit Moine , s'il étoit.
Clerc ? on me répondit qu'il étoit Evêque .
Il l'étoit en effet de Toulouſe. Qu'après
cela Baronius ne vienne donc pas nous
dire qu'il confte par l'autorité de Sidonius ,
que le Clergé dans les Gaules &dans tout
P'Occident ne portoit point de barbe. Le.
Père Sirmond., fur ces mots de Sidonius ,
coma brevis ,prolixa barba fait cette note:
obfervare licet in his verbis veterem cultum
Cleri Gallicani , ac totius Ecclefia occidentalis.
UnConciledeCarthage , tenu en 398 ,
où affiftérent deux cens quatorze Evêques ,
entre autres réglemens concernant la difcipline
, en fit un touchant la barbe dess
Avj
12 MERCURE DE FRANCE.
Eccléſiaſtiques. C'eſt le quarante-quatrieme
qui a donné de l'exercice aux critiques par
une variété de leçon très - confidérable.
Quelques collections de canons, & les éditeurs
des Conciles portent : Clericus nec
comam nutriat , nec barbam. Baronius &
les Commentateurs de ce canon ne manquent
pas d'appuyer cette leçon. Un tel
réglement , diſent ils, fut fait pour condamner
la pratique des hérétiques Maffaliens
qui ſe préſenterent en longs cheveux
& barbes longues , qui intonſi prolixam
comam ac barbam alebant. Mais qu'est-ce
que la prévention ? Saint Epiphane condamne
expreſſément les Maffaliens fur ce
qu'ils laiffoient croître leurs cheveux &
rafoient leur barbe. En conféquence , fi
Baronius & ceux qui l'ont ſuivi , avoient
voulu raifonner , ils auroient dit : le décret
condamne les Maſſaliens ; or ces hérétiques
coupoient leur barbe ; donc il défend
aux Clercs de ſe la couper. Et ils auroient
adopté la leçon desplus anciens manufcrits,
qui portent : Clericus nec comam nutriat ,
nec barbam radat...
Le Concile de,Barcelone en 540 adopta
le décret de Carthage , & en fit fon troifieme
canon. Nullus Clericorum comam
nutriat , aut barbam radat. Il n'y a ici
aucune variation dans ces exemplaires.
AVRIL 1765 . 13
4
L'aſſemblée d'Aix-la - Chapelle ſous
Louis le Debonnaire en 807 ordonne que
durant tout le carême les Moines s'abftiendront
de ſe rafer , qu'ils le feront le
famedi faint , le ſamedi dans l'octave de
Pâques , & pendant le cours de l'année
une fois en quinze jours ( 1 ) . Voilà un
changement conſidérable dans l'état monaſtique.
A l'égard du Clergé féculier, les conteſtations
avec les Grecs , en conféquence
du ſchiſme de Photius , nous découvrent
que l'uſage communément reçu dans l'Egliſe
latine étoit de ſe couper la barbe.
Ils nous reprochent , dit le Pape Nicolas I ,
écrivant à Hincmar ( 2) & aux Evêques de
France , que nos Clercs ne font pas difficulté
de se rafer la barbe. Les Grecs avoient
d'autant moins de raiſon de faire ce reproche
aux Latins , que Photius , l'auteurdeleur
fchifme, étoit eunuque. Quand
une fois ils furent ſéparés ,ils ſe firent un
point d'honneur de conferver leurs barbes ;
& les Latins , de leur côté , s'en firent un
de ſe rafer le menton. :
( 1 ) Monachi in quadragefimá , nifi in fabbato
Sanéto non radantur. Alio autem tempore , femel
per quindecim dies radantur
Pafcha.
د
(2) Epist. 70 ,scripta anno 867.
& in octavâ
MERCURE DE FRANCE.
En 1031 unConcile de Bourges, can.7,
ordonna que tous Archidiacres , Abbés ,
Prévôts , Cæpiſcoles , Chanoines , Portiers
&autres exerçans quelque fonction dans
l'égliſe, portaſſent la tonſure eccléſiaſtique,
ou plutôt la monachale , c'est- à-dire la
barbe rafée & la couronne , ou le tour de
cheveux ſur la tête raſe. Ce même réglement
fut approuvé la même année dans
le Concile de Limoges , ſeſſion 2 ; mais
ce n'eſtqu'après avoir reconnu que la choſe
eſt indifférente dans le fond. Un endroit
de ce Concile mérité attention. Il y eſt dit
qu'il eſt à propos que les Eccléſiaſtiques
foient fans barbe pour les diftinguer des
Laïques. La mode étoit donc alors que les
Laïques portaſſent la barbe , & les portraits
du Roi Henry I le confirment.
Grégoire VII ( c'eſt le fameux Hildebrand
) écrivit en 1083 à Jacques , Evêque
de Cagliari , pour lui ordonner de faire
rafer tous les Eccléſiaſtiques de ſa dépendance
, conformément , dit-il , à la pratique
obfervée de tout temps dans l'Egliſe
Latine. Il écrivit en conformité au Podeftat
de Cagliari , & lui donna ordre de
confiſquer au profit de l'Egliſe de Cagliari
les biens de ceux qui ne voudroient pas fe
foumettre. Cette lettre de Grégoire VII fe
trouve parmi les epistola decretalesfummoAVRIL
1765.
rum Pontificum, imprimées à Rome en
1591.
On voit que ce Pape avoit fort à coeur
que les barbes des Eccléſiaſtiques diſparuſſent.
Il avoit été Moine , & peut- être
que c'étoit-là une de ſes raifons ; car de
leur côté les Moines ne travailloient pas
avec moins de zèle à faire diſparoître les
barbes des Laïcs. Le Père Mabillon ( annal.
Bened. tom. 5 , ad ann. 1105, 1.70 ,
n. 8 ) raconte que Serlon d'Abond, Abbé
de S. Evroul & enſuite Evêque de Séez ,
prêcha un jour de Pâques avec tant de
force contre les longues barbes & les longues
chevelures , qu'il diſoit ne convenir
qu'à des efféminés , que le Roi d'Angleterre
Henry , qui étoit au fermon , & tout
le reſte de l'auditoire , confentit ſur le
champ à être tondu : & l'opération ſe fit
par le Prédicateur , qui tira de ſa manche
une paire de ciſeaux &les tondit tous , en
commençant par le Roi.
On voitdans le même ouvrage ( 1.71 ,
2. 116 ) que les Moines non lettrés , que
l'on nomine. Convers , étoient appellé.s
Frères barbus , par oppoſition aux Moines
lettrés & engagés dans les ordres. Voyez
aufli Baluze dans ſes notes ſur les capitulaires
( tom. 11 , p. 1084 ).
Lorfqu'il s'eſt agi de réunir les deux
16 MERCURE DE FRANCE.
Eglifes , la Latine & la Grecque , je ne
vois pas qu'il ait été queſtion de la barbe ,
& on fit bien de n'en point parler. Je ne
fais fi Beffarion , qui certainement l'avoit
fort belle & qui la conſerva , quoiqu'il fût
Cardinal, réconcilia la Cour Romaine
avec la barbe ; mais il eſt ſûr que Jules II ,
&tous les Papes qui font venus depuis,
ont bien dérogé à l'uſage antique de ſe
rafer , que Nicolas &Grégoire foutenoient
avec tant de férieux & fi peu de ménagement.
Léon X & Adrien VI font les ſeuls
qui paroiffent rafés. Celui-ci pouvoit le
faire bonnement par le motif de ſe conformer
aux regles qui paſſoient alors pour
canoniques. Léon X n'a pas la réputation
d'avoir été fort fcrupuleux , & on peut
éroire que s'il ſe raſoit , c'étoit pour quelque
autre raifon. L'exemple de Jules II
fut fuivi par tout le Clergé ; & un ſavant
du ſeizieme fiécle ( 3 ) nous apprend que
fous Clement VII tous les Eccleſiaſtiques ,
depuis le Pape juſqu'aux moindres Prélats ,
étoient pourvus debarbes. Il nous apprend
auſſi que quelques perſonnes de grande
autorité tâchèrent d'obtenir du Saint Père
qu'il publiât une Bulle qui ramenât les
Eccléſiaſtiques à l'uſage qui avoit prévalu
(3) Pierius Valerianus , declam. pag. 10, edit.
Venet. 1604.
AVRIL 1765. 17
pendant les trois derniers fiécles ; & que
même le Cardinal Hippolite de Médicis ,
Vice - Chancelier de la Sainte Eglife ,
ordonna aux Prêtres de ſe raſer par provifion
, en attendant laBulle. Celui qui nous
apprend ces particularités , étant Prêtre
lui-même , & ayant une belle barbe à perdre
, plaida par écrit en faveur de ſes confreres
& de leurs barbes. La fermeté avec
laquelle_il s'expliqua me plut pas au Pape .
Mais enfin ( 4) on ne parla plus de la
Bulle projettée , & les barbes furent épargnées.
Ceci ne regarde que Rome & l'Italie ;
car en France Pasquier nous apprend
( Rech.v111, 9 ) qu'avant certain accident ,
arrivé à François I, les Prêtres ſe rafoient ,
& qu'un menton eccléſiaſtique chargé de
barbe auroit fcandaliſé : mais que le Roi
ayant mis la barbe à la mode , fur fon
exemple les Princes premierement , puis les
Gentilshommes , & finalement tous lesſujets
ſe voulurent former. Il ne fut pas que les
Prêtres neſe miſſent de cette partie : ce qui
eût été trouvé auparavantde mauvais exemple.
Il paroîtde-là que l'on ne trouvoit pas
bon que les Eccléſiaſtiques portaffent la
barbe bien longue. Cela ſentoit le faſte.
Lorsque le Cardinald'Angennes voulutpren-
( 4 ) Minitius Calvus, epift. ad Andr. Alciatum.
MERCURE DE FRANCE.
dre poffeffion de ſon Evêché du Mans , il
fallut des lettres de Juſſion en 1556 pour le
faire admettre avecfa longue barbe , parce
qu'il nepouvoitse résoudre à lafaire couper.
Chez les Grecs modernes le banniffement
& la perte de la barbe vont ordinairement
de compagnie. Les loix uniſſent
ces deux fortes de châtiment. Ce n'eſt qu'à
trente ans qu'il eſt permis chez eux de
porter la barbe pleine. Avant cet âge un
jeune homme ſe raſe les joues & le menton,
&conferve ſeulement les moustaches ,
mais il n'a pas la liberté de ſe raſer pour
la premiere fois quand bon lui ſemble ,
&quand le menton lui demange. Il faut
que l'Egliſe en ſoit avertie , & le Papas ,
ou Curé, a droit de réciter deux oraiſons
ſur la premiere barbe qui ſe coupe. Ces
deux oraiſons ſe trouvent ( 5 ) dans le
rituel des Grecs.
On apprend de nos vieux Hiſtoriens ,
que parmi nous la premiere barbe ne ſe
coupoit pas ( 6 ) ſans quelque cérémonie :
qu'on prenoit un parrain , comme pour le
baptême ; & que toucher la barbe à quelqu'un
, c'étoit l'adopter en quelque
forte.
( 5 ) Euchol . p. 378 , edit . Jacob . Goar.
(6) Du Cange , Differt. 22 , fur Joinville..
AVRIL 1765 . 19
VERS préſentés à Mademoiselle CLAIRON,
- gravés à la tête d'une contredanſe qui
porte lenomdecete célèbre Actrice, & qui
eftde lacomposition du fieur DES HAYES,
Maître des Balets de la Comédie Françoise
*.
LES muſes à l'envi ſe diſputoient la gloire
De réunir en vous ſes plus rares préſens .
Thalie a ſous vos traits mérité notre encens .
Euterpe à Melpomene a cédé la victoire ;
Et Clio plaça vos talens
Dans les faftes ſacrés du temple de mémoire.
Du fond du célèbre vallon
Terpficore à ſon tour vous offre fon hommage.
Elle a voulu que votre nom
Immortalifat un ouvrage
Que je n'oſois croire allez bon
Pour mériter cet avantage :
Daignez , en l'acceptant , confirmer le préfage.
Le Public ne dira pas non ,
Il a trop de plaiſir à célébrer Clairon.
Pour me refuſer ſon ſuffrage .
* La muſique de cette contredanſe eſt du ſieur Deſnoyers;
premier Danfeur au Théâtre François.
Par M.... Rouhier , connu en province
fous le nom de DESCHAMPS.
20 MERCURE DE FRANCE.
A un Chanoine qui trouve mauvais de ce
que je m'éloigne de lui au choeur.
DAMAMOONN , fi je laiſſe à l'office
Deux ou trois ſtales entre nous ,
N'en tirez nul mauvais indice ;
Ce n'eſt pas que je vous haïffe :
J'ai d'autres ſentimens pour vous.
A cinq ou fix pieds de diſtance
Si je me place tout exprès ,
Croyez que c'eſt par complaiſance
Et par égard que je le fais.
Il vous faut , ne vous en déplaife ,
Cet eſpace au moins pour cracher
Flairer du tabac , en mâcher ,
Et le rendre plus à votre aiſe.
Par un Chanoine des environs de Paris.
T
Qu'on permette ici une petite réflexion
àl'Auteur. Il ne fait s'il en eſt des égliſes capitulaires
majeures comme des ſubalternes ;
mais il trouve que dans celles- ci l'on ne ſe
gêne guères avec Dieu ni avec les hommes.
Un Chanoine dans ſa ſtale ſe regarde
comme chez lui , & ne fait nulle difficulté
d'y donner libre carriere àſespetitsbeſoins,
AVRIL 1765 21
ſuivant qu'ils ſe préſentent. Heureux
alors le voiſin , qui ayant quatre ou cinq
ſtales de relais à côté de lui , peut , à l'approche
de la tempête , gagner le large &
ſe garantir du naufrage inévitable auprès
des côtes !
Par un Chanoine des environs de Paris.
1
SUR un bavard impitoyable.
0N demande pourquoi Pliftène
Mâche perpétuellement
Certaine herbe forte qui rend
Sa bouche comme une fontaine ;
La raiſon , vraiſemblablement ,
C'eſt de peur que le feu n'y prenne.
Par un Enfant de choeur de la même égliſe.
SUR le Siège de CALAIS .
QU'ON u'on ne me vante plus ce Siége mémorable ,
Où la troupe des dieux , de ſang inſatiable ,
Aux aveugles humains inſpiroit des forfaits.
Homère rougiroit pour ſes dieux implacables ,
Pour ſes Héros cruels , pour ſes Rois intraitables ,
S'il pouvoit aſſiſter au Siége de Calais.
Par M. WARMĖ.
22 MERCURE DE FRANCE.
ODE pour l'ouverture d'un exercice littéraire
, foutenu à SA NT-HYPOLITE en
Languedoc le 30 Αοût 1764.
DIEU IEU du Pinde & de la lumière ,
Père des talens & du jour ,
Ouvre ta brillante carrière ,
Eclaire & remplis ce ſéjour ;
Contemple , au milieu de la lice ,
Cette jeune & noble milice ,
Qui cueille les lauriers des arts ;
Vois les Pollions de notre âge ,
Les exciter par leur fuffrage ,
Les animer par leurs regards.
Vois Montaran, de qui la gloire
Ferçant les ténèbres des temps,
Dans les faſtes de la victoire
Conſacre les faits éclatans.
Héros , protecteur des Orphées,
Pour éternifer vos trophées ,
Vous uniffez Mars & Phabus ;
Auſſi les maîtres de la lyre ,
Remplis d'un fublime délire ,
Vous offrent de nouveaux tributs.
:
2.
AVRIL 1765 .
Moitié d'un Héros magnanime ,
Noble épouſe d'un noble époux ,
Des mains de la brillante eſtime ,
Recevez l'encens le plus doux.
Et vous , qui marchez ſur ſes traces;
Vous , ſon ſang , ſous les traits des graces
Vous , ſes fils , ſous ceux des amours ,
Soyez l'eſpoir d'une déeſſe ,
Soyez la gloire du Permeſſe ,
Et le prodige de nos jours.
Miniſtres des ſaints tabernacles
Dont les exemples & la voix
Sont en même temps nos oracles ;
Nos guides , nos flambeaux , nos loix
Vous ſavez que les arts profanes ,
Sanctifiés par vos organes ,
Produiſent des fruits immortels ;
Et que les richeſſes fleuries ,
Qu'étalent nos jeunes prairies ,
Brillent même ſur les autels,
Vous que réclame l'innocence
Contre ſes puiſſans ennemis ;
Vous qui joignez à la balance
Le glaive vengeur de Thémis;
Trop ſouvent le parallogiſme ,
Dans les embuches du ſophiſme
12 MERCURE DE FRANCE.
ODE pour l'ouverture d'un exercice littéraire
, foutenu à SA NT-HYPOLITE en
Languedoc le 30 Août 1764.
DIEU IEU du Pinde & de la lumière ,
Père des talens & du jour ,
Ouvre ta brillante carrière ,
Eclaire & remplis ce ſéjour ;
Contemple , au milieu de la lice ,
Cette jeune & noble milice ,
Qui cueille les lauriers des arts ;
Vois les Pollions de notre âge ,
Les exciter par leur fuffrage ,
Les animer par leurs regards.
Vois Montaran, de qui la gloire
Perçant les ténèbres des temps ,
Dans les faſtes de la victoire
Conſacre les faits éclatans.
Héros , protecteur des Orphées ,
Pour éternifer vos trophées ,
Vous uniſſez Mars & Phabus ;
Auſſi les maîtres de la lyre ,
Remplis d'un fublime délire ,
Vous offrent de nouveaux tributs.
:
AVRIL 1765.
Moitié d'un Héros magnanime ,
Noble épouſe d'un noble époux ,
Des mains de la brillante eſtime ;
Recevez l'encens le plus doux.
Et vous , qui marchez ſur ſes traces;
Vous , ſon ſang , ſous les traits des graces
Vous , ſes fils , ſous ceux des amours ,
Soyez l'eſpoir d'une déeſſe ,
Soyez la gloire du Permeſſe ,
Et le prodige de nos jours.
Miniſtres des ſaints tabernacles
Dont les exemples & la voix
Sont en même temps nos oracles ;
Nos guides , nos flambeaux , nos loix
Vous ſavez que les arts profanes ,
Sanctifiés par vos organes ,
Produiſent des fruits immortels;
Et que les richeſſes fleuries ,
Qu'étalent nos jeunes prairies ,
Brillent même ſur les autels,
Vous que réclame l'innocence
Contre ſes puiſſans ennemis ;
Vous qui joignez à la balance
Le glaive vengeur de Thémis ;
Trop ſouvent le parallogiſme ,
Dans les embuches du ſophiſme
24 MERCURE DE FRANCE.
Eût entraîné votre équité ,
Si l'éloquence fructueuſe ,
Par ſa force majestueuſe ,
N'eût défendu la vérité.
O des arts céleste puiſſance !
L'univers te doit ſes attraits ,
L'hiſtoire te doit ſa naiſſance ,
La fiction ſes plus beaux traits .
Par toi le brûlant Démosthènes
Lance la foudre dans Athènes
Et Tullus l'arrache à Céfar ;
Tandis que ſur un lit de roſe ,
L'heureux Anacréon repoſe
Entre la lyre & le nectar.
:
7
Conſervez cette flamme active
Qu'un mortel apporta des cieux ,
Que votre ſageſſe attentive
Veille à ce dépôt précieux.
Magiſtrats , nos chères délices ,
Confuls , fous vos heureux aufpices ,
Elle jette un éclat plus beau ;
Et les rives les plus lointaines
De l'aftre qui luit dans nos plaines ,
Admirent le brillant flambeau.
Parmi les ſavans Teſtoſages ,
Arbitres des nobles travaux ,
N'a-t-on
AVRIL 1765. 25
N'a-t-on pas vu l'un de nos ſages
Etonner ſes pâles rivaux.
Sur ſon front j'apperçois encore
Les fleurs immortelles d'Ifaure
Illuſtre prix de ſes talens.
Hivers , reſpectez ſa couronne ;
Et vous , dont l'éclat l'environne ,
Feſtons , foyez toujours brillans .
Que n'ai-je le pinceau d'Appelles
Pour peindre ces jeunes beautés ,
Dont les grâces , toujours nouvelles ,
S'offrent ici de tous côtés.
En elles j'admire ſans ceſſe ,
L'accord heureux de la ſageſſe ,
Avec tous les dieux de Paphos ,
La jeuneſſe avec la décence ,
Les attraits avec la ſcience ,
Les Vénus avec les Saphos.
Je vois des guerriers redoutables ,
Fameux par leurs nombreux exploits ;
Je vois des ſavans reſpectables ,
Amis des vertus & des loix.
L'Olimpe eſt dans cette affemblée ;
Eſt- il ſurprenant que troublée ,
Notre muſe rampe à vos yeux ?
Mais qu'elle obtienne votre eſtime ;
La gloire auſſi-tôt la ranime ,
Son char l'enlève dans les cieux.
Vol. I. B
1
24
MERCURE DE FRANCE.
Eût entraîné votre équité ,
Si l'éloquence fructueuſe ,
Par ſa force majestueuſe ,
N'eût défendu la vérité.
O des arts céleste puiſſance !
L'univers te doit ſes attraits ,
L'hiſtoire te doit ſa naiſſance ,
La fiction ſes plus beaux traits.
Par toi le brûlant Démosthènes
Lance la foudre dans Athènes
Et Tullus l'arrache à Céfar ;
Tandis que ſur un lit de roſe ,
L'heureux Anacréon repoſe
Entre la lyre & le nectar.
7
Conſervez cette flamme active
Qu'un mortel apporta des cieux ,
Que votre ſageſſe attentive
Veille à ce dépôt précieux .
Magiſtrats , nos chères délices ,
Confuls , fous vos heureux aufpices ,
Elle jette un éclat plus beau ;
Et les rives les plus lointaines
De l'aſtre qui luit dans nos plaines ,
Admirent le brillant flambeau.
Parmi les ſavans Tectoſages ,
Arbitres des nobles travaux ,
:
N'a-t- on
AVRIL 1765. 25
N'a-t-on pas vu l'un de nos ſages
Etonner ſes pâles rivaux.
Sur ſon front j'apperçois encore
Les fleurs immortelles d'Ifaure
Illuſtre prix de ſes talens.
Hivers , reſpectez ſa couronne ;
Et vous , dont l'éclat l'environne ,
Feſtons , foyez toujours brillans.
Que n'ai-je le pinceau d'Appelles
Pour peindre ces jeunes beautés ,
Dont les grâces , toujours nouvelles ,
S'offrent ici de tous côtés.
En elles j'admire ſans ceſſe ,
L'accord heureux de la ſageſſe ,
Avec tous les dieux de Paphos ,
La jeuneſſe avec la décence ,
Les attraits avec la ſcience ,
Les Vénus avec les Saphos.
:
Je vois des guerriers redoutables ,
Fameux par leurs nombreux exploits ;
Je vois des ſavans reſpectables ,
Amis des vertus & des loix.
L'Olimpe eſt dans cette aſſemblée ;
Eſt- il ſurprenant que troublée ,
Notre muſe rampe à vos yeux ?
Mais qu'elle obtienne votre eſtime ;
La gloire auſſi-tôt la ranime ,
Son char l'enlève dans les cieux.
Vol. I. B
26 MERCURE DE FRACE.
1
MADRIGAL à Mademoiselle F... G.
VOUS ous qui joignez à l'avantage
D'être à peine dans vos vingt ans ,
Toutes les grâces du printems
Et la maturité de l'âge ;
Fille d'un père vertueux ,
Qui conduit Thémis égarée
Dans le dédale tortueux
Qu'élève la fraude abhorrée ;
Vous ſavez que les premiers coups
Que porta contre moi l'envie
Pour le fupplice de ma vie
Belle Eglé , tomberent fur vous .
Par une invention peu juſte
On dit que fat , écervellé ,
Me promenant avec Eglé ,
Je la prenois pour un arbuste.
Hé bien ! au gré d'un vil brouillon
J'adopte la métamorphoſe.
Arbuſte du ſacré vallon ,
J'apperçois l'amour qui repoſe
Sous vos rameaux que l'aquilon
Voudroit agiter , & qu'il n'oſe ,
Et je vous vois , comme Apollon
Voit Daphné dans un laurier roſe.
Par le même.
1
AVRIL 1765: 27
IMPROMPTU à une Dame qui demandoit
à l'Auteur pourquoi il n'aimoit pas une
Demoiselle nommée LISE.
LISISEE a de l'eſprit , je l'avoue ,
Life a les yeux pleins de vivacité ,
Liſe eſt charmante , en vérité ;
Mais elle aime trop qu'on la loue.
Par M. D'ABANCOUR.
ЕРІТАРНЕ pour M. RAMEAU.
POUR Our l'épitaphe de Rameau
Chacun exerce ſon génie :
Un vers ſuffit dans ce tombeau
Cy gît le Dieu de l'harmonie.
Par le même.
VERS à Madame BAUR *** , fur ce
qu'elle avoit fait donner la liberté à un
Noir.
D'UN malheureux réduit à la captivité ,
Généreuſe B *** , vous briſez les entraves ;
Vos yeux ont fait aſſez d'eſclaves ,
Pour en mettre un en liberté.
J****
Bij
MERCURE DE FRANCE.
MADRIGAL à M*** fur ce qu'ilse glorifioit
un jour d'être fidèle àfon épouse,
qui s'appelle ROSE.
D
EPUIS qu'himen à Roſe t'a lié ,
Plus tu ne cours de belle en belle ,
Mais bien ton coeur brûle pour ta moitié
D'une flamme toujours nouvelle ;
De ta fidélité , Damon ,
La preuve n'eſt pas étonnante ;
Conſtant doit être un papillon
Sur une fleur auſſi charmante.
DOMICILLE.
SUITE des Lettres d'une jeune Etrangère ,
furquelques modes & usages de France (1 ).
(Cette Lettre traite de l'origine & des
progrès du panier en France. )
NOUouSs ne pouvons nous le cacher,ma
chère Miss : c'eſt notre patrie qui a fourni
à la France les premieres notions de cette
( 1 ) Ces Lettres ont été interrompues par l'abſence
de la jeune perfonne qui les communique,
AVRIL 1765. 19
۱
bizarre machine , qu'on a très-bien nommée
panier , relativement à ſa forme & à
la matière qu'on y employoit d'abord. Je
me ſuis ſouvent étonnée que le nom ſeul
de cet ajuſtement n'en ait pas fait fentir
tout le ridicule. Je me trompois , Miss ;
de tous les ridicules , celui dont certains
individus de notre ſexe rougiroient le plus ,
ſeroit de n'en pas avoir chaque jour un
nouveau. Les antiqués vertugadins , que
les femmes de ce ſiècle trouvoiènt ſi groteſques
en peinture , convertis en mannequins
, leur parurent la plus galante & la
plus agréable de toutes les inventions. Un
léger moyen de foulever les vêtemens , que
la commodité ou l'agrément avoit introduit
parmi nous , étant parvenu en France ,
il n'y reſta qu'un inſtant conforme à fa
foible origine. La preſteſſe de l'oeil eut
peine à ſuivre la rapidité de ſes progrès :
une modique ampleur parvint tout- àcoup
à cet énorme étalage que l'on a vu.
Le panier devint une marque de diftinction
, de rang ou d'opulence. Il n'en falloit
pas davantage pour en multiplier l'eſpéce ,
& pour en accroître, à l'envi , les dimenſions.
J'ai entendu dire que cette ambitieuſe
émulation de ſe diftinguer avoit
tellement étendu ces vaſtes cerceaux, qu'une
femme ne pouvoit plus paffer de front dans
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
un grand nombre de rues de la capitale.
En très -peu de temps toutes les Françoiſes
ſe trouverent plantées juſqu'à la ceinture
dansde larges mannequins , tels qu'on voit
de foibles arbriſſeaux dont les têtes légeres
s'élévent au- deſſus des grandes caiſſes qui
enenvironnent le pied. De proche en proche
la contagionde la mode ſe communiqua,
& l'Europe féminine ſe trouva plus
ou moins amplement encaiffée. Cettemode
s'eſt maintenue beaucoup plus de temps
qu'aucune autre, malgré ſes incommodités.
Cependant peu à peu on diminua la circonférence
des cercles pour la chambre &
pour les courſes de pied. Il couroit déja
d'affez mauvais bruits ſur l'embarras des
paniers , lorſqu'on s'aviſa d'en débarraffer
le Théâtre François , en voulant y introduire
dans les habillemens le costume des
Peintres & des Sculpteurs. Tu crois peutêtre
que ce fut une entrepriſe fort facile
d'accoutumer les femmes en France , &
îmême une partie des hommes , à croire
qu'Andromaque , Cornélie , Agrippine ,
Roxane , Alzire , &c. puſſent paroître
avec quelque dignité ſur la ſcène fans un
grand panier , & qu'à l'Opéra Junon ,
Armide& Iffé fans cette pompe ne fuffent
pas de franches grifettes ? Ehbien il fallut
pour cela perfuader des actrices , les unes
1
AVRIL 1765. 31
par le raiſonnement , les autres par pluſieurs
fortes de ſéduction ; diſputer contre
les ſpectateurs , écrire , parler , faire rougir
l'ignorance & le mauvais goût , intéreſſer
l'amour - propre. Malgré tant d'efforts ,
fans la nouveauté du terme de costume ,
que bien des gens prirent pour nouveauté
de modes & favoriſerent en conféquence ,
on ne feroit jamais parvenu à établir cet
uſage. Mais , comme avec le peuple François
il ne faut qu'être plus opiniâtre pour
lui faire croire qu'on eſt plus éclairé , peu
à peu les paniers ont été bannis du théâtre ,
au moins dans les piéces dont les ſujets
font tirés de l'antiquité , ou dont les perfonnages
font étrangers à l'Europe. Ils ne
ſe ſont maintenus qu'à l'Opéra dans les
danſes , à cauſe de la facilité que procure
leur choc mutuel dans de grands ballets
fur de petits théâtres. Cette réduction
d'ampleur dans les héroïnes ſur la ſcène
a été prête à produire une révolution
dans la parure des femmes du grand
monde : elles avoient toujours entrevu ce
qu'elles facrifioient d'aiſance , & qui plus
eſt , de plaifir à la majeſté du grand panier.
Cet appareil , fans lequel nulle femme
de diſtinction ne pouvoit paroître , étoit
un fâcheux obſtacle à la douceur de n'être
pas toujours ſi diſtinguée. Les hommes ,
Biv
$32 MERCURE DE FRANCE.
deleur côté, avoienttotalementabandonné
ces larges évantails que formoient les bafques
de leurs habits. Quelques femmes
diminuerent le volume de leurs paniers ;
quelques-unes eurent même le courage de
les fupprimer tout-à-fait. Divers noms en
indiquerent les différentes réductions. On
haſarda d'aller ainſi dans les jardins publics
&à quelques viſites familieres , mais
à certaines heures , fans conféquence pour
la cérémonie. Enfin , à l'imitation de la
ſcène héroïque , la ſociété civile alloit
franchir l'eſpace qui reſtoit entre la réforme
&la fuppreffion totale du grand panier ,
lorſque l'auſtère étiquette vint crier a
l'indécence , à l'oubli de tous égards , &
du reſpect dû à certains lieux & à certaines
perfonnes. En effet , comment obferver
ces bienféances ſans être habillée ; &
comment être habillée ſans un vaſte panier ?
Tu ne conçois pas plus que moi le rapport
qu'il y a entre quatre aulnes & demie de
pourtour dans le bas de la figure , & le
reſpect ou même les égards qu'une femme
veut marquer. Tu ne vois pas ce qui intéreffe
fi fort la décence dans une machine
qui ſoutient nos juppes en l'air. Viens
interroger les grandes maîtreſſes du cérémonial
françois , ces têtes ſenſées , qui
décident ſouverainement fur des régles
AVRIL 1765 . 33
dont elles n'ont jamais ſoupçonné les principes.
Elles t'apprendront qu'une femme
n'eſt point habillée quand de longs vêtemens
drapent & couvrent ſes jambes. Cer
état eſt celui d'un négligé trop familier
pour les grandes occafions. On en eſt venu
cependant à tolérer ce négligé à table ,
aux promenades publiques , à certaines
places du ſpectacle qui n'exigent pas le
grand appareil ; mais on a trouvé unmoyen
proportionnel entre l'état de cérémonie&
labienféancede ſimple conſidération. C'eſt
ce dernier nom que portent certains petits
accoudoirs ou paniers tronqués qui ne pafſent
pas les hanches , mais les rendent feulement
trois ou quatre fois plus groſſes que
la nature ne les donne dans ſes plus fortes
conformations. Tu ſens bien donc qu'avec
une conſidération on peut aller par-tout où
le reſpect n'eſt pas exigible. Par-tout où
l'on ſe permet la familiarité , on peut , par.
lamêmeraiſon , fupprimer la conſidération.
Quand on va juſqu'à la bonté , je crois
qu'on a plus encore à ſupprimer. Je ne
fuis pas affez bien inſtruite du coftume
intime des Dames Françoiſes pour rien
affirmer ſur ce dernier point. Je crois au.
reſte qu'elles n'en uſent ainſi qu'à l'égard.
des hommes , car elles ſe conſidérent trop
Bv
34
MERCURE DE FRANCE.
les unes les autres pour employer entre
elles l'étiquette de la bonté.
Tu vois bien que j'ai mis fous tes yeux
toutes les gradations de l'habillement des
Françoiſes : pour le grand cérémonial , le
grand panier ; pour le petit , la confidération
; pour la familiarité, la ſeule robe &
lejuppon. De tout ce que m'ont appris
fur cela les ſavantes en bienféances , tu
concluras avec moi que lorſqu'on rencontre
dans un carroſſe une femme qu'on n'y
apperçoit pas , mais dont on voit par chaque
portiere le deſſous des juppes , c'eſt- là
la grande décence. Lorſqu'à l'entrée d'un
ſpectacle ou d'une promenade les femmes ,
endefcendant de voiture , laiſſent meſurer
des yeux toute l'étendue de leurs jambes
aux oififs curieux poſtés pour cela , elles
font encore dans l'état de grande décence.
Mes doutes fur la folidité des raiſons qui
réglent tous ces uſages ont paru ſi abſurdes
aux femmes qui prenoient la peine de
m'inſtruire , qu'elles n'ont pas daigné
prendre celle d'y répondre autrement que
par, cela est reçu , il faut s'y conformer.
C'eſt un axiôme qui fatisfait à tout ici. Je
prévois delàque le fort des modes prépare
d'avance , dans la coëffure des Françoiſes ,
un très-grand moyen de ſuppléer aux pa
AVRIL 1765 . 35
niers (s'ils viennent à être proſcrits ) pour
marquer les diſtinctions du cérémonial.
Ces monts de chevelures , que les femmes
menacent d'élever juſqu'au ciel , ont fait
des progrès étonnans depuis que je t'en ai
parlé dans mes premieres lettres. Malgré
la perte des -phiſionomies , malgré le renverſement
de toutes proportions , qui rend
aujourd'hui les femmes les mieux faites
autant de bamboches , dont le viſage ſe
trouve placé preſque au milieu de la figure;
l'altière coquetterie de ces nouveaux petits
Titanseſtconvenue généralement d'ajouter
chaque jour de nouveaux rangs de cheveux
fur la tête. Or il n'eſt pas plus difficile que
cette pyramide chevelue ſignifie tout ce
qu'on a fait fignifier aux dimenſions du
panier. Alors la conſidération des Dames
Françoiſes ſeroit en hauteur au lieu d'être
en largeur ; je n'y vois pas grand mal .
Elle ſe meſureroit par pieds & par pouces
au lieu de ſe meſurer à l'aulne. Qu'importe?
Tout fera dans l'ordre dès qu'on pourra
dire , cela est reçu. J'oubliois de te parler
d'un effet encore plus merveilleux des
conventions. Si tu lifois dans quelque
voyageur qu'il y a un peuple aux Indes ,
ou ailleurs , parmi lequel les femmes , par
pudeur , ſe cachent les mains dans des
peaux & ſe découvrent la gorge ; que tu 4
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
rirois avec pitié de ces pauvres gens ! c'e
néanmoins ce qui ſe pratique ici fort férieuſement.
Une femme ne peut , fans
violer toute bienféance , ſans manquer à
foi & aux autres , ſe préſenter en lieu honnêre
les mains nuës ; mais dès qu'elle entre
au ſpectacle , ou dans quelqu'aſſemblée que
ce foit, il faut qu'elle dépoſe auſſi - tôt
mantelet , peliffe , &c. en un mot , tout
ce qui voileroit tant foit peu le nud de la
poitrine&des épaules. Ce feroit une choſe
affez curieuſe à rechercher que la caufe de
l'importance qu'on a attachée aux gands
pour le cérémonial & la décence. L'ordre
naturel qui ſemble avoir indiqué cette
enveloppe , uniquement contre les intempéries
de l'air , ne la rend-elle pas ſuperflue
& même affez ridicule lorſqu'on a
plus à ſe défendre contre la chaleur qu'à
fe préſerver du froid ? Malgré cela je t'affure
que , fans ſavoir pourquoi , & fans
en rendre raifon , les femmes inftruites ne
conçoivent pasque l'on puiffe honnêtement
montrer ſes mains en public. J'en ai entendu
très férieuſement ſe plaindre des progrès
dudéfordre &de l'effronterie,depuis qu'au
théâtre les actrices , dans certains caractères
, ofent paroître ſans gands & vêtues
juſqu'au col. Les petits chagrins des hommes
fur cela ne m'étonnoient pas ; mais
AVRIL 1765 . 37
je t'avoue que la critique de ces Dames
m'a confondue.
Il me reſte , je crois , fort peu de choſe
à ajouter pour achever de te peindre les
Françoiſes dans tous les momens du jour
&dans toutes les ſituations où elles ont
à remplir les devoirs de la ſociété , ou plutôt
le vuide de leur exiſtence. Adieu , ma
chère Miss ; applaudiffons-nous en ſecret
d'avoir éré élevées de bonne heure à voir
les objets de tantd'illuſions ſous leur véri
table forme. Je ſuis toujours ta plus tendre
amie , &toujours occupée de toi au milieu
de la diffipation de cette ville , &c.
LE. Papillon & la Fleur, fable.
UNN papillon careſſoit une fleur.
Il alloit , revenoit , folâtroit autour d'elle ;
Tantôt mariant ſa couleur
Avec les couleurs de la belle ,
Et tantôt exhalant la fraîcheur du zéphir
Par le battement de ſon aîle.
Rien ne pouvoit décourager ſon zèle:
Il étoit fort de l'eſpoir du plaifir .
De tous ces jeux notre fleur fut émue :
Rien de fi beau que le petit badin
Qui demandoit à loger dans ſon ſeing
38 MERCURE DE FRANCE .
De Vénus même il eût charmé la vue ,
Et s'il pouvoit un inſtant être heureux ,
Il n'eût jamais ceffé d'être amoureux.
La fleur qui naît eſt fraîche comme roſe;
Mais il n'a point vécu , ne peut ſavoir grand
choſe:
Or notre fleur , à peine écloſe ,
Ouvre un beau ſein paré de mille attraits.
Le papillon qui voltigeoit auprès ,
Sur elle un inftant ſe repoſe ;
Mais il avoit à peine effleuré ſes appas ,
Qu'on entendit la belle
Soupirer après l'infidelle
Qui voltigeoit au loin , & ne l'écoutoit pas.
Beauté naiſſante eſt cette fleur novice ,
Qui d'un beau papillon ignorant l'artifice ,
De ſes propos ſavoure les douceurs ,
Et s'expoſe aux mêmes douleurs .
IN effigiem FREDERICI MAGNI ,Pruffſia
Regis.
Rex , homo , quid poffint , tu Frederice doces.
CE que pouvoit faire un grand Roi ,
Tout ce qu'un homme pouvoit être ,
On l'ignora , Frederic , juſqu'à toi ;
Il t'étoit réſervé de le faire connoître.
Par l'Auteur de la fable des
Tourterelles & des Enfans.
AVRIL 1765.. 39
VERS adreſſés à M. DE BELLOY , fur
fa Tragédie du SIEGE DE CALAIS.
To1, or , dont le fublime génie ,
Vient de nous retracer les Héros de Calais ,
Je t'offre le tribut que te doit la Patrie.
Quiconque la chérit , quiconque est né François ,
Doit reconnoître au fond de ſon âme attendrie
Les mêmes fentimens dont tu nous peins les traits .
Quel eſt le Citoyen , qui voyant ton ouvrage ,
Pourroit ne pas aimer ſon Prince & ſon Pays ?
Le Maire de Calais , par un noble afſemblage ,
Nous preſcrit des devoirs , élève le courage ;
Les plus grands intérêts en lui font réunis.
Qui pourroit à tes vers refuſer ſon ſuffrage ?
J'ai lu dans les regards du ſpectateur ſurpris ,
( De l'âme , à ce qu'on dit , les regards ſont
l'image )
J'ai vu dans tous les yeux l'eſtime de l'Auteur ,
Digne prix des vertus , du talent & du zèle ,
C'eſt une faveur immortelle ,
Préférable cent fois à ce bruit impoſteur
Que prodigue ſans choix la cabale ou l'erreur :
La nouveauté le forme , il s'envole avec elle.
Ton ſuccès eſt plus pur , ta gloire plus réelle.
Qui te couronne ? c'eſt l'honneur,
MERCURE DE FRANCE.
>
Le François , enchanté de retrouver ſon coeur
Dans l'âme d'un Héros qui s'offre à ſa Patrie
Avec raviſſement t'applaudit & s'écrie :
Voilàmes ſentimens , mon amour pour mon Roi!
Ainſi que ce Vieillard , pour lui prouver ma foi
Je ſuis prêt à donner & mon fang & ma vie .
Oui , nous penſons ainfi , juge de nous par toi ;
Juge fi nous devons protéger ton ouvrage.
Pour l'honneur des François qu'il paſſe d'âge en
âge ,
Et conduiſe ton nom à l'immortalité ,
Citoyen vertueux , ſavant ſans vanité.
Acet éloge mérité.
La rougeur couvre ton viſage !
Je me tais , & je laiſſe à la poſtérité
Le ſoin d'en dire davantage.
....
ROUHIER , connu en province
fous le nom de DESCHAMPS.
AVRIL 1765 .
A Madame D ...... fur l'amitié.
ECOUTEZ , Madame , & mettez-vous
en colère ; la raiſon vous le permet , le
ſentiment vous y excite. O mes amis !
s'écrivit Ariftote , il n'eſt plus d'amis.
Comptez les fiécles depuis ce Philoſophe ,
& voyez un peu à quelle étrange difette
l'amitié doit être réduite dans le nôtre.
Si les amis étoient déja ſi rares il y a deux
mille ans , ils le font donc infiniment
davantage aujourd'hui , car , choſe trèsfûre
, nous ne valons pas mieux , à beaucoup
près , que nos pères du temps d'Arif
tore. Comment , quand on y penſe du
coeur , ne pas fe déſeſpérer ? Il n'y a cependant
pas moyen de douter de cette
triſte vérité ; nous en ſommes tous, plus
ou moins , les auteurs & les témoins .
On comptoit autrefois un Achille & un
Patrocle , un Théfée & un Pirithoüs , un
Oreste & un Pylade , un Pythias & un
Damon , &c. ces noms ſi reſpectables ne
ſe ſont tranfmis prefqu'à perſonne dans
les fiécles fuivans. Le ſeul Péliſſon , ſous
le règne de Louis XIV, a mérité d'être
aflis auprès de ces Héros dans le temple
42 MERCURE DE FRANCE.
de l'amitié : mais quelle honte pour l'humanité
! quel deshonneur pour le fiéclede
Louis le Grand , d'ailleurs fi floriſſant , de
n'avoir produit qu'un ſeul homme digne
de la célébrité du nom d'ami !
On cultive les arts & les ſciences ; on
veut devenir philoſophe ; on prétend aux
connoiffances les plus fublimes & les plus
abſtraites ; on aſpire même à l'encyclopédie
: de tous côtés enfin l'on court après
l'eſprit ; & le coeur, ſans lequel l'eſprit
n'eſt rien , ou que très-peu de choſe , à
peine ſe trouve-t- il quelqu'un qui ſe faſſe
honneur de le former aux fentimens. C'eſt
cependant de cette éducation du coeur que
dépend le bonheur général & particulier
des hommes. Ne feroit-il donc pas plus
glorieux d'être honnête homme & ami
vrai, que de ſavoir expliquer une médaille
de Caracalla , ou d'imaginer l'Oracle des
Philofophes?
Chez les Scythes & les Grecs , l'amitié
étoit une vertu ; chez nous elle n'eſt plus
qu'une politique de convenance , dont le
beſoin & l'intérêt font les principes. Voilà
comme nous avons l'eſprit de changer
l'effence des chofes , & d'apprendre à devenir
amis , comme on devient communément
docteur , en ſubſtituant le nom à
la réalité. Ne croyez pas , Madame , que
AVRIL 1765. 43
ce ſoit là unde ces paradoxes emphatiques ,
dont le célèbre miſantrope de Geneve a
renouvellé l'eſpèce , & que ſon éloquence
a rendus fi vraiſemblables ; jettez ſeulement
un coup d'oeil ſérieux fur les amis
de la Cour & de la Ville , & vous ferez
bientôt convaincue que je n'avance rien
que d'après l'expérience générale & journalière.
Vous me direz peut-être que le Chevalier
de Bourdin & le Chevalier de Reyde
Soupat ont fait revivredepuis peu dans
leurs perſonnes les Pythias& les Damon ,
les Pylade & les Oreste , & qu'il eſt ſaris
doute encore de ces belles âmes, capables
d'une amitié vraie , folide & courageufe :
j'en conviens, Madame ; mais ces exceptions
, fi confolantes d'ailleurs , font en
même temps ſi rares , qu'elles ne prouvent
abfolument rien , ni en faveur de nos
coeurs , ni pour l'excuſe de nos moeurs . Ce
font des phénomènes qui ne font ſfur nous
qu'une impreffion paſſagère. Ils nous étonnent
, nous les admirons , & nous en reftons-
là. La gloire & le plaifir d'imiter de
ſi beaux exemples nous coûteroient apparemment
trop cher. Il en eſt de ces procédés
d'une amitié conſtanté & généreuſe ,
comme des ſentimens héroïques que nous
entendons déclamer ſur la ſcène. On courc
14 MERCURE DE FRANCE.
au ſpectacle ; on s'attache aux Héros repréſentés
; on ſe ſent ému ; on s'attendrit
quelquefois juſqu'aux larmes , & l'on revient
chez foi , ou pour critiquer la piéce ,
ou pour en parler avec emphaſe , ſans ſe
ſouvenir ſeulement , ni des modèles de
vertu qu'elle vient d'expoſer , ni des leçons
pathétiques dont elle eſt remplie.
On lit de même l'hiſtoire de Damon &&
de Pythias , ou celle des Chevaliers de
Bourdin & de Soupat ; mais c'eſt du gothique
pour les uns , & pour les autres ce font
de ces événemensdont on feroit une belle
piéce de théâtre , & fur lesquels il n'eſt
plus ni ſage ni prudent de régler ſes ſentimens
& fa conduite. Que quelques coeurs
philofophes & finguliers s'en affectent tout
debon ; qu'ils s'efforcentd'imiter ces traits
héroïques , à la bonne heure : le ton du
ſiècle , l'eſprit & les moeurs de la nation
ne permettent pas que l'on ſoit des amis
renouvellés des Grecs. L'amitié eſt un don
du ciel , & l'on n'a plus aſſez de religion ,
ni pour le defirer dans ſon coeur , ni pour
l'eſtimer dans celui des autres .
Ces réflexions m'inſpirerent hier , au
fortir d'un cercle de beaux eſprits , une
indignation ſi vive contre l'amitié de nos
jours , que je fis ſur le champ , moi , qui
fuis ſi peu poëte , les ſtances ſuivantes.
AVRIL 1765.
Permettez - moi , Madame , de vous les
adreſſer , non pas comme un impromptu ,
mais ſous le titre plus fimple & plus vrai
d'Humeur contre la rareté des vrais amis.
L'amitié , dont vous m'honorez , eſt le
plus heureux contraſte que je puiſſe leur
donner.
RIEN n'eſt plus doux que l'amitié
Rien auſſi , Zirphé , n'eſt plus rare
De ce don le ciel même avare ,
Ne forme un ami qu'à moitié.
Jadis David & Jonathas ,
Il en faut croire l'Ecriture ,
D'une amitié conſtante & pure
Saimerent juſques au trépas.
Phanor aimoit ainſi Lausus ,
Et Pylade le triſte Oreste ;
L'hiſtoire antique nous l'atteſte
Hélas ! le temps paflé n'eſt plus.
D'ami la tendre qualité
N'eſt aujourd'hui qu'une épithètes
L'amitié n'eſt plus qu'un ſquelète ,
Sans âme & ſans ſolidité.
Sur de frivoles complimens ,
Des dons , des airs , une embraffade
46 MERCURE DE FRANCE.
Chacun d'être ami fait parade ,
Et nul n'en a les ſentimens .
Envain dans ce ſiècle pervers ,
A trouver un coeur on inſiſte ;
C'eſt s'attendre à l'or d'un Chymiſte ,
Et me demander de bons vers .
Pour finir plus agréablement ma lettre ,
voici , Madame , la belle idée que les
Romains s'étoient faite de l'amitié. Ils la
repréſentoient ſous la figure d'une jeune
femme , vêtue d'une tunique blanche , fur
le bord ou la frange de laquelle on liſoit
ces mots , la mort & la vie. Sur fon front
étoient gravés ces autres mots , l'été &
l'hiver. Elle avoit le côté ouvert juſqu'au
coeur , qu'elle montroit du doigt , avec
ces mots , de près & de loin.
Rien de mieux penſé ni de plus pittoreſque
que cet emblême ; il caractériſe
parfaitement l'amitié ; il en exprime éloquemment
la vivacité & la candeur , la
générofité & la conſtance. C'eſt dommage
qu'on n'en puiſſe pas faire honneur au
coeur des Romains. On trouve dans leur
hiſtoire beaucoup de Héros & très - peu
d'amis. Scipion - Emilien eſt preſque le
ſeul de qui elle diſe , qu'il étoit un grand
homme & un bon ami. Tant il eſt vrai ,
AVRIL 1765. 47
Madame , que la plus belle théorie de la
vertu n'en prouve pas toujours la pratique.
Les hommes à cet égard reſſemblent affez
à ces Architectes qui dreſſent des plans
d'édifices magnifiques , &qui les exécutent
rarement .
J'ai l'honneur d'être ſans emblême &
avec le reſpect le plus tendre & le plus
fincère.
Du P... R. B.
LETTRE à M. DE BELLOY , auteur de la
Tragédie du SIEGE DE CALAIS.
JE reviens , Monfieur , émerveillé de la
belle Tragédie que vous avez donnée ,
non- ſeulement au Public littéraire , mais
encore à la France entière. Autant qu'on
peut juger d'un ouvrage , je trouve votre
Tragédie , à peu de choſe près , une des
meilleures qui ſe ſoient faites dans ce
fiècle , & digne par bien des endroits de
trouver place parmi celles du grand Corneille
; je penſe tout cela.
Il ſeroit naturel à préſent que je vous
rendiſſe compte des motifs de ce jugement,
&même de quelques légères imperfections
que j'ai cru appercevoir dans cette piéce ;
48 MERCURE DE FRANCE.
mais je ne ſuis point tragédien , & naturellement
peu critique , fur-tout vis-à-vis
d'un chef-d'oeuvre. D'ailleurs , l'homme
de l'art qui a créé ces beautés , & que l'on
dit par-deſſus le marché modeſte & fage ,
peut , felon moi , mieux que perfonne ,
juger fon oeuvre & la perfectionner.
En général le ſujet m'a paru grandement
tracé , les caractères noblement fentis
, l'action fort ſuivie , graduellement &
vivement intéreſſante. Vos perſonnages ,
qui ne s'effacent point les uns des autres ,
mais plutôt qui ſe prêtent réciproquement
le jour & l'ombre qui conviennent à leur
rôle , ne ſont pas de ceux qui ſe contentent
de parler dans le dialogue , à la manière
de preſque tous nos auteurs modernes.
Ils raiſonnent continûment ; ils penfent
fortement , & s'expriment de même
avec toute l'étendue & dans les bornes du
ſujet où ils agiſſent. C'étoit-là le grand
artde Corneille, undes hommes du monde
qui a eu le génie le plus politique ; cet
art ne s'eſt plus retrouvé depuis dans ceux
qui lui ont fuccédé.
Vousavezdonc, Monfieur, cette grande
reſſemblance avec le premier homme du
théâtre françois : vous avez écrit héroïquement
un ſujet héroïque ; mais ce qu'il y
a de remarquable , c'eſt que vous avez
puifé
AVRIL 1765. 49
puiſé les exemples de votre héroïſme dans
votre propre nation , & que Corneille a
toujours pris les fiens chez les Romains ,
comme étant le premier peuple de l'univers.
Cet Auteur écrivoit dans un temps
où il vouloit ſans doute nous propofer un
plus haut modéle que nous ; aujourd'hui
nous ſommes peut-être à nous-mêmes ce
modéle plus relevé , qu'il nous faut préfenter
: en un mot , vous avez eu la gloire ,
Monfieur , de fentir la grandeur de votre
propre pays , & l'honneur d'employer la
puiſſance de cet exemple. Votre Tragédie
n'eſt pas ſimplement un beau drame , c'eſt
un fenfible & magnifique éloge , au beſoin
une leçon. Ainſi vous élevez dans un même
ouvrage un monument à la ſcène françoiſe ,
&un autre à la nation ; vous honorez à
la fois votre coeur & votre génie.
Que votre pinceau est vrai , & que vos
idées font juſtes ! nos rivaux de gloire &
de puiſſance , en ſe montrant avec tous les
caractères que méritent leur valeur & les
hauts fentimens de leur liberté , font effacés
par la France , juſque dans leur propre
triomphe , par un endroit qui ne les dépriſe
pas , & qu'ils font forcés eux-mêmes
de reconnoître ; je veux parler de l'afcendantde
notre conſtitution fur la leur , toute
admirable qu'on nous la repréſente. Celle
Vol. I. C
50 MERCURE DE FRANCE.
(
des Anglois eſt toute bâtie ſur les loix ;
la nôtre , avec le même appui , paroît encore
plus fondée ſur notre amour pour nos
maîtres. C'eſt ce ciment merveilleux qui
fait une vertu , un génie national , & qui
produit une puiſſance que nulle autre puifſance
n'égale. On dit que le mot depatrie
eſt un mot affez moderne dans notre lanque
,
relativement à nous , & fort nouveau
dans nos idées ; plaiſe au ciel qu'il le foit
toujours ! notre patrie eſt dans notre Roi
réuni à ſes ſujets . La France , comme vous
l'avez très - bien dit, eſt moins un état
qu'une famille ; c'eſt un père , & non un
maître qui nous gouverne : nous ſommes
fes enfans bien plus que ſes ſujets. C'eſt
ainſi que nous nous plaiſons à voir nos
Souverains , & qu'euxà leur tour ont toujours
enviſagé leur royaume. C'eſt une
loi écrite dans l'âme des François , fort
au-deſſus de toutes les loix. Nous rapportons
à nos Rois tout l'Etat , de même que
fa grandeur , & leurs droits & leur puifſance
n'ont d'autres børnes que celles mêmes
de notre amour : ceci vaut bien une
conftitution , puiſque ce font nos coeurs
mêmes qui font ainſi conſtitués. Voilà les
François ; voilà la France. Ah , Monfieur !
que ceux qui méconnoîtroient ce beau
AVRIL 1765 . Γ
rer..
caractère , & qui viendroient à le défigu-
Mais brifons là-deffus , &
revenons à vous & à votre mémorable
ouvrage , qui eſt ſi beau , & fait fi à
propos. Comme Auteur , vous vous êtes
fait un nom célèbre ; comme François ,
vous vous êtes acquis un titre éternel à la
reconnoiſſance des François. Votre Tragédie
eſt une oeuvre pour l'Etat , un bienfait
à la Monarchie ; mais auffi , Monfieur
, rendez graces à la Province qui ,
en vous faifant naître dans le ſein de cet
Etat , vous a donné lieu d'honorer votre
plume d'une production ſi précieuſe, c'eſtà-
dire , foyez encore plus jaloux de votre
titre de François que de votre ouvrage .
Nous venonsd'apprendre que notre Roi,
après avoir demandé la repréſentation de
votre Tragédie à ſa Cour , l'a applaudie , &
l'a enſuite récompenſée. C'eſtſans doute un
grand honneur ; mais j'y vois quelque choſe
de plus , c'eſt l'effet ſur ſon coeur , des touchantes
images des prérogatives de ſa couronne.
Tout langage de ſujet à part , on devoit
en être bien für avec un maître telque
le nôtre. Voilà donc le butde votre ouvrage
rempli ; il a touché le maître comme les
ſujets : voyez l'immenſité de votre ſuccès
dans cellede nos obligations : vous nous
Cij
52
MERCURE DE FRANCE.
avez valu , Monfieur , un acte d'amour de
ſa part , après en avoir fait porter mille
vers ſa perſonne ; c'eſt comme s'il eût dit :
« Oui , je reconnois là mon Empire , l'ef-
>>>prit de mes ancêtres , le caractère de
> mes peuples , je règne pour être aimé
> d'eux. C'eſt ainſi que ma puiſſance me
>>plaît : nulle autre ſur la terre ne lui eſt
» comparable » . Oui , Monfieur , il l'a
dit , & qui pourroit en douter après ce
qu'il vientde faire ? & c'eſt votre ouvrage
qui a fait prononcer cette belle fanction
entre les François & leur Roi ; un ſimple
Maire de Calais , avez-vous dit le premier,
ſauve la France par un attachement héroïque
pour fon Prince. Un Auteur tragique
ſous le préſent règne , en conſacrant ces
traits d'hiſtoire , fait dire au maître & aux
ſujets : « Ah ! ſoyons toujours ce que nous
» avons été , &que nous gardions à jamais
> cette conſtitution unique , qui nous fair
puiſer la force au fein même de notre
" amour " . Voilà le feu ſacré de ce
royaume ; on le voit briller tout- à- coup ;
& c'eſt vous , Monfieur , qui l'avez entretenu
, ou peut- être renouvellé.
Je m'arrête là : ſi j'avois pu vous mieux
louer , je l'aurois fait , par reconnoiſſance
pour votre piece : elle m'a dicté tout ce
AVRIL 1765. 53
que je viens de vous écrire. Je ſuis François
, & je ſens que je vous reſſemble par
le coeur.
Paris , 25 Février 1765 .
J'ai l'honneur d'être , &c .
SUR L'AMOUR.
L'AMO 'AMOUR n'eſt point ce fantaſque defir,
L'amour n'eſt point cette fureur ſoudaine .
Que le moment nous preſſe d'afſouvir ,
Qu'un autre inſtant voit éteindre ſans peine.
L'amour n'eſt point ce qu'un faiſeur de vers
Peint triftement armé de traits , de chaînes ,
Toujours ſuivi de mille maux divers ,
Mauſſades fruits des infipides veines..
Bien moins encor ce qu'un fade galant
Croit reſſentir , exprime avec méthode ,
Sûr du triomphe , en maſquant fon néant
D'un vain éclat qu'il ne doit qu'à la mode.
Non .... l'amour est un ſentiment divin ,
Qu'on rend moins noble en voulant le décrire
Délicieux , même quand on ſoupire ;
Que je connois , veux peindre , ... mais en vain
D. L. P
Cij
34 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de M. DE LA PLACE , auteur
du Mercure de France , a MM. les
Maire & Echevins de Calais.
MESESSISEIEUURRSS.. .
Je vous aurois plutôt fait part du ſuccès
auffi éclatant que juſtement mérité d'une
Tragédie intitulée le Siège de Calais , fi
le mauvais état de ma ſanté & le prodigieux
concours des ſpectateurs m'euffent
permis d'y trouver place avant lacinquiéme
repréſentation.
Jugez , Meffieurs , de l'extrême plaifir
qu'a dû cauſer hier à un coeur vraiment
Calaiſien tout ce qu'un ſi bel ouvrage a
d'honorable , & pour nos ancêtres , & pour
ceux qui les repréfentent fi dignement
aujourd'hui ! Ce ſuccès ſeul a pu me confoler
de l'impoſſibilité où m'a mis une
longue & cruelle maladie , de traiter un
ſujet ſi glorieux pour ma patrie , quoique
J'en euſſe diſpoſé le plan il y a environ cinq
ans. Mais la façon ſupérieure dont il a été
mis au théâtre par M. de Belloy , me laiſſe
d'autant moins de regrets à cet égard , que
AVRIL 1765.
je n'aurois pu me flatter , quels qu'euffent
été mes efforts , d'atteindre à la perfection
dont ce tableau me paroiſſoit fufceptible,
& de vaincre les difficultés dont l'Auteur
de la piéce vient de triompher ſi glorieufement
pour lui-même & pour nous.
L'honneur d'être né dans vos murs ,
par conféquent de vous appartenir , ne me
permet pas , Meſſieurs , d'attendre plus
long-temps à vous faire part d'un événement
qui met le comble à la gloire d'une
ville dont l'inviolable fidélité pour ſes
auguſtes Souverains égale encore , au bout
de plus de quatre fiécles , celle des Héros
d'une piéce que Paris & la Cour admirent.
J'ai l'honneur d'être avec tous les fentimens
dignes d'être joints au reſpect , & c.
AParis , le 24 Février 17650
P. S. La Tragédie du Siége de Calais a éré
jouće Jeudi , 21 de ce mois , devant le Roi , qui
en a marqué publiquement ſa ſatisfaction.
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE de M. DE BELLOY , Auteur de
la Tragédie du SIEGE DE CALAIS , à
M. DE LA PLACE .
JE ne puis vous exprimer , Monfieur ,
combienje ſuis touché & à quel point je
me tiens honoré de la lettre que vous avez
bien voulu écrire à Calais au ſujet de ma
Tragédie. Vous parlez en Citoyen qui voit
en grand tout ce qui peut intéreſſer fon
pays. Peut-être que dans le calme de la
réflexion votre eſprit trouvera bien à rétrancher
des éloges que votre coeur m'a
donnés. Au reſte , vous devez fentir combien
un fuffrage tel que le vôtre eft fait
pour exciter l'amour-propre d'un Auteur.
C'eſt de ceux qui courent la même carrière
que nous devons fur - tout chercher
l'approbation . Que l'on feroit heureux
d'avoir des rivaux &des maîtres , s'ils penfoient
tous auſſi noblement que vous ! le
temps ne me permet pas de vous témoigner
tout l'excès de ma ſenſibilité. Dès
que j'aurai un moment de liberté , je ne
manquerai pas d'aller vous remercier de
vive voix , & vous renouveller toutes les
affûrances , &c.
A Paris , ce Jeudi foir.
AVRIL 1765 . SA
RÉPONSE de MM. les Maire & Echevins
de CALAIS , à M. DE LA PLACE ,
Auteur du Mercure de France .
MONSIEUR.
Nous ſommes bien reconnoiſſans de
la manière avec laquelle vous avez eu la
bonté de nous informer du ſuccès de la
Tragédie du Siége de Calais par M. de
Belloy.
Que d'obligations n'avons - nous point
à ce célèbre Auteur d'avoir fait choix d'un
ſujet qui , en retraçant aux yeux de la
France les faits héroïques d'Eustache de
Saint-Pierre&de ſes illuftres compagnons,
caractériſe ſi bien les habitans de Calais ,,
dont la fidélité pour nos auguſtes Souverains
a toujours été & ne ceſſera jamais
d'être inviolable !
M. de Belloy s'eſt concilié tous les fuf---
frages ; ſon mérite & la ſupériorité de ſes
talens font univerſellement reconnus ; les
vrais connoiffeurs admirent la ſfublimité
de fon ouvrage & lui rendent toute la
G
58
MERCURE DE FRANCE.
juſtice qui lui eſt due : il mérite donc les
plus grands éloges , &particulièrement de
notre part. Aufli nous propofons-nous de
lui marquer de la façon la plus folemnelle
les ſentimens que nous lui avons voués ,
& que nous n'avons qu'imparfaitement
exprimés dans la délibération dont vous
recevrez copie avec cette lettre.
Nous nous flatons , Monfieur , que vous
voudrez bien concourir à nos vues , en
acceptant la qualité de député de notre
ville , conjointement avec M. le Sénéchal,
Receveur Général des domaines & bois ,
qui a en la complaifance de nous faire
part, ainſi que vous , de l'approbation générale
qu'a obtenue la pièce , & de nous
offrir ſes bons offices de la façon la plus
honnête & la plus obligeante.
Quelle que foit cependant notre ſatiſfaction
, elle feroit encore infiniment plus
grande , fi nous la devions aux travaux
diftingués d'un Compatriote tel que vous ,
qui,à tous égards, nepeut que nous illuftrer.
Les ſentimens patriotiques dont vous ne
celfez , Monfieur , d'être animé , & que
vous peignez avec tant de délicateffe , font
payés d'un très -parfait retour. C'est avec
le plus grand plaifir du monde que nous
vous en affurons, ainſi que de la véritable
AVRIL 1765. 59
eſtime &du ſincère attachement avec lefquels
nous ſommes , &c .
Signé , LES MAIRE ET ECHEVINS
DE LA VILLE DE CALAIS.
Le 10 Mars 1765
LETTRE de MM. les Maire & Echevins
de Calais , à M. DE BELLOY,
MONSIEUR.
C'EST avec bien de la ſatisfaction que
nous rempliſſons les voeux de nos Concitoyens
, qui nous chargent de vous adreſſer
une copie de la délibération que nous
venonsde faire. Nous eſpérons , Monfieur,
que vous acquiefcerez ànos defirs , en nous
permettant de vous faire préſenter des
lettres de Citoyen de cette ville. Qui les
a jamais mieux méritées ? vous venez d'éternifer
ſa gloire dans le tableau le plus.
frappant d'amour & de fidélité pour ſes
Rois , qui l'ont toujours caractériſée. Le
nomd'Eustache de Saint- Pierre est devenu
inſéparable du vôtre : on ne peut ſe rapy
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
peller fon héroïfme fans admirer vostalens.
Vous avez acquis l'un & l'autre un même
droit à l'immortalité ; vous êtes également
chers à cette ville : elle a vunaîtreEustache,
vous en ferez Citoyen ; perſonne ne fut
plus patriote que lui ; perſonne ne peignit
mieux que vous le vrai patriotiſme.
,
Privés de la fatisfaction de vous pofféder
dans nos murs & de vous y
payer le tribut de notre reconnoiſſance
permettez au moins , Monfieur , qu'en
plaçant votre portrait à côté de ceux de
nos plus illuftres bienfaiteurs , nous laiffions
à nos neveux un ſouvenir éternel du
juſte attachement que la ville de Calais
vous a voué .
Nous avons l'honneur d'être , &c.
Signe , LES MAIRE ET ECHEVINS
DE LA VILLE DE CALAIS ...
Le 10 Mars 1765 .
P
AVRIL 1765 . 6
EXTRAIT des regiſtres aux délibérations de
Hôtel commun de la Ville de Calais .
Al'affemblée de ce jour , 6 Mars 1765 ;
où s'eſt trouvé le Conſeil ordinaire de la
ville , le Procureur du Roi a dit :
MESSIEURS ,
, a
Nous avons appris , avec la joie la
plus vive , que le Siège de Calais que
M. de Belloy vient de mettre au jour ,
été couronné du ſuccès le plus éclatant..
Cet Auteur s'eſt couvert d'une gloire immortelle
, & cette Ville a l'avantage de la
partager avec lui , puiſqu'elle lui a fourni ,
dans le ſujet de ſa piéce , unde ces grands
exemples d'amour , d'attachement & de
fidélité dont tout François doit être animé
pour ſon Roi , & dont cette Ville a donné
rant de preuves , non-feulement lors du
fiége formé par Edouard III , mais encore
dans celui de 1596 , où neufcens ſoixante
des principaux habitans perdirent glorieuſement
la vie ; & lorſque les Eſpagnols
tenterent vainement de la ſurprendre en
1657 : époques mémorables , que nous
62 MERCURE DE FRANCE.
célébrons chaque année * , &qui nous rappellent
la valeur de nos pères. A l'image
de cesHéros (toujours préſente à nos yeux )
va ſe joindre pour jamais celle de l'Auteur
*
L'Auteur du Mercure ſe rappelle d'avoir
entendu , dans fa jeuneſſe , le jour de la proceffion
qui ſe fait en mémoire de cette délivrance
de la Ville , chanter une Romance , dont voici à
peu près les deux premiers couplets .
Le deuxieme du mois de Juillet
Les Bourguignons vinrent à Calais ,
Pour ſurprendre la Ville :
Mais le brave Comte de Charoft ( r )
Leur fit bientôt tourner le dos.
Si vous aviez vu M. de Saint -Martin , ( 2 )
Avec ſon grand fabre à la main ,
Un piſtolet dans l'autre ,
S'écriant : CALAISIENS , mes amis,
Allons battre nos ennemis ..
Cequ'ils firent.
( 1) Gouverneur de Calais. Cette Ville , avant & de
puis cette époque , a eu le bonheur , & en jeuit encore
aujourd'hui , de n'avoir cu de Gouverneurs que de cette
illuftre Maiſon .
( 2) L'un des ayeux de M. le Comte de Saint-Martin ,
dont la fignature & celle de fon fils , Enſeigne aux
gardes - Françoiſes , font au bas de cette délibération.
AVRIL 1765 . 63
eftimable qui a ſçu ſi bien les caractériſer.
Heureux habitans des murs qui ont vu
naître Eustache , ſi nous formons des voeux ,
ce feroit de voir M. de Belloy né dans
la même patrie ! Mais , privés d'une fatisfaction
qui combleroit nos deſirs , nous
pouvons du moins nous la procurer par
adoption.
