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1765, 03
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MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AURO I.
MARS 2765.
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine .
Chez
Cochin
Sitive in.
LaytonSoulpe MIS.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis-à -vis la Comédie Françoile,
PRAULT , quai de Conti .
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , Imprimeur rue Dauphine
Avec Approbation & Privilège du Roi,
W
BIBLIOTHECA
REGIA
MONACENSIS.
1441
i..
AVERTISSEMENT.
LE
Bureau du
Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du
Parlement , Commis
au
recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch à côté du
Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie
d'adreffer
francs de port , les paquets & lettres ,
pour remettre , quant à la partie
littéraire ,
à M. DE LA PLACE , Auteur du
Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on ne payera
d'avance , en s'abon
nant , que 24 livres pour feize
volumes,
à raifon de 30 fols piece.
Les
perfonnes de
province
auxquelles
on
enverra le
Mercure par la Pofte
payeront
pour feize
volumes 32 livrés
d'avance en
s'abonnant , & elles les rece
vront francs de
port.
Celles qui
auront
d'autres voies que
la Pofte pour le faire venir , & qui prendront
les frais du port fur leur
compte ,
ne
payeront
comme à Paris , qu'à raison
de 30 fols par volume , c'eft-à dire , 24 liv.
d'avance , en
s'abonnant pourſeize
volumes.
Les
Libraires des
provinces ou des pays .
A ij
etrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci-deffus.
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la Pofte , en payant le droit ,
leurs ordres , afin que le paiement en foit
fait d'avance au Bureau,
Les paquets qui ne feront pas affranchis
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoient des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pieces tirées des
'Mercures & autres Journaux , par M. DE
LA PLACE , fe trouve auffi au Bureau du
Mercure. Cette collection eft compofée de
cent huit volumes. On en prépare une
Table générale , par laquelle ce Recueil
fera terminé ; les Journaux ne fourniffant
plus un affez grand nombre de pieces pour
le continuer
MERCURE
DE FRANCE.
MARS 1765.
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LETTRE à M. DE LA PLACE.
MONSIEU ONSIEUR ,
LES favans d'un certain ordre ne trouvent
de délaffement dans leurs travaux littéraires
qu'en en changeant l'efpece ; c'eſt
alors que le Philofophe le plus grave ne
craint pas de fe dérider : tel étoit le Père
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Oudin , fi célèbre dans la fociété par fon
érudition , & qui a été aimé & reſpecté de
tous les Gens de Lettre de ma Province.
Il eft l'auteur de la bagatelle que je vous
envoie , qui , par fa nature & par la manière
dont le fujet eft traité , me paroît
mériter de trouver place dans votre Journal.
On doit regarder le Mercure comme
une bibliothéque générale faite pour recueillir
tout ce qui peut contribuer à l'amufement
& à l'inftruction du Public.
J'ai l'honneur d'être , & c.
RECHERCHES SUR LA BARBE
PAR le Père OUDIN , Jésuite *.
JE crois que le mot barbe vient des Celtes,
dans la langue defquels barfignifie l'homme
& barb la virilité. Quoi qu'il en foit ,
voyons quelles ont été les différentes manières
de porter la barbe en divers pays ,
& en divers tems ; & confultons les
Auteurs , tant profanes que facrés.
I. On ne doute pas que les premiers
hommes n'aient porté la barbe telle que
* Mort à Dijon le 28 Avril 1752.
MARS 1765 .
la nature la leur donnoit. Ils la regardoient
comme une prérogative qui marquoit la
fupériorité de leur fexe & la force propre à
l'âge viril . Cette idée eft naturelle ; auffi
eft-elle commune ; on la trouve dans tous
les tems & chez tous les peuples.
Les Eſpagnols en ont confervé l'expreffion
bien marquée en leur langue. Pour
dire , c'eft un homme de coeur , ils difent :
es hombre de barba , c'est un homme de
barbe . Adreffons- nous aux Poëtes pour le
peu de traditions qui nous reftent des premiers
fiecles. Ils nous repréfentent toujours
les grands hommes des temps héroïques
fournis d'une longue barbe. Bacchus , e
plus ancien conquérant dont il foit fait
mention dans l'hiftoire profane , étoit
barbu ( témoin Diodore de Sicile ) , de
même que les Hercules , car il y en a plus
d'un. Dans la vie de Thésée , écrite par
Plutarque , il eft parlé de la grande barbe
de ce Héros. Les Grecs & les Troyens
laiffoient croître leur barbe. Dans le vingtquatriéme
livre de l'Iliade , vers 164 , on
voit Priam , affligé de la mort de fon fils
Hector , fe couvrant de cendre & de pouf
fière les cheveux & la barbe . Il en eft
encore parlé , Iliad. XX11 , 78 , & XXIV
16. Il eft parlé de la barbe de Diomédé,
Iliad. X , 454 , & de celle d'Ulyffe dans
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
l'Odyffée , XV1 , 176 , XVIII , 268 , XIX ,
473. Virgile parle de la barbe d'Hector ,
An. 11 , 277. Juvenal , Sat. 10 , vers
253 , fait mention de la barbe d'Antiloque ,
fils de Neftor. Virgile nous fait bien penfer
que les Latins du temps d'Enée étoient
barbus , lorfqu'il repréfente , Æn. X, 838 ,
Mézentius la poitrine couverte de fa longue
barbe , fufus propexam in pectore barbam.
Un certain Ebufus , du parti des Rutulois ,
En . XII , 300 , dans le fort d'une attaque ,
voit le feu à fa barbe longue & épaiffe ,
olli ingens barba reluxit. Servius nous difpenfe
d'en dire davantage , & de détailler
les exemples. Il nous dit , une fois pour
toutes , que les Héros , c'est - à - dire les
hommes chantés par les anciens Poëtes ,
ne fe tondoient point le menton , bien
loin de le rafer. Il fait cette obſervation
fur le vers 593 , du troifiéme livre de
l'Aneïde . Avouons cependant que le Laocoon
de la vigne Farnéfe n'a qu'une demibarbe.
L'ouvrier l'a fait exprès . La longueur
des poils auroit caché la poitrine
de la ftatue ; il a voulu par- tout découvrir
fon art. C'eft , je penfe , par la même
raifon , que dans l'apothéole d'Homère
repréſentée fur un marbre qui fe conſerve
à Rome dans le Palais des Princes Colonne ,
& dont le Père de Monfaucon a donné
MARS 1765.
l'empreinte dans fes antiquités , tom . 5
p. 168 ; ce Poëte paroît avec une barbe
affez courte au lieu que les anciens Auteurs
lui en donnent une belle & longue.
Les Savans n'avoient garde de le faire
paroître fans cette décoration . Ils ont toujours
été dans la perfuafion qu'une barbe
bien fournie & bien venue affortiffoit trèsbien
une tête docte. Pline le dit joliment
dans une de fes lettres : Barba fylvofa &
pulcrè alita , quamvis res ipfa fit exterior
& fortuita , inter hominis eruditi infignia
recenfetur. Auffi eft- il rare de voir un portrait
de favant fans barbe. Les uns l'ont
plus longue , les autres plus courte , chactin
felon fes facultés. On en voit de rondes ,
de quarrées , de fendues , de pointues , de
frifées , de partagées en petits floccons &
en queiies de lézard. La feule infpection
d'un livre d'éloges en fera plus voir en un
moment que je n'en pourrois décrire. Enfin
ce n'eft que depuis environ cinquante ans
que l'on aa pu fe mettre dans la tête que
l'érudition n'eft pas incompatible avec un
menton ras.
Une petite hiftoriette racontée par Paul
Jove , dans l'éloge de Francefio Filelfo ,
montre bien jufqu'à quel point quelques
favans étoient jaloux de leur barbe. Il étoit
queftion de la quantité ou de l'accent d'une
A v
ΙΟ MERCURE DE FRANCE .
\
fyllabe grecque entre cet Italien & un
Profeffeur Grec de naiffance , nommé
Timothée. L'un foutenoit que la dernière
fyllabe d'un mot étant bréve , il falloit un
circonflexe fur la pénultième : l'autre prétendoit
que l'accent devoit être aigu , parce
que la dernière étoit longue. On gage ,
l'un fa barbe , & l'autre une certaine
fomme. Le pauvre Timothée perdit , &
quelque offre qu'il fit pour racheter ſa
barbe,l'impitoyable Filelfo la lui fit couper,
& la garda chez lui comme un monument
éternel de fa victoire. In familia erudite victoria
tropheum remanfit. Il pouvoit fe vanter
d'avoir fait la barbe à fon homme. Ceci
mie rappelle ce que j'ai lu dans une lettre
de M. Servien , que le Cardinal de Richelieu
, parlant du Père Jofeph , difoit qu'il
n'y avoit homme au monde qui pût faire
la barbe à ce Capucin , quoiqu'il y eût
belle prife.
La barbe de Socrate étoit fi fameufe ,
que Perfe ( fat. IV , 1 ) croit le défigner
fuffifamment en le nommant le pédagogue
barbu , barbatum magiftrum .
Je ne dois pas oublier la barbe d'Anacréon.
Ce Poëte fi galant a eu foin d'avertir
la poftérité qu'il l'avoit belle & bien entretenue.
Alors la propreté ne confiftoit pas
à fe faire rafer tous les matins , & à ne
MARS 1765. Tr
laiffer paroître aucun poil fur le menton ,
inais à préfenter une barbe bien peignée
& parfumée. Ces deux manières de propreté
ne font guères moins incommodes
l'une que l'autre. On croira fans peine
qu'une barbe telle qu'étoit celle d'Anacréon
, annonçoit dès la première vue un
homme de plaifir. Mais on ne croira pas
fi aifément que porter la tête rafe jufques
par-deffus les oreilles avec un toupet de
cheveux en rond fur le fommet , juſtement
comme on voit les jeunes Capucins , fût
alors la coëffure la plus voluptueufe. Cependant
la chofe eft vraie , & je pourrois en
donner des preuves fans réplique , s'il étoit
ici queftion de cela . Je ne le dis qu'en
paffant. Si les Capucins avoient paru en ce
temps-là , & dans la Grèce , ils n'auroient
pas pris cette manière de façonner leurs
cheveux , qui étoit laiffée en propre à ceux
des jeunes gens qui fe nommoient pueri
delicati au lieu que ceux qui étoient
ingenti , portoient la chevelure longue ,
comme il paroît par le Phedre de Platon
& autres. Mais ce n'eſt pas de quoi il s'agit.
Revenons à nos barbes.
Les Egyptiens , dans les grands deuils ,
c'est -à- dire à la mort de leurs proches , de
leur Roi & de leur boeuf Apis , laiffoient
croître leurs cheveux & coupoient leurs
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
3و ,
barbes. C'eft ce qu'on voit dans Théodore
11 , 36 , Diodore de Sicile 11
Pline VIII , 46. Hors de- là , & pour l'ordinaire
, ils portoient les cheveux courts
& la barbe longue . Si le chat de la maiſon
fe laiffoit mourir , toute la famille fe rafoit
feulement les fourcils : c'étoit le petit
deuil. Hérodote , 11 , 66. Pour la mort du
chien de la maifon , le deuil étoit extraordinaire
on fe rafoit & la tête & tout le
corps. Idem , ibid. Les Prêtres étoient toute
leur vie comme ceux qui avoient perdu
leur chien. Ils devoient tous les trois jours
fe rafer tout le corps. Idem , ibid , cap. 37.
par
Les Ethiopiens s'épargnoient la peine
de couper leurs cheveux , qui étoient
eux-mêmes affez courts. Ils les portoient
donc d'ordinaire tels que la nature les leur
donnoit , de même que la barbe , c'eſt- àdire
crépus. Pline , 11 , 78. La frifure ne
leur coûtoit rien , le foleil en faifoit toute
la dépenfe.
Les Indiens y cherchoient plus de fineſſe .
Ils portoient à la vérité la barbe de toute
La longueur naturelle ( Diodore , Iv , s ,
Curtius , vi11 ) , mais ils y ajoutoient des
couleurs artificielles . Strabon , liv. 15. La
mode n'en eft pas encore paffée. La premiere
chofe fait un Indien en fe levant
que
le matin , c'eft de fe baigner , & puis de
MARS 1765 .
fe faire appliquer différentes couleurs fur
la barbe & fur tout le corps. Le même
Strabon , liv. 17 , dit que fes Maures ne
favoient ce que c'étoit que de couper
leurs barbes. Pline, XVI , 28 , nous apprend
que parmi les Arabes il y avoit partage :
Les uns portoient la barbe entiere , les
autres fe rafoient le menton , & fe réduifoient
à la mouftache. Expliquons ceci en
paffant. Les Arabes ne connoiffoient que
deux moyens de gagner leur vie : le trafic
& le brigandage. Ces deux profeffions partageoient
également toute la Nation. Pline
le dit , ibid. Or la portion de ces peuples
qui s'adonnoit à commercer gardoit fa
barbe. L'autre portion qui trouvoit qu'il
étoit plus beau de battre l'eftrade ou de
détrouffer les paffans , ne portoit que la
mouftache. C'eft ce qu'on voit encore à
préfent parmi les Turcs.
Quelques Auteurs font honneur aux
Arabes de l'invention de la moustache.
Plutarque , dans la vie de Théfée , en
donne la gloire aux Abantes , ancien peuple
de l'Ile d'Eubée , que nous appellons
Négrepont , defquels Hérodote fait une
mention honorable , l . 1 , ch . 146. Comme
les Abantes étoient fort belliqueux , ils fe
raferent tout le devant de la tête , afin que
dans la mêlée leurs ennemis n'euffent point
14 MERCURE DE FRANCE.
de prife fur eux pour les accrocher ; & en
même temps ils laifferent croître leur che
velure par derrière pour leur montrer qu'ils
ne craignoient pas d'être pris en fuyant.
Plutarque cite Homère , & il eft vrai que
cet ancien Pocte l'infinue , Iliad. 11 , dans
le dénombrement des troupes , vers 49.
La mode étoit chez les Perfes de fe rafer
dans le deuil , comme faifoient les Egyptiens.
Hors de là ils portoient donc la barbe
non rafée . Strabon , liv. 16 , en dit autant
des Affyriens. Il y a ici quelques réflexions
à faire. Du temps d'Alexandre, les Perfes
fe rafoient la barbe. On le voit par ce que
dans le deuil ils fe coupoient les cheveux.
2 Curtius , x , 5. Il faut donc dire que les
Perfes demeurerent barbus tandis qu'ils fe
foutinrent ; mais que quand ils fe furent
ramollis & livrés aux délices , ils ne s'accommoderent
plus de leurs barbes.
Pour les Affyriens , il y a eu de la variation.
Sémiramis introduifit une nouvelle
manière de fe mettre. Juftin l'a remarqué,
livre I , 2. Elle voulut que tout fon peuple
fe mît comme elle. On conçoit bien dès - là
que dans toute l'Affyrie on ne vit plus de
barbe. C'est à quoi cette Reine dut être
plus attentive , dans le deffein où elle étoit
de fe faire paffer pour homme. Le défaut
de barbe l'auroit trahie , quelque précau-
4
MARS 1765.
tion qu'elle pût prendre d'ailleurs . Et apparemment
la mode des mentons unis dura
au-delà du regne de Sémiramis ; car l'hif
toire nous apprend que Ninias , fon fils ,
paffa fes jours avec les femmes ; exemple
qui fut fuivi par fes fucceffeurs jufqu'à
Sardanapale , qui portoit même l'habit de
femme. Juftin , 1. 3. Ainfi on peut croire
que depuis Sémiramis , jufqu'à ce que l'empire
des Affyriens fût tranfporté aux Médes,
les barbes ne furent pas à la mode dans
l'Affyrie ; mais dans la fuite l'ufage en
revint.
Le même ufage étoit commun dans toute
la Grèce. Je ne vois guère que les Lacédémoniens
qui aient eu le menton ras.
C'eft ce qu'Athénée nous apprend , liv. 13 ,
ils portoient tous la mouftache , parce qu'ils
étoient foldats nés. Pour les en faire reffouvenir
, lorfque leurs Ephores ou Magiftrats
entroient en charge , ils commençoient
par publier que tous les Citoyens
euffent à fe faire rafer le menton. Concluons
de là que les Lacédémoniens auroient
volontiers confervé leur barbe dans
fon état naturel , puifqu'il leur falloit fi
fouvent réitérer l'ordre de la couper.
Les Athéniense fe piquoient pas de
bravoure , auffi ne portoient-ils point de
mouftache. Ils fe piquoient de politeffe &
$ 6 MERCURE
DE FRANCE.
d'érudition , auffi les barbes y étoient- elles
à la mode. On le voit par une comédie
d'Ariftophane , à laquelle les traducteurs
latins donnent le titre de Concionatrices ,
& que nous pourrions nommer l'Affemblée
des femmes. Le Poëte , pour faire fentir le
ridicule des affemblées de tout le peuple ,
où les chofes les plus importantes fe terminoient
, fait paroître des femmes de toute
condition , qui s'étant levées avant leurs
maris , dont elles prennent les habits , tiennent
une affemblée dans le lieu ordinaire ,
& yfont des loix à l'avantage de leur féxe .
Mais , pour ne manquer à rien , elles s'attachent
des barbes poftiches ; & la premiere
chofe que la directrice de l'affemblée
leur demande , c'eft : avez-vous des barbes ?
Habetis barbas ? Il est vrai que quelques
Athéniens fe rafoient , mais ils étoient
expofés aux railleries des Philofophes &
des Poëtes comme celui à qui Diogene
demanda s'il étoit mécontent de la nature
pour l'avoir fait naître homme? & comme
ce Straton qu'Ariftophane a traité fi durement.
Alexandre , avant la journée d'Arbelles ,
fit couper toutes les barbes de fon armée.
Plutarque en apporta la vraie caufe . Voici
fes paroles dans la vie de Théfée , telles
qu'Amyot les a rendues. Alexandre le
MARS 1765. 17
Grand commandoit à fes Capitaines qu'ils
fiffent faire les barbes ( il falloit dire mentons
, c'eft la force du terme grec ) aux
Macédoniens , à caufe que c'eft la plus aifée
prife & plus à la main qu'on fauroit avoir
fur fon ennemi en combattant , que de le
faifir à la barbe.
Les Ptolomées & autres fucceffeurs
d'Alexandre reprirent la barbe , comme on
le voit par leurs médailles. Par celles d'Alexandre
il n'en paroît aucun veftige. Quand
il ne fe la feroit pas fait rafer , il ne devoit
pas en avoit beaucoup , vu fon âge & fon
tempérament. Qui fait s'il ne fit point
pofer la barbe à toute fa Cour & à toute
fon armée , parce qu'il n'en avoit point
lui-même ?
que
Les changemens qui arriverent à Rome
dans la manière de porter la barbe , font
plus marqués dans les monumens qui nous
reftent de l'antiquité . Ce fut l'an 454 de
la fondation de Rome l'on y vit pour
la premiere fois des barbiers. Pline , VII ,
59 , le dit formellement. Jufques - là les
Romains portoient chevelure & barbe
longue & fans culture , ajoute Pline . Varron
( 1 ) l'avoit dit auparavant. Je ne dirai
( 1 ) Omninò tonfores in Italiam primùm veniffe
ex Sicilia dicentur poft annum 454. Olim tonfores
non fuiſſe , adfignificant antiquorumftatus , quòd
18 MÉRCURE DE FRANCE.
pas en quel temps les barbiers avoient com
mencé à travailler en Sicile ; je ne le fais
pas. Il eft für qu'ils y étoient connus cent
ans avant qu'ils le fuffent à Rome , puifque
Ciceron raconte que le vieux Deny's
n'ofant fe fer à aucun barbier , fe faifoit
rafer par fes filles . Tufc. V , 20. Je ne
dirai pas non plus en quel temps les Tofcans
& les Tarentins commencerent à fe
rafer. Je fais feulement qu'ils le faifoient.
Théopompus le dit , & il écrivoit cinquante
ans avant la naiffance d'Alexandre . Il étoit
contemporain du vieux Denys.
Les barbiers reçus à Rome n'eurent pas
d'abord main- levée pour travailler fur tous
les mentons . Depuis l'an de Rome 454
jufqu'au temps du jeune Scipion, la mode
fut de ne fe rafer que jufqu'à l'âge de
quarante ans. Voyez Aulu-Gelle , liv. 11 ,
ch . 4. Scipion , le deftructeur de Carthage ,
fut le premier des Romains qui fe rafa tous
les jours de fa vie , fuivant le rapport de
Pline , ubi fuprà. Cela vint à la mode ;
de forte que depuis fon temps jufqu'à celui
de l'Empereur Adrien , qui fuccéda à Trajan
l'an de Rome 870 , les barbes romaines
ne paroiffoient que dans les deuils : auquel
cas il étoit du cérémonial de fe laiffer auffi
pleraque habent capillum & barbammagnam. De re
ruftica II , II .
MARS. 1765 . 13
croître les cheveux. Voyez Lucain , 11¸
372. Hors de ces occafions les Romains
alloient tondus & rafés , ainfi qu'il paroît
par leurs ftatues , médailles & bas-reliefs.
La coupe de la premiere barbe étoit
chez eux un jour de fête célèbre. On le
voit par plufieurs endroits de Martial &
par Juvenal , fat . 111 , 186. Néron mar
qua la fienne par des jeux qui furent nommés
Juvenales.
Dois-je mettre ici ce que j'ai lu dans
un Auteur très - habile ( Hadr. Junius , de
coma, cap. 11 ) , que les vieux Romains
étoient fi jaloux de leurs barbes , que par
une loi des douze tables il étoit défendu
aux femmes de fe rafer les joues. Cette loi
eft rapportée par Ciceron , de leg. 1.1 , mu
lieres genas ne radant. C'eft , dit cet Au
teur , que les femmes fe rafoient pour fé
faire venir de la barbe , ce que les hommes
ne vouloient pas. Cette réflexion eſt auſſi
fauffe qu'impertinente. L'endroit des douze
tables fait affez voir que cela ne tendoit
qu'à modérer dans les femmes , à la mort
de leurs proches , les démonftrations extérieures
de leur douleur , qu'elles ne de
voient pas porter jufqu'à s'égratigner &
s'enfanglanter le vifage.
Adrien remit la barbe à la mode : ce
fut , dit- on , pour couvrir quelques cica20
MERCURE DE FRANCE .
trices qui lui reftoient des coups qu'il avoit
reçus à la guerre. Si fes médailles font
reflemblantes , il ne la portoit pas bien
longue. Depuis Adrien les médailles préfentent
en foule des mentons barbus. On
en rencontre par- ci par- là quelques - uns
d'unis. Heliogabale eft du nombre. Il auroit
voulu devenir femme ; & pour le paroître ,
il ufoit d'épilatoires.
2
Julien ne fe contenta pas de la barbe
impériale qui ombrageoit feulement les
joues & le menton , & avoit au plus
deux doigts de jet. Il prit la barbe cynique
la plus vilaine qu'il y eût. Il fait dans fon
Mifopogon une defcription de la fienne ,
qui n'en donne pas une idée fort gracieuſe.
Il la repréfente comme une forêt inculte
& peuplée d'animaux convenables ; il les
nomme fans façon je ne l'imiterai pas.
On connoît par cet ouvrage de Julien ,
que de fon temps les barbes étoient bannies
d'Antioche. Je crois que les Chrétiens
( car c'eft contre eux que le Mifopogon
fut écrit ) voulurent marquer par- là à Julien
qu'ils n'étoient pas de fa religion. Dans la
fuite on ne vit plus que longues barbes.
Les peuples feptentrionaux , originaires
des Scythes , & nommés Celto - Scythes ,
Gaulois , Celtibéres , Germains , Pictes ,
Bretons , Getes , Goths , Saxons , Francs ,
MARS 1765. 21
Bourguignons , & c. portoient demi- barbe
avec mouftache. On en voit la manière
dans les bas -reliefs de la colonne Trajane ,
où les Daces font repréfentés . Une autre
preuve que toutes ces nations ne portoient
pas la barbe longue , c'eft que les Lombards,
qui l'avoient telle , fe diftinguoient par-là
des autres Barbares. Leur nom le marque ,
Longobardi , longues-barbes ; comme Дhenobardes
, barbe - rouffe.
Edme Thomas , que le Père Montfaucon
nomme mal-à- propos Aubons , a fait graver
dans fon hiftoire d'Autun la figure antique
de deux Druides. Ils ont l'un & l'autre
une barbe d'un doigt de jet , la tête inférieure
rafée , avec mouftaches pendantes
de -çà & de-là . Les Gendarmes les retrouffoient
les pierres antiques en font foi . Si
nos Gaulois qui prirent Rome 364 ans
après fa fondation , avoient été accoutumés
à voir de longues barbes , auroient- ils été
fi frappés à la vue des Sénateurs affis à
l'entrée de leurs maifons ; & ce foldat
dont parle T. Live , lib. v , 41 , fe feroit-il
avifé d'aller badiner à la françoiſe autour
de la barbe de Papirius ? Car il n'eft pas
dit que ce vénérable Père Confcript eût fur
le menton rien d'extraordinaire. Cefar ,
dans la defcription qu'il fait des Ifles Britanniques
, rend témoignages à la moufta21
MERCURE DE FRANCE.
che Prater labrum fuperius. Suetone
raconte que l'admiration que les Barbares ,
c'est- à-dire les Germains , avoient conçue
pour la vertu de Germanicus , étoit telle
qu'ils prirent le deuil à fa mort , & que quelques-
uns de leurs Rois fe firent couper la
barbe: Regulos quofdam barbam pofuiffe . De
Germ. cap. 31. Au rapport de Tacite , l'ufage
étoit parmi les Germains belliqueux ,
qu'un foldat parût en barbe jufqu'à ce
qu'il fe fût fignalé par quelque acte de
valeur alors il avoit droit à la mouſtache.
Lorfque les Francs fe fixerent dans les
Gaules , ils la trouverent barbue . Les Romains
y avoient introduit cette mode , &
elle fe maintint parmi les clercs , c'eſt-àdire
ceux qui favoient lire . Les Francs ne
s'en piquoient pas ; ils alloient à la guerre
& à la chaffe. Ainfi l'habit court & la
mouſtache diftinguerent les gens de guerre
des clercs & gens d'étude , qui étoient
prefque tous Romains , & portoient l'habit
long & la barbe de même . Par- là on
entend un petit fait que Pafquier rapporte ,
livre VIII , 9, & qu'il dit avoir lu dans
nos vieilles chroniques. C'eft que Dagobert
ayant reçu quelque chagrin d'un fien Gouyerneur
, lui fit faire la barbe. Ce Gouver
neur étoit fans doute un clerc ; & Dagobert
étoit jeune. C'étoit alors une vengeance
bien dure !
MARS 1765.` 23.
Charlemagne , devenu Empereur des
Romains , mit en honneur la barbe ro-,
maine. I la portoit belle. Sous Louis le,
Jeune les mentons unis revinrent à la mode,
François I ramena la barbe. Pafquier en.
marque l'occafion dans fes recherches . Ce
Roi ayant été fortuitement bleffe à la tête
d'un tizon par le Capitaine Lorges , fieur
de Montgommery , les Médecins furent d'a
vis de le tondre. Il laiffa croître fa barbe,
pour regagner d'un côté ce qu'il perdoit,
de l'autre.
Un fait rapporté par Guillaume de Tyr,
( liv. 11 , ch. 11 ) , montre qu'un débiteur ,
dans quelques occafions hypothéquoit fa
barbe , & s'engageoit à l'abandonner à fes
créanciers s'il ne payoit pas au jour marqué.
Baudouin , Comte d'Edeffe , feignit
d'avoir engagé la fienne pour la fomme de
cinquante mille michelots , qu'il tira par
ce moyen de fon beau- père.
Pafquier continue auparavant chacun
portoit longue chevelure & barbe rafe , maintenant
chacun eft tondu & porte longue barbe.
Telle étoit donc la mode du temps de
Pafquier , c'eft-à- dire fur la fin du feizieme
fiecle.
On connoît la barbe de Henri IV; mais
quoiqu'il ne la portât pas longue , il paroît
par les tableaux que la mode n'étoit pas
24 MERCURE DE FRANCE.
uniforme les barbes courtes
, pour & que
chacun la portoit comme elle lui venoit ,
qui plus qui moins.
Sous Louis XIII les barbes arrondies
par les côtés , & terminées en pointe ,
furent en grande vogue avec la chevelure
tombant fur l'épaule gauche & tondue fur
l'oreille droite. Je penfe que ce pouvoit
être pour la commodité de porter le baudrier.
Parurentenfuite les barbes en feuilles
d'artichaud. Enfin les barbiers leur ont fi
bien donné la chaffe , qu'il n'en a plus été
queſtion .
Voilà ce que les Auteurs profanes m'ont
fourni . Paffons à l'écriture fainte & à l'hiftoire
eccléfiaftique.
La fuite , au Mercure prochain.
EPITRE
MARS 1765.
25
EPITRE à Mademoiſelle DOLIGNY.
Q
UEL eft ce charme que j'ignore ,
Doligny ? viens me révéler
Comment , à peine à ton aurore ,
Tu peux m'agiter , me troubler ,
Me remplir de tendres alarmes ,
M'arracher de: fi douces larmes
M'affliger & me conſoler.
Dis-moi quel art , quelle magie
Enfante ces brillans fuccès ;
Rends-moi compte de ton génie ,
Dévoile- moi tous tes fecrets.
Je fais bien qu'un jeune Français ,
Fidèle au Code de Cythère ,
Dira que ce font tes attraits
A qui tu dois cet art de plaire.
Seize ans , une taille légère ,
De beaux yeux & de la fraîcheur ;
Seize ans ! voilà tout le myſtère ,!
Voilà ce qui féduit un coeur.
Sans doute , ... & ma philoſophie
Dût-elle s'en effaroucher , f
Je conviens avec modeſtie
Que tu ne pourrois me toucher
Si tu n'étois jeune & jolie,
B
26 MERCURE DE FRANCE.
1
Mais la jeuneffe & la beauté
Ont-elles donc pour apanage
L'art de peindre la vérité ,
De fixer notre eſprit volage ,
Et d'enchaîner fa liberté >
Non c'eft ta candeur qui m'enchante , :
C'eſt ta pudeur qui me féduit ,
Et cette éloquence touchante ,
C'est ton coeur qui fe reproduit.
Heureux enfant de la nature
Conſerve avec fidélité
Cette vertu ſenſible & pure ,
Cette aimable fimplicité.
Dans ce fiècle de la licence
Où le vice heureux & fêté
Brave l'honneur & la décence ,
Et rit avec impunité ;
Où , fi fauffement ingénuës
Et nos Phrynès & nos Laïs
Etalent aux yeux de Paris
Les tréfors qu'elles ont conquis ,
Et les moeurs qu'elles ont perdues g
Où l'art de vendre & d'acheter !
Se traite avec tant de jufteffe ;
Où l'on fait le prix de Lucrèce
Pour peu que l'on fache compter.
Quelle volupté pour un fage
De voir la beauté , les talens ,
MARS 1765. 27
Demeurer au troifiéme étage ,
Et briller fans ameublemens !
Qu'il eft beau de voir Zénéïde ,
Le front couronné de lauriers
Méprifer la foule infipide
Qui frédonne dans les foyers ;
Et fuyant un éclat vulgaire ,
Sous la garde de l'amitié ,
S'en retourner chez elle à pić ,
Et donnant le bras à fa mère !
Ah tu connois le vrai bonheur,
Ton fort eft feul digne d'envie ,
Et l'innocence de ton coeur
Fera le charme de ta vie.
Irois- tu , d'un art impofteur ,
Empruntant les viles foupleffes ,
Deſcendre à de feintes carelles ,
Ou fubjuguer avec hauteur ?
Pourrois-tu bien , tendre & parjure ,
De Vénus troquer la ceinture
Pour un collier de diamans ,
Et les plaifirs de la nature
Pour de triftes amuſemens ?
Va , tous ces biens font le partage
D'un efprit faux & malheureux.
On n'eft point confolé par eux :
On traîne des jours odieux
Dans les liens de l'esclavage ;
Bij
28
MERCURE
DE FRANCE
.
On pleure l'emploi du bel âge ,
Et l'on fent au fond de fon coeur
Qu'on a laiffé là le Bonheur
Pour courir après fon image.
EPITRE en forme d'étrènnes à M. le
PRINCE de *** , par M. le Chevalier
DE JUILLY THOMASSIN , de l'Académie
Royale des Sciences & Arts d'Angers
& de celle de Montauban.
OUR m'acquitter de l'humble hommage
Qu'aujourd'hui je vous dois fi légitimement ,
Prince , irai - je , felon l'uſage ,
Vous faire un pompeux compliment
Que la bouche prononce & que le coeur dément
Vous ririez de ce verbiage ;
Moi , je l'effaîrois vainement.
J'ignore l'art heureux de farder mon langage :
Mon coeur ne l'eft pas plus que mon viſage....
S'il ne falloit que parler franchement ,
Que vous montrer le plus vif fentiment ;
Et fans apprêt , fans étalage ,
Vous prouver au befoin un entier dévoüement ,
Qui le feroit plus ailément ?
Qui fauroit fur mon âme avoir cet avantage ?
Nul à la Cour certainement,
MARS 1765 : ~ 29
>
Mais , par malheur , & quel dommage !
Mon zèle ne peut rien , mes voeux pas davantage.