Acet effet , le Procureur du Roi a conclu
à ce qu'il foit écrit à M. de Belloyune
lettre de félicitation , avec priere de permettre
qu'il lui ſoit préſentédes lettres de
Citoyen de cette Ville , & que fon por
trait foit placé en cet Hôtel , concluant ,
en outre , qu'aux fins d'exécuter la délibé
ration , Meſſieurs le Sénéchal& de la Place,
dont le zèle pour cette Ville eſt ſi connu,
feront priés d'accepter la qualité de Députés
, & les procurations néceſſaires pour
remplir un objet auſſi intéreſſant ; & a
figne , BLANQUART.
Sur quoi l'affemblée , pénétrée d'une
juſte reconnoiſſance, aarrêté unanimement
que les concluſions du Procureur du Roi ,
conformes aux voeux de tous les habitans,
feront littéralement ſuivies.
Acte figné, DU TEIL, Doyen-Curé deCalais;
MALLET;DUELOS; MOREL; PIGAULT,
père; E. BRIDAULT ; CH. THIN ; PIGAULT,
DEL'EPINOY;AUDIBERT, l'aîné ; AUDI64
MERCURE DE FRANCE.
BERT DU PONT ; BLANQUART DES SALIMES
; HACHE ; CARPENTIER ; GADDEBLÉ
GRANDIN ; LE COMTE DE SAINT- MARTIN,
Brigadier des Armées du Roi ; SAINTMARTIN
, fils , Enſeigne aux Gardes- Françoifes
; COCQUART ; MAURRY , fils ;
BENARD ; ANTOINE FELLIER .
MARESSAL DE MARSILLY ; Bd. MARGOLLE
; MOURON ; LE FRANCQ & TEILLIER
LAIDEZ , Maire & Echevins.
En marge eſt écrit :
Arrêté que les lettres de Citoyen feront
préſentées à M. de Belloy dans une boëte
d'or , fur laquelle feront les armes de la
Ville , & ornée d'une deviſe convenable.
RÉFLEXIONS fur la cérémonie du jour
des CENDRES. Epître à M. l'Abbé Cor-
PETTE , Docteur de Sorbonne , & c. au
retour de fa dangereuse maladie , après
fon voyage de Rome.
TouOur couvert encor de la cendre
Que le Prêtre vient de répandre
Sur mon front & mes cheveux blancs
Ami , pourrai-je bien te rendre
L'impreffion que je reſſens
Au ſouvenir des mots frappans
AVRIL 1765 . 65
Qu'à l'autel on m'a fait entendre ?
En frémiſfant , j'ai cru comprendre
Qu'à la demeure des vivans
Je n'avois plus droit de prétendre ;
Et que peut- être en ce moment ,
Touchant au bout de ma carrière ,
Dans les ombres du monument
J'allois retourner en pouffière.
<<H<omme! ſouviens-toi ( m'a-t-ondit)
>>>Que la pouſſière eſt de ton être
>>>Le principe , qu'un rien détruit ;
>> Et que dans l'éternelle nuit
>>>En poufſière il doit diſparciure ».
Quels objets ! quel effroi nouveau!
Dans le fond glacé du tombeau
Où la mort me force à deſcendre ,
Au pâle jour de fon flambleau
J'apperçois l'horrible monceau
Des vers, qui paroiffent m'attendre....
Habitant de ces lieux d'effroi ,
Entouré de voiles funèbres ,
Je n'aurai plus autour de moi
Que le filence & les ténèbres.
Dans cet état d'obfcurité ,
Anéantiſſement extrême !
Bientôt on ignorera même
Qu'en ce monde j'aie exiſté..
1
“ MERCURE DE FRANCE.
C
Humiliante perſpective
Pour vous , mortels ambitieux !
Pour une gloire fugitive
Vainement vous formez des voeux:
Avec vous , à ce dernier terme ,
Votre nom eſt enſeveli ,
Et la tombe qui vous enferme ,
Eſt l'affreux temple de l'oubli .
En ce moment , qui me retrace
Le néant de l'humanité ,
A mes yeux tout change de face
Du temps qui m'étoit limité
Tout- a-coup diſparoît l'eſpace ,
Et je ne vois plus à ſa place
Que la profonde éternité ,
Et le tribunal redoutable
Où le Dieu de ſévérité ,
N'écoutant que ſon équité ,
Peſera le mortel coupable
Dans la balance invariable
De la fuprême vérité.
A cet avenir formidable ,
Du juſte même redouté ,
Et dont l'approche épouvantable
Fait pâlir l'incrédulité ,
Je me diſois : aveugles hommes
Nés pour le Ciel , vains que nous ſommes
AVRIL 1765. 67
Nous méconnoiſſons notre Auteur ,
Et la terre qui nous fafcine
Nous fait oublier l'origine
De notre fublime grandeur !
Chef-d'oeuvre de l'être ſuprême ,
Souffle & portion de lui-même ,
Mortel , conçois ta dignité :
De Dieu ſur toi l'image eſt peinte ,
Et dans ton âme il mit l'empreinte
De ſa propre immortalité.
Pourquoi de cette vérité ,
Que dans nos coeurs le ciel imprime
Par un doute qui nous déprime ,
Etouffons nous l'autorité ?
Les paffions , l'impiété ,
Voilà les ſources infidelles
Qui des lumières éternelies
Obſcurciffent la pureté.
Jouets de l'erreur & des doutes ,
Nous ſuivons leurs trompeuſes routes
D'un pas ferme & précipité.
D'illufions & de menſonges
Nous flartons notre foible coeur ,
Et nous élevons fur des ſonges.
L'idole de notre bonheur !.
Peinture lugubre & touchante
Que tu m'offres d'inſtructions !
68 MERCURE DE FRANCE.
Et qu'en ce jour , cendre éloquente ,
Tu me fait d'utiles leçons !
Foi divine , de ces images
Tempére , efface les couleurs ,
Ecarte les triſtes préſages
QuQuee me préſentent mes frayeurs.
Tu m'exauces : d'autres ſpectacles
Charment mes timides regards;
Effet du plus grand des miracles !
Des morts je vois les os épars
Pénétrés du ſouffle de vie ,
Devenir des corps glorieux ;
Je les vois , citoyens des cieux ;
De l'Etre qui les vivifie
Contempler le front radieux :
Sa préſence les ſanctifie ,
Et ſon amour en fait des Dieux.
Sublime & flatteuſe eſpérance ,
Dont je nourrirai mon amour !
Tu changes ce funèbre jour
En un jour de réjouiſſance.
Oui , la cendre éparſe ſur moi ,
Loin de m'inſpirer l'épouvante ,
A la lumière de la foi ,
M'offre un avenir qui m'enchante.
Ah , mon âme ! qu'un ſaint tranſport
AVRIL 1765 .
ه و
:
A
T'embrâſe dans la vive attente
Du jour qui doit te mettre au port ,
Où tu te verras triomphante
Des maux , du temps & de la mort !
ENVO 1.
peine de retour des champs de l'Auſonie
Dont tu charmas les habitans ,
Avec cet ami rare * & cet heureux génie
Qui raſſemble tous les talens ,
Tu vis la prompte maladie
Arriver ſur tes pas , & imenacer tes ans.
Quels furent , tendre ami , mes ſoupirs & mes
larmes!
Pourquoi , ſi la ſanté te rend de nouveaux jours ,
Par mes accens joyeux ne pas vanter ſes charmes ?
Devrois-je réveiller de mortelles alarmes ,
Et d'une muſe en pleurs emprunter les ſecours
De ces réfléxions en te faiſant l'hommage ,
Je te rends ce qui vient de toi :
C'eſt dans ton âme , dans ta foi ,
Que de ces vérités j'ai puiſé le langage.
Ami , je ne crains pas que leur auſtérité
Du nuage de la triſteſſe ,
Voile chez toi cette gaité
Qui doit à la vertu ſa douce égalité :
M. Watelet , de l'Académie Françoiſe.
MERCURE DE
FRANCE
7
.
Un coeur comme le tien , qu'éclaire la ſageſſe ,
Voit la mort avec
fermeté :
Exempt des
reproches du crime ,
Tranquille il
contemple l'abîme
De
l'effrayante éternité.
DE SAULX , Chanoine de l'Eglise de Reims , &
Chancelier de
l'Univerſité , Membre de
l'Académie
des Arcades de Rome , de celle de Nancy ,
& de la
Société
Littéraire de
Châlons.
VERS mis , par un Amateur , au bas d'une
estampe de Mile
CLAIRON.
CETTE ETTE divinité , que la France idolâtre
N'étaloit qu'à Paris ſes talens précieux.
Il falloit à Clairon un plus vaſte théâtre ;
Par l'effet du burin elle brille en tous lieux.
B*** Y.
LE mot de la première énigme du
Mercure de Mars eſt la
tabatière. Celui
de la ſeconde est lesoupir. Celui du premier
logogryphe eſt l'espérance , dans lequelon
trouve Perfe , Perfan , âne , carpe ,
Nérac , Arène , ré , père , crâne , race ,
A
AVRIL 1765 . 71
écran , crêpe. Celui du ſecond eſt poiſſon ;
ôtez la lettredu milieu , reſte poison. Celui
du troiſiéme eft roſe ; ôtez la premiere &
la dernière lettre , refte os.
:
Q
ENIGME.
UE chacun ſe frotte la tête :
Pour nous trouver le moyen eſt certain
Car par nous ont même deſtin ,
Et l'homme d'eſprit & la bête.
Nous allonsdeux par deux, de maiſons en maiſons,
Au ſéxe maſculin demandant domicile ;
Mais , pour d'excellentes raiſons ,
Cen'eſt que malgré ſoi qu'on nous donne un
aſyle.
Peut-être en ce même moment ,
Lorſque pour me trouver ton eſprit ſe démène ,
Un autre plus intelligent
Dans ton logis t'épargne cette peine .
Lecteur , mən bon ami , conſidéres-toi bien
Mais au ſurplus fois ſage , & fur- tout n'en dis rien.
72 MERCURE DE FRANCE.
N
AUTRE.
ous ſommes deux frères très doux ,
Mais qui ne pouvons vivre enſemble une ſeconde.
Tout le monde en tout lieu nous donne à tout le
monde ;
Et rien n'eſt plus rare que nous.
Nous faiſons tour à tour un compliment d'uſage ;
Et chacun de nous a ſon temps.
Si d'un bruſque refus nous préſentons l'image ,
Tous les temps font indifférens .
Quant à mon mot , il n'échappe à perſonne :
Dévine ou non , Lecteur , on te le donne.
LOGOGRYPΗ Ε.
AMadame DE LA F... aux Mouneroux
en Auvergne.
AIMABLE Egle , tour céde à ma beauté ,
Tout ici bas lui rend les armes ,
Et mon éclat , ſans vanité ,
A vos attraits ajoute bien des charmes.
Ne me traitez pas d'indifcret ,
Si j'oſe me vanter de vous avoir ſçu plaire :
De notre intelligence on ne fait plus myſtère ;
Mais ,
AVRIL 1765. 73
Mais , Eglé , convenez du fait ,
Vous même avez éventé le ſecret ;
Pour le garder , il eût fallu vous taire.
1
Deux pieds fix doigts forment mon corps.
Par le jeu combiné de mes divers refforts
Je tends au débiteur une main ſecourable ,
Et du créancier intraitable
Je fais ſuſpendre la rigueur ;
Mais aux amans moins favorable
J'ai , d'un tête à tête agréable ,
Souvent altéré la douceur ;
Fruit des travaux du laboureur ,
Je fais naître chez lui la joie & l'abondance ;
De la bête que ſuit l'intrépide chaſſeur ,
Je trahis les détours & donne connoiſſance :
Dans un cercle par fois le bruit de ma naiſſance
De mon père confus fait rougir la pudeur.
Tantôt je ſuis un titre de grandeur
Qu'en faveur du Roi ſeul exige la décence;
Ici je ſuis un jeu ; là je ſuis un péché ;
Tantôt je ſuis oiſeau ; tantôt j'aide à les prendre ;
A tout ce que j'ai pu je me ſuis accroché
Pour vous dépayſer & pouvoir vous ſurprendre ;
Mais à ce but en vain je me ſuis attaché ....
Par moi- même , bientôt vous allez me comprendre.
Vol. I. D
74 MERCURE DE FRANCE.
ان
ENVΟΙ.
Du mot que j'ai voilé je n'ai point le pincean
Pour colorer à vos yeux mon hommage ;
Mais au moins , belle Eglé , dans cet eſſai nouveau
Du coeur reconnoiſſez l'ouvrage.
DES MARAIS , du Chambon , en Limousin.
S
AUTRE.
UR men ſein la gaîté , l'ennuyeuſe triſteſſe,
La pétulante joie , & les plus noirs ſoucis ,
Le travail vigilant , & la lente moleſſe ,
Par fois en même temps ſont côte à côte affis.
Ce n'est pas tout , Lecteur , décompoſons mon
être.
J'ai fix pieds ; aisément tu pourras me connoître .
De la belle Syrinx en moi cherche l'amant ;
Cette nôce où ſe fit un prodige éclatant ;
Le trompeur vêtement du Guillot de la fable ;
Cet animal braillard qui fit un jour l'aimable ;
Une Cité célèbre au pays des Normands ;
Un terme fort connu dans la géographie ;
D'un habitant des lacs la compagne chérie....
Si j'en dis plus , Lecteur , j'abuſe de ton temps.
*
*
Vous qui,malgré vos agré-mens,Dans vos ma =
+
4
+
= ris ne trouvés plus d'a mans, Sans en rougir,
+
venés en -tendre Le vrai secret de
ap-prendre
vous les
ren- dre. Roseset lys peuvent charmer,
+ +
Tendres regards tous les coeurs enflamer.
W
W
W
W
Mais roses et
lys seFlé-
A
trissent .De même
+
= mours et soins finissent .
α
AVRIL 1765. 75
Q
AUTRE.
UOIQUE je n'offre rien que de vil à tes yeux,
Pourquoi me mépriſer ? tu me dois l'exiſtence.
Mais ton orgueil veut- il annoblir mon eſſence.
Retranche-moi le chef, j'aurai rang dans les cieux.
Par M. DAREAU , de Guéret dans la Marche.
L'ECOLE des femmes , chanson morale ,
imitée de l'Anglois de M. GARRICK ,
célèbre Acteur & Auteur de Londres .
Votous qui , malgré vos agrémens ,
Dans vos maris ne trouvez plus d'amans ,
Sans en rougir , venez entendre
Le vrai ſecret de vous les rendre .
Roſes & lys peuvent charmer ,
Tendres regards tous les coeurs enflammer
Mais roſes & lys ſe flétriſſent ,
De même amours & ſoins finiſſent.
Quand la lyre , ſur vos genoux ,
Forme des fons auſſi brillans que doux ,
C'eſt que la main qui la careſſe
Se prête à ſa délicateſſe.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Si la guitarre ſous vos doigts ,
Rend plus touchans vos yeux & votre voix ;
C'eſt qu'un coeur tendre , qui veut plaire ,
Fait toujours bien ce qu'il veut faire .
Quand ce defir vous inſpiroit ,
Belle Zirphé , tout pour vous foupiroit ! ...
Si cette ardeur est moins extrême ,
C'eſt que Zirphé n'eſt plus la même.
Ifimène appelle ſon ſerin ;
L'oiſeau s'élance & plane fur fon fein.
Docile à la voix qui l'appelle ,
L'oiſeau fait- il qu'Ifmène eſt belle ?
Non : les charmes de la douceur ,
Du plus farouche apprivoiſent le coeur.
Femme qui fait en faire uſage ,
Eft Reine au ſein de l'eſclavage .
و Si votre coeur n'en eſt pas mieux
Que la gaité brille au moins dans vos yeux.
L'amour naît & croît ſur les traces
Des ſentimens unis aux grâces .
:
C'eſt ainſi , qu'à très-peu de frais ,
Pour vos époux revivront vos attraits .
L'hymen ainſi verra fans peine ,
L'amour conſtant dorer ſa chaîne.
Paroles & Musique de M. D. L. P.
AVRIL 1765 . 77
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure , fur quelques inscriptions .
LE livre intitulé : Confultes tenuës au
College de Louis le Grand pendant la viſite
du Père Provincial , &c . en l'année 1708 ,
imprimé en 1761 , en deux tomes in- 16 ,
&en quatre parties , que j'ai eu bien de
la peine à retrouver , me met dans le cas ,
Monfieur , de m'acquitter de la promeffe
que j'ai faite dans ma lettre du 22 Août
1761 , inférée dans le ſecond volume du
Mercure de Janvier 1762 , page 108 .
Nous liſons dans le tome premier de
cet ouvrage , premiere partie , page 18 ,
que ces deux beaux vers de Juvenal :
Summum crede nefas animam praferre pudori
Et propter vitam vivendi perdere caufas.
que l'on pourroit , ce me femble , bien
rendre en ces termes : regardez comme la
1 Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
choſe la plus horrible de préférer la vie à
T'honneur, & par amour de la vie , deperdre
le droit de vivre , ont été mis autrefois ,
comme une marque éternelle d'infamiefur
le frontispice d'une maison de la rue Saint
Martin , dont l'hôte fut brûlé en Grêve.
Cette maiſon eft qualifiée , quelques lignes
après , de maison de débauche , ſelon l'expreffion
du livre , annoncé comme écrit
en 1708. Si ces vers ont été mis autrefois ,
par ordre des Magiftrats , au-deſſus de la
porte de la maiſon en queſtion , cette
aventure doit avoir une certaine antiquité.
Si en dernier lieu elle a été nommée la
Chaffe Dauphine , & qu'antérieurement
Gabrielle d'Eftrées y ait logé , it paroît
conftant que cette demeure n'a pu être un
lien de débauche durant ces temps , &
qu'il faut , pour en établir l'époque ,
remonter bien avant l'an 1599 , où mourut
Gabrielle d'Estrées ſous Henri IV.
Le livre intitulé : Confultes tenues , &c .
infinue que l'hôte de cette maiſon fur
brûlé en Grêve pour le crime dont Los
jadis fut trouvé exempt. Mais quelle eſt
au juſte l'anecdote attachée à la mife
juridique de ces deux beaux vers au-devant
de cette maifon ? On vientde les ſupprimer
pour jamais, en rebâtiſſant l'hôtel en entier:
AVRIL 1765 . ラダ
P'arrêt du Parlement va reſter éternelle
ment fans effet. Le trait , déja preſque
oublié , s'enſevelira fans retour dans la
nuit des temps. La Juſtice aura manqué
fon but. Comment l'Auteur éclairé des
Effais fur Paris a- t-il négligé de nous
détailler une telle hiſtoire ? Quel antre
Citoyen inſtruit nous la feroit connoître ?
C'eſt ce que l'amour de la vérité & de la
vertu me fait ſouhaiter qu'on entreprenne :
Que celui qui le peut paroiffe & qu'il
mérite , par un éclairciſſement ſuffifant ,
la reconnoiffance des futurs hiſtoriens des
antiquités de Paris & des amateurs des
faits extraordinaires & inftructifs .
Je defirerois bien aufſi , Monfieur , que
quelqu'un nous expliquat les circonstances
qui ont engagé à mettre ces eſpeces de ta
bleaux &d'infcriptions qui font au- devant
de la maifon , rue Saint Martin , au coin
de la petite rue Oignard , dont je parle
aufli dans ma lettre du 22 Août 1762 :
depuis ce temps aucune explication n'a été
donnée. Il paroît par l'idée principale qui
réſulte de tout ce qu'on y voit & qu'on
y lit , que cette maiſon a été en quelque
forte dédiée en 1576 aux trois Rois ou à
laTrinité.
Letableau en plâtre repréſente les trois
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
Rois avec la date au-deſſous de 1576. La
premiere infcription latine :
Tres Reges triplicem Regem venerantur in uno :
trois Rois en adorent un ſeul qui en réunit
trois . La feconde :
Et domus & dominus Domino fint utraque munus.
Que la maison & le maître de la maison
foient tous deux une offrande au Seigneur.
Tout cela , dis-je , me ſemble prouver ce
queje viens de conjecturer.Mais quel étoit
celui qui a fait cette offre ? A l'occaſion
de quoi l'a t il faite ? Quelles autres fingularités
font attachées à cet événement ,
c'eſt ce que l'hiſtoire anecdotique de Paris
exige que l'on éclairciffe.
A l'égard de l'infcription françoiſe :
l'art foi loger , qui ne préſente à l'eſprit
rien de commun avec ce ſens, des deux
infcriptions latines & du tableau , il ne
proît guères poflible d'en deviner fans
clef le ſujet. L'art foi loger ou l'art de ſe
Loger , comme nous dirions à préfent , ne
peut convenir qu'à l'architecture ou à un
Architecte. Le propriétaire de cette maifon
, un peu mieux conſtruite que ſes voifines
, étoit- il en effet un Architecte , qui ,
dans la façon de la bâtir , a voulu montrer
en 1576 un échantillon de fon habileté ?
Il nous faut abfolument quelque Edipe
AYRIL 1765 . επ
pour nous donner le mot de l'énigme.
Paris peut-il être foupçonné d'en manquer ?
J'ai l'honneur d'être , &c.
A Paris , le 10 Mars 1765 .
NOUVEAUX Eſſais en différens genres de
littérature ; par M. DE *** , Membre
de plusieurs Académies. A Genéve , &
ſe trouvent à Paris , chez ROBIN ,
Libraire , rue des Cordeliers.
LApremiere piece de ce recueil eſt une
épître à un jeune Seigneur retiré dans ſes
terres , où il vivoit fans ambition , dans
l'oubli des devoirs de fon rang & de fa
naiffance . L'Auteur démontre cette vérité ,
qui devroit être gravée dans le coeur de
tous les hommes ; que ce n'est qu'après
avoir long-temps ſervi ſa patrie , qu'il eſt
permis de vivre pour foi-même , & de ſe
livrer tout entier aux plaiſirs purs & vrais
qu'on goûte dans l'éloignement du monde
&des affaires.
La liberté fans doute eſt le tréſor du ſage.
>> Heureux qui la connoît & fait en faire uſage !
>> Mais de ce bien ſi cher vous êtes trop jaloux ;
>>A>la fleurde votre âge iln'eſt pas fait pour vous
Dv
82 MERCURE DE FRANCE..
Dans le conte intitulé : Ifimaet Conloski,
on voit un fils préſomptueux , plein de
confiancedans fespropres forces , quis'imagine
que rien ne fera capable de lui faire
oublier les prudens avis de fon père ; mais
il ne tarde pas à reconnoître que l'homme
eſt naturellement foible & inconftant , que
fa conduite eſt ſouvent en contradiction
avec ſes principes , & que la ſageſſe eſt
pour l'ordinaire le fruit de l'expérience &
du temps.
La lettrefur les ſpectacles , qu'on trouve
à la fuite de ce conte moral& intéreſſant.,
offre des idées préſentées fous une forme
agréable. L'Auteur prend le parti de la
Comédie en philofophe qui en connoît les
inconvéniens && les défauts. Les livres de
ce genre ne font pas faits pour être analy
fés. Nous nous bornons à citer quelques
réflexions détachées ..
« Un journaliſte qui ne s'attacheroit
>> qu'à découvrir le bongrain parmil'ivraye
>>de la littérature, feroit peut- être plus utile
>> que fes confrères , s'il arrivoit qu'il fûr
» lu..
ود De tous les ouvrages qu'on a faits fur
>>>l'éducation , on pourroit faire un in - 12
>> affezbon ; encorene feroit-ilutile qu'aux
>> maîtres qui feroient en état de s'en paffer.
>> La nudité eſt la parure des grâces :
AVRIL 1765 . 83
- c'eſt pourquoi les jolies femmes ne font
» en robes habillées que quand elles font
>> à moitié nuės » .
L'alcoran , ſi l'on en croit ſes ſectateurs ,
fut écrit avecune plume de l'Ange Gabriel .
On a célébré dans tous les temps les grands
hommes & leurs plumes , foibles inftrumens
de leurs ſuccès ; mais on ne s'étoit
pas encore avisé d'en faire des reliques.
<< Cette idée , qui fait honneur à M ***
>> à Lyon eft abſolument nouvelle. Il pof-
>> féde une plume de M. de Voltaire , bien
>>>cachetée aux armes de l'auteur de la
>> Henriade , & munie d'un certificat au-
>>thentique. Les curieux peuvent la voir
> à toute heure. Point de regrets en
>> voyant cette belle plume ; M. de Vol-
>> taire en a d'autres » .
...
Ces Effais font précédés d'une préface
moitié férieuſe & moitié badine , où l'on
s'apperçoit que les éloges que l'Auteur a
reçus , & les fatyres qu'il a eſſayées n'ont
pu , ni diminuer ſa modeftie , ni altérer
ſa tranquillité . Nous ne craindrons pas de
le nommer ; c'eſt M. de Campigneulles ,
Tréforier de France de la Généralité de
Lyon , dont on a lu pluſieurs pieces dans
nos Mercures , & dont les ouvrages font
connus du Public.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
CAMÉDRIS , conte , par Mlle MAZARELLI
; à Paris , chez Duchefne , rue
St. Jacques , au temple du goût ; 1765 ;
brochure in- 12 , de 220 pages.
Es premiers pas de Mademoiselle Mazarelli
dans la littérature ont été ſignalés
par des fuccès. On ſe rappelle encore les
applaudiſſemens que lui ont mérités , dans
l'élogede Sully, la délicateſſe de fon eſprit,
les grâces de ſon ſtyle &la juſteſſe de fon
goût. C'étoit , pour ainſi dire , contracter
des engagemens , dont elle commence à
s'acquitter aujourd'hui en publiant cette
production ingénieuſe. La lecture nous
en paroît également agréable & inſtructive:
on reconnoît cette main qui traçoit au
temple de mémoire les vertus du favori
d'Henry IV, & recueilloit, finon les prix
de l'Académie , du moins les fuffrages des
Académiciens & ceux du Public. L'analyſe
que nous allons faire de Camédris ,
justifiera ces éloges & l'eftime qu'on a
déja pour l'Aureur.
"Aftérie,Souveraine des Silphes, parcou-
>> roit fur un char d'azur l'immenſe étendue
>> de fon empire aërien. Accoutumée à la
>> magnificence des cieux, elle en voyoit
AVRIL 1765 . 85
ود
l'éclat avec affez d'indifférence ; & déja
>> fes chevaux aîlés reprenoient la route de
>>ſon palais, lorſqu'elle apperçut un autre
>>char , dont la marche inégale & préci-
>>pitée annonçoit le caractère de celle qui
ود
ود
le conduifoit. Sinaclée , Sylphide d'un
ordre inférieur , s'étoit élevée au plus
» haut des airs , où elle erroit au gré de
>>fes caprices. Aflérie l'arrêta » ....
C'eſt ainſi que Mlle Mazarelli ouvre la
ſcène aux événemens qu'elle va décrire.
Ce début nous paroît noble & poétique ,
& annonce , en peu de mots, le caractère de
deux des principaux perfonnages du roman .
La Silphide du ſecond ordre invite
Aftérie à quitter le ſéjour des airs ; elle
lui montre la terre, dont une partie eſt
confiée à ſes foins , & la prie de l'aider
dans cette pénible adminiſtration . Sinaclée
a tenté inutilement tous les moyens poffibles
pour perfectionner un jeune Prince
auquel elle s'intéreſſe , & qu'un mot feul ,
inconſidérément prononcé par ſa mère , a
rendu malheureux.
La Princeſſe Barzée étant prête à donner
le jour à Camédris , pria Sinaclée , fon
amie , de le douer le plus heureuſement
qu'il feroit poflible , de peur qu'il ne refſemblât
à fon père , qui par ſon indolence
avoit perdu ſes états. Sinaclée n'avoit pas
affez de puiſſance ; mais elle obtint des
86 MERCURE DE FRANCE.
Génies élémentaires, que laPrinceſſe doueroit
elle-même ſon enfant , & que le premier
mot qu'elle prononceroit après l'avoir
mis au monde , fignifieroit ce qu'il devoit
être. Barzée devint mère ; & quelques
momens après ayant entendu le bruit d'un
vaſede porcelaine qu'un de ſes gens venoit
decaffer, elle s'écria : ÉTOURDI! Ce mot fut
l'arrêt faral qui devoit décider du caractère
& du fort de Camedris.
A quinze ans le jeune Prince entra dans
le monde, & s'y fit connoître par des étourderies
qu'il faut lire dans l'ouvrage même.
Elles forment , pour ainſi dire , comme
autant d'épiſodes qui n'ont entre eux aucuns
traits de reſſemblance. Le Prince a
aimé ſucceſſivement pluſieurs femmes ,
dont l'hiſtoire offre des contraſtes agréables
, des tableaux variés & des peintures
du monde. Inſtruite d'une partie des fautes
de Camédris , dont les conféquences
étoient fouvent dangereuſes , Aftérie defcend
avec Sinaclée fur le globe terreſtre.
Elle voit le Prince, le trouve aimable , c
déja s'intéreſſe à fon fort. Les deux Silphides
tiennent un rang confidérable dans
la capitale. Leur maiſon eſt ouverte aux
cercles les plus nombreux & les plus brillans.
Camédris ſuit la foule ; il rend viſite
à Aftérie , dont la beauté le frappe & l'enchante
; il ne fonge plus qu'à plaire à la
AVRIL 1765 . 87
Silphide. Aftérie, de ſon côté , obſerve la
conduite du Prince ; elle veut le connoître
& ſavoir s'il eſt digne de fon amour : mais
ne s'attachant pas aux apparences , comme
la plupart des femmes , elle étudie Camédris
; & fans ajouter foi aux bruits défas
vantageux qui courent contre lui , elle en
démêle les motifs. Le fruit de ces fréquens
examens eſt de trouver toujours le Prince
plus étourdi que coupable. Ce qu'elle fent
pour lui ne lui permet pas d'attendre de
l'âge & de l'expérience qu'il ſe corrige;
elle entreprend elle-même de le rendre
parfait. Camédris étoit abîmé de dettes ;
elle lui fournira des ſecours. Emporté par
fon courage , le Prince a voulu reconquérir
ſes états ; il a fuccombé dans cette expédition,
a été bleſſé& faitprifonnier ; à l'aide
desGnomes Afterie le guéritde ſa bleſſure
&lui rend la liberté. La reconnoiſſance ,
autant que l'amour , attache le Prince à la
Silphide ; il lui fait le récit de ſes foibleffes
, lui promet d'être docile à ſes leçons ;
& bientôt Camédris eſt un homme nouveau.
Il eſt eſtimé , chéri dans le monde ;
mais il ne voit & iln'aime qu' Aftérie , qui
répond également à ſa tendreſſe. Le coeur
rempli du bonheur d'aimer & d'être aimée,
"elle avoit élevé ſes bras vers le ciel :
Camédris ofa la ferrer dans les fiens . Une
88 MERCURE DE FRANCE.
>>frayeur foudaine agite Aflérie; elle craint
>> d'avoir trop accordé ; elle craint d'avoir
>> trop obtenu : mais une lumiere éclatante,
>>fignal de la divinité , brille fur le front
>> de Camédris. Des nuages volent autour
>> du Prince &de la Silphide , s'y raffem-
>> blent , les enlevent ; déja la terre a dif-
>> paru à leurs yeux. Aftérie apperçoit avec
>> tranſport qu'elle remonte au féjour des
>>>Silphes : fon bonheur paſſe ſes efpérances;
>> fes deſtins font remplis ; elle eſt pour
>> jamais unie à fon amant ; & Camedris
» a puiſé l'immortalité dans le ſein même
ود des plaifirs ».
Cette courte analyſe du conte de Mlle
Mazarelli fuffit, fans doute, pour en donner
une idée générale ; mais il contient des
détails qu'on lira avec plaiſir dans cet extrait.
On ne nomme point la patrie de
Camédris ; mais on la reconnoît par des
traits qui la caractériſent. « Vous ne con-
>> noiſſez, pas comme moi, les peuples chez
>> qui vous êtes , dit Sinaclée ; ils font
>> aimables , mais pour ceux qui n'appré-
>> cient point leurs qualités ; charmans aux
>> yeux prévenus ſeulement; ſpirituels pour
>>qui ſe prête à leur jargon ; ils parlent
>>raiſon tant que l'on veut; ils ont même
>> l'air de l'entendre ; mais ſi quelquefois
>> la ſageſſe eſt ſur leurs lévres , la légéreté ,
AVRIL 1765 . 89
>> l'erreur & la folie font toujours dans
>> leurs têtes. Croyez -moi , amufez- vous
>> de leurs travers , fans chercher à leur
>> donner des vertus. Puifque vous ne pou-
>>vez régler leur eſprit , vous ne changerez
>> point leur coeur. Examinez - les bien ;
>> font- ils galans , font-ils gais , font- ils
>> fages ? Les uns ſe ruinent ſans ſe procu-
>>rer de vrais plaiſirs ; les autres s'enri-
>>chiffent fans choiſir les moyens ; ils ont
>> un faſte mal entendu & fans grandeur ;
>>ils applaudiſſent aux mauvais ouvrages ,
>>baillent aux bons , courent après les
>> femmes , les mépriſent , en font mépri-
>> ſés ; n'aiment rien en diſantqu'ils aiment
>> tout ; n'ont que des fantaisies , point de
>>defirs. Quelques philoſophes de nos jours
>> leur ont dit qu'il n'y a ni vice ni vertu :
>> dans ce triſte aveuglement ils ne cher-
>> chent point à s'éclairer par des lumières
>>plus fûres ; cependant ils liſent , ils font
>> inſtruits , fi c'eſt l'être , que de ne ſavoir
» précisément que ce qu'il vaudroit mieux
» ignorer ».
Ce tableau des moeurs de la nation de
Camédris marque que la philofophie a
guidé la main du peintre ;& ce ton de
morale , toujours mêlée d'un peu de critique
, règne avec eſprit dans toutes les
pagesde cette agréable &ingénieuſe fiction.
१० MERCURE DE FRANCE.
On y trouve une de fineſſe de goût , une
juſteſſe de jugement que le ſujet ne fembloit
pas devoir fournir , & qui cependant
ne font jamais étrangères au ſujet. Nous
nousbornerons à rapporter iciquelques penſées
que le hafard nous fait tomber fous la
main : car nous avouons de bonne foi ,
que le choix nous eût embarraffés ; chacune
en particulier ſemble mériter la préférence.
« L'eſprit ſuffit aux malheureux , à peu
>>près comme le ſuperflu aux gens qui
> manquent du néceſſaire.
>>Les jeunes gens ſe flattent en vain d'en
> impofer à la calomnie ; la légéreté de
>> leur conduite lui donne des armes : elle
>> attaque , elle atteint, elle bleſſe ; & fi le
>>temps ſemble guérir les plaies qu'elle a
>> faites, on reconnoît toujours où ſes coups
> ont porté.
>> Cette nation ne fait voyager que ceux
› qui ne peuvent inſpirer par la figure ,
• l'eſprit & les moeurs , ni admiration ,
>> ni eſtime , ni reſpect. Les étrangers , au
>> contraire , nous envoient ce qu'ils ont
» de mieux. Auſſi l'enthouſiaſine nous
>> prend- il à la plus légere apparence de
>> talens , de vertus ou de grâces que nous
→ croyons remarquer en eux ; nous les regardons
de même fort au-deſſus de nous,
AVRIL 1765. 91
**& nous les en avons preſque perfuadés.
>> Lifez les faſtes de votre nation. Il fur
>> un temps , où généreuſe & fiere , fimple
>" & vaillante , elle n'avoit dans toutes ſes
>> actions d'autre mobile que l'honneur.
>> On étoit difficile à la vérité ; on ne
>> rioit pas d'un diſcours injurieux , d'un
>>procédé perfide , d'une conduite indé-
>>cente , de l'ingratitude , de la mauvaiſe
>> foi , de la méchanceté ; mais on s'expri-
>> moit avec nobleſſe , avec décence , avec
>> fimplicité : on ſavoit mériter un bien-
➤ fait, le reconnoître & le rendre. Tout
>>ce qui étoit honteux en foi n'étoit , ni
>> toléré , ni avoué , ni plaifant. La rufe
>>étoitbaſſeſſe , la folie n'étoit point gaité ,
>>l'eſprit ne s'aidoit point du ſecours de
>> l'épigramme , on avoit des moeurs enfin .
>>Par quelle fatalité ce caractère national
>> s'eſt- il perdu ? Si l'on n'a pu le confer-
>> ver , au moins il vaur bien la peine que
>>l'on cherche à le reprendre ; & per-
>> ſonne n'y eft plus obligé que ceux qui ,
>>par leur naiſſance , placés au premier
>> rang , ſemblent devoir ſervir d'exem-
>>ples , de guides & de modèles à tout ce
>> qui leur eſt inférieur. Les peuples ne
>>deviennentmépriſables , que lorſque les
>> grands font mépriſés. La nobleſſe dur
>>fang n'eſt point indifférente ; elle -ajoute
92 MERCURE DE FRANCE .
>>à la honte des vices comme à la gloire de
>> la vertu.
>>Il n'eſt point de vice qui ne puiſſe
>> conduire à quelque vertu : la vengeance
>>donne ſouvent la bravoure ; la colère
>> produit l'intrépidité ; l'envie , l'émula-
>>tion ; par un retour fecret fur foi-même ,
>> la cruauté fait naître la compaffion ; la
>> Satiété rend délicat ; la fauffeté produit
>>la politeſſe , la folie la gaité , la prodi-
>>galité la bienfaiſance , il n'y a que l'a-
>> varice qui ne conduit à rien.
>> Il faut avoir connu le mal pour aimer
>> le bien ; celui qui n'aura jamais fait de
>>fottiſes , ne faura point les éviter. Un
>>pédant de vingt ans feroit à coup für un
>>imbécille à quarante.
>>Une femme a toujours le coeur froid ,
> quand elle a beaucoup d'eſprit.
ود Les femmes fe font reſpecter quand
>> elles veulent. Ce fentiment dépend
>> d'elles ; les hommes ne peuvent s'y
fouftraire : maisledonde leur coeur n'en ود
>> eſt pas toujours la ſuite. Il faut des at-
ود teintes plus fortes ;
on n'eſt pas toujours
>> conduit à l'amour par l'eſtime ; on ne
>> l'eſt pas même par les defirs.
>> On réſiſte plus aisément au plaifir
>> que l'on connoît , qu'à celui qu'on ima-
>> gine.
AVRIL 1765 . 93
>> Rien n'embellit comme le bonheur.
ود C'eſt une erreur de croire que l'ex-
>> trême reconnoiffance porte à l'indifcré-
>> tion . Trop publier un bienfait eſt une
>> eſpece d'ingratitude. Il ſemble que l'on
cherche à foulager fon coeur du poids
de l'obligation , en careſſant la vanité de
>> ceux qui obligent.
ود
ود
>> Les femmes veulent plaire ; & quand
>> cet eſpoir eſt perdu , elles dédaignent
>> celui qu'elles n'ont pu féduire.
"Il eſt des inſtans où les hommes font vrais
>> malgré eux, & perfuafifs fans le ſavoir » .
Il eſt aifé de juger, d'après ces différentes
penſées, combien l'ouvrage de Mlle Mazarelli
différe de la plupart des fictions de
ce genre. Il n'eſt point queſtion de ces
preſtiges de lafeérie,où brille l'imagination
preſque toujours aux dépens du jugement.
Réflexions , efprit, fentiment , graces de
ſtyle , connoiffance du coeur & ufage du
monde , voilà ce qui diſtingue le conte
de Camédris . Ainſi l'avoit jugé avant nous
le Cenfeur de cet ouvrage , dont nous rapportons
l'approbation : nous ne pouvons
mieux finir cet extrait.
« Cette fiction ingénieuſe , dit M. d'Al-
>> baret , n'est pas une lecture de pur amuſement.
La morale yeſt adroitement fe- ود
>> mée. On reconnoît la main des grâces » .
94
MERCURE DE FRANCE.
LES AVENTURES d'un jeune homme, foar
Servir de fupplément à l'histoire de l'Amour
, en deux parties. A Londres , &
ſe trouve à Paris , chez JACQUESFRANÇOIS
QUILLAU , Libraire , rue
Christine , au Magaſin Littéraire.
Nouous nous bornerons à jetter un coup
d'oeil fur cette brochure. Lejeune homme
écrit lui-même ſes aventures. Dès ſa naiffance
il éprouve les coups de la fortune ;
ſa mère , à qui il étoit odieux , le met en
penfion chez un Curé chargé du ſoin de
l'élever & de l'inſtruire. Il avoit un frère
aîné qui étoit l'idole de cette mère injufte.
Son père meurt. La ſituation d'Alexis
c'eſt le nom du héros , n'en devient que
plus triſte. Il s'échappe de l'eſclavage où
le retenoit le Curé : ne fait trop où ſe
réfugier ; il rencontre dans ſa route le fils
d'un domeſtique de ſa mère, qui avoit
marqué quelque compaffion au malheureuxAlexis
; cet homme , qui étoit berger ,
eſt enchanté de retrouver ſon jeune maître
; il lui offre de prendre le même emploi
que lui. Voilà donc Alexis , prenant la
AVRIL 1765 . 95
houlette & la fimplicité pastorale. Il ne
tarde pas à devenir amoureux ; on fait
que l'amour est la paſſion des bergers.
L'objet de cette flamme innocente eſt une
bergere pour laquelle le Lecteur s'intéreſſe
: ſes grâces , fa candeur , ſa vertu ,
tout retrace les charmes d'une beauté de
l'âge d'or , de ce ſiècle où tous les hommes
étoient bergers , & toutes les femmes
fans nulle autre parure que des fleurs , &
d'autre miroir de toilette que le criſtal
fidèle d'une fource argentée. Alexis ſent
tout le prix de fon bonheur. Il aimoit ,
il étoit aimé. Au moment qu'on ſe livre
au partage de ce tableau agréable , Lyse
meurt: on eft fâché de la perdre ; on s'afflige
avec Alexis ; il vient foupirer à Paris.
Le temps , les illuſions de cette Ville ſi
dangereuſe , emportent cet amour conſtant
du coeur d'Alexis : le berger a fait place
à l'homme à bonnes fortunes ; &une riche
veuve paroît avoir quelque amitié pour
lui. Un jour il vouloit lui faire un état ;
il en reçoit même des bienfaits : cependant
cette Dame ne fait aucune démarche
contraire à l'honneur. Alexis devientamoureux
de Sophie . Cette autre héroïne fait
oublier Lyse ; la premiere eſt préſentée
ſous des traits plus enflammés. C'eſt dans
cette eſpece d'épiſode , qui cependant
96 MERCURE, DE FRANCE.
tient très- fort au ſujet , que l'Auteur a répandu
de l'intérêt , de la chaleur , des
ſituations. Il finit par époufer cette Sophie ;
& il reconnoît dans ſa bienfaictrice , ſa
mère , qui avoit perdu ſon fils aîné : elle
a tous les ſentimens maternels ; Alexis la
confole de tous fes malheurs ; & elle donne
les mains au mariage de ſon fils avec
Sophie.
Ce moment a des ſituations , de la
chaleur. L'Auteur annonce beaucoup de
talent , une vérité de ſentiment qui fait
l'éloge de ſon coeur ; il faut ſeulement
qu'il s'attache à ſe montrer plus févère fur
ce qui concerne le goût. Il a des inégalités
dans le ſtyle ; mais ces légers défauts
n'empêchent point que nous ne l'encouragions
à pourſuivre la carrière qu'il vient
de s'ouvrir. Il eſt bien facile de corriger
ſon ſtyle , quand on eſt échauffé par le feu
ſacré de l'âme ; & il eſt rare de pofféder
cet heureux foyer d'où partent les bons
écrits dans les genres de morale & d'agré-
1
mens.
ANNONCES
AVRIL 1765 . 97
S
ANNONCES DE LIVRES.
ERMONS prêchésdevant le Roi pendant
le carême de 1764 , par M. l'Abbé Torné ,
Chanoine de l'Egliſe d'Orléans ; Aumônier
du Roi de Pologne , Duc de Lorraine &
de Bar ; de l'Académie Royale des Sciences
&Belles- Lettres de Nancy : ci-devant Prêtre
de la Doctrine Chrétienne ; à Paris ,
chez Saillant , Libraire , rue St. Jean de
Beauvais , vis - à- vis le College ; 1765 ;
avec approbation & privilége du Roi. 3
vol. in- 12 .
M. l'Abbé Torné ne s'eſt point aſtraint
à l'uſage de diviſer ſes Sermons en deux
points , & chaque point en pluſieurs autres.
Quelquefois il traite ſes ſujets fans autre
plan que l'ordre néceſſaire des preuves , la
ſuite des faits , ou la progreſſion des idées.
D'autres fois il indique le nombre des
points depuis deux juſqu'à huit ; & en
cela il a voulu ſuivre, non les Bourdaloue
& les Maffillon , mais les Pères de l'Egliſe
& les Orateurs profanes. L'Auteur laiſſe
au Public à juger laquelle de ces diverſes
méthodes eſt préférable. Quant au caractère
d'éloquence qu'emploie M. l'Abbé
Torné dans ſes Sermons , nous dirons ,
Vol. I. E
98 MERCURE DE FRANCE.
d'après un Docteur de Sorbonne , que les
grandes vérités de la Religion & les faintes
maximes de la morale évangélique y font
traitées avec beaucoup de clarté , & prouvées
par les livres ſaints , par les lumières
de la droite raiſon , & par ce tribunal de
fentiment & de conviction , que tous les
hommes portent dans leur propre coeur.
MÉMOIRES de M DE *** , pour ſervir
à l'hiſtoire du dix- feptieme fiécle. Seconde
édition ; à Amſterdam , & ſe trouve à
Paris , chez Robin , Libraire , rue des Cordeliers
, près de la rue de la Comédie Francoiſe
; 1765 ; trois volumes in- 12 .
On ne connoît point l'auteur de l'ouvrage
que nous annonçons. Le manufcrit
avoit été acheté à une vente de livres par
un homme qui eſt mort , & n'a laiffé làdeſſus
aucun éclairciſſement. Celui qui a
écrit ces Mémoires nous apprend ſeulement
qu'il poffédoit une charge chez M. le
Duc d'Orleans,Gaston, frère de Louis XIII;
qu'il fut envoyé fucceſſivement en Angleterre
, pour réſider auprès de Cromwel;
en Suede , près de la Reine Christine , avec
laquelle il fit deux fois le voyage d'Italie ;
une feconde fois en Angleterre & de- là à
laHaye ; enPortugal, auprèsd'Alphonse VI;
en Pologne , auprès du Roi Casimir ; en
1
AVRIL 1765. - 99
Hongrie , auprès du Comte de Tekely ,
Chefdes mécontens de ce Royaume , d'où
il alla à Conftantinople. Enfin il repaſſa
encore en Angleterre & revint en France
avec le Roi Jacques II. Ces voyages , qui
ont duré quarante- ſept ans , l'ont mis en
état de voir & de ſuivre les événemens
qui font la matière de ces trois volumes.
Il commence par ceuxde la régence d'Anne
d'Autriche , juſqu'au temps où Louis XIV
eut à foutenir les efforts de toutes les Puifſances
liguées contre lui.
HISTOIRE naturelle , générale & particuliere
, avec la deſcription du Cabinet du
Roi ; à Paris , de l'Imprimerie Royale ;
1764 ; deux volumes de l'édition in- 12 ,
qui font les tomes quatorze & quinze ,
leſquels ſe trouvent chez Panckouske , rue
& à côté de la Comédie Françoife.
Les matières contenues dans ces deux
tomes avoient déja paru dans l'édition
in-4° . Cette annonce n'eſt donc que pour
apprendre à ceux qui prennent l'édition
in- 12 , qu'il en paroît deux volumes nouveaux
, XIV & xv. Nous dirons auffi à
cette occafion que le ſieur Panckoucke vient
de mettre en vente une ſuperbe collection
deplanches d'hiſtoire,naturelleenluminées.
Cetouvrage, entrepris par M. d'Aubenton,
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
de jeune , ſous la direction de M. de Buffon,
eft infiniment ſupérieur aux planches de
1'hiſtoire naturelle, imprimée en Hollande
&àNuremberg , & coûte beaucoup moins.
Le premier cahier contient vingt - quatre
feuilles in-folio , du prix de 15 liv. On en
atiré quelques exemplaires en très-grand
papier , qui coûternt 24 liv. Il paroîtra un
cahier de vingt-quatre feuilles tous les trois
mois . On n'a tiré que trois cens exemplaires
de cet ouvrage.
OEUVRES diverſes de M. de Marivaux ,
de l'Académie Françoiſe ; à Paris , chez
Duchesne , rue St. Jacques , au temple du
goût ; 1765 ; avec approbation & privilége
duRoi ; 15 volumes in- 12, dont pluſieurs
ſe vendent ſéparément.
Il y a plus d'un an que nous préſentâmes
au Public un abrégé de la vie de feu M. de
Marivaux , avec une liſte des ouvrages de
cet Ecrivain , dont on préparoit une édítion
nouvelle , chez Duchesne , Libraire ,
qui les a recueillis avec ſoin. Cette édition
paroît aujourd'hui , & voici de quoi elte
eſt compoſée. 1 °. Quatre volumes d'Euvres
diverſes , contenant la vie de l'auteur ,
Dom Quichotte moderne , l'Iliade en vers
burleſques , l'Education d'un Prince , la
Voiture embourbée,& quelques autres pieAVRIL
1765 1IOT
ces poſthumes de l'Auteur. 20. Deux volumes
du Speilateur François . 3 °. Cinq
volumes de pieces de théâtre. 4°. Quatre
volumes de la Vie de Marianne. Cette édition
eſt très- ſoignée , & préſente à la tête
le portrait de l'Auteur.
RECUEIL d'inſtructions & d'amuſemens
littéraires ; avec cette épigraphe :
Non Autores, modd , fed etiam partes operis
elegeris. Quintil. lib . 1 , cap. s .
par M. de M***. A Amſterdam , & fe
trouve à Paris, chez Ganeau , Libraire , rue
St. Severin , aux armes de Dombes ; 1765
un vol. in- 12 .
Quoique M. deM*** ne s'annonce dans
l'avertiſſement, quepour un ſimple compilateur
, nous croyons avoir remarqué des
choſes neuves dans ſon ouvrage. Il y a du
moins beaucoup de goût dans le choix de
celles qu'ila , dit- il , priſes çà & là ; &
nous penſons que ſes Lecteurs trouveront
qu'il a bien rempli le titre de ſon livre. Il
contient vingt-quatre chapitres , dans lefquels
on traite de l'éducation , du goût, des
livres , des ſavans , de la ſociété , des loix ,
de la philoſophie , de l'hiſtoire , de l'eſprit ,
du coeur , de l'imagination , du génie ,
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
1
de l'homme , de la religion , de l'amitié ,
de l'amour , du mariage , des femmes ,
des Rois , de la Cour, du travail , des
richeſſes , de la vérité , des louanges ,
de la réputation. On y trouve aufli des
portraits , des anecdotes , des bons mots ;
& l'on y donne une idée de quelques Auteurs
latins & françois.
ESSAI ſur les moyens de rétablir les
ſciences & les lettres en Portugal , adreſſé
à MM. les Auteurs duJournaldes Savans ;
contenant un nouveau plan d'étude , par
Antoine Teixera Gamboa. Seconde édition .
A Lisbonne , & fe trouve à Paris chez
Robin , Libraire , rue des Cordeliers , près
de la rue de la Comédie Françoiſe ; 1765 ;
un volume in - 8 °, petit format.
Ce livre a été d'abord écrit en latin par
un Auteur Portugais ; on l'a enfuite traduit
dans notre langue ; & dans cette édition
, le latin eſt à côté du françois. On
trouve dans ce livre un très-beau plan d'étude
avec beaucoup de bonne critique &
de goût , & une connoiſſance étendue des
meilleures fources en tout genre.
Le Pyrrhonien raiſonnable , ou méthode
nouvelle propoſée aux incrédules , par
M. l'Abbé DE ***. A la Haye , & fe
AVRIL 1765: 103
trouve à Paris , chez Vallat- la- Chapelle ,
Libraire au Palais , fur le perron de la
Sainte Chapelle ; 1765 ; un vol. in- 12 .
Prix 1 liv. 10 fols broché.
Ce livre n'a été fait que pour les incrédules
les plus décidés. Sil'Auteur ne forme
pas de vrais chrétiens , il donne du moins
l'envie de le devenir. La queſtion qu'il
traite ſe réduit à examiner ſi l'on peut,
avec de l'attention & du bon fens , fe
ſouſtraire à quelques vérités furnaturelles
qu'il met dans le plus grand jour. Il fait
marcher enſemble les raiſons qui convainquent
, & les inductions qui perfuadent ;
& il les range dans un ordre qui les rend
plus préſentes & plus chères à ſes Lecteurs.
MÉMOIRES géographiques fur quelques
antiquités de la Gaule , par M. Pofumot ,
Ingénieur Géographe du Roi , de la Société
des Sciences & Belles- Lettres d'Auxerre
, avec des cartes géographiques ; à
Paris, chez Louis- Etienne Ganeau Libraire,
rue St. Severin , aux armes de Dombes ;
1765 ; avec approbation & privilége du
Roi . Un volume in- 12 .
Nous jetterons un coup d'oeil fur les
cinq mémoires qui compofent ce recueil.
Dans le premier l'Auteur traite d'abord
de l'origine & de l'étymologie des mots
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE.
de Celte & de Gaule ; & il expoſe enfuite
quelles ont été les différentes conſtructions
des chemins romains. Dans le ſecond mémoire
M. Pafumot recherche quelle a pu
être l'emplacement d'une habitation ancienne
, nommée Chora , ſituée entre Avalon
& Auxerre. Le troiſieme a pour objet
le détail exact de la voie romaine entre
Auxerre & Avalon. Ony donne une notice
exacte de tous les lieux par leſquels paſſe
ce chemin , & de toutes les ſinuoſités qu'il
décrit. Dans le quatrieme Mémoire l'Auteur
recherche l'emplacement d'une ſtation
ancienne , nommée Bandritum ; & il examine
par quels lieux a pu paſſer la voie
romaine qui communiquoit d'Auxerre à
Sens. Dans le cinquieme enfin il fait voir
qu'un ſavant Auteur s'eſt trompé au ſujet
d'une autre voie romaine qui conduit
d'Autun à Befançon. Il y a dans ces différentes
differtations , des recherches trèsfavantes
, & dignes d'occuper les amateurs
de l'antiquité.
NOUVEAUX contes en vers & épigrammes
, par M*** , avec cette épigraphe :
Demus alienis oblectationibus veniam , ut noftris
impetremus.
A Genève , & ſe trouve à Paris , chez
AVRIL 1765. 105
Ganeau , Libraire , rue St. Severin , aux
armes de Dombes ; 1765 ; un vol . in- 12 ,
de 200 pages.
Ce recueil eſt de l'Auteur des Fables
nouvelles que nous annonçâmes avec éloge
il y a quelques années. Nous ne trouvons
rien iciqui ne confirme l'idée avantageuſe
que fon premier ouvrage nous avoit donnée
de ſon talent pour la poéfie..
TRAITÉ de l'origine du gouvernement
françois , où l'on examine ce qui eſt reſté
en France ſous la premiere race de nos
Rois , de la forme du gouvernement qui
ſubſiſtoit dans les Gaules ſous la domination
romaine ; par M. Garnier , Profeffeur
Royal d'hébreu , & de l'Académie Royale
des Inſcriptions & Belles- Lettres ; à Paris ,
chez Vente , Libraire , au bas de la montagne
Sainte Genevieve , près les RR. PP.
Carmes ; 1765 ; avec approbation & privilége
du Roi. Un vol. in- 12 , de 250 pa--
ges , petit format.
L'Académie Royale des Inſcriptions&
Belles Lettres avoit propofé , pour le ſujet
du prix qu'elle devoit diftribuer à Pâques
de 1761 , ce qui fait aujourd'hui le titre
de ce livre. M. l'Abbé Garnier remporta
le prix ; & dès ce moment il auroit publié
fon Mémoire , s'il ne s'étoit propoſé d'en
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
retoucher certaines parties que les bornes
d'une differtation ne lui avoient pas permis
d'approfondir.
De l'éducation civile , par M. Garnier ,
Profeſſeur Royal d'hébreu , de l'Académie
Royale des Inſcriptions & Belles-
Lettres ; avec cette épigraphe :
Tamen afpice fi quid
Et nos , quod cures propitium feciffe , loquamur.
Horat. Epift .
A Paris , chez Vente , Libraire , au bas de
la montagne Sainte Genevieve , près les
RR. PP. Carmes ; 1765 ; avec approbation
& privilége du Roi. Brochure in- 12 , de
230 pages , petit format.
A meſure qu'on fent le beſoin d'une
bonne éducation, les traités ſur cette matière
ſe multiplient. M. Garnier découvre ,
par la pratique des anciens , la néceſſité
d'une régle de doctrine civile. Il parle
enfuite des matières qu'on enſeignera dans
la nouvelle école ; il examine les Auteurs
dont la lecture fournira le plus de fecours
au nouveau maître ,& les principaux avantages
qu'on doit ſe promettre du nouvel
établiſſement. Il répond aux objections ,
& traite enfin de tout ce qui peut être
relatif à la nouvelle école qu'il propofe.
On ne peut trop louer le zèle de M. l'Abbé
AVRIL 1765. 107
Garnier , ni les vues utiles qu'il communique
au Public pour l'avantage général
des citoyens.
PENSÉES de M. l'Abbé Prévot , précédées
de l'abrégé de ſa vie ; à Amſterdam ,
chez Arské & Merakis , & fe vend à
Paris , chez Defaint& Saillant , rue Saint
Jean de Beauvais , & chez Delormel , rue
du Foin ; 1764 ; un vol. in- 12 .
Quoique la vie , qui eſt à la tête de ce
volume , ne foit préſentée que ſous le
titre d'abrégé on ytrouve cependant des
détails curieux qui ne laiſſent rien à defi,
rer fur cet Ecrivain célèbre. Cet ouvrage
manquoit à la collection complette des
écrits nombreux compofés par M. l'Abbé
Prévot. On doit être charmé de connoître
la vie d'un homme dont on lit tous les
jours les ouvrages. Quant aux penſées fur
divers ſujetsqui font ici rangées ſous différens
titres , nous croyons , avec l'Editeur ,
qu'elles peuvent former une école de morale
, propre à éclairer l'eſprit , & à perfectionner
le coeur. Perſonne n'a mieux
connu que M. l'Abbé Prévot , la marche
des paffions , ni plus travaillé à les régler
dans les perſonnages qu'il fait agir dans
ſes romans. Mais en faveur de ceux qui
ne lifent point de roman , on a choifi les
1
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
penſées les plus capables de régler les
moeurs. On en a formé ce volume , qui
eft comme le précis de la morale contenue
dans tous les écrits de cet excellent.
Auteur. Nous les avons parcourues avec
la plus grande fatisfaction ; & nous avons
cru leur trouver une force & une énergie
qui ne nous avoient pas autant frappés
dans les ouvrages îmêmes d'où elles font
tirées. Le choix en eſt fait avec goût ; &
elles font rangées dans l'ordre le plus
naturel.
MÉMOIRES & voyages du R. P. de
Singlade , Récollet , & Aumônier actuel
de la garnifon , ville & fort de Cette , en
Languedoc; à Paris , chez Nicolas- Auguftin
de Lalain , Libraire , rue St. Jacques ,
à l'image St. Jacques ; 1765 ; avec approbation&
privilége du Roi. 2 parties in- 12 ,
formant , quand elles feront reliées enſemble
, un ſeul volume d'environ soo pages.
Ces mémoires contiennent le récit fidèle.
de ce qui s'eſt paſſé dans l'Iſle de Corſe ;
l'ufurpation d'un aventurier ſous le nom
du Roi Théodore , ſa chûte , ſes diſgraces ,
& la réduction de ces infulaires ſous la
domination des Génois , leurs légitimes
Souverains : les campagnes des François ,
leurs efforts pour réduire les rébelles , &
AVRIL 1765 . 109
tout ce qu'ils ont fait de plus glorieux
pour foutenir l'honneur de la Nation Françoiſe
dans une Iſle , où les élémens & le
climat ne leur étoient pas moins contraires
que la férocité des habitans..
CATALOGUE des livres de la bibliothéque
de feu M. de Launoy , dont la vente
publique commencera le 15 Avril 1765 , rue
Dauphine à Rennes enBretagne; chez Nicolas-
Paul Vatar , Imprimeur- Libraire , rue
Royale ; 1764, volume in- 8 °, de 180 pages .
Pour mieux faire connoître en quoi
conſiſtera cette vente , nous allons donner
ici un état des livres , inſtrumens de mathématiques
& d'aſtronomie , deffeins
gravures , &c. de la bibliothéque de feu
M. de Launoy : 302 volumes de théologie ,
verſions ſyriaque & arabes , textes grec,
latin , françois , Dictionnaire de la bible :
163 volumes de ſciences & arts , philoſophie
, mathématique , médecine & archirecture
: 1090 volumes d'hiſtoire, moderne,
profane , monaftique , étrangère , géographie&
autres: 420 volumes de belles-lettres
, poétique , mithologie & philologie.
Un très-beau quart de cercle à lunette de
deux pieds de rayon , diviſe en minute
une à une , avec ſon pied de fer très- ſolide ,
& une ſeconde lunette qui s'attache au
110 MERCURE DE FRANCE.
centre pour prendrelesangles ſur le terrein;
ouvrage du fameux Butterfields. Une lunette
d'approche de quarante palmes romaines
: les tubes d'un bois odoriférant font
octogones . Outre les verres oculaires qui
fervent pour les objets du ciel , il y a trois
verres qu'on y peuutt adapter pour voir les
objets de terre. Trois autres lunettes de
huit , de fix & de trois pieds. Une pendule
à fecondes avec ſa monture , travaillée à
l'Obfervatoire de Paris , par le ſieur Baradelle
, ſous les yeux de M. Caffini. Undemicercled'unpiedde
diamètre avec ſa lunette,
le rapporteurdumême diamétre , un niveau
de M. Hughens , de treize pouces & demi
avec fon appui & fon équipage. Pluſieurs
autres inſtrumens , comme bouffolles , récipiangles
, cadrans univerſel équinoxial ,
étuis de mathématiques , compas d'épaifſeur
, échelle de parties égales , graphométre
& fon rapporteur ; pluſieurs cartes géographiques
de MM. de Lifle , Nolin ,
Jaillot , de Fer ,le Rouge , Crépy.
Pluſieurs pièces de deſſeins , tant à étude
de payſage , d'académie , que de différens
ſujets , de Teftelin ; pluſieurs peintures ,
tant en grand qu'en mignatures , gravures ,
eſtampes fur différens ſujets , de Carache ,
le Clerc, le Brun , Pouffin , Bernard &
autres. Pluſieurs payſages , par Rubens ,
(
AVRIL 1765 . III
Titien , Raphael , Vautyck , Salvator
Rofa , & c. Pluſieurs plans géométriques ,
élévations de différentes villes , châteaux ,
monumens , & c .
Les Amateurs s'adreſſeront à Mademoiſelle
Launoy , rue Dauphine , à Rennes en
Bretagne.
Il y a des manufcrits arabes & fyriaques.
Les Décius François , Tragédie , ou le
Siége de Calais fous Philippe VI, par
M. de Rozoi ; à Paris, chez Robin, Libraire,
rue des Cordeliers ; 1765 ; in - 12 , de
100 pages.
Cette Tragédie , qui a été préſentée aux
Comédiens , & n'a point été jouée , eft
précédée d'une épître dédicatoire à M. le
Duc de Grammont , & d'une préface , où
M. de Rozoi fait des remarques morales ,
littéraires , hiſtoriques & critiques ſur fa
pièce.
LETTRE du Chevalier M... à Milord
K.... traduite de l'anglois ; à Londres';
1765 ; brochure in - 8 °.
Cette lettre préſente d'abord des réflexions
ſur l'état de Comédien en France.
Elle offre enfuite un recueil des meilleurs
vers faits depuis quelques années à la gloire
de Mlle Clairon. La fameuſe queſtion ,
F12 MERCURE DE FRANCE.
)
ſavoir s'il eſt juſte d'excommunier les Co
médiens , eſt agitée de nouveau dans la
premiere partie de cette brochure. L'Auteur
apporte & fait valoir toutes les raiſons
ſouvent alléguées contre l'excommunication
employée dans le cas dont il s'agit.
Dans la feconde partie de cette lettre ,
outre le recueil de vers dont nous avons
parlé , on cite encore tous les paſſages de
proſe tirés de divers ouvrages , pour mettre
dans tout fon éclat le jeu de cette célèbre
Actrice..
PRIERES d'un pécheur pénitent qui demandepardon
àDieu de ſes fautes , ſuivies
de réflexions en vers ; fixieme édition ,
revue, corrigée & augmentée ; àParis , chez
Saugrain , le jeune , Libraire , quai des
Auguſtins , près du Pont Saint Michel , à
la fleur-de- lys d'or ; 1765 ; avec approbation
& privilége du Roi ; in- 12 , petit format
, de 250 pages .
Ce petit livre contient la meſſe , les
prieres d'un pécheur , qui , pénétré de
douleur de ſes offenfes , demande pardon
de ſes fautes ; avec des réflexions en vers ,
dont le fens , relatif aux ſuſdites prieres ,
eſt renfermé dans un diſtique au bas de
chacune. Les prieres font diviſées en ſept
parties pour les ſept jours de la ſemaine,
AVRIL 1765. 113
& diſpoſées par ordre alphabétique , pour
foulager la méinoire des âmes pénitentes
qui ſouhaiteront les apprendre par coeur.
Après ces prieres font des ſentences chrétiennes
, tirées la plus grande partie de
l'imitation de Jeſus - Chriſt , miſes aufli
par ordre alphabétique. Le tout eft terminé
par deux actes de contrition , qui expriment
, l'un en profe , & l'autre en vers ,
les ſentimens d'un coeur contrit & humilié .
RAPPORT fur le fait de l'inoculation
de la petite vérole , lu en préſence de la
Faculté de Médecine de Paris , & imprimé
par fon ordre pour être communiqué à tous
ſes Docteurs , avant qu'elle donne , fur
certe queſtion , l'avis que le Parlement lui
a demandé par fon Arrêt du 8 Juin 1763 ;
à Paris , F. A. Quillau , Imprimeur de la
Faculté de Médecine , rue du Fouarre ,
près la place Maubert , & chez Babuly
quai des Auguſtins , à l'étoile , près de la
rue Gît- le - coeur ; 1765 ; in-40 , de 130
pages.
Cet écrit eſt de M. de l'Epine , ancien
Profeſſeur & ancien Doyen de la Faculté
de Médecine de Paris. Après l'avoir lu
avec attention , nous avons jugé que malgré
les efforts de l'Auteur pour détourner
le. Public de l'uſage de l'inoculation,cette
114 MERCURE DE FRANCE.
/
méthode n'eſt pas aufli dangereuſe qu'on
entreprend de le perfuader.
DISCOURS à la louange du Roi , établi
& fondé à perpétuité par l'Univerſité
de Perpignan , pour confacrer fon rétabliſfement:
prononcé par le Recteur le 15 Février
, jour de la naiſſance du Roi ; in -4 °,
de 24 pages , avec de belles gravures :
1765 .
Le Roi rétablit en 1759 l'Univerſité de
Perpignan. Par reconnoiffance cette Univerſité
a fondé à perpétuité un difcours
écrit en françois à la gloire de fon reftaurateur
, & il ſe prononce tous les ans le
is Février. Celui que nous annonçons
aujourd'hui offre d'abord un tableau rapide
de tous les événemens qui ont illuftré le
règne de Louis XV: " mais une époque
>>plus remarquable , & qui le caractériſe
>>particulierement, c'eſt ce coup de lumière
22 qui a montré aux principaux Ordres de
>>l'Etat les défauts de l'éducation publique
» & particulière » . C'eſt là-deſſus qu'inſiſte
ſpécialement M. le Recteur dans ce
difcours , qui est très-bien écrit.
MÉMOIRES fur les limites de l'Empire
de Charlemagne , qui a remporté le prix
propofé par l'Académie Royale des Inf
AVRIL 1765. 115
criptions &Belles- Lettres ; parDom Phi-
Lippe-Louis Lieble , Bénédictin de la Congrégation
de Saint Maur , à l'Abbaye de
Saint Germain - des - prés ; à Paris , chez
Vente , Libraire , au bas de la montagne
Sainte Genevieve , proche les RR. PP. Čarmes
; 1765 ; avec approbation & permiffion
. Brochure in- 18 , de 110 pages.
Il y a dans ce mémoire , dont nous avons
déja parlé , des recherches utiles pour l'éclairciſſement
de notre hiſtoire .
LES Légiflatrices , Comédie en un acte
en vers libres , mêlée d'ariettes ; par M.Moline
; avec cet épigraphe :
Leges non omnia preſcribunt ,& virtutis regula docce
On
ubique quidfit honestum , quid turpe. Erafime .
A Paris, chez Claude Hériſſant ,Imprimeur-
Libraire , rue Neuve Notre - Dame , à la
croix d'or ; 1765 ; avec approbation : in 8 ,
de 36 pages .
lita la tête de cette Comédie , que ,
faite pour les Italiens , elle avoit été confiée
à un Muſicien pour en compofer les
ariettes . L'Auteur dit qu'il ne fongeoit
pas à la faire imprimer , lorſqu'il apprit
qu'on devoit donner , fur le même théâtre,
une pièce qui porte le même titre , & qui
différe peu de la fienne. Dans la crainte
116 MERCURE DE FRANCE.
qu'on ne lui raviſſe un bien qui lui appartient,
il croit devoir rendre publique fa
Comédie , perfuadé que par là , il empêchera
qu'on ne joue celle qu'il dit être
entre les mains des Italiens.
Le Tonnelier , Opéra- Comique , mêlé
d'ariettes ; repréſenté par les Comédiens
Italiens ordinaires du Roi , le 16 Mars
1765 : prix 24 fols avec la muſique ; à
Paris , chez Duchesne , Libraire , rue Saint
Jacques , au temple du goût. Avec approbation
& privilège du Roi ; in- 8 ° , de
5.6 pages.
On a repréſenté à l'Opéra - Comique ,
dans la dernière année de la foire Saint
Laurent , une pièce intitulée le Tonnelier ,
dont le ſuccès ne fut pas heureux. Quelques
ſituations théâtrales , &de bons morceauxde
muſique qui s'y trouvoient , firent
naître l'idée de la remettre au théâtre avec
des changemens . Ceux qu'ony a faits font
devenus ſi conſidérables , qu'on pourroit
la donner aujourd'hui comme tout-à-fait
nouvelle. Il en fera rendu compte plus au
long dans l'article des ſpectacles.
1 MÉMOIRE pour l'entière abolition de la
fervitude en France , ou Mémoire pour
les habitans de Sivry-la-perche, près Ver
AVRIL 1765. 117
dun, joints à Jacques le Fevre , l'un d'eux ,
demandeur en caſſation d'un arrêt du Parlement
de Metz ; par M. Damours , Avocat
au Parlement : à Paris , de l'Imprimerie
de Ch. Eft. Chénault , rue de la Vieille-
Draperie ; 1765 ; in- 4º , de 78 pages.
A l'occaſion d'une Cauſe particulière ,
M. Damours a fait des recherches trèsintéreſſantes
& très-curieuſes ſur les cauſes
de la fervitude en France pendant pluſieurs
fiécles , fur fon abolition & fur le droit de
main - morte. C'eſt un morceau d'hiſtoire
très- inſtructif , qui pourra être d'une fort
grande utilité à ceux qui auront à écrire
fur ces matières.
Le Siége de Calais , Tragédie , dédiée
au Roi , par M. de Belloy ; repréſentée
pour la premiere fois par les Comédiens
François ordinaires du Roi , le 13 Février
1765 ; ſuivie de notes hiſtoriques ; avec
cette épigraphe :
ره
• Vestigia Grace
Auſi deferere , & celebrare domestica falta.
A Paris , chez Duchesne , Libraire , rue
Saint Jacques , au temple du goût ; 1765 ;
avec approbation & privilége du Roi ;
in- 8 ° , de 136 pages.
On a lu l'extrait de cette Tragédie dans
118 MERCURE DE FRANCE .
r
le Mercure du mois de Mars : on en parlera
encore dans celui - ci à l'article des
ſpectacles. Nous nous bornons donc à cette
fimple annonce , pour avertir le Public que
la feule édition faite ſous les yeux & par
les foins de l'Auteur , eſt celle qui ſe vend
chez Duchesne , & dont les exemplaires
portent une double Lau bas de la premiere
page. S'il en paroît d'autres éditions , elles
ne pourront être qu'imparfaites & défectueuſes.
L'HONNEUR François , ſtances à M. de
Belloy, auteur du Siége de Calais par M.
Marion ; à Paris , de l'Imprimerie de
Jorry ; 1765 : in- 80 , de 8 pages .
Cette petite feuille eſt écrite en profe &
en vers. L'Auteur , qui ſe dit un jeune
homme , exprime le plaiſir que lui a fait
la Tragédie de M. de Belloy , & rend
hommage aux talens de ce Poëte , également
célèbre & modefte .
LETTRE de Pétrarque à Laure , ſuivie
de remarques fur ce poëte , & de la traduction
de quelques-unes de ſes plus jolies
pièces : avec cette épigraphe :
Sur cette roche fut écrite la lettre qui toucha ton
coeur. Les cailloux tranchans me ſervoient de burin
pour y graver ton chiffre . J. J. R..nouv . Hel .
à Paris , chez Sébastien Jorry , ImprimeurAVRIL
1765. 119
Libraire , rue & vis- à - vis de la Comédie
Françoiſe , au grand Monarque & aux
Cigognes ; 1765 ; avec approbation. Brochure
in- 8 ° , de 50 pages ; avec les ornemens
de la typographie & du burin , qui
diftinguent depuis quelque temps l'Imprimerie
du ſieur Jorry .
Les amours de Pétrarque font plus fouvent
cités que ſes ouvrages. C'eſt d'après
cette idée , la plus générale & la plus répandue,
que l'Auteur a entrepris cette lettre ,
où l'on voit la peinture d'un coeur ſenſible
& plein de ce qu'il aime , dont l'amante
adorée mérite d'exciter les defirs & de'
caufer les regrets. Pour faire rechercher
ce petit ouvrage , l'Auteur n'avoit pas
beſoin de la reſſource nouvellement ufitée
de la gravure & des eftampes.
ODE ſur le rétabliſſement de la bibliothéque
publique des Chanoines Réguliers
de Saint Victor , avec la traduction latine ;
par M. Blanc de Juillet ; 1765 ; feuille
in- 8° .
Nous avons trouvé dans cette ode quelques
ſtrophes qui nous ont paru affez bien
traduites ; ce qui prouve que l'Auteur
entend bien les deux langues. Son talent
pour la verſification n'eſt point équivoque.
OEUVRES de théâtre de M. Bret , Cen120
MERCURE DE FRANCE.
feur Royal , & de l'Académie Royale des
Sciences & Belles - Lettres de Nancy ; à
Paris , chez Prault , petit - fils , Libraire ,
quai des Auguſtins , au-deſſus de la rue
Gît-le- coeur , à l'Immortalité ; 1765 ; vol .
in- 12 , petit format.
Parmi les cinq Comédies qui forment
ce recueil , pluſieurs ont été repréſentées
avec ſuccès , &jouiffent encore de l'avantage
d'amufer quelquefois le Public , telles
que l'Ecole Amoureuse , & c. Nous nous
rappellons d'avoir vu jouer la Double Extravagance
avec des applaudiſſemens mérités.
Les autres pièces ſont le Jaloux ,
l'Entêtement & le Faux Généreux , dont
on ſe rappelle encore pluſieurs ſcènes qui
ont fait le plus grand effet ; mais tout cela
demande des détails qu'on trouvera à l'articledes
ſpectacles dans unde nos prochains
Mercures.
HISTOIRE d'Eustache de Saint- Pierre ,
ou Siége de la ville de Calais , ſous le règne
de Philippe de Valois , Roi de France &
de Navarre , en 1346 & 1347 ; à Calais ,
&ſe trouve à Paris , chez Vente , Libraire,
au bas de la montagne Sainte Genevieve ,
près les RR. PP. Carmes ; 1765 ; brochure
in- 12 , petit format , de 140 pages.
Ce petit morceau de notre hiftoire ,
AVRIL 1763 . 121
à la réimpreſſion duquel la Tragédie de
M. deBelloy a donné lieu , eſt écrit avec
intérêt , & fera encore mieux ſentir les
beautés du poëте.
ESSAI de contes moraux &dramatiques,
par M. B *** , avec cette épigraphe :
La mère en preſcrira la lecture à ſa fille.
La Métromanie .
AParis , chez Prault , petit-fils , quai des
Auguftins , à l'immortalité ; 1765 ; avec
approbation& permiffion. Brochure in- 12 ,
de 160 pages.
Pour éviter ces mots , fi fort ufités dans
les narrations , il dit , il répondit , &c ; pour
éviter auſſi les points dont s'eſt ſervi
M. Marmontel ,& qui diftinguentles interlocuteurs
, l'Auteur de ces nouveaux contes
met en titre, comme dans un drame, le nom
du perſonnage qui va parler : ce font des
contes intéreſſans & inftructifs mis en dialogues.
1-
JEAN Calas à fa femme & à ſes enfans,
héroïde ; avec cette épigraphe :
Tantum relligio potuit fuadere malorum.
Lucret . lib . 1 , par M. Elin de Sainmore.
AParis,de l'Imprimerie de Sébastien Jorry,
rue & vis-à-vis de la Comédie Françoiſe ,
au grand Monarque ; avec permiflion ;
Vol. I.. F
122 MERCURE DE FRANCE.
1765 ; in - 8 , de 24 pages , fans aucuns
de ces ornemens typographiques qui diftinguent
depuis quelques temps l'Imprimerie
de Jorry.
Nous ne pouvons nous empêcher de défapprouver
l'épigraphe de ce poéme. Ce
n'eſt point ſur la religion qu'il faut rejetter
la faute du malheurde Calas ; la religion
n'ajamais perfuadé de faire périr un innocent.
Quant à l'héroïde , elle ne dément
point l'idée avantageuſe que le Public a
conçue des talens de M. Blin de Sain-
More dans ce genre d'écriture ; & le fentiment
qu'elle produit dans le coeur des
Lecteurs , répond à l'intérêt que toute la
France a pris au malheur des Calas.
د
Μικου & Μεzi , conte moral , avec
pluſieurs pièces fugitives en vers ; par
M. Maton ; à la Haye , & ſe trouve à
Paris , chez Durand , neveu , Libraire
rue Saint Jacques , à la ſageſſe ; & à Lille ,
chez Hubert Lemmens , fur la grand'place ;
1765 ; brochure in - 8 ° , de 100
pages.
L'Auteur prévient le Public qu'il s'eft
moins attaché à faire un roman , qu'à donner
un précis de la religion , des moeurs &
du gouvernement de Siam. Il ajoute que
ſi ce mêlange de vérités & de fictions plaît
aux femmes , il ſe promet de les faire
voyager ainſi chez pluſieurs nations. Les
AVRIL 1765 . 123
pièces de versqui terminent cette brochure,
fontun conte , une épître aux paffions , &
une ode fur la modeſtie.
Cette brochure nous paroît amuſante.
MARIA , ou les véritables Mémoires
d'une Dame illuftre par fon mérite , fon
rang & fa fortune. Traduit de l'anglois.
Deux volumes in- 12 , formant enſemble
plusde 650 pages. Prix 3 liv. 12 f. brochés .
A Londres , & fe trouve à Paris , chez
Bauche , Libraire , quai & auprès des Auguſtins
, à Sainte Genevieve & à Saint Jean
dans le défert ; L. Cellot , Imprimeur-
Libraire , grand'Salle du Palais , & rue
Dauphine ; 1765. On affure que ce n'eſt
point un roman , mais une hiſtoire véritable
; que l'Auteur n'a ni le mérite de
l'invention , ni celui d'avoir ajouté des
incidens capables de flatter le goût d'un
certain Public pour les événemens & les
faits merveilleux. Cet ouvrage a paru à
Londres en 1764 , &y a été fort accueilli ;
auſſi en a - t -on fait pluſieurs traductions
qu'il ne faut pas confondre les unes avec
les autres. Il y en a une preſque littérale
qui vient d'être faite à Rotterdam ſous le
titre de Marianne , ou la nouvelle Paméla ;
mais le traducteurde Hollande, loin d'avoir
diminué lesdéfauts de l'AuteurAnglois , y
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
a
en aajouté encore quelques-uns pardes contre-
fens. Au contraire , dans la verſion que
nous annonçons , on dépouillé les Mér
moires de tout ce qui ne tenoit pas effentiellement
au fond , & qui refroidiſfoit
grop la narration. Cependant comme il
eſt eſſentiel qu'un traducteur conſerve au
moins le caractère de l'Auteur original ,
on ne s'eſt pas entièrement écarté de fon
ton&de fa marche. Nous rendrons incefſamment
un compte plus détaillé de ce
zoman intéreſſant & honnête.
CONTES moraux , par M. Marmontel ,
de l'Académie Françoiſe ; nouvelle édition
, augmentée de cinq nouveaux contes
3 volumes in- 8 °, & in- 12 ; avec une eſtampe
au commencement de chaque conte , & le
portrait de l'Auteur à la tête de chaque
exemplaire. AParis , chez Merlin , rue du
mont Saint Hilaire, près le Puits Certain
1765 .
Nous avons annoncé ces deux éditions
avant qu'elles paruffent ; & nous avons la
fatisfaction , depuis qu'elles paroiſſent , de
pouvoir affurer le Public , qu'elles répondent
parfaitement à l'idée que nous en
avions donnée ; les foins duLLiibbraire ,dans
les détails & dans les ornemens typogra
phiques , ayant ſecondé ceux de l'Auteur
AVRIL 1765. 12
-
dans la partie littéraire. Comme M. Marmontel
a enrichi de cinq contes nouveaux
cette double édition , nous nous propo
fons d'en parler plus au long dans nos pro
chains Mercures.
RÉGULUS , Tragédie en trois actes &
en vers , précédée d'une lettre au Solitaire
duGuélaguet ; à Paris , de l'Imprimerie de
Sébastien Jorry, rue & vis-à- vis de la Comé
die Françoife , au grand Monarque & aux
Cigognes ; 1765 ; avec approbation. Brochure
in- 8 °, ornée d'une très-belle vignette
&d'un cul-de- lampe de la maindes meilleurs
artiſtes.
La lettre qui précede la Tragédie nous
a paru pleine d'eſprit & de remarques
judicieuſes. Le Solitaire , à qui elle eſt
adreſſée , eſt un ami de l'Auteur qui vit
dans une terre près de Blois , appellée le
Guélaguet. La Tragédie de Régulus préfente
des ſcènes écrites avec intérêt & avee:
chaleur.
SOLYMAN & Zema , traduit de l'anglois
; par M. D. L. F. A Amſterdam , &
ſe trouve à Paris , chez Mérigot , père ,
quai des Auguſtins , près la rue Gît-lecoeur
; 1765 ; brochure in - 12 , de 180
pages..
!
1
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
Il y a dans ce roman beaucoup de voyages
& d'aventures qui excitent une forte
de curiofité. Il y eſt toujours queſtion
des moeurs étrangères : ce font des tableaux
des peuples des Indes qui n'ont rien de
commun avec ceux de l'Europe.
NOUVELLES obſervations fur les naifſances
tardives , par M. le Bus , Maître
en Chirurgie , Cenfeur Royal , &c ; fuivie
d'une confultation de célèbres Médecins
& Chirurgiens de Paris ; à Paris , chez
Delalain , Libraire , rue Saint Jacques ;
1765 ; brochure in- 8 ° , de 200 pages.
Cettegrande queſtion, à laquelle a donné
lieu l'accouchement tardifd'une Dame de
Bretagne , a produit pluſieurs écrits que
nous avons annoncés dans le temps. Cette
matière eſt le ſujet d'un procès actuellement
pendant au Parlement de Bretagne ;
& la Dame , contre laquelle ce procès a
été intenté , eſt morte au mois de Février.
L'ouvrage de M. le Bas eſt une réponſe à
une réplique de M. Louis.
Le Fanatiſme , ode ; à Amſterdam ;
1765 ; feuille in- 8 ° .
Tous les maux que le fanatiſme a caufés
dans tous les temps , dans tous les pays
du monde , & dans toutes les religions
AVRIL 1765. 127
établies fur la terre , ont chacun leur itrophedans
cette ode.
HISTOIRE Civile, Eccléſiaſtique & Littéraire
de la Ville&du Doyenné de Mondidier
, avec les pièces juftificatives. Par le
Père Daire , Célestin , de l'Académie de
Rouen.
Imprimée à Amiens , & fe vend chez
François , Libraire , rue du Beau-puits , à
la Religion. Se trouve à Paris , chez Ganeau
, rue & près l'égliſe Saint Severin ,
aux armes de Dombes & à Saint Louis ;
& chez Panckoucke , rue & à côté de la
Comédie Françoiſe , au Parnaffe.
Nous rendrons compte avec plaifir de
cet ouvrage.
Cours d'hiſtoire &de géographie univerſelle
, convenable aux deux ſexes , à
tous les âges & aux différentes formes
d'éducation , avec cette épigraphe :
t Refpicere exemplar vita , morum que jubebo.
Horat . Art. Poët. v. 317 .
A Paris , chez Panckoucke , Libraire , rue
de la Comédie Françoiſe ; 1765 ; avec
approbation & privilége du Roi ; feuille
in - 8 ° , de 16 pages.
Ce n'eſt ici que le profpectus d'un ou
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
vrage , dont lebut principal eſt de repréſenter
l'hiſtoire de l'univers ſous les différens
points de vue que lui prêtent la politique
, la morale & la religion ; d'attacher
par une lecture qui n'ait , ni le faftidieux
d'une liſte de faits , ni le férieux d'un
traité de philofophie ; & de rapprocher
toujours les révolutions des principes qui
les ont préparées. Ce cours d'hiſtoire univerſelle
ſera diviſé en deux parties ; les
petits & les grands élémens. Les petits élémens
feront compoſés de tablettes féculaires
, où les événemens feront placés avec
clarté & fimplicité. On obſervera le même
ordre pour les grands élémens ; & cette
ſeconde partie ſervira de développement
à la premiere. On peut lire le profpectus
même fur les autres détails quiconcernent
le plan de l'ouvrage de M. Luneau de
Boisjermain , ainſi que ſur les conditions
dela foufcription.
PROJET de l'édition des oeuvres de Jean
Racine ; feuille in- 8 ° , de quatre pages.
Lesplus célèbres Poëtes du ſièclede Louis
XIVont été imprimés avec beaucoup de
foin&de magnificence.Tout lemonde connoît
les ſuperbes éditions qu'on a publiées.
de la Fontaine & de Corneille. Nous n'avons
point encore en France une édition
AVRIL 1765. 129
de Racine dont les curieux puiſſent enrichir
leur bibliothéque , & qui puiſſe en
même temps ſervir à l'inſtruction des
Gens de Lettres. On propoſe aujourd'hui
par foufcription toutes les oeuvres de cet
illuſtre tragique , avec des remarques hiftoriques
& critiques ſur la langue & fur le
goût , &une traduction des morceaux que
cet Auteur a imités ou empruntés des
Grecs.
Cet ouvrage contiendra fix volumes. II
fera du même format que l'édition de
Corneille, donnée par M. de Voltaire , &
il ſera orné de douze eſtampes en taille--
douce , deſſinées par M. Gravelot , & gravées
par les meilleurs artiſtes. Le Public
peutjuger , par cette annonce , du caractère
&du papier qui ferviront à cette édition.
On fournira aux Souſcripteurs de l'édition
de Corneille , qui ſouſcriront auſſi à cette
édition de Racine , les meilleures épreuves
des eſtampes & les portraits de ces deux
grands hommes, qu'on grave actuellement..
On ſe fera un devoir de placer la liſte
des Souſcripteurs à la tête du premier volume.
Le prix de chaque exemplaire fera
de trente livres. Les perſonnes qui feront
carieuſes de voir les eſtampes deſtinéesà
cette édition , les trouveront gravées-
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
chez M. Luneau de Boisjermain , rue & à
côté de la Comédie Françoiſe , même
maiſon que le Libraire , Panckoucke , chez
lequel on ſouſcrira. Les ſouſcriptions ne
feront ouvertes que juſqu'au premier Juillet
prochain. On paiera quinze livres en
foufcrivant , & quinze livres en recevant
l'exemplaire. On n'imprimera que deux
mille cinq cens exemplaires , afin que tous
les Soufcripteurs puiſſent avoir de bonnes
épreuves des eſtampes. On commence aujourd'hui
à mettre cet ouvrage fous preffe.
On croit pouvoir aſſurer qu'il ſera en état
d'être livré avant la fin de l'année.
: LE Guide de Paris ; chez Denis , Graveur
, rue Saint Jacques , vis-à- vis le Collége
de Louis le Grand.
La difficulté qu'avoient les étrangers en
arrivant dans cette Capitale , a fait naître
l'idée àM. Denis de compofer un ouvrage
dans lequel chacun puiſſe aifément reconnoître
la route qu'il doit tenir pour ſe
rendre dans les différens endroits où il
peut avoir affaire. Cet avantage eſt d'autant
plus grand , que l'on a toujours eu
beaucoupdepeine à trouver dans les plans
de Paris , qui ont paru juſqu'à préſent , les
édifices remarquables , les rues , les culsde-
fac, les places , &c. Pour donner à ce
AVRIL 1765 . 221
livre plus de commodité , on l'a mis dans
un format in- 18 , grandeur auffi portative
qu'un almanach , &qui n'embarraffe point
dans la poche. On trouve à la tête de l'ouvrage
un plangénéral , diviſé en autant de
parties , qu'il y a de places dans le livre ; &
le numéro romain placé dans chaque partie,
indique la page. On y a joint auffi une
table alphabétique qui renvoie à une autre
table placée à côté du plan où ſe trouve
l'endroit defiré.
Le même Graveur débite un autre ouvrage
intitulé : Analyse de la France , qui
eſt de même format , & donne les connoiſſances
néceſſaires fur la France , en
déſignant d'un coup d'oeil la diviſion des
différens gouvernemens , les rivieres principales
, les Capitales de chaque province ,
de quel Archevêché font fuffragans les
différens Evêchés de chaque province , à
quel Parlement reſſortiſſent les Bailliages
& Préfidiaux , & de quelles Généralités dépendent
les différentes Elections. Cet ouvrage
, dreſſé en forme de cathéchifme ,
. & dans lequel l'Auteur s'eſt efforcé de ne
rien obmettre , eſt très-propre à l'inftruction
de la jeuneſſe.
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
Avis aux Amateurs de l'Histoire de
France.
JEAN- Thomas Hériſſant , Imprimeur du
Cabinet du Roi , va mettre ſous preſſe une
nouvelle édition de la Bibliothéque hiſtorique
de la France du Père le Long , avec
des augmentations conſidérables. Les re--
cherches immenfes de l'Editeur, fecondées
de celles de pluſieurs ſavans , tant de la
Capitale que des Provinces , ont plus que
doublé ce livre , & fait difparoître une
grande partie des fautes qui défigurent ,
comme on fait , un ouvrage auſſi néceſſaire
à tous ceux qui étudient notre hiſtoire. Le
defir que l'on a de le rendre le plus com--
plet qu'il foit poſſible , engage à prier les '
perſonnes zélées pour la perfection de ce
livre, de communiquer les notes que leurs
recherches les ont mis ou les mettront en
étatde faire fur ce point.
Ces recherches regardent principalement
l'hiſtoire particulière de chaque ville ou
province ; & leur but eſt de découvrir
pluſieurs ouvrages , differtations & autres
pièces fugitives peu connues , fur- tout
celles qui font encore manufcrites. On
ر
AVRIL 1765 . 133
demande ce détail 1º. fur la géographie
ancienne & moderne , l'hiſtoire naturelle
du pays , les rivieres , fontaines & eaux
minérales , les mines , la botanique , les
animaux,&c. les fingularités, &c. 2 °. L'hiftoire
des Diocèses , des Eglifes , Abbayes
, Monastères , lieux de dévotion , &c.
3 °. L'hiſtoire civile du pays , foit géné
rale , foit particulière , de quelques années.
4°. L'hiſtoire de chaque ville ou bourg ,
foit générale , foit particulière . 5º. Ce qui
a trait aux privilégesde laprovince , & de
chaque ville en particulier, àſes uſages,&c.
6°. Ce qui a rapport aux différens Tribunaux
, à leurs Officiers , & aux démêlés qui
peuvent être ſurvenus entr'eux. 7º. Les
vies particulières des hommes illuftres en
tout genre . 8 °. Les généalogies des familles.
9 °. Les antiquités du pays ,& des lieux
particuliers qui en font partie. Il ſuffira de
donner le titre de chacun de ces ouvrages ,
le nom de leur Auteur, & fes noms de
baptême, qualités , lieu de ſa naiſſance ,
l'année de fa mort , autant que faire fe
pourra. S'ils font imprimés , le lieu & la
date de l'impreffion, le nom de l'Imprimeur
& le format doivent être indiqués.
S'ils font manufcrits , il faut faire connoître
les cabinets dans leſquels ils ſe trou
134 MERCURE DE FRANCE.
vent ; fi c'eſt l'original ou feulement une
copie : fi l'on étoit à portée d'en donner
une courte notice , elle ne pourroit être,
que très-utile aux vues qu'on ſe propoſe.
La plupart des pièces de ce genre que
cite le P. le Long, ont changé de propriétaires
depuis 1719 , foit par la mort des
Auteurs , entre les mains deſquels elles
étoient conſervées , ſoit même par la vente
des bibliothéques où elles ſe trouvoient.
Onn'a pu encore être inſtruit autant qu'on
le fouhaiteroit fur le fort de tous ces manufcrits
, & en particulier fur celui de deux
differtations que Jacques Robbe , Géographe,
mort à Soiffons , ſa patrie , en 1721 ,
avoit entre ſes mains du temps du Pere
le Long ,& que le Dictionnaire de Moreri
dit être écrites en latin. Elles regardent
l'une la fituationde Bibrax Oppidum Rhemorum
, dont il eſt parlé dans Céfur ; l'autre
, le lieu où s'eſt donné la fameuſe bataille
de True dans le Soiſſonnois. Ce ſeroit
rendre ſervice aux Gens de Lettres
que de leur procurer fur ces morceaux&
autres pareils, tous les éclairciſſemens qu'il
eſt poſſible de donner. On demande les
mêmes lumieres ſur un grand nombre
d'ouvrages manufcrits annoncés dans les
Catalogues de MM. Boiffier , d'Estrées ,
le Blanc, Dantzy d'Isnard , &c. &c. &c.
AVRIL 1765 . 135
pas
Il y a lieu d'eſpérer que ceux qui ontacqu's.
ces ouvrages , ou qui ſavent ce qu'ils font
devenus ne refuferont pas d'en donner
avis. Il paroît néceſſaire d'avértir que l'on
a eufoin deparcourir les Mercures& autres
Journaux François , ( à l'exception cependant
de quelques feuilles périodiques publiées
dans certaines Provinces ) les Acta
eruditorum de Leipfick, les Mémoires de
l'Académie des Inſcriptions , &c. & d'en
extraire les titres des pièces relatives à
l'Histoire de France. La difficulté de raffembler
les différens Recueils des pays
étrangers , tels que le Muſeum Helveticum ,
&c. n'a pas permis de dépouiller de même
ces collections qui renferment auſſi quelques
morceaux fur la Gaule. Les Savans
qui les poſſéderont & qui voudront fuppléer
à ce défaut , peuvent être aſſurés de
la reconnoiſſance de l'éditeur & de celle
du public. Toutes ces notices , corrections
& additions fur l'ouvrage du Pere le Long,
feront adreffées le plus promptement qu'il
fera poſſible chez l'Imprimeur , rue S. Jacquesà
Paris.
136 MERCURE DE FRANCE.
Avis touchant divers ouvrages quise trouvent
à Paris , rue Saint Jacques , chez
Paul-Denis Brocas , Libraire , au Chef.
Saint Jean , 1765 , fur lesquels on fait
une diminution conſidérable en faveur
de ceux qui defireront en faire l'acqui
fition.
L
HISTOIRE littéraire de la France , &c .
par des Religieux Bénédictins de la Con--
grégation de S. Maur , onze volumes in-
4°. Le tome I , imprimé en 1733 ; tome
II & III , 1735 ; tome IV, 1738 ; tome
V,, 1740 ; tome VI , 1742 ; tome VII ,
1746 ; tome VIII , 1747 ; tome IX ,
1750 ; tome X , 1756 ; tome XI , 1759 .
Tout le monde connoît cet ouvrage , où
font renfermés les faſtes de notre littérature.
Il n'eſt pas beſoin de remettre ſous
les yeux le but que fe font proposé les Savans
qui font entrés dans cette pénible carriere.
On n'ignore pas qu'ils ont commencé
par rechercher quel étoit l'état des Scien
ces dans les Gaules avant JESUS - CHRIST ;
AVRIL 1765 . 137
qu'ils ont fait voir enfuite celui où elles
furent dans les fiécles ſuivans , & qu'ils
ont donné une notice affez détaillée des
hommes célebres en tout genre. On fait
qu'on en donne ſommairement la vie ,
qu'on indique leurs ouvrages , qu'on les
apprécie , & que l'on en marque les différentes
éditions. Le prix des onze volumes
enblanc eſt de 44 liv. Ceux qui auront befoin
des volumes ſéparés , les paieront 4
liva
II.
BIBLIAfacra vulgata editionis Sixti V,
&Clementis VIII, Pontif. Max, auctoritate
recognita , verficulis distincta , unà cum
Selectis annotationibus ex optimis quibuſque
interpretibus excerptis , tabulis geographicis,
hiftoricis & chronologicis illustrata ,
indiceque Epistolarum & Evangeliorum
aucta : in-fol. 2 vol. de 1300 pages pour
les deux , 173 1 .
M. Hennequin , aux foins duquel eſt
due cette édition de la Bible , s'eſt propoſé
non- feulement d'en donner un texte pur
& correct , mais encore d'en faciliter l'intelligence
par des notes courtes , précifes
&-claires fur chaque verſet : il a tâché de
ne rien dire que d'exact. Pour cela il a en
l'attention de choiſir ce qu'il y avoit de
138 MERCURE DE FRANCE.
mieux dans les différens interprètes de l'Ecriture
fainte : il s'eſt ſervi fur-tout de
l'édition de laBible , publiée en 1706 par
un ſavant théologien , M. Duhamel , Secrétaire
perpétuelde l'Académie des Sciences.
Le prix deces deux volumes en blane
eft de 7 liv.
III.
LIBER pfalmorum vulgata editionis cum
notis , in quibus explicatur titulus , occafio
& argumentum cujuſque pfalmi ; dilucidatur
fenfus litteralis , paucis attingitur fenfus
myfticus , &c. Parifiis , M. DCC. XXIX.
in-4°.
Cet ouvrage , où brillent l'érudition &
les connoiffances les plus profondes del'Ecriture
fainte &de la langue hébraïque , a
mérité les fuffrages des Savans. Son auteur
, M. Bellenger , Docteur de Sorbonne,
a préſidé lui-même à cette édition , & lui
a donné toute l'exactitude dont il étoit capable
, & que reconnoiſſent en lui tous
ceuxqui l'ont connu. Il a eu la fatisfaction
de ſe voir applaudi de fon vivant , & celle
de voir enlever deux éditions in- 12 de
cette favante interprétation des pſeaumes.
Il s'en est donné une troiſieme encore in-
12depuis fa mort, ſur les inſtances de perſonnes
éclairées & le débit qui s'en fait
AVRIL 1765. 139
tous les jours , prouve aſſez ſon mérite &
fon utilité. Quant à l'interprétation des
pſeaumes , qui ſe trouve dans le volume
in-4º dont il s'agit ici , elle eft abſolument
ſemblable à celle de l'édition in- 12. Mais
dans l'in 4º on trouve de plus une préface
affez étendue & fort importante ſur les..
pſeaumes : elle eſt ſuivie de prolegomenes
fur le même ſujet ; l'ouvrage eſt terminé
par un Appendix. Comme ilreſte au même
Libraireun nombre d'exemplaires de l'édition
in-4° , il propoſe une remiſe avantageuſe
aux Eccléſiaſtiques & autres perſonnes
qui voudront fe la procurer , aux conditions
ſuivantes ; prix de l'in- 4° grand
papier , 6 liv. en blanc ; in-4º petit papier ,
4liv.
140 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
ACADÉMIES.
EXTRAIT des ouvrages lus à la féance
publique de l'Académie des Sciences ,
Belles- Lettres & Arts de RoUEN , tenue
le II Août , en présence de M. le Duc
D'HARCOURT , Gouverneur de Normandie
,pour la partie des Belles-Lettres.
MONSIEUR du Boullay , Secrétaire des
Belles- Lettres , rendit compte des travaux
académiques de l'année dans ſon département.
Il le commença par un diſcours adreffé
à M. le Duc d'Harcourt , dans lequel ,
après avoir rappellé toutes les obligations
que l'Académie avoit à feu M. le Maréchal
de Luxembourg , & les efforts qu'elle
afaitssppoouurryy répondre, il eſſayad'exprimer
les fentimens de la compagnie pour fon
nouveau protecteur. « Qu'il eſt flatteur
AVRIL 1765 . 147
> pour nous , dit- il , de placer aujourd'hui
■ au frontiſpice de ce Temple , dedié aux
>> Muſes , ce nom ſi cher à la Normandie ,
» & fi célèbre dans ſes faſtes , ce nom qui
› réveille le ſouvenir de tant de grandes
>>>actions , & la reconnoiſſance de tant de
>>bienfaits ; ce nom enfin qui excite dans
tous les coeurs autant d'amour que de
>> reſpect , & dont les dignes héritiers n'ont
>> ceſſé de donner à leur patrie ,depuis plu-
>>ſieurs fiècles , les exemples de toutes les
>>>>vertus , & les preuves les plus éclatantes
>> d'un attachement ſans bornes » !
Prix de l'Ecole du Deffein.
L'Académie avoit propoſé pour ſujet du
prixdepeinture, le moment où Alexandre ,
après avoir pris la médecine de la mainde
Philippe , remet à ce Médecin la lettre par
laquelle on l'accuſe de vouloir empoifonner
fon malade. Le prix a été remporté
par M. Charles le Carpentier , du Ponteaude-
mer.
Le premier prix du deſſein d'après nature
, par M. Anicet Charles-Gabriel le
Monnier , de Rouen , qui avoit remporté
les deux feconds prix dans cette même
claſſe en 1762 & 1763 .
Le ſecond d'après nature M. Char
142 MERCURE DE FRANCE.
{
les le Carpentier , du Ponteau- de-Mer , qui a
eu le prixde la claſſe de la Boſſe , en1762 .
Le prix d'après la Boſſe , par Mademoi
felle Madeleine Godefroi , de Rouen .
L'Académie a donné un prix extraordinaire
dans cette claſſe àM. Romain Jenfroi,
auffi de Rouen .
Le prix de la claſſe du deſſein , par Nicolas-
Jofeph Billot , du bourg de Leri .
Pour programme en architecture , on a
demandé un Temple de Thémis ; on a
laiſſé aux Artiſtes la liberté d'employer les
ordres en architecture à leur choix ; on a
demandé la coupe & l'élévation de l'édifice.
Les deſſeins de François Gneroult
Charpentier à Sotteville, on mérité ce prix.
د
Grand Prix de la Claſſe des Belles-Lettres.
L'Académie avoit propoſé pour ſujet du
prix de poéſie , donné par feuM. le Maréchal
de Luxembourg , fon protecteur , la
délivrance de Salerne par quarante Chevaliers.
Normands & la fondation du
royaume de Sicile , qui fut la ſuite de
cette expédition .
د
Quelque defir qu'eût l'Académie de couronner
enfin un poëme digne du ſujet , &
du prix double qu'elle y deſtinoit , il lui a
été impoſſible de remplir , à cet égard ,
AVRIL 1765 . 143
l'attente du Public & celle des Auteurs .
Quelques défauts légers & quelques négligences
de détail n'auroient cependant pas
été des obſtacles. Les plus beaux ouvrages
n'en font pas exempts , & l'Académie fait
affez que la perfection abſolue eſt au-deffus
de l'humanité. Mais elle est en droit d'exiger
dans un poëme un plan raiſonnable &
de la poéfie . Parmi les ouvrages en affez
grand nombre qui lui ont été adreſſés , les
uns ne font pas fans mérite du côté de
l'ordonnance & de la compoſition. Mais
on ne voit briller dans les détails aucune
étincelle de ce feu divin, qui eſt le caractère
diftinctif des vrais Poëtes. Ils manquent
abſolument de ce coloris féducteur ,
de cette poéfie de ſtyle , dont le preſtige
donne tout le prix aux plus grandes beautés
, & fait même quelquefois illufion fur
les plus grands défauts; les règles de la langue
, & celles de la verfification y font
ſouvent d'ailleurs violées.
D'autres , dont les Auteurs paroiffent
avoir mieux connu les règles & l'efprit de
l'art , ne ſe ſont pas donné la peine de ſe
former un plan , & fe font contentés de
coudre à la hâte quelques tirades , dans lefquelles
on remarque de beaux vers. Ils ne
ſe font pas ſouvenus que le premier de nøs
Maîtres commence ſon art poétique par
144 MERCURE DE FRANCE.
rejettet hautement ces ouvrages compofés
de parties diſparates & mal aſſorties , dans
leſquels
Purpureus latè qui ſplendeat unus & alter ,
Affuitur
Ce font-là de ces oracles de goût qui
font devenus des loix fondamentales dans
tous les tribunaux littéraires , & dont il
ne leur eſt jamais permis de difpenfer. Si
•un ouvrage froidement régulier ne mérite
pas le nomdepoëme , quelques beaux vers
faits au hafard le méritent encore moins.
L'Académie s'eſt donc déterminée à remettre
encore le même ſujet , dans l'eſpérance
que les Auteurs , au lieu de ſe décourager
, imiteront fa conſtance , & redoubleront
d'efforts pour mériter une couronnequi
n'en deviendra queplusglorieuſe
pour le vainqueur. Elle promet même, dans
le cas où le prix fera adjugé , de faire mention
en entier ou par extrait, dans ſa collection
, des ouvrages qui auront concouru
, lorſqu'ils le mériteront.
Les conditions font les mêmes que dans
les programmes précédens. L'Académie
invite les Auteurs à les relire. Le prix fera
toujours double , & conſiſtera dans deux
médailles d'or de 300 liv. chacune.
Outre le prix dont nous venons de parler,
AVRIL 1765. 169
Il ſeroit à ſouhaiter , ajoute M. de la
Pagerie , que le Conſeil voulût bien entrer
dans ces conſidérations , & que par un
Arrêt il ordonnât la démolition de toutes
les uſines qui exigent des pertuis ſur les
rivières navigables , & en même temps la
deſtruction de quantité de veſtiges d'anciennes
uſines , qui font plus dangereuſes
que les pertuis. Par-là il conferveroit la
vie à bien des ſujets & faciliteroit le
commerce.
Après cette eſpece de préambule , M. de
la Pagerie entre dans un certain détail ;
mais il ſe borne à ce qui regarde la rivière
de Marne , dont le cours eft d'environ cent
vingt lieues , depuis ſa ſource juſqu'à Conflans
, près de Paris , où elle ſe perd dans la
Seine. Il fait voir que fi cette rivière , qui
arroſe une très -grande partie de la Champagne
, étoit débarraffée de tout ce qui
s'oppoſe à la liberté de fon cours , l'état&
les particuliers y gagneroient beaucoup.
Qui croiroit, dit M. de la Pagerie , qu'à
l'appas de vingt & un pertuis conftruits
fur la Marne dans l'eſpace de cent vingt
lieues , on expofår tant de voituriers & de
marchands à périr avec leurs marchandises?
Mais quelque choſe de plus incroyable
encore , c'eſt qu'on n'achève pas de détruire
vingt-cinq à trente goulettes , qui ne font
Vol. I.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
autre choſe que les reſtes ou les veſtiges
d'anciennes uſines que les propriétaires ont
abandonnées.
M. de la Pagerie obſerve que le Duc de
Gefvres , compatiſſant au malheur public ,
a fait détruire le pertuis de Lagny , quoiqu'il
y poſſédât des uſines utiles , & qu'il
feroit à defirer que les autres propriétaires
ſuiviſſent un ſi bel exemple ; mais ce qu'il
y a de bien plus dur pour les mariniers ,
c'eſt que ſouvent ils font obligés d'acheter
à prix d'argent ce terrible paſſage. 4
Comme on pourroit objecter à M. de la
Pagerie que la démolition de ces uſines
préjudicieroit aux branches du commerce
auxquelles on les emploie , il prévient
l'objection en indiquant le moyen de les
ſuppléer. C'eſt en conſtruiſant des moulins,
en auſſi grande quantité qu'il feroit néceffaire
, fur des ruiſſeaux que l'on auroit foin
de ne pas laiſſer manquer d'eau , ſuivant
les régles de l'hydraulique. La même eau
qui fert à un moulin peut fervir à dix ,
quinze , vingt , &c. Enfin les moulins à
vent, fi communs dans certains pays , pourroient
auffi remplacer les moulins qui
feroient démolis ſur une rivière navigable.
1
AVRIL 1765 . 171
ARTICLE IV .
BEAUX ARTS.
ARTS UTILES.
ASTROΝΟΜΙΕ .
HÉMISPHERES célestes , artique & antartique
, calculés& conſtruits pour l'année
1763 , par M. Robert de Vaugondy , Géographe
ordinaire de S. M. Polonoise , Duc
de Lorraine & de Bar , & de la Société
Royale des Sciences & Belles - Lettres de
Nancy. A Paris , chez l'Auteur , quai de
l'Horloge.
ARTS AGRÉABLES.
GRAVURE..
LEDonnnneeuurr de Sérénade&laPareffeuse,
eſtampes Gravées par M. Moitte , graveur
du Roi , d'après les tableaux originaux de
M. Greuze ,tirés du cabinet de M. Boyer
de Fonfcolombe , Chevalier , grand Croix
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
de l'Ordre de S. Michel de Bavière , Envoyé
extraordinaire de France , & Miniftre
Plénipotentiaire du Roi près la République
de Gènes ; fe vendent à Paris chez
l'Auteur , rue S. Victor , la troiſieme porte
cochère à gauche en entrant par la Place
Maubert. Prix , 3 liv. chacune.
Les Amateurs ne pourront qu'applaudir
aux foins qu'a pris M. Moitte de rendre
ces eſtampes dignes des tableaux qu'elles
repréſentent fi agréablement.
On trouve chez le ſieur Bafan , Graveur,
rue du Foin , Saint Jacques , une eſtampe
qui ne peut qu'ajouter à la gloire de M. de
Belloy.
Son médaillon eſt au-deſſus du mauſolée
des Héros de Calais. Un génie , appuyé
fur le médaillon , tient un flambeau renverfé
, qu'il ſecoue , & dont les étincelles
raniment leurs cendres. On y lit les noms
d'Eustache de Saint - Pierrre , de J. Daire
&des deux Wiffant : ceux des deux autres
Citoyens de Calais qui s'étoient dévoués
comme eux , &qui font maintenant ignorés
, ſemblent effacés par le temps.
L'idée de cette compoſition ingénieuſe
femble avoir été priſe de la premiere ſcène
du quatrieme acte de la Tragédie , où le
Maire de Calais s'écrie :
AVRIL 1765 . 173
Que je te dois d'encens , Souverain de mon être !
Pour quels brillans deſtins ta bonté m'a fait naître !
Si dans l'obſcurité tu plaças mon berceau ,
Les rayons de la gloire entourent mon tombeau,
Cette idée , vraiment pittoreſque , nous
paroît faire également honneur au coeur &
à l'efprit de fon Auteur.
Le format de l'eſtampe eſt le même que
celui de la Tragédie , dont elle peut orner
le frontiſpice. Le prix eſt de 12 fols.
On la trouve auſſi chez Duchesne ,
Libraire , rue Saint Jacques .
MUSIQUE.
SEIEI Sinfonie , con obboe & corni da caccia
a piacimento , compoſte da Frederico
Schwindl , virtuoſo di camera di S. E. il
Conte di Colloredo , &c. mis au jour par
M. Venier , feul éditeur deſdits ouvrages ;
opera terza ; prix , 12 liv. compris les parties
& hautbois & cors- de- challe, A Paris ,
chez M. Venier , éditeur de pluſieurs ouvrages
de muſique , à l'entrée de la rue
S. Thomas du Louvre , vis-à- vis le château
d'eau. A Lyon , chez les frères Legoux ,
place des Cordéliers , & Caftan , place de
la Comédie.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
SIX Sonates de harpe , qui peuvent ſe
jouer ſur le clavecin , avec accompagnement
de violon , par M. Lévy , Maître de
muſique & de par deſſus de viole ; prix en
blanc , 9 liv. A Paris , chez l'Auteur , rue
del'Arbrefec, au Caffé de Belleviüe , & aux
adreſſes ordinaires .
LES petites Récréations de la campagne ,
-quatrieme livre , contenant fix duetti à
deux violons , pardeſſus ou mandolines ;
composta da Varri Autori. On peut les exécuter
fur la flûte , en les faiſant accompagner
d'un violon au deuxieme deſſus . Prix ,
2 liv. 8 f. A Paris , aux adreſſes ordinaires
demuſique.
AVRIL 1765. 175
ARTICLE V.
SPECTACLES.
SUITE des Spectacles de la Cour
A VERSAILLES.
LE 26 Février les Comédiens François
jouerent Jodelet , maître & valet , Comédie
en cinq actes & en vers , de SCARON.
Pour ſeconde pièce , l'Amour Médecin ,
Comédie en un acte & en vers de Mo-
LIERE.
Le 27 , les mêmes Comédiens repréſenterent
Amafi , Tragédie de feu M. DE LA
GRANGE. Le rôle de Séſoftris par le ſieur
LE KAIN.Celui d'Amafis par le ſieur MARSAN.
Le rôle de Nitocris par laDlle DUMESNIL.
Celui d'Arthémie par la Dile Du-
BOIS , &C.
Pour petite pièce on donna Heureusement
, Comédie en un acte & en vers , de
M. ROCHON.
Le Samedi , 2 Mars , les Comédiens
Italiens jouerent Arlequin , Prevot & Juge ,
Comédie Italienne , en un acte , ſuivie du
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
BUCHERON , Comédie en un acte , mêlée
d'ariettes , paroles de M. GUICHARD ,
muſique de M. PHILIDOR.
Les, les Comédiens François jouerent
le Complaifant , Comédie en s actes &
en profe. Auteur anonyme. Le rôle du
Complaifant étoit repréſenté par le fieur
GRANDVAL , celui de M. Bryon par le
fieur BRIZARD , Cléandre par le ſieur Du-
BOIS , Argant par le ſieur PRÉVILLE, le
Marquis par le ſieur MOLÉ , &c. Le rôle
de Mde Orgon par la Dile DROUIN , celui
d'Angélique par la Dile DESPINAY , &
Lifette par la Dlle Luzi .
Pour feconde pièce le Galant Coureur ,
Comédie en un acte & en proſe , du feu
fieur LE GRAND. Le rôle du Marquis de
Floribel étoit joué par le ſieur MOLÉ , celui
du Chevalier par le ſieur D'AUBERVAL ,
Ruftaut , cocher , par le ſieur PRÉVILLE ,
la Préfidente par la Dame PRÉVILLE , &c.
Le Mercredi 6 , l'Académie Royale de
Muſique , jointe à la Muſique du Roi ,
exécuta des fragmens , compofés du prologue
des Amours des Dieux, de l'Amour
enjoué, entrée du ballet des Fêtes de Tempé,
& de l'acte de la danse du balet des Talens **
Lyriques.
Le 7 les Comédiens François repréſenterent
, pour la deuxieme fois à la Cour , le
AVRIL 1765 . 177
Siége de Calais , Tragédie de M. de Belloy ,
qui avoit été redemandée .
La petite pièce , qui ſuivit , étoit le
Dédit , Comédie en un acte & en vers ,
de feu M. DUFRESNY , dans laquelle le
fieur ARMAND joua le rôle de valet , la
Dile DOLIGNY le rôle d'Isabelle , les Diles
DROUIN & BELLECOUR les rôles des ſoeurs,
&c.
Le 12 les Comédiens Italiens exécuterent
Rofe & Colas , Comédie à ariettes en
un acte: Paroles de M. SEDAINE , muſique
de M. MONSINY , précédée du Gondolier
Vénitien , pièce italienne en deux actes .
Le 14 les Comédiens François jouerent
le Double Veuvage , Comédie en trois
actes & en profe , de feu M. DUFRESNY ,
&pour ſeconde pièce , les Bourgeoises de
Qualité , autre Comédie en trois actes &
en proſe du feu ſieur DANCOURT. Le ſieur
BELLECOURjoua les rôles d'amoureux dans
ces deux pièces. Preſque tous les autres
acteurs & actrices de la Comédiee Françoiſe
, qui jouent dans le comique , étoient
employées dans la repréſentation de ces
deux Comédies.
Le Samedi 16 on exécuta une ſeconde
repréſentation des fragmens d'Opéra dont
on a parlé ci- deſſus.
Le 19 les Comédiens François jouerent
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
le Diſtrait , Comédie en 5 actes & en vers
de REGNARD , dans laquelle le ſieur BELCour
joua le rôle du Diſtrait. Le ſieur
MOLÉ , celui du Chevalier , & le ſieur
PRÉVILLE le rôle de Valet , &c. La Demoiſelle
PRÉVILLE joua le rôle de Clarice..
La Demoiselle DOLIGNY celui d'Iſabelle.
La Demoiſelle BELLECOUR celuide Lisette.
Pour petite piéce le Cercle , Comédie en
un acte& en profe de M. POINSINET .
Le 20 les Comédiens Italiens jouerent
Tom Jones , comédie nouvelle à ariettes en
3 actes , paroles de M. POINSINET , muſique
de M. PHILIDOR .
Le Jeudi 21 , dernier jour des Spectacles
de la Cour avant Pâques , les Comédiens
François y repréſenterent pour la
troiſieme fois le Siège de Calais ou le Patriotisme
, tragédie de M. DE BELLOY.
Pour petite piéce, l'Impertinent , comédie
en un acte & en vers de M. DESMAHIS.
Fin des Spectacles de l'hyver à la Cour.
AVRIL 1765. 179
SPECTACLES DE PARIS.
OPERA.
ONa continue Caftor & Pollux juſqu'à la
clôture incluſivement. Ce que nous avons
dit dans le précédent vol. duſuccès de cette
repriſe , eſt devenu infiniment inférieur
àl'événement. De jour en jour les recettes
ont tellement augmenté , qu'il n'y a point
d'exemple de produit proportionnellement
égal , occafſſonné par aucune remife
d'ouvrages , ou par quelque nouveauté
que ce foit de la plus grande célébrité.
Tous les trois jours de la ſemaine ont été.
preſque toujours égaux en affluence de
ſpectateurs. Nous avons déja rendu compte
, mais fommairement , d'une partie des
choſes d'attention qui , dans l'exécution de
cetOpera , enont rendu l'effet ſi nouveau ,
&l'impreffion fi univerfellement ſenſible.
Il feroit difficile de détailler ces nuances
, & nous ne pourrions , même en les
indiquant toutes , en faire concevoir le
mérite , aux Lecteurs qui n'ont pas joui des
repréſentations de cette repriſe. Nous citerons
ſeulement deux endroits des plus
remarquables ; celui du ſecond acte dans
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE .
le moment que les peuples & Telaire
viennent célébrer les obsèques de Caftor
fur fon tombeau. La gradation des fons
dans le choeur , que tout s'uniffe , que tout
gémiſſe , &c. ménagée avec un art & une
intelligence de goût admirable , fur- tout
une tenie dans le chant de ce choeur , avec
un refcendo de l'orchestre , forment une
expreffion quibriſe l'ame , & à laquelle ne
peuvent réſiſter les auditeurs les plus froids
ou les plus accoutumés aux grands effets du
théâtre. Dans le quatrieme acte , au ballet
des Ombres heureuſes , il y a des gavottes ,
dans l'exécution deſquelles un retour alternatif
de doux & de fort eft pratiqué
avec tant d'art , tant de fineſſe , & une
union de tact ſi prodigieuſe , qu'on n'ensend
qu'un feul inſtrument ; ou plutôt cet
orchèſtre , le premier de l'Europe pour cette
forte d'enſemble & pour les qualités ſi
précieuſes du goût , devient en ce moment
une voix humaine la plus mélodieufe & la
plus touchante qu'il foit poſſible d'entendre.
Sur ce qu'on vient de dire de la fupériorité
de l'orchèſtre de notre Opera
pour les qualités & pour le genre de perfection
qu'on a déſignés , on ne craint
point d'être démenti par les étrangers impartiaux
, d'un grandtalent , ou doués des
grandes connoiſſances ſur les véritables
AVRIL 1765 . 13
beautés de l'art. Tout ſimple que paroiſſe
ce moyen , on ne fauroit croire combien
cela fait valoir le caractère de l'air , combien
cela l'adapte au lieu & aux perſonnages
de la ſcène. Un certain ſentiment fombre
de tendreffe & de douceur s'imprime
naturellement dans le coeur , faiſit l'imagination
, & tranſporte en effet dans le féjour
fictif des ombres heureuſes. Ce qui
ajoute encore à cette douce illufion , & ce
qui ne peut ſe comparer à rien de ce qu'on
avoit vuau théâtre , c'eſt l'ingénieuſe diſpofition
des entrées de ceballet. Le Compofiteur
( M. DE LAVAL fils,) a rompu l'ordre
ſymétrique des figures, uſité dans toutes les
entrées ordinaires. Les perſonnages font
diftribués par groupes inégaux denombre ,
qui varient & ſe reforment fans ceffe
comme par le feul hazard. C'eſt
multiplicité infinie de ballets différens
qui produiſent un enſemble toujours pittorefque
, toujours vrai , & formé en apparence
par des poſitions fortuites , qui ne
peuvent être cependant que le réſultat
d'une combinaiſon profonde de l'art& de
l'ordre cachés avec un génie &une adreſſe
qu'on ne peut trop applaudir. Les Danfeurs
, de tailles graduées pour la perſpective
, & placés au fond du théâtre , y foutenoientun
mouvement, qui ne laiſſoitde
une
و
182 MERCURE DE FRANCE.
vuide dans aucune partie du ballet , & qui
concouroit à l'illuſion , ſans diſtraire des
objets dominans du ſpectacle. Les ballets
du ſecond acte , dans lequel on voit une
image des jeux funébres des anciens , la
plus approchante de la vérité qu'on ait repréſenté
fur nos théâtres , & dans leſquels
M. DAUBERVAL , par le feu de fon action
, par la juſteſſe de la pantomime ,
donneune idée fidelledes combats d'Athlethes
, est encore de la compoſition de M.
DE LAVAL , & tel qu'il l'avoit fait pour les
repréſentations de cet opera à la Cour. Les
entrées des Démons & des Furies du troifieme
acte ne font pas moins d'honneur à
ce jeune Maître de ballet. Il a profité habilement
de ce qu'un local plus vaſte lui
fourniffoit de plus officieux , pour ajouter
au tableau dontiln'avoit pudonner qu'une
idée réduite ſur le théâtre de la Cour. Il a
joint aux pas & aux figures , les acceſſoires
heureux , que peut procurer le ſecours
des machines liées à l'action. Un mouvement
rapide , une variété perpétuelle , une
forte de bifarrerie & de caricature placée.
avec juſteſſe , donnent à toutes les ſcènes
de ſon ſujet , le véritable caractère , la force
& la fingularité de ſpectacle qui conviennent
en cette occafion.
C'eſt avec joie , c'eſt avec empreſſe
AVRIL 1765 . 183
ment , que nous comblons d'éloges & que
nous exhortons tous les amateurs du théâ
tre à applaudir aux talens & aux efforts
d'unCompofiteur de ballets qui s'attache à
peindre , qui cherche à faire parler la danſe,
à la faire contribuer au but général de
l'opera , & qui s'écarte des habitudes monotomes
de fon art , pour ſe rapprocher des
grandes règles de l'art dramatique.Dans ce
même ballet Mademoiselle ALLARD , entr'autres
talens adınirables qui s'y diftinguoient
, devenoit , malgré les grâces de fa
figure , une véritable Furie par le feu de
fes pas , par la volubilité étonnante de ſes
attitudes , & l'énergie du jeu pantomime
juſques ſur les traits du viſage.
La fuite de notre relation nous a conduits
à parler des danſes avant les rôles; non
pas , à beaucoup près , que ceux qui les
exécutoient n'ayent contribué primitivement
au grand fſuccèsde cette repriſe. On
connoît les talens de Mademoiselle ARNOULD
: on ſait combien ils font heureuſement
placés dans cet opera. On fait de
plus , que le fecours de l'eſprit , qu'une intelligence
très-fine & un fentiment vif,
ajoutent chaque jour de nouvelles vérités
d'expreffion dans un rôle qu'elle joue fouvent
; ainſi l'on ne doit pas douter de la
part qu'elle a eue au plaisir qu'ont fait les
184 MERCURE DE FRANCE.
repréſentations de Cafior . On ne peut fe
refuſer en même temps à reconnoître
comme un des principaux motifs dugrand
empreſſement& du grand concours du Public
, le progrès fenfible , journalier , &
qu'on peut qualifier merveilleux , des talens
de M. LE GROS. Nous en avions déja
fait une mention vraie , & honorable
pour cet Acteur , dans nos précédens Mercures
; ce que nous aurions à en dire aujourd'hui
feroit infiniment au- deſſus. Il a
très-ſagement fait tourner ſes ſuccès au
profit des plaiſirs du Public. Plus de confiance
, fans préſomption , a donné plus
de liberté à ſes organes & à ſes mouvemens.
Ses fons , dont il ménage à propos
les éclats , paroiffent dans toute leur beauté
, & fervent à donner plus de force à
l'expreffion des fentimens. C'eſt au Public
enchanté , & fans ceſſe ramené à ce théâtre
, que nous en appellons pour fournir la
preuve du foible éloge que nous faifons
ici , & que nous devons aux foins & au
travail de ce nouveau ſujet , devenu en
très-peu de temps un des principaux objets
d'attraità ce théâtre .
Nous ne paſſerions pas fous filence , fans
injuftice , ce que mérite M. Gelin dans ie
rôle de Pollux , qu'il a très bien chanté
&dans lequel il a toujours reçu des ap-
و
AVRIL 1765. 185
plaudiſſemens. La ſanté de Mademoiſelle
DUBOIS étant rétablie , elle avoit repris le
rôle de Phoebé ; & quoique par la diftribution
du ſujet , ce ne foit pas un de ceux
qui prêtent le plus d'avantages aux grands
talens , on s'eſt apperçu des progrès du
fien & du fruit de ſes ſuccès dans Armide.
Le Mercredi 13 & le Lundi 18 Mars
on donna pour les Acteurs desfragmens ,
compoſés de l'Acte des Sauvages , de celui
des Incas du Perou & de l'Acte de Pigmalion.
Les beautés fublimes & fuffifamment
reconnues dans la muſique de ces
différens actes , céderenten ce moment au
feu du ſuccès de l'opera de Caftor. Ainfi
ce ſpectacle n'ayant pas produit tout ce
qu'on avoit lieu d'en attendre , on continua
pour les Acteurs & pour la clôture du
théâtre le Samedi 23 le même opera de
Castor & Pollux , qui avoit fourni une recette
forcée la veille même de ce jour , &&
tous les jours précédens, & qui n'en produifit
pas moins ce dernier jour une des
plus fortes qu'on faſſe à ce ſpectacle.
Quoique les diſpoſitions fuffent différentes
pour l'ouverture de ce théâtre , il paroît
qu'on déférera au cri public , qui femble
redemander encore cet opera , pour lequel
le goût & l'empreſſement des ſpecta
186 MERCURE DE FRANCE.
teurs étoit encore plus vifà la fin que pour
les premières repréſentations.
On a continué les Jeudis les Talens Lyriques.
Mademoiselle JUSTINE , jeune
danſeuſe , dont nous avons parlé précédemment
fous le nom de Mademoiſelle
ROBE , s'étant trouvée avoir la voix agréable
& du talent pour le chant , a exécuté
le rôle d'Églé avec beaucoup de ſuccès &
d'applaudiſſemens.
COMÉDIE FRANÇOISE.
ONN a continué juſques à la clôture du
théâtre incluſivement le Siège de Calais ,
dont nous avons donné l'extrait dans le
précédent volume de Mars (1 ). Tout ce
( 1 ) Voyez dans le volume de Mars l'extrait de
cette pièce , & ce qu'on a déja dit de ſon grand
fuccès.
Le Siége de Calais , ou le Patriotisme , Tragédie
, par M. de Belloy , précédée d'une épître
dédicatoire au Roi , d'une préface de l'Auteur ,
fuivie de notes hiſtoriques relatives au ſujet de la
pièce, ſetrouve à Paris, chez DUCHESNE , Libraire ,.
rue Saint Jacques , au temple du goût. Le prix eſt
de 36 fols. Chaque exemplaire eſt timbré à la
premiere page du chiffre royal , afin qu'on ne
foit pas trompé par de fauſſes éditions.
AVRIL 1765 . 187
qu'on a à dire ſur le ſuccès de cette célèbre
pièce eſt ſans exemple depuis la création
du théâtre françois. Bien loin que l'affluence
ſe ſoit rallentie par le nombre des
repréſentations , elle a toujours été tellement
en augmentant , qu'on n'a ceffé de
veiller , par le moyen de la garde royale ,
à ce qu'il n'arrivât point de tumulte aux
bureaux de diſtribution pour les billets
d'entrée , qui étoient, pour ainſi dire , enlevés
par la multitude long - temps avant
l'ouverture des portes.
Le 12 Mars SA MAJESTÉ ayant bien
voulu , par bonté pour le peuple de Paris ,
difpenfer les Comédiens François du fervice
qu'ils devoient faire ce jour- là à la
Cour, ils donnerent ſur leur théâtre une
repréſentation gratis de cette pièce , dont
la célébrité étoit déja tellement répandue
dans le peuple , quedès le matin la rue de
la Comédie & tous les environs fut remplied'unefoule
ſi innombrable , qu'il étoit
impoſſible de la pénétrer. On préfume facilement
avec quelle promptitude & de
quelle quantité de ſpectateurs la ſalle fut
remplie. Dès qu'on eut commencé;le plus
grand filence fuccéda au tumulte , fans
effort& fans avertiſſement. Non-feulement
aucun des grands traits , dans le détail
, n'échappa à la ſenſation naturelle de
188 MERCURE DE FRANCE.
cette aſſemblée , & ne perdit l'honneur
des plus grands applaudiſſemens , mais
pluſieurs autres traits que la ſagacité d'une
critique réfléchie ſemble pouvoir ſeule
goûter & diftinguer , furent vivement fentis
par le peuple , &marqués par des ſignes
non ſuſpects d'approbation .
On donna pour petite pièce le Procureur
Arbitre , qui fut fuivie d'un ballet
compoſé pour la circonſtance par M.
DESHAYES , maître des ballets de ce théâtre.
Le ſujet de ce ballet étoit la Guinguette.
Sur la fin des Danſeurs habillés
en Grenadiers tenoit chacun une pique ,
qui ſe partageant en deux , renfermoit une
lettre ; ces piques plantées par ordre préfentoient
à lire VIVE LE ROI: ce que le
peuple répéta avec tranſport. Ce cri redoublaà
la vue de la ſtatue du ROI , qui ,
dans le même temps s'élevoitde deſſous le
théâtre , enforte que les Danfeurs furent
long temps ſans pouvoir entendre l'orcheſtre.
Il y eut environ une cinquantaine de
louis diſtribués dans cette repréſentation ,
tant par M. le Maréchal DE BIRON , qui
avoit bien voulu prendre fur lui le ſoin de
préſider au bon ordre de ce jour tumultueux
& en même temps à la fatisfaction
du peuple , que par pluſieurs Seigneurs &
AVRIL 1765 . 189
Dames placés ſur le théâtre , ainſi que par
chaque Acteur & Actrice , qui fit ſes géné
rofités à fon choix. Les Poiffardesou Marchandes
des Halles étoient toutes femmes
dans le balcon du côté de la Reine ; &
les Charbonniers , tous hommes , dans le
balcon vis-à- vis . L'argent fut donné dans
chaque balcon , & partagé également entre
-ceux qui y étoient placés.
Dans l'intervalle de la petite pièce au
ballet, les Actrices de la Comédie verferent
à boire aux hommes & les Acteurs aux
femmes , le tout abondamment ; ce qui fut
très-bien reçu & avec de grandes démonftrations
de joie. Après le ſpectacle tout le
peuple danſa , ou plutôt ſauta ſur le théâtre
, le nombre de ceux qui vouloient y
trouver place ayant empêché de lier une
contredanſe . On ne peut dire combien le
nom du ROI y fut répété de fois , & par
quels cris de l'âme cet augufte nom fut célébré.
On y mêla quelquefois celui de
l'Auteur de la tragédie. Celui de M. le
Maréchal DE BIRON n'y fut pas oublié.
Après les témoignages de la plus grande
fatisfaction , tout le monde ſe retira ſans
tumulte & fans aucun défordre.
Après cette eſpèce d'hommage populaire
, qui n'eſt peut-être pas un des moins
flatteurs pour l'Auteur , il a reçu un hon
190 MERCURE DE FRANCE.
neur plus durable : MM. LES MAIRE ET
ECHEVINS de la ville de Calais ayant été
informés dans la nouveauté par une Lettre
de M. DE LA PLACE , l'un de leurs plus
zélés compatriotes & notre collégue dans
la compofition de ce Journal , des grands
ſuccès de la tragédie du Siége de Calais par
M. DE BELLOY , il fut délibéré dans une
aſſemblée générale du Conſeil de la Ville ,
&ſtatué fur les concluſions du Procureur
du Roi , qu'il feroit écrit une Lettre de félicitation
à M. DE BELLOY , avec priere
qu'il lui fût préſenté des Lettres de Citoyen
, & que fon portrait fût placé dans
l'hôtel de cette Ville ; arrêté en outre que
les Lettres feroient préſentées dans une
boëte d'or , ornée des armes de la ville &
d'unedeviſe convenable , & que pour l'exécution
de cet arrêté , MM. DE LA PLACE
& LE SENECHAL ſeroient priés d'accepter la
qualité de Députés. Ces MM. ont déja
exécuté une partie de ce qui a été ſtatué
à cet égard , & donnent tous leurs foins
avec le plus grand zèle & le plus grand
plaifir à ce qui n'a pu être prêt fur le
champ.
Voyez dans l'article des Piéces fugitives
de ce volume les Lettres de M. DE
LA PLACE à MM. LES MAIRE & ECHEAVRIL
1765. 197
▼INS de Calais ; leurs réponſes àM. DE LA
PLACE ; la Lettre à M. DE BELLOY;
celles qu'il a écrites à MM. les MAIRE &
ECHEVINS ainſi qu'à M. DE LA PLACE ;
l'Arrêté du Conseil de la ville de Calais ,
&toutes les pièces concernant ce fait mémorable
dans les faſtes de notre théâtre , & fi
honorable pour les talens de M. DE BELLOY.
M. le Duc de Charot , Gouverneur de
la ville de Calais , a fait préſent particuliérementd'une
très-belle boëte d'or à M.
DE BELLOY,
Le Samedi 23 on donna pour la clôture
du théâtre la dix-neuvieme repréſentation
du Siége de Calais , ſuivie de l'Oracle.
M. BOURET prononça le compliment
ſuivant.
"MESSIEURS , je ſens dans ce moment ,
>>plus que jamais , combien je dois redou-
>>ter votre justice , & ce n'est qu'en trem-
>>blant que je m'avance vers vous pour
>> implorer votre indulgence. Daignez ,
>> Meſſieurs , en faveur de mes camara-
» des , ſi juſtement en poffeffion de vous
>> plaire , & dont je ſuis aujourd'hui l'in-
>>terprête , recevoir par mon foible organe
>> le tribut de notre reſpect &de notre re :
» connoiffance.
192 MERCURE DE FRANCE.
>>Nous vous devons tout en effet ; nos
> protecteurs & nos maîtres , vous foutenez
»le théâtre , & vous formez les Acteurs.
C'eſt par la folidité de votre goût que la
>> ſcène françoiſe , malgré les nuages paffa-
>>>gers qui voudroient l'obſcurcir , con-
> ſerve ſon ancienne ſplendeur. Les chefsd'oeuvres
, qui font ſa gloire , font tou-
>> jours vos plaiſirs , & vous nous aidez
› à vous les tranfinettre dans leur pureté ,
,, en nous indiquant par vos jugemens in-
T
faillibles l'eſprit & le caractère de nos
>> rôles. Vous nous donnez ce ton de la na-
› ture & de la vérité qui , ſouvent échap-
>>pé à nos efforts , n'échappe jamais à vos
» lumières ; & toujours plus indulgens pour
>> ceux qui font les plus lents à le faifir ,
>> vous attendez avec patience l'effet de
>> vos leçons.
>> Aucun de nous , Meſſieurs , ne l'a
>> plus éprouvé que moi , qui, accoutumé
>>depuis long-temps à vos bontés ſur un
>> autre théâtre , n'aurois jamais ofé fran-
>>chir l'intervalle immenfe qui le ſépare
>> de celui-ci, fans la flatteuſe eſpérance d'y
>>être appuyé de votre protection , & gui-
» dé par ces préceptes fublimes dont les
»Auteurs mêmes partagent avec nous
>>l>'utilité. Vous les éclairez auffi , & vous
>> dirigez leurs pas vers le but qu'ils ſe
>>propoſent
AVRIL 1765 . 193
>>>propoſent tous , vos fuffrages & ceux
>>de la poſtérité ; but qu'il n'eſt permis
>>d'atteindre qu'à ceux qui ont acquis l'art
>>ſi difficile de fatisfaire l'eſprit &d'inté-
>> reſſer le coeur.
>>Pluſieursdes pièces nouvelles de cette
» année ont parų avoir cet avantage , &
>> je me ferois , Meſſieurs , un plaifir de
>>vous rappeller ici la juſtice que vous
>>avez rendüe à leurs Auteurs , fi je ne
>>croyois devoir en réſerver le détail à
>> un autre moment , pour ne m'occuper
» dans celui-ci que de l'exemple qui eft
>> actuellement ſous vos yeux , & fur le-
>>quel je vois votre impatience me pré-
>> venir.
>> Vous nommez tous avec moi , Mef-
>> ſieurs , l'Auteur du Siège de Calais , qui
>>vient de combler les eſpérances qu'il vous
>>avoit déja fait concevoir de lui , & de
>>donner au théâtre de la nation la véritable
>>pièce de la nation.
Γ
>>Par les tranſports avec lesquels vous
>>l'avez couronné , vous avezbien prouvé ,
>>Meſſieurs , que les ſentimens qu'il a
>>peints étoient tous dans vos coeurs. Nous
>> les avons vus dans tous les Citoyens ,
» & l'amour des François pour leur Roi a
>> ſi bien réuni tous les rangs , que nous
>> avons toujours eu les mêmes ſpectateurs,
Vol. I. I
138 MERCURE DE FRANCE.
>> lors- même que nous avons paru en
> changer.