Ah ! s'ils étoient heureux comme ils font ingénus ,
Oui , vous furpafferiez en dons le plus profpéres ,
En plaifir , en vigueur , en âgé , en revenus
Neftor , Hercule , Epicure & Créfus.
Mais mes fouhaits les plus fincères
Vous feroient fouhaits fuperflus ;
Et mes plus ardentes prières
Ne vous feroient pas vivre un feul inſtant de plus.
Faut-il donc que mes voeux ne foient que des chimères
?
Irai-je , par un autre abus
> Louer votre valeur vos exploits , vos vertus ;
Et cet efprit , & ces lumières ,
Qu'ailleurs on ne trouveroit guères ?
Vous dormiriez à ce Phébus.
Célébrerai - je enfin l'éclat qui vous décore ,
Et ce facile accès qui vous illuftre encore
Et cet art d'obliger jufques dans le refus ,
Et cet afpect charmant qui fait qu'on vous adores
Je vous ennuirois toujours plus. . . .
Je fuis à bout : comment n'être pas téméraire ?
Comment vous admirer , vous chérir & ſe taire
Quand la fourbe & l'orgueil triomphent en ce jour,
Ne pas pouvoir vous faire un doigt de cour
* On pourroit bien dire de M. le Prince de .... ce qu'on
difoit du Prince de Condé , que perfonne à la Cour ne
fe connoiffoit mieux que lui en quyrages d'efprit.
B iij
30 MERCURE
DE FRANCE.
Ma foi , cela me défefpere ! ...
J'aurois beau , je le vois , vous parler fans détour :
L'éloge le plus vrai ne peut que vous déplaire :
Phénomène rare à la Cour ,
Très-digne aflûrément d'être mis au grand jour ,
Et chanté par toute la terre ! ...
Voilà , Seigneur , ce que j'oferai faire.
A Arc en Barrois le premier Janvier 176 5.
A M. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
J'AI 'AI vu , Monfieur , avec furprife dans
le dernier Mercure une Ariette qui a tant
de rapport avec celle que je fis il y a trois
mois pour une jeune & charmante Demoifelle
de mon quartier ( Troyes ) , que je ne
puis m'empêcher de vous adreffer la mienne
pour prouver à ceux qui l'ont vue & chantée
dans le temps , qu'on peut fe rencontrer,
quoique fort éloignés l'un de l'autre : car
les talens connus de M. Dufaufois * font
qu'on ne peut imputer qu'au hafard cette
reffemblance fingulière. Il feroit à fouhaiter
que le Muficien qui a mis en chant celle
de M. Dufaufois , voulût donner le même
* Auteur de l'ariette inférée dans le premier
volume de Janvier.
MARS 1765 . 31
agrément à la mienne : on y a peu réuffi
jufqu'ici.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Arc en Barrois ce 25 Janvier 1765.
Le Chevalier DE JUILLY-THOMASSIN
ARIETTE
Aune Demoiselle de quinze ans , dont le
mouchoir fut dérangé par le vent.
TE voilà , Bergere , à cet âge
Qui fait connoître le plaifir :
Ton air , tes regards , ton langage
Tout annonce en toi le defir.
Heureux , pour qui ton coeur volage
Pouffera le premier foupir !
C'est la rofe qui veut éclore ,
Mais qui , prête à s'épanouir ,
N'attend que les pleurs de l'aurore ,
Et les tendres feux du zéphir .
Que dis-je ? à ce dieu qui t'adore ,
J'ai déja vu ton ſein s'ouvrir !
Biv
$ 2 MERCURE DE FRANCE.
A
L'ECHO DU PUBLIC
A M. FAVART. Le 21 Janvier 1765.
CHARME HARMÉ de Roxelane *, attendri par Annette ”,
Paris encor hier en foule applaudiffoit.
Permets que ma voix te répette
Ce que chaque bouche difoit.
Favart , ton nom infcrit au temple de mémoire,
Par de nouveaux fuccès doit encor s'illuftrer ;
Dans, la carrière il eft beau de rentrer
>> Ceint du laurier de la victoire.
2 Travaille , cher Favart , à notre amufement
>> Par l'efprit & par l'enjouement ,
A ta muſe appartient la gloire
>> De ramener nos coeurs au ſentiment »>,
Supérieurement jouées par Madame Favart,
GUERIN DE FRÉMICOURT.
MARS 1765 . 33
}
i
PLAINTES d'une Linotte perchéefur un
arbriffeau, la patte attachée à unfil qu'un
enfant tient dans fa main.
Couplets à mettre en chant.
Apeine , foible ,
languiffante,
Je furvis à mes vains efforts ;
A peine mon aîle impuiffante
Souléve jufqu'ici mon corps.
Cruel enfant ! coeur infléxible ,
Auteur des maux que je reffens ,
Laillez au moins l'écho fenfible
Redire mes derniers accens.
Auroi-je d'un âge fi tendre
Dû redouter la cruauté ?
Barbare il devroit vous apprendre
L'aimable & douce humanité.
Mais les plaifirs de l'innocence ,
Déja font bannis de vos coeurs
Et votre impitoyable enfance
Se fait un jeu de nos malheurs.
>
Languir , gémir , être captive ,
Eft-ce donc pour jamais mon ſort ?
Quoi le fon de ma voix plaintive
N'annoncera plus que la mort ?
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
De ma famille abandonnée
Ne reverrai-je plus l'effain ?
Ah pourquoi , mère infortunée ,
Les ai- je formés dans mon fein !
Petits fi chers , dont la foibleffe
Appelloit mes foins empreflés ,
Croyoi-je que par ma tendreſſe
Mes maux affreux feroient cauſés !
Chez moi l'inſtinct de la nature
Parla pour vous , fut écouté :
J'allai chercher votre pâture ,
Je trouvai ... ma captivité.
O vous à qui je donnai l'être
Et qui feuls m'arrachez ces pleurs
L'inftant où je vous ai vu naître
Eft la fource de mes douleurs !
Mon coeur eft un témoin fincère
J'en attefte la vérité :
Si je gémis , c'eft d'être mère....
Devroit-ce être un nom redouté ?
Et toi , tendre & toujours fidelle ,
Epoux fi conftamment chéri ,
Refpecte la douleur mortelle
Dont mon coeur fenfible eft flétri .
Ceffe , hélas d'inutiles plaintes ;
Mes maux s'aigriffent à tes chants.
Veux-tu calmer mes vives craintes 2
Protége & nourris nos enfans.
MARS 1765 . 35
Vous que n'émeur point mon langage,
Et qui jouez ma liberté ,
Un jour , d'un plus rude esclavage
Vous fentirez la dureté ;
Et , par des amorces trompeuſes ,
Comme moi peut- être attiré ,
Sous des chaînes plus rigoureufes
Vous gémirez déſeſpéré.
Mais , d'une ftérile vengeance
N'écoutons pas le ſentiment ,
Réveillons plutôt l'eſpérance ,
Elle adoucira mon tourment.
Son charme flatteur me confole... :
On me rappelle , j'obéis ....
Mais quoi le fil rompt ? je revole
Vers mon époux , vers mes petits,
Par l'Auteur de la Romance du Tourtereau.
VERS de M. DE VOLTAIRE , fur l'élection
du Comte PONIATOWSKI au Throne
de POLOGNE.
D ANS le fond de mon hermitage ,
Loin de l'illufion des Cours ,
Réduit , hélas ! à vivre en fage ,
Ne l'ayant pas été toujours ,
Et ne l'étant qu'en mon vieux âge ,
La retraite eft mon feul recours ; .
B
vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Je ne ferai plus de voyage .
Que la gloire avec les amours
Couronnent devers Cracovie
Un Prince aimé de la Patrie ,
Qui lui promet de ſi beaux jours .
Trop éloigné de ſa perſonne ,
Je me borne à former des voeux.
On lui décerne une couronne ,
Et je voudrois qu'il en eût deux.
LETTRE de M. RAMEAU à M. HOUDART
DE LA MOTTE , de l'Académie Françoife
, pour lui demander des paroles
d'Opéra *. A Paris , 25
Octobre 1727.
QUELQUES raifons que vous ayez, Monfieur
, pour ne pas attendre de ma mufique
théatrale un fuccès auffi favorable que de
celle d'un Auteur plus expérimenté en
apparence dans ce genre de mufique , permettez-
moi de les combattre & de juftifier
en même temps la prévention où je
fuis en ma faveur , fans prétendre tire:
de ma fcience d'autres avantages que ceu?
que vous fentirez auffi bien que moi de
* Cette lettre a été exactement copiée fur l'original
wrouvé parmi les papiers de M. de la Motte.
MARS 1765. 37
voir être légitimes. Qui dit un favant
Muficien , entend ordinairement par- là un
homme à qui rien n'échappe dans les différentes
combinaiſons des notes ; mais on
le croit en même temps tellement abſorbé
dans ces combinaifons , qu'il y facrifie
tout, le bon fens , le fentiment , l'efprit
& la raifon. Or ce n'eft là qu'un Muficien
de l'école , école où il n'est queſtion que
de notes , & rien de plus ; de forte qu'on
a raifon pour lors de lui préférer un Muſicien
qui fe pique moins de fcience que
de goût. Cependant celui- ci , dont le goût
n'eſt formé que par des comparaifons à la
portée de fes fenfations , ne peut tout au
plus exceller que dans de certains genres ,
je veux dire dans les genres relatifs à fon
tempérament. Eft - il naturellement tendre
? il exprime bien là tendreffe : fon
caractère eft- il vif , enjoué , badin , &c. ?
fa mufique y répond pour lors ; mais fortez-
le de ces caractères qui lui font naturels
, vous ne le reconnoiffez plus. D'ail
leurs comme il tire tout de fon imagination
, fans aucun fecours de l'art , par fes
rapports avec les expreffions , il s'ufe à la
fin. Dans fon premier feu , il étoit tout
brillant ; mais ce feu fe confume à meſure
qu'il veut le rallumer , & l'on ne trouve
plus chez lui que des redites ou des plati$
8 MERCURE DE FRANCE.
udes. Il feroit donc à fouhaiter qu'il fe
trouvât pour le théâtre un Muficien qui
étudiât la nature avant que de la peindre ,
& qui par fa fcience fçût faire le choix
des couleurs & des nuances dont fon efprit
& fon goût lui auroient fait fentir le rapport
avec les expreffions néceffaires. Je
fuis bien éloigné de croire que je fois ce
Muficien , mais du moins j'ai au-deffus
des autres la connoiffance des couleurs &
des nuances , dont ils n'ont qu'un fentiment
confus , & dont ils n'ufent à propos
que par hafard. Ils ont du goût & de l'ima
gination , mais le tout borné dans le réfervoir
de leurs fenfations , où les différens
objets ſe réuniffent en une petite portion
de couleurs , au-delà defquelles ils n'apperçoivent
plus rien. La nature ne m'a pas
tout-à-fait privé de fes dons , & je ne me
fuis pas livré aux combinaiſons des notes.
jufqu'au point d'oublier leur liaiſon intime:
avec le beau naturel qui fuffit feul pour
plaire , mais qu'on ne trouve pas facilement
dans une terre qui manque de ſemences
, & qui a fait fur-tout fes derniers.
efforts. Informez- vous de l'idée qu'on a
de deux Cantates qu'on m'a prifes depuis
une douzaine d'années , & dont les manuf
crits font tellement répandus en France ,
que je n'ai pas cru devoir les faire graver ,
MARS 1765. 39
puifque j'en pourrois être pour les frais ,
à moins que je n'y en joigniffe quelques
autres , ce que je ne puis faire faute de
paroles ; l'une a pour titre l'Enlevement
d'Orithie : il y a du récitatif & des airs
caractériſés ; l'autre a pour titre Thétis
où vous pourrez remarquer le degré de
colère que je donne à Neptune & à Jupiter,
felon qu'il appartient de donner plus de
fang froid ou plus de paffion à l'un qu'à
Fautre , & felon qu'il convient que les
ordres de l'un & de l'autre foient exécutés.
Il ne tient qu'à vous de venir entendre
comment j'ai caractérisé le chant & la
danfe de ces Sauvages qui parurent fur le
Théâtre Italien il y a un an ou deux , &
comment j'ai rendu ces titres, les Soupirs ,
les tendres Plaintes , les Cyclopes , les Tourbillons
( c'eft - à - dire , les tourbillons de
pouffière excités par de grands vents ) ,
l'Entretien des Mufes , une Mufette , un
Tambourin , &c. vous verrez pour lors
que je ne fuis pas novice dans l'art , &
qu'il ne paroît pas fur-tout que je faffe
grande dépenfe de ma fcience dans mes
productions , oùje tâche de cacher l'art par
l'art même ; car je n'y ai en vue queles gens
de goût , & nullement les favans , puifqu'il
y en a beaucoup de ceux- là , & qu'il n'y
* Piéces de Clavecin de M. Rameau.
*
40 MERCURE
DE FRANCE
.
en a prefque point de ceux- ci. Je pourrois
encore vous faire entendre des motets à
grand choeur , où vous reconnoîtriez fi je
fens ce que je veux exprimer. Enfin en
voilà affez pour vous faire faire des réfléxions.
Je fuis avec toute la confidération
poffible , Monfieur , votre très-humble &
très obéiffant ferviteur.
RAMEAU.
VERS adreffés à Mlle DANGEVILLE le
jour du début du fieur BLAINVILLEfils.
L'aClIlL du Public , frappé de vos attraits ;
Vous voit entrer dans une loge :
Son coeur parle auffi-tôt , il reconnoît vos traits ,
Et par des cris de joie exprime votre éloge.
Duménil , un inftant après ,
Avec la même modeftie ,
Vient fans façon embraffer fon amie :
Le parterre applaudit , & convient que jamais
Le hasard n'a pu de la vie
Mieux raffembler Melpomène & Thalie !
Le 23 Janvier 1765. CILBUPEL.
MARS 1765. 47
LES Plaifirs de l'Amitié , fur l'air de
l'Avoyerie.
ON jouit, on s'amufe à tout âge ;
Sur le goût le plaifir eft formé .
J'ai goûté dans un tendre efclavage
Le plaifir d'aimer & d'être aimé ;
Aujourd'hui fuis- je moins charmé
De la pure amitié qui m'engage ,
On jouit , on s'amufe à tout âge :
Sur le goût le plaifir eft formé.
De l'amour quand j'étois la conquête
Mon bonheur étoit moins affermi ;
Expofé fans ceffe à la tempête ,
Un amant n'eft heureux qu'à demi .
Dans les délices d'un ami
La raiſon n'eft point un trouble fête ;
De l'amour , &c.
J'aime affez les rofes fans épines ,
Je m'en tiens aux plaifirs fans tourmens.
Les foucis & les humeurs chagrines
Trop fouvent affiégent les amans ;
Les crimes de leurs fentimens
Ont banni ces vapeurs enfantines.
J'aime , &c.
41 MERCURE DE FRANCE.
Les tranfports de l'amoureufe flamme
Sont charmans , mais ils durent trop peu ,
Un amant glace comme il enflamme ;
En amour ce contrafte eft un jeu.
L'amitié fent bien moins de feux ,
Mais elle a plus d'efprit & plus d'âme.
Les tranſports , &c.
L'amour craint la cenfure publique .
Il fe tait & foupire tout bas ;
Il gémit fous la loi tyrannique
Des Argus attachés fur les pas ;
L'amitié ne fe gêne pas ,
Sa candeur affronte la critique.
L'amour craint , &c.
L'AMOUR des Vieillards , fur l'air : Que
ne fuis-je la fougère.
Q
UAND la vieilleffe commence ,
La douceur de foupirer
Eft l'unique jouiffance
Qu'il foit permis d'eſpérer.
L'amour fuit ; l'amitié tendre
Ofe alors lui reffembler ;
Mais trop peu pour rien prétendre ,
Affez pour nous confoler.
Adieu , folle & douce ivreſſe
Que je pris pour le bonheur.
MARS 1765.
43
C
t
J'eus des fens dans ma jeuneſſe
Il me reste encor un coeur.
Que celle à qui je le donne ;
Daigne en approuver l'ardeur :
Je dirai mes jours d'automne
Ont encore quelque chaleur.
"
Pour l'amour tout eft martyre ,
Enthoufiafme ou fureur ;
Pour l'amitié qui foupire
Tout eft plaifir & faveur.
Eglé règne dans mon âme
Sans en troubler le repos ;
Et mes defirs & ma flâme
N'alarment point mes rivaux.
Je la verrai pourfuivie
Par la foule des amours
Et le déclin de ma vie
Jouira de fes beaux jours.
Tel fur la tige inclinée
Un vieux chêne de cent ans
Croit renaître chaque année
Avec les fleurs du printems
44 MERCURE DE FRANCE.
1
AMonfieur H.... ancien Introducteur des
Ambaffadeurs , lejour de St. André.
OFFFRIR des fleurs , c'eft être fort honnête ;
C'eft obferver les ufages reçus ,
Lorfque d'un Saint Patron l'on célèbre la fête.
L'amitié veut quelque chofe de plus.
De notre cher André publions les verrus .
Publier les vertus c'eft une longue hiftoire ;
Vanter fon goût , ſa raiſon , ſon eſprit ,
Son humeur bienfaifante , & tout ce qu'on en dit ?
A peine voudroit- on m'en croire.
Formons plutôt des voeux pour fa prospérité.
Qu'il conferve à jamais une bonne fanté.
Daigne le Ciel fans ceffe.
Répandre fur fes jours un fi rare tréfor !
Qu'il vive autant & plus encor
Que ce Héros , renommé dans la Gréce ;
Ce vieillard couronné , cet aimable Neftor
Dont Minerve en naiſſant lui donna la ſageſſe !
JOURDAN.
MARS 1765 . 45
VERS mis au bas du portrait de Madame
B***, morte à l'âge de dix-fept ans.
NULL
ULLA hic pictura , nulla hic mendacia frontis
Idem mentis erat , qui fuit oris honos.
Afpice ! mixta rofis in vultu lilia rident ;
Ornabat rofeus candida corda pudor.
Scilicet hoc fuerat corpus tali hofpite dignum ;
Hofpitio tali mens quoque digna fuit.``
Heu decor ! heu virtus ! viridi fuccifa juventa
Occidit ! at fponfi pectore vivit amor !
D
Traduction .
E l'habile pinceau qui nous rend tous for
traits ,
Senfible Vérité , noble & touchant ouvrage ,
En peignant à nos yeux fes modeftes attraits ;
De fon efprit fans fard tu nous traces l'image .
De roles & de lys le mêlange riant ,
De pudeur , de franchiſe emblême raviffant
Comme il règne en fon coeur, brille fur fon vifage.
Corps formé par l'amour , âme tendre & fublime,
Deſtinés l'un à l'autre , & digne d'être unis ,
De la cruelle mort déplorable victime ,
Vous n'offrez à nos pleurs que de triſtes débris !
46 MERCURE
DE FRANCE.
O beautés ! ô vertus ! à peine à ſon aurore
Elle meurt ! mais l'amour qui vit & règne
encore ,
Dans le coeur d'un époux grave ſes traits chéris !
Par l'Auteur de la Romance du Tourtereau.
VERS de M. GARRICK , très - célèbre
Acteur Anglois , en envoyant fon portrait
à M. le Baron D'HOL. ..
MORT
´ORTALS like me who lightly touch the
mind ,
To be remember'd Leave their print behind ;
Wilft thofe like HOL.... have a happier lot ;
Tho out of fight , they never are forgot.
CEUX
Imitation des mêmes vers.
Eux qui dans les efprits ne laiffent d'autres
traces
Que d'un foible talent , que de légères grâces ;
Ainfi que moi, font bien de donner leurs portraits;
Tandis que plus heureux , faits pour graver leurs
traits
Et dans les coeurs fixer leurs places ,
Hol.... & ceux qu'animent fes vertus
N'ont befoin que d'être connus.
D. L. P.

MARS 1765 . 47.
VERS à M. . . . .
MINIS
....
INISTRE d'un Roi bienfaiſant ,
D'un Prince dont le zèle à paſſé dans ton âme ;
Quand on veut faire taire un coeur reconnoiffant ,
Apprends qu'on ne doit pas obliger une femme,
Par Me GUIBERT.
LE Vendeur d'Eau- de - vie.
V.
ous qui de la reconnoiffance
Méconnoiffez le fentiment ,
Ingrats , écoutez un moment ?
Ici la bouche de l'enfance --
Va dicter votre jugement.
Un jeune enfant fuivant l'armée
Pour y vendre du brandevin ,
Demandoit dans une mêlée
Les Grenadiers de Boisjelin.
Où vastu , petit milérable ?
Lui crie un Officier Major. ...
Je m'en vais , dit-il , où la mort
N'a rien pour moi d'épouventable.
48 MERCURE DE FRANCE.
J'irois même juſqu'en enfer
Pour prouver ma reconnoiffance :
Je porte à boire à l'Espérance ,
Qui m'a nourri pendant l'hiver.
Par M. MONTOURY.
A Mademoiſelle DOLIGNY , de la Comédie
Françoife , le jour de fa fête.
HONONNEUR à Sainte Adelaïde.
Depuis un temps j'ai pour ce nom
Sincère amour , tendre dévotion ;
'Auffi bien que mon coeur , le Public eſt mon
guide.
Entre votre Patronne & vous ,
'Doligny , je , ne vois aucune reffemblance ;
J'apperçois même , hélas ! certaine différence
Dont moi , dévot , je fuis fort en courroux.
Dans le calendrier la Sainte eft confinée ;
Vous vivez de plaifirs , de gloire environnée ,
Près de Thalie & de l'amour ;
Dans fa Paroiffe on la chante à fon tour
Melquinement , une fois dans l'année ,
Et tout Paris vous fête chaque jour.
MARS 1765. 49
A Mademoiſelle B.....fur l'air : Dien
des
amours.
C'EST EST dans vos yeux
Que j'ai puifé mes feux :
J'ai dû tout en attendre.
Vous rendriez par vos attraits .
Par le vif éclat de vos traits ,
Cotin Poëte , & Boileau tendre.
Par un Abonné au Mercure.
LORA CLE.
ANECDOTE GRECQUE.
DORUS ORUS Roi de Lydie , gouvernoit
d'immenfes Etats ; fon peuple l'adoroit ;
rien ne manquoit au bonheur de ce Monarque
, & à celui de fes Sujets , qu'un héritier
du Trône, qui, élevé par un femblable
père , pût un jour foutenir la gloire de
fon empire & faire efpérer à fon peuple un
avenir auffi heureux que le préfent.
C'étoit le voeu qu'il ne ceffoit de faire ,
& auquel le Ciel fembloit depuis longtemps
s'être refufé , lorfque la Reine de
vint enceinte. On attendoit avec la plus
C
to MERCURE DE FRANCE.
24
grande impatience le terme de fon accouchement.
Il arriva enfin ; elle mit au
monde un fils , & la joie fut univerfelle .
Onprodigua au peuple tous les plaiſirs qui
ponvoient le flatter , & on remarqua que
dans les fpectacles qui l'amufoient , fa joie
étoit plutôt l'effet du fentiment que
d'une curiofité ftupide.
Tous ces divertiffemens furent fuivis
d'une cérémonie plus augufte. On devoit
préſenter l'enfant au Temple & confulter
les Dieux fur un héritier fi cher à la nation..
Tout étant prêt pour cette pompeuſe
cérémonie , un peuple iunombrable fe rendit
aux portiques du Temple. Dorus ſuivi
de toute fa Cour , arrivé à la porte du
Sanctuaire , prit fon fils des bras de fa
nourrice , & le remit augrand Prêtre , qui
le plaça fur l'Autel . Cent taureaux tombe-
& rent fur le couteau des Sacrificateurs ,
mille cris de joie pouffés jufqu'aux cieux,
demanderent pour l'enfant le deftin 'le plus
propice.
ΠΟΣ Alors le grand Prêtre monté fur les marches
de l'Autel , & d'une voix que le Dieu
fortifioit fans doute , prononça cet Oracle :
MARS 1765.. st
Le Ciel t'aime , Dorus s cet enfant précieur
Eft un gage certain de la bonté des dieux.
Mais , fort cruel ! .
·
...
le barbare !
que vois-je ? un des tiens....
Qui retiendra le coup que fa main lui
prépare ?
"Dieux puiffans ! s'écria Dorus , détour-
»nez ce fatal augure .... Ah , cher enfant !
il n'en put dire davantage , & en s'ap-
"puyant fur fes Officiers , il rentra triftement
dans le Palais.
Tous les plaifirs cefferent ; perfonne n'ofoit
fe communiquer fa penfée. Ces mots, un
des tiens, épouventoient les Grands; ils n'ofoient
s'envifager l'un l'autre : tous craignoient
de rencontrer les yeux d'un traître.
Dorus , revenu de fa premiere douleur ,
fongea a prévenir le coup terrible qui menaçoit
fon fils ; il paífa chez la Reine. II
la trouva dans un état qui faifoit tout
craindre pour fes jours. L'Oracle terrible
qui menaçoit la tête de fon fils , étoit parvenujufqu'à
elle. Ah ! cher époux , s'écriat-
elle d'une voix foible & languiffante ;
le Ciel en menaçant les jours du fils , vient
d'abréger ceux de la mère...Madame , lui
dit Dorus , enfoupirant , peut -être peuton
le fauver : cet enfant eſt moins à nous
qu'à l'Etat , éloignons- le des inhumains
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE
. qui le menaçent
: ma Cour fans doute les
recelle ; qu'il foit à l'abri de leurs coups , du moins pendant quelques
années le
temps & la bonté des Dieux nous infpireront
peut-être par la fuite les moyens de
le conferver pour toujours à mon peuple.
L'état où fe trouvoit la Reine l'empêcha
de
répondre ; elle tomba dans un épuiſement
qui préfageoit
fa mort , & les Médecins
obligerent
Dorus de fe retirer.
Il aimoit tendrement fon époufe ; il alloit
la perdre ; cette idée déchiroit fon
coeur. Mais un foin plus important le rendit
bientôt à lui- même . Il ne vit plus que
fon fils expirant , & fon peuple qui lui demandoit
compte de fes jours . Il fait appeller
Orxus , Orxus tendrement chéri de fon
Maître , autrefois Compagnon de fes travaux
militaires , connu par fa valeur & plus
encore par une expérience confommée
dans les affaires de l'Etat.
Né avec un efprit ambitieux , il s'étoit
élevé par grades jufqu'au rang de premier
Miniftre ; la fortune avoit toujours favorifé
fes projets ; & l'on ne pouvoit lui rereprocher
que de fe fervir quelquefois de
moyens trop violens pour parvenir à Les
fins.
Viens cher appui de ton Maître ! s'écria
Dorus en le voyant , viens m'éclairer fur
MARS 1765 .
$3
le parti que je dois prendre. Tu connois
l'Oracle affreux qui menace mon fils je
voudrois , s'il fe peut , le fouftraire aux
coups de l'ennemi fecret qui m'épouvante ;
dis-moi quel lieu t'y paroît le plus propre :
l'antre le plus profond n'a rien qui m'épouvante
s'il y peut être en fureté. Seigneur,
reprit Orxus , ce parti me paroît prudent :
il eft dans un bois facré & refpecté par les
temps , une habitation qui n'eft connue
que de moi feul. Ce fut jadis la retraite
d'un fage : que votre fils , avec fa nourrice
& deux femmes , y foit conduits dès cette
nuit je me charge d'être fon guide.
:
Au moment où le Roi marquoit à fon
Miniftre qu'il approuvoit fon deffein , des
cris dont retentiffoit le Palais leur annoncerent
que la Reine venoit d'expirer.
Dorus , pénétré de la perte qu'il venoit
de faire , fe reprochoit d'avoir abandonné
la Reine dans fes derniers momens ; lorfqu'il
apprit que cette Princeffe , après avoir
fait retirer tout le monde , excepté la nourrice
de fon enfant , avoit eu un entretien
fecret avec le grand Prêtre , & qu'à peine
étoit-il forti , qu'elle étoit expirée.
Cette fatale journée , qui coûtoit tant
de larmes à tout l'Empire , commençoit
à finir , quand Orxus à travers des fentiers
inconnus à tout autre que lui , conduifit le
Ciij
34 MERCURE DE FRANCE.
jeune Prince & fa petite fuite , compofée
de fa nourrice , de deux femmes pour la
fervir , & d'un enfant du même âge du
Prince , dont la nourrice étoit mère , dans
cette retraite qui devoit pour un temps
receller l'héritier du Trône.
peu
Plufieurs années s'écoulerent ; Dorus occupé
des foins de fon Empire , dont Orxus
lui aidoit à fupporter le poids , alloit fouvent
avec lui dans le bois facré. Là , débarraffé
de la pompe ennuyeufe de fon rang,
il goûtoit tranquillement le plaifir d'être
père , & fe livroit à tous fes mouvemens
de tendreffe dont les Grands fentent fi
les délices. Il prodiguoit à fon fils les plus
tendres careffes ; eet autre enfant , compagnon
des premières années du jeune
Prince , y avoit aufli beaucoup de
les méritoit par les plus aimables qualités ;
il ne lui manquoit, pour qu'on en con
nut tout le prix , que les yeux d'un père. La
plus tendre fimpathic lioit ces deux enfans ;
on ne pouvoit les féparer fans larmes ; aucun
amufement ne les réjouiffoit qu'autant
qu'ils le partageoient.
part : il .
Le Prince touchoit déja à fa quinzième
année , & Dorus fongea qu'il étoit temps
de le faire venir à fa Cour ; d'ailleurs fon
peuple commençoit à murmurer, & demandoit
fans ceffe à le voir ; il falloit le
MARS. 1765. $ 5
fatisfaire ou craindre un mécontentement
général. Le peuple , toujours borné dans
fes vûes , approfondit peu celles de fes
Maîtres , & s'ils cachent leurs démarches
il est toujours prêt à les interprêtèr finiftrement.
་ ཉྭ་ ་ ༢ ་
Le tems avoit même en partie effacé les
impreffions de l'Oracle funefte qui menaçoit
le jeune Prince , & Dorus dans une
Cour paifible , fembloit en craindre peu
l'effet. Il annonça donc que dans peu l'on
verroit fon fils.
Venez mon enfant ! lui dit- il , il eft
temps que vous vous montriez au peuple
fur lequel vous devez un jour régner : venez,
en obéiffant àmes loix, apprendre l'art
de commander aux autres . Ah mon père !
s'écria le Prince , en embraffant fes genoux,
je fuis prêt à vous fuivre , vous ne m'abandonnerez
pas dans la nouvelle carrière
où je vais entrer ; & j'ofe me flatter que
vous ne me féparerez point de mon cher
Agénor. Non , mon fils , que ton ami te fuive
& foit à jamais digne de ton attachement.
?
On fit monter le jeune Prince & Agénor
dans un char brillant , & l'on prit la route
de la Capitale , où le peuple le reçut avec
des acclamations & des tranfports de joie
inexprimables.
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
Dorus fongea férieufement à l'éducation
de fon fils ; il choifit avec difcernement
dans tous ce que fa Cour renfermoit
de perfonnes éclairées dans tous les genres
, & il en forma celle de fon fils . Il le
voyoit avec plaifir répondre ardemment à
fes foins le jeune Agénor ne lui cédoit en
rien ; & l'émulation qui les animoit l'un &
l'autre , leur fit bientôt acquérir ce que leur
première éducation n'avoit pas permis de
leur donner.
Le Roi voulut auffi affocier fon fils aux
travaux de fon premier Miniftre; & Orxus,
flatté de ce nouvel honneur , n'oublia rien
pour rendre fa maiſon agréable au Prince.
Mais elle ne le devint bientôt que trop
pour fon repos.
Orxus n'avoit d'autre enfant qu'unejeune
fille nommée Ofmire , qui joignoit aux
grâces de la figure tous les agrémens de l'efprit.
Née avec un coeur tendre , elle ne put
long- tems réfifter aux charmes de l'amour .
Le jeune Piince enchanté , oublia bientôt
le premier motif qui le menoit chez le Miniftre;
& Agénor non moins fenfible cachoit
foigneufement toute la paffion qu'Ofmire
lui infpiroit. La facilité que ces amans
avoient de s'entretenir , les occafions réitérées
que l'ambitieux Orxus faifoit naître,
MARS 1765 . 57
nourriffoient leur amour de tout ce qu'il a
de plus féduifant.
Au fortir de chez fon amante , le Prince
transporté ne connoiffoit d'autre plaifir que
celui d'en entretenir Agénor. Qu'elle eft
belle! cher Agénor, luidifoi - til . Conçois l'excès
de mon bonheur , fi j'en étois aimé ? ...
Mais , grands Dieux , fi elle étoit infenfible
!... fi fon ame , encore dans ce calme
où je languiffois ci- devant , ne partage mes
feux , je fuis le plus malheureux des mortels...