» Mais en admirant , Meſſieurs , dans
» M. DE BELLOY l'ame du citoyen , vous
> avez aufli applaudi au génie de l'Auteur.
»C'eſt à ces deux titres qu'il a mérité
> votre approbation , & les récompenfes
>> flatteuſes dont l'a honoré un Monarque
>> qui , père des arts comme il l'eſt de ſes
> peuples , croit devoir à la mémoire des
>>Corneille , des Racine & des Moliere ,
>>de chérir , favorifer & encourager ceux
-qui naîtront d'eux.
„Vous ne devez pas douter , Mef-
>> ſieurs , que les diſtinctions accordées aux
»takens ne raniment l'émulation , & ne -
- produiſent bientôt des fruits utiles. Nous
> allons tous travailler avec ardeur à nous
> rendre plus dignes de vous les offrir.
»Les talens de mes camarades vous répon-
>>dentde leurs fuccès. Pour moi , réduit
> à ne pouvoir vous promettre que du
zèle , j'oſe du moins vous en garantir
» l'activité & la perſévérance ».
ここ
AVRIL 1765 . 195
EXAMEN DU SIEGE DE CALAIS,
Tragédie , par M. DE BELLOY.
LE ſentiment eſt le premier juge & le
moins ſuſpect des ouvrages de théâtre.
Celui qui a décidé le ſuccès ( jusqu'à
préſent ſans exemple ) du Siége de Calais ,
apréſervé cettepiècedes nuées deCritiques
qui fuivent ordinairement les productions
couronnées. Un levain de l'envie , caché
dans le coeur de tous les hommes , leur
fait faifir le plus léger prétexte de retirer
l'admiration qu'ils n'avoient pu refufer au
premier mouvement de la nature. Mais
un motif fublime d'honneur , qui a lié
l'amour- propre des ſpectateurs à la gloire
de l'Auteur , a entraîné tous les fuffrages
pour cette pièce. Il les a multipliés & ranimés
à chaque repréſentation. C'eſt cet
amour pour la patrie , & conféquemment
pour ſes maîtres , en qui elle réfide: fentiment
inné dans le François , aſſoupi quelquefois
, mais dont la ſource n'eſt jamais
ſéchée. Ne feroit-ce qu'à ce preftige refpectable
que le Siège de Calais devroit
l'honneur d'un ſi grand triomphe ? Ne ſeroit-
ce qu'aumérite du fujet , &de l'avoir
Tij
196 MERCURE DE FRANCE.
imaginé le premier , d'avoir montré la nation
à elle-même , dans le jour le plus intéreſſant
& le plus glorieux , qu'il faudroit
rapporter la gloire de l'Auteur ? Son génie
, ſes talens & fon art dans l'exécution
d'un projet auſſi louable , n'ont- ils rien à
prétendre aux applaudiſſemens univerſels ?
C'eſt ce qu'il faut chercher dans l'examen
détaillé de l'ouvrage , en perdant de vue
pour un moment la faveur que lui procure
fon fujet. Suivons pour cela la marche de
l'action dans le fil des ſcènes , la progreffion
de l'intérêt depuis le premier acte jufqu'au
dénouement. Voyons ſi les traits des
caractères font distinctement prononcés ,
& s'ils font foutenus dans toutes les poſitions.
En un mot , portons un regard cririque
ſur le fond & fur les détails de ce
drame, qui occupe & qui intéreſſe aujourd'hui
toute la France.
Les expoſitions doivent coûter beaucoup
aux Maîtres de l'Art , en ce que delà dépend
fondamentalement toute l'économie
& ſouvent tout l'effet de l'ouvrage. Sielles
annoncent trop , & par de longues narrations
, elles fatiguent l'auditeur impatient
de voir commencer l'action. Si elles font
trop refferrées , elles laiſſent un nuage fur
le ſujet& fur les caractères des perſonnages
actifs , ce qui fait obſtacle à l'intérêt.
AVRIL 1765. 197
Dans celle du Siège de Calais , non- feulement
l'Auteur à évité ces deux défauts
mais ily a réuni deux avantages bien eſſentiels
à cette portion d'un drame. Le premier
, d'expoſer par les ſentimens mêmes
du principal perſonnage tout ce qu'il eſt
néceſſaire de ſavoir ſur les événemens antécédens
& actuels , ainſi que les caractères
& les motifs de tous ceux qui doivent concourir
à l'action. Le ſecond , de mettre
cetteaction en mouvement dès le commencement
de la pièce. Si l'on veut bien y faire
attention , les perſonnages intéreſſans ont
déja éprouvé de grandes viciffitudes fur
leur fort , depuis la première ſcène juſqu'à
la dernière du premier acte , moment où
leurdeſtin reſte ſuſpendu entre la crainte
& un eſpoir affez bien fondé. C'eſt préciſément
là ce qui conſtitue le mouvement
de l'action dramatique ; & non pas des événemens
multipliés &. hors du centre de
cette action , c'est-à-dire , qui ne naiffent
point des paffions ou du fait des Acteurs
de la tragédie. L'intérêt & l'action montent
`également , lorſqu'après ce qu'on a pu artendre
des remords du célebre Harcourt &
du crédit qu'il doit avoir ſur l'eſprit d'Edouard
, on vient annoncer de la part de
ce Prince qu'il ne conſent à la retraite du
brave & malheureux peuple de Calais ,
4
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
qu'en lui livrant fix des plus notables
citoyens. Cet intérêt s'accroît encore en
proportion du péril de ces victimes , lorfqu'on
ajoute que cette barbare vengeance
eſt enviſagée par le Monarque vainqueur ,
comme une raiſon d'état , & comme un
moyen néceſſaire à ſes projetsde conquête.
Toutcet intérêt, vague juſques-là, ſe réunit
fur Eustache de Saint- Pierre , fur ce perfonnage
que l'Auteur a eu l'art de faire
connoître déja & de faire aimer , & qui
devient, par cedévouement, l'objetdu plus
refpectable & du plus pathétique attendriffement
que le coeur puiſſe éprouver. Cet
intérét ſe partage au profit toujours de
Saint-Pierre ,le principal héros du poëme ,
lorſque ſon fils ſe dévoue , avec Amblétufe,
autre héros fecondaire de Calais : mais en
ſe partageant l'intérêt ne ſe diviſe ni ne
s'affoiblit: combien il monte au contraire ,
combien la gloire du Maire s'accroît
aux yeux mêmes du Monarque Anglois ,
lorſqu'il apprend que tous les fix dévoués
font de la famille de cet illuſtre
citoyen! Voilà donc l'action de la tragédie
bien conftituée & dans un point de fimplicité
qui doit la rendre recommandable
àtous ceux qui connoiſſent bien les plus
grandes régles. Il s'agit de ſavoir fi les héros
de Calais tomberont fous le fer des
AVRIL 1765. 199
bourreaux d'Edouard , ou fi la grandeur de
leur action les ſauvera ? Si malgré la certitude
apparente de leur mort , elle eft
ſuſpendue juſqu'à la fin par des moyens
quinaiſſent naturellement du ſujet , qui fe
fuccedent fans effort , & qui foient autorifés
par le trait hiſtorique ,l'action aura fa
marche régulière, & fera aufli complette
que la rigueur la plus ſévère de la critique
puiſſe l'exiger. Ils vont paroître devant ce
Monarque ; ce n'eſt point une haine perfonnelle
qui l'enflamme ; ce n'eſt point une
vengeance qui ſoit raſſemblée fur ces infortunés
particulièrement, que fa fureur
pourfuit alors : il peut donc être frappé ; il
peut être touché d'un ſi noble héroïfme
de leur part. Au contraire , leur fermeté
en l'étonnant l'irrite encore davantage , &
ce ſentiment eft fondé , fi l'on fe rappelle
ce qu'il a dit à Harcourt , du defir ardent
qu'il a de regner ſur les François , ce qu'il
faut bien diftinguer du defir ſeulement de
conquérir la France ; nuance adroitement
placée dans le caractère d'Edouard , qu'il
ne faut pas perdre de vue pour juger des
fentimensdontil eſt agité.Dans ces fixvictimes
qui préferent la mort à la néceſſité
de vivre ſous fa loi, Edouard voit & doit
voir tout lePeuple François. Cet héroïfme
doit donc êtrepour lui un outrage ; il doit
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
doncagir enconféquence de ce violent reffentiment.
Un intérêt importantpour lui, &
intimement lié à ſes voeux &à ſes projets ,
peut néanmoins fauver encore ces objets
de ſa fureur ; c'eſt le ſoin de conſerver,
Harcourt, dont les talens, dont le génie eft
ſi néceſſaire à l'exécution de ſes projets.
Les remords de ce jeune héros uniffent indiſſolublement
ſon fort à celui des héros
de Calais. Ce ſentiment eſt fortifié par fon
amour pour Aliénor. L'impétueux zèle de
ce jeune Guerrier ne laiſſe au Monarque
Anglois aucun eſpoir de le ſoumettre. La
politique veut donc qu'il s'adreſſe à cette
Aliénor , qu'il fafſſe agir ſur elle l'attrait le
plus ſéducteur que l'amour , l'ambition , la
digne compaffion même dont elle eſt pénétrée
pour les citoyens dévoués , puiffe
offrir en ce moment à ſon ame attendrie :
mais cette ame eſt toute pleine du même
feu qui conduit , qui fait voler au fupplice
leMaire & fes illuftres compagnons. Il la
trouve inacceſſible à l'offre de la plus grande
élévation pour fon père , à fon union avec
Harcourt , au plaifir ſi ſéduiſant de partager
avec ſon amant un rang égal à celui
des Rois; enfin , de règner elle-même ſur
des compatriotes qu'elle chérit en les ſauvant.
Après ce reffort , que reſte-t-il pour
dérober les héros de Calais à la cruauté
AVRIL 1765. 201
d'un fort devenu en quelque forte néceffaire
, & qu'Edouard ne peut plus changer
ſans ſe démentir ? Ils vont périr , rien ne
peut les ſauver. L'artifice d'Harcourt pour
prendre la place du fils de Saint- Pierre a
été découvert par le courage éclairé de ce
Maire. Pour grace derniere Alienor , cette
ſeconde héroïne de la pièce , a la permifſion
de leur faire ſes adieux. Ce terme de
l'action en peut être regardé comme le
point afcendant. Il ſe trouve précisément
au quatrieme acte , c'est-à- dire , au lieu où
l'ont exigé tous les grands Maîtres en poétique.
Enfin Edouard , attaqué de toutes
parts , d'un côté , par le zèle intrépide du
jeune Harcourt, d'un autre par les prières de
la Reine , par celles de fon propre fils ; &
perfuadé par les remontrances de Mauny , a
recours encore à la politique ; il veutdompter
le courage du Maire : il compte avec
raiſon ſur la force & fur l'importance de
l'exemple, s'il réuffit. Qu'il eſt beau de voir
ici la politique d'un grand Monarque ,
d'un puiſſant Conquérant aux priſes avec
la fidélité d'un ſujet étranger , avec la noble
fermeté d'un héros bourgeois ! Et l'on
n'appellera pas cela de l'action vraiment
dramatique ? On a prévu par le caractère
de ce Maire ; leréſultat de cette tentative ;
mais on n'en eſt pas moins intéreſſé , moins
い
Iv
202 MERCURE DE FRANCE .
attentif au fil de cette difcuffion , à l'évé
nement que produira cette conférence ;
événément qui doit être déciſif. Il eſt tel
en effet que l'ame inébranlable du Maire
l'a dû laiſler prévoir. Sa mort& celle de fes
compagnons en vont être le fruit, lorſque
le heraut de Philippe de Valois vient remettre
à Edouard le cartel d'un combat
fingulier. Dans le premier tranſport qu'excite
ce cartel , 'Edouard ordonne de brifer
l'échaffaut , de rompre les fersdes citoyens
de Calais ; leur falut confole & raffure
un moment. Le Comte de Melun paroît ,
qui vient au nom de tous les Ordres du
Royaume déſavouer le cartel. Le péril renaît
pour les héros de Calais , & devient
plus inévitable que jamais. Nous avons
cherché nous- mêmes à faire quelques reproches
de l'arrivée ſubite d'un Acteur , à
la fin d'une pièce , qui n'a ni paru ni été
annoncé dans aucune ſcène précédente. En
y faiſant plusd'attention , nous avons penfé
qu'on ne pourroit ſans injustice ou fans
mauvaiſe volonté , qualifier de machine
étrangère au ſujet l'intervention de Melun
en ce moment. L'envoi du cartel eft fondé
fur l'hiſtoire ; le défaveu de la nation en
eſt inféparable. Ce déſaveu ne pouvoit ſe
faire que par un Chevalier qualifié , tel que
leComte de Melun. Il n'est point Acteur ;
AVRIL 1765. 203
attendu la circonſtance & l'objet de fon
arrivée , malgré ſa qualité , il ne doit être
conſidéré dans lepoëme que comme meffager
, parcequ'il n'y a & ne devoit y avoir
d'autre emploidans l'action . Ces perfonnagesnon-
feulement fontpermis,mais ils font
indiſpenſablement néceſſairesdans preſque
tous les drames. Ils ne fontpoint coopéransà
l'action, mais fouvent cauſes occaſionnelles
de fa marche & des divers noeuds de l'intrigue.
Ainsi , que le nom n'en impofe
point. Ce ne font point les noms ni les
dignités qui réglent les rangs ou qui conftituent
les Acteurs dans un drame , mais
la part dans l'action que le Poëte afligne à
chaque perſonnage. L'objection qu'on auroit
pu faire à l'égard de celui-ci , tombe
doncpar les règles mêmes de la faine critique.
Revenons au fil de la pièce. Les victimes
d'Edouard , ſouſtraites un momentà
fa fureur par fa propre volonté , retombent
auffi-tôt dans un plus grand péril par le
défaveu du cartel . Mais le zèle intrépide
d'Harcourt a ſaiſi l'inſtant de les faire fortir
de Calais , en ſuppoſant l'ordre d'Edouard&
la rançon des captifs. Le ſpectateur
les croit déja au camp du Roi de
•France , que l'on fait n'être pas éloigné.
Harcourt , Aliénorle comptent de même ;
& tandis que le premier informe Edouard
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
de ſon officieuſe fraude , tandis qu'il lui
fait écouter les acclamations de fon armée
fur la clémence qu'il lui avoit ſuppoſée ,
nos fix héros reviennent d'eux-mêmes. Ils
ont été informés de la ſuppoſition des
ordres & du déſaveu du cartel. Tout conſéquent
que foit ce retour au caractère
d'héroïfme ſi bien foutenujuſques- là dans
le Maire &dans ſes compagnons , cet événement
n'en faitpas une impreſſion moins
forte ſur le ſpectateur. Tel eſt toujours
l'effet des grandes actions & des vertus
fublimes . Edouard en eſt confondu , mais
il ne révoque pas l'arrêt du ſupplice.
Enfin le jeune Auréle , précipité aux pieds
d'Edouard , demande en larmes à périr
avant fon père. Il rappelle au Monarque
le fort du ſien par ce beau vers :
Vous futes malheureux , & vous êtes cruel !
Ce reproche pathétique eſt le trait de la
nature & du ſentiment qui penetre & qui
dompte ce coeur juſques-là inacceſſible à la
clémence . L'Auteur s'éleve avec raiſon
contre ceux qui ont traité ce point du dénouement
de moyen inférieur à tous ceux
auxquels Edouard a réſiſté. Il en appelle
auxdroits ſi chers & fi facrés de la nature .
fur les ames les plus irritées. Il s'autoriſe
avec raiſon des larmes d'Achille , qui n'en
AVRIL 1765 . 205 ン
verſa que lorſque le vieux Priam lui rappella
le ſouvenir de fon père. Nous prendrons
la liberté d'ajouter aux raiſons , déja
très-fortes ,deM. DE BELLOY, que fi Homère,
le peintre de la nature , a donné tant de
force à la tendreſſe filiale ſur l'ame du
plus fougueux de tous les hommes , combien
doit-elle avoir plus de puiſſance fur
unMonarque qui a des vertus moins éloignéesde
la clémence qu'Achille , qui n'eſt
point enflammé comme lui d'une vengeance
perſonnelle , qui n'a point à facrifier
comme ce héros aux mânes d'un ami
éperdument aimé , qui au contraire eſt
cruel alors , moins par paſſion que par une
malheureuſe erreurde la politique. Tel eſt
cet Edouard pendant tout le cours de la
pièce. D'après cela , n'eſt- on pas fondé à
ſoupçonner que fon ame émue , attaquée ,
combattue déja par tant de moyens , ne
demande en fecret que celui de ſe ſauver
de la funeſte & fauſſe honte de céder après
tant de réſiſtance ? Qui ne fait , pour le
malheur de l'humanité , qu'il eſt trop fouvent
dans l'ame des gens puiſſans une ténacité
qu'ils prennent pour fermeté ;
leurs premiers refus ſont des engagemens
•dont l'orgueil leur fait un cruel devoir ?
Edouard ne pouvoit dans ce ſyſtème , qui
malheureuſement eſt celui de la nature
que
206 MERCURE DE FRANCE.
pervertie , ſe dédire & ſe porter à la clémence
que par un motif tout nouveau&
qui ne tint à aucun de ceux qu'on avoit
employés pour le fléchir.Prenons garde encore
, qu'ici ce Monarque accorde librement
, & qu'autrement il eût cédé.Qui ne
fent pas cette distinction , ne connoît ni
la nature de l'orgueil humain , ni celle des
grands ivres de leur pouvoir. Ainfi ce
dénouement eſt non-ſeulement naturel ,,
émané du caractère de celui de qui ildépend
, mais encore il eſt tel que tout autre
moyen feroit une machine hors d'oeuvre ,
&qui feroit fortir ce drame de l'unité &
de la fimplicité d'action , qui en font le
grand mérite. Nous avons ſuivi cette action
pas à pas. Nous avons couru le riſque de la
prolixité en rappellant ici preſque toute la
pièce, en faveur du grand nombre de ceux
qui , malgré l'habitude du théâtre , n'ont
pas une idée préciſe & juſte de ce qu'eſt
eſſentiellement l'action dramatique. Nous
nous flattons d'avoir prouvé que non-feulement
elle exiſte dans le Siége de Calais,
mais qu'elle y exiſte dans toute la rigueur
des règles. Depuis les larmes qu'on a vu
conftamment répandre aux repréſentations
de cette tragédie , nous n'avons rien à répondre
à ceux qui , dans les commencemens
, ont prétendu ou feint de croire qu'il
AVRIL 1765 . 207
n'y avoit point ou fort peu d'intérêt. Une
choſe qui dépoſe en faveur du genre
d'intérêt qui règne dans cette pièce ,
c'eſt que l'on balbutie aujourd'hui fur ce
mot d'intérêt. On n'oſe , pour ainſi dire ,
articuler celui de l'amour , qui en effet ne
domine pas dans cette tragédie. On en
appelloit aux femmes :elles ont prouvé em
cette occafion combien on leur faifoit
injure en ne les croyant ſuſceptibles.
d'intérêt que pour les paffions molles &
efféminées , qui s'effacent ſi ſouvent des
ames qu'elles ont le plus agitées , fans y
laiffer même des traces de leur empire..
Elles ont fait voir que leurs coeurs s'ouvroient
comme les autres aux fublimes fentimens
de l'héroïſme & de l'humanité.
Il nous reſte à remarquer quelle union
il y a entre le dialogue de ce drame & la
marche de fon action . Celle-ci réfulte toujours
du fil des ſcènes , tellement qu'il fetoit
moralement impoſſible que les événemens
n'arrivaſſent pas dans les temps & de
la façon dont ils arrivent. Pour s'en convaincre
, il n'y a qu'à obſerver que ce
n'eſt point , comme dans beaucoup de drames
, un Acteur qui en fait entrer on fortir
d'autres. C'eſt une conduite toute fimple
de motifs néceſſaires qui les amenent fur
la ſcène & qui les en retirent. Nous nous
flattons que ſi , après avoir lu la pièce en
208 MERCURE DE FRANCE.
entier , on veut jetter un coup d'oeil fur
l'extrait que nous en avons donné , on remarquera
ce qu'un connoiffeur , étudiant
beau tableau , remarqueroit lui-même ;
c'est-à-dire , la direction d'un premier
trait unique , pris d'un certain point , &
conduit fans quitter la main , qui enchaîne
toute une grande compoſition.
Après ces parties primitives dans la conftitutiond'un
drame , celle des caractères
eſt une des plus importantes. En examinant
, en détaillant ceux de la nouvelle
tragédie , nous ne pouvons que donner des
éloges à l'art avec lequel ils y font établis
& foutenus , à l'ordre , à la diſtribution
ingénieuſe de ces caractères : ce qui leur
donne à chacun un degré convenable &
proportionné d'intérêt , fans qu'ils ufurpent
les uns fur les autres. Celui du Mairea une
prééminence qu'exigeoit le ſujet. Rien ne
ſe dément dans ce beau caractère : la ſimplicité
relève la grandeur de fon ame ; les
plus fublimes efforts en lui , ne font point
l'effet d'une ivreſſe fanatique , ni du faſte
de l'héroïſme des Grecs & des Romains.
Le ſien paroît toujours le fruit des grands
principes dans lesquels fon ame patriotique
eſt affermie. Son courage inébranlable
n'a pas beſoin des attraits éclatans de la
gloire. Il eſt conforme à ſon état, à ſa conAVRIL
1765 . 209
dition : iln'emprunte point le ſecours des
paſſions violentes ; c'eſt la vertu dans ſa
pureté ; c'eſt la vertu que toute ame peut
pratiquer dans quelque rang où le fort l'ait
placée. Ce moment terrible qui ſemble affranchir
les hommes de tout reſpect humain,
ne déplace point cette ame vertueuſe.
Jamais la morgue , mais toujours la fermeté
, règne dans ſes réponſes au Roi d'Angleterre.
S'il va juſqu'à lui reprocher un
moment la foi qu'il a violée envers fon
Roi par ce vers :
Je n'ai pas comme vous le droit de la trahir..
c'eſt la grande idée qu'il a de la force
des fermens ; c'eſt le ſentiment vif dont
il eſt pénétré , qui lui arrache cette eſpèce
de farcasme ſi l'on peut dire. Il revient
bientôt au ton modeſte de ſon état. Ce
vers admirable dans ſa majestueuſe ſimplicité
,
Seigneur, vous meforcezd'être plusgrandque vous!
peint cette grande ame. Le caractère d'A-'
liénor eſt d'autant plus beau , qu'il rappelle
celui d'Eustache de Saint-Pierre , mais
fans monotonie &dans des nuances qui
le diftinguent ; nuances d'autant plus
juſtes , qu'elles naiſſent & de ſon rang &
de ſon ſexe. Ce n'eſt point le ſuperbe or
210 MERCURE DE FRANCE.
gueil d'une Femme Romaine ; c'eſt une
Françoiſe de qualité fortement pénétrée de
l'amour de ſa patrie , inſtruite de ſes loix ,
& inviolablement attachée à fon Souverain
. Ce que produit ce beau caractère dans
la ſcènede diſcuſſion avec Edouard , peutêtre
une des plus belles en ce genre qui
foit au théâtre , fuffit à notre admiration .
Plus impétueuſe ſans doute que Saint-
Pierre, elle conſerve néanmoins avec
Edouard cette révérence dont l'éducation
fait un principe invariable dans les gens de
qualité. Elle est agitée de plus de mouvemens
que leMaire , par la tendreſſe filiale ,
par celledont elle a rougi, mais qu'elleconſerve
pour le jeune Harcourt : cependant
l'Auteur rameine ſans ceſſetous ſes ſentimens
au point central de ſon ſujet , qui
eſt le patriotiſme. Cet Harcourt , conféquent
dans la vivacité de ſes remords
l'impétuoſité de ſes premières erreurs , eft
un caractère qui nous a paru neuf au théâtre
, qui contraſte très-bien , mais fans le
croifer, celui du généreux Saint-Pierre,
en allant à la même fin par des voies oppoſées.
Le jeuque prête ce caractère dans
la pièce , le reffort qu'il donne à l'action ,
doitnous le faire conſidérer comme un
très-beau trait de l'art. Un autre , dont on
doit tenir compte à l'Auteur , eſt d'avoir
د
a
AVRIL 1765. 211
dans le caractère de Mauny peint celui de
la nation angloiſe , de manière à laiſſer
dans ce ſiecle éclairé la fatisfaction au ſpectateur
, de voir les droits de la vérité refpectés
, & l'honneur d'une nation conſervé
avec juſtice dans un ouvrage confacré à la
gloire & à l'élévation de ſa rivale. C'eſt
une attention dont l'Auteur ne s'eſt point
écarté juſques dans le caractère de l'inflexible
Edouard. On ne fauroit trop le répéter
, ſa cruauté , dont il falloit faire ufage,
& qui eſt le mobile de toute cette tragédie
, n'eſt point un vice du coeur de ce
Monarque. C'eſt avec beaucoup de génie .
que l'Auteur lui prête des motifs trèsplaufibles
, & que n'admettoit que trop
autrefois la politique des Princes , pour
iminoler à fes grands projets les fix héros
de Calais . Nous ne ſavons ſi tous les cririques
ont fait fur cela aſſez d'attention ;
ils y auroient vu deux choſes ; la première ,
comme on l'a déja dit, la cauſe toute préparée
du dénoüement ; la ſeconde , le
ménagement avec lequel Edouard eſt affez
formidable pour imprimer toujours la
juste terreur de voir périr les héros de la
pièce ; mais jamais odieux par ſes qualirés
perſonnelles , jamais avili , quoique
furmonté par l'héroïſme des François ;
c'eſt ce que nous ne prendrons pas la peine
212 MERCURE DE FRANCE.
de prouver , puiſqu'il ſuffit d'envoyer d
une lecture attentive de la pièce même.
Si la beauté de l'ouvrage , & nous le difons
fans flatterie, ne nous avoit entraînés
bien plus loin que nous n'avions prévu ,
ce feroit ici le lieu de parler du coloris &
du ſtyle de cette pièce. Nousnouscontenterons
de répéter ce que le goût a indiqué
déja à preſque tous les ſpectateurs de bonne
foi.Il en eſt peu qui ſoient auſſi remplies de
vers remarquables , fans qu'aucun emprunte
l'éclat des tours & le brillant de
l'eſprit recherché. Ce que nous y avons
fingulierement admiré , c'eſt qu'en employant
toute la majeſté du ſtyle tragique,
toute l'élégance de notre langue moderne ,
l'Auteur a ſagement conſervé la ſimplicité
des temps & de la condition des perfonnages
; art admirable , dont on ne peut
trop recommander l'imitation aux jeunes
Auteurs. Ce moyen eſt peut-être un de
ceux qui ale plus contribué au grand effet ,
à cette impreſſion univerſelle & commune
à tous les ordres de ſpectateurs , quoique
peut-être ce mérite eût échappé à leurs réflexions.
Nous nous flattons d'avoir , quoique
foiblement , rempli à-peu-près les conditions
que nous nous ſommes impoſées au
commencement de cet examen. C'eſt au
AVRIL 1765 . 213
Lecteur à juger à préſent ſi la tragédie du
Siége de Calais ne doit ſon mérite & les
honneurs qu'elle a procurés à fon auteur ,
qu'à la ſeule faveur du ſujet ?
En traçant les divers caractères de la
tragédie , nous avons indiqué les talens des
principaux Acteurs. Ils ſemblent être entrés
chacun tellement dans l'eſprit de l'Auteur
, que nous pourrions dire fans adulation
qu'ils nous ont ſervi , par la juſteſſe
de leur action , à diſtingner , ou du moins
à être plus ſenſiblement frappés des nuances
que nous venons d'expoſer ,& qui contribuent
beaucoup au grand effet que produit
la repréſentation du Siége de Calais.
Nous ne pouvons nous diſpenſer de
communiquer à l'Auteur & aux Acteurs
quelques légères remarques ſur la repréfentation
de cette pièce , recueillies des ſentimens
réunis de pluſieurs ſpectateurs.
1 ° . Quelques perſonnes attachées aux
vraiſemblances hiſtoriques ont regardé
comme un anacroniſme l'ordre de la jarretière
, dont ſe décore l'Acteur qui joue le
rôle d'Edouard III , prétendant que
cet ordre ne fut inſtitué que quelques années
après le ſiége de Calais.
2º . D'autres auroient defiré que le
fils du Maire parût en habit de guerrier ,
parce qu'il arrive fortant du combat. Nous
214 MERCURE DE FRANCE.
croyons qu'on peut répondre à cela que ce
jeune Guerrier entre ſur la ſcène bleſſé au
bras ; qu'il a pû & même dû être défarmé
; & que comme il ne s'agit plus de combattre
dans le reſtede la pièce, il convient
mieux qu'il reſte dans les habits ſimples de
citoyen , avec leſquels il eſt plus uniforme
aux cinq autres bourgeois dévoués pour le
falut de leur patrie.
3º. On a paru généralement improuver
l'action du Comte de Melun , qui ôte fon
caſque pour parler à Edouard. Nous ne
voyons rien qui la justifie , parce qu'en aucun
temps , & chez aucun peuple , cette
action n'a été admiſe pour le falut ou pour
une marque de reſpect. Au contraire elle
le ſeroit plutôt d'une familiarité repréhenſible
en préſence d'un Souverain , en ce
que le caſque étant une armure plutôt
qu'une coëffure , on ne le quittoit que
pour être plus à fon aiſe , & dans le repos.
Ces dernieres obſervations paroîtroient
& feroient de peu d'importance en d'autres
occaſions ; mais rien n'eſt minutieux fur
ce qui concerne la repréſentation d'un ouvrage
devenu auffi célebre ,& adopté avec
tant de chaleurpar la nation.
Fin de l'examen du Siége de Calais.
AVRIL 1765 . 215
}
LETTRE de M. DE BELLOY , auteur de
la Tragédie du SIEGE DE CALAIS à
M. DELAGARDE , Auteur du Mercure
pour la partie desſpectacles.
J'A I l'honneur de vous envoyer , Monſieur
, le petit éclairciſſement dont je vous
avois parlé relativement à l'inſtitution de
l'Ordre de la Jarretière. Il eſt très - vrai que
la plupart des hiſtoriens en fixent l'époque
à l'année 1348 , 1349 on 1350 ; mais
Froiffard , Auteur contemporain , auteur
attaché particulièrement au ſervice & à la
Cour d'Edouard III , atteſte que la première
cérémonie de cette inſtitution eut
lieu dans une fête donnée au château de
Vindfor en 1344 , trois ans avant le fiége
de Calais ( Voyez Froiſſard , tom. premier
, chap. 101 ).Après une telle autorité,
il faudroit bien de la mauvaiſe humeur
pour déſapprouver encore l'Acteur célèbre
qui a cru devoir porter les marques de
l'Ordre de la Jarretière en repréſentant
EdouardIIIdans ma Tragédie. L'anacroniſme
fût- il même aufli conſtant que le
ſoutiennent les Cenſeurs de M. le Kain ,
je ne vois pas qu'un drame ſoit une table
216 MERCURE DE FRANCE.
chronologique : rapprocher ou reculer de
quelques années un événement dont l'époque
eſt douteuſe , c'eſt une liberté trèspermiſe
au théâtre , lorſqu'on ne change
ni le faitprincipal ni les perſonnages qui y
ont eu part. Malheur, dit Boileau , à ces
Poëtes didactiques ,
Qui chantant d'un héros tous les faits éclatans ,
Maigres hiſtoriens , ſuivent l'ordre des tems .
Mais , Monfieur , puiſque je parle de
M. le Kain , il eſt juſte que je lui paie
publiquement le tribut de reconnoiſſance
que je lui dois à ſi juſte titre. Il a fait , pour
le bien de ma pièce , un ſacrifice généreux
que je n'oublierai jamais. Il a cédé un rôle
qu'il trouvoit agréable , pour ſe charger
de celui qui devoit paroître le plus ingrat
&le plus difficile. Ses talens y ont acquis
un nouveau luſtre. Il a répandu leur éclat
fur le fond le plus fombre , & il a prouvé
qu'il n'y a jamais de rôle médiocre pour
un excellent acteur. Au reſte , je ne prétends
point diminuer par-là le mérite de
ceux qui ont fait valoir avec tant d'avantages
des rôles plus ſaillans. Je fais mieux
que perſonne tout ce que mon ouvrage doit
à la fublime énergie de Mlle Clairon , au
pathétique noble & pénétrant de M. Brizard,
à la vérité précieuſe , à l'âme ardente
de
AVRIL 1765 . 217
de M. Molé : & en général aux talens de
tous les autres acteurs qui ſe ſont ſurpaſſés
eux-mêmes dans une pièce où ils avoient
à exprimer leurs propres ſentimens dans
ceux de la nation. Seroit-ce le temps de
ne pas convenir du mérite qu'ils ont prêté
à ma Tragédie lorſque l'impreſſion depoſe
fi hautement en leur faveur ?
Qu'il me ſoit permis de profiter de l'occaſion
de cette lettre pour répondre à un
reproche perſonnel qui mérite toute mon
attention . On veut faire croire que je m'enorgueillis
des bontés du Public ; que ma
préface n'eſt point modeſte ; que je m'érige
en législateur , quand j'annonce un
ouvrage fur les régles de la Tragédie ; &
que je compare infolemment le Siège de
Calais à la Phèdre de Racine. Ceux qui
me connoiſſent ſavent combien la vanité
eſt loin de mon caractère ; ils n'ont pas
beſoinque je me juſtifie à leurs yeux : mais
jedois compte au Public de mes fentimens
&de l'uſage que je fais de ſes bontés .
Je ne m'érige point en légiſlateur : au
contraire , je veux forcer tous les petits
légiflateurs modernes àa reconnoître comme
moi les llooiixx anciennes dont leur caprice a
fecouueélleejoug : &jedéclare formellement
dans ma préface que mon deſſein eſt de
rappeller les grands principes qu'ils cher-
Vol. I. K
218 MERCURE DE FRANCE.
chent à faire oublier ; ce n'eſt pas-là avancer
que je veux faire des régles ; & ceux
qui entendent le françois m'ont fort bien
compris. Ils n'ontpas imaginéqu''eenndiſant
que l'ouvrage dontil s'agit étoit le fruit de
douze années d'étude, cela dût fignifier que
j'y travaillois depuis douze ans. Ils ont
penſé qu'ayant étudié pendant un ſi long
remps les régles du théâtre , j'annonçois
ſeulement les obſervations que je me propoſois
de publier , comme très - différentes
de ces réflexions paſſagères que l'on
débite ordinairement d'après la Tragédie
que l'on vient de donner.
En effet , bien loin que j'aie travaillé
douze ans à l'ouvrage dont je parle , il
eſt àpeine commencé : je ſuis même intertainde
la forme que je lui donnerai. Mais
le fruit de mes longues études a mûri dans
ma tête ; j'y ai rafſemblé les principes , les
autorités , les exemples ſur leſquels j'ai
fondé mes opinions ; & c'eſt avec ces fecours
que j'entreprendrai de renverſer les
nouveaux dogmes que l'ignorance & la
préſomption veulent établir fur les ruines
des véritables régles. Voilà tout ce que
j'ai dit, & tout ce que j'ai voulu dire.
Si j'ai parlé de Phédre en parlant du
Siège de Calais , il eſt clair par les termes
dont je me fuis fervi , quej'ai oppoſé un
AVRIL 1765 . 219
chef- d'oeuvre à un foible eſſai , pour en
faire mieux ſentir la différence. Nous comparons
tous les jours Amaſis à Mérope ;Alcibiade
à Mithridate. Comparer deux ouvrages
, ce n'eſt pas les égaler l'un à l'autre.
Qu'on life ma préface : en voici quelques
traits. Ma Tragédie est bien éloignée de la
perfection .... Phèdre est le chef- d'oeuvre
du Génie.... Trop foible diſciple de Racine,
prétendrois -je être mieux traite que mon
maître?... Qu'on life fur-tout la page 7 , on
verra que je ne m'égale pas même à mes
jeunes Confrères , parce que je fais en effet
qu'ily en a pluſieurs dont le talent eſt fort
au-deſſus du mien. Ce ne ſont pas ceux-là
qui s'irritent de mon bonheur , il eſt pour
eux le préſage aſſuré d'une gloire dont ils
feront plus dignes. Mais ceux qui m'accufent
de vaniteont fans doute leurs raiſons.
Ne voudroient- ils pas , comme le dit ſi bien
Racine :
Groffir , pourse fauver , le nombre des coupables.
Heureuſement le Public n'eſt pas accoutumé
à les croire fur leur parole.
Je vous prie , Monfieur , d'inférer dans
le Mercure la réponſe que j'ai faite à la
lettre dont M. de Voltaire m'a honoré.
Elle achevera de montrer au Public quelle
eſt ina façon de penfer &de fentir.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
T
LETTRE de M. DE BELLOY à M. DE
VOLTAIRE.
1
1
MON maître ! quoi , vous daignez me
prévenir & prendre part à un ſuccès dont
je ne vous ai point encore fait hommage !
Eſt-ce à vous , que la gloire environne , de
vous appercevoir ſi quelques-uns de ſes
rayons ſe ſont égarés vers moi ? Souffrez
que je vous reporte tous ces fuffrages , tous
ces applaudiſſemens dont vous me félicitez.
Je vous les dois , vous m'avez fait le
peu que je fuis : vos ouvrages m'ont ſervi
de leçons , & c'eſt dans ces fources du Génie
que j'ai puiſé quelques traits de feu
dont on veut bien me tenir compte. Si
vous n'euffiez peint avec tant de force
l'ame de Zopire , de Zamti & celle des
deux Brutus , ma foible main eût- elle pu
crayonner les héros de Calais ? Croyez ,
Monfieur , que plus je ferai de progrès
dans mon art , plus je fentirai la prodigieuſe
ſupériorité de votre génie : ſemblable
à ce voyageur, qui ne voit ſe développer
toute la grandeur d'un ſuperbe monument
qu'à meſure qu'il en approche. On
dit que nous avons de jeunes Auteurs très
AVRIL 1765. 221
vains , très-glorieux de leurs talens : ils
n'ont donc jamais réfléchi ſur les vôtres ?
Qu'ils reliſent ſans ceſſe vos ouvrages !
c'eſt le meilleur antidote que nous puiffions
prendre contre la vanité. Le moucheron
peut- il s'admirer quand il léve les
yeux fur l'aigle ?
Le Siége de Calais ſera bientôt imprimé.
J'aurai ſoin de vous l'envoyer ſur le
champ. Si vous n'imitez l'exceſſive indulgence
du Public , vous ferez forcé de convenir
que je ne l'ai guères méritée , &c.
&c. &c.
COMÉDIE ITALIENNE.
On a continue pendant ſeptrepréſentations
Tom Jones. Cette pièce est imprimée,
& ſe trouve à Paris chez Duchesne
Libraire , rue S. Jacques , au temple du
goût.A la lecture , excepté la diſparate des
ariettes , elle ne nous a pas paru mériter
l'accueil défagréable du premier jour de ſa
repréſentation.
Ce theatre a fermé cette année , avec
tous les autres , le Samedi 23 Mars.
Kij
222 MERCURE DE FRANCE .
CONCERTS SPIRITUELS.
Du Dimanche , 24 Mars , & du Lundi
25 , fête de l'Annonciation .
DANS le premier on exécuta pour
grands Motets Omnes gentes de M. DAU
VERGNE , Surintendant de la Muſique du
Roi , & Deus venerunt de feu M. FANTON.
Dans le Concert du Lundi on exécuta
Dominus regnavit de feu M. DE LA LANDE .
Dans les Concerts de ces deux jours Mlle
AVENEAU , de la Muſique du Roi , dont
nous avons parlé dans le temps de fon début
fur le théâtre de la Cour à Fontainebleau
, chanta Ufquequo , petit Motet de
feu M. MOURET. Dans le Concert du
Lundi elle chanta le récit Adorate eum du
Motet de M. DE LA LANDE. Le Public a
paru généralement confirmer les éloges
que nous avions donnés à la qualité de la
voix de cette Cantatrice , & defirer en
même temps , avec nous , qu'elle choiſit
les moyens les plus fûrs pour s'inſtruire
dans l'art d'en faire un uſage conforme à
la beauté de cet organe. Dans les mêmes
Concerts Mlle FEL & M. LE GROS ONE
AVRIL 1765 . 2.2.3
chanté admirablement Exultatejusti , Motet
à deux voix de M. DAUVERGNE. Ce
Motet, d'une compoſition ſavante & agréable
, produit le plus grand effet , & prêta
très - officieuſement aux talens & aux voix
des deux perfonnes qui l'exécutoient. M.
DurORT , de la Muſique de S. A. S. M.
le Prince de Conty , & M. Capron ont exécuté
ces deux jours des Sonates & Concerto
, l'un fur le violoncelle , & l'autre fur
le violon. Ces noms , connus aujourd'hui ,
diſpenſentde rapporter les applaudiſſemens
que reçoivent toujours leurs talens : mais
nous ne pouvons nous diſpenſer d'exhorter
tous les grands talens , fur quelqu'inftrument
que ce ſoit , à préférer de plaire à la
partie nombreuſe du Public , par de la
muſique agréable & intelligible , au vain
honneur d'étonner un petit nombre de
rivaux , ou de prétendus connoiffeurs , par
des difficultés , qui ne produiſent aux autres
qu'un jeu bizarre & confus de fons
auxquels , ni l'eſprit ni le coeur n'entendent
pas plus que les oreilles qui n'ont
pas lebonheurd'être totalement muſicales.
224 MERCURE DE FRANCE.
JA
APPROBATION.
,
'A Ilu par ordre de Monſeigneur le Vice-
Chancelier , le premier volume du Mercure du
mois d'Avril 1765 , & je n'y ai rien trouvé qui
puiſſe en empêcher l'impreſſion. A Paris , ce
premier Avril 1765 .
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
S
ARTICLE PREMIER.
UITE des recherches ſur la barbe..
VERS préſentés à Mile Clairon , & gravés à
la tête d'une contredanſe qui porte le nom
de cette célèbre actrice , &c .
A un Chanoine qui trouve mauvais de ce que
l'Auteur s'éloigne de lui au choeur.
Sur un bavard impitoyable.
Sur le Siège de Calais.
Pour l'ouverture d'un exercice littéraire foutenu
à Saint Hypolite en Languedoc le 30
Août 1764.
MADRIGAL à Mile F... G.
IMPROMPTU à une Dame qui demandoit à
l'Auteur pourquoi il n'aimoit pas une Dile
nommée Life.
19
20
2 1
ibid..
22
26
27
AVRIL 1765 . 225
EPITAPHE pour M. Rameau.
VERS à Madame Baur*** , fur ce qu'elle avoir
fait donner la liberté à un Noir....
MADRIGAL à M*** ſur ce qu'il ſe glorifioit
un jour d'être fidèle à ſon épouſe , qui
ibid.
ibid.
s'appelle Rofe. 28
SUITE des Lettres d'une jeune Etrangère , fur
quelques modes & uſages de France , &c. ibids
Le Papillon & la Fleur , fable . 37
VERS à la louange du Roi de Prufſſe.
VERS adreſſés à M. de Belloy , ſur ſa Traibid.
gédie du Siége de Calais. 39
A Madame D .......
41
LETTRE à M. de Belloy, auteur de laTragédie
du Siége de Calais. 47
Sur l'Amour. 53
LETTRE de M. de la Place, auteurdu Mercure ,
àMM. les Maire & Echevins de Calais. 54
56
LETTRE de M. de Belloy, auteurde la Tragédie
du Siège de Calais , à M. de la Place.
RÉPONSE de MM. les Maire & Echevins de
Calais , a M. de la Place , auteur du Mercure
de France.
LETTRE de MM. les Maire & Echevins de
Calais à M. de Belloy.
EXTRAIT des regiſtres des délibérations de
l'Hôtel commun de la Ville de Calais .
RÉFLEXIONS fur la cérémonie du jour des
Cendres , épître à M. l'Abbé Coppette , Docteur
de Sorbonne , &c.
ENVOI .
1
VERS mis , par un Amateur , au bas d'une
57
19
61
64
69
eſtampe de Mlle Clairon . 70
ENIGMES. 71&72
Meuneroux en Auvergne. ibid. 73& 74
LOGOGRYPHES. A Madame de la F..... aux
126 MERCURE DE FRANCE.
L'ECOLE des femmes , chanſon morale , imitéede
l'angloisde M. Garrick , &c.
ART. II . NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRE à M. de la Place , auteurdu Mercure,
fur quelques inſcriptions inférées dans le
Mercure de Novembre 1764 .
NOUVEAUX Eſſais en différens genres de littérature
; par M. de ***, &c.
▼
LES Aventures d''un jeunehomme, pour ſervir
75
77
81
97
deſupplément à l'hiſtoire de l'Amour , &c. 94
ANNONCES de livres .
Avis aux Amateurs de l'Hiſtoire de France. 132
Avis touchantdivers ouvrages qui ſe trouvent
à Paris, rue Saint Jacques , chez Paul-Denis
Brocas , Libraire , au chef St Jean , &c. 136
ART. III . SCIENCES ET BELLES- LETTRES .
ACADÉMIES.
EXTRAITdes ouvrages lus àla ſéance publique
de l'Académie des Sciences , Belles- Lettres
&Arts de Rouen , tenuele II Août , en
préſence de M. le Duc d'Harcourt , &c .
PROGRAME de l'Académie de Metz. L'Académie
Royale des Sciences & des Arts de
Metz propoſe , pour le Prix de cette année
1765 , de traiter du régime des bois &
forêts , le plus für & le plus utile à la
Province des Trois Evêchés.
140
158
SÉANCE publique de la Société Littéraire de
Châlons- fur-Marne. 159
ART. IV. BEAUX ART S
ARTS UTILES
STRONOMIE, 171
AVRIL 1765. 117
ARTS AGRÉABLES .
GRAVURE. ibid.
MUSIQUE . 173
ART. V. SPECTACLES.
SUITE des ſpectacles de la Cour , à Verſailles. 175
SPECTACLES de Paris. Opéra, 179
COMÉDIE Françoiſe. 18.6
EXAMEN du Siége de Calais , Tragédie , par
M. de Belloy. 195
LETTREdeM. deBelloy, auteur de la Tragédie
du Siége de Calais , à M. de la Garde ,
auteur du Mercure pour la partie des ſpectacles.
LETTRE de M. de Belloy à M. de Voltaire .
COMÉDIE Italienne .
CONCERT Spirituel , du Dimanche , 24 Mars ,
215
220
221
&du Lundi 25 , fête de l'Annonciation. 228
De l'Imprimerie de LOUIS CELLOT , rue
Dauphine.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO Ι.
AVRIL 1765 .
SECOND VOLUME.
Diverſité , c'est ma deviſe. La Fontaine.
Chez.
Cochin
Jaius iam
Papil Sculpe
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à -vis la Comédie Françoiſe.
PRAULT , quai de Conti .
DUCHESNE , rue Saint Jacques .
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , Imprimeur rue Dauphine
Avec Approbation & Privilège du Roi.
1
1
MERCURE
DE FRANCE,
DÉDIÉ AU RO Ι .
AVRIL 1765.
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'est ma deviſe. La Fontaine .
Cochin
Jajusiam
PapillonSculpe 715
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à- vis la Comédie Françoiſe.
Chez PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques .
✓ CELLOT , Imprimeur rue Dauphine
Avec Approbation & Privilège du Roi.
AVERTISSEMENT.
LEE Bureau du Mercure est chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer ,
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie littéraire ,
àM. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume est de 36fols ;
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour ſeize volumes ,
à raiſon de 30 fols piece.
Les perſonnes de province auxquelles
on enverra le Mercure par la Pofte ,
payeront pour ſeize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront d'autres voies que
la Poste pour le faire venir , & qui prendront
les frais du port fur leur compte ,
ne payeront comme à Paris , qu'à raiſon
de 30 fols par volume , c'est- à-dire , 24 liv .
d'avance , en s'abonnant pourſeize volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
'étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci-deſſus .
On supplie les personnes des provinces
d'envoyer par la Pofte , en payant le droit ,
leurs ordres , afin que le paiement en foit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
resteront au rebut.
On prie les perſonnes qui envoient des
Livres , Estampes & Muſique à annoncer
d'en marquer le prix.
د
Le Nouveau Choix de Pieces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M. DE
LA PLACE , ſe trouve auſſi au Bureau du
Mercure. Cette collection eſt compoſée de
cent huit volumes. On en prépare une
Table générale , par laquelle ce Recueil
ſera terminé ; les Journaux ne fourniſſant
plus un affez grand nombre de pieces pour
lecontinuer.
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL 1765 .
SECOND VOLUME.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LE Mausolée de M. le MARECHAL DUC
DE LUXEMBOURG , ode * .
DANS ce jour ſolemnel , où nos muſes en
pleurs ,
De leurs illuftres morts qélébrent la mémoire ,
Allons ſur ce tombeau répandre quelques fleurs ,
Et d'un vrai citoyen éterniſons la gloire .
* Lue à la féance publique de l'Académie des Sciences
Belles -Lettres & Arts de Rouen , le 11 Août 1764.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Avançons en filence au temple de la mort ,
Abaiſſons nos regards fur ces voûtes funèbres ;
Dans le fort d'un mortel contemplons notre fort ,
puiſons la vérité dans le ſein des ténèbres.
Ce touchant mauſolée élève juſqu'aux cieux
Des humaines grandeurs la pompe & la mifère :
Ce trophée , entouré d'un faſte ambitieux ,
D'armes & de faifceaux couvre un peude pouſſière.
Luxembourg de la mort a donc fubi les loix ,
Ses honneurs font tombés ſous le glaive funeſte.
De toutes les faveurs du meilleur de nos Rois ,
De l'éclat de ſon nom , voilà donc ce qui refte !
S'il n'eût été que grand , nous dirions : il n'est
plus.
Ce mot termineroit ſon obfcure exiſtence :
Mais à ſes dignités il joignoit des vertus ,
Er l'immonalité ſera ſa récompenfe.
Son pouvoir n'a fervi qu'à montrer ſa bonté ;
Cher à fon Prince , il fut père de la patrie :
Près du trône , conduit par la fidélité ,
Il y porta les voeux de ſa chère Neustrie .
Ses généreux bienfaits appelloient tous les ans
Dans ce temple des arts les amans de la gloire ,
Il couronnoit par nous tous les talens naillans ,
Et ſa préſence auguſte illuftroit leur victoire .
AVRIL 1765 . 7
L'utile Flore enſeigne en un riant jardin
A connoître , à choisir de ſalutaires plantes ;
Le ſcalpel , le compas , le pinceau , le burin ,
Sont conduits par les mains de nos muſes ſavantes .
Leurs élèves nombreux , dociles , affidus ,
Dans leurs brillans ſuccès égaleront leurs maîtres,
Et nos contemporains ne regretteront plus
Les fiécles décorés du nom de leurs ancêtres .
C'eſt vous , ô bienfaiteur ! ... ( 1 ) mais ce
triſte tombeau
D'une douce clarté ſe pare , ſe colore ....
Du ſéjour du trépas fort un aftre nouveau.
Quel est donc le ſoleil qu'annonce cette aurore ?
...
C'eſt lui .... Tel autrefois il parut parmi nous ,
Quand il vint préſider à cette aimable fète ;
Et lorſque ſous les traits du charmant dieu du
goût ,
De nos jeunes vainqueurs il couronnoit la tête .
<<< La louange ( dit - il ) eut peu d'attraits pour
>> moi ;
>> Si j'aimai la vertu , ce fut pour elle-même :
>> Protéger ma province auprès de fon grand Roi
>>>Fut monunique gloire & mon bonheur fuprême .
( 1 ) C'eſt à la protection & aux bienfaits de M.le Maréchal
que la ville doit l'établiſſement de pluſieurs priviléges
& manufactures , l'inſtitution de l'Académie , & les prix
qu'elle a diftribués tous les ans , les écoles de deffein , peinture
, architecture , anatomie , géométrie , botanique ,
&c.
t
A iv
8 MERCURE DE FRANCE .
>> L'avenir ſe dévoile.... Il offre àmes regards
>>>Un digne ſucceſſeur , .. un citoyen , .. un fage .
>> Il honore , il cultive à la fois tous les arts ;
2> Je monte vers les cieux , allez lui rendre
>> hommage >>
•
Luxembourg de nos coeurs reçut les tendres voeux .
HARCOURT, vous recevrez nos hommagesfincères ;
Puiffent nos defcendans les rendre à vos neveux
Tels que les ont rendus nos ayeux à vos pères.
Par M. l'Abbé YART , des Académies
de Rouen , de Caën & de Lyon.
VERSfur la mort de M. JORE , Secrétaire
Perpétuel de la Société Royale d' Agriculture
de RoUEN.
AIMABLE & tendre ami , bienfaifant citoyen ;
De notre agriculture & de notre induſtrie ,
Cher Jore , vous étiez le guide & le ſoutien
Vaus mourez ? ... que de pleurs verſera la patrie !
ว
Par le même.
AVRIL 1765 .
IDYLLE , traduite de MoSCHUS .
LA Reine de Cithère un jour perdit ſon fils.
Si quelqu'un par ſes ſoins , s'écrivit la Déeſſe ,
Trouve le fugitif que , cherche ma tendreſſe ,
Il aura pour ſalaire un baifer de Cypris ;
Qu'on me l'amène , & j'en donnerai mille.
Cet enfant dans la foule à connoître eſt facile ;
Sonteint n'eſt point de lys ; mais un feu féducteur
Enflamme fes regards ; fon diſcours eft flatteur ;
Souvent fon coeur dément ce que fa bouche exprime
,
Sa voix douce s'aigritquand ſon courroux l'anime.
De blonds cheveux flottans couvrent fon front
pervers ,
Et ſa main , quoique foible , atteint juſqu'aux
enfers.
Son ſein ſe montre à nu , mais ſon âme eſt voilée :
Comme unoiſeau , ſon vol le tranſporte en tous ,
lieux ,
Ses dards vont fans effort à la voûte étoilée ,
Il en a d'enchanteurs & de ſéditieux ;
L'or brille en ſon carquois ; mais les fléches qu'il
lance
Bleſſent tous les mortels : moi , dont il prit naif
fance,
Av
10 MERCURE DE FRANCE.
J'en ai fenti l'atteinte , & fon léger flambeau
Brûle le ſoleil même... Ah ! fi de ce tableau
Vous retrouvez l'objet , rendez- moi ſa préſence ;
Sans pitié pour ſes pleurs , donnez- lui des liens ;
Dans ces liens encor redoutez ſa puiffance .
'Redoutez ſes poiſons s'il vous promet des biens ;
Si le traître ſourit , ſoyez fûr qu'il vous trompe ;
Reſſerrez bien ſes fers , de peur qu'il ne les rompe .
S'il vous offre un baifer , craignez en la douceur ,
Les flammes qu'il répand embraſent la nature .
S'il dit prenez ce trait , il vient de mon armure ;
Gardez-vous d'y toucher , c'eſt un préſent trompeur.
IDYLLE , traduite de BION.
BELLI
4
ELLE Vénus , fille des mers ,
Pourquoi mettez-vous en furie
Les cieux , la terre & les enfers ?
Votre fils au plaifir convie :
D'où vient a-t- il votre fierté ?
Pourquoi montre- t - il un génie,
Si différent de ſa beauté ?
Ah ! pourquoi porte-t- il des aîles ,
Et de loin lance-t-il fur nous
Des fléches trop ſouvent mortelles ?
Sans doute il veut qu'aucuns rebelles
N'en puiſſent éviter les coups.
AVRIL 1765 . 11
S
IDÉE d'un bon Peintre.
I l'on peignoit l'Honneur François ,
Je voudrois qu'il fût ceint d'une écharpe éclatante,
Qu'autour d'une taille élégante
Les amours renoiroient fans faſte & fans apprêts .
Ses yeux feroient brillans d'une douce allégrefle ;
Ses longs cheveux , négligemment épars ,
Ne feroient point treſſés des mains de la moleffe :
On reconnoîtroit Mars au feu de ſes regards .
A la victoire il ſembleroit ſourire ;
Ses grâces même auroient un air guerrier :
D'une main il tiendroit des branches de laurier
Et de l'autre des fleurs pour le ſein de Thémire.
On verroit fur fon front reſpirer la candeur :
Sans être interdite & troublée ,
L'infortune à ſes pieds connoîtroit le bonheur ,
Et d'avec lui fortiroit confolée .
On repréſenteroit des fiéges , des combats
Autour de cette auguſte image :
Elle peindroit l'amour , la vertu , le courage ,
Et le nomde B.... ſeroit écrit au bas.
Par M. DORAT .
A vj
1.2 MERCURE DE FRANCE.
L'AFFLICTION raisonnable..
PRÈS de Lubin mourant
Alix ſe lamentoit ;
Lubin , en ſoupirant ,
Son épouſe imitoit
Et le Curé , tout bas ,
Marmottoit pour antiènne :
<< Lubin , craint le trépas ;
» Alix , qu'il n'en revienne » .
D. L. P.
VERS pour le portrait de M. DE BELLOY,
auteur de la Tragédie du Siége de Calais.
L'HONNEUR
'HONNEUR & la vertu dicterent ſon ouvrage ;
Son eſprit fut pour nous l'interprête du coeur :
Du Monarque & du Peuple il obtint le ſuffrage ,
Et la poſtérité verra dans cet Auteur
L'excellent Citoyen , le Poëte & le Sage.
Par M. M ...
AVRIL 1765 . 13
JUGEMENT de SHAKESPÉAR dans la
Rofciade , poëme fatyrique contre les
Acteurs de Londres , par M. CHUR
CHILL. Texte.
Si un ſens male , fi la nature jointe avec
Fart , fi une profonde connoiſſance du
coeur humain , ſi la puiſſance la plus vaſte ,
la plus illimitée de l'action , ſi les moindres
défauts & les plus grandes beautés , fi
l'expreffion forte & le pouvoir étrange
placés dans le cercle magique de l'oeil , fí
une ſenſibilité dont peu de coeurs font
capables comme le tien ,& que tout autre
viſage ne peut rendre , méritent la préférence
, Garrick , place- toi fur le trône &
n'en deſcend que pour le céder à ton égal.
IMITATION libre de ce morceau , par
M. MARMONTEL , de l'Académie
Françoise.
SI d'un ſens mâle & für la juſteſſe hardie ,
Si la nature & l'art , dans un parfait accord ,
Si du coeur des humains l'étude approfondie ,
Si de l'illuſion le charme le plus fort ,
14 MERCURE DE FRANCE.
Si l'action préciſe , éloquente , énergique ,
Des grandes paſſions ſi le rapide jeu
Placé dans le cercle magique
D'un oeil où tout ſe peint avec des traits de feu ,
Si le don d'émouvoir , même par le filence ,
Si le don de ſentir dans le plus haut degré
De juſteſſe & de violence ,
Et de l'exprimer à ſon gré ;
Si ce trouble effrayant, ces remords & ces craintes
Dont peu de coeurs , comme le tien ,
Eprouvent les vives atteintes ,
Etdont nul autre n'a fi bien
Porté fur le front les empreintes ;
Si ce rare affemblage a mérité le prix ,
Ilt'appartient , Garrick ; c'est moi qui te le donne.
De mes lauriers , ſans toi fur ma tombe flétris ,
Ma main te doit une couronne.
Tu n'eus point de modèle , & n'as point de rival .
Viens occuper le trône élevé fur ma cendre ;
Et fi je te ſuis cher , attends pour en deſcendre ,
Que la nature enfin produiſe ton égal.
AVRIL 1765 . 15
CONSIDÉRATIONS fur les causes de la
corruption de l'éloquence .
ATHENES étoit menacée de perdre fa
liberté , Philippe corrompoit les citoyens
de cette fameuſe République , afin de les
fubjuguer plus fûrement ; Démosthènes
'élève la voix : cet orateur vaut une armée
aux Athéniens , & retarde , preſque malgré
eux, le momentde leur eſclavage. Tel eft
le pouvoir de l'éloquence. Perdu de vices
& de dettes , n'ayant de reſſources que
dans la ruine de ſa patrie , Catilina en
médite le renverſement : l'Orateur- Conful
découvre ſes affreux projets , il tonne
fur les coupables ; les conjurés tremblent ,
&leur chef même fuit précipitamment de
cette ville , qu'il ſe croyoit prêt d'aſſervir.
Voilà les triomphes de cet art, que nous
ne connoiffons preſque plus que par les
chefs-d'oeuvres des anciens orateurs. Quelle
en eſt la cauſe ? c'eſt ce que je vais tâcher
d'expofer.
Les premiers modèles d'éloquence qui
nous foient parvenus nous ont été tranfmis
par les Grecs. Cette nation , enrichie de
toutes les connoiſſances que ſes ſages
16 MERCURE DE FRANCE.
avoient été puiſer en Egypte , & qu'ils
avoient eux-mêmes perfectionnées , devenoit
le centre , & comme la patrie des
beaux arts : aſyle des philoſophes , qu'elle
perfécutoit quelquefois , elle l'étoit auffi de
touslestalens,qu'elle encourageoit toujours
par les honneurs qu'elle décernoit à ceux
qui les poffédoient. Naturellement porté
à la curiofité , avide de ſavoir , preſque
toujours oifif , le peuple même étoit inftruit
; & fi la nature du gouvernement ne
l'exigeoit pas , au moins elleycontribuoit
beaucoup ; elle aidoit fur-tout au progrès
de l'éloquence , dans un pays où toutes
les grandes affaires ſe traitant devant la
multitude , leur fuccès dépendoit prefque
toujours de l'art qu'on mettoit à les
développer : le grand nombre eſt bien
plutôt entraîné par les grâces du diſcours
que par la force des raiſonnemens. Ceux-ci
convainquent les ſages , mais celles - là
perfuadent le peuple : il faut des fyllogifmes
dans le cabinet , &des fleurs dans la
tribune. Aufli Démosthènes mêloit- il à la
folidité d'un génie mâle & tranſcendant ,
les agrémensd'un eſprit infinuant& fleuri :
il ſavoit également lancer la foudre & répandre
des fleurs ; toujours noble , fouvent
fublime , il réuniſſoit l'art d'élever
ſes auditeurs juſqu'à lui , & celui de s'aAVRIL
1765. 17.
baiffer juſqu'à eux. Politique profond , it
connoiffoit auffi bien le Monarque contre
lequel il tonnoit , que le républicain dont
il défendoit la liberté ; digne en un mot
de triompher d'un rival , qui ſans lui n'en
auroit point eu ( 1 ) , il fut l'admiration de
fon fiécle , & le modèle de tous les orateurs
qui l'ont ſuivi. Mais auſſi quelle vaſte carrière
s'ouvroit à ſon génie ! quel champ
pour cette éloquence rapide , à laquelle
rien ne réſiſtoit ! quelle gloire pour l'orateur
! quel prix pour le citoyen! Défendre
la liberté de fa patrie , montrer aux Athéniens
les chaînes qu'on leur prépare , ranimer
leur vertu par l'affreux tableau de
l'eſclavage , fixer ſur foi les yeux de la
Grèce entière , combattre ſeul un Roi
puiſſant& habile , découvrir & ruiner ſes
projets , le forcer de vous craindre & de
vous admirer , mériter enfin la reconnoiffance
de ſes compatriotes , les fuffrages de
tous les Grecs , & l'eſtime înême de Philippe
; telles étoient les vues qui devoient
enflammer Démosthènes , en compoſant fes
fameuſes harangues contre les Macédoniens.
Qu'un pareil adverfaire à combattre ,
&une telle cauſe à défendre , donnent de
reffort au génie ! Combien d'idées naiſſent
en foule dans une imagination échauffée
(1 ) Voyez la fameuſe harangue de Corana.
18 MERCURE DE FRANCE.
par de femblables motifs ! Tout concourt
à élever l'âme , à lui faire déployer toutes
fes facultés , à tranſporter ( fi j'ofe m'exprimer
ainfi ) l'orateur au- deſſus des autres
hommes , dont il va régler ladeſtinée.
Oui , le défenſeur d'Athènes , déconcertant
du haut de la tribune les projets ambitieux
d'un Monarque redoutable , me
paroît un être plus qu'humain. Prêt à fixer
le fort d'un peuple immenſe , ſes regards
éblouiffent comme l'éclair , ſa voix éclate
comme la foudre ; il étonne , il perfuade ,
il entraîne tous les eſprits.
Aufſi impétueux , moins égal , Péricles
feroit peu inférieur à Démosthènes ſi l'ardeur
de fon imagination fougueuſe eût
toujours été guidée par le goût inimitable
de ce dernier. Je pourrois parler encore
d'Efchine , d'Ifocrate , &de tant d'autres
orateurs fameux , dont la Grèce ſe glorifie ,
mais je me contenterai de remarquer qu'ils
ont tous vécu fous un gouvernement républicai'n;
que nulle monarchie de ce rempslàn'en
a produit , &qu'enfin Sparte même ,
quoique république , ne nous a tranfmis
aucun morceau célèbre d'éloquence , parce
que fon gouvernement n'étoit point de
nature à la faire fleurir. Les grands motifs
font les grands hommes , & l'art oratoire
n'acquérera jamais un certain degré de
AVRIL 1765 . 19
perfection dans un pays où les orateurs
n'auront à traiter que des ſujets médiocres
&peu intéreſſans.
Deplus, la conſidération que l'éloquence
donnoit chez les Grecs ne contribuoit pas
peu à la faire cultiver. Tel qu'un Général ,
qui d'un mot fait mouvoir des milliers
d'hommes , dont il diſpoſe à fon gré , l'orateur
change en un inſtant & dirige les
eſprits de tout un peuple : que dis-je , fon
-pouvoir eſt encore bien plus étendu. Celui-
là l'exerce ſur les corps , &celui- ci fur
les efprits ; l'un commande , l'autre perfuade
; on obéit aux ordres du Général ,
on eſt entraîné par le génie de l'orateur.
De quelle eſtime ne devoit donc pas jouir
un citoyen qui pouvoit , pour ainſi dire ,
faire changer la face de la République ;
&de quel poids ſon fuffrage n'étoit- il pas
dans les délibérations !De pareils hommes
font au moins reſpectés du peuple , s'ils
n'endeviennentpasmêmel'idole,& craints
des Magiftrats , s'ils n'en font pas les oracles.
Le fiécle qui les poſſéde leur doit des
ſtatues, & la poſtérité qui les regrette , un
tribut éternel d'admiration , quand la vertu
la plus pure réglant l'emploi de leurs talens
, ils n'ont élevé la voix qu'en faveur
de la liberté opprimée ou de l'innocence
prête à fuccomber. Mais fi , prêtant des
20 MERCURE DE FRANCE.
charmes ſéducteurs au crime , & des couleurs
trompeuſes à l'eſclavage, ils ontvendu
leur appui à l'iniquité & rabaiflé la majefté
del'éloquencejuſqu'à favorifer la tyrannie ;
la honte & le mépris doivent être la moindre
punition de pareils citoyens que leurs
talens ne rendent que plus dangereux. Je
terminerai ces réflexions ſur l'état de l'éloquence
chez les Grecs , en remarquant
qu'ils étoient tellement paſſionnés pour les
harangues , que les poëtes tragiques en
mettoient ſouvent d'aſſez longues dans la
bouche de leurs héros , & dans des ſituations
où elles nous paroîtroient aujourd'hui
fort déplacées. Sans parler d'Efchyle, l'inventeur
du dialogue , mais qui n'avoit pas
encore trouvé l'art de le perfectionner en
le coupant , Sophocle , le fublime Sophocle,
ſemble quelquefois faire céder la vivacité
d'action , qui fait l'âme de ſes tragédies
, au plaifirde faire haranguer ſes héros.
Euripide n'eſt pas non plus exempt de ce
défaut ; ce qui le rend encore plus ſenſible
, c'eſt les ſentences qu'il fait à tout
moment débiter à ſes acteurs., preuve bien
évidente du goût général que la Grèce
avoit alors pour les maximes de morale &
les déclamations oratoires.
Les premiers fiécles de la République
romaine s'étoient écoulés dans le tumulte
(
AVRIL 1765. 21
de la guerre. Cette nation , deſtinée à
l'empire de l'univers , s'étoit vue tour à
tour eſclave fous des Rois , libre ſous des
Confuls , tyranniſée par des Décemvirs ,
& fubjuguée , pour ainſi dire , par des
Tribuns ; & les troubles perpétuels qui
l'avoient agitée n'avoient pas favorisé l'établiſſement
des lettres dans un pays où
les bons citoyens n'étoient occupés qu'à
défendre leur liberté , & les mauvais qu'à
fomenter les diſſenſions , ou à en faire
naître de nouvelles. Mais lorſque le gouvernement
prit une forme fixe & confiftante
, lorſque la puiſſance romaine s'accrut
, & qu'une ville , qui n'étoit d'abord
qu'un aſylede brigands , devint la maîtreſſe
de l'Italie ; lorſque , dis-je , la tranquillité
ſe rétablit dans l'état , l'on vit auſſi - tôt
accourir du fond de la Grèce les beaux
arts , & fur-tout l'éloquence , cette divinité
chérie des républicains ; tout prit dans
Rome une forme nouvelle. L'urbanité ,
compagne inféparable des belles- lettres ,
tempéra l'auſtère rudeſſe des moeurs guerrières
; l'amour de la liberté reſta : mais ,
dépouillé de je ne ſais quelle férocité qui
l'accompagne preſque toujours chez les
peuples qui fortent de l'eſclavage , ou qui
craignent d'y rentrer , le langage ſe polit
22 MERCURE DE FRANCE.
& ſe perfectionna ; les coeurs devinrent
plus ſenſibles fans être moins mâles ; les
efprits gagnerent de la délicateſſe ſans perdre
de leurvigueur : en un mot , les ſciences
firent chez les Romains des progrès fi
rapides , qu'ils parvinrent bientôt au point
d'éclairer par leur génie le monde qu'ils
fubjuguoient par leur valeur, & d'étendre
auffi loin leurslumières que leurs conqueres .
A plufieurs célèbres orateurs , dont la
mâle éloquence avoit déja illustré la tribune
de Rome , l'on vit fuccéder Cicéron ,
digne émule de Démosthènes , & par le
génie qui l'éleva aux premieres dignités de
Ia République , & par l'ennemi qu'il eut ,
à combattre ( 2 ) . Protecteur généreux de
la vertu opprimée , ami tendre , citoyen
zélé , il éleva tour à tour la voix pour
l'innocence , l'amitié & fa patrie. Quelle
adreſſe , quelle force de raiſonnement dans
fes harangues célèbres , où il défend d'infortunés
citoyens , accablés fous le poids
de la violence & de l'iniquité ! quelle nobleffe
, quel art dans celles où il accufe un
(2) On me reprochera peut- être d'avoir paffé
fous filence pluſieurs orateurs célèbres chez les
Grecs & les Romains ; mais comme je ne fais
point l'hiſtoire de l'éloquence , & que je ne recherche
que les cauſes de fa corruption , j'ai pu ne
m'arrêter qu'aux orateurs les plus connus .
AVRIL 1765 . 23
Proconful avide & puiſſant , dont les crimes
deshonoroient la République & combloient
la ruine d'une de ſes meilleures
provinces! quelle majesté , quel feu , quelle
rapidité d'éloquence dans ſes difcours foudroyans
, qui briſerent les chaînes dont
Kome étoit prête à être chargée ! Il est vrai
que le génie d'aucun orateur ne fut jamais
enflammé par des motifs plus puiffans.
Rome prête à périr , des citoyens menacés
de la mort & de l'esclavage , la vie de fes
proches & la fienne même en danger , la
haine la plus invétérée contre le coupable ;
tels étoient les objets dont le tableau devoit
échauffer l'imagination de Cicéron. Quelle
ſituation , quel ennemi à repouffer , quelle
cauſe à défendre ! Mériter le nom de ſauveur
de la patrie , ou la voir écrafée fous
ſes ruines ; en être le premier citoyen , ou
tomber d'une même chûte avec elle ; lui
conferver fa liberté , ou fubir foi-même le
joug le plus honteux ; ſauver les jours de
fes amis & de ſes compatriotes , ou rifquer
de terminer les fiens dans les fupplices
; arriver au plus haut point de gloire ,
ou refter bientôt dans l'oubli ; fatisfaire fa
haine fans bleſſer ſa vertu & fon ambition
en ſervant la République , ou demeurer
la victime des fureurs de fon ennemi :
voilà fans doute de quoi vivement agiter
24 MERCURE DE FRANCE.
tous les refforts d'une grande âme , &
l'élever au degré le plus fublime où elle
puiffe atteindre. Auſſi les Catilinaires fontelles
regardées comme un des chefs-d'oeuvre
de l'art oratoire. Aufſi vit - on le chef
audacieux des conjurés trembler devant
l'orateur & quitter Rome auffi- tôt ; & ce
que n'auroient peut- être point fait la politique
la plus confommée & la valeur la
plus héroïque , un ſeul homme l'exécuta
par la force de fon éloquence.
Les Romains ne conſerverent pas longtemps
cette liberté que Ciceron avoit fi bien
défendue. Des ennemis plus dangereux ,
parce qu'ils furent d'abord plus cachés ,
renverferent bientôt la République , dont
ils ſe diſoient tous deux les appuis , & ruinèrent
leur patrie en prétendant la défendre.
Dans un état agité de ſecouſſes auffi
violentes , les beaux arts devoient être
peu cultivés , la vraie éloquence devoit
être anéantie ; elle ne dut point renaître
ſous les Empereurs : la forme du gouvernement
étoit changée , l'ombre même de la
liberté ne ſubſiſtoit plus. Ily eut des poëtes
célèbres , des hiſtoriens éclairés , des philofophes
profonds ; il n'y eut plus d'orateurs.
Le ſiècle d'Auguſte , ſi fécond en
grands hommes dans tous les genres de
Littérature , n'en produifit aucun , & l'éloquence
AVRIL 1765 . 25
quence fut enfevelie ſous les ruines de la
liberté . L'ambition & la gloire trouverent
d'autres moyens de ſe ſatisfaire , & ces
deux mobiles n'excitant plus la jeuneſſe à
cultiver l'art oratoire , il dut néceſſairement
être négligé. En effet , quels objets
pouvoient engager un jeune Romain à
marcher ſur les traces des Démosthènes &
des Cicéron ? l'eſpérance d'arriver aux premieres
dignités de l'état ? elles étoient vendues
aux richeſſes , ou données à la faveur :
l'envie de ſe faire des admirateurs & des
partiſans dans le peuple ? c'eût été travailler
foi-même à ſa ruine , en ſe rendant fufpect
au ſouverain : le deſir de ſe rendre
utile à ſa patrie ? l'éloquence n'étoit plus
un moyen d'y parvenir ; les cauſes ne ſe
plaidoient plus devant le peuple. En vain
un orateur auroit-il élevé la voix en faveur
de l'innocence ou de la liberté : ſes efforts
auroient été infructueux ou punis. Les
lettres étoient cependant toujours cultivées.
La philoſophie fur - tout ſembloit avoir
quitté la Grèce pour Rome , & le goût de
l'étude embraſſant tous les genres , ne put
ſe réſoudre à abandonner totalement celui
qui venoit d'être porté preſqu'à ſa perfection.
Aux véritables orateurs ſuccéderent
donc les théteurs ou déclamateurs : l'eſprit
ſeul eut part à leurs productions ; nuls
Vol. II. B
26 MERCURE DE FRANCE.
grands motifs n'échaufferent leur génie ,
&leurs ouvrages manquerent néceſſairement
de cette chaleur qu'inſpirent les
grands objets que l'on a à traiter. Je ne puis
en apporter une preuve plus convainquante
'qu'enjettant un coup d'oeil fur Sénéque, ce
philofophe , qui , au ſein de l'abondance ,
déclamoit fans ceſſe contre les richeſſes .
Ce Rhéteur , qui compofoit exprès des
amplifications pleines d'antithèſes & de
faux brillans , pour déplorer la perte du
ſtyle ſimple & naturel ; panégyriſte du
bon goût , qu'il contribuoit lui-même à
bannir , il devint le modèle des déclamateurs.
Mais froids copiltes d'un modèle
dont l'imagination vive & échauffée le
maîtriſoit , ils coururent fans ceffe après
T'eſprit : auffi les vit-on ne propoſer que
des énigmes au lecteur , en prétendantlui
offrir des penſées fines & recherchées. Si
Pline ne s'étoit formé que fur de ſemblables
modèles , nous n'aurions pas fansdoute
cette harangue , preſque digne d'un meilleur
temps ; ce morceau , le plus achevé
defon genre qui ſoit paffé à la poſtérité , le
panégyrique de Trajan . On y admire avec
raiſon les grâces , & même la force de
l'expreffion , la fineſſe des louanges , la
variété des tableaux , & fur- tout l'art bien
peu connu de flatter fans baffeffe ,
2
:
&de
AVRIL 1765. 27
louer fans fadeur. Il eſt certainement bien
adroit d'avoir écarté d'un difcours auffi
long le froid preſqu'inſéparable des éloges ,
& c'eſt peut- être le ſeul panégyrique que
la poſtérité relira toujours avec plaifir.
Mais en même temps , qu'il fait regretter
que fon auteur n'ait pas vécu dans les fié
cles brillans de la République ! au lieu du
bel eſprit qu'il affecte quelquefois , fon
ſtyle eût été moins foigné, mais plus noble,
ſes penſées moins recherchées , mais plus
élevées , ſes expreffions plus fimples & plus
fublimes : il eût évité les phraſes obfcures ,
les antithèſes trop fréquentes ; en un mot,
tous les faux brillans qui déparent un difcours
au lieu de l'embellir , & ce froid
enthouſiaſme de l'eſprit, ſi inférieur à la
vraie chaleurdugénie : dans d'autres temps
enfin Pline eût été un orateur. Son fiécle
étoit celui de la déclamation , & il faut
convenir que dans ce genre nous ne lui
connoiffons point de ſupérieur, ni même
d'égal parmi les Romains.
La décadence de leur empire entraîna
celle des lettres : les peuples qui le dévafterent
n'épargne rent aucuns monumens des
beaux arts , & toute l'Europe fut replongée
dans l'ignorance & la barbatie : les
traces mêmes du bon goût furent effacées ,
& pour long-temps ; & tout dans cette
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
partie du monde ſe reſſentit de la férocité
de ſes nouveaux vainqueurs. Les hommes
n'étoient pourtant pas changés de nature ,
& il y en eut toujours à qui leurs lumières
naturelles firent deſirer d'en acquérir de
nouvelles , & de cultiver leur eſprit par
l'étude ; mais malheureuſement pour eux
ils manquerentde guides : le mauvais goût
du ſiècle les entraîna , & leurs travaux
n'ayant que des objets ſtériles & vains ,
leur ſcience fut pédanteſque & futile : des
diſputes grammaticales ou théologiques ,
des recherches de peu d'importance , une
philofophie toute hériffée de grands mots ,
&ſouvent vuide de ſens , des commentaires
, quelquefois plus obſcurs que le texte ,
des poéſios groſſières ou puérilement entortillées
; voilà tout ce qui nous reſte de ces
temps de ténébres & d'ignorance , voilà
les productions des plus beaux eſprits qu'ils
aient eus. Il fallut une longue ſuite de fiécles
pour ramener peu à peu le bon goût ,
oublié depuis ſi long-temps. Il commença
àreparoître en France ſous François I ; on
le vit fur-tout renaître dans les poéſies de
Marot , le modèle de la naïveté & du naturel
: il ſe montra moins dans les autres
genres. On n'étoit pas revenude lamanie
du pédantiſme , & il ne falloit encore ,
pour acquérir la réputation de ſavant ,
AVRIL 1765. 29
qu'avoir mérité celle de compilateur. Il
faut cependant convenir que la république
des lettres doit beaucoup au travail de
ceux mêmedont on ne litplus les ouvrages.
Ilsnous ont épargnéde longues& ennuyeufes
recherches , ils ont fervi à nous éclairer
furpluſieurs objets intéreſſans ; en un mot,
ilsont contribué à former des hommes qui
les ont éclipfés , mais qui leur doivent une
partie de leur gloire.
Je paſſe rapidement ſur les ſiécles qui
ſe ſont ſuccédés après la renaiſſance des
lettres : celuide Louis XIV, le plus fertile`
en grands homines dans tous les genres ,
a-t-il réellement produit de vrais orateurs ?
c'eſt ce que je vais examiner. Le paradoxe
paroît fans doute bien fort; il eſt témé
raire , j'en conviens , de mettre en queſtion
fi les Bourdaloe , les Boſſuet , les Talon ,
&tous les hommes célèbres qui ont illuftré
la chaire & le bareau , méritent le nom
d'orateurs : mais qu'on ſe ſouvienne de la
diſtinction que j'ai faite de l'orateur & du
déclamateur. Qu'on daigne peſer un moment
avec moi les raiſons qui m'engagent
à regarder l'éloquence de l'un ou de l'autre
comme très-differente , & l'on m'accordera
au moins que le ſentiment que j'avance
n'eſt point injurieux à la mémoire de ces
grands hommes.
B. iij こ
30 MERCURE DE FRANCE,
Je crois avoir fait entendre , & je vais
eſſayer de le prouver , que nulle Monarchie
ne peut produire de vrais orateurs ,
& que même toute République où les
affaires ne ſe traiteront pas en public ne
peut eſpérer d'en avoir. Si je joins les faits
aux raiſonnemens , j'aurai réuffi ; & ce qui
paroiſſoit un paradoxe , deviendra une vérité
démontrée. Quels font les peuples qui
nous ont tranfimis ces harangues , que la
poſtérité regardera toujours comme les
chefs-d'oeuvre de l'art oratoire ? les Athéniens
& les Romains. Et dans quels fiécles
ont vécu les Démosthènes & les Ciceron ?
tous deux fous le règne de la liberté ,
tous deux dans des temps où elle étoit
menacée. Quel concours de circonſtances
femblables , quelle conformité de motifs
propres à enflammer leur génie ! Sparte
avoit produit des légiflateurs &des philofophes;
Thèbes ſe glorifioit d'avoir donné
la naiſſance à Epaminondas & Pelopidas .
Chaque contrée de la Grèce nommoit
parmi ſes citoyens les Thalès , les Bias ,
lesAnaxagoras , les Diogènes , les Homère ,
les Pindare , les Sapho , les Theocrites ,
&tantd'autres philoſophes ou poëtes illuftres
, dont les noms ne feront jamais enſevelis
dans l'oubli ; mais Athènes ſeule avoit
porté dans ſon ſein les Périclès , les Iſocrate
, les Demades , les Eſchines & les
AVRIL 1765. 3,1
Démosthènes. Athènes ſeule faiſoit paffer
ſes généraux du champ de bataille dans la
tribune. Sans parler de Phocion , que Dé--
mosthènes appelloit la hachede ſesdifcours ;
de Nicias , qui malgré fon éloquence ne
put empêcher le peuple de lui confier la
conduite de la guerre de Sicile , dont il
cherchoit à le diſſuader ; de Périclès , qui
gouvernoit la multitude par ſes harangues ,
les grands par fon crédit, l'armée par fon
génie , &s'étoit preſque rendu l'arbitre de
laGrèce ; fans parler , dis-je , des Miltiades,
des Thémistocles , nevit-on pas Alcibiade ,
le voluptueux Alcibiade , réunir les talens
oratoires aux militaires , & changer en un
moment les diſpoſitions du peuple en faveur
des Lacédémoniens? alliés d'Athènes,
ils ſe plaignent de ſes liaiſons avec les
Phocéens : Nicias introduit les Ambaſſadeurs
de Sparte dans le Sénat ; on les écoute,
on leur accorde tout : l'approbation du
peuple manque encore au décrét , mais
Nicias promet ſon crédit & répond du
fuccès. Que fait Alcibiade ? politique , il
trompe & amuſe les Lacédémoniens : orateur
, il enflamme le peuple & fe fait donner
le commandementde l'armée: général ,
il remporte fur eux des victoires complettes.
Rome ne le céda point à Athènes : elle
eut comme elle de grands généraux & de
Biv
30 MERCURE DE FRANCE,
Je crois avoir fait entendre , &je vais
eſſayer de le prouver , que nulle Monarchie
ne peut produire de vrais orateurs ,
& que même toute République où les
affaires ne ſe traiteront pas en public ne
peut eſpérer d'en avoir. Si je joins les faits
aux raiſonnemens , j'aurai réuffi ; & ce qui
paroiſſoit un paradoxe , deviendra une vérité
démontrée. Quels font les peuples qui
nous ont tranfimis ces harangues , que la
poſtérité regardera toujours comme les
chefs-d'oeuvre de l'art oratoire ? les Athéniens
& les Romains. Et dans quels fiécles
ont vécu les Démosthènes & les Ciceron ?
tous deux ſous le règne de la liberté ,
tous deux dans des temps où elle étoit
menacée. Quel concours de circonftances
femblables , quelle conformité de motifs
propres à enflammer leur génie ! Sparte
avoit produit des légiflateurs & des philofophes;
Thèbes ſe glorifioit d'avoir donné
la naiſſance à Epaminondas & Pelopidas .
Chaque contrée de la Grèce nommoit
parmi ſes citoyens les Thalès , les Bias ,
lesAnaxagoras , les Diogènes , les Homère ,
les Pindare , les Sapho , les Theocrites ,
&tant d'autres philoſophes ou poëtes illuf
tres , dont les noms ne feront jamais enſevelis
dans l'oubli ; mais Athènes ſeule avoit
porté dans ſon ſein les Périclès , les Ifocrate
les Demadès , les Eſchines & les
AVRIL 1765. 3,1
Démosthènes. Athènes ſeule faifoit paffer
ſes généraux du champ de bataille dans la
tribune. Sans parler de Phocion , que Démosthènes
appelloit la hachede ſes diſcours ;
de Nicias , qui malgré fon éloquence ne
put empêcher le peuple de lui confier la
conduite de la guerre de Sicile , dont il
cherchoit à le diſſuader ; de Périclès , qui
gouvernoit la multitude par ſes harangues ,
les grands par fon crédit , l'armée par fon
génie , &s'étoit preſque rendu l'arbitre de
laGrèce ; fans parler , dis-je , des Miltiades,
des Thémistocles , ne vit- on pas Alcibiade ,
le voluptueux Alcibiade , réunir les talens
oratoires aux militaires , & changer en un
moment les diſpoſitions du peuple en faveur
des Lacédémoniens? alliés d'Athènes,
ils ſe plaignent de ſes liaiſons avec les
Phocéens : Nicias introduit les Ambaſſadeurs
de Sparte dans le Sénat ; on les écoute ,
on leur accorde tout : l'approbation du
peuple manque encore au décrét , mais
Nicias promet ſon crédit & répond du
fuccès. Que fait Alcibiade ? politique , il
trompe & amuſe les Lacédémoniens : orateur
, il enflamme le peuple & ſe fait donner
le commandementde l'armée : général ,
il remporte fur eux des victoires complettes.
Rome ne le céda point à Athènes : elle
eut comme elle de grands généraux & de
Biv
32
MERCURE DE FRANCE.
célèbres orateurs ; comme elle , elle compta
pluſieurs citoyens qui réunirent les talens
oratoires avec les militaires , parce que
fon gouvernement étoit de même nature ,
ou du moins que l'éloquence contribuoit
autant à donner du crédit que les armes.
Ces faits , conſignés dans l'hiſtoire , ne
pouvant être révoqués en doute , difcutons
un moment les raiſons qui me portent à
établir le trône de l'éloquence dans les
Républiques , & à la bannir , pour ainſi
dire , des Monarchies .
Il n'en eſt point de l'art oratoire , confidéré
ſous les points de vue où je l'ai
préſenté juſqu'ici , comme des autres arts :
ils fleuriront fans doute dans tous les pays
où ils feront encouragés ; la forme du
gouvernement ajoutera peu à leur ſplendeur
, il leur fuffit de ſa protection. Mais
un gouvernement purement monarchique
voudra en vain protéger l'éloquence ; fes
bienfaits ne tomberont que fur des déclamateurs.
Je vais plus loin ; s'il ſe formoit
dans ſon ſein un orateur , ce ſeroit un
homme dangereux. L'art des Démosthènes
& des Ciceron doit être exercé par des
hommes d'état ; mais le conſeil du Prince
n'admet point de harangues , elles ne font
faites que pour la tribune.
Dans l'âge où les germes du génie com
AVRIL 1765 . 33
mencent à ſe développer dans un homme ,
trois motifs peuvent le porter à s'appliquer
àun objet plutôt qu'à un autre : le defir
de la gloire , l'intérêt, la protection accordée
à l'art qu'il veut choiſir. Or , l'éloquence
n'offre dans un état monarchique
aucun but à l'ambition , à l'intérêt , à l'émulation
: l'inégalité de ces conditions
interdit au peuple l'eſpérance d'arriver aux
honneurs , & ouvre aux grands d'autres
voies pour y parvenir. Les loix ont des
interprètes plutôt que des défenſeurs : les
affaires les plus importantes ſe traitent par
écrit , & enfin le gouvernement ſuſpecteroitavecraiſon
quiconque choiſiroitmême,
pour être utile à la patrie , d'autres routes
que celles qu'il preſcrit. Quelle carrière
peut donc parcourir un orateur ? dans quel
champ peut-il illuſtrer ſes talens ? la chaire
& le bareau lui reſtent , j'en conviens :
mais l'une & l'autre ne fourniſſent qu'à la
déclamation ; l'une & l'autre ne peuvent
produire que des Rhéteurs. Il eſt ſansdoute
bien doux pour l'humanité d'avoir à défendre
la fortune & la vie des citoyens , &
de faire triompher la vérité déguiſée par
l'injustice , ou l'innocence accablée par
l'iniquité ; mais les moyens qu'offre pour
yparvenir le gouvernement monarchique ,
fourniffent bien peu à la véritable clo-
By
34 MERCURE DE FRANCE.
1
quence : elle devient abſolument inutile
dans les cauſes qui ne ſe plaident point , &
quipar conféquent n'exigent dans celui qui
les rapporte qu'une grande connoiffance
des loix , & l'art de réfumer avec préciſion
les différentes prétentions des parties , &
les fondemens plus ou moins folides fur
leſquels ces prétentions font appuyées : je
ne parle point des affaires criminelles : la
ſageſſe des loix , qui a prévu tous les cas ,
la forme du juger at ufitée ,& prefque
toujours le peu d'importance des coupables
, excluent totalement l'art pratoire ; il
trouve peu de place dans les plaidoiries
mêmes. Difcuter des loix ſouvent obfcures
& embarraffées , déterminer le ſens indécis
d'un acte ancien & peu clair , rapprocher
des commentateurs d'avis différens , concilier
la variété des coutumes , rapporter
les termes d'un contrat ou fixer le temps
d'une vente , entrer dans des détails généalogiques
, enfin mettre ſous les yeux des
Juges des faits intéreſſans pour la cauſe ,
mais preſque toujours indifférens pour
P'auditeur impartial ; (3 ) tout cela , dis-je ,
* ( 3 ) Eloquentiam qua admirationem non habet ,
nullam judico. Cic. in Epift. ad Brut.
On nepent douter que Ciceron n'entende ici ,
par admiratio , ces effets fublimes que produit
l'éloquence fur tout un peuple dont elle change à
fon gré les diſpoſitions ; effets qu'il connoilloit
fibien lui-même.
AVRIL 1765 . 35
ne doit pas contribuer à rendre undifcours
éloquent : tout cela ne peut produire ces
grands effets ſans lesquels Ciceron compte
l'éloquence pour rien.
Il ne reſte donc aux jeunes Orateurs
que les chaires chrétiennes. La carrière de
la prédication ſemble offrir aux talens de
grands motifs , à la vertu de grandes récompenfes
, au zèle de grandes occafions
de ſe ſignaler , à l'ambition même & à
l'amour de la gloire de grands moyens de
parvenir au but qu'ils ſe propoſent : c'eſt
fans doute une perſpective bien flatteuſe
que celle qui ſe préſente aux yeux d'un
jeune Orateur chrétien, Confondre l'incrédule
, terraffer l'impie , raffermir le
Fidéle qui doute ou qui ne pratique pas
ce qu'il croit ; apprendre aux hommes à
craindre l'Etre Suprême & à l'aimer ; ramener
au biendes ames vertueuſes , que la
foibleſſe humaine entraînoît dans les voies
de l'erreur ; donner de nouvelles forces au
juſte&des eſpérances aux pécheurs touchés
de leurs crimes ; en un mot , être auprès
de ſes ſemblables l'interprète de la
Divinité , pour devenir enfuite aux pieds
des autelsleur interceſſeur auprès deDieu :
Tels font les motifs qui ſemblent ſe propofer
au génie d'un Prédicateur. Pourquoi
donc ai -je paru croire que l'éloquence
こ
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
A
n'exiſtoit plus même dans les chaires ?
Pour en faire ſentir les raiſons , je crois
devoir entrer dans un certain détail. Telle
eſt la foibleſſe de l'eſprit humain , que les
objets préfens agiffent avec bien plus de
force fur lui que ceux qui ne lui font préſentés
que dans l'éloignement : nos intérêts
actuels remuent vivement notre ame ;
la perſpective d'un bonheur futur la touche
bien moins : première raiſon pour
détruire ou du moins affoiblir l'enthouſiaſme
des Orateurs , & diminuer le preftige
de l'éloquence. La beauté d'un difcours
conſiſte , ce me ſemble , en deux
choſes : fi les idées en font neuves , hardies
, majestueuſes , il eſt nerveux ; ſi le
ſtyle en eſt correct , élégant , nombreux ,
il eſt fleuri. Si ces deux qualités s'y rencontrent,
il eſt éloquent. Or comme les
ſujets qu'on peut traiter en chaire ſe réduiſent,
pour ainſi dire , à un ſeul , on ne
peut guères ſe flatter d'y rencontrer des
idées neuves ; & le ſtyle Heuri devant en
être banni , il ne reſte plus au Prédicateur
qu'à parler ſavamment ſur le dogme , &
annoncer la vérité avec force. La chaire
ne comporte donc que de la déclamation,
que les peintures du paradis , de l'enfer ,
du vice& de la vertu , peuvent rendre
plus ornée ou plus véhémente ; mais qui
AVRIL 1765 . 37
ne mérite pas pour cela le nom d'éloquence.
S'il exiſtoit encore de vrais Orateurs ,
ce ne pourroit être qu'en Angleterre. Le
génie élevé & hardi de cette nation eſt
propre à l'éloqence : fon gouvernement la
favorife. Mânes des Démosthènes & des
Cicérons , c'eſt là que vous pouvez trouver
des imitateurs , peut-être même des émules.
O vous qui brulez de marcher ſur les
pas de ces grands hommes ! c'eſt là que
votre génie trouvera des motifs dignes de
l'enflammer. Que la Chambre des Communes
retentiffent des fons majestueux de
votre éloquence ; que la patrie vous regarde
comme fondéfenſeur & fon appui ,
les malheureux comme leur père , les méchans
comme leur fléau : que ces citoyens
ambitieux , dont l'orgueil veut tout voir
à ſes pieds tremblent devant vous ; que
leurs trompeuſes promeſſes n'éblouiſſent
point votre vertu ; que la majefté de l'éloquence
ne ſoit point fouillée par l'ombre
même de l'intérêt ; que votre art ne
ſubjugue vos patriotes que pour les rendre
plus heureux , & que toujours le flambeau
de votre génie confonde l'impoſture en
mettant la vérité dans ſon plus beau
jour !
Et vousOrateurs François , ſi les chaires
38. MERGURE DE FRANCE.
& le barreau n'admettent point l'éloquence
des républiques ; il reſte encore de
belles carrières à vos talens , degrands motifs
à vos vertus. Renaiſſez , illuftres défenſeurs
de la religion ; renaiſſez des cendres
des Bourdaloue & des Boffuet : annoncez
dans nos temples les fublimes vérités
de la foi : que l'impie, confondu par la
force de vos raiſonnemens , coure ſe jerter
aux pieds de ces autels qu'il blafphémoit
; que le pécheur , tremblant à la vue
de la foudre qui le menace , mérite par
fon repentir les faveurs que vous lui faites
eſpérer ; que le jufte redouble ſes efforts
pour obtenir le prix que vous promettez à
la vertu.
Marchez fur les traces des Patru &
des Cochin , vous qui leur fuccédez dans
l'honorable emploi d'appuis de l'innocence
& de la juftice : que l'iniquité frémiſſe
devant vous ; que votre aſpect faffe fuir
les ténèbres du menfonge ,&jette unnouvel
éclat ſur la vérité obfcurcie ; que votre
voix , funeſte à l'impoſture , faffe triompher
la mifère opprimée par les richeſſes ,
& l'impuiſſance accablée par le crédit ;
que vos talens incorruptibles prêtent toujours
leur foutien aux malheureux. Pères
des orphélins , réfuges des innocens , confolateurs
des miférables , ſentez le bon
AVRIL 1765 . 39
heur de vous voir entourés de gens qui
vous devront leur vie ou leur fortune ;
goutez la douce fatisfaction d'être les défenfeurs
de la vertu , &jouiſſez de l'amour
desbons & de la haine des méchans !
EPITRE à M. GARDEL , Danfeur &
Penfionnaire du Roi.
D IS - NOUS , Prothée ingénieux ,
Dis-nous par quel ſecret , ou par quelle magie ,
Ton art ſais dans tes pas déployer à nos yeux
Tant de vivacité , de grâces , d'énergie ?
Tantôt Démon impétueux ( 1 ) ,
Tu nous peint d'Alecton l'implacable furie ;
Tantôt Berger galant , ſur les pas d'Egérie ,
Tu voles comme le zéphir ( 2 ) .
Ton gefte , avec décence exprime le defir :
Tadanſe le fait naître en ſon âme attendrie.
Que vois-je ? entouré de ſa cour ,
Eſt-ce Pan qui vers nous s'avance ? ( 3 )
Les Faunes étonnés l'admirent en filence ;
( 1 ) Les furies .
( 2) Pas de deux.
(3 ) Loure.
1
40 MERCURE DE FRANCE.
La Nymphe ne fuit plus ce champêtre ſéjour.
Ah ! fi le dieu des bois eût bien connu ta danſe ,
Cyrinx auroit connu l'amour.
4
Pan diſparoît , Mars le remplace :
Un guerrier indompté s'élance dans les airs ( 4 ) .
Quel éclat ! quelle ardeur ! que de force & d'audace
!
Nos tranſports éclatans étouffent les concerts
Des fiers inftrumens de la Thrace.
Tout change de nouveau : les grâces & les jeux
Ont précédé tes pas dans ce riant aſyle.
Je te vois peindre au milieu d'eux
Les douceurs d'un deſtin tranquile ,
Les charmes d'un amour heureux ( 5 ) .
Ainfi , toujours für de nous plaire ,
Toujours le même , & toujours différent ,
De ton ingénieux talent
On te voit chaque jour étendre encor la ſphère.
Sous tes yeux Terpficore a mis tous ſes ſecrets
Elle te parle ſans embleme ,
Ou plutôt la muſe elle-même
Semble t'avoir choiſi pour orner ſes attraits.
Tu les pares avec meſure ;
Tu ne places rien au hafard ,
(4) Chacone guerrière.
{ 5 ) Chacone des Plaiſirs
AVRIL 1765. 41
Et l'on ne te voit point ſous le maſque de l'art
Nous cacher tous les traits de l'aimable nature .
Ta gloire a dévancé les ans.
Elle excite les voeux d'une rive lointaine.
Le Danube , au moins pour untemps ,
Vouloit t'enlever à la Seine .
Louis n'y peut ſouſcrire. O refus glorieux !
Y confentir , c'étoit te faire outrage.
Eh quel autre ſuccès peut valoir l'avantage ,
L'honneur de briller à ſes yeux ?
Pourſuis , que rien ne ralentiſſe
Et nos plaiſirs & ton ardeur.
De la cour , de la ville épuiſe la faveur ;
Et n'en redoute nul caprice :
Le chaffeur , au gré de ſes voeux ;
Part immoler l'oiſeau timide ,
Mais il reſpecte un aigle impérieux
Qui s'élance d'un vol rapide
Vers la voûte immenſe des cieux.
Par M. DELADIXMERIE.
42 MERCURE DE FRANCE.
EPITAPHE de Mile DE ROCHEFORT ,
fous le nom de PHILIS.
C
I gît l'objet de nos regrets ,
Dont la mort à quinze ans termina la carrière.
Hélas ! faut- il que tant d'attraits
Ne foient plus aujourd'hui qu'une vile pouffière ?
De même qu'au printems naît & périt un lys ,
Ainſi ne fit qu'éclorre & mourir cette belle.
Paſſant , qui connoiffiez la charmante Philis ,
Pleurez , faites des voeux pour elle.
Par M. D *** , penſionnaire
au Collège de la Marche.
PARAPHRASE de l'ariette dal forte non
vilagnate , &c . Aux Dames.
N
E vous plaignez pas davantage
Du deſtin , qui nous fit pour vivre ſous vos loix ;
Efclaves , vous régnez même dans l'eſclavage ,
Et vos charmes toujours l'emportent ſur nos droits.
Un ſeul de vos regards , un aimable foûrire ,
Fait tomber à vos pieds vos maîtres abbatus.
Voulez-vous conſerver un fi charmant empire ?
C'eſt peu de vos attraits , régnez par vos vertus .
Par M. M. D. L.
AVRIL 1765 . 43
MADRIGAL à une Dlle qui m'avoit envoyé
A
un papillon.
ous qui favez ma vie , Hortenfe ,
Pourquoi m'envoyez-vous cet inſecte léger ?
Eft- ce un reproche d'inconſtance ,
Ou bien un avis de changer ?
Adiverſes beautés , avant d'adorer Flore ,
Mon coeur fut infidèle , il le faut avouer.
Peut- être , en vous voyant , il le ſeroit encore ,
Si vous me promettiez de ne la pas venger.
Par l'Auteur de l'épitre à Ménalie.:
A Monfieur DE LA PLACE , auteur du
Mercure de France , fur une fille extraordinaire
.
AYA YANT remarqué , Monfieur , que dans
l'extrait qui a été fait dans le Mercure du
mois d'Août dernier d'un mémoire que
jai adreſſé à l'Académie Royale des Belles-
Lettres de la Rochelle , touchant une fille
privée de la langue & qui parle , il s'y étoit
gliſſé quelques fautes eſſentielles qu'on
pourroit m'imputer. Je vous prie de vou44
MERCURE DE FRANCE.
loir bien rendre publique , par la voie du
Mercure , la lettre que j'ai écrite à ce
ſujet à M. de Villars , Médecin de la
Rochelle. Permettez-moi auſſi, Monfieur ,
de vous adreſſer la traduction du diſtique
latin que compoſa le Comte d'Ericeira , au
ſujetd'une fille Portugaiſe née ſans langue
&qui parloit auffi. Vous en ferez l'uſage
qu'il vous plaira.
Nil mirum , elinguis mulier quod verba loquatur.
Mirum cum linguâ quod taceat mulier.
:
Traduction fur un air connu.
Qu'une femme parle ſans langue ,
Et faſſe même une harangue ,
Je le crois bien.
Qu'ayant une langue , au contraire ,
Une femme puiſſe ſe taire ,
Je n'en crois rien .
Autre.
•
Qu'une femme fans langue ait , dit-on , babillé ,
La choſe ne m'étonne guères.
Mais qu'elle eût eu ſa langue , & qu'elle eût pa
ſe taire ,
J'en euſle été bien plus émerveillé.
AVRIL 1765. 45
CONTE , fur le mêmeſujet.
Sans langue une femme parla ,
Et ce nouveau prodige en tout lieux circula.
Un Moine y ruminant dans ſon âme perplexe ,
Crioit en pleine école : enfans , écoutez-moi !
Je ne veux point ici , frélatant mon emploi ,
Vous faire un argument ou faux ou circonfèxe :
Le cas qui vous ſurprend n'a rien de merveilleux ,
Etſa cauſe à mon ſens eſt plus ſimple qu'implèxe ,
Comme vous l'allez voir après un mot ou deux.
La fureur de parler , commune àtout ſon ſexe ,
remplaça cet organe après maint rude effort ,
D'où ſe forma le jeu de maint autre reſſort.
Mais qu'ayant une langue errante à l'aventure ,
Une femme ſe taiſe , eſt un cas bien plus fort :
Puiſqu'avec le premier ſon penchant eſt d'accord ;
Et que depuis l'inſtant , où le ſerpent parjure ,
Par ſon jargon fourbe & coquet ,
A la bonne mère Eve inſpira ſon caquet ,
Se taire , en une femme eſt contre la nature,
J'ai l'honneur , &c. Bonami , D. M.
46 MERCURE DE FRANCE.
IMPROMPTU adreſſé à Madame la Comteffe
DE B ..... qui venoit de chanter
avec beaucoup de grâces .
PAR AR votre chant nos ſens ont été tranſportés ;
Votre voix eſt jolie , harmonieuſe , tendre .
Si je parlois , Madame , ainſi que vous chantez ,
Vous ne pourriez vous laſſer de m'entendre.
A la belle TROYENNE , en lui renvoyant
la nouvelle Tragédie deM. DE BELLOY.
J'
AI lu , M *** , avec la même volupté
que vous , le Siège de Calais . Qu'il fait
verſer des larmes délicieuſes à un patriote
ſenſible ! C'eſt dans ce doux entoufiafme
que j'ai fait ces vers que j'adreſſe à l'Auteur
, & dont je vous fais hommage. Si ce
nouveau laurier eſt digne de lui , je vous
prie , M *** , de l'en décorer vous -même.
Il ne lui manquoit plus que d'être couronné
par une fi belle main.
AVRIL 1765 . 47
1
Q
A l'Auteur du Patriotisme.
UE mon coeur enchanté , que mon âme
attendrie ,
Partage avec tranſport des ſentimens fi beaux !
Dans ton drame enchanteur l'amour de la patrie
Arrache à tout François des larmes de héros.
A Troyes , le 29 Mars 1765 .
Le Chevalier DE JUILLY - THOMASSIN.
VERS fur le maufolée que le Roi fait
élever , dans sa bibliothéque , à feu M.
DE CRÉBILLON (1).
D
i
Es regrets de Louis ce digne monument
Où triomphe à fon tour Crébillon de la Parque ,
A l'immortalité conſacre également 255
Les talens du Sujet & les ſoins du Monarque.
( 1 ) Auquel travaille M. le Moine.
Par le même.
:
1
48 MERCURE DE FRANCE.
INSCRIPTION pour laſtatue du Roi qu'on
élève à Reims.
QUn ce bronze à nos coeurs , ainſi qu'à nos
regards ,
Du plus chéri des Rois peint bien le caractère !
Couronné par la paix , entouré des beaux- arts ;
Tel eſt d'un peuple heureux le héros & le père !
AUTRE fur le mêmeſujet.
C'EST 'EST ce Roi , qui jaloux d'une paiſible
gloire,
Pour nous d'un tendre amour eſt ſans ceſſe animé.
Que ce bronze immortel , conſacrant ſa mémoire ,
Retrace à tous les coeurs Louis- LE- BIEN -AIME !
Par le même.
LESFlèches del'Amour, ode anacreontique.
D' un ruiſſeau qui coupoit la plaine
Mes pas ſuivoient chaque détour ,
Et bientôt ſa courſe m'entraîne
Près d'un bois où dormoit l'amour.
AVRIL 1765 . 49
t
Ses traits ſur un tapis de mouffe
Sont répandus à ſes cotés;
Qu'un autre que moi les émouſſe ,
J'aime juſqu'à leurs cruautés,
Mais voyant leur plume légère
Différer en tout à mes yeux ,
Je m'occupe de ce miſtère
Dont mon eſprit eſt curieux,
L'amour s'éveille , je friſſonne :
Ami , dit-il avec bonté ,
De ce prodige qui t'étonne
Tu yas percer l'obscurité,
Ai-je à frapper l'âme inquiéte
De quelque amant ſombre & jaloux ?
Je choiſis alors la ſagette
Où ſont les plumes des hiboux.
Pour l'élève de la nature
Le ſentiment est fans attraits,
Quand je lui fais une bleſſure ,
Les moineaux ont paré mes traits.
L'aiglon eſt pour le téméraire ,
Le ſerin pour les beaux conteurs s
Pour le fat , toujours für de plaire ;
Du paon j'emprunte les couleurs.
Vol. II.
CHIC
50
MERCURE DE FRANCE.
Veux-je bleſſer un coeur fidelle ,
Fait pour aimer bien conſtamment ?
La plume de la tourterelle
A ma fléche ſert d'ornement.
Regarde-là , vois qu'elle est belle ;
Sur tout mes traits elle a le prix ....
Ah ! m'écriai-je , amour , c'étoit celle
Dont tu m'a bleffé pour Iris.
Par M. BRET.
L'HOMME & le Chien , fable.
UN homme eft mordu par un chien. ...
Le frappe-t- il ? non ; il l'appelle encore ,
Et , ſans ſe plaindre , il jette à ce vaurien
Son pain , couvert de ſang , que l'animal dévore.
Arrêtez , dit Efope , à cet homme de bien ;
Et fi pour votre peau vous ne redoutez rien ,
Ayez du moins quelque pitié des nôtres.
Si ſes pareils l'ont vu ſi bien traité ,
Ils vont tous eſpérer la même impunité :
Le ſuccès d'un méchant en produit toujours
d'autres.
Par le même.
AVRIL 17650 SI
PAR
!
Le Vifir , fable.
AR une femme un Viſir conſulté ,
Ne put , d'une affaire épineuſe ,
Réſoudre la difficulté.
Alors cette femme orgueilleuſe ,
Dit au Viſir : quittez donc votre emploi ,
Et végétez parmi l'épais vulgaire.
Pourquoi recevez-vous tant de bienfaits du Roi ,
Si vous ne ſavez pas terminer une affaire ? ...
Femme ! ( dit le Viſfir ) vous me faites pitié ,
Et vous mériteriez quelques grains d'ellébore.
C'eſt pour tout ce qu'il fait qu'un Viſir eſt payé ;
Et non pas pour ce qu'il ignore.
Par le même.
:
Cij
12 MERCURE DE FRANCE.
EPITRE à M. BUTEAU, Curé de Châ
teauchinon . 16 Janvier 1765.
JA'
APPRENS que partes ſoins , religieux Buteau ,
De notre commun maître ( 1 ) , une tombe ho
norable
Couvre la cendre reſpectable ,
Et que ta main , ſur ce carreau ,
Traça l'inſcription légère ( 2 )
Que j'avois faite pour te plaire ,
Et non pour orner ſon tombeau.
Si mes trop foibles vers , contre mon eſpérance ;
Du ſuffrage public obtiennent la faveur ,
Ami , le monument qu'exigea ta douleur
En conſacrera deux à la reconnoiſſance ,
L'unoùBazot repoſe ,& l'autre dans mon coeur,
(1 ) M. Bazor, fameux Maître d'Ecole à Châteauchis
non , mort l'année dernière,
(2) Parmi plusieurs épitaphes qui ont paru à fa
Louange , M.le Curé de Châteauchinon , qui lui a érigé
un tombeau dans le cimetière , licu de ſa fepulture ,
bien voulu , par pure amitié pour l'Auteur fans doute,
shotſir le diſtique fuivant pour infcription,
Artium ed Bazor fitus eftfub rupe Magifter :
Quem docuit, magis at , fle , quemnon ille docebit.
Par un Compatriote, Chanoine de Melun.
AVRIL 1765 . 53
HERACLITE ET DÉMOCRITE
VOYAGEURS , CONTE.
LAA folie de ces deux Sages fut d'un
genre bien oppofé. On fait qu'Héraclite
s'affligeoit de tout , & que tout faifoit
rire Démocrite. Ils eurent une manière de
voir& de ſentir en tous points différente.
Ce fut aufli unmotif très différent qui leur
fit parcourir plus d'un climat. Démocrite
vouloit effayer s'il pourroit une ſeule fois
prendre ſon ſérieux ; Héraclite s'il pourroit
une feule fois perdre le ſien.
Le hafard les fit ſe rencontrer à Perfépolis.
Héraclite s'étoit arrêté devant le fuperbe
palais des rois de Perſe. Il verſoit de
groſſes larmes en voyant la belle proportion
des colonnes , la richeſſe des ornemens
, l'élégance des formes , la majesté
de tout l'édifice. Hélas ! diſoit- il , voilà
bien la plus magnifique de toutes les folies
humaines ! Croit-on que ces murs faftueux
puiſſent arrêter au paſſage la goutte ,
la fiévre ou la mort ?
Quelques éclats de rire vinrent le diftraire
de ces réflexions. Il regarde & voit
unhommequi , en effet , rioit beaucoup en
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
contemplant les même objets qui le faifoient
pleurer. Voilà , dit Héraclite , un
de ces êtres d'autant plus à plaindre , qu'ils
ne fentent ni leur imperfection ni leur dé
lire. Il s'approche du rieur , l'interroge.
Que trouvez-vous làde fi réjouiſſant , lui
demanda-t- il ? Ce palais coloffal me paroît
une de ces extravagances humaines ,
propres ſeulement à exciter la compaffion.
Point du tout reprit Démocrite , ( car
c'étoit lui-même ) je trouve fort plaifant
qu'un homme , haut tout au plus de trois
coudées , exige que fa demeure en ait
cent d'élévation. Il ne voit pas que ce palais
giganteſque le fait paroître encore
plus petit. Vous avez raiſon , diſoit Héraclite
, il faut avouer que l'homme eſt un
être bien fragile &bien inſenſé ! Je pleure
fur lui depuis trente ans , & tout ce que
jevois m'annonce que mes larmes ne font
pas prêtes à tarir.
Quoi ! s'écria Démocrite en riant, ferois-
tu cet éternel pleureur qui s'afflige de
tout & ne profite de rien , ce trifte obfervateur
qui voit tout en noir ? Serois-tuHéraclite
enfin ? Oui je le fuis , répliqua ce
dernier : mais, ſi j'encrois mes ſoupçons, tu
dois être ce Démocrite que tout fait rire&
qui eut toujours bonne part à ma compaffion....
Tant mieux , interrompit le cyniAVRIL
1765 . 55
HERACLITE ET DÉMOCRITE
A
VOYAGEURS , CONTE.
La folie de
ces deux Sages fut d'un
genre bien oppoſé. On fait qu'Héraclite
s'affligeoit de tout , & que tout faifoit
rire Démocrite. Ils eurent une manière de
voir& de ſentir en tous points différente.
Ce fut aufli unmotif très différent qui leur
fit parcourir plus d'un climat. Démocrite
vouloit effayer s'il pourroit une ſeule fois
prendre ſon ſérieux ; Héraclite s'il pourroit
une ſeule fois perdre le ſien.
Le hafard les fit ſe rencontrer à Perfépolis.
Héraclite s'étoit arrêté devant le fuperbe
palais des rois de Perſe. Il verſoit de
groſſes larmes en voyant la belle proportiondes
colonnes , la richeſſe des ornemens
, l'élégance des formes , la majeſté
de tout l'édifice. Hélas ! diſoit- il , voilà
bien la plus magnifique de toutes les folies
humaines ! Croit-on que ces murs faftueux
puiſſent arrêter au paſſage la goutte ,
la fiévre ou la mort ?
Quelques éclats de rire vinrent le diftraire
de ces réflexions. Il regarde & voit
unhommequi , en effet , rioit beaucoup en
C iij
56 MERCURE DE FRANCE.
It fuyoit les hommes , & frondoit hautement
leur travers. Apparemment , difoisje,
que lui-même en eſt exempt ? O mortel
né pour ma confolation ! j'accourus
chez lui tout rempli d'eſpérance. Je trouyai
mon Sage dans une colère effroyable
contre un homme qui l'écoutoit avec beaucoup
de flégme. J'en fus ſurpris : c'étoit
un Peintre. Le Sage , qui avoit pour maxime
de fronder tous les arts , accuſoit ce
pendant cet artiſtede mal pratiquer le ſien.
Quelle caricature , s'écrioit-il en contemplant
d'un oeil irrité certain portrait qu'il
tenoit à la main ! ai-je donc les cheveux
auili long , la barbe auſſi courre , leregard
aufli imbécile que vous me les ſuppoſez ?
Il faut rectifier toutes ces bévues , & furtout
imiter le regard qui m'eſt propre , ce
regard analogue au mépris que j'ai pour
l'eſpéce humaine. Surpris de ce difcours ,
je m'approche & j'examine. Hélas ! pourfuivit
Héraclite en ſanglottant , c'étoitmon
ſage qui ſe faifoit peindre ! Il regardoit
comine effentielque fa phiſionomie étroite
&meſquine fût ttanſmiſe fidélement à la
poſtérité. Quel monitrueux orgueil ! quelle
déplorable foibleſſe!.. Il faut avouer, diſoit
Démocrite , en ſe preſſant les côtés , que la
choſe eſt des plus riſibles. Rien de fi plaifant
que cette envie d'apprendre à ſes ne
AVRIL 1765 . 57
veux qu'on a eu le nez plus ou moins
court , la bouche plus ou moins grande ;
qu'on eut deux yeux ou qu'on fut borgne...
Mais pourſuis le triſte narré de tes méfa-
✓ventures.
Hélas ! reprit Héraclite , je voudrois
bien pouvoir l'égayer ; mais l'eſpèce humaine
ſcut ymettre bon ordre. Je quittai
la faſtueuſe Athènes pour me rendre à
T'auſtère Lacédémone. J'augurois biend'un
tel contraſte. Lycurgue , diſois-je , ſcut
donner un frein à l'orgueil , au luxe , à la
cupidité. Je n'aurai point à gémir ſur ces
vices dans ſa ville , & la ſomme des traversy
eſt diminuée d'autant. J'arrive , &
d'abord tout me confirme dans cette idée.
Je n'apperçois que des maiſons groſſiérement
bâties , un peuple groſſiérement vêtu.
J'aſſiſte aux repas publics , & je ſuis
frappé de l'ordre & de la frugalité qui y
régnent : mais je gémis ſur les hommes.
qui ne peuvent être ni réguliers ni fobres
qu'autant que les loix les y contraignent.
Je vis auffi les jeunes Spartiates marquer
une grande vénération pour les vieillards.
Ces derniers recevoient leurs hommages
moins comme une déférence que comme
un tribut. Hélas! diſois-je , en ſoupirant ,
d'où provient cet orgueil ? Est-ce parceque
ceux-ci ont vécu , & que les autres ont à
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
vivre ? .... Il me femble voir , interrompit
Démocrite , un tronc féché par les ans
qui dit à un arbre vigoureux & fertile :
courbe toi pour me rendre hommage , par
la raiſon que tu portes des fruits &que moi
je ne porte pas même de feuilles.
Je pourſuivis mes recherches , ajouta
Héraclite , & je vis que l'enveloppe de la
difcipline couvroit dans cette ville une
infinité d'abus. Je vis dans les Spartiates
un peuple belliqueux ; mais j'y apperçus
moins d'hommes que de foldats. Ils habitoient
un camp plutôt qu'une ville. On
eût dit que l'ennemi étoit fans ceſſe à
leurs portes , ou plutôt ils n'avoient ni
portes ni murs , afin de mieux provoquer
les attaques de l'ennemi. Quel excès d'aveuglement
! m'écriai-je. Dis plutôt quel
excès de ridicule ! intérompit Démocrite.
Ce n'eſt pas tout , reprit le triſte voyageur ;
la pauvreté d'un Spartiate ne fert qu'à
nourrir ſon orgueil: il ſe croit fort fupérieur
à tout Athénien , uniquement parce qu'il
eſt plus mal vêtu;que fa maiſon fut bâtie
parun charpentier , & celle de l'Athénien
par un architecte ; que ſon mets le plus
délicieux eſt laſauſſe noire , tandis que
l'autre épuiſe pour ſa table tous les talens
des élèves de Comus. Quant à lui , il ſe
permet d'aſſommer ſes eſclaves pour fon
AVRIL ود . 1765
plaifir ; de flageller en l'honneur de Diane
ſes plus beaux enfans ; de jetter , pour
leur bien , dans l'Eurotas ceux qui font
nés contrefaits. Paffe encore pour ce dernier
point : il épargne à ces jeunes victimes
des foins , des travers & des malheurs....
Tais - toi , s'écria le cynique ;
la folie de tes Spartiates n'eſt pas moins
triſte que la tienne. En voici une d'un
genre plus raiſonnable .
Tu connois , fans doute , les Sibarites ?
ils font du moins bons à connoître. Il n'y
eutjamais de Lycurgue parmi eux. Le plaifir
eſt la ſeule régle qu'ils confultent , la
ſeule qui puiſſe les aſſujettir. Le principal
ſoinde leurs Magiftrats eſt d'ordonner des
fêtes & d'y procéder. Nulle difcuffion ne
s'élève entre ces voluptueux habitans. Tous
s'aiment , parce que tous ſe croyent néceffaires
les uns aux autres. Le moindre
d'entre eux peut contribuer au fuccès d'un
amufement , & c'en eſt aſſez pour le rendre
cher à toute la nation. En un mot, le feul
noeud qui les lie eſt celui du plaifir ; mais
ce lien n'en eſt que plus difficile à rompre.
Sibaris a des murs & des portes : il est trop
intéreſſant de n'être pas dérangé par l'ennemi
au milieu d'un banquet. Il est vrai
que ces murs font gardés par des troupes
étrangères. Un Sibarite ne ſe croit point
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
fait pour braver l'ardeur du jour ni les
vapeurs de la nuit. Il eſt vêtu , chauffé ,
couché délicatement , & croit valoir plus
que tout autre quand il a le meilleur cuifinier.
Je fus d'abord affez mal reçu dans
cette ville. Mon acoûtrement fit détourner
la tête aux femmes , & m'attira les huées.
de tous leshommes. J'étois couru & montré
au doigt. Mais quand les Sibarites s'apperçurent
que je riois encore plus qu'eux ,
ils changerent de conduite envers moi.
Un d'entre eux s'écria qu'il feroit de moi
quelque choſe , puiſque je ſavois rire. Oh !
pour le talent de rire , lui dis-je , il en eſt.
peu d'entre vous qui puiſſe me le diſputer.
C'eſt - là mon fort , & je ne penſe pas
qu'ici rien m'oblige à prendremon férieux.
A ces mots l'on bat des mains, & chacun
ſe difpute l'honneur de me décraſſer.
L'un m'apporte un manteau de pourpre ,
l'autre une tunique muſquée ; celui - ci
veut que je chauſſe des brodequins délicats
& fourez ; cet autre ordonne qu'on
me parfume. Arrêtez ! mes amis , leur
criai-je ; tenons-nous comme nous fommes
: vous êtes parfaitement bien pour
moi ; je dois n'être pas mal pour vous.
Quoi ! me dit un Sibarite en riant de
routes ſes forces , tu crois pouvoir habiter
parmi nous avec cette barbe hériſſée , cet
AVRIL 1765 . 6
rabit fale & groſſier , cette infâme beſac
&ce ridicule bâton ?
Quoi ? repris-je , en riant plus fort que
lui , tu prétends que je dénature ce qui fair
un des principaux appanages de l'homme ?
tu veux que j'endoſſe un vêtement plus
cher que tu ne voudrois m'acheter moimême
? tu veux enfin que je renonce à
ma beface & à mon bâton , mes deux fidèles
compagnons de voyage ! Ignore tu que
l'un m'épargne de la fatigue , & l'autre
desbeſoins? A
Iln'eſt parmi nous , répliqua le Sibarite ,
ni beſoins , ni fatigue. Et vous n'êtes pas
tous morts d'ennui ? repartis-je. Il alloit
répliquer : une jeune Sibarite vint nous
interrompre. C'étoit une veuve , & chez
cette nation une veuve jouit d'une liberté
ſans bornes. C'eſt à moi , dit- elle , qu'il
appartient de polir cet ours. Qu'on me le
céde , & je ſaurai bien le réduire. On applaudit
beaucoup au diſcours d'Afrofie ,
( c'eſt le nom de la veuve ) & je fus dès
l'inſtant même livré à ſa diſcipline. Tu
préſumes bien qu'elle n'étoit pas rigoureuſe.
Je voyois à mes ordres une troupe
d'eſclaves que mes ordres n'employerent
jamais. Je n'en étois pas moins bien fervi.
Chacund'eux avoit fon emploi particulier.
L'un étoit l'eſclave de mes cheveux , l'au
62 MERCURE DE FRANCE.
tre celui de ma barbe , un troiſieme celui
de ma bouche , un quatrieme celui de ma
tunique , un cinquieme celui de mes brodequins
; enfin preſque chaque partie de
mon corps avoit à ſes ordres un ou pluſieurs
de ces individus.
Quel abfurdité , quelle tyrannie ! s'écria
Héraclite ; mais je pleure fur toi encore
plus que fur ces malheureux. Et moi ,
répliqua l'Abdéritain , je riois beaucoup de
tout ce qui te fait pleurer. Je m'apperçus
même que mes eſclaves prenoient affez
bien leur revanche . Ils s'egayoient à mes
dépens comme tout afclave s'égaye aux
dépens de fes maîtres . Pour Afrofie , elle
s'applaudiſſoit du fruit de ſes ſoins , & ne
doutoit pas que je ne puſſe devenir un
galant homme. Elle-même travailloit de
fon mieux à ma perfection. J'en ris encore,
mais il faut ne rien taire ; je prenois goût
aux attentions d'Afrofie. Il eſt difficile que
celles d'une belle femme nous déplaiſent;
& de tous les ridicules dont le ſéxe eft
entiché , c'eſt un de ceux que je lui pardonne
le plus volontiers . Afroſie , d'ailleurs
, fongeoit moins à me plaire qu'à
me changer. Elle vouloit mériter à ce prix
les fuffrages des Sibarites , & bientôt elle
me jugea digne de paroître à leurs yeux.
Ce fut pour route la ville un jour de fêre.
AVRIL 1765 . 64
-
C'en fut un pour moi- même : j'allois donner
un ſpectacle aux Sibarites , & ils accouroient
en foule me le rendre.
A peine je parus que les applaudiffemens
, les acclamations fe firent ouir de
toutes parts. J'y répondis à ma manière.
On m'entoure , on me félicite , on me
couronne de fleurs , on me promène en
chantant les louanges d'Afrofie : enfin ,
l'on décerne à cette jolie veuve une des
premieres places dans les jeux publics , dix
jeunes eſclaves plus beaux qu'Antinoüs
avec le droit d'eſſayer la premiere toutes
les modes & les fantaisies nouvellement
imaginées.
Et toi , lui demanda triſtement Héraelite
, quel fut ton lot ?
J'allois , reprit le cynique , être admis
au nombre des citoyens , on alloit me défigner
intendant des menus - plaiſirs du
peuple. Arrêtez ! mes amis , leur dis - je ,
la farce n'a déja que trop duré. Continuez ,
j'y confens , le rôle qui vous eſt propre ;
je vais reprendre le mien. Alors je réclamai
ma premiere dépouille & me difpoſai
à quitter celle que j'avois endoſſée.
On murmura de la propoſition ; mais un
peuple voluptueux eſt communément traitable
: on finit par trouver ces métamorphoſes
plaifantes. J'obtins ce que je de64
MERCURE DE FRANCE.
mandois , & je fus accompagné juſqu'aux
portes de la ville avec des huées que je
rendis bien aux rieurs.
Lafuite au Mercure prochain .
VERS à Madame LEC .... à l'occaſion de
Sa groſſeffe.
LA
A nature a réglé les ſaiſons & les temps,
Et la terre ne donne
Les préſens de l'automne
Que lorſqu'elle a perdu les grâces du printemps.
Mais pour vous la nature , adorable Erigone ,
A bien voulu changer ſes loix ,
Pour nous offrir tout à la fois ,
Etles fleursdu printemps & les fruits de l'automne.
Par M. GR.... D'AM.
AVRIL هو . 1765
RÉPONSE de MM. le SÉNÉCHAL * & DE
LA PLACE , àMM. les Maire & Eche
vins de Calais.
MESSIEURS ,
Du 21 Mars 17650
JUGEZ de la fatisfaction que nous a
procurée l'exécution de vos ordres , puifque
nous avons eu antant de plaiſir à les
remplir que d'honneur à les recevoir de
vous. Nous ne pourions vous exprimer que
foiblement l'effufion du coeur de M. de
Belloy en recevant la nouvelle de fon
adoption par votre ville. Nousavons trouvé
en lui une ame toute Calaisienne; c'eſt vous
peindre en un mot toute ſa ſenſibilité &
ſa reconnoiffance.
Nous avons l'honneur d'être , &c..
* Receveur général des domaines & bois de la
Picardie.
66 MERCURE DE FRANCE.
COPIE de la lettre de M. DE BELLOY aux
Maire& Echevins de Calais.
MESSIEURS ,
4
A Paris , le 22 Mars.
1
APRES les graces que le Souverain
a daigné répandre fur moi , celle que
vous voulez bien m'accorder eſt la plus
chère à mon coeur. Se voir adopté par une
ville,dont le nom ſeul eſt un titre de
gloire pour ſes citoyens , être compté parmi
les fucceffeurs d'Eustache de Saint-Pierre ,
c'eſt un honneur dont on aime à s'applaudir
, unbonheur fi pur qu'une ame modeſte
peut le goûter en paix. Je bénirai longtemps
le jour où je conçus la premiere
idée d'expoſer aux regardsde la France un
tableau de la magnanimité de vos ancêtres.
L'empreſſement avec lequel vous daignez
accueillir cette foible eſquiſſe , les tranfports
qu'elle excite dans toute la nation ,
vous font ercore plus d'honneur à vous &
à elle qu'ils ne m'en peuvent faire à moimême.
Les âmes qui ſont ſi fortement
émuës par l'image des grands hommes font
AVRIL 1765 . 67
des âmes à qui il ne manque qu'une occaſion
pour les égaler. Pour moi , Meffieurs ,
pendant tout le temps que j'ai employé à
peindre les vertus des Héros de Calais ,
j'ai tâché d'en pénétrer mon coeur ; puiffe
cette douce habitude me les avoir renduës
propres , ou du moins m'en laiſſer quelques
traces dignes du titre dont vous m'ho
norez . Le premier devoir de l'homme eft
d'aimer en général tous ſes ſemblables ; le
ſecond eſt d'aimer en particulier ſon pays
& ſa nation. Ces deux principes feront
toujours préfens à mon eſprit ; ces deux
ſentimens ne s'effaceront jamais de mon
âme. Je chérirai ſurtout les nouveaux
noeuds par leſquels vous reſſerrez les liens
qui m'attachoient à vous comme François ,
J'étois votre compatriote , vous me faites
votre concitoyen ,&je ſens les obligations
que cette gloire m'impoſe ; heureuſement
j'ai devant les yeux un modèle qui doit
être celui de tous les gens de lettres. Les
procédés ſi honnêtes & ſi eſtimables que
M. de la Place (1 ) vient d'avoir avec moi ,
& auxquels je dois vos premieres bontés ,
( 1 ) Les inſtances de M. de la Place auprès de
M. de Belloy, pour l'engager à ſupprimer ce
qu'ily a ici de trop flatteur pour lui , ont été d'ar
tant plus inutiles , que cette même lettre , impri
mée à Calais , eſt déja répandue dans Paris. 1
68 MERCURE DE FRANCE.
ſont des exemples précieux qui devien
dront peut - être moins rares. Qu'il s'eſt
bienmontrédigne d'être né dans vosmurs!
Il me tend plus chère encore ma nouvelle
patriequi meprocure untel ami. Le Public
apprendde lui, avec une douce fatisfaction,
combien les gens de lettres font refpectables
quand ils lui offrent de nobles ſentimensà
admirer & non d'indignes querelles
àjuger.
J'attends avec la plus vive impatience
mes titres de citoyens de Calais ; & j'ai
l'honneur d'être avec les ſentimensdezèle ,
dereſpect&de reconnoiſſance queje vous
dois après une adoption fi honorable,
MESSIEURS ,
L
Votre très-humble , &c.
Emotde lapremière énigme dupremier
volume d'Avril est cornes. Celui de
la ſeconde est bon jour , bon foir. Celui
du premier logogryphe eſt eſprit , dans lequel
on trouve répit , tiers , épi , piste ,
pet , fire , tri , ire , pie , rets. Celui du
ſecond eft canapé , où l'on trouve Pan ,
Cana , cape , âne , Caen , cap , cane , & celui
du troiſieme eſt fange , retranchez la lettre
f, il reſtera Ange.
AVRIL 1765 . 69
D
ENIGME.
EPUIS le matin juſqu'au foir
Je vais , je viens , je cours ſans voir.
Mon mouvement lent ou rapide
Eſt tel qu'il plaît à celui qui me guide,
Eh! comment pourrois -je voir clair
Je n'ai pas d'yeux & je crains l'air,
Ma peau très-délicate eſt triplement vêtue ,
Et chacun rarement peut la voir toute nue,
Tous les jours on m'enferme en certaine maifon
Tout exprès faite
Pour ma retraite ,
Et qu'on pourroit nommer ambulante priſon,
PLUS
AUTRE.
Lus on me trouve rude ,
Plus on me chérit en tous lieux :
Je plais à la campagne & dans la ſolitude,
Et je charme l'ennui des jeunes & des vieux,
Je ſuis généreuſe & fi bonne ,
Que je rens tout ce qu'on me donne,
Mais ſi je viens à m'adoucir ,
On me mépriſe , on me rejette ,
Et c'eſt à quoi je ſuis ſujette
Lorſque j'ai fait trop de plaifir.
70 MERCURE DE FRANCE.
J
LOGOGRYPΗ Ε.
E nais pour rapiner & pour faire la guerre ;
J'exerce mes talens , & fais purger la terre
D'un genre de brigands , dangereux ennemis ,
Qui ſe cache , qui fuit , qui redoute le hâle.
Otez ma queue , & je deviens mon mâle :
Combinez-moi , je gâte vos habits .
J
AUTRE.
E fuis l'habit commun de tout ce qui reſpire ,
Du berger , du prélat , du maître de l'empire .
Sans chef je n'ai ni ſaveur , ni couleur ,
Je fais pourtant le quart de la nature ,
Et le reméde à la brûlure.
Qu'on me rende mon chef , en m'arrachant le
coeur ,
Je deviens ville de Navarre ;
Si vous favez mes membres afſortir ,
Vous avez ce qu'on trouve à Paris de moins rare :
Puis encor : ah ! c'eſt peu.... Ceſſons de diſcourir.
AVRIL 1765 . 71
Q
AUTRE.
UAND on a du chagrin , mon tout peut
foulager.
Lecteur , ôtez mon chef , je ſuis bon àmanger.
Par M. d'ABANCOURT.
A MAD.... qui vouloit apprendre à faire
des vers . Air : Noussommes précepteurs
d'amour.
Vo
ous voulez apprendre à rimer ,
Et daignez me choiſir pour maître ?
Pour peu que vous fachiez aimer ,
Charmante.Eglé , je veux bien l'être .
Telle est la premiere leçon
Que je donne à mes écolières :
Si le coeur eft votre Apollon ,
Vous remplacerez Deshoulières .
ect
L'eſprit ſouvent parle au hafard ;
La voix du coeur eſt toujours fûre.
Les régles ſont filles de l'art ,
Mais l'art eſt fils de la nature.
72
MERCURE DE FRANCE.
N'écoutez que le ſentiment ,
Son effor eſt toujours ſublime :
Si vous aimez bien votre amant ,
Vous ne chercherez point la rime,
L'eſprit fait de fades chansons ,
La ſeule vanité l'inſpire :
Ovide étoit für de fes fons ,
Lorſque l'amour montoit ſa lyre,
Aimez donc & fuivez la loi
Que lui dictoit ce dieu ſuprême,
Quand vous aimerez comme moi ,
Eglé , vous rimerez de même,
D. L. PA
853719
ARTICLE
AVRIL 1765. 73
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES .
ASTRONOMIE , par M. DE LALANDE ,
de l'Académie des Sciences , & c. ; à
Paris , chez Defaint & Saillant , rue
Saint- Jean-de-Beauvais ; deux volumes
in-4° , avec approbation & privilège du
Roi ; 1764.
C
E livre , qui par fon étendue furpaſſe
tous les ouvrages d'aſtronomie qui avoient
paru juſqu'ici , les furpaſſe encore plus pat
le grand nombre d'objets nouveaux que
l'Auteur y a mis ; c'eſt cette partie de
l'ouvrage que nous allons expoſer au public
: on verra dans chaque article , ou des
marques du progrès que les ſciences font
chaque jour, ou de nouveauxſecours offerts
à ceux qui veulent y pénétrer. Le livre eſt
diviſé en vingt-quatre traités ſur les différentes
branchesde l'aſtronomie ; mais nous
nous réduiſons aux objets qui caractériſent
ſpécialement l'ouvrage de M. de Lalande .
Vol. II. D
74 MERCURE DE FRANCE.
La préface contient d'abord un éloge
pompeux de l'aſtronomie ; on y trouve
tout ce qu'on a dit & ce qu'on peut dire
pour exalter la dignité & les avantages de
cette ſcience, tous les faits hiſtoriques , les
paſſages des poëtes anciens& modernes de
toutes les nations, le cas que les plus grands
Princes en ont fait , les établiſſemens qui
ont fervi à ſes progrès , & le détail de tous
les obſervatoires de l'Europe , dans lefquels
ſe ſont faites & ſe font actuellement
les meilleures obſervations. Elle finit
par un catalogue raiſonné des inſtrumens
d'aſtronomie , téleſcopes , lunettes , &c . &
de leurs prix en France & en Angleterre ;
tout cela eſt propre à inſpirer le goût de
l'aſtronomie .
Les quatre premiers livres renferment
les élémens d'aſtronomie , l'hiſtoire de cette
ſcience , depuis fon origine , & l'énumé
ration des conſtellations ; cette partie n'étoit
pas ſuſceptible de nouveauté : mais on
y trouve 1º, une méthode claire & facile
qui conduit le Lecteur depuis les premiers
objets qui ſe remarquent dans le ciel , jufqu'aux
conféquences les plus fublimes
qu'on en tire ; 2°. beaucoup à diſtinguer
dans l'histoire de l'aſtronomie ancienne ,
les temps& les lieux qu'on avoit trop confondus
juſqu'ici ; 3 °. une nouvellemanière
de connoître les étoiles par de ſimples ali
AVRIL 1765 . 75
gnemens , fans avoir de maître , ni même
de globe ou de cartes céleſtes.
Le cinquieme livre traite des ſyſtemes du
monde ; on n'y trouve que quelques mots
fur les ſyſtêmes de Ptolémée & de Tycho :
mais M. de Lalande explique & démontre
le ſyſtème de Copernic comme le feul qu'on
puiffeadmettre.Toutesles objections qu'on
y avoit faites font expoſées & réſolues de
la manière la plus fatisfaiſante. Le Père
Riccioli avoit propoſé foixante - dix - ſept
argumens contre le mouvementde la terre ;
mais comme le plus grand nombre n'étoit
que la répétition des principaux argumens ,
retournés chacun fous dix ou vingt formes
différentes , M. de Lalande s'eſt attaché aux
fondemens des objections tirées , ou de la
phyſique , ou de l'aſtronomie , ou de l'écriture
fainte ; il les a éclairés de manière
à lever tous les doutes pour ceux qui ne
font pas prévenus & obſtinés. A la fin de
ce cinquieme livre on trouve un article
fur le retour des planètes à même ſituation
par rapport à la terre , c'est-à- dire ,
fur les périodes qui ramènent les planètes
à un même lieu apparent , & dont les
Aftronomes n'ontjamais fait uſage comme
ils le pouvoientpour faciliter leurs calculs ;
par exemple , mercure dans l'eſpace de
Leize ans & rois jours,fait le nombre com
Dij
76 1 MERCURE DE FRANCE.
plet de cinquante - quatre révolutions ; la
terre en fait treize , & l'un & l'autre ſe
retrouve à-peu près comme treize ans auparavant
: ainſi le premier Janvier 1748
& le 3 Janvier 1761 , mercure paffoit également
au méridien à dix heures deux
ſecondes du matin ; & le calcul , qui en
eſt extrêmement long , ſe trouve tout fait
par cette comparaiſon .