Qu'en dis- tu , qu'en pense - tu ,
mon ami ? crois - tú qu'Ofmire foit
fenfible à mon ardeur ? ah , parle ! ne me
cache rien ; puis - je rifquer de la demander
à fon père , ou d'en parler au mien ?
ne fera-ce pas offenfer l'objet de ma tendreffe
? ... Ah , cher Prince ! reprit Agénor,
défefpéré de voir l'excès de fon amour;
vous aimés trop Ofmire pour qu'elle puiffe
être infenfible . Eh bien , courons , volons,
mon cher ami ! viens être le témoin de
mon aveu : viens l'appuyer toi- même , &
que je doive à l'amitié une partie de mon
bonheur . Le Prince étoit dans cette douce
yvreffe de l'amour heureux qui va revoir
l'objet qu'il aime ; Agénor dans un étar
qu'il démêloit à peine. Il adoroit Ofmire ,
il falloit qu'il y renonçât , & il croyoit y
Ст
58
MERCURE
DE FRANCE
.
renoncer avec plaifir en faveur de fon
ami. Le Prince avoit fur lui des avantages.
qu'il ne pouvoit fe déguifer ; il fe flattoit
pourtant d'avoir entrevu dans les yeux
d'Ofmire qu'elle avoit découvert l'état de
fon coeur , il fembloient lui avoir dit : que
n'êtes-vous le Prince ? que nous ferions.
heureux ! Belle Ofmire , lui dit le Prince ,
en arrivant chez elle , je ne fçais fi mes
foins, fi mes regards, vous ont fait preffentir
tout ce que mon coeur ne fçauroit vous
cacher plus long-tems ; mais l'inftant où je
vous vis pour la première fois , fut celui
qui vous l'attacha pour jamais. Oui , Mar
dame , j'ai connu l'amour en vous voyant 5 .
vous me voyez à vos genoux : mon fort
eft dans vos mains ; & cet inftant va me
rendre ou le plus fortuné ou le plus.
malheureux des hommes. Levez - yous-
Prince , reprit vivement Ofmire , en voulant
fe retirer , votre aveu a de quoi m'étonner
& je ne dois pas en entendre davantage
. Vous voulez donc ma mort , adorable
Ofmire , s'écria le Prince , en la retenant
?je ne puis vivre plus long tems , fr
vous m'ôtez jufqu'à l'efpérance. Seigneur ,
fongez que votre rang, que votre naiffance..
Ah! Madame , ces obftacles ne font rien ,
fi je puis me flatter d'être aimé. J'attends
tout des bontés de mon père , & le Trône
MARS 1765 59
7
elt a yous : daignez l'accepter . Avance cher
ami , joins tes inſtances aux miennes . Madame
, il connoît mes fentimens.
... celt
un autre moi-même ; il fent tout le prix
de votre coeur , & combien je fuis incapable
de vous tromper. A ces mots Ofmire
baiſſa les yeux & rougit . Madame , lui dit
Agenor embarraffé , les fentimens du Prince
font auffi purs que votre ame; confident
de fon amour je connois fes deffeins ; vos
vertus méritent toute la gloire qui vous
attend . Il fuffit , interrompit Ofmire : je
ne fuis point le prix de la grandeur ; & je
ne connois d'autres loix que celles que me
dicte le devoir.
7
Elle fe retira , en finiffant ces mots , &
laiffa le Prince dans le plus grand accablement.
**
011
Quelques flatteufes que fuffent pour
Agenor les difpofitions du coeur d'Ofmire ,
il ne vit dans ce moment que la douleur de
fon ami fon état le touchoit trop pour
que tout autre fentiment pût entrer dans
fon coeur . Cher Prince , lui dit-il , je ne
yois rien dans la réponſe d'Ofmire qui doiye
tant yous allarmer ; fon devoir a probablement
triomphé de fon penchant.Cohfidérez
qu'Ofmire , née pour être un jour
votre fujette , rifqueroit trop à répondre à
votre tendreffe. Elle fent la diftance qui
MERCURE DE FRANCE.
60
Yous
fepare , & le danger d'un aveu qui
pourroit un jour faire fa honte . Obtenezla
d'abord du Roi ; il vous aime affez pour
vous facrifier une alliance qui pourroit
étendre fes Etats ; il eft affez grand pour
être fans ambition : une fois fûr de fon
aveu , vous verrez Ofmire moins timide ou
moins fière , répondre à une flamme que
peut- être elle partage déja. Tu me flattes
peut- être , mon ami , mais je me livre à
cet efpoir ; je vais trouver le Roi , lui déclarer
tout ce que je fens pour Ofmire. Sa
beauté , fes vertus , les fervices de fon père ,
le toucheront fans doute , & j'attens tout
de fa bonté .
Quelques grands que fuffent les projets
de Dorus fur l'alliance qu'il vouloit faire
contracter à fon fils , il ne put réfiſter à
fes larmes , & trop fage pour le facrifier à
ane ambition qui en le rendant plus puiffant
ne pouvoit te rendre plus heureux ; il
lui accorda Ofmire. Son coeur bienfaiſant
trouvoit un plaifir bien doux à fatisfaire un
fils qu'il aimoit tendrement , & à s'acquitter
envers Orxus des fervices qu'il avoit
rendus & rendoit tous les jours à l'Etat .
Oraus apprit cette nouvelle du Prince
même ; fa politique l'empêcha d'abord d'y
paroître auffi fenfible qu'il l'étoit effectivement.
Prince , lui dit-il , le Roi votre père
MARS 1765.
6.1
comble tous fes bienfaits par une faveur
d'un fi haut prix ; mais je crains que l'amour
étant le feul motif qui vous engage
à une alliance que vous préférez à celle de
cent Rois , ne foit pas affez durable pour
que vous ne foyez pas dans le cas de regretter
un jour tous les avantages que vous facrifiez
à ma fille... Arrêtez Orxus , interterrompit
le Prince : je ne fçaurois condamner
votre zele ; j'y reconnois le fidele
Miniftre , prêt fans doute à facrifier fa
gloire à celle de fon Prince : mais je ne vois
plus dans Orxus qu'un fecond père , & je le
prie d'agir en conféquence. Seigneur, réprit
Orxus , je ne fçai qu'obéir ; na fille inftruite
de l'honneur qui l'attend , y répondra
fans doute avec l'empreffément que
mérite l'amour de fon Prince. Je vais l'en
prévenir. Daignez , dans quelques inftans,
paffer dans fon appartement ; vous m'y
trouverez avec elle .
Orxus, très- convaincu que
fa fille partageroit
avec tranfport toute la joie dont il
étoit enivré , arrive chez elle , lui annonce
le triomphe de fes charmes , & voit avec
étonnement combien elle y eft peu fen-
- fible.
.
Que vois -je ? lui dit- il , vous pleurez !
l'honneur que nous recevons l'un & l'autre
eft- il pour vous un motif de douleur ? ..
*
62 MERCURE DE FRANCE.
Expliquez-vous ; raffurez un père qui vous
aime , & qui s'offenfe de vos pleurs . Ah ,
mon père gardez - vous de croire que votre
fille foit indigne de votre amour ; votre
volonté fera toujours ma loi . Je fens
ainfi que vous , tout l'éclat d'une alliance à
laquelle tout me défendoit de prétendre.
Mais la grandeur a pour moi peu de charmes.
Pardon , Seigneur ! mais un amant ,
quel qu'il foit , s'il a d'autres droits que
ceux que l'amour donne , devient bientôt
un tyran odieux.
Le Prince, incapable de réſiſter à ſon im
patience , entre dans le moment . L'air embarraffé
du père , & les pleurs de la fille ,
dont il n'entrevoit que trop la caufe , lui
laiffent à peine la faculté de s'écrier : ah ,
Madame je ne le vois que trop ; vous dédaignez
ma flamme ; je fuis le plus infortuné
des hommes ! ... & la mort feule.
Arrêtez Prince , s'écria Orxus ; où vous
emporte un aveugle défefpoir ? il n'eft pas
fait pour vous : ma fille , toute ingrate
qu'elle eft , connoîtra fon devoir ; je vous
ai donné ma parole , je la tiendrai . Non ,
Orxus , reprit le Prince , vous n'uferez
point de votre pouvoir : je ferois un monftre
aux yeux d'Ofmire : je perdrois jufqu'à
ma vertu. Non ! le temps & mes foins la
convaincront. peut - être mieux de mon
MARS 1765 . 63.
amour ... foyez tranquille , belle Ofmire
votre père n'abufera point de fes droits
& s'il prétendoit vous contraindre , j'oppoferois
tout mon pouvoir au fien ..
Le Prince , en finiffant ces mots , fe re
rira. Il fentit moins dans le moment tour
ce qu'avoit de cruel le refus d'Ofmire : il
venoit de lui prouver combien fon amour
étoit généreux , mais bientôt tout ce que
cette idée avoit de confolant , difparne
comme l'ombre ; il ne la vit qu'infenfible
à fes feux, & à l'offre du Trône même.
L'ambitieux Orxus ne put retenir fa colère
; il accabla fa fille de reproches. Sans
pouvoir pénétrer le vrai motifde fes refus ,
il conçut cependant qu'une inclination fercrette
pouvoit feule balancer dans l'ame de
fa fille tout ce que l'hymen propofé avoit
de flatteur pour elle. Ses foupçons une fois.
fondés , il ne chercha plus qu'à les éclaircir,
il fentit qu'Ofmire , amoureuſe , avoit fans
doute une confidente parmi les femmes
qui la fervoient. Il la connut , & fçut
bientôt que fa fille aimoit Agénor. Dès cet
inftant , il réfolut fa perte.
Cependant le Prince étoit tombé dans
une mélancolie qui lui faifoit éviter tout
ce qui pouvoit l'en diftraire ; il ne paroiffoit
à la Cour que lorfque le devoir l'y
appelloit. Agénor étoit fa feule compagnie,
64 MERCURE DE FRANCE.
& la chaffe le feul plaifir qu'il pût goûter.
Un jour , qu'écarté de fa fuite, il fe promenoit
triftement avec Agénor , quatre inconnus
tombent fur eux les armes à la
main , tandis que l'un des quatre s'écrie :
Agenor , c'est toi que nous fervons , feconde
nos efforts.... La défenfe fut auffi prompte
que l'attaque. Agénor qui ne connoît &
qui ne voit que le danger de fon ami , le
couvre de fon corps , fait des prodiges de
valeur , met en fuite les affaffins , fauvele
Prince, & le ramene au Palais de fon père.
Ah , cher ami ! lui dit alors le Prince , tu
as des ennemis auffi fecrets que redoutables :
cet évenement me le prouve , & je crains
pour tes jours bien plus encore que pour
les miens !
Ces mots n'étoient pas achevés , qu'on
vint arrêter Agénor. Le Prince préten
dit en vain s'y oppofer. Seigneur , lui
dit le Capitaine des Gardes de Dorus ,
c'eſt le Roi, c'eſt votre père qui l'ordonne.
Si Agénor eft innocent , faréfiftance le rendroit
coupable. Le Prince , eur gémiſſant ,
embraffa fon ami , & courut chez fon père.
Viens mon fils ! s'écria Dorus en le
voyant , les Dieux te rendent pour jamais
à ton père ; l'Oracle eft accompli , & le
traître qui vouloit t'affaffiner périra des
coups qu'il te réſervoit. Oui , mon fils !
>
MARS 1765 .
ة ر
en naiffant , le deftin menaça tes jours ;
les Dieux confultés répondirent par leurs
interprêtes , qu'un monftre nourri dans
mon fein pourroit en abréger le cours.
Mais leur colère eft appaifée , & je ceffe
de trembler pour toi. Aveugle & vaine
prévoyance ! je t'ai long- temps caché dans
le fonds des déferts pour te livrer aux coups
de ton ami ! d'un malheureux que je faifois
élever avec toi ! ... oublions pour jamais
les dangers que tu a courrus , & que
le coupable périffe. Ah mon père ! s'écria
- le Prince , ah , Seigneur ! on vous trompe.
On veut la perte d'Agénor ... qui lui ! qui
lui , Seigneur , en voudroit à ines jours ?
lui qui vient de les défendre au périls des
fiens mêmes ? non , Seigneur , non , je connois
mon ami : fon mérite eft trop grand
pour n'avoir point bleffé les yeux de quelque
monftre peu fait pour en connoître tour
le prix, & je me rends garant de l'innocence
d'Agénor.
Tandis que ce généreux Prince défendoit
ainfi fon ami , le bruit du crime d'Agénor
s'étoit répandu dans la Ville ; le peuple
en foule en demandoit juftice ; & le
Roi , pour calmer les tranfports de fes Sujets
, fit annoncer que le coupable fubiroit
bientôt toute la rigueur des Loix.
Ofmire,tetirée dans les lieux les plus fe66
MERCURE DE FRANCE.
crets du Palais de fon père , fut la dernière
à apprendre une nouvelle qui l'intérefloit
plus que perfonne ; on croignit d'abord
pour fa vie. Mais bientôt rappellant fes efprits
, & préfumant de quelle main partoit
le coup qui menaçoit l'objet de fa tendreffe
, elle ne vit plus Agenor que fur un
échafaud. Il va périr , s'écrioit-elle , &
c'eft moi qui en faiffant paroître un fol
amour , lui plonge un poignard dans le
fein ! .... Non , cher amant ! tombe fur
moi la colère des Dieux ; mais tu ne feras
pas immolé à l'ambition d'un barbare
Mille images affreufes achevent de la troubler
; elle oublie ce qu'elle doit à fon féxe,
à fon rang , à la bienféance : ce n'eft plus
la fage & vertueufe Ofmire , c'eft une lionne
en fureur , qui court à la prifon où fon
amant eft renfermé , & qui fe fert du nom
de fon père même pour pénétrer jufqu'au
fond du cachot , où gémiffoit le trop malheureux
Agénor. Reconnois-moi cher
amant ! lui dit - elle.... dans ce moment
terrible je te dois cet aveu ; ton malheur
t'en rend digne , & je viens expier le crime
de mon père ! ... c'eſt lui , oui , c'eſt
lui-même... fon ambition prétend te livrer
à la mort pour me faire monter fur un
Trône que je détefte ; lui feul a pûféduire,
lui feul a fait parler les affaffins que ton
>
MARS 1765. 67
bras a mis en fuite. Son fort eft en tes
mains : j'ai fait ce que j'ai dû.... mais
fonge cependant , fonge Agénor , que ce
cruel n'en eft pas moins mon père. Ah !
Madame , tout cruel qu'il eft , je veux , je
dois le refpecter. Ce fecret découvert au
Roi , nous perdroit l'un & l'autree;; la honte
au moins en rejailliroit à jamais fur
vous je veux l'emporter au tombeau ....
Le barbare ! c'étoit trop peu pour lui d'affu
rer fes projets par ma mort, il vouloit enco
re que les loix la rendiffent honteufe... Ah!
belle Ofmire , oubliez un amour né fous
de trop noirs aufpices : viveż pour être
heureufe , & regnez avec un Prince aimable
& digne d'être votre époux.
Cependant le confeil affemblé , avoit
d'une voix unanime condamné le préten→
du coupable à périr fur un échafaut , par
la main du grand Prêtre , comme une victime
facrifiée au falut de l'Etat,Orxus avoit
fait entendre les affaffins , qui s'étoient dits
gagnés par Agénor ; & l'accompliffement
de l'Oracle , qui fembloit avoir prédit un
attentat de cette efpece , ne laiffait plus de
doutes fur la réalité de cet affreux complot.
Le Prince enfin put à peine obtenir
que l'exécution de l'Arrêt für retardée juf
qu'au lendemain,
Au fortir du confeil , ce tendre ami de
68 MERCURE DE FRANCE.
fefperé remplit le Palais de ce cris , s'en
prend à la nature entiere , s'offenſe de la
joie qu'il voit fur tous les vifages. Barbares
Citoyens ! s'écrie- t-il , qu'elle joie cruelle
vous tranfporte ? fi je vis encore , à qui la
dois- je cette vie ? à mon ami , à mon libérateur
; & vous le traités comme un aſſaſfin
! ... Ah ! s'il faut qu'il périffe , c'eſt
vous qui ferez mes bourreaux ; les coups
que vous lui porterez iront jufqu'à mon
coeur.
Son défefpoir le mène à la prifon. II
court au cachot, où Agénor , confolant Of
mire , l'engageoit à fortit d'un lieu où il
étoit indécent qu'elle reftât plus long temps.
Le Prince veut fe jetter dans les bras de fon
ami.... mais il apperçoit Ofmire..... Un
froid mortel circule dans fes veines ; fa
langue fe glace ; fes yeux égarés peuvent à
peine percer le nuage qui lui dérobe ces
fatals objets : un filence terrible augmente
encore l'horreur qui les environne. Enfin
, d'une voix dont la douleur reffetroit
les organes , il s'écrie .... Agénor ! ....
Ofmire ! .... Dieux puiffans , quels foupçons
affreux ! .... Madame , quel puiffant
intérêt vous amène dans ce féjour d'horreur
? qu'y cherchez- vous ?... Ciel ! me
trahiriez - vous tous deux ? & quand
je viens ou fauver mon ami , ou périr
MARS 1765 . (69
avec lui,ne rencontré- je ici que des perfides
? ... Arrête Prince s'écrie Agéner ,
laiffe périr un malheureux fans l'offenfer.
J'allois à la mort fans regret ... je fens
maintenant qu'elle eft affreufe : je meurs
coupable à tes yeux. Oui , cruel , j'aime
Ofmire voilà mon crime.... mais dans
quelques inftans tu n'auras plus à redouter
un rival odieux , & que peut-être en
ce moment tu crois ton affaffin. Un jour
viendra pourtant où tu plaindras le trop
malheureux Agénor. Tu connoîtras toute
la rage de mes ennemis : mais mon deſtin
cruel veut que je laiffe au tems le foin de
te montrer mon innocence .
Cependant Dorus , inftruit de la démarche
de fon fils & de celle d'Ofmire , avoit
chargé un Officier de les faire fortir de la
prifon. Cet Officier arrive au moment où
le Prince dans les bras d'Agénor , lui demandoit
pardon de fes foupçons injurieux.
L'affreufe fituation de fon ami avoit fait
évanouir par dégrés tous les motifs de
jaloufie que la préfence d'Ofmire lui
avoit d'abord infpirés. Il le baignoit de
fes larmes ; il demandoit à Ofmire quels
moyens il pouvoit employer pour le fai
ver. Mais Ofmire, accablée tour à tour far
le défefpoir de voir périr fon amant , &
par la honte de s'être vue furpriſe dans la
70 MERCURE DE FRANCE.

prifon par le Prince , étoit hors d'état de
répondre. L'Officier cependant les preffe
d'obéir aux ordres du Roi: Agénor les en
follicite lui-même. Allez , leur dit- il , feuls
objets que mon coeur regrette , & gardezvous
de rien tenter qui puiffe offenfer Dorus.
Tel eft ce trifte fort des Rois! les meilleurs
peuvent être trompés. Mais que m'importe
ce que penfe de moi l'Univers , fi
vous me croyez innocent?
Déja le jour qui devoit éclairer le fupplice
d'Agénor , étoit parvenu au milieu
de fa carrière ; déja l'autel fur lequel la
victime devoit être facrifiée , étoit élevé au
milieu de la place publique. Le peuple ,
toujours avide de ces triftes fpectacles , en
rempliffoit l'enceinte , & attendoit avec
impatience le moment où il verroit paroître
le coupable. Des cris tumultueux an-
-noncent qu'il arrive . Il paroît enfin fur un
char lugubre , entouré des Miniftres de la
mort. Parvenu au pied de l'échafaut , le
malheureux Agénor y monte d'un pas ferme
, & d'un oeil affuré . Un filence général
fuccéde tout à coup aux cris de la populace
; tous les yeux font fixés fur le coupable
; lorfqu'un grand bruit fe fait entendre
au loin , & parvient bientôt jufqu'au lieu de
l'exécution. C'eft une troupe de guerriers ,
qui, le cafque en tête , la vifière baiffée ,
MARS 1765 : 71
& -ar-
'ouvre paffage les armes à la main ,
rive au pied de l'échafaut , en criant : ar-
Tetez barbares ! ou craignez notre fureur.
A ces mots , leur Chef monte , écarte le
grand Prêtre & fes Miniftres , brife les
liens d'Agénor , & veut le forcer de le fuivre.
Dorus , inftruit de cet attentat , donne
ordre à fa Garde de fondre fur les rebelles.
Lecombat ne fut pas long ; aux premiers
coups , le Guerrier qui paroiffoit le chef
des féditieux, tombe ; les autres,défefpérés
de fa perte , fe laiffent défarmer fans réfiſtance
, en s'écrians : à malheureux ! qu'avez-
vous fait ? vous voyez à vos pieds le
fils de votre Roi !
On fejette für le cadavre ; on lui ôte
fon cafque ; on reconnoît le Prince ; des
cris affreux annoncent au peuple que l'héritier
du Trône eſt fans vie , & l'on court
en foule au Palais annoncer à Dofus cette
épouvantable nouvelle... Dieux barbares !
s'écrie- t-il , votre colère eft- elle fatisfaite ?
vous m'enlevez mon fils ; & c'eft ma main
que vous choififfez pour lui percer
fanc ! .....
le
Il court en frémiſſant , & arrive à la place
publique , fuivi de route fa Cour . Orxus ,
le coupable Orxus marche à fes côtés. La
préfence du Roi , change les cris en pleurs
72 MERCURE DE FRANCE .

& en gémiffemens ; il voit fon fils étendu
fans vie.... Ah , malheureux , s'écrie -t-il ,
en fe jettant fur ce corps fanglant , quelle
aveugle fureur t'a fait courir à la mort ?..
trop fatale amitié ! tu prétendois fauver ton
affaffin , & c'eft toi-même qui péris ! ..
Le grand Prêtre alors perçant la foule ,
s'avance jufqu'à l'endroit où Dorus tenant
toujours fon fils embraffé , fembloit vouloir
le fuivre au tombeau . Il attire l'attention
de tous les yeux ; il fait figne de la
main qu'on lui prête filence ; & en s'adreffantà
Dorus : grand Roi , féche tes pleurs,
-lui dit- il , ton fils refpire encore : celui que
ton coeur regrette & que tu tiens collé fur
ton fein , eft un étranger que les Dieux
ont bien voulu prendre pour victime.Il tire
alors un billet de fon fein : tient , lui dit-il,
- reconnois ces auguftes caractères. Le Roi
: interdit , ouvre le billet : Il reconnoît la
main de la Reine. Ah , chere épouſe !
s'écrie- t-il ,vas-tu donner une nouvelle vie à
A ton fils ? il ouvre le billet , & lit ces mots :
s Cher époux ,je n'emporte au tombeau que
la crainte du péril qui ménaçe mon fils.
Soit fageffe , foit imprudence , j'ai engagé
fa nourrice à élever deux enfans , dont l'un
eft un infortuné , dont les parensfont inconnus.
Elle a dû faire paffer celui - ci pour le
Prince , tandis qu'elle élevoit votre fils comme
MARS 1765: 73
mefon propre enfant fous le nom d'Agénor.
J'ai remis ce billet au grand Prêtre , avec
ordre de ne découvrir cet important fecret
que lorsqu'il le trouveroit convenable . Oui ,
Seigneur , reprit le grand Prêtre , j'ai cru
devoir le garder jufqu'à cet inftant. Chargé
de cet odieux facrifice , juges fi ma main
eût frappé la victime ! je fçavois que ton
fils n'étoit point criminel ; mais les Dieux
ne peuvent fe tromper ; & j'ai cru devoir
attendre qu'ils fe déclaraffent eux - mêmes.
Il leur falloit une victime ; c'eſt à l'amitié
qu'ils la doivent , & ton fils t'eft rendu
pour jamais.
Agenor , à ces mots , fe précipite aux
pieds de Dorus. Ah , mon père ! s'écrie-til
, s'il m'eft permis de vous appeller d'un
nom fi doux , daignez entendre un fils qui
feroit pas digne de ce titre , fi vous pouviez
encore le foupçonner coupable . Ma
délicateffe en gémit en vain : écoutez moi,
grand Roi ! connoiffez la vérité ; il eft
temps qu'elle éclate : je la dois à vous , à
votre peuplé , aux mânes de mon ami ; je
la dois à moi- même . Prêt à fubir une mort
infame , je mourois innocent ; je mourois
la victime d'un Miniftre perfide ; j'étois
facrifié à fon ambition barbare. Oui , traître,
s'écria-t-il , en fe retournant vers Or
D
1
74. MERCURE DE FRANCE.
xus , que ta confufion foit le châtiment de
ton crime. Seigneur , j'ofois aimer fa
fille. Ofmire parut affez fenfible à ma tendreffe
, pour me préférer celui que vous
regardiez comme votre fils , & qui de votre
aveu lui préfentoit & fa main & le
Trône. Orxus voulut nous en punir , il
réfolut ma perte ; il corrompit des malheureux
, il appofta des affaffins dont il me fit
le chef; & pour comble d'horreurs , il a
voulu que votre bras fervît fa barbarie , en
frappant l'innocent. Parle, Orxus ; répons,
fi tu le peux , à ces affreufes vérités ! ".
Tous les regards étoient fixés fur le Miniftre
, qui après un inftant de filence
tirant tout à coup fon poignard , & faifant
quelques pas vers le Roi : Dorus , dit-il ,
ma fille eft innocente , & moi je me punis .
Le peuple voulut fe jetter fur fon corps :
le Roi voulut qu'on refpectât les vertus
d'un Miniftre, qu'il regrettoit encore en déteftant
fon crime. La joie de trouver dans
Agenor un fils fi digne de fa tendreffe ,
fuccéda bientôt à l'horreur qu'avoit excitée
cette fcène vraiment tragique.
Le Prince fit enfermer le corps de fon
ami dans un fuperbe tombeau , qui fut élewé
fur la place même où il avoit perdu la
vie en voulant fauver la fienne. Il employa
tout ce que l'amour a de charmes pour
MARS 1765 . 75
confoler Ofmire , qui dès que la décence
le permit , combla fes voeux par un hymen
qui fit long- temps leur bonheur mutuel
& la félicité de leurs Sujets.
Par M. F. D. L. J ***
LE motde la première Enigme du Mercure
de Février eft la houlette. Celui de la
feconde eft le oui du mariage. Celui du
premier Logogryphe eft veau , duquel la
tête , qui eft v , ôtée , il refte eau . Celui
du fecond eft moineau , dans lequel on
trouve Moine , eau , moi , avoine , vin ,
Noë , Io , me , moue.
"
J
ENIGM E.
E tiens table ouverte , où j'invite
Le gourmand & le délicat ;
Je rens le monde paraſite :
Et le galant homme & le, fat ,
Sans diftinction de mérite ,
Mettent chez moi la main au plat .
Dij
76 MERCURE
DE FRANCE .
AUTRE.
JE dois mon être à la tendreſſe ;
Et quelquefois à la trifteſſe.
Le moment de ma vie eft celui de ma mort;
Si je renais je n'ai pas meilleur fort.
Il eft facile de m'entendre ,
Mais à me voir on ne doit pas s'attendre.
LOGOGRYPHE.
J'OFFRE dans tous les maux des fecours bienfaifans
;
Je fers d'aide aux humains , & de guide aux
amans.
Sur neuf pieds réunis je parcours tout le monde
Si vous les combinez , que je deviens féconde !
J'enfante un grand Royaume, & même l'habitant ;
Un animal connu , méprifé , mais utile ;
Un poiffon fort commun , & le nom d'une ville ;
Des Romains d'autrefois le théâtre fanglant ;
Une note de chant ; l'époux de votre mère ;
Ce qui chez les humains fouvent eft fort épais ;
Ce qui diftingue entre eux les Monarques François,
Près d'un feu trop ardent un meuble néceſſaire ;
Une marque de deuil.... C'en eft trop . Je finis ,
Lecteur , en me cherchant , c'eft moi qui te .
conduits,
Par M. ROMET,
MARS 1765. 77
JE
AUTRE.
E t'avertis d'abord , mon cher Lecteur ;
Que ma forme eft fubftantielle :
Mais du moment que tu m'ôtes le coeur ,
Je fuis pour toi d'une espéce mortelle.
CHARRAS C. D. L. abonné au Mercure.
J
AUTRE.
E ne vis que dans le printems ;
Ma couleur eft des plus parfaite :
Je puis te fervir d'ornemens ;
Mais fi tu m'ôtes queuë & tête
Je ne te fuis plus bon à rien ,
Qu'à l'amufement de ton chien.
>
Par le même.
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
CHANSON.
L'AUTOMNE.
ODE anacréontique à M. C. D. chez qui
M. le Chevalier DE JUILLY- THOMASSIN
paffa les vendanges.
POUR OUR rendre la vie aimable ,
Chaque faifon a fon tour:
L'une a les jeux ou la table ,
L'autre a la chaffe ou l'amour.
Mais nulle n'auroit la gloire
De rendre jaloux les dieux ,
Si celle qui donne à boire
N'égaloit la terre aux cieux.
Si le printems ne nous donne
Que des zéphirs & des fleurs ,
Nous recevons de l'automne
De plus folides faveurs.
Des charmes de l'efpérance
L'un fait flatter nos defirs ;
Mais c'eſt par la jouiſſance
Que l'autre fait nos plaifirs.
Gai.
Pour rendre la vie aimable Chaque saison
a son tour, L'une a lesjeux ou la tableL'autre a
W
W.
#
la chasse ou l'amour :Mais nulle n'auroit la
gloire D'en rendrejaloux les Dieux, Si celle qui
W
donne à boire N'égaloit la terre aux Cieux .
Gravé par M. Charpentie
Imprimé par. Tournelle .

MARS 1765 . 79
Plein du plus tendre délire ,
Le vendangeur altéré ,
Tour à tour boit & foupire
Près d'un objet adoré.
Il jouit de l'abondance ,
Des douceurs de la faifon
Et fa premiere ſcience
Eft d'enivrer fa Raifon.
En jouant avec Silène ,
Eglé preffe le raifin ,
Et lui verfe à taffe pleine
L'allégreffe avec le vin.
Iris , foulons la vendange ,
Bacchus veut nous rendre heureux :
Ou craignons qu'il ne ſe venge ,
Si nous ne faifons comme eux.
Dans cette flamme liquide ,
Puifons les joyeux propos
Selon C ** qui nous guide ,
L'efprit eft au fond des pots.
Qui boit bien , aime de même ,
Et montre tous les talens :
C'eft-là le favoir fuprême
Qu'il enfeigne fur ſes bancs.
Le dieu de la bonne chère
Ici règne avec l'amour :
A Tempé , même à Cythère ,

Ils préférent ce féjour.
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
Fuyez , coeurs durs & rebelles ,
N'approchez pas ce côteau :
L'un y punit les cruelles ,
Et l'autre les buveurs d'eau .
Par quelle charmante ivreſſe
Mon f s'accroît en aimant !
En raison de ma tendreſſe ,
Ma foif redouble en buvant.
Triomphez , dieu de la treille ;
Amour , je combats pour vous :
Ma maîtreffe & ma bouteille
Vont fuccomber fous mes coups.
Enchanté de nos conquêtes ,
Bacchus rit de nos exploits :
Par lui l'amour dans nos fêtes
A tout foumis à fes loix.
Nulle ingrate ne profane
Ces lieux par trop de rigueur :
Et l'exemple d'Ariane
8
Eft ici toujours vainqueur ( 1 ).
Tout forme fur ce rivage
Les plus gracieux accords :
Les oifeaux par leur ramage
Font éclater leurs tranfports.
Je vois voltiger les graces
A la fuite de Palès ( 2 ) ,
Et de l'amour fur leurs traces
Pan fuit les plus doux accès.
Maîtreffe de Bacchus.
Déeffe des Bergers.
MARS 1765. 18x
Jamais l'automne fi belle
N'a réuni tant d'appas :
Flore , qui fe renouvelle ,
Revient- elle fur ' ſes pas ?
Quoi ! c'eft le dieu de la tonne
Qui ramene les zéphirs ,
Et qui lui-même en perfonne
Vient partager nos plaiſirs !
Amis , chantons fa puiſſance ,
Et fa tendreffe pour nous :
Les chants de reconnoiffance
Font les concerts les plus doux.
De fleurs femons fon paffage ;
Que le vin coule à grands flots :
C'eſt-là le plus bel hommage
Qu'on rende au dieu des côteaux,
Préparons- lui donc fon vère ;
Couronnons-le de jaſmin ,
Et dans cette onde légère
Mettons rafraîchir fon vin.
Faifons de notre allégreffe
Retentir tout le canton :
Iris fera fa maîtreffe ,
Et C ** fon échanfon.
La mufique eft de M. DE BURI , Surintendant de
la Mufique du Roi.
N. B. On auroit grand tort de juger l'Auteur für
Cette chanson. Il boit plus d'eau que de vin.
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE à l'Auteur du Mercure fur un
fait hiftorique de l'année 1650 , concernant
la Ville de SAINT-JEAN-DE-LONE
en Bourgogne.
MONSIEU ONSIEUR.
;
PEUT-ETRE entre- t - il un peu de vanité
patriotique dans l'objet de cette lettre ;
mais ne peut- elle être tolérée lorsqu'elle
s'accorde avec la vérité ? Je relève une
erreur que je découvre dans les Mémoires.
de M. de Clermont , Marquis de Montglat.
Je ne l'attribue point au défaut de fincérité
de ce Seigneur , il peut avoir été
trompé. La diftance des lieux obfcurcit
fouvent les faits , & c'eft ce qui lui eft
arrivé au fujet de St. Jean-de-Lône , ma
patrie. Après en avoir parlé , fur l'année
1636 , d'une manière à lui faire honneur ,
il la repréſente fur 1650 comme rebelle à
MARS 1765. 83
fon Roi , & attachée au parti d'un Prince
digne , à la vérité , d'un fidele attachement,
mais que le malheur des temps avoit jetté
dans un parti contraire à celui de la Cour.