Le fixieme livre , qui traite de la théorie
de cinq planettes principales , mercure ,
•vénus , mars , jupiter& faturne , renferme
un grand nombre d'obſervations & de
recherches nouvelles ; on y voit fur-tout
la découverte d'une inégalité ou d'un dérangement
fingulier que M. de Lalande a
obſervé dans le mouvement de ſaturne ,
qui n'avoit point encore été remarqué ,
quoiqu'il produiſe des différences de plus
de trois jours ſur la durée de la révolution
de cette planette. Cette inégalité eſt d'autant
plus étonnante , qu'elle ne fauroit
être produite par l'attraction de jupiter , ni
par celle des autres planettes connues. On
trouve auſſi dans ce ſixieme livre la théorie
d'un changement dans les inclinations des
orbites planétaires , changement qu'on n'avoit
pas même ſoupçonné juſqu'ici , & qui
eſt cependant très- ſenſible ; il eſt produit
par l'attraction mutuelle des planettes les
L
AVRIL 1765. 77
unes fur les autres. Ce livre eſt terminé
par une table des diſtances des diamètres
& des groffeurs des planettes calculées fur
les obſervations les plus récentes , de même
que toutes les autres circonstances de la
théorie & du mouvement des planettes .
Le ſeptieme livre qui contient la théorie
de la lune , d'après l'obſervation & la
conſtruction des tables , renferme fur- tout
deux démonstrations importantes que perſonne
n'avoit données , l'une pour calculer
la ſeconde inégalité de la lune ſans lui fuppoſer
une excentricité variable & unbalancement
de l'apogée , l'autre pour calculer
l'inégalité des latitudes ſans employer une
inclinaiſon variable & un balancement du
noeud ; le huitieme livre traite du calendrier
, des cycles , des heures , ſemaines ,
mois&années , de la chronologie, du lever
cofmique des étoiles , & fur- tout du ſyrius;
on y trouve une differtation curieuſe ſur
cette étoile de la canicule , ſi célèbre dans
l'ancienne Egypte, &qui a conſervéjuſqu'a
notre temps ſa réputation aſtronomique.
Le neuvieme&le dixieme livre traitent
du calcul des éclipſes & de la recherche
des parallaxes , qui font la partie la plus
difficile & la plus effentielle de ces calculs;
on y trouve une méthode nouvelle de
M. de Lalande pour le calcul des éclipſes ,
Dinj
78 MERCURE DE FRANCE.
plus courte & plus exacte que celles qu'on
avoit données juſqu'alors , dans laquelle
il a détaillé tous les cas de manière à ne
laiſſer même aux commençans aucune
incertitude. La méthode des projections
qu'on emploie pour calculer graphique
ment une éclipfe , n'avoitjamais été expliquée
dans aucun livre de manière à en
faire comprendre l'eſprit& les fondemens ,
non plus que la méthode pour calculer la
routede l'ombre ſur la ſurface de la terre.
La méthode du nonagefime y eſt rendue
très-facile par une table calculée ſur une
forme nouvelle pour la latitude de Paris ,
& qu'on peut calculer en une matinée
pour toute autre latitude. La formule de
ta parallaxe en longitude n'avoit été démontrée
dans aucun traité d'aſtronomie
avant M. de Lalande ; elle ſe trouve ici
accompagnée des exemples les plus détaillés
, de même que les corrections qu'elle
exige pour l'applatiſſementde la terre , que
M.de la Caille avoit données ſans tables&
fans démonstrations .
Ala finde cepremier volume on trouve
les tables du foleil de M. de la Caille ,
& celles de la lune de M. Mayer , mais
M. de la Lande les a étendues pour des
fiécles éloignés ; il y a corrigé l'équation
du temps , l'obliquité de l'écliptique , le
AVRIL 1765 . 55
diamètre du ſoleil : il a ajouté les tables
du mouvement horaire de la lune , la table
des réfractionsde M. Bradley , qui n'avoit
point encore paru , le catalogue d'étoiles
de M. l'Abbé de la Caille qu'on ne pouvoir
plus trouver ; il y a joint des exemples
detaillés : enforte que ces tables font les
plus exactes & les plus commodes qu'on
aiteues juſqu'à ce jour , &que les Aſtronomes
ne pourroient les trouver ailleurs que
dans l'ouvrage dont nous parlons.
Le ſecond volume commence par le
onzieme livre , où l'on traite des paſſages
de vénus & de mercure ſur le ſoleil ; ce
fujet , qui a eu beaucoup de célébrité en
1761 , par le grand nombre de voyages
qu'il a occafionnés , en aura encore autant
en 1769. Le paffage de vénus que l'on
attend pour cette année- là eſt le ſeul qui
ſe verra d'ici à cent dix ans : on ſe propoſe
de l'obſerver en Amérique , en Laponie ,
& s'il eſt poſſible aux Terres Auſtrales.
M. de la Lande nous donne là-deſſus un
traité complet , où l'hiſtoire , les méthodes,
les réſultats , ſont détaillés de manière
à ne rien laiſſer à defirer. Il fait voir de
quelle manière le paſſage de 1769 nous
apprendra la vraie diſtance du ſoleil & de
toutes les planettes à la terre , plus exactementque
celui de 1761 ; en effet , celui-ci
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
nous a laiſſé une incertitude d'environ un
dixieme du total , à cauſe des obſtacles
qu'ont apportés le mauvais temps & les
malheurs de la guerre aux obſervations de
divers Aſtronomes.
Le douzieme a pour objet les réfractions
aſtronomiques , les méthodes qui ſervent à
les déterminer , & les effets qu'elles produiſent
; on y trouve une partie nouvelle
& curieuſe , c'eſt la démonſtration d'une
loi fondamentale de réfraction qui s'étend
juſqu'à l'horifon : M. Bradley l'avoit
communiqué à ſes amis ; M. de la Lande
l'apporta d'Angleterre en 1763 , mais perfonne
avant lui n'en avoit donné la démonftration.
Le treizieme & le quatorzieme livre
ont pour objet la pratique de l'aſtronomie ,
la connoiffance de tous les inftrumens , &
la manière de s'en ſervir pour faire de
bonnes obſervations ; on defiroit depuis
long-temps un ſemblable traité d'aſtronomie
pratique : feu M. de la Caille en avoit
formé le projet , M. de Lalande l'a exécuté
avec beaucoup d'étendue ; il donne la
figure de chaque inftrument , ſon application
à chaque genre d'obſervation , les
vérifications qu'elles ſuppoſent , les réductions
qu'elles exigent , les précautions
qu'on y apporte on y trouve , non-feule
AVRIL 1765. 81
ment les inſtrumens dans leur dernier état
de perfection en France & en Angleterre ,
mais encore des vues nouvelles pour les
perfectionner de plus en plus. Les lunettes
achromatiques , dont nous n'avions encore
aucune deſcription , y font expliquées , de
même que les héliomètres , inſtrumens
nouveaux d'une très-grande utilité.
Le quinzieme livre , où M. de Lalande
explique la grandeur& la figure de la terre,
contientun extrait élémentaire& méthodiquede
tous les ouvrages faits fur cette matière
, & des voyages dont elle a été l'objet ;
mais on y trouve des anecdotes qui n'étoient
point connues au ſujet de ces voyages
& de ces opérations.
Les livres ſeize & dix- fept renferment
la théorie des étoiles fixes , c'est- à- dire ,
des petits mouvemens de préceſſion , d'aberration
& de nutation qu'on y obſerve ;
fur chacun de ces objets M. de Lalande
donnedes formules nouvelles, ou démontre
celles que M. de la Caille avoit données ſans
démonstration : il donne une manière de
concevoir le phénomène de l'aberration ,
plus naturelle que celle de l'inventeur
même , que quelques Auteurs avoient jugée
inintelligible & infuffiſante.
Le dix-huitieme livre , qui eſt l'aſtronomie
des fatellites , contient fur - tout des
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
recherches nouvelles & des explications
qu'aucunAuteur n'avoit données ſur leurs
éclipfes , leurs parallaxes , leurs inclinaifons
, leurs noeuds & la conſtruction de
leurs tables ; l'effet de l'applatiſſement de
jupiter , par rapport aux éclipſes de ſes ſatellites
, n'avoit jamais été confidéré & introduit
dans le calcul. M. de Lalande fait voir
quecettenouvelleconſidération yajoute une
nouvelle exactitude ſans y ajouter aucune
difficulté. Il explique fort au long la façon
de trouver les temps où l'on doit voir les
immerfions & les émerſions du ſecond
fatellite ; il y donne la figure & la defcrip
tion d'un inſtrument pour trouver les configurations
des fatellites en rout temps ,
inſtrument qui n'étoit juſqu'ici qu'entre
les mains d'un petit nombre d'Aſtronomes.
Le dix-neuvieme livre , où il s'agit des
comètes , raffemble l'hiſtoire de celles qui
ont eu quelque choſe de remarquable , la
démonftration de leur mouvement , & la.
détermination de leurs orbites par obfer
vation . M. de Lalande y démontre , d'une
manière ſimple & nouvelle , que la vîteſſe
parabolique d'une comète eſt égale à la raeinededeux,
quand on prend pour unité la
vîteſſe circulaire àpareille diſtance ; il explique
une méthode graphique, par laquelle
onsabrégera conſidérablement le calcul des
AVRIL 1765 . 83
comètes obſervées pour la première fois ,
problême le plus difficile de l'aſtronomie
ordinaire.
; Le vingtieme livre , de la rotation des
planettes &de leurs taches , renferme une
théorie de la libration de la lune , qui
étoit juſqu'ici inconnue aux Aſtronomes ,
n'ayant été donnée que dans un mémoire
allemand de M. Mager. On y trouve auſſi
une méthode pour calculer par trois obfervations
des taches du ſoleil , la ſituation
de fon axe & de fon équateur , avec la
durée de ſa rotation, ce qui n'avoit été
traité juſqu'ici que d'une manière trèsincomplette
; enfin M. de Lalande y donne
une méthode abfolument nouvelle pour
prédire les phaſes de l'anneau de ſaturne,
qui eſt une des choſes les plus fingulières
de toute l'aſtronomie.
Le vingt- unieme livre eſt un traité analytique
de la géométrie tranſcendante , des
courbes & des infiniment petits , approprié
à l'aſtronomie , dans lequel M. de
Lalande démontre plufieurs propoſitions
& pluſieurs lemmes qui ne ſe trouvent
point dans les livres ordinaires , quoiqu'on
en faffe uſage dans les calculs de l'attraction
; par exemple , que les ſections d'un
fphéroïde elliptique , faites perpendiculaisement
à l'équateur, ſont des ellipſes fem
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
blables à celle du méridien ; que la folidité
du ſphéroide entier eſt égale aux deux
tiers du produit de fon grand axe par la
furface du méridien. Il ydonne l'intégrale
de toutes les formules différentielles qui
ſe préſententdans ces fortes de recherches.
Le vingt-deuxieme livre , auquel le précédent
fert d'introduction , étoit un des
plus néceſſaires à ceux qui veulent approfondir
la partie géométrique de l'aſtronomie
; le grand principe de l'attraction univerſelle
, fource de tant de découvertes ,
& fur lequel il reſte encore tant de calculs
à faire , y eſt préſenté ſous une forme fimple
& élémentaire , qu'aucun Géomètre
n'avoit pris la peine de lui donner ; les
ouvrages faits juſqu'à ce jour ſur l'attraction
étoient un labyrinthe impénétrable
pour la plupart des Lecteurs. M. de Lalande
en a donné la clef, il en a expliqué l'origine
, la découverte& les principes ; il en
donne l'application pour les inégalités des
planettes , le mouvement des noeuds , l'applatiſſement
de la terre & la préceſſion des
équinoxes ; ce dernier problême , le plus
difficile de tous , & fur lequel on a beaucoup
difputé , y eſt développé dans toutes
ſes parties de manière à ne plus laiſſer aucune
incertitude.
Le vingt-troiſieme livre contient la tri
AVRIL 1765. 85
gonométrie ſphérique & pluſieurs propofitions
de trigonémétrie , rectiligne dont
on a beſoin dans l'aſtronomie , &qui n'étoient
point démontrées dans les Auteurs ,
par exemple , la valeur de la tangente de
la moitié d'un angle , en y employant ſes
cotés ; les formules différentielles que
M.de la Caille avoit données fans démonf
tration pour lespetites variations des trian
gles ſphériques, ſont démontrées dans l'ouvrage
de M. de Lalande ; & ce vingt-troiſieme
livre eft terminé par une méthode
pour réſoudre tous les triangles ſphériques
avec la règle & le compas , dont on peut
faire unuſage commode en bien des occafions.
Le vingt-quatrième & dernier livre eſt
un traité du calcul aſtronomique , plus
étendu & plus détaillé qu'aucun ouvrage
que l'on ait eu ; on y apprend à calculer
toute forte d'obſervations , à les réduire,
à en tirer les conféquences néceſſaires pour
qu'on puiffe faire uſage de ces obfervations
: ces fortes de calculs , que tous les
Aſtronomes favent. par tradition , ou par
lequel ils ſe font des méthodes au beſoin ,
n'avoient jamais été mis à la portée du
public , & raffemblés , comme l'a fait M.
de Lalande , pour completter fon ouvrage.
L'article qui concerne les longitudes en
36 MERCURE DE FRANCE.
mer eſt le dernier de tous ; il devoit natuu
rellement couronner un ouvragedont l'objet
le plus effentiel , ou du moins l'appli
cation la plus importante , eſt la marine
M. de Lalande avoit déja traité cette matière
dans fon expoſition du calcul aftronomique
en 1762 , mais il a donné dans
cet ouvrage ci une comparaiſon des différentes
méthodes , &une nouvelle manière
de trouver les réfractions & les parallaxes
de diſtance plus courte que celles qui
étoient connues juſqu'à préſent. Tout ce
que nous venons de dire des vingt-quatre
livres de cette aſtronomie ne donnera
qu'une légère idée de la multitude des
matières qui y font traitées ; nous n'avons
fait qu'indiquer les endroits remarquables
par leur nouveauté : nous finirons endiſant
que ſur les objets que M. de Lalande n'a
pu approfondir dans l'eſpace de deux volumes
in - 40 , il a indiqué tous les Auteurs ,
enforte que fon ouvrage contient ou un
extrait ou une indication de tout ce qu'on
a fait de bon juſqu'à ce jour ſur toutes
les parties de l'aſtronomie .
:
AVRIL 1765 . 87
JEAN CALAS , à ſa femme & àfes enfans ,
héroïde ; par M. BLIN DE SAINMORE.
A Paris , chez SEBASTIEN JORRY , rue
& vis - à-vis la Comédie Françoise , au
grand Monarque ; 1765. Avec permiffion
; petit in- 8° de vingt- quatre pages
Prix 12fols.
DANANSS un court avertiſſement l'Auteur
rend un compte abrégé de la mort de
Marc- Antoine Calas , du fupplice de fon
père , &de la manière éclatante dont fa
mémoire a été réhabilitée. Nous ne nous
arrêterons point ſur tous ces détails dont
lePu blic eſt ſuffiſamment inſtruit , & nous
nous contenterons de rapporter un trait
curieux que l'on trouve dans cet avertiſſement.
« M. le Maréchal de R *** étant aux
>> Délices devant une nombreuſe aſſem.-
» blée , demanda à M. de Voltaire des
» détails de cette affaire. L'Auteur de la
» Henriade lui raconta tout avec une élo-
>>> quence fi forte & fi pathétique , que
>>>M. le Maréchal & tous les ſpectateurs
>> fondirent en larmes. Alors M. de Vol
88 MERCURE DE FRANCE .
> taire fit entrer un des Calas, fils , qui
» étoit dans une chambre voiſine , &
» M. le Maréchal dit au jeune homme :
» Monfieur , jesuis perfuadé de l'innocence
» de M. votre père ; vos malheurs m'ont
» vivement touché. Vous pouvez compter
>>fur mon crédit & fur mes fecours. Puif-
» que vous n'avez plus de père , c'est à moi
» de vous en ſervir » . C'eſt par des traits
femblables , qui ennobliroient un homme
obfcur , qu'un grand Seigneur fait voir
qu'il fort d'un rang illuftre.
M. Calas eft fuppofé écrire cette épître
à ſa femme & à ſes enfans , à l'inſtant qu'il
vient d'entendre l'arrêt qui l'a condamné.
On voit que cette ſituation n'eſt pas fufceptible
d'un plan ſtrictement régulier. Ce
font les derniers diſcours du plus tendre
des pères & du plus malheureux des hommes
, que l'on va conduire au fupplice ; il
eſt dans le défordre de la défolation ; il
s'adreſſe tour à tour au ciel , à la terre , à
ſes Juges , à ſes ennemis , & les prend tous
à témoin de ſon innocence. Malheur aux
âmes froides qui ſavent ſymmetrifer les
tranſports de la douleur !
Jean Calas commence par annoncer fon
arrêt à fon épouſe d'une manière ferme &
ménagée enmê me temps. Quoi, s'écrie t-il
enfuite ,
AVRIL 1765 . 89
Ces Miniſtres des loix , dont l'équité ſévère
-Réſiſte aux préjugés reçus par le vulgaire ,
Sont- ils , comme un vil peuple , entraînés par
l'erreur ?
Ont- ils , fans examen , adopté ſa fureur ?
Ont-ils cru qu'un vieillard , appéſanti par l'âge ,
Pour un crime inouï , ranimant ſon courage ,
Bravant ce que jamais l'homme eut de plus ſacré ›
Ait porté ſur ſon fils un bras dénaturé ?
Mais ſuppoſant qu'en moi la nature bizarre
Ait formé pour ce crime un coeur affez barbare ,
Ont- ils cru qu'une mère , avec tranquillité ,
Ait vu verſer le ſang que ſes flancs ont porté ,
Et qu'en nous uniſſant , l'himen triſte & fauvage
Dedeux monftres ſanglans ait formé l'aſſemblager
Hélas ! ils ont cru tout. • • &c.
Rien de plus pathétique que les vers où
Calas rappelle , pour ſa justification , l'inftant
où il trouva fon fils mort. Ah ! dit- il ,
en parlant de ſes Juges ,
,
Ah! s'ils nous avoient vus dans ce moment terrible
Où la mort ſe montrant ſous un aſpect horrible
Vint offrir à nos yeux effrayés & furpris
Le corps pâle & glacé de ce malheureux fils ;
Où , le coeur déchiré des plus vives alarmes ,
J'éclatois en fanglots & je fondois en larmes ,
Où , l'appellant cent fois , tu ferrois dans tes bras
Ce fils , ce triſte fils , qui ne répondoit pas !
90
MERCURE DE FRANCE.
Nous auroient-ils jamais ſoupçonnés d'impoſture ?
Se feroient- ils mépris aux cris de la nature ?
Ce ſpectacle touchant pour nous auroit parlé :
Leurs coeurs auroient frémi , leurs pleurs auroient
coulé :
Hélas! notre douleur ne fut que trop fincère! ...&c.
Il n'eſt guères poſſible de parler avec
plus de vérité le langage du déſeſpoir. If
ſemble qu'on eſt préfent à cette malheureuſe
ſcène. Ce triste fils , qui ne répondoit
pas , eſt le principal coup de pinceau ;
c'eſt la circonſtance principale de l'action .
Je vais encore citer quelques morceaux
qui feront juger de la manière dont M.
Blin de Sainmore a ſu traiter le ſentiment.
Cette apostrophe de M. Calas à fon fils
exprime la douleur la plus intéreſſante :
O toi , le premier né de mes triſtes enfans ,
Toi ſur qui je fondois l'eſpoir de mes vieux ans ,
Toi que j'ai tant aimé , toi dont la mort ſanglante
A mes ſens déſolés ſemble toujours préſente :
O mon fils , mon cher fils ! dans quel abîme
affreux
As- tu précipité tes parens malheureux ?
Va, mon coeur te pardonne . Ah ! s'il étoit pof
fible
Qu'à mes triſtes deſtins ton ombre fût ſenſible,
AVRIL 1765.
Bientôt fortant pour moi du goufre des enfers ,
Tu me rendrois l'honneur & tu romprois mes
fers.
Mais , hélas ! inſenſible àmes plaintes funébres ,
Tu dors tranquillement dans le ſein des ténébres,
Etdans ce doux repos tu ne t'informes pas
Si ta mort aujourd'hui va caufer mon trépas
Quelques pages après il avoue qu'il ſe
flatte encore juſqu'au dernier moment ; il
eſpère que ce peuple épouvanté ouvrira
enfin les yeux & lui rendra juſtice. Mais ,
pourfuit- il ,
Mais vois comment le Ciel ſe rit de monerreur :
Un fonge cette nuit , pour mieux tromper mo
cooeur ,
Me faiſoit concevoir le plus heureux augure.
Un ſpectre , à la lueur d'une luntière obſcure ,
S'offre à mois de frayeur tous mes ſens font
faitis.
Raffure- toi , dit- il , que crains-tu de ton fils ,
Mon père ? De tes maux c'eſt moi qui fuis la
cauſe ;
J'en-gémis ; mais fur Dieuque ton coeur ſe repoſe :
11 ne ſouffrira pas qu'un injuſte ſoupçon
Flétriſſe pour jamais & ton coeur & ton nom
Par lui , par ſon ſecours l'innocence vengée >
Voitd'unpiége trompeur ſa marche dégagée.
92 MERCURE DE FRANCE.
Sans doute un jour viendra ... que veux-tu m'annoncer
,
M'écriai-je, ô mon fils ? Je cours pour l'embraſſer ;
Mais je ne trouve plus qu'une vapeur horrible ;
Alors mon cachot s'ouvre avec un bruit terrible :
Je m'éveille ; je crois qu'on va changer mon fort ;
Mais que vois-je ? un bourreau vient m'annoncer
la mort.
Les bornes d'un extrait ne nous permettent
pas de citer ici pluſieurs autres
tirades très-touchantes &bien vérfifiées. Le
principal mérite de cette pièce eſt le ton
de ſenſibilité qui y eſt répandu preſque
par-tout. On trouve dans les difcours de
M. Calas un coeur tendre & abymé dans
la triſteſſe , & une âme généreuse que le
malheur n'a pas endurcie. Les vers font
affortis au genre de la pièce. Point de faux
brillant , point d'eſprit mal placé ; mais
de la douceur , de la vérité , de l'harmonie ,
& le vrai ſtyle du ſentiment. Ceux qui
voient avec intérêt les ouvrages des jeunes
gensqui annoncentdu talentpour lepoëme,
ont obfervé que M. Blin de Sainmore prend
avec facilité le ſtyle & la manière propre
aux différens ſujets qu'il a à traiter.
Dans l'héroïde de Biblis il a peint avec
toute l'énergie & la violence de la paffion
la plus furieuſe les flux & reflux orageux
AVRIL 1765 . 93
des remords & de l'inceſte ; dans Gabrielle
d'Eftrées c'eſt une manière plus agréable ,
plus brillante , plus pompeufe ; & dans
l'épître de Calas c'eſt le coeur ſeul qui
ſemble en avoir dicté les vers : c'eſt la
fimplicité touchante de la douleur.
HISTOIRE des révolutions de Florence
fous les MEDICIS , ouvrage traduit du
Toscan , de BENEDETTO VARCHI ;
par M. REQUIER ; trois volumes in- 12 :
prix 6 livres brochés . A Paris , chez
Muſier fils , quai des Augustins ; Dehanſy
, pont au change ; Durand neveu ,
rue Saint Jacques ; Panckoucke , rue de
la Comédie Françoise.
CE morceau , l'un des plus intéreſſans
qu'on ait fait pafſſer dans notre langue ,
donne une juſte idée d'un peuple à qui
les Lettres doivent leur renaiſſance. Ses
moeurs , ſes coutumes , fes loix , objets
toujours piquans , lorſqu'il eſt queſtion de
l'hiſtoire d'une nation , excitent la curioſité
à l'égard de celle-ci. Elles font tracées
par l'Auteur avec une cérité & une exac
94 MERCURE DE FRANCE.
titude qui ne laiſſent rien à defirer. Il a
placé le détail qu'il en donne à certaines
diſtances , ſagement meſuréesdans le corps
de fon ouvrage. Il en eſt de même de ce
qu'il dit de Siennes , Piſe , Pistoie , Volterra
, Genes & leur gouvernement. Ce
ſont autant d'épiſodes agréables , qu'il lie
àſon ſujet avec beaucoup d'art.
L'hiſtoire qu'il écrit eſt celle de fon
temps ; & preſque tous les événemens
qu'elle renferme , ſe ſont paſſes ſous fes
yeux. Loin que l'avarice ou l'ambition , la
crainte ou l'eſpérance le portent à les altérer
le moins du monde , il les rapporte
avec une hardieſſe qui étonne.On l'entend
remercier Côme II , par l'ordre duquel il
les recueille , dedeux choſes: la premiere ,
de lui avoir donné de quoi vivre ſelon fon
érat; la ſeconde, de lui avoir permis de dire
la vérité ; & toutde ſuite, avec une liberté
au-deſſus de toute expreffion , il met au
grand jour tout ce qui eſt au défavantage
de la Maiſon de Médicis , comme ce qui
eſt à ſon avantage. Cette qualité de Varchi,
la plus eſſentielle ſans contredit de l'Hiftorien
, prévient infiniment en ſa faveur ;
&jointe à tant d'autres qui le diftinguent
des écrivains ordinaires , elle lui a acquis
la plus grande célébrité dans l'empire des
Lettres. La fortune a contribué à ſa répuAVRIL
1765. 95
tation, en faiſant naître comme exprès durant
le petit nombre d'années qu'il parcourt
, des événemens ſi ſinguliers & en
même temps ſi multipliés , qu'ils ſe preſſent
fous ſa plume , & la rendent une des plus
brillantes qui furent jamais.
Il commence fon livre par une eſpèce
d'introduction , où il peint avec une chaleur
finguliere , l'état de Florence , celui
d'Italie , de la France , de l'Empire. Quoique
le premier de ces objets lui fourniſſe
dans le corps de l'ouvrage le fonds effentiel
de ſa matiere , il ne perd pas un inſtant
de vue les trois autres qui y font intimement
liés . Ilnous montre Florence comme
une république , plutôt exempte d'eſclavage
que libre , dans le temps où il écrit ;
déchirée au - dedans par les diviſions de
nombreux partis ; long-temps menacée audehors
par un Pape ambitieux & irrité ( 1 ) ;
abandonnée de ſes alliés , de la France même,
qui ſembloit avoir le plus grand intérêt
à la foutenir ; nullement déconcertée
pour cela , foutenant un long fiége contre
les deux armées combinées du Pape & de
l'Empereur ; opprimée enfin par la trahiſon
de celui à quielle avoit confié ſon ſalut (2);
( 1 ) Clément VII , dont la famille en avoit
été chaffée .
( 2 ) Malatesta Buglioni.
96 MERCURE DE FRANCE.
& devenue eſclave d'une Maiſon qu'elle
• avoit chaffée trois fois de fon enceinte . ( 3 )
+ L'Italie , dans les fers depuis pluſieurs
fiécles , eſt repréſentée faiſant , à diverſes
repriſes , de vains efforts pour les rompre .
Charles-Quint, toujours accompagné de la
victoire , ſoit qu'il arme fon bras ou celui
de ſesGénéraux ,donne des chaînes à Fran
çois I ,qui avoit paffé dans cette contrée
pour recouvrer le Milanez. Toutes les circonftancesde
ce grand événement , la pri
fon du Roi , fon élargiſſement, les traités
de Madrid & de Cambrai , le reſſentiment
des deux Potentats , la ſuite de leurs querelles
, leurs cartels de défi , font rappor
tés avec un intérêt qui attache le lecteur
malgré lui .
Clément VII , forcé deux fois par les
troupes de l'Empereur de ſe refugier dans
leChâteau St. Ange , odieux aux Romains ,
en exécration aux Florentins , méprifé de
tous , defirant pour toute grace de voir les
Médicis ſes neveux rétablis dans le fimple
état de particuliers , vient à bout par fes
artifices , de leur procurer la ſouveraineté.
Les profcriptions, fuites ordinaires de la
tyrannie naiſſante , font marquées & s'exécutent
avec une dureté incroyable , par les
ordres du Paſteur commun des Fidèles. Il
( 3 ) La Maiſon de Médicis.
en
AVRIL 1765. 97
en coûte la vie , les biens , la patrie ou la
liberté à près de 150 Florentins des familles
les plus diftinguées. Le plus grand
nombre des profcrits , fans reſſource &
errans à l'avanture , aiment mieux renon--
cer pour toujours à Florence , que d'y rentrer
pour obéir. L'empriſonnementduCardinal
Hypolite , l'un des deux neveux du
Pape , prive pluſieurs des exilés de leur
unique ſoutien. Le récitde ſa mort eſt d'autant
plus attendriſſant , qu'on trouve dans
Hypolite le caractere de nobleſſe & la magnificence
qui étoient les qualités propres
des Médicis ; tandis qu'on n'apperçoit dans
Alexandre fon cousin ( 4) & dans Clément
VII fon oncle , que des qualités oppoſées.
Rarement la fin des tyrans eſt heureuſe ;
parce qu'ils n'uſent preſque jamais avec
modérationde ce qu'ils ont ufurpé. A peine
Alexandre a opprimé la liberté de Florence
, qu'il ſe livre à des excès qui euſſent
infailliblement fait attenter à ſes jours ,
quand même il eût été Souverain légitime.
Laurent de Médicis fon coufin , dont le
caractère est un des plus finguliers qui
figurent dans cette Hiſtoire , ſe rend fon
meurtrier. Le complot eſt un desplus adroitement
ourdis &des plus fûrement exécu-
(4 ) Oppreffeur de la liberté de Florence , &
premier Grand Duc.
Vol. II. E
98 MERCURE DE FRANCE.
rés.Cette catastrophe , par laquelle l'Auteur
s'étoit d'abord propoſé de finir , arrête le
lecteur comme en ſuſpens par l'étonnement
qu'elle lui caufe, & eſt véritablement théâ
trale.
,
On trouve enfuite le commencementdu
régne de Côme II , fils de Jean de Médicis
, l'un des plus grands perſonnages qui
ſe montrent ſur la ſcène. Cette branche auroit
dû naturellement régner la premiere ;
mais Clément VII avoit préféré à Côme
Alexandre , fils naturelde Laurent lejeune ,
ſelon l'opinion commune & felon quelques-
uns , fils du Pape lui-même. ( 6 ) Le
caractere de Côme II paroît être celui d'un
Prince ſage & modéré. A fon occafion
l'Auteur parle de Paul III ( 7 ) fucceffeur
de Clément VII. L'avarice & l'ambition
rendoient ce Pape auffi odieux aux Romains
, aux Florentins & au reſte de l'Italie
, que l'avoit été ſon prédéceſſeur. Les
décimes exorbitantes qu'il avoit miſes ſur
la Tofcane, & que Côme refuſoit de payer,
firent lancer deux fois l'interdit contre
Florence. L'Auteur, loin dediffimuler aucun
des torts qu'avoit Paul III , en inſtruit
ja poſtérité avec l'exactitude la plus rigou-
( 5 ) Il l'avoit eu , dit-on , d'une pauvre payſanne
du village de Callo-Vecchio,
(6 ) De la Maiſon Farnese,
AVRIL 1765. 99
reuſe , quoiqu'il publie ſon ouvrage fous
fon Pontificat. Ily ajoute le récitd'un attentat
de la part de Pierre- Louis , fils de ce
Pontife , attentat le plus horrible qui fût
jamais commis ; & c'eſt par ce trait qu'il
met fin à ſa narration .
La maniere du Varchi eſt grande , ſa
couleur vive , fon pinceau vigoureux. Parmi
les anciens & les modernes , il y a peu
d'Hiſtoriens de cette force : fon ouvrage
ſe fait lire avec le plus grand plaifir ; on
doit favoir beaucoup de gré à M. Requier
de la bonne traduction qu'il nous donne
de cette Hiſtoire intéreſſante .
NNONCES DE LIVRES.
LE Voyageur françois , ou la connoiffance
de l'ancien & du nouveau Monde.
A Paris , chez Vincent , Libraire , rue St.
Severin , 1765 ; avec approbation & privilége
du Roi ; 2 vol. in- 12 , qui feront fuivis
de pluſieurs autres.
Avant que d'entrer dans les détails curieux
, contenus dans cette nouvelle production
( ce qui fera la matiere de plufieurs
extraits intéreſſans dans nos Mercures)
nous croyons devoir donner aujourd'hui
une idée générale de l'ouvrage , en
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
rapportant l'avertiſſement qui eſt à la tête.
>>L'immenſe collection des voyages , dit
» l'Auteur , formeroit une bibliothéque
>> nombreuſe , dont la lecture occuperoit
>> la vie d'un homme. Sur un plan donné
» par les Anglois , rectifié enſuite par lui-
» même , M. l'abbé Prévôt a réduit à un
ود certain nombre de volumes , cette pro-
>>digieuſe quantité de relations plus ca-
>>pables d'effrayer par leur multitude , que
>> d'exciter la curiofiié par ce qu'elles ont
>> d'intéreſſant ; mais outre les défauts du
>> plan , & une extrême confufion dans les
» détails , on a encore reproché à l'Hiſtoire
de M. l'Abbé Prévôt ſes répétitions fré-
>> quentes & fon exceſſive prolixité. L'ou-
» vrage d'ailleurs n'eſt point achevé : il
> manque à ce recueil la collection des
>> voyages de terre , c'est- à-dire , de toute
>>cette partie de l'ancien monde où ſe ſont
>> paſſés les événemens les plus mémora-
» bles. L'état actuel de ces lieux célèbres ,
>>les révolutions qu'ils ont éprouvées , les
., reſtes précieux des monumens qui atti-
>> rent l'attention des voyageurs , euffent
>> completté cette grande hiſtoire. C'eſt
>> par-là que commencent les relations du
> VOYAGEUR FRANÇOIS ; & quand les
>> deux premiers volumes n'auroient d'autre
utilité que de ſervir de ſupplément,
AVRIL 1765. 101
ور
--
» à l'Histoire générale des Voyages , c'eſt
>>un avantage dont le Public pourroit lui
ſavoir gre : mais ſon projet eſt plus
>>étendu. En portant dans ſes voyages le
>>flambeau de la philofophie & de l'ob-
>> ſervation , il y puiſe des connoiffances
>> utiles qu'il communique à ſes conci-
» toyens. Tous les objets faits pour
>> exciter la curiofité d'un lecteur philo-
> ſophe , les loix , les moeurs , les uſages ,
>> la religion , le gouvernement , le com-
>> merce, les ſciences , les arts , les modes ,
>> l'habillement, les productions naturelles,
» en un mot , la connoiſſance de tous les
» pays & de toutes les nations de l'uni-
» vers , en commençant par les peuples
>>de l'Afie , font la matière de ſes let-
>> tres. Il ne porte ſon attention que fur
>> ce qui lui paroît mériter une juſte curio-
>>ſité; comme ſon but eſt d'intéreſſer &
>>d'inſtruire , tout ce qui ne produit pas
>> ces deux effets ne lui femble pas digne
>>de ſes remarques. Rarement il entretient
>>ſes lecteurs de ce qui le regarde perſon-
>>nellement. Jamais , ni les préparatifs du
>> voyage , ni tous ces petits accidens qui
>> arrivent néceſſairement , ſe dévinent &
>>ſe ſuppoſent durant une longue route ,
>>>ne prennent la place d'un récitplus eſſen-
>> tiel. Ce n'eſt point l'hiſtoire du voya-
1
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
ر
>>geur qu'il importe de ſavoir ; c'eſt celle
>> des pays où il a voyagé ». On voit par
cet avertiſſement quel eſt l'objet de l'ouvrage
que nous annonçons. Les lettres de
l'Auteur font adreſſées à une Dame de
Marseille ; & la première eſt datée de
I'Iſle de Chipre l'an 1735. Les autres pays
qu'il parcourt & qu'il fait connoître font
Alep , Damas , le Mont- Liban , Balbec ,
Palmyre , l'Egypte , les Etats Barbareſques,
la Grèce , la Turquie d'Europe & d'Afie ,
la Circaffie , la Géorgie , la Colchide ou
Mingrelie, l'Armenie , la Médie , la Perſe,
P'Arabie , la Palestine : &c. les différentes
fingularitésde tous ces pays fourniront des
articles curieuxdans le prochain Mercure.
Les infortunés amours du Comte de
Comminge , Romance , par M. le Duc de
L* V**. Prix 12 ſols ; à Paris , chez
Lejay , Marchand , rue Monconfeil , près
la Comédie Italienne , au Concert Italien.
Avec permiffion ; 1765 ; in- 8 ° , de douze
pages , le tout gravé avec la muſique.
Tous les couplets de cette Romance font
dans le genre touchant & pathétique convenable
au ſujet. Elle doit tenir une place
diftinguée parmi les divers écrits qui paroiſſent
depuis quelque temps ſur cette
matière.
AVRIL 1765. 103
LETTRE du Lord Velford , à Milord
Dirton , fon oncle , précédée d'une lettre
de l'Auteur : avec approbation. Brochure
in-8 ° , de foixante pages , imprimée en
beau papier , avec de très-belles gravures.
Il y a quelques années que M. d'Arnaud
traduifitdans notre langue un petit roman
inféré dans un ouvrage périodique , &
réimprimé depuis peu de mois ſous le
titre de Fanni , ou l'Heureux Repentir.
C'eſt de ce roman qu'eſt tiré le ſujet de la
lettre du Lord Velford. Une fille aimable ,
qui , à la plus grande beauté réunit l'innocence,
la candeur & les vertus naïves qui
caractériſent la vie champêtre ; un vieillard,
fon père , qui partage avec elle , au
milieude ſes champs , la touchante fimm
plicité de l'âge d'or ; un homme né vertueux
, mais entraîné dans le crime par un
fourbe ſous le voile de l'amitié ; jouet
des paſſions d'un traître , plongeant luimême
celle qu'il a aimée dans un abyme
de malheurs ; ramené enfin au ſein du
bonheur & de la vertu par un homme
généreux qui s'intéreſſe aux devoirs de
Phumanité ; voilà les caractères qu'à fournis
le roman dont on vient de parler.
L'Auteur de la lettre en vers a traité ce
fujet avec une chaleur , un intérêt & une
beauté de poéfie qui répond à toutes les
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
diverſes ſituations que lui offroit le roman .
Nous ofons affurer que cette nouvelle production
poétique n'eſt pas moins eſtimable
que celles qui depuis quelques années ont
donné une forte de célébrité à l'Imprimerie
de Sébastien Jorry. Celle- ci ſe vend
chez Bauche , quai des Auguſtins , & l'Efclapard
, Libraire , quai de Gêvres , qui n'a
épargné ni foins ni dépenfes , pour que les
ornemens du burin & de la typographie répondiſſent
aumérite littéraire de l'ouvrage.
MÉMOIRES ſecrets tirés des archives
des Souverains de l'Europe , depuis le
règne de Henri IV; ouvrage traduit de
l'Italien : à Amſterdam ; 1765 ; deux parties
in- 12 , qui doivent être ſuivies de
pluſieurs autres . On en trouve des exemplaires
chez Saillant , rue Saint Jean-de-
Beauvais.
Cet ouvrage , dont nous promettons un
extrait , renferme ce qui s'eſt paſſé deplus
mémorable dans les différentes Cours de
l'Europe. Le principal but que l'Auteur ſe
propoſe eſt de dévoiler ce qu'il y a de plus
miſtérieux dans la conduite des Souverains,
en montrant à découvert les reſſorts les plus
délicats , employés à faire mouvoir les
Empires. Il s'applique fur- tout à développer
l'art admirable de règnerdeHenry IV,
:
AVRIL 1765 . 1ος
Prince toujours vivant dans nos coeurs.
COMMENTAIRE ſur l'Edit du mois d'A--
vril 1695 , concernant la jurifdiction eccléſiaſtique
; par M *** , Conſeiller au Préfidiald'Orléans
: nouvelle édition , revue ,
corrigée & augmentée. AParis , chez de
Bure, père , quai des Auguſtins , à l'image
Saint Paul ; 1764 : avec approbation &
privilége du Roi ; trois vol. in- 12 . Prix
7 liv. 4 fols reliés.
Ce commentaire nous paroît renfermer
les éclairciſſemens les plus néceſſaires fur
les différens articles dont l'édit de 1695,
eft compofé , & en général ſur tout ce
qu'il y a de plus important à ſavoir touchant
la jurifdiction eccléſiaſtique . On
s'eſt attaché fur-tout , en traitant ces matières
, à joindre la clarté & l'ordre à la
préciſion. On a imprimé à la fuite de cet
ouvrage , par ordre chronologique , les
principaux édits , ordonnances , déclarations
du Roi , & autres réglémens qui peuvent
ſervir au même objet. Ces réglemens
font très- utiles pour voir les différens
changemens arrivés dans la jurifdiction de
l'Egliſe depuis l'édit de 1695 , & peuvent
beaucoup contribuer à en faire connoître
les véritables diſpoſitions. On a joint à
cette nouvelle édition le traité des libertés
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
de l'Eglife Gallicane de Pierre Pithou
ouvrage dont le mérite eſt trop connu pour
en faire ici l'éloge.
L'ESPRIT de M. Nicole, ou Instructions
fur les vérités de la religion , tirées des
ouvrages de ce grand théologien , tant
fur les dogmes de la foi & des myſtères ,
que fur la morale ,&diſtribuées felon l'ordredes
înatières de la doctrine chrétienne
ouvrage très-utile pour l'inſtruction , l'édification
& la ſanctification des fidèles ;
à Paris , chez G. Desprez, Imprimeur du
Roi & du Clergé de France ; 1765 : avec
approbation & privilége du Roi ; un vol .
in- 12 , avec le portrait de M. Nicole . Prix
en feuilles 2 liv. 10 fols.
Comme on a eu principalement en vue
dans cet ouvrage de répandre parmi les
Fidèles l'eſprit de M. Nicole , on a penfé
que levrai moyen étoit de donner un ſeul
volumequi renfermât tout ce qu'il y a de
plus intéreſſant dans les vingt-trois tomes
de cet Auteur , & qui par-là fût d'une acquifition
facile. Les perſonnes déja inftruites
, & même celles qui ne le font qu'imparfaitement
, en pourront retirerbeaucoup
de profit. Les jeunes-gens fur-tout y trouveront
la connoiſſance de la religion & la
règlede leurs moeurs. Des extraits diſpoſés
AVRIL 1765. 107
dans un bel ordre , fous différens titres ,
femettront ſous les yeux du lecteur des inftructions
diſperſées dans les ouvrages de
M. Nicole ; & ceux qui ne le connoîtront
que par cet abrégé , n'en feront que plus
excités à lire ſes traités en entier.
ELÉMENS de Juriſprudence , par M. Rebelleau
, ſeconde édition , revue , corrigée
& augmentée. A Paris , chez Cellot , Imprimeur-
Libraire , grand ſalle du Palais ,
près l'eſcalier de la Cour des Aydes , &
chez Robin , Libraire , rue des Cordeliers ,
1765 ; avec privilége du Roi ; deux parties
in- 12 , formant enſemble environ 300
pages.
L'Auteur de cet ouvrage avoit écrit une
lettre contre M. de Beaumont , à laquelle
ce dernier a répondu dans le Mercure de
Février de cette année 1765. M. Rabelleau
nous a envoyé une replique pour être inférée
à la ſuite de l'annonce de fon Livre.
Nousdeſirons que cette replique termine la
querelle , ou qu'il nous ſoit permis de n'en
plus faire mention dans les Mercures fui-
ب
vans.
Evi
108 MERCURE DE FRANCE.
RÉPONSE à la lettre de M. DE BEAUMONT
à M. R *** , inférée au Mercure
de Février 1765 .
Je réponds à votre lettre, Monfieur, non
pour vous dire que ſi vous aviez lu mon
ouvrage , vous auriez vu que j'ai lu le vôtre
attentivement, & que j'ai fait plus que le
parcourir ; que j'ai parlé du douaire nonſeulement
à fon article , mais encore aux
mots contrat de mariage , immeubles , réconstitution&
renonciation ,non pour vous
dire qu'il eſt très-vrai , & qu'il n'eſt point
faux que le remplacement des arrérages négligés
, foit fait en pluſieurs fois ; qu'autrement
ce ſeroit récompenfer la négligence
; qu'à la vérité ce remplacement pour
les petites parties qui ſont plus communément
négligées eſt ordonné dans la même
année , & que c'eſt ici le cas de la faveur
où l'exception à la règle eſt plus générale
que la loi même , parce que toutes ces perites
difcuffions ne font point affez intéreffantes
pour meriter d'entrer en lice & chercher
un combat littéraire , dans lequel vous
m'annoncez modeſtement vous-même que
vous auriez l'avantage ; mais ſeulement
pour vous faire connoître votre erreur au
ſujet de l'exclamation par laquelle vous
AVRIL 1765 . 109
finiſſez votre lettre. D'ailleurs , dites-vous
est laborare pro patria. Faire unLivre
de
d. Ice
qui traite de la manière d'acquérir ,
vendre , d'achetter , de donner , de léguer ,
de laiſſer par ſucceſſion & de recevoir des
rentes , droit qui appartient également aux
étrangers comme à nous , c'eſt , ſelon vous,
travailler pour ſa patrie. Ce ſera lorſque
vous travaillerez ſur les moyens qui vont
être employés pour les éteindre , que vous
pourrez appeller cela laborare pro patria.
la
Il réſulte de la matière que vous avez
traitée , des inconvéniens préjudiciables à la
focieté , au commerce & aux moeurs , auxquels
on n'avoit peut-être point encore fait
juſqu'àce jour toute l'attention qu'ils meritent.
Il en réſulte d'un côté que le plus
grand nombre des rentiers qui ont retiré
leurs fonds du commerce pour les placer
dans les emprunts publics , foit au moment
de la création des rentes , foit depuis par
voie des tranſports & des réconſtitutions ,
s'imaginent qu'en acquérant ces rentes ils
ontacquis enmême temps le droitde vivre
retirés , ignorés , inutiles , & à charge à la
ſociété;tandis que d'un autre côté, d'autres,
leurs parens & leurs proches , quelquefois.
leurs propres enfans , pour l'intérêt de leur
crédit , l'honneur de leur commerce , &
fatisfaire à des engagemens , font réduits à
TTO MERCURE DE FRANCE.
trafiquer de ces mêmes rentes fur la place
publiquement , à un prix vil, avec des Particuliers
qui ne les acquierent que pour les
rendre quelque temps après à ces mêmes
gens oififs & retirés ; heureux encore lorfqu'ils
ne font point obligés d'y joindre
d'autres effets tirésdu fond même ducommerce.
De-là ces inégalités prodigieufes
de fortunes dans les mêmes conditions :
de-là ces célibataires de profeſſion parce
que leur revenu eſt trop élevé ou trop audeſſous
de leur état : de-là ces mariages
difproportionnés d'âge , de fortune & de
conditions , déſapprouvés par les loix ,
malgré le confentement même des parens ,
qui , loin d'unir deux familles, fervent au
contraire le plus ſouvent à les diviſer entre
elles : de- là le luxe & lamifère , les défordres
& la licence.
Je fuis , &c.
RABELLEAU .
CATALOGUE des Livres de la bibliothéque
de feue Madame la Marquiſe de Pompadour
, Dame du Palais de la Reine. A
Paris , rue S. Jacques , chez Jean- Thomas
Hérifſfant , imprimeur du Cabinet du Roi,
Maiſons & Bâtimens de S. M. & chez
Jean-Thomas Hériſſant,fils, Libraire, même
AVRIL 1765 . FID
maiſon , 1765 , avec approbation ; un vo
lume in- 8º de près de 500 pages.
La bibliothéque dont on débite actuellement
le catalogue , contient quelques
parties de preſque tous les genres de littérature.
Les claſſes les moins nombreuſes
renferment néanmoins des objets capables
de fixer l'attention du lecteur. Celles des
Belles-Lettres & de l'Hiſtoire font les plus
riches. La partie du Théatre eſt une des
plus complettes. C'eſt principalement dans
cette partie qu'on a multiplié les foins ,
pour montrer la fuite des Poëtes dramatiques
, &mettre le plus de clarté qu'il a été
poffible dans l'immenſe quantité des pièces
détachées. L'ordre alphabétique , felon lequel
elles font rangées , donnera aux perfonnes
qui les raſſemblent une connoiffance
facile pour trouver les pièces qui leurmanquent.
La collection des romans eſt encore
très-conſidérable , & ceux qui ont dans ce
genre le goût des exemplaires rares & curieux
, trouveront à le fatisfaire. L'Hiſtoire
fournit auſſi pluſieurs diviſions aſſez abondantes
, telles que celles de l'hiſtoire de
France & de l'hiſtoire littéraire. Dans
celle-ci , le recueil des Mercures eſt un des
plus complets & des plus riches qu'il y ait
enEurope. Très-peu de cabinets particuliers
poffedent une ſuite auſſi exacte de nos
112 MERCURE DE FRANCE.
1
opera ; & parmi les Livres d'eſtampes ,
on trouve ce qu'il y a de plus beau & de
plus rare en épreuves d'après les grands
maîtres. Ce catalogue , dont on ne peut
trop louer l'ordre & la méthode , eſt terminé
par une table alphabétique des Auteurs,&
une autre des Ouvrages anonymes.
La vente de ces Livres ne tardera pas à être
indiquée dans les écrits publics & par des
affiches particulières ; &l'ordre des vacations
par des liſtes que l'on diſtribuera
chaque ſemaine. On nous a dit que Jean-
Thomas Hériſſant fils avoit eu beaucoup
de part à ce catologue. Ce travail lui fait
honneur : il eſt rare de réunir à fon âge
plus de connoiſſance dans ce genre , &
plus de juſteſſe & de préciſion dans l'efprit.
La Bardinade , ou les Noces de la Stupidité
, poëme diviſé en dix chants , avec
cette épigraphe :
Tanta molis erat Bardorum condere gentem.
Eneid. lib . 1 , 1765 .
vol. in- 8º de 190 pages ; chez les Libraires
où ſe diſtribuent les nouveautés .
La ſtupidité veut établir ſon trône dans
l'empire de l'Europe qui ſe dit le plus
éclairé , & ramener par-là l'Univers à fa
barbarie primitive. Voilà l'objet de ce
AVRIL 1765. 113
poëme , qui ne contient aucune perſonalité.
STULTITIÆ laudatio ; deſiderii Erafmi
declamatio ; editio caftigatiſſima ; Londini
, & venit Parifiis apud Barbou , via
Mathurinenfium ; 1765 ; volume petit in-
৪১.
Cette nouvelle édition latine de l'Eloge
de la Folie , par Eraſme , eſt ſupérieure à
toutes celles que nous avons vues juſqu'à
préſent. Elle eſt imprimée en petit nombre,
& eſt faite pour aller à la ſuite de la fuperbe
collection des Auteurs latins, fi connue
ſous le nom d'édition de Barbou. Ily
a à la têtede ce petit ouvrage une très-jolie
eſtampe , & le papier , qui a été fabriqué
exprès , en est très-beau. Le même Libraire
débite la nouvelle édition de l'introduction
àla Syntaxe latine, pour apprendre aiſément
à compofer en latin , avec des exemples de
thèmes , &c; par M. Klarke , Principal du
college de la ville de Hull, dans le comté
d'Yorck , ouvrage traduit ſur la fixieme
édition angloiſe ; un vol. in- 1 2.
ر
ARBRE chronologique de l'hiſtoire univerſelle
, ou tableau des principaux Etats
Souverains du monde , de l'époque de leur
établiſſement , de leur durée , de leurs fon
114 MERCURE DE FRANCE.
dateurs ,du nombre de leurs Princes &de
ceux qui regnent à-préſent , avec une idée
desprincipales révolutions qu'ils ont fouffertes
, mis dans un ordre fucceffif & propreàen
donner une connoiſſance claire&
exacte; ouvrage néceſſaire aux jeunes gens
qui ſe propoſent d'étudier l'hiſtoire , &
utile aux perſonnes qui la poſſedent ; par
M. Renaudot , avec cette épigraphe :
Omnes ordine nettere partes
Et feries rerum , & certos fibi ponere fines.
Vid. Art. poet.
'A Paris , chez l'Auteur , rue S. Antoine ,
place Baudoyer , à l'hôtel de Malthe , &
Brocas , Libraire , rue S. Jacques , au chef
S. Jean ; 1765 ; avec approbation &privilege
du Roi ; un vol. in - 12 .
Ce Livre est l'explication d'un arbre
gravé fur une grande feuille qui ſe vend
ſéparément , & où l'on voit d'un coup
d'oeil , & fans confufion , tout ce qui eſt
annoncé dans le titre que nous venons de
rapporter. Nous croyons qu'il eſt peu de
méthodes auffi faciles pour apprendre l'hiſtoire
, & qu'il feroit difficile d'y mettre
plus d'ordre & de clarté qu'il y en a dans
cet ouvrage. L'Arbre & le Livre ſont également
néceffaires ; l'un parle aux yeux , &
l'autre à l'efprit; & tous deux font de la
AVRIL 1765 .
plus grande reſſource pour l'étude de l'hif
toire de tous les Etats politiques de l'Univers.
AVIS.
MONSIEUR de Bury, Auteur de lavie
d'Henri IV, avec figures , avertit les perſonnes
qui ont eu la bonté de foufcrire
pour fon ouvrage, qu'il est bien faché de
ne pouvoir fatisfaire dans le temps qu'il
l'avoit promis , à l'engagementqu'il a contracté
avec le Public , ayant été retardé par
la maladie de fon Graveur ; mais il a pris
des juſtes mefures pour délivrer l'ouvrage
entierdans la fin du mois de Maiprochain.
Il eſt imprimé , à l'exception de la table. II
ne manque plus à graver que deux portraits
, dont l'un eſt celui d'Henri IV,
qui eſt commencé , & qui demande les
plus grands foins & les plus grandes attentions.
AVIS ſur la Bible latine & françoiſe ,
avec les Commentaires du P. Carrieres ,
vol. in 4°. 1750 .
La Bible de Carrieres , que l'on propoſe
aujourd'hui , eſt en 6 vol. in-4º de 800
pages chacun ,ornée de cartes& vignettes,
116 MERCURE DE FRANCE.
& imprimée en beaux caractères & fur de
beau papier. Pour en faciliter l'acquiſition à
ceux qui n'ontpas ce Livre ſacré,ouqui l'ont
ſans commentaires , le Clerc , Libraire à
Paris ſur le quai des Auguſtins , le propoſe
à 15 liv. en feuilles juſqu'au premier Juillet
prochain ; paſſé lequel temps , s'il lui en
reſte , il les vendra comme ci-devant. Il
yen a quelques exemplaires en papier fin ,
qu'il vendra 18 liv. au lieu de 48 livres
qu'ils ſe vendoient.
L
AVIS.
E fieur Defaint , Libraire , rue Saint-
Jean-de-Beauvais , vient d'acquérir la collection
de déciſions nouvelles , & de notions
relatives à la Juriſprudence actuelle ,
par Mº J. B. Denifart , Procureur au Châtelet
de Paris ; in-4º , trois gros volumes :
prix relié 36 liv.- Les Actes de notoriété
donnés au Châtelet de Paris , ſur la Jurifprudence
& les uſages qui s'y obſervent ,
avec des notes , par le meme Auteur ; un
vol. in-4° : prix relié 12 liv. Il eſt actuellement
feul propriétaire de ces deux excellens
ouvrages , en ayant acquis la totalité
des exemplaires avec le privilége du Roi.
AVRIL 1765. 117
ARTICLE III .
SCIENCES ET BELLES -LETTRES.
ACADÉMIES.
MATHEMATIQUES.
A Monfieur DE LA PLACE , Auteur du
Mercure de France .
CN lit, Monfieur , dans les Mémoires
de l'Académie royale des Sciences deBerlin
pour l'année 1749 cette lettre de M.
d'Alembert à M. de Maupertuis : « c'eſt
ود ſans doute par inadvertance , Monfieur,
>>que M. Euler m'a fait l'honneur de me
>> citer dans vos Mémoires de 1741 , com-
>> me auteur d'uu théorême ſur les équa-
>>tions différentielles à trois variables que
>> je n'ai jamais prétendu m'approprier , &
>> dont je n'ai même fait mention juſqu'ici
>>dans aucun de mes ouvrages. Ce théo-
>> rême appartient à M. Fontaine , ainfi
>>qu'un grand nombre d'autres découver118
MERCURE DE FRANCE.
> tes ſur la même matière qu'il feroit à
> ſouhaiter que l'Auteur publiat.
Il vient de le faire , Monfieur , en un
volume grand in-4° d'environ 600 pages ,
qui a pour titre , Mémoires donnés à l'Académie
Royale des Sciences non imprimés
dans leur temps ( 1 ). Vous voudrez bien
Monfieur , inférer dans votre Journal cette
courte hiſtoire des pièces contenues dans
ce recueil deſiré depuis fi long-temps.
,
Tous les Géometres connoiſſent cette
queſtion de la théorie des maximis & minimis
, trouver entre deux points donnés
fur une ſurface courbe quelconque la ligne
la plus courte. Ce problème furréſolu d'abord
par MM. Jacques Bernoulli & Taylor.
La ſolution qu'en donna M. Fontaine en
1732 , beaucoup plus fimple & plus générale
, devint bientôt publique : mais on ne
nomma pas l'auteur. Un tel oubli eft fouvent
cauſe qu'on attribue des découvertes
àceux qui ne les ont pas faites ; & peu
d'hommes font auſſi déſintéreſlés & auffi
riches que M. d'Alembert pour ne pas jouir
de l'erreur pulique. A-peu-près dans le
même temps notre Auteur déterminoit la
courbe de la moindre action ; celle que
(1 ) Ce volume ,bien imprimé à l'Imprimerie
Royale , ſe vend aux Tuileries , au bas de l'eſcalier
del'Orangerie ; 12 liv. 10 ſols broché.
AVRIL 1765. 119
doit embraſſer un angle donné pour que
ſon ſommet puiſſe gliſſer le long d'une
courbe donnée , & celles qui ſe développent
elles-mêmes. Ce dernier problême eſt
undes plus curieux qu'on ait jamais propoſés.
M. Hughens trouva le premier que la
cycloide ordinaire étoit une de ces courbes.
Depuis M. Jacques Bernoulli y ajouta la
logarithmique ſpirale. Eufin dans le tome
II . des Mémoires de Pétersbourg M. Krafft
démontre que toutes les épicycloides , les
cycloides ordinaires ,& les logarithmiques
ſpirales , font des courbes qui ſe développent
elles - mêmes. Ce ne fut qu'en
1734 que M. Fontaine donna ſa ſolution
des courbes tautochrones : elle eſt fi fimple
, qu'on ne parla plus de ce problême
que l'ouvrage de M. Jean Bernoulli avoit
rendu fameux .
Le théoreme fondamentaldu calcul intégral
de notre Géometre fut trouvé bientôt
après la ſolution du problême précédent,&
eſt une ſuite de la méthode de cette
ſolution. Lorſque M. Nicole lut à l'Académie
le Mémoire qui a pour titre : Usage
desfuites pour lafolution de certains problêmes
qui ſeroit impoſſible ſans cela , il
les réſolut exactement par le moyen de
fon theoreme. Quelqu'un a mis depuis
pro
120 MERCURE DE FRANCE.
peu cette folution dans undes volumes des
Lavans étrangers.
Vous voyez , Monfieur , que dès la fin
de 1734 on commençoit à preſſentir les
grandes découvertes que M. Fontaine feroit
un jour dans les nouveaux calculs. Ce
ne fut cependant qu'en 1738 qu'il trouva
cette belle méthode de reconnoître quand
une différentielle compoſée de pluſieurs
variables eſt la différentielle exacte de
quelque quantité. Des perſonnes qui en
eurent la communication l'envoyerent à
MM. Bernoulli & Euler. Elle ne devint
publique qu'en 1740 , M. Clairaut s'en
étant ſervi avec ſuccès dans les Mémoires
de l'Académie qui parurent alors. On la
trouva auſſi dans la ſeconde partie du calcul
intégral de M. Bougainville : mais elle
n'eſt démontrée que dans le volume que
j'annonce. M. Fontaine avoit juſqu'ici caché
la route qu'il a toujours ſuivie pour
parvenir à fon but.
M.. de Bougainville dit quelque part
"que le Public attend avec impatience le
>> calcul intégral de M. Fontaine. Son but
>> eſt de réduire tout ce calcul à une régle
>> fondamentale & générale ». Cette dernière
phrafe feroit-elle bien exacte ? Ne
pourroit-elle pas faire croire que le Géomètre
dont il s'agit ne regardoit aucune
équation
AVRIL 1765. 121
équation différentielle comme non intégrable
: ce qui ſeroit abfurde : ce qu'il
s'eſt toujours propoſé , c'eſt de trouver une
méthode unique pour intégrer tout ce qui
eſt intégrable. Que peut-on defirer de
plus ? Avant lui tout l'art des intégrations
ne conſiſtoit que dans la ſéparation des indéterminées.
Je ne connois qu'une méthode
de M. Jean Bernoulli. ( Mémoires
de Pétersbourg , tome 1.) où il ne ſoit pas
néceſſaire de recourir à cette opération :
encore n'integre-t-il que des équations fans
paramètre. Avant M. Fontaine on ne favoit
point encore qu'une équation aux
ſecondes différences a deux intégrales aux
premières ; qu'une aux troiſiemes en a trois
aux fecondes. On ne ſavoit point que
pour chaque intégrale d'une équation aux
premières différences , il n'y a qu'une feule
équation aux premières différences dont
elle foit l'intégrale ; que pour l'intégrale
d'une équation aux ſecondes différences ,
il n'y a qu'une équation aux ſecondes différences
dont elle foit l'intégrale , & ainſi
de ſuite ; & réciproquement on ne ſavoit
pas que la dernière intégrale , c'est-à-dire ,
l'intégrale finie d'une équation différentielle
d'un ordre quelconque , eſt unique.
A cette grande généralité notre Auteur
joint encore le mérite de la fimplicité : il
Vol. II.
F
122 MERCURE DE FRANCE.
réduir tout le calcul intégral à n'avoir jamais
à intégrer que des équations différentielles
fans radicaux.
Il ne manquoitplus à M. Fontaine pour
avoir perfectionné toute l'analyſe algébrique
que de réfoudre les équations de tous
Jes dégrés. Vous favez , Monfieur , que dès
lespremiers temps on réſolut celles du fecond
dégré ; qu'enfuite vint la méthode
de Cardan pour le troiſieme , qui fut fuivie
de celle de Descartes pour le quatrieme.
On voit dans les Mémoires des Académies
que les plus grands Géomètres ont
entrepris des travaux inconcevables fans
avoir pu paffer outre. Cet art entre les
mains de notre Géomètre perd toute fa
difficulté. S'il en reſte une elle ne vientque
de la longueur indiſpenſable des calculs.
M. Fontaine ne s'eſt pas feulement appliqué
à la géométrie pure , comme on
auroit voulu l'infinuer. Dès 1739 il avoit
publié grand nombre de principes pour
réfoudre les problêmes ſur lemouvement
des corps. Celui-ci , dans le conflit de plufieurs
corps , quelle qu'en foit la cause , les
changemens qui arriveront aux états de ces
corps dans l'espace ,feront tels que les forces
qu'ils avoient pour s'y refuser feferont
vaincues mutuellement , ou auront été en
équilibre , est d'une fécondité admirable,
AVRIL 1765. 123
non
M. d'Alembert s'en fert pour réfoudre
ſeulement toutes les queſtions de
dynamique , il en déduit auffi pluſieurs
propriétés fingulières du centre de gravité
, & il en fait le plus grand uſage dans
ſes recherches fur la préceſſion des équinoxes
, dans fon eſſai ſur la réſiſtance
des fluides , & dans ſes réflexions ſur la
cauſe des vents. M. Fontaine , en lifant tous
ces excellens ouvrages du Géomètre philofophe
, doit s'être ſouvent applaudi d'une
ſemblable découverte. Ses autres principes
entre des mains habiles ne ſeroient peutêtre
pas moins féconds que celui-ci. J'en
prends à témoin le petit nombre de problêmes
choiſis qu'il réſoud. Je n'entrerai
dans aucun détail ſur fa nouvelle méthode
d'approximation pour la ſolution des problêmes
qui fe réduiſent aux quadratures ,
ni ſur ſa théorie des logarithmes. Je ne
parlerai pas non-plus de la ſolution qu'il
donne d'un problême ſur les jeux dehafard.
Il me tarde d'arriver à deux ouvrages
qui mettent le comble à ſa gloire: ſa ſolution
duproblême des trois corps,&fa théorie
des comètes. Après avoir propofé ſes
doutes fur les méthodes d'approximations
dont plufieurs Géomètres ſe ſont ſervis
pour déterminer le mouvement de la lune
autour de la terre , M. Fontaine tente lui
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
même de parcourir cette mer fameuſe par
les naufrages de pluſieurs hommes célèbres.
Il réduit tout le problême à réfoudre deux
équations , dont l'une eſt du ſeptième dégré
, & l'autre du quatrième. Je remarque
que le lemme fondamental de cette folution
eſt une théorie toute neuve & trèsbelle
des différences finies , ou ſi l'on veut
des interpellations. Dans l'autre problême
il ſe propoſe de déterminer dans le ſyſtême
de M. Newton la trajectoire d'une comète,
par le moyende trois obſervations , en fuppoſant
qu'elle ſe meut dans une ellipfe
infiniment allongée , ou dans une parabole.
Voilà , Monfieur , une legère idée du
ſavant ouvrage de M. Fontaine , que je
n'aurois pas eu l'honneur de vous adreffer
ſi je n'euſſe éte frappé du filence affecté de
tous les Journaliſtes. Ils ſont ſi empreſſés à
nous faire connoître toutes les bagatelles
qui paroiſſent journellement ; pourquoi
tardent- ils ſi long-temps à aſſurer la France
que dans le ſiécle préſent aucune nation
de l'Europene peut lui diſputer le pas dans
les ſciences mathématiques?
J'ai l'honneur d'être , &c .
CRUD , Profeffeur deMathématiques
du Régiment du Roi.
DeBesançon , ce 28 Janvier 1765 .
1
AVRIL 1765 . 125
MÉDECINE.
LETTRE de M. BONAMY , Docteur-Regent
en Médecine dans l'Univerſité de
Nantes , aſſocié à l'Académie Royale
des Belles - Lettres de la Rochelle , à
M. GIRARD DE VILLARS , Docteur
en Médecine , titulaire & afſocié de la
même Académie .
MONSONISEIEUUR ET CHER CONFRERE.
J'AI lu dans le Mercure de France l'extrait
du mémoire que j'ai adreſſé à l'Académie
de la Rochelle touchant la fille
ſans langue qui parle. Cet extrait eft trèsbien
fait. J'ai cependant remarqué qu'il
s'y étoit gliſſé quelques fautes , ſans doute
par inadvertance.
1º. Après avoir fait mention de Pierre
Durand, jeune Poitevin , qui après avoir
auſſi perdu fa langue à la fuite d'une petite
vérole maligne , ne fut pas privé pour
cela de l'uſage de la parole , on me fait
dire ce qui fuit : « On trouve de pareilles
>> obfervations dans les oeuvres de Riolan ,
>> de Bartholin , &c. au lieu que j'ai écrit :
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
» Cette même obfervation est rapportée
» dans l'Artropographie de Riolan , dans
» l'Anatomie de Bartholin , &fur- tout dans
>> le Dictionnaire de Bayle , au mot Céri-
>> fantes ».
"
En effet, ce n'eſt que la même obfervation
rapportée par pluſieurs Auteurs
différens. Voici ce que dit Roland de
Belebat dans la Préface de ſa brochure ,
dont le titre grec déſigne la deſcription
d'une bouche ſans langue. Les plus
> doctes ont bien de la peine à croire ce
>> fait , s'ils n'en font eux-mêmes les té-
>> moins & les juges , entre leſquels étoit
>> cet incomparable Anatomiſte M. Rio-
>> lan , auparavant que M. Duncan & moi
>>lui euſſions adreffé ce jeune enfant du
>>Poitou » .
Ledit fſieur Riolan , dans ſon Antropographie
, au chap. 8 du liv. 4 , ne rapporte
d'autre obſervation de cette eſpéce
>> que ce qui fuit : « Vidimus Parifiis ex
» Pictonum regione puerum quinquennem
» ex malignis variolis miferè affectum ,
» erofam linguam expuiſſe integra manente
» vulva , absque ullo aut exiguo locutionis
detrimento .
د
Bartholin au. Chap . XIII du liv. 3
de fon Anatomie, cite le même fait , après
avoir rapporté celui dont il eſt fait mention
dans Fulpius. Voici ſes paroles :
AVRIL 1765. 127
«Miraculo vicinum , quod juvenis ille Ve-
>> lopienfis cui Turca linguam radicitus exci-
>>ciderant fit locutus. Salmuri aliis ex va-
>> riolis totam expuit fine vocis defectu.
,
La note du Dictionnaire de Bayle sau
mot Cériſantes , parle auſſi du même enfant.
Voici l'extrait de cette note : " il
>> avoit un valet ( Duncan , Médecin à Sau-
>>mur , père de Cériſantes ,) dont le fils
>> âgé de douze à treize ans , cracha fa
>>langue en touffant & la porta à fon
>> père. Tenez , lui dit-il , voilà ma lan-
>> gue que je viens de cracher. Ce garçon
>> parla auffi-bien après cet accident , ( qui
>>lui vint fans doute de la petite vérole ,
>> qui lui avoit mangé la racine de la
>>langue ) qu'il faifoit auparavant , hormis
>>qu'il prononçoit avec peine la lettre R.
>> Il fut promené par toute l'Europe , & a
>> vécu long- temps. Un Chirurgien de
>>Saumur ayant compofé ſur cela un
>> traité dont M. Duncan lui donna le
>> titre , ſavoir , Agloſſoftomographie , un
>> autre Chirurgien qui n'aimoit pasDunfit
imprimer une diſſertion pour
" prouver qu'il falloit dire Agloſſoſtoma-
> tographie , & mit ces vers à la tête de
>> fon écrit :
» can ,
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
<< Lecteur tu t'émerveilleras
>>>Qu'un garçon qui n'a point de langue
>> Prononce bien une harangue ;
>>>Mais bien plus tu t'étonneras
>>>Qu'un barbier qui ne fait pas lire
>>>Le grec , ſe mêle d'en écrire.
>> Que ſi ce plaiſant épigramme ,
>> Doux fruit d'un penſer de mon âme ,
>> Te ſemble,n'aller pas tant à mal ,
>> C'eſt que je l'ai fait à cheval >>.
>> Quelques gens malins changerent le
>>dernier vers dans les exemplaires qu'ils
>>purent trouver , & y mirent , c'est que
>>je l'ai fait en cheval.
Quelques recherches , Monfieur , que
j'aie pu faire dans les différens Auteurs
, je n'ai pu trouver que les trois
obſervations citées dans mon Mémoire
qui aient rapport à celle dont Marie
Grelard fait le fujet.
د
La première eſt celle qui regarde le
nommé Pierre Durand, jeune Poitevin
dont je viens de parler ,& qui eſt rapportée
par Roland de Belebat , par MM.
Riolan , Bartholin ,Bayle , même par MM.
Winflou & Verdier dans leurs Traités
d'Anatomie , & par M. le Cat dans ſon
Traité des Sens .
La ſeconde eſt celle dont Tulpius fait
AVRIL 1765. 129
mention dans le chap. 41 du premier liv.
de fes obfervations .
Enfin la troifiéme eſt celle touchant la
fille Portugaiſe née ſans langue , dont M.
Antoine de Juffieu a donné la relationdans
les Mémoires de l'Académie Royale des
Sciences de l'année 1718 .
On trouve à la vérité dans la Vie des
Saints de Baillet ( vie de S. Reparat ; ) dans
Evagre , Hift. ecclef. Lib. IV. Chap . XIV ;
& Greg. Lib. 3. Dial. 32 , des exemples
de Martyrs qui parloient , quoiqu'on leur
eût coupé la langue juſqu'à la racine : mais
ces faits ont été des miracles.
2º. Les autres fautes legères que j'ai
remarquées dans l'extrait de ma relation
inférée dans le Mercure, font qu'on a écrit
Balebot ( 1 ) au lieu de Belebat , Bertholin
au lieu de Bartholin ; la conduite du nez , au
lieu des conduits du nez ; Marie Greland ,
au lieu de Marie Grelard.
Il m'a ſemblé auſſi qu'on avoit fupprimé
de mon Mémoire un ou deux articles ,
qui avec ceux qu'on y a laiſſés , aidoient
je crois beaucoup àl'explication du phénomène.
J'ai l'honneur d'être , &c .
BONAMY , D. M.
( 1 ) Si MM. les Auteurs avoient la bonté δε
crire , d'une façon un peu plus liſible , ils nous
feroient moins ſouvent ce rapproche.
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
ASTRONOMI E.
LORSQUE ORSQUE nousavons annoncédans notre
Mercure du mois de Mars les hémisphères
celeftes avec un Mémoire , fous le nom d'Uranographie
, par M. Robert de Vaugondy ,
nous ne ſavions pas que l'Auteur faifoit à
ce Mémoire une addition conſidérable ,
qui confifte en une notice de toutes les
étoiles connues juſqu'à préſent, & déſignées
par leurs grandeurs avec les caractères grecs
& romains. Ce Mémoire , qui ne contenoit
en premier que ſeize pag. in-4°
renferme actuellement 49. Nous croyons
faire plaifir aux Amateurs en réïtérant
P'annoncede cet ouvrage , qui eft préſentement
complet.
en
Le prix des deux hémisphères en feuille ,
grand aigle , avec le Mémoire , eſt de 7 liv.
41.
Il ſe vend chez M. Robert , Géographe
ordinaire du Roi , quai de l'horloge du
Palais , près le pont-neuf.
AVRIL 1765. 131
i
ARCHITECTURE.
ETAT de l'oeuvre de gravure que M. DUMONT ,
Prefeffeur d'Architecture , & Membre des Académies
de Rome , Florence & Bologne , vient de
terminer. AParis , le 24 Janvier 1765. Avec
privilègedu Roi.
SAVOIR.
1º. Méthode de l'Auteur
pour accoupler les
colonnes & pilaftres de
l'ordre dorique.
2°. Parallele d'entablement
& de charpente à
l'italienne , agréé & approuvé
par l'Académie
Royale d'Architecture.
3°. Suite de croifées
des plus beaux palais de
Rome.
4°. Suite de ruines
d'architecture.
5. Divers morceaux
d'architecture de l'Auteur.
6°. Autre ſuite du
même , dont fix perſpectives
& deux plans géométraux..
Nombre des
Prix
petites grandes
planches. planches de chaque
par chaque fuite
P.
12
fuite.
liv.
I10
10 2 I10
9
1 I IQ
3
241
15 3
8 6
F vj
132 MERCURE DE FRANCE .
7° . Suite de plans , coupes &
élévations de trois temples de la
ville de Paſtum ou Poffidonia ,
ville affez conſidérable de la grande
Grèce , près de Salerne , agréée &
approuvée par l'Académie .
8° . Suite d'études d'Architecture
de différens maîtres Italiens .
9. Parallele de ſalles de ſpectacles
d'Italie & de France , agréé
& approuvé par l'Académie.
10. Sacriftie de N. D. de Paris,
compoſition de M. Souflot.
II . Suite des élévations &
profils en entier de la baſilique de
Saint Pierre de Rome , approuvée
& agrée par l'Académie .
12. Autre ſuite de détails des
plus intéreſſantes parties d'architecture
de la baſilique de St. Pierre
de Rome , examinée & approuvée
par l'Academie , & dédiée à M. le
Marquis de Marigny. •
Total.
Total général des planches &montans , & c .
Cet oeuvre ſe trouve
AParis , chez
7
6 I 10
26 6
143
146 :
6415
55571
I
212
51
L'Auteur , à l'Hôtel de Jabach ,
rue Saint Merry.
La veuve Chereaux , aux deux
Piliers d'or.
Mrs Joulain , père & fils , quai
de la Mégifferie , à la ville de
Rome.
Le même ouvrage ſe vend auffi
chezM.Huquier lepère, marchandd'eſtampes,
rue des Ma
thurins , près la Sorbonne.
AVRIL 1765 . 133
-
EXTRAIT des registres de l'Académie
Royale d'Architecture , du Lundi 17
Décembre 1764.
MESSIEURS Souflot & Franque , qui
avoient été nommés par l'Académie pour
examiner les dernières planches que M.
Dumont a ajoutées à celles qu'il avoit déja
préſentées , &qui ont été gravées d'après
ſes deſſeins , ont reconnu que celles qui
concernent Saint Pierre de Rome , ne
peuvent que rendre ſa collection des gravures
de ce vaſte édifice plus intéreſſante.
Ils ont vu auſſi avec plaiſir que M. Dumont
a mis au jour des plans & élévations des
temples de Poeftum ou Poffidonia , ville
affez conſidérable de la grande Grèce , près
de Salerne , qui font d'autant plus importans
pour l'Architecture , qu'ils donnent
connoiffance de l'ordre dorique dans des
temps plus rapprochés de fon origine ; &
enfin , qu'il a publié plufieurs grands théâtres
d'Italie & de France ſur une même
échelle , ainſi que quelques charpentes Italiennes
très - folides , quoique ſimples &
légères. La Compagnie , après avoir entendu
le rapport des Commiſſaires , & vu
134 MERCURE DE FRANCE.
toute la collection qui en eſt l'objet , a
regardé le travail de M. Dumont comme
une preuve de fon zéle pour remplir les
deſirs de l'Académie , & fe rendre utile
au Public.
Je Souſſigné , Secrétaire perpétuel de
l'Académie Royale d'Architecture , certifie
l'extrait ci - deſſus conforme aux registres.
de ladite Académie. A Paris , le 22 Janvier
1765 .
Signé CAMUS.
GÉOMÉTRIE.
Problême.
LE centre d'un cercle étant perdu , &
connoiffant feulement les côtés d'un triangle
qui lui eſt infcrit ; on demande de
trouver le rayon de ce cercle par une méthode
facile , à l'aide du calcul, & fans fe
ſervir de la régle & du compas.
Nota. La figure géométrique néceſſaire
pour démontrer cette méthode devant être
affez simple , on croit qu'ilfuffira du difcours
pour se faire entendre , au moins de
ceux quifont exercés aux folutions .
Par un Etudiant en Mathématiques
au Collège de Vienne enDauphiné
AVRIL 1765 . 135
:
ARTICLE IV..
BEAUX ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE ( I ) .
LETTRE du Frère Cosme à l'Auteur du
Mercure , pour fervir à la défense du
lithotome caché , attaqué dans le premier
volume de Janvier 1765 , page 145 &
Suivantes ,fous le nomde M. FLURANT,
Maître en Chirurgie à Lyon.
MONSIEUR ,
Si le bien public ne l'emportoit ſurmon
averſion pour les diſputes ,je ne groffirois
pas la multitude des écrivains qui ſollicitent
des places dans votre Journal , où mon
nom ne parut jamais comme aggrefleur.
Si M. Flurant ſe fût borné au fait hiftori-
( 1 ) Cet lettre n'a pu être plutôt inférée
dans notre Jurnal ,
136 MERCURE DE FRANCE.
que fingulier de fon obſervation , je tâcherois
d'en profiter comme tant d'autres , malgré
le louche que pluſieurs circonstances
y répandent. On y laiſſe à deviner l'âge du
malade qui a été taillé ; cependant il entre
pour beaucoup dans l'effet des maladies
en général , & plus encore dans les
pierreux que dans tous autres cas. On en
fait autant des inſtrumens prétendus uniques
, dont on s'eſt ſervi ; reticence qui
prive de tous les moyens de pouvoir imiter
le procédé qu'on dit avoir ſuivi . On
uſe de la même réſerve à l'égard de ce
cylindre à l'esprit de vin , qui fait l'office
d'un véritable niveau ; invention plus unique
encore , entierement inconnue juſqu'à
ce jour dans la lithotomie , & par lefecours
de laquelle on prétend diriger des inftrumens
qu'on ne fait pas connoître davantage.
Enfin , on a tiré vingt-quatre pierres ,
dont la balance n'a pu fixer le poids au
juſte ; & pour en publier un , on l'établit
de 15 à 16 onces. S'il eſt un public indulgent
fur cet article , les Cours des monnoies
ne le feroient pas certainement pour
les Officiers de leurs détails.
Je ferois porté à penfer que ces obſervations
contre leſquelles je me ſens obligé
de réclamer , ne font pas l'ouvrage de M.
AVRIL 1765 . 137
Flurant ſeul ; avec de la bonne foi , l'expérience
l'auroit arrêté. On doit bien plutôt
les conſidérer comme une affiche , difons
mieux , comme une affectation de la
partdes ennemis du lithotome caché , qui
dans l'impuiſſance où ils ſont d'en méconnoître
entierement l'utilité , voudroient à
la faveur de quelques faits mal préſentés ,
jetter au moins des doutes ſur l'étendue
de ſes avantages. C'eſt à quoi tend évidemment
cette attention finguliere de groffir
les objets , tant du côté de la maladie que
de celui du ſuccès. On vouloit par- là préparer
l'eſprit des lecteurs à donner plus de
croyance à la dégradation qu'on ſe propofoit.
Le récit de l'opération de M. Flurant
fini , ainſi que l'énumération qu'il fait de
quelques auteurs qui ont travaillé à l'avantage
de l'opération laterale à laquelle il at
tribue ſon ſuccès : Il eſt , dit-il , une autre
méthode qui va au même but , mais d'une
façon trop différente pour n'en pas faire
mention ; je veux parler de celle du frere
Côme , connue d'une part par desfuccès ,&
de l'autre , par les obfervations judicieuses
& critiques qu'elle a fuggérées à l Académie.
Puifque M. Flurant cite les obſervations
académiques pour fon appui ; en attendant
un peu plus de loiſir , pour dire au public
:
138 MERCURE DE FRANCE.
la foi qu'il y peut ajouter , il eſt bonque
ce chirurgien apprenne ici que la premiere
deces obfervations , tome IX , in- 12 , pag.
376 , tombe fur un eccléſiaſtique qu'on
m'y fait tailler dans le mois de juin 1755 ,
mort quelques jours après , duquel on ne
cite ni l'âge , ni le nom , ni le pays , ni la
qualité ; que cet eccléſiaſtique n'a jamais
exiſté , que je n'ai taillé aucun eccléſiaſtique
dans tout le cours de cette année cirée.
Je ne m'arrête pas plus long-temps à
ce trait , fur lequel je ſerois en état de défier
tout l'univers. J'y pourrai revenir un
jour , & le public ne fera pas peu furpris
de voir fur combien de ſuppoſitions portent
ces obfervations ſi vantées dans des
écrits publics par les adverſaires de mon
lithotome.
Mais afin que ma défenſe , toute néceſſaire
qu'elle eſt , n'occupe point trop de
place dans votre journal , je la bornerai
ici à quelques faits qui feront connoître
avec combien peu de fondement on prérendroit
reſtreindre l'uſage du lithotome
caché , ſous prétexte des riſques auxquels
il n'expoſe dans aucun cas , & que l'état
du pierreux de M. Flurant qu'on donne
pourfaitfingulier , & conféquemment pour
très dangereux , eſt au contraire le plus
favorable pour le ſalut du malade , lorſque
AVRIL 1765. 139
tout le vice de ſa ſanté s'y trouve raffemblé.
Le volume pierreux mentionné dans la
Isttre , étoit l'ouvrage de pluſieurs années ,
ainſi qu'il s'obſerve preſque toujours en
pareil cas.
La premiere exiſtence de cet affemblage
calculaire cauſe des douleurs plus ou moins
vives au malade ; elles augmentent avec le
volume que le ſédiment des urines groffit
par des nouvelles couches , de la pierre
ſoit unique ou qu'ily en ait pluſieurs. Les
contractions réitérées des muſcles abdominaux
, excitées par les douleurs aiguës que
le malade reſſent chaque fois qu'il urine ,
compriment le volume inteſtinal contre le
colde la veffie ; celui-ci , à fon tour , en
fait aurant contre le corps étranger qui l'irrite
,& force cecorps d'avancer dans l'embouchure
de l'urétre où ſon col ſe termine ;
il les dilate peu- à-peu par ces efforts redoublés
, qui ſe répétent quelquefois jufqu'à
quinze & vingt fois en moins d'une
heure. Le canal de l'urétre qui eſt à peine
d'un double diametre de plume à écrire
dans l'état naturel , acquiert celui de pluheurs
pouces , mais toujours au moins aufli
ample que le corps étranger qui l'occupe.
Ce corps étranger enfin s'avance , fair
bofle au périné , en amincit le plancher ,
140 MERCURE DE FRANCE.
ſi le malade manque de confeil , de cou
rage , ou s'il uſe de trop longs délais pour
s'en délivrer.
Dans cet état , il ne s'agit plus d'employer
des méthodes de tailler. La ſimple
inciſion ſur la tête de ce corps , avec tel
inſtrument tranchant qu'on voudra , fuffira
pour donner priſe à la tenette , pour l'extraire
en total ou en détail. Le paſſage du
furplus en profondeur n'a point beſoin
d'être dilaté , parce qu'il ſe trouve proportionné
de ſoi-même au volume pierreux
qui l'a formé.
Il en eſt de cette circonſtance , à-peuprès
, comme il arrive lorſque le pus formédans
une poitrine ſe manifeſte au dehors
par fluctuation ; on n'y fuit plus les
régles preſcrites pour l'opération de l'empiéme
, il fuffit d'ouvrir l'abcès, tout eſt
dit. De même ici la pierre a quitté les trois
quarts plus ou moins de la capacité de la
veffie ; le moindre inſtrument tranchant
fuffit pour incifer le plancher du périné ;
fi on décore cet inſtrument du nom de
méthode , ce titre eſt gratuit ; mais fi on
ne le lui prodigue que pour en dégrader
d'autres qui le méritent , c'eſt injustice. Les
faits fuivans confirmeront tout ce que je
viens d'expoſer.
Ma premiere taille ſur le vivant avec le
AVRIL 1765. 141
lithotome caché , fut fur un jeune homme
de l'âge de vingt ans , au mois de ſeptembre
1749 , nommé Demay , de la paroiffe
d'Anvers près Pontoiſe ; une groffe pierre
occupoit toute la capacité de la veffie , &
formoit une boſſe ſaillante de quelques
lignes au périné , elle diſputoit le paffage
à la fonde. Je découvris la tête de ce
corps avec un biſtouri , & je gliſſai obliquement
par-deſſous ce volume énorme
la pointe du lithotome caché d'environ un
pouce de profondeur , mais ſeulement pour
achever plus commodément l'ouverture
qui découvriroit la tête entiere de la pierre.
Ce corps monftrueux ſe briſa dans la
tenette , & fut extrait par morceaux ; le
malade guérit ſans éprouver le plus léger
accident. Le trois février 1751 , ce pauvre
malheureux ſe retrouva dans le même état ,
exactement pour n'avoir pas averti plutôt.
Je recommençai la même manoeuvre ; il
futtrès-bien guéri en peu de jours fans aucun
accident ni panfement. Il a été marié
dans la ſuite , a eu pluſieurs enfans , &
n'a point eu de récidive depuis quatorze
ans ( 2 ) .
( 2 ) Quelques ennemis du lithotome caché
ont fourdement répandu qu'il ôtoit la fécondité :
cet exemple du contraire pourroit être appuyé
par beaucoup d'autres.
S
۱
142 MERCURE DE FRANCE.
Il y a plus de fix ans que je taillai le
nommé Boileau , de la Paroiſſe de Balâtre
près de Roye en Picardie , âgé de 27 ans ,
fon urine couloit au dehors par le canal
naturel , à meſure que les reins la fourniffoient
, parce que la capacitéde la veſſie
étoit occupéejuſqu'au périné par huitpierres
réciproquement entaffées par des engrainures
qui les rendoient immobiles ;
elles furent découvertes & extraites comme
dans les deux précédens exemples ,
après avoir aggrandi l'inciſion avec le lithotome
caché comme plus commode , &
non à titre de méthode.
Un Greffier de la jurisdiction de Châlons
en Champagne , âgé de 72 ans , avoit
une pierre d'environ cinq pouces de longueur
( on manqua de la meſurer au juſte )
cylindrique & raboteuſe , plus groſſe du
double par ſa partie poſtérieure que par
l'autre bout qui avoit quatorze ou quinze
lignes de diamètre : elle occupoit la cavité
de l'urétre juſqu'au plancher du périné
qu'elle aminciſſoit ; elle empêchoit le
paſſage de la fonde; le lithotome caché y
fut employé pour prolonger l'entrée commeaux
autres tailles citées ,&uniquement
comme plus commode que tout autre inftrument.
Tous ces malades font guéris ſans le
AVRIL 1765 . 143
moindre accident , ni panſement ; ils n'ont
éprouvé aucune infirmité du côté de l'opération
, depuis qu'ils font guéris. Boileau
étoit dans le maraſme , il fut plus longtemps
à ſe rétablir dans la totalité de ſa
ſanté que les autres ; mais il n'éprouva ni
accident , ni retard dans l'opération.
Voici un cas plus analogue à celui de
Lyon. Il y a plus de dix ans que j'ai tiré
à M. Malo , ancien Directeur des vivres
de l'armée , quinze pierres du volume d'un
gros mâron chacune : elles peſoient huit
onces&demie toutes enſemble; elles n'occupoient
que la capacité de la veſſie. Ce
taillé a toujours joui ,&jouit encored'une
très-bonne ſanté. Ce ſuccès ſous les yeux
de tout Paris , eſt encore garant du prétendu
danger attribué au lithotome caché.
Si ces exemples ne ſuffifoient pas ,je pourrois
citer vingt-huit pierres tirées à un ſeul
ſujet; vingt- deux à deux autres , & toujours
fans aucun accident du côté de mon
lithotome.
Je me flatte , Monfieur , que mes raifons
& ces exemples , que vous pouvez
tenir pour auffi certains que ſi vous y aviez
aſſiſté , ſuffiront pour convaincre les lecteurs
équitables ,qu'il n'eſt aucun cas de
lithotomie dans les hommes , auxquels le
}
144 MERCURE DE FRANCE.
lithotome caché ne puiſſe êrre utile ( 3 ) ,
fans courir les riſques que la ſpéculation
ſeule a fait hazarder à ſes ennemis ſous le
nom de M. Flurant , que le vrai mérite
diftingue ſupérieurement parmi les gens
de fon art.
A Paris , le 16 Février 1765 .
AVIS INTÉRESSANT.
MONSONISEIEUURR de Wenzel1 , oculiſte de
Leurs Majestés Impériales & Royale, ayant
été obligé de ſe rendre à Londres l'automne
dernier , où il étoit demandé par
des perſonnes de la premiere diſtinction ,
n'a pu par cette raiſon donner ſes ſecours
ànombre de pauvres affligés de maladies
d'yeux , comme Il faifoit ordinairement
dans cette faifon& au printemps. Ils feront
reçus cette année depuis le commencement
d'Avril juſqu'au mois de Septembre , en ſa
maiſon rue Vaugirard , première porte cochère
à droite en entrant par la rue des
Foffés M. le Prince.
( 3 ) Cet inſtrument a différens dégrés d'ouverture
qui le rendent propre à tous les cas , ainſi
qu'on peut le voir amplement dans ſa deſcription
qui ſe vend chez d'Houri , fils , Libraire à Paris.
AVRIL 1765. 145
GÉOGRAPHIE.
LE fieur de Beaurain fils , Géographe , a
eu l'honneur de préſenter au Roi le 25 du
mois de Mars 1765 un ouvrage qui a pour
titre : Carte d'.Allemagne pourfervir à l'intelligence
de l'histoire de la guerre entre le
Roi de France & d'Angleterre , entre leRoi
de Pruffe & l'Impératrice Reine , l'Electeur
de Saxe , l'Empire , la Suède & la
Ruffie , dans laquelle il a marqué les ba--
tailles , combats , priſes de villes& camps
qu'il apu y faire entrer.
Il y a tracé les routes publiques , & joint
une hiſtoire abrégée des principaux faits
militaires arrivés tant ſur terre que fur mer
juſqu'aux traités de paix. Il l'a enrichie&
entourée de 74 plans très- détaillés , repréſentant
les événemens les plus mémorables
arrivés pendant le cours de la guerre commencée
en 1765 , & finie en 1793. Cette
carte eſt dédiée au Roi par le fils du Che
valier de Beaurain , Geographe ordinaire
de SA MAJESTÉ , & ci-devant de l'éducation
de Monſeigneur le Dauphin. Le Roi
a reçu cetouvrage avec fatisfaction , ainfi
que la Famille Royale & les Miniſtres.
Vol. II. G
146 MERCURE DE FRANCE.
L'Auteur avertit le Public qu'il eſt au jour
préſentement. Ildemeure rue Gît-le coeur ,
la première porte cochère en entrant par le
quai des Auguftins. Cet ouvrage ſe vend
auſſi chez le ſieur Charpentier , Libraire ,
quai des Auguftins , à Saint Chrifoftôme.
HORLOGERI E.
TABLE d'équations qui indique la différence
du midi vrai , ou du paſſage duſoleil
par le méridien , au midi d'une pendule qui
va uniformement , calculée pour tous les
jours de l'année , avec les différences en
vingt-quatre heures , fur quatre années de
fuite,ſavoir, la biſextile & les troisfuivantes.
Par lefieur ARSANDAU , Horloger , 1764 .
Cette table eſt endeux parties , qui contiennent
chacune fix mois. Elles font de
format à pouvoir être encadrées & placées
auxdeux côtés d'une pendule. Nous favons
que l'Auteur ne l'a fait imprimer que pour
la diſtribuer aux Amateurs. L'amour de
l'exactitude pour ce qui concerne la nature
du temps doit engager à ſe procurer cet
ouvrage.
L'Auteur demeure au Méridien du
Marché-Neuf.
:
AVRIL 1765. 147
ARTS AGRÉABLES.
MusIQUE.
THÉORIE de la Muſique , par M. BALLIERE
, de l'Académie Royale des
Sciences , Belles - Lettres & Arts de
Rouen ; in-4°. avec figures.
Muſica tota quid eft , numeri niſi cantibus apti
Fraguerii ſchola Platónica.
CETTE épigraphe déſigne le caractère de
l'ouvrage , & l'on peut déja juger que les
Mathématiques y auront le pas. En effet ,
il pourroit auſſi s'intituler , Application de
la Géométrie à la Muſique. Toutes les propoſitions
relatives à la Muſique ſont ici
transformées en problêmes de Géométrie ,
&cette manière de les conſidérer donne
lieu à la découverte de pluſieurs nouveautés
intéreſſantes , tant en Muſique qu'en
Géométrie . Nous nous contenterons d'en
expoſer quelques-unes.
Une expérience fondamentale , ſeule
néceſſaire pour expliquer toutes les loix de
l'harmonie , nous apprend qu'un corps
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
د
fonote fait entendre avec le fon qui lui
eſt propre , pluſieurs autres fons. L'Auteur
les exprimant dans l'ordre qui
les amène appelle 1 le premier , 2 le
ſecond , 3 le troiſiéme , &c. & il exprime
cette progreſſion arithmétique par un
triangle dont la baſe eſt coupée à diſtances
'égales par des lignes paralleles entre elles.
Ces lignes repréſentent les dégrés du fon
ou les dégrés d'acuité.
2,3,4 ,
On obferve dans cette même expérience
que des cordes qui font la moitié , le tiers ,
le quart &c. de la première , rendent fucceffivement
les fons que l'on entend quand
la première corde eſt pincée. La queſtion
devenue problème de géométrie confifte
à trouver une ſuite de lignes paralleles ,
qui foient entr'elles comme 1 , &c.
c'est-à-dire , une progreſſion harmonique.
La figure deuxième en donne la ſolution ;
c'eſt la première fois que la progreffion
harmonique eſt réſolue géométriquement
par lignes paralleles & détachées. Toutes
les propriétés de cette progreſſion , mentionnées
dans les Auteurs , s'expliquent
par cette figure , qui eſt auſſi le germe de
pluſieurs autres propoſitions.
Les Muficiens conſidérant les octaves
comme des repliques , ne font pas mention
dans la progreffion ci-deſſus des termes
& , & donnent le nom de pro-
1
AVRIL 1765. 149
greſſion harmonique à la ſuite des trois
nombres . L'Auteur , après avoir
fait obſerver que cette progreſſion n'eſt
autre que la première , qui a été tronquée ,
ajoute une ſolution particulière , qui
amène les termes & fans amener &
& donne par-là de nouveaux moyens pour
trouver tout d'un coup telle partie qu'on
voudra d'une ligne donnée. Cette méthode
peut ſe joindre dans les élémens de géométrie
à celles qui y font enfeignées pour le
même objet.
و
Si l'on continue les termes d'une progreſſion
harmonique , dont le premier auroit
3 pour dénominateur , ( ce nombre 3
eſt choiſi pour éviter les fractions ) on obtiendra
ceux-ci , 24 , 27, 30 , 33 , 36 , 39 ,
42 , 45 , 48 , qui ont trois pour diſtance
&pour commun diviſeur , & qui repréfentent
l'échelle ut , re , mi , fa , fot , la
Sibémol, fiut. L'Auteur, pour l'expérience,
forme un trapéze , qui eſt une portion de
parallélogramme, &qui diſpenſe de tracer
les termes 3 , 6 , 9 , &c. qui ont précédé
24. Mais comme l'échelle des modernes
n'admet pas defi bémol , & que de plus
elle donne au fa & au la les valeurs 32 &
40 , au lieu de 33 & 39 ; ces altérations
font exprimées géométriquement dans la
même figure qui , ainſi que toutes celles
1
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
de ce livre , préſente les cordes dans leur
longueur ; enforte qu'on a toujours l'inftrument
ſous les yeux.
La queſtion du tempérament , qui confiſte
à partager l'octave en douze intervalles
de demi-tons égaux , eſt traduite
ici en langage géométrique de la manière
ſuivante. Problème : trouvez une
fuite de treize lignes paralleles en progreffion
géométrique , & dont la première
foit double de la treizième. Nos
traités élémentaires ne font point mention
de ce problême , & même on n'y propoſe
point engénéral de trouver une ſuite de
lignes paralleles en progreſſion géométrique
& en raiſon donnée. On y demande
une moyenne , une troifiéme ou une quatriéme
proportionnelle : mais il n'eſt pas
queſtion de lignes paralleles ni de progreflion.
Ce problème ſeroit très-bien placé
dans les élémens. A l'égard du cas particulier
qui nous occupe , l'Auteur obferve
que fi treize lignes font en progreffion , la
première , la cinquiéme , la neuviéme &
la treiziéme y feront auffi. La ſeconde
condition du problême exigeant qu'un des
extrêmes ſoit double de l'autre, le réduit à
chercher deux moyennes proportionnelles
entre 1 & 2 , c'eſt-à-dire , à trouver la
duplication cube. Demander un cube dou
AVRIL 1765. 151
blé d'un autre , ou demander trois tierces
majeures ſemblables dans l'intervalle d'une
octave , c'eſt propoſer la même queſtion
en termes differens. Après avoir réſolu ce
problême par la recherche de deux moyennes
proportionnelles , &par l'introduction
de trois autres lignes dans chaque intervalle
, l'Auteur donne pour trouver les
treize lignes une méthode que les Géométres
verront avec plaifir. Il y profite
d'une loi de l'harmonie qui permer de
ſubſtituer à une corde celle qui en eſt la
moitié ou la double , à cauſe de la refſemblance
des octaves. Ce problême eſt
réſolu par approximation & par la régle
de fauffe pofition, dont l'uſage n'eſt pas fréquent
en géométrie , & dont l'application
fera trouvée très- heureuſe.
Dans un ouvrage tel que celui-ci , on
ne s'étonnera pas de rencontrer pluſieurs
paradoxes , pluſieurs de ces propoſitions
qui choquent les opinions communes :
aufli en est-il rempli. Les Muſiciens liront
avec ſurpriſe que ce qu'on apelle odave
doit s'appeller dans le langage philoſophique
une ſeconde ; que ce qu'on nomme
douziéme doit être nommé tierce , & que
ce qu'on appelle échelle diatonique n'eſt
qu'une partie , n'eſt que le quatrième étage
de l'échelle diatonique complette ; que la
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
note fol tient exactement le milieu entre
ut & fon octave ; enforte que dans le chant
ut fol ut , il y a auſſi loin du premier ut à
fol que dufol au ſecond ut , & quantité
d'autres paradoxes ſemblables.
Mais que diront à leur tour les Géomètres
, quand ils verront nier un théorême
d'Euclide? Le voici : un ton ne peut
être diviſé en deux ni pluſieurs parties.
L'Auteur juftifie ſa hardieſſe en faifant
voir que la démonstration d'Euclide eſt
fondée ſur une erreur qu'il recevoit comme
une donnée. Euclide avance, ce qui est vrai ,
qu'entredeux nombres diſtansde l'unité,on
nepeut introduire une ni pluſieurs moyennes
proportionnelles géométriques. Maisil
n'eſt pas vrai , comme l'ont toujours fuppoſé
les Muſiciens , que pour diviſer en
deux l'intervalle d'un ton , il faille prendre
une moyenne géométrique entre les
deux termes qui limitent cet intervalle. II
faut pour diviſer un intervalle en deux ,
prendre la moitié de la fomme des deux
termes , & non la racine quarrée de leur
produit. La première de ces deux opérations
eſt aſſurément plus facile que la
ſeconde. Combien donc a- t- on fait jufqu'à
préſent de calculs inutiles , & combien
la théorie que nous annonçons l'emporte-
t-elle fur celles qui l'ont précédée ,
AVRIL 17650 153
ſi l'on admet la propoſition ſuivante , par
laquelle nous finiſſfons notre extrait !
« Le mot intervalle , ſuivant toutes les
>>définitions , eſt la diſtance d'un objet à
>> l'autre. Pythagore , au lieu d'exprimer
>> cette diſtance par une ſouſtraction , l'a
>> exprimée par une fraction. Cette erreur ,
>>adoptée pendant vingt-trois fiécles fur
>> l'autorité de ce Philoſophe , eſt la fource
>>de toutes les difficultés qu'on rencontre
>> dans l'étude de la muſique , qui devient
>> aiſée lorſqu'on reftitue au mor inter-
>> valle ſa vraie fignification & ſa vraie
>> expreffion » .
Cet ouvrage eſt à la portée de tous
ceux qui ont la plus legère teinture des
élémens de géométrie. L'Académie de
Rouen en a porté un jugement très-avantageux
, &c .
Il eſt imprimé à Rouen chez Et. V.
Machuel, &fe trouve auſſi à Paris chez
P. Fr. Didot , quai des Auguſtins ; chez
Duchesne , au Temple du Goût , & chez
Panckoucke , près la Comédie Françoiſe.
Prix , fix liv. broché,
EXTRAIT des Obfervationsfur les principes
de l'harmonie , &c ; chez Panckoucke.
La plupart de ceux qui aiment les
:
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
Beaux-Arts ſe contententdu plaifir qu'en
peut procurer la pratique. C'eſt fur- tout à
l'égard de la Mufique que cette remarque
a lieu : mais l'eſprit philofophique eft trop
communde nos jours , pour qu'il n'y ait
pas dans le grand nombre des Amateurs
de cet art agréable , quelques perſonnes
qui foient bien aiſes de joindre aux plaifirs
des ſens & du coeur que peut donner
la pratique , ceux que l'eſprit peut retirer
des lumières d'une théorie judicieuſée.
C'eſtà ce petit nombre d'Amateurs que
font offertes ces Obfervations fur les principes
de l'harmonie. L'Auteur , M. Serre ,
Citoyen de Geneve , s'est déja fait connoître
par un ouvrage ſur le même ſujet ,
où l'on a trouvé un grand nombre de vues
nouvelles exprimées avec autant de netreté
que d'élégance. Depuis la publication
de cette première production , intitulée :
Effaisfur les principes de l'harmonie , & c .
ila paru quelques écrits ſur la même marière.
On trouve en particulier dans le
feptiéme tome de l'Encyclopédie un article
aſſez étendu au mot Fondamental , où
l'on trouve plufieurs queſtions de théorie
muficale traitées par le célebre M. d'Alembert.
M. Tartini , dont le mérite en
faitde compoſitions muſicales eſt ſi connu
, publia en 1754 un ouvrage confidé
AVRIL 1765 . 155
rable fur la théorie d'un Art qu'il poſſléde
au plus haut dégré. Cet ouvrage a pour
titre : Trattato di Muſica ſecondo la vera
fcienza delle armonia , Traité de Muſique
felon la vraie ſcience de l'harmonie . Entre
pluſieurs Livres que M. Geminiani , ( dont
le nom & les talens font très - connus en
France&plus encore en Angleterre; ) entre
pluſieurs Livres , dis - je , que ce célebre
Muſicien adonnés au Public pour faciliter
l'intelligence & la pratique de l'harmonie
, tant fur le clavecin que ſur le violon
, il en eſt un à la compoſition duquel
on fait qu'il a conſacré pluſieurs années
de ſa vie ; années qu'il auroit pu , vu la
grande réputation dont il jouiſſoit à Londres
, employer beaucoup plus avantageuſement
pour l'avancement de ſa fortune.
Voici le titre de cet Ouvrage , qui ,
comine la Préface , eſt en Anglois , aux
premiers mots près , qui font Italiens ,
Guida armonica , ο Dizzionario armonico,
beingafureguidetoharmony andmodulation,
&c. c'est-à-dire , Guide , ou Dictionnaire
harmonique , qui montre exactement les
vraies routes de l'harmonie & de la modulation
, les différentes combinaiſons desfons
confonnans & diſſonnans , les diverses progreffions
des accords , les ſyncopes & les
cadences , tant réelles que fimulées.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
Ce font là les trois écrits ſur leſquels
roulent les obfervations de M. Serre , &
qui lui fourniſſent en même temps l'occafionde
propoſer pluſieurs idées nouvelles
fur la théorie muſicale , très-dignes de
l'attention des amateurs de cette théorie.
La première partie de ces obſervations
contient un examen de pluſieurs propofitions
contenues dans l'article de l'Encyclopédie
que nous avons indiqué.
Cet examen préſente d'abord quelques
remarques ſur l'expérience , par laquelle
on prétend qu'un corps , &c.
avec
Ces différens fujets , que nous nous
contentons d'indiquer , font ici traités
beaucoup de netteté & de préciſion.
L'ordre dans lequel ils ſe ſuivent eſt relatif
à celui dans lequel ils ſe préſentent
dans l'article Fondamental de l'Encyclopédie.
La feconce partie de ces obſervations
eſt deſtinée à donner aux Amateurs de
T'harmonie une juſte idée du Traité de
M. Tartini . Ce Traité eſt diviſé en fix
chapitres , outre un diſcours préliminaire
&une conclufion. M. Tartini expoſe dans
cet Ouvrage un ſyſteme muſical affez
fingulier. Ce ſyſtême porte fur quelques
expériences phyſiques , & fur quelques
raiſonnemens qui en ſont déduits. M.
AVRIL 1765 . 157
Serre s'attache à examiner ce double fondement
de la doctrine du Muſiciende Padoue.
Il fait voir que la deſcription qu'il
faitdequelques expériences ſur le ſon , n'eſt
pas toujours fort exacte , &que la logique
qui régne dans les raiſonnemens participe
affez ſouvent de la nature du ſophifme.
Ce font là des défauts dans ce Traité,
que M. Serre paroît démontrer avec autant
de regret que d'évidence.
L'Ouvrage de M. Geminiani , dont
l'examen fait l'objet de la troiſiéme partie
de ces obfervations , n'eſt pas proprement
un ouvrage de théorie. C'eſt un répertoire
d'exemples d'harmonie ou de
courtes phrafes de baſſe chifrée. Ces exemples
font rangés ou diftribués en un certain
nombre de claſſes , ſelon les différentes
notes par leſquelles ils commencent
; & au bout de chaque exemple on
trouve un chifre qui renvoie à une de ces
claſſes , afin de pouvoir continuer & lier
de ſuite autant qu'on voudra de ces petites
phrafes de baſſe chifrée , ſans jamais
pécher contre les régles de l'harmonie.
Non-ſeulement les Muſiciens peuvent trouver
aisément dans ce guide harmonique
des ſucceſſions d'accord , dont peut-être
ils ne s'aviſeroient pas : mais encore ceux
158 MERCURE DE FRANCE.
qui ignorent parfaitement les régles de la
compoſition , peuvent , en obſervant deux
ou trois avis placés à la tête de l'ouvrage ,
écrire une baſſe chiffrée très-régulière , &
auſſi longue qu'ils le defireront. Quelque
ingénieuſe que foit l'idée & la méthode
de ce guide harmonique , il s'en faut beaucoup
qu'il foit porté au dégré de perfection
dont il eſt ſuſceptible. C'eſt ce que
M. Serre démontre; mais ilne ſe contente
pas de faire voir ce qui manque à cet
ouvrage pour remplir entiérement le but
très-louable de ſon Auteur , il propoſe
les divers moyens qu'on peut aifément
mettre en uſage pour y atteindre. Il fair
voir en quoi la méthode de M. Geminiani
peut être perfectionnée , & il indique un
nombre conſidérable de claſſes d'exemples
à ajouter à celles que renferment cet ouvrage
, pour en faire un guide harmonique
plus commode , plus utile , en un mot ,
plus parfait.
Les Lecteurs feront peut-être bien aiſe
d'apprendre que l'Auteur de ces obfervations
fur les principes de l'harmonie eſt
lui même artiſte; mais que l'art muſical ,
dont il a fi bien pénétré & développé les
principes , n'eſt pas celui qu'il exerce. M.
Serre profeſſe lapeinture en mignature &
AVRIL 1765. 159
en émail dans le genre du portrait, &
c'eſt après s'être fait connoître très-avantageuſement
par ce talent à la Cour de
Vienne& à celle de Londres , qu'il s'eſt
retiré dans fa patrie pour y jouir tranquillement
des douceurs que peuvent procurer
des connoiffances philoſophiques , réunies
à l'intelligence & à la culture des Beaux-
Arts.
LES Menuets de M. le Chevalier d'Harbain
, en trio , pour deux violons & balfe ;
qu'on peut aufli exécuter à deux parties.
Premier Recueil. Prix 1 liv. 16 fols.
A Paris , aux adreſſes ordinaires de Mufique.
,
SYMPHONIE à huit parties , violons ,
hautbois , cors-de-chaſſe , alto & bafle ;
compoſée par M. A. L. Baudron. Prix ,
2 liv. 8 fols. A Paris , chez Cuiſſart , Libraire
fur le Pont-au- Change , & aux
adreſſes ordinaires de Muſique.
و
M. Venier , éditeur des nouvelles Symphonies
de Vanmaldere & de pluſieurs
autres ouvrages de muſique inſtrumentale
vient de mettre au jour :fei finfonie
obbe , è corni da caccia a piacimento , compofte
da Frederico Schwindl , virtuoso di
د
con
1
160 MERCURE DE FRANCE.
Camera di S. E. il Conte di Colloredo , &c.
Opéra 3. Prix 12 liv. compris les parties
d'haut-bois & cors de chaffe. Ces Symphonies
font traitées en grand maître , & d'un
goût nouveau . Elles ſe trouvent à Paris ,
chez M. Venier , rue Saint Thomas du
Louvre& aux adreſſes ordinaires ; à Lyon ,
chez MM. les Freres le Gouy, place des
Cordeliers , & M. Caftau , place de la
Comédie.
Six Sonates à violon ſeul & la baffe
continue, dédiées à Monſeigneur le Comte
de Maillebois , Marquis d'Alègre , Baron
&Grand-Bailli de Châteauneuf en Thimerais
, Chevalier des Ordres du Roi ,
Lieutenant-Général de ſes armées & de la
Province de Languedoc , Gouverneur des
ville & citadelle de Douay ; compoféés
par M. Mahony , Ordinaire de la Comédie
italienne ; gravées par Labaffée ; OEuvre
II . Prix , 6 liv. A Paris , chez M. le Jay ,
Marchand de muſique , rue Mauconſeil ,
à côté de la comédie italienne , au concert
italien , & aux adreſſes ordinaires de mufique.
AVRIL 1765 . 161
GRAVURE.
NOUous annonçons avec plaifir & empreſſement
le portrait du grand Corneille ,
gravé par Ficquet , déja connu par pluſieurs
morceaux en ce genre , dont la beauté
mérite les plus grands éloges. Ce portrait
de grandeur in- 8 °. réunit la parfaite refſemblance
à une fineſſe de burin admirable
; & la bordure allégorique qui l'environne
, ajoute encore à ces perfections par
la maniere dont elle a été deffinée & gravée
par MM. Cochin & Choffard. Il ſe
vend chez les principaux marchands d'eftampes
; chez M. Wille , graveur du Roi ,
quai des Auguſtins ; & chez Duchesne ,
libraire , rue St. Jacques. Prix 3 liv. On
trouve aux mêmes adreſſes les portraits de
MM. de Voltaire , la Fontaine & J. B.
Rouffeau , gravés ſucceſſivement par le
même artiſte.
ARBRE chronologique de l'hiſtoire univerſelle
, dédié& préſenté à Monſeigneur
leDuc de Berry , par M. Renaudot. Cette
carte contient le tableau des principaux
états fouverains du monde , l'époque de
leur établiſſement , leur durée , leurs fon-
4
162 MERCURE DE FRANCE.
dateurs , le nombre de leurs Princes , &de
ceux qui régnent à préſent ; avec une idée
desprincipales révolutions qu'ils ont fouffertes
, mis dans un ordre fucceffif, & propre
àen donner une connoiſſance claire &
exacte. Ouvrage néceſſaire aux jeunes
gens qui ſe propoſent d'étudier l'hiſtoire ,
&utile aux perſonnes qui la poſſédent.
L'explication de l'arbre généalogique ſe
trouve ſéparément dans un in-12 , chez
l'Auteur , rue St. Antoine , place Baudoyer
, à l'hôtel de Malte.
PLANS & deſcription de la ville de
Peckin , par MM. de Lifle & Pingré , astronomes
de la marine , de l'académie royale
des Sciences. Prix 4 liv. A Paris , chez
Lattré, graveur , rue St. Jacques , à la ville
de Bordeaux. On trouve chez le même un
plande Pondichery dans les Indes orientales
, fur papier grand aigle. Prix 3 liv.
-AVRIL 1765. 163
SUPPLÉMENT AUX PIECES FUGITIVES.
LETTRE d'un Caporal du Régiment de
Hainault à M. DE BELLOY.
MONSIEUR ,
Les huit eſcouades de la compagnie ,
aſſemblées par ordre du Capitaine ( 1 ) ,
pour aſſiſter à la lecture de votre incomparable
Tragédie du Siège de Calais , m'ont
chargé de vous écrire , comme chef de la
premiere , combien elles partagent avec
toute la nation les ſentimens de reconnoifſance
qu'elle vous doit.
Les annales du Parnaſſe ne nous offroient
que des faits étrangers ou fabuleux. L'habitude
du courage parmi nous ſembloit
difpenfer nos auteurs du devoir d'en parler
, & les François gémiſſoient en filence
de l'oubli des vertus de leurs ancêtres. Que
ne vous doivent-ils pas ? Plus juſte envers
eux , vous leur conſacrez vos talens ; vous
chantez leur amour pour leur Roi ; vous
réveillez le patriotiſme , & vous développez
le germe de l'héroïſme dans tous les
coeurs.
( 1 ) M. DESTOURS, qui nous honoroit de fa
préſence.
164 MERCURE DE FRANCE.
Pardonnez , ſi pour d'auſſi beaux vers ,
je vous envoie de la proſe infipide. Elevé
dès l'enfance dans le tumulte des armes ,
je fus toujours plus occupé de lauriers que
de fleurs ; un baſtion fut mon parnaffe ;&
ſi j'oſe vous adreſſer nos hommages , c'eſt
pour fatisfaire à l'empreſſement d'une troupe
à qui vous êtes devenu cher , & aux
ſentimens reſpectueux avec leſquels je
fuis , &c.
PRINTEMPS , Caporal de la Compagnie DL
DESTOURS , au Régiment de Hainaut .
AMetz , le 26 Mars 1765 .
:
AVRIL 1765. 165
ARTICLE V.
CONCERTS SPIRITUELS.
0
Du Mercredi , 27 Mars.
Ndonna pour premier grand Motet Omnes
gentes de M. DAUVERGNE , Surintendant de la
Muſique du Roi. M. JANNSON , de la Muſique
de S. A. S. Monſeigneur le Prince de CONTY ,
exécuta fur le violoncelle une Sonate de ſa compoſition
: il fit grand plaifir , tant par l'exécution
que par l'agrément de ce qu'il exécura ; ainſi que
M. BALBATRE , dans ſon Concerto fur l'orgue.
M. LE GROS chanta Coronate , petit Motet a voix
ſeule de feu M. Lefevre. On connoît toutes les
grâces de la compoſition de ce morceau ; on doit
juger de celles qu'y ajoutoient le talent & la voix
de M. LE GROS. Mlle FEL chanta un petit Moter.
Le Concert finit par Dominus regnavit , Motet à
grand cooeur de feu M. de LALANDE , dans lequel
Mile AVENEAU chanta le récit Adcrate eum .
Du Vendredi 29 .
Pour premier grand Motet Benedic anima mea ;
de M. DAUVERGNE . M. JANNSON exécuta une
Sonate de ſa compoſition fur le violoncelle , avec
le même ſuccès que le jour précédent , & M. Berthéaume
, élève de M. LE MIERE , ſur le violon *
166 MERCURE DE FRANCE.
unConcerto de M. GAVINIÉS . Ce jeune Sympho
niſte , âgé de 11 ans, étonna les connoiſſeurs ,
non- feulement relativement à fon âge , mais pour
la force du talent , la préciſion& le tact , comparativement
aux ſujets les plus formés. Nous aurons
occafion de reparler de cet agréable phénomène.
Mile DU BRIEULLE chanta le petit Motet
CantateDomino. Mile AVENEAU , Quemadmodum ,
Motet a voix ſeule de feu M. MOURET , dans
lequel elle fut fort applaudie. Ce Concert finit
par Confitemini , Motet à grand choeur de M.
GOULET , ancien Maître de Muſique de l'Egliſe
de Paris. On remarqua beaucoup de beautés &
deconnoiſſances de l'harmonie dans cet ouvrage.
Du Dimanche des Rameaux 31 Mars.
Le même Motet de M. DAUVERGNE , Benedic
anima. M. BALBATRE exécuta ſur l'orgue un nouveau
Concerto , dans lequel pluſieurs morceaux
d'un chant très -agréable redoublerent les applaudiſſemens
, que les ſeules grâces de ſon exécution
lui méritent toujours. M. CAPRON exécuta un
Concerto de violon . La ſavante pratique de fon
exécution eut les applaudiſſemens ordinaires.Nous
renvoyons pour le reſte à l'invitation du plus
grandnombre des auditeurs , qu'on a lu dans le
vol. précédent , à l'article des Concerts Spirituels.
Mlle ROZET & M. LE GROs chanterent un nouveau
Motet à deux voix ( Jubilate Deo ) , de la compoſition
de M. DAUVERGNE . Le Motet & ceux qui
l'exécutoient furent fort applaudis. Mlle
BRIEULLE chanta un petit Moter. Mile AVENEAU
chanta avec beaucoup de ſuccès un récit dans le
Cantate Domino de feu M. DE LALANDE , par
lequel fut terminé le Concert.
DU
2
AVRIL 1765. 167
Du Lundi premier Avril.
Mile AVENEAU chanta à la fin du Concert le
même récit que le jour précédent , dans le même
Motet de M. DE LALANDE. On avoit commencé
par leMifererede M. DAUVERGNE , Motet à grand
choeur , dans lequel il y a de beatux effets d'harmonie;
on en a parlé dans ſa nouveauté . M. JANN
son exécuta une Sonate ſur le violoncelle. M.
BERTEAUME , que l'on peut avec juſtice nommer
l'enfant merveilleux , exécuta un Concerto de la
compoſition de M. GAVINIÉS. Les maîtres de l'art
& les meilleurs connoiffeurs conviennent qu'ils
admireroient , dans un âge bien plus avancé, les
mêmes qualités & les mêmes perfections de jeu
qui les étonnedans ce ſujet de onze ans . Un archet
fûr & décidé , un ſon plus moëleux qu'il ne paroît
poſſible à la foibleſſe de cet âge de produire , une
exécution facile , nette dans la volubilité , hardie
ſans imprudence ; le tout réglé par un goût qui
paroît venir d'un ſentiment vif& juſte : tel eſt ,
ſans exagération , ce rare ſujet dont ceux qui pratiquent
le même inſtrument trouveroient encor
àdire beaucoup plus que nous ne venons d'en
annoncer. M. QUENTIN , Haute-contre , chanta
Benedictus , Motet à voix ſeule de feu M. MoURET
&MileDU BRIBULLE , Quam bonus Ifrael , autre
petit Motet de M. LE FEVRE.
Du Mardi 2 Avril.
OnexécutaleDeprofundis de M. DAUVERGNE,
duquel nous avons eu à rendre dans le temps un
compte favorable. Mademoiselle BERNARD , trèsjolievoix
, dont nous avons ſouvent parlé , tant
168 MERCURE DE FRANCE.
à l'occaſion du Concert que de l'Opéra , chanta
Nunc dimittis , Motet à voix ſeule de M. BILLON .
Mademoiselle AVENEAU , Quemadmodum , autre
petit Motet de feu M. MOURET. M. BALBATRE
exécuta ſur l'orgue ſon nouveau Concerto. M. CAPRON
joua une ſonate de violon. Le Concert finit
par Exaltabo te , Motet à grand choeur de feu
M. DELALANDE , dans lequel Mademoiſelle AVENEAU
chanta un récit .
Du Mercredi 3 Avril.
Le premier grand Moter fut Diligam te de feu
M. GILLES , dans lequel Mademoiselle AVENEAU
chanta un récit . M. JANNSON exécuta une Sonate
de violoncelle , & M. CAPRON un Concertode
violen. M. LE GROS chanta Confervame, petit Motet
de feu M. MOURET , & Mademoiſelle DU
BRIEULE Un autre Motet à voix ſeule. Le Concert
finit par le Stabat Mater de PERGOLEZE , chanté
par Mademoiſelle FEL & M. RICHER. Comme on
a répété ce Motet les deux jours ſuivans , nous,
parlerons de l'exécution au dernier jour.
Du Jeudi 4 Avril.
- Exaltabo te de feu M. DE LALANDE , Motet à
grand choeur , dans lequel Mademoiſelle AVENEAU
chanta un récit. M. LE GROS chanta Con
ferva me , petit Motet , & Mademoiſelle BERNARD
Nune dimittis . MM. JANNSON & KOHAUT , de la
Muſique de S. A.S. MGR LE PRINE DE CONTI ,
exécuterent des Duo de violoncelle & de luth . Ils
dûrent s'appercevoir de ce que nous avons dit tant
de fois , & qu'on ne peut trop répéter , ſur le ſentiment
univerſel que produisent les morceaux
d'une
:
1
AVRIL 1765 .. 169
d'une muſique agréable , dans leſquels tous les,
efforts de l'art font employés à plaire. On ne peur
en effet donner trop d'éloges à ces deux grands
talens ſur l'exécution& fur le genre de cette mufique.
Ils ont été applaudis avec une forte de ravifſement
. Tous les voeux des amateurs du Concert
ſe réuniſſent pour defirer que cet exemple éclaire
les Symphoniſtes ſurle choix dece qu'ils exécutent.
M. BERTHEAUME exécuta une Sonate de violon .
Il y fit admirer un art prodigieux pour ſon âge..
Nous ſommes fachés , ainſi que le Public , de ne
pouvoir pas dire du genre de mufique de cette
Sonate ce que nous avons dit avec justice de celle
des Duo de MM. KOHAULT & JANNSON, Le Concert
finit par le Stabat .
Du Vendredi Saints Avril.
Le Concert ouvrit par Diligam te Domine, Motet
à grand choeur de feu M. GILLES , dans lequel
Mile AYENEAU chanta deux récits . MM. JANNSON
& KOHAULT Exécuterent , avec tous les applaudif-
( ſemens de l'auditoire , leurs Duo de violoncelle
&de luth . M. CAPRON un Concerto de violon ,
marqué au coin des plus grandes difficultés , conſéquemment
peu intelligible pour le plus grand
nombre , en faveur duquel cependant il ſemble
que les artiſtes & les talens devroient toujours travailler.
M. RICHER chanta un petit Motet , & Mile
BERNARD un autre pour remplacer celui que devoit
chanter M. LE GROS , qui ſe trouva indiſpoſé. Le
Concert finit par le Stabat de PERCOLEZE . Ce
morceau , ficélèbre dans l'Europe , avoit été exécuté
en France par divers ſujets , & preſque toujours
par des Italiens . Il n'avoit jamais été rendu
auſſi avantageuſement que cette année par Mlle
FEL& par M.RICHER.On connoît trop le caractère
Vol. 11. H
170 MERCURE DE FRANCE.
dela voix& le talent de la première pour avoir
beſoind'en faire l'éloge. M. RIGHER eſt le même
qui a été célèbre dès fon enfance , par la voix de
cer âge, qui a continué long-temps , par l'art&
par legoût de ſon chant. Il a confervé , avec une
eſpècede voix de taille , la faculté de chanter les
deffus, fans l'aigreur du fauffet& fans l'aridité des
voix conſervées contre l'ordre de la nature . D'ailleurs
la réunion de ces deux talens , excellens
dans l'artdu chant , a fait ſentir toutes les beautés
d'expreſſion que renferme la muſiquedece Motet.
Du Samedi 6 Avril.
Regina Cæli, Motet à grand choeur de M. DAUVERGNE
, très- agréable & très-brillant. Le jeune
M. BERTHEAUME exécuta fur le violon un Concerto
de violon de la compoſition de M. GAVINIÉS.
Il reçut encore plus d'applaudiſſemens que
lesjours précédens ,& recueillit les mêmes fuffragesdes
connoiffeurs. M. RODOLPHE , de la Mufique
deS. A. S. Menſeigneur LE PRINCE DE CONTI ,
exécuta un Concerto de cor de ſa compoſition,
Nousavons parlé l'année dernière avec éloge des
rares talens de M. RODOLPHE , & nous n'avons pu
en donner qu'une idée imparfaite ; on doit juger
desapplaudiſſemens qu'il a reçus. Mile BERNARD
chanta Paratum , petit Motet de feu M. MOURET,
M. LEGROS ne put chanter dans ce Concert. Il
finit par Diligam te , Motet à grand choeur de feu
M. GILLES, dans lequel Mlle AVENEAU chanta un
récit.
Du Dimanche 7 Avril , jourde Pâques.
On chanta pourpremier Motet à grand choeur le
TeDeum deM. DAUVERGNE,très-beau Motet, d'un
grandgrandeffet&d'une belle expreſſion.Nousen
avons détaillé les beautés dans le temps de fanou-
1
AVRIL 1765 . 171
veauté.M.BALBATRE exécuta le Concerto d'orgue,
danslequel il avoit été déja applauditesjours précédens.
M. CAPRON joua un Concertode violon.Mademoiselle
FEL & M. LE GROS chanterentExultate
Jufti , &c . Motet à deux voix de M. DAUVERGNE,
dont nous avons déja rendu compte. Mademoifelle
AVENEAU chanta le petit Motet Ufquequo &
un récit dans le grand Motet Dominus regnavit ,
defeu M. DELALANDE , par lequel fut terminé le
Concert.
Du Lundi 8 Avril.
On reprit pour premier Motet à grand choeur
Regina Cæli de M. DAUVERGNE . M. BERTHEAUME
exécuta ſur le violon un Concerto de M. LOLLI
dans lequel il fit grand plaifir , & continua d'éton
ner tout l'Auditoire par ſon talent. M. SÉJAN ,
Organiſte de S. André-des-Arts & de S. Severin ,
exécuta un nouveau Concerto d'orgue de ſa compoſition
, agréable & favant , qui fit le plus grand
plaifir. Son exécution fut généralement admirée
&applaudie. La netteté , la preſteſſe & la légéretéde
ſon toucher ſont entr'auttes qualités des parties
remarquables dans le talent de cet habile Organiſte.
Meſdemoiſelles BERNARD & DU BRIEULE
chanterent Confitemini , Motet à deux voix deM.
CORDELET. Mademoiſeile AVENEAU chanta Quemadmodum
, Motet à voix ſeule de feu M. Mου-
RET. LeConcert finit par Judica me nocentes , &c,
Motet de feu M. FANTON , qui n'avoit point encore
été entendu au Concert. Ce morceau porte
en beaucoup d'endroits le caractère de beauté qui
diftingue les productions de ce ſçavant Compoſiteur
; mais on y remarqua quelques longueurs
dont la ſuppreſſion ſeroit facile , & mettroit ce
Motet au nombre de ceux qu'on entend avec le
plusdeplaifir.
L'Articledes Spectacles au Mercure prochain
1
172 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE A L'AUTEUR DU MERCURE.
Monumens publics.
PUIS-JE: eſpérer , Monfieur , d'obtenir
de vous la grace d'inférer dans votre Journal
Thommage que rend un ancien Citoyen
à l'amour du bien public , à la fageffe
des vues , & aux talens ſupérieurs
qui ont brillé avec tant de ſuccès dans l'illuftre
M. Pontcarré de Viarmes. Je n'ofe
entrer dans l'immenſe détail de tous les
fuperbes & utiles monumens dont il a en.
richi cette capitale. Il l'a rendue la rivale
de l'ancienne Rome. Ila , comme vous
ſavez , magnifiquement rétablil'hôtel-deville.
Il a remis dans leur première ſplendeur
toutes les places triomphales , dont
les marbres & les bronzes étoient dégradés
, les infcriptions effacées . Il a entouré
la moitié de la ville d'un boulevard qui
F'enferme dans un vaſte jardin. Il a élevé
àl'hôtel de Soiffons , pour ſuppléer à la
halle trop reſſerrée , un pompeux édifice ,
qu'on prendroit pour le Colliſée , & il a
Fait fervir la baſe de lacolonne de Médicis
de fontaine publique , & le haut d'un cadran
folaire. Il a conſtruit fur le quai S.
Bernard un immenfe baffin , qui doit être
AVRIL 1768
dans les temps orageux un port affuré pour
tous les bateaux chargés de l'approvifionnement
de cette ville. Il a élevé près l'hôt
tel de Soubiſe une belle fontaine , & il a
placé dans ce même quartier une riche bibliothéque
publique. Il a rétabli tous les
canaux , tous les aqueducs, preſque tous
les ponts. Il n'eſt enfin nulle eſpéce d'édi
fice qu'il n'ait ou réparé ou créé. Qu'il
eût été à defirer que pour perfectionner
tant d'embelliſſemens , il eût démoli cette
maffe barbare , telle qu'on dépeint la caverne
de Demorgorgon ,ce petit Châtelet
, qui eſt prêt à tout écrafer fous fes
affreuſes ruines , & qui n'eſt ſitué au centre
de la ville que pour y caufer fans ceffe
des embarras & des malheurs. Il eſt déja
tant de prifons , & fi elles ne fuffifet
point, il eſt fi facile de les agrandir. Une
telle démolition feroit d'autant plus utile,
qu'en cédant à l'Hôtel-Dieu la partie qui
l'avoiſine juſqu'au Petit- Pont , on augmenteroit
confiderablement cet hôpital , qui
ne peut contenir le prodigieux nombre de
malades dont il eſt en tout temps inondé :
c'eſt ce que tous les bons citoyens defirent
depuis long- temps , & ce qu'ils ofent ef
pérer des lumières & du goût de l'auguſte
fucceſſfeur de M. Viarmes. Ilporte unnom
cher & reſpectable , étant iffu d'une far
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
mille dans laquelle les talens & les vertus
ſemblent être héréditaires. Il doit incefſamment
conſtruire un ſuperbe hôtel des
monnoies ,& l'on parle de pluſieurs autres
grands & utiles monumens dont il a conçu
le projet. On ne peut trop applaudir à
un ſi noble zèle : il contribue à la gloire
de la nation : il fait fleurir les arts , excite
l'émulation des Artiſtes , & enrichit Paris
en yattirant une grande affluence d'étrangers
.
J'ai l'honneur d'être , &c.
MOREL DE LONGPREZ.
SUPPLÉMENT A L'ARTICLE DES ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
Danfe.
LE fieur BACQUOY-GUEDON , Maître
de Danſe à Paris, donne avis au Public ,
que s'étantextrêmement attaché à fon art ,
&ayant trouvé, dans la conformation irrégulièredepluſieurs
écoliers , desdifficultés
infinies à en pouſſer les leçons auffi loin
qu'il auroit voulu , il s'eſt appliqué à pouvoir
ſuppléer au défaut de la nature , par
1 AVRIL 1765. 175
lamanière de faire marcher : il eſt für de
mettre un jeune homme boiteux de naiffance
en état de marcher & danſer ſans
qu'onpuifle s'appercevoir qu'il a une jambe
plus courte que l'autre. Il a éprouvé pluſieurs
fois ſa manière d'y procéder , & il
a eu toujours lieu de croire que fa manière
étoit certaine : il eſt en état de le prouver
par M. le Marquis DE *** , penſionnaire
au Collège du Pleſſis , lequel boitoit de
naiſſance , & ne marchoit que ſur la pointe
du pied. Ce jeune Seigneur marche &
danſe aujourd'hui , au bout de deux ans ,
avec une facilité , une égalité de mouvemens&
un équilibre de corps comme s'il
n'eût jamais boité. Il ne le nomme pas
dans un avis public, mais il offre de le
faireconnoître à ceux qui voudront ſe con,
vaincre de ce qu'il avance ; il en a la permiffion.
Il avertit qu'il n'eſt pas ici queftion
d'allonger une jambe inégale , & encore
moins d'apporter des remédes phyſiques
à cette inégalité. Il n'emploie uniquement
que le toucher des doigts , & l'art de
déterminer&de conduire une marche particulière
qui enſuite amène une marche
générale , exactement conforme à celle de
la nature, & met un jeune homme en état
de recevoir des leçons de danſe , &de dan
Η iv
176 MERCURE DE FRANCE.
fer enfin très - bien fans nulle eſpéce de
contrainte.
Le ſieur BAC QUOY-GUEDON eſt
élève de M. MATIGNON , Penſionnaire
& Académicien du Roi , fi connu & fi
Leſtimé par fes principes de danſe. Il a danſé
fur différens théâtres de Paris , &les quitre
aujourd'hui pour ſe renfermer dans ſon
art & dans celui qu'il a découvert.
Il avertit qu'il pourra recevoir des penfionnaires
chez lui , pourvu qu'ils n'aient
pas paffé l'âge de ſeize ans.
٤٠
Une perſonne digne de foi , & que nous
connoiffons , nous a certifié la vérité de
l'expoſés ci-deſſus.
Il demeure rue du Pourtour , Paroiffe
Saint Gervais , chez M. GENEST , tenant
le bureau de Loterie de l'Ecole Royale
Militaire .
AVRIL 1765 . 177
5
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
L
De WARSOVIE , le 2 Janvier 1765 .
E 31 du mois dernier Sa Majesté donna au fils
aîné du Duc de Biren l'inveſtiture des Duchés de
Courlande & de Sémigalle , qu'il reçut, en- fon
nom & en celui du Duc ſon pere. On a réſervé
dans le diplôme qui lui fut remis , les droits &
prééminences de Duc d'une part , & de l'autre les
'priviléges & libertés des Etats .
De Stockholm , le 24 Janvier 1765 .
On a tué dans le village de Forshem , près de
Scara enWeſtrogothie , une bête extraordinaire ,
dont on a donné la deſcription ſuivante : elle eſt
de la longueur d'un pied , & a la tête d'un mops ,
de petits yeux , des oreilles très-courtes , la lèvre
ſupérieure fendue comme celle d'un lièvre , & de
grands poils à la bouche , ſemblables à ceux d'un
chat. Elle n'a que quatre dents , deux en haut &
deux en bas, longues d'un doigt & recourbées endedans
: lespieds de devant , longs d'environ quatre
pouces , reflemblent aux pattes d'un chien, &
ceux de derrière , qui ne font gueres plus longs , à
ceux d'un oye : les orteils ont cinq pouces de longueur
, avec de petits ongles , dont quatre devant
& le cinquieme derrière , & entre chacun defquels
il y a une membrane très fine . Les pieds
de derrière ſont placés fort avant ſous le ventre;
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
de forte qu'une partie du corps de l'animal pend
parderrière. Laqueue eſt large comme lamain,
& a environ 7 ou 8 lignes d'épaiſſeur. On a jugé
que cet animal étoit amphybie , & qu'il ſe ſervoit
de ſa queue pour nager.
De Coppenhague , le 19 Janvier 1765 .
Hier, lemariage du Prince Royal avec la Princeſſe
Caroline Mathilde , fooeur du Roi d'Angleterre
, a été déclaré à la Cour.
De Vienne , le 26 Janvier 1765- :
Le mariage du Roi des Romains avec la Prin
ceſſede Bavière , fille de Charles VII , a été célébré
le 23 de ce mois.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris ,&c.
L
De VERSAILLES , le 19 Février 1765 .
E Comte d'Eu arriva à la Cour le 19 du mois
dernier , & eut l'honneur de ſaluer le 20 Leurs
Majeſtés , ainti que la Famille Royale. Le même
jour leMarquis de Levis prêta ſerment entre les
mains du Roi pour le Gouvernement d'Artois ,
que Sa Majesté a ſéparé de celui de Picardie.
Le 27 Monſeigneur le Duc de Berry &Madame
Adélaïde tinrent ſur les fonts de Baptême la
fille du fheur Thierry , Ecuyer , Mouſquétaire de
la premiere Compagnie , & fils du premierVa-
Jet-de-Chambre de ce Prince : elle a été nommée
Lonife-Marie- Julienne,& a été baptiſéedans la
1
AVRIL 1765. 179
Chapelledu Château , en préſence du ſieur Allart,
Curé de la Paroiſſe de Notre-Dame , par l'Abbé
du Chaſtel , Aumônier du Roi.
Lepremier de ce mois le fieur le Bel , Recteur
de l'Univerſité de Paris , étant à la tête de la députation
de l'Univerité, a eul'honneur de préſenter,
ſelon l'uſage , le cierge de la Chandeleur à Leurs
Májeſtés & à la Famille Royale .
Le même jour le Pere Touſtain de Fronteboſe
Vicaire Général de l'Ordre de la Mercy , accompagné
de trois Religieux de ſa Maiſon , a eu auſſi
l'honneur de préſenter un cierge àla Reine pour
fatisfaire à une des conditions impoſées à cet
Ordre , lorſque Marie de Medicis en permit l'établiſſement
à Paris .
Le même jour Leurs Majestés & la Famille
Royale ont ſigné le contrat de mariage du Marquis
de Vintimille avec Demoiselle Talbot de
Tyrconel.