Cette imputation m'a fait feuilleter
quelques Mémoires plus accrédités que
j'avois fous la main. Je trouve dans
l'Abrégé Chronologique , qui fert de fuite
à celui de Mezeray , édition in-4° . 1728 ,
page 339 , colonne feconde , que le Comte
de Tavanes , que agiffoit en Bourgogne,
pour le Prince de Condé , qui en étoit
Gouverneur , croyoit trouver dans cette
Province un puiffant parti , mais que Bellegarde
( Seure ) fut la feule ville qui voulut
le recevoir.
Les Mémoires de Mde. de Motteville ,
édition contrefaite de 1723 , pag. 444 &
fuivantes , ne parlent que de la feule ville
de Bellegarde comme tenant au parti des
Princes , & nullement de St. Jean - de- Lône.
L'Abrégé Chronologique de M. le Préfident
Hénault fur l'année 1650, dit que
les créatures du Prince de Condé ne purent
lui conferver , ni la ville de Bourges , ni:
en Bourgogne celles de Dijon & de Seure.
On lit dans les Mémoires de Brienne ,
Amfterdam 1720 , tome ſecond , p. 219 ,
que M. de Vendôme affiégea la ville de
Bellegarde , qui capitula & fuivit l'exemple
du château de Dijon. D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
Dans ceux pour fervir à l'hiftoire du
Prince de Condé , Cologne 1693 , tome
premier , pages 448 à 453 , on trouve que
la victoire remportée par le Comte de
Tavannes fur le Marquis fon oncle , qui
tenoit le parti du Roi , fit croire au premier
que de nouvelles tentatives für Dijon
lui réuffiroient mieux que celles qu'il avoit
précédemment faites . Ses effots fur la ville
& le château furent inutiles , & il fut
obligé de fe retirer à Bellegarde. Le Roi
en fit faire le fiége ; cette ville fe rendit
fur la fin d'Avril , & la Bourgogne fut
pacifiée .
Le feul ouvrage que je trouve d'accord
avec M. de Clermont eft celui de M. de la
Châtre , ouvrage toujours avidement lu ,
tant à caufe de fon éloquence & de fa
politique , que de la vérité qui y règne .
Ce livre connu fous le titre de Mémoires
de la minorité de Louis XIV , Amfterd.
in- 12 , 1723 , pag. 215 , s'exprime en ces
termes : La Normandie avoit reçu le
Roi avec une foumiffion entière , & les
"
places du Duc de Longueville s'étoient
» rendues fans réfiftance . La Bourgogne
»fit comme la Normandie ; Bellegarde ,
» le château de Dijon & St. Jean- de - Lône
>> imiterent les places de M. de Longueville » .
Toutes ces variations , réticences , faufMARS.
1965 :
fetés , m'ont fait ceffer mes recherches dans
les livres imprimés pour avoir recours aux
mémoires locaux. J'ai feuilleté les registres
de notre Hôtel de Ville ; c'eft dans ces
dépôts que la vérité n'eft point altérée :
les faits s'y rédigent , non après qu'ils font
arrivés , mais à mefure qu'ils arrivent , &
dès-lors ils ne font fufceptibles d'aucune
altération .
Je donnerai fommairement ce qui a fait
l'objet des délibérations à St. Jean - de- Lône
depuis le 25 Janvier 1650 , jufqu'à la fin
d'Avril , temps auquel la tranquillité fut
rendue à la province de Bourgogne par la
prife de Bellegarde.
1
Délibération du 25 Janvier 1650. Sur
le bruit de la détention des Princes , il fut
pourvu à ce que perfonne n'entrât dans la
ville fans que les Officiers Municipaux en
fuffent avertis ; en conféquence on donna
avis de l'arrivée de M.le Comte deTavannes,
accompagné de MM. de Guitaut , de Carily
& autres , lefquels defcendirent chez M. de
St. Point, commandant pour lors à St. Jeande-
Lône. Les Echevins fe tranfporterent à
fon logis , où M. le Comte de Tavannes
leur remontra combien la reconnoiffance
devoit agir fur leurs coeurs en faveur d'un
Prince dont ils avoient reçu tant de bienfaits
.... Le réponſe des Echevins fut une
86 MERCURE DE FRANCE.
proteftation de leur zèle & de leur atta
chement à Son Alteffe , mais en même
temps que les fentimens de leur fidélité
envers le Roi étoient les feuls qu'ils puffent
mettre en activité , &c.... & fe retirerent.
Mais voyant que les difcours de
M. de Tavannes tendoient au foulevement
du peuple , il fut délibéré dans une affemblée
générale que le ferment de fidélité
envers le Roi feroit renouvellé , ce qui fut
fur le champ exécuté . Les gardes furent
doublées ; on dreffa un état des armes &
munitions , & c. . . .
Du s Février. Sur l'avis que la ville de
Seure fe rempliffoit de troupes , les habitans
demanderent au fieur de St. Point de
monter la garde à la porte du pont , comme
le pofte le plus important & le plus expofé
à la furprife , & que de tout il feroit donné
avis au Marquis de Tavannes pour recevoir
fes ordres.
Du 7 Février. Ordre du Marquis de
Tavannes au fieur de St. Point de remettre
aux habitans la moitié des clefs , comme
ils les avoient en 1636 lors du fiége , où
ils fignalerent leur fidélité , avec droit de
pofer les mêmes corps-de-garde , & d'y
appeller tous les retrayans , & c.
Dui . Les fieurs de St. Point & d'Ampilly:
refufant d'exécuter les ordres du Marquis
MARS 1765. 87
de Tavannes , les habitans poferent un
.fecond corps - de - garde à l'oppofite de
l'ancien .
Du 16. Ordre de M. de Vendôme de
licentier les trois compagnies qui étoient
à St. Jean-de-Lône , & au Commandant
de remettre les clefs de la ville aux Echevins
& Syndics qu'il charge de conferver la
place , & la garder foigneufement pour
le
fervice de Sa Majefté. Ce qui fut exécuté..
Du 14 mars. Députation pour compli
menter Sa Majeſté arrivée à Dijon .
Du 18. Ordre du Roi au fieur de St. Romain
, Sergent de Bataille en fes armées, &
Capitaine d'une compagnie de Chevaux-
Légers , de fe tranſporter dans la ville de
St. Jean-de-Lône pour y préparer tout ce
qui feroit néceffaire pour réduire la ville
de Seure à fon obéiffance..
Enfin du 26 Avril . Députation à Sa Majefté
pour obtenir des droits d'octrois pour
fubvenir aux dépenfes extraordinaires qu'avoient
occafionnées les circonftances de
cette guerre, & le paffage de l'armée par
St. Jean- de-Lône pour le fiége de Seure.
Ces droits furent octroyés pour récompenſe:
de leur fidélité..
Le furplus des délibérations intermédiaires
ne regarde que la police des corps
de-garde , fubfiſtances, munitions , &………..
88 MERCURE DE FRANCE.
Il eût été facile de groffir cette lettre
de délibérations , de toutes celles qui furent
prifes dans les années fuivantes 1651 , 52 ,
53 , auxquelles recommencerent les troubles
que la détention des Princes n'avoit
que fufpendus ; mais j'ai cru , Monfieur ,
que ce petit morceau hiftorique fuffifoit
pour faire voir combien peu de fondement
on doit faire fur la plupart des Mémoires ,
à la réferve de ceux dreffés fur les lieux
mêmes où les faits fe font paffés .
Je fuis , &c.
A St. Jean-de-Lône ce 8 Novembre 1764. M ** ›
CATALOGUE hebdomadaire , ou lifte des
livres nouveaux qui font mis en vente
chaque femaine , tant en France que
chez l'Etranger.
D
AVERTISSEMENT.
EPUIS 1763 on a commencé à débiter
tous les huit jours une feuille périodique ,
qui a pour titre : Catalogue des livres nouveaux.
Cette feuille eft de quatre pages en
deux colonnes , & contient la liſte des livres
MARS 1765. 89
qui font & feront mis en vente dans le
courant de la femaine : elle eft divifée en
deux parties ; la premiere contient les titres
des livres nationaux ou ceux imprimés en
France , & la feconde les titres des livres
étrangers ou ceux imprimés dans les différens
Etats de l'Europe. On y trouve auffi
le nombre des volumes , les noms des
Auteurs , & l'adreffe des Libraires qui les
vendent. Les titres des Arrêts , Edits ,
Déclarations , &c. l'annonce des morceaux
divers de Mufique, des Eftampes, Cartes,&c.
A chaque article du livre , de l'Estampe
ou de la Carte , le prix y eft porté , ainſi
que l'indication du caractère , de l'impreffion
& la qualité du papier dont font les
ouvrages. On y voit auffi s'ils font reliés
ou brochés , ou en feuilles. MM. les Libraires
ont une feuille particulière pour
eux. Chaque mois de Janvier on diftribue
une table qui indique les ouvrages annoncés
pendant l'année , avec l'indication , où
le titre , &c. fe trouve dans les recueils.
Ces recueils fe relient ou fe -brochent.
On paie pendant l'année , pour recevoir
chaque femaine ces feuilles compris la
table , par la Pofte , & franc de port , la
fomme de 6 liv. 12 f.
Il faut affranchir les ports de lettres &
de l'envoi de l'argent . On s'adreffe à Def
90 MERCURE DE FRANCE .
pilly , Libraire , rue St. Jacques , à la Croix
d'Or.
Nota. On trouve chez ledit Libraire des
recueils complets de ce catalogue pour
1763 & 1764. Chaque recueil fe vend ,
SCAVOIR :
, · • Les recueils reliés ci
Les brochés & envoyés par
la Pofte
Les tables féparées , •
7
liv. 12 f.
• 7 liv. 12 f.
liv. 12 f. 7
Ce Libraire avertit lePublic qu'il fe charge
de procurer les livres étrangers qui ne fe
trouvent pas à Paris , & dont l'entrée eft
permife en France ; les perfonnes qui les
defireront font priées de lui en remettre
les notes & un à compte : chaque quinzaine
il fait la demande de ces livres , &
ayant l'adreſſe des Amateurs , il leur fait
part de l'arrivée.
AVIS AUX GENS DE LETTRES.
PARM
ARMI les effets de la fucceffion d'un
homme fçavant & laborieux , il s'eft trouvé
une multitude de cahiers qui contiennent
des matériaux propres à former un
Dictionnaire univerfel fur les fciences &
MARS 1765. 91
beaux arts ; il a employé plus de quinze
ans de travail à faire cette collection , &
ya joint des Obfervations très curieufes.
Si quelque homme de Lettre vouloit faire
ufage defdits cahiers , on lui donneroit la
liberté de les examiner , & on pourroit les
lui céder à bonne compofition.
Il faut s'adreffer à M. Carbonel , ancien
Curé de Morfan , à l'entrée de la rue des
Fontaines , vis-à-vis le Temple , chez l'Epicier.
L'UN des volumes des Mémoires de
l'Académie Royale des Sciences , qui n'eſt
compofé que des feuls Ouvrages de M.
Fontaine de cette Académie , fe vend rue
Saint Honoré , à la Porte- cochère en deçà
de celle qui fait le coin du cul- de-fac de
l'Orangerie , au premier à droite , 12 liv.
10 fols broché.
ON a annoncé dans quelques écrits publics
, notamment dans l'Avant - Coureur
du7 Janvier 1765 , la mort de M. Buchoz,
Auteur du Traité hiftorique des Plantes de
la Lorraine ; on eft obligé de défabufer le
public : M. Buchoz n'a même eu aucune
attaque de maladie. Le quatrième volume
de fon ouvrage va fe diftribuer , le cinquième
eft fous preffe & paroîtra inceffam
92
MERCURE DE FRANCE.
ment , avec cent planches exécutées en
taille douce par les meilleurs Graveurs , &
revues par M. Adanfon , un des plus fameux
Botaniftes du fiécle. Il faut que le
prétendu M. de la Chapelle , qui a écrit
cette fauffeté , n'ait aucune connoiffance
de la Botanique , pas même de l'Agriculture
, puifque l'hyver eft une faifon contraire
à la découverte des plantes ; ainfi il
n'étoit pas vraisemblable que M. Buchoz
voyageât dans cette trifte faifon pour les
reconnoître. M. Buchoz , qui a parcouru
pendant près de fix années toutes les parties
de la Lorraine , a fini depuis fix mois
fes courſes ; il eft actuellement occupé à
rédiger fes obfervations dans un corps
d'hiftoire , qui eft même fur le point d'être
mis àfa perfection. Il s'applique à traiter
, avec le plus grand fuccès , les malades
dans la ville de Nancy , employant les
remèdes les plus fimples du pays , tirés pour
la plupart du règne végétal ; ce qui lui a
procuré de la part des Magiftrats de cette
capitale les marques les plus fignalées de
leur fatisfaction . Ils ont accordé à M.
Buchoz une gratification honorable , pour
l'animer de plus en plus à cultiver une
fcience fi utile au genre humain. Il a encore
les marques les plus flatteufes de la
protection augufte du Roi , fi bien carac
MARS 1765 . 93
térifé par le furnom de Bienfaifant , & de
celles des plus grands Seigneurs du pays ,
du Royaume de France , & des autres
Etats voifins. L'envie & une jaloufie baſſe
& méprifable n'empêcheront pas M.
Buchoz de fuivre fes travaux. Il efpere la
continuation des bontés de toutes les perfonnes
éclairées , qui ont bien voulu l'aider
dans une entreprife pénible , qu'il eft
réfolu de ne point abandonner.
PLUSIEURS perfonnes connues dans
la Litterature , auxquelles on adreffe journellement
des Lettres de Province ou des
Pays étrangers , nous prient d'avertir ceux
qui leur écrivent fans être connus , d'avoir
l'attention de leur faire parvenir ces Lettres
franches de port ; fans quoi elles ne
font pas retirées , & demeurent par conféquent
fans réponſe.
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
IL eft fans doute très-indifférent au public
que je fois né fur les bords de la Ġaronne
, ou dans un vieux château fur ceux
de la Loire ; mais il m'importe, Monfieur,
que mes amis , ou ceux qui fe difent tels
94 MERCURE DE FRANCE.
ne puiffent pas me foupçonner de leur en
avoir impofé , quand je me fuis déclaré
l'auteur de quelques vers , dont il eft parlé
dans le dernier Mercure , à l'article , Académie
de Marſeille. D'autres vers de moi ,
connus à Toulouſe , ont fans doute occafionné
cette légere méprife.
J'ai l'honneur d'être & c
Le CHEVALIER DE LATRAMBLAYE.
LETTRE de M. ROYER , ancien Chirurgien
Aide-Major des Armées du Roi , à M***
fur une brochure anonyme , portant pour
titre: Parallele des différentes méthodes
de traiter la maladie vénérienne ; brochure
in - 12. 1764.
Il y a peu d'objets fur lefquels la Médecine
moderne ait fait un auffi grand nombre
de découvertes, que fur la cure des maladies
vénériennes. Le mercure , reconnu
pour le médicament le plus efficace contre
ces fortes de maladies , a été préparé d'une
infinité de manieres différentes , & on eft
parvenu à tirer en quelque forte de ce feul
reméde un très-grand nombre de médicaMARS
1765.
95
mens différens , tous capables de guérir
mais avec des circonstances relatives à la
nature particuliere de chacun d'eux.
Cette multiplicité de remédes antivénériens
ne peut certainement être que fort
utile à la Médecine , puifqu'elle procure
aux gens de l'art la facilité de faire an
choix avantageux entre ces différens médicamens
, fuivant les circonftances.
L'Auteur anonyme de la brochure qui
a pour titre Parallele des différentes méthodes
de traiter la maladie vénérienne
après avoir paffé en revue ces méthodes
diverfes , décide en faveur de celle qu'on
nomme par extinction , dans laquelle on
n'emploie que des frictions de pommade
mercurielle , & dit du mal non-feulement
de prefque tous les autres remédes antivénériens
, mais encore de la plupart de
ceux qui les ont inventés ou mis en ufage.
Il ne nous appartient pas de prononcer
fur le fond de ces difcuffions ; mais il
femble , qu'entre ceux qui propofent de
nouveaux remédes , on doit diftinguer les
gens inftruits qui foumettent les leurs aux
lumières de la Médecine , qui ne les adminiftrent
qu'avec circonfpection, & qui
en obfervent les effets dans le filence , d'avec
les Charlatans qui vantent & préconifent
leurs recettes avec une affurance
96 MERCURE DE FRANCE.
toujours proportionnée à leur ignorance.
M. Royer fe plaint dans la Lettre que
nous annonçons , d'avoir été confondu avec
ces derniers par l'Auteur du Parallele ; &
fa plainte paroît d'autant plus jufte , qu'il
s'eft contenté d'obferver , fous les yeux des
gens de l'art , fa méthode de guérir uniquement
par les lavemens , & qu'il a évité
avec le plus grand foin toute efpéce
d'annonce dans les papiers publics ou autrement
cette conduite eft affurément
bien différente de celle que tiennent ordinairement
les Empyriques. M. Royer relève
, par occafion , dans fa réponſe , plufieurs
fautes effentielles de Chymie , qu'il
a trouvées dans le Parallele. Nous ne dirons
rien ici de ces difcuffions. On peut
voir fa Lettre , qui mérite d'être lue , &
qui fe vend chez l'Efclapart , Libraire ,
quai de Gefvre , du côté du Pont Notre-
Dame.
ANNONCES DE LIVRES.
MÉMÉOMIOIRREESS pour la vie de François
Pétrarque , tirés de fes oeuvres & des Auteurs
contemporains ; avec des notes ou
differtations , & les piéces juftificatives ;
tome fecond. A Amfterdam , chez Arskée
&
MARS 1765 . 97
& Mercus , 1764 ; & fe trouvent à Paris ,
chez Cailleau , Libraire , rue S. Jacques ;
prix , 8 livres broché. Le premier volume
Le trouve auffi chez le même Libraire , inquarto..
Nous annonçâmes l'été dernier le premier
tome de ces Mémoires. Le deffein
de l'Auteur , en le publiant , étoit de preffentit
le goût des gens de lettres , & de s'y
conformer. Au lieu des critiques qu'il en
attendoit , il n'en a reçu que des éloges. Il
în fera de même , fans doute , de ce fecond
volume plein de recherches favantes
& d'anecdotes curieuſes.
• LES fidéles tableaux de l'art d'écrire
par colonnes de démonftrations , par lefquelles
les principes font développés : ouvrage
très-inftructif ; par Royllet , vérificateur
des actes authentiques , rue de la
Poterie , près celle de la Verrerie. A Paris
, chez la veuve David , quai des Auguftins
, au S. Efprit ; & chez Regnard ,
Libraire & Imprimeur , rue baffe des Urfins
, & en fa boutique , grand'falle du
Palais ; 1764 ; avec approbation & privilége
du Roi ; in -folio.
L'Auteur de cet ouvrage a fuivi fans
prolixité , & dans un ordre de démonftrations
claires , les grands principes de fon
E
98 MERCURE DE FRANCE.
d'une
art. Ses tableaux expofent aux yeux ,
part , les différentes opérations des grands
maîtres , & de l'autre , des explications
curieufes & nouvelles , qui pourront affecter
les amateurs & les gens de goût.
LA logique , ou l'art de penfer , dégagé
de la fervitude de la dialectique , par
M. l'Abbé Jurain , Correfpondant de l'Académie
royale des Sciences. A Paris , chez
Desventes & Compagnie , Libraires , rue
S. Jacques , près du collège de Louis le
Grand; 1765 ; avec approbation & privilége
du Roi ; vol. in - 12 .
Le titre de cet ouvrage annonce une logique
très- différente de celles qui ont paru
jufqu'à ce jour , & qui ne doit rien
contenir qui ait la moindre apparence des
fubtilités , des détours & des chicanes de
la dialectique. Nous croyons que l'Auteur
n'annonce rien qu'il n'exécute effectivement
; & l'on trouvera dans cette nouvelle
logique un ordre , une netteté , une
précision qui fervira beaucoup à former la
jeuneffe.
ALMANACH de la ville de Lyon , pour
l'année 1765. A Lyon , chez Aimé de la
Roche , Imprimeur de Mgr l'Archevêque,
& du Clergé , &c, aux halles de la GreMARS
1765 . 99
nette ; 1765 ; in - 8 ° . On en trouve auffi
des exemplaires à Paris chez Defaint &
Saillant , rue S. Jean- de -Beauvais .
Cet Almanach , commencé en 1711
ne laiffe rien à defirer pour la connoiffance
des trois provinces qui compofent
le gouvernement du Lyonnois . Plufieurs
perfonnes ont concouru à la perfection/de
cet ouvrage , qui offre des détails curieux,
même pour ceux ceux qui n'ont aucune relation
avec les habitans de Lyon.
NOUVEAUX Mémoires , ou obſervations
fur l'Italie & fur les Italiens ; par
deux Gentilshommes Suédois ; traduits du
Suédois. A Londres , chez Jean Nourfe ,
1764 , trois vol. in- 12 .
On fuppofe dans cet ouvrage très - inf
tructif & très - agréable , que deux Suédois ,
après avoir paffé quelques années à Paris ,
prennent la réfolution de vifiter l'Italie.
Tout ce que ce beau pays offre de curieux
dans les arts , les moeurs , les ufages & les
productions naturelles , devient pour eux
l'objet de la plus grande attention ; & tous
ces détails , vus par des yeux éclairés , ne
peuvent manquer d'être très -bien reçus du
Public.
PIÉCES de Théâtres , par M. Marin , de
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
P'Académie de Marfeille , & de la Société
royale de Nanci , Cenfeur royal , & de la
lice , & Secrétaire général de la librairie
de France. A Paris , chez Ducheſne , Libraire
, rue S. Jacques , au temple du
goût ; 1765 ; avec approbation & privilége
du Roi ; un vol. in - 8 ° .
Parmi les cinq piéces qui compofent ce
Recueil , les unes ont été repréfentées ;
d'autres ont mérité de l'être : toutes fe
lifent agréablement . En attendant que l'on
en rende compte dans l'article des Spectacles
, nous indiquerons les différens morceaux
que contient ce volume. On
trouve d'abord une épître dédicatoire à
MM. de l'Académie Françoife. Elle eft
écrite avec cette nobleffe qu'infpire la profeffion
d'homme de lettres , quand on
l'exerce avec diftinction & que c'eft
moins au rang qu'au mérite que l'on
adreffe des éloges. Si dans fa préface M.
Marin eft obligé de parler de lui - même ,
il le fait avec une modeftie devenue affez
rare à la tête des Piéces de théâtre qui
s'impriment actuellement. Celles qui for
ment ce recueil font : Julie , ou le triomphe
de l'amitié , comédie en profe & en trois
ates ; la Fleur d'Agathon , piéce en profe
& en un acte ; Fédéric , où l'Iſle inconnus
, piéce héroïque en vers & en cinq
MARS 1765. 101
actes ; l'Amante ingénuë , comédie en un
acte & en profe ; l'Amant heureux par un
menfonge , farce en un acte & en profe.
Ces cinq piéces font précédées d'un avertiffement
, & fuivies d'obfervations , où
l'Auteur parle de fes ouvrages avec autant
d'impartialité , que s'il s'agiffoit d'un inconnu.
On y trouve des remarques judicieufes
, une critique faine , & fur-tout un
parfait défintéreffement. Ces qualités ,
jointes au mérite réel des pièces , qui font
la partie effentielle de ce volume , déno
tent dans l'Auteur , qui eft homme d'ef
prit, un grand ufage du monde , du théâtre
& de la vertu.
CAMPAGNE de Louis , Prince de Condé,
en Flandres en 1674 ; par M. Carlet de la
Roziere , Chevalier de l'Ordre Royal &
Militaire de S. Louis , Lieutenant - Colonel
de Dragons , & ci - devant Aide - Maréchal
des Logis de l'Armée du haut-Rhin ,
avec cette épigraphe :
In omni prælio , non tam multitudo & virtus
indo&ta , quàm ars & exercitium , folent pref
tare victoriam. Veg. lib. & cap. t.
A Paris , chez Merlin , Libraire , à l'entrée
de la rue de la Harpe , en venant par
la rue de la Bouclerie ; 1765 ; avec approbation
& privilége du Roi ; un vol . in-12
E
iij
102 MERCURE DE FRANCE.
de 150 pages , avec une carte très -nettė ;
très-détaillée & très-exacte des Pays - Bas
Catholiques , pour l'intelligence de la campagne
, qui fait l'objet de ce Livre , &
une autre carte très-inftructive pour l'intelligence
du combat de Senef.
M. Carlet de la Roziere avoit déja donné
, à la grande fatisfaction du Public &
des gens de guerre , la campagne du Maréchal
de Créqui en 1677 ; & cet ouvrage
étoit du même format , & ſe vendoit chez
le même Libraire que celui que nous annonçons
actuellement. Il nous paroît que
le but de cet Auteur eft de former une fuite
des plus belles campagnes qui aient été
faites fous le règne de Louis XIV & fous
celui de Louis XV , écrites d'après les dépêches
des Généraux qui ont commandé
les Armées , & d'après les excellens Mémoires
faits fur les mêmes campagnes . Ce
projet , digne d'être fuivi , ne peut être en
de meilleures mains. Nous avons eu fouvent
occafion de faire l'éloge des connoiffances
militaires & géopraphiques de cet
Officier , auxquels des Généraux eftimés
ont accordé leur confiance. Quant à l'ouvrage
qui fait l'objet de cette annonce ,
M. de la Roziere a puifé dans les lettres
du Prince de CONDÉ à M. de Louvois pendant
ſa campagne de 1674 , dans une relafa
MARS 1765 . 103
tion de cette campagne , publiée par ordre
du Prince d'Orange , & dans les meilleurs
hiftoriens. Il s'eft attaché à déduire les faits
d'une maniere fimple & intelligible ; &
lorfqu'il loue ou condamne les Généraux ,
ce n'eft ni par préfomption ni par préjugé
, mais d'après les meilleures autorités.
Il y mêle fes propres réflexions , lorfqu'il
croit que fon expérience & fes connoiffances
topographiques l'ont fuffifamment
inftruit des circonftances des événemens
qui y donnent lieu. En lifant cet écrit de
M. de la Roziere , & les autres campagnes
qui le fuivront , on apprendra à connoître
fûrement les frontières du royaume & les
pays où l'on fait ordinairement la guerre ;
les différentes pofitions qu'il y a à y prendre,
la fituation & la force des places qui les
défendent , les reffources qu'on y peut
trouver, & quantité de détails militaires ,
fur lefquels on ne peut , en voyageant , fatisfaire
fa curiofité & fes recherches. Le
Général d'armée y apprendra à former un
plan de campagne & à l'exécuter ; & l'O£-
ficier particulier y trouvera une infinité
d'exemples de valeur & de conduite , dont
il profitera plus que de tous les préceptes
qu'on pourroit lui donner. Enfin une fuite
de campagnes , telles que M. Carlet de la
Roziere fe propofe de la publier , fera la
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
bibliothéque la plus utile , la plus inftructive
qu'on puiffe offrir aux gens
de
guerre.
LES Bonnets ; ou Talemik & Zinera
hiftoire moderne , traduite de l'arabe. A
Londres , & fe trouve à Paris chez Jacques-
François Quillau , Libraire , rue Chriftine,
au magaſin littéraire ; 1765 ; brochure in-
12 de 174 pages .
Nous avons lu avec beaucoup de plaifir
ce roman , écrit dans le goût oriental ,
& où l'on trouve des aventures qui excitent
une forte de curiofité . Les contes de
féerie , qui en font comme les épiſodes
y répandent une variété agréable ; & dans
un fiécle où ces fortes d'écrits femblent
redevenir à la mode , nous croyons qu'on
fera à celui - ci un accueil diftingué .
>
LES Dévirgineurs & Combabus , contes
en vers , précédés par des réflexions fur le
Conte , & fuivis de Floricourt , hiftoire
françoife. A Amfterdam , 1765 ; & fe
trouvent chez Jorry , Libraire , rue & visà-
vis de la Comédie Françoife ; volume
in- 8° de 108 pages , avec tous les ornemens
de la typographie & du burin , qui
depuis quelque temps diftinguent l'imprimerie
du fieur Jorry.
Cette nouvelle brochure enrichira la
MARS 1765 . 105
jolie
collection de poéfies imprimées fur
le modèle de Zélis au bain & de la Lettre
de Barneveld. On y trouve des détails
charmans & des vers très-agréables. L'Auteur
nous paroît avoir un talent décidé
pour les ouvrages de ce genre. Il joint la
fineffe des réflexions à la variété des images
; & fon génie facile lui fournit toujours
l'expreffion la plus propre & la penfée
la plus naturelle.
L'HÔPITAL des Fous , traduit de l'anglois
, avec cette épigraphe :
L'homme le moins fage
Croit toujours feul avoir la fageffe en partage.
... Il n'eft point de fou qui , par belles raifons ,
Ne loge fon voifin aux Petites Maiſons .
Boileau , Sat. IV.
A Paris , de l'imprimerie de Sébastien Jorry
, rue & vis-à- vis de la Comédie Françoife
, au grand Monarque & aux Cigognes
; 1765 ; avec approbation. Brochure
in- 8° de 40 pages.
L'Auteur de ce petit ouvrage eft Guillaume
Walsh , célèbre Poëte Anglois. II
eft traduit en profe dans cette brochure
nouvelle , ornée de trois gravures qui lui
donneront place dans la collection du
heur Jorry. Le papier répond à la beauté
E. Y
106
MERCURE DE FRANCE.
du burin , ce qui , joint au mérite de
l'original & de la traduction ne peut
de lui procurer manquer de lui
>
du débit .
LETTRE de l'Abbé de Rancé à un ami ,
écrite de fon Abbaye de la Trape ; par M.
Barthe , de l'Académie des Belles- Lettres
de Marſeille ; imprimée à Geneve , & fe
trouve à Paris chez Duchefne, rue S. Jacques
au temple du goût, & chez Panckoucke , rue
& à côté de la Comédie Françoife ; 1765 ;
brochure in- 8° de 16 pages , avec eftampe ,
vignette , cul- de- lampe , &c. beau papier ,
belle impreflion , &c.
Quelques ouvrages publiés depuis peu
fur la Trape , ont paru à. M. Barthe une
occafion favorable de donner cette lettre
qui , dit-on , étoit faite long-temps avant
les Mémoires & le Drame du Comte de
Comminges. La Lettre de l'abbé de Rancé
eft auffi en vers ; & elle nous a paru écrite
avec une forte d'intérêt qui décelent du
talent dans M. Barthe , & la rendent digne
de figurer avec honneur dans la nouvelle
collection des poéfies eftampées.
OPÉRATIONS des Changes des principales
places de l'Europe , contenant les
noms & la divifion de leurs différentes
monnoies de change , confidérées. entre
MARS 1765. 107
elles , & relativement les unes aux autres ;
le cours des changes defdites places ; la
maniere dont chacune compte les ufances
des lettres , fuivant les divers endroits fur
lefquels on tire les jours de grace qui y
font accordés ; avec la réduction réciproque
des monnoies d'une place à l'autre
calculée fur le cours des changes établi
entre elles ; enfin les difpofitions des
mêmes changes par la régle conjointe ;
par J. R. R. *** . A Lyon , chez J. M.
Beffiat , Libraire , grand'rue Merciere , &
chez J. M. Barret , Imprimeur- Libraire ,
quai de Retz ; & à Paris chez Defaint &
Saillant , rue S. Jean-de- Beauvais ; 1765 ;
avec approbation & privilege du Roi. Brochure
in- 8° de 350 pages.
,
Quoique cette matière ait déja été traduite
plufieurs fois nous croyons que
le Public faura gré à l'Auteur de ce Livre ,
tant pour fon exactitude dans les calculs ,
que par fa précifion dans les opérations. H
a renfermé dans un volume portatif ce que
les autres difent d'intéreffant en plufieurs
in -quarto.
L'ECOLE de la jeuneffe , ou le Barnevelt
François , comédie en trois actes & en
vers , mêlée d'arietres ; par M. Anfeaume.
La mufique eft de M. Duny , repréfentée
Evi
103 MERCURE DE FRANCE.
pour la première fois par les Comédiens
Italiens ordinaires du Roi le 24 Janvier
1765 ; avec cette épigraphe :
Sicelides Mufa , paulò majora canemus . Virgile."
Le prix eft de 30 fols avec la mufique. A
Paris , chez Duchefne , rue S. Jacques , aut
temple du goût ; 1765 ; avec approbation
& privilége du Roi . Brochure in - 8 °.
Il fera parlé plus amplement de cette
comédie dans l'article des Spectacles.
MÉMOIRE fur le canal de Provence , du
27 Novembre 1764 , contenant en abrégé
l'objet , la nature & les avantages de cette
entrepriſe , les principaux arrangemens du
fieur Floquet , auteur de ce canal , & des
deux compagnies que cet Ingénieur a formées
fucceffivement , & enfin l'état actuel
du projet. A Paris , chez P. G. Simon
Imprimeur du Parlement , rue de la Harpe,
à l'Hercule , 1764 , in- 4° de 78 pages.
Ce titre fait fuffifamment connoître
l'objet de ce Mémoire , auquel nous renvoyons
les Lecteurs qui defireront en avoir
une plus ample connoiffance.
LETTRES de Sophie & du Chevalier
de ***
, pour fervir de fupplément aux
Lettres du Marquis de Rofelle ; par M.
de ***. A Londres , & fe trouvent à Pa
MARS 1765 . 109
ris chez l'Esclapart , Libraire , quai de
Gefvres ; 1765 ; deux vol. in - 12,
Le but de ces Lettres , eft de faire connoître
les moeurs des filles de Spectacle ,
pour en éloigner les jeunes gens qui fe
livrent à elles , développer leurs intrigues,
& préfenter le tableau de leur manége &
de leur coquetterie. L'Auteur affure que
fon ouvrage n'eft rien moins qu'un roman ,
& qu'il a été lui-même témoin oculaire
de ce qu'il rapporte.
, HISTOIRE de Pierre Terrail dit le
Chevalier Bayard fans peur & fans reproche
; par M. Guyard de Berville. A
Paris , chez H. C. de Hanfy , Libraire , rue
S. Jacques , près des Mathurins , à Sainte
Thérefe ; 1765 ; avec approbation & privilége
du Roi , vol . in- 12.
Nous avons déja annoncé ce morceau
de notre hiftoire : nous n'en parlons aujourd'hui
que pour apprendre au Public
que ce livre a paffé du fond du Libraire
Giffard dans la boutique de Hanfy, &
que c'eft là qu'il faut l'acheter préfentement.
Nous dirons à cette occafion que
l'ouvrage de M. Guyard de Berville dénote
un bon citoyen , qui a en vue l'honneur
de fa patrie , & qui defire de voir
dans les mains, & fous les yeux de tout le
110 MERCURE DE FRANCE.
monde , & fur-tout de la jeuneffe , l'hiftoire
d'un héros digne de l'immortalité.
Il ne s'eft point attaché à un ftyle fleury :
il a écrit tout naturellement , ne fe piquant
que d'une grande exactitude dans
les faits. Les notes qu'il a ajoutées à la fin
du livre , contiennent des remarques &
des anecdotes tirées des Auteurs les plus
fidéles.
DISSERTATION fur l'antiquité de l'égliſe
de S. Pierre d'Angers , avec des remarques
curieufes fur le camp de Céfar au canton
d'Empyré & de Frémur , près la ville
d'Angers , & autres ouvrages des Romains
en Anjou & aux environs ; par Me Claude
Robin , Docteur en théologie , premier
Curé Cardinal de la Paroiffe de S. Pierre
de la ville d'Angers. A Saumur , chez la
veuve de Gouy , Imprimeur- Libraire. A
Angers , chez Charles Boutmy , Libraire ;
1764 ; avec permiffion . Brochure in - 18 de
108 pages.
Cette brochure , qui ne peut guère intéreffer
que les Angevins, a été réfutée par un
petit écrit intitulé , RÉPONSE à la Differtation
de M C *** . R ***. fur l'antiquité
de S. Pierre d'Angers , prétendue
Cathédrale du Diocèfe fous nos premiers
Evêques . A Angers , de l'imprimerie d'ANMARS
1765.. rit
DRÉ- JACQUES JAHIER , Imprimeur du
Roi , &fe trouve à Paris , chez GUILLIN ,
Libraire , quai des Auguftins ; avec permif
fion. Brochure in- 12 , petit format , de 32
pages , en très- petits caractères .
PHILOPÈNES , ou du régime des рац
vres ; par M. Seguier de S. Briffon ; avec
cette épigraphe :
Non ignara mali , miferis fuccurrere difco. Virg.
A Paris , chez Regnard , Imprimeur de l'Académie
Françoife , au Palais ; chez Panckoucke
, rue & à côté de la Comédie Fran
çoife , & chez Duchefne , rue S. Jacques ,
au temple du goût ; 1764 ; brochure in- 12
de 113 pages.
Cet écrit avoit été précédé d'un autre ,
intitulé : Lettre à Philopènes , ou réflexions
fur le régime des pauvres ; 1764 ; in- 12 de
64 pages ; chez Duchefne , rue S. Jacques.
L'une & l'autre de ces deux brochures ont
pour objet la déclaration du Roi concernant
les vagabonds & gens fans aveu , &
préfentent des vues patriotiques , accompagnées
de grands fentimens d'huma
nité.
GÉNÉALOGIES Royales , ou Tables chro
nologiques & généalogiques des Empe
ΤΙΣ MERCURE DE FRANCE.
reurs , des Rois & des Princes depuis
Adam jufqu'à notre temps , traduite de
l'anglois de Jacques Anderfon , par le R.
P. Jofeph Brunet du Vezis , de l'ordre des
Frères Précheurs , fur la feconde édition
faite à Londres en 1736 ; deux vol . in-fol.
propofés par foufcription hebdomadaireangloife
, ou foufcription françoife. A
Paris , chez Louis-Guillaume de Hanfy ,
Libraire , fur le Pont- au- change ; 1765;
avecapprobation & privilége du Roi.
Cette entreprife eft immenfe , comme
on peut le voir par le titre de l'ouvrage. Il
s'agit de donner une généalogie de tous
les Princes connus avant & après le déluge
jufqu'à nos jours. Sans entrer dans des détails
fur la manière dont ce livre doit être
exécuté , nous nous contenterons d'apprendre
à nos lecteurs les conditions des deux
foufcriptions qu'on leur propofe. Le Prof
pectus fe diftribue gratis.
Conditions de la foufcription francoife.
On payera en foufcrivant 24 liv. En retirant
le premier vol . 24 liv. En retirant le
fecond , 12 liv. Total, 60 liv.
Condition de la foufcription angloife.
Les Anglois appellent cette foufcription
hebdomadaire, parce que chaque femaine
les feuilles imprimées fe délivrentaux SoufMARS
1765 . FI3
cripteurs , auffi-tôt qu'elles font forties de
deffous preffe. Cette foufcription , fort
ufitée en Angleterre , eft propofée au Public
aux conditions fuivantes. On paie en ſoufcrivant
12 liv. & c'eft le plus fort paiement
qu'on eft obligé de faire : les autres paiemens
ne fe font qu'à la livraiſon de chaque
feuille imprimée , pour laquelle on donne
cinq fols. Cette foufcription a des avantages
qui mettent tout le monde en état
de foufcrire pour les Ouvrages les plus confidérables
, & qui font jouir de la chofe
pour laquelle on a foufcrit , dans le temps.
même que l'on l'imprime : avantages dont
on ne jouit pas par les foufcriptions ordinaires:
1 ° . On donne moins d'argent en
foufcrivant , la plus forte partie du montant
de la foufcription fe fait en paiemens
très- modiques , & l'on jouit de l'Ouvrage
dans le courant de l'impreffion. 2° . Ceux
quiprendront des ſouſcriptions hebdomadaires
, recevront , avec la première feuille
imprimée , un carton couvert de parchemin
, dans lequel il y aura autant de ficel
les que le volume aura de feuilles ; par ce
moyen on évite que les feuilles fe gâter t
ou fe perdent , & le volume fe forme à
vue d'oeil. Le prix de ce carton fe déduira
fur les 12 liv. qu'on aura données en fouf
114 MERCURE DE FRANCE.
,
crivant. 3º. Sur les dernieres feuilles à li
vrer , on tiendra compte du reftant des 12
liv. Dans le cas de l'une ou de l'autre de
ces deux foufcriptions , les Soufcripteurs
auront la bonté de retirer exactement les
volumes , ou les feuilles ; & fi , trois mois
après que le Libraire aura fait mettre des
avertiffemens dans les Mercure , Journaux
& autres Papiers publics , lefdits volumes.
ou feuilles ne font pas retirés , les avances
feront perdues pour ceux qui ne l'auront
pas fait. C'eſt une claufe expreffe des conditions
propofées. Ceux qui n'auront pas
foufcrit paieront l'Ouvrage 72 livres.
Les foufcriptions feront ouvertes chez
DE HANSY , Libraire , Pont-au-Change, à
l'image Saint Nicolas , depuis le quinze
Janvier 1765 inclufivement , jufqu'au
quatorze Juillet exclufivement ; paffé ce
temps , l'on ne fera plus admis à foufcrire.
Comme cet Ouvrage intéreffant ne fera
tiré qu'au nombre de mille exemplaires ,
les perfonnes qui defireront l'avoir , font
invitées à ne pas tarder à foufcrire. Celles
de Province qui s'adrefferont au Libraire
pour avoir des foufcriptions , auront la
bonté d'affranchir leur lettre & le port
l'argent. Les Soufcripteurs hebdomadaires
qui ne demeurentpas à Paris , auront auffi
de
MARS 1765 . II
la bonté d'indiquer la voie par laquelle on
leur pourra envoyer les feuilles , & de marquer
le nombre qu'ils en voudront à
chaque envoi. L'Ouvrage fera de mêmes
format & caractères que le Profpectus
A l'imitation des Anglais , on imprimera
à la tête la lifte de tous les Soufcripteurs.
MONUMENS érigés en France à la gloire
de Louis XV , précédés d'un tableau du
progrès des Arts & des Sciences fous ce
règne , ainfi que d'une defcription des
honneurs & des monumens de gloire accordés
aux grands hommes , tant chez les
anciens que chez les modernes ; & fuivis
d'un choix des principaux projets qui ont
été proposés pour placer la ftatue du ROI
dans les différens quartiers de Paris ; par
M. Patte , Architecte de S. A. S. Monfeigneur
le Prince Palatin , Duc regnant
des Deux-Ponts ; Ouvrage enrichi des
Places du ROI , gravées en taille douce ,
avec cette épigraphe : prefenti tibi maturos
largimur honores. Horat. lib. 11. ep. 1. A
Paris , chez l'Auteur , rue des Noyers , la
fixième Porte- cochere à droite , en entrant
par la rue Saint Jacques ; & chez Defaint
& Saillant , Libraires , rue Saint Jean- de116
MERCURE DE FRANCE.
Beauvais , 1765. Avec approbation & privilége
du Roi , in -folio.
Nous ne pouvons rendre compte de
l'exécution de ce livre que nous n'avons
pas vu. Nous ne l'annonçons ici que fut
la foi d'un imprimé , qui nous apprend
que l'Ouvrage a dû être mis en vente le
24 du mois de Janvier dernier ; qu'il eft
enrichi de cinquante grandes planches
fans les vignettes , & que le prix eft de 48
liv . en feuilles.
"
HISTOIRE de la Maifon , Ville & Duché
dOrléans ; dédiée à S. A. S. Monfeigneur
le Duc D'ORLEANS premier
Prince du Sang , écrite par fes ordres , &
propofée par foufcription.
>
Cet Ouvrage fera imprimé en trois volumes
in-4° d'environ 650 pages chacun.
Le premier paroîtra au mois d'Août prochain
, & les deux autres fucceffivement
de fix mois en fix mois. Les Soufcripteurs
paieront d'avance 15 liv. En recevant le
premier volume , 15 liv. & 6 liv. en recevant
le fecond & le troifième . Les perfonnes
qui n'auront pas foufcrit , paieront
40 liv. pour les 3 volumes. Les foufcriptions
ne feront ouvertes que jufqu'au dernier
Avril prochain. Les noms des SoufMARS
1765: 117
&
cripteurs feront imprimés à la fuite de
L'Ouvrage, On pourra foufcrire chez les
principaux Libraires du royaume : & à Paris
chez Defaint & Saillant , rue S. Jean-de-
Beauvais ; chez Panckouke , rue & à côté
de la Comédie Françoife ; chez Durand
neuveu , rue Saint Jacques ; & Duchefne ,
même rue , au temple du goût : à Orléans
, chez Couret de Villeneuve , Imprimeur
dudit Ouvrage. Entr'autres morceaux
qui doivent rendre cette hiftoire
très-curieufe , on nous promet : 1 °. quelque
choſe de hardi fur la Pucelie d'Orléans
; 2 °. un morceau fur la Saint Barthelemy
, tiré d'un manufcrit qui , foigneufement
confervé dans les archives de la
ville d'Orléans , & inconnu aux Hiftoriens
; 3 °. une difgreffion hiftorique fur la
régence , qu'on dit être très-fidèle & trèsintéreffante.
CALAS fur l'échaufaut , à fes Juges
feuille in- 2 de huit pages ; à Bayonne; &
l'on en trouve des exemplaires à Paris
chez la veuve Pierres , Libraire , rue Saint
Jacques.
Calas dit en vers à fes Juges , qu'il n'eſt
point coupable , & que c'eft à tort qu'ils
l'ont condamné. Il fait une relation pathé
118 MERCURE DE FRANCE .
tique de la mort de fon fils ; il finit par fe
réfigner au fupplice , & fait fes adieux à
fes enfans & à fa femme ...
ORPHÉE & EURIDICE , Tragédie -Opéra
, par M. Celfabigi , traduite de l'italien
, par M. M. avec des réflexions fur
cette Piece ; à Paris , chez Bauche , quai
des Auguftins ; & Duchefne , rue Saint
Jacques , 1765 , brochure in- 12 de 32
pages , avec un air noté à la fin.
L'Opéra , dont nous annonçons aujour
d'hui la traduction , a été mis en mufique
par M. Gluck , & repréfenté à la Cour de
Vienne en 1764. La partition gravée fe
trouve chez Duchefne , Libraire ,
Saint Jacques , au temple du goût.
rue
L'AVENTURE du Bal , ou la malice punie
; à Londres , & fe vend à Paris , chez
Tabary , Libraire , grand'Salle du Palais ;
1765 ; brochure in- 12 de 67 pages.
On fuppofe qu'un homme fait part à
fon ami d'une aventure qui lui arrive ; &
cette aventure eft une eſpèce de conte ou
de roman qui nous a parù affez intéreſſant.
LA Comteffe , comi - parade , en un
acte en profe ; à Londres , chez les LibraiMARS
1765 . 119
res afſociés , 1765 ; prix 24 fols ; in- 8 °
de 48
pages.
C'eft - là tout ce que nous citerons de
cette parade , fuivie d'une autre intitulée ,
Jacques Déloge.
L'ESCARPOLETTE , conte ; avec cette
épigraphe :
Militia fpecies amor eft , difcedite fegnes .
Ovid. de Art. am. lib . 1 1.
A Amſterdam , 1765 ; in- 8 ° de 16 pages.
Les vers de ce conte font aifés & naturels
; mais l'ouvrage pourroit être un peu
plus décent.
ETRENNES Nantoifes , eccléfiaftiques ,
civiles & nautiques , pour l'année commune
1765 ; calculées au méridien de
Nantes. A Nantes , chez la veuve de Jofeph
Vatar , Imprimeur du Roi & de Monfeigneur
l'Evêque ; avec privilége du Roi ;
in- 18 & à Paris , chez Guillin , quai des
Auguftins ; prix une liv. broché.
Les habitans de Nantes , & ceux de Paris
qui s'intéreffent à cette ville de Bretagne ,
trouveront dans ce petit almanach mille
chofes qui pourront les fatisfaire.
JOURNAL Eccléfiaftique , ou Bibliothéque
raifonnée des fciences eccléfiaftiques ,
120 MERCURE DE FRANCE
par M. l'Abbé Dinouart , Chanoine de
St. Benoît ; à Paris , chez Barbou , Libraire ,
rue des Mathurins , vis- à-vis de la grille.
Ce Journal a commencé en Octobre
1760 , & contient quatorze cahiers par
année , dont le prix eft de 9 liv. 16 fols ,
& par la pofte 14 liv. On trouve chez le
même Libraire des exemplaires complets
de cet ouvrage.
CAMÉDRIS , Conte , par Mademoiſelle
Mazarelly ; à Paris , chez Duchesne , rue
St. Jacques , au temple du goût ; 1765 ;
in-1 2. de 220 pages.
Une fimple annonce ne fuffit pas pour
faire connoître cette production ingénieufe;
nous en donnerons un extrait dans le prochain
Mercure.
SUPPLÉMENT ou Catalogue des livres
du magafin littéraire ; à Paris , chez Jacques-
François Quillau , Libraire , rue Chrif
tine , fauxbourg St. Germain ; 1769 ;
brochure in-12 de 38
38 pages.
Ce fupplément contient plus de 600 articles
nouveaux , qui , joints au fond , déja
très-bien afforti dù fieur Quillau , rendent
actuellement fon magafin littéraire trèsriche
& très- complet. On y trouve , dans
tous les genres , les livres les plus utiles ,
les
MARS 1765 . 121
plus agréables & les plus univerfellement
recherchés. Aufli cet établiffement acquiert
tous les jours plus de célébrité & de faveur.
La diligence avec laquelle le Public eft
fervi , la propreté , l'ordre & la politelfe
qui regnent dans ce cabinet, qu'on peut appeller
la bibliothèque des gens du monde ,
font de nouveaux attraits qui y attirent
chaque jour de nouveaux lecteurs. Les
foins que le fieur Quillau prend pour plaire
au Public méritent des éloges , & l'on doit
lui favoir gré de fon zèle .
ARCHEVECHE de Paris , divifé en fes
trois Archidiaconés , en, fes deux Archiprêtrés
, & fubdivifé en fes fept Doyennés
ruraux ; par L. Denis , Géographe de
Monfeigneur le Duc de Berry ; dédié au
Clergé du Diocèfe , par leurs très -humbles
& obéiffans ferviteurs , Denis & Berthault.
A Paris , chez L. Denis , & chez Berthault,
rue S. Jacques , vis - à- vis le Collège de
Louis le Grand ; brochure in- 12 ; 1765 .
Les cartes qui compoſent ce petit Atlas
eccléfiaftique font gravées avec beaucoup
de netteté & de préciſion , & l'on y diftingue
très-aifément tous les lieux qui y
font repréfentés. Chaque carte offre un
petit canton où font marqués les rivieres
les ruiffeaux , les montagnes , les bois , &
F
1
*
122 MERCURE DE FRANCE.
généralement tout ce que le pays renferme;
avec un pareil ouvrage on connoîtra trèsdiftinctement
tout le Diocèfe. C'eſt un
livre à confulter perpétuellement , même
par les gens du monde qui veulent favoir
les environs des villes , bourgs, villages, &c.
parce qu'on y voit du premier coup- d'oeil
la fituation du terrein avec clarté.
MARS
1765:
123
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIES.
EXTRAIT de la féance publique de la
Société des Lettres , Sciences & Arts de
Clermont-
FERRAND , tenue à l'Hôtel
de Ville le 26 Août 1764.
M ONSIEURde Féligonde , Secrétaire ,
a ouvert la féance par la lecture des éloges
des Membres de la Société , morts depuis
la dernière féance publique.
L'Auteur annonce d'abord que l'ufage
ancien & refpectable de donner des éloges
aux
Académiciens , eſt fondé fur deux motifs
qui doivent nous les rendre infiniment
précieux.
1º. La gloire de ceux qui ont pratiqué
la vertu & honoré les fciences & les arts ,
en perpétuant leur mémoire. 3
2°.
L'utilité de nos
contemporains , en
leur propofant des modèles . Dans l'éloge de
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
Dom Chevalier , natif de la Chatre en
Berry, & Profès dans l'Ordre de St. Benoît ,
Congrégation de S. Maur , depuis l'âge
de dix- fept ans , l'Auteur peint un Religieux
loué , chéri & refpecté par fes confrères
, qui a réuni à l'amour de la retraite
une application conftante à l'étude ,
& principalement à la lecture des livres
faints , des Pères & des autres qui ont écrit
fur la religion ; un philofophe profond
dans fes connoiffances , mais d'un caraçtère
fi doux & fi facile , qu'il abandonnoit
au premier ordre de fes fupérieurs les
charmes puiffans de fa folitude , pour ſe
livrer à des objets de diffipation , même
aux détails de l'économie rurale , fi peu
goûtés par les Gens de Lettre ; d'un efprit
folide , propre à remplir avec diftinction
tous les emplois dont il fut charge ; un
Académicien laborieux & zélé pour les
progrès de la Société à laquelle il étoit
attaché , avare du temps dont il connoiffoit
le prix , & qui fans rien dérober aux
devoirs de fon art , s'eft rendu par fon
affiduité aux affemblées & par fes travaux
académiques l'objet des regrets de la Société.
L'éloge eft terminé par une notice
des mémoires hiftoriques fournis à la Société
par cet Académicien ; & l'annonce
d'un traité fur la religion, qui a été trouvé
MARS 1765. 125
dans fes papiers , lequel a été mis entre
les mains d'un Religieux de cette favante
Congrégation pour en faire part au Public.
L'éloge de M. Chapouille , né à Mauriac
, ville fituée dans les montagnes
d'Auvergne , repréfente un Chirurgien
fameux , qui après s'être formé à l'école
des Maîtres les plus habiles , s'eft fixé à
Clermont pour y exercer des talens fupérieurs
avec une modeftie & une charité
peu communes.
Sur lequel l'ambition eut toujours moins
d'empire que l'amour du bien , & qui
par-là fçut fouftraire aux traits de l'envie
les applaudiffemens que lui attirerent fes
talens.
Qui fçut profiter de la confiance qu'a→
voit en lui fa Compagnie , & de l'auto
rité que lui donnoit la charge de Lieute
nant dont il étoit pourvu , pour augmen
tet de toutes manières la confidération de
fon Corps , par l'accroiffement de fes pri
viléges , & par les établiffemens utiles
qu'il a promus ; un Obfervateur éclairé ,
un Académicien zélé , un Citoyen fenfible
& doué des qualités qui rendent l'homme
fociable , mais encore plus des vertus qui
le rendent fage & religieux.
M. Dufour de Vernol , Procureur du
Roi en la Sénéchauffée & Siége Préfidial
iii
126 MERCURE DE FRANCE.
de Clermont- Ferrand , né dans cette ville ,
a foutenu par fon mérite perfonnel l'honneur
d'une famille déja illuftrée , & dont
le nom étoit depuis long- temps cher aux
Citoyens. Il eft impoffible de rendre dans
un extrait tous les traits de lumière , de
fageffe , de fermeté , de bonté & de grandeur
d'âme que l'exercice de fa charge , &
les circonftances particulieres de fa vie
l'ont mis à portée de faire paroître . Il
fçut mériter l'eftime des grands , l'amitié
de fes égaux & la confiance du peuple ; il
fut aimable dans la fociété , refpectable
dans fes fonctions , homme de goût & de
génie , naturellement laborieux , verfé dans
les belles - lettres , ami & protecteur des
arts , & par- deffus tout , jaloux de tout ce
qui pouvoit illuftrer fa patrie ou foulager
les Citoyens. Tel eft le précis du troifième
éloge , dans lequel l'Auteur rapporte avec
exactitude les faits qui ont donné matière
à un éloge auffi complet.
Dom Defchamps , Religieux Bénédictin
, a enfuite lu un mémoire hiftorique
fur les Rois d'Auvergne.
Le haut degré de puiffance & de richeſſes
que les hiftoriens accordent au premier
Roi des Auvergnats , dont ils font mention
, induit l'Auteur de ce mémoire à
penfer que cette monarchie étoit dés -lors
MAR S. 1765. 727
ancienne & floriffante depuis bien des
fiècles. La fucceffion immédiate des deux
premiers Rois lui a fait croire qu'elle étoit
héréditaire ; mais il avoue lui- même que
fon fentiment n'eft qu'une conjecture fondée
fur un raifonnement folide , il eft
vrai , mais deftitué des preuves effentielles
à l'hiftoire.
Lucrius eft le premier Roi connu des
Auvergnats , encore l'hiftoire ne parle de
lui qu'à l'occafion de fes richeffes immenfes
& de fa magnifique libéralité .
Bituit fon fils lui fuccéda ; le règne de
celui - ci a concouru avec le temps où Sexus
dompta les Salluviens peuple de la
Gaule Tranfalpine , c'eft-à- dire à l'an de
Rome 629 ; avant J. C. 122 .
L'union de Bituit avec les Allobroges
contre les Romains , les batailles qu'il
livra à Domitius , & enfuite à Fabius ,
qu'il perdit toutes deux , & qui le réduifirent
à demander la paix à fes vainqueurs ;
la trahifon de Domitius , qui viola les
droits les plus facrés pour le faire prifonnier
, & l'injuftice du Sénat Romain qui
ferma les yeux fur la conduite de fon
Général , pour conferver fa proie ; l'enlevement
de Congentiat , fils de Bituit ; le
triomphe de Fabius , où Bituit parut dans
fon char de bataille qui étoit d'argent ,
Fiv
118 MERCURE DE FRANCE.
& la mort obfcure de ce Roi dans la ville
d'Albe , font les événemens de ce règne.
Le filence des Auteurs depuis la prife
de Bituit en 631 , jufques à la proclamation
deVercingentorixen 700, fuppofe un interrègne
de 69 ans , que l'Auteur fe croit ſuffifamment
autorifé par les hiftoriens à
remplir par des Gouverneurs que les Arverniens
fe choifirent pour fubftituer à leurs
Rois qui étoient prifonniers.
L'opinion de M. Rollin , qui dit que
Congentiat , après avoir reçu parmi les
Romains une éducation digne de fa naiffance
, fut renvoyé dans le royaume de
fes pères , où il cultiva l'amitié qu'il avoit
vouée aux oppreffeurs de fa patrie ; cette
opinion paroît oppofée au fyftême de l'Auteur
, ou du moins à un interrègne auffi
lon. Dom Déchamps la rapporte avec
fidélité , & reconnoît de quel poids doit
paroître aux critiques le fentiment de
M. Rollin ; mais il avoue en même temps
qu'il lui a été impoffible de découvrir für
quelle autorité cet hiftorien refpectable a
avancé ce fait. Ces mêmes fources pourroient
, dit l'Auteur , jetter de grandes
lumières fur la fuite de nos Rois d'Auvergne.
Les Auvergnats , malgré leur défaite ,
n'avoient point été réduits en Province
MARS 1765. 129
Romaine , ils ne changerent rien à l'ordre
de leur gouvernement , ils ne furent fou
mis à aucun tribut. Ils n'avoient pris aucune
part à la premiere expédition de
Céfar dans lesGaules contre les Helvétiens;
mais ils étoient unis aux Séquanois , &
avoient attiré Ariovifte , Roi des Germains,
dans leur parti pour difputer aux Eduens
la fouveraineté des Gaules , lorfque l'affemblée
générale de la nation prit la dangereufe
réfolution d'implorer le fecours de
Céfar contre Ariovifte , qui d'allié étoit
devenu oppreffeur.
"
Céfar vainquit Arioviste , en délivra les
Gaules , & devint à fon tour onéreux aux
peuples qu'il avoit protégés : il regarda déformais
leur pays comme affujéti aux faifceaux
romains , & fes légions prirent par
fes ordres des quartiers d'hiver dans les
Gaules. Il fubjugua fucceffivement les
Belges , les Celtes , & prefque tous les
Gaulois ; mais les troubles de l'Italie l'ayant
rappellé , les Gaulois , qui ne portoient le
joug qu'avec impatience , recoururent à
leur liberté.
En Auvergne Vercingentorix, fils de Cerltille
, occupoit alors , felon l'Auteur de
cette differtation , la place de Gouverneur,
: dont fon père avoit été deftitué & enfuite
mis à mort pour avoir affecté la royauté. સે
F v
130 MERCURE DE FRANCE .
C
Il profita de fon crédit & de fes talens
pour faire foulever les Arvernes malgré les
confeils de Gobanition fon oncle , & l'oppofition
des grands , & fut proclamé Roi
dans Gergovie. Il forma une ligue puiffante
, dont les premiers efforts rappellerent
promptement Céfar dans les Gaules.
L'Auteur , en retraçant les travaux militaires
de Vercingentorix , décrit les campagnes
de Céfar dans la feconde expédition.
Elles font trop connues pour nous y arrêter;
mais il y a des points de difcuffion entre
les hiftoriens , qui méritent de fixer l'attention.
Le premier eft le paffage de l'Allier par
Céfar lorfqu'il entra en Auvergne pour
affiéger Gergovie après l'affaut des Avarienni
( Bourges ) le fecond , la fituation
de Gergovie : le troiſieme , la poſition de
Nemoffus , caput Arvernorum , rapportée
par Strabon.
Dom Defchamps reconnoît l'ancienne
Gergovie dans la montagne fituée à une
petite lieuë au fud de Clermont , laquelle
en porte encore le nom ; la defcription que
donné Cefar de cette ville , la colline qu'on
appelle actuellement Monrogeon laquelle
y eft caractériſée de manière à ne
pas s'y tromper ; les titres anciens qui ont
confervé le nom du territoire ; l'opinion
د
MARS 1765 . 131
du plus grand nombre des Auteurs ; les
témoignages enfin de la fouille qui a été
faite fur cette montagne par la Société
déterminent fuffifamment l'Auteur de cette
differtation à prendre ce parti .
Il fixe enfuite le paffage de l'Allier par
Céfar à Vichi , & trouve dans la diſtance
du lieu du paffage à Gergovie l'applica
tion du quintis caftris , qui embarraſſoit
jufques ici les hiftoriens .
Quant à la ville Nemoffus dont parle
Strabon,qu'il place fur la Loire , Ligerim ,
& qu'il dit être la capitale des Arverniens ,
caput eorum Nemoffus eft ipfi impofita flumini
: elle ne peut être confondue avec
la ville des Auvergnats , Gergoviam urbem
Arvernorum , que le même Strabon dit
avoir été affiégée par Céfar , & que Céfar
dit être le long de l'Allier,fecundùmflumen
Claver. Defchamps aime mieux ne pas
accorder à caput l'indication d'une capitale
, que de mettre la capitale des Arverniens
fur la Loire ; il croit qu'on doit
entendre par- là que Nemoffus étoit la premiere
ville d'Auvergne dans cette partie,
ce qui eft très-poffible , le Vellai faifant
pour lors , même au rapport de Strabon ,
partie du territoire de l'Auvergne.
Le fiége d'Alize par Céfar , la capitulation
de cette place , & la perte de la liberté
#
F vj
132 MERCURE DE FRANCE .
de Vercingentorix , terminent l'hiftoire des
Rois d'Auvergne ; car , dit l'Auteur , depuis
cette époque l'Auvergne , dépendante
des Romains , fut gouvernée par des Prêteurs
, & enfuite par des Comtes , jufqu'à
ce qu'elle fut cédée aux Vifigoths lors de
la décadence de l'Empire.
Le R. P. Sauvade , Religieux Minime ,
a fait lecture d'un mémoire fur l'obfervation
qu'il a faite de l'éclipfe de foleil du
premier Avril 1764.
Après une expofition fommaire de la
théorie des éclipfes , du calcul par lequel
on parvient à prédire ces conjonctions , à
en fixer l'étendue & la durée , & de la
méthode ufitée pour la détermination du
champ que doit remplir une éclipfe , l'Auteur
annonce qu'il avoit entrepris de faire
la carte de l'éclipfe de foleil du premier
Avril 1764 , mais qu'ayant appris qu'une
Dame favante avoit rempli une partie de
cet objet , il avoit trop préfumé de fon
travail pour ne pas abandonner le fien,
&
Il paffe enfuite au détail & réſultat de
fon obfervation faite en préfence de plufieurs
Membres de la Société .
Le commencement de l'éclipfe a échappé ,
parce que l'obfervateur , qui ne l'attendoit
qu'au temps pour lequel elle étoit annoncée
, a été furpris d'y trouver à neuf
MARS 1765 . 133
-
heures douze minutes , temps vrai , plus
d'un doigt d'éclipfé.
Le pallage du limbe occidental de la
lune par le centre du foleil a été obfervé
à onze heures fix minutes quarante-huit
fecondes. La fin de l'éclipfe à 12 heures
trois minutes quarante-quatre fecondes.
La totalité à paru excéder dix doigts :
l'éclipfe n'a pas été annulaire , elle a fuivi
l'hémisphère méridional du foleil.
L'Auteur continue fon mémoire par des
inftructions fur les corrections néceffaires
dans toute obfervation aftronomique ; celle
du temps eft une des principales. Après
avoir donné des idées claires & précifes
fur le temps vrai & le temps moyen ,
& des méthodes pour régler un pendule
& en comparer les mouvemens , il rend
compte des précautions qu'il a prifes luimême
pour ss'affurer de la pendule qui a
fervi à cette obfervation.
Deux obfervations terminent le mémoire
du P. Sauvade. 1 ° . Mme le Paute donnoit
le commencement de l'éclipfe à Paris ›à
9 heures 11 minutes , & la fin à 12 heures 11
minutes. La pofition de Clermont étant
plus orientale que celle de Paris , l'éclipfe
devoit y commencer & y finir plus tard ;
cependant elle a commencé & fini plus tôt.
"Concluons , dit l'Auteur , que la théorie
+
134 MERCURE DE FRANCE .
des éclipfes s'eft ici trouvée en défaut ; que
quelques- uns des élémens qui entrent dans
ces calculs ne font pas encore parfaitement
connus , ce qui doit piquer les . Aftronomes
d'une nouvelle émulation .
2º. C'eſt par un jugement trop précipité
qu'on a menacé les peuples d'une nuit
en plein jour , l'éclipfe n'ayant été prédite
ni totale niannulaire ; dût - elle même être
annulaire , le cercle lumineux qui refte
fuffiroit pour diffiper les ténebres.
La féance a été terminée par une differtation
fur le lieu où étoit placée une ancienne
fortereffe dont il eft parlé dans Grégoire de
Tours , fous le nom de Caftrum Victoriacum.
On lit dans Grégoire de Tours , lib. 3 ,
n. 14 , que Munderic ayant voulu fe faire
reconnoître pour Roi en l'abfence de Théodoric
, ce Prince fe mit à la tête d'une armée
pour réduire le rebelle , qui fe retira
dans l'enceinte ( Caftri Victoriaci ) , où il
fut affiégé. Les Auteurs qui ont écrit fur
cette partie de l'hiftoire , ont varié ſur la
pofition de ce château ; les uns , comme
Mezeray , l'ont placé à Vitry en Champagne
; d'autres à Vitrac près de Riom ;
MM. Savaron & Audigier ont cru que la
tour qui domine au milieu de Vieille-
Brioude , eſt un veftige de cet ancien châMARS
1765. 133
teau. Quelques- uns le placent àSaint- Ilpife,
à deux lieues au-deffus de Brioude . M.
l'abbé Leboeuf a cru récemment le reconnoître
dans Brioude même.
M. l'abbé Martinon , à qui la pofition
géographique de cette ancienne fortereffe a
paru intéreffante pour l'hiftoire de la province,
a cru,d'après les recherches les plus multipliées
, pouvoir la fixer à un quart de lieue
de Brioude , dans un endroit où eft actuellement
conftruit le monaftère des Religieux
Minimes de S. Ferréol. Tel eft l'objet
de cette differtation.
Les preuves de l'Auteur font prifes dans
Grégoire de Tours , qui dit que le Comte
Victorius , envoyé en Auvergne en qualité
de Gouverneur par Eorie ou Evarix ,
Roi des Gots , y bâtit un château , dont
on voyoit les fouterreins qui communiquent
à l'églife de S. Jullien de Brioude .
D'un diplôme de l'an 825 , donné en
faveur de Beranger par Louis le Débonnaire
, à la charge de rétablir l'égliſe de
S. Jullien in vico Boivatenfi non procul à
Caftro Victoriaco , & où il paroît que Berenger
conftruifit une églife & fonda un
chapitre in Caftro Victoriaco ; de différens
autres titres & carthulaires confervés dans
les archives du Chapitre de Brioude , dans
lefquels le territoire où eft actuellement
136 MERCURE DE FRANCE.
frué le monaftère de S. Ferréol, eft appellé
Locus Victoriacus ; & enfin de l'infpection
même des lieux , qui contient des veftiges
d'un gros château & des fouterreins qui
ont pu communiquer à l'églife de S. Jullien
de Brioude avant fa réconftruction
par Guillaume le Pieux après les ravages
des Normands.
Les Auteurs de la Gallia Chriftiana font
du même fentiment que M. Martinon ſur
l'emplacement du Caftrum Victoriacum ;
mais ils prétendent que ce lieu avoit été
ainfi nommé à caufe des victoires qu'y a
remportées S. Jullien en y recevant la couronne
du martyre. Cette étymologie paroît
bien moins vraisemblable que celle
M. Martinon tire du nom du Comte
Victorius.
que
SUJET du Prix de l'Académie des Sciences,
Arts & Belles- Lettres de DIJON , pour
l'année 1766. Donner un TRAITÉ ÉLÉ-
MENTAIRE DE MORALE à l'ufage des
Colléges , où les Devoirs de l'Homme
envers la Société , & les Principes de
l'Honneur & de la Vertu foient développés.
L'ACADÉMIE ne fixe aucunes bornes à
l'étendue des ouvrages ; les Auteurs apMARS
1765 . 137
puieront leurs principes d'autorités tirées
des meilleurs Moraliftes , tant anciens que
modernes , dont ils citeront les textes à la
marge ils ne fe feront connoître ni directement
ni indirectement , à peine d'être
exclus du concours ; mais ils écriront leur
nom dans un billet cacheté , fur lequel
ils infcriront la même devife qui fera à
la tête de leurs ouvrages. Ces mémoires ,
francs de port, feront adreffés à M. Maret ,
Docteur en Médecine , Secrétaire perpétuel
de l'Académie , rue S. Jean à Dijon
qui ne les recevra que jufqu'au premier
Avril 1766 inclufivement ; ceux qui feront
envoyés , paffé ce temps , feront rejettés
.
Le prix propofé eft une médaille d'or
de la valeur de 300 livres , portant l'empreinte
des armes du Fondateur de l'Académie
.
138 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE IV.
BEAUX ARTS.
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE .
REMARQUES fur la découverte des cataracles
fecondaires.
MOMSIEUR Hoin , Chirurgien d'une réputation
diſtinguée à Dijon , a communiqué
à l'Académie Royale de Chirurgie, dont il
eft affocié , des obfervations fur une eſpèce
de cataracte qu'il avoit nouvellement obfervée
, & qu'il appelle fecondaire. C'eſt
une cataracte membraneufe , formée après
l'abbaiffement de la cataracte la plus ordinaire
, qu'on fait être produite par l'opacité
du cristallin . L'Académie Royale
de Chirurgie a accueilli la differmtion de
M. Hoin , & elle eft imprimée dans le
tome fecond de fes mémoires.
Le Mercure de France du mois de Décembre
dernier contient l'extrait de la
féance publique de l'Académie des Sciences
, Arts & Belles - Lettres de Dijon , te-
1
MARS 1765. 139
nue le 18 Décembre 1763. M. Hoin y a
lu un effai hiftorique fur les différentes
opinions concernant la nature de la cataracte
; & en rappellant ce qu'il a donné
à l'Académie de Chirurgie fur la cataracte
membraneufe fecondaire , il dit
( page 146 ) que l'Académie Royale de
Chirurgie lui fit l'honneur de la publier ;
& M. Benomont celui de la révendiquer ,
quoique fon obfervation faite en 1732 ne
foit pas encore imprimée actuellement.
Sur quel fondement M. Hoin prétendil
que M. Benomont a révendiqué fur lui
la nouvelle eſpèce de cataracte nommée
fecondaire ? Il eſt vrai que M. Benomont
l'a obfervée en 1732 , vingt ans avant que
M. Hoin en eût parlé : ce fait eft dans la
nature , & M. Benoment en l'obfervant
n'ôte rien à ceux qui l'ont apperçue depuis
lui . La voie par laquelle M. Hoin a été
inftruit que M. Benomont avoit réellement
fait cette obfervation , fembloit exiger
qu'il en parlât différemment. Il n'en a
connoiffance que par les mémoires mêmes
de l'Académie de Chirurgie . On lit en
effet dans un rapport de MM . Morand &
Verdier fur plufieurs opérations de cataractes
, inféré dans le même volume où
l'on a admis la differtation de M. Hoin ;
que les Commiffaires , à l'infpection d'un
140 MERCURE DE FRANCE.
ail opéré un mois auparavant par l'extraction
du criſtallin , avoient eu une preuve
bien précife de la cataracte fecondaire ,
fur laquelle l'Académie a une differtation
de M. Hoin , & dont M. Benomont avoit
donné le premier un exemple en 1732 dans,
des yeux difféqués à l'Académie même.
On voit par cet expofé que c'eft l'Académie
même dont M. Hoin fe loue pour
la juftice rendue à fes obfervations , qui
rappelle ce que M. Benomont l'avoit mis
à portée de voir dès l'année 1732. M. Be-¯
nomont n'a donc point révendiqué la cataracte
membraneufe fecondaire , comme
M. Hoin le dit avec une efpèce de mécontentement
, qu'on paroît vouloir juftifier
parce que l'obfervation n'eft pas encore
imprimée actuellement.
Mais fur un fait fi fimple l'énonciation
feule ne fuffit - elle pas ? L'Académie publie
rarement des faits ifolés , à moins
qu'ils n'aient une utilité particulière,
L'obfervation de M. Benomont a fans
doute paru mériter une confirmation
qu'on ne devoit attendre que des occafions
affez rares de voir des faits femblables ,
M. Hoin a donné fes remarques fur ce
fujet. L'Académie les a rendu publiques
dans fes mémoires , & elle s'eft contentée
de faire mention de ce qu'un de fes
MARS 1765. 141
*
anciens Membres lui en avoit fait connoître
précédemment. De plus grands détails
auroient été fuperflus , & M. Hoin
auroit pu fentir que l'Académie , en les
fupprimant , vouloit lui laiffer plus entiérement
l'honneur de la découverte , dans
laquelle il n'a pu être en effet guidé par
l'obfervation de M. Benomont , qu'il ne
connoiffoit pas. Ainfi ni M. Benomont ,
ni l'Académie , qui a cité fon obfervation ,
ne diminuent rien du mérite des recherches
de M. Hoin.
Mais comme il paroît qu'une plus ample
difcuffion devient néceffaire pour ne laiffer
aucun doute fur la vérité du fait , M.
Benomont a prié qu'on compulfât les regiftres
de l'Académie , afin de conftater
Ta priorité de la découverte , & de détruire
tous les foupçons qui pourroient
refterfur ce point d'après les expreffions de
M.. Hoin . M. Benomont fe rappelle que le
fujet de fon obfervation avoit été opéré
des deux yeux par feu M. Dupetit , de
l'Académie Royale des Sciences , & que
le fuccès n'avoit pas été complet , la
fonne n'ayant recouvré la vue que d'un
peril.
Quelques années après , à la mort de
cet homme , M. Benomont obtint des parens
l'examen de fes yeux , qui ont été
préfentés à l'Académie Royale de Chirur142
MERCURE DE FRANCE .
>
gie le 18 Mars , & portés le lendemain
matin au château des Thuilleries , à l'appartement
de M. de la Peyronie , qui
avoit affifté la veille à la féance de l'Académie
, & devant qui ils furent ouverts en
préſence des Commiffaires nommés pour
affifter à cette diffection . Elle fut faite
avec foin & l'on derriere la apperçut
prunelle , fur le corps vitré de l'un de ces
yeux , une pellicule opaque ; & le criſtallin
abattu s'eft trouvé au- deffous du corps
vitré. Voilà bien la cataracte membraneufe
fecondaire , qui devoit être fort fréquente
avant la perfection où l'extraction
du cristallin a porté l'opération de la cataracte
; parce que l'action de l'aiguille dans
l'abaiffement , devoit faire fur la partie
antérieure du corps vitré des impreffions
d'où devoient réfulter le froiffement &
l'inflammation de la membrane , dont il
faut que la tranfparence fe conferve pour
le fuccès de l'opération.
EXTRAITS des Regiflres de l'Académie
Royale de Chirurgie , du 18 Mars 1732,
M. DE LA PEYRONIE préfidant.
MM . Petit le pere , Ledran , Morand
Cofte , Vergier, d'Argeat , Pibrac & Benomont
ont été nommés pour examiner
MARS 1765 . 143
deux yeux ôtés d'un cadavre , auxquels
on avoit fait la cataracte deux ans auparavant.
Du 17 Avril 1732 , M. DE LA PEYRONIE
préfidant.
M. Benomont a fait la premiere lecture
d'un mémoire fur deux cataractes , examinées
après la mort par l'anatomie des
deux yeux malades.
Du 29 Avril 1732. M. MARÉCHAL
préfidant.
M. Benomont a fait la feconde lecture
de fon obfervation fur les cataractes.
Je certifie les préfens extraits conformes
à ce qui eft portéfur les regiftres de l'Académie
Royale de Chirurgie : & l'expédition
en a été délivrée à M. Benomont , pour
conftater publiquement fon obfervation fur
la cataracte membraneufe fecondaire. A
Paris , le 14 Janvier 1765. Signé, Louis
Secrétaire perpétuel de l'Académie Royale
de Chirurgie.
و
144 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. DEJEAN , Maître en Chirurgie
de Paris.
J'ai lu , Monfieur , avec la plus grande
:
fatisfaction , votre traité fur les defcentes ;
les préceptes qu'il renferme me paroiffent
dictés d'après les vraies connoiffances &
une faine expérience. Je ne crois pas qu'on
puiffe ajouter à la premiere partie de cet
ouvrage , mais je ne penfe pas de même
fur la feconde il me femble qu'elle eft
très-fufceptible d'augmentation . Permettez
donc que je vous engage à ne point
perdre de vue ce que vous avez fi bien
commencé , foit pour mettre les Chirur
giens éloignés plus en état de fe familiarifer
dans les connoiffances de ces maladies
, foit auffi afin que les particuliers
puiffent acquérir affez de lumières pour fe
procurereux-mêmes quelques fecours .
L'humanité & l'efprit de patriotiſme
ayant été votre principal but , je ne
doute pas que vous ne vous rendiez volontiers
à mes follicitations. Le Mercure ,
& une infinité d'autres Journaux , vous
offrent à cet égard toutes les facilités .
Il faudroit y inférer toutes vos obfervations
MARS 1765 : 145
tions qui auront quelques particularités . Il
feroit à fouhaiter qu'elles fuffent affez
nombreuſes , & differtées de façon qu'elles
puiffent , conjointemeut avec les préceptes
contenus dans votre ouvrage , fervir de
règles invariables dans tous les cas de hernies
, avec étranglement.
S'il eft avantageux pour l'humanité que
vous ne laiffiez rien ignorer fur la nature
de ces maladies , il n'eft pas moins intéreffant
que vous rendiez publics vos fuccès
, & fur-tout que vous faffiez connoître
les circonftances où ils n'ont eu lieu que
par rapport à votre manière de traiter , en સે
renvoyant en même temps à l'endroit de
votre ouvrage où vous en avez établi les
principes.
Il feroit également très-utile , dans les
cas où vous auriez été obligé de vous
éloigner de quelques points de vos pré
ceptes , d'en expofer les raiſons.
Si vous invitiez les gens de l'art à vous
communiquer tout ce qu'ils auroient vu
de particulier dans ces maladies , & à
vous faire part de leurs réflexions , ce feroit
une occaſion pour vous d'éclaircir de
plus en plus la matière. Outre que vous
avez déjà fait le plus épineux , votre pratique
journalière vous fournit d'ailleurs
G
46 MERCURE DE FRANCE.
tant de faits rares , qu'on ne fauroit trop
vous engager à continuer un travail fi falutaire.
J'ai l'honneur d'être , &c.
De Gien le 10 Septembre 1764.
ISABEAU , Maître en Chirurgie,
MARS 1765 . 147
1
ARTS AGRÉABLES.
MUSIQUE.
LE 15 Janvier 1765 le Concert , les
"
Amateurs & tous les Muficiens de la
ville d'Orléans , réunis , formant un corps
nombreux de mufique , ont fait célébrer
un Service pour l'illuftre RAMEAU dans
l'Eglife des Dames Religieufes de la Vifitation
de cette ville. On a exécuté la
Meffe de Gilles , la pofe Dies ira , de la
compofition de M. Girouft , Maître de
mufique de la Cathédrale ( 1 ) . Les Connoiffeurs
ont été vivement affectés du
choeur Tuba mirum , de celui Confutatis
maledictis & du petit choeur de deffus
( 1 ) Ce jeune Compofiteur fécond & laborieux
eft connu par des Motets qui ont été exécutés
plufieurs fois au Concert Spirituel , & particuliè-.
rement par celui Exaudi Deus orationem meam ;
donné pour la troiſieme fois le jour de la Pentecôte
dernière 1764 , que M. Rameau entendit &
qu'il trouva bon ; l'éloge qu'il voulut bien en faire
en préſence de plufieurs perfonnes ne doit laiſſer
aucun doute ni paroître fufpect fur le talent de
l'Auteur , qu'il n'a jamais connu que par les
ouvrages .
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
Voca me cum benedictis , du quatuor Lacrimofa
dies illa , & du Pie Jefu , finiffant
par une tenue finale dans le bas fur la dernière
fyllable du mot requiem à l'uniffon
de toutes les voix & de toute la fymphonie
, dont l'effet fembloit préfenter aux
yeux , de la façon la plus fenfible & la
plus pathétique , l'inftant de la perte du
grand homme qui en étoit l'objet , & qui
fera éternellement honneur à la nation
dans l'Europe entière .
Le Service a fini par leDeprofundis , dont
les verfets ont été remplis par des morceaux
choifis & extraits des ouvrages de mufique
les plus diftingués de M. RAMEAU par un
Amateur. Le Public a paru très - fatisfait
de toute cette mufique & de fa bonne
exécution , ainsi que de la décence & de
l'ordre qu'on a obfervés à ce Service , auquel
il n'a manqué qu'une églife plus étendue.
On ne pouvoit d'ailleurs en choisir
une plus claire , plus propre pour le coup
d'oeil , & plus favorable à la mufique.
MOTETS de M. Girouft , Maître de
Mufique de la Cathédrale d'Orléans
exécutés au Concertſpirituel.
1762. Le 25 Mars. Magnus Dominus ;
redonné le Dimanche des Rameaux fuiyant,
MARS 1765 : 149
1763. Le 8 Décembre. Lauda Jerufalem
, redonné depuis.

1764. Dans la femaine fainte. Exaudi
Deus orationem meam redonné deux
fois , & depuis une troifiéme le jour de
la Pentecôte 1764. C'eft ce dernier que
M. RAMEAU a entendu , & dont il a porté
un jugement très -avantageux.
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V.
SPECTACLES.
SUITE des Spectacles de la Cour ,
A VERSAILLES.
LE Mardi 22 Janvier les Comédiens
Italiens jouerent Arlequin & Scapin voleurs
par amour , comédie italienne en trois
actes , qui fut fuivie d'Annette & Lubin ,
opéra-comique de la Demoiſelle FAVART
& d'un Anonyme.
Le Mercredi 23 les Comédiens François
repréfenterent Amour pour amour
comédie en trois actes & en vers de feu
M. DE LA CHAUSSÉE , avec trois intermedes
exécutés par les Sujets de la Mufique
du Roi & de l'Académie Royale.
Les Acteurs de la comédie étoient ,
Affan , Fée fous la forme d'un Génie , la
Demoiſelle Huss ; Azeg , Génie , le fieur
PRÉVILLE. Azor , le fieur MoLÉ. Zémire ,
la Demoifelle DOLIGNI . Nadine , la Demoiſelle
FANIER. Comme il n'y a point
MARS 1765. ISÚ
d'autre intermede dans ce drame que la
fête de la fin , on a fort ingénieufement
choifi des momens marqués dans l'action
de la comédie qui fourniffent des fujets
favorables à la danfe & au chant ; au
moyen de quoi ces intermedes font trèsbien
liés au poëme , & en deviennent parties.
La chaffe eft le premier. Le fonge de
Zulime , mis en action , forme le fecond
& une fête des habitans de la campagne
le troifiéme. Dans le premier intermede
le fieur LE GROS & la Demeifelle LARRIVÉE
chantoient en chaffeur, & en chaffereffe
. Le fieur DAUBERVAL danfoit feul
dans le même caractère. A l'intermede
des fonges chantoit la Demoiſelle DUBOIS,
& le fieur GARDEL , fous la forme du Ge
nie , danfoit le pas feul. Dans la fête des
habitans de la campagne , le fieur & la
Demoiselle LARRIVÉE chantoient ; & le
fieur GARDEL , la Demoiſelle GUIMARD ,
& c. exécutoient différentes entrées du
ballet qui terminoit ce fpectacle , & duquel
la Cour a paru très- fatisfaite. Le choix
des morceaux de mufique pour le chant &
pour la danfe , étoit on ne peut pas plus
agréable & mieux adapté aux divers caractères
de ces intermedes. Cet arrangement ,
fait avec beaucoup de goût & de lumières
, eft l'ouvrage de M. REBEL , Surin-
Giv
152
MERCURE DE FRANCE.
2

tendant de la Mufique , en fémeftre.
Le Jeudi 24 les Comédiens François
repréfenterent Rhadamifte & Zenobie
tragédie de CRÉBILLON. Le fieur MARSSAN
, débutant , duquel on a parlé dans
les précédens Mercures , jouoit le rôle de
Pharafmane.
Pour perite piéce , après la tragédie ,
on donna l'Esprit de contradiction , comédie
en un acte & en profe de feu M.
DU FRESNY , dans laquelle le fieur MARSSAN
jona le rôle de Lucas.
Le Mardi 29 , par les Italiens la Cantatrice
, piéce italienne , & PEcole de la
Jeuneffe , comédie nouvelle en trois actes ,
mêlée d'ariettes ; paroles de M. ANSEAUME
; mufique de M. DUNI.
?
Le Mercredi 30 on exécuta deux actes
dopéra ; en premier lieu , l'acte du feu
du ballet des élémens , repréfenté tel que
la première fois , à l'exception du rôle de
l'Amour , chanté par la Demoifelle LARRIVÉE
. Cet acte fut fuivi de celui des
Incas , poëme de feu M. FUZELIER , mufique
de RAMEAU . Le fieur GELIN chanta
le rôle de Huafcar-Inca. Le fieur LE GROS
Dom Carlos , Officier Efpagnol. Le fieur
LEVEQUE , de la Mufique du Roi , Linca ,
confident de Huafcar. Le rôle de Phani-
Patla fut exécuté par la Demoiſelle DuMARS
1765. 153
BOIS , avec une diftinction du côté du
chant & de l'action , qui lui concilia généralement
tous les fuffrages.
Dans les ballets des Péruviens & Péruviennes
, la Demoiſelle ALLARD danfoit
les pas feuls. Le fieur CAMPIONI & la
Demoiſelle GUIMARD des pas de deux &
autres .
Le 31 les Comédiens François repréfenterent
Alzire , tragédie de M. DE VOLTAIRE
, dans laquelle le fieur FROMENT
TIN , fils du fieur BLAINVILLE , jouoit
pour fon début le rôle de Zamor.
La tragédie fut fuivie du Colin Maillard
, comédie en un acte en profe du feu
fieur DANCOURT .
Le Mardi 3 Février les Comédiens
François jouerent pour la première piéce
le Philofophe marié , comédie en`s actes
& en vers de feu M. DESTOUCHES , dans
laquelle le rôle d'Arifte étoit joué par le
feur GRANDVAL,
Pour feconde pièce , le Medecin malgré
lui , comédie en un acte en profe de Mo-
LIERE , dans laquelle le fieur PRÉVILLE
jouoit le rôle de Sganarelle.
>
Le Mercredi 6 Février les Comédiens
Italiens jouerent Arlequin valet étourdi
comédie italienne , fuivie des Troqueurs ,
opéra-comique.
Gv
154 MERCURE DE FRANCE .
Le Jeudi 7 , par les Comédiens Fran
çois , Dom Sanche d'Aragon , tragi - comé
die , fuivie de l'Indiferet , comédie en un
acte & en vers de M. DE VOLTAIRE .
Le 12 , par les mêmes Comédiens ,
P'Efprit Follet , comédie en 5 actes & en
vers du feu fieur HAUTEROCHE , fuivie de
la Nouveauté , comédie en un acte & en
profe du feu fieur LE GRAND.
Le 13 les Comédiens Italiens jouerent
le Roi & le Fermier , comédie en trois
actes , mêlée d'ariettes , fuivie des Amours
de Baftien & de Baftienne , parodie du
Devin du Village.
Le Samedi 16 la Mufique du Roi &
l'Académie Royale exécuterent le prologue
de Indes galantes & les Sauvages
poëmes de feu M. FUZELIER , mufique de
RAMEAU. La Demoiſelle LARRIVÉE chantoit
le rôle d'Hébé dans le prologue , & le
fieur DURAND celui de Bellone. Les fieurs
DAUBERVAL , CAMPIONI , & c. les Demoifelles
GUIMARD & PESLIN , danfoient
dans les entrées du ballet. Dans les Sauvages
, le rôle de Damon , Officier Franfut
exécuté le fieur LE Gros ;
çois > par
L'Officier Efpagnol , par le fieur Du-
RAND. Zima , par la Demoiſelle LARFIVÉE
, & Adario par le fieur LARRIYEE
MARS 1765 . 155
Le fieur GARDEL , la Demoiselle Ar
LARD , le fieur CAMPIONI & la Demoifelle
GUIMARD , exécutoient les principales
entrées des Sauvages & des François.
Le 19 les Comédiens Italiens repréfenterent
Soliman , ou les Sultanes , comédie
en trois actes de M. FAVART. Le fieur
LE JEUNE jouoit le rôle de Soliman . Le:
fieur CHAMPVILLE , Ofmin , &c. La Demoiſelle
FAVART , Roxelane. La Demoifelle
BOGNIOLI , Elmire. La Demoiſelle
DESGLANDS , Delia.
Cette piéce fut fuivie du couronnemant
de Roxelane , ballet de la compofition
du fieur PITROT , dans les intervalles
duquel chantoit le fieur CAILLOT em
Muphti.
25
Le 21 les Comédiens François repréfenterent
le Siége de Calais , tragédie nouvelle
de M. DU BELLOY . Le fuccès de cette :
célebre nouveauté ne fut pas moins vif à
la Cour qu'il l'eft à la ville. Nous ne nous
étendrons pas ici fur cette pièce , parce
que nous en rendrons compte dans l'article
de Paris. Elle fut fuivie du Babillard .
comédie en un acte & en vers de feu M.
DE BOISSY , dans laquelle le fieur BELLECOUR
jouoit le rôle de Léandre.
Le Samedi 23 on exécuta l'acte des In
*
C.vj.
156 MERCURE DE FRANCE.
cas & celui des Sauvages , tels qu'ils
avoient été précédemment repréfentés ,
excepté le rôle de Fanni dans le premier
de ces actes , qui fut rempli par la Demoiſelle
LARRIVÉE , une indifpofition
ayant empêché de chanter la Demoiſelle
DUBOIS.
La fuite au Mercure prochain.
SPECTACLES DE PARIS.
O
OPERA.
N a continué Armide les Dimanches
& Vendredis , & les Talens lyriques les
Mardis & Jeudis une partie du mois de
Février. La Demoiſelle DUBOIS a chanté
le rôle d'Armide , toujours avec de nouveaux
fuccès , jufques & compris la dernière
repréſentation .
J Le 22 on a repris Caftor & Pollux
poeme de M. BERNARD , mufique de
RAMEAU. Peu de reprifes auffi récentes
ont un auffi grand fuccès que celle - ci . Il
femble que le Public fignale fes regrets fur
la mort de l'illuftre RAMEAU , par fes applaudiffemens
& par le nombreux con-
1
MARS 1765. 159
cours des fpectateurs : mais indépendamment
des fublimes beautés de la mufique
de cet opéra , on trouve à cette reprife
plufieurs motifs d'une nouvelle fatisfaction
& du plaifir le plus vif.
Mademoiſelle ARNOULD , abfente depuis
long- temps du théâtre , mais dont le
Public , toujours ému , toujours attendi
lorfqu'elle joue , ne perd point le fouvenir,
a été reçue dans le rôle de Telaire avec ce
fentiment vif que mérite & qu'infpire le
talent de l'expreffion .
On a vu avec une eſpèce de tranfport, dans
le rôle de Caftor, la confirmation des progrès
rapides de M. LE GROS . La beatité de fa
voix , les traits les plus fatisfaifans dans
l'expreffion & dans le jeu , ont mis dans
le jour le plus favorable tous les avantages
du chant & de l'action de ce beau
rôle.
La Demoiſelle DUBOIS n'ayant pu, par
indifpofition , chanter le rôle de Phabe,
elle y a été remplacée par la Demoifelle
DURANCI. Un rhume confidérable étouffoit
, à la première repréfentation , prefqu'entiérement
la voix de ce jeune Sujet
, dont nous avons parlé précédemment
à l'occafion du rôle de Clorinde dans Tancrede.
Malgré cet accident , le talent de
cette Actrice pour le jeu & pour les dé158
MERCURE DE FRANCE.
tails de l'expreffion , lui ont fait trouver
grace auprès du Public , & cela n'a porté
aucun préjudice aux fuffrages généralement
accordés à la perfection de toutes les
parties du fpectacle dans cette repriſe .
Les ballets ont fait un plaifir tout nouveau.
On a été enchanté de revoir l'entrée
des Jeux & le Combat des Gladiateurs
tel qu'il avoit été exécuté à la Cour , c'eſtà-
dire , foutenu , animé par le feu du talent
de M. DAUBERVAL . Les entrées de
Démons ſemblent augmentées de nouveaux
moyens qui font honneur au génie de M.
LAVAL fils , & qui achevent de donner à
ce tableau une force qui ne ceffe d'arracher
des applaudiffemens continuels. M.
GARDEL , Sujet rare par l'acquit du talent
dans unâge où les feules efpérances feroient
un mérite , fe diftingue avec éclat dans
les entrées , où il remplace M. VESTRIS .
Une jeune & nouvelle danfeuſe ( Mademoiſelle
ROBE ) , qui exécute des pas.
feuls dans cet opéra , y reçoit l'accueil le
plus agréable. La figure & l'élégance de la
taille lui vaudroient feules peut -être cet
avantage , fans le talent que , pour le mériter
, elle ajoute à fes grâces . Nous ne parlons
point de la vivacité & du plaifir que
donne celui de Mademoiſelle ALLARD.
Nous nommerions prèfque tous les Sujets
MARS 1765. IST
de l'Opéra , en continuant de détailler.
tout ceux qui concourent à fa grande réuffite.
Nous ferions une injuftice manifeſte
aux Directeurs de ce Spectacle , fi nous
n'ajoutions que de très-grands foins de
leur part , des recherches du meilleur goût ,
même quelques légères , mais heureuſes
innovations dans les diverfes parties de
l'exécution , viennent de faire d'un des
plus beaux ouvrages de RAMEAU , un
opéra tout nouveau , & dont l'impreffion
eft plus fortement fentie qu'à aucune de
fes précédentes repriſes.
On continue les Talens lyriques les Jeu
dis feulement..
COMÉDIE FRANÇOISE.
Monfieur FROMENTIN , jeune Acteur
dontnous avons annoncé le début dans le
précédent Mercure , l'a continuépar le rôle
d'Achille dans Iphigénie , par celui d'Orofmane
dans Zaïre , &c. Il joue le rôle
d'Aurele dans le Siége de Calais.
Cette tragèdie , de M. DU BELLOY , fut
donnée pour la première fois le 13 Février.
Dès ce jour elle fut applaudie avec enthoufiafme
, & le plus grand fuccès déci
160 MERCURE DE FRANCE.
dé fans contradiction . L'Auteur fut demandé
avec tant de tranfport , & fi conftamment
, qu'il fut contraint enfin à paroître
& à recevoir les applaudiffemens les
plus univerfels de toutes les places de la
falle , ce qui eft arrivé avec encore plus de
chaleur aux repréfentations fuivantes , jufqu'à
ce que fa modeſtie , toujours trompée
jufques-là , l'ait forcé à s'abfenter de
la Comédie . Jamais ( ou du moins depuis
très- long- temps , ) empreffement n'a été
égal à celui avec lequel on fe porte aux
repréſentations de cette tragédie. Nonfeulement
les places qui peuvent être retenues
le font jufqu'à la clôture du théâtre ;
les autres font remplies de fi bonne heure ,
& avec tant de foule , qu'il y a chaque
jour des flots du public dans la rue de la
Comédie , comme au parterre dans les plus
nombreuſes affemblées. Cette nouvelle
production de M. DE BELLOY lui fait d'autant
plus d'honneur , que la Nation femble
l'avoir adoptée pour fa propre gloire.
Les principaux Acteurs , Mademoiſelle
CLAIRON , MM. BRIZART , LE KAIN &
MOLÉ concourent chacun , & partagent en
quelque forte aux applaudiffemens toujours
renouvellés de la part des fpectateurs .
Ce dernier entr'autres , M. MOLÉ , a cu
F'agrémentplufieurs fois , dans les premiè
MARS 1765.
161
res repréſentations , après les applaudiffemens
donnés à l'annonce de la pièce , de
les entendre redoubler , & plufieurs voix
s'écrier , en s'adreffant à lui, c'est pour vous.
Le feu de l'expreffion avec lequel cet Acteur
rend les fcènes intéreffantes de fon rôle
lui a mérité ce témoignage flatteur de lá
fatisfaction du Public.
Nous avons annoncé fimplement dans
l'article des Spectacles une repréfentation
de cette piécè à la Cour. Elle y a été redemandée
par le ROI une feconde fois , &
SA MAJESTÉ , pour donner un témoignage
éclatant de fa fatisfaction à l'Auteur , en
permettant que l'édition lui en foit dédiée
, l'a honoré d'une médaille d'or du
grand coin , & d'une gratification de mille
ecus.
Nous croyons ne pouvoir en ce mo→
ment offrir à nos Lecteurs rien de plus intéreffant
que l'extrait de ce célebre ouvrage.
162 MERCURE DE FRANCE .
EXTRAIT du SIEGE DE CALAIS , on
LE PATRIOTISME , Tragédie , par
M. DE BELLOY. Repréfentée pour la
premiere fois par les Comédiens François
ordinaires du Roi , le 13 Février
1765 .
PERSONNAGES.'
EDOUARD III , Roi d'Angleterre
.
GODEFROI DE HARCOURT, l'un
des Généraux de l'armée
Angloife.
ALIENOR , fille du Comte de'-
Vienne Gouverneur de
Calais.
MAUNY , Chevalier Anglois.
LE COMTE DE MELUN , Chevalier
François .
EUSTACHE DE ST. PIERRE
Maire de Calais .
'AURELE , fon fils.
AMBLÉTUSE , autre Bourgeois
de Calais.
Un Officier Anglois.
Troupe de Chevaliers Anglois.
Troupe de Bourgeois de Calais.
Un Hérault d'Armes.
Gardes d'Edouard.
ACTEURS
M. LE KAIN
M. MOLÉ.
Mlle CLAIRON.
M. DAU BERV ALM.
DUBOIS.
M. BRIZ ART.
M. FROMENTIN.
M. PAULIN.
M. LAMERY
MARS 1765. 167
LA SCENE EST A CALAIS.
Les trois premiers Actes fe paffent dans
ta falle du Palais du Gouverneur ; le qua
trieme dans une prifon , fouterrain de ce
Palais ; le cinquieme dans la même falle
ou fe font paffés les trois premiers.
AVERTISSEMENT SUR CET EXTRAIT .
DAANS le nombre des ouvrages dramatiques
dont nous avons à rendre compte ,
il ne s'en trouve que trop auxquels les
bornes de l'extrait procurent un moyen
officieux de dérober à la lecture des occafions
d'ennui qu'on n'a pas épargné aux
fpectateurs. Tout le contraire fe rencontre
dans la pièce que nous entreprenons aujourd'hui
d'analyfer. Notre embarras s'accroît
chaque fois que nous revoyons le
Siége de Calais. Plus nous examinons cette
tragédie , plus nous appercevons n'en pouvoir
fupprimer un feul vers , fans enlever
à l'Auteur un nouveau motif d'éloges , &
au Lecteur une nouvelle fource de plaifir.
Nous fentons fort bien que c'eft un grand
tableau , intéreffant dans toutes fes parties ,
que nous avons à réduire dans un petit
efpace , & que les foibles traits que nous
pouvons en offrir , reftraints & privés du
164 MERCURE DE FRANCE.
coloris , vont lui faire perdre beaucoup de
fon énergie : mais c'eft un devoir que nous
prefcrit la jufte curiofité de nos lecteurs
éloignés du théâtre , par état ou par la diftance
des lieux. Les priverions- nous de la
connoiffance , quelque foible qu'elle puifle
être , d'un ouvrage qu'une réputation fi
bien méritée a déja annoncé avec éclat
dans toute la France ? Priverions-nous nos
faftes dramatiques d'un monument auffi
précieux à la gloire littéraire & patriotique
de la Nation ? Quel François ne fera pas
empreffé à fe le procurer en entier , quand
la piece fera imprimée ? M. DE BELLOI
alors fera dédommagé des pertes que va lui
coûter notre infuffifance ( 1 ) ?
ACTE I.
Euſtache de Saint - Pierre , Maire de
Calais , & Amblétufe , citoyen de la même
ville ouvrent la fcène . Le premier
gémit de voir leur courage enchaîné par
des foins paifibles au centre de la ville
tandis que le Gouverneur ( le Comte de
2
( 1 ) Cette piece paroîtra inceffamment impri
mée chez Duchefne , rue St Jacques , au temple
du goût.
MARS 1765. 165
Vienne) ,s'expofe au- dehors aux plus grands
dangers. Il est allé s'oppofer aux diverfes
attaques que font les affiégeans pour partager
les forces des affiégés. Le généreux
Saint-Pierre voudroit mêler fon fang à celui
qui eft verfé pour la défenfe de fa patrie.
Amblétufe cherche à confoler fes regrets ,
en lui rappellant les vertus de fon fils. Ce
fils , l'honneur de fes vieux ans , combat
pour fon pays. Son zèle & fon courage ont
déja eu d'heureux fuccès. Pourquoi , ajoute
Amblétufe , ce jour ne favoriferoit- il pas
fes glorieufes intentions ?
Quel bonheur , fi ce jour couronnant nos travaux,
Joignoit fon nom vainqueur , au nom de nos
Héros ,
S'il obtenoit ce prix , le plus flatteur peut- être ,
Le plus cher aux François , l'eftime de fon
Maître.
Un preffentiment fecret empêche Saint-
Pierre de fe livrer à cet eſpoir.
AMBLÉTUSE à Saint- Pierre.
Quoi ! vous douteriez du fort de ce combat ?
SAINT - PIERRE .
J'efpere tout , ami , des defbins de l'Etat.
Malheur aux nations , qui cédant à l'orage ,
Laiffent par les revers avilir leur
courage ,
266 MERCURE DE FRANCE.
N'ofent braver le fort qui vient les opprimer ,
Et pour dernier affront ceffent de s'eftimer ( 1 ) .
De notre espoir encor rien ne tarit les fources.
C'eſt par les grands malheurs qu'on apprend les
refſources.
Je pourrai dans ce jour périr avec mon fils
Mais ma mort peut fervir au bien de mon pays
Et fi nos citoyens tiennent tous ce langage ,
Du falut de l'Etat c'eft le plus fûr préſage .
>
Il doute que l'on puiffe introduire dans
la ville le fecours que le ROI conduit en
perfonne. Le camp des Anglois eft devenu,
par fon étendue & par fes fortifications.
ume autre ville plus confidérable que Calais
même. Ce camp fépare le ROI du
Comte de Vienne. Comment fejoindre ?
Comment concerter les attaques ? D'ailleurs
, fi le
courage & les vertus de Louis
de Harcourt , reſté fidéle à ſon Roi & à
fon pays , font de quelques fecours aux
François , tous fes efforts cedent aux talens
tranfcendans de fon frère Godefroi de Harcourt
, que des brigues de Cour , des mécontentemens
, un exil , ont enlevé au
fervice de France. Le defir de la vengeance
*
(1) La maxime contenue dans ce peu de vers doit
être gravée dans le coeur & dans la mémoire de four
homme qui n'a pas encore facrifié le véritable honneur
à l'orgueil de l'efprit & le fentiment du vrai aux trom
peufes lumières d'une fauffe philofophie .
MARS 1765. 167
a égaré fa jeuneffe : il eft devenu l'ennemile
plus redoutable de fa patrie , & l'auteur
de tous les fuccès des Anglois. Rien
ne lui réfifte. La valeur intrépide de la
Nation eft accablée fous l'effort de fon
génie.
Pour les yeux pénétrans ( dit Saint- Pierre ) l'art
n'a plus de fecrets :
La France doit fa perte aux talens d'un François.
Tels font les trop juftes fondemens des
alarmes de Saint- Pierre, ce qui amene avec
chaleur & intérêt l'expofition de l'état où
fe trouve la ville de Calais , affiégée depuis
un an , éprouvant tous les fléaux de la
guerre , & réduite , comme on voit , aux
dernières extrêmités , au moment où commence
l'action de la piéce . A tant d'avantages
qui favorisent les Anglois , il s'en
joint un, fous lequel ont fuccombé d'abord
les forces & la valeur de toutes les nations
de la terre. C'eſt le premier ufage du canon
, dont l'invention alors étoit toute
nouvelle , & la pratique ignorée des François.
Le Maire décrit ainfi ces formidables
machines.
Et que peut déſormais tout l'effort d'un grand
coeur ,
Contre les noirs volcans de l'airain deftructeur
168 MERCURE DE FRANCE.

Qui femble renfermer le dépôt du tonnerres
Et dont le feul Anglois effraye encor la terre :
Mais qui des nations réglant bientôt le fort ,
Dans le monde étendra l'empire de la mort ;
Monument infernal d'un fiècle d'ignorance ,
Où l'art de fe détruire eft la feule fcience ?
On n'entend plus le redoutable bruit
de ces nouveaux foudres . Ce filence annonce
avec effroi à Saint-Pierre la fin dn
combat. Il ne voit point fur la tour le
fignal convenu dans le cas de quelqu'avantage
fur l'ennemi. Il compte tout perdu ,
& fon fils tué . Cette idée lui arrache un
moment des larmes.
Il est mort ! & mes pleurs .... que fais -je ? ô mon
pays !
Quandje t'aurai fauvé , je pleurerai mon fils.
Amour de la patrie ! ô pure & vive flame !
Toi , mère des vertus , toi l'âme de mon âme
Kallume dans mon fein tes tranſports généreux ,
Que mes pleurs paternels foient féchés par tes
feux ;
C'est mon pays , mon Roi , la France qui m'appelle
,
Et non le fang d'un fils qui dut mourir pour elle
Amblétufe quitte le Maire pour aller
fur les ramparts apprendre les fuites
du
MARS 1765. 169
fuites du combat. La fille du Comte de
Vienne , l'intrépide Aliénor , a dû tout
voir du haut des murailles. Elle vient en
pleurs , foutenue par fes femmes. Son état
annonce affez à Saint- Pierre la défaite qu'il
craignoit. Son récit la confirme , & en détaille
les circonftances. Le ROI , le Comte
de Vienne & Louis d'Harcourt ont attaqué
vivement , chacun de leur côté , le camp
anglois. Les Soldats François fe font préfentés
en bon ordre , ont combattu avec un
courage incroyable. Ils ont foutenu avec
intrépidité l'effet terrible d'une batterie
mafquée , rrès-bien décrite dans ce récit :
rien n'a pu réfifter à l'effort du canon
tout a été renverfé ; tout a été confondu .
Aliénor a vu périr Louis d'Harcourt. On
dit le ROI bleffé , & le Comte deVienne
s'eft rendu au fils d'Edouard. Saint- Pierre
interroge Aliénor fur le fort de fon fils.
Elle l'a vu retirer , malgré lui , du combat
bleffé au bras , & perdant beaucoup de
fang entre les bras des foldats qui le por-.
tent. Saint-Pierre s'écrie.....
Il reſpire ! & ſon fang a coulé pour la France ;
Double faveur des cieux qui ſe répand ſur moi ,
J'ai donc un fils encore à donner à mon Roi !
Saint-Pierre veut aller recueillir les débris
de l'armée françoife. C'eſt un foin qu'Au
H
170 MERCURE DE FRANCE.
rele , fon fils , a déja pris . Aliénor eft allar
mée du fort de fon père. Edouard veut
faire valoir de prétendus droits par fa mère
fur le royaume de France. Il traite Philippe
de Valois d'ufurpateur. Elle craint
qu'il n'en ufe envers fon père comme envers
un Sujet rebelle , & qu'il ne le puniſſe
en conféquence. Saint-Pierre cherche à la
raffurer , en lui faifant entendre que les
intérêts d'Edouard même , pour faire réuffir
fes prétentions , font de ne fe pas aliéner
l'efprit des François. Ce font ces prétentions
d'Edouard qu'il ne faut pas perdre
de vue pendant toute la marche de ce
drame ,,
parce que ce font elles qui occafionnent
& prétextent la conduite barbare
de ce Monarque , entretiennent le péril
éminent qui menace les jours des perfonnages
intéreſſans de la tragédie. Saint- Pierre
fait entrevoir à Aliénor un puiffant appui
pour fon père dans le jeune Harcourt, (Godefroi
) à qui elle étoit deſtinée : mais elle
rejette avec horreur les fecours d'un traître
à fon Roi légitime , qui défole fa patrie.
Elle rougit de l'amour qu'elle avoit conçu
pour lui dans un temps où il étoit digne
d'elle. Amblétufe précéde & annonce le
fils du Maire , qu'on amene bleffé . Il a
repouffé Mauny , l'un des Généraux Anglois
, affuré la retraite des affiégeans échapMARS
1765: 171
pés au carnage. Son père le reçoit avec
tranfport , en le félicitant du fang qu'il a
verfé. Aurele fe flatte d'en conſerver affez
pour vendre cher le refte. Sa foibleffe cependant
le contraint de s'affeoir ; continuant
de parler à fon père , qui le baigne
de fes pleurs .....
Que ne puis-je en triomphe expirer dans vos bras !
Vous montrer ces remparts fauvés par mon trépas;
Donner en vrais François , à mon heure dernière ,
Mon fang à ma patrie & mes pleurs à mon père !
Il apprend à Aliénor qu'il a été bleffé
en defendant Harcourt . ( Louis ) Il a
reconnu le guerrier qui lui donnoit la
mort ; c'étoit fon frère ( Godefroi. )
Dans cet inftant fatal , ( ajoute- il ) , ils ſe ſont vus
tous deux ;
Jugez file mourant eft le plas malheureux.
Les chefs du peuple viennent confulter
avec le Maire . Celui- ci exhorte Aliénor
à les aider de fes confeils.
Rendez-leur votre père en gouvernant leur zèle .
Que votre fexe en vous ait toujours un modèle.
Souverain des François il peut tout fur leurs coeursa
C'est lui qui fait fouvent leur gloire ou leurs malheurs
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
Et lorsque les vertus font un droit pour lui plaire ,
En aimant la patrie il nous la rend plus chère, &c.
Saint-Pierre , après avoir rappellé à l'affemblée
tous les efforts inutiles des Anglois
depuis plus d'unan , la courageufe
défenſe des affiégeans , leur patience héroïque
contre les dangers & contre une
horrible famine , plus affreufe que la mort
même , ne cache pas que le moment funefte
de fe rendre eft arrivé. Sa vertu s'y
réfoudroit fi Edouard ne prétendoit à un
ferment criminel de leur part contre la
fidélité due à leur légitime maître.
Il prétend recevoir les conquêtes nouvelles
En Prince qui pardonne à des Sujets rébelles.
Vous ne donnerez point à nos triſtes Etats
Cet exemple honteux ... qu'ils n'imiteroient pas.
Vous mourrez pour le Roi , pour qui nous
vivions tous.
Choififfez le trépas le plus digne de vous 5
Je vous laiffe l'honneur de tracer la carrière ,
Content que ma vertu s'y montre la première.
Aliénor développe aux citoyens la propofition
du Maire & les exhorte à mettre
le feu à la ville , qu'on ne peut plus défendre
, plutôt que de rifquer d'éprouver
tous les maux que prépare la furie du vainqueur,
MARS 1765.
173
Qu'Edouard n'ait conquis dans une année entière
Qu'un ftérile monceau de cendre & de pouffière.
Elle defire qu'Harcourt meute de honte ,
& que fon père la pleure en l'admirant .
Enfin , ( pourfuit- elle ) , qu'au fein des feux qui
vont nous dévorer ,
Où notre gloire encor va fe voir épurer ,
Nous puiffions dire au moins , que fans changer
de maître ,
Ceffant d'être François , Calais a ceffé d'être.
Aurele adopte ce projet avec tranſport.
· La France, ( dit -il) , nous contemple,
Et fon fort déformais dépend de notre exemple.
L'Anglois nous enviera nos fépulcres de flâme.
Si d'une foible argile il affranchit fon âme ,
S'il brave la nature , & l'ofe furmonter ;
Notre amour pour nos Rois peut auffi la dompter.
Courons. ·
L'idée de voir dévorer fon père par le
feu le rètient. Il veut courir le premier fe
plonger dans les flammes. Saint-Pierre l'ar
rête il fait part à fes concitoyens d'un
projet qui peut les fauver tous ; c'eft de déclarer
à l'Anglois la réfolution de mettre
la ville en cendres ; de lui offrir d'y renon-
:
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
cer , de lui livrer la ville & toutes les richeffes
qu'elle contient , s'il veut les laiffer
partir avec leurs femmes & leurs enfans
pour aller rejoindre leur Souverain légitime
.
Eh qu'importe à Philippes en fes nobles projes
De perdre des remparts s'il garde ſes ſujets.
Il invite fes braves compatriotes à abandonner
pour le Roi leurs biens , leur patrie.
Qu'il remette en leurs mains fes places
les moins fûres :
Et qu'en nous y trouvant les Anglois rebutés
Reconnoiffent Calais dans toutes nos cités.
Il députe Amblétufe pour aller propofer
ce traité au conquérant , tandis qu'il fe
difpofe à annoncer au peuple l'efpoir du
fuccès qu'il en attend.
ACTE II
Le Comte d'Harcourt , dévoré de remords
, des maux qu'il a caufés à fa patrie ,
des pleurs qu'il a fait verfer à Aliénor , la
fait avertir par un Officier , fans le nommer
, pour lui parler de la
part d'Edouard
& la raffurer fur le fort de fon père. Elle
MARS 1765 175
vient , & fans appercevoir d'abord fon
amant , elle veut exprimer fa reconnoiffance
des honneurs que lui défere le Roi
d'Angleterre. Elle approche : elle le reconnoît
& s'écrie pathétiquement....
· • Ah , grand dieu ! c'eſt Harcourt '
Il fe jette à fes pieds : il veut lui peindre
tout fon défefpoir. Elle l'interrompt ...
Obéis à ton Roi ; parle-moi de mon père.
HARCOURT.
Edouard vous promet de refpecter fes jours ,
ALIEN OR avec joie .
Ah ! je peux donc cefler d'entendre tes difcours .
Adieu . · & c.
Harcourt la retient, & , mettant la main
fur fon épée , protefte de s'arracher le jour
fi elle refufe de l'entendre ; à quoi elle répond
avec un courroux froid :
Ce crime te manquoit pour les couronner tous.
Malheureux ! meurs encor fans réparer ta vie.
Il veut la réparer : il détefte l'erreur qui
le féduifit. Il fe regarde comme l'opprobre
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
de fa maifon , dont il a flétri le nom. Su
quoi Aliénor l'interrompant :
Le nom d'Harcourt flétri ! lâche , ôfes-tu le croire?
Va , le nom des héros par un traître porté
N'arrive pas moins pur à l'immortalité , &c.
Aliénor lui reproche avec la plus grande
énergie toutes les fuites de fa perfidie . Elle
infifte fur la mort & fur l'éloge de fon
frère . Ce trait déchire l'ame d'Harcourt.
Il fe rappelle avec horreur fa funefte défertion.
Son projet n'étoit , dit- il , que de
rentrer vainqueur dans fa patrie :
Ah ! de fes fils abfens la France eſt plus chérie.
Plus je vis d'étrangers , plus j'aimai ma patrie.
Dans toute cette fcène , très - intéreffante
, le Comte d'Harcourt déplore fon
frère , peint avec chaleur toute la force
de fes remords. Il veut combattre pour fa
patrie. Aliénor un moment fe livre à cette
Hatteufe idée. Elle lui rendra tous les droits
qu'il avoit fur fon coeur , s'il veut délivrer
Calais mais bientôt elle fe reprend :
Vaine erreur ! fonge de l'efpérance !
Malgré la vivacité du retour du Comte
d'Harcourt , qui fe propofe d'aller fe remettre
fousles drapeaux de la France, il ne
MARS 1765. 177
peut trahir Edouard. Il ne peut tourner fes
bienfaits contre ce Monarque , qu'il convient
avoir engagé dans cette guerre ,
contre l'aveu de fon Sénat. Les citoyens de
Calais s'avancent. Ils accompagnent le
brave Mauny , qui vient apporter la réponſe
d'Edouard. Ce Prince , continuant
de regarder les Calaifiens comme des Sujets
rebelles , veut donner un exemple effrayant
à tous les François. Il dédaigne le
peuple il confent à fa retraite ; mais il
vient de condamner au glaive des Bourreaux
, continue Mauny en parlant aux
bourgeois ,
Six de vos Citoyens qu'il faut m'abandonner.
Qu'en partant de ces murs votre choix me les
livre :
Allez , c'eft à ce prix qu'il vous permet de vivre.
Amblétufe , Aliénor, Saint- Pierre, Harcourt
même , font indignés & accablés de
cette cruauté. L'impétueux fils du Maire
frémit qu'on ofe propofer à des François
de livrer eux-mêmes à la mort leurs frères .
leurs pères , leurs enfans .....Il revient à
l'avis de mettre Calais en cendres & de:
périr fous fe ruines. En finiffant , iladreffeàMauny
les vers ſuivans :
Qu'aux yeux de l'avenir la place où fut Calais
Confacre nos vertus , attefte vos forfaits ,
1
H. v
178 MERCURE DE FRANCE,
Et foit le monument le plus brillant , peut- être
Que l'amour des François ait offert à leur maître,
Les Citoyens veulent fe retirer : Harcourt
les arrête & fe propofe d'employer.
auprès d'Edouard tout ce que fes fervices
lui ont acquis & mérité de crédit , pour
l'engager à révoquer cet ordre barbare . S'il
ne peut y parvenir , il veut mêler fon fang
à celui des fix victimes.
Mon coeur ( s'adreſſant à Aliénor ) , en vous perdant
, regrettera la vie ;
Mais mon dernier regret fera pour ma patrie .
Il part pour achever fa promeffe . Mauny
alors ouvre fon ame aux perfonnages
de la fcène. Il gémit plus qu'eux- mêmes
des fureurs de fon maître . Toute la Cour
d'Edouard a le même fentiment : elle a
fait de vains efforts pour le calmer. Il
craint que ceux du Comte d'Harcourt
n'ayent le même fort : il craint qu'il ne fe
perde en voulant fauver fes compatriotes.
Amblétufe propofe un parti de défefpoir.
Il veut que tous les Calaifiens , par un dernier
effort , courent fe précipiter dans le
camp des Anglois , & , certains d'être accablés
par le nombre , vendent au moins
bien cher leur perte par celles de leurs enMARS
1765 . 179
:
nemis. Le zéle & le courage d'Aliénor
vont plus loin elle fe promet d'armer
toutes les femmes , & , des mêmes flambeaux
dont on embrafera Calais , d'aller
brûler le camp ennemi . Le fage & courageux
Saint-Pierre s'écrie :
François , où courrez- vous ? quel tranſport vous
égare ?
Lhéroïsme en vos coeurs ne peut être barbare.
Il combat les avis que le feu du dépit
& le défefpoir viennent d'infpirer. Irat-
on, dit-il, faire perdre un peuple entier à la
France , lorfque le facrifice de fix d'entre
eux peut le conferver .
Je lens , ( pourfuit-il ) , qu'avec juſtice on craint
l'ignominie
De livrer des François à qui l'honneur nous lie :
Mais pour fuir cette honte il eft un choix permis :
Je livre le premier . . . . moi- même.
AURELE vivement.
Et votre fils ?
SAINT - PIERRE .
Oui , tu dois partager la gloire de ton père.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
AURELE f jettant à fes pieds.
Grand dieu ! qu'en ce moment ma naiſſance m'eſt
chère.
Pour avoir une jufte idée de l'effet que
produit ce moment , il faut avoir vu la
fcène au théâtre , & jouir de l'impreffion
que fait le talent de l'Acteur chargé du
rôle de Saint -Pierre ( M. BRIZART.)
Amblétufe fe jette aux pieds de Saint-
Pierre pénétré de vénération & de regrets.
Puis , s'adréffant à Mauny :
Seigneur , je vois qu'ici les plus braves mortels
Aux yeux de votre Roi font les plus criminels :
Ce font eux les premiers que fa haine menace ;
Après ces deux Héros il a marqué ma place.
MAUNY à part , les larmes aux yeux.
Dieu ! que ne fuis - je né dans les murs de Calais.
ALIENOR le furprenant.
Citoyens , jouiffez des pleurs de cet Anglois :
Plus faite à vos vertus , en paix , je les contemples
Mais leur plus digne éloge eft d'en fuivre l'exemple.
Cui.
MARS 1765. 181
Saint-Pierre l'arrête vivement, enlui repréfentant
la diftinction des féxes.
Ceux qui le fer en main défendoient ce rempart
Ont tous droit avant vous aux rigueurs d'Edouard-
Il remet fon épée à Mauny. L'âge , ditil
, alloit la lui rendre inutile. Pouvoit-il
la quitter dans un plus beau moment.
Aurele fon fils rend auffi la fienne .
La France ( lui dit cepère ) , attendoit plus du tien
(fonglaive ) mon cher Aurele ;
Mais tu vécus affez , puiſque tu meurs pour elle.
Amblétufe remet fon épée à un Ecuyer
de Mauny. Tous les Chefs des Citoyens
mettent la main à la leur pour en faire
autant.
Que vois-je , mes amis dit Saint - Pierre ) à ce
concours jaloux ,
Il ſemble qu'au triomphe on vous appelle tous !
Mais il ne manque plus ici que trois victimes ,
Et le reste du peuple a des droits légitimes .
Venez , à votre gloire il faut qu'il foit admis.
Vos débats généreux au fort feront remis.
En confacrant trois noms , fur tous il va répendre
L'eſpoir d'un fi beau choix & l'honneur d'y prétendre.
Ce choix fait, tout le refte des Citoyens
fe rendra vers le Roi.
182 MERCURE DE FRANCE.
Adieu ( à Alienor ) , voyez mon maître , & qu'il
foit informé
Comment il fut fervi , combien il eſt aimé.
Mauny preferit à Aliénor de la part
d'Edouard de l'attendre dans Calais. Il lui
fait entendre que fes foins pourroient obtenir
la grace des dévoués . Elle promet à
Saint-Pierre , qu'elle nomme à jufte titre
Nouveau Décius de ne rien faire
racheter fes jours , que fon ame ne pûr
envier. Sur quoi il lui dit :
ر
pour
Ah ! voilà la vertu qui fied à votre coeur :
Braver plus que la mort en bravant le malheur.
Ainfi fe termine le deuxieme Acte.
ACTE III
EDOUARD accompagné d'Harcourt &
d'un Chevalier Anglois fe félicite d'être
enfin dans Calais. II fe rappelle que c'eft
de ce port qu'un Roi d'Angleterre réunit
l'empire des deux nations : il le regarde
comme l'entrée de fes nouveaux états . If
charge le Chevalier Anglois d'aller porter
au Sénat de Londres la nouvelle dé
fon triomphe. Il renvoye toute fa fuire
& ne garde que le Comte d'Harcourt.
MARS 1765. 183
Après lui avoir témoigné toute fa reconnoiffance
, il lui confie fon amour pour la
France. Forcé de reconnoître les droits de
Valois , il l'avoit été de lui faire hommage
de l'Aquitaine. Il ne diffimule pas
tout le dépit qu'il conçut de l'éclat du
trône françois. Il compare les deux peuples
& le fort de fes Rois . Il connut la France :
il fortoit de fon ifle orageufe , où entretiennent
des querelles perpétuelles , l'intérêt
du trône & celui de la liberté , où le
Roi eft fouvent obligé de raffembler tous
fes foins fur lui- même . Il a vu un Sénat
téméraire , aviliffant le trône , charger fon
père de fers.
Mais ( continue- t- il ) , que vois-je en France ? un
Roi maître fuprême ,
En qui vous révérez la divinité même :
Des grands que fon pouvoir a feul rendu puiffans,
Du bràs qui les foutient appuis reconnoiffans ;
Un peuple doux , fenfible ; ... une famille immenfe
,
A qui le feul amour dicte l'obéiſſance ;
Qui laiffe tous les droits à fon père affervis ,
Sûr qu'il voudra toujours le bonheur de fes fils.
Valois trop fortuné ! quel Roi digne du trône
Ne demande au deftin le peuple qu'il te donne !
Rendre heureux qui nous aime eſt un fi doux
" devoir !
Pour te faire adorer tu n'as qu'à le vouloir,
184 MERCURE DE FRANCE.
Il veut justifier auprès du Comte
d'Harcourt ce qu'il paroît de contradictoire
entre cet amour pour les François
& la cruauté qu'il exerce , par la
prétendue ingratitude d'un peuple qu'il
ne veut conquérir que pour le rendre heu-.
reux. Il a été touché de l'intérêt que prend
Harcourt au fort d'Aliénor. Il borne fa
vengeance aux fix victimes dévouées. Lorfque
que ce François preffe encore fa clémence
il s'en défend en peignant la rage que lui
ont inſpiré les habitans de Calais , dont la
retraite fembloit un triomphe.
Leur joie a confterné mon armée immobile ;
Ils fembloient triompher en fuyant de leur ville..
Un feul tournoit vers elle un regard déſolé :
On lui nomme fon Roi , je le vois conſolé.
Mauny amene devant Edouard Saint-
Pierre , Amblétufe , Aurele & les autres
bourgeois dévoués , chargés de chaînes .
Le Monarque Anglois , s'adreffant à Saint-
Pierre , lui reproche avec fureur que c'eſt
par lui qu'en foumettant Calais il n'y trouve
qu'une vafte folitude , un amas de maifons
fans habitans , & à quoi le Maire répond
avec une noble modération :
Dans Londre à vos vertus tous les coeurs vont
s'offrir.
Valois n'en laiſſe point en France à conquérir,
MARS 1765. 185
Edouard veut favoir quels font les trois
citoyens fur qui le fort est tombé. Saint-
Pierre lui nomme d'Aire & les deux Wif
fant, tous de fa famille.
Edouard eft frappé d'une furpriſe mêlée
d'admiration. Aurele , par la peinture qu'il
lui fait des honneurs & des marques de
rendreffe qu'ils ont reçus dans les adieux
de leurs concitoyens , acheve de l'irriter en
l'étonnant il jure leur perte. Harcourt
reclame fa parole : il lui a laiffé le choix
des récompenfes dues à fes fervices . C'eſt
la vie de ces généreux citoyens qu'il demande.
Il lui déclare fes remords . La perte
de fon frère a défillé fes yeux : il fe regarde
comme fon affaffin , puifqu'il commandoit
dans le combat où il a péri . S'il
n'obtient le prixqu'il follicite, il protefte de
s'exiler lui-même, & aller chercher la mort
dans les guerres de la Paleſtine . Edouard ,
furpris & embarraffé de la chaleur que met
Harcourt à la grace des bourgeois , lui dit
que s'il l'accordoit à fa prière , loin de confentit
à l'exil qu'il médite , il voudroit
par- là enchaîner fes fervices. Sur quoi Saint-
Pierre , vivement à Harcourt :
Ne la méritez pas. Votre noble remord ,
S'il vous rend à mon Roi , paie afſez notre mort.
Edouard fait remener en prifon les
186 MERCURE DE FRANCE.
bourgeois , & ordonne à Mauny de prier
Aliénor de fe rendre auprès de lui . Harcourt
, dans le tranſport où il le voit , répondroit
mal à fes bontés ; c'eft Aliénor
qui doit , felon lui , en réglant les deſtins
d'Harcourt , régler ceux de la France , &
décider du fort des fix bourgeois dévoués
au fupplice. Aliénor paroît. Edouard fait
retirer Harcourt & Mauny. On ne peut
extraire cette fcène fans l'affoiblir. C'eft
dans la pièce qu'il faut la voir & la fuivre
en entier. Tout ce qu'on peut employer .
de féduction , Edouard en fait ufage avec
Aliénor , qui , malgré les intérêts d'un
père fi cher à fon coeur , oppofe de fon
côté tout ce qui peut entrer dans une ame
d'héroïfme , de fermeté & de conftance
dans la fidélité due à fa patrie & à fon
Souverain. Après avoir inutilement flatté
l'amour propre perfonnel d'Aliénor
Edouard tente de la faire céder à l'honneur
, à la gloire de fon féxe , qu'il prétend
outragé par la loi , qui lui interdit
en France la fucceffion au trône . Paffant
de-là à l'application de ce qu'il veut fuppofer
un abus condamnable contre les
droits qu'il tient de fa mère , il preffe
Aliénor par cette interrogation:
-
و
Qui peut d'un droit fi faint me priver déſormais à
Quel autre doit règner fur la France ?
MARS 1765 :
187
ALIÉNOR .
Un François ?
Continuant d'expliquer l'origine de la
Loi Salique , qu'elle rapporte au vou d'un
peuple libre & militaire , qui en fe donnant
à fes premiers maîtres, a voulu prévenir
tout ce qui pourroit faire tomber le
fceptre entre les mains d'un étranger ; elle
trouve dans cette origine le motif refpectable
de la conftitution fondamentale du
royaume , qui , fans outrager fon féxe ,
l'écarte à jamais de l'empire.
C'est de peur que l'himen , qui doit nous engager
,
Ne couronne en nos fils le fils de l'étranger.
Le François , dans fon Prince , aime à trouver
un frère ,
Qui , né fils de l'Etat , en devienne le père.
L'Etat & le Monarque , à nos yeux confondus ,
N'ont jamais divifé nos voeux & nos tributs .
Delà cet amour tendre & cette idolâtrie ,
Qui dans le Souverain adore la patrie .
Sublime paffion d'un peuple impétueux ,
De l'Empire des lys , fondement vertueux ,
Et qui le diftinguant par les plus nobles marques ,
Fait à cent Souverains envier nos Monarques !
Edouard, au commencement de cette
188 MERCURE DE FRANCE.
fcène avoit offert à Aliénor de faire fon
père , le Comte de Vienne , Connétable ;
de donner la Vice -Royauté de France à
Harcourt , & en le lui faifant époufer , de
la rendre une Souveraine égale à lui . A
fes nobles refus il avoit oppofé tout ce
qu'on vient de lire contre la Loi Salique.
VToyant enfin qu'il ne peut vaincre fa réfiftance
, il la menace d'être refponfable de
la vie des fix bourgeois de Calais dévoués
au fupplice. Telle eft à ce dernier effort
de la politique d'Edouard la dernière réponfe
de l'héroïne françoife :
.... Je ne peux changer. Ces braves Citoyens ,
Qui , mourant pour l'Etat , en font les vrais foutiens
,
Savent qu'à leur grand coeur mon âme porte
envie ,
Et ma gloire n'eſt pas la rançon de leur vie.
Plus qu'eux- mêmes , il eſt vrai , leur mort me
fait frémir.
Je verrai leur courage , il pourra
EDOUAR D.
m'affermir.
Vous les immolez donc par votre orgueil barbare?
Gardes , que fans tarder l'échaffaut fe prépare .
Aliénor voit entrer Harcourt avec les
gardes. Elle le preffe de défendre les jours
MARS 1765 . 189
de ces généreux citoyens . Il fait de nouveaux
efforts fur le coeur d'Edouard. Aliénor
menace en quelque forte le Roi d'Angleterre
de leur trouver de nouveaux protecteurs
, pour lefquels il ne fera , plus infléxible.
C'eft dans fon armée que fes
pleurs vont folliciter .
Ses Chefs , ( ajoute- t- elle ) , ne voudront pas que
de votre injuſtice
Le fanglant deshonneur fur leur front rejailliffe
Que l'univers accufe un peuple de Héros ,
D'avilir fa victoire en fervant vos boureaux , &c...
Elle rappelle à Harcourt en fortant la
promeffe qu'il a faite de ne pas furvivre
aux héros de Calais. Edouard furieux &
étonné de tant de conftance , apprend à
Harcourt les offres féduifantes qu'il a
faites à Aliénor. Celui- ci en approuve le
refus , & déclare qu'il n'y a que la grace
du Maire & de fes compagnons qu'il puiffe
accepter , comme un prix digne de fes fervices
, & qui convienne à l'état de fon
ame dévorée par les remords. Il cherche à
intéreffer l'ame du Monarque par le fentiment
de l'honneur. Il lui repréſente ou
qu'il n'eſt plus lui- même , ou qu'il gémira
de la mort de ceux qu'il condamne en
les admirant :
}
190
MERCURE DE FRANCE.
De cet égarement n'oſez-vous revenir ?
Quel faux honneur encor femble vous retenir ?
Seigneur , à tout mortel l'erreur eft excufable ;
Un Prince y peut tomber fans devenir coupable ;
Il l'eft , fi fa fierté refuſe d'en fortir.
Edouard , loin d'être fléchi par Harcourt
, lui reproche fon ingratitude . L'ame
du Comte fe révolte à ce reproche. Quelle
récompenfe a-t- il reçu ? Il veut fauver à
ce Roi de cruelles injuftices. Ecouter fes
prières , ce feroit s'acquitter. Le reproche
d'Edouard autorife Harcourt d'ajouter
qu'il a auprès de lui des droits bien légitimes
fur ceux qu'il veut immoler.
Si je n'avois vaincu dans les champs de Crecy
Auriez-vous une grâce à refuſer ici !
: Ces derniers mots achevent d'irriter
Edouard. Il fort en le menaçant de le
contraindre au repentir. Harcourt fait des
réflexions , qu'il faut lire dans la piéce
même , & dont on ne peut trop admirer
la folide vérité , fur le fort malheureux de
tous ceux qui , abandonnant leur patrie ,
fe confient aux infidieufes carreffes des
Princes étrangers
.
Tremblez , foibles fujets qui trahiffez vos maîtres,
Un Roi punit toujours ceux qu'il a rendu traîtres,
MARS 1765 . 191
Mais c'en eſt fait , allons j'ai décidé mon fort.
Qu'un fi beau défeſpoir éternife ma mort.
Qu'on dife , en apprenant cet effort magnanime ,
Il feroit mort moins grand s'il eût vécu ſans
crime.
ACTE I V.
La fcène eft dans la prifon.
Saint-Pierre s'adreffant à fon fils & aux
autres compagnons de fon fort , fe félicite
avec eux d'être avec tant de gloire dans
un lieu deſtiné aux coupables. Il rend grâce
à dieu , qui avoit laiffé fa naiffance dans
l'obfcurité , d'illuftrer ainfi fa fin. Le zèle
enflammé de fon fils répond impétueufement
au fien . Il yoit en cette occafion
l'échaffaut comme le trône de l'honneur.
Le père , en penfant avec une forte de
tranfport qu'il y va voir confondre le ſang
de ce fils avec celui de toute fa famille ,
ne peut fe défendre d'une réflexion douloureufe
qu'il adreſſe à Amblétuſe.
5
Avois - je , en l'élevant dans l'eſpoir le plus beau ;
Formé tant de vertus pour le fer d'un boureau ?
Mais fe reprenant avec chaleur.
Vous qui me connoiffez , pardonnez ce murmure;
On pleure la victoire en domptant la nature ;
192 MERCURE DE FRANCE.
Jamais un coeur françois ne la peut étouffer ;
Mais il en eft plus grand d'ofer en triompher.
Dans ces combats affreux tout fon fang fe foulève,
Il marche au facrifice ; il frémit ... il s'achève .
Mauny vient dans la prifon , de la part
de tous les chefs de l'armée Angloife , pour
rendre une espèce d'hommage à Saint-
Pierre & à fes compagnons : hommage
qu'ils viendroient tous rendre en perfonne
s'ils ne craignoient d'offenfer leur Roi :
Mais , (dit-il ) , libre en t'admirant comme en jugeant
fon maître ,
Londre va defirer de t'avoir donné l'être .
L'amour des fix habitans de Calais pour
leur
pour pays,
enchante les leur Roi ,
Anglois , dont l'efprit fage & réfléchi
veut qu'une nation fe chériffe elle-même.
Le lien fraternel , ( pourfuit Mauny ) , qui joint
tous les humains
!
و
Se ferre en chaque état par d'autres noeuds plus
faints.
Je fais que , mis au jour , nourri par l'Angleterre
,
Je lui tiens de plus près qu'au reſte de la terre :
Je vois les mêmes noeuds de la France à fes fils ;
Je hais ces coeurs glacés & morts pour leur
pays ,
Qui
MARS 1765 . 193
1
>
Qui voyant fes malheurs dans une paix profonde ,
S'honorent du grand nom deCITOYENS DU MONDE ;
Feignent dans tout climat d'aimer l'humanité
Pour ne la point fervir dans leur propre cité :
Fils ingrats , vils fardeaux du fein qui les fit naître ,
Et dignes du néant par l'oubli de leur être .
Cette eftime des Anglois pour les citoyens
de Calais n'a pas été ftérile . La
Reine , époufe d'Edouard , & fon fils ,
auquel il doit en partie la victoire de
Crécy , ont pris leur défenſe. Mauny laiffe
efpérer que de telles protections ne feront
pas infructueufes.
AURELE avec tranſport àfon père.
Mon père ! ... ah , vous vivrez !
MAUNY.
Après fon noble effort ,
Vivant , il jouira de l'honneur de fa mort.
Aliénor en pleurs vient détruire de fi
douces efpérances. On lui a accordé ce
feul moment pour faire les derniers adieux
aux fix victimes de Calais. Elle a vu dans
la cour du palais l'échaffaut , les haches
toutes prêtes. Harcourt , les yeux égarés , a
évité les fiens. Ni les pleurs de la Reine ,
I
194 MERCURE DE FRANCE.
ni les follicitations du jeune Prince , n'ont
pu fléchir Edouard. Le généreux Mauny ,
que tant de réfiftance indigne , au rifque
de fa difgrace , veut tenter un dernier
effort.
Faifons parler enfin la dure vérité ;
D'un homme & d'un Anglois montrons la liberté,
A SAINT- PIERRE , qui veut l'arrêter.
• Je ne puis rien entendre.
Le danger , quel qu'il foit , eft moins preffant
pour vous.
Il vous couvre de gloire , & la honte eft pour nous,
Aliénor n'efpere rien des efforts de
Mauny. Les Anglois murmurent tout bas
de la fureur de leur Souverain ; mais elle
eft obéie. Ses pleurs , fes refus ont aigri
Edouard. Elle rougit de révéler aux citoyens
à quel prix il avoit mis leur grace.
Saint- Pierre le fait & loue fa courageufe
réfiftance mais il eft inquiet des deftins
du Comte de Vienne. Il preffe fa fille de
l'en informer. Aliénor calme fes alarmes.
Edouard furieux vouloit qu'il pérît avec
les fix victimes. Son fils a été touché par
les pleurs d'Aliénor. Ha ménagé au Comte
de Vienne les moyens de fuir & de fe
rendre auprès de Valois. Il l'informera du
MARS 1765. 195
péril des héros de Calais . On n'ignore pas
le retour paternel de ce Souverain envers
de fideles Sujets. Dût- il céder une Province
, elle ne doute pas qu'il ne mette a
leurs jours le même prix qu'aux fiens.
Saint - Pierre , toujours citoyen , toujours
zélé patriote , s'en alarme.
Inſpire mieux mon maître , ô puiſſance céleſte !
Et défends fa bonté d'un confeil fi funefte .
Partez , oppoſez - vous à ce dangereux foin.
Qu'on permette ina mort , l'Etat en a beſoin.
Une guerre malheureuſe a découragé
la nation. Un fentiment vif exagére toujours
au François le bonheur & les calamités.
Peu accoutumés àde longs revers...
Dans leur dépit amer ils ont enfin penſé
Que le fiécle eft déchu , que leur règne eſt paſſé ;
Mais qu'il s'élève enfin dans cette erreur commune
,
Une âme inébranlable aux coups de l'infortune ,
Digne de nos ayeux & de ces temps fi chers ,
Où les lys floriflans ombrageoient l'univers :
Et vous verrez foudain par-tout ce peuple avide ,
Saifir , fuivre , égaler fon audace intrépide ,
Devenus fes rivaux de fes admirateurs.
Son noble enthouſiaſme embraſera les coeurs.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Indignés d'avoir pu déſeſpérer d'eux- même ;
Ils forceront le fort par leur conftance extrême ;
Et peut- être à l'Etat rendront un plus beau jour ,
Que ces jours qu'il croyoit regretter fans retour.
Voilà les fruits qu'attend de fa mort &
de celle de fa famille ce courageux Maire ,
qu'enflamme un zèle ardent , & qu'éclaire
une fage politique. Amblétufe ajoute à
cette idée l'espoir de réveiller dans les fiécles
à venir le courage des François par la
mémoire de leur action , fi l'état fe trouvoit
dans une fituation fâcheufe . Il fe flatte
que ce fouvenir , que cette noble émulation
, font capables dans tous les temps
de fufciter des grands hommes , jufques
.dans la condition médiocre .
L'admiration de tant de zèle & de tant
de vertus infpire à Aliénor cette fage réflexion
:
Et fouvent , en effet ,
Le fort des Souverains dépend d'un feul fujet .
Harcourt trahit fon Prince , & d'Artois l'abandonne.
Un Maire de Calais raffermit fa couronne !
Quelle leçon pour vous , fuperbes Potentats !
Veillez fur vos Sujets dans le rang le plus bas :
Tel qui ſous l'oppreſſeur loin de vos yeux expire ,
Peut-être quelque jour eût fauvé votre Empire.
MARS 1765. 197
Elle craint que les fureurs d'Edouard
ne préviennent les offres du Roi de France.
En effet , un Officier Anglois , accompagné
de gardes , vient avertir Aliénor qu'Edouard
a figné l'exécrable Arrêt de la
mort des fix bourgeois , & que fi elle ne fe
retire elle va les voir conduire fur l'échaffaut.
C'eft dans la pièce même , c'eft au
théatre qu'il faut voir cette fcène d'adieux ,
ferrée , concife , mais étonnant & déchirant
l'ame par l'héroïfime touchant dont'
elle offre le tableau. Aliénor fe retire .
Saint-Pierre demande à l'Officier s'il faut
le fuivre. Celui - ci lui répond en pleurant,
ainfi que toute fa troupe , qu'il attend l'ordre
fatal. Saint- Pierre entend entrer dans
la prifon. Embraffant alors fes compagnons :
On vient , embraffons- nous.
votre tête.
.... Je marche à
Martyrs de la patrie , allons , la palme eft prêtes
Lorfqu'ils fe difpofent à fortir pour aller
au fupplice , Harcourt paroît & les arrête.
Il leur annonce que le fils du Maire , que
le jeune Aurele eft libre, & peut aller affurer
le Roi qu'Harcourt ne mourra pas fans
lui avoir prouvé fa fidélité . Aurele rejette
cette propofition. Harcourt infifte de la'
part d'Edouard ; un autre s'offre de périr à
I iij
98 MERCURE DE FRANCE.
fa place. Il dit que l'échange eft accepté.
Aurele demande avec fureur :
S'offrant
·
Quel eft celui dont l'injufte vertu ,
pour me fauver......
SAINT - PIERRE.
C'eft Harcourt.
Et le méconnoîs- tu !
Son embarras le décéle. Il en convient..
Ce trait eft des endroits fublimes dont
cette pièce eft remplie , qui font un effet
admirable au théâtre & par la force des
chofes , & par la manière dont les rend
l'Acteur ( M. BRIZART ). Aurele & fon
père fe refufent à ce projet. Harcourt emploie
tout ce que peut fuggérer la véritable
éloquence du coeur pour les y déterminer.
Sa mort lavera fes crimes , au lieu
que le zèle même du Maire lui fait une.
loi de conferver à fon Souverain un Officier
d'une auffi grande efpérance que fon
fils. Il faudroit copier ce morceau , &
pouvoir tranfinettre fur le papier le feu par
lequel M. MOLÉ entraîne , enléve l'ame
du fpectateur dans cette admirable ſcène.
Enfin , après un long débat , Harcourt le
preffant encore :
Malheureux , mais nos jours font le bien de l'Etat..
MARS 1765. 199
AURELE reprend.
Vivez donc en héros , moi je meurs en foldat.
Les befoins de l'Etat demandent un grand homme.
La France vous regarde , & la gloire vous nomme.
Le fage Saint- Pierre calme d'un côté les
tranfports de fon fils , & de l'autre fait envifager
au Comte d'Harcourt que la vivacité
de fes remords l'égare. Répareroit- il en
mourant les maux qu'il a faits à la France ?
Ses jeunes guerriers n'ont plus que l'aveugle
impétuofité du courage. Lui feul , par
une longue étude , par une pratique raifonnée
, a pénétré le grand art des héros .
Il difpofe du fort des combats . Il faut
donc rendre à fa patrie , à fon Roi légitime
, un Sujet fi néceffaire .

Allez ( lui dit - il en finiſſant ) , que mon pays
vous doive fon bonheur.
Je vous mets dans les bras de la France affligée ;
Expirez digne d'elle , après l'avoir vengée.
HARCOURT.
Ah ! peut- elle jamais me confier fon fort?
L'OFFICIER rentre , & s'adreſſant à Harcourt.
Seigneur , l'ordre eft venu , je les mène à la mort.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
7
Harcourt fort furieux en menaçant le
Maire & fon fils qu'avant leur fupplice
ils verront fon trépas. Saint - Pierre lui
adreſſe pour adieu ces derniers mots :
Vivez pourvotre Roi. ….. ( à fon fils ) viens mourir
dans mes bras.
Cette action pathétique termine l'Acte.
La fcène eft
ACTE V.
comme aux trois premiers
Actes , dans la falle du Palais.
EDOUARD a pefé , dit- il à MAUNY , les
réflexions politiques qu'il lui a propofées.
Il les approuve & veut en faire ufage. Il
fent de quelle conféquence il eft pour fes
projets de gagner le peuple. Il voudroit
retenir celui de Calais , & pour cela employer
la clémence . Il veut féduire le Maire,
qu'il confond encore avec ces hommes
d'une condition commune , qui peuvent
être fenfibles à l'attrait des grandeurs. Il
le fait venir en fa préfence. Il traite fon
zèle d'un fanatifme que fa feinte bonté ſe
propofe d'éclairer .
La foibleffe & la mifére ont fait fuccomber
une partie du peuple fur les chemins.
Edouard a fait tranfporter dans fon
1
MARS 1765 . 201
camp ces malheureux , & les y fait foulager.
U promer la vie au Maire s'il veut le
feconder , en engageant ce peuple à retourner
dans fa ville , & à le reconnoître
pour fon Souverain. Il ajoute à cette grace
fon amitié pour lui , celle de fon fils pour
le fien. C'eft aux traités , dit-il , à régler les
maîtres auxquels les particuliers doivent
obéir. Il n'appartient à ces derniers que
de fe foumettre aux temps .
Quels grands fur l'échaffaut te prendront pour
modèle ?
Va , les feuls Rois heureux ont une cour fidèle ;
Et fi je règne enfin , tu n'es dans l'avenir
Qu'un criminel obfcur que la loi doit punir.
Le courage ferme & modefte de Saint->
Pierre dicte fa réponſe. Le bien & la
gloire de fon pays font tout le fruit qu'il
attend du facrifice de fa vie . Si fa patrie
doit fuccomber fous la puiffance du vainqueur
, il lui eft doux que fa mort prévienne
ce moment.
Vos armes cependant ( dit -il ) font loin de les
détruire les loix des François ).
Je le vois par les foins qu'on prend pour me
féduire.
Il ne déguife pas au Monarque Anglois
qu'il pénetre combien il craint Fafcen
E v
202 MERCURE DE FRANCE.
dant de l'honneur du génie françois : mais
fa foibleffe ne le détruiroit pas.
Vos bontés fur les coeurs obtiennent quelqu'em- -
pire ;
Mais le François combat l'ennemi qu'il admire :
Leur valeur va s'accroître encor par vos bienfaits. .
Ils voudront en vainqueurs les rendre à vos fajets.
EDOUAR D.
Mais comptes-tu pour rien la faveur légitime ?...
SAINT - PIERRE
J'aurois votre faveur & prendrois votre eftime..
Eh comptez -vous pour rien la foi pure & facrée -
Qu'à Valois.... votre bouche & la mienne ont
jurée ?
Mon coeur la gardera jufqu'au dernier foupir.
Je n'ai pas comme vous le droit de la trahir.
Dieu ! que la politique avilit la couronne !
Que la probité fimple honoreroit le trône !
Valois de les fermens ne fait point s'affranchir ;
Trompé par les rivaux , eft-ce à lui d'en rougir ? -
Eh comment à mon Roi deviendrois - je infidèle
Quand j'ai devant les yeux fa vertu pour modèle ?
Edouard , que ce difcours irrite , en fe
levant menace Saint-Pierre de lui faire
voir avant fa mort le fupplice cruel de fon
9.4
MARS 1765 .
203
fils , en lui reprochant qu'il en eft le
bourreau.
SAINT- PIERRE tremblant.
O mon fils ! quel moment pour un coeur paternel ..!
Reprenant fa fermeté.
Mais ... tu fouffrirois plus à me voir criminel.
Il déclare vivement à Edouard que
fes
promeffes & fes menaces font vaines ;
qu'il rougit lui - même de voir tout ce
qu'un Monarque met d'induſtrie à corrom →
pre un fujet fidèle , & finit par lui dire ,
Quel mortel de mon fort ne feroit pas jaloux !
Vous me forcez , Seigneur , .. d'être plus grand
que vous.
Edouard les envoie au fupplice . Aliénor
entre précipitamment avec un Hérault du
Roi de France , qui vient , dit-on , pour
la délivrance des prifonniers. Le Hérault
d'Armes remet à Edouard , de la part de
fon maître , un écrit qui contient le cartel
fuivant.
Toi qui t'ofant nommer le vrai Roi des François ,
Dans les flots de leur fang fait chanceler leur
trône ,
Si tu veux épargner les Héros de Calais ,
Je t'offre les moyens d'acquérir ma
couronne°
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
Viens feul , avec moi feul , par un noble combat
Finis tous les malheurs de mes Sujets fidelles :
Notre intérêt n'eft point l'intérêt de l'Etat ;
En dignes Chevaliers terminens nos querelles.
Edouard accepte avec tranfport le cartel ,
ordonne qu'on brife l'échaffaut , qu'on remette
les prifonniers au Hérault , & qu'on
le renvoie à Valois chargé de riches préfens.
I laiffe le choix de l'heure au Roi
de France , & promet de fe rendre auprès
de fon camp. Le Comte de Melun arrive
fur le cri de toute l'armée françoiſe pour
défavouer le projet du Roi ; non pas ,
dit-il , que l'on foit inquiet du fuccès ;
mais pour Valois vainqueur quel fera le
prix ? les François n'en voient que pour
Edouard , c'est ce que lui déclare hautement
Melun.
D'ailleurs , maître de tout ( le Roi ) , l'eſt - il de fa
perfonne ?
Peut- il à d'autres Rois tranfporter fa couronne ? :
Aux mains de l'étranger l'expofer aujourd'hui ?
La loi qui fait le Prince eft au-dellus de lui.
Quand vous immoleriez Philippe & ſes fils même ;
Vainement votre front attend ſon diadême ;
Tout le fang des Capet coulât-il par vos coups ,
Les derniers des François ont des droits avant
Vous.
MARS 1765. 205
Je parle au nom des Grands , du peuple & de
l'armée.
Mes devoirs font remplis...
Le Comte de Melun fort avec le Hérault.
Edouard , dans fa fureur , menace de détruire
la France & les François . Il condamne
de nouveau le Maire & fes compagnons
au glaive des bourreaux . Il retombe
accablé dans un fauteuil . Il donne , il réitere
cet ordre fanguinaire à Mauny qui ,
pénétré d'indignation , après avoir feint de
ne le pas entendre , finit par lui répondre ,
J'ai fuivi vos drapeaux
Pour guider vos foldars , & non pas vos bourréaux.
Seigneur , je vous l'ai dit , & vous devez m'en
croire ;

Plus que votre faveur je chéris votre gloire.
L'Anglois n'eft point efclave en vous devant fa foi,
Vous m'avez confié la gloire de mon Roi.
C'eſt un dépôt facré dont j'aimois à répondre :
Si vous le retirez j'en vais gémir à Londre.
Edouard , toujours encore plus irrité ,
fait fortir Mauny , & donne fes ' ordres
cruels à un Officier. Aliénor ofe alors
menacer Edouard de répondre un jour à
la France de la mort de ce Maire ; vaffal
de cette couronne , lui ou fes defcendans ',
feront dépouillés de l'Aquitaine , leur do206
MERCURE DE FRANCE.
maine patrimonial , pour expier fa rebellion.
Né pour être l'amour de la terre ,
elle lui reproche avec force d'être l'ennemi ,
le perfécuteur de l'humanité. Harcourt furvient
pour apprendre à Edouard que le
Maire & fes braves amis doivent être en
ce moment près du camp de leur Roi.
EDOUARD..
Perfide , ofes-tu bien ? • •
ALIEN OR avec tranfport.
Il eſt digne de moi.
Harcourt confeffe les avoir trompés en
leur faifant dire que le Hérault avoit apporté
leur rançon. Il a fuppléé fi promptement
fes ordres , qu'ils ont précédé
Melun & le Hérault. Les fuffrages de l'armée
angloife fervoient à confirmer leur
erreur.
Entendez- vous ces cris ? ( pourfuit - il ) tous les
coeurs font jaloux
De vanter les vertus que j'annonçois en vous .
Il vient livrer fa vie à Edouard
& raffembler fur lui feul le fupplice qui
leur étoit deftiné . Dans l'excès de fon zèle
il abjure entre les mains d'Aliéno le ferment
que dans fa fureur il avoit prêté au
Monarque Anglois.
MARS 1765 : 2077
E DOUARD à Harcourt.
Traître, qui m'a promis comme au Roi légitime....
ALIÉNOR .
Le parjure eſt vertu quand on promit le crime.
Elle rend fon coeur & fa foi à Harcourt.
Dans ce moment arrivent le Maire , fon
fils & les autres citoyens dévoués . Prêts
d'arriver au camp du Roi de France , ils
ont été joints par Melun , & détrompés
par lui de l'officieufe impofture du Comte
d'Harcourt. Ils reviennent d'eux-mêmes fe
remettre au pouvoir d'Edouard , interdit
par la grandeur de cette action , & par la
noble fermeté du difcours dont Saint-
Pierre l'accompagne
.
· Reprenez vos victimes.
Seigneur , fur mon pays quels que foient vos
projets ,
Vous connoîtrez enfin le maître & les fujets.
Harcourt fe joint à eux pour les accom
pagner au fupplice , qu'il compte partager.
Dans ce terrible inſtant Aurele tremble
pour fon père. Il revient fur fes pas , preffé
par cet amour filial . Il adreffe à Edouard..
cette dernière prière :
208 MERCURE DE FRANCE.
Frappez , épuiſez tout fur moi.
La plus horrible mort me fera la plus chère ;
Mais ... vous avez appris à trembler pour un père.
*
Il fe jette à fes pieds.
Songez au vôtre , hélas , lorfque des fers brûlans
Etoient prêts de percer & d'embrafer fes flancs ;
Ah ! fi tombant aux pieds de fon Juge inflexible ;
Vous euffiez vu ce Juge à vos pleurs infenfible ;
Si l'on vous eût couvert de fon fang paternel :
Vous fûtes malheureux , & vous êtes cruel !
Je ne puis le comprendre.
Edouard enfin ne peut plus réfifter au
cri de la nature.
De combien de héros je fuis environné !
Par combien de vertus je me fens condamné !
Ma fiere ambition m'alloit conduire au crime.
Gloire, idole des Rois , le peuple eft tavictime, & c .
Il gémit encore du facrifice qu'il va
faire à Valois : mais n'importe , il fe décide
:
Vivez ( dit - il ) , ô généreux courages !
AURELE.
Mon père !
MARS 1765 . 209
EDOUARD .
De la paix foyez les premiers gages;
Allez , fi vos vertus ont aigri mon courroux ,
D'un Roi que vous fervez on peut être jaloux.
à Harcourt.
Toi qui les a fauvés de ma fureur extrême ,
Tu me rends à l'honneur , je te rends à toi - même.
En effet , il rend ce jeune héros à fon
véritable Souverain . Il renonce à fes projets
fur la France. Il vouloit conquérir
l'amour de ce peuple ;
Mais il faudroit les vaincre en tyran fanguinaire .
S'il n'eft un don des cours ,le fceptre peut-il plaire?
MAUNY.
• Ah , je vous reconnois !
Voilà le noble orgueil d'un coeur vraiment anglois.
Edouard , par d'autres vertus encore ,
fe promet de faire regretter aux François
de ne l'avoir pas eu pour maître : mais
Saint-Pierre , toujours ferme dans l'amour
des fiens , lui dit avec une noble franchife
:
Seigneur , par vos vertus attendez des François ,
Refpect , eftime , amour , & non de tels regrets
& c . & c.
210 MERCURE DE FRANCE .
Harcourt pénétré de joie & de reconnoiffance
, defire facrifier fa vie fous les drapeaux
déformais réunis de Valois & d'Edouard.
Aliénor touchée du même fentiment
félicite Edouard fur fon retour vers
l'humanité , & termine cette admirable
tragédie , l'école touchante des Rois & des
Sujets , par ces derniers vers :
Ah ! de l'humanité rétabliſſez les droits.
( Valois & Edouard ).
A l'Europe tous deux , faites chérir fes loix.
Que par vous des vertus cette mère féconde
Soit la Reine des Rois & l'oracle du monde.
Cette pièce , comme on l'a indiqué plus
haut ,fe trouve imprimée chez DUCHESNE,
Libraire , rue S. Jacques , au temple du
goût. Les Marchands & les perfonnes de
province qui fouhaiteront fe la procurer ,
font priés de s'adreffer directement à lui,
afin d'éviter les contrefactions & l'équivoque
d'une autre Tragédie , non repréfentée , qui
porte
1
le même titre.
Fin de l'extrait du Siége de Calais.
Nous nous trouvons obligés de remettre
au prochain Mercure les obfervations que
nous joignons ordinairement à nos extraits.
MARS 1765 . ΣΗ
Le fublime du fujet & les grandes beautés
enchaînées l'une à l'autre fans interruption
dans le Siége de Calais , ne peuvent échapper
à aucun de nos lecteurs ; & c'eſt en
quelque forte bleffer la fagacité de leur
jugement , que de les prévenir fur les motifs
de leur admiration . Cette pièce , qui
doit paroître imprimée prefque en même
temps que notre extrait , ayant été univerfellement
lue en entier , les réflexions
qu'elle doit fournir en feront mieux fenries
, & tourneront encore plus furement
au profit de l'art & à la gloire de l'Auteur.
La nouveauté du Siége de Calais durera
plus long-temps que bien d'autres.
Tout ce qui y fera relatif n'aura pas le
ridicule de paroître furanné. Nous ajoûterons
feulement qu'après la neuvieme repréfentation
, le fuccès eft égal à celui de la
premiere.

212 MERCURE DE FRANCE.
VERS à M. DE BELLOY , faits en
fortant d'une repréſentation du Siége de
Calais. Par M. le COMTE DE *** .
D
U Siége de Calais quand tu peins les horreurs
,
De la France attendrie on voit couler les larmes ,
Comme une mère tendre arroſe de ſes pleurs ,
D'un fils qu'elle a nourri les fuccès & les charmes,
On te fête à la ville , on te nomme à la Cour ,
Le Citoyen t'admire , & fa voix te couronne .
Pour prix de ton fublime amour ,
Et des leçons que ton drame lui donne.
COMÉDIE ITALIENNE,
O
N a continué fur ce théâtre avec fuccès
l'Ecole de la jeuneffe ou le Barnevelt
François , comédie en trois actes , mêlée
d'ariettes , paroles de M. ANSEAUME ,
mufique de M. DUNI . Cette pièce , qui
eft imprimée chez DUCHESNE , rue Saint
Jacques autempie du goût , eft une de celles
de ce genre dont le dialogue , un peu
moins coupé par les ariettes, foutient le
mieux la lecture .
MARS 1765 . 213
1
Mercredi 27 Février on donna fur le
même théâtre la première repréfentation
de Tom Jones , comédie en profe en trois
actes , paroles de M. POINSINET , mufique
de M.PHILIDOR . Cette pièce ne fut pas
reçue favorablement . Le lendemain Jeudi
28 , à la feconde repréfentation , elle fut
très -vivement & continuellement applaudie
; les Auteurs demandés & reçus du
public avec acclamations. Dans un jugement
auffi contradictoire il ne nous appartient
que de rapporter fidélement les
faits . On rendra compte de la pièce & des
fuites du fuccès dans le prochain Mercure.
CONCERT SPIRITUEL.
Du 2 Février , fête de la Purification .
ONexécutaDomine exaudivi , Motet à grand
coeur , tiré du Cantique d'Habacuc , de la compofition
de M. d'Auvergne , Surintendant de la
Mufique du Roi . M. Bernard & M. Durand chanterent
chacun un Motet à voix feule. M. Capron
exécuta un Concerto de violon de fa compoſition .
M M. Duport & Kohaut exécuterent des duos de
violoncelle & de luth. Le Concert finit par Salve
Regina , Motet à grand coeur de M. Kohaut , dans
lequel M. Duport accompagna les récits .
214 MERCURE DE FRANCE.
JAI
APPROBATION
.
'AI lu , par ordre de Monfeigneur le Vice-
Chancelier , le Mercure du mois de Mars 1765 ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
T'impreffion. A Paris , ce 3 Mars 1765 .
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
ARTICLE PREMIER .
LETTRE ETTRE à M. de la Place ,
RECHERCHES fur la barbe . Par le Père Oudin ,
Jésuite.
EPITRE à Mademoiſelle Doligny.
page f
6
25
28
30
& c. 31
32
EPITRE en forme d'étrennes à Monfieur le
Prince *** > & c.
A M. de la Place , Auteur du Mercure .
ARIETTE à une Demoiſelle de quinze ans ,
L'ECHO du Public. A M. Favart.
PLAINTES d'une Linotte perchée fur un arbriſfeau
, la patte attachée à un fil qu'un enfant
tient dans fa main. 33
VERS de M. de Voltaire fur l'élection du Comte
Poniatowsky.
LETTRE de M. Rameau à M. Houdard de la
Motte , de l'Académie Françoife , pour lui
demander des paroles d'Opéra.
35
36
MARS 1765.. 215
A Monfieur H.... ancien Introducteur des
Ambalfadeurs , le jour de S. André.
VERS adreffés à Mlle Dangeville le jour du
début du fieur Blainville fils.
LES Plaisirs de l'Amitié , fur l'air de l'Avoyerie.
L'AMOUR des Vieillards , fur l'air : Que ne
fuis-je la fougere.
40
41
42
44
45
46
47
ibid.
VERS mis au bas du portrait de Madame B...
morte à l'âge de dix - fept ans .
A M. D... B... S... de C... B... L ... C... au P...
VERS à M....
LE Vendeur d'Eau-de-vie.
A Mademoiſelle Doligny , de la Comédie
Françoife , le jour de fa fête .
A Mademoiſelle B..... fur l'air : Dieu des
amours.
L'ORACLE. Anecdote Grecque .
ENIGMES .
LOGOGRYPHES.
CHANSON. L'Automne . Øde anacréontique à
M. C. D. chez qui M. le Chevalier de Juilly-
Thomaffin paffa les vendanges .
ART . II . NOUVELLES LITTÉRAIRES .
48
49
ibid.
75
76
78
LETTRE à l'Auteur du Mercure fur un fait
hiftorique de l'année 1650 , concernant la
Ville de Saint- Jean- de-Lône en Bourgogne. 8a
CATALOGUE hebdomadaire , ou lifte des livres
nouveaux qui font mis en vente chaque
ſemaine , tant en France que chez l'Etranger. 88
Avis aux Gens de Lettres.
Lettre à l'Auteur du Mercure.
LETTRE de M. Royer,ancien Chirurgien Aide-
Major des Armées du Roi , à M*** fur une
brochure anonyme , portant pour titre ;
90
93.
216 MERCURE DE FRANCE.
Parallele des différentes méthodes de traiter
la maladie vénerienne ; brochure in- 12 1764. 49
ANNONCES de livres .
ART. III . SCIENCES ET BELLES- LETTRES .
ACADÉMIES.
Extrait de la féance publique de las Société de
Belles - Lettres , Sciences & Arts de Clermont-
Ferrand , tenue à l'Hôtel de Ville
le 26 Août 1764.
SUJET du Prix de l'Académie des Sciences ,
Arts & Belles- Lettres de Dijon , pour l'année
1766 , &c.
ART. IV. BEAUX A RT S.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE. Remarques fur la découverte des
cataractes fecondaires.
LETTRE à M. Dejean , Maître en Chirurgie
de Paris.
ARTS AGRÉABLES.
96.
123
137
138
144
147,
MUSIQUE.
ART. V. SPECTACLES.
SUITE des fpectacles de la Cour , à Versailles . 150
SPECTACLES de Paris . Opéra.
COMÉDIE Françoife .
EXTRAIT du Siége de Calais , ou le Patriotifme
, Tragédie , par M. de Belloy.
VERS à M. de Belloy.
COMÉDIE Italienne.
CONCERT Spirituel .
156
159
162
212
212
213
De l'Imprimerie de Louis CELLOT , rue
Dauphine.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le