Le 2 , jour de la Purification , les Chevaliers ,
Commandeurs & Officiers de l'Ordre du Saint-
Eſprit s'aſſemblerent vers les onze heures du matindans
le cabinet du Roi , qui fortitde ſon appartement
enla maniere accoutumée pour aller à
ła Chapelle Sa Majeſté étoit accompagnée de
Monſeigneur le Dauphin , du Duc de Chartres ,
du Prince de Condé , du Comte deClermont ,
du Prince de Conty , du Comte de la Marche , du
Duc de Penthievre , du Prince de Lamballe , &
des Chevaliers Commandeurs & Officiers de
l'Ordre. Les deux Huiffiers de la Chambre portoient
leurs maſſes devant le Roi , qui étoit en
manteau , ayant par-deffus le collier de l'Ordre &
celui de la Toiſon-d'or. L'Archevêque de Reims ,
Grand-Aumônier , Commandeur de l'Ordre ,
officia; & après la Meſſe , qui fut chantée par da
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
1
Muſique du Roi , Sa Majefté fut reconduite en
fon appartement. La Reine entendit l'Office dans
la tribune , ainſi que Madame la Dauphine , Madame
Adelaide & Mesdames Victoire , Sophie &
-Louiſe. La Comteſle d'Egmont fit la quête. Aprèsmidi
Leurs Majestés & la Famille Royale entendirent
le Sermon du Pere Elizée , Carme-Déchautlé.
Le Chevalier de Beauteville , Lieutenant-Général
des Armées du Roi , Commandeur de l'Ordre
Royal & Militaire de S. Louis , Ambaſſadeur de
Sa Majefté auprès des Cantons Suiſſes , a eu la
permiffion de revenir a la Cour , & a été préſenté
au Roi le 3 par le Duc de Praſlin .
Le même jour la Marquiſe de Laval a été préſentée
a Leurs Majestés & a la Famille Royale par
la Ducheffe de Laval .
Le même jour Leurs Majestés & la Famille
Roya'e fignerent le contrat de mariage du Marquis
de Tourny , Mestre de Camp , Lieutenant
du Régiment de la Rene Cavalerie , avec Demoiſelle
filte du ſieur Bouhier de Lantenay , Préfident
à Mortier du Parlement de Dijon.
Le 4 le Bailli de Froullay , Ambaſſadeur de
Malthe , a préſenté au Roi en préſence du Mar-
Marquis d'Entragues , Grand Fauconnier de France
en ſurvivance du Duc de la Valliere , deux faucons
que le Chevalier de Mandoix a été chargé
dapporter à Sa Majesté de la part du Grand-
Maître de l'Ordre de Malthe .
Le 7 l'Evêque de Tulies prêta ſerment entre les
mains du Roidans la Chapelle du Château .
Le 10 Leurs Majeítés & la Famille Royale
fignerent le contrat de mariage du Comte de Miromenil
, Colonel des Grenadiers Royaux , avec
Dempiſelle fille du ſieur de Segur , Préſident à
Mortier du Parlement de Bordeaux.
AVRIL 1765 .. 181
Le même jour la Comteſſe de Montbel , la Vicomtelle
d'Efclignac & la Marquife d'Autichamp ,
furent préſentées à Leurs Majeſtés & a la Famille
Royale ; la premiere , par la Comtefle de Teffé ;
la feconde , par la Comteſſe de Noailles , & la
troiſieme par la Comtelle de Beaumont.
Le même jour le Comte d'Hauflonville , Brigadier
des Armées du Roi , a pris congé de la
Cour pour ſe rendre a Berlin .
,
Le II le Comte de Fuentes Ambaſſadeur
d'Eſpagne , préſenta à Leurs Majeftés & à la Famille
Royale le Duc d'Oſſuna , qui a été à Vienne
complimenter de la part du Roi Catholique Leurs
Majeſtés Impériales & Royales ſur l'élection du
Roi des Romains . Le Comte de Fuentes eut le
même jour une audience particulière du Roi , &
prit, congé de Leurs Majestés & de la Famille
Royale pour un voyage de quelques mois qu'il va
faire en Eſpagne dans le deffein de rétablir fa
fanté . Pendant l'absence de cet Ambaffadeur le
fieur de Magallon reſtera chargé des affaires de la
Cour d'Eſpagne .
Le 13 la Reine & Monseigneur le Dauphin
ont tenu ſur les fonts de Baptême le fils du fieur
de Cotentin de la Haye Picquenot , Porte manteau
de la Reine , & premier Valet de Garderobe
de Monſeigneur le Duc de Berry . L'enfant a éré
nommé Louis- Joſeph -Xavier. L'Abbé de Sainte-
Hermine , Aumônier de la Reine , a fait la cérémonie
dans la Chapelle du Château , en préſence
du ſieur Allart , Curé de la Paroitle .'
Le is le Comte de Noailles , Gouverneur de
cette ville , accompagné e Officiers du Bailliage
, s'eſt rendu à l'Egliſe de Nôtre- Dame , Paroiſſe
du Château , & y a affifté au Te Deum qu'on
y a chanté à l'occaſion de la naiffiance du Roi,
182 MERCURE DE FRANCE.
Il a allumé enſuite le feu qui avoit été préparé
pourcette fête vis-à-vis du portail de l'Egliſe. La
garde des Invalides , qui s'y étoit rendue , a fait
pluſieurs décharges de mouſqueterie .
Le 17 le Comte de Sade préſenta au Roi le
ſecond volume des Mémoires ſur la vie de Pétrarque.
Le lendemain le Pere de Singlande
Aumônier actuel de la Garniſon des Ville & Forts
deCette en Languedoc , ent l'honneur de préſenter
à Sa Majeſté deux volumes des Mémoires &
Voyages militaires faits par lui-même , & dédiés
àMonſeigneur le Duc de Berry. Le ſieur Patte ,
Architecte du Prince Palatin , Duc regnant de
Deux-Ponts , eut l'honneur de préſenter le 20 du
mois dernier à Leurs Majeftés , ainſi qu'à la Familie
Royale , un volume intitulé : Monumens
érigés en France à la gloire de Louis XV, précédés
d'un tableau du progrès des Arts & des Sciences
fous ce règne , ainsi que d'une description des hon--
neurs &des monumens de gloire accordés aux grands
hommes , tant chez les anciens que chez les modornes.
Leto de ce mois le ſieur de la Lande , de l'Académie
Royale des Sciences , chargé par le Roi
de compoſer chaque année le Livre intitulé :
Connoissance des mouvemens célestes à l'ufage des
Astronomes & des Navigateurs , a eu l'honneur
de préſenter à Sa Majeſté le volume qui doit fervir
pour l'année 1766 .
Le Roi a donné l'Abbaye de la Faiſe , Ordre de
Citeaux , Diocèse de Bordeaux , à l'Abbé de
Guyonnne- Montbalen , Doyen de l'Egliſe de Bordeaux,
& Vicaire Général du même Diocèſe ; celle
deGrandchamp, Ordre de Prémontré , Diocèſe de
Chartres, à l'Abbé Arnaud, Membre de l'Académe
Royale des Inſcriptions & Belles-Lettres, &Direc
AVRIL 1765 . 183
4
teur-Général de la Gazette de France ; celle deMureaux
, Ordre de Prémontré , Diocèse de Toul , à
l'Abbé de Condillac , Précepteur du Prince Ferdinand
Héréditaire de Parme ; celle de Fontenelle ,
Ordre deCiteaux, Diocèle de Cambrai, àla Dame
Bonnaire, Religieuſe de la même Abbaye ; & celle
de Sainte-Menoux , Ordre de S. Benoît , Diocèſe
deBourges , à la Dame de Sainte Hermine
Religieule à l'Abbaye Royale de S. Louis de
Poiffy , Ordre de S. Dominique , Diocèſe de
Chartres.
9
Une Relique de S. Roch , que la Reine a demandée
à l'Archevêque d'Arles , a été transférée
avec beaucoup de ſolemnité le 14 de ce mois de
la Paroiffe de Notre-Dame , où elle avoit éré dépoſée
, dans la Chapelle du grand Commun. Cette
tranſlation s'est faite proceſſionnellement par le
fheur Allart , Curé de la Paroiffe , & par fon Clergé.
La Relique a éte reçue dans la Chapelle par
lesAumôniers& Confeſſeurs de la Maiſon du Roi,
vêtus en rochet. L'Abbé Daunes , un des Aumôniers
a faitun difcours relatif à cette cérémonie,
après lequel on a chanté le Te Deum , & l'on a
dit les prières pour le Roi. Le lendemain la Reine,
accompagnée de Monseigneur le Dauphin & de
Madame la Dauphine , entendit la Meſſe dans
cettemême Chapelle, & fut reçue par les Aumôniers
& Confeffeurs de la Maiſon du Roi ; l'Abbé
de Bretignieres , leur Doyen , eut l'honneur de
préſenter l'eau benite à Sa Majesté , ainſi qu'à
Monſeigneur le Dauphin & à Madame la Dauphine.
CetteRelique de S. Roch , PatrondesMaifons
du Roi & de la Reine , reſtera à perpétuité
expoſée dans ladite Chapelle à la vénération des
Fidéles,
:
184 MERCURE DE FRANCE.
De MONTPELLIER , le 8 Février 1765.
La bête féroce qui déſole le Gevaudan, continue
toujours d'y faire des ravages & d'y répandre la
confternation. Il ſe paſſe peu de jours que l'on
n'apprenne quelque nouvelle affligeante. Le 12
Janvier elle attaqua cinq petits garçons du village
de Villeret , Paroifle de Chanaleilles : les trois
plus âgés avoient environ onze ans , les deux
autres n'en avoient que huit , & ils avoient avec
eux deux petites filles a peu près du même âge.
Ces enfans gardoient du bétail au haut d'une montagne
: ils s'étoient armés chacun d'un bâton , au
bout duquel ils avoient attaché une lame de fer
pointue , de la longueur de quatre doigts . La
bête féroce vint les furprendre , & ils ne l'apperçurent
que lorſqu'elle fut près d'eux: ils ſe rafſemblerent
au plus vite & ſe mirent en défenfe.
La bête les tourna deux ou trois fois , & enfin
s'élança fur un des plus petits garçons : les trois
plus grands fonairent fur elle , la piquerent à
diverſes repriſes ſans pouvoir lui percer la peau .
Cependant , à force de la tourmenter , ils parvinrent
à lui faire lâcher prife :elle ſe retira à deux
pas , après avoir arraché une partie de la joue
droite du petit garçon dont elle s'étoit faifie , &
elle ſe mit a manger devant eux ce lambeau de
chair . Bientôt apres elle revint attaquer ces enfans
avec une nouvelle fureur ; lebras le
plus petit de tous & l'emporta dans,fagueule ; l'un
d'eux , épouvanté , propoſa aux autres de s'enfuir,
pendant qu'elle dévoreroit celui qu'elle venoit de
prendre , mais le plus grand , nommé Portefaix,
qui étoit toujours, à la tête des autres , leur cria
qu'il falloit délivrer leur camarade ou périr avec
lui. Ils ſe mirent donc à poursuivre la bére & la
elle fuifit
>
par
AVRIL 1765 . 185
poufferent dans un marais qui étoit à cinquante
pas , & où le terrein étoit fi mou , qu'elle y enfonçoit
juſqu'au ventre , ce qui retarda ſa courſe &
donna à ces enfans le temps de la joindre. Comme
ils s'étoient apperçus qu'ils ne pouvoient lui percer
la peau avec leurs eſpeces de piques , ilschercherent
à la bleſſer à la tête & fur- tout aux yeux : ils
lui porterent effectivement pluſieurs coups dans la
gueule qu'elle avoit continuellement ouverte, mais
ils ne purent jamais rencontrer les yeux. Pendant
ce combat elle tenoit toujours le petit garçon ſous
ſa patte , mais elle n'eut pas le temps de le mordre
, parce qu'elle étoit trop occupée à eſquiver
les coups qu'on lui portoit. Enfin ces enfans la
harcelerent avec tant de conſtance & d'intrépidité,
qu'ils lui firent lâcher priſe une ſeconde fois , &
le petit garçon qu'elle avolt emporté n'eut d'autre
malqu'une bleſlure au bras par lequel elle l'avoit
ſaiſi , & une légere égratignure au viſage. Comune
la petite troupe ne ceſſoit de crier de toutes ſes
forces , un homme accourut & ſe mit à crier de
fon côté. La bête entendant un nouvel ennemi ,
ſedreſſa ſur ſes pattes de derriere , & ayant apperçu
l'homme qui venoit à elle , elle prit la fuite
&alla ſe jetter dans un ruiſſeau à une demi - lieue
de là. Trois hommes la virent s'y plonger , en
fortir& fe rouler enſuite quelque temps ſur l'herbe,
après quoi elle prit la route du Mazel , où elle
dévora un jeune garçon de quinze ans. Le 21 , elle
ſejetta ſur une jeune fille du même âge , qui
heureuſement fut ſecourue à temps , & dont les
bleſſures , quoique confidérables ne ſont pas
mortelles. Le lendemain , elle attaqua une femme
à Jullianges , ſur la frontiere d'Auvergne , & lui
coupa la tête.
186 MERCURE DE FRANCE.
On a vérifié que , pendant le cours des moisde
Décembre & Janvier , elle a dévoré deux perfonnes
dans le Rouergue & trois en Auvergne : fes
courſes ſe prolongent dans une étendue de pays
deplus de quarante lieues , dont leGevaudan eſt
toujours le centre.
Le ſieur Duhamel , Capitaine de Dragons , &
l'Intendant d'Auvergne , ont concerté une chaſſe
générale qui a dû ſe faire hier ; & fi le ſuccès n'en
eſt pas favorable , on en fera une ſeconde indiquée
pour le ri de ce mois. Le ſieur Duhamel a diviſé
fes Dragons par pelotons : on en a fait habiller
pluſieurs comme les femmes qui accompagnent
les petits enfans lorſqu'ils vont garder les troupeaux.
Il faut eſpérer que toutes ces meſures ,
jointes aux récompenſes promiſes par le Roi *
par la Province & les Diocèſes , nous délivreront
enfinde cet animal terrible , dont l'acharnement
&l'audace ſemblent s'accroître de jour en jour.
DePARIS , le 22 Février 1765 .
Il paroît des Lettres-Patentes du Roi , datées
Ju 7 Janvier 1765 , par leſquelles Sa Majefté
autoriſe le Prévôt des Marchands & Echevins de
la ville de Paris à faire l'acquiſition du terrein
vague placé entre la rue Royale & celle de la
Bonne-Morue , tenant d'un côté à la façade de la
place de Louis XV , & de l'autre à deux maiſons
bâties ſur la rue du fauxbourg S. Honoré , pour y
conſtruire un nouvel hôtel des monnoies.
Le 3 de ce mois l'Archevêque de cette capitale
ſe rendit à l'Egliſe des Religieux Carmes , dits
* Sa Majefté a promis deux mille écusà celui qui tuera
pette bête féroce.
AVRIL 1765 . 187
Billettes , pour y bénir la nouvelle Chapelle de
la Sainte Vierge , dont la décoration a été ordonnée
par le teſtament de feu l'Abbé Cherré , Maître
en la Chambre des Comptesde Paris . Ce Prélat
fut reçu&complimenté en entrant à l Eglife par
le Prieurde la Maiſon , accompagné de tous ſes
Religieux ; & après la bénédiction de la Chapelle
il y célébra la Meſſe .
Le 15 , jour anniverſaire de la naiſſance du Roi,
les Chanoines Réguliers de l'Abbaye Royale de
S. Victor ont célébré pour la première fois la
Meſſe qu'ils ont fondéedans leur Egliſe pour la
conſervation des jours précieux du Roi & de la
Famille Royale. L'Archevêque de Paris y a officié
pontificalement. Le Gouverneur de cette Capitale
a aſſiſté à cette cérémonie , ainſi que le Nonce du
Pape & plufieurs autres perſonnes de diſtinction.
Le Dimanche précédent les Chanoines de Saint
Victor avoient eu l'honneur d'être préſentés à
Leurs Majestés & à la Famille Royale pour leur
faire part de cette folemnité.
Le Roi a fait publier la Déclaration ſuivante ,
donnéeàVerfailles le 19 Janvier 1765. Sa Majesté
s'étant fait rendre compte dans fon Conſeil des
plaintes qui lui ſont revenues fur la conduite que
lecantonde Schwitz a tenue depuisdix-huit mois,
relativement aux affaires de ſon ſervice & de l'al-
Jiance qui ſubſiſte entr'Elle & le louable CorpsHelvétique
, & Sa Majefté ayant reconnu dans tous
les procédés indécens que ce Canton s'eſt permis ,
des marques certaines que ſes ſentimens & fes
diſpoſitions ne répondent nullement à tout ce
qu'Elle devoit attendre des témoignages conftans
&multipliés de ſa généreuſe protection &de ſa
bienveillance pour ceCanton ; Elle a réſolu , de
188 MERCURE DE FRANCE.
>
l'avis de fon Conſeil , & pour fatisfaire à ce qu'exige
la dignité de ſa Couronne , de rompre toute
alliance avec ledit Canton de Schwitz , & de le
priver , ainſi que tous ſes Sujets , des avantages
qu'ils en retiroient , ſoit chez eux , foitdans fon
Royaume ; en conféquence , Sa Majeſté a déclaré
& déclare par ces préſentes , ſignées de ſa main
qu'elle ne compte plus ledit Canton de Schwitz au
nombre de ſes chers , anciens & fideles Alliés du
louable Corps Helvétique , & qu'Elle n'entend
plus conſerver à ſon ſervice les troupes dudit
Canton qui s'y trouvent actuellement , ſoit dans
le Régiment des Gardes- Suifles , foit dans les
autres Régimens Suiſſes à ſa ſolde : leur ordonnant
de ſe retirer dans leur Canton ainfi & de la maniere
qu'il leur fera preſcrit de ſa part. Sa Majeſté
ordonne pareillement à tous les Cent- Suiffes de ſa
Garde , Suiffes des Douze & des Appartemens ,
Suiffes employés dans les châteaux , maiſons
jardins & bâtimens de Sa Majesté , Suiſſes de
portes , & autres du Canton de Schwitz , de vuider
le Royaume dans l'eſpace d'un mois après la
publication de la préſente Déclaration , à peine
d'y être contraints par toutes voies dues & raiſonnables
; défendant Sa Majesté à toutes perſonnes ,
de quelque qualité & condition qu'elles foientdans
ſon Royaume , de garder ni recevoir leſdits Suiſſes
du Canton de Schwitz à leurs gages ou autrement,
àpeine de déſobéiſſance , &c .
LOTERIES.
,
Le quarante-neuvieme tirage de la Loterie de
l'Hôtel-de-Ville s'eſt fait le 25 Janvier en la
maniere accoutumée. Le lot de cinquante mille
AVRIL 1765 . 189 .
liv. eſt échu au numero 36444 ; celui de vingt
mille liv . au numero 30752 , & les deux de dix
mille liv. aux numeros 24975 & 390080 .
Les Février on a tiré la Loterie de l'Ecole
Royale militaire. Les numeros fortis de la roue
de fortune font , 17 , 65 , 45 , 69 , 42 .
MARIAGE.
Lerx Février 1765 Charles- François- Chriſtian:
de Montmorency- Luxembourg , premier Baron '
Chrétien, Prince de Tingry , Comte de Beaumont
en Gatinois , Marquis de Breval au pays
Mantois & autres lieux , Lieutenant Général des
Armées du Roi & au Gouvernement de Flandres ,
Capitaine des Gardes du Corps de Sa Majeſté , a
épousé en troiſieme noces Eléonor - Joſephine
Pulchérie des Laurents , fille de Joſeph Balthazar
des Laurents , Seigneur de Champfort , au Comté
Venaiffin , de Saint-Alexandre & de Saint- Nazaire
& autres lieux , & de Claudine Magdeleine- Ferrand
d'Ecofley ; ils ont reçu la bénédiction nuptiale
dans la Chapelle de l'Hôtel d'Havrech .
Le Prince de Tingry eſt fils aîné de Chriſtian-
Louis de Montmorency Luxembourg , Chevalier
des Ordres du Roi , mort Maréchal de France le
23 Novembre 1746 , & de Louiſe Magdeleine de
Harlay. De ce mariage font encore iflus Joſeph-
Maurice- Annibal , appellé le Comte de Montmorency
, mort en 1762. Eléonor- Marie , qui a été
mariée au Duc de Treſimes , morte en 1755. Marie-
Louiſe Cunegonde, mariée au Duc d'Havrech,
Prince du Saint Empire , Grand d'Eſpagne en
1764.
190 MERCURE DE FRANCE.
En premiere noces le Prince de Tingry avoir
épousé le Octobre 1730 Sabine Olivier , foeur
de Jean-Antoine , Seigneur de Senozan , Confeillerd'État
, morte en 1741 , dont il a eu une fille
unique , Louiſe- Françoiſe Pauline , mariée 1º. au
Duc de Montmorency , dont il lui reſte deux
filles , 2°. en 1764 au Comte de Montmorency-
Croffilles.
Il épouſa en ſecondes noces , le 29 Décembre
1752 , Louiſe-Magdeleine de Fay , reſtée fille
unique du Maréchal de la Tour- Maubourg , Chevalier
des Ordres du Roi , & d'Agnès-Magdeleine
Trudaine en 1754 , fans poſtérité.
La maiſon des Laurents eſt originairede la
villedeCavaillon , dans le Comté Venaiſſin ; une
partie du territoire de cette ville prenoit en 1263
fon nomde Jean Gui , Raimond Gui & François
des Laurents qui le poſſédoient. Raimond Laurenti
de Cavaillon eſt qualifié Chevalier dans un
acte paſſé en 1245 , entre Guillaume de Baux ,
Prince d'Orange , & l'Ordre de Saint Jean de
Jérusalem , où il aſſiſte & figne comme témoin.
Un autre Raimond Laurenti , auſſi Chevalier ,
comparut avec les autres Gentilshommes & habitans
de Cavaillon , dans un hommage rendu au
mois d'Août 1272 à Giraud , leur Evêque & leur
Seigneur. Un troiſieme Raimond Laurent , auf
qualifié Chevalier ( & c'eſt celui depuis lequel la
filiation ſe trouve exactement ſuivie ) , épouſa
vers l'an 1 300 Rambaude de Gorde , de la Maiſon
de Simiane. Son fils , nommé comme lui , &
furnommé le Jeune , & de Gorde , à cauſe de ſa
mere , fut Sergent d'Armes de Charles d'Anjou ,
Duc de Calabre , fils du Roi Robert. De fon mariage
avec Sibille d'Aluis maquit Guillaume Lau
AVRIL 1765. I191
renti , qui s'allia dans la Maiſon de Raimond
d'Avignon, & eut entr'autres enfans Guillaume II
dunom, perede Monet Laurenti , qui fut Maréchal
de Bataille dans les armées de Louis & d'Amédée
IX , Ducs de Savoye , & fut nommé
Capitaine ou Gouverneur du Château de Nice ,
par lettres datées du camp d'Agano du 1 4Novembre
1467. Il épouſa en premiere noces Françoiſe ,
de la Maiſon de Trivulce , & en ſecondes noces
Louiſe Sabionelli , d'une famille noble de Turin .
Louis Laurenti , ſon fils aîné du premier lit , ſe
tranſporta de Nice à Avignon , & quittant la
profeffion des armes , il embraſſa celle des loix ,
qui étoit alors ſuivie par une partie de la nobleſſe
dans les Etats des Souverains Pontifes . Il fut marié
avec Anne de Carence , d'une famille noble ,
originaire d'Aragon , dont il eut dix enfans , cing
garçons &cinq filles. Unedes filles fut mariée à
George de Sabran de Forcalquier . Jérôme des
Laurents, celui de ſes fils qui continua ſa poſtérité,
ayant ſuivi laprofeſſion de ſon pere , fut fait premier
Auditeur de Rote lors de la création de ce
Tribunal en 1570 ; il exerça trois fois la charge
de Viguier , uniquement réſervée à la premiere
nobleſle ; il futdéputé par ſes Concitoyens au Pape
Pie IV , & aux Rois Henry II & Henry III , &
toute ſa vie fut une ſuite de ſervices qu'il rendit à
fa patrie. Les circonstances du temps l'obligerent
de prendre le parti des armes dans le temps des
guerres du Baron des Adrets & de Montbrun ,
dans le Venaiffin , & le Général Serbelloni lui
confia la défenſe d'une tour d'Avignon .
De ſon mariage avec Iſabelle de Lopès deVilla
Nova naquirent pluſieurs enfans. De l'aîné Fran
192 MERCURE DE FRANCE.
çois eſt ſorti la branche des Seigneurs de Champfort
: du ſecond Jean vient la branche des Marquis
de Brantes. Deux freres , arriere - petits - fils de
Jean , ont épousé en 1719 & 1724 deux foeurs ,
filles de François Annibal III , du nom Duc
d'Eſtrées , Pair de France , Chevalier des Ordres
du Roi : l'un eſt Hiacinthe-Dominique des Laurents
, appellé le Marquis des Laurents , Capitaine
au Régiment de Tallard , & Chevalier de
S. Louis ; l'autre eſt Louis- Joſeph des Laurents ,
appellé le Comte d'Ampus , Capitaine de Cavalerie
au Régiment Meſtre de Camp Général ,
Chevalier de l'Ordre de S. Louis , Lieutenant de
Roi honoraire à Saint-Domingue. Ils étoient coufins
de leurs femmes au quatrieme degré par
Julienne- Hypolite d'Eſtrées , Duchefle deBrancas,
leur bifayeule maternelle .
François , qui fuccéda à ſon pere dans la charge
d'Auditeur de Rore , eſt le trifayeul de Joſeph-
Balthazar des Laurents , Officier de Dragons.
C'eſt le pere d'Eléonor- Joſephine Pulchérie , aujourd'hui
Princelle de Tingry , qu'il a eue de fon
mariage avec Claudine- Magdeleine Ferrand d'Ecoffey
, fille de François , Baron d'Averne , Gouverneur
de Navarreins , Chevalier de l'Ordre de
S. Louis , & de Magdeleine de Flexelles de Bregy,
Dame de Flexelles .
Sa Majefté a accordé les honneurs de Duc à
M. le Prince de Tingry.
SERVICE.
Le 7 Février on a célébré à Verſailles dans
l'Eglife Paroiſſiale de Notre-Dame un Service
pour
AVRIL 1765. 193
pour feu Madame Henriette de France. La Reine
y aſſiſta , ainſi que Monseigneur le Dauphin ,
Madame la Dauphine , Madame Adelaide & Mefdames
Victoire , Sophie & Louiſe. Le ſieur Allart
, Curé de la même Paroiſſe , y officia.
MORTS.
Didier d'Arclais de Montamy , Chevalier de
l'Ordre Royal & Militaire de Saint Lazare , &
premier Maître d'Hôtel du Duc d'Orléans , eſt
mort au Palais Royal le 8 Février, âgé de ſoixanteun
ans.
Marie-Urſule de Klinglin , veuve de Valther ,
Comte de Lutzelbourg , Meſtre de Camp de Cavalerie
, eſt morte le 23 Jannvviieerr , en ſon château
de Liſlejan , proche Strasbourg , âgée de quatrevingt-
deux ans.
Anne- Luce- Jacqueline , fille d'Anne-Hilarion
deGalard de Braſſac , Comte de Bearn , & de feu
Olimpe de Caumont la Force , eſt morte le 21
Janvier au Couvent de Cherche-Midy à Paris ,
âgée de dix-neuf ans.
NOUVELLES POLITIQES...
DE COBLENTZ , le 15 Février 1765 .
LE Pere Kreins , Doyen & Profeſſeur de la Fa
culté de Théologie dans l'Univerſité de Trèves ,
ayant avancé dans des thèſes de théologie imprimées
& foutenues publiquement au mois d'Août
1763 , que les plus fameux ſchiſmes dans l'Egliſe
étoient celui des Grecs & celui des François , la
propoſition relative aux François a été regardée
Vol. II. I
194 MERCURE DE FRANCE.
comme faufle & téméraire ; & pour réparation
de l'injure faite à l'Egliſe de France , le Pere
Kreins a été deſtitué de la place de Profeffeur de
théologie & du Décanat de l'Univerſité , déclaré
inhabile à remplir aucune fonction dans les
écoles de l'Archevêché de Trèves , banni des
terres de l'Electorat , & obligé à faire une rétractation
folemnelle imprimée & publique de la
propofition fur le prétendu fchiſmedes François.
DE GENES , le 18 Février 1765 .
Suivant les lettres de Corſe , le nommé Abbatucci
, chefde parti , qui s'étoit fortifié au-delà des
Monts,a été attaqué par le frère du Général Paoli
,& forcé de ſe fauver avec précipitation à Bonifacio
, après un combat très -vif , dans lequel , indépendamment
de beaucoup de monde qu'il a
perdu , on lui a fait environ cinquante priſon
niers.
FRANCE .
Nouvelles de la Cour de Paris , &c .
DE VERSAILLES , le 23 Mars 1765.
LE 24 du mois dernier , Leurs Majestés & la
Famille Royale ont figné le contrat de mariage
du Comte de Vibraye , Meſtre-de- Camp du RégimentDauphin,
avec Demoiſelle Angrand'Alleray
,& celui du Comte de Briſay avec Demoiſelle
Picot deDampierre. Lemême jour le Baron de
Poudenx a eu l'honneur d'être préſenté à Sa Majeſté
en qualité de premier Maître-d'Hôtel du
Duc d'Orléans .
:
Le Roi a accordé les entrées de fa chambre au
Comted'Hautefort & au fieur Senac de Meilhan ,
Maître des Requêtes , fils de ſon premier Més
decin,
AVRIL 1765. 195
Le ſieur de Montholont ayant donné ſa démiffionde
laplacede premier Préſident du Parlement
de Metz , le Roi en a diſpoſé en faveur du ſieur
deMontholent ſon neveu. Sa Majeſté a créé une
place de Conſeiller d'honneur au même Parlement
en faveur du fils du ſieur de Montholont ,
ancien premier Préſident .
,
Sa Majefté a accordé le 27 le gouvernementde
Salfes en Rouffillon au Marquis d'Eſpinchal
Lieutenant-Général de ſes Armées . Cet Officier
Général ayantdonné le 2 de ce mois ſa démiſſion
de la place de premier Lieutenant des Gardes-du-
Corps de la Compagnie Ecoſſoiſe , a été remplacé
, en qualité deChefde Brigade , par le Marquis
de Montchenu , premier Exempt de la Compagnie
, àqui le ſieur de Linieres a fuccédé.
Le ro de ce mois le Roi a accordé les honneurs
du Louvre au Comte de la Rochefoucault , fils
aîné du Duc d'Eſtiſſac ; au Vicomte de Choiſeul ,
fils du Duc de Praflin , & Menin de Monſeigneur
le Dauphin , & au Comte de Guiche , fils du Duc
de Gramont.
Sa Majesté a donné l'Abbaye de la Virginité ,
Ordre de Cîteaux , Diocèſe du Mans , à la Dame
de la Magdeleine , Religieuſe à Hautebruyere.
Sa Majesté a pareillement donné le Doyenné
de l'Egliſe Cathédrale de Toul à l'Abbé Clevi ,
Grand-Chantre de la même Eglife ; le Prieuré
de Tauron , Diocèſe du Mans , à l'Abbé de la
Selve , Vicaire - Général du Diocèſe de Tulles ;
la dignité de Chantre dans l'Egliſe Cathédrale
de Toul , à l'Abbé Drouas Vicaire-
Général du même Diocèſe ; & la Tréſorerie
de l'Egliſe Collégiale de Saint MartindeTours
l'Abbé Barthelemy,de l'Académie des Infcrip
1
I ij
1.95 MERCURE DE FRANCE.
:
tons & Belles- Lettres , & Garde dés médailles &
antiques de la bibliothèque du Roi.
L'Evêque de Coutances , qui avoit été ſacré le
10 de ce mois par le Cardinal de Luynes , affifté
des Evêques d'Autun & de Troyes , prêta ferment
le 16 entre les mains du Roi.
Le même jour Leurs Majestés & la Famille
Royale fignerent le contrat de mariage du Marquisde
la Villemeneuſt avec Demoiselle fille du
feuMarquis de Hantoy , Chambellan de Léopold ,
Duc de Lorraine , & Capitaine Lieutenant d'une
compagnie de Chevaux-Légers de fa garde , & le
18 celui du Marquis de Lambert avec Demoiſelle
Aniſſon.
Le Parlement de Rennes ayant été mandé par
le Roi , a été préſenté à Sa Majesté le 18 par le
Comtede Saint- Florentin , Miniſtre & Secrétaire
d'Etat ayant le département de la Province de
Bretagne , & conduit par le Marquis de Dreux ,
Grand- Maître des cérémonies. Le Roi reçut les
Membres de ce Parlement dans ſon fauteuil , en
préſence de ſes Miniſtres & de ſes grands Officiers.
Le 20 le même Parlement eut une ſeconde
audience du Roi , à laquelle il fut préſenté par le
Comte de Saint- Florentin & conduit par le Marquis
de Dreux.
Le Pere Paul de Colindres , Général des Capucins
, accompagné de pluſieurs Religieux de fon
Ordre , eut le 21 une audience du Roi , de la
Reine & de la Famille Royale. Il fut conduit à
ces audiences par le ſieur de la Live , Introducteur
des Ambaſſadeurs , qui étoit allé le prendre dans
les carroſſes de Leurs Majeſtés : il fut ſervi à ſon
traitement par les Officiers du Roi , & le ſieur
du Hallier , Maître-d'Hôtel du Roi , fut chargé
defaire les honneurs de la table. Après le repas
AVRIL 1765. 197
ce Général fut reconduit à Paris au Couvent des
Capucinsdans le méme carrofle.
La Princeffe de Tingry fut préſentée le 3 à
Leurs Majeftés, ainſi qu'à la Famille Royale, par la
Maréchale de Luxembourg , & prit le même jour
le tabouret chez la Reine .
Le Vicomte d'Adhémar Montfalcon , iſſu de
Fancienne famille d'Adhémar , a eu l'honneur
d'être préſenté le 4 à Sa Majesté , d'après les preuves
examinées & reconnues par le ſieur de Beaujon
, Généalogiſte des Ordres. Sa branche , ſéparée
dès le douziéme fiècle , ſubſiſte encore en
Rouergue dans la perſonne du Comte d'Adhémar-
Panat.
La Vicomteſſe de Choiſeul fut préſentée le 10
à Leurs Majeftés & à la Famille Royale par la
Ducheſſe de Choiſeul , & prit le tabouret chez la
Reine.
2 La Comreſſe de Montmorin a été préſentée le
même jour à Leurs Majestés & à la Famille
Royale par la Ducheſſe de Brillac.
La Comteffe de Guiche & la Comteffe de la
Rochefoucault furent préſentées le 16 au Roi , &
le 17 à la Reine & à la Famille Royale ; la première
, par la Ducheſſe de Gramont ; la ſeconde ,
par la Ducheſſe d'Eſtiſſac : elles ont pris toutes
deux le tabouret chez la Reine.
Le ſieur de l'Averdy , Contrôleur-Général des
Finances , & en cette qualité ayant la police générale
de ce qui concerne la nobleſſe & lesprivilégiés
Nobles , a préſenté au Roi & à Monſeigneur
le Dauphin le huitieme & le neuvieme volumes
des regiſtres de la nobleſſe de France , ſous le titre
d'Armorial Général , dreffé par le ſieur d'Hozier
, Conſeiller du Roi en ſes Conſeils , Juge
d'armes de la nobleſſede France.Le20le fieurde
٦
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
l'Averdy a préſenté au Roi le troiſieme tomedu
Dictionnaire géographique , historique & politique,
des Gaules & de la France , par l'Abbé Expilly.
Le fieur de Belloy eut l'honneur de préſenter le
18 à Leurs Majestés & à la Famille Royale la tragédie
du Siége de Calais , dont le Roi a bieu voulu
agréer la dédicace. Sa Majefté lui a fait donner
une médaille d'or , & lui a accordé une gratification
de mille écus .
DE PARIS , ce 22 Mars 1761.
L'Evêque Comte de Châlons , le Duc de laTremoille
, comme Duc de Thouars , & le Duc de
Charoſt , ont été reçus au Parlement le 12 du
mois dernier , en qualité de Pairs de France.
,
con-
Le Roi ayant été informé que depuis une affemblée
tenue à Utrecht dans les Provinces-Unies des
Pays Bas au mois de Septembre 1763 , ſous la dénomination
de Concile Provincial d'Utrecht , on
cherche à engager divers Sujets , & même divers
Corps du Royaume , à des fignatures de corref
pondance & d'adhéſion en faveur de ladite aſſemblée
, & que ces démarches clandeſtines
traires aux Loix du Royaume , pourroient d'ailleurs
avoir des ſuites capables de troubler la tranquillité
de l'Eglife & de l'Etat : Sa Majeſté voulant
fur-tout qu'une affaire qu'Elle regarde comme
étrangère à fon royaume , ne puille y être une
occafion d'altérer en rien le reſpect dont Elle entend
que tous ſes Sujets ſoient pénétrés pour le
Saint Siége : fon Conſeil d'Etat a rendu un Arrêt
dité du 28 Février dernier , par lequel Sa Majeſté
renouvelle expreffément les défenſes faites
de tout temps en France à tous Sujets d'entretenir
aucune relation en matière d'affaires publiques
avec, les pays étrangers à ſon inſçu& fans fa pers
AVRIL 1765 . 199
miſſion , & leur défend d'entrer en aucune correfpondance
ou engagement pour raiſonde l'affemblée
d'Utrecht , par voie d'acte d'adhéſion ou autrement
, en quelque manière que ce ſoit.
Le Roi ayant permis au Maréchal Duc de Duras
d'entrer dans l'Ordre de S. Jean de Jérusalem,
ceMaréchal a fait les démarches néceflaires auprès
du Grand- Maître & de ſon Conſeil pour ob
tenir la réception , ce qui lui a été accordé. En
attendant que les formalités & les ſolemnités
preſcrites par les ſtaturs puſſent être remplies ,
le Grand- Maître & le Conſeil de l'Ordre lui ont
permis de porter la croix. En conféquence le 16
de ce mois le Bailli de Froullay , Ambaſladeur de
la Religion de Malthe auprès du Roi , fit dans fon
hôtel la cérémonie de revêtir l'aſpirant de la croix
de l'Ordre en préſence de pluſieurs Officiers de
l'Ordre , Grands Croix , Commandeurs , Chevaliers
, Chapelains & Servans d'Armes , Profès &
Novices.
,
Sa Majesté , par un Edit daté de ce mois , &
enregiſtré au Parlement le r2 permet à tous fes
Sujets , de quelque qualité & condition qu'ils
puiflènt être, excepté ceux qui feront actuellement
titulaires& revêtus de Charges de Magiftrature, de
faire librement , tant pour leur compte que par
commiffion , toute forte de commerce en gros ,
tant au dedans qu'au dehors du Royaume , fans
être obligés de ſe faire recevoir dans aucun Corps
ou Communauté . Sa Majesté n'entend cependant
rien innover par rapport à la ville de Paris , où le
commerce continuera de ſe faire comme par le
paffé.
Les Maîtres des Requêtes ordinaires de l'Hôtel
du Roi , en vertu d'un Arrêt d'attribution du
Conſeil dumois de Juin 1764 , ont procédé à la
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
viſite du procès des Calas ; & par Jagement ſouverain
rendu le 9de ce mois, tous les Quartiers
aſſemblés , Anne-Roſe Gabibel , veuve de Jean
Calas , Jean-Pierre Calas ſon fils , Alexandre François-
Gualbert Lavayſſe & JeanneViguiere, enſemble
la mémoire de Jean Calas père , exécuté à
Toulouſe le 10 Mars 1762 , ſont déchargés de l'accuſation
intentée contre eux , & renvoyés à ſe
pourvoir ſur la demande en priſe à partie & en
dommages & intérêts , ainſi qu'ils aviſeront.
On a appris de Bordeaux que le 28 du mois
dernier , la marée , qui ne devoit monter que
fur les 7 heures du matin , commença àmonter
entre fix heures & fix heures &demie , & fit éviter
les vaiſſeaux. Ce qui parut plus ſurprenant ,
c'eſt qu'environ une demi - heure après elledef.
cendit , &que l'eau baiſſa de quatre pouces. Sur les
ſept heures le véritable montant ſe fit fentir , &
dura le temps ordinaire. Ce phénomene a été
apperçu dans toute l'étendue de la rivière où la
marée monte. Il y a quelques années que la même
choſe arriva . Pluſieurs perſonnes attribuent ce dérangement
à un tremblement de terre. D'autres
croient que c'eſt l'effet d'un coup de vent : ily en
eut un très-violent dans la nuit du 27 au 28 .
Suivant une lettre écrite d'Abbeville , il y a eu
le 14du mois dernier dans cette ville &dans les
environs un léger tremblement de terre : mais la
ſecouſſe n'a été vraiment ſenſible que dans la partie
du pays qui eſt au ſud & fud-ouest de la ville ,
&particulièrement à Oiſemont , Liomer, Villers-
Campfart , Senarpont , Caieux , Saint-Vallery &
dans les villages intermédiaires. On a ſeulement
entendu à cette même heure dans la ville & dans
la partiedu pays qui eſt au nord , un bruit fourd
&extraordinaire, venant du côté de la mer &paroiſſant
dirigé du nord au midi. :
AVRIL 1765 . 201
Suivant les nouvelles qu'on a reçues du Gevaudan
, les meſures priſes juſqu'à préſent pourdélivrer
le pays de labête féroce qui le ravage n'ont
pas eu le ſuccès qu'on en attendoit. La première
chaſſe générale , qui avoit été concertée par le
fieur Duhamel , Capitaine des Volontaires de
Clermont , & l'Intendant d'Auvergne , ſe fit le 7
comme on l'avoit annoncé . Soixante-treize Paroiſſes
du Gevaudan & trente de l'Auvergne & du
Rouergue formerent un corps d'environ vingr
mille chaſſeurs conduits par les Subdélégués , les
Confuls& les notables habitans. La bête fut lancée
par les chaſſeurs de la Paroiſſe de Prunieres ; elle
paſſa à gué la rivière de Truiere , dont le bord
oppoſé le trouva malheureuſement dégarni ,
quoique , fuivant les diſpoſitions qui avoient été
faites , il dût être gardé par les habitans de Malzieu.
Le Vicaire de Prunieres &dix de ſes paroiffiens
ſe jetterent dans la rivière , en traverſerent
unepartie à la nage malgré la rigueur de la faifon
, & chafferent l'animal pendant fort longtemps
, en ſuivant les traces qu'il avoit laiffées
dans laneige ; mais il ſe déroba à leur pourſuite
en ſejettantdans des bois d'une grande étendue.
Aune heure après-midi la bête fut rencontrée par
cinq habitans de Malzieu ; l'un d'eux lui tira un
coup de fufil à bale forcée: elle tomba ſur ſes deux
jambes dedevanten pouſſant un grand cri ; mais
elleſe releva promptement , & ils la pourſuivirent
juſqu'à la nuit fans pouvoir l'atteindre d'aſſez près
pour la tirer une ſeconde fois. Le 10 les habitans
de dix-fept Paroiſſes ſe réunirent pour une autre
chaſſe, dans laquelle on ne put rencontrer cet
animal. Le lendemain on fit encore une chaſſe
générale , auſſi nombreuſe que la première , &
qui n'eut pas un plus heureux ſuccès. Le 9
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
cette bête cruelle enleva un enfant àla porte de la
maiſonde fon père, le traîna juſqu'à deux cens
pas, mais fut obligée de l'abandonner à l'arrivée
d'un hommequi la pourſuivit avec ſon chien: les
bleffures de l'enfant , quoiqu'allez grieves , ne
font pas dangereuſes. Le mêmejour elle dévora
au village de Mialonettes une jeune fille de 14
ans; des habitans qui arriverent ſur le lieula con
traignirent de lâcher ſa proie: on laiſſa le cadavre
expoſé dans l'eſpérance qu'elle y retourneroit ,
mais elle ne parut pas. Le 21 elle attaqua fur le
grand chemin de Saint-Chely à Aumont un Muletier
, qui fe défendit long-temps & fut heureufement
ſecouru. Le mêmejour elle bleſſa dangereulement
une jeune filledu lieu de Fau , Paroiffe
de Brion , & la traîna à quelque diſtance. Le 24 à
dixheures du ſoir une femme du village de Croufet
, Paroille d'Aumont , étant devant ſa maiſon ,
fatſaiſiepar derrière par cet animal , qui lui enle
va ſa coeffe , la mordit à l'épaule & lui déchira ſa
robe& fa chemiſe: il lacha priſe à l'approche des
gensqui accoururent au ſecours & échappa à leur
pourfuite à la faveur de l'obfcurité. Enfin le 25 à
neufheures du matin il attaqua au milieu du vil
lage de Javouls deux enfans qui puifoient de l'eau
a la fontaine : un matin ſauta fur la bête & l'abattit;
mais elle ſe dégagea & prit la fuite en
voyant approcher des habitans , qui la pourſuivirent
inutilement pendant quelque temps : on
voulut mettre le chien à la pourſuite , mais il
refula de donner .
Le Roi ayant été informé de la bravoure avec
laquelle lejeune Portefaix , à la tête de ſes camarades
,avoit attaqué la bête le 12 Janvier dernier,
&voulant récompenfer cette action courageuſe,
aaccordé quatre cens liv. de gratification pour
Y
AVRIL 1765 . 203
cet enfant & trois cens liv . àpartager entre ſes
camarades.
On a reçu de Soiſſons les détails ſuivans des
ravages faits par un loup dans les environs de cette
ville. Le 28 du mois dernier à midi une femme de
la paroiſſe de Septmont fut étranglée par ce loup ,
qui lui dévora le viſage , les bras& les cuiffes.
Comme elle étoit enceinte de quatre à cinq mois,
on a ouvert ſon cadavre , d'où l'on a tiré ſon enfant
, qui a reçu le baptême. A une heure & un
quart , & à trois cens pas du même endroit , une
autre femme d'Amberief , & fon fils furent attaqués
par cemême animal ,qui les mordit & les
déchira cruellement en pluſieurs endroits du corps .
Les ſecours mutuels qu'ils ſe ſont rendus en cette
funeſte circonſtance leur ont ſauvé la vie. Le premier
de ce mois , vers les cinq heures du matin ,
cette bête cruelle ſe jetta ſur un homme du village
de Courcelles , qui ſe débattit vivement avec
elle, & qui , par ce moyen , évita la mort après
avoir reçu pluſieurs bleſſures à la tête. Un garçon
Boucher & un garçon Maréchal , qui voyageoient
enſemble & s'en alloient à Paris , furent
auſſi attaqués & grievement bleflés par cet animal
àpeu de diſtance de cet endroit. Il en arriva autant
àun Laboureur qui étoit à cheval : le loup lui
déchiraune grande partie du viſage , & mordit au
poitrail & à la bouche le cheval , qui prit la fuite.
Le Laboureur fut poursuivi juſqu'à un moulin , où
le loup le quitta pour ſe jetter ſur un garçon de
dix- sept ans qu'il laiſſa expirant. Il prit enſuite la
route du village de Bazoches : une femme & une
fillede ce village s'étant trouvées ſur ſon paſſage ,
il attaqua d'abord la fille , qu'il mordit à la joue
& à la main. Sa compagne voulant la ſecourir, fut
la victime de cette bete féroce , qui la déchira
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
cruellement en pluſieurs endroits du corps & lui
coupa preſque entiérement le cou. La fille étant
allée chercher du ſecours au village , pluſieurs
hommes accoururent : mais comme le loup s'étoit
éloigné , ils laiſſerent quatre hommes armés auprès
du cadavre de la femme. Bientôt après l'animal
revint & attaqua les quatre hommes qui ,
malgré leur vigoureuſe défenſe , ne purent éviter
d'être grievement bleſlés. Il arriva dans ce moment
de nouveaux ſecours , & le loup ſe ſanva
dans la cour d'une ferme , où il attaqua un gros
chien quiy étoit enchaîné. Le chien fit un effort fi
violent , qu'il briſa ſa chaîne & fe mit à pourſuivre
le loup : celui- ci en s'enfuyant ſe jetta fur des
moutons , en mordit pluſieurs & étrangla deux
agneaux. Il entra enſuite dans une étable , y mordit
une ſervante de la ferme , deux boeufs & une
vache : enfin , toujours pourſuivi par le chien , il
ſe reſugia dans une grange , d'où il s'échappa un
moment après. Le nommé Antoine Defavenelle ,
ci-devant Milicien qui l'avoit vu entrer dans la
ferme , étoit allé chercher au village une fourehe.
En revenant il rencontra dans une petite rue le
Joup , qui vint à lui la gueule béante. Deſavenelle
l'attendit de pied ferme, lui enfonça la fourche
dans la gueule & le tint pendant plus d'un quart
d'heure aſſujetti contre la terre , juſqu'à ce qu'enfin
on vint à ſon ſecours & on acheva de tuer cc
furieux animal. Les perſonnes qu'il a bleſſées ont
été tranſportées à l'hôpital de Soiffons .
Sa Majefté a accordé à Deſavenelle une gratificationde
trois cens liv. en récompenſe du courage
avec lequel il a attaqué & dompté ce loup.
AVRIL 1765 . 205
LOTERIES.
Le cinquieme tirage de la Loterie de l'Hôtelde-
Ville s'eſt fait le 26 Février en la manière accoutumée.
Le lot de cinquante mille liv. eſt échu
au numéro 55070 ; celui de vingt mille liv. au
numéro 56204 , & les deux de dix mille liv. aux
numéros 41336 & 55112.
Les Mars on a tiré la lotterie de l'Ecole Royale
Militaire . Les numéros fortis de la roue de fortune
font 16 , 1,21 , 6 , 86.
NAISSANCE.
Le 28 Février la Ducheſſe de Fronſac , bellefille
du Maréchal Duc de Richelieu , eſt accouchée
d'un fils .
MORTS.
M. Chaumejean de Fouville , Abbé Contmendataire
de l'Abbaye Royale de S. Vincent , Ordre
de S. Auguſtin , Diocèſe de Senlis , eſt mort à
Paris le 25 Février , âgé de ſoixante - quinze
ans.
Guillaume Richard Shetwind , fils du Lord
Shetwind, & Membre de la Chambre des Communes
d'Angleterre , eſt mort à Limoges lers
Février, âgé de trente-quatre ans. Son corps a été
embaumé & mis dans un cercueil de plomb pour
être tranſporté en Angleterre.
Louis - François - Martial Deſmontiers , Marquis
de Merinville , Maréchal des Camps & Armées
du Roi , ci-devant Capitaine-Lieutenant desGen--
darmes de la Reine , eſt mort dans ſes Terres en
Poitou les Mars.
206 MERCURE DE FRANCE.
Joſeph -Marie , Comte de Lordat , Maréchal
deCamp, &Gouverneurde Brouage , eſt mort à
Paris les Mars .
Scipion- Louis -Joſeph de la Garde , Marquis de
Chambonas , Brigadier des Armées du Roi , eſt
mort à Paris le 27 Février.
LeComte deValori , Meſtre-de- Camp de Cavalerie
, Exempt des Gardes-du- Corps du Roi ,
Compagnie de Beauvau , eſt mort à Verſailles le
premier Mars , âgé de quarante ans .
Jacqueline-Madeleine , Comteſſe de Damas de
Ruffey , Chanoineſſe de Neuville en Breſſe , eſt
morte à Paris le 22 Février dans la ſoixantedixieme
année de ſon âge.
Jeanne Madeleine Théreſe de Bouchet de Sourches
, Comteſſe de Vogué , eſt morte à Paris le
21 Février dans la vingt-deuxieme année de ſon
âge.
Bathilde-Madeleine Félicité de Verdelhan des
Fourniels , épouſe de Jacques Moreton , Comte
de Chabrillant , Maréchal-de-Camp , eſt morte à
Paris le 6 Mars .
AVIS DIVERS.
NOUVEAUX bandages du fieur BROGNIARD ,
rue de la Vieille Monnoie , à Paris , la quatrieme
porte-cochere à gauche en entrant par
la rue des Lombards.
LE fieur Brogniard , reçu à Saint Côme , vient
d'inventer de nouveaux bandages , les plus doux
&les plus commodes pour la guériſon des hernies
AVRIL 1765. 207
ou deſcentes de toutes eſpèces , propres aux hommes
, aux femmes & aux enfans.
Ces bandages , malgré leur ſoupleſſe , ne ſont
point ſujets à ſe caffer , & contiennent les defcentes
les plus violentes , ſavoir : les bandages
pour le nombril , pour l'aîne , pour la crurale ,
pour l'ovalaire , pour l'anus. Bandages pour les
femses nouvellement accouchées , de précaution.
Peſſaires pour la chûte de matrice.
Les perſonnes de province qui s'adreſſeront au
fieur Brogniard , en lui envoyant leur meſure ,
auront ſoind'affranchir leurs lettres .
Permis d'imprimer , ce 15 Novembre 1764 .
Signé , DE SARTINE.
PARbrevet & approbation de la Commiſſion Royale
de Médecine. Du 24 Août 1750. Béchique
ſouverain , ou Syrop pectoral pour les maladies
de poitrine.
En conféquence de la délibération priſe au
Bureau de la Commiffion , ſur les certificats des
Médecins&d'autres perſonnes dignes de foi , concernant
les bons effets d'un Syrop Béchique , de la
compofition de M. V. il lui a été permis de compoſer
, vendre & diſtribuer ledit Syrop Béchique ,
qui a été reconnu comme un remède efficace pour
le foulagement & la guériſon radicale du rhume ,
des toux invétérées , oppreſſion , foiblettes de
poitrine , & un puitfant palliatif dans l'aſthime
humide.
Ufage de ce Béchique.
Dans le rhume , la toux , oppreffion & foibleſſes
de poitrine , la doſe ordinaire ſera de deux grandes
208 MERCURE DE FRANCE.
1
cuillerées à caffé combles , oules deux tiers d'une
caillere à bouche , que l'on délayera à chaud dans
un poiffon d'infufion de fleurs de bouillon blanc
ou de thé ; & à leur défaut , l'on peut ſe ſervir
d'eau , obſervant de le prendre toujours le plus
chaudement qu'il ſe pourra , deux fois le jour ,
ſavoir , le matin à jeun , une heure avant le lever ,
s'il eſt poſſible , & ne rien prendre que deuxheures
après; & le ſoir en ſe couchant , deux heures au
moins après le fouper , qui doit être plus léger
que de coutume ; continuer chaque jour la même
méthode juſqu'à parfaite guériſon , ce qui ne tarderapas
, en tant qu'il rétablit les forces abattues ,
enrappellant peu à peu l'appétit & le ſommeil
comme parfait reſtaurant , par conféquent trèsfalutaire
à la ſuite des longues maladies où les
forces ſont épuiſées .
Quelqu'efficace que foit ce Béchique , il fant le
prendre exactement &de ſuite , vivre de régime ,
c'est-à-dire , s'abſtenir de fruit , ſalade , & en un
mot , de tout ce qui peut nuire ; prendre pour
boiffon , à ſa ſoif ſeulement , une priſanne adouciflante
, telle que l'infuſion de fleurs de bouillon
blanc , celle de tucilage , ou telle autre que les
Médecins jugeront à propos.
Dans les accès de l'aſthme humide , il faut en
faire prendre aux malades une doſe de quatre
grandes cuillerées à caffé combles , délayées &
priſes chaudement comme il a été dit , & trois ou
quatre heures après réitérer la même doſe ; &
fi , contre notre attente , les malades n'en recevoient
pas un foulagement marqué , il faudroit
leur endonner une troiſieme prife , & une quatrieme,
fi elle étoit néceſſaire , obfervant le même
intervallede trois ou quatre heures.Et pour confirmer
le ſoulagement , l'on fera continuer l'uſage
AVRIL 1765 . 209
de ce Béchique pendant trois ou quatre jours ,
matin & foir , à la doſe de deux grandes cueillerées
à caffé combles , délayées & priſes chaudement
comme deſſus. Il eſt conſtant que les accès
decette maladie deviendront par la fuite & moins
violens , & moins fréquens.
En ſuivant exactement la méthode prefcrite
ci-deſſus , on oſe bien garantir le ſuccès de ce
Syrop Béchique , dont l'odeur & le goût ſont
agréables , & qui convient à toutes fortes de perſonnes
, aux enfans mêmes , & aux femmes enceintes
, qui peuvent en uſer avec ſuccès , preuve
de ſa bénignité .
Et pour prouver de plus en plus l'utilité de ce
Syrop Béchique , la Dame Mouton indiquera
grand nombre de perſonnes de tous les états , de
ceux même de l'art , qui prouveront fon efficacité.
Les premiers , par leur propre expérience , ceux
de l'art par les épreuves qu'ils en ont faites , & les
certificats qu'ils en ont délivrés.
La bouteille taxće à fix livres , ſcellée & étiquetée
avec ſon cachet , eſt ſaffiſante pour en éprouver
toute l'efficacité avec ſuccès.
Adreſſe. Il ne ſe débite que chez la Dame veuve
Mouton , Marchande Apotichaire de Paris , rue
Saint Denis , entre la rue Thevenot & la rue des
Filles - Dieu , vis- à- vis le Roi François , à Paris .
Vu à Paris , ce 2 Septembre 1750 , Mq.
Vu l'approbation. Permis d'imprimer , ce 4 Septembre
1750. BERRYER.
Suc de Régliſſe & Pâte de Guimauve.
Mademoiſelle Defmoulins , par brevet & privilége
, confirmés par deux Arrêts du Parlement ,
des 17 Mai &4 Septembre 1747 , depuis plus de
210 MERCURE DE FRANCE.
foixante ans compoſe & diſtribue le véritable Suc
de Régliffe & la Pâte de Guimauve ſans ſucre ,
ſecret qu'elle tient par feue Madame ſa mere de
Mademoiselle Guy , Angloiſe , fille unique , décédée
à Paris en 1714 , plus de vingt ans après
la mort de ſon pere , premier Médecin de Charles
I, Roi d'Angleterre , &l'inventeur de ceſecret.
Ceux on celles qui ſe feignent parens de M. Guy ,
& qui ſe diſent propriétaires de ſon Suc & de ſa
Pâte deGuimauve, ſous lenom de Mademoiselle
Cyrano ou autres , trompent le Public , comme il
eſt prouvé par les Arrêts obtenus contre la Demoifelle
Cyrano. Mademoiselle Deſmoulins continue
ſeule avec ſuccès de les débiter à Paris , à la Cour
de France & dans les autres Cours de l'Europe ,
de l'aveu & avec approbation de Meſſieurs les premiers
Médecins du Roi & de la Faculté de Paris ,
qui les prennent chez elle lorſqu'ils les ordonnent
àleurs malades.
Propriétés& uſages du Suc & de la Pâte
Ils guériffent le rhume , fortifient la poitrine ,
'diſſipent l'enrouement & arrêtent le crachement
deſang. Les poulmoniques , les asthmatiques &
les perſonnes ſujettes à la pituite en ſont ſoulagées.
Ils font utiles à ceux qui ont la poitrine & la gorge
féches . On en peut uſer en tout temps , le jour ,
la nuit , devant & après le repas. Ils ſe tranſportent
par-tout & ſe gardent fans ſe gâter ni rien
perdre de leurs qualités. Comme d'autres ſe ſont
vantés d'en avoir acheté le ſecret , Mademoiſelle
( Defmoulins certifie ne l'avoir ni vendu ni communiqué
à perſonne ; ils ne ſe débitent en aucun
autre endroit que chez elle , où on peut ſe faire
montrer les Arrêts du Parlement , publiés & affi
AVRIL 1765 . 211
chés en 1747 , aux dépens dela Demoiselle
Cyrano , à qui il eſt fait défenſe d'ajouter à fon
nom propre celui de Guy.
Le prix du Suc & de la Pâte eſt de huit francs
lå livre.
Mademoiselle Desmoulins demeure rue du
Cimetiere S. André des Arcs , la premiere porte
quarrée à droite en ſortant du cloître, chezMademoiſelle
Charmeton , au ſecond.
ELIXIR Antiapopleſtique , ftomachique carmthatif
, le plus parfait qui ait encore paru , tant
parfon efficacité que parsafineſſe &Son parfum.
Comme ftomachique , il favoriſe inſenſiblement
la digestion , dont la mauvaiſe qualité eſt
la ſource ordinaire de l'apoplexie , & ce fans aucunement
échauffer. Comme carminatif , il calme
les vapeurs , fur- tout celles occaſionnées par les
vents qu'il diſflipe , ainſi que les coliques qu'ils
occafionnent .
Les bouteilles ſont de demi-ſeptier , à raiſon de
trois livres . Une cuillerée à bouche eſt ſuffiſante
pour en conftarer l'efficacité.
On n'en trouvera que chez le fieur Rouffel ,
Epicier Droguiſte dans l'Abbaye S. Germain- després
, à côté de la fontaine , vis-à-vis Madame
Duliege , Marchande Lingere à Paris ..
Le fieur Macary , Machiniſte privilégié du
Roi & des Etats de Hollande & de West- Frife , a
înventé différentes machines pour enlever les
eaux , principalement pour les deſſéchemens des
marais ; de forte qu'une machine enlevera par
heure vingt-cinq toiſes cuve à fix pieds d'élevation
que quatre hommes feront mouvoir pendant
quatre heures fans beaucoup ſe fatiguer , & quatre
212 MERCURE DE FRANCE.
qui les releveront , de forte qu'il faudra huit
hommes à chaque machine. Il en fera d'autres
qui enleveront à douze pieds d'élévation , dont fix
hommes feront mouvoir pendant quatre heures ,
& relayés par fix autres , de façon que douze
hommes enleveront vingt-cinq toiſes cuve par
heure , c'est-à-dire , fix cents toiſes par vingtquatre
heures.
Il a auſſi inventé une autre machine pour
enlever les eaux des puis , depuis ſoixante pieds
de profondeur juſqu'à cent cinquante. Cette machine
eſt ſi ſimple , qu'un homme , marchant
dans une roue , enlevera trente muids d'eau par
heure de ſoixante pieds de profondeur , pourvu
que les puits ſoient de quatre à cinq pieds de diamètre
; & s'ils étoient de ſept à huit pieds de
diamètre , on enleveroit le double : auffi à proportion
de la hauteur de foixante pieds en fus ,
il faudra mettre des hommes à proportion. Cette
machine n'est pas ſujette à grand entretien &
réparation ; elle eſt plus ſolide que toutes les pompes
connues juſqu'à ce jour. Ceux qui voudront
ſe ſervir de cette invention , le ſieur Macary
demeure rue Dauphine , fauxbourg S. Germain ,
à l'Hôtel d'Eſpagne. On le trouvera depuis ſept
heures du matin juſqu'à huit , & à deux heures
après-midi.
NOUVEAU remède pour conferver toutesses dents,
tant faines que gâtées , fans qu'elles faſſent
jamais aucun mal ni douleur , quelque gâtées
qu'ellesfoient , &fans qu'il faille en faire arracher
aucunes , &dont on commence à perdre l'ufage,&
que l'on quittera bientôt tout-à-fait.
* Ce remède conſiſte en un topique , de la compofitiondu
ſieur David, demeurant à Paris , rue
AVRIL 1765. 213
& à l'Hôtel Sainte Anne , butte S. Roch , vis- à- vis
du Bureau du Mercure & du Sellier de la Reine..
Ce topique s'applique le ſoir en ſe couchant ,
fur l'artere temporal , du côté de la douleur ; il ne
fait aucun dommage ni marque à la peau , il
tombe de lui-même au lever , & on eſt guéri four
la vie des maux de dents , des fluxions qui en
proviennent , des maux de tête , migraine &
rhume de cerveau , ſans qu'il entre rien dans la
bouche ni dans le corps.
Ce remède , qui eſt approuvé par Meffieurs
les Doyens de la Faculté de Médecine , acquiert
journellement des preuves ſans équivoque de ſon
efficacité. Il n'y en eut jamais de plus doux , puiſqu'il
guérit en dormant: plus de 22000 perſonnes,
tantdans Paris que dans les provinces , en ont été
guéries .
Tout le monde ſait que les maux dedents prennentdans
tous les momens de la journée , & que
l'on ne peut pas toujours s'aller coucher ; & pour
que l'on puiſſe vaquer à ſes affaires en attendant le
moment de ſe mettre au lit , ledit ſieur David a
de l'eau ſpiritueuſe d'une nouvelle compofition ,
qui eſt incorruptible , très-agréable au goût & a
l'odorat , qui fait paſſer dans la minute les douleurs
de dents les plus vives , guérit les gencives
gonflées , fait tranſpirer les férofités , raffermit
les dents qui branlent , empêche les mauvaiſes
odeurs des dents gâtées , le commencement& la
continuation de la carie , prennent les humeurs
ſcorbutiques , guérit radicalement de cette maladie
, & généralement de tous les maux qui viennent
dans la bouche.
Meſſieurs les Marins , ainſi que beaucoup de
voyageurs , tant par terre que par mer , en font
proviſion , ainſi que des topiques ,&ſont certains
1
214 MERCURE DE FRANCE.
de faire leurs voyages fans avoir jamais aucun
mal aux dents ni à la bouche ; & les perſonnes
qui ſe ſerventde cette eau ſans être incommodées,
ont toujours les gencives & les dents ſaines. Il ya
des bouteilles à 24 , à 6 ,&à 3 liv. & les topiques
à 24 fols chaque. Il donne un imprimé de la maniere
de ſe ſervir de tous les deux ; & quand on
lui fait l'honneur de l'envoyer chercher , on lui
paie en outre ſa courſe ſuivant l'éloignement. Il
en fournit dans toutes les provinces & hors du
Royaume , & il prie les perſonnes qui auront le
préſent volume de le mettre à part pour y avoir
recours dans le beſoin.
J
APPROBATION.
'AI lu , par ordre de Monſeigneur le Vice-
Chancelier , le ſecond volume du Mercure du
mois d'Avril 1765 , & je n'y ai rien trouvé qui
puiſſe en empêcher l'impreſſion . A Paris , ce
premier Avril 1765 .
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER.
LE Mauſolée de M. le Maréchal Duc de Luxembourg
, ode. Pages
VERS ſur la mort de M. Jore , &c. 8
IDYLLE , traduitede Moschus. 9
AVRIL 1765. 215
IDYLLE , traduite de Bion.
IDÉE d'un bon Peintre.
L'AFFLICTION raitonnable .
IO
II
12
VERS pour le portrait de M. de Belloy , &c. ibid.
JUGEMENT de Shakespeare dans le poème intitulé
la Refciade , &c . 13
IMITATION libre de ce morceau , par M. Marmontel
, de l'Académie Françoiſe.
CONSIDÉRATIONS fur les cauſes de la corrupibid.
tion de l'éloquence . IS
EPITRE à M. Gardel , Danfeur & Penſionnaire
duRoi. 39
EPITAPHE à Mile de Rochefort , &c .
PARAPHRASE de l'ariette dalforte non vilagnate
, &c.
42
ibid.
MADRIGAL à une Dlle qui m'avoit envoyé un
papillon. 43
A Monfieur de la Place , auteur du Mercure
de France. ibid.
IMPROMPTU adreſſe à Madame la Comteffe
de B ..... &c. 46
A la belle Troyenne , en lui renvoyant la nouvelleTragédiede
M. de Belloy. ibid.
Al'Auteur du Patriotiſme.
47
VERS ſur le mauſolée que le Roi fait élever ,
dans ſa bibliothéque , à feu M. de Crébillon. ibid.
INSCRIPTION pour la ſtatue du Roi qu'on élève
à Reims . 48
LES Fléches de l'Amour , ode anacreontique. ibid.
L'HOMME & le Chien , fable. so
Le Vifir , fable. SE
HERACLITE & Démocrite voyageurs , conte.
VERS a Madame Lec .... &c .
EPITRE à M. Buteau , Curé de Châteauchinon. 52
RÉPONSE de MM. Sénéchal & de la Place , 65
COPIE de la lettre de M. de Belloy auxMaire
53
64
a
216 MERCURE DE FRANCE .
&Echevins de Calais,
ENIGMES.
LOGOGRYPHES .
AMad.... qui vouloit apprendre à faire des
66
69
70
vers. Air: NoussommesPrécepteurs d'amour. 7 1
ART. 11. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
73 ASTRONOMIE , par M. de Lalande , &c .
JEAN Calas , à ſa femme & à ſes enfans , &c. 87
HISTOIRE des révolutions de Florence , &c. 93
ANNONCES de livres .
Avis .
११
115
ART . III . SCIENCES ET BELLES- LETTRES .
ACADÉMIES.
MATHÉMATIQUES. Extrait de l'ouvrage de M.
de Fontaine , de l'Académie des Sciences. 107
LETTRE de M. Bonamy , Docteur-Régent en
Médecine , &c. 125
ASTRONOMIE .
130
ARCHITECTURE . Etat de l'oeuvre de gravure de
M. Dumont , Profeſſeur d'Architecture, &c. 131
GÉOMÉTRIE. Problême .
135
ART . IV . BEAUX ARTS.
ARTS UTILES. CHIRURGIE. Lettre du Frère
Cofme à l'Auteur du Mercure.
135
Avis intéreſſant. 144
HORLOGERIE. 145
ARTS AGRÉABLES . MUSIQUE . Théorie de la
Muſique , par M. Balliere , &c. 147
GRAVURE. 161
ARTICLE V. CONCERTS SPIRITUELS.
165
MONUMENS PUBLICS . 172
SUPPLÉMENT à l'article des Arts . Danſe.
174
ARTICLE VI . NOUVELLES POLITIQUES. 177
Avıs divers . 206
De l'Imprimerie de Louis CELLOT , rue
Dauphine.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères