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1762, 07, vol. 1-2, 08-09
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JUILLET. 1762.
PREMIER VOLUME.
Diverfité , c'eft ma devife. La Fontaine.
Cochin
Silius inve
Epillon Seulp.
Chez
A PARIS ,
CCHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à - vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE, rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais,
Avec Approbation & Privilége du Roi.
THEN YORD
PUBLIC LIBRARY
335516
ASTOR, LENOX; AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
19
AVERTISSEMENT.
LE
Bureau du
Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier
Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au
recouvrement
du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi,
C'est à lui que l'on prie d'adreffer ,
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie littéraire
, à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piece.
Les
perfonnes de province
aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des
occafions pour
le faire venir , ou qui
prendront lesfrais
du port fur leur compte , ne
payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
par volume , c'est-à- dire 24 livres d'avance
, en s'abonnant pourfeize volumes.
Les
Libraires des
provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure écriront à l'adreſſe cideffus.
On fupplie les perfonnes des provin
ces d'envoyer par la pofte , en payanı
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
, refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
, d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Leformat , le nombre
de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année. Il y en a
jufqu'à préfent foixante-dix-fept volumes
dont la Table générale , rangée par
ordre des Matieres , fe trouve à la fin
du foixante-douzième.
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET. 1762 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
IMITATION libre de l'Idylle huidéme
de M. GESNER , Auteur du Poëme
de la mort d'ABEL.
L'ORAGE fe diffipe, il fuit loin de ces lieux;
Le tonnerre a ceffé d'éffrayer nos rivages.
Je ne vois plus dans les fombres nuages
Serpenter les éclairs , en ongs fillons de feux.
Entends -tu les Oiſeaux ranimer leurs ramages ?
Chère Daphné , raffûre tes efp.its ;
I. Vol.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Regarde ces jeunes brebis
Que la peur raffembloit fous ce toît de feuillages ,
Se difperfer dans les fertiles champs ,
Et par de doux frémiffemens
Agiter à l'envi leur toifon humectée .
Viens , Daphné , que notre âme à la joie excitée
Contemple avec amour ce pompeux appareil,
Et cette majesté fi touchante & fi pure
Des premiers regards du foleil ,
Qui vient confoler la Nature.
L'un & l'autre, à ces mots , fe tenant par la main,
Palémon & Daphné fortent de leur afyle :
La Bergère refte immobile :
Elle s'écrie : ô fpectacle divin !
Que le ciel eft augufte , & que la terre eft belle !
D'un éclat tout nouveau la verdure étincelle ;
Quoi , l'orage eft encore une faveur des Dieux !
Le nuage éclairci fe fépare , fe brife ;
Je découvre l'azur des Cieux :
L'ombre dans les champs fe divife;
Vois- tu , dans une épaide nuit
Cette cabane au loin enfevelie ;
Vois-
Mais déjà l'ombre s'enfuit ,
Le foleil la remplace & foudain la pourſuit :
-tu comme elle vole à travers la prairie ?
Palémon s'écrie à l'inſtant :
Admire l'Arc d'Iris , ce figne bienfaiſant
Dont le vafte contour embrafe l'hémiſphère :
Des timides Bergers il calme les frayeurs ;
JUILLET. 1762. 7
Il a nuancé ſa lumière
Des plus éclatantes couleurs ;
C'eſt le ciel défarmé qui fourit à la Terre.
Daphné répond à ſon Amant :
Que j'aime àvoir fur les fleurs ranimées ,
En globules légers ces gouttes d'eau formées
Feindre l'éclat du diamant' ,
Ces roles refpirer, s'entrouvrir mollement ,
Et fous les aîles careffantes
Du Zéphir tendre & triomphant
Relever leurs tiges brillantes !
Ces flots calmés & tranfparens
Répétent à l'envi l'image fugitive
Du peuplier mobile , & des faules tremblans
Qu'un doux inſtinct a panchés fur la rive ;
Et dans ce rayon lumineux
Ces vermiffeaux aîlés , ces Papillons heureux
De leur joie errante & naïve
Ont repris l'effor & les jeux :
Sans contrainte ils ofent fuivre
Leurs folâtres defirs , & leurs volages goûts :
Ils n'ont que peu d'inftans à vivre ;
Mais le plaifir les compte tous.
Palémon eft rempli d'une céleſte flâne :
Chere Daphné , dit-il avec raviffement ,
Oh ! quel torrent de joie a pénétré mon â ne !
Tout ce vafte univers n'eft qu'un hymne éclatant
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
D'amour & de reconnoiffance ,
Pour l'Etre fouverain qui l'anime en filence.
Depuis l'aftre brillant , dont les rayons vainqueurs
Répandent dans les Cieux leur fublime preſtige,
Jufqu'à la plus humble des fleurs ,
Tout eft bonté , tout eft prodige.
Soit que du fommet des cêteaus ,
Promenant mes regards fur les plaines fécondes ,
De ce Peuple infini d'utiles végétaux
Et des hôtes des airs , de la Terre & de l'Onde
Je calcule le nombre & la diverfité ,
Ou qu'élevant mes yeux vers la voûte azurée ,
J'admire des faifons & l'ordre & la durée ,
Er du foleil l'inéffable clarté ,
Lorfqu'au moment , qu'il fe hâte d'éclore
Les Concerts des Oifeaux ont falué l'aurore ;
Soit que fur la fin d'un beau jour,
Je contemple à fon tour
Cette pourpre & cet or , dont l'auguſte parure
Couvre fon char brûlant , qui defcend dans les
mers ,
Ou que j'obferve en paix durant la nuit obfcure ,
Le vafte filence des airs
Et le fommeil de la nature ,
Et d'un aftre plus doux tous les aſpects divers ,
Et ces Cieux habités de foleils innombrables ,
Et de mondes cachés à mes débiles
De ces tranfports inexprimables
yeux ,
Mon foible coeur alors ne contient plus les feux ;
>
JUILLET. 1762 . 9
Mon âme fe confond à peine je reſpire ;
Je fens couler des pleurs délicieux ,
La voix fur mes lèvres expire ;
Je tombe abbatta , proſterné.
A ce raviffement , où mon être s'égare ,
Non , rien ne fe compare ,
Que le charme divin d'être aimé de Daphné !
Source de mon bonheur fuprême ,
Elle embellit encor tous ces dons précieux ;
Et le fouris de ce qu'on aime
Eft le plus doux bienfait des Dieux.
FRAGMENS POETIQUES , imités &
extraits du premier Chap . de SAADI
Poëte Perfan , intitulé des moeurs des
Rois.
J'k To 1s affis dans l'enceinte facrée
' ETOIS
Près du tombeau du Prophéte Divin :
Le fier Tyran de l'Egypte éplorée ,
Vint près de moi : la crainte habitoit dans fon fein.
Il trembloit ; il prioit l'Auteur de la Nature :
Toute mortelle créature ,
Efclave ou Roi , dépend des Dieux.
Il me dit viens unir ta prière à mes voeux :
Un Ennemi puiffant me trouble & m'épouvante.
Roi malheureux , lui dis- je , offre un appui
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
A la foibleffe chancelante ;
Soulage l'indigent : fois jufte ; fois chéri.
Efpéres -tu conjurer la tempête
Par des foupirs & des cris fuperflus ?
Vois le glaive vengeur fufpendu fur ta tête :
Le jour fe leve , où tu ne feras plus.
Fils d'Adam , tout homme eft ton frère !
La Nature le crie à ton coeur fanguinaire :
Tu foules fous tes pieds un infecte tremblant ;
Ta fureur ne peut fe contraindre :
Si l'Eléphant t'écrafe , as- tu droit de te plaindre ?
Le malheureux gémit , & du Dieu qui l'entend ,
Le Trône eft ébranlé par ſa plainte profonde :
Un feul foupir de l'innocent .
Peut changer la face du Monde.
AUTRE.
Du haut de fon char radieux
Le Soleil , de fes traits embraſoit la Nature :
Dans un bosquet délicieux
Inacc effible au jour , couloit une onde pure ,
Qui ferpentoit en replis amoureux ;
Les aîles du zéphir rafraîchiffoient ces lieux.
Avec le fage Azor j'entre dans cet aſyle :
L'in jufte y repoloit. Il goûtoit les douceurs
D'un fommeil heureux & tranquille.
Quoi, dis-je , le remords qui pourfuit les forfaits
JUILLET. 1762. II
D'an calme fortuné ne trouble point l'empire !
Azor me dit avec un doux fourire :
Des Dieux reſpecte les decrets :
Le crime dort , mais la vertu reſpire.
YvRE
AUTRE.
VRE de fa grandeur & fier de fa puiſſance ,
Un jeune Roi comptoit les jours par ſes plaiſirs,
Dans un Feftin orné par la magnificence
Il chantoit : » tout prévient & comble mes defirs :
» Je jouis de l'inftant qui paffe
» Je jouirai de l'inſtant qui l'éfface ,
» Je jouiffois de celui qui n'eft plus .
» Loin de mon coeur tous foucis fuperflus .
Un malheureux languiffoit dans la place,
Aux Portes même du Palais .
Il s'écria : ton coeur eft fans allarmes ;
N'en fens tu point pour tes Sujets ?
O verité , quels font , & tes droirs & tes charmes
!
Cet homme à l'inftant même eft chargé de bienfaits
!
Le Monarque eft frappé d'un nouveau trait de
Alâme.
Il frémit , il rougit , il rentre dans fon áme ;
Il s'inftruit à regner , & fon Peuple eſt heureux.
L'indigent qu'il combla de les dons généreux
A vj
12 MERCURE DE FRANCE .
Par le luxe égaré , plongé dans la licence,
Diffipoit cependant fa nouvelle opulence.
Dans fon premier état le voilà retombé ;
Tout couvert de lambeaux , fur fon bâton courbé,
Près du Palais il mandioit encore.
Le Roi juftement irrité ,
Difoit au fage Lindamore :
Tu vois à quoi fert la bonté !
Qu'ont produit les faveurs de ma main libérale ?
De ce infortuné j'ai fatisfait les voeux ;
J'ai corrompu ſes moeurs : doublement malheureux
Ses vices font accrus , fa mifére eſt égale.
Lindamore répond : ô le meilleur des Rois !
Pourquoi ta facile clémence
Verfa-t- elle fes dons fur l'oifive indigence ?
C'est au travail que tu les dois.
FABLE , imitée de SAADI.
UNE Souris , au printemps de fon âge ,
Nourriffoit dans fon fein un orgueil fans pareil :
De mille Amans rivaux elle bravoit l'hommage .
Je veux , dit elle un jour , époufer le Soleil.
Etre le plus pluiffant qui foit dans la Nature ,
Toi feul as mérité de pofféder mon coeur ! .....
Le Soleil l'entendit , & dit avec douceur
A la petite créature :
JUILLET. 1762 .
13
Il eft vrai , j'ai quelque beauté ,
Quelque pouvoir : mais le nuage
Bien plus puiffant encor ,fur ma route pofté ,
Quand il lui plaît , obfcurcit mon Image ,
Glace mes feux , & détruit mon ouvrage.
Vraiment, dit la Souris, j'admire mon erreur ;
Quelle fotife j'allois faire ?
Au
nuage elle jure une éternelle ardeur .
A moi ! dit-il , qui fuis un être imaginaire ,
Qui pour avoir du mouvement ,
D'un pouvoir étranger implore le principe ;
Qu'à fon gré tour- à - tour , il proméne & diffipe ,
Et qui fuis le jouet du vent ?
Notre fouris , un peu confuſe ,
S'adreffe à l'Aquilon. L'ignorance t'abuſe , ·
Hélas ! dit-il , mon pouvoir eft peu fûr :
Vainement il gémit , menace , gronde , éclate ,
Il fe brife contre le mur.
Du mur au même inftant la conquête la flatte :
Elle avoit à fes pieds fon habitation :
L'habitude , le voisinage ,
Tout fembloit affortir une telle union :
Il triomphoit des vents , du foleil , du nuage.
Triomphe de mon coeur , de mon ambition ,
Dit-elle pour toi feul ce jour fe détermine.
Ah malheureuſe , ah ! qu'ofes - tu penſer ?
Moi ! je tépouferois ? & ta race me mine :
Sous mes pieds hâtant ma ruine ,
Elle faurà bientôt me renverfer.
14 MERCURE DE FRANCE .
Je chancele déjà , je céde , je fuccombe .....
Il dit ; à l'inftant même il tombe .
Tout s'enchaîne & fe nuit dans ce foible Univers.
La vie eft un combat , & tout a les revers.
LA BONNE COMPAGNIE ,
ODE
PHILOSOPHIQUE.
Par M. l'Abbé CLÉMENT , Chanoine
de S. Louis du Louvre.
MORTELS , que les befoins ont rendu fociables ,
Que faites vous dans vos triftes réduits ?
Fugitifs de vous - même , auprès de vos femblables
,
Venez chercher la fin de vos ennuis.
Dans ce cercle, où les goûts , l'humeur , le caractére
,
Les penchans , le defir de plaire ,
Forment par leur contraſte un aimable tableau ,
Une troupe choiſie à s'amufer s'exerce :
Eft- ce affez ? non , le coeur de ce riche commerce
Tire un profit toujours nouveau.
C'est là que tour - à - tour & copie & modéle ,
L'homme conduit par la main du plaifir ,
Trouvede les devoirs une Image fidelle :
JUILLET. 1762. IS
Que d'agrémens compofent ce loifir !
Les vertus , les talens élargiffent leur Sphère :
Tout y devient mon tributaire ;
Sans livres je m'inftruis de mille traits divers.
Vranie & Clio , Minerve & Melpo:néne ,
Semblent exprès pour moi paroître fur la fcéne;
Tous leurs tréfors me font ouverts.
A peupler ce féjour , quelle foule s'empreſſe ?
Grands , Magiftrats , Artiſtes & Guerriers ,
Nul n'y domine : entr'eux l'inégalité ceffe
Et les pinceaux font unis aux lauriers .
>
Du choc de ces efprits le fçavoir prend ſa ſource :
Puifez , prolongez- en la courfe ;
Aujourd'hui foyez Maître & demain Nourriſſon.
A l'Amour de l'Etude en vain on ſacrifie ,
Si d'un monde poli le ton ne rectifie
Le Jugement & la Raifon.
Pour régler les diſcours la décence y préfide ;
La Politeffe y diftingue les rangs ;
La Vertu complaifante a l'oeil fi peu rigide ,
Qu'elle y fourit aux rôles différens :
Sur le ton des égards on foutient la diſpute ;
L'efprit-borné n'eſt point en bure
Aux traits dont la Satyre ailleurs arme ſes mains :
J'y vois la Vérité fincère fans rudeſſe ;
Le Mérite applaudi , modefte fans balfeffe ,
La Grandeur même fans dédains.
16 MERCURE DE FRANCE .
Parmi ces gens d'élite , on vous offre une place ;
Les Sentimens ont droit de l'occuper ;
Entrez, que tardez -vous ? ce n'eft point une grâce ;
Homme fans moeurs , toi feul peux l'ufurper.
Rivage fortuné de cette Mer tranquille ,
Contre les vents heureux afyle ,
Que de fleurs & de fruits vous m'offrez à choisir !
Plus loin les paffions excitent la tempête ;
Au premier fouffle ici le reſpect les arrête ;
Il n'y régne que le zéphir.
De votre voix en vain vous forcerez l'organe :
Non , vos arrêts ne feront point fuivis :
Renoncez à l'efprit que le bon fens condamne ;
Sans décider , dites-nous votre avis.
Fuffiez -vous tranſporté fur d'étrangères plages ;
Des Peuples prenez les ufages ;
Prêtez- vous à leurs jeux & refpectez leur goût :
Ce trait de complaifance & les flatte & les touche ;
Votre éloge bientôt ira de bouche en bouche ;
Vous ferez Citoyen partout.
*
Du Tacite François j'admire l'éloquence :
Sans le prétendre il m'égaie & m'inſtruit ;
Mon plaifir eft trop court , il fe tait . Quel filence !
De fes talens mon eftime eſt le fruit.
Il m'excite , je parle : attentif il écoure ;
Et ce Sçavant que je redoute
Approuve , m'applaudit , flatte ma vanité.
* M. le Préfident Henaut , Auteur de l'Abrégé Chronologique
de l'Hift . de France , de l'Académie Françoiſe.
JUILLET. 1762. 17
Qui me rend fans fadeur fatisfait de moi- même ,
Semble aggrandir mon être , & je crois que je
me,
Sans rien devoir à fa bonté.
Je n'ai point oublié quel titre vous décore ,
Et les vertus dont vous êtes orné ;
Vous m'en aviez trop dit , vous m'en parlez encore;
A quel ennui m'avez-vous condamné ?
De ravir mon encens vous feroit - il facile ,
Lorsqu'à mon oreille indocile
Votre amour-propre altier cherche à faire la loi ?
Eh ! dût-on ignorer vos faits , votre origine !
Taifez-vous , ou craignez le prix que l'on deſtine
A qui parle toujours de foi.
Mais quel nouvel Acteur le préfente à ma vue ?
Eft- il l'Oracle & des Temps & des Arts ,
Qu'entends-je ? .... quoi déja mon attente eſt déçue!
Par ce qu'il dit je compte ſes écarts .
En vain avec douceur vous allez contredire ;
De l'orgueil bleffſé qui l'inſpire
Pourrez-vous .foutenir l'impétueux éclat ?
Abandonnez la palme à ce fougueux Athléte ;
Lifez dans nos regards fa honte & ſa défaite ;
Vous avez l'honneur du combat.
Animez ce Spectacle & j'y ſuivrai vos traces :
Qui mieux que vous en feroit l'ornement ?
Beau-féxe , votre bouche eſt l'organe des grâces
18 MERCURE DE FRANCE.
Vous m'apprendrez le ton du Sentiment.
Quels rapides progrès on fait à votre école ,
Lorfque d'un langage frivole
Vous avez dédaigné l'infipide ſecours !
Le monde vous chérit , méritez ſon eſtime :
Le plaifir de médire à fes yeux eft un crime ;
Apprêteroit-il vos difcours ?
A la fuite des jeux , fous l'air du badinage ,
Qui vois-je entrer ? la Licence , grands Dieux !
Où fuir , où me cacher ? à fon affreux langage ,
Rougis , pudeur ; vertu , baiffe les yeux .
Raflurons-nous : déja déteftant fa conduite ,
La décence l'a mife en fuite ;
L'orage eft conjuré ; le Ciel devient ferein ;
Et la malignité que l'exemple intimide
Dans un repos forcé tient la flèche homicide ;
La peur du mépris eft un frein.
Militaires , Plaideurs , Nouvelliftes , Poëtes
Quand pourrez - vous devenir plus concis ?
Pour me rendre charmant le féjour où vous êtes ,
Epargnez-moi vos importuns récits .
Vos Procès , vos Exploits , vos Vers , votre Manie
,
Pour moi font une Tyrannie ,
Fuffiez-vous Catinat , Patru , Verneuil , * Boileau .
De la Société gardons les bienséances :
Que chacun à l'envi par de douces nuances
En embéliffe le Tableau.
*Il faifoit autrefois la Gazette de France.
JUILLET. 1762. 19
VERS
pour être mis au bas du Portrait
de Mlle de VICTOT.
GRACS , jeuneffe , éclat , voix flexible & touchante
,
Que d'attraits réunis ! Que leur douceur enchante !
Dans ces yeux cependant j'apperçois un défaut ;
C'eft leur févérité rigide.
Ah ! fijamais Vénus fut modefte & timide ,
Ce fut fous les traits de VICTOT.
CONJURATION des RAMBURES ,
contre la Ville d'ARDRES , en Picardie.
CETTE ETTE Ville n'avoit pour toute garnifon
, en 1653 , que le Régiment de
Rambures , Infanterie , compofé de 13
à 1400 hommes que leurs excès en tout
genre avoient rendus odieux dans le Pays
où la licence des troupes , occafionnée
par les troubles intérieurs du Royaume ,
étois parvenue à fon comble .
Le Marquis de Rouville , Gouverneur
de cette Place , très - importante ,
à caufe du voisinage des Efpagnols ,
20 MERCURE DE FRANCE.
Maîtres de S. Omer , en avoit vainement
porté des plaintes à la Cour alors
trop occupée d'autres objets ; & pour ne
point achever d'aigrir un mal dont les
fuites étoient à craindre , il s'étoit vu
contraint de fermer pour un temps les
yeux fur une espéce de brigandage dont
il gémiffoit en fecret . Mais cette foibleffe
apparente ne fit qu'enhardir les
coupables , dont l'infolence le força enfin
de prendre un parti qui ne lui paroiffoit
pas moins dangereux que néceffaire.
Il fit affembler , un matin , les
Officiers de ce Régiment , leur déclara
que s'ils ne travailloient pas férieufement
à contenir la Soldatefque & ne réformoient
pas leur propre conduite , il
prendroit , fans attendre plus longtemps
les ordres de la Cour , les moyens les
plus prompts & les plus propres à les y
contraindre. Ils comprirent ce qu'ils
avoient à redouter de ce Difcours , auquel
la longue tolérance du Gouverneur
ne les avoit point préparés , promirent
au-delà de ce qu'il leur demandoit , &
le quitterent avec la ferme réfolution de
s'en venger. La diffimulation leur étoit
devenue d'autant plus néceffaire , qu'ils
n'ignoroient point que le Gouverneur ,
au moyen de deux coups de canon,pouJUILLET.
1762. 21
voit en peu de temps appeller
de la campagne
dans la ville plus de deux mille
hommes
de milice que le voisinage
de
l'ennemi
avoit aguerris
de longue main ;
& qu'en horreur
aux Citoyens
, ainfi
qu'aux
Payfans
, ils ne pouvoient
attendre
aucun quartier
d'un Peuple
qu'ils
avoient
réduit au défefpoir
.
Raffemblés , dès le foir même , à leur
auberge , ils délibérérent entr'eux fur les
moyens de rabattre ce qu'ils appelloient
la morgue du Marquis ; & n'en trouverent
ni de plus für ni de plus prompt
que celui de livrer la Place à la garnifon
Efpagnole de S. Omer. Cette réfolution
prife , & les mesures arrêtées en
conféquence , ils ne fongerent plus qu'à
endormir la vigilance du Marquis par
les égards les plus rampans & les proteftations
les plus fortes de maintenir
déformais leur troupe dans la plus étroitę
diſcipline .
Le Marquis , brave Officier , mais jugeant
trop facilement des autres par
Tui-même, eut la foibleffe de les croire ;
& s'applaudiffoit de fon fuccès , tandis
que l'un des Conjurés fous l'habillement
d'un Payfan , étoit allé traiter à S. Omer
avec le Prince de Robecque , qui commandoit
les Eſpagnols , & avec lequel
22 MERCURE DE FRANCE.
tout fut concerté pour lui livrer la ville
d'Ardres le fecond jour du mois de Juillet
prochain . Mais le Ciel veille fur les
traîtres ; l'hiftoire en fournit mille exemples
en voici une nouvelle preuve.
Le nommé Pierre Roze , qui tenoit
l'auberge du Dauphin , avoit une fille ,
jeune & jolie , nommé Françoife. Le
Capitaine-Lieutenant de la Meftre de
Camp de Rambures , qui n'avoit de
commun avec les autres Officiers que
de fervir fous le même Drapeau , éperdûment
amoureux de cette fille , dont
la fageffe égaloit la beauté , s'étoit enfin
déterminé à l'époufer à l'infçû du Régiment
: il n'attendoit pour cet effet que
le changement de la garnifon ; & mangeoit
chez le Père de fa Maîtreffe avec
deux autres Officiers de fes amis , fans
rien laiffer entrevoir de fon intelligence
avec Françoife & fes Parens.
Le 28 Juin , veille de la Saint Pierre ,
cet Officier prévoyant que des perfonnes
auxquelles il alloit appartenir de fi
près ne feroient pas plus épargnées que
d'autres dans les fureurs de la fédition
appella Roze après foupé , & fous prétexte
du beau temps ainfi que du befoin
qu'avoit Françoife de prendre l'air
après une grande maladie , lui conſeilla
JUILLET. 1762 .. 23
fil
zel
ir
a
d'aller le lendemain avec elle paffer quelques
jours au village de Rodelinghen ,
à une petite lieue d'Ardres où ce Bourgeois
avoit un petit bien.
Roze , que la jeune Françoife joignit
en ce moment , étonné d'une propofition
que l'air inquiet & embaraffé de
fon gendre futur lui faifoit juger myſtérieufe,
ayant d'accord avec fa fille fortement
infifté fur la caufe d'un confeil
qu'on donnoit d'un air & d'un ton fi
preffant , & dont le motif , tout coloré
qu'il fembloit être , lui paroiffoit d'autant
moins plaufible, que fes devoirs d'Au
bergifte lui permettoient moins de s'abfenter
alors ; Roze , dit-on , & fur- tout
la jeune Françoife , après avoir vu biaifer
quelque temps l'Officier, exigerent de
la façon la plus preffante qu'il daignât
leur confier la vraie caufe de l'embarras
qu'ils remarquoient en lui , & qu'il vou
loit vainement leur cacher.
Les larmes de l'Amour trouvent peu
de coeurs infenfibles . L'Officier , quoique
für du fort que lui préparoient fes
camarades en cas qu'ils le foupçonnaffent
d'avoir révélé leur fecret , leur déclara,
en foupirant , que le Dimanche ,
2 Juillet , pendant la Meffe de Paroiffe ,
à laquelle l'Etat - Major , les Corps de
24 MERCURE DE FRANCE.
Juſtice & de Ville , ainfi que la plupart
des principaux habitans avoient coûtume
d'affifter , le Régiment devoit s'emparer
des trois Portes de l'Eglife , y
entrer la bayonnette au bout du fufil ,
faire main-baffe fur quiconque s'y trou
veroit ; de là, fe répandre dans la Ville ,
la livrer au fer & au feu , en ouvrir enfin
les portes aux Troupes Efpagnoles embufquées
dans le bois de la Montoire &
prêtes à paroître au premier fignal des
Conjurés .
lui
Tout éffrayant qu'étoit ce récit , Roze
eut affez de pouvoir fur lui -même pour
n'en paroître que médiocrement ému ,
pour affecter même de condamner les
trop vives allarmes de fa fille
faire fentir toute l'importance du fecret
qui venoit de lui être confié , & lui repréfenter
vivement combien la plus légère
indifcrétion de fa part étoit capable
d'expofer les jours de fon Amant ;
& après avoir fupplié l'Officier d'employer
tout fon crédit auprès des Conjurés
pour obtenir que fa Maifon fùt
exemptée du pillage , & fous prétexte
d'aller tout préparer pour le voyage de
Rodelinghen , il fortit , & le laiffa, avec fa
Maîtreffe .
L'hôtel du Gouverneur étoit voifin.
Roze,
JUILLET 1762. 25
te
He
fa
la
Roze , dont la réfolution avoit été prife
dans le moment , profitant de l'obfcurité
de la nuit , s'y introduifit fans être vu ,
par porte de la baffe - cour. Mais
le Marquis étoit encore ou à table , ou
au jeu. Il falloit un motif preffant pour
en obtenir alors audience. Roze en imagina
un , que la tradition dit avoir été
un peu gaillard. N'importe , il réuffit ;
& Roze fe trouva bientôt feul dans le
Cabinet du Gouverneur , auquel il fit part
de tout ce qu'il venoit d'apprendre.
On peut juger de l'étonnement & de
la perplexité du Marquis à une nouvelle
auffi terrible qu'imprévue ! Il connoiffoit
la probité & le bon fens de Roze ; il n'avoit
actuellement fous fes ordres qu'une
demie Compagnie Suiffe & une Compagnie
de Cavalerie à oppofer à 1400 déterminés
qui avoient juré fa perte , & dont
la férocité , ainfi que la longue pratique
des crimes les plus noirs , ne lui étoient
que trop connues. Que faire en pareil
cas ? D'appeller les Milices difperfées
dans la Campagne : le jour alloit éclore ;
& le fignal ainfi que les autres mouvemens
néceffaires pour affembler un telfecours
n'euffent fans doute produit d'autre
effet que celui de donner l'allarme aux
Conjurés , & de les forcer à preſſer l'exé-
I. Vol.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
cution du crime. Sa famille entiére étoit
alors raffemblée dans fon hôtel ; il ne
pouvoit douter que la Tragédie ne
dût commencer par elle. Quelle fituation
! La feule reffource qui lui reſtât
confiftoit dans la Bourgeoifie . Il en étoit
aimé. Mais qu'attendre du zéle & de la
bravoure des Citoyens d'une Ville qui
pour lors , ainsi qu'aujourd'hui , comportoit
tout au plus cent feux ? Toute
foible qu'étoit cette reffource , il ſe détermina
à l'employer , & eut lieu de s'en
applaudir. Le fecret & la diligence pouvoient
feuls fauver la Ville ; le refte de
cette nuit cruelle fut employé à concerter
les mefures néceffaires pour tenter
d'y réuffir.
Le Marquis , dès le lendemain matin ,
envoya inviter tous les Officiers Supérieurs
de Rambures , comme pour mettre
le fceau à leur réconciliation , à venir
le jour même dîner chez lui. S. Juft ,
fon Capitaine des Gardes , fut, chargé ,
de fon côté , d'avertir fous main les
Officiers Suiffes & de Cavalerie , chacun
en particulier, de s'introduire féparément
& bien armés avec quelques-uns de leurs
plus braves Soldats , par une porte de
derrière , dans l'hôtel du Gouverneur
où ils furent embufqués dans les chama
JUILLET. 1762. 27
bres , cabinets & autres lieux voifins de
la Salle à manger. Des 24 Gardes du
Marquis , tous vieux Soldats d'élite , dix
ou douze eurent ordre de fe promener
fans affectation dans la Ville , pour diriger
les mouvemens des différens pelotons
de la Bourgeoifie dès que le fignak
en feroit donné.
Ces premieres précautions prifes , le
Marquis fit ordonner au fieur Pollart ,
Chefde la Bourgeoifie , fous le titre de
Bailli perpétuel , d'avertir en fecret tous
les Citoyens de fe tenir dans leurs maifons
, pour être prêts à faire feu fur les
Rambures & à leur courrir fus lorsqu'il
en feroit temps . Pollart exécuta fa commiffion
avec autant de vivacité que
d'intelligence. Il fit plus encore. Tandis
que les Conviés fe mettoient à table chez
le Gouverneur , & que la chaleur du
jour invitoit au repos le refte du Régiment
, il prit fur lui de faire filer dans
les Galleries de la Tour de l'Eglife tous
lesBourgeois les moins propres auxcoups
de main , qu'il arma de fufils & auxquels
il ne put empêcher une vingtaine
de femmes de fe joindre : tant l'amour
de la Patrie eft puiffant fur les coeurs mêmes
les moins faits pour la guèrre !
Tous ces arrangemens avoient été
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
fi fagement pris & conduits , qu'aucun
des Conjurés n'en avoit conçu de foupçons.
Toutes les portes de l'hôtel du
Gouverneuravoient été fermées au mo◄
ment de l'arrivée des Convives . Pendant
le repas , la joie & la cordialité apparentes
avoient été parfaitement foutenues
de part & d'autre ; lorfqu'au deffert , les
Damès ( felon l'ufage antique , & qui
fubfifte encore dans quelques Provinces
) s'étant retirées pour ne pas gêner
la liberté des hommes ; la Boiffière, Ma
jor de la Place , fe levant brufquement ,
& d'un air auffi froid qu'intrépide , ordonna
aux Conjurés de la part du Roi &
de M. le Gouverneur , de lui remettre
leurs épées,
A ces mots , les Traîtres étonnés &
convaincus d'avoir eux -mêmes été trahis
, fentant bien qu'il falloit ou périr
ou fortir de l'hôtel , fe mirent en devoir
de fe défendre & de courir aux fenêtres
de la Salle qui donnoient fur la Place
d'armes , en criant tout enſemble : à
nous , Rambures ! Mais elles étoient trèshautes
; & avant qu'ils puffent être entendus
, les embufqués fortis tout-à-coup
de leurs poftes , les accablérent , & après
les avoir percés de mille coups, les jetté →
rent du haut de ces fenêtres mêmes dans
J
JUILLET. 1762. 29
$
la Place d'armes. Cette éxpédition fut
enfin fi chaudement & fi heureufement
menée , que le Gouverneur feul y reçut
deux bleffures peu dangereufes , & dont
lui - même dans la chaleur de la mêlée
s'étoit à peine apperçu .
Cependant le tumulte avoit éclaté
hors de l'hôtel , où il n'étoit resté des
Amis du Gouverneur que ce qu'il en
falloit
pour mettre l'appartement où s'étoient
retirées les Dames à l'abri de toute
infulte le refte étoit defcendu dans la
Ville pour feconder la Bourgeoifie & le
peu de Troupes fur la fidélité defquelles
on pût compter.
La vue des cadavres de leurs principaux
Officiers , après avoir épouvanté
les Soldats de Rambures , les avoit
fait courir aux armes . Mais en défilant
par pelotons dans différentes rues pour
fe raffembler & fe mettre en bataille fur
la Place d'armes , une grêle de bales qui
tomba tout-à-coup fur eux des fenêtres
des Bourgeois & des Galleries de la
Tour en extermina un grand nombre
- mit le refte hors d'état de fe rallier , &
l'arme blanche acheva de décourager
des gens déja troublés par la furpriſe &
par le fpectacle éffrayant de leurs Officiers
& de leurs . Camarades mourans dont
2
la Ville étoit jonchée.
B iij
30 MERCURE
DE FRANCE
.
Pendant tout ce maffacre , le brave
Bofe de Taffennecourt , Lieutenant de
Roi & dont le Marquis de Rouville avoit
époufé la Soeur , fuivi des Militaires &
des Bourgeois qui s'étoient fibravement
comportés chez le Gouverneur , avoit
volé à la Porte Orientale de la Ville ,
( celle qui devoit être livrée aux Eſpagnols
) & où les Rebelles étoient aux
prifes avec les Suiffes , qui pour lors en
avoient la garde. Son arrivée & la valeur
du renfort qu'il amenoit aux Suiſſes ,
déconcerrta , mit en fuite les Traîtres ,
& acheva de fauver la Ville . Mais ce
digne Officier après avoir animé fa troupe
par fon exemple plus que par fes paroles
, reçut un coup de pertuifane dont
il mourut le lendemain , après avoir eu
la confolation d'apprendre que les Rambuses
étoient totalement défaits , que le
calme étoit rétabli dans la Ville , & que
le Marquis fon beau-frère étoit ainfi
lui comblé de gloire.
que
Le Traité fait par les Rambures avec
les Eſpagnols fut trouvé dans la poche
de celui qui l'avoit négocié , & qui fembloit
n'être revenu ce jour-là même de
S. Omer , une heure avant l'action , que
pour recevoir le digne prix de fa perfidie.
Quant à l'Amant de Françoife , il fut
JUILLET. 1762. .31
trouvé percé de coups dans le porche de
la maifon de fa Maîtreffe,fur les cadavres
de trois de fes Camarades , contre lefquels
il en avoit défendu l'entrée. Cette aimable
fille,qui avoit été témoin de fes exploits &
de fa mort , ne furvécut que peu dejours
à la perte d'un Amant fi digne de fes regrets.
Le pauvre Roze , dont le zéle & la
fidélité fembloient devoir lui mériter la
récompenfe la plus éclattante , n'en reçut
d'autre du Cardinal Mazarin , que celle
qu'il avoit coutume de promettre dans le
danger aux plus grands fervices ; c'est-àdire
des promeffes fans effet.
C'eft de la fille cadette de Roze , foeur
de la belle Françoife , morte en 1722 ,
âgée de 84 ans , de la Dame Marquife
de Rouville , de fes deux fils , l'un Brigadier
des Armées du Roi , Colonel- Lieutenant
du Régiment de la Reine , Pautre
, Abbé- Baron d'Andres , de fes deux
filles , l'une Comteffe d'Etoges , l'autre ,
Marquife d'Henneveux , de la Dame du
Corroy , Lieutenante de Roi d'Ardres
, fille unique du brave Taſſennecourt
, tous décédés dans ces derniers
temps dans un âge très-avancé , que M.
Mallet de Brefime , Lieutenant Civil de
Calais , mort il y a environ trois ans , a
recueilli toutes les circonstances , d'un
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
événement dont la mémoire,fi honorable
aux habitans de la Ville d'Ardres
nous a paru digne d'être confervée.
D. L. P . ****
EPITAPHE de l'Amant de
FRANÇOISE ROZE.
DAMON AMON eft inhumé fur ce funefte bord ;
Philis brûla pour lui d'une flamme amoureuſe :
Jaloux de fon bonheur , Mars termina fon fort.
Quelle fut la plus glorieufe
Ou de fa vie ou de fa mort ?
A Madame D. ****
, pour le jour de
fa Naiffance.
QUAND Junon de votre naiſſance
Eut fait fçavoir aux Dieux le fortuné moment ,
Vénus , qui dans vos traits lifoit fa décadence ,
Propofa que dès votre enfance
On vous plaçât au Firmament.
On l'écoutoit , lorſque la Tèrre ,
Jalouſe de vous pofféder ,
Invoqua le Dieu du Tonnèrre.
Mais Vénus fut plus forte ; il fallut lui céder.
Pour vous en porter la nouvelle ,
JUILLET. 1762. 33
Chacun des Dieux s'offrit ; on fit choix de l'amour :
Il fut celui de la céleste cour ,
Qu'onjugea le plus propre à vous rendre immortelle.
Il vole .... mais bientôt interdit à vos yeux ,
Et cédant à la Tèrre une prompte Victoire ,
Il oublia Vénus , & trouva plus de gloire
A fuivre ici vos pas qu'à régner dans les Cieux .
M. D. B.
LA RÉSIGNATION ,
ΑΙ
ALLEGORIE ,
A M. PAb. Ch. ***
' AI perda mon Amant , difoit un jour Clarice:
Je l'ai perdu , l'eſpoir me flate en vain !
J'ai dû fa conquère au caprice,
'Je dois fa retraite au dédain.
Mais dois-je l'accuſer , ou me rendre juſtice ?
Pour m'affurer de fes foins affidus ,
Qu'avois-je ? un coeur ? Oui , mais un coeur
novice ,
Peu de beauté , point d'artifice ,
Beaucoup d'amour , & rien de plus.
Il aime ailleurs , & trouve mieux fans doute.
Que faire ? ... hélas !! quoiqu'il m'en coûte ,
Etouffons des foupirs que je dois lui cacher.
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
La plainte rarement nous ramène un volage :
S'il a raifon , il nous fuit davantage s
Et s'il a tort , c'eſt la fâcher.
Volage Abbé , fi ce ſyſtême
Peut s'appliquer à l'Amitié ;
Verras-tu , fans quelque pitié ,.
Que j'agis & penſe de même?
D. L. P.
VERS à M. VANLOO , premier Peintre
du ROI.
QUAND,
UAND , parmi tes égaux , qui volent fur ta
trace ,
Louis t'offre la palme & la premiere place ,
+
De l'Europe , & d'eux même il conſulte la voix :
Animés du plaifir qu'inſpire un jufte choix ,
Leur fuffrage & leurs coeurs pour toi ſe réuniffent.
S'il falloit que par eux ce rang te fût donné ;
Comme les vrais talens aux talens applaudiffent ,
VANLOO , par tes rivaux ru ferois couronné. >
JUILLET. 1762. 35
EPITRE à M. l'Abbé de BRETEUIL ,
Chevalier Grand-Croix de l'Ordre de
Malthe Chancelier de Mgr le Duc
d'ORLÉANS en lui envoyant la
Traduction de la mort d'ADAM.
DB
,
Emes talens vous préfenter l'hommage ,
C'eft un devoir : Il eft cher à mon coeur.
Un feul moment fixer votrefuffrage ,
Seroit pour moi l'aurore du bonheur.
Mais ce n'eft point le rang que ma franchiſe encenſe
;
Cette idole du Peuple , eft pour moi fans attraits ;
C'eft votre douce bienfaifance
Dont j'aime à voir en vous les traits.
En vain le Dieu de la lumière
Répand au loins ces rayons éternels ,
C'eſt aux préfens dont il pare la Tèrre
Qu'il doit l'hommage des Mortels.
Nous ignorons les noms des Souverains du Monde ,
Nous chériffons ceux de ſes bienfaiteurs ;
Les uns ont difparu dans une nuit profonde ,
Les autres vivent dans nos coeurs .
Vousy vivrez, comme eux , votre Palme s'apprête
Vous cheriffez les Arts , ils ne font point ingratsi
Ils fémeront à l'envi fur vos pas
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
"
Les fleurs dont vous parez leur tête.
J'ai vu de l'Eſope François ( a )
Par vos bontés l'héritiere enhardie
De fon Ayeul envier le génie
Pour publier dignement vos bienfaits.
Vous lui faites cherir le fonge de la vie !
Vous avez arrêté fur les jours de douleurs
D'un Prince généreux les regards bienfaiteurs.
Pour elle alors tout a femblé renaître :
Et du moment qu'elle a fçu vous connoître
Elle a ceffé de connoître les pleurs.
Ton âme en tréffaillit au fein de l'Elifée :
Le defir de chanter & Philippe ( b) & Breteuil'
Ranima ta veine glacée ,
Le cri de tes enfans entr'ouvrit ton cercueil ,
O divin la Fontaine ! âme céleste & pure ,
Toi feul vraiment as furpris la Nature.
Le calme de ton coeur fe peignoit dans tes yeux ;
Tu vécus en Poëte & tu mourus en fage ;
Dans tes écrits ingénieux
La Raifon femble un badinage ,
Et les Bêtes dans ton ouvrage
Donnent des leçons même aux Dieux.
Me voudrois- tu prêter tes graces & ta lyre ?
A mes foibles vers autrefois ,
(a) C'eſt aux attentions & àla bonté de M. L. D. B.
que Mile la Fontaine , que lemalheur opprimoit , doit la penfion
dont Mgr le Duc d'ORLEANS la gratifie . Cette anecdote
imprimée dans tous les papiers Publics , l'eft encor e
plus furement dans lescours de tous ceux qui aiment les
belles actions , & les belles lettres.
46 ) Mgr le Duc d'ORLEANS,
JUILLET. 1762 .
37
Si Philippe lui- même a bien voulu fourire ;
Fais qu'en ce jour, où même ardeur m'inſpire ,
Le Miniftre éclairé dont ce Prince a fait choix,
A fes loifirs daigne les lire.
Et vous fur qui j'oſe lever les yeux ,
Pardonnez mon audace & fouffrez mon hom-
J'ai
mage ;
peu d'ambition : je vais me croire heureux
Si vous jugez mon coeur par mon ouvrage.
POINSINET,de l'Académie des Arcades de Rome .
Ce 28 Avril 1762.
LETTRE à l'Auteur du Mercure , fur
la Queftion Utrum armis an litteris
fama citiùs comparari poffit ?
'AI trouvé, Monfieur , dans le premier
Mercure du mois d'Avril de cette année ,
quelques obfervations touchant le Guerrier
& l'homme de Lettres 2
, propos
de cette Question Utrum armis an litteris
fama citiùs comparari poffit? L'Auteur,
raifonnablement prévenu pour fon
métier , a fait comme les Avocats qui
n'avouent point les torts de leur Partie
, & colorent leur caufe de tout le
fard que leur efprit & leurs beaux ta38
MERCURE DE FRANCE.
lens leur fuggérent. Mais , Monfieur
montrer tous les côtés lumineux d'un
objet & n'y trouver aucune ombre, dire .
fçavament tout le mal qu'on fçait d'un
autre, n'eft pas le moyen de parvenir à une
difcuffion fùre : un bon moyen c'eſt de
rapporter fidélement & fans préjugé le
pour & le contre des points qu'on veut
apprécier , & de laiffer aux Lecteurs
& au temps le foin de la déciſion.
Quel est le but des Lettres & des
Sciences ? d'étendre, d'approfondir laRaifon
, de chercher des vérités utiles aux
hommes , de confacrer les talens du Citoyen
aux biens de la fociété . Quel
eft le but des armes ? de protéger les
droits de la Patrie & des Souverains ,
de combattre l'injuftice armée par l'orgueil
, deſtinations également utiles &
élevées. Mais quels fruits naiffent dans
les champs des unes & des autres ? ici
la lumiere , les arts , les commodités de
la vie : là je ne vois de toutes parts que
des défaftres & des funérailles. Que réfulte-
t-il de l'abus des unes ? quelques
difputes légeres & frivoles qui fe taiſent
devant la loi , quelques opinions hazardées
, dont le pis eft de duper un Lecteur
peu compétent;tandis quela pratique jour
naliere de l'autre enfante des fureurs qui
JUILLET. 1762 . 39
défolent la terre , & en font un Théâtre
de défeſpoir & d'effroi.
,
Faire & dire des grandes chofes ,
nous dit-on , voilà la différence qu'ily
a entre le Guerrier & l'Homme de Lettres.
Quoi les grandes chofes qui confiftent
à égorger , à détruire , à briller par les
débris & les calamités valent - elles mieux
que ces découvertes laborieufes qui
ont étendu amélioré le Commerce
,
l'Agriculture & les Arts néceffaires à la
vie , que la guerre opprime & dévore ?
Cicéron qui découvre une confpiration
profonde & terrible , qui retient Rome
au penchant du gouffre creufé par Catilina;
Demofthène dont la voix fait plus
contre Philippe que les armes desGrecs,
qui montre avec véhémence aux yeux
languiffans des Thébains l'orage qui
gronde fur les têtes ; Suger qui tâche
d'arrêter le fougueux torrent desCroifés
qui injuftement pieux alloient inonder
l'Afie & s'y engloutir ; le Citoyen qui
empêche par fes mefures , que dans cette
nuit effroyable qui couvrit tant de crimes
& de fureurs, la moitié des François
n'affaffinât l'autre , ne font- ils pas
des perfonnages plus chers à l'humanité ,
que les Céfars , les Alexandres , les Ataila
qui ont rempli la Terre d'allarmes
40 MERCURE DE FRANCE.
& de ruines ? Quoi le tableau qui nous
préfente Cicéron recevant du Peuple &
du Sénat attendris le titre de Père de
la Patrie qu'il vient de fauver , n'eſt-il
pas un fpectacle plus touchant & plus
glorieux , que les Généraux vainqueurs
qui entroient dans Rome en traînant
à leur char des Captifs & les dépouilles
fanglantes des Villes?
›
Ouvrez les Faſtes de l'Hiftoire & vous
y verrez depuis le berceau du monde
jufqu'à nous , une chaine non interrompue
de Guerriers farouches qui ont été
les fléaux de la terre ; tous les fiécles ,
tous les Empires toutes les Nations
ont eu leur Attila qui ont déchiré une
portion du Globe & qui ont tracé leur
nom au Temple de mémoire avec le
fang & les larmes des Peuples : Sefoftris
portant la foudre & la deftruction dans
tous les Pays fur un char traîné par des
Rois , & marquant fes pas dans l'Univers
par des malheurs & des ravages ;
Alexandre après avoir couvert de débris
& de tombeaux la Terre épouvantée ,
affamé des lauriers décorés du fang des
Peuples d'un autre Monde ; les Romains
courant à la Monarchie univerfelle fur
des trônes brifés & des villes en cendres ;
les Maures , les Goths, lesVandales fonJUILLET.
1762. 4J
dant de leurs forêts fur l'Empire Romain,
abattant ce coloffe qui couvroit la tèrre ,
& formant cent trônes de fes membres
épars & déchirés ; Mahomet annonçant
un Dieu le glaive en main , & le plaçant
à force de fang & d'impoftures fur les
Autels de la moitie de la tèrre ; & entre
une foule immenfe de deftructeurs &
de Conquérans , de nos jours les Efpagnols
découvrant un Monde nouveau
& le faifant Chrétien par le glaive &
le feu.
, Ouvrez les Faftes du Monde vous
y verrez Solon , Lycurgue , Numa faifant
germer les Loix , les vertus , les
moeurs dans des climats fauvages & groffiers
; Platon , Pythagore , voyageant
chez les Peuples & les Philofophes pour
y recueillir des vérités utiles à leur Patrie;
une foule de Sages & d'hommes laborieux
s'enfonçant dans la méditation &
l'étude pour y combiner ces Arts divers
qui portent la douceur & l'abondance
dans la Société.... Des Peuples
renommés par leur barbarie humanifés
& polis ; cette nuit épaiffe qui avoit couvert
douze fiécles des crimes impunis ,
des guèrres injuftes , & confondu les
-
droits , diffipée & remplacée par le plus
42 MERCURE DE FRANCE.
beau jour ; ces vaftes contrées du Nord
où n'avoient germé que la rudeffe &
la férocité , éclairées du flambeau des
Sciences & des Arts,maintenant fertiles en
talens & en vertus ; la raifon plus fumineufe
& plus fùre , les Nations plus rapprochées
: Tel eft le tableau que préfentent
les Sciences & les Lettres .
Defcartes , qui a quitté la Société
pour rompre les fers de la Raifon , paroiffant
tout - à - coup & brifant une
vaine idole qui enchaînoit les efprits
par les liens de l'ignorance & des préjugés
; Harvey qui découvre la circulation
du fang fi utile pour la connoiffance
& l'attaque des maladies qui nous
affligent Tronchin qui arrache à un
poifon jufqu'ici indompté l'efpérance de
la génération ; cette foule de héros géometres
allant par des fatigues & des
marches inouies déterminer la figure de
notre globe qu'il importoit tant de connoître
pour l'avantage & les progrès de la
Navigation & du Commerce , ne fontils
pas des hommes plus utiles & plus
grands que ceux qui trouvent l'uſage
du falpétre qui dévore les hommes & les
rochers ? de ces machines infernales qui
portent la deftruction dans tous les afyJUILLET.
1762 . 43
les ? de ces bombes,de ces canons , inftru
mens de notre rage & de nos défaſtres
de ces combinaifons qui enfeignent à
tuer beaucoup de monde en peu de
temps , & qui perfectionnent enfin le
fyftême affreux de la deftruction de
l'efpéce humaine ✈
La profeffion du Guerrier , bien entendue
, eft fans doute un état héroïque
& fublime ; mais fa gloire eft néceffairement
liée au malheur des hommes. Il
eft de beaux traits dans le fpectacle
fanglant de cette foule de Guerriers illuftres
feulement par des maffacres.
Trafibule , Epaminondas , Camille , du
Guefclin , font des héros immortels &
vantés ; mais leurs lauriers font rougis
de fang , & les hommes font avares
d'admiration pour une gloire que leurs
défaftres ont préparée. Qu'ils aiment
bien mieux le fouvenir de ces vertus
douces & bienfaifantes qui ont confolé
la Terre , & divinifé les Titus , les Antonins
, les Louis , que le fpectacle de
ces trophées qui couvrent tant de tombeaux
& de décombres ! C'est ici que je
défirerois que le Philofophe qui a étonné
un Siécle éclairé par le genre de
fes opinions & de fon éloquence , em44
MERCURE DE FRANCE.
ployât fes déclamations fortes & rapides
contre un Art funefte à l'humanité,
& non contre les Sciences & les Lettres
qui feront à jamais , quoiqu'il en dife ,
les délices & le bonheur des Peuples.
Qu'il mérite bien fon courroux Philofophique
cet Art qui épouvante & de-.
fole la Terre , qui rend les hommes furieux
& féroces comme l'ours , & qui
fait de l'Univers une arène où le déchirent
les Nations & les Empires , où
l'honneur & le profit d'avoir vaincu eft
d'avoir verfé beaucoup de fang & fait
beaucoup de ravages , & non les Sciences
& les Lettres qui tendent à rapprocher
, à unir les hommes & à ne faire
du monde entier qu'une vafte Société
dont elles formeroient les noeuds & les
canaux ! Là, je n'apperçois que des fuites
affreufes , un Art qui ne doit fa
naiffance qu'à nos paffions , qui ne fe
nourrit que de calamités & de larmes ;
ici , je vois une foule de biens verfés
fur la furface de la Terre , un
Art chargé des commodités qui charment
& rempliffent la vie. Là c'eft un
laurier lugubre qui ne croît qu'à force
d'être arrofé de fang , qui s'éléve dans
les débris & les funérailles dont la foif
rend l'homme injufte & barbare. Ici ,
JUILLET. 1762. 45
c'eſt un arbre fécond qui couvre la Terre
, & dont les rameaux portent des
fruits qui font le bonheur de l'humanité.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Par un jeune homme de Province.
AM, de B *** , Chevalier de S. Louis,
Capitaine de C *** .
FILs de Bellone & d'Apollon ,
En dépit du Dieu d'Epidaure ,
Toi qui voles , dès ton aurore ,
Des champs de Mars , fur l'Hélicon !
Ne crains pas que ton feu s'énerve
Dans des lieux où tout ſçait charmer ;
Près de Pfyché , près de Minerve ,
On doit écrire & s'enflammer.
Je fens ici le ranimer ,
A ces noms , ma ſtérile
verve.
Mais , comment les bien exprimer >
Ami , que le Ciel me préſerve ,
Malgré Phébus d'ofer rimer
Un éloge qu'il te réferve !
Eléve du vif Hamilton ,
* Madame & Mlle de V***,
46 MERCURE DE FRANCE.
Ta lyre la fienne rappelle.
La mienne qui baiſſe d'un ton ,
Se borne à celui de Chapelle.
Par M. de LARDIERE , Auteur du MANTELET,&
de plufieurs Piéces fugitives répandues dans
les Journaux , Abonné au Mercure .
COUPLETS BACHICQUES.
AIR : A table je fuis Grégoire.
LOINN des tracas de la vie,
Qui n'augmentent que nos maux ,
Pour moi ma Philofophie
Eft au fond de mes tonneaux :
Pour oublier la miſére ,
Je bois du foir au matin ;
Et je ne quitte mon verre
Que pour careffer Catin.
Amis , fi par des largeffes
On appaifoit Atropos ,
Pour amaffer des richeſſes
Je n'aurois point de repos ;
Mais rien ne touchant la Parque ,
Pourquoi des foins fuperflus ?
Puifqu'il faut paffer la Barque
que pour Bacchus. Ne vivons
JUILLET. 1762. 47
De ce Dieu chantons les charmes ;
Par la divine Liqueur ,
Il diffipe les allarmes ,
Er des Belles la rigueur.
Si Cloris , pleine de Grace ,
Goute de ce jus divin ,
Sa froideur fait bientôt place
Aux doux tranſports de Colin.
Par M. le Comte de CHERVIL,
SALADIN A PHILIPPE AUGUSTE.
JEUNE & fage Héros , dont le coeur magnanime
Obtient de l'Univers & l'amour & l'eftime ;
Recevez les Captifs par vos dons rachetés ;
Envers vous , envers eux , j'ai rempli les traités;
La tréve dure encor : que ce foible avantage
D'une folide Paix foit enfin le préfage ;
Et puiffe un noeud fi faint , entre nous affermi ,
Me fauver du malheur d'être votre ennemi !
D'illuftres prifoniers reftés en ma puiſſance ,
Je voudrois adoucir le fort par ma clémence ;
Ils favent que leur Roi daigné gémir fur eux ,
Et fa pitié rendra leurs fers moins rigoureur.
Seigneur , pour vos fujets , quelle bonté vous
preffe !
Votre zéle inquiet , vos pleurs , votre tendreſſe,
48 MERCURE DE FRANCE.
Qui vous font d'un barbare implorer le ſecours ,
Sont des foins généreux ignorés dans nos Cours.
Qu'à vos voeux paternels le ciel toujours réponde!
Puiffent vous imiter les vrais Maîtres du Monde ;
Et préférer , s'il faut affervir l'Univers ,
La chaîne des bienfaits au dur lien des fers !
Je fçai que d'un courroux , peut-être , légitime ,
Chacun de vos François déplorable victime
Qui me vit de fes fers ordonner les apprêts ,
Croit pouvoir de les maux me reprocher l'excès.
Moi , cruel ! ... Ah Seigneur , daignez mieux me
connoître.
Sous votre empire heureux fi le fort m'eût fait
naître ,
Soufcrivant chaque jour à ce préſent des Dieux,
J'aurois pû m'applaudir d'être né vertueux.
Chacun de vos fujets à fon devoir fidéle ,
De toutes les vertus voit en vous le modele ,
Et fe croit toujours libre en vous obéiſſant ,
Moins foumis à la loi qu'à fon propre penchant.
Si , pour lui , votre coeur étoit moins acceſſible ;
Votre Peuple , fans- doute . à ce malheur fenfible
,
Libre encor , mais alors plus foumis à la loi ,
Reconnoîtroit en vous moins un père qu'un Roi.
Pour nous , infortunés , qui naiffons vils eſclaves,
La probité , l'honneur ont de dures entraves ;
Les hommes ne font point vertueux fans efpoir ;
La
JUILLET. 1762 . 49
La terreur , feul motif qui nous porte au devoir ,
Sur le front de nos Rois a ceint le Diadême ,
Et nous fait adorer leur volonté fuprême ;
La nôtre , dans les fers , a perdu ſes refforts ,
Et n'a plus vers le bien que d'impuiffans efforts.
Si notre heureux penchant à l'honneur nous invite
, •
Rapportant tout à lui , le Monarque en profite ,
Et les triftes Sujets , flétris , humiliés ,
Sont encor trop heureux de s'en voir oubliés.
La liberté chez nous ſous le joug affaiſſée ,
Peut-être n'eſt ailleurs qu'une fougue inſenſée ;
L'eſpoir de ce phantôme aux humains tant vanté,
Les entraîne aux excès de la férocité .
Malheureux comme nous mais toujours plus
coupables ,
"
En rejettant un Chef , des Peuples redoutables
Se livrent aux fureurs de cent Tyrans divers ,
Et ne font en effet qu'appeſantir leurs fers ,
Jufqu'à ce que la force à la fin les opprime.
Heureux qui reconnoît un Prince légitime
Chéri de fes Sujets autant que reſpecté !
Ce culte qu'en nos coeurs la Nature a dicté ,
Dès l'enfance du Monde a des traces conftantes ,
Et des premiers humains les familles errantes
S'unirent fous un Chef & reçurent les loix :
Sur vos heureux fujets , Seigneur , tels font vos
droits .
I. Vol. C
50 MERCURE DE FRANCE.
Quels qu'ils foient , cependant , des Maîtres de la
Tèrre
Nous devons révérer l'augufte caractère ,
A de fimples Mortels le Ciel n'a point permis
De condamner le Prince auquel ils font foumis.
A celui que je fers je dus l'obéiffance ;
Je dus par des rigueurs affermir fa puiſſance .
Vos François affrontoient la mort dans les combats
;
D'un deftin plus affreux pour eux que le trépas ,
Il fallut leur montrer l'appareil redoutable.
Sans doute qu'au pouvoir d'un vainqueur plus
traitable ,
Nos Chefs & nos Soldats eurent un fort plus doux,
Seigneur , un tel exemple eft dangereux pour
nous.
D'un Peuple de Héros dont vous êtes le père ,
Le repos , le bonheur , la gloire vous eft chère ;
Nos Sujets malheureux , vaincus comme vain-,
queurs ,
Ne fe flattent jamais d'intéreffer nos coeurs.
J'étois né loin du Trône , & j'y touche peut-être :
Mais d'esclaves nombreux fi le fort me rend maître
Ce n'est qu'un vil troupeau foumis à mon pouvoir
A qui la crainte feule inſpire le devoir ;
Hardi quand on le craint , fimple quand on l'op
prime ,
Et quel'impunité porteroit feule au crime.
JUILLET. 1762. 51
Du Soudan Noradin Miniſtre plus heureux ,
Des Chrétiens mal conduits & divifés entr'eux
Lorſque je difperfai la vaillante cohorte ,
Ce fut en oppofant la digue la plus forte
Au rapide torrent qui veut fondre fur nous.
Seigneur , quelques François tomberent fous nos
coups ,
D'autres plus malheureux languiffent dans nos
chaînes ;
Mais des vaftes états dont je conduis les rênes ,
Le fer de vos François a fait d'affreux deferts ;
Ils font affez vengés des maux qu'ils ont foufferts.
Du Peuple qui déja reconnoît mon empire ,
Tout esclave qu'il eft , le bonheur feul m'inſpire ;
Et ces voeux , quand mon coeur femble les dé
daigner ,
Sont les droits que fur lui je me fais pour régner.
O de l'humanité déplorable chimére !
J'étouffe en gémiſfant , la vertu qui m'eft chère ,
Vertu trop dangereufe en ces triftes climats ;
Et je feins des rigueurs que mon coeur ne ſent
pas ! ...
Par M. MOR
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
VERS à mettre en Mufique.
ECHOS , vous êtes indifcrets .
Quand je foupire
Pour Thémire
Vous répétez dans ces Forêts
Que je foupire
Pour Thémire ...
Echos , vous êtes indifcrets.
Mais quand l'inhumaine
Vous conte fa peine
Echos , vous reſtez muets.....
Echos , vous êtes trop difcrets.
Par M. Du M.
QUATRAIN pour mettre au bas du
Portrait de M. CARLE VANLOO
nommé premier Peintre du ROI.
Au gré des voeux publics , Carle eſt mis à fa
· place.
•
LOUIS depuis longtemps réfervoit cette grace ;
Un tel choix fait fans protecteur
Eft digne de l'Artifte , & de fon Bienfaiteur.
Par M. l'Abbé Delaunay, Lecteur , & Penfionnaire
dela Cour de Portugal,
JUILLET . 1762. 53
TRADUCTION d'une Ode Angloife
de M. PRIOR.
CHLOE , dans nos regards vous prétendez ſans
ceffe I
Deviner d'un chacun le penchant & l'humeur ;
Vous dites que les miens vous décélent un coeur
Auffi bien qu'à l'amour enclin à la trifteffe.
Je vois que vous avez pénétré mon fecret
Sans mettre votre efprit longtemps à la torture.
Lorfque fi furement on a lancé le trait ,
Il n'eft pas malaiſé de montrer la bleffure.
Comment fans vous aimer aurois-je pu vous voir ?
Jamais femme à mes yeux n'avoit paru fi belle ;
Mais , je l'éprouve trop , votre froideur eft tele
Que mon coeur eft toujours réduit au délelpoir.
Vous pouvez , de mon fort , arbitre fouveraine ,
Changer en un moment ma triſteſſe en gaîté.
Loin de gémir alors fous le poids de ma chaîne ,
J'en ferois & ma gloire , & ma félicité .
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
EPITRE à M. DE LILIA , Docteur
en Médecine de la Faculté de Montpel
lier , Aggrégé à celle de Lyon . Par M.
ROS AMBERT.
rox , dont le talent divin
A ton gré regle la nature ,
Apprends qu'Efculape murmure ;
La Jaloufie eft dans fon fein.
Il craint, & fa crainte eft fondée ;
Il doit trembler pour les autels ,
A tes pieds tu vois les Mortels ,
Quand la cour eft abandonnée .
Déjà la fiévre dans mes fens
Sembloit par la rage allumée :
Je m'abandonne à tes talens ;
Soudain fon ardeur eſt calmée ,
Tels on voit les flots en fureur
Troubler le féjour de Nérée,
Et porter dans l'âme altérée
Et le défordre & la terreur :
Neptune appaile cet orage ,
Le calme fuccéde aux horreurs ,
Et fait renaître dans les coeurs ,
L'eſpoir de gagner le rivage.
On dit que l'injufte Atropos
Tranchoit la trame de ma vie ;
!
JUILLET. 1762. 55
Mais que ta prudence înfinie
De les mains ravit les cizeaux .
Ta ſcience en fait une efclave
Que tu fais régir à ton choix :
Tel , le Belge à va Bohérave
A fa fierté donner des loix.
Pour peindre ce talent fublime
Qui rend tes Lauriers toujours verds ,
Je veux , dans l'ardeur qui m'anime
Des neuf Soeurs emprunter mes vers .
L'eſpoir me conduifoir vers elles ...
La crainte m'arrêta foudain :
Hélas ! je n'en obtiendrai rien :
La Fable les tient pour pucelles.
Mais laiffons ma foiblelle à part :
Quittons Momus , & fa manie :
Faut- il donc recourir à l'art ,
Quand du fujet l'âme eft remplie ?
Ai-je beſoin de leurs accens ,
Pour retracer cette éloquence
Qui met le calme dans les fens ,
En y répandant l'eſpérance ?
Elle m'a fait trouver le port ,
Dont m'eût écarté ma folie .
Si tu n'avois caché mon fort , ( a )
( a ) Le Médecin inftruit que l'Auteur avoit eu
deux abcès à la poitrine , lui cacha avec foin lefang
qu'il crachoit ; il le traita avec tant d'habileté & de
prudence , qu'en22jours il le guéritparfaitement.
Civ
56 MERCURE
DE
FRANCE
.
La crainte feule de la mort
Sans doute eût terminé ma vie.
Je vois l'aimable volupté
Reprendre fes droits fur mon âme?
De Vénus la céleſte flamme
Me rend la joie & la gaîté .
Tranquille au fond de ma retraite ,
Certain de ta fagacité ,
Ton ordre eft toujours reſpecté ,
Et ta volonté toujours faite.
Le Muſulman en vérité ,
Eft moins foumis à fon Prophéte.
Ta bonté s'oppofe aux fouhaits
Que forme un appétit yorace ;
Ton coeur gémit de fon audace ,
Maïs refte ferme en fes projets .
Tel on voit un Pilote habile ,
Quand l'Aquilon trouble les eaux ,
Malgré les cris des matelots ,
Conferver une âme tranquille.
Savant & profond dans ton art ,
La Raifon toujours te décide :
Jamais on ne donne au hazard ,
Lorſque Minerve eft notre guide.
Je vois l'Ariftarque envieux
S'élever contre cet ouvrage ,
Et vouloir prouver qu'à ton âge ,
Dans un art auffi périlleux ,
JUILLET. 1762.
57
On a pu découvrir un ſage ,
Jamais un mortel ſtudieux.
>> Qui compte une vie inutile ,
» Place Priam avnt Hector;
>> Mais les travaux du jeune Achille
» Ont ſçu l'égaler à Neftor.
D'Epidaure accepte l'empire ,
Des mains de l'amant de Daphné ; ( b )
Il déshérite Podalire , ( c)
Qui gémit fanse tre étonné.
Une heureuſe convalescence
Me promet de plus beaux deftins :
Je devrai la vie à tes foins ,
A ton fçavoir , à ta prudence ;
Et j'aurai les Dieux pour témoins
De ma jufte reconnoiſſance.
L'ingrat eft un monſtre à mes yeux ,
Et mon coeur frémiroit de l'être ,
Quand je te dois un nouvel être.
Apprends-moi donc à reconnoître
Un bienfait auffi précieux.
Pardon j'oubliois ta défenfe ;
L'ufage caufoit mon erreur :
Quand tu cherches la récompenfe ,
C'eſt toujours au fond de ton coeur.
( b ) Apollon , Dieu de la Médecine.
(c) Fameux Médecin , fils d'Efculape , qui
rendit degrands fervices aux Grecs pendant le fiege
de Troye.
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
Jadis on voyoit la patrie
Confacrer aux fameux Morrels
Et des Temples & des Autels ,
Pour prix de leur brillant génie.
Tu feras revivre ces temps
Que renverfa la barbarie ;
Et je prétends , malgré l'envie ,
Te donner le premier encens.
LE
E mot de la premiere Enigme du
mois de Juin eft la Façade du Louvre.
Celui de la feconde eft l'Oignon . Celui
du premier Logogryphe eft Réponse ,
dans lequel on trouve Rofe , Po, Pré ,
Or , Serpe , Eperon , Orne , Prône, Pro-
Je , Repos. Celui du fecond eft Chapeau
, où l'on trouve Pacha , Ah ! Puce
, Ache ( a ) , Hupe , Cape , Auch
Pau , Cap , Cep , Eau , Peau , Aa (b),
& Chape.
( a ) Apium medicinale.
b) Nom d'une & même de plufieurs riviéres .
મ
JUILLET. 1762. 59
ENIGM E.
Je fais pour qui je fers , d'un fort grand embarras , E
Et fatigue bientôt ceux à qui l'on m'attache ;
Mais je fuis fans reproche , & l'on ne dira pas`,
Que moi-même , jamais d'aucun je me détache,
Les ingrats au contraire , au mépris de mes foins
Me quittent fréquemment , dans leurs plus grands
befoins :
Auffi plus d'une fois , de cette indifférence ,
Un rapide trépas , eft devenu le prix ,
Quand très - ſouvent la vie eſt pour mes vrais amis
De leur amour pour moi , la jufte récompenſe.
Inutile à la Cour , très- néceſſaire au Camp,
Je ne fers qu'à cheval,& toujours en plein champ.
Ma mère fut la crainte , & ma fille et l'audace ;
Pour moi je ne connois ni courage , ni peur :
On n'en guérit jamais , dit-on , c'eſt une erreur ...
Le plus brave Guerrier convient que je la chaffe.
Mais pour la chaffer mieur , j'ai besoin de ma
foeur.
Par M. D. D'HENRIEREMONT , c. d. c.
G vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Je
AUTR E.
E vais où ? d'où je viens ; actif ou pareſſeux ,
Dans ma courſe rien ne m'arrête :
Je n'ai jamais ni pied ni tête ,
J'ai des bras , point de mains ; devine fi tu peux.
LOGO GRYPH E.
A M. CHALUMEAU de S. Domingue,
Auteur de celui fur le mot Réponse ,
qu'il m'a adreffé dans le Mercure de
Juin dernier.
PARAR des bagatelles fouvent
D'un Auteur le talent s'annonce ;
Ta Mafe peut , Damon , voler plus hardiment :
Qui ne feroit charmé de ta Réponse!
Ellayons de te repliquer.
Pour ne pas trop t'alambiquer ,
Je me børne à fix mots que je vais te décrire.
Celui qui les fait naître a huit lettres en tout ;
Il pouffe quelquefois un Raiſonneur à bout ;
Venons au réſultat : tel me garde & m'admire .
Pourfuis ! Tu me connois, ou finon tu fais rires
JUILLET. 1762.
61
Ce qui gâte une étoffe ; un Prophéte ; un Oiſeau
Qui babille autant que... tout beau ,
Seroit-il galant de le dire ?
Et ce qui plein partout eft pour nous d'un grand
IL
prix ,
Compte bien , ils y font tous fix.
DE CHARTRAIT , près Melun.
AUTR E.
L faut en convenir , je fuis une ruſée
Qui quelquefois fais voir bien du Pays ;
Tel qui fe frotte à moi ne fçait pas qui je fuis ,
Et pour tout dire enfin , je ne fuis point aifée.
Que ce début ne te rebute pas ,
Lecteur , fi tu veux me connoître ,
Ma diffection va peut-être
T'aider à fortir d'embarras.
Chez moi tu pourras voir , en uſant d'induſtrie ,
Cette beauté de Baotie
Qu'environné d'une flâme de feux .
Alla voir autrefois un Dieu
Un Météore ; une petite Ville ,
Dont la Loire arrofe les bords ;
Des métaux la ſource foffile ;
Ce rare , ce beau feu dont les brillans efforts
Malgré les affauts de l'Envie
=
Conduisent un Auteur à l'Immortalité ;
62 MERCURE DE FRANCE.
Une Riviere en Franconie ;
Le poifon de là Liberté ;
La partie molle & légère
Du plus néceſſaire aliment }
Ce que fait ordinairement
Devant un Magiftrat févère
Le Criminel qu'un aveu poſitif
Pourroit conduire à quelque fin tragique ;
Certaine Note de Muſique ;
Enfin un Pronom poffeffif.
Mais j'aurois dû plutôt me taire ,
Surtout après mon prélude orgueilleux :
Tout ce détail me dévoile à tes yeux ,
Et mon babil aura découvert le mystère.
Par M. DESMARAIS DU CHAMBON
en Limoufin , ces Mai 1762.
LA COQUETTE ,
RONDE A U.
BERGERI
Légère ,
Je crains tes appas :
Ton âme
S'enflâme ;
Mais tu n'aimes pas.
Bergere Le-ge- re,Jjee crains
W
tes
ap-
W
-pas,
Ton ame
Fin .
S'enflame,
Mais
tu n'aimes
pas.
Ta mine
Muti - ne, Prévient
et séduit , Mais vaine Hautai.ne , Tu
fuis qui te suit . Bergere . Tu vantes Tu
chantes L'amour et sa loi , Paroles Fri.-
voles , Tu n'aimes
que
toi .
Bergère
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND FILDEN
FOUNDATIONS
JUILLET. 1762. 63
Ta mine ,
Mutine ,
Prévient & féduit :
Mais vaine ,
Hautaine ,
Tu fuis qui te fuit.
Bergère &c.
Tu vantes ,
Tu chantes
L'Amour & fa loi.
Paroles
Frivoles :
Tu n'aimes que toi.
Bergère &c.
Paroles & Mufique de M. D. L. P.
64 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
-MÉMOIRES , pour fervir à l'Hiftoire
de la Vertu , extraits du Journal
d'une jeune Dame. Cologne , 1762 ,
4 vol. ini 2.
L.
A jeune Dame qui eft l'Héroïne de
ce Roman traduit de l'Anglois par M.
l'A. P , fe nomme Catherine Sidney
Bidulphe. Elle a perdu fon père dans
un âge fort tendre , & eft élevée fous
la conduite d'une mère eftimable
dans les plus étroites régles de la Vertu .
Elle a un frère beaucoup plus âgé qu'elle
, appellé le Chevalier Bidulphe , &
une Amie à qui elle révéle tous les fecrets
de fon coeur , & rend compte dans un
Journal , de tous les événemens de fa
vie. Elle a environ dix - huit ans lorſqu'elle
commence le récit de fes avantures. Son
frère a connu , dans le cours de fes
voyages , un nommé Falkland , Gentilhomme
Anglois , avec lequel il s'eft
lié d'amitié. Il lui a parlé de fa foeur
JUILLET. 1762. 65
& ils font convenus qu'à leur retour
à Londres , Falkland verra Mifs Bidulphe
, & la demandera en mariage fi
l'un & l'autre fe conviennent. Ici l'Auteur
fait le portrait de ce Falkland qui ,
avec beaucoup de bien & une belle
figure , a encore toutes les qualités
du coeur & de l'efprit. La jeune Bidulphe
eft moins riche ; mais elle ne lui
céde que par les avantages de la fortune.
La voir , l'aimer , la demander à fa
mère , font l'ouvrage d'un moment.
Le jour eft pris pour le mariage ; & ce.
jour n'eft pas éloigné ; mais comme l'hymen
eft fur le point de fe conclure , la
mère de Mifs Bidulphe apprend ou croit
apprendre que Falkland en aime
une autre. Cet Amant veut fe juftifier;
mais la trop vertueufe Madame
Bidulphe croit ne devoir écouter aucune
juftification , lorfqu'une fois Falkland eſt
convenu qu'en effet il a eu affaire avec
cette autre perfonne . Le Chevalier Bidulphe
a beau repréſenter à fa mère & à fa
foeur que c'eft une de ces avantures de jeuneffe,
dont peu d'hommes du Monde ont
été exempts . Ces deux femmes ne voient
dans cela , qu'un homme qui abuſe
d'une jeune fille , & qui ne peut réparer
,
fon honneur qu'en l'époufant. Prévenues
66 MERCURE DE FRANCE.
de cette idée que rien ne sçauroit leur
êter de l'efprit , elles perſiſtent à refuſer
la main de Falkland; & c'eſt de ce refus
conftant & opiniâtre , que naiffent tous
les malheurs qui arrivent à Mifs Bidul
phe. Le premier eft fon mariage avec
M. Arnil , qu'elle ne haïffoit pas à la vérité;
mais qu'elle n'aimoit pas autant que
Falkland. Ce mariage fe fait à la Campagne
dans le Château de Milady Grimfton.
Voici comment Mifs Bidulphe , que
nous appellerons déformais Mde Arnil ,
nous peint cette Milady Grimfton . » Elle
>> eft veuve depuis longtemps , & ri-
»che d'un gros douaire , avec lequel
» s'étant retirée dans fon Château , elle
» y vit auffi réguliérement qu'on le fait,
» dit- on , dans les Monaftères. Tous fes
»Domeftiques font nés avant le Déluge ;
» je crois que fes chevaux de caroffe ,
» n'ont pas moins de cinquante ans ; &
» jufqu'aux chiens du Château , tout eſt
» gris . Elle qui , dans fa jeuneffe même
» ne peut jamais avoir été belle , fe rend
» encore d'une figure plus défagréable
» par la manière bizarre dont elle fe met;
» vous la prendriez pour une Dame de
» la Cour de Charles I. On la trouve
» toujours habillée , & je crois qu'elle
» couche toute vêtue ; car dès l'heure
JUILLET. 1762. 67
» du déjeûné , elle eft dans toute fa pa-
» rure du vieux temps. Ma mère à la
» plus haute opinion d'elle , & prétend
» qu'elle connoît mieux le monde, qu'au-
» cune autre femme de fa connoiffance ;
» je le veux bien ; mais c'eft affurément
l'ancien Monde , car depuis trente ans ,
» Milady Grimfton n'a pas fait dix milles
» hors de fa maifon.... Tous nos mou-
» vemens font auffi réglés ici , que
» l'Horloge du Château . On fe léve á
fix heures préciſes ; le déjeuné fonne
» à huit , à dix la cloche affemble un
»vénérable auditoire pour la Priére qu'un
» vieux Prêtre , Curé de la Paroiffe , &
Chapelain de la Dame , nous récite
» tous les jours. Enfuite les vieux che-
" vaux font attelés au vieux Caroffe ; &
» Milady avec fes Hôtes , s'ils veulent
» être de la partie , s'en va prendre l'air ,
» allant toujours & revenant par la même
» route, toujours jufqu'au même endroit,
» & jamais plus loin. A midi on ſe met
» à table dans une falle à manger qui
» contiendroit une Communautéentiére .
» Milady prononce un Benedicite d'une
» heure de long ; & l'on eft fervi par
» quatre vénérables Laquais , car elle
» aime la parade ; & fes propres gens font
» les feuls qui foient admis dans la falle.
68 MERCURE DE FRANCE.
» Tout l'après-midi eft abandonné à no-
» tre difpofition ; ou du moins c'eſt une
» liberté qu'on a l'indulgence de m'ac-
» corder.... Les matins & les foirs font
» du même ton. L'heure du fouper eft-
» elle arrivée ? C'eſt le même cérémo-
» nial qu'à dîner. A dix heures préciſes
» au premier fon de l'Horloge , Milady
» feléve avec beaucoup de folemnité, &
» nous fouhaite une bonne nuit .
Le Chevalier Bidulphe n'avoit point
approuvé le mariage de fa foeur avec
M.Arnil; il auroit voulu qu'avant de contracter
cet engagement , elle eût écouté
la juftification de Falkland , & furtout
qu'elle eût vu la jeune perfonne avec qui
ce dernier avoit eu affaire . C'étoit Mifs
Burchill , niéce de Madame Goring , qui
jouera déformais un grand rôle dans ce
Roman, Falkland n'avoit jamais aimé
Mifs Burchill, & s'il avoit eu fes faveurs ,
c'étoit elle-même qui avoit fait toutes les
avances par le confeil de fa tante , qui
vouloit en tirer de l'argent. Falkland
paya en effet fort cher à Madame Goring
le plaifir qu'il goûta avec fa niéce ; &
tant qu'avoit duré ce commerce , non
ſeulement il ne s'étoit pas engagé à l'époufer
; mais il l'avoit même affurée qu'il
avoit des vues fur une autre perfonne.
JUILLET. 1762. 69
Cette liaiſon ne devoit donc pas être un
obſtacle à fon mariage avec Mifs Bidulphe.
C'eft néanmoins ce qu'on ne put
jamais faire entendre à la mère , qui ne
voulut écouter là-deffus aucune explication.
Mifs Burchill s'étoit elle-même chargée
de défabufer cette mère trop abfolue
dans fes volontés ; il eft vrai qu'elle
s'acquitta mal de fa commiffion ; & toute
cette négociation finit par le mariage de
Miſs Bidulphe , avec M. Arnil. Cet hymen
fut heureux pendant les premieres
années ; Madame Arnil devint mère de
deux filles charmantes ; & rien ne manqua
à fon bonheur tant que dura la tendreffe
de fon mari. Malheureuſement
l'intrigante Madame Goring , qui étoit
encore jeune & jolie , l'attacha à fon
char , & n'omit rien pour l'éloigner de
fon époufe. M. Arnil eft jaloux de
Falkland , & Madame Goring l'entretient
dans cette paffion dont fa
malheureufe femme devient la victime .
Les dépenfes de M. Arnil avec Madame
Goring , dérangent fa fortune , & réduifent
fon épouſe à la dernière misère. Falkland
fent de quelle conféquence il eft
de rompre cette déteftable union ; il fe
charge de ce foin , & voici comment il
s'y prend pour délivrer Madame Arnil
70 MERCURE DE FRANCE.
1
de fa rivale . Il feint d'être amoureux de
Madame Goring ; & au fortir d'une partie
de Bal, fous prétexte de la ramener
chez elle , il l'enléve , & lui fait prendre
le chemin de la France, Arrivé à Calais ,
illui repréſenta le tort qu'elle avoit fait à
Mde Arnil par fa liaiſon avec le mari ;
& après l'avoir touchée de
compaffion ,
il l'engagea à écrire à M. Arnil , qu'il
n'y avoit pas le moindre fondement de
vérité dans les accufations dont elle avoit
noirci fa vertueufe époufe. Cette Lettre
eft envoyée à Londres ; & pour finir
cette Comédie , Falkland fe propoſe de
marier Madame Goring avee Pernol, fon
Valet-de- Chambre. Ce Pernol étoit François
; & par les avantages que lui fit ſon
Maître , il accepta la main que Madame
Goring fe vit comme forcée de lui donner.
La converfation
qu'eurent à ce fujet
M. Falkland & Madame Goring , eft
un des endroits duRoman qui fe font lire
avec plus de plaifir. Pernelfe retire dans
fon Pays avec fa femme ; & il n'eft
plus queſtion d'eux qu'à la fin du Livre ,
où l'on apprend que les deux époux ne
pouvant vivre longtemps enfemble , Madame
Goring quitte fon mari pour venir
mourir
déshonorée &
malheureuſe en
Angleterre . Nous allons donc reprendre
JUILLET. 1762. 7.1
l'hiftoire de Madame Arnil. Son mari
qui l'avoit quittée pour s'attacher à Mde
Goring , ne tarda pas à fe rapprocher
d'elle ; & fa femme qui l'aimoit , & qui
d'ailleurs étoit très- vertueufe , fit prèſque
tous les frais de la réconciliation . Mais
ils ne jouirent pas longtemps enſemble
de la douceur de ce
raccommodement.
Une chûte que fit M. Arnil , lui caufa
une bleffure dont il mourut après plufieurs
jours de fouffrances les plus cruelles
. On ne fera peut-être pas fâché de
voir comment font racontées par un des
gens de Madame Arnil , les circonftances
de cette mort. » Le malade fentant
» que fa fin approchoit , fouhaita que
» les Prieres de l'Eglife fuffent récitées
$
auprès de lui , Madame Arnil envoya
» auffitôt chez le Miniftre du Bourg ;
» mais il étoit depuis quelques jours en
» voyage. Son Vicaire avoit été faifi la
» nuit précédente d'une fiévre aigue qui
» ne lui permettoit pas de quitter fon
» lit. Madame s'approchant du lit du ma-
» lade , lui dit : mon cher , notre Mi-
» niftre eft abfent , fon Vicaire eft ma-
» lade au lit ; & nous ne pouvons nous
» procurer ce foir la vifite d'aucun autre
Eccléfiaftique . Mais comme vous de
» firez de vous occuper des chofes du
72 MERCURE DE FRANCE .
""
"
» Ciel , trouvez-vous bon que je life
près de vous les Prieres pour les ma-
" lades ? Il tendit la main vers elle , en
» difant d'une voix foible , mais empref-
» fée : oui , mon cher ange. Les larmes
» couloient des yeux de Madame , lorfqu'elle
tourna la tête vers nous . Mais les
» ayant auffitôt éffuyées , elle nous pria
» de la feconder dans l'office qu'elle al-
» loit faire ; & quoique fon entrepriſe
» nous dit - elle , fût peut - être irré-
» gulière , elle efpéroit que dans un
» cas de néceffité , fes intentions feroicnt
» approuvées du Ciel. Elle fe fit apporter
» le Livre de Prieres ; & fans ajouter
» un mot , elle fe mit à genoux devant
» le lit de M. Arnil. Jamais je n'ai vu
de fpectacle fi touchant. Ses beaux
" yeux & fes belles mains fe leverent
» vers le Ciel , lorfqu'on eut mis de-
» vant elle le Livre ouvert fur une
" petite table. Quel air de refpect ,
» d'ardeur , & cependant de trifteffe
» dans fes yeux charmans ? Elle me pa-
>> rut quelque chofe de plus qu'humain .
» Après avoir invoqué le Ciel en filence
» dans cette pofture , elle commença la
» lecture des Prieres.... A l'endroit où
» la formule s'étend fur l'approche de
» la dernière diffolution , fa voix parut
"
un
JUILLET. 1762. 73
un peu troublée elle s'arrêta même
» un inftant ; mais reprenant auffi-
» tôt , elle pourſuivit jufqu'à la fin d'un
» ton ferme . Tout le monde , à l'excep
» tion d'elle-même fondoit en larmes
» autour d'elle . Après avoir achevé
» elle nous remercia triftement ; & s'af-
» féyant près du lit , elle y demeura dans
» une attitude compofée & dans un pro-
» fond filence. Vers minuit , trouvant
» que M. Arnil avoit perdu l'ufage de
» la voix , je la conjurai de fe retirer
» dans fa chambre. Souffrez , répondit-
» elle , que je fois ici quelques inftans
» de plus. Je vois que ma tâche ne fera
» pas longue ; il y auroit eu de la dureté
» à la preffer. Elle continua d'être im-
» mobile dans la même place . A deux
» heures M. Arnil pouffa un profond
» gémiffement. C'étoit fon derrier fou-
» pir. Il eft paffé , dit- elle d'une voix
» foible & tremblante en s'élançant
» de fa chaife. Elle prit une de fes mains
» qui étoit fur la couverture du lit , &
» la portant à fes lévres , elle l'y tint près
d'une minute ; enfuite , fans aucune
» autre démonftration de douleur , elle
» fortit de la chambre..... Elle s'eft ren-
» fermée pendant tout le reste de la nuit;
elle n'a voulu fouffrir perfonne auprès
I. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
» d'elle. Il eft aifé de s'imaginer l'em
" ploi qu'elle a fait du temps. Le ma-
,
tin une très-vertueufe Dame du voi-
» finage l'eft venue prendre dans fon
carroffe , elle & fes deux enfans . Elle
» n'a ni refufé ni confenti ' ; elle nous
a laiffé faire d'elle tout ce que nous
» avons defiré , fans ouvrir la bouche
"& elle s'eft laiffée »& conduire par laDame
» & moi jufqu'à la voiture ; mais la
» vue des deux enfans l'a jettée dans
» une telle agonie , que je me fuis crue
» prête à mourir du feul fpectacle ,
» &c. &c.
La Mort de M. Arnil , rappelle au
Chevalier Bidulphe , le deffein de marier
la veuve avec fon ami Falkland. Il
communique ce projet à fa foeur ; mais
les raifons qui l'avoient détournée autrefois
de ce mariage , fubfiftoient tou.
jours ; & la mère de Madame Arnil y
étoit plus oppofée que jamais , depuis
qu'elle avoit fait connoiffance avec Mifs
Burchill, & qu'elle avoit pris cette fille
en amitié, Non -feulement la veuve de
M. Arnil refufa le mariage qui lui étoit
propofé par fon frère ; mais elle employa
tout fon pouvoir pour engager
Falkland , à époufer Mifs Burchill ,
dont il avoit eu un enfant. Falkland
JUILLET. 1762 . 75
fe rend à fes inftances ; & ce mariage
fi contraire aux vues du Chevalier Bidulphe
, comble de joie fa mère & fa
foeur. Il n'en eft que plus irrité contre
l'une & l'autre , mais furtout contre
fa foeur ; car le grand âge de fa
mère & fa mort qui arriva peu de
temps après , ne lui permirent pas de
conferver longtemps fon reffentiment.
Il tourna toute fa colère contre Madame
Arnil ; & la fortune de cette
veuve ayant été prefque détruite par
le dérangement de fon mari , elle ne
trouva aucune reffource dans un frère
qui quoique fort riche , refufa toujours
de lui porter aucun fecours.
Ici la fcène s'ouvre à un nouvel Acteur
qui l'occupera prèfque jufqu'à la
fin du Roman . Cet homme fe nomme
M. Warner , dont le caractère approche
beaucoup de celui de M. Friport , dans
la Comédie de l'Ecoffoife. Il vient un
matin trouver Mde Arnil , & fe dit fon
plus proche parent. Il yavoit plus de
25 ans qu'il s'étoit embarquépour les Indes
; & fe préfentant fous un habit fort
fimple , il n'a pas de peine à faire croire
qu'il a été maltraité par le fort , & qu'il
fe trouve actuellement fans reffource. Sa
pauvreté eft une raifon de plus qui en-
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
·
gage la vertueufe veuve à le bien recevoir
, & à partager avec lui le peu d'argent
qui lui refte. La réception que lui
fait le Chevalier Bidulphe , fon coufin
& frère de Madame Arnil , eft bien différente
; il faut la lui entendre raconter
à lui- même . »J'ai trouvé dans un grand
» cabinet votre frère & votre belle -four
» qui étoient à déjeuner. Il y avoit du
» caffé & du chocolat fur la table. Je
" fis très refpectueuſe révérence. A une
» peine la Dame remua la tête . Votre
frère m'ayant regardé de la tête aux
"pieds , & fixant les yeux fur mon vifa-
» ge , me dit : votre ferviteur , Monfieur ,
» Monfieur , dis-je , m'auriez-vous tout-
» à-fait oublié ? Pour moi , je vous ai
» remis parfaitement. Il me répondit en
héfitant , avec un changement de con-
» tenance qui ne me promettoit rien
» d'heureux je vous protefte , Monfieur
, que je ne vous connois
nullement. Quoi ! Monfieur le Che-
» valier , vous avez oublié votre Coufin
" Edouard Warner ? Il fe tourna vers
» fa femme ; elle vers lui ; ils fe regar-
» derent avec un fourire forcé , qu'elle
» lui rendit , fans favoir apparemment
» pourquoi. Je me fouviens de ce nom
» qui étoit celui d'un parent de la famille,
» mort , je crois , depuis long- temps ;
99
99
JUILLET. 1762 . 77
mais quand il feroit encore au mon-
» de , s'il falloit me rappeller fa figure ,
c'eft de fi loin .... qu'en vérité ! .... je
" doute que je le puiffe. Pendant ce
» prélude , il me laiffa fur mes jambes ;
»il étoit étendu fur une chaife commode,
une taffe de chocolat à la main l'ap-
» prochant de fes lévres & me parlant
tour-à -tour . Sa femme excitoit à manger
une petite Perruche qui étoit per-
» chée fur fon épaule . Je dois être plus
» changé que vous , Monfieur le Che-
"
valier ce que j'ai fouffert , & ma
» longue réfidence dans un climat enflammé
, en font deux bonnes raifons :
mais eft-il poffible qu'il ne vous refte
» rien de mes traits , nul fouvenir de
» ma voix ? Je vous ai porté mille fois
» dans mes bras . Monfieur, me répondit-
» il , je ne veux pas difputer de l'iden-
» tité de votre perfonne ; mais je ferois
» bien aife de favoir ce que vous avez
» à m'ordonner. A vous ordonner , Mon-
» fieur ? Le pauvre demande des graces ,
» & n'ordonne rien. Je lui racontai ma
"
malheureuſe avanture dans les mêmes
» termes que vous venez de l'entendre .
» Sa Dame parut n'y faire aucune attention
, mais ceffa de parler à fon Perro-
» quet. Lui , prêta l'oreille à mon ré-
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
» cit , mais avec tant d'impatience dans
"les yeux , que j'en demeurai interdit..
»J'étois encore debout ; cependant pour
» rendre ma pofture un peu plus ferme
» je m'étois hazardé à me foutenir fur
» le dos d'une chaife. Lorfque j'eus fini ,
» votre frère s'emporta beaucoup , &
» parut avoir médité cette fcène , pen-
» dant que j'étois encore appuyé . Il
» marcha violemment jufqu'au bout.
» de la chambre , & fe tournant vers
» fa Dame : charmante avanture , que
» celle d'un homme qui s'ouvre à toute
» forte de prix l'entrée de cette maiſon ,
» & devient tout d'un coup un parent
» qui nous demande l'aumône ! .... En
ɔɔ üń mot , Monfieur , je ne puis rien
» faire pour vous ; qu'attendez-vous donc
» de moi ? Je lui proteftai que mes vues
» n'étoient pas d'être un fardeau pour lui.
» Je ſuis fait , lui dis-je , aux affaires :
j'ai la main fort bonne , & j'entends
» les comptes. Mon efpérance eft d'en-
» trer chez quelque Négociant. Mais
» dans l'intervalle , je meurs de faim .
ود
Je ne fuis ici qu'un étranger , quoi- :
» qu'au fein de ma patrie. J'obfervai
» qu'il portoit la main à fa poche , com-
» me pour chercher quelque monnoie.
» Chevalier , lui dit fa femme qui l'a-
" voit obfervé comme moi , c'eſt perJUILLET.
1762. 79
"
" dre fa peine & fon argent , que d'ou-
» vrir fa bourſe pour les gens de cette
» forte ; ayez cette générofité pour l'un ,
» ils en font paroitre un autre qui s'at-
» tribue les mêmes droits . Votre frère
» alors retira la main de fa poche , com-
» me fi les regards de fa femme l'euf-
» fent arrêté. Monfieur , me dit- il impérieuſement
, je ne puis vous affifter
, & c. & c .
Ce M. Warner avoit gagné des richeffes
immenfes dans le commerce ; &
n'ayant point d'enfans , il ne contrefaifoit
ainfi le pauvre , que pour mettre le
coeurde fes parens à l'épreuve à fon retour
des Indes, & faire part de fon bien à ceux
d'entr'eux qui le mériteroient davantage.
Après la réception fingulière que lui fit le
Chevalier Bidulphe , tous fes foins & fes
largeffes , fe tournerent du côté de Mde
Arnil ; il lui donna un hôtel fuperbe ,
un équipage brillant & la mit enfin en état
d'exciter la jaloufie de fon frère . Ce dernier
chercha à fe raccommoder avec elle ; &
Madame Arnil , y apporta la plus grande
facilité. Un jour qu'il étoit à diner
chez elle avec fa femme , M. Warner ,
pour fe venger de la fcène que nous
venons de rapporter , y arriva fur la
fin du diner. C'eſt encore un tableau
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
que nous allons mettre fous les yeux
du Lecteur ; il forme un contraſte divertiffant
avec la ſcène précédente. C'eft
Madame Arnil qui fait ce récit. » La
»porte s'eft ouverte ; un Laquais eft
» entré brufquement..... M. Warner.....
» auffitôt mon cher Coufin s'eft avancé
» d'un pas très-majeftueux ; paré , je
» vous en affure ; une grande & belle
» perruque nouée , où la poudre n'étoit
pas épargnée ; un jufte-au-corps de
» velours couleur de canelle fur une
» vefte d'un riche drap d'or , avec un
» volant de gros de Naples , petit gris ,
doublé de martre , & relevé de brandebourg
d'or à glands ; la canne à
» pomme d'or , d'un riche travail ;
" bas de foye blancs , à coins brodés
» d'or , cravatte longue & manchettes
du plus beau point.... Il a a jetté un
" coup d'oeil hautain fur le Chevalier &
fur fa femme qui s'étoient levés à fa
» vue ; & continuant de marcher droit
» à moi , il s'eft arrêté pour me faire
une profonde révérence . Il s'eft affis
» près de moi. Un court filence a fui-
» vi ; je l'ai rompu pour offrir à M. War-
» ner un verre de vin grec . J'avois peine
» à ne pas fourire de l'embarras où je
" voyois mon frère & fa Milady. Mon
JUILLET. 1762.
81
" Coufin en jouiffoit , & les regardoit
» tous deux , mais a feint de ne les pas
» connoître . Mon frère a pris la bou-
» teille pour refuge , a bû à ma fanté ,
» & s'eft incliné affez civilement vers
» M. Warner , en fe contentant de pro-
» noncer le mot de Monfieur. A peine
» l'autre a daigné répondre par une lé-
» gére inclination de tête. Enfin , s'adreffant
à moi , Coufine , fi vous n'aviez
» pas beaucoup d'averfion pour le tabac
, je vous demanderois la permif-
» fion de me faire apporter une pipe :
» c'eſt mon uſage après le diner..... "Fai
» répondu pour moi - même , que rien
» ne m'incommodoit ; & j'ai confulté des
» yeux ma belle-four ; elle ne m'a fait
» aucune réponse ; & notre Coufin fans
» étendre fes attentions plus loin , s'eft
» fait allumer un flambeau qu'on a pla
» cé près de lui ; & s'étendant fur ſa
» chaife , une jambe croifée fur l'autre
» il s'eft hâté d'allumerfa pipe , en pouf-
" fant des nuées épaiffes de fumée au
» nez de ma belle-foeur qui fe trouvoit
affife à fa droite ... Après avoir excef-
» fivement touffé , elle s'eft levée tout en
pleurs , & s'eft retirée à l'autre bout
» de la falle. Mon vieil Indien en a ri
» jufqu'à perdre haleine , tendant le cou
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
"
"
après elle , & me regardant comme s'il
" eut voulu dire que je fuis joyeux
» de l'avoir éloignée! ... Je dis à ma bellefoeur
de paffer dans le fallon où j'al-
» lois faire porter le caffé & la fuivre .
» Oui , a dit le Chevalier , en la pre-
» nant par la main ; fauvons - nous de
» l'horrible athmofphère que cet hon-
" nête Gentilhomme éléve autour de
» nous . L'honnête Gentilhomme n'a pas
daigné jetter un regard fur eux ; &
" ma foeur eft fortie de la falle avec
" fon mari. Auffi- tôt M. Warner a
» quitté fa pipe ; & frappant la table
» du poing , il a fait un éclat de rire .
» Dieu , Dieu ! a-t-il dit , tôt ou tard
» l'orgueil eft rabattu : je les crois hon-
» nêtement humiliés : quelle grotesque
» figure ils ont fait tous deux ! Coufine ,
» je fuis fatisfait à préfent ; je me trou-
"ve bien vengé. Vous pouvez aller les
» joindre & prendre le caffé avec eux.
» Adieu je vous reverrai .
Les richeffes que M. Warner prodiguoit
à Madame Arnil , mettoient cette
veuve vertueuſe en état d'en faire un noble
& pieux ufage ; c'eft ce qui donne
lieu à quelques Epifodes , que nous
fupprimons ici , pour reprendre la fuite
de l'histoire de Falkland , que nous
JUILLET. 1762. 83
avons vu marié à Mifs Burchill par
les inftances de Madame Arnil. Elle
ne tarda pas à fe repentir de l'avoir
engagé dans des liens qui lui devinrent
funeftes. Cet époux malheureux furprit
fa femme en adultère , & voulut punir
de mort celui avec qui elle lui faifoit
cet outrage : il crut en même temps
avoir ôté la vie à fon époufe. Obligé de
quitter l'Irlande où il demeuroit alors , il
vient ſe réfugier chez Madame Arnil , à
qui il raconte toutes les circonſtances de
cette avanture . M. Warner eft encore ici
d'un grand fecours & par fes richeſſes &
par fes confeils. Les idées de mariage
entre Falkland & Madame Arnil , fe
repréfentent de nouveau ; M. Warner le
defire avec ardeur ; applanit toutes les
difficultés ; cet hymen fe conclut , & eft
célébré en préſence de peu de témoins.
Mais comme il n'y a point de fureté pour
le mari de refter en Angleterre , on le
fait partir pour la Hollande incontinent
après la célébration du mariage. Il y
avoit près de huit jours qu'il étoit arrivé
à la Haye , lorfqu'on apprend par une
Lettre d'Irlande , que fa première épouse
n'eft pas morte.Madame Arnila le courage
de furvivre à cette nouvelle ; mais
la mort de Falkland qui arrive peu de
D vj
84 MERCURE DE FRANCE .
temps après , paroît avoir été volontaire ;
& l'Auteur donne à entendre qu'il a luimême
précipité la fin de fes jours. Madame
Arnil paffe le refte de fa vie dans
la retraite , où de nouveaux malheurs
donnent un nouveau luftre à fa vertu.
On ne peut nier qu'il n'y ait dans ce
Roman des fituations très-intéreffantes ,
& que la vertu n'y paroiffe dans le plus
grand éclat . Peut -être y trouvera-t -on
des détails peu vraisemblables ; mais il
n'y en a point qui bleffent la bienféance.
Les caractères y font variés & bien foutenus
; & l'intérêt de curiofité
jufqu'à la fin . Quant au ſtyle du Traducteur
, il paroît afforti au genre de l'Ouvrage.
augmente
LETTRE à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure , fur le Spectacle
de l'Hiftoire Romaine.
J'ai lu avec le plus grand plaifir , Monfieur
, dans le fecond Volume du Mercure
du mois de Février dernier , une
Piéce de Vers à la louange de M. Philippe
, Cenfeur Royal & Profeffeur
d'Hiftoire , dicteé par la reconnoiffance
de l'un des Auditeurs de fon cours annuel
& gratuit ; & qu'un autre lui a déJUILLET.
1762.
robée pour vous l'adreffer dans le deffein
, à ce qu'il paroît en la rendant
publique , de manifefter, de fa
mêmes fentimens.
part les
Tout ce qui a l'air de fentiment ne
peut manquer d'être accueilli favorablement;
& je fuis perfuadé que vos Lecteurs
auront fù le diftinguer de tout ce
qui n'a pour objet que l'amufement de
l'efprit.
Auditeur moi - même de ces leçons
publiques & gratuites de M. Ph ... je
partage avec eux leur reconnoiffance
& je crois pouvoir affurer que ce fentiment
nous eft commun avec toutes les
perfonnes de l'un & de l'autre féxe qui
fréquentent les mêmes leçons .
Mais qu'il me foit permis de le dire ,
l'Auteur de cette Piéce de Vers , quelqu'ingénieufe
qu'elle foit d'ailleurs
femble néanmoins laiffer defirer quelque
chofe ; & je préfume que le Public
auroit été plus fatisfait encore , fi cet
Auteur , auffi touché de l'intérêt général
que du fien propre , au lieu de la petite
Note qu'il a cru néceffaire à l'intelligence
de quelques Vers, & qui indique une
allufion faite à un ouvrage de M. Ph...
qui vient de paroître & qui a pour titre
Le Spectacle de l'Hiftoire Romaine ,
86 MERCURE DE FRANCE .
avoit daigné en même temps l'inftruire
de la nature & du mérite de cet Ouvrage
qui lui étoit fi connu. Le Libraire
Lottin l'aîné , rue S. Jacques , proche
S. Yves , le débite actuellement.
Pour y fuppléer , en vous priant
Monfieur , d'inférer pareillement cette
Lettre dans votre Mercure , permettez
que le Public puiffe trouver à la fuite
un expofé du motif , du plan , & de l'exécution
de cet Ouvrage dont il est l'objet
, & quelques-unes des réfléxions qui
fe préfentent naturellement à l'efprit fur
l'avantage qui peut en résulter pour bien
des claffes de Citoyens.
Inftruit par une expérience de près
de vingt- cinq années fur la manière ,foit
d'étudier , foit d'enſeigner Hiſtoire , M.
Ph... s'eft vu à portée de connoître les
moyens les plus propres à abréger cette
étude ; à en applanir les difficultés , & à
la rendre également utile & agréable.
Zélé Citoyen , & pénétré de tout l'avantage
de cette Science pour la culture
de l'efprit , il a dirigé toutes fes vues
pour faire partager au Public le fruit
de fon expérience & de fes méditations .
Un Cours de leçons publiques & gratuites
fur l'Hiftoire a été depuis longtemps
le premier pas que lui ont fuggéJUILLET.
1762 . 87
ré fon zéle & fon amour pour une Scien- ,
ce dont il a fait & fon état & fes délices .
Le nombre de fes Auditeurs , de tout
âge de l'un & de l'autre féxe , l'affiduité
la plus exacte & la plus conftante du
féxe le plus délicat , fans égard pour la
rigueur ou l'incommodité des faifons ,
les éloges qui ont fouvent interrompu.
le cours des Séances , par lefquels les
Auditeurs fe font opiniâtré de forcer la
modeſtie de celui qui préfidoit , & dont
quelques-uns ont tranfpiré dans le Public
; enfin ces éloges mêmes qui ont
fourni la matière & l'occafion de cet expofé
, juftifient d'une manière affez ſenfible
, l'heureux choix & le fuccès des
moyens que M. Ph... met en ufage , foit
pour infpirer à fes Auditeurs fon goût.
& fon amour pour l'étude de l'Hiſtoire ,
foit pour en écarter les épines ou en applanir
les difficultés .
Non content de communiquer ainfi
fes lumières & le fruit de fes travaux , à
un Peuple d'Auditeurs , M. Ph... s'eft
propofé de les rendre également utiles à
tous ceux généralement , qui avec le
même defir de cultiver leur efprit par
l'étude de cette Science , n'étoient pas
à portée d'entendre fes leçons & d'en
profiter ; tels font les vues & le motifqui
88 MERCURE DE FRANCE.
ont donné naiffance à l'Ouvrage que M.
Ph... préſente au Public .
Le plan qu'il a jugé propre au fuccès
de ces vues , paroît fort fimple , c'eft de
parler aux yeux & de leur peindre l'Hiftoire.
C'eft une vérité d'expérience , que ce
qui s'infinue par les yeux dans l'efprit ,
le faifit plus vivement & y laiffe des traces
plus profondes que ce qui n'y entre
que par les oreilles ; tout le Public , par
ce moyen , fera à portée de profiter des
leçons de M. Ph... On fent d'avance
qu'elles peuvent devenir intéreffantes ;
l'exécution de ce plan en fera mieux
connoître encore les avantages.
Le Spectacle de l'Hiftoire Romaine
depuis la fondation de Rome jufqu'à la
deftruction de l'Empire d'Orient & la
priſe de Conftantinople par Mahomet II.
en 1453. eft le début par lequel M. Ph...
commence l'exercice de fes leçons muettes
fur l'Hiftoire .
Cette Hiftoire fi connue , fi fertile en
événemens , en grands hommes , qui
dans fes premiers commencemens tient
aux plus anciennes Monarchies , qui dans
fon milieu forme l'Hiftoire du Monde
alors connu , & qui vers fa fin nous don
ne la clef du Monde préſent , méritoit à
JUILLET. 1762.
tous égards cette préférence de M. Phu
& le Public ne pourra qu'applaudir a
choix de ce Spectacle , qui du même
coup d'oeil lui fait appercevoir l'état ancien
& moderne de ce Monde .
Une centaine de tableaux environ ,
chacun deſtiné à repréſenter un des principaux
événemens de cette Hiftoire, doit
fervir à en former le Spectacle entier.
Tel fut , s'il eft permis de comparer
les grandes chofes aux petites , & l'Hiftoire
du Siége d'une Ville à l'Hiſtoiré
d'un Peuple entier , tel fut le fpectacle
du Siége & de la prife de Troye que
Didon , Reine de Carthage , fit , au rapport
de Virgile , autrefois repréfenter für
les murs du Temple de cettte Ville , &
qui en offroit aux yeux les cataſtrophes
les plus frappantes.
Chacun de ces tableaux gravés en
taille douce , repréfentera non feulement
l'action ou l'événement principal ;
mais encore tout ce qui a pu préparer
ou conduire au dénoûment .
Les geftes , les attitudes des Perfonnages
, le champ & le fite du tableaut
& tout ce qui peut fervir à peindre
les moeurs & le coftume des temps anciens
, parfaitement d'accord avec l'action
repréfentée , concoureront à fon
intelligence.
90 MERCURE DE FRANCE .
D'après cet expofé , on fera tenté
fans doute de confidérer chacun de ces
tableaux , comme autant de petits Drames
muets c'eft précisément auffi le
but que s'eft propofé l'Auteur ; en quoi
il a été parfaitement fecondé par le goût
& les talens des Peintres & des Deffinateurs
qu'il a employés à l'exécution
de cet Ouvrage , qui, s'ils n'ont pu donner
la parole à leurs perfonnages , ont
du moins réuffi en quelque façon , à la
peindre , & à la faire aifément deviner.
Connoître cet Ouvrage , c'eft fentir
toute l'utilité qu'on peut en retirer.
Quelle confufion ne porte pas dans
l'efprit pour l'ordinaire la multiplicité
des faits & des événemens que nous préfente
l'Hiftoire , par les traces trop mul
tipliées & trop peu profondes que laiffe
après elle la lecture feule ?
Des éxtraits de ces lectures faits avec
choix & précifion & deftinés à rapprocher
les principaux traits auxquels tiennent
tous les autres , font le reméde ordinaire
à cette confufion & l'appui de
notre mémoire. Mais quelles difficultés
n'éprouve -t - on pas pour la compofition
de ces extraits & plus encore pour le
choix de ce qui doit y entrer!
Ces tableaux , invention de M P ...
JUILLET. 1762. 91
outre l'avantage des extraits parfaits ,
réuniffent celui d'y fixer l'efprit d'une
manière beaucoup plus vive , & d'être
autant de modéles pour ce qui doit entrer
dans la compofition d'un Extrait .
A l'exemple du premier Troyen ,
fugitif, qui de fon nuage appercevant
tracé fur les murs du Temple de Carthage
, la priſe de Troye , s'écrioit avec furprife
, voici Hector ! voici Priam ! voilà
Achille ! ici étoit le Camp des Grecs ;
là celui des Troyens ; voila le Cheval debois
&c. & fe rappelloit à cette
vue tout le détail des événemens & des
malheurs de fa Patrie ; qui ne ſe rappelleroit
de même à la vue de ces tableaux ,
tout le détail des événemens qu'ils re-.
préfentent ? & quel extrait plus propre à
faifir & à fixer l'imagination ?
Mais l'utilité de cette invention paroîtra
bien plus fenfible encore , fi l'on
fait attention de quelle reffource elle
doit être pour l'éducation de la jeuneſſe
de l'un & de l'autre féxe .
Quelle avidité dans cet âge pour
tout ce qui frappe fes yeux , & pour
s'inftruire de ce dont il ignore les caufes
ou les effets ? Tout eft action dans
ces tableaux qu'on les offre aux yeux
des jeunes-gens , ce fera autant d'éni92
MERCURE DE FRANCE.
gmes propres à éxciter leurs defirs. Que
de queftions pour en pénétrer le fens ?
de-là que de leçons pour eux également
utiles & intéreffantes ?
Soit qu'un Maître leur en fourniffe
l'interprétation , foit que le defir naturel
de deviner tout par foi-même les
invite à en chercher le fens dans la
lecture même de l'Hiftoire ; on les
verra bientôt courir à ces tableaux ,
s'empreffer d'en dévélopper l'énigme
y remarquer jufqu'aux moindres particularités
que l'art de l'Auteur y aura
placées précisément dans cette vue , &
bientôt après fe fubftituer eux-mêmes
aux principaux A&teurs , leur donner
leur jeu & leur langage , & d'une fcène
muette en faire une bruyante , incommode
peut-être , mais bien intéreffante
& pour eux & pour les perfonnes jaloufes
du progrès de leur éducation ; &
qui manifeftant le dévéloppement de
leurs idées par l'attrait innocent du plai
fir , fera une preuve non équivoque de
l'utilité de la nouvelle méthode .
J'ai l'honneur d'être , & c .
JUILLET. 1762. 93
>
P. S. Perfonne n'ignorant le prix que
les Artiſtes & furtout ceux qui fe diftinguent
dans leur profeffion mettent
à leur travail il y auroit lieu d'être
furpris que M. Ph. offrît à la fois au
Public la collection entière de ces tableaux
, dont la dépenſe éxcéderoit de
beaucoup les forces d'un fimple Particulier
même opulent. M. Ph. fe borne
à lui préfenter les vingt premiers qui
ferviront à apprécier les autres & à
porter fon jugement fur le mérite de
l'ouvrage. L'accueil & le fuffrage du
Public feront fuivis en peu de temps
de 70 Tableaux qui reftent à faire , &
qui n'ont befoin pour paroître que dų
temps néceffaire pour les travailler.
Le tout accompagné de l'expofition
du Sujet de chaque Tableau , & des Cartes
Géographiques néceffaires à l'intelligence
forme avec l'Hiftoire Romaine
complette , 2 vol. in-4°. grand papier.
2
Tous les Auditeurs du cours d'Hiftoire
de M. Ph. font inftruits qu'il s'occupe
très -férieufement de fon objet
actuél dans le deffein d'éxécuter jau
plutôt fur le même plan , le Spectacle
de l'Hiftoire dela Monarchie Françoife,
*** Avocat au Parlement.
94 MERCURE DE FRANCE .
par
LETTRE à M. le Comte de la T. D. P.
Colonel du Régiment de G. le
Major du Régiment de Br..... fur la
Littérature Militaire.
C'EST principalement dans la Littérature
Militaire , Monfieur, que ce qu'on
appelle l'efprit d'un Ouvrage peut être
utile ; un Militaire eft un voyageur que
le nom feul de Bibliothéque doit éffrayer
; & fi les connoiffances des grands
hommes qui ont voulu le guider , ne
font pour ainfi dire condenfées & réduites
à ce qui compofe éffentiellement
la lumière , il fe dégoûte , & le talent
refte dans le germe. Il doit donc fçavoir
gré à ceux dont le travail a pour
objet d'abréger les peines fans diminuer
les profits de l'étude ; mais je crois auffi
qu'il a le droit d'éxiger d'eux qu'ils rendent
très- exactement la fubftance des
ouvrages qu'ils réduifent ; qu'ils en tranfmettent
fidélement le fuc , fans quoi
l'efprit feul de l'abbréviateur paroît au
lieu de celui de fon Auteur. Il en eft
de ce genre de travail comme des O pérations
Chymiques dans lefquelles toute
JUILLET. 1762. 95
décompofition eft manquée lorsqu'elle
ne produit pas les parties confiftantes des
corps ; en ce cas , Monfieur , l'Ouvrage
intitulé l'efprit de Follard , doit être
regardé comme un fquelette informe
qui ne peut donner nulle idée de la
Théorie , ou de la méthode de ce Tacticien
célébre. L'Auteur commence par
dire qu'il a fait main- baffe fur le ſyſtême
des Colonnes ; il eft , ce me femble ,
très-naturel de lui demander raifon de
ce retranchement ; ce fyftême fût - il
auffi méprifable qu'on veut le faire
croire par cette omiffion préméditée ,
dès qu'il eft le pivot & l'ame des Ouvrages
de Folard , devoit être expofé
dans un abrégé à qui on donne le nom
d'efprit de cet Auteur. Tout Extrait , je
répéte , doit être l'image fidelle des fentimens
& des idées d'un Ecrivain . D'ail
leurs on eft très-éloigné aujourd'hui de
réprouver le fyftême des Colonnes ;
une méthode qui fert auffi bien l'im
pétuofité nationale en la réduiſant à
l'ufage des armes de main ou de longueur,
& qui donne à un Peuple vif la
facilité & la légéreté dans les motions
militaires , une telle méthode ne peut
être profcrite fans préjudice. Je puis
dire , Monfieur , que les meilleures pro
c6 MERCURE DE FRANCE.
ductions de notre temps lui doivent une
partie de leurs fuccès , témoin l'admirable
Traité des Pléfions , Quvrage immortel
qui a apporté le feu de Prométhée
parmi nous , & qui dément bien
le préjugé qu'il n'y a ni ne peut y avoir
de méthode générale dans aucun genre ;
car felon moi les Pléfions fuppléent & fuf
fifent à tout, l'Auteur de ce Traité ſi lumineux
& fi eftimable avoue dans une infinité
d'endroits , les obligations qu'il a à Folard
; fans les Colonnes nous n'aurions
peut-être pas les Pléfions , car celles - ci
ne font que celles -là perfectionnées.
Un autre reproche , Monfieur , que
l'on peut tout auffi légitimement faire à
l'Auteur , c'eft de dire à propos de la
rareté des Livres claffiques Militaires ,
que » Céfar dans fes Commentaires ne
nous apprend que ce que nous voyons
» dans la guerre des Pandours ; que fon
» expédition dans la Grande -Bretagne
n'eft autre chofe : qu'un Général de
» nos jours ne pourroit fe fervir que de
» la difpofition de fa Cavalerie à Pharfale.
Toutes chofes qu'il eft permis de regar
der comme autant de blafphêmes inéxcufables
dans l'Ouvrage d'un homme
du métier. Quoi , Monfieur ? les plans
& les événemens de ces guerres immenfes
23.144
JUILLET. 1762. 97
menfes qui ont bouleverfé l'Univers
& fait de tous les Peuples un feul Peuple
; tous ces projets miraculeux éxécutés
à coups de génie , celui de la guerre
des Gaules , de la guerre d'Italie , de
celles d'Afrique & d'Efpagne , tout cela
ne feroit que l'ouvrage d'un Partifan ; &
le vainqueur du monde ne feroit pas
au-deffus de Thurot ou de Luckner ? jen
appelle à tout l'Univers , aux Mânes de
Pompée , de Labienus , d'Afranius , dų
défenfeur d'Alefia , tous guerriers fameux
vaincus par lui ; j'en appelle à
vous , Monfieur , dont je fais gloire dêtre
l'admirateur , & qui êtes fi digne de
prononcer fur cette queftion . Trouvez
bon que j'entre dans quelques détails
pour prouver l'injuftice de l'Auteur à
l'égard d'un des plus grands hommes
de la Terre , génie rare dont les écrits
contiennent tout ce que la guerre a de
plus fublime & de plus tranfcendant
& doivent être à jamais le code facré
de ces hommes deftinés par leur naiffance
ou leurs talens à conduire les armées
& à défendre la patrie . Vous allez voir
les précautions que prit ce Général immortel
avant d'exécuter fa defcente en
Angleterre , la fageffe de fes mefures &
la profondeur de fes vues . » Il étoit tard ,
>
1. Vol E
98 MERCURE DE FRANCE .
il
» dit l'Auteur de fa vie , c'est-à-dire que
» la faifon étoit déja fort avancée , lorf-
» qu'il réfolut de paffer en Angleterre ,
» d'où les Gaulois avoient tiré des fe-
> cours dans les guerres qu'ils avoient
» eues contre les Romains ; il comptoit
" qu'au cas qu'il n'eût pas le temps de
»terminer entierement cette guerre ,
» en tireroit du moins l'avantage d'ap-
"prendre quels étoient les hommes qui
» habitoient cette Ifle , de connoître le
19 pays , les rades , les ports & les lieux
» où l'on pouvoit aborder , toutes cho-
» fes inconnues aux Gaulois . Pour cet
» effer il fe rendit avec toute fon armée
» à Boulogne ( portus iccius ) ; il fit raſ-
» fembler des côtes voifines le plus de
» Vaiffeaux qu'il fut poffible , & les
joignit à la Flotte dont il s'étoit fer-
» vi l'année précédente dans la guerre
» de Bretagne . Le bruit de cet arme-
» ment s'étant répandu en Angleterre ,
» plufieurs Villes envoyerent des Am-
» baffadeurs à Céfar , pour lui promet-
» tre d'obéir au Peuple Romain. Céfar
» les reçut avec amitié & les renvoya
avec Comius , Citoyen d'Arras ; c'é-
» toit un homme fage & fidéle qu'il
" avoit fait Roi d'Arras après en avoir
33
foumis la Nation . Comme il avoit
JUILLET. 1762. 99
beaucoup d'amis & de crédit dans
» cette Ifle , il lui ordonna de vifiter
» les Villes , de les inviter à fe foumet-
»tre & de leur annoncer fon arrivée .
Sa Flotte étoit d'environ 80 voiles
qu'il crut fuffifantes pour tranfporter
» deux Légions , avec dix-huit gros
» Vaiffeaux fur lefquels il embarqua
fa Cavalerie . Il diftribua le refle de
» fes Troupes fous la conduite de Sabi-
» nus & de Cotta , fur les terres de ceux
» qui ne lui avoient point envoyé d'Am-
" baffadeurs , & laiffa Publius Sulpitius
» à la garde du Port d'où il fortoit . Il
» mit donc à la voile & arriva fur
» la quatriéme heure du jour , à la vue
» de l'Angleterre ; il trouva la Côte rem-
" plie de Troupes , & la Plage fi ref-
" ferrée par les collines qu'il crut de-
» voir débarquer plus loin . Mais les
" Anglois envoyérent en diligence
» de ce côté-là leur Cavalerie & les
» chariots dont ils avoient accoutumés
» de fe fervir dans les combats , & les
» fuivirent avec leur Infanterie. Céfar
» fit avancer des barques armées de
» machines à lancer des traits , dont
»l'ufage étoit inconnu fur ces mers ; il
» les remplit de foldats & les fit appro-
» cher du rivage à force de rames , &
E ij
335316
100 MERCURE DE FRANCE .
» fit jetter quantité de fléches & de dards
» qui arrêtérent l'ardeur des ennemis &
» favoriférent la defcente. » Je ne crois
pas, Monfieur, qu'on puiffe mieux remplir
l'idée des grands talens militaires
que le fit Cefar dans cette expédition ;
il cherche à fe procurer la connoiffance
des hommes & des lieux , il employe
les careffes , l'infinuation & la
négociation , il répand des troupes fur
les terres des Peuples fufpects , il s'affure
des Ports qu'il quitte pour les communications
, & l'on voit enfin dans fa
defcente , les rufes , l'habileté , les difpofitions
qui caractérisent la fupériorité
& qui méritent de nous fervir de modéles
; car il eft hors de doute que malgré
la différence prétendue occafionnée
par la poudre , & les avantages de nos
Bâtimens de guerre , nous ne nous conduirions
différemment dans une expédition
maritime . Venons préfentement
, Monfieur , à la Bataille de Pharfale.
L'Auteur de l'efprit de Folard
prétend , comme je l'ai dit plus haut ,
qu'un Général de nos jours ne pourroit
faire ufage que de la difpofition de fa
Cavalerie dans cette bataille . Je vous
ayouerai que j'avois toujours cru que
c'étoit la diftribution admirable de l'Inpas
JUILLET. 1762.
101
"
fanterie , & l'appui donné à une arme
par l'autre qui avoit fait le triomphe
de ce Héros dans cette journée . » Après
» avoir reconnu la difpofition de l'armée
» de Pompée , dit encore l'Auteur de fa
» vie , Cefar appréhendant que fon aîle
» droite ne fut enveloppée par la Cava-
» lerie de Pompée , qui étoit très-nom-
» breuſe , il tira promptement une co-
» horte de chacune des Légions qui com-
»pofoient la troifiéme ligne & il en
» forma une quatriéme ligne , en l'aver-
» tiffant qu'en ce jour la victoire dépendoit
de fa valeur. » Remarquez ,
Monfieur , que dans tout cela il n'eſt
pas queſtion de la Cavalerie de Céfar.
ce que je vais rapporter , va je crois, totalement
décider en ma faveur. » Quand
» on a affaire à un ennemi dont la Ca-
» valerie eft fupérieure en bonté & en
» nombre , dit le Maréchal de Puyfégur,
» cité par M. le Baron d'Eſpagnac , le
»
& » mieux eft de fortifier les flancs
» l'étendue des aîles des deux lignes ,
» avec l'Infanterie de feconde ligne ,
» & placer toujours cette Infanterie de
» manière qu'elle puiffe flanquer tout
» ce qui veut approcher de la Cavale-
» rie & du flanc des lignes. Céfar fit
» une manoeuvre à la bataille de Phar-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
وو
و د
33
"
» pour
» fale qui prouve le raifonnement que
je fais , qu'il ne faut tirer des troupes
» pour renforcer les endroits foibles
» dans l'ordre de bataille, que des lignes
qui ne font pas les premieres expofées
» dans l'action. Il tira une cohorte par
Légion de fa troifiéme ligne , dont il
» fit une quatriéme ligne qu'il plaça en
ligne oblique fur le flanc de fa droite ,
la mettre à couvert contre la Ca-
» valerie de Pompée . » En faut- il davantage
, Monfieur , pour démontrer que
c'eft l'ufage de l'Infanterie & ron celui
de la Cavalerie , à la bataille de Pharfale
, qui peut fervir de modée & de
leçon aux Généraux de nos jours . Cet
ufage eft- il celui d'un hefde Pandours?
ne marque-t- il pas la vivacité , la juteffe
du coup d'oeil & la fertilité des reffources
dans le fein des dingers & dans
ce moment fi délicat qui alloit fixer le
deftin du Héros & du monde ? Que
n'aurois je pas à dire fi je n'avois déjà
paffé les bornes d'une Lettre , & fi
tous les traits de génie du grand homme
que je défends , n'étoient connus de
vous ? Oui , Monfieur , ce grand homme
fera,tant que la véritable admiration
fubfiftera , la gloire de l'humanité &
JUILLET. 1762. 103
de Rome , & le flambeau du monde
militaire.
>
J'ai l'honneur d'être , & c.
AVIS , concernant l'Edition des OEuvres
de Pierre CORNEILLE , par M. de
VOLTAIRE.
ONN imprime , avec la plus grande diligence
, le Commentaire Hiftorique &
Critique , fur la plupart des Tragédies &
des Comédies de Pierre Corneille , avec
quelques réfléxions fur fes Piéces qui
ne font plus repréſentées.
On joint à cet Ouvrage la traduction
de l'Héraclius Efpagnol , avec des Notes
an bas des pages ; la traduction littérale
en vers du Jules- Céfar deShakefpéare
; un Commentaire fur la Bérénice de
Racine , comparée à celle de Corneille;
Un Commentaire fur les Tragédies d'Ariane
& du Comte d'Effex , de Thomas
Corneille,qui font reſtées au Théâtre. On
joint à cette Edition , plufieurs écrits
concernant les Piéces de Théâtre de P.
Corneille , lesquelles n'ont été imprimées
dans aucun Recueil , Le tout eft orné de
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE .
A
très-belles Eftampes , dont la plûpart font
deffinées par M. Gravelot . Les Soufcripteurs
pourront s'adreffer à Paris ,
chez la veuve Brunet , Libraire , rue S.
Jacques , Duchefne , rue S. Jacques ,
Brocas & Humblot , rue S. Jacques ,
& Piffot , quai de Conti.
LETTRE de l'Auteur du Calendrier des
Princes & de la Nobleffe de France ,
à l'Auteur du Mercure, en réponse à la
Lettre inférée dans le Mercure de Juin
fur les Maifons de FAUDO AS & de
ROCHECHOU ART.
QUOIQUE j'aie pu UOIQUE j'aie pu me difpenfer ,
Monfieur , de répondre à une Lettre imprimée
dans votre Journal du mois de
Juin dernier , où un Anonyme m'impute
affez impoliment l'ignorance de l'Hiftoire
des grandes Maiſons du Royaume;
j'ai cru devoir céder à l'inftance de mes
amis , qui m'ont perfuadé que mon filence
feroit un aveu de l'inéxactitude
qu'on me reproche.
J'ai donné au commencement de cette
année , le Calendrier des Princes &c .
Ce Livre ne contient que l'état actuel des
JUILLET. 1762. 105
Maifons , dont j'ai donné des Extraits de
Généalogie affez étendus en fix vol.in- 8.
que j'ai publiés en 1757 & 1761. C'eſt
ce que j'ai fait obferver dans la Préface
page vj, que l'Anonyme n'a pas voulu
fe donner la peine de lire. Il a mieux aimé
annoncer comme un fait , qui me
feroit inconnu , la diſtinction qu'on doit
faire des Maifons de Rochechouart , &
de Faudoas , fait que j'ai cependant expofé
très -clairement dans les Extraits
dont je viens de parler. Tome fecond ,
page 94 , tome trois , p . 156 , & tome
fix, p. 161. J'ai dit tome fecond , p . 94
col. 2 , que Catherine , l'héritière de la
branche aînée de la Maifon de Faudoas ,
porta en dot en 1517 , les Terres de Faudoas
& deBarbazan, à Antoine de Rochechouart
, Seigneur de S. Amant , à la
charge pour leur fils aîné , ou autres mâles
defcendans de leur mariage , de porter
les noms & Armes de Faudoas , ou
de les mêler ensemble avec ceux de Rochechoart.
Cette condition a été observée
par les defcendans de Catherine, héritière
de Fandoas,jufqu'aujourd'hui que M. le
Comte de Rochechouart , actuellement
Chevalier des Ordres du Roi, eſt Marquis
de Faudoas , & repréfente la Branche
aînée de cette ancienne Maifon.
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
Ainfi , dans la méthode que j'ai adoptée
d'ajouter à chaque Chef des Branches
d'une Maison , le nom de la Tèrre
fous lequel il eft connu , doit être diftingué
de fes collatéraux , je n'ai pu me
difpenfer de renvoyer dans mon Calendrier
des Princes , du nom de Faudoas
à celui de Rochechouart , comme je l'ai
fait en nombre d'autres endroits.
Avant de finir ma Lettre , Monfieur ,
je crois devoir avertir l'Anonyme , qu'un
Critique qui s'engage à donner des leçons
, doir éviter de faire réellement des
fautes , qu'il croit trouver dansles autres.
L'Anonyme dit ( page 90 & 91 de
votre Mercure de Juin ) que le premier
du nom de Faudoas , dont on peut avoir
connoiffance , s'appelloit Raimond , &
vivoit en 1162. La Maifon de Faudoas
ne lui doit point de félicitation d'une
pareille découverte , puifqu'il lui dérobe
un Sujet de 70 ans d'ancienneté ; car il
eft certain que Raimond- Arnaud , Baron
ou Seigneur de Faudoas , fut préfent
avec divers autres Barons du Pays
de Lomagne , à une Donation faite en
1091 à l'Abbaye de S. Pierre d'Uzerche
, en Limofin .
L'Auteur du Calendrier Généalo rique,
ajoute l'Anonyme , auroit dû confuler
JUILLET. 1762. 107
les Annales des Cordeliers de Touloufe
le nouveau Moréri , l'Hiftoire Généalogique
de la Maifon de Pleffis Richelieu
par Duchefne.
1
L'Anonyme n'eft pas plus heureux
dans le choix de fes Auteurs. M. l'Abbé
de Faudoas de Sequenville , qui a donné
au Public en 1724 l'Hiftoire de fa
Maifon , & qui a dit qu'elle étoit Fondatrice
des Cordeliers de Toulouſe , n'a
cité à l'appui de ce fait que le Livre de
François de Gonzague , Miniftre Général
de l'Ordre de S. François , intitulé
de Origine Seraphicæ Religionis Francifcanæ
, &c. & il n'eût pas manqué de
mentionner la Charte même de cette
fondation , s'il l'eût connue.
Le Moreri n'eft point un Auteur à citer
par ceux qui ont d'autres reffources.
On l'abandonne à la crédulité de ceux
qui en font le fondement de leur Bibliothéque.
A l'égard de la Généalogie de Dupleffis
Richelieu , par Duchefne , on n'y
trouve pas un mot d'éloge de la Maifon
de Faudoas , mais feulement de celle de
Barbazan , avec laquelle l'Anonyme de
Caen l'a vraisemblablement confondue.
Sa Lettre n'apprend rien de l'état actuel
de la Branche de Faudoas , qui
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
fubfifte en Normandie . Cet état actuel
n'eſt point connu de l'Auteur , qui avoit
fuffisamment averti par les Ouvrages
périodiques , que ceux qui voudroient .
fe faire comprendre dans fon Dictionnaire
, & depuis dans fon Calendrier ,
vouluffent bien envoyer des Mémoires
de l'état actuel de leur Famille . Meffieurs
de Faudoas n'y ont pas eu égard. Ils feront
, s'ils le jugent à propos , paffer le
leur ( franc de port ) au Libraire ou à
l'Auteur.
J'ai l'honneur d'être & c.
DELACHENAYE- DESBOIS.
A Paris , ce 10 Juin 1762 .
LETTRE à M. DE LA PLACE , fur
la mort du R. P. EUSTACHE
Bibliothéquaire des Auguftins Réformés
, de la Place des Victoires.
SCUFFRE
CUFFREZ , Monfieur , que je tranſmette
à la poſtérité , par la voie du Mercure,
la perte que nous avons faite dans
la perfonne du R. P. Fuftache , ancien
Supérieur Général de notre CongrégaJUILLET.
1762. 109
tion & Bibliotéquaire de notre Couvent
de la Place des Victoires.
La Providence vient de l'appeller à
elle dans la foixante-dix-feptiéme année
de fon âge , après l'avoir éprouvé par
les douleurs d'une maladie la plus longue
& la plus aigue .
2
Nous avons à regretterégalement en
lui l'homme religieux & l'homme de lettres.
Avec l'homme de Lettres s'éclipſent
malheureufement pour nous ce génie
ce zéle qui ont confervé pour jamais à
toute l'Europe Littéraire ces deux monumens
qui nous reftent , notre Bibliothéque
& notre Cabinet . Avec l'homme
religieux nous voions fe perdre dans la
nuit du tombeau un frère , un ami , un
protecteur , un père . Tous ces titres gravés
dans nos coeurs par les mains de la reconnoiffance
lui fervent d'Epitaphe &
nos regrets n'expireront qu'avec nous.
J'ai l'honneur d'être & c.
DENIS , Provincial & Antiquaire des Auguftins
Réformés de Notre -Dame des Victoires .
108 MERCURE
DE FRANCE
.
fubfifte en Normandie
. Cet état actuel
n'eſt point connu de l'Auteur , qui avoit
fuffisamment
averti par les Ouvrages
périodiques
, que ceux qui voudroient
.
fe faire comprendre
dans fon Dictionnaire
, & depuis dans fon Calendrier
,
vouluffent
bien envoyer
des Mémoires
de l'état actuel de leur Famille. Meffieurs
de Faudoas n'y ont pas eu égard. Ils feront
, s'ils le jugent à propos , paffer le
leur ( franc de port ) au Libraire ou à
l'Auteur.
J'ai l'honneur d'être & c.
DELACHENAYE-DESBOIS.
A Paris , ce 10 Juin 1762.
LETTRE à M. DE LA PLACE , fur
la mort du R. P. EUSTACHE
Bibliothéquaire des Auguftins Réformés
, de la Place des Victoires.
SOUFFREZ , Monfieur , que je tranfmette
à la poſtérité , par la voie du Mercure,
la perte que nous avons faite dans
la perfonne du R. P. Fuftache , ancien
Supérieur Général de notre CongrégaJUILLET.
1762. 109
tion & Bibliotéquaire de notre Couvent
de la Place des Victoires.
La Providence vient de l'appeller à
elle dans la foixante-dix-feptiéme année
de fon âge , après l'avoir éprouvé par
les douleurs d'une maladie la plus longue
& la plus aigue .
Nous avons à regretterégalement en
lui l'homme religieux & l'homme de lettres.
Avec l'homme de Lettres s'éclipfent
malheureufement pour nous ce génie
ce zéle qui ont confervé pour jamais à
toute l'Europe Littéraire ces deux monumens
qui nous reftent , notre Bibliothéque
& notre Cabinet. Avec l'homme
religieux nous voions fe perdre dans la
nuit du tombeau un frère , un ami , un
protecteur, un père. Tous ces titres gravés
dans nos coeurs par les mains de la reconnoiffance
lui fervent d'Epitaphe &
nos regrets n'expireront qu'avec nous.
J'ai l'honneur d'être & c.
DENIS , Provincial & Antiquaire des Auguftins
Réformés de Notre-Dame des Victoires.
110 MERCURE DE FRANCE.
ANNONCES DE LIVRES.
LE GENTILHOMME Cultivateur, ou
Corps complet d'Agriculture , traduit
de l'Anglois de M. Hal , & tiré des
Auteurs qui ont le mieux écrit fur cet
Art. Par M. Dupuy d'Emportes , de l'Académie
de Florence .
Omnium rerum ex quibus aliquid acquiritur ,
nihil agricultura melius , nihil uberius ›
nihil hominé libero dignius . Cicer . Lib.
2. de Offic.
In-4°. Tome 3. Chez P. G. Simon, Imprimeur
du Parlement , rue de la Harpe,
Durand , Libraire , rue du Foin ; Bauche
, quai des Auguftins ; P. Alex. le
Prieur , Imprimeur du Roi , rue S. Jacques
; & à Bordeaux , chez Chappuis ,
l'aîné. En attendant que nous puiffions
continuer de rendre compte de cet Ouvrage
vraiment utile , nous ne pouvons
qu'applaudir à l'exactitude avec laquelle
le Traducteur remplit fes engagemens
envers le Public.
EPISTOLE Eroiche di Ovidio Nafone
, tradotte da Remigio Fiorentino.
JUILLET. 1762 .
III
in-8° . Parigi , 1762. appreffo Durand,
Nous devons cette édition ornée de vignettes
& de culs- de-lampe de très- bon
goût , aux foins de M. Conti , Profeffeur
de Langue Italienne,à l'EcoleRoyale Militaire
; & la partie typographique ne peut
faire honneur à M. Durand. que
DICTIONNAIRE Philofophique , ou
Introduction à la connoiffance de l'homme.
Nouvelle Edition , revue , corrigée
& augmentée confidérablement.
Felix , qui potuit rerum cognofcere caufas.
In-8°. Paris , 1762. Chez Durand, rue
du Foin , au Griffon ; & chez Guillyn ,
quai des Auguftins , au Lys d'or. Cet
Ouvrage dont l'utilité eft reconnue
été réellement retouché & augmenté de
plus de la moitié ; de forte qu'on peut
le regarder comme un Ouvrage nouveau
.
, a
CONSIDÉRATIONS fur les moyens
de rétablir en France les bonnes efpéces
de bêtes à laine. In- 12. Paris , 1762.
chez Guillyn , quai des Auguftins , près
du Pont S. Michel.
VARIÉTÉS Philofophiques & Littéraires.
Lectorem delectando pariterque monendo . Hor.
112 MERCURE DE FRANCE .
,
In- 12. Londres , 1762. Et fe trouve à
Paris , chez Duchefne , Libraire rue
S. Jacques , au -deffous de la rue des
Mathurins , au Temple du Goût. Nous
avons fouvent trouvé dans ce Livre ce
que promet fon Epigraphe.
LES PSEAUMES & les principaux
Cantiques , mis en vers , par nos meilleurs
Poëtes. Recueillis par E. J. Monchablon
, Maîtres ès Arts & de Penſion ,
de l'Univerfité de Paris . Nouvelle Edition
, corrigée & augmentée . In - 16 , 2
parties . Paris , 1762. Chez Defaint &
Saillant , rue S. Jean de Beauvais . Nous
rendrons compte plus amplement de cet
Ouvrage .
LES FINANCES confidérées dans le
droit naturel & politique des hommes ,
ou Examen critique de la Théorie de
l'Impôt.
Eft modus in rebus , funt certi denique fines ,
Quos ultra citraque nequit confiftere rectum.
In- 16. Amfterdam , 1762 ; & fe trouve
à Paris , chez Gibert , Libraire , quai
des Auguftins.
L'ÉPREUVE de la Probité , Comédie
en 5 Actes . Par M. de Baftide . A Paris,
de l'Imprimerie de Louis Cellot , rue
Dauphine. Le Prix eft de 1 liv. 10ſ.
JUILLET. 1762. 113
LETTRES fur l'Enthoufiafme, de Milord
Schafterbury , avec fa vie , traduites
de l'Anglois . Par M. la Combe. In-
12. Londres , 1762 ; & fe trouve à Paris
, chez Defaint Junior , quai des
Auguſtins. Prix , 30 f. broché .
LETTRES fecrettes de Chriftine ,
Reine de Suéde , aux Perfonnages illuftres
de fon fiécle , dédiées au Roi de
Prufſe.
La vérité n'offenfe point le Sage. L.
In - 12. Geneve , 1762 , chez les Freres
Cramer ; & fe trouve auffi à Paris, chez
Deffaint , Junior.
au
LA VRAIE MÉTHODE d'enfeigner
à lire par l'épellation , ou Alphabet unique
très-fimple & très-commode ,
moyen duquel les enfans & les perfonnes
de tout âge apprennent à lire avec
une prodigieufe facilité. Par M, Bajolet,
Maitre de Penfion . In- 16. Paris , 1762.
Chez l'Auteur , rue neuve S. Auguftin..
114 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES
ACADEMIES.
SÉANCE publique de l'Acadèmie
Royale des Sciences & Beaux - Arts
établie à Pau.
M.LE
Du Mercredi 19 Mai 1762.
LE Biron de Navailles Poeyferré,
Chevalier d'honneur au Parlement , &
Directeur de l'Académie , ouvrit la Séance
par un Difcours dans lequel il établit
combien les Dames contribuent à la
gloire des Lettres,
Elles y contribuent par leurs confeils .
Aiment -elles les Letres ? le defir de leur
plaire nous rend Savans. L'empire qu'elles
ont fur nous , cet empire fi flatteur pour
elles , fi délicieux pour nous , nous engage
à l'Etude. Il eft même inutile qu'elles
nous en prouvent la néceffité . L'efprit
eft bientôt perfuadé , lorfque le
coeur parle.
JUILLET. 1762 . 115
Les Dames contribuent encore à la
gloire des Lettres par leurs talens . Par
combien d'exemples l'Auteur ne prouva
-t-il pas cette Propofition ? Afpafie
donne des leçons de fageffe à Péricles ;
Sapho augmente le nombre des Mufes ;
Dacier embellit les Auteurs qu'elle touche.
La tendre Sevigné , l'aimable Def
houlieres , la refpectable Lambert , brillent
dans ce portrait ; nous y vimes avec
fatisfaction Mlle Bernard , en parallèle
avec Mlle Scuderi , toutes deux le front
ceint de lauriers académiques.
Ce n'eft pas feulement dans les Lettres
que les Dames brillent. Les unes conduifent
des armées étonnées de leur cou
rage ; d'autres gouvernent des Empires
charmés de leur fageffe . Le portrait dè
ces Héroïnes , que le préjugé fait regarder
comme au-deffus de leur Sexe , finit
celui de l'Illuftre MARIE-THÉREpar
SE.
Les Dames admirérent avec une tendre
reconnoiffance leur Panégyrifte , &
par-là lui donnérent la jufte récompenfe
de fes travaux. Le Public crut voir dans
ce difcours toutes les graces du fexe enchanteur
dont il faifoit l'éloge.
M. de Dombidau , fils , Confeiller au
Parlement , fit enfuite un Difcours de re116
MERCURE DE FRANCE.
mercîment à l'Accadémie , dans lequel
il fe montra digne de la place qu'il occupoit
pour la premiere fois. On y admira
des éloges ingénieux , des tranfitions
heureufes , des idées même qui fembloient
nouvelles par la maniere dont
elles étoient préfentées. Ce mérite eft
d'autant plus rare que dans cette Aca
démie , comme dans prèfque toutes les
autres , les Récipiendaires font gênés par
ces formules d'ufage auxquelles une efpèce
de préfcription les affujettit. Un tel
coup d'effai à l'âge de vingt ans fait efpérer
les plus grands fuccès ; & , s'il eft
permis de s'exprimer ainfi , c'eft une Aurore
brillante qui femble annoncer un
Soleil propre à éclater dans le Temple
de Thémis , & dans celui des Mufes.
M. le Directeur ( Navailles Poeyferré)
lui répondit avec la même éloquence
qui avoit brillé dans fon premier difcours.
Parmi nombre d'autres beautés
on admira un éloge du Roi fuivi de
celui de M. le Duc de Choifeuil , dans
lefquels on reconnut autant le bon Citoyen
que le grand Orateur. Ces éloges
prouvent que le langage de l'efprit devient
quelquefois celui du Sentiment.
A ces éloges l'Auteur fit fuccéder
le tableau des dons de la Nation . Déja
JUILLET. 1762. 117
la mer couverte de vaiffeaux femble annoncer
à l'Angleterre la perte de fon
Empire. Ce tableau frappa d'autant plus
que la Province de Bearn venoit de faire
trois jours avant les efforts les plus
grands & les plus généreux , pour donner
à fon Prince des marques de fon
amour & de fon zéle.
Nous aurions defiré faire de ces difcours
fi applaudis un Extrait plus étendu
; mais la modeftie des Auteurs les a
empêchés, de les donner au Public . Que
nous ferions heureux fi la douleur de
voir tant de beautés négligées , d'autres
fi mal rendues , les engageoit à faire
au Public un préfent qui lui feroit fi
agréable !
J'ai l'honneur d'être & c.
P. B. C. C. A. P. D. N. Abonné au Mercure,
GÉOMÉTRIE .
LETTRE à MM. les Géomètres.
MEESSIEURS RS ,
Le Diamètre eft-il à la circonférence ,
comme 23099 eft à 72576 , & ce rap118
MERCURE DE FRANCE.
port eft-il d'une précifion géométrique ?
Telle eft la propofition , dont l'examen
a été foumis à votre fagacité , dans le
Mercure du mois de Mai dernier , page
152 , & fur laquelle je vous ai inftamment
priés de dire votre fentiment. Je
vous fais aujourd'hui la même priére
avec les mêmes inftances , bien perfuadé
que vous y aurez égard . La bienfaifance ,
ce lien charmant de la Société , les intérêts
de la Géométrie , qui vous font
chers , la gloire même de notre Nation ,
dont vous êtes l'utile ornement , tout
m'affure qu'il n'eft pas en votre pouvoir
de me refufer la grace que je
vous demande. Mais auparavant , je
crois qu'il eft de mon devoir d'expofer
à vos yeux une raifon alterne , jufqu'ici
inconnue en Géométrie quoiqu'elle
porte toute fur les principes élémentaires
du nombre. La voici .
,
Trouver trois termes , dont le fecond
doit être partie aliquante du premier &
dutroifiéme , pour , avec ces trois termes ,
en recevoir un quatrième , dont nonfeulement
la proportion géométrique avec
le fecond terme , rende le produit des
extrêmes , égal au produit des movens ,
mais encore dont la fomme foit égale au
produit des deux premiers termes , multipliés
l'un par l'autre.
JUILLET. 1762. 119
C'est cette raifon alterne fi fatisfaifante
, qui m'a démontré que le rapport
dont il s'agit , auffi bien que celui de la
circonférence du cercle infcripteur , à
l'un des côtés du quarré infcrit , font
l'un & l'autre d'une précifion géométrique.
J'avoue que ma découverte reffemble
affez a une pierre précieufe en apparence
, mais qui , aux yeux des Connoiffeurs
, pourroit bien être fauffe . Je
vous la donne à examiner telle qu'elle
eft. Si elle eft fauffe , cela ne regarde
que moi feul. Si au contraire elle eſt fine ,
& que vous la jugiez telle , nous ne pouvons
réciproquement nous diffenfer ,
ni vous , Meffieurs , de la polir , & de la
mettre en oeuvre ; ni moi , de vous regarder
comme les Auteurs de fon éclat ,
& de fon prix,
J'ai l'honneur d'être &c.
L. B. D. M.
120 MERCURE DE FRANCE .
AGRICULTURE.
MÉMOIRE ou Differtation fur la
NIELLE , par M. *** .
LA
paru
A maladie du Bled, que l'on nomme
ou que l'on connoît fous le nom de
Nielle , vulgairement Ebrun , eft devenue
fi fréquente & fi univerfelle , que
la découverte de la caufe de ce mal m'a
mériter l'attention , non feulement
des plus habiles Obfervateurs , mais encore
de tous les Amateurs de la Phyfique
& zélés Citoyens ; & c'eft fous ces
deux derniers titres que pendant l'efpace
de quatre années , j'avois inutilement
fait plufieurs expériences , & mis en
oeuvre tous les moyens qu'indiquent les
Auteurs qui ont écrit fur cette matière ,
lorfque le hazard me fit rencontrer un
Payfan , moins borné que les autres , qui
m'affura qu'il connoiffoit dès que le Bled
avoit trois ou quatre feuilles , celui qui
étoit tarré. ( C'eſt le terme dont il fe fervit.
) Nous étions dans la faifon propre
faire l'épreuve de ce qu'il avançoit , nous
allames donc dans un champ où il me
dit
à
D • ༼ -
JUILLET . 1762 . 121
a
2
e
[
pour
dit qu'il y avoit beaucoup de Bled tarré ,
& là , il me fit remarquer que ce Bled
avoit les feuilles ondulées & d'un verd
plus obfcur que celui qui étoit fain ; pour
m'affurer du fait , je marquai avec des
baguettes une douzaine de ces plants
tarrés , & je fis mettre vis -à -vis une efpéce
de borne reconnoître mes
marques. Au mois de Mai fuivant , je
revins dans mon Champ : au premier
abord , je n'apperçus aucune différence
entre les bons épics & ceux que j'avois
marqués ; je fendis avec un canif un de
ces derniers , je le trouvai infecté de la
maladie en queſtion . J'apportai à la
maifon les reftes de ces épics pour en
faire une espéce d'Anatomie ; je trouvai
que les balles ou enveloppes qui couvrent
le grain étoient fi parfaitement collées
les unes fur les autres , que les fleurs n'avoient
pu fortir , & qu'elles étoient repliées
contre tèrre , & qu'au lieu d'une
liqueur laiteufe qui fe trouve dans les
épics fains , je ne trouvai dans ceux- ci
qu'une espéce de pâte brune & d'une
odeur foetide.
Je tirai de cette première découverte
la conféquence que l'on ne pouvoit
attribuer la caufe de cette maladie aux
brouillards & pluies froides du mois de
1
J
I. Vol. F
120 MERCURE DE FRANCE.
AGRICULTURE.
MÉMOIRE ou Differtation fur la
NIELLE , par M. ***
LAA maladie du Bled, que l'on nomme
ou que l'on connoît fous le nom de
Nielle , vulgairement Ebrun , eft devenue
fi fréquente & fi univerfelle , que
la découverte de la caufe de ce mal m'a
paru mériter l'attention , non feulement
des plus habiles Obfervateurs , mais encore
de tous les Amateurs de la Phyfique
& zélés Citoyens ; & c'eft fous ces
deux derniers titres que pendant l'efpace
de quatre années , j'avois inutilement
fait plufieurs expériences , & mis en
oeuvre tous les moyens qu'indiquent les
Auteurs qui ont écrit fur cette matière ,
lorfque le hazard me fit rencontrer un
Payfan , moins borné que les autres , qui
m'affura qu'il connoiffoit dès que le Bled
avoit trois ou quatre feuilles , celui qui
étoit tarré. ( C'est le terme dont il fe fervit.)
Nous étions dans la faifon propre à
faire l'épreuve de ce qu'il avançoit , nous
allames donc dans un champ où il me
dit
V.
JUILLET. 1762. 121
dit qu'il y avoit beaucoup de Bl ed tarré
& là , il me fit remarquer que ce Bled
avoit les feuilles ondulées & d'un verd
plus obfcur que celui qui étoit fain; pour
m'affurer du fait , je marquai avec des
baguettes une douzaine de ces plants
tarrés , & je fis mettre vis- à -vis une efpéce
de borne pour reconnoître mes
marques. Au mois de Mai fuivant , je
revins dans mon Champ : au premier
abord , je n'apperçus aucune différence
entre les bons épics & ceux que j'avois
marqués ; je fendis avec un cånif un de
ces derniers , je le trouvai infecté de la
maladie en queftion . J'apportai à la
maifon les reftes de ces épics pour en
faire une espéce d'Anatomie ; je trouvai
queles balles ou enveloppes qui couvrent
le grain étoient fi parfaitement collées
les unes fur les autres , que les fleurs n'avoient
pu fortir , & qu'elles étoient repliées
contre tèrre , & qu'au lieu d'une
liqueur laiteufe qui fe trouve dans les
épics fains , je ne trouvai dans ceux - ci
qu'une espéce de pâte brune & d'une
odeur foetide.
Je tirai de cette première découverte
la conféquence que l'on ne pouvoit
attribuer la caufe de cette maladie aux
brouillards & pluies froides du mois de
I. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
Mai , puifqu'on en connoîffoit les fymptômes
dès le mois de Novembre précédent
, & qu'il falloit remonter plus haut
pour en découvrir la caufe.
J'avois quelques notions que l'ufage
où l'on eft d'entaffer & comprimer les
Bleds dans les Granges , pouvoit par
l'extrême chaleur & par l'humidité qui ſe
rencontre dans les gerbes , bleffer le
germe du Bled qui eft encore tendre ; &
pour m'éclaircir de ce doute , je revins
à la Grange au temps de la Moiffon.
J'enfonçai la main dans un de ces tas ;
j'y trouvai une chaleur & une humidité
fi confidérable , que je ne doutai pas
un inftant que ces deux puiffans agens
de la végétation , n'euffent été fuffifans
pour développer & pouffer le germe dehors
, fi la compreffion n'eût empêché
l'action de l'air. Je penfai donc que malgré
la privation d'une fuffifante quantité
d'air , la fermentation n'en étoit pas
moins dangereuſe , foit en abſorbant
une partie des facultés du germe , foit
en corrompant ou en laiffant dans cette
partie farineufe du Bled , & qui eſt la
première nourriture du germe , une impreffion
de cette putréfaction qui fe manifefte
lorfque l'épic fort du fourreau.
Pour être pleinement convaincu qur
JUILLET. 1762. 123
j'avois enfin découvert ce mystère , caché
depuis tant de fiécles , il me ref
toit à prouver par des expériences exactes
& réitérées , la vérité de mes remarques,
& c'eft ce que j'ai fait & fais encore
avec tout le fuccès poffible . *
J'avouerai cependant que ne connoiffant
qu'une partie des effets de la contagion
des pouffieres du Bled infecté ,
les fumiers que j'avois fait mettre dans
un Champ n'étant point fuffisamment
confommés & pourris , & ayant été
faits de pailles fufpectes ; j'eus une partie
de mon Bled- niéllé , malgré les précautions
que j'avois prifes pour prévenir
ce mal ; d'ailleurs l'excellent difcours
de M. Tillet fur cette matiere en faifant
connoître , par les curieuſes &
éxactes expériences qu'il a faites , toute
la malignité contagieufe des pouffieres
du Bled-niellé , ajoute ce qui manquoit
à mes remarques & répand une lumiére
qui ne me laiffe plus rien à defirer fur
cette matière .
Il réfulte de mes remarques & du difcours
de M. Tillet , que la maladie en
queftion éxifte par deux cauſes , l'une
* Mrs de Buffon & Daubenton , à qui j'ai communiqué
mes Obfervations , en ont conftaté la
vérité par plufieurs expériences.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
primitive & interne , l'autre éxterne , &
que de-là vient la contagion du virus.
Moyens de prévenir la caufe primitive.
,
Après avoir fait choix de la partie des
Bleds que l'on deftine à faire fes femences
il faut le laiffer meurir le plus
qu'il eft poffible , ne lier les gerbes que
par le plus chaud du jour , laiffer les
gerbes fur bout jufqu'à ce qu'elles foient
parfaitement réffuyées, ne les faire conduire
à la grange que pendant la chaleur
de la journée & les faire battre
tout de fuite & fans les délier , pour
n'avoir que le maître grain ; ce qui refte
fera mis fur le tas : enfuite il faut laiffer
ce Bled dans fa bouffe jufqu'au temps
de la femaille , alors on les fera vanner
cribler & laver , & . donner telle préparation
que l'on voudrą , comme de l'enchaurer
ou telle autre préparation que
l'on trouve dans les Auteurs qui traitent
de l'agriculture. Voilà les moyens de
prévenir la premiere caufe de cette maladie.
Pour fe garantir de la feconde.
C'eſt de laver le Bled jufqu'à ce que
l'eau en foit claire , de ne mettre aucun
fumier qui ne foit parfaitement
JUILLET. 1762. 125
pourri dans les champs que vous deftinez
à recevoir du froment. Prenez gar-
- de que la grange où vous battez le
Bled ne foit infectée de cette pouffiere
du Bled - niéllé. Avec ces précautions ,
& en multipliant les labours , on eft affuré
de n'avoir plus ni niélle ni ébrun .
Peut-être fera-t- on l'objection que
toutes précautions deviennent inutiles
pour garantir les Bleds de la contagion ,
dès que l'on peut éviter la caufe premiere
& interne : cela feroit éxactement
vrai , fi tous les Laboureurs d'un Pays
étoient affez avifés pour prendre toutes
les précautions ci - deffus marquées.
Mais comme l'on ne peut efpérer cela
d'eux & qu'il fuffit d'avoir un champ
infecté près du fien pour que la contagion
ait lieu , & qu'elle peut avoir
une infinité de moyens pour fe communiquer
, il est très - néceffaire d'obferver
tout ce qui vient d'être dit . On
avertit qu'il y auroit du danger de changer
les femences à moins qu'on ne les
aye vû fur pied & qu'on ne foit affuré
qu'elles font faines tant intérieurement
qu'extérieurement .
Il m'eft revenu que quelques perfonnes
doutoient , que la découverte que
j'ai faite de la caufe primitive de la
Fiij.
126 MERCURE DE FRANCE .
niélle , foit auffi certaine que je l'annonçois
. Leur doute fe fondoit fur ce
que dans la plupart de nos Provinces
méridionales on n'engrangoit point les
Bleds , mais qu'on les battoit dans les
Champs , & qu'ils étoient cependant
très-infectés de cette maladie . On auroit
dû cependant fe fouvenir qu'il y a deux
caufes , l'une primitive & qui ne procéde
que d'un excès de chaleur & d'humidité
, occafionnée par la preffion foit
dans les granges foit dans les tas ou
mattes de Bled que nos Provinces méridionales
font dans leurs champs attendant
la commodité de le faire battre,
L'autre caufe qui n'eft que l'accident
& qui n'eft pas moins funefte , eft la
contagion qui fe perpétue par le grain
même , par les pailles , par les fumiers
faits de pailles fufpectes & d'une infinité
d'autres façons.
Ainfi les Bleds de ces Provinces méridionales
peuvent donc être infectés ,
non feulement par les caufes que j'indique
, mais encore par d'autres : comme
après avoir battu leurs Bleds &
vanné mmédiatement,après l'avoir moiffonné
, elles le mettent en monceau au
grenier , il s'échauffera auffi promptement
& plus que dans la grange fi
l'on n'a pas loin de le remuer tous les jours.
JUILLET. 1762. 127
MÉMOIREfur une espèce de CHENILLES
qui produifent de la Soie , par
M. DE LA ROUVIERE D'EYSS AUTIER
, Chevalier de l'Ordre Royal &
Militaire de S. Louis , Commiſſaire
des Guèrres au Département de Languedoc
, Membre de l'Académie des
Sciences & Belles - Lettres de Beziers.
ABeziers, chez François Barbut , Imprimeur
du Roi , & de l'Académie des
Sciences & Belles - Lettres 1762..
AVERTISSEMENT DE L'AUTEUR .
CEE Mémoire , dont le fujet peut devenir
très intéreffant par la fuite , ne
m'avoit pas d'abord paru mériter l'impreffion
; mais le defir que plufieurs Perfonnes
ont témoigné d'en avoir des Copies
m'a enfin déterminé à le mettre au
jour.
Je m'eftimerois fort heureux fi , par
cette foible marque de mon zéle , je pouvois
un jour concourir au bonheur de
l'humanité & avoir quelque part
la bienveillance d'un Miniftre qui n'a
à
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
d'autre objet que la gloire du Prince &
la félicité des Sujets.
A
A ces traits, quoique légérement ébauchés
, il eft aifé de reconnoître l'illuftre
DUC DE CHOISEUL , ce Citoyen ai
mable , ce Patriote éclairé , qui , par fes
talens & fes rares qualités , a fçu s'attirer
avec juftice la confiance d'un Maître
beaucoup plus flatté du glorieux titre
de Pere du Peuple , que de celui de Roi
d'une des plus puiffantes Monarchies de
l'Univers.
Si au contraire , ma bonne volonté
ne fuffit pas pour remplir les vues de
notre Augufte Monarque , & du Miniftre
fi digne de fon choix , j'ofe eſpérer
du moins que le Public équitable ne me
fçaura pas mauvais gré d'avoir voulu me
rendre utile. C'eft à quoi j'ai toujours
borné ma principale ambition .
MÉMOIRE.
L'Auteur de la Nature n'a rien dûfaire
en vain , c'eft un principe incontestable.
On peut dire cependant , fans prétendre
heurter cette vérité , que la plupart
des Chenilles connues nous ont paru
jufqu'ici très- malfaifantes , & par conféquent
fort inutiles , par la raifon fans
doute que nous n'avons pas fçu , ou peutêtre
voulu pénétrer dans leurs vertus ocJUILLET.
1762. 129
cultes. Quoiqu'il en foit , la Chenille
dont je vais tracer le tableau , eſt d'une
efpéce bien différente des autres , ainfi
qu'on pourra le voir ci -après.
Cette Chenille , que je crois devoir
nommer Chenille de Pin , & que M. de
Réaumur a mis au rang des Chenilles
qu'il appelle Proceffionaires , naît aux
environs de Farges dans le Pays de Gex ,
entre le Mont Jura & la Suiffe.
Il y a toute apparence qu'elle eft de la
même efpéce que celle dont il eft parlé
dans les Commentaires de Mathiole fur
Difcoride , au mot Pinorum eruca , en
grec Pitiocampo , dont les Vallées d'Ananie
& de Flemme auprès de Trente
font toutes remplies , attendu , dit cet
Auteur , qu'il y a beaucoup de Pins.
Cette Chenille eft à- peu- près ſemblable
aux autres , c'eft-à-dire que fon corps
eft velu & compofé de plufieurs anneaux
qui , en s'éloignant & fe rapprochant les
uns des autres , le portent où il a beſoin
d'aller : fa couleur eft rouffàtre , fa longueur
d'environ quinze lignes , & fon
épaiffeur proportionnée.
Les Chenilles de cette efpéce vivent
& font leurs Cocons fur des Pins fauvages
, fort communs en France , & qui
croiffent dans les endroits même les plus
ftériles. F v
130 MERCURE DE FRANCE .
Ce qu'il y a de plus admirable dans ces
animaux , eft qu'ils ne s'arrêtent fur
aucun autre arbre : ainfi il ne faut pas les
confondre avec ces infectes ou reptiles
voraces , qu'on ne doit chercher qu'à
détruire & non à multiplier.
Or , ces Chenilles ne s'attachant qu'à
des arbres regardés jufqu'ici comme prèfque
inutiles , au haut defquels elles font
leurs Cocons, elles ne fçauroient par conféquent
nuire aux autres Végétaux deftinés
aux befoins ou aux plaifirs de l'homme
, auquel elles peuvent au contraire
fervir fort utilement ainfi que je tâcherai
de le démontrer.
•
Les Cocons , fruit de leurs travaux
prèfque journaliers , font à- peu - près de
la groffeur d'un Melon ordinaire , & l'on
peut en tirer de fort belle & bonne Soie.
Toute la difficulté confiſteroit , felon
moi , à détacher ces Cocons de l'arbre ,
attendu qu'ils en entourent & ferrent.
fort étroitement une branche droite , &
parfaitement ſemblable à une quenouille
à filer.
De plus , il y a au centre du Cocon
une efpéce de fac rempli de petits boutons,
qui leur fervent vraiſemblablement
de nourriture en Hyver , peut-être même
encore de matière pour leur ouvrage;
& ce fac leur fert de nid pendant l'Eté.
JUILLET. 1762 . 131
Je penfe , s'il m'eft permis de faire ici
quelques réfléxions , qu'en coupant la
branche qui traverfe le Cocon , on pourroit
aisément fe fervir de ces quenouilles
naturelles pour en extraire la Soie , fans
détériorer l'arbre dont la branche ne
manqueroit pas de repouffer l'année d'après.
C'eft aux Artistes à trouver des
moyens plus sûrs & plus courts pour une
opération qui , je crois , leur paroîtra
peu difficile , eu égard aux autres Inventions
curieufes qu'on découvre ou qu'on
perfectionne chaque jour fous les yeux
& les aufpices de MM. de l'Académie
Royale des Sciences de Paris , & des
autres Académies du Royaume.
J'obferverai feulement en faveur des
Phyficiens & des Amateurs de l'Histoire
Naturelle , que les petites Chenilles de
l'efpéce ci- deffus prennent naiffance
dans le fac dont j'ai parlé , y reftant enfermées
jufqu'à ce qu'elles foient comme
père & mère ; alors perçant leur
maifon , elles fortent toutes en file à la
queue l'une de l'autre pour aller s'étar
blir fur un Pin étranger à celui qui leua
fervi de berceau , & fur lequel un
grand nombre d'entr'elles travaillent de
concert à un même Cocon depuis le
Printe mps jufqu'à l'entrée de l'Hyver ,
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
& même quelque temps après les premieres
neiges ; ce qui fait préfumer
qu'elles pourroient fournir de la Soye
prefque toute l'année dans la partie méridionale
du Royaume , comme la Provence
, le bas Languedoc , & le Rouffillon.
De quelles reffources ne feroient donc
pas ces Chenilles à ces trois Provinces
& à toute la France , fi mes conjectures
fe trouvoient vraies ?
1º. On auroit le moyen le plus avantageux
de mettre à profit , & à peu de
frais , un terrein inculte & à charge .
2º. On retireroit de ces Infectes bienfaifans
une Marchandiſe auffi néceffaire
pour les meubles que pour les habits ; &
au lieu de faire paffer notre argent en
Eſpagne , en Italie , dans le Levant , &
ailleurs , nous verrions bientôt circuler
chez nous celui de l'Etranger qui s'emprefferoit
à venir profiter du bon marché
qu'on feroit en état de lui faire , & à
la faveur duquel il pourroit s'enrichir à
fon tour.
Il est vrai que la propagation de ces
Chenilles ne feroit peut- être pas auffi aifée
qu'on fe l'imagine ; un climat différent
& le tranfport d'un lieu à un autre
pourroient fort bien leur être nuifibles
Cependant la réuffite paroiffant très-polJUILLET.
1762 . 133
fible , pourquoi négligeroit- on les
moyens dé s'en éclaircir ? L'éffai en feroit
facile en faifant apporter à Paris out
ailleurs une des branches au bout defquelles
giffent dans le nid les oeufs de
ces Infectes , qu'on pourroit faire éclore
par le fecours de l'art , auffi bien & peutêtre
avec plus de fuccès , que les poulets
de feu M. de Réaumur. C'eft aux Naturaliftes
à en décider.
Pour moi , je ne dois m'attacher qu'à
décrire ce que j'ai trouvé de remarquable
dans ces fortes d'animaux .
Je dirai donc , pour remplir ma tâche,
qu'ils ne fe multiplient que de proche en
proche, & que l'on voit des Pins éloignés
au plus d'un quart de lieue de ceux qui
en produifent une quantité innombrable
où l'on n'en découvre point du tout ; ce
qui me feroit croire que pareilles Chenilles
ne deviennent jamais Papillons , &
qu'elles peuvent reffembler à celles dont
il eft parlé dans le Spectacle de la Nature,
Tome 1 , page 55.
Il fera fort aifé aux Mécaniciens de
trouver des moyens pour tirer cette Soie
des Cocons , & pour la devider auffi facilement
que celle de ces Vers fi eftimés
& dont pourtant plufieurs perfonnes fe
dégoutent , tant par rapport aux foins ,
134 MERCURE DE FRANCE .
que par la dépenfe qu'ils occafionnent ,
les Mûriers qui leur fervent de nourriture
ne croiffant pas dans tous les Pays
avec la même facilité que les Pins fauvages
, arbres dont la culture ne fçauroit
occuper.
Je dois obferver en finiffant , qu'on
fit il y a quelques années , auprès de Farges
, de très- bons Bas de la Soie en
queftion , quoiqu'elle ne fut ni décreufée
, ni devidée , mais feulement arrachée
avec la main , & filée à l'ordinaire : ce
qui me perfuade qu'on en tireroit encore
un grand parti en la filant à la quenouille
ou au rouet , en fuppofant que les tours
ordinaires ne puffent pas être mis en ufage
pour cette opération ; ce qui n'eft pas à
préfumer.
Cette Soie eft très-forte & d'un blanc
argenté , furtout fi on a le foin de la
ramaffer avant les neiges , fe falliffant un
peu pendant l'hyver.
Il eft infiniment à defirer que la chofe
réuffiffe , & l'on verra bientôt , je le répéte
, la France en état de fournir de la
Soie à toute l'Europe , fi l'on parvient à
avoir & a perpétuer dans tous les endroits
complantés de Pins , dits vulgairement
Pinades , les utiles Infectes dont je viens
de parler.
JUILLET. 1762 . 135
Peu de temps après la lecture de ce
Mémoire à l'Affemblée publique de l'Académie
des Sciences & Belles -Lettres
de Beziers , tenue le 25 du mois d'Août
dernier ( 1761 ) M. Bouillet , Secrétaire
perpétuel de cette Académie , reçut une
Lettre de M. Vergnies , Prieur de Miglos
près Tarafcon en Foix , par laquelle
il lui mande qu'un mois après notre
Affemblée il fut à un Bois de Pins , où
il trouva une grande quantité de Cocons
de Chenilles en queftion, mais prèfque
tous pourris , le temps de les cueillir
étant paffé ; mais qu'il étoit à portée de
faire dans lafaifon une abondante récolte .
Il a envoyé une petite portion de la
Soie extraite d'un de ces Cocons qui, malgré
fa faleté , annonce qu'on pourroit
en tirer grand parti.
On m'a encore affuré avoir vu de
pareils Cocons fur des Pins qui font dans
le Jardin du Roi à Montpellier.
Les Perfonnes qui feront quelque découverte
à ce sujet , fontpriées d'en faire
part au Public.
136 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE.
EXTRAIT des Ouvrages lus à la
Séance publique de l'Académie Royale
de Chirurgie , le Jeudi 22 Avril
1762.
par-
M. BORDENAVE a lu une Differtation
fur les accidens des plaies des
ties tendineufes & aponevrotiques , &
fur les moyens d'y remédier. L'expérience
de tous les temps avoit montré
que la bleffure des tendons & des aponévrofes
étoit fuivie des accidens les
plus fâcheux que l'on attribuoit à l'extrême
fenfibilité de ces parties. Perfonne
n'ignore que M. de Haller a nié que
ces parties fuffent fenfibles . D'après fes
expériences faites avec foin par différentes
perfonnes fur l'intelligence , la
JUILLET. 1762. 137
dextérité & la bonne foi defquelles on
peut compter , il ne femble pas qu'on
puiffe former aucun doute . Elles ont cependant
trouvé des adverfaires : M. Bordenave
ne prend point leur parti, il adopte
le fentiment de M. de Haller, & tâche de
concilier fa doctrine avec les faits les
plus exactement obfervés dans la pratique
de la Chirurgie. En confidérant
anatomiquement la ftructure des parties
, leur étendue & la communication
réciproque qu'elles ont entr'elles , on
voit que les accidens formidables qui font
les fymptômes ordinaires des plaies des
parties aponévrotiques & tendineufes ,
ne viennent point de la prétendue fenfibilité
des tendons & des aponévrofes ,
mais de l'inflammation qui eft la fuite
de l'étranglement fait par les parties
membraneufes. Ici l'Auteur s'étaye des
principes que M. Quefnay a pofés fur
l'étranglement dans fon favant Traité
de la gangréne. Il n'eft pas néceffaire
que l'inftrument qui fait la bleffure pénétre
jufqu'au tendon , pour produire
des accidens fâcheux ; on a des exemples
qu'une fimple piquure à l'extrémité
des doigts , ou fous l'ongle, & qui n'avoit
touché ni le tendon ni fa gaîne , a
été fuivie de fymptômes fort graves . Si
138 MERCURE DE FRANCE.
la bleffure la plus profonde avoit atteint
ces parties , on s'abuferoit en penfant
que c'eft par elles que la playe feroit
plus dangereufe ; ce font moins les dimenfions
d'une playe , que la nature
des parties léfées qui la rendent plus
ou moins grave , & fi comme l'expérience
l'a prouvé , la piquure fuperficielle
des parties nerveufes a mis des
bleffés dans le plus grand danger , &
qu'on n'a apperçu aucun accident fâcheux
à la fuite des défordres les plus
étendus fur des parties tendineufes, on
doit juger que là lézion des tendons ne
contribue en rien aux accidens affreux
de certaines playes , mais que l'on doit
en chercher la fource dans l'irritation
des nerfs ; & l'on fçait que les tendons
n'en admettent point dans leur texture.
Si les accidens viennent prèfque toujours
de l'étranglement , l'indication curative
eft facile à faifir ; on fera ceffer
les fymptômes naiffans de l'étranglement
, & l'on en préviendra de plus
fâcheux en débridant les parties qui forment
l'étranglement. L'inftrument tranchant
conduit par les lumières anatomiques
eft ici de la plus grande reffource.
M. Bordenave examine l'ufage que les
Anciens faifoient de l'huile de théréJUILLET.
1762. 139
bentine bouillante , dont ils ont vanté
les fuccès merveilleux. Il trouve que
le bien qui a réfulté de cette application
eft dû à la deftruction de la fenfibilité
dans le point où étoit le principe de l'irritation.
La cautérifation agit de même ,
& l'on explique aifément comment par
l'application d'un cauftique , qui eft un
reméde très-irritant , on fait ceffer avantageufement
tous les fymptômes que
caufoit l'irritation des parties nerveuſes
léfées par un coup d'épée ou de lamette .
M. Bordenave apprécie les cas où l'on
peut avoir recours à ces moyens ; mais
il incline toujours à donner la préférence
à l'inftrument avec lequel on fait
précisément ce qu'on veut faire ; on le
conduit avec méthode , & l'on n'eft pas
auffi exactement le maître de l'action
plus ou moins étendue d'un médicament
corrofif.
M. Morand lut enfuite une obfervation
fur une grande fracture du crâne ;
voici le fait. Une groffe boule à jouer
aux quilles , jettée en l'air , tomba fur
la tête d'un jeune homme. Le bleffé eut
primitivement tous les fymptômes de la
commotion du cerveau & le crâne
étoit enfoncé. L'incifion de la peau con-
9
tufe découvrit une fracture en étoile à
140 MERCURE DE FRANCE.
cinq rayons , à la partie latérale droite du
coronal. Trois de ces piéces furent enlevées
affez facilement,à la partie inférieure
du fracas , on releva les deux autres
piéces & on les mit de niveau. Le bleffé
fut faigné d'abord du bras & du pied à
trois heures d'intervalle , & avant qu'on
eût fait l'incifion , la connoiffance lui revint
. Il eut peu de fiévre pendant les quatres
premiers jours : le délire qui parut
le s fut calmé par une troifiéme faignée .
On fe détermina le 8 à aggrandir la
playe vers la future coronale, pour pouvoir
tirer les deux piéces d'os qui reftoient
, parce qu'on crut qu'elles retenoient
du pus fur la dure- mere. La bafe
d'une de ces piéces étoit à la future même.
L'effort qu'on fit pour détacher
cette portion d'os le 12 jour de la bleffure
augmenta la fiévre ; elle diminua
bientôt par une fuppuration abondante
& de meilleure qualité que celle des
jours précédens. Le 15 , le bleffé étoit
fi bien qu'on jugea à propos d'être
moins févére fur le régime ; une nourriture
un peu plus abondante diffipa la
fiévre. Le Sujet étoit jeune & avoit
grand appétit ; une diete forcée auroit
pu le jetter dans l'épuifement. Les foins
ordinaires achevérent la cure , qui fut
parfaite en fix femaines .
JUILLET. 1762. 141
M. Morand termine le récit de ce cas
par les réfléxions dogmatiques qui fuivent.
» C'eft un principe connu qu'un
» coup capable de faire une forte con-
» tufion à la tête peut produire les plus
و ر
"
>>
grands maux. Si le crâne réfifte ; par-
» ce que dans ce cas la plus grande partie
» de la percuffion qui fuivant fa quanti-
" té doit avoir tout fon effet , fe tranfmet
» au- delà du crâne aux parties qu'il re-
» couvre il doit donc en réfulter une
>>commotion au cerveau qui en eft d'au-
" tant plus fufceptible , que c'eft une
pulpe molle , traverfée par une infinité
de vaiffeaux tendres , où la circula-
» tion naturelle peut être très - facilement
» dérangée. Mais quand toute la force
» de la percuffion eft imprimée au crâne
»& qu'il eft fracaffé, le crâne devient feul
» reſponſable de tous les accidens que
» l'habile Chirurgien eft prèfque für de
» modérer avec une main intelligente ,
qui n'a plus à travailler que fur des
parties folides. Cette Obfervation
» continue M. Morand , n'eft point
» neuve ; c'eſt un exemple que j'ajoute ,
» & qui eft peut - être remarquable par
» la grandeur des piéces emportées.
>>
>>
On a lu enfuite pour M. Daviel , un
Mémoire fur de nouvelles perfections
142 MERCURE DE FRANCE .
qu'il a ajoutées à fa méthode de faire
l'extraction de la cataracte . L'opération
par laquelle on tire du globe de l'oeil le
cryftallin cataracté eft une découverte
intéreffante due à M. Daviel , qui l'a
publiée dans le fecond Tome des Mémoires
de l'Académie . La grande expérience
qu'il a acquife lui a fait connoître
des inconvéniens dans l'incifion demie-
circulaire à la partie inférieure de la
cornée tranfparente. L'humeur aqueufe
s'échappe dès le premier moment de
l'opération , la membrane uvée fe préfente
aifément dans la playe & produit
un ftaphylome qui peut entraîner la
perte de l'oeil ; la réunion de la playe
eft difficile , & quelquefois la cicatrice
eft fi mince qu'elle fe r'ouvre au moindre
effort,de là la chûte de l'iris & la perte
confécutive de l'oeil. M. Daviel trouve
la caufe de ces accidens dans la
fection faite en bizeau . Pour l'éviter
il falloit renoncer à l'incifion demie- circulaire
: l'Auteur a éffayé différens
moyens d'ouvrir la cornée tranfparente
, & la méthode à laquelle il attribue
le plus d'avantages , & à laquelle il s'en
tient irrévocablement, confifte à fe fervir
d'abord d'un petit Biſtouri courbe qu'il
tient comme une plume à écrire , & le
JUILLET. 1762. 143
tranchant tournée en haut. Il porte fa
pointe dans la partie inférieure de la
cornée tranfparente du côté du grand
angle , à environ une demie ligne de
la conjonctive. Lorfque la pointe de
l'inftrument eft dans la chambre antérieure
, il le pouffe jufqu'au bord de la
cornée du côté du petit angle, à l'extrémité
de la ligne qui couperoit horizontalement
la cornée en deux parties , il
perce la cornée & achéve l'incifion qui
décrit une ligne oblique par une coupe
nette & fans bizeau. Il divife enfuite la
cornée fupérieurement par une feconde
coupe , obliquement du petit angle
vers le grand , avec de petits cizeaux
mouffes dont les lames font un angle
obtus avec les branches . De ces deux
incifions il réfulte un lambeau triangulaire
de la cornée tranſparente , dont la
bafe eft du côté du grand angle. Par ce
moyen M. Daviel met la prunelle à
découvert plus aifément que par la fection
demie-circulaire. L'humeur aqueufe
qui ne fe perd pas entierement dès le
commencement de l'opération , conferve
de la convéxité à la cornée tranf
parente , ce qui eft favorable à l'Opérateur
, qui achéve l'Opération comme
dans l'autre maniere , par incifer la cap144
MERCURE DE FRANCE.
fule cryftalline , & éxtraire le cristallin
au moyen d'une preffion douce & méthodique
du globe de l'oeil. M. Daviel
dit qu'après cette opération bien plus
facile à pratiquer , les cicatrices font
folides & à peine fenfibles .
M. Louis fit la lecture d'un Mémoire
fur la rétraction des mufcles après l'amputation
de la cuiffe , & fur les moyens
de la prévenir. L'Auteur avoit déja traité
ce fujet important dans deux differtations
imprimées dans les Mémoires de l'Académie
. Ce qu'il a dit , parut changer le fait
de la Chirurgie fur une Opération qu'il
croyoit avoir été trop négligemment
foumife à des préceptes généraux. Les
preuves de détail données pour la perfection
de l'amputation de chaque membres
, les argumens tirés de la raifon &
de l'expérience , fon attention à fe fonder
fur les connoiffances anatomiques
les plus pofitives , & à rapporter des
faits de pratique qui avoient rapport aux
points qu'il difcutoit , ne le privérent
pas des réfléxions que fon fentiment
fuggéra à des critiques qu'il appelle des
adverfaires utiles . Le jugement favorable
que des hommes d'un mérite diftingué
ont porté fur fon travail ; l'adoption que
des Chirurgiens célébres en ont faite
dans
JUILLET. 1762, 145
dans l'exercice de l'Art ; la préférence
que des Auteurs de réputation ont donnée
dans leurs Ouvrages à la doctrine que
M. Louis a établie , & l'accueil que des Juges
éclairés & impartiaux ont fait à ce qu'il
a été forcé d'oppofer aux critiques qu'ont
éffuyées fes remarques fur les amputations
, ne l'empêchent pas de ne voir
dans fes premieres recherches qu'un éffai
que des obfervations multipliées doivent
perfectionner. La campagne que l'Aч-
teur a faite l'année derniere en qualité
de Chirurgien - Confultant , dans l'Armée
du Roi en Allemagne , lui a fourni un
grand nombre d'occafions d'apprécier les
diverfes opinions , d'acquérir de nouvelles
connoiffances fur les points conteftés ,
& de chercher dans la pratique de l'amputation
de la cuiffe, la maniere la moins
défavantageufe à ceux qui auront le
malheur d'être expofés à fouffrir cette
opération .
L'amputation la plus parfaite eft fans
contredit celle dans laquelle les chairs
qui forment l'extrémité du moignon
confervent affez de longueur pour fe
maintenir au niveau du bout de l'os , c'eft
un avantage qui n'eft point ordinaire ,
furtout à la cuiffe. On coupe circulairement
la peau & la chair fur un plan égal:
I. Vol.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
mais fifans aucune précaution relative à
la rétraction des muſcles , on fcie l'os
fur le même plan que les chairs , doit-on
être furpris que la playe du moignon
au lieu de prefenter une furface platte ,
no forme par la fuite un cône plus ou
moins faillant. M. Louis expofe les grands
inconvéniens qui peuvent réfulter de cette
difpofition accidentelle de la playe.
C'est la rétraction des muſcles qui eft la
caufe de la faillie de l'os : il prouve que
ceux qui en admettent le fait, ont imaginé
que cet accident dépendoit de la fonte
du tiffu cellulaire par une fuppuration
abondante , ne ſe font pas apperçu qu'ils
faifoient de vains éfforts de raifonnemens
en fe diffimulant la caufe formelle de
cette faillie , & prenant pour elle ce
qui ne pourroit être regardé que comme
une caufe occafionnelle & déterminante
dans quelques cas feulement : mais
quand la rétraction des mufcles feroit
l'effet confécutif de la fuppuration trop
abondante , s'en fuivroit-il que la méthode
d'opérer , en confervant plus de
longueur relative aux chairs , par la plus
haute réfection de l'os , n'eût pas fur la
maniere ordinaire l'avantage de prévenir
l'inconvénient de la faillie de l'os ,
ou au moins d'en borner les effets , en la
· JUILLET. 1762. 147
rendant moindre qu'elle n'auroit été
fans l'ufage des précautions préfcrites ?
Avant que de donner de nouvelles
vues fur ce point éffentiel , M. Louis
reléve des procédés défectueux dans la
maniere de panfer les bleffés & qui contribuent
plus qu'on ne penfe à rendre la
plaie conique. Il faudroit bannir toutes
fes piéces d'appareil qui repouffent l'extrémité
des mufcles vers leur principe ,
& appliquer toutes les compreffes & les
bandes de façon qu'elles ramènent conftamment
les chairs du haut en bas.
Une autre inattention dans la pratique
des panfemens produit auffi ce fà cheux
éloignement des parties mufculeufes.
On ne prend pas affez garde à la fituation
du moignon dans le temps qu'on renoutvelle
les appareils . On fait fléchir la cuiffe
pour élever le bout du moignon , & fe
mettre à portée de panfer commodément
la plaie. Plus on avance dans la cure
, moins on prend de mefure à cet
égard . M. Louis dit qu'il a vu beaucoup
de bleffés qui , fe croyant hors de tout
danger , auroient été bien fâchés de fe
priver de la fatisfaction de faire faire à
la cuiffe un angle droit avec le corps ,
en la portant perpendiculairement en
baut. Dans cette flexion , le bout de l'os
Gij
148 MERCURE DE FRANCE .
femble fortir du moignon , & il s'éléve
effectivement au- deffus du niveau des
chairs ; c'est un mouvement déraifonnable
qu'on doit abfolument interdire , Le
Chirurgien au lieu de faire fléchir la
cuiffe, fe procurera la plus grande facilité
de panfer le malade , en le faifant foulever
des deux côtés avec une alaife , & en
plaçantfous les reins & les feffes , un petit
matelas ferme & affez épais , ou un
couffin de maroquin fait de crin bien
ferré . Les avantages de cette pofition
font fenfibles.
Mais ce que M. Louis propofe , foit
pour éviter la rétraction des muſcles en
mettant le bleffé dans une fituation favorable
, foit pour ramener les parties retirées
par l'application méthodique des
bandages , ne réfout pas les plus grandes
difficultés qu'on lui a oppofées . Un Chirurgien
de Lyon , rapporte dans un Quvrage
intitulé Mélange de Chirurgie , que
de trois amputations de cuiffe , deux faites
felon les principes de M. Louis ,
avoient été fuivies de la faillie de l'os ,
& que la troifiéme en avoit étéexempte ,
quoiqu'on n'eût eu aucun égard aux
préceptes qu'il a donnés pour éviter cet
inconvénient.
L'analyfe de ces faits & l'explication
JUILLET. 1762. 149
des cas où la rétraction des muſcles n'a
pas lieu , quelle que foit la méthode
d'opérer , forment ici une difcuffion intéreffante
: elle eft d'autant plus inftructive
que l'Auteur qui a exercé une eſpéce
de cenfure , avoit écrit ces mêmes
faits à M. Louis fix ans avant que de les
faire imprimer , & que les circonftances
expofées dans le récit particulier & obmifes
dans le récit imprimé, fervent beaucoup
à l'éclairciffement des obfervations
objectées.
De la difcuffion étendue & raisonnéede
plufieurs points capitaux , furlefquels
M. Louis rapporte des faits de pratique,
il conclut que c'eft une perfection
à ajouter aux préceptes donnés pour l'amputation
de la cuiffe , celui de ne comprimer
l'artère crurale que dans le pli de
l'aîne , de façon que les mufcles ne foient
gênés que par la bande qui doit les affermir
pendant la premiere fection circulaire.
Cette bande fupprimée , la rétraction
des muſcles fera libre , l'Opérateur
pourra donner tous fes foins à couper
les chairs qui font autour de l'os , &
affez haut , à l'endroit où il fera poffible
de le fcier avantageufement , pour conferver
les chairs dans la plus grande longueur
relative. M. Louis cite deux cas
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
"
où il a fait l'amputation de la cuiffe fans
tourniquet , en faifant fimplement appuyer
fur l'artère crurale par un aide .
L'exemple le plus récent eft fourni par
la cure de M. le Chevalier de S. Maclou
Officier au Régiment de Vaſtan , bleffé
devant Brunfwick par un coup de fufil
qui lui caffa la cuiffe. Près d'un mois
après , M. Louis trouva cet Officier dans
l'état le plus fâcheux entre les mains d'un
Chirurgien à Wolfenbuttel . Il le détermina
à fe laiffer couper la cuiffe. Le
défordre étoit tel qu'il falloit faire l'amputation
fort haut. M. Louis chargea M.
Douignor , premier Chirurgien de M. le
Duc de Brunswick de comprimer l'artère
crurale; l'opération fut faite fans difficulté
, l'os fut fcié fort haut , & le malade
fut guéri parfaitement fans avoir éprouvé
l'accident de la rétraction des chairs ;
fon moignon n'eft pas conique , il offre
au contraire une groffe maffe charnue
dans le centre de laquelle le bout de l'os
eft enfoncé .
Comme on n'eft pas toujours à portée
d'avoir des aides intelligens à qui on
puiffe confier fans danger la compreffion
de l'artère crurale , M. Louis a prié M.
Pipelet le jeune , fort expert dans la
conftruction des bandages , de lui faire
JUILLET. 1762. 151
un tourniquet pour comprimer l'artère ,
à fa naiffance au-deffous de l'arcade crurale.
Feu M. Petit avoit imaginé pour
cette compreffion un bandage plus compliqué
, parce qu'il avoit d'autres objets
à remplir dans la cure de M. le Marquis
de Rothelin , à qui il avoit coupé la cuiffe
20 ans après un coup de feu. On ne
peut , dit M. Louis en finiffant fa Differtation
, faire mention de ce cas , fans
rappeller avec reſpect pour la mémoire de
ce grand Chirurgien , que c'eft une des
guérifons qui a fait le plus d'honneur à
la Chirurgie Françoife.
M. Pipeletle jeune a terminé la Séance
par la lecture d'un Mémoire fur une hernie
particuliere de la veffie. M. Verdier
a donné dans le fecond Tome des Mémoires
de l'Académie , une excellente
Differtation fur cette matiére , où l'on
voit que le filence des Anciens fur cette
maladie a été la caufe de beaucoup d'erreurs
dans la pratique. L'attention qu'on
a donnée de nos jours à ces méprifes ,
quelques obfervations fournies par des
Auteurs modernes , & plufieurs cas particuliers
communiqués à l'Académie ont
fervi à former un corps de doctrine qui
eft une fource féconde de lumières fur
cette maladie plus commune qu'on ne
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
penfe. M. Verdier , avec tous fes fecours,
n'a pas épui é fon Sujet. Il n'a pas parlé
de la hernie de la veffie au périnée
fur les hommes. M. Pipelet a eu occafion
d'obferver ce cas ; il donne en détail
la caufe , les fignes & toutes les circonftances
qui ont accompagné cette maladie
trop longtemps méconnue , & dont
l'incommodité a difparu dès que M Pipelet
a fait porter un bandage convenale.
La defcription de ce moyen n'eſt pas
fufceptible d'extrait ; la vue de la machine
fuffit pour en faire concevoir l'utilité.
Il y a deux exemples de hernies de
veffie fur des femmes ; & elles paroiffent
naturellement devoir y être moins fujettes
que les hommes. Mais M. Pipelet
remarqué que ces deux cas bien conteftés
font arrivés à des femmes groffes.
D'après la confidération anatomique des
parties dans l'état de groffeffe , l'Auteur
explique d'une maniere démonſtrative
que ces hernies ont dû difparoître après
la groffeffe : c'eft le cas contraire de la
hernie de l'ombilic qui ne paroît plus ,
lorfque la matrice dilatée fe préfente visà-
vis du trou ombilical Le fait intéreffant
par lui - même a été confirmé par le témoignage
de M. Louis que le malade a
JUILLET. 1762. I 53
confulté pour conftater la nature & le
vrai caractère de la maladie que M. Pipelet
avoit très-judicieuſement diftingué
au premier examen.
ARTS AGRÉABLES.
GRAVURE.
AVIS concernant les Eftampes des
Ports de France.
MRS RS Cochin & Lebas avertiffent
qu'on commencera à délivrer les Eftampes
de la feconde Soufcription des Ports
de France d'après les Tableaux de M.
Vernet , le 10 Juillet , chez M. Chardin
Confeiller , Tréforier de l'Académie
Royale de Peinture & de Sculpture ,
aux Galleries du Louvre.
Ces quatre Eftampes font , la Vue de
la Ville & de la rade de Toulon , le Port
vieux de cette même Ville , le Port d'Antibes
, & celui de Cette.
En livrant ces Eftampes , les Graveurs
propofent une troifiéme Soufcription
pour quatre autres qui font la continuation
de la même fuite , fçavoir :
1º . La Vue d'une partie du Port & de
G v
154 MERCURE DE FRANCE.
la Ville de Bordeaux , priſe du côté des
Saliniérés ou l'on découvre les deux
Pavillons qui terminent la Place Royale ,
dans l'un defquels eft l'Hôtel des Fermes
& dans l'autre la Bourfe : une partie .
du Château - Trompette ; enfuite le
fauxbourg appellé les Chartrons , & la
Palue dans le lointain . A l'extrémité
l'Ormond , village à une lieu au-deffous
de Bordeaux , au pied d'une montagne
qui termine le Tableau.
>
2º. Une autre Vue du même Port prife
du Château-Trompette ; d'où l'on voit
une partie de cette Fortereffe , la Bourfe
la Place Royale & la Statue Equeftre du
Roi , l'Hôtel des Fermes , les Saliniéres
& une partie des Chantiers.
3°. La Vue de Bayonne prife à mî-côte
fur le Glacis de la Citadelle où l'on
voit la réunion des rivieres de l'Adour &
de la Nive ; le Pont du S. Efprit , celui
de Mayou & celui de Panecan . Au bord
de la riviere font rangés des vaiffeaux &
l'on découvre une partie de l'allée marine.
Sur le devant font des magafins à ferrer
du vin , & le chemin qui conduit à la
Barre. Les figures dont il eft orné font
des Bafques , des Bafquoifes & autres.
femmes du Pays.
4º. Une autre Vue de Bayonne prife
JUILLET. 1762. 155
de l'allée de Bouflers , près de la Porte
de Moufferole . On voit la Citadelle , la
Porte Royale , le Fauxbourg & le Pont
du S. Efprit : on découvre jufqu'à Blanc-
Pignon & aux Dunes où eft la Balife pour
les fignaux. Les figures font des Bafques
coeffés d'un Barret ou efpéce de Tocque ,
des Bafquoifes qui ont fur la tête un mouchoir
, des Efpagnols & des Elpagnolles
, un Tillolier & des Tilloliéres , nom
qu'ils prennent d'une efpéce particuliere
de bateaux , dont quelques-uns font repréfentés
dans le Tableau , ainfi que plufieurs
autres , comme Chalibardons ,
Bateaux de Dax , & c... On s'eſt attaché
à repréfenter ce qui peut caractériſer le
Pays & fes ufages , comme le jeu de la
Troupiole , qui confifte à fe jetter une
cruche jufqu'à ce que tombée à terre ,
elle fe caffe ; une Cacolette , ou deux
femmes fur un cheval, un caroffe à boeufs ,
tel qu'on s'en fert pour la campagne &c.
Comme MM. Cochin & Lebas ont
éprouvé que le temps qu'ils avoient demandé
lors de la feconde foufcriprion ne
leur a pas fuffi , & qu'ils ont été forcés
par la nature de l'ouvrage , & par le
temps néceffaire pour l'impreffion , d'en
retarder la livraiſon , ce qui a donné lieu
à plufieurs perfonnes de fe plaindre ;
G vj
156 MERCURE DE FRANCE .
confidérant d'ailleurs que ces quatre tableaux
qu'ils vont entreprendre font encore
plus chargés de détails qui augmentent
la longueur du travail ; ils préviennent
que dans les Reconnoiffances
pour cette nouvelle Soufcription , ils ne
peuvent prendre d'autre engagement que
celui de promettre ces Eftampes dans
le courant de l'année 1764. On peut
être affuré qu'ils ne négligeront rien pour
fatisfaire plutôt les Soufcripteurs , &
pour accélérer l'ouvrage autant qu'il fera
poffible fans nuire à la beauté de
l'exécution .
Les Perfonnes qui voudront continuer
à foufcrire donneront douze livres à
compte , ainſi qu'il a été annoncé par le
premier Profpectus. Les Graveurs avertiffent
en même temps qu'étant engagés
à recevoir de préférence les Soufcriptions
de ceux qui leur feront l'honneur de
continuer,& le nombre des Soufcripteurs
précédens étant affez confidérable pour
ne pouvoir être augmenté fans riſquer
que quelques-uns d'entr'eux n'euffent
des Epreuves moins belles , on n'en
acceptera de nouveaux que deux mois
après l'ouverture de cette livraifon ; &
feulement pour remplacer ceux qui pourroient
s'être retirés.
JUILLET. 1762. 157
LE fieur L'EMPEREUR , Graveur du
Roi , rue de la Harpe , vis- à-vis la rue
Serpente , vient de mettre en vente
deux Eftampes d'après M. Vernet , l'une
appellée la Tempête , l'autre le calme
toutes deux gravées par la D. C. E.
Coufinet , époufe du fieur L'Empereur ,
& dédiées à M. Wattelet de Valogny ,
Maréchal des Camps & Armées du Roi.
Ces deux agréables Morceaux ne peuvent
manquer de plaire aux judicieux
Eftimateurs des talens.
LE PUBLIC apprendra fans doute avec
plaifir qu'il paroît une belle Eftampe repréfentant
M.Rameau. Elle eft gravée par
M. S. Aubin , d'après le Bufte de ce célèbre
Muficien que l'on a vu au Sallon
du Louvre en 1761 , & dont M. Caffieri ,
Sculpteur du Roi , eft l'Auteur. On
vend cette Eftampe chez le fieur Joullain
, Marchand de tableaux , quai de
la Mégifferie, à la Ville de Rome.
>
LIVRE de Principes à déffiner , par
M. Dandré Bardon
Profeffeur pour
l'Hiftoire , del ' Ecole- Royale des Eléves
protégés , gravé à l'eau-forte Marpar
guerita Ludovica Amedea de Lorme du
Ronceray , terminé au burin par Etienne
158 MERCURE DE FRANCE.
Feffard , Graveur du Roi , de la Bibliothéque
du Roi , & de l'Académie Royale
de Parme. Se vend à Paris chez l'Auteur
à la Bibliothéque du Roi , & dans
la Maifon de Pierre Remy , ancien Directeur
de l'Académie de S. Luc , rue
Poupée , la deuxiéme porte cochère à
gauche en entrant par la rue Hautefeuille.
N. B. Une maladie de trois ans que
le fieur Feffard vient d'éffuyer , l'a mis
hors d'état jufqu'ici de remplir l'engagement
qu'il a contracté avec MM . les
Soufcripteurs pour les Tableaux du Cabinet
du Roi , Mais s'il a profité des momens
libres , dont il a joui pour travailler
à l'ouvrage qu'on vient d'annoncer
ainfi qu'à la lumière du monde & la Vénus
d'après M. Boucher , qui ont déja
paru , c'eft qu'il ne lui a pas été poffible
de travailler fur de grandes Planches.
Il délivrera inceffamment le Rubens ,
en fuivant les conditions de fon Profpectus
; il n'a rien négligé de tout ce qui
concerne fon Art , pour mériter le fuffrage
du Public qu'il a toujours eu en vue
comme fon principal but , dans les différentes
productions qu'il a déja données.
Ce 8 Juin 1781 .
FESSAR D.
JUILLET. 1762 . 159
Le fieur LATTRÉ , Graveur rue S.
Jacques , au coin de celle de la Parcheminerie
, à la Ville de Bordeaux , vient
de mettre au jour un Atlas Maritime
qu'il a eu l'honneur de préfenter au
Roi.
Cet Ouvrage intéreffant & qui peut
être utile en tout temps , l'eft encore davantage
eu égard aux circonftances préfentes.
Afin d'en donner idée on va le
faire parcourir rapidement à nos Lecteurs
. Le titre eft orné d'un Neptune
avec fes divers attributs furmonté
d'une guirlande de Plantes marines
qui forme le Cartel , où fe trouve l'infcription.
On rend compte dans l'Avertiffement
de la projection qu'on a employée
pour les Cartes de ce Recueil &
des moyens qui ont principalement contribué
tant à les rendre exactes dans les
parties de détail , qu'à les affujettir au
Ciel . La Carte générale eft la premiere ;
elle indique la difpofition refpective des.
Cartes particulieres. Ces Cartes qui fuivent
du Nord au Sud pour l'Océan
& de l'Ouest à l'Eft pour la Méditerranée
, font au nombre de huit ; on les
a affujetties à la projection de Mercator,
comme étant la plus comode les
pour
Marins ; il s'y trouve des détails que
la.
160 MERCURE DE FRANCE .
›
petiteffe du format ne promet point.
On y voit un très-grand nombre de
pofitions fur les Côtes ; & fur la Mer
font les bancs de fables , les rochers ,
les fondes , la variation de l'éguille aimantée
& la hauteur à laquelle la Mer
monte dans les grandes Marées , il paroît
qu'on n'y a rien oublié de tout ce
qui a rapport à la Marine .
*
Outre les huit Cartes de détail , on
en trouve trois autres à plus grand point
qui contiennent les principales Ifles qui
avoifinent nos Côtes ces Cartes qui
paroiffent autant foignées que les précédentes
, font les Ifles Gerfei , Grénefei
& Aurigni , Belle- Ifie & les Ifles de
Ré & d'Oléron. On peut dire à la louange
du Géomètre & de l'Artiſte qui ont
préfidé à cet Ouvrage , que s'ils ont fait
des éfforts pour mériter l'accueil du Public
, nous préfumons qu'ils auront atteint
le but. Après les Cartes fuivent
les Plans de nos Ports les plus confidérables.
Ces plans font fuivis d'une idée
de chacune de ces Villes , dans laquelle
on indique ce qu'il y a de plus intéreffant
à fçavoir fur chacune.
Ce Volume qui eft du même format
que l'Etrénne Géographique & l'Atlas
Militaire que l'on trouve chez le même,
JUILLET. 1762.
161
1
fe vend relié en maroquin & lavé
15 liv. relié en veau fans lavure 9. liv . Il
devient très - néceffaire aux perfonnes
qui foufcrivent aux belles vues de nos
Ports , par M. Vernet exécutée par
par MM. Cochin & Lebas.
CARTE du Paffage de l'ombre de la Lune
au travers de l'Europe dans l'Eclipfe
du premier Avril 1764 .
LE
Es grandes Eclipfes du Soleil font
des Phénomènes affez frappans pour mériter
l'attention du Public & intéreffer fa
curiofité ; il n'en eft guères arrivé que
les Aftronomes n'ayent eu le foin de les
prédire avec toutes leurs circonstances ;
fouvent ils en ont mis les détails fous les
yeux des Amateurs , par le moyen des
Cartes féparées faites à ce deffein .
L'Eclipfe de Soleil qui s'obfervera le
premier Avril 1764, offrira un Phénomène
unique & qui ne s'eft jamais vu en
France ou du moins qui n'y a jamais été
obfervé de manière à être confacré dans
l'Hiftoire de l'Aſtronomie ; ainfi il intéreffe
également les Aftronomes & le
Public ; il doit fournir une occafion favorable
pour juger du diamètre de la Lu162
MERCURE DE FRANCE.
ne dans les Eclipfes , beaucoup mieux
qu'on ne peut le faire dans toute autre circonftance
& dans toute autre Eclipfe .
Madame le Paute , appliquée depuis
longtemps & avec fuccès à des recherches
d'Aftronomie qui font autant
d'honneur à fa pénétration qu'à la folidité
de fon efprit , a fait fur l'Eclipfe
de 1764 un travail particulier dont elle
vient de publier le réfultat dans une
Carte de l'Europe que l'ombre de la
Lune traverfera ce jour -là dans moins
de deux heures prèfque toute cette partie
du Monde ; de plus cette ombre
y eft repréſentée féparément fous fa forme
Ecliptique ; on voit fur le côté de la
Carte un croiffant qui repréfente la maniére
dont l'Eclipfe paroîtra à Paris &
une couronne qui exprime la maniére
dont on la verra en Efpagne , en Bretagne
, en Normandie & en Flandres
enfin tout ce qu'il peut y avoir d'intéreffant
& de remarquable dans une
Eclipfe de Soleil y eft mis fous les yeux
d'une maniere palpable & qui n'exige
ni méditation ni calcul ; une courte explication
annonce l'objet de cet ouvrage
, fon utilité , & les différentes parties
qui le compofent.
›
La gravure de cette Carte exécutée
JUILLET. 1762. 163
par Madame Lattré , augmente encore
le mérite de l'ouvrage , & montre dans
le beau Séxe une feconde efpéce de talent
; les ornemens font gravés par
Madame Tardieu en forte que cet
ouvrage dans toutes fes parties annonce
des femmes diftinguées dans les
Sciences & dans les Arts , digne de fervir
aux autres de modéles & d'objets
d'émulation . Cette Carte eft imprimée
en deux couleurs & fe vend avec l'explication
3 liv. à Paris , chez Lattré ,
Graveur , rue S. Jacques , au-deffus de
celle de la Parcheminerie , à la ville de
Bordeaux .
P
MUSIQUE.
REMIER & fecond Recueil d'Airs
François & Italiens , Romances , Brunettes
, Vaudevilles , Menuets & c . choifis
dans les Opéra- Comiques qui ont eu
le plus de fuccès , comme le Maréchal
ferrant , le Cadi duppé , On ne s'avife
jamais de tout Annette & Lubin , le
Jardinier & fon Seigneur , le Maître en
Droit , l'Ile des Foux & c . accommodés
pour deux fluttes , deux violons ou
,
deux pardeffus de viole par M. Granier,
164 MERCURE DE FRANCE.
premier Violoncelle de la Comédie Italienne
, prix 6 liv. chaque volume . A
Paris , chez M. de la Chevardiere , rue ,
du Roule , à la Croix d'Or.
RECUEIL d'Airs à chanter d'Annette
& Lubin avec accompagnement de clavecin
, harpe , ou violoncelle . Prix ,
3 liv. 12 f. à la même adreffe.
SYMPHONIES périodiques , Nº . 25.
26. 27. 28. 29. 30. 31. del Signor Cannabich
, Toëfchi , Philidor , Stumpff,
Holzbaur , prix , 2 1. 8 f. chacune, mifes
au jour par le fieur de la Chevardiere
, Editeur du Journal périodique de
Symphonies , qui continue toujours cet
ouvrage .
Annette & Lubin , Partition in-folio ,
prix 12 liv, y compris les Parties féparées.
A la même adreffe.
JUILLET. 1762, 165
ARTICLE V.
SPECTACLES.
O
OPERA.
N a continué le Ballet des Fêtes
Grecques & Romaines. Le 15 Juin
Mlle Hebert a débuté par le rôle de Cléopatre.
Cette A&trice eft d'une taille trèshaute
, mais affez bien proportionnée ,
pour que cela ne contribue qu'à lui
donner de la nobleffe , fans faire difparate
avec les autres , parce qu'elle n'a
rien de gigantefque. On lui reconnoît
généralement un caractére impofant dans
la marche , dans le maintien & dans
l'action , quoique l'on s'apperçoive à
certains excès dans le gefte , qu'elle
s'eft exercée longtemps en Province ;
mais depuis fon début , elle a déja gagné
du côté du goût en perdant beaucoup
de cette vicieuſe habitude . Quant
à l'organe , on ne peut en parler fans
craindre de précipiter un jugement ; la
timidité femble encore voiler un peu
fa voix , dont le fon malgré cela n'a
166 MERCURE DE FRANCE.
rien de défagréable. Elle a une bonne
maniere de chanter ; elle montre de l'intelligence
& de la fenfibilité . Cette Débutante
peut devenir très- utile , fi elle
s'engage à l'Opéra.
Le Mardi 6 du préfent mois de Juillet
, l'Académie Royale de Mufique remettra
fur fon Théâtre les Caractères
de la Folie , Ballet. Le Poëme eft de M.
Duclos , Secrétaire perpétuel & l'un des
40 de l'Académie Françoife , Hiftoriographe
de France. La Mufique eft de
M. de Buri , Surintendant de la Mufique
du Roi.
Ce Ballet a été donné , la premiere
fois au mois d'Août 1743. L'Auteur
du Poëme avoit rapporté les caractères
de la Folie , à trois efpéces principales ;
les Manies , les Paffions & .les Caprices.
Parmi les Manies , on avoit choifi
l'Aftrologie , qui faifoit le Sujet du
premier Ace . Entre les Paffions , on
avoit préféré l'Ambition ; c'étoit le Sujet
du deuxième Acte . Les Caprices de
l'Amour formoient le troifiéme Acte .
Le tout précédé d'un Prologue . On a
changé cette diftribution pour la repriſe
de ce Ballet. L'Aftrologie eft encore au
premier Acte , les Caprices de l'Amour
feront au deuxiéme ; on a fubftitué un
JUILLET. 1762. 167
nouvel A&te , qui fera le troifiéme , dont
le Sujet Paftoral eft intitulé Hilas &
Zelie. Les paroles de ce nouvel Acte ne
font point de M. Duclos.
On a rendu compte du fuccès favorable
qu'eut ce Ballet en 1743 , dans les
Mercures de cette même année ; on y
trouve l'Extrait de ce Poëme , tel qu'il
parut alors. ( a ) Nous donnerons celui
du nouvel Acte dans le Vol. prochain ,
en informant du fuccès qu'aura eu cette
repriſe.
Nota. Nous croyons concourir au
progrès de l'Art Dramatique dans le
genre de l'Opéra , en remettant fous les
yeux des obfervations déja publiées tant
de fois fur les Ballets , répétées journellement
dans le Public & cependant
encore trop négligées. Nous communiquerons
à cet effet , dans le vol. fuivant,
une Lettre qui nous a été adreffée depuis
la repriſe des Fêtes Grecques &
Romaines ; nous ne pouvons l'inférer
dans celui- ci,
(a ) V.le Mercure de Septembre 1743.
168 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE
FRANÇOISE.
LES Comédiens François avoient annoncé
le 5 Juin la 14° & derniere repréfentation
de Zelmire . Ayant été redemandée
avec la plus grande vivacité , cette
Tragédie a été encore repréfentée le 16
& le 19 du même mois. Les applaudiffemens
ont été les mêmes qu'aux premieres
repréfentations ; l'affluence a été
égale , malgré l'extrême chaleur de la
faifon & l'abfence d'une grande partie
des plus affidus Spectateurs des Théâtres.
Pendant les dernieres repréſentations ,
la Piéce a paru imprimée , (a) avec quelques
changemens que lesActeursne joueront
qu'à la reprife de l'hyver prochain.
Nous allons rendre compte de ce qu'il y a
de plus important dans les corrections.
Au quatriéme Acte , l'Auteur paroît
s'être conformé au vou des Connoiffeurs
que nous lui avions annoncé dans
le précédent Mercure . Zelmire livre ellemême
fon Père en croyant livrer un
Soldat Troyen . Cette fituation eſt réta-
( a ) A Paris chez Duchefne , Libraire , rue S.
Jacques , au Temple du Goût , avec une Préface.
Prix 30 fols.
blie
JUILLET. 1762. 169
blie dans toute la force qu'elle avoit
à la premiere repréſentation ; mais elle
nous paroît préparée avec plus d'art.
& traitée avec plus de chaleur , en ce
que le danger de Polydore eft plus preffant
aux yeux de Zelmire. Elle voit les
flambeaux tout prêts pour embrafer les
Vaiffeaux où elle croit que fon père s'eft
retiré. Elle veut fe jetter au - devant des
flammes ; on l'arrête . Elle n'a donc plus
d'autre moyen , pour détourner la mort ,
dont elle croit fon père menacé fur les
Vaiffeaux , que de déclarer à Rhamnès
que le Troyen qu'il pourfuit eft retiré
dans le Tombeau . Pour ménager la délicateffe
du Spectateur , M. de Belloy a
exprimé très clairement que Zelmire
pour fauver les jours de fon père , n'a
cru livrer le Troyen inconnu qu'à la captivité
& non pas à la mort . C'eft fur la foi
des fermens de Rhamnès , & ce Rhamnès
eft un Général qui fonde même ce
ferment fur le droit des gens....
--
>>S'il étoit Lefbien , dit- il , il périroit en traître...
Mais il eft étranger , il a fervi fon Maître.
>> Dites- nous ( à Zelmire ) où vos yeux l'ont vu le
>> retirer ,
>> Devant tous mes foldats je veux bien lejurer ,
I.Vol H
170 MERCURE DE FRANCE.
» En lui donnant des fers ma clémence & ma
»gloire
» N'étendront pas plus loin les droits de la victoi-
>> re.
Pour qu'il ne refte rien d'équivoque
à cet égard , l'Auteur fait dire à
Zelmire :
part
à
.... » Mon Père , hélas ! pour un autre attendrie ,
>> Dois-je à fa liberté facrifier ta vie.
La Scène fuivante offre encore un
Morceau dans lequel l'Auteur a refondu
deux couplets qui ont acquis par ce
moyen un nouveau degré de chaleur,
Les menaces d'Ilus ont paru à tous les
Connoiffeurs plus fortes ,plus préciſes, &
l'on entrevoit plus clairement qu'il a le
billet , que Rhamnès lui enléve enfuite.
On a généralement approuvé la réponſe
d'Flus fur le murmure que Zelmire laiffe
échapper contre la Juffice du Ciel dont
ce Prince croit avoir un garant dans le
billet d'Azor.
•
» Sa juſtice eft pour nous. Elle tient enfermés
›› Dans un nuage encor ſes foudres allumés ;
›› Mais fon bras inviſible , étendu fur le crime
Voile , pour mieux frapper , les yeux de ma vic-
» time.
JUILLET. 1762. 171
Dans l'Edition de cette Piéce , l'Auteur
a rétabli 24 Vers qui n'ont point
été dits fur la Scène & qui contiennent
l'explication de toute la conduite de Rhamnès.
M. de Belloy obferve très-judicieufement
dans fa Préface , que le Lecteur
veut qu'on lui rende compte de tout , au
lieu que le Spectateur difpenfe d'une
exactitude qui le refroidiroit.
Cette Préface , bien écrite , & dans
laquelle l'Auteur montre beaucoup de
connoiffance fur l'efprit & le caractère
diftinctif de notre Théâtre , eft importante
à lire ; mais nous croyons pouvoir
ajouter quelques obfervations plus détaillées
pour éclaircir une difcuffion littéraire
, fur laquelle nos Lecteurs nous
fçauront gré, peut-être , de nous étendre
davantage.
REMARQUES fur les rapports
entre HIPSIPILE & ZELMIRE.
M. De Belloy , ainfi qu'il arrive à tout Autcur
qui réuſſit , a dû éxciter d'abord l'envie de fes
concurrens à laquelle fe joint encore avec plus
de vivacité la malignité de leurs partifans . Il a
donc été accufé de n'être que le Traducteur
d'Hipfipile , Tragédie de M. Meftaftafio , Traducteur
lui- même, dans prèfque toutes les Pièces,
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
des divers Théâtres de l'Europe , principalement
des Théâtres François & Anglois ; fans avoir
éprouvé ce reproche , & fans que cela ait en rien
préjudicié à fa célébrité.
M. De Belloy a cependant été obligé de fuivre
une route entierement oppofée à celle de l'Auteur
Italien ; & le plan de Zelmire , n'a aucun rapport à
celui d'Hipfipile : il étoit impoffible que la févérité
des regles de la Tragédie Françoife le prétât
aux licences de l'Opéra Italien. On verra fans
doute avec plaifir les différences de ces deux
Drames.
Dans Hifipile, toutes les femmes de Lemnos
ont confpiré enfemble d'égorger tous les hommes
de leur Ifle , pour les punir d'avoir fait des
maîtrefies dans la Thrace où ils avoient porté
la guerre. On fent facilement combien on auroit
pû jetter de ridicule fur une pareille confpiration.
D'ailleursHipfipile n'ayant pas contre Thoas,
fon père, la même raifon de vengeance qui anime
les femmes de Lemnos contre leurs maris , il
n'eft point vraisemblable qu'on lui confie le foin.
d'égorger elle -même fon père & fon Roi. C'eſt
cependant fur ce fait qu'eft fondée toute l'action
de l'Opéra , & c'eft peut-être ce qui porte les
Italiens à ne point mettre ce Drame , malgré
toutes fes beautés , au même rang que les autres
Tragédies de fon illuftre Auteur.
Léarque , jeune -homme de la Cour de Lemnos ,
a voulu enlever Hipfipile. Son complot ayant
été découvert , Thoas l'avoit exilé. Dans fon
défefpoir il s'étoit mis à la tête de quelques Pirates
avec lesquels il defcend à Lemnos , précifément
le jour du maſſacre général de tous les
hommes de cette Ifle. Eurinome , ſa mère , eſt à
la tête des barbares Lemnienes. Léarque eft ab-
•
JUILLET. 1762. 173
horré d'Hipfipile , mais aimé de la jeune Rodope
qu'il méprile. On voit que tous ces événemens
n'ont rien de femblable à ceux de Zelmire . Ce ne
font ni les mêmes perfonnages ni les mêmes
intérêts. Il n'y a dor éxactement comme le
dit M. De Belloy daner Préface , que trois fcènes
où il a pu imiter Miccaftafe , encore dans ces
trois fcènes n'a- t-il pu emprunter qu'une vingtaine
de vers à l'Auteur Italien .
"
1
La premiere eft celle du fecond Acte de Zelmire
où cette Princeffe s'accufe devant Ilus
d'avoir livré fon père à la mort . Le fond fe rapproche
de celle d'Hipfipile & de Jafon , mais
les détails en font tout différens ; par exemple ,
quand Eurimone accufe Hipfipile d'avoir affaffiné
fon père , cette Princeffe fe contente de répondre
à Jason ; il est vrai. Zelmire , paroît prendre un
ton plus héroïque dans ce Vers qui a été tant applaudi
,
35 Mon coeur , immole -toi , la caufe en eft trop belle .
Il femble auffi qu'il y ait plus d'art dans l'équivoque
des vers ſuivans :
Oui, réduite à choifir de mon père ou d'Azor……..
Ce que j'ai fait enfin , je le ferois encor.
Ils font d'autant plus heureux , qu'on y trouve
un motif vraisemblable pour autorifer la crédulité
d'Ilus. Il feroit poffible en effet à la rigueur,
que Zelmire eût embrallé les intérêts de fon
frère & qu'elle eût une âme auffi dénaturée que
lui avec les mêmes dehors de vertu . Nous pouvons
avancer qu'il n'y a pas un mot dans les fureurs
d'Ilus contre Zelmire , que l'on trouve dans
les emportemens de Jafon contre Hipfipile.
La feconde ſcène où il y a rapport entre les
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
deux Drames
"
•
eft celle du troifiéme Acte de
Zelmire , où le trouve le grand coup de Théâtre
qui caractériſe fi énergiquement la fcélérateffe
d'Antenor. Dans Métaftafe , Léarque veut affaffiner
Jafon , celui- ci eft endormi, Hipfipile arrête le
bras de Léarque , ils fe opor attent longtemps .
Léarque ne veut lâcher le poignard qu'à condition
qu'Hipfipile le fuivra. Enfin voyant que
Jafon s'éveille , il laiffe le poignard & s'enfuit.
Jafon voit le poignard dans les mains de fa
femme , il croit qu'elle a voulu l'affaffiner.
En vain elle s'efforce de ſe juſtifier , en vain elle
lui déclare que Thoas eft vivant , que c'est pour
le fauver qu'elle a feint de l'immoler ; Jafon ne
veut rien croire ni rien entendre. Hipfipile menace
de fe tuer , Jafon l'en empêche & la chaffe
de devant lui par ce Vers.
„, Mori , fi vuoi morir : ma mori altrove .
Meurs fi tu veux mourir : mais va mourir ailleurs .
Indépendamment de ce que nos Spectateurs
n'auroient pas admis , ainfi que l'obſerve M. De
Belloy , un Acteur endormi fur la scène ; on
n'auroit pu fupporter l'opiniâtreté de Jafon , &
l'on eût défiré qu'Hipfipile s'attachât à lui & ne
le quittât pas , puiſque par fon départ & celui de
fes Theffaliens , Thoas devenoit abfolument fans.
reffource. Métaftafe avoit emprunté ce coup de
Théâtre de la troifiéme fcène du troifiéme Acte de
CAMMA , Tragédie de Thomas Corneille . Il l'avoit
traité différemment. Il n'eft befoin que de fe rappeller
la scène de Zelmire , pour voir combien
fon Auteur s'eft écarté des deux autres . L'intrépide
fcélérateffe d'Antenor qui accafe Zelmire , &
fe juftifie quand elle l'accufe à fon tour ; la contrainte
affreufe où il met cette malheureufe Princeffe
qu'il empêche de s'expliquer fur le fort de
fon père & de fe fervir de cet unique moyen
JUILLET. 1762.
175
qui lui refte pour convaincre Ilus de fon innocence
; les efforts attendtiffans qu'elle fait pour
indiquer à fon mari par des mots équivoques
ce qu'elle ne peut lui dire ouvertement : tout
cela appartient irrévocablement à M. De Belloy ;
& il n'en a pu trouver d'idée dans l'Hipfipile de
Métaftafe .
La troifiéme fcène enfin , que l'on peut comparer
, eft celle où Thoas vient fur le Théâtre fans
qu'on fcache pourquoi & y rencontre Jafon quile
croit mort. Jafon lui affure en effet qu'il l'a vu
mort.
,, Come refurgi ? Eftinto
,, Nall' albergo real ti vidi io ftello.
Thoas eft obligé de lui expliquer qu'il n'a vu
qu'un Malheureux , couvert de les habits & que la
pitié d'Hipfipile a fait paffer pour lui , c'eſt alors
que Jafon s'écrie , Ah ! mon époufe eft donc innocente
de tout ce que je lui imputois.
,, Ah di tutto innocente dunque é la ſpoſa mia.
Voila le morceau où les deux Auteurs ſe reffemblent
le plus & le moins. Ce qui n'eſt dans
Jafon que le langage froid de la réfléxion , eſt
dans la bouche d'Ilus , le premier cri du ſentiment.
Il ne veut point d'explication , il devine
tout , il voit tout dès qu'il apperçoit Polidore.
C'est ce qui donne tant d'effet fur l'âme à ces
mots Zelmire eft innocente Rien n'eft fi commun
en foi , mais le moment où ils font placés
en fait tout le prix. Tout le monde pourroit dire :
Vous pleurez , vous changez de visage , mais tout
le monde ne le diroit pas avec cet a - propos ni
dans les circonstances qui rendent ces paroles
fi fublimes dans Zaïre , & dans Mithridate.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE .
D'ailleurs , comment ce coup de Théâtre f
frapant eft-il préparé dans Zelmire ? Les regards
que cette Princefle jette fur le tombeau , les difcours
équivoques qui font foupçonner à Ilus ,
qu'elle y cache un complice ; la réfòlution qu'il
prend d'y entrer l'épée à la main ; l'effroi dont
le fpectateur eft faifi en croyant qu'Ilus va dans
fon erreur égorger le malheureux Polidore :
voilà encore des traits tout neufs & que M. de
Belloy n'a furement pas imité de l'Italien . Si
c'eft traduire une Piéce que d'en imiter trois
fcènes dont on ne prend que le fens d'une vingtaine
de vers , M. de Belloy n'aura été que le
Traducteur de Métaftafe . Mais en ce cas il aura
les Corneille , les Racine , les Voltaire , &
dans un autre genre Moliere pour complices de
cette forte de plagiat. Ils ont été fouvent plus
loin que lui dans ces imitations , non-feulement
irrépréhenfibles , nous ne craignons pas de dire
fouvent très- defirables & très -ingénieufes. Ainfi,
pour l'intérêt de notre Théâtre , on prend la liberté
de confeiller à nos jeunes Auteurs de fuivre
ces grands modéles , plutôt que de décrier
Ceux qui paroiffent vouloir fe former fur de tels
exemples. On doit regretter même que M. de
Belloy , n'ait pu ou n'ait ofé traduire littéralement
, pour Zelmire , le dénoûment d'Hipfipile ,
que nous croyons fupérieur au fien , quoique
celui de Zelmire ait paru & foit réellement trèsneuf
& très-frapant. Apparemment que prévenu
par les Auteurs d' Amenophis & d'Hypermnestre,
celui de Zelmire s'eft trouvé dans la néceffité d'inventer
un dénoûment qui n'appartînt qu'à lui.
Mais il eft fâcheux que ceux qui ont accommodé à
leur fujet la fin d'Hipfipile , n'ayent pu conferver
dans toute fa pompe ce fpectacle le plus beau,
JUILLET. 1762. 177
le plus pathétique qui foit fur aucun Théâtre ,
& furtout le double tableau qui ravit l'admiration
des connoiffeurs. Nous allons tenter d'en
donner une légére idée , perfuadés que quelqu'étendue
que foit cette eſpèce de differtation , quelques
Lecteurs nous fcauront gré de leur faire
connoître ce morceau .
Dans la Tragédie de Métaftafe, Learque n'ayant
pu enlever Hipfipile, enléve Thoas , perfuadé qu'elle
fuivra un père auquel elle a tout facrifié. La
Princeffe accourt en effet fur le rivage avec Jafon
& les Theffaliens . Léarque paroît fur le tillac de
fon vaiffeau, entouré de fes Pirates & tenant Thoas
enchaîné . Il leve le poignard fur ce Prince & menace
de l'immoler fi Jafon fait un pas pour approcher
des vaiffeaux . Il fait plus , il ordonne à
Hipfipile de le venir joindre fur fon bord , Gnon
il va percer Thoas à fes yeux . Quelle fituation
pour Thoas , pour Jafon & pour Hipfipile!
Jafon veut s'élancer fur le vailleau , arrête , s'écrie
Hipfipile , ce monftre va frapper mon père. Cette
malheureufe Princeffe fe détermine , après les
plus tendres inftances , à fubir la loi du Barbare.
Elle monte fur l'efpèce de pont qui communique
du rivage au Vaiffeau ; elle regarde en
frémillant tantôt fon Père , tantôt fon amant
défefpéré. Que fais - tu , s'écrie Thoas qui eft
toujours fous le couteau . J'ai affez régné , j'ai
trop vécu ; vis & régne avec JASON , conferve mon
fang dans fa pureté. Je t'élevai pour être unie à
un Roi & non pas à un Pirate. Tu dois donner
le jour à des Héros , deviendrois- tu la mère
de fcélérats ? La mère de Léarque , cette Eurinome
, qui joue un fi grand rôle dans la Piéce ,
accourt ignorant tout ce qui fe palle & vient for
le rivage pour fuir avec fon fils . Jafon fe pré-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
cipite vers elle , la faifit avec fureur , léve fon
épée & menace à fon tour de la tuer , fi Léarque
ne rend la liberté à Thoas. Cette double
fituation n'eft- elle pas le comble de l'intérêt &
l'effort du génie ? Il faut que Léarque céde ; s'il
ofoit immoler Thoas, fa mère en feroit la victime,
& Hipfipile eft perdue pour lui. Ce monftre a la
fcélérateffe de répondre à Jafon , qu'il peut frapper
Eurimone , mais qu'il faut qu'Hipfipile vienne.
A ce comble d'horreur Jafon va frapper. La
Nature cependant parle au coeur du cruel Léarque.
Il frémit malgré lui. Arrête , Jafon , tu as
vaincu..... Je te dois donc la vie , dit Eurinome
à fon fils. Non , répond- il , j'aurois voulu fou
tenir le fpectacle de votre mort , je n'en ai pas
le courage. O foible caur ! tu ne peux être vertueux
, tu ne peux être fcélérat . Tes incertitudes
me perdent. Je vais t'en punir. Il fe frappe & ſe
précipite dans la mer .
Nous ofons avancer qu'il n'y a rien für aucun
Théâtre qui puiffe furpaffer la beauté de
ċette fcène . Nous en aurons pour garant
le fentiment , peut-être même l'entoufiafme
de tout Lecteur qui fe repréſentera vivement
la force de ce tableau & la puiffante horreur
de cette fituation . On a crû devoir ,
juftifiant l'Auteur de Zelmire d'une injufte imputation
, rendre en même temps hommage au
célébre Poëte Italien qu'on l'acculoit d'avoir
copié .
Fin des Remarques fur la Tragédie de Zelmire
& fur celle d'Hipfipile.
en
Comptables au Public de la vérité des
faits,nous ne le fommes pas moins de tout
JUILLET. 1762. 179
ce qui peut avoir rapport à l'en couragement
néceffaire pour foutenir & pour
accroître , s'il eft poffible , les talens qui,
en différens genres , rendent notreThéâtre
fi recommandable dans l'Europe . Ce
motifvient de nous engager à difcuter l'efpéce
de rumeur vague & mal fondée qui
s'étoit élevée contre la juftice due à l'Auteur
de Zelmire.C'eft dans le même efprit
que nous allons parler de la Comédie
intitulée les Méprifes ou le Rival par
reffemblance ; donnée pour la premiere
fois par les Comédiens François le 7
Juin , & retirée par l'Auteur après cette
premiere repréfentation . Nous ne
donnerons point l'analyfe de cette nouvelle
Piéce qui , par l'impreffion , va être
fous les yeux du Public. (a )
Si la célébrité du nom de l'Auteur
devoit fervir de recommandation à fon
nouvel Ouvrage , il faut convenir que
trop de gens fe croyoient intéreffés à
ne lui pas pardonner le fuccès brillant
de la Comédie des Philofophes , pour
qu'il ne dût pas s'attendre à éprouver
beaucoup de contradictions .
(a ) Cette Comédie de M. Paliffot eft imprimée
fous le feul titre du Rival
par reffemblance
avec une très - courte Préface & des notes inftructives
, chez Duchefne , rue S. Jacques , au Tena
ple dú Goût.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
&
Nous prions les Lecteurs d'obſerver
que nous ne devons dans nos Articles ,
non feulement nous prêter à aucune
des paffions qui peuvent agiter des partis
ennemis dans la Littérature , mais
qu'il ne nous convient pas même d'adopter
, d'approuver , ni d'improuver
les motifs qui donnent lieu à ces partis
. En conféquence , dans tout Ouvra
ge dont nous rendons compte , nous
ne devons voir que l'Ouvrage même ;
toute autre confidération doit nous être
interdite .Il ne nous eft pas plus permis de
garder un filence , fans doute très-commode
en certaines circonstances , mais
dont l'affectation trahiroit l'impartialité,
le premier de nos devoirs. Ainfi nous
dirons avec affurance ce que nous
croyons vrai.
Plus cette nouvelle Comédie étoit
intriguée , plus elle avoit befoin d'une
attention favorable pour être entendue .
Sans prétendre établir une comparaiſon ,
qui ne peut avoir lieu en des genres
oppofés , quel eft l'homme qui pourroit
fe flatter de faifir l'enfemble d'Heraclius
, pour peu qu'il eût négligé de
fuivre ce qui lie & ce qui prépare les
événemens de ce Drame. La Comédie
dont il s'agit , pleine d'à -propos & de
JUILLET. 1762 . 181
traits dont le moindre degré d'attention
eût fait appercevoir la fineffe , ne paroît
pas avoir été écoutée affez tranquillement,
pour qu'on doive la regarder comme
jugée .
Une idée ingénieufe forme le noud
& l'intrigue de cette Piéce ; & cette idée
même , que M. Paliffor avoue n'être
pas à lui ( b ) , eft un des prétextes qui
a donné le plus de carrière aux critiques
précipitées , qui ont interrompu
l'attention fi néceffaire pour le fuccès.
La Comédie du Rival par reffemblance
eft fondée fur la reffemblance parfaite
de deux perfonnages ,à - peu-près comme
les Menechmes. Pour rendre vraifemblable
aux yeux cette reffemblance ;
l'Auteur avoit conduit fa Piéce de maniere
, que les deux perfonnages ne paroiffoient
jamais enfemble fur la Scène
; un feul Acteur pouvoit , fous des
habits différens , remplir à la fois les
deux rôles , ce qui étoit établir l'illufion
dans la plus grande approximation de la
vérité .
On conçoit qu'à la faveur des Mafques
antiques , Plaute ait pu fe paffer .
( b) Voyez l'Avertiffement à la tête de l'Edition
de cette Comédie.
182 MERCURE DE FRANCE.
de cette reffource dans fon Amphitrion
& dans fes Menechmes. Ces Maſques
pouvoient fe reffembler affez parfaitement
pour que l'illufion fût complette ;
mais à nos Spectacles il n'eft rien peutêtre
d'auffi choquant pour les yeux &
de moins vraisemblable , que de voir
deux Acteurs abfolument différens &
par la figure & par les organes . En ef
fet , comment croire par exemple que
Grandval & Poiffon fuffent deux hommes
entierement femblables .
Dans la Piéce nouvelle cette
difficulté heureufement furmontée fembloit
devoir lui promettre un fuccès
d'autant plus certain , qu'elle en devenoit
plus intéreffante & conduite avec
plus d'art. Mais il paroît qu'on ait affecté
de confondre les deux perfonnages
, au point qu'à la fin de la repréſentation,
beaucoup de gens foutenoient que
l'Auteur n'avoit voulu en introduire
qu'un feul , & l'identité d'Acteurs , dont
on n'étoit pas prévenu , a fait croire à
l'identité des Perfonnages. Rien ne prouve
mieux combien peu l'intrigue de la
Piéce avoit été faifie & combien par
conféquent une décifion devenoit hazardée
.
Cette inattention d'une partie du PuJUILLET.
1762. 183
"
blic nous paroît tirer à des conféquences
d'autant plus grandes contre l'intérêt
de notre Théâtre , le feul objet qui
doive nous affecter dans la rédaction
de cet Article , que le genre de la Comédie
devient aujourd'hui prèfqu'abandonné
; que M. Paliffot, eft un de ceux
fur qui le Public avoit paru fonder fes
efpérances ; que par la Piéce des Tuteurs
il avoit annoncé les plus heureufes difpofitions
pour cette carrière ; que peutêtre
il s'étoit approché du genre de Moliere
même , dans plufieurs fcènes de la
Comédie des Philofophes ; qu'ainfi les
Amateurs impartiaux du Théâtre doivent
defirer que l'on concourre à encourager
des talens qui peuvent lui devenir
utiles, plutôt que de chercher des
occafions de venger , par des dégoûts ,
des quérelles étrangeres à ce genre.
Pour mettre en état de juger du ftyle
de cette nouvelle Piéce , nous allons
en tranſcrire , fans choix , deux fcènes
prèfque entieres. La premiere eſt entre
Dorimon & Clerval , l'un père &
l'autre amant de Lucile ; le caractère
de Dorimon eft annoncé précédemment
par ces Vers :
..... ......
Son père eft un vieillard ,
Efpéce d'ours , animal campagnard ,
184 MERCURE DE FRANCE.
Fort entêté de fon rang , de fes titres ,
De fon blafon , deffiné fur les vitres ,
De fon Château ; tout plein du vieil honneur ,
Bourgeois ici , dans fon hameau Seigneur ,
Sauvage aux Champs & frondeur à la Ville :
Sa paffion dominante eft Lucile . &c .
Ce caractère fe développe de lui -même
dans la Scène IV du premier A&te.
On vient de l'interromp; e au milieu
d'une déclamation fatyrique contre Paris:
il reprend ainfi :
J'en parle encor avec trop d'indulgence :
Leluxe a pris un degré d'infolence
Si révoltant , fi ſcandaleux ! les moeurs
Y font rougir : des travers , des noirceurs ,
Nulle décence , encor moins de fcrupule ,
Le ren lez -vous de rous les ridicules.
Des jeunes foux dont on n'ofe approcher ;
Un important qui s'érige en Cocher ,
Et dont l'adreffe en ce vil miniſtère ,
Paroît l'effet d'un art héréditaire ;
Des Ecrivains audacieux par choix ,
Qui n'ont d'efprlt que pour fronder les Loix :
Une Coquette infultant la décence ,
Et dont les airs font rougir l'Innocence ,
Qui fans pudeur , des dons d'un étourdi
Fait en Public l'inventaire hardi:
JUILLET. 1762. 185
Tout eft excès , profufion , délire .
Eh ! qui peut voir & s'empêcher de rire ,
Des Plébeiens habitant des Palais ,
De leurs couleurs chamarer des Valets ,
A leurs feftins appeller l'harmonie ,
Donner chez eux Concerts & Comédie ,
Impunément trancher du Souverain ,
Et le montrer avec un front d'airain ;
Voilà pourtant ce qu'on appelle ufages ,
Et nous avons la fureur d'être Sages !
CLERVAL.
C'eft nous juger avec trop de rigueur :
Quoi! rien ne peut vous défarmer , Monfieur?
Ici les Arts raffemblent leurs miracles ,
Et quand Paris n'auroit que fes Spectacles ,
Ces Monumens , l'honneur du nom François ,
Se pourroit-il ? ...
DORIMO N.
Moi , je n'y vas jamais
Je n'aime point toutes ces Tragédies ,
Du mauvais goût dolentes rapfo ties ;
On en fait trop , c'eſt un genre épuifé ,
Depuis longtemps le moule en eſt briſé.
De tant d'Auteurs la ftérile abondance
M'afflige aufli pour l'honneur de la France.
Paris eft plein de ces petits talens ,
Dont le cothurne écrafe le bon lens :
Phédre , Cinna , Rhadamifte , Zaïre ,
186 MERCURE DE FRANCE.
Trésors de l'art qui devroient nous ſuffire,
Et qui devroient à tout petit rimeur ,
De fon néant montrer la profondeur ,
Défigurés , traveftis , mis en piéces ,
Sont en détail mutilés dans leurs Piéces.
Ce n'eft plus là ce qu'il faut aujourd'hui ,
Trop d'abondance améne enfin l'ennui.
Et que m'importe à moi Rome ou la Gréce
Eh ces échos fe répétant ſans ceile
Corrigent-ils mes défauts , mon humeur ?
Que de nos jours il s'élève un Cenſeur ,
Qui de fon fiécle affrontant l'injuftice ,
Avec éclat faffe la guèrre au vice :
Voilà l'Auteur que j'irois approuver.
CLERVA L.
C'eſt fort bien dit ; mais l'homme eft à trouver
DORIMON.
Vraiment fans doute , il faudroit du courage,
Et ce n'eft plus morbleu notre partage .
CLERVA L.
Ainfi , Monfieur , vous pensez qu'autrefois
Tout alloit mieux.
DORIMO N.
Comment , fi je le crois !
Tu le verras , fi tu viens dans mes terres ,
Tout y reffent la candeur de nos pères :
J'ai confervé jufqu'au fauteuil à bras ,
Où mes Ayeux , Guerriers & Magiftrats ,
A leurs Vaffaux rendoient juftice eux- mêmes.
Ce temps n'eft plus.
JUILLET. 1762. 187
CLERVAL.
Ne foyons point extrêmes ,
vertus
•
Je l'avouerai tout âge à ſes abus ;
Mais notre fiécle a produit des
Je dirai plus , des actes d'héroïfme ,
De grandeur d'ame & de patriotiſme.
Fut-il un temps plus marqué par l'honneur ?
Il nous manquoit l'épreuve du malheur.
Nous lui devons ces glorieux exemples
Qu'Athène auroit confacrés dans les temples.
Tous ces vaiffeaux , ces fruits de notre amour
Renouvellés , reproduits chaque jour.
Quand les François ont-ils mieux fait connoître
Ces fentimens qu'ils ont tous pour leur Maître
Interrogez , confultez nos rivaux :
Oui , le François peut avoir les défauts :
Inconféquent , léger , brillant , frivole ,
La vanité , le luxe eft fon idole ;
Mais à fon coeur le vice eft étranger :
S'il a d'abord un fuccès paffager ,
La Raiſon vient écarter ces nuages.
Le plus beau ciel n'eft pas exempt d'orages :
Rien n'eft conftant dans ce vafte Univers.
Je fuis bien loin d'excufer nos travers ;
Mais n'en croyons ni l'aigreur ni l'envie ;
Aimer fon Roi , l'honneur & la Patrie ,
De tout François tels font les fentimens ,
*
Ils font vainqueurs du Caprice & du Temps.
188 MERCURE DE FRANCE.
DORIMON.
Ah tu me fais abjurer la Satyre &c .
Nous ne croyons pas qu'aucun Auteur
comique ait donné à la Nation un
éloge plus honorable & d'autant plus
flateur , qu'il contrafte avec une Satyre ,
& qu'il réduit pour un moment le frondeur
au filence : nous ofons dire que
rien n'étoit plus propre à concilier à
l'Auteur la bienveillance du Public.
Nous ferions obligés de copier le
rôle entier de Dorimon qui domine
dans toute la Piéce , fi nous voulions
rapporter tout ce qui nous a paru digne
d'être cité.
Tout eft dans ce genre énergique &
mâle , dont on trouvé peu d'exemple dans
nos meilleure's Comédies ; les morceaux
fuivans font d'un ftyle plus gracieux &
ne nous paroiffent pas inférieurs aux
précédens.
La premiere Scène du cinquiéme Acte
fe paffe entre Lucile & fa Suivante ;
celle - ci croit avoir befoin de fortifier fa
maîtreffe contre un Amant qu'elle foupçonne
d'être infidéle.
LIZETTE.
Il a reçu les lettres de congé.
JUILLET. 1762. 189
Hélas !
LUCILE,
LIZETT E.
Prenez un air moins affligé ,
Cette douleur va mal avec vos charmes :
Métite-t-il que vous verfiez des larmes ?
LUCILE.
; Moi je rougis de fon lâche détour
Ne confonds pas le dépit & l'Amour.
Avec quel art le cruel m'a trompée !
Combien mon âme étoit préoccupée !
Tout décidoit fon coupable embarras .
Et nous livrons nos coeurs à ces ingrats !
Nous prétendons , aveugles que nous fommes ,
Régner fur eux !
LIZETTE.
Et oui , voilà les hommes ,
Je m'y connois. Donnez un libre éffor
A vos regrets , car vous l'aimez encor ;
Mais croyez- moi , confolez - vous bien vîte,
C'eſt honorer un traître qui, nous quitte
Que de porter le dépit auffi loin.
N'avons-nous pas un vengeur au beſoin ?
C'est l'amour- propre ; & le Ciel dans nos âmes
Le mit exprès pour confoler les femmes .
Il vous dira comme il faut fe vanger
D'un étourdi qui croit nous affliger ;
Combien il faut lui cacher fa foibleffe ;
Et s'il fe peur , le gagner de vitelle..
190 MERCURE DE FRANCE.
C'eſt par l'orgueil que nous donnons des loix.
Ah ! fi j'avois mieux connu tous nos droits ,
Jamais ingrat n'eût trompé ma franchiſe ;
Mais fur ma foi je n'y ferai plus prife,
J'en réponds bien .
LUCILE .
Ni moi , tu le verras :
3 LIZETT E.
Tenez , ce ton ne me raſſure pas .
Qu'on a de peine à s'armer de courage !
N'auriez-vous pas reçu quelque meſſage
Depuis tantôt ?
LUCILE, timidement.
J'ai rencontré Frontin .
LIZETT E.
Qui vous aura confié le chagrin ,
Le repentir , les regrêts de fon Maître ?
Il aura pu vous ébranler peut- être ;
Mais croyez-moi , nouvelle trahiſon .
LUCILE.
Non, ce n'eſt pas ce qu'il me diſoit.
LIZETTE.
LUCILE , affligée.
Il va partir déſeſpéré , Lizette.
LIZETTE.
Bon !
Eh bien , tant mieux vaut- il qu'on le regrette ?
LUCILE.
Mais il me cherche avec empreffement ;
JUILLET. 1762 . 19t
Il veut , dit-il , me parler un moment ,
C'eſt ſon eſpoir , & la derniere grace
Qu'il obtiendra.... Que veux-tu que je faffe ?
LIZETTE,
Et vous avez promis ?
LUCILE.
Mais à - peu-près.
LIZETTE .
Ah ! qu'ils font bien de tendre leurs filets ?
Nous y voilà: je m'en étois doutée.
Une parole avec art concertée ,
Quelques foupirs, un coup d'oeil , prèſque rien...
Ma foi , Madame , ils nous connoiſſent bien .
Nous devrions , pour l'honneur de l'eſpèce ,
Leur épargner encor ces frais d'adreſſe,
LUCILE.
Si tu fçavois , hélas ! quand un Amant
Sur notre coeur a pris de l'afcendant ,
Que l'on oublie aiſément ſa colère !
LIZETTE.
Oui , cela tient : un fripon qui fçait plaire
Eft en effet un mal très-dangerereux, &c.
Tel eft le ſtyle de cette Piéce ; l'entente
des Scènes & la précifion du Dialogue
en font un des plus grands mérites.
Mais l'Auteur avoit déja fait fes
preuves dans cette partie de l'Art Dramatique.
Les traits de Comique de fi192
MERCURE DE FRANCE .
tuation ne s'y trouvent pas avec moins
d'avantage ; c'eft ce qui nous fait croire
que cette Comédie , pourroit avoir rang
un jour parmi celles qui font demeurées
au Théâtre , malgré les raifons momentanées
qui ont du déterminer l'Auteur
à la retirer.
MORT de M. de CRÉBILLON.
Par la mort de M. Profper Joliot de
Crébillon , Ecuyer , l'un des 40 de l'Académie
Françoiſe , des Académies de
Dijon & de Rouen , Cenfeur Royal &
de la Police , la Scène Tragique vient
de perdre un de fes plus célébres Auteurs
, on pourroit dire même, la Nation ,
un Poëte qui avoit contribué à fa célébrité
dans l'art dramatique , puifque
nous étions déja accoutumés à placer
fon nom avec ceux de Corneille & de
Racine. Nous perdons auffi par là un
de ceux avec lesquels il eft le plus honorable
de partager les bienfaits dont
le Roi a daigné gratifier quelques gens
de Lettres par des penfions fur le Mercure
. M. de Crébillon eft mort à Paris
le 17 Juin dernier ; il étoit né à Dijon
le 13 Janvier 1674. Nous donnerons
dans le Volume prochain un éloge hiftorique
de cet illuftre Auteur. Nous
pouvons
JUILLET. 1762. 193
pouvons avancer , par les foins que nous
avons pris , que nous fommes en état de
faire part au Public , dans cet éloge , des
circonftances les plus vraies & les plus
détaillées qu'il foit poffible de recueillir
fur la vie , le caractère & les Ouvrages
de cet Auteur. Quelqu'étendue que
puiffe avoir cet éloge hiftorique , nous
penfons qu'il féra agréable au Public
toujours intéreffé à s'inftruire de tout
ce qui concerne les grands hommes
dans les divers ordres de la Société.
M. de Crébillon ne laiffe d'héritier
de fon nom qu'un fils ( M. de Crébillon,
fils , Cenfeur - Royal , connu depuis
longtemps & diftingué dans un genre
très-différent de celui qu'illuftroit fon pè
re,mais dans lequel il a fait paroître tout
le brillant de l'imagination , & l'éclat de
l'efprit , rendus avec les graces élégantes
d'un ftyle à lui , & auquel enfin
nous devons une efpéce neuve de
Contes dont il a été le créateur.
COMÉDIE ITALIENNE.
ONNa repréſenté fur ce Théâtre le
3
Juin l'Amant Corfaire , ( Sujet tiré dù
Conte intitulé le Calendrier des Vieil
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
lards. ) Cette Piéce a été retirée par les
Auteurs après deux Rèpréfentations ,
fans y avoir été obligés par le Public
qui avoit applaudi à plufieurs Ariettes ,
lefquelles avoient paru faire beaucoup
de plaifir , toute la Mufique de cette
Piéce ayant été fort bien reçue.
Le 23 , on donna la premiere repréfentation
de la Nouvelle Italie , Comédie
en 3 Actes , partie en Italien & partie
en François , mêlée d'un grand nombre
d'Ariettes avec Spectacle.
Il nous eft difficile de parler fur ces
fortes de drames, pour lefquels il eſt befoin
d'être accoutumé à un goût étranger
, très-éloigné de l'ordre & de la régularité
de la Scène Françoife . On ne
peut au jufte apprécier les motifs de
plaifir ou d'indifférence qui déterminent
le Public à l'égard de ces fortes
d'ouvrages. Celui-ci femble avoir été
bien reçu en beaucoup d'endroits de la
Piéce. A travers la difparate violente
des Ariettes qui fortent fubitement de
la déclamation & de beaucoup d'autres
irrégularités qui font fouffrir la vraiſemblance
, le fond qui lie les Scènes de
ce Drame femble être affez ingénieux ;
il produiroit peut-être encore un meilleur
effet , s'il étoit poffible de raffemJUILLET.
1782. 195
bler un grand nombre de Spectateurs
qui entendiffent également les deux
Langues ; ce qui nous a paru indifpenfablement
néceffaire pour fentir l'intérêt
& les fineffes dont cette intrigue fe
roit fufceptible. Nous donnerons une
légére idée du fujet de cette Comédie
dans le prochain Mercure.
On ne peut être plus vivement & plus
généralement applaudi & le mériter
mieux , que Mlle Piccinelli dans le
genre
de talens convenable à celui de cette
Piéce. Indépendamment des applaudiffemens
juſtement donnés à toutes les
Ariettes Italiennes qu'elle chante ; on a
été agréablement furpris de l'intelligence
, du feu & de l'âme avec lefquels elle
a rendu le principal rôle dont elle
étoit chargée . Malgré la maniere natio
nale , un peu forte à nos yeux , fans
laquelle cependant on rendroit mal un
rôle Italien , on a remarqué & fort applaudi
dans fon jeu , une forte de nobleffe
qui en bien des occafions fe
rapprochoit de la maniere françoife.
Cette Actrice n'avoit pas eu jufques-là
occafion de développer cette forte de talent
qui ajoute à celui du chant.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
CONCERT SPIRITUEL.
OxN a exécuté le jour de la Pentecôte
& celui de la Fête -Dieu , les deux
derniers Concerts de la Société de Madame
Royer , M. Capran & M. Mondonville.
Mlles Fel , Lemiere , Bernard &-Villette
y ont chanté de petits Motets , entr'autres
Regina coeli de M. Mondonvil
le , Confitemini , Duo de M. Cordelet.
M. Capran a exécuté les deux jours
des Concerto de violon , & M. Balbaftre
a joué fur l'orgue l'ouverture de
Daphnis & Alcimadure , & un Concer
to de fa compofition.
Les Motets à grand Choeur qu'on a
exécutés font Dominus regnavit de M.
Delalande. Le Motet d'Orgue de M.
Mondonville , Nifi Dominus du même
& le très-beau Motet Venite exultemus
dont le verfet Venite adoremus & procidamus
, & ploremus ante Dominum
qui fecit nos , toujours admirablement
chanté par Mlle Fel a été bien fenti par
le Public ; ce qui a redoublé fes applau
diffemens & les remercîmens de M.
Mondonville, marqués par les geftes les
JUILLET. 1762. 197
plus expreffifs d'une modefte fatisfaction
& de la reconnoiffance la plus
vive.
Les fuffrages du Public pour les Ouvrages
de M. Mondonville étoient en
effet d'autant plus flatteurs , que néceffairement
fes Motets ont été très-fouvent
répétés depuis plufieurs années, &
font extrémement connus , ce qui affoiblit
l'impreffion des plus belles chofes.
C'étoit donc en cette occafion un
double tribut dont le Public s'acquittoit
& pour le talent de l'Auteur en général
& pour le mérite réel de l'Ouvrage.
Nous annoncerons quelles difpofitions
aura faites la nouvelle Compagnie
l'ouverture de fes Concerts.
pour
FESTE donnée à M. le DAUPHIN
& à Madame la DAUPHINE , par
Madame la Comteſſe DE MARSAN ,
dans fa Maifon d'ANDRESY , le
Mardi 8 Juin 1762 .
MONOSNSEEIIGGNEUR LE DUC DE
BERRY & Mgr le Comte de PROVENCE
font arrivés fur les 11 heures ; M. le
DAUPHIN & Madame la DAUPHINE
I iij
198 MERCURE DE FRANCE .
vers le midi. Ils fe font promenés fur la
terraffe & dans les jardins avant le dîner.
Au fruit , font arrivées 20 Bergères
d'Andrefy , les plus jolies de ce Village
que Madame la Comteffe de MARS AN
avoit fait habiller de blanc avec des guirlandes
de fleurs ; à leurs têtes & habillées
de même , étoient les Dlles Beauran
, la Malle , Victoire , & Sixte ; elles
portoient chacune une corbeille de
fleurs & de fruits qu'elles ont préſentés
à M. le DAUPHIN , à Madame la
DAUPHINE & auxPrinces, en chantant
le Morceau de Jephté , que tout brille
en ce Boccage , accompagné de deux
Hautbois & deux Baffons.
On a exécuté enfuite plufieurs Duo
Italiens & François , & alternativement
les Clarinettes ont joué différens Morceaux
.
La table levée , fur les 4 heures , M.
le DAUPHIN , Madame la DAUPHI-
'NE & les Princes ont monté dans leur
Gondolle , & à l'inftant toute la rivière
s'eft couverte d'un grand nombre de
Bateaux , garnis de verdure & remplis
de monde , qui fe font détachés des
deux pointes de l'Ifle . Trois Bateaux
chargés de 80 Muficiens ont efcorté la
Gondolle jufqu'à l'Iſle. -
JUILLET. 1762 . 199
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110
10
Le premier étoit rempli de Violons ,
Baffes & autres Inftrumens à corde ; le
fecond , de Clarinettes , Baffons , Flûtes
& Hautbois ; le troifiéme , de Trompettes
& de Timballes , &c.
M. le DAUPHIN , Madame la DAVPHINE
& les Princes ont monté dans l'Ifle
: à chaque pas, ils trouvoient une nouvelle
occafion d'agréable ſurpriſe. Dans
un Bofquet , formant un coup d'oeil
champêtre , s'eft trouvé un Concert ,
compofé de Morceaux de différens Opé
ra;l'Orcheſtre, le fond & les côtés étoient
formés par des feuillées.
Dans une autre feuillée , on a entendu
une Arriette chantée par le fieur Bêche;
unpeu plus loin , un Choeur de Bergers
& de Bergères que l'on ne voyoit
pas. Vers la gauche de l'Ifle , à l'approche
de M. le DAUPHIN , deux grandes
portes de verdures fe font ouvertes , &
on a vu exécuter un Ballet Pantomime
d'enfans Jardiniers , conduit par M. de
vis-à- vis , dans un Bofquet ferpar
des feuillées , s'eft fait entendre
un Concert Italien , dans lequel les Dlles
Piccinelli , & de Giardini , & le fieur
Albaneze ont chanté plufieurs Ariettes ,
le tout accompagné par un excellent
Laval ;
mé
Orchestre .
I iv
198 MERCURE DE FRANCE .
vers le midi . Ils fe font promenés fur la
terraffe & dans les jardins avant le dîner.
Au fruit , font arrivées 20 Bergeres
d'Andrefy , les plus jolies de ce Village ,
que Madame la Comteffe de MARSAN
avoit fait habiller de blanc avec des guirlandes
de fleurs ; à leurs têtes & habillées
de même , étoient les Dlles Beauran
, la Malle , Victoire , & Sixte ; elles
portoient chacune une corbeille de
fleurs & de fruits qu'elles ont préſentés
à M. le DAUPHIN , à Madame la
DAUPHINE & auxPrinces, en chantant
le Morceau de Jephté , que tout brille
en ce Boccage , accompagné de deux
Hautbois & deux Baffons.
On a exécuté enfuite plufieurs Duo
Italiens & François , & alternativement
les Clarinettes ont joué différens Morceaux
.
La table levée , fur les 4 heures , M.
le DAUPHIN , Madame la DAUPHINE
& les Princes ont monté dans leur
Gondolle , & à l'inftant toute la rivière
s'eft couverte d'un grand nombre de
Bateaux , garnis de verdure & remplis
de monde , qui fe font détachés des
deux pointes de l'Ifle. Trois Bateaux
chargés de 80 Muficiens ont eſcorté la
Gondolle jufqu'à l'Iſle .
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Le premier étoit rempli de Violons ,
Baffes & autres Inftrumens à corde ; le
fecond , de Clarinettes , Baffons , Flûtes
& Hautbois ; le troifiéme , de Trompettes
& de Timballes , & c .
M. le DAUPHIN , Madame la DAUPHINE
& les Princes ont monté dans l'Ifle
:à chaque pas, ils trouvoient une nouvelle
occafion d'agréable furpriſe. Dans
un Bofquet , formant un coup d'oeil
champêtre , s'eft trouvé un Concert ,
compofé de Morceaux de différens Opéra;
l'Orcheſtre,le fond & les côtés étoient
formés par des feuillées.
Dans une autre feuillée , on a entendu
une Arriette chantée par le fieur Bêche;
un peu plus loin , un Choeur de Bergers
& de Bergères que l'on ne voyoit
pas. Vers la gauche de l'Ifle , à l'approche
de M. le DAUPHIN , deux grandes
portes de verdures fe font ouvertes , &
on a vu exécuter un Ballet Pantomime
d'enfans Jardiniers , conduit par M. de
Laval; vis-à - vis , dans un Bofquet fermé
par des feuillées , s'eft fait entendre
un Concert Italien , dans lequel les Dlles
Piccinelli , & de Giardini , & le fieur
Albaneze ont chanté plufieurs Ariettes ,
le tout accompagné par un excellent
Orchestre .
I iv
198 MERCURE DE FRANCE.
{
vers le midi. Ils fe font promenés fur la
terraffe & dans les jardins avant le dîner.
Au fruit , font arrivées 20 Bergeres
d'Andrefy , lés plus jolies de ce Village
que Madame la Comteffe de MARSAN
avoit fait habiller de blanc avec des guirlandes
de fleurs ; à leurs têtes & habillées
de même , étoient les Dlles Beauran
, la Malle , Victoire , & Sixté ; elles
portoient chacune une corbeille de
fleurs & de fruits qu'elles ont préfentés
à M. le DAUPHIN , à Madame la
DAUPHINE & auxPrinces, en chantant
le Morceau de Jephte , que tout brille
en ce Boccage , accompagné de deux
Hautbois & deux Baffons.
On a exécuté enfuite plufieurs Duo
Italiens & François , & alternativement
les Clarinettes ont joué différens Morceaux
.
.. La table levée , fur les 4 heures , M.
le DAUPHIN , Madame la DAUPHINE
& les Princes ont monté dans leur
Gondolle , & à l'inftant toute la rivière
s'eft couverte d'un grand nombre de
Bateaux , garnis de verdure & remplis
de monde , qui fe font détachés des
deux pointes de l'Ifle. Trois Bateaux
chargés de 80 Muficiens ont efcorté la
Gondolle jufqu'à l'Ifle .
JUILLET. 1762. 199
Le premier étoit rempli de Violons ,
Baffes & autres Inftrumens à corde ; le
fecond , de Clarinettes , Baffons , Flûtes
& Hautbois ; le troifiéme , de Trompettes
& de Timballes , & c .
M. le DAUPHIN , Madame la DAUPHINE
& les Princes ont monté dans l'Ifle
: à chaque pas, ils trouvoient une nouvelle
occafion d'agréable furpriſe. Dans
un Bofquet , formant un coup d'oeil
champêtre , s'eft trouvé un Concert ,
compofé de Morceaux de différens Opéra;
l'Orcheſtre,le fond & les côtés étoient
formés par des feuillées .
Dans une autre feuillée , on a entendu
une Arriette chantée par le fieur Bêche;
un peu plus loin , un Choeur de Bergers
& de Bergères que l'on ne voyoit
pas. Vers la gauche de l'Ifle , à l'approche
de M. le DAUPHIN , deux grandes
portes de verdures fe font ouvertes , &
on a vu exécuter un Ballet Pantomime
d'enfans Jardiniers , conduit par M. de
Laval , vis-à-vis , dans un Bofquet fermé
par des feuillées , s'eft fait entendre
un Concert Italien , dans lequel les Dlles
Piccinelli , & de Giardini , & le fieur
Albaneze ont chanté plufieurs Ariettes ,
le tout accompagné par un excellent
Orchestre .
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
De là , on a paffé à la Pêche : le Sallon
de verdure deſtiné à recevoir M. le DAUPHIN
& Madame la DAUPHINE , les
Princes & leur Cour , étoit embelli par
des guirlandes de fleurs , les rives de la
Seine garnies de Spectateurs, & la rivière
couverte de bateaux , formoient le plus
beau fpectacle. Madame DF MARSAN,
entierement occupée de l'amufement des
jeunes Princes , & inventant jufqu'aux
moindres chofes qui pouvoient y contribuer
, avoit trouvé le moyen de rendre
la Pêche fort agréable & fort heureufe
, & de faire en forte que les lignes
ne fuffent pas jettées en vain .
Après avoir quitté la Pêche , M. le
DAUPHIN & Madame la DAUPHINE
ont trouvé fur leur paffage vers le
milieu de l'Ifle , un Bal champêtre , formé
par les Payfans & les Payfannes du
Village : ce Spectacle qui leur étoit nouveau
a paru les amufer par fa gaîté & fa
fimplicité ; les Dames & Seigneurs de
leur Cour y ont danfé plufieurs Contredanfes.
A quelques pas on avoit fait préparer
des rafraîchiffemens de toutes efpéces ,
& pendant qu'on les diftribuoit , le fieur
Lochbrucker a joué plufieurs Airs fur la
Harpe , accompagnés de deux cors de
JUILLET. 1762. 201
Chaffe ; M. le DAUPHIN & Madame
la DAUPHINE font revenus au Concert
Italien , qu'on a terminé par les quatuor
dufieur Triel ; rien n'a manqué à
l'arrangement & à l'exécution.
M. le DAUPHIN & Madame la
DAUPHINE , voulant marquer
marquer leur
fatisfaction , ont defiré de refter à fouper
& ne font partis qu'à 11 heures du foir :
les Danfes Villageoifes n'ont pas difcontinué
jufqu'à leur départ.
Cettte Fête a été conduite fous les
ordres de Madame la Comteffe de MARSAN
par le fieur Delagarde , Maître
de Mufique des Enfans de France , en
furvivance .
LETTRE à l'Auteur du MERCURE.
J'AI ' AI l'honneur de vous envoyer, Monfieur
, la defcription d'une petite Fête
champêtre que M. le DAUPHIN &
Madame la DAUPHINE ont eu la
bonté de voir avec complaifance au retour
de la magnifique Fête que Madamela
Comteffe de MARSAN leur a donnée
à Andrefy le 8 de ce mois.
Pour célébrer le paffage de la Famille
I v
202 MERCURE DE FRANCE .
Royale , Madame la Comteffe de PONS,
fille de feu M. le Maréchal de la Fare ,
Chevalier d'Honneur de Madame la
DAUPHINE, avoit fait décorer la porte
de la belle maifon qu'elle occupe à
·Carriere près Poiffy, d'un cordon de pots
à feu & d'une illumination , au centre
de laquelle on voyoit un grand Ecuffon
aux Armes de M. le DAUPHIN & de
Madame la DAUPHINE. Au - deffus
étoit une banderolle lumineufe tenue
des deux côtés par deux Syrènes marquées
en flanc des armes de la Fare &
chargée de cette inſcription :
Vivere pro te,
Pro te læta mori : fic docuit genitor.
C'est-à-dire inftruite par mon père ,je
m'eftimerai toujours heureufe de vivre
& de mourirpour vous.
On fçait que ce Seigneur porta fon
attachement pour M. le DAUPHIN. &
Madame la DAUPHINE. jufqu'au dernier
moment.
Dans l'avenue en face de la maifon
une joie naïve animoit des danfes de
Payfans & de Payfannes. Au moment
du paffage des carroffes on danfoit le
* Il eft mort de la petite vérole qu'il a prife
dans l'appartement de M. le DAUPHIN lorfque
les jours de ce Prince étoient menacés.
JUILLET. 1762. 203
Carillon de Dunkerque , & l'on chantoit
fur l'air de cette contredanfe , ces
couplets faits pour l'occafion .
LES FILLES.
O vous qui tenez l'être
De notre augufte Maître ,
Quel plaifir en ce jour
D'vous témoigner notre amour !
Les déteftables guerres
Font tréffaillir nos mères ,
Nous ôtent nos Amans ,
Et font taire nos chants :
Nos vins font fans chalans.
Malgré tout c'mauvais temps ,
Quand j'vous voyons paroître ,
Je nous fentons renaître ,
J'oublions tous nos maux
Pour danſer fous ces ormeaux.
LES GARÇONS.
7
Vos Soeurs font à Plombière ,
Que n'font-ell's à Carrière !
Nos tranfports font pour vous ,
Puifque vous v'nez par cheux nous.
Dites-leur bon voyage ;
Mais viv' viv' not' rivage ,
Où l'on ne boit point d'iau :
Fréquentez not Côtiau ,
I vj
204 MERCURE DE FRANCE ,
J'yous f'rons boire à gogo
De not' bon vin nouviau ;
L'illuftre Gouvernante ,
Cette Fé' bienfaifante ,
* Vous fra voir des Saumons
Où nous n'prenons qu'des Gougeons.
TOUS ENSEMBLE.
O Famille Royale ,
D'une ardeur fans égale
Nous formons mille voeux ,
Pour qu'not' Roi foit heureux !
Not' Roi bon , jufte & fage ,
Ufant avec ménage
Du coeur de fes Sujets ,
Son tréfor , pour jamais ,
Sçaura forcer l'Anglois
A demander la paix .
Notre hommage eft fincère ;
Tout eft à votre Père ,
Nos coeurs , nos biens & nous :
Ainfi nous le jurons tous .
* Allufion à la Pêche merveilleufe qui diftinguoit la
Fête de Madame DE MARSAN.
JUILLET. 1762 : 205
ARTICLE VI.
NOUVELLES
POLITIQUES.
SUIVAN
De VIENNE, le 29 Mai.
UIVANT les nouvelles du 13 de ce mois
envoyées par le Feld- Maréchal Comte de Serbellony,
Commandant Général en Saxe , tous les
poftes avancés de l'Armée Impériale & Royale
qui étoient à Lattorff, Honichen , Dobeln , & aux
environs , y avoient été attaqués la veille de trèsgrandmatin
par un Corps de Troupes ennemies ,
à la tête duquel étoit le Prince Henry , & qui s'étoit
avancé en quatre colonnes , conduites par
les Généraux Stutterheim , Platten , Hulfen &
Seydlitz.
Ces Troupes ont formé leur attaque avec la
plus grande impétuofité , & malgré la défenſe
qu'on leur a oppofée de toutes parts , les nôtres
ont été obligées de céder à la fupériorité du
nombre & de fe retirer. Le Lieutenant Général
Baron de Ried a , entr'autres , repouffé l'ennemi à
plufieurs repriſes avec les Troupes qu'il commandoit.
Lorfqu'il s'eft vu dans la néceffité d'abandonner
le terrein qu'il occupoit , il ne l'a quitté que
pás à pas.
Cependant les ennemis , dont on eftime que le
nombre montoit à quarante mille hommes , fe
font enfuite avancés fur Freyberg , où étoit le
Général Maquire , qui fe voyant par là en danger
d'être débordé fur fes deux flancs, prit , à ce qu'on
4
206 MERCURE DE FRANCE.
a fçu par fes Lettres du 14 & du 16 , le parti d'abandonner
ce pofte pour aller camper à Difpol
difwalde ; ce qu'il a exécuté dans le meilleur ordre
& fans aucune perte.
On a appris le 27 , par les nouvelles de Saxe ,
que le 22 de ce mois , le Général Lucfinsky & le
Prince de Stolberg réunis ont attaqué le Corps
Pruffien qui occupoit Chemnitz , & qu'après un
combat affez vif, ce dernier en avoit été délogé
avec une perte de fix à fept cens morts & autant
de Prifonniers.Les Autrichiens fe font emparés de
fept piéces de canon , outre quatorze caillons &
beaucoup de munitions. De plus , trois piéces de
canon , & différens caiffons & chariots de munitions
, venoient d'être trouvés dans les bois &
nos Troupes s'étoient emparés d'une grande
quantité de bagages. Il nous eft venu fept cens
transfuges , dont la plupart font de nos Soldats
que les Pruffiens avoient contraints de fervir parmi
eux , & qui ont profité de cette occaſion pour
revenir à leurs Drapeaux.
Le 24 , le Lieutenant Fold Maréchal Baron de
Ried , fit attaquer à Wilfdruff deux bataillons
ennemis. Ils ont été mis totalement en déroute.
On leur a tué beaucoup de monte , fait grand
nombre de prifonniers , & enlevé deux pièces de
canon.
De NEUKIRCHEN , près de Chemnitz , le 2 Juin.
Nous apprenons qu'hier , avant le jour , le Général
Maquire a fait attaquer le Corps ennemi ,
aux ordres du Colonel Kleift , que ce Corps a été
prèfque totalement détruit , qu'on s'eſt emparé
de deux pièces de canon ; qu'on a pris un Colonel
, dix autres Officiers & trois cens trente-ſept
Soldats ; que le reſte a déſerté en grande partie ;
JUILLET. 1762. 207
que le Colonel Kleift a été contraint de fe fauver
en chemife ; & que notre perte ne monte qu'à
une trentaine d'hommes.
De LEIPSICK , le 23 Mai.
Le Quartier Général du Prince Henry continue
d'être à Freyberg , & fes poftes avancés s'étendent
jufqu'à Oftra.
Des Lettres de Siléfie marquent que le Feld
Maréchal Comte de Daun s'avance , à la tête de
quatre-vingt mille hommes vers Breſlau , & qu'en
même temps , les Généraux Loudon & Beck avec
cinquante mille , fe portent du côté de Neiſs.
Selon les mêmes Lettres , le Baron de Loudon
fera le Siége de cette derniere Place , tandis que
le Maréchal de Daun obfervera le Roi de Pruffe ,
qui occupe le même Camp où le Prince de Bevern
s'eft maintenu fi longtemps avec fuccès . Les
Autrichiens ont laiffé dans le Camp de Schwei1-
nitz douze mille hommes , auxquels fe joindra
le Corps de Troupes actuellement campé entre
Bautzen & Seidenberg.
De RATISBONNE , le 8 Juin.
Une Lettre de Ratzebourg , dattée du 26 du
mois dernier , annonce que le 25 les Pruſſiens
ont évacué le Meckledbourg. Les Troupes qu'ils
avoient laiffées dans ce Duché , forment un Corps
de deux mille cinq cens hommes , & elles ont
pris la route de la Silégie .
De LISBONNE , le 11 Mai.
Deux Régimens Irlandois , chacun de onze
cens hommes , arrivérent le 6 de ce mois dans ce
port. Leur débarquement s'eft fair le 10 , & il fe
208 MERCURE DE FRANCE.
font mis en marche vers Parcallotta . On attend
inceffamment fix mille Anglois.
De MADRID , le Juin.
Le Marquis de Sarria , par un Courier dépêché
du Quartier Général de Dos - Iglefias , a informé
le Roi d'Espagne , que le 9 du mois dernier ,
dans le temps que les Troupes de Sa Majefté
Catholique deftinées à faire le Siége de Miranda
, étoient occupées à dreffer une batterie ,
le feu avoit pris par accident dans la Ville à un
Magafin à poudre , & l'avoit fait fauter . Quoique
les hoftilités ne fuffent pas encore commencées
, cet événement a déterminé Don Benito - Jofeph
Fagueredo , Gouverneur de la Place , à demander
fur le champ qu'on n'allât pas plus avant ,
& à fe rendre prifonnier de guerre avec fa Garnifon.
On a trouvé dans Miranda , indépendamment
de l'Etat-Major de la Place , vingt Officiers,
quinze Sergens , un Tambour , & trois cens
quatre-vingt dix- huit Soldats du Régiment de
Bragance; deux Cavaliers ; un Officier & quinze
Soldats d'Artillerie , & trois Ingénieurs. Les autres
Officiers & Soldats , qui étoient de garde ,
ont été prèfque tous enfevelis fous les ruines du
Magafin à poudre ; & l'on compte qu'il en a couté
la vie à cinq cens perfonnes , en y comprenant
les habitans qui ont eu le malheur de périr .
Selon les Lettres de l'Armée du Roi datċes du
15 , le Marquis de Caballos a pris poffeffion de
Bragance. On n'a trouvé dans la Place , que dixhuit
canons très- peu propres au ſervice , deux
mille fufils en très- mauvais état , & quelques paires
de piftolets. La Garnifon en étoit fortie avant
d'être alliégée ; le Gouverneur ayant mieux aimé
conferver la liberté , que de fe défendre conforJUILLET.
1762. 209
mément à ce que lui prefcrivoient l'honneur & le
devoir. Le Marquis de Sarria a fait fauter les
fortifications de Miranda & celles de Bragance.
Le Colonel Don Alexandre Relli ayant eu
ordre du Marquis de Sarria d'aller fommer le
Gouverneur de Chaves , qui eft à quatorze lieues ,
y arriva , en deux jours , ayant dirigé fa marche
avec
tant de filence , qu'étant arrivé de
nuit fous les murs de la Ville , il en trouva les
portes ouvertes , & la Citadelle abandonnée par
la Garnifon , qui étoit cependant composée de
deux mille hommes.
Le détachement qui , fous les ordres du Marquis
de Cala Tremanes , Maréchal de Camp , s'eft
porté à Moncorvo , a pris poffeffion de cette Place
que la Garniſon a auffi abandonnée , & d'où les
Magiftrats Municipaux fe font également retirés .
L'Armée continue d'avancer dans le Portugal ,
& l'on compte qu'elle dirigera fa marche vers
Lisbonne , tandis qu'un détachement ſe rendra à
Porto , pour s'emparer de ce Port.
De VENISE , le 29 Mai.
François Loredano , Doge de cette République,
mourut ici le 19 de ce mois , âgé de foixantedix-
fept ans. Il avoit été élu Doge , le 18 Mars
1752. Pendant la plus grande partie de fon régne,
il a été accablé d'infirmités , qui ne lui ont prèfque
point permis de remplir les fonctions de fa
dignité. Depuis les Fêtes de Pâques , il a éprouvé
une agonie continuelle. Sa mort ne fut annoncée
que le 24. Hier , on commença les premieres
balotations , qui fe pratiquent pour le choix des
quarante & un Electeurs du nouveau Doge.
De NAPLES , le premier Mai.
On a reçu avis de Conftantinople que le Grand,
Seigneur venoit de perdre fon fils.
210 MERCURE DE FRANCE .
De GENES , le 7 Juin.
Hier , le fieur Boyer de Fons- Colombe , Envoyé
Extraordinaire du Roi Très - Chrétien auprès
de cette République , eut fon Audience du Doge ,
à laquelle , fuivant l'ufage , affiftérent les deux
Sénateurs réfidens au Palais , & le Secrétaire
d'Etat des Affaires Etrangeres.
DE LA HAYE , le 8 luin.
George-Guillaume , Fils aîné de Chrétien
Prince de Naffau- Weilbourg , & de Caroline ,
Princeffe de Naffau - Dietz , mourut le 27 du mois
dernier , au Château de Honzelaërdyck . Il étoit
né le 10 Décembre 1760 .
Le Comte d'Affry , Ambaffadeur du Roi de
France auprès des Etats Généraux , ayant reçu le
premier de ce mois fes Lettres de rappel , prit
congé le de leur Hautes- Puiffances , & partit
le jour fuivant , pour aller fervir , en fa qualité
de Lieutenant-Général , dans l'Armée de Sa Majefté
Très- Chrétienne fur le Bas - Rhin. Le fieur
Prevôt demeure ici chargé des Affaires de France
, jufqu'à l'arrivée d'un nouveau Minitre.
On mande de Hambourg , que le Traité de
Paix entre la Suéde & la Pruffe y a été figné
le 22 du mois dernier.
SUITE DES NOUVELLES.
DE WARSOVI E , le 27 Mai.
Il paffe pour certain que le Czar a conclu une
alliance définitive avec le Roi de Pruffe , à qui
il fournit vingt mille homme de fes Troupes ,
avec la liberté de les employer en rel lieu & de
JUILLET. 1762 . 211
telle maniere que S. M. P. lejugera à propos.
Ce Corps Auxiliaire eft le même qui a hiverné
dans le Comté de Glatz avec les Troupes Autrichiennes.
Le Général Comte de Czernichew en
conferve le commandement ; & fuivant les avis
reçus de la Grande Pologne , ces Troupes font
déjà en marche vers Cracovie , d'où elles fe rendront
fur le Haut- Oder , pour opérer du côté de
la Haute-Siléfie .
De l'Armée commandée par le Maréchal de
Daun , le 28 Mai.
Les nouvelles des jours précédens fur l'arrivée
des Ruffes obligerent le Feldt- Maréchal de Daun
de prendre des arragemens tout différens de ceux
qui s'étoient formés pour cette Campagne . En
conféquence , il envoya entre Schweidnitz & Freybourg
tracer les retranchemens néceffaires , pour
garder la communication avec Schweidnitz Cette
Ville pourroit , fans cette précaution , être coupée
de l'Armée , qui fans doute , occupera les
montagnes derriere Kuntzen & Bogendorff,
FRANCE .
Nouvelles de la Cour , de l'Armée
de Paris , &c.
L.
De VERSAILLES , le 19 Juin 1762.
20 du mois dernier , le Roi & la Reine tinrent
fur les fonts de baptême le fils du Comte
de Starhemberg, Confeiller-Actuel . Intime & Ambailadeur
de Leurs Majeftés Impériales. Les cérémonies
du baptême lui furent fuppléés dans
212 MERCURE DE FRANCE.
la Chapelle du Roi , par l'Archevêque de Nar
bonne , Grand-Aumônier de France , en préſen
ce du fieur Allard , Curé de la Paroiffe du Châ~
teau , & il fut nommé Louis-Joſeph - François-
Grégoire-Thérefe.
Le même jour , Leurs Majeftés fignérent le
Contrat de mariage du Prince de Rohan- Rochefort
avec Demoiſelle de Rothelin , & celui du
Comte de Durfort Civerac avec Demoiſelle de
Lorges.
Le Roi a permis au Vidame d'Amiens ,
prendre le titre de Duc de Picquigny.
de
Le 24 , pendant la Meffe du Roi , le Cardinal
de Rochechouart prêta ferment entre les mains
de Sa Majesté.
La Ville de la Rochelle & fes Négocians
viennent d'offrir au Roi une fomme conſidérable
, pour être employée à la conſtruction d'une
frégate.
Celle de Rochefort , de la même Généralité ,
& animée du même zéle , a pris la même délibération.
La Ville de Pezenas en Languedoc a pareillement
offert une fomme confidérable , pour concourir
à l'augmentation de la Marine .
Sa Majesté a accordé un Brévet de Meſtre de
Camp de Cavalerie au Chevalier de S. Vallier ,
ancien Major du Régiment de Cavalerie de Noé.
Les Chevaliers , Commandeurs & Officiers de
l'Ordre du S. Eſprit s'étant aſſemblés le 30 , vers
les onze heures du matin , dans le cabinet du
Roi , Sa Majesté tint un Chapitre , & nomma
Chevalier de cet Ordre le Prince Héréditaire de
Parme. Le Duc de Chartres & le Marquis de
Caftries furent enfuite introduits dans le cabinet ,
où ils furent reçus Chevaliers de l'Ordre de S. MiJUILLET.
1762. 213
chel. Le Chapitre fini , le Roi fortit de fon appartement
pour aller à la Chapelle . Sa Majeſté étoit
précédée de Mgr le Dauphin , du Duc d'Orléans ,
du Comte de Clermont , du Prince de Conti ,
du Comte de la Marche , du Comte d'Eu , du
Duc de Penthiévre , & des Chevaliers , Commandeurs
& Officiers de l'Ordre. Le Duc de
Chartres & le Marquis de Caftries , en habits
de Novices , marchoient entre les Chevaliers
& les Officiers. Sa Majefté , devant qui les deux
Huiffiers de la Chambre portoient leurs maffes
étoit en manteau , le Collier de l'Ordre pardeſſus,
ainfi que celui de la Toifon d'Or. Lorsqu'on eut
chanté l'hymne Veni Creator , le Roi monta fur
fon Trône , & revêtit des Marques de l'Ordre le
Cardinal de Rochechouart. Après la Meffe , qui
fut célébrée par l'Evêque d'Orléans , Prélat Commandeur
de l'Ordre , le Roi reçut Chevaliers le
Duc de Chartres & le Marquis de Caftries. S. M.
fut enfuite reconduite à fon appartement en la
maniere accoutumée.
Le même jour la Princeffe de Rohan- Rochefort
fut préfentée à Leurs Majeftés & à la Famille
Royale par la Princeffe de Rohan .
Le 31 , Leurs Majeſtés fignérent le Contrat de
mariage du Marquis d'Uffel & de Demoiſelle de
Salbert- Mont-Roignon.
Le 3 de ce mois , la Comteffe de Lorges fut
préſentée à Leurs Majeftés , par la Ducheffe de
Lorges fa mère.
Le 10 , la Marquife d'Eftampes fut préſentée
au Roi & à la Reine , par la Marquiſe de la Ferré-
Imbault.
Le ri , le Comte d'Aranda , ci-devant Ambaffadeur
de Sa Majefté Catholique auprès du
Roi de Pologne Electeur de Saxe , eut une au
dience particuliere du Roi , étant préſenté à Sa
214 MERCURE DE FRANCE .
Majefté , par le Marquis de Grimaldi , Ambaſſadeur
du Roi d'Espagne en cette Cour.
La fuite des Nouvelles Politiques au Mercure
prochain.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monſeigneur le Chancelier, ΑΙ
le Mercure du premier volume de Juillet 1762 ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion. A Paris , ce 30 Juin 1762. GUİROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
I MITATION libre de l'Idylle huitiéme de
M. Gefner , Auteur du Poëme de la mort
d'Abel.
Pages
FRAGMENS Poetiques , imités & extraits du
premier Chap. de Saadi , Poëte Perfan .
FABLE , imitée de Saadi.
LA BONNE COMPAGNIE , Ode Philofophique
par M. l'Abbé Clément .
"
VERS pour être mis au bas du Portrait de
Mlle de Victot.
CONJURATION des Rambures contre la
Ville d'Ardres en Picardie.
ÉPITAPHE de l'Amant de Françoife Roze.
A Madame D **** , pour le jour de ſa naiffance.
LA RESIGNATION , Allégorie , à M. l'Abbé
Ch. ****
9
12
14
17
ibid.
32
ibid.
33
JUILLET. 1762 . 215
VERS à M. Vanloo , premier Peintre du Ror.
EPITRE à M. l'Abbé de Breteuil &c .
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
A M. de B *** , Chevalier de S. Louis.
COUPLETS Bacchiques.
VERS à mettre en Mufique.
SALADIN à Philippe Augufte.
QUATRAIN pour mettre au bas du Portrait
de M. Carle Vanloo .
TRADUCTION d'une Ode Angloiſe de M.
Prior.
EPITRE à M. de Lilia , Docteur en Médecine
de la Faculté de Montpellier , par M.
Rofambert.
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
34
35
37
45
46
47
SI
52
59
54
59 &60
60 &61
61
ART. II . NOUVELLES LITTÉRAIRES .
MEMOIRES pour fervir à l'Hiftoire de la
VERTU , extraits du Journal d'une jeune
Dame.
LETTRE à M. de la Place , fur le Spectacle
de l'Hiftoire Romaine .
LETTRE à M. le Comte de la T. D. P. fur la
Littérature Militaire.
Avis , concernant les Editions des OEuvres
de Pierre Corneille , par M. de Voltaire.
LETTRE de l'Auteur du Calendrier des Princes
& de la Nobleffe de France , à l'Auteur
du Mercure , en réponſe à la Lettre
fur les Maifons de Faudoas & de Rochechouart.
LETTRE à M. de la Place , fur la mort du
64
84
94
103
104
R. P. Euftache , Bibliothéquaire des Auguftins
Réformés , de la Place des Victoires, 108
ANNONCES de Livres. 110 & fuiv.
216 MERCURE DE FRANCE .
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADEMIES.
SEANCE publique de l'Académie Royale des
Sciences & Beaux- Arts établie à PAU.
GÉOMÉTRI E.
LETTRE à MM. les Géomètres .
AGRICULTURE.
MÉMOIRE OU Diflertation fur la Niélle , par
M. ***
MÉMOIRE fur une espéce de Chenilles qui
produifent de la Soie , par M. de la Roxviere
d'Eyfautier.
ART. IV. BEAUX - ARTS .
ARTS UTILES .
CHIRURGIE.
EXTRAIT des Ouvrages lus à la Séance publique
de l'Académie Royale de Chirurgie.
ARTS AGRÉABLES.
GRAVURE .
Avis concernant les Eftampes des Ports de
ART . V. SPECTACLES.
France.
MUSIQUE.
OPÉRA.
COMÉDIE Françoiſe.
COMÉDIE Italienne.
CONCERT Spirituel.
114
117
120
127
135
153
163
165
168
193
196
FESTE donnée à M. le DAUPHIN & à Mde
la DAUPHINE par Madame la Comteffe
de Marfan.
LETTRE a l'Auteur du Mercure.
ART. VI. Nouvelles Politiques.
167
201
205
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis- à-vis la Comédie Françoile.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JUILLET. 1762 .
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine.
Cochin
Jibus inve
Papilion Sculp
Chez
A PARIS ,
( CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis à- vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer ,
francs de
port , les paquets & lettres ,
pour remettre , quant à la partie littéraire
à M. DE LA PLACE Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir , ou qui prendront lesfrais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raison de 30 fols
par volume , c'est-à- dire 24 livres d'avance
, en s'abonnant pourfeize volumes ,
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure , écriront à l'adreſſe cideffus.
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le paye
ment en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
, refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année . Il y en a
jufqu'à préfent foixante-dix-huit volumes
dont la Table générale, rangée par
ordre des Matieres , fe trouve à la fin
du foixante-douzième,
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET. 1762 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PRose.
A M. DE LA PLACE , Auteur
du MERCURE .
M.LACOMBE , d'Avignon , déja
connu par plufieurs Traductions de
l'Anglois , publiera à la fin de l'année un
Ouvrage intéreffant & neuf , fous le titre
d'Abeille du Parnaffe Anglois , avec
le Texte à côté du François. Ce Recueil
contiendra les plus belles Odes des plus
II. Vol.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
célébres Poëtes , & des Morceaux fublimes
de divers Auteurs. Avant que de
donner cet Ouvrage au Public , M. Lacombe
a voulu faire connoître les deux
Odes fuivantes. On pourra juger par
cet éffai, de la bonté de fon travail & du
choix des Piéces. Il ofe fe flater d'avoir
rendu avec force & énergie les beautés
fublimes de ces Poëtes.
ODE fur Sainte CÉCILE , par
DESCENDEZ
РОРЕ.
ESCENDEZ du haut des Cieux , defcendez
, chaſtes Mufes , pour célébrer
ce grand jour. Réveillez par vos divins
concerts nos inftrumens affoupis . Faites
réfonner ma tremblante lyre , elle imitera
fans ceffe le fon amoureux &
touchant de la voix . Que le luth foupire
& rende des accens plaintifs , que la
voûte de ce Temple tréffaille aux fons
éclatans de la trompette , & que les
échos attentifs & fidéles les répétent
mille fois le jour . Tantôt l'orgue profonde
& majestueufe accorde lentement
Les.tons grands & nombreux ; tantôt fes
accords doux , vifs & brillans flattent
JUILLET. 1762. 7
légérement l'oreille : mais lorfqu'ils s'animent
, qu'ils fe fortifient & s'élévent ,
ils ébranlent la Terre & les Cieux.
Une Mufique vive & hardie fait éclater
la joie. Des airs doux & languiffans
flottent mollement fur la furface
polie de l'air , puis s'abbaiffent , s'affoibliffent
par degrés & fe perdent
confufément dans le lointain .
La Mufique charme l'âme & l'entretient
dans une douce fituation ; elle ne
l'éléve point avec trop de violence
& ne la précipite pas dans des abîmes
profonds. Lorfque la joie tumultueuſe ,
infenfée & volage agite le coeur & le
fouléve , la Mufique le calme & l'appaife
par fa voix douce & touchante .
Lorfque l'efprit dévoré par les chagrins
eft abforbé dans fes fombres penfées ,
la Mufique le ravit & le réveille . Elle
enflamme les guerriers par des fons rapides
& belliqueux ; mais fur les tendres
coeurs bleffés l'Amour
par
fa main
bienfaifante étend un beaume falutaire
qui adoucit leurs tourmens.... Voyez ,
voyez la mélancolie fombre & muette
remuer avec peine fa tête pefante & inclinée.
Voyez Morphée ouvrir lentement
fes débiles & tremblantes paupières , &
>
A iv
-8 MERCURE DE FRANCE.
fe lever peu-à-peu fur fon lit de rofes ;
la tardive pareffe déployer en foupirant
fes bras engourdis. Voyez l'Envie , fecouer
fes ferpens & les lancer loin d'elle
avec horreur. Aux fons mélodieux d'une
amoureufe voix , nos fens font enchantés
& fufpendus ; la guèrre la plus cruelle
ceffe d'irriter nos paffions & l'aveugle
fureur des difcordes civiles s'appaiſe
& s'éteint.
3
Mais lorsque la caufe de la Patrie nous
fait voler aux armes , la Mufique guèrrière
embrafe tous les coeurs. Le Chantre
de la Thrace élevé fur la poupe du
premier Navire qui ofa braver la fureur
des Ondes , touche fa lyre mélodieuſe
Argos voit les arbres antiques , ces premiers
enfans de la Terre , defcendre du
mont Pélion fur le rivage . Les demi-
Dieux accourent en foule autour d'Orphée.
Aux accens de fa lyre , les Mortels
font transformés en Héros. Tous les
chefs préfentent leurs boucliers. Ils s'arment
de leurs épées étincelantes
Mers , les Rochers , & les Cieux retentiffent
à la fois de ces acclamations ,
aux armes Citoyens ! aux armes ,
armes Citoyens !
4
,
les
aux
A travers ces terres infernales que le
JUILLET. 1762 . 9
Phlegéton entoure neuf fois de fes eaux
noires & bouillonantes ; le malheureux
Orphée cherche fa trifte Eurydice. Les
éffroyables portes de l'Enfer fe ferment
à fon approche. On ne voit au loin qu'une
pâle lueur , on n'entend que des
plaintes lamentables , des gémiffemens
profonds , des hurlemens éffroiables , &
des cris de défefpoir & de rage que pouffent
à la fois les ombres criminelles au
milieu des fupplices. Qu'entends -je ?
Orphée touche fa Lyre d'or ; les tourmens
de l'enfer font fufpendus ; les ombres
attentives accourent en filence , Le
rocher de Sifyphe eft immobile. Ixion repofe
fur fa roue;les noirsSpectres duTartare
danfent en choeur autour de lui . Les
Furies tombent fur leur lit de fer ; les
Serpens qui couronnent leurs têtes , fe
dreffent pour écouter.
5.
Il chante .... par ces fources d'eau
pure & éternelle , par ces Zéphirs odoriférans
qui careffent tour -à- tour les
tendres fleurs des Champs -Elifées ; par
ces âmes bienheureufes qui habitent les
Prairies dorées & les amoureux bofquets
d'amaranthe ; par ces ombres
guerrieres qui font étinceler leurs armes
dans ces fombres allées ; par ces
A v
-8 MERCURE DE FRANCE .
fe lever peu-à-peu fur fon lit de rofes ;
la tardive pareffe déployer en foupirant
fes bras engourdis. Voyez l'Envie , fecouer
fes ferpens & les lancer loin d'elle
avec horreur. Aux fons mélodieux d'une
amoureuſe voix , nos fens font enchantés
& fufpendus ; la guèrre la plus cruelle
ceffe d'irriter nos paffions & l'aveugle
fureur des difcordes civiles s'appaife
& s'éteint.
3
Mais lorsque la caufe de la Patrie nous
fait voler aux armes , la Mufique guèrrière
embrafe tous les coeurs . Le Chantre
de la Thrace élevé fur la poupe du
premier Navire qui ofa braver la fureur
des Ondes , touche fa lyre mélodieuſe
Argos voit les arbres antiques , ces premiers
enfans de la Terre , defcendre du
mont Pélion fur le rivage. Les demi-
Dieux accourent en foule autour d'Orphée.
Aux accens de fa lyre , les Mortels
font transformés en Héros . Tous les
chefs préfentent leurs boucliers . Ils s'arment
de leurs épées étincelantes , les
Mers , les Rochers , & les Cieux retentiffent
à la fois de ces acclamations ,
aux armes Citoyens ! aux armes , aux
armes Citoyens !
4
A travers ces terres infernales que le
JUILLET. 1762 . 9
Phlegéton entoure neuf fois de fes eaux
noires & bouillonantes ; le malheureux
Orphée cherche fa trifte Eurydice. Les
éffroyables portes de l'Enfer fe ferment
à fon approche. On ne voit au loin qu'une
pâle lueur , on n'entend que des
plaintes lamentables , des gémiffemens
profonds , des hurlemens éffroiables , &
des cris de défefpoir & de rage que pouffent
à la fois les ombres criminelles au
milieu des fupplices. Qu'entends -je ?
Orphée touche fa Lyre d'or ; les tourmens
de l'enfer font fufpendus ; les ombres
attentives accourent en filence. Le
rocher de Sifyphe eft immobile.Ixion repofe
fur fa roue;les noirsSpectres duTartare
danfent en choeur autour de lui . Les
Furies tombent fur leur lit de fer ; les
Serpens qui couronnent leurs têtes , fe
dreffent pour écouter.
5.
Il chante .... par ces fources d'eau
pure & éternelle , par ces Zéphirs odoriférans
qui careffent tour-à- tour les
tendres fleurs des Champs -Elifées ; par
ces âmes bienheureuſes qui habitent les
Prairies dorées & les amoureux bofquets
d'amaranthe ; par ces ombres
guerrieres qui font étinceler leurs armes
dans ces fombres allées ; par ces
A v
-8 MERCURE DE FRANCE .
fe lever peu-à-peu fur fon lit de roſes ;
la tardive pareffe déployer en foupirant
fes bras engourdis. Voyez l'Envie , fecouer
fes ferpens & les lancer loin d'elle
avec horreur. Aux fons mélodieux d'une
amoureuſe voix , nos fens font enchantés
& fufpendus ; la guèrre la plus cruelle
ceffe d'irriter nos paffions & l'aveugle
fureur des difcordes civiles s'appaife
& s'éteint.
3
Mais lorsque la caufe de la Patrie nous
fait voler aux armes , la Mufique guèrrière
embrafe tous les coeurs. Le Chantre
de la Thrace élevé fur la poupe du
premier Navire qui ofa braver la fureur
des Ondes , touche fa lyre mélodieuſe
Argos voit les arbres antiques , ces premiers
enfans de la Terre , defcendre du
mont Pélion fur le rivage . Les demi-
Dieux accourent en foule autour d'Orphée.
Aux accens de fa lyre , les Mortels
font transformés en Héros . Tous les
chefs préfentent leurs boucliers . Ils s'arment
de leurs épées étincelantes les
Mers les Rochers , & les Cieux retentiffent
à la fois de ces acclamations
aux armes Citoyens ! aux armes , aux
armes Citoyens !
"
4
>
A travers ces terres infernales que le
JUILLET. 1762. 9
Phlegéton entoure neuf fois de fes eaux
noires & bouillonantes ; le malheureux
Orphée cherche fa trifte Eurydice. Les
éffroyables portes de l'Enfer fe ferment
à fon approche. On ne voit au loin qu'une
pâle lueur , on n'entend que des
plaintes lamentables , des gémiffemens
profonds , des hurlemens éffroiables , &
des cris de défefpoir & de rage que pouffent
à la fois les ombres criminelles au
milieu des fupplices. Qu'entends -je ?
Orphée touche fa Lyre d'or ; les tourmens
de l'enfer font fufpendus ; les ombres
attentives accourent en filence . Le
rocher de Sifyphe eft immobile.Ixion repofe
fur fa roue;les noirsSpectres duTartare
danfent en choeur autour de lui. Les
Furies tombent fur leur lit de fer ; les
Serpens qui couronnent leurs têtes , fe
dreffent pour écouter.
5.
Il chante .... par ces fources d'eau
pure & éternelle , par ces Zéphirs odoriférans
qui careffent tour-à-tour les
tendres fleurs des Champs -Elifées ; par
ces âmes bienheureuſes qui habitent les
Prairies dorées & les amoureux bofquets
d'amaranthe ; par ces ombres
guerrieres qui font étinceler leurs armes
dans ces fombres allées ; par ces
Αν
-8 MERCURE DE FRANCE .
fe lever peu-à-peu fur fon lit de roſes ;
la tardive pareffe déployer en foupirant
fes bras engourdis. Voyez l'Envie , fecouer
fes ferpens & les lancer loin d'elle
avec horreur. Aux fons mélodieux d'une
amoureuſe voix , nos fens font enchantés
& fufpendus ; la guèrre la plus cruelle
ceffe d'irriter nos paffions & l'aveugle
fureur des difcordes civiles s'appaife
& s'éteint.
3
>
Mais lorfque la caufe de la Patrie nous
fait voler aux armes , la Mufique guèrrière
embrafe tous les coeurs . Le Chantre
de la Thrace élevé fur la poupe du
premier Navire qui ofa braver la fureur
des Ondes , touche fa lyre mélodieufe
Argos voit les arbres antiques , ces premiers
enfans de la Terre , defcendre du
mont Pélion fur le rivage . Les demi-
Dieux accourent en foule autour d'Orphée.
Aux accens de fa lyre , les Mortels
font transformés en Héros . Tous les
chefs préfentent leurs boucliers . Ils s'arment
de leurs épées étincelantes , les
Mers les Rochers , & les Cieux retentiffent
à la fois de ces acclamations ,
aux armes Citoyens ! aux armes , aux
armes Citoyens !
4
A travers ces terres infernales que le
JUILLET. 1762 . 9
Phlegéton entoure neuffois de fes eaux
noires & bouillonantes ; le malheureux
Orphée cherche fa trifte Eurydice. Les
éffroyables portes de l'Enfer fe ferment
à fon approche. On ne voit au loin qu'une
pâle lueur , on n'entend que des
plaintes lamentables , des gémiffemens
profonds , des hurlemens éffroiables , &
des cris de défefpoir & de rage que pouffent
à la fois les ombres criminelles au
milieu des fupplices. Qu'entends -je ?
Orphée touche fa Lyre d'or ; les tourmens
de l'enfer font fufpendus ; les ombres
attentives accourent en filence , Le
rocher de Sifyphe eft immobile.Ixion repofe
fur fa roue;les noirsSpectres duTartare
danfent en choeur autour de lui . Les
Furies tombent fur leur lit de fer ; les
Serpens qui couronnent leurs têtes , fe
dreffent pour écouter.
5.
Il chante .... par ces fources d'eau
pure & éternelle , par ces Zéphirs odoriférans
qui careffent tour-à-tour les
tendres fleurs des Champs - Elifées ; par
ces âmes bienheureuſes qui habitent les
Prairies dorées & les amoureux bofquets
d'amaranthe ; par ces ombres
guerrieres qui font étinceler leurs armes
dans ces fombres allées ; par ces
A v
-8 MERCURE DE FRANCE .
fe lever peu-à- peu fur fon lit de roſes ;
la tardive pareffe déployer en foupirant
fes bras engourdis. Voyez l'Envie , fecouer
fes ferpens & les lancer loin d'elle
avec horreur. Aux fons mélodieux d'une
amoureuſe voix , nos fens font enchantés
& fufpendus ; la guèrre la plus cruelle
ceffe d'irriter nos paffions & l'aveugle
fureur des difcordes civiles s'appaiſe
& s'éteint.
3
Mais lorsque la caufe de la Patrie nous
fait voler aux armes , la Mufique guèrrière
embrafe tous les coeurs. Le Chantre
de la Thrace élevé fur la du
poupe
premier Navire qui ofa braver la fureur
des Ondes , touche fa lyre mélodieuſe
Argos voit les arbres antiques , ces premiers
enfans de la Terre defcendre du
mont Pélion fur le rivage . Les demi-
Dieux accourent en foule autour d'Orphée.
Aux accens de fa lyre , les Mortels
font transformés en Héros . Tous les
chefs préfentent leurs boucliers. Ils s'arment
de leurs épées étincelantes les
>
>
Mers , les Rochers
, & les
Cieux
retentiffent
à la fois
de ces acclamations
,
aux
armes
Citoyens
! aux
armes
, aux
armes
Citoyens
!
4
A travers ces terres infernales que le
JUILLET. 1762 . 9
Phlegéton entoure neuf fois de fes eaux
noires & bouillonantes ; le malheureux
Orphée cherche fa trifte Eurydice. Les
éffroyables portes de l'Enfer fe ferment
à fon approche. On ne voit au loin qu'une
pâle lueur , on n'entend que des
plaintes lamentables , des gémiffemens
profonds , des hurlemens éffroiables , &
des cris de défefpoir & de rage que pouffent
à la fois les ombres criminelles au
milieu des fupplices . Qu'entends -je ?
Orphée touche fa Lyre d'or ; les tourmens
de l'enfer font fufpendus ; les ombres
attentives accourent en filence , Le
rocher de Sifyphe eft immobile. Ixion repofe
fur fa roue ;les noirsSpectres duTartare
danfent en choeur autour de lui . Les
Furies tombent fur leur lit de fer ; les
Serpens qui couronnent leurs têtes , fe
dreffent pour écouter.
5.
Il chante .... par ces fources d'eau
pure & éternelle , par ces Zéphirs odoriférans
qui careffent tour -à-tour les
tendres fleurs des Champs -Elifées ; par
ces âmes bienheureufes qui habitent les
Prairies dorées & les amoureux bofquets
d'amaranthe ; par ces ombres
guerrieres qui font étinceler leurs armes
dans ces fombres allées ; par ces
A v
ΙΟ MERCURE
DE FRANCE
.
jeunes Amans qui font morts d'amour .
& qui promenent leur plaintive langueur
fous ces berceaux de mirthe : rappellez ,
raprellez Eurydice à la vie ; enlevez
l'époux ou rendez-lui fa chère moitié… ...
Le Poëte chanta , & l'enfer daigna écouter
fa priére en filence . La farouche
Proferpine s'adoucit en murmurant . Elle
accorda à regret Eurydice à fon amant .
Ses chants triomphent de la mort &
de l'enfer , conquête auffi difficile que
glorieufe. C'eft en vain que les arrêts
du fort ont enféveli pour toujours Eurydice
dins le ténébreux Empire.
La Mufique & l'Amour de concert ,
triomphent du barbare deftin .
Mais ce malheureux
amant jette
hélas trop tôt les yeux fur fa chère
époufe. Elle lui échappe . Elle meurt ,
elle meurt hé comment
pourrezvous
toucher ces fatales foeurs ? fi
l'amour n'eft pas un crime , tu es innocent
, ô divin Orphée ! ... Aux pieds
des montagnes
fufpendues
fur fa tête ,
aux bords des fontaines qui defcendcient
de leur cime , dans ces lieux où l'Hébre
ferpente & fe perd en mille
détours , Orphée feul , inconnu , abanJUILLET
. 1762.
II
donné , gémit & foupire . Il rappelle
fa chère ombre qu'il a perdue pour
jamais. Entouré de Furies , défefpéré , il
tremble. Au milieu des neiges du
Mont Rodope , il brûle d'amour. Voyezle
franchir les déferts , plus léger & plus
prompt que les vents ; écoutez le Mont
Hémus , retentir du bruit des Bacchanzes
, & voyez-le mourir. En mourant
il chante Eurydice , ce nom chéri anime
encore les lévres éteintes . Bois , flots
& rochers ; vallons , grottes & montagnes
répétent à la fois le nom d'Eurydice.
La Mufique charme les plus âpres
douleurs des malheureux Mortels & défarme
le cruel deftin . La Mufique
adoucit les peines ; elle rend agréable
le défeſpoir & la fureur des amans.
Elle accroît nos plaifirs , les épure , &
nous donne un avant- goût du bonheur
célefte . Tels furent tes plaifirs divine
Cécile. Tu confacras tes fons harmonieux
aux louanges du Créateur.
A peine l'orgue eut - elle rempli le
temple de tes concerts majestueux
que les puiffances immortelles defcendirent
avec refpect pour t'entendre. Les
âmes des timides Mortels s'élevérent juf-
A vj
12 MERCURE
DE FRANCE .
qu'aux Cieux. Tes faints accords purifiérent
le feu facré de ta piété . Les Anges
du Ciel s'inclinérent en choeur pour
les entendre . Que les Poëtes ceffent
de vanter les charmes d'Orphée ; l'éclatante
, la divine Cécile , peut feule ravir
& la Terre & les Cieux . Les fons
d'Orphée ont arraché une ombre des
enfers ; les fons de Cécile élévent les
âmes dans les Cieux.
L'EMPIRE DE LA MUSIQUE ,
ODE de DRYDEN , traduite par
L'INV
M. LACOM BE.
I.
INVINCIBLE fils de Philipe ;
pour célébrer la glorieufe conquête de
la Perfe , donnoit à fa Cour une Fête
brillante . Placé fur un trône radieux , le
fuperbe Monarque reffembloit à une Divinité.
Ses illuftres Compagnons , rangés
autour de lui , avoient le front couronné
de rofes & de myrthe , récompenfe
digne des Guerriers valeureux . A
fa droite , étoit l'aimable Thaïs , plus
raviffante encore que la Déeffe de l'Orient,
lorfqu'elle fait éclore les fleurs..
JUILLET. 1762. 13
Elle étoit dans fon Printemps & toute
fiére de fa beauté .
Couple amoureux , couple charmant ,
vous méritez d'être toujours heureux !
Les Héros ont feuls le droit de toucher
la Beauté ; les Héros méritent feuls les
careffes des Belles.
Le Chaur répéte : Couple amoureux .
2..
Timothée paroît au- deffus de la troupe
harmonieufe ; il touche fa lyre de fes
doigts légers ; fes fons tendres & cadencés
, qui montent jufqu'aux Cieux , infpirent
un joie divine .
Il chante Jupiter. Le Maître des Dieux
abandonne le féjour de l'Empirée . Tel
eft l'invincible pouvoir de l'Amour . Il
prend la forme d'un ferpent pour cacher
l'éclat de fa Divinité. Il s'approche de
l'adorable Olympie ; il la preffe amoureufement
& fe gliffe fur fon fein d'albâtre
; de fes longs & tortueux replis , il
forme autour d'elle une ceinture bouclée .
Déjà le Maître du Monde lui a imprimé
fa vivante image.
Le Peuple admire en filence ces fublimes
accords. Déité préfente ! s'écrie - til
, Déité propice ! les voutes du Temple
retentiffent de ces acclamations. Le
Monarque en extafe croit être la Divi14
MERCURE DE FRANCE.
nité. Il fecoue la tête & penſe ébranler
les globes des Cieux.
Le Choeur répéte : Le Monarque , &c,
Le Chantre , tranfporté , célébre enfuite
les louanges de Bacchus , toujours
jeune & toujours charmant. Cet aimable
Dieu arrive en triomphe au bruit des
clairons & des trompettes. Son vifage
riant & vermeil infpire la joie & le plaifir.
Hautbois & trompettes célébrez fa
gloire. Il arrive , il arrive , le Dieu Bac◄
chus , le Dieu des Plaifirs , toujours plus
beau , toujours plus jeune ! D'abord il
ordonne de boire la coupe joyeuſe . Les
préfens du Dieu de la treille font des tréfors.
Le Sollat boit & s'enivre fans ceffe
avec délices. Tréfor précieux , fource
délectable , après les travaux , le plaifir
eft mil'e fois plus délicieux , encore !
Le Chourrépéte: Tréfor , &c.
Enivré par le Cancert mélodieux de
ces louanges , le fier Monarque s'enorgueillit.
Dans fon délire , il combat
les Perfes. Trois fois il met en déroute
fes ennemis épouvantés. Trois
fois il fe plonge dans des torrens de fang.
Thimothée voit croître la rage du vainqueur.
Il voit fon vifage s'enflammer ;
JUILLET. 1762. IS
1
fes yeux lancer des éclairs . Tandis qu'Aléxandre
menace & laTerre & les Cieux,
le Chantre change de ton ; il dompte
l'orgueil du farouche Monarque. Il éffie
des fons plaintifs , pour attendrir l'âme
du Héros . Il chante le vertueux Darius
précipité du haut de fon Trône par un
ar.êt du Deftin , nageant dans fon fang ,
fans fecours , fans efpérances ; abandonné
de fes laches amis , qu'il avoit
comblés de bienfaits. Ce puiffant Monarque
de l'Afie expire étendu fur la
pouffiére , fans avoir même un de fes
Efclaves pour lui fermer les yeux.
A ces triftes & lamentables accens , le
vainqueur du Deftin , le grand Aléxandre
, baiffe les yeux . Il rappelle dans fon
âme interdite les outrages de l'aveugle
Fortune ; il laiffe échapper comme malgré
lui de profonds foupirs & fes yeux
répandent un torrent de larmes.
Le Choeur répéte : A ces triſtes , &c .
Le fouverain Maître de l'Harmonie
fourit en voyant l'Amour renaître dans
le coeur d'Alexandre. La pitié l'émeut ,
& le difpofe à la tendreffe . Timothée
adoucit encore fes accens mélodiéux ;
il amollit peu - à - peu , adoucit l'ame
16 MERCURE DE FRANCE.
du Héros & le ramène à la volupté.
Il chante la guèrre , fes fatigues &
fes dangers. La gloire qui la fuit
eft une fumée légère , fes flateufes efpérances
font vaines & frivoles , toujours
renaiffantes , jamais fatisfaites.
Nouveaux combats , nouveau carnage ;
torrens de calamités nouvelles .
Si l'on peut afpirer à la Conquête du
Monde, apprends, Monarque ambitieux,
que c'eft pour en faire le bonheur. La
tendre , la voluptueufe Thaïs , foupire
à tes côtés ; jouis des biens que t'offrent
les fecourables Dieux ! A ces fublimes
accens , les Cieux retentiffent d'applaudiffemens.
L'Amour eft enfin couronné
par le plaifir ; l'harmonie en a toute
la gloire.
Le Prince s'abandonne à fa bouillante
ardeur. Il fixe tendrement la beauté
qui l'enflamme. Il foupire , la regarde ,
foupire plus tendrement encore. Enivré
d'amour & de vin , ce Conquérant fameux
, vaincu à fon tour , tombe aux
pieds de fa Maîtreffe .
Ce Chaur répéte : Le Prince , & c.
6 .
Timothée touche de nouveau fa lyre d'or.
Des fons tendres & languiffans fuccédent
à des fons bruyans & rapides, femblables
à l'éffroyable fracas du tonnèrre , fuccéJUILLET.
1762. 17
dent à des fons tendres & languiffans.
Le Héros léve la tête , il eft arraché du
fommeil de la mort ; honteux de fon
ivreffe , il regarde fixement autour de
lui ! Vengeance , vengeance ! s'écrie Timothée,
déchaînez - vous , Furies infernales
; paroiffez , ferpens , fiflez fans
ceffe ; répandez en tous lieux la flamme
& la rage , l'horreur & la mort. Avancez,
pâles habitans des ténébres..... Ils porportent
dans leurs mains des flambaux
menaçans. Ce font les ombres plaintives
des Grecs maffacrés dans les combats
& privés des ſtériles honneurs de la
fépulture . Cadavres fanglans & traînés
dans la pouffière , criez vengeance , vengeance
!... Tu la dois à cette vaillante
troupe , farouche Conquérant. Vois ,
barbare ! vois comme ils fecouent dans
les airs leurs torches funébres. Ils te montrent
les Palais des Perfes & les fuperbes
Temples de leurs Dieux ennemis.
Alexandre applaudit à ces lugubres
cris avec une allégreffe éclatante & barbare
. Il faifit une torche ardente
pour
tout réduire en cendre . Thais le devance
la flamme à la main , & l'entraîne au
Palais de Perfopolis. Nouvelle Héléne
elle embrafe une nouvelle Troye.
Le Choeur répéte : Aléxandre , &c.
18 MERCURE DE FRANCE.
Avant que les Pipeaux
& les Cornemufes
euffent
commencé
d'émouvoir
l'air & de l'agiter
agréablement
; lorſque
l'Orgue
ne réfonnoit
point encore
,Timothée
avec fa flûte & fa lyre pouvoit
feul
exciter
dans l'âme
des Mortels
la haine
& l'amour
. Mais l'immortelle
, la divine
Cécile
, inventa
tous les inftrumens
harmonieux
. De cette fource
abondante
&
facrée
, cette aimable
enthouſiaſte
tira
des fons plus variés
, plus doux & plus
étendus
. Elle ajouta
aux jours folemnels
une folemnité
raviffante
& nouvelle
.
Son divin génie
créa des Arts inconnus
& fans nombre
. Que le Dieu de l'harmonie
lui céde la couronne
, ou qu'il la partage
avec elle.Timothée
a élevé jufqu'aux
Cieux
un foible
Mortel
. Aux accords
de Cécile
, les Choeurs
des Anges
font
defcendus
fur la Terre pour entendre
fes
fublimes
Cantiques
.
Grand Choeur : Mais l'immortelle,&c.
JUILLET. 1762. 19
LAUSUS à LYD I E.
DANs
DIE,
HÉROID E. *
A N s ces jours de triomphe & de réjouiſſance ,
Où le faſte orgueilleux étalant fa puiffance ,
Au milieu des plaiſirs , des jeux & des feſtins
S'apprête à célébrer vos illuftres deſtins ;
De quel oeil verrez - vous ces triſtes caractères ,
D'un juſte déſeſpoir foibles dépofitaires ,
Ces fignes imprudens que ma plume a tracés
Et que mes pleurs hélas ! ont bientôt éffacés ?
Qu'avez-vous fait , Lydie , & que viens- je d'entendre
?
Eft-il vrai que Laufus n'a plus rien à prétendre ?
Eft-il , vrai , qu'outrageant la Nature & l'Amour ,
Le Tyran ombrageux à qui je dois le jour ,
Malgré les cheveux blancs & le faix des années
Veur à fes triftes jours unir vos deftinées ?
Qu'un Roi foible & vaincu , chaffé de les Etats
Qu'un Prince fugitif ſans amis , fans ſoldats ,
Pour éviter les maux où la fuite l'expole
Aille fubir le joug qu'un Tyran lui propoſe ;
Qu'il accepte une paix dont la Fille eſt le prix ;
De cette lâcheté Laufus n'eft point furpris.
* Cette Héroïde eft l'Ouvrage d'une jeune Mufe qui
nous paroît donner les plus flateufes eſpérances.
20 MERCURE DE FRANCE .
Mais que pour écouter un devoir chimérique ,
D'un père ambitieux victime politique ,
Une amante fans foi trahiffe fes fermens ,
Et brife fans pitié les noeuds les plus charmans ;
Je l'avoûrai : jamais de cette perfidie
Le malheureux Laufus n'eût foupçonné Lydie.;
O vous qui méprifant un Sentiment vainqueur ,
M'enfoncez de fangfroid un poignard dans le coeur !
O vous qu'une autre main de la pourpre décore ,
Vous que j'ai tant aimée .... Et que j'adore encore ,
Lydie ! il eft donc vrai .... que n'en puis- je douter !
Qui l'eût cru qu'en partant j'aurois à redouter
D'un rival abfolu l'autorité fuprême ?
Que le don d'un état , l'offre d'un diadême ;
D'une honteuſe paix le projet fpécieux ,
Tenteroient votre coeur , éblouiroient vos yeux ?
Ne vous fouvient- il plus de ce combat funeſte ,
De ce défaftre affreux où le Roi de Prénefte ,
Après avoir perda des milliers de foldats
Vaincu , forcé de fuir , chaffé de fes Etats ,
Pour comble de malheurs, pour difgrace derniere,
Dans les fers du vainqueur vous laiſſa priſonniere ?
Dans ces premiers momens d'une jufte douleur ,
Je crois vous voir encor fans force & fans couleur ,
Au milieu des débris des Légions fanglantes
Portée entre les bras de vos femmes tremblantes,
Votre âge , vos malheurs , vos pleurs, votre beauté
JUILLET. 1762. 21
Auroient d'un tigre même adoucis la fierté.
On nomma votre père en ces momens d'allarmes
Et vos yeux vers ce ciel élevés, pleins de larmes ,
Trouvérent à l'inſtant tous les coeurs attendris,
Mézence en fut lui- même interdit & furpris.
Il arrêta fon bras avide de carnage
Et parut oublier fon orgueil & fon âge.
J'étois auprès de lui . Dans le champ des guerriers;
Pour la premiere fois je cueillois des lauriers :
Nourri dans les forêts , élévé par Mézence ,
Au grand art de la guerre inftruit dès mon enfance
,
Ainfi qu'à fupporter les plus rudes travaux ,
A vaincre les Lions , * à dompter les Chevaux
Interdit , déſarmé, confus à votre vue ,
Je me fentis brûler d'une flamme inconnue !
O Lydie ! à quel point touché de vos douleurs ,
Ne m'accufai- je pas de caufer vos malheurs ?
Qu'elle fe venge enfin, me difois -je à moi- même,
Ah ! qu'elle me haïffe autant que mon coeur
l'aime :
Je ne m'en plaindrai point , je l'ai trop mérité.
Cependant quand je vis que mon père irrité ,
De la fureur foudain paſſoit à la clémence ;
Un changement fi prompt dans le coeur de Mézence
Peut-être à des foupçons eût dû me préparer :
Car le coeur d'un Tyran fçait- il le modérer ?
* LAUSUS equum domitor , debellatorque ferarum.
Virg. Æneid. V11.
22 MERCURE DE FRANCE.
Il femble que pour lui l'excès foit néceſſaire ;
Et toujours d'un extrême il tombe en fon contraire.
Hélas ! je n'entrevis, dans les foins de l'Amour ,
Que de l'humanité le vertueux retour . . . .
Moi , qui , dans cet inftant peu fait à me contraindre
,
A déclarer mes feux ne voyois rien à craindre ,
Au penchant de mon coeur ardent à me livrer ,
Du plaifir de vous voir je courus m'enivrer .
A mes yeux chaque jour vous paroiffiez plus
belle ,
Et loin qu'à mes deſirs ma Raiſon fût rebelle ,
Dans ma crédulité , je me flattois de voir
Mon penchant quelque jour s'unir à mon devoir.
Faulle fécurité ! Funefte confiance ! ...
Hélas ! jeune , fans fard & fans expérience ,
Je ne foupçonnois pas qu'un tas de délateurs ,
Des vices de leur Roi lâches adulateurs ,
Infâmes Courtisans , fuppôts vendus au crime ,
Cortége d'un Tyran que la vengeance anime ,
Du funeſte détail de mes foins les plus doux
Allât flatter Mézence & nourrir ſon courroux !
Rappellez- vous ce jour à jamais mémorable ,
Dont malgré les horreurs de mon fort déplorable,
Mon
coeur
fe
plaît
encore
à ſe
reſſouvenir
;
Ce
jour
qui
m'annonçoit
un
heureux
avenir
,
Ce
jour
où
votre
coeur
jufqu'alors
infléxible
JUILLET. 1762. 23
Pour la premiere fois parut être fenfible !
Je vins vous faire part de cet heureux Traité
Qui vous rendoit un Trône avec la liberté ;
Par qui la paix enfin fur ces bords ramenée ,
Alloit être le fruit d'un illuftre hyménée.
›› Daignerez-vous , vous dis-je , en ferrant vos
» genoux ,
» Approuver un hymen qui me feroit fidoux ?
>> Ah ! puis-je me flatter , jeune & belle Lydie ,
» Qu'un projet qu'a conçu mon âme trop hardie,
>> Puiffe trouver un jour grace devant vos yeux? ...
» Au nom de votre père , au nom de vos ayeux ,
» Au nom de cet amour reſpectueux & tendre ,
» Que mes yeux dès longtemps ont dû vous faire
>> entendre ;
» Acceptez une paix qui va vous rétablir
» Dans des droits que le fort ne peut plus affoi-
» blir !
» Je vais trouver Mézence ; Il m'aime, il eſt mon
» père :
Il a loué cent fois mon courage ; & j'eſpére
→ Que fa bonté bientôt voudra ratifier
>> Un Traité que fon fils vient de vous confier.
Tant de fincérité , de tranſports , d'allégreffe ,
D'une prochaine paix l'idée enchantereſſe,
Vous furprirent enfin un fourire flatteur
Qui pénétra mes fens & paffa dans mon coeur.
Allez , me dites vous , Prince trop magna-
>> nime :
24 MERCURE DE FRANCE.
» Je ne puis qu'applaudir au foin qui vous anime
» Puiffe le jufte Ciel feconder vos projets !
›› Rétabliſſez mon père & concluez la paix :
» Je ne me plaindrai point , dans mon obéiffance,
>> De devenir le prix de fa reconnoiffance.
Bonheur inespéré ! moment délicieux !
Je crus voir & je vis l'Amour dans vos beaux
yeux ....
Pouvois- je m'y méprendre ?
die ,
.... ô ma chère Ly-
Dans cet heureux inftant de ma flâme applaudie ,
Je vous vis fans parler , approuver mes tranſports
;
Je vous vis foupirer .... Dieux ! que devins- je
alors .....
Père dénaturé ! ta politique adreſſe
Epioit cependant ma crédule tendreffe :
Tu pénétras mes feux . Tout autre en eût frémi ;
Mais jamais un Tyran le fut- il à demi?
Sans frein , en tes defirs , ta farouche infolence
Ne fçait gagner un coeur que par la violence.
Qu'importe que tes feux ne puiffent l'émouvoir ?
Ton caprice eft ta loi ; ta régle eft ton pouvoir.
Tu m'aurois immolé dans ta jalouſe rage ;
Mais la haine des tiens charmés de mon courage;
Le Sceptre de tes mains tout près de s'échapper ;
Tout arrêta ton bras levé pour me frapper .
Tu fçus diffimuler tes fureurs vengerelles.
Tu
JUILLET. 1762. 25
>
Tu fçus me prodiguer tes trompeufes careffes.
De mon Amante hélas ! pour mieux me féparer
A mon éxil prochain tu fçus me préparer.
Ma préfence furtout importoit à l'armée :
J'obéis ; & tandis que mon âme allarmée
Se faifoit mille efforts pour dévorer les pleurs ;
Tandis que tu feignois d'ignorer mes douleurs ,
Traître tes Envoyés près du Roi de Prénefte
Se hâtoient de conclure une paix fi funeſte .
Moment cruel ! ô jour à jamais odieux
Où fans avoir reçu vos douloureux adieux ,
Il fallut , ô Lydie , en proie à mes allarmes ,
Sans efpoir de retour m'éloigner de vos charmes !
Je pars ; & ma fureur égale mon amour.
Je ne me connois plus : je déteſte le jour .
Peu s'en faut....... j'en frémis ! le cri de la Nature
Vainement dans mon coeur étouffe mon injure
Peu s'en faut qu'en un fang qui doit m'être facré
Ma parricide main ne fe baigne à fon gré ....
Les Armes , les Drapeaux , les cris de la Victoire ,
Ni l'ardeur des combats , ni la foif de la gloire ,
Rien ne me touche plus : mon coeur préoccupé
Par aucun autre objet ne peut être frappé .
Je ne vois qu'une amante à mes defirs ravie ,
Qu'un Tyran envieux du bonheur de ma vie ,
Qu'un rival abfolu tout prêt à m'outrager ,
Qu'un père raviffeur dontje dois me venger!
Mon coeur à cette image à peine fe pofféde ;
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
Partout elle me fuit ; le jour elle m'obféde ;
La nuit elle m'arrache aux douceurs du fommeil,
Et toujours me prépare au plus affreux réveil.
Hélas ! un feul eſpoir foutenoit ma conſtance !
J'efpérois que laffé de votre réfiftance
Le Tyran déſormais étouffer oit ſes voeux.
Vous me l'aviez promis : toute entiere à mes feux,
Vous deviez rejetter fes dons & fes careſſes !
Je me flattois ... fur quoi , grands Dieux ? fur des
promeffes !
Sur des fermens cent fois & donnés & reçus.
Sermens d'aimer toujours devez- vous être crus ?
Une amante toujours eft prête à vous enfreindre.
Lydie.... ô ciel ! Lydie... aurois- je dû le craindre ?
Malgré les noeuds facrés qui la lioient à moi ,
Lydie àmon rival ofe engager ſa foi !
Dèja de fon hymen la pompe fe prépare ;
Un Roi fier & cruel , un ennemi barbare ,
Le fuperbe Mézence infultant à mes pleurs ,
Déja ceint fon vieux front de myrthes & de fleurs .
Déja , pour relever cette pompe funeſte ,
Il ordonne lui -même & la Lutte & le Cefte ;
Et ces horribles jeux où des Gladiateurs
Font en fe maffacrant frémir les Spectateurs ;
Et ces combats encor mille fois plus atroces ,
Oùl'on voit fous les dents des animaux féroces
De malheureux Mortels qu'on voudroit fecourir
Se débattre , tomber , friffonner & mourir ;
JUILLET. 1762. 27
Supplices effrayans , où l'aveugle Furie
Semble avoir épuifé toute la barbarie ,
Et qu'un Tyran que rien ne peut épouvanter .
Pour fes lâches plaifirs a pu feul inventer ! ....
Vengez-moi , juftes Dieux ! Nos caufes font les
mêmes .
192
Combien d'impiétés , d'horreurs & de blafphêmes ,
Combien n'avez -vous pas de forfaits à punir ?
Il vous a tous bravés : * qui peut vous retenir ?
Rompez , rompez un noeud qui feroit mon fupplice
!
$
Embrafez l'Univers s'il faut qu'il s'accompliffe !
-73
Que fais-je malheureux... dans mes tranſports
jalour ,
J..
-Je veux armer les Dieux & diriger leurs coups !
Mézence eft un Tyran ; mais eft - il moins mon
père ?
Et puis-je en éffacer le lacré caractère ?
De cet augufte nom s'il rompt tous les liens ,
S'il trahit fes devoirs , dois-je oublier les miens ?
Dieux cruels ! ah plutôt que la main qui m'op¬
prime
Jouiffe impunément du fuccès de fon crime !
Mais fans vous fatiguer de difcours fuperfluss
Répondez-moi , Lydie : ou vous ne m'aimez plus ;
Ou votre coeur gémit d'un pareil facrifice.
* Contemptor Divûm Mezentius.
Virg. Æneid . VII,
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Si vous ne m'aimez plus , par quel noir artifice,
M'avez- vous donc promis tant de fidélité ?
Pourquoi tant abuſer de ma crédulité ?
Pourquoi me juriez - vous une ardeur éternelle ?
Ou fi l'amour encor dans votre âme étincelle ,
Si Mézence eft hai ; de quel front irez -vous
A la face des Dieux l'accepter pour époux ?
» Votre Père le veut : cet hymen qu'il ordonne
>> Eft le fceau de la Paix ; il lui rend ſa couron-
» ne ...
14403
» Et quoiqu'affreux pour vous , ce feroit le trahir
» Dès qu'il a commandé , de ne pas obéir....
>> L'honneur le veut enfin .... Foibles , frivoles ru
Les !
»L'Amour n'eft plus Amour, s'il admet les excuſes.
» L'honneur le veut. Ah , Ciel ! l'ai-je bien en-
» tendu ?
Quoi ! vous ordonne-t-il cet honneur prétendu
D'enfreindre des fermens dictés par l'Amour même
?
De déchirer le coeur d'un Prince qui vous aime ?
Ah barbare ! achevez ; dédaignez mes fureurs :
Le diadême peut couvrir d'autres horreurs.
Allez de ce bandeau qu'un Tyran vous apprête,™
Sans regrets , fans remords , voir ceindre votre
tête ;
Uniffez-vous à lui par des noeuds éternels ;
Mais tremblez de me voir aux pieds de vos Autels
,
JUILLET. 1762. 29
Cruelle ! frémiffez , que ma jalouſe rage
Dans un fang odieux ne lave mon outrage ;
Que mon bras parricide étendu jufqu'à vous
Ne confonde le père & l'amante & l'époux .
...
Jufqu'à vous , jufte ciel ! quoi juſques fur Lydie ,
Quoi je pourrois porter une main trop impie ?
Non ne le craignez pas : je puis vous menacer ;
Mais rien , rien dans mon coeur ne vous peut éffacer
.
Malgré tant de tranſports , de défeſpoir , de crainte
,
Dans ce coeur à jamais votre image eft empreinte,
Je vous adore encore ; & toute ma fureur
Ne femblent qu'augmenter ma déplorable ardeur.
Ah ! fi vous écoutez un ſentiment fi tendre,
Si dans votre âme encor l'amour ſe fait entendre,
Pourquoi donc le trahir ? les intérêts du fang
Dans un coeur généreux tiennent le premier rang ;
Je le fais mais enfin pour le Roi de Prénefte ,
N'eſt- il d'autre recours que ce Traité funeſte ?
Ah ! venez dans un Camp où je donne la loi :
Venez : tout m'obéit , tous les coeurs font à moi.
Je puis au moindre mot vous donner une armée ;
Je puis fous mes drapeaux voir l'Aufonie armée.
Voifins , amis , fujets , Tofcans , Arcadiens ,
Tous n'attendent qu'un Chef pour briſer leurs
liens.
Je puis leur en fervir : venez ; qui vous arrête ?
B iij
30 MERCURE DE FRANCE .
"
Au fein de vos Etats montrons-nous à leur tête :
Ce bras , ce même bras qui fçut les conquérir
Saura peut- être encor les reprendre ou périr.
Venez , déja mon coeur de cet efpoir s'enivre ……...
Mais je fens quel motif vous défend de me ſuivre:
L'honneur ne permet pas qu'on vienne me chercher
!
Sur les pas d'un Amant vous craignez de marcher
!.....
D'un Amant ? •. • •
tre :
de mon fort venez être l'arbi
Venez de votre époux me conférer le titre ;
Que de notre union tous les Dieux foient garans.
Qu'importe le concours de vos foibles Parens.
Craignez-vous que ces noeuds ne bleffent la décence
?
Notre confentement n'en fait- il pas l'éffence ? .... ....
Si vous ne le pouvez , ah ! du moins par pitié ,
Accordez une grace à ma triſte amitié :
Différez ſeulement un hymen fi funeſtė .
འ ༢
Dans trois jours ( cet éſpoir eſt lè feul qui me refte
! )
Dans trois jours au plus tard, votre amant furieux
Saura vous rendre libre , où mourir à vos yeux.
JUILLET. 1762. 31
ARGUMENT ou Hiftoire d'une Piéce
de Théâtre CHINOISE, représentée à
CANTON , en 1719. Traduction de
l'Anglois.
LE
INTRODUCTION.
ES Piéces de Théâtre entrent ordinairement
dans les Fêtes & les repas de
cérémonie que donnent les Mandarins
Chinois , & font repréfentées tandis que
les Convives font à table . Dès qu'ils ont
pris place , quatre ou cinq des principaux
Comédiens , richement habillés , arrivent
dans la Salle , & en faifant tous enfemble
la révérence , frappent la tèrre de
leur tête.
L'un d'eux préfente au plus illuftre des
Conviés , un Livre contenant en lettres
d'or , les noms de cinquante ou foixante
Piéces qu'ils ont apprifes par coeur , &
qu'ils font prêts à jouer dans le moment.
Après quelques politeffes aux autres
Convives , le plus diftingué en choiſit
une , que le Chef de la troupe porte
la ronde à toute la Compagnie pour
avoir fon approbation .... Si par hazard
à
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
P'un des Convives portoit un nom qui
reffemblât à quelque nom des Perfonnages
de la Piéce , elle eft fur le champ
rejettée , on en choifit une autre.
*
La repréſentation commence par une
Mufique bruyante de Tambours , de
Flûtes , de Trompettes , & de baffins
d'airain. Ils n'ont aucune efpéce de décorations
Ils étendent uniquement
un grand tapis fur le parquet , & font
ufage des chambres attenantes à celle
où l'on mange, d'où ils font leur entrée
:
pour exécuter leur rôle. Un feul Acteur
en joue ordinairement deux ou trois ....
Les Dames font placées hors de la Salle
vis -à-vis des Comédiens , d'où à travers
une jalcufie de Bam-bao & d'un réſeau
de foie , elles voient tout fans être vues.
ARGUMENT de la Piéce.
Une femme âgée & fon fils , nés de
bons parens , tombés dans la plus grande
pauvreté , s'entretiennent de leur état
préfent. Ils ne trouvent d'autre reffource
pour vivre , que dans la charité du
prochain , & fe foumettent , quoiqu'à
regret , à leur fort,
( a ) Les Comédiens jouent fouvent dans la
rue fur des Théâtres. Mais nous ne trouvons pas
que les Chinois aient aucunes Salles de Spectacle
en régle.
JUILLET. 1762. 33
•
Ils rencontrent la fille d'un Mandarin
qui , forcée de quitter fon père , vient
de fe fauver de chez lui. Elle les interroge
fur la caufe de leur mifére . Elle
s'intéreffe pour eux , leur donne de l'argent
, & prend la mère à fon fervice.
Le fils , déterminé à retourner dans fa
Patrie , entre dans la boutique d'une
Marchande de thé , qui n'a pour tout
Domeftique que fa fille. Cette bonne
femme , inftruite de la fituation du jeune
homme , dont la phyfionomie lui
plaît , le prend à fon fervice.
Un jeune Mandarin , grand débauché
, entre chez la Marchande , demande
du thé , fe fent du goût pour fa fille ;
& la trouvant de plus difficile accès
qu'il ne l'avoit imaginé , offre de l'amener
dans fon Palais & d'en prendre foin.
La vieille femme y confent. La jeune
ayant rejetté les propofitions du Mandarin
, il veut la faire enlever par fes
Domeftiques. Mais elle eft fecourue &
préfervée de cet enlevement par le nouveau
Domeftique qu'a pris fa mère.
Le jeune Mandarin piqué , le fait
prendre & conduire devant un Mandarin
de Juftice , qui le condamne à la
bastonade , & à être promené par la Ville
avec un carcan de bois au col.
By
34 MERCURE DE FRANCE .
Non content de cette punition , le
jeune Mandarin ordonne à fes gens de
s'armer de bâtons , en prend un lui-même,
& fe propofe de faire expirer le
jeune homme fous leurs coups.
Après différentes recherches, ils le rencontrent
dans la rue , accompagné de
fa jeune Maîtreffe qui lui donne à manger:
ce qu'il étoit lui-même incapable
de faire , à caufe du carcan qui lui environnoit
la tête .
Ils l'attaquent tous à la fois. Mais le
jeune homme , auffi vigoureux que brave
, les met en déroute , fe délivre de
fon collier , frappe à la tête le jeune Mandarin
, & le tue.
Le Gouverneur , ou Commiffaire du
Quartier , arrive , & l'arrête , ainfi que
la jeune fille.... Le Mandarin devant
lequel ils font conduits , nommé Nan-
Hayan , après l'avoir entendu , lui rend
la liberté .
Mais ce même Mandarin , qui a conçu
du goût pour la jeune fille , la garde
dans fa maifon.Son époufe qui l'apprend
en eft fort fâchée ; & tandis que le Mandarin
eft abfent, elle fait ouvrir l'appartement
où fon mari avoit confiné cette
prétendue Maîtreffe , & lui permet de
prendre la fuite.
JUILLET. 1762 .
35
Un Mandarin fupérieur , informé de
la mort du jeune Mandarin débauché ,
& à qui l'on a dit que la jeune fille
avoit été la cauſe de ce meurtre , donne
ordre qu'elle lui foit amenée.
Cet ordre eft porté au Mandarin fubalterne
, qui l'avoit enfermée chez lui :
il ordonne qu'on la remette aux perfonnes
qui la reclament de la part du Mandarin
fupérieur. Mais il apprend avec
chagrin , que fa femme lui a fait ouvrir
les portes ; & ne fachant quelle réponfe
faire à ce même fupérieur , il commande
à fes Domeftiques d'arrêter la
première venue , & de la conduire au
Tribunal de ce dernier.
Les Domeſtiques , en faifant leur recherche
, entrent dans une Pagode , où
ils trouvent la fille du Mandarin dont on
a d'abord parlé ( celle qui s'étoit fauvée
de chez fon père) avec la vieille femme ,
mère du jeune homme , qu'elle avoit
prife à fon fervice .
( Le père de cette jeune perfonne, accufé
par un autre Mandarin , avoit été
difgracié , dégradé , & tous fes biens
avoient été faifis. Il n'avoit eu que le
temps d'en avertir fa fille par un Domeftique
fidéle , qui l'avoit conduite à la
porte de la Ville & abandonnée , com-
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
me incapable de pouvoir être d'aucun
fecours à fon père. )
Elle est arrêtée par les Domeftiques
du Mandarin Nan- Hayan , & conduite
au Tribunal du Mandarin fupérieur, qui
la condamne à perdre la tête. ( b ) Arrivée
au lieu de l'exécution ( qui fe fait à
minuit & au flambeau ) le jeune homme
qu'elle avoit ci -devant affifté & dont
elle avoit pris la mère à fon fervice , s'y
rencontre par hazard . Au moment où
celui qui tient la prétendue coupable lui
( b) Ou l'Auteur de cette Piéce ( ainfi que nos
Tragiques modernes ne s'eft point piqué d'obferver
les ufages de fon Pays , ou il en fixe l'époque
à des temps antérieurs à l'établissement de
ces mêmes ufages. Car il faut aujourd'hui des cas
biens preffans & bin extraordinaires , pour qu'il
foir permis à un Mandarin de prononcer une Sentence
de mort définitive.
N. B. Il eft plus infamant à la Chine d'être decapité
que d'être pen du : les Chinois étant extrê
mement jaloux de conferver leurs corps entiers
après leur mort. Le condamné n'eſt pas expofé
fur un échaffaut ; on le fait mettre à genoux
dans quelque place publique les mains liées derrière
le dos une feule perfonne le tient ferré de
façon qu'il ne peut remuer , tandis que l'Exécuteur
, arrivant par derrière , lui enléve la tête
d'un feul coup & en même temps le renverfe
fur le dos avec tant de dextérité , qu'il ne tombe
pas même une feule goutte de fang fur les habits
du Patient. Duhalde , vol. 1. p. 4. vol. 2, p.
299.
JUILLET. 1762. 37
arrache du front le papier où eft inſcrit
fon crime & que le Bourreau
s'approche pour la frapper ; le jeune
homme la reconnoît , arrache une épée
des mains de l'un des Officiers , attaque
les autres , les met en fuite , & fe fauve
avec elle.
Mais après avoir été repris , ils font
remenés vers le Mandarin qui avoit ordonné
l'exécution : où le jeune homme
lui apprend que cette Dame n'eſt pas
celle que l'autre Mandarin avoit enfermée
& voulu retenir dans fa maifon . Ce
qui , après information faite , s'étant trouvé
véritable , le Mandarin inférieur eft
condamné au même fupplice qui avoit
été infligé à la jeune Dame.
Alors le Mandarin fupérieur abfout
le jeune homme & l'engage à demeurer
à fon ſervice comme très propre à être
employé dans fes affaires de galanteries.
Il tombe en même temps amoureux de
la jeune Dame , qu'il fe détermine à
prendre pour première époufe ( c ) , &
ordonne à fes autres femmes de la difpofer
à fe foumettre à fes defirs .
Sur les refus qu'elle fait de les vouloir
entendre , & qu'elle ofe lui réitérer en
( c ) Les autres font des efpéces de Concubines
autorisées par les Loix.
36 MERCURE DE FRANCE.
me incapable de pouvoir être d'aucun
fecours à fon père. )
Elle eft arrêtée par les Domeftiques
du Mandarin Nan-Hayan , & conduite
au Tribunal du Mandarin fupérieur, qui
la condamne à perdre la tête. ( b ) Arrivée
au heu de l'exécution ( qui fe fait à
minuit & au flambeau ) le jeune homme
qu'elle avoit ci - devant affifté & dont
elle avoit pris la mère à fon fervice , s'y
rencontre par hazard. Au moment où
celui qui tient la prétendue coupable lui
(b) Ou l'Auteur de cette Piéce ( ainfi que nos
Tragiques modernes ne s'eft point piqué d'obferver
les ufages de fon Pays , ou il en fixe l'époque
à des temps antérieurs à l'établiffement de
ces mêmes ufages. Car il faut aujourd'hui des cas
biens preffans & bin extraordinaires , pour qu'il
foir permis à un Mandarin de prononcer une Sentence
de mort définitive .
N. B. Il eſt plus infamant à la Chine d'être decapité
que d'être pendu : les Chinois étant extrêmement
jaloux de conferver leurs corps entiers
après leur mort. Le condamné n'eſt pas exposé
fur un échaffaut ; on le fait mettre à genoux
dans quelque place publique les mains liées derrière
le dos une feule perſonne le tient ferré de
façon qu'il ne peut remuer , tandis que l'Exécuteur
, arrivant par derrière , lui enléve la têre
d'un feul coup & en même temps le renverfe
fur le dos avec tant de dextérité , qu'il ne tombe
pas même une feule goutte de fang fur les habits
du Patient. Duhalde , vol. 1. P. 4. vol. 2. P.
299.
JUILLET. 1762. 37
S
t
arrache du front le papier où eft infcrit
fon crime & que le Bourreau
s'approche pour la frapper ; le jeune
homme la reconnoît , arrache une épée
des mains de l'un des Officiers , attaque
les autres , les met en fuite , & fe fauve
avec elle.
Mais après avoir été repris , ils font
remenés vers le Mandarin qui avoit ordonné
l'exécution : où le jeune homme
lui apprend que cette Dame n'eſt pas
celle que l'autre Mandarin avoit enfermée
& voulu retenir dans fa maiſon. Ce
qui , après information faite , s'étant trouvé
véritable , le Mandarin inférieur eft
condamné au même fupplice qui avoit
été infligé à la jeune Dame.
Alors le Mandarin fupérieur abfout
le jeune homme & l'engage à demeurer
à fon fervice comme très propre à être
employé dans fes affaires de galanteries .
Il tombe en même temps amoureux de
la jeune Dame , qu'il fe détermine à
prendre pour première époufe (c ) , &
ordonne à fes autres femmes de la difpofer
à fe foumettre à fes defirs.
Sur les refus qu'elle fait de les vouloir
entendre , & qu'elle ofe lui réitérer en
( c) Les autres font des efpéces de Concubines
autorisées par les Loix.
36 MERCURE DE FRANCE.
me incapable de pouvoir être d'aucun
fecours à fon père.
Elle eft arrêtée par les Domeftiques
du Mandarin Nan- Hayan , & conduite
au Tribunal du Mandarin fupérieur , qui
la condamne à perdre la tête. ( b ) Arrivée
au lieu de l'exécution ( qui fe fait à
minuit & au flambeau ) le jeune homme
qu'elle avoit ci - devant affifté & dont
elle avoit pris la mère à ſon ſervice , s'y
rencontre par hazard. Au moment où
celui qui tient la prétendue coupable lui
( b) Ou l'Auteur de cette Piéce ( ainfi que nos
Tragiques modernes ne s'eft point piqué d'obferver
les ufages de fon Pays , ou il en fixe l'époque
à des temps antérieurs à l'établiflement de
ces mêmes ufages . Car il faut aujourd'hui des cas
biens preffans & bin extraordinaires , pour qu'il
foir permis à un Mandarin de prononcer une Sentence
de mort définitive .
N. B. Il eft plus infamant à la Chine d'être decapité
que d'être pendu : les Chinois étant extrêmement
jaloux de conferver leurs corps entiers
après leur mort. Le condamné n'eſt pas exposé
fur un échaffaut ; on le fait mettre à genoux
dans quelque place publique les mains liées derrière
le dos une feule perfonne le tient ferré de
façon qu'il ne peut remuer , tandis que l'Exécuteur
, arrivant par derrière , lui enléve la tête
d'un feul coup & en même temps le renverfe
fur le dos avec tant de dextérité , qu'il ne tombe
pas même une feule goutte de fang fur les habits
du Patient. Duhalde , vol. 1. p. 4. vol . 2. p.
299.
JUILLET. 1762. 37
,
arrache du front le papier où eft infcrit
fon crime & que le Bourreau
s'approche pour la frapper ; le jeune
homme la reconnoît , arrache une épée
des mains de l'un des Officiers , attaque
les autres , les met en fuite , & fe fauve
avec elle.
Mais après avoir été repris , ils font
remenés vers le Mandarin qui avoit ordonné
l'exécution : où le jeune homme
lui apprend que cette Dame n'eſt pas
celle que l'autre Mandarin avoit enfermée
& voulu retenir dans fa maiſon. Ce
qui , après information faite , s'étant trouvé
véritable , le Mandarin inférieur eſt
condamné au même fupplice qui avoit
été infligé à la jeune Dame.
Alors le Mandarin fupérieur abfout
le jeune homme & l'engage à demeurer
à fon ſervice comme très propre à être
employé dans fes affaires de galanteries.
Il tombe en même temps amoureux de
la jeune Dame , qu'i fe détermine à
prendre pour première époufe ( c ) , &
ordonne à fes autres femmes de la difpofer
à fe foumettre à fes defirs.
Sur les refus qu'elle fait de les vouloir
entendre , & qu'elle ofe lui réitérer en
( c ) Les autres font des efpéces de Concubines
autorisées par les Loix.
38 MERCURE DE FRANCE .
face , il leur ordonne de la maltraiter &
de la faire expirer fous leurs coups : ce
qui s'exécute affez. cruellement pour
qu'elle foit crue morte . Alors il commande
au jeune homme nouvellement
entré à fon fervice , d'emporter le corps ,
& de le jetter dans le fleuve.
Le jeune homme porte ce corps au
bord de l'eau ; mais au lieu de le jetter
dans le fleuve , il fe dépouille , le couvre
de fes habits ; & après avoir déploré
le fort d'une aimable femme à qui il devoit
tant de reconnoiffance , il fe hâte
de lui aller acheter un cercueil. ( d)
Cependant un Vaiffeau arrive ; & les
gens de l'équipage appercevant ce corps
dont les habillemens leur indiquent une
perfonne hors du commun , & qui donnoit
quelques fignes de vie , fe déterminent
à l'emporter
.
Ce font des Sujets de la Reine de
( d) Les Chinois ſemblent craindre moins la
mort que d'être enterrés fans cercueil . On voit
avec étonnement comblen ce foin feul les occupe,
& combien il leur coûte pour en avoir de riches
& de recherchés foit pour eux- mêmes , foit pour
leurs amis. C'eft , fuivant eux , le premier & le
plus facré devoir de la Piété ; & ce devoir eft
pouffé fi loin , qu'on voit quelquefois des enfans
engager ou vendre tous leurs biens pour acheter
un beau cercueil à leur père. Duhalde , vol . I.
p. 280. 306.
JUILLET. 1762. 39 .
Tartarie qui , alors en guèrre avec les
Chinois , & ayant befoin de femmes ,
avoit envoyé des Corfaires pour en enlever
fur les côtes de la Chine . Ces mêmes
Corfaires avoient déjà enlevé la
mère du jeune homme qui accompagnoit
la jeune Dame dans la Pagode
dont on a parlé , ainfi que la jeune fille
de la Marchande de thé, en place de laquelle
la jeune Dame avoit penfé perdre
la tête.
Cependant le jeune homme revient
au bord du fleuve , & ne retrouvant
plus le corps de la jeune Dame , retourne
chez le Mandarin fupérieur , auquel
il dit qu'il a exécuté fes ordres.
Mais les chofes avoient changé de
face. Ce Mandarin , dans l'intervalle ,
avoit appris de qui la jeune Dame étoit
fille ; il étoit dans la plus grande affliction
; & pour prévenir le reffentiment
du père de cette infortunée. Il ordonne
au jeune homme de chercher ce Mandarin
difgracié , & de l'affaffiner.
A
Le jeune homme feint d'entreprendre
cette recherche ; & rencontre ce même
Mandarin profcrit , avec lequel ( fans le
connoître ) il lie une efpéce d'intimité.
Ce malheureux père , après quelques
éclairciffemens entr'eux , für que le jeu40
MERCURE DE FRANCE .
ne homme n'a pas deffein de lui nuire
fe fait connoître à lui. Leurs reffentimens
font égaux contre le Mandarin fupérieur
, qui les a également offenfés : ils
projettent de s'en vanger en le tuant ; &
le projet eft exécuté fur le champ.
Le jeune homme alors prend le par
ti , pour éviter les recherches de la Juftice
, d'aller à la guèrre contre les Tar
tares. Il s'y comporte avec la plus grande
bravoure ; & dans une bataille où les
femmes combattent avec les hommes
( fuivant la coutume que l'on fuppofe
aux Tartares , de ce temps-là ) il rencontre
fa mère , la fille du Mandarin , & la
fille de la Marchande de thé.
Cettte reconnoiffance eſt également
furprenante pour tous les perfonnages.
Sur quoi le jeune homme , quoique
vainqueur des Tartares , fe détermine
à faifir la première occafion de fe faire
prendre prifonnier de guèrre , afin d'être
conduit chez eux.
Les femmes , de leur côté , repréfentent
à la Reine de Tartarie qu'elles ne
peuvent plus combattre contre un ennemi
qui leur eft trop cher pour qu'elles
rifquent plus longtemps de répandre
fon fang , ou de l'expofer à répandre le
leur.
JUILLET. 1762. 41
Mais le jeune homme , qui s'eft fait
prendre de deffein prémédité , eft amené
dans ce moment devant la Reine , à qui
il déclare les raifons qui l'ont forcé d'agir
ainfi.
La Reine , fenfiblement touchée du
récit de cette hiftoire , rend la liberté aux
trois femmes , & charge le jeune homme
d'en prendre foin . Vaincue enfin par les
difcours vertueux de ce Guèrrier , elle
confent à la paix avec les Chinois , &
fe retire dans un Couvent ou Pagode de
Bonzeffes ( e ) dont elle prend l'habit.
Le jeune homme & les trois femmes
retournent à la Chine , où ils retrouvent
le Mandarin , père de la jeune Dame ,
rétabli dans fon rang & fes honneurs.
Le retour de fa fille le comble de joie.
Il la donne , en qualité de première ou
principale époufe , aujeune homme , qui
alors prend la jeune fille de laMarchande
de thé pour feconde .
( e ) Il y a à la Chine des Pagodes ou Monaftères
remplis de Bonzes , qui font des espéces de
Moines de même il y en a de Filles appellées
Nien ou Bonzeffes , qui vivent a peu- près de la
même façon. Elies fe râfent la tête , renoncent au
mariage , & s'abftiennent de la fréquentation
des hommes . Mais ces Monaftères ne font pas
nombreux , ni affujettis à la clôture . Duhalde ,
vol: I. p. 18. mod. univ. 8. p. 175. Nieuhoff ,
P. 59.
42 MERCURE DE FRANCE.
•
L'Empereur de la Chine , informé des
fervices rendus par le jeune homme , lui
donne la Patente de Mandarin fupérieur,
& lui en envoie l'habillement . Le nouveau
Mandarin fait habiller fa mère &
fes deux femmes conformément à la
qualité qu'il vient d'acquérir; & les félicitations
de leurs amis communs terminent
agréablement la Piéce.
REMARQUES fur cette Piéce.
>
CETTE Piéce a été trouvée parmí
les papiers de la perfonne à qui nous
devons la traduction de l'Hiftoire amufante
de Han-Kiou Choan * & nous
fournit un fecond échantillon en Langue
Européenne du talent des Chinois
pour la compofition dramatique : l'Orphelin
de la Maifon de Chao , publié
par le P. Duhalde , étant le feul qui
l'ait précédé.
ےک
Quoique les Chinois ne mettent aucune
différence entre la Tragédie & la
Comédie , cependant comme la Piéce
fuivante différe à plufieurs égards de
* Imprimée à Londres , chez Dodsley
1761. 4 vol. in-12,
en
JUILLET. 1762. 43
celle du P. Duhalde , puifque les perfonnages
font d'un rang fubalterne`, &
que les incidens n'en font à beaucoup
près ni fi tragiques ni fi importans ;
I'Editeur a d'abord été en doute , fçavoir
s'il ne devoit point la regarder
comme une espèce d'échantillon de la
Comédie Chinoife : mais après avoir
propofé la Queftion à un François de
fes amis verfé dans la connoiffance du
Théâtre de toutes les Nations ; voici
quelle fut fa réponſe .
» Il ne paroît pas aifé de prononcer
" fur le genre de la Piéce que vous
" m'envoyez , puifque vous n'en avez
» que l'Extrait , ou plutôt le fquelette.
» J'y trouve pourtant quelque eſpèce
» d'unité , quoique chargée de trop de
faits , quoique le commencement
de
» l'action foit prodigieufement
éloigné
» de la cataſtrophe , & qu'elle foit con-
» duite avec bien peu d'art. Je ne crois
» pourtant pas qu'on puiffe la donner
» comme un modéle de la Comédie
Chinoife : car quoique les caractères
qu'on y préfente manquent d'élé-
» vation , & les événemens d'importan-
» ce , ces défauts ne bleffent pas ce qui
» conftitue éffentiéllement
l'un & l'autre
» Drame. L'éffence de la Comédie eft
44 MERCURE DE FRANCE .
» de peindre les caractères & les moeurs;
» celle de la Tragédie d'éxciter la ter-
" reur & la pitié. Je trouve pourtant,
» dis-je , quelque efpèce d'unité dans
» l'action de celle- ci , quoique la con-
» dute en foit auffi groffère qu'em-
» baraffée ; le manque de dignité dans ,
» les perfonnages & dans les événemens
n'indique qu'un défaut dans
» la compofition du Drame , mais n'al-
" tée point la nature du Poëme . George
» Barnewel, ou le Marchand de Londres,
» n'eft pas moins une Tragédie , quoi-
» que ks perfonnages n'en foient point
» illuftres , & qu'il n'y foit question ,
» que des malheurs d'une famille bour-
" geoife. Mais ce n'eft pas fans quelque
""
"
efpèce d'art que l'Auteur Chinois eft
» parvenu à nous intéreffer au fort de
» fes principaux perfonnages . Notre
» compaffion eft auffi fortement exci-
» tée à la vue de la Matrône Chinoife &
» de fon fils , au comble de la mifére
» & quoiqu'avec répugnance obligés à
» vivre d'aumônes , qu'à celle du favo-
» ri des Rois dans un affreux Donjon .
» La terreur naît enfuite des différens
» maux qu'ils éprouvent & des périls aux-
» quels ils vont être expofés ; & plus
» nous admirons l'héroifme de leur
JUILLET. 1762. 45
» conftance , plus nous nous intéreffons
" à leur fortune , jufqu'au moment où
» la cataſtrophe améne ce point de mo-
»rale important : Qu'il n'eft aucune fi-
» tuation difficile , aucun danger dont la
» vraie vertu ne triomphe..
D. L. P.....
A M. de GRANDMENIL , Avocat
au Parlement.
EP ITR E.
AMI , je renonce aux faveurs
Du Dieu de la Troupe Immortelle ;.
De la Mufette de Chapelle
Je n'ai point les fons enchanteurs.
Encore fi de Polymnie ,
Suivant les tons ambitieux ?
Chantre des Héros & des Dieux ;
J'avois leur âme & leur génie :
Mais non , du céleſte flambeau
Qui les anime & les éclaire,
Une étincelle trop légére
Apeine échauffa mon berceau.
Je ne connois point cette ivreffe
Ces égaremens , ces tranfports ,
Qu'enfante le Dieu du Permeffe
46 MERCURE DE FRANCE.
Par le charme de fes accords.
Déja de ma vive jeuneſſe
Je lens s'amortir les ardeurs :
Songes rians ,
douces erreurs
Vous fuyez la trifte Sagelſe !
•
91
Ami , j'en écoute la voix ;
C'eft elle feule qui m'inſpire ;
Et quoique mon coeur en foupire ,
Je dois m'affervir à fes loix.
Quittons un langage biſarre ,
Que la Raifon ne connoît pas s
Qui trop fouvent peint l'embarras
D'un efprit troublé qui s'égare.
La douce & naïve amitié
Celle bientôt d'être piquante ,
Si la Nature complaifante
N'eft avec elle de moitié.
Sans appareil & fans nuage ,
Riché de fa feule beauté ,
Elle fuit le vain etalage
D'un Sentiment trop affecté.
Dans la noble Simplicité ,
Plus modefte & non moins touchante ,
La Profe me plaît & m'enchante
Par la naive liberté.
Que j'aime ce ruiffeau tranquille ,
Toujours retenu dans fes bords ,
Qui fuit fans trouble & fans efforts
Sa pente légère & facile !
JUILLET. 1762. 47
Du doux murmure de ſes eaux
Mon âme n'eſt point agitée ;
Et la Nayade épouvantée
Ne s'enfuit point dans fes roſeaux.
Son onde pure & plus féconde ,
Que ces torrens impétueux
Qui dans leur courſe vagabonde
Franchiffent des rochers affreux ,
N'a rien à craindre des ravages
De l'Aquilon dans Tes fureurs ,
Et voit fur fes humbles rivages
Germer & naître plus de fleurs.
Ami , de ce tableau fidéle ,
Ma Minerve a formé les traits ;
Mais je l'entends qui me rappelle
Des fentiers où je m'égarais.
Douce erreur , féduiſante ivreſſe ,
Je vois le charme qui vous fuit !
N'oppoſez plus à ma ſageſſe
Un langage qui la féduit :
Peut-être mes efprits rebelles
Reprendroient un nouvel éffor.
Au feu qui confume ſes aîles ,
Le Papillon revient encor.
R.... P. D. S. A. Secrétaire perpétuel de
l'Académie d'Angers.
48 MERCURE DE FRANCE.
LE ROSSIGNOL , LA FAUVETTE
UN
ET SA MERE .
FABLE.
N Roffignol épris d'une Fauvette ,
Pour lui plaire , inventoit les plus belles chansons ;
Amoureuſe de tous les fons
Avec lui quelquefois concertoit la Folette :
Puis s'arrêtant : je ne fçais rien .....
Chantez , vous feul?... Encore!...
chantez bien !
Ah ! que vous
Doux Roffignol , comment imiter ce paſſage ?
Il me charme plus je l'entends .
Sa mère qui de ces accens
Dans fon coeur fatisfait s'attribuoit l'hommage ,
S'extafioit auffi de fon côté.
Ivre d'amour & d'encens entêté ,
Bornant à l'ombre d'un feuillage
Un talent qui pouvoit remplir tout le boccage ,
Mon Roffignol ne fe fit point un nom ,
Et mit Fauvette en fort mauvais renom .
'Artiftes , préférez les attraits de la Gloire
Aux frivoles plaifirs des rapides Amours.
Vous , Mères , ne foyez affez bonnes de croire,
Qu'un Roffignol chante toujours.
Par M. GUICHARD.
DISCOURS
JUILLET. 1762. 49
DISCOURS prononcé le jour de la
S. HUBERT.
NOBLES enfans du grand Hubert ,
Vous qui fuivez fes pas , vous qu'un projet illuſtre
A raffemblés dans ce deſert ,
Partez , difperfez -vous , pour aller de concert
A vos rares exploits donner un nouveau lustre.
Ce beau jour , par vos foins , célébré tous les ans ;
D'un feſtin apprêté des mains de l'allégreſſe ,
Offre à vos yeux charmés les mets appétiſfans ,
Et de mille plaiſirs auſſi vifs qu'innocens ,
Enchaîne autour de vous la troupe enchantereffe,
De votre faint Patron , imitez les vertus
Parcourez les vaftes campagnes ,
>
Les fertiles vallons , les arides montagnes ,
Et les fentiers les moins battus.
Allez , que rien ne vous arrête ,
Que le gibier craintif qui fira devant vous ,
Périffe à l'inftant fous vos coups.
Que le bruit de la foudre annonce fa défaite .
Mille Peuples , de moeurs & d'habits différens ,
De ce noble exercice ont toujours fait ufage ,
Et le noir Africain , & l'agile Sauvage ,
Peuples infortunés , & groffiers ignorans ,
Dans la nuit de l'erreur plongés de tous les temps;
II. Vol. C
5 MERCURE DE FRANCE.
En ont reconnu l'avantage.
Chez les Peuples polis il fait l'amour du Sage ,
Et le bonheur des Conquérans:
La chaffe fut toujours l'école du courage.
O toi qui nous as raſſemblés,
Daignes , divin Hubert , favoriſer nos armes ! …...
Habitans de ce bois , tremblez ,
La mort fuit de près vos allarmes .
Bientôt avec agilité ,
Nos chiens vont vous livrer une cruelle guèrre :
Vous aurez beau , pour fuir une fatale tèrre ,
Ou voler , ou courir avec rapidité ;
Le chaffeur contre vous va lancer le tonnèrre ,
Et de votre trépas l'inftant eft arrêté.
L'ardeur qui vous entraîne , amis , eſt légitime :
Poursuivez vos brillans travaux ,
L'homme est né pour régner, ſur tous les animaux,
Il peut les immoler fans crime.
La victoire s'apprête , à voler ſur vos pas.
Le Lapin a quitté la paiſible taniere ;
Et fur l'herbe endormi le Liévre ne croit pas
Toucher à fon heure derniere.
Mais c'est trop en ces lieux vous tenir arrêtés ;
J'entends de toutes parts le cor qui vous appelle ;
Partez , braves amis , joignez l'adreſſe au zéle :
Allez par mille coups , heureufement portés ,
Mériter à l'envi la palme la plus belle.
Tandis que de vos faits , admirateur fidéle ,
JUILLET. 1762. SI
Si je ne puis vous fuivre avec la même ardeur ;
Du moins ,le coeur rempli d'une audace nouvelle ,
J'irai du Dieu des vers implorer la fureur ,
Pour peindre en traits de feux votre gloire immor
telle .
Par M. FRANÇOIs , ancien Officierde
Cavalerie.
MADRIGAUX
DONNÉS DANS UN BAL.
A Madame de P..... mariée depuis peu.
V ous avez tout pour plaire & pour féduire :
Mais votre choix eft déja fait ;
Et l'on voit par l'hymen d'un couple ſi parfait ,
Que l'amour à nos yeux, cherche à ſe reproduire.
S₁
AUTRE.
A Madame de S....
tournant vers ces murs fon vol audacieux ,
La Difcorde y jettoit une pomme nouvelle ,
Et que nouveau Pâris , je duſſe dans ces lieux ,
La préfenter à la plus belle ;
J'en ferois , fur le champ , hommage à vos beaux
yeux.
C ij
52 MERCURE DE FRANCE.
QUAN
AUTR E,
A Mademoiselle Au.....
UAND on joint comme vous le fléxible gofier
De la touchante Philomelle ,
A l'éclat féduifant de la rofe nouvelle ,
Au minois le plus régulier,
A la plus piquante prunelle ,
Et qu'avec tant d'attraits, on ne ſe croit pas belle
On eft digne des voeux de l'Univers entier.
AUTRE,
A Mademoiselle C....
QU'UN autre vous compare à Vénus , àMinerve :
On vante vos attraits en des termes plus doux.
Pour louer dignement un objet tel que vous ,
Je ne connois qu'un mot qui ferve ;
Vous êtes jeune & belle, & nous vous aimonstous,
Par le même.
JUILLET. 1762 . $3
LE POUVOIR DE L'AMOUR.
SONNE T.
ENNFFIINN je fuis les loix du plus charmant des
Dieux .
Longtemps j'ai mis ma gloire à braver fon empire
;
Et craignant d'éprouver les douceurs qu'il inſpire
J'ai fui de ſes préſens le poiſon dangereux .
Mais qu'il m'a bien contraint de former d'autres
voeux !
Je ne vis pas plutôt l'adorable Thémire ,
Que cédant aux tranſports d'un amoureux martyre
,
Je fentis en mon coeur naître les premiers feux.
Un défordre inconnu s'empara de mon âme.
Envain , pour m'oppofer aux progrès de ma flâme,
J'enviſage le fort des amans malheureux .
Quel mortel de fes traits n'eût fenti la bleſſure ?
Elle avoit à Vénus dérobé fa ceinture ,
Et l'amour d'un foûrire animoit fes beaux yeux !
L... de B ... d'Orléans .
C iij
54 MERCURE DE FRANCE .
ODE fur la mort de M. JOLYOT de
CRÉBILLON , l'un des Quarante de
l'Académie Françoife .
Exegit Monumentum ære perennius ,
Regalique fitu pyramidum.
Horace .
QUEL ſpectacle eft offert à mon âme éperdue !
Que vois-je ! dans mes fens la crainte eſt répandue
!
Eft-ce ici le féjour qu'habite la terreur ?
Eſt- ce ici du néant la demeure fatale ?
Quelle nuit infernale
Enveloppe ces lieux des voiles de l'horreur !
La lugubre clarté de cent torches funébres ,
Plus triftes mille fois que ces noires ténébres ,
Vers un Temple odieux guide mes pas érrans.
Un marbre enfanglanté couronne fes portiques ,
Dont les débris antiques
Semblent braver encor les menaces du temps.
Sur un Autel d'airain , la Mort, la Mort affife
Tient pour fceptre une faulx que la Fureur ai
guife :
A les yeux eft ouvert le Livre des deſtins.
JUILLET. 1762. 55
De fes Arrêts facrés Miniftres redoutables ,
Les douleurs lamentables
Entraînent à fes pieds la foule des humains ;
Et ce fier Potentat , qui , gonflé d'arrogance ,
Accable l'Univers du poids de fa puiffance ;
Et l'Esclave courbé fous le faix des travaux ,
Tout eft en un inftant difparu dans l'abîme ;
Tout du néant victime ,
Périt également dans le fond des tombeaux.
Les torches à la main , échauffant le carnage ,
Bellone fur les morts fe frayant un paffage ,
De rivieres de fang inonde les Autels :
L'Amour qui , fous des fleurs , mafque fa perfidie ,
D'une main plus hardie
Sacrifie à la mort des milliers de mortels.
Dans ces funeftes lieux,quel vieillard reſpectable
A dévoué le Temps au Trépas indomptable !
Le fceptre des beaux Arts éclare dans ſa main ;
Sa voix rappelle au jour les Monarques célébres ,
Qui , des féjours funébres ,
S'empreffent à l'envi de paffer dans fon fein.
Maître des paffions qui captivent notre âme ,
Il l'émeut à fon gré , l'attendrit , ou l'enflamme :
Quoi ! la Mort a fur lui levé fes bras vengeurs !
Cruelle Mort , arrête ! ... il fe débat , il tombe ;
Civ
56 MERCURE DE FRANCE .
Et la nuit de la tombe
L'enferme pour toujours, & le cache à nos pleurs.
Dérobez , ô , François , vos honteufes allarmes !
Cet inftant que le Peuple enviſage avec larmes ,
Eft l'épreuve de l'homme , & l'inftant du Héros
Tant qu'il traîne ici - bas les chaînes de la vie ,
Les voiles de l'Envie
Obſcurciffent toujours l'éclat de les travaux.
Mais fitôt que fon âme à fes deftins fidelle ,
Dépouillant les dehors de fa forme mortelle ,
Va boire le nectar dans la coupe des Dieux ;
Alors des fentimens le coeur eft l'interprête ,
Et fa cendre muette
Eft même refpectable à F'oeil de l'envieux.
Immortel Crébillon ! les Filles de Mémoire
Ont fixé pour jamais les degrés de ta gloire :
Ton nom des plus fameux égale la hauteur.
Eh ! qui fçut mieux que toi , des fils de Melpomène ,
Déployer fur la Scène ,
De forfaits inouïs la furprenante horreur ?
Ce monftre au coeur de fer , c'eſt l'infléxible
Atrée.
Voyez de quelle main , par le crime affurée ,
Il préfente à fon frère un vafe horrible , affreux,
Tu demandes ton fils , infortuné Thiefte :
O vengeance funefte !
JUILLET. 1762 . 57
Ton fils eft tout entier dans tes flancs malheureux.
[ Quel fang vient de couler dans les murs de
Micène !
Un couple fcélérat , réuni par la haine ,
Dans le fein maternel enfonce le couteau.
Tremblez , fils inhumains , le fouffle des Furies ,
Dans vos âmes impies ,
Du remords dévorant allume le flambeau.
Que les foins d'Ifménie * ont à mes yeux de
charmes !
D'un époux criminel enchaînant les allarmes ,
De fes cruels malheurs elle adoucit le faix ;
Mais les Dieux l'ont marqué du ſceau de leur colère
,
Et la main de fon fère ,
Par des forfaits plus grands , venge encor fesforfaits.
Ainfi dé la terreur , aux humains fi fatale ;
Tu fçais nous faire aimer la Pompe fépulchrale ;
Avec des flots de fang tu fais couler nos pleurs.
Quoi ** de l'ambition tu fondes les abîmes ,
Et la mère des crimes
Te développe auffi fes fombres profondeurs !
* La Tragédie de Rhadamifte.
** Celle de Catilina.
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
Ce Vieillard immortel, dont la main lente & sûre,
Reproduit à la fois & détruit la nature ,
Dans fon rapide vol redouble tes éfforts :
Ton efprit , difpenfant des torrens de lumière ,
Au bout de fa carrière ,
S'éleve encor plus haut en les rares accords.
Je reconnois la voix du Défenſeur * de Rome ;
Ce font là tous les traits , l'empreinte du grand
Homme :
C'eſt ainſi qu'il tomba fous le couteau fanglant .
Quels cris tumultueux ! le poiſon de l'Envie ,
Epandu fur ta vie ,
Infecte de tes jours le refte chancelant .
Laiffons ce vil Pithon exhaler fes blafphêmes ;
Des criminels humains les murmures extrêmes
Altérent- ils jamais le front calme des Dieux ?
Un tranſport inconnu m'appelle à l'Empirée ;
De la voûte azurée
Les chemins tout-à- coup font ouverts à mes yeux.
Quelle Divinité , dans fon orgueil fuprême ,
Empruntant de la Mort l'éffrayant diadême ,
Raflemble à fes côtés la troupe des Malheurs ?
Son front eft obfcurci du deuil de la Trifteffe ;
A fes pieds la Tendreffe
Grave , en lettres de fang , fes tragiques douleurs.
* Le Triumvirat qu'il fit à l'âge de quatrevingt-
un ans , & qui fut injuftement attaqué.
JUILLET. 1762 . 59
Corneille , pour Romain adopté même à Rome ,
Racine , l'interprête & le peintre de l'homme ,
Sont , d'un tribut de pleurs , pour encens , honorés
:
Là , mon divin Héros , guidé par la Mémoite ,
Sur un rayon de gloire ,
Du Sanctuaire augufte occupe les degrés.
Pardonne , Crébillon , aux éfforts de ma lyre !
Si mes fens tranſportés par un heureux délire ,
Ont retracé ta gloire aux fiécles à venir ;
Couronne mes accords , & tranfmets dans mon
ame ,
Cette célefte flamme ,
Qui fait des noms fameux vivre le fouvenir.
VERS à M. DU BELLOY , furfa
Tragédie de ZELMIRE ,
QUEL chef-d'oeuvre nouveau paroît fur notre
Scène !
Quels traits frappans ! quels coups hardis !
Quel attrait féduifant , quel intérêt enchaîne
Tous les coeurs & tous les efprits ?
Zelmire , Polidore , Ilus , & Rhamnès même ,
Tout attendrit juſques aux pleurs.
La Nature , l'Amour , la Piété fuprême ,
La fermeté d'un Roi blanchi dans les malheurs ,
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
Le zèle d'un Sujet , fans fecours , fans défenſe ,
J'y vois tous les devoirs tracés également ,
Les vertus triompher au comble du tourment ,
Et le crime en tremblant accabler l'innocence.
Le Théâtre fans doute , élégant Du Belloy ,
Te doit un nouveau luftre , inconnu juſqu'à toi ;
Et fi Melpomene regrette
*
L'un de fes plus chers favoris ,
Bientôt de ce grand Art touchant déja le prix ,
Tu pourras réparer la perte qu'elle a faite.
* M. de Crébillon .
LE
E mot de la premiere Enigme du
premier volume de Juillet eft la cuirafe.
Celui de la feconde eft le fleuve.
Celui du premier Logogryphe eft Replique
, dans lequel on trouve Relique ,
Pere , pli, Elie , Pie , épi. Celui du fecond
eft Enigme. On y trouve Egine ,
Neige , Gien , Mine , Génie Mein
Gêne , Mie , Nie , Mi , Mien.
ENIGM E.
,
Je vois le jour & n'eus jamais de père ;
Je n'habitai jamais la tèrre ,
Je ne nâquis point fous les eaux ,
JUILLET. 1762. 61
Et je ne fus jamais du nombre des oiſeaux.
Chacun comme il veut me fait naître :
Mais auffi - tôt je ceffe d'être ;
Et le moment qui commence mon fort ,
Voit prèfque en même temps ma mort.
J'ai pour retraite un fort étroit paffage ,
Et fuis d'un néceffaire ufage.
Jeft
AUTRE.
E fuis d'une , de deux , même de trois couleurs.
Un habit en naiffant m'environne la tête.
Bien des amans qui me font fête
Par d'innocens baiſers me prouvent leurs ardeurs.
L'un m'aime un feul moment , l'autre un jour ,
l'autre une heure.
Quand on m'a fait fortir du lieu de ma demeure,
Je me vois transformée en plus d'une façon .
Héros après la mort vous vivez dans l'Hiftoire ;
Moi , je puis me donner la gloire
D'avoir fait compofer an roman fous mon nom ,
ལྕ་་་
62 MERCURE DE FRANCE.
1
LOGO GRYPHE.
Αυχ ux dépens de la Vérité ,
Je ne veux pas illuftrer ma naiſſance ,
Ni briller à tes yeux d'un éclat empruntés
A la mauvaiſe foi je dois mon éxiſtence.
Ce début n'eſt pas beau ; cependant, cher Lecteur ,
Quoique l'homme de bien m'évite & me haïffe ,
Pour découvrir le crime , & punir fon auteur
Souvent je fers à la Justice.
J'ai fini mon portrait , avec quelques efforts ,
S'il ne te fuffit pas , tu pourras me connoître ;
Ouvrant mon fein confultant mes refforts
Tu trouves ce qui fait l'anıbition d'un Prêtre ;
L'idole d'un avare , un regiſtre infamant ;
Une Ville Normande ; un Pays d'Amérique
En richeffe abondant ;
Pour rimer j'ai besoin de note de mufique ,
Je t'en offre une ; puis un métal précieux ;
Un arbre dont le front fe cache dans la nue ;
Et pour finir enfin mon récit ennuyeux ,
L'animal dont , aux Juifs , la chair fut défendue.
Par un Membre fubalterne du Bailliage de
Soiffons.
JUILLET. 1762 . 63
AUTRE.
D'OBLIGER les humains je me fais une étude;
Je fais naître le frais, le calme & le repos.
Mais , ô fatale ingratitude !
Ce que
A l'inftant où j'oblige on me tourne le dos.
Tu vois en mes huit pieds une route ufitée ,
Et furtout à Paris : combine bien , Lecteur ;
Cet animal adroit , plaifant , imitateur ;
Cet autre dont la voix parmi nous eſt vantée ;
fait en cachette à fon heureux amant ,
Une jeune beauté qui près de foi l'appelle ;
Ce qu'à l'oeil curieux voile modeftement
Celle qui fuit les loix d'une vertu cruelle ;
D'un Peuple Mirmidon l'éternel ennemi ;
Le titre d'un mortel fur le Trône affermi ;
Celui de fa compagne auguſte & revérée ;
Ce qu'employe avec art l'efprit faux & malin ;
Unfubftantif françois , un adjectif latin
Défignant l'un & l'autre une couleur femblable ;
Ce qui porte le feu dans fon flanc redoutable.
C'est trop t'embarraffer , ami , repoſe- toi ;
Et te garde le Ciel d'avoir beſoin de moi !
Par M. MACÉ , du Village de Sommeri,
près de Fontainebleau.
64 MERCURE DE FRANCE.
PENSEZ-Y BIEN , PENSEZ-Y
MIEUX .
CHANSON.
AIR : Sans le fçavoir.
PENSEZ-Y
ENSEZ-Y bien , mon cher Narciffe
La Médifance eft un grand vice ,
Ne vous rendez pas odieux.
Si quelquefois j'ai la manie
De mettre le vrai fous les yeux ,
Vous donnez dans la calomnie :
Penfez y mieux.
Penfez-y-bien , jeune Clarice ,
Vous vous creuſez un précipice ,
Un Amant eft trop dangereux.
Un feul Amant que l'on époufe
Fait notre éloge , & plaît aux Dieux.
Mais étant femme , en avoir douze :
Penfez-y mieux.
Penfez-y-bien , mon cher Valère ,
Vous aimez trop la bonne chère ,
Et l'excès du vin eft affreux.
Quan je bois c'eſt avec Climène ,
Et Bacchus cède à fes beaux yeux.
Aux plus grands maux le jeu vous mène.
Penfez-y mieux.
JUILLET. 1762.
65
Penfez-y-bien , mon cher Ergaſte ,
Toujours bâtir tient trop du faſte ,
Voyez le toît de vos Ayeux.
Je ne m'attache qu'au folide
Qui doit paffer à mes neveux.
Vos gens , vos chiens feront un vuide.
Penfez-y mieux .
Penfez-y-bien , mon cher Arifté ,
Votre air commun , mauffade & trifte
Des gens de goût bleffe les yeux .
Ainfi que vous je ne puis être
Vif, élégant & radieux .
Je fuis Rosbif, vous Petit-Maître :
Penfez -y mieux.
Penfez -y-bien , jeune Mélite ,
Trop d'amour-propre ôte au mérite
Le ton modefte & merveilleux.
J'en ai peut- être autant qu'une autre ;
Mais pourquoi d'un air précieux
Affichez-vous partout le vôtre?
Penfez -y mieux.
Par M. FUZILLIER , à Amiens.
66 MERCURE DE FRANCE .
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LA RÉPUBLIQUE DE PLATON ,.
ou Dialogue fur la Juftice , divifé en
dix Livres ; à Paris , chez Brocas &
Humblot, Libraires , rue S. Jacques ,
entre la rue des Mathurins & S.Benoît ,
au Chef S.Jean. 1762 , avecapproba
tion &privilège du Roi. 2 vol. in-12.
Notous avions déja une Traduction
Françoife de la République de Platon
par M. de laPilloniere , nom peu connu
dans la République des Lettres , & dont
l'Ouvrage mérite peu de l'être. Auffi
le nouveau Traducteur n'a-t -il pas craint
de reprendre le même travail , fcachant
bien qu'il ne pouvoit que gagner à la
comparaifon. Le Dialogue de Platon
n'avoit point encore été rendu en François
comme il l'auroit dû l'être ; car c'eft
ce que les Anciens nous ont laiffé de
mieux fur la Philofophie , & le Chefd'oeuvre
des écrits de ce Philofophe . Il
lui falloit donc un Traducteur qui fût en
état de tranfmettre en notre langue
JUILLET. 1762. 67
toutes les beautés de l'original. Il s'eft
heureufement rencontré dans l'Auteur
de cette nouvelle verfion auffi élégante
que fidelle. Il l'a de plus enrichie de notes
fçavantes qui répandent un grand
jour fur tous les endroits qui demandent
des éclairciffemens. Il a placé à la tête de
fa Traduction une préface très - étendue
& bien écrite , où il rend compte à la
fois & de fon travail & de l'Ouvrage
même qu'il a traduit. Nous ne pouvons
mieux faire que de le fuivre dans ce
difcours préliminaire ; c'eft la meilleure
Analyfe que nous puiffions donner du
Dialogue du Philofophe Grec.
Platon fe propofe deux chofes dans
cet entetien. 1°. de rechercher ce qui
rend l'homme jufte , ou en quoi confifte
fa juftice. 2°. de comparer la condition
de l'homme de bien avec le
méchant , pour décider laquelle des
deux eft préférable à l'autre. La premiere
queſtion vient à la fuite d'un entretien
,,
Socrate avec le vieillard Céphale.
Thrafymaque donne occafion à la feconde
, lorfque pour appuier fa définition
de la juftice , qu'il dit être l'intérêt
du plus fort , il ajoute que le bonheur
de l'homme croît en proportion de fa
méchanceté , pourvu qu'avec la volonté
de commettre le mal , il ait le pouvoir
68 MERCURE DE FRANCE.
de le commettre impunément. Socrate
réfute ce que Thrafymaque avoit avan
cé , & oblige enfin ce Sophifte à ſe
taire. Le premier Livre fert de prélude
aux fuivans , & la matiere y eft fimplement
ébauchée. La difpute fe renouvelle
au fecond Livre où Glaucon &
Adimante , frères de Platon ,reprennent
l'objection de Thrafymaque , & l'expofent
dans toute fa force. Les deux frères
veulent qu'on n'ait aucun égard aux
fuites bonnes ou mauvaifes de la justice
& de l'injuftice ; qu'on les confidére l'une
& l'autre en elles - mêmes & toutes
nues ; que fur l'examen de leur nature
& des effets qu'elles produifent dans le
coeur de l'homme , on décide fi le partifan
de la vertu eft plus heureux que
le partifan du vice. Pour parvenir plus
aifément à connoître ce que la justice
eft à l'égard d'un Particulier , Socrate
leur propofe de voir auparavant ce
qu'elle eft par rapport à une Société entiere
, leur faifant entendre qu'elle y
fera plus en grand , & beaucoup plus
facile à appercevoir ; de comparer enfuite
le grand modéle avec le petit , &
de fe fervir du premier comme d'un
moyen pour mieux connoître le fecond
; » Car , dit - il , ce qui rend l'état
» jufte , doit auffi rendre jufte le PartiJUILLET.
1762. 69
» culier ; tout doit fe rapporter de part
» & d'autre ; il ne peut y avoir de différence
que
du plus au moins ; ainfi
faifons une République , & voyons
» comment & par où la juftice & l'in-
» juftice s'y introduifent.
ود
Il remonte donc juſqu'à l'origine de
la Société civile. Il jette les fondemens
de fa République ; on la voit fe former
, croître , s'aggrandir . D'abord il
n'accorde aux citoyens de ce nouvel
état , que le pur néceffaire ; il les repréfente
tels que l'on conçoit d'ordinaire
les hommes dans l'état de nature ; & il
a foin de faire remarquer qu'une Ville
compofée de pareils habitans , eſt une
Ville faine , une Ville parfaite . Il les
met enfuite plus à l'aife ; il ajoute le
commode , le fuperflu même au fimple
néceffaire . Les Arts libéraux inventés
pour le feul plaifir , entrent dans cette
Ville avec tout l'attirail qu'ils traînent
après eux. Ce n'eft plus une Société
formée par un petit nombre d'habitans ;
c'eft un monde. Il partage ce Corps politique
en trois Ordres ; celui du Peuple
, celui des Guerriers , & celui des
Magiftrats ; & après avoir montré qu'un
état eft jufte , lorfque le Peuple & les
guerriers font foumis aux Magiftrats , &
70
MERCURE ' DE FRANCE.
les Magiftrats eux -mêmes aux loix , il
examine fi dans l'ame de chaque homme
, il y a trois partis qui répondent à
ces trois Ordres . Il trouve qu'en effet
la Raifon repréfente le Magiftrat ; le
Courage le Guerrier ; les Paffions le
Peuple ; d'où il conclut que l'homme
eft jufte lorfque le Courage & les Paffions
obéiffent en lui à la Raifon .
La nature de la juftice une fois connue
, il ne reste plus qu'à voir quels en
font les effets. Pour cela il reprend encore
fa comparaifon du gouvernement
politique avec le gouvernement intérieur
de l'homme . Il commence par diſtinguer
cinq fortes de gouvernemens. Le
gouvernement monarchique ou ariftocratique
, qui eft celui de fa république
, & qu'il fuppofe être le plus parfait
de tous ; le timocratique , où régnent
la brigue & l'ambition . Tel eft ,
dit-il , le gouvernement de Créte & de
Sparte ; l'oligarchique , où les feuls riches
ont part aux affaires ; le démocratique
, ou le gouvernement populaire ;
enfin la tyrannie. Il compte auffi cinq
efpéces d'hommes qu'il oppofe à ces
cinq efpéces de gouvernemens : l'homme
jufte , l'homme ambitieux , l'homme
intéreffé , l'homme qui fe laiffe aller
JUILLET. 1762. 71
à toutes fes paffions , enfin l'homme tyrannifé
par une paffion violente , qui
fe rend maîtreffe de toute fon ame. Il
explique comment fe fait le paffage fucceflif
d'un gouvernement à un autre
gouvernement moins parfait , & d'un
homme à un autre homme . Après ce paralléle
, il décide la feconde queſtion ,
en difant que , comme le plus heureux
de tous les états eft celui qui eſt gouverné
par un Roi Philofophe , c'est-àdire
, ami de la Raifon & de la Vérité
& le plus malheureux , celui qui a pour
Maître un Tyran ; de même la condition
la plus heureufe eft celle de l'homme
jufte qui obéit en tout à la Raiſon ;
& la plus malheureufe celle du méchant
dominé par fes paffions.
Tel eft le fond de l'Ouvrage dont
nous ne donnons ici qu'une idée trèsfuccin&
te. Platon , felon fa coutume , a
enrichi fon fujet de plufieurs digreffions
intéreffantes, qui d'ailleurs y tiennent d'affez
près. La premiere roule fur l'éducation
des guerriers. Socrate y parle des
exercices propres à former l'efprit &
le corps. A cette occafion , il condamne
& bannit de fa République Homère
& les autres Poëtes , pour avoir débité
des menfonges au fujet des Dieux , des
72 MERCURE DE FRANCE.
pour
Héros , des Enfers , & c. Il ne rejette
point abfolument toute eſpéce de Poëfie
, mais feulement celle qui eft imitative
, & dont le but eft de flater les paffions.
Il étend cette réforme à l'harmonie
& à la mufique proprement dite.
L'objection qu'on lui fait , que fon
plan de République eft trop beau
pouvoir être réalifé , donne naiffance aux
autres digreffions; pour repondre à cette
objection,il dit qu'il ne faut pas eſperer
de voir fur la terre une République femblable
à la fienne , jufqu'à ce que la Philofophie
monte fur le Thrône dans la
perfonne des Sages , ou que les Rois deviennent
Philofophes . Afin de prévenir
toute équivoque il trace le caractère du
vrai Sage , auquel feul convient le titre
de Philofophe. Il prouve qu'il naît rarement
des hommes de ce caractère , &
que tout confpire à corrompre ce petit
nombre d'hommes , jufqu'à leurs bonnes
qualités même; de forte qu'il eft trèsdifficile
qu'ils fe confervent . Sur ce
qu'on lui repréfente de nouveau , qu'il
s'en faut de beaucoup que la Philofophie
foit capable de produire un fi merveilleux
changement dans la Société civile ; qu'au
contraire , on remarque que la plupart
des Philofophes font méchans & nuifibles
JUILLET. 1762. 73
•
bles aux états & que les autres ne leur font
d'aucune utilité ; Socrate convient que
ce reproche n'eft pas fans fondement ;
mais il ajoute qu'il ne tombe pas fur la
Philofophie ; & pour la juftifier pleinement
à cet égard , il diftingue les
vrais & les faux Philofophes , & expofe
les caufes de l'inutilité des premiers &
de la méchanceté des feconds. Il explique
enfuite de quelle maniere doit être
élevé le Philofophe deftiné à gouverner
l'Etat. Il veut qu'on le faffe paffer par
toutes fortes d'épreuves ; qu'on s'affure
de fa vertu & de fa capacité par toutes
fortes de moyens ; que fa vie foit mêlée
de contemplation & d'action ; qu'il
apprenne toutes les Sciences propres à
élever l'eſprit , & à généraliſer les idées ;
&c.
Sur ce précis , il eft aifé de voir 10.
que ce dialogue eft en partie moral , en
partie politique que le deffein principal
de Platon n'eft pas de faire un plan de
République, comme le croyent bien des
gens trompés apparemment par le titre
de l'Ouvrage , mais de connoître l'homme
jufte , vertueux & parfait , en le
comparant avec une forme de governement
auffi excellente dans fcn genre ,
que le gouvernement intérieur du jufte
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
l'eft dans le fien . 2 °. que l'hypothèſe de
de la République parfaite n'eft pas plus
chimérique , que celle de l'homme parfait
; qu'il faut les ranger l'une & l'autre
fous le même degré de poffibilité . 3º.
que Platon a été trop fenfé pour croire
que ni fa République , ni fon Sage puffent
éxifter tels qu'il les imaginoit. Il dit
lui-même qu'il fe trouve à cet égard
» dans le cas d'un Peintre qui , après
» avoir peint la plus belle figure d'hom-
» me qu'il foit poffible d'imaginer , ne
» feroit point en état de prouver que la
" Nature peut produire une Beauté auffi
» accomplie.
Nous nous fommes un peu étendus
dans cette expofition, parce que très-peu
de perfonnes ont pris le fyfteme de Platon
du vrai & du feul coté par où il le
faut prendre. C'eft in Auteur profond
qu'il faut étudier pour le bien entendre.
Sans vouloir prévenir le jugement du
Public fur la verfion qu'il lui préfènte ,
le Traducteur de Platon ne craint point
d'affurer qu'il nous donne l'Ouvrage du
Philofophe Grec tel qu'il eft ; qu'il n'y
a rien changé , rien ajouté , rien retran-
-ché . A l'égard du ftyle , il s'eft auffi appliqué
à rendre. fidélement le 'Fexte de
fon Auteur, perfuadé qu'une Traduction
JUILLET. 1762. 75
·
ne fçauroit être trop littérale , pourvu
que d'ailleurs elle ne s'écarte pas des
régles que le bon goût préfcrit en ce
genre d'écrire. Platon eft fimple & nafurel
; cette verfion l'eft également , fe
rapproche autant qu'il eft poffible de l'original
; & , à peu de chofe près , peut faciliter
l'intelligence de Platon à ceux
qui fçachant médiocrement le Grec ,
voudroient lire cet Auteur en lui- même
. Pour ce qui eft des Notes du Traducteur
, elles font en petit nombre ; &
l'on n'y trouvera que celles qui font abfolument
néceffaires , foit pour faire
entendre le Texte , foit pour relever certains
écarts où Platon eft tombé.
f .
SUITE de l'ATLAS de M. BUY DE
MORNAS.
NOUouSs avons rendu compte dans un
de nos précédens Mercures , de la premiere
partie de l'Atlas méthodique & élémentaire
de Géographie & d'Hiftoire ,
par M. de Mornas ; ceux qui ont foufcrit
pour cet Ouvrage , verront avec
plaifir combien l'Auteur eft jaloux de
remplir fes engagemens , & ne feront
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
pas moins fatisfaits de la feconde partie
que de la premiere. Il en a paru 15 nou
velles Cartes au temps indiqué ; & nous
avons la fatisfaction de voir que le travail
de M. de Mornas & du fieur Defnos
fon affocié , fe foutient toujours
dans la même perfection ; c'eft un préjugé
favorable pour le refte de cette
grande , belle & fçavante entrepriſe ,
qui , par fon utilité générale , & les dépenfes
immenfes qu'elle occafionne , ne
peut manquer d'attirer l'attention du
gouvernement. Un autre mérite de l'Ouvrage
de M. de Mornas , c'eft qu'il n'y
perd jamais de vue les intérêts de la religion
qui fert de bafe à toutes fes obfervations
; ce qui donne l'idée la plus
avantageufe des principes de l'Auteur
& doit furtout engager les parens à lui
confier , dans cette partie , l'éducation
de leurs enfans. Mais pour nous renfermer
dans ce qui fait l'objet de cette annonce
, nous ne pouvons trop inviter le
Public à fe procurer un Ouvrage qui
peut également convenir à tous les
âges & à tous les états ; & comme il
nous paroît que l'honneur a été le
principal but de cette entreprife , nous
croyons les Auteurs affez défintéreffés ,
pour ne pas augmenter le prix de leurs.
2
JUILLET. 1762. 77
Cartes. Les 15 nouvelles qui viennent
de paroître , contiennent tout le plan
de la feconde partie de l'Ouvrage ; les
définitions & les divifions de l'Hiftoire ;
le Tableau Chronologique de l'Hiftoire
Univerfelle , depuis la Création jufqu'au
déluge , depuis le déluge jufqu'à la
naiffance de J.C. divifé en plufieurs époques
, qui forment autant de Cartes
ticulieres , avec des Cartes Géographiques
qui repréfentent les Empires à mefure
qu'ils font fondés. Les principaux
faits arrivés dans les temps dont on parle
, tels que la création , le déluge &c.y
font gravés avec toutes leurs circonftances
; & chaque fait occupe une Carte.
par-
Les 15
fuivantes
paroîtront
fans
faute
au premier
de Septembre
prochain
, &
préfenteront
en détail
des faits
& des
pays
que
les premieres
Cartes
n'ont
fait,
pour
ainfi
dire
, qu'indiquer
. Mais
il faut
avoir
tout
ce travail
fous
les yeux
, pour
en bien
fentir
le mérite
; & nous
ne
craignons
pas d'avancer
que cette
entreprife
eft une
des plus
utiles
pour
le Public
, & une
des plus
glorieufes
pour
un
homme de Lettres .
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
ÉPITRE à M. GRESSET . A la Haye ,
& fe trouve à Paris chez Fournier ,
Libraire , quai des Auguftins , 1762.
in-8°.
DANS ANS cette Épître , qui contient plus
de trois cens vers , fans nom d'Auteur ,
on reproche à M. Greffet fon inaction
dans la carriere poëtique. On l'exhorte à
fortir de cette indolence , & à venir
nous dédommager du filence qu'il garde
depuis fi long-temps .
Des Amours la Troupe badine
Qu'avoit attrifté ton fommeil ,
Dans leur allegreffe enfantine ,
Battront des mains à ton réveil
Celui que le Deſtin propice
D'un talent fublime a doté
Doit au Public le facrifice
Même de fon obſcurité .
Chargé d'honorables entraves ,
Il eft le premier des Esclaves
Confacrés à l'Humanité.
Pour engager M. Greffet à reparoître
parmi nous, Auteur de cette Epitre lui
JUILLET . 1762, 1 79
offre le tableau des moeurs préfentes
qui ont befoin qu'un efprit enjoué comme
le fien , vienne les tirer de l'efpéce
de léthargie où il prétend qu'elles
languiffent. De là une fortie, violente
contre nos Auteurs, Dramatiques.....
"
1
Au mépris des loix & du goût
Thalie en fa rage Anglicane ,
Comme une vile courtilanne ,
Hormis les Dieux , a joué tout,
Fidèle à nos goûts éffrénés ,
De la bile qui nous confume
Melpomène accroît l'amertume,
Par fes dramès défordonnés :
Dans les parades fanguinaires
Elle n'offre plus à nos yeux
Que des amours inceſtueur ,
Des crimes platement affreux ,
Et des Héros patibulaires. " 2
I
On rappelle donc M. Greffet, non pour Mou
réparer ces abus dramatiques ; on fçait
bien qu'il a abjuré le Théâtre
Svior as
י ז
mais
pour nous fournir de ces tableau agréables
& piquans , qui chaffent loin de
nous la fombre mélancolie que l'Auteur
croit que nous avons adoptée des
Anglois.
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
Ici divers portraits fe fuccédent , en
attendant que M. Greffer veuille bien
prendre lui-même le pinceau.L'Auteur a
tâché d'imiter M. Greffet lui même dans
fa Chartreuse , où l'on trouve différentes
peintures de nos moeurs. Les portraits .
que nous offre cette Epitre , font ceux
de ce qu'on appelle aujourd'hui les Philofophes
; de ces protecteurs ſtupides qui
s'érigent en Mécenes ; de quelques Financiers
, de quelques Poëtes dramatiques
, des petites Maîtreffes , des Frondeurs
politiques , des grands , & c.
On finit par un compliment à M.
Greffet , où on lui dit entre autres
chofes :
Je te peindrois content , heureux ,
Toujours, accompagné des jeur, cay
Et couronné par la Sageſſe , 2Ɑ
Mais dans un ccoin de mon
On appercevroit la Pareffe
Afife auprès de ton Bureau .
tableau
Nous avons trouvé dans cette Epître
un peu trop de mifantropie mêlée avec
plufieurs vers dignes de l'Auteur célébre
à qui elle eft adreffée .
.1.
JUILLET. 1762. 81
I
LETTRE à l'Auteur du MERCURE.
L paroît depuis quelque temps , Monfieur
, une petite Brochure qui a pour
Titre Réfléxions d'un Bel-Efprit du
Caffé de Procope fur la Tragédie de
Zelmire. Quelques perfonnes ont répandu
dans le monde que j'en étois
l'Auteur , & cependant rien n'eft plus
faux. Comme on attaque dans cet Ouvrage
des Auteurs dont je me fais honneur
d'eftimer la perfonne & les talens ,
j'ai cru devoir la défavouer publiquement.
Il ne conviendroit pas à un homme
, qui a befoin de l'indulgence du
Public , de critiquer avec fi peu de ménagement
une Piéce qui a eu le fuccès
le plus brillant. Je compte , Monfieur
que vous voudrez bien inférer cette
lettre dans le prochain Mercure.
J'ai l'honneur d'être , &c.
BLIN.
Paris , 16 Juin 1762.
Dv
82 MERCURE DE FRANCE .
2
ANNONCES DE LIVRES.
LES VIES des Femmes Illuftres de
la France .
邊
Soutenez vos droits au bon fens , & montrez
aux hommes que la Raifon n'eft pas faite
pour eux feuls.
Tiré d'une Piéce de vers Anglois.
›
au
In-12. 3 vol. Paris , 1762. Chez Du-
"chefne , Libraire , rue S. Jacques
Temple du Goût; Morelle jeune ,Grand'-
Salle du Palais , au grand Cyrus ; & chez
"P'Auteur , rue de Grenelle S. Honoré
chez M. Cumené , Bourfier. Prix , 40 f.
' le volume broché.
ABRÉGÉ de l'Embryologie facrée ,
ou du Traité du devoir des Prêtres , des
Médecins & autres , fur le, falut éternel
des enfans & c. in-12. Paris , 1762 , chez
Nyon , Libraire , quai des Auguftins , à
l'Occafion . Prix , 40 f. broché.
VIE de Giannotti Manetti , Sénateur
de Florence , célébre par fon génie ,
fon fçavoir , fes écrits , fes vingt - trois
ambaffades ou commiffions extraordiJUILLET.
1762. 83
naires , fes malheurs & fa conftance.Par
M. Requier. In-12. La Haye , 1762. Se
vend à Paris chez. Defaint & Saillant ,
rue S. Jean de Beauvais ; & chez Vincent
, rue S. Severin , à l'Ange Gardien .
Nous donnerons l'Extrait de cet Ouvrage.
DISCOURS & Differtation lus le 25
Février 1762 , par MM. d'Autrepe &
Paillaffon , en préfence de M. le Lieutenant-
Général de Police & de M. le Procureur
du Roi , à l'Ouverture & premiere
Séance de l'Académie des Experts
Ecrivains Vérificateurs , établie par Lettres
Patentes de 1728 , regiftrées en
Parlement , fous la protection de Mgr
de Lamoignon de Blancmefnil , Chancelier
de France . In -4° . Paris , 1762.
Chez le Breton , Imprimeur ordinaire
du Roi & de l'Académie .
LE LIVRE du Chrétien , dans lequel
fe trouve tout ce que le Chrétien doit
fçavoir & pratiquer par rapport à la Religion
. Ouvrage pofthume de M. Tricalet
, Directeur du Séminaire de S. Nicolas
du Chardonnet , à Paris. In - 16.
Paris , 1762. Chez Lottin L'aîné , Imprimeur
& Libraire de Mgr le Duc de
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE .
BERRY , rue S. Jacques , près S. Yves,
au Coq.
ABRÉGÉ de la Vie de M. Tricalet.
Brochure in-12 . chez le même Libraire .
1
BIBLIOTHEQUE portative des Péres
de l'Eglife ; Ouvrage utile à MM . les
Eccléfiaftiques , & même à tous les Fidéles
qui defirent s'inftruire à fond de
leur Religion . Par feu M. Tricalet , Directeur
du Séminaire de S. Nicolas du
Chardonnet. Tomes 8 & 9 derniers de
cette Collection. Le Tome 8 contient
les Sentences ( en Latin & en François )
des Pères de l'Eglife qui n'ont pu entrer
dans les fept précédens volumes.
Le Tome 9 contient 1 ° . l'Abrégé de la
vie de l'Auteur. 2° . le Texte Latin des
Sentences ( en François ) des Pères de
l'Eglife , renfermées dans les fept précédens
volumes. 3 ° . la Table générale
des matieres contenues dans les 9 volumes.
Les deux volumes in - 8°. Í 1. en
feuilles & 10 liv, reliés. A Paris , chez.
le même Libraire . On trouve auffi chez
lui le même Ouvrage en grand papier ,
dont il a été tiré très-peu d'exemplaires.
9.
AMÉLIE , Hiftoire Angloife , traduite
fidélement de l'Anglois de M. Fielding.
JUILLET. 1762 . 85
In-12. 4 vol. Londres , 1762. Et fe vend
à Paris , chez Charpentier , Libraire ,
quai des Auguftins , à l'entrée de la rue
du Hurepoix , à S. Chryfoftôme. C'eſt
le même Ouvrage dont nous avons annoncé
une premiere partie traduite , ou
plutôt imitée d'après l'Auteur Anglois ,
par Madame Riccoboni , dans le Mercure
de Juin dernier.
Si ce Livre plaît au Public dans fon
entier tel que je le lui préfente & que
M. Fielding a cru devoir le publier ,
( dit l'Auteur de celui que nous annonçons
aujourd'hui ) mon objet eft rempli
; en tout cas , il aura deux Amélies ,
l'une Françoife , & l'autre dans le goût
Anglois : il choifira.
TRAITÉ hiftorique des Plantes qui
croiffent dans La Lorraine & les trois
Evêchés , contenant leur defcription ,
leur figure , leur nom , l'endroit où elles
croiffent , leur culture , leur analyſe &
leurs propriétés , tant pour la Médecine
galénique , que pour les Arts & Métiers ;
par M. Pierre-Jofeph Buchoz , Avocat
au Parlement de Metz , Docteur en Philofophie
& en Médecine , en 20 volumes
in-8°. ornés de Figures en Tailledouce.
A Nanci , chez la veuve Lechef86
MERCURE DE FRANCE.
ne , Imprimeur , vis-à -vis les RR, PP.
Dominicains , & F. Meffin , Marchand-
Libraire , rue de la Hache. Avec Approbation
. 1762 .
PROSPECTUS.
La Botanique eft une fcience qui nous
apprend à connoître les plantes en les
divifant par claffes & par familles , Parmi
les Botanistes , les uns fe font contentés
de nous les indiquer fuivant la méthode
qu'ils fe font tracée ; d'autres nous en
ont donné des defcriptions ; d'autres enfin
ont traité de leur propriété & de leur
culture nous tâchons de réunir , dans
cet ouvrage , ces trois avantages ; nous
donnons d'abord la defcription de la
plante , nous rapportons tous fes différens
noms ; nous l'analyfons chymiquement
; nous indiquons l'endroit de la
Lorraine & des trois Evêchés où ellé
croît communément ; nous expliquons
la manière de la cultiver , nous faifons
voir fes propriétés , non-feulement pour
la médecine galénique , mais pour les
arts & métiers : nous y joignons la figure
de la plante en taille douce
moyen de laquelle on peut facilement
la diftinguer fans le fecours d'aucun
Maître.
hi
, par le
JUILLET. 1762. 87
par-
Avant que d'entrer dans le détail
-ticulier de chaque plante , nous faifons
précéder fix Difcours préliminaires ; dans
le premier , nous parlons des prérogatives
des plantes ; nous démontrons les
avantages qu'elles procurent à la Société
; nous paffons de - là aux plantes du
pays ; nous examinons fi nous pouvons
avec raifon les fubftituer aux plantes
exotiques & aux compofitions chymiques
, fi nous ne devons pas même les
préférer. Dans notre fecond Difcours
nous traitons de l'anatomie des plantes ,
C.
- v . g. des
racines
, des
tiges
, des
feuilles
, des fleurs , des fruits & des femences
. Le troifiéme roule fur la végétation ;
nous la réduifons à trois queſtions principales
: la premiere , qu'est - ce que la
-féve ? la feconde , la féve circule-t - elle
-dans les végétaux ? la troifiéme enfin
- comment s'opère le méchanifme de cette
circulation ? La génération des plantes
devient le fujet de notre quatriéme Difcours
; pour en développer tout le merveilleux
, nous avons recours aux parties
organiques imaginées par MM. Buf-
-fon & Needham ; ce qui nous donne
lieu de conclure que la génération des
plantes fe fait de même que celle de
P'homme, par le mélange de la liqueur
88 MERCURE DE FRANCE.
t
féminale des deux féxes. Le cinquiéme
Difcours eft deſtiné à l'hiſtoire de la Botanique
. Tournefort & Linneus, ces deux
grands Botaniftes , font ceux qui ont le
plus contribué à fes progrès ; auffi avonsnous
rapporté dans ce Difcours l'analyſe
éxacte de leur fyftême. Dans le fixiéme
enfin & le dernier , nous faifons l'expofition
du fyftême que nous avons adopté
; nous nous fommes déterminés pour
celui qui range les plantes fuivant leur
vertu médicinale ; il nous a paru le plus
propre à cet ouvrage , puifque la connoiffance
des plantes n'eft pas l'unique
chofe à la quelle nous nous attachons
mais que nous avons encore égard à
leurs propriétés.
Dans ce fyftême nous rappellons toutes
les plantes à deux claffes ; nous fubdivifons
enfuite ces deux claffes en dixneuffamilles
; de-là la divifion générale
de notre ouvrage en vingt volumes . Le
premier eft une espéce d'introduction
à ce cours particulier de Botanique , &
chaque famille devient le fujet d'autant
de volumes féparés.
,
Nous n'avançons rien fur chaque planqu'après
des obfervations plufieurs
fois réitérées ; nous rejettons donc tout
ce qui eft fabuleux ; à chaque inſtant
JUILLET. 1762. 89
nous démontrons que la Lorraine peut
fe paffer de l'étranger pour les médicamens
; que les plantes qui s'y trouvent
, au nombre de près de deux mille
, font même plus propres pour remplir
les indications des maladies qui y régnent
communément , que les remédes
qu'on tire des Pays lointains , qui font ,
pour la plupart , falfifiés & nullement
analogues à notre tempérament : c'eſt-
Tà notre principal but ; nous faifons
mention , dans cet ouvrage , de tous
ceux qui ont bien voulu & qui voudront
encore nous communiquer leurs
obfervations , ainfi que nous nous fommes
engagés quand nous avons annoncé
cette hiftoire des plantes. Dans chaque
famille nous commençons par une
Differtation préliminaire fur l'effet que
produifent les plantes de cette famille
dans le corps humain ; nous donnons
enfuite autant de Differtations qu'il y a
de plantes comprifes dans la famille :
nous finiffons enfin par une derniere
Differtation qui comprend toutes les
plantes qui font partie de la même famille
; mais qui cependant , par leurs
autres qualités , ont été rangées dans
une autre famille , à laquelle nous renvoyons
le Lecteur.
90 MERCURE DE FRANCE.
Par l'analyfe que nous venons de
donner de cet Ouvrage , il eft facile
d'en prouver l'utilité ; les Médecins , les
Botanistes , les Amateurs de l'Agriculture
, les Artiftes , & généralement tous
les Phyficiens & les Naturaliftes , trouveront
dans l'hiftoire des plantes de la
Lorraine , que nous fommes fur le point
de mettre au jour , toutes les nouvelles
découvertes qu'on a faites jufqu'à préfent
fur cette partie de l'hiftoire naturelle
; ils apprendront la maniere de
cultiver les plantes , & les différens fecours
qu'elles peuvent nous fournir,
2.1
L'hiftoire complerte de cette Province
occupe actuellement les perfonnes les
plus diftinguées . Un Magiftrat célébre
va nous donner l'Hiftoire Eccléfiaftique
de la Lorraine . Un autre , non moins
diftingué par fes talens que par
fa probité
, travaille à l'Hiftoire Civile & Politique
. Un Préfident illuftre d'un Collége
Royal de Médecine a compofé un
Traité fur les Eaux Minérales de ce Pays.
D'autres enfin , nous ont fourni des mémoires
les plus circonftanciés fur les Foffiles.
Un Médecin , Botaniste de feue
Son Alteffe Royale , a parcouru tous les
Etats de la Lorraine pendant près de
qurante ans , pour pouvoir nous laiffer
JUILLET. 1762. 91
une hiftoire exacte de toutes les plantes
qui s'y trouvent ; & il étoit à la veille de
la mettre au jour , lorfqu'épuifé de travaux
& de fatigues , il fut enlevé par un
deftin cruel du féjour des humains : les
mémoires que nous avons de lui , ont
fervi de baſe & de fondement à notre
ouvrage , fans lefquels nous n'aurions
jamais ofé entrer dans cette carrière ;
mais nous croirions manquer à la Patrie ,
fi nous laiffions dans l'oubli des fragmens
auffi intéreffans au bien de fociété
, qui , par leur réunion , peuvent concourirà
completter l'Hiftoire de ce Pays.
,
Nous n'avons rien négligé pour rendre
ce nouveau Traité non feulement
agréable & utile aux Lorrains mais
auffi à tous les François ; c'eft pour cette
raifon , que nous espérons ajouter un
Supplément qui renfermera toutes les
plantes qui fe trouvent dans la France
& qu'on ne trouve pas en Lorraine.
Nous l'avons orné en outre de 400
planches gravées en taille douce , qui
repréfentent prèfque toutes les plantes
dont nous faifons mention . Plufieurs
-Seigneurs , & Amateurs de la Botanique
, nous ont bien voulu fecourir dans
cette entrepriſe ftipendieufe , & en faire
graver à leurs frais , au bas defquelles
92 MERCURE DE FRANCE.
nous avons eu foin de faire mettre leurs
armes , de même que leurs noms & leurs
qualités. Nous ofons efpérer qu'il fe
trouvera encore des ames affez nobles &
affez généreufes pour achever de contribuer
aux frais de ces planches .
In ne diſtribuera cet ouvrage que par
foufcription , qui fera de 48 livres de
France , 12 livres en commençant , 12
livres quand on aura reçu le cinquiéme
volume , pareille fomme quand le dixiéme
fera imprimé , ainfi que le quinziéme.
La foufcription ne fera ouverte que
jufqu'au 1er d'O &obre prochain .
Les Soufcripteurs pourront s'adreffer
chez Meffin , Marchand- Libraire à Nancy
, rue de la Hache.
On prie ceux qui voudront faite les
frais de quelque planche , ou nous envoyer
quelques Mémoires fur ces matières
, de s'adreffer au fufdit Libraire
& d'affranchir leurs lettres ou paquets.
Le premier volume eſt fini.
LE Public eft averti que l'Inftruction
Criminelle , volume in- 4 ° . annoncé dans
la Préface des Inftitutes au Droit Criminel
& du Traité des Crimes , par M.
Muyart de Vouglans , Avocat au Parlement
de Paris , fera achevé d'imprimer
JUILLET. 1762. 93
à la fin du préfent mois , & que les
Exemplaires s'en débiteront au commencement
de Juillet prochain chez
les Libraires ci-après nommés :
Defaint & Saillant , rue S. Jean de
Beauvais.
Briaffon , rue S. Jacques.
Savoye , rue S. Jacques.
Ganeau , rue S. Severin .
Le Breton , rue de la Harpe.
La veuve Rouy & Cellot , au Palais.
Ce fecond volume eft divifé en trois
parties , dont la premiere comprend
I'Inftruction fuivant l'Ordonnance de
1670 , la feconde l'Inftruction fuivant
l'Ordonnance de 1737 touchant lefaux
principal & le faux incident &c , & la
troifiéme l'Inftruction conjointe dans le
cas privilégié.
L'abondance & la diverfité des mațieres
ont rendu ce fecond volume plus
gros d'un tiers que le premier. On l'a
cependant difpofé de maniere à pouvoir
être partagé en deux , fuivant le
goût & la commodité du Public.
Le prix eft de 12 liv . en brochure.
L'on trouvera auffi chez les mêmes
Libraires des exemplaires des Inftitutes
au Droit Criminel & du Traité des Crimes
, vol. in-4º. dont le prix eft de 10 1 .
en brochure .
94 MERCURE DE FRANCE .
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES
ACADEMIES.
SÉANCE publique de la Société Littéraire
d'ARRAS,tenue le 3 Avril 1762.
M. DURAND fils , Directeur , en fit
l'ouverture par des Réfléxions fur l'utilité
du travail & de la tempérance , relativement
à la fanté . M. l'Abbé de Lys
Chancelier , lut un Mémoire fur l'éducation
des Abeilles pendant l'hyver : il
y rendit compte d'une nourriture pour
ces infectes , qu'il a fait éprouver avec
fuccès , & qui confifte dans le mixtion
d'un tiers de miel & deux tiers de bierre .
M. Foacier de Ruzé , Avocat général
du Confeil d'Artois, nouvel Affocié, prononça
un Difcours de remercîment
auquel répondit le Directeur. M. le Jofne-
Contay , Marquis de la Ferté , autre
Affocié nouvellement reçu , fit auffi
fon remercîment , fuivi d'un Diſcous
fur les avantages que les Académies de
>
JUILLET. 1762 . 95
Province peuvent procurer à celles de la
"Capitale ; & le Directeur lui répondit
pareillement. Le Pere Lucas lut enfuite
un Mémoire , où il montra la néceffité
d'établir en Artois une Société d'Agriculture
& combien il eft facile de la
former. A cette lecture fuccéda celle
d'un Mémoire hiftorique fur l'état de
la Flandre , vers le milieu du treiziéme
fiécle , par M. l'Abbé le Clerc de Montlinot
, Chanoine de S. Pierre de Lille
Affocié ordinaire . Des obfervations fur
les foffiles d'Artois , par M. Wartel ,
Chanoine régulier de l'Abbaye de S.
Eloi , Affocié Honoraire , terminérent
cette Séance Académique
.
MEMOIRE fur la diftance du Soleil
& de toutes les Planétes à la Terre ,
trouvée par le moyen du Paffage de
Vénus fur le Soleil.
Lû dans l'Affemblée publique de l'Académie
Royale des Sciences , le 21 Avril 1762. Par
M. DELALANDE , de la même Académie.
LE
E paffage de Vénus devant le difque
du Soleil étoit un des Phénomènes les
94 MERCURE DE FRANCE .
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES
ACADEMIES.
SÉANCE publique de la Société Littéraire
d'ARRAS,tenue le 3 Avril 1762.
M. DURAND fils , Directeur , en fit
l'ouverture par des Réfléxions fur l'utilité
du travail & de la tempérance , relativement
à la fanté . M. l'Abbé de Lys ,
Chancelier , lut un Mémoire fur l'éducation
des Abeilles pendant l'hyver : il
y rendit compte d'une nourriture pour
ces infectes , qu'il a fait éprouver avec
fuccès , & qui cónfifte dans le mixtion
d'un tiers de miel & deux tiers de bierre.
M. Foacier de Ruzé , Avocat général
du Confeil d'Artois , nouvel Affocié, prononça
un Difcours de remercîment
auquel répondit le Directeur, M. le Jofne-
Contay , Marquis de la Ferté , autre
Affocié nouvellement reçu , fit auffi
fon remercîment , fuivi d'un Diſcous
fur les avantages que les Académies de
"
JUILLET. 1762. 95
!
al
RES
621
fit
la
u-
C
Province peuvent procurer à celles de la
"Capitale ; & le Directeur lui répondit
pareillement. Le Pere Lucas lut enfuite
un Mémoire , où il montra la néceffité
d'établir en Artois une Société d'Agriculture
, & combien il eft facile de la
former. A cette lecture fuccéda celle
d'un Mémoire hiftorique fur l'érát de
la Flandre , vers le milieu du treiziéme
fiécle , par M. l'Abbé le Clerc de Montlinot
, Chanoine de S. Pierre de Lille ,
Affocié ordinaire . Des obfervations fur
les foffiles d'Artois , par M. Wartel ,
Chanoine régulier de l'Abbaye de S.
Eloi , Affocié Honoraire , terminérent
cette Séance Académique.
MEMOIRE fur la diftance du Soleil
& de toutes les Planétes à la Terre,
Je trouvée par le moyen du Paffage de
Vénus fur le Soleil.
1
Lû dans l'Affemblée publique de l'Académie
Royale des Sciences , le 21 Avril 1762. Par
M. DELALANDE , de la même Académie..
217
LE paffage de Vénus devant le diſque
du Soleil étoit un des Phénomènes les
94 MERCURE DE FRANCE .
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES
ACADEMIES.
SÉANCE publique de la Société Littéraire
d'ARRAS, tenue le 3 Avril 1762.
M. DURAND fils , Directeur , en fit
l'ouverture par des Réfléxions fur l'utilité
du travail & de la tempérance , relativement
à la fanté. M. l'Abbé de Lys ,
Chancelier , lut un Mémoire fur l'éducation
des Abeilles pendant l'hyver : il
y rendit compte d'une nourriture pour
ces infectes , qu'il a fait éprouver avec
fuccès , & qui cónfifte dans le mixtion
d'un tiers de miel & deux tiers de bierre.
M. Foacier de Ruzé , Avocat général
du Confeil d'Artois, nouvel Affocié, prononça
un Difcours de remercîment
auquel répondit le Directeur. M. le Jofne-
Contay , Marquis de la Ferté , autre
Affocié nouvellement reçu , fit auffi
fon remercîment , fuivi d'un Difcours
fur les avantages que les Académies de
"
JUILLET. 1762. 95
e.
al
ES
tté
521
fit
D
-la-
ی و
11-
ur
C
Province peuvent procurer à celles de la
Capitale ; & le Directeur lui répondit
pareillement. Le Pere Lucas lut enfuite
un Mémoire , où il montra la néceffité
d'établir en Artois une Société d'Agriculture
, & combien il eft facile de la
former. A cette lecture fuccéda celle
d'un Mémoire hiftorique fur l'étát de
la Flandre , vers le milieu du treiziéme
fiécle , par M. l'Abbé le Clerc de Montlinot
, Chanoine de S. Pierre de Lille ,
Affocié ordinaire. Des obfervations fur
les foffiles d'Artois , par M. Wartel ,
Chanoine régulier de l'Abbaye de S.
Eloi , Affocie Honoraire , terminérent
cette Séance Académique.
MEMOIRE fur la diftance du Soleil
& de toutes les Planétes à la Terre ,
trouvée par le moyen du Paffage de
Vénus fur le Soleil.
*
Lû dans l'Affemblée publique de l'Académie
Royale des Sciences , le 21 Avril 1762. Par
M. DELALANDE , de la même Académie.
217
L
E paffage de Vénus devant le difque
du Soleil étoit un des Phénomènes les
94 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES
ACADEMIES.
SÉANCE publique de la Société Littéraire
d'ARRAS,tenue le 3 Avril 1762.
M. DURAND fils , Directeur , en fit
l'ouverture par des Réfléxions fur l'utilité
du travail & de la tempérance , relativement
à la fanté . M. l'Abbé de Lys ,
Chancelier , lut un Mémoire fur l'éducation
des Abeilles pendant l'hyver : il
y rendit compte d'une nourriture pour
ces infectes , qu'il a fait éprouver avec
fuccès , & qui cónfifte dans le mixtion.
d'un tiers de miel & deux tiers de bierre.
M. Foacier de Ruzé , Avocat général
du Confeil d'Artois, nouvel Affocié, prononça
un Difcours de remercîment ,
auquel répondit le Directeur. M. le Jofne-
Contay , Marquis de la Ferté , autre
Affocié nouvellement reçu , fit auffi
fon remercîment , fuivi d'un Difcours
fur les avantages que les Académies de
JUILLET. 1762. 95
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621
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C
Province peuvent
procurer
à celles de la
"Capitale
; & le Directeur
lui répondit pareillement
. Le Pere Lucas
lut enfuite un Mémoire
, où il montra
la néceffité
d'établir
en Artois
une Société
d'Agri- culture
& combien
il eft facile
de la former
. A cette lecture
fuccéda
celle
d'un Mémoire
hiftorique
fur l'étát de la Flandre
, vers le milieu
du treiziéme
fiécle , par M. l'Abbé
lé Clerc de Mont- linot , Chanoine
de S. Pierre
de Lille , Affocié
ordinaire
. Des obfervations
fur
les foffiles
d'Artois
, par M. Wartel
, Chanoine
régulier
de l'Abbaye
de S.
Eloi , Affocié
Honoraire
, terminérent
cette Séance Académique
.
MEMOIRE fur la diftance du Soleil
& de toutes les Planétes à la Terre ,
trouvée par le moyen du Paſſage de
Vénus fur le Soleil.
Lû dans l'Affemblée publique de l'Académie
Royale des Sciences , le 21 Avril 1762. Par
M. DELALANDE , de la même Académie.
LE paffage de Vénus devant le diſque
du Soleil étoit un des Phénomènes les
94 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES
ACADEMIES.
SÉANCE publique de la Société Littéraire
d'ARRAS,tenue le 3 Avril 1762.
M. DURAND fils , Directeur , en fit
il
l'ouverture par des Réfléxions fur l'utilité
du travail & de la tempérance , relativement
à la fanté . M. l'Abbé de Lys ,
Chancelier , lut un Mémoire fur l'éducation
des Abeilles pendant l'hyver :
y rendit compte d'une nourriture pour
ces infectes , qu'il a fait éprouver avec
fuccès , & qui cónfifte dans le mixtion
d'un tiers de miel & deux tiers de bierre.
M. Foacier de Ruzé , Avocat général
du Confeil d'Artois, nouvel Affocié, prononça
un Difcours de remercîment ,
auquel répondit le Directeur. M. le Jofne-
Contay , Marquis de la Ferté , autre
Affocié nouvellement reçu , fit auffi
fon remercîment , fuivi d'un Difcous
fur les avantages que les Académies de
JUILLET. 1762. 95
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>
Province peuvent procurer à celles de la
"Capitale ; & le Directeur lui répondit
pareillement. Le Pere Lucas lut enfuite
un Mémoire , où il montra la néceffité
d'établir en Artois une Société d'Agriculture
& combien il eft facile de la
former . A cette lecture fuccéda celle
d'un Mémoire hiftorique fur l'étát de
la Flandre , vers le milieu du treiziéme
fiécle , par M. l'Abbé le Clerc de Montlinot
, Chanoine de S. Pierre de Lille ,
Affocié ordinaire . Des obfervations fur
les foffiles d'Artois , par M. Wartel ,
Chanoine régulier de l'Abbaye de S.
Eloi , Affocié Honoraire , terminérent
cette Séance Académique.
MEMOIRE fur la diftance du Soleil
& de toutes les Planétes à la Terre ,
trouvée par le moyen du Paffage de
Vénus fur le Soleil.
Lû dans l'Affemblée publique de l'Académie
Royale des Sciences , le 21 Avril 1762. Par
M. DELALANDE , de la même Académie.
LE paffage de Vénus devant le diſque
du Soleil étoit un des Phénomènes les
96 MERCURE DE FRANCE .
•
plus rares & les plus finguliers ; prédit &
attendu depuis plus d'un fiécle, il n'avoit
jamais été obſervé depuis qu'on en connoiffoit
l'importance.
C'étoit cependant de tous les Phénomènes
celui dont on devoit efpérer la
plus exacte détermination de la parallaxe
du Soleil , de laquelle dépendent toutes
les diftances des Planétes , c'est -à-dire
la connoiffance de tout le fyftême folaire.
La grandeur des orbites de toutes les
Planétes , la théorie des éclipfes , la
connoiffance des maffes des volumes ,
des denfités , des diamétres de tous les
corps céleftes tiennent à la parallaxe du
Soleil , & par conféquent à l'obfervation
du paffage de Vénus.
Une des plus belles découvertes que
la connoiffance de l'attraction ait procurée
aux Aftronomes , eft celle des denfités
intérieures de toutes les Planétes ;
nous fçavons par exemple que les denfités
ou les pefanteurs fpécifiques du
Soleil & de Jupiter font égales , tandis
que Saturne plus poreux & plus léger a
une dènfité beaucoup moindre , à-peuprès
de la même quantité que le bois
eft plus léger que l'eau , tandis qu'au
contraire la terre eft plus denfe que le
Soleil ,
JUILLET. 1762 . 97
Soleil , à-peu -près comme l'antimoine
furpaffe la denfité de l'eau. Si l'on veut
encore un autre terme de comparaiſon ,
ces trois denfités font comme celles du
bois d'ébéne , de l'ivoire & de l'acier,
Ces calculs , dont l'objet femble placé
fi loin de la portée de nos recherches
, nous font connoitre cependant
les maffes & les forces exactes de toutes
les Planétes ; mais ils font fondés fur
la parallaxe du Soleil , c'est-à- dire qu'ils
dépendent de fa diſtance .
On fçait par exemple que la Terre a
170 mille fois moins de matiere , moins
de force que le Soleil ; mais c'eft en
fuppofant la parallaxe du Soleil de 10"
comme on l'a cru jufqu'ici ; fi l'on diminuoit
feulement de 2" cette parallaxe
, il faudroit diminuer la mafle de la
Terre d'une moitié toute entiere .
A quelles erreurs n'aurio ns-nous pas
été expofés en calculant les dérangemens
des Planétes & leurs attractions
réciproques , fans cette méthode exacte
pour trouver la vraie diſtance du Soleil ,
que fourniffoit le moment du paffage
de Vénus , moment que le fiécle paffé
nous envioit , & qui eût été pour ainfi
dire une tache à la mémoire des Sçavans
qui l'auroient négligé.
II.Vol. E
28 MERCURE DE FRANCE .
On attend , il eft vrai , un femblable
paffage de Vénus fur le Soleil pour le 3
Juin 1769 au foir ; mais on ne le verra
à Paris que pendant quelques momens
vers le coucher du Soleil .
Il faudra aller dans le Nord de la Ruffie
& au Méxique fur les bords de la
mer pacifique , pour y obtenir des obfervations
complettes ; après ce fecond
paffage , 105 ans doivent s'écouler fans
qu'il en paroiffe aucun fur la furface
de la Terre.
Que ne devoit- on pas entreprendre
à la vue d'un événement fi rare , dont les
avantages négligés une fois , ne pourroient
plus être compenfés ni par les
efforts du génie , ni par la conftance
des travaux , ni par la magnificence des
plus grands Rois ?
L'Académie toujours fecondée fous
le miniftere de M. le Comte de S. FLORENTIN
avec une confiance & une générofité
digne des lumières qui environnent
le Thrône , s'eft occupée longtemps
des préparatifs qu'exigeoit cette
importante obfervation . * Le départ de
* J'ai rendu compte dans le plus grand détail
de tous ces préparatifs , en compofant l'Article
de l'Hiftoire de l'Académie pour 1757 , qui a
rapport à ce Phénomène.
JUILLET. 1762. 99
M. Legentil pour les Indes Orientales ,
de M. Pingré pour les Ifles de l'Océan
Ethiopique , de M. l'Abbé Chape pour
le Nord de la Sibérie a excité le zéle
de toutes les Nations fçavantes : l'Angleterre
a envoyé également , quoique
fans aucun fuccès , aux Indes & à l'ifle
de Ste Héléne ; le Roi de Suéde en divers
endroits de Laponie ; le Dannemark
à Drontheim dans la Norvége .
Enfin l'Académie de Pétersbourg a
dépêché des Aftronomes en Afie jufques
fur les Confins de la Tartarie & de
la Chine , dans des Pays prèfque inconnus
; partout on s'eft difputé la gloire
de traverser l'immenfité des mers , les
fables embrafés & les plaines glacées .
Ces obfervations faites en des Pays
extrémement éloignés étoient néceffaires
pour pouvoir tirer du Paffage de Vénus
les conféquences importantes que
les Aftronomes ont en vue : voici en
peu de mots la marche qui conduit à
cette fingulière découverte.
Lorfque Vénus paffant entre le Soleil
& la Terre fe trouve placée de façon
qu'elle nous paroiffe toucher exactement
le bord du Soleil , le moment de ce contact
des deux bords peut s'obferver
avec beaucoup plus de précifion , &
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
environ 30 fois plus exactement qu'aucune
diftance & qu'aucune autre pofition
de Vénus dans le Ciel. Au moment
où le filet de lumiére qui féparoit les
deux bords vient à difparoître, on eft affuré
du conta& ; tel eft donc l'avantage
unique de cette circonftance : c'eſt
qu'alors
on obferve avec la précifion de la
dixième partie d'une feconde de degré
une diftance fur laquelle on pourroit
dans tout autre cas fe tromper de plufieurs
fecondes.
Lorfqu'un Obfervateur voit à Paris
le bord de Vénus répondre exactement
fur le bord du Soleil & le toucher , celui
qui eft placé dans une autre partie
du monde y apperçoit néceffairement
un petit intervalle , parce que le Soleil
étant plus loin , & au- delà de Vénus de
plus de 10 millions de lieues , le rayon
qui paffe par les deux bords des Planétes
& qui paffe auffi à Paris dans le moment
où les deux bords y paroiffent ſe
toucher , ne paffe point dans les autres
parties du monde. Nous remarquons
fort fouvent dans les campagnes,qu'une
tour ſemble en toucher une autre qui
eft beaucoup au-delà , fi l'on ſe trouve
dans leur allignement ; mais pour peu
qu'on s'écarte à droite ou à gauche , on
JUILLET. 1762. 101
commence à les voir féparées l'une de
l'autre . Cet effet , qui fe nomme la
parallaxe, a lieu également dans le Ciel ;
& comme il eft d'autant plus confidérable
, que l'un des objets eft plus près
de notre oeil , une parallaxe plus ou
moins fenfible eft très-propre à nous
faire juger de la diftance des objets qui
l'éprouvent.
Ainfi la feule opération que nous
ayons à faire pour connoître l'éloignement
de Vénus, eft de trouver combien
Vénus a paru être encore diftante du
bord du Soleil pour les pays lointains
dans le moment où elle le touchoit exa-
& ement , vue de Paris .
Ce qui revient encore au même , il
fuffit de fçavoir combien de temps il
s'eft écoulé entre le moment où ce contact
eft arrivé à Paris , & le moment où
il a paru dans un pays très- éloigné , mais
dont la diſtance eft connue . La différence
du temps a dû être par exemple de
près d'un quart d'heure entre la pointe
du Kamtchatka au Nord de la Sibérie
qui eft le premier point de la Terre où
les deux Planétes ont paru fe toucher
dans le moment de la fortie , & les terres
auftrales au Midi de l'Afrique , le
dernier de tous les pays du monde où
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
ce contact a eu lieu , éloigné de l'autre
de plus de deux mille lieues.
De tous les Obfervateurs éloignés M.
Pingré & M. Chape font les feuls qui
aient eu le bonheur de réuffir ; le temps
a été couvert ce jour-là à l'Ifle Sainte
Héléne , en Norvége , en Laponie.
Les Vaiffeaux qui portoient d'autres
Obfervateurs dans les Indes , n'ont pu
arriver affez tôt à leur deſtination : heureufement
nous trouvons dans le travail
de M. Pingré & de M. Chape ce qui
eft néceffaire pour l'objet que l'on s'étoit
propofé , en comparant les obfervations
qu'ils nous ont envoyées avec
celles qui ont été faites en Europe.
A notre égard la plus importante obfervation
que nous ayons faite à Paris, eft
celle de la fortie de Vénus. Comme il
étoit éffentiel d'y donner toute l'attention
poffible , je ne négligeai rien en
mon particulier pour me procurer une
entiere certitude fur le temps de la fortie.
Je m'y préparai comme pour un inſtant
que je ne reverrois jamais ; & de toutes
les précautions que je pris , il n'y en
avoit aucune d'inutile pour l'exactitude
de cette obſervation . J'avois une lunette
de 18 pieds difpofée & éprouvée
plufieurs jours auparavant ; j'en avois
JUILLET. 1762. 103
réduit l'ouverture à un pouce , afin d'écarter
les iris ou les rayons étrangers , &
de rendre les objets parfaitement terminés
; la lunette étoit fufpendue par
fon centre de gravité , de manière à fe
mouvoir très-librement , & fans exiger
aucun effort .
J'avois eu foin de laiffer repofer mes
yeux pendant près d'un quart d'heure en
difcontinuant mes obfervations précédentes
pour porter à celle-ci les organes
les mieux préparés & la plus grande attention
. J'avois furtout étudié la fituation
la plus commode j'étois dans un
filence profond ; le Ciel étoit ferein ,
l'air calme , le Soleil bien terminé ; enfin
tontes les circonftances favorables , lorfqu'à
8 h 28′ 26″ très- exactement , je vis
comme un point noir fe détacher fubitement
du bord de Vénus , & s'unir à .
celui du Soleil ; c'étoit le moment du
contact ; entre les différens Aftronomes
qui obfervoient à Paris dans ces momens-
là , il s'en eft trouvé qui marquérent
prèfque la même feconde que moi ;
par des lettres de M. Birch , Secrétaire
de la Société Royalé de Londres , j'ai
appris que MM. Bliff, Green , & Bird ,
qui étoient ce jour-là à l'Obfervatoire
Royal de Grenwich , obfervérent tous
?
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
trois féparément à la même feconde ce
contact des deux bords ; ce qui me perfuade
encore qu'avec des lunettes égales
& des circonftances également favorables
, l'exactitude de cette obfervation
peut aller jufqu'à une feconde ,
comme M. Halley l'avoit penfé.
Pour pouvoir tirer des conclufions néceffaires
de toutes les obfervations faites
le même jour fur la furface de la Terre ,
il a fallu commencer par déterminer l'angle
de la plus courte diſtance de Vénus
au Soleil , vue du centre de notre globe ;
j'y ai fait fervir plus de 100 obfervations
choifies parmi celles de Paris , de
Vienne , de Stokolm , de Boulogne , de
Gottingen ; je les ai toutes corrigéés
par la parallaxe , & réduites à un même
moment, en forte que j'ai eu, de plus de
cent manieres différentes , cette plus
courte diſtance , & je me fuis bien afſuré
qu'elle étoit de 9 ' 30 ".
De là j'ai paffé à l'examen de l'effet
que la parallaxe a dû produire fur le
moment de la fortie pour les Obfervateurs
éloignés ; voici fimplement le réfultat
de ces calculs , dont le détail
étoit immenfe , qu'il a fallu refaire plufieurs
fois , & en employant jufqu'aux
centiémes de fecondes .
JUILLET. 1762. 105
L'obfervation de la fortie fut faite à
Stokolm à 9º 30 ' 10" du matin , ce qui
revient pour nous à 8h 27'10" , parce
que les heures à Stokolm différent de
Ih 3' des heures que l'on compte à Paris
, à caufe de la fituation de ces deux
Villes.
Si le Soleil étoit éloigné de 29 millions
de lieues , ou ce qui revient au
même , fi la parallaxe du Soleil étoit de
10" , j'ai trouvé que cet attouchement
des deux bords devoit arriver plutôt
à Stokolm qu'à Paris de 1 ' 40" ;
néanmoins dans le fait il n'y a eu que
1′ 16″ de différence entre l'obfervation
Suédgife & celle de Paris au lieu de
1'40" ; ce feroit donc fuppofer la parallaxe
du Soleil trop grande , & finalement
elle ne fe trouve que de 7 " ;
par cette obfervation il faudroit une erreur
de 30" de temps dans l'obfervation
ou dans la longitude de Stokolm , pour
que la parallaxe du Soleil fe trouvât de
IO" comme nous l'avions cru jufqu'ici .
Après avoir examiné ce qui réfulte
des obfervations de Suéde comparées
avec la mienne , je vais les comparer de
même avec celles que M. l'Abbé Chape:
a faites à Tobolsk en Sibérie . J'avois:
d'abord calculé en fuppofant la paralla-
E v
106 MERCURE DE FRANCE .
xe du Soleil de 10 fecondes & un quart
les 4 corrections par lefquelles on doit
réduire au centre de la Terre les quatre
obfervations de l'entrée & de la fortie
& qui devoient rendre égales les deux
durées obfervées , je trouvai qu'il s'en
falloit d'une feconde & demie en temps
que ces deux durées ne fuffent égales ;
en forte qu'il falloit fuppofer la parallaxe
du Soleil de 10" pour les réduire
à l'égalité ; cette parallaxe fupaffe de
2 " celle que j'ai déduite de la premiere
comparaifon , mais je fuis obligé
d'avouer qu'il fuffiroit de 25" d'erreur
totale fur une des quatre obfervations
ou de 6" fur chacune pour produire cette
différence de 3″ fur la parallaxe du
Soleil .
Paffons à l'examen de la fortie que M.
Pingré a obfervé à l'Ifle Rodrigues dans
l'Océan Ethioqique , c'eft la plus concluante
de toutes fi nous parvenons à
connoître avec précifion là différence
des méridiens entre Paris & l'Ifle Rodrigues
, parce qu'il y a 4 minutes & un
tiers de différence entre nos deux obfervations
par le feul effet de la parallaxe ,
au lieu d'une minute & deux tiers qu'il
avoit à Tobolsk & Stokolm . Jufqu'ici
je n'ai pu employer à cet effet que trois
JUILLET. 1762. 107
pas
obfervations du premier Satellite de Jupiter
qui m'ont donné pour la différence
des méridiens 4 h 2' 0" ; & il n'auroit
d'autre différence entre nos deux obfervations
, fi la parallaxe de Vénus ,
étoit nulle ; mais entre l'obfervation de
la fortie de Vénus , faite par M. Pingré ,
& celle que je fis à Paris , je trouve 4'18"
de plus , d'où il réfulte pour la parallaxe
du Soleil 9" 55. Ainfi voilà trois déterminations
différentes & qui paroiffent
exactes de la parallaxe du Soleil , 7
9 , 10" , nous n'avons d'autre parti à
prendre entre ces trois réfu'tats , que de
prendre ce milieu , & ce milieu eft de 9″
on le fuppofoit encore l'année derniere
de 10 , après les dernieres obfervations
au Cap de Bonne -Efpérance & en
Europe ; auffi la parallaxe eft plus petite
d'un dixième que nous ne l'avons cru
auparavant , c'est- à- dire que le Soleil
eft plus éloigné d'une dixième partie
qu'on ne le croyoit ; nous devons donc
établir la diſtance du Soleil de 32 millions
de lieues au lieu de 29 que l'on comptoit
jufqu'ici , du moins en employant des
lieues de 25 au degré , ou de 2280 toifes
chacune .
Cette obfervation du paffage de Vénus
étend pour ainfi dire à nos yeux
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
les bornes du fyftême folaire ; en éloignant
le Soleil de trois millions de lieues
elle éloigne Saturne de 30 millions de
lieues & toutes les autres Planétes à
portion .
pro-
La diftance de Mercure au Soleil devient
de 12 millions & un tiers ; celle
de Vénus 23 millions & un quart ; celle
de Mars 48 millions & ; celle de Jupiter
166 millions & un quart ; celle de
Saturne 304 .
Le paffage de Vénus fur le Soleil décide
encore une queftion fur laquelle on
étoit fort divifé , fçavoir la grandeur de
la Planéte de Vénus , on la fuppofoit
communément égale à la Terre ; mais.
au moyen des réfultats précédens , elle
fe trouve être feulement les trois quarts.
de la Terre . Le diamétre de Vénus mefuré
plufieurs fois & avec fo'n lorfque
cette Planéte paffoit fur le Soleil s'eft
trouvé de 58" . En réduifant ce diamétre
à la diftance moyenne du Soleil à la
Terre , je trouve que le demi diamétre
de Vénus n'auroit dû être que de 8 ″
mais puifque la parallaxe du Soleil ou
le demi diametre de la Terre eft de 9" ,
il s'enfuit que le diamétre de la Terre a
un huitiéme de plus que celui de Vénus ;
ainfi la fphére ou le volume de Vénus:
4.
4
JUILLET. 1762. 109
n'a que le 7% , ou un peu moins des
trois quarts de la Terre.
Je ne puis me difpenfer , en finiffant ,
de faire une remarque intéreffante à l'occafion
de ce paffage .
Le nombre prodigieux d'obfervations
que l'Académie a reçu de toutes les Provinces
de France & de toutes les parties
de l'Europe, eft une preuve bien fatisfaifante
du progrès qu'a fait de notre temps
le goût de l'Aftronomie & des Mathématiques
en général. Indépendamment
des Aftronomes de l'Académie qui par
état ne pouvoient que fignaler leur ardeur
dans une parcille circonftance &
des Amateurs qui dans la Capitale font
excités par l'émulation la plus puiffante,
nous avons reçu des obfervations exactes
faites à Béfiers par M. Bouillet , à
Lyon par M. le Chevalier de Lorenzi
& le P. Béraud , à Denainvilliers par
M. Duhamel , à Bayeux par M. Outhier
, à Rouen par M. Bouin & M. du
Lague,à Bordeaux par M. Defmarets , à
Orléans par M. Jouffe , à Nifmes par
M. Séguin , à Vincennes par M. de Prolanges
, à Conflans par M. Bailli , à
Pontarlier par M. de Relingue , Ingénieur
& le P. Tavernier , Capucin , à
Nantes par le P. Chardin , à Châlons
110 MERCURE DE FRANCE .
par M. Létré , à Vire par M. Gauthier.
Je ne cite même que des obfervations
faites aftronomiquement & dont on
pouvoit tirer des réſultats utiles . Je ne
parle pas des grands Obfervatoires de
l'Europe , tels que de ceux qui font à
Londres , a Stokolm , à Vienne , à Bologne
& à Gottingen ; on fçait que ce
font là les principales Villes du Monde
où l'Aftronomie eft cultivée en grand
par des hommes célébres qui s'y confacrent
par état , avec des inftrumens
choifis , & l'on n'eft point étonné d'en
recevoir habituellement les plus belles
& les plus exactes obfervations. Les
Journaux ont été remplis l'année derniere
, & furtout le Journal étranger
d'une multitude d'obfervations faites
dans toutes les parties de l'Anglererre ,
de l'Allemagne , de l'Italie , & même
en quelques endroits de l'Eſpagne .
N.B.Comme nous avons à donner dans
ce volume un Éloge hiftorique qui intéreffe
la gloire littéraire de la Nation , &
qui par là doit être agréable aux Lecteurs
? nous nous trouvons dans la néceffité
de remettre au prochain Mercure
l'Article des ARTS.
JUILLET . 1762. III
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
LETTRE d'un ancien Maître des
Ballets dans les Cours étrangeres.
MONSIEUR ,
» L'Opéra des Fêtes Grecques & Ro-
" maines m'a rappellé quelques réflé-
» xions fur les Ballets ; je vous en fais
» part pour les rendre publiques,fi vous
» penfez qu'elles puiffent être de quel-
" que utilité à la perfection de ce gen-
» re de Spectacles & à celle de mon
>> art.
» J'ai remarqué que l'Auteur du Poë-
» me de l'Opéra dont je viens de par-
» ler , a été parmi nos modernes , un
» des premiers qui fe foit attaché à
"tourner fes fujets de manière qu'ils
» fourniffent des Danfes plus figurées ,
» pour fortir de la monotone routine
112 MERCURE DE FRANCE .
» confacrée fur le Théâtre . Cette in-
» tention a été bien fecondée ; on a
» voulu quelquefois l'imiter , le fuccès
» a prefque toujours payé ces fortes
» d'effais. Le Public paroît defirer que
»cette pratique s'établiffe plus habituel-
» lement. Pourquoi retombe -t-on fi
» fréquemment dans l'ancienne inertie.
des Ballets fans idée , fans images &
» fans expreffions ? Je crois en entre-
" voir deux caufes.
ور
» J'impute la premiere aux Auteurs
» de Paroles & de Mufique. Trop fa-
» tisfait ( fouvent tout feul ) de l'intérêt
, de l'ingénieux tour de penfées
» que le Poëte croit avoir mis dans
»fon Ouvrage , & le Muficien , dans
» une ardente extafe de la fublimité de
» fa Mufique , l'un & l'autre ne regar-
≫dent les Danfes que comme un léger
» acceffoire qu'ils dédaignent , en gé-
» miffant du joug que l'ufage leur a im-
» pofé. On laiffe le foin d'arranger cela,
» ainfi que les habits & les décorations
» à ce qu'on nomme , entre foi , les
» gens du métier. Un Opéra eft alors
pour fes Auteurs ce qu'eft un grand
» Tableau dans le cabinet d'un Peintre
» il ne daigne pas fonger à la bordure
"
»
JUILLET. 1762. 113
"
» dans laquelle on l'encadre en fortant
» de fes mains ; affaire d'Ouvrier , fe
» dit- on
, trop inférieure à l'Ouvrage &
» à l'Auteur. C'eft ainfi que dans le
» fecret de la préfomption , raiſonnent
» le Poëte & le Muficien , à l'exemple
» du Peintre mais il arrive fouvent
» que le Public , qui raifonne autre-
» ment , détruit en un inftant tout ce
» triomphe fantaftique. C'eft alors que
» comme le Peintre s'en prend au déf-
» avantage ddee llaa bboorrdduurree ,, les autres
après s'être réciproquement pouffé &
repouffé le blâme du Poëme à la Mu-
" fique , & de la Mufique au Poëme ,
» fe réuniffent pour accufer les Ballets
» & les autres acceffoires de toute l'in-
» fortune du chef- d'oeuvre qu'ils avoient
» produit & fur lequel ils fondoient
» l'efpoir de leur gloire.
""
>
» Il eft donc vrai pour ces Meffieurs ,
» dans ces momens de revers , que les
» acceffoires font néceffairement liés à
» la conftitution de certains Spectacles.
» Les Anciens le croyoient , puifqu'ils
» en faifoient l'objet de leurs études &
» des régles qu'ils établiffoient dans
» leurs Poëtiques . Il eft donc vrai que
"
» pour réuffir , il faut avoir ces parties.
114 MERCURE DE FRANCE.
>>
en vue , non pas feulement lorsqu'un
Opéra va être mis au Théâtre , mais
» dès le premier inftant que l'on en
» conçoit l'idée & que l'on cherche
» ou le fujet, ou les moyens de traiter &
» de tourner ce fujet le plus avantageu-
» fement.
» Je ne diffimulerai pas que la fe-
» conde & peut-être la principale cau-
» fe du peu de progrès de l'art des Bal-
» lets , vient de la privation de génie
» dans plufieurs Maîtres , ou de la fauffe
" application de ce génie , dans le petit
» nombre de ceux auxquels on en peut
» attribuer quelques portions.
» Une longue expérience , éclairée
par de bons & par de mauvais fuc-
» cès , me donne le droit de parler à
» mes Confrères avec une forte de fer-
» meté , dont ils doivent me fçavoir gré
» & dont ils m'auront obligation s'ils
» veulent bien apporter quelques foins
» à entendre les principes que je vais
» leur expofer. Je crois devoir d'abord
» donner une idée de ce que j'entends
» par Génie , & pour m'expliquer , em-
» ployer des comparaifons faciles à fai-
» fir. Dans des Arts réputés plus intel-
>> lectuels que la Danfe , tels que peu-
» vent être la Poëfie & l'éloquence ,
JUILLET. 1762 . IIS
ود
ور
» les mots , comme fignes des chofes
» ou des penfées , font les premiers
» moyens pratiques ; plus ou moins d'élégance
dans leurs diverfes combinai-
» fons , eft l'opération d'un certain goût
» de tact , qui dirige le Poëte & l'Öra-
» teur ; ce n'eſt encore qu'au fuffrage
» de l'oreille qu'ils ont droit de préten-
» dre . Si par la fagacité de l'imagination ,
» on donne un certain tour à la façon
» de préfenter des idées , même un peu
» communes , on parvient à amufer , à
» éblouir un moment les Lecteurs ou les
» Auditeurs ; ce fera avoir de l'efprit, ce
» fera en avoir mis dans l'Ouvrage.
» Mais fi l'on ne dit très - lumineufement
» des chofes plus nouvelles que les au-
» tres n'avoient dit , fi l'on ne frappe vi-
» vement l'imagination par les images
» les plus fortes & en même tems les plus
» vraies; fi l'on n'excite avec énergie des
» fentimens qui faffent paffer dans l'a-
» me , pour ainfi dire , celle des Per-
»fonnages que l'on peint ou que l'on
» fait parler , on n'aura rien fait qui
» tienne du génie ; on ne peut en appli-
» quer la qualification ni à l'Auteur ni
» à l'Ouvrage .
» En appliquant à la Mufique , ce
» qu'on vient d'établir fur le Poëme ,
116 MERCURE DE FRANCE.
» il s'enfuit que dans nos Drames ly-
» riques , fi le Muficien n'a fait que mo-
» duler avec graces & facilité fur les pa-
>roles qu'il doit chanter;s'il n'a mis dans
»fes fymphonies qu'une harmonieuſe
» union de fons , ou forte ou tendre
" ou agréable , fans objet déterminé
» & fenfible , ce ne fera qu'un gracieux
» modulateur , un fçavant harmoniſte
» mais nullement un Muficien de génie.
وو
» La Mufique devient donc pour
» le compofiteur, un langage qui lui eft
» propre , un fecours , un coloris ajou-
" té pour embellir le plan dont la Poë-
» fie lui a tracé le trait. Il montrera duz
génie , s'il ajoute par fes chants aux
» fentimens qu'annoncent les vers, & fi
» fes fymphonies donnent un nouveau
» degré de force aux images que pré-
» fente le Poëme , en augmentant les di-
> vers mouvemens que le Poëte aura eu
» deffein d'exciter.
» En degré proportionnel , ne peut-
» on pas confidérer la Danfe comme
» un troifiéme moyen relatif à la con-
» ftitution de l'Opéra François ? Elle
» fera , conféquemment , à l'égard de
» la Mufique ce que celle- ci eft à l'é-
» gard des paroles . Ce fera un nou-
» veau langage , qui doit faire parler
JUILLET. 1762. 117
» la Mufique inftrumentale d'un Opéra,
» comme la mufique vocale en fait par-
"ler la Poëfie . Il fera donc moins abfurde
de dire , qu'il ne l'étoit d'ignorer
, que lorfque les paroles & la mufique
d'un Opéra font finies , il refte
à les mettre en Danfes. Si cela eft
,, vrai , comme je me flatte de l'avoir
,, prouvé , combien de nos meilleurs
Opéras anciens & modernes font encore
à achever !
ود
"
""
"
" Je ferois fâché que l'on pût induire.
» de mon fyftême , que j'adhére à celui
» d'un long & faftueux étalage d'érudi-
» tion , affez commune, qui a paru il y a
» quelques années fous le fpécieux pré-
» texte d'ouvrage fur la Danfe. Trom-
» pé par l'équivoque du mot latin Sal-
» tatio , l'Auteur, ainfi que tous ceux qui
» ont traité ce Sujet , à confondu no-
» tre Danfe avec l'art de la Pantomime
» fi cher aux Romains & fi exalté par
» la crédule postérité. Je fuis perfuadé
» qu'il n'y avoit que très - peu & même
» aucun rapport entre les principes , de
» même qu'entre les moyens de ces ta-
» lens. Je ne peux qu'être très - étonné
» auffi que l'on ait confondu avec cet
» Art Pantomime des Anciens & avec
» notre Danfe Théâtrale , la Danfe Cho118
MERCURE DE FRANCE.
»
#
» rique , dont on a fait ufage dans nos
» Temples ; tout cela étant réellement
» en foi très-différent , & les conféquen-
» ces ridicules qu'on en a tirées , très- indifférentes
à l'objet que l'on fe propo-
» fe qui eft de faire parler nos Ballets. Je
dois ajouter encore qu'en réduifant
» l'hiftorique au vraisemblable, on peut
» regarder ce que les Anciens nous ont
» tranfmis de l'Art merveilleux des Pan-
» tomimes , à- peu-près comme ce que
» difoient certaines gens parmi nous
» fous le preftige de la nouveauté , lorf-
» que l'on a exécuté en France pour la
» premiere fois quelques Ariettes Ita-
» liennes ; ils fe perfuadoient de la meil-
» leure foi du monde qu'ils entendoient
» des légumes bouillir dans une marmi-
» te , un caroffe rouler, & autres chofes
»femblables.
Malgré cela , je n'en fuis pas moins
» convaincu du droit qu'on a de rire de
» nous , lorfque dans notre maniere de
" traiter les Ballets , nous ufons entre
» Confrères de la qualification de génie ;
» parce qu'il eft certain que ce talent ,
» encore dans la Barbarie , eft fufcep-
» tible de beaucoup de progrès indif-
" penfables pour lui faire mériter le titre
» d'Art.
>
JUILLET. 1762. 119
" Si l'on a fait quelqu'attention aux
» principes que je viens d'établir, & que
je ne crois pas qu'on puiffe me con-
» tefter , il en réfultera que ce qu'on
appelle Pas dans notre talent , tient
» lieu des mots pour notre langage ; que
» leurs combinaifons forment des phra-
» fes plus ou moins bien tournées ; que
» tout cela méthodiquement ordonné ,
» ce fera avoir écrit correctement ; mais
» que l'exécution de ces parties , quel-
» que parfaite qu'elle puiffe être , ne fera
" autre chofe , par comparaifon , que
» lire réguliérement , avec les inflexions
» convenables , & très-bien prononcer :
» il n'y aura en tout ceci rien qui pro-
» vienne du génie , rien qui puiffe lui être
» relatif. Pour me fervir de l'hyperboli-
» que expreffion des Applaudiffeurs ,
» les Danfeurs ou les Danfeufes dont
» les pas écrivent les nottes ont fans
» doute, à un très -grand degré, le mérite
» de bien articuler. Mais qu'articulent-
» ils ? Voilà de quoi il s'agit, pour favoir
» s'il y a non feulement du génie , mais
» même fimplement de l'efprit dans leur
» Danfe . On doit plaire aux yeux , fans
» contredit , lorfque l'on danfe ; c'eſt
» la premiere condition : mais comme
» la Danfe doit , par un autre langage
,
» auxiliaire , prêter un coloris , une nou120
MERCURE DE FRANCE .
» que ,
»
,
» velle intelligibilité à celui de la Mufiil
faut donc néceffairement que
» la Danfe parle à l'efprit qu'elle
» excite ou rappelle des idées , & que
» dans les occafions, elle détermine l'a-
» me aux mouvemens que le Poëte & le
» Muficien auront voulu lui faire pren-
» dre. Sans cela , le plus excellent, le plus
» admirable Danfeur , ne fera aux re-
» gards du goût raifonné , qu'un adroit
» exécuteur de tours d'une efpéce plus
gracieufe que les tours de force ; que
» l'on éffaye de prouver qu'il ait droit
» à d'autres prétentions? A plus forte rai-
» fon, le Compofiteur de Ballets doit- il
" moins croire en avoir réellement com-
» pofé , lorfqu'il n'aura trouvé que ce qu'il
» nomme des Paffes ou bien une diftri
» bution de certains pas dans un cercle
» très-étroit de marches fur le Théâtre ,
»foit entre quelques-uns des Perfonnages
» danfans , foit entre un plus grand nom-
» bre;le tout formant des files qui paffent
» en fe croifant , de la droite à la gauche
» & de la gauche à la droite ; ou encore
lorfque le prétendu génie s'étend davantage
, & qu'il aura trouvé pour fes
longues files des figures que les enfans
» exécutent & trouvent , en jouant avec
tout ce qui tombe fous leurs mains.Je
"
"
JUILLET. 1762 . 121
Je ne puis me difpenfer de remarquer
la brillante imagination de nos
» modernes Compofiteurs dans ces lon-
» gues rues, qu'ils ouvrent à tout moment
» aux yeux du Spectateur , entre chaque
» cordon d'hommes & de femmes , tou-
» tes les fois qu'ingénieufement ils les
» font repaffer d'un côté du Théâtre à
» l'autre .
» Je ferois bien fâché qu'en improu-
»vant les pratiques habituelles des grands
» Théâtres, on me foupçonnât de prodi-
» guer quelqu'eftime à ce que j'ai vu
» pratiquer quelquefois , avec tant d'applaudiffemens
du vulgaire féduit , &
» avec fi peu de gloire pour ceux qui le
»féduifoient. On doit concevoir que
» j'entends par là ces espéces d'exercices
» foldatefques , où l'on fait jouer enfem-
» ble avec une grande préciſion , parties
" par parties , chaque membre de tous
» les individus d'un prétendu Ballet.
>>
» J'ai entendu crier au miracle, fur cet
» art ingénieux de faire prendre , l'une
après l'autre, cent poftures différentes à
» des corps rangés fur le Théâtre com-
» me des quilles dans une cour , ou des
» jettons fur la table de quelqu'un qui
» s'ennuie . Il me fembloit alors voir une
» multitude de jeunes Peintres placés
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE .
» derrière des Mannequins ,
en faire » mouvoir
les refforts
avec un très-bel ,, enſemble
. Tel étoit & tel eft encore
» ce qui , dans ces fortes de Spectacles
, » vient
bientôt
confondre
& diffiper » l'apparence
d'une
petite
action
com- » mencée
avec quelqu'idée
de bonne » Pantomime
; le tout eft couronné
d'u-
» ne Contredanfe
qu'on
peut comparer
»à la ſpirale
fans fin voilà des Ballets
! » & ce qu'il y a de plus fingulier » c'eft d'entendre
dire affez fouvent
» voilà des Ballets
de génie !
"
L'étendue de nos matiéres nous oblige
à remettre au Mercure prochain la fuite
de cette Lettre.
L
OPERA.
E 19 Juin , Mlle Duranci débuta
dans les Fêtes Grecques & Romaines ,
par le rôle de Cléopatre , le même rôle
par lequel avoit débuté Mlle Hebert . ( a)
La différence de hauteur dans les tailles
de ces deux Débutantes a préfenté un
contrafte fort fenfible .
Quant à la voix , les Muficiens Ar-
(a ) V. le premier volume de ce mois .
JUILLET. 1762. 123
,
tiftes comme les Muficiens amateurs
ont jugé celle de Mlle Duranci trèsbien
timbrée d'une qualité de fon
agréable & d'une finguliere étendue . Le
volume , fans être du premier ordre ,
a paru fort au-deffus de ce qu'on appelle
petites voix , & fuffifant à tous
les caractéres de rôles fur ce Théâtre . Si
l'on ne trouve pas encore dans les cadences
, ce qu'il faudroit pour admirer ,"
on n'y trouve rien dont on foit choqué.
On a cru s'appercevoir auffi , qu'il
manquoit à la Débutante l'habitude de
chanter avec des inftrumens ; pratique
indifpenfable pour affurer l'oreille dans
un parfait accord avec l'Orchestre. A
ces obfervations il feroit injufte de n'en
pas joindre d'autres, 1 ° . La jeuneſſe de
Mlle Duranci , qui rend fes organes
fufceptibles de toutes corrections &
fléxibles à la perfection . 2 ° . La crainte ,
extrême qu'elle a éprouvée dans ce début.
3 °. L'exercice habituel , à l'exclufion
du chant , du talent de la Comédie
; talent néanmoins dont elle retrouvera
tous les avantages à l'Opéra , &
qui lui a valu dès le premier jour des
applaudiffemens univerfels , par l'intelligence
& l'expreffion qu'elle a mife dans
fon jeu , malgré le trouble dont elle
étoit faifie . Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Le Mardi 6 du préfent mois , l'Académie
Royale de Mufique a remis au
Théâtre deux A&tes du Ballet des Caractères
de la Folie , ( b ) fans Prologue ,
& a repréfenté pour la premiere fois , à
la fuite de ces anciens A&tes , une Paftorale
nouvelle intitulée Hilas & Zélis.
On peut voir le Mercure de Septembre
1743 fur le Ballet remis & le volume
premier de ce mois , dans lequel nous
avons détaillé tout ce qui concerne l'ancien
Ballet. Il ne nous refte donc qu'à
donner une idée de la Paftorale dont
les paroles font anonymes & la Mufique
du même Auteur que celle du
Ballet, ( c )
( b ) Le Poëme eſt de M. Duclos , Hiftoriographe
de France , Secrétaire perpétuel de l'Académie
Françoiſe & Membre de celle des Infcriptions.
( c ) M. de Buri , Surintendant de la Mufique
du Roi.
JUILLET. 1762. 125
HILAS ET ZELIS. ( d )
La Scène eft à Gnide.
PERSONNAGES.
L'AMOUR .
ZELIS .
HILAS.
ACTEURS Chantans.
Mlle Riviere.
Mlle Le Mierre.
M. Larrivée.
Nymphes , Suivans de l'Amour , Gnidiens &c.
UN Autel ruftique eft élevé dans un
lieu champêtre qui eft le fute de l'action
dans cette Paftorale .
L'Amour & Zelis font en Scène . La
Bergère jure à l'Amour de n'offrir des
voeux qu'à fes autels ; fa tendreffe pour
Hilas garantit,felon elle, ce ferment. Le
Dieu paroît étonné qu'Hilas puiſſe inſpirer
ce fentiment .
> Dès le moment de fa naiffance
>> Ses yeux furent fermés à la clarté du jour.
>> Comment de la Beauté connoît il la puiſſance ?
( d ) . On a imprimé par erreur dans le précédent
Mercure Zelia.
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
C'eſt cela même qui a fait naître l'amour
de Zelis . Elle a connu Hilas dès
l'enfance , & la pitié a produit cet effet
fur fon âme. Le Dieu promet à Zelis
qu'en fa faveur le Berger jouira de la lumière.
C'eſt à elle qu'il devra donc ce miracle
; mais en même temps l'Amour la
menace de l'inconftance de fon amant
& lui ordonne d'éviter fa préfence dans
l'inftant où il verra le jour. Zelis jouit
du plaifir fi délicat de faire le bonheur
de ce qu'on aime , dût- il en coûter le
fien même,
On améne Hilas. Zelis lui expofe ce
qu'elle craint de fa légéreté , Hilas la
raffure. S'il ne peut être attaché par des
charmes qu'il ne voit pas , l'efprit de
Zelis a formé un lien plus sûr & plus
doux ,
» Pour rendre ( dit-il ) ma tendreffe extrême
Ai- je beſoin d'admirer vos appas ? »
» C'eſt un bonheur que je ne connois pas.
Zelis , en le quittant , lui annonce le
prodige qui va s'opérer & defire que
ce bien ne le rende point parjure.
HILAS , feul.
» De ce vaſte Univers je verrois le ſpectacle ?
JUILLET. 1762. 127
» Peut- être c'eſt un vain eſpoir.
» Mais quel Dieu bienfaifant , quel fouverain pou-
» voir
» De mes yeux entr'ouverts vient enlever l'obſta-
>> cle ?
» Que d'objets variés s'offrent de toutes parts !
» Quelle douce lumière
»Etonne mes efprits & charme mes regards !
>> Son feu s'étend fur la Nature entiere.
» L'immensité des Cieux , leur ordre , leur fplen-
> deur
>> Porte le caractère
» De leur fuprême Auteur.
L'Amour paroît. Les objets les plus
féduifans forment fon cortége . Une
Nymphe danfe pour féduire Hilas ; ellc
n'y réuffit pas. Une autre , par une danfe
plus voluptueufe , femble faire plus
de progrès. Il rapporte cette impreffionà
Zelis dont fon âme eft remplie.
> ..... Cette Nymphe exprime dans les pas
» Ce que je fens quand Zélis chante.
L'AMOUR.
» Si c'étoit elle ? "..
Mais Hilas ne peut s'y méprendre ;
Fiy
128 MERCURE DE FRANCE .
il la reconnoîtroit au trouble de fon
coeur. Il s'échape pour la chercher ;
il veut voir ce qu'il aime .
>> Grands Dieux ! fans ce plaifir reprenez vos bien-
>>faits .
ל כ
Zelis , ne pouvant réfifter à ſon impatience
, alloit enfreindre les ordres du
Dieu . Elle revient croyant trouver Hilas.
Le Dieu lui ordonne de monter fur
l'Autel , & furtout de ne point fe faire
connoître .
Hilas a vainement cherché Zelis ; il
revient. L'Amour lui préfcrit de fe profterner
aux pieds de la ftatue de Vénus,
en lui montrant Zelis même qui fur
l'Autel en occupe la place. Hilas eft
étonné des charmes de la Figure qu'il
croit repréfenter la Déeffe. L'Amour
lui reproche que Zelis eft oubliée à la
vue de tant d'attraits , & le menace de
le replonger dans les ténébres , puifque
le jour l'a rendu parjure. Mais Zelis ,
alors de deffus l'Autel , s'écrie :
» Arrête , Amour ! Hilas n'eft point volage.
Hilas reconnoît Zelis à la voix .
» Quel bonheur pour un amant
» Quand le coeur & les yeux confondent leur
» hommage !
JUILLET. 1762. 129
L'AMOUR ( aux deux Amans. ) '
» Goûtez une fi tendre ardeur ,
» Vivez dans ce féjour tranquille ;
>> Je vous le donne pour aſyle ,
» Et je choiûis le mien dans votre coeur.
Après le Duo , un Divertiffement général
termine la Paftorale .
On s'appercevra , par l'étendue de
notre Article dans ce Volume, combien
nous fommes furchargés de matière , &
combien peu nous pouvons fuivre notre
ufage , qui eft de rendre un compte détaillé
& critique des Ouvrages nouveaux.
Nous avons feulement tranfcrit le peu de
vers qu'on vient de lire , pour faire connoître
le coloris de ce petit Poëme.
Le Muficien a ajoûté aux deux Actes
anciens du Ballet , des chofes qui lui
devoient faire efpérer un fuccès encore
plus brillant qu'en 1743. On ne peut lui
refufer des Choeurs , des Symphonies &
d'autres morceaux , dans ces A&tes , qui
caractérisent le grand genre & la ſcience
de l'Art. Dans une Ariette , que chante
Mlle le Mierre , on trouve l'effence ,
pour ainfi dire , du goût italien mariée
avec une délicateffe admirable au goût
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
françois , ce qui produit un effet charmant.
Cependant on ne peut diffimuler
que ces Actes ne font pas reçus auffi
avantageufement que dans leur nouveauté.
Le goût du Public , élevé, felon quelques
Sectaires en Mufique , & perverti
felon d'autres , a certainement éprouvé
des changemens depuis 1743. D'ailleurs,
quoique nous euffions prévenu , dans
le dernier Mercure , du fens qui juftifioit
le titre de Caracteres de la Folie ;
ce qui n'avoit point influé il y a dixneuf
ans fur l'opinion du Public , a fait
aujourd'hui une prévention défavorable ,
parce que l'on a pris ce titre littéralement
, & que l'on s'attendoit à ne trouver
dans l'ouvrage , que tout ce qui a
rapport à la folie telle qu'on l'avoit
toujours expofée fur le Théâtre. On doit
ajoûter encore que l'intérêt du fecond
Acte , qui avoit produit tant d'effet , n'a
pas eu le même avantage. Il a éprouvé
l'inconvénient de tout rôle , coupé ( fi
l'on peut ufer de cette figure ) fur les
dimenfions de certains talens . Celui
d'Eucharis avoit été deſtiné pour Mlle le
Maure , & exécuté par cet organe unique.
Méchanique incompréhenfible de
la Nature , par lequel , dans le matériel
JUILLET. 1762. 131
même de l'inſtrument , elle avoit placé
l'intelligence motrice de fon jeu. Ce rôle
eft d'un même fentiment dans toute fon
étendue , mais varié par des nuances qui
tiennent immédiatement les unes aux
autres ; ce que le Muficien fenfible
avoit exprimé par une rondeur moëleuſe
de chants ; ce que la voix de cette ancienne
Actrice étoit capable de rendre
avec perfection.
?
Quoiqu'il en foit , on rend juftice au
Muficien dans plufieurs morceaux tranfcendans
du nouvel A&te ; ces morceaux
font & mériteront toujours d'être trèsapplaudis
, entr'autres l'admirable monologue
d'Hilas tant par la fçavante
harmonie de fon accompagnement
, que par la mélodie du chant ,
analogues l'une & l'autre à la grandeur
des idées qu'offrent les paroles. De trèsbeaux
Choeurs , un Duo agréablement
travaillé dans le goût moderne , & furtout
le dernier Divertiffement que , fans
rifquer d'en trop dire , l'on peut confidérer
comme un des plus beaux traits
de génie en Mufique , & dont l'effet
étonne autant qu'il plaît généralement ,
feroient honneur aux plus célébres Compofiteurs
, & fuffiroient peut-être pour
F VI
132 MERCURE DE FRANCE .
attirer dans d'autres circonftances le plus
grand concours d'Auditeurs.-
Cet Opéra a éprouvé un revers par
l'indifpofition, fi générale depuis quelque
temps , dont fe font trouvés attaqués
Mlle le Mierre & M. Gelin après la premiere
repréſentation . Quoique Mlle Du
bois ait fort bien fuppléé à l'un de ces
rôles , c'est toujours un accident trèscontraire
, lorfque dès les premiers jours
le Public eft privé de talens qu'il chérit
avec autant de juftice que ceux de
Mlle le Mierre.
Les Ballets font extrêmement agréa
bles , tant de la part de la Danfe , que de
part de la Mufique. Le Spectacle de
de cet Opéra eft très-bien remis en habits
& en décorations.
la
COMÉDIE
FRANÇOISE.
pre- ON a donné le 30 juin 1762 , la
miere repréſentation
d'une Piéce intitulée
le Caprice, Comédie en profe , en
trois Actes , qui a été applaudie.
On ne hazarde rien en difant qu'il eft
impoffible de mieux jouer la Comédie.
que celle-ci l'a été. Les Acteurs repréfentans
étoient Miles Dangeville , GaulJUILLET.
1762 . 133
tier , Préville & Hus. Mrs Belcourt &
Préville. Ce dernier & l'inimitable Mlle
Dangeville ont créé , l'un un petit rôle
de valet & l'autre un rôle de foubrette
à chacun defquels la tournure du fujet
ne fournit pas des traits bien faillans .
M. Belcourt a joué avec une nobleffe &
une vérité de caractère admirables , celui
d'un galant homme dompté par l'amour
pour une femme que devroit rendre
odieufe la noirceur de fes projets . Mlle
Préville , dont le talent pour les grands
caractères du haut comique étoit déja
décidé , en vient de donner de nouvelles
preuves. Les Connoiffeurs & les plus an- .
ciens Amateurs du Théâtre François ,
font convenus particulierement en
cette occafion , qu'aujourd'hui l'Art
de la Comédie fur ce Théâtre , eſt
parvenu à produire un tel degré d'illufion
, que l'art n'eft plus apperçu , &
que c'eft la vérité même des actions &
des caractères repréfentés. Voilà tout
ce qu'actuellement nous fommes en état
de dire fur cette Piéce .
,
Le 6 de ce mois , jour que l'on avoit
célébré le matin un Service pour feu
M. de Crébillon,les Comédiens François,
attentifs à tout ce qui peut honorer la
mémoire des grands Hommes , qui ont
134 MERCURE DE FRANCE .
fait l'honneur de la Nation & la gloire .
de leur Théâtre , donnerent relâche , &
le lendemain repréfenterent avec pompe
Rhadamifte , une des plus belles Tragédies
de cet illuftre Auteur. -
COMÉDIE ITALIENNE.
MALGRÉ le plaifir avec lequel on avoit
entendu chanter admirablement Mlle
Piccinelli plufieurs Ariettes , & entr'autres
une , accompagnée par des ' cors
de chaffe d'un effet charmant , la nouvelle
Italie n'a eu que quatre repréfentations.
Nous en avons dit dans le précédent
Mercure une partie des raiſons
en rendant juſtice au choix du Sujet &
au talent de l'Actrice , nous croyons devoir
nous diſpenſer de dire les autres.
Le 5 de ce mois , on a remis fur ce
Théâtre la Jeune Grecque , Comédie en
vers & en trois Actes , qui avoit été
donnée en 1756. Elle eft revue avec
plaifir. Cette Piéce vient d'être imprimée,
(a ) Nous ne doutons pas que l'extrait
n'en foit agréable à nos Lecteurs , lorfqe
nos engagemens antérieurs nous
( a ) A Paris , chez Ducheſne , rue S. Jacques ›
au Temple du Goût.
JUILLET. 1762. 135
permettrons de remplir celui-ci . En attendant
,
nous ne pouvons refuſer
d'inférer les vers fuivans , adreffés à une
des plus aimables Actrices de ce Théâtre .
A Mlle RIVIERE ( a ) , représentant le
Rôle de la jeune GRECQUE.
PAR fon jeu noble & vrai que guide la Décence
Policréte intéreffe , & fait verfer des pleurs .
Lorſqu'elle y joint encor le charme de fa Danſe ,
C'eſt à la couronner , qu'au gré de tous les coeurs,
On devroit employer les guirlandes de fleurs :
Le Temple de Vénus où l'Amour fuit fes traces
Devient celui du Gout , des Talens , & des Grâces.
GUERIN DE FREMICOURT .
Le Jeudi 8 on a donné fur le même
Théâtre la premiere repréfentation de
Sancho-Panca , dans fon Ifle , & c . Piéce
en deux Actes dans le genre du moderne
Opéra-comique ; Paroles de M. Poinfi
nei le jeune, Mufique de M. Philidor. En
nommant cet Auteur aimé du Public ,
il devient inutile d'annoncer que la Mufique
a été très-applaudie. On a fait des
( a) Connue au Théâtre fous le nom de Mlle
CATINON
136 MERCURE DE FRANCE.
retranchemens dans les paroles. Ce Sujet
avoit été traité plufieurs fois au le Théâtre
, fans fuccès .
CONCERT SPIRITUEL.
A M. DELAGARDE , Penfionnaire
Adjoint au Mercure , pour la partie
des Spectacles.
MONSIEUR ,
Nous fommes trop pénétrés de ce
que nous devons actuellement par état
au Public , & les Motets de M. de Mondonville
forment un objet trop principal
de fon amuſement au Concert Spirituel ,
pour que nous puiffions nous difpenfer
de lui rendre compte de notre conduite
vis-à-vis d'un Auteur , dont les Ouvrages
ont été toujours & fi juftement applaudis.
Nous vous prions donc , Monfieur
, de nous rendre le fervice d'inférer
cette Lettre dans le prochain volume du
Mercure ; nous vous en aurons une véritable
obligation .
Uniquement guidés par le defir de
mériter la bienveillance du Public , nous
JUILLET. 1762 . 137
avons cru que notre premier foin devoit
être d'employer tous les moyens poffibles
,pour lui conferver le corps de Mufique
dont M. de Mondonville avoit enrichi
le Concert ; & nous avons agi en
conféquence. Quelques détails , que
nous regardons comme abfolument indifpenfables
, ne laifferont ( nous nous
en flattons ) aucun doute fur la vérité
de ce que nous venons de dire .
Lorfque l'Académie Royale de Mufique
régiffoit , pour fon compte , le
Concert Spirituel , M. de Mondonville
avoit douze cens livres par an pour fes
Motets , & pour y jouer du violon :
depuis que M. Capperan & feu M. Royer,
en ont eu le privilége , il a continué d'avoir
les mêmes honoraires de douze cens
livres , mais pour fes Ouvrages feulement
; & jufqu'à ce qu'il ait été intéreffé
fui -même dans l'affaire du Concert. C'eft
d'après ces faits que nous avons offert
à M. de Mondonville quinze cens livres
par an , pour la jouiffance de fa Mufique,
pendant la durée de notre bail , au lieu
des douze cens livres qu'on lui payoit
ci-devant; en joignant à ces offres les
affurances les plus pofitives de nous conduire
felon fes vues , en tout ce qui au138
MERCURE DE FRANCE.
roit rapport à fes Motets .
*
→
La nature de nos propofitions nous
avoit fait efpérer de réuffir ; M. de Mondonville
s'y eft refufé : & nous avons
à tous égards , trop d'intérêt à nous juftifier
complettement fur ce fujet , pour
garder le filence fur les raifons qu'il a
données de fon refus : les voici. » Qu'il
» étoit bien aife de laiffer repoſer fa
» Mufique , au point que , s'il eût traité
» avec nous , il auroit exigé que , fur-
» tout dans les premiers temps , nous
» n'en euffions fait que très- peu d'uſage ;
» que connoiffant , par expérience , les
» forces de l'affaire dont nous nous trou-
» vions chargés , il convenoit que nos
offres étoient auffi confidérables que
»nous pouvions les faire ; mais qu'en
» même temps , elles étoient fi fort éloi-
" gnées de fes prétentions , qu'il ne pou
» voit les accepter ; enfin qu'il n'ofoit
» pas dire quel feroit l'objet de la de-
» mande qu'il auroit à nous faire , parce
» qu'il fentoit qu'il ne nous feroit pas
» poffible de le fatisfaire. Nous venons
de tranfcrire fidélement fa réponſe ; &
nos connoiffons trop bien fa probité ,
* C'eſt M. d'Auvergne qui a fait pour lui &
pour les deux Affociès , ces propofitions à M. de
Mondonville, & qui a reçu fa réponſe.
JUILLET. 1762. 139
pour craindre qu'il reclame contre les
expreffions dont nous nous fommes fervis
pour la rendre .
Il est très-fâcheux pour nous , d'être
à la fois privés des reffources que nous
aurions certainement trouvées dans les
Motets de M. de Mondonville , & obligés
de prévenir le Public qu'il n'aura pas
la fatisfaction de les entendre , & de
joindre de nouveaux applaudiffemens à
ceux qui les ont couronnés tant de fois :
mais nous avons trop de confiance en
fa juſtice , & nous espérons trop de fes
bontés , pour ne pas nous flatter qu'il
voudra bien ne nous point rendre refponſables
d'un événement qui nous cau-
*fe une véritable peine. Nous ofons même
croire que nos foins , nos efforts
pour varier & rendre la plus complette
qu'il nous fera poffible , cette partie des
amuſemens du Public : nous méritons
de fa part l'indulgence dont nous avons
befoin , furtout dans la pofition forcée
où nous nous trouvons ; & même des
encouragemens.
Nous invitons les Maîtres de Mufique
de la Capitale & des Provinces , à feconder
nos intentions ; en les affurant qu'ils
trouveront avec nous toutes les facilités
& tous les agrémens qu'ils pourront dé140
MERCURE DE FRANCE.
firer ; en un mot , que nous nous ferons
un devoir capital , de préfenter tous
ceux de leurs Ouvrages qui pourront
leur faire honneur , de la maniere la plus
propre à leur attirer les fuffrages du Public
, qui feul fait les grands Maîtres ,
& leur donne cette célébrité , qui eft le
but , la plus flateufe , la premiere récompenfe
des hommes à talens.
Nous avons l'honneur d'être , & c.
CAPPERAN , DAUVERGNE ,
JOLIVEAU.
A Paris , le 8 Juillet 1762.
FIN DE L'ART. DES SPECTACLES .
JUILLET. 1762. 141
POMPE FUNEBRE
DE M. DE CRÉBILLON.
LETTRE de M. DE LA GARDE
à M. DE LA PLACE.
MONSIEUR ,
Je fçais qu'après la perte que nous
avons faite de M. DE CRÉBILLON
rien ne vous a plus afflige, que de n'avoir
pú affifter à la Cérémonie intéressante à
laquelle nous avions été invités. Comme
j'ai eu l'honneur de m'y trouver , avec la
plus grande partie des Gens de Lettres
qui étoient à Paris , je crois que vous
me fçaurez gré de vous en adreffer une
relation. En fuppléant ainfi à ce que
l'état de votre fanté ne vous a pas permis
de faire par vous -même , jefens tout
les Lecteurs y perdront ; mais je
puis répondre de ne pas ajouter à cette
perte , celle de la vérité & de l'exactitude
qu'ils font en droit d'attendre dans
ce Journal.
ce
que
La repréſentation de Bénéfice au profit
du petit Neveu des Corneilles , a été
142 MERCURE DE FRANCE.
l'époque d'une forte d'émulation nationale
de vénération & de bienfaifance
envers tout ce qui tient à la mémoire
des grands Hommes qui ont illuftré
le Théatre & la Littérature . L'empreffement
, avec lequel chacun chercha dèslors
à rendre cette repréfentation plus
fructueufe, a été confacré dans nos Faftes
. Il ne fut, pour ainfi dire , qu'un premier
éffai de l'efpéce de prodigalité dont
on s'eft fait gloire depuis, pour feconder
le magnifique projet de M. de Voltaire
en faveur de Mlle Corneille : entrepriſe
glorieufe , que pouvoit feul exécuter dignement
un tel Editeur , dont la célébrité
doit un jour égaler celle de l'Auteur
qu'il aura commenté , & qui n'a
été , comme on le fçait , que la fuite
des procédés les plus nobles & les plus
généreux pour cette jeune héritière d'un
nom fi refpectable. C'eſt encore à la célébrité
du nomLittéraire , que Mlles de la
Fontaine , ignorées jufqu'à préfent ,
viennent d'attirer l'attention des plus auguftes
Perfonnes du Royaume fur leur
fort. Enfin , malgré les cenfures outrées
des Contempteurs du préfent , ce fiécle
répare cependant l'ingrate négligence
du fiécle paffé. Malgré l'auftère humeur
des ennemis du Théâtre , on ne pourra
JUILLET. 1762 . 143
difconvenir & la Poftérité n'ignorera
pas que les Comédiens François ont eu
l'avantage de donner, pour ainfi dire , le
premier fignal de cette honorable révolution
dans nos ufages.
Animés du même zéle , dès que M.
de Crébillon eut reçu la fépulture,& que
comme il convenoit , l'Académie Françoife
lui eut rendu les premiers honneurs
funébres par le fervice qu'elle avoit
fait célébrer le 2 Juin , ils déterminérent
de donner un témoignage
éclatant d'hommages & de reconnoiffance
à la mémoire de cet illuftre
Auteur. En conféquence , tout ce qu'il
y a de plus diftingué par la naiffance &
par le rang ou par le goût & l'amour
des Lettres , tous les Membres des Académies
& de tous les Corps Littéraires
ainfi que tous les autres Gens de Lettres
, les Artiſtes & les Gens de Talens
célébres avoient été invités , par des billets
imprimés , de la part de Meffieurs
les Comédiens François , Penfionnaires
du Roi, à un Service qui a été célébré,à
leurs frais , le Mardi 6 du préfent mois ,
en l'Eglife Paroiffiale de S. Jean de Latran
, Commanderie de l'Ordre de Malthe
. Il s'y rendit un fi grand nombre
des perfonnes invitées , qu'à peine le
144 MERCURE DE FRANCE .
vaiffeau pouvoit - il les contenir : cependant
cela n'occafionna pas le moindre
tumulte , par l'ordre éxact qui fut obfervé
& par le fentiment de reſpect
qu'infpiroit à tous les Affiftans l'objet
de cette Cérémonie .
Les avenues de l'Eglife , ainfi que la
Porte , étoient tendues de noir , l'intérieur
l'étoit en totalité jufqu'aux voutes
, en forte que les jours fe trouvoient
entierement fermés.
"
Le Pavé du Choeur & du Sanctuaire ,
les Stales & autres fiéges avoient été
auffi couverts de drap noir. Depuis les
Stales jufqu'à la Corniche tout étoit
tendu d'étoffe de foie noire femée de
larmes d'argent. Au-deffus , régnoit une
fuite de feftons de même étoffe , blanche
herminée ; dont les pentes , garnies
de grandes franges , étoient renouées
de diſtance en diftance par de gros cordons
d'argent guipés de noir avec
leurs glands pareils. Sur l'entablement ,
un filet de lumières très-ferrées , foutenu
fur un ornement continué de fleurons
d'or , formoit une efpéce de couronnement
à toute cette Décoration.
La partie fupérieure étoit , comme le
refte de l'Eglife , totalement maſquée
par les tentures.
Au
JUILLET. 1762 . 145
T
Au milieu du Choeur , fur un focle
couvert de noir, & fous unCiel ou Dais
à colonnes, étoit placé le Sarcophage ou
Repréfentation que recouvroit un Poële
noir croifé à plufieurs bandes d'argent.
Les Pentes extérieures du Ciel ou
Dais , étoient entierement de moire
argent , enrichies d'ornemens & grandes
franges de même à cartifane ; le
tout mêlé de quelques ornemens
noirs . Sur les bords du Socle , un grand
nombre de chandeliers d'argent , portant
de fort grands cierges , environnoient
la Repréſentation.
On avoit décoré le Sanctuaire dans
le même genre que le Choeur. On y
avoit ajouté une richeffe de plus , en y
plaçant de grands Candélabres d'argent
de la plus belle forme qui fupportoient
des girandoles d'or en forme de gerbes
qui produifoient des groupes confidérables
de lumière. L'Autel étoit paré
d'ornemens noirs croifés de moire argent
& chargé de la plus belle argenterie
, ainfi que d'un très-beau & trèsnombreux
luminaire.
On avoit diftribué dans la Nef , pour
l'éclairer , de fortes Girandoles en or &
d'une très- grande quantité de branches
chacunes , appliquées fur les tentures.
II. Vol. G
146 MERCURE
DE FRANCE
.
•
Une grande Tribune , au-deffus de
la porte de l'Eglife , garnie de gradins
& toute recouverte
de noir , ne s'étant
pas trouvée fuffifante pour la Mufique ,
on avoit conftruit d'autres gradins dans
le bas de l'Eglife de droite & de gauche
, pour contenir près de 80 Muficiens
prefque tous de l'Académie
Royale de
Mufique.
Après les Vigiles , qui furent chantées
au Choeur , on célébra une Meſſe ſolemnelle
, pendant laquelle on exécuta
l'admirable
Mufique de feu M. Gilles, &
le De profundis
de M. Rebel , Chevalier
de l'Ordre de S. Michel , Surintendant
de la Mufique du Roi , dont il
· conduifit
lui-même l'exécution
. M. le
Berton , Maître de Mufique de l'Orcheftre
de l'Académie
Royale , conduifoit
celle de la Meffe . Les principaux
Récitans furent MM. Gélin , Décentis
& Muguet de la même Académie .
Le nombre des Miniftres affiftans à
l'Autel , revêtus d'ornemens
, la majestueufe
régularité des cérémonies
, le
filence refpectueux
de l'Affemblée
, tout
contribuoit à la pompe de cette augufte
célébration.
Meffieurs les Comédiens François,qui
faifoient la dépenfe , conféquemment
JUILLET. 1762. 147
faifoient les honneurs. Deux d'entr'eux
étoient à la porte avec l'Officier public,
Ordonnateur par état de ces fortes de
cérémonies , revêtu de fa robe , pour
conduire chaque perfonne qui arrivoit ,
jufqu'à ce que l'Office Divin commençât.
Ils avoient laiffé le Choeur pour les
perfonnes invitées , autant qu'il pouvoit
en contenir. M. de Crébillon , Cenfeur
Royal , fils du défunt , y occupoit
la premiere place en long manteau de
deuil , qu'on avoit eu l'attention de lui
faire préparer & qu'il trouva fur le lieu .
Ils ne s'étoient réfervé que des places
dans la nef joignant la grille du
Choeur , les hommes d'un côté & les
femmes de l'autre. Ils allerent à la préfentation
des offrandes fuivant le cérémonial
d'uſage , les hommes précédant
les femmes , mais ayant laiffé le premier
pas à M. de Crébillon. Ces Offrandes
furent riches & d'ailleurs , pendant
le Service , il fe fit par un Eccléfiaftique
une quête très-abondante pour les
pauvres , dans toute l'Affemblée , à laquelle
ceux qui faifoient les honneurs
contribuérent encore chacun très-libéralement.
Le même ordre qui avoit été
obfervé aux Offrandes , le fut au Céré-
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
monial ordinaire qui termine le Service.
Vous êtes déja prévenu fans doute
Monfieur , par le bruit public , que quelque
magnifique qu'ait été cette Pompe ,
on y a plus admiré encore l'ordre & la
décence avec laquelle tout s'y eft paſſe.
C'est ce qui m'a paru avoir frappé généralement
tous ceux qui comme moi en
ont été témoins , & j'ai trouvé ce fentiment
généralement répandu. Je ne doute
pas que vous n'en ayez été fenfiblement
touché, Vous êtes perfonnellement inté¬
reffé à la gloire littéraire dans la par
tie dramatique.
J'ai l'honneur d'être , &c.
DELAGARDE , Cenfeur Royal &
Adjoint au Privilége du Mercure,
JUILLET. 1762. 149
ÉLOGE HISTORIQUE de M. DE
CRÉBILLON.
PROSPER ROSPER JOLYOT DE CRÉBILLON
naquit à Dijon le 13 Février 1674 de
Melchior Jolyot , Greffier en chef de la
Chambre des Comptes de cette Ville
& de Genevieve Cagnard, fille de N. Cagnard,
Lieutenant Général de Beaune, &
d'Anne Bretagne. Cette derniere étoit
iffue de l'Ancienne & noble famille des
Bretagne qui depuis deux fiécles & plus ,
fournit au Parlement de Bourgogne fes
premiers Magiftrats . En difant ceci , on
ne peut craindre que de ne pas rendre
encore à MM. Bretagne , toute la juſtice
qui leur eft due . Il ne faut pas obmettre
non plus que la famille desJolyot
eft noble & ancienne . Son titre primordial
exifte dans le Tréfor des Chartes
de la Chambre des Comptes de Dijon ;
il eft de l'an 1442 , fous Philippe le bon
qui annoblit tout à la fois deux frères
Jolyot pour fervice Militaire. On` ne
connoît en Bourgogne d'autres Jolyot ,
que ceux de qui fortoit M. de Crébillon ;
& felon ce qu'il difoit lui- même, une autre
branche établie en Franche- Comté .
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
›
On ignore le détail des premieres années
de M. de Crébillon ; heureuſement
ce ne font pas celles qui , dans la vie des
plus grands hommes intéreffent davantage.
On tient de lui feulement
qu'il avoit fait fes humanités au Collége
Mazarin fous un Profeffeut nommé
Feuardent ; qu'il s'étoit trouvé à l'ouverture
de ce College,& par conféquent
en avoit été un des premiers Ecoliers.
On ne fçait fi en fortant de fes claffes
fon Père le rappella auprès de lui , ou fi
tout de fuite il lui fit faire fon droit ;
ce qui le feroit croire , c'eft qu'il fut reçû
Avocat au Parlement. Mais la date de fa
réception eft ignorée. Quand on a connu
particuliérement M. de Crébillon ,
on n'eft point furpris que ceux qui devroient
être le mieux inftruits de ces
détails ne puiffent pas en rendre compte.
Il faut donc fe tranfporter à d'autres
temps de fa vie , & aux faits qui
ayant relation à fes talens , en font plus
dignes d'être tranfmis au Public. L'avanture
qui le détermina à la Poëfie
dramatique nous paroît de cette espéce .
Son Père , qui vouloit lui faire tomber
fa Charge & qui même la lui avoit
déja fait éxercer , l'avoit envoyé à Paris
chez un Procureur , pour y prendre
JUILLET. 1762. 151
quelque connoiffance de la pratique du
Barreau . Ce fut vraifembablement vers
l'âge de 25 à 30 ans. M. de Crébillon né
avec des paffions fort vives , voulut
bien venir à Paris ;; mais loin de vivre
conformément aux vues de fon
Père , le Procureur étoit l'homme du
monde qu'il voyoit le moins. Un jour
qu'il comptoit aller à un Bal , & qu'il
s'étoit fort paré , une pluie affreufe qui
furvint,&pendant laquelle il ne put trouver
de voiture , le força de refter à la
maifon ; c'étoit un Dimanche ; fon Procureur
étoit auffi refté chez lui & y
étoit feul. M. de Crébillon , qui jufqueslà
n'avoit regardé fon hôte que comme
un homme uniquement inftruit & occupé
de la chicane , avoit à peine daigné
lui parler. Ce Procureur qui à fon
tour, ne regardoit fon Penfionnaire que
comme un jeune éventé , fne lui avoit
jamais adreffé la parole que pour lui
faire , fur fa façon de vivre , des remontrances
toujours auffi inutiles qu'elles
étoient fouvent mal reçues. Tous
deux fe faifoient également tort. Ce
Procureur , nommé Prieur , étoit homme
d'efprit , fils de ce Prieur à qui Scaron
a adreffé une Epître. Témoin de
l'impatience où la pluie avoit jetté le
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
jeune Crébillon , Prieur lui confeilla de
fe déshabiller , de prendre fon parti &
de fe tenir refpectivement compagnie.
La converfation d'un Procureur à qui
M. de Crébillon croyoit peu d'efprit, ne
lui parut pas un dédommagement de
ce qu'il perdoit. Mais la néceffité & la
crainte de s'ennuyer encore plus tout
feul qu'avec le Procureur , le firent déférer
au confeil , & le décidérent à accepter
l'offre. Prieur , qui fçavoit que
fon Penfionnaire alloit très-fréquemment
aux Spectacles , tourna la converfation
fur cet objet. Comme il étoit du goût
de M. de Crébillon , celui-ci fit l'analyſe
des Piéces que l'on avoit données depuis
quelque temps ; & développa dans
cette converfation tant de génie , que
Prieur , qui lui-même avoit beaucoup
de connoiffances , jugea de ce moment
que la diffipation extérieure du jeune
Crébillon cachoit un très- grand homme
, qui au refte s'ignoroit encore luimême.
Perfuadé , furtout , au genre de
traits qui lui étoient échappés , que la
Nature avoit difpofé ce jeune homme
au Tragique , il lui confeilla de tenter
une Tragédie . M. de Crébillon qui n'avoit
alors d'autres garans de fon talent
pour la Poëfie, que quelques chanfons
qu'il ne prifoit guères , & à qui
JUILLET. 1762. 153
d'ailleurs les chefs-d'oeuvres de Corneille
& de Racine ne laiffoient pas croire
qu'il fut poffible de fe faire un nom
dans la carrière qu'ils avoient parcourue,
fe révolta d'abord contre le confeil , &
avec d'autant plus de vivacité , qu'il
trouvoit moins d'analogie entre le talent
de compofer des chanfons , & le talent
de faire une Tragédie. Prieur cependant
l'emporta . M. de Crébillon choifit
pour fon coup d'éffai le Sujet de la
mort des enfans de Brutus. Les Comédiens
à qui il alla la préfenter , la refuférent
; & , pour ne rien diffimuler,non
feulement elle n'étoit pas bonne , mais
encore , quoiqu'on y découvrît affez de
talent pour la verfification , elle n'annonçoit
pas que fon Auteur pût devenir
un jour un fi grand homme.
Cette Fièce exiſtoit encore il y a 30 ans;
on l'avoit retrouvée toute entiere dans
des papiers qu'il avoit mis au rebut ; &
comme on prévoyoit ce qu'il voudroit
en faire , fi on lui en eût annoncé la
découverte , on fe garda bien de l'en
inftruire ; mais le hazard la lui ayant fait
rencontrer fous fa main , il la brûla.
Defefpéré de l'affront qu'il croyoit
avoir reçu des Comédiens , M. de Crébillon
ne rentra chez Prieur que pour fe
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
•
plaindre à lui avec beaucoup d'amertume
& de colére , du défagrément qu'il
venoit de lui faire éprouver ; & jura de
ne faire de vers de fa vie. Prieur , qui
fçavoit alors à quoi s'en tenir fur cela ,
éffuya fans rien dire ce premier feu ; &
-quoiqu'il ne crût pas aux Comédiens
-autant de tort que leur en trouvoit M.
de Crébillon , feignit de s'emporter contre
eux avec autant de véhémence que
lui-même ; puis , aidé de l'impulfion fecrette
qui portoit le jeune Poëte vers le
Théâtre , il le ramena infenfiblement à
commencer une autre Tragédie. Cette
Piéce fut Idoménée , repréfentée pour la
premiere fois le 29 Décembre 1705. Le
Public qui fit grace aux défauts qu'il y
trouva , en faveur des talens qu'elle annonçoit
dans l'Auteur , la reçut affez
bien pour qu'elle eût 13 repréfentations;
elle fut imprimée en 1706. Le dernier
A&te cependant n'en fut pas goûté à la
premiere repréfentation ; M. de Crébillon
en refit un, qui fut compofé , appris
& joué en cinq jours ; c'eft l'Acte qui
eft refté. Quoiqu'on ne puiffe nier que
cette Piéce n'ait des beautés , il faut
convenir qu'elle ne déceloit pas encore
l'Auteur d'Atrée ; & que de l'une à l'autre
Tragédie , le fault eft prodigieux &
prèfque incroyable .
JUILLET. 1762. 155
En faifant cet Ouvrage , M. de Crébillon
connut fon génie que jufques- là
il fembloit avoir ignoré. Il ſe peut auffi
que s'il le connut
plutôt
, il craignit
de s'y livrer; & ce qui donneroit
affez lieu de le croire
, c'eft qu'on
fe fourient
de '
lui avoir entendu
dire qu'en compofant
Idoménée
, l'idée
de la Tragédie
d'Atrée lui vint & qu'elle
lui parut fi propre
a produire
au Théâtre
le plus grand
effet, qu'il fut tenté
de quitter
l'une pour l'au- tre ; mais que tout confidéré
, il crut ne
devoir
pas débuter
par un fujet
qui le
faifoit friffonner lui - même.
Le fuccès d'Idoménée le rendant moins
timide,& fon génie l'entraînant , il donna
Atrée en 1707. Elle eut 18 repréfentations
, quoiqu'alors on eût perdu fur
la Scène l'habitude des chofes fortes. Ce
fujet eft fi terrible ; & le caractère d'Atrée
fi fiérement déffiné, qu'il n'eſt pas étonnant
que l'on trouvât cette Piéce un peu
trop tragique. Aujourd'hui même que
notre Scène a pris plus de nerf, & que
le Public a perdu un peu de fa molle
délicateffe , on ne joue jamais certe Piéce
, fans voir régner parmi les Specta
teurs un morne filence qui annonce af
fez la force de l'impreffion qu'elle fair
fur eux. Cette Piéce , malgré toutes les
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
critiques qu'on en fit, commença & avec
juftice , la grande célébrité de l'Auteur.
Il fut décidé de ce moment , qu'il avoit
un genre à lui ; & c'étoit beaucoup fans
doute , pour un homme qui venoit après
Corneille & Racine.
On croit ne devoir pas oublier que
fon Procureur , alors fort malade , ſe
fit porter à la premiere repréfentation
d'Atrée,& que le jeune Auteur étant allé
le voir dans fa loge à la fin du Spectacle ,
Prieur lui dit en l'embraffant , je meurs
content ; je vous aifait Poëte ; &je laiffe
un Homme à la Nation . Ce qui prouve
que ce fut en effet ce Procureur qui
le fit avifer du génie qu'il ne fe connoiffoit
pas lui-même : c'est qu'il avoit,lorſqu'il
donna fon 1er 1Ouvrage , 31 ans ;
& qu'il n'eft pas naturel de penfer que
s'il l'eût connu plutôt, il eût tardé fi longtemps
à le faire briller.
Melchior Jolyot , qui cependant n'étoit
pas auffi fatisfait que Prieur , de ce
que fon fils étoit Poëte , dès Idoménée
en avoit marqué fon mécontentement ;
& le fuccès d'Atrée , tout brillant qu'il
étoit , ne l'avoit pas ramené fur cet article.
Les lettres qu'il écrivoit à fon fils
pour lui faire abandonner un métier qu'il
regardoit comme peu lucratif , & qui ,
JUILLET. 1762. 157
dans fes préjugés peut-être , lui paroiffoit
peu honorable,devinrent plus vives
& plus fréquentes que jamais , & furent
inutiles . Les complimens qu'à Dijon
( Ville qui a fourni & donne encore
à la Nation ,tant de gens de mérite
dans tous les ggeennrreess )) on faifoit à Melchior
fur la gloire de fon fils ; & la joie
que marquoient fes concitoyens , de
compter un grand homme de plus , ne
le confoloient pas du parti que fon fils
avoit pris. Ne pouvant entendre raiſon
fur cela ; & M. de Crébillon demeurant
toujours dans fon endurciffement , ils
fe brouillérent enfin , & le furent longtemps.
Ce qui , felon toute apparence ,
contribua encore plus que l'obftination
de M. de Crébillon à refter Poëte à
entretenir cette défunion c'eft que
Melchior ayant perdu fa femme , s'étoit
remarié ; que ce fecond mariage avoit
déplu à fon fils qui en voyoit déja de
triftes effets , & en craignoit encore de
plus cruelles fuites . Melchior, d'ailleurs,
avoit beaucoup de foibleffe pour fa
femme. M. de Crébillon , né avec peu
d'ordre , & beaucoup de goût pour la
dépenfe , avoit fait en Bourgogne depuis
qu'on l'avoit envoyé à Paris , peu
"
de voyages qui ne fuffent fort onéreux
158 MERCURE DE FRANCE.
à fon père. Toutes ces caufes réunies
commencerent à mettre du défordre
dans les affaires de Melchior: & entretinrent
la méfintelligence qui étoit entre
lui & fon fils .
Ce fut à-peu-près en ce temps-là que
M. de Crébillon , qui logeoit dans la rue
de Biévre , devint fort amoureux d'une
très- belle perfonne de ce quartier. C'étoit
la fille d'un Marchand Apothicaire ,
nommé Péaget. La fille étoit fort vertueufe
, M. de Crébillon en étoit vivement
épris ; l'amour , ainfi que cela devoit
être , l'emporta fur toute confidération
. M de Crébillon époufa donc en
1706 Charlotte Péaget ; & Melchior , piqué
que fon fils ne l'eût feulement
pas confulté là - deffus le déshérita:
M. de Crébillon ne s'en appliqua que
plus à la Poëfie , & en 1708 donna
Electre. Cette Tragédie , pleine de
beautés fi grandes & fi rares , malgré
fes critiques & même ſes défauts , ajoûta
beaucoup , comme de raiſon , à la
gloire & à la célébrité de fon Auteur.
Defpréaux , lui- même , n'y blâmoit que
le double amour d'Orefte & d'Electre ;
& M. de Crébillon convenoit que Def
préaux n'avoit pas tort : mais ce même
défaut lui avoit donné lieu de mettre
dans cette Tragédie , tant d'intérêt &
JUILLET. 1762. 159
de chaleur ; il lui devoit un fi beau caractère
( celui de Palamede ) , une Scène
fi noble & fi pathétique , au quatriéme
acte , que quoiqu'en pût dire
Defpréaux , quoiqu'il en penfat luimême
, il le laiffa fubfifter. Cette Pièce
eft une de celles qui font faites pour
aller , avec la même eftime , à la pofterité
la plus reculée .
Sur la fin de l'année 1707 , il avoit
perdu fon pere , qui , avant que de mourir
, avoit révoqué l'exhérédation . M. de
Crébillon fut donc obligé d'aller à Dijon
pour arranger fa fucceffion : c'étoit fon
intention , fans doute ; mais quoiqu'il
eût été long- temps chez un Procureur
il n'en entendoit pas mieux les affaires ;
& , foit par cette raifon , foit par
fa
négligence naturelle , il fe conduifit de
façon , que tout ce qui reftoit de bien
de fon pere , fut ou vendu , ou mis en
décret.
Il paroît , par des lettres de lui à fa
femme que l'on a vues autrefois , que
fon féjour à Dijon fut de deux ans à- peuprès
, & que ce fut dans cette même
Ville qu'il compofa fon Electre. On peut
remarquer à cette occafion , qu'il aimoit
beaucoup fa patrie. Il fçavoit très-bien
le patois bourguignon , & fe plaifoit fort
}
à le parler. Quoique depuis ce voyage ,
160 MERCURE DE FRANCE.
il n'en ait pas fait d'autre en Bourgogne ,
il n'en avoit pas plus oublié le patois :
& il le parla encore quelques jours
avant fa derniere maladie , avec un de
fes concitoyens qui l'étoit venu voir
& qui fut furpris qu'il l'eût affez bien
retenu , pour le fçavoir mieux que luimême.
La perte de la fortune de M. de Crébillon
, ne fut pour lui qu'une raiſon de
plus , de fe chercher des reffources dans
fes talens ; mais il avoit l'ame trop haute
& trop de goût pour la gloire , pour que
la fituation dans laquelle il fe trouvoit ,
lui fit négliger fes ouvrages ; Rhadamifte
qu'il donna au commencement
de 1711 en eft la preuve. Le caractere
fingulier de Rhadamifte ; la nobleffe
du rôle de Zénobie ; la férocité noble &
foutenue du caractere de Pharafmane ;
la force & la majefté de la plus grande
partie des vers de cette Tragédie , la
firent recevoir du Public avec tant de
tranfport , que les Comédiens ayant été
forcés de la fufpendre , à caufe de la
mort de Monfeigneur , qui arriva pendant
qu'on la jouoit , cette interruption ,
contre l'ordinaire , ne fut point funefte
à Rhadamifte qui jouit d'un des fuccès
des plus éclatans & des plus foutenus
1
161
JUILLET
. 1762.
qu'on eût jamais vû au Théâtre. Le.
temps n'a rien diminué de l'eftime que
l'on avoit pour cette Piéce : & il y a toute
apparence que fon illuftre Auteur n'exiftant
plus , on lui rendra , s'il ſe peut
plus de juftice encore.
Ce fut pendant le cours de cette Piéce,
que fa femme , depuis long-temps attaquée
de la poitrine , mourut , & autant
qu'on peut fe le rappeller , vers la quatriéme
repréſentation . M. de Crébillon
qui l'aimoit fort tendrement , fentit cette
perte avec une vivacité que le fuccès
de Rhadamifte , tout brillant qu'il étoit ,
ne put affoiblir.
On revoit toujours cette Tragédie
avec le même plaifir ; & elle eft même ,
ainfi que fon Electre , une de ces Piéces
que l'on donne , peut-être , un peu trop
fréquemment.
Jufques-là , les Piéces de M. de Crébillon
, ainfi qu'on peut en juger par,
l'ordre de leurs dates , s'étoient affez rapidement
fuccédées ; & rien ne peut
mieux prouver la facilité avec laquelle il
travailloit , que le peu d'intervalle qu'on ,
trouve entr'elles. Cela ne feroit pas bien
étonnant , s'il eût été moins diffipé :
mais il aimoit les plaifirs ; & fes fuccès
& fa célébrité , l'avoient jetté dans le
162 MERCURE DE FRANCE.
plus grand monde. Il ne pouvoit donc ,”
par fa façon de vivre , donner au travail
de momens , & encore fort inque
peu
terrompus.
2
Les perfonnes qui ont dit que pour
faire des vers , il étoit obligé de prendre
des précautions extraordinaires , comme
de fermer fes fenêtres en plein jour &
d'allumer des bougies dans fa chambre ,
ne l'ont fûrement pas connu. Il eſt vrai
que quelquefois , en compofant , il s'agitoit
beaucoup , & fe promenoit avec
vivacité dans toutes les piéces de fon
appartement. Mais le plus fouvent auffi ,
il faifoit des vers en rêvant dans fon fauteuil
, & fans nul effort apparent.
A ce propos , il racontoit que le célébre
Duvernet, l'Anatomifte, qui logeoit
au Jardin du Roi , jardin dont M de Crébillon
aimoit beaucoup la folitude , luit
avoit donné une clé de tous les petits
enclos qu'on y voyoit autrefois. Il travailloit
alors à fon Rhadamifte ; il faifoit
fort chaud : comme il croyoit n'être
vu de perfonne & qu'il s'étoit enfermé
dans un de ces petits enclos , il avoit
quitté fon habit ; & poffédé de fa verve ,
marchoit à pas inégaux & précipités ,
& pouffoit de temps en temps des cris
éffroyables. Un Jardinier , de qui il ne
JUILLET. 1762 . 163
croyoit pas être vû & qui l'obfervoit",
perfuadé, aux cris qu'il lui entendoit
pouffer , & à la violence des mouvemens
qu'il lui voyoit faire , que M. de Crébillon
, qu'il ne connoiffoit pas , étoit un
infenfé, ou un homme qui avoit fait
quelque mauvais coup , alla fur le champ
avertir Duvernet , qui accourut dans
l'enclos où étoit le prétendu forcené
qu'on lui indiquoit ; & reconnut , non
fans rire de la méprife du Jardinier ,
l'Auteur d'Atrée & d'Electre.
Il eût été à defirer & pour le Public
& pour lui -même , que, comme Rouffeau
le dit d'Ovide , moins indulgent au feu
de fon génie , il eût eu plus de goût
pour corriger fes ouvrages : mais fon
averfion pour les revoir , étoit infurmontable
; & prefque toutes fes Piéces
& fur-tout fes plus belles Scènes , font
toutes de ce qu'on appelle le premier
feu. Qu'il crût ou non , que la
correction ne fert qu'à énerver , c'eſt ce
qu'on n'oferoit affurer , quoiqu'il y ait
quelqu'apparence qu'au moins il donnoit
ce prétexte à fa pareffe fur cet article
; mais il y en a beaucoup plus , que
né en effet , pour les chofes de génie ,
il ne pouvoit plier fon efprit au froid de
la correction , & qu'il aimoit mieux fe
164 MERCURE DE FRANCE.
contenter de ce que la Nature lui of
froit fans peine , que de fe donner celle
de le châtier. On ne fçauroit nier que
ce ne foit dommage qu'il ait penfé de
cette manière , puiſqu'il eft à préfumer
qu'en écrivant avec un peu moins de négligence
, il n'en auroit pas eu moins
de génie , & qu'il y auroit gagné ce
dont on l'accuſe de manquer.
Ses fuccès , & furtout l'éclatant fuccès
de Rhadamifte qui dès-lors le fit nommer
par le Public avec Corneille & Racine,
entre les liaifons diftinguées qu'ils lui
avoient fait former , lui avoient procuré
de très-utiles amis. Tel fut feu M. le
Baron Hoguer , qui dans le paſte qu'il
occupoit alors en France , lui auroit fait
une fortune auffi folide qu'elle fut brillante
, fi M. de Crébillon eût jamais pú
fonger à l'avenir : mais feu Monfeigneur
le Régent lui-même , qui avoit pour lui
beaucoup de bonté , Meffieurs Paris ,
d'autres perfonnes encore , ont vainement
tenté de le rendre heureux de ce
côté-là.
Après Radamifte , la trop grande
diffipation dans laquelle il vivoit , le fit
travailler moins à tous égards. Xercès
ne parut qu'en 1714 , & ne fut joué
qu'une fois. Ce n'étoit pas ,
à ce que
JUILLET. 1762. 165
difoit M. de Crébillon , qu'il eût effuyé
dans cette occafion un de ces échecs
humilians qui ne permettent pas à une
Piéce de reparoître. Celle- là fut par intervalles
, fort applaudie : mais il paroît
que les
les applaudiffemens tomberent
plus fur certains détails de cette Tragédie
, que fur la Tragédie même ; lorfqu'elle
fut finie , le profond filence que
garda le Public, annonça qu'il n'en avoit
pas été auffi content qu'il l'avoit été de
toutes celles qui l'avoient précédée . La
foibleffe du caractère de Xercés déplut ,
& effectivement devoit déplaire : la noire
fcélérateffe d'Artaban , peut - être pas
affez bien voilée ; une fable froide ,
& affez mal tiffue , la firent tomber. Elle
porte tout à la fois l'empreinte des talens
de fon Auteur , & du tort que
fa négligence leur avoit fait. Telle qu'elle
eft , on y trouve des chofes de force
& de génie que tout autre que lui, n'eût
pas faites. M. de Crébillon plus piqué
du filence que le Public avoit gardé à
la fin de cette Tragédie , que fatisfait
des applaudiffemens qu'elle avoit reçus
en détail , la retira fur le champ malgré
les Comédiens qui ne la regardoient pas
comme tombée, On lui a entendu dire.
qu'ils s'y étoient moins trompés que
166 MERCURE DE FRANCE.
lui ; que fe flattant toujours qu'il en
reviendroit à leur avis , ils la firent afficher
pour le furlendemain , & que l'Affemblée
fut fort nombreufe ; mais qu'il
n'en fut pas moins inéxorable. Il n'a
fait imprimer cette Piéce qu'en même
temps que Catilina , & telle exactement
qu'il l'avoit donnée au Théâtre , quoique
les beautés qu'il y fentoit lui -même
euffent dû l'engager à y corriger les
défauts dont il convenoit auffi.
En 1715 , il fut pourvu de l'Office
de Receveur ancien & mi-triennal des
amendes de la Cour des Aydes , & en
jouit jufqu'en 1721 , que cet Office fut
fupprimé. L'on ne peut mieux juftifier
de l'excès auquel il portoit le peu de
foin qu'il avoit de fa fortune , qu'en
difant qu'il garda jufqu'à ce qu'il fut
profcrit , un récépiffé de cinquante-fept
mille livres avec lequel cette charge lui
avoit été remboursée ; & qu'alors il n'en
trouva que deux cens piftoles. Il avoit
gagné au fyftême ; & il lui étoit même
refté un affez grand nombre d'actions ;
mais également incapable de les garder
ou de s'en faire des renres , il les fondit
peu-à-peu ; & rien enfin ne lui ref
ta ni du bien avec lequel il étoit né ,
ni de la fortune qu'il avoit fçu s'acquérir.
1
JUILLET. 1762 . 167
En
1717 , il donna
Sémiramis
; cette
Piéce
mieux
conduite
que
Xercès
, ne
fut pas cependant
extrêmement
goûtée
.
Ce n'eft
pas
qu'il
n'y
ait nombre
de
fcènes
où l'on retrouve
cette
touche
forte
par
laquelle
il avoit
fi bien
fçu fe diftinguer
. Ce coloris
vigoureux
, & la cha
leur
font
les deux
parties
que
poffédoit
finguliérement
M. de Crébillon
. Le ſujer
de
Sémiramis
étoit
froid
, & peut-être
par lui-même
, de
quelque
façon
qu'il
l'eût
traité
, fufceptible
de peu
d'inté
rêt. Il ne put donc
mettre
que
dans
les
détails
, cette
même
chaleur
& cette
dignité
mâle
qu'on
trouve
dans
fes autres
Piéces
; & ce n'en
fut pas affez
; Sémiramis
n'eut
que
fept
repréfentations
.
Avant
même
que de
compofercette
der
niere
Piéce
, il avoit
eu l'idée
de la Tragédie
Cromwel
; mais
il n'en
a jamais
fait
que
la plus
grande
partie
de la premiere
Scène
, & la harangue
de Cromwel
, en
préfentant
l'infortuné
Charles
Premier
au Parlement
qui le jugea
. Il fe plaint
avec
juftice
, dans
la courte
Préface
qu'il
a mife
à la tête
de fon
Triumvirat
, de
ce que
quelques
perfonnes
l'avoient
accufé
d'avoir
fait entrer
dans
cette
Tragédie
, différens
morceaux
de fon Cromwel
, car affurément aucun de ces mor168
MERCURE DE FRANCE.
ceaux, ne pouvoit de quelque façon que
ce fût , y être placé. Il y a environ deux
mois que du fond de fon lit,il les récita
à trois perfonnes qui étoient auprès de
lui . On defiroit de les écrire fous fa
dictée ; mais il dit que ce feroit pour
une autre fois ; & jamais depuis, quelques
efforts qu'on ait pu faire , on n'a
pù l'engager à les réciter encore . Heureuſement
, on en a retenu quelques
fragmens ; & l'on peut affurer le Public
qu'ils font de la plus grande beauté , &
qu'il n'a rien mis de fon Cromwel dans
le Triumvirat. On a prétendu que ce
fut feu Mgr le Régent qui lui défendit
de continuer Cromwel ; mais il y a plus
d'apparence que la difficulté de mettre
fur notre Théâtre, un fi atroce fujet, eft
ce qui le lui fit abandonner.
Piqué du reproche qu'on lui faifoit
d'être trop cruel , & de ne pouvoir être
que cela , il fe mit , mais trois ans au
moins après Sémiramis , à compofer
une Piéce où aucun de fes héros ne mourût
; & cette Piéce fut Pyrrhus . Soit que
le mauvais état de fa fortune l'eût découragé
, foit par quelqu'autre caufe
il fut cinq ans fur cette Tragédie ; &
peut-être que fans M. Paris , l'aîné , à
qui depuis il la dédia il ne l'auroit
jamais
JUILLET. 1762. 169
jamus finie . Ele parut en 726 , à la
rentrée du Théâtre ; & fut extrêmement
applandie ; à cela près de la cruauté
qu'il en avoit bannie , on y trouva M.
de Crébillon tout entier ; c'est tour
dire.
Ce fut pendant le cours de cette
Piéce , qu'il commença Catilina , fujer
qu'il avoit depuis longtemps envie de
traiter. Entre e temps fixé pour la rentrée
des Théâtres , & la Pentecôte , il
en fit le premier A&te ; & le récita en
ce temps-la même , dans l'Orangerie de
Bercy , à une perfonne de fa famille
qui étoit allée l'y voir. Mais tant de
différentes raifons fufpendirent depuis
fon feu , que cette Tragédie ne fut jouée
qu'à la fin de 1748 .
à
En Septembre 1731 ,
il fut reçu
l'Académie Françoife , à la place de feu
M. de la Faye , & defira de faire en vers
fon remerciment ; quoique ce fat une
chofe abfolument nouvelle , l'Acadé nie
voulut bien y confentir . Son Di'cou.s
fut beaucoup , & génér lement aplandi.
Après qu'il l'eût prononcé , il réci ^a
le premier Acte de fon Catilina , qui
fut reçu du Public avec une forte e
tranfport qui devoit lui être un garant
affuré d l'impreffion qu'il produiroit
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
lorfqu'il paroîtroit au Théâtre.
T
En 1735 , à ce qu'on croit , il fut
nommé Cenfeur pour la Police : il étoit
déjà Cenfeur Royal. Ce fut auffi avant
ce temps que S. A. Mgr le Comte de
Clermont , Prince auffi connu par fon
goût pour les Arts , & par fon humanité
, que par la fplendeur de fa naiffance
, lui donna un logement dans le Palais
du petit Luxembourg , qu'il occupoit
alors . Et ce même Prince a daigné
jufques dans les derniers momens
de M. de Crébillon , l'honorer de fa bienveillance
& de fes bienfaits.
Cependant un des plus grands hommes
de la Nation languiffoit dans une
obfcurité qui étoit affez peu loin de
l'indigence ; il eft à préfumer qu'il y
avoit un peu de fa faute. M. de Crébillon
étoit on ne peut pas plus timide ,
quand il étoit queftion de demander.
Sans être né fauvage , il aimoit la folitude
; & des goûts affez bizarres qu'il
s'étoit faits , la lui rendoient encore plus
chere. D'ailleurs il ne pouvoit pas fuivre
une affaire , quelque légére quelle
fût. Avec cette négligence , & la forte
de crainte qu'il avoit de fe montrer , il
n'eft pas étonnant qu'il n'améliorat pas
fa fortune. On l'avoit entraîné dans le
JUILLET. 1762. 171
fond du Marais , & il s'y étoit laiffé conduire
, quoiqu'il n'y eût aucune connoiffance,&
qu'il y fût éloigné de toutes
les fiennes. Au milieu de l'efpéce d'oubli
de lui- même où il paffa d'affez longues
années , il travailloit de temps en temps
à fon Catilina ; mais c'étoit fi peu , qu'il
y a toute apparence qu'il ne l'eût jamais
mis en état de voir le jour , fi
Madame de Pompadour qui eftimoit
les Ouvrages de M. de Crébillon , n'eût
entrepris de ranimer une Mufe qui paroiffoit
totalement éteinte. On connoît
fon goût pour les Arts ; & l'on fait l'éclatante
protection qu'elle leur accorde.
Le defir qu'elle voulut bien marquer à
M. de Crébillon , de lui voir finir fon
Catilina ; & les encouragemens de toute
eſpèce qu'elle lui prodigua , le tirérent
enfin de la léthargie dans laquelle
il étoit plongé depuis fi longtemps . Il
fe remit à cette même Piéce qu'il fembloit
avoir pour toujours abandonnée ;
& retrouva tout fon génie , dès l'inftant
qu'il le voulut,
•
M. de Curis , fon ami , alors Intendant
des Menus- Plaifirs du Roi , pour
le diftraire fur quelques chagrins domeftiques
qu'il avoit , & quil'auroient troublé
dans fon travail , lui donna un ap-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
partement chez lui , rue du Croiffant .
Il y avcit dans cette maifon un affez
beau Jardin où M. de Crébillon acheva'
fon Catilina , au milieu d'une fociété
très-agréable qui fe ra embloit alors
fiéquemment chez M. de Curis.
Catilina mis enfin en état de paroitre
vingt- deux ans après Pyrrhus , &
lorfqu'on ne l'efpéroit plus , fut joué
avec beaucoup de magnificence , le
Roi ayant voulu que tous les habits des
Acteurs , qui étoient en fort grand
nombre , fuffent à fes frais. Sa Majefté ,
au commencement de cette même année
, avoit donné à M. de Crébillon
une penfion de cent piftoles fur fa caffette
; & à fa Bibliothéque , une place
qui en vaut autant. Il commença
donc de ce moment à être heureux ;
& le fut en effet , d'autant plus que c'étoit
de la main de fon Roi , qu'il tenoit
toute fa fortune.
Il fera toujours à regretter que dans
cette Tragédie qui fourmille de beautés
du plus grand genre , l'envie de faire de
Catilina ce qu'on appelle un grand
: Rêle , n'ait pas permis à fon Auteur de
tourner fon Sujet comme il l'eût fait
fans doute , s'il eût été moins poffédé
de ce defir. Pour peu que l'on connoiffe
le Théâtre , on conviendra que le fu
JUILLET. 1762. 173
jet de Catilina eft un de ceux qui promettent
plus qu'ils ne rendent ; mais
nous n'en devons pas moins avouer que
M. de Crébillon l'auroit traité avec plus
d'avantage , fi le principal objet dans
cette Piéce , eût été Rome mife en danger
par la fureur de Catilina , & fauvée
par les foins & la vigilance de Cicéron.
M. de Crébillon fentoit bien que c'étoit
ainfi qu'il devoit tourner fon Sujet :
mais alors Catilina auroit été néceffairement
en fous-ordre ; & ce fut à quoi il
ne put jamais confentir. Le portrait que
Sallufte fait de ce fameux fcélérat , l'avoit
gâté. Il n'eft pas impoffible , d'ailleurs
, qu'il crût que le caractère audacieux
d'un Conjuré , lui fourni : oit des
traits plus analogues à fon génie, plus faits
même pour le Théâtre , que le caractère
prudent & mefuré du Conful ; & cela
n'eft pas , effectivement , fans probabilité.
Quelques reproches qu'il s'en fit
quelquefois , le Sénat , Cicéron , tout
jufqu'au Sujet même , fut facrifié au
Rôle de Catilina. Un autre malheur ,
plus grand encore peut-être , fut le temps
qu'il mit à cet Ouvrage. On fe rappelle
que fes premieres idées étoient
très-différentes de celles qu'il adopta
depuis. Son projet avoit été de mettre
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
cette Tragédie en fept Actes ; il ne
croyoit même pas , tant alors il fe trouvoit
de matiere , pouvoir lui donner
moins d'étendue. Quoiqu'on fe fouvienne
qu'il entroit dans fon plan
beaucoup plus de difcuffions politiques
que n'en peut admettre le Théâtre ; il
y avoit auffi plus d'action , que depuis
il n'y en conferva , lorfqu'il fupprima
les deux Actes qu'il vouloit ajouter à
l'ancienne diftribution à laquelle nous
fommes accoutumés ; & cette réduction
lui couta plufieurs belles fcènes qu'il
eft fâcheux qu'il ait rejettées. La fcène
du ferment fur le fang humain , par
exemple , qui étoit de fon premier plan ,
& qui , dans fes mains , auroit été d'un
effet fi terrible , fut fupprimée, quelque
chofe qu'on pût lui dire pour l'engager
à la conferver : & c'eft une perte
qu'on ne fauroit regretter trop . Ce n'étoit
pas qu'il ne fentît auffi bien que
perfonne , tout ce qu'il en pouvoit tirer
, & tout ce qu'il pouvoit en attendre
; mais pour la replacer dans fon Ouvrage
, comme il l'auroit defiré luimême
, il auroit fallu qu'il eût de nouveau
, retourné tout fon plan ; & ce fut
à quoi il ne put jamais fe réfoudre . D'ailleurs
, à force de fe préfenter fes preJUILLET.
1762. 175
mieres idées , elles s'étoient ufées dans
fa tête : & c'eft affez ce qui arrive à
tout Auteur qui demeure trop de temps
fur fon Sujet. Il en devient fi las , qu'il
croit qu'il produira fur le Public , l'impreffion
de dégoût qu'il en reçoit luimême
; & qu'il finit par fubftituer à
ces premieres idées , prefque toujours fi
précieufes, des idées qui, peut-être mieux.
combinées entr'elles , ne les remplacent
pourtant jamais avantageufement. Ce
fut ce qui arriva à M. de Crébillon .
Comme de plus , il n'avoit rien écrit de
tout ce que dans des temps différens ,
& quelquefois fort éloignés les uns des
autres, il avoit fait de cette Piéce, il ne fe
pouvoit pas qu'il fe fit un tableau juſte
de l'enſemble ; & peut-être eft-ce acela
que l'on doit attribuer les plus grands
défauts de cette Tragédie,
2
Jamais on n'a vu au Théâtre , d'affemblée
plus nombreuſe , & en même
temps plus choifie, que celle qui fe trouva
à fa premiere repréſentation . La grande
célébrité de fon Auteur , l'idée qu'on
s'étoit faite de la Piéce, par les fragmensqu'on
lui en avoit entendu réciter , le
temps qu'il avoit mis à la compoſer ,
ou pour parler plus jufte , le temps :
qu'il y avoit qu'il la promettoit ,
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE .
Pétonnement de la voir finie , fon âge
tout fut pour le Public , une raiſon de
s'y porter avec la plus grande affluence.
Le premier Acte , un des plus beaux
& le plus beau , peut- être , qu'il y ait au
Théâtre , fut applaudi avec fureur. Indépendamment
de la force,& de la beauté
des idées , & des vers qui les expriment
, Catilina accufé par une maîtreffe
fiere & jaloufe , fembloit annoncer un
grand intérêt dont cette Tragédie , du
côté de l'amour , ne paroiffoit pas
pas fufceptible
; mais malheureufement M. de Crébillon,
ne tira pas du caractère de Fulvie ,
ni de la fituation dans laquelle il l'avoit mi
fe ,tout le parti qu'il en pouvoit tirer . Fulvie,
qui pouvoitjetter tant de mouvement
danscetteTragédie,difparoît fans aucune
bonne raiſon , après la premiere fcène
du fecond Acte , pour faire place à des
perfonnages qui n'étant pas du fond
du Sujet , & n'y étant pas même attachés
, n'y peuvent être auffi importans
qu'elle, qui, par la violence de fa paffion ,
le defir qu'elle a de fe venger d'un
amant perfide , & les moyens qu'elle
peut employer pour mettre Catilina dans
le péril le plus imminent , en eft néceffairement
le plus puiffant , mobile. On reprocha
aufi à M. de Crébillon , entr'autres
chofes , quelques longueurs qu'à la
JUILLET. 1762. 177
?
feconde repréſentation on n'y trouva
plus. La Piéce alors , malgré fes défauts
jouit d'un plein fuccès, & fut jouée de
fuite , vingt fois. Elle a depuis été reprife
avec le même applaudiffement de
la part du Public ; & l'on ne craint pas
de dire qu'elle feroit inconteftablementla
plus belle de toutes celles de M. de
Crébillon , fi , comme il le pouvoit , il
y eût mis plus d'action ; & que pour
faire de Catilina , fon principal héros , il
n'eut pas dégradé ce même Cicéron ,
qui , dans cette occafion fut à tous
égards , fi fupérieur à l'homme à qui ,
dans cette Piéce , il eft fi fubordonné.
Le dialogue de cette Tragédie eft prèf
que partout d'une extrême fimplicité ,
quant à la partie du ftyle ; & rempli
en même temps , des traits les plus forts
& de la plus grande majefté. Nous ne
poufferons pas plus loin nos obfervations
fur cet Ouvrage ; & peut- être aurions-
nous dû adoucir la critique que
nous nous sommes permis d'en faire :
mais c'est au Public que nous parlons ;
& d'ailleurs , un homme , tel que M. de
Crébillon , n'a pas befoin de flatteries.
Il fit imprimer ce te Treglie au come!
mencement de 1749 , & la dédia à Madame
la Marquise de Pompadour , qui
178 MERCURE DE FRANCE.
l'a honoré jufqu'à fa mort , de la plus
utile , & de la plus conftante protection ;
& qui l'en honore encore dans la perſonne
de fon fils.
Comme c'étoit à Madame la Marquife
de Pompadour, que l'on devoit Catilina,
ce fut auffi fous les mêmes aufpices ,
qu'à l'âge de près de foixante-feize ans ,
il commença le Triumvirat ; c'eſt-à- dire
qu'il le commença dans un âge où les
plus grands hommes font éteints , lorfqu'ils
y parviennent. Il fentoit le tort
que dans fon Catilina , il avoit fait à
Cicéron ; & vouloit , difoit-il , le réparer.
Il avoit 81 ans lorfqu'il donna cette Tragédie
; il paroît par fa Préface , qu'il
n'eût pas d'abord à fe louer de l'accueil
que lui fit le Public ; & que , dans la
fuite , il eut lieu d'en être plus content.
Ce Sujet nous paroît du nombre de
ceux qui , offrant plus à l'efprit qu'au
coeur , ne peuvent jamais paroître fur la
fcène avec un certain éclat.
Quoiqu'on ne trouve point dans cette
Piéce , toute la chaleur qui régne
dans fes autres Ouvrages ; & que peutêtre
ce foit autant la faute du Sujet, que
la faute du Poëte , on y reconnoît encore
, dans mille endroits , la main d'un
très-grand Maître ; & quand cette Tragédie
feroit de beaucoup inférieure à
JUILLET. 1762. 179
ce qu'elle eft , ce feroit toujours un
jufte fujet d'étonnement , que de voir à
un homme d'un âge fi avancé , encore
affez de force & de génie pour l'entre->
prendre & l'achever. Ceux, au refte, qui
croyent qu'il faifoit cet Ouvrage en
même temps que Catilina , font dans
une très-grande erreur. Il eft vrai que
dès ce temps -là , il avoit l'idée de traiter
ce Sujet ; mais il eſt de la même vérité,
que quand il donna la premiere de ces
Piéces , il n'avoit pas fait un feul vers
de l'autre ; & que ce ne fut même, que
plus de fix mois après le fuccès de Carilina
, que le Triumvirat fut entrepris.
Il avoit autrefois eu l'idée de traiter
la mort de Juba , ce Roi de Mauritanie,
fi fidéle au Parti de Pompée , ainfi que
Petreïus , que tous deux fe donnerent
la mort par la main l'un de l'autre , plu
τότ que de fe foumettre à Céfar. Il en
avoit même fait quelques vers dont on
ne fe rappelle que ces deux-ci , & que
l'on ne donne au Public, que parce qu'ils
paroiffent peindre de la plus grande ma
nière , le caractère de Caton. C'est Juba
qui parle à Petreius.
, י
Tele connois trop bien : loin de nous fecourir,
J
Caton , farouche & fier , ne fcaura que mourir.i.t
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
,
Ont eût dit que le poids des années,
loin d'accabler M. de Crébillon ranimát
fa Mufe. Après le Triumvirat , il
commença une autre Tragédie , toute
d'imagination , & qui devoit être intitu
lée Cleomede. Dans cet Ouvrage , il s'étoit
rendu à fon génie ; & il n'en a jamais
fait où les événemens tragiques
foient plus accumulés que dans celui-là . Il
fembloit , en travaillant encore dans un
âge, fi avancé , vouloir fe dédommager
des années qu'il avoit perdues dans un
repos qu'il fe reprochoit , & qui nous
coute , en effet , d'affez belles chofes ,
pour que nous puiffions en gémir encore
plus que lui-même. Il n'a laiffé de
cette Tragédie , que les trois premiers
Actes ; & à moins qu'une main fervile
& infidelle ne la lui ait dérobée pendant
fa derniere maladie , nous ne
croyons pas qu'elle voye jamais le jour.
Ce n'eft pas que fi on la lifoit , on ne fut
furpris de ce que fon talent lui fourniffoit
encore à l'âge de plus de 85 ans ;
mais il ne fe flattoit pas lui - même
de l'avoir mife en état d'être donnée
au Public; & les perfonnes entre les mains
de qui , après fa mort, elle eft tombée , lui
doivent,à tous égards , trop de refpe&t , pour
faire ce que, s'il eût vécu , il n'eût pas lui-
>
JUILLET. 1762. 181
même cru devoir faire. Il fe plaignoit
quelquefois du tort que des éditeurs
ineptes, ou affamés , font à la mémoire
des grands hommes , en recueillant avec
l'éxactitude la plus fcrupuleufe , & la
moins éclairée , tout ce qui a pu leur
échapper ; ceux qui poffedent ce dernier
Ouvrage , ne mériteront pas le reproche
d'avoir manqué à ce qu'ils doivent
à feu M. de Crébillon.
Il avoit une façon fingulière de compofer.
Jamais il n'a fait par écrit, le plan
d'aucune de fes Tragédies , fi l'on en
excepte Xercès qui n'eft affurément pas
la mieux conduite de toutes les fiennes.
Il ne falloit pas d'entraves à fon génie ;
& plus de méthode qu'il n'en admettoit
, l'auroit gêné. Il n'écrivoit même
jamais fes Piéces, que quand il falloit les
donner au Théâtre. On étoit à l'Affemblée
dans laquelle il récita Catilina aux
Comédiens , & on eft témoin qu'il le
leur dit tout de mémoire. Quand , felon
fon ufage , il difoit à fes amis quelque
chofe de la Piéce qu'il compofoit
fi quelqu'un d'entr'eux lui faifoit une
critique qu'il crût devoir adopter , l'endroit
qu'en conféquence il fupprimoit ,
s'effaçoit totalement de fa tête ; & il n'y
reftoit plus que ce qu'il y avoit ſub-
>
>
182 MERCURE DE FRANCE.
ftitué. Sa mémoire étoit prodigieufe ;
jamais il n'avoit rien oublié de ce qu'il
avoit appris. Dans fes dernieres années
même , il fçavoit encore très-bien le Latin
, quoique depuis qu'il étoit forti de
fes claffes , il n'en eût fait que fort peu
d'ufage. Il connoiffoit parfaitement
bien fes Poëtes ; mais comme il étoit
ennemi né de toute pédanterie , on ne
s'en appercevoit que quand il y étoit
forcé. En tout , il aimoit mieux la peine
de créer , que l'affujettiffement de l'imitation
. Ce n'étoit point qu'il ne fit grand
cas des anciens , & fpécialement des
Grecs ; mais en les refpectant , il ne
les adoroit pas ; & fçavoit fort bien juger
fes modéles & fes Maîtres. On en a la
preuve dans fon Electre , où il y a mille
beautés qui fentent la noble fimplicité
de l'antique , & dans laquelle cependant
il n'a pas fervilement imité les deux
grands Poëtes qui lui en avoient fourni
Lidée . Il défapprouvoit l'abus que nous
faifons de l'amour dans nos Tragédies ,
& ne l'y trouvoit placé que quand, comme
dans la plus grande partie de celles.
de Racine , il eft la caufe de tous les
événemens. Il fe reprochoit même beaucoup
de n'avoir pas ofé bannir l'amour,
de fa Tragédie d'Atrée , & il n'eft pas
:
JUILLET. 1762.
183
douteux que s'il eût pû fe réfoudre à
revenir fur ce qu'il avoit fait , il ne l'y
auroit pas laiffé fubfifter. Quoiqu'il eût
plus de goût pour Corneille que pour
Racine ; ( & l'on voit affez dans fes ouvrages
, la raison de cette préférence. )
il regardoit ce dernier Poëte comme le
peintre du coeur , le plus parfait qu'il
connut, & ne ceffoit d'admirer l'élégance /
& l'égalité de fes vers.
L'abondance de fes idées lui rendant
peu néceffaires les idées des autres , il
lifoit peu dans fes dernieres années ; &
cela , peut-être même , parce qu'il avoit
autrefois beaucoup lû ; & que , comme
nous l'avons dit plus haut , il avoit toutes
fes lectures préfentes à fa mémoire.
On ne craindra point d'affurer que cette
même abondance , & la vivacité de fon
imagination , font les deux caufes les
plus marquées de fa pareffe. Il aimoit
au-delà de toute expreffion , à s'occuper
de ce que l'on appelle Châteaux en
Efpagne. Les hommes cherchent tous
affez à fe tirer en quelque maniere
de ce qu'ils font par état , ou du cours
de leur vie ordinaire , en fe faifant un
tableau de ce qu'ils voudroient faire, ou
être ; mais M. de Crébillon , paffoit fur
cela toutes bornes . Quelquefois auffi ,
184 MERCURE DE FRANCE.
au lieu de fe perdre dans des rêveries
qui lui étoient auffi inutiles que fouvent
elles étoient défordonnées , il s'amufoit
à compofer dans fa tête, des Romans
a la façon de la Calpreméde , de
qui , dans ce genre , il eſtimoit beaucoup
les productions ; mais comme il
n'écrivoit jamais , il n'eft rien reſté de
tout ce que lui offroit alors fon imagination
, auffi étendue qu'elle étoit vive
& forte. Il y avoit , quand il eft mort,
plus de cinquante ans qu'il s'étoit adonné
à fumer du tabac ; & la quantité qu'il
en fumoit en un jour , paroîtroit incroyable
à ceux qui ne l'ont pas connu.
Comme c'étoit une chofe qu'il aimoit
paffionnément , & qu'il ne pouvoit fumer
par-tout , à caufe de l'odeur qui
en refte , il n'alloit volontiers que
chez les perfonnes qui lui accordoient
cette liberté ; & cette raiſon eſt une
des plus fortes de celles qui le faifoient
vivre dans une fi grande folitude . On
peut auffi lui attribuer cette rêverie
vague & indéterminée , dans laquelle .
il fe perdoit fi fouvent ; fi, du moins , il
eft vrai , ainfi que le difent ceux qui
font dans l'ufage de fumer du tabac ,
que pen lant tout le temps qu'on en
fume on ne peut ni raffembier , nj
JUILLET. 1762. 185
fuivre des idées . M. de Crébillon convenoit
lui- même , qu'à cet égard , cette
habitude lui avoit été pernicieuſe , quoique
ce foit en fumant , qu'il a compofé
toutes les Piéces qu'il a données depuis
Rhadamifte ; mais on n'en a pas
moins fujet de préfumer que , s'il eût
fe réfoudre à fumer moins il auroit
travaillé davantage .
pu
Il étoit grand , bien fait, & avoit l'air,
fort noble, Il avoit un très - beau cara-
&ère de tête , furtout quand il l'avoit
nue. C'eft ainfi que M. de la Tour l'a
peint dans le beau portrait qui a été expofé
au dernier Sallon , que M. le
Moine a fait fon bufte,& que M. Guay,
l'a gravé en pierre. M. Aved l'avoit peint
primitivement : & c'eft de tous les portraits
qu'on a faits de M. de Crébillon ,
celui qui doit frapper le plus , parce qu'il
le préfente aux yeux, tel qu'on étoit accoutumé
à le voir , & que d'ai leurs ,
il est fort reffemblant. Ce portrait a été
gravé par le célébre Baléchou.
M. de Crébillon avoit les yeux bleux
grands , & pleins de feu ; on devinoit
fans peine , en le voyant , que ce n'étoit
point un homme ordinaire . Ses
fourcils , quoique blonds , étoient fort
marqués ; comme ils les fronçoit vo- ▸
186 MERCURE DE FRANCE.
lontiers , il avoit l'air d'être plus dur
qu'il ne l'étoit ; & au feu , & à l'expreffion
de fes yeux , lorfque quelque
idée forte , ou défagréable l'occupoit , on
n'avoit pas de peine à croire qu'il avoit
fait Atrée , & qu'il avoit dû le faire .
Quoique né fort impatient , & un peu.
colère , il étoit fort doux ; & ceux dequi
il croyoit avoir le plus à fe plaindre,
rentroient aifément en grace auprès
de lui . Il étoit très -aifé à vivre , trop
peut- être fur la fin de fa vie , que le
poids des années le retenant chez lui
plus fréquemment qu'autrefois , l'avoit
rendu auffi fur le choix de fes fociétés
moins difficile , qu'à tous égards , il
n'étoit fait pour l'être.
& Quoiqu'il eût l'air fort férieux
même affez mélancolique , il étoit fort
gai , & quelquefois quelque chofe de
plus. Avec fes amis particuliers , il étoit
fort badin : mais il haïffoit l'Epigramme
& fe la permettoit rarement : lorfqu'il
lui en échappoit , elles étoient du ton
de fon efprit , c'eſt -à-dire, fortes ,& nerveufes.
Il méprifoit au plus haut point
la fatyre. Un homme à qui il prenoit
intérêt , dans un âge où loin d'avoir le
droit de décider du mérite des Auteurs,
on peut à peine les entendre , avoit comJUILLET.
1762. 187
"
pofé un mauvais Ouvrage , fur quelques
Ecrivains de fon temps ; & avoit
eû de plus la confiance de vouloir qu'il
le jugeât. M.de Crévillon eut la patience
de le lire ; mais il ne voulut pas qu'elle
fût perdue pour le jeune homme ; &
après l'avoir vivement tancé du mauvais
ufage qu'il faifoit de l'efprit qu'il
fe croyoit , ce fut par ces mots qu'il
termina fa remontrance : jugez à quel
point la fatyre eft méprifable , puifque
yous y réuffiffez en quelque forte , même
à votre age. D'après ces principes , il n'avoit
jamais écrit contre perfonne ; & on
le fçavoit fi bien , que lorfque dans fon
difcours à l'Académie , il récita ce vers :
Aucun fiel n'a jamais empoiſonné ma plume
le Public , par des applaudiffemens
réitérés , confirma la juftice que ſe renfe
doit M. de Crébillon. On n'a connu de lui
dans le genre de la critique , qu'une efpèce
de Fable en vers marotiques contre
les Fables de M. de la Motte. Cet Ouvrage
étoit plein d'imagination , de
gaieté, & de modération . Comme il étoit
admirateur paffionné de la Fontaine ,
& qu'il n'y avoit perfonne qui fentît plus
vivement que lui , le mérite de ce char-
1
mant Poëte , il ne voulut jamais croire
188 MERCURE DE FRANCE.
que les Fables de M. de la Motte dûffent,
ainfi que le foutenoient alors fes partifans,
l'emporter fur celles de la Fontaine.
Dans le mouvement d'humeur , affez
bien fondé , que lui donna un jugement
auquel il étoit loin d'acquiefcer , il fit le
petit Ouvrage dont nous parlons ; mais
foin de le deſtiner à l'impreffion , il ne
l'acheva feulement pas. Il n'a compofé
que très - peu de ces Piéces que l'on
appelle Fugitives ; & fa façon de vivre
fort retirée , l'éloignoit encore plus de
ces agréables bagatelles , que le genre
de fon efprit. Il avoit autrefois entrepris
un affez grand Ouvrage intitulé Maximes
pour les Rois , dans lequel , ſans
s'être permis un ton féditieux il y
avoit de très-grandes beautés. Il ne l'a
pas fini non plus ; & quoiqu'on ait fujet
de croire que ce qu'il en a fair ,
existe , ainfi que fa Fable fur M. de la
Motte , on n'a pas plus retrouvé de l'un
que de l'autre , dans fes papiers.
›
M. de Crébillon étoit fort fimple dans
fes moeurs né fans vanité, il parloit fort
rarement de lui - même ; & n'a jamais
pu fupporter la louange en face. Il étoit
tout fimple qu'il nnee fuût pas tâché qu'on
fentît ce qu'il valoit ; mais il n'aimoit
pas qu'on le lui dît , ou du moins
JUILLET. 1762. 189
qu'on le lui dit longtemps. Dans les
derniers mois de fa vie , i fe fit relire
Les Ouvrages
, n'en diffimula ni es
beautés ni les défauts ; & fe jugea
enfin auffi impartialement , qu'il étoit
accoutumé à juger les autres . Il a
confervé jufqu'à la fin de fa vie ,
un fentiment extrêmement fingulier &
un tact fort far. Dans fes derniers jours,
on lui envova de la Police un Ouvrage
a cenfurer , & dont l'Auteur ne fe
nommoit pas. A la beauté des vers , il
l'attribua fans balancer , à un jeune Poëte
de qui le nom , déja fort avantageufement
connu , doit aller plus loin encore;
& il ne s'étoit pas trompé.
M. de Crébillon , ( & c'eft une juftice
que tout le monde lui rend´ , )
n'a jamais connu la jaloufie : il méprifoit
tout manége, de quelque efpèce qu'il
pût être ; & n'a jamais fait plus de cabales
contre les autres , que de brigues
pour lui-même. Le jour de la premiere
repréfentation de Catilina , il étoit le
matin dans le foyer , où les Comédiens
qui craignoient un Parterre trop nombreux
, déterminoient avec lui , la quantité
de billets que l'on devoit diftribuer.
Beaucoup de perfonnes qui vouloient
être sûres d'y être placées , demandoient
190 MERCURE DE FRANCE.
qu'on leur en donnât d'avance . Un
homme , attaché de très- près par le fang
à M. de Crébillon , lui en demanda luimême
pour quelques amis qui l'en
avoient prié. Morbleu ! Monfieur , lui
répondit-il , vous fçavez bien que je ne
veux pas qu'il y ait dans le Parterre ,
perfonne qui fe croye dans l'obligation
de m'applaudir. Eh ! mon Dieu ! lui
repliqua-t- on , ne craignez rien à cet
égard : ceux pour qui je vous demande
des billet's, ne vous enferont pas plus de
grâce , pour les tenir de vos mains ; &
je puis vous en répondre .... Puifque cela
eft , vous en aurez
›
On qualifie quelquefois de Philofophie
, la pareffe qu'on a fur certaines
chofes. M. de Crébillon , qui véritablement
étoit un des plus pareffeux hommes
du monde non feulement ne faifoit
jamais de vifites dans quelque occafion
que ce fût , mais encore ne comprenoit
pas comme on pouvoit en faire ;
& il y a bien peu de Gens de Lettres ,
qui , s'ils ne regardent pas ce temps - là
comme perdu , n'imaginent du moins ,
que c'en eft un affez mal employé. Rien
auffi , n'étoit plus difficile que d'obtenir
deluiune réponse. Tous les petits devoirs
de la fociété lui étoient onéreux ; & il
JUILLET. 1762. 191
n'en rempliffoit guéres ; mais il avoit ordinairement
l'équité de ne fe pas bleffer
qu'on s'en difpensât à ſon égard.
La diffipation dans laquelle on l'a vu
vivre , furtout après le fuccès de Rhadamifte,
le peu de goût qu'il avoit pour afficher
fon talent dans la converfation , fon
ton dans le monde, fort éloigné , en effet,
du ton de ſes ouvrages , la jaloufie , peutêtre
, de quelques Auteurs , moins bien
accueillis que lui du Public , furent , felon
toute apparence , ce qui donna naif
fance au bruit qu'il n'étoit que le prêtenom
de fes oeuvres. Comme il eût été
tout au moins fort difficile de les attribuer
à aucune des perfonnes avec lef
quelles il étoit alors fort lié , ce fut un
Chartreux qu'on jugea à propos d'en faire
l'Auteur ; & ce Chartreux étoit , ajou
toit - on , un de fes plus proches parens.
Ce bruit étoit affurément, dénué de toute
vraisemblance. M. de Crébillon n'avoit
aux Chartreux, ní parens ni amis ; & fon
goût pour la folitude , tout grand qu'il
étoit , ne l'avoit même pas conduit dans
leur jardin trois fois en fa vie ; mais il
n'en éprouva pas moins pendant quelque
temps , qu'il n'y a pas de bruit , quelque
inepte qu'il puiffe être , que la méchanceté
n'accrédite , au moins dans
l'efprit de certaines gens , & que la fottife
192 MERCURE DE FRANCE.
n'adopte. Quand ces mêmes perfonnes le
virent refter fur Catilina , iis dirent que
le Chartreux étoit mort ; & que c'étoit
la cause du filence de M. de Crévillon
;
& ils le difoient depuis tant de temps ,
que lorfque , contre leur efpérance , cette
Piéce parut , ils n'eurent pas la hardieffe
de le reffufciter ; & qu'elle refta , même
de leur aveu , à M. de Crévillon.
Il parloit , au refte , fur la Tragédie
fi fupérieurement , que ceux mêmes qui
vouloient douter le plus qu'il fut l'Auteur
de fes ouvrages , ne pouvoient
l'entendre , lorfque de lui-même il entamoit
ce fujet , ou que le hazard de la
converfation le portoit deffus , fans être
convaincus qu'il n'y avoit qu'un trèsgrand
Poëte Tragique qui pût avoir fur
cet Art des vues fi profondes , & le connoître
fi bien On lui apportoit quelque
fois des plans de Tragédies fur lesquels
on le confultoit . Quand le Sujet étoit
mal choifi , & que la façon dont il étoit
arrangé , lui déceloit peu de talens dans
l'Auteur , il fe contentoit de l'exhorter à
ne pas entrer dans une carrière pour laquelle
il ne lui fembloit pas né ; mais
s'il trouvoit dans ce qu'on foumettoit à
fes lumières , dequoi renfer différemment
, loin d'en dire fimplement fon
avis
JUILLET. 1762. 103
avis , il refaifoit le plan avec l'Auteur ;
& quelquefois le rendoit tel , qu'il eût
fallu avoir tout fon génie pour le traiter
avec fuccès. Il s'étoit propofé de
donner des réfléxions fur la Tragédie ;
& l'on ne fçauroit nier que ce ne foit
un malheur pour le Public , qu'il n'ait
pas exécuté ce projet ; mais pour cela il
auroit fallu écrire ; & c'étoit une chofe
à laquelle il n'étoit pas facile de le déterminer.
On peut avancer fans témérité , que
fans cette averfion qu'il n'a jamais pu
furmonter , il auroit très-bien écrit en
profe. Il tournoit une lettre fort agréa→
blement ; & fçavoit , quand le Sujet le
comportoit , y mettre un badinage &
une légéreté dont on ne l'auroit pas
cru capable:
Il n'y a pas de François , quelque zélé
qu'il foit pour la Perfonne de fon Roi ,
qui puiffe porter ce fentiment plus loin
qu'il ne faifoit. Il le révéroit à la fois
comme fon Maître & fon Bienfaiteur,
Il eut , étant Directeur de l'Académie ,
l'honneur de le haranguer deux fois , la
premiere le 17 Novembre 1744 , après
la cruelle maladie qui penfa nous enlever
ce Monarque , & coûta tant de
larmes à la France ; l'autre en 1745:
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
Dans ces deux occafions il parla au Roi
avec une noble fermeté qui parut d'autant
plus finguliére qu'il n'avoit jamais
vû Sa Majefté , que de loin ; & quel'éclat
du Trône , qui éblouit quelquefois
les perfonnes qui en approchent le plus
fouvent , devoit à plus forte raiſon produire
cet effet fur lui , qui avoit l'honneur
de parler au Roi pour la premiere
fois. Quelqu'un lui paroiffant étonné de
ce que la préfence du Roi ne l'avoit
pas fait trembler: Eh ! pourquoi , lui
répondit-il , aurois -je été intimidé de la
prefence d'un Prince qui ne peut faire
trembler fes Sujets que de la crainte de
le perdre ?
Sa Majefté qui , fi Elle ne connoiffoit
pas perfonnellement l'homme qui lui
adreffoit la parole , fçavoit , du moins
le nom que fes ouvrages lui avoient fait
dans la République des Lettres , écouta
avec une extrême bonté , & les deux
Difcours qu'il prononça devant Elle en
ces deux occafions , & les Vers qui fuivirent
le premier de ces Difcours . On
trouve toutes ces Piéces dans l'Edition
de fes Euvres in-4°, qui en 1750. fur
faite au Louvre , par exprès Comman →
dement de Sa Majefté , & donnée par
Elle à l'Auteur,
JUILLET. 1762. 195
Le Roi , fans compter ce bienfait &
ceux qui l'avoient déja précédé , lui faifoit
une gratification annuelle de fix cens
liv. & une penfion de quatre cent francs
fur fes Bâtimens , pour le dédommager
d'un logement qu'il lui avoit donné
dans une de ces maifons qui étoient
dans la Cour du vieux Louvre , &
la défiguroient tant , avant que Sa Majefté
ayant conçu le glorieux deffein
d'achever ce fuperbe Palais fous la direction
de M. le Marquis de Marigny ,
eût ordonné qu'on les abbattît. Le Roi
depuis lui accorda encore une penſion
de 2000 liv. fur le Mercure.
M. de Crébillon ne vivoit pas comme
un autre. Il dormoit peu , & le plus fouvent
à l'heure où les autres veillent. II
étoit grand mangeur ; mais les alimens
les plus fimples, même les plus groffiers,
étoient ceux qu'il aimoit le plus . On ne
pouvoit pas être couché plus durement
que lui ; il auroit pu le difputer aux
Ánachorétes mêmes & l'emporter
peut-être. Il avoit eu beaucoup de goût
- pour la parure & les beaux meubles.
A la façon dont il étoit , quand il eſt
mort , on auroit eu de la peine à croire
qu'il eût autrefois attaché à tout cela un
fort grand prix . Il étoit très -humain ;
"
,
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
& tout ce qu'il voyoit fouffrir avoit des
droits fur fon coeur. C'étoit par ce prin →
cipe qu'il a eu pendant très - longtemps
fa maifon remplie de chiens & de chats
de qui la figure & les infirmités dépofoient
en faveur de fa commifération ,
& même en prouvoient l'excès.
Il étoit de la conftitution la plus forte
; & c'est ce que fa longue vie a encore
moins prouvé , que la façon dont
il vivoit , & qui fembloit ne devoir pas
lui permettre d'aller fi loin . Vingt ans
au moins avant fa mort , il fut attaqué
d'un éréfypéle aux jambes , qui flüoit ,
& qui par conféquent ne fut pas alors
dángereux. On l'avoit averti de prendre
garde que cette humeur ne cefsât de
couler. Quelquefois il fongeoit à l'entretenir
, quelquefois auffi il y faifoit
moins d'attention . Sur la fin de Décembre
de l'année derniere , étant dans une
maiſon d'ami , il tomba dans une espéce
de fyncope qui parut annoncer une dangereufe
maladie ; & en même temps fes
jambes fe fermérent. Comme c'étoit un
accident qui lui étoit déja arrivé plus
d'une fois , & n'avoit rien amené de finiftre
, il ne crut pas devoir s'en inquiéter
, & malgré les menaces de fes
Médecins , n'en changea pas plus de réJUILLET.
1762. 197
gime ; & c'eſt dire affez qu'il n'en vou-
Lut admettre aucun. Sa maladie, cependant,
devint affez grave pour que fur la
fin de Janvier , M. le Curé de S. Gervais
fon Paſteur , qui depuis plus de quinze
jours le difpofoit à recevoir les Sacremens
, crût qu'il étoit temps de les lui
adminiftrer. Le 29 du même mois, il reçut
donc tout à la fois le Viatique &
I'Extrême-Onction. Sa fanté parut peuà-
peu fe raffermir affez pour qu'il pût
faire efpérer que cette maladie ne feroit
pas fa derniere ; & peut- être , en effet ,
ne l'eût - elle pas été , s'il eût pu fe réfoudre
à fe ménager davantage ; mais loin
de vouloir s'affujettir à ce qui lui étoit
préfcrit , il ne changea en quelque façon
que ce fut,une maniere de vivre dans laquelle
une longue habitude l'avoit confirmé
, & que la force de fon tempérament
lui avoit jufques-là fait foutenir.
Enfin le 12 du mois dernier , il fut attaqué
d'une fuppreffion d'urine qui éffraya
d'autant plus pour lui , qu'on ignoroit
moins qu'il ne fe prêteroit pas facilement
à tout ce qui pourroit le fauver.
M. Pibrac , Chevalier de l'Ordre de S.
Michel , & Chirurgien célébre , dont l'amitié
qu'il avoit pour M. de Crébillon ne
s'étoit pas démentie , & qui par ce feul
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
principe , lui donnoit tous fes foins , jugeant
fort dangereux l'état où étoit fon
malade ; le fils de M. de Crébillon , qui
depuis quelque tems étoit allé loger chez
fon Père , pour être plus à portée de lui,
fit avertir M. le Curé de S. Gervais . Le
Lundi 14 , il fut adminiftré une ſeconde
fois , & avec l'édification de tous ceux
qui étoient dans fa chambre en ce moment-
là. Il enviſagea la mort avec beaucoup
de fermeté , mais fans nulle oftentation
de courage. Son état , enfin , ne
fit plus qu'empirer : fa tête qu'il avoit
jufques-là affez bien confervée, fe perdit
le foir du Mercredi qu'il entra dans le
tranfport ; le Jeudi il la retrouva quel
quefois , & notamment quelques heures
avant fa mort. Il éxpira enfin après une
agonie affez douce , le Jeudi 17 Juin à
neuf heures du foir,âgé de près de qua→
tre-vingt-huit ans & demi . Par des ordres
particuliers qu'il avoit donnés
qu'il étoit impoffible qu'on ne refpectât
pas ,
il ne fut inhumé que le foir du
Samedi 19 dans l'Eglife de S. Gervais fa
Paroiffe.
> &
Nous ne pouvons pas douter qu'ainfi
qu'il arrive à tous les grands Hommes
la mort de M. de Crébillon n'ajoûte cncore
à fa gloire ; & nous croyons pouJUILLET.
1762. 199
voir fans rifque , lui faire l'application
de ces vers qui font dans fon Difcours à
l'Académie , & qui y terminent l'éloge
du feu Roi.
Ce demi-Dieu mortel reffemble à la lumière
Qui prend de nouveaux feux dans l'ombre de la
Nuit ,
Et dont le corps s'accroît à mesure qu'il fuit.
Il ne laiffe qu'un fils à qui , fans les
bienfaits que Sa Majefté , en confidération
de l'honneur que M. de Crébillon
faifoit à la Nation , & aux Lettres , a
daigné répandre fur lui , il ne reſteroit
exactement que le nom de fon Père.
Il eût été à defirer pour le Public
& pour la mémoire de M. de Crébillon
lui-même , qu'une autre main que celle
qui vient de tracer l'éloge d'un homme
fi célébre , & fi digne de l'être , en eût
été chargée ; mais il eft des devoirs defquels
la médiocrité de talens ne difpenfe
pas.
Dates des Pièces de M. de Crébillon.
Idoménée , repréfenté le 29 Décembre
1705 , 13 repréſentations.
Atrée , 14 Mars 1707 , 18 repréſentations.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Electre , 14 Décembre 1708 , 14 repréfentations.
Cette Tragédie en auroit eu un plus
grand nombre , fans doute, fans le grand
froid qui obligea de fermer le Théâtre.
Les Comédiens , en faveur de quelques
perfonnes que la rigueur de la faifon
n'avoit pu empêcher de venir à la Comédie
,jouerent cette Piéce dans le foyer.
Rhadamifte & Zénobie 12 Janvier
1711 , 30 repréſentations , 23 de fuite ,
& 7 à la repriſe du mois de Mai . Il ſe fit
de cette Piéce deux éditions en huit
jours , qui fe trouvant épuifées , obligérent
à une troifiéme dans le cours de la
même année .
2
Xercès , 7 Février 1714 , jouée une
feule fois.
Sémiramis , 10 Avril 1717,7 repréfentations
.
Pyrrhus , 29 Avril 1726 , jouée 16
fois .
Catilina , 20 Décembre 1748 , 20
repréſentations.
Le Triumvirat , 23 Décembre 1754 ,
joué 10 fois.
On croit ne devoir pas omettre que
le Mardi 6 Juillet , MM . les Comédiens
firent célébrer pour M. de Crébillon ,
JUILLET. 1762. 201
dans l'Eglife de S. Jean de Latran , un
pompeux Service , comme une preuve
de leur reconnoiffance pour ce grand
homme , & un monument de leur refpect
pour les Lettres.
Il étoit des Académies de Dijon &
de Rouen ; fes lettres de réception dans
la premiere font de 1761. On ignore
dans quelle année il fut de l'autre.
N. B. Quelques perfonnes trouveront
peut-être que , dans cet éloge hiſtorique
, on eft entré dans trop de détails.
Les grands Hommes font ordinairement
vûs de leurs contemporains , avec une
indifférence qui n'admet pas fur ce qui
les regarde une curiofité bien étendue ;
mais la Poftérité aime à être inftruite
de tout ce qui concernoit ces mêmes
hommes , qu'elle eft réduite à regretter ;
& c'eft elle , fpécialement , que nous
avons eu en vue dans cet Ouvrage . Pour
le rendre moins indigne d'y paffer, nous
n'avons rien écrit ici dont nous n'ayons
été témoins , & que nous ne tenions
de la propre bouche de M. de Crébillon .
On a oublié de dire qu'il étoit l'aîné
de deux frères , morts fans poftérité , &
d'une foeur qui en a laiffé.
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V I.
SUITE des Nouvelles Politiques du
premier Vol. de Juillet.
DE COMMERCY , le 4 Juin.
MESDAMES ESDAMES Adélaïde & Victoire fe rendirent le
29 du mois dernier à Plombieres. Ces Princeffes
ont témoigné de la fatisfaction des ouvrages qul
y ont été faits depuis leur dernier voyage . Par
les foins du fieur de la Galaiziere , Intendant de
Lorraine , on jouit actuellement dans ce Bourg
de toutes les commodités dont le lieu eft fufcep
tible. On doit compter principalement dans le
nombre de celles que procurent les nouveaux travaux
, l'avantage de pouvoir prendre les eaux à
Couvert fous une gallerie fpacieufe . L'agréable a
été joint à l'utile , & l'on a pratiqué de vaftes
promenades aux deux extrémités du Bourg.
DE PLOMBIERES , le 11 Juin.
Meldames Adélaide & Victoire continuent de
prendre les Eaux avec fuccès . Le Roi de Pologne
Duc de Lorraine & de Bar , eft arrivé aujourd'hui
de Luneville , dans le deffein de paffer plufieurs
jours avec ces Princeſſes . Sa Majeſté Polonoiſe a
paru fatisfaite des Ouvrages éxécutés par fes
ordres , pour l'embelliffement de ce Bourg , &
pour la commodité des perfonnes qu'y attire l'intérêt
de leur fanté.
DE PARIS , le 21 Juin.
Les Lettres d'Allemagne contiennent les nouJUILLET.
1762. 203
velles fuivantes . Le Prince Frédéric de Brunſwick
fit , le 23 du mois dernier , une reconnoiffance
près de Gottingue. On fit fortir les Volontaires &
les Dragons , pour repouffer les Troupes qui s'en
étoient approchées , & l'eſcarmouche s'anima. Il
y eut quinze hommes tués , bleſſés ou pris de
part & d'autre. Le fieur de Larre , Officier de
diftinction , y reçut un coup de fabre ſur la tête:
il avoit été abattu & pris ; les Dragons l'ont retiré
des mains de l'ennemi , & l'ont ramené dans la
Place .
Le 29 , le Prince de Condé a formé deux nouvaux
Camps , des Troupes du Bas - Rhin , l'un
à Wefel , l'autre à Duffeldorff , & a fait entrer
dans les places les Garnifons qu'il deftine pour la
Campagne.
Le Prince Héréditaire eſt toujours à Manfter
& le Prince Ferdinand à Pyrmont. On croit que
l'Armée de ce dernier fera inceffamment un mouvement
général.
Le Marquis de Vaudreuil , ci- devant Gouver
neur & Lieutenant Général pour le Roi en Canada
, le fieur de Boishebert , ci-devant Commandant
à Miramichy , & le fieur Defmeloife , cidevant
Capitaine Aide- Major des Troupes du Canada
, qui avoient été décrétés de prife de corps
par la commifion du Châtelet , établie pour l'affaire
du Canada , viennent d'être provifoirement
mis en liberté, à la charge de fe repréſenter en étas
d'ajournement perfonnel à toutes les affignation
qui leur feront données.
L'Eſcadre du Roi , fortie de Breft le 24 Janvier,
fous le commandement du Comte de Blenac , eft
arrivée le 17 au Cap - François. Cette Eſcadre eſt
compofée de fep: Vaiffeaux de ligne , de trois Frégates
& d'une Corvette. Le Vaiffeau le Dragon ,
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
de foixante-quatre canons , a touché ſur les reftifs
qui forment la vaffe de l'entrée du Port. On a
fauvé l'Equipage , l'Artillerie , & la Carguaifon
confiftante en munitions de guerre & de bouche.
Le fort du Vaiffeau n'eſt pas encore décidé. L'Eſcadre
tranfportoit deux mille hommes de terre ,
qu'on a débarqués en fort bon état .
Le 24 du mois dernier , l'Archevêque d'Auch ,
Commiffaire délégué par le Roi de Sardaigne ,
Grand-Maître de l'Ordre de S. Maurice de Savoye
, à l'effet de conférer cet Ordre au fieur
d'Hozier de Sevigny , Juge d'Armes de la Maifon
de France , en furvivance , & au Chevalier
d'Hozier , ſon frère , Chambellan du Roi de Pologne
, Duc de Lorraine , qui avoient obtenu du
Roi la permiflion de recevoir ledit Ordre , fit ,
au nom de S. M. S. & très-folemnellement dans
l'Eglife des Dames du Calvaire , la Cérémonie de
leur donner l'Habit & la Croix de Chevaliers de
Juſtice de cet Ordre , dont Charles d'Hozier ‚, Í1 eur
grand oncle paternel , Juge d'Armes de la Nobleffe
de France , avoit été auffi honoré en 1681 ,
par le feu Roi de SardaigneVictor Amédée. Ce Prélat
étoit affifté de l'Abbé de Taſcher , Chanoine
de l'Eglife Noble & Cathédrale de Coire aux Ligues
Grifes , nommé Promoteur de l'Ordre pour
cette Cérémonie.
Les nouvelles de Toulon portent que l'Eſcadre
commandée par le fieur de Bompar , laquelle eſt
composée de dix Vaiffeaux de ligne , de deux
Frégates , & de trois Chebecs , à mis à la voile le
7 de ce mois , fur les deux heures après-midi ,
ayant fous fon Convoi plufieurs Bâtimens de
tranſport.
Le fieur Pingré , Chanoine Régulier de Sainté
Geneviève , & le fieur l'Huillier , que le Roi avoit
fenvoyé à l'Ifle Rodriguez , pour y obſerver le paf
age de Vénus , font de retour de leur voyage ; &
JUILLET. 1762. 205
le Comte de Saint-Florentin , Miniſtre & Sécrétaire
d'Etat , les préfenta à S. M. le 31 du mois
dernier.
Le 7 de ce mois à midi , le Curé de Saint
Roch , affifté de tout fon Clergé , célébra dans fon
Eglife , à l'Autel de la Chapelle de la Vierge , une
Meffe pour le Roi, oùily eut un concours nombreux
de perfonnes de tous Ordres ; & le Maréchal Duc
de Noailles étoit à la tête des Marguilliers. On
continuera de dire , tous les jours , à la même
heure , dans cette Eglife , pendant la vie du Roi ,
une Meffe pour Sa Majefté , fuivant les intentions
du feu fieur de Mergeret , ancien Lieutenant de
Vaiffeaux .
Le dix -feptiéme Tirage de la Lotterie de l'Hôtel-
de-Ville , s'est fait le 19 Mai , en la maniere
accoutumée . Le Lot de cinquante mille livres eft
échu au Numero 93863 , celui de vingt mille ,
au Numero 97715 , & les deux de dix mille aux
Numeros 199479 & 81670.
Les Juin , on tira auffi dans l'Hôtel- de-Ville ,
la Lotterie de l'Ecole Royale Militaire. Les cinq
Numeros fortis de la roue de fortune , font 37 ,
67,35 , 74 , & 57 3 le prochain tirage fe fera le
S Juillet.
MARIAGES.
Charles- Jules Armand de Rohan , Prince de
Rochefort , Maréchal des Camps & Armées du
Roi & Gouverneur de Nifmes & de Saint- Hyppolite
en furvivance , fut marié le 24 Mai à Demoiſelle
Marie - Henriette -Charlotte - Dorothée ,
fille d'Alexandre d'Orléans Marquis de Rothelin,
Lieutenant-Général des Armées du Roi , Gouverneur
du Port- Louis ; & de Marie- Catherine - Dorothée
de Roncherolles du Pont-Saint-Pierre . La
Bénédiction Nuptiale leur a été donnée par le
Cardinal de Rohan , dans la Chapelle particuliére
206 MERCURE DE FRANCE.
de l'Hôtel de Rothelin . Le Prince de Rochefort eft
fils de Charles de Rohan , Comte de Rochefort,
Prince de Montauban , Lieutenant Général des
Armées du Roi , & Gouverneur de Nifmes ; & de
feue Eléonore - Eugénie de Béthify.
Le 22 du même mois , Jean - Laurent de Durfort-
Civrac , fils du Marquis de Durfort- Civrac ,
Ambaffadeur de France auprès de S. M.Sicilienne,
a époufé Adélaïde- Philippine de Durfort , feconde
fille du Duc de Lorges , Lieutenant Général
des Armées du Roi. Le Comte de Durfort - Civrac,
en faveur de fon mariage , & avec la permiſſion
de Sa Majefté , a pris le titre de Comte de Lorges.
MORTS.
Barbe- Magdeleine- Elizabeth de Schembech ,
veuve du Comte de Lowendalh , Maréchal de
France , mourut à Paris , le 8 Mai , dans ſa cinquante-
troisiéme année.
Elifabeth -Charlotte de Saureau , Epoufe de
Jean-Jacques , Comte de Ligneville & du Saint-
Empire , Chambellan de feu Léopold , Duc de
Lorraine & de Bar , Capitaine des Gardes de ce
Prince , Lieutenant- Colonel de fon Régiment,
Chevalier des Ordres Royaux & Militaires de S,
Maurice & de S. Lazare de Piémont , & Grand-
Bailli des Villes & Bailliage d'Epinal, mourut ici
le mêmejour , âgée de foixante- deux ans.
Marie-Anne Huart de la Poterie , veuve d'Elie
Guillaume , Comte de l'Hôpital - Sainte-Mefme ,
eft morte le 17 , au Château de Sainte- Mefme en
Beauce .
François-Jofeph , Comte de la Tour -du-Pin ,
Vicomte de la Charce , eft mort à Paris le 18 ,
âgé de 70 ans.
Denis -Henri le Blond , Abbé de l'Abbaye
Royale de Bardoue , Ordre de Citeaux , Diocèle
A JUILLET. 1762. 207
d'Aufch , mourut en cette Ville le 30 , dans la
foixante -dix- neuvième année de fon âge.
Charlotte-Jacqueline-Jofephe Marnays de S.
André de Verfel , époufe de Pierre - Jacques- François
Louis -Augufte Feron , Comte de la Ferronnays
, Brigadier , Meſtre de Camp du Régiment
de Dragons de fon nom & Gouverneur de la
Ville de Dole en Franche - Comté , mourut à Paris
, le 2 .
,
François-Charles de Bragelongne , Brigadier
d'Infanterie , ancien Capitaine de Grénadiers au
Régiment des Gardes Françoiſes , mourut à Paris ,
les Juin , âgé de foixante-quatre ans.
Charles-Amable - Honoré Barentin , Confeiller
d'Etat , ci- devant Intendant de la Rochelle , &
enſuite d'Orléans , eft mort en cette Ville , le 8 ,
dans la foixantiéme année de fon âge.
Antoine- Paul- Jofeph Feydeau de Brou , Maître
des Requêtes ordinaire de l'Hôtel du Roi & Intendant
de la Généralité de Rouen , eft mort à
Paris , le 9 , âgé de vingt-huit ans.
MÉMOIRE de S. E. Don Louis de Acunha fur
la réfolutionpriſe par Sa Majefté Très - Fidelle.
DONON Louis de Acunha , Secrétaire & Miniſtre
d'Etat de Sa Majeſté Très -Fidelle , ayant mis fous
les yeux de ce Monarque le Mémoire qui lui a été
remis le premier jour du mois d'Avril par Don
Jofeph Torrero , Ambaffadeur du Roi Catholique ,
& par M. O- Dunne , Miniftre Plénipotentiaire du
Roi Trés- Chrétien , dans lequel ( nonobftant les
railons apportées de la part du Roi T. F. en réponſe
au Mémoire du 20 Mars dernier ) , ils infiftent
l'un & l'autre fur toutes les demandes qu'ils
ont faites par leur premier Mémoire du 16 du même
mois ; & où ils déclarent que , fans qu'il foit
fait de nouvelles démarches auprès de S. M. T. F.
208 MERCURE DE FRANCE.
pour avoir fon confentement , les troupes Efpagnoles
poftées fur les frontieres du Portugal entreroient
dans ce Royaume pour occuper & fermer
fes Ports , de forte qu'il ne reſteroit plus au
choix de S. M. T. F. que de les recevoir comme
amies ou comme ennemies. S. M.T. F. après
avoir réfléchi fur le fufdit Mémoire , & avoir vu
que l'on y infifte toujours fur les mêmes demandes
, ordonne au fufdit Secrétaire d'Etat de donner
la réponſe ſuivante.
*
>> 1 °. Que S. M. T. F. perfiftant ( même après
→ une déclaration à laquelle on devoit fi peu s'at-
» tendre ) dans le defir fincere qu'Elle a eu &
>> qu'Elle aura toujours de complaire à LL. MM.
» C. & T. C. , Elle ne peut cependant ſe perfua-
» der qu'il lui foit permis de rompre des Traités
» défenfifs , fans que l'Angleterre lui en ait donné
fujet & fans que l'intérêt du Portugal y foit affez
» éffentiellement & immédiatement compromis ,
>> pour juſtifier une pareille infraction , & pour
» balancer les calamités d'une guerre , dans la-
>> quelle feroient engagés des Peuples qu'Elle eft
>»> obligée de conferver.
יכ
» 2. Qu'Elle ne peut pas regarder non plus ,
» comme offenfifs , les Traités qui fubfiftent de-
›› puis tant d'années entre cette Couronne & celle
» d'Angleterre , ni croire que ce qui les rend
" offenfifs , c'eft que le commerce du Portugal
» facilite à l'Angleterre les moyens exposés dans
» le dernier Mémoire fufdit . Que tout le monde
fçait au contraire, que cette raifon eft commune
» à tous les Traités défenfifs , & qu'elle en a été
>>& en fera toujours la baſe fondamentale ; l'in-
» térêt des fufdits Traités confiftant uniquement
» en ce que chacune des Puiffances contractantes
» trouve toujours , dans les fecours de la Puiffan-
>> ce avec laquelle elle a contracté , des moyens
» de fe foutenir , foit que ces fecours confiftent en
>>
JUILLET. 1762. 209
» troupes ou en argent ou en quelque chofe d'équivalent.
C'eft le cas de tous les Traités , qui
»fubfiftent entre le Portugal & l'Angleterre. Il
» eft fuffifamment autorité par le Droit Divin
> ainfi que par le Droit de la Nature & des Gens
» & par la conduite de toutes les Nations ; & per-
»fonne ne s'eft jamais plaint jufqu'à cette heure,
de ces Traités , fous prétexte qu'une raifond'intérêt
exige qu'ils ne fubfiftent point. Que non-
» feulement l'intérêt de telle ou telle Puiffance ,
comme lui étant particulier , doit céder & a
» toujours cédé à l'intéret commun & univerfel
» de la tranquillité publique des Puiffances neu-
>>tres , mais que jufqu'ici l'on n'a jamais vû le
» feul intérêt particulier fervir de titre pour attaquer
& envahir les Droits & les Poffeffions
» d'autrui , entre les Monarques auffi fcrupuleu-
» ſement attachés aux Loix de l'équité , que le
So font LL. MM. C. & T. C.
3כ
3 °. Que la confiance fans bornes , que S. M.
T. F. a toujours mife dans les liens du fang &
de l'amitié , & dans le bon voifinage du Roi C.
>>que S. M. T. F. a toujours ménagé avec tant de
» foin , ne pouvoit le manifefter par une preuve
» plus décifive & plus concluante que celle du
» filence avec lequel S. M. T. F. a vû les Fron-
>> tieres bloquées & infeftées de troupes , ainfi que
>> les empêchemens qui ont été apportés à la con-
>> tinuation du commerce des grains avec les fufdites
frontieres , de même que la grande quantité
de magafins de provifions de bouche & de
» guerre , qui ont été formés dans les environs ,
>> & le nombre des troupes Eſpagnoles que l'on
>> y a affemblées & qui y eft toujours devenu de
» plus en plus confidérable ; & enfin que S. M.
>> T. F. malgré tous ces préparatifs militaires , &
210 MERCURE DE FRANCE.
» malgré deux Actes d'hoftilités auffi caractérisés
» & auffi publics que l'étoient ceux de bloquer
a fes frontieres , & de les infeſter de troupes , n'a
jamais donné ordre à fon Ambaffadeur à la
» Cour de Madrid , de proférer une ſeule parole
aqui marquât la moindre défiance.
>>
4°.Que malgré tout cela , ce n'a été que lorf
>> qu'il eft devenu indifpenfablement, néceffaire à
>> Š.M. T. F. de mettre l'honneur de la Couronne
» à l'abri des clameurs de fes Sujers , & des cen-
→ fures que les écrits publics mêmes ofoient por
» ter für Elle , ( tout le monde fachant qu'il
» n'y avoit en Portugal ni Généraux ni Officiers
» expérimentés ) qu'Elle a fait appeller à fon fer-
» vice le Lord Tyrawley , ainfi qu'it's'est toujours
» pratiqué dans ce Royaume , & qu'il vient de fe
>> pratiquer encore par rapport à différens autres
» Officiers , non-
-feulement Anglois , mais même
» de toutes les autres Nations de l'Europe . Que
» S. M. T. F. les avoit fait venir pour difcipliner
» les troupes Portugaifes , & enfin que LL. MM.
» T. C. & C. & méme toutes les autres Puiffances
» Souveraines , pratiquoient la même chofe , fans
que cela donnât lieu de former aucun soupçon
» contre Elles.
5°.Que S, M. T. F. ne s'arrêtant point aux
»imputations contre des Particuliers qui n'éxécutent
que les ordres de leurs Souverains , &
»voulant s'expliquer fur les Vaiffeaux de l'Efca-
» dre de M. de la Clue , Elle ne peut fe difpenfer
» de rappeller qu'Elle a reçu de la part du Roi
Britannique une réparation fatisfaisante pour
» ce qui concernoit l'honneur de la Fortereffe ,
» fous le canon de laquelle ces Vaiffeaux avoient
» été pris ; qu'Elle a fait , pour obtenir leur ref
» titution , toutes les demandes réitérées dont
ם כ
JUILLET. 1762. 211
» S. M. T. C. a été informée ; & qu'il lui fem-
» bloit plus naturel d'attendre de l'amitié de Sa
» M. B. l'effet de ſes démarches , & la reſtitution
» deſdits Vaiffeaux en temps convenable , que de
» vouloir fe la procurer par une guerre entre
» prife hors de faifon , qui ne pouvoit fervir qu'à
>> rendre cette reftitution impoffible,
» 69. Que S. M. T. F. fe fatte que ces raifons
>>frappantes feront la plus grande impreflion fur
» le coeur équitable & humain , & fur l'efprit
» éclairé de LL. MM. T. C. & C.: & qu'Elles
>> reconnoîtront qu'il n'eſt ni raiſonnable ni juſte
>> qu'Elles pourſuivent contre le Portugal la guer-
» re qu'Elles ont déclarée à l'Angleterre. Qu'Elles
» ne voudroient pas donner un exemple autfi
» dangereux pour la fureté générale que celui
D d'attaquer des Puiffances neutres fur le feul
» prétexte que celles-ci ont des Traités défenfifs
>> avec quelques - unes des Puiffances belligéran
» tes. Qu'il en réfulteroit inévitablement que la
» guerre allumée entre deux Puillances embrafe-
>> roit auffi-tôt tous les autres Etats de l'Europe.
>>Que dans de pareilles circonftances , S. M. T. F.
a ne pourroit point renoncer à la neutralité qui
» conftitue fon fyftême , & que , fi Elle le faifoir,
» les Rois Très- Chrétien & Catholique feroient
eux - mêmes les premiers auprès de qui Elle
» perdroit une réputation qu'Elle a toujours préférée
à fes intérêts.
>
7°. Que s'il arrivoit donc , ( ce que l'on n'oferoit
fuppofer ) que les troupes Eſpagnoles
fous quelque prétexte que ce fût , entraffent en
>> Portugal , non-feulement fans le confentement
> de S.M. T. F. mais contre les déclarations expreffes
qu'Elle a faites dans le fufdit Mémoire
>> du 20 Mars dernier , & qui font répétées dans
212 MERCURE DE FRANCE.
celui-ci , ce qui feroit faire une guerre offenfive
& ouverte par le fait même d'une attaque
& d'une invafion ; en ce cas , le Roi T. F. ne
» pourroit fe difpenfer , fans manquer au Droit
» Divin , ainſi qu'au droit de la Nature & au
» Droit des Gens , & fans caufer un fcandale
» univerfel , de fe fervir de tous les moyens qui
font en fon pouvoir pour ſe défendre. S. M. a
» donné les ordres pour y employer toutes fes
forces , & pour les unir avec celles de fes Alliés
; & Elle fera enforte de maintenir par ce
» moyen la neutralité qui a toujours formé &
» forme encore l'objet unique & permanent de
>>fes defirs. S. M. T. F. eft perfuadée qu'il lui en
>> coûtera encore moins ( même en cette extrémi-
» té où tout doit être réglé par l'Arbitre Suprê-
» me ) de voir renverfer jufqu'à la derniere pierre
> du Palais de fa réfidence & de voir ſes fidéles
Sujets verfer juſqu'à la derniere goutte de leur
»fang , que de facrifier l'honneur de fa Couron-
» ne , qui eft ce qu'Elle a de plus cher , & de don-
» ner un exemple dangereux à toutes les Puiſſan →
>> ces amies de la paix , qui ne pourroient plus
jouir d'un état tranquille dans leur neutra-
» lité , auffi- tôt qu'il fe feroit allumé quelque
" guerreentre d'autres Puiffances avec lesquelles
» Elles auroient des Traités défenfifs. Au Palais
» d'Alcantara , le 5 Avril 1762. Signé , DON
LOUIS DE ACUNHA.
SUITE de l'EXPOSÉ des motifs de l'entrée des
troupes Espagnoles dans le Portugal .
MÉMOIRE par lequel Don Jofeph Torrero &
Don Jacques O- Dunne , demandent au Roi de
Portugal les paffeports néceſſaires pourſe retirer
chacun à leur Cour.
DON ON Jofeph Torrero , Ambaffadeur du Roi CaJUILLET.
1762. 213
tholique , & Don Jacques O-Dunne , Miniftre
Plénipotentiaire du Roi Très- Chrétien , près du
Roi de Portugal , fe conforment aux inſtructions
& ordres de leurs auguftes Souverains , en terminant
la négociation qu'ils ont entrepriſe & fuivie
de concert, à l'effet d'attirer S. M. T. F. dans le
parti que lui confeillent les véritables intérêts ;
parti qui à la vérité l'expoferoit aux viciffitudes.
des armes , mais qui indubitablement convient le
plus à fon honneur & à fa gloire , puifqu'il confifte
à unir les forces à celles d'Elpagne & de
France , & à fecouer le joug de l'Angleterre, que
la Nation Portugaile porte à fon grand préjudice.
Lefdits Ambaſſadeur & Miniftre n'eſpérent
plus que leurs Maîtres réuffiffent dans des vues fi
généreufes & fi raifonnables , foit que le Roi de
Portugal & fes Miniftres foient fi accoutumés au
joug qu'ils fouffrent , & qu'ils ne puiffent plus
le fentir , foit que l'ennemi commun ait tellement
fubjugué leur efprit , qu'il ait pu les rendre
infenfibles à toutes les raifons qui leur ont
été repréſentées avec tant d'amitié & avec
des intentions fi droites , par LL. MM, C.
& T. C. & comme il feroit abfolument inutile
quoique rien ne fût plus aifé , de réfuter tou
tes celles que contient le dernier Mémoire remis
lés do ce mois auxdits Ambaffadeur & Miniftre
par S. E. Louis de Acunha , ils ſe reſtraignent
à faire à S. M. T. F. fur ce Mémoire quelques
obfervations.
>
Il éft très - douloureux pour les Rois leurs
Maîtres , que le Roi T. F. avouant que l'Angleterre
lui a donné fujet de rompre les Traités défenfifs
( puiſqu'il a dit que ce fujet de rompre
n'étoit point d'un intérét affez éffentiel & affez
direct pour balancer les calamités d'une guerre ) ,
& pouvant avoir pefé le malheur & le défavantage
d'avoir la guerre contre l'Angleterre vis - à
214 MERCURE DE FRANCE .
vis de celui d'être en guerre contre la France &
l'Eſpagne , S. M. T. F. air pu cependant choifir
les calamités attachées à ce dernier parti , quoique
par ce choix Elle montrât le peu d'eftime
qu'Elle faifoit des forces de ces deux Monarques,
& combien elle méprifoit leur amitié , en s'uniffant
à une Puiffance par qui il est toujours conftant
qu'elle a été offenfée , foit grievement , foit
légérement , & en ne failant pas difficulté d'en
offenfer d'autres , qui n'ont pu lui en donner de
fujer qu'en voulant l'éclairer fur fes propres in
térêts.
C'eft une pure obftination & mauvaiſe volon
té dans le Roi de Portugal & dans fes Miniftres ,
quand ils difent ne pouvoir pas comprendre ni
fe perfuader que leurs Traités défenfifs avec les
Anglois feroient offenfifs par rapport à l'Espagne
& a la France , & quand ils foutiennent qu'ils
ne le le feroient pas , puifque les preuves da
contraire , apportées dans les précédens Mémoires
, font reftées fans replique . Rien d'ailleurs
n'eft plus mal fondé que la comparaiſon qu'on a
cherché à faire avec les Traités des autres Puiffances
, vâ la grande différence des fituations &
des circonstances.
La fuite des Nouvelles Politiques au Mercure
prochain.
APPROBATION.
J'ai la ,par ordre de Monſeigneur le Chancelier,
le Mercure du ſecond volume de Juillet 1762
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
P'impreffion. AParis,ce 14 Juillet 1762.GUIROY.
JUILLET. 1762 .
215
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VIRS T IN PROSI.
AM. De la Place , Auteur du Mercure. Pages
ODE far fainte Cécile , par Pope.
L'EMPIRE de la Mufique, Ode de Dryden.
LAUSUS à Lydie, Héroïde,
ARGUMENT Ou Hiftoire d'une Piéce de Théâtre
Chinoife , repréſentée à Cantone.
REMARQUES fur cette Piéce.
EPITRE à M. de Grandmefnil,
LE Roffignol , la Fauvette & la mere , Fable.
DISCOURS prononcé le jour de la S. Hubert.
MADRIGAUX donnés dans un Bal à Madame
de P..... mariée depuis peu.
AUTRE à Madame de S...
AUTRE à Mile Au.....
AUTRE à Mlle C....
Le Pouvoir de l'Amour , Sonnet.
12
19
31
42
45
48
49
ibid.
ibid.
བྷཱཝཱཡ
53
ODE fur la mort de M. Jolyot de Crébillon,
l'un des Quarante de l'Académie Franç oife $4
VERS à M. du Belloy , fur la Tragédie de
Zelmire.
ENIGMES.
19
60 &61
62 &63
64 LOGOGRYPHES.
CHANSON.
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES,
LA République de Platon , ou Difcours fur
la Juftice , divifé en dix Livres &c .
SUITE de l'Atlas de M. Buy de Mornas.
"
66
75
638
216 MERCURE DE FRANCE.
EPITRE à M. Greffet.
LETTRE à l'Auteur du Mercure..
78
81
ANNONCES de Livres. 82 & fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADEMIES.
SEANCE publique de la Société Littéraire
d'Arras , tenue le 3 Avril 1762 . 94
MEMOIRE fur la diftance du Soleil & de
toutes les Planétes & c . 95
ART. V. SPECTACCLES.
LETTRE d'un ancien Maître de Ballets dans
les Cours Etrangères.
III
OPÉRA.
122
COMÉDIE Françoiſe.
132
COMÉDIE Italienne. 134
VERS à Mlle Riviere , repréfentant le Rôle
dè lajeune Grecque.
135
CONCERT Spirituel . 136
POMPE funébre de M. de Crébillon. 141
Éloge hiftorique de M. de Crébillon.
SUITE des Nouvelles Politiques du I. Vol. de
149
by Juillet.
MARIAGES.
20г
205
MORTS. 206
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis-à-vis la Comédie Françoife.
1 .
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
A O UST. 1762 .
Diverfité , c'eft ma devife . La Fontaine.
Confia
Sains
Chez
A PARIS ,
( CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à- vis la Comédie Françcife.
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi .
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch à côté du
Sellier du Roi.
>
C'est à lui que l'on prie d'adreffer ,
francs de port, les paquets & lettres ,
pour remettre , quant à la partie littéraire
, à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour faize volumes
, à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir , ou qui prendront les frais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
par volum. c'est -à- dire 24 livres d'avance,
en s'abonnant pour feize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire veécriront
à l'adreſſe ci- nir le Mercure
deffus.
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payanı
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
, refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année. Il y en a
jufqu'à préfent foixante-dix-neuf volumes
dont la Table générale, rangée par
ordre des Matieres , fe trouve à la fin
du foixante-douzième.
MERCURE
DE FRANCE.
A O UST. 1762 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LA FAUVETTE , LE ROSSIGNOL
ET LE PINSON.
D'UNE
FABLE.
UNE jeune & tendre Fauvette ,
Parmi le peuple des oiſeaux ,
Un jour dans un bocage on célébroit la fête :
On voyoit accourir Pinſons & Tourtereaux ,
Et Roffignols , dont le ramage
1
A iij
6 MFRCURE DE FRANCE.
Formoit les concerts les plus beaux :
L'un dans fon bec apportoit pour hommage
Une branche de mirthe , un autre de laurier ,
Plufieurs , des rameaux d'olivier :
P
Dons de l'Amour & du Village.
Amant de la Fauvette un Roffignol charmant ,
Auprès d'elle , dans le bocage ,
Elevoit fon gofier brillant.
Des Roffignols du voisinage
C'étoit alors le plus galant :
Jadis il en étoit encor le plus volage ;
Mais la Fauvette avoit fixé cet inconftant.
Un timide Pinſon caché dans le feuillage ,
Au milieu des tranfports de tout le peuple aîlé ,
Paroiffoit trifte & défolé.
Le Roffignol lui dit , dans ſon charmant langage :
» La Fauvette attendoit de vous une chanfon :
» Des hôtes de ces lieux la gaîté fe déploie ,
» Et vous vous affligez ! ... » Je prends , dit le
» Pinfon,
» La même part que vous à la commune joie :
» Mais comment à vos chants pouvoir m'aſſocier?
>> J'ai votre coeur , mais non votre gofier.
» Chantez pourtant , lui dit la Fauvette adorable.
Le Pinfon ofa s'enhardir ;
Et fa voix parut agréable .
On chante toujours bien en chantant le plaifir.
Par M. LÉGIER .
AO UST. 1762.
SI
ÉPITRE ,
A Madame de V ***.
I vous étiez un peu coquette ,
Ainfi que les Belles du temps ,
Souvent des roſes du printemps
J'embellirois votre toilette :
Près de vous , dans un doux concert ,
J'irois jouer fur ma mufette
Les airs que chante St Lambert ,
Et qu'avec lui l'Amour répété.
J'irois , Papillon libertin ,
Voler autour de votre glace ;
Et m'y fixer où votre tein
Va ſe peindre ſur ſa ſurface.
J'irois vanter vos agrémens :
L'honneur qu'on a d'être jolie :
Mais par vous tous les riens brillans
De l'Amour & de la Folie ,
Et les pompons & les rubans
Qu'inventa la mode légére ,
Sont mis au-deffous des talens ,
Et Duchat ( a ) aux pieds de Voltaire.
Vous laiffez à la vanité
(a ) Célebre Parfumeur.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Et la guirlande de Thalie ,
Et le fceptre de la Beauté :
Vous tenez celui du Génie .
Des Graces avoir la douceur ,
De Minerve être la rivale ,
C'eft reffembler à votre Sour
Je ne lui croyois pas d'égale .
* Madame H ...
Par le même.
LA SOIRÉE BOULONNOISE.
ODE.
ENFIN prêt à rentrer dans l'onde ,
L'aftre qui brûle nos côteaux
Va rendre la fraîcheur au monde
En fe plongeant au fein des eaux :
Déjà de la côte prochaine ,
L'on voit deſcendre dans la plaine
Le Berger avec fon troupeau :
Déjà l'on entend la mufette
Du jeune Amant de Timarette ,
Qui vient d'arriver au hameau.
Tout languiffoit dans la Nature.
Par les ardeurs du Dieu du jour ,
A O UST. 1762. 9
Tout s'y ranime , & la verdure
Redevient un trône à l'Amour :
La fleur qui fe foutient à peine ,
De Zéphir fent la douce haleine ,
Son éclat augmente à l'inſtant ;
Poffédant enfin ce qu'elle aime ,
Son fein fe ferme au moment même
Pour conferver cet inconftant.
La nuit améné le filence ,
L'ouvrier quitte le marteau ,
Le régne de l'Amour commence ,
L'âme reffent un feu nouveau .
Sur un rempart où tout enchante ,
Aux genoux de fa chère Amante ,
Un tendre Amant peint fon ardeur.
Son trouble fait fon éloquence :
L'efprit vaut moins que le filence
Caufé par l'embarras du coeur.
Là l'épaiffeur d'un verd feuillage
Irrite la timidité
A profiter de l'avantage
Que préfente l'obscurité.
Eglé da vainqueur qui la preſſe ,
Voudroit punir l'heureuſe adreffe ;
L'Amour s'oppose à fa rigueur.
Avec quel trait punir l'offenſe
D'un coupable dont la Puiffance
S'étend fi loin fur notre coeur ?
1
A v
10 MERCURE DE FRANCE .
Loin d'ici le regard profane
D'un fombre & farouche jaloux ,
Dont l'oeil empoifonné condamne
Ce que la vie a de plus doux :
Qu'il porte loin de cet afyle
Le cruel venin qu'il diftile
Sur des biens qu'il ne peut goûter.
Qu'il laiffe jouir en filence ,
Des faveurs que l'Amour diſpenſe ,
L'Amant qui fçait les mériter.
En vain près de ce qu'on adore
L'on voudroit arrêter le temps :
Il fuit , un tendre Amant l'imploré ,
Pour lui les jours font des momens.
La Cloche * fonne , on ſe retire ,
Le coeur fouffre , chacun foupire
Après le foir du lendemain :
Songes charmans , occupez l'ame ;
Amour ! ne quittes point la trame
Que nous remettons en ta main.
Puiffe toujours notre jeuneſſe
Couler ainfi d'heureux inftans !
Jouiffons des biens , le temps preſſe
Tout difparoît avec les ans.
Des plaifirs que permet notre âge
Savoir faire un modeſte uſage ,
La Cloche de 10 heures.
A O UST . 1762 .
II
1
C'eft affurer notre bonheur :
Tout dépend de l'oeconomie
Que le Sage fait de la vie ,
Pour en prolonger la douceur.
Toi qui fur cette aimable rive ,
As verfé des bienfaits fi doux ,
>
D'AUMONT * notre ardeur la plus vive <
Seroit de te voir avec nous :
Ce peuple heureux qui te révère
Jouiroit de l'afpect d'un Père ,
Qui partageroit les douceurs.
A tes enfans fois favorable ,
Fais- nous voir la main fecourable
Qui fouvent éffuya nos pleurs.
Viens fur ces bords , quittes la gêne
Où te retiennent les grandeurs :
En ce lieu , notre unique chaîne ,
Eft celle que forment les fleurs.
Le vif éclat que la couronne
Répand fur ce qui l'environne ,
Vaut- il un fentiment du coeur ?
Non , c'eſt cette délicateſſe ,
Qu'on goûte au ſein de la tendreſſe ,
Qui feule offre le vrai bonheur.
ParM. DELPORTE , de Boulogne fur Mer.
* M. le Duc d'AUMONT , premier Gentilhomme de
la Chambre , &c. Gouverneur du Boulonnois.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE .
LETTRE à Madame de P *** .
MADAME,
Vous vous informez de ma fanté
avec la plus tendre inquiétude . Que j'ai
lû avec tranfport ces paroles de votre
derniere Lettre ! mon ami , vos jours
me font bien chers. A qui dans l'univers
font-ils plus précieux qu'à moi ? vous
craignez que je ne paffe encore les nuits
à lire , & vous attribuez la maladie que
j'ai eue , à ma paffion pour la lecture.
Ah ! Madame , je connois trop à préfent
tout le prix de la vie .
Le fçavoir vaut-il la fanté ?
Je viens fur ces rives tranquilles ,
Ranimer dans l'oifiveté ,
Le flambeau de mes jours fragiles.
Sauvé du foufle de la mort ,
Ici comme à l'ombre du Port ,
Je vois le fil de mes années
Se renouer à leur printemps :
Chaque aurore de mes journées
Fait naître en moi de nouveaux ſens,
Dans les tranſports du plaifir d'être ,
Tout m'offre des plaifirs nouveaux ..
AOUST. 1762. 13
Un gazon , l'ombre de ce hêtre ,
Ces moiffons , le chant des oifeaux ,
Chaque fleur , cette eau qui ferpente ,
Tout me plaît , me ravit , m'enchante.
Je lens ,fur ces bords enchanteurs ,
Mon âme fi longtemps flétrie ,
S'épanouir avec les fleurs .
Plaifir , doux charme de la vie ,
Je vais te goûter en ces lieux !
Eloignez-vous , Livres affreux ,
Qui des ombres de la trifteffe ,
Couvrites longtemps ma jeuneffe.
Hélas ! à la fleur de mes ans ,
Epris de ftériles merveilles ,
Je féchois à force de veilles ;
Et moiffonné dès mon printemps ,
Je périffois comme une roſe ,
Qui , le matin à peine écloſe,
Tombe & meurt fous l'effort des vents.
Jours de ma convalefcence , que jamais
le temps n'éffacera de ma mémoire
, vous coulerez dans la tranquillité &
la joie , au fein d'une aimable pareffe !
Oui , le Sage doit jouir de la vie : le
temps paffe comme un éclair ; l'étude en
précipite encore la courfe : le plaifir feul
peut le fixer.
J'ai l'honneur d'être & c .
Le Chevalier de P *****
14 MERCURE DE FRANCE .
-
POUR mettre au bas du Portrait de
M. DELATOUR
, Peintre.
LATOUR , par un enchantement ,
A les portraits donne la vie.
Avec le pinceau du Génie
Il rend toujours le Sentiment.
Par M. de C***.
LINDOR ET DÉLIE ,
CERTAIN
CONTE.
ERTAIN Enchanteur , & certaine
Fée s'aimoient depuis fi longtemps ,
qu'ils commençoient à fe hair. Tous
deux , cependant , vouloient paroître
s'aimer encore , parce que tous deux fe
craignoient. Leur pouvoir étoit à-peuprès
le même. Leur caractère entiérement
oppofé. C'eſt ce qui avoit fait furnommer
l'une , la Fée Colère , & l'autre
l'Enchanteur Pacifique. L'une étoit
extrême en tout , aimoit & haïffoit avec
emportement ; protégeoit & perfécu--
toit avec la même ardeur ; faifoit le
A O UST. 1762. IS
bien , faifoit le mal , s'en repentoit tourà-
tour ; en un mot , la meilleure & la
plus mauvaiſe de toutes les femmes.
L'autre , à toutes les bonnes qualités de
la premiere , ne joignoit qu'un petit
nombre de fes défauts. Il avoit le pou
voir de nuire , & n'en ufoit que modérément
, vertu dès - lors auffi rare que
celle d'obliger : c'étoit , pour mieux
dire , un de ces hommes , qui font le
bien par penchant , & fe permettent le
mal quand on ofe les pouffer à bout.
Il fe l'étoit permis dans une querelle
que lui , & la Fée Colère , eurent à foutenir
contre la Fée Docile & l'Enchaneur
Brouillon, autre couple auffi mal afforti
que le premier. Brouillon & Docile
avoient fuccombé ; ils fubiffoient la métamorphofe
la plus bifarre , mais elle devoit
finir un jour , & celle de Colère &
de Pacifique , lui fuccéder. Ceux - ci
trouvoient dans ce commun péril , une
raifon de plus pour refter unis & , peutêtre
une de moins pour refter Amans.
Ils fe promenoient un jour tête - à-tête ,
& s'ennuyoient fans ofer fe le dire ; auffi
ne difoient-ils prèfque rien. Ils en entendirent
mieux la converfation d'un jeune
homme & d'une jeune fille qui ne paroiffoient
difpofés ni à s'ennuyer , ni à ſe
16 MERCURE DE FRANCE.
taire. L'Amour & la fincérité préfidoient
à leur entretien; ils parloient de leur tendreffe
, de leur bonheur , & en parloient
fi éloquemment , qu'ils rendirent jaloux
ceux qui les écoutoient. Voila ce que
nous nous fommes dit plus d'une fois,
difoit froidement l'Enchanteur à la Fée .
II y a longtemps ! reprenoit - elle fur le
même ton. En difant cela , elle fixoit le
jeune homme , qui lui parut en valoir
bien la peine , ce qui étoit vrai. De fon
côté , l'Enchanteur éxaminoit Délie
c'eſt le nom de la jeune perfonne , Délie
que la nature avoit créée charmante , &
que l'Amour embelliffoit encore. Qu'ils
font heureux ! difoient , chacun à part ,
les deux témoins de leur félicité. Déja
même, & toujours chacun à part , ils
fongeoient à y mettre obftacle. Ce fut
la Fée qui s'expliqua la premiere ; mais ,
toutefois , fans trop s'expliquer. Avouez,
dit- elle à l'Enchanteur , que ce fpectacle
vous amufe ? Il dépend de vous de n'en
être pas fitot privé. Obligeons ces jeunes
gens à refter avec nous jufqu'à ce qu'ils
nous ennuient. Ce confeil fut avidement
reçu . On fe concerte , on a recours au
pouvoir des Enchantemens & de la
Féerie. Il en faloit moins pour éloigner
de leur route ordinaire deux
AOUST. 1762. 17
amans occupés uniquement l'un de l'au-,
tre. Tous deux croyoient regagner leur
demeure ; & tous deux fe trouvent dans
un Palais magnifique , environné de
vaftes & fuperbes Jardins. Leur furpriſe
fut grande, leur crainte encore plus, parce
qu'ils craignoient d'être féparés : mais,
auparavant , on vouloit jouir de leurs
embarras. Où fommes nous ? difoit Delie
à Lindor, comment avons- nous pû nous
égarer ainfi ? Je l'ignore, reprenoitil ; en
marchant je ne voyois que Délie ; &
tant qu'il me fera permis de la voir
je n'appercevrai qu'elle .
L'Enchanteur & la Fée écoutoient
cette converfation fans fe laiffer voir.
Ils jugerent à propos de paroître , &
redoublerent l'etonnement du jeune
couple. Qui êtes vous ? demanda la Fée
à Lindor. Lindor lui répondit : je fuis
l'Amant de Délie.... Quelle est votre fortune
? ... l'Amour de Délie... Mais, enfin ,
quelles feroient vos vues , votre ambition
? ... d'être toujours aimé de Délie.
L'Enchanteur faifoit à - peu - près , les
mêmes queſtions à Délie , qui lui faifoit
à-peu - près les mêmes reponfes.
Il étoit nuit : les deux Amans furent
féparés , fans prèfque avoir eu le loifir
de s'en appercevoir. On conduifit Délie
18 MERCURE DE FRANCE.
dans un appartement qui , dans certains
fiécles & certaines contrées , eût pû
faire oublier plus d'un Lindor : mais
Lindor étoit toujours préfent à fa chère
Délie ; elle ne voyoit rien de ce qui
l'environnoit , ou plutôt elle ne voyoit
rien que d'éffrayant. Où eft Lindor ?
s'écrioit- elle ; que fait- il ? que penfe-t-il ?
C'étoit aux murs qu'elle faifoit ces
queftions ; & tout -à -coup il fembla que
les murs lui répondiffent . Elle entendit
chanter ces vers :
Ne craignez rien pour votre Amant ,
Ne redoutez rien pour vous-même :
Délie , un autre Amant vous aime ,
Et vous aimera conftamment.
Il peut tour , par fon art fuprême ,
Et n'a pu taire fon tourment.
Mais malgré cet amour extrême ,
Ne craignez rien pour votre Amant ,
Ne redoutez rien pour vous -même.
Délie , toute fimple qu'elle étoit, n'en
crut ni la Mufique , ni les paroles . Elle
devina qu'un rival ne pouvoit être qu'un
rival ; c'est-à-dire un ennemi . Elle trembloit
pour Lindor , qui ne trembloit que
pour elle . Tous deux , cependant, étoient
également bien traités . Leurs voeux
AOUST. 1762. 19
étoient prévenus fur tous les points , excepté
celui qui les touchoit uniquement
, le charme de fe parler & de fe
voir. L'Enchanteur voulut juger de l'effet
que fa Mufique avoit produit fur fa
jeune Captive. Il fuivit , en cela , l'exemple
de la Fée , qu'il croyoit être chez
Lindor , & jamais Amant ne reffentit
autant de joie d'être trompé , n'en eut
autant à prendre fa revanche. Il employa
toute fon éloquence à raffurer
Délie , & ne la raffura point. Ce
fut , cependant , la feule chofe qu'il entreprit
pour cette fois. La Fée ofa davantage
; ce qui veut dire feulement qu'el
le entra dans de plus grands détails . Elle
flatta Lindor de l'avenir le plus heureux .
Ne craignez rien , & efpérez tout , lui
difoit- elle . Ce peu de mots vouloit dire
bien des choſes ; mais il eft permis à une
Fée de tout dire . De fon côté , Lindor
ne l'entretint que de Délie. Elle feule
pouvoit lui faire fentir ce bonheur dont
la Fée lui parloit... Elle feule , reprit
cette derniere avec dépit ! Oui, Madame
, affirmoit le jeune homme avec
tranfport ; je n'ofe ni ne veux croire
qu'aucun autre puiffe la remplacer.
Que vous importe , pourvu qu'elle
» foit bien remplacée ?... Ah, Madame
20 MERCURE DE FRANCE .
» reprit naïvement Lindor , Délie peut-
» elle jamais l'être ?
Cette réponſe acheva d'irriter la Fée.
Elle quitta Lindor , à qui cette entrevue
donna matiere à rêver. Il frémit
du danger où fe trouvoit fa Maîtreffe .
Il avoit raifon. Quand pour fe venger
une rivale n'a qu'à vouloir, il eft prèfque
sûr qu'elle le voudra. Cependant la Fée
ne le vouloit pas encore. Elle eſpéroit
féduire , ou éblouir aisément un jeune
homme fans expérience. Elle ne doutoit
pas que l'Enchanteur n'eût les mêmes
vues fur Délie , & ne pût avoir le même
fuccès dans fes vues . C'eft de quoi la
Fée vouloit s'éclaircir avec lui , fans fe
laiffer pénétrer elle- même ; car leur puiffance
n'alloit point juſqu'à ſe deviner réciproquement
: faculté qui pourroit devenir
dangereufe entre deux Amans de
vieille date.
Que ferons- nous de ces enfans , demanda
le jour fuivant la Fée à l'Enchanteur
? Ce qu'il vous plaira , répondit
ce dernier ; je crois qu'on ne peut
rien faire de plus agréable pour eux que
de les réunir. "J'aurois voulu , dit Colère,
jouir un peu plus longtemps de leur embarras.
Nous y reviendrons , reprit Pacifique
, jouiffons , quant à préfent , de
A OUST. 1762. 21
leur fatisfaction . Lui-même vouloit jouir
de l'embarras de la Fée , & procurer à
Délie , qu'il efpéroit gagner , ce moment
de joie . Qui pourroit peindre les
naïfs tranfports de ces Amans ? L'Enchanteur
& la Fée les obfervoient en
filence , & s'obfervoient , en même
temps , l'un l'autre . Mais ce filence ne
fut pas longtemps gardé , la Fée le rompit
la premiere , tant la joie de Lindor
lui caufoit d'impatience . Pour l'Enchanteur
, il fouffroit & fe taifoit. Avouez ,
lui dit Colère , que ce couple eft bien
peu circonfpect ? Il n'en eft que plus
heureux , répondit Pacifique ... A peine
s'apperçoient-ils que nous les examinons....
C'eft qu'ils ont quelque chofe
de mieux à voir.... Quelle activité ce
Lindor met dans fes difcours ; fes proteftations
ne finiffent pas ! Il eſt dans
l'âge où l'on croit pouvoir tout promettre
, & tout éffectuer.... En vérité
c'eft porter trop loin l'indulgence .Quoi !
fouffrir qu'il baife trente fois la main à
fa Délie ? ... C'eft beaucoup , je l'avoue
, mais.... Mais ne la voyez - vous pas
lui préfenter l'autre ? ... Vous avez raifon
, reprit Pacifique un peu ému : ſe
priver ainfi de fes deux mains , c'eſt
trop... Cependant... Cependant, les voilà
22 MERCURE DE FRANCE .
,
qui s'éloignent pour s'approcher de ce
bofquet... Arrêtez . arrêtez ! leur cria
l'Enchanteur. Le ton avec lequel il prononça
ces mots fit juger à la Fée qu'il
ne prenoit pas moins d'intérêt qu'ellemême
aux actions du jeune couple . Elle
fuivit fon exemple , elle diffimula . Ils
s'approchérent de Lindor & de Délie ,
qui les évitoient. Ce fut encore la Fée
qui parla la premiere , & ce fut à Délie
qu'elle affecta de parler. On doit , lui
dit- elle , vous avoir enfeigné à fuir certaines
occafions . Quelles occafions ? demanda
naïvement Délie.... Celles qui
pourroient conduire à certaines libertés.
Qu'appelle - t- on des libertés ? demande
encore Délie... Celles , par exemple, que
vous venez de permettre ..... Quoi ? ce
n'eft que cela ! ... Que vous faudroit- il
donc de plus ?...Je n'en fçais rien .Tant
mieux ! dit en lui-même l'Enchanteur.
Mais un peu moins de févérité , dit - il
tout bas à la Fée. Ne craignez rien
répondit - elle en fouriant . Alors , continuant
à queſtionner Délie , elle ajoûtá
: quel eft votre père ? C'eft ce que
j'ignore , répondit Délie.... Quelle eft
votre mére ? ... Je l'ignore également ....
Quelle main vous a donc élevée ?... Je
ne puis le fçavoir, je ne l'ai jamais vue ...
AOUST. 1762. 23
Enfin , quel objet a le premier frappé
vos regards ? ... Lindor. L'Enchanteur
fit la même queſtion à Lindor , & il répondit
, Délie .
››
Ciel s'écriérent alors & l'Enchanteur
& la Fée... mais ils fe remirent de
ce trouble , & continuérent à queſtionner
Lindor. » J'ignore , leur dit- il , qui
» je fuis , & de qui je fuis né. Une tour
» que j'habitois feul fut longtemps
» mon unique demeure ; un être que je
» ne voyois pas , mais que j'entendois ,
» pourvut à tous mes befoins. Il m'apprit
à parler , fans m'apprendre fi jamais
je pourrois parler à quelqu'un ,
» ni s'il éxiftoit quelqu'un de mes fem-
» blables. Je paffai ainfi mes premieres
» années , fans bien fçavoir ce que c'é-
» toit que des années, J'en avois douze
» & rien ne m'avoit encore ennuié
» rien n'avoit paru me manquer. J'en
» eus à peine quinze,que tout m'ennuia
» & que je crus que tout me manquoit.
» Je me fentois privé de ce qui pou-
» voit feul faire mon bonheur , fans
» bien fçavoir en quoi ce bonheur con-
»fiftoit , ni ce qui pouvoit y contri-
» buer. " Quelles étoient alors vos idées
demanda la Fée avec un ton d'intérêt ?
Madame , reprit Lindor , embaraffé de
24 MERCURE DE FRANCE .
la queftion , je n'en avois que de trèsconfufes
; mais elles fe développérent
dès la premiere fois que j'apperçus Délie....
Reprenez le fil de votre récit , interrompit
vivement la Fée. Lindor obéit,
» Chaque jour , pourfuivit- il , ma pri-
» fon me devenoit plus infuportable. J'i-
» gnorois , cependant , qu'il y eût d'au-
» tres lieux habités . Vint , enfin , le
» moment où je ne l'ignorai plus. Je fens
» tout-à-coup , ma tour s'ébranler , je
» vois fa voute fe fendre , tout s'écrou-
» le , je tombe moi-même avec les dé-
» bris , mais fans éprouver d'autre ac-
» cident ; & je me trouve , enfin , dégagé
de ma prifon par fa chute . Le
» jour , que je n'avois jamais vu , m'é-
" blouit d'abord : j'avois peine à diftin-
" guer les objets . Mais quel objet frappa
» mes premiers regards ? Une jeune
» Beauté prête à périr , forcée de s'atta-
» cher à un mur que je voyois prêt à l'é-
» crafer. Une Beauté.... Ah ! Mada-
» me , c'étoit Délie !
"
Cette exclamation ne plaifoit point
à la Fée , que ce récit affectoit d'ailleurs
fingulièrement , & il en étoit de même
de l'Enchanteur . Lindor pourſuivit ainfi
: » voir Délie , l'admirer , la plain-
» dre , voler à fon fecours , fut pour
moi
AOUST . 1762. 25
moi l'ouvrage d'un inftant . Je l'arra-
» che au péril qui la menaçoit , je l'em-
» porte dans mes bras... Ah , Madame ,
quel délicieux inftant pour moi ! Quel
» fâcheux récit , difoit Colère en elle-
» même. Quand j'eus contemplé Délie à
» mon aiſe , ajoûta Lindor , je regardai
» autour de moi & ne vis plus que des
» ruines. A l'inftant même un jeune
» homme d'une figure intéreffante nous
» apparut. Ne craignez rien , nous dit il ;
»je fuis le Génie bienfaifant , le même
» qui vient de brifer vos fers. Les périls
» qui vous menaçoient jufqu'à ce mo-
» ment , furent les caufes de votre cap-
» tivité. Soyez libres , déformais , & ai-
» mez-vous autant que fe haïffent ceux à
» qui vous devez le jour. Quoi ? le de-
» vons-nous aux mêmes perfonnes , lui
» demandai-je avec inquiétude . Non, ré-
» pondit Bienfaifant. Mais le Confeil
» des Génies obligea la Fée , mère de
» Délie , d'époufer l'Enchanteur , père
» de Lindor. On efpéroit par là mettre
» fin à leurs difputes rien ne prouve
» mieux que les plus fages Arbitres peu-
» vent fe tromper. Quoiqu'il en foit, ce
» couple fubit depuis quelque temps
» une deſtinée des plus bifarres , & c'eft
» à vous feuls qu'eft réfervé l'avantage
B
26 MERCURE
DE FRANCE
.
» d'y mettre
fin... Ah ! que faut- il fai- " re? demandâmes
-nous avec empreffe-
» ment. L'heure
favorable
n'eft pas enreprit
le Génie
» core venue
,
mais
» elle viendra... Je fçaurai bien l'empêcher
, dit la Fée à demi - voix. Alors elle
fit figne à l'Enchanteur
; & voilà Délie
& Lindor encore une fois féparés.
Nous fommes bien fots , malgré toute
notre ſcience magique , dit l'Enchanteur
à la Fée ; fans le hazard qui nous
rend maîtres de ces deux jeunes gens ,
peut- être allions-nous bientôt fubir le
fort de Docile & de Brouillon nos
ennemis & nos victimes. Tout nous
annonce
que Délie & Lindor font
leurs enfans ; ils ont échappé aux périls
qui les menaçoient
, & leur réunion
nous en prépare d'inévitables
. Hé bien ,
dit la Fée , il faut les empêcher
de fe
réunir, de fe voir, & furtout, de s'aimer ;
car l'Amour
eft trop ingénieux
, trop
fertile en expédiens. Le plus für feroit
qu'ils puffent aimer quelqu'autre
, ajoûta
Pacifique. Effayons le plus fùr , dit la
Fée. Effayons , reprit très volontier
l'Enchanteur
.
Ils jugerent
bientôt que cet éffai iroit mal s'ils n'ufoient
d'artifices
Un tel
expédient
devoit leur plaire , & plaît
AOUST . 1762. 27
fouvent à tels & telles , qui ne font ni
Enchanteurs , ni Fées . Voilà ce couple
jaloux qui délibére. Après quelques incertitudes
, dont les confeils les mieux
compofés ne font pas toujours exempts ,
on fe détermine , on a recours aux preftiges
; la Fée emprunte la figure de Délie,
l'Enchanteur celle de Lindor: mais il leur
manquoit tout ce que l'art de la magie
ne pouvoit leur donner , j'entends cette
vertu fympathique par laquelle Délie
& Lindor étoient fans ceffe attirés l'un
vers l'autre. Le Génie Bienfaisant les
en avoit doués fans les prévenir , & fans
qu'ils s'en fuffent apperçus , tant leurs
coeurs s'y prêtoient volontiers : dès - lors ,
fans cet Agent fecret, toute reffemblance
avec eux , devenoit infructueuſe .
On fe figure aifément la trifteſſe
où Délie & Lindor étoient plongés ;
ils ne trouvoient pas moins de bifarrerie
que d'injuftice dans la conduite de
leurs tyrans, ils n'efpéroient jamais fe revoir.
Quel état pour deux coeurs qui
s'aiment , & qui croient devoir s'aimer
toujours déja une nuit s'étoit écoulée
déja même le jour qui lui avoit fuccédé
étoit fur fon déclin , & Délie pleuroit
encore. Elle fe refufoit au repos ,
dédaignoit les alimens que l'Enchanteur
&
Bij
28 MERCURE
DE FRANCE
.
lui faifoit offrir. C'eft pour vivre , difoit-
elle , qu'on fe nourrit , & je ne
dois plus vivre , puifqu'il faut renoncer
à Lindor.
A l'inftant même elle croit entendre
Lindor
cet Amant lui crier : vivez pour
qui vous aime & qui vous eft rendu !
Une porte s'ouvre & Délie croit le voir,
en effet. Elle pouffe un cri de joie ,
veut voler à fa rencontre
: mais un pouvoir
inconnu l'arrête. Au .cri de joie
fuccéde un cri de douleur & de furprife.
Deux fois Délie veut tendre les bras
à celui qu'elle croit être Lindor , & deux
fois cette puiffance
intérieure
s'y oppofe.
Egarée , hors d'elle- même , ne
pouvant plus réfifter à l'antipathie
qui
l'étonne & la maîtrife , elle veut fuir ,
elle ne voit qu'avec une horreur mêlée
de défeſpoir , le prétendu Lindor à fes
pieds .
Celui - ci jugea dès lors que fon
ftratagême
n'auroit pas le fuccès qu'il
s'en étoit promis. On peut tromper
les yeux ; mais en amour , le coeur s'abufe
moins facilement. Il ne perdit cependant
pas toute efpérance . Quoi ! difoit-
il à Délie , quoi c'est vous qui me
fuyez ? c'eft à Délie que Lindor paroît
il vouloit odieux ? En même remps
AOUST. 1762. 29
prendre cette main que Délie offroit la
veille de fi bonne grace au véritable
Lindor , & Délie la retiroit en frémiffant.
Nouveaux motifs de regret pour ellemême.
Ses foupirs & fes fanglots la fuffoquoient
. Ah ! Lindor , s'écria -t - elle enfin
, ah cher Lindor ! plaignez-moi ' ....
que je vais être malheureufe... Lindor...
je ne vous aime plus !
Ciel ! s'écria l'Enchanteur , en prenant
encore une fois cette main que Délie
retira de nouveau , & toujours en pleurant
; Ciel ! c'en eft donc fait ? Eh que
deviendra le malheureux Lindor , fi vous
l'abandonnez ? Eh ! que deviendrai - je
moi-même fi Lindor m'abandonne ? reprenoit
l'affligée Délie ; fon nom feul
me pénétre l'âme. Cependant , il eſt
trop vrai que votre préfence me glace ...
Ah Lindor ! cher Lindor ! eft- il poffible
que je ne puiffe plus vous aimer ? En
achevant ces mots , Délie pleuroit de
plus en plus , & en même temps , faifoit
de plus grands efforts pour s'éloigner.
L'Enchantenr avoit la fcience , mais
non la méchanceté de fes femblables.
Il étoit patient ; vertu bien rare dans
quiconque peut fe difpenfer de l'avoir :
il ne voulut pas accabler plus longtemps
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
la charmante & naïve Délie. Je vais
lui dit-il , vous délivrer de ma préfence
qui vous gêne. Peut-être un autre
inftant me fera- t- il plus favorable ; peutêtre
vous rapellerez -vous que Lindor
yousfut cher & devroit vous l'être encore.
A ces mots l'Enchanteur s'éloigne
en effet. Délie veut le fuivre , & recule
après avoir fait deux pas . Elle veut
l'appeller , fa voix expire fur fes lévres.
Toute fa perfonne refte immobile ,
anéantie , pétrifiée.
Une fcène á peu- près femblable , fe
paffoit entre la Fée & Lindor. Celui-ci
renfermé comme Délie , étoit occupé
à gémir comme elle & pour elle . Toutà-
coup , il voit les portes de fa priſon
s'ouvrir comme d'elles-mêmes. Il s'échappe
& cherche des yeux quel endroit
de ce Palais peut renfermer Délie.
Sans elle la liberté , la vie même , font
pour lui peu de chofe. Du Palais qu'il
a inutilement parcouru , il pénétre dans
les Jardins. Là , il promene de nouveau
fes regards , perce d'un coup d'oeil les
allées les plus profondes , & n'apperçoit
rien . Il jette enfin les yeux à quelques
pas de lui , & voit ou croit voir ,
Délie couchée fur un lit de gazon, Délie
fe livrant à un fommeil paifible . Ciel !
AOUST. 1762. 31
c'eft elle , s'écria Lindor ! Ciel ! mon
coeur ne la devine- t- il plus ? n'auroitil
pas dû me conduire d'abord à fes
pieds ? pourquoi même n'y fuis-je pas
encore crains - je de troubler fon
fommeil l'Amour & la joye excufe
tout qu'ils foient mes feuls guides ...
Mais quelle eft cette tiédeur que j'éprouve
où font ces tranfports que
Déliefçut toujours m'infpirer? N'eft - ce
plus elle ne fuis-je plus moi- même ?
ce font-là fes traits , fes charmes ; quelle
autre pourroit les réunir ? Je l'entends
qui rêve, & c'est mon nom qu'elle répéte
. Elle m'appelle , & je n'ofe voler
dans fes bras.... Que dis-je , loin d'y
voler , je fuis prêt à la fuir !
Tels étoient les combats qu'éprouvoit
Lindor. Ils ennuyérent la Fée , qui ,
comme on le préfume bien , ne dormoit
pas. Elle paroît s'éveiller , fixe
Lindor & s'avance , avec précipitation,
vers lui. Quelle fut fa furpriſe de voir
qu'à mesure qu'elle faifoit un pas en
avant , Lindor en faifoit un en arrière !
Lui-même n'en étoit pas moins furpris
que celle qu'il fuyoit . Cher Lindor
difoit-elle , nos maux font finis ; PEnchanteur
& la Fée confentent à notre
bonheur , ils n'y mettront plus d'obſta-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
cles. Nous pouvons nous aimer , nous
le dire ; nous fommes libres & maîtres
dans ces lieux . Ainfi parloit la Fée ,
en s'avançant , & Lindor reculoit toujours.
>
Elle s'arrêta & Lindor en fit autant .
Ah ! Délie, s'écria- t-il , où fommes- nous?
quel affreux changement ! fe peut- il que
j'éprouve pour vous , prèfque la même
indifférence la même averfion que
pour la Fée ?... L'infolent ! difoit cette
derniere en elle-même.... Oui , pourfuivoit-
il , un afcendant invincible m'éloigne
de vous ; mais fans doute il
n'eſt point naturel ; c'eſt l'effet de l'art
de nos perfécuteurs. Ah Délie ! quels
lieux fommes-nous venus habiter ?
Quels lieux ! où l'on change ainfi , où
l'on peut changer pour Délie ! Que
je hais nos Tyrans , depuis qu'ils m'ôtent
le pouvoir de vous aimer !
La colère de la Fée étoit au comble.
Elle avance quelques pas , & heureufement
Lindor continue à retrograder.
La Fée eût oublié le rôle de Délie pour
reprendre le fien. Mais enfin elle conferva
celui qu'elle avoit d'abord pris ;
moyen beaucoup plus fùr de défefpérer
Lindor. Va traître ! Jui dit- elle , va porter
ailleurs tes vaines excufes ; elles ne
AOUST. 1762. 33
peuvent m'en impofer. L'amour eſt indépendant
de la magie . Il la foumet
lui - même à fon pouvoir. Va , fuis , renonce
pour jamais à Délie , comme elle
renonce pour jamais à toi. A ces mots
elle s'éloigne , & Lindor au défefpoir ,
ne peut , cependant, ni la rappeller , ni
la fuivre.
L'Enchanteur & la Fée fe retrouvent ,
& tiennent de nouveau confeil. Colère
crioit fort haut : Pacifique éffayoit de la
calmer. N'efpérons plus rien de la métamorphofe
, lui difoit - il , un inſtinct
fecret , plus fort que toute notre magie ,
empêche ces enfans de s'y méprendre.
D'ailleurs , j'ai pitié de leur fituation ....
Ayez pitié de vous - même , lui repliqua
la Fée toute furieufe : c'eft bien à un
Enchanteur à plaindre qui lui réfiſte ?
Allez , vous êtes indigne d'occuper un
rang ! Avouez , reprenoit - il , fur le ton
le plus paifible ; avouez que cette envie
de dominer nous a fait faire plus d'une
fotife ? Quelle petiteffe de les reconnoître
ajouta la Fée ..... Mais , par
exemple , cette métamorphofe bifarre
de Docile & de Brouillon , qu'en direzvous?....
Que ce font deux ennemis humiliés....
Mais vous fçavez combien ce dernier
fut impérieux & emporté... Il eut rai-
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
fon; & quant à nous peu nous importe,
il reftèra ce qu'il eft.... J'avoue que je
plains Docile , cette Fée fi douce & fi
patiente .... Elle eut tort de l'être ; elle
foutint mal fes droits ; & c'eft par dérifion
que je l'ai métamorphofée en aigle
.... Mais fi cette double métamorphofe
finit la nôtre ..... C'est ce qu'il
faut empêcher.... Mais fi Délie & Lindor
font éffectivement deftinés à
tre fin ? ... C'eft par cette raifon qu'il
faut les retenir ici : Brouillon , dans l'état
où nous l'avons mis , n'y pourra pénétrer
, & peu m'importe que Decile y
pénétre. L'Enchanteur fit encore beaucoup
d'autres objections , & y joignit
des raifons fi fages , & fi modérées ,
qu'il mit la Fée Colère entiérement hors
d'elle-même .
y met-
Elle parut, toutefois, fe calmer ; c'eftà-
dire , qu'elle fit un peu moins de bruit.
Eh bien , difoit - elle au Magicien , ufons
d'un nouveau préftige. C'eft peu d'avoir
emprunté , vous la figure de Lindor , &
moi celle de Délie ; je veux qu'ils paroiffent
être nous -mêmes aux yeux l'un de
l'autre. Mais , reprit l'Enchanteur , s'ils
continuent à s'aimer fous ce nouvel extérieur
? Tant mieux , dit encore la Fée,
nous ferions vangés , & ils feroient pu-
-
AOUST . 1762. 35
nis ; car vous préfumez bien qu'on ne
les perdra point de vue. L'Enchanteur
fit encore d'autres objections ; mais Colère
s'emporta , & Pacifique foufcrivit à
tout.
Pour Lindor , il continuoit à érrer en
infenfé , en furieux dans les jardins du
Palais . Il contemploit , avec défeſpoir ,
ce lit de verdure où il avoit cru voir
Délie , Délie qu'il croyoit avoir outragée
par fes dédains . Quoi ! c'eft elle que
je fuyois ? s'écrioit-il hors de lui-même ;
c'eft elle qui renonce à moi pour toujours
? J'ai pu ceffer de l'aimer ? J'ai pu
mériterfa haine ? Quel affreux afcendant
me domine !
En prononçant ces mots , il leva les
yeux au Ciel & vit un grand aigle voltiger
au- deffus de fa tête. Cet aigle tenoit
dans fes ferres un glaive qu'il laiſſa
tomber aux pieds de Lindor. Grace aux
Dieux , dit cet Amant affligé , voici un
reméde à mes maux .... Arrête ! lui cria
une voix qu'il ne reconnut pas ; le moment
de t'en fervir n'eft pas encore arrivé.
Sois toujours courageux , mais fache
l'être à propos. Lindor eut pour cet
oracle tout le refpect qu'on a pour les
chofes qu'on n'entend point : il fe faifis
B vj
36 MERCURE
DE
FRANCE
.
du glaive , & attendit l'inftant d'en pouvoir
faire ufage.
Mais une nouvelle épreuve attendoit
& Délie & lui- même . Le couple magicien
étoit convenu de leur fournir les
moyens de fe rencontrer. Délie s'apperçut
qu'elle pouvoit fortir de fon appartement
lorfqu'elle s'y croyoit le plus
étroitement refferrée. Elle parcourt de
nouveau ces jardins où d'abord elle avoit
vu fon cher Lindor avec tant de plaifir ,
où elle eſpére encore le voir, & réparer
fes froideurs involontaires . Il y étoit en
effet. Le fympathique inftin & qui les
conduit les a bientôt rapprochés . Tous
deux tréffaillent en s'appercevant , &
toutefois , ni l'un ni l'autre ne fe reconnoiffent.
C'eft la Fée , difoit Lindor :
c'eft l'Enchanteur , difoit Délie ....Ah !
fuyons , s'écrioient - ils chacun à part ; &
tout en difant ces mots , ils s'avançoient
de plus en plus. Ils font bientôt à portée
de fe parler , & toujours fans fe reconnoître.
L'émotion qu'ils éprouvent
les étonne & les afflige. Eft - il bien
vrai , difoit Lindor , en lui-même , eftil
bien vrai que j'aye pu fuir Delie ,
& que mon penchant m'entraîne vers la
Fée ? Eft- ce bien elle qui me cauſe cette
impreffion ſi vive , fi tendre , fi digne de
AOUST. 1762 37
Délie , que j'outrage ? Quelle perfidie !
Quel changement ! .... Délie fe faifoit
les mêmes reproches , y joignoit les mêmes
réflexions , fentoit & penfoit comme
Lindor. La fituation de ces deux
Amans ne pouvoit être ni plus critique ,
ni plus violente. L'Enchanteur & la Fée
en jouiffoient , fans être vus : c'étoit
pour eux une forte de triomphe , mais
un de ces triomphes dont on ne peut fe
difpenfer de rougir. Auffi l'Enchanteur
fe le reprochoit- il : quant à la Fée , elle
ne fe reprochoit rien . Pouvoit - ce donc
être un malheur pour Lindor de croire
l'aimer ? A l'égard de Délie , elle la trouvoit
un peu plus à plaindre de croire aimer
l'Enchanteur.
Le jeune couple avoit fait d'inutiles
éfforts pour fe parler avec indifférence .
Lindor cédoit à fon afcendant ; il étoit
aux genoux de la prétendue Fée ; il lui
parloit tendrement , & elle l'écoutoit ; il
tenoit une de fes mains qu'elle ne fongeoit
plus à retirer. C'eft, cependant ,
ma main qu'il croit tenir , difoit la Fée
à l'Enchanteur ? C'eft à mes genoux
qu'il croit être ! D'accord , reprenoit le
Magicien , mais , en même temps , c'eft
moi que Délie croit voir à fes genoux ;
c'eft à moi que fa main s'abandonne.
38 MERCURE DE FRANCE .
Cette obfervation ne plut point à la Fée.
Elle s'avance , & Lindor croit toujours
en elle appercevoir Délie. Il fe reléve
avec précipitation , avec honte. L'Enchanteur
avoit paru en même temps ,
&
Délie l'avoit également pris pour Lindor.
Quelle confufion ! quelle douleur ,
s'emparérent de fon ame ! Ce qui achevoit
de détromper & de défoler ce jeune
couple , c'eft qu'aux yeux de Délie la
Fée n'avoit point changé de figure , &
qu'il en étoit de même de l'Enchanteur
à l'égard de Lindor. Quoi ! difoit ce
dernier avec fureur : c'eft peu de tromper
Délie , il faut encore la rendre témoin
de mon infidélité ? Hélas , difoit
Délie à fon tour , que va penfer le malheureux
Lindor ? Je l'ai fui , & il voit
fon rival à mes genoux , fon rival que
j'y fouffre. Ah ! mourons .....Je n'y
puis plus tenir , difoit l'Enchanteur à la
Fée ; cette pauvre enfant va s'évanouir.
Eh ! laiffez , laiffez , difoit Colère , elle
fait bien ce qu'elle fait ; mais heureuſement
nous fommes ici.
Quant à Lindor , il étoit prêt à tourner
contre lui - même le glaive que l'aigle
lui avoft laiffé. Tout-à- coup , il voit
ce même aigle voltiger au-deffus de lui ,
tenant un ferpent monftrueux dans fes
AOUST. 1762. 39
ferres . L'Enchanteur & la Fée jettent
un cri , & reftent immobiles. L'aigle
continue de deſcendre, & laiſſe tomber
le ferpent aux pieds de Délie , que Lindor
croit toujours être la Fée. Elle
veut fuir. Quoi , dit-il , une Fée craindre
les ferpens ? N'importe , je ne veux
pas l'aimer ; mais je dois la défendre. It
dit , & fond fur le reptile , à qui d'un
feul revers il fait voler la tête. Mais
quelle fut fa furprife de voir ce même
ferpent devenir homme , & le ferrer
dans fes bras , en s'écriant : Ah , mon
fils ! ta générofité aura fa récompenfe :
reconnois ton père , reconnois Délie ,
que Délie te reconnoiffe . Nous allons
tous être vengés. En effet lorfque
Brouillon ( car c'étoit lui , avoit repris
fa forme , Pacifique avoit perdu la fienne.
Il érroit dans le jardin fous celle
d'un mouton . Mais la Fée n'avoit encore
fubi aucune métamorphofe ; elle
confervoit même la figure de Délie aux
yeux de Lindor , à qui la vraie Délie
paroiffoit toujours être la Fée , tandis
que lui-même n'offroit à fes regards
que les traits de l'Enchanteur. Nouveau
fujet de douleur pour ces jeunes Amans
à qui les épreuves les plus triftes fembloient
être réfervées. La Fée Colère y
40 MERCURE DE FRANCE.
›
mit le comble . Elle vouloit achever de
défefpérer fa Rivale . Regarde cet Aigle,
lui dit- elle ; c'eft ta mère. Elle gardera
cette forme aux yeux du monde
entier , & toi la mienne & moi la
tienne aux yeux de Lindor. Quoi ! s'écria
Délie , avec frémiffement , ma mère
confervera la figure d'un Aigle , moi
celle de la Fée , & la Fée la mienne ? ……..
Ah ! donnez-moi ce glaive ..... Délie
s'en faifit & alloit fe percer. Toute la
diligence de Lindor , ne put même empêcher
qu'elle ne fe bleffât légérement
à la main . Il en tombe quelques goutes
de fang ; auffitôt la Fée Colère
s'envole fous la forme d'une Chouette,
& l'Aigle redevient une femme digne
par fa beauté d'être la mère de Délie ;
mais Délie elle -même n'avoit pas encore
repris fes charmes aux yeux de
Lindor : Lindor offroit toujours les traits
de l'Enchanteur aux yeux de ſa maîtreffe
.
Le pauvre enfant ! difoit la Chouette
perchée fur un arbre , c'etoit pourtant
moi qu'il croyoit défendre ; c'eſt dommage
qu'il foit condamné à garder la
figure de l'Enchanteur. De fon côté le
Mouton difoit : il est bien trifte pour
Délie d'avoir troqué de vifage avec la
AOUST. 1762. 4I
Fée. C'etoit cependant une bonne femme
que cette Fée Colère , difoit à fon
tour l'Enchanteur Brouillon. En vérité
je regrette & je plains l'Enchanteur Pacifique
, ajoutoit en elle même , la Fée
Docile. Quant à Délie & à Lindor , ils
ne difoient rien , fe regardoient , s'aimoient
encore malgré leur figure étrangère
, & fentoient qu'ils s'aimeroient
beaucoup mieux fous leur figure naturelle.
Mais l'un & l'autre poufferent un cri
de joie à l'afpect du Génie Bienfaiſant .
Confolez- vous , leur dit - il , je ne vous
ai point perdus de vue ; & fur le champ
il ajouta , en s'adreffant aux Fées &
aux Enchanteurs : vous me paroiffez tous
quatre fort embaraffés ; avouez qu'on
rifque fouvent de l'être quand on a
tout pouvoir , excepté celui de réparer
fes fotifes ? c'eft pour mettre fin aux
vôtres , qu'aujourd'hui je deſcends parmi
vous ; mais commençons par ces jeunes
gens , qui en font les victimes , fans
jamais en avoir été les complices. Que
Délie , pourfuivit il , ceffe de reffembler
à la Fée ... Ah tant - mieux !
s'écria le Mouton . Que Lindor , ajouta
Bienfaifant , quitte les traits de l'Enchanteur
.. Ah tant
·
...
- mieux ! s'écria la
42 MERCURE DE FRANCE.
·
Chouette. Que Pacifique , pourfuivit le
Génie , reprenne fa forme pour ne la
plus quitter ... Ah tant-mieux ! s'écria
Lindor... Que Colère quitte la figure
d'une Chouette pour reprendre à jamais
la fienne ... Ah tant mieux ! s'écria
Délie. Ce n'eft pas tout , reprit encore
Bienfaifant , que Pacifique s'uniffe avec
Docile , & Brouillon avec Colère ...
Ah tant-mieux ! s'écriérent , en même
tems , & Colère , & Brouillon , & Docile
, & Pacifique.
On voulut remercier le Génie;il avoit
déja difparu. Les deux couples Magiciens
fe promirent bien de mettre fes
confeils à profit. Ils s'étoient fait réciproquement
affez de mal , pour bannir
d'entr'eux toute rancune : mais les
feuls vraiment heureux , furent Délie &
Lindor: ils n'avoient jamais opprimés
perfonne ; ils s'aimoient.
Par M. de la DIXMERIE.
AOUST. 1762. 43
-EPITRE
A M. DELALANDE , Membre de l'Académie
Royale des Sciences de Paris
, & Profeffeur de Mathématiques
au Collège Royal.
CELEBRB Élève de Newton ,
Aimable & délicat génie ,
Qui fçavez aufi bien le ton
De la bonne plaifanterie ,
Que vous fçavez donner leçon
D'Algébre & de Géométrie !
Vous Aftronome- Bel-Efprit ,
Que la docte & fage Uranie
Éclaire , protége & chérit ;
Quittez enfin l'Obfervatoire ,
Le télescope , le compas ,
Et fermez le laboratoire
Où vous favourez les appas
D'un aftronomique grimoire ,
Qui jufqu'ici ne me plaît pas,
Venez goûter dans la patrie
Dans votre famille chérie ,
Et près de vos tendres amis
Un repos aux Sçavans permis.
Mais , hélas ! voudrez-vous m'en croire !
44 MERCURE DE FRANCE .
Quand on fait le ferme propos ,
D'aller au Temple de Mémoire ,
On ne connoît point le repos :
On ne fçait point reprendre haleine ,
Si l'on ne touche pas la fin
De les travaux & de fa peine ;
Et l'on va toujours fon chemin.
Vous avez bien voulu prédire
Depuis longtemps l'inftant heureux
De votre arrivée en ces lieux ,
Où tout le monde vous defire .
Ah ! pour ma fatisfaction ,
Faites en forte , je vous prie ,
Qu'un jour cette prédiction
Se trouve auffi bien accomplie ,
Que celle que votre Uranie
Se plaît à faire tous les jours ,
Sur les Aftres & fur leur cours.
Par M. JAN... à Chaf en B...
Le Juillet 1762. (
ÉPIGRAMME
SUR un PETIT- MAITRE .
Js n'envierai jamais , je le dis franchement ,
La beauté dè ce Petit-Maître ;
Mais je voudrois uniquement
Etre auffi beau qu'il penſe l'être.
Par un Inconnu de Breffe.
AOUST. 1762: 45
LE PRINTEMPS ,
EPITRE à CHLORIS , pour l'inviter à
Se rendre à la Campagne.
Doux ornement de ces ruftiques bords ,
Viens ma Chloris , embellir ton empire ,
Viens de mes timides accords
Y perpétuer le délire ;
Viens , hâte - toi , c'est ici le féjour
Du jeune enfant de Cythérée :
Tout refpire , y chante l'Amour ,
Tout y peint à mon coeur ton image adorée ;
Tout s'anime dans ces beaux lieux ,
Tout renaît , & bénit fon être:
Dans ce féjour agréable & champêtre ,
Tout fatisfait le coeur , tout enchante les
Les troupeaux bondiffent ,
Les arbres fleuriffent ,
Le Zéphir léger
Daigne y voltiger ;
9.
Les amours s'y gliffent
Pour nous engager.
"
Dans ces boccages ,
Sousces ombrages
Le tendre moineau
yeux.
Pår fon doux ramage
46 MERCURE DE FRANCE .
Que redit écho ,
Des jours du bel âge
Trace le tableau .
Bientôt docile au penchant qui l'entraîne ,
Cédant avec tranſport à la loi du defir ,
L'inftinct le ramène
Vers le plaifir.
Toujours heureux , dans fon ardeur difcrette >
Il aime , il eft aimé : Dieux quel fort eſt le fien !
Il goûte le fouverain bien
Sans éprouver jamais l'amertume inquiette ,
Qui conftamment empoiſonne le mien .
Ah ! reviens , ma Chloris , feul charme de ma vie !
Viens dans ces lieux apprendre aux vrais Amans
Qu'il eft de fortunés momens
Pour deux coeurs qui bravent l'envie ;
Et qu'une heureuſe ſympathie
Fait naître d'aimables inftans
Que fait égayer la Folie.
Symbole d'un bien paffager ,
Le cours de cette onde argentée
Semble , hélas ! trop nous préſager
De nos beaux jours la trop courte durée :
Profitons de notre printemps ;
Le plaifir fuit , le temps s'avance ;
Trop tôt les hyvers accablans
Nous amèneront la prudence.
Amour , c'eft ici le tombeau
De toute flamme peu difcrette; •
A O UST . 1762. 47
Et dans notre ame ſatisfaite ,
Nous y confervons ton flambeau.
Heureux qui de tes traits aimables
Savoure la tendre douceur ,
De qui le trop fenfible coeur
Se plaît dans des liens durables !
Libre par tes feux
Sa raison expire ,
Il aime, il foupire .
D'un coeur amoureux
Ravillant délire ,
Ris , folâtres jeux ,
D'Hilas qui defire
Secondez les voeux ,
L'Amour qui l'inſpire ,
Veut le rendre heureux.
Déja l'Aurore impatiente ,
Quittant pour nous d'autres Etats ,
De fa lumière bienfaisante
Vient dorer nos heureux climats.
O ma Bergêre , ofe fuir l'embarras
Et le tumulte de la Ville !
Viens en ces lieux , viens goûter les appas
D'une félicité tranquille .
Amour qui fut nous animer ,
Dans ces lieux charmans te defire.
Oma Chloris , s'il eſt doux de s'aimer ,
Il eſt cent fois plus doux de pouvoir ſe le dire !
Par M. DAUGIER , Garde du Pavillon Amiral,
au Département de Toulon.
48 MERCURE DE FRANCE .
A L'AUTEUR DU MERCURE.
MONSIEUR ,
Heureux les Epoux qui ne s'aiment
pas ! C'étoit l'Epigraphe & la morale
d'un Conte inféré dans un de vos derniers
Mercures . Cent fois plus heureux
les Epoux qui s'aiment : c'est une vérité
de fait que pour le bien de l'humanité
, mille expériences démontrent .
Le dialogue que je prends la liberté
de vous adreffer en eft une nouvelle
preuve : il a été composé par une époufe
tendre & chérie ; c'eft Chonchette ,
elle-même , qui s'eft plû à célébrer ſon
bonheur d'une maniere qui montre
combien elle en eft digne. Son deffein
étoit , après en avoir amufé l'époux qui
partage fa félicité , de laiffer mourir
entre quelques amis , ce petit Ouvrage,
ainfi que beaucoup d'autres qui ont
déja eu le même fort ; j'ai cru qu'il
méritoit d'être inféré dans votre Journal
, & j'ai pensé qu'il étoit en quelque
façon de devoir de l'y mettre , ne fûtce
que pour la converfion des incrédules
A O UST. 1762. 49
dules en matière de tendreffe conjugale
. Je ne vous dirai point que l'aimable
Chonchette fe nomme dans le
monde Madame D *** , & que le nom
qu'elle porte , ainfi que fon époux
dans fon dialogue , eft un de ces noms
bizarres que l'Amour donne par hazard
, & que la familiarité confacre par
habitude ; je craindrois qu'une indifcrétion
complette ne me fit du tort dans
fon efprit , furtout fi, comme je m'y attends
, la vôtre fecondoit la mienne :
je prévois que j'aurai déja affez de peine
à obtenir que l'on me pardonne d'avoir
livré à l'impreffion un Ouvrage
qui ne m'étoit que confié.
J'ai l'honneur d'être , & c.
P. D. P.
DIALOGUE.
CHONCHON , L'AMOUR ET
CHON CHЕТТЕ .
L'AMOUR.
OH ! pour cela vous me jouez tous
les deux un vilain tour !
C
so MERCURE DE FRANCE .
CHONCHON,
De quoi donc , Chonchette , fe plaint
cet aimable enfant ? lui aurois -tu manqué
en quelque chofe ?
CHONCHETTE.-
Qui moi ? hélas , depuis fix mois je
ne fais que ce qu'il m'inſpire !
CHONCHON.
J'en dirois bien autant. Cependant
il paroît fâché.
L'AMOUR.
On le feroit à moins. Etois-je convenu
avec vous , que vous me garderiez
un fiécle après l'hymen ? quand je
fais à des époux la galanterie de paroître
à leurs nôces , c'eft à peu- près tout
ce que l'on peut éxiger de moi. Depuis
la vôtre , je n'ai pu m'échapper d'ici .
Combien comptez -vous que cela dure
encore.?
CHONCHON ET CHONCHETTE .
Tant que nous vivrons tous les
deux,
L'AMOUR,
Cela eft confolant ! je n'avois pas
AOUST. 1762.
51
-
prévu cette perfidie . Quoi , vous êtes
époux , & vous m'emprifonnez dans
votre coeur ! Pour l'Eftime , à la bonne
heure , elle pourroit vous le pardonner.
Mais moi ! ... c'eft me traiter un
peu cruellement.
CHONCHETTE.
Nous la tenons auffi captive volontaire
,au point qu'elle m'a donné pour caution
de fa conftance à refter avec nous ,
les aimables qualités dé mon Chonchon.
CHONCH ON .
Je puis t'offrir de fa part la même
garantie ; je vois toujours en toi les
mêmes charmes.
L'AMOU R.
Eh voilà ce qui me défole ! vit - on
jamais époux donner dans de pareils
écarts ? quoi ! voir ce qui n'eft plus ,
tandis que tant d'autres ne fentent plus
ce qu'ils voyent !
CHONCHETTE.
Telle eft précisément ma félicité ! &
je n'ai tant attendu que pour mieux
affurer mon bonheur......
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
CHONCHON.
Mais laiffes-moi donc le temps de
parler de celui que je goûte avec toi...,
L'AMOUR.
Oh ! je fuis perdu fans reffource : ce
combat de fentiment ne m'annonce que
trop l'éternité de mon esclavage : je vois
d'ici une fuite de procédés réciproques
qui, malgré mon dépit, m'enchaîneront
à eux pour la vie.
CHONCHETTE.
Nous voilà devinés , mais cela ne fait
pas caution. Crois-moi , Chonchon , faifis
-toi d'une de fes aîles tandis que
j'emporterai l'autre . En ceffant de craindre
fa légéreté , nous l'en aimerons encore
davantage .
CHONCHO N.
Je fuis de ton avis : mais où mettre
en fureté ce larcin ?
CHONCHETTE.
La nuit s'approche ; elle porte confeil
je me charge d'y rêver. Bon foir
à toute la Nature , excepté à toi.
AOUST . 1762. 53
ODE tirée du Pfeaume X.
UOI !
Quor ! l'on veut que
fuite ,
David , par une lâche
Se dérobe en tremblant à l'injufte pourfaite
D'un cruel oppreffeur ;
Tel que le foible oifeau qui , déployant fes aîles ,
Sur des monts escarpés fuit les fléches mortelles
Du vigilant Chaſſeur ?
Loin de moi ce confeil que la crainte me donne :
Le Seigneur,dont le bras jamais ne m'abandonne »
Sçaura me protéger.
Mon âme dans fon ſein a placé mon aſyle :
Elle s'y réfugie , & voit d'un oeil tranquille
Le plus preffant danger.
Saül , n'écoutant plus que fa jalouſe rage ,
Enchaîne , anéantit mon fidéle courage
Et mes juftes projets :
Guidé par la Fureur , aveuglé par l'Envie ,
Ce Prince impitoyable arme contre ma vie
Ses perfides Sujets.
Vain péril , tu ne peux ébranler ma conſtance ;
Dieu, dont je vais bientôt éprouver l'affiftance
Réfide dans les Cieux.
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
C'eft-là qu'il a fixé fon trône & fa demeure ;
De-là ce Dieu puiffant fur le pauvre à toute heure
Daigne baiffer les yeux.
Il tient fous fon pouvoir tous les enfans des hommes
;
As au haut des Cieux fur tous tant que nous
fommes
Je le vois dominer.
Ce Dieu , dont l'équité nous paroît aſſoupie ,
D'un regard interroge & le Jufte & l'Impie ,
Et fçait les difcerner.
Le fort de la vertu n'eft point celui du crime ;
Le vice triomphant pendant un temps l'opprime
Et le croit tout permis ;
Mais le Seigneur enfin fe déclare pour elle ,
Ecoute les foupirs , époufe fa querelle ,
Confond fes ennemis.
C'eft ainfi qu'en faveur de l'aimable innocence ,
Le Très-haut fçait dompter l'orgueilleufe licence
De l'homme criminel.
De nos fiers ennemis bravons donc la menace ;
Et fçachons oppoſer à leur coupable audace
Le bras de l'Eternel.
Non , ne redoutant rien , Dieu prendra ma défenſe
:
AOUST. 1762. 55
Ne craignons que ce Dieu que jamais on n'offenſe,
Avec impunité.
Un péril effrayant ici - bas m'environne ;
Mais le Seigneur eſt juſte , & du haut de fon Trône
Il venge l'équité .
VERS , pour mettre au bas du Portrait
de M. D'AQUIN , Organifte.
PEINTRE EINTRE toujours fécond , harmoniſte brillant ,
Bien moins admiré qu'admirable ,
Le célébre D'AQUIN , fublime en fon talent ,
A l'art encor d'être agréable.
Par M. GUICHARD .
IT
A MDE LA PLACE.
L ne tiendra qu'à vous , Monfieur , de
me rendre un fervice notable , en inférant
dans votre Mercure les Vers ci-inclus
. Je vous ai déja l'obligation d'avoir
fait voir le jour à mon projet fur les Foffiles
de France , mois de Mars 1760 .
Les Vers que je vous adreffe , Monfieur ,
font une espéce de badinage. Je difois
un jour à une perfonne de diftin&tion
1
Civ
56 MERCURE DE FRANCE .
qui vifitoit mon petit Cabinet d'Hiftoire-
Naturelle , que j'étois tenté de demander
l'aumône à tous les Seigneurs , &
Curieux opulens , dont les Collections
font fi merveilleufes. Il y eut à ce sujet
une forte de défi ; faites - moi gagner ,
Monfieur , s'il vous plaît : je pourrai gagner
de bien des façons .
J'ai l'honneur d'être , &c.
DALLET , l'aîné , Correfpondant de
l'Académie Royale des Sciences de
Rouen.
AValogne les Juin 1762.
EPITRE
Atous nos Seigneurs curieux ,
Salut &gloire enTerre comme auxCieux.
UN habitant d'une baſſe Province ,
Dont le coeur eft plein de defirs ,
Mais dont la fortune un peu mince
Le févre de tous les plaiſirs ,
Epris furtout de la gloire immortelle
De fuivre , & de baifer les pas
De cette gentille femelle
Qu'on nomme Hiftoire- Naturelle
Dont il adore les appas 3
AOUST . 1762. 57
Cet habitant du fond de la Neuftrie ,
Où Lachéfis file les triſtes jours ,
Loin du bonheur , des jeux , & des amours ;
S'adreffe à vous , Meffeigneurs , & vous prie
De vouloir par quelques bienfaits
Echapper de vos Cabinets
Enjoliver fon toît ruſtique ;
Sa reconnoiſſance autenthique
Suivra , je vous jure , de près.
Bienfaiteurs actuels.
Mlle De la Gardye.
Madame le Sauvage.
Madame de Colleville.
Meffieurs.
D'Argenville.
Le Cat.
L'Abbé De la Haye.
Do&teville.
De Réville .
De la Rue.
Joret.
Sival.
De l'Angle.
De Littiniere , &c.
Bienfaiteurs
Mefdames.
La Préfidente de Bendeville.
La Comteffe de Fuligny.
De Courtagnon.
De Chazot du Pleffis.
Meffieurs.
Le Duc de Chaulnes,
Hennin .
efpérés.
Du Bois Jourdain.
Le Chevalier Turgot
Le Marq. de Croiſmar
Davila.
L'Abbé Coutbout.
L'Abbé Aubry.
Le Comte de Treſſan.
Journu , de Bordeaux.
De la Faille.
Et tous ceux & celles qui voudront bien enrichis
de Demandeur,
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
IMITATION des Vers Anglois de
M. PRIOR , qu'il a intitulés :
CLOE HUNTING.
THEMIRE
HEMIRE un jour ayant perdu la Chaffe ,
S'égare dans un bois ; Apollon l'apperçoit ;
Comme elle a de Diane , & la taille & la grâce ,
Qu'elle a fes blonds cheveux , que de plus il lui
voit
Un Arc en main , le Dieu s'y trompe & croit
Voir Diane elle-même. A grands cris il l'appelle..
Ma foeur où courez- vous ? ma foeur ,
La Chaffe qui fans vous ne fauroit - être belle
Eft de ce côté- ci . Témoin de fon erreur ,
Le malin Dieu d'Amour , qui faifoit fentinelle
Auprès de fa Nymphe fidelle ,
Se mit à rire de bon coeur.
La méprife eft vraiment nouvelle ,
Dit l'enfant de Cypris , pour un fi grand Docteur,
La beauté qu'Apollon prend ici pour la ſoeur ,
Eft la gloire de mon empire.
C'eft l'aimable & jeune Thémire ,
A qui j'ai remis tous mes droits ,
Avec mon Arc & mon Carquois.
Sur ces bords enchantés arrofés par la Seine , *
2. Dans l'Anglois , la Tamife.
AOUST. 1762.
59
Seule elle éxerce un fouverain domaine.
Votre foeur qui brave mes loix
Oferoit- elle y rien prétendre ?
Allez aux rives du Méandre ,
Armé de ce dard meurtrier ,
Pourſuivre au gré de l'ardeur qui vous guide ,
Le Cerf léger , le Daim timide ,
Ou le féroce Sanglier.
Si d'un tel paffe -temps Diane fe contente ,
Thémire & moi journellement
Nous failons notre amuſement
D'une Chaffe bien différente :
Ce n'eft qu'au coeur humain que s'adreffent nos
traits.
En les lançant , Thémire eft fure
De faire une telle bleffure ,
Qu'on en mourra plutôt que d'en guérir jamais.
Par M, L. L. B.....
POUR Madame de Br ... le jour
•
> de la MAGDELEINE dont
-
elle porte le nom
1 .
MAGDELEINE fut fage & belle ,
Mais en deux temps bien différens.
***
J
Br , pour l'emporter fur elle ,
Eft belle & fage en même temps.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
E Le mot de la premiere Enigme du
fecond Volume de Juillet eft la Refpiration.
Celui de la feconde eft la Rofe.
Celui du premier Logogryphe eft Procédure
, dans lequel on trouve cure ,
écu , écroue , eu , Pérou , re , or , cédre ,
Porc. Celui du fecond eft la feringue.
On y trouve rue , finge , ferin , figne ,
fein , grue , fire , reine , rufe , négre ,
nigar , nuc.
QUII
ENIGM E.
UBL eft mon fort ! fi- tôt que je ſuis née ,
On m'inſulte , on me bat ; mais malgré ces tourmens
,
La Coquette voudroit avoir ma deſtinée :
Plus je fuis vieille , & plus je plais à mes Amans`
AUTRE.
LORSQUE par de juftes liens
On fçait unir à moi celui qui me reſſemble ,
Nous ne faiſons plus qu'un enſemble ;
Je vois tout par les yeux , il voit tout par les miens.
Si je lui fais tenir quelque diſcours frivole ,
En revanche je fçais lui couper la parole.
AOUST. 1762.
61
LOGO GRYPH E.
Da la variété je préfente l'idée.
Tour , hors l'Etre fuprême, eft foumis à mes loix
J'habite également & l'antre de Prothée ,
Et le palais des Rois.
Veux-tu fçavoir , Le&eur , qui je ſuis ? Décompoſer
Raffemble mes dix pieds .... Mals qu'en est- il be
foin ?
Peut- être , fans aller fi loin ,
Trouveras - tu chez toi la choſe.
Mais non .... Lecteur , pourfuis ; va jufqu'au bout
Et d'un oeil attentif examine mon tout.
Tu trouveras en moi l'immortelle fubftance ,
Par qui l'homme ſe meut & penſe ;
Un figne de gaîté ; l'arbre majeſtueux
Dont la tête touche les Cieux ;
Un fleuve dont les eaux roulent l'or en Eſpagne ;
Prefque une ville de Bretagne ;
La prifon d'un oiſeau ; cet animal trompeur ,
Des rats grand exterminateur :
En un feul trait enfin pour peindre mon effence ,
Je n'ai rien de conftant que ma feule inconſtance.
Par M. LAUs de Boissy .
62 MERCURE DE FRANCE.
+
AUTR E.
Las neufs pieds , cher Lecteur , qui forment ES
mon effence ,
T'offriront , fans effort , un nom qui fut fameux ;
Un Héros de nos jours , dont la haute vaillance
Mérite moins encor que. le coeur généreux .
Combine maintenant , tu trouveras un être ,
Dont la vafte étendue embraſſe l'Univers ;
Ce que maint mortel veut paroître
Pour écarter le foupçon du revers ;
Ce que pour s'inftruire il faut faire ;
Le fruit du travail merveilleux
D'un infecte laborieux ;
Pour un jeune Ecolier une pénible affaire ;
Ce que craignoient ſouvent des combattans nouveaux
;
Un mot dont l'effet eft de fixer la mémoire ,
Quand on veut , avec fruit , étudier l'Hiftoire ;
Ce qui conferve enfin le vin dans les tonneaux.
Pourfuis , & tu verras le nom de ce Prophète
Exempt du fatal monument ;
Ce Sacrificateur, dont l'exemple touchant
Doit fervir aux parens d'inftruction parfaite ;
Ce qui s'écoule avec rapidité ,
Avec l'objet dont on eft enchanté ;
Ꭺ Ꮕ Ꮜ ᏕᎢ , 1762. - -
L'une des fources de la vie;
Ce qui doit exciter notre plus forte envie ;
Une note en Mufique ; un pronom relatif ;
Une plante commune ; une riviere en France;
Ce qui peut quelquefois défarmer la vengeance:
Encor .... Mais c'eft affez pour ton génie actif.
L. de Bordeaux.
AUTRE.
Si je fuis en entier , tout le monde fait gloire
De me fuir avec foin & de me détefter ; }
Mais qu'on ôte monchef, qui pourroit alors croire
Le temps que bien des gens paffent à me chere
cher ?
.
Par le même.
193 294 aland ho
64 MERCURE DE FRANCE.
Un
CHANSON.
N jour dans le fond d'un boſquet
Coridon chantoit un air tendre;
Chloris qui cherchoit du muguet ,
S'approcha pour le mieux entendre.
Mais ce Berger appercevant
Celle pour qui fon coeur foupire :
C'est vous , dit-il , objet charmant ,
C'eſt vous , c'eſt vous qui cauſez mon martyre;
Bergère , depuis l'heureux jour ,
Que je vous vis dans la prairie ,
Flater , careffer tour-à-tour
Mon chien & ma brebis chérie ,
Pour vous je brûle conſtamment ,
Sans avoir ofé vous le dire.
C'est vous , Chloris , objet charmant ,
C'eſt vous , c'eſt vous qui cauſez mon martyrë.
Ouije brûle du plus beau feu ,
On ne peut aimer davantage.
Chloris furpriſe de l'aveu ,
Reprend le chemin du Village.
Coridon marche fur fes pas ,
Et ne ceffe de lui redire
C'eſt vous , belle Chloris , hélas !
C'estvous , c'est vous qui caufez mon martyre
Tendremt.
Un jour
dans lefond d'un bosquet
, Cori _ =
don chan toit un air
tenare
, Cloris qui
cher
W
choit du muguet S'ap -pro
-cha
pour
le
mieux
entendre
: Mais
le berger
apperce
vant
Celle pour
qui son coeur
soupire
,
C'est
vous,dit - il, objet
charmant
. C'est
vous,
C'est
vous qui
cau- ser mon
marti
..
re
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOM
AND
TILDEN
FOUNDATIONE
,
AOUST. 1762.
65
De ces feux , le Berger diſcret ,
Lui promit de faire un mystère ;
Chloris qui l'aimoit en fecret,
L'écouta bientôt fans colère ;
Et le regardant tendrement ,
L'entend avec plaifir redire ,
C'eſtvous , Chloris , objet charmant ,
C'est vous , c'est vous qui caufez mon martyre.
Le lendemain , dans le boſquet,
Chloris du matin va fe rendre ,
Pour cueillir un autre bouquet ,
Et fon Berger va l'y ſurprendre.
Elle reconnoît fon vainqueur ;
Elle rougit , elle foupire ,
Et Coridon a le bonheur
De voir , de voir la fin de fon martyre.
L' Air & les paroles font de M. Depe…………
66 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
ÉCOLE MILITAIRE :
OUVRAGE compofé par ordre du
Gouvernement. A Paris, chezDurand,
rue du Foin , 1762. 3. vol. in- 12 .
"
PREMIER EXTRAIT.
LES Auteurs Grecs & Latins ,
» dit l'Auteur , ont recueilli avec foin
» & avec goût , les particularités de la
» vie des grands Capitaines de leur Na-
> tion , qui pouvoient élever les efprits
» & les animer à la défenfe de la Pa-
» trie.
» Le Miniſtère a cru que l'Hiftoire
» moderne , comme l'ancienne , de-
» voit préfenter des traits d'activité
d'intelligence , d'humanité , de pré-
» fence d'efprit , de fermeté , d'hé-
» roïfme ; & il m'a fait l'honneur de
» me charger de les raffembler.
»
» Il m'eft venu d'abord dans l'efprit
AOUST. 1762. 67
» de commencer mon travail où les
» Ecrivains originaux de l'Antiquité
» avoient fini le leur ; mais lorfque
» j'ai fait réfléxion que la décadence de
» l'Empire Romain avoit entrainé la
» ruine de l'Art de la guerre comme
» la ruine des autres Arts ; j'ai pensé
» qu'on ne pourroit tirer , ni beaucoup
d'inſtruction , ni un grand encoura
» gement de la routine d'une longue
» fuite de fiécles barbares .
"
"
» L'expédition de CHARLES VIII.
» en Italie 2. m'a paru l'époque à la-
» quello jo dëvois me fixer. Alors feule-
» ment on a commencé à foupçonner
» des principes qui ont été développés
" fucceffivement , & que le Prince
» Maurice d'Orange & le grand Guftave
» ont enfin mis dans tout leur jour .
" Quoique j'écrive pour les François ,
» j'ai puifé dans les Faftes de toutes les
» Nations de l'Europe ; en mettant fous
» les yeux de nos jeunes guerriers les
» vertus & les talens de leurs Ancêtres,
» il m'a paru important de les convain-
» cre que les ennemis qu'ils avoient à
» combattre avoient auffi des talens
» & des vertus. Cette conviction qui
» feroit une impreffion dangereufe fur
»
"
"
"
"2 des ames foibles , doit naturellement
68 MERCURE DE FRANCE.
» redoubler les efforts d'un Peuple que
» l'honneur a toujours guidé.
" J'ai longtemps balancé fi je mêlerois
quelques fentimens bas , quek-
" ques actions déshonorantes , parmi
» les fentimens généreux , les actions
éclatantes qui font le fond de ce re-
» cueil. Des Officiers diftingués m'ont
» perfuadé qu'il étoit éffentiel de gra-
» ver profondément dans tous les coeurs,
» que la honte de la lâcheté , de l'avi-
» dné de l'incapacité fe perpétuoit
» comme la gloire de l'intrépidité , du
» défintéreffement , de l'application .
>
» Le grade militaire n'a point in-
» flué fur le choix des difcours & des
» faits propres au but qu'on fe propo-
» foit. Le Soldat qui, comme fes Chefs ,
»a befoin d'encouragement , eft fuf-
» ceptible d'émulation , verra que s'il
» remplit fes devoirs avec diftinction ,
» s'il a des occupations heureuſes , il
» peut efpérer d'occuper fes contempo-
» rains & la poſtérité.
"
"
Quelques perfonnes auroient defiré
qu'on rangeât les matières fous
» certains tîtres. Des Généraux conful-
» tés , ont craint la monotonie de cette
» méthode. Ils ont préféré l'ordre chro-
» nologique , qui , outre l'agrément de
AOUST. 1762. 69
la variété, préfenteroit la marche &
» les progrès de la fcience la plus fu-
" nefte , & malheureuſement la plus
» néceffaire .
" L'ufage de ce Livre ne doit pas être
" borné à Meffieurs les Eléves de l'E-
" cole Militaire. Tous les jeunes gens
» qu'on deſtine au fervice , tous ceux
» qui y font entrés en tireront le plus
» grand fruit. J'ofe encore former un
» fouhait ; c'est qu'on en établiffe la
» lecture journaliere dans les chambrées
» des Soldats.
» Les Officiers de toutes les Nations
» de l'Europe , font invités à recueillir
» ce qui entre dans le plan qui a été
" tracé. Le Libraire recevra leurs pa-
» quets francs de port , & les remettra
à l'Auteur. Avec ce fecours , on
parviendra à élever à la gloire de
» l'Europe moderne un monument
» peut être auffi refpectable que tous
» ceux qui nous reftent des temps les
» plus héroïques.
,
Telle eft l'idée que l'Auteur a tracée
lui -même , de l'Ouvrage que nous annonçons.
Quelques citations feront juger
de l'exécution.
Le célèbre Génois Chriftophe Colomb
entreprend la découverte de l'Amérique
70 MERCURE DE FRANCE .
pour la Reine de Caftille . Ce fut dans
I'Ile de Saint-Domingue qu'il forma
fon premier établiffement , qu'il appella
le Fort Ifabelle , du nom de la Princeffe
qu'il fervoit. Le manquement abfolu
de toutes chofes qu'on y éprouve
donne occafion à Pedro Marguerit , qui
y commande , de faire une action toutà
-fait héroïque .
Un Indien lui apporte deux Tourterelles
en vie ; il les reçoit , les paye &
prie une partie de fa Garniſon de monter
avec lui au lieu le plus élevé de la
Citadelle. Meffieurs , leur dit-il , en tenant
dans fa main les deux Tourterelles,
je fuis bien fáché qu'on ne m'ait pas
apporté de quoi vous régaler tous ; mais
je ne puis me réfoudre à faire un bon
repas , tandis que vous mourez de faim.
En achevant ces mots, il donna la liberté
aux deux oifeaux.
Chriftophe Colomb fait une defcente
à la Jamaïque , où il veut former un
établiffement. Les Infulaires s'éloignent
du rivage , & laiffent manquer les Caftillans
de vivres. Un ftratagême très-fingulier
eft mis en ufage dans cette occafion
préffante.
Il doit y avoir bientôt une Eclipſe de
AOUST. 1762. 71
Lune . Colomb fait avertir les Chefs des
peuplades voifines , qu'il a des chofes
très -importantes à leur communiquer.
Après leur avoir fait des reproches trèsvifs
fur leur dureté , il ajoute d'un ton
affuré Vous en ferez bientôt rudement
punis : le Dieu puiffant des Espagnols
que j'adore , va vous frapper de fes plus
terribles coups. Pour preuve de ce que je
vous dis , vous allez voir dès ce foir la
Lune rougir , puis s'obfcurcir & vous
refufer fa lumière. Ce ne fera- là que
prélude de vos malheurs , fi vous ne profitez
de l'avis que je vous donne.
le
L'Eclipfe commence en effet quelques
heures après ; la défolation eft extrême
parmi les Sauvages : ils fe profternent
aux pieds de Colomb , & jurent
qu'ils ne le laifferont manquer de
rien. Cet homme habile fe laiffe toucher
, s'enferme comme pour appaifer
la colère célefte , fe montre quelques
inftans après , annonce que Dieu eft appaifé
, & que la Lune va paroître. Les
Barbares demeurent perfuadés que cet
Etranger difpofe à fon gré de toute la
Nature , & ne lui laiffent pas dans la
fuite le temps même de defirer.
Quelques Portugais font faits prifon72
MERCURE DE FRANCE.
,
niers dans l'Inde . Comme leur Nation ,
dans le temps de fes prodigieux fuccès ,
trouve cet événement honteux elle
ne s'empreffe pas de les racheter. Le
Pere de Lauriere , vertueux Francifcain ,
qui eft avec eux , demande qu'on le
laiffe partir pour aller traiter lui - même
cette affaire. Le Roi de Cambaie , paroiffant
inquiet du retour , le Religieux
détache fon cordon , & le lui met en
main , comme le gage le plus affuré de
fa foi : fur cela feul on le laiffe partir.
Sa négociation eft infructueuse , & il
revient dans les fers. Le Roi eft fi frappé
de cette fidélité , & il conçoit une fi
haute opinion d'un peuple qui produit
des hommes capables de cet acte de
vertu , qu'il les renvoye tous fans rançon
.
Soliman , ce fier Souverain des Turcs,
dont les talens font fort grands , & l'ambition
fans bornes , attaque la Hongrie
& prend Belgrade qu'on regardoit comme
le boulevard de la Chrétienté. II
vient de faire cette importante conquête,
lorfqu'une femme du commun s'approche
de lui , & fe plaint amèrement de
ce que des Soldats lui ont enlevé des
beftiaux qui faifoient toute fa richeffe :
Il
AOUST. 1762 . 73
Il falloit que vous fuffiez enfevelie dans
un fommeil bien profond , lui dit en riant
le Sultan , puifque vous n'avez pas enrendu
venir les voleurs ? Oui , je dormois
, Seigneur , répond- elle ; mais c'étoit
dans la confiance que votre Hautefe
veilloit pour
la sûreté publique. Le Prince
qui a de l'élévation approuve ce mot,
tout hardi qu'il eft , & répare convenablement
un dommage qu'il auroit dû
empêcher.
Les Impériaux & leurs Alliés qui entreprennent
de chaffer les François du
Milanès , croyent devoir commencer
par s'emparer de Parme. Il furvient pendant
le fiége mille contretemps qui doivent
les déterminer à l'abandonner. On
tient fuivant l'ufage beaucoup de confeils
, fans rien décider. Enfin le Marquis
de Pefcaire plus hardi que les autres
dit : je vois bien que nous fommes
tous d'un même avis mais que
perfonne n'en veut paroître l'Auteur.
Pour moi qui n'ai en vue que le bien
commun , je conclus fur tout ce qui
été dit & que tout le monde fçait , à
lever le fiége. Dès qu'il a fait cette ouverture
les Généraux parlent tous
>
2
D
74 MERCURE DE FRANCE .
comme lui , & on prend l'unique partì
qu'il y avoit à prendre.
Les Impériaux affiégent les François
dans Foffan , ville du Piémont .
Montpefat montre dans la défenſe de
cette Place un courage héroïque & une
capacité extraordinaire à la fin ; cependant
, comme il manque de tout ,
s'engage à fe rendre , fi dans quinze
jours il n'eft pas fecouru .
il
Dans cet intervalle , Charles -Quint
arrive au camp , où Antoine de Léve
fon Général lui préfente la Roche du
Maine , un des ôtages que les Affiégés
ont donné. Le Prince qui connoît beaucoup
de réputation cet Officier , fait
devant lui la revue de fon armée , &
veut fçavoir ce qu'il en penfe. Je la
trouve , dit-il , plus belle que je ne voudrois
; maisfi Votre Majefté paffe les
monts , elle en verra une plus lefte encore.
L'Empereur lui dit enfuite qu'il va
vifiter les Provençaux qui font fes Sujers.
Je vous affure , reprend-il , que
vous les trouverez fort défobéifans.
L'entretien s'échauffant infenfiblement,
Charles demande, combien il y a de
journées du lieu où ils font jufqu'à Paris.
Si par journées vous entendez des
batailles , il y en a douze au moins ,
AOUST. 1762.
répond le Gentilhomme François , &
moins que vous ne foyez battu dès la
premiere.
Un jour que le fameux Portugais Jean
de Caftro fe promenoit dans Lisbonne
il apperçut fur la boutique d'un Tailleur
un habit galant , & demanda pour qui
il étoit. Quand on lui eut répondu que
c'étoit pour un de fes enfans il prit
des cifeaux , le coupa en piéces & dit
au Tailleur : dites à ce jeune homme qu'il
fe falſe faire des armes. Et quoi plus ?...
des armes.
›
Le Maréchal de Briffac vient à bout
d'emporter d'un coup de main la ville
de Quiers dont il croyoit ne fe rendre
maître que par un fiége régulier. Les
vainqueurs fe flattent ouvertement que
ce premier avantage fera rapidement
fuivi des plus grands fuccès. L'Hiftorien
Davila qui fe trouve parmi les
Troupes Efpagnoles qui défendoient la
Place , dit à l'un d'eux : Vous avez bien
fçu , Meffieurs les François , commencer
la guerre à votre avantage ; mais j'efpére
que l'impatience & la légèreté avec
lefquelles vous conduifez vos affaires ,
rétabliront les nôtres. On rapporte ce
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
difcours au Maréchal , qui répond : Cet
Etranger nous connoît de longue main .
Dans le temps de l'héroifme des Portugais
dans l'Inde , un Soldat qui étoit
dans l'Ifle de Ceylan , ofa defirer
un jour un oignon. Que demandezvous
, lui dit froidement fon Capitaine ?
les Portugais n'ont pour toutes_provifions
que du pain , de l'eau , de la poudre
& des balles. On ne les accoutume
point aux mets exquis.
Le Portugais Hem Lopès Carafco
eft attaqué à l'Ifle de la Sonde par le
Roi d'Achem. Il fe défend avec une
valeur plus qu'humaine , Tranquille dans
le plus grand péril , il paroît travailler
aux apprêts de quelque Fête confidérable.
Au milieu du combat , il eſt fi
dangereufement bléffé, qu'on croit qu'il
a été tué, Son Fils qui eft dans l'inftant
averti de ce malheur , répond fimplement
en continuant de combattre: C'eſt
un brave homme de moins : mais nous
vivons encore'; triomphons , & méritons
une mort auffi glorieufe que la fienne.
Les Efpagnols avoient été chaffés de
Maftricht par les Habitans , mais ils
AOUST. 1762. 77
-
étoient réftés les maîtres de Wich , petite
partie de la Place , féparée de l'autre
par la Meufe. Les vaincus humiliés d'un
affront auffi fenfible , qui vient uniquement
de leur négligence , veulent réparer
fur le champ leur faute , en reprenant ce
qu'ils ont perdu. Comme ils n'y voient
d'obſtacle que celui qu'y mettent quelques
piéces de Canon placées fur le pont
qui joint les deux Villes , ils prennent
pour évirer ce danger une réfolution
très extraordinaire . Ils mettent devant
eux toutes les femmes de Wich qu'ils
peuvent prendre. Avec ce rempart ils
entrent fur le pont ; & couverts de ces
finguliers boucliers , ils tirent hardiment
& furement fur les Citoyens , qui ne
pouvant fe défendre fans tirer fur leurs
parentes , ou du moins fur les femmes
de leur parti , quittent leur pofte , ſe réfugient
dans leurs maifons , & abandonnent
le champ de bataille aux Efpagnols
, qui fe trouvent maîtres de la
Ville , fans avoir couru de rifque .
L'Espagnol Lopez de Acunha , s'armant
à la hâte pour un coup de main
dit à deux Domeftiques qui l'habillent
de mettre mieux fon cafque , parce qu'il
lui caufe une grande douleur à l'oreille .
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
On lui foutient obftinément que cela.
ne peut pas être ; & fans infifter davantage
, il part pour le lieu où le danger &
la gloire l'appellent. A fon retour , il jette
fon cafque & fon oreille , & dit à
fes ferviteurs avec douceur : Ne vous
difois-je pas que mon cafque étoit mal
mis ?
Dom Juan de Guzman devant qui on
contoit ce trait fingulier , avoua que
s'il eût été Dom Lopez , il eût coupé
les oreilles à ces deux coquins. C'eût été ,
lui dit Dom Juan d'Autriche , vendre la
fienne à vil prix , au lieu d'acheter comme
Dom Lopez toutes les Langues de la
Renommée , qui célébreront à jamais fa
modération.
Le brave & vertueux la Noue méne
un Corps de François au fecours des
Confédérés des Pays-Bas. Les fuccès
qu'il a , élévent fi fort l'âme de fes Soldats
, fes exemples leur infpirent une
telle ardeur pour la gloire , qu'ils ne
fongent point à s'enrichir par le pillage ,
dans le temps que la guerre n'eft qu'un
brigandage , qu'ils négligent même de
recevoir leur paye. Sur ce qu'on leur
annonce que leurs montres font arrivées
à Menin , ils répondent qu'ils ne
AOUST. 1762. 79
fçavent point perdre à compter de l'argent
, le temps qu'ils peuvent employer a
vaincre.
On peut voir , par ce qu'on vient de
lire,dans quel goût eft traité l'Ecole Militaire
. Elle deviendra fans doute la lecture
la plus ordinaire des Officiers , & fervira
de bafe à l'éducation des jeunes gens
qu'on deftine au fervice . Les Profeffeurs
& les Inſtituteurs particuliers y trouveront
des fecours abondans pour former
l'âme de leurs Elèves , à quelque profeffion
qu'ils foient deftinés : l'élévation
du coeur eft de tous les états.
Il est très-beau à notre miniftere d'avoir
formé un projet auffi utile , & fort
honorable pour M. l'Abbé Raynal d'a
voir été chargé de l'exécution .
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
VARIÉTÉS PHILOSOPHIQUES
& Littéraires ; vol. in- 12 . de 250 pag.
à Londres , & fe trouvent à Paris
chez Duchefne , Libraire , rue S. Jacques
, 1762.
Lectorem delectando , pariterque monendo..
CE
Horatius.
E Vers d'Horace fe lit au frontifpice
du Livre dont nous allons rendre
compte Ouvrage qui fuppofe beaucoup
de talens & de connoiffances. On
y voit un homme d'efprit , qui écrit
avec élégance & nobleffe , un Hiftorien.
qui raconte avec intérêt , un Littérateur
dont le goût für , modère les élans d'une
imagination vive & brillante , un Poëte ,
même , qui vérfifie avec aifance , un Citoyen
qui a des vues utiles , & un Sçavant
qui pofféde plufieurs Langues , tant
anciennes que modernes.
" J'ai lu , j'ai réfléchi , dit l'Auteur
» dans fa Préface ; voilà en deux mots.
» toute l'Hiftoire de l'Ouvrage que j'of-
» fre au Public. Une penfée qui m'a
"frappé dans la lecture des meilleurs Au-
» teurs , tant anciens que modernes , &2
A O UST. 1762. 81
"
"
» qui m'a paru préfenter un grand fens,
» a été l'occafion fubite de chacun des
» difcours qu'on va lire . Ces efpèces
» d'étincelles qui m'ont fervi d'Epigra-
» phes , ont quelquefois caufé un em-
» brafement , & mes réfléxions fe font
» multipliées ; quelquefois je les ai
» étouffées dès leur naiffance , pour laif-
» fer au Lecteur le plaifir piquant de
» les ranimer. Montagne difoit : de cent
» membres &vifages qu'a chaque chofe ,
» j'en prends un , tantôt à lécher feule-
» ment , tantôt à effleurer , & par fois
» à pincerjufqu'à l'os. Je l'ai imité en
» ce point ; de-là ces deffeins ou ébau-
" chés ou finis ; de là ces difcours plus
» ou moins longs . Je conviens que cette
» diftribution inégale des fujets , n'a
" été fouvent de ma part , que le pur
» effet du caprice ; j'ofe cependant ef-
» pérer que cette variété ne fera pas le
» moindre agrément de l'Ouvrage. Mon
» but étoit d'inſtruire & de plaire ; j'a-
» vois donc deux écueils à éviter ; d'un
» côté , la morgue du pédantifme
" prèfque toujours inféparable de l'in-
» ftruction ; de Fautre côté , ce ton de
» futilité qui ne règne que trop dans
» ce que nous appellons Ouvrages
nagréables. Pour fur ces deux exces ,
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
» j'ai cru devoir femer de traits Hiftoriques
la morale de cet Ouvrage. Je
» ne fais ordinairement que les indi-
» quer ; mais ces fimples indications
» doivent fuffire , dès qu'elles fervent
» de réminifcences aux gens inftruits
» & qu'intéreffant la curiofité de ceux
» qui ne le font pas , elles peuvent leur
infpirer du goût pour la lecture , & c.
>>
Le corps du Volume renferme cinquante-
neuf Chapitres qui ont chacun
leur Epigraphe en différentes langues ,
mais que l'Auteur a toujours foin de
traduire en vers Francois , de manièreà
faire honneur à fon original . Le premier
Chapitre a pour titre, les avantages
de la Science. Euffé-je, difoit l'Empereur
Didier Julien , euffé - je un pied dans
le tombeau , l'étude auroit encore des
charmes pour moi ..... » On cherche
depuis longtemps une panacée uni-
» verfelle ; ceux qui aiment l'étude l'ont
» trouvée : elle adoucit nos maux , dif
fipe nos chagrins , vivifie toutes les
» facultés de notre ame , & lui donne
» ( qu'on me paffe l'expreffion ) un cer-
» tain embonpoint que ne lui procureroient
jamais les autres plaifirs auxquels
elle pourroit fe livrer . C'eft-là,
2 fans doute , ce qu'un célèbré CourA
O UST. 1762 . 83
» tifan * voulut faire entendre , lorfqu'il
» répondit à LOUIS XIV. qui lui de-
» mandoit à quoi lui fervoit de lire ?
» Sire , la lecture fait à mon efprit ,
» ce que vos Perdrix font à mes jouës.
Le fecond Chapitre qui eft fur les
agrémens de la Campagne , merite d'être
lû en entier. Ce Vers de Virgile lui ſert
d'Epigraphe.
Oforunatos nimium ,fuafi bona norint,
Agricolas ! Virgile.
Que tu ferois heureux , ô Citoyen champêtre !
Si dans le fein des biens tu fçavois les connoître.
Le tableau qu'on nous trace ici de
la vie champêtre eft de toute beauté ,
le Bel-Efprit y marche de pair avec le
Philofophe , & tout ce que la Poëfie
a de plus brillant & de plus gracieux
y affaifonne des vérités de la plus faine)
morale:
On lit dans le troifiéme Chapitre fur
les tombeaux , » qu'un Perfan ** auſſi
» diftingué par fa naiffance que par la
" pénétration & la folidité de fon ef
* Le Duc de Vivonne..
** Hormifdass.
Dvjj
84 MERCURE DE FRANCE.
» prit , ayant vu Rome dans fa fplen-
» deur , l'Empereur lui demanda ce
"
,
qu'il penfoit des magnificences qui
» s'y étoient offertes à fa vue , & s'il ne
» fouhaiteroit pas y fixer fon féjour ?
Seigneur , lui répondit-il , rien n'eft comparable
aux beautés qui fe font préfentées
à mes yeux : mais vous l'avouraije
? je n'en ai été ni ébloui ni touché.
Au milieu des Obélifques , des Arcs de
Triomphes , des Palais , des Temples &
des autres Edifices que cette illuftre Métropole
renferme dans fon fein , j'ai vu
des Tombeaux. Puifque l'on meurt à
Rome comme en Perfe , toutes les beaurés
de Rome s'éclipfent à mes yeux-
Parcourons rapidement les autres Chapitres.
La modération dans les defirs
conftitue l'éffence du bonheur , fi l'on
en croit notre Philofophe. » Soyons
» modérés dans nos defirs , le bonheur
» nous fuivra partout. Avant de nous
» livrer à l'impétuofité , calculons du
» moins les maux & les plaifirs dont
» leur accompliffement doit être fuivi.
» La Sageffe , dit agréablement à ce pro-
" pos ,
l'Auteur des Mondes la Sa-
» geffe doit avoir toujours les jettons à
» la main.
Le Chapitre de la Liberalité décéle
AOUST. 1762. 85
une grande ame & pleine de fentimens
nobles & généreux. On y donne des
exemples aux Grands fur la manière dont
ils doivent régler leurs libéralités. Quas
dederis , folas femper habebis opes.
Les biens que vous donnez font les feuls qui vous
reftent.
Cette traduction du vers latin eft
très -heureufe.
On demande fi l'on doit être libéral
même à l'égard des méchans ? oui , ſans
doute , » parce que le méchant même,
» dès qu'il eft indigent & malheureux , a
» en cette qualité des droits fur les lar-
» geffes d'un bon coeur. » Réponse digné
d'une ame fenfible .
Les Chapitres qui regardent l'Etude
des Langues & les Voyages méritent
une attention particulière. L'Ecrivain
paroît les avoir travaillés avec complaifance.
L'avantage des Voyages & la maniere
de les faire , voilà les deux points fur
lefquels roulent tout ce Chapitre intéreffant
, auquel on ajoute un projet qui
feroit très-utile à l'État & qui nous paroît
en même temps facile à exécuter.
Le Chapitre du Luxe , de la Louange
, de la Concorde , de l'Ingratitude ,
86 MERCURE DE FRANCE.
de la Reconnoiffance , & de la Cruauté
à l'égard des animaux, nous fourniffent
plufieurs traits frappans & des anecdotes
curieufes. Les Parifiens & tous ceux
qui connoiffent la Capitale du Royaume
liront avec plaifir les Chapitres de Paris
tel qu'il fut , ou de Paris futur , ou tel
qu'on fouhaite qu'il devienne. Dans le
premier , l'Auteur nous fait voir qu'il
poffède à fond l'Hiftoire de cette grande
Ville. Dans le 2° , il propofe différens
projets pour l'embellir , qui ne peuvent
avoir été infpirés que par un zéle vraîment
patriotique. Le refte du Volume
contient vingt - quatre ou vingt - cinq
Chapitres également curieux , inftructifs
& amufans. Nous y renvoyons le Lecteur
en lui indiquant quelques Articles ,
entr'autres fur l'orgueil de quelques Savans
, les grands événemens occafionnés
par les petites cauſes , l'humanité , les
préjugés nationaux , qu'est-ce qu'un Génie
? Les moeurs des anciens Guerriers
&c.
Nous terminerons notre Extrait en
citant une partie du dernier Chapitre,
qui fert de conclufion à cet Ouvrage
eftimable.
AOUST. 1762.
87
CONCLUSION DE L'OUVRAGE..
Majores majora fonent ; mihi parva locuto,
Sufficit in veftras fæpè redire manus. •
Martialis , Lib. 9 .
Auteurs volumineux que le vulgaire admire ,
Infatigables Ecrivains ,
Ecrivez plus qu'on n'en peut lire;
Pour moi , cher Lecteur , je n'afpire
Qu'au plaifir de me voir fouvent entre vos mains.
,
» Mon ambition littéraire fera fatisfaite
, fi je me fuis fait goûter par les
» vérités utiles que j'ai tâché de répan-
» dre dans le cours de cet Ouvrage
» fruit de mes momens de loifir. Ma
» plume n'a été guidée que par le defir
d'infpirer de l'amour pour la vertu ,
»& du goût pour les beaux Arts . Puiffent:
» ces fentimens germer dans tous les
» coeurs ; puiffent- ils s'y conferver ! »
»
Tandis que dans les prés , on verra les ruiffeaux
Former mille détours du cryſtal de leurs eaux ,
Ou tant que les Zéphirs , réveillant la Nature,
Orneront les bofquets de leur verte parure
Puiffe auffi notre Auteur employer
As long , as ftreams in filver mazes rove ,
Or fpring with annual green renews the grove..
Fenton,
88 MERCURE DE FRANCE.
toujours fes loifirs auffi agréablement
pour le Public !
Nota . Nous avons remarqué quelques
fautes d'impreffion , omifes dans
l'Errata. Entr'autres les fuivantes . Page
29 , quels coups que la fortune vous porte
, pour quelques coups que la fortune
vous porte. Page 198 dans l'Epigraphe ;
des hominis hujus honorem , pour des
nominis hujus honorem. Page 215 , je
pécherois au refte contre la coutume
pour je pécherois au refte contre le coftume
, & c.
TEXTE DE CORNELIUS-NEPOS *
dans la Vie de LISANDRE
l'on a fupplée une Lacune.
Ch. I. Ly
out
y
YSANDER Lacedemonius
magnam reliquit fui famam , magis felicitate
quàm virtute partam. Athenienfes
enim in Peloponefios fexto & vigefimo
anno bellum gerentes confeciffe
apparet. Id quâ ratione confecutus
fit , latet. Non enim virtute fui
exercitus , fed immodeftiâ factum eft
adverfariorum ; qui quod dicto audienAOUST.
1762. 89
tes Imperatoribus fuis non erant , difpalati
in agris , relictis navibus , in hoftium
venerunt poteftatem. Quo facto
Athenienfes fe Lacedæmoniis dediderunt.
Hac victoriâ Lyfander elatus
cùm anteà femper factiofus audaxque
fuiffet , fic fibi indulfit , ut ejus operâ
in maximum odium Græciæ Lacedæmonii
pervenerint. Nam cùm hanc caufam
Lacedæmonii di&titaffent fibi effe belli
ut Athenienfium impotentem dominationem
refringerent , poftquam apud
Ægor flumen Lyfander claffis hoftiumeft
potitus , nihil aliud molitus eft quàm
ut omnes civitates in fua teneret potef
cùm id fe Lacedæmoniorum caufâ
facere fimularet. Namque undique
qui Athenienfium rebus ftuduiffent ,
ejectis decem delegerat in unaquaque
civitate quibus fummum Imperium poteftatem
omnium rerum committeret.
Horum in numerum nemo admittebatur“,
nifi qui aut ejus hofpitio contineretur
, aut fe illius fore proprium fide
,
confirmaret.
Ch. II . Ita decemvirali poteftate in
omnibus urbibus conftitutâ , ipfius nutu
omnia gerebantur ; cujus de crudelitate
ac perfidiâ fatis eft unam rem
90 MERCURE DE FRANCE.
>
exempli gratiâ , proferre , ne de eodem
plura enumerando , fatigemus Lectores .
Victor ex Afiâ cum reverteretur , Thafumque
divertiffet , quod ea civitas præcipua
fide fuerat erga Athenienfes ,
proindè ac fi iidem firmiffimi folerent
effe amici qui conftantes fuiffent inimici
, eam pervertere concupivit , vidit autem
, nifi in eo occultaffet voluntatem ,
futurum ut Thafii dilaberentur , confulerentque
rebus fuis. *
LACUNE REM P LIE.
Conceptam igitur fraudem quo certiùs
perpetraret , fpecie religionis & clementia
velavit. Thafi erat Templum Herculi
dicatum , quod fummâ religione colebatur.
Huc vocata concione verbafecit
Lyfander , nec nifi benignos animi ſenfus
protulit , dictitans videlicet pacem
fe ac veniam omnibus afferre , feque
tumultuarios motus in commutatione re-
* L'exemple de perfidie dont il s'agit , & qui
manque dans notre Auteur , fe trouve dans les
ftratagêmes de Polyen , C. F. C'eft de là que je
l'ai pris pour remplir cette lacune. J'y ai fait au
refte quelques changemens que j'ai cru néceffaires
pour la vraiſemblance de l'hiſtoire , & j'ai
accommodé le tout de mon mieux au ſtyle & au
récit de Cornelius Nepos
AOUST . 1762 . 91
rum concitatos oblivioni planè dediffe.
Nemini ergo timendum à fe aut cavendum
; omnes ultro adeffent ac fuce humanitati
confiderent , teftari fe fuper ea
re numen Herculis. Hac religone decepti
cives quotquot latuerant , fuis exiere
latebris ac prodiere in publicum . Paucis
vero poft diebus , hos adortus incautos
omnes interfici juffit.
,
Suite du Texte de l'Auteur.
Ch . III . Itaque decemviralem fuam
poteftatem fui ab illo conftitutam fuftulerunt
, & c.
Au furplus j'obferverai que les Thafiens
avoient été jadis ennemis d'Athénes
, mais que Cimon , l'un des grands
Capitaines de cette République , avoit
fubjugué ces Peuples ; Thafios opulentiá
fretos adventu fuo fregit. Nepos
in vita Cimonis . Depuis cet événement,
jufqu'à la victoire de Lyfandre , ils
avoient paru tous dévoués aux Athéniens
; ce qui fert à faire entendre ce
que dit ici notre Auteur , fçavoir que
ceux qui ont été les plus grands ennemis
deviennent fouvent après cela
,
les plus conftans & les plus fidéles amis.
92 MERCURE DE FRANCE .
1
Perindè ac fi iidem firmiffimi folerent
effe amici , qui conftantes fuiffent inimici.
Cornelius Népos femble affirmer que
que Lyfandre irrité contre les Thafiens ,
à caule qu'ils avoient montré un fingulier
attachement pour Athènes , conçut
l'horrible deffein de les facrifier à fa vengeance
, & de renverfer leur Ville de
fond en comble , quod ea civitas præcipua
fidefuerat erga Athenienfes , cam
pervertere concupivit. Tel eft le fens
hafardé , ou pour mieux dire , abfolument
erroné qu'adoptent les Traducteurs
, fondés fur le fens littéral que
préſente le pervertere de Népos ; mais je
vais montrer qu'ici la Lettre nous induit
en erreur , & que le tout fe rectifie
par ce que nous dit Polien fur le
même Sujet. Voici le Paffage copié fur
la Verfion Latine du Texte Grec. Lyfander
Thafios cepit , apud quos erant
multi qui Athenienfuum partes fecuti fuerant.
Ii fe ab lacone occultabant , qui
convocatis Thafiis in Templum Herculis
humaniffimam orationem habuit , oportere
veniam dare his qui laterent in commutatione
rerum , & eos bonum animum
gererejuffit ; nihil enim accepturos damA
OUST . 1762. 93
ni , quippe cùm eam orationem in Templo
haberet , idque in civ tate Herculis
avi. Occulti igitur fidem habentes orationis
benignitate prodierunt. Lyfander
intermiffis paucis diebus , quo tutiùs res
adminiftraretur , correptos interficijuffit.
On voit par ce récit de Polien , qu'il
n'eft ici queftion ni de maffacre général
, ni de la ruine d'une Ville , excès
qui paffe toute croyance , & dont on
peut dire que Lifandre n'étoit pas capable.
En effet , s'il étoit artificieux &
fans foi , s'il étoit même cruel , on fait
qu'il n'étoit pas moins politique , & c'eſt
pourquoi , comme Général fubordonné
qui devoit rendre compte de fa conduite
devant des Magiftrats févères , devant
les redoutables Ephores, il ne pouvoit pas
rifquer de commettre une telle barbarie
qui bleffoit également les loix de la
guerre & de l'humanité , mais furtout
qui étoit contraire aux intérêts de Lacedémone
, dont la plus grande force confiftoit
dans le grand nombre de fes Confédérés
, qu'elle auroit sûremenr aliénés
par un traitement fi atroce,
D'ailleurs , fi Lifandre avoit détruit
une Ville entiere prèfque fans motif, &
après le ferment qu'il avoit fait d'oublier
de prétendus mécontentemens , toutes
94 MERCURE DE FRANCE .
les hiftoires de ce temps-là retentiroient
d'un fait fi étrange , & Plutarque entre
autres n'auroit pas manqué de le relever.
Ce que dit Polien eft tout différent ; il
affure que plufieurs des Thafiens qui
avoient paru en quelque occafion partifans
d'Athène, eurent grand foin de fe cacher
à l'arrivée de Lifandre , craignant
quelque mauvais traitement de fa part ;
mais que ce Général les ayant raffurés
par des apparences trompeufes & par la
promeffe folemnelle d'une amniftie générale
, peu de jours après les avoit fait
paffer au fil de l'épée. Ce qui ne fignifie
point que Lifandre ait détruit une Ville
avec tous ceux qui l'habitoient. Il eſt
donc vifible que le pervertere de Nepos
pas s'entendre à la lettre , & il
faut penfer que ce fage Ecrivain , dans
l'horreur que lui infpiroit la perfidie &
la cruauté de Lifandre , a laiffé couler
de fa plume une expreffion outrée
conforme à l'indignation dont il étoit
ému ; expreffion néanmoins qui ne défigne
en cet endroit , que le bouleverſement
moral , que la confternation d'une
Ville , qui contre la foi jurée à la face
des Autels , voit maffacrer tout-à-coup
une partie de fes Citoyens , mais non la
deftruction phyfique d'une Cité entiere,
ne doit
AOUST. 1762. 95
ni le carnage de tous fes Habitans ; &
telle eft l'idée que j'ai fuivie dans ma
traduction .
Après avoir expliqué Cornelius Nepos,
tâchons d'expliquer Polien. Toute la
raifon qu'il apporte du maffacre que fit
Lifandre dans l'Ifle de Thafe , c'eſt que
plufieurs des Thafiens avoient fuivi le
parti d'Athènes , quand & comment ,
c'eft ce qu'il ne dit point : Multi Athenienfium
partes fecuta fuerant : Ce qui
ne peut fignifier autre chofe en prenant
les termes dans le fens le plus naturel ,
finon que plufieurs de ces Infulaires
contens du gouvernement jufte & modéré
des Athéniens , leur étoient fincérement
attachés , & qu'en conféquence
ils avoient infifté pour fe défendre avec
vigueur contre les Lacédémoniens
vainqueurs d'Athènes, tandis qu'une autre
partie de ces Infulaires avoient paru
plus difpofés à fe rendre d'abord,& à
reconnoître la domination de Sparte.
Mais que voit - on dans tout cela de
répréhenfible & qui ait befoin d'amniftie
? Jamais Conquérant n'a fait un crime
aux Sujets d'une Puiffance étrangère
d'avoir paru attachés à leurs anciens
Maîtres & d'avoir réfifté de leur
>
?
mieux à l'Ennemi. Or les Thafiens
96 MERCURE DE FRANCE.
étoient depuis longtemps Sujets d'Athè
nes , & dans le cas d'une défenfe légitime
, autorisée par toutes les Nations. Ils
n'avoient donc pas occafion de fe cacher
, ni d'appréhender le reffentiment
de Lifandre , s'ils n'avoient fait que retarder
la priſe de leur Ville . Par conféquent
il eft à croire qu'ils firent quelque
chofe de plus que de réfifter d'abord aux
Lacédémoniens , puifque cette réfiftance
fi jufte & fi louable ne pouvoit être
fenfée criminelle . Ainfi l'on peut fuppofer
qu'après la défaite des Athéniens
par Lifandre , les Thafiens leurs Sujets
furent bientôt réduits à recevoir garnifon
Lacédémoniene , & qu'enfuite ils.
firent quelque légère tentative en faveur
d'Athènes , ou pour s'ériger eux-mêmes
en République indépendante ; que néanmoins
ce petit foulevement fut appaifé
fans peine & fans éffufion de fang , mais
que Lifandre paffant par cette Ifle à fon
retour d'Afie , & fçachant qu'il y avoit
eu quelqu'étincelle de révolte contre le
gouvernement actuel , voulut punir féverement
ceux qui en étoient cenfés les
auteurs , & qu'il employa contre eux
le trait de perfidie que je rapporte ici
d'après Polien. Dans cette fuppofition ,
le fait hiftorique dont il s'agit s'explique
facilemeur
#
AOUST. 1762. 97
facilement , au lieu qu'on n'y voit , fans
cela , que beaucoup d'inconféquence &
d'obscurité.
ANNONCES DE LIVRES.
L'ÉGYPTE ANCIENNE ou Mémoires
historiques & critiques fur les
objets les plus importans de l'Histoire
du grand Empire des Egyptiens. Par
M. d'Origny , Chevalier de l'Ordre Militaire
de S. Louis , ci-devant Capitaine
de Grenadiers au Régiment de Champagne.
In - 12. 2 vol . Paris , 1762. Chez
Vincent , Imprimeur - Libraire , rue S.
Severin. Nous fommes bien fachés de
ne pouvoir dès-à- préfent rendre compte
de cet Ouvrage auffi éftimable que
favant.
RÉFUTATION du nouvel Ouvrage
de Jean - Jacques Rouffeau , intitulé
Emile , ou de l'Education . In- 8° . Paris ,
1762. Chez Defaint & Saillant Libraires
, rue S. Jean de Beauvais , visà-
vis le Collége.
>
EUVRES diverfes du P. du Baudory ,
de la Compagnie de Jefus . Nouv. Edit.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
revue , corrigée & augmentée . In-12.
Paris , 1762. Chez Brocas & Humblot,
Libraires , rue S. Jacques , au Chef S.
Jean ; & chez Barbou , Libraire , même
rùe.
TABLETTES morales & hiftoriques.
.animum rege , qui nifi paret ,
Imperat : huncfranis , hunc tu compefce catená.
Horat. 1. 1. E. 2.
In-12. Amfterdam , 1762 ; & fe trouve
à Paris , chez Rofet " Libraire rue
S. Severin , au coin de la rue Zacharie
, près la rue de la Harpe , à la Roſe
d'or.
ESSAI fur les Fiévres aigues.
Nobis propofitum eft naturas rerum manifeftas
Indicate , non caufas indagare dubias .
Flin. 1.2.c.3 .
In- 12. Bordeaux , 1762. Chez les Fréres
la Botiere , Imprimeurs- Libraires ,
Place du Palais. L'Auteur jouit d'une
réputation qui prévient en faveur de
cet Ouvrage , dont nous nous propofont
de parler plus amplement.
AOUST. 1762. 99
MÉMOIRE fur la pratique du femoir
, dont les avantages font démontrés
par le réfultat des produits de plufieurs
Champs enfemencés avec cet inftrument
d'agriculture , comparés avec
ceux d'autres Champs enfémencés fuivant
l'ufage ordinaire. RÉCOLTE, année 1760.
In-8 °. Lyon , 1762. Chez de la Roche
aux Halles de la Grenette ; & fe vend à
Paris , chez Durand , Libraire , rue du
Foin ; chez Lambert , rue & près la
Comédie Françoife ; & chez Duchefne,
rue S. Jacques , au Temple du Goût .
>
MEMOIRE fur l'Agriculture en général
, & en particulier fur la culture &
le défrichement des Champs ; fur la
nourriture & l'entretien des beftiaux &
le gouvernement des Pacages , fur la
nourriture des, Poiffons & l'adminiftration
des Etangs . Par M. le Large , Avocat
en Parlement. In - 12. Paris , 1762 .
Chez Duchefne , Libraire, rue S. Jacques,
au Temple du Goût ..
On trouve chez le même Libraire :
LE RIVAL par reffemblance , Comédie
en cinq Actes & en vers , mis au
Théâtre François , le 7 Juin 1762. Par
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
M. Palilot de Montenoy , de l'Académie
Royale de Lorraine ; avec de petites
notes inftructives. Prix 30 f.
LA JEUNE GRECQUE, Comédie en
trois Actes & en vers , repréfentée pour
la premiere fois par les Comédiens Italiens
ordinaires du Roi , le 16 Décembre
1756 , remife au Théâtre les Juillet
1761. Le prix eft de 24 f.
t
SANCHO- PANÇA dans fon Ifle
Opéra bouffon en un Acte ; par M.
Poinfinet le jeune. La Mufique eft de
M. Philidor , repréfenté pour la premiere
fois par les Comédiens Italiens ordinaires
de S. M. le 8 Juillet 1762 ,
Non plaufus , fed rifus.
Le prix eft de 24 f. avec la Mufique.
AMÉLIE , Roman de M. Fielding ,
traduit de l'Anglois , par Madame Riccoboni.
Seconde Partie , in- 12 . Paris
1762. Chez Brocas & Humblot , Libraires
, rue S. Jacques , entre la rue des
Mathurins & S. Benoît , au Chef Saint
Jean. Prix , 1 liv. 16 f. Cette feconde
Partie né dément pas la premiere . Nous
attendrons que F'Ouvrage de Madame
-
AO UST. 1762. 101
་ མ
.
Riccoboni foit fini , pour comparer enfemble
les deux Amélies.
LA NOUVELLE ITALIE , Comédie
héroïque , Italienne & Françoiſe ; en
trois Actes en Profe , mêlée d'Ariettes
& de Spectacle. Repréfentée pour la
premiere fois par les Comédiens Italiens
ordinaires du Roi, le 23 Juin 1762.
Par M. De Bibiena . Dédiée à Mlle Piccinelli.
Le prix eft de 24 f. La Mufique
fe vend féparément. In - 8° . Paris, 1762.
Chez les Libraires qui vendent les Nouveautés,
ZARUCMA , par M. Cordier , repréfentée
pour la premiere fois par les Comédiens
ordinaires du Roi, le 17 Mars
-1762. Paris , 1762. Chez Rofet , Libraire
, rue S. Severin , à la Rofe d'Or.
Le prix eft de 30 f.
ÉPITRE A MINETTE , par M. C.....
Brochure in-8° . Paris , 1762. Chez
Charpentier , Libraire , quai des Auguf
tins , à l'entrée de la rue du Hurepoix ,
à S. Chryfoftôme.. Nous en parlerons
avec plaifir dans le prochain Mercure.
POEME de la Chicane , par un Pro-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
cureur. Brochure in - 8°. Se trouve chez
les Libraires qui débitent les Nouveautés
.
PRINCIPES de Lecture , d'Ortographe
& de Prononciation , mis à la portée
de tous les Maîtres & de toutes les
Ecoles . Chez M. Viard , Auteur , à l'Académie
des Enfans , rue de Harlai , au
Marais.
Ce petit Ouvrage nous a paru trèsméthodique
, & nous croyons pouvoir
affurer que c'eft ce qui a paru de
mieux fait en ce genre jufqu'à préfent
pour la Lecture , l'Ortographe & la
· Prononciation .
Comme ce fecours a manqué jufqu'à
préfent pour la premiere inftruc
tion de la Jeuneffe , on pourroit reprocher
à l'Auteur de n'en avoir pas plutôt
fait part au Public , dont il a droit
d'attendre l'accueil le plus favorable.
Prix , 36 f. relié , & 24 f. broché.
AOUST. 1761. 103
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES
GÉOMÉTRIE.
A Monfieur DE LA PLACE , Auteur
du MERCURE.
MONSIEUR ,
Ayant lû l'Article de Géométrie , inféré
dans le dernier Mercure de Mai p.
152 , & le renvoi , que l'Auteur du nouveau
rapport du diamètre à la circonférence
, fait à MM . les Géomètres , nous
prenons la liberté de vous écrire aujourd'hui
, efpérant que vous voudrez bien
avoir la bonté d'inférer dans votre Mercure
de Juillet prochain , s'il eft poffible,
la lettre fuivante adreffée à l'Auteur de
la nouvelle Découverte .
Nous avons l'honneur d'être , & c.
G P. & A. D. G.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à Monfieur L, B. D. M.
MONSIEUR ,
Le zele de ceux qui font tout ce qui
leur eft poffible pour l'avancement des
Sciences , eft toujours louable, quelque
chemin qu'ils aient pris pour parvenir
à leur but ; & on augmente à jufte titre
les louanges qui leur font dues , iorfqu'ils
ont fait une découverte auffi exacte
qu'utile.
left démontré , que le rapport du
diamètre à la circonférence eft une chofe
, qu'on ne peut trouver que par approximation
, & on y a déja tellement
réuffi , qu'il eft prefqu'impoffible d'approcher
davantage de la vérité ; mais
pour voir , Monfieur , fi le rapport de
23099 à 12576 , que vous propofez à
MM . les Géomètres à la page 142 du
Mercure de France , Mai 1762 , eft plus
exact , que tous ceux qu'on a trouvé jufqu'ici
, nous nous contenterons de le
compater à ceux d'Archimede & de Van
Ceulen.
Archimede a trouvé , que le rapport
du diamètre , à la circonférence d'un
AOUST. 17
cercle eft comme 7 à 22 , rapport qu'on
a trouvé être trop grand , & faifant cette
proportion 23099 : 725767 au quatriéme
terme , on voit que votre calcul
donne 21. 993679 , & c. d'où il eſt aifé
de conclure , que le rapport de 7 à 22
eft moins exact que de 23099 à 72576.
LudolfVan Ceulen eft le premier , qui
ait trouvé que fi le diamètre d'un cercle
étoit 10000000000 , la circonférence
feroit 3. 141592653589793238463
&c. felon cette fuppofition votre calcul
donne pour la circonférence 3.
1419545975513 , &c. & fi on retranche
3. 545592653589793 , & c. le refte
eft 0. 000361543561598 , d'où il s'en
fuit que le rapport de 23099 à 72576
eft plus grand que de 10000000 à 3 .
1415922653589793238463 , & c. L'opération
que Van Ceulen a dû faire pour
trouver le rapport de 10005000000000 ,
&c . à 3. 141592653589793238463, & c.
eft immenfe , tant par fa longueur , que
par les difficultés qu'il a dû y rencon-
-trer ; mais il faut confidérer le temps où
il a vécu ; temps où les Mathématiqués
n'étoient pas , à beaucoup pres , pouffées
au degré où elles le font actuéllement
; mais aujourd'hui , Monfieur ,
vingt-cinq ans de travail eft un temps
=
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
#
9
bien confidérable pour une chofe
qu'on peut trouver fi aifément & avec
beaucoup plus d'exactitude , par le calcul
des fluxions , comme il paroît par
la quadrature du Cercle , calculée par
M. Halley & d'autres Sçavans Anglois.
Voy. Sherwins Mathematical Tables ,
pages 153 &fuiv. parmi lesquels il y en
a qui ont pouffé la jufteffe du calcul
jufqu'à cent caractères décimaux , &
même jufqu'à 126 , comme l'a fait M.
Euler. Voy. fon Analyfis infinitorum
&c.
M. Klintenberg , Aftronome Hollandois
& Correfpondant de l'Académie
Royale des Sciences de Paris a calculé
de la même maniere le rapport que
Van Ceulen a trouvé , comme on le
voit dans les Mémoires de l'Académie
des Sciences de Hollande , Tome 3 ,
page 147 & fuiv. où il montre de combien
cette maniere l'emporte fur celle
de Van Ceulen , & où il fait voir évidemment
, que quoique ce rapport ſoit
un peu trop grand , l'erreur , en calculant
fur un cercle , dont le diamétre feroit
égal à celui du globe terreftre , ne
peut cependant pas monter à la 26000
millioniéme partie d'un grain de fable
AOUST. 1762. 107
dont deux cent mis de file font tout au
plus la longeur d'un pouce .
› Enfin , Monfieur nous ne fçavons
pas quelle méthode vous avez employée
pour parvenir à votre découverte ; mais
puifque le rapport de 100000 &c. à 3.
1415926536979 &c. eft trop grand , &
qu'il eft aifé de conclure de ce que
nous avons dit ci-deffus , que celui que
vous avez trouvé eft plus grand que
celui- ci il est certain qu'il eft auffi
beaucoup moins exact ; nous espérons
que vous voudrez bien pardonner les
réfléxions que nous venons de faire ,
que nous foumettons à votre judicieufe
critique , & à celle de plus habiles
›
- que nous.
Nous avons l'honneur d'être &c.
G. P. A. D. G.
U
AGRICULTURE.
PROSPECTUS.
NE Compagnie de Patriotes , diftingués
par leur zéle & par leur intelligence
à fuivre le fyftême de la véritable
s'engage aujourd'hui de
oeconomie >
É vj
108 MERCURE DE FRANCE.
nous prouver que ce n'eft pas infruc
tueufement que l'on travaille depuis plu
fieurs années à diriger les vues de la Nation
du côte de l'Agriculture , cet Art fi
éffentiel & trop long - temps négligé.
Une vafte étendue de terrein inculte
qui contient environ deux cens quarante
mille arpens , & qui fait une partie des
Domaines du Marquifat de Certes , fitué
dans la Sénéchauffée de Bordeaux , vient
de lui être abandonnée en toute propriété
par un contrat de vente dont les claufes
ne fçauroient manquer de contribuer
éfficacement à l'avantage perfonnel des
Acquéreurs , à l'utilité particulière de
quelques Provinces , & par une heureufe
fuite de rapports , au bien commun
de l'Etat.
Quoi de plus favorable , par exemple
, au projet de ces dignes Citoyens ,
que d'entrer en poffeffion du pouvoir
d'ériger la vingtième partie de ces friches
, foit en fiefs , arrière-fiefs , foit
en droits de juftice , d'y établir , fuivant
le befoin & à leur volonté , des
Manufactures , des Moulins , des Pref
foirs , des Fours bannaux , des Colombiers
, des Foires , des Marchés , & de
jouir d'une exemption générale de tous
les droits de lods & ventes dans les preAOUST.
1762. 109
mieres mutations ou échanges qui pourront
être faites ? Pour peu que l'on foit
initié dans les fages mystères de l'oeconomie
, ou fentira facilement tout le
prix de pareilles prérogatives .
Une entrepriſe de cette importance ,
dans laquelle l'intérêt particulier vient
néceffairement fe confondre avec l'intérêt
public , n'a point échappé à l'attention
du gouvernement dont elle a obtenu
les fuffrages les plus flateurs . Sa Majefté
, toujours empreffée de faifir l'occafion
de réparer les pertes & de multiplier
les moyens d'aifance
,, a approuvé
& confirmé cette vente par un Arrêt de
fon Confeil d'Etat , donné le premier
du mois de Juin dernier , & revêtu de
Lettres-Patentes. A cette premiere marque
de fa protection fouveraine , le Roi
a voulu joindre un autre témoignage
de fa bienfaifance très capable de foutenir
la noble ardeur & de feconder les
opérations de cette courageufe Compagnie
dans le cours de fes défrichemens.
•
Sa Majefté , par le même Arrêt de
confirmation , a ordonné 1° . que les
Cultivateurs de ces terreins vagues
foient exempts de Tailles & autres impôts
réels , perfonnels & mixtes pendant
108 MERCURE DE FRANCE.
nous prouver que ce n'eft pas infruc
tueufement que l'on travaille depuis plu
fieurs années à diriger les vues de la Nation
du côte de l'Agriculture , cet Art fi
éffentiel & trop long - temps négligé.
Une vafte étendue de terrein inculte
qui contient environ deux cens quarante
mille arpens , & qui fait une partie des
Domaines du Marquifat de Certes , fitué
dans la Sénéchauffée de Bordeaux , vient
de lui être abandonnée en toute proprié-
"
té par un contrat
de vente
dont les claufes
ne fçauroient
manquer
de contribuer
éfficacement
à l'avantage
perfonnel
des
Acquéreurs
, à l'utilité
particulière
de
quelques
Provinces
, & par une heureufe
fuite de rapports
, au bien commun
de l'Etat.
S
Quoi de plus favorable , par exemple
, au projet de ces dignes Citoyens ,
que d'entrer en poffeffion du pouvoir
d'ériger la vingtiéme partie de ces friches
foit en fiefs , arrière-fiefs , foit
en droits de juftice , d'y établir , fuivant
le befoin & à leur volonté , des
Manufactures , des Moulins , des Pref
foirs , des Fours bannaux , des Colombiers
, des Foires , des Marchés , & de
jouir d'une exemption générale de tous
les droits de lods & ventes dans les preAOUST.
1762 . 109
20
E.
infruc
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Art
vie des
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M
mieres mutations ou échanges qui pourront
être faites ? Pour peu que l'on foir
initié dans les fages myftères de l'oeconomie
, ou fentira facilement tout le
prix de pareilles prérogatives.
Une entrepriſe de cette importance ,
dans laquelle l'intérêt particulier vient
néceffairement fe confondre avec l'intérêt
public , n'a point échappé à l'attention
du gouvernement dont elle a obtenu
les fuffrages les plus flateurs. Sa Majefté
, toujours empreffée de faifir l'occafion
de réparer les pertes & de multiplier
les moyens d'aifance , a approuvé
& confirmé cette vente par un Arrêt de
fon Confeil d'Etat , donné le premier
du mois de Juin dernier , & revêtu de
Lettres-Patentes. A cette premiere marque
de fa protection fouveraine , le Roi
a voulu joindre un autre témoignage
de fa bienfaiſance très capable de foutenir
la noble ardeur & de feconder les
opérations de cette courageufe Compagnie
dans le cours de fes défrichemens.
Sa Majefté , par le même Arrêt de
confirmation , a ordonné 1°. que les
Cultivateurs de ces terreins terreins vagues
foient exempts de Tailles & autres impôts
réels , perfonnels & mixtes pendant
108 MERCURE DE FRANCE.
nous prouver que ce n'eft pas infruc
tueufement que l'on travaille depuis plu
fieurs années à diriger les vues de la Nation
du côté de l'Agriculture , cet Art fi
éffentiel & trop long - temps négligé.
Une vafte étendue de terrein inculte
qui contient environ deux cens quarante
mille arpens , & qui fait une partie des
Domaines du Marquifat de Certes ,
fitué
dans la Sénéchauffée de Bordeaux , vient
de lui être abandonnée en toute propriété
par un contrat de vente dont les claufes
ne fçauroient manquer de contribuer
éfficacement à l'avantage perfonnel des
Acquéreurs , à l'utilité particulière de
quelques Provinces , & par une heureufe
fuite de rapports , au bien commun
de l'Etat.
Quoi de plus favorable , par exemple
, au projet de ces dignes Citoyens ,
que d'entrer en poffeffion du pouvoir
d'ériger la vingtiéme partie de ces friches
, foit en fiefs , arrière-fiefs , foit
en droits de juftice , d'y établir , fuivant
le befoin & à leur volonté , des
Manufactures , des Moulins , des Prefoirs
, des Fours bannaux , des Colombiers
, des Foires , des Marchés , & de
jouir d'une exemption générale de tous
les droits de lods & ventes dans les preAOUST.
1762. 109
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mieres mutations ou échanges qui pourront
être faites ? Pour peu que l'on foit
initié dans les fages myftères de l'oeconomie
, ou fentira facilement tout le
prix de pareilles prérogatives.
Une entrepriſe de cette importance ,
dans laquelle l'intérêt particulier vient
néceffairement fe confondre avec l'intérêt
public , n'a point échappé à l'attention
du gouvernement dont elle a obtenu
les fuffrages les plus flateurs . Sa Majefté
, toujours empreffée de faifir l'occafion
de réparer les pertes & de multiplier
les moyens d'aifance , a approuvé
& confirmé cette vente par un Arrêt de
fon Confeil d'Etat , donné le premier
du mois de Juin dernier , & revêtu de
Lettres-Patentes. A cette premiere marque
de fa protection fouveraine , le Roi
a voulu joindre un autre témoignage
de fa bienfaifance très capable de foutenir
la noble ardeur & de feconder les
opérations de cette courageufe Compagnie
dans le cours de fes défrichemens.
+
Sa Majefté , par le même Arrêt de
confirmation , a ordonné 1°. que les
Cultivateurs de ces terreins vagues
foient exempts de Tailles & autres impôts
réels , perfonnels & mixtes pendant
108 MERCURE DE FRANCE.
nous prouver que ce n'eft pas infruc
tueufement que l'on travaille depuis plu
fieurs années à diriger les vues de la Nation
du côte de l'Agriculture , cet Art fi
éffentiel & trop long - temps négligé.
Une vafte étendue de terrein inculte
qui contient environ deux cens quarante
mille arpens , & qui fait une partie des
Domaines du Marquifat de Certes , fitué
dans la Sénéchauffée de Bordeaux , vient
de lui être abandonnée en toute propriété
par un contrat de vente dont les claufes
ne fçauroient manquer de contribuer
éfficacement à l'avantage perfonnel des
Acquéreurs , à l'utilité particulière de
quelques Provinces , & par une heureufe
fuite de rapports , au bien commun
de l'Etat.
Quoi de plus favorable , par exemple
, au projet de ces dignes Citoyens ,
que d'entrer en poffeffion du pouvoir
d'ériger la vingtième partie de ces friches
, foit en fiefs , arrière-fiefs , ſoit
en droits de juftice , d'y établir , fuivant
le befoin & à leur volonté , des
Manufactures , des Moulins , des Pref
foirs , des Fours bannaux , des Colombiers
, des Foires , des Marchés , & de
jouir d'une exemption générale de tous
les droits de lods & ventes dans les preAOUST.
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être faites ? Pour peu que l'on foit
initié dans les fages myftères de l'oeconomie
, ou fentira facilement tout le
prix de pareilles prérogatives.
Une entreprise de cette importance
dans laquelle l'intérêt particulier vient
néceffairement fe confondre avec l'intérêt
public , n'a point échappé à l'attention
du gouvernement dont elle a obtenu
les fuffrages les plus flateurs . Sa Majefté
, toujours empreffée de faifir l'occafion
de réparer les pertes & de multiplier
les moyens d'aifance , a approuvé
& confirmé cette vente par un Arrêt de
fon Confeil d'Etat , donné le premier
du mois de Juin dernier , & revêtu de
Lettres- Patentes. A cette premiere marque
de fa protection fouveraine , le Roi
a voulu joindre un autre témoignage
de fa bienfaifance très capable de foutenir
la noble ardeur & de feconder les
opérations de cette courageufe Compagnie
dans le cours de fes défriche-
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Sa Majefté , par le même Arrêt de
confirmation , a ordonné 1°. que les
Cultivateurs de ces terreins terreins vagues
foient exempts de Tailles & autres impôts
réels , perfonnels & mixtes pendant
108 MERCURE DE FRANCE.
nous prouver que ce n'eft pas infruc
tueufement que l'on travaille depuis plu
fieurs années à diriger les vues de la Nation
du côté de l'Agriculture , cet Art fi
éffentiel & trop long - temps négligé.
Une vafte étendue de terrein inculte
qui contient environ deux cens quarante
mille arpens , & qui fait une partie des
Domaines du Marquifat de Certes , fitué
dans la Sénéchauffée de Bordeaux , vient
de lui être abandonnée en toute propriété
par un contrat de vente dont les claufes
ne fçauroient manquer de contribuer
éfficacement à l'avantage perfonnel des
Acquéreurs , à l'utilité particulière de
quelques Provinces , & par une heureufe
fuite de rapports , au bien commun
de l'Etat.
Quoi de plus favorable , par exemple
, au projet de ces dignes Citoyens ,
que d'entrer en poffeffion du pouvoir
d'ériger la vingtiéme partie de ces friches
, foit en fiefs , arrière-fiefs , foit
en droits de juftice , d'y établir , fuivant
le befoin & à leur volonté , des
Manufactures , des Moulins , des Pref
foirs , des Fours bannaux , des Colombiers
, des Foires , des Marchés , & de
jouir d'une exemption générale de tous
les droits de lods & ventes dans les preAOUST.
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, ou fentira facilement tout le
prix de pareilles prérogatives.
Une entrepriſe de cette importance ,
dans laquelle l'intérêt particulier vient
néceffairement fe confondre avec l'intérêt
public , n'a point échappé à l'attention
du gouvernement dont elle a obtenu
les fuffrages les plus flateurs . Sa Majefté
, toujours empreffée de faifir l'occafion
de réparer les pertes & de multiplier
les d'aifance , a approuvé moyens d'aifance
& confirmé cette vente par un Arrêt de
fon Confeil d'Etat , donné le premier
du mois de Juin dernier , & revêtu de
Lettres-Patentes. A cette premiere marque
de faprotection fouveraine , le Roi
a voulu joindre un autre témoignage
de fa bienfaifance très capable de foutenir
la noble ardeur & de feconder les
opérations de cette courageufe Compagnie
dans le cours de fes défriche-
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Sa Majefté , par le même Arrêt de
confirmation , a ordonné 1°. que les
Cultivateurs de ces terreins vagues
foient exempts de Tailles & autres impôts
réels , perfonnels & mixtes pendant
108 MERCURE DE FRANCE.
nous prouver que ce n'eſt pas infruc
tueufement que l'on travaille depuis plu
fieurs années à diriger les vues de la Nation
du côté de l'Agriculture , cet Art fi
éffentiel & trop long - temps négligé.
Une vafte étendue de terrein inculte
qui contient environ deux cens quarante
mille arpens , & qui fait une partie des
Domaines du Marquifat de Certes , fitué
dans la Sénéchauffée de Bordeaux , vient
de lui être abandonnée en toute propriété
par un contrat de vente dont les claufes
ne fçauroient manquer de contribuer
éfficacement à l'avantage perfonnel des
Acquéreurs , à l'utilité particulière de
quelques Provinces , & par une heureufe
fuite de rapports , au bien commun
de l'Etat.
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Quoi de plus favorable , par exemple
, au projet de ces dignes Citoyens ,
que d'entrer en poffeffion du pouvoir
d'ériger la vingtième partie de ces frifoit
en fiefs , arrière-fiefs , foit
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le befoin & à leur volonté , des
Manufactures , des Moulins , des Prefoirs
, des Fours bannaux , des Colombiers
, des Foires , des Marchés , & de
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dans laquelle l'intérêt particulier vient
néceffairement fe confondre avec l'intérêt
public , n'a point échappé à l'attention
du gouvernement dont elle a obtenu
les fuffrages les plus flateurs . Sa Majefté
, toujours empreffée de faifir l'occafion
de réparer les pertes & de multiplier
les moyens d'aifance , a approuvé
& confirmé cette vente par un Arrêt de
fon Confeil d'Etat , donné le premier
du mois de Juin dernier , & revêtu de
Lettres-Patentes. A cette premiere marque
de fa protection fouveraine , le Roi
a voulu joindre un autre témoignage
de fa bienfaifance très capable de foutenir
la noble ardeur & de feconder les
opérations de cette courageufe Compagnie
dans le cours de fes défrichemens
.
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Sa Majefté , par le même Arrêt de
confirmation a ordonné 1 °. que les
Cultivateurs de ces terreins vagues
foient exempts de Tailles & autres impôts
réels , perfonnels & mixtes pendant
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nous prouver que ce n'eft pas infruc
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fieurs années à diriger les vues de la Nation
du côte de l'Agriculture , cet Art fi
éffentiel & trop long - temps négligé.
Une vafte étendue de terrein inculte
qui contient environ deux cens quarante
mille arpens , & qui fait une partie des
Domaines du Marquifat de Certes , fitué
dans la Sénéchauffée de Bordeaux , vient
de lui être abandonnée en toute propriété
par un contrat de vente dont les claufes
ne fçauroient manquer de contribuer
éfficacement à l'avantage perfonnel des
Acquéreurs , à l'utilité particulière de
quelques Provinces , & par une heureufe
fuite de rapports , au bien commun
de l'Etat.
Quoi de plus favorable , par exemple
, au projet de ces dignes Citoyens ,
que d'entrer en poffeffion du pouvoir
d'ériger la vingtiéme partie de ces friches
, foit en fiefs , arrière-fiefs , foit
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le befoin & à leur volonté , des
Manufactures , des Moulins , des Pref
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Une entrepriſe de cette importance
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néceffairement fe confondre avec l'intérêt
public , n'a point échappé à l'attention
du gouvernement dont elle a obtenu
les fuffrages les plus flateurs . Sa Majefté
, toujours empreffée de faifir l'occafion
de réparer les pertes & de multiplier
les moyens d'aifance , a approuvé
& confirmé cette vente par un Arrêt de
fon Confeil d'Etat , donné le premier
du mois de Juin dernier , & revêtu de
Lettres-Patentes. A cette premiere marque
de fa protection fouveraine , le Roi
a voulu joindre un autre témoignage
de fa bienfaifance très capable de foutenir
la noble ardeur & de feconder les
opérations de cette courageufe Compagnie
dans le cours de fes défrichemens.
.
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Sa Majefté , par le même Arrêt de
confirmation a ordonné 1°. que les
Cultivateurs de ces terreins vagues
foient exempts de Tailles & autres impôts
réels , perfonnels & mixtes pendant
108 MERCURE DE FRANCE.
nous prouver que ce n'eft pas infruc
tueufement. que l'on travaille depuis plu
fieurs années à diriger les vues de la Nation
du côte de l'Agriculture , cet Art fi
éffentiel & trop long - temps négligé.
Une vafte étendue de terrein inculte
qui contient environ deux cens quarante
mille arpens , & qui fait une partie des
Domaines du Marquifat de Certes , fitué
dans la Sénéchauffée de Bordeaux , vient
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par un contrat de vente dont les claufes
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éfficacement à l'avantage perfonnel des
Acquéreurs , à l'utilité particulière de
quelques Provinces , & par une heureufe
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de l'Etat.
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, au projet de ces dignes Citoyens ,
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d'ériger la vingtième partie de ces friches
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le befoin & à leur volonté , des
Manufactures , des Moulins , des Pref
foirs , des Fours bannaux , des Colombiers
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jouir d'une exemption générale de tous
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être faites ? Pour peu que l'on foit
initié dans les fages myftères de l'oeconomie
, ou fentira facilement tout le
prix de pareilles prérogatives.
Une entrepriſe de cette importance
dans laquelle l'intérêt particulier vient
néceffairement fe confondre avec l'intérêt
public , n'a point échappé à l'attention
du gouvernement dont elle a obtenu
les fuffrages les plus flateurs . Sa Majefté
, toujours empreffée de faifir l'occafion
de réparer les pertes & de multiplier
les moyens d'aifance , a approuvé
& confirmé cette vente par un Arrêt de
fon Confeil d'Etat , donné le premier
du mois de Juin dernier , & revêtu de
Lettres- Patentes. A cette premiere marque
de fa protection fouveraine , le Roi
a voulu joindre un autre témoignage
de fa bienfaifance très capable de foutenir
la noble ardeur & de feconder les
opérations de cette courageufe Compagnie
dans le cours de fes défrichemens.
Sa Majefté , par le même Arrêt de
confirmation , a ordonné 1º . a ordonné 1 °. que les
Cultivateurs de ces terreins vagues
foient exempts de Tailles & autres im-
7
pôts réels , perfonnels & mixtes pendant
110 MERCURE DE FRANCE .
2
quarante années confécutives. 2°. Elle
fixe à dix fols feulement les droits de
controlle de toutes fortes de contrats
ventes , échanges , mutations , partages
& autres actes quelconques relatifs
au fuccès de ce plan d'amélioriffement.
3º. Elle réduit à un denier par arpent
les droits d'infinuation , de centiéme
denier & de demi - centiéme denier. 4º.
Elle accorde aux non-nobles la jouiffance
, pendant quarante ans , des francsfiefs
pour les baux par eux faits relativement
à ladite exploitation , quoiqu'ils
foient paffés pour un terme au - deffus
de neuf années jufqu'à vingt-fept années.
5 °. Le dernier Article renouvelle
les priviléges accordés par l'Edit de
Henri IV. du mois de Janvier 1607 à
ceux qui avoient travaillé au défféchement
des Marais. Les Etrangers qui auront
été occupés , pendant trois années
, à la culture de ces friches feront
dès-lors réputés Régnicoles , & jouiront
de toutes les prérogatives qui résultent
des lettres de naturalité. Ils auront une
liberté entiére d'établir leur domicile
dans tel endroit de la France qu'ils defireront
, & d'y exercer telle profeffion
que bon leur femblera , fans qu'ils puiffent
rien perdre de leurs droits .
AOUST. 1762. 111
Sous des aufpices auffi favorables ,
cette Compagnie agricole va s'empreffer
de prendre les dernieres mefures pour
entamer fon utile entrepriſe. Quel avantage
fupérieur cette nouvelle culture ne
doit-elle pas procurer à l'Etat dont elle
peut facilement augmenter la population
de plus de trois cent mille Citoyens !
Car quelle abondance de denrées de
toute eſpèce ne produira pas cette vaſte
étendue de terrein ? Plus de cent mille
têtes de gros bétail pourront , après quelques
années de travaux , bondir dans
ces belles Prairies . Et puifqu'il eft démontré
que le nombre des Habitans d'un
pays eft toujours en proportion avec la
quantité de la fubfiftance qu'on y trouve
, n'a-t-on pas lieu de fe promettre
que les familles fe multiplieront confidérablement
fitôt que l'on entre dans
un certain calcul des bleds de toute forte
qui feront recueillis dans ces grands
défrichemens ? Que de chanvres , que
de légumes , que de bois , que d'arbres
fruitiers l'on fera maître de cultiver !
Combien de Manufactures qui exploiteront
les laines & les foyeries du canton
, ne pourra-t-on pas établir ! Combien
le voifinage de la mer n'offrira-
?
t- il pas de voyes également promptes
112 MERCURE DE FRANCE.
& faciles pour la vente & le tranſport
de tous les objets d'échange & de confommation
!
,
Il ne s'agit donc maintenant que de
raffembler des bras qui veuillent s'occuper
de l'exécution de ce plan . Comme
MM. Vallet de Sallignac & Chaulce de
Chazelle les premiers Entrepreneurs
avant de conclure l'accquifition de
ces friches , ont fait ufage de tous les
moyens poffibles pour s'affurer de leur
qualité , & qu'après un examen Phyfique
des lieux & certaines expériences
plufieurs fois répétées , ils ont reconu
la valeur intrinfeque du fol qui reçoit
les influences du plus beau Ciel ; loin
de prétendre par l'efprit d'une politique
trop dure , affujettir tous les Cultivateurs
qui fe préfenteront à une même
Loi , ils déclarent que leur volonté eft
de fe conformer aux engagemens raifonnables
qui leur feront propofés de
quelque nature qu'ils puiffent être.
Si les Colons fouhaitent d'être employés
à la journée , la Compagnie acquiefcera
fans nulle difficulté à leur demande.
S'ils préférent de recevoir des gages an
nuels , ils leur feront accordés . Au cas
que quelques -uns aiment mieux affer
mer un certain canton de ce terrein ,
AOUST. 1762.
1113
le bail leur en fera paffé aux conditions
les plus avantageufes. Cette liberté facile
qui regnera dans le cours de toutes
ces opétations pourroit- elle n'être
pas couronnée du fuccès ?
La Compagnie penfe , d'après une
diftribution générale & raifonnée de tout
le terrein , qu'il feroit d'une fage economie
, d'établir feize ou dix-fept cent
métairies. Elle affigneroit à chacune une
feule pièce de terre d'environ cent ou
cent cinquante journaux. Elle obferveroit
de placer l'habitation du Laboureur
, les granges , les écuries , les jardins
& pépiniere au milieu de ce Domaine
, dont une moitié feroit convertie
en terres labourables & l'autre
moitié employée à la culture des paturages
& des bois. Les Entrepreneurs.
s'obligeront de fournir aux Fermiers
le bétail qu'il leur fera néceffaire pour
les premieres exploitations.
Suivant la difpofition de ce plan oeconomique
, il réfulte que le feul emplacement
des habitations , des granges &
des écuries occuperoit environ fix mille
arpens. Il y en auroit cinq mille qui
feroient employés en jardins & en potagers
Cent dix mille feroient mis en terres
labourables , quatre - vingt mille,
114 MERCURE DE FRANCE .
>
feroient cultivés en prairies , tant natutelles
qu'artificielles . Vingt mille feroient
couverts de bois douze mille porteroient
des chanvres , des lins , & c . Quatre
mille feroient employés en chemins,
canaux , cours d'eau & bouches de mer.
Trois mille enfin feroient deftinés aux
places publiques , foires , marchés & c.
Tel à - peu-près , pourroit être l'emploi
de ces deux cens quarante mille arpens.
P. S. On donne avis aux perfonnes
qui voudroient prendre des conceffions,
de s'adreffer à M. Vallet de Sallignac ,
l'un des principaux Affociés , & Tréforier
genéral de ladite Compagnie d'Agriculture.
Sa demeure eft à Paris , rue
des vieux Auguftins.
AOUST. 1762. IIS
ARTICLE IV .
BEAUX-ARTS.
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE
OBSERVATIONS d'un Chirurgien de
Province , fur l'origine &fur les progrès
de la Taille appellée Méthode de
Rau ; en conféquence des éloges qu'on
prodigue aujourd'hui à cette opération
, fous les noms de Méthode de
M. Foubert & de Méthode de M. Tho
mas. ( a )
AVANT-PROPOS.
QUOIQUE les éloges qu'on prodigue
aujourd'hui
à cette efpéce de taille ,
& particuliérement
au manuel de M.
Thomas , femblent partir des meilleures
fources ; cette opération nous paroît de
( a ) Rau , Médecin Opérateur à Amſterdam .
MM. Foubert & Thomas , Chirurgiens de Paris .
116 MERCURE DE FRANCE.
nature fi vicieufe , que nous ne pou
vons lui accorder aucune confiatice. En
effet le Litotome couvert de M. Tho
mas , bien loin d'être comme on le pu
blie , une heureufe combinaifon des refléxions
de Rau , de M. Foubert & du
Frère Cofme, n'eft qu'une altération
du Litotome caché du Frère Cofme appliqué
à l'incertitude du poinçon de
M. Foubert , pour éxécuter une espéce
de taille que Rau n'a jamais pratiquée ;
& quoiqu'on préconife le manuel de
M. Thomas , comme celle de toutes les
méthodes de tailler , inventées jufqu'ici ,
qui réunit le plus d'avantages & qui eft
la moins fujette à inconveniens , il ne
nous paroît pas que l'incifion de la veffie
par le périnée , fans toucher à fon
col , qui conftitue éffentiellement la
prétendue taille de Rau , de quelque
côté qu'on la confidére & quelque
moyen qu'on y employe bien loin
de pouvoir faire une méthode falutaire ,
puiffe jamais devenir ( b ) praticable .
,
(b) Mémoires de l'Académie Royale de Chirurgie
, Tome XIII . Année 1757 , dans le rapport
de ces expériences fur la Litotomie. Journal
Economique du mois de Mai 1757. Gazette
de Médecine , du 5 , du 15 & du 16 Septembre
1761.
AO UST. 1762 117
mais comme les décisions d'un fimple
Particulier ne doiven naturellement pas
prévaloir contre les éloges qu'en font le
Journal Economique , la Gazette de
Médecine & l'Académie Royale de
Chirurgie . ( c ) Nous allons déduire nos
raifons afin que le Public , & particuliérement
les Chirurgiens de Province ,
puiffent fe décider fans erreur fur le
mérite de cette opération .
ARTICLE I.
De l'Origine de la prétendue Taille
LA
de RAU,
A prévention que Mery & les au¬
tres Litotomiftes de fon parti , établirênt
(il y a 60 ans ) contre la découverte du
Frère Jacques , par la fauffeté des obfervations
qu'ils publiérent & répandirent
dans toute l'Europe contre fa nouvelle
maniere de tirer la pierre , en fuppofant
que la fonde dont il fe fervoit
pour tailler , n'étoit point cannelée pour
( c ) Une opération doit être réputée impraticable
, fitôt qu'il y a conftamment incertitude
dans l'exécution , & que les dangers font en outre
plus grands que le fuccès qu'on en peut attendre.
48 MERCURE DE FRANCE.
retenir & conduire la pointe de fon
litotome à la veffie ( d , & en affirmant
par des differtations fpécienfes , que
la
fection de la proftate & du ſphincter de
la veffie étoient dans fon opération des
caufes prèfque inévitables & incurables ,
de fiftule urinaire , d'incontinence d'urine
&c. &c. Cette prévention ne permettant
pas aux gens de l'Art de reconnoître
fans correction , l'opération du
Frère Jacques dans le manuel de Rau ,
lequel étoit devenu célébre par fes
grands fuccès dans la pratique de cette
opération que le Frère Jacques lui avoit
enfeignée ( e ) , fit naître le préjugé que
Rau évitoit par une manoeuvre particuliere
la fection de la proftate & du ſphin-
( d) Il y a des preuves fans replique , qué
te Frère Jacques n'a jamais taillé avec un cathe
ter ou fonde point cannelée , & la pallion a rellement
aveuglé les Auteurs de cette imputation ,
qu'ils ont donné en conféquence plufieurs obfervations
des impérities du Frère Jacques , qui font
d'une impoffibilité abfolue , Voyez les opérations
de Dionis , & particuliérement les Obfervations
de Mery fur les Tailles du Frère Jacques.
(e ) Vers l'an 1702 , Rau attira le Frère Jacques
à Amfterdam où ils liérent une étroite amitié
; & il eft faux que Rau le foit jamais élevé
contre le Frère Jacques , comme l'envie l'a pu
blié , pour déprimer ce Frère par tous les côtés
poflibles.
AOUST. 1762. 119
&ter , & qu'il n'incifoit que le corps de
la veffie fans toucher à fon col. Rau de
fon côté profita de l'erreur où l'on étoit
fur le progrès de fon incifion intérieure,
il en fit fecret , & n'en a jamais rien
communiqué.
ARTICLE II.
De la Taille que pratiquoit véritablement
RAU.
ALBINU
LBINUS père , Médecin de Leyde ,
qui avoit fouvent vu tailler Rau , & qui
n'étoit pas homme à prévention , remarque
expreffément à la page 29. de
l'Oraifon qu'il a faite fur la mort de
Rau , qu'il coupoit dans fa taille le col
de la veffie & la veffie , comme Frère Jacques
avoit coutume de le faire au rapport
de Mery &c. Et Heifter , Médecin
Opérateur à Altorfes , qui avoit auffi
vu tailler Rau , rapporte dans fes Inftit,
de Chirurgie , Sect. XIII.que Rau faifoit
comme le Frère Jacques , coucher fes
malades les feffes bien élevées ; qu'il fe
fervoit d'un catheter plus gros que les
ordinaires à la façon du Frère Jacques,&
faifoit l'opération au même endroit; qu'il
120 MERCURE DE FRANCE.
commençoit par couper la même partie
du périnée que le Frère Jacques & les
Anciens &c, c'est-à-dire obliquement au
bas du périnée , comme dans le petit appareil
que les Anciens pratiquoient.
Voilà donc l'incifion extérieure & l'incifion
intérieure de la Taille du Frère Jacques
, conftatées dans la Taille que pratiquoit
Rau , avec les manoeuvres acceffoires
, tout ainfi que lui avoit enfeigné
ce Frère quand il fut à Amfterdam
. & c .
Albinus fils ne pouvoit donc pas
ignorer que la Taille que pratiquoit Ray
étoit véritablement celle du Frère Jac
ques ? Et la defcription qu'il a donnée
de cette opération dans l'Hiftoire qu'il
a faite depuis ( de la vie de Rau ) comme
étant la méthode qu'il s'étoit faite
& qu'il pratiquoit , eft donc faufſe ?
Ce qui eft d'autant moins équivoque
que l'incifion du corps de la veffie fans
toucher à fon col , eft impoffible fur la
fonde qu'Albinus fils a fait graver
comme étant celle dont Rau fe fervoit
pour diriger cette incifion . Et de plus
c'eft que Rau avoit des fuccès conftans ,
qui ne pouvoient appartenir qu'à une
méthode facile & sûre ; & que cette
efpéce de Taille qu'on lui attribue , ne
peut
A O UST. 1762. 121
44
peut pas même devenir une opération
praticable.
Albinus fils a donc profité de la prévention
où l'on étoit contre la Taille
du Frère Jacques , & du préjugé que
Rau l'avoit perfectionnée , & s'en étoit
fait une méthode particuliere , pour faire
paffer fous prétexte de correction &
de perfection , l'honneur de cette découverte
à fa Patrie (f). Car s'il eût décrit
cette opération de bonne foi comme
Albinusfon Père , c'eût été au contraire
en dépouiller Rau , pour la rendre
au Frère Jacques fon véritable &
unique Auteur. Il n'a donc véritablement
jamais exiſté , ni à titre d'invention
, ni à titre de perfection , de méthode
de tailler , propre & particuliere
à Rau ; & l'on ne fçauroit abfolument
en produire aucune preuve quelconque ,
quoiqu'on en parle avec éloge , comme
d'un fait pofitif, dans tous les traités
, & dans toutes les leçons de Litotomie
; & que le Frère Jacques , celut
(f)Aufli Heifter dit- il, Section XIII . de fes
Inftituts de Chirurgie , en parlant des prétendus
Correcteurs de la Taille du Frère Jacques , on
ne l'a pas attribué à Mery ni à Maréchal , mais
on l'a appellée communément Taille de Rau.
F
122 MERCURE DE FRANCE .
qui a rendu la Taille méthodique , n'y
foit que pour les injures & les mépris .
ARTICLL III,
Des progrès de la prétendue Taille
H
de RAU.
Épreuves d'HEISTER .
EISTER dit dans fes Inftituts de
Chirurgie , Section XIII , qu'il a vû
tailler Rau étant à Amfterdam & c. &
il ajoute en apoftille. » Dans le même
temps,j'ai tenté plufieurs fois cette
» opération fur les cadavres & j'ai
» toujours trouvé que j'avois coupé la
» veffie avec fon col, Je penfois alors
» que j'avois pu me tromper , & qu'ap
» paremment je ne connoiffois pas affez
" bien la façon de couper la veffie fans.
» toucher a fon. col . Comme Rau ne
» s'expliquoit que , par ces mots : Con-
» faltez Celfe, ( g) Ces paroles ( con
(g ) Cela eft bien d'un homme qui ne vou
loit pas s'expliquer ; car ce qu'a décrit Celfe für
le manuel de la Taille eft inintelligible ; & ceux
qui fe flattent de l'entendre , n'entendent que le
fens qu'ils veulent bien lui donner.
AOULT. 1762. 123
tinue Heifter ) m'ontparu longtemps
», une énigme , jufqu'à ce qu'enfin je
» conclus qu'il falloit , à l'aide du cathe-
» ter,couper le même endroit que Celfe
» coupoit fur la pierre dans le petit ap-
» pareil, fans fe fervir de catheter. ( h)
Heifter avoit donc reconnu que la fection
de la veffie fur la fonde cannelée
fans toucher à fon col , qui conftitue la
prétendue Taille de Rau , étoit impraticable
; & que Rau incifoit véritablement
, comme le Frère Jacques , le col
& le corps de la veffie en même
L
ARTICLE IV.
temps .
Recherches de CHESSELDEN fur
la prétendue Taille de RAU.
E Frère Jacques ayant donc été dépouillé
, par les foins de l'Envie , de
l'honneur de fa découverte , il ne fut
plus queftion que de la Taille de Rau ,
lequel n'ayant rien communiqué de
( h ) Les Anciens s'imaginoient qu'ils faifoient
paffer la pierre dans le col de la vellie ; mais c'étoit
le plus fouvent le corps de la veffie même
qu'ils amenoient & préfentoient avec la pierre
au tranchant de leur biftouri .
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
cette opération , elle démeura enfouie
fous les altérations & les calomnies , &
rentra en quelque façon dans le néant.
Tous les Litotomiftes aveuglés par la
prévention & l'efprit de parti , contre
le mérite réel du Frère Jacques , n'ont
pu ní voulu depuis reconnoitre fon opération
, que dans les fauffes corrections
par lefquelles on lui avoit ravi l'honneur
d'une fi bonne découverte. ( i )
Cheffelden , célèbre Chirurgien de
Londres, fit après la mort de Rau beaucoup
de recherches , pour recouvrer la
méthode de tailler qu'il pratiquoit.
Trompé par la fauffe defcription qu'en
avoit donnée Albinus fils , il éffaya d'abord
, comme l'avoit fait Heifter , d'ouvrir
le corps de la veffie , fur une fonde
cannelée fans toucher à fon col ; & n'y
pouvant parvenir , il prit le parti de la
diftendre par l'injection d'un liquide , ou
par
la rétention de l'urine, pour la mettre
à portée de l'incifion extérieure du périnée
, & l'incifer enfuite fur la fonde
introduite dans fa capacité ; en dirigeant
fon biſtouri avec le doigt index de fa
( i ) C'eft précisément la Taille du Frère Jacques
, que les plus obftinés Liroromiftes font forcés
de reconnoître & d'adopter aujourd'hui dans
les effers du litotome caché du Frère Cafine.
AOUST. 1762. 125.
main gauche &c. mais les inconvéniens
qui fuivoient de l'affaiffement des parois
de la veffie , par l'écoulement duliquide
qui la diftendoit ; comme la difficulté
d'étendre l'incifion & d'introduire la tenette
; les inflammations & les ulcérations,
que caufoit l'infiltration de l'urine
dans le tiffu cellulaire , entre les muſcles
voifins & autour du rectum , qui faifoient
périr la plupart de fes malades ,
lui firent abandonner ce moyen comme
trop défectueux . ( k ) Cheffelden prit enfuite
le parti contraire , de n'incifer que
le col de la veffie fans toucher à
fon corps , & c'eft ce qu'on appelle Taille
de Cheffelden &c . ( 1 )
ARTICLE V
De la prétendue Taille de RAU par
MR.
M. LEDRAN .
R. LEDRAN Chirurgien de Paris ,
dit dans fon parallele des différentes
(k ) Cene defcription eft tirée du Traité des
Opérations de M. Scharpt , page 215.
( 1) Les Chirurgiens François ont revendiqué
la Taille de Cheffelden , dans le nom du Frère
Jacques ; mais fur les prétendues corrections de
Mery , Hunault &c .
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
»
"
manieres de tirer la pierre , ( imprimé
en 1730 , à l'Article de la méthode de
Rau. ) » Qu'il alpratiqué cette opération
à-peu-près telle que l'a décrite Albinus
( Albinus fils ) fur plus de foixante
» cadavres , & plufieurs malades,grands
» & petits , affligés de la pierre , avec
» fuccès & fans fiftule , même dans des
» cas de veffies très-petites & très -racor-
» nies , en préfence de plufieurs de fes
» Confrères , entr'autres M. Verdier *
» qui en ont fouvent été témoins , &
» cela avec une fonde dont il a moulé
» la courbure de façon qu'elle entre aifément
, & fe loge toute entiere dans
» la veffie la plus petite , fa grandeur
» & fon peu de capacité étant deux cho-
»fes égales à l'égard de cette opération ;
» & qu'avec cette fonde il affujettit la
22. veffiefans peine , & s'approche beau-
" coup vers l'incifion extérieure , fans
qu'elle puiffe s'échapper dans l'uretre ,
comme la fonde ordinaire ; de manie-
" re que l'artère honteufe qui paffe fous
» la tubérofité de l'ifchion , fe trouve
» couverte & garantie par la veffie mê-
» me. Enfin que par le moyen de cette
fonde , il est très -facile d'incifer le
corps de la veffie autant qu'on lejuge
» propos , fans toucher à fon cal , &
à
AOUST. 1762. 127
fans qu'il foit poffible d'endomma-
" ger le rectum ; fans aucune peine ,
» très-promptement , & autant qu'on le
» veut ; ( m ) & qu'il eft moins étonné
» des grands fuccès de cette opération,
( qu'il croit être celle que Rau avoit
» effectivement pratiquée ) que de ce
» qu'on l'a abandonnée. ·
REMARQUES.
Une fonde par le moyen
de laquelle
on peut ouvrir fans aucune peine, trèspromptement
& autant qu'on le veut ,
non Teulement
la veffie fans toucher
à
fon col , mais la veffie la plus petite ,
& même des veffies très-petites & trèsracornies
, fa grandeur
& fon peu de
capacité lui étant indifférentes
; fans que
cette fonde puifle s'échapper
dans l'urétre
, & fans crainte de pouvoir
donner
atteinté
au tronc de l'artère honteuſe
,
ni au boyau rectum , ni expofer le ma-
2 >
( m ) M. Ledran dit que fa fonde a un petit talon
qui fait faillie à l'endroit de la courbure ,
qu'elle a le manche plus long & le bec plus
Court que celle que M. Albinus ( Albinus fils )
& de plus , que la crenelure eft percée dans une
partie du talon que forme fa courbure , pour
laiffer paffer la pointe de la lame de fon litotome
& c.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
lade à la fiftule & c. Voilà donc enfin
fuivant la déclaration de M. Ledran , la
prétendue Taille de Rau réduite en pratique
, par une manoeuvre fimple , facile
, sure , & qui écarte même les dangers
,
enfin conftatée par les fuccès.Mais
qu'eft devenue cette admirable fonde ?
Pourquoi M. Ledran dans fes efforts
contre le litotome caché ( n ) ne lui at-
il pas oppofé plutôt que fa double Section
de la proftate ? Cette double Taille
latérale qui confifte à ifoler entre deux
incifions , à gauche & puis à droite le
verrumontanum où aboutiffent les canaux
excréteurs de la femencee ;; & que
l'extraction de la pierre achéveroit indubitablement
de féparer totalement du
refte de la proftate , s'il ne l'avoit pas
été d'abord par cette double incifion .
( n ) M. Ledran a prétexté en 1757 de donner
une fuite de fon paralléle des Tailles , uniquement
pour décrier le litotome caché & fon
Auteur ; mais il n'a pas mieux réuffi que dans
fa Taille de Rau , & dans fa double Taille laté
rale.
AOUST. 1762. 129
ARTICLE V I.
De la prétendue Taille de RAU , par
LE
M. FOU BERT.
>
E manuel de M. Foubert , ainfi
qu'il eft décrit dans les Mémoires de
l'Académie Royale de Chirurgie , ( 0 ) ,
confifte après avoir diftendu la veffie
par la collection d'un liquide , [ comme
l'avoit éffayé M. Cheffelden ] , &
en la comprimant pardeffus le pubis ;
à fubftituer à la fonde cannelée , décrite
par Albinus fils , un poinçon cannelé
pour attaquer cet organe à côté de fon
col par le bas du périnée , & diriger fuivant
cette cannelure , fon biftouri litotome
jufques dans fa capacité ; & à
l'incifer enfuite par un mouvement de
bafcule de bas en haut & c. M. Foubert
affure que par cette mancitvie ,
il fair
facilement à la veffie une incifion auffi
grande qu'il le fouhaite , & qu'il a réuffi
dans les cinq premieres opérations qu'il
a faites , par cette méthode fur le vivant
& c.
( o ) Mémoires de l'Académie de Chirurgie
Tome I. Partie III , Année 1743.
F V
130 MERCURE
DE FRANCE
.
REMARQUES
.
7
Qui pourra
concilier
cette facilité
& les fuccès
de M. Foubert
, non feulement
avec les obftacles
inféparables
de la nature
de cette
Opération
; mais avec ce qui en eft rapporté
dans le rap- port des expériences
de l'Académie
Royale
de Chirurgie
fur la Litotomie
, année
1757 ? » que les Commiffaires
» qu'elle
avoit nommés
, ont remarqué
» que dans les expériences
de M. Fou- » bert , l'incifion
du corps
de la veffie » fe børnoit
à la divifion
que produit » la pointe
du Biftouri
litotome
en en- » trant dans cet organe
. Le mouve- » ment
que fait l'Opérateur
en baif- » fant le poignet
, pour relever
inté- >> rieurement
la pointe
de la lame tran- » chante
, dont la bafe fait angle avec » le manche
de cet inftrument
, ne » procure
pas une plus grande
ouverainfi
qu'on l'avoit
cru , parce » qu'alors
le tranchant
ne gliffe pas fur » les parties
qu'on fe propofe
de couper » par ce mouvement
, & que ces parties » ceffent
d'être
tendues
, par le fluide
» que la veffie contient
, & qui s'échappe " par la plaie ; c'eft ce qu'on a éxaminé
» avec foin , en confidérant
le jeu des
» ture ,
A OUST. 1762 . 131
inftrumens dans la véffie ouverte au-
» deffus des os pubis. Auffi M. Fou-
» bertfe fert-il d'un gorgeret dilatatoire ,
» pour écarter les lévres de la divifion
» faites par fon Litotome , & c.
REFLEXIONS.
Si l'on confidère préfentement que
la lame tranchante du biftouri Litotome
de M. Foubert , qui a environ
quatre pouces & demi de longueur
fuivant la figure qu'il en a donnée
n'a pas plus de quatre lignes dans fa
plus grande largeur , & qu'elle n'en a
plus que trois vers fon milieu , & va
toujours en diminuant jufqu'à fa pointe
; enfin qu'il l'introduit dans la veffie
le dos couché dans la crenelure de fon
poinçon , ou trois quarts ; de façon que
le tranchant vers fa pointe, ne le furmonte
guères que d'environ deux lignes. L'étendue
de cette incifion ne fera donc
que de deux lignes tout au plus , en
fus du trou fait par le trois- quarts , lequel
trou n'eft qu'un écartement forcé
des fibres étaftiques de la veffie , qui
ne fubfifte que par la préfence du poinçon
qui le produit ; de façon que le
tranchant , & le poinçon retirés , l'ou
verture qu'ils ont faite à la veffie
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
fe trouve égale à zéro , eu égard à fa
deftination,puifque fuivant les expériences
de l'Académie de Chirurgie , cette
incifion ſe borne uniquement au temps
de l'introduction de la pointe de cette
lame , & rien de plus.
Cependant M. Foubert aflure qu'il
fait facilement à la veffie une incifion
auffi grande qu'il le fouhaite. &c. Etle
manuel de M. Foubert jouit depuis
environ vingt ans , dans tous les traités
de Litotomie , & dans toutes les écoles
de Chirurgie , du crédit d'une découverte
réelle & utille ; l'Académie
Royale de Chirurgie , n'hésite pas à
en faire les plus grands éloges. Précifément
dans le même mémoire où
elle anéantit fon incifion intérieure ;
la méthode de M. Foubert , dit cette Académie,
permet l'extraction des plus groffes
pierres [ &cela , par une incifion de
deux lignes . ] .... C'eft cette méthode.
qu'on peut proprement appeller Taille
latérale ...... La méthode de M. Foubert
à enrichie la Chirurgie , en multipliant
les reffources de l'Art.&c. Et pourquoi
l'a-t-il donc abandonnée ?
La fuite au Mercure prochain.
AOUST. 1762. 133
1
HOPITAL
DE M. LE MARÉCHAL DUC DE BIRON .
Trentiéme & trente- uniéme Traitement
depuis fon Etablissement.
Noms des Soldats.
BAR ,
Feuillebarde ,
Le Maire.
Leger ,
Brizon ,
Guerard .
Souahet ,
Gueny ,
La Jeuneffe ,
Thélémaque ,
Mathieu ,
Compagnies.
Dampierre.
Nolivos
Mathan.
Chevalier.
Tourville .
Rochegude.
Le Camus.
Tourville.
Demoges .
De la Sône .
Delatour.
Chevalier.
Dampierre .
Vincelot ,
Deville
Laîné ,
Le Camus.
L'alliance , De la Sône.
Lahaye ,
Lebrun
De la Sône.
Le Camus.
Tailleur
Delatour.
Sansbut,
Colonelle.
134 MERCURE DE FRANCE .
Antier
Cader
Aimé ,
Beaufoleil ,
La Croix ,
La Rofe ,
De la Sône.
Bouville.
De Graffe.
Tourville .
Tourville.
Delatour.
Ces vingt- cinq Soldats ont été radicalement
guéris en fix femaines , &
étoient attaqués la plupart de maladies
très-graves.
L'on rendra inceffamment compte de
huit à neuf cent Soldats traités & guéris
dans les Armées du Roi aux Hôpitaux
de Francfort , de Bornebourg , & de
Scheleftad. En attendant , M. Keyfer
croît n'avoir rien de plus authentique à
expofer aux yeux du Public que les
nouveaux certificats ci-deffous.
Certificat de Mgr le Maréchal Duc
DE BIRON.
LOUIS-ANTOINE DE GONTAUT ,
Duc de Biron , Pair & Maréchal de
France , Chevalier des Ordres du Roi
Colonel Général du Régiment des Gardes
Françoifes & c .
Certifions à qui il appartiendra , que
depuis l'Etabliffement de notre Hôpital
pour le Régiment des Gardes Françoi
AOUST . 1762. 135
fes , il appert par les Regiftres dudit Ho- Hổ
pital que le fieur Keyfer nons a guéri
quatre cent cinquante- deux Soldats attaqués,
fuivant le rapport de nos Chirurgiens
, des maladies les plus graves , &
beaucoup d'eux manqués par les frictions
, fans qu'il en foit mort un ſeul ,
& fans qu'aucun foit venu fe plaindre
de n'avoir pas été guéri ; que nous avons
fait faire des examens férieux & réïtérés
de tous les traitemens qui fe font faits ; que
n'ayant eu en vue que le bien de l'humanité
& la confervation des hommes
que nous perdions précédemment en
grand nombre , nous avons cru devoir
faire une attention particuliere à cet
objet , & qu'en conféquence nous l'avons
appuyé de toute notre protection ;
en foi de quoi nous avons délivré le
préfent certificat figné de notre main ,
fcellé du fceau de nos armes & contrefigné
par notre premier Secrétaire
pour fervir & valoir ce que de raifon .
Fait à Paris , le 8 Avril 1762. Signé ,
LE MARÉCHAL DUC DE BIRON.
"
Nous fouffigné Maréchal des Camps
& Armées du Roi , Commandeur
Grand-Croix de l'Ordre Royal & Militaire
de S. Louis , Major Général des
136 MERCURE DE FRANCE .
Armées du Roi , & Major du Régiment
des Gardes Françoiſes.
Certifions à qui il appartiendra , que
depuis l'Etabliffement de l'Hôpital des .
Gardes Françoifes en 1756 , M. Keyfer
a guéri jufqu'à ce jour la quantité de
quatre cent cinquante -deux Soldats,ſuivant
ce qu'il appert par les Regiftres
dudit Hôpital & le rapport des Chirurgiens
Majors & autres , fans qu'il en
foit mort un feul , & fans qu'aucun ſe
foit venu plaindre de n'avoir pas été
guéri , ce qui nous a confervé bien des
hommes qui étoient dans les états les
plus fâcheux. En foi de quoi nous avons
donné le préfent certificat figné de notre
main & fcellé du fceau de nos armcs
, pour fervir & valoir ce que de
raiſon . Fait à Paris , le 8 Avril 1762 .
Signé , DE CORNILLON.
Nous fouffignés Chirurgiens Majors
du Régiment des Gardes Françoiſes ,
certifions avoir vu & fuivi pendant les
premieres années , excepté le temps que
nous avons été fervir dans les Armées
du Roi , la plus grande partie des Soldats
dénommés au préfent état & traités
par la Méthode de M. Keyfer , lefquels
nous avons vu bien & parfaiteAOUST.
1762. 137
ment guéris de maladies même fort graves
, & en foi de quoi Nous avons déja
donné plufieurs certificats que nous réïtérons
ici pour rendre hommage à la
vérité & fervir à ce que de raifon . A
Paris , le 8 Avril 1762. Signé , Faget,
DUFOUAR , avec paraphe.
Je fouffigné , Chirurgien Major de
la feconde Compagnie des Moufquetaires
& de l'Hôpital du Régiment des
Gardes Françoifes , certifie que depuis
l'Etabliffement dudit Hôpital,j'ai exactement
préfidé à tous les traitemens des
Soldats , qui s'y font faits depuis la fin
de l'année 1756 , excepté pendant les
fix mois de l'année 1761 , que j'ai fait
la campagne en Weftphalie , que j'ai
fidélement fait tenir regiftre & conftater
leurs états tant en y entrant qu'en
fortant ; que tous ont été parfaitement
guéris ; qu'aucun des Soldats jufqu'à ce
jour , n'a eu le moindre accident quelconque
; qu'au contraire il y est entré :
plufieurs malades crachant du pus , les
autres du fang , lefquels malgré cet état
fâcheux n'ont éprouvé aucun inconvé
nient de la part du reméde , & font fortis
bien guéris & parfaitement rétablis.
Je certifie de plus que nous avons fait
138 MERCURE DE FRANCE.
plufieurs revues générales des malades
traités audit Hôpital d'année en année ,
& quej'ai toujours trouvé les guérifons
conftantes & folides. A Paris , le 8
Avril 1762.
EXTRAIT d'une Lettre de M. LECAT,
Ecuyer , Secrétaire perpétuel de l'Académie
des Sciences & Belles-Lettres
de Rouen , en date du 31 Décembre ,
à M. KEYSer.
Vous pouvez , Monfieur , faire mettre
en votre nom dans le Mercure &
dans les Journaux , qu'ayant fait d'après
les témoignages de MM. Morand , Guérin
& autres,plufieurs expériences de vos
dragées , & nommément celle de M.Signard
, dont on a vu le certificat dans
un des derniers Mercures , je me fuis
déterminé à préférer cette méthode à
toutes les autres ; & que j'ai accepté
votre correfpondance , ainfi que le dépôt
d'un magafin de vos dragées,
ARRÊT du Confeil d'Etat du Roi ,
du 23 Avril 1762 ; qui permet à la Dame
veuve du Docteur Fels , premier
AOUST. 1762. 139
Médecin & Bourg- meftre de la Ville
de Scheleftat , de compofer & d'adminiftrer
qu faire adminiftrer par fes prépofés
, tant à Paris que dans les Provinces
, le REMÉDE ou SPÉCIFIQUE
ANTI-VÉNÉRIEN , dont feu fon mari
a fait la découverte ; & qui fait trèsexpreffes
& itératives défenfes à tous
autres non prépofés par ladite Dame
veuve Fels pour l'adminiftration dudit
reméde , de quelque qualité & condition
qu'ils foient , d'adminiftrer , fous
quelque prétexte ou dénomination que
ce puiffe être , ledit Reméde à aucun
malade , à peine de trois mille livres d'amende
& de tous dépens , dommages
& intérêts .
,
Ce Reméde avec lequel feu M.
Fels a guéri un très -grand nombre
de maladies vénériennes les plus invétérées
, fous les yeux des perfonnes
de l'Art lui avoit attiré la confiance
du Public , & l'en a beaucoup fait
regretter. Les expériences authentiques
qu'il en a faites , les cures promptes &
radicales qu'il a opérées , ont attiré l'attention
des Magiftrats du premier ordre.
Ce Spécifique , auffi sûr & auffi éfficace
que l'étoit parmi les Egyptiens , celui
avec lequel ils guériffoient les Lépreux ,
140 MERCURE DE FRANCE.
eft un Apozême dont on boit trois verres
par jour.
Il a l'avantage 1º. de guérir les maladies
vénériennes , fans jamais caufer de
falivation , étant compofé fans aucun
ingrédient mercuriel.
2º. Les préparations qui le précédent
fe font en très-peu de jours , les bains
n'y étant pas néceffaires.
3° . Pendant l'ufage de ce Reméde ,
qui ne dure ordinairement que vingtquatre
jours , on n'eft point aftreint à
garder la chambre : on peut même vaquer
aux affaires qui ne caufent point.
trop de fatigue & n'exigent point une
trop longue contention d'efprit , ayant
foin néanmoins de ne fe pas expofer.
aux injures de l'air.
4°. Ce Spécifique n'a rien de contraire
aux eftomachs débiles ni aux poitrines
délicates ; il en eft même fouvent le
véritable antidote , principalement lorfque
la langueur ou le malaife de ces
organes provient de quelques anciens :
réfidus vénériens , mafqués ou dégénérés
, comme il n'arrive que trop communément
à ceux qui ont eu dans la
jeuneffe certaines galanteries imparfaitement
terminées.
5º . Ce reméde agit avec tant de douceur
, que M. Fels l'a employé pen-
嘻
AOUST. 1762. 14Y
dant le cours de la groffeffe même
avec les plus heureux fuccès ; & de
même pour les enfans à la mammelle
en le faifant boire à leurs nourrices.
6°. Loin d'être affoibli ou amaigri
par fon ufage , on y recouvre les forces
& l'embonpoint détruits ou diminués
par la maladie.
Enfin , un de fes effets particuliers eft
de réuffir parfaitement dans la cure des
maladies Vénériennes , qui ont réſiſté
à l'ufage du Mercure le mieux adminiftré
; avantage dont on étoit privé
avant la découverte de ce Spécifique.
Les preuves très- authentiques de
toutes ces propriétés font en bonne
forme , entre les mains de la Dame veuve
Fels.
Mais comme l'adminiſtration d'un
Remède auffi important doit être dirigée
par un Médecin , qui juge de l'état
de la maladie & des malades , & qui
conduife méthodiquement cette adminiftration
, felon les différens cas; Sa Majefté
informée par M. de Senac, fon premier
Médecin , que M. Caumont , père ,
Médecin ordinaire du Roi en fa Compagnie
des Cent- Suiffes , & c . avoit éxactement
obfervé la méthode & les effets
de ce remédey pendant les trois der142
MERCURE DE FRANCE :
?
nieres années que M. Fels l'a adminif
tré , tant à Paris qu'à Verfailles ordonne
par ce même Arrêt , que l'adminiſtration
de ce Spécifique fera faite
fous l'inſpection & direction dudit fieur
Caumont.
La demeure de la Dame veuve Fels
eft rue Quincampoix , près de la rue
de Venife , même maifon que M. Arnoult
, ancien Epicier -Droguifte , où
elle fait adminiftrer ledit remède.
Le fieur ANDRÉ , Maître en Chirurgie
à Verfailles, Chirurgien de la Charité
de la Paroiffe Saint Louis , & ancien
de la Maiſon Royale de Saint Cyr,croit
devoir annoncer de nouveau au Public ,
qu'il eft inventeur , non feulement de
bougies chirurgicales , mais d'une méthode
propre à guérir radicalement les
maladies les plus invétérées de l'urètre
& de la veffie , les écoulemens purulens
perpétuels & même prefque imperceptibles
, les fiftules au périnée , les tumeurs
fquireufes de ces parties , toutes les efpéces
de rétention d'urine , tant complettes
qu'incomplettes , & nombre de
maux qui proviennent des fuites des impreffions
du vice gonhorroïque , qui
au lieu d'avoir été détruit dans fon oriAOUST.
1762. 143
gine , n'a été qu'enfeveli & caché , raifon
qui produit des oedèmes purulens à
la veffie , qui y porte la pourriture qui
fait périt les malades ; & quoique ces,
maux foient très-communs , cependant
on fe fait illufion fur leurs caufes.
Le fieur ANDRÉ eft toujours feul
chargé par Mrs les Miniftres de la guerre
& de la Marine , de fournir de fes bougies
les Hôpitaux militaires de terre &
de mer.
Les heureux effets qu'elles ont opéré
jufqu'à préfent , au plus grand avantage
de l'humanité , jufques fur des maux qui
étoient regardés comme incurables , &
les atteftations que les Médecins & les
plus habiles Chirurgiens -majors de ces
Hôpitaux , en ont données aux Miniftres
par Mrs les Intendans , prouvent fuffifamment
la bonté & la néceffité de ce
reméde , & que les méthodes pour s'en
fervir , que le fieur André a indiquées,
dans tous fes Ouvrages , font les feules
propres pour parvenir à découvrir & à
déraciner le vice primitif de ces maladies
; ils l'autorifent en même temps à
avancer fans oftentation , que l'étude
particuliere qu'il a faite à cet égard , lui
a donné la plus parfaite connoiffance de
ces maux , de leurs progrès & de leurs
144 MERCURE DE FRANCE.
déguiſemens ; cette étude & les expériences
qu'il fait journellement , l'ont
conduit à découvrir infenfiblement le
peu de folidité des cures annoncées en
ce genre , & l'erreur des perfonnes qui
croyent avoir des fecours univerfels contre
de femblables maladies .
On trouvera la méthode du fieur ANDRÉ
& de fes Bougies , chez lui à Verfailles
, rue de l'Orangerie , & à Paris ,`
chez le fieur ALIDIER , Chirurgien,
Cour du Dragon Sainte Marguerite
près l'Abbaye Saint Germain .
GÉOGRAPHIE.
ATLAS
MARITIME ( portatif) ou
Cartes réduites de toutes les Côtes de
France , avec des Cartes particulieres
des Ifles voifines les plus confidérables ,
fuivies des Plans des principales Villes
maritimes de ce Royaume , par M. Bonne
, de la Société Littéraire Militaire
Maître des Mathématiques , Ingénieur
Géographe , dédié & préfenté au Roi ,
par le Sieur Lattré. A Paris,chez Lattré
rue Saint Jacques , à la ville de Bordeaux.
Le même Graveur , rue Saint Jacques
, au coin de la rue de la parcheminerie
AOUST. 1762. 145
minerie , à la ville de Bordeaux , vient
de mettre au jour un petit Atlas Topographique
des environs de Paris , en
vingt- quatre feuilles bien portatif qu'il
a eu l'honneur de préfenter au Roi. On
y trouvera le plus grand détail avec une
précifion & une propreté qui fera plaifir.
On peut dire que ce petit Ouvrage eft
un chef- d'oeuvre.
Prix relié en Maroquin & lavé.
Relié en Veau & lavé.
Relié en Veau fans lavure.
Collé fur taffetas & lavé.
Collé fur toile & lavé.
Collé fur toile & fans lavure.
101. 4f,
06
8
7
1
5
On trouvera des Etuis à différens prix.
Le Sieur Lattré , donnera au commencement
du mois d'Août l'Atlas , petit
in-folio , d'après la Géographie moderne
de l'Abbé Nicolle de la Croix
on le trouve auffi chez Jean- Thomas
Hériffant , Libraire rue Saint Jacques ,
qui vend la Géographie moderne.
M. le Chevalier de BE A URAIN ,
Géographe ordinaire du Roi & ci-devant
de l'éducation de Mgr LE Dau-
PHIN , a mis au jour les Cartes fuivantes
dédiées à Sa Majefté , & qui lui ont
1.
été préſentées :
G
146 MERCURE DE FRANCE .
1er Tableau repréfentant les Signaux
de correfpondance Maritime qu'un Chef
d'Efcadre ou autre Officier fupérieur
ordonne être gardés & obfervés par
tous les Capitaines & autres Officiers
de Vaiffeaux qui compofent fon Eſcadre
. Cette Carte eft très - inſtructive par
tous les détails qu'elle renferme tant fur
l'Hiftoire de la Navigation que fur la
Science propre de la Marine ; elle eft en
une feule feuille. Les Signaux y font
rangés fous différentes claffes , Signaux
pour la nuit , pour le jour , pendant la
brune , Signaux de reconnoiffance de
nuit & de jour , Signaux pour parler
aux Vaiffeaux & c. &c. Toutes ces
chofes font non feulement expliquées ;
mais on y trouve de plus divers petits
Vaiffeaux joliment gravés & où chaque
Signal eft repréſenté, fervant encore à
en rendre les idées plus fenfibles .
L'Auteur y a joint une courte defcription
d'un Vaiffeau conftruit par ordre
du Roi LOUIS XIII . en 1638. Ce Vaiffeau
nommé la Couronne , étoit un des
plus grands qui ayent jamais été conftruits
, & faifoit l'admiration de tous les
Peuples qui étoient à portée de le voir.
2. Carte Marine de la mer. ou Océan
Septentrional , dreffée pour fervir à la
Navigation des Ports & Côtes des Payst
AOUST. 1762. 147
Bas , tant extérieure par mer , qu'intérieure
par les Canaux depuis l'ifle de
Rottum , fituée proche la Côte de la Province
de Groningue jufqu'à Calais , &
partie de celle d'Angleterre depuis la
rivière de Humber jufqu'au Port de
Reze . Les bancs de fable , les fondes ou
profondeurs de la mer & c. &c. y font
marqués. On y a joint l'explication des
marques qui y font employées.
3. Carte de la Manche ou du Canal
qui fépare les Côtes de France d'avec
celles d'Angleterre , contenant la defcription
des bancs de fables , fondes
ou profondeurs de la mer , des Caps ,
Bayes , Ports ou Havres , &c. L'on y a
marqué les courans avec une méthode
pour connoître dans tous les endroits
de cette Carte l'heure de la Marée , con-
Яruite par ordre de Sa Majesté Britannique
d'après les obfervations du Capitaine
Haley , augmentée de nouveau par
l'Auteur. On y trouvera la defcription
& les figures des principales Machines
dont les Navigateurs font ufage & des
notions Phyfiques fur les divers mouvemens
de la mer..
4. Tableau hydrographique qui contient
le détail Maritime des principaux
Ports qui fe trouvent repréfentés dans la
Gij
148 MERCURE DE FRANCE .
,
,
Carte de la Manche qui font Falmouth
Plimouth Portsmouth , fur la Côte
Méridionale d'Angleterre , Yarmouth
Neuport , S. Hollan , dans l'Ifle de
Wigt , le Cours de la Tamife , de Medway
& c. Les Ports de Dunkerque , de
Calais , de Dieppe du Havre-de - Grace
, de S. Malo & de Breft fur les Côtes
de France , avec la configuration des
plans des Villes & Forts qui en défendent
les approches , particulièrement de
ceux d'Angleterre qui ne font connus
de très que peu de perfonnes , même
des Anglois. Fait d'après des manuſcrits
précieux poffédés par l'Auteur.
-
5. Carte Topographique ou defcription
très-particuliere de l'Ifle de Belle-
Ifle diviſée en fes 4 Paroiffes , faite d'après
plufieurs autres qui ont été levées
fur les lieux , entr'autres d'une grande
qui a fervi à en faire le terrier qui en
donne les connoiffances les plus détaillées
, joint à un ample difcours relatif à
ces mêmes détails ; on y trouve auffa
fur la Côte les batteries qui ont été faites
pour fervir à fa défenſe & réduites
fur un plus grand point , placées ſur la
Planche ci-deffus ; elle contient encore
un détail Chronologique , Hiftorique
& Géographique de cette Ifle par l'Auteur.
Il donne fur la même feuille la
E
AOUST. 1762 . 14.9
Carte de la Côte de Bretagne depuis
Breft jufqu'à l'embouchure de la Loire ,
réduite d'après les Cartes que le Roi a
fait lever de cette Côte , fuivant les obfervations
de MM . de l'Académie Royale
des Sciences . On y trouvera encore
un Plan en grand du Bourg ou Citadelle
du Palais ou de Belleifle avec tous
les derniers ouvrages qui y ont été faits.
Le Chevalier de Beaurain travaille à
perfectionner un Supplément à fa grande
Carte de Heffe - Caffel qu'il donnera
inceffamment au Public. Cette Carte
aura toujours de plus que celles qui ont
paru depuis , l'avantage d'être Originale.
il y a des vices inféparables de tout ce
qui eft copie on ne doit pas craindre
de les trouver dans la Carte que l'on
annonce.
M. BELLIN , Ingénieur de la Marine,
vient de rendre publique une Carte qui
a pour titre , le Portugal & fesfrontières
avec l'Espagne, dreffée par ordre de M. le
Duc de CHOISEUL, Colonel général des
Suiffes & Grifons, Miniftre de la Guerre,
& de la Marine , 1762. Elle eft grande
& très - détaillée , & fort bien gravée .
Il y joint un petit Mémoire qui fait
voir le jugement qu'on peut porter de
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
toutes les Cartes de Portugal qui ont paru
jufqu'à ce jour ; & qui avertit de
ne pas confondre ces Marchands de
Cartes qui fe multiplient fi fort depuis
quelque temps , avec le petit nombre
d'habiles Géographes , dont les talens &
les ouvrages font connus.
M. Bellin rend enfuite un compte
fuccinct des fources dans lefquelles il a
puifé , pour dreffer fa nouvelle Carte ,
qu'il reconnoît n'avoir pas encore ce
degré de précifion qu'il cherche. Il
donne dans ce Mémoire une petite
Carte , d'une partie de la frontière de
Portugal , compriſe entre Alcantara &
Almeida , où les Campemens de l'armée
d'Efpagne , depuis le premier Septembre
jufqu'au 27 Octobre 1704 , font marqués,
avec ceux des Portugais joints aux
Anglois & Hollandois. C'eft un exemple
de la façon dont il auroit fouhaité
traiter le Portugal ; mais pour le faire ,
il auroit fallu quatre feuilles de grand
Aigle , au lieu qu'il a été obligé de fe
renfermer dans une feule feuille , & c.
- Cette Carte fe trouve chez l'Auteur
rue du Doyené , à la premiere Arcade
de Saint Louis du Louvre.
HORLOGERI E..
LE ROI ayant trouvé la nouvelle
AOUST. 1762. 151
Pendule aftronomique de l'invention
de M. Millot ( annoncée au Mercure de
Mars dernier ) très- ingénieufe & trèsfçavante
, par les effets furprenans que
Sa Majefté y a reconnus dans le cours
naturel des Aftres & le cours artificiel de
notre horifon , l'a fait placer dans fon
Cabinet de Phyfique , comme un Morceau
précieux , après en avoir inarqué
fa fatisfaction en préfence de toute la
Cour , à Versailles , le 4 Avril 1762 .
MECHANIQUE.
NOUVELLE & prompte maniere
d'appliquer la platine du fufil fur le
bois.
LE fieur CHALLIER , Périgourdin ,
Maître Arquebufier à Paris & de S. A. S.
Monfeigneur le Prince DE CONDÉ ,
á inventé le moyen d'appliquer la platine
du fufil fur le bois fans aucune viffe
, de façon qu'on la fépare dans un
feul temps , & l'on la remet de même .
Voici l'avantage qui en réfulte : comme
il faut de néceffité éffuyer la craffe qui
fe fait dans le baffinet après que le fufil
a tiré plufieurs coups , il arrive qu'il
s'en introduit une partie dans la lumiére
, & c'eſt-là une des principales cau-
Giv
152 MERCURE
DE FRANCE
.
fes des longs feux. Pour parer cet inconvénient
, il faut déviffer les deux viffes
qui tiennent la platine , & les reviffer
; mais le Chaffeur qui chérit tous
les momens de la chaffe , regrette celuici
, & defire ce nouveau moyen. Plufieurs
perfonnes y ont encore trouvé
un autre avantage ; lorfqu'il furvient
une pluie , elles prennent leurs platines
de deffus leur fufil , & la mettent dans
leur pofte. Se préfente-t-il un coup
de
fufil à faire ? elles la remettent trèspromptement
, & font bien sûres qu'elle
cft féche , & qu'elle ne ratera pas . Cet
Artiſte a été engagé d'en donner avis au
Public par des perfonnes de grande diftinction
pour qui il a eu l'honneur d'en
faire depuis quinze mois , & même d'en
préfenter un à Meffieurs de l'Académie
Royale des Sciences , qui l'ont approuvé
unanimement , & lui en ont donné
le certificat qui fuit.
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie
Royale des Sciences , du 23
Juin 1760 .
Meffieurs Fougeroux & de Tourriere
qui avoient été nommés pour examiner
un fufil préfenté par le fieur Challier
Maître Arquebufier à Paris , dans lequel
AOUST. 1762 . 153
la platine fe fépare facilement au moyen
d'un feul bouton que l'on pouffe ; en
ayant fait leur rapport , l'Académie a
jugé que cette invention , toute fimple
qu'elle eft , mérite des éloges à proportion
de fon utilité , & qu'il y a tout lieu
de croire que les Chaffeurs en feront
fort fatisfaits : en foi de quoi j'ai figné
le préfent certificat , à Paris , ce 27 Juin
1762. GRANJEAN DE FOUCHY
Secrétaire perpétuel de l'Académie
Royale des Sciences.
La demeure du fieur CHALLIER
eft rue Dauphine , au grand Hôtel de
Londres , à l'Enfeigne du grand Fufil
Royal.
NOUVELLE CARTE du Théâtre de
la Guerre en Portugal , dreffée fur les
meilleures Cartes des Efpagnols . Chez
le Rouge , Géographe , rue des Grands
Auguftins.
ARTS AGRÉABLES.
SCULPTUR E.
M. TITON DU TILLET , qui a commencé
de faire éxécuter en bronze la
Médaille de M. de Crébillon , fait tra-
G
154 MERCURE DE FRANCE .
vailler , préfentement que la mort l'a
enlevé , à fa figure en bronze pour être
placé fur fon ParnaJe François , avec
nos plus illuftres Poëtes qui font morts.
Cineri gloria datur.
MUSIQU E.
RECREATIONS
de Polymnie , ou
choix d'Ariettes , Monologues & Airs
tendres & légers , avec accompagnement
de Violon , Flute , Hautbois
'Pardeffus de Viole , & c. qui peuvent
auffi s'éxécuter , au défaut de voix , par
deux Inftrumens de deffus indiftin& ement.
Dédiées au beau Séxe. Prix 2 1 .
3
12f. On les trouve à Paris chez le fieur
le Loup , Maître de Flute au Caffé
du coin des rues du Mouton & de la
Tixerandrie , proche la Grève.
>
Philinte & Licoris , Cantatille à voix
feule & fymphonie , dédiés à Monfeigneur
le Duc de Nivernois , par M. le
Petit , de l'Académie Royale de Mufique.
Prix 1 1. 16 f. à Paris , chez l'Au-
.teur , rue de Grenelle S. Honoré , visà-
vis la rue des deux écus , & aux adreffes
ordinaires de Mufique.
AOUST. 1762 . 155
2
Les petites Récréations de Campagne
, premier Livre contenant huit
Duetti à duo Violini 6 Mandolini , compofta
de varii Autori. On peut les éxécuter
fur le Pardeffus de Viole . Prix
2 1. 6 f. à Paris , aux adreffes ordinaires.
La Conftance couronnée , Parodie fur
les Motets à voix feule , refpice & exaudi
me. Prix 6 f. fe trouve chez Dufour,
Quai de Gêvres.
SONATES pour le Clavecin en quatuor
, avec premier , & fecond deſſus
de violon , par M. l'Abbé Gravier
Organiſte de la Métropole de Bordeaux.
Nouvelle Edition , & fe vend aux adreffes
ordinaires de Mufique.
Prix 12 liv. compris la partie des
violons.
Le fieur DIDIER LE GAY, ayant
préſenté à l'Académie Royale des
Sciences un nouvel Inftrument de Mufique
de fon invention , à claviers , à
cordes de boyau , archet , & fautereaux
, qui a la propriété de faire à la
fois plufieurs parties , d'imiter les inftruments
à archet depuis le violon jufqu'à
la contrebaffe inclufivement & les
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
inftrumens qui fe pincent comme la
Harpe & autres , de tenir les fons , de
les enfler , & les diminuer ; l'Académie
l'a approuvé dans fa Séance du 16 de
ce mois , & en a fait délivrer un certificat
à l'Auteur .
Nota. Cet Inftrument fe verra publiquement
; il fera touché par le fieur
Damoreau Organiſte , & par
les perfonnes
qui fçachant toucher le Clavecin
& l'Orgue , defireront toucher cet
Inftrument ; on indiquera le jour & le
lieu .
ON
GRAVURE.
N trouve chez le fieur P. J. Duret,
Graveur , au milieu de la rue du Fouare ,
en porte cochere , quatre Eftampes
d'après le fieur Lantara intitulées
l'Heureux Baigneur , le Pêcheur amoureux
le Berger amoureux , & la rencontre
fâcheufe.
>
Le fieur MOYREAU , Graveur du Roi
en fon Accadémie Royale de Peinture
& Sculpture , vient de mettre au jour
une Eftampes gravée d'après M. Caffanova,
Peintre du Roi ; le tableau a 13
pouces de haut fur 18 pouces 6 lignes de
AOUST. 1762. 157
large , qui a pour titre l'Eſcorte d'Equipages
, & qui appartient à M. le Chevalier
Damery; l'Auteur demeure toujours
rue des Mathurins à Paris .
MM. Floding & Charpentier , viennent
de mettre au jour fix Eftampes
gravées dans la maniere du deffein au
lavis , nouvelle & heureufe découverte
dont ils font Auteurs. On fent de
quelle utilité eft pour les Arts cette gravure
fafceptible encore de perfection
comme toutes les nouvelles inventions .
Les Amateurs & les Connoiffeurs verront
avec fatisfaction cette nouvelle gravure
propre à multiplier & à perpétuer
les deffeins précieux des grands Maîtres
& même jufqu'à leurs croquis qui
échauffent l'imagination des jeunes Ar
tiftes , par le feu & la liberté qu'on y
voit , & qu'il eft impoffible de rendre.
dans un autre genre de gravure. Les.
Graveurs préviennent qu'ayant été obli-.
gés de faire de grandes dépenfes pour
Fexécution , & que ce genre de gravure
ne permettant de tirer qu'un trèspetit
nombre d'épreuves , ainfi qu'il fera
aifé de le voir àl'infpection de l'Eftampe
, ils ont été obligès de mettre à leur
premier Ouvrage un prix un peu plus
158 MERCURE DE FRANCE.
haut que n'eft celui qu'on met ordinairement
aux Estampes.
Les Sujets gravés par le fieur Floding,
font :
1º. Une Naiffance de la Vierge d'après
M. Monnet , dédiée à la Reine de
Suéde ; elle eft imprimée avec deux
Planches , dont la premiere fait le lavis
au bifter , la feconde le trait à l'imitation
de l'encre de la Chine , fur la demie
feuille d'Aigle . Prix , 4 liv.
2º. Une Bataille d'après M. la Rue ,
dédiée au Prince Royal de Suéde , imprimée
avec une feule Planche fur la
feuille entiere du grand Aigle. Son prix
eft de 6 liv.
3° . Un Corps- de-garde d'après M.
Boucher , dédié à M. l'Ambaffadeur de
Suéde. Prix 3 liv.
Apollon & Daphné , d'après le même
Maître ; dédiée à fon Excellence le Baron
de Scheffer , Sénateur de Suéde . Prix
4 liv. 10 f. Ces deux dernieres Eftampes
s'impriment chacune avec une feule
Planche fur la demie feuille du Colombier.
Elles fe trouvent chez le fieur Floding
, Graveur & Penfionnaire du Roi
de Suéde , rue l'Evêque , au Carrefour
des quatre cheminées , la troifiéme
porte cochere à gauche , chez Madame
Dérifeville .
AOUST. 1762. 159
Les morceaux gravés par le fieur
Charpentier , font:
•
1º. Perfée & Andromede , d'après M.
Wanloo , Premier Peintre du Roi ; dédié
à M. le Marquis de MARIGNY
imprimé avec deux Planches fur la demi
- feuille d'Aigle . Son prix eft de 4.
liv.
2º. Une Décollation de Saint Jean ,
d'après le fieur Guarchin ; dédiée à M.
De la Live de July , Introducteur des
Ambaffadeurs , d'une feule Planche fur
la demi - feuille de Colombier . Prixx.3
liv.
Elles fe vendent chez le Sieur Charpentier,
demeurant rue Clos -Georgeot,
chez M. la Male , Chirurgien . Ala premiere
inſpection des épreuves , il fera
aifé de connoître que cette Gravure eſt
d'une très - grande délicateffe , & que
par conféquent les Planches ne peuvent
fournir qu'un très - petit nombre d'épreuves
; c'eft pourquoi les Amateurs
font invités de s'en procurer promptement
des premieres .
४.९
160 MERCURE DE FRANCE .
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
SUITE de la Lettre d'un ancien Maître
des Ballets.
CONTR ONTRE ce que je propofe , de
» rendre les danfes théâtrales parlantes ,
» on objectera la difficulté d'exécuter
» ce projet , par la muette uniformité
» des caractères que les Sujets dramati-
» ques laiffent au Danfeur ; on
» demandera comment & par quels
» moyens on parviendroit toujours à
» ce but ?
me
" Je pourrois répondre ce qu'auroit
» probablement répondu Homère lui-
» même , à tout Poëte qui lui auroit de-
» mandé comment on feroit une Iliade .
" Il fe feroit contenté fans doute d'in-
» diquer les effets que doit produire un
» Poëme épique . Au furplus , il auroit
» pu dire à fes queftionneurs , étudiez ;
» apprenez tout ce qu'il eft poffible de
» fçavoir , relativement à votre objet ,
» qui eft de peindre prèfque toute la
» Nature phyfique & morale ; alors
A O UST. 1762. 161
» vous ferez en état de trouver par..
» vous-même ce que j'ai trouvé pour
» faire l'Iliade . Or il s'en faut bien que
» je fois un Homère en compofition de
» Ballets ; à plus forte raifon n'auroit-
" on pas le même droit de me preffer
» fur les moyens pratiques ; il fuffiroit
» quej'indiqu'affe le but , & que ce but
» fût inconteftablement celui de l'art ,
» pour que mon principe & les précep-
» tes qui en dérivent ne puffent être
" attaqués. En fe prêtant néanmoins à
l'objection , examinons fi elle eſt éta-
» blie fur la nature de l'art dont je
» parle.
"
Je conviens que dans les Opéra ,
» ces Peuples, ces éternels Bergers, ces
» Faunes , ces Prêtres &c. & c . tous Per-
" fonnages fi commodes aux Poëtes.
» pour plaquer un divertiffement à cha-
» que Acte , paroiffent la plupart du
» temps ne pas mieux appartenir à un
» Poëme qu'à un autre , & n'avoir rien
» autre chofe à faire qu'à remplir la
» formule préfcrite. Je fuis convaincu
» cependant qu'avec de l'étude , & fur-
" tout le génie convenable , l'un & l'au-
» tre appliqués à l'art des Ballets , tous
» ces Sujets fi uniformes pourront , en
162 MERCURE DE FRANCE.
"
» fe modifiant , fournir des diverfités
» innombrables.
Plufieurs circonftances diverfifient
» des Pofitions qui paroiffent les mêmes
» au coup d'oeil général . Un éxamen
» plus refléchi , y découvre des nuan-
» ces favorables. Par la recherche des
» Comment , des Pourquoi ( fi l'on peut
» s'exprimer ainfi ) on adaptera dif-
» tinctement au genre & même aux ac-
" tions de chaque Opéra , des perfonna-
» ges que l'on retrouve dans prèfque tous
» les autres. Il eft vrai qu'il feroit encore
plus facile aux Poëtes de préparer ces
» moyens , par le choix & par le tour
» de leurs Sujets,, dans le moment de
la création du Drame , qu'il ne l'eft
» au Maître de Ballets d'y fuppléer ; mais
» ce qui n'eft que pénible & difficile
» n'eft
" pas impoffible. Parcourons, pour
» le:
prouver , quelques -uns des caracteres
les plus généraux.
» Rien de fi commun au Théâtre
Lyrique , que des Peuples chantans
» & danfans. Un Héros triomphe des
» Peuples danfant. La Princeffe fe ma-
» rie ; il faut bien que le Peuple danfe
encore ; ainfi donc les Peuples danfent
toujours fur ce Théâtre. Rien
A O UST. 1762. 163
•
» cependant qui puiffe fournir au Maitre
de Ballets plus de variété dans ſes
» compofitions.
» Parmi les Nations anciennes & modernes
, il n'en eft aucune qui n'ait
fon caractére propre de danfes , &
" parmi ces Nations , il eft encore des
fubdivifions très-diftin &tives . Si nous
» ignorons plufieurs de ces genres de
danfe , propres à quelques Nations de
» l'Antiquité, que l'on faififfe les carac
» teres , les moeurs que l'hiftoire leur
» a affignés , on ne s'écartera que très-
» peu de la vérité particuliere qu'on
ignorera , parce que la Nature , la
» même dans tous les temps & dans
tous les lieux , quant à fes opérations
» générales , a infpiré une maniere de
danfe populaire à chaque Nation , relative
au climat , au génie national ,
& c. En tout cas , il y a lieu par-là
"" de faire paffer fous les yeux tous les
divers coftumes , & ce Spectacle feroit
en même temps auffi agréable
» qu'inftructif.
» D'ailleurs , indépendamment de ce
moyen général , il eſt encore d'autres
» circonftances à obferver ; par exemple
» les conjonctures dans lefquelles fe font
ce qu'on nomme les Divertiffemens.
164 MERCURE DE FRANCE.
» On ne diftingue prèfque jamais ceux
qu'un mouvement fubit amène , d'a-
» vec ceux que la vraisemblance per-
» met de regarder comme plus préparés
; ce qui produiroit néanmoins des
différences dans le genre & dans l'ef-
» péce , qui devroient être remarqua-
» bles & que le Compofiteur gagneroit
» à faire remarquer.
»
» Ce que je viens de dire des Peuples
» pourroit avec des modifications , s'ap-
» pliquer aux Bergers . Ces Êtres , pref-
» qu'imaginaires , ne forment point en-
» tr'eux une fociété particuliere qui foit
» la même dans tous les lieux & dans
tous les temps . Ils font partie de cha-
» que Peuple ; ils en repréfentent celle
» qui jouit le plus paiſiblement des plai-
» firs de la vie champêtre. N'y a-t-il pas
» de l'abfurdité à ne leur rien laiffer du
» Peuple auquel ils tiennent ? Si vous
» voulez ne les confidérer que poëti-
» quement , c'eft - à - dire comme ab-
» folument idéals , n'eft - il rien qui
» puiffe en faire diftinguer le carac-
» tere ? Les Bergers du Lignon doi-
" vent-ils être confondus avec les Ber-
" gers de Théocrite.
" En étudiant bien les Poëtes anciens,
" on fentira & l'on exprimera différenAOUST.
1762. 165
tes cfpéces de Faunes. On diftinguera
leurs actions & leurs jeux ; d'au-
" tant plus qu'au Théâtre , fous cette
» dénomination , on comprend les Sa-
» tyres que la forme donnée par la Fa-
» ble rendroit trop difficiles & fans
» doute ridicules à repréfenter. Une
» autre forte de Fête qui revient affez
» fouvent fur ce Théâtre , eft celle des
» Suivans de Bacchus. Rien peut-être de
» tout ce que la Poëfie a créé de chi-
» méres , n'eft auffi abondant en va-
» riétés ; & nous ne voyons communé-
» ment rien de plus uniforme. Cepen-
» dant , je me trouvois à Paris lorsqu'on
» y repréfentoit l'Opéra d'Enée & La-
» vinie , en rendant juſtice à la vérité ,
» j'ai vu peu de chofes en Ballet mieux
» conçu , mieux faifi & mieux exécuté
» qu'une Fête de Bacchantes qui étoit.
» dans cet Opéra. Cet exemple fuffiroit
» feul pour faire voir qu'en profitant
» bien de l'à propos , qu'en diftinguant
» avec jufteffe ce qui , dans un même
≫ genre , convient à l'action du Drame,
" on peut trouver fouvent du nouveau
» dans les caracteres les plus ufés . Celui-
» ci,par exemple, qui n'avoit prefque ja-
» mais paru que fous un feul & même
» point de vue , fut trouvé neuf , avec
166 MERCURE DE FRANCE.
"
"
-
» raifon ; il captiva le Spectateur , par
» une autre caufe encore plus raifonna-
" ble , c'est qu'il offroit la vérité , & de .
» la convenance avec le Sujet. Ce gen-
» re n'eft pas moins fufceptible de nou-
» velles variétés , fuivant la variété des
» occafions. Bacchus eft il imploré
» comme Dieu tutélaire ? Ce font des
» myfteres tout religieux que doivent
» exprimer les danfes de fes Prêtres ou
» de fes Initiés . Bacchus revient - il de
» la conquête des Indes ? Entreprend-
» il de confoler Ariane ? C'eft l'allégreffe
d'un courage de force & non
» de férocité , que l'on doit entrevoir
» dans l'éclat du triomphe ; c'eft me
≫ confiance fereine & gaie que refpirent,
» tous les suivans du Vainqueur. Que
» penfer du mal- adroit Compofiteur ,
» qui pour féduire Ariane expofercit
» en cette occafion tous les défordres de
" la débauche bacchique ? Au contraire ,
» confondant les circonftances , il ne
» manqueroit pas d'introduire les com-
" pagnons de Bacchus combattant dans
» les Orgies de fes Nymphes . C'eſt donc
» dans cette diftinction de circonftances
» que vous trouverez des reffources
» contre l'uniformité de notre Art, vous,
» mes chers Confreres, qui vous croyez
AOUST. 1762. 167
» de bonne foi des Maîtres de Ballet ,
» & qui peut- être néanmoins craignez
» déja en m'écoutant de n'être pas feu-
» lement encore des écoliers , en con-
» fidérant l'immenfe étendue de chofes
» qu'il faudra fçavoir:
» Un champ plus vafte encore va
» s'ouvrir à vos regards , fi , comme je
» le confeillerois , on recherchoit par
» l'étude hiftorique & Poëtique de
» l'Antiquité , les danfes & les ac-
» tions caractériſtiques , toujours mêlées
» à ces danfes , dans les rites de tant
» de cultes qu'avoit introduit le Poli-
» théisme. Ce n'eft pas tout ; nos Poëtes,
» à l'imitation des Grecs , employent
» les mêmes Prêtres , les mêmes Myf-
" tères , prétendus facrés , à diverfes
» fins & par des motifs différens , fe-
» lon les fituations ou les paffions de
» leurs A&teurs. Suivons toutes ces va-
» riétés , nous connoîtrons bien -tôt
» que l'on pourroît ne pas mettre un
» Opéra fur le Théâtre fans Prêtres
» pendant plufieurs années & faire
» néanmoins des Ballets pour ce carac-
» tère fans qu'aucun reffemblât à d'au-
» tres . Suivons plus foigneufement cet
objet , non pas arbitrairement & aų
"
» gré de notre unique invention , mais
168 MERCURE DE FRANCE.
prenons la vérité des ufages pour guide.
» Nous éprouverons deux chofes ; la
» premiere , que ce feul genre deman-
» de une quantité innombrable de recherches
, tant par foi-même que par
le fecours des gens éclairés & verfés
dans cette étude , pourvu toutefois
» que le goût en dirige l'application ;
la feconde , que par cette voie nous
» ferons étonnés de l'abondance des
» moyens qui fe préfenteront pour va
rier. On ne sçauroit croire combien ,
» en certaine matiere , parmi les hom-
>> mes la réalité des faits eft au-deffus
" de la fiction la plus étendue & la plus
» inventive.
,
» Tant d'erreurs, que peut-être le fié-
» cle prochain reprochera au nôtre
» avec mépris , font la fuite néceffaire
» de l'ignorance des chofes que je viens
» d'indiquer. Pour être impartial en fa-
» veur de mes Confrères , je ne dois
» paş être injufte à leur egard . J'en de-
» mande pardon à genoux au Maître que
» je refpecte , mais je ne peux pas dif-
» convenir que ce Maître , ce Public
» ſpectateur ne foit quelquefois de plus
" que de moitié avec les Compofiteurs
» de Ballets , dans ces petits écarts , que
»je nommeróis autrement fans la part
» qu'il
AOUST. 1762.
169
35
qu'il paroît y avoir. Je ne veux point
» manquer à ce Public , toujours infaillible
, dit-on ! dans fes goûts , & tou-
» jours refpectable ; mais il conviendra
» lui-même qu'il aime auffi fort notre
» Art aujourd'hui , que bien des gens
» aiment les femmes d'un certain état ;
» je veux dire non feulement à propo
» tion de ce qu'elles leur font perdie
» de raiſon , cela eft affez conféquent
» mais encore à proportion de ce qu'el-
» les manquent elles-mêmes de raifon ,
» de conduite & d'efprit ; cela ne me
"
>
paroît pas auffi conféquent. Je ne
» prendrai qu'un exemple , entre mille
" pour appuyer ce que je viens de dire .
» J'ai été témoin que dans un Opéra où
» l'on repréfentoit le plus augufte , le
» plus révéré des Myſtères dans la Re-
» ligion des Druides , les Spectateurs
» avoient trouvé fi ridicule une action
» qui exprimoit la vérité ou la fuffifan-
» te vraisemblance d'une partie de cette
» cérémonie , qu'on avoit été contraint
d'y fubftituer un Pas de trois Drui-
» des , vénérables par leurs vêtemens ,
» & plus encore par leurs longues bar-
» bes blanches , ces Druides › par les
» entrechats les plus brillans , par la
» danſe la plus haute & la plus pétu-
"
H
,
170 MERCURE DE FRANCE .
"
>
» lante ramenérent
fur eux , très-fé-
» rieuſement
, autant d'applaudiffemens
» qu'ils avoient éffuyé de ris moqueurs
,
» quand ils avoient craint d'être juſte-
» ment très-rifibles. Je n'ajoute rien à
» ce fait ; je le crois même conftaté
» dans les Faftes duThéâtre François.(a)
» Que demander
, dira-t- on , à ceux
» dont le premier devoir eft de plaire ,
» lorfque leurs Maîtres voyent ainfi ?
» Que l'on ne m'accufe point d'une hu-
» meur que je ne me permettrois
pas ,
" fije croyois bleffer l'inviolable
fou-
» miffion que nous devons au Public.
» Non , ce n'eft point à la fauffeté de
» fon difcernement
, qu'on doit impu-
» ter ces erreurs paffagéres
. Elles font le
» dangereux
effet d'une caufe très-flat-
» teufe , comme je l'ai déja dit. On aime
paffionnément
la danſe fur le Théâtre, » l'amour d'un art ou d'un talent en
» multiplie rapidement
les Connoiffeurs
,
» & par une inconféquence
affez bizar-
» re on voit affez fouvent , dans les Arts
» agréables
, fe refferrer le cercle des
» vraies connoiffances
à mesure que
>>
"
""
(a ) On préfume que l'Auteur entend parler des.
représentations du Prince de Noify , à l'occaſion
defquelles ce fait a été remarqué dans notre Mercure.
AOUST. 1762 . 171
» s'étend le cercle des Connoiffeurs . (b)
» Il faudroit une differtation pour dé-
» velopper cette vérité , & je la croirois
» déplacée dans cette Lettre . Notre art
» eft dans le cas dont je viens de parler
; la Mufique y eft encore davan-
» tage , auffi eft-elle encore plus mena-
» cée. Que cela ne décourage point
» ceux qu'un génie bien décidé porte à
» la vérité. Ce Public , toujours infailli-
» ble dans le réfultat de fes vrais juge-
» mens , lorfqu'ils ont été réfléchis , ne
doit jamais éffrayer la faine Raiſon ,
» ni allarmer le goût , lorfqu'accidentel-
» lement il érrera par la voix de quel-
» ques Affemblées qui le repréfentent ,
» mais qui ne le conftituent pas. Il y a
» 4 ou 5 ans que fur la Scène Françoife
» les Spectateurs auroient ri au nez de
» Cornélie , fi elle étoit venue préfenter
» l'Urne des cendres de Pompée fans
» de beaux gands blancs & fans être
» enfevelie dans le plus vafte des Pan-
» niers poffibles. Aujourd'hui Cornélie
» peut paroître en Dame Romaine , &
» Cornélie feroit trouvée ridicule autre-
(b) L'Auteur entend parler vraisemblablement
des faux Connoiffeurs qui fe piquent de fçavoir le
métier pour faire croire qu'ils connoiffent l'Art ,
avec lequel ils le confondent.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
ment. Pourfuivons donc nos progrès
» dans l'art de la repréſentation , indé-
» pendamment de ces petites confidé-
" rations , & revenons à nos Danfeurs .
"
"
» La Magie , l'Enfer , & tout ce
» qui peut y avoir rapport , étant ce
» qu'il y a de plus officieux pour les
grands effets en Mufique , depuis
» fur-tout que , dans cet Art , le grand
» bruit eft devenu le grand beau ; il y
» a peu d'Opéra où les Danfeurs n'ayent
» à s'exercer dans ce genre , devenu
» auffi pour eux le genre brillant aux
regards de la multitude. Ceci eft à la
» danfe ce que font les fureurs à l'art du
» Comédien. Plus il eft facile d'en im-
» poſer par-là , plus il y a de mérite lorf-
» que le raifonnement , & la fineffe du
» talent juftifient le preftige. Je com-
» mencerai par faire remarquer quel-
» ques abus généraux dans ce genre
» de danſe. Celui qui frappe d'abord
» eft fans contredit le même qui regne
» par - tout , la faftidieufe uniformité.
» Dans toutes les occafions , on fait à
» peu- près exécuter les mêmes chofes
» aux démons de toutes les efpéces , &
» plus encore ; c'eſt qu'il n'y a que les
» habits qui diftinguent d'avec eux les
» Magiciens . Les Puiffances évoquantes
» n'ont nul caractere diftinctif des Puif-
و د
AOUST. 1762 .
173
» fances évoquées , dans l'action de nos
» Ballets ; la confufion eft évidente . Un
» autre abus , fupérieur en déraifon à ce-
» lui -la , eft ce que j'ai cru appercevoir
» univerfellement pratiqué dans lepoint
» caractériſtique de ce genre de Danſes.
» Soit Démon , foit Furie , ou tout au-
» tre Être infernal , il eft conftant que
l'objet de l'action eft de tourmenter
» quelquefois , toujours d'éffrayer. Au
» contraire , toutes les attitudes , toutes
» les expreffions du Danfeur ne peignent
» que le fentiment de la plus grande
» horreur de ce qu'il voit & du plus
» violent effroi qu'il en éprouve. Que
» veulent dire autre chofe , d'après les
"
و د
>>
geftes de la Nature , ces mains éten-
» dues , ces ports de bras en avant du
» corps , ce corps renversé de côté ou
» en arriere jufqu'au dernier terme de
l'équilibre ; ces faults précipités en
fuyant ? En un mot , tout ce qui eft
» reçu par les Danfeurs , pour caractériftique
en ce genre , ne peint & n'ex-
» prime que la terreur paffive , au lieu
» d'exprimer l'action de l'infpirer aux
» autres. Il eft incroyable , quoique
» nous le voyions, que fur cela on n'ait,
» à force de talens , fait autre chofe de-
» puis long- temps , qu'ajouter pe nou-
""
و د
"
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
"
» veaux abus aux anciens. Il n'y a pour-
» tant méprife ici , que de la cauſe à
» l'effet , & de l'effet à la caufe . Les
Danfeurs modernes ne doivent pas
» croire que ce foit fur eux que porte
» l'amertume de mes remarques. La vé-
» rité atteſte à cet égard que ceux qui les
ont précédé , ont été peut- être encore
» plus loin dans cette carriere d'abfurdi-
» tés ; ceux mêmes dont avec juſtice , à
» d'autres égards , l'immortelle célébrité
» de leurs talens eft déja confacrée , ne
» fe font point écartés de cette ridicule
» pratique , ils ont prodigué au contrai-
» re toutes les reffources de l'art & tous
» les dons de la Nature pour en mieux
» appuyer l'extravagance.
"
» Je voudrois qu'à préfent nos grands
» Talens commencaffent par chercher
» des moyens oppofés à ceux que l'on
» pratique , pour rendre le véritable ef-
» fet des caracteres infernaux ; je vou-
» drois même que l'on aimât affez fon
» art , pour ne pas chercher à fe faire
» admirer aux dépens de l'eftime publi-
» que pour cet art. Il eft fenfible que
» fi le Spectateur prend quelque plaifir
» à tous ces efforts du Danfeur , en con-
» trefens , ce n'eft apparemment que
» parce qu'il ne juge pas la Danfe un
AOUST. 1762. 175
»
་
" art digne d'être foumis à l'examen.
» de fa raifon. Jufqu'à quand donc
confentirons - nous à faire l'objet uni-
» que de notre gloire , de partager la
» même attention & les mêmes éloges
" que l'on donne à ces animaux dreffés
» pour prendre toutes les plus belles &
» les plus fingulieres pofitions , dont la
» Nature a rendu leurs corps fufcepti-
» bles ? Il s'eft établi , un , concert de
» Faux entre le Danfeur & le Specta-
" teur; l'habitude fera que dès que le
» Danfeur agira avec plus de jufteſſe , il
» fera moins applaudi . Cela peut être
» d'abord; qu'importe : il faut avoir le
» courage de le rifquer. L'honneur de
» l'art eft toujours le feul dont puiffe
» véritablement s'honorer celui qui le
profeffe , & tous ceux qui ont fait
" quelques efforts pour l'étendre en
» ont toujours recueilli de la gloire pour
» eux-mêmes.
""
" Que nous ne confondions plus dans
» nos Ballets le Magicien qui évoque des
» Êtres hideux & terribles , & qui doit
» par-là être faifi d'horreur de ce que
" İ'yvreffe de fon imagination lui repré-
» fente , avec ces mêmes Etres qui occafionnent
en lui ce fentiment ; que
»-nous n'imaginions plus que des Dé-
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
» mons doivent ne peindre leur puiffan-
» ce que par l'effort de leurs faults ; que
» des gambades font les moyens les
» plus éfficaces pour éffrayer ou pour
» tourmenter les humains. Nous nous
rapprocherons alors de la vérité ; nous
» rapprocherons le Public d'une confi-
» dération dont notre art n'eft point indigne
, & nous oferons invoquer les
» lumieres dont la critique honore tous
» les autres arts.
גכ
»
» Pour découvrir autant de variétés
» au moins dans ce dernier caractere gé-
» neral de nos Ballets que dans les pré-
» cédens , je n'ai que le même moyen
» à indiquer ; je puis donc me flatter
» de la sûreté de mon principe , puifque
» fon application eft également propre
» à toutes les parties de la matiere que
» je traite. Ce moyen fera toujours la
» diftinction des circonftances & celle
» des différentes efpéces de ces Êtres ou
"
ود
"
magiques ou infernaux ; car en ce
» genre , l'invention fabuleufe tient la
place de la vérité à l'égard des Étres.
réels ; elle a établi des coftumes , des
» actes différens , fuivant les divifions
» de ces chimeres ; & dans la magie ,
» l'extravagance humaine a fourni abon-
» damment aux Poëtes des Canevas , fur
"
A O UST. 1762. 177
"
lefquels ils ont conftaté des ufages
» dont il n'eſt pas permis de s'écarter
» fans renoncer au vrai de l'imitation .
» Tout dépend d'étudier , de connoître
» toutes ces différences , de puifer dans
» les fources qui les fourniffent ; on fera
plus occupé de pouvoir employer tou-
» tes ces variétés , qu'embarraffé pour
» en trouver , comme on l'eft aujour-
» d'hui.
"
33
» Je n'ai parcouru jufqu'à préfent
» que fuperficiellement les Sujets les
plus ufités dans nos Ballets Dramati-
» ques ; les bornes d'une lettre m'y ont
obligé ; je me permettrai une feule
»propofition de moyen ; propofition
» relative au genre dont il eft queftion ,
» & fur un Sujet qui eft encore récent
» dans la mémoire du Public.
33
ور
» Le troifiéme Acte d'Armide , ce
» chef - d'oeuvre d'invention Poëtique
» fi admirablement fecondé par le gé-
» nie du Muficien n'a paru jufqu'à
».préfent , & même à la derniere repri-
» fe de cet Opéra , qu'une espéce de
»fervitude pour la Danfe , afin de rem-
و د
,
plir les fymphonies qui coupent le rôle
» de la Haine ; on eft autorifé à le pen-
» fer ainfi , par la façon dont ce Baller
» a toujours été traité , Comment en effet
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
و د
رو
exprimer par la danfe un Acte auffi
métaphyfique que celui de fubftituer
» dans le coeur d'Armide le Sentiment
» de la Haine à celui du plus ardent
" Amour ? Les Gargouillades , les Pi-
» rouettes , les Entrechats & c. ont - ils
»
quelqu'analogie avec cette action ?
>> Pour prouver que dans les occafions
"les moins favorables en apparence ,
» on peut trouver , en étudiant bien un
» Poëme , des reffources fort riches , &
» fouvent un travail tout tracé , lifons
» feulement , écoutons ce que chante
» la Haine dans fon invitation : Plus
» on connoît l'Amour & plus on le détefte.
Détruifons fon pouvoir funefte ;
» Déchirons fon bandeau , &c.
و د
» Nous trouverons, pour les Danfeurs,
» fuivans de la Haine, plufieurs actions à
" faire fous les yeux d'Armide préfente ,
telles de déchirer avec fureur enque
» tr'eux un bandeau , de renverser un
» carquois , de s'en diftribuer les flé-
» ches , & de les brifer en diverſes ma-
» nieres l'extinction du flambeau de
» l'Amour , pourroit produire feul un
» Ballet figuré en mille manieres diffé-
» rentes ; le jeu de ce flambeau avec
» ceux des Furies , après l'avoir pré-
» fenté à Armide ; tout enfin produiroit
AOUST. 1762 . 179 :
« la plus féconde matiere d'un Poëme
» entier en danfe. Je demande que l'on
parle de bonne foi , fi un tel fpectacle
» n'occuperoit pas davantage & plus .
» convenablement l'efprit & les yeux ,.
» que les répétitions multipliées des
" mêmes Pas & des mêmes Figures ,
>>-quelque beauté qu'on puiffe leur fup-
» pofer ? $
Ce que je viens de remarquer fur .
» ce Ballet ,d'un des Actes d'Armide ,
" peut fans contradiction fe dire & s'e-
"-xécuter fur prefque tous les autres
» Poëmes où l'on ne trouve jamais qu'à
» danfer.
+
» Pour ne pas excéder l'étendue
que
je me fuis préfcrite dans cet Ecrit , je
» n'ai pu entrer dans aucuns détails , fur
" une infinité d'autres caractéres
. J'en
» ai dit trop pour ceux de mes Con-
» fréres qui ne font pas difpofés à en-
» tendre les confeils que je leur adref-
»fe ; j'en aurai dit affez pour ceux qui
» auront fenti comme moi que la
» danfe peut devenir un art , & avoir
» des régles & des principes
généraux,
» communs
avec la Poëfie , la Mufique
» & la Peinture. En un mot , le Maître
» de Ballets a des moyens animés pour
>> rendre ce què les autres ne peuvent
,
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
» exprimer qu'avec des moyens artifi
» ciels . Mais je ne peux trop le répéter ,
» il faut que le Danfeur ne s'en tienne
» pas à fe perfuader qu'il ne doit céder
» en rien au Poëte ni au Peintre ; il faut-
» qu'il devienne en effet lui- même Poëte
» & Peintre dans fa danfe.
"
و و » Si par les confeils que je publie au-
» jourd'hui , je pouvois me flatter que
" le Public devînt un peu plus difficile
» fur les Ballets, ceux qui les compofent
» & ceux qui les exécutent doivent m'en :
fçavoir bon gré , parce qu'ils en de-
» viendront beaucoup meilleurs .
"3
J'ai l'honneur d'être &c . ,
P. A. N. ancien Maître des Ballet.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Mufique a
mis au Théâtre , le Mardi 20 Juillet, des
Fragmens, compofés de la Guirlande out:
les Fleurs enchantées , A&te de Ballet ,
Poëme de M. Marmontel , Mufique de
M. Rameau , précédé du Prologue des
Indes Galantes & de l'Acte des Sauvages.
L'Acte de la Guirlande a été repré
AOUST. 1762. 181
fenté , pour la premiere fois , le 24 Septembre
1751 ; quoique les Livres de
paroles indiquent le 21 ( a ) . Il fut trèsbien
reçu alors , & réuffit pleinement ,
quant au Poëme , & quant à la Mufique
; on a donné dans le temps l'Analyfe
de cet Acte , dont on a même tranf
crit prèfque tous les Vers ( b ) .
Ce Ballet femble avoir été encore
mieux fenti à cette Reprife. Le Public ,
fi prévenu contre les Scènes depuis certaine
convulfion de goût , paroît attaché
à celle de cet A&te qui lui arrache
des applaudiffemens. Mlle le Mierre y
chante le rôle de Zélide ; elle y plaît ,
elle y enchante , non feulement comme
Cantatrice , mais comme Actrice . M.
Pilot , qui y chante le rôle de Mirtil , y
fatisfait les Auditeurs , quoiqu'il y ait
beaucoup de chant dans ce rôle , & que
l'on puiffe fe fouvenir encore de M. Géliote
, qui l'a exécuté dans fa nouveauté .
Le Ballet eft nombreux & agréable ;
Mrs Lani , Gardel , & Mlles Lyonnois
Vefiris & Guimard , font les principaux :
Sujets qui y danfent.
Mlle le Mierre chante dans le Prolo-
( a ) Voyez le Mercure d'Octobre 1751 , ой
l'on parle de cette repréſentation.
( ) V. le Mercure de Novembre 175IA
182 MERCURE DE FRANCE .
gue , Mlle Dubois dans l'Acte des Sauvages.
Dans ce même Prologue , Mlle
Peflin & M. d'Auberval danfent l'Air
Polonois , & font plaifir. Mlle Allard
danfe l'Air des Sauvages , & deux Tambourins
dans l'Acte qui en porte le titre.
M. Gardel , dans ce même Acte , y danfe
feul la belle Chaconne que l'on connoît
, & à la fin un Pas de deux avec
Mlle Allard. Nous ne nous étendons:
pas davantage fur un Ouvrage dont la
célébrité eft fi bien établie , non plus:
que fur des talens , pour l'exécuter , qui
font en poffeffion des fuffrages publics.
COMÉDIE
FRANÇOISE.
EPUIS notre dernier Volume de
Juillet , on n'a rien donné de nouveau
fur ce Théâtre dont nous ayons à rendre
compte . Nous croyons que nos Lecteurs
trouveront cet article convenablement
rempli par l'hommage que rend
un Auteur couronné à l'Actrice qui a
le plus contribué à fon triomphe.
fi
AOUST. 1762. 183
VERS à Mlle CLAIRON , par l'Auteur
de la Tragédie de ZELMIRE.
AINSI de tes talens le pouvoir enchanteur ,
De l'aveu de l'efprit , ſe rend maître du coeur !
Mère du Sentiment & fille du Génie ,
Quand ta voix nous contraint à pleurer , à frémir,
Cette raifon fublime à tes tranſports unie
Rend à l'âme en fecret compte de fon plaifir.
Ton noble enthouſiaſme & le goût qui l'épure
Loin des bornes de l'art vont faifir la nature.
O divine Clairon , c'eſt ce charme vainqueur
Que la France idolâtre & que l'envie admire ,
C'eſt lui qui , par tes mains , embelliffoit Zelmire.
Je ne m'éblouis point de mon frêle bonheur ;
Ne crois pas qu'en fecret mon orgueil fe couronne
Des lauriers éclatans que ta gloire moiſſonne :
L'Actrice en laiſſe à peine une feuille à l'Auteur.
Que dis- je ? fijamais de l'ardeur immortelle ,
Dont un fils d'Apollon fent pénétrer fon coeur j
Mes vers pouvoient offrir quelque trace fidélle ;
J'en devrois à tes yeux la premiere étincelle .
Ces yeux , où brillent confondus
Le feu des paffions & celui des vertus ;
Où le peint l'héroïſme avec des traits de flâmes
184 MERCURE DE FRANCE.
Oùfemblent refpirer toutes les grandes âmes .
Le Père de Cinna , pour tonner dans nos coeurs ,
A repris dans le tien une nouvelle vie ;
Tu lances fes foudres vainqueurs
Ton gefte , ton regard eft l'éclair du Génie.
Quelquefois .... ( mais à peine on croit en la
voyant
Cette raviffante merveille , )
Ton filence eft plus éloquent
Que les vers même de Corneille.
Eh quel amant des Arts peut t'entendre & te voir
Sans que d'un doux tranſport il ſe ſente émouvoir
;
Sans qu'une ardeur rapide , une ivreffe brûlante
Vienne porter dans fes efprits
Et la flâme & le Dieu dont les tiens font remplis ?
Ah ! ton feul fouvenir , ton image vivance ,
Que mon coeur à mes yeux rendoit toujours préfente
,
Dans les glaces du Nord embraſoit tous mes fens.
Pour faire mieux parler Zelmire
Je me la figurai fous tes traits féduiſans ;
Je la voiois en toi , j'entendois tes accens :
Moâme s'élevoit par cet heureux délire .
Dieux ! qu'avec intérêt Minerve nous inſpire
Les vers que tu dois prononcer.
Elle fait toujours mieux penfer
Ce quelle doit t'entendre dire.
AOUST. 1762. 185
COMÉDIE ITALIENNE.
LA JEUNE GRECQUE , Comédie
remife au Théâtre , à été continuée
avec applaudiffemens , & a toujours paru
faire plaifir au Public . Le 24 Juillet
elle avoit été donnée fix fois . ( a )
Sancho-Pança dans fon Ifle , Opéra
Bouffon en un Acte , a été interrompu
après la quatriéme repréſentation ,
par l'indifpofition de M. Caillot qui y
jouoit le principal rôle ; plus la Mufique
de cette Piéce a été entendue , &
plus elle a été applaudie ; le Public l'a
décidée digne de foutenir la réputation
que M. Philidor s'étoit juftement acquife
par fes Ouvrages précédens (b) .
( a ) Cette Comédie , en vers , eft fi agréablement
écrite que nos Lecteurs nous fçauront gré
de leur en avoir indiqué l'impreffion , à Paris ,
chez Duchefne Libraire rue S. Jacques , au Temple
du Goût. Prix 24 f
ib
Au précédent
Mercure
, nous fommes tombés
dans deux erreurs , à l'égard du titre de
cette Piéce , contre lefquelles
l'Auteur
des Pa- roles reclame
: il eſt juſte de ſe rectifier . 1º . trom- pés par l'étendue
du fujet , par le nombre
des Scénes , encore plus par un changement
de lieu
avec intervalle dans l'action ; nous avions cru cette
186 MERCURE DE FRANCE.
Le 16 Juillet on a repréfenté pour
la premiere fois la Vengeance généreufe
, Comédie Italienne en 3 Actes ; mêlée
de Scènes Françoifes. Elle a cutrois
repréſentations .
Le 22 du même mois on a donné la
premiere repréſentation des Soeurs Rivales
, Comédie en un A&te , mêlée
d'Ariettes. Les paroles de M. de la Ribardiere
; la Mufique de M. Desbroffes ,
Acteur du Théâtre Italien .
Cette petite Piéce , dont la repréſentation
n'avoit point été annoncée longtemps
auparavant dans le Public , a été
très- bien reçue ; elle eft fort applaudie
& continuée avec fuccès.
La Mufique en a été trouvée très-
Pièce en deux Actes , fans faire attention qu'en
effet elle étoit affichée en un Acte. 2 ° .Pour l'intelligence
de ceux qui n'ont pas voyagé en Italie , nous
avions annoncé que cette Piéce étoit dans le genre
des Opéras Comiques modernes , ce qui eft vrai :
mais il ne l'eft pas moins qu'elle eft intitulée ,
Opéra Bouffon fur l'affiche , & nous devons en
informer nos lecteurs . Nous ne laifferons jamais
fubfifter d'obſcurité ſur les moindres faits relatifs
aux anecdotes Théâtrales. Il feroit à defirer
fouvent , pour la fatisfaction du Public , qu'il
fût auffi facile à tous les Auteurs des Piéces , de
reconnoître & de corriger leurs erreurs , qu'il
nous l'eft de les fatisfaire en reconnoiffant & en
corrigeant les nôtres .
K
AOUST. 1762. 187
agréable , chantante & ingénieufement
travaillée ; la fcience de l'art femble n'y
avoir été employée qu'au profit du goût
pour en rendre les chants plus naturels ,
fans que les accompagnemens y foient
négligés ; ils fecondent partout le Sujet ,
mais ils ne l'étouffent jamais par le poids
du travail muſical . Ce jugement eft celui
que nous avons recueilli d'après le
fentiment général .
La Comédie des Saurs Rivales eft
affez plaifamment intriguée pour produire
de l'amufement ; elle est écrite
fimplement , mais fort bien coupée pour
les jolis airs dont elle eft enrichie : voici
quel eft le fujet du Drame.
Colette & Babet , filles de Lucas , riche
Fermier , ont pour Amans deux
frères Officiers d'un Régiment en garnifon
dans le Pays , & nommés Dorimon.
Les deux frères ont conduit leur
intrigue avectant de fecret , qu'ils n'ont
point fçu qu'ils étoient amans des deux
Soeurs , & chacune des Soeurs a de même
ignoré que fon Amant eût un frère.
Les deux Dorimon ayant écrit chacun
à leur Maîtreffe , & ayant chacun
figné la lettre de leur nom , il eſt arrivé
que les deux lettres font tombées
entre les mains de Lucas , qui ne
188 MERCURE DE FRANCE.
fçachant pas la double intrigue , ouvre
la Scène , en faifant des reproches à fes
filles , fur leur imprudence d'aimer toutes
deux un Officier qui ne cherche
qu'à les tromper ; ce qu'il prouve en
faifant voir les Lettres qu'il a interceptées
& qu'il croit de la même perfonne.
Après qu'il eft forti ; les deux foeurs , en
raifonnant fur cette avanture , fe perfuadent
être toutes deux amoureufes du
même Dorimon , & dans cette fuppofition
fe traitent en rivales. L'aînée fort ;
& pendant que la cadette réfléchit fur
cet incident , Dorimon le jeune arrive ;
elle fe plaint à lui de fa prétendue infidélité
; Dorimon ſe juſtifie . Cette Scène
eft interrompue par l'arrivée de Lucas ,
conduit par l'autre foeur , l'Amant fe
fauve ; Babet refte feule exposée aux
réprimandes de fon pére qui l'emméne
avec lui. Colette étant feule fe promet
de pouffer auffi loin qu'elle pourra fa
vengeance contre fa four. Lorfque Dorimon
l'aîné arrive , Colette croyant que
c'eft lui qu'elle a vu parler à Babet , l'accufe
d'infidélité. Dorimon ne fçachant
ce qu'on lui veut dire , eft prêt à ſe fâcher
à fon tour , quand Lucas furvient
une feconde fois , conduit par Babet ,
qui prend ainfi fa revanche du tour qu'on
lui a joué à elle- même. Babet reconnoît
AOUST. 1762. 189
fa méprife & foutient à fon père que ce
n'eft pas là Dorimon . Colette & Dorimon
foutiennent le contraire . Ainfi Luacs ne
fçait plus qu'en croire . Alors paroît
l'autre Dorimon. Chacune des foeurs reconnoît
fon Amant , & tous quatre fe
réuniffent pour obtenir de Lucas le
confentement à leur mariage. Lucas fe
fait prier quelque temps , & enfin confent
à tout , charmé de l'occafion de
s'allier mieux qu'il n'auroit ofé l'efpérer.
CONCERT SPIRITUEL.
LESES Nouveaux
Directeurs fe difpofent
à donner leur premier Concert le
15 de ce mois , Fête de l'Affomption.
A deux grands Motets nouveaux , qui
doivent faire le fond de ce Concert ,
ils doivent joindre tout ce qu'il leur
fera poffible de raffembler de plus propre
à fixer & à fatisfaire l'attention .
Déterminés à n'adopter exclufivement
aucun genre de Mufique , ils annoncent
& promettent qu'ils feront leurs efforts
pour fe conformer aux différens goûts
de tous les Auditeurs à chaque Concert.
On croit qu'ils prennent auffi des
mefures pour ajouter à la décoration
de la Salle de nouveaux embelliffemens.
190 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VI.
SUITE des Nouvelles Politiques du
premier Vol. de Juillet.
LEURS MAJESTÉS T C. & C. ne peuvent point
regarder , comme une marque de confiance &
d'amitié de la part du Roi T. F. le filence obfervé
par fon Ambaffadeur à Madrid au ſujet des
préparatifs de guerre qui fe dirigeoient vers les
frontieres du Portugal . Ce filence a dû au contraire
donner lieu dès le commencement aux
foupçons , qui malheureuſement ne fe vérifient
que trop aujourd'hui , que S. M. T. .F préfére à
leur union celle du Roi Britannique. En effet , fi
Elle eût été dans d'autres fentimens , Elle auroit
demandé , comme il convient à une puiffance
amie , quel étoit l'objet de ces préparitfs ; Elle auroit
cherché à entamer une négociation que la
prudence ne permettoit pas à LL. MM . C. & T.
C. de demander fitôt , de peur que leurs vues ne
fuffent dévoilées par la Cour de Lisbonne à celle
de Londres , qui poffédoit & qui poffède encore
toutes les affections. Il eft für que la Cour de
Lifbonne avoit pris fecrètement le parti , fur lequel
elle eft contrainte aujourd'hui de ne plus diffimuler.
L'indifférence apparente avec laquelle elle
voyoit les frontieres bloquées & infeſtées de troupes
, (pour nous fervir de fes expreffions) , lui
fervoit à mafquer les démarches qu'elle faifoit
faire à Londres , pour y folliciter des fecours ,
pendant qu'elle gardoit le filence à Madrid , &
AOUST . 1762 . 191
elle oppofoit ainfi des préparatifs cachés à des
préparatifs ouverts & publics.
Malgré toutes les déclamations par lesquelles
la Cour de Lisbonne cherche à faire voir que
fa neutralité ne différe point de celle qu'obfervent
les autres Puiffances , & qu'il n'y a point de
droit pour leur faire violence , il faut qu'elle fe
défabule à ce fujet. Aucune Puillance impartiale
ne conviendra avec elle de cette affertion , dès
qu'on fongera aux maux éprouvés par l'Espagne
dans les guerres précédentes avec les Anglois ;
& S. M. T. F. fi fa rupture avec L. MM, C.
& T. C. attire fur Elle les maux qu'elle
de ne point craindre , & étant unie
tannique , aura peut-être lieu de fe reprocher
d'avoir pû les éviter au jugement de la partie
la plus faine & la plus judicieufe de l'Europe.
ecte
Bri-
Puifque S. M. T. F. fait fi mal à propos confifter
fa gloire & celle de fa Couronne , non à
fecouer le joug réel des Anglois , mais à empêcher
les troupes Espagnoles d'entrer en Portugal
, où elles ne viennent que pour le défendre
& le fecourir , LL. MM. C. & T. C. font auffi
confifter leur gloire & celle de leurs Couronnes
à l'entreprendre , & Elles la foutiendront avec
une ardeur & une perfévérance égales en tous
points à celles dont S. M T. F. fait parade en
difant qu'Elle ne renoncera jamais à cette prétendue
gloire , & qu'Elle verroit plutôt renverfer
la derniere pierre de fon Palais , & fes Sujets
verfer la derniere goute de leur fang .
Enfin comme le Roi T. F. dans l'alternative
qui lui a été proposée , a préféré de réſiſter aux
troupes Efpagnoles , & de les regarder comme
des troupes ennemies qui fe préfentent pour
entrer dans fon Royaume , plûtôt que de les
192 MERCURE DE FRANCE .
recevoir comme des troupes amies , & qu'ainfi
il a choi l'inimitié de LL . MM . C. & T. C.
de préférence à leur amitié , il devient très-inutile
& trèss-
peu convenable , que les fufdits Ambaffadeur
d'Espagne & Miniftre Plénipotentiaire de
France reftent auprès du Roi T. F. C'eft pourquoi
ils le fupplient de vouloir leur faire expédier
les palleports néceffaires , pour qu'ils puiffent le
retirer fur le champ chacun à leur Cour.
1
A Lisbonne , le 23 Avril 1762.
FIN de l'EXPOSÉ des motifs de l'entrée des troupes
Espagnoles dans le Portugal.
MÉMOIRE de S. E. Dom Louis de Acunha en
réponse au précedent , & par lequel il offre à
Dom Jofeph Torrero & à M. Jacques Odunne
les paffeports qu'ils lui ont demandés.
E
N réponſe au Mémoire préfenté le 23 du préfent
mois d'Avril par S. E. Don Jofeph Torrero,
Ambaſſadeur du Roi Catholique , & par M. Jacques
O-Dunne, Miniftre Plénipotentiaire du Roi Três-
Chrétien . Louis de Acunha leur fait fçavoir
par l'ordre du Roi Três - Fidéle fon Maître :
« Que S. M. lui a expreflément recommandé
» de n'employer aucune des expreflions dont
» le Mémoire fufdit eft rempli , qui lui paroiffent
>> trop vives & inufitées entre des Souverains , &
qui d'ailleurs font abfolument étrangeres au
» fond de l'affaire dont il s'agit ; & qu'Elle n'y
» a vû aucune idée nouvelle qui pût ouvrir les
"
voies d'une négociation , & faire prendre à
» S. M. des réfolutions différentes de celles
» qui ont été communiquées aux fuldits Am-
» bafiadeur & Miniftre dans les réponſes du
Secrétair
>
A O UST. 1762. 193
» Secrétaire d'Etat , en date du 20 Mars dernier,
» & du du préſent mois d'Avril.
» Que la rupture ouverte , dont les mêmes
» Miniftres alliés viennent de faire l'aveu dans
→ des termes fi clairs & fi pofitifs , n'a pas cauſé‹
» la moindre furpriſe à Sa Majefté , d'autant
» qu'Elle a vû que la premiereouverture de cette
» négociation , dont il n'y a point d'exemple , fe
» réduifoit à notifier à S. M. T. F. par le pre-
» mier Mémoire du 16 Mars dernier , qu'il étoit
» décidé entre les Cours de Verfailles & de Madrid,
fans que S. M. T. F. en eût eu la moindre
» connoillance , de rendre le Royaume neurre
» de Portugal le théâtre d'une guerre ; d'obli-
» ger S. M. à fouffrir tranquillement que fes
» Provinces & fes Ports fuffent occupés par les
>> armées Efpagnoles ; de lui déclarer qu'à cer
» effet lefdites armées étoient déjà fur les fron-
ל כ
tieres de fon Royaume ; & encore par- deflus
» tout cela de lui fignifier auffi qu'Elle eût non-
» feulement à rompre tous les traités de paix
» & de commerce avec l'Angleterre , mais même
» à déclarer à cette Couronne une guerre offen-
»› five ; d'autant auffi que , pour annoncer toutes
» ces réfolutions à S. M. loin d'employer un
langage modéré & capable de la perfuader,
» on avoit cherché au contraire à lui faire en-
» tendre par les expreffions les plus vives & les
» plus fortes , que l'on n'avoit point envie de
» négocier , mais bien plutôt de rompre ; d'au-
» tant enfin que S. M. T. F. s'eft vue confirmer
> encore toutes ces chofés , par le fecond Mé-
» moire que les fufdits Don Jofeph Torrero &
» Don Jacques O- Dunne ont préſenté le 1. de
» ce mois , où il étoit déclaré que S. M. C. avoit
» donné les derniers ordres pour que fes troupes
3
I
194 MERCURE DE FRANCE.
» entraffent dans ce Royaume , fans attendre à
» ce fujet d'autre réponſe ou confentement de
» S. M. T. F.
24
!
Que S. M. fait confifter tout fon honneur
» & toute fa gloire à être fidele à fa parole
» Royale , aux engagemens de fa Couronne
» & aux fentimens de Religion & d'humanité
» qui lui défendent de fe porter à faire une
guerre offenfive à quelque Puiffance que ce.
fait , même quand elle lui feroit indifférente,
» & quand elle ne lui feroit point alliée par des
» Traités réciproques , qui fubfiftent depuis, un
fiecle , tels que ceux de S. M. avec la Cou
» ronne d'Angleterre.
>>
» Qu'on n'a point rendu à LL. MM. C. &
» T.C. un compte fidele des réponſes données
par la Cour de Portugal les 20 Mars dernier ,
» & du préfent mois d'Avril , fi on leur a dit
qu'il y eûr quelque point de ces réponses , que..
» l'on pât interpréter comme un aveu de la
» part de S. M. T. F. que l'Angleterre lui eût
» donné fujet de rompre les anciens Traités.
» défenfifs dont il s'agit ; étant au contraire
» très certain que S. M. devoit à la Couronne
» de la Grande-Bretagne toute la bonne corref
"pondance , qui eft la fuite naturelle de ces
» mêmes anciens . Traités.
Que S. M. T. F. en même temps qu'Elle
a la plus haute idée du pouvoir & de l'amitié
» de LL. MM . T. C. & C. croit qu'indubitable-
›› ment LL. MM. fufdites feroient les premieres
» à défapprouver dans la conduite de S. M. une
» démarche comme celle de rompre fa neutra-
» lité , pour faire une guerre offenfive à fes Alliés,
étant avec eux dans les termes qui ont été
>> rapportés.
.
<t
AOUST. 1762 . 195
Que S. M. ne voit aucune différence entre
» la neutralité & celle des autres Puiflances , G
» ce n'eſt dans la maniere dont les frontieres
» fe trouvent attaquées , ce qui a été fait lans
» aucun fujet , & feulement parce qu'on s'eft
» perfuadé qu'il couvenoit aux deux Cours de
» Verfailles & de Madrid , que le Portugal rompit
avec l'Angleterre tous les liens qui les
>> uniffent ainfi qu'on vient de le voir. Qu'il
eft inconteftable que la feule raifon de l'in-
» térêt , lorfqu'elle n'eft foutenue d'aucun titre
» légitime , n'a jamais autorifé les Puitlandes
Belligérantes à attaquer celles qui , fe trouvant
>> neutres , jouiffent des douceurs & des avan-
» tages de la paix .
"
ور
د ب
ود
ود
t
Que S. M. fouhaiteroit que le reproche qu'on
» lui fait de n'avoir point porté de plaintes ,
» lorfqu'Elle a vû fes frontieres bloquées & in-
» feftées de troupes , ne für pas auffi bien fondé
qu'il l'eft dans les Mémoires fufdits du 16
» Mars & du i de ce mois , où l'on a déclaré
» en termes exprès & nullement équivoques ,
» qu'il avoit été réfolu dès le temps de la ftipu
» lation du Pacte de Famille , d'infefter de
» troupes & de bloquer les fufdites frontieres
» pout envahir & occuper ce Royaume . Que
» ce font des termes , par lefquels il eft fenfible
que le Portugal ne devoit ni demander ni
>> attendre des fecours des mêmes Cours qui
s'étoient liées pour l'attaquer , & que le feu
» caché avoit toujours été du côté où l'on avoit
réfolu d'attaquer offenfivement , & non de
> celui où l'on n'avoit fait , comme on le fait
encore , que s'efforcer de fe défendre , & de fe
« maintenir dans un état de Paix, que l'on fe croit
Iij
196 MERCURE DE FRANCE.
affuré par le Droit Divin , ainfi que par celui
>> de la nature & des gens.
בכ
Que , fi S. M. C. avoit été informée fidélement
de ce qui s'eft paffé dans toutes les-
» guerres antérieures , Elle verroit qu'il y a
beaucoup de profit & d'avantages à retirer, &
» en une infinité d'occafions , pour la Couronne
& pour fes Sujets , de cette Paix inféparable
de la neutralité de S. M. T. F. qu'il y en a
» eu des preuves dont la mémoire doit être
» encore bien récente à Madrid , & que la Couronne
d'Angleterre n'a pas été la feule qui ait
» profité de la neutralité & de la paix du Por-
» tugal.
>> Que S. M. entend enfin , que , pour défendre
» fon Royaume contre des invafions , Elle a le
» même droit que le plus fimple Particulier, &
» que l'on ne peut pas le difpenfer de défendre
>> fa propre maifon contre quiconque veut y
> entrer de force.
ם כ
ور
» Et que S. M. fe réduifant à ce feul point
» de défenſe naturelle de fa neutralité & de la
Paix de fes Royaumes , de fes Ports & de les
Sujets , Elle fera tout ce que fes forces &
» celles de fes Alliés lui permettront , fi , malgré
tout ce qui vient d'être dit , Elle fe voit attaquée.
Elle a donné à la Secrétairerie d'Etat
les ordres nécelfaires , pour que l'on expédiât
2 à S. E. Don Jofeph Torrero & à M. Jacques
» O-Dunne, les palleports accoutumés , auffi- tôt
» qu'ils les enverroient demander , & pour que
» l'on dépêchât auffi des Courriers à l'Ambaffa-
» deur Don Jofeph de Silva Paçanha & au Miniftre
Pedro da Cofta de Almeyda , avec ordre
» de quitter, l'un la Cour de Madrid , & l'autre
>> celle de Verſailles , de la même maniere
AOUST. 1762 . 197
» qu'il aura été pratiqué ici par les fufdits
» Ambaſſadeur du Roi Catholique & Miniftre
» Plénipotentiaire du Roi Très - Chrétien.»
Au Palais d'Alcantara , le 25 Avril 1762 .
DON LOUIS DE ACUNHA.
LETTRE qui accompagnoit le précédent
Mémoire.
M. Pour éviter à V. E. autant d'embarras
qu'il m'eft poffible , j'ai l'honneur de lui envoyer
la réponse au Mémoire qui m'a été remis le 23
de ce mois au foir par V. E. & par le Miniftre
Plénipotentiaire de France , & je vous prie de
vouloir bien faire part à ce Miniftre de la Réponfe
fufdite, qui vous doit être commune à l'un &
à l'autre.
Les Paffeports, qui m'ont été demandés ce matin
de la part de V. E. & du fufdit Miniftre Plénipotentiaire,
font actuellement à l'expédition , &
ils feront délivrés quand on viendra les chercher
de la part de V. E. & de M. O- Dunne.
Jeferai toujours charmé de convaincre V. E.
de mon empreffement à la fervir. A Alcantara le
25 Avril 1762 , &c. DON LOUIS DE ACUNHA.
Nota, A la troifiéme Piéce de ce Manifeſte ,
derniere phrafe du troifiéme paràgraphe , au lieu
de ces mors , Que les ennemis font bien voir, &c.
il faut lire, Que leurs ennemis connoiffent affez
la bonne foi de ces difpofitions , en cas qu'ils
veuillent en profiter.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE .
Nouvelle's Politiques qui devoient entrer
dans le II. Volume de Juillet.
ON a
De PETERSBOURG , les Juin.
Na remis ces jours ci à tous les Miniftres accrédités
, excepté à ceux de France & d'Espagne ,
une Note portant ce qui fuit: » comme les circon-
» ftances pourroient demander que l'Empereur
..
fe rendit à fon Armée , pour la commander en
» perfonne , Sa Majefté Impériale a ordonné de
prévenir Meffieurs les Miniftres Etrangers ,
qu'Elle defireroit qu'ils y accompagnaffent la
›› Cour. Ceux de leurs Majeftés Très- Chrétienne
& Catholique n'ont pas reçu cette Note , parce
qu'ils n'ont pas encore eu leur premiere Audience.
Cependant le Baron de Breteuil a obtenu
une rêverfale pareille à celle qui fur donnée par
P'Impératrice Elifabeth , lorfque la France accorda
à cette Princeffe fe titre Impérial .
t
De WARSOVIE , le 6 Juin.
On dit que le Corps de troupes Ruffes , commandé
par le Comte de Czernichew , doit être
rendu vers la fin de ce mois à Breffau .
La charge de Grand Veneur de Lithuanie , vacante
par la mort de Jofeph Sulkouski , Prince
de l'Empire & de Bilitz dans da Haute Silefie ,
vient d'être donné au Comte Charles de Bruhl ,
Colonel au fervice de France , fecond fils du premier
Miniftre .
A OUST. 1762.
199
De STOCKHOLM , le 4 Juin.
Let de ce mois , il arriva de Hambourg un
Courier qui a apporté le Traité de paix conclu
entre la Suéde & le Roi de Pruffe . Quoique
les articles de ce Traité ne foient pas encore connus
du Public , on fçait néanmoins qu'il n'eft
qu'un renouvellement de celui de 1720 .
De VIENNE , le 16 Juin.
秦
Un Courier du Feld-Maréchal de Serbelloni a
apporté le détail des différentes attaques que ce
Général a fait éxécuter le premier de ce mois , On
compte que les Ennemis , tant en morts qu'en
prifonniers & en déferteurs , y ont perdu plus de
douze cens hommes.
Selon les nouvelles de Siléfie , un Corps de
troupes Ennemies fortit brufquement les au matin
d'un bois qu'il occupoit , & il vint fondre fur
nos poftes de Wernersdorff & de Wohnau . Le
Lieutenant Général Brentano , ayant marché aulirôt
avec de la Cavalerie au fecours de ces poftes
manoeuvra fi habilement , que les Prufliens
furent repouffés & pourſuivis jufqu'aux Montagnes
de Sackwitz .
Le 6 , à deux heures & demie aprè minuit ,
les Pruffiens porterent cinquante Eſcadrons dans
la plaine de Wernersdorff & de Grosmohau . Ces
Troupes , qui menoient avec elles quatre piéces
de canons , s'avancerent , à la faveur d'un brouillard
épais , vers un de nos Poftes , l'enfoncerent ,
& continuerent leur marche vers les hauteurs de
Floriandorffqu'elles envelopperent de toutes parts.
Le brouillard empêchoit de juger du nombre des
ennemis , & déroboit leurs mouvemens. Il ne
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
leur fut pas difficile de renverſer nos Poftes , qui
ne s'étoient pas attendus à être attaqués par des
forces fi fupérieures. Notre perte cependant s'eft
réduite à une vingtaine d'hommes tués , & à quelques
chevaux. Les Pruffiens fe retirerent à l'approche
de plufieurs Régimens d'Infanterie & de
Cavalerie , que le Feld- Maréchal Comte de Daun
fit marcher avec du canon.
Un des prifonniers , amenés par un de nos détachemens
, a affuré que le corps de Cavalerie
ennemie , qui campoit auprés de Boën , étoit
deftiné feulement à couvrir le tranfport de Munitions
que Sa Majesté Pruffienne fait conduire de
Glogau à Breslau .
De HAMBOURG , le 18 Juin.
Depuis que les troupes étrangères ont évacué
le Mecklenbourg , le Duc Souverain de cet Etat
a quitté Lubeck , pour retourner à la réfidence
de Schwerin . La Ducheffe , fon époufe , dont la
fanté eft confidérablement altérée, s'eft rendue
ici , dans le deffein d'y prendre les eaux .
De MUNICH ,ale aj Juin
Le 19 de ce mois , l'Electeur vint ici de Nimphenbourg,
& ce Prince pofa la premiere pierre
du Bâtiment qu'il fait élever , pour y placer la
Bibliothéque Electorale , fi commue de tous les
Savans par le nombre de fes précieux Manufcrits.
On fait qu'Albert V , Duc de Baviere , célébre
par la fageffe & la modération avec lesquelles
il fe conduifit pendant les troubles de la Religion
& dans l'importante affaire du Concile de Trente
, raffembla une grande partie des richelles que
renferme ce fameux dépôt. A une grande multi-
3
AOUST. 1762. 201
tude de Manufcrits originaux que ce Princé avoit
recueillis lui-même dans les voyages en Italie ,
il ajouta les copies de la plupart de ceux qu'il n'avoit
pu fe procurer , & un recueil de tous les li
vres manufcrits que Mathias Corvin , Roi de Hongrie
, avoit laiffés , en mourant. Depuis longtemps,
on avoit négligé ce qu'Albert avoit fi glorieufement
commencé. L'Electeur , aujourd'hui regnant
, marchant fur les traces d'un Ancêtre fi
illuftre , a confacré annuellement une fomme '
confidérable à l'achat des livres qui manquoient
à cette collection ; & dans peu d'années , cette
Bibliothéque fera une des plus riches de l'Europe
en tout genre. Le vailleau dans lequel on la
placera , fera digne du tréfor qu'il doit contenir.
Entre les diverfes infcriptions , qui ont été préfentées
pour être mifes dans les fondemens de
cet édifice , on a choift la fuivante : Qui hant
molem diruifti , vel collapfam reftaurare paras
difcito conditam , ut arx Mafaram , augendis atera
nandifque artibus , facta foret , juffu Ser. Pt.
Max. Jof. Aug. C. & A. F. Bav. D. S. A.
Imp. IX. Viri. Ah. S. R. M. D. CC. LXII.
D. 19 M. Juh. Elle éft du Chevalier du Buat.
De GOTHA , le 4 juin.
L
La petité Ville de Zella de Saint Blaife n'eft
plus qu'un amas de cendres. Eglifes , Maifons ,
Granges , tout fut confumé le 25 du mois dernier,
par un incendié dont on ignore la caufe.
Beaucoup de pérfonnes ont péni dans les flam
mes , ou ont été enfevelies fous les ruines de
leurs habitations.
De MADRID , le 15 Juin.
Par un Courier que le Marquis de Sarria
1
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
:
•
a dépêché du quartier général de Dos- Iglefias ;
le 8 de ce mois , on appris que , le 1 , le Brigadier
Don Alexandre O Reilly, avec les Troupes légeres
à fes ordres , a marché de Villareal. Cet Officier
avoit pris les mesures convenables pour éviter
les effets d'un complot qu'il favoit être formé
contre lui , tant par les habitans du Pays , que
par les troupes Portugaifes qui ne prennent que
Le nom d'auxiliaires , & qui , pour n'être pas
reconnues , ne portent point d'uniformes. Les
avis qu'il avoit reçus , n'étoient que trop bien
fondés : à peu de diftance de Villareal , il s'apperçur
que les hauteurs & les poftes les plus avantageux
étoient occupés par une multitude de
Payfans armés , dont le nombre augmentoit à
tout moment , & qui incommodoient extrêmement
nos troupes dans leur marche , non - feulement
par un feu continuel de mouſqueterie
mais encore en embaraffant d'arbres le chemin
étroit & difficile qu'elles avoient enfilé. Don
Alexandre O Reilly fit tant par fes fages difpofitions
, que les ennemis ne purent , ainfi qu'ils
en avoient le deffein , couper la retraite . Il les
délogea des hauteurs , malgré la réfiftance opiniâtre
qu'ils lui oppoferent ; & fans égard au
danger , il s'ouvrit un chemin au milieu d'eux.
De notre côté, il n'y a eu que deux Soldats tués
& huit bleffés. Les Portugais ont laiffé quarantefix
morts fur la place , & on leur a fait vingt huit
prifonniers , qui ont été conduits à Chaves. Nos
Troupes légeres y arriverent le 2 à cinq heures
du foir , après avoir fait douze lieues en vingtquatre
heures, & avoir donné de nouvelles preuves
de leur ardeur , de leur courage & de leur bonne
difcipline.
A O UST. 1762. 203
De PARME , le 19 Juin.
Le fieur de Perfeville , Huiffier des Ordres de
Roi de France , arriva ici le 17 de ce mois , &
préfenta à l'Infant Duc une lettre de Sa Majefté
Très-Chrétienne , & les marques de l'Ordre du
Saint- Efprit qu'elle a envoyées au Prince Héréditaire.
Hier le Jeune Prince fut revêtu de ces
marques par fon Alteffe Royale. Le Comte de
Rochechouart , Miniftre Plénipotentiaire de France
, & le Marquis de Saint Vital , l'un & l'autre
Chevaliers des ordres du Roi Très-Chrétien , affifterent
, ainsi que les principaux Officiers de la
Cour , à cette Cérémonie.
De VENISE , les Juin.
>
Le 31 du mois dernier , le Procurateur Marc
Foscarini , Chevalier de l'Etole d'Or fut élu
unanimement Doge. Le lendemain 1. de ce
mois , il fut couronné avec les Cérémonies accoutumées
.
De LONDRES , le 10 Juin.
Sa Majefté a donné au Chevalier Edouard
Hawke , le commandement en chef de tous les
Vaiffeaux de Guerre , depuis le Nord de l'Ecoffe
jufqu'au Roc de Lisbonne. On compte que cer
Amiral fe rendra bientôt de Spitéad aux Dunes,
où s'affemble actuellement une Flotte nombreuſe,
à bord de laquelle il arborera fon Pavillon .
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée
de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 30 Juin 1762.
LAComteffe de Lorges a été mile au nombre
des Dames nommées pour accompagner Madame
la Dauphine.
Le Roi à difpofé de la place de Confeiller
d'Etat , vacante par la mort du fieur Barentin
en faveur du fieur Bignon , Prevôt , Maître des
Cérémonies de l'Ordre du faint - Elprit.
L'affemblée générale du Clergé ayant terminé
fes féances , les Prélats & autres Députés qui la
compofoient , fe rendirent ici le 27 de ce mois.
Ils eurent audience du Roy avec les honneurs
qu'on rend au Clergé quand il eft en corps , &
avec les Cérémonies qui avoient été obfervées ,
lorfque les mêmes Députés avoient rendu leurs
refpects à Sa Majefté . Le 9 du mois dernier, l'Archevêque
de Narbonne étoit à la tête des Députés
, & l'Archevêque de Toulouse porta la
parole.
Le 16 , le Roi , accompagné de Monfeigneur
le Dauphin , alla voir , pour la premiére fois ,१
PHôtel de la Guerre , & Sa Majesté en parut
fatisfaite.
De l'Armée commandée par les Maréchaux
d'Eftrées & de Soubife , le 25 Juin .
Toute l'armée des ennemis ayant paſſé hier
a Dymel , & le Corps des Anglois s'étant porté
AOUST. 1762. 205
pendant la nuit fur notre gauche vers Zierenberg,
d'où ils pouvoient nous prévenir à Caffel , les Maréchaux
d'Eſtrées & de Soubile ont jugé à propos,
pour y arriver avant eux , de quitter le camp
de Grebenſtein . La marche s'eft faite avec beaucoup
d'ordre. Le Corps détaché en avant de la
droite aux ordres du Marquis de Caftries pour
éclairer les ennemis , a rejoint l'armée, après
avoir fait avec fuccès plufieurs charges très -vives
de Cavalerie. Le Régiment d'Alface a foutenu
avec la plus grande fermeté la charge de la Cavalerie
des ennemis , & leur a fait perdre beaucoup
de monde. On a fait auffi , dans cette partie ,
nombre de prifonniers. A notre gauche , le Comte
de Stainville voyant que le corps des Anglois
s'avançoit pour s'emparer des hauteurs de Wilhemftadt
, & connoiffant l'importance de ce
pofte , les a attaqués , quoique fort inférieur ,
dans un moment décifif pour la fûreté de la
marché de l'armée. Il a réuffi dans deux charges
très-vigoureufes , & a pris fept piéces de canon.
De ce nombre , trois ont été enlevées par les
Dragons de Nicolaï. A la troisième charge , les
Grenadiers de France s'étant trop enfoncés dans
le bois , plufieurs Compagnies de ce Corps &
une partie de la Brigade de Poitou ont éte enveloppées
& prifes. C'eſt le feul malheur qui foit
arrivé pendant notre marche.
1
Le Chevalier de Narbonne , Colonel aux Grenadiers
de France , détaché au Régiment des
Grenadiers de l'Eſpinaffe , a été tué. Il n'y a eu
aucun autre Officier fupérieur de tué dans cette
affaire. Les Marquis de Peyre & de la Rochelambert
, Colonels de Grenadiers , ont été bleffés
légérement , ainfi que le Duc de Picquigny.
Depuis cette action , les Maréchaux d'Eftrées
206 MERCURE DE FRANCE.
& de Soubife ont fait paffer la Fulde à l'armée
pour aller camper fur les hauteurs de Landf
verhagen , & ont laiffé le Comte de Stainville
avec trente Bataillons au camp rechanché de
Caffel.
De l'Armée du Bas- Rhin , les Juillet.
Le 21 du mois paffé , les Dragons des Volontaires
de Clermont attaquerent a Schermbeck cinq
cens hommes à cheval de la Troupe de Scheiter.
De part & d'autre le combat fut très -opiniâtre ;
on s'eft mêlé plufieurs fois , fans qu'il fe foit
tiré un feul coup de fufil . A la fin , les ennemis
ont cédé. On leur a tué beaucoup de monde ,
& l'on a fait prifonniers quarante-deux Dragons
montés & deux Maréchaux des Logis .
Les Volontaires de Clermont ont eu quatre
hommes tués & dix - huit bleffés , dont quatre
Officiers; favoir , les fieurs de Villereau & de
Cornier , Capitaines , affez légérement ; les fieurs
de Blaigis & de la Baffé , Lieutenans , plus grievement.
Une feule troupe du Régiment de Flamarens
, commandée par le fieur de Mirmont , a
pu charger. Elle s'y eft conduite avec diſtinction .
Le 25 , le Prince Héréditaire , à la tête d'un
Corps de Cavalerie de quatre cens chevaux ,
fuivi de quelques Bataillons , marcha contre le
Corps des Volontaires de Conflans ; à la nouvelle
qu'en reçut le Colonel de ces Troupes légères ,
il fe mit en bataille fur les hauteurs de Klinghaufen
, d'où s'étant apperçu qu'on cherchoit à
le tourner par fa gauche , il a mis fon Infanterie
dans les bois , & fa Cavalerie derriere un rideau ,
laiffant deux Efcadrons de Huffards fe battre
en retraite , pour attirer le Prince Héréditaire ,
わ
AOUST. 1762. 207
·
qui effectivement s'eft abandonné avec la Caya.
lerie , & a été amené jufqu'a celle de Conflans ,
qui l'a chargé , plié & pourſuivi juſqu'à Hornberg.
Elle lui a tué une, vingtaine d'hommes , bleflé
un beaucoup plus grand nombre, & pris deux cens
hommes à cheval , avec un Colonel & un Cornette
des Gendarmes Heſſois , un Major & un
Cornette des Carabiniers de Brunſwick.
Les Conflans ont eu peu d'hommes tués , &
quinze bleffés.
Le Prince de Condé a marché le 26 avec l'armée
du Bas Rhin , à Halterem , & a fait occuper
Dulmen par une de fes avant- gardes.
De PARIS, les Juillet.
On a reçu avis que la Princeffe Marie-Chriftine
de Saxe étoit arrivée le 24 du mois dernier à
Plombieres , fous le nom de Comteffe de Henneberg.
Ön écrit de Toulon , que l'efcadre commandée'
par le fieur de Bompar , a été fignalée le 17 du
mois dernier.
La Communauté des Marchands Fripiers de
la Ville de Paris vient de prendre une Délibération
, pour ſupplier Sa Majefté de lui permettre
de concourir , par une fomme confidérable ,
l'augmentation de la Marine.
Le dix huitiéme Tirage de la Loterie de l'Hôtel
de Ville s'eft fait le 19 du mois dernier , en la
maniere accoûtumée. Le lor de cinquante mille
livres eſt échu au numéro 15885 ; celui de vingt
mille au numéro 7042 , & les deux de dix mille
1
aux numéros 12339 & 5884.
208 MERCURE DE FRANCE.
•
En conféquence d'un Arrêt du Conſeil du
Mai dernier , il a été procédé à l'Hôtel de Ville
de Strasbourg, à commencer du 26 du même
mois , & par continuation , pendant les jours
fuivans , fans interruption , aux dix-neuf Tirages
qui reftoient à faire de la Loterie des trente
millions de livres de l'Emprunt ouvert par la
Déclaration du Roi du 16 Mars 1766. Cette
opération , qui vient d'être terminée par la fortie
de vingt-huit mille cinq cens numéros , & qui
a duré dix-neuf féances fur le pied de quinze
cens numéros chacune , s'eft faite en préſence
du Prêteur & des principaux Magiftrats de cette
Ville , avec tout l'ordre & toute l'exactitude
poffibles. On travaille actuellement à la confection
des Liftes , d'après les procès -verbaux qui
ont été dreſſés à chaque féance , & elles feront
inceffamment rendues publiques , afin que chaque
Actionnaire , dans cet Emprunt , puiffe connoître
fon fort , & prendre d'avance les arrangemens
qui lui feront les plus convenables, pour recevoir
le remboursement des obligations forties & les
intérêts échus , avec la prime attachée à chaque
obligation , dont le payement fe fera fucceffivement
au mois de Mai de chaque année , de la
manière expliquée dans l'Arrêt du Confeil ,fort
à Paris chez le fieur Baujon , Receveur général
des Finances , foir à Strasbourg chez le fieur de
Dietrich , au choix des Porteurs des obligations.
MORTS.
Adrien , Marquis d'Herbouville , Meftre-decamp
de Cavalerie , ci-devant Enfeigne des Gendarmes
de la Gardes du Roi , eft mort le 8 Juin
dans fon Château de Saint- Jean, en Normandie,
âgé de quatre- vingt- feize ans.
AOUST. 1762. 209
Le Comte de la Luzerne de Briqueville , Lieutenant
général des Armées du Roi , & Comman
deur de l'OrdreRoyal & Militaire de Saint- Louis,
eft mort à l'Armée du Haut - Rhin .
DÉCLARATION de guerre de Sa Majefté Très-
Fidelle , contre le Roi d'Espagne.
LB Rox notre Maître a jugé à propos de faire
expédier l'Edit fuivant au Confeil du Palais.
>1
Comme il paroît , par les Mémoires de l'Ambaffadeur
de Caftille , Don Jofeph Torrero , faifant
cauſe commune avec le Miniftre plénipotentiaire
de France Don Jacques O- Dunne , & par
les réponſes que j'y ai fait faire , le tout contend
dans le recueil joint au préfent Edit , qu'un des
points arrêtés entre les deux Puiffances fufdites ,
dans le Pacte de Famille qu'elles ont conclu en-
Temble , confiftoit dans la convention incroyable
& inouie , par laquelle Elles ont difpofé de ce
Royaume , comme s'il leur eût appartenu , pour
l'invahir , l'occuper & l'ufutper , fous le faux prétexte
de vouloir le fecourir & défendre contre les
ennemis que ces mêmes Puillances lui fuppofent ,
& qui n'ont jamais été. D'autant auffi qu'il a été i
publié fucceffivement dans mes Etats , depuis le :
30 Avril dernier jufqu'à ce jour , par différens
Généraux du Roi Catholique , plufieurs placards ,
où l'on prefcrit des Loix & des Ordonnances à
mes Sujets ; & que , pendant ce tems , J'ai vu mes
Provinces envahies , & mes Places attaquées par
une Armée divifée en plufieurs Corps , toutes ces
hoftilités étant accompagnées d'une autre infulte
auffi griéve que celle de prétendre qu'on ne s'étoit
porté à de tels excès , que pour des fins utiles
& glorieufes à ma Couronne & à mes Sujets ,
210 MERCURE DE FRANCE .
ainfi que le Roi Catholique me l'avoit préſenté ,
tandis qu'on me faifoit encore publiquenient
l'outrage de ne pas donner la moindre attention
aux réponses définitives , qui avoient été
faites par mon ordre fur les trois Mémoires ,
par lefquels les fufdits Ambaffadeur & Miniftre
Plénipotentiaire m'avoient fait leurs repréfentations
concernant le projet fufdit. Enfin comme ,
par tous ces procédés inouis & infoutenables , les
deux Monarques fufdits m'ont déclaré & fait de
concert enſemble une guerre offenfive & contraire
à toute bonne foi ; j'ai auſſi ordonné
qu'il fût en joint à tous mes Sujets de regarder
ceux qui font cette violence à la fouveraineté abfolue
de ma Couronne , & qui envahiffent ainfi
mon Royaume , comme des aggreffeurs & ennemis
déclarés & publics afin qu'à compter de
ce jour , pour tirer une vengeance jufte & néceffaire
, & pour leur défenfe naturelle & légitime ,
ils les traitent , en tout & partout , comme tels ,
& pour que , tant contre eux tous en général ,
que contre leurs perfonnes & leurs biens , puil
fent les gens de guerre , & tous ceux qui feront
de moi autorilés à cet effet , mettre en ufage toutes
les voies de fait , que toutes les espéces de
droit permettent d'employer en pareil cas.
J'entends auffi que lefdits gens de guerre , &
généralement toutes les perfonnes quelconques ,
de telle qualité & condition qu'elles puillent
être , ceffent abfolument toute efpéce de correfpondance
ou communication avec les fufdits
ennemis , fous les peines portées par le droit
contre les rebelles & les traîtres . Je veux pareillement
que tous les Sujets des Royaumes de
France & de Caftille , qui fe trouveront en cette
Cour & dans les Royaumes de Portugal & des AlAOUST.
1762.
211
**
garves , aient à en fortir dans le terme de quinze
jours , à compter de celui de la publication du préfent
ordre , à peine d'être traités comme ennemis ,
& de voir leurs biens confifqués , s'ils le trouvent
dans lefdits Royaumes après l'expiration du délai
fus- mentionné ; que tous les biens , qui fe trouveront
dans lesdits Royaumes , appartenans aux
Sujets de ces deux Couronnes , ou qui leur viendront
, foient mis en fequeftre & confifqués ; &
enfin que , tant par mer que par terre , toute
communication & tout commerce avec les fufdits
Royaumes de France & de Caftille & leurs
Sujets cellent dès ce moment , toute , entrée ,
vente , ou autre ufage quelconque des marchandifes
, effets & productions des Pays & Manufactures
de ces deux Royaumes , & des Etats de leur
domination , demeurant défendus , fous peine de
contrebande.
Ordonne Sa Majesté que le Confeil du Palais,
chargé de l'exécution du contenu au préſent Edit,
le falfe publier dans toutes les Provinces , pour
qu'il parvienne à la connoiffance de chacun . "
J'ai donné en même temps les ordres néceffaires
à l'Intendance Générale de la Police , pour
qu'il foit expédié des palleports à tous les Sujets
des fufdits deux Etats , qui feroient entrés , avec
bonne foi , dans ce Royaume ; ne voulant point
en ce cas , leur retirer ma protection , pour
qu'ils puiffent en fortir avec sûreté . Au Palais
de Notre-Dame du Secours , le 18 Mai 1762.
Avec le paraphe de S. M.
Et pour que le préfent Edit foit connu de
tout le monde , il a été ordonné qu'il fût affiché.
Fair à Lisbonne , ce 23 Mai 1762.
Signé ANTOINE- LOUIS DE CORDES .
La fuite des Nouvelles Politiques au Mercure
prochain.
212 MERCURE DE FRANCE.
+
AVIS SUR L'EAU DE COLOGne.
JEAN-ANTOINE FARINA, Diftillateur à Cologne,
rue de la Balance d'or , feul poſſeſſeur du véritable
fecret de l'Eau de Cologne , qui lui a été
laiffé par l'Inventeur Paul Ferninis , donne avis
que pour la commodité & l'utilité du Public , &
pour le prêter à l'empreffement des perfonnes
de Paris , & des Villes voisines , qui defirent ſe
procurer de cette Eau , & lui en demandent
journellement , il vient d'en établir un dépôt
chez le fieur Onfroy, Diftillateur du Roi , tenant
le grand Caffé à la defcente de la Place du Pont
S. Michel.
Le feur Farina avertit auffi que le fieur Onfroy
eft le feul à qui il en a confié le débit , que nul
autre que lui n'en diftribuera de la véritable, foit
dans Paris , foit dans les Villes voisines , & que
toute celle qui ne fort pas de fon Magaſin eft
contrefaite. Ön vend à Paris , fous le titre d'Eau
de Cologne , quantité de bouteilles d'Eau fans
vertu , qui trompent la confiance du Public. Pour
obvier à cette fupercherie , le fieur Farina a pris
la précaution d'envelopper toutes les bouteilles
d'un papier qui ne peut s'ouvrir fans brre coupé
ou déchiré, fur lequel il a mis la fignature.
Toutes les bouteilles qui n'auront pas cette marque
diſtinctive , doivent être regardées comme fauffes
you contrefaites.
*
1
L'Eau de Cologne s'employe aux mêmes víages
que l'Eau des Carmes , & beaucoup de
Médecins la préférent à l'Eau de Méliffe ; le
goût & l'odeur en font même plus agréables.
L'imprimé qui fe délivre avec la bouteille , apprend
la manière de s'en fervir , & les maux contre
lefquels on en fait uſage.
AOUST. 1762. 213
•
Par les arrangemens que les fieurs Farina &
Onfroy ont pris , cette Eau ne coûtera que 36 f
la bouteille , c'eſt-à-dire un fixieme feulement
au- deffus du prix qu'elle fe vend à Cologne ;
cet excédent n'eft que pour le port & les droits ,
qui deviendroient bien plus chers , fi on les fai
foit venir en petite quantité.
LIQUEUR NOUVELLE ,
appellée Ratafiat de Paris.
CETTE Liqueur inventée depuis peu , & compolée
par le Sieur ON FR OY, Diſtillateur du
Roi , tenant à Paris le grand Caffé à la deſcente .
de la Place du Pont Saint Michel , eft de deux
efpéces , ou , fi l'on veut , de deux couleurs ; l'une
jaune , & l'autre rouge. Elle eft d'un goût & d'un
parfum fupérieurs à ceux des Ratafiats d'Italie
les plus eftimés jufqu'à préfent . Le prix de la
Bouteille de pinte eft de 6 liv. On ofe fe flatter
que l'ufage & l'expérience , ne feront qu'ajou
ter à ce que l'on peut préfumer de l'habileté de
l'Artifte. Il ne fera peut- être pas indifférent de
rappeller à cette occafion fes autres Liqueurs ;
fes Chocolats fabriqués à la façon de Rome à différens
degrés de Vanille font goûtés de plus en
plus. Sa Liqueurfpiritueufe pour les Dents, done
l'effet certain eft d'en appailer fur le champ &
fans retour les plus vives douleurs , même de
les blanchir , ne dément point la réputations
fes Liqueurs de propreté pour la peau , continuent
de fe diftribuer avec le plus grand ſuccès.
214 MERCURE DE FRANCE.
ΑΙ
APPROBATION.
A lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier ;
le Mercure d'Août 1762 , & je n'y ai rien trouvé
qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris
ce 31 Juillet 1762. GUIROY.
-11.
TABLE DES ARTICLES.
ཎྜོ
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
LA
A Fauvette , le Roffignol & le Pinſon ,
Fable.
EPITRE à Madame de V ***
LA Soirée Boulonnoiſe , Ode.
LETTRE à Madame de P ***
VIRS pour mettre au bas du Portrait de M.
Delatour, Peintre. :
LINDOR & Délie , CONTE.
EPITRE à M. Delalande , Membre de l'Académie
Royale des Sciences de Paris.
ÉPIGRAMME fur un Petit-Maître.
LE PRINTEMPS , Epître à Chloris.
Al'Auteur du Mercure.
DIALOGUE.
Page f
7
8
12
14
ibid
4
45
48
49.
53 ODE tirée du Pleaume X.
VERS , pour mettre au bas du Portrait de
M. d'Aquin , Organiſte .
A M. De la Place.
EPITRE à tous nos Seigneurs curieux.
IMITATION des Vers Anglois de M. Prior.
ibid
56
18
AOUST. 1762. 215
POUR Madame de B ..... le jour de la Magdeleine
, dont elle porte le nom .
ÉNIGMBS.
12A
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
ر و
60
165962 & 63
64
C ) ART. II . NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ÉCOLE Militaire ; Ouvrage compofé par ordre
du Gouvernement . Extrait.
VARIÉTÉS Philofophiques & Littéraires. Extrait.80
TEXTE de Cornelius Nepos , dans la Vie de
Lyfandre
ANNONCES de Livres.
3+ 88
97 &fuiv.,
1 ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRESS
GEOMETRIE.
A M. De la Place , Aureur du Mercure.
LETTRE à M. L. B D. M.
AGRICULTURE.
ART. IV . BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE.
OBSERVATIONS d'un Chirurgien de Province
, fur l'origine & fur les progrès de la
Taille.
HÔPITAL de M. le Maréchal Duc de Biron.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi,
103
104
107
IIS
133
138
GEOGRAPHIE. 144
HORLOGERIE,
150
MECHANIQUE.
ISI
ARTS AGRÉABLES.
SCULPTURE.
153
MUSIQUE.
154
216 MERCURE DE FRANCE.
GRAVURE.
ART. V. SPECTACLES.
2
SUITE de la Lettre d'un ancien Maître de
156
Ballets. 160
OPERAS 180
COMÉDIE Françoiſe, 182
VIRS à Mile Clairon , par l'Auteur de la
Tragédie de Zelmire. 1831
COMÉDIE Italienne. 183-
CONCERT Spirituel. 189
ART. VI. Nouvelles Politiques. 190
MORTS.
208
Aviss .*. 242
I
• HI !
*
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis-à-vis la Comédie Françoile.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
SEPTEMBRE . 1762 .
Diverfité , c'eft ma devife. La Fontaine.
Cochin
Siliusinv
PapillonSculp
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à-vis la Comédie Françoife.
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
LE
Bureau du
Mercure eft
chez M.
2
LUTTON ,
Avocat ,
Greffier
Commis
au
Greffe
Civil du
Parlement ,
Commis
au
recouvrement du
Mercure , rue
Sainte
Anne ,
Butte
Saint
Roch
Sellier du Roi.
à
côté du
>
C'eft à lui que
l'on prie
d'adreffer ,
francs
de
port , les
paquets &
lettres
pour
remettre ,
quant à la
partie littéraire
, à M. DE LA
PLACE ,
Auteur
du
Mercure.
Le prix de
chaque
volume eft de 36
fols ,
mais l'on ne
payera
d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres
pour feize volumes
, à
raifon de 30 fols piéce.
Les
perfonnes de
province
aufquelles
on
enverra le
Mercure
par la
pofte
payeront
pour
feize
volumes
32 livres
d'avance en
s'abonnant , &
elles les recevront
francs de port.
Celles qui
auront
des
occafions
pour
le
faire
venir , ou qui
prendront les
frais
du port fur
leur
compte , ne
payeront
comme à
Paris , qu'à
raifon de 30 fols
par
volum. c'est-à- dire 24 livres
d'avance,
en
s'abonnant
pour
feize
volumes.
Les
Libraires des
provinces ou des
A ij
!
AVERTISSEMENT.
LEE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch à côté du
Sellier du Roi.
,
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer ,
francs de port, les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie littéraire
, à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize vo-
-lumes , à raifon de 30 fols piece.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir , ou qui prendront les frais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
parvolum. c'est-à- dire 24 livres d'avance,
en s'abonnant pour feize volumes .
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure , écriront à l'adreſſe cideffus,
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le payement'en
foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
, refteront au rebut,
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
, d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année. Il y en a
jufqu'à préfent quatre-vingt volumes.
Une Table générale , rangée par
ordre des Matieres , fe trouve à la fin
du foixante-douziéme .
MERCURE
DE FRANCE.
SEPTEMBRE . 1762 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
DU
ÉPITRE
A M **.
u fçavoir , du bon goût , l'émule & le modéle
,
Des talens , des vertus , ami tendre & fidéle ,
Hluftre & cher B ...... l'honneur de nos féjours ,
Enfin
grace à tes foins , commencent nos beaux
jours !
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Trop longtems négligés dans nos heureux aſyles
Les beaux Arts vont régner en ces climats tranquilles
:
Cultivés par tes foins ,fur tes pas introduits ,
Ils éclairent déja la plus fombre des nuits.
L'Erreur , les Préjugés reſtent dans le filence ,
Une vive lumière en détruit la puiffance ;
Je vois luire déja ce feu vivifiant ,
L'âme de tous les Arts , l'épreuve du Talent.
Déja brille partout cette celeſte flâme
Qui réveille , ravit , éclaire , échauffe l'âme ,
Et qui s'infinuant dans nos fens engourdis
Y forme le bon goût , & par de traits hardis
Décéle le genie , annonce le grand - homme.
Noble émulation qui d'Athène , & de Rome
Porta jadis aux Cieux , & la gloire , & les noms ;
Qui dans ces heureux temps animois tous les fons
Des Chantres immortels que l'Univers admire ,
Regne à jamais fur nous , exerce ton empire
Dans ces aimables lieux , où deux Mortels chéris
De ton pouvoir fécond connoiffent tout le prix !
Là , ſoumis à tes loix , à leurs leçons dociles , -
Nous coulerons des jours fortunés & tranquilles :
Des beaux Arts , des vertus par leur exemple inftruits
,
De leurs foins complaifans nous cueillirons les
fruits.
L'un Mécène éclairé , guidé par la Sageffe ,
Des devoirs les plus faints nous inftruira ſans ceſſe :
SEPTEMBRE. 1762. 7
Ami du vrai mérite , il en fera l'appui 3
Il chétira dans nous ce qu'on admire en lui.
Des fuccès du génie approbateur fincère ,
Il fera des Talens & le Juge , & le Père .
Suivi de tous les Arts, le front ceint de lauriers ,
Du goût par fes écrits nous traçant les fentiers ,
L'autre dans ce féjour fixera les Sciences ,
Et répandant ſur nous leurs douces influences ,
Bannira de nos coeurs la molle oifiveté ,
Et nous arrachera de notre obſcurité.
Défrichés par fes foins , illuftrés par fes veilles ,
Nos climats étonnés de toutes les merveilles
Que fes heureux talens promettent aux Mortels ,
A ce nouveau Linus * drefferont les Autels ;
Et jouiffant des fruits de la vive éloquence ,.
Béniront à jamais le jour de fa naiſſance.
Favori de Minerve , Eléve d'Apollon ,
Parmi les noms fameux il voit déja fon nom .
Déja de la Garonne attirant les fuffrages ,
Des Mufes de fes bords il reçoit les hommages ;
Et marchant à grands pas vers l'Immortalité ,
Cueille le premier prix de fa célébrité.
Couronné par leurs mains , introduit dans leur
Temple ,
* Linus étoit un de ces hommes célébres , plus
connus par ce qu'ils ont fait , que parce qu'ils ont
été. Il vint de Phénicie en Grèce , y apporta les
Lettres , & apprit à les cultiver.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Il en ſera bientôt & la gloire & l'exemple.
Que ne promettent pas ces précieux travaux ?
Juftement diftingué parmi tous fes rivaux ,
Hérodote moderne , verra fes
ouvrages
Applaudis & goûtés aux plus lointains rivages,
Infpirés par le goût , dictés par la Raifon,
Revus & corrigés par les mains d'Apollon ,
Pleins d'efprit & de feu , de force & de fublime
Réunir du Public & l'amour & l'eftime.
>
Dieu du Goût , Dieu des Arts , préfide à tous
fes jours !
Que les Grâces , les Ris en filent l'heureux cours.
Que ces monftres affreux , l'Orgueil , l'Hypocrifie,
La ftupide Ignorance , & la jaloufe Envie
Ne traverfent jamais par leurs foucis malins
Une fi belle vie & de fi beaux deftins .
Que les troubles cachés & les fourdes intrigues ,
La froide antipathie & les fecrettes brigues
S'éloignent pour toujours de nos heureux climats ,
Et que l'Amitié feule accompagne fes pas.
Amitié doux plaifir, ferme appui des Sciences,
Verſe dans tous les coeurs tes douces influences ;
Que par toi nos efprits l'un de l'autre charmés ,
Se fentent au travail l'un par l'autre animés :
Qu'à ta voix l'union , la paix , la confiance ,
Les égards mutuals , la tendre complaifance
Détruifent à jamais tous ces jaloux chagrins
Entraves des Talens , la honte des humains ;
SEPTEMBRE. 1762. 9
Et qu'enfin excités par une noble envie ,
Nos efprits & nos coeurs éxempts de jaloufie ,
Enflammés & conduits par l'émulation ,
S'élèvent à l'envi vers la Perfection !
Tes exemples , ami , feront feuls ces prodiges.
C'eſt en fuivant de près tes illuftres veftiges ,
Que nous pourrons un jour , Courtiſans des neuf
Soeurs ,
Arriver fur tes pas au temple des honneurs.
Oui , c'eft en imitant ta tendre politeffe ,
Ton affabilité , ta douceur , ta fageſſe,
Que nos coeurs réunis trouveront dans ton coeur
Le prix de nos travaux , & le ſceau du bonheur.
A MM. de L *** , fur une diftribution
de Prix.
ODE AN ACRÉONTIQUE.
FAVORIS des Soeurs de Polhymnie ,
Accourez trop généreux vainqueurs ;
Accourez , Apollon vous en prie ,
C'eſt pour vous qu'il garde fes faveurs
Leur éclat fera toujours durable
Du Temps même il fera refpecté;
Et jamais la fureur implacable
N'en pourroit altérer la beauté,
A v
10 MERCURE DE FRANCE .
Dans vos yeux je vois votre âme peinte ,
Le chagrin n'ofe plus ſe montrer ;
A vos pieds la jalouſie éteinte
Contre vous n'ofe plus confpirer.
Votre coeur ennivré d'allegreffe ,
Déformais ne s'ouvre qu'aux plaifirs .
Loin de vous la crainte & la trifteffe
Tout concourt à remplir vos defirs.
Aux tranſports d'une joie incroyable
Votre efprit n'a pu fe dérober ,
Et déja fous fon poids redoutable
Je le vois tout prêt à fuccomber.
Tels jadis aux combats Olympiques
Paroiffoient les vainqueurs glorieux ,
Que les acclamations publiques
Egaloient aux habitans des Cieux.
Sur leur front une palme immortelle
Etendoit fes rameaux verdoyans ,
Et de leur victoire folemnelle
Le grand jour revenoit tous les ans..
Des travaux vous paffez à la gloire ::
Point de prix fans avoir combattu .
Recevez des mains de la Victoire ,
Les lauriers dûs à votre vertu .
CHAPPUS , de l'Oratoire.
SEPTEMBRE. 1762. fr
ODE fur la Tragédie de CINNA ,
remife au Théâtre le 29 Juin dernier.
A Mademoiselle CLAIRON.
Q
UELLE eft cette voix éloquente
Qui revient charmer tous les coeurs ?
Quel feu , quelle pompe éclatante ,
Nous ravit par fes traits vainqueurs !
Du Théâtre illuftre Merveille ,
Digne Chef-d'oeuvre de Corneille ,
Eft-ce vous enfin que j'entends ?
Oui , Cinna vient de reparoître ;
Sa gloire même va s'accroître ,
Vainqueur de la Mode & du Temps
Tel ', lorsqu'à travers le nuage
Dont les rayons furent couverts ,
Le Soleil fefaiiant paffage ,.
Vient s'élever au haut des airs ;
Son feu divin qu'il nous partage
Etale avec plus d'avantage
L'immensité de fa fplendeur ,
Et la force de fa lumière
Détruit à fon tour la barrière
Qui fembloit braver fa grandeur
12 MERCURE DE FRANCE.
O toi , dont le génie immenſe ,
Dans tes vers hardis & pompeux ,
Immortalifa la clémence
D'un Roi puiffant & généreux ;
O Corneille ! que ta grande âme
Pénétre d'une vive flâme
Celle de tes Admirateurs !
Tu brillas dans ton premier luftre ,
Et l'on croit voir ton ombre illuftre
Revivre dans tous les Acteurs.
Sur ce front aimable * & terrible ,
Quelle divine majeſté !
Du vifremords l'atteinte horrible
N'en flétrit point la dignité ;
De fon coeur longtemps infléxible
Le mouvement tendre & ſenſible
Ravit , emporte tous les fens :
Brifard , ton jeu plein de nobleffe ,
Unit aux pleurs de la tendreſſe
Tout le feu des grands ſentimens,
Mais quelle force inexprimable , **
Hardi Cinna , déployez- vous !
Quelle fermeté redoutable
Dont je préffens déja les coups !
Corneille unit à fon génie
* M.Brifard , dans le Rôle d' Augufte.
** M. le Kain , dans le Rôle de Cinna.
SEPTEMBRE. 13
L'éclat , le nerf & l'harmonie
Du rapide & bouillant Lucain ;
Je crois voir , comme ce grand Homme ,
Regorger les places de Rome
De to t le fang Républicain .
Clairon ! dirai-je , quelle joie ,
Quels tranfports , quels raviffemens ,
Lorfque ten grand art ſe déploie
Dans tes nobles emportemens !
De tes geftes , de ton filence
La muette & vive éloquence
Semble ajouter même à l'Auteur ;
Et de Corneille & d'Emilie
L'âme à la tienne réunie
Renaît avec plus de grandeur.
Régne donc fur notre Théâtre ,
Clairon › avec tous tes attraits ;
Puiffe un Peuple qui t'idolâtre
Te voir , t'applaudir à jamais !
Heureufe la Muſe naiffante
Qui peut de ta voix féduifante
Appuyer fes premiers éfforts !
Mais , fi Corneille ne l'anime ,
Sçaura- t-elle à ton jeu fublime
Unir d'affez dignes accords !
Parl'Auteur des Vers à M. du Belloy , fur fa Tragédie
de Zelmire.
14 MERCURE DE FRANCE .
LETTRE de l'Auteur du MERCURE
à Madame la M.... D.....
MADAME ,
*
Ce que vous avez ouï dire de la petite
Comédie d'Edgar & Emmeline
a , dites-vous , excité votre curiofité.
Vous doutez , & avec raiſon , que cet
aimable genre de Piéces , qui a fait ici
tant d'honneur à M. de Saint- Foix ,
puiffe être heureufement imité en Angleterre.
Vous defirez enfin , que cette
Féerie , dégagée des fcènes poftiches qui
en coupent l'intérêt & la marche , ainfi
que de tout fon Spectacle , foit mife
fous des noms François , & de façon
à pouvoir être jouée chez vous, par trois
ou quatre perfonnes au plus .... Vos defirs
font pour moi des loix , Madame ! Mais
quelque plaifir que j'aie toujours à m'y
foumettre , l'état de ma fanté , mes occupations
indifpenfables , & l'impatience
avec laquelle vous femblez attendre
cet Ouvrage , tout me fait craindre
qu'il ne perde affez dans mes mains
* Fouée à Londres, l'année dernière.
SEPTEMBRE. 1762. IS
pour vous faire regretter de m'en avoir
chargé. Daignez donc , je vous en fupplie
, Madame , en faveur de la refpectueufe
obéiffance du Traducteur , pardonner
à tous les défauts d'une traduction
, dont je fens qu'avec plus de talens
& de loifir , on pourroit probablement
tirer un meilleur parti.
J'ai l'honneur , & c.
D. L. P......
RENNIO ET ALINDE ,
O U
LES AMANS SANS LE SÇAVOIR ,
COMÉDI E.
PERSONNAGE S..
ALINDE , Fille du Duc de Bourgogne , déguilée :
en homme fous le nom de Myfis.
RENNIO , Fils du Duc de Bretagne , déguifé
en femme , fous le nom de Cléone..
UNE FÉE.
FLORIMOND , Courtisan.
La Scène eft dans une Maison Royale d'un ancien
Roi de FraNCE,
16 MERCURE DE FRANCE,
ACTE PREMIER .
SCENE PREMIERE .
Le Théâtre repréfente une partie de la
Forêt , d'où l'on apperçoit le Château.
ALINDE ,feule , déguisée en homme ,
fous le nom de Myfis.
QUELLE fituation eft la mienne ! . ?
Eft - ce en effet Alinde , eft -ce la fille
du Due de Bourgogne qui ofe paroître
en ces lieux fous ce déguiſement ? ..
Tout ce qui m'arrive , tout ce qui m'environne
a fi bien l'air d'un rêve , que je
n'ofe prefque penfer que je fois éveillée.....
Que cet habillement m'ennuie
& me gêne ! Ah ! fi je l'avois prévu ,
toute l'éloquence de la Fée qui me protége
n'eût pas obtenu de moi de le
prendre .... Pour détourner la maligne
influence de l'Aftre qui préfide à ma
naiſſance , il falloit , m'a- t - elle dit , paffer
ici le mois entier, que le Roi deftinoit
à la chaffe ....A ce prix feul , je
SEPTEMBRE. 1762. 17
pouvois efpérer d'être heureuſe ; & que
ne fait- on pas pour l'être ! ... C'eſt
demain que le terme expire ; & cependant
je n'ai rien éprouvé qu'inquiétude
& que défagrémens ....Je veux pour
la derniere fois , revoir cet Etre auffi
puiffant que fingulier , qui , quoiqu'invifible
, eft toujours prêt à m'obéir ..
Cet anneau que je tiens d'elle , pour peu
queje le touche avec l'intention de l'appeller
, doit la faire paroître .... Eprou
vons-en l'effet ....
....
(Alinde touche l'anneau. La Fée paroît.)
SCENE I I.
ALINDE , LA FÉE.
ALIN DE.
H ! Madame , ma fituation n'eft plus
Ан
fupportable
!
LA FÉ E.
Courage , belle Alinde ! ... c'eſt demain
que vos maux finiffent.
ALIND E.
Demain ? ... c'eft me parler d'un
fiécle ! ...
18 MERCURE DE FRANCE.
LA FÉ E.
Eh ! quels font donc les maux que
vous fouffrez ?
ALIND E.
Quelle demande , ô Ciel ! d'abord ...
& n'eft- ce rien , Madame ? depuis un
mois je vis dans cette Cour ...
LA FÉ E.
Et vous vous en plaignez ?
ALIND E.
Si je m'en plains ! ... J'ai tort , fans
doute ... Moi qui ne fortis jamais de
la Bourgogne ; qui ne connus jamais
que la Principauté de mon Pere , où
la noble fimplicité des moeurs n'offre
aux yeux que des coeurs où le moins
clairvoyant peut lire ; moi qui , cédant
à vos confeils réitérés , & par votre
puiffance , ai quitté cet heureux féjour ,
pour un Pays où l'hypocrifie porte le
nom de bonne éducation , la licence
de galanterie , la diffimulation & la
perfidie , d'adreffe & de conduite ; où
l'intérêt perfonnel eft le premier principe
de la prudence ; où toutes les vertus,
l'amour même de la patrie , font tournées
en ridicule , & regardées comme
Pappanage des âmes foibles.
LA FÉ E.
Votre déguiſement , du moins , fuffifoit
pour vous raffurer.
SEPTEMBRE. 1762. 19
ALIN D E.
Je lui dois préfque tout ce que j'ai
fouffert .... Quel fupplice pour l'oreille
d'une jeune perfonne de mon féxe
que les propos des hommes , lorsqu'ils
ne font pas retenus par la préfence connue
d'une femme ! ... Oui , je commence
à croire que j'aurois penfé moins
avantageufement, même de ceux que
l'habitude m'avoit fait eftimer , s'ils s'étoient
montrés à mes yeux comme ils
fe montrent les uns aux autres .... ]Il's
fe croient fi fupérieurs à nous , que je
fuis prèfqu'épouvantée de l'idée d'avoir
à vivre avec eux !
LA FÉ E.
Ne craignez jamais rien des vices ni
des ridicules que vous méprifez.
ALIND E.
Mais que puis -je eſpérer enfin.? Ah ,
puiffante Fée ! fi je me fuis livrée aveuglément
à vos confeils ; fi l'amitié n'a
pû m'arracher le fecret que vous avez
daigné me confier ; fi le meilleur des
Peres même ignore depuis un mois ma
deſtinée : abrégez le fupplice affreux de
mon incertitude !
LA FÉE.
Perfévérez ; croyez -moi votre amie.
20 MERCURE DE FRANCE .
ALINDE , d'un ton timide.
Je ne connois pourtant encore dans
ces lieux... aucun objet digne de ma tendreffe
? ...
LA FÉE.
Vous en trouverez un fans le connoître
... Tel eft l'arrêt du fort.
ALIND E.
Je fçai que pour être heureuſe , il
faut que je rencontre un ami dans le
plus aimable & le plus accompli des
hommes , fans que l'amour y entre pour
rien de part ni d'autre ... Hélas ! pardonnez
à mes doutes ... Pardonnez à
mes craintes ! ...
LA FÉE.
Tremblez , Alinde ! Gardez-vous de
douter ! ... Attendez à demain .
ALIND E.
trop
Je me foumets , Madame , j'attendrai
...
LA FÉE.
Parlez plus bas... Quelque prophane
approche ... C'eſt Florimond.
ALIND E.
Ah ! ce Fat eft mon ombre. Tout ce
qu'on appelle vertu , n'eft à fes yeux que
préjugé; tout ce qui me fait peine l'amufe;
& la rougeur que fes propos me caufent,
eft toujours un triomphe pour lui .
SEPTEMBRE. 1762. 21
Il me défole enfin ; & je prétends vainement
l'éviter.
LA FÉE .
Le bien naît fouvent du mal même.
Vous en aurez demain la preuve.
ALIND E.
Mais comment ? . . Par quel miracle ,
enfin ? .. Puiffante Fée , daignez m'entendre
! ...
LA FÉE , en difparoiffant.
La pauvre enfant ! .. Je vous aime
trop pour vous fatisfaire.
SCENE III.
ALINDE feule. La Fée qui eft cenfée
invifible , refte pour épier les démarches
d'ALINDE,
ELLE
LLE me laiffe ? ...Ah , c'eft trop fe
jouer de mes ennuis ! ... Je me repens
prèfque de l'avoir crue : mais il eft trop
tard..... Et voici quelqu'un qui me
prépare de nouvelles peines.
22 MERCURE DE FRANCE .
SCENE I V.
ALINDE. FLORIMOND. LA FÉE
invifible , & qui ne paroît que de temps
à autre.
FLORIMOND.
AH ! mon petit Rennio , je vous retrouve
enfin ! ... Quoi feul ? éxactement
! ... Ma foi , je vous croyois en
rendez-vous , & méditois un compliment
fur votre réforme.
*
ALIND E.
Monfieur , j'aime à être feul ; vous le
fçavez.
FLORIMON D , en ricanant.
Oui da , la lune eft belle ! ... la nuit
eft admirable ... ces objets font fans
doute nouveaux pour vous ... & dignes
de vous occuper ? ...
ALINDE.
Je n'ai que trop à réfléchir , Monfieur...
Vous oubliez peut-être qu'on
dane au château cette nuit, & que cela
fera certainement plus amufant pour
vous ?
SEPTEMBRE. 1762. 23
FLORIM ON D.
Oui , fi vous y venez ... on me feroit
un crime d'y paroître fans vous !
ALIND E.
·
Daignez m'en croire , je vous prie
je ferois maintenant mauvaiſe compagnie
, pour tout autre que pour moimême.
FLORIMOND.
Quoi , toujours folitaire ! toujours
rêveur ! .. & à votre âge ? .. je ne vous
conçois pas .... Allons , mon ami ,
de la joie ! je vous apporte des nouvelles.
ALINDE , allarmé.
A moi?...
FLORIM ON D.
Comme à d'autres.... Elles pourront
du moins vous amufer.
ALINDE,
Elles font donc intéreffantes , fingulières
? ...
FLORIMOND.
Singulières ? pas trop .... Il s'agit
uniquement de l'unique Héritière d'un
très -grand Seigneur , qui vient de fe
faire enlever par un jeune Amant.
ALINDE , avec émotion.
Il feroit à defirer que la chofe fût plus
rare ... La nomme-t-on ?
24 MERCURE DE · FRANCE .
FLORIM ON D.
• : Par-tout Ce n'eft que la belle
Alinde , la fille du Duc de Bourgogne.
ALINDE
,
Ah , Ciel ! ...
à
part.
FLORI MOND.
Quoi ! votre vertu fe révolte contre
la licence du fiécle ? ... Il eft parbleu
bon là ! .. feriez-vous par hafard amou
reux de cette belle fugitive ? .. hem !
vous voilà tout déconcerté ? ...
ALINDE, à part.
Ciel , que lui dire ? .. Mon trouble
me trahira fans doute ... ( haut . ) C'eſt
une efpéce d'étourdiffement auquel je
fuis fujet ... Mais quelles font les particularités
de cette avanture ? ... En diton
quelques-unes ?
FLORI MOND.
On prétend qu'elle avoit obtenu de
fon Père , la permiffion de le venir rejoindre
à la Cour ; & on vient d'apprendre
qu'elle a quitté fon château des
le lendemain , fans qu'elle ait encore
paru ici.
ALINDE.
7
J'entends ..... Mais d'où concluezvous
qu'elle s'eft enfuie avec un
homme ?
FLORIMONE
SEPTEMBRE. 1762. 25
FLORIMOND.
Uniquement parce que Rennio , le
fils du Duc de Bretagne , eft auffi dif-
Faru fous le même prétexte , préciſément
au même temps ; & que l'on n'a
pas plus de nouvelles de l'un que de
l'autre.
ALIND E.
Et cela fuffit-il , pour prononcer affir
mativement contre la réputation d'une
jeune perfonne , que le fouffle même
de la calomnie a jufqu'à préfent refpectée
?
FLORI MOND.
Ha ha! hal le fouffle même de la
calomnie ( en contrefaifant Alinde. )
Ha! ha ! ha ! ...
ALINDE , à part.
Que j'ai le coeur ferré ! .. Ciel , méritai
- je ce fupplice ! ... ( haut. ) Vous
m'excuferez , Monfieur , fi , en pareilles
circonftances , je prends la liberté de
vous dire que vos plaifanteries font un
peu déplacées ... & que...
FLORIMON D.
Oh! oh ! connoîtriez-vous cette Infante?..
Vous en déclarez-vous le Chevalier
?
d part.
À
LINDE ,
Contraignons
-nous : mon zèle pour-
B
26 MERCURE DE FRANCE.
roit me trahir... (haut. ) Je ne la connois
pas. Mais j'ai pour maxime de ne
fouffrir jamais que l'honneur des abfens
foit offenfé .... fur-tout, fans preuves.
FLORIM O N D.
La maxime eft vraîment louable ! ...
Elle est édifiante ! ... Mais apprenez cet
tain petit fecret.... Quelque intacte que
vous paroiffe la réputation de la belle
Alinde , un de vos humbles ferviteurs
( qui n'a garde de fe nommer ) pourroit
avoir quelques raifons d'imaginer que
la vertu de votre Protégée n'eft pas...
abfolument tigreffe...
ALINDE , à part.
Le miférable ! ... il ne me vit jamais
que fous cet habillement... (haut.) Vous
la connoiffez donc , Monfieur ?
FLORIM ON D.
Affez.... paffablement
.
ALINDE,
Quelle eft à-peu-près fa figure ?
FLORIMOND.
Sa figure ? jolie... Oui , parbleu , trèsjolie
!
ALINDE,
Eft- elle grande , petite , brune , og
blonde?
FLORI MONDA
Side
Quoi , vous ne l'avez jamais vue ? ...
Au vrai ?
SEPTEMBRE. 1762. 24
ALINDE.
Pas plus que dans ce moment- ci .
FLORIMOND
, à part .
Je ne rifque donc rien ... Mais ... elle eſt
blonde , grande , menue... la gorge bel- ?
le... Oh ! très- belle... bien faite... pétrie
de grâces... jambe élégante... & le plus
joli pied que portât jamais Déeffe !
ALINDE , à part.
Ah ! je n'y tiens plus....
FLORIMOND.
Ce Portrait vous intéreffe , je le vois ...
Mais , mon cher , il n'y faut plus penfer...
Parlons d'autre chofe... A propos !
connoiffez- vous ? ...
ALINDE.
Non ... je ne me détache pas d'Alinde
auffi aifément que vous... & peut- être
n'en devinez- vous pas bien la raiſon.
fi
FLORIMOND .
Cela peut être... Mais quelle eft-elle ?
ALINDE.
Je
m'étonne , je vous l'avoue , que
ce qui vient de lui arriver vous touche
peu ..... car foit que vous la
regardiez
comme une
maîtreffe perdue pour vous ,
foit que vous la
confidériez comme une
femme que vous avez aimée & à laquelle
vous êtes fuppofé devoir de la recon-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
noiffance en l'un ou l'autre cas , je
vous aurois cru plus fenfible .
FLORIMOND.
A cet égard , mon cher , la perte më
touche affez légérement : car , entre
nous.... je n'y penfois plus guère. Je vous
avouerai cependant , que je l'ai d'abord
prodigieufement aimée .... mais l'excès
de fa tendreffe étoit parvenu à excéder
la mienne... & vous fentez bien que....
le tout entre nous au moins !
ALINDE, a part, à
O mon coeur ! .... quel monftrueux
affemblage de vanité & de fourberie!
( haut. ) Ŏù aviez-vous coutume de la
voir ?
FLORIM OND.
Toutes les nuits , dans le parc de fon
Père , toujours au rifque de ma vie , de
façon que le danger , la fatigue & l'ennui
qui malheureufement fe fourre toujours
partout , m'en ont dégoûté au
point que j'ai cherché à la pourvoir
d'un autre Amant.... Le tout entre nous
au moins !
ALINDE.
Fort bien... Et quel étoit cet autre
Amant ?
FLORIM ON D.
Ce même Rennio , le Fils du Duc de
SEPTEMBRE. 1762. 29
Bretagne , celui par qui la Dame vient
de fe faire enlever.... L'avanture étoit
digne de Rennio , car c'eft un Paladin
qui ne cherche qu'à férailler.... Je fuis
pourtant faché qu'il ait porté fi loin les
chofes, Car , au bout du compte je l'avois
aimée cette pauvre Infante !
ALINDE.
03
Pardon , Monfieur .... un mot .... je
ne forme aucun doute fur tout ce que
vous m'apprenez ...mais je trouve dans
cette hiftoire quelques obfcurités que
je voudrois voir éclaircies ... Si vous
étiez auffi bien que vous le dites , &
que je dois le croire , avec Alinde ; fi
comme vous le dites encore , vous aviez
quelqu'inclination pour elle ; comment
n'avez-vous pas penfé à l'époufer ? Cette
alliance , ou je me trompe , ne pouvoit
vous déshonorer ( à part . ) je te
confonderai , Traître !
...
FLORIMOND.
,
L'époufer! dites-vous ? .. oh ! Vous ne
connoiffez pas la Princeffe ... Je m'aviſai
un jour de lui en faire la propofition ...
» Mon cher Florimond , me dit -elle...
( Son bras éroit paffé fur mon épaule ,
a -peu-près comme cela... ) » Mon cher
» Florimond , me dit - elle ,à quel propos,
» lorfque notre félicité dépend unique-
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
1
>
» ment de nous , à quel propos rifquer
» de former des noeuds dont l'effet pour-
» roit être de nous rendre mutuéllé-
» ment miférables ? ... Si vous deveniez
» mon époux , vous pourriez ceffer d'ê-
» tre mon amant. Alors ( ajouta t-elle
» avec un foûrire malin ) peut-être fe-
» rois-je tentée d'en aimer un autre :
» vous feriez le Tyran ; je deviendrois
» rebelle ; il ne vous refteroit d'autre
» éfpoir que celui de la furvivance , &
» je n'en aurois d'autre que celui de ne
» pas vous la céder.
ALINDE , à part.
Tout ceci me confond de plus en
plus ! ... En ce cas , pourquoi le faire
enlever par Rennio ? ... Cette démarche
eft contradictoire avec fes fentimens...
Elle détruit tout fon fyftême ?
FLORIMOND .
Oh ! vous ne connoiffez donc pas les
femmes... & je ne devinai jamais d'énigmes...
Quoi ! vous voilà dans vos rêveries
? ... Quelque flamme vertueufe vous
occupe, comme un amant tranfi, tendre
& fidéle au- delà même du trépas! ... Ha !
haj ha! Peut-on ainfi ſe bercer de chimères
! ... Quelque Nymphe traitable vous
guériroit bientôt de ces langueurs....
Que penfez-vous de Cléone ? Allons la
SEPTEMBRE: 1762 31
voir fans doute elle eft à fa toilette
maintenant... Ma foi c'eft unc aimablę
fille ! l'air un peu mâle fi vous voulez ,
mais charmante à tout prendre... Ecou
tez , mon cher... fi vous êtes moins ti
mide, elle fera moins réfervée ... Le tout
au moins ! C'eſt en ami que
je vous parle j'aime à tout partager
avec eux... Je vais la préparer à vous
recevoir comme il convient... Ne tardez
pas à me fuivre... ou plutôt , fuivez- moi
dès à préfent.
entre nous ,
ALINDE .
Je ne le puis , Monfieur.
FLORIMON D.
Mais , je le veux.
Non ,
ALINDE.
de grace , laiffez-moi ..
FLORIM O N D.
Oh ! vous viendrez parbleu... je veux
avoir l'honneur de votre converfion ...
en tiraillant Alinde. )
ALINDE , d'un ton ferme.
Laiffez-moi , dis- je ...j'ai aut e chofe
à faire maintenant , & je veux être feul .
FLORIM O N D.
?
A la bonne heure ... Cela fuffit ....
( à part. ) j'ai percé le myſtère .... Il s'agit
ici d'un duel ... Allons- nous-en ....
(haut. ) Eh bien , mon cher , jouiffez
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
en paix de ce beau clair de lune ... Vous
metrouverez chez Cléone & vous pourrez
m'avoir obligation de ma complaifance...
Mais le tout entre nous au moins !
( Ilfort. )
SCENE V.
ALINDE , feule.
COMMENT qualifier ce malheureux? ..
je ne le vis , ne le connus jamais ... quel
motif a donc pû l'induire à me calomnier
ainfi ? ..Sa légéreté , fa vanité , fans
doute ... Ah , Ciel ! que vais - je devenir
? & que j'ai lieu de craindre que la
Fée ne me trahiffe auffi ! ... Il faut que
je l'appelle , que je la voie , que je lui
faffe part de mes nouvelles afflictions...
( Elle touche plufieurs fois fa bague ).
Dieux ! fuis-je bien éveillée ? .. elle
ne paroît point ! .. je fuis perdue ! je
fuis trahie par eellllee........ Où recourir ?
A qui me confier ? .. ô divine amitié !
toi feule , hélas , pourrois me fecourir....
mais je n'ai point ici d'ami .... Cléone
cependant m'a laiffé voir des fentimens
que je crois fincères , & je ne fçai quelle
efpèce de fympathie me fait defirer qu'ils
SEPTEMBRE. 1762. 33
le foient en effet ... mon coeur me dit
qu'elle eft digne de ma confiance , & je
veux en croire mon coeur ..... confionslui
tous mes fecrets. Elle me défendra
contre la calomnie , & m'affiftera du
moins de fes confeils.
( Elle fort. )
SCENE V I.
LA FÉE , ( en regardant fortir Alinde . )
JEE
ne puis , quoiqu'en riant , m'empêcher
de la plaindre ! ... Voyons maintenant
, par la vertu de ma baguette , ce
que fait Rennio fous l'habillement de
Cléone.
Uncoup de baguette change le Théâtre,
& repréfente un appartement du Château,
où l'on voit Rennio àfa toilette. )
Bv
34 MERCURE DE FRANCE ,
SCENE VII.
RENNIO. Une femme de Chambre. LA
FÉE invifible.
RENNIO , à la Femme de Chambre.
FORT-BIEN , fort - bien ….. donnezmoi
ces rubans , & laiffez -moi ... laiffez-
moi , vous dis-je je vous appellerai
lorfque j'aurai befoin de vous.
LA FEMME DE CHAMBRE , à part.
Cette Demoiſelle eft d'un caractère
bien étrange!
SCENE VIII
RENNIO , feul.
JAMAIS homme fe trouva-t-il dans une
fituation plus ridicule ! .. Tout cet accoûtrement
n'eft-il pas en effet bien
convenable à Rennio , à l'héritier du
Duché de Bretagne ! ... Une jeune &
très-jolie fille s'occupe depuis deux heures
à me coëffer ... fon adreffe officieuSEPTEMBRE
. 1762. 35
ſe , la légéreté de fa main , empreffée à
relever mes charmes , & la gentilleffe
de fon caquet , deviennent un fupplice
que je ne puis endurer plus long-temps ! ..
Mon fort , dit- on , dépend de moi ...
Pour éviter tous les malheurs dont mon
étoile me menace , il faut que je rencontre
, il faut que j'aime le plus charmant
objet qu'ait produit la France , &
que j'en fois aimé fans former le moindre
defir de le pofféder ! ... Oh , Madame
la Fée, fi vous m'avez trompé , je
fuis un fot : au cas contraire, il faut donc
que je le devienne ! ...car enfin , quelle
relation peut avoir une jupe avec les
fentimens que je dois infpirer à cette
jeune merveille ? ... je conçois mieux
la poffibilité de ceux qu'elle peut m'infpirer
.... réfignons-nous pourtant : la
terme de ma pénitence finit demain avec
la chaffe du Roi ; & quelque foit mon
fort , je me . verrai pour le moins délivré
des ennuieufes confidences de toutes
les Caillettes qui m'entourent , &
des fades adulations d'un éffain de petits-
maîtres , dont les propos & la vaine
légéreté excéderoient une coquette
même. ...
( La Fée laiffe échapper un éclat de rire,
&ſe rend viſible à Rennio. )
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Qu
SCENE
IX.
RENNIO . LA FÉE.
RENNIO , avec dépit.
UOI ! Vous voilà encore ? ..
Encore ?
LA FÉE.
RENNIO.
› Etes-vous mon bou , ou mon mauvais
génie ?.. Expliquez-vous.
LA FÉE . .
Tout ce que vous penferez de moi , je
le ferai.
RENNIO.
Vous ferez donc le bon , car j'aimerois
fort à vous trouver tel .
LA FÉE.
Ce n'eft pas tout : il faut me croire
aveglé ment ... fans quoi ...
RENNIO.
Vous croire aveuglément ? .. regardez
feulement l'équipage où je fuis , &
jugez fi je vous ai cru !
14 LA FÉE.
Il faut que votre vertu foit éprouvée.
RENNIÓ.
Eprouvée ! .. Quels nouveaux fupSEPTEMBRE
. 1762. 37
plices ai-je à craindre encore ? .. N'ai-je
pas triomphé de la tentation & de l'incertitude
? .. En refte-t-il de plus affreux
? .. Vous le fçavez , Madame ! ..
LA FÉE , en riant.
1
Vous n'avez pas fouffert patiemment..
perfévérez , ou vous n'avez abfolument
rien fait.
RENNIO.
Répondez- moi feulement du fuccès
fur-tout du fuccès prochain ; & malgré
cet habit ; & malgré tout ce qu'il opére
en moi ... vous me verrez plus obéiffant
, plus patient qu'un vieil anachorète.
LA FÉE.
Fort-bien ! .. En ce cas apprenez..
mais furtout apprenez bien ....
RENNIO , avec impatience.
Ah ! que faut-il apprendre ? ...
LA FÉE , en difparoiffant.
A vaincre votre impatience.
ELLE
SCENE X.
RENNIO.
LLE me joue , cela n'eft plus douteux
... Oui , c'eft fans doute un de
38 MERCURE DE FRANCE .
ces efprits malfaifans , qui , pour fatisfaire
leur malignité , fe plaifent à tourmenter
les pauvres mortels .... Quoiqu'il
en foit , après m'être juſqu'à préfent ,
fi bien acquitté de mon pénible rôle
ce n'eft pas la peine de le quitter à la
derniere Scène ...
SCENE X I.
RENNIO. LA FEMME DE CHAMB.
LA FEMME DE CHAMBRE.
LEE Chevalier Beaucler demande des .
nouvelles de la fanté de Madame , & -
defire fçavoir s'il aura le bonheur de la
voir cette nuit au bal ?
RENNIO , en reprenant l'air & le
ton d'une femme.
Faites tous mes remercîmens
dites que je fuis engagée ailleurs,
LA FEMME DE CHAMBRE .
Oui , Madame.
RENNIO .
Ecoutez....
LA FEMME DE CHAMBRE .
Madame.
RENNI O.
Myfis a-t- il paru ici ce foir ?
&
SEPTEMBRE. 1762 39
LA FEMME DE CHAMbre.
Non , Madame .
RENNI O.
Ni envoyé ?
LA FEMME DE CHAMBRE .
Non , Madame.
( Elle fort. )
JE
SCNE X I I.
RENNIO , feul.
E ne connois en lui que les bonnes
qualités de notre féxe ! ... même fous ce
déguisement , je fuis jaloux de fon eftime
,.. que dis-je ? je crains fi fort de
lui déplaire , même en qualité de femme,
que lorsqu'il eft préfent ( j'ignore par
quelle efpèce de mouvement fecret ! )
je redouble d'efforts pour me rendre
agréable à fes yeux .... Avec quelle
rapidité fe forme l'union de certaines
âmes !
40 MERCURE DE FRANCE.
SCENE XIII.
RENNIO. LA FEMME DE CHAMB.
LA FEMME DE CHAMBRE.
MADAME , voici le Comte Florimond.
RENNI Q ..
Ne vous avois-je pas dit , que je
voulois être feul ?
LA FEMME DE CHAMMRE.
Oui , Madame , auffi le lui ai -je dit...
Mais il prétend qu'il faut qu'il vous voie.
RENNIO.
Il faut !
LA FEMME DE CHAMBRE.
Oui , Madame , il le dit ainfi .... en
conféquence , il entre malgré moì..
RENNIO , à part.
Cela eft violent ! .. Plaife au Ciel que
la fin de cette farce ne ſoit point un peu
tragique.
SEPTEMBRE. 1762.
SCENE XIV.
RENNIO. FLORIMOND.
FLORIMOND.
PARDON , adorable Déeſſe ! …….
RENNIO.
Je vous croyois moins impoli , Monfieur
.... Quoi donc , vit - on jamais
forcer ainfi les portes ? ... & fur- tout
dans un temps....
( Rennio travaille à réparer le défordre
de fon habillement. )
FLORIMOND , en feignant de
l'aider à rattacher un naud d'eftomach.
Ah , Madame ! malgré votre courroux
, nos coeurs battent à l'uniffon ...
Oui ! la trifteffe , je le vois , n'eft pas
plus l'autel de la beauté que celui de
l'amour ... Permettez que j'aide à placer
ce trop heureux ornement ....
RENNIO , en fe débattant.
Fi donc , Monfieur ! ... de grace ,
laiffez - moi .... ou vous me forcerez ....
( Florimond infifte , Rennio lui donne
un foufflet.)
42 MERCURE DE FRANCE .
FLORIM O N D , en reculant.
Madame ! votre main ... n'eft pas ce
qu'on appelle éxactement légère ... &
j'ofe vous promettre...
RENNIO , d'un ton mâle.
Me promettre quoi , Monfieur ? ..
(Pendant cette altercation , Alinde entre
& en voit la fin. )
FLORIMON D , en l'appercevant ,
& en s'en allant.
Que je fuis votre plus humble ferviteur.
SCENE X V.
RENNIO. FLORIMOND. ALINDE,
fous le nom de Myfis.
JE
Mysis , à Florimond fortant.
E vous ai fans doute beaucoup d'abligations
, Monfieur.... je vous fupplie
pourtant , de vouloir bien ne plus
vous embaraffer de mes affaires...
FLORIM O N D.
Puiffiez -vous avoir été à ma place ! ...
( Florimond , avant que de fortir, tire un
miroir de poche , & rajufte fa coëffure. ) .
SEPTEMBRE . 1762. 43
RENNIO à Myfis , & en achevant
de fe rajufter.
Ah , Monfieur ! .. je fuis au défefpoir
de m'être vue forcée à une violence fi
peu convenable à mon féxe .
FLORIM O N D.
Et moi , bien plus encore ! ... le Ciel
vous tienne en joie.
SCENE X V I.
RENNIO. ALINDE , fous le nom de
Myfis.
ALIND E.
VOTRE indignation eft fondée , Madame
.... quoique le reffentiment en
ait été un peu vif.
RENNI O.
J'en fuis fi confufe , Monfieur.... il
m'a tellement fait oublier moi-même....
par les libertés qu'il a prifes....
ALIND E.
De grace , calmez-vous , Madame ,
& tâchez de n'y plus penfer ... il ne
m'a pas moins déplu qu'à vous , je vous
lè jure !
44 MERCURE DE FRANCE.
RENNIO.
Vous m'étonnez , en vérité ! ... De
quelle impertinence s'eft-il auffi rendu
coupable auprès de vous ?
ALIND E.
D'un tas de calomnies , dignes de la
baffeffe de fon caractère.., il m'a foutenu
, que Rennio....
RENNIO , avec vivacité.
S &Que dites-vous , Monfieur ?.
ALINDE..
.....
Rennio , Madame , le fils du Duc de
Bretagne, ...
RENNIO.
Que dit-il de lui , Monfieur , de
quelle calomnie a-t- il ofé le noircir?
ALINDE , a
part
Ah ! comme elle prend feu.... elle
aime Rennio fans doute.
RENNI O.
Ah ! file lâche a calomnié Rennio.
parlez , Monfieur , ne me le cachez
point de grace !
ALIND E.
Son coeur s'explique nettement....
je gémis de fa peine ! ... ( haut. ) Non ,
Madame .... l'intérêt même que vous
prenez à Rennio , me défend de vous
obéir.
SEPTEMBRE. 1762. 45
RENNIO , avec chaleur.
Il m'intéreffe , je l'avoue... & cela
peut vous étonner ... Mais de grace ,
parlez , Madame ! ...
ALINDE , (furprife du ton mâle
& de la vivacité , qui involontairement
trahit Rennio . )
Ceçi me paroît bien étrange ! ...
RENNI 0.
Peut-être plus étrange encore , que
vous ne l'imaginez.
ALINDE , ( de plus enplus étonnée:
Madame , ... l'état où je vois ...
RENNIO.
Peu importe , Monfieur .... la contrainte,
la décence même s'évanouiffent,
lorfque t'honneur d'un ami eft attaqué.
ALINDE , à part.
Elle l'aime à la fureur... l'état où
je la vois me fait trembler !...
:
RENNI O,
Madame , au nom du Ciel ! ... ditesmoi
ce que vous fçavez....
ALINDE.
Je ne le puis...je vous le jure ....
RENNI O.
Vous ne le pouvez ?...
ALINDE.
Du moins , je ne le dois pas... Non ,
Madame , je ne le puis ... Qu'il vous
45 MERCURE DE FRANCE.
fuffife de fçavoir , que dans l'hiftoire
que l'on m'a faite , une femme d'un
grand nom est tout auffi calomniée que
Rennio ; que cette calomnie ne m’intéreſſe
pas moins
que vous ; que je prétends
la confondre fi publiquement ,
qu'elle ceffera d'être crue ; & que je
vous fupplie , tant pour votre repos ,
que pour le mien même , de ne plus infifter
fur le détail de cette horreur ....
RENNI O.
Quoi ! vous pourriez me refuſer ? ...
ALINDE , à
part.
Elle me touche trop ! ... ( haut. ) Je
fens que je ne le pourrois long-temps ,
Madame ... ainfi , je me retire.
(Elle fort précipitamment. )
SCENE XVII.
RENNIO , feul.
PESTE foit de cet attirail ! ( en regardant
fa jupe ) je n'ai pu le ratrapper...
Vit - on jamais rien de plus cruel ! Je me
vois diffamé , fans pouvoir me faire
juftice .... Mais tâchons de feindre avec
l'indigne Florimond , & de lui faire répeter
tout ce qu'il a dit à Myfis... Oui ,
i
SEPTEMBRE. 1762. 47
c'eft bien penfé ! ... le piége que je
vais lui tendre , fous ce déguifement ,
affurera d'autant mieux ma vengeance. ,
Fin du premier Acte.
ACTE I I.
SCENE PREMIERE.
Le Théâtre , comme au commencement du
premier Acte , repréfenté une partie
de la Forêt , d'où l'on apperçoit le
Château,
FLORIMOND , feul.
CELA n'eft pas douteux ... C'eſt la
préfence de Myfis , à l'inſtant même où
je la preffois le plus , qui l'a forcée de faire
éclater fi haut fon reffentiment contre
moi... La pefte foit du Sot ! J'aurois
bien dû fentir que cet excès de modeftie
n'étoit pas naturel .... Maintenant qu'elle
à réfléchi , la Belle s'en repent ... Elle a ,
dit - elle , à me parler , & va fe rendre
ici .... Ne feroit-ce point le cas de l'hu
milier en manquant de ma part au ren-,
48 MERCURE DE FRANCE.
dez - vous ?... Non….. Cela ſeroit trop
cruel.... je veux pourtant avoir l'air détaché
, lui faire expier fon offenſe ....
C'eſt le moyen d'achever le fuccès de
mes affaires... Mais la voici .
SCENE IL
FLORIMOND , d'un airde hauteur
négligée , & faluant froidement Rennio.
RENNIO , toujours fous l'habit de
femme.
J'ofe
efpérer que
Monfieur ne fe préà
part , en lui
vaudra point de ma foibleffe ...
FLORIMOND
tournant le dos.
Sa foibleffe , dit-elle ?.... ( haut. ) Madame
, ce ne fera du moins pas de celle
de votre bras.
RENNIO.
Les motifs qui me forcent de vous appeller
ici , font de nature ...( à part
Quels airs le Fat fe donne ? ... (haut. )
Sont de nature dis- je à juftifier ma
démarche ... ( à part. ) Je ne puis me
contenir plus longtemps..
FLORIMOND,
SEPTEMBRE. 1762. 49
FLORIMOND , à part.
La pauvre Fille ! ... Elle me fait pitié...
(haut. ) Je ne me prévaus de rien , Madame...
je fuppofe feulement , que Ma
dame a quelques ordres à me donner ...
& qu'elle a bien voulu , pour cet effet ,
choifir un lieu plus favorable .
RENNI 0.
Vous avez , je crois , entretenu Myfis
de certaine avanture, où Rennio ; certai
ne Dame & vous mêmê eutes beaucoup
de part? .. & le récit qu'il m'en a fait
me touche affez , pour defirer d'en être
un peu mieux inftruite.
FLORIMOND à
part.
Le détour
eft
ingénieux
... Le récit
d'une
avanture
galante
eft un très- beau
prélude
pour
une
fcène
du même
genre
;
& j'entrevois
que nous
ferons
bien-tôt
d'accord
.... (haut. ) Tout
ce que je
fçais
, Madame
, c'eft
qu'une
belle
Dame
, que l'on appelle
Alinde
, a jugé
propos
de rendre
Rennio
auffi
fortuné
qu'un
homme
puiffe
l'être
....
excepté
,
Madame
, celui
qu'il
vous
plairoit
d'honorer
des mêmes
bontés
....
Ma foi ,
Madame
, cette
Alinde
eft une
belle
créature
!.. mais
lorfque
l'on vous
voit...
RENNI
O.
à
Vous me déconcertez , Monfieur....
C
50 MERCURE DE FRANCE.
ma rougeur vous le prouve ... Epargnez-
moi , de grace !
FLORIMON D.
Ah ! que cette rougeur vous fied admirablement
! ...
RENNI 0:
Permettez que je vous fupplie de faire
grace à ma confufion , & de m'apprendre
les circonftances d'une affaire dont
perfonne ne peut être mieux inftruit
vous.
FLORIMOND , à part,
que
Ouais! .. ce font des détails intéreffans
que la Belle demande ? , . il faut la fatisfaire
,,. ( haut, ) Je préfume , Madame ,
que le jeune Rennio , brûlant pour la
charmante Alinde , la regarda d'abord
d'un ceil auffi languiffant qu'amoureux ;
que leurs yeux s'étant par hafard rencontrés
, elle les détourna bien - tôt en
rougiffant ; que l'Amant , enhardi par
cette rougeur même , mit un genou en
terre , s'empara de la main de la Belle,
la preffa dans les fiennes , la porta fur
fes lévres , & ....
RENNIO, (en retirantfa main.)
Monfieur ! Monfieur ! ... ( à part.)
La patience m'échappe .... il faut pourtant
gagner fur foi .. ( haut. )Si vous
croyez avoir quelqu'intérêt de m'obli-
....
SEPTEMBRE. 1762. SE
ger.... fi vous avez conçu quelqu'efpérance
de mes bontés ... non pas au
moins que je fois ce qu'on appelle difpofée
...
.....
FLORIMOND.
Ah , mon bel Ange ! pourquoi me
laiffer fi cruellement en fufpens ....
Parlez ; dictez vos loix , & difpofez de
votre esclave....
RENNIO , en reculant.
Commençez par être plus fage ....
de là , répondez précisément & fans
délai , à quelques queftions qui feront
courtes .
FLORI MON D.
Ordonnez , Madame.
RENN I O.
Premierement .... connoiffez-vous
Monfieur,connoiffez -vous bien Rennio
fils du Duc de Bretagne ?
FLORI MÓN D.
>
Perfone , je vous jure .... ne peut
le connoître mieux que le plus humble
de vos ferviteurs.
RENNI 0 , à
part.
Quel excès d'impudence ! ... ( haut. )
peu près fon âge? quelle eſt
quelle
eft à
fa figure ?
FLORIMOND , à part.
Sa curiofité prouve qu'elle ne le con-
Cij
52 MERCURE DE FRANCE .
connoit pas .... Madame ce jeune
homme eft d'un caractère affez ....
doux.... affez.... aimable.... c'eſtà-
dire....
RENNI O. NIO.
Ces termes vagues ne difent rien ...
foyez , de grace , plus précis.
FLORI MOND .
Sçachez , au moins , que la médifance
m'eft odieufe ! ... Mais puifqu'il faut
vous obéir .... apprenez donc ,› que
ce Rennio n'eft qu'un Sot .... oui , un
Sot , le mot pris à la lettre .... le tout
entre nous , au moins !
RENNIO , vivemeut.
Un Sot ? ...
FLORIM ON D.
Complet.... Le pauvre garçon eft
d'une gaucherie , d'une platitude ! ...
Eh bien , ( vous ne le croiriez pas ? ) j'ai
pourtant un foible pour lui ! ... car je
ne ferai jamais moi-même auffi galant
homme , que je voudrois qu'il le devînt.
RENNIO , ( oubliant fon caractère
de femme. )
Comment , lâche ! ...
FLORIMOND , ( effrayé , & reculant. )
Madame ! ...
RENNI 0 , à part.
Ciel qu'ai-je fait ? ... ( il tâche de !
SEPTEMBRE 1762. 53
Je remettre. ) Apprenez auffi mon foible,
Monfieur. Ce que j'entends dire de mal ,
quoique fondé , des perfonnes qui , par
leur rang , doivent fervir d'exemple aux
autres , me met toujours hors de moimême
... Vous m'en voyez.... prèfque
oppreffée ! ... ( Il tire un flacon. )
FLORIMON D , à part.
Quelle femelle !... ( avec précaution.)
Pourrois - je , Madame , vous être de
quelque fecours ?
RENNI 0.
Je commence à me fentir mieux ....
J'ai le genre nerveux fi prodigieufement
délicat ! ... Mille graces , Monfieur , du
portrait de Rennio .. Mais vous m'affurez
donc , qu'il s'en faut bien que fon
courage ? ...
FLORIM O N D.
Je vous refpecte trop , pour vous
mentir....
RENNIO , ( reprenant l'air & le ton
mafculin , mais fe remettant tout-àcoup
. )
Comment ? ...
FLORIMOND , ( en reculant jufqu'au
fond du Théâtre. )
Madame ! ...( à part. ) Elle eft plus
3
que folle... je ne m'y fierai plus.
Ĉiij
54 MERCURE DE FRANCE .
C
"
I
RENNIO , d'un ton affectueux.
grace...
...
J'aurois encore à vous demander une
Mais j'apperçois qu'on vient
de ce côté... fi pour les éviter , nous
paffions dans cette fombre allée ?
FLORIMON D , éffrayé , à part.
Le Ciel m'a préfervé... (haut. ) Madame....
j'ai beaucoup d'affaires maintenant...
RENNI O.
...
Si vous me refuſez... je ne réponds
pas de ma vie.
FLORIMOND , en reculant.
Ce foir.... demain... je ferai toujours
à vos ordres.
RENNI O.
Si ma réputation vous eft chère ,
faites de grace... dans l'état où je fuis...
qu'on ne me furprenne pas feule ave
vous !
FLORIMON D.
Très -volontiers , Madame... prene
cette allée , je prendrai Pautre.
RENNI O.
Non pas , Monfieur... je me croirois
perdue !….. Une féparation fi brufque
, feroit trop cruellement interprétée....
laiffez-moi prendre votre bras....
( Rennio s'empare de fon bras , & l
ferre fortement. )
SEPTEMBRE . 1762. 55
FLORIM O N D.
Ah , Madame ! ….. Madame ! …..
RENNI O.
Quoi , Monfieur ?
FLORIMOND.
Vous m'avez pincé ... de façon ! ...
RENNI O.
N'en accufez que mon éffroi ....
FLORIMOND , ( en fe laiſſant entraîner
malgré lui par Rennio , qui
le regarde fixement. )
( à part. ) Miféricorde ! .... jamais
Sergent n'eut un pareil poignet ! ...
SCENE II I.
LA FÉE feule.
LA Scène eft bonne , & me conduit
droit à mon but.... Il ne s'agit
plus que de faire aboucher nos Amans ...
Alinde vient.... difparoiffons ....
C iv
56 MERCURE DE FRANCE .
J
SCENE I V.
ALINDE. LA FÉE inviſible.
ALINDE.
E fuis venue trop tard.... Cléone eft
fans doute partie.... Ah ! je crois la
voir dans cette fombre allée , & Florimond
eft avec elle .... je ne me trompe
point.... Ciel , qu'elle eft émue ! ...
Que Florimond à l'air épouvanté ! ...
Il fe fauve , & elle vient de ce cóté....
Tant mieux , mon parti eft pris : il faut ,
plutôt pour elle que pour moi ... oui ,
il faut lui ouvrir mon coeur. Quelque
chagrin qu'elle en prenne d'abord , elle
ne peut enfin que rendre juftice aux
preuves de mon amitié.... Elle approche....
ne l'accoftons pas trop brufquement.
( Elle fe retire de quelques pas. )
SEPTEMBRË. 1762. 57
SCENE V.
RENNIO. ALINDE.
RENNIO à part , apperçoit Alinde &
s'arrête.
AH ! c'eft Myfis ... Je connois maintenant
les motifs de fon filence généreux
. Sous l'habit où je fuis , l'intérêt
qu'il m'a vu prendre à ce qui touchoit
Rennio , pouvoit- il à fes yeux ne point
paroître infpiré par l'amour ? ... Mais
lui-même ne s'intéreffe pas moins pour
la Dame.... il n'a pu me le cacher....
Donc il eft pour Alinde , tout ne qu'il
a cru que Rennio étoit pour moi....
Marquons - lui donc toute ma reconnoiffance
: confions-lui ce que je fuis ,
& qui je fuis , pour le convaincre de
la fauffeté d'une hiftoire , dont la réalité
n'eût pû que le rendre malheureux ....
( Il s'approche d'Alinde. ) Ne cherchez
pas à m'éviter , Monfieur ; je n'ai plus
rien à éxiger de vous , qui puiffe
bleffer votre délicateffe : la feule grace
que je vous demande , eft que vous me
pardonniez , fi , malgré vos intentions ,
C v
58 MERCURE DE FRANCE .
je n'ai pû m'empêcher de céder aux
mouvemens d'une curiofité , que vousmême
aviez fait naître . Je fçais tout
maintenant : je connois toute la générofité
, toute la nobleffe de vos fentimens
pour moi ; & mon coeur brûle de
vous offrir en revanche , tout ce que
l'amitié peut infpirer de plus pur & de
plus fincère.
ALINDE.
Ces fentimens , Madame , ont déja
fans doute un objet , & plus noble &
plus légitime... Le trop fortuné Rennio...
RENNIO.
Mes liaiſons avec lui , font véritablement
, en certains fens , la caufe que
votre mérite n'a pas fait fur mon coeur ,
toute l'impreffion , que je ne rougis pas
d'avouer que vous euffiez pû faire....
Je vous avoue auffi pourtant , que l'hiftoire
de fa fuite avec Alinde , m'affecte
moins que vous ne pouvez raiſonnablement
vous l'imaginer.... car j'ai la preuve
très - certaine , qu'elle n'eft , ni ne
peut être vraie....
ALINDE , avec précipitation.
Ni ne peut être vraie? ...
K RENNIO .
L'amitié que je vous ai vouée , vous
doit une confidence ( fi tant eft qu'en efSEPTEMBRE
. 1762. 59
fet c'en foit une ) que mon propre intérêt
m'avoit déja infpiré de vous faire....
Vos liaiſons avec Alinde , font je crois
de nature...
ALINDE .
Oui , Madame , les liaifons que j'ai
avec elle font de nature... à n'être plus
un fecret pour vous ... Je fens trop maintenant
que je les cacherois en vain...
RENNIO .
Permettez donc que je les fàche ....
Mais , pour gage de l'amitié que j'ai &
veux toujours avoir pour vous ; fouffrez
que ma confiance précéde la vôtre .... &
que je vous apprenne...
ALINDE.
Parlez donc vite , Madame ! .... Car
tout ce qui vous touche m'intéreffe au
point ! ...( à part. ) Quel peut donc
être ce fecret ? ...
RENNIO.
En premier lieu , Monfieur... Apprenez
que je fuis...un homme...
ALINDE , ( à part , avec une extrême
motion qu'elle cherche à déguiſer. )
Un homme ! ... Ah , Ciel , que vaisje
devenir ?
RENNIO.
Et dans cette qualité , permettez que
je vous embraffe comme le plus fincere
€ vi
60 MERCURE DE FRANCE .
ami... Plus de gêne ... Plus de contrainte
entre nous ...
ALINDE (couverte de confufion , veut
fe dérober à fes embraffemens , & fe
cache le vifage. )
Eh quoi , Monfieur ! ……..
RENNIO , effrayé.
Ciel ! qu'a donc mon ami ?
ALINDE ( en táchant de fe remettrc.)
Ah ! vous avez détruit tout ce que
mon projet... mepromettoit d'agréable ...
vous m'avez prévenue ... n'importe cependant....
RENNIO.
Quel eft donc ce mystère ? .. au nom
du Ciel , expliquez- vous... Se peut - il
que vous euffiez conçu ... de l'amour
pour moi ?
ALINDE.
Ah ! non ... vous vous trompez encore
...
RENNIO.
Dites-moi donc en quoi ? car déformais
nous pouvons nous ouvrir nos
coeurs & parler librement... Faites-moi
donc la grace de ne plus voir en moi
qu'un homme ... & comme tel ...
ALINDE .
Ah ! vous vous écartez ... Vous vous
égarez de plus en plus... Je ne fçaurois
me réfoudre à parler ! ...
SEPTEMBRE . 1762. 6E
RENNIO.
Vous le devez , mon cher ami.....Vous
me le devez ce fecret , que dans l'inſtant
vous m'alliez révéler.-
ALINDE.
Hélas ! alors , je le croyois connu ...
mais maintenant...
RENNIO.
Maintenant , j'invoque , j'implore avec
ardeur les droits facrés de l'amitié... Auriez-
vous l'injuftice de les méconnoître?
ALINDE.
Non , Monfieur , non ! .. .Mais je ne
puis me réfoudre à parler... Et fi je le
pouvois ... peut-être ne trouveriez - vous
point en moi cette eſpéce d'amitié dont
vous êtes fi digne ... & fi fort en droit
d'efpérer....
( RENNIOla regarde fixement avec
autant d'étonnement que d'embarras. )
ALINDE.
(à part. ) Son oeil m'anéantit ... O
mon coeur ! ....
RENNIO.
Je ne fçais où j'en fuis , ni que penfer
de tout ce que je vois ! ... Vous rougiffez
& pâliffez alternativement comme
une fille... ( Ces mots ajoutent à la confufion
d' linde ) . quoi ! vous tremblez ?..
O ciel ! Elle s'évanouit... ( Elle eft préte
62 MERCURE DE FRANCE .
J
à tomber; Rennio la retient , & la ferre
dans fes bras. O furprife ! O tranfports !
C'est une femme ! ...Que fa confufion eft
adorable ! ... Ah ! puiffe l'ardeur que tu
m'infpire te rappeller à la vie ... Ouvre
les yeux . ne vois plus en moi que
l'amour & l'honneur ... Ne te fais plus
de violence pour me déclarer ton fecret
.... Ah ! s'il le faut, pour te rendre
à la vie , je ne veux point paroître le
fçavoir ...
ALINDE ( en revenant à elle-même. )
Dieux ! que ne puis-je me cacher à
moi même ...Quoi ! mon fexe eft connu
? ... même ſous ce déguifement ! ...
Où me fauver ? en quels lieux enfevelir
ma honte ?...(d'un tonplusferme . ) Qui
êtes-vous , Monfieur ? .. dites - le moi ..
pour que j'évite à jamais votre vue.
RENNIO.
Non ! chère & trop adorable amie!...
Non ! .... A ces conditions , puiffé - je
vous être à jamais inconnu ?
ALINDE.
Parlez, pourtant : parlez ....fiez-vous-en
à moi...
RENNIO .
Si je m'y fie ? .. Oui, Madame , dût
ma vie en dépendre... Ton ami ! ....
SEPTEMBRE. 1762. 63
Mais connois-moi fous un nom plus
doux encore.... Ton ami .... celui qui
l'eft & le fera toujours... eft ce même
Rennio , ce même fils du Duc de Bretagne
, que tu as vu fi indignement calomnié
.
ALINDE.
Prodiges fur prodiges ! ..
RENNIO. (
Ou je rêve moi- même , ou tout ceci
n'eft qu'un enchantement.
ALINDE.
Vous pourriez bien mieux le penfer
fi j'étois mieux connue de vous !
RENNIQ .
ร
Ah! Faites-vous donc mieux connoître
, vous que dès à préfent je reconnoîs
pour la plus charmante , pour la plus
adorable de votre fexe ! Vous que j'ai
vue , vous que j'ai aimée tendrement ,
quoique fans amoureux defirs ! ... Cher
gage ! Cher garant de mon bonheur I...
Ah! puiffé-je bientôt être à toi ... Mais
je m'égare ; je me flatte fans doute ....
Votre destinée auroit- elle quelque chofe
de commun avec celle de Rennio ?
ALINDE ,
Seigneur , épargnez -moi... Vos difcours
ont un pouvoir fur moi, que vous
•
ne connoiffez pas encore.
64 MERCURE DE FRANCE.
RENNIO.
Abrégez mon fupplice ! ... Mes idées
fe confondent , & je m'y perds.... Oui ,
Madame ... Il eft en effet une jeune perfonne
, dont on m'a dit que la deftinée
étoit éxactement femblable à la mienne...
C'eft cette Alinde , c'eft cette Alinde
même que j'avois cru que vous aimiez...
Oh ! c'eft vous , c'est vous- même
qui l'êtes ... Quelle autre , ( Grands
Dieux ! ) pourroit-ce être ?
ALINDE .
De grace , laiffez-moi... ou je fuccombe
à mon trouble ! ...
RENNIO.
Ah ! fouffrez que je vous foutienne ;
que je vous cache dans mon fein ! .. &
qu'un foupir y foit votre réponſe ....
Chère Alinde ! eft-ce vous ? ...
ALINDE .
Si fa deſtinée eft conforme à la vôtre..
Je fuis Alinde. ....
RENNIO ( en l'embrafant encore
plus étroitement .)
...
Ah ! top fortuné Rennio calme
les tranfports d'une âme trop fenfible ...
& ne vois plus que la félicité , que l'amour
te prépare .
ALINDE.
Non , fouffrez que je me retire ... je
SEPTEMBRE. 1762 . 65
ne puis plus longtemps voir nivous ,
ni moi , fous ce déguisement .
RENNIO.
Je ne fcaurois y confentir ... Pardonnez
à mon premier refus : mais il eſt
néceffaire ... Votre gloire & la mienne
ont été également ternies .... Il nous
faut à tous deux juftice ; nous la devons
au calomniateur.
ALINDE .
Mérite-t-il notre reffentiment ?
RENNIO,
Si ce n'eft pas pour lui , c'eft pour
autrui que je veux le punir ... Le voici
juftement ! ... Laiffez moi faire , ou
plutot , daignez me feconder .
SCENE V I.
RENNIO. ALINDE. FLORIMOND .
FLORIMOND de loin, & à part .
QUAIS ! ..
>
UAIS ! ..je les trouve enfemble....
ce n'etoit pas mon intention ... éloignons
nous ...
RENNIO ( courant à lui , & le prenant
par le bras.
Approchez, Seigneur Florimond, ap-
- prochez .... ( en l'entraînant .)
66 MERCURE DE FRANCE .
FLORIMOND , éffrayé.
Doucement donc , Madame , !
vous allez m'arracher le bras ...
RENNIO , froidement.
Pleinement inftruit maintenant de la
fcandaleufe & très-fauffe hiftoire qu'il
vous a plû d'imaginer fur le compte de
Rennio & d'Alinde , il eft ici quel
qu'un , Monfieur , qui prétend en avoir
raiſon.
FLORIMOND.
De moi ? ... fuis-je garant de cette
hiftoire ? ... on me l'a faite ... & je
l'ai racontée : voilà tout ... Je m'en lave
les mains.
RENNIO.
Fort bien ! ... Mais vous ne nierez
pas , que vous connoiffez Rennio ? ..
Que vous avez particulierement connu
Alinde ? ... car vous l'avez dit à Monfieur?..
( en montrant Alinde .)
FLORIMOND .
D'accord... Haï donc ! Pourquoi tant
me fèrrer ? ... ( à part. ) Cette femme
en vaut douze ! ...
RENNIO .
Vous les connoiffez donc ?... Parlez...
( en le fèrrant plus fort.)
FLORIMOND .
Sans doute ... Ah ! quelle torture !...
SEPTEMBRE. 1762. 67
ل گ ا
RENNIO .
Eh bien , avouez donc votre infamie...
Demandez-leur grace... Ils font
devant vos yeux .
Qui?
FLORIMON D.
RENNIO .
Alinde & Rennio , vous dis-je .
FLORIM ON D.
Je ne vois que Cléone & Myfis !.
allons , allons . . . . vous badinez .
RENNI O.
On ne badine point avec les lâches
... L'un de nous deux eft Rennio ,
l'autre eft Alinde ... Si vous nous connûtes
jamais : parlez.
FLORIMON D , à part.
Miféricorde ! .
de ce pas ? ...
comment me ' tirer
RENNI0.
I Eh bien brave & véridique Scigneur
!... Quoi , cette Alinde , qui
vous a tant aimé ; ce Rennio , ce fot
enfant , à qui , fi généreufement , vous
cédâtes vos droits fur elle : l'un & l'autre
font fous vos yeux ... & vous ne les
reconnoiffez pas ? ... ( à Alinde. ) Seigneur
, prêtez-moi votre épée... Pour
un tel Champion , c'eft peut être trop
d'une femme.... ( Il prend l'épée d'A-
•
linde. )
68 MERCURE DE FRANCE.
ALIND E.
Ah , non ! ... de grace , laiffez-le....
FLORIMOND
, ( tremblant & refùfant
de fe battre , fe jette aux pieds
de Rennio . )
Ah , Madame , pardon ! ... ce n'eft
qu'ainfi que je me bats avec les femmes....
ou plutôt , que je ne rougis
jamais de leur demander grace....
I
SCENE VII.
Les mêmes Acteurs. LA FÉE.
LA FÉE.
L faut qu'on la lui faſſe ………. Rennio,
je vous l'ordonne ....
FLORIM ON D.
Rennio ?... Ah , Ciel ! ... oui , j'en
crois à fon bras ...
RENNIO.
Et j'ai l'honneur de vous préfenter
cette Alinde , qui doit tant à vos bon-
FLORIM ON D.
tés....
Alinde ! ...
RENNI O.
Elle-même .... & vous fçavez , dès -là ,
SEPTEMBRE, 1762.
69
ce que tous deux nous vous devons
de reconnoiffance.
LA FÉE .
Vous lui en devez plus que vous ne
penfez.... C'eft à lui , c'eft à fon impudence
même , qui m'a paru très - propre
à vous fervir , que vous devez l'accompliffement
de l'Oracle & du bonheur
conftant dont vous allez enfin
jouir.... Vos Pères , inſtruits par moi ,
vous attendent au Château , où tout fe
prépare pour célébrer un hyménée ,
qui fera la félicité des Peuples foumis
à vos loix ,
FLORIMOND .
Vivat ! ... ( à la Fée. ) Madame , je
vous devrai auffi ma converfion .
C'eft ainfi que fouvent le bien naît du mal même !
FIN,
TRADUCTION littérale de la premiere
Ode du troifiéme Livre d'Horace . Odi
profanum vulgus.
Ja hais le profane vulgaire , E
Et je l'écarte loin de moi.
O vous , de qui le culte eft mon plus doux
emploi ,
70 MERCURE DE FRANCE .
Chaftes foeurs, qu'à l'envi , tout l'Olympe révère,
Favorifez des chants deſtinés à vous plaire !
Je confacre en ce jour , aux Vierges , aux Enfans
Des Vers , que le premier je joignis à la Lyre :
J'y peins des Rois fameux par leurs fujets vaillans ,
Eux-mêmes affervis au fouverain Empire
Du Puiffant Jupiter , qui par l'airain brulant ,
Après avoir vaincu les Géants formidables ,
Par la feule terreur d'un geſte menaçant
Fait craindre à l'Univers fes foudres redoutables.
Mieux qu'un autre , ſouvent un homme indoftrieux
Sçait tracer les Sillons deſtinés à l'arbuſte ;
Plus noble , un Candidat né d'illuftres ayeux ,
Parvient du champ de Mars , dans un Sénat augufte.
Celui - ci par les moeurs , par fon intégrité ,
Offre un parfait modèle à la poftérité .
De les nombreux Cliens cet autre le décore ;
Mais , quel que foit l'éclat du faſte qui l'honore ,
Ici , la loi du fort réglant tout à fon gré ,
Confond le plus fublime , & le plus bas degré.
Dans l'Urne fpacieuſe , ou chaque Nom fe place ,
A la Houlette on voit les Sceptres réunis ,
Et les Rois terraffés par leurs fiers Ennemis
S'éclipfent en fuivant le Berger à la trace.
Du coupable qui voit le glaive fufpendu ,
Des mets delicieux couvrent en vain la table ;
Ils ne lui donnent point par leur faveur aimable
SEPTEMBRE . 1762. 71
Cette tranquillité que donne la vertu ;
> Et le chant des oiſeaux , ni le luth agréable ,
Ne lui ramène point le repos attendu .
Le doux repos chérit les demeures champêtres ;
Ces Coteaux , ces Valons , où même les Zephirs ,
Refpectent des Bergers couchés au pied des hêtres,
Et le calme innocent , & les riants plaifirs.
La Mer tumultuenfe , & les noires tempêtes ,
Les Aftres en courroux menaceroient nos têtes
Sans pouvoir ébranler le Mortel tempéré
Par qui le fuperflu n'eſt jamais defiré :
A la grêle , aux frimats la vigne abandonnée ,
Le Sol trompeur,l'Ormeau plaignant * ſa deſtinée,
Trifte jouet des Eaux ou du foufle brulant
Qui vient de moiffonner fon plus fertile champ ;
Rien ne peut ébranler fon âme courageufe.
L'Entrepreneur éléve une maffe orgueilleuſe ,
Et les Poillons preffés par de lourds fondemens
Se fentent refferrés dans les flots écumants * * ,
Le grand Seigneur mépriſe & défèrte fa tèrre : ]
Mais des foins dévorans la troupe meurtrière ,
Monte fur fon navire , où pour mieux l'affiéger
De fon coufier rapide embraffe l'étrier .
Si vainement tout l'or de la vaſte Lybie ,
Si le brillant Lapis qu'enfante la Phrygie ,
Si les vins de Phalerne & les parfums éxquis
* Arbore nunc aquas culpante.
•
** Contracta pifces æquora fcartiunt
72 MERCURE DE FRANCE .
Ne peuvent adoucir nos pénibles ennuis ;
Pourquoi donc élever tur des Colonnes vaſtes
Ces Palais fomptueux , monumens de nos Faſtes ?
En excitant l'Envie , & pourquoi changeons- nous
Des biens que nos ayeax jadis trouvojent fi doux ,
Pour ces Temples nouveaux , dont la grandeur
futile
Eft le feul prix qui reſte , au travail inutile ?
Par Madame DUMONT , Abonnée au Mercure.
VERS fur le début de Mlle DURANCY
à l'Opéra dans les Fêtes Grecques &
Romaines, par le Rôle de CLEOPATRE.
PAR le fon de fa voix mélodieuſe & tendre ,
Par fes talens , par fes charmes flateurs ,
Cléopatre a droit de prétendre
A l'hommage de tous les coeurs.
Ses chants , guidés par Therpficore ,
Peignent le Sentiment , la Nature & l'Amour :
Ce Dieu qu'à Paphos on adore ,
Dans les yeux enchanteurs a fixé ſon ſéjour...
Ceſt en un mot la plus brillante aurore
Qui nous promet le beau jour •
Par M. le C. de S. A ....
IMPROMPTU
SEPTEMBRE. 1762. 73
IMPROMPTU
A S. A. S. E. PALATINE, aujour de
V.
l'An.
ous m'ordonnez , grande Princeffe ,-
De prier Dieu pour votre Alte ffe ;
Eh ! que dois- je luidemander ,
Qu'il puiffe encor . vous accorder ?
N'avez- vous pas l'âme adorable ?
Avec l'efprit le plus aimable
Ne voit-on pas la majeſté
Briller en vous , avec les graces
De la taille , & de la beauté ?
Si tous les Grands fuivoient vos traces ,
Que les peuples feroient heureux !
Vous illuſtrez la Germanie ,
Et l'ignorez par modeftie ;
Ah ! pouvez-vous defirer mieux ?
Par M. ****
D
74 MERCURE DE FRANCE .
IMPROMPTU
A M. & à Madame VENDLINGS ,
Muficiens de L. A. S. E. Palatines.
HEUREUX BUREUX Vendlings, quel talent eft le vôtre ?
Quivous entend eft dans l'enchantement ;
Et l'on ne peut vous louer dignement ,
Qu'en vous comparant l'un à l'autre.
Par le même.
MADRIGAL
A Madame DE NESLE , Actrice de la
Cour Palatine.
ATANTdegraces , de talens
Qui vous font briller fur la Scéne ,
Nefle adorable , je vous prends
Pour Thalie , & pour Melpomène .
Jaloux d'obtenir votre foi ,
Quand fur le Trône en Souveraine ,
Vous déployez un coeur de Reine ,
J'ambitionne d'être Roi .
Quand d'une voix tendre & légère ,
Vous ne chantez dans un verger ,
Que le plaifir d'être Bergère ;
Je voudrois n'être que Berger.
Par le même.
SEPTEMBRE. 1762. 75
STANCES A ZAMIRE.
ON bonheur n'étoit donc qu'un fonge
Qu'a détruit un trop prompt réveil ?
féduiſant menfonge
Douce erreur ,
Je vous perds avec le fommeil.
L'illufion , toujours flateuſe ,
Adoucit en vain le tableau :
L'abſence toujours rigoureuſe
Déchire fon léger bandeau.
C'eft alors ma, chère Zamire,
Qu'on éprouve ce vuide affreux ,
Ce vuide dont mon coeur foupire ....
Et que nous éprouvons tous deux.
Phoebus fe leve , je t'adore ,
Il faut te fuir à ſon couchant ;
Ton deftin eft celui de Flore
De Zephire j'ai le penchant.
Il eſt une faifon cruelle
Qui vient terminer les plaifirs ;
Mais loin de le rendre in.fidéle
L'abfence augmente fes defirs.
Bientôt le Printemps le ramène ;
La Reine des Fleurs lui fourit;
H l'échauffe de fon haleine,
Et la Nature s'embellit.
Ah ! reviens donc , Saifon charmante ,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
Reviens fur l'aile des Amours ;
Que ten retour à mon Amante
Faffle eſpérer les plus beaux jours.
Que dis -je ! qu'il eſt loin encore
Ce temps , ce jour fifouhaité,
Que fembloit annoncer l'Aurore
De la plus tendre volupté .
Où nos coeurs plongés dans l'ivreffe
Que procurent les vrais plaiſirs ,
Au fein de la délicateffe
Puiferont de nouveaux defirs....
Mais quelles riantes Peintures !
Que le Pinceau du Sentiment
Aux agréables impoſtures
Donne un coloris féduifant.
Telles font ces vapeurs légéres
Qui brillent dans l'obfcurité ,
Dont les bluettes paffagéres
Voltigent dans les nuits d'Été.
Le Voiageur les prend pour guide,
Il fuit quelque tems leur lueur :
Elles s'éclipfent dans le vuide ....
Il s'arrête , & voit fon erreur.
Ainfi , la facile eſpérance ,
Divinité des malheureux ,
Couvre d'un voile la diſtance
Qui s'oppose à mes tendres voeux.
La trompeuſe me diffimule
Que mon bonheur toujours me fuit ,
SEPTEMBRE. 1762 .
77
Et m'en fait voir le crépuscule
Au milieu même de la nuit .
Tes attributs font infidéles ,
Vieillard deſtructeur des momens :
Si l'on te peint avec des aîlės ,
Hâtes- en donc les mouvemens.
Ou plutôt céde-m'en l'ufage.
Semblable pour lors aux Amours ,
Auffi tendre , mais moins volage ,
Je précipiterai ton cours ....
J'atteins déja , tendre Zamire ,
L'inftant qui doit combler nos voeux ;
Dans tes yeux , au ſein du délire
Je vais puiler de nouveaux feux.
Sois alors , vieillard indocile ,
Un Phénomène à l'Univers ;
Deviens une fois immobile ,
Refte fufpendu dans les airs...
Comme Titon , dans les délices ,
Bravant la Raifon & la Mort ,
J'imiterai fes facrifices ,
Trop heureux d'éprouver fon fort.
Par M. R***** de Dyon.
D üj
78 MERCURE
DE FRANCE .
BOUQUET
A Mlle A. C. L. N.
AIR: J'aime une ingrate Beauté.
LAA prudence & la douceur ,
Daphné , font votre partage .
Sans craindre d'être fateur ,
J'en dirois bien davantage :
Mais de votre portrait
Une image fidèle
POUR
A vos yeux paroîtroit
N'avoir point de modèle.
EN VOI.
OUR plaire , mon eſprit ne ſçait pas inventer;
Infpiré par mon coeur , il vous dit ce qu'il penfe .
Mon hommage , Daphné , peut- il vous révolter ,
Quand l'efprit & le coeur s'offrent d'intelligence ?
ParJ. M. N. M. de Donnemarie en Montois.
ગ
SEPTEMBRE. 1762 . 79
ÉPITAPHE de M. DE CRÉBILLon .
TUu gémis Melpomène ; & ton front abattu
Nous peint dans ta trifteffe une douleur fublime !
Tu nous dis , quel Mortel aima plus la Vertu ,
Quel Mortel conçut mieux toute l'horreur du
crime ?
Attributs de fon tombeau.
Tels font tes attributs , ô tombe revérée !
Rhadamifte langlant refpire la fureur ,
Thiefte le remord , Orefie la terreur ,
Et la Vengeancey boit dans la coupe d'Atrée.
LE
E mot de la premiere Enigme du
Mercure d'Août eft la Médaille. Celui
de la feconde eft le Mafque. Celui du
premier Logogryphe eft le changement ,
dans lequel on trouve âme , chant , chế-
ne , Tage, Nantes , cage , chat. Celui du
fecond eft Richelieu , où l'on trouve
lieu , riche , lire , cire , chrie , ere , lie ,
clie , Heli , heure , chile , ciel , re , le
celeri , le cher , cri. Celui du troifiéme eft
crime , le c retranché , il refte rime.
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
ENIGME
PLLUUSS oOnN me trouve rude,
Plus on me chérit en tous lieux ;
Je plais à la campagne & dans la folitude ,
Et je charme l'ennui des jeunes & des vieux.
Je fuis généreufe & fi bonne ,
Queje rends tout ce qu'on me donne.
Mais fi je viens à m'adoucir ,
On me mépriſe , on me rejette ,
Et c'eft à quoi je fuis ſujette
Lorfque je fais trop de plaifir .
AUTRE.
Ma Mer n'eut jamais d'eau ; mes Champs font
infertiles.
Je n'ai point de maiſon & j'ai de grandes Villes
Je réduis en un point mille ouvrages divers :
Je ne fuis prèfque rien , & je fuis l'Univers.
SEPTEMBRE. 1762. 81
LOGO GRY PH E.
A Mlle A... C... Q... J...
EGLE , fi quelquefois j'ai charmé tes loiſirs ;
Si quelquefois ta voix touchante
A ravi mille coeurs , fois en reconnoiffante
Et mets en me lifant , le comble à mes defirs.
Sept pieds font toute ma richeſſe ;
Six petits mots dits fans fineffe
Vont bien vite te mettre au fait ,
Et tu vas juger ce que c'eft.
Je t'offre un inftrument de guerre
Dont le bruit feul peut allarmer ;
L'exclamation ordinaire ;
L'Auteur latin de l'art d'aimer.
Après la farine faffée
Ce qui refte dans le bluteau ;
Un Animal plus laid que
beau ;
Puis une carte. Eh bien ! ne fuis-je pas aiſée ?
Par M. GOUDEMETZ,
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE .
FUYEZ UYEZ loin de mes yeux , Héraclites auftères ,
Philofophes quinteux , Rêveurs atrabilaires ,
Qui tenez compte ouvert de chagrins & d'ennuis,
Vous pour qui Lachefis ne file que des nuits ;
Qu'Amour , Ris , Plaifirs , Jeux autour de moi
fans ceffe
S'accordent pour narguer votre fombre fageffe.
Payez des Partiſans dont vous ferez loués ,
Car chez moi c'eſt gratis que vous ferez hués ,
Qu'à Caraccioli , ce Morrel vraiment fagé ,
Chacun vienne à l'envi préſenter ſon hommage ;
Que .... me tenez-vous ! non è je vais donc m'expliquer.
Jevous offre fix piéds aifés à difféquer.
Premierement une riviere
Qui traverſe le Portugal ;
Une Saiſon ; un faquin d'Animal
Que la Fontaine appella Plagiaire.
Le tuyau fur lequel l'oeillet vient fe percher ;
Ce qui chez nous croît à toute heure ,
Si bien qu'enfin il faut que l'on en meure. '
Voilà tout , cher Lecteur , c'eft à toi de chercher.
Par le même.
THE NEW YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ABTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
,
Graticusem
Près de l'éclat de
tes
yeux
de ton
tein, Ces fleurs verront bientôt tout leur éclat se
teindre: dre : Aminte
qui pourait les
plaindre , Elles vont mourir sur ton sein, Qu'à
leur destin je porte envie , Une si douce
mort Vaut mille fois la vie . A. e .
SEPTEMBRE. 1762. 8
AUTRE .
AMI Lecteur , plains-moi : quand je fuis toute
entière ,
L'on ne me voit jamais que mordre la pouffière.
Voions fi fupprimant une lettre à mon nom
Je n'aurai pas une autre chance ...
Mais c'eft encor pis ; quel guignon !
Je n'en ai pas plus d'importance.
Par le même.
CHAN SO N.
·Bouquet à Mlle ***
Prés de l'éclat de tes yeux , de ton tein ,
Cesfleurs verront bientôt tout leur éclat s'éteindre.
Aminthe , qui pourroit les plaindre ,
Elles vont mourir fur ton fein .
Qu'à leur deftin je porte envie ! ...
Une fi douce mort , vaut mille fois la vie.
D vj
Graticus em
Près de l'éclat de tes yeux
de ton
tein, Ces fleurs verront bientôt tout leur éclat s'é-
=
teindre: dre : Aminte qui pourait les
W
plaindre , Elles vont mourir sur ton sein,Qu'à
leur destin je porte envie , Une si douce
mort Vaut millefois la vie. A. e.
SEPTEMBRE . 1762. 8
AUTRE.
AMI Lecteur , plains- moi : quand je fais toute
entière ,
L'on ne me voit jamais que mordre la pouffière.
Voions fi fupprimant une lettre à mon nom
Je n'aurai pas une autre chance ...
Mais c'eft encor pis ; quel guignon !
Je n'en ai pas plus d'importance.
Par le même.
CHANSON.
Bouquet
à Mlle ***.
Prés de l'éclat de tes yeux , de ton tein ,
Ces fleurs verront bientôt tout leur éclat s'éteindre.
Aminthe , qui pourroit les plaindre ,
Elles vont mourir fur ton fein .
Qu'à leur deſtin je porte envie !
...
Une fi douce mort , vaur mille fois la vie,
D vj
SEPTE
l'éclat de tes yeux
de ton
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bientôt
tout leur éclats'é-
A
AMI
Lecteur, plai
entière ,
L'on ne mevoit jan
Voions fi
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n'aurai pas
Mais c'eft enc
Je n'en aipas
dre : Aminte
qui
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Ellesvont mourir sur ton sein,Qu'à
tin je porte
envie
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ut millefois la vie. A. e.
Prisde
l'éclat
RES
Ces
fleurs
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Aminthe ,qu
Ellesvont mo
Qu'à leur def
Une fi
douce
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SEPTEMBRE. 1762. 8
AUTRE .
AMI Lecteur , plains -moi : quand je fuis toute
entière ,
L'on ne me voit jamais que mordre la pouffière.
Voions fifupprimant une lettre à mon nom
Je n'aurai pas une autre chance ...
Mais c'eft encor pis ; quel guignon !
Je n'en ai pas plus d'importance.
Par le même.
CHANSON
Bouquet à Mlle ***.
Prés de l'éclat de tes yeux , de ton tein ,
Ces fleurs verront bientôt tout leur éclat s'éteindre.
Aminthe , qui pourroit les plaindre ,
Elles vont mourir fur ton fein .
Qu'à leur deftin je porte envie ! ...
Une fi douce mort , vaut mille fois la vie.
D vj
SEPTE
L'éclat
de tes yeux
de ton
A
AMI
Lecteur,pla
entière,
L'on ne mevoit jan
Voions fi
fupprima
Je
n'aurai pas
Mais c'eft enc
leurs
verront
bientôt
tout leur éclat se Je n'en ai past
dre : Aminte qui pourait les
Elles vont mourir sur ton sein, Qu'à
tin je porte
envie, Une si douce
ut mille fois la vie. A. e.
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Bouq
Prisde
l'éclat
Cesfleurs
verront b
Aminthe ,qu
Elles
vont
mo
Qu'à leurdef
Une fi
douce
mor
SEPTEMBRE. 1762. 8
AUTR E.
AMI Lecteur , plains- moi : quand je fais toute
entière ,
L'on ne me voit jamais que mordre la pouffière.
Voions fi fupprimant une lettre à mon nom
Je n'aurai pas une autre chance ...
Mais c'eft encor pis ; quel guignon !
Je n'en ai pas plus d'importance.
Par le même.
PRÉS
CHANSON.
Bouquet à Mlle ***.
Prés de l'éclat de tes yeux , de ton tein ,
Ces fleurs verront bientôt tout leur éclat s'éteindre.
Aminthe , qui pourroit les plaindre ,.
Elles vont mourir fur ton fein .
Qu'à leur deftin je porte envie ! ...
Une fi douce mort , vaut mille fois la vie.
D vj
SEPTE
L'éclat de tes yeux de ton
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verront
bientôt
tout leur éclat se
A
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ut mille fois la vie. A. e.
Présde
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Ces
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verront b
Aminthe ,qu
Elles
vont
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Qu'à leur def
Une fi
douce
mor
SEPTEMBRE. 1762. 8
AUTR E.
AMI Lecteur , plains-moi : quand je fuis toute
entière ,
L'on ne me voit jamais que mordre la pouffière.
Voions fi fupprimant une lettre à mon nom
Je n'aurai pas une autre chance ...
Mais c'eft encor pis ; quel guignon !
Je n'en ai pas plus d'importance.
Par le même.
CHANSON.
Bouquet à Mlle ***.
PRES de l'éclat de tes yeux , de ton tein ,
Ces fleurs verront bientôt tout leur éclat s'éteindre
Aminthe , qui pourroit les plaindre ,
Elles vont mourir fur ton fein .
Qu'à leur deftin je porte envie ! ...
Une fi douce mort , vaut mille fois la vie,
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
ÉCOLE MILITAIRE : Ouvrage compofé
par ordre duGouvernement . Par
M. l'Abbé RAYNAL , de la Société
Royale de Londres , & de l'Académie
des Sciences & Belles-Lettres de Pruffe.
A Paris , chez Durand , Libraire
rue du Foin. 1762. in-12. vol. 3.
SECOND EXTRAIT.
Nous ous avons rendu compte du premier
volume ; le fecond va nous occuper
,
& nous en extrairons autant de
traits que les bornes de notre Journal
pourront nous le permettre.
Le célèbre Navigateur Anglois
François Drack , attaque & prend
Saint- Domingue , en 1586. Il apprend
tout ce que les Efpagnols ont exercé
de cruautés dans cette partie confidérable
du nouveau Monde. On finit
SEPTEMBRE. 1762.
૪૬
les détails où l'on entre avec lui , par
une chofe qui peut-être n'a jamais eu
d'exemple. C'eft que parmi ces Infulaires
, les hommes en étoient venus à
ce point de défefpoir , que pour ne pas
mettre au monde des enfans qui fuffent
la victime du Conquérant , ils avoient
réfolu , tous de concert , de n'avoir
aucun commerce avec leurs femmes ;
ce qui avoit fait en peu de temps , un
défert de cette Ifle fi peuplée.
,
Le Moneftier , Gentilhomme Catholique
de Provence , fortifie durant
les guerres de Religion , fon Château ,
& y met une garnifon , quoiqu'il fe
foit engagé à ne faire ni l'un ni l'autre.
Lefdiguières lui envoie un Ami commun
, pour lui fignifier que , s'il ne répare
fes torts fans délai , il l'enterrera ,
lui & les fiens , fous les ruines de fa
Place. Le Moneftier , un des plus intrépides
guerriers de fon temps , après
avoir paifiblement écouté le Médiateur ,
lui tend froidemend le bras : Mon Gentilhomme
, lui dit - il , táte fi le poulx
me bat , pour toutes les menaces de
Lefdiguières : il fera comme bon lui
Semblera.
*
86 MERCURE DE FRANCE.
Les Portugais étant en guerre dans
l'ifle de Ceylan , Thomas de Souſa fait
prifonniere une jeune & belle perfonne,
qui vient d'être promife à un homme
grand & bien fait. L'Amant inftruit de
ce malheur , ne tarde pas à aller ſe jetter
aux pieds de fon Amante , qui fe précipite
avec tranſport dans fes bras : ils
confondent leurs foupirs & verfent des
torrens de larmes. Leur malheur leur
interdifant l'espoir de vivre libres enfemble
, ils fe jurent de partager toutes
les horreurs de l'esclavage.
Soufa né fenfible , eft attendri par
ce fpectacle. C'eft affez , leur dit-il , que
l'Amour vous impofe des chaînes ; puiffiez-
vous les porter jufqu'au dernierjour
de votre vie ! Allez, vivez heureux ; je
vous affranchis de mes fers. Les deux
Amans fe jettent à fes genoux. Ils s'attachent
pour toujours à leur généreux
Libérateur , & veulent vivre fous les
loix d'une nature qui fçait ufer fi noblement
de fa victoire.
Les Ligueurs , en 1589 , entreprennent
le fiége de Senlis , pour avoir un
communication libre avec les Villes de
Picardie , qui font dans leurs intérêts.
Comme les Royaliftes n'ont pas des
SEPTEMBRE . 1762. 87
forces fuffifantes pour attaquer les Affiégeans
, ils fe bornent à vouloir faire
entrer dans la Place , des munitions de
guerre & de bouche. Les Marchands
ne veulent pas les livrer fans argent ;
& les Traitans qui fe font fi fort enrichis
dans les affaires refufent d'en
avancer, Oh bien , dit le brave & vertueux
Lanoue , ce fera donc moi qui
ferai la dépenfe. Garde fon argent quiconque
l'eftimera plus que fon honneur.
Tandis que j'aurai une goutte defang
& un arpent de terre , je l'employerai
pour la défenfe de l'Etat où Dieu m'a
fait naître. Il engage auffi- tôt fa terre
des Tournelles , aux Marchands qui doivent
fournir les munitions.
En 1590 , le Duc de Savoie & la
ville de Genève , fe font une guerre
vive .
Pecolat , citoyen de la République ,
eft fait prifonnier. On emploie inutilement
toutes les rufes poffibles , pour
lui arracher fur fa patrie quelques éclairciffemens
, dont on avoit un beſoin
abfolu . Les tourmens les plus horribles
ne le font point parler davantage. Il eſt
foupçonné de magie ; & on imagine
pour rompre le charme , de lui rafer
tout le corps.
88 MERCURE DE FRANCE.
Dans le temps que cette fingulière
opération commence , l'intrépide Génevois
arrache le rafoir des mains du
Barbier , & fe coupe fur le champ la
langue , pour fe mettre dans l'impoffibilité
d'être foible. Une réfolution fi
héroïque ravit jufqu'à ceux qui l'ont
occafionnée ; ils renvoient Pecolat libre
& comblé d'honneurs.
Henri IV affiége & prend la Fère ,
en 1596. Les François chargés de rédiger
les articles de la capitulation , ftipulent
que la Ville fera rendue fans
fraude. Borio qui défend la Place , ne
veut jamas confentir , par une vanité
efpagnole , qu'on fe ferve du terme de
Se rendre , ni de celui de fraude ; le
premier fentant la lâcheté , & l'autre
la perfidie : vices dont , dit-il , on ne
peut pas foupçonner fa Nation .
Henri IV aimoit paffionnément fa
Nobleffe. Il lui avoit vu faire de fi belles
chofes à la guerre , qu'il ne fe laffoit
pas de répéter qu'avec elle rien ne lui
feroit impoffible. Un Ambaffadeur
d'Efpagne lui témoignant un jour qu'il
étoit furpris de le voir environné &
preffé par quantité de Gentilshommes.
SEPTEMBRE . 1762. 89
Si vous m'aviez vu un jour de bataille ,
epartit vivement ce Prince , ils me
reffoient bien davantage.
Un jour que Henri IV etoit entouré
des Grands de fa Cour , & de beaucoup
de Miniftres Etrangers , la converfation
tomba fur les grands Guerriers
: Meffieurs , dit le Roi , en mettant
la main fur l'épaule de Crillon ; voilà le
premier Capitaine du monde. Vous en
avez menti , Sire , c'eft vous , repliqua
vivement Crillon , plus accoutumé à
confulter la vérité que les bienféances .
Louis XIII affiégea , en 1622 , les
Huguenots dans Montpellier. Les Royaliftes
s'étant laiffés repouffer à une attaque
, fans faire beaucoup de réfiftance
, Zamet , Maréchal de Camp ,
leur crie : Soldats , vous fuyez? Monfieur
, nous n'avons ni poudre ni plomb ,
répondent-ils , quoi ! leur dit-il , n'avezvous
pas des épées & des ongles ? Cette
parole les ranime , ils reviennent à la
charge , & repouffent ceux qui les
avoient mis en fuite.
Le Duc de Montmorenci bat , en1625 ,
la Flotte des Huguenots , près de l'Ifle
90 MERCURE DE FRANCE .
de Rhé , & reprend cette Ifle dont ils
s'étoient emparés. Le Vainqueur demande
le gouvernement de fa conquête
, comme la récompenfe de l'important
fervice qu'il vient de rendre .
Le brave Toiras lui eft préféré . Bienloin
d'en témoigner quelque reffentiment
, Montmorenci abandonne pour
plus de cent mille écus de munitions
qui lui appartiennent légitimement
comme Amiral . On veut faire appercevoir
au Duc que c'eft un trop grand
facrifice : Je ne fuis pas venu ici pour
gagner du bien , répond-il , avec fierté ,
mais pour acquérir de la gloire.
Les Miniftres de Guftave Adolphe ,
veulent le détourner , en 1630 , de la
guerre d'Allemagne , fous prétexte qu'il
manque d'argent. Les pays que je vais
attaquer , dit-il , font riches & efféminés,
mes armées ont du courage & de l'intelligence
; elles arboreront un étendart chez
l'ennemi qui payera mes Troupes.
Le grand Guftave revenant un jour
d'une attaque , où il avoit été expofé
cinq heures de fuite à un feu terrible ,
Gaffion lui dit que , les François verroient
avec déplaifir leur Souverain courir
SEPTEMBRE. 1762. 91
d'auffi grands rifques. Les Rois de
France , répondit Guftave , font de
Grands Monarques ; & moi je fuis un
Soldat de fortune.
L'Empereur fe plaint de n'avoir pas
de quoi payer fes armées . Je ne vois à
ce malheur qu'un reméde , dit Walſtein,
c'eft de les doubler. Eh ! comment pourrois-
je entretenir cent mille hommes ,
replique Ferdinand , puifque je fuis
hors d'état d'en entretenir cinquante
mille ? Cinquante mille , reprit l'habile
Général , tirent leur fubfiftance du Pays
ami , & cent mille la tireroient du Pays
ennemi.
Le Peuple de Bordeaux s'étant révolté,
pour une nouvelle impofition qui lui
déplaifoit beaucoup , le Duc d'Epernon ,
Gouverneur de la Guienne , prend les
armes pour faire rentrerles Mécontens
dans leur devoir. Un Charpentier , qui
combat à la tête de ceux de fa profeffion
, ayant reçu à la défenfe d'une barricade
, un coup de feu qui lui caffe le
bras , entre dans la boutique d'un Chirurgien
, achève de faire couper fon
bras , qui n'eft foutenu que par la peau,
fait mettre un premier appareil fur fa
92 MERCURE DE FRANCE .
bleffure , & fe porte à l'inftant à une
autre barricade , qu'il défend avec beaucoup
de réfolution ,
Forcé dans ce nouveau pofte , il eft
préfenté à d'Epernon , qui , né avec une
grande fenfibilité pour tout ce qui eft
grand , prend un foin extrême d'un
homme qui vient de faire des chofes fi
héroïques. Cet homme extraordinaire
commençoit à guérir , lorſqu'ayant entendu
de fon lit le bruit d'une nouvelle
fédition , il va ſe mettre à la tête de fa
Troupe , où il fait , à ſon ordinaire , des
prodiges. Malheureufement il meurt peu
de jours après d'une fiévre continue
occafionnée par les efforts qu'il a faits.
Il n'y auroit rien au deffus des actions
qu'on vient de lire , fi le motif en étoit
louable.
En 1636, les Efpagnols entrepren→
nent de paffer la Somme , pour porter
la guerre jufqu'aux portes de Paris.
Puifégur eft chargé de leur difputer le
paffage avec peu de monde. Le Comte
de Soiffons , Général de l'Armée Françoife
, craignant avec raifon qu'il ne
foit écrafé , lui envoie dire de fe retirer ,
s'il le juge à propos. Monfieur, répond
Puifégur à l'Aide de Camp , un homme.
1
SEPTEMBRE. 1762 . 93
commandé dans une action périlleufe
comme eft celle-ci , n'a point d'avis à donner.
Jefuis venu par ordre de M. le Com
te ; je n'en fortirai pas , à moins qu'il
ne me l'envoie commander.
Le Maréchal de Toiras fut tué en
1636 , devant la fortereffe de Fontanette
dans le Milanès . Après qu'il eut
expiré , les Soldats trempoient leurs
mouchoirs dans le fang de fa plaie , difant
que tant qu'ils les porteroient fur
eux , ils vaincroient leurs ennemis,
Lorfque les Portugais eurent fecoué
en 1640 le joug de l'Eſpagne , la guerre
commença entre les deux Nations. Les
Efpagnols qui entrent les premiers en
campagne , ravagent des terres , pillent
des églifes , maffacrent des enfans , emménent
prifonniers quelques habitans.
Ils s'en retournoient fans ordre & fans
difcipline , jouant de plufieurs inftrumens
qu'ils avoient pris à des Bergers
& à des Laboureurs, Inutilement leur
Commandant leur crie : Vous chantez
trop tôt votre fupériorité ; on n'eft jamais
sûr d'être vainqueur tant qu'on eft
fur les terres de l'Ennemi. On n'écoute
rien. Mais bientôt après on apperçoit
94 MERCURE DE FRANCE.
les Portugais , & les chants fe changent
en trifteffe. Quittez maintenant vos guitarres
& vos flutes , leur dit leur Chef:
il ne s'agit plus de chants ni de fons ,
ilfaut combattre des hommes ; montrezvous
donc braves & courageux. Ce difcours
eft à peine fini , qu'ils font chargés
, taillés en piéces & mis en fuite.
Pour cacher leur honte en Eſpagne, ils
montrent les oreilles de leurs Compatriotes
tués dans les différentes actions
qui fe font paffées , affurent bien fort
qu'ils les ont coupées à des Portugais ;
on n'en veut rien croire ; & un Chanoine
de Bajados homme d'efprit leur dit
qu'ils auroient beaucoup mieux fais de
rapporter les armes de leurs ennemis que
leurs oreilles , parcequ'on ne peut pas les
diftinguer de celles des Caftillans .
L'hiftoire a beaucoup parlé du terrible
combat que le Grand Condé à la tête
des Mécontens , foutint en 1652 dans
le Faubourg Saint Antoine , contre les
troupes Royales commandés par Turenne
Il eft fingulier que la plus remarquables
de cette mémorable journée,
ait été oubliée .
Les Mécontens fatigués d'une action-
très vive , très-opiniâtre , très -fanSEPTEMBRE
. 1762 . 95
glantes , & ne pouvant plus balancer des
forces trop fupérieures , lâchent pied ,
fans qu'il foit poffible , ni de les
rallier , ni de leur faire tourner viſage .
Condé prend le parti de monter à cheval
, de gagner la tête des fiens qui
s'enfuyent en confufion dans la grande
rue , & de marcher ainfi avec eux , comme
s'il prenoit réellement le même parti.
Lorfque d'un pas grave , & à la
tête de ces foldats qui fe formoit peuà-
peu , le Prince eft arrivé vers les Halles ,
il tourne tout d'un coup ceux qui
le fuivent tournent comme lui par une
converfion à droite ; de forte que par
ce mouvement , cette maffe d'infanterie
fe trouve tout d'un coup en face
& à la vue de l'ennemi victorieuxqui
eft fort étonné de fe voir chargé
lorfqu'il croit la journée finie . Condé
croyoit devoir fon falut à cette belle
manoeuvre,ainfi qu'il l'a dit plufieurs fois
à Caderouffe de qui Folard le tenoit .
,
Turenne attaque Saint-Venant en
1657 ; il fuffit pour en faire lever le
Siége , de prendre un convoi , qui , efcorté
feulement par trois efcadrons
va de Béthune à l'Armée Françoife ; le
>
fuccès eft facile & infaillible mais la
96 MERCURE DE FRANCE.
mauvaiſe police introduite dans le cam
Efpagnol , empêche même qu'on ne
tente.
Dom Juan d'Autriche qui comman
de l'Armée , & le Marquis de Caraçenne
qui eft chargé de la diriger , dorment
tous les jours dans leur caroff
après le diner , fuivant lufage de leur
pays . Le convoi paffe pendant leur fommeil
; & tel eft l'orgueil du Cérémonial
qu'ils font obferver , que perfonne ne
veut prendre fur foi de les éveiller . Le
Prince de Ligne qui eft à la tête de la
Cavalerie , n'ofe rien entreprendre, parce
que dans les principes alors établis
en Eſpagne , il s'expofe à avoir le cou
coupé , même en réuffiffant , s'il attaque
fans ordre ; & que rien ne peut le fauver
, s'il a le malheur de recevoir un
échec .
Le Marquis de Marialve , Général
Portugais , remporte à Elvas , en 1659,
une victoire complette fur les Efpagnols
. Dans l'ivreffe de ce grand fuccès,
il affemble tous les Prifonniers qu'il vient
de faire , & leur tient ce langage.
» Votre défaite dépofe , Meffieurs ,
» contre la juftice de vos prétentions.
» Quelle que foit votre conviction , il
» vous
SEPTEMBRE . 1762 . 97
» vous eft libre de retourner dans votre
" Patrie. Souvenez-vous que , tout au-
» tant de fois que l'envie vous prendra
» de retourner en Portugal , vous ferez
" battus & chaffés. Adieu .
Marialve , dans la lettre qu'il écrit
à fa femme , foutient ce ton fanfaron.
Il lui exagère l'importance & la grandeur
de l'avantage qu'il vient de remporter
, & l'affure qu'on n'en a pas eu
d'auffi décifif contre les Espagnols ,
depuis la fondation de la Monarchie.
La Marquife , qui eft naturellement
très-fière , fe contente d'écrire à fon
mari , pour toute réponſe : Si vous en
euffiez moins fait , je ne vous aurois jamais
vu.
Les Hollandois avoient formé un
etabliffement très - confidérable dans
l'ifle Formofe .Le Chinois Coxinga arme
pour les en chaffer , & prend à la defcente
Hambroeck leur Miniftre. Choifi
entre les prifonniers pour aller au Fort de
Zélande déterminer les Affiégés à capituler
, il les exhorte à tenir ferme , &
leur prouve qu'avec beaucoup de conftance
ils forceront l'Ennemi à fe retirer.
La garnifon , qui ne doute pas que
E
98 MERCURE DE FRANCE .
camp ,
cet homme généreux , de retour au
ne foit maffacré , fait les plus
grands efforts pour le retenir. Ces inftances
font tendrement appuyées par
deux de fes filles qui font dans la Place.
J'ai promis , dit-il , d'aller reprendre mes
fers ; il faut dégager ma parole . Jamais
on ne reprochera à ma mémoire que ,
pour mettre mes jours à couvert , j'ai appefanti
le joug &peut- être caufé la mort
des compagnons de mon infortune. Après
ces mots énergiques , il reprend tranquillement
le chemin du camp Chinois .
Nous rendrons compte le mois prochain
, du troifiéme volume de cet agréa
ble Ouvrage.
ÉPITRE à MIN ETTE ; par M. C***,
A Paris , chez Charpentier, Libraire ,
Quai des Auguftins , à l'entrée de la
rue du Hurepoix , à S. Chryfoftome,
1762. Brochure in- 8° .
ILL paroît que M. C *** griévement
,
offenfé des critiques faites contre quelques-
uns de fes Ouvrages , a voulu s'en
venger dans une Epître qu'il adreffe à
SEPTEMBRE . 1762. 99
fon chat. Il reprend d'abord avec bonté,
dans cet animal , cette inclination malfaifante
qui le porte à égratigner fon
Maître. Il lui repréfente enfuite , que le
pouvoir de mal faire n'eft pas une chofe
fi rare ; & que lui -même , M. C ***
tout bon qu'il eft , pourroit bien traiter
fes critiques , comme fon chat traite
les fouris ; il ajoute :
Répondez -moi , penſez - vous que moi-même ,
(Moi qui fuis bon , puiſqu'enfin je vous aime )
Oui , répondez , dites - moi , penſez- vous
Qu'environné de critiques jaloux ,
Je ne pourrois comme eux plein d'amertume ,
A fon caprice abandonner ma plume ?
Si en effet M. C *** uſe envers eux
de modération , c'eſt qu'il s'eſt accoutumé
de bonne heure à fe vaincre luimême.
Grâces aux foins , qui depuis mon enfance ,
Ont de mes fens dompté la violence ,
Je ris en paix de l'orage & des Sots.
Il ne faut pourtant pas que l'on
imagine pouvoir abufer de cette patience
pour l'outrager impunément . Il veut
bien diffimuler les premieres critiques ;
Mais cependant l'Abeille courroucće
E ij
98 MERCURE
DE FRANCE
.
cet homme généreux , de retour au
camp , ne foit maffacré , fait les plus
grands efforts pour le retenir. Ces inftances
font tendrement appuyées par
deux de fes filles qui font dans la Place,
J'ai promis , dit-il , d'aller reprendre mes
fers ; il faut dégager ma parole. Jamais
on ne reprochera à ma mémoire que ,
pour mettre mesjours à couvert , j'ai appefanti
le joug & peut-être caufé la mort
des compagnons de mon infortune. Après
ces mots énergiques , il reprend tranquillement
le chemin du camp Chinois.
Nous rendrons compte le mois pro
chain , du troifiéme volume de cet agréa
ble Ouvrage.
ÉPITRE à MINETTE ; par M. C***,
A Paris , chez Charpentier, Libraire ,
Quai des Auguftins , à l'entrée de la
rue du Hurepoix , à S. Chryfoftome,
1762. Brochure in- 8° .
ILL
paroît que M. C *** , griévement
offenfé des critiques faites contre quelques-
uns de fes Ouvrages , a voulu s'en
venger dans une Epître qu'il adreffe à
SEPTEMBRE. 1762. 99
fon chat . Il reprend d'abord avec bonté,
dans cet animal , cette inclination malfaifante
qui le porte à égratigner fon
Maître. Il lui repréſente enfuite , que le
pouvoir de mal faire n'eft pas une chofe
fi rare ; & que lui - même , M. C ***
tout bon qu'il eft , pourroit bien traiter
fes critiques , comme fon chat traite
les fouris ; il ajoute :
Répondez-moi , penfez - vous que moi- même ,
(Moi qui fuis bon ,fpuifqu'enfin je vous aime )
Oui , répondez , dites - moi , penfez- vous
Qu'environné de critiques jaloux ,
Je ne pourrois comme eux plein d'amertume,
A fon caprice abandonner ma plume ?
Si en effet M. C *** uſe envers eux
de modération , c'est qu'il s'eft accoutumé
de bonne heure à fe vaincre luimême.
Grâces aux foins , qui depuis mon enfance ,
Ont de mes fens dompté la violence ,
Je ris en paix de l'orage & des Sois .
l'on
Il ne faut pourtant pas que
imagine pouvoir abufer de cette patience
pour l'outrager impunément. Il veut
bien diffimuler les premieres critiques ;
Mais cependant l'Abeille courroucće
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
A la vengeance eft quelquefois forcée.
Lorfqu'elle va pomper le fuc des fleurs ,
Et du matin mettre à profit les pleurs ,
Souvent un Sot qui la fuit à la trace ,
Dans fes travaux l'interrompt & l'agace.
L'Abeille alors prend l'humeur du Frélon
Sur l'importun darde ſon aiguillon ,
Et dans un coin bientôt notre Imbécille ,
Trifte & confus maudit la volatille.
>
Une chofe furtout qui indigne avec
raifon M. C *** , c'eft de voir qu'on attaque
fes écrits , lors même qu'il les
travaille avec le plus de foin.
Quoi , dans le temps où j'ufe mes efprits
A raifonner , à polir mes écrits ,
Un imprudent qui n'a d'autre mérite
Que le levain de fa bile maudite ,
Et qui femblable aux reptiles obfcurs
Dans un recoin vomit fes fucs împurs ,
Un vil Zoile ofera dans fa rage
Secrettement déchirer mon ouvrage?
Cet Ouvrage que M. C *** fe plaint
qu'on a déchiré, eft un Poëme fur les vaiffeaux.
A cette idée fon dépit fe réveille
& il menace fes Critiques de les
peindre avec les plus noires couleurs ;
mais fon courroux s'appaiſe à l'inftant
SEPTEMBRE. 1762. 101
& la douceur de fon carêtère le porte
à oublier cette offenfe.
Tout efprit doux ſe borne à menacer ;
Le glaive eft prêt ; mais il craint de bleſſer.
De là l'Auteur fait une digreffion fur
les querelles qui divifent la République
des Lettres . Il peint enfuite les cabales
que font contre les Piéces nouvelles ,
tous ces petits Auteurs dont regorgent
certains Caffés de Paris. Mais ceux aufquels
en veut furtout M. C *** , ce font
nos Ecrivains en Profe , qui n'ont pas
pour la Poëfie ce refpect & cette vénération
dont font pénétrés les véritables
enfans d'Apollon.
Ils n'aiment point ces nobles fictions ,
Ce mouvement , ces nobles paffions ,
Ces traits hardis , ces fougues téméraires ,
Du vrai Poëte élans involontaires ;
Ils n'aiment point ces mots de qui le choix ,
De qui les fons arrondis par la voix ,
En châtouillant notre oreille charmée ,
Donnent la vie à l'image exprimée.
M. C *** prétend que ces mêmes
hommes , fi ennemis de la bonne Poëfie,
protégent & accueillent favorablement
les Poëtes fubalternes. Cela ne paroît
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
guère vraisemblable ; & c'eft moins contre
la Poëfie en général , que contre les
mauvais Poëtes , que quelques-uns de
nos Profateurs ont quelquefois invectivé.
ODE SUR LA POÉSIE , comparée à
la philofophie ; par M.COLARDEAU,
A Paris, chez Charpentier , Libraire ,
quai des Auguftins , à Saint Jean
Chryfoftome. 1762. Brochure in-4° .
C'EST encore la défenſe de la Poëfie
qu'entreprend ici M. Colardeau , contre
les détracteurs ( s'il eft vrai qu'il y en ait
parmi nons ) de cet Art fublime : il
commence par une Peinture des Moeurs
barbares & fauvages qu'il fuppofe aux
premiers hommes vivant dans les forêts.
S'ils fe font policés dans la fuite , ce
n'eft point à la Philofophie qu'ils ont
cette obligation , dit M. Colardeau ;
c'eft à la Poëfie.
Vous qui de vos leçons nous vantez la ſageſſe ,
Philofophes fi fiers , Mortels fi dédaigneux ,
Eſt-ce par vos travaux , que l'homme plus heureux
,
De fes fauvages moeurs adoucit la rudeffe ?
SEPTEMBRE. 1762. 103
Vintes-vous , attendris fur le fort des humains ,
Organes infpirés de l'Arbitre ſuprême ,
Démontrer l'homme à l'homme ignoré de luimême
?
Du fceptre de la Terre ornâtes- vous ſes mains ?
Ces prodiges , dont M. Colardeau ne
croit point la Philofophie capable , ont
été opérés par la Poëfie.
O Mufe , ce fut toi qui par des noeuds fi purs
Reunis les humains fous la lyre d'Orphée ;
Et Thébes ton ouvrage & ton plus beau trophée,
Aux accords d'Amphion vit élever les murs ,
Homère vient ; le feu de fon puiſſant génie
Une feconde fois féconde l'Univers.
Ce mortel Créateur jufqu'au fond des Enfers
Etend & va porter le germe de la vie.
Quel éffor pourroit fuivre un deffein ſi hardi ?
Il franchit d'un feul fault les colonnes d'Alcide ;
Et le monde embraſé dans un vol plus rapide ,
A, par des fictions , befoin d'être aggrandi .
Toutes ces fictions fi nombreuſes dans
Homère , forment le fujet de plufieurs
ftrophes de l'Ode de M. Colardeau . C'eft
une espéce d'Abrégé de l'Hiftoire Poëtique
, dont chaque trait eft , pour ainfi
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
dire , renfermé dans autant de vers.
Viennent enfuite de nouvelles invectives
contre les Philofophes. Quoi , leur
dit l'Auteur ,
Quoi ! votre orgueil jaloux des plus belles couronnes
,
Les arrache du front des plus grands Ecrivains !
Vous fouillez leurs tombeaux ; & vos prophanes
mains
Du Temple de la Gloire ébranlent les colonnes !
M. Colardeau oppofe les grands
biens que la Poëfie a produits , aux
maux réels qu'il attribue à la Philofophie.
Alexandre a été le Diſciple
d'Ariftote. Quel fut l'effet des fages leçons
de ce Philofophe , demande M. Colardeau
? Il répond :
Ce Héros forcené va ravager la terre ;
Er l'Eléve d'un Sage eft un Brigand fameux.
Au lieu que les leçons de Virgile &
d'Horace ont fait du cruel Octave le
Prince le plus humain.
Eft-ce là cet Oftave entouré de bourreaux ,
Qui d'un foible Sénat renverfant les faiſceaux ,
Sous un fceptre de fer fit gémir fa patrie ?
SEPTEMBRE. 1762 . 105
Tout eft changé ! Je vois le plus grand des Céfars
,
Cet Augufte , l'ami des Enfans du Parnaſſe ,
Qui fenfible aux accords de Virgile & d'Horace ,
Donne la paix au Monde , & fait régner les Arts '
Ceux qui trouveront de l'exagération
dans l'Ode de M. Colardeau , ainfi
que dans l'Epître à Minette , ne manqueront
pas de l'attribuer au génie de
la Poëfie , qui admet volontiers les hyperboles.
Il y a d'ailleurs dans ces deux
Piéces, furtout dans l'Epître, de la Poëfie
des tirades agréables.
ANNONCES DE LIVRES.
>
ARCHITECTURE PRATIQUE , qui
comprend la conftruction générale des
Bâtimens ; le détail , le toifé & devide
chaque partie , fçavoir Maçonnerie
Charpenterie , Couverture , Menuiferie ,
Serrurerie , Vitrerie , Plomberie , Peinture
d'Impreffion , Dorure , Sculpture
Marbrerie , Miroiterie , Poëlerie & c.& c
avec une explication & une conférence
des 36 Articles de la Coutume de Paris
fur le titre des fervitudes & rapports qui
concernent lesBâtimens , & de l'Ordonnance
de 1673. par M. Bullet, Archite&te
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
du Roi, & de l'Acad . Royale d'Architecture.
Edition nouvelle , revue & corrigée
avec foin : confidérablement augmentée
, fur-tout des détails éffentiels à
l'uſage actuel du Toifé des Bâtimens ,
aux Us & Cout. de Paris , & aux Rég.
des Mémoires ; & à laquelle on a joint
un tarif & comptes faits de toute forte
d'ouvrages en Bâtimens , & un Tarif
pour connoître le poids du pied de fer ,
fuivant fes différentes groffeurs. Par
M. *** , Architecte , ancien Inſpecteur-
Toifeur de Bâtiment. Ouvrage très-utile
aux Architectes & Entrepreneurs,à tous
Propriétaires de maifons , & à ceux qui
veulent faire bâtir. Vol. in -8 ° . de plus de
600 pages. Prix , 5 l . 10 f. relié en veau ;
Paris , 1762. Chez Hériffant , à S. Paul
& à S. Hilaire ; Savoye , à l'Efpérance ;
Durand, rue du Foin, au Griffon ; Nyon,
'à l'Occafion ; Barrois , à la ville de Nevers
; veuve Damonneville & Mufier
fils ; de Bure fils , à la Bible d'or ; Didot
frères ; Marin Saugrain , au Lys d'or ;
Babuty fils , à l'Etoile, Libraires, quai des
Aug. Avec Approbation & Privilége.
DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE ,
ou Introduction à la connoiffance de
l'homme , nouvelle Edition , revue,corSEPTEMBRE.
1762. 107
rigée & augmentée confidérablement .
Felix , qui potuit rerum cognofcere caufas !
In- 8°. Paris , 1762. chez Durand , rue
du Foin , au Griffon ; & chez Guillyn ,
quai des Auguftins , au Lys d'or.
Cet Ouvrage , dont la premiere édition
a paru utile , a été retouché &
augmenté de plus de la moitié ; de forte
qu'on peut le regarder comme un Ouvrage
nouveau.
CORPS D'OBSERVATIONS de la
Société d'Agriculture , de Commerce &
des Arts , établie par les Etats de Bretagne.
Années 1759 & 1760. In-8°. Paris
, 1762. Chez la veuve Brunet , Imprimeur
de l'Académie Françoife, grande
Salle du Palais , & rue baffe des Urfins.
N. B. Afin que cet Ouvrage très- eſti.-
mable puiffe être à la portée de tout le
monde , on en a fait une autre Edition
in-12 , dont le prix eſt de 30
f. broché .
VOYAGES de Gulliver , traduit
par M. l'Abbé des Fontaines. Nouv.
Edition , en deux jolis volumes in- 16.
Paris , 1762. Chez la veuve Damonneville
& Mufier fils , quai des Auguftins ,
au coin de la rue Pavée , à S. Etienne.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE .
Cet agréable Ouvrage du célébre Docteur
Swift , Anglois , étoit devenu rare ,
& cette nouvelle Edition ne pourra probablement
qu'être bien reçue du Public .
NOUVELLE VERSION DES
PSEAUMES, faite fur le Texte hébreux ;
avec des argumens & des notes , qui en
développent le double fens littéral , & fe
fens moral. Par les Auteurs des Principes
difcutés.
Subfequigrandia noſtra lux
Non nova , fed novè .
"
In- 12. Paris , 1762. Chez Claude Herriffant
, Libraire-Imprimeur , rue Notre-
Dame . Nous nous trouvons forcés
de remettre au Mercure prochain le
compte que nous comptions rendre dans
celui- ci de ce fçavant Ouvrage.
DE LA SANTÉ. Ouvrage utile à
tout le monde.
Si tibi deficiant Medici , medici tibi fiant
Hac tria , mens hilaris , requies moderata , diata
Schol. Salert.
In-12. Paris , 1762. Chez Durand , Libraire
, rue du Foin , la premiere Porte
SEPTEMBRE. 1762, 109
cochère à droite , en entrant par la rue
S. Jacques .
"
,
FABLES NOUVELLES divifées en
fix Livres . In- 16. Paris , 1762. Chez
Brocas & Humblot , Libraires rue S.
Jacques , au- deffus de la rue des Mathurins
, au Chef S. Jean . L'Auteur anonyme
de ces Fables nous paroît avoir du
naturel & de la facilité . Nous parlerons
plus amplement , dans le Mercure prochain
, de ce nouvel Ouvrage.
LE CAPRICE , ou l'Épreuve dangereufe
, Comédie en trois Actes en Profe.
Par M. Renout. Repréſentée pour la premiere
fois par les Comédiens ordinaires
du Roi , le 28 Juin 1762. A Paris ,
chez Rozet , Libraire , rue S. Severin ,
au coin de la rue Zacharie , près la rue
de la Harpe , à la Rofe d'or.
›
NOUVEAU TRAITÉ d'Archite&ture
concernant les chapiteaux tant antiques
que modernes des cinq ordres
d'Architecture , les Plans en grand , & la
facilité de les pratiquer aifément vus de
face ou d'angles , de façon que les Éléves
de peu d'expérience dans cet Art
puiffent entreprendre à coup für de ré110
MERCURE DE FRANCE.
duire lefdits chapiteaux de tel le grandeur
qu'ils trouveront convenable , fans
autre fecours que celui de ce Livre.
Volume in-4°. grand papier , fe vend
chez la Veuve François Chereau, rue S.
Jacques ; chez l'Auteur , ( M. Dupuis
Architecte) à Versailles , Hôtel Urbin ,
proche celui des Gendarmes , avenue
de Paris. Prix , 31. 10 f. broché.
MÉMOIRES deMiff Sidney Bidulphe ,
extraits de fon Journal & c. Edition
d'Hollande , en 3 vol . in- 8°. Prix , 7 liv.
10 f. Se trouvent chez Duchefne, Libraire,
rue S. Jacques , au Temple du Goût.
C'eft , pour le fond , le même Ouvrage
que les Mémoires pourfervir à l'Hiftoire
de la Vertu , traduits par M. l'Abbé
Prevoft , & dont nous avons donné
l'Extrait dans le premier vol. du Mercure
de Juillet 1762.
LES CONTES DE BOCACE , vol.
5
in -8°. 1757. édition magnifique , enrichie
d'Estampes , Vignettes , Culs - delampe
, & c .
, Le fieur Charpentier , Libraire
quai des Auguftins , à S. Chryfoftôme ,
donne avis au Public qu'il a acquis un
nombre affez confidérable d'ExemplaiSEPTEMBRE
. 1762 111
res de cette édition , tant en Italien qu'en
François , fur papier d'Hollande , &
fur de très beau papier d'Auvergne,
Grand-raifin .
-
INSTRUCTION Criminelle fuivant
les Loix & Ordonnances du Royaume,
divifée en trois Parties. Partie premiere :
Inftruction fuivant l'Ordonnance de
1670 , & les Déclarations rendues en
conféquence. Partie feconde : Inftruction
fuivant la nouvelle Ordonnance de
1737 , fur le Faux Principal , le Faux
Incident & la Reconnoiffance des Ecritures
& Signatures privées , en Matiere
Criminelle. Partie troifiéme Inftruction
Conjointe entre le Juge d'Eglife &
le Juge Royal , pour le Cas Privilégié.
Par M. Muyart de Vouglans , Avocat
au Parlement. Pour fervir de fuite
aux Inftitutes au Droit Criminel &
au Traité des Crimes , du même Auteur.
A Paris , chez Deffaint & Saillant
, rue S. Jean de Beauvais. Briaffon
, rue S. Jacques . Savoye , rue S.
Jacques. Le Breton , rue de la Harpe.
Ganeau , rue S. Severin. Durand , rue
du Foin. La Veuve Rouy au Palais.
Cellot , au Palais. 1762. Avec Approtion
& Privilége du Roi.
112 MERCURE DE FRANCE.
AVERTISSEMENT
DE L'AUTEUR.
J'ai rendu compte dans la Préface qui
eft à la tête de mes Inftitutes au Droit
Criminel , du Plan que je me propofois
de garder dans les trois Parties qui
compofent ce fecond Volume. L'aije
exactement rempli ? C'eſt au Public
à enjuger. Tout ce que je puis affurer ,
c'est que je n'ai rien négligé pour me
mettre en état de le fatisfaire , & de
répondre à l'empreffement qu'il a bien
voulu témoigner pour la continuation
de mes premiers Travaux.
C'est dans cette vûe que j'ai tâché
de préfentér tous les Articles de l'Ordonnance
qui fait l'objet de la premiere
partie , dans le jour qui m'a paru
le plus prope à en faire connoître
l'Efprit , en expofant d'abord (comme
on peut le voir par les Sommaires qui
font à la tête de chacun de ces Articles)
les motifs qui y ont donné lieu
les Exceptions aux Régles générales
qu'ils établiffent , leur conformité ou
différence avec d'autres Articles de la
même Loi , ou avec les difpofitions des
Loix particuliéres qui l'ont fuivi , notamment
la Déclaration de 1731 , pour
SEPTEMBRE. 1762. 113
les Cas Prévôtaux ; en difcutant enfuite
les Questions qu'ils peuvent faire
naître , & rapportant les décisions de
MM. les Chanceliers qui ont été confultés
à ce fujet ; enfin , en marquant
l'ordre de la Procédure qui doit être
gardée dans leur exécution , & même
en y joignant , pour faciliter cette
éxécution , des Formules confacrées
par l'ufage.
A l'égard de la feconde Partie , quoije
ne l'aye pas travaillée avec moins de
foin que la premiere , je n'ai pû y futivre
tout-à-fait la même méthode ; &
l'on en conçoit aifément la raiſon . La
nouvelle Loi qui en eft l'objet , eft ,
comme l'on fçait , l'Ouvrage d'un des
plus grands Magiftrats que la France
ait eu ; elle ne roule uniquement que
fur la Procédure ; elle eft bornée à l'inftruction
d'un Crime particulier ; elle
eft elle-même un Commentaire de
toutes les Loix qui ont été rendues fur
la même matiére ; en un mot , elle n'a
été faite que pour remplacer les Titres
VIII & IX de l'Ordonnance de
1670 , à laquelle il faut par conféquent
s'en rapporter pour le furplus . Il ne me
reftoit donc , pour faciliter l'intelligence
& l'application des Principes qui font
114 MERCURE DE FRANCE.
>
établis par cette Loi , qu'à conférer
fes Difpofitions entr'elles ou avec
celles de l'Ordonnance de 1670 ; & à
donner des modéles des Actes éffentiels
de la Procédure qu'elle préfcrit.
C'eft auffi ce que j'ai tâché de faire
avec toute la clarté & la précifion que
la matiére pouvoit comporter.
Enfin
quant à la troifiéme
partie
qui
concerne
l'inftruction
conjointe
, j'efpére
que l'on me fçaura
gré de l'exactitude
& de l'impartialité
avec laquelle
j'ai
traité
une matière
auffi délicate
& auffi
compliquée
. J'aurois
fouhaité
pouvoir
concilier
la rigueur
des principes
&
des autorités
, dont j'y fais ufage , avec
les intérêts
refpectifs
des parties
que cette
matiére
peut regarder
. Je ne diffimulerai
même
point que pénétré
comme
je le fuis , de la médiocrité
de mes
talens
, j'aurois
volontiers
évité
cette
difcuffion
, fi elle n'avoit
été une fuite
inféparable
de l'engagement
que j'avois
contracté
envers
le Public
de lui donner
un Corps
entier
du Droit
Criminel
.
SEPTEMBRE . 1762. 115
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES
ACADEMIE S.
PRIX d'Eloquence pour l'Année 1763.
LEE vingt - cinquième jour du mois
d'Août 1763 , Fête de S. LOUIS , l'ACADÉMIE
FRANÇOISE donnera un
Prix d'Eloquence , qui fera une Médaille
d'or de la valeur de fix cens livres . *
Quoique l'Académie ne fe foit pas
fait une loi de donner toujours pourfujet
l'Eloge d'un homme illuftre , elle
propofe pour l'année prochaine , l'Eloge
de MAXIMILIEN DE BETHUNE ,
DUC DE SULLY , Surintendant des
Finances.
Il faudra que le Difcours ne foit que
d'une demi - heure de lecture ; & l'on
n'en recevra aucun fans un Approbation
fignée de deux Docteurs de la Fa-
* Le Prix de l'Académie eft formé des fondations
réunies de MM. de Balzac , de Clermont-
Tonnerre Evêque de Noyon , & Gaudron .
116 MERCURE DE FRANCE.
té de Théologie de Paris , & y réfidans
actuellement.
Toutes perfonnes , excepté les Quarante
de l'Académie , feront reçues à
compofer pour le Prix.
Les Auteurs ne mettront point leurs
noms à leurs Ouvrages , mais ils y mettront
une Sentence ou Devife telle
qu'il leur plaira .
Ceux qui prétendent au Prix , font
avertis que s'ils fe font connoître avant
le jugement , foit par eux-mêmes , foit
par leurs amis , ils ne concourront point.
Les Ouvrages feront remis avant le
premier jour du mois de Juillet prochain
à la Veuve de B. Brunet , Imprimeur de
l'Académie Françoife , rue baffe de
l'Hôtel des Urfins ; ou au Palais : & fi
le port n'en eft point affranchi , ils ne
feront point retirés .
SÉANCE publique de l'Académie
Royale de Nifmes.
LE 28 Mai , l'Académie tint ſa ſéance
publique dans la Salle de l'Hôtel-de-
Ville .
M. Vincens Directeur ouvrit la Séance
par un Difcours fur ce fujet : Combien
SEPTEMBRE. 1762. 117
l'humanié est néceſſaire aux Gens de
Lettres.
M. de Rochefort reçu dans l'Affemblée
précédente, fic fon remercîment, auquel
M. Vincens répondit.
M. de Mallip prononça l'Eloge funébre
de M. le Préfident de Dions.
M. de Rochefort lut le vingt - deuxiéme
Livre de l'Iliade , traduit par lui en
Vers François.
M. Razoux termina la Séance par des
Obfervations fur l'Inoculation .
Nous allons donner l'Extrait du Dif
cours par lequel nous avons dit que M.
Vincens avoit ouvert la féance .
L'humanité , cette vertu propre à
donner au génie la plus grande activité ;
aux lumières , la direction la plus noble
& la plus utile ; aux Difcours & aux
Ecrits , les graces & la perfuafion , a
droit de régner fur les coeurs , & de
préfider aux Ouvrages des Gens de
Lettres , de cette Claffe d'Hommes auxquels
un génie élevé , de vaftes connoiffances
, l'art de parler & d'écrire ,
une gloire fuperieure à tout ce qu'on
appelle rang , honneurs , emplois , dignités
, ont acquis l'empire des efprits
& des coeurs . Cette vertu leur eft né-
18 MERCURE DE FRANCE.
effaire , foit par rapport à la perfection
de leurs ouvrages ; foit par rapport à
l'influence qu'ils ont fur les moeurs.
Le Méchant n'eft point fait pour le
commerce des Mufes. Mille foucis l'agitent
fans ceffe ; mille craintes le tourmentent
: » comment le goût des Let-
» tres pourroit-il germer au milieu de ces
anxiétés ? Une terre couverte de
» buiffons & d'épines feroit- elle propre
" à nourrir ces fleurs éclatantes, qui em-
" belliffent nos jardins ?
» C'eſt à l'homme vertueux que les
» Mufes réfervent leurs faveurs ; & par-
» miles vertus , c'eft l'humanité qu'elle
» préfére. L'Homme de Lettres en qui
» l'amour du genre humain domine , eft
» leur plus cher favori . Livré par état à
» la contemplation & à l'étude , la dou-
» ce férénité , inféparable d'une âme
» bienfaifante , entretient dans fon
» coeur ce calme profond qui lui eft fi
» néceffaire pour le rendre maître de
» fes idées ; pour en examiner toutes les
» faces ; pour en faifir tous les rapports.
» Ami , fectateur de la vérité , jamais les
» nuages tumultueux des paffions ne la
» dérobent à fes yeux ; s'il veut inftruire,
» fes préceptes , qu'un tendre intérêt
»femble toujours dicter , convainquent
SEPTEMBRE. 1762. 119
l'efprit & pénétrent jufqu'au coeur; s'il
» veut plaire , la nature n'offre à fon
» imagination , que des images riantes
» & animées ; s'il veut perfuader , la
» franchife & les graces viennent fe
placer fur fes lévres dans tous les
» genres , Orateur , Philofophe, Hifto-
» rien , Poëte , il n'a qu'à épancher fon
» coeur dans fes Ecrits , pour intéreffer
» & pour plaire .
L'efprit ne fçauroit atteindre à de
pareils fuccès. Si le coeur ne l'infpire , ſa
froide lueur peut bien féduire un inftant
, mais l'ennui la remplace bien- tôt,
Dans l'Art oratoire , c'eſt le fentiment
qui donne ce mouvement , cette action ,
cette chaleur néceffaires pour toucher
pour émouvoir , pour entraîner. » L'ef
» prit éclaire l'intelligence , par une mé-
» thode lumineufe ; mais fa marche eſt
» tardive , fa gradation eft lente : le fen-
» timent pénétre, enléve le coeur ; & cet
» Art , que l'efprit ne fait qu'indiquer
» froidement , il l'infpire par un enthou-
» fiafme victorieux .
C'eſt le fentiment qui donne au Philofophe
cette éloquence douce , affectueufe
, qui cache le maître fous les
traits de l'ami fenfible , & donne au
précepte le ton de la tendre humanité,
120 MERCURE DE FRANCE.
C'est l'amour du genre humain qui
préferve l'Hiftorien des écueils dont la
vaine gloire , l'ambition , l'efprit de parti
fément fa route .. C'eſt l'humanité qui
répand dans fa narration , dans fes portraits
, dans les réflexions dont il accompagne
les faits , cet intérêt féduifant qui
retient fans ceffe l'ouvrage dans les
mains de l'avide Lecteur.
»
» Dans la Poëfie , le fentiment reçoit
» une nouvelle étendue ; tout s'anime
» tout vit aux yeux du Poëte ... les
fons que rendent ces rofeaux courbés
fous l'effort des vents , font les accens
" plaintifs d'une Nymphe fugitive ,
» échappée aux violences d'un Dieu ra-
» viffeur : ces Peupliers couverts d'un
» ambre liquide , font des Princeffes in-
» fortunées qui verfent des larmes fur
les cendres d'un Frère orgueilleux &
» téméraire les ruiffeaux , les forêts.
» les fleurs mêmes deviennent pour
» Poëte , les objets d'une tendre fenfi
» bilité. Ici le fentiment fe confond
avec le génie ; & ces beaux Efprits
» dont les coeurs manquent de chaleur
" & d'activité , font le vulgaire pro-
» phane que les Mufes écartent de leurs
» facrés myfteres.
C'est l'humanité , c'eft ce fentiment
vif
SEPTEMBRE . 1762. 121
vif & affectueux , répandu dans les Ouvrages
des Anciens , qui fait de ces
génies immortels , nos modéles & nos
délices. Homère , Ovide lui - même
cet Auteur plus ingénieux que naturel ,
Virgile fur-tout , nous fourniffent mille
exemples de cette précieuſe fenfibilité.
Le goût des ornemens ambitieux a
éloigné la plupart des Poëtes modernes
de ce fentier de la nature , & leur fait
trop fouvent facrifier le fentiment à la
coquetterie de l'efprit .
» Cependant fi l'intérêt perfonnel eft
» la régle des jugemens des hommes ,
» felon la penfée d'un Auteur moderne ,
» fi cet intérêt eft la meſure de l'efprit
» qu'ils accordent aux autres , le fuccès
» d'un Ouvrage qui refpire le fentiment
» & l'humanité , doit être plus affuré ,
» plus univerfel, que celui de ces Ecrits
» dont un ſtyle pétillant eft l'unique mé-
" rite. Les efforts que fait un Écrivain
» pour briller , décélent en lui des pré-
» tentions d'excellence & de fupé-
" riorité qui humilient le Lecteur ; &
» l'amour-propre fe croît auffi intéreffé
» à réprimer cet orgueil , que l'indi-
» gence à décrier un luxe faftueux , quả
» rend la mifére plus accablante.
"
Mais ce n'eft pas feulement l'intérêt
F
122 MERCURE DE FRANCE .
de leur propre gloire qui préfcrit l'humanité
aux Gens de Lettres ; l'influence
que leurs Ouvrages ont fur les moeurs ,
leur en fait fur-tout un devoir indifpenfable.
» Ce feroit s'abufer étrangement , que
» de regarder les Gens de Lettres comme
» des Particuliers indifférens à la fociété .
» Au fein de leur folitude , ils tiennent
» dans leurs mains tous les refforts qui
» font mouvoir les hommes. Arbitres
» de l'opinion , du plaifir & de la re-
» nommée , c'eft fouvent dans le filen-
» ce de leur cabinet , que fe préparent
» ces révolutions qui , par une grada-
» tion prèfqu'infenfible, changent enfin
» la face de l'Univers. L'Homme de
» Lettres régne fur les efprits par les lu-
» mieres qu'il répand ; il préfide au
" plaifir , en fe rendant maître de nos
» paffions ; il eft le difpenfateur de la
gloire . Semblable à l'aftre majestueux
» du jour qui , placé au centre des globes
» divers qui l'environnent , les éclaire ,
» les réjouit , & leur tranfmet une par-
» tie de fa fpendeur.
"
39
L'empire queles Gens de Lettres exercent
fur les efprits , a fouvent allarmé les
Miniftres de la Religion . Mais les fyftêmes
monstrueux d'impiété , que quelSEPTEMBRE.
123
""
&
, que
ques efprits audacieux ont renouvelles
de nos jours , ne peuvent avoir pris
naiffance , que parmi des hommes infenfibles
à l'intérêt du genre humain ,
dont les coeurs font vuides d'humanité.
Répondez , Philofophes fublimes ,
» Génies tranfcendans , quels font les
» motifs louables qui vous animent.
» lorfque vous attaquez nos principes
» les plus facrés ? Eft- ce pour rendre
» l'homme meilleur , que vous anéan-
» tiffez l'idée de la vertu ? Eft- ce pour
» affermir le bonheur de la fociété ,
» vous niez l'existence d'un Etre fuprê-
» me bon & jufte , qui récompenfe &
» qui punit ? Eft - ce l'intérêt des Hu-
» mains , qui vous porte à leur donner
» une âme de boue & de limon ? L'a-
» mour de la vérité vous oblige , dites-
» vous , à combattre les préjugés ....
» Ah ! fi nous étions affez infortunés
» pour que vos blafphêmes fuffent la
» vérité , l'humanité vous feroit une
» loi de cacher cette lumière funefte ;
» & ce feroit un crime horrible de la
» manifefter.
ge
Bien loin que le vrai Philofophe fonà
affoiblir la force de la Religion ,
de ce lien le plus fort de la fociété , il met
toute fon étude à l'affermir. » Plein de
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
و د
6
refpect pour fes myftéres impénétra-
» bles , il porte la lumière fur les motifs
» de crédibilité qui fondent la Foi :
» épris d'admiration & d'amour pour
» les principes de fa morale , dont le
» premier fondement eft l'amour de nos
» femblables , il démontre la propor-
» tion de cetre Loi fuprême , avec l'Etre
» parfait qui l'a dictée , & avec l'Etre
» foible qui doit la pratiquer. Par- tout
il s'éfforce de la rendre refpectable &
» de la faire aimer ; fur-tout il s'étudie
» à lui rendre fa beauté naturelle , en
» éffaçant les traits difformes dont l'er-
» reur & le fanatifme , l'impiété & la
fupperſtion cherchent fans ceffe à la
» défigurer, Eh ! ne nous étonnons pas ,
" fi fouvent il réuffit mieux à la per-
» fuader , que les Miniftres même du
» Sanctuaire : la malignité des Peuples
» ofe préfumer que l'intérêt perfonnel
» fe mêle quelquefois au zéle de leurs
» Conducteurs ; mais elle ne foupçon-
» ne jamais , dans le Philofophe , d'autre
» intérêt que celui de la vérité,
Un des moyens des plus fùrs de régner
fur les hommes , eft l'attrait du
plaifir , & ce reffort puiffant n'eſt pas
moins entre les mains de l'Homme de
Lettres que celui de l'Opinion ,, ·
SEPTEMBRE. 1762 125
» Le plaifir livre nos moeurs auxgens
de Lettres dès le moment que nous
» commençons à penfer. Avec quelle
» avidité ne dévorons - nous pas dans
» notre premiere jeuneffe , ces Ecrits
ingénieux qui , à l'aide de faits fup-
" pofés , nous montrent les tableaux
» divers de la vie humaine , & auxquels
» nous devons ordinairement les pre-
» miers développemens de notre coeur ?
39
ود
» Qu'il eft trifte de voir abandonné
» à des plumes molles & éfféminées
» quelquefois obfcènes , un genre qui
» a tant d'influence fur les premie-
" res affections des Humains ...
" O vous Auteurs favoris des Mufes ,
» à qui les grâces ont accordé le talent
» précieux d'embellir tout ce que vous
» touchez , jettez les yeux fur ces âmes
» neuves & fléxibles , avides de plaifir
» & de merveilleux , incapables d'aimer
» la Vertu toute nue & pour elle - mè-
» me l'humanité reclame en leur fa-
» veur les touches féduifantes de vos
» pinceaux ; daignez confacrer quel-
» quefois votre art enchanteur à leur
ingénuité ; & que la vertu envelop-
» pée des nuances du plaifir , s'intro-
» duife dans leur fein , & s'y établiſſe
» pour jamais ....
"
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
.
C'eſt furtout au Théâtre que l'Homde
Lettres influe fur les moeurs par l'attrait
du plaifir. La Comédie combat
les vices & les défauts par le ridicule .
l'arme la plus redoutable au coeur humain....
La Tragédie trace les devoirs
des Rois , & leur montre les dangers
des paffions. » C'est là que l'exemple
, plus puiffant mille fois que le
» difcours le plus pathétique , transformé
en demi-Dieu le fpectateur le plus
» vulgaire.Son âme eft pénétrée du mê.
» me feu qui anime les Perfonnages .
» Intrépide avec le Grand-Prêtre Joad ;
» clémente & généreufe avec Augufte ,
» dévouée à la Patrie avec Brutus ;
elle fent dans ces momens , qu'elle
» eft égale à celle de ces Héros ; lors
» même que l'illufion eft diffipée , elle
» conferve encore les traces de l'impref-
» fion de grandeur qu'elle a recue ; &
» l'habitude des grands fentimens la
foutient toujours dans quelque de-
» gré d'élévation.
Si l'Opinion & le plaifir font régner
l'Homme de Lettres fur la maffe générale
des hommes , la gloire dont il
eft le difpenfateur , lui affujettit les
Grands & les Monarques eux - mêmes.
Malheureufement les Gens de Lettres
SEPTEMBRE. 1762. 127
ne font pas toujours difpenfateurs équitables
de la gloire. Ils fe laiffent quelquefois
éblouir par certains vices qui
ufurpent l'éclat des vertus ; mais lorsque
l'humanité anime l'Homme de Lettres,
il ne voit le fondement de la vraie
gloire que dans l'utile , l'honnête &
le jufte ; & rien ne fçauroit le contraindre
à proftituer fes éloges à ces Héros
qui n'ont d'autres vertus que l'orgueil,
l'ambition & la vengeance , fources
fécondes des grands forfaits. Il juge
fourtout avec une jufte févérité ceux
que la mort a fait rentrer dans l'égalité
naturelle , afin que l'opprobre dont
il couvre les noms des méchans qu'il
arrache à l'oubli, devienne une leçon pour
les vivans qui leur reffemblent. » Sa voix
» redoutable , en féviffant contre les mo-
» déles , imprime une terreur fecrette
dans l'âme des imitateurs ; ils apperçoi-
» ventavec effroi les traits hideux qui les
peindront à la postérité ; & l'idée de l'i-
» gnominie qui les attend au delà du
» tombeau , eft une Furie vengereffe
» qui les pourfuit & les tourmente ,
» lors même que la terre conſternée
» s'abbaiffe & fe tait devant eux . C'eſt
» ainfi que les Lettres dirigées par l'hu-
» manité , fervent à l'éffroi des Tyrans,
"
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
» & au bonheur du Monde .
» Puiffe cette aimable vertu régner
» à jamais fur les favoris des Mufes
» pour la perfection de leurs Ouvrages ,
» pour l'avantage des moeurs , pour
fe
>> bonheur du genre humain !
Le reftant de la Séance , au Mercure
prochain.
Vou
GÉOMÉTRIE.
ous voudrez bien , Monfieur , inférer
dans votre Journal quelques propofitions
fur les Sections coniques ; je
les ai déduites d'un théorême beaucoup
plus général , dont M. Coufin fait fouvent
ufage dans fon excellent Mémoire
fur la Figure de la Terre. Voici ce théorême
, tel que ce fçavant Géomètre l'a
démontré.
Une courbe , quelle que foit fa nature
, aura toujours pour équation
VISS.- uu cof. λ² ) =
cof. A
λ³ ) = √ cofin. A
( du cof.x- uda fin. λ). S, u & λ
font les expreffions du diametre CB,
de la normale B R, & de l'angle BSF.
Soit auffi le grand axe au petit axe
SEPTEMBRE. 1762. 129
1 r, & après avoir abaiffé une
ordonnée B N , & mené une normale
C infiniment proche de la premiére ,
& qui la rencontre en un point Q ,
Nommons CP r, CNx, BNy, BQz
BR eft normale au point B , & les
triangles BRN, BCN, font rectangles ;
donc RN - ydy , SS = xx +yy ,
www
dx
& uudx² = y² × (dx² +dy). De plus
1 : dx :: z : V(dx² + dy² ; d'où l'on
tire ¿dλ = √(dx³ −→ dy³). Si du
rayon QR l'on décrit le petit arc R &,
dxdu
fa valeur fera ; car QB qui eft
dy
perpendiculaire fur BC, l'eft auffi fur
R ♪, & Cn eft paralléle à Re . Par la
même raiſon les triangles B6, BRN
font femblables ;, donc Be =
& par conféquent zu :
uds
dxdu
:: 2
dy
uds
undy
; donc 2. .Ileft
ވ
udy - ydu
facile de voir que dégageant x dans toutes
les équations précédentes , il viendra
F v
130 MERCURE DE FRANCE .
√(SS — yy) = ƒ -
٢٠
Sv
u4 dy³ dx²
udy y du --
√ น น -yy
ydy
dy²). Donc ayant
faityut , l'on aura (SS- uutt)
- tt
x (udt
--
idu), &
cof. A. Subftituant cette valeur de t
cof. x
√(SS — uu col. λ² ) = √√ A
x S
A
a
fin. X
X
(du cof. λ - udλ fin.λ). L'intégraydy
tion de l'équation différencielle Vuu - yy
u4dy dx
--
dy * ) nous a
adyydu
donné y cof.
Le triangle rectangle RBN donne
auffi la même chofe ; il feroit donc
facile de démontrer la propófition précédente
, fubftituant tout d'un coup dans
les équations S S x x + yy &
uu dxyx ( dx² + dy² ) qui deviennent
x (SS — yy) & dx =
ydy
V (uu ― yy}
+
2
au lieu de y fa valeur cof.
M. Varignon a démontré dans fes
éclairciffe mens fur l'analyfe des infiniSEPTEMBRE
. 1762. 131
mens petits , que fi l'on tire PE , &
PE qui rencontre BN prolongé en
un point m , ilil a dis - je , démontré
que la courbe PE étant une fection
conique , on doit toûjours avoir (NM)™
: ( NB) " ( NB ) " : ( Nm)" ; mais
NM =
772-28
r
r + x
&
Nmr
(r- x ) ™ × ( † + x ) *
donc y
NI + 72
Je fubftitue au lieu de x fa valeur
V( SS - u u cof. λ ) , & au lieu de
y
fa valeur auffi cof. λ , & il viendra
(ru col. λ)
V155
Tr
[ r + √ ( SSm
+ n
2 m
yu cof. λ² ) ] ×
2
X
n
u u cof. λ² ) ] ".
Subftituant encore dans cette derniére
équation au lieu de √(SS — uu cof. X²)
fa valeur trouvée ci-deffus , nous aurons
n
(rucol. x) " + " = [ 1 -
m
cof. a
fin.a.
(du cof. λ — udλ fin. λ) ] " × [r +
X
fcof.x x(du cof. λ udλ fin. λ)]".
fin. A ม
Cette équation peut auffi avoir cette
F vj
132 MERCURE DE FRANCE .
cof. A
forme, (ry) +" = (r -fo
A
x (r - fcof. dy ) " . fin. A
-dy)
龍
Si la fection conique étoit un cercle
r = 1 & y = cof. λ ;
dy
donc y" +" =(1-1))" x
ydy
+
√ ( 1 - yy)
-yy) ) " = [ 1 + √ ( 1 − xy)] ” -
× [1 −√(1 — yy) ]".
m
B
E
M
Se
T
ร
P Nn CR
Donc en général p étant un arc de
Cercle quelconque , l'on aura fun p =
SEPTEMBRE. 1762. 133
(1 + cof.p") × ( 1
col. p ").
Sim = n = 1 , viendra fin. p * =
1 ) × ( d joɔ + 1 )
- cof. p ),
propriété fi connue du cercle . Faiſons
auffi dans l'équation générale mn = i ,
& nous aurons
2
ry² = 11-
If
cof. A
dy ') ; donc
fin. a
√ cof. A dy = r√ (1 - yy ) ; diffé-
Sofin . A
renciant les deux membres de cette
équation , divifant tout par dy , &
élevant tout au quarré , il viendra
(1 — yy) cof. λ² ——rryy
·rryyfin. λo.
Donc fin. λ²
1-yy
1 + (18
-
2
Cette équation peut fervir à mener une
tangente à une fection conique ; car l'on
connoîtra toûjours l'angle que forme
la normale avec le grand on le petit
nous aurons auffi axe
cof. λ=
cof. λª
fin. A
rryy
1 + (11 — 1 ) × }}
-
•; donc
ry = —, ( 9 étant
√(1 —yy)
l'expreffion de la foutangente TN );
134 MERCURE DE FRANCE.
ryy
donc 9 = q
•. Reprenons
-
√(i — yy)
l'équation générale ( ru cof. λ) + n
cof. A
[r - x•x (du cof. λ — udλ fin. λ) ] ” ×
fin. A
a
-
[r + col.A x (du cof.λ
― uda fin. a
& faifons m 1 , cela nous donnera
(ru col. λ)" = 7 " +
( du cof. λ
I
d'où l'on tire
cof, a
fin.A
*
cof. λ
X
fin.. A
ud λ fin. λ ) ] " + 1
× (ducof.λ — udλ fin. λ) =
√" + ! [ r” + ' ( — rucol. λ) ] ” . Donc
en général toute différencielle , telle que
√( ₁ = 22) × ( zdu — udz) cft tou
2
jours intégrable , fi eft le cofinus R
d'un angle que formeroit une normaleà
une fection conique quelconque
avec un de fes axes.
Mais je m'apperçois que je me fuis '
beaucoup éloigné des bornes que j'au
rois dû me preferire . Puifque vous vou
lez bien me le permettre , Monfieur , je
SEPTEMBRE . 1762. 135
profiterai encore de votre Journal pour
rendre publiques les autres réfléxions
que j'ai faites fur le même fujet.
J'ai l'honneur d'être , & c .
CRUD , Maître de Mathématiques .
ASTRONOMI E.
,
LETTRE de M. LEPINE , Se
crétaire de la Société de Limoges
· à M. MESSIER , Aftronôme de
la Marine , fur la Penfion dont la
Cour vient de l'honorer , à l'occafion
de fes obfervations fur la derniere
Cométe.
JEE crois , Monfieur , qu'on eft défabufé
plus que jamais , des mauvaiſes influences
attribuées autrefois aux Cométes
; je les regardèrois plutôt comme
des Aftres bienfaifans , puifqu'elles n'ont
procuré que du bien & de la réputation
à leur plus éxact Scrutateur . La
Penfion dont j'ai l'honneur de vous féliciter
, n'eft que le prélude des récompenfes
qui vous attendent pour l'ave
nir ; fi vous ne marchez pas dans la
-carrière de la fortune avec autant de
Irapidité que dans celle de la gloire ,
-1973) 9
136 MERCURE DE FRANCE.
vous en ferez pleinement dédommagé
par la derniere , & vos defirs font affez
modérés , pour que la premiere vous
paroiffe toujours fuffifante. Continuez
à nous enrichir du fruit de vos veilles,&
foyez perfuadé que rien ne peut ajouter
aux fentimens que vous m'avez infpirés
depuis que j'ai l'honneur de vous connoître.
J'ai l'honneur d'être & c.
DELÉPINE.
SUITE des Obfervations d'un Chirurgien
de Province , fur l'origine & fur
les progrès de la Taille appellée Méthode
de RAU.
ARTICLE VII.
*
De la prétendue Taille de RAU par
M. THOMAS.
ENFIN M. Thomas a encore paru fur
la fcène ; a - t - il mieux rencontré que
les autres ? Tout ce qu'il y a de certain ,
c'eft qu'on lui a prodigué authentiquement
les plus grands éloges : mais il
s'agiffoit de déprimer , de faire diverSEPTEMBRE.
1762. 137
fion à la découverte du litotome caché.
Quoiqu'il en foit , paffons à l'Analyfe
de fon procédé pour la réduire à fa jufte
valeur.
Le manuel de M. Thomas , confifte
à diftendre la veffie , par la collection
de l'urine , comme M. Cheffelden , & en
comprimant avec une pelote pardeffus
le pubis , comme M. Foubert , pendant
qu'il y plonge fon troisquart litotome
par deffous la fimphife du pubis à
côté de l'urétre (a) ; & fi - tôt qu'il voit
(a) Troquart , ou Troisquarts , poinçon d'acier
, monté ſur un manche & revêtu d'une cannulle
ordinairement d'argent , & dont l'extrémité
fe termine , au- delà de la cannulle , par une
pointe triangulaire à trois facettes tranchantes.
Son principal ufage eft d'évacuer les Eaux des hydropiques
& pour la ponction de la veffie , dans les
Rétentions d'urine des malades que l'on ne peut
pas fonder. Les Troisquarts de MM . Foubert &
Thomas ont environ cinq pouces de longueur
& ne différent éffentiellement entre eux , qu'en
ce que le Troisquarts de M. Foubert eft fimplement
rainé dans fa longueur, pour conduire après
la ponction, la lame de fon Biſtouri litotome à la
veffie ; & que le Poinçon de M. Thomas eſt terminé
en lance & fendu à jour dans la longueur ,
pour loger une lame étroite & tranchante , afin
de la pouffer dans la veffie en même temps que
Je Poinçon auquel elle eft affujettie de façon à
pouvoir l'ouvrir au degré qu'il juge néceffaire.
Enfin c'eft le litotome caché du Frère Cofine ,
138 MERCURE DE FRANCE .
couler l'urine , il ouvre fa lame tranchante
au degré qu'il juge néceffaire
pour incifer la veffie , en le retirant de
dedans en dehors ; puis il y porte la
tenette fur une efpéce de gorgeret reſté
dans la plaie , & dont fon troisquart
étoit revêtu , & c. M. Thomas , dit la Gazette
de Médecine du 15 Septembre
1761 , ouvre la veffie en un endroit que
la Nature même femble avoir expreffement
défigné pour en tirer les plus groffes
pierres fans danger.... Il lui fuffit
que la veffie puiffe contenir un verre d'u
rine ; & il tire prèfque avec une égale
facilité , les grandes pierres comme les
petites , fans aucun délabrement &c.
REMARQUES fur le lieu d'élection
dans la Taille du périnée..
14
Le lieu d'élection de M. Thomas n'eft
qu'une illufion ; il n'eft abfolument
ajufté au Troisquart de M. Foubert. Leur opération
ne différe auffi éffentiellement , qu'en ce que
M. Foubert fait l'incifion de bas en haut , & que
M. Thomas la fait de haut en bas . Voyez la collection
des Thefes médico- chirurgicales de M. le
Baron de Haller , Tome III. La Gazette de Médecine
du 15 Septembre 1761. & la Thèſe de M.
Macquart Médecin de Paris , fur le parallèle du
litotome couvert & de la méthode de M.Thomas,
avec le litotome caché , & la méthode du Frère
Cofine &c.
SEPTEMBRE. 1762. 139
qu'une feule voie unique , pour toutes
les différentes manières de tirer la pierre
de la veffie par le périnée ; foit qu'on attaque
la veffie par l'urétre , ou qu'on
l'attaque immédiatement par fon corps ;
foit par dilatation , déchirement , ou
par incifion , que la coupe
extérieure ,
foit plus haute , plus baffe ou plus ou
moins oblique ; c'eft toujours la même
ligne , toujours le même détroit extérieurement
, entre le boyau rectum &
l'inclinaifon de l'angle des os echion &
pubis ; intérieurement entre l'origine
de l'urétre & l'embouchure de l'uretére ,
du côté qu'on opére , que le tranchant ,
la tenette & la pierre doivent parcourir
fans aucune exception . Ainfi le lieu
d'élection dans les différentes Tailles du
périnée , n'eft qu'une apparence extérieure
, & les dangers à cet égard font ,
à la fureté des manoeuvres près , les mêmes
pour toutes les différentes manières
d'opérer .
REMARQUES fur la Collection des
liquides dans la veffie , pourfaciliter
la prétendue Taille de RAU.
Outre que la veffie des Pierreux n'eft
pas toujours , il s'en faut de beaucoup
dans le cas de pouvoir être diftendue
140 MERCURE DE FRANCE.
par la collection d'un liquide , foit qu'il
y ait irritation , racorniffement ou fiftule
; c'eft que le poinçon qui fert dans
le manuel de MM Foubert & Thomas ,
à diriger la lame tranchante vers la capacité
de la veffie , n'a point lui-même
de guide ; & qu'étant pouffé au hazard ,
vers l'étroit intervalle des orifices de l'urétre
& de l'uretére ( b ) , il peut ne la
pas rencontrer , gliffer fur fa furface ,
ou l'attaquer hors des limites préfcrites.
(c ) Il y a plus , en déterminant
l'incifion, comme M. Thomas le préfcrit,
(b) Intervalle qui n'eft pas fouvent d'un pouce
dans les Adultes. Ilfaut , dit M. Keffelring , bien
de l'adreffe pour arriver au jufte dans l'espace qui fe
trouve entre les Uretéres & la Proftate , lequel efpace
n'a pasfix lignes. Voyez la collection des Thefes
M. C. de M. le Baron de Haller , Tome III.
page 63 .
( c) S'il pouvoit être un moyen de rendre la
prétendue Taille de Rau pratiquable , le Manuel
de M. Cheffelden feroit certainement l'unique ;
parceque le doigt & la fonde feroit un guide for
pour arriver à la veffie ; mais comme il l'a é
prouvé , ainfi que l'obferve M. S'charpt , & les
Commiffaires de la Taille de M. Foubert ; l'af
faiffement des parois de la veffie par l'écoulement
du liquide qui la diftend , s'oppofe aux progrés
de l'incifion , & à l'introduction de la Tenette &c.
Ainfi comme il eft abfolument impoffible de
pouvoir obvier à cet inconvénient , il rendra
toujours cette espéce de Taille impratiquable ,
quelque moyen qu'on puiffe y employer.
SEPTEMBRE. 1762. 141
immédiatement fur l'écoulement de l'urine
le long du poinçon, dont l'extrémité
terminée en lame , précéde la lame tranchante
de 4 lignes ; l'urine peut couler
& indiquer l'incifion avant que le tranchant
ait atteint la veffie, & conféquemment
frayer une fauffe route à la tenette.
(d) Le peu de champ qu'offre un
verre d'urine dans une veffie flexible
diamétralement comprimée , tant par la
pelotte , que par l'enfoncement du poinçon,
& particuliérement du poiçon de M,
Thomas , revêtu d'un gorgeret qui en
augmente fubitement le Diamétre , &
n'y peut entrer qu'avec force , & dépreffion
, (e) expoſe la veffie à être non
feulement percée de part en part ; mais
le champ diminuant encore par l'écou
lement du liquide qui la diftend , le tranchant
de la lame n'y peut point acquérir
par une introduction fuffifante , la
progreffion néceffaire à l'incifion . Énfin
la veffie s'affaiffant totalement par
(4) Cette objection eft de M. Pallas , Médecin
de Leyde. Voyez la collection des Theſes
Médico-chirurgicales de M. le Baron de Haller
Tome III. page 79.
(e ) Gorgeret , eſpèce de petite Gouttière conique
, ordinairement d'acier ou d'argent , pour
conduire la tenette dans la veffie.
142 MERCURE DE FRANCE .
l'écoulement continuel du liquide , fes
parois rebrouffent, fuyent devant le tranchant
, la Tenette & c. & c. Ainfi l'incifion
de la veffie & l'introduction de la
tenette dans fa capacité , n'eſt ni plus
fùre ni plus réelle dans le manuel de
M. Thomas , que dans le manuel de
M. Foubert.
Dans le Manuel de MM. Foubert &
Thomas , le litotome & la tenette font
donc toujours en rifque de fe fourvoyer
dans le voifinage de la veffie ; & la
veffie de fon côté d'être non feulement
percée & coupée en différens endroits ,
ainfi que l'uretère du côté qu'on opère ;
puifqu'elle eft attaquée au hafard , &
qu'on y porte tout à la fois , particulierement
dans le Manuel de M.Thomas,
une lame & une lame tranchante ; mais
encore d'être faifie & tenaillée par la
tenette , & même déchirée , & en partie
arrachée avec la pierre , &c. Cette opération
eft donc non feulement très-difficile
, mais encore très - incertaine &
très dangereufe à tous égards ; & ne
préfente, de quelque côté qu'on la confidére
, que le caractère de réprobation.
Nous ne conteftons cependant pas
que , malgré tous les obftacles & les
dangers inféparables de cette opération ,
1
SEPTEMBRE . 1762. 143
on ait pu être féduit par quelques
extractions de pierre , & même par
quelques fuccès ; parce qu'il n'eft pas
abfolument impoffible d'entrer brufquement
dans une veffie ample & tendue
comme un ballon , en l'enfonçant
en quelque façon fubitement avec la
tenette , avant que le liquide qui la
diftend , ait le temps de s'écouler ; (f)
& qu'il n'eft pas abfolument impoffible
non plus , à force de tâtonnement &
de repriſes , de rencontrer l'ouverture
de la veffie , de la déchirer & d'en tirer ›
la pierre , même avec quelque portion
de cet organe , fans que la mort s'enfuive
, parce que la nature guérit fouvent
, malgré la défectuofité des manoeuvres
,
(f) Comment s'en tireroit- on dans les cas
de réintroduction de la Tenette fouvent néceffaire
, & même à un grand nombre de reprifes
, tant dans la pluralité des pierres , que pour
des fragments des pierres brifées &c.
144 MERCURE DE FRANCE .
ARTICLE VI I I.
Des raifons de préférence de la prétentendue
Taille impraticable de RAU ,
fur la fection certaine de la veffie , par
Purétre.
ques ,
LA fection de la veffie par l'urétre ,
eft proprement la Taille du Frere Jac
à laquelle , comme nous l'avons
déjà obfervé , Mery & les autres Litotomiftes
de fon parti oppoferent la fection
de la proftate & du fphincter de la
veffie , comme des caufes inévitables
& incurables d'incontinence d'urine ,
de fiſtules urinaires , & c. Aujourd'hui
c'eſt encore la Taille du Frère Jacques
qui reparoît , recouvrée & facilitée par
l'invention du litotome caché du Frère
Cofme ; & ce font auffi précisément les
mêmes procédés & les mêmes raiſons ,
qu'on met en jeu contre l'inftallation de
cet inftrument ; quoique l'expérience
journaliere les contredife manifeftement.
2
En vain prétexte -t-on d'éviter la fection
de la proftate & du fphincter de la
veffie
SEPTEMBRE. 1762. 145
veffie , pour établir la ponction inceraine
du dangereux poinçon de MM.
Foubert & Thomas , par préférence à
la certitude de la fonde cannelée , pour
diriger & conduire le tranchant jufques
dans la capacité de la veffie : car non
feulement la fureté & la facilité de la
taille du périnée dépendent éffentiellement
de l'incifion fuffifante de la veffie
par l'urétre , & du plancher mufculeux
& aponevrotique qui ferment le baffin ;
mais encore l'aifance & le fuccès de
cette opération dépendent particulierement
de la fection de la proftate & du
fphincter de la veffie , parce qu'il ne
peut abfolument pas être de chemin aufli
für pour arriver à la veffie , que la voie
naturelle des urines , ni de moyen aufli
fpécifique pour en tirer la pierre fans
violence , que l'incifion fuffifante ; &
que par l'incifion de la proftate & du
fphincter , non feulement on facilite
l'entrée de la tenette & l'iffue de la
pierre , on léve encore l'obftacle qu'ils
oppofoient à l'excrétion des urines par
l'urétre , & la plaie de la veffie n'éprouve
pour lors de ce fluide, aucun effort qui
puiffe s'opposer à fa réunion .
Dans l'incifion de la veffie par Purétre
, non feulement l'orifice concourt
G
146 MERCURE DE FRANCE.
avec la plaie à l'iffue de la pierre , mais
la plaie de la veffie n'ayant qu'un angi
& le progrès de la cicatrice partant de
cet angle unique , les fibres du ſphincter,
coupées ne recouvrent leur point d'appui
réciproque , que par la terminaifon
de cette cicatrice à l'orifice , lequel reprend
pour lors fa premiere forme ; &
les urines fe trouvent ainfi peu-à-peu
progreffivement refferrées à leur iffue
naturelle , où comme plaie fimple ( dans
l'incifion fuffifante , ) la réunion fe fait
quelquefois fubitement , fans fupuration
& fans que le cours des urines y mette
oppofition.
44
Si l'incontinence d'urine ou la fiftule
urinaire fuccédent quelquefois dans
l'homme à l'incifion de la veffie par
l'urètre , c'est bien moins l'effet de la
fection de la proftate & du ſpin&ter , que
de quelqu'altération particuliere , ou de
la contufion , & de la dilacération inévitables
, quelque parti que l'on prenne
dans l'extraction des pierres , tout à la
fois très-irrégulieres , & d'un volume
confidérable , parce que l'ouverture de
l'angle des os pubis , par laquelle la
pierre doit inévitablement paffer , ne
prête point , au moins dans les adultes.
Il n'en eft donc pas de la prétendue
SEPTEMBRE . 1762.
147
Taille de Rau , comme de l'incifion de
la veffie par l'urètre ; en attaquant la
veffie immédiatement par fon corps ,
on eft non feulement privé de la fureté
& de la facilité que procure la voie naturelle
des urines ; mais en fuppofant
cette opération praticable , l'intégrité
ménagée de la proftate & du fphincter
de la veffie , s'oppofant à l'iffue des
urines par l'urètre , la plaie en éprouveroit
pour lors tout l'effort , & ne fe
confolideroit qu'avec peine ; & de - là
bien réellement , ainfi que l'a éprouvé
Cheffelden , l'infiltration , la fiftule urinaire
, & c.
ARTICLE IX.
De la refource du manuel de MM. Fou-
BERT & THOMAS , dans les embarras
du canal de l'urétre.
Q UANT à l'avantage particulier
qu'on attribue au manuel de MM. Foubert
& Thomas , de n'avoir pas befoin
de catheter , (g) que l'Académie Royale
(g ) Catheter , Sonde d'acier courbe , & cannellée
fur la convexité de la courbure , & qu'on
introduit par l'urétre dans la veffie , pour diri-
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
de Chirurgie publie comme une reffource
qui a enrichi l'Art , dans les cas
d'embaras du canal de l'urétre , qui
mettent un obftacle abfolu à l'introduction
de la fonde dans la veffie ; ( h )
ce n'eft qu'une propriété fpécieufe , qui
ne fçauroit foutenir l'examen . En effet ,
fi l'on ne peut pas fonder la veffie ,
quelle certitude aura - t- on de l'exiſtence
de la pierre ? Taillera- t-on le malade fur
des fignes équivoques , & par une manoeuvre
toute auffi incertaine , & au
moins auffi dangereufe que la maladie
même ?
Outre que les malades qu'on ne peut
abfolument pas fonder font en petit
nombre , & que leurs maladies ne font
pas toujours du reffort de la litotomie ,
c'eft que la veffie des pierreux eft ,
comme nous l'avons déjà obfervé , fouvent
dans le cas de ne pouvoir pas être
fuffisamment diftendue, par la collection
d'un liquide , ainfi que l'exécution de
cette opération l'exige. De plus , l'obſtacle
, dans le cas de pierre , vient fou
vent de ce qu'elle eft engagée à l'origer
& conduire le litotome dans l'opération
de la Taille.'
( h) Rapport des expériences de l'Académie
Royale de Chirurgie fur la Taille , deja cité.
SEPTEMBRE . 1762. 149
fice , dans l'origine de l'urètre , hors
l'atteinte de cette opération .
En conciliant toutes ces confidérations
; fçavoir , l'incertitude de l'exiitence
de la pierre , l'incertitude & les danigers
de l'opération même , avec la déduction
des cas de rétention d'urine ,
qui ne font pas du reffort de la litotomie
, & conféquemment , où cette
opération feroit bien plus qu'inutile ,
des pierres engagées dans l'origine de
l'urétre , hors l'atteinte de cette opération
enfin des cas où elle feroit impraticable
faute de pouvoir diftendre
la veffie par la collection d'un liquide
& c. & c . On fera non feulement convaincu
de la futilité d'une telle reffouce
, dans les cas d'obstacles à l'introduction
de la fonde dans la veffie ;
mais encore qu'on feroit toujours en
rifque de faire inutilement plufieurs
opérations très - dangereufes , & de facrifier
beaucoup de malades , dans l'ef
poir de quelques fuccès : ne feroit-ce
pas là le cas du reméde pire que le mal ?
Dans les cas d'obftacle à l'introduction
du cathéter dans la veffie , l'incir
fion de l'hipogaftre ( i ) feroit infiniment
(i) Hipogaftre, région inférieure du bas ventre
que l'on incife immédiatement au-deffus du Pu-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE .
plus fùre & moins dangereufe que la
ponction du perinée , pour y porter le
tranchant & la tenette , & cette opération
feroit au moins une reſſource
réelle dans les cas ou la veffie feroit
également fufceptible de dilatation par
la collection d'un liquide & c . Mais pourquoi
faire valoir aujourd'hui des moyens
auffi incertains & auffi infuffifans , pendant
que depuis l'invention du litotome
caché, il ne s'eft encore préſenté à cet
égard aucun cas invincible ; & qu'il
y a quantité d'exemples des plus frappans
des fuccès de cet admirable Inftrument
, dans différens cas d'obſtacle à
l'introduction du cathéter , jufques dans
la capacité de la veffie . Si le cathéter eft
arrêté à l'orifice de la veffie , par la préfence
de la pierre , il fuffit d'ouv: ir
l'urétre à l'ordinaire fur fa cannelure ;
le Litotome caché eft conftruit de façon
à pouvoir être infinué fans danger ,
entre le bord de l'orifice & la pierre ,
il peut également être introduit par la
bis , pour ouvrir la veffie par le fommet , & en
tirer la pierre c'eft ce qu'on appelle haut appareil
de Franco. Cette opération éxige également
que la précédente , dans l'homme , la diftention
de la veffie par la collection d'un liquide ,
ce qui la rendroit le plus fouvent impraticable.
SEPTEMBRE . 1762. 15I
plus médiocre dilatation d'une fiftule
urinaire , dans le canal de l'urètre , &
& dans la capacité de la veffie , fervir
lui-même à la perquifition de la pierre .
Enfin le Litotome caché n'éxige point
de difpofition particuliere de la veffie ;
il ne fraye point de route au hafard ,
& il n'opère qu'après avoir convaincu
de l'éxiſtence de la pierre.
CONCLUSIO N.
Nous laiffons préfentement aux Lecteurs
à juger s'il eft réellement une Taille
de Rau , & fi le manuel de M. Thomas
eft bien véritablement comme le
public la Gazette de Médecine : Celle
de toutes les méthodes de tailler , inventeés
jufqu'ici , qui réunit le plus
d'avantages , & qui eft la moins fujette
à inconvéniens . Si comme le publie
auffi le Journal economique.
(Mai 1757 ) L'inftrument qu'on peut
manier le plus fûrement , & qui eft le
plusfacile à conduire , & qui guide avec
certitude la main dans un endroit où la
vue ne peut pénétrer , cet Inftrument
eft le Litotome couvert de M. Thomas.
La méthode latérale nouvelle éxécutée
avec cet Inftrument eft la moins périlleufe
, la plus prompte , & la moins
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
douloureufe : nous avons vu plufieurs
perfonnes taillées par cet Inftrument;
elles avoient été promptement délivrées
de la pierre , elles n'avoient effuyées
aucun accident pendant ni après l'opération
, & la playe perfaitement cicatrifée.
L'expérience confirme donc ici
les avantages d'une chofe que la feule
infpection faifoit déja préfumer très-utille
&c. Enfin l'Académie Royale de Chirurgie
affure dans le rapport de fes expériences
fur la Litotomie ; que lafacilité
de l'extraction des pierres les plus
confidérables , eftfrapante , & féduit en
faveur de cette opération ; qu'elle a eu
des fuccès brillans fous les yeux de
M. Senac, premier Médecin du Roi (k )
& que M. de la Martiniere , premier
Chirurgien du Poi qui a affifté à toutes
les opérations qui ont été faites du vivant
par M. Thomas , en porte le jugement
le plus avantageux. &c. Voyez
Lecteur , redoublez d'attention , & découvrez
la vérité fi vous le pouvez :
entre ces éloges , & nos raifons . ( 2 )
( k ) Quelqu'un affure dans un Ecrit , que M.
Sénac n'a point affifté aux Tailles de M. Thomas .
( 1) Il ne manque à ces éloges que la lifte des
Taillés , avec ia date & les lieux où ils ont été
opérés , ainsi que leurs noms , qualités & demeuSEPTEMBRE.
1762. 153
Pour vous ouvrir la voie , nous vous
obferverons feulement que les Auteurs
des ces éloges décrient avec la même
énergie , la méthode de tailler & le
Litotome caché du Frère Cofme , adoptée
aujourd'hui partout , jufques dans
les Hôpitaux de Paris , par les Membres
mêmes de l'Académie de Chirurgie.
L
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
E concours nombreux des Savans
& des Curieux qui ont affifté à la Séance
publique de l'Académie Royale de
Chirurgie le 22 Avril de cette année ,
a vu avec plaifir deux Tableaux qui
avoient été placés dans la Salle de l'Affemblée
quelques jours auparavant . S'ils
ont eu la fatisfaction d'entendre de fçavans
Mémoire ( dont nous avons rendu
compte dans le premier Volume du Mercure
de Juillet ) qui tendent au progrès
res. Il y manque encore la lifte des Chirurgiens
qui ont adopté les manoeuvres de MM, Foubert
& Thomas. Ces deux Articles prouveroient certainement
plus , que tous les êloges poffibles.
G v
154 MERCURE DE FRANCE .
de l'Art , au bien de l'humanité, & qui,
fervent à faire connoître de plus en plus
d'une maniere avantageufe , l'utilité de
cette Académie ; ils n'ont pas paru moins
flatés d'y trouver le portrait de l'illuftre
Bienfaiteur de cette Compagnie & un
pendant allégorique dont l'idée a été
fournie par le génie & par la reconnoiffance.
L'Académie toujours occupée de fes
travaux , avoit toujours préfente , dans
chacun de fes Membres , la Mémoire de
M. de la Peyronie ; il lui manquoit cependant
le portrait de ce Grand - Maître
, de ce Reftaurateur de l'Art , & elle
s'étoit occupée fouvent du foin de fatisfaire
à fes defirs fur ce point , lorfqu'elle
a été prévenue par un de fes
Membres , qui plein d'un attachement
& d'une reconnoiffance particulière n'a
rien ménagé pour la décoration & la dignité
du fujet qu'il offre à la Compagnie
. Sa générofité trop modefte n'a
pas permis qu'on le nommât ; mais il
faut efpérer que la reconnoiffance trahira
le fecret & fera reconnoître celui qui
a déja fait décorer l'Amphithéâtre des
Ecoles de Chirurgie d'un monumen de
marbre & de bronze élevé à la Mémoire
de M. de la Peyronie. Un Amateur
SEPTEMBRE. 1702. 155
zélé des Beaux -Arts a bien voulu diriger
l'ordonnance de cette décoration .
Deux Tableaux ovales , encadrés de
bordures élégantes , & placés avantageufement
, préfentent du côté droit le
portrait de grandeur naturelle de M.
de la Peyronie , peint par M. Rigaud.
On le voit affis vis-à-vis d'un Bureau,tenant
de la main gauche le premier Volume
des Mémoires de l'Académie &
ayant devant lui d'autres Ouvrages auxquels
il a eu part. * Le pendant Allégorique
peint par M. Pouffin Eléve de l'Adémie
Royale de Peinture & de Sculpture
, eft du côté gauche ; il repréfente
Minerve, le Symbole de tous les Arts ,
du Génie & des Talens , qui regarde M.
de la Peyronie. Elle a la main appuiée
fur un bouclier , où eft repréfenté Apol
lon chaffé du Ciel , & qui par l'image
d'un Jardinier qui émonde , greffe &
ôte la fuperficie d'un arbre avec ces mots,
Apollini opifero , fait allufion à la Chirurgie
que M. de la Peyronie a illuftrée
par fes Talens & par fes Bienfaits.
Le Collége des Chirurgiens de Paris ,
pénétré de reconnoiffance pour fon
* Une robe & une fourrure jettés négligemment
derrière lui fur le fauteuil où il eft affis
défignent la qualité de Docteur en Médecine.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
Bienfaiteur , a fait graver le portrait par
M. Daullé , Graveur du Roi , & a mis
au bas cette Infcription fimple & noble :
Francifcus DE LA PEYRONIE, Ludovici
XV Regis Chriftianiffimi Chirurgus primarius
, Regiorum Medicorum Confilii
Socius , Academiæ Regie Chirurgica
Præfes Munificentiffimus.
SCULPTURE.
É SSAI hiftorique fur la mort de M
BOUCHARDON , Sculpteur de S. M.
& Profeffeur enfon Académie Royale
de Peinture & de Sculpture.
L'INTÉRÊT que vous prenez
, Monfieur
, au deftin & à la gloire
des grands
Artiſtes
, ne me permet
pas de vous laiffer
ignorer
la mort d'un des plus célébres
Sculpteurs
du fiécle & les fincères
regrets
de toutes
les perfonnes
que fon
mérite
lui avoit
attachées
.
Bouchardon n'eft plus . Je n'entreprendrai
point de faire fon éloge. La
vérité peut devenir fufpecte dans la bouche
de l'amitié ; d'ailleurs je dois cette
réferve à l'illuftre Amateur , ( a ) chargé
(a ) M. le Comte de Caylus.
SEPTEMBRE. 1762. 157
de faire l'hiftoire de fes moeurs & de fes
talens. Eh ! que pourrois-je vous en apprendre
? L'intimité , qui vous a longtemps
unis , la connoiffance , que vous
avez prife par vous même des progrès
de fon génie & du fuccès de fes Ouvrages
, vous ont fuffifament inſtruit de
tout ce qui concerne les qualités de fon
coeur & de fon efprit.
Une vertu fans éclat , mais vraie , une
fermeté fans politique , mais honnête ,
formerent jufqu'à fes derniers inftans
le caractère de fon âme. Un zéle infatigable
, le plus ardent amour pour tout
ce qui concouroit à la perfection de fon
Art , furent les refforts qui animerent
fes études & fes travaux.
Après un féjour confidérable a Rome
où il fit un honneur infini à la Nation
par la fublinité de fes talens , nous le
vimes transporter dans nos climats ce
goût févère & noble , fimple & majeftueux
, agréable & impofant , qui lui
fit des critiques de tous ceux , qui ne
goûtoient pas fa maniere. Nous le vimes
lutter contre le prejugé dominant , ſoutege
& avec conſtance le
fyftême & les loix du vrai beau , qui
conftituoient le caractère diſtinctif de
nir avec courag
fes
ouvrages,
158 MERCURE DE FRANCE.
Son génie , élevé dans les principes du
Grand , imprima dans toutes fes produc
tions les beautés mâles & auftères de
l'Antique , qu'il prit toujours foin d'égayer
par les graces de la Nature .
La fécondité , la noble fingularité des
inventions , la grandeur des idées , combinée
avec la plus naïve fimplicité , éclatent
dans tous les monumens que fon
cifeau mit aujour. Il y affocia non-feulement
les parties éffentielles de fonArt,
mais encore celles qui pour n'y être que
relatives concourent néceffairement à
l'harmonie du tout - enfemble.
Les divers genres de bas- reliefs , les
caractéres variés des figures de tout âge
& de tout fexe , le fçavant contraſte des
groupes y font quelquefois réunis avec
les riches ordonnances & les ornemens
précieux de la noble Architecture . Difons
tout le Poëte , le Peintre même
femble briller de concert avec l'Architecte
& le Sculpteur dans les ouvrages
de Bouchardon. Les yeux bien organi
fés y decouvrent le moelleux , l'harmo
nie , le coloris , les nuances du Naturel.
L'efprit impartial y dévoile l'enthoufiafme
, la jufteffe , l'élévation , le fentiment
du vrai. Le Sculpteur y admire les
beautés , les principes lumineux de fon
SEPTEMBRE. 1762. 159
Art , & l'Architecte les plans ingénieux ,
les belles formes , les riches proportions
adroitement adaptés aux figures & aux
divers objets , qui font portion de l'Edifice
. Tels Michel- Ange & Pujet étonnerent
leurs Admirateurs par la fçavante
réunion des Talents divers , que ces
grands Maîtres eurent l'art de perfectionner
!
C'eſt par la netteté , l'énergie , la précifion
de fon cifeau , que Bouchardon
prêta au marbre & au bronze la vie &
le fentiment. Il puifa cette magie de
l'Art dans les Ouvrages des fameux
Sculpteurs de Rome & de la Gréce. Il
ne fit que les égaler par la nobleffe &
les graces de fon ébauchoir ; mais il les
furpaffa par la fierté de fon crayon.
Quel Artifte fe fignala jamais comme lui
par la fineffe , l'expreffion & la profondeur
dans la fcience du deffein ? Les
portefeuilles , les cabinets des Curieux
de toutes les Nations en rendent témoignage.
J'ajoute : Combien de Monumens
, projettés à Rome , ou exécutés à
Paris , annonceront à nos derniers neveux
, par l'organe de notre Artifte, que
le Siécle de LOUIS LE BIEN -AIMÉ a
produit des Sculpteurs auffi célébres
que ceux qu'on admira fous le Regne de
LOUIS-LE -GRAND !
160 MERCURE DE FRANCE.
毒
Quelque évidente qu'en foit la
:
preuve
dans la plus grande partie des productions
de Bouchardon , on ne fçauroit
difconvenir qu'il n'en ait mis au jour,
qui dépofent moins victorieufement en
faveur de fa gloire. N'en foyons point
étonnés les plus grans Maîtres ont eu
le même fort. Ils font fouvent forcés de
confier à des mains étrangères les travaux
qu'il leur eft impoffible d'exécuter.
Jugeons du mérite des Artiſtes par les
chefs-d'oeuvre qui leur ont valu pendant
leur vie la haute réputation dont
on ne jouit guères qu'après la mort.
La confidération dont Bouchardon fut
toujours honoré par fes propres Confrères
,, par d'illuftres Amateurs , par le
généreux Miniftre des Arts
par les
Grands , par les Souverains même , ne
pouvoit être portée à un plus haut degré.
Leur eftime , leur amitié même en
furent le témoignage ; les diftinctions, les
récompenfes en ont été le fruit . Chéri ,
révéré de toutes les perfonnes de goût ,
il fut chargé des Ouvrages les plus honorables
& les plus flatteurs. Pouvoit-il
fuffire à tous les travaux importans qui
lui étoient propofés ? Combien n'en facrifia-
t-il pas à celui qui devoit combler
fon ambition ,fon bonheur , fa fortune,
SEPTEMBRE. 1762. 161
fa gloire & qui eft devenu l'époque du
terme de fes jours ?
Brillante entrepriſe qui conftate la
haute idée que la Ville de Paris avoit
de fes rares talens , Monument célébre
, qui en éternifant la reconnoiffance
publique , immortalife un Artifle fameux
! Avec quel fuccès n'euffiez- vous
pas été conduit au dernier période de
la perfection , fi le deftin jaloux n'eût
point fitôt arraché le cifeau des mains
de Bouchardon , pour lui ravir une partie
de fa gloire ?
Je me trompe : c'est pour relever l'éclat
de cette gloire fi méritée , que la
Parque s'eft hatée de trancher le fil de
fes jours. L'Artiſte intrépide prévoit le
coup ; il ne fçauroit le détourner ; mais
il s'y prépare par une foumiffion refpectueufe
aux decrets de la Providence . Il
met au rang des devoirs du Chrétien, celui
de remplir avec honneur tous fes engagemens.
Il les couronne par le trait
d'une équité judicieufe & d'un louable
fang-froid. Il fe nomme un fucceffeur ,
non pour hériter de fa fortune mais
pour partager fa gloire . Le choifira-t-il
par des motifs de condefcendance
ou
d'amitié ? Sa délicateffe fe méfie des pré-
>
jugés de l'affection ; il ne confulte que
162 MERCURE DE FRANCE.
l'intérêt de l'ouvrage ; & fon choix,balancé
entre plufieurs de fes habiles Confrères
, fe détermine en faveur de celui
qu'il eftime le plus capable d'entrer dans
fa manière , dans fon ſtyle , dans fon efprit
& dans fon goût.
Une lettre adreffée à M. le Prévôt des
Marchands apprend à MM. les Chefs du
Bureau , à la Nation , à l'Univers , que
M. Pigalle , Sculpteur du Roi & Profeffeur
en fon Académie Royale de
Peinture & de Sculpture , eft celui que
Bouchardon choifit , pour conduire avec
fuccès & à la plus haute perfection , l'ouvrage
dont la Capitale l'avoit chargé.
Quelle plus brillante diftinction peut
flatter un Confrère déja célébre ? Il en
va goûter bientôt les fruits. ( b ) Bien-
-po-
(b) La Ville de Reims , pour qui M. Pigalle
fait un Ouvrage en l'honneur du Roi , charmée
d'apprendre le choix qui a été fait de cet habile
Altifte , pour achever le Monument de la Ville
de Paris , lui a écrit à ce fujet une lettre très- p
lie, qui finit en ces termes : Cet événement eft trop
flatteur , Monfieur , pour que le Corps de Ville ne
vous en félicite pas & ne vous marque dans cette
circonftance , tous les fentimens d'eftime & de confidération
avec lesquels nous fommes très-parfaitement,
Monfieur , vos très-humbles &c . les Lieutenans
, Gens du Confeil & Echevins de la Ville de
Reims , Le 6 Août 1762.
SEPTEMBRE. 1762. 163
tôt les refpectables Echevins lui annoncent
par une députation , la glorieufe
préférence , & lui expédient un double
de l'Acte que Bouchardon avoit fait en
fa faveur.
Jugez , Monfieur , par la copie de
cette lettre que je vous communique ,
fi elle n'eft pas également honorable à
l'Humanité , aux Talens , aux Artiſtes ,
& aux Peres de la Patrie , qui en réalifent
la teneur avec une exactitude fcrupuleufe
. Cette attention manifefte leur
amour pour la juftice , leur goût pour
les Arts & leur eftime pour le Sculpteur
célébre qu'ils ont honoré jufqu'au tombeau.
(c )
COPIE de la Lettre adreffée à M. le
Prévôt des Marchands › par
M.
BOUCHARDON.
» L'ouvrage important que j'ai entre-
» pris pour la Ville de Paris , & que
» j'ai actuellement entre les mains , ne
» ceffe de m'occuper , même dans l'état
» de fouffrance & d'infirmité auquel
» m'ont réduit des travaux , peut-être
» au-deffus de mes forces ; plus j'appro-
( c ) MM. les Echevins de la Ville de Paris ont
affifté au Convoi de M. Bouchardon.
164 MERCURE DE FRANCE .
33
» che du terme où il plaira à Dieu de
» m'appeller à lui , plus cet Ouvrage
» me devient cher & me fait penfer
» aux moyens de lui donner fon en-
» tiere perfection. Suppofé que lors de
» mon décès il ne fut pas tout-à-fait ter-
» miné ; dans ce cas , je fupplie très-
" humblement M. le Prevôt des Mar-
» chands , & MM. du Bureau de la
» Ville de Paris , de vouloir bien per-
» mettre que je leur préfente M. Pigalle,
Sculpteur du Roi & Profeffeur de fon
» Académie Royale de Peinture & de
» Sculpture , dont l'habileté eft fuffi-
» famment connue ; & je les prie de
» l'admettre & d'agréer le choix que
» je fais de lui pour l'achèvement de
" mon Ouvrage. Affuré que je fuis de
»fa grande capacité & de l'accord . de
» fa maniere avec la mienne ; j'espere
» que ces Meffieurs ne me refuferont
» pas cette derniere marque de leur
» confiance : je la leur demande fans au-
» cune vue d'intérêt & avec l'inftance de
» quelqu'un qui eft auffi véritablement
» jaloux de fa réputation , qu'il l'eft de
» l'Ouvrage même ; & je compte affez
» fur l'amitié de mon cher & illuftre
» Confrère , pour ofer me promettre
» qu'il fera pour moi ce qu'en pareil cas
SEPTEMBRE . 1762. 165
ود
» il ne doit pas douter que je n'euffe fait
» pour lui , s'il m'en avoit jugé digne ;
» qu'il fe chargera volontiers de ter
» miner ce qui fe trouvera manquer à
" mon Ouvrage au jour de mon décès :
» Je lui en réitére ma priere , & je
» fouhaite , s'il s'y rend ainfi que je
l'efpere , qu'il s'entende fur cela avec
» mes Héritiers , & que les modéles &
» deffeins que j'ai déjà préparés pour
» cette fin d'Ouvrage , & qu'il eſtime-
» ra lui être néceffaires , lui foient re-
» mis , fous le bon plaifir de la Ville ,
», afin qu'il puiffe mieux juger de mes
» intentions , & en les rempliffant au-
» tant qu'il le jugera à propos , qu'il
» travaille pour ma gloire & pour la
» fienne. Car quoique je fois très-con-
» vaincu qu'il ne feroit pas difficile de
» faire mieux , je crois devoir déclarer
» que dans l'état où j'ai amené l'ouvrage
» il feroit dangereux d'y rien changer
» tant par rapport à l'ordonnance générale,
que pour la difpofition de chaque
figure.Auffi eft-ce par cette confidéra-
» tion & parce que je connois le goût &
la façon d'opérer de M. Pigalle , que
» j'ai principalement jetté les yeux fur lui;
» & que fans vouloir faire tort à aucun
"
"3
de mes Confrères , dont je refpecte
166 MERCURE DE FRANCE.
les Talens , j'ofe affurer de la réuffi-
» te de l'Ouvrage de la Ville , du mo-
» ment que la conduite lui en aura été
» confiée. Au Roule , le 24 Juin 1762 .
Signé , BOUCHARDON .
"
Avouons-le , Monfieur , il n'eft point
de trait dans l'Hiftoire des Artiftes anciens
& modernes les plus célébres , qui
mérite autant notre admiration . S'illuftrer
foi-même eft dans l'ordre de la nature
; illuftrer ſes rivaux eft le chef-d'oeuvre
de la générofité. Si Bouchardon fut
refpectable par la fublimité de fes talens ,
pendant le cours de fa vie , il devient
bien plus refpectable encore par la nobleffe
de fes fentimens à l'heure de la
mort. Il acquiert de nouveaux droits à
l'immortalité , en nous convainquant ,
par un procédé , peut-être unique , que
la véritable vertu ne fe dément jamais .
Je fuis , Monfieur , &c .
DANDRÉ BARDON .
A Paris , ce 3 Août 1762.
SEPTEMBRE. 1762. 167
L
GRAVURE.
,
E fieur Maillard , Marchand d’Eftampes
, rue S. Jacques , près des Mathurins
, continue de débiter divers Emblêmes
, FFaabblleess ,, Devifes , Cadrans
Bouquets & Etrennes , fur des fujets de
piété , de morale & autres , le tout gravé
& proprement enluminé. Il vend actuellement
quatre Bouquets pour la S.
Laurent , l'Alfomption , la S. Louis &
la-S. Auguftin , compofés chacun d'une
vignette enluminée, relative à chaque
fête avec des vers au bas reffource
>
très commode pour les perfonnes qui
n'ont pas le talent ou le loifir d'en.compofer.
On trouve auffi chez lui un affortiment
d'Ouvrages en caractères , avee
des deffeins & des vignettes pour peindre
les meubles , les habillemens & c.
Son époufe montre aux Dames à fe
fervir de ces mêmes Ouvrages foit à la
broffe , foit au pinceau . Sa demeure eſt
toujours rue S. Jacques , chez M. de
Lambert , Avocat , proche les Mathurins.
Les Perſonnes qui lui écriront font
priées d'affranchir leurs lettres.
Le fieur LEMAIRE , Graveur , vient
168 MERCURE DE FRANCE.
de faire paroître deux nouveaux Cahiers
de fon ouvrage intitulé , Traits de l'Hiftoire
Univerfelle , facrée & profane :
fçavoir le 1. Cahier du 4. Tome de
l'Hiftoire Sacrée , n° . 15. compofé de
19 fujets , & les 19 premiers fujets du
2. Tome de l'Hiftoite Poëtique , nº . 7.
Cet Ouvrage , qui n'avoit d'abord été
exécuté qu'au fimple trait , a acquis depuis
des degrés de perfection , qui ne
peuvent que s'accroître fous la direction
du célébre M. Lebas , Graveur du Roi.
A l'égard des Textes qui font au bas de
chaque Eftampe , M. de Querlon s'étant
chargé de ce travail , on doit être perfuadé
& de la jufteffe du choix & de la
fidélité de la traduction . On continue
de foufcrire chez les Libraires indiqués
dans le Profpectus ; & chez le fieur Lemaire
, a & uellement rue S. André , la
porte cochère vis -à - vis la rue Gillecoeur
, au troifiéme. Les deux parties
formant 240 Eftampes , coutent 36 liv.
par an aux Soufcripteurs , & 48 liv . à
ceux qui n'ont point foufcrit.
On trouve chez le fieur GAUTIER ,
rue & Cloître S. Honoré , une nouvelle
Carte de la France , analyfée par Gouvernemens
, Parlemens , Généralités &
ArcheSEPTEMBRE.
1762. 169
Archevêchés . Par M. Brion , Ingénieur
Géographe .
Cette Carte paroîtra différente de bien.
d'autres , en ce que furtout on s'eft écarté
de l'ufagé affez général, d'entaffer pofition
fur pofitions , & de ne laiffer aucun
endroit élagué. L'objet éffentiel ici ,
a été de ne repréfenter que les lieux remarquables
, foit par toute autre qualification
encore que celles qu'annonce
le titre , foit par leur commerce & leurs
productions.
Le fieur LATTRÉ , Graveur , rue S.
Jacques , au coin de la rue de la Parcheminerie
, à la Ville de Bordeaux
vient de publier une nouvelle Carte de
Portugal , en deux moyennes feuilles
qui fe vendent enſemble quarante fols.
Cette Carte a été dreffée fur quantité de
morceaux Topographiques levés fur les
lieux , & particuliérement fur les Opérations
Géométriques de Dom Vasquez
de Cozuela. M. Rizzi Zannoni , Auteur
de cette Carte , en a dreffé le canaveas de
projection d'après une théorie dont il
rendra compte dans une analyſe.Les Obfervations
Aftronomiques faites dans le
Royaume d'Algarve par M. Godin , de
l'Académie des Sciences de Paris , celles
H
170 MERCURE DE FRANCE.
qui ont été faites en différentes parties du
Portugal par les PP. Capaffo & Lacerda
Jéfuites , ont fixé furfa Carte les points
principaux. Des Cartes Maritimes , conftruites
par des Pilotes Anglois, ont donné
le giffement & la configuration des Côtes
très-différentes que dans les Cartes qui
ont précédé celle- ci .
La Carte que nous annonçons n'eft
que le commencement d'un Ouvrage
plus confidérable d'une Espagne en douze
feuilles , qui ne tardera pas à paroître
avec une Analyfe dans laquelle l'Auteur
donnera le détail de fes Opérations.
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
O
OPERA.
N a continué , avec la fatisfaction
du Public , le Spectacle de Fragmens
dont nous avons rendu compte dans le
dernier Mercure .
*
* M. Veftris a repris dès le commencement
d'Août,fon Entrée dans la belle Chaçonne des Sauvages;
ce qui a fait très-grand plaifir. Excellent
SEPTEMBRE . 1762. 171
On donnera , le 7 du préfent mois ,
Acis & Galatée. Nous parlerons de cette
repriſe dansle volume prochain.
COMÉDIE
FRANÇOISE.
LE 29 Juillet on a remis au Théâtre
Cinna.
On doit aux Acteurs de notre temps
& particuliérement au Talent de Mile
Clairon , d'avoir renouvellé parmi nous
le Grand Corneille. La remife d'une de
fes Tragédies , éxcite aujourd'hui autant
de curiofité & d'empreffement qu'une
nouveauté longtemps annoncée , impatiemment
attendue , & dont le fuccès
eft toujours incertain. Plus les
beautés des chef- d'oeuvres de notre
dans toutes les chofes qu'il éxécute , il eſt admirable
dans cette Entrée. Le caractère de cette
Mufique célébre femble ajouter encore à la nobleffe
& aux grâces du Danfeur. Mlle Allard,qui
acquiert tous les jours de nouvelles perfections , a
fervi dans cet Opéra avec la plus grande éxactitude.
On convient généralement à préfent , que
le Pas de Polonnois n'avoit jamais été rendu, comme
il doit l'être , que par M. Dauberval & Mlle
Peflin qui ont danſé auſſi très - éxactement.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
Théâtre font connues , plus les Spectateurs
font difficiles fur la maniére de
les rendre ; ainfi dans le concours
qu'elles attirent à préfent & dans les fuffrages
unanimes qu'elles réuniffent , les
Acteurs ont une part très-honorable.
On connoît trop les Talens de M. le
Kain , pour douter de leur effet dans
le rôle de Cinna. M. Molé rend celui
de Maxime avec chaleur , & en mê
me temps , avec un détail de raiſonnement
qu'il ne doit qu'à fa propre intelligence
, & que l'on fent bien n'être emprunté
d'aucun modéle. Augufte ne
peut être mieux repréfenté que par M.
Brifart pour remplir l'idée que nous
en avons & produire tout l'intérêt que
l'Auteur a voulu mettre dans ce grand
caractére. Mlle Clairon , toujours admirée
& chaque jour plus admirable
fçu ajouter, pour ainfi dire, au génie de
Corneille dans le rôle d'Emilie . Ne pouvant
donner l'idée de tout ce qu'exprime
cette excellente Actrice , nous rapporte
rons un feul trait de fon jeu qui a frappé
tous les Spectateurs : c'eſt le gefte
par lequel elle interrompt Maxime ,
avant que de prendre la parole fur lui ,
lorfqu'Emilie prévoit tout ce qu'il va
dire & qu'elle ne veut pas entendre.
>
a
SEPTEMBRE . 1762. 173
Ce gefte fi fimple , eft ce qu'on peut appeller
le fublime en action ; d'autant qu'il
eft d'une jufteffe & d'une vérité qui ne
permettent pas de croire qu'on puiffe
jouer autrement , quoiqu'il ne fut venu
à perfonne , jufquà ce moment , de le
defirer dans le jeu de ce rôle. ( a )
Les repréſentations de Cinna , qui attiroient
autant de Spectateurs qu'il eft
poffible d'en raffembler dans cette faifon
, ont été interrompues , après la
cinquième , par l'indifpofition de Mlle
Clairon.
( a ) Les éloges réitérés que nous faifons de
certains Sujets diftingués fur la Scène , ou ceux
que nous donnons quelquefois , comme motifs
d'encouragemens , doivent paroîtrefaftidieux à
ceux qui n'ont ni les moyens ni les occaſions
d'en mériter dans quelque genre que ce foit.
Mais ceux que ces éloges bleffent davantage, font,
à la honte de l'efprit humain , les Auteurs dramatiques
qui n'ont pu obtenir des fuffrages foutenus
au Théâtre. Cependant , comme le Public
renouvelle à chaque occafion , par fes applaudif
femens & par fes éloges , le prix dont il croit devoir
payer le nouveau plaifir que lui donnent des
talens qu'il applaudit depuis longtemps , & qu'il
encourage ceux qui cherchent à obtenir les fuffrages;
fa conduite , à cet égard , fera notre loi plu
τότ que l'humeur de certains Particuliers.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE .
1
Le 1 Août on a remis le Curieux impertinent,
Comédie de M. Nericault Def
touches. Mile Dangeville étant tombée
malade après la première répréfentation
, Mlle Bellecourt fut obligée de la
remplacer à la feconde , dans le rôle
de Soubrette ; elle y fut applaudie avec
juftice ; & elle a continué ce rôle avec
agrément. La Piéce a été très-bien jouée,
en général ; M. Bellecourt n'a épargné
aucuns foins pour faire valoir le principal
rôle dont il étoit chargé. Malgré
toutes ces attentions , qui rendent à la
vérité plus fenfibles aujourd'hui les beautés
dont font remplies prèfque toutes les
Piéces de M. Deftouches , il faut convenir
cependant que les mêmes caufes
qui avoient occafionné l'indifférence du
Public dans la nouveauté , font encore
le même effet à la repriſe de celles qui
n'avoient pas eu un fuccès décidé. Le
Curieux impertinent a eu 4 repréfentations
qui ont fait plaifir fans produire un
grand concours de Spectateurs . On n'en
doit pas moins fçavoir gré aux Comédiens,
des peines qu'ils fe donnent pour
faire repaffer fous les yeux d'un Public
qui fe renouvelle fouvent , des Ouvrages
que beaucoup de gens ignorent ou
négligent de lire avec attention. Dans le
SEPTEMBRE. 1762. 175
nombre de ces éffais , qui ne peuvent
jamais déplaire au Public éclairé , il s'eft
déja trouvé & il fe trouvera encore dequoi
étendre beaucoup le Répertoire.
D'ailleurs quant aux Ouvrages de M.
Deftouches, quelques obftacles qui puiffent
fe rencontrer dans quelques - uns
pour le grand fuccès , il fe trouve dans
tous , des modéles à imiter pour le vrai
genre de la Comédie moderne & pour
en entretenir le goût .
Le Lundi 5 Août on donna la premiere
répréfentation des Deux Amis ,
Piéce en 3 Actes & en profe , dont le
Conte qui porte le même titre a fourni
le fujet. La chûte de cette Piéce étoit
déterminée dès le milieu de la premiere
Scéne , laquelle en effet étoit trop allongée
, & trop appefantie fur l'idée
indécente d'un commerce, que fe reprochent
mutuellement les deux vieux amis,
avec la Mere de la jeune Pupille que
chacun d'eux voudroit époufer. Il y
avoit dans le refte de la Piéce des plaifanteries
qui n'ont point produit l'effet
qu'elles auroient pû produire , par la fâcheufe
prévention qu'avoit donnée cette
Scène ; ce qui peut-être ne feroit pas
arrivé , fi l'on eût prévénu fur un genre
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
que l'on n'eft plus accoutumé depuis
longtemps de voir renaître au Théâtre
François. Il est d'autres Théâtres mixtes
où Thalie s'eft prêtée jufqu'à admettre
des Racoleurs , des Jérôme & Fanchonettes
, des Gilles Peintre Amoureux ,
des Sancho - Pança, & autres Drames ,
que l'efprit fe permet comme un délaffement
, mais dont il croit devoir
rougir de s'occuper fur une Scène confacrée
à la regularité. Rien ne prouve
plus inconteftablement la force des con
venances locales , que ces fortes de
contrariétés dans le Public qui applaudit
avec excès à un Théâtre, un genre qu'il
profcrit fur un autre par les jugemens les
plus févères.
L'attrait du jeu de M. Préville foutint
la repréfentation des Deux Amis
jufqu'à la fin ; & le plus grand nombre
de Spectateurs regretta le plaifir
qu'il y auroit pu faire fi le Parterre eût
eu un peu plus d'indulgence pour la
Piéce .
Mlle Dubois , qui n'a point démenti
les efpérances qu'avoit données fon début
, a joué avec applaudiffement pendant
l'abfence de Mlle Clairon dans
Ariane & dans l'Orphelin de la Chine.
SEPTEMBRE. 1762. 177
Le Public a vû avec un très - grand plaifir
reparoître Mlle Clairon dans Didon &
dans Héraclius. M. Brifart a pris le rôle
de Phocas dans cette dernière Tragédie .
N. B. On a remis auffi l'Irréfolu ,
Comédie de M. Néricault Deftouches :
nous parlerons de cette reprife dans le
Mercure prochain.
Comme nous avons inféré dans le 2°.
Vol. de Juillet un Éloge hiftorique de
feu M. de Crébillon , nous nous trouvons
obligés de prévenir le Public fur un Ou
vrage imprimé in - 8°. qui porte ironiquement
le même titre , dans la crainte
que l'on ne confonde la vérité avec le
poifon groffier de l'Envie répandu dans
ce méprifable Libelle contre les Ouvrages
d'un grand Homme.
COMÉDIE ITALIENNE.
DEPEPUUIIS la fin de Juillet & pendant le
mois d'Août , on a remis fur le Théâtre
de la Comédie Italienne plufieurs Opéra-
comiques de l'ancien genre ; fçavoir
Cendrillon , les Racoleurs , la Ser
vantejuftifiée , le Cocq du Village, &c..
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
On a repris & continué les repréfentations
de Sancho-Pança dans fon Ifle.
Le fuccès des Soeurs Rivales a toujours
été en augmentant , & cette petite
Piéce a été continuée avec un nouveau
plaifir pour les Spectateurs .
CONCERT SPIRITUEL.
LE 15 Août, Fête de l'Aſſomption , les
nouveaux Directeurs donnerent leur premier
Concert. Le Public marqua à M.
d'Auvergne par des applaudiffemens trèsfllateurs,
le plaifir quil avoit de le voir à
la tête de cette entrepriſe.
Le Concert commença par une fymphonie
qui mérite de véritables éloges.
Le Motet de M. Blanchard fut applaudi .
On entendit avec un étonnement agréable
un Joueur de Harpe qui tire de cet
Inftrument un fon prodigieux . Mlle Paganini
chanta, & l'on fut très-fatisfait de
la légéreté de fon gofier ainfi que de l'art
avec lequel elle exécute les paffages
qui conftituent le mérite de la Mufique
Italienne .
* La Piéce des Saurs Rivales le trouve imprimée
chez Duchesne , Libraire , rue S. Jacques , au
Temple du Goût , ainfi que celle de Sancho-
Pança.
,
SEPTEMBRE. 1762 . 179
M. Gavinié exécuta un Concerto de
fa compofition, qui fit le plus grand plaifir,
& que beaucoup de Connoiffeurs eftiment
le meilleur qu'il eût encore don
né. Nous ne dirons rien de l'exécution
de M. Gavinié , qui eft aujourd'hui
au- deffus des éloges , & dont la célébrité
n'a plus beſoin d'être annoncée .
Le dernier Motet , dont l'Auteur eſt
Anonyme, a plus réuffi au jugement des
gens de l'art qu'à celui des autres. Il eft
du meilleur genre de compofition ; mais
comme les paroles n'expriment dans
tous les verfets qu'un même fentiment ,
elles n'ont fourni au Muficien qu'une
feule expreffion , ce qui l'a obligé d'avoir
recours aux moyens de combinaifons
purement muficales , pour varier.
Ainfi ne donnant lieu ni à des images ni
à des fentimens contraftés , ce motet eft
en mufique ce qu'eft en deffein une excellente
étude , dont les Connoiffeurs
fentent le prix , mais où l'oeil du Spectateur
ordinaire n'apperçoit rien qui le
frappe.
On a fait dans la diftribution de l'Orcheftre
des changemens avantageux ,
en partageant également de chaque côté
les premiers & feconds deffus , ce qui lie
bien mieux l'harmonie à l'oreille de cha-
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
que Auditeur dans quelqu'endroit de la
Salle qu'il fe trouve placé.
La nouvelle Société , en faifant repeindre
la Salle & en fubftituant de trèsbeaux
luftres aux anciens , n'a pas négligé
la commodité du Public , auquel
on a procuré des efpaces bien plus, commodes
entre les banquettes.
Il y a eu beaucoup de monde à ce
premier Concert ; on fe propofe de ne
donner que des nouveautés,dans tous les
genres, au prochain Concert du 8 de ce
mois , Fête de la Nativité,
ARTICLE VI.
SUITE des Nouvelles Politiques du
fecond Volume de Juillet.
DECLARATION de guerre de Sa Majesté
Catholique contre le Roi de Portugal .
TOUOUTTEESS les fortes raifons , tous les motifs de
juſtice & de convenance , que j'ai repréſentés au
Roi de Portugal , de concert avec le Roi Très-
Chrétien toutes les exhortations fraternelles ,
dont je les ai accompagnés , n'ont pû le détacher
de la partialité aveugle qu'il a vouée aux
Anglois nos ennemis ; & fans laquelle il femble
qu'il ne pourroit ni refpirer ni régner , ce qui
eft en lui l'effet d'une habitude invétérée , &
SEPTEMBRE. 1762. 181
du pernicieux afcendant de ceux qui le confeilent.
Nous n'avons fait , au contraire , l'un & l'autre,
que lui donner lieu . non- feulement de nous
apprendre combien nos espérances étoient yaines
, mais encore de nous faire l'infulte la plus
atroce, par la préférence qu'il a donnée à l'amitié
& à l'alliance de l'Angleterre , fur celle de l'Efpage
& de la France , & de me faire à moi
en particulier , I outrage de retenir dans la Ville
d'Extremos mon Ambaffadeur Don Joſeph Torrero
, fans aucun égard pour le caractere dont
ce Miniftre étoit revêtu , après l'avoir laillé partir
de Lisbonne , & pourfuivre fon voyage jufqu'à
cerre Ville , fous la fauve garde des paffeports
qui lui avoient été accordés pour fortir du Portugal.
Malgré des procédés fi injurieux , & qui
m'autorifent fuffifamment a ne plus garder de
mefures avec le Roi de Portugal & avec fes
Sujets comme je ne voulois point m'écarter
de la réfolution que j'avois priſe , de ne faire
une guerre offenfive aux Portugais , qu'autant
qu'ils m'y auroient forcé , & de ne faire ent er
mes troupes dans leur pays , que pour les délivrer
du joug des Anglois , & nuire à ceux - ci
qui font mes ennemis déclarés , J'ai différé de
donner mes, ordres au Marquis de Sarria , Commandant
Général des troupes deftinées à entrer
eu Portugal , pour qu'il traitât , avec les rigueurs
de la guerre , les troupes de ce Royaume & fes
Peuples , & d'interrompre toute corespondance
& tout commerce avec eux . Mais , comme il
m'eſt parvenu un Edit , rendu le 18 Mai dernier
par le Roi de Portugal , dans lequel fous, prétexte
que le Roi Très - Chrétien & Moi Nous
fommes convenus de difpofer de les Etats , & de
les envahir & ufurper , on donne de fauffes in182
MERCURE DE FRANCE.
terprétations à nos démarches amicales , & à
nos intentions falutaires ; & dans lequel S. M.
T. F. ordonne à tous les Sujets de nous regarder
& de nous traiter comme des ennemis déclarés,
& de ceffer , tant par terre que par mer, tout
commerce & toute correfpondance avec nos
Etats , en même temps qu'Elle défend l'entrée
& l'ufage de leurs productions & marchandiſes,
qu'Elle ordonne la confifcation des biens , des
Efpagnols & des François , & qu'Elle leur enjoint
de fortir du Portugal , fous le terme de
quinze jours ; délai qui , quoique très-court, a été
cependant fi mal obfervé de fa part, qu'avant fon
expiration , on a vû, avec horreur , arriver en
Espagne plufieurs de mes Sujets , chaffés des
Villes Portugaifes , avec les violences les plus
odieufes , après avoir été très- maltraités , &
quelques- uns même eftropiés . D'ailleurs , comme
le fufdit Marquis de Sarria a reconnu que les
Portugais abulent de l'indulgence avec laquelle
il les traite & du foin qu'il apporte à leur
faire payer tout ce qu'ils fourniffent aux troupes
qui font à fes ordres : comme de plus ils ont
porté leur ingratitude jufqu'au point que des
Pays entiers ont comploté fecrettement d'égorger
les détachemens avancés , & que , pour cela ,
ils ont employé certains artifices qui font voir
qu'ils font confeillés & excités par des Officiers
déguilés ; & , comme enfin il ne me feroit plus
poffible de pouffer plus loin ma patience & ma
modération , fans compromettre ma gloire &
celle de ma Couronne : j'ai réſolu , fur toutes
ces confidérations , & je veux qu'à compter
d'aujourd'hui , mes troupes faffent la guerre dans
le Portugal , comme dans un Pays ennemi ; que
les biens des Portugais dans tous mes Etats
?
SEPTEMBRE. 1762 183
foient confifqués ; que les Portugais , qui s'y
trouveront , en fortent dans l'efpace de quinze
jours , après la publication du préfent Edit ; que
mes Sujers n'ayent plus aucune efpéce de com .
merce avec eux , & que l'entrée , la vente &
'lufage des productions & marchandifes des Pays
& des Manufactures du Portugal , foient défendus
dans mes Etats . J'ordonne que mon Confeil ·
faffe exécuter le contenu au préfent Edit.
Nouvelles Politiques qui devoient entrer
dans le Mercure d'Août.
De CONSTANTINOFLE , le 2 Juin 1762.
PENDANT la nuit du 21 au 22 du mois dernier »
le feu prit dans le voisinage de la Moſquée du
Sultan Bajazet le progrès des flammes fut fi rapide
, que malgré les fecours qu'on apporta ,
l'incendie dura plus de dix -huit heures . Il a cauſe
une perte très-conſidérable , & plus de deux
mille Maifons , parmi lesquelles on compte
plufieurs beaux Palais , ont été réduites en cendres.
ས་
De PETERSBOURG , le 18 Juin.
Le Baron de Breteuil , Miniftre Plénipotentiaire
de Sa Majesté Très-Chrétienne , a reçu ces jours
paffés , par le retour d'un Courrier qu'il avoit
dépêché à Versailles , des inftructions relatives
à la difficulté qui s'eſt élevée à l'occafion de fa
premiére audience . Cette difficulté , abfolument
étrangère au fond des affaires , ainfi qu'à l'intérêt
, & même au cérémonial des deux Cours ,
n'ayant pû s'applanir , le Baron de Breteuil , con184
MERCURE DE FRANCE.
formément aux or tres qui lui font parvenus , a
demandé des palleports pour retourner en France,
& il fe difpofe à partir inceffamment .
De TRAWENDAHL, le 10 Juillet.
Frédéric Chriftian , Duc de Holftein- Auguftebourg
, Lieutenant- général des armées du Roi ,
a épousé Charlotte -Amélie Wilhelmine , feconde
fille de feu Frédéric Charles , Duc de Holstein-
Ploen. Le Duc de Holftein - Auguftebourg eſt chef
de la branche de ce nom , la plus proche de la
branche régnante .
De STOCKHOLM , le 25 Juillet .
L'Ordre de la Nobleſſe a réfolu de faire ériger
à fes dépens une Statue à Guftave I , que
fon mérite & fes vertus élevérent de la condition
privée à celle de Souverain , & qui foutint ce
titre avec tant d'éclat. Le fieur Larchevêque ,
Sculpteur François , qui , avec l'agrément de
Sa Majesté Très- Chrétienne , eft au ſervice du
Roi , a reçu ordre de travailler au modéle. La
Statue fera placée vis - à - vis du Palais de la Nobleſſe
, au milieu de la Place où il eft firuć .
·
De VIENNE , le 10 Juillet.
Le 25 du mois du mois dernier , la Comteſſe
du Châtelet , époufe de l'Ambaſſadeur de France,
arriva ici de Paris.
On apprit hier , que le Général Brentano a
remporté un avantage confidérable fur un Corps
nombreux de troupes ennemies , auquel le Roi
de Pruffe doit s'être trouvé en perfonne . Les
Pruffiens ont perdu beaucoup de monde : on
feur a enlevé trois drapeaux , & l'on a fait près
de mille prifonniers.
SEPTEMBRE. 1762. 185
De BERLIN , le 26 Juin.
ه ل ل ا
Le Margrave Charles de Brandebourg , Chevalier
de l'Odre de l'Aigle Noir , & Grand-
Maître de l'Ordre de Saint Jean dans la Marche
la Saxe , la Poméranie & la Vandalie , mourut à
Breflau le 22 de ce mois , âgé de cinquante - lept
ans & dix -neuf jours , étant né le 3 Juin 1709 ,
Il étoit fils du Margrave Albert Frédéric , Oncle
du feu Roi. La Mere du Margrave Charles étoit
Marie Dorothée , fille de Frédéric Cafimir , Due
de Courlande.
>
Frédéric Erneft , Margrave de Brandebourg
Culmbach , Chevalier de l'Ordre de l'Eléphant
premier Feld Maréchal des armées de Dannemark
, & Gouverneur du Duché de Sleswick ,
eft mort le 23 à Friedrichfruhe , dans la cinquante-
neuvième année de fon âge.
De DRESDE , le 26 Juin.
>
Au commencement de cette femaine , le
Prince Henri avoit ordonné de conduire par eau
à Magdebourg trois cens quarante prifonniers
Autrichiens. Le Bâtiment fur lequel ils étoient
embarqués , s'étant engravé ſur un banc de fable ,
l'escorte qui les conduifoit , s'empreffa de remettre
ce Bâtiment à flot. Le peu de précaution
dont les Pruffiens uferent en fe livrant à ce
travail , fit naître aux prifonniers l'idée de recouvrer
leur liberté. Ils fe faifirent des armes
de leurs conducteurs , les firent prifonniers à
leur tour , & les amenerent ici le 19 de ce
mois en triomphe. Un Sergent à qui l'on doit
principalemeut le projet & l'exécution de cette
action hardie ; a été fait Capitaine & chaque >
Soldat a reçu une récompenfe.
186 MERCURE DE FRANCE .
De RATISBONNE , le 9 Juillet.
Le 31 du mois de Mai dernier , les Suédois
ont abandonné la Ville de Wollin , & toutes les
places qu'ils occupoient dans la Pomeranie Pruffienne.
Les Lettres de Brandebourg , du 26 du mois
dernier , confirment que l'Armée Ruffe , commandée
par le Général Romanzow , s'eft raffemblée
à Treptow fur la Réga. On ne compte pas
que le Czar marche à la tête de ſes troupes , comme
les apparences l'avoient fait croire.
Alexandre - Jofeph , Prince de Sulkowosky ,
& du Saint Empire , Duc de Bieliz , Comte de
Liffa , eft mort à Pétersbourg , âgé de foixantecinq
ans.
De MADRID , le 6 Juillet.
Les Nouvelles reçues cette ſemaine de l'Armée,
portent qu'elle devoit , le 29 du mois dernier ,
fe mettre en marche de Dos-Iglefias , vers Zamora.
Du côté des Portugais , le Maréchal Comte
Baron a établi ſon quartier général à Abrantes.
De ROME , le 24 Juin.
On apprend de Naples , qu'il y a eu à Foggia
un tremblement de terre , & que , du côté de
Salerne , un Village tout entier s'eſt abîmé.
De GENÉVE , le 23 Juin.
Le Confeil de cette République vient de condamner
, après un examen , l'Ouvrage du fieur
Rouffeau fur l'Education . Ce Livre a été lacéré &
brûlé ; & défenſe a été faite aux Libraires & Imprimeurs
de le débiter.
SEPTEMBRE . 1762. 187
De LONDRES , le 3 Juillet.
Les Lettres d'Irlande marquent que cinq des
Lebelles ont été condamnés à mort , & qu'il en
refte plus de cent à juger.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée ,
de Paris , &c.
LA
De VERSAILLES , le 21 Juillet.
' ABBE Lanti , Camérier fecret du Pape , &
qui eft venu pour apporter les Barrettes aux
nouveaux Cardinaux François , prit congé du
Roi le 6 de ce mois , & il fe difpofe à retourner
à Rome .
Le Comte d'Olmond ayant été nommé Chambellan
du Duc d'Orléans , a été préſenté en
cette qualité , par ce Prince , à Sa Majesté .
Le Roi a accordé les entrées de la Chambre
au Marquis de Bonnac.
f
Sa Majefté a donné l'Abbaye de Bardoue
Ordre de Cîteaux , Diocèle d'Auſch , à l'Abbé
de Lordat , Vicaire général de Narbonne ;
celle d'Honnecourt , Ordre de Saint Benoît
Diocèle de Cambrai , à l'Abbé de Siougeat ,
Vicaire général de Sens , Aumônier de Madame
la Dauphine ; celle de Sainte - Croix de
Quinkam , même Ordre , Diocèle de Tréguier ,
à l'Abbé de la Frefloniere , Vicaire général de
Rheims ; celle de Sandras , même Ordre ,
188 MERCURE DE FRANCE.
Diocèle d'Alais , à l'Abbé de Linars , Vicaire
général d'Arles & Comte de Lyon celle de
Baffac , même Ordre , Diocèfe de Saintes , à
l'Abbé de Saint Marfault , Vicaire général de
Meaux ; celle d'Aiguebelle , Ordre de Cîteaux ,
Diocèle de Saint Paul-Trois- Châteaux , à l'Abbé
de Peinier , Vicaire général de Marſeille ; celle de
Saint Hilaire , Ordre de Saint Benoît , Diocèſe
de Carcaffonne , à l'Abbé Teintot , Vicaire général
d'Alby ; celle de Belle-Ville , Ordre de
Saint Auguftin , Diocèſe de Lyon , à l'Abbé de
la Gouttu Vicaire général de Lyon.
Sa Majesté a difpofé en faveur de l'Abbé le
Rat , Vicaire général du Diocèſe de Narbonne
de la charge de Sous-Maître de fa grande Chapelle
, laquelle charge a été créée par un Edit
donné au mois d'Août de l'année derniere.
De LUNEVILLE , le 27 Juillet,
Mefdames Adélaïde & Victoire étant parties de
Plombieres le 10 de ce mois , font arrivées ici le
même jour , pour paffer l'intervalle des deux faifons
des eaux. Le Roi de Pologne , Duc de Lor
raine & de Bar , toujours empreffé de donner à
ces Princeſſes de nouvelles preuves de fa tendre
affection , eft allé au - devant d'elles jufqu'à Gerbe
villers. Elles ont reçu partout les hommages des
Lorrains , & les témoignages non équivoques de
l'allégreffe publique. Le 11 , Sa Majefté Polonoife
fit tirer ici , dans les Jardins du Château , un
magnifique feu d'artifice. Malheureuſement ce feu
a été fuivi d'un défaftre. La nuit du 11 au 12 , le
beau Kiofque du Roi de Pologne fut en quatre
heures totalement réduit en cendres. Plufieurs
maiſons voisines , dépendantes de l'Hôtel de
Craon , ont beaucoup louffert de cet incendie.
SEPTEMBRE. 1762. 189
On foupçonne que quelques fufées ont été la caufe
de cet accident , auquel Sa Majesté Polonoiſe eſt
d'autant plus fenfible , qu'Elle avoit fait préparer
dans fon Kiofque une très - belle fête peur les Princeffes.
Aujourd'hui , le Roi de Pologne , Duc de Lorraine
, & Madame Adélaide ont tenu fur les fonts ,
dans la Chapelle du Château , le fils du Marquis
de Boifle , Maréchal des Camps & Armées du Roi ,
& l'un des premiers Gentilshommes de la Chambre
de Sa Majefté Polonoiſe . Le Cardinal de Choifeul
, Grand - Aumônier de ce Prince , a fait la
cérémonie du Baptême.
La Princeffe Chriftine de Saxe eft arrivée aujourd'hui
de Plombieres.
De l'Armée du haut- Rhin, le Juillet.
Les Maréchaux d'Eftrées & de Soubife occupent
toujours le camp de Lands werhagen ; le Comte
de Luface celui de Lutterbeg , & le fieur de
Chevert celui de Deyerod .
Le Prince Ferdinand campe à Wilhemftat &
Hohenkirkem , & a fait avançer fur la droite
des troupes qui campent à Hoff , à Kirschberg , à
Lohn & aux environs de Waldeck ; ce qui a déterminé
les Maréchaux à renforcer le corps de
troupes , aux ordres du Comte de Guerchy ,
qur campe à Hafler , fur la rive droite de l'Eder ,
près de Melfungen.
Le Prince Ferdinand ayant fait marcher des
détachemens fur l'Eder , un de ces détachemens.
avoit paffé cette riviere le de ce mois , &
avoit pouffé les troupes légères jufqu'à Melfungen
& Rottenbourg. Elles avoient paffé la Fulde
& s'etoient portées jufqu'à Liebenau & Spangenberg.
Ce détachement a obligé le Comte de
iço MERCURE DE FRANCE.
Rochambeau de fe retirer avec fon corps fur
Zigenheim maisà l'arrivée du détachement du
Comte de Guerchy à Mefungen , les Ennemis
fe font retirés & ont repaflé l'Eder & le
Comte de Rochambeau eft revenu à Hombourg ,
pour le réunir au Comte de Guerchy
›
Le fieur de Chabot , qui avoit marché dans les
Harts , a établi des Contributions & ramené
des ôtages.
>
Le feur Klocker , Major des Volontaires
d'Auftrafie , qui avoit été détaché à Eimbeck
par le Comte de Vaux , Commandant dans
Gottingue , y a fait quelques prifonniers , &
détroit un Magafin de fix mille facs de grains .
Il en a détruit un de deux mille à Sećßlen où
il s'eft porté , & d'ou it a ramené trente Chevaux.
D'un autre côté , le fieur de Sombreuil a
trouvé dans le Village de Berglfeim fur l'Eder ,
un détachement de Freytag auquel il a enlevé
vingt- quatre Chevaux & une douzaine
d'Hommes.
Le 9 de ce mois , les Ennemis firent avancer
près de Marpurg un détachement , qui attaqua
le fieur de Nordmann , le pouffa , & le prit
avec quarante-deux Huffards , de deux cens que
cet Officier avoit avec lui.
Le fieur de Sombreuil , qui avoit été détaché
par le Comte de Guerchy , pour reconnoître les
derrieres de l'Armée ennemie , s'eſt porté julqu'aux
environs de Waldeck ; mais ayant trouvé
un Corps fupérieur au fien , il s'eft contenté
d'attaquer les poftes qui étoient à portée
de lui ; il leur a pris quelques Hommes &
vingt Chevaux , & s'eft retiré fans aucune perte.
On croit que les Ennemis veulent entre-
1
SEPTEMBRE. 1762. 191
prendre le fiege du Château de Waldeck.
D'autre part, le Marquis de Caraman , qui avoit
été détaché fur le Wefer , s'eft porté jusqu'à
Uflar , où il a enlevé un Lieutenant - Colonel
& cent hommes. Le Comte de Rochechouart ,
qui avoit marché du même côté , a fait vingt
prifonniers. Ces détachemens , faits par le Comte
de Vaux Commandant dans Gottingue , devoient
fe porter jufqu'à Hoxter ; mais l'arrivée du Général
Luckner , avec fon Corps de troupes renforcé
de fix bataillons Hannovriens , a fulpendu
leur marche.
La réſerve du Comte de Stainville occupe
le camp retranché de Caffel .
Le Corps du Comte de Luface a paſſé la Werra
& campe à Luttenberg .
De l'Armée du Bas-Rhin , le Juillet.
L'avant-garde du Prince de Condé, commandée
par le Comte de Melfort , s'étant avancée dans
la nuit du 3 au 4 de ce mois , du côté d'Holftmar
, elle trouva les ennemis le 4 au matin ,
les attaqua fur le champ , leur tua beaucoup de
monde , & fit prifonniers cent dix - huit foldats ,
& trois Officiers du nombre defquels eft le fieur
Scheither , dont l'infanterie s'eſt ſauvée dans le
plus grand défordre & à la faveur des bois.
Le fieur Duhoux , Officier des Volontaires de
Dauphiné, a été tué , & le Sr Dubouchel , Lieutenant
de Chapt , bleffé dangereufement d'un coup
de feu à travers le corps .
Le Prince de Conté campe à Coesfeld . Le détachement
aux ordres du Baron de Viomenil ,
qui avoit marché fur le Bas - Embs , a détruit aux
ennemis foixante-deux mille huit cens facs de
Seigle , quarante- fix mille huit cens quatre- vingt
192 MERCURE DE FRANCE .
facs d'avoine , & quatre cens mille rations de
foin. Le Prince Héréditaire campe à Wolbeck ,
près de Munfter.
De PARIS , le 23 Juillet.
>
Si la mémoire du fieur de Crébillon doit
être honorée par tous les François , elle doit
être chère particulierement aux Comédiens de
la Nation. Ceux du Roi ont donné un éclatant
témoignage de leurs fentimens à cet égard .
Le 6 , ils firent célébrer en Mufique , dans
l'Eglife Paroiffiale de Saint Jean- de- Latran
qui étoit tendue de noir jufquà la voute , &
éclairée avec beaucoup de magnificence , un
Service folemnel pour le célebre Auteur d'Atrée ,
Electre & Rhadamifte . En figne de deuil , leur
Théâtre fut fermé le jour de cette Cérémonie.
Le lendemain , ils repréfenterent la Tragédie
de Rhadamifte.
Les Lettres de Caen marquent , que , la nuit
du 12 au 13 , les Anglois defcendirent , au nonbre
de cinq cens hommes , fur les deux rives de la
rivière d'Orne , dans l'intention de brûler ou de
détruire treize Bâtimens chargés de bois de conftruction
& d'Artillerie pour Breft , & qui , depuis
quelque temps , font à l'embouchure de la même
rivière , prêts à faire voile . Les Ennemis fe font d'abord
emparés de deux batteries établies à cette
embouchure , & ils en ont encloué le canon ; mais
ayant jugé qu'ils ne pourroient pénétrer juſqu'aux
Bâtimens , ils ont pris le parti de fe rembarquer.
Les mêmes Lettres ajoutent qu'il y a quatorze à
quinze voiles qui croifent continuellement dans.
ces parages.
Le 19 , l'Ordre Royal , Militaire & Hoſpitalier
Notre- Dame de Mont-Carmel & de S. Lazare de
Jérusalem ,
SEPTEMBRE . 1762. 193
Jérufalem , fit célébrer dans la Chapelle Royale
du Louvre la Fête de Notre- Dame du Mont - Carmel
, Patrone de l'Ordre . Le Comte de Saint
Florentin , Miniftre & Secrétaire d'Etat , Gérent
& Adminiſtrateur dudit Ordre , a affifté à cette
cérémonie avec les Grands Officiers , les Commandeurs
Eccléfiaftiques & Laïques , & plufieurs
Chevaliers , en habit de l'Ordre. L'Abbé de Sculemberg
, Commandeur Eccléfiaftique , a officié à
cette cérémonie , & le lendemain , l'Ordre a fait
célébrer , fuivant l'ufage ordinaire , une Meffe de
Requiem pour les Chevaliers décédés.
Les de ce mois , on tira la Loterie de l'Ecole
Royale Militaire. Les cinq numéros fortis de la
roue de fortune , font , 53 , 38 , 6 , 26 & 32 .
MORTS.
Le fieur Fiſcher , Brigadier d'Infanterie , & cidevant
Colonel du Régiment des Troupes Légéres
commandées actuellement par le Marquis de Conflans
, eft mort , il y a quelques jours , à l'Armée
du Bas-Rhin.
Meffire Mathieu Coock , Maréchal des Camps
& Armées du Roi , mourut ici le 19 dans la foixante-
treizième année de fon âge.
Dame Marie -Françoife le Maiftre , épouſe de
Meffire Omer Joly de Fleury , Premier Avocat
Général du Parlement , mourut ici le 15 , âgée de
vingt- huit ans .
ORDONNANCE du Roi, portant DECLARATION
DE GUERRE Contre le Roi de Portugal .
Le
Du 20 Juin 1762 .
E Roi & le Roi Catholique , forcés de foutenir
la guerre contre l'Angleterre , ont contrac-
I
194 MERCURE DE FRANCE .
té des engagemens réciproques , pour mettre un
frein à l'ambition exceffive de cette Couronne ,
& au defpotifme qu'elle prétend ufurper fur toutes
les mers & fur la navigation & le commerce
des autres Puiffances , fur- tout dans les Indes
Orientales & Occidentales .
LL. MM. ont jugé qu'un des moyens convenables
, pour remplir cet objet , étoit d'inviter
le Roi de Portugal à entrer dans leur alliance. Il
étoit naturel de penfer que ce Prince accepteroit ,
avec empreffement , les propofitions qui lui ont
été faites en conféquence au nom de S. M. & de
S. M. C. Cette opinion étoit fondée ſur ce que le
Koi T. F. fe doit à lui- même , & fur ce qu'il doit
à fes peuples qui , depuis le commencement de ce
fiécle , gémiffent fous le joug impérieux des Anglois.
D'ailleurs , l'événement n'a que trop fait
connoître la néceffité des juſtes démarches de la
France & de l'Espagne , par rapport à une neutralité
fufpecte & dangereuſe , qui avoit tous les
inconvéniens d'une guerre cachée.
Les Mémoires préſentés ſur ce ſujet à la Cour
de Liſbonne ont été rendu publics : toute l'Europe
y a vu les raifons folides de juftice & de convenance
, fur lesquelles le Roi & le Roi Catholique
ont fondé leur demande au Roi de Portugal , &
auxquelles S. M. C. a ajouté les motifs les plus
tendres d'amitié & de parenté , qui auroient dû
faire la plus forte & la plus falutaire impreſſion
fur le coeur du Roi T. F.
Bien loin que des confidérations fi puiſſances &
fi légitimes ayent déterminé ce. Prince à s'unir à
S. M. & à S. M. C , il s'eft abſolument refuſé à
leurs offres , & a préféré de facrifier leur alliance ,
& la propre gloire , & l'avantage de les Sujets ,
à fon dévouement aveugle & fans bornes aux vo→
lontés de l'Angleterre.
SEPTEMBRE. 1762 . 195
Une pareille conduite ne laiffant aucun doute
fur les véritables intentions du Roi de Portugal ;
le Roi & le Roi Catholique ne pouvoient dès - lors
le regarder que comme un ennemi direct & perfonnel
, qui , fous le prétexte artificieux d'une neutralité
qu'il n'auroit pas obfervée , auroit livré fes
Ports à la difpofition des Anglois , pour fervir d'afyle
à leurs Vaiffeaux , & les mettre à portée de
nuire plus fûrement & plus efficacement à la Fran.
ce & à l'Espagne.
Cependant S. M. & S. M. C. ont cru devoir
encore garder des mefures avec le Roi T. F. &
fi les Troupes Efpagnoles font entrées en Portugal
, cette invafion devenue indiſpenſable n'a été
accompagnée d'aucune Déclaration de guerre , &
elles s'y font comportées avec des ménagemens
qui ne font d'ufage que vis - à - vis d'une Nation
amie & neutre.
Des procédés fi modérés ont été en pure perte.
Le Roi de Portugal vient de déclarer formellement
la guerre à la France & à l'Eſpagne. Le Roi
C. a été forcé par cette demarche inattendue , de
faire la même Déclaration contre le Portugal , &
le Roi ne peut plus différer de prendre la même
réfolution .
Indépendamment des motifs qui font communs
aux deux Monarques , chacun d'eux a des griefs
particuliers contre la Cour de Lisbonne , qui fuffiroient
feuls pourjuſtifier l'extrémité à laquelle LL.
MM. fe voyent à regret obligées de fe porter.
Perfonne n'ignore l'entrepriſe injufte & violente
, exécutée par les Anglois en 1759 , contre
quelques Vaiffeaux du Roi , fous le canon des
Forts Portugais de Lagos. S. M. fit demander aut
Roi T. F. de lui procurer la reſtitution de ces Vailfeaux
; mais les Miniftres de ce Pince , au mépris
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
de ce qu'ils devoient aux regles de la juftice , aux
loix de la mer , à la fouveraineté & au territoire
de leur Maître , indécemment violés par l'infrac
tion la plus fcandaleufe des droits des Souverains
& des Nations , n'ont jamais répondu aux réqui
fitions réitérées de l'Ambaſſadeur du Roi fur ce fujet
, que par des propos vagues , & avec un air
d'indifférence qui tenoient de la dériſion .
En même temps la Cour de Lisbonne , feignant
d'ignorer que les Souverains , qui ne tiennent leur
rang que de leur naiffance & de la dignité de leur
Couronne , ne peuvent jamais permettre , fous
quelque prétexte que ce foit , qu'aucune Puillance
entreprenne de donner atteinte aux prérogatives
& aux droits acquis à l'ancienneté & à la majeſté̟
de leur Trône , a prétendu établir indiftinctement
une alternative de prélléance entre tous les Ambaffadeurs
& Miniftres Etrangers , qui réfidoient auprès
du Roi de Portugal . Le Roi , informé par fon
Ambafladeur de la mortification qu'on lui avoit
faite de cet arrangement bizarre & fans exemple ,
fit témoigner par écrit fon jufte mécontentement
au Roi T. F. & S. M. déclara qu'Elle ne ſouffriroit
jamais qu'on entreprît d'affoiblir le droit élfentiellement
attaché au caractère de repréſentation
, dont Elle veut bien honorer fes Ambaſſadeurs
& fes Miniftres.
Quelque autorité que le Roi fût à marquer alors
fon reffentiment fur ces griefs , & fur plufieurs
autres fujets de plaintes que la Cour de Portugal
lui avoit donnés , S. M. fe contenta de rappeller
fon Ambaffadeur , & a continué d'entretenir avec
le Roi T. F. , une correfpondance qu'Elle defiroit
très -fincérement de rendre plus intime & plus durable.
Ce Prince ne pourra donc s'en prendre qu'à
SEPTEMBRE. 1762. 197
lui - même des malheurs d'une guerre , qu'il devoit
par toutes fortes de raiſons éviter , & qu'il a
déclarée le premier.
Les offres qu'il a faites , d'obſerver une exacte
neutralité , auroient pû trouver accès auprès du
Roi & du Roi Catholique , fi l'expérience du paffé
ne les avoient pas précautionnés contre l'illuſion
& les dangers d'une pareille propofition .
La Cour de Lisbonne s'empreffa , au commencement
de ce fiècle , de reconnoître le Roi Philippe
V , de glorieufe mémoire , & contracta les
engagemens les plus formels avec la France &
avec l'Espagne. Pierre II , qui régnoit en Portugal
, parut entrer de bonne foi dans l'alliance
des deux Couronnes : mais , après avoir diſſimulé
pendant trois ans fes intentions fecrettes , il
manqua à toutes les promelles , & à la neutrali
té qu'il avoit enfuite follicitée , & qu'il avoit même
confeillée à la République des Provinces- Unies
d'embraffer , par une lettre qu'il lui écrivit à ce
fujet , & il s'unir aux ennemis de la France & de
l'Espagne. La même confiance & la même fécurité
, de la part de ces deux Couronnes , auroient
été infailliblement ſuivies de la même défection de
la part de la Cour de Lisbonne dans les circonftances
préfentes.
Le Roi , uni au Roi Catholique par les fentimens
indiffolubles d'une amitié tendre , & d'un
- intérêt commun , eſpére que leurs éfforts réunis
éprouveront la protection du Dieu des Armées
& forceront enfin le Roi de Portugai à fe conduire
par des principes plus conformes à la faine politique
, à l'avantage de fes peuples , & aux liens du
fang qui l'uniffent à S. M. & à S. M. C.
Ordonne & enjoint S. M. à tous fes Sajets ,
Vaffaux & Serviteurs , de courre lus aux Sujets
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
du Roi de Portugal : leur fait très - expreffes inhi
bitions & défenfes d'avoir avec eux aucune communication
, commerce , ni intelligence , à pei
ne de la vie ; & en conféquence S. M. a dès-à- préfent
révoqué & révoque toutes permiffions , paf
feports , fauve-gardes , fauf- conduits contraires à
la prefente , qui pourroient avoir été accordés par
Elle ou par fes Lieutenants- Généraux & autres fes
Officiers , & les a déclarés nuls , de nul effet &
valeur , défendant à qui que ce foit d'y avoir
égard. Et , comme au mépris de l'Article XV du
Traité de paix , figné à Utrecht entre la France
& le Portugal le 11 Avril 1713 , & par lequel il
eft expreffément ftipulé : que dans le cas de quelque
rupture entre ces deux Couronnes on accordera
toujours le terme de fix mois aux Sujets de part &
d'autre après ladite rupture , pour vendre ou tranfporter
tous leurs effets & autres biens , & retirer
leurs perfonnes , où bon leur femblera , le Roi de
Portugal vient d'ordonner que tous les François ,
qui étoient dans fon Royaume , en fortifient dans
le terme de quinze jours , & que tous leurs biens
fullent confifqués & mis en fequeftre ; S. M. par
une jufte repréfaille , ordonne également que
tous les Portugais qui fe trouvent dans les Etats ,
en fortent dans le même terme de quinze jours ,
après la publication de la préfente , & que tous
leurs biens foient confifqués.
Mande & ordonne S. M. à M. le Duc de Fenthiévre
, Amiral de France , aux Maréchaux de
France, Gouverneurs & Lieutenans Généraux pour
S. M. Colonels , Meftres- de- Camp , Capitaines ,
Chefs & Conducteurs de les gens de guerre , tant
de cheval que de pied , François & Etrangers ,
& tous autres les Officiers qu'il appartiendra , que
le contenu en la préfente ils faffent éxécuter , chaSEPTEMBRE.
1762. 199
cun à fon égard dans l'étendue de fes pouvoirs &
jurifdictions. Car tel eft la volonté de S. M. laquelle
veut & entend que la préfente foit publiée
& affichée en toutes fes Villes tant maritimes
qu'autres , & en tous les Ports , Havres & autres
lieux de fon Royaume , & terres de fon obéillance
, que befoin fera , à ce qu'aucun n'en prétende
caufe d'ignorance.
Fait à Versailles le 20 de Juin 1762. Signé ,
LOUIS. Et plus bas , LE DUC DE CHOISEUL.
NOUVELLES POLITIQUES
du mois de Septembre.
De PETERSBOURG , le 28 Juin vieux ſtyle ,
c'est-à-dire , le 9 Juillet.
TRADUCTION du Manifefte de l'IM PÉRATRICE
DE RUSSIE .
PAR la grace de Dieu , nous CATHERINE II ,
Impératrice & Souveraine de toutes les Rullies ,
& c. Tous les vrais Patriotes n'ont que trop reconnu
le danger qui menaçoit l'Empire de Rulie. En
premier lieu, notre Religion orthodoxe étoit ébranlée
; les Canons de l'Eglife Grecque renversés ,
& l'on s'attendoit déja au dernier malheur de voir
l'Orthodoxie établie anciennement en Ruffie changée
, & une Religion étrangère introduite à ſa
place. En fecond lieu , la gloire de la Ruffie ,
portée au plus haut degré par les armes victorieuſes
, & au prix de fon fang , vient d'être ſacrifiée
à fes ennemis mêmes par la paix nouvel-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
lement conclue , pendant que les arrangemens
intérieurs de l'Empire , qui font le bonheur de
notre chère Patrie , étoient foulés aux pieds. Touchée
donc du péril auquel tous nos fidéles Sujets
alloient être expofés , & furtout ne pouvant nous
refufer à leurs fouhaits fincères & unanimes , nous
fommes montées fur notre Trône Impérial de
Ruffie , après avoir mis notre confiance en Dieu
& en fa juftice divine , en vertu de quoi
nos Sujets nous ont prêté folemnellement ferment
de fidélité .
tous
L'Original eftfigné de la propre main de Sa Majeflé
Impériale.
L. S. CATHERINE.
· Imprimé dans la Topographie du Sénat à Pétersbourg
, le 28 Juin 1762. ancien ftyle.
Du 4 Juillet.
Sa Majesté Impériale continue de donner tous
fes foins à l'affermiffement de fon autorité. Elle
a envoyé ordre à l'Armée de Romanzow & au
corps de Troupes qui eft en Siléfie de rentrer
fans perdre de temps , dans l'intérieur de fon
Empire.
>
Le Prince George de Holftein avoit été arrêté
le 9, & même un peu maltraité par la foldatefque.
L'Impératrice l'a fait retirer de la prifon où
on l'avoit defcendu dans ces premiers momens ;
& depuis , il eft fimplement gardé dans fon
Hôtel .
On affure que S. M. I. a dépêché le Knés
Wolkonsky vers l'ancien Chancelier Comte de
Nota. L'expreffion d'Ennemis a été fubftituée dans
cette feconde Piéce à celle dn plus grand Ennemi de
l'Empire qui étoit dans le premier Manifeſte en parlano,
de la Paix avec le Roi de Pruffe.
SEPTEMBRE. 1762. 201
Befucheff , pour le faire revenir de fon éxil. Le
Sénateur Comte de , Woronzow & la Frêle fa
fille , qui avoit été décorée du Cordon de Sainte
Catherine par PIERRE 111 , font gardés dans leur
maiſon.
Le fieur Wolkoff , Secrétaire de Pierre III , &
les fieurs Gudowitz & Milganaw , Aides de Camps
de ce Prince , font auffi arrêtés & refferrés étroitement.
Du 18 Juillet.
On a publié aujourd'hui de la part de l'Impératrice
la déclaration fuivante.
Nous CATHERINE II . par la grace de Dieu ,
Impératrice & Autocratrice de toutes les Ruffies
&c. Le feptième jour après notre avénement au
Trône de toutes les Ruffies , Nous avons reçu
la nouvelle que le ci-devant Empereur Pierre III.
par un accident hémorroïdal , auquel il étoit quelquefois
fujet , fe trouvoit attaqué d'une colique
violente. Pour ne point manquer à notre devoir
de chrétienne , & au faint commandement par
lequel nous fommes obligés à la confervation de
la vie de notre prochain ; Nous avons ordonné de
lui envoyer tout ce qui étoit néceffaire pour prévenir
les fuites dangereufes de cet accident , &
foigner la fanté à l'aide de la médecine . Mais à
notre grand regret & affliction , nous reçumes
hier au foir de nouveaux avis que , par la permiffion
du Tout- Puiffant , il étoit décédé .
C'eft pourquoi nous avons ordonné de tranſporter
fon corps au Monastère de Newsky , pour
y être inhumé ; & en même temps nous excitons
& exhortons tous nos fidéles Sujets , par notre
parole impériale & maternelle , pour , qu'en oabliant
tout le mal paffé , ils rendent à fon corps
les derniers honneurs , & prient fincérement Dieu
I y
202 MERCURE DE FRANCE .
pour le repos de fon ame , prenant en attendant
cette fin inopinée pour un effet particulier de la
Providence Divine qui , par des vues impénétrables
, prépare à Nous , à Notre Trône , & à toute
la Patrie , des voies uniquement connues à fa
fainte volonté .Fait à Pétersbourg le 7 & 18 Juillet
1762.
Pierre III étoit fils de Charles- Fréderic , Duc
de Holftein Gottorp , & d'Anne Pétrowna , fille
du fameux Czar Pierre I. Appellé à Petersbourg
par la feue Impératrice Elifabeth , fa tante , ilfur
déclaré Grand Duc , héritier présomptif de la
Couronne de Ruffie , le 18 Novembre 1742. Le
1 Septembre 1745 , il épousa Catherine Alexiewna
d'Anhaltzerbft , née le 2 Mai 1729 , aujourd'hui
Impératrice régnante. Par la mort de l'Impératrice
Elifabeth , il étoit monté fur le Trône ,
les Janvier de l'année 1762 ; il laiffe de fon
mariage un Prince & une Princeffe. Les changemens
fubits que cet Empereur a faits dans le Gouvernement
; les allarmes qu'il avoit caufées par
rapport à la Religion ; le peu d'égards qu'il avoit
montrés pour les engagemens pris par la feue
Impératrice , à qui il devoit la Couronne ; la
précipitation avec laquelle il avoit renoncé à des
conquêtes , qui avoient coûté tant de fang aux
Ruffes , avoient aliéné de lui les coeurs de la
Nation , & l'ont entraîné dans des malheurs auxquels
il n'a pas pu ſurvivre.
De WARSOVIE , le 17 Juillet.
Dans l'inftant , on reçoit de Pétersbourg l'importante
nouvelle de la dépofition de l'Empereur
Pierre III; l'Impératrice époufe du Prince dépofé
, eft montée fur le Trône ſous le nom de
Catherine II ; elle a reçu le même jour , l'homiSEPTEMBRE.
1762. 203
mage de les nouveaux Sujets ; & les ordres ont
été envoyés aux différens Corps des Troupes
Ruffes pour lui prêter ferment . Ön attend le détail
de cet événement , arrivé le 9 de ce mois ,
ou le 28 du mois dernier , vieux ftyle.
De KONIGSBERG , le 16 Juillet.
Les Armes de Ruffie viennent d'être replacées
ici , & le Lieutenant Général Woyakoff , Gouverneur
du Royaume de Pruffe au nom de l'Impératrice
Catherine II , a fait publier aujourd'hui
une Déclaration par laquelle il notifie que , bien
que, par un Edit imprimé en datte du 27 Juin
( vieux ſtyle ) il ait été notifié à tous les habitans
de la Pruffe , qu'en vertu d'un Traité conclu
avec Sa Majesté Pruffienne , ce Prince devoit rentrer
dans la pleine & entiere poffeffion de ce
Royaume , & que , parconféquent , les habitans
feroient déliés du ferment qu'ils avoient prêté, &
des autres engagemens par eux pris depuis l'occupation
des Pays conquis par les glorieufes Armes
Impériales de Ruffie : cependant , en conféquence
des ordres fouverains de Sa Très - Séréniffime
Grande Dame Impératrice Catherine Alexiewna
, tout ce qui a été publié pour la reftitution
de ce Pays fous la domination de S. M. P.
foit de la part de la Ruffie , foit de celle de Pruffe
, doit être à préfent cenſé nul , & comme non
avenu & que les Habitans dudit Royaume
ayent à rentrer de nouveau dans la fidélité &
obéiffance qu'ils devoient , avant ce dernier changement
, à l'Empire de Ruffie , & qu'ils doivent
maintenant en toutes chofes à Sa Majesté Impériale
Catherine II.
Les Régimens d'Infanterie qui étoient partis en
dernier lieu des environs de la Viftule , pour aller
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
2
ont els joindre l'Armée du Général Romanzow
ardre de retourner fur leurs pas . Un de ces Corps
a déja paffé la Viftule , & s'eft rendu en Pruffe ,
où l'on compte préfentement plus de fix mille
hommes des Troupes Rules.
D'ALTENA , le 3 Août.
Il y a apparence que les différends concernant
le Holftein feront réglés à Coppenhague . Pendant
la minorité du Prince Paul Petrowitz , l'Impéra
trice Catherine II fera Régente de ce Duché. On
dit qu'Elle fe propofe d'y renvoyer toutes les Troupes
Holfteinoifes quifont actuellement en Ruffie.
De VIENNE , le 7 Août. 3
Le Prince de Bevern abandonna , le 23 au matin
la Ville de Troppau , & le z4 , il fe replia jufqu'à
Léobfchitz. Ainfi toute la Haute- Siléfie fe
trouve actuellement délivrée des Pruffiens. Le 24 ,
le Général Beck marcha à Kozendorff , pour prendre
une pofition entre Troppau& Jagerndorff. Le
Maréchal de Daun avoit encore fon quartier Géné
ralle 26 à Grersdorff.
Suivant les détails que l'on a reçus de Bohême ,
au fujet de la courfe que les Ennemis ont faite juſqu'à
Konigsg ratz , il paroît que le dommage ,
qu'ils ont caufé , n'eft pas, à beaucoup près , auffi
confidérable qu'on l'avoit d'abord publié. Leur
nombre étoir moindre qu'on ne l'avoit annoncé
& ce n'a point été des Cofaques , mais des Pruffiens
déguifés en Cofaques, qui ont fait cette irruption
.
•
On apprend de Siléfie , que le Corps de Troupes
Ruffes s'eft déja féparé de l'Armée Pruffienné
, en exécution des ordres de l'Impératrice Catherine
II , & que le Roi de Pruffe a fait préfent
SEPTEMBRE . 1762. 205
d'une très-belle épée d'or au Général Comte de
Czernichew .
On a nouvelle de Hambourg , que les Ruffes
ont repris poffeffion de Konigsberg.
Le Roi de Pruffe a formé, le 21 du mois paſſfé ,
deux attaques contre les Corps de Brentano &
d'Ockeli. Les Pruffiens ont été repouffés ju qu'à
quatre fois à cette derniere ; mais le Corps de
Brentano , après une vigoureuſe réſiſtance , a été
obligé de céder à la fupériorité. La perte des deux
côtés a été très - grande . On eftime celle des Autrichiens
à trois mille hommes & feize piéces de
canon , & l'on croit celle des Pruffiens plus confidérable.
Pendant cette action , le Roi de Pruffe
étoit avec fon Armée en bataille , vis à - vis de celle
du Maréchal de Daun. Ce dernier , n'ayant pas
jugé fa pofition tenable , après avoir perdu le
pofte qu'occupoit le Général Brentano , s'eft retiré
en bon ordre , & fans être entamé , entre Gierfdorff
& Wuftwaltersdorf.
De PRAGUE , le 17 Juillet.
Plufieurs Partis ennemis ont pénétré dans ce
Royaume jufqu'à Brix , Sebanftiasberg , Friedland
& en plufieurs autres endroits , d'où ils ont
tiré de fortes contributions. Le 11 de ce mois un
détachement de Pruffiens , déguifés en Colaques ,
entra dans Konigfgratz. Le Commandant menaça
d'y mettre tout à feu & à fang , fi les habitans
ne lui comptoient fur le champ deux mille cent
cinquante ducats . Les Magiitrats & la Bourgeoisie
offrirent quatre mille florins. Le Commandant
parut fe contenter de cette fomme , & on la lui
livra ; mais à peine l'eut-il touchée , que les Cofaques
fe difperferent dans la Ville , & pillerent
toutes les maiſons de quelqu'apparence, parti206
MERCURE DE FRANCE .
culierement celles de l'Evêque & des principaux
Eccléfaftiques. En fe retirant , ils mirent le feut
en différens quartiers. Les flâmes , fecondées d'un
vent violent , ont confumé le Collége des Jéfuites
& cent foixante maiſons.
Nous devons au Lieutenant-Général Blunquer,
le bonheur de n'avoir plus en Bohéme aucunes
Troupes ennemies. Une pofition avantageuſe
qu'il prit avec quatre bataillons & cinq efcadrons,
fur une hauteur près de Toplitz , en impoſa au
fieur de Kleift , qui marchoit pour foutenir les
détachemens qu'il avoit pouffés en avant. Ce
Général Pruffien , malgré fa fupériorité , non
feulement n'ofa attaquer le Général Blunquet ,
mais fe retira précipitamment à Marieberg , fans.
doute dans la crainte que le Prince de Stolberg,
qui s'avançoit à grandes journées vers Annaberg,
ne lui fermât les chemins du côté de la Saxe.
La fuite des Nouvelles Politiques au Mercure
prochain.
EXPOSITION HISTORIQUE de l'Origine &
Naiffance de Meffire PIERRE DE PONS ,
Chevalier , Seigneur d'Annonville , Muffey,
Saucourt & Doulaincourt , Chevalier d'Honneur
aux Préfidial & Bailliage de Chaumont en
Baffigny; defon état & de celui defa Poftérité ,
juftifiés partitresfolemnels & authetiques .
En 1742 Meffire Pierre de Pons , Chevalier ,
Fils de Meffire Gafpard de Pons , Chevalier , Seigneur
de Rennepont , La Ville aux Bois &c. & de
Nicolle Legruyer , époufa Demoiſelle Anne de
Rommecourt , Fille de Meffire Claude De Rommecourt,
Chevalier , Seigneur d'Annonville , Mufley,
SEPTEMBRE . 1762. 207
& Poiſſon , Colonel de Cuiraffiers au fervice de
l'Empereur , petite Fille de Meffire Martin de
Rommecourt, Maréchal Général de Bataille de
l'Empereur ; fon Ayeul maternel , Meffire Marc
de Mathelan , Chevalier de l'Ordre du Saint-
Efprit , & fon Ayeule la Princeffe Blanche de
Courtenay. La Cérémonie avoit été précédée par
un Contrat de mariage , du 11 Mai 1642 ,
pallé devant Jofeph Thierriot , Notaire au Baillage
& Principauté de Joinville , témoins préfens
; & la célébation en fut faite après publication
de bancs dans toutes les formes requifes & accoutumées
, le 13 des mêmes mois & an , par
Meffire Claude Prevoft , Prêtre & Curé de Muffey.
Anne de Rommecourt , étoit reſtée feule de la
branche aînée de ſa Maiſon originaire d'Allemagne
, établie depuis long- temps & diftinguée dans
la Province de Champagne. Son pere , Claude de
Rommecourt, fils de Martinde Rommecourt , Maréchal
général de l'Armée de l'Empereur , & de
Charlotte Pied- de -fer, avoit été tué en 1720 , à la
bataille de Prague ; elle étoit feule héritiere de fon
pere , & Dame des Terres & Seigneuries de Muffey
, Annonville & Poiffon .
Avec ces avantages , demeurée jeune à la campagne
, fans pere ni mere; plus occupée du gouvernement
de fes biens , laiffés par fon pere en
mauvais ordre , que de toutes autres cultures &
connoiffances , elle avoit été trompée par fon
mari , Chevalier Profès de l'Ordre de Malthe ,
qui , n'écoutant que fa paffion , lui avoit diffimulé
fon état , & pris grand foin de l'entretenir dans
l'ignorance de fon premier engagement , pour
éviter d'encourir les cenfures de l'Ordre , &c.
De leur mariage naquirent deux garçons &
une fille ; le Cadet , Enfeigne au Régiment de
208 MERCURE DE FRANCE.
Picardie , fut tué jeune au fiége de Cambrai , &
la fille fit profeffion au Convent des Religieuſes
Bénédictines à Joinville.
L'Aîné , Pierre de Pons d'Annonville , étant
encore jeune & pea inftruit des principes , craignit
que les voeux faits par
fon pere ne fuffent un
obftacle invincible à la validité de fon mariage ;
c'eft pourquoi il obtint des lettres de légitimation
dans ce doute de fon état , ce qui fut toléré par
le pere , dans la réſolution de différer juſqu'à ſa
mort , les éclairciffemens néceffaires à fon fils pour
affurer folidement fon état , & peu après étant
décédé, Pierre de Pons d' Annonville trouva tous
les actes & piéces , dont juſqu'alors il n'avoit eu
qu'une connoiffance imparfaite & confufe ; de
forte que rendu certain de fa légitimité , il ſe
pourvut en lettres de refcifion contre tous les aЯes
de fa part & démarches contraires à fes découvertes
; & lorqu'il fur queſtion de leur entérinement
, d'abord au Bailliage de Chaumont , enſuire
aux Requêtes du Palais , où elles furent renvoyées ,
Gafpard de Pons , Seigneur de Rennepont & de
Maffiges , Major du Régiment de Fontaine , Cavalerie
, & l'un de fes frères qu'il s'affocia , y for
merent oppofition , d'autant moins attendue ,
qu'ils avoient toujours traité l'Impétrant de coufingermain
dont la légitimité leur étoit bien connue
& le fecret confié , ce qui fut conftaté par
différentes pièces , juridiquement produites au
procès.
La guerre , entr'eux ainfi déclarée , fut longtemps
pouffée avec fureur , & ne cella qu'après
toutes les reflources de la chicane , épuilées par
l'Aggreffeur , & autres qu'il fit intervenir .
En effet , après l'entérinement des lettres de
reſcifion , fans égard aux oppofitions , appel en fur
SEPTEMBRE . 1762. 209
interjetté au Parlement , où l'affaire , mife au
grand jour & amplement difcurée , intervint le
19 Décembre 1673 , fur les conclufions du célébre
M. Talon , Avocat Général , arrêt contradictoire
qui prononça que , Pierre DE PONS étoit
né en légitime mariage , de Meffire Pierre de Pons
de Rennepont , & de Demoiselle Anne de Rommecourt,
& qu'il jouiroit du nom , des armes & du
pécule defes Peres & Meres , avec défenfe à la Famille
de l'y troubler , & condamna les Parties adverfes
aux dépens.
Cet échec * ne rebuta pas Fes affaillans , ils
fufciterent le miniftere de M. le Procureur Général
des Aydes , pour conteſter à Pierre de Pons d'Annon
ville la noblelle , fous les mêmes prétextes , auxquels
il oppofa l'Arrêt du 19 Decembre 1673 , &
prétendit que c'étoit agiter une feconde fois la
queftion de fon état , & qu'ayant été jugé au Par- ,
lement , il ne devoit pas être traduit pour le même
fait à la Cour des Aydes , l'autorité des chofes
jugées étant fainte & inviolable , principalement
dans les queſtions d'Etat.
Il refufa donc de procéder à la Cour des Aydes ,
fe pourvut au Parlement , puis en réglement de
Juges au Confeil , ou par arrêt du 6 Mai 1681 ,
il fut ordonné qu'il procéderoit à la Cour des
Aydes : en conféquence il y procéda , & l'Arrêt
du Parlement ayant été communiqué au Procureur
Général , il fit fa déclaration à l'audience ,
qu'il n'entendoit conteſter l'état ni la filiation de1
n'eft autre
La bonne foi qui fe préfume toujours
chofe dans les mariages que l'ignorance de l'un des conjoints
de l'empêchement qui eft en l'autre , & qui ſuffit
pour affurer l'état des Enfans.
Tous les Auteurs François , Italiens . Efpagnols &
Allemands font de cet avis , & telle eft la Jurifprudence
univerfelle.
208 MERCURE
DE FRANCE
. Picardie , fut tué jeune au fiége de Cambrai , & la fille fit profeffion
au Couvent des Religieuſes
Bénédictines à Joinville. L'Aîné , Pierre de Pons Annonville
, étant encore jeune & pea inftruit des principes , crai guit que les voeux faits par fon pere ne fuffent un
obftacle invincible
à la validité de fon mariage ; c'eft pourquoi
il obtint des lettres de légitimation dans ce doute de fon état , ce qui fut toléré par le pere , dans la réfolution
de différer jufqu'à fa mort , les éclairciffemens
néceffaires
à fon fils pour aflurer folidement
fon état , & peu après étant
décédé, Pierre de Pons d' Annonville
trouva tous les actes & piéces , dont jufqu'alors
il n'avoit eu qu'une connoiffance
imparfaite
& confufe ; de forte que rendu certain de fa légitimité
, il le
pourvut
en lettres de refcifion
contre tous les actes de fa part & démarches
contraires
à fes décou
vertes ; & lorqu'il fut queftion
de leur entérine- ment ,d'abord au Bailliage
de Chaumont
, enfuite aux Requêtes
du Palais, où elles furent renvoyées, Gafpard
de Pons , Seigneur
de Rennepont
& de Malliges
, Major du Régiment
de Fontaine , Ca- valerie , & l'un de fes frères qu'il s'affocia , y
merent
oppofition
, d'autant
moins attendue , qu'ils avoient toujours
traité l'Impétrant
de coufin- germain
dont la légitimité
leur étoit bien con- nue & le fecret confié , ce qui fut conftaté par
différentes
piéces , juridiquement
produites
au
procès.
for-
La guerre, entr'eux
ainfi déclarée
, fut long- temps pouffée
avec fureur , & ne cella qu'après toutes les reffources
de la chicane , épuilées par l'Aggreffeur
, & autres qu'il fit intervenir
.
En effet, après l'entérinement
des lettres de reſciſion
, fans égard aux oppofitions
, appel en
fur
SEPTEMBRE . 1762. 209
interjetté au Parlement , où l'affaire , mife au
grand jour & amplement difcurée , intervint le
19 Décembre 1673 , fur les conclufions du célébre
M. Talon , Avocat Général , arrêt contradictoire
qui prononça que , Pierre DE PONS étoit
né en légitime mariage , de Meffire Pierre de Pons
de Rennepont , & de Demoiselle Anne de Rommecourt,
& qu'il jouiroit du nom , des armes & du
pécule defes Peres & Meres , avec défenfe à la Famille
de l'y troubler , & condamna les Parties adverfes
aux dépens.
Cet échec * ne rebuta pas les affaillans ,
ils
fufciterent le miniftere de M. le Procureur Général
des Aydes , pour conteſter à Pierre de Pons &Annon
ville la nobleffe , fous les mêmes prétextes , auxquels
il oppofa l'Arrêt du 19 Decembre 1673 , &
prétendit que c'étoit agiter une feconde fois la
queftion de fon état , & qu'ayant été jugé au Parlement
, il ne devoit pas être traduit pour le mê-
' me fait à la Cour des Aydes , l'autorité des chofes
jugées étant fainte & inviolable , principalement
dans les queſtions d'Etat.
Il refufa donc de procéder à la Cour des Aydes ,
pourvut au Parlement , puis en réglement de
Juges au Confeil , ou par arrêt du 6 Mai 1681 ,
il fut ordonné qu'il procéderoit à la Cour des
Aydes : en conféquence il y procéda , & l'Arrêt
du Parlement ayant été communiqué au Procureur
Général , il fit fa déclaration à l'audience ,
qu'il n'entendoit contefter l'état ni la filiation de
n'eft autre
* La bonne foi qui fe préfume toujours
chofe dans les mariages que l'ignorance de l'un des conjoints
de l'empêchement qui eft en l'autre , & qui fuffit
pour affurer l'état des Enfans.
Tous les Auteurs François , Italiens . Efpagnols &
Allemands font de cet avis , & telle eft la Jurifprudence
univerfelle.
208 MERCURE
DE FRANCE
.
Picardie , fut tué jeune au fiége de Cambrai , & la fille fit profeffion
au Couvent des Religieuſes
Bénédictines à Joinville . L'Aîné , Pierre de Pons & Annonville
, étant
encore jeune & pea inftruit des principes , crai guit que les voeux faits par fon pere ne fuffent un
obftacle
invincible
à la validité de fon mariage ; c'eft pourquoi
il obtint des lettres de légitimation dans ce doute de fon état , ce qui fut toléré par
fa
le pere , dans la réfolution
de différer juſqu'à mort , les éclairciffemens
néceffaires
à fon fils pour affurer folidement
fon état , & peu après étant
décédé, Pierre de Pons d' Annonville
trouva tous les actes & piéces , dont jufqu'alors
il n'avoit eu qu'une connoiffance
imparfaite
& confufe ; de forte que rendu certain
de fa légitimité
, il le
pourvut
en lettres de refcifion
contre tous les actes de fa part & démarches
contraires
à fes décou vertes ; & lorqu'il fut queftion
de leur entérine- ment , d'abord au Bailliage
de Chaumont
, enfuite aux Requêtes
du Palais, où elles furent renvoyées, Gafpard
de Pons , Seigneur
de Rennepont
& de Malliges
, Major du Régiment
de Fontaine , Ca- valerie , & l'un de fes frères qu'il s'affocia , y
merent
oppofition
, d'autant
moins attendue , qu'ils avoient toujours
traité l'Impétrant
de coufin- germain
dont la légitimité
leur étoit bien con- nue & le fecret confié , ce qui fut conftaté par
différentes
piéces , juridiquement
produites
au
procès.
for-
La guerre , entr'eux
ainfi déclarée
, fut long- temps pouffée
avec fureur , & ne ceffa qu'après toutes les reflources
de la chicane , épuilées par l'Aggreffeur
, & autres qu'il fit intervenir
.
En effet, après l'entérinement
des lettres de refcifion
, fans égard aux oppofitions
, appel en
fur
SEPTEMBRE . 1762. 209
interjetté au Parlement , où l'affaire , mife aut
grand jour & amplement difcurée , intervint le
19 Décembre 1673 , fur les conclufions du célébre
M. Talon , Avocat Général , arrêt contradictoire
qui prononça que , Pierre DE PONS étoit
né en légitime mariage , de Meffire Pierre de Pons
de Rennepont , & de Demoiselle Anne de Rommecourt,
& qu'il jouiroit du nom , des armes & du
pécule defes Peres & Meres , avec défenſe à la Famille
de l'y troubler , & condamna les Parties adverfes
aux dépens .
W
ils
Cet échec * ne rebuta pas les affaillans ,
fufciterent le miniftere de M. le Procureur Général
des Aydes, pour conteſter à Pierre de Pons d'Annon
ville la nobleffe , fous les mêmes prétextes , auxquels
il oppofa l'Arrêt du 19 Decembre 1673 , &
prétendit que c'étoit agiter une feconde fois la
queftion de fon état , & qu'ayant été jugé au Parlement
, il ne devoit pas être traduit pour le même
fait à la Cour des Aydes , l'autorité des chofes
jugées étant fainte & inviolable , principalement
dans les queſtions d'Etat.
Il refufa donc de procéder à la Cour des Aydes,
fe pourvut au Parlement , puis en réglement de
Juges au Confeil , ou par arrêt du 6 Mai 1681 ,
il fut ordonné qu'il procéderoit à la Cour des
Aydes : en conféquence il y procéda , & l'Arrêt
du Parlement ayant été communiqué au Procureur
Général , il fit fa déclaration à l'audience ,
qu'il n'entendoit contefter l'état ni la filiation de
* La bonne foi qui fe préfume toujours
1
n'eft autre
chofe dans les mariages que l'ignorance de l'un des conjoints
de l'empêchement qui eft en l'autre , & qui fuffit
pour affurer l'état des Enfans.
Tous les Auteurs François , Italiens . Efpagnols &
Allemands font de cet avis , & telle eft la Jurifprudence
univerfelle.
208 MERCURE
DE FRANCE
.
Picardie , fut tué jeune au fiége de Cambrai , & la fille fit profeffion
au Convent des Religieuſes
Bénédictines à Joinville . L'Aîné , Pierre de Pons Annonville
, étant
encore jeune & pea inftruit des principes , crai
fuffent un
fon ne
pere
guit que les voeux faits par obftacle invincible
à la validité de fon mariage; c'eft pourquoi
il obtint des lettres de légitimation dans ce doute de fon état , ce qui fut toléré par
le
pere , dans la réſolution de différer jufqu'à ſa mort , les éclairciffemens
néceffaires
àfonfils pour aflurer folidement
fon état , & peu après étant décédé, Pierre de Pons d' Annonville
trouva tous les actes & piéces , dont jufqu'alors
il n'avoit ea qu'une connoiffance
imparfaite
& confufe ; de forte que rendu certain de fa légitimité
, il le
pourvut en lettres de refcifion contre tous les actes de fa part & démarches
contraires
à fes décou
vertes ; & lorqu'il fut queſtion de leur entérine- ment ,d'abord au Bailliage
de Chaumont
, enfuite aux Requêtes
du Palais , où elles furent renvoyées, Gafpard
de Pons , Seigneur
de Rennepont
& de Malliges
, Major du Régiment
de Fontaine , Ca- valerie, & l'un de fes frères qu'il s'affocia , y for- merent oppofition
, d'autant
moins attendue , qu'ils avoient toujours traité l'Impétrant
de coufin germain
dont la légitimité
leur étoit bien con- nue & le fecret confié , ce qui fut conftaté
différentes
pièces , juridiquement
produites
au
procès.
par
La guerre , entr'eux
ainfi déclarée
, fut long- temps pouffée
avec fureur , & ne ceffa qu'après toutes les reflources
de la chicane , épuilées par l'Aggreffeur
, & autres qu'il fit intervenir
. En effet, après l'entérinement
des lettres de refcifion , fans égard aux oppofitions
, appel en fur
SEPTEMBRE. 1762. 209
interjetté au Parlement , où l'affaire , mife au
grand jour & amplement difcurée , intervint le
19 Décembre 1673 , fur les conclufions du célébre
M. Talon , Avocat Général , arrêt contradictoire
qui prononça que , Pierre DE PONS étoit
né en légitime mariage , de Meffire Pierre de Pons
de Rennepont, & de Demoiselle Anne de Rommecourt
, & qu'il jouiroit du nom , des armes & du
pécule defes Peres & Meres , avec défenfe à la Famille
de l'y troubler , & condamna les Parties adverfes
aux dépens .
Cet échec * ne rebuta pas fes affaillans , ils
fufciterent le miniftere de M. le Procureur Général
des Aydes, pour conteſter à Pierre de Pons d'Annon
ville la nobleffe , fous les mêmes prétextes , auxquels
il oppofa l'Arrêt du 19 Decembre 1673 , &
prétendit que c'étoit agiter une feconde fois la
queftion de fon état , & qu'ayant été jugé au Par- lement , il ne devoit pas être traduit pour le même
fait à la Cour des Aydes , l'autorité des chofes
jugées étant fainte & inviolable , principalement
dans les queſtions d'Etat.
Il refufa donc de procéder à la Cour des Aydes,
fe pourvut au Parlement , puis en réglement de
Juges au Confeil , ou par arrêt du 6 Mai 1681 ,
il fut ordonné qu'il procéderoit à la Cour des
Aydes : en conféquence il y procéda , & l'Arrêt
du Parlement ayant été communiqué au Procureur
Général , il fit fa déclaration à l'audience ,
qu'il n'entendoit conteſter l'état ni la filiation de
* La " bonne foi qui fe préfume toujours n'eft autre
chofe dans les mariages que l'ignorance de l'un des conjoints
de l'empêchement qui eft en l'autre , & qui fufpour
affurer l'état des Enfans. fit
Tous les Auteurs François , Italiens . Efpagnols &
Allemands font de cet avis , & telle eft la Jurifprudence
univerfelle.
208 MERCURE
DE FRANCE
.
Picardie , fut tué jeune au fiége de Cambrai , & la fille fit profeffion
au Convent des Religieuſes
Bénédictines à Joinville. L'Aîné , Pierre de Pons d'Annonville
, étant
encore jeune & pea inftruit des principes , crai
ne fuffent un faits fon
par
guit que les voeux pere obftacle invincible
à la validité de fon mariage ; c'eft pourquoi
il obtint des lettres de légitimation dans ce doute de fon état , ce qui fut toléré par le pere , dans la réſolution
de différer juſqu'à la mort , les éclairciffemens
néceffaires
àfonfilspour aflurer folidement
fon état , & peu après étant décédé , Pierre de Pons & Annonville
trouva tons les actes & piéces , dont jufqu'alors
il n'avoit ea qu'une connoiffance
imparfaite
& confufe ; de forte que rendu certain de fa légitimité
, il le
pourvut en lettres de refcifion contre tous les actes de fa part & démarches
contraires
à fes décou
vertes ; & lorqu'il fut queſtion de leur entérine- ment , d'abord au Bailliage
de Chaumont
, enfuite aux Requêtes
du Palais , où elles furent renvoyées, Gafpard
de Pons , Seigneur
de Rennepont
& de Malliges
, Major du Régiment
de Fontaine , Ca- valerie , & l'un de fes frères qu'il s'affocia , y for- merent oppofition
, d'autant
moins attendue , qu'ils avoient toujours traité l'Impétrant
de coufin germain
dont la légitimité
leur étoit bien con- nue & le fecret confié , ce qui fut conftaté par différentes
pièces , juridiquement
produites
au
procès. La guerre , entr'eux
ainfi déclarée
, fut long- temps pouffée
avec fureur , & ne ceffa qu'après toutes les reffources
de la chicane
, épuilées par
l'Aggreffeur
, & autres qu'il fit intervenir
. En effet, après l'entérinement
des lettres de refcifion
, fans égard aux oppofitions
, appel en fur
SEPTEMBRE . 1762. 209
interjetté au Parlement , où l'affaire , mife au
grand jour & amplement difcutée , intervint le
19 Décembre 1673 , fur les conclufions du célébre
M. Talon , Avocat Général , arrêt contradictoire
qui prononça que , Pierre DE PONS étoit
né en légitime mariage , de Meffire Pierre de Pons
de Rennepont , & de Demoiselle Anne de Rommecourt
, & qu'il jouiroit du nom , des armes & du
pécule defes Peres & Meres , avec défenſe à la Fåmille
de l'y troubler , & condamna les Parties adverfes
aux dépens.
*
Cet échec ne rebuta pas les affaillans , ils
fufciterent le miniftere de M. le Procureur Général
des Aydes, pour contefter à Pierre de Pons & Annonville
la nobleffe , fous les mêmes prétextes , auxquels
il oppofa l'Arrêt du 19 Decembre 1673 , &
prétendit que c'étoit agiter une feconde fois la
queftion de fon état , & qu'ayant été jugé au Parlement
, il ne devoit pas être traduit pour
le même
fait à la Cour des Aydes , l'autorité des chofes
jugées étant fainte & inviolable , principalement
dans les queſtions d'Etat.
Il refufa donc de procéder à la Cour des Aydes,
fe pourvut au Parlement , puis en réglement de
Juges au Confeil , ou par arrêt du 6 Mai 1681 ,
il fut ordonné qu'il procéderoit à la Cour des
Aydes : en conféquence il y procéda , & l'Arrêt
du Parlement ayant été communiqué au Procureur
Général , il fit fa déclaration à l'audience ,
qu'il n'entendoit contefter l'état ni la filiation de
* La bonne foi qui fe préfume toujours
1
n'eft autre
chofe dans les mariages que Pignorance de l'un des conjoints
de l'empêchement qui eft en l'autre , & qui fuffit
pour affurer l'état des Enfans.
Tous les Auteurs François , Italiens . Efpagnols &
Allemands font de cet avis , & telle eft la Jurifprudence
univerfelle.
210 MERCURE DE FRANCE .
Pierre de Pons d' Annonville. Ayant fatisfait exactement
, & le tout communiqué au Procureur
Général , de fon confentement Arrêt de la Cour
des Aydes fut rendu le 23 Mars 1684 , par lequel
Pierre DE PONS d' Annonville fut déclaré iffu par
voye légitime de noble race & lignée : ordonné qu'il
jouiroit , enfemble fes enfans nés & ànaître en légitime
mariage, des priviléges , exemptions & immunités
, dont jouiſſent tous les autres Nobles du
Royaume.
Cette feconde victoire ne fut pas fuffifante pour
calmer la bile & la mauvaiſe humeur de Gaſpard
de Pons ; il dreffa donc une nouvelle batterie en
1688 , à la faveur de laquelle il renouvella la
même queſtion , tant comme tuteur de Louis-
François de Pons , que fous les noms de Marie-
Anne , Marie-Magdeleine de Pons fes filles , &
Nicolas de Bouvigny, troifiéme frère qui parut
fur la scène , tous en qualité de tiers - oppofans
aux Arrêts précédemment rendus , traduifit
Pierre de Pons d' Annonville aux Requêtes du
Palais , où le 9 Juillet 1688 , il obtint Sentence ,
qui les déclara non - recevables dans leur oppofition
, & fur l'appel qu'ils en interjetterent , l'affaire
ayant été plaidée durant trois audiences à
la Grand'Chambre , Arrêt contradictoire fur les
conclufions de M. Talon , Avocat Général , fut
prononcé le 4 Février 1689 , par lequel , fans s'ar-
Têter à l'intervention de Gafpard de Pons , tuteur
de Louis-François de Pons , ni aux appellations,
requêtes judiciaires par écrit , tant dudit Mineur,
que de Nicolas , Marie- Anne & Marie-Magdeleine
de Pons , dans lefquels ils furent déclarés
non recevables , & condamnés en l'amende de 150
livres , comme tiers oppofans . La Sentence des
Requêtes du Palais fut confirmée avec amende &
dépens , par Arrêt du Confeil privé du Roi , du 31
-
SEPTEMBRE. 1762. 211
•
Mars 1689 , qui confirme encore la nobleffe ,
L'état légitime du fieur DE PONS d' Annonville.
&
Tels font les fuccès qui , malgré tant d'obſtacles
, & d'acharnement d'un implacable ennemi ,
ont procuré au fieur DE PONS d' Annonville , &
à fa poftérité , pleine affurance de leur état , &
l'ont mis à couvert de toute atteinte : & telle eft
l'hiftoire de leur naiffance. Elle eft fi connue en
Champagne , par tant d'Arrêts folemnels qui
l'ont rendu célébre , que MM. DE PONS ďAnnonville
n'auroient pas dû s'attendre à des propos
calomnieux , qui fe font répandus dans différentes
Provinces du Royaume. Rendus certains de ces
bruits qui les couvroient d'infamie , ainfi que les
Maifons dans lesquelles ils font entrés , ils firent
leur perquifition pour en découvrir la fource ,
après un très - long & mûr examen , ils crurent
devoir fe plaindre amérement à différentes perfonnes
qui compofent la branche des Rennepont;
mais tous ayant nié verbalement & par lettres
avoir tenu aucuns des propos à eux imputés ,
qu'ils étoient prêts de démentir quiconque les leur
attribuoit , & qu'au contraire , ils le faifoient
honneur , à toutes fortes de titres , de les regarder
& avouer pour parens : MM . DE PONS d'Annonville,
pour couper court & faire taire les méchans
, ont exigé actes folemnels de cette branche
, dont eft copie ci- bas . Ainfi le Public , informé
par tous ces différens Mémoires & Actes , fentira
combien il doit fe méfier de gens qui , malheureuſement
nés dans le menfonge & l'impofture
, ne font uſage de ce funefte talent , que pour
faire naître le divorce dans les Familles , foit par
leur perfidie , ou leur impudente imbécillité.
Nous fouffignés, Anne- Dorothée de Bettainvillers,
Marquife de Rennepont , Claude-Jean- Eu212
MERCURE DE FRANCE .
gene de Jouffroy, Seigneur des Abans , Jeanne-
Henriette de Rennepont de Jouffroy , & Elifabeth-
Charlotte d'Efcorailles , fur les remontrances &
plaintes à Nous faites , par MM de Pons , fils ,
petits-fils, & héritiers de feu Meffire Pierre de
Pons , Chevalier, Seigneur d' Annonville , Muffey,
Saucour , &c. leur ayeul & pere , des propos &
bruits calomnieux répandus contre l'origine & naiffance
de leur pere & ayeul , quoique juftifiés par
Arrêts, & par les titres les plus folemnels & les
plus authentiques , lefquels propos nous font fauffement
imputés , foit par malignité , foit par tout
autre motif, déclarons n'y avoir aucune part , &
les défavouons pleinement ; en outre que nous les
reconnoiffons pour être iffus de la Maifon de Pons ,
& que nous nous faifons honneur de les reconnoître
pournos Parens: En foi de quoi nous avons figné
le préfent Acte . Fait & Amnéville , le quinze Mai
milfept centfoixante . Signé BETT AINVILLERS
DE RENEPONT , CLAUDE-JEAN-EUGENE DE
JOUFFROY , DE RENEPONT DE JOUFFROY ,
D'ESCORAILLES.
Légalife par le Maire de Grandrange , le même
jour & an. HENRY DENISET.
Pareil Acte à fieur Cheron , du 26 Mai 1760 ,
de Claude- Alexandre de Renépont . Signé DE
PONS RENEPONT .
Légalife du même jour & an , par Joubert ,
Lieutenant en la Juftice de fieur Cheron.
Signé JOUBERT .
AVIS AU PUBLIC.
L'incertitude où l'on eft ſouvent à Paris & dans
les Provinces , fur les jours que le prennent &
fe quittent les deuils de cour , a fourni l'idée d'en
informer exactement le Public . On fe propoſe de
les annoncer par un billet imprimé qui fera enSEPTEMBRE.
1762. 213
voyé à Paris par la petite Pofte & dans les Provinces
, franc de port , par la Pofte ; & qui contiendra
, 1. le nom & les qualités du Prince ou de
la Princeffe dont on devra porter le deuil . 2º . les
jours fixés pour le prendre & le quitter. 39. les
autres particularités d'étiquette , quand il y en
aura. Le prix de l'abonnement pour Paris n'eft
que de 3 liv. par an & de 6 liv. pour les Provinces.
Ceux qui voudront s'abonner payeront d'avance
: leurs noms , qualités & demeure feront
infcrits fur un Regiftre. L'année d'abonnement
commencera du jour que l'argent aura été reçu .
Le Bureau pour les abonnemens de Paris eſt établi
rue & vis -à- vis la Monnoie , chez le fieur Rougeux
; Marchand Miroitier , au Grand- Prieur de
France. Pour les Provinces , les lettres devront
être adreffées , port franc , ainsi que l'argent , à
M. Dubois , rue d'Enfer , vis- à- vis la rue S. Thomas
, à Paris . On ne recevra ni les lettres ni l'argent
qui n'auront point été affranchis . Nota . On
ne s'engage de donner le détail des qualités ,
qu'autant qu'on pourra en être affez promptement
informé pour que le fervice ne foit pas retardé.
Le fieur SAVOYE , Valer de Chambre de M. le
Bailli de Fleury , donne avis au Public qu'il vend la
véritable Eau de Fleur d'Orange de Malthe, à 6 1 .
la Bouteille de pinte . Il demeure rue de la Ville-
Lévêque , Fauxbourg S. Honoré , au Nº.9 .
Le fieur DAVID , demeurant à Paris rue & à
l'Hôtel Ste Anne , butte S. Roch , ayant la Permiflion
de Monfieur le Lieutenant-Général de Police
, & l'Approbation de M. le Doyen de la Faculté
de Médecine , poffède un nouveau fecret &
reméde , avec lequel il guérit dans l'inſtant , tou214
MERCURE DE FRANCE.
tes fortes de maux de dents les plus douloureux
les fluxions des dents , les maux de tête & migraines
, fans que le mal y revienne jamais , fans
qu'il foit befoin d'arracher les dents , quelques
gâtées qu'elles foient , & fans qu'il entre rien dans
la bouche ni dans le corps.
C'est avec un Topique qu'il applique , & que
l'on peut autii s'appliquer foi-même , fur l'artére
temporal du côté de la douleur ; ce Topique ne
tient point à la peau , & ne lui fait aucun dommage
ni marque , lorfqu'il eft appliqué le foir en
fe couchant , auffitôt la douleur le palle ; il procure
un fommeil pendant lequel il fe fait une
tranſpiration , & au réveil on eft guéri pour
toujours .
On peut faire proviſion de ce reméde , & en
emporter partout , il eft des plus doux & trèsfacile
, & à bon marché.
Il n'en coûte rien aux pauvres néceffiteux.
Il en coûte 24 fols à toutes fortes de perfonnes
qui viennent chez lui , & liv. ou 6 liv. fuivant
l'éloignement , lorsqu'il fe tranfporte chez les
perfonnes qui lui font l'honneur de l'envoyer chercher.
Il a guéri un nombre confidérable de perfonnes
de renom , qui font très -fatisfaites , dont plufieurs
ont traité ce reméde de miracle.
APPROBATION.
J'ai lu ,par ordre de Monſeigneur le Chancelier, ΑΙ
le Mercure de Septembre 1762 , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , ce 31 Août 1762. GUIROY.
SEPTEMBRE . 1762. 215
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS IT IN PROSE.
EPITRE à M ** .
>
Page S
A MM . de L *** fur une diftribution
de
Prix. Ode Anacréontique .
ODE fur la Tragédie de Cinna , à Mile
Clairon.
LETTRE de l'Auteur du Mercure à Madame
la M.... D....
RENNIO & ALINDE , ou les Amans fans le
fçavoir , Comédie.
TRADUCTION littérale de la premiere Ode
du troifiéme Livre d'Horace. Odi profanum
vulgus .
VERS fur le début de Mlle Durancy à l'Opéra
dans les Fêtes Grecques & Romaines,
par le Rôle de Cléopatre.
IMPROMPTU à S. A. S. E. Palatine , au jour
de l'An .
IMPROMPTU à M. & à Madame Vendlings
Muficiens de L. A. S. E. Palatines .
MADRIGAL à Madame de Nefle , Actrice
de la Cour Palatine.
STANCES à Zamire.
9
II
14
IS
69
72
73
74
ibid.
75
BOUQUET à Mile A. C. L. N.
78
ÉPITAPHE de M. de Crébillon.
ÉNIGMES.
LOGOGYYPHES.
CHANSON .
ART. II . NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ÉCOLE Militaire : Ouvrage compofé par ordre
du Gouvernement. Par M. l'Abbé
79
80
81 & 82
83
Raynal. Second Extrait. 84
216 MERCURE DE FRANCE .
ÉPITRE à Minette ; par M C ***.
ODE fur la Poëfie , comparée à la Philofophie
; par M. Colardeau .
ANNONCES de Livres.
98
ΙΟΣ
105 & fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADEMIES.
PRIX d'Eloquence pour l'année 1763 .
SEANCE publique de l'Académie Royale de
Nifmes.
GEOMÉTRIE.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE .
SUITE des Obfervations d'un Chirurgien de
Province , fur l'origine & fur les progrès
de la Taille appellée Méthode de Rau.
ARTS AGRÉABLES.
125
116
128
1436
PEINTURE. 153
SCULPTURE.
156
GRAVURE. 167
ART. V. SPECTACLES.
OPÉRA.
170
COMÉDIE Françoife. 171
COMÉDIE Italienne. 177
CONCERT Spirituel .
178
ART. VI. Nouvelles Politiques.
EXPOSITION hiſtorique de l'Origine & Nailfance
de Meffire PIERRE DE PONS.
Avis.
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis-à-vis la Comédie Françoile .
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JUILLET. 1762.
PREMIER VOLUME.
Diverfité , c'eft ma devife. La Fontaine.
Cochin
Silius inve
Epillon Seulp.
Chez
A PARIS ,
CCHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à - vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE, rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais,
Avec Approbation & Privilége du Roi.
THEN YORD
PUBLIC LIBRARY
335516
ASTOR, LENOX; AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
19
AVERTISSEMENT.
LE
Bureau du
Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier
Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au
recouvrement
du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi,
C'est à lui que l'on prie d'adreffer ,
francs de port , les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie littéraire
, à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piece.
Les
perfonnes de province
aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des
occafions pour
le faire venir , ou qui
prendront lesfrais
du port fur leur compte , ne
payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
par volume , c'est-à- dire 24 livres d'avance
, en s'abonnant pourfeize volumes.
Les
Libraires des
provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure écriront à l'adreſſe cideffus.
On fupplie les perfonnes des provin
ces d'envoyer par la pofte , en payanı
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
, refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
, d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Leformat , le nombre
de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année. Il y en a
jufqu'à préfent foixante-dix-fept volumes
dont la Table générale , rangée par
ordre des Matieres , fe trouve à la fin
du foixante-douzième.
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET. 1762 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
IMITATION libre de l'Idylle huidéme
de M. GESNER , Auteur du Poëme
de la mort d'ABEL.
L'ORAGE fe diffipe, il fuit loin de ces lieux;
Le tonnerre a ceffé d'éffrayer nos rivages.
Je ne vois plus dans les fombres nuages
Serpenter les éclairs , en ongs fillons de feux.
Entends -tu les Oiſeaux ranimer leurs ramages ?
Chère Daphné , raffûre tes efp.its ;
I. Vol.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Regarde ces jeunes brebis
Que la peur raffembloit fous ce toît de feuillages ,
Se difperfer dans les fertiles champs ,
Et par de doux frémiffemens
Agiter à l'envi leur toifon humectée .
Viens , Daphné , que notre âme à la joie excitée
Contemple avec amour ce pompeux appareil,
Et cette majesté fi touchante & fi pure
Des premiers regards du foleil ,
Qui vient confoler la Nature.
L'un & l'autre, à ces mots , fe tenant par la main,
Palémon & Daphné fortent de leur afyle :
La Bergère refte immobile :
Elle s'écrie : ô fpectacle divin !
Que le ciel eft augufte , & que la terre eft belle !
D'un éclat tout nouveau la verdure étincelle ;
Quoi , l'orage eft encore une faveur des Dieux !
Le nuage éclairci fe fépare , fe brife ;
Je découvre l'azur des Cieux :
L'ombre dans les champs fe divife;
Vois- tu , dans une épaide nuit
Cette cabane au loin enfevelie ;
Vois-
Mais déjà l'ombre s'enfuit ,
Le foleil la remplace & foudain la pourſuit :
-tu comme elle vole à travers la prairie ?
Palémon s'écrie à l'inſtant :
Admire l'Arc d'Iris , ce figne bienfaiſant
Dont le vafte contour embrafe l'hémiſphère :
Des timides Bergers il calme les frayeurs ;
JUILLET. 1762. 7
Il a nuancé ſa lumière
Des plus éclatantes couleurs ;
C'eſt le ciel défarmé qui fourit à la Terre.
Daphné répond à ſon Amant :
Que j'aime àvoir fur les fleurs ranimées ,
En globules légers ces gouttes d'eau formées
Feindre l'éclat du diamant' ,
Ces roles refpirer, s'entrouvrir mollement ,
Et fous les aîles careffantes
Du Zéphir tendre & triomphant
Relever leurs tiges brillantes !
Ces flots calmés & tranfparens
Répétent à l'envi l'image fugitive
Du peuplier mobile , & des faules tremblans
Qu'un doux inſtinct a panchés fur la rive ;
Et dans ce rayon lumineux
Ces vermiffeaux aîlés , ces Papillons heureux
De leur joie errante & naïve
Ont repris l'effor & les jeux :
Sans contrainte ils ofent fuivre
Leurs folâtres defirs , & leurs volages goûts :
Ils n'ont que peu d'inftans à vivre ;
Mais le plaifir les compte tous.
Palémon eft rempli d'une céleſte flâne :
Chere Daphné , dit-il avec raviffement ,
Oh ! quel torrent de joie a pénétré mon â ne !
Tout ce vafte univers n'eft qu'un hymne éclatant
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
D'amour & de reconnoiffance ,
Pour l'Etre fouverain qui l'anime en filence.
Depuis l'aftre brillant , dont les rayons vainqueurs
Répandent dans les Cieux leur fublime preſtige,
Jufqu'à la plus humble des fleurs ,
Tout eft bonté , tout eft prodige.
Soit que du fommet des cêteaus ,
Promenant mes regards fur les plaines fécondes ,
De ce Peuple infini d'utiles végétaux
Et des hôtes des airs , de la Terre & de l'Onde
Je calcule le nombre & la diverfité ,
Ou qu'élevant mes yeux vers la voûte azurée ,
J'admire des faifons & l'ordre & la durée ,
Er du foleil l'inéffable clarté ,
Lorfqu'au moment , qu'il fe hâte d'éclore
Les Concerts des Oifeaux ont falué l'aurore ;
Soit que fur la fin d'un beau jour,
Je contemple à fon tour
Cette pourpre & cet or , dont l'auguſte parure
Couvre fon char brûlant , qui defcend dans les
mers ,
Ou que j'obferve en paix durant la nuit obfcure ,
Le vafte filence des airs
Et le fommeil de la nature ,
Et d'un aftre plus doux tous les aſpects divers ,
Et ces Cieux habités de foleils innombrables ,
Et de mondes cachés à mes débiles
De ces tranfports inexprimables
yeux ,
Mon foible coeur alors ne contient plus les feux ;
>
JUILLET. 1762 . 9
Mon âme fe confond à peine je reſpire ;
Je fens couler des pleurs délicieux ,
La voix fur mes lèvres expire ;
Je tombe abbatta , proſterné.
A ce raviffement , où mon être s'égare ,
Non , rien ne fe compare ,
Que le charme divin d'être aimé de Daphné !
Source de mon bonheur fuprême ,
Elle embellit encor tous ces dons précieux ;
Et le fouris de ce qu'on aime
Eft le plus doux bienfait des Dieux.
FRAGMENS POETIQUES , imités &
extraits du premier Chap . de SAADI
Poëte Perfan , intitulé des moeurs des
Rois.
J'k To 1s affis dans l'enceinte facrée
' ETOIS
Près du tombeau du Prophéte Divin :
Le fier Tyran de l'Egypte éplorée ,
Vint près de moi : la crainte habitoit dans fon fein.
Il trembloit ; il prioit l'Auteur de la Nature :
Toute mortelle créature ,
Efclave ou Roi , dépend des Dieux.
Il me dit viens unir ta prière à mes voeux :
Un Ennemi puiffant me trouble & m'épouvante.
Roi malheureux , lui dis- je , offre un appui
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
A la foibleffe chancelante ;
Soulage l'indigent : fois jufte ; fois chéri.
Efpéres -tu conjurer la tempête
Par des foupirs & des cris fuperflus ?
Vois le glaive vengeur fufpendu fur ta tête :
Le jour fe leve , où tu ne feras plus.
Fils d'Adam , tout homme eft ton frère !
La Nature le crie à ton coeur fanguinaire :
Tu foules fous tes pieds un infecte tremblant ;
Ta fureur ne peut fe contraindre :
Si l'Eléphant t'écrafe , as- tu droit de te plaindre ?
Le malheureux gémit , & du Dieu qui l'entend ,
Le Trône eft ébranlé par ſa plainte profonde :
Un feul foupir de l'innocent .
Peut changer la face du Monde.
AUTRE.
Du haut de fon char radieux
Le Soleil , de fes traits embraſoit la Nature :
Dans un bosquet délicieux
Inacc effible au jour , couloit une onde pure ,
Qui ferpentoit en replis amoureux ;
Les aîles du zéphir rafraîchiffoient ces lieux.
Avec le fage Azor j'entre dans cet aſyle :
L'in jufte y repoloit. Il goûtoit les douceurs
D'un fommeil heureux & tranquille.
Quoi, dis-je , le remords qui pourfuit les forfaits
JUILLET. 1762. II
D'an calme fortuné ne trouble point l'empire !
Azor me dit avec un doux fourire :
Des Dieux reſpecte les decrets :
Le crime dort , mais la vertu reſpire.
YvRE
AUTRE.
VRE de fa grandeur & fier de fa puiſſance ,
Un jeune Roi comptoit les jours par ſes plaiſirs,
Dans un Feftin orné par la magnificence
Il chantoit : » tout prévient & comble mes defirs :
» Je jouis de l'inftant qui paffe
» Je jouirai de l'inſtant qui l'éfface ,
» Je jouiffois de celui qui n'eft plus .
» Loin de mon coeur tous foucis fuperflus .
Un malheureux languiffoit dans la place,
Aux Portes même du Palais .
Il s'écria : ton coeur eft fans allarmes ;
N'en fens tu point pour tes Sujets ?
O verité , quels font , & tes droirs & tes charmes
!
Cet homme à l'inftant même eft chargé de bienfaits
!
Le Monarque eft frappé d'un nouveau trait de
Alâme.
Il frémit , il rougit , il rentre dans fon áme ;
Il s'inftruit à regner , & fon Peuple eſt heureux.
L'indigent qu'il combla de les dons généreux
A vj
12 MERCURE DE FRANCE .
Par le luxe égaré , plongé dans la licence,
Diffipoit cependant fa nouvelle opulence.
Dans fon premier état le voilà retombé ;
Tout couvert de lambeaux , fur fon bâton courbé,
Près du Palais il mandioit encore.
Le Roi juftement irrité ,
Difoit au fage Lindamore :
Tu vois à quoi fert la bonté !
Qu'ont produit les faveurs de ma main libérale ?
De ce infortuné j'ai fatisfait les voeux ;
J'ai corrompu ſes moeurs : doublement malheureux
Ses vices font accrus , fa mifére eſt égale.
Lindamore répond : ô le meilleur des Rois !
Pourquoi ta facile clémence
Verfa-t- elle fes dons fur l'oifive indigence ?
C'est au travail que tu les dois.
FABLE , imitée de SAADI.
UNE Souris , au printemps de fon âge ,
Nourriffoit dans fon fein un orgueil fans pareil :
De mille Amans rivaux elle bravoit l'hommage .
Je veux , dit elle un jour , époufer le Soleil.
Etre le plus pluiffant qui foit dans la Nature ,
Toi feul as mérité de pofféder mon coeur ! .....
Le Soleil l'entendit , & dit avec douceur
A la petite créature :
JUILLET. 1762 .
13
Il eft vrai , j'ai quelque beauté ,
Quelque pouvoir : mais le nuage
Bien plus puiffant encor ,fur ma route pofté ,
Quand il lui plaît , obfcurcit mon Image ,
Glace mes feux , & détruit mon ouvrage.
Vraiment, dit la Souris, j'admire mon erreur ;
Quelle fotife j'allois faire ?
Au
nuage elle jure une éternelle ardeur .
A moi ! dit-il , qui fuis un être imaginaire ,
Qui pour avoir du mouvement ,
D'un pouvoir étranger implore le principe ;
Qu'à fon gré tour- à - tour , il proméne & diffipe ,
Et qui fuis le jouet du vent ?
Notre fouris , un peu confuſe ,
S'adreffe à l'Aquilon. L'ignorance t'abuſe , ·
Hélas ! dit-il , mon pouvoir eft peu fûr :
Vainement il gémit , menace , gronde , éclate ,
Il fe brife contre le mur.
Du mur au même inftant la conquête la flatte :
Elle avoit à fes pieds fon habitation :
L'habitude , le voisinage ,
Tout fembloit affortir une telle union :
Il triomphoit des vents , du foleil , du nuage.
Triomphe de mon coeur , de mon ambition ,
Dit-elle pour toi feul ce jour fe détermine.
Ah malheureuſe , ah ! qu'ofes - tu penſer ?
Moi ! je tépouferois ? & ta race me mine :
Sous mes pieds hâtant ma ruine ,
Elle faurà bientôt me renverfer.
14 MERCURE DE FRANCE .
Je chancele déjà , je céde , je fuccombe .....
Il dit ; à l'inftant même il tombe .
Tout s'enchaîne & fe nuit dans ce foible Univers.
La vie eft un combat , & tout a les revers.
LA BONNE COMPAGNIE ,
ODE
PHILOSOPHIQUE.
Par M. l'Abbé CLÉMENT , Chanoine
de S. Louis du Louvre.
MORTELS , que les befoins ont rendu fociables ,
Que faites vous dans vos triftes réduits ?
Fugitifs de vous - même , auprès de vos femblables
,
Venez chercher la fin de vos ennuis.
Dans ce cercle, où les goûts , l'humeur , le caractére
,
Les penchans , le defir de plaire ,
Forment par leur contraſte un aimable tableau ,
Une troupe choiſie à s'amufer s'exerce :
Eft- ce affez ? non , le coeur de ce riche commerce
Tire un profit toujours nouveau.
C'est là que tour - à - tour & copie & modéle ,
L'homme conduit par la main du plaifir ,
Trouvede les devoirs une Image fidelle :
JUILLET. 1762. IS
Que d'agrémens compofent ce loifir !
Les vertus , les talens élargiffent leur Sphère :
Tout y devient mon tributaire ;
Sans livres je m'inftruis de mille traits divers.
Vranie & Clio , Minerve & Melpo:néne ,
Semblent exprès pour moi paroître fur la fcéne;
Tous leurs tréfors me font ouverts.
A peupler ce féjour , quelle foule s'empreſſe ?
Grands , Magiftrats , Artiſtes & Guerriers ,
Nul n'y domine : entr'eux l'inégalité ceffe
Et les pinceaux font unis aux lauriers .
>
Du choc de ces efprits le fçavoir prend ſa ſource :
Puifez , prolongez- en la courfe ;
Aujourd'hui foyez Maître & demain Nourriſſon.
A l'Amour de l'Etude en vain on ſacrifie ,
Si d'un monde poli le ton ne rectifie
Le Jugement & la Raifon.
Pour régler les diſcours la décence y préfide ;
La Politeffe y diftingue les rangs ;
La Vertu complaifante a l'oeil fi peu rigide ,
Qu'elle y fourit aux rôles différens :
Sur le ton des égards on foutient la diſpute ;
L'efprit-borné n'eſt point en bure
Aux traits dont la Satyre ailleurs arme ſes mains :
J'y vois la Vérité fincère fans rudeſſe ;
Le Mérite applaudi , modefte fans balfeffe ,
La Grandeur même fans dédains.
16 MERCURE DE FRANCE .
Parmi ces gens d'élite , on vous offre une place ;
Les Sentimens ont droit de l'occuper ;
Entrez, que tardez -vous ? ce n'eft point une grâce ;
Homme fans moeurs , toi feul peux l'ufurper.
Rivage fortuné de cette Mer tranquille ,
Contre les vents heureux afyle ,
Que de fleurs & de fruits vous m'offrez à choisir !
Plus loin les paffions excitent la tempête ;
Au premier fouffle ici le reſpect les arrête ;
Il n'y régne que le zéphir.
De votre voix en vain vous forcerez l'organe :
Non , vos arrêts ne feront point fuivis :
Renoncez à l'efprit que le bon fens condamne ;
Sans décider , dites-nous votre avis.
Fuffiez -vous tranſporté fur d'étrangères plages ;
Des Peuples prenez les ufages ;
Prêtez- vous à leurs jeux & refpectez leur goût :
Ce trait de complaifance & les flatte & les touche ;
Votre éloge bientôt ira de bouche en bouche ;
Vous ferez Citoyen partout.
*
Du Tacite François j'admire l'éloquence :
Sans le prétendre il m'égaie & m'inſtruit ;
Mon plaifir eft trop court , il fe tait . Quel filence !
De fes talens mon eftime eſt le fruit.
Il m'excite , je parle : attentif il écoure ;
Et ce Sçavant que je redoute
Approuve , m'applaudit , flatte ma vanité.
* M. le Préfident Henaut , Auteur de l'Abrégé Chronologique
de l'Hift . de France , de l'Académie Françoiſe.
JUILLET. 1762. 17
Qui me rend fans fadeur fatisfait de moi- même ,
Semble aggrandir mon être , & je crois que je
me,
Sans rien devoir à fa bonté.
Je n'ai point oublié quel titre vous décore ,
Et les vertus dont vous êtes orné ;
Vous m'en aviez trop dit , vous m'en parlez encore;
A quel ennui m'avez-vous condamné ?
De ravir mon encens vous feroit - il facile ,
Lorsqu'à mon oreille indocile
Votre amour-propre altier cherche à faire la loi ?
Eh ! dût-on ignorer vos faits , votre origine !
Taifez-vous , ou craignez le prix que l'on deſtine
A qui parle toujours de foi.
Mais quel nouvel Acteur le préfente à ma vue ?
Eft- il l'Oracle & des Temps & des Arts ,
Qu'entends-je ? .... quoi déja mon attente eſt déçue!
Par ce qu'il dit je compte ſes écarts .
En vain avec douceur vous allez contredire ;
De l'orgueil bleffſé qui l'inſpire
Pourrez-vous .foutenir l'impétueux éclat ?
Abandonnez la palme à ce fougueux Athléte ;
Lifez dans nos regards fa honte & ſa défaite ;
Vous avez l'honneur du combat.
Animez ce Spectacle & j'y ſuivrai vos traces :
Qui mieux que vous en feroit l'ornement ?
Beau-féxe , votre bouche eſt l'organe des grâces
18 MERCURE DE FRANCE.
Vous m'apprendrez le ton du Sentiment.
Quels rapides progrès on fait à votre école ,
Lorfque d'un langage frivole
Vous avez dédaigné l'infipide ſecours !
Le monde vous chérit , méritez ſon eſtime :
Le plaifir de médire à fes yeux eft un crime ;
Apprêteroit-il vos difcours ?
A la fuite des jeux , fous l'air du badinage ,
Qui vois-je entrer ? la Licence , grands Dieux !
Où fuir , où me cacher ? à fon affreux langage ,
Rougis , pudeur ; vertu , baiffe les yeux .
Raflurons-nous : déja déteftant fa conduite ,
La décence l'a mife en fuite ;
L'orage eft conjuré ; le Ciel devient ferein ;
Et la malignité que l'exemple intimide
Dans un repos forcé tient la flèche homicide ;
La peur du mépris eft un frein.
Militaires , Plaideurs , Nouvelliftes , Poëtes
Quand pourrez - vous devenir plus concis ?
Pour me rendre charmant le féjour où vous êtes ,
Epargnez-moi vos importuns récits .
Vos Procès , vos Exploits , vos Vers , votre Manie
,
Pour moi font une Tyrannie ,
Fuffiez-vous Catinat , Patru , Verneuil , * Boileau .
De la Société gardons les bienséances :
Que chacun à l'envi par de douces nuances
En embéliffe le Tableau.
*Il faifoit autrefois la Gazette de France.
JUILLET. 1762. 19
VERS
pour être mis au bas du Portrait
de Mlle de VICTOT.
GRACS , jeuneffe , éclat , voix flexible & touchante
,
Que d'attraits réunis ! Que leur douceur enchante !
Dans ces yeux cependant j'apperçois un défaut ;
C'eft leur févérité rigide.
Ah ! fijamais Vénus fut modefte & timide ,
Ce fut fous les traits de VICTOT.
CONJURATION des RAMBURES ,
contre la Ville d'ARDRES , en Picardie.
CETTE ETTE Ville n'avoit pour toute garnifon
, en 1653 , que le Régiment de
Rambures , Infanterie , compofé de 13
à 1400 hommes que leurs excès en tout
genre avoient rendus odieux dans le Pays
où la licence des troupes , occafionnée
par les troubles intérieurs du Royaume ,
étois parvenue à fon comble .
Le Marquis de Rouville , Gouverneur
de cette Place , très - importante ,
à caufe du voisinage des Efpagnols ,
20 MERCURE DE FRANCE.
Maîtres de S. Omer , en avoit vainement
porté des plaintes à la Cour alors
trop occupée d'autres objets ; & pour ne
point achever d'aigrir un mal dont les
fuites étoient à craindre , il s'étoit vu
contraint de fermer pour un temps les
yeux fur une espéce de brigandage dont
il gémiffoit en fecret . Mais cette foibleffe
apparente ne fit qu'enhardir les
coupables , dont l'infolence le força enfin
de prendre un parti qui ne lui paroiffoit
pas moins dangereux que néceffaire.
Il fit affembler , un matin , les
Officiers de ce Régiment , leur déclara
que s'ils ne travailloient pas férieufement
à contenir la Soldatefque & ne réformoient
pas leur propre conduite , il
prendroit , fans attendre plus longtemps
les ordres de la Cour , les moyens les
plus prompts & les plus propres à les y
contraindre. Ils comprirent ce qu'ils
avoient à redouter de ce Difcours , auquel
la longue tolérance du Gouverneur
ne les avoit point préparés , promirent
au-delà de ce qu'il leur demandoit , &
le quitterent avec la ferme réfolution de
s'en venger. La diffimulation leur étoit
devenue d'autant plus néceffaire , qu'ils
n'ignoroient point que le Gouverneur ,
au moyen de deux coups de canon,pouJUILLET.
1762. 21
voit en peu de temps appeller
de la campagne
dans la ville plus de deux mille
hommes
de milice que le voisinage
de
l'ennemi
avoit aguerris
de longue main ;
& qu'en horreur
aux Citoyens
, ainfi
qu'aux
Payfans
, ils ne pouvoient
attendre
aucun quartier
d'un Peuple
qu'ils
avoient
réduit au défefpoir
.
Raffemblés , dès le foir même , à leur
auberge , ils délibérérent entr'eux fur les
moyens de rabattre ce qu'ils appelloient
la morgue du Marquis ; & n'en trouverent
ni de plus für ni de plus prompt
que celui de livrer la Place à la garnifon
Efpagnole de S. Omer. Cette réfolution
prife , & les mesures arrêtées en
conféquence , ils ne fongerent plus qu'à
endormir la vigilance du Marquis par
les égards les plus rampans & les proteftations
les plus fortes de maintenir
déformais leur troupe dans la plus étroitę
diſcipline .
Le Marquis , brave Officier , mais jugeant
trop facilement des autres par
Tui-même, eut la foibleffe de les croire ;
& s'applaudiffoit de fon fuccès , tandis
que l'un des Conjurés fous l'habillement
d'un Payfan , étoit allé traiter à S. Omer
avec le Prince de Robecque , qui commandoit
les Eſpagnols , & avec lequel
22 MERCURE DE FRANCE.
tout fut concerté pour lui livrer la ville
d'Ardres le fecond jour du mois de Juillet
prochain . Mais le Ciel veille fur les
traîtres ; l'hiftoire en fournit mille exemples
en voici une nouvelle preuve.
Le nommé Pierre Roze , qui tenoit
l'auberge du Dauphin , avoit une fille ,
jeune & jolie , nommé Françoife. Le
Capitaine-Lieutenant de la Meftre de
Camp de Rambures , qui n'avoit de
commun avec les autres Officiers que
de fervir fous le même Drapeau , éperdûment
amoureux de cette fille , dont
la fageffe égaloit la beauté , s'étoit enfin
déterminé à l'époufer à l'infçû du Régiment
: il n'attendoit pour cet effet que
le changement de la garnifon ; & mangeoit
chez le Père de fa Maîtreffe avec
deux autres Officiers de fes amis , fans
rien laiffer entrevoir de fon intelligence
avec Françoife & fes Parens.
Le 28 Juin , veille de la Saint Pierre ,
cet Officier prévoyant que des perfonnes
auxquelles il alloit appartenir de fi
près ne feroient pas plus épargnées que
d'autres dans les fureurs de la fédition
appella Roze après foupé , & fous prétexte
du beau temps ainfi que du befoin
qu'avoit Françoife de prendre l'air
après une grande maladie , lui conſeilla
JUILLET. 1762 .. 23
fil
zel
ir
a
d'aller le lendemain avec elle paffer quelques
jours au village de Rodelinghen ,
à une petite lieue d'Ardres où ce Bourgeois
avoit un petit bien.
Roze , que la jeune Françoife joignit
en ce moment , étonné d'une propofition
que l'air inquiet & embaraffé de
fon gendre futur lui faifoit juger myſtérieufe,
ayant d'accord avec fa fille fortement
infifté fur la caufe d'un confeil
qu'on donnoit d'un air & d'un ton fi
preffant , & dont le motif , tout coloré
qu'il fembloit être , lui paroiffoit d'autant
moins plaufible, que fes devoirs d'Au
bergifte lui permettoient moins de s'abfenter
alors ; Roze , dit-on , & fur- tout
la jeune Françoife , après avoir vu biaifer
quelque temps l'Officier, exigerent de
la façon la plus preffante qu'il daignât
leur confier la vraie caufe de l'embarras
qu'ils remarquoient en lui , & qu'il vou
loit vainement leur cacher.
Les larmes de l'Amour trouvent peu
de coeurs infenfibles . L'Officier , quoique
für du fort que lui préparoient fes
camarades en cas qu'ils le foupçonnaffent
d'avoir révélé leur fecret , leur déclara,
en foupirant , que le Dimanche ,
2 Juillet , pendant la Meffe de Paroiffe ,
à laquelle l'Etat - Major , les Corps de
24 MERCURE DE FRANCE.
Juſtice & de Ville , ainfi que la plupart
des principaux habitans avoient coûtume
d'affifter , le Régiment devoit s'emparer
des trois Portes de l'Eglife , y
entrer la bayonnette au bout du fufil ,
faire main-baffe fur quiconque s'y trou
veroit ; de là, fe répandre dans la Ville ,
la livrer au fer & au feu , en ouvrir enfin
les portes aux Troupes Efpagnoles embufquées
dans le bois de la Montoire &
prêtes à paroître au premier fignal des
Conjurés .
lui
Tout éffrayant qu'étoit ce récit , Roze
eut affez de pouvoir fur lui -même pour
n'en paroître que médiocrement ému ,
pour affecter même de condamner les
trop vives allarmes de fa fille
faire fentir toute l'importance du fecret
qui venoit de lui être confié , & lui repréfenter
vivement combien la plus légère
indifcrétion de fa part étoit capable
d'expofer les jours de fon Amant ;
& après avoir fupplié l'Officier d'employer
tout fon crédit auprès des Conjurés
pour obtenir que fa Maifon fùt
exemptée du pillage , & fous prétexte
d'aller tout préparer pour le voyage de
Rodelinghen , il fortit , & le laiffa, avec fa
Maîtreffe .
L'hôtel du Gouverneur étoit voifin.
Roze,
JUILLET 1762. 25
te
He
fa
la
Roze , dont la réfolution avoit été prife
dans le moment , profitant de l'obfcurité
de la nuit , s'y introduifit fans être vu ,
par porte de la baffe - cour. Mais
le Marquis étoit encore ou à table , ou
au jeu. Il falloit un motif preffant pour
en obtenir alors audience. Roze en imagina
un , que la tradition dit avoir été
un peu gaillard. N'importe , il réuffit ;
& Roze fe trouva bientôt feul dans le
Cabinet du Gouverneur , auquel il fit part
de tout ce qu'il venoit d'apprendre.
On peut juger de l'étonnement & de
la perplexité du Marquis à une nouvelle
auffi terrible qu'imprévue ! Il connoiffoit
la probité & le bon fens de Roze ; il n'avoit
actuellement fous fes ordres qu'une
demie Compagnie Suiffe & une Compagnie
de Cavalerie à oppofer à 1400 déterminés
qui avoient juré fa perte , & dont
la férocité , ainfi que la longue pratique
des crimes les plus noirs , ne lui étoient
que trop connues. Que faire en pareil
cas ? D'appeller les Milices difperfées
dans la Campagne : le jour alloit éclore ;
& le fignal ainfi que les autres mouvemens
néceffaires pour affembler un telfecours
n'euffent fans doute produit d'autre
effet que celui de donner l'allarme aux
Conjurés , & de les forcer à preſſer l'exé-
I. Vol.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
cution du crime. Sa famille entiére étoit
alors raffemblée dans fon hôtel ; il ne
pouvoit douter que la Tragédie ne
dût commencer par elle. Quelle fituation
! La feule reffource qui lui reſtât
confiftoit dans la Bourgeoifie . Il en étoit
aimé. Mais qu'attendre du zéle & de la
bravoure des Citoyens d'une Ville qui
pour lors , ainsi qu'aujourd'hui , comportoit
tout au plus cent feux ? Toute
foible qu'étoit cette reffource , il ſe détermina
à l'employer , & eut lieu de s'en
applaudir. Le fecret & la diligence pouvoient
feuls fauver la Ville ; le refte de
cette nuit cruelle fut employé à concerter
les mefures néceffaires pour tenter
d'y réuffir.
Le Marquis , dès le lendemain matin ,
envoya inviter tous les Officiers Supérieurs
de Rambures , comme pour mettre
le fceau à leur réconciliation , à venir
le jour même dîner chez lui. S. Juft ,
fon Capitaine des Gardes , fut, chargé ,
de fon côté , d'avertir fous main les
Officiers Suiffes & de Cavalerie , chacun
en particulier, de s'introduire féparément
& bien armés avec quelques-uns de leurs
plus braves Soldats , par une porte de
derrière , dans l'hôtel du Gouverneur
où ils furent embufqués dans les chama
JUILLET. 1762. 27
bres , cabinets & autres lieux voifins de
la Salle à manger. Des 24 Gardes du
Marquis , tous vieux Soldats d'élite , dix
ou douze eurent ordre de fe promener
fans affectation dans la Ville , pour diriger
les mouvemens des différens pelotons
de la Bourgeoifie dès que le fignak
en feroit donné.
Ces premieres précautions prifes , le
Marquis fit ordonner au fieur Pollart ,
Chefde la Bourgeoifie , fous le titre de
Bailli perpétuel , d'avertir en fecret tous
les Citoyens de fe tenir dans leurs maifons
, pour être prêts à faire feu fur les
Rambures & à leur courrir fus lorsqu'il
en feroit temps . Pollart exécuta fa commiffion
avec autant de vivacité que
d'intelligence. Il fit plus encore. Tandis
que les Conviés fe mettoient à table chez
le Gouverneur , & que la chaleur du
jour invitoit au repos le refte du Régiment
, il prit fur lui de faire filer dans
les Galleries de la Tour de l'Eglife tous
lesBourgeois les moins propres auxcoups
de main , qu'il arma de fufils & auxquels
il ne put empêcher une vingtaine
de femmes de fe joindre : tant l'amour
de la Patrie eft puiffant fur les coeurs mêmes
les moins faits pour la guèrre !
Tous ces arrangemens avoient été
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
fi fagement pris & conduits , qu'aucun
des Conjurés n'en avoit conçu de foupçons.
Toutes les portes de l'hôtel du
Gouverneuravoient été fermées au mo◄
ment de l'arrivée des Convives . Pendant
le repas , la joie & la cordialité apparentes
avoient été parfaitement foutenues
de part & d'autre ; lorfqu'au deffert , les
Damès ( felon l'ufage antique , & qui
fubfifte encore dans quelques Provinces
) s'étant retirées pour ne pas gêner
la liberté des hommes ; la Boiffière, Ma
jor de la Place , fe levant brufquement ,
& d'un air auffi froid qu'intrépide , ordonna
aux Conjurés de la part du Roi &
de M. le Gouverneur , de lui remettre
leurs épées,
A ces mots , les Traîtres étonnés &
convaincus d'avoir eux -mêmes été trahis
, fentant bien qu'il falloit ou périr
ou fortir de l'hôtel , fe mirent en devoir
de fe défendre & de courir aux fenêtres
de la Salle qui donnoient fur la Place
d'armes , en criant tout enſemble : à
nous , Rambures ! Mais elles étoient trèshautes
; & avant qu'ils puffent être entendus
, les embufqués fortis tout-à-coup
de leurs poftes , les accablérent , & après
les avoir percés de mille coups, les jetté →
rent du haut de ces fenêtres mêmes dans
J
JUILLET. 1762. 29
$
la Place d'armes. Cette éxpédition fut
enfin fi chaudement & fi heureufement
menée , que le Gouverneur feul y reçut
deux bleffures peu dangereufes , & dont
lui - même dans la chaleur de la mêlée
s'étoit à peine apperçu .
Cependant le tumulte avoit éclaté
hors de l'hôtel , où il n'étoit resté des
Amis du Gouverneur que ce qu'il en
falloit
pour mettre l'appartement où s'étoient
retirées les Dames à l'abri de toute
infulte le refte étoit defcendu dans la
Ville pour feconder la Bourgeoifie & le
peu de Troupes fur la fidélité defquelles
on pût compter.
La vue des cadavres de leurs principaux
Officiers , après avoir épouvanté
les Soldats de Rambures , les avoit
fait courir aux armes . Mais en défilant
par pelotons dans différentes rues pour
fe raffembler & fe mettre en bataille fur
la Place d'armes , une grêle de bales qui
tomba tout-à-coup fur eux des fenêtres
des Bourgeois & des Galleries de la
Tour en extermina un grand nombre
- mit le refte hors d'état de fe rallier , &
l'arme blanche acheva de décourager
des gens déja troublés par la furpriſe &
par le fpectacle éffrayant de leurs Officiers
& de leurs . Camarades mourans dont
2
la Ville étoit jonchée.
B iij
30 MERCURE
DE FRANCE
.
Pendant tout ce maffacre , le brave
Bofe de Taffennecourt , Lieutenant de
Roi & dont le Marquis de Rouville avoit
époufé la Soeur , fuivi des Militaires &
des Bourgeois qui s'étoient fibravement
comportés chez le Gouverneur , avoit
volé à la Porte Orientale de la Ville ,
( celle qui devoit être livrée aux Eſpagnols
) & où les Rebelles étoient aux
prifes avec les Suiffes , qui pour lors en
avoient la garde. Son arrivée & la valeur
du renfort qu'il amenoit aux Suiſſes ,
déconcerrta , mit en fuite les Traîtres ,
& acheva de fauver la Ville . Mais ce
digne Officier après avoir animé fa troupe
par fon exemple plus que par fes paroles
, reçut un coup de pertuifane dont
il mourut le lendemain , après avoir eu
la confolation d'apprendre que les Rambuses
étoient totalement défaits , que le
calme étoit rétabli dans la Ville , & que
le Marquis fon beau-frère étoit ainfi
lui comblé de gloire.
que
Le Traité fait par les Rambures avec
les Eſpagnols fut trouvé dans la poche
de celui qui l'avoit négocié , & qui fembloit
n'être revenu ce jour-là même de
S. Omer , une heure avant l'action , que
pour recevoir le digne prix de fa perfidie.
Quant à l'Amant de Françoife , il fut
JUILLET. 1762. .31
trouvé percé de coups dans le porche de
la maifon de fa Maîtreffe,fur les cadavres
de trois de fes Camarades , contre lefquels
il en avoit défendu l'entrée. Cette aimable
fille,qui avoit été témoin de fes exploits &
de fa mort , ne furvécut que peu dejours
à la perte d'un Amant fi digne de fes regrets.
Le pauvre Roze , dont le zéle & la
fidélité fembloient devoir lui mériter la
récompenfe la plus éclattante , n'en reçut
d'autre du Cardinal Mazarin , que celle
qu'il avoit coutume de promettre dans le
danger aux plus grands fervices ; c'est-àdire
des promeffes fans effet.
C'eft de la fille cadette de Roze , foeur
de la belle Françoife , morte en 1722 ,
âgée de 84 ans , de la Dame Marquife
de Rouville , de fes deux fils , l'un Brigadier
des Armées du Roi , Colonel- Lieutenant
du Régiment de la Reine , Pautre
, Abbé- Baron d'Andres , de fes deux
filles , l'une Comteffe d'Etoges , l'autre ,
Marquife d'Henneveux , de la Dame du
Corroy , Lieutenante de Roi d'Ardres
, fille unique du brave Taſſennecourt
, tous décédés dans ces derniers
temps dans un âge très-avancé , que M.
Mallet de Brefime , Lieutenant Civil de
Calais , mort il y a environ trois ans , a
recueilli toutes les circonstances , d'un
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
événement dont la mémoire,fi honorable
aux habitans de la Ville d'Ardres
nous a paru digne d'être confervée.
D. L. P . ****
EPITAPHE de l'Amant de
FRANÇOISE ROZE.
DAMON AMON eft inhumé fur ce funefte bord ;
Philis brûla pour lui d'une flamme amoureuſe :
Jaloux de fon bonheur , Mars termina fon fort.
Quelle fut la plus glorieufe
Ou de fa vie ou de fa mort ?
A Madame D. ****
, pour le jour de
fa Naiffance.
QUAND Junon de votre naiſſance
Eut fait fçavoir aux Dieux le fortuné moment ,
Vénus , qui dans vos traits lifoit fa décadence ,
Propofa que dès votre enfance
On vous plaçât au Firmament.
On l'écoutoit , lorſque la Tèrre ,
Jalouſe de vous pofféder ,
Invoqua le Dieu du Tonnèrre.
Mais Vénus fut plus forte ; il fallut lui céder.
Pour vous en porter la nouvelle ,
JUILLET. 1762. 33
Chacun des Dieux s'offrit ; on fit choix de l'amour :
Il fut celui de la céleste cour ,
Qu'onjugea le plus propre à vous rendre immortelle.
Il vole .... mais bientôt interdit à vos yeux ,
Et cédant à la Tèrre une prompte Victoire ,
Il oublia Vénus , & trouva plus de gloire
A fuivre ici vos pas qu'à régner dans les Cieux .
M. D. B.
LA RÉSIGNATION ,
ΑΙ
ALLEGORIE ,
A M. PAb. Ch. ***
' AI perda mon Amant , difoit un jour Clarice:
Je l'ai perdu , l'eſpoir me flate en vain !
J'ai dû fa conquère au caprice,
'Je dois fa retraite au dédain.
Mais dois-je l'accuſer , ou me rendre juſtice ?
Pour m'affurer de fes foins affidus ,
Qu'avois-je ? un coeur ? Oui , mais un coeur
novice ,
Peu de beauté , point d'artifice ,
Beaucoup d'amour , & rien de plus.
Il aime ailleurs , & trouve mieux fans doute.
Que faire ? ... hélas !! quoiqu'il m'en coûte ,
Etouffons des foupirs que je dois lui cacher.
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
La plainte rarement nous ramène un volage :
S'il a raifon , il nous fuit davantage s
Et s'il a tort , c'eſt la fâcher.
Volage Abbé , fi ce ſyſtême
Peut s'appliquer à l'Amitié ;
Verras-tu , fans quelque pitié ,.
Que j'agis & penſe de même?
D. L. P.
VERS à M. VANLOO , premier Peintre
du ROI.
QUAND,
UAND , parmi tes égaux , qui volent fur ta
trace ,
Louis t'offre la palme & la premiere place ,
+
De l'Europe , & d'eux même il conſulte la voix :
Animés du plaifir qu'inſpire un jufte choix ,
Leur fuffrage & leurs coeurs pour toi ſe réuniffent.
S'il falloit que par eux ce rang te fût donné ;
Comme les vrais talens aux talens applaudiffent ,
VANLOO , par tes rivaux ru ferois couronné. >
JUILLET. 1762. 35
EPITRE à M. l'Abbé de BRETEUIL ,
Chevalier Grand-Croix de l'Ordre de
Malthe Chancelier de Mgr le Duc
d'ORLÉANS en lui envoyant la
Traduction de la mort d'ADAM.
DB
,
Emes talens vous préfenter l'hommage ,
C'eft un devoir : Il eft cher à mon coeur.
Un feul moment fixer votrefuffrage ,
Seroit pour moi l'aurore du bonheur.
Mais ce n'eft point le rang que ma franchiſe encenſe
;
Cette idole du Peuple , eft pour moi fans attraits ;
C'eft votre douce bienfaifance
Dont j'aime à voir en vous les traits.
En vain le Dieu de la lumière
Répand au loins ces rayons éternels ,
C'eſt aux préfens dont il pare la Tèrre
Qu'il doit l'hommage des Mortels.
Nous ignorons les noms des Souverains du Monde ,
Nous chériffons ceux de ſes bienfaiteurs ;
Les uns ont difparu dans une nuit profonde ,
Les autres vivent dans nos coeurs .
Vousy vivrez, comme eux , votre Palme s'apprête
Vous cheriffez les Arts , ils ne font point ingratsi
Ils fémeront à l'envi fur vos pas
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
"
Les fleurs dont vous parez leur tête.
J'ai vu de l'Eſope François ( a )
Par vos bontés l'héritiere enhardie
De fon Ayeul envier le génie
Pour publier dignement vos bienfaits.
Vous lui faites cherir le fonge de la vie !
Vous avez arrêté fur les jours de douleurs
D'un Prince généreux les regards bienfaiteurs.
Pour elle alors tout a femblé renaître :
Et du moment qu'elle a fçu vous connoître
Elle a ceffé de connoître les pleurs.
Ton âme en tréffaillit au fein de l'Elifée :
Le defir de chanter & Philippe ( b) & Breteuil'
Ranima ta veine glacée ,
Le cri de tes enfans entr'ouvrit ton cercueil ,
O divin la Fontaine ! âme céleste & pure ,
Toi feul vraiment as furpris la Nature.
Le calme de ton coeur fe peignoit dans tes yeux ;
Tu vécus en Poëte & tu mourus en fage ;
Dans tes écrits ingénieux
La Raifon femble un badinage ,
Et les Bêtes dans ton ouvrage
Donnent des leçons même aux Dieux.
Me voudrois- tu prêter tes graces & ta lyre ?
A mes foibles vers autrefois ,
(a) C'eſt aux attentions & àla bonté de M. L. D. B.
que Mile la Fontaine , que lemalheur opprimoit , doit la penfion
dont Mgr le Duc d'ORLEANS la gratifie . Cette anecdote
imprimée dans tous les papiers Publics , l'eft encor e
plus furement dans lescours de tous ceux qui aiment les
belles actions , & les belles lettres.
46 ) Mgr le Duc d'ORLEANS,
JUILLET. 1762 .
37
Si Philippe lui- même a bien voulu fourire ;
Fais qu'en ce jour, où même ardeur m'inſpire ,
Le Miniftre éclairé dont ce Prince a fait choix,
A fes loifirs daigne les lire.
Et vous fur qui j'oſe lever les yeux ,
Pardonnez mon audace & fouffrez mon hom-
J'ai
mage ;
peu d'ambition : je vais me croire heureux
Si vous jugez mon coeur par mon ouvrage.
POINSINET,de l'Académie des Arcades de Rome .
Ce 28 Avril 1762.
LETTRE à l'Auteur du Mercure , fur
la Queftion Utrum armis an litteris
fama citiùs comparari poffit ?
'AI trouvé, Monfieur , dans le premier
Mercure du mois d'Avril de cette année ,
quelques obfervations touchant le Guerrier
& l'homme de Lettres 2
, propos
de cette Question Utrum armis an litteris
fama citiùs comparari poffit? L'Auteur,
raifonnablement prévenu pour fon
métier , a fait comme les Avocats qui
n'avouent point les torts de leur Partie
, & colorent leur caufe de tout le
fard que leur efprit & leurs beaux ta38
MERCURE DE FRANCE.
lens leur fuggérent. Mais , Monfieur
montrer tous les côtés lumineux d'un
objet & n'y trouver aucune ombre, dire .
fçavament tout le mal qu'on fçait d'un
autre, n'eft pas le moyen de parvenir à une
difcuffion fùre : un bon moyen c'eſt de
rapporter fidélement & fans préjugé le
pour & le contre des points qu'on veut
apprécier , & de laiffer aux Lecteurs
& au temps le foin de la déciſion.
Quel est le but des Lettres & des
Sciences ? d'étendre, d'approfondir laRaifon
, de chercher des vérités utiles aux
hommes , de confacrer les talens du Citoyen
aux biens de la fociété . Quel
eft le but des armes ? de protéger les
droits de la Patrie & des Souverains ,
de combattre l'injuftice armée par l'orgueil
, deſtinations également utiles &
élevées. Mais quels fruits naiffent dans
les champs des unes & des autres ? ici
la lumiere , les arts , les commodités de
la vie : là je ne vois de toutes parts que
des défaftres & des funérailles. Que réfulte-
t-il de l'abus des unes ? quelques
difputes légeres & frivoles qui fe taiſent
devant la loi , quelques opinions hazardées
, dont le pis eft de duper un Lecteur
peu compétent;tandis quela pratique jour
naliere de l'autre enfante des fureurs qui
JUILLET. 1762 . 39
défolent la terre , & en font un Théâtre
de défeſpoir & d'effroi.
,
Faire & dire des grandes chofes ,
nous dit-on , voilà la différence qu'ily
a entre le Guerrier & l'Homme de Lettres.
Quoi les grandes chofes qui confiftent
à égorger , à détruire , à briller par les
débris & les calamités valent - elles mieux
que ces découvertes laborieufes qui
ont étendu amélioré le Commerce
,
l'Agriculture & les Arts néceffaires à la
vie , que la guerre opprime & dévore ?
Cicéron qui découvre une confpiration
profonde & terrible , qui retient Rome
au penchant du gouffre creufé par Catilina;
Demofthène dont la voix fait plus
contre Philippe que les armes desGrecs,
qui montre avec véhémence aux yeux
languiffans des Thébains l'orage qui
gronde fur les têtes ; Suger qui tâche
d'arrêter le fougueux torrent desCroifés
qui injuftement pieux alloient inonder
l'Afie & s'y engloutir ; le Citoyen qui
empêche par fes mefures , que dans cette
nuit effroyable qui couvrit tant de crimes
& de fureurs, la moitié des François
n'affaffinât l'autre , ne font- ils pas
des perfonnages plus chers à l'humanité ,
que les Céfars , les Alexandres , les Ataila
qui ont rempli la Terre d'allarmes
40 MERCURE DE FRANCE.
& de ruines ? Quoi le tableau qui nous
préfente Cicéron recevant du Peuple &
du Sénat attendris le titre de Père de
la Patrie qu'il vient de fauver , n'eſt-il
pas un fpectacle plus touchant & plus
glorieux , que les Généraux vainqueurs
qui entroient dans Rome en traînant
à leur char des Captifs & les dépouilles
fanglantes des Villes?
›
Ouvrez les Faſtes de l'Hiftoire & vous
y verrez depuis le berceau du monde
jufqu'à nous , une chaine non interrompue
de Guerriers farouches qui ont été
les fléaux de la terre ; tous les fiécles ,
tous les Empires toutes les Nations
ont eu leur Attila qui ont déchiré une
portion du Globe & qui ont tracé leur
nom au Temple de mémoire avec le
fang & les larmes des Peuples : Sefoftris
portant la foudre & la deftruction dans
tous les Pays fur un char traîné par des
Rois , & marquant fes pas dans l'Univers
par des malheurs & des ravages ;
Alexandre après avoir couvert de débris
& de tombeaux la Terre épouvantée ,
affamé des lauriers décorés du fang des
Peuples d'un autre Monde ; les Romains
courant à la Monarchie univerfelle fur
des trônes brifés & des villes en cendres ;
les Maures , les Goths, lesVandales fonJUILLET.
1762. 4J
dant de leurs forêts fur l'Empire Romain,
abattant ce coloffe qui couvroit la tèrre ,
& formant cent trônes de fes membres
épars & déchirés ; Mahomet annonçant
un Dieu le glaive en main , & le plaçant
à force de fang & d'impoftures fur les
Autels de la moitie de la tèrre ; & entre
une foule immenfe de deftructeurs &
de Conquérans , de nos jours les Efpagnols
découvrant un Monde nouveau
& le faifant Chrétien par le glaive &
le feu.
, Ouvrez les Faftes du Monde vous
y verrez Solon , Lycurgue , Numa faifant
germer les Loix , les vertus , les
moeurs dans des climats fauvages & groffiers
; Platon , Pythagore , voyageant
chez les Peuples & les Philofophes pour
y recueillir des vérités utiles à leur Patrie;
une foule de Sages & d'hommes laborieux
s'enfonçant dans la méditation &
l'étude pour y combiner ces Arts divers
qui portent la douceur & l'abondance
dans la Société.... Des Peuples
renommés par leur barbarie humanifés
& polis ; cette nuit épaiffe qui avoit couvert
douze fiécles des crimes impunis ,
des guèrres injuftes , & confondu les
-
droits , diffipée & remplacée par le plus
42 MERCURE DE FRANCE.
beau jour ; ces vaftes contrées du Nord
où n'avoient germé que la rudeffe &
la férocité , éclairées du flambeau des
Sciences & des Arts,maintenant fertiles en
talens & en vertus ; la raifon plus fumineufe
& plus fùre , les Nations plus rapprochées
: Tel eft le tableau que préfentent
les Sciences & les Lettres .
Defcartes , qui a quitté la Société
pour rompre les fers de la Raifon , paroiffant
tout - à - coup & brifant une
vaine idole qui enchaînoit les efprits
par les liens de l'ignorance & des préjugés
; Harvey qui découvre la circulation
du fang fi utile pour la connoiffance
& l'attaque des maladies qui nous
affligent Tronchin qui arrache à un
poifon jufqu'ici indompté l'efpérance de
la génération ; cette foule de héros géometres
allant par des fatigues & des
marches inouies déterminer la figure de
notre globe qu'il importoit tant de connoître
pour l'avantage & les progrès de la
Navigation & du Commerce , ne fontils
pas des hommes plus utiles & plus
grands que ceux qui trouvent l'uſage
du falpétre qui dévore les hommes & les
rochers ? de ces machines infernales qui
portent la deftruction dans tous les afyJUILLET.
1762 . 43
les ? de ces bombes,de ces canons , inftru
mens de notre rage & de nos défaſtres
de ces combinaifons qui enfeignent à
tuer beaucoup de monde en peu de
temps , & qui perfectionnent enfin le
fyftême affreux de la deftruction de
l'efpéce humaine ✈
La profeffion du Guerrier , bien entendue
, eft fans doute un état héroïque
& fublime ; mais fa gloire eft néceffairement
liée au malheur des hommes. Il
eft de beaux traits dans le fpectacle
fanglant de cette foule de Guerriers illuftres
feulement par des maffacres.
Trafibule , Epaminondas , Camille , du
Guefclin , font des héros immortels &
vantés ; mais leurs lauriers font rougis
de fang , & les hommes font avares
d'admiration pour une gloire que leurs
défaftres ont préparée. Qu'ils aiment
bien mieux le fouvenir de ces vertus
douces & bienfaifantes qui ont confolé
la Terre , & divinifé les Titus , les Antonins
, les Louis , que le fpectacle de
ces trophées qui couvrent tant de tombeaux
& de décombres ! C'est ici que je
défirerois que le Philofophe qui a étonné
un Siécle éclairé par le genre de
fes opinions & de fon éloquence , em44
MERCURE DE FRANCE.
ployât fes déclamations fortes & rapides
contre un Art funefte à l'humanité,
& non contre les Sciences & les Lettres
qui feront à jamais , quoiqu'il en dife ,
les délices & le bonheur des Peuples.
Qu'il mérite bien fon courroux Philofophique
cet Art qui épouvante & de-.
fole la Terre , qui rend les hommes furieux
& féroces comme l'ours , & qui
fait de l'Univers une arène où le déchirent
les Nations & les Empires , où
l'honneur & le profit d'avoir vaincu eft
d'avoir verfé beaucoup de fang & fait
beaucoup de ravages , & non les Sciences
& les Lettres qui tendent à rapprocher
, à unir les hommes & à ne faire
du monde entier qu'une vafte Société
dont elles formeroient les noeuds & les
canaux ! Là, je n'apperçois que des fuites
affreufes , un Art qui ne doit fa
naiffance qu'à nos paffions , qui ne fe
nourrit que de calamités & de larmes ;
ici , je vois une foule de biens verfés
fur la furface de la Terre , un
Art chargé des commodités qui charment
& rempliffent la vie. Là c'eft un
laurier lugubre qui ne croît qu'à force
d'être arrofé de fang , qui s'éléve dans
les débris & les funérailles dont la foif
rend l'homme injufte & barbare. Ici ,
JUILLET. 1762. 45
c'eſt un arbre fécond qui couvre la Terre
, & dont les rameaux portent des
fruits qui font le bonheur de l'humanité.
J'ai l'honneur d'être , &c.
Par un jeune homme de Province.
AM, de B *** , Chevalier de S. Louis,
Capitaine de C *** .
FILs de Bellone & d'Apollon ,
En dépit du Dieu d'Epidaure ,
Toi qui voles , dès ton aurore ,
Des champs de Mars , fur l'Hélicon !
Ne crains pas que ton feu s'énerve
Dans des lieux où tout ſçait charmer ;
Près de Pfyché , près de Minerve ,
On doit écrire & s'enflammer.
Je fens ici le ranimer ,
A ces noms , ma ſtérile
verve.
Mais , comment les bien exprimer >
Ami , que le Ciel me préſerve ,
Malgré Phébus d'ofer rimer
Un éloge qu'il te réferve !
Eléve du vif Hamilton ,
* Madame & Mlle de V***,
46 MERCURE DE FRANCE.
Ta lyre la fienne rappelle.
La mienne qui baiſſe d'un ton ,
Se borne à celui de Chapelle.
Par M. de LARDIERE , Auteur du MANTELET,&
de plufieurs Piéces fugitives répandues dans
les Journaux , Abonné au Mercure .
COUPLETS BACHICQUES.
AIR : A table je fuis Grégoire.
LOINN des tracas de la vie,
Qui n'augmentent que nos maux ,
Pour moi ma Philofophie
Eft au fond de mes tonneaux :
Pour oublier la miſére ,
Je bois du foir au matin ;
Et je ne quitte mon verre
Que pour careffer Catin.
Amis , fi par des largeffes
On appaifoit Atropos ,
Pour amaffer des richeſſes
Je n'aurois point de repos ;
Mais rien ne touchant la Parque ,
Pourquoi des foins fuperflus ?
Puifqu'il faut paffer la Barque
que pour Bacchus. Ne vivons
JUILLET. 1762. 47
De ce Dieu chantons les charmes ;
Par la divine Liqueur ,
Il diffipe les allarmes ,
Er des Belles la rigueur.
Si Cloris , pleine de Grace ,
Goute de ce jus divin ,
Sa froideur fait bientôt place
Aux doux tranſports de Colin.
Par M. le Comte de CHERVIL,
SALADIN A PHILIPPE AUGUSTE.
JEUNE & fage Héros , dont le coeur magnanime
Obtient de l'Univers & l'amour & l'eftime ;
Recevez les Captifs par vos dons rachetés ;
Envers vous , envers eux , j'ai rempli les traités;
La tréve dure encor : que ce foible avantage
D'une folide Paix foit enfin le préfage ;
Et puiffe un noeud fi faint , entre nous affermi ,
Me fauver du malheur d'être votre ennemi !
D'illuftres prifoniers reftés en ma puiſſance ,
Je voudrois adoucir le fort par ma clémence ;
Ils favent que leur Roi daigné gémir fur eux ,
Et fa pitié rendra leurs fers moins rigoureur.
Seigneur , pour vos fujets , quelle bonté vous
preffe !
Votre zéle inquiet , vos pleurs , votre tendreſſe,
48 MERCURE DE FRANCE.
Qui vous font d'un barbare implorer le ſecours ,
Sont des foins généreux ignorés dans nos Cours.
Qu'à vos voeux paternels le ciel toujours réponde!
Puiffent vous imiter les vrais Maîtres du Monde ;
Et préférer , s'il faut affervir l'Univers ,
La chaîne des bienfaits au dur lien des fers !
Je fçai que d'un courroux , peut-être , légitime ,
Chacun de vos François déplorable victime
Qui me vit de fes fers ordonner les apprêts ,
Croit pouvoir de les maux me reprocher l'excès.
Moi , cruel ! ... Ah Seigneur , daignez mieux me
connoître.
Sous votre empire heureux fi le fort m'eût fait
naître ,
Soufcrivant chaque jour à ce préſent des Dieux,
J'aurois pû m'applaudir d'être né vertueux.
Chacun de vos fujets à fon devoir fidéle ,
De toutes les vertus voit en vous le modele ,
Et fe croit toujours libre en vous obéiſſant ,
Moins foumis à la loi qu'à fon propre penchant.
Si , pour lui , votre coeur étoit moins acceſſible ;
Votre Peuple , fans- doute . à ce malheur fenfible
,
Libre encor , mais alors plus foumis à la loi ,
Reconnoîtroit en vous moins un père qu'un Roi.
Pour nous , infortunés , qui naiffons vils eſclaves,
La probité , l'honneur ont de dures entraves ;
Les hommes ne font point vertueux fans efpoir ;
La
JUILLET. 1762 . 49
La terreur , feul motif qui nous porte au devoir ,
Sur le front de nos Rois a ceint le Diadême ,
Et nous fait adorer leur volonté fuprême ;
La nôtre , dans les fers , a perdu ſes refforts ,
Et n'a plus vers le bien que d'impuiffans efforts.
Si notre heureux penchant à l'honneur nous invite
, •
Rapportant tout à lui , le Monarque en profite ,
Et les triftes Sujets , flétris , humiliés ,
Sont encor trop heureux de s'en voir oubliés.
La liberté chez nous ſous le joug affaiſſée ,
Peut-être n'eſt ailleurs qu'une fougue inſenſée ;
L'eſpoir de ce phantôme aux humains tant vanté,
Les entraîne aux excès de la férocité .
Malheureux comme nous mais toujours plus
coupables ,
"
En rejettant un Chef , des Peuples redoutables
Se livrent aux fureurs de cent Tyrans divers ,
Et ne font en effet qu'appeſantir leurs fers ,
Jufqu'à ce que la force à la fin les opprime.
Heureux qui reconnoît un Prince légitime
Chéri de fes Sujets autant que reſpecté !
Ce culte qu'en nos coeurs la Nature a dicté ,
Dès l'enfance du Monde a des traces conftantes ,
Et des premiers humains les familles errantes
S'unirent fous un Chef & reçurent les loix :
Sur vos heureux fujets , Seigneur , tels font vos
droits .
I. Vol. C
50 MERCURE DE FRANCE.
Quels qu'ils foient , cependant , des Maîtres de la
Tèrre
Nous devons révérer l'augufte caractère ,
A de fimples Mortels le Ciel n'a point permis
De condamner le Prince auquel ils font foumis.
A celui que je fers je dus l'obéiffance ;
Je dus par des rigueurs affermir fa puiſſance .
Vos François affrontoient la mort dans les combats
;
D'un deftin plus affreux pour eux que le trépas ,
Il fallut leur montrer l'appareil redoutable.
Sans doute qu'au pouvoir d'un vainqueur plus
traitable ,
Nos Chefs & nos Soldats eurent un fort plus doux,
Seigneur , un tel exemple eft dangereux pour
nous.
D'un Peuple de Héros dont vous êtes le père ,
Le repos , le bonheur , la gloire vous eft chère ;
Nos Sujets malheureux , vaincus comme vain-,
queurs ,
Ne fe flattent jamais d'intéreffer nos coeurs.
J'étois né loin du Trône , & j'y touche peut-être :
Mais d'esclaves nombreux fi le fort me rend maître
Ce n'est qu'un vil troupeau foumis à mon pouvoir
A qui la crainte feule inſpire le devoir ;
Hardi quand on le craint , fimple quand on l'op
prime ,
Et quel'impunité porteroit feule au crime.
JUILLET. 1762. 51
Du Soudan Noradin Miniſtre plus heureux ,
Des Chrétiens mal conduits & divifés entr'eux
Lorſque je difperfai la vaillante cohorte ,
Ce fut en oppofant la digue la plus forte
Au rapide torrent qui veut fondre fur nous.
Seigneur , quelques François tomberent fous nos
coups ,
D'autres plus malheureux languiffent dans nos
chaînes ;
Mais des vaftes états dont je conduis les rênes ,
Le fer de vos François a fait d'affreux deferts ;
Ils font affez vengés des maux qu'ils ont foufferts.
Du Peuple qui déja reconnoît mon empire ,
Tout esclave qu'il eft , le bonheur feul m'inſpire ;
Et ces voeux , quand mon coeur femble les dé
daigner ,
Sont les droits que fur lui je me fais pour régner.
O de l'humanité déplorable chimére !
J'étouffe en gémiſfant , la vertu qui m'eft chère ,
Vertu trop dangereufe en ces triftes climats ;
Et je feins des rigueurs que mon coeur ne ſent
pas ! ...
Par M. MOR
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
VERS à mettre en Mufique.
ECHOS , vous êtes indifcrets .
Quand je foupire
Pour Thémire
Vous répétez dans ces Forêts
Que je foupire
Pour Thémire ...
Echos , vous êtes indifcrets.
Mais quand l'inhumaine
Vous conte fa peine
Echos , vous reſtez muets.....
Echos , vous êtes trop difcrets.
Par M. Du M.
QUATRAIN pour mettre au bas du
Portrait de M. CARLE VANLOO
nommé premier Peintre du ROI.
Au gré des voeux publics , Carle eſt mis à fa
· place.
•
LOUIS depuis longtemps réfervoit cette grace ;
Un tel choix fait fans protecteur
Eft digne de l'Artifte , & de fon Bienfaiteur.
Par M. l'Abbé Delaunay, Lecteur , & Penfionnaire
dela Cour de Portugal,
JUILLET . 1762. 53
TRADUCTION d'une Ode Angloife
de M. PRIOR.
CHLOE , dans nos regards vous prétendez ſans
ceffe I
Deviner d'un chacun le penchant & l'humeur ;
Vous dites que les miens vous décélent un coeur
Auffi bien qu'à l'amour enclin à la trifteffe.
Je vois que vous avez pénétré mon fecret
Sans mettre votre efprit longtemps à la torture.
Lorfque fi furement on a lancé le trait ,
Il n'eft pas malaiſé de montrer la bleffure.
Comment fans vous aimer aurois-je pu vous voir ?
Jamais femme à mes yeux n'avoit paru fi belle ;
Mais , je l'éprouve trop , votre froideur eft tele
Que mon coeur eft toujours réduit au délelpoir.
Vous pouvez , de mon fort , arbitre fouveraine ,
Changer en un moment ma triſteſſe en gaîté.
Loin de gémir alors fous le poids de ma chaîne ,
J'en ferois & ma gloire , & ma félicité .
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
EPITRE à M. DE LILIA , Docteur
en Médecine de la Faculté de Montpel
lier , Aggrégé à celle de Lyon . Par M.
ROS AMBERT.
rox , dont le talent divin
A ton gré regle la nature ,
Apprends qu'Efculape murmure ;
La Jaloufie eft dans fon fein.
Il craint, & fa crainte eft fondée ;
Il doit trembler pour les autels ,
A tes pieds tu vois les Mortels ,
Quand la cour eft abandonnée .
Déjà la fiévre dans mes fens
Sembloit par la rage allumée :
Je m'abandonne à tes talens ;
Soudain fon ardeur eſt calmée ,
Tels on voit les flots en fureur
Troubler le féjour de Nérée,
Et porter dans l'âme altérée
Et le défordre & la terreur :
Neptune appaile cet orage ,
Le calme fuccéde aux horreurs ,
Et fait renaître dans les coeurs ,
L'eſpoir de gagner le rivage.
On dit que l'injufte Atropos
Tranchoit la trame de ma vie ;
!
JUILLET. 1762. 55
Mais que ta prudence înfinie
De les mains ravit les cizeaux .
Ta ſcience en fait une efclave
Que tu fais régir à ton choix :
Tel , le Belge à va Bohérave
A fa fierté donner des loix.
Pour peindre ce talent fublime
Qui rend tes Lauriers toujours verds ,
Je veux , dans l'ardeur qui m'anime
Des neuf Soeurs emprunter mes vers .
L'eſpoir me conduifoir vers elles ...
La crainte m'arrêta foudain :
Hélas ! je n'en obtiendrai rien :
La Fable les tient pour pucelles.
Mais laiffons ma foiblelle à part :
Quittons Momus , & fa manie :
Faut- il donc recourir à l'art ,
Quand du fujet l'âme eft remplie ?
Ai-je beſoin de leurs accens ,
Pour retracer cette éloquence
Qui met le calme dans les fens ,
En y répandant l'eſpérance ?
Elle m'a fait trouver le port ,
Dont m'eût écarté ma folie .
Si tu n'avois caché mon fort , ( a )
( a ) Le Médecin inftruit que l'Auteur avoit eu
deux abcès à la poitrine , lui cacha avec foin lefang
qu'il crachoit ; il le traita avec tant d'habileté & de
prudence , qu'en22jours il le guéritparfaitement.
Civ
56 MERCURE
DE
FRANCE
.
La crainte feule de la mort
Sans doute eût terminé ma vie.
Je vois l'aimable volupté
Reprendre fes droits fur mon âme?
De Vénus la céleſte flamme
Me rend la joie & la gaîté .
Tranquille au fond de ma retraite ,
Certain de ta fagacité ,
Ton ordre eft toujours reſpecté ,
Et ta volonté toujours faite.
Le Muſulman en vérité ,
Eft moins foumis à fon Prophéte.
Ta bonté s'oppofe aux fouhaits
Que forme un appétit yorace ;
Ton coeur gémit de fon audace ,
Maïs refte ferme en fes projets .
Tel on voit un Pilote habile ,
Quand l'Aquilon trouble les eaux ,
Malgré les cris des matelots ,
Conferver une âme tranquille.
Savant & profond dans ton art ,
La Raifon toujours te décide :
Jamais on ne donne au hazard ,
Lorſque Minerve eft notre guide.
Je vois l'Ariftarque envieux
S'élever contre cet ouvrage ,
Et vouloir prouver qu'à ton âge ,
Dans un art auffi périlleux ,
JUILLET. 1762.
57
On a pu découvrir un ſage ,
Jamais un mortel ſtudieux.
>> Qui compte une vie inutile ,
» Place Priam avnt Hector;
>> Mais les travaux du jeune Achille
» Ont ſçu l'égaler à Neftor.
D'Epidaure accepte l'empire ,
Des mains de l'amant de Daphné ; ( b )
Il déshérite Podalire , ( c)
Qui gémit fanse tre étonné.
Une heureuſe convalescence
Me promet de plus beaux deftins :
Je devrai la vie à tes foins ,
A ton fçavoir , à ta prudence ;
Et j'aurai les Dieux pour témoins
De ma jufte reconnoiſſance.
L'ingrat eft un monſtre à mes yeux ,
Et mon coeur frémiroit de l'être ,
Quand je te dois un nouvel être.
Apprends-moi donc à reconnoître
Un bienfait auffi précieux.
Pardon j'oubliois ta défenfe ;
L'ufage caufoit mon erreur :
Quand tu cherches la récompenfe ,
C'eſt toujours au fond de ton coeur.
( b ) Apollon , Dieu de la Médecine.
(c) Fameux Médecin , fils d'Efculape , qui
rendit degrands fervices aux Grecs pendant le fiege
de Troye.
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
Jadis on voyoit la patrie
Confacrer aux fameux Morrels
Et des Temples & des Autels ,
Pour prix de leur brillant génie.
Tu feras revivre ces temps
Que renverfa la barbarie ;
Et je prétends , malgré l'envie ,
Te donner le premier encens.
LE
E mot de la premiere Enigme du
mois de Juin eft la Façade du Louvre.
Celui de la feconde eft l'Oignon . Celui
du premier Logogryphe eft Réponse ,
dans lequel on trouve Rofe , Po, Pré ,
Or , Serpe , Eperon , Orne , Prône, Pro-
Je , Repos. Celui du fecond eft Chapeau
, où l'on trouve Pacha , Ah ! Puce
, Ache ( a ) , Hupe , Cape , Auch
Pau , Cap , Cep , Eau , Peau , Aa (b),
& Chape.
( a ) Apium medicinale.
b) Nom d'une & même de plufieurs riviéres .
મ
JUILLET. 1762. 59
ENIGM E.
Je fais pour qui je fers , d'un fort grand embarras , E
Et fatigue bientôt ceux à qui l'on m'attache ;
Mais je fuis fans reproche , & l'on ne dira pas`,
Que moi-même , jamais d'aucun je me détache,
Les ingrats au contraire , au mépris de mes foins
Me quittent fréquemment , dans leurs plus grands
befoins :
Auffi plus d'une fois , de cette indifférence ,
Un rapide trépas , eft devenu le prix ,
Quand très - ſouvent la vie eſt pour mes vrais amis
De leur amour pour moi , la jufte récompenſe.
Inutile à la Cour , très- néceſſaire au Camp,
Je ne fers qu'à cheval,& toujours en plein champ.
Ma mère fut la crainte , & ma fille et l'audace ;
Pour moi je ne connois ni courage , ni peur :
On n'en guérit jamais , dit-on , c'eſt une erreur ...
Le plus brave Guerrier convient que je la chaffe.
Mais pour la chaffer mieur , j'ai besoin de ma
foeur.
Par M. D. D'HENRIEREMONT , c. d. c.
G vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Je
AUTR E.
E vais où ? d'où je viens ; actif ou pareſſeux ,
Dans ma courſe rien ne m'arrête :
Je n'ai jamais ni pied ni tête ,
J'ai des bras , point de mains ; devine fi tu peux.
LOGO GRYPH E.
A M. CHALUMEAU de S. Domingue,
Auteur de celui fur le mot Réponse ,
qu'il m'a adreffé dans le Mercure de
Juin dernier.
PARAR des bagatelles fouvent
D'un Auteur le talent s'annonce ;
Ta Mafe peut , Damon , voler plus hardiment :
Qui ne feroit charmé de ta Réponse!
Ellayons de te repliquer.
Pour ne pas trop t'alambiquer ,
Je me børne à fix mots que je vais te décrire.
Celui qui les fait naître a huit lettres en tout ;
Il pouffe quelquefois un Raiſonneur à bout ;
Venons au réſultat : tel me garde & m'admire .
Pourfuis ! Tu me connois, ou finon tu fais rires
JUILLET. 1762.
61
Ce qui gâte une étoffe ; un Prophéte ; un Oiſeau
Qui babille autant que... tout beau ,
Seroit-il galant de le dire ?
Et ce qui plein partout eft pour nous d'un grand
IL
prix ,
Compte bien , ils y font tous fix.
DE CHARTRAIT , près Melun.
AUTR E.
L faut en convenir , je fuis une ruſée
Qui quelquefois fais voir bien du Pays ;
Tel qui fe frotte à moi ne fçait pas qui je fuis ,
Et pour tout dire enfin , je ne fuis point aifée.
Que ce début ne te rebute pas ,
Lecteur , fi tu veux me connoître ,
Ma diffection va peut-être
T'aider à fortir d'embarras.
Chez moi tu pourras voir , en uſant d'induſtrie ,
Cette beauté de Baotie
Qu'environné d'une flâme de feux .
Alla voir autrefois un Dieu
Un Météore ; une petite Ville ,
Dont la Loire arrofe les bords ;
Des métaux la ſource foffile ;
Ce rare , ce beau feu dont les brillans efforts
Malgré les affauts de l'Envie
=
Conduisent un Auteur à l'Immortalité ;
62 MERCURE DE FRANCE.
Une Riviere en Franconie ;
Le poifon de là Liberté ;
La partie molle & légère
Du plus néceſſaire aliment }
Ce que fait ordinairement
Devant un Magiftrat févère
Le Criminel qu'un aveu poſitif
Pourroit conduire à quelque fin tragique ;
Certaine Note de Muſique ;
Enfin un Pronom poffeffif.
Mais j'aurois dû plutôt me taire ,
Surtout après mon prélude orgueilleux :
Tout ce détail me dévoile à tes yeux ,
Et mon babil aura découvert le mystère.
Par M. DESMARAIS DU CHAMBON
en Limoufin , ces Mai 1762.
LA COQUETTE ,
RONDE A U.
BERGERI
Légère ,
Je crains tes appas :
Ton âme
S'enflâme ;
Mais tu n'aimes pas.
Bergere Le-ge- re,Jjee crains
W
tes
ap-
W
-pas,
Ton ame
Fin .
S'enflame,
Mais
tu n'aimes
pas.
Ta mine
Muti - ne, Prévient
et séduit , Mais vaine Hautai.ne , Tu
fuis qui te suit . Bergere . Tu vantes Tu
chantes L'amour et sa loi , Paroles Fri.-
voles , Tu n'aimes
que
toi .
Bergère
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND FILDEN
FOUNDATIONS
JUILLET. 1762. 63
Ta mine ,
Mutine ,
Prévient & féduit :
Mais vaine ,
Hautaine ,
Tu fuis qui te fuit.
Bergère &c.
Tu vantes ,
Tu chantes
L'Amour & fa loi.
Paroles
Frivoles :
Tu n'aimes que toi.
Bergère &c.
Paroles & Mufique de M. D. L. P.
64 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
-MÉMOIRES , pour fervir à l'Hiftoire
de la Vertu , extraits du Journal
d'une jeune Dame. Cologne , 1762 ,
4 vol. ini 2.
L.
A jeune Dame qui eft l'Héroïne de
ce Roman traduit de l'Anglois par M.
l'A. P , fe nomme Catherine Sidney
Bidulphe. Elle a perdu fon père dans
un âge fort tendre , & eft élevée fous
la conduite d'une mère eftimable
dans les plus étroites régles de la Vertu .
Elle a un frère beaucoup plus âgé qu'elle
, appellé le Chevalier Bidulphe , &
une Amie à qui elle révéle tous les fecrets
de fon coeur , & rend compte dans un
Journal , de tous les événemens de fa
vie. Elle a environ dix - huit ans lorſqu'elle
commence le récit de fes avantures. Son
frère a connu , dans le cours de fes
voyages , un nommé Falkland , Gentilhomme
Anglois , avec lequel il s'eft
lié d'amitié. Il lui a parlé de fa foeur
JUILLET. 1762. 65
& ils font convenus qu'à leur retour
à Londres , Falkland verra Mifs Bidulphe
, & la demandera en mariage fi
l'un & l'autre fe conviennent. Ici l'Auteur
fait le portrait de ce Falkland qui ,
avec beaucoup de bien & une belle
figure , a encore toutes les qualités
du coeur & de l'efprit. La jeune Bidulphe
eft moins riche ; mais elle ne lui
céde que par les avantages de la fortune.
La voir , l'aimer , la demander à fa
mère , font l'ouvrage d'un moment.
Le jour eft pris pour le mariage ; & ce.
jour n'eft pas éloigné ; mais comme l'hymen
eft fur le point de fe conclure , la
mère de Mifs Bidulphe apprend ou croit
apprendre que Falkland en aime
une autre. Cet Amant veut fe juftifier;
mais la trop vertueufe Madame
Bidulphe croit ne devoir écouter aucune
juftification , lorfqu'une fois Falkland eſt
convenu qu'en effet il a eu affaire avec
cette autre perfonne . Le Chevalier Bidulphe
a beau repréſenter à fa mère & à fa
foeur que c'eft une de ces avantures de jeuneffe,
dont peu d'hommes du Monde ont
été exempts . Ces deux femmes ne voient
dans cela , qu'un homme qui abuſe
d'une jeune fille , & qui ne peut réparer
,
fon honneur qu'en l'époufant. Prévenues
66 MERCURE DE FRANCE.
de cette idée que rien ne sçauroit leur
êter de l'efprit , elles perſiſtent à refuſer
la main de Falkland; & c'eſt de ce refus
conftant & opiniâtre , que naiffent tous
les malheurs qui arrivent à Mifs Bidul
phe. Le premier eft fon mariage avec
M. Arnil , qu'elle ne haïffoit pas à la vérité;
mais qu'elle n'aimoit pas autant que
Falkland. Ce mariage fe fait à la Campagne
dans le Château de Milady Grimfton.
Voici comment Mifs Bidulphe , que
nous appellerons déformais Mde Arnil ,
nous peint cette Milady Grimfton . » Elle
>> eft veuve depuis longtemps , & ri-
»che d'un gros douaire , avec lequel
» s'étant retirée dans fon Château , elle
» y vit auffi réguliérement qu'on le fait,
» dit- on , dans les Monaftères. Tous fes
»Domeftiques font nés avant le Déluge ;
» je crois que fes chevaux de caroffe ,
» n'ont pas moins de cinquante ans ; &
» jufqu'aux chiens du Château , tout eſt
» gris . Elle qui , dans fa jeuneffe même
» ne peut jamais avoir été belle , fe rend
» encore d'une figure plus défagréable
» par la manière bizarre dont elle fe met;
» vous la prendriez pour une Dame de
» la Cour de Charles I. On la trouve
» toujours habillée , & je crois qu'elle
» couche toute vêtue ; car dès l'heure
JUILLET. 1762. 67
» du déjeûné , elle eft dans toute fa pa-
» rure du vieux temps. Ma mère à la
» plus haute opinion d'elle , & prétend
» qu'elle connoît mieux le monde, qu'au-
» cune autre femme de fa connoiffance ;
» je le veux bien ; mais c'eft affurément
l'ancien Monde , car depuis trente ans ,
» Milady Grimfton n'a pas fait dix milles
» hors de fa maifon.... Tous nos mou-
» vemens font auffi réglés ici , que
» l'Horloge du Château . On fe léve á
fix heures préciſes ; le déjeuné fonne
» à huit , à dix la cloche affemble un
»vénérable auditoire pour la Priére qu'un
» vieux Prêtre , Curé de la Paroiffe , &
Chapelain de la Dame , nous récite
» tous les jours. Enfuite les vieux che-
" vaux font attelés au vieux Caroffe ; &
» Milady avec fes Hôtes , s'ils veulent
» être de la partie , s'en va prendre l'air ,
» allant toujours & revenant par la même
» route, toujours jufqu'au même endroit,
» & jamais plus loin. A midi on ſe met
» à table dans une falle à manger qui
» contiendroit une Communautéentiére .
» Milady prononce un Benedicite d'une
» heure de long ; & l'on eft fervi par
» quatre vénérables Laquais , car elle
» aime la parade ; & fes propres gens font
» les feuls qui foient admis dans la falle.
68 MERCURE DE FRANCE.
» Tout l'après-midi eft abandonné à no-
» tre difpofition ; ou du moins c'eſt une
» liberté qu'on a l'indulgence de m'ac-
» corder.... Les matins & les foirs font
» du même ton. L'heure du fouper eft-
» elle arrivée ? C'eſt le même cérémo-
» nial qu'à dîner. A dix heures préciſes
» au premier fon de l'Horloge , Milady
» feléve avec beaucoup de folemnité, &
» nous fouhaite une bonne nuit .
Le Chevalier Bidulphe n'avoit point
approuvé le mariage de fa foeur avec
M.Arnil; il auroit voulu qu'avant de contracter
cet engagement , elle eût écouté
la juftification de Falkland , & furtout
qu'elle eût vu la jeune perfonne avec qui
ce dernier avoit eu affaire . C'étoit Mifs
Burchill , niéce de Madame Goring , qui
jouera déformais un grand rôle dans ce
Roman, Falkland n'avoit jamais aimé
Mifs Burchill, & s'il avoit eu fes faveurs ,
c'étoit elle-même qui avoit fait toutes les
avances par le confeil de fa tante , qui
vouloit en tirer de l'argent. Falkland
paya en effet fort cher à Madame Goring
le plaifir qu'il goûta avec fa niéce ; &
tant qu'avoit duré ce commerce , non
ſeulement il ne s'étoit pas engagé à l'époufer
; mais il l'avoit même affurée qu'il
avoit des vues fur une autre perfonne.
JUILLET. 1762. 69
Cette liaiſon ne devoit donc pas être un
obſtacle à fon mariage avec Mifs Bidulphe.
C'eft néanmoins ce qu'on ne put
jamais faire entendre à la mère , qui ne
voulut écouter là-deffus aucune explication.
Mifs Burchill s'étoit elle-même chargée
de défabufer cette mère trop abfolue
dans fes volontés ; il eft vrai qu'elle
s'acquitta mal de fa commiffion ; & toute
cette négociation finit par le mariage de
Miſs Bidulphe , avec M. Arnil. Cet hymen
fut heureux pendant les premieres
années ; Madame Arnil devint mère de
deux filles charmantes ; & rien ne manqua
à fon bonheur tant que dura la tendreffe
de fon mari. Malheureuſement
l'intrigante Madame Goring , qui étoit
encore jeune & jolie , l'attacha à fon
char , & n'omit rien pour l'éloigner de
fon époufe. M. Arnil eft jaloux de
Falkland , & Madame Goring l'entretient
dans cette paffion dont fa
malheureufe femme devient la victime .
Les dépenfes de M. Arnil avec Madame
Goring , dérangent fa fortune , & réduifent
fon épouſe à la dernière misère. Falkland
fent de quelle conféquence il eft
de rompre cette déteftable union ; il fe
charge de ce foin , & voici comment il
s'y prend pour délivrer Madame Arnil
70 MERCURE DE FRANCE.
1
de fa rivale . Il feint d'être amoureux de
Madame Goring ; & au fortir d'une partie
de Bal, fous prétexte de la ramener
chez elle , il l'enléve , & lui fait prendre
le chemin de la France, Arrivé à Calais ,
illui repréſenta le tort qu'elle avoit fait à
Mde Arnil par fa liaiſon avec le mari ;
& après l'avoir touchée de
compaffion ,
il l'engagea à écrire à M. Arnil , qu'il
n'y avoit pas le moindre fondement de
vérité dans les accufations dont elle avoit
noirci fa vertueufe époufe. Cette Lettre
eft envoyée à Londres ; & pour finir
cette Comédie , Falkland fe propoſe de
marier Madame Goring avee Pernol, fon
Valet-de- Chambre. Ce Pernol étoit François
; & par les avantages que lui fit ſon
Maître , il accepta la main que Madame
Goring fe vit comme forcée de lui donner.
La converfation
qu'eurent à ce fujet
M. Falkland & Madame Goring , eft
un des endroits duRoman qui fe font lire
avec plus de plaifir. Pernelfe retire dans
fon Pays avec fa femme ; & il n'eft
plus queſtion d'eux qu'à la fin du Livre ,
où l'on apprend que les deux époux ne
pouvant vivre longtemps enfemble , Madame
Goring quitte fon mari pour venir
mourir
déshonorée &
malheureuſe en
Angleterre . Nous allons donc reprendre
JUILLET. 1762. 7.1
l'hiftoire de Madame Arnil. Son mari
qui l'avoit quittée pour s'attacher à Mde
Goring , ne tarda pas à fe rapprocher
d'elle ; & fa femme qui l'aimoit , & qui
d'ailleurs étoit très- vertueufe , fit prèſque
tous les frais de la réconciliation . Mais
ils ne jouirent pas longtemps enſemble
de la douceur de ce
raccommodement.
Une chûte que fit M. Arnil , lui caufa
une bleffure dont il mourut après plufieurs
jours de fouffrances les plus cruelles
. On ne fera peut-être pas fâché de
voir comment font racontées par un des
gens de Madame Arnil , les circonftances
de cette mort. » Le malade fentant
» que fa fin approchoit , fouhaita que
» les Prieres de l'Eglife fuffent récitées
$
auprès de lui , Madame Arnil envoya
» auffitôt chez le Miniftre du Bourg ;
» mais il étoit depuis quelques jours en
» voyage. Son Vicaire avoit été faifi la
» nuit précédente d'une fiévre aigue qui
» ne lui permettoit pas de quitter fon
» lit. Madame s'approchant du lit du ma-
» lade , lui dit : mon cher , notre Mi-
» niftre eft abfent , fon Vicaire eft ma-
» lade au lit ; & nous ne pouvons nous
» procurer ce foir la vifite d'aucun autre
Eccléfiaftique . Mais comme vous de
» firez de vous occuper des chofes du
72 MERCURE DE FRANCE .
""
"
» Ciel , trouvez-vous bon que je life
près de vous les Prieres pour les ma-
" lades ? Il tendit la main vers elle , en
» difant d'une voix foible , mais empref-
» fée : oui , mon cher ange. Les larmes
» couloient des yeux de Madame , lorfqu'elle
tourna la tête vers nous . Mais les
» ayant auffitôt éffuyées , elle nous pria
» de la feconder dans l'office qu'elle al-
» loit faire ; & quoique fon entrepriſe
» nous dit - elle , fût peut - être irré-
» gulière , elle efpéroit que dans un
» cas de néceffité , fes intentions feroicnt
» approuvées du Ciel. Elle fe fit apporter
» le Livre de Prieres ; & fans ajouter
» un mot , elle fe mit à genoux devant
» le lit de M. Arnil. Jamais je n'ai vu
de fpectacle fi touchant. Ses beaux
" yeux & fes belles mains fe leverent
» vers le Ciel , lorfqu'on eut mis de-
» vant elle le Livre ouvert fur une
" petite table. Quel air de refpect ,
» d'ardeur , & cependant de trifteffe
» dans fes yeux charmans ? Elle me pa-
>> rut quelque chofe de plus qu'humain .
» Après avoir invoqué le Ciel en filence
» dans cette pofture , elle commença la
» lecture des Prieres.... A l'endroit où
» la formule s'étend fur l'approche de
» la dernière diffolution , fa voix parut
"
un
JUILLET. 1762. 73
un peu troublée elle s'arrêta même
» un inftant ; mais reprenant auffi-
» tôt , elle pourſuivit jufqu'à la fin d'un
» ton ferme . Tout le monde , à l'excep
» tion d'elle-même fondoit en larmes
» autour d'elle . Après avoir achevé
» elle nous remercia triftement ; & s'af-
» féyant près du lit , elle y demeura dans
» une attitude compofée & dans un pro-
» fond filence. Vers minuit , trouvant
» que M. Arnil avoit perdu l'ufage de
» la voix , je la conjurai de fe retirer
» dans fa chambre. Souffrez , répondit-
» elle , que je fois ici quelques inftans
» de plus. Je vois que ma tâche ne fera
» pas longue ; il y auroit eu de la dureté
» à la preffer. Elle continua d'être im-
» mobile dans la même place . A deux
» heures M. Arnil pouffa un profond
» gémiffement. C'étoit fon derrier fou-
» pir. Il eft paffé , dit- elle d'une voix
» foible & tremblante en s'élançant
» de fa chaife. Elle prit une de fes mains
» qui étoit fur la couverture du lit , &
» la portant à fes lévres , elle l'y tint près
d'une minute ; enfuite , fans aucune
» autre démonftration de douleur , elle
» fortit de la chambre..... Elle s'eft ren-
» fermée pendant tout le reste de la nuit;
elle n'a voulu fouffrir perfonne auprès
I. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
» d'elle. Il eft aifé de s'imaginer l'em
" ploi qu'elle a fait du temps. Le ma-
,
tin une très-vertueufe Dame du voi-
» finage l'eft venue prendre dans fon
carroffe , elle & fes deux enfans . Elle
» n'a ni refufé ni confenti ' ; elle nous
a laiffé faire d'elle tout ce que nous
» avons defiré , fans ouvrir la bouche
"& elle s'eft laiffée »& conduire par laDame
» & moi jufqu'à la voiture ; mais la
» vue des deux enfans l'a jettée dans
» une telle agonie , que je me fuis crue
» prête à mourir du feul fpectacle ,
» &c. &c.
La Mort de M. Arnil , rappelle au
Chevalier Bidulphe , le deffein de marier
la veuve avec fon ami Falkland. Il
communique ce projet à fa foeur ; mais
les raifons qui l'avoient détournée autrefois
de ce mariage , fubfiftoient tou.
jours ; & la mère de Madame Arnil y
étoit plus oppofée que jamais , depuis
qu'elle avoit fait connoiffance avec Mifs
Burchill, & qu'elle avoit pris cette fille
en amitié, Non -feulement la veuve de
M. Arnil refufa le mariage qui lui étoit
propofé par fon frère ; mais elle employa
tout fon pouvoir pour engager
Falkland , à époufer Mifs Burchill ,
dont il avoit eu un enfant. Falkland
JUILLET. 1762 . 75
fe rend à fes inftances ; & ce mariage
fi contraire aux vues du Chevalier Bidulphe
, comble de joie fa mère & fa
foeur. Il n'en eft que plus irrité contre
l'une & l'autre , mais furtout contre
fa foeur ; car le grand âge de fa
mère & fa mort qui arriva peu de
temps après , ne lui permirent pas de
conferver longtemps fon reffentiment.
Il tourna toute fa colère contre Madame
Arnil ; & la fortune de cette
veuve ayant été prefque détruite par
le dérangement de fon mari , elle ne
trouva aucune reffource dans un frère
qui quoique fort riche , refufa toujours
de lui porter aucun fecours.
Ici la fcène s'ouvre à un nouvel Acteur
qui l'occupera prèfque jufqu'à la
fin du Roman . Cet homme fe nomme
M. Warner , dont le caractère approche
beaucoup de celui de M. Friport , dans
la Comédie de l'Ecoffoife. Il vient un
matin trouver Mde Arnil , & fe dit fon
plus proche parent. Il yavoit plus de
25 ans qu'il s'étoit embarquépour les Indes
; & fe préfentant fous un habit fort
fimple , il n'a pas de peine à faire croire
qu'il a été maltraité par le fort , & qu'il
fe trouve actuellement fans reffource. Sa
pauvreté eft une raifon de plus qui en-
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
·
gage la vertueufe veuve à le bien recevoir
, & à partager avec lui le peu d'argent
qui lui refte. La réception que lui
fait le Chevalier Bidulphe , fon coufin
& frère de Madame Arnil , eft bien différente
; il faut la lui entendre raconter
à lui- même . »J'ai trouvé dans un grand
» cabinet votre frère & votre belle -four
» qui étoient à déjeuner. Il y avoit du
» caffé & du chocolat fur la table. Je
" fis très refpectueuſe révérence. A une
» peine la Dame remua la tête . Votre
frère m'ayant regardé de la tête aux
"pieds , & fixant les yeux fur mon vifa-
» ge , me dit : votre ferviteur , Monfieur ,
» Monfieur , dis-je , m'auriez-vous tout-
» à-fait oublié ? Pour moi , je vous ai
» remis parfaitement. Il me répondit en
héfitant , avec un changement de con-
» tenance qui ne me promettoit rien
» d'heureux je vous protefte , Monfieur
, que je ne vous connois
nullement. Quoi ! Monfieur le Che-
» valier , vous avez oublié votre Coufin
" Edouard Warner ? Il fe tourna vers
» fa femme ; elle vers lui ; ils fe regar-
» derent avec un fourire forcé , qu'elle
» lui rendit , fans favoir apparemment
» pourquoi. Je me fouviens de ce nom
» qui étoit celui d'un parent de la famille,
» mort , je crois , depuis long- temps ;
99
99
JUILLET. 1762 . 77
mais quand il feroit encore au mon-
» de , s'il falloit me rappeller fa figure ,
c'eft de fi loin .... qu'en vérité ! .... je
" doute que je le puiffe. Pendant ce
» prélude , il me laiffa fur mes jambes ;
»il étoit étendu fur une chaife commode,
une taffe de chocolat à la main l'ap-
» prochant de fes lévres & me parlant
tour-à -tour . Sa femme excitoit à manger
une petite Perruche qui étoit per-
» chée fur fon épaule . Je dois être plus
» changé que vous , Monfieur le Che-
"
valier ce que j'ai fouffert , & ma
» longue réfidence dans un climat enflammé
, en font deux bonnes raifons :
mais eft-il poffible qu'il ne vous refte
» rien de mes traits , nul fouvenir de
» ma voix ? Je vous ai porté mille fois
» dans mes bras . Monfieur, me répondit-
» il , je ne veux pas difputer de l'iden-
» tité de votre perfonne ; mais je ferois
» bien aife de favoir ce que vous avez
» à m'ordonner. A vous ordonner , Mon-
» fieur ? Le pauvre demande des graces ,
» & n'ordonne rien. Je lui racontai ma
"
malheureuſe avanture dans les mêmes
» termes que vous venez de l'entendre .
» Sa Dame parut n'y faire aucune attention
, mais ceffa de parler à fon Perro-
» quet. Lui , prêta l'oreille à mon ré-
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
» cit , mais avec tant d'impatience dans
"les yeux , que j'en demeurai interdit..
»J'étois encore debout ; cependant pour
» rendre ma pofture un peu plus ferme
» je m'étois hazardé à me foutenir fur
» le dos d'une chaife. Lorfque j'eus fini ,
» votre frère s'emporta beaucoup , &
» parut avoir médité cette fcène , pen-
» dant que j'étois encore appuyé . Il
» marcha violemment jufqu'au bout.
» de la chambre , & fe tournant vers
» fa Dame : charmante avanture , que
» celle d'un homme qui s'ouvre à toute
» forte de prix l'entrée de cette maiſon ,
» & devient tout d'un coup un parent
» qui nous demande l'aumône ! .... En
ɔɔ üń mot , Monfieur , je ne puis rien
» faire pour vous ; qu'attendez-vous donc
» de moi ? Je lui proteftai que mes vues
» n'étoient pas d'être un fardeau pour lui.
» Je ſuis fait , lui dis-je , aux affaires :
j'ai la main fort bonne , & j'entends
» les comptes. Mon efpérance eft d'en-
» trer chez quelque Négociant. Mais
» dans l'intervalle , je meurs de faim .
ود
Je ne fuis ici qu'un étranger , quoi- :
» qu'au fein de ma patrie. J'obfervai
» qu'il portoit la main à fa poche , com-
» me pour chercher quelque monnoie.
» Chevalier , lui dit fa femme qui l'a-
" voit obfervé comme moi , c'eſt perJUILLET.
1762. 79
"
" dre fa peine & fon argent , que d'ou-
» vrir fa bourſe pour les gens de cette
» forte ; ayez cette générofité pour l'un ,
» ils en font paroitre un autre qui s'at-
» tribue les mêmes droits . Votre frère
» alors retira la main de fa poche , com-
» me fi les regards de fa femme l'euf-
» fent arrêté. Monfieur , me dit- il impérieuſement
, je ne puis vous affifter
, & c. & c .
Ce M. Warner avoit gagné des richeffes
immenfes dans le commerce ; &
n'ayant point d'enfans , il ne contrefaifoit
ainfi le pauvre , que pour mettre le
coeurde fes parens à l'épreuve à fon retour
des Indes, & faire part de fon bien à ceux
d'entr'eux qui le mériteroient davantage.
Après la réception fingulière que lui fit le
Chevalier Bidulphe , tous fes foins & fes
largeffes , fe tournerent du côté de Mde
Arnil ; il lui donna un hôtel fuperbe ,
un équipage brillant & la mit enfin en état
d'exciter la jaloufie de fon frère . Ce dernier
chercha à fe raccommoder avec elle ; &
Madame Arnil , y apporta la plus grande
facilité. Un jour qu'il étoit à diner
chez elle avec fa femme , M. Warner ,
pour fe venger de la fcène que nous
venons de rapporter , y arriva fur la
fin du diner. C'eſt encore un tableau
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
que nous allons mettre fous les yeux
du Lecteur ; il forme un contraſte divertiffant
avec la ſcène précédente. C'eft
Madame Arnil qui fait ce récit. » La
»porte s'eft ouverte ; un Laquais eft
» entré brufquement..... M. Warner.....
» auffitôt mon cher Coufin s'eft avancé
» d'un pas très-majeftueux ; paré , je
» vous en affure ; une grande & belle
» perruque nouée , où la poudre n'étoit
pas épargnée ; un jufte-au-corps de
» velours couleur de canelle fur une
» vefte d'un riche drap d'or , avec un
» volant de gros de Naples , petit gris ,
doublé de martre , & relevé de brandebourg
d'or à glands ; la canne à
» pomme d'or , d'un riche travail ;
" bas de foye blancs , à coins brodés
» d'or , cravatte longue & manchettes
du plus beau point.... Il a a jetté un
" coup d'oeil hautain fur le Chevalier &
fur fa femme qui s'étoient levés à fa
» vue ; & continuant de marcher droit
» à moi , il s'eft arrêté pour me faire
une profonde révérence . Il s'eft affis
» près de moi. Un court filence a fui-
» vi ; je l'ai rompu pour offrir à M. War-
» ner un verre de vin grec . J'avois peine
» à ne pas fourire de l'embarras où je
" voyois mon frère & fa Milady. Mon
JUILLET. 1762.
81
" Coufin en jouiffoit , & les regardoit
» tous deux , mais a feint de ne les pas
» connoître . Mon frère a pris la bou-
» teille pour refuge , a bû à ma fanté ,
» & s'eft incliné affez civilement vers
» M. Warner , en fe contentant de pro-
» noncer le mot de Monfieur. A peine
» l'autre a daigné répondre par une lé-
» gére inclination de tête. Enfin , s'adreffant
à moi , Coufine , fi vous n'aviez
» pas beaucoup d'averfion pour le tabac
, je vous demanderois la permif-
» fion de me faire apporter une pipe :
» c'eſt mon uſage après le diner..... "Fai
» répondu pour moi - même , que rien
» ne m'incommodoit ; & j'ai confulté des
» yeux ma belle-four ; elle ne m'a fait
» aucune réponse ; & notre Coufin fans
» étendre fes attentions plus loin , s'eft
» fait allumer un flambeau qu'on a pla
» cé près de lui ; & s'étendant fur ſa
» chaife , une jambe croifée fur l'autre
» il s'eft hâté d'allumerfa pipe , en pouf-
" fant des nuées épaiffes de fumée au
» nez de ma belle-foeur qui fe trouvoit
affife à fa droite ... Après avoir excef-
» fivement touffé , elle s'eft levée tout en
pleurs , & s'eft retirée à l'autre bout
» de la falle. Mon vieil Indien en a ri
» jufqu'à perdre haleine , tendant le cou
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
"
"
après elle , & me regardant comme s'il
" eut voulu dire que je fuis joyeux
» de l'avoir éloignée! ... Je dis à ma bellefoeur
de paffer dans le fallon où j'al-
» lois faire porter le caffé & la fuivre .
» Oui , a dit le Chevalier , en la pre-
» nant par la main ; fauvons - nous de
» l'horrible athmofphère que cet hon-
" nête Gentilhomme éléve autour de
» nous . L'honnête Gentilhomme n'a pas
daigné jetter un regard fur eux ; &
" ma foeur eft fortie de la falle avec
" fon mari. Auffi- tôt M. Warner a
» quitté fa pipe ; & frappant la table
» du poing , il a fait un éclat de rire .
» Dieu , Dieu ! a-t-il dit , tôt ou tard
» l'orgueil eft rabattu : je les crois hon-
» nêtement humiliés : quelle grotesque
» figure ils ont fait tous deux ! Coufine ,
» je fuis fatisfait à préfent ; je me trou-
"ve bien vengé. Vous pouvez aller les
» joindre & prendre le caffé avec eux.
» Adieu je vous reverrai .
Les richeffes que M. Warner prodiguoit
à Madame Arnil , mettoient cette
veuve vertueuſe en état d'en faire un noble
& pieux ufage ; c'eft ce qui donne
lieu à quelques Epifodes , que nous
fupprimons ici , pour reprendre la fuite
de l'histoire de Falkland , que nous
JUILLET. 1762. 83
avons vu marié à Mifs Burchill par
les inftances de Madame Arnil. Elle
ne tarda pas à fe repentir de l'avoir
engagé dans des liens qui lui devinrent
funeftes. Cet époux malheureux furprit
fa femme en adultère , & voulut punir
de mort celui avec qui elle lui faifoit
cet outrage : il crut en même temps
avoir ôté la vie à fon époufe. Obligé de
quitter l'Irlande où il demeuroit alors , il
vient ſe réfugier chez Madame Arnil , à
qui il raconte toutes les circonſtances de
cette avanture . M. Warner eft encore ici
d'un grand fecours & par fes richeſſes &
par fes confeils. Les idées de mariage
entre Falkland & Madame Arnil , fe
repréfentent de nouveau ; M. Warner le
defire avec ardeur ; applanit toutes les
difficultés ; cet hymen fe conclut , & eft
célébré en préſence de peu de témoins.
Mais comme il n'y a point de fureté pour
le mari de refter en Angleterre , on le
fait partir pour la Hollande incontinent
après la célébration du mariage. Il y
avoit près de huit jours qu'il étoit arrivé
à la Haye , lorfqu'on apprend par une
Lettre d'Irlande , que fa première épouse
n'eft pas morte.Madame Arnila le courage
de furvivre à cette nouvelle ; mais
la mort de Falkland qui arrive peu de
D vj
84 MERCURE DE FRANCE .
temps après , paroît avoir été volontaire ;
& l'Auteur donne à entendre qu'il a luimême
précipité la fin de fes jours. Madame
Arnil paffe le refte de fa vie dans
la retraite , où de nouveaux malheurs
donnent un nouveau luftre à fa vertu.
On ne peut nier qu'il n'y ait dans ce
Roman des fituations très-intéreffantes ,
& que la vertu n'y paroiffe dans le plus
grand éclat . Peut -être y trouvera-t -on
des détails peu vraisemblables ; mais il
n'y en a point qui bleffent la bienféance.
Les caractères y font variés & bien foutenus
; & l'intérêt de curiofité
jufqu'à la fin . Quant au ſtyle du Traducteur
, il paroît afforti au genre de l'Ouvrage.
augmente
LETTRE à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure , fur le Spectacle
de l'Hiftoire Romaine.
J'ai lu avec le plus grand plaifir , Monfieur
, dans le fecond Volume du Mercure
du mois de Février dernier , une
Piéce de Vers à la louange de M. Philippe
, Cenfeur Royal & Profeffeur
d'Hiftoire , dicteé par la reconnoiffance
de l'un des Auditeurs de fon cours annuel
& gratuit ; & qu'un autre lui a déJUILLET.
1762.
robée pour vous l'adreffer dans le deffein
, à ce qu'il paroît en la rendant
publique , de manifefter, de fa
mêmes fentimens.
part les
Tout ce qui a l'air de fentiment ne
peut manquer d'être accueilli favorablement;
& je fuis perfuadé que vos Lecteurs
auront fù le diftinguer de tout ce
qui n'a pour objet que l'amufement de
l'efprit.
Auditeur moi - même de ces leçons
publiques & gratuites de M. Ph ... je
partage avec eux leur reconnoiffance
& je crois pouvoir affurer que ce fentiment
nous eft commun avec toutes les
perfonnes de l'un & de l'autre féxe qui
fréquentent les mêmes leçons .
Mais qu'il me foit permis de le dire ,
l'Auteur de cette Piéce de Vers , quelqu'ingénieufe
qu'elle foit d'ailleurs
femble néanmoins laiffer defirer quelque
chofe ; & je préfume que le Public
auroit été plus fatisfait encore , fi cet
Auteur , auffi touché de l'intérêt général
que du fien propre , au lieu de la petite
Note qu'il a cru néceffaire à l'intelligence
de quelques Vers, & qui indique une
allufion faite à un ouvrage de M. Ph...
qui vient de paroître & qui a pour titre
Le Spectacle de l'Hiftoire Romaine ,
86 MERCURE DE FRANCE .
avoit daigné en même temps l'inftruire
de la nature & du mérite de cet Ouvrage
qui lui étoit fi connu. Le Libraire
Lottin l'aîné , rue S. Jacques , proche
S. Yves , le débite actuellement.
Pour y fuppléer , en vous priant
Monfieur , d'inférer pareillement cette
Lettre dans votre Mercure , permettez
que le Public puiffe trouver à la fuite
un expofé du motif , du plan , & de l'exécution
de cet Ouvrage dont il est l'objet
, & quelques-unes des réfléxions qui
fe préfentent naturellement à l'efprit fur
l'avantage qui peut en résulter pour bien
des claffes de Citoyens.
Inftruit par une expérience de près
de vingt- cinq années fur la manière ,foit
d'étudier , foit d'enſeigner Hiſtoire , M.
Ph... s'eft vu à portée de connoître les
moyens les plus propres à abréger cette
étude ; à en applanir les difficultés , & à
la rendre également utile & agréable.
Zélé Citoyen , & pénétré de tout l'avantage
de cette Science pour la culture
de l'efprit , il a dirigé toutes fes vues
pour faire partager au Public le fruit
de fon expérience & de fes méditations .
Un Cours de leçons publiques & gratuites
fur l'Hiftoire a été depuis longtemps
le premier pas que lui ont fuggéJUILLET.
1762 . 87
ré fon zéle & fon amour pour une Scien- ,
ce dont il a fait & fon état & fes délices .
Le nombre de fes Auditeurs , de tout
âge de l'un & de l'autre féxe , l'affiduité
la plus exacte & la plus conftante du
féxe le plus délicat , fans égard pour la
rigueur ou l'incommodité des faifons ,
les éloges qui ont fouvent interrompu.
le cours des Séances , par lefquels les
Auditeurs fe font opiniâtré de forcer la
modeſtie de celui qui préfidoit , & dont
quelques-uns ont tranfpiré dans le Public
; enfin ces éloges mêmes qui ont
fourni la matière & l'occafion de cet expofé
, juftifient d'une manière affez ſenfible
, l'heureux choix & le fuccès des
moyens que M. Ph... met en ufage , foit
pour infpirer à fes Auditeurs fon goût.
& fon amour pour l'étude de l'Hiſtoire ,
foit pour en écarter les épines ou en applanir
les difficultés .
Non content de communiquer ainfi
fes lumières & le fruit de fes travaux , à
un Peuple d'Auditeurs , M. Ph... s'eft
propofé de les rendre également utiles à
tous ceux généralement , qui avec le
même defir de cultiver leur efprit par
l'étude de cette Science , n'étoient pas
à portée d'entendre fes leçons & d'en
profiter ; tels font les vues & le motifqui
88 MERCURE DE FRANCE.
ont donné naiffance à l'Ouvrage que M.
Ph... préſente au Public .
Le plan qu'il a jugé propre au fuccès
de ces vues , paroît fort fimple , c'eft de
parler aux yeux & de leur peindre l'Hiftoire.
C'eft une vérité d'expérience , que ce
qui s'infinue par les yeux dans l'efprit ,
le faifit plus vivement & y laiffe des traces
plus profondes que ce qui n'y entre
que par les oreilles ; tout le Public , par
ce moyen , fera à portée de profiter des
leçons de M. Ph... On fent d'avance
qu'elles peuvent devenir intéreffantes ;
l'exécution de ce plan en fera mieux
connoître encore les avantages.
Le Spectacle de l'Hiftoire Romaine
depuis la fondation de Rome jufqu'à la
deftruction de l'Empire d'Orient & la
priſe de Conftantinople par Mahomet II.
en 1453. eft le début par lequel M. Ph...
commence l'exercice de fes leçons muettes
fur l'Hiftoire .
Cette Hiftoire fi connue , fi fertile en
événemens , en grands hommes , qui
dans fes premiers commencemens tient
aux plus anciennes Monarchies , qui dans
fon milieu forme l'Hiftoire du Monde
alors connu , & qui vers fa fin nous don
ne la clef du Monde préſent , méritoit à
JUILLET. 1762.
tous égards cette préférence de M. Phu
& le Public ne pourra qu'applaudir a
choix de ce Spectacle , qui du même
coup d'oeil lui fait appercevoir l'état ancien
& moderne de ce Monde .
Une centaine de tableaux environ ,
chacun deſtiné à repréſenter un des principaux
événemens de cette Hiftoire, doit
fervir à en former le Spectacle entier.
Tel fut , s'il eft permis de comparer
les grandes chofes aux petites , & l'Hiftoire
du Siége d'une Ville à l'Hiſtoiré
d'un Peuple entier , tel fut le fpectacle
du Siége & de la prife de Troye que
Didon , Reine de Carthage , fit , au rapport
de Virgile , autrefois repréfenter für
les murs du Temple de cettte Ville , &
qui en offroit aux yeux les cataſtrophes
les plus frappantes.
Chacun de ces tableaux gravés en
taille douce , repréfentera non feulement
l'action ou l'événement principal ;
mais encore tout ce qui a pu préparer
ou conduire au dénoûment .
Les geftes , les attitudes des Perfonnages
, le champ & le fite du tableaut
& tout ce qui peut fervir à peindre
les moeurs & le coftume des temps anciens
, parfaitement d'accord avec l'action
repréfentée , concoureront à fon
intelligence.
90 MERCURE DE FRANCE .
D'après cet expofé , on fera tenté
fans doute de confidérer chacun de ces
tableaux , comme autant de petits Drames
muets c'eft précisément auffi le
but que s'eft propofé l'Auteur ; en quoi
il a été parfaitement fecondé par le goût
& les talens des Peintres & des Deffinateurs
qu'il a employés à l'exécution
de cet Ouvrage , qui, s'ils n'ont pu donner
la parole à leurs perfonnages , ont
du moins réuffi en quelque façon , à la
peindre , & à la faire aifément deviner.
Connoître cet Ouvrage , c'eft fentir
toute l'utilité qu'on peut en retirer.
Quelle confufion ne porte pas dans
l'efprit pour l'ordinaire la multiplicité
des faits & des événemens que nous préfente
l'Hiftoire , par les traces trop mul
tipliées & trop peu profondes que laiffe
après elle la lecture feule ?
Des éxtraits de ces lectures faits avec
choix & précifion & deftinés à rapprocher
les principaux traits auxquels tiennent
tous les autres , font le reméde ordinaire
à cette confufion & l'appui de
notre mémoire. Mais quelles difficultés
n'éprouve -t - on pas pour la compofition
de ces extraits & plus encore pour le
choix de ce qui doit y entrer!
Ces tableaux , invention de M P ...
JUILLET. 1762. 91
outre l'avantage des extraits parfaits ,
réuniffent celui d'y fixer l'efprit d'une
manière beaucoup plus vive , & d'être
autant de modéles pour ce qui doit entrer
dans la compofition d'un Extrait .
A l'exemple du premier Troyen ,
fugitif, qui de fon nuage appercevant
tracé fur les murs du Temple de Carthage
, la priſe de Troye , s'écrioit avec furprife
, voici Hector ! voici Priam ! voilà
Achille ! ici étoit le Camp des Grecs ;
là celui des Troyens ; voila le Cheval debois
&c. & fe rappelloit à cette
vue tout le détail des événemens & des
malheurs de fa Patrie ; qui ne ſe rappelleroit
de même à la vue de ces tableaux ,
tout le détail des événemens qu'ils re-.
préfentent ? & quel extrait plus propre à
faifir & à fixer l'imagination ?
Mais l'utilité de cette invention paroîtra
bien plus fenfible encore , fi l'on
fait attention de quelle reffource elle
doit être pour l'éducation de la jeuneſſe
de l'un & de l'autre féxe .
Quelle avidité dans cet âge pour
tout ce qui frappe fes yeux , & pour
s'inftruire de ce dont il ignore les caufes
ou les effets ? Tout eft action dans
ces tableaux qu'on les offre aux yeux
des jeunes-gens , ce fera autant d'éni92
MERCURE DE FRANCE.
gmes propres à éxciter leurs defirs. Que
de queftions pour en pénétrer le fens ?
de-là que de leçons pour eux également
utiles & intéreffantes ?
Soit qu'un Maître leur en fourniffe
l'interprétation , foit que le defir naturel
de deviner tout par foi-même les
invite à en chercher le fens dans la
lecture même de l'Hiftoire ; on les
verra bientôt courir à ces tableaux ,
s'empreffer d'en dévélopper l'énigme
y remarquer jufqu'aux moindres particularités
que l'art de l'Auteur y aura
placées précisément dans cette vue , &
bientôt après fe fubftituer eux-mêmes
aux principaux A&teurs , leur donner
leur jeu & leur langage , & d'une fcène
muette en faire une bruyante , incommode
peut-être , mais bien intéreffante
& pour eux & pour les perfonnes jaloufes
du progrès de leur éducation ; &
qui manifeftant le dévéloppement de
leurs idées par l'attrait innocent du plai
fir , fera une preuve non équivoque de
l'utilité de la nouvelle méthode .
J'ai l'honneur d'être , & c .
JUILLET. 1762. 93
>
P. S. Perfonne n'ignorant le prix que
les Artiſtes & furtout ceux qui fe diftinguent
dans leur profeffion mettent
à leur travail il y auroit lieu d'être
furpris que M. Ph. offrît à la fois au
Public la collection entière de ces tableaux
, dont la dépenſe éxcéderoit de
beaucoup les forces d'un fimple Particulier
même opulent. M. Ph. fe borne
à lui préfenter les vingt premiers qui
ferviront à apprécier les autres & à
porter fon jugement fur le mérite de
l'ouvrage. L'accueil & le fuffrage du
Public feront fuivis en peu de temps
de 70 Tableaux qui reftent à faire , &
qui n'ont befoin pour paroître que dų
temps néceffaire pour les travailler.
Le tout accompagné de l'expofition
du Sujet de chaque Tableau , & des Cartes
Géographiques néceffaires à l'intelligence
forme avec l'Hiftoire Romaine
complette , 2 vol. in-4°. grand papier.
2
Tous les Auditeurs du cours d'Hiftoire
de M. Ph. font inftruits qu'il s'occupe
très -férieufement de fon objet
actuél dans le deffein d'éxécuter jau
plutôt fur le même plan , le Spectacle
de l'Hiftoire dela Monarchie Françoife,
*** Avocat au Parlement.
94 MERCURE DE FRANCE .
par
LETTRE à M. le Comte de la T. D. P.
Colonel du Régiment de G. le
Major du Régiment de Br..... fur la
Littérature Militaire.
C'EST principalement dans la Littérature
Militaire , Monfieur, que ce qu'on
appelle l'efprit d'un Ouvrage peut être
utile ; un Militaire eft un voyageur que
le nom feul de Bibliothéque doit éffrayer
; & fi les connoiffances des grands
hommes qui ont voulu le guider , ne
font pour ainfi dire condenfées & réduites
à ce qui compofe éffentiellement
la lumière , il fe dégoûte , & le talent
refte dans le germe. Il doit donc fçavoir
gré à ceux dont le travail a pour
objet d'abréger les peines fans diminuer
les profits de l'étude ; mais je crois auffi
qu'il a le droit d'éxiger d'eux qu'ils rendent
très- exactement la fubftance des
ouvrages qu'ils réduifent ; qu'ils en tranfmettent
fidélement le fuc , fans quoi
l'efprit feul de l'abbréviateur paroît au
lieu de celui de fon Auteur. Il en eft
de ce genre de travail comme des O pérations
Chymiques dans lefquelles toute
JUILLET. 1762. 95
décompofition eft manquée lorsqu'elle
ne produit pas les parties confiftantes des
corps ; en ce cas , Monfieur , l'Ouvrage
intitulé l'efprit de Follard , doit être
regardé comme un fquelette informe
qui ne peut donner nulle idée de la
Théorie , ou de la méthode de ce Tacticien
célébre. L'Auteur commence par
dire qu'il a fait main- baffe fur le ſyſtême
des Colonnes ; il eft , ce me femble ,
très-naturel de lui demander raifon de
ce retranchement ; ce fyftême fût - il
auffi méprifable qu'on veut le faire
croire par cette omiffion préméditée ,
dès qu'il eft le pivot & l'ame des Ouvrages
de Folard , devoit être expofé
dans un abrégé à qui on donne le nom
d'efprit de cet Auteur. Tout Extrait , je
répéte , doit être l'image fidelle des fentimens
& des idées d'un Ecrivain . D'ail
leurs on eft très-éloigné aujourd'hui de
réprouver le fyftême des Colonnes ;
une méthode qui fert auffi bien l'im
pétuofité nationale en la réduiſant à
l'ufage des armes de main ou de longueur,
& qui donne à un Peuple vif la
facilité & la légéreté dans les motions
militaires , une telle méthode ne peut
être profcrite fans préjudice. Je puis
dire , Monfieur , que les meilleures pro
c6 MERCURE DE FRANCE.
ductions de notre temps lui doivent une
partie de leurs fuccès , témoin l'admirable
Traité des Pléfions , Quvrage immortel
qui a apporté le feu de Prométhée
parmi nous , & qui dément bien
le préjugé qu'il n'y a ni ne peut y avoir
de méthode générale dans aucun genre ;
car felon moi les Pléfions fuppléent & fuf
fifent à tout, l'Auteur de ce Traité ſi lumineux
& fi eftimable avoue dans une infinité
d'endroits , les obligations qu'il a à Folard
; fans les Colonnes nous n'aurions
peut-être pas les Pléfions , car celles - ci
ne font que celles -là perfectionnées.
Un autre reproche , Monfieur , que
l'on peut tout auffi légitimement faire à
l'Auteur , c'eft de dire à propos de la
rareté des Livres claffiques Militaires ,
que » Céfar dans fes Commentaires ne
nous apprend que ce que nous voyons
» dans la guerre des Pandours ; que fon
» expédition dans la Grande -Bretagne
n'eft autre chofe : qu'un Général de
» nos jours ne pourroit fe fervir que de
» la difpofition de fa Cavalerie à Pharfale.
Toutes chofes qu'il eft permis de regar
der comme autant de blafphêmes inéxcufables
dans l'Ouvrage d'un homme
du métier. Quoi , Monfieur ? les plans
& les événemens de ces guerres immenfes
23.144
JUILLET. 1762. 97
menfes qui ont bouleverfé l'Univers
& fait de tous les Peuples un feul Peuple
; tous ces projets miraculeux éxécutés
à coups de génie , celui de la guerre
des Gaules , de la guerre d'Italie , de
celles d'Afrique & d'Efpagne , tout cela
ne feroit que l'ouvrage d'un Partifan ; &
le vainqueur du monde ne feroit pas
au-deffus de Thurot ou de Luckner ? jen
appelle à tout l'Univers , aux Mânes de
Pompée , de Labienus , d'Afranius , dų
défenfeur d'Alefia , tous guerriers fameux
vaincus par lui ; j'en appelle à
vous , Monfieur , dont je fais gloire dêtre
l'admirateur , & qui êtes fi digne de
prononcer fur cette queftion . Trouvez
bon que j'entre dans quelques détails
pour prouver l'injuftice de l'Auteur à
l'égard d'un des plus grands hommes
de la Terre , génie rare dont les écrits
contiennent tout ce que la guerre a de
plus fublime & de plus tranfcendant
& doivent être à jamais le code facré
de ces hommes deftinés par leur naiffance
ou leurs talens à conduire les armées
& à défendre la patrie . Vous allez voir
les précautions que prit ce Général immortel
avant d'exécuter fa defcente en
Angleterre , la fageffe de fes mefures &
la profondeur de fes vues . » Il étoit tard ,
>
1. Vol E
98 MERCURE DE FRANCE .
il
» dit l'Auteur de fa vie , c'est-à-dire que
» la faifon étoit déja fort avancée , lorf-
» qu'il réfolut de paffer en Angleterre ,
» d'où les Gaulois avoient tiré des fe-
> cours dans les guerres qu'ils avoient
» eues contre les Romains ; il comptoit
" qu'au cas qu'il n'eût pas le temps de
»terminer entierement cette guerre ,
» en tireroit du moins l'avantage d'ap-
"prendre quels étoient les hommes qui
» habitoient cette Ifle , de connoître le
19 pays , les rades , les ports & les lieux
» où l'on pouvoit aborder , toutes cho-
» fes inconnues aux Gaulois . Pour cet
» effer il fe rendit avec toute fon armée
» à Boulogne ( portus iccius ) ; il fit raſ-
» fembler des côtes voifines le plus de
» Vaiffeaux qu'il fut poffible , & les
joignit à la Flotte dont il s'étoit fer-
» vi l'année précédente dans la guerre
» de Bretagne . Le bruit de cet arme-
» ment s'étant répandu en Angleterre ,
» plufieurs Villes envoyerent des Am-
» baffadeurs à Céfar , pour lui promet-
» tre d'obéir au Peuple Romain. Céfar
» les reçut avec amitié & les renvoya
avec Comius , Citoyen d'Arras ; c'é-
» toit un homme fage & fidéle qu'il
" avoit fait Roi d'Arras après en avoir
33
foumis la Nation . Comme il avoit
JUILLET. 1762. 99
beaucoup d'amis & de crédit dans
» cette Ifle , il lui ordonna de vifiter
» les Villes , de les inviter à fe foumet-
»tre & de leur annoncer fon arrivée .
Sa Flotte étoit d'environ 80 voiles
qu'il crut fuffifantes pour tranfporter
» deux Légions , avec dix-huit gros
» Vaiffeaux fur lefquels il embarqua
fa Cavalerie . Il diftribua le refle de
» fes Troupes fous la conduite de Sabi-
» nus & de Cotta , fur les terres de ceux
» qui ne lui avoient point envoyé d'Am-
" baffadeurs , & laiffa Publius Sulpitius
» à la garde du Port d'où il fortoit . Il
» mit donc à la voile & arriva fur
» la quatriéme heure du jour , à la vue
» de l'Angleterre ; il trouva la Côte rem-
" plie de Troupes , & la Plage fi ref-
" ferrée par les collines qu'il crut de-
» voir débarquer plus loin . Mais les
" Anglois envoyérent en diligence
» de ce côté-là leur Cavalerie & les
» chariots dont ils avoient accoutumés
» de fe fervir dans les combats , & les
» fuivirent avec leur Infanterie. Céfar
» fit avancer des barques armées de
» machines à lancer des traits , dont
»l'ufage étoit inconnu fur ces mers ; il
» les remplit de foldats & les fit appro-
» cher du rivage à force de rames , &
E ij
335316
100 MERCURE DE FRANCE .
» fit jetter quantité de fléches & de dards
» qui arrêtérent l'ardeur des ennemis &
» favoriférent la defcente. » Je ne crois
pas, Monfieur, qu'on puiffe mieux remplir
l'idée des grands talens militaires
que le fit Cefar dans cette expédition ;
il cherche à fe procurer la connoiffance
des hommes & des lieux , il employe
les careffes , l'infinuation & la
négociation , il répand des troupes fur
les terres des Peuples fufpects , il s'affure
des Ports qu'il quitte pour les communications
, & l'on voit enfin dans fa
defcente , les rufes , l'habileté , les difpofitions
qui caractérisent la fupériorité
& qui méritent de nous fervir de modéles
; car il eft hors de doute que malgré
la différence prétendue occafionnée
par la poudre , & les avantages de nos
Bâtimens de guerre , nous ne nous conduirions
différemment dans une expédition
maritime . Venons préfentement
, Monfieur , à la Bataille de Pharfale.
L'Auteur de l'efprit de Folard
prétend , comme je l'ai dit plus haut ,
qu'un Général de nos jours ne pourroit
faire ufage que de la difpofition de fa
Cavalerie dans cette bataille . Je vous
ayouerai que j'avois toujours cru que
c'étoit la diftribution admirable de l'Inpas
JUILLET. 1762.
101
"
fanterie , & l'appui donné à une arme
par l'autre qui avoit fait le triomphe
de ce Héros dans cette journée . » Après
» avoir reconnu la difpofition de l'armée
» de Pompée , dit encore l'Auteur de fa
» vie , Cefar appréhendant que fon aîle
» droite ne fut enveloppée par la Cava-
» lerie de Pompée , qui étoit très-nom-
» breuſe , il tira promptement une co-
» horte de chacune des Légions qui com-
»pofoient la troifiéme ligne & il en
» forma une quatriéme ligne , en l'aver-
» tiffant qu'en ce jour la victoire dépendoit
de fa valeur. » Remarquez ,
Monfieur , que dans tout cela il n'eſt
pas queſtion de la Cavalerie de Céfar.
ce que je vais rapporter , va je crois, totalement
décider en ma faveur. » Quand
» on a affaire à un ennemi dont la Ca-
» valerie eft fupérieure en bonté & en
» nombre , dit le Maréchal de Puyfégur,
» cité par M. le Baron d'Eſpagnac , le
»
& » mieux eft de fortifier les flancs
» l'étendue des aîles des deux lignes ,
» avec l'Infanterie de feconde ligne ,
» & placer toujours cette Infanterie de
» manière qu'elle puiffe flanquer tout
» ce qui veut approcher de la Cavale-
» rie & du flanc des lignes. Céfar fit
» une manoeuvre à la bataille de Phar-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
وو
و د
33
"
» pour
» fale qui prouve le raifonnement que
je fais , qu'il ne faut tirer des troupes
» pour renforcer les endroits foibles
» dans l'ordre de bataille, que des lignes
qui ne font pas les premieres expofées
» dans l'action. Il tira une cohorte par
Légion de fa troifiéme ligne , dont il
» fit une quatriéme ligne qu'il plaça en
ligne oblique fur le flanc de fa droite ,
la mettre à couvert contre la Ca-
» valerie de Pompée . » En faut- il davantage
, Monfieur , pour démontrer que
c'eft l'ufage de l'Infanterie & ron celui
de la Cavalerie , à la bataille de Pharfale
, qui peut fervir de modée & de
leçon aux Généraux de nos jours . Cet
ufage eft- il celui d'un hefde Pandours?
ne marque-t- il pas la vivacité , la juteffe
du coup d'oeil & la fertilité des reffources
dans le fein des dingers & dans
ce moment fi délicat qui alloit fixer le
deftin du Héros & du monde ? Que
n'aurois je pas à dire fi je n'avois déjà
paffé les bornes d'une Lettre , & fi
tous les traits de génie du grand homme
que je défends , n'étoient connus de
vous ? Oui , Monfieur , ce grand homme
fera,tant que la véritable admiration
fubfiftera , la gloire de l'humanité &
JUILLET. 1762. 103
de Rome , & le flambeau du monde
militaire.
>
J'ai l'honneur d'être , & c.
AVIS , concernant l'Edition des OEuvres
de Pierre CORNEILLE , par M. de
VOLTAIRE.
ONN imprime , avec la plus grande diligence
, le Commentaire Hiftorique &
Critique , fur la plupart des Tragédies &
des Comédies de Pierre Corneille , avec
quelques réfléxions fur fes Piéces qui
ne font plus repréſentées.
On joint à cet Ouvrage la traduction
de l'Héraclius Efpagnol , avec des Notes
an bas des pages ; la traduction littérale
en vers du Jules- Céfar deShakefpéare
; un Commentaire fur la Bérénice de
Racine , comparée à celle de Corneille;
Un Commentaire fur les Tragédies d'Ariane
& du Comte d'Effex , de Thomas
Corneille,qui font reſtées au Théâtre. On
joint à cette Edition , plufieurs écrits
concernant les Piéces de Théâtre de P.
Corneille , lesquelles n'ont été imprimées
dans aucun Recueil , Le tout eft orné de
Eiv
104 MERCURE DE FRANCE .
A
très-belles Eftampes , dont la plûpart font
deffinées par M. Gravelot . Les Soufcripteurs
pourront s'adreffer à Paris ,
chez la veuve Brunet , Libraire , rue S.
Jacques , Duchefne , rue S. Jacques ,
Brocas & Humblot , rue S. Jacques ,
& Piffot , quai de Conti.
LETTRE de l'Auteur du Calendrier des
Princes & de la Nobleffe de France ,
à l'Auteur du Mercure, en réponse à la
Lettre inférée dans le Mercure de Juin
fur les Maifons de FAUDO AS & de
ROCHECHOU ART.
QUOIQUE j'aie pu UOIQUE j'aie pu me difpenfer ,
Monfieur , de répondre à une Lettre imprimée
dans votre Journal du mois de
Juin dernier , où un Anonyme m'impute
affez impoliment l'ignorance de l'Hiftoire
des grandes Maiſons du Royaume;
j'ai cru devoir céder à l'inftance de mes
amis , qui m'ont perfuadé que mon filence
feroit un aveu de l'inéxactitude
qu'on me reproche.
J'ai donné au commencement de cette
année , le Calendrier des Princes &c .
Ce Livre ne contient que l'état actuel des
JUILLET. 1762. 105
Maifons , dont j'ai donné des Extraits de
Généalogie affez étendus en fix vol.in- 8.
que j'ai publiés en 1757 & 1761. C'eſt
ce que j'ai fait obferver dans la Préface
page vj, que l'Anonyme n'a pas voulu
fe donner la peine de lire. Il a mieux aimé
annoncer comme un fait , qui me
feroit inconnu , la diſtinction qu'on doit
faire des Maifons de Rochechouart , &
de Faudoas , fait que j'ai cependant expofé
très -clairement dans les Extraits
dont je viens de parler. Tome fecond ,
page 94 , tome trois , p . 156 , & tome
fix, p. 161. J'ai dit tome fecond , p . 94
col. 2 , que Catherine , l'héritière de la
branche aînée de la Maifon de Faudoas ,
porta en dot en 1517 , les Terres de Faudoas
& deBarbazan, à Antoine de Rochechouart
, Seigneur de S. Amant , à la
charge pour leur fils aîné , ou autres mâles
defcendans de leur mariage , de porter
les noms & Armes de Faudoas , ou
de les mêler ensemble avec ceux de Rochechoart.
Cette condition a été observée
par les defcendans de Catherine, héritière
de Fandoas,jufqu'aujourd'hui que M. le
Comte de Rochechouart , actuellement
Chevalier des Ordres du Roi, eſt Marquis
de Faudoas , & repréfente la Branche
aînée de cette ancienne Maifon.
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
Ainfi , dans la méthode que j'ai adoptée
d'ajouter à chaque Chef des Branches
d'une Maison , le nom de la Tèrre
fous lequel il eft connu , doit être diftingué
de fes collatéraux , je n'ai pu me
difpenfer de renvoyer dans mon Calendrier
des Princes , du nom de Faudoas
à celui de Rochechouart , comme je l'ai
fait en nombre d'autres endroits.
Avant de finir ma Lettre , Monfieur ,
je crois devoir avertir l'Anonyme , qu'un
Critique qui s'engage à donner des leçons
, doir éviter de faire réellement des
fautes , qu'il croit trouver dansles autres.
L'Anonyme dit ( page 90 & 91 de
votre Mercure de Juin ) que le premier
du nom de Faudoas , dont on peut avoir
connoiffance , s'appelloit Raimond , &
vivoit en 1162. La Maifon de Faudoas
ne lui doit point de félicitation d'une
pareille découverte , puifqu'il lui dérobe
un Sujet de 70 ans d'ancienneté ; car il
eft certain que Raimond- Arnaud , Baron
ou Seigneur de Faudoas , fut préfent
avec divers autres Barons du Pays
de Lomagne , à une Donation faite en
1091 à l'Abbaye de S. Pierre d'Uzerche
, en Limofin .
L'Auteur du Calendrier Généalo rique,
ajoute l'Anonyme , auroit dû confuler
JUILLET. 1762. 107
les Annales des Cordeliers de Touloufe
le nouveau Moréri , l'Hiftoire Généalogique
de la Maifon de Pleffis Richelieu
par Duchefne.
1
L'Anonyme n'eft pas plus heureux
dans le choix de fes Auteurs. M. l'Abbé
de Faudoas de Sequenville , qui a donné
au Public en 1724 l'Hiftoire de fa
Maifon , & qui a dit qu'elle étoit Fondatrice
des Cordeliers de Toulouſe , n'a
cité à l'appui de ce fait que le Livre de
François de Gonzague , Miniftre Général
de l'Ordre de S. François , intitulé
de Origine Seraphicæ Religionis Francifcanæ
, &c. & il n'eût pas manqué de
mentionner la Charte même de cette
fondation , s'il l'eût connue.
Le Moreri n'eft point un Auteur à citer
par ceux qui ont d'autres reffources.
On l'abandonne à la crédulité de ceux
qui en font le fondement de leur Bibliothéque.
A l'égard de la Généalogie de Dupleffis
Richelieu , par Duchefne , on n'y
trouve pas un mot d'éloge de la Maifon
de Faudoas , mais feulement de celle de
Barbazan , avec laquelle l'Anonyme de
Caen l'a vraisemblablement confondue.
Sa Lettre n'apprend rien de l'état actuel
de la Branche de Faudoas , qui
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
fubfifte en Normandie . Cet état actuel
n'eſt point connu de l'Auteur , qui avoit
fuffisamment averti par les Ouvrages
périodiques , que ceux qui voudroient .
fe faire comprendre dans fon Dictionnaire
, & depuis dans fon Calendrier ,
vouluffent bien envoyer des Mémoires
de l'état actuel de leur Famille . Meffieurs
de Faudoas n'y ont pas eu égard. Ils feront
, s'ils le jugent à propos , paffer le
leur ( franc de port ) au Libraire ou à
l'Auteur.
J'ai l'honneur d'être & c.
DELACHENAYE- DESBOIS.
A Paris , ce 10 Juin 1762 .
LETTRE à M. DE LA PLACE , fur
la mort du R. P. EUSTACHE
Bibliothéquaire des Auguftins Réformés
, de la Place des Victoires.
SCUFFRE
CUFFREZ , Monfieur , que je tranſmette
à la poſtérité , par la voie du Mercure,
la perte que nous avons faite dans
la perfonne du R. P. Fuftache , ancien
Supérieur Général de notre CongrégaJUILLET.
1762. 109
tion & Bibliotéquaire de notre Couvent
de la Place des Victoires.
La Providence vient de l'appeller à
elle dans la foixante-dix-feptiéme année
de fon âge , après l'avoir éprouvé par
les douleurs d'une maladie la plus longue
& la plus aigue .
2
Nous avons à regretterégalement en
lui l'homme religieux & l'homme de lettres.
Avec l'homme de Lettres s'éclipſent
malheureufement pour nous ce génie
ce zéle qui ont confervé pour jamais à
toute l'Europe Littéraire ces deux monumens
qui nous reftent , notre Bibliothéque
& notre Cabinet . Avec l'homme
religieux nous voions fe perdre dans la
nuit du tombeau un frère , un ami , un
protecteur , un père . Tous ces titres gravés
dans nos coeurs par les mains de la reconnoiffance
lui fervent d'Epitaphe &
nos regrets n'expireront qu'avec nous.
J'ai l'honneur d'être & c.
DENIS , Provincial & Antiquaire des Auguftins
Réformés de Notre -Dame des Victoires .
108 MERCURE
DE FRANCE
.
fubfifte en Normandie
. Cet état actuel
n'eſt point connu de l'Auteur , qui avoit
fuffisamment
averti par les Ouvrages
périodiques
, que ceux qui voudroient
.
fe faire comprendre
dans fon Dictionnaire
, & depuis dans fon Calendrier
,
vouluffent
bien envoyer
des Mémoires
de l'état actuel de leur Famille. Meffieurs
de Faudoas n'y ont pas eu égard. Ils feront
, s'ils le jugent à propos , paffer le
leur ( franc de port ) au Libraire ou à
l'Auteur.
J'ai l'honneur d'être & c.
DELACHENAYE-DESBOIS.
A Paris , ce 10 Juin 1762.
LETTRE à M. DE LA PLACE , fur
la mort du R. P. EUSTACHE
Bibliothéquaire des Auguftins Réformés
, de la Place des Victoires.
SOUFFREZ , Monfieur , que je tranfmette
à la poſtérité , par la voie du Mercure,
la perte que nous avons faite dans
la perfonne du R. P. Fuftache , ancien
Supérieur Général de notre CongrégaJUILLET.
1762. 109
tion & Bibliotéquaire de notre Couvent
de la Place des Victoires.
La Providence vient de l'appeller à
elle dans la foixante-dix-feptiéme année
de fon âge , après l'avoir éprouvé par
les douleurs d'une maladie la plus longue
& la plus aigue .
Nous avons à regretterégalement en
lui l'homme religieux & l'homme de lettres.
Avec l'homme de Lettres s'éclipfent
malheureufement pour nous ce génie
ce zéle qui ont confervé pour jamais à
toute l'Europe Littéraire ces deux monumens
qui nous reftent , notre Bibliothéque
& notre Cabinet. Avec l'homme
religieux nous voions fe perdre dans la
nuit du tombeau un frère , un ami , un
protecteur, un père. Tous ces titres gravés
dans nos coeurs par les mains de la reconnoiffance
lui fervent d'Epitaphe &
nos regrets n'expireront qu'avec nous.
J'ai l'honneur d'être & c.
DENIS , Provincial & Antiquaire des Auguftins
Réformés de Notre-Dame des Victoires.
110 MERCURE DE FRANCE.
ANNONCES DE LIVRES.
LE GENTILHOMME Cultivateur, ou
Corps complet d'Agriculture , traduit
de l'Anglois de M. Hal , & tiré des
Auteurs qui ont le mieux écrit fur cet
Art. Par M. Dupuy d'Emportes , de l'Académie
de Florence .
Omnium rerum ex quibus aliquid acquiritur ,
nihil agricultura melius , nihil uberius ›
nihil hominé libero dignius . Cicer . Lib.
2. de Offic.
In-4°. Tome 3. Chez P. G. Simon, Imprimeur
du Parlement , rue de la Harpe,
Durand , Libraire , rue du Foin ; Bauche
, quai des Auguftins ; P. Alex. le
Prieur , Imprimeur du Roi , rue S. Jacques
; & à Bordeaux , chez Chappuis ,
l'aîné. En attendant que nous puiffions
continuer de rendre compte de cet Ouvrage
vraiment utile , nous ne pouvons
qu'applaudir à l'exactitude avec laquelle
le Traducteur remplit fes engagemens
envers le Public.
EPISTOLE Eroiche di Ovidio Nafone
, tradotte da Remigio Fiorentino.
JUILLET. 1762 .
III
in-8° . Parigi , 1762. appreffo Durand,
Nous devons cette édition ornée de vignettes
& de culs- de-lampe de très- bon
goût , aux foins de M. Conti , Profeffeur
de Langue Italienne,à l'EcoleRoyale Militaire
; & la partie typographique ne peut
faire honneur à M. Durand. que
DICTIONNAIRE Philofophique , ou
Introduction à la connoiffance de l'homme.
Nouvelle Edition , revue , corrigée
& augmentée confidérablement.
Felix , qui potuit rerum cognofcere caufas.
In-8°. Paris , 1762. Chez Durand, rue
du Foin , au Griffon ; & chez Guillyn ,
quai des Auguftins , au Lys d'or. Cet
Ouvrage dont l'utilité eft reconnue
été réellement retouché & augmenté de
plus de la moitié ; de forte qu'on peut
le regarder comme un Ouvrage nouveau
.
, a
CONSIDÉRATIONS fur les moyens
de rétablir en France les bonnes efpéces
de bêtes à laine. In- 12. Paris , 1762.
chez Guillyn , quai des Auguftins , près
du Pont S. Michel.
VARIÉTÉS Philofophiques & Littéraires.
Lectorem delectando pariterque monendo . Hor.
112 MERCURE DE FRANCE .
,
In- 12. Londres , 1762. Et fe trouve à
Paris , chez Duchefne , Libraire rue
S. Jacques , au -deffous de la rue des
Mathurins , au Temple du Goût. Nous
avons fouvent trouvé dans ce Livre ce
que promet fon Epigraphe.
LES PSEAUMES & les principaux
Cantiques , mis en vers , par nos meilleurs
Poëtes. Recueillis par E. J. Monchablon
, Maîtres ès Arts & de Penſion ,
de l'Univerfité de Paris . Nouvelle Edition
, corrigée & augmentée . In - 16 , 2
parties . Paris , 1762. Chez Defaint &
Saillant , rue S. Jean de Beauvais . Nous
rendrons compte plus amplement de cet
Ouvrage .
LES FINANCES confidérées dans le
droit naturel & politique des hommes ,
ou Examen critique de la Théorie de
l'Impôt.
Eft modus in rebus , funt certi denique fines ,
Quos ultra citraque nequit confiftere rectum.
In- 16. Amfterdam , 1762 ; & fe trouve
à Paris , chez Gibert , Libraire , quai
des Auguftins.
L'ÉPREUVE de la Probité , Comédie
en 5 Actes . Par M. de Baftide . A Paris,
de l'Imprimerie de Louis Cellot , rue
Dauphine. Le Prix eft de 1 liv. 10ſ.
JUILLET. 1762. 113
LETTRES fur l'Enthoufiafme, de Milord
Schafterbury , avec fa vie , traduites
de l'Anglois . Par M. la Combe. In-
12. Londres , 1762 ; & fe trouve à Paris
, chez Defaint Junior , quai des
Auguſtins. Prix , 30 f. broché .
LETTRES fecrettes de Chriftine ,
Reine de Suéde , aux Perfonnages illuftres
de fon fiécle , dédiées au Roi de
Prufſe.
La vérité n'offenfe point le Sage. L.
In - 12. Geneve , 1762 , chez les Freres
Cramer ; & fe trouve auffi à Paris, chez
Deffaint , Junior.
au
LA VRAIE MÉTHODE d'enfeigner
à lire par l'épellation , ou Alphabet unique
très-fimple & très-commode ,
moyen duquel les enfans & les perfonnes
de tout âge apprennent à lire avec
une prodigieufe facilité. Par M, Bajolet,
Maitre de Penfion . In- 16. Paris , 1762.
Chez l'Auteur , rue neuve S. Auguftin..
114 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES
ACADEMIES.
SÉANCE publique de l'Acadèmie
Royale des Sciences & Beaux - Arts
établie à Pau.
M.LE
Du Mercredi 19 Mai 1762.
LE Biron de Navailles Poeyferré,
Chevalier d'honneur au Parlement , &
Directeur de l'Académie , ouvrit la Séance
par un Difcours dans lequel il établit
combien les Dames contribuent à la
gloire des Lettres,
Elles y contribuent par leurs confeils .
Aiment -elles les Letres ? le defir de leur
plaire nous rend Savans. L'empire qu'elles
ont fur nous , cet empire fi flatteur pour
elles , fi délicieux pour nous , nous engage
à l'Etude. Il eft même inutile qu'elles
nous en prouvent la néceffité . L'efprit
eft bientôt perfuadé , lorfque le
coeur parle.
JUILLET. 1762 . 115
Les Dames contribuent encore à la
gloire des Lettres par leurs talens . Par
combien d'exemples l'Auteur ne prouva
-t-il pas cette Propofition ? Afpafie
donne des leçons de fageffe à Péricles ;
Sapho augmente le nombre des Mufes ;
Dacier embellit les Auteurs qu'elle touche.
La tendre Sevigné , l'aimable Def
houlieres , la refpectable Lambert , brillent
dans ce portrait ; nous y vimes avec
fatisfaction Mlle Bernard , en parallèle
avec Mlle Scuderi , toutes deux le front
ceint de lauriers académiques.
Ce n'eft pas feulement dans les Lettres
que les Dames brillent. Les unes conduifent
des armées étonnées de leur cou
rage ; d'autres gouvernent des Empires
charmés de leur fageffe . Le portrait dè
ces Héroïnes , que le préjugé fait regarder
comme au-deffus de leur Sexe , finit
celui de l'Illuftre MARIE-THÉREpar
SE.
Les Dames admirérent avec une tendre
reconnoiffance leur Panégyrifte , &
par-là lui donnérent la jufte récompenfe
de fes travaux. Le Public crut voir dans
ce difcours toutes les graces du fexe enchanteur
dont il faifoit l'éloge.
M. de Dombidau , fils , Confeiller au
Parlement , fit enfuite un Difcours de re116
MERCURE DE FRANCE.
mercîment à l'Accadémie , dans lequel
il fe montra digne de la place qu'il occupoit
pour la premiere fois. On y admira
des éloges ingénieux , des tranfitions
heureufes , des idées même qui fembloient
nouvelles par la maniere dont
elles étoient préfentées. Ce mérite eft
d'autant plus rare que dans cette Aca
démie , comme dans prèfque toutes les
autres , les Récipiendaires font gênés par
ces formules d'ufage auxquelles une efpèce
de préfcription les affujettit. Un tel
coup d'effai à l'âge de vingt ans fait efpérer
les plus grands fuccès ; & , s'il eft
permis de s'exprimer ainfi , c'eft une Aurore
brillante qui femble annoncer un
Soleil propre à éclater dans le Temple
de Thémis , & dans celui des Mufes.
M. le Directeur ( Navailles Poeyferré)
lui répondit avec la même éloquence
qui avoit brillé dans fon premier difcours.
Parmi nombre d'autres beautés
on admira un éloge du Roi fuivi de
celui de M. le Duc de Choifeuil , dans
lefquels on reconnut autant le bon Citoyen
que le grand Orateur. Ces éloges
prouvent que le langage de l'efprit devient
quelquefois celui du Sentiment.
A ces éloges l'Auteur fit fuccéder
le tableau des dons de la Nation . Déja
JUILLET. 1762. 117
la mer couverte de vaiffeaux femble annoncer
à l'Angleterre la perte de fon
Empire. Ce tableau frappa d'autant plus
que la Province de Bearn venoit de faire
trois jours avant les efforts les plus
grands & les plus généreux , pour donner
à fon Prince des marques de fon
amour & de fon zéle.
Nous aurions defiré faire de ces difcours
fi applaudis un Extrait plus étendu
; mais la modeftie des Auteurs les a
empêchés, de les donner au Public . Que
nous ferions heureux fi la douleur de
voir tant de beautés négligées , d'autres
fi mal rendues , les engageoit à faire
au Public un préfent qui lui feroit fi
agréable !
J'ai l'honneur d'être & c.
P. B. C. C. A. P. D. N. Abonné au Mercure,
GÉOMÉTRIE .
LETTRE à MM. les Géomètres.
MEESSIEURS RS ,
Le Diamètre eft-il à la circonférence ,
comme 23099 eft à 72576 , & ce rap118
MERCURE DE FRANCE.
port eft-il d'une précifion géométrique ?
Telle eft la propofition , dont l'examen
a été foumis à votre fagacité , dans le
Mercure du mois de Mai dernier , page
152 , & fur laquelle je vous ai inftamment
priés de dire votre fentiment. Je
vous fais aujourd'hui la même priére
avec les mêmes inftances , bien perfuadé
que vous y aurez égard . La bienfaifance ,
ce lien charmant de la Société , les intérêts
de la Géométrie , qui vous font
chers , la gloire même de notre Nation ,
dont vous êtes l'utile ornement , tout
m'affure qu'il n'eft pas en votre pouvoir
de me refufer la grace que je
vous demande. Mais auparavant , je
crois qu'il eft de mon devoir d'expofer
à vos yeux une raifon alterne , jufqu'ici
inconnue en Géométrie quoiqu'elle
porte toute fur les principes élémentaires
du nombre. La voici .
,
Trouver trois termes , dont le fecond
doit être partie aliquante du premier &
dutroifiéme , pour , avec ces trois termes ,
en recevoir un quatrième , dont nonfeulement
la proportion géométrique avec
le fecond terme , rende le produit des
extrêmes , égal au produit des movens ,
mais encore dont la fomme foit égale au
produit des deux premiers termes , multipliés
l'un par l'autre.
JUILLET. 1762. 119
C'est cette raifon alterne fi fatisfaifante
, qui m'a démontré que le rapport
dont il s'agit , auffi bien que celui de la
circonférence du cercle infcripteur , à
l'un des côtés du quarré infcrit , font
l'un & l'autre d'une précifion géométrique.
J'avoue que ma découverte reffemble
affez a une pierre précieufe en apparence
, mais qui , aux yeux des Connoiffeurs
, pourroit bien être fauffe . Je
vous la donne à examiner telle qu'elle
eft. Si elle eft fauffe , cela ne regarde
que moi feul. Si au contraire elle eſt fine ,
& que vous la jugiez telle , nous ne pouvons
réciproquement nous diffenfer ,
ni vous , Meffieurs , de la polir , & de la
mettre en oeuvre ; ni moi , de vous regarder
comme les Auteurs de fon éclat ,
& de fon prix,
J'ai l'honneur d'être &c.
L. B. D. M.
120 MERCURE DE FRANCE .
AGRICULTURE.
MÉMOIRE ou Differtation fur la
NIELLE , par M. *** .
LA
paru
A maladie du Bled, que l'on nomme
ou que l'on connoît fous le nom de
Nielle , vulgairement Ebrun , eft devenue
fi fréquente & fi univerfelle , que
la découverte de la caufe de ce mal m'a
mériter l'attention , non feulement
des plus habiles Obfervateurs , mais encore
de tous les Amateurs de la Phyfique
& zélés Citoyens ; & c'eft fous ces
deux derniers titres que pendant l'efpace
de quatre années , j'avois inutilement
fait plufieurs expériences , & mis en
oeuvre tous les moyens qu'indiquent les
Auteurs qui ont écrit fur cette matière ,
lorfque le hazard me fit rencontrer un
Payfan , moins borné que les autres , qui
m'affura qu'il connoiffoit dès que le Bled
avoit trois ou quatre feuilles , celui qui
étoit tarré. ( C'eſt le terme dont il fe fervit.
) Nous étions dans la faifon propre
faire l'épreuve de ce qu'il avançoit , nous
allames donc dans un champ où il me
dit
à
D • ༼ -
JUILLET . 1762 . 121
a
2
e
[
pour
dit qu'il y avoit beaucoup de Bled tarré ,
& là , il me fit remarquer que ce Bled
avoit les feuilles ondulées & d'un verd
plus obfcur que celui qui étoit fain ; pour
m'affurer du fait , je marquai avec des
baguettes une douzaine de ces plants
tarrés , & je fis mettre vis -à -vis une efpéce
de borne reconnoître mes
marques. Au mois de Mai fuivant , je
revins dans mon Champ : au premier
abord , je n'apperçus aucune différence
entre les bons épics & ceux que j'avois
marqués ; je fendis avec un canif un de
ces derniers , je le trouvai infecté de la
maladie en queſtion . J'apportai à la
maifon les reftes de ces épics pour en
faire une espéce d'Anatomie ; je trouvai
que les balles ou enveloppes qui couvrent
le grain étoient fi parfaitement collées
les unes fur les autres , que les fleurs n'avoient
pu fortir , & qu'elles étoient repliées
contre tèrre , & qu'au lieu d'une
liqueur laiteufe qui fe trouve dans les
épics fains , je ne trouvai dans ceux- ci
qu'une espéce de pâte brune & d'une
odeur foetide.
Je tirai de cette première découverte
la conféquence que l'on ne pouvoit
attribuer la caufe de cette maladie aux
brouillards & pluies froides du mois de
1
J
I. Vol. F
120 MERCURE DE FRANCE.
AGRICULTURE.
MÉMOIRE ou Differtation fur la
NIELLE , par M. ***
LAA maladie du Bled, que l'on nomme
ou que l'on connoît fous le nom de
Nielle , vulgairement Ebrun , eft devenue
fi fréquente & fi univerfelle , que
la découverte de la caufe de ce mal m'a
paru mériter l'attention , non feulement
des plus habiles Obfervateurs , mais encore
de tous les Amateurs de la Phyfique
& zélés Citoyens ; & c'eft fous ces
deux derniers titres que pendant l'efpace
de quatre années , j'avois inutilement
fait plufieurs expériences , & mis en
oeuvre tous les moyens qu'indiquent les
Auteurs qui ont écrit fur cette matière ,
lorfque le hazard me fit rencontrer un
Payfan , moins borné que les autres , qui
m'affura qu'il connoiffoit dès que le Bled
avoit trois ou quatre feuilles , celui qui
étoit tarré. ( C'est le terme dont il fe fervit.)
Nous étions dans la faifon propre à
faire l'épreuve de ce qu'il avançoit , nous
allames donc dans un champ où il me
dit
V.
JUILLET. 1762. 121
dit qu'il y avoit beaucoup de Bl ed tarré
& là , il me fit remarquer que ce Bled
avoit les feuilles ondulées & d'un verd
plus obfcur que celui qui étoit fain; pour
m'affurer du fait , je marquai avec des
baguettes une douzaine de ces plants
tarrés , & je fis mettre vis- à -vis une efpéce
de borne pour reconnoître mes
marques. Au mois de Mai fuivant , je
revins dans mon Champ : au premier
abord , je n'apperçus aucune différence
entre les bons épics & ceux que j'avois
marqués ; je fendis avec un cånif un de
ces derniers , je le trouvai infecté de la
maladie en queftion . J'apportai à la
maifon les reftes de ces épics pour en
faire une espéce d'Anatomie ; je trouvai
queles balles ou enveloppes qui couvrent
le grain étoient fi parfaitement collées
les unes fur les autres , que les fleurs n'avoient
pu fortir , & qu'elles étoient repliées
contre tèrre , & qu'au lieu d'une
liqueur laiteufe qui fe trouve dans les
épics fains , je ne trouvai dans ceux - ci
qu'une espéce de pâte brune & d'une
odeur foetide.
Je tirai de cette première découverte
la conféquence que l'on ne pouvoit
attribuer la caufe de cette maladie aux
brouillards & pluies froides du mois de
I. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
Mai , puifqu'on en connoîffoit les fymptômes
dès le mois de Novembre précédent
, & qu'il falloit remonter plus haut
pour en découvrir la caufe.
J'avois quelques notions que l'ufage
où l'on eft d'entaffer & comprimer les
Bleds dans les Granges , pouvoit par
l'extrême chaleur & par l'humidité qui ſe
rencontre dans les gerbes , bleffer le
germe du Bled qui eft encore tendre ; &
pour m'éclaircir de ce doute , je revins
à la Grange au temps de la Moiffon.
J'enfonçai la main dans un de ces tas ;
j'y trouvai une chaleur & une humidité
fi confidérable , que je ne doutai pas
un inftant que ces deux puiffans agens
de la végétation , n'euffent été fuffifans
pour développer & pouffer le germe dehors
, fi la compreffion n'eût empêché
l'action de l'air. Je penfai donc que malgré
la privation d'une fuffifante quantité
d'air , la fermentation n'en étoit pas
moins dangereuſe , foit en abſorbant
une partie des facultés du germe , foit
en corrompant ou en laiffant dans cette
partie farineufe du Bled , & qui eſt la
première nourriture du germe , une impreffion
de cette putréfaction qui fe manifefte
lorfque l'épic fort du fourreau.
Pour être pleinement convaincu qur
JUILLET. 1762. 123
j'avois enfin découvert ce mystère , caché
depuis tant de fiécles , il me ref
toit à prouver par des expériences exactes
& réitérées , la vérité de mes remarques,
& c'eft ce que j'ai fait & fais encore
avec tout le fuccès poffible . *
J'avouerai cependant que ne connoiffant
qu'une partie des effets de la contagion
des pouffieres du Bled infecté ,
les fumiers que j'avois fait mettre dans
un Champ n'étant point fuffisamment
confommés & pourris , & ayant été
faits de pailles fufpectes ; j'eus une partie
de mon Bled- niéllé , malgré les précautions
que j'avois prifes pour prévenir
ce mal ; d'ailleurs l'excellent difcours
de M. Tillet fur cette matiere en faifant
connoître , par les curieuſes &
éxactes expériences qu'il a faites , toute
la malignité contagieufe des pouffieres
du Bled-niellé , ajoute ce qui manquoit
à mes remarques & répand une lumiére
qui ne me laiffe plus rien à defirer fur
cette matière .
Il réfulte de mes remarques & du difcours
de M. Tillet , que la maladie en
queftion éxifte par deux cauſes , l'une
* Mrs de Buffon & Daubenton , à qui j'ai communiqué
mes Obfervations , en ont conftaté la
vérité par plufieurs expériences.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
primitive & interne , l'autre éxterne , &
que de-là vient la contagion du virus.
Moyens de prévenir la caufe primitive.
,
Après avoir fait choix de la partie des
Bleds que l'on deftine à faire fes femences
il faut le laiffer meurir le plus
qu'il eft poffible , ne lier les gerbes que
par le plus chaud du jour , laiffer les
gerbes fur bout jufqu'à ce qu'elles foient
parfaitement réffuyées, ne les faire conduire
à la grange que pendant la chaleur
de la journée & les faire battre
tout de fuite & fans les délier , pour
n'avoir que le maître grain ; ce qui refte
fera mis fur le tas : enfuite il faut laiffer
ce Bled dans fa bouffe jufqu'au temps
de la femaille , alors on les fera vanner
cribler & laver , & . donner telle préparation
que l'on voudrą , comme de l'enchaurer
ou telle autre préparation que
l'on trouve dans les Auteurs qui traitent
de l'agriculture. Voilà les moyens de
prévenir la premiere caufe de cette maladie.
Pour fe garantir de la feconde.
C'eſt de laver le Bled jufqu'à ce que
l'eau en foit claire , de ne mettre aucun
fumier qui ne foit parfaitement
JUILLET. 1762. 125
pourri dans les champs que vous deftinez
à recevoir du froment. Prenez gar-
- de que la grange où vous battez le
Bled ne foit infectée de cette pouffiere
du Bled - niéllé. Avec ces précautions ,
& en multipliant les labours , on eft affuré
de n'avoir plus ni niélle ni ébrun .
Peut-être fera-t- on l'objection que
toutes précautions deviennent inutiles
pour garantir les Bleds de la contagion ,
dès que l'on peut éviter la caufe premiere
& interne : cela feroit éxactement
vrai , fi tous les Laboureurs d'un Pays
étoient affez avifés pour prendre toutes
les précautions ci - deffus marquées.
Mais comme l'on ne peut efpérer cela
d'eux & qu'il fuffit d'avoir un champ
infecté près du fien pour que la contagion
ait lieu , & qu'elle peut avoir
une infinité de moyens pour fe communiquer
, il est très - néceffaire d'obferver
tout ce qui vient d'être dit . On
avertit qu'il y auroit du danger de changer
les femences à moins qu'on ne les
aye vû fur pied & qu'on ne foit affuré
qu'elles font faines tant intérieurement
qu'extérieurement .
Il m'eft revenu que quelques perfonnes
doutoient , que la découverte que
j'ai faite de la caufe primitive de la
Fiij.
126 MERCURE DE FRANCE .
niélle , foit auffi certaine que je l'annonçois
. Leur doute fe fondoit fur ce
que dans la plupart de nos Provinces
méridionales on n'engrangoit point les
Bleds , mais qu'on les battoit dans les
Champs , & qu'ils étoient cependant
très-infectés de cette maladie . On auroit
dû cependant fe fouvenir qu'il y a deux
caufes , l'une primitive & qui ne procéde
que d'un excès de chaleur & d'humidité
, occafionnée par la preffion foit
dans les granges foit dans les tas ou
mattes de Bled que nos Provinces méridionales
font dans leurs champs attendant
la commodité de le faire battre,
L'autre caufe qui n'eft que l'accident
& qui n'eft pas moins funefte , eft la
contagion qui fe perpétue par le grain
même , par les pailles , par les fumiers
faits de pailles fufpectes & d'une infinité
d'autres façons.
Ainfi les Bleds de ces Provinces méridionales
peuvent donc être infectés ,
non feulement par les caufes que j'indique
, mais encore par d'autres : comme
après avoir battu leurs Bleds &
vanné mmédiatement,après l'avoir moiffonné
, elles le mettent en monceau au
grenier , il s'échauffera auffi promptement
& plus que dans la grange fi
l'on n'a pas loin de le remuer tous les jours.
JUILLET. 1762. 127
MÉMOIREfur une espèce de CHENILLES
qui produifent de la Soie , par
M. DE LA ROUVIERE D'EYSS AUTIER
, Chevalier de l'Ordre Royal &
Militaire de S. Louis , Commiſſaire
des Guèrres au Département de Languedoc
, Membre de l'Académie des
Sciences & Belles - Lettres de Beziers.
ABeziers, chez François Barbut , Imprimeur
du Roi , & de l'Académie des
Sciences & Belles - Lettres 1762..
AVERTISSEMENT DE L'AUTEUR .
CEE Mémoire , dont le fujet peut devenir
très intéreffant par la fuite , ne
m'avoit pas d'abord paru mériter l'impreffion
; mais le defir que plufieurs Perfonnes
ont témoigné d'en avoir des Copies
m'a enfin déterminé à le mettre au
jour.
Je m'eftimerois fort heureux fi , par
cette foible marque de mon zéle , je pouvois
un jour concourir au bonheur de
l'humanité & avoir quelque part
la bienveillance d'un Miniftre qui n'a
à
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
d'autre objet que la gloire du Prince &
la félicité des Sujets.
A
A ces traits, quoique légérement ébauchés
, il eft aifé de reconnoître l'illuftre
DUC DE CHOISEUL , ce Citoyen ai
mable , ce Patriote éclairé , qui , par fes
talens & fes rares qualités , a fçu s'attirer
avec juftice la confiance d'un Maître
beaucoup plus flatté du glorieux titre
de Pere du Peuple , que de celui de Roi
d'une des plus puiffantes Monarchies de
l'Univers.
Si au contraire , ma bonne volonté
ne fuffit pas pour remplir les vues de
notre Augufte Monarque , & du Miniftre
fi digne de fon choix , j'ofe eſpérer
du moins que le Public équitable ne me
fçaura pas mauvais gré d'avoir voulu me
rendre utile. C'eft à quoi j'ai toujours
borné ma principale ambition .
MÉMOIRE.
L'Auteur de la Nature n'a rien dûfaire
en vain , c'eft un principe incontestable.
On peut dire cependant , fans prétendre
heurter cette vérité , que la plupart
des Chenilles connues nous ont paru
jufqu'ici très- malfaifantes , & par conféquent
fort inutiles , par la raifon fans
doute que nous n'avons pas fçu , ou peutêtre
voulu pénétrer dans leurs vertus ocJUILLET.
1762. 129
cultes. Quoiqu'il en foit , la Chenille
dont je vais tracer le tableau , eſt d'une
efpéce bien différente des autres , ainfi
qu'on pourra le voir ci -après.
Cette Chenille , que je crois devoir
nommer Chenille de Pin , & que M. de
Réaumur a mis au rang des Chenilles
qu'il appelle Proceffionaires , naît aux
environs de Farges dans le Pays de Gex ,
entre le Mont Jura & la Suiffe.
Il y a toute apparence qu'elle eft de la
même efpéce que celle dont il eft parlé
dans les Commentaires de Mathiole fur
Difcoride , au mot Pinorum eruca , en
grec Pitiocampo , dont les Vallées d'Ananie
& de Flemme auprès de Trente
font toutes remplies , attendu , dit cet
Auteur , qu'il y a beaucoup de Pins.
Cette Chenille eft à- peu- près ſemblable
aux autres , c'eft-à-dire que fon corps
eft velu & compofé de plufieurs anneaux
qui , en s'éloignant & fe rapprochant les
uns des autres , le portent où il a beſoin
d'aller : fa couleur eft rouffàtre , fa longueur
d'environ quinze lignes , & fon
épaiffeur proportionnée.
Les Chenilles de cette efpéce vivent
& font leurs Cocons fur des Pins fauvages
, fort communs en France , & qui
croiffent dans les endroits même les plus
ftériles. F v
130 MERCURE DE FRANCE .
Ce qu'il y a de plus admirable dans ces
animaux , eft qu'ils ne s'arrêtent fur
aucun autre arbre : ainfi il ne faut pas les
confondre avec ces infectes ou reptiles
voraces , qu'on ne doit chercher qu'à
détruire & non à multiplier.
Or , ces Chenilles ne s'attachant qu'à
des arbres regardés jufqu'ici comme prèfque
inutiles , au haut defquels elles font
leurs Cocons, elles ne fçauroient par conféquent
nuire aux autres Végétaux deftinés
aux befoins ou aux plaifirs de l'homme
, auquel elles peuvent au contraire
fervir fort utilement ainfi que je tâcherai
de le démontrer.
•
Les Cocons , fruit de leurs travaux
prèfque journaliers , font à- peu - près de
la groffeur d'un Melon ordinaire , & l'on
peut en tirer de fort belle & bonne Soie.
Toute la difficulté confiſteroit , felon
moi , à détacher ces Cocons de l'arbre ,
attendu qu'ils en entourent & ferrent.
fort étroitement une branche droite , &
parfaitement ſemblable à une quenouille
à filer.
De plus , il y a au centre du Cocon
une efpéce de fac rempli de petits boutons,
qui leur fervent vraiſemblablement
de nourriture en Hyver , peut-être même
encore de matière pour leur ouvrage;
& ce fac leur fert de nid pendant l'Eté.
JUILLET. 1762 . 131
Je penfe , s'il m'eft permis de faire ici
quelques réfléxions , qu'en coupant la
branche qui traverfe le Cocon , on pourroit
aisément fe fervir de ces quenouilles
naturelles pour en extraire la Soie , fans
détériorer l'arbre dont la branche ne
manqueroit pas de repouffer l'année d'après.
C'eft aux Artistes à trouver des
moyens plus sûrs & plus courts pour une
opération qui , je crois , leur paroîtra
peu difficile , eu égard aux autres Inventions
curieufes qu'on découvre ou qu'on
perfectionne chaque jour fous les yeux
& les aufpices de MM. de l'Académie
Royale des Sciences de Paris , & des
autres Académies du Royaume.
J'obferverai feulement en faveur des
Phyficiens & des Amateurs de l'Histoire
Naturelle , que les petites Chenilles de
l'efpéce ci- deffus prennent naiffance
dans le fac dont j'ai parlé , y reftant enfermées
jufqu'à ce qu'elles foient comme
père & mère ; alors perçant leur
maifon , elles fortent toutes en file à la
queue l'une de l'autre pour aller s'étar
blir fur un Pin étranger à celui qui leua
fervi de berceau , & fur lequel un
grand nombre d'entr'elles travaillent de
concert à un même Cocon depuis le
Printe mps jufqu'à l'entrée de l'Hyver ,
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
& même quelque temps après les premieres
neiges ; ce qui fait préfumer
qu'elles pourroient fournir de la Soye
prefque toute l'année dans la partie méridionale
du Royaume , comme la Provence
, le bas Languedoc , & le Rouffillon.
De quelles reffources ne feroient donc
pas ces Chenilles à ces trois Provinces
& à toute la France , fi mes conjectures
fe trouvoient vraies ?
1º. On auroit le moyen le plus avantageux
de mettre à profit , & à peu de
frais , un terrein inculte & à charge .
2º. On retireroit de ces Infectes bienfaifans
une Marchandiſe auffi néceffaire
pour les meubles que pour les habits ; &
au lieu de faire paffer notre argent en
Eſpagne , en Italie , dans le Levant , &
ailleurs , nous verrions bientôt circuler
chez nous celui de l'Etranger qui s'emprefferoit
à venir profiter du bon marché
qu'on feroit en état de lui faire , & à
la faveur duquel il pourroit s'enrichir à
fon tour.
Il est vrai que la propagation de ces
Chenilles ne feroit peut- être pas auffi aifée
qu'on fe l'imagine ; un climat différent
& le tranfport d'un lieu à un autre
pourroient fort bien leur être nuifibles
Cependant la réuffite paroiffant très-polJUILLET.
1762 . 133
fible , pourquoi négligeroit- on les
moyens dé s'en éclaircir ? L'éffai en feroit
facile en faifant apporter à Paris out
ailleurs une des branches au bout defquelles
giffent dans le nid les oeufs de
ces Infectes , qu'on pourroit faire éclore
par le fecours de l'art , auffi bien & peutêtre
avec plus de fuccès , que les poulets
de feu M. de Réaumur. C'eft aux Naturaliftes
à en décider.
Pour moi , je ne dois m'attacher qu'à
décrire ce que j'ai trouvé de remarquable
dans ces fortes d'animaux .
Je dirai donc , pour remplir ma tâche,
qu'ils ne fe multiplient que de proche en
proche, & que l'on voit des Pins éloignés
au plus d'un quart de lieue de ceux qui
en produifent une quantité innombrable
où l'on n'en découvre point du tout ; ce
qui me feroit croire que pareilles Chenilles
ne deviennent jamais Papillons , &
qu'elles peuvent reffembler à celles dont
il eft parlé dans le Spectacle de la Nature,
Tome 1 , page 55.
Il fera fort aifé aux Mécaniciens de
trouver des moyens pour tirer cette Soie
des Cocons , & pour la devider auffi facilement
que celle de ces Vers fi eftimés
& dont pourtant plufieurs perfonnes fe
dégoutent , tant par rapport aux foins ,
134 MERCURE DE FRANCE .
que par la dépenfe qu'ils occafionnent ,
les Mûriers qui leur fervent de nourriture
ne croiffant pas dans tous les Pays
avec la même facilité que les Pins fauvages
, arbres dont la culture ne fçauroit
occuper.
Je dois obferver en finiffant , qu'on
fit il y a quelques années , auprès de Farges
, de très- bons Bas de la Soie en
queftion , quoiqu'elle ne fut ni décreufée
, ni devidée , mais feulement arrachée
avec la main , & filée à l'ordinaire : ce
qui me perfuade qu'on en tireroit encore
un grand parti en la filant à la quenouille
ou au rouet , en fuppofant que les tours
ordinaires ne puffent pas être mis en ufage
pour cette opération ; ce qui n'eft pas à
préfumer.
Cette Soie eft très-forte & d'un blanc
argenté , furtout fi on a le foin de la
ramaffer avant les neiges , fe falliffant un
peu pendant l'hyver.
Il eft infiniment à defirer que la chofe
réuffiffe , & l'on verra bientôt , je le répéte
, la France en état de fournir de la
Soie à toute l'Europe , fi l'on parvient à
avoir & a perpétuer dans tous les endroits
complantés de Pins , dits vulgairement
Pinades , les utiles Infectes dont je viens
de parler.
JUILLET. 1762 . 135
Peu de temps après la lecture de ce
Mémoire à l'Affemblée publique de l'Académie
des Sciences & Belles -Lettres
de Beziers , tenue le 25 du mois d'Août
dernier ( 1761 ) M. Bouillet , Secrétaire
perpétuel de cette Académie , reçut une
Lettre de M. Vergnies , Prieur de Miglos
près Tarafcon en Foix , par laquelle
il lui mande qu'un mois après notre
Affemblée il fut à un Bois de Pins , où
il trouva une grande quantité de Cocons
de Chenilles en queftion, mais prèfque
tous pourris , le temps de les cueillir
étant paffé ; mais qu'il étoit à portée de
faire dans lafaifon une abondante récolte .
Il a envoyé une petite portion de la
Soie extraite d'un de ces Cocons qui, malgré
fa faleté , annonce qu'on pourroit
en tirer grand parti.
On m'a encore affuré avoir vu de
pareils Cocons fur des Pins qui font dans
le Jardin du Roi à Montpellier.
Les Perfonnes qui feront quelque découverte
à ce sujet , fontpriées d'en faire
part au Public.
136 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE.
EXTRAIT des Ouvrages lus à la
Séance publique de l'Académie Royale
de Chirurgie , le Jeudi 22 Avril
1762.
par-
M. BORDENAVE a lu une Differtation
fur les accidens des plaies des
ties tendineufes & aponevrotiques , &
fur les moyens d'y remédier. L'expérience
de tous les temps avoit montré
que la bleffure des tendons & des aponévrofes
étoit fuivie des accidens les
plus fâcheux que l'on attribuoit à l'extrême
fenfibilité de ces parties. Perfonne
n'ignore que M. de Haller a nié que
ces parties fuffent fenfibles . D'après fes
expériences faites avec foin par différentes
perfonnes fur l'intelligence , la
JUILLET. 1762. 137
dextérité & la bonne foi defquelles on
peut compter , il ne femble pas qu'on
puiffe former aucun doute . Elles ont cependant
trouvé des adverfaires : M. Bordenave
ne prend point leur parti, il adopte
le fentiment de M. de Haller, & tâche de
concilier fa doctrine avec les faits les
plus exactement obfervés dans la pratique
de la Chirurgie. En confidérant
anatomiquement la ftructure des parties
, leur étendue & la communication
réciproque qu'elles ont entr'elles , on
voit que les accidens formidables qui font
les fymptômes ordinaires des plaies des
parties aponévrotiques & tendineufes ,
ne viennent point de la prétendue fenfibilité
des tendons & des aponévrofes ,
mais de l'inflammation qui eft la fuite
de l'étranglement fait par les parties
membraneufes. Ici l'Auteur s'étaye des
principes que M. Quefnay a pofés fur
l'étranglement dans fon favant Traité
de la gangréne. Il n'eft pas néceffaire
que l'inftrument qui fait la bleffure pénétre
jufqu'au tendon , pour produire
des accidens fâcheux ; on a des exemples
qu'une fimple piquure à l'extrémité
des doigts , ou fous l'ongle, & qui n'avoit
touché ni le tendon ni fa gaîne , a
été fuivie de fymptômes fort graves . Si
138 MERCURE DE FRANCE.
la bleffure la plus profonde avoit atteint
ces parties , on s'abuferoit en penfant
que c'eft par elles que la playe feroit
plus dangereufe ; ce font moins les dimenfions
d'une playe , que la nature
des parties léfées qui la rendent plus
ou moins grave , & fi comme l'expérience
l'a prouvé , la piquure fuperficielle
des parties nerveufes a mis des
bleffés dans le plus grand danger , &
qu'on n'a apperçu aucun accident fâcheux
à la fuite des défordres les plus
étendus fur des parties tendineufes, on
doit juger que là lézion des tendons ne
contribue en rien aux accidens affreux
de certaines playes , mais que l'on doit
en chercher la fource dans l'irritation
des nerfs ; & l'on fçait que les tendons
n'en admettent point dans leur texture.
Si les accidens viennent prèfque toujours
de l'étranglement , l'indication curative
eft facile à faifir ; on fera ceffer
les fymptômes naiffans de l'étranglement
, & l'on en préviendra de plus
fâcheux en débridant les parties qui forment
l'étranglement. L'inftrument tranchant
conduit par les lumières anatomiques
eft ici de la plus grande reffource.
M. Bordenave examine l'ufage que les
Anciens faifoient de l'huile de théréJUILLET.
1762. 139
bentine bouillante , dont ils ont vanté
les fuccès merveilleux. Il trouve que
le bien qui a réfulté de cette application
eft dû à la deftruction de la fenfibilité
dans le point où étoit le principe de l'irritation.
La cautérifation agit de même ,
& l'on explique aifément comment par
l'application d'un cauftique , qui eft un
reméde très-irritant , on fait ceffer avantageufement
tous les fymptômes que
caufoit l'irritation des parties nerveuſes
léfées par un coup d'épée ou de lamette .
M. Bordenave apprécie les cas où l'on
peut avoir recours à ces moyens ; mais
il incline toujours à donner la préférence
à l'inftrument avec lequel on fait
précisément ce qu'on veut faire ; on le
conduit avec méthode , & l'on n'eft pas
auffi exactement le maître de l'action
plus ou moins étendue d'un médicament
corrofif.
M. Morand lut enfuite une obfervation
fur une grande fracture du crâne ;
voici le fait. Une groffe boule à jouer
aux quilles , jettée en l'air , tomba fur
la tête d'un jeune homme. Le bleffé eut
primitivement tous les fymptômes de la
commotion du cerveau & le crâne
étoit enfoncé. L'incifion de la peau con-
9
tufe découvrit une fracture en étoile à
140 MERCURE DE FRANCE.
cinq rayons , à la partie latérale droite du
coronal. Trois de ces piéces furent enlevées
affez facilement,à la partie inférieure
du fracas , on releva les deux autres
piéces & on les mit de niveau. Le bleffé
fut faigné d'abord du bras & du pied à
trois heures d'intervalle , & avant qu'on
eût fait l'incifion , la connoiffance lui revint
. Il eut peu de fiévre pendant les quatres
premiers jours : le délire qui parut
le s fut calmé par une troifiéme faignée .
On fe détermina le 8 à aggrandir la
playe vers la future coronale, pour pouvoir
tirer les deux piéces d'os qui reftoient
, parce qu'on crut qu'elles retenoient
du pus fur la dure- mere. La bafe
d'une de ces piéces étoit à la future même.
L'effort qu'on fit pour détacher
cette portion d'os le 12 jour de la bleffure
augmenta la fiévre ; elle diminua
bientôt par une fuppuration abondante
& de meilleure qualité que celle des
jours précédens. Le 15 , le bleffé étoit
fi bien qu'on jugea à propos d'être
moins févére fur le régime ; une nourriture
un peu plus abondante diffipa la
fiévre. Le Sujet étoit jeune & avoit
grand appétit ; une diete forcée auroit
pu le jetter dans l'épuifement. Les foins
ordinaires achevérent la cure , qui fut
parfaite en fix femaines .
JUILLET. 1762. 141
M. Morand termine le récit de ce cas
par les réfléxions dogmatiques qui fuivent.
» C'eft un principe connu qu'un
» coup capable de faire une forte con-
» tufion à la tête peut produire les plus
و ر
"
>>
grands maux. Si le crâne réfifte ; par-
» ce que dans ce cas la plus grande partie
» de la percuffion qui fuivant fa quanti-
" té doit avoir tout fon effet , fe tranfmet
» au- delà du crâne aux parties qu'il re-
» couvre il doit donc en réfulter une
>>commotion au cerveau qui en eft d'au-
" tant plus fufceptible , que c'eft une
pulpe molle , traverfée par une infinité
de vaiffeaux tendres , où la circula-
» tion naturelle peut être très - facilement
» dérangée. Mais quand toute la force
» de la percuffion eft imprimée au crâne
»& qu'il eft fracaffé, le crâne devient feul
» reſponſable de tous les accidens que
» l'habile Chirurgien eft prèfque für de
» modérer avec une main intelligente ,
qui n'a plus à travailler que fur des
parties folides. Cette Obfervation
» continue M. Morand , n'eft point
» neuve ; c'eſt un exemple que j'ajoute ,
» & qui eft peut - être remarquable par
» la grandeur des piéces emportées.
>>
>>
On a lu enfuite pour M. Daviel , un
Mémoire fur de nouvelles perfections
142 MERCURE DE FRANCE .
qu'il a ajoutées à fa méthode de faire
l'extraction de la cataracte . L'opération
par laquelle on tire du globe de l'oeil le
cryftallin cataracté eft une découverte
intéreffante due à M. Daviel , qui l'a
publiée dans le fecond Tome des Mémoires
de l'Académie . La grande expérience
qu'il a acquife lui a fait connoître
des inconvéniens dans l'incifion demie-
circulaire à la partie inférieure de la
cornée tranfparente. L'humeur aqueufe
s'échappe dès le premier moment de
l'opération , la membrane uvée fe préfente
aifément dans la playe & produit
un ftaphylome qui peut entraîner la
perte de l'oeil ; la réunion de la playe
eft difficile , & quelquefois la cicatrice
eft fi mince qu'elle fe r'ouvre au moindre
effort,de là la chûte de l'iris & la perte
confécutive de l'oeil. M. Daviel trouve
la caufe de ces accidens dans la
fection faite en bizeau . Pour l'éviter
il falloit renoncer à l'incifion demie- circulaire
: l'Auteur a éffayé différens
moyens d'ouvrir la cornée tranfparente
, & la méthode à laquelle il attribue
le plus d'avantages , & à laquelle il s'en
tient irrévocablement, confifte à fe fervir
d'abord d'un petit Biſtouri courbe qu'il
tient comme une plume à écrire , & le
JUILLET. 1762. 143
tranchant tournée en haut. Il porte fa
pointe dans la partie inférieure de la
cornée tranfparente du côté du grand
angle , à environ une demie ligne de
la conjonctive. Lorfque la pointe de
l'inftrument eft dans la chambre antérieure
, il le pouffe jufqu'au bord de la
cornée du côté du petit angle, à l'extrémité
de la ligne qui couperoit horizontalement
la cornée en deux parties , il
perce la cornée & achéve l'incifion qui
décrit une ligne oblique par une coupe
nette & fans bizeau. Il divife enfuite la
cornée fupérieurement par une feconde
coupe , obliquement du petit angle
vers le grand , avec de petits cizeaux
mouffes dont les lames font un angle
obtus avec les branches . De ces deux
incifions il réfulte un lambeau triangulaire
de la cornée tranſparente , dont la
bafe eft du côté du grand angle. Par ce
moyen M. Daviel met la prunelle à
découvert plus aifément que par la fection
demie-circulaire. L'humeur aqueufe
qui ne fe perd pas entierement dès le
commencement de l'opération , conferve
de la convéxité à la cornée tranf
parente , ce qui eft favorable à l'Opérateur
, qui achéve l'Opération comme
dans l'autre maniere , par incifer la cap144
MERCURE DE FRANCE.
fule cryftalline , & éxtraire le cristallin
au moyen d'une preffion douce & méthodique
du globe de l'oeil. M. Daviel
dit qu'après cette opération bien plus
facile à pratiquer , les cicatrices font
folides & à peine fenfibles .
M. Louis fit la lecture d'un Mémoire
fur la rétraction des mufcles après l'amputation
de la cuiffe , & fur les moyens
de la prévenir. L'Auteur avoit déja traité
ce fujet important dans deux differtations
imprimées dans les Mémoires de l'Académie
. Ce qu'il a dit , parut changer le fait
de la Chirurgie fur une Opération qu'il
croyoit avoir été trop négligemment
foumife à des préceptes généraux. Les
preuves de détail données pour la perfection
de l'amputation de chaque membres
, les argumens tirés de la raifon &
de l'expérience , fon attention à fe fonder
fur les connoiffances anatomiques
les plus pofitives , & à rapporter des
faits de pratique qui avoient rapport aux
points qu'il difcutoit , ne le privérent
pas des réfléxions que fon fentiment
fuggéra à des critiques qu'il appelle des
adverfaires utiles . Le jugement favorable
que des hommes d'un mérite diftingué
ont porté fur fon travail ; l'adoption que
des Chirurgiens célébres en ont faite
dans
JUILLET. 1762, 145
dans l'exercice de l'Art ; la préférence
que des Auteurs de réputation ont donnée
dans leurs Ouvrages à la doctrine que
M. Louis a établie , & l'accueil que des Juges
éclairés & impartiaux ont fait à ce qu'il
a été forcé d'oppofer aux critiques qu'ont
éffuyées fes remarques fur les amputations
, ne l'empêchent pas de ne voir
dans fes premieres recherches qu'un éffai
que des obfervations multipliées doivent
perfectionner. La campagne que l'Aч-
teur a faite l'année derniere en qualité
de Chirurgien - Confultant , dans l'Armée
du Roi en Allemagne , lui a fourni un
grand nombre d'occafions d'apprécier les
diverfes opinions , d'acquérir de nouvelles
connoiffances fur les points conteftés ,
& de chercher dans la pratique de l'amputation
de la cuiffe, la maniere la moins
défavantageufe à ceux qui auront le
malheur d'être expofés à fouffrir cette
opération .
L'amputation la plus parfaite eft fans
contredit celle dans laquelle les chairs
qui forment l'extrémité du moignon
confervent affez de longueur pour fe
maintenir au niveau du bout de l'os , c'eft
un avantage qui n'eft point ordinaire ,
furtout à la cuiffe. On coupe circulairement
la peau & la chair fur un plan égal:
I. Vol.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
mais fifans aucune précaution relative à
la rétraction des muſcles , on fcie l'os
fur le même plan que les chairs , doit-on
être furpris que la playe du moignon
au lieu de prefenter une furface platte ,
no forme par la fuite un cône plus ou
moins faillant. M. Louis expofe les grands
inconvéniens qui peuvent réfulter de cette
difpofition accidentelle de la playe.
C'est la rétraction des muſcles qui eft la
caufe de la faillie de l'os : il prouve que
ceux qui en admettent le fait, ont imaginé
que cet accident dépendoit de la fonte
du tiffu cellulaire par une fuppuration
abondante , ne ſe font pas apperçu qu'ils
faifoient de vains éfforts de raifonnemens
en fe diffimulant la caufe formelle de
cette faillie , & prenant pour elle ce
qui ne pourroit être regardé que comme
une caufe occafionnelle & déterminante
dans quelques cas feulement : mais
quand la rétraction des mufcles feroit
l'effet confécutif de la fuppuration trop
abondante , s'en fuivroit-il que la méthode
d'opérer , en confervant plus de
longueur relative aux chairs , par la plus
haute réfection de l'os , n'eût pas fur la
maniere ordinaire l'avantage de prévenir
l'inconvénient de la faillie de l'os ,
ou au moins d'en borner les effets , en la
· JUILLET. 1762. 147
rendant moindre qu'elle n'auroit été
fans l'ufage des précautions préfcrites ?
Avant que de donner de nouvelles
vues fur ce point éffentiel , M. Louis
reléve des procédés défectueux dans la
maniere de panfer les bleffés & qui contribuent
plus qu'on ne penfe à rendre la
plaie conique. Il faudroit bannir toutes
fes piéces d'appareil qui repouffent l'extrémité
des mufcles vers leur principe ,
& appliquer toutes les compreffes & les
bandes de façon qu'elles ramènent conftamment
les chairs du haut en bas.
Une autre inattention dans la pratique
des panfemens produit auffi ce fà cheux
éloignement des parties mufculeufes.
On ne prend pas affez garde à la fituation
du moignon dans le temps qu'on renoutvelle
les appareils . On fait fléchir la cuiffe
pour élever le bout du moignon , & fe
mettre à portée de panfer commodément
la plaie. Plus on avance dans la cure
, moins on prend de mefure à cet
égard . M. Louis dit qu'il a vu beaucoup
de bleffés qui , fe croyant hors de tout
danger , auroient été bien fâchés de fe
priver de la fatisfaction de faire faire à
la cuiffe un angle droit avec le corps ,
en la portant perpendiculairement en
baut. Dans cette flexion , le bout de l'os
Gij
148 MERCURE DE FRANCE .
femble fortir du moignon , & il s'éléve
effectivement au- deffus du niveau des
chairs ; c'est un mouvement déraifonnable
qu'on doit abfolument interdire , Le
Chirurgien au lieu de faire fléchir la
cuiffe, fe procurera la plus grande facilité
de panfer le malade , en le faifant foulever
des deux côtés avec une alaife , & en
plaçantfous les reins & les feffes , un petit
matelas ferme & affez épais , ou un
couffin de maroquin fait de crin bien
ferré . Les avantages de cette pofition
font fenfibles.
Mais ce que M. Louis propofe , foit
pour éviter la rétraction des muſcles en
mettant le bleffé dans une fituation favorable
, foit pour ramener les parties retirées
par l'application méthodique des
bandages , ne réfout pas les plus grandes
difficultés qu'on lui a oppofées . Un Chirurgien
de Lyon , rapporte dans un Quvrage
intitulé Mélange de Chirurgie , que
de trois amputations de cuiffe , deux faites
felon les principes de M. Louis ,
avoient été fuivies de la faillie de l'os ,
& que la troifiéme en avoit étéexempte ,
quoiqu'on n'eût eu aucun égard aux
préceptes qu'il a donnés pour éviter cet
inconvénient.
L'analyfe de ces faits & l'explication
JUILLET. 1762. 149
des cas où la rétraction des muſcles n'a
pas lieu , quelle que foit la méthode
d'opérer , forment ici une difcuffion intéreffante
: elle eft d'autant plus inftructive
que l'Auteur qui a exercé une eſpéce
de cenfure , avoit écrit ces mêmes
faits à M. Louis fix ans avant que de les
faire imprimer , & que les circonftances
expofées dans le récit particulier & obmifes
dans le récit imprimé, fervent beaucoup
à l'éclairciffement des obfervations
objectées.
De la difcuffion étendue & raisonnéede
plufieurs points capitaux , furlefquels
M. Louis rapporte des faits de pratique,
il conclut que c'eft une perfection
à ajouter aux préceptes donnés pour l'amputation
de la cuiffe , celui de ne comprimer
l'artère crurale que dans le pli de
l'aîne , de façon que les mufcles ne foient
gênés que par la bande qui doit les affermir
pendant la premiere fection circulaire.
Cette bande fupprimée , la rétraction
des muſcles fera libre , l'Opérateur
pourra donner tous fes foins à couper
les chairs qui font autour de l'os , &
affez haut , à l'endroit où il fera poffible
de le fcier avantageufement , pour conferver
les chairs dans la plus grande longueur
relative. M. Louis cite deux cas
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
"
où il a fait l'amputation de la cuiffe fans
tourniquet , en faifant fimplement appuyer
fur l'artère crurale par un aide .
L'exemple le plus récent eft fourni par
la cure de M. le Chevalier de S. Maclou
Officier au Régiment de Vaſtan , bleffé
devant Brunfwick par un coup de fufil
qui lui caffa la cuiffe. Près d'un mois
après , M. Louis trouva cet Officier dans
l'état le plus fâcheux entre les mains d'un
Chirurgien à Wolfenbuttel . Il le détermina
à fe laiffer couper la cuiffe. Le
défordre étoit tel qu'il falloit faire l'amputation
fort haut. M. Louis chargea M.
Douignor , premier Chirurgien de M. le
Duc de Brunswick de comprimer l'artère
crurale; l'opération fut faite fans difficulté
, l'os fut fcié fort haut , & le malade
fut guéri parfaitement fans avoir éprouvé
l'accident de la rétraction des chairs ;
fon moignon n'eft pas conique , il offre
au contraire une groffe maffe charnue
dans le centre de laquelle le bout de l'os
eft enfoncé .
Comme on n'eft pas toujours à portée
d'avoir des aides intelligens à qui on
puiffe confier fans danger la compreffion
de l'artère crurale , M. Louis a prié M.
Pipelet le jeune , fort expert dans la
conftruction des bandages , de lui faire
JUILLET. 1762. 151
un tourniquet pour comprimer l'artère ,
à fa naiffance au-deffous de l'arcade crurale.
Feu M. Petit avoit imaginé pour
cette compreffion un bandage plus compliqué
, parce qu'il avoit d'autres objets
à remplir dans la cure de M. le Marquis
de Rothelin , à qui il avoit coupé la cuiffe
20 ans après un coup de feu. On ne
peut , dit M. Louis en finiffant fa Differtation
, faire mention de ce cas , fans
rappeller avec reſpect pour la mémoire de
ce grand Chirurgien , que c'eft une des
guérifons qui a fait le plus d'honneur à
la Chirurgie Françoife.
M. Pipeletle jeune a terminé la Séance
par la lecture d'un Mémoire fur une hernie
particuliere de la veffie. M. Verdier
a donné dans le fecond Tome des Mémoires
de l'Académie , une excellente
Differtation fur cette matiére , où l'on
voit que le filence des Anciens fur cette
maladie a été la caufe de beaucoup d'erreurs
dans la pratique. L'attention qu'on
a donnée de nos jours à ces méprifes ,
quelques obfervations fournies par des
Auteurs modernes , & plufieurs cas particuliers
communiqués à l'Académie ont
fervi à former un corps de doctrine qui
eft une fource féconde de lumières fur
cette maladie plus commune qu'on ne
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
penfe. M. Verdier , avec tous fes fecours,
n'a pas épui é fon Sujet. Il n'a pas parlé
de la hernie de la veffie au périnée
fur les hommes. M. Pipelet a eu occafion
d'obferver ce cas ; il donne en détail
la caufe , les fignes & toutes les circonftances
qui ont accompagné cette maladie
trop longtemps méconnue , & dont
l'incommodité a difparu dès que M Pipelet
a fait porter un bandage convenale.
La defcription de ce moyen n'eſt pas
fufceptible d'extrait ; la vue de la machine
fuffit pour en faire concevoir l'utilité.
Il y a deux exemples de hernies de
veffie fur des femmes ; & elles paroiffent
naturellement devoir y être moins fujettes
que les hommes. Mais M. Pipelet
remarqué que ces deux cas bien conteftés
font arrivés à des femmes groffes.
D'après la confidération anatomique des
parties dans l'état de groffeffe , l'Auteur
explique d'une maniere démonſtrative
que ces hernies ont dû difparoître après
la groffeffe : c'eft le cas contraire de la
hernie de l'ombilic qui ne paroît plus ,
lorfque la matrice dilatée fe préfente visà-
vis du trou ombilical Le fait intéreffant
par lui - même a été confirmé par le témoignage
de M. Louis que le malade a
JUILLET. 1762. I 53
confulté pour conftater la nature & le
vrai caractère de la maladie que M. Pipelet
avoit très-judicieuſement diftingué
au premier examen.
ARTS AGRÉABLES.
GRAVURE.
AVIS concernant les Eftampes des
Ports de France.
MRS RS Cochin & Lebas avertiffent
qu'on commencera à délivrer les Eftampes
de la feconde Soufcription des Ports
de France d'après les Tableaux de M.
Vernet , le 10 Juillet , chez M. Chardin
Confeiller , Tréforier de l'Académie
Royale de Peinture & de Sculpture ,
aux Galleries du Louvre.
Ces quatre Eftampes font , la Vue de
la Ville & de la rade de Toulon , le Port
vieux de cette même Ville , le Port d'Antibes
, & celui de Cette.
En livrant ces Eftampes , les Graveurs
propofent une troifiéme Soufcription
pour quatre autres qui font la continuation
de la même fuite , fçavoir :
1º . La Vue d'une partie du Port & de
G v
154 MERCURE DE FRANCE.
la Ville de Bordeaux , priſe du côté des
Saliniérés ou l'on découvre les deux
Pavillons qui terminent la Place Royale ,
dans l'un defquels eft l'Hôtel des Fermes
& dans l'autre la Bourfe : une partie .
du Château - Trompette ; enfuite le
fauxbourg appellé les Chartrons , & la
Palue dans le lointain . A l'extrémité
l'Ormond , village à une lieu au-deffous
de Bordeaux , au pied d'une montagne
qui termine le Tableau.
>
2º. Une autre Vue du même Port prife
du Château-Trompette ; d'où l'on voit
une partie de cette Fortereffe , la Bourfe
la Place Royale & la Statue Equeftre du
Roi , l'Hôtel des Fermes , les Saliniéres
& une partie des Chantiers.
3°. La Vue de Bayonne prife à mî-côte
fur le Glacis de la Citadelle où l'on
voit la réunion des rivieres de l'Adour &
de la Nive ; le Pont du S. Efprit , celui
de Mayou & celui de Panecan . Au bord
de la riviere font rangés des vaiffeaux &
l'on découvre une partie de l'allée marine.
Sur le devant font des magafins à ferrer
du vin , & le chemin qui conduit à la
Barre. Les figures dont il eft orné font
des Bafques , des Bafquoifes & autres.
femmes du Pays.
4º. Une autre Vue de Bayonne prife
JUILLET. 1762. 155
de l'allée de Bouflers , près de la Porte
de Moufferole . On voit la Citadelle , la
Porte Royale , le Fauxbourg & le Pont
du S. Efprit : on découvre jufqu'à Blanc-
Pignon & aux Dunes où eft la Balife pour
les fignaux. Les figures font des Bafques
coeffés d'un Barret ou efpéce de Tocque ,
des Bafquoifes qui ont fur la tête un mouchoir
, des Efpagnols & des Elpagnolles
, un Tillolier & des Tilloliéres , nom
qu'ils prennent d'une efpéce particuliere
de bateaux , dont quelques-uns font repréfentés
dans le Tableau , ainfi que plufieurs
autres , comme Chalibardons ,
Bateaux de Dax , & c... On s'eſt attaché
à repréfenter ce qui peut caractériſer le
Pays & fes ufages , comme le jeu de la
Troupiole , qui confifte à fe jetter une
cruche jufqu'à ce que tombée à terre ,
elle fe caffe ; une Cacolette , ou deux
femmes fur un cheval, un caroffe à boeufs ,
tel qu'on s'en fert pour la campagne &c.
Comme MM. Cochin & Lebas ont
éprouvé que le temps qu'ils avoient demandé
lors de la feconde foufcriprion ne
leur a pas fuffi , & qu'ils ont été forcés
par la nature de l'ouvrage , & par le
temps néceffaire pour l'impreffion , d'en
retarder la livraiſon , ce qui a donné lieu
à plufieurs perfonnes de fe plaindre ;
G vj
156 MERCURE DE FRANCE .
confidérant d'ailleurs que ces quatre tableaux
qu'ils vont entreprendre font encore
plus chargés de détails qui augmentent
la longueur du travail ; ils préviennent
que dans les Reconnoiffances
pour cette nouvelle Soufcription , ils ne
peuvent prendre d'autre engagement que
celui de promettre ces Eftampes dans
le courant de l'année 1764. On peut
être affuré qu'ils ne négligeront rien pour
fatisfaire plutôt les Soufcripteurs , &
pour accélérer l'ouvrage autant qu'il fera
poffible fans nuire à la beauté de
l'exécution .
Les Perfonnes qui voudront continuer
à foufcrire donneront douze livres à
compte , ainſi qu'il a été annoncé par le
premier Profpectus. Les Graveurs avertiffent
en même temps qu'étant engagés
à recevoir de préférence les Soufcriptions
de ceux qui leur feront l'honneur de
continuer,& le nombre des Soufcripteurs
précédens étant affez confidérable pour
ne pouvoir être augmenté fans riſquer
que quelques-uns d'entr'eux n'euffent
des Epreuves moins belles , on n'en
acceptera de nouveaux que deux mois
après l'ouverture de cette livraifon ; &
feulement pour remplacer ceux qui pourroient
s'être retirés.
JUILLET. 1762. 157
LE fieur L'EMPEREUR , Graveur du
Roi , rue de la Harpe , vis- à-vis la rue
Serpente , vient de mettre en vente
deux Eftampes d'après M. Vernet , l'une
appellée la Tempête , l'autre le calme
toutes deux gravées par la D. C. E.
Coufinet , époufe du fieur L'Empereur ,
& dédiées à M. Wattelet de Valogny ,
Maréchal des Camps & Armées du Roi.
Ces deux agréables Morceaux ne peuvent
manquer de plaire aux judicieux
Eftimateurs des talens.
LE PUBLIC apprendra fans doute avec
plaifir qu'il paroît une belle Eftampe repréfentant
M.Rameau. Elle eft gravée par
M. S. Aubin , d'après le Bufte de ce célèbre
Muficien que l'on a vu au Sallon
du Louvre en 1761 , & dont M. Caffieri ,
Sculpteur du Roi , eft l'Auteur. On
vend cette Eftampe chez le fieur Joullain
, Marchand de tableaux , quai de
la Mégifferie, à la Ville de Rome.
>
LIVRE de Principes à déffiner , par
M. Dandré Bardon
Profeffeur pour
l'Hiftoire , del ' Ecole- Royale des Eléves
protégés , gravé à l'eau-forte Marpar
guerita Ludovica Amedea de Lorme du
Ronceray , terminé au burin par Etienne
158 MERCURE DE FRANCE.
Feffard , Graveur du Roi , de la Bibliothéque
du Roi , & de l'Académie Royale
de Parme. Se vend à Paris chez l'Auteur
à la Bibliothéque du Roi , & dans
la Maifon de Pierre Remy , ancien Directeur
de l'Académie de S. Luc , rue
Poupée , la deuxiéme porte cochère à
gauche en entrant par la rue Hautefeuille.
N. B. Une maladie de trois ans que
le fieur Feffard vient d'éffuyer , l'a mis
hors d'état jufqu'ici de remplir l'engagement
qu'il a contracté avec MM . les
Soufcripteurs pour les Tableaux du Cabinet
du Roi , Mais s'il a profité des momens
libres , dont il a joui pour travailler
à l'ouvrage qu'on vient d'annoncer
ainfi qu'à la lumière du monde & la Vénus
d'après M. Boucher , qui ont déja
paru , c'eft qu'il ne lui a pas été poffible
de travailler fur de grandes Planches.
Il délivrera inceffamment le Rubens ,
en fuivant les conditions de fon Profpectus
; il n'a rien négligé de tout ce qui
concerne fon Art , pour mériter le fuffrage
du Public qu'il a toujours eu en vue
comme fon principal but , dans les différentes
productions qu'il a déja données.
Ce 8 Juin 1781 .
FESSAR D.
JUILLET. 1762 . 159
Le fieur LATTRÉ , Graveur rue S.
Jacques , au coin de celle de la Parcheminerie
, à la Ville de Bordeaux , vient
de mettre au jour un Atlas Maritime
qu'il a eu l'honneur de préfenter au
Roi.
Cet Ouvrage intéreffant & qui peut
être utile en tout temps , l'eft encore davantage
eu égard aux circonftances préfentes.
Afin d'en donner idée on va le
faire parcourir rapidement à nos Lecteurs
. Le titre eft orné d'un Neptune
avec fes divers attributs furmonté
d'une guirlande de Plantes marines
qui forme le Cartel , où fe trouve l'infcription.
On rend compte dans l'Avertiffement
de la projection qu'on a employée
pour les Cartes de ce Recueil &
des moyens qui ont principalement contribué
tant à les rendre exactes dans les
parties de détail , qu'à les affujettir au
Ciel . La Carte générale eft la premiere ;
elle indique la difpofition refpective des.
Cartes particulieres. Ces Cartes qui fuivent
du Nord au Sud pour l'Océan
& de l'Ouest à l'Eft pour la Méditerranée
, font au nombre de huit ; on les
a affujetties à la projection de Mercator,
comme étant la plus comode les
pour
Marins ; il s'y trouve des détails que
la.
160 MERCURE DE FRANCE .
›
petiteffe du format ne promet point.
On y voit un très-grand nombre de
pofitions fur les Côtes ; & fur la Mer
font les bancs de fables , les rochers ,
les fondes , la variation de l'éguille aimantée
& la hauteur à laquelle la Mer
monte dans les grandes Marées , il paroît
qu'on n'y a rien oublié de tout ce
qui a rapport à la Marine .
*
Outre les huit Cartes de détail , on
en trouve trois autres à plus grand point
qui contiennent les principales Ifles qui
avoifinent nos Côtes ces Cartes qui
paroiffent autant foignées que les précédentes
, font les Ifles Gerfei , Grénefei
& Aurigni , Belle- Ifie & les Ifles de
Ré & d'Oléron. On peut dire à la louange
du Géomètre & de l'Artiſte qui ont
préfidé à cet Ouvrage , que s'ils ont fait
des éfforts pour mériter l'accueil du Public
, nous préfumons qu'ils auront atteint
le but. Après les Cartes fuivent
les Plans de nos Ports les plus confidérables.
Ces plans font fuivis d'une idée
de chacune de ces Villes , dans laquelle
on indique ce qu'il y a de plus intéreffant
à fçavoir fur chacune.
Ce Volume qui eft du même format
que l'Etrénne Géographique & l'Atlas
Militaire que l'on trouve chez le même,
JUILLET. 1762.
161
1
fe vend relié en maroquin & lavé
15 liv. relié en veau fans lavure 9. liv . Il
devient très - néceffaire aux perfonnes
qui foufcrivent aux belles vues de nos
Ports , par M. Vernet exécutée par
par MM. Cochin & Lebas.
CARTE du Paffage de l'ombre de la Lune
au travers de l'Europe dans l'Eclipfe
du premier Avril 1764 .
LE
Es grandes Eclipfes du Soleil font
des Phénomènes affez frappans pour mériter
l'attention du Public & intéreffer fa
curiofité ; il n'en eft guères arrivé que
les Aftronomes n'ayent eu le foin de les
prédire avec toutes leurs circonstances ;
fouvent ils en ont mis les détails fous les
yeux des Amateurs , par le moyen des
Cartes féparées faites à ce deffein .
L'Eclipfe de Soleil qui s'obfervera le
premier Avril 1764, offrira un Phénomène
unique & qui ne s'eft jamais vu en
France ou du moins qui n'y a jamais été
obfervé de manière à être confacré dans
l'Hiftoire de l'Aſtronomie ; ainfi il intéreffe
également les Aftronomes & le
Public ; il doit fournir une occafion favorable
pour juger du diamètre de la Lu162
MERCURE DE FRANCE.
ne dans les Eclipfes , beaucoup mieux
qu'on ne peut le faire dans toute autre circonftance
& dans toute autre Eclipfe .
Madame le Paute , appliquée depuis
longtemps & avec fuccès à des recherches
d'Aftronomie qui font autant
d'honneur à fa pénétration qu'à la folidité
de fon efprit , a fait fur l'Eclipfe
de 1764 un travail particulier dont elle
vient de publier le réfultat dans une
Carte de l'Europe que l'ombre de la
Lune traverfera ce jour -là dans moins
de deux heures prèfque toute cette partie
du Monde ; de plus cette ombre
y eft repréſentée féparément fous fa forme
Ecliptique ; on voit fur le côté de la
Carte un croiffant qui repréfente la maniére
dont l'Eclipfe paroîtra à Paris &
une couronne qui exprime la maniére
dont on la verra en Efpagne , en Bretagne
, en Normandie & en Flandres
enfin tout ce qu'il peut y avoir d'intéreffant
& de remarquable dans une
Eclipfe de Soleil y eft mis fous les yeux
d'une maniere palpable & qui n'exige
ni méditation ni calcul ; une courte explication
annonce l'objet de cet ouvrage
, fon utilité , & les différentes parties
qui le compofent.
›
La gravure de cette Carte exécutée
JUILLET. 1762. 163
par Madame Lattré , augmente encore
le mérite de l'ouvrage , & montre dans
le beau Séxe une feconde efpéce de talent
; les ornemens font gravés par
Madame Tardieu en forte que cet
ouvrage dans toutes fes parties annonce
des femmes diftinguées dans les
Sciences & dans les Arts , digne de fervir
aux autres de modéles & d'objets
d'émulation . Cette Carte eft imprimée
en deux couleurs & fe vend avec l'explication
3 liv. à Paris , chez Lattré ,
Graveur , rue S. Jacques , au-deffus de
celle de la Parcheminerie , à la ville de
Bordeaux .
P
MUSIQUE.
REMIER & fecond Recueil d'Airs
François & Italiens , Romances , Brunettes
, Vaudevilles , Menuets & c . choifis
dans les Opéra- Comiques qui ont eu
le plus de fuccès , comme le Maréchal
ferrant , le Cadi duppé , On ne s'avife
jamais de tout Annette & Lubin , le
Jardinier & fon Seigneur , le Maître en
Droit , l'Ile des Foux & c . accommodés
pour deux fluttes , deux violons ou
,
deux pardeffus de viole par M. Granier,
164 MERCURE DE FRANCE.
premier Violoncelle de la Comédie Italienne
, prix 6 liv. chaque volume . A
Paris , chez M. de la Chevardiere , rue ,
du Roule , à la Croix d'Or.
RECUEIL d'Airs à chanter d'Annette
& Lubin avec accompagnement de clavecin
, harpe , ou violoncelle . Prix ,
3 liv. 12 f. à la même adreffe.
SYMPHONIES périodiques , Nº . 25.
26. 27. 28. 29. 30. 31. del Signor Cannabich
, Toëfchi , Philidor , Stumpff,
Holzbaur , prix , 2 1. 8 f. chacune, mifes
au jour par le fieur de la Chevardiere
, Editeur du Journal périodique de
Symphonies , qui continue toujours cet
ouvrage .
Annette & Lubin , Partition in-folio ,
prix 12 liv, y compris les Parties féparées.
A la même adreffe.
JUILLET. 1762, 165
ARTICLE V.
SPECTACLES.
O
OPERA.
N a continué le Ballet des Fêtes
Grecques & Romaines. Le 15 Juin
Mlle Hebert a débuté par le rôle de Cléopatre.
Cette A&trice eft d'une taille trèshaute
, mais affez bien proportionnée ,
pour que cela ne contribue qu'à lui
donner de la nobleffe , fans faire difparate
avec les autres , parce qu'elle n'a
rien de gigantefque. On lui reconnoît
généralement un caractére impofant dans
la marche , dans le maintien & dans
l'action , quoique l'on s'apperçoive à
certains excès dans le gefte , qu'elle
s'eft exercée longtemps en Province ;
mais depuis fon début , elle a déja gagné
du côté du goût en perdant beaucoup
de cette vicieuſe habitude . Quant
à l'organe , on ne peut en parler fans
craindre de précipiter un jugement ; la
timidité femble encore voiler un peu
fa voix , dont le fon malgré cela n'a
166 MERCURE DE FRANCE.
rien de défagréable. Elle a une bonne
maniere de chanter ; elle montre de l'intelligence
& de la fenfibilité . Cette Débutante
peut devenir très- utile , fi elle
s'engage à l'Opéra.
Le Mardi 6 du préfent mois de Juillet
, l'Académie Royale de Mufique remettra
fur fon Théâtre les Caractères
de la Folie , Ballet. Le Poëme eft de M.
Duclos , Secrétaire perpétuel & l'un des
40 de l'Académie Françoife , Hiftoriographe
de France. La Mufique eft de
M. de Buri , Surintendant de la Mufique
du Roi.
Ce Ballet a été donné , la premiere
fois au mois d'Août 1743. L'Auteur
du Poëme avoit rapporté les caractères
de la Folie , à trois efpéces principales ;
les Manies , les Paffions & .les Caprices.
Parmi les Manies , on avoit choifi
l'Aftrologie , qui faifoit le Sujet du
premier Ace . Entre les Paffions , on
avoit préféré l'Ambition ; c'étoit le Sujet
du deuxième Acte . Les Caprices de
l'Amour formoient le troifiéme Acte .
Le tout précédé d'un Prologue . On a
changé cette diftribution pour la repriſe
de ce Ballet. L'Aftrologie eft encore au
premier Acte , les Caprices de l'Amour
feront au deuxiéme ; on a fubftitué un
JUILLET. 1762. 167
nouvel A&te , qui fera le troifiéme , dont
le Sujet Paftoral eft intitulé Hilas &
Zelie. Les paroles de ce nouvel Acte ne
font point de M. Duclos.
On a rendu compte du fuccès favorable
qu'eut ce Ballet en 1743 , dans les
Mercures de cette même année ; on y
trouve l'Extrait de ce Poëme , tel qu'il
parut alors. ( a ) Nous donnerons celui
du nouvel Acte dans le Vol. prochain ,
en informant du fuccès qu'aura eu cette
repriſe.
Nota. Nous croyons concourir au
progrès de l'Art Dramatique dans le
genre de l'Opéra , en remettant fous les
yeux des obfervations déja publiées tant
de fois fur les Ballets , répétées journellement
dans le Public & cependant
encore trop négligées. Nous communiquerons
à cet effet , dans le vol. fuivant,
une Lettre qui nous a été adreffée depuis
la repriſe des Fêtes Grecques &
Romaines ; nous ne pouvons l'inférer
dans celui- ci,
(a ) V.le Mercure de Septembre 1743.
168 MERCURE DE FRANCE.
COMÉDIE
FRANÇOISE.
LES Comédiens François avoient annoncé
le 5 Juin la 14° & derniere repréfentation
de Zelmire . Ayant été redemandée
avec la plus grande vivacité , cette
Tragédie a été encore repréfentée le 16
& le 19 du même mois. Les applaudiffemens
ont été les mêmes qu'aux premieres
repréfentations ; l'affluence a été
égale , malgré l'extrême chaleur de la
faifon & l'abfence d'une grande partie
des plus affidus Spectateurs des Théâtres.
Pendant les dernieres repréſentations ,
la Piéce a paru imprimée , (a) avec quelques
changemens que lesActeursne joueront
qu'à la reprife de l'hyver prochain.
Nous allons rendre compte de ce qu'il y a
de plus important dans les corrections.
Au quatriéme Acte , l'Auteur paroît
s'être conformé au vou des Connoiffeurs
que nous lui avions annoncé dans
le précédent Mercure . Zelmire livre ellemême
fon Père en croyant livrer un
Soldat Troyen . Cette fituation eſt réta-
( a ) A Paris chez Duchefne , Libraire , rue S.
Jacques , au Temple du Goût , avec une Préface.
Prix 30 fols.
blie
JUILLET. 1762. 169
blie dans toute la force qu'elle avoit
à la premiere repréſentation ; mais elle
nous paroît préparée avec plus d'art.
& traitée avec plus de chaleur , en ce
que le danger de Polydore eft plus preffant
aux yeux de Zelmire. Elle voit les
flambeaux tout prêts pour embrafer les
Vaiffeaux où elle croit que fon père s'eft
retiré. Elle veut fe jetter au - devant des
flammes ; on l'arrête . Elle n'a donc plus
d'autre moyen , pour détourner la mort ,
dont elle croit fon père menacé fur les
Vaiffeaux , que de déclarer à Rhamnès
que le Troyen qu'il pourfuit eft retiré
dans le Tombeau . Pour ménager la délicateffe
du Spectateur , M. de Belloy a
exprimé très clairement que Zelmire
pour fauver les jours de fon père , n'a
cru livrer le Troyen inconnu qu'à la captivité
& non pas à la mort . C'eft fur la foi
des fermens de Rhamnès , & ce Rhamnès
eft un Général qui fonde même ce
ferment fur le droit des gens....
--
>>S'il étoit Lefbien , dit- il , il périroit en traître...
Mais il eft étranger , il a fervi fon Maître.
>> Dites- nous ( à Zelmire ) où vos yeux l'ont vu le
>> retirer ,
>> Devant tous mes foldats je veux bien lejurer ,
I.Vol H
170 MERCURE DE FRANCE.
» En lui donnant des fers ma clémence & ma
»gloire
» N'étendront pas plus loin les droits de la victoi-
>> re.
Pour qu'il ne refte rien d'équivoque
à cet égard , l'Auteur fait dire à
Zelmire :
part
à
.... » Mon Père , hélas ! pour un autre attendrie ,
>> Dois-je à fa liberté facrifier ta vie.
La Scène fuivante offre encore un
Morceau dans lequel l'Auteur a refondu
deux couplets qui ont acquis par ce
moyen un nouveau degré de chaleur,
Les menaces d'Ilus ont paru à tous les
Connoiffeurs plus fortes ,plus préciſes, &
l'on entrevoit plus clairement qu'il a le
billet , que Rhamnès lui enléve enfuite.
On a généralement approuvé la réponſe
d'Flus fur le murmure que Zelmire laiffe
échapper contre la Juffice du Ciel dont
ce Prince croit avoir un garant dans le
billet d'Azor.
•
» Sa juſtice eft pour nous. Elle tient enfermés
›› Dans un nuage encor ſes foudres allumés ;
›› Mais fon bras inviſible , étendu fur le crime
Voile , pour mieux frapper , les yeux de ma vic-
» time.
JUILLET. 1762. 171
Dans l'Edition de cette Piéce , l'Auteur
a rétabli 24 Vers qui n'ont point
été dits fur la Scène & qui contiennent
l'explication de toute la conduite de Rhamnès.
M. de Belloy obferve très-judicieufement
dans fa Préface , que le Lecteur
veut qu'on lui rende compte de tout , au
lieu que le Spectateur difpenfe d'une
exactitude qui le refroidiroit.
Cette Préface , bien écrite , & dans
laquelle l'Auteur montre beaucoup de
connoiffance fur l'efprit & le caractère
diftinctif de notre Théâtre , eft importante
à lire ; mais nous croyons pouvoir
ajouter quelques obfervations plus détaillées
pour éclaircir une difcuffion littéraire
, fur laquelle nos Lecteurs nous
fçauront gré, peut-être , de nous étendre
davantage.
REMARQUES fur les rapports
entre HIPSIPILE & ZELMIRE.
M. De Belloy , ainfi qu'il arrive à tout Autcur
qui réuſſit , a dû éxciter d'abord l'envie de fes
concurrens à laquelle fe joint encore avec plus
de vivacité la malignité de leurs partifans . Il a
donc été accufé de n'être que le Traducteur
d'Hipfipile , Tragédie de M. Meftaftafio , Traducteur
lui- même, dans prèfque toutes les Pièces,
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
des divers Théâtres de l'Europe , principalement
des Théâtres François & Anglois ; fans avoir
éprouvé ce reproche , & fans que cela ait en rien
préjudicié à fa célébrité.
M. De Belloy a cependant été obligé de fuivre
une route entierement oppofée à celle de l'Auteur
Italien ; & le plan de Zelmire , n'a aucun rapport à
celui d'Hipfipile : il étoit impoffible que la févérité
des regles de la Tragédie Françoife le prétât
aux licences de l'Opéra Italien. On verra fans
doute avec plaifir les différences de ces deux
Drames.
Dans Hifipile, toutes les femmes de Lemnos
ont confpiré enfemble d'égorger tous les hommes
de leur Ifle , pour les punir d'avoir fait des
maîtrefies dans la Thrace où ils avoient porté
la guerre. On fent facilement combien on auroit
pû jetter de ridicule fur une pareille confpiration.
D'ailleursHipfipile n'ayant pas contre Thoas,
fon père, la même raifon de vengeance qui anime
les femmes de Lemnos contre leurs maris , il
n'eft point vraisemblable qu'on lui confie le foin.
d'égorger elle -même fon père & fon Roi. C'eſt
cependant fur ce fait qu'eft fondée toute l'action
de l'Opéra , & c'eft peut-être ce qui porte les
Italiens à ne point mettre ce Drame , malgré
toutes fes beautés , au même rang que les autres
Tragédies de fon illuftre Auteur.
Léarque , jeune -homme de la Cour de Lemnos ,
a voulu enlever Hipfipile. Son complot ayant
été découvert , Thoas l'avoit exilé. Dans fon
défefpoir il s'étoit mis à la tête de quelques Pirates
avec lesquels il defcend à Lemnos , précifément
le jour du maſſacre général de tous les
hommes de cette Ifle. Eurinome , ſa mère , eſt à
la tête des barbares Lemnienes. Léarque eft ab-
•
JUILLET. 1762. 173
horré d'Hipfipile , mais aimé de la jeune Rodope
qu'il méprile. On voit que tous ces événemens
n'ont rien de femblable à ceux de Zelmire . Ce ne
font ni les mêmes perfonnages ni les mêmes
intérêts. Il n'y a dor éxactement comme le
dit M. De Belloy daner Préface , que trois fcènes
où il a pu imiter Miccaftafe , encore dans ces
trois fcènes n'a- t-il pu emprunter qu'une vingtaine
de vers à l'Auteur Italien .
"
1
La premiere eft celle du fecond Acte de Zelmire
où cette Princeffe s'accufe devant Ilus
d'avoir livré fon père à la mort . Le fond fe rapproche
de celle d'Hipfipile & de Jafon , mais
les détails en font tout différens ; par exemple ,
quand Eurimone accufe Hipfipile d'avoir affaffiné
fon père , cette Princeffe fe contente de répondre
à Jason ; il est vrai. Zelmire , paroît prendre un
ton plus héroïque dans ce Vers qui a été tant applaudi
,
35 Mon coeur , immole -toi , la caufe en eft trop belle .
Il femble auffi qu'il y ait plus d'art dans l'équivoque
des vers ſuivans :
Oui, réduite à choifir de mon père ou d'Azor……..
Ce que j'ai fait enfin , je le ferois encor.
Ils font d'autant plus heureux , qu'on y trouve
un motif vraisemblable pour autorifer la crédulité
d'Ilus. Il feroit poffible en effet à la rigueur,
que Zelmire eût embrallé les intérêts de fon
frère & qu'elle eût une âme auffi dénaturée que
lui avec les mêmes dehors de vertu . Nous pouvons
avancer qu'il n'y a pas un mot dans les fureurs
d'Ilus contre Zelmire , que l'on trouve dans
les emportemens de Jafon contre Hipfipile.
La feconde ſcène où il y a rapport entre les
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
deux Drames
"
•
eft celle du troifiéme Acte de
Zelmire , où le trouve le grand coup de Théâtre
qui caractériſe fi énergiquement la fcélérateffe
d'Antenor. Dans Métaftafe , Léarque veut affaffiner
Jafon , celui- ci eft endormi, Hipfipile arrête le
bras de Léarque , ils fe opor attent longtemps .
Léarque ne veut lâcher le poignard qu'à condition
qu'Hipfipile le fuivra. Enfin voyant que
Jafon s'éveille , il laiffe le poignard & s'enfuit.
Jafon voit le poignard dans les mains de fa
femme , il croit qu'elle a voulu l'affaffiner.
En vain elle s'efforce de ſe juſtifier , en vain elle
lui déclare que Thoas eft vivant , que c'est pour
le fauver qu'elle a feint de l'immoler ; Jafon ne
veut rien croire ni rien entendre. Hipfipile menace
de fe tuer , Jafon l'en empêche & la chaffe
de devant lui par ce Vers.
„, Mori , fi vuoi morir : ma mori altrove .
Meurs fi tu veux mourir : mais va mourir ailleurs .
Indépendamment de ce que nos Spectateurs
n'auroient pas admis , ainfi que l'obſerve M. De
Belloy , un Acteur endormi fur la scène ; on
n'auroit pu fupporter l'opiniâtreté de Jafon , &
l'on eût défiré qu'Hipfipile s'attachât à lui & ne
le quittât pas , puiſque par fon départ & celui de
fes Theffaliens , Thoas devenoit abfolument fans.
reffource. Métaftafe avoit emprunté ce coup de
Théâtre de la troifiéme fcène du troifiéme Acte de
CAMMA , Tragédie de Thomas Corneille . Il l'avoit
traité différemment. Il n'eft befoin que de fe rappeller
la scène de Zelmire , pour voir combien
fon Auteur s'eft écarté des deux autres . L'intrépide
fcélérateffe d'Antenor qui accafe Zelmire , &
fe juftifie quand elle l'accufe à fon tour ; la contrainte
affreufe où il met cette malheureufe Princeffe
qu'il empêche de s'expliquer fur le fort de
fon père & de fe fervir de cet unique moyen
JUILLET. 1762.
175
qui lui refte pour convaincre Ilus de fon innocence
; les efforts attendtiffans qu'elle fait pour
indiquer à fon mari par des mots équivoques
ce qu'elle ne peut lui dire ouvertement : tout
cela appartient irrévocablement à M. De Belloy ;
& il n'en a pu trouver d'idée dans l'Hipfipile de
Métaftafe .
La troifiéme fcène enfin , que l'on peut comparer
, eft celle où Thoas vient fur le Théâtre fans
qu'on fcache pourquoi & y rencontre Jafon quile
croit mort. Jafon lui affure en effet qu'il l'a vu
mort.
,, Come refurgi ? Eftinto
,, Nall' albergo real ti vidi io ftello.
Thoas eft obligé de lui expliquer qu'il n'a vu
qu'un Malheureux , couvert de les habits & que la
pitié d'Hipfipile a fait paffer pour lui , c'eſt alors
que Jafon s'écrie , Ah ! mon époufe eft donc innocente
de tout ce que je lui imputois.
,, Ah di tutto innocente dunque é la ſpoſa mia.
Voila le morceau où les deux Auteurs ſe reffemblent
le plus & le moins. Ce qui n'eſt dans
Jafon que le langage froid de la réfléxion , eſt
dans la bouche d'Ilus , le premier cri du ſentiment.
Il ne veut point d'explication , il devine
tout , il voit tout dès qu'il apperçoit Polidore.
C'est ce qui donne tant d'effet fur l'âme à ces
mots Zelmire eft innocente Rien n'eft fi commun
en foi , mais le moment où ils font placés
en fait tout le prix. Tout le monde pourroit dire :
Vous pleurez , vous changez de visage , mais tout
le monde ne le diroit pas avec cet a - propos ni
dans les circonstances qui rendent ces paroles
fi fublimes dans Zaïre , & dans Mithridate.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE .
D'ailleurs , comment ce coup de Théâtre f
frapant eft-il préparé dans Zelmire ? Les regards
que cette Princefle jette fur le tombeau , les difcours
équivoques qui font foupçonner à Ilus ,
qu'elle y cache un complice ; la réfòlution qu'il
prend d'y entrer l'épée à la main ; l'effroi dont
le fpectateur eft faifi en croyant qu'Ilus va dans
fon erreur égorger le malheureux Polidore :
voilà encore des traits tout neufs & que M. de
Belloy n'a furement pas imité de l'Italien . Si
c'eft traduire une Piéce que d'en imiter trois
fcènes dont on ne prend que le fens d'une vingtaine
de vers , M. de Belloy n'aura été que le
Traducteur de Métaftafe . Mais en ce cas il aura
les Corneille , les Racine , les Voltaire , &
dans un autre genre Moliere pour complices de
cette forte de plagiat. Ils ont été fouvent plus
loin que lui dans ces imitations , non-feulement
irrépréhenfibles , nous ne craignons pas de dire
fouvent très- defirables & très -ingénieufes. Ainfi,
pour l'intérêt de notre Théâtre , on prend la liberté
de confeiller à nos jeunes Auteurs de fuivre
ces grands modéles , plutôt que de décrier
Ceux qui paroiffent vouloir fe former fur de tels
exemples. On doit regretter même que M. de
Belloy , n'ait pu ou n'ait ofé traduire littéralement
, pour Zelmire , le dénoûment d'Hipfipile ,
que nous croyons fupérieur au fien , quoique
celui de Zelmire ait paru & foit réellement trèsneuf
& très-frapant. Apparemment que prévenu
par les Auteurs d' Amenophis & d'Hypermnestre,
celui de Zelmire s'eft trouvé dans la néceffité d'inventer
un dénoûment qui n'appartînt qu'à lui.
Mais il eft fâcheux que ceux qui ont accommodé à
leur fujet la fin d'Hipfipile , n'ayent pu conferver
dans toute fa pompe ce fpectacle le plus beau,
JUILLET. 1762. 177
le plus pathétique qui foit fur aucun Théâtre ,
& furtout le double tableau qui ravit l'admiration
des connoiffeurs. Nous allons tenter d'en
donner une légére idée , perfuadés que quelqu'étendue
que foit cette eſpèce de differtation , quelques
Lecteurs nous fcauront gré de leur faire
connoître ce morceau .
Dans la Tragédie de Métaftafe, Learque n'ayant
pu enlever Hipfipile, enléve Thoas , perfuadé qu'elle
fuivra un père auquel elle a tout facrifié. La
Princeffe accourt en effet fur le rivage avec Jafon
& les Theffaliens . Léarque paroît fur le tillac de
fon vaiffeau, entouré de fes Pirates & tenant Thoas
enchaîné . Il leve le poignard fur ce Prince & menace
de l'immoler fi Jafon fait un pas pour approcher
des vaiffeaux . Il fait plus , il ordonne à
Hipfipile de le venir joindre fur fon bord , Gnon
il va percer Thoas à fes yeux . Quelle fituation
pour Thoas , pour Jafon & pour Hipfipile!
Jafon veut s'élancer fur le vailleau , arrête , s'écrie
Hipfipile , ce monftre va frapper mon père. Cette
malheureufe Princeffe fe détermine , après les
plus tendres inftances , à fubir la loi du Barbare.
Elle monte fur l'efpèce de pont qui communique
du rivage au Vaiffeau ; elle regarde en
frémillant tantôt fon Père , tantôt fon amant
défefpéré. Que fais - tu , s'écrie Thoas qui eft
toujours fous le couteau . J'ai affez régné , j'ai
trop vécu ; vis & régne avec JASON , conferve mon
fang dans fa pureté. Je t'élevai pour être unie à
un Roi & non pas à un Pirate. Tu dois donner
le jour à des Héros , deviendrois- tu la mère
de fcélérats ? La mère de Léarque , cette Eurinome
, qui joue un fi grand rôle dans la Piéce ,
accourt ignorant tout ce qui fe palle & vient for
le rivage pour fuir avec fon fils . Jafon fe pré-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
cipite vers elle , la faifit avec fureur , léve fon
épée & menace à fon tour de la tuer , fi Léarque
ne rend la liberté à Thoas. Cette double
fituation n'eft- elle pas le comble de l'intérêt &
l'effort du génie ? Il faut que Léarque céde ; s'il
ofoit immoler Thoas, fa mère en feroit la victime,
& Hipfipile eft perdue pour lui. Ce monftre a la
fcélérateffe de répondre à Jafon , qu'il peut frapper
Eurimone , mais qu'il faut qu'Hipfipile vienne.
A ce comble d'horreur Jafon va frapper. La
Nature cependant parle au coeur du cruel Léarque.
Il frémit malgré lui. Arrête , Jafon , tu as
vaincu..... Je te dois donc la vie , dit Eurinome
à fon fils. Non , répond- il , j'aurois voulu fou
tenir le fpectacle de votre mort , je n'en ai pas
le courage. O foible caur ! tu ne peux être vertueux
, tu ne peux être fcélérat . Tes incertitudes
me perdent. Je vais t'en punir. Il fe frappe & ſe
précipite dans la mer .
Nous ofons avancer qu'il n'y a rien für aucun
Théâtre qui puiffe furpaffer la beauté de
ċette fcène . Nous en aurons pour garant
le fentiment , peut-être même l'entoufiafme
de tout Lecteur qui fe repréſentera vivement
la force de ce tableau & la puiffante horreur
de cette fituation . On a crû devoir ,
juftifiant l'Auteur de Zelmire d'une injufte imputation
, rendre en même temps hommage au
célébre Poëte Italien qu'on l'acculoit d'avoir
copié .
Fin des Remarques fur la Tragédie de Zelmire
& fur celle d'Hipfipile.
en
Comptables au Public de la vérité des
faits,nous ne le fommes pas moins de tout
JUILLET. 1762. 179
ce qui peut avoir rapport à l'en couragement
néceffaire pour foutenir & pour
accroître , s'il eft poffible , les talens qui,
en différens genres , rendent notreThéâtre
fi recommandable dans l'Europe . Ce
motifvient de nous engager à difcuter l'efpéce
de rumeur vague & mal fondée qui
s'étoit élevée contre la juftice due à l'Auteur
de Zelmire.C'eft dans le même efprit
que nous allons parler de la Comédie
intitulée les Méprifes ou le Rival par
reffemblance ; donnée pour la premiere
fois par les Comédiens François le 7
Juin , & retirée par l'Auteur après cette
premiere repréfentation . Nous ne
donnerons point l'analyfe de cette nouvelle
Piéce qui , par l'impreffion , va être
fous les yeux du Public. (a )
Si la célébrité du nom de l'Auteur
devoit fervir de recommandation à fon
nouvel Ouvrage , il faut convenir que
trop de gens fe croyoient intéreffés à
ne lui pas pardonner le fuccès brillant
de la Comédie des Philofophes , pour
qu'il ne dût pas s'attendre à éprouver
beaucoup de contradictions .
(a ) Cette Comédie de M. Paliffot eft imprimée
fous le feul titre du Rival
par reffemblance
avec une très - courte Préface & des notes inftructives
, chez Duchefne , rue S. Jacques , au Tena
ple dú Goût.
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
&
Nous prions les Lecteurs d'obſerver
que nous ne devons dans nos Articles ,
non feulement nous prêter à aucune
des paffions qui peuvent agiter des partis
ennemis dans la Littérature , mais
qu'il ne nous convient pas même d'adopter
, d'approuver , ni d'improuver
les motifs qui donnent lieu à ces partis
. En conféquence , dans tout Ouvra
ge dont nous rendons compte , nous
ne devons voir que l'Ouvrage même ;
toute autre confidération doit nous être
interdite .Il ne nous eft pas plus permis de
garder un filence , fans doute très-commode
en certaines circonstances , mais
dont l'affectation trahiroit l'impartialité,
le premier de nos devoirs. Ainfi nous
dirons avec affurance ce que nous
croyons vrai.
Plus cette nouvelle Comédie étoit
intriguée , plus elle avoit befoin d'une
attention favorable pour être entendue .
Sans prétendre établir une comparaiſon ,
qui ne peut avoir lieu en des genres
oppofés , quel eft l'homme qui pourroit
fe flatter de faifir l'enfemble d'Heraclius
, pour peu qu'il eût négligé de
fuivre ce qui lie & ce qui prépare les
événemens de ce Drame. La Comédie
dont il s'agit , pleine d'à -propos & de
JUILLET. 1762 . 181
traits dont le moindre degré d'attention
eût fait appercevoir la fineffe , ne paroît
pas avoir été écoutée affez tranquillement,
pour qu'on doive la regarder comme
jugée .
Une idée ingénieufe forme le noud
& l'intrigue de cette Piéce ; & cette idée
même , que M. Paliffor avoue n'être
pas à lui ( b ) , eft un des prétextes qui
a donné le plus de carrière aux critiques
précipitées , qui ont interrompu
l'attention fi néceffaire pour le fuccès.
La Comédie du Rival par reffemblance
eft fondée fur la reffemblance parfaite
de deux perfonnages ,à - peu-près comme
les Menechmes. Pour rendre vraifemblable
aux yeux cette reffemblance ;
l'Auteur avoit conduit fa Piéce de maniere
, que les deux perfonnages ne paroiffoient
jamais enfemble fur la Scène
; un feul Acteur pouvoit , fous des
habits différens , remplir à la fois les
deux rôles , ce qui étoit établir l'illufion
dans la plus grande approximation de la
vérité .
On conçoit qu'à la faveur des Mafques
antiques , Plaute ait pu fe paffer .
( b) Voyez l'Avertiffement à la tête de l'Edition
de cette Comédie.
182 MERCURE DE FRANCE.
de cette reffource dans fon Amphitrion
& dans fes Menechmes. Ces Maſques
pouvoient fe reffembler affez parfaitement
pour que l'illufion fût complette ;
mais à nos Spectacles il n'eft rien peutêtre
d'auffi choquant pour les yeux &
de moins vraisemblable , que de voir
deux Acteurs abfolument différens &
par la figure & par les organes . En ef
fet , comment croire par exemple que
Grandval & Poiffon fuffent deux hommes
entierement femblables .
Dans la Piéce nouvelle cette
difficulté heureufement furmontée fembloit
devoir lui promettre un fuccès
d'autant plus certain , qu'elle en devenoit
plus intéreffante & conduite avec
plus d'art. Mais il paroît qu'on ait affecté
de confondre les deux perfonnages
, au point qu'à la fin de la repréſentation,
beaucoup de gens foutenoient que
l'Auteur n'avoit voulu en introduire
qu'un feul , & l'identité d'Acteurs , dont
on n'étoit pas prévenu , a fait croire à
l'identité des Perfonnages. Rien ne prouve
mieux combien peu l'intrigue de la
Piéce avoit été faifie & combien par
conféquent une décifion devenoit hazardée
.
Cette inattention d'une partie du PuJUILLET.
1762. 183
"
blic nous paroît tirer à des conféquences
d'autant plus grandes contre l'intérêt
de notre Théâtre , le feul objet qui
doive nous affecter dans la rédaction
de cet Article , que le genre de la Comédie
devient aujourd'hui prèfqu'abandonné
; que M. Paliffot, eft un de ceux
fur qui le Public avoit paru fonder fes
efpérances ; que par la Piéce des Tuteurs
il avoit annoncé les plus heureufes difpofitions
pour cette carrière ; que peutêtre
il s'étoit approché du genre de Moliere
même , dans plufieurs fcènes de la
Comédie des Philofophes ; qu'ainfi les
Amateurs impartiaux du Théâtre doivent
defirer que l'on concourre à encourager
des talens qui peuvent lui devenir
utiles, plutôt que de chercher des
occafions de venger , par des dégoûts ,
des quérelles étrangeres à ce genre.
Pour mettre en état de juger du ftyle
de cette nouvelle Piéce , nous allons
en tranſcrire , fans choix , deux fcènes
prèfque entieres. La premiere eſt entre
Dorimon & Clerval , l'un père &
l'autre amant de Lucile ; le caractère
de Dorimon eft annoncé précédemment
par ces Vers :
..... ......
Son père eft un vieillard ,
Efpéce d'ours , animal campagnard ,
184 MERCURE DE FRANCE.
Fort entêté de fon rang , de fes titres ,
De fon blafon , deffiné fur les vitres ,
De fon Château ; tout plein du vieil honneur ,
Bourgeois ici , dans fon hameau Seigneur ,
Sauvage aux Champs & frondeur à la Ville :
Sa paffion dominante eft Lucile . &c .
Ce caractère fe développe de lui -même
dans la Scène IV du premier A&te.
On vient de l'interromp; e au milieu
d'une déclamation fatyrique contre Paris:
il reprend ainfi :
J'en parle encor avec trop d'indulgence :
Leluxe a pris un degré d'infolence
Si révoltant , fi ſcandaleux ! les moeurs
Y font rougir : des travers , des noirceurs ,
Nulle décence , encor moins de fcrupule ,
Le ren lez -vous de rous les ridicules.
Des jeunes foux dont on n'ofe approcher ;
Un important qui s'érige en Cocher ,
Et dont l'adreffe en ce vil miniſtère ,
Paroît l'effet d'un art héréditaire ;
Des Ecrivains audacieux par choix ,
Qui n'ont d'efprlt que pour fronder les Loix :
Une Coquette infultant la décence ,
Et dont les airs font rougir l'Innocence ,
Qui fans pudeur , des dons d'un étourdi
Fait en Public l'inventaire hardi:
JUILLET. 1762. 185
Tout eft excès , profufion , délire .
Eh ! qui peut voir & s'empêcher de rire ,
Des Plébeiens habitant des Palais ,
De leurs couleurs chamarer des Valets ,
A leurs feftins appeller l'harmonie ,
Donner chez eux Concerts & Comédie ,
Impunément trancher du Souverain ,
Et le montrer avec un front d'airain ;
Voilà pourtant ce qu'on appelle ufages ,
Et nous avons la fureur d'être Sages !
CLERVAL.
C'eft nous juger avec trop de rigueur :
Quoi! rien ne peut vous défarmer , Monfieur?
Ici les Arts raffemblent leurs miracles ,
Et quand Paris n'auroit que fes Spectacles ,
Ces Monumens , l'honneur du nom François ,
Se pourroit-il ? ...
DORIMO N.
Moi , je n'y vas jamais
Je n'aime point toutes ces Tragédies ,
Du mauvais goût dolentes rapfo ties ;
On en fait trop , c'eſt un genre épuifé ,
Depuis longtemps le moule en eſt briſé.
De tant d'Auteurs la ftérile abondance
M'afflige aufli pour l'honneur de la France.
Paris eft plein de ces petits talens ,
Dont le cothurne écrafe le bon lens :
Phédre , Cinna , Rhadamifte , Zaïre ,
186 MERCURE DE FRANCE.
Trésors de l'art qui devroient nous ſuffire,
Et qui devroient à tout petit rimeur ,
De fon néant montrer la profondeur ,
Défigurés , traveftis , mis en piéces ,
Sont en détail mutilés dans leurs Piéces.
Ce n'eft plus là ce qu'il faut aujourd'hui ,
Trop d'abondance améne enfin l'ennui.
Et que m'importe à moi Rome ou la Gréce
Eh ces échos fe répétant ſans ceile
Corrigent-ils mes défauts , mon humeur ?
Que de nos jours il s'élève un Cenſeur ,
Qui de fon fiécle affrontant l'injuftice ,
Avec éclat faffe la guèrre au vice :
Voilà l'Auteur que j'irois approuver.
CLERVA L.
C'eſt fort bien dit ; mais l'homme eft à trouver
DORIMON.
Vraiment fans doute , il faudroit du courage,
Et ce n'eft plus morbleu notre partage .
CLERVA L.
Ainfi , Monfieur , vous pensez qu'autrefois
Tout alloit mieux.
DORIMO N.
Comment , fi je le crois !
Tu le verras , fi tu viens dans mes terres ,
Tout y reffent la candeur de nos pères :
J'ai confervé jufqu'au fauteuil à bras ,
Où mes Ayeux , Guerriers & Magiftrats ,
A leurs Vaffaux rendoient juftice eux- mêmes.
Ce temps n'eft plus.
JUILLET. 1762. 187
CLERVAL.
Ne foyons point extrêmes ,
vertus
•
Je l'avouerai tout âge à ſes abus ;
Mais notre fiécle a produit des
Je dirai plus , des actes d'héroïfme ,
De grandeur d'ame & de patriotiſme.
Fut-il un temps plus marqué par l'honneur ?
Il nous manquoit l'épreuve du malheur.
Nous lui devons ces glorieux exemples
Qu'Athène auroit confacrés dans les temples.
Tous ces vaiffeaux , ces fruits de notre amour
Renouvellés , reproduits chaque jour.
Quand les François ont-ils mieux fait connoître
Ces fentimens qu'ils ont tous pour leur Maître
Interrogez , confultez nos rivaux :
Oui , le François peut avoir les défauts :
Inconféquent , léger , brillant , frivole ,
La vanité , le luxe eft fon idole ;
Mais à fon coeur le vice eft étranger :
S'il a d'abord un fuccès paffager ,
La Raiſon vient écarter ces nuages.
Le plus beau ciel n'eft pas exempt d'orages :
Rien n'eft conftant dans ce vafte Univers.
Je fuis bien loin d'excufer nos travers ;
Mais n'en croyons ni l'aigreur ni l'envie ;
Aimer fon Roi , l'honneur & la Patrie ,
De tout François tels font les fentimens ,
*
Ils font vainqueurs du Caprice & du Temps.
188 MERCURE DE FRANCE.
DORIMON.
Ah tu me fais abjurer la Satyre &c .
Nous ne croyons pas qu'aucun Auteur
comique ait donné à la Nation un
éloge plus honorable & d'autant plus
flateur , qu'il contrafte avec une Satyre ,
& qu'il réduit pour un moment le frondeur
au filence : nous ofons dire que
rien n'étoit plus propre à concilier à
l'Auteur la bienveillance du Public.
Nous ferions obligés de copier le
rôle entier de Dorimon qui domine
dans toute la Piéce , fi nous voulions
rapporter tout ce qui nous a paru digne
d'être cité.
Tout eft dans ce genre énergique &
mâle , dont on trouvé peu d'exemple dans
nos meilleure's Comédies ; les morceaux
fuivans font d'un ftyle plus gracieux &
ne nous paroiffent pas inférieurs aux
précédens.
La premiere Scène du cinquiéme Acte
fe paffe entre Lucile & fa Suivante ;
celle - ci croit avoir befoin de fortifier fa
maîtreffe contre un Amant qu'elle foupçonne
d'être infidéle.
LIZETTE.
Il a reçu les lettres de congé.
JUILLET. 1762. 189
Hélas !
LUCILE,
LIZETT E.
Prenez un air moins affligé ,
Cette douleur va mal avec vos charmes :
Métite-t-il que vous verfiez des larmes ?
LUCILE.
; Moi je rougis de fon lâche détour
Ne confonds pas le dépit & l'Amour.
Avec quel art le cruel m'a trompée !
Combien mon âme étoit préoccupée !
Tout décidoit fon coupable embarras .
Et nous livrons nos coeurs à ces ingrats !
Nous prétendons , aveugles que nous fommes ,
Régner fur eux !
LIZETTE.
Et oui , voilà les hommes ,
Je m'y connois. Donnez un libre éffor
A vos regrets , car vous l'aimez encor ;
Mais croyez- moi , confolez - vous bien vîte,
C'eſt honorer un traître qui, nous quitte
Que de porter le dépit auffi loin.
N'avons-nous pas un vengeur au beſoin ?
C'est l'amour- propre ; & le Ciel dans nos âmes
Le mit exprès pour confoler les femmes .
Il vous dira comme il faut fe vanger
D'un étourdi qui croit nous affliger ;
Combien il faut lui cacher fa foibleffe ;
Et s'il fe peur , le gagner de vitelle..
190 MERCURE DE FRANCE.
C'eſt par l'orgueil que nous donnons des loix.
Ah ! fi j'avois mieux connu tous nos droits ,
Jamais ingrat n'eût trompé ma franchiſe ;
Mais fur ma foi je n'y ferai plus prife,
J'en réponds bien .
LUCILE .
Ni moi , tu le verras :
3 LIZETT E.
Tenez , ce ton ne me raſſure pas .
Qu'on a de peine à s'armer de courage !
N'auriez-vous pas reçu quelque meſſage
Depuis tantôt ?
LUCILE, timidement.
J'ai rencontré Frontin .
LIZETT E.
Qui vous aura confié le chagrin ,
Le repentir , les regrêts de fon Maître ?
Il aura pu vous ébranler peut- être ;
Mais croyez-moi , nouvelle trahiſon .
LUCILE.
Non, ce n'eſt pas ce qu'il me diſoit.
LIZETTE.
LUCILE , affligée.
Il va partir déſeſpéré , Lizette.
LIZETTE.
Bon !
Eh bien , tant mieux vaut- il qu'on le regrette ?
LUCILE.
Mais il me cherche avec empreffement ;
JUILLET. 1762 . 19t
Il veut , dit-il , me parler un moment ,
C'eſt ſon eſpoir , & la derniere grace
Qu'il obtiendra.... Que veux-tu que je faffe ?
LIZETTE,
Et vous avez promis ?
LUCILE.
Mais à - peu-près.
LIZETTE .
Ah ! qu'ils font bien de tendre leurs filets ?
Nous y voilà: je m'en étois doutée.
Une parole avec art concertée ,
Quelques foupirs, un coup d'oeil , prèſque rien...
Ma foi , Madame , ils nous connoiſſent bien .
Nous devrions , pour l'honneur de l'eſpèce ,
Leur épargner encor ces frais d'adreſſe,
LUCILE.
Si tu fçavois , hélas ! quand un Amant
Sur notre coeur a pris de l'afcendant ,
Que l'on oublie aiſément ſa colère !
LIZETTE.
Oui , cela tient : un fripon qui fçait plaire
Eft en effet un mal très-dangerereux, &c.
Tel eft le ſtyle de cette Piéce ; l'entente
des Scènes & la précifion du Dialogue
en font un des plus grands mérites.
Mais l'Auteur avoit déja fait fes
preuves dans cette partie de l'Art Dramatique.
Les traits de Comique de fi192
MERCURE DE FRANCE .
tuation ne s'y trouvent pas avec moins
d'avantage ; c'eft ce qui nous fait croire
que cette Comédie , pourroit avoir rang
un jour parmi celles qui font demeurées
au Théâtre , malgré les raifons momentanées
qui ont du déterminer l'Auteur
à la retirer.
MORT de M. de CRÉBILLON.
Par la mort de M. Profper Joliot de
Crébillon , Ecuyer , l'un des 40 de l'Académie
Françoiſe , des Académies de
Dijon & de Rouen , Cenfeur Royal &
de la Police , la Scène Tragique vient
de perdre un de fes plus célébres Auteurs
, on pourroit dire même, la Nation ,
un Poëte qui avoit contribué à fa célébrité
dans l'art dramatique , puifque
nous étions déja accoutumés à placer
fon nom avec ceux de Corneille & de
Racine. Nous perdons auffi par là un
de ceux avec lesquels il eft le plus honorable
de partager les bienfaits dont
le Roi a daigné gratifier quelques gens
de Lettres par des penfions fur le Mercure
. M. de Crébillon eft mort à Paris
le 17 Juin dernier ; il étoit né à Dijon
le 13 Janvier 1674. Nous donnerons
dans le Volume prochain un éloge hiftorique
de cet illuftre Auteur. Nous
pouvons
JUILLET. 1762. 193
pouvons avancer , par les foins que nous
avons pris , que nous fommes en état de
faire part au Public , dans cet éloge , des
circonftances les plus vraies & les plus
détaillées qu'il foit poffible de recueillir
fur la vie , le caractère & les Ouvrages
de cet Auteur. Quelqu'étendue que
puiffe avoir cet éloge hiftorique , nous
penfons qu'il féra agréable au Public
toujours intéreffé à s'inftruire de tout
ce qui concerne les grands hommes
dans les divers ordres de la Société.
M. de Crébillon ne laiffe d'héritier
de fon nom qu'un fils ( M. de Crébillon,
fils , Cenfeur - Royal , connu depuis
longtemps & diftingué dans un genre
très-différent de celui qu'illuftroit fon pè
re,mais dans lequel il a fait paroître tout
le brillant de l'imagination , & l'éclat de
l'efprit , rendus avec les graces élégantes
d'un ftyle à lui , & auquel enfin
nous devons une efpéce neuve de
Contes dont il a été le créateur.
COMÉDIE ITALIENNE.
ONNa repréſenté fur ce Théâtre le
3
Juin l'Amant Corfaire , ( Sujet tiré dù
Conte intitulé le Calendrier des Vieil
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
lards. ) Cette Piéce a été retirée par les
Auteurs après deux Rèpréfentations ,
fans y avoir été obligés par le Public
qui avoit applaudi à plufieurs Ariettes ,
lefquelles avoient paru faire beaucoup
de plaifir , toute la Mufique de cette
Piéce ayant été fort bien reçue.
Le 23 , on donna la premiere repréfentation
de la Nouvelle Italie , Comédie
en 3 Actes , partie en Italien & partie
en François , mêlée d'un grand nombre
d'Ariettes avec Spectacle.
Il nous eft difficile de parler fur ces
fortes de drames, pour lefquels il eſt befoin
d'être accoutumé à un goût étranger
, très-éloigné de l'ordre & de la régularité
de la Scène Françoife . On ne
peut au jufte apprécier les motifs de
plaifir ou d'indifférence qui déterminent
le Public à l'égard de ces fortes
d'ouvrages. Celui-ci femble avoir été
bien reçu en beaucoup d'endroits de la
Piéce. A travers la difparate violente
des Ariettes qui fortent fubitement de
la déclamation & de beaucoup d'autres
irrégularités qui font fouffrir la vraiſemblance
, le fond qui lie les Scènes de
ce Drame femble être affez ingénieux ;
il produiroit peut-être encore un meilleur
effet , s'il étoit poffible de raffemJUILLET.
1782. 195
bler un grand nombre de Spectateurs
qui entendiffent également les deux
Langues ; ce qui nous a paru indifpenfablement
néceffaire pour fentir l'intérêt
& les fineffes dont cette intrigue fe
roit fufceptible. Nous donnerons une
légére idée du fujet de cette Comédie
dans le prochain Mercure.
On ne peut être plus vivement & plus
généralement applaudi & le mériter
mieux , que Mlle Piccinelli dans le
genre
de talens convenable à celui de cette
Piéce. Indépendamment des applaudiffemens
juſtement donnés à toutes les
Ariettes Italiennes qu'elle chante ; on a
été agréablement furpris de l'intelligence
, du feu & de l'âme avec lefquels elle
a rendu le principal rôle dont elle
étoit chargée . Malgré la maniere natio
nale , un peu forte à nos yeux , fans
laquelle cependant on rendroit mal un
rôle Italien , on a remarqué & fort applaudi
dans fon jeu , une forte de nobleffe
qui en bien des occafions fe
rapprochoit de la maniere françoife.
Cette Actrice n'avoit pas eu jufques-là
occafion de développer cette forte de talent
qui ajoute à celui du chant.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
CONCERT SPIRITUEL.
OxN a exécuté le jour de la Pentecôte
& celui de la Fête -Dieu , les deux
derniers Concerts de la Société de Madame
Royer , M. Capran & M. Mondonville.
Mlles Fel , Lemiere , Bernard &-Villette
y ont chanté de petits Motets , entr'autres
Regina coeli de M. Mondonvil
le , Confitemini , Duo de M. Cordelet.
M. Capran a exécuté les deux jours
des Concerto de violon , & M. Balbaftre
a joué fur l'orgue l'ouverture de
Daphnis & Alcimadure , & un Concer
to de fa compofition.
Les Motets à grand Choeur qu'on a
exécutés font Dominus regnavit de M.
Delalande. Le Motet d'Orgue de M.
Mondonville , Nifi Dominus du même
& le très-beau Motet Venite exultemus
dont le verfet Venite adoremus & procidamus
, & ploremus ante Dominum
qui fecit nos , toujours admirablement
chanté par Mlle Fel a été bien fenti par
le Public ; ce qui a redoublé fes applau
diffemens & les remercîmens de M.
Mondonville, marqués par les geftes les
JUILLET. 1762. 197
plus expreffifs d'une modefte fatisfaction
& de la reconnoiffance la plus
vive.
Les fuffrages du Public pour les Ouvrages
de M. Mondonville étoient en
effet d'autant plus flatteurs , que néceffairement
fes Motets ont été très-fouvent
répétés depuis plufieurs années, &
font extrémement connus , ce qui affoiblit
l'impreffion des plus belles chofes.
C'étoit donc en cette occafion un
double tribut dont le Public s'acquittoit
& pour le talent de l'Auteur en général
& pour le mérite réel de l'Ouvrage.
Nous annoncerons quelles difpofitions
aura faites la nouvelle Compagnie
l'ouverture de fes Concerts.
pour
FESTE donnée à M. le DAUPHIN
& à Madame la DAUPHINE , par
Madame la Comteſſe DE MARSAN ,
dans fa Maifon d'ANDRESY , le
Mardi 8 Juin 1762 .
MONOSNSEEIIGGNEUR LE DUC DE
BERRY & Mgr le Comte de PROVENCE
font arrivés fur les 11 heures ; M. le
DAUPHIN & Madame la DAUPHINE
I iij
198 MERCURE DE FRANCE .
vers le midi. Ils fe font promenés fur la
terraffe & dans les jardins avant le dîner.
Au fruit , font arrivées 20 Bergères
d'Andrefy , les plus jolies de ce Village
que Madame la Comteffe de MARS AN
avoit fait habiller de blanc avec des guirlandes
de fleurs ; à leurs têtes & habillées
de même , étoient les Dlles Beauran
, la Malle , Victoire , & Sixte ; elles
portoient chacune une corbeille de
fleurs & de fruits qu'elles ont préſentés
à M. le DAUPHIN , à Madame la
DAUPHINE & auxPrinces, en chantant
le Morceau de Jephté , que tout brille
en ce Boccage , accompagné de deux
Hautbois & deux Baffons.
On a exécuté enfuite plufieurs Duo
Italiens & François , & alternativement
les Clarinettes ont joué différens Morceaux
.
La table levée , fur les 4 heures , M.
le DAUPHIN , Madame la DAUPHI-
'NE & les Princes ont monté dans leur
Gondolle , & à l'inftant toute la rivière
s'eft couverte d'un grand nombre de
Bateaux , garnis de verdure & remplis
de monde , qui fe font détachés des
deux pointes de l'Ifle . Trois Bateaux
chargés de 80 Muficiens ont efcorté la
Gondolle jufqu'à l'Iſle. -
JUILLET. 1762 . 199
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110
10
Le premier étoit rempli de Violons ,
Baffes & autres Inftrumens à corde ; le
fecond , de Clarinettes , Baffons , Flûtes
& Hautbois ; le troifiéme , de Trompettes
& de Timballes , &c.
M. le DAUPHIN , Madame la DAVPHINE
& les Princes ont monté dans l'Ifle
: à chaque pas, ils trouvoient une nouvelle
occafion d'agréable ſurpriſe. Dans
un Bofquet , formant un coup d'oeil
champêtre , s'eft trouvé un Concert ,
compofé de Morceaux de différens Opé
ra;l'Orcheſtre, le fond & les côtés étoient
formés par des feuillées.
Dans une autre feuillée , on a entendu
une Arriette chantée par le fieur Bêche;
unpeu plus loin , un Choeur de Bergers
& de Bergères que l'on ne voyoit
pas. Vers la gauche de l'Ifle , à l'approche
de M. le DAUPHIN , deux grandes
portes de verdures fe font ouvertes , &
on a vu exécuter un Ballet Pantomime
d'enfans Jardiniers , conduit par M. de
vis-à- vis , dans un Bofquet ferpar
des feuillées , s'eft fait entendre
un Concert Italien , dans lequel les Dlles
Piccinelli , & de Giardini , & le fieur
Albaneze ont chanté plufieurs Ariettes ,
le tout accompagné par un excellent
Laval ;
mé
Orchestre .
I iv
198 MERCURE DE FRANCE .
vers le midi . Ils fe font promenés fur la
terraffe & dans les jardins avant le dîner.
Au fruit , font arrivées 20 Bergeres
d'Andrefy , les plus jolies de ce Village ,
que Madame la Comteffe de MARSAN
avoit fait habiller de blanc avec des guirlandes
de fleurs ; à leurs têtes & habillées
de même , étoient les Dlles Beauran
, la Malle , Victoire , & Sixte ; elles
portoient chacune une corbeille de
fleurs & de fruits qu'elles ont préſentés
à M. le DAUPHIN , à Madame la
DAUPHINE & auxPrinces, en chantant
le Morceau de Jephté , que tout brille
en ce Boccage , accompagné de deux
Hautbois & deux Baffons.
On a exécuté enfuite plufieurs Duo
Italiens & François , & alternativement
les Clarinettes ont joué différens Morceaux
.
La table levée , fur les 4 heures , M.
le DAUPHIN , Madame la DAUPHINE
& les Princes ont monté dans leur
Gondolle , & à l'inftant toute la rivière
s'eft couverte d'un grand nombre de
Bateaux , garnis de verdure & remplis
de monde , qui fe font détachés des
deux pointes de l'Ifle. Trois Bateaux
chargés de 80 Muficiens ont eſcorté la
Gondolle jufqu'à l'Iſle .
JUILLET. 1762 . 199
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Le premier étoit rempli de Violons ,
Baffes & autres Inftrumens à corde ; le
fecond , de Clarinettes , Baffons , Flûtes
& Hautbois ; le troifiéme , de Trompettes
& de Timballes , & c .
M. le DAUPHIN , Madame la DAUPHINE
& les Princes ont monté dans l'Ifle
:à chaque pas, ils trouvoient une nouvelle
occafion d'agréable furpriſe. Dans
un Bofquet , formant un coup d'oeil
champêtre , s'eft trouvé un Concert ,
compofé de Morceaux de différens Opéra;
l'Orcheſtre,le fond & les côtés étoient
formés par des feuillées.
Dans une autre feuillée , on a entendu
une Arriette chantée par le fieur Bêche;
un peu plus loin , un Choeur de Bergers
& de Bergères que l'on ne voyoit
pas. Vers la gauche de l'Ifle , à l'approche
de M. le DAUPHIN , deux grandes
portes de verdures fe font ouvertes , &
on a vu exécuter un Ballet Pantomime
d'enfans Jardiniers , conduit par M. de
Laval; vis-à - vis , dans un Bofquet fermé
par des feuillées , s'eft fait entendre
un Concert Italien , dans lequel les Dlles
Piccinelli , & de Giardini , & le fieur
Albaneze ont chanté plufieurs Ariettes ,
le tout accompagné par un excellent
Orchestre .
I iv
198 MERCURE DE FRANCE.
{
vers le midi. Ils fe font promenés fur la
terraffe & dans les jardins avant le dîner.
Au fruit , font arrivées 20 Bergeres
d'Andrefy , lés plus jolies de ce Village
que Madame la Comteffe de MARSAN
avoit fait habiller de blanc avec des guirlandes
de fleurs ; à leurs têtes & habillées
de même , étoient les Dlles Beauran
, la Malle , Victoire , & Sixté ; elles
portoient chacune une corbeille de
fleurs & de fruits qu'elles ont préfentés
à M. le DAUPHIN , à Madame la
DAUPHINE & auxPrinces, en chantant
le Morceau de Jephte , que tout brille
en ce Boccage , accompagné de deux
Hautbois & deux Baffons.
On a exécuté enfuite plufieurs Duo
Italiens & François , & alternativement
les Clarinettes ont joué différens Morceaux
.
.. La table levée , fur les 4 heures , M.
le DAUPHIN , Madame la DAUPHINE
& les Princes ont monté dans leur
Gondolle , & à l'inftant toute la rivière
s'eft couverte d'un grand nombre de
Bateaux , garnis de verdure & remplis
de monde , qui fe font détachés des
deux pointes de l'Ifle. Trois Bateaux
chargés de 80 Muficiens ont efcorté la
Gondolle jufqu'à l'Ifle .
JUILLET. 1762. 199
Le premier étoit rempli de Violons ,
Baffes & autres Inftrumens à corde ; le
fecond , de Clarinettes , Baffons , Flûtes
& Hautbois ; le troifiéme , de Trompettes
& de Timballes , & c .
M. le DAUPHIN , Madame la DAUPHINE
& les Princes ont monté dans l'Ifle
: à chaque pas, ils trouvoient une nouvelle
occafion d'agréable furpriſe. Dans
un Bofquet , formant un coup d'oeil
champêtre , s'eft trouvé un Concert ,
compofé de Morceaux de différens Opéra;
l'Orcheſtre,le fond & les côtés étoient
formés par des feuillées .
Dans une autre feuillée , on a entendu
une Arriette chantée par le fieur Bêche;
un peu plus loin , un Choeur de Bergers
& de Bergères que l'on ne voyoit
pas. Vers la gauche de l'Ifle , à l'approche
de M. le DAUPHIN , deux grandes
portes de verdures fe font ouvertes , &
on a vu exécuter un Ballet Pantomime
d'enfans Jardiniers , conduit par M. de
Laval , vis-à-vis , dans un Bofquet fermé
par des feuillées , s'eft fait entendre
un Concert Italien , dans lequel les Dlles
Piccinelli , & de Giardini , & le fieur
Albaneze ont chanté plufieurs Ariettes ,
le tout accompagné par un excellent
Orchestre .
I iv
200 MERCURE DE FRANCE .
De là , on a paffé à la Pêche : le Sallon
de verdure deſtiné à recevoir M. le DAUPHIN
& Madame la DAUPHINE , les
Princes & leur Cour , étoit embelli par
des guirlandes de fleurs , les rives de la
Seine garnies de Spectateurs, & la rivière
couverte de bateaux , formoient le plus
beau fpectacle. Madame DF MARSAN,
entierement occupée de l'amufement des
jeunes Princes , & inventant jufqu'aux
moindres chofes qui pouvoient y contribuer
, avoit trouvé le moyen de rendre
la Pêche fort agréable & fort heureufe
, & de faire en forte que les lignes
ne fuffent pas jettées en vain .
Après avoir quitté la Pêche , M. le
DAUPHIN & Madame la DAUPHINE
ont trouvé fur leur paffage vers le
milieu de l'Ifle , un Bal champêtre , formé
par les Payfans & les Payfannes du
Village : ce Spectacle qui leur étoit nouveau
a paru les amufer par fa gaîté & fa
fimplicité ; les Dames & Seigneurs de
leur Cour y ont danfé plufieurs Contredanfes.
A quelques pas on avoit fait préparer
des rafraîchiffemens de toutes efpéces ,
& pendant qu'on les diftribuoit , le fieur
Lochbrucker a joué plufieurs Airs fur la
Harpe , accompagnés de deux cors de
JUILLET. 1762. 201
Chaffe ; M. le DAUPHIN & Madame
la DAUPHINE font revenus au Concert
Italien , qu'on a terminé par les quatuor
dufieur Triel ; rien n'a manqué à
l'arrangement & à l'exécution.
M. le DAUPHIN & Madame la
DAUPHINE , voulant marquer
marquer leur
fatisfaction , ont defiré de refter à fouper
& ne font partis qu'à 11 heures du foir :
les Danfes Villageoifes n'ont pas difcontinué
jufqu'à leur départ.
Cettte Fête a été conduite fous les
ordres de Madame la Comteffe de MARSAN
par le fieur Delagarde , Maître
de Mufique des Enfans de France , en
furvivance .
LETTRE à l'Auteur du MERCURE.
J'AI ' AI l'honneur de vous envoyer, Monfieur
, la defcription d'une petite Fête
champêtre que M. le DAUPHIN &
Madame la DAUPHINE ont eu la
bonté de voir avec complaifance au retour
de la magnifique Fête que Madamela
Comteffe de MARSAN leur a donnée
à Andrefy le 8 de ce mois.
Pour célébrer le paffage de la Famille
I v
202 MERCURE DE FRANCE .
Royale , Madame la Comteffe de PONS,
fille de feu M. le Maréchal de la Fare ,
Chevalier d'Honneur de Madame la
DAUPHINE, avoit fait décorer la porte
de la belle maifon qu'elle occupe à
·Carriere près Poiffy, d'un cordon de pots
à feu & d'une illumination , au centre
de laquelle on voyoit un grand Ecuffon
aux Armes de M. le DAUPHIN & de
Madame la DAUPHINE. Au - deffus
étoit une banderolle lumineufe tenue
des deux côtés par deux Syrènes marquées
en flanc des armes de la Fare &
chargée de cette inſcription :
Vivere pro te,
Pro te læta mori : fic docuit genitor.
C'est-à-dire inftruite par mon père ,je
m'eftimerai toujours heureufe de vivre
& de mourirpour vous.
On fçait que ce Seigneur porta fon
attachement pour M. le DAUPHIN. &
Madame la DAUPHINE. jufqu'au dernier
moment.
Dans l'avenue en face de la maifon
une joie naïve animoit des danfes de
Payfans & de Payfannes. Au moment
du paffage des carroffes on danfoit le
* Il eft mort de la petite vérole qu'il a prife
dans l'appartement de M. le DAUPHIN lorfque
les jours de ce Prince étoient menacés.
JUILLET. 1762. 203
Carillon de Dunkerque , & l'on chantoit
fur l'air de cette contredanfe , ces
couplets faits pour l'occafion .
LES FILLES.
O vous qui tenez l'être
De notre augufte Maître ,
Quel plaifir en ce jour
D'vous témoigner notre amour !
Les déteftables guerres
Font tréffaillir nos mères ,
Nous ôtent nos Amans ,
Et font taire nos chants :
Nos vins font fans chalans.
Malgré tout c'mauvais temps ,
Quand j'vous voyons paroître ,
Je nous fentons renaître ,
J'oublions tous nos maux
Pour danſer fous ces ormeaux.
LES GARÇONS.
7
Vos Soeurs font à Plombière ,
Que n'font-ell's à Carrière !
Nos tranfports font pour vous ,
Puifque vous v'nez par cheux nous.
Dites-leur bon voyage ;
Mais viv' viv' not' rivage ,
Où l'on ne boit point d'iau :
Fréquentez not Côtiau ,
I vj
204 MERCURE DE FRANCE ,
J'yous f'rons boire à gogo
De not' bon vin nouviau ;
L'illuftre Gouvernante ,
Cette Fé' bienfaifante ,
* Vous fra voir des Saumons
Où nous n'prenons qu'des Gougeons.
TOUS ENSEMBLE.
O Famille Royale ,
D'une ardeur fans égale
Nous formons mille voeux ,
Pour qu'not' Roi foit heureux !
Not' Roi bon , jufte & fage ,
Ufant avec ménage
Du coeur de fes Sujets ,
Son tréfor , pour jamais ,
Sçaura forcer l'Anglois
A demander la paix .
Notre hommage eft fincère ;
Tout eft à votre Père ,
Nos coeurs , nos biens & nous :
Ainfi nous le jurons tous .
* Allufion à la Pêche merveilleufe qui diftinguoit la
Fête de Madame DE MARSAN.
JUILLET. 1762 : 205
ARTICLE VI.
NOUVELLES
POLITIQUES.
SUIVAN
De VIENNE, le 29 Mai.
UIVANT les nouvelles du 13 de ce mois
envoyées par le Feld- Maréchal Comte de Serbellony,
Commandant Général en Saxe , tous les
poftes avancés de l'Armée Impériale & Royale
qui étoient à Lattorff, Honichen , Dobeln , & aux
environs , y avoient été attaqués la veille de trèsgrandmatin
par un Corps de Troupes ennemies ,
à la tête duquel étoit le Prince Henry , & qui s'étoit
avancé en quatre colonnes , conduites par
les Généraux Stutterheim , Platten , Hulfen &
Seydlitz.
Ces Troupes ont formé leur attaque avec la
plus grande impétuofité , & malgré la défenſe
qu'on leur a oppofée de toutes parts , les nôtres
ont été obligées de céder à la fupériorité du
nombre & de fe retirer. Le Lieutenant Général
Baron de Ried a , entr'autres , repouffé l'ennemi à
plufieurs repriſes avec les Troupes qu'il commandoit.
Lorfqu'il s'eft vu dans la néceffité d'abandonner
le terrein qu'il occupoit , il ne l'a quitté que
pás à pas.
Cependant les ennemis , dont on eftime que le
nombre montoit à quarante mille hommes , fe
font enfuite avancés fur Freyberg , où étoit le
Général Maquire , qui fe voyant par là en danger
d'être débordé fur fes deux flancs, prit , à ce qu'on
4
206 MERCURE DE FRANCE.
a fçu par fes Lettres du 14 & du 16 , le parti d'abandonner
ce pofte pour aller camper à Difpol
difwalde ; ce qu'il a exécuté dans le meilleur ordre
& fans aucune perte.
On a appris le 27 , par les nouvelles de Saxe ,
que le 22 de ce mois , le Général Lucfinsky & le
Prince de Stolberg réunis ont attaqué le Corps
Pruffien qui occupoit Chemnitz , & qu'après un
combat affez vif, ce dernier en avoit été délogé
avec une perte de fix à fept cens morts & autant
de Prifonniers.Les Autrichiens fe font emparés de
fept piéces de canon , outre quatorze caillons &
beaucoup de munitions. De plus , trois piéces de
canon , & différens caiffons & chariots de munitions
, venoient d'être trouvés dans les bois &
nos Troupes s'étoient emparés d'une grande
quantité de bagages. Il nous eft venu fept cens
transfuges , dont la plupart font de nos Soldats
que les Pruffiens avoient contraints de fervir parmi
eux , & qui ont profité de cette occaſion pour
revenir à leurs Drapeaux.
Le 24 , le Lieutenant Fold Maréchal Baron de
Ried , fit attaquer à Wilfdruff deux bataillons
ennemis. Ils ont été mis totalement en déroute.
On leur a tué beaucoup de monte , fait grand
nombre de prifonniers , & enlevé deux pièces de
canon.
De NEUKIRCHEN , près de Chemnitz , le 2 Juin.
Nous apprenons qu'hier , avant le jour , le Général
Maquire a fait attaquer le Corps ennemi ,
aux ordres du Colonel Kleift , que ce Corps a été
prèfque totalement détruit , qu'on s'eſt emparé
de deux pièces de canon ; qu'on a pris un Colonel
, dix autres Officiers & trois cens trente-ſept
Soldats ; que le reſte a déſerté en grande partie ;
JUILLET. 1762. 207
que le Colonel Kleift a été contraint de fe fauver
en chemife ; & que notre perte ne monte qu'à
une trentaine d'hommes.
De LEIPSICK , le 23 Mai.
Le Quartier Général du Prince Henry continue
d'être à Freyberg , & fes poftes avancés s'étendent
jufqu'à Oftra.
Des Lettres de Siléfie marquent que le Feld
Maréchal Comte de Daun s'avance , à la tête de
quatre-vingt mille hommes vers Breſlau , & qu'en
même temps , les Généraux Loudon & Beck avec
cinquante mille , fe portent du côté de Neiſs.
Selon les mêmes Lettres , le Baron de Loudon
fera le Siége de cette derniere Place , tandis que
le Maréchal de Daun obfervera le Roi de Pruffe ,
qui occupe le même Camp où le Prince de Bevern
s'eft maintenu fi longtemps avec fuccès . Les
Autrichiens ont laiffé dans le Camp de Schwei1-
nitz douze mille hommes , auxquels fe joindra
le Corps de Troupes actuellement campé entre
Bautzen & Seidenberg.
De RATISBONNE , le 8 Juin.
Une Lettre de Ratzebourg , dattée du 26 du
mois dernier , annonce que le 25 les Pruſſiens
ont évacué le Meckledbourg. Les Troupes qu'ils
avoient laiffées dans ce Duché , forment un Corps
de deux mille cinq cens hommes , & elles ont
pris la route de la Silégie .
De LISBONNE , le 11 Mai.
Deux Régimens Irlandois , chacun de onze
cens hommes , arrivérent le 6 de ce mois dans ce
port. Leur débarquement s'eft fair le 10 , & il fe
208 MERCURE DE FRANCE.
font mis en marche vers Parcallotta . On attend
inceffamment fix mille Anglois.
De MADRID , le Juin.
Le Marquis de Sarria , par un Courier dépêché
du Quartier Général de Dos - Iglefias , a informé
le Roi d'Espagne , que le 9 du mois dernier ,
dans le temps que les Troupes de Sa Majefté
Catholique deftinées à faire le Siége de Miranda
, étoient occupées à dreffer une batterie ,
le feu avoit pris par accident dans la Ville à un
Magafin à poudre , & l'avoit fait fauter . Quoique
les hoftilités ne fuffent pas encore commencées
, cet événement a déterminé Don Benito - Jofeph
Fagueredo , Gouverneur de la Place , à demander
fur le champ qu'on n'allât pas plus avant ,
& à fe rendre prifonnier de guerre avec fa Garnifon.
On a trouvé dans Miranda , indépendamment
de l'Etat-Major de la Place , vingt Officiers,
quinze Sergens , un Tambour , & trois cens
quatre-vingt dix- huit Soldats du Régiment de
Bragance; deux Cavaliers ; un Officier & quinze
Soldats d'Artillerie , & trois Ingénieurs. Les autres
Officiers & Soldats , qui étoient de garde ,
ont été prèfque tous enfevelis fous les ruines du
Magafin à poudre ; & l'on compte qu'il en a couté
la vie à cinq cens perfonnes , en y comprenant
les habitans qui ont eu le malheur de périr .
Selon les Lettres de l'Armée du Roi datċes du
15 , le Marquis de Caballos a pris poffeffion de
Bragance. On n'a trouvé dans la Place , que dixhuit
canons très- peu propres au ſervice , deux
mille fufils en très- mauvais état , & quelques paires
de piftolets. La Garnifon en étoit fortie avant
d'être alliégée ; le Gouverneur ayant mieux aimé
conferver la liberté , que de fe défendre conforJUILLET.
1762. 209
mément à ce que lui prefcrivoient l'honneur & le
devoir. Le Marquis de Sarria a fait fauter les
fortifications de Miranda & celles de Bragance.
Le Colonel Don Alexandre Relli ayant eu
ordre du Marquis de Sarria d'aller fommer le
Gouverneur de Chaves , qui eft à quatorze lieues ,
y arriva , en deux jours , ayant dirigé fa marche
avec
tant de filence , qu'étant arrivé de
nuit fous les murs de la Ville , il en trouva les
portes ouvertes , & la Citadelle abandonnée par
la Garnifon , qui étoit cependant composée de
deux mille hommes.
Le détachement qui , fous les ordres du Marquis
de Cala Tremanes , Maréchal de Camp , s'eft
porté à Moncorvo , a pris poffeffion de cette Place
que la Garniſon a auffi abandonnée , & d'où les
Magiftrats Municipaux fe font également retirés .
L'Armée continue d'avancer dans le Portugal ,
& l'on compte qu'elle dirigera fa marche vers
Lisbonne , tandis qu'un détachement ſe rendra à
Porto , pour s'emparer de ce Port.
De VENISE , le 29 Mai.
François Loredano , Doge de cette République,
mourut ici le 19 de ce mois , âgé de foixantedix-
fept ans. Il avoit été élu Doge , le 18 Mars
1752. Pendant la plus grande partie de fon régne,
il a été accablé d'infirmités , qui ne lui ont prèfque
point permis de remplir les fonctions de fa
dignité. Depuis les Fêtes de Pâques , il a éprouvé
une agonie continuelle. Sa mort ne fut annoncée
que le 24. Hier , on commença les premieres
balotations , qui fe pratiquent pour le choix des
quarante & un Electeurs du nouveau Doge.
De NAPLES , le premier Mai.
On a reçu avis de Conftantinople que le Grand,
Seigneur venoit de perdre fon fils.
210 MERCURE DE FRANCE .
De GENES , le 7 Juin.
Hier , le fieur Boyer de Fons- Colombe , Envoyé
Extraordinaire du Roi Très - Chrétien auprès
de cette République , eut fon Audience du Doge ,
à laquelle , fuivant l'ufage , affiftérent les deux
Sénateurs réfidens au Palais , & le Secrétaire
d'Etat des Affaires Etrangeres.
DE LA HAYE , le 8 luin.
George-Guillaume , Fils aîné de Chrétien
Prince de Naffau- Weilbourg , & de Caroline ,
Princeffe de Naffau - Dietz , mourut le 27 du mois
dernier , au Château de Honzelaërdyck . Il étoit
né le 10 Décembre 1760 .
Le Comte d'Affry , Ambaffadeur du Roi de
France auprès des Etats Généraux , ayant reçu le
premier de ce mois fes Lettres de rappel , prit
congé le de leur Hautes- Puiffances , & partit
le jour fuivant , pour aller fervir , en fa qualité
de Lieutenant-Général , dans l'Armée de Sa Majefté
Très- Chrétienne fur le Bas - Rhin. Le fieur
Prevôt demeure ici chargé des Affaires de France
, jufqu'à l'arrivée d'un nouveau Minitre.
On mande de Hambourg , que le Traité de
Paix entre la Suéde & la Pruffe y a été figné
le 22 du mois dernier.
SUITE DES NOUVELLES.
DE WARSOVI E , le 27 Mai.
Il paffe pour certain que le Czar a conclu une
alliance définitive avec le Roi de Pruffe , à qui
il fournit vingt mille homme de fes Troupes ,
avec la liberté de les employer en rel lieu & de
JUILLET. 1762 . 211
telle maniere que S. M. P. lejugera à propos.
Ce Corps Auxiliaire eft le même qui a hiverné
dans le Comté de Glatz avec les Troupes Autrichiennes.
Le Général Comte de Czernichew en
conferve le commandement ; & fuivant les avis
reçus de la Grande Pologne , ces Troupes font
déjà en marche vers Cracovie , d'où elles fe rendront
fur le Haut- Oder , pour opérer du côté de
la Haute-Siléfie .
De l'Armée commandée par le Maréchal de
Daun , le 28 Mai.
Les nouvelles des jours précédens fur l'arrivée
des Ruffes obligerent le Feldt- Maréchal de Daun
de prendre des arragemens tout différens de ceux
qui s'étoient formés pour cette Campagne . En
conféquence , il envoya entre Schweidnitz & Freybourg
tracer les retranchemens néceffaires , pour
garder la communication avec Schweidnitz Cette
Ville pourroit , fans cette précaution , être coupée
de l'Armée , qui fans doute , occupera les
montagnes derriere Kuntzen & Bogendorff,
FRANCE .
Nouvelles de la Cour , de l'Armée
de Paris , &c.
L.
De VERSAILLES , le 19 Juin 1762.
20 du mois dernier , le Roi & la Reine tinrent
fur les fonts de baptême le fils du Comte
de Starhemberg, Confeiller-Actuel . Intime & Ambailadeur
de Leurs Majeftés Impériales. Les cérémonies
du baptême lui furent fuppléés dans
212 MERCURE DE FRANCE.
la Chapelle du Roi , par l'Archevêque de Nar
bonne , Grand-Aumônier de France , en préſen
ce du fieur Allard , Curé de la Paroiffe du Châ~
teau , & il fut nommé Louis-Joſeph - François-
Grégoire-Thérefe.
Le même jour , Leurs Majeftés fignérent le
Contrat de mariage du Prince de Rohan- Rochefort
avec Demoiſelle de Rothelin , & celui du
Comte de Durfort Civerac avec Demoiſelle de
Lorges.
Le Roi a permis au Vidame d'Amiens ,
prendre le titre de Duc de Picquigny.
de
Le 24 , pendant la Meffe du Roi , le Cardinal
de Rochechouart prêta ferment entre les mains
de Sa Majesté.
La Ville de la Rochelle & fes Négocians
viennent d'offrir au Roi une fomme conſidérable
, pour être employée à la conſtruction d'une
frégate.
Celle de Rochefort , de la même Généralité ,
& animée du même zéle , a pris la même délibération.
La Ville de Pezenas en Languedoc a pareillement
offert une fomme confidérable , pour concourir
à l'augmentation de la Marine .
Sa Majesté a accordé un Brévet de Meſtre de
Camp de Cavalerie au Chevalier de S. Vallier ,
ancien Major du Régiment de Cavalerie de Noé.
Les Chevaliers , Commandeurs & Officiers de
l'Ordre du S. Eſprit s'étant aſſemblés le 30 , vers
les onze heures du matin , dans le cabinet du
Roi , Sa Majesté tint un Chapitre , & nomma
Chevalier de cet Ordre le Prince Héréditaire de
Parme. Le Duc de Chartres & le Marquis de
Caftries furent enfuite introduits dans le cabinet ,
où ils furent reçus Chevaliers de l'Ordre de S. MiJUILLET.
1762. 213
chel. Le Chapitre fini , le Roi fortit de fon appartement
pour aller à la Chapelle . Sa Majeſté étoit
précédée de Mgr le Dauphin , du Duc d'Orléans ,
du Comte de Clermont , du Prince de Conti ,
du Comte de la Marche , du Comte d'Eu , du
Duc de Penthiévre , & des Chevaliers , Commandeurs
& Officiers de l'Ordre. Le Duc de
Chartres & le Marquis de Caftries , en habits
de Novices , marchoient entre les Chevaliers
& les Officiers. Sa Majefté , devant qui les deux
Huiffiers de la Chambre portoient leurs maffes
étoit en manteau , le Collier de l'Ordre pardeſſus,
ainfi que celui de la Toifon d'Or. Lorsqu'on eut
chanté l'hymne Veni Creator , le Roi monta fur
fon Trône , & revêtit des Marques de l'Ordre le
Cardinal de Rochechouart. Après la Meffe , qui
fut célébrée par l'Evêque d'Orléans , Prélat Commandeur
de l'Ordre , le Roi reçut Chevaliers le
Duc de Chartres & le Marquis de Caftries. S. M.
fut enfuite reconduite à fon appartement en la
maniere accoutumée.
Le même jour la Princeffe de Rohan- Rochefort
fut préfentée à Leurs Majeftés & à la Famille
Royale par la Princeffe de Rohan .
Le 31 , Leurs Majeſtés fignérent le Contrat de
mariage du Marquis d'Uffel & de Demoiſelle de
Salbert- Mont-Roignon.
Le 3 de ce mois , la Comteffe de Lorges fut
préſentée à Leurs Majeftés , par la Ducheffe de
Lorges fa mère.
Le 10 , la Marquife d'Eftampes fut préſentée
au Roi & à la Reine , par la Marquiſe de la Ferré-
Imbault.
Le ri , le Comte d'Aranda , ci-devant Ambaffadeur
de Sa Majefté Catholique auprès du
Roi de Pologne Electeur de Saxe , eut une au
dience particuliere du Roi , étant préſenté à Sa
214 MERCURE DE FRANCE .
Majefté , par le Marquis de Grimaldi , Ambaſſadeur
du Roi d'Espagne en cette Cour.
La fuite des Nouvelles Politiques au Mercure
prochain.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monſeigneur le Chancelier, ΑΙ
le Mercure du premier volume de Juillet 1762 ,
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion. A Paris , ce 30 Juin 1762. GUİROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
I MITATION libre de l'Idylle huitiéme de
M. Gefner , Auteur du Poëme de la mort
d'Abel.
Pages
FRAGMENS Poetiques , imités & extraits du
premier Chap. de Saadi , Poëte Perfan .
FABLE , imitée de Saadi.
LA BONNE COMPAGNIE , Ode Philofophique
par M. l'Abbé Clément .
"
VERS pour être mis au bas du Portrait de
Mlle de Victot.
CONJURATION des Rambures contre la
Ville d'Ardres en Picardie.
ÉPITAPHE de l'Amant de Françoife Roze.
A Madame D **** , pour le jour de ſa naiffance.
LA RESIGNATION , Allégorie , à M. l'Abbé
Ch. ****
9
12
14
17
ibid.
32
ibid.
33
JUILLET. 1762 . 215
VERS à M. Vanloo , premier Peintre du Ror.
EPITRE à M. l'Abbé de Breteuil &c .
LETTRE à l'Auteur du Mercure.
A M. de B *** , Chevalier de S. Louis.
COUPLETS Bacchiques.
VERS à mettre en Mufique.
SALADIN à Philippe Augufte.
QUATRAIN pour mettre au bas du Portrait
de M. Carle Vanloo .
TRADUCTION d'une Ode Angloiſe de M.
Prior.
EPITRE à M. de Lilia , Docteur en Médecine
de la Faculté de Montpellier , par M.
Rofambert.
ENIGMES.
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
34
35
37
45
46
47
SI
52
59
54
59 &60
60 &61
61
ART. II . NOUVELLES LITTÉRAIRES .
MEMOIRES pour fervir à l'Hiftoire de la
VERTU , extraits du Journal d'une jeune
Dame.
LETTRE à M. de la Place , fur le Spectacle
de l'Hiftoire Romaine .
LETTRE à M. le Comte de la T. D. P. fur la
Littérature Militaire.
Avis , concernant les Editions des OEuvres
de Pierre Corneille , par M. de Voltaire.
LETTRE de l'Auteur du Calendrier des Princes
& de la Nobleffe de France , à l'Auteur
du Mercure , en réponſe à la Lettre
fur les Maifons de Faudoas & de Rochechouart.
LETTRE à M. de la Place , fur la mort du
64
84
94
103
104
R. P. Euftache , Bibliothéquaire des Auguftins
Réformés , de la Place des Victoires, 108
ANNONCES de Livres. 110 & fuiv.
216 MERCURE DE FRANCE .
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADEMIES.
SEANCE publique de l'Académie Royale des
Sciences & Beaux- Arts établie à PAU.
GÉOMÉTRI E.
LETTRE à MM. les Géomètres .
AGRICULTURE.
MÉMOIRE OU Diflertation fur la Niélle , par
M. ***
MÉMOIRE fur une espéce de Chenilles qui
produifent de la Soie , par M. de la Roxviere
d'Eyfautier.
ART. IV. BEAUX - ARTS .
ARTS UTILES .
CHIRURGIE.
EXTRAIT des Ouvrages lus à la Séance publique
de l'Académie Royale de Chirurgie.
ARTS AGRÉABLES.
GRAVURE .
Avis concernant les Eftampes des Ports de
ART . V. SPECTACLES.
France.
MUSIQUE.
OPÉRA.
COMÉDIE Françoiſe.
COMÉDIE Italienne.
CONCERT Spirituel.
114
117
120
127
135
153
163
165
168
193
196
FESTE donnée à M. le DAUPHIN & à Mde
la DAUPHINE par Madame la Comteffe
de Marfan.
LETTRE a l'Auteur du Mercure.
ART. VI. Nouvelles Politiques.
167
201
205
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis- à-vis la Comédie Françoile.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
JUILLET. 1762 .
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine.
Cochin
Jibus inve
Papilion Sculp
Chez
A PARIS ,
( CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis à- vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch , à côté du
Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer ,
francs de
port , les paquets & lettres ,
pour remettre , quant à la partie littéraire
à M. DE LA PLACE Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize volumes
, à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir , ou qui prendront lesfrais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raison de 30 fols
par volume , c'est-à- dire 24 livres d'avance
, en s'abonnant pourfeize volumes ,
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure , écriront à l'adreſſe cideffus.
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le paye
ment en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
, refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année . Il y en a
jufqu'à préfent foixante-dix-huit volumes
dont la Table générale, rangée par
ordre des Matieres , fe trouve à la fin
du foixante-douzième,
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET. 1762 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PRose.
A M. DE LA PLACE , Auteur
du MERCURE .
M.LACOMBE , d'Avignon , déja
connu par plufieurs Traductions de
l'Anglois , publiera à la fin de l'année un
Ouvrage intéreffant & neuf , fous le titre
d'Abeille du Parnaffe Anglois , avec
le Texte à côté du François. Ce Recueil
contiendra les plus belles Odes des plus
II. Vol.
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
célébres Poëtes , & des Morceaux fublimes
de divers Auteurs. Avant que de
donner cet Ouvrage au Public , M. Lacombe
a voulu faire connoître les deux
Odes fuivantes. On pourra juger par
cet éffai, de la bonté de fon travail & du
choix des Piéces. Il ofe fe flater d'avoir
rendu avec force & énergie les beautés
fublimes de ces Poëtes.
ODE fur Sainte CÉCILE , par
DESCENDEZ
РОРЕ.
ESCENDEZ du haut des Cieux , defcendez
, chaſtes Mufes , pour célébrer
ce grand jour. Réveillez par vos divins
concerts nos inftrumens affoupis . Faites
réfonner ma tremblante lyre , elle imitera
fans ceffe le fon amoureux &
touchant de la voix . Que le luth foupire
& rende des accens plaintifs , que la
voûte de ce Temple tréffaille aux fons
éclatans de la trompette , & que les
échos attentifs & fidéles les répétent
mille fois le jour . Tantôt l'orgue profonde
& majestueufe accorde lentement
Les.tons grands & nombreux ; tantôt fes
accords doux , vifs & brillans flattent
JUILLET. 1762. 7
légérement l'oreille : mais lorfqu'ils s'animent
, qu'ils fe fortifient & s'élévent ,
ils ébranlent la Terre & les Cieux.
Une Mufique vive & hardie fait éclater
la joie. Des airs doux & languiffans
flottent mollement fur la furface
polie de l'air , puis s'abbaiffent , s'affoibliffent
par degrés & fe perdent
confufément dans le lointain .
La Mufique charme l'âme & l'entretient
dans une douce fituation ; elle ne
l'éléve point avec trop de violence
& ne la précipite pas dans des abîmes
profonds. Lorfque la joie tumultueuſe ,
infenfée & volage agite le coeur & le
fouléve , la Mufique le calme & l'appaife
par fa voix douce & touchante .
Lorfque l'efprit dévoré par les chagrins
eft abforbé dans fes fombres penfées ,
la Mufique le ravit & le réveille . Elle
enflamme les guerriers par des fons rapides
& belliqueux ; mais fur les tendres
coeurs bleffés l'Amour
par
fa main
bienfaifante étend un beaume falutaire
qui adoucit leurs tourmens.... Voyez ,
voyez la mélancolie fombre & muette
remuer avec peine fa tête pefante & inclinée.
Voyez Morphée ouvrir lentement
fes débiles & tremblantes paupières , &
>
A iv
-8 MERCURE DE FRANCE.
fe lever peu-à-peu fur fon lit de rofes ;
la tardive pareffe déployer en foupirant
fes bras engourdis. Voyez l'Envie , fecouer
fes ferpens & les lancer loin d'elle
avec horreur. Aux fons mélodieux d'une
amoureufe voix , nos fens font enchantés
& fufpendus ; la guèrre la plus cruelle
ceffe d'irriter nos paffions & l'aveugle
fureur des difcordes civiles s'appaiſe
& s'éteint.
3
Mais lorsque la caufe de la Patrie nous
fait voler aux armes , la Mufique guèrrière
embrafe tous les coeurs. Le Chantre
de la Thrace élevé fur la poupe du
premier Navire qui ofa braver la fureur
des Ondes , touche fa lyre mélodieuſe
Argos voit les arbres antiques , ces premiers
enfans de la Terre , defcendre du
mont Pélion fur le rivage . Les demi-
Dieux accourent en foule autour d'Orphée.
Aux accens de fa lyre , les Mortels
font transformés en Héros. Tous les
chefs préfentent leurs boucliers. Ils s'arment
de leurs épées étincelantes
Mers , les Rochers , & les Cieux retentiffent
à la fois de ces acclamations ,
aux armes Citoyens ! aux armes ,
armes Citoyens !
4
,
les
aux
A travers ces terres infernales que le
JUILLET. 1762 . 9
Phlegéton entoure neuf fois de fes eaux
noires & bouillonantes ; le malheureux
Orphée cherche fa trifte Eurydice. Les
éffroyables portes de l'Enfer fe ferment
à fon approche. On ne voit au loin qu'une
pâle lueur , on n'entend que des
plaintes lamentables , des gémiffemens
profonds , des hurlemens éffroiables , &
des cris de défefpoir & de rage que pouffent
à la fois les ombres criminelles au
milieu des fupplices. Qu'entends -je ?
Orphée touche fa Lyre d'or ; les tourmens
de l'enfer font fufpendus ; les ombres
attentives accourent en filence , Le
rocher de Sifyphe eft immobile. Ixion repofe
fur fa roue;les noirsSpectres duTartare
danfent en choeur autour de lui . Les
Furies tombent fur leur lit de fer ; les
Serpens qui couronnent leurs têtes , fe
dreffent pour écouter.
5.
Il chante .... par ces fources d'eau
pure & éternelle , par ces Zéphirs odoriférans
qui careffent tour -à- tour les
tendres fleurs des Champs -Elifées ; par
ces âmes bienheureufes qui habitent les
Prairies dorées & les amoureux bofquets
d'amaranthe ; par ces ombres
guerrieres qui font étinceler leurs armes
dans ces fombres allées ; par ces
A v
-8 MERCURE DE FRANCE .
fe lever peu-à-peu fur fon lit de rofes ;
la tardive pareffe déployer en foupirant
fes bras engourdis. Voyez l'Envie , fecouer
fes ferpens & les lancer loin d'elle
avec horreur. Aux fons mélodieux d'une
amoureuſe voix , nos fens font enchantés
& fufpendus ; la guèrre la plus cruelle
ceffe d'irriter nos paffions & l'aveugle
fureur des difcordes civiles s'appaife
& s'éteint.
3
Mais lorsque la caufe de la Patrie nous
fait voler aux armes , la Mufique guèrrière
embrafe tous les coeurs . Le Chantre
de la Thrace élevé fur la poupe du
premier Navire qui ofa braver la fureur
des Ondes , touche fa lyre mélodieuſe
Argos voit les arbres antiques , ces premiers
enfans de la Terre , defcendre du
mont Pélion fur le rivage. Les demi-
Dieux accourent en foule autour d'Orphée.
Aux accens de fa lyre , les Mortels
font transformés en Héros . Tous les
chefs préfentent leurs boucliers . Ils s'arment
de leurs épées étincelantes , les
Mers , les Rochers , & les Cieux retentiffent
à la fois de ces acclamations ,
aux armes Citoyens ! aux armes , aux
armes Citoyens !
4
A travers ces terres infernales que le
JUILLET. 1762 . 9
Phlegéton entoure neuf fois de fes eaux
noires & bouillonantes ; le malheureux
Orphée cherche fa trifte Eurydice. Les
éffroyables portes de l'Enfer fe ferment
à fon approche. On ne voit au loin qu'une
pâle lueur , on n'entend que des
plaintes lamentables , des gémiffemens
profonds , des hurlemens éffroiables , &
des cris de défefpoir & de rage que pouffent
à la fois les ombres criminelles au
milieu des fupplices. Qu'entends -je ?
Orphée touche fa Lyre d'or ; les tourmens
de l'enfer font fufpendus ; les ombres
attentives accourent en filence. Le
rocher de Sifyphe eft immobile.Ixion repofe
fur fa roue;les noirsSpectres duTartare
danfent en choeur autour de lui . Les
Furies tombent fur leur lit de fer ; les
Serpens qui couronnent leurs têtes , fe
dreffent pour écouter.
5.
Il chante .... par ces fources d'eau
pure & éternelle , par ces Zéphirs odoriférans
qui careffent tour-à- tour les
tendres fleurs des Champs -Elifées ; par
ces âmes bienheureuſes qui habitent les
Prairies dorées & les amoureux bofquets
d'amaranthe ; par ces ombres
guerrieres qui font étinceler leurs armes
dans ces fombres allées ; par ces
A v
-8 MERCURE DE FRANCE .
fe lever peu-à-peu fur fon lit de roſes ;
la tardive pareffe déployer en foupirant
fes bras engourdis. Voyez l'Envie , fecouer
fes ferpens & les lancer loin d'elle
avec horreur. Aux fons mélodieux d'une
amoureuſe voix , nos fens font enchantés
& fufpendus ; la guèrre la plus cruelle
ceffe d'irriter nos paffions & l'aveugle
fureur des difcordes civiles s'appaife
& s'éteint.
3
Mais lorsque la caufe de la Patrie nous
fait voler aux armes , la Mufique guèrrière
embrafe tous les coeurs. Le Chantre
de la Thrace élevé fur la poupe du
premier Navire qui ofa braver la fureur
des Ondes , touche fa lyre mélodieuſe
Argos voit les arbres antiques , ces premiers
enfans de la Terre , defcendre du
mont Pélion fur le rivage . Les demi-
Dieux accourent en foule autour d'Orphée.
Aux accens de fa lyre , les Mortels
font transformés en Héros . Tous les
chefs préfentent leurs boucliers . Ils s'arment
de leurs épées étincelantes les
Mers les Rochers , & les Cieux retentiffent
à la fois de ces acclamations
aux armes Citoyens ! aux armes , aux
armes Citoyens !
"
4
>
A travers ces terres infernales que le
JUILLET. 1762. 9
Phlegéton entoure neuf fois de fes eaux
noires & bouillonantes ; le malheureux
Orphée cherche fa trifte Eurydice. Les
éffroyables portes de l'Enfer fe ferment
à fon approche. On ne voit au loin qu'une
pâle lueur , on n'entend que des
plaintes lamentables , des gémiffemens
profonds , des hurlemens éffroiables , &
des cris de défefpoir & de rage que pouffent
à la fois les ombres criminelles au
milieu des fupplices. Qu'entends -je ?
Orphée touche fa Lyre d'or ; les tourmens
de l'enfer font fufpendus ; les ombres
attentives accourent en filence . Le
rocher de Sifyphe eft immobile.Ixion repofe
fur fa roue;les noirsSpectres duTartare
danfent en choeur autour de lui. Les
Furies tombent fur leur lit de fer ; les
Serpens qui couronnent leurs têtes , fe
dreffent pour écouter.
5.
Il chante .... par ces fources d'eau
pure & éternelle , par ces Zéphirs odoriférans
qui careffent tour-à-tour les
tendres fleurs des Champs -Elifées ; par
ces âmes bienheureuſes qui habitent les
Prairies dorées & les amoureux bofquets
d'amaranthe ; par ces ombres
guerrieres qui font étinceler leurs armes
dans ces fombres allées ; par ces
Αν
-8 MERCURE DE FRANCE .
fe lever peu-à-peu fur fon lit de roſes ;
la tardive pareffe déployer en foupirant
fes bras engourdis. Voyez l'Envie , fecouer
fes ferpens & les lancer loin d'elle
avec horreur. Aux fons mélodieux d'une
amoureuſe voix , nos fens font enchantés
& fufpendus ; la guèrre la plus cruelle
ceffe d'irriter nos paffions & l'aveugle
fureur des difcordes civiles s'appaife
& s'éteint.
3
>
Mais lorfque la caufe de la Patrie nous
fait voler aux armes , la Mufique guèrrière
embrafe tous les coeurs . Le Chantre
de la Thrace élevé fur la poupe du
premier Navire qui ofa braver la fureur
des Ondes , touche fa lyre mélodieufe
Argos voit les arbres antiques , ces premiers
enfans de la Terre , defcendre du
mont Pélion fur le rivage . Les demi-
Dieux accourent en foule autour d'Orphée.
Aux accens de fa lyre , les Mortels
font transformés en Héros . Tous les
chefs préfentent leurs boucliers . Ils s'arment
de leurs épées étincelantes , les
Mers les Rochers , & les Cieux retentiffent
à la fois de ces acclamations ,
aux armes Citoyens ! aux armes , aux
armes Citoyens !
4
A travers ces terres infernales que le
JUILLET. 1762 . 9
Phlegéton entoure neuffois de fes eaux
noires & bouillonantes ; le malheureux
Orphée cherche fa trifte Eurydice. Les
éffroyables portes de l'Enfer fe ferment
à fon approche. On ne voit au loin qu'une
pâle lueur , on n'entend que des
plaintes lamentables , des gémiffemens
profonds , des hurlemens éffroiables , &
des cris de défefpoir & de rage que pouffent
à la fois les ombres criminelles au
milieu des fupplices. Qu'entends -je ?
Orphée touche fa Lyre d'or ; les tourmens
de l'enfer font fufpendus ; les ombres
attentives accourent en filence , Le
rocher de Sifyphe eft immobile.Ixion repofe
fur fa roue;les noirsSpectres duTartare
danfent en choeur autour de lui . Les
Furies tombent fur leur lit de fer ; les
Serpens qui couronnent leurs têtes , fe
dreffent pour écouter.
5.
Il chante .... par ces fources d'eau
pure & éternelle , par ces Zéphirs odoriférans
qui careffent tour-à-tour les
tendres fleurs des Champs - Elifées ; par
ces âmes bienheureuſes qui habitent les
Prairies dorées & les amoureux bofquets
d'amaranthe ; par ces ombres
guerrieres qui font étinceler leurs armes
dans ces fombres allées ; par ces
A v
-8 MERCURE DE FRANCE .
fe lever peu-à- peu fur fon lit de roſes ;
la tardive pareffe déployer en foupirant
fes bras engourdis. Voyez l'Envie , fecouer
fes ferpens & les lancer loin d'elle
avec horreur. Aux fons mélodieux d'une
amoureuſe voix , nos fens font enchantés
& fufpendus ; la guèrre la plus cruelle
ceffe d'irriter nos paffions & l'aveugle
fureur des difcordes civiles s'appaiſe
& s'éteint.
3
Mais lorsque la caufe de la Patrie nous
fait voler aux armes , la Mufique guèrrière
embrafe tous les coeurs. Le Chantre
de la Thrace élevé fur la du
poupe
premier Navire qui ofa braver la fureur
des Ondes , touche fa lyre mélodieuſe
Argos voit les arbres antiques , ces premiers
enfans de la Terre defcendre du
mont Pélion fur le rivage . Les demi-
Dieux accourent en foule autour d'Orphée.
Aux accens de fa lyre , les Mortels
font transformés en Héros . Tous les
chefs préfentent leurs boucliers. Ils s'arment
de leurs épées étincelantes les
>
>
Mers , les Rochers
, & les
Cieux
retentiffent
à la fois
de ces acclamations
,
aux
armes
Citoyens
! aux
armes
, aux
armes
Citoyens
!
4
A travers ces terres infernales que le
JUILLET. 1762 . 9
Phlegéton entoure neuf fois de fes eaux
noires & bouillonantes ; le malheureux
Orphée cherche fa trifte Eurydice. Les
éffroyables portes de l'Enfer fe ferment
à fon approche. On ne voit au loin qu'une
pâle lueur , on n'entend que des
plaintes lamentables , des gémiffemens
profonds , des hurlemens éffroiables , &
des cris de défefpoir & de rage que pouffent
à la fois les ombres criminelles au
milieu des fupplices . Qu'entends -je ?
Orphée touche fa Lyre d'or ; les tourmens
de l'enfer font fufpendus ; les ombres
attentives accourent en filence , Le
rocher de Sifyphe eft immobile. Ixion repofe
fur fa roue ;les noirsSpectres duTartare
danfent en choeur autour de lui . Les
Furies tombent fur leur lit de fer ; les
Serpens qui couronnent leurs têtes , fe
dreffent pour écouter.
5.
Il chante .... par ces fources d'eau
pure & éternelle , par ces Zéphirs odoriférans
qui careffent tour -à-tour les
tendres fleurs des Champs -Elifées ; par
ces âmes bienheureufes qui habitent les
Prairies dorées & les amoureux bofquets
d'amaranthe ; par ces ombres
guerrieres qui font étinceler leurs armes
dans ces fombres allées ; par ces
A v
ΙΟ MERCURE
DE FRANCE
.
jeunes Amans qui font morts d'amour .
& qui promenent leur plaintive langueur
fous ces berceaux de mirthe : rappellez ,
raprellez Eurydice à la vie ; enlevez
l'époux ou rendez-lui fa chère moitié… ...
Le Poëte chanta , & l'enfer daigna écouter
fa priére en filence . La farouche
Proferpine s'adoucit en murmurant . Elle
accorda à regret Eurydice à fon amant .
Ses chants triomphent de la mort &
de l'enfer , conquête auffi difficile que
glorieufe. C'eft en vain que les arrêts
du fort ont enféveli pour toujours Eurydice
dins le ténébreux Empire.
La Mufique & l'Amour de concert ,
triomphent du barbare deftin .
Mais ce malheureux
amant jette
hélas trop tôt les yeux fur fa chère
époufe. Elle lui échappe . Elle meurt ,
elle meurt hé comment
pourrezvous
toucher ces fatales foeurs ? fi
l'amour n'eft pas un crime , tu es innocent
, ô divin Orphée ! ... Aux pieds
des montagnes
fufpendues
fur fa tête ,
aux bords des fontaines qui defcendcient
de leur cime , dans ces lieux où l'Hébre
ferpente & fe perd en mille
détours , Orphée feul , inconnu , abanJUILLET
. 1762.
II
donné , gémit & foupire . Il rappelle
fa chère ombre qu'il a perdue pour
jamais. Entouré de Furies , défefpéré , il
tremble. Au milieu des neiges du
Mont Rodope , il brûle d'amour. Voyezle
franchir les déferts , plus léger & plus
prompt que les vents ; écoutez le Mont
Hémus , retentir du bruit des Bacchanzes
, & voyez-le mourir. En mourant
il chante Eurydice , ce nom chéri anime
encore les lévres éteintes . Bois , flots
& rochers ; vallons , grottes & montagnes
répétent à la fois le nom d'Eurydice.
La Mufique charme les plus âpres
douleurs des malheureux Mortels & défarme
le cruel deftin . La Mufique
adoucit les peines ; elle rend agréable
le défeſpoir & la fureur des amans.
Elle accroît nos plaifirs , les épure , &
nous donne un avant- goût du bonheur
célefte . Tels furent tes plaifirs divine
Cécile. Tu confacras tes fons harmonieux
aux louanges du Créateur.
A peine l'orgue eut - elle rempli le
temple de tes concerts majestueux
que les puiffances immortelles defcendirent
avec refpect pour t'entendre. Les
âmes des timides Mortels s'élevérent juf-
A vj
12 MERCURE
DE FRANCE .
qu'aux Cieux. Tes faints accords purifiérent
le feu facré de ta piété . Les Anges
du Ciel s'inclinérent en choeur pour
les entendre . Que les Poëtes ceffent
de vanter les charmes d'Orphée ; l'éclatante
, la divine Cécile , peut feule ravir
& la Terre & les Cieux . Les fons
d'Orphée ont arraché une ombre des
enfers ; les fons de Cécile élévent les
âmes dans les Cieux.
L'EMPIRE DE LA MUSIQUE ,
ODE de DRYDEN , traduite par
L'INV
M. LACOM BE.
I.
INVINCIBLE fils de Philipe ;
pour célébrer la glorieufe conquête de
la Perfe , donnoit à fa Cour une Fête
brillante . Placé fur un trône radieux , le
fuperbe Monarque reffembloit à une Divinité.
Ses illuftres Compagnons , rangés
autour de lui , avoient le front couronné
de rofes & de myrthe , récompenfe
digne des Guerriers valeureux . A
fa droite , étoit l'aimable Thaïs , plus
raviffante encore que la Déeffe de l'Orient,
lorfqu'elle fait éclore les fleurs..
JUILLET. 1762. 13
Elle étoit dans fon Printemps & toute
fiére de fa beauté .
Couple amoureux , couple charmant ,
vous méritez d'être toujours heureux !
Les Héros ont feuls le droit de toucher
la Beauté ; les Héros méritent feuls les
careffes des Belles.
Le Chaur répéte : Couple amoureux .
2..
Timothée paroît au- deffus de la troupe
harmonieufe ; il touche fa lyre de fes
doigts légers ; fes fons tendres & cadencés
, qui montent jufqu'aux Cieux , infpirent
un joie divine .
Il chante Jupiter. Le Maître des Dieux
abandonne le féjour de l'Empirée . Tel
eft l'invincible pouvoir de l'Amour . Il
prend la forme d'un ferpent pour cacher
l'éclat de fa Divinité. Il s'approche de
l'adorable Olympie ; il la preffe amoureufement
& fe gliffe fur fon fein d'albâtre
; de fes longs & tortueux replis , il
forme autour d'elle une ceinture bouclée .
Déjà le Maître du Monde lui a imprimé
fa vivante image.
Le Peuple admire en filence ces fublimes
accords. Déité préfente ! s'écrie - til
, Déité propice ! les voutes du Temple
retentiffent de ces acclamations. Le
Monarque en extafe croit être la Divi14
MERCURE DE FRANCE.
nité. Il fecoue la tête & penſe ébranler
les globes des Cieux.
Le Choeur répéte : Le Monarque , &c,
Le Chantre , tranfporté , célébre enfuite
les louanges de Bacchus , toujours
jeune & toujours charmant. Cet aimable
Dieu arrive en triomphe au bruit des
clairons & des trompettes. Son vifage
riant & vermeil infpire la joie & le plaifir.
Hautbois & trompettes célébrez fa
gloire. Il arrive , il arrive , le Dieu Bac◄
chus , le Dieu des Plaifirs , toujours plus
beau , toujours plus jeune ! D'abord il
ordonne de boire la coupe joyeuſe . Les
préfens du Dieu de la treille font des tréfors.
Le Sollat boit & s'enivre fans ceffe
avec délices. Tréfor précieux , fource
délectable , après les travaux , le plaifir
eft mil'e fois plus délicieux , encore !
Le Chourrépéte: Tréfor , &c.
Enivré par le Cancert mélodieux de
ces louanges , le fier Monarque s'enorgueillit.
Dans fon délire , il combat
les Perfes. Trois fois il met en déroute
fes ennemis épouvantés. Trois
fois il fe plonge dans des torrens de fang.
Thimothée voit croître la rage du vainqueur.
Il voit fon vifage s'enflammer ;
JUILLET. 1762. IS
1
fes yeux lancer des éclairs . Tandis qu'Aléxandre
menace & laTerre & les Cieux,
le Chantre change de ton ; il dompte
l'orgueil du farouche Monarque. Il éffie
des fons plaintifs , pour attendrir l'âme
du Héros . Il chante le vertueux Darius
précipité du haut de fon Trône par un
ar.êt du Deftin , nageant dans fon fang ,
fans fecours , fans efpérances ; abandonné
de fes laches amis , qu'il avoit
comblés de bienfaits. Ce puiffant Monarque
de l'Afie expire étendu fur la
pouffiére , fans avoir même un de fes
Efclaves pour lui fermer les yeux.
A ces triftes & lamentables accens , le
vainqueur du Deftin , le grand Aléxandre
, baiffe les yeux . Il rappelle dans fon
âme interdite les outrages de l'aveugle
Fortune ; il laiffe échapper comme malgré
lui de profonds foupirs & fes yeux
répandent un torrent de larmes.
Le Choeur répéte : A ces triſtes , &c .
Le fouverain Maître de l'Harmonie
fourit en voyant l'Amour renaître dans
le coeur d'Alexandre. La pitié l'émeut ,
& le difpofe à la tendreffe . Timothée
adoucit encore fes accens mélodiéux ;
il amollit peu - à - peu , adoucit l'ame
16 MERCURE DE FRANCE.
du Héros & le ramène à la volupté.
Il chante la guèrre , fes fatigues &
fes dangers. La gloire qui la fuit
eft une fumée légère , fes flateufes efpérances
font vaines & frivoles , toujours
renaiffantes , jamais fatisfaites.
Nouveaux combats , nouveau carnage ;
torrens de calamités nouvelles .
Si l'on peut afpirer à la Conquête du
Monde, apprends, Monarque ambitieux,
que c'eft pour en faire le bonheur. La
tendre , la voluptueufe Thaïs , foupire
à tes côtés ; jouis des biens que t'offrent
les fecourables Dieux ! A ces fublimes
accens , les Cieux retentiffent d'applaudiffemens.
L'Amour eft enfin couronné
par le plaifir ; l'harmonie en a toute
la gloire.
Le Prince s'abandonne à fa bouillante
ardeur. Il fixe tendrement la beauté
qui l'enflamme. Il foupire , la regarde ,
foupire plus tendrement encore. Enivré
d'amour & de vin , ce Conquérant fameux
, vaincu à fon tour , tombe aux
pieds de fa Maîtreffe .
Ce Chaur répéte : Le Prince , & c.
6 .
Timothée touche de nouveau fa lyre d'or.
Des fons tendres & languiffans fuccédent
à des fons bruyans & rapides, femblables
à l'éffroyable fracas du tonnèrre , fuccéJUILLET.
1762. 17
dent à des fons tendres & languiffans.
Le Héros léve la tête , il eft arraché du
fommeil de la mort ; honteux de fon
ivreffe , il regarde fixement autour de
lui ! Vengeance , vengeance ! s'écrie Timothée,
déchaînez - vous , Furies infernales
; paroiffez , ferpens , fiflez fans
ceffe ; répandez en tous lieux la flamme
& la rage , l'horreur & la mort. Avancez,
pâles habitans des ténébres..... Ils porportent
dans leurs mains des flambaux
menaçans. Ce font les ombres plaintives
des Grecs maffacrés dans les combats
& privés des ſtériles honneurs de la
fépulture . Cadavres fanglans & traînés
dans la pouffière , criez vengeance , vengeance
!... Tu la dois à cette vaillante
troupe , farouche Conquérant. Vois ,
barbare ! vois comme ils fecouent dans
les airs leurs torches funébres. Ils te montrent
les Palais des Perfes & les fuperbes
Temples de leurs Dieux ennemis.
Alexandre applaudit à ces lugubres
cris avec une allégreffe éclatante & barbare
. Il faifit une torche ardente
pour
tout réduire en cendre . Thais le devance
la flamme à la main , & l'entraîne au
Palais de Perfopolis. Nouvelle Héléne
elle embrafe une nouvelle Troye.
Le Choeur répéte : Aléxandre , &c.
18 MERCURE DE FRANCE.
Avant que les Pipeaux
& les Cornemufes
euffent
commencé
d'émouvoir
l'air & de l'agiter
agréablement
; lorſque
l'Orgue
ne réfonnoit
point encore
,Timothée
avec fa flûte & fa lyre pouvoit
feul
exciter
dans l'âme
des Mortels
la haine
& l'amour
. Mais l'immortelle
, la divine
Cécile
, inventa
tous les inftrumens
harmonieux
. De cette fource
abondante
&
facrée
, cette aimable
enthouſiaſte
tira
des fons plus variés
, plus doux & plus
étendus
. Elle ajouta
aux jours folemnels
une folemnité
raviffante
& nouvelle
.
Son divin génie
créa des Arts inconnus
& fans nombre
. Que le Dieu de l'harmonie
lui céde la couronne
, ou qu'il la partage
avec elle.Timothée
a élevé jufqu'aux
Cieux
un foible
Mortel
. Aux accords
de Cécile
, les Choeurs
des Anges
font
defcendus
fur la Terre pour entendre
fes
fublimes
Cantiques
.
Grand Choeur : Mais l'immortelle,&c.
JUILLET. 1762. 19
LAUSUS à LYD I E.
DANs
DIE,
HÉROID E. *
A N s ces jours de triomphe & de réjouiſſance ,
Où le faſte orgueilleux étalant fa puiffance ,
Au milieu des plaiſirs , des jeux & des feſtins
S'apprête à célébrer vos illuftres deſtins ;
De quel oeil verrez - vous ces triſtes caractères ,
D'un juſte déſeſpoir foibles dépofitaires ,
Ces fignes imprudens que ma plume a tracés
Et que mes pleurs hélas ! ont bientôt éffacés ?
Qu'avez-vous fait , Lydie , & que viens- je d'entendre
?
Eft-il vrai que Laufus n'a plus rien à prétendre ?
Eft-il , vrai , qu'outrageant la Nature & l'Amour ,
Le Tyran ombrageux à qui je dois le jour ,
Malgré les cheveux blancs & le faix des années
Veur à fes triftes jours unir vos deftinées ?
Qu'un Roi foible & vaincu , chaffé de les Etats
Qu'un Prince fugitif ſans amis , fans ſoldats ,
Pour éviter les maux où la fuite l'expole
Aille fubir le joug qu'un Tyran lui propoſe ;
Qu'il accepte une paix dont la Fille eſt le prix ;
De cette lâcheté Laufus n'eft point furpris.
* Cette Héroïde eft l'Ouvrage d'une jeune Mufe qui
nous paroît donner les plus flateufes eſpérances.
20 MERCURE DE FRANCE .
Mais que pour écouter un devoir chimérique ,
D'un père ambitieux victime politique ,
Une amante fans foi trahiffe fes fermens ,
Et brife fans pitié les noeuds les plus charmans ;
Je l'avoûrai : jamais de cette perfidie
Le malheureux Laufus n'eût foupçonné Lydie.;
O vous qui méprifant un Sentiment vainqueur ,
M'enfoncez de fangfroid un poignard dans le coeur !
O vous qu'une autre main de la pourpre décore ,
Vous que j'ai tant aimée .... Et que j'adore encore ,
Lydie ! il eft donc vrai .... que n'en puis- je douter !
Qui l'eût cru qu'en partant j'aurois à redouter
D'un rival abfolu l'autorité fuprême ?
Que le don d'un état , l'offre d'un diadême ;
D'une honteuſe paix le projet fpécieux ,
Tenteroient votre coeur , éblouiroient vos yeux ?
Ne vous fouvient- il plus de ce combat funeſte ,
De ce défaftre affreux où le Roi de Prénefte ,
Après avoir perda des milliers de foldats
Vaincu , forcé de fuir , chaffé de fes Etats ,
Pour comble de malheurs, pour difgrace derniere,
Dans les fers du vainqueur vous laiſſa priſonniere ?
Dans ces premiers momens d'une jufte douleur ,
Je crois vous voir encor fans force & fans couleur ,
Au milieu des débris des Légions fanglantes
Portée entre les bras de vos femmes tremblantes,
Votre âge , vos malheurs , vos pleurs, votre beauté
JUILLET. 1762. 21
Auroient d'un tigre même adoucis la fierté.
On nomma votre père en ces momens d'allarmes
Et vos yeux vers ce ciel élevés, pleins de larmes ,
Trouvérent à l'inſtant tous les coeurs attendris,
Mézence en fut lui- même interdit & furpris.
Il arrêta fon bras avide de carnage
Et parut oublier fon orgueil & fon âge.
J'étois auprès de lui . Dans le champ des guerriers;
Pour la premiere fois je cueillois des lauriers :
Nourri dans les forêts , élévé par Mézence ,
Au grand art de la guerre inftruit dès mon enfance
,
Ainfi qu'à fupporter les plus rudes travaux ,
A vaincre les Lions , * à dompter les Chevaux
Interdit , déſarmé, confus à votre vue ,
Je me fentis brûler d'une flamme inconnue !
O Lydie ! à quel point touché de vos douleurs ,
Ne m'accufai- je pas de caufer vos malheurs ?
Qu'elle fe venge enfin, me difois -je à moi- même,
Ah ! qu'elle me haïffe autant que mon coeur
l'aime :
Je ne m'en plaindrai point , je l'ai trop mérité.
Cependant quand je vis que mon père irrité ,
De la fureur foudain paſſoit à la clémence ;
Un changement fi prompt dans le coeur de Mézence
Peut-être à des foupçons eût dû me préparer :
Car le coeur d'un Tyran fçait- il le modérer ?
* LAUSUS equum domitor , debellatorque ferarum.
Virg. Æneid. V11.
22 MERCURE DE FRANCE.
Il femble que pour lui l'excès foit néceſſaire ;
Et toujours d'un extrême il tombe en fon contraire.
Hélas ! je n'entrevis, dans les foins de l'Amour ,
Que de l'humanité le vertueux retour . . . .
Moi , qui , dans cet inftant peu fait à me contraindre
,
A déclarer mes feux ne voyois rien à craindre ,
Au penchant de mon coeur ardent à me livrer ,
Du plaifir de vous voir je courus m'enivrer .
A mes yeux chaque jour vous paroiffiez plus
belle ,
Et loin qu'à mes deſirs ma Raiſon fût rebelle ,
Dans ma crédulité , je me flattois de voir
Mon penchant quelque jour s'unir à mon devoir.
Faulle fécurité ! Funefte confiance ! ...
Hélas ! jeune , fans fard & fans expérience ,
Je ne foupçonnois pas qu'un tas de délateurs ,
Des vices de leur Roi lâches adulateurs ,
Infâmes Courtisans , fuppôts vendus au crime ,
Cortége d'un Tyran que la vengeance anime ,
Du funeſte détail de mes foins les plus doux
Allât flatter Mézence & nourrir ſon courroux !
Rappellez- vous ce jour à jamais mémorable ,
Dont malgré les horreurs de mon fort déplorable,
Mon
coeur
fe
plaît
encore
à ſe
reſſouvenir
;
Ce
jour
qui
m'annonçoit
un
heureux
avenir
,
Ce
jour
où
votre
coeur
jufqu'alors
infléxible
JUILLET. 1762. 23
Pour la premiere fois parut être fenfible !
Je vins vous faire part de cet heureux Traité
Qui vous rendoit un Trône avec la liberté ;
Par qui la paix enfin fur ces bords ramenée ,
Alloit être le fruit d'un illuftre hyménée.
›› Daignerez-vous , vous dis-je , en ferrant vos
» genoux ,
» Approuver un hymen qui me feroit fidoux ?
>> Ah ! puis-je me flatter , jeune & belle Lydie ,
» Qu'un projet qu'a conçu mon âme trop hardie,
>> Puiffe trouver un jour grace devant vos yeux? ...
» Au nom de votre père , au nom de vos ayeux ,
» Au nom de cet amour reſpectueux & tendre ,
» Que mes yeux dès longtemps ont dû vous faire
>> entendre ;
» Acceptez une paix qui va vous rétablir
» Dans des droits que le fort ne peut plus affoi-
» blir !
» Je vais trouver Mézence ; Il m'aime, il eſt mon
» père :
Il a loué cent fois mon courage ; & j'eſpére
→ Que fa bonté bientôt voudra ratifier
>> Un Traité que fon fils vient de vous confier.
Tant de fincérité , de tranſports , d'allégreffe ,
D'une prochaine paix l'idée enchantereſſe,
Vous furprirent enfin un fourire flatteur
Qui pénétra mes fens & paffa dans mon coeur.
Allez , me dites vous , Prince trop magna-
>> nime :
24 MERCURE DE FRANCE.
» Je ne puis qu'applaudir au foin qui vous anime
» Puiffe le jufte Ciel feconder vos projets !
›› Rétabliſſez mon père & concluez la paix :
» Je ne me plaindrai point , dans mon obéiffance,
>> De devenir le prix de fa reconnoiffance.
Bonheur inespéré ! moment délicieux !
Je crus voir & je vis l'Amour dans vos beaux
yeux ....
Pouvois- je m'y méprendre ?
die ,
.... ô ma chère Ly-
Dans cet heureux inftant de ma flâme applaudie ,
Je vous vis fans parler , approuver mes tranſports
;
Je vous vis foupirer .... Dieux ! que devins- je
alors .....
Père dénaturé ! ta politique adreſſe
Epioit cependant ma crédule tendreffe :
Tu pénétras mes feux . Tout autre en eût frémi ;
Mais jamais un Tyran le fut- il à demi?
Sans frein , en tes defirs , ta farouche infolence
Ne fçait gagner un coeur que par la violence.
Qu'importe que tes feux ne puiffent l'émouvoir ?
Ton caprice eft ta loi ; ta régle eft ton pouvoir.
Tu m'aurois immolé dans ta jalouſe rage ;
Mais la haine des tiens charmés de mon courage;
Le Sceptre de tes mains tout près de s'échapper ;
Tout arrêta ton bras levé pour me frapper .
Tu fçus diffimuler tes fureurs vengerelles.
Tu
JUILLET. 1762. 25
>
Tu fçus me prodiguer tes trompeufes careffes.
De mon Amante hélas ! pour mieux me féparer
A mon éxil prochain tu fçus me préparer.
Ma préfence furtout importoit à l'armée :
J'obéis ; & tandis que mon âme allarmée
Se faifoit mille efforts pour dévorer les pleurs ;
Tandis que tu feignois d'ignorer mes douleurs ,
Traître tes Envoyés près du Roi de Prénefte
Se hâtoient de conclure une paix fi funeſte .
Moment cruel ! ô jour à jamais odieux
Où fans avoir reçu vos douloureux adieux ,
Il fallut , ô Lydie , en proie à mes allarmes ,
Sans efpoir de retour m'éloigner de vos charmes !
Je pars ; & ma fureur égale mon amour.
Je ne me connois plus : je déteſte le jour .
Peu s'en faut....... j'en frémis ! le cri de la Nature
Vainement dans mon coeur étouffe mon injure
Peu s'en faut qu'en un fang qui doit m'être facré
Ma parricide main ne fe baigne à fon gré ....
Les Armes , les Drapeaux , les cris de la Victoire ,
Ni l'ardeur des combats , ni la foif de la gloire ,
Rien ne me touche plus : mon coeur préoccupé
Par aucun autre objet ne peut être frappé .
Je ne vois qu'une amante à mes defirs ravie ,
Qu'un Tyran envieux du bonheur de ma vie ,
Qu'un rival abfolu tout prêt à m'outrager ,
Qu'un père raviffeur dontje dois me venger!
Mon coeur à cette image à peine fe pofféde ;
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
Partout elle me fuit ; le jour elle m'obféde ;
La nuit elle m'arrache aux douceurs du fommeil,
Et toujours me prépare au plus affreux réveil.
Hélas ! un feul eſpoir foutenoit ma conſtance !
J'efpérois que laffé de votre réfiftance
Le Tyran déſormais étouffer oit ſes voeux.
Vous me l'aviez promis : toute entiere à mes feux,
Vous deviez rejetter fes dons & fes careſſes !
Je me flattois ... fur quoi , grands Dieux ? fur des
promeffes !
Sur des fermens cent fois & donnés & reçus.
Sermens d'aimer toujours devez- vous être crus ?
Une amante toujours eft prête à vous enfreindre.
Lydie.... ô ciel ! Lydie... aurois- je dû le craindre ?
Malgré les noeuds facrés qui la lioient à moi ,
Lydie àmon rival ofe engager ſa foi !
Dèja de fon hymen la pompe fe prépare ;
Un Roi fier & cruel , un ennemi barbare ,
Le fuperbe Mézence infultant à mes pleurs ,
Déja ceint fon vieux front de myrthes & de fleurs .
Déja , pour relever cette pompe funeſte ,
Il ordonne lui -même & la Lutte & le Cefte ;
Et ces horribles jeux où des Gladiateurs
Font en fe maffacrant frémir les Spectateurs ;
Et ces combats encor mille fois plus atroces ,
Oùl'on voit fous les dents des animaux féroces
De malheureux Mortels qu'on voudroit fecourir
Se débattre , tomber , friffonner & mourir ;
JUILLET. 1762. 27
Supplices effrayans , où l'aveugle Furie
Semble avoir épuifé toute la barbarie ,
Et qu'un Tyran que rien ne peut épouvanter .
Pour fes lâches plaifirs a pu feul inventer ! ....
Vengez-moi , juftes Dieux ! Nos caufes font les
mêmes .
192
Combien d'impiétés , d'horreurs & de blafphêmes ,
Combien n'avez -vous pas de forfaits à punir ?
Il vous a tous bravés : * qui peut vous retenir ?
Rompez , rompez un noeud qui feroit mon fupplice
!
$
Embrafez l'Univers s'il faut qu'il s'accompliffe !
-73
Que fais-je malheureux... dans mes tranſports
jalour ,
J..
-Je veux armer les Dieux & diriger leurs coups !
Mézence eft un Tyran ; mais eft - il moins mon
père ?
Et puis-je en éffacer le lacré caractère ?
De cet augufte nom s'il rompt tous les liens ,
S'il trahit fes devoirs , dois-je oublier les miens ?
Dieux cruels ! ah plutôt que la main qui m'op¬
prime
Jouiffe impunément du fuccès de fon crime !
Mais fans vous fatiguer de difcours fuperfluss
Répondez-moi , Lydie : ou vous ne m'aimez plus ;
Ou votre coeur gémit d'un pareil facrifice.
* Contemptor Divûm Mezentius.
Virg. Æneid . VII,
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Si vous ne m'aimez plus , par quel noir artifice,
M'avez- vous donc promis tant de fidélité ?
Pourquoi tant abuſer de ma crédulité ?
Pourquoi me juriez - vous une ardeur éternelle ?
Ou fi l'amour encor dans votre âme étincelle ,
Si Mézence eft hai ; de quel front irez -vous
A la face des Dieux l'accepter pour époux ?
» Votre Père le veut : cet hymen qu'il ordonne
>> Eft le fceau de la Paix ; il lui rend ſa couron-
» ne ...
14403
» Et quoiqu'affreux pour vous , ce feroit le trahir
» Dès qu'il a commandé , de ne pas obéir....
>> L'honneur le veut enfin .... Foibles , frivoles ru
Les !
»L'Amour n'eft plus Amour, s'il admet les excuſes.
» L'honneur le veut. Ah , Ciel ! l'ai-je bien en-
» tendu ?
Quoi ! vous ordonne-t-il cet honneur prétendu
D'enfreindre des fermens dictés par l'Amour même
?
De déchirer le coeur d'un Prince qui vous aime ?
Ah barbare ! achevez ; dédaignez mes fureurs :
Le diadême peut couvrir d'autres horreurs.
Allez de ce bandeau qu'un Tyran vous apprête,™
Sans regrets , fans remords , voir ceindre votre
tête ;
Uniffez-vous à lui par des noeuds éternels ;
Mais tremblez de me voir aux pieds de vos Autels
,
JUILLET. 1762. 29
Cruelle ! frémiffez , que ma jalouſe rage
Dans un fang odieux ne lave mon outrage ;
Que mon bras parricide étendu jufqu'à vous
Ne confonde le père & l'amante & l'époux .
...
Jufqu'à vous , jufte ciel ! quoi juſques fur Lydie ,
Quoi je pourrois porter une main trop impie ?
Non ne le craignez pas : je puis vous menacer ;
Mais rien , rien dans mon coeur ne vous peut éffacer
.
Malgré tant de tranſports , de défeſpoir , de crainte
,
Dans ce coeur à jamais votre image eft empreinte,
Je vous adore encore ; & toute ma fureur
Ne femblent qu'augmenter ma déplorable ardeur.
Ah ! fi vous écoutez un ſentiment fi tendre,
Si dans votre âme encor l'amour ſe fait entendre,
Pourquoi donc le trahir ? les intérêts du fang
Dans un coeur généreux tiennent le premier rang ;
Je le fais mais enfin pour le Roi de Prénefte ,
N'eſt- il d'autre recours que ce Traité funeſte ?
Ah ! venez dans un Camp où je donne la loi :
Venez : tout m'obéit , tous les coeurs font à moi.
Je puis au moindre mot vous donner une armée ;
Je puis fous mes drapeaux voir l'Aufonie armée.
Voifins , amis , fujets , Tofcans , Arcadiens ,
Tous n'attendent qu'un Chef pour briſer leurs
liens.
Je puis leur en fervir : venez ; qui vous arrête ?
B iij
30 MERCURE DE FRANCE .
"
Au fein de vos Etats montrons-nous à leur tête :
Ce bras , ce même bras qui fçut les conquérir
Saura peut- être encor les reprendre ou périr.
Venez , déja mon coeur de cet efpoir s'enivre ……...
Mais je fens quel motif vous défend de me ſuivre:
L'honneur ne permet pas qu'on vienne me chercher
!
Sur les pas d'un Amant vous craignez de marcher
!.....
D'un Amant ? •. • •
tre :
de mon fort venez être l'arbi
Venez de votre époux me conférer le titre ;
Que de notre union tous les Dieux foient garans.
Qu'importe le concours de vos foibles Parens.
Craignez-vous que ces noeuds ne bleffent la décence
?
Notre confentement n'en fait- il pas l'éffence ? .... ....
Si vous ne le pouvez , ah ! du moins par pitié ,
Accordez une grace à ma triſte amitié :
Différez ſeulement un hymen fi funeſtė .
འ ༢
Dans trois jours ( cet éſpoir eſt lè feul qui me refte
! )
Dans trois jours au plus tard, votre amant furieux
Saura vous rendre libre , où mourir à vos yeux.
JUILLET. 1762. 31
ARGUMENT ou Hiftoire d'une Piéce
de Théâtre CHINOISE, représentée à
CANTON , en 1719. Traduction de
l'Anglois.
LE
INTRODUCTION.
ES Piéces de Théâtre entrent ordinairement
dans les Fêtes & les repas de
cérémonie que donnent les Mandarins
Chinois , & font repréfentées tandis que
les Convives font à table . Dès qu'ils ont
pris place , quatre ou cinq des principaux
Comédiens , richement habillés , arrivent
dans la Salle , & en faifant tous enfemble
la révérence , frappent la tèrre de
leur tête.
L'un d'eux préfente au plus illuftre des
Conviés , un Livre contenant en lettres
d'or , les noms de cinquante ou foixante
Piéces qu'ils ont apprifes par coeur , &
qu'ils font prêts à jouer dans le moment.
Après quelques politeffes aux autres
Convives , le plus diftingué en choiſit
une , que le Chef de la troupe porte
la ronde à toute la Compagnie pour
avoir fon approbation .... Si par hazard
à
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
P'un des Convives portoit un nom qui
reffemblât à quelque nom des Perfonnages
de la Piéce , elle eft fur le champ
rejettée , on en choifit une autre.
*
La repréſentation commence par une
Mufique bruyante de Tambours , de
Flûtes , de Trompettes , & de baffins
d'airain. Ils n'ont aucune efpéce de décorations
Ils étendent uniquement
un grand tapis fur le parquet , & font
ufage des chambres attenantes à celle
où l'on mange, d'où ils font leur entrée
:
pour exécuter leur rôle. Un feul Acteur
en joue ordinairement deux ou trois ....
Les Dames font placées hors de la Salle
vis -à-vis des Comédiens , d'où à travers
une jalcufie de Bam-bao & d'un réſeau
de foie , elles voient tout fans être vues.
ARGUMENT de la Piéce.
Une femme âgée & fon fils , nés de
bons parens , tombés dans la plus grande
pauvreté , s'entretiennent de leur état
préfent. Ils ne trouvent d'autre reffource
pour vivre , que dans la charité du
prochain , & fe foumettent , quoiqu'à
regret , à leur fort,
( a ) Les Comédiens jouent fouvent dans la
rue fur des Théâtres. Mais nous ne trouvons pas
que les Chinois aient aucunes Salles de Spectacle
en régle.
JUILLET. 1762. 33
•
Ils rencontrent la fille d'un Mandarin
qui , forcée de quitter fon père , vient
de fe fauver de chez lui. Elle les interroge
fur la caufe de leur mifére . Elle
s'intéreffe pour eux , leur donne de l'argent
, & prend la mère à fon fervice.
Le fils , déterminé à retourner dans fa
Patrie , entre dans la boutique d'une
Marchande de thé , qui n'a pour tout
Domeftique que fa fille. Cette bonne
femme , inftruite de la fituation du jeune
homme , dont la phyfionomie lui
plaît , le prend à fon fervice.
Un jeune Mandarin , grand débauché
, entre chez la Marchande , demande
du thé , fe fent du goût pour fa fille ;
& la trouvant de plus difficile accès
qu'il ne l'avoit imaginé , offre de l'amener
dans fon Palais & d'en prendre foin.
La vieille femme y confent. La jeune
ayant rejetté les propofitions du Mandarin
, il veut la faire enlever par fes
Domeftiques. Mais elle eft fecourue &
préfervée de cet enlevement par le nouveau
Domeftique qu'a pris fa mère.
Le jeune Mandarin piqué , le fait
prendre & conduire devant un Mandarin
de Juftice , qui le condamne à la
bastonade , & à être promené par la Ville
avec un carcan de bois au col.
By
34 MERCURE DE FRANCE .
Non content de cette punition , le
jeune Mandarin ordonne à fes gens de
s'armer de bâtons , en prend un lui-même,
& fe propofe de faire expirer le
jeune homme fous leurs coups.
Après différentes recherches, ils le rencontrent
dans la rue , accompagné de
fa jeune Maîtreffe qui lui donne à manger:
ce qu'il étoit lui-même incapable
de faire , à caufe du carcan qui lui environnoit
la tête .
Ils l'attaquent tous à la fois. Mais le
jeune homme , auffi vigoureux que brave
, les met en déroute , fe délivre de
fon collier , frappe à la tête le jeune Mandarin
, & le tue.
Le Gouverneur , ou Commiffaire du
Quartier , arrive , & l'arrête , ainfi que
la jeune fille.... Le Mandarin devant
lequel ils font conduits , nommé Nan-
Hayan , après l'avoir entendu , lui rend
la liberté .
Mais ce même Mandarin , qui a conçu
du goût pour la jeune fille , la garde
dans fa maifon.Son époufe qui l'apprend
en eft fort fâchée ; & tandis que le Mandarin
eft abfent, elle fait ouvrir l'appartement
où fon mari avoit confiné cette
prétendue Maîtreffe , & lui permet de
prendre la fuite.
JUILLET. 1762 .
35
Un Mandarin fupérieur , informé de
la mort du jeune Mandarin débauché ,
& à qui l'on a dit que la jeune fille
avoit été la cauſe de ce meurtre , donne
ordre qu'elle lui foit amenée.
Cet ordre eft porté au Mandarin fubalterne
, qui l'avoit enfermée chez lui :
il ordonne qu'on la remette aux perfonnes
qui la reclament de la part du Mandarin
fupérieur. Mais il apprend avec
chagrin , que fa femme lui a fait ouvrir
les portes ; & ne fachant quelle réponfe
faire à ce même fupérieur , il commande
à fes Domeftiques d'arrêter la
première venue , & de la conduire au
Tribunal de ce dernier.
Les Domeſtiques , en faifant leur recherche
, entrent dans une Pagode , où
ils trouvent la fille du Mandarin dont on
a d'abord parlé ( celle qui s'étoit fauvée
de chez fon père) avec la vieille femme ,
mère du jeune homme , qu'elle avoit
prife à fon fervice .
( Le père de cette jeune perfonne, accufé
par un autre Mandarin , avoit été
difgracié , dégradé , & tous fes biens
avoient été faifis. Il n'avoit eu que le
temps d'en avertir fa fille par un Domeftique
fidéle , qui l'avoit conduite à la
porte de la Ville & abandonnée , com-
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
me incapable de pouvoir être d'aucun
fecours à fon père. )
Elle est arrêtée par les Domeftiques
du Mandarin Nan- Hayan , & conduite
au Tribunal du Mandarin fupérieur, qui
la condamne à perdre la tête. ( b ) Arrivée
au lieu de l'exécution ( qui fe fait à
minuit & au flambeau ) le jeune homme
qu'elle avoit ci -devant affifté & dont
elle avoit pris la mère à fon fervice , s'y
rencontre par hazard . Au moment où
celui qui tient la prétendue coupable lui
( b) Ou l'Auteur de cette Piéce ( ainfi que nos
Tragiques modernes ne s'eft point piqué d'obferver
les ufages de fon Pays , ou il en fixe l'époque
à des temps antérieurs à l'établissement de
ces mêmes ufages. Car il faut aujourd'hui des cas
biens preffans & bin extraordinaires , pour qu'il
foir permis à un Mandarin de prononcer une Sentence
de mort définitive.
N. B. Il eft plus infamant à la Chine d'être decapité
que d'être pen du : les Chinois étant extrê
mement jaloux de conferver leurs corps entiers
après leur mort. Le condamné n'eſt pas expofé
fur un échaffaut ; on le fait mettre à genoux
dans quelque place publique les mains liées derrière
le dos une feule perfonne le tient ferré de
façon qu'il ne peut remuer , tandis que l'Exécuteur
, arrivant par derrière , lui enléve la tête
d'un feul coup & en même temps le renverfe
fur le dos avec tant de dextérité , qu'il ne tombe
pas même une feule goutte de fang fur les habits
du Patient. Duhalde , vol. 1. p. 4. vol. 2, p.
299.
JUILLET. 1762. 37
arrache du front le papier où eft inſcrit
fon crime & que le Bourreau
s'approche pour la frapper ; le jeune
homme la reconnoît , arrache une épée
des mains de l'un des Officiers , attaque
les autres , les met en fuite , & fe fauve
avec elle.
Mais après avoir été repris , ils font
remenés vers le Mandarin qui avoit ordonné
l'exécution : où le jeune homme
lui apprend que cette Dame n'eſt pas
celle que l'autre Mandarin avoit enfermée
& voulu retenir dans fa maifon . Ce
qui , après information faite , s'étant trouvé
véritable , le Mandarin inférieur eft
condamné au même fupplice qui avoit
été infligé à la jeune Dame.
Alors le Mandarin fupérieur abfout
le jeune homme & l'engage à demeurer
à fon ſervice comme très propre à être
employé dans fes affaires de galanteries.
Il tombe en même temps amoureux de
la jeune Dame , qu'il fe détermine à
prendre pour première époufe ( c ) , &
ordonne à fes autres femmes de la difpofer
à fe foumettre à fes defirs .
Sur les refus qu'elle fait de les vouloir
entendre , & qu'elle ofe lui réitérer en
( c ) Les autres font des efpéces de Concubines
autorisées par les Loix.
36 MERCURE DE FRANCE.
me incapable de pouvoir être d'aucun
fecours à fon père. )
Elle eft arrêtée par les Domeftiques
du Mandarin Nan-Hayan , & conduite
au Tribunal du Mandarin fupérieur, qui
la condamne à perdre la tête. ( b ) Arrivée
au heu de l'exécution ( qui fe fait à
minuit & au flambeau ) le jeune homme
qu'elle avoit ci - devant affifté & dont
elle avoit pris la mère à fon fervice , s'y
rencontre par hazard. Au moment où
celui qui tient la prétendue coupable lui
(b) Ou l'Auteur de cette Piéce ( ainfi que nos
Tragiques modernes ne s'eft point piqué d'obferver
les ufages de fon Pays , ou il en fixe l'époque
à des temps antérieurs à l'établiffement de
ces mêmes ufages. Car il faut aujourd'hui des cas
biens preffans & bin extraordinaires , pour qu'il
foir permis à un Mandarin de prononcer une Sentence
de mort définitive .
N. B. Il eſt plus infamant à la Chine d'être decapité
que d'être pendu : les Chinois étant extrêmement
jaloux de conferver leurs corps entiers
après leur mort. Le condamné n'eſt pas exposé
fur un échaffaut ; on le fait mettre à genoux
dans quelque place publique les mains liées derrière
le dos une feule perſonne le tient ferré de
façon qu'il ne peut remuer , tandis que l'Exécuteur
, arrivant par derrière , lui enléve la têre
d'un feul coup & en même temps le renverfe
fur le dos avec tant de dextérité , qu'il ne tombe
pas même une feule goutte de fang fur les habits
du Patient. Duhalde , vol. 1. P. 4. vol. 2. P.
299.
JUILLET. 1762. 37
S
t
arrache du front le papier où eft infcrit
fon crime & que le Bourreau
s'approche pour la frapper ; le jeune
homme la reconnoît , arrache une épée
des mains de l'un des Officiers , attaque
les autres , les met en fuite , & fe fauve
avec elle.
Mais après avoir été repris , ils font
remenés vers le Mandarin qui avoit ordonné
l'exécution : où le jeune homme
lui apprend que cette Dame n'eſt pas
celle que l'autre Mandarin avoit enfermée
& voulu retenir dans fa maiſon. Ce
qui , après information faite , s'étant trouvé
véritable , le Mandarin inférieur eft
condamné au même fupplice qui avoit
été infligé à la jeune Dame.
Alors le Mandarin fupérieur abfout
le jeune homme & l'engage à demeurer
à fon fervice comme très propre à être
employé dans fes affaires de galanteries .
Il tombe en même temps amoureux de
la jeune Dame , qu'il fe détermine à
prendre pour première époufe (c ) , &
ordonne à fes autres femmes de la difpofer
à fe foumettre à fes defirs.
Sur les refus qu'elle fait de les vouloir
entendre , & qu'elle ofe lui réitérer en
( c) Les autres font des efpéces de Concubines
autorisées par les Loix.
36 MERCURE DE FRANCE.
me incapable de pouvoir être d'aucun
fecours à fon père.
Elle eft arrêtée par les Domeftiques
du Mandarin Nan- Hayan , & conduite
au Tribunal du Mandarin fupérieur , qui
la condamne à perdre la tête. ( b ) Arrivée
au lieu de l'exécution ( qui fe fait à
minuit & au flambeau ) le jeune homme
qu'elle avoit ci - devant affifté & dont
elle avoit pris la mère à ſon ſervice , s'y
rencontre par hazard. Au moment où
celui qui tient la prétendue coupable lui
( b) Ou l'Auteur de cette Piéce ( ainfi que nos
Tragiques modernes ne s'eft point piqué d'obferver
les ufages de fon Pays , ou il en fixe l'époque
à des temps antérieurs à l'établiflement de
ces mêmes ufages . Car il faut aujourd'hui des cas
biens preffans & bin extraordinaires , pour qu'il
foir permis à un Mandarin de prononcer une Sentence
de mort définitive .
N. B. Il eft plus infamant à la Chine d'être decapité
que d'être pendu : les Chinois étant extrêmement
jaloux de conferver leurs corps entiers
après leur mort. Le condamné n'eſt pas exposé
fur un échaffaut ; on le fait mettre à genoux
dans quelque place publique les mains liées derrière
le dos une feule perfonne le tient ferré de
façon qu'il ne peut remuer , tandis que l'Exécuteur
, arrivant par derrière , lui enléve la tête
d'un feul coup & en même temps le renverfe
fur le dos avec tant de dextérité , qu'il ne tombe
pas même une feule goutte de fang fur les habits
du Patient. Duhalde , vol. 1. p. 4. vol . 2. p.
299.
JUILLET. 1762. 37
,
arrache du front le papier où eft infcrit
fon crime & que le Bourreau
s'approche pour la frapper ; le jeune
homme la reconnoît , arrache une épée
des mains de l'un des Officiers , attaque
les autres , les met en fuite , & fe fauve
avec elle.
Mais après avoir été repris , ils font
remenés vers le Mandarin qui avoit ordonné
l'exécution : où le jeune homme
lui apprend que cette Dame n'eſt pas
celle que l'autre Mandarin avoit enfermée
& voulu retenir dans fa maiſon. Ce
qui , après information faite , s'étant trouvé
véritable , le Mandarin inférieur eſt
condamné au même fupplice qui avoit
été infligé à la jeune Dame.
Alors le Mandarin fupérieur abfout
le jeune homme & l'engage à demeurer
à fon ſervice comme très propre à être
employé dans fes affaires de galanteries.
Il tombe en même temps amoureux de
la jeune Dame , qu'i fe détermine à
prendre pour première époufe ( c ) , &
ordonne à fes autres femmes de la difpofer
à fe foumettre à fes defirs.
Sur les refus qu'elle fait de les vouloir
entendre , & qu'elle ofe lui réitérer en
( c ) Les autres font des efpéces de Concubines
autorisées par les Loix.
38 MERCURE DE FRANCE .
face , il leur ordonne de la maltraiter &
de la faire expirer fous leurs coups : ce
qui s'exécute affez. cruellement pour
qu'elle foit crue morte . Alors il commande
au jeune homme nouvellement
entré à fon fervice , d'emporter le corps ,
& de le jetter dans le fleuve.
Le jeune homme porte ce corps au
bord de l'eau ; mais au lieu de le jetter
dans le fleuve , il fe dépouille , le couvre
de fes habits ; & après avoir déploré
le fort d'une aimable femme à qui il devoit
tant de reconnoiffance , il fe hâte
de lui aller acheter un cercueil. ( d)
Cependant un Vaiffeau arrive ; & les
gens de l'équipage appercevant ce corps
dont les habillemens leur indiquent une
perfonne hors du commun , & qui donnoit
quelques fignes de vie , fe déterminent
à l'emporter
.
Ce font des Sujets de la Reine de
( d) Les Chinois ſemblent craindre moins la
mort que d'être enterrés fans cercueil . On voit
avec étonnement comblen ce foin feul les occupe,
& combien il leur coûte pour en avoir de riches
& de recherchés foit pour eux- mêmes , foit pour
leurs amis. C'eft , fuivant eux , le premier & le
plus facré devoir de la Piété ; & ce devoir eft
pouffé fi loin , qu'on voit quelquefois des enfans
engager ou vendre tous leurs biens pour acheter
un beau cercueil à leur père. Duhalde , vol . I.
p. 280. 306.
JUILLET. 1762. 39 .
Tartarie qui , alors en guèrre avec les
Chinois , & ayant befoin de femmes ,
avoit envoyé des Corfaires pour en enlever
fur les côtes de la Chine . Ces mêmes
Corfaires avoient déjà enlevé la
mère du jeune homme qui accompagnoit
la jeune Dame dans la Pagode
dont on a parlé , ainfi que la jeune fille
de la Marchande de thé, en place de laquelle
la jeune Dame avoit penfé perdre
la tête.
Cependant le jeune homme revient
au bord du fleuve , & ne retrouvant
plus le corps de la jeune Dame , retourne
chez le Mandarin fupérieur , auquel
il dit qu'il a exécuté fes ordres.
Mais les chofes avoient changé de
face. Ce Mandarin , dans l'intervalle ,
avoit appris de qui la jeune Dame étoit
fille ; il étoit dans la plus grande affliction
; & pour prévenir le reffentiment
du père de cette infortunée. Il ordonne
au jeune homme de chercher ce Mandarin
difgracié , & de l'affaffiner.
A
Le jeune homme feint d'entreprendre
cette recherche ; & rencontre ce même
Mandarin profcrit , avec lequel ( fans le
connoître ) il lie une efpéce d'intimité.
Ce malheureux père , après quelques
éclairciffemens entr'eux , für que le jeu40
MERCURE DE FRANCE .
ne homme n'a pas deffein de lui nuire
fe fait connoître à lui. Leurs reffentimens
font égaux contre le Mandarin fupérieur
, qui les a également offenfés : ils
projettent de s'en vanger en le tuant ; &
le projet eft exécuté fur le champ.
Le jeune homme alors prend le par
ti , pour éviter les recherches de la Juftice
, d'aller à la guèrre contre les Tar
tares. Il s'y comporte avec la plus grande
bravoure ; & dans une bataille où les
femmes combattent avec les hommes
( fuivant la coutume que l'on fuppofe
aux Tartares , de ce temps-là ) il rencontre
fa mère , la fille du Mandarin , & la
fille de la Marchande de thé.
Cettte reconnoiffance eſt également
furprenante pour tous les perfonnages.
Sur quoi le jeune homme , quoique
vainqueur des Tartares , fe détermine
à faifir la première occafion de fe faire
prendre prifonnier de guèrre , afin d'être
conduit chez eux.
Les femmes , de leur côté , repréfentent
à la Reine de Tartarie qu'elles ne
peuvent plus combattre contre un ennemi
qui leur eft trop cher pour qu'elles
rifquent plus longtemps de répandre
fon fang , ou de l'expofer à répandre le
leur.
JUILLET. 1762. 41
Mais le jeune homme , qui s'eft fait
prendre de deffein prémédité , eft amené
dans ce moment devant la Reine , à qui
il déclare les raifons qui l'ont forcé d'agir
ainfi.
La Reine , fenfiblement touchée du
récit de cette hiftoire , rend la liberté aux
trois femmes , & charge le jeune homme
d'en prendre foin . Vaincue enfin par les
difcours vertueux de ce Guèrrier , elle
confent à la paix avec les Chinois , &
fe retire dans un Couvent ou Pagode de
Bonzeffes ( e ) dont elle prend l'habit.
Le jeune homme & les trois femmes
retournent à la Chine , où ils retrouvent
le Mandarin , père de la jeune Dame ,
rétabli dans fon rang & fes honneurs.
Le retour de fa fille le comble de joie.
Il la donne , en qualité de première ou
principale époufe , aujeune homme , qui
alors prend la jeune fille de laMarchande
de thé pour feconde .
( e ) Il y a à la Chine des Pagodes ou Monaftères
remplis de Bonzes , qui font des espéces de
Moines de même il y en a de Filles appellées
Nien ou Bonzeffes , qui vivent a peu- près de la
même façon. Elies fe râfent la tête , renoncent au
mariage , & s'abftiennent de la fréquentation
des hommes . Mais ces Monaftères ne font pas
nombreux , ni affujettis à la clôture . Duhalde ,
vol: I. p. 18. mod. univ. 8. p. 175. Nieuhoff ,
P. 59.
42 MERCURE DE FRANCE.
•
L'Empereur de la Chine , informé des
fervices rendus par le jeune homme , lui
donne la Patente de Mandarin fupérieur,
& lui en envoie l'habillement . Le nouveau
Mandarin fait habiller fa mère &
fes deux femmes conformément à la
qualité qu'il vient d'acquérir; & les félicitations
de leurs amis communs terminent
agréablement la Piéce.
REMARQUES fur cette Piéce.
>
CETTE Piéce a été trouvée parmí
les papiers de la perfonne à qui nous
devons la traduction de l'Hiftoire amufante
de Han-Kiou Choan * & nous
fournit un fecond échantillon en Langue
Européenne du talent des Chinois
pour la compofition dramatique : l'Orphelin
de la Maifon de Chao , publié
par le P. Duhalde , étant le feul qui
l'ait précédé.
ےک
Quoique les Chinois ne mettent aucune
différence entre la Tragédie & la
Comédie , cependant comme la Piéce
fuivante différe à plufieurs égards de
* Imprimée à Londres , chez Dodsley
1761. 4 vol. in-12,
en
JUILLET. 1762. 43
celle du P. Duhalde , puifque les perfonnages
font d'un rang fubalterne`, &
que les incidens n'en font à beaucoup
près ni fi tragiques ni fi importans ;
I'Editeur a d'abord été en doute , fçavoir
s'il ne devoit point la regarder
comme une espèce d'échantillon de la
Comédie Chinoife : mais après avoir
propofé la Queftion à un François de
fes amis verfé dans la connoiffance du
Théâtre de toutes les Nations ; voici
quelle fut fa réponſe .
» Il ne paroît pas aifé de prononcer
" fur le genre de la Piéce que vous
" m'envoyez , puifque vous n'en avez
» que l'Extrait , ou plutôt le fquelette.
» J'y trouve pourtant quelque eſpèce
» d'unité , quoique chargée de trop de
faits , quoique le commencement
de
» l'action foit prodigieufement
éloigné
» de la cataſtrophe , & qu'elle foit con-
» duite avec bien peu d'art. Je ne crois
» pourtant pas qu'on puiffe la donner
» comme un modéle de la Comédie
Chinoife : car quoique les caractères
qu'on y préfente manquent d'élé-
» vation , & les événemens d'importan-
» ce , ces défauts ne bleffent pas ce qui
» conftitue éffentiéllement
l'un & l'autre
» Drame. L'éffence de la Comédie eft
44 MERCURE DE FRANCE .
» de peindre les caractères & les moeurs;
» celle de la Tragédie d'éxciter la ter-
" reur & la pitié. Je trouve pourtant,
» dis-je , quelque efpèce d'unité dans
» l'action de celle- ci , quoique la con-
» dute en foit auffi groffère qu'em-
» baraffée ; le manque de dignité dans ,
» les perfonnages & dans les événemens
n'indique qu'un défaut dans
» la compofition du Drame , mais n'al-
" tée point la nature du Poëme . George
» Barnewel, ou le Marchand de Londres,
» n'eft pas moins une Tragédie , quoi-
» que ks perfonnages n'en foient point
» illuftres , & qu'il n'y foit question ,
» que des malheurs d'une famille bour-
" geoife. Mais ce n'eft pas fans quelque
""
"
efpèce d'art que l'Auteur Chinois eft
» parvenu à nous intéreffer au fort de
» fes principaux perfonnages . Notre
» compaffion eft auffi fortement exci-
» tée à la vue de la Matrône Chinoife &
» de fon fils , au comble de la mifére
» & quoiqu'avec répugnance obligés à
» vivre d'aumônes , qu'à celle du favo-
» ri des Rois dans un affreux Donjon .
» La terreur naît enfuite des différens
» maux qu'ils éprouvent & des périls aux-
» quels ils vont être expofés ; & plus
» nous admirons l'héroifme de leur
JUILLET. 1762. 45
» conftance , plus nous nous intéreffons
" à leur fortune , jufqu'au moment où
» la cataſtrophe améne ce point de mo-
»rale important : Qu'il n'eft aucune fi-
» tuation difficile , aucun danger dont la
» vraie vertu ne triomphe..
D. L. P.....
A M. de GRANDMENIL , Avocat
au Parlement.
EP ITR E.
AMI , je renonce aux faveurs
Du Dieu de la Troupe Immortelle ;.
De la Mufette de Chapelle
Je n'ai point les fons enchanteurs.
Encore fi de Polymnie ,
Suivant les tons ambitieux ?
Chantre des Héros & des Dieux ;
J'avois leur âme & leur génie :
Mais non , du céleſte flambeau
Qui les anime & les éclaire,
Une étincelle trop légére
Apeine échauffa mon berceau.
Je ne connois point cette ivreffe
Ces égaremens , ces tranfports ,
Qu'enfante le Dieu du Permeffe
46 MERCURE DE FRANCE.
Par le charme de fes accords.
Déja de ma vive jeuneſſe
Je lens s'amortir les ardeurs :
Songes rians ,
douces erreurs
Vous fuyez la trifte Sagelſe !
•
91
Ami , j'en écoute la voix ;
C'eft elle feule qui m'inſpire ;
Et quoique mon coeur en foupire ,
Je dois m'affervir à fes loix.
Quittons un langage biſarre ,
Que la Raifon ne connoît pas s
Qui trop fouvent peint l'embarras
D'un efprit troublé qui s'égare.
La douce & naïve amitié
Celle bientôt d'être piquante ,
Si la Nature complaifante
N'eft avec elle de moitié.
Sans appareil & fans nuage ,
Riché de fa feule beauté ,
Elle fuit le vain etalage
D'un Sentiment trop affecté.
Dans la noble Simplicité ,
Plus modefte & non moins touchante ,
La Profe me plaît & m'enchante
Par la naive liberté.
Que j'aime ce ruiffeau tranquille ,
Toujours retenu dans fes bords ,
Qui fuit fans trouble & fans efforts
Sa pente légère & facile !
JUILLET. 1762. 47
Du doux murmure de ſes eaux
Mon âme n'eſt point agitée ;
Et la Nayade épouvantée
Ne s'enfuit point dans fes roſeaux.
Son onde pure & plus féconde ,
Que ces torrens impétueux
Qui dans leur courſe vagabonde
Franchiffent des rochers affreux ,
N'a rien à craindre des ravages
De l'Aquilon dans Tes fureurs ,
Et voit fur fes humbles rivages
Germer & naître plus de fleurs.
Ami , de ce tableau fidéle ,
Ma Minerve a formé les traits ;
Mais je l'entends qui me rappelle
Des fentiers où je m'égarais.
Douce erreur , féduiſante ivreſſe ,
Je vois le charme qui vous fuit !
N'oppoſez plus à ma ſageſſe
Un langage qui la féduit :
Peut-être mes efprits rebelles
Reprendroient un nouvel éffor.
Au feu qui confume ſes aîles ,
Le Papillon revient encor.
R.... P. D. S. A. Secrétaire perpétuel de
l'Académie d'Angers.
48 MERCURE DE FRANCE.
LE ROSSIGNOL , LA FAUVETTE
UN
ET SA MERE .
FABLE.
N Roffignol épris d'une Fauvette ,
Pour lui plaire , inventoit les plus belles chansons ;
Amoureuſe de tous les fons
Avec lui quelquefois concertoit la Folette :
Puis s'arrêtant : je ne fçais rien .....
Chantez , vous feul?... Encore!...
chantez bien !
Ah ! que vous
Doux Roffignol , comment imiter ce paſſage ?
Il me charme plus je l'entends .
Sa mère qui de ces accens
Dans fon coeur fatisfait s'attribuoit l'hommage ,
S'extafioit auffi de fon côté.
Ivre d'amour & d'encens entêté ,
Bornant à l'ombre d'un feuillage
Un talent qui pouvoit remplir tout le boccage ,
Mon Roffignol ne fe fit point un nom ,
Et mit Fauvette en fort mauvais renom .
'Artiftes , préférez les attraits de la Gloire
Aux frivoles plaifirs des rapides Amours.
Vous , Mères , ne foyez affez bonnes de croire,
Qu'un Roffignol chante toujours.
Par M. GUICHARD.
DISCOURS
JUILLET. 1762. 49
DISCOURS prononcé le jour de la
S. HUBERT.
NOBLES enfans du grand Hubert ,
Vous qui fuivez fes pas , vous qu'un projet illuſtre
A raffemblés dans ce deſert ,
Partez , difperfez -vous , pour aller de concert
A vos rares exploits donner un nouveau lustre.
Ce beau jour , par vos foins , célébré tous les ans ;
D'un feſtin apprêté des mains de l'allégreſſe ,
Offre à vos yeux charmés les mets appétiſfans ,
Et de mille plaiſirs auſſi vifs qu'innocens ,
Enchaîne autour de vous la troupe enchantereffe,
De votre faint Patron , imitez les vertus
Parcourez les vaftes campagnes ,
>
Les fertiles vallons , les arides montagnes ,
Et les fentiers les moins battus.
Allez , que rien ne vous arrête ,
Que le gibier craintif qui fira devant vous ,
Périffe à l'inftant fous vos coups.
Que le bruit de la foudre annonce fa défaite .
Mille Peuples , de moeurs & d'habits différens ,
De ce noble exercice ont toujours fait ufage ,
Et le noir Africain , & l'agile Sauvage ,
Peuples infortunés , & groffiers ignorans ,
Dans la nuit de l'erreur plongés de tous les temps;
II. Vol. C
5 MERCURE DE FRANCE.
En ont reconnu l'avantage.
Chez les Peuples polis il fait l'amour du Sage ,
Et le bonheur des Conquérans:
La chaffe fut toujours l'école du courage.
O toi qui nous as raſſemblés,
Daignes , divin Hubert , favoriſer nos armes ! …...
Habitans de ce bois , tremblez ,
La mort fuit de près vos allarmes .
Bientôt avec agilité ,
Nos chiens vont vous livrer une cruelle guèrre :
Vous aurez beau , pour fuir une fatale tèrre ,
Ou voler , ou courir avec rapidité ;
Le chaffeur contre vous va lancer le tonnèrre ,
Et de votre trépas l'inftant eft arrêté.
L'ardeur qui vous entraîne , amis , eſt légitime :
Poursuivez vos brillans travaux ,
L'homme est né pour régner, ſur tous les animaux,
Il peut les immoler fans crime.
La victoire s'apprête , à voler ſur vos pas.
Le Lapin a quitté la paiſible taniere ;
Et fur l'herbe endormi le Liévre ne croit pas
Toucher à fon heure derniere.
Mais c'est trop en ces lieux vous tenir arrêtés ;
J'entends de toutes parts le cor qui vous appelle ;
Partez , braves amis , joignez l'adreſſe au zéle :
Allez par mille coups , heureufement portés ,
Mériter à l'envi la palme la plus belle.
Tandis que de vos faits , admirateur fidéle ,
JUILLET. 1762. SI
Si je ne puis vous fuivre avec la même ardeur ;
Du moins ,le coeur rempli d'une audace nouvelle ,
J'irai du Dieu des vers implorer la fureur ,
Pour peindre en traits de feux votre gloire immor
telle .
Par M. FRANÇOIs , ancien Officierde
Cavalerie.
MADRIGAUX
DONNÉS DANS UN BAL.
A Madame de P..... mariée depuis peu.
V ous avez tout pour plaire & pour féduire :
Mais votre choix eft déja fait ;
Et l'on voit par l'hymen d'un couple ſi parfait ,
Que l'amour à nos yeux, cherche à ſe reproduire.
S₁
AUTRE.
A Madame de S....
tournant vers ces murs fon vol audacieux ,
La Difcorde y jettoit une pomme nouvelle ,
Et que nouveau Pâris , je duſſe dans ces lieux ,
La préfenter à la plus belle ;
J'en ferois , fur le champ , hommage à vos beaux
yeux.
C ij
52 MERCURE DE FRANCE.
QUAN
AUTR E,
A Mademoiselle Au.....
UAND on joint comme vous le fléxible gofier
De la touchante Philomelle ,
A l'éclat féduifant de la rofe nouvelle ,
Au minois le plus régulier,
A la plus piquante prunelle ,
Et qu'avec tant d'attraits, on ne ſe croit pas belle
On eft digne des voeux de l'Univers entier.
AUTRE,
A Mademoiselle C....
QU'UN autre vous compare à Vénus , àMinerve :
On vante vos attraits en des termes plus doux.
Pour louer dignement un objet tel que vous ,
Je ne connois qu'un mot qui ferve ;
Vous êtes jeune & belle, & nous vous aimonstous,
Par le même.
JUILLET. 1762 . $3
LE POUVOIR DE L'AMOUR.
SONNE T.
ENNFFIINN je fuis les loix du plus charmant des
Dieux .
Longtemps j'ai mis ma gloire à braver fon empire
;
Et craignant d'éprouver les douceurs qu'il inſpire
J'ai fui de ſes préſens le poiſon dangereux .
Mais qu'il m'a bien contraint de former d'autres
voeux !
Je ne vis pas plutôt l'adorable Thémire ,
Que cédant aux tranſports d'un amoureux martyre
,
Je fentis en mon coeur naître les premiers feux.
Un défordre inconnu s'empara de mon âme.
Envain , pour m'oppofer aux progrès de ma flâme,
J'enviſage le fort des amans malheureux .
Quel mortel de fes traits n'eût fenti la bleſſure ?
Elle avoit à Vénus dérobé fa ceinture ,
Et l'amour d'un foûrire animoit fes beaux yeux !
L... de B ... d'Orléans .
C iij
54 MERCURE DE FRANCE .
ODE fur la mort de M. JOLYOT de
CRÉBILLON , l'un des Quarante de
l'Académie Françoife .
Exegit Monumentum ære perennius ,
Regalique fitu pyramidum.
Horace .
QUEL ſpectacle eft offert à mon âme éperdue !
Que vois-je ! dans mes fens la crainte eſt répandue
!
Eft-ce ici le féjour qu'habite la terreur ?
Eſt- ce ici du néant la demeure fatale ?
Quelle nuit infernale
Enveloppe ces lieux des voiles de l'horreur !
La lugubre clarté de cent torches funébres ,
Plus triftes mille fois que ces noires ténébres ,
Vers un Temple odieux guide mes pas érrans.
Un marbre enfanglanté couronne fes portiques ,
Dont les débris antiques
Semblent braver encor les menaces du temps.
Sur un Autel d'airain , la Mort, la Mort affife
Tient pour fceptre une faulx que la Fureur ai
guife :
A les yeux eft ouvert le Livre des deſtins.
JUILLET. 1762. 55
De fes Arrêts facrés Miniftres redoutables ,
Les douleurs lamentables
Entraînent à fes pieds la foule des humains ;
Et ce fier Potentat , qui , gonflé d'arrogance ,
Accable l'Univers du poids de fa puiffance ;
Et l'Esclave courbé fous le faix des travaux ,
Tout eft en un inftant difparu dans l'abîme ;
Tout du néant victime ,
Périt également dans le fond des tombeaux.
Les torches à la main , échauffant le carnage ,
Bellone fur les morts fe frayant un paffage ,
De rivieres de fang inonde les Autels :
L'Amour qui , fous des fleurs , mafque fa perfidie ,
D'une main plus hardie
Sacrifie à la mort des milliers de mortels.
Dans ces funeftes lieux,quel vieillard reſpectable
A dévoué le Temps au Trépas indomptable !
Le fceptre des beaux Arts éclare dans ſa main ;
Sa voix rappelle au jour les Monarques célébres ,
Qui , des féjours funébres ,
S'empreffent à l'envi de paffer dans fon fein.
Maître des paffions qui captivent notre âme ,
Il l'émeut à fon gré , l'attendrit , ou l'enflamme :
Quoi ! la Mort a fur lui levé fes bras vengeurs !
Cruelle Mort , arrête ! ... il fe débat , il tombe ;
Civ
56 MERCURE DE FRANCE .
Et la nuit de la tombe
L'enferme pour toujours, & le cache à nos pleurs.
Dérobez , ô , François , vos honteufes allarmes !
Cet inftant que le Peuple enviſage avec larmes ,
Eft l'épreuve de l'homme , & l'inftant du Héros
Tant qu'il traîne ici - bas les chaînes de la vie ,
Les voiles de l'Envie
Obſcurciffent toujours l'éclat de les travaux.
Mais fitôt que fon âme à fes deftins fidelle ,
Dépouillant les dehors de fa forme mortelle ,
Va boire le nectar dans la coupe des Dieux ;
Alors des fentimens le coeur eft l'interprête ,
Et fa cendre muette
Eft même refpectable à F'oeil de l'envieux.
Immortel Crébillon ! les Filles de Mémoire
Ont fixé pour jamais les degrés de ta gloire :
Ton nom des plus fameux égale la hauteur.
Eh ! qui fçut mieux que toi , des fils de Melpomène ,
Déployer fur la Scène ,
De forfaits inouïs la furprenante horreur ?
Ce monftre au coeur de fer , c'eſt l'infléxible
Atrée.
Voyez de quelle main , par le crime affurée ,
Il préfente à fon frère un vafe horrible , affreux,
Tu demandes ton fils , infortuné Thiefte :
O vengeance funefte !
JUILLET. 1762 . 57
Ton fils eft tout entier dans tes flancs malheureux.
[ Quel fang vient de couler dans les murs de
Micène !
Un couple fcélérat , réuni par la haine ,
Dans le fein maternel enfonce le couteau.
Tremblez , fils inhumains , le fouffle des Furies ,
Dans vos âmes impies ,
Du remords dévorant allume le flambeau.
Que les foins d'Ifménie * ont à mes yeux de
charmes !
D'un époux criminel enchaînant les allarmes ,
De fes cruels malheurs elle adoucit le faix ;
Mais les Dieux l'ont marqué du ſceau de leur colère
,
Et la main de fon fère ,
Par des forfaits plus grands , venge encor fesforfaits.
Ainfi dé la terreur , aux humains fi fatale ;
Tu fçais nous faire aimer la Pompe fépulchrale ;
Avec des flots de fang tu fais couler nos pleurs.
Quoi ** de l'ambition tu fondes les abîmes ,
Et la mère des crimes
Te développe auffi fes fombres profondeurs !
* La Tragédie de Rhadamifte.
** Celle de Catilina.
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
Ce Vieillard immortel, dont la main lente & sûre,
Reproduit à la fois & détruit la nature ,
Dans fon rapide vol redouble tes éfforts :
Ton efprit , difpenfant des torrens de lumière ,
Au bout de fa carrière ,
S'éleve encor plus haut en les rares accords.
Je reconnois la voix du Défenſeur * de Rome ;
Ce font là tous les traits , l'empreinte du grand
Homme :
C'eſt ainſi qu'il tomba fous le couteau fanglant .
Quels cris tumultueux ! le poiſon de l'Envie ,
Epandu fur ta vie ,
Infecte de tes jours le refte chancelant .
Laiffons ce vil Pithon exhaler fes blafphêmes ;
Des criminels humains les murmures extrêmes
Altérent- ils jamais le front calme des Dieux ?
Un tranſport inconnu m'appelle à l'Empirée ;
De la voûte azurée
Les chemins tout-à- coup font ouverts à mes yeux.
Quelle Divinité , dans fon orgueil fuprême ,
Empruntant de la Mort l'éffrayant diadême ,
Raflemble à fes côtés la troupe des Malheurs ?
Son front eft obfcurci du deuil de la Trifteffe ;
A fes pieds la Tendreffe
Grave , en lettres de fang , fes tragiques douleurs.
* Le Triumvirat qu'il fit à l'âge de quatrevingt-
un ans , & qui fut injuftement attaqué.
JUILLET. 1762 . 59
Corneille , pour Romain adopté même à Rome ,
Racine , l'interprête & le peintre de l'homme ,
Sont , d'un tribut de pleurs , pour encens , honorés
:
Là , mon divin Héros , guidé par la Mémoite ,
Sur un rayon de gloire ,
Du Sanctuaire augufte occupe les degrés.
Pardonne , Crébillon , aux éfforts de ma lyre !
Si mes fens tranſportés par un heureux délire ,
Ont retracé ta gloire aux fiécles à venir ;
Couronne mes accords , & tranfmets dans mon
ame ,
Cette célefte flamme ,
Qui fait des noms fameux vivre le fouvenir.
VERS à M. DU BELLOY , furfa
Tragédie de ZELMIRE ,
QUEL chef-d'oeuvre nouveau paroît fur notre
Scène !
Quels traits frappans ! quels coups hardis !
Quel attrait féduifant , quel intérêt enchaîne
Tous les coeurs & tous les efprits ?
Zelmire , Polidore , Ilus , & Rhamnès même ,
Tout attendrit juſques aux pleurs.
La Nature , l'Amour , la Piété fuprême ,
La fermeté d'un Roi blanchi dans les malheurs ,
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
Le zèle d'un Sujet , fans fecours , fans défenſe ,
J'y vois tous les devoirs tracés également ,
Les vertus triompher au comble du tourment ,
Et le crime en tremblant accabler l'innocence.
Le Théâtre fans doute , élégant Du Belloy ,
Te doit un nouveau luftre , inconnu juſqu'à toi ;
Et fi Melpomene regrette
*
L'un de fes plus chers favoris ,
Bientôt de ce grand Art touchant déja le prix ,
Tu pourras réparer la perte qu'elle a faite.
* M. de Crébillon .
LE
E mot de la premiere Enigme du
premier volume de Juillet eft la cuirafe.
Celui de la feconde eft le fleuve.
Celui du premier Logogryphe eft Replique
, dans lequel on trouve Relique ,
Pere , pli, Elie , Pie , épi. Celui du fecond
eft Enigme. On y trouve Egine ,
Neige , Gien , Mine , Génie Mein
Gêne , Mie , Nie , Mi , Mien.
ENIGM E.
,
Je vois le jour & n'eus jamais de père ;
Je n'habitai jamais la tèrre ,
Je ne nâquis point fous les eaux ,
JUILLET. 1762. 61
Et je ne fus jamais du nombre des oiſeaux.
Chacun comme il veut me fait naître :
Mais auffi - tôt je ceffe d'être ;
Et le moment qui commence mon fort ,
Voit prèfque en même temps ma mort.
J'ai pour retraite un fort étroit paffage ,
Et fuis d'un néceffaire ufage.
Jeft
AUTRE.
E fuis d'une , de deux , même de trois couleurs.
Un habit en naiffant m'environne la tête.
Bien des amans qui me font fête
Par d'innocens baiſers me prouvent leurs ardeurs.
L'un m'aime un feul moment , l'autre un jour ,
l'autre une heure.
Quand on m'a fait fortir du lieu de ma demeure,
Je me vois transformée en plus d'une façon .
Héros après la mort vous vivez dans l'Hiftoire ;
Moi , je puis me donner la gloire
D'avoir fait compofer an roman fous mon nom ,
ལྕ་་་
62 MERCURE DE FRANCE.
1
LOGO GRYPHE.
Αυχ ux dépens de la Vérité ,
Je ne veux pas illuftrer ma naiſſance ,
Ni briller à tes yeux d'un éclat empruntés
A la mauvaiſe foi je dois mon éxiſtence.
Ce début n'eſt pas beau ; cependant, cher Lecteur ,
Quoique l'homme de bien m'évite & me haïffe ,
Pour découvrir le crime , & punir fon auteur
Souvent je fers à la Justice.
J'ai fini mon portrait , avec quelques efforts ,
S'il ne te fuffit pas , tu pourras me connoître ;
Ouvrant mon fein confultant mes refforts
Tu trouves ce qui fait l'anıbition d'un Prêtre ;
L'idole d'un avare , un regiſtre infamant ;
Une Ville Normande ; un Pays d'Amérique
En richeffe abondant ;
Pour rimer j'ai besoin de note de mufique ,
Je t'en offre une ; puis un métal précieux ;
Un arbre dont le front fe cache dans la nue ;
Et pour finir enfin mon récit ennuyeux ,
L'animal dont , aux Juifs , la chair fut défendue.
Par un Membre fubalterne du Bailliage de
Soiffons.
JUILLET. 1762 . 63
AUTRE.
D'OBLIGER les humains je me fais une étude;
Je fais naître le frais, le calme & le repos.
Mais , ô fatale ingratitude !
Ce que
A l'inftant où j'oblige on me tourne le dos.
Tu vois en mes huit pieds une route ufitée ,
Et furtout à Paris : combine bien , Lecteur ;
Cet animal adroit , plaifant , imitateur ;
Cet autre dont la voix parmi nous eſt vantée ;
fait en cachette à fon heureux amant ,
Une jeune beauté qui près de foi l'appelle ;
Ce qu'à l'oeil curieux voile modeftement
Celle qui fuit les loix d'une vertu cruelle ;
D'un Peuple Mirmidon l'éternel ennemi ;
Le titre d'un mortel fur le Trône affermi ;
Celui de fa compagne auguſte & revérée ;
Ce qu'employe avec art l'efprit faux & malin ;
Unfubftantif françois , un adjectif latin
Défignant l'un & l'autre une couleur femblable ;
Ce qui porte le feu dans fon flanc redoutable.
C'est trop t'embarraffer , ami , repoſe- toi ;
Et te garde le Ciel d'avoir beſoin de moi !
Par M. MACÉ , du Village de Sommeri,
près de Fontainebleau.
64 MERCURE DE FRANCE.
PENSEZ-Y BIEN , PENSEZ-Y
MIEUX .
CHANSON.
AIR : Sans le fçavoir.
PENSEZ-Y
ENSEZ-Y bien , mon cher Narciffe
La Médifance eft un grand vice ,
Ne vous rendez pas odieux.
Si quelquefois j'ai la manie
De mettre le vrai fous les yeux ,
Vous donnez dans la calomnie :
Penfez y mieux.
Penfez-y-bien , jeune Clarice ,
Vous vous creuſez un précipice ,
Un Amant eft trop dangereux.
Un feul Amant que l'on époufe
Fait notre éloge , & plaît aux Dieux.
Mais étant femme , en avoir douze :
Penfez-y mieux.
Penfez-y-bien , mon cher Valère ,
Vous aimez trop la bonne chère ,
Et l'excès du vin eft affreux.
Quan je bois c'eſt avec Climène ,
Et Bacchus cède à fes beaux yeux.
Aux plus grands maux le jeu vous mène.
Penfez-y mieux.
JUILLET. 1762.
65
Penfez-y-bien , mon cher Ergaſte ,
Toujours bâtir tient trop du faſte ,
Voyez le toît de vos Ayeux.
Je ne m'attache qu'au folide
Qui doit paffer à mes neveux.
Vos gens , vos chiens feront un vuide.
Penfez-y mieux .
Penfez-y-bien , mon cher Arifté ,
Votre air commun , mauffade & trifte
Des gens de goût bleffe les yeux .
Ainfi que vous je ne puis être
Vif, élégant & radieux .
Je fuis Rosbif, vous Petit-Maître :
Penfez -y mieux.
Penfez -y-bien , jeune Mélite ,
Trop d'amour-propre ôte au mérite
Le ton modefte & merveilleux.
J'en ai peut- être autant qu'une autre ;
Mais pourquoi d'un air précieux
Affichez-vous partout le vôtre?
Penfez -y mieux.
Par M. FUZILLIER , à Amiens.
66 MERCURE DE FRANCE .
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LA RÉPUBLIQUE DE PLATON ,.
ou Dialogue fur la Juftice , divifé en
dix Livres ; à Paris , chez Brocas &
Humblot, Libraires , rue S. Jacques ,
entre la rue des Mathurins & S.Benoît ,
au Chef S.Jean. 1762 , avecapproba
tion &privilège du Roi. 2 vol. in-12.
Notous avions déja une Traduction
Françoife de la République de Platon
par M. de laPilloniere , nom peu connu
dans la République des Lettres , & dont
l'Ouvrage mérite peu de l'être. Auffi
le nouveau Traducteur n'a-t -il pas craint
de reprendre le même travail , fcachant
bien qu'il ne pouvoit que gagner à la
comparaifon. Le Dialogue de Platon
n'avoit point encore été rendu en François
comme il l'auroit dû l'être ; car c'eft
ce que les Anciens nous ont laiffé de
mieux fur la Philofophie , & le Chefd'oeuvre
des écrits de ce Philofophe . Il
lui falloit donc un Traducteur qui fût en
état de tranfmettre en notre langue
JUILLET. 1762. 67
toutes les beautés de l'original. Il s'eft
heureufement rencontré dans l'Auteur
de cette nouvelle verfion auffi élégante
que fidelle. Il l'a de plus enrichie de notes
fçavantes qui répandent un grand
jour fur tous les endroits qui demandent
des éclairciffemens. Il a placé à la tête de
fa Traduction une préface très - étendue
& bien écrite , où il rend compte à la
fois & de fon travail & de l'Ouvrage
même qu'il a traduit. Nous ne pouvons
mieux faire que de le fuivre dans ce
difcours préliminaire ; c'eft la meilleure
Analyfe que nous puiffions donner du
Dialogue du Philofophe Grec.
Platon fe propofe deux chofes dans
cet entetien. 1°. de rechercher ce qui
rend l'homme jufte , ou en quoi confifte
fa juftice. 2°. de comparer la condition
de l'homme de bien avec le
méchant , pour décider laquelle des
deux eft préférable à l'autre. La premiere
queſtion vient à la fuite d'un entretien
,,
Socrate avec le vieillard Céphale.
Thrafymaque donne occafion à la feconde
, lorfque pour appuier fa définition
de la juftice , qu'il dit être l'intérêt
du plus fort , il ajoute que le bonheur
de l'homme croît en proportion de fa
méchanceté , pourvu qu'avec la volonté
de commettre le mal , il ait le pouvoir
68 MERCURE DE FRANCE.
de le commettre impunément. Socrate
réfute ce que Thrafymaque avoit avan
cé , & oblige enfin ce Sophifte à ſe
taire. Le premier Livre fert de prélude
aux fuivans , & la matiere y eft fimplement
ébauchée. La difpute fe renouvelle
au fecond Livre où Glaucon &
Adimante , frères de Platon ,reprennent
l'objection de Thrafymaque , & l'expofent
dans toute fa force. Les deux frères
veulent qu'on n'ait aucun égard aux
fuites bonnes ou mauvaifes de la justice
& de l'injuftice ; qu'on les confidére l'une
& l'autre en elles - mêmes & toutes
nues ; que fur l'examen de leur nature
& des effets qu'elles produifent dans le
coeur de l'homme , on décide fi le partifan
de la vertu eft plus heureux que
le partifan du vice. Pour parvenir plus
aifément à connoître ce que la justice
eft à l'égard d'un Particulier , Socrate
leur propofe de voir auparavant ce
qu'elle eft par rapport à une Société entiere
, leur faifant entendre qu'elle y
fera plus en grand , & beaucoup plus
facile à appercevoir ; de comparer enfuite
le grand modéle avec le petit , &
de fe fervir du premier comme d'un
moyen pour mieux connoître le fecond
; » Car , dit - il , ce qui rend l'état
» jufte , doit auffi rendre jufte le PartiJUILLET.
1762. 69
» culier ; tout doit fe rapporter de part
» & d'autre ; il ne peut y avoir de différence
que
du plus au moins ; ainfi
faifons une République , & voyons
» comment & par où la juftice & l'in-
» juftice s'y introduifent.
ود
Il remonte donc juſqu'à l'origine de
la Société civile. Il jette les fondemens
de fa République ; on la voit fe former
, croître , s'aggrandir . D'abord il
n'accorde aux citoyens de ce nouvel
état , que le pur néceffaire ; il les repréfente
tels que l'on conçoit d'ordinaire
les hommes dans l'état de nature ; & il
a foin de faire remarquer qu'une Ville
compofée de pareils habitans , eſt une
Ville faine , une Ville parfaite . Il les
met enfuite plus à l'aife ; il ajoute le
commode , le fuperflu même au fimple
néceffaire . Les Arts libéraux inventés
pour le feul plaifir , entrent dans cette
Ville avec tout l'attirail qu'ils traînent
après eux. Ce n'eft plus une Société
formée par un petit nombre d'habitans ;
c'eft un monde. Il partage ce Corps politique
en trois Ordres ; celui du Peuple
, celui des Guerriers , & celui des
Magiftrats ; & après avoir montré qu'un
état eft jufte , lorfque le Peuple & les
guerriers font foumis aux Magiftrats , &
70
MERCURE ' DE FRANCE.
les Magiftrats eux -mêmes aux loix , il
examine fi dans l'ame de chaque homme
, il y a trois partis qui répondent à
ces trois Ordres . Il trouve qu'en effet
la Raifon repréfente le Magiftrat ; le
Courage le Guerrier ; les Paffions le
Peuple ; d'où il conclut que l'homme
eft jufte lorfque le Courage & les Paffions
obéiffent en lui à la Raifon .
La nature de la juftice une fois connue
, il ne reste plus qu'à voir quels en
font les effets. Pour cela il reprend encore
fa comparaifon du gouvernement
politique avec le gouvernement intérieur
de l'homme . Il commence par diſtinguer
cinq fortes de gouvernemens. Le
gouvernement monarchique ou ariftocratique
, qui eft celui de fa république
, & qu'il fuppofe être le plus parfait
de tous ; le timocratique , où régnent
la brigue & l'ambition . Tel eft ,
dit-il , le gouvernement de Créte & de
Sparte ; l'oligarchique , où les feuls riches
ont part aux affaires ; le démocratique
, ou le gouvernement populaire ;
enfin la tyrannie. Il compte auffi cinq
efpéces d'hommes qu'il oppofe à ces
cinq efpéces de gouvernemens : l'homme
jufte , l'homme ambitieux , l'homme
intéreffé , l'homme qui fe laiffe aller
JUILLET. 1762. 71
à toutes fes paffions , enfin l'homme tyrannifé
par une paffion violente , qui
fe rend maîtreffe de toute fon ame. Il
explique comment fe fait le paffage fucceflif
d'un gouvernement à un autre
gouvernement moins parfait , & d'un
homme à un autre homme . Après ce paralléle
, il décide la feconde queſtion ,
en difant que , comme le plus heureux
de tous les états eft celui qui eſt gouverné
par un Roi Philofophe , c'est-àdire
, ami de la Raifon & de la Vérité
& le plus malheureux , celui qui a pour
Maître un Tyran ; de même la condition
la plus heureufe eft celle de l'homme
jufte qui obéit en tout à la Raiſon ;
& la plus malheureufe celle du méchant
dominé par fes paffions.
Tel eft le fond de l'Ouvrage dont
nous ne donnons ici qu'une idée trèsfuccin&
te. Platon , felon fa coutume , a
enrichi fon fujet de plufieurs digreffions
intéreffantes, qui d'ailleurs y tiennent d'affez
près. La premiere roule fur l'éducation
des guerriers. Socrate y parle des
exercices propres à former l'efprit &
le corps. A cette occafion , il condamne
& bannit de fa République Homère
& les autres Poëtes , pour avoir débité
des menfonges au fujet des Dieux , des
72 MERCURE DE FRANCE.
pour
Héros , des Enfers , & c. Il ne rejette
point abfolument toute eſpéce de Poëfie
, mais feulement celle qui eft imitative
, & dont le but eft de flater les paffions.
Il étend cette réforme à l'harmonie
& à la mufique proprement dite.
L'objection qu'on lui fait , que fon
plan de République eft trop beau
pouvoir être réalifé , donne naiffance aux
autres digreffions; pour repondre à cette
objection,il dit qu'il ne faut pas eſperer
de voir fur la terre une République femblable
à la fienne , jufqu'à ce que la Philofophie
monte fur le Thrône dans la
perfonne des Sages , ou que les Rois deviennent
Philofophes . Afin de prévenir
toute équivoque il trace le caractère du
vrai Sage , auquel feul convient le titre
de Philofophe. Il prouve qu'il naît rarement
des hommes de ce caractère , &
que tout confpire à corrompre ce petit
nombre d'hommes , jufqu'à leurs bonnes
qualités même; de forte qu'il eft trèsdifficile
qu'ils fe confervent . Sur ce
qu'on lui repréfente de nouveau , qu'il
s'en faut de beaucoup que la Philofophie
foit capable de produire un fi merveilleux
changement dans la Société civile ; qu'au
contraire , on remarque que la plupart
des Philofophes font méchans & nuifibles
JUILLET. 1762. 73
•
bles aux états & que les autres ne leur font
d'aucune utilité ; Socrate convient que
ce reproche n'eft pas fans fondement ;
mais il ajoute qu'il ne tombe pas fur la
Philofophie ; & pour la juftifier pleinement
à cet égard , il diftingue les
vrais & les faux Philofophes , & expofe
les caufes de l'inutilité des premiers &
de la méchanceté des feconds. Il explique
enfuite de quelle maniere doit être
élevé le Philofophe deftiné à gouverner
l'Etat. Il veut qu'on le faffe paffer par
toutes fortes d'épreuves ; qu'on s'affure
de fa vertu & de fa capacité par toutes
fortes de moyens ; que fa vie foit mêlée
de contemplation & d'action ; qu'il
apprenne toutes les Sciences propres à
élever l'eſprit , & à généraliſer les idées ;
&c.
Sur ce précis , il eft aifé de voir 10.
que ce dialogue eft en partie moral , en
partie politique que le deffein principal
de Platon n'eft pas de faire un plan de
République, comme le croyent bien des
gens trompés apparemment par le titre
de l'Ouvrage , mais de connoître l'homme
jufte , vertueux & parfait , en le
comparant avec une forme de governement
auffi excellente dans fcn genre ,
que le gouvernement intérieur du jufte
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
l'eft dans le fien . 2 °. que l'hypothèſe de
de la République parfaite n'eft pas plus
chimérique , que celle de l'homme parfait
; qu'il faut les ranger l'une & l'autre
fous le même degré de poffibilité . 3º.
que Platon a été trop fenfé pour croire
que ni fa République , ni fon Sage puffent
éxifter tels qu'il les imaginoit. Il dit
lui-même qu'il fe trouve à cet égard
» dans le cas d'un Peintre qui , après
» avoir peint la plus belle figure d'hom-
» me qu'il foit poffible d'imaginer , ne
» feroit point en état de prouver que la
" Nature peut produire une Beauté auffi
» accomplie.
Nous nous fommes un peu étendus
dans cette expofition, parce que très-peu
de perfonnes ont pris le fyfteme de Platon
du vrai & du feul coté par où il le
faut prendre. C'eft in Auteur profond
qu'il faut étudier pour le bien entendre.
Sans vouloir prévenir le jugement du
Public fur la verfion qu'il lui préfènte ,
le Traducteur de Platon ne craint point
d'affurer qu'il nous donne l'Ouvrage du
Philofophe Grec tel qu'il eft ; qu'il n'y
a rien changé , rien ajouté , rien retran-
-ché . A l'égard du ftyle , il s'eft auffi appliqué
à rendre. fidélement le 'Fexte de
fon Auteur, perfuadé qu'une Traduction
JUILLET. 1762. 75
·
ne fçauroit être trop littérale , pourvu
que d'ailleurs elle ne s'écarte pas des
régles que le bon goût préfcrit en ce
genre d'écrire. Platon eft fimple & nafurel
; cette verfion l'eft également , fe
rapproche autant qu'il eft poffible de l'original
; & , à peu de chofe près , peut faciliter
l'intelligence de Platon à ceux
qui fçachant médiocrement le Grec ,
voudroient lire cet Auteur en lui- même
. Pour ce qui eft des Notes du Traducteur
, elles font en petit nombre ; &
l'on n'y trouvera que celles qui font abfolument
néceffaires , foit pour faire
entendre le Texte , foit pour relever certains
écarts où Platon eft tombé.
f .
SUITE de l'ATLAS de M. BUY DE
MORNAS.
NOUouSs avons rendu compte dans un
de nos précédens Mercures , de la premiere
partie de l'Atlas méthodique & élémentaire
de Géographie & d'Hiftoire ,
par M. de Mornas ; ceux qui ont foufcrit
pour cet Ouvrage , verront avec
plaifir combien l'Auteur eft jaloux de
remplir fes engagemens , & ne feront
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
pas moins fatisfaits de la feconde partie
que de la premiere. Il en a paru 15 nou
velles Cartes au temps indiqué ; & nous
avons la fatisfaction de voir que le travail
de M. de Mornas & du fieur Defnos
fon affocié , fe foutient toujours
dans la même perfection ; c'eft un préjugé
favorable pour le refte de cette
grande , belle & fçavante entrepriſe ,
qui , par fon utilité générale , & les dépenfes
immenfes qu'elle occafionne , ne
peut manquer d'attirer l'attention du
gouvernement. Un autre mérite de l'Ouvrage
de M. de Mornas , c'eft qu'il n'y
perd jamais de vue les intérêts de la religion
qui fert de bafe à toutes fes obfervations
; ce qui donne l'idée la plus
avantageufe des principes de l'Auteur
& doit furtout engager les parens à lui
confier , dans cette partie , l'éducation
de leurs enfans. Mais pour nous renfermer
dans ce qui fait l'objet de cette annonce
, nous ne pouvons trop inviter le
Public à fe procurer un Ouvrage qui
peut également convenir à tous les
âges & à tous les états ; & comme il
nous paroît que l'honneur a été le
principal but de cette entreprife , nous
croyons les Auteurs affez défintéreffés ,
pour ne pas augmenter le prix de leurs.
2
JUILLET. 1762. 77
Cartes. Les 15 nouvelles qui viennent
de paroître , contiennent tout le plan
de la feconde partie de l'Ouvrage ; les
définitions & les divifions de l'Hiftoire ;
le Tableau Chronologique de l'Hiftoire
Univerfelle , depuis la Création jufqu'au
déluge , depuis le déluge jufqu'à la
naiffance de J.C. divifé en plufieurs époques
, qui forment autant de Cartes
ticulieres , avec des Cartes Géographiques
qui repréfentent les Empires à mefure
qu'ils font fondés. Les principaux
faits arrivés dans les temps dont on parle
, tels que la création , le déluge &c.y
font gravés avec toutes leurs circonftances
; & chaque fait occupe une Carte.
par-
Les 15
fuivantes
paroîtront
fans
faute
au premier
de Septembre
prochain
, &
préfenteront
en détail
des faits
& des
pays
que
les premieres
Cartes
n'ont
fait,
pour
ainfi
dire
, qu'indiquer
. Mais
il faut
avoir
tout
ce travail
fous
les yeux
, pour
en bien
fentir
le mérite
; & nous
ne
craignons
pas d'avancer
que cette
entreprife
eft une
des plus
utiles
pour
le Public
, & une
des plus
glorieufes
pour
un
homme de Lettres .
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
ÉPITRE à M. GRESSET . A la Haye ,
& fe trouve à Paris chez Fournier ,
Libraire , quai des Auguftins , 1762.
in-8°.
DANS ANS cette Épître , qui contient plus
de trois cens vers , fans nom d'Auteur ,
on reproche à M. Greffet fon inaction
dans la carriere poëtique. On l'exhorte à
fortir de cette indolence , & à venir
nous dédommager du filence qu'il garde
depuis fi long-temps .
Des Amours la Troupe badine
Qu'avoit attrifté ton fommeil ,
Dans leur allegreffe enfantine ,
Battront des mains à ton réveil
Celui que le Deſtin propice
D'un talent fublime a doté
Doit au Public le facrifice
Même de fon obſcurité .
Chargé d'honorables entraves ,
Il eft le premier des Esclaves
Confacrés à l'Humanité.
Pour engager M. Greffet à reparoître
parmi nous, Auteur de cette Epitre lui
JUILLET . 1762, 1 79
offre le tableau des moeurs préfentes
qui ont befoin qu'un efprit enjoué comme
le fien , vienne les tirer de l'efpéce
de léthargie où il prétend qu'elles
languiffent. De là une fortie, violente
contre nos Auteurs, Dramatiques.....
"
1
Au mépris des loix & du goût
Thalie en fa rage Anglicane ,
Comme une vile courtilanne ,
Hormis les Dieux , a joué tout,
Fidèle à nos goûts éffrénés ,
De la bile qui nous confume
Melpomène accroît l'amertume,
Par fes dramès défordonnés :
Dans les parades fanguinaires
Elle n'offre plus à nos yeux
Que des amours inceſtueur ,
Des crimes platement affreux ,
Et des Héros patibulaires. " 2
I
On rappelle donc M. Greffet, non pour Mou
réparer ces abus dramatiques ; on fçait
bien qu'il a abjuré le Théâtre
Svior as
י ז
mais
pour nous fournir de ces tableau agréables
& piquans , qui chaffent loin de
nous la fombre mélancolie que l'Auteur
croit que nous avons adoptée des
Anglois.
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
Ici divers portraits fe fuccédent , en
attendant que M. Greffer veuille bien
prendre lui-même le pinceau.L'Auteur a
tâché d'imiter M. Greffet lui même dans
fa Chartreuse , où l'on trouve différentes
peintures de nos moeurs. Les portraits .
que nous offre cette Epitre , font ceux
de ce qu'on appelle aujourd'hui les Philofophes
; de ces protecteurs ſtupides qui
s'érigent en Mécenes ; de quelques Financiers
, de quelques Poëtes dramatiques
, des petites Maîtreffes , des Frondeurs
politiques , des grands , & c.
On finit par un compliment à M.
Greffet , où on lui dit entre autres
chofes :
Je te peindrois content , heureux ,
Toujours, accompagné des jeur, cay
Et couronné par la Sageſſe , 2Ɑ
Mais dans un ccoin de mon
On appercevroit la Pareffe
Afife auprès de ton Bureau .
tableau
Nous avons trouvé dans cette Epître
un peu trop de mifantropie mêlée avec
plufieurs vers dignes de l'Auteur célébre
à qui elle eft adreffée .
.1.
JUILLET. 1762. 81
I
LETTRE à l'Auteur du MERCURE.
L paroît depuis quelque temps , Monfieur
, une petite Brochure qui a pour
Titre Réfléxions d'un Bel-Efprit du
Caffé de Procope fur la Tragédie de
Zelmire. Quelques perfonnes ont répandu
dans le monde que j'en étois
l'Auteur , & cependant rien n'eft plus
faux. Comme on attaque dans cet Ouvrage
des Auteurs dont je me fais honneur
d'eftimer la perfonne & les talens ,
j'ai cru devoir la défavouer publiquement.
Il ne conviendroit pas à un homme
, qui a befoin de l'indulgence du
Public , de critiquer avec fi peu de ménagement
une Piéce qui a eu le fuccès
le plus brillant. Je compte , Monfieur
que vous voudrez bien inférer cette
lettre dans le prochain Mercure.
J'ai l'honneur d'être , &c.
BLIN.
Paris , 16 Juin 1762.
Dv
82 MERCURE DE FRANCE .
2
ANNONCES DE LIVRES.
LES VIES des Femmes Illuftres de
la France .
邊
Soutenez vos droits au bon fens , & montrez
aux hommes que la Raifon n'eft pas faite
pour eux feuls.
Tiré d'une Piéce de vers Anglois.
›
au
In-12. 3 vol. Paris , 1762. Chez Du-
"chefne , Libraire , rue S. Jacques
Temple du Goût; Morelle jeune ,Grand'-
Salle du Palais , au grand Cyrus ; & chez
"P'Auteur , rue de Grenelle S. Honoré
chez M. Cumené , Bourfier. Prix , 40 f.
' le volume broché.
ABRÉGÉ de l'Embryologie facrée ,
ou du Traité du devoir des Prêtres , des
Médecins & autres , fur le, falut éternel
des enfans & c. in-12. Paris , 1762 , chez
Nyon , Libraire , quai des Auguftins , à
l'Occafion . Prix , 40 f. broché.
VIE de Giannotti Manetti , Sénateur
de Florence , célébre par fon génie ,
fon fçavoir , fes écrits , fes vingt - trois
ambaffades ou commiffions extraordiJUILLET.
1762. 83
naires , fes malheurs & fa conftance.Par
M. Requier. In-12. La Haye , 1762. Se
vend à Paris chez. Defaint & Saillant ,
rue S. Jean de Beauvais ; & chez Vincent
, rue S. Severin , à l'Ange Gardien .
Nous donnerons l'Extrait de cet Ouvrage.
DISCOURS & Differtation lus le 25
Février 1762 , par MM. d'Autrepe &
Paillaffon , en préfence de M. le Lieutenant-
Général de Police & de M. le Procureur
du Roi , à l'Ouverture & premiere
Séance de l'Académie des Experts
Ecrivains Vérificateurs , établie par Lettres
Patentes de 1728 , regiftrées en
Parlement , fous la protection de Mgr
de Lamoignon de Blancmefnil , Chancelier
de France . In -4° . Paris , 1762.
Chez le Breton , Imprimeur ordinaire
du Roi & de l'Académie .
LE LIVRE du Chrétien , dans lequel
fe trouve tout ce que le Chrétien doit
fçavoir & pratiquer par rapport à la Religion
. Ouvrage pofthume de M. Tricalet
, Directeur du Séminaire de S. Nicolas
du Chardonnet , à Paris. In - 16.
Paris , 1762. Chez Lottin L'aîné , Imprimeur
& Libraire de Mgr le Duc de
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE .
BERRY , rue S. Jacques , près S. Yves,
au Coq.
ABRÉGÉ de la Vie de M. Tricalet.
Brochure in-12 . chez le même Libraire .
1
BIBLIOTHEQUE portative des Péres
de l'Eglife ; Ouvrage utile à MM . les
Eccléfiaftiques , & même à tous les Fidéles
qui defirent s'inftruire à fond de
leur Religion . Par feu M. Tricalet , Directeur
du Séminaire de S. Nicolas du
Chardonnet. Tomes 8 & 9 derniers de
cette Collection. Le Tome 8 contient
les Sentences ( en Latin & en François )
des Pères de l'Eglife qui n'ont pu entrer
dans les fept précédens volumes.
Le Tome 9 contient 1 ° . l'Abrégé de la
vie de l'Auteur. 2° . le Texte Latin des
Sentences ( en François ) des Pères de
l'Eglife , renfermées dans les fept précédens
volumes. 3 ° . la Table générale
des matieres contenues dans les 9 volumes.
Les deux volumes in - 8°. Í 1. en
feuilles & 10 liv, reliés. A Paris , chez.
le même Libraire . On trouve auffi chez
lui le même Ouvrage en grand papier ,
dont il a été tiré très-peu d'exemplaires.
9.
AMÉLIE , Hiftoire Angloife , traduite
fidélement de l'Anglois de M. Fielding.
JUILLET. 1762 . 85
In-12. 4 vol. Londres , 1762. Et fe vend
à Paris , chez Charpentier , Libraire ,
quai des Auguftins , à l'entrée de la rue
du Hurepoix , à S. Chryfoftôme. C'eſt
le même Ouvrage dont nous avons annoncé
une premiere partie traduite , ou
plutôt imitée d'après l'Auteur Anglois ,
par Madame Riccoboni , dans le Mercure
de Juin dernier.
Si ce Livre plaît au Public dans fon
entier tel que je le lui préfente & que
M. Fielding a cru devoir le publier ,
( dit l'Auteur de celui que nous annonçons
aujourd'hui ) mon objet eft rempli
; en tout cas , il aura deux Amélies ,
l'une Françoife , & l'autre dans le goût
Anglois : il choifira.
TRAITÉ hiftorique des Plantes qui
croiffent dans La Lorraine & les trois
Evêchés , contenant leur defcription ,
leur figure , leur nom , l'endroit où elles
croiffent , leur culture , leur analyſe &
leurs propriétés , tant pour la Médecine
galénique , que pour les Arts & Métiers ;
par M. Pierre-Jofeph Buchoz , Avocat
au Parlement de Metz , Docteur en Philofophie
& en Médecine , en 20 volumes
in-8°. ornés de Figures en Tailledouce.
A Nanci , chez la veuve Lechef86
MERCURE DE FRANCE.
ne , Imprimeur , vis-à -vis les RR, PP.
Dominicains , & F. Meffin , Marchand-
Libraire , rue de la Hache. Avec Approbation
. 1762 .
PROSPECTUS.
La Botanique eft une fcience qui nous
apprend à connoître les plantes en les
divifant par claffes & par familles , Parmi
les Botanistes , les uns fe font contentés
de nous les indiquer fuivant la méthode
qu'ils fe font tracée ; d'autres nous en
ont donné des defcriptions ; d'autres enfin
ont traité de leur propriété & de leur
culture nous tâchons de réunir , dans
cet ouvrage , ces trois avantages ; nous
donnons d'abord la defcription de la
plante , nous rapportons tous fes différens
noms ; nous l'analyfons chymiquement
; nous indiquons l'endroit de la
Lorraine & des trois Evêchés où ellé
croît communément ; nous expliquons
la manière de la cultiver , nous faifons
voir fes propriétés , non-feulement pour
la médecine galénique , mais pour les
arts & métiers : nous y joignons la figure
de la plante en taille douce
moyen de laquelle on peut facilement
la diftinguer fans le fecours d'aucun
Maître.
hi
, par le
JUILLET. 1762. 87
par-
Avant que d'entrer dans le détail
-ticulier de chaque plante , nous faifons
précéder fix Difcours préliminaires ; dans
le premier , nous parlons des prérogatives
des plantes ; nous démontrons les
avantages qu'elles procurent à la Société
; nous paffons de - là aux plantes du
pays ; nous examinons fi nous pouvons
avec raifon les fubftituer aux plantes
exotiques & aux compofitions chymiques
, fi nous ne devons pas même les
préférer. Dans notre fecond Difcours
nous traitons de l'anatomie des plantes ,
C.
- v . g. des
racines
, des
tiges
, des
feuilles
, des fleurs , des fruits & des femences
. Le troifiéme roule fur la végétation ;
nous la réduifons à trois queſtions principales
: la premiere , qu'est - ce que la
-féve ? la feconde , la féve circule-t - elle
-dans les végétaux ? la troifiéme enfin
- comment s'opère le méchanifme de cette
circulation ? La génération des plantes
devient le fujet de notre quatriéme Difcours
; pour en développer tout le merveilleux
, nous avons recours aux parties
organiques imaginées par MM. Buf-
-fon & Needham ; ce qui nous donne
lieu de conclure que la génération des
plantes fe fait de même que celle de
P'homme, par le mélange de la liqueur
88 MERCURE DE FRANCE.
t
féminale des deux féxes. Le cinquiéme
Difcours eft deſtiné à l'hiſtoire de la Botanique
. Tournefort & Linneus, ces deux
grands Botaniftes , font ceux qui ont le
plus contribué à fes progrès ; auffi avonsnous
rapporté dans ce Difcours l'analyſe
éxacte de leur fyftême. Dans le fixiéme
enfin & le dernier , nous faifons l'expofition
du fyftême que nous avons adopté
; nous nous fommes déterminés pour
celui qui range les plantes fuivant leur
vertu médicinale ; il nous a paru le plus
propre à cet ouvrage , puifque la connoiffance
des plantes n'eft pas l'unique
chofe à la quelle nous nous attachons
mais que nous avons encore égard à
leurs propriétés.
Dans ce fyftême nous rappellons toutes
les plantes à deux claffes ; nous fubdivifons
enfuite ces deux claffes en dixneuffamilles
; de-là la divifion générale
de notre ouvrage en vingt volumes . Le
premier eft une espéce d'introduction
à ce cours particulier de Botanique , &
chaque famille devient le fujet d'autant
de volumes féparés.
,
Nous n'avançons rien fur chaque planqu'après
des obfervations plufieurs
fois réitérées ; nous rejettons donc tout
ce qui eft fabuleux ; à chaque inſtant
JUILLET. 1762. 89
nous démontrons que la Lorraine peut
fe paffer de l'étranger pour les médicamens
; que les plantes qui s'y trouvent
, au nombre de près de deux mille
, font même plus propres pour remplir
les indications des maladies qui y régnent
communément , que les remédes
qu'on tire des Pays lointains , qui font ,
pour la plupart , falfifiés & nullement
analogues à notre tempérament : c'eſt-
Tà notre principal but ; nous faifons
mention , dans cet ouvrage , de tous
ceux qui ont bien voulu & qui voudront
encore nous communiquer leurs
obfervations , ainfi que nous nous fommes
engagés quand nous avons annoncé
cette hiftoire des plantes. Dans chaque
famille nous commençons par une
Differtation préliminaire fur l'effet que
produifent les plantes de cette famille
dans le corps humain ; nous donnons
enfuite autant de Differtations qu'il y a
de plantes comprifes dans la famille :
nous finiffons enfin par une derniere
Differtation qui comprend toutes les
plantes qui font partie de la même famille
; mais qui cependant , par leurs
autres qualités , ont été rangées dans
une autre famille , à laquelle nous renvoyons
le Lecteur.
90 MERCURE DE FRANCE.
Par l'analyfe que nous venons de
donner de cet Ouvrage , il eft facile
d'en prouver l'utilité ; les Médecins , les
Botanistes , les Amateurs de l'Agriculture
, les Artiftes , & généralement tous
les Phyficiens & les Naturaliftes , trouveront
dans l'hiftoire des plantes de la
Lorraine , que nous fommes fur le point
de mettre au jour , toutes les nouvelles
découvertes qu'on a faites jufqu'à préfent
fur cette partie de l'hiftoire naturelle
; ils apprendront la maniere de
cultiver les plantes , & les différens fecours
qu'elles peuvent nous fournir,
2.1
L'hiftoire complerte de cette Province
occupe actuellement les perfonnes les
plus diftinguées . Un Magiftrat célébre
va nous donner l'Hiftoire Eccléfiaftique
de la Lorraine . Un autre , non moins
diftingué par fes talens que par
fa probité
, travaille à l'Hiftoire Civile & Politique
. Un Préfident illuftre d'un Collége
Royal de Médecine a compofé un
Traité fur les Eaux Minérales de ce Pays.
D'autres enfin , nous ont fourni des mémoires
les plus circonftanciés fur les Foffiles.
Un Médecin , Botaniste de feue
Son Alteffe Royale , a parcouru tous les
Etats de la Lorraine pendant près de
qurante ans , pour pouvoir nous laiffer
JUILLET. 1762. 91
une hiftoire exacte de toutes les plantes
qui s'y trouvent ; & il étoit à la veille de
la mettre au jour , lorfqu'épuifé de travaux
& de fatigues , il fut enlevé par un
deftin cruel du féjour des humains : les
mémoires que nous avons de lui , ont
fervi de baſe & de fondement à notre
ouvrage , fans lefquels nous n'aurions
jamais ofé entrer dans cette carrière ;
mais nous croirions manquer à la Patrie ,
fi nous laiffions dans l'oubli des fragmens
auffi intéreffans au bien de fociété
, qui , par leur réunion , peuvent concourirà
completter l'Hiftoire de ce Pays.
,
Nous n'avons rien négligé pour rendre
ce nouveau Traité non feulement
agréable & utile aux Lorrains mais
auffi à tous les François ; c'eft pour cette
raifon , que nous espérons ajouter un
Supplément qui renfermera toutes les
plantes qui fe trouvent dans la France
& qu'on ne trouve pas en Lorraine.
Nous l'avons orné en outre de 400
planches gravées en taille douce , qui
repréfentent prèfque toutes les plantes
dont nous faifons mention . Plufieurs
-Seigneurs , & Amateurs de la Botanique
, nous ont bien voulu fecourir dans
cette entrepriſe ftipendieufe , & en faire
graver à leurs frais , au bas defquelles
92 MERCURE DE FRANCE.
nous avons eu foin de faire mettre leurs
armes , de même que leurs noms & leurs
qualités. Nous ofons efpérer qu'il fe
trouvera encore des ames affez nobles &
affez généreufes pour achever de contribuer
aux frais de ces planches .
In ne diſtribuera cet ouvrage que par
foufcription , qui fera de 48 livres de
France , 12 livres en commençant , 12
livres quand on aura reçu le cinquiéme
volume , pareille fomme quand le dixiéme
fera imprimé , ainfi que le quinziéme.
La foufcription ne fera ouverte que
jufqu'au 1er d'O &obre prochain .
Les Soufcripteurs pourront s'adreffer
chez Meffin , Marchand- Libraire à Nancy
, rue de la Hache.
On prie ceux qui voudront faite les
frais de quelque planche , ou nous envoyer
quelques Mémoires fur ces matières
, de s'adreffer au fufdit Libraire
& d'affranchir leurs lettres ou paquets.
Le premier volume eſt fini.
LE Public eft averti que l'Inftruction
Criminelle , volume in- 4 ° . annoncé dans
la Préface des Inftitutes au Droit Criminel
& du Traité des Crimes , par M.
Muyart de Vouglans , Avocat au Parlement
de Paris , fera achevé d'imprimer
JUILLET. 1762. 93
à la fin du préfent mois , & que les
Exemplaires s'en débiteront au commencement
de Juillet prochain chez
les Libraires ci-après nommés :
Defaint & Saillant , rue S. Jean de
Beauvais.
Briaffon , rue S. Jacques.
Savoye , rue S. Jacques.
Ganeau , rue S. Severin .
Le Breton , rue de la Harpe.
La veuve Rouy & Cellot , au Palais.
Ce fecond volume eft divifé en trois
parties , dont la premiere comprend
I'Inftruction fuivant l'Ordonnance de
1670 , la feconde l'Inftruction fuivant
l'Ordonnance de 1737 touchant lefaux
principal & le faux incident &c , & la
troifiéme l'Inftruction conjointe dans le
cas privilégié.
L'abondance & la diverfité des mațieres
ont rendu ce fecond volume plus
gros d'un tiers que le premier. On l'a
cependant difpofé de maniere à pouvoir
être partagé en deux , fuivant le
goût & la commodité du Public.
Le prix eft de 12 liv . en brochure.
L'on trouvera auffi chez les mêmes
Libraires des exemplaires des Inftitutes
au Droit Criminel & du Traité des Crimes
, vol. in-4º. dont le prix eft de 10 1 .
en brochure .
94 MERCURE DE FRANCE .
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES
ACADEMIES.
SÉANCE publique de la Société Littéraire
d'ARRAS,tenue le 3 Avril 1762.
M. DURAND fils , Directeur , en fit
l'ouverture par des Réfléxions fur l'utilité
du travail & de la tempérance , relativement
à la fanté . M. l'Abbé de Lys
Chancelier , lut un Mémoire fur l'éducation
des Abeilles pendant l'hyver : il
y rendit compte d'une nourriture pour
ces infectes , qu'il a fait éprouver avec
fuccès , & qui confifte dans le mixtion
d'un tiers de miel & deux tiers de bierre .
M. Foacier de Ruzé , Avocat général
du Confeil d'Artois, nouvel Affocié, prononça
un Difcours de remercîment
auquel répondit le Directeur. M. le Jofne-
Contay , Marquis de la Ferté , autre
Affocié nouvellement reçu , fit auffi
fon remercîment , fuivi d'un Diſcous
fur les avantages que les Académies de
>
JUILLET. 1762 . 95
Province peuvent procurer à celles de la
"Capitale ; & le Directeur lui répondit
pareillement. Le Pere Lucas lut enfuite
un Mémoire , où il montra la néceffité
d'établir en Artois une Société d'Agriculture
& combien il eft facile de la
former. A cette lecture fuccéda celle
d'un Mémoire hiftorique fur l'état de
la Flandre , vers le milieu du treiziéme
fiécle , par M. l'Abbé le Clerc de Montlinot
, Chanoine de S. Pierre de Lille
Affocié ordinaire . Des obfervations fur
les foffiles d'Artois , par M. Wartel ,
Chanoine régulier de l'Abbaye de S.
Eloi , Affocié Honoraire , terminérent
cette Séance Académique
.
MEMOIRE fur la diftance du Soleil
& de toutes les Planétes à la Terre ,
trouvée par le moyen du Paffage de
Vénus fur le Soleil.
Lû dans l'Affemblée publique de l'Académie
Royale des Sciences , le 21 Avril 1762. Par
M. DELALANDE , de la même Académie.
LE
E paffage de Vénus devant le difque
du Soleil étoit un des Phénomènes les
94 MERCURE DE FRANCE .
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES
ACADEMIES.
SÉANCE publique de la Société Littéraire
d'ARRAS,tenue le 3 Avril 1762.
M. DURAND fils , Directeur , en fit
l'ouverture par des Réfléxions fur l'utilité
du travail & de la tempérance , relativement
à la fanté . M. l'Abbé de Lys ,
Chancelier , lut un Mémoire fur l'éducation
des Abeilles pendant l'hyver : il
y rendit compte d'une nourriture pour
ces infectes , qu'il a fait éprouver avec
fuccès , & qui cónfifte dans le mixtion
d'un tiers de miel & deux tiers de bierre.
M. Foacier de Ruzé , Avocat général
du Confeil d'Artois , nouvel Affocié, prononça
un Difcours de remercîment
auquel répondit le Directeur, M. le Jofne-
Contay , Marquis de la Ferté , autre
Affocié nouvellement reçu , fit auffi
fon remercîment , fuivi d'un Diſcous
fur les avantages que les Académies de
"
JUILLET. 1762. 95
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Province peuvent procurer à celles de la
"Capitale ; & le Directeur lui répondit
pareillement. Le Pere Lucas lut enfuite
un Mémoire , où il montra la néceffité
d'établir en Artois une Société d'Agriculture
, & combien il eft facile de la
former. A cette lecture fuccéda celle
d'un Mémoire hiftorique fur l'érát de
la Flandre , vers le milieu du treiziéme
fiécle , par M. l'Abbé le Clerc de Montlinot
, Chanoine de S. Pierre de Lille ,
Affocié ordinaire . Des obfervations fur
les foffiles d'Artois , par M. Wartel ,
Chanoine régulier de l'Abbaye de S.
Eloi , Affocié Honoraire , terminérent
cette Séance Académique.
MEMOIRE fur la diftance du Soleil
& de toutes les Planétes à la Terre,
Je trouvée par le moyen du Paffage de
Vénus fur le Soleil.
1
Lû dans l'Affemblée publique de l'Académie
Royale des Sciences , le 21 Avril 1762. Par
M. DELALANDE , de la même Académie..
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LE paffage de Vénus devant le diſque
du Soleil étoit un des Phénomènes les
94 MERCURE DE FRANCE .
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES
ACADEMIES.
SÉANCE publique de la Société Littéraire
d'ARRAS, tenue le 3 Avril 1762.
M. DURAND fils , Directeur , en fit
l'ouverture par des Réfléxions fur l'utilité
du travail & de la tempérance , relativement
à la fanté. M. l'Abbé de Lys ,
Chancelier , lut un Mémoire fur l'éducation
des Abeilles pendant l'hyver : il
y rendit compte d'une nourriture pour
ces infectes , qu'il a fait éprouver avec
fuccès , & qui cónfifte dans le mixtion
d'un tiers de miel & deux tiers de bierre.
M. Foacier de Ruzé , Avocat général
du Confeil d'Artois, nouvel Affocié, prononça
un Difcours de remercîment
auquel répondit le Directeur. M. le Jofne-
Contay , Marquis de la Ferté , autre
Affocié nouvellement reçu , fit auffi
fon remercîment , fuivi d'un Difcours
fur les avantages que les Académies de
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Province peuvent procurer à celles de la
Capitale ; & le Directeur lui répondit
pareillement. Le Pere Lucas lut enfuite
un Mémoire , où il montra la néceffité
d'établir en Artois une Société d'Agriculture
, & combien il eft facile de la
former. A cette lecture fuccéda celle
d'un Mémoire hiftorique fur l'étát de
la Flandre , vers le milieu du treiziéme
fiécle , par M. l'Abbé le Clerc de Montlinot
, Chanoine de S. Pierre de Lille ,
Affocié ordinaire. Des obfervations fur
les foffiles d'Artois , par M. Wartel ,
Chanoine régulier de l'Abbaye de S.
Eloi , Affocie Honoraire , terminérent
cette Séance Académique.
MEMOIRE fur la diftance du Soleil
& de toutes les Planétes à la Terre ,
trouvée par le moyen du Paffage de
Vénus fur le Soleil.
*
Lû dans l'Affemblée publique de l'Académie
Royale des Sciences , le 21 Avril 1762. Par
M. DELALANDE , de la même Académie.
217
L
E paffage de Vénus devant le difque
du Soleil étoit un des Phénomènes les
94 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES
ACADEMIES.
SÉANCE publique de la Société Littéraire
d'ARRAS,tenue le 3 Avril 1762.
M. DURAND fils , Directeur , en fit
l'ouverture par des Réfléxions fur l'utilité
du travail & de la tempérance , relativement
à la fanté . M. l'Abbé de Lys ,
Chancelier , lut un Mémoire fur l'éducation
des Abeilles pendant l'hyver : il
y rendit compte d'une nourriture pour
ces infectes , qu'il a fait éprouver avec
fuccès , & qui cónfifte dans le mixtion.
d'un tiers de miel & deux tiers de bierre.
M. Foacier de Ruzé , Avocat général
du Confeil d'Artois, nouvel Affocié, prononça
un Difcours de remercîment ,
auquel répondit le Directeur. M. le Jofne-
Contay , Marquis de la Ferté , autre
Affocié nouvellement reçu , fit auffi
fon remercîment , fuivi d'un Difcours
fur les avantages que les Académies de
JUILLET. 1762. 95
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Province peuvent
procurer
à celles de la
"Capitale
; & le Directeur
lui répondit pareillement
. Le Pere Lucas
lut enfuite un Mémoire
, où il montra
la néceffité
d'établir
en Artois
une Société
d'Agri- culture
& combien
il eft facile
de la former
. A cette lecture
fuccéda
celle
d'un Mémoire
hiftorique
fur l'étát de la Flandre
, vers le milieu
du treiziéme
fiécle , par M. l'Abbé
lé Clerc de Mont- linot , Chanoine
de S. Pierre
de Lille , Affocié
ordinaire
. Des obfervations
fur
les foffiles
d'Artois
, par M. Wartel
, Chanoine
régulier
de l'Abbaye
de S.
Eloi , Affocié
Honoraire
, terminérent
cette Séance Académique
.
MEMOIRE fur la diftance du Soleil
& de toutes les Planétes à la Terre ,
trouvée par le moyen du Paſſage de
Vénus fur le Soleil.
Lû dans l'Affemblée publique de l'Académie
Royale des Sciences , le 21 Avril 1762. Par
M. DELALANDE , de la même Académie.
LE paffage de Vénus devant le diſque
du Soleil étoit un des Phénomènes les
94 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES
ACADEMIES.
SÉANCE publique de la Société Littéraire
d'ARRAS,tenue le 3 Avril 1762.
M. DURAND fils , Directeur , en fit
il
l'ouverture par des Réfléxions fur l'utilité
du travail & de la tempérance , relativement
à la fanté . M. l'Abbé de Lys ,
Chancelier , lut un Mémoire fur l'éducation
des Abeilles pendant l'hyver :
y rendit compte d'une nourriture pour
ces infectes , qu'il a fait éprouver avec
fuccès , & qui cónfifte dans le mixtion
d'un tiers de miel & deux tiers de bierre.
M. Foacier de Ruzé , Avocat général
du Confeil d'Artois, nouvel Affocié, prononça
un Difcours de remercîment ,
auquel répondit le Directeur. M. le Jofne-
Contay , Marquis de la Ferté , autre
Affocié nouvellement reçu , fit auffi
fon remercîment , fuivi d'un Difcous
fur les avantages que les Académies de
JUILLET. 1762. 95
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>
Province peuvent procurer à celles de la
"Capitale ; & le Directeur lui répondit
pareillement. Le Pere Lucas lut enfuite
un Mémoire , où il montra la néceffité
d'établir en Artois une Société d'Agriculture
& combien il eft facile de la
former . A cette lecture fuccéda celle
d'un Mémoire hiftorique fur l'étát de
la Flandre , vers le milieu du treiziéme
fiécle , par M. l'Abbé le Clerc de Montlinot
, Chanoine de S. Pierre de Lille ,
Affocié ordinaire . Des obfervations fur
les foffiles d'Artois , par M. Wartel ,
Chanoine régulier de l'Abbaye de S.
Eloi , Affocié Honoraire , terminérent
cette Séance Académique.
MEMOIRE fur la diftance du Soleil
& de toutes les Planétes à la Terre ,
trouvée par le moyen du Paffage de
Vénus fur le Soleil.
Lû dans l'Affemblée publique de l'Académie
Royale des Sciences , le 21 Avril 1762. Par
M. DELALANDE , de la même Académie.
LE paffage de Vénus devant le diſque
du Soleil étoit un des Phénomènes les
96 MERCURE DE FRANCE .
•
plus rares & les plus finguliers ; prédit &
attendu depuis plus d'un fiécle, il n'avoit
jamais été obſervé depuis qu'on en connoiffoit
l'importance.
C'étoit cependant de tous les Phénomènes
celui dont on devoit efpérer la
plus exacte détermination de la parallaxe
du Soleil , de laquelle dépendent toutes
les diftances des Planétes , c'est -à-dire
la connoiffance de tout le fyftême folaire.
La grandeur des orbites de toutes les
Planétes , la théorie des éclipfes , la
connoiffance des maffes des volumes ,
des denfités , des diamétres de tous les
corps céleftes tiennent à la parallaxe du
Soleil , & par conféquent à l'obfervation
du paffage de Vénus.
Une des plus belles découvertes que
la connoiffance de l'attraction ait procurée
aux Aftronomes , eft celle des denfités
intérieures de toutes les Planétes ;
nous fçavons par exemple que les denfités
ou les pefanteurs fpécifiques du
Soleil & de Jupiter font égales , tandis
que Saturne plus poreux & plus léger a
une dènfité beaucoup moindre , à-peuprès
de la même quantité que le bois
eft plus léger que l'eau , tandis qu'au
contraire la terre eft plus denfe que le
Soleil ,
JUILLET. 1762 . 97
Soleil , à-peu -près comme l'antimoine
furpaffe la denfité de l'eau. Si l'on veut
encore un autre terme de comparaiſon ,
ces trois denfités font comme celles du
bois d'ébéne , de l'ivoire & de l'acier,
Ces calculs , dont l'objet femble placé
fi loin de la portée de nos recherches
, nous font connoitre cependant
les maffes & les forces exactes de toutes
les Planétes ; mais ils font fondés fur
la parallaxe du Soleil , c'est-à- dire qu'ils
dépendent de fa diſtance .
On fçait par exemple que la Terre a
170 mille fois moins de matiere , moins
de force que le Soleil ; mais c'eft en
fuppofant la parallaxe du Soleil de 10"
comme on l'a cru jufqu'ici ; fi l'on diminuoit
feulement de 2" cette parallaxe
, il faudroit diminuer la mafle de la
Terre d'une moitié toute entiere .
A quelles erreurs n'aurio ns-nous pas
été expofés en calculant les dérangemens
des Planétes & leurs attractions
réciproques , fans cette méthode exacte
pour trouver la vraie diſtance du Soleil ,
que fourniffoit le moment du paffage
de Vénus , moment que le fiécle paffé
nous envioit , & qui eût été pour ainfi
dire une tache à la mémoire des Sçavans
qui l'auroient négligé.
II.Vol. E
28 MERCURE DE FRANCE .
On attend , il eft vrai , un femblable
paffage de Vénus fur le Soleil pour le 3
Juin 1769 au foir ; mais on ne le verra
à Paris que pendant quelques momens
vers le coucher du Soleil .
Il faudra aller dans le Nord de la Ruffie
& au Méxique fur les bords de la
mer pacifique , pour y obtenir des obfervations
complettes ; après ce fecond
paffage , 105 ans doivent s'écouler fans
qu'il en paroiffe aucun fur la furface
de la Terre.
Que ne devoit- on pas entreprendre
à la vue d'un événement fi rare , dont les
avantages négligés une fois , ne pourroient
plus être compenfés ni par les
efforts du génie , ni par la conftance
des travaux , ni par la magnificence des
plus grands Rois ?
L'Académie toujours fecondée fous
le miniftere de M. le Comte de S. FLORENTIN
avec une confiance & une générofité
digne des lumières qui environnent
le Thrône , s'eft occupée longtemps
des préparatifs qu'exigeoit cette
importante obfervation . * Le départ de
* J'ai rendu compte dans le plus grand détail
de tous ces préparatifs , en compofant l'Article
de l'Hiftoire de l'Académie pour 1757 , qui a
rapport à ce Phénomène.
JUILLET. 1762. 99
M. Legentil pour les Indes Orientales ,
de M. Pingré pour les Ifles de l'Océan
Ethiopique , de M. l'Abbé Chape pour
le Nord de la Sibérie a excité le zéle
de toutes les Nations fçavantes : l'Angleterre
a envoyé également , quoique
fans aucun fuccès , aux Indes & à l'ifle
de Ste Héléne ; le Roi de Suéde en divers
endroits de Laponie ; le Dannemark
à Drontheim dans la Norvége .
Enfin l'Académie de Pétersbourg a
dépêché des Aftronomes en Afie jufques
fur les Confins de la Tartarie & de
la Chine , dans des Pays prèfque inconnus
; partout on s'eft difputé la gloire
de traverser l'immenfité des mers , les
fables embrafés & les plaines glacées .
Ces obfervations faites en des Pays
extrémement éloignés étoient néceffaires
pour pouvoir tirer du Paffage de Vénus
les conféquences importantes que
les Aftronomes ont en vue : voici en
peu de mots la marche qui conduit à
cette fingulière découverte.
Lorfque Vénus paffant entre le Soleil
& la Terre fe trouve placée de façon
qu'elle nous paroiffe toucher exactement
le bord du Soleil , le moment de ce contact
des deux bords peut s'obferver
avec beaucoup plus de précifion , &
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
environ 30 fois plus exactement qu'aucune
diftance & qu'aucune autre pofition
de Vénus dans le Ciel. Au moment
où le filet de lumiére qui féparoit les
deux bords vient à difparoître, on eft affuré
du conta& ; tel eft donc l'avantage
unique de cette circonftance : c'eſt
qu'alors
on obferve avec la précifion de la
dixième partie d'une feconde de degré
une diftance fur laquelle on pourroit
dans tout autre cas fe tromper de plufieurs
fecondes.
Lorfqu'un Obfervateur voit à Paris
le bord de Vénus répondre exactement
fur le bord du Soleil & le toucher , celui
qui eft placé dans une autre partie
du monde y apperçoit néceffairement
un petit intervalle , parce que le Soleil
étant plus loin , & au- delà de Vénus de
plus de 10 millions de lieues , le rayon
qui paffe par les deux bords des Planétes
& qui paffe auffi à Paris dans le moment
où les deux bords y paroiffent ſe
toucher , ne paffe point dans les autres
parties du monde. Nous remarquons
fort fouvent dans les campagnes,qu'une
tour ſemble en toucher une autre qui
eft beaucoup au-delà , fi l'on ſe trouve
dans leur allignement ; mais pour peu
qu'on s'écarte à droite ou à gauche , on
JUILLET. 1762. 101
commence à les voir féparées l'une de
l'autre . Cet effet , qui fe nomme la
parallaxe, a lieu également dans le Ciel ;
& comme il eft d'autant plus confidérable
, que l'un des objets eft plus près
de notre oeil , une parallaxe plus ou
moins fenfible eft très-propre à nous
faire juger de la diftance des objets qui
l'éprouvent.
Ainfi la feule opération que nous
ayons à faire pour connoître l'éloignement
de Vénus, eft de trouver combien
Vénus a paru être encore diftante du
bord du Soleil pour les pays lointains
dans le moment où elle le touchoit exa-
& ement , vue de Paris .
Ce qui revient encore au même , il
fuffit de fçavoir combien de temps il
s'eft écoulé entre le moment où ce contact
eft arrivé à Paris , & le moment où
il a paru dans un pays très- éloigné , mais
dont la diſtance eft connue . La différence
du temps a dû être par exemple de
près d'un quart d'heure entre la pointe
du Kamtchatka au Nord de la Sibérie
qui eft le premier point de la Terre où
les deux Planétes ont paru fe toucher
dans le moment de la fortie , & les terres
auftrales au Midi de l'Afrique , le
dernier de tous les pays du monde où
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
ce contact a eu lieu , éloigné de l'autre
de plus de deux mille lieues.
De tous les Obfervateurs éloignés M.
Pingré & M. Chape font les feuls qui
aient eu le bonheur de réuffir ; le temps
a été couvert ce jour-là à l'Ifle Sainte
Héléne , en Norvége , en Laponie.
Les Vaiffeaux qui portoient d'autres
Obfervateurs dans les Indes , n'ont pu
arriver affez tôt à leur deſtination : heureufement
nous trouvons dans le travail
de M. Pingré & de M. Chape ce qui
eft néceffaire pour l'objet que l'on s'étoit
propofé , en comparant les obfervations
qu'ils nous ont envoyées avec
celles qui ont été faites en Europe.
A notre égard la plus importante obfervation
que nous ayons faite à Paris, eft
celle de la fortie de Vénus. Comme il
étoit éffentiel d'y donner toute l'attention
poffible , je ne négligeai rien en
mon particulier pour me procurer une
entiere certitude fur le temps de la fortie.
Je m'y préparai comme pour un inſtant
que je ne reverrois jamais ; & de toutes
les précautions que je pris , il n'y en
avoit aucune d'inutile pour l'exactitude
de cette obſervation . J'avois une lunette
de 18 pieds difpofée & éprouvée
plufieurs jours auparavant ; j'en avois
JUILLET. 1762. 103
réduit l'ouverture à un pouce , afin d'écarter
les iris ou les rayons étrangers , &
de rendre les objets parfaitement terminés
; la lunette étoit fufpendue par
fon centre de gravité , de manière à fe
mouvoir très-librement , & fans exiger
aucun effort .
J'avois eu foin de laiffer repofer mes
yeux pendant près d'un quart d'heure en
difcontinuant mes obfervations précédentes
pour porter à celle-ci les organes
les mieux préparés & la plus grande attention
. J'avois furtout étudié la fituation
la plus commode j'étois dans un
filence profond ; le Ciel étoit ferein ,
l'air calme , le Soleil bien terminé ; enfin
tontes les circonftances favorables , lorfqu'à
8 h 28′ 26″ très- exactement , je vis
comme un point noir fe détacher fubitement
du bord de Vénus , & s'unir à .
celui du Soleil ; c'étoit le moment du
contact ; entre les différens Aftronomes
qui obfervoient à Paris dans ces momens-
là , il s'en eft trouvé qui marquérent
prèfque la même feconde que moi ;
par des lettres de M. Birch , Secrétaire
de la Société Royalé de Londres , j'ai
appris que MM. Bliff, Green , & Bird ,
qui étoient ce jour-là à l'Obfervatoire
Royal de Grenwich , obfervérent tous
?
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
trois féparément à la même feconde ce
contact des deux bords ; ce qui me perfuade
encore qu'avec des lunettes égales
& des circonftances également favorables
, l'exactitude de cette obfervation
peut aller jufqu'à une feconde ,
comme M. Halley l'avoit penfé.
Pour pouvoir tirer des conclufions néceffaires
de toutes les obfervations faites
le même jour fur la furface de la Terre ,
il a fallu commencer par déterminer l'angle
de la plus courte diſtance de Vénus
au Soleil , vue du centre de notre globe ;
j'y ai fait fervir plus de 100 obfervations
choifies parmi celles de Paris , de
Vienne , de Stokolm , de Boulogne , de
Gottingen ; je les ai toutes corrigéés
par la parallaxe , & réduites à un même
moment, en forte que j'ai eu, de plus de
cent manieres différentes , cette plus
courte diſtance , & je me fuis bien afſuré
qu'elle étoit de 9 ' 30 ".
De là j'ai paffé à l'examen de l'effet
que la parallaxe a dû produire fur le
moment de la fortie pour les Obfervateurs
éloignés ; voici fimplement le réfultat
de ces calculs , dont le détail
étoit immenfe , qu'il a fallu refaire plufieurs
fois , & en employant jufqu'aux
centiémes de fecondes .
JUILLET. 1762. 105
L'obfervation de la fortie fut faite à
Stokolm à 9º 30 ' 10" du matin , ce qui
revient pour nous à 8h 27'10" , parce
que les heures à Stokolm différent de
Ih 3' des heures que l'on compte à Paris
, à caufe de la fituation de ces deux
Villes.
Si le Soleil étoit éloigné de 29 millions
de lieues , ou ce qui revient au
même , fi la parallaxe du Soleil étoit de
10" , j'ai trouvé que cet attouchement
des deux bords devoit arriver plutôt
à Stokolm qu'à Paris de 1 ' 40" ;
néanmoins dans le fait il n'y a eu que
1′ 16″ de différence entre l'obfervation
Suédgife & celle de Paris au lieu de
1'40" ; ce feroit donc fuppofer la parallaxe
du Soleil trop grande , & finalement
elle ne fe trouve que de 7 " ;
par cette obfervation il faudroit une erreur
de 30" de temps dans l'obfervation
ou dans la longitude de Stokolm , pour
que la parallaxe du Soleil fe trouvât de
IO" comme nous l'avions cru jufqu'ici .
Après avoir examiné ce qui réfulte
des obfervations de Suéde comparées
avec la mienne , je vais les comparer de
même avec celles que M. l'Abbé Chape:
a faites à Tobolsk en Sibérie . J'avois:
d'abord calculé en fuppofant la paralla-
E v
106 MERCURE DE FRANCE .
xe du Soleil de 10 fecondes & un quart
les 4 corrections par lefquelles on doit
réduire au centre de la Terre les quatre
obfervations de l'entrée & de la fortie
& qui devoient rendre égales les deux
durées obfervées , je trouvai qu'il s'en
falloit d'une feconde & demie en temps
que ces deux durées ne fuffent égales ;
en forte qu'il falloit fuppofer la parallaxe
du Soleil de 10" pour les réduire
à l'égalité ; cette parallaxe fupaffe de
2 " celle que j'ai déduite de la premiere
comparaifon , mais je fuis obligé
d'avouer qu'il fuffiroit de 25" d'erreur
totale fur une des quatre obfervations
ou de 6" fur chacune pour produire cette
différence de 3″ fur la parallaxe du
Soleil .
Paffons à l'examen de la fortie que M.
Pingré a obfervé à l'Ifle Rodrigues dans
l'Océan Ethioqique , c'eft la plus concluante
de toutes fi nous parvenons à
connoître avec précifion là différence
des méridiens entre Paris & l'Ifle Rodrigues
, parce qu'il y a 4 minutes & un
tiers de différence entre nos deux obfervations
par le feul effet de la parallaxe ,
au lieu d'une minute & deux tiers qu'il
avoit à Tobolsk & Stokolm . Jufqu'ici
je n'ai pu employer à cet effet que trois
JUILLET. 1762. 107
pas
obfervations du premier Satellite de Jupiter
qui m'ont donné pour la différence
des méridiens 4 h 2' 0" ; & il n'auroit
d'autre différence entre nos deux obfervations
, fi la parallaxe de Vénus ,
étoit nulle ; mais entre l'obfervation de
la fortie de Vénus , faite par M. Pingré ,
& celle que je fis à Paris , je trouve 4'18"
de plus , d'où il réfulte pour la parallaxe
du Soleil 9" 55. Ainfi voilà trois déterminations
différentes & qui paroiffent
exactes de la parallaxe du Soleil , 7
9 , 10" , nous n'avons d'autre parti à
prendre entre ces trois réfu'tats , que de
prendre ce milieu , & ce milieu eft de 9″
on le fuppofoit encore l'année derniere
de 10 , après les dernieres obfervations
au Cap de Bonne -Efpérance & en
Europe ; auffi la parallaxe eft plus petite
d'un dixième que nous ne l'avons cru
auparavant , c'est- à- dire que le Soleil
eft plus éloigné d'une dixième partie
qu'on ne le croyoit ; nous devons donc
établir la diſtance du Soleil de 32 millions
de lieues au lieu de 29 que l'on comptoit
jufqu'ici , du moins en employant des
lieues de 25 au degré , ou de 2280 toifes
chacune .
Cette obfervation du paffage de Vénus
étend pour ainfi dire à nos yeux
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
les bornes du fyftême folaire ; en éloignant
le Soleil de trois millions de lieues
elle éloigne Saturne de 30 millions de
lieues & toutes les autres Planétes à
portion .
pro-
La diftance de Mercure au Soleil devient
de 12 millions & un tiers ; celle
de Vénus 23 millions & un quart ; celle
de Mars 48 millions & ; celle de Jupiter
166 millions & un quart ; celle de
Saturne 304 .
Le paffage de Vénus fur le Soleil décide
encore une queftion fur laquelle on
étoit fort divifé , fçavoir la grandeur de
la Planéte de Vénus , on la fuppofoit
communément égale à la Terre ; mais.
au moyen des réfultats précédens , elle
fe trouve être feulement les trois quarts.
de la Terre . Le diamétre de Vénus mefuré
plufieurs fois & avec fo'n lorfque
cette Planéte paffoit fur le Soleil s'eft
trouvé de 58" . En réduifant ce diamétre
à la diftance moyenne du Soleil à la
Terre , je trouve que le demi diamétre
de Vénus n'auroit dû être que de 8 ″
mais puifque la parallaxe du Soleil ou
le demi diametre de la Terre eft de 9" ,
il s'enfuit que le diamétre de la Terre a
un huitiéme de plus que celui de Vénus ;
ainfi la fphére ou le volume de Vénus:
4.
4
JUILLET. 1762. 109
n'a que le 7% , ou un peu moins des
trois quarts de la Terre.
Je ne puis me difpenfer , en finiffant ,
de faire une remarque intéreffante à l'occafion
de ce paffage .
Le nombre prodigieux d'obfervations
que l'Académie a reçu de toutes les Provinces
de France & de toutes les parties
de l'Europe, eft une preuve bien fatisfaifante
du progrès qu'a fait de notre temps
le goût de l'Aftronomie & des Mathématiques
en général. Indépendamment
des Aftronomes de l'Académie qui par
état ne pouvoient que fignaler leur ardeur
dans une parcille circonftance &
des Amateurs qui dans la Capitale font
excités par l'émulation la plus puiffante,
nous avons reçu des obfervations exactes
faites à Béfiers par M. Bouillet , à
Lyon par M. le Chevalier de Lorenzi
& le P. Béraud , à Denainvilliers par
M. Duhamel , à Bayeux par M. Outhier
, à Rouen par M. Bouin & M. du
Lague,à Bordeaux par M. Defmarets , à
Orléans par M. Jouffe , à Nifmes par
M. Séguin , à Vincennes par M. de Prolanges
, à Conflans par M. Bailli , à
Pontarlier par M. de Relingue , Ingénieur
& le P. Tavernier , Capucin , à
Nantes par le P. Chardin , à Châlons
110 MERCURE DE FRANCE .
par M. Létré , à Vire par M. Gauthier.
Je ne cite même que des obfervations
faites aftronomiquement & dont on
pouvoit tirer des réſultats utiles . Je ne
parle pas des grands Obfervatoires de
l'Europe , tels que de ceux qui font à
Londres , a Stokolm , à Vienne , à Bologne
& à Gottingen ; on fçait que ce
font là les principales Villes du Monde
où l'Aftronomie eft cultivée en grand
par des hommes célébres qui s'y confacrent
par état , avec des inftrumens
choifis , & l'on n'eft point étonné d'en
recevoir habituellement les plus belles
& les plus exactes obfervations. Les
Journaux ont été remplis l'année derniere
, & furtout le Journal étranger
d'une multitude d'obfervations faites
dans toutes les parties de l'Anglererre ,
de l'Allemagne , de l'Italie , & même
en quelques endroits de l'Eſpagne .
N.B.Comme nous avons à donner dans
ce volume un Éloge hiftorique qui intéreffe
la gloire littéraire de la Nation , &
qui par là doit être agréable aux Lecteurs
? nous nous trouvons dans la néceffité
de remettre au prochain Mercure
l'Article des ARTS.
JUILLET . 1762. III
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
LETTRE d'un ancien Maître des
Ballets dans les Cours étrangeres.
MONSIEUR ,
» L'Opéra des Fêtes Grecques & Ro-
" maines m'a rappellé quelques réflé-
» xions fur les Ballets ; je vous en fais
» part pour les rendre publiques,fi vous
» penfez qu'elles puiffent être de quel-
" que utilité à la perfection de ce gen-
» re de Spectacles & à celle de mon
>> art.
» J'ai remarqué que l'Auteur du Poë-
» me de l'Opéra dont je viens de par-
» ler , a été parmi nos modernes , un
» des premiers qui fe foit attaché à
"tourner fes fujets de manière qu'ils
» fourniffent des Danfes plus figurées ,
» pour fortir de la monotone routine
112 MERCURE DE FRANCE .
» confacrée fur le Théâtre . Cette in-
» tention a été bien fecondée ; on a
» voulu quelquefois l'imiter , le fuccès
» a prefque toujours payé ces fortes
» d'effais. Le Public paroît defirer que
»cette pratique s'établiffe plus habituel-
» lement. Pourquoi retombe -t-on fi
» fréquemment dans l'ancienne inertie.
des Ballets fans idée , fans images &
» fans expreffions ? Je crois en entre-
" voir deux caufes.
ور
» J'impute la premiere aux Auteurs
» de Paroles & de Mufique. Trop fa-
» tisfait ( fouvent tout feul ) de l'intérêt
, de l'ingénieux tour de penfées
» que le Poëte croit avoir mis dans
»fon Ouvrage , & le Muficien , dans
» une ardente extafe de la fublimité de
» fa Mufique , l'un & l'autre ne regar-
≫dent les Danfes que comme un léger
» acceffoire qu'ils dédaignent , en gé-
» miffant du joug que l'ufage leur a im-
» pofé. On laiffe le foin d'arranger cela,
» ainfi que les habits & les décorations
» à ce qu'on nomme , entre foi , les
» gens du métier. Un Opéra eft alors
pour fes Auteurs ce qu'eft un grand
» Tableau dans le cabinet d'un Peintre
» il ne daigne pas fonger à la bordure
"
»
JUILLET. 1762. 113
"
» dans laquelle on l'encadre en fortant
» de fes mains ; affaire d'Ouvrier , fe
» dit- on
, trop inférieure à l'Ouvrage &
» à l'Auteur. C'eft ainfi que dans le
» fecret de la préfomption , raiſonnent
» le Poëte & le Muficien , à l'exemple
» du Peintre mais il arrive fouvent
» que le Public , qui raifonne autre-
» ment , détruit en un inftant tout ce
» triomphe fantaftique. C'eft alors que
» comme le Peintre s'en prend au déf-
» avantage ddee llaa bboorrdduurree ,, les autres
après s'être réciproquement pouffé &
repouffé le blâme du Poëme à la Mu-
" fique , & de la Mufique au Poëme ,
» fe réuniffent pour accufer les Ballets
» & les autres acceffoires de toute l'in-
» fortune du chef- d'oeuvre qu'ils avoient
» produit & fur lequel ils fondoient
» l'efpoir de leur gloire.
""
>
» Il eft donc vrai pour ces Meffieurs ,
» dans ces momens de revers , que les
» acceffoires font néceffairement liés à
» la conftitution de certains Spectacles.
» Les Anciens le croyoient , puifqu'ils
» en faifoient l'objet de leurs études &
» des régles qu'ils établiffoient dans
» leurs Poëtiques . Il eft donc vrai que
"
» pour réuffir , il faut avoir ces parties.
114 MERCURE DE FRANCE.
>>
en vue , non pas feulement lorsqu'un
Opéra va être mis au Théâtre , mais
» dès le premier inftant que l'on en
» conçoit l'idée & que l'on cherche
» ou le fujet, ou les moyens de traiter &
» de tourner ce fujet le plus avantageu-
» fement.
» Je ne diffimulerai pas que la fe-
» conde & peut-être la principale cau-
» fe du peu de progrès de l'art des Bal-
» lets , vient de la privation de génie
» dans plufieurs Maîtres , ou de la fauffe
" application de ce génie , dans le petit
» nombre de ceux auxquels on en peut
» attribuer quelques portions.
» Une longue expérience , éclairée
par de bons & par de mauvais fuc-
» cès , me donne le droit de parler à
» mes Confrères avec une forte de fer-
» meté , dont ils doivent me fçavoir gré
» & dont ils m'auront obligation s'ils
» veulent bien apporter quelques foins
» à entendre les principes que je vais
» leur expofer. Je crois devoir d'abord
» donner une idée de ce que j'entends
» par Génie , & pour m'expliquer , em-
» ployer des comparaifons faciles à fai-
» fir. Dans des Arts réputés plus intel-
>> lectuels que la Danfe , tels que peu-
» vent être la Poëfie & l'éloquence ,
JUILLET. 1762 . IIS
ود
ور
» les mots , comme fignes des chofes
» ou des penfées , font les premiers
» moyens pratiques ; plus ou moins d'élégance
dans leurs diverfes combinai-
» fons , eft l'opération d'un certain goût
» de tact , qui dirige le Poëte & l'Öra-
» teur ; ce n'eſt encore qu'au fuffrage
» de l'oreille qu'ils ont droit de préten-
» dre . Si par la fagacité de l'imagination ,
» on donne un certain tour à la façon
» de préfenter des idées , même un peu
» communes , on parvient à amufer , à
» éblouir un moment les Lecteurs ou les
» Auditeurs ; ce fera avoir de l'efprit, ce
» fera en avoir mis dans l'Ouvrage.
» Mais fi l'on ne dit très - lumineufement
» des chofes plus nouvelles que les au-
» tres n'avoient dit , fi l'on ne frappe vi-
» vement l'imagination par les images
» les plus fortes & en même tems les plus
» vraies; fi l'on n'excite avec énergie des
» fentimens qui faffent paffer dans l'a-
» me , pour ainfi dire , celle des Per-
»fonnages que l'on peint ou que l'on
» fait parler , on n'aura rien fait qui
» tienne du génie ; on ne peut en appli-
» quer la qualification ni à l'Auteur ni
» à l'Ouvrage .
» En appliquant à la Mufique , ce
» qu'on vient d'établir fur le Poëme ,
116 MERCURE DE FRANCE.
» il s'enfuit que dans nos Drames ly-
» riques , fi le Muficien n'a fait que mo-
» duler avec graces & facilité fur les pa-
>roles qu'il doit chanter;s'il n'a mis dans
»fes fymphonies qu'une harmonieuſe
» union de fons , ou forte ou tendre
" ou agréable , fans objet déterminé
» & fenfible , ce ne fera qu'un gracieux
» modulateur , un fçavant harmoniſte
» mais nullement un Muficien de génie.
وو
» La Mufique devient donc pour
» le compofiteur, un langage qui lui eft
» propre , un fecours , un coloris ajou-
" té pour embellir le plan dont la Poë-
» fie lui a tracé le trait. Il montrera duz
génie , s'il ajoute par fes chants aux
» fentimens qu'annoncent les vers, & fi
» fes fymphonies donnent un nouveau
» degré de force aux images que pré-
» fente le Poëme , en augmentant les di-
> vers mouvemens que le Poëte aura eu
» deffein d'exciter.
» En degré proportionnel , ne peut-
» on pas confidérer la Danfe comme
» un troifiéme moyen relatif à la con-
» ftitution de l'Opéra François ? Elle
» fera , conféquemment , à l'égard de
» la Mufique ce que celle- ci eft à l'é-
» gard des paroles . Ce fera un nou-
» veau langage , qui doit faire parler
JUILLET. 1762. 117
» la Mufique inftrumentale d'un Opéra,
» comme la mufique vocale en fait par-
"ler la Poëfie . Il fera donc moins abfurde
de dire , qu'il ne l'étoit d'ignorer
, que lorfque les paroles & la mufique
d'un Opéra font finies , il refte
à les mettre en Danfes. Si cela eft
,, vrai , comme je me flatte de l'avoir
,, prouvé , combien de nos meilleurs
Opéras anciens & modernes font encore
à achever !
ود
"
""
"
" Je ferois fâché que l'on pût induire.
» de mon fyftême , que j'adhére à celui
» d'un long & faftueux étalage d'érudi-
» tion , affez commune, qui a paru il y a
» quelques années fous le fpécieux pré-
» texte d'ouvrage fur la Danfe. Trom-
» pé par l'équivoque du mot latin Sal-
» tatio , l'Auteur, ainfi que tous ceux qui
» ont traité ce Sujet , à confondu no-
» tre Danfe avec l'art de la Pantomime
» fi cher aux Romains & fi exalté par
» la crédule postérité. Je fuis perfuadé
» qu'il n'y avoit que très - peu & même
» aucun rapport entre les principes , de
» même qu'entre les moyens de ces ta-
» lens. Je ne peux qu'être très - étonné
» auffi que l'on ait confondu avec cet
» Art Pantomime des Anciens & avec
» notre Danfe Théâtrale , la Danfe Cho118
MERCURE DE FRANCE.
»
#
» rique , dont on a fait ufage dans nos
» Temples ; tout cela étant réellement
» en foi très-différent , & les conféquen-
» ces ridicules qu'on en a tirées , très- indifférentes
à l'objet que l'on fe propo-
» fe qui eft de faire parler nos Ballets. Je
dois ajouter encore qu'en réduifant
» l'hiftorique au vraisemblable, on peut
» regarder ce que les Anciens nous ont
» tranfmis de l'Art merveilleux des Pan-
» tomimes , à- peu-près comme ce que
» difoient certaines gens parmi nous
» fous le preftige de la nouveauté , lorf-
» que l'on a exécuté en France pour la
» premiere fois quelques Ariettes Ita-
» liennes ; ils fe perfuadoient de la meil-
» leure foi du monde qu'ils entendoient
» des légumes bouillir dans une marmi-
» te , un caroffe rouler, & autres chofes
»femblables.
Malgré cela , je n'en fuis pas moins
» convaincu du droit qu'on a de rire de
» nous , lorfque dans notre maniere de
" traiter les Ballets , nous ufons entre
» Confrères de la qualification de génie ;
» parce qu'il eft certain que ce talent ,
» encore dans la Barbarie , eft fufcep-
» tible de beaucoup de progrès indif-
" penfables pour lui faire mériter le titre
» d'Art.
>
JUILLET. 1762. 119
" Si l'on a fait quelqu'attention aux
» principes que je viens d'établir, & que
je ne crois pas qu'on puiffe me con-
» tefter , il en réfultera que ce qu'on
appelle Pas dans notre talent , tient
» lieu des mots pour notre langage ; que
» leurs combinaifons forment des phra-
» fes plus ou moins bien tournées ; que
» tout cela méthodiquement ordonné ,
» ce fera avoir écrit correctement ; mais
» que l'exécution de ces parties , quel-
» que parfaite qu'elle puiffe être , ne fera
" autre chofe , par comparaifon , que
» lire réguliérement , avec les inflexions
» convenables , & très-bien prononcer :
» il n'y aura en tout ceci rien qui pro-
» vienne du génie , rien qui puiffe lui être
» relatif. Pour me fervir de l'hyperboli-
» que expreffion des Applaudiffeurs ,
» les Danfeurs ou les Danfeufes dont
» les pas écrivent les nottes ont fans
» doute, à un très -grand degré, le mérite
» de bien articuler. Mais qu'articulent-
» ils ? Voilà de quoi il s'agit, pour favoir
» s'il y a non feulement du génie , mais
» même fimplement de l'efprit dans leur
» Danfe . On doit plaire aux yeux , fans
» contredit , lorfque l'on danfe ; c'eſt
» la premiere condition : mais comme
» la Danfe doit , par un autre langage
,
» auxiliaire , prêter un coloris , une nou120
MERCURE DE FRANCE .
» que ,
»
,
» velle intelligibilité à celui de la Mufiil
faut donc néceffairement que
» la Danfe parle à l'efprit qu'elle
» excite ou rappelle des idées , & que
» dans les occafions, elle détermine l'a-
» me aux mouvemens que le Poëte & le
» Muficien auront voulu lui faire pren-
» dre. Sans cela , le plus excellent, le plus
» admirable Danfeur , ne fera aux re-
» gards du goût raifonné , qu'un adroit
» exécuteur de tours d'une efpéce plus
gracieufe que les tours de force ; que
» l'on éffaye de prouver qu'il ait droit
» à d'autres prétentions? A plus forte rai-
» fon, le Compofiteur de Ballets doit- il
" moins croire en avoir réellement com-
» pofé , lorfqu'il n'aura trouvé que ce qu'il
» nomme des Paffes ou bien une diftri
» bution de certains pas dans un cercle
» très-étroit de marches fur le Théâtre ,
»foit entre quelques-uns des Perfonnages
» danfans , foit entre un plus grand nom-
» bre;le tout formant des files qui paffent
» en fe croifant , de la droite à la gauche
» & de la gauche à la droite ; ou encore
lorfque le prétendu génie s'étend davantage
, & qu'il aura trouvé pour fes
longues files des figures que les enfans
» exécutent & trouvent , en jouant avec
tout ce qui tombe fous leurs mains.Je
"
"
JUILLET. 1762 . 121
Je ne puis me difpenfer de remarquer
la brillante imagination de nos
» modernes Compofiteurs dans ces lon-
» gues rues, qu'ils ouvrent à tout moment
» aux yeux du Spectateur , entre chaque
» cordon d'hommes & de femmes , tou-
» tes les fois qu'ingénieufement ils les
» font repaffer d'un côté du Théâtre à
» l'autre .
» Je ferois bien fâché qu'en improu-
»vant les pratiques habituelles des grands
» Théâtres, on me foupçonnât de prodi-
» guer quelqu'eftime à ce que j'ai vu
» pratiquer quelquefois , avec tant d'applaudiffemens
du vulgaire féduit , &
» avec fi peu de gloire pour ceux qui le
»féduifoient. On doit concevoir que
» j'entends par là ces espéces d'exercices
» foldatefques , où l'on fait jouer enfem-
» ble avec une grande préciſion , parties
" par parties , chaque membre de tous
» les individus d'un prétendu Ballet.
>>
» J'ai entendu crier au miracle, fur cet
» art ingénieux de faire prendre , l'une
après l'autre, cent poftures différentes à
» des corps rangés fur le Théâtre com-
» me des quilles dans une cour , ou des
» jettons fur la table de quelqu'un qui
» s'ennuie . Il me fembloit alors voir une
» multitude de jeunes Peintres placés
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE .
» derrière des Mannequins ,
en faire » mouvoir
les refforts
avec un très-bel ,, enſemble
. Tel étoit & tel eft encore
» ce qui , dans ces fortes de Spectacles
, » vient
bientôt
confondre
& diffiper » l'apparence
d'une
petite
action
com- » mencée
avec quelqu'idée
de bonne » Pantomime
; le tout eft couronné
d'u-
» ne Contredanfe
qu'on
peut comparer
»à la ſpirale
fans fin voilà des Ballets
! » & ce qu'il y a de plus fingulier » c'eft d'entendre
dire affez fouvent
» voilà des Ballets
de génie !
"
L'étendue de nos matiéres nous oblige
à remettre au Mercure prochain la fuite
de cette Lettre.
L
OPERA.
E 19 Juin , Mlle Duranci débuta
dans les Fêtes Grecques & Romaines ,
par le rôle de Cléopatre , le même rôle
par lequel avoit débuté Mlle Hebert . ( a)
La différence de hauteur dans les tailles
de ces deux Débutantes a préfenté un
contrafte fort fenfible .
Quant à la voix , les Muficiens Ar-
(a ) V. le premier volume de ce mois .
JUILLET. 1762. 123
,
tiftes comme les Muficiens amateurs
ont jugé celle de Mlle Duranci trèsbien
timbrée d'une qualité de fon
agréable & d'une finguliere étendue . Le
volume , fans être du premier ordre ,
a paru fort au-deffus de ce qu'on appelle
petites voix , & fuffifant à tous
les caractéres de rôles fur ce Théâtre . Si
l'on ne trouve pas encore dans les cadences
, ce qu'il faudroit pour admirer ,"
on n'y trouve rien dont on foit choqué.
On a cru s'appercevoir auffi , qu'il
manquoit à la Débutante l'habitude de
chanter avec des inftrumens ; pratique
indifpenfable pour affurer l'oreille dans
un parfait accord avec l'Orchestre. A
ces obfervations il feroit injufte de n'en
pas joindre d'autres, 1 ° . La jeuneſſe de
Mlle Duranci , qui rend fes organes
fufceptibles de toutes corrections &
fléxibles à la perfection . 2 ° . La crainte ,
extrême qu'elle a éprouvée dans ce début.
3 °. L'exercice habituel , à l'exclufion
du chant , du talent de la Comédie
; talent néanmoins dont elle retrouvera
tous les avantages à l'Opéra , &
qui lui a valu dès le premier jour des
applaudiffemens univerfels , par l'intelligence
& l'expreffion qu'elle a mife dans
fon jeu , malgré le trouble dont elle
étoit faifie . Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Le Mardi 6 du préfent mois , l'Académie
Royale de Mufique a remis au
Théâtre deux A&tes du Ballet des Caractères
de la Folie , ( b ) fans Prologue ,
& a repréfenté pour la premiere fois , à
la fuite de ces anciens A&tes , une Paftorale
nouvelle intitulée Hilas & Zélis.
On peut voir le Mercure de Septembre
1743 fur le Ballet remis & le volume
premier de ce mois , dans lequel nous
avons détaillé tout ce qui concerne l'ancien
Ballet. Il ne nous refte donc qu'à
donner une idée de la Paftorale dont
les paroles font anonymes & la Mufique
du même Auteur que celle du
Ballet, ( c )
( b ) Le Poëme eſt de M. Duclos , Hiftoriographe
de France , Secrétaire perpétuel de l'Académie
Françoiſe & Membre de celle des Infcriptions.
( c ) M. de Buri , Surintendant de la Mufique
du Roi.
JUILLET. 1762. 125
HILAS ET ZELIS. ( d )
La Scène eft à Gnide.
PERSONNAGES.
L'AMOUR .
ZELIS .
HILAS.
ACTEURS Chantans.
Mlle Riviere.
Mlle Le Mierre.
M. Larrivée.
Nymphes , Suivans de l'Amour , Gnidiens &c.
UN Autel ruftique eft élevé dans un
lieu champêtre qui eft le fute de l'action
dans cette Paftorale .
L'Amour & Zelis font en Scène . La
Bergère jure à l'Amour de n'offrir des
voeux qu'à fes autels ; fa tendreffe pour
Hilas garantit,felon elle, ce ferment. Le
Dieu paroît étonné qu'Hilas puiſſe inſpirer
ce fentiment .
> Dès le moment de fa naiffance
>> Ses yeux furent fermés à la clarté du jour.
>> Comment de la Beauté connoît il la puiſſance ?
( d ) . On a imprimé par erreur dans le précédent
Mercure Zelia.
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
C'eſt cela même qui a fait naître l'amour
de Zelis . Elle a connu Hilas dès
l'enfance , & la pitié a produit cet effet
fur fon âme. Le Dieu promet à Zelis
qu'en fa faveur le Berger jouira de la lumière.
C'eſt à elle qu'il devra donc ce miracle
; mais en même temps l'Amour la
menace de l'inconftance de fon amant
& lui ordonne d'éviter fa préfence dans
l'inftant où il verra le jour. Zelis jouit
du plaifir fi délicat de faire le bonheur
de ce qu'on aime , dût- il en coûter le
fien même,
On améne Hilas. Zelis lui expofe ce
qu'elle craint de fa légéreté , Hilas la
raffure. S'il ne peut être attaché par des
charmes qu'il ne voit pas , l'efprit de
Zelis a formé un lien plus sûr & plus
doux ,
» Pour rendre ( dit-il ) ma tendreffe extrême
Ai- je beſoin d'admirer vos appas ? »
» C'eſt un bonheur que je ne connois pas.
Zelis , en le quittant , lui annonce le
prodige qui va s'opérer & defire que
ce bien ne le rende point parjure.
HILAS , feul.
» De ce vaſte Univers je verrois le ſpectacle ?
JUILLET. 1762. 127
» Peut- être c'eſt un vain eſpoir.
» Mais quel Dieu bienfaifant , quel fouverain pou-
» voir
» De mes yeux entr'ouverts vient enlever l'obſta-
>> cle ?
» Que d'objets variés s'offrent de toutes parts !
» Quelle douce lumière
»Etonne mes efprits & charme mes regards !
>> Son feu s'étend fur la Nature entiere.
» L'immensité des Cieux , leur ordre , leur fplen-
> deur
>> Porte le caractère
» De leur fuprême Auteur.
L'Amour paroît. Les objets les plus
féduifans forment fon cortége . Une
Nymphe danfe pour féduire Hilas ; ellc
n'y réuffit pas. Une autre , par une danfe
plus voluptueufe , femble faire plus
de progrès. Il rapporte cette impreffionà
Zelis dont fon âme eft remplie.
> ..... Cette Nymphe exprime dans les pas
» Ce que je fens quand Zélis chante.
L'AMOUR.
» Si c'étoit elle ? "..
Mais Hilas ne peut s'y méprendre ;
Fiy
128 MERCURE DE FRANCE .
il la reconnoîtroit au trouble de fon
coeur. Il s'échape pour la chercher ;
il veut voir ce qu'il aime .
>> Grands Dieux ! fans ce plaifir reprenez vos bien-
>>faits .
ל כ
Zelis , ne pouvant réfifter à ſon impatience
, alloit enfreindre les ordres du
Dieu . Elle revient croyant trouver Hilas.
Le Dieu lui ordonne de monter fur
l'Autel , & furtout de ne point fe faire
connoître .
Hilas a vainement cherché Zelis ; il
revient. L'Amour lui préfcrit de fe profterner
aux pieds de la ftatue de Vénus,
en lui montrant Zelis même qui fur
l'Autel en occupe la place. Hilas eft
étonné des charmes de la Figure qu'il
croit repréfenter la Déeffe. L'Amour
lui reproche que Zelis eft oubliée à la
vue de tant d'attraits , & le menace de
le replonger dans les ténébres , puifque
le jour l'a rendu parjure. Mais Zelis ,
alors de deffus l'Autel , s'écrie :
» Arrête , Amour ! Hilas n'eft point volage.
Hilas reconnoît Zelis à la voix .
» Quel bonheur pour un amant
» Quand le coeur & les yeux confondent leur
» hommage !
JUILLET. 1762. 129
L'AMOUR ( aux deux Amans. ) '
» Goûtez une fi tendre ardeur ,
» Vivez dans ce féjour tranquille ;
>> Je vous le donne pour aſyle ,
» Et je choiûis le mien dans votre coeur.
Après le Duo , un Divertiffement général
termine la Paftorale .
On s'appercevra , par l'étendue de
notre Article dans ce Volume, combien
nous fommes furchargés de matière , &
combien peu nous pouvons fuivre notre
ufage , qui eft de rendre un compte détaillé
& critique des Ouvrages nouveaux.
Nous avons feulement tranfcrit le peu de
vers qu'on vient de lire , pour faire connoître
le coloris de ce petit Poëme.
Le Muficien a ajoûté aux deux Actes
anciens du Ballet , des chofes qui lui
devoient faire efpérer un fuccès encore
plus brillant qu'en 1743. On ne peut lui
refufer des Choeurs , des Symphonies &
d'autres morceaux , dans ces A&tes , qui
caractérisent le grand genre & la ſcience
de l'Art. Dans une Ariette , que chante
Mlle le Mierre , on trouve l'effence ,
pour ainfi dire , du goût italien mariée
avec une délicateffe admirable au goût
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
françois , ce qui produit un effet charmant.
Cependant on ne peut diffimuler
que ces Actes ne font pas reçus auffi
avantageufement que dans leur nouveauté.
Le goût du Public , élevé, felon quelques
Sectaires en Mufique , & perverti
felon d'autres , a certainement éprouvé
des changemens depuis 1743. D'ailleurs,
quoique nous euffions prévenu , dans
le dernier Mercure , du fens qui juftifioit
le titre de Caracteres de la Folie ;
ce qui n'avoit point influé il y a dixneuf
ans fur l'opinion du Public , a fait
aujourd'hui une prévention défavorable ,
parce que l'on a pris ce titre littéralement
, & que l'on s'attendoit à ne trouver
dans l'ouvrage , que tout ce qui a
rapport à la folie telle qu'on l'avoit
toujours expofée fur le Théâtre. On doit
ajoûter encore que l'intérêt du fecond
Acte , qui avoit produit tant d'effet , n'a
pas eu le même avantage. Il a éprouvé
l'inconvénient de tout rôle , coupé ( fi
l'on peut ufer de cette figure ) fur les
dimenfions de certains talens . Celui
d'Eucharis avoit été deſtiné pour Mlle le
Maure , & exécuté par cet organe unique.
Méchanique incompréhenfible de
la Nature , par lequel , dans le matériel
JUILLET. 1762. 131
même de l'inſtrument , elle avoit placé
l'intelligence motrice de fon jeu. Ce rôle
eft d'un même fentiment dans toute fon
étendue , mais varié par des nuances qui
tiennent immédiatement les unes aux
autres ; ce que le Muficien fenfible
avoit exprimé par une rondeur moëleuſe
de chants ; ce que la voix de cette ancienne
Actrice étoit capable de rendre
avec perfection.
?
Quoiqu'il en foit , on rend juftice au
Muficien dans plufieurs morceaux tranfcendans
du nouvel A&te ; ces morceaux
font & mériteront toujours d'être trèsapplaudis
, entr'autres l'admirable monologue
d'Hilas tant par la fçavante
harmonie de fon accompagnement
, que par la mélodie du chant ,
analogues l'une & l'autre à la grandeur
des idées qu'offrent les paroles. De trèsbeaux
Choeurs , un Duo agréablement
travaillé dans le goût moderne , & furtout
le dernier Divertiffement que , fans
rifquer d'en trop dire , l'on peut confidérer
comme un des plus beaux traits
de génie en Mufique , & dont l'effet
étonne autant qu'il plaît généralement ,
feroient honneur aux plus célébres Compofiteurs
, & fuffiroient peut-être pour
F VI
132 MERCURE DE FRANCE .
attirer dans d'autres circonftances le plus
grand concours d'Auditeurs.-
Cet Opéra a éprouvé un revers par
l'indifpofition, fi générale depuis quelque
temps , dont fe font trouvés attaqués
Mlle le Mierre & M. Gelin après la premiere
repréſentation . Quoique Mlle Du
bois ait fort bien fuppléé à l'un de ces
rôles , c'est toujours un accident trèscontraire
, lorfque dès les premiers jours
le Public eft privé de talens qu'il chérit
avec autant de juftice que ceux de
Mlle le Mierre.
Les Ballets font extrêmement agréa
bles , tant de la part de la Danfe , que de
part de la Mufique. Le Spectacle de
de cet Opéra eft très-bien remis en habits
& en décorations.
la
COMÉDIE
FRANÇOISE.
pre- ON a donné le 30 juin 1762 , la
miere repréſentation
d'une Piéce intitulée
le Caprice, Comédie en profe , en
trois Actes , qui a été applaudie.
On ne hazarde rien en difant qu'il eft
impoffible de mieux jouer la Comédie.
que celle-ci l'a été. Les Acteurs repréfentans
étoient Miles Dangeville , GaulJUILLET.
1762 . 133
tier , Préville & Hus. Mrs Belcourt &
Préville. Ce dernier & l'inimitable Mlle
Dangeville ont créé , l'un un petit rôle
de valet & l'autre un rôle de foubrette
à chacun defquels la tournure du fujet
ne fournit pas des traits bien faillans .
M. Belcourt a joué avec une nobleffe &
une vérité de caractère admirables , celui
d'un galant homme dompté par l'amour
pour une femme que devroit rendre
odieufe la noirceur de fes projets . Mlle
Préville , dont le talent pour les grands
caractères du haut comique étoit déja
décidé , en vient de donner de nouvelles
preuves. Les Connoiffeurs & les plus an- .
ciens Amateurs du Théâtre François ,
font convenus particulierement en
cette occafion , qu'aujourd'hui l'Art
de la Comédie fur ce Théâtre , eſt
parvenu à produire un tel degré d'illufion
, que l'art n'eft plus apperçu , &
que c'eft la vérité même des actions &
des caractères repréfentés. Voilà tout
ce qu'actuellement nous fommes en état
de dire fur cette Piéce .
,
Le 6 de ce mois , jour que l'on avoit
célébré le matin un Service pour feu
M. de Crébillon,les Comédiens François,
attentifs à tout ce qui peut honorer la
mémoire des grands Hommes , qui ont
134 MERCURE DE FRANCE .
fait l'honneur de la Nation & la gloire .
de leur Théâtre , donnerent relâche , &
le lendemain repréfenterent avec pompe
Rhadamifte , une des plus belles Tragédies
de cet illuftre Auteur. -
COMÉDIE ITALIENNE.
MALGRÉ le plaifir avec lequel on avoit
entendu chanter admirablement Mlle
Piccinelli plufieurs Ariettes , & entr'autres
une , accompagnée par des ' cors
de chaffe d'un effet charmant , la nouvelle
Italie n'a eu que quatre repréfentations.
Nous en avons dit dans le précédent
Mercure une partie des raiſons
en rendant juſtice au choix du Sujet &
au talent de l'Actrice , nous croyons devoir
nous diſpenſer de dire les autres.
Le 5 de ce mois , on a remis fur ce
Théâtre la Jeune Grecque , Comédie en
vers & en trois Actes , qui avoit été
donnée en 1756. Elle eft revue avec
plaifir. Cette Piéce vient d'être imprimée,
(a ) Nous ne doutons pas que l'extrait
n'en foit agréable à nos Lecteurs , lorfqe
nos engagemens antérieurs nous
( a ) A Paris , chez Ducheſne , rue S. Jacques ›
au Temple du Goût.
JUILLET. 1762. 135
permettrons de remplir celui-ci . En attendant
,
nous ne pouvons refuſer
d'inférer les vers fuivans , adreffés à une
des plus aimables Actrices de ce Théâtre .
A Mlle RIVIERE ( a ) , représentant le
Rôle de la jeune GRECQUE.
PAR fon jeu noble & vrai que guide la Décence
Policréte intéreffe , & fait verfer des pleurs .
Lorſqu'elle y joint encor le charme de fa Danſe ,
C'eſt à la couronner , qu'au gré de tous les coeurs,
On devroit employer les guirlandes de fleurs :
Le Temple de Vénus où l'Amour fuit fes traces
Devient celui du Gout , des Talens , & des Grâces.
GUERIN DE FREMICOURT .
Le Jeudi 8 on a donné fur le même
Théâtre la premiere repréfentation de
Sancho-Panca , dans fon Ifle , & c . Piéce
en deux Actes dans le genre du moderne
Opéra-comique ; Paroles de M. Poinfi
nei le jeune, Mufique de M. Philidor. En
nommant cet Auteur aimé du Public ,
il devient inutile d'annoncer que la Mufique
a été très-applaudie. On a fait des
( a) Connue au Théâtre fous le nom de Mlle
CATINON
136 MERCURE DE FRANCE.
retranchemens dans les paroles. Ce Sujet
avoit été traité plufieurs fois au le Théâtre
, fans fuccès .
CONCERT SPIRITUEL.
A M. DELAGARDE , Penfionnaire
Adjoint au Mercure , pour la partie
des Spectacles.
MONSIEUR ,
Nous fommes trop pénétrés de ce
que nous devons actuellement par état
au Public , & les Motets de M. de Mondonville
forment un objet trop principal
de fon amuſement au Concert Spirituel ,
pour que nous puiffions nous difpenfer
de lui rendre compte de notre conduite
vis-à-vis d'un Auteur , dont les Ouvrages
ont été toujours & fi juftement applaudis.
Nous vous prions donc , Monfieur
, de nous rendre le fervice d'inférer
cette Lettre dans le prochain volume du
Mercure ; nous vous en aurons une véritable
obligation .
Uniquement guidés par le defir de
mériter la bienveillance du Public , nous
JUILLET. 1762 . 137
avons cru que notre premier foin devoit
être d'employer tous les moyens poffibles
,pour lui conferver le corps de Mufique
dont M. de Mondonville avoit enrichi
le Concert ; & nous avons agi en
conféquence. Quelques détails , que
nous regardons comme abfolument indifpenfables
, ne laifferont ( nous nous
en flattons ) aucun doute fur la vérité
de ce que nous venons de dire .
Lorfque l'Académie Royale de Mufique
régiffoit , pour fon compte , le
Concert Spirituel , M. de Mondonville
avoit douze cens livres par an pour fes
Motets , & pour y jouer du violon :
depuis que M. Capperan & feu M. Royer,
en ont eu le privilége , il a continué d'avoir
les mêmes honoraires de douze cens
livres , mais pour fes Ouvrages feulement
; & jufqu'à ce qu'il ait été intéreffé
fui -même dans l'affaire du Concert. C'eft
d'après ces faits que nous avons offert
à M. de Mondonville quinze cens livres
par an , pour la jouiffance de fa Mufique,
pendant la durée de notre bail , au lieu
des douze cens livres qu'on lui payoit
ci-devant; en joignant à ces offres les
affurances les plus pofitives de nous conduire
felon fes vues , en tout ce qui au138
MERCURE DE FRANCE.
roit rapport à fes Motets .
*
→
La nature de nos propofitions nous
avoit fait efpérer de réuffir ; M. de Mondonville
s'y eft refufé : & nous avons
à tous égards , trop d'intérêt à nous juftifier
complettement fur ce fujet , pour
garder le filence fur les raifons qu'il a
données de fon refus : les voici. » Qu'il
» étoit bien aife de laiffer repoſer fa
» Mufique , au point que , s'il eût traité
» avec nous , il auroit exigé que , fur-
» tout dans les premiers temps , nous
» n'en euffions fait que très- peu d'uſage ;
» que connoiffant , par expérience , les
» forces de l'affaire dont nous nous trou-
» vions chargés , il convenoit que nos
offres étoient auffi confidérables que
»nous pouvions les faire ; mais qu'en
» même temps , elles étoient fi fort éloi-
" gnées de fes prétentions , qu'il ne pou
» voit les accepter ; enfin qu'il n'ofoit
» pas dire quel feroit l'objet de la de-
» mande qu'il auroit à nous faire , parce
» qu'il fentoit qu'il ne nous feroit pas
» poffible de le fatisfaire. Nous venons
de tranfcrire fidélement fa réponſe ; &
nos connoiffons trop bien fa probité ,
* C'eſt M. d'Auvergne qui a fait pour lui &
pour les deux Affociès , ces propofitions à M. de
Mondonville, & qui a reçu fa réponſe.
JUILLET. 1762. 139
pour craindre qu'il reclame contre les
expreffions dont nous nous fommes fervis
pour la rendre .
Il est très-fâcheux pour nous , d'être
à la fois privés des reffources que nous
aurions certainement trouvées dans les
Motets de M. de Mondonville , & obligés
de prévenir le Public qu'il n'aura pas
la fatisfaction de les entendre , & de
joindre de nouveaux applaudiffemens à
ceux qui les ont couronnés tant de fois :
mais nous avons trop de confiance en
fa juſtice , & nous espérons trop de fes
bontés , pour ne pas nous flatter qu'il
voudra bien ne nous point rendre refponſables
d'un événement qui nous cau-
*fe une véritable peine. Nous ofons même
croire que nos foins , nos efforts
pour varier & rendre la plus complette
qu'il nous fera poffible , cette partie des
amuſemens du Public : nous méritons
de fa part l'indulgence dont nous avons
befoin , furtout dans la pofition forcée
où nous nous trouvons ; & même des
encouragemens.
Nous invitons les Maîtres de Mufique
de la Capitale & des Provinces , à feconder
nos intentions ; en les affurant qu'ils
trouveront avec nous toutes les facilités
& tous les agrémens qu'ils pourront dé140
MERCURE DE FRANCE.
firer ; en un mot , que nous nous ferons
un devoir capital , de préfenter tous
ceux de leurs Ouvrages qui pourront
leur faire honneur , de la maniere la plus
propre à leur attirer les fuffrages du Public
, qui feul fait les grands Maîtres ,
& leur donne cette célébrité , qui eft le
but , la plus flateufe , la premiere récompenfe
des hommes à talens.
Nous avons l'honneur d'être , & c.
CAPPERAN , DAUVERGNE ,
JOLIVEAU.
A Paris , le 8 Juillet 1762.
FIN DE L'ART. DES SPECTACLES .
JUILLET. 1762. 141
POMPE FUNEBRE
DE M. DE CRÉBILLON.
LETTRE de M. DE LA GARDE
à M. DE LA PLACE.
MONSIEUR ,
Je fçais qu'après la perte que nous
avons faite de M. DE CRÉBILLON
rien ne vous a plus afflige, que de n'avoir
pú affifter à la Cérémonie intéressante à
laquelle nous avions été invités. Comme
j'ai eu l'honneur de m'y trouver , avec la
plus grande partie des Gens de Lettres
qui étoient à Paris , je crois que vous
me fçaurez gré de vous en adreffer une
relation. En fuppléant ainfi à ce que
l'état de votre fanté ne vous a pas permis
de faire par vous -même , jefens tout
les Lecteurs y perdront ; mais je
puis répondre de ne pas ajouter à cette
perte , celle de la vérité & de l'exactitude
qu'ils font en droit d'attendre dans
ce Journal.
ce
que
La repréſentation de Bénéfice au profit
du petit Neveu des Corneilles , a été
142 MERCURE DE FRANCE.
l'époque d'une forte d'émulation nationale
de vénération & de bienfaifance
envers tout ce qui tient à la mémoire
des grands Hommes qui ont illuftré
le Théatre & la Littérature . L'empreffement
, avec lequel chacun chercha dèslors
à rendre cette repréfentation plus
fructueufe, a été confacré dans nos Faftes
. Il ne fut, pour ainfi dire , qu'un premier
éffai de l'efpéce de prodigalité dont
on s'eft fait gloire depuis, pour feconder
le magnifique projet de M. de Voltaire
en faveur de Mlle Corneille : entrepriſe
glorieufe , que pouvoit feul exécuter dignement
un tel Editeur , dont la célébrité
doit un jour égaler celle de l'Auteur
qu'il aura commenté , & qui n'a
été , comme on le fçait , que la fuite
des procédés les plus nobles & les plus
généreux pour cette jeune héritière d'un
nom fi refpectable. C'eſt encore à la célébrité
du nomLittéraire , que Mlles de la
Fontaine , ignorées jufqu'à préfent ,
viennent d'attirer l'attention des plus auguftes
Perfonnes du Royaume fur leur
fort. Enfin , malgré les cenfures outrées
des Contempteurs du préfent , ce fiécle
répare cependant l'ingrate négligence
du fiécle paffé. Malgré l'auftère humeur
des ennemis du Théâtre , on ne pourra
JUILLET. 1762 . 143
difconvenir & la Poftérité n'ignorera
pas que les Comédiens François ont eu
l'avantage de donner, pour ainfi dire , le
premier fignal de cette honorable révolution
dans nos ufages.
Animés du même zéle , dès que M.
de Crébillon eut reçu la fépulture,& que
comme il convenoit , l'Académie Françoife
lui eut rendu les premiers honneurs
funébres par le fervice qu'elle avoit
fait célébrer le 2 Juin , ils déterminérent
de donner un témoignage
éclatant d'hommages & de reconnoiffance
à la mémoire de cet illuftre
Auteur. En conféquence , tout ce qu'il
y a de plus diftingué par la naiffance &
par le rang ou par le goût & l'amour
des Lettres , tous les Membres des Académies
& de tous les Corps Littéraires
ainfi que tous les autres Gens de Lettres
, les Artiſtes & les Gens de Talens
célébres avoient été invités , par des billets
imprimés , de la part de Meffieurs
les Comédiens François , Penfionnaires
du Roi, à un Service qui a été célébré,à
leurs frais , le Mardi 6 du préfent mois ,
en l'Eglife Paroiffiale de S. Jean de Latran
, Commanderie de l'Ordre de Malthe
. Il s'y rendit un fi grand nombre
des perfonnes invitées , qu'à peine le
144 MERCURE DE FRANCE .
vaiffeau pouvoit - il les contenir : cependant
cela n'occafionna pas le moindre
tumulte , par l'ordre éxact qui fut obfervé
& par le fentiment de reſpect
qu'infpiroit à tous les Affiftans l'objet
de cette Cérémonie .
Les avenues de l'Eglife , ainfi que la
Porte , étoient tendues de noir , l'intérieur
l'étoit en totalité jufqu'aux voutes
, en forte que les jours fe trouvoient
entierement fermés.
"
Le Pavé du Choeur & du Sanctuaire ,
les Stales & autres fiéges avoient été
auffi couverts de drap noir. Depuis les
Stales jufqu'à la Corniche tout étoit
tendu d'étoffe de foie noire femée de
larmes d'argent. Au-deffus , régnoit une
fuite de feftons de même étoffe , blanche
herminée ; dont les pentes , garnies
de grandes franges , étoient renouées
de diſtance en diftance par de gros cordons
d'argent guipés de noir avec
leurs glands pareils. Sur l'entablement ,
un filet de lumières très-ferrées , foutenu
fur un ornement continué de fleurons
d'or , formoit une efpéce de couronnement
à toute cette Décoration.
La partie fupérieure étoit , comme le
refte de l'Eglife , totalement maſquée
par les tentures.
Au
JUILLET. 1762 . 145
T
Au milieu du Choeur , fur un focle
couvert de noir, & fous unCiel ou Dais
à colonnes, étoit placé le Sarcophage ou
Repréfentation que recouvroit un Poële
noir croifé à plufieurs bandes d'argent.
Les Pentes extérieures du Ciel ou
Dais , étoient entierement de moire
argent , enrichies d'ornemens & grandes
franges de même à cartifane ; le
tout mêlé de quelques ornemens
noirs . Sur les bords du Socle , un grand
nombre de chandeliers d'argent , portant
de fort grands cierges , environnoient
la Repréſentation.
On avoit décoré le Sanctuaire dans
le même genre que le Choeur. On y
avoit ajouté une richeffe de plus , en y
plaçant de grands Candélabres d'argent
de la plus belle forme qui fupportoient
des girandoles d'or en forme de gerbes
qui produifoient des groupes confidérables
de lumière. L'Autel étoit paré
d'ornemens noirs croifés de moire argent
& chargé de la plus belle argenterie
, ainfi que d'un très-beau & trèsnombreux
luminaire.
On avoit diftribué dans la Nef , pour
l'éclairer , de fortes Girandoles en or &
d'une très- grande quantité de branches
chacunes , appliquées fur les tentures.
II. Vol. G
146 MERCURE
DE FRANCE
.
•
Une grande Tribune , au-deffus de
la porte de l'Eglife , garnie de gradins
& toute recouverte
de noir , ne s'étant
pas trouvée fuffifante pour la Mufique ,
on avoit conftruit d'autres gradins dans
le bas de l'Eglife de droite & de gauche
, pour contenir près de 80 Muficiens
prefque tous de l'Académie
Royale de
Mufique.
Après les Vigiles , qui furent chantées
au Choeur , on célébra une Meſſe ſolemnelle
, pendant laquelle on exécuta
l'admirable
Mufique de feu M. Gilles, &
le De profundis
de M. Rebel , Chevalier
de l'Ordre de S. Michel , Surintendant
de la Mufique du Roi , dont il
· conduifit
lui-même l'exécution
. M. le
Berton , Maître de Mufique de l'Orcheftre
de l'Académie
Royale , conduifoit
celle de la Meffe . Les principaux
Récitans furent MM. Gélin , Décentis
& Muguet de la même Académie .
Le nombre des Miniftres affiftans à
l'Autel , revêtus d'ornemens
, la majestueufe
régularité des cérémonies
, le
filence refpectueux
de l'Affemblée
, tout
contribuoit à la pompe de cette augufte
célébration.
Meffieurs les Comédiens François,qui
faifoient la dépenfe , conféquemment
JUILLET. 1762. 147
faifoient les honneurs. Deux d'entr'eux
étoient à la porte avec l'Officier public,
Ordonnateur par état de ces fortes de
cérémonies , revêtu de fa robe , pour
conduire chaque perfonne qui arrivoit ,
jufqu'à ce que l'Office Divin commençât.
Ils avoient laiffé le Choeur pour les
perfonnes invitées , autant qu'il pouvoit
en contenir. M. de Crébillon , Cenfeur
Royal , fils du défunt , y occupoit
la premiere place en long manteau de
deuil , qu'on avoit eu l'attention de lui
faire préparer & qu'il trouva fur le lieu .
Ils ne s'étoient réfervé que des places
dans la nef joignant la grille du
Choeur , les hommes d'un côté & les
femmes de l'autre. Ils allerent à la préfentation
des offrandes fuivant le cérémonial
d'uſage , les hommes précédant
les femmes , mais ayant laiffé le premier
pas à M. de Crébillon. Ces Offrandes
furent riches & d'ailleurs , pendant
le Service , il fe fit par un Eccléfiaftique
une quête très-abondante pour les
pauvres , dans toute l'Affemblée , à laquelle
ceux qui faifoient les honneurs
contribuérent encore chacun très-libéralement.
Le même ordre qui avoit été
obfervé aux Offrandes , le fut au Céré-
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
monial ordinaire qui termine le Service.
Vous êtes déja prévenu fans doute
Monfieur , par le bruit public , que quelque
magnifique qu'ait été cette Pompe ,
on y a plus admiré encore l'ordre & la
décence avec laquelle tout s'y eft paſſe.
C'est ce qui m'a paru avoir frappé généralement
tous ceux qui comme moi en
ont été témoins , & j'ai trouvé ce fentiment
généralement répandu. Je ne doute
pas que vous n'en ayez été fenfiblement
touché, Vous êtes perfonnellement inté¬
reffé à la gloire littéraire dans la par
tie dramatique.
J'ai l'honneur d'être , &c.
DELAGARDE , Cenfeur Royal &
Adjoint au Privilége du Mercure,
JUILLET. 1762. 149
ÉLOGE HISTORIQUE de M. DE
CRÉBILLON.
PROSPER ROSPER JOLYOT DE CRÉBILLON
naquit à Dijon le 13 Février 1674 de
Melchior Jolyot , Greffier en chef de la
Chambre des Comptes de cette Ville
& de Genevieve Cagnard, fille de N. Cagnard,
Lieutenant Général de Beaune, &
d'Anne Bretagne. Cette derniere étoit
iffue de l'Ancienne & noble famille des
Bretagne qui depuis deux fiécles & plus ,
fournit au Parlement de Bourgogne fes
premiers Magiftrats . En difant ceci , on
ne peut craindre que de ne pas rendre
encore à MM. Bretagne , toute la juſtice
qui leur eft due . Il ne faut pas obmettre
non plus que la famille desJolyot
eft noble & ancienne . Son titre primordial
exifte dans le Tréfor des Chartes
de la Chambre des Comptes de Dijon ;
il eft de l'an 1442 , fous Philippe le bon
qui annoblit tout à la fois deux frères
Jolyot pour fervice Militaire. On` ne
connoît en Bourgogne d'autres Jolyot ,
que ceux de qui fortoit M. de Crébillon ;
& felon ce qu'il difoit lui- même, une autre
branche établie en Franche- Comté .
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
›
On ignore le détail des premieres années
de M. de Crébillon ; heureuſement
ce ne font pas celles qui , dans la vie des
plus grands hommes intéreffent davantage.
On tient de lui feulement
qu'il avoit fait fes humanités au Collége
Mazarin fous un Profeffeut nommé
Feuardent ; qu'il s'étoit trouvé à l'ouverture
de ce College,& par conféquent
en avoit été un des premiers Ecoliers.
On ne fçait fi en fortant de fes claffes
fon Père le rappella auprès de lui , ou fi
tout de fuite il lui fit faire fon droit ;
ce qui le feroit croire , c'eft qu'il fut reçû
Avocat au Parlement. Mais la date de fa
réception eft ignorée. Quand on a connu
particuliérement M. de Crébillon ,
on n'eft point furpris que ceux qui devroient
être le mieux inftruits de ces
détails ne puiffent pas en rendre compte.
Il faut donc fe tranfporter à d'autres
temps de fa vie , & aux faits qui
ayant relation à fes talens , en font plus
dignes d'être tranfmis au Public. L'avanture
qui le détermina à la Poëfie
dramatique nous paroît de cette espéce .
Son Père , qui vouloit lui faire tomber
fa Charge & qui même la lui avoit
déja fait éxercer , l'avoit envoyé à Paris
chez un Procureur , pour y prendre
JUILLET. 1762. 151
quelque connoiffance de la pratique du
Barreau . Ce fut vraifembablement vers
l'âge de 25 à 30 ans. M. de Crébillon né
avec des paffions fort vives , voulut
bien venir à Paris ;; mais loin de vivre
conformément aux vues de fon
Père , le Procureur étoit l'homme du
monde qu'il voyoit le moins. Un jour
qu'il comptoit aller à un Bal , & qu'il
s'étoit fort paré , une pluie affreufe qui
furvint,&pendant laquelle il ne put trouver
de voiture , le força de refter à la
maifon ; c'étoit un Dimanche ; fon Procureur
étoit auffi refté chez lui & y
étoit feul. M. de Crébillon , qui jufqueslà
n'avoit regardé fon hôte que comme
un homme uniquement inftruit & occupé
de la chicane , avoit à peine daigné
lui parler. Ce Procureur qui à fon
tour, ne regardoit fon Penfionnaire que
comme un jeune éventé , fne lui avoit
jamais adreffé la parole que pour lui
faire , fur fa façon de vivre , des remontrances
toujours auffi inutiles qu'elles
étoient fouvent mal reçues. Tous
deux fe faifoient également tort. Ce
Procureur , nommé Prieur , étoit homme
d'efprit , fils de ce Prieur à qui Scaron
a adreffé une Epître. Témoin de
l'impatience où la pluie avoit jetté le
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
jeune Crébillon , Prieur lui confeilla de
fe déshabiller , de prendre fon parti &
de fe tenir refpectivement compagnie.
La converfation d'un Procureur à qui
M. de Crébillon croyoit peu d'efprit, ne
lui parut pas un dédommagement de
ce qu'il perdoit. Mais la néceffité & la
crainte de s'ennuyer encore plus tout
feul qu'avec le Procureur , le firent déférer
au confeil , & le décidérent à accepter
l'offre. Prieur , qui fçavoit que
fon Penfionnaire alloit très-fréquemment
aux Spectacles , tourna la converfation
fur cet objet. Comme il étoit du goût
de M. de Crébillon , celui-ci fit l'analyſe
des Piéces que l'on avoit données depuis
quelque temps ; & développa dans
cette converfation tant de génie , que
Prieur , qui lui-même avoit beaucoup
de connoiffances , jugea de ce moment
que la diffipation extérieure du jeune
Crébillon cachoit un très- grand homme
, qui au refte s'ignoroit encore luimême.
Perfuadé , furtout , au genre de
traits qui lui étoient échappés , que la
Nature avoit difpofé ce jeune homme
au Tragique , il lui confeilla de tenter
une Tragédie . M. de Crébillon qui n'avoit
alors d'autres garans de fon talent
pour la Poëfie, que quelques chanfons
qu'il ne prifoit guères , & à qui
JUILLET. 1762. 153
d'ailleurs les chefs-d'oeuvres de Corneille
& de Racine ne laiffoient pas croire
qu'il fut poffible de fe faire un nom
dans la carrière qu'ils avoient parcourue,
fe révolta d'abord contre le confeil , &
avec d'autant plus de vivacité , qu'il
trouvoit moins d'analogie entre le talent
de compofer des chanfons , & le talent
de faire une Tragédie. Prieur cependant
l'emporta . M. de Crébillon choifit
pour fon coup d'éffai le Sujet de la
mort des enfans de Brutus. Les Comédiens
à qui il alla la préfenter , la refuférent
; & , pour ne rien diffimuler,non
feulement elle n'étoit pas bonne , mais
encore , quoiqu'on y découvrît affez de
talent pour la verfification , elle n'annonçoit
pas que fon Auteur pût devenir
un jour un fi grand homme.
Cette Fièce exiſtoit encore il y a 30 ans;
on l'avoit retrouvée toute entiere dans
des papiers qu'il avoit mis au rebut ; &
comme on prévoyoit ce qu'il voudroit
en faire , fi on lui en eût annoncé la
découverte , on fe garda bien de l'en
inftruire ; mais le hazard la lui ayant fait
rencontrer fous fa main , il la brûla.
Defefpéré de l'affront qu'il croyoit
avoir reçu des Comédiens , M. de Crébillon
ne rentra chez Prieur que pour fe
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
•
plaindre à lui avec beaucoup d'amertume
& de colére , du défagrément qu'il
venoit de lui faire éprouver ; & jura de
ne faire de vers de fa vie. Prieur , qui
fçavoit alors à quoi s'en tenir fur cela ,
éffuya fans rien dire ce premier feu ; &
-quoiqu'il ne crût pas aux Comédiens
-autant de tort que leur en trouvoit M.
de Crébillon , feignit de s'emporter contre
eux avec autant de véhémence que
lui-même ; puis , aidé de l'impulfion fecrette
qui portoit le jeune Poëte vers le
Théâtre , il le ramena infenfiblement à
commencer une autre Tragédie. Cette
Piéce fut Idoménée , repréfentée pour la
premiere fois le 29 Décembre 1705. Le
Public qui fit grace aux défauts qu'il y
trouva , en faveur des talens qu'elle annonçoit
dans l'Auteur , la reçut affez
bien pour qu'elle eût 13 repréfentations;
elle fut imprimée en 1706. Le dernier
A&te cependant n'en fut pas goûté à la
premiere repréfentation ; M. de Crébillon
en refit un, qui fut compofé , appris
& joué en cinq jours ; c'eft l'Acte qui
eft refté. Quoiqu'on ne puiffe nier que
cette Piéce n'ait des beautés , il faut
convenir qu'elle ne déceloit pas encore
l'Auteur d'Atrée ; & que de l'une à l'autre
Tragédie , le fault eft prodigieux &
prèfque incroyable .
JUILLET. 1762. 155
En faifant cet Ouvrage , M. de Crébillon
connut fon génie que jufques- là
il fembloit avoir ignoré. Il ſe peut auffi
que s'il le connut
plutôt
, il craignit
de s'y livrer; & ce qui donneroit
affez lieu de le croire
, c'eft qu'on
fe fourient
de '
lui avoir entendu
dire qu'en compofant
Idoménée
, l'idée
de la Tragédie
d'Atrée lui vint & qu'elle
lui parut fi propre
a produire
au Théâtre
le plus grand
effet, qu'il fut tenté
de quitter
l'une pour l'au- tre ; mais que tout confidéré
, il crut ne
devoir
pas débuter
par un fujet
qui le
faifoit friffonner lui - même.
Le fuccès d'Idoménée le rendant moins
timide,& fon génie l'entraînant , il donna
Atrée en 1707. Elle eut 18 repréfentations
, quoiqu'alors on eût perdu fur
la Scène l'habitude des chofes fortes. Ce
fujet eft fi terrible ; & le caractère d'Atrée
fi fiérement déffiné, qu'il n'eſt pas étonnant
que l'on trouvât cette Piéce un peu
trop tragique. Aujourd'hui même que
notre Scène a pris plus de nerf, & que
le Public a perdu un peu de fa molle
délicateffe , on ne joue jamais certe Piéce
, fans voir régner parmi les Specta
teurs un morne filence qui annonce af
fez la force de l'impreffion qu'elle fair
fur eux. Cette Piéce , malgré toutes les
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
critiques qu'on en fit, commença & avec
juftice , la grande célébrité de l'Auteur.
Il fut décidé de ce moment , qu'il avoit
un genre à lui ; & c'étoit beaucoup fans
doute , pour un homme qui venoit après
Corneille & Racine.
On croit ne devoir pas oublier que
fon Procureur , alors fort malade , ſe
fit porter à la premiere repréfentation
d'Atrée,& que le jeune Auteur étant allé
le voir dans fa loge à la fin du Spectacle ,
Prieur lui dit en l'embraffant , je meurs
content ; je vous aifait Poëte ; &je laiffe
un Homme à la Nation . Ce qui prouve
que ce fut en effet ce Procureur qui
le fit avifer du génie qu'il ne fe connoiffoit
pas lui-même : c'est qu'il avoit,lorſqu'il
donna fon 1er 1Ouvrage , 31 ans ;
& qu'il n'eft pas naturel de penfer que
s'il l'eût connu plutôt, il eût tardé fi longtemps
à le faire briller.
Melchior Jolyot , qui cependant n'étoit
pas auffi fatisfait que Prieur , de ce
que fon fils étoit Poëte , dès Idoménée
en avoit marqué fon mécontentement ;
& le fuccès d'Atrée , tout brillant qu'il
étoit , ne l'avoit pas ramené fur cet article.
Les lettres qu'il écrivoit à fon fils
pour lui faire abandonner un métier qu'il
regardoit comme peu lucratif , & qui ,
JUILLET. 1762. 157
dans fes préjugés peut-être , lui paroiffoit
peu honorable,devinrent plus vives
& plus fréquentes que jamais , & furent
inutiles . Les complimens qu'à Dijon
( Ville qui a fourni & donne encore
à la Nation ,tant de gens de mérite
dans tous les ggeennrreess )) on faifoit à Melchior
fur la gloire de fon fils ; & la joie
que marquoient fes concitoyens , de
compter un grand homme de plus , ne
le confoloient pas du parti que fon fils
avoit pris. Ne pouvant entendre raiſon
fur cela ; & M. de Crébillon demeurant
toujours dans fon endurciffement , ils
fe brouillérent enfin , & le furent longtemps.
Ce qui , felon toute apparence ,
contribua encore plus que l'obftination
de M. de Crébillon à refter Poëte à
entretenir cette défunion c'eft que
Melchior ayant perdu fa femme , s'étoit
remarié ; que ce fecond mariage avoit
déplu à fon fils qui en voyoit déja de
triftes effets , & en craignoit encore de
plus cruelles fuites . Melchior, d'ailleurs,
avoit beaucoup de foibleffe pour fa
femme. M. de Crébillon , né avec peu
d'ordre , & beaucoup de goût pour la
dépenfe , avoit fait en Bourgogne depuis
qu'on l'avoit envoyé à Paris , peu
"
de voyages qui ne fuffent fort onéreux
158 MERCURE DE FRANCE.
à fon père. Toutes ces caufes réunies
commencerent à mettre du défordre
dans les affaires de Melchior: & entretinrent
la méfintelligence qui étoit entre
lui & fon fils .
Ce fut à-peu-près en ce temps-là que
M. de Crébillon , qui logeoit dans la rue
de Biévre , devint fort amoureux d'une
très- belle perfonne de ce quartier. C'étoit
la fille d'un Marchand Apothicaire ,
nommé Péaget. La fille étoit fort vertueufe
, M. de Crébillon en étoit vivement
épris ; l'amour , ainfi que cela devoit
être , l'emporta fur toute confidération
. M de Crébillon époufa donc en
1706 Charlotte Péaget ; & Melchior , piqué
que fon fils ne l'eût feulement
pas confulté là - deffus le déshérita:
M. de Crébillon ne s'en appliqua que
plus à la Poëfie , & en 1708 donna
Electre. Cette Tragédie , pleine de
beautés fi grandes & fi rares , malgré
fes critiques & même ſes défauts , ajoûta
beaucoup , comme de raiſon , à la
gloire & à la célébrité de fon Auteur.
Defpréaux , lui- même , n'y blâmoit que
le double amour d'Orefte & d'Electre ;
& M. de Crébillon convenoit que Def
préaux n'avoit pas tort : mais ce même
défaut lui avoit donné lieu de mettre
dans cette Tragédie , tant d'intérêt &
JUILLET. 1762. 159
de chaleur ; il lui devoit un fi beau caractère
( celui de Palamede ) , une Scène
fi noble & fi pathétique , au quatriéme
acte , que quoiqu'en pût dire
Defpréaux , quoiqu'il en penfat luimême
, il le laiffa fubfifter. Cette Pièce
eft une de celles qui font faites pour
aller , avec la même eftime , à la pofterité
la plus reculée .
Sur la fin de l'année 1707 , il avoit
perdu fon pere , qui , avant que de mourir
, avoit révoqué l'exhérédation . M. de
Crébillon fut donc obligé d'aller à Dijon
pour arranger fa fucceffion : c'étoit fon
intention , fans doute ; mais quoiqu'il
eût été long- temps chez un Procureur
il n'en entendoit pas mieux les affaires ;
& , foit par cette raifon , foit par
fa
négligence naturelle , il fe conduifit de
façon , que tout ce qui reftoit de bien
de fon pere , fut ou vendu , ou mis en
décret.
Il paroît , par des lettres de lui à fa
femme que l'on a vues autrefois , que
fon féjour à Dijon fut de deux ans à- peuprès
, & que ce fut dans cette même
Ville qu'il compofa fon Electre. On peut
remarquer à cette occafion , qu'il aimoit
beaucoup fa patrie. Il fçavoit très-bien
le patois bourguignon , & fe plaifoit fort
}
à le parler. Quoique depuis ce voyage ,
160 MERCURE DE FRANCE.
il n'en ait pas fait d'autre en Bourgogne ,
il n'en avoit pas plus oublié le patois :
& il le parla encore quelques jours
avant fa derniere maladie , avec un de
fes concitoyens qui l'étoit venu voir
& qui fut furpris qu'il l'eût affez bien
retenu , pour le fçavoir mieux que luimême.
La perte de la fortune de M. de Crébillon
, ne fut pour lui qu'une raiſon de
plus , de fe chercher des reffources dans
fes talens ; mais il avoit l'ame trop haute
& trop de goût pour la gloire , pour que
la fituation dans laquelle il fe trouvoit ,
lui fit négliger fes ouvrages ; Rhadamifte
qu'il donna au commencement
de 1711 en eft la preuve. Le caractere
fingulier de Rhadamifte ; la nobleffe
du rôle de Zénobie ; la férocité noble &
foutenue du caractere de Pharafmane ;
la force & la majefté de la plus grande
partie des vers de cette Tragédie , la
firent recevoir du Public avec tant de
tranfport , que les Comédiens ayant été
forcés de la fufpendre , à caufe de la
mort de Monfeigneur , qui arriva pendant
qu'on la jouoit , cette interruption ,
contre l'ordinaire , ne fut point funefte
à Rhadamifte qui jouit d'un des fuccès
des plus éclatans & des plus foutenus
1
161
JUILLET
. 1762.
qu'on eût jamais vû au Théâtre. Le.
temps n'a rien diminué de l'eftime que
l'on avoit pour cette Piéce : & il y a toute
apparence que fon illuftre Auteur n'exiftant
plus , on lui rendra , s'il ſe peut
plus de juftice encore.
Ce fut pendant le cours de cette Piéce,
que fa femme , depuis long-temps attaquée
de la poitrine , mourut , & autant
qu'on peut fe le rappeller , vers la quatriéme
repréſentation . M. de Crébillon
qui l'aimoit fort tendrement , fentit cette
perte avec une vivacité que le fuccès
de Rhadamifte , tout brillant qu'il étoit ,
ne put affoiblir.
On revoit toujours cette Tragédie
avec le même plaifir ; & elle eft même ,
ainfi que fon Electre , une de ces Piéces
que l'on donne , peut-être , un peu trop
fréquemment.
Jufques-là , les Piéces de M. de Crébillon
, ainfi qu'on peut en juger par,
l'ordre de leurs dates , s'étoient affez rapidement
fuccédées ; & rien ne peut
mieux prouver la facilité avec laquelle il
travailloit , que le peu d'intervalle qu'on ,
trouve entr'elles. Cela ne feroit pas bien
étonnant , s'il eût été moins diffipé :
mais il aimoit les plaifirs ; & fes fuccès
& fa célébrité , l'avoient jetté dans le
162 MERCURE DE FRANCE.
plus grand monde. Il ne pouvoit donc ,”
par fa façon de vivre , donner au travail
de momens , & encore fort inque
peu
terrompus.
2
Les perfonnes qui ont dit que pour
faire des vers , il étoit obligé de prendre
des précautions extraordinaires , comme
de fermer fes fenêtres en plein jour &
d'allumer des bougies dans fa chambre ,
ne l'ont fûrement pas connu. Il eſt vrai
que quelquefois , en compofant , il s'agitoit
beaucoup , & fe promenoit avec
vivacité dans toutes les piéces de fon
appartement. Mais le plus fouvent auffi ,
il faifoit des vers en rêvant dans fon fauteuil
, & fans nul effort apparent.
A ce propos , il racontoit que le célébre
Duvernet, l'Anatomifte, qui logeoit
au Jardin du Roi , jardin dont M de Crébillon
aimoit beaucoup la folitude , luit
avoit donné une clé de tous les petits
enclos qu'on y voyoit autrefois. Il travailloit
alors à fon Rhadamifte ; il faifoit
fort chaud : comme il croyoit n'être
vu de perfonne & qu'il s'étoit enfermé
dans un de ces petits enclos , il avoit
quitté fon habit ; & poffédé de fa verve ,
marchoit à pas inégaux & précipités ,
& pouffoit de temps en temps des cris
éffroyables. Un Jardinier , de qui il ne
JUILLET. 1762 . 163
croyoit pas être vû & qui l'obfervoit",
perfuadé, aux cris qu'il lui entendoit
pouffer , & à la violence des mouvemens
qu'il lui voyoit faire , que M. de Crébillon
, qu'il ne connoiffoit pas , étoit un
infenfé, ou un homme qui avoit fait
quelque mauvais coup , alla fur le champ
avertir Duvernet , qui accourut dans
l'enclos où étoit le prétendu forcené
qu'on lui indiquoit ; & reconnut , non
fans rire de la méprife du Jardinier ,
l'Auteur d'Atrée & d'Electre.
Il eût été à defirer & pour le Public
& pour lui -même , que, comme Rouffeau
le dit d'Ovide , moins indulgent au feu
de fon génie , il eût eu plus de goût
pour corriger fes ouvrages : mais fon
averfion pour les revoir , étoit infurmontable
; & prefque toutes fes Piéces
& fur-tout fes plus belles Scènes , font
toutes de ce qu'on appelle le premier
feu. Qu'il crût ou non , que la
correction ne fert qu'à énerver , c'eſt ce
qu'on n'oferoit affurer , quoiqu'il y ait
quelqu'apparence qu'au moins il donnoit
ce prétexte à fa pareffe fur cet article
; mais il y en a beaucoup plus , que
né en effet , pour les chofes de génie ,
il ne pouvoit plier fon efprit au froid de
la correction , & qu'il aimoit mieux fe
164 MERCURE DE FRANCE.
contenter de ce que la Nature lui of
froit fans peine , que de fe donner celle
de le châtier. On ne fçauroit nier que
ce ne foit dommage qu'il ait penfé de
cette manière , puiſqu'il eft à préfumer
qu'en écrivant avec un peu moins de négligence
, il n'en auroit pas eu moins
de génie , & qu'il y auroit gagné ce
dont on l'accuſe de manquer.
Ses fuccès , & furtout l'éclatant fuccès
de Rhadamifte qui dès-lors le fit nommer
par le Public avec Corneille & Racine,
entre les liaifons diftinguées qu'ils lui
avoient fait former , lui avoient procuré
de très-utiles amis. Tel fut feu M. le
Baron Hoguer , qui dans le paſte qu'il
occupoit alors en France , lui auroit fait
une fortune auffi folide qu'elle fut brillante
, fi M. de Crébillon eût jamais pú
fonger à l'avenir : mais feu Monfeigneur
le Régent lui-même , qui avoit pour lui
beaucoup de bonté , Meffieurs Paris ,
d'autres perfonnes encore , ont vainement
tenté de le rendre heureux de ce
côté-là.
Après Radamifte , la trop grande
diffipation dans laquelle il vivoit , le fit
travailler moins à tous égards. Xercès
ne parut qu'en 1714 , & ne fut joué
qu'une fois. Ce n'étoit pas ,
à ce que
JUILLET. 1762. 165
difoit M. de Crébillon , qu'il eût effuyé
dans cette occafion un de ces échecs
humilians qui ne permettent pas à une
Piéce de reparoître. Celle- là fut par intervalles
, fort applaudie : mais il paroît
que les
les applaudiffemens tomberent
plus fur certains détails de cette Tragédie
, que fur la Tragédie même ; lorfqu'elle
fut finie , le profond filence que
garda le Public, annonça qu'il n'en avoit
pas été auffi content qu'il l'avoit été de
toutes celles qui l'avoient précédée . La
foibleffe du caractère de Xercés déplut ,
& effectivement devoit déplaire : la noire
fcélérateffe d'Artaban , peut - être pas
affez bien voilée ; une fable froide ,
& affez mal tiffue , la firent tomber. Elle
porte tout à la fois l'empreinte des talens
de fon Auteur , & du tort que
fa négligence leur avoit fait. Telle qu'elle
eft , on y trouve des chofes de force
& de génie que tout autre que lui, n'eût
pas faites. M. de Crébillon plus piqué
du filence que le Public avoit gardé à
la fin de cette Tragédie , que fatisfait
des applaudiffemens qu'elle avoit reçus
en détail , la retira fur le champ malgré
les Comédiens qui ne la regardoient pas
comme tombée, On lui a entendu dire.
qu'ils s'y étoient moins trompés que
166 MERCURE DE FRANCE.
lui ; que fe flattant toujours qu'il en
reviendroit à leur avis , ils la firent afficher
pour le furlendemain , & que l'Affemblée
fut fort nombreufe ; mais qu'il
n'en fut pas moins inéxorable. Il n'a
fait imprimer cette Piéce qu'en même
temps que Catilina , & telle exactement
qu'il l'avoit donnée au Théâtre , quoique
les beautés qu'il y fentoit lui -même
euffent dû l'engager à y corriger les
défauts dont il convenoit auffi.
En 1715 , il fut pourvu de l'Office
de Receveur ancien & mi-triennal des
amendes de la Cour des Aydes , & en
jouit jufqu'en 1721 , que cet Office fut
fupprimé. L'on ne peut mieux juftifier
de l'excès auquel il portoit le peu de
foin qu'il avoit de fa fortune , qu'en
difant qu'il garda jufqu'à ce qu'il fut
profcrit , un récépiffé de cinquante-fept
mille livres avec lequel cette charge lui
avoit été remboursée ; & qu'alors il n'en
trouva que deux cens piftoles. Il avoit
gagné au fyftême ; & il lui étoit même
refté un affez grand nombre d'actions ;
mais également incapable de les garder
ou de s'en faire des renres , il les fondit
peu-à-peu ; & rien enfin ne lui ref
ta ni du bien avec lequel il étoit né ,
ni de la fortune qu'il avoit fçu s'acquérir.
1
JUILLET. 1762 . 167
En
1717 , il donna
Sémiramis
; cette
Piéce
mieux
conduite
que
Xercès
, ne
fut pas cependant
extrêmement
goûtée
.
Ce n'eft
pas
qu'il
n'y
ait nombre
de
fcènes
où l'on retrouve
cette
touche
forte
par
laquelle
il avoit
fi bien
fçu fe diftinguer
. Ce coloris
vigoureux
, & la cha
leur
font
les deux
parties
que
poffédoit
finguliérement
M. de Crébillon
. Le ſujer
de
Sémiramis
étoit
froid
, & peut-être
par lui-même
, de
quelque
façon
qu'il
l'eût
traité
, fufceptible
de peu
d'inté
rêt. Il ne put donc
mettre
que
dans
les
détails
, cette
même
chaleur
& cette
dignité
mâle
qu'on
trouve
dans
fes autres
Piéces
; & ce n'en
fut pas affez
; Sémiramis
n'eut
que
fept
repréfentations
.
Avant
même
que de
compofercette
der
niere
Piéce
, il avoit
eu l'idée
de la Tragédie
Cromwel
; mais
il n'en
a jamais
fait
que
la plus
grande
partie
de la premiere
Scène
, & la harangue
de Cromwel
, en
préfentant
l'infortuné
Charles
Premier
au Parlement
qui le jugea
. Il fe plaint
avec
juftice
, dans
la courte
Préface
qu'il
a mife
à la tête
de fon
Triumvirat
, de
ce que
quelques
perfonnes
l'avoient
accufé
d'avoir
fait entrer
dans
cette
Tragédie
, différens
morceaux
de fon Cromwel
, car affurément aucun de ces mor168
MERCURE DE FRANCE.
ceaux, ne pouvoit de quelque façon que
ce fût , y être placé. Il y a environ deux
mois que du fond de fon lit,il les récita
à trois perfonnes qui étoient auprès de
lui . On defiroit de les écrire fous fa
dictée ; mais il dit que ce feroit pour
une autre fois ; & jamais depuis, quelques
efforts qu'on ait pu faire , on n'a
pù l'engager à les réciter encore . Heureuſement
, on en a retenu quelques
fragmens ; & l'on peut affurer le Public
qu'ils font de la plus grande beauté , &
qu'il n'a rien mis de fon Cromwel dans
le Triumvirat. On a prétendu que ce
fut feu Mgr le Régent qui lui défendit
de continuer Cromwel ; mais il y a plus
d'apparence que la difficulté de mettre
fur notre Théâtre, un fi atroce fujet, eft
ce qui le lui fit abandonner.
Piqué du reproche qu'on lui faifoit
d'être trop cruel , & de ne pouvoir être
que cela , il fe mit , mais trois ans au
moins après Sémiramis , à compofer
une Piéce où aucun de fes héros ne mourût
; & cette Piéce fut Pyrrhus . Soit que
le mauvais état de fa fortune l'eût découragé
, foit par quelqu'autre caufe
il fut cinq ans fur cette Tragédie ; &
peut-être que fans M. Paris , l'aîné , à
qui depuis il la dédia il ne l'auroit
jamais
JUILLET. 1762. 169
jamus finie . Ele parut en 726 , à la
rentrée du Théâtre ; & fut extrêmement
applandie ; à cela près de la cruauté
qu'il en avoit bannie , on y trouva M.
de Crébillon tout entier ; c'est tour
dire.
Ce fut pendant le cours de cette
Piéce , qu'il commença Catilina , fujer
qu'il avoit depuis longtemps envie de
traiter. Entre e temps fixé pour la rentrée
des Théâtres , & la Pentecôte , il
en fit le premier A&te ; & le récita en
ce temps-la même , dans l'Orangerie de
Bercy , à une perfonne de fa famille
qui étoit allée l'y voir. Mais tant de
différentes raifons fufpendirent depuis
fon feu , que cette Tragédie ne fut jouée
qu'à la fin de 1748 .
à
En Septembre 1731 ,
il fut reçu
l'Académie Françoife , à la place de feu
M. de la Faye , & defira de faire en vers
fon remerciment ; quoique ce fat une
chofe abfolument nouvelle , l'Acadé nie
voulut bien y confentir . Son Di'cou.s
fut beaucoup , & génér lement aplandi.
Après qu'il l'eût prononcé , il réci ^a
le premier Acte de fon Catilina , qui
fut reçu du Public avec une forte e
tranfport qui devoit lui être un garant
affuré d l'impreffion qu'il produiroit
II. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
lorfqu'il paroîtroit au Théâtre.
T
En 1735 , à ce qu'on croit , il fut
nommé Cenfeur pour la Police : il étoit
déjà Cenfeur Royal. Ce fut auffi avant
ce temps que S. A. Mgr le Comte de
Clermont , Prince auffi connu par fon
goût pour les Arts , & par fon humanité
, que par la fplendeur de fa naiffance
, lui donna un logement dans le Palais
du petit Luxembourg , qu'il occupoit
alors . Et ce même Prince a daigné
jufques dans les derniers momens
de M. de Crébillon , l'honorer de fa bienveillance
& de fes bienfaits.
Cependant un des plus grands hommes
de la Nation languiffoit dans une
obfcurité qui étoit affez peu loin de
l'indigence ; il eft à préfumer qu'il y
avoit un peu de fa faute. M. de Crébillon
étoit on ne peut pas plus timide ,
quand il étoit queftion de demander.
Sans être né fauvage , il aimoit la folitude
; & des goûts affez bizarres qu'il
s'étoit faits , la lui rendoient encore plus
chere. D'ailleurs il ne pouvoit pas fuivre
une affaire , quelque légére quelle
fût. Avec cette négligence , & la forte
de crainte qu'il avoit de fe montrer , il
n'eft pas étonnant qu'il n'améliorat pas
fa fortune. On l'avoit entraîné dans le
JUILLET. 1762. 171
fond du Marais , & il s'y étoit laiffé conduire
, quoiqu'il n'y eût aucune connoiffance,&
qu'il y fût éloigné de toutes
les fiennes. Au milieu de l'efpéce d'oubli
de lui- même où il paffa d'affez longues
années , il travailloit de temps en temps
à fon Catilina ; mais c'étoit fi peu , qu'il
y a toute apparence qu'il ne l'eût jamais
mis en état de voir le jour , fi
Madame de Pompadour qui eftimoit
les Ouvrages de M. de Crébillon , n'eût
entrepris de ranimer une Mufe qui paroiffoit
totalement éteinte. On connoît
fon goût pour les Arts ; & l'on fait l'éclatante
protection qu'elle leur accorde.
Le defir qu'elle voulut bien marquer à
M. de Crébillon , de lui voir finir fon
Catilina ; & les encouragemens de toute
eſpèce qu'elle lui prodigua , le tirérent
enfin de la léthargie dans laquelle
il étoit plongé depuis fi longtemps . Il
fe remit à cette même Piéce qu'il fembloit
avoir pour toujours abandonnée ;
& retrouva tout fon génie , dès l'inftant
qu'il le voulut,
•
M. de Curis , fon ami , alors Intendant
des Menus- Plaifirs du Roi , pour
le diftraire fur quelques chagrins domeftiques
qu'il avoit , & quil'auroient troublé
dans fon travail , lui donna un ap-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
partement chez lui , rue du Croiffant .
Il y avcit dans cette maifon un affez
beau Jardin où M. de Crébillon acheva'
fon Catilina , au milieu d'une fociété
très-agréable qui fe ra embloit alors
fiéquemment chez M. de Curis.
Catilina mis enfin en état de paroitre
vingt- deux ans après Pyrrhus , &
lorfqu'on ne l'efpéroit plus , fut joué
avec beaucoup de magnificence , le
Roi ayant voulu que tous les habits des
Acteurs , qui étoient en fort grand
nombre , fuffent à fes frais. Sa Majefté ,
au commencement de cette même année
, avoit donné à M. de Crébillon
une penfion de cent piftoles fur fa caffette
; & à fa Bibliothéque , une place
qui en vaut autant. Il commença
donc de ce moment à être heureux ;
& le fut en effet , d'autant plus que c'étoit
de la main de fon Roi , qu'il tenoit
toute fa fortune.
Il fera toujours à regretter que dans
cette Tragédie qui fourmille de beautés
du plus grand genre , l'envie de faire de
Catilina ce qu'on appelle un grand
: Rêle , n'ait pas permis à fon Auteur de
tourner fon Sujet comme il l'eût fait
fans doute , s'il eût été moins poffédé
de ce defir. Pour peu que l'on connoiffe
le Théâtre , on conviendra que le fu
JUILLET. 1762. 173
jet de Catilina eft un de ceux qui promettent
plus qu'ils ne rendent ; mais
nous n'en devons pas moins avouer que
M. de Crébillon l'auroit traité avec plus
d'avantage , fi le principal objet dans
cette Piéce , eût été Rome mife en danger
par la fureur de Catilina , & fauvée
par les foins & la vigilance de Cicéron.
M. de Crébillon fentoit bien que c'étoit
ainfi qu'il devoit tourner fon Sujet :
mais alors Catilina auroit été néceffairement
en fous-ordre ; & ce fut à quoi il
ne put jamais confentir. Le portrait que
Sallufte fait de ce fameux fcélérat , l'avoit
gâté. Il n'eft pas impoffible , d'ailleurs
, qu'il crût que le caractère audacieux
d'un Conjuré , lui fourni : oit des
traits plus analogues à fon génie, plus faits
même pour le Théâtre , que le caractère
prudent & mefuré du Conful ; & cela
n'eft pas , effectivement , fans probabilité.
Quelques reproches qu'il s'en fit
quelquefois , le Sénat , Cicéron , tout
jufqu'au Sujet même , fut facrifié au
Rôle de Catilina. Un autre malheur ,
plus grand encore peut-être , fut le temps
qu'il mit à cet Ouvrage. On fe rappelle
que fes premieres idées étoient
très-différentes de celles qu'il adopta
depuis. Son projet avoit été de mettre
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
cette Tragédie en fept Actes ; il ne
croyoit même pas , tant alors il fe trouvoit
de matiere , pouvoir lui donner
moins d'étendue. Quoiqu'on fe fouvienne
qu'il entroit dans fon plan
beaucoup plus de difcuffions politiques
que n'en peut admettre le Théâtre ; il
y avoit auffi plus d'action , que depuis
il n'y en conferva , lorfqu'il fupprima
les deux Actes qu'il vouloit ajouter à
l'ancienne diftribution à laquelle nous
fommes accoutumés ; & cette réduction
lui couta plufieurs belles fcènes qu'il
eft fâcheux qu'il ait rejettées. La fcène
du ferment fur le fang humain , par
exemple , qui étoit de fon premier plan ,
& qui , dans fes mains , auroit été d'un
effet fi terrible , fut fupprimée, quelque
chofe qu'on pût lui dire pour l'engager
à la conferver : & c'eft une perte
qu'on ne fauroit regretter trop . Ce n'étoit
pas qu'il ne fentît auffi bien que
perfonne , tout ce qu'il en pouvoit tirer
, & tout ce qu'il pouvoit en attendre
; mais pour la replacer dans fon Ouvrage
, comme il l'auroit defiré luimême
, il auroit fallu qu'il eût de nouveau
, retourné tout fon plan ; & ce fut
à quoi il ne put jamais fe réfoudre . D'ailleurs
, à force de fe préfenter fes preJUILLET.
1762. 175
mieres idées , elles s'étoient ufées dans
fa tête : & c'eft affez ce qui arrive à
tout Auteur qui demeure trop de temps
fur fon Sujet. Il en devient fi las , qu'il
croit qu'il produira fur le Public , l'impreffion
de dégoût qu'il en reçoit luimême
; & qu'il finit par fubftituer à
ces premieres idées , prefque toujours fi
précieufes, des idées qui, peut-être mieux.
combinées entr'elles , ne les remplacent
pourtant jamais avantageufement. Ce
fut ce qui arriva à M. de Crébillon .
Comme de plus , il n'avoit rien écrit de
tout ce que dans des temps différens ,
& quelquefois fort éloignés les uns des
autres, il avoit fait de cette Piéce, il ne fe
pouvoit pas qu'il fe fit un tableau juſte
de l'enſemble ; & peut-être eft-ce acela
que l'on doit attribuer les plus grands
défauts de cette Tragédie,
2
Jamais on n'a vu au Théâtre , d'affemblée
plus nombreuſe , & en même
temps plus choifie, que celle qui fe trouva
à fa premiere repréſentation . La grande
célébrité de fon Auteur , l'idée qu'on
s'étoit faite de la Piéce, par les fragmensqu'on
lui en avoit entendu réciter , le
temps qu'il avoit mis à la compoſer ,
ou pour parler plus jufte , le temps :
qu'il y avoit qu'il la promettoit ,
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE .
Pétonnement de la voir finie , fon âge
tout fut pour le Public , une raiſon de
s'y porter avec la plus grande affluence.
Le premier Acte , un des plus beaux
& le plus beau , peut- être , qu'il y ait au
Théâtre , fut applaudi avec fureur. Indépendamment
de la force,& de la beauté
des idées , & des vers qui les expriment
, Catilina accufé par une maîtreffe
fiere & jaloufe , fembloit annoncer un
grand intérêt dont cette Tragédie , du
côté de l'amour , ne paroiffoit pas
pas fufceptible
; mais malheureufement M. de Crébillon,
ne tira pas du caractère de Fulvie ,
ni de la fituation dans laquelle il l'avoit mi
fe ,tout le parti qu'il en pouvoit tirer . Fulvie,
qui pouvoitjetter tant de mouvement
danscetteTragédie,difparoît fans aucune
bonne raiſon , après la premiere fcène
du fecond Acte , pour faire place à des
perfonnages qui n'étant pas du fond
du Sujet , & n'y étant pas même attachés
, n'y peuvent être auffi importans
qu'elle, qui, par la violence de fa paffion ,
le defir qu'elle a de fe venger d'un
amant perfide , & les moyens qu'elle
peut employer pour mettre Catilina dans
le péril le plus imminent , en eft néceffairement
le plus puiffant , mobile. On reprocha
aufi à M. de Crébillon , entr'autres
chofes , quelques longueurs qu'à la
JUILLET. 1762. 177
?
feconde repréſentation on n'y trouva
plus. La Piéce alors , malgré fes défauts
jouit d'un plein fuccès, & fut jouée de
fuite , vingt fois. Elle a depuis été reprife
avec le même applaudiffement de
la part du Public ; & l'on ne craint pas
de dire qu'elle feroit inconteftablementla
plus belle de toutes celles de M. de
Crébillon , fi , comme il le pouvoit , il
y eût mis plus d'action ; & que pour
faire de Catilina , fon principal héros , il
n'eut pas dégradé ce même Cicéron ,
qui , dans cette occafion fut à tous
égards , fi fupérieur à l'homme à qui ,
dans cette Piéce , il eft fi fubordonné.
Le dialogue de cette Tragédie eft prèf
que partout d'une extrême fimplicité ,
quant à la partie du ftyle ; & rempli
en même temps , des traits les plus forts
& de la plus grande majefté. Nous ne
poufferons pas plus loin nos obfervations
fur cet Ouvrage ; & peut- être aurions-
nous dû adoucir la critique que
nous nous sommes permis d'en faire :
mais c'est au Public que nous parlons ;
& d'ailleurs , un homme , tel que M. de
Crébillon , n'a pas befoin de flatteries.
Il fit imprimer ce te Treglie au come!
mencement de 1749 , & la dédia à Madame
la Marquise de Pompadour , qui
178 MERCURE DE FRANCE.
l'a honoré jufqu'à fa mort , de la plus
utile , & de la plus conftante protection ;
& qui l'en honore encore dans la perſonne
de fon fils.
Comme c'étoit à Madame la Marquife
de Pompadour, que l'on devoit Catilina,
ce fut auffi fous les mêmes aufpices ,
qu'à l'âge de près de foixante-feize ans ,
il commença le Triumvirat ; c'eſt-à- dire
qu'il le commença dans un âge où les
plus grands hommes font éteints , lorfqu'ils
y parviennent. Il fentoit le tort
que dans fon Catilina , il avoit fait à
Cicéron ; & vouloit , difoit-il , le réparer.
Il avoit 81 ans lorfqu'il donna cette Tragédie
; il paroît par fa Préface , qu'il
n'eût pas d'abord à fe louer de l'accueil
que lui fit le Public ; & que , dans la
fuite , il eut lieu d'en être plus content.
Ce Sujet nous paroît du nombre de
ceux qui , offrant plus à l'efprit qu'au
coeur , ne peuvent jamais paroître fur la
fcène avec un certain éclat.
Quoiqu'on ne trouve point dans cette
Piéce , toute la chaleur qui régne
dans fes autres Ouvrages ; & que peutêtre
ce foit autant la faute du Sujet, que
la faute du Poëte , on y reconnoît encore
, dans mille endroits , la main d'un
très-grand Maître ; & quand cette Tragédie
feroit de beaucoup inférieure à
JUILLET. 1762. 179
ce qu'elle eft , ce feroit toujours un
jufte fujet d'étonnement , que de voir à
un homme d'un âge fi avancé , encore
affez de force & de génie pour l'entre->
prendre & l'achever. Ceux, au refte, qui
croyent qu'il faifoit cet Ouvrage en
même temps que Catilina , font dans
une très-grande erreur. Il eft vrai que
dès ce temps -là , il avoit l'idée de traiter
ce Sujet ; mais il eſt de la même vérité,
que quand il donna la premiere de ces
Piéces , il n'avoit pas fait un feul vers
de l'autre ; & que ce ne fut même, que
plus de fix mois après le fuccès de Carilina
, que le Triumvirat fut entrepris.
Il avoit autrefois eu l'idée de traiter
la mort de Juba , ce Roi de Mauritanie,
fi fidéle au Parti de Pompée , ainfi que
Petreïus , que tous deux fe donnerent
la mort par la main l'un de l'autre , plu
τότ que de fe foumettre à Céfar. Il en
avoit même fait quelques vers dont on
ne fe rappelle que ces deux-ci , & que
l'on ne donne au Public, que parce qu'ils
paroiffent peindre de la plus grande ma
nière , le caractère de Caton. C'est Juba
qui parle à Petreius.
, י
Tele connois trop bien : loin de nous fecourir,
J
Caton , farouche & fier , ne fcaura que mourir.i.t
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
,
Ont eût dit que le poids des années,
loin d'accabler M. de Crébillon ranimát
fa Mufe. Après le Triumvirat , il
commença une autre Tragédie , toute
d'imagination , & qui devoit être intitu
lée Cleomede. Dans cet Ouvrage , il s'étoit
rendu à fon génie ; & il n'en a jamais
fait où les événemens tragiques
foient plus accumulés que dans celui-là . Il
fembloit , en travaillant encore dans un
âge, fi avancé , vouloir fe dédommager
des années qu'il avoit perdues dans un
repos qu'il fe reprochoit , & qui nous
coute , en effet , d'affez belles chofes ,
pour que nous puiffions en gémir encore
plus que lui-même. Il n'a laiffé de
cette Tragédie , que les trois premiers
Actes ; & à moins qu'une main fervile
& infidelle ne la lui ait dérobée pendant
fa derniere maladie , nous ne
croyons pas qu'elle voye jamais le jour.
Ce n'eft pas que fi on la lifoit , on ne fut
furpris de ce que fon talent lui fourniffoit
encore à l'âge de plus de 85 ans ;
mais il ne fe flattoit pas lui - même
de l'avoir mife en état d'être donnée
au Public; & les perfonnes entre les mains
de qui , après fa mort, elle eft tombée , lui
doivent,à tous égards , trop de refpe&t , pour
faire ce que, s'il eût vécu , il n'eût pas lui-
>
JUILLET. 1762. 181
même cru devoir faire. Il fe plaignoit
quelquefois du tort que des éditeurs
ineptes, ou affamés , font à la mémoire
des grands hommes , en recueillant avec
l'éxactitude la plus fcrupuleufe , & la
moins éclairée , tout ce qui a pu leur
échapper ; ceux qui poffedent ce dernier
Ouvrage , ne mériteront pas le reproche
d'avoir manqué à ce qu'ils doivent
à feu M. de Crébillon.
Il avoit une façon fingulière de compofer.
Jamais il n'a fait par écrit, le plan
d'aucune de fes Tragédies , fi l'on en
excepte Xercès qui n'eft affurément pas
la mieux conduite de toutes les fiennes.
Il ne falloit pas d'entraves à fon génie ;
& plus de méthode qu'il n'en admettoit
, l'auroit gêné. Il n'écrivoit même
jamais fes Piéces, que quand il falloit les
donner au Théâtre. On étoit à l'Affemblée
dans laquelle il récita Catilina aux
Comédiens , & on eft témoin qu'il le
leur dit tout de mémoire. Quand , felon
fon ufage , il difoit à fes amis quelque
chofe de la Piéce qu'il compofoit
fi quelqu'un d'entr'eux lui faifoit une
critique qu'il crût devoir adopter , l'endroit
qu'en conféquence il fupprimoit ,
s'effaçoit totalement de fa tête ; & il n'y
reftoit plus que ce qu'il y avoit ſub-
>
>
182 MERCURE DE FRANCE.
ftitué. Sa mémoire étoit prodigieufe ;
jamais il n'avoit rien oublié de ce qu'il
avoit appris. Dans fes dernieres années
même , il fçavoit encore très-bien le Latin
, quoique depuis qu'il étoit forti de
fes claffes , il n'en eût fait que fort peu
d'ufage. Il connoiffoit parfaitement
bien fes Poëtes ; mais comme il étoit
ennemi né de toute pédanterie , on ne
s'en appercevoit que quand il y étoit
forcé. En tout , il aimoit mieux la peine
de créer , que l'affujettiffement de l'imitation
. Ce n'étoit point qu'il ne fit grand
cas des anciens , & fpécialement des
Grecs ; mais en les refpectant , il ne
les adoroit pas ; & fçavoit fort bien juger
fes modéles & fes Maîtres. On en a la
preuve dans fon Electre , où il y a mille
beautés qui fentent la noble fimplicité
de l'antique , & dans laquelle cependant
il n'a pas fervilement imité les deux
grands Poëtes qui lui en avoient fourni
Lidée . Il défapprouvoit l'abus que nous
faifons de l'amour dans nos Tragédies ,
& ne l'y trouvoit placé que quand, comme
dans la plus grande partie de celles.
de Racine , il eft la caufe de tous les
événemens. Il fe reprochoit même beaucoup
de n'avoir pas ofé bannir l'amour,
de fa Tragédie d'Atrée , & il n'eft pas
:
JUILLET. 1762.
183
douteux que s'il eût pû fe réfoudre à
revenir fur ce qu'il avoit fait , il ne l'y
auroit pas laiffé fubfifter. Quoiqu'il eût
plus de goût pour Corneille que pour
Racine ; ( & l'on voit affez dans fes ouvrages
, la raison de cette préférence. )
il regardoit ce dernier Poëte comme le
peintre du coeur , le plus parfait qu'il
connut, & ne ceffoit d'admirer l'élégance /
& l'égalité de fes vers.
L'abondance de fes idées lui rendant
peu néceffaires les idées des autres , il
lifoit peu dans fes dernieres années ; &
cela , peut-être même , parce qu'il avoit
autrefois beaucoup lû ; & que , comme
nous l'avons dit plus haut , il avoit toutes
fes lectures préfentes à fa mémoire.
On ne craindra point d'affurer que cette
même abondance , & la vivacité de fon
imagination , font les deux caufes les
plus marquées de fa pareffe. Il aimoit
au-delà de toute expreffion , à s'occuper
de ce que l'on appelle Châteaux en
Efpagne. Les hommes cherchent tous
affez à fe tirer en quelque maniere
de ce qu'ils font par état , ou du cours
de leur vie ordinaire , en fe faifant un
tableau de ce qu'ils voudroient faire, ou
être ; mais M. de Crébillon , paffoit fur
cela toutes bornes . Quelquefois auffi ,
184 MERCURE DE FRANCE.
au lieu de fe perdre dans des rêveries
qui lui étoient auffi inutiles que fouvent
elles étoient défordonnées , il s'amufoit
à compofer dans fa tête, des Romans
a la façon de la Calpreméde , de
qui , dans ce genre , il eſtimoit beaucoup
les productions ; mais comme il
n'écrivoit jamais , il n'eft rien reſté de
tout ce que lui offroit alors fon imagination
, auffi étendue qu'elle étoit vive
& forte. Il y avoit , quand il eft mort,
plus de cinquante ans qu'il s'étoit adonné
à fumer du tabac ; & la quantité qu'il
en fumoit en un jour , paroîtroit incroyable
à ceux qui ne l'ont pas connu.
Comme c'étoit une chofe qu'il aimoit
paffionnément , & qu'il ne pouvoit fumer
par-tout , à caufe de l'odeur qui
en refte , il n'alloit volontiers que
chez les perfonnes qui lui accordoient
cette liberté ; & cette raiſon eſt une
des plus fortes de celles qui le faifoient
vivre dans une fi grande folitude . On
peut auffi lui attribuer cette rêverie
vague & indéterminée , dans laquelle .
il fe perdoit fi fouvent ; fi, du moins , il
eft vrai , ainfi que le difent ceux qui
font dans l'ufage de fumer du tabac ,
que pen lant tout le temps qu'on en
fume on ne peut ni raffembier , nj
JUILLET. 1762. 185
fuivre des idées . M. de Crébillon convenoit
lui- même , qu'à cet égard , cette
habitude lui avoit été pernicieuſe , quoique
ce foit en fumant , qu'il a compofé
toutes les Piéces qu'il a données depuis
Rhadamifte ; mais on n'en a pas
moins fujet de préfumer que , s'il eût
fe réfoudre à fumer moins il auroit
travaillé davantage .
pu
Il étoit grand , bien fait, & avoit l'air,
fort noble, Il avoit un très - beau cara-
&ère de tête , furtout quand il l'avoit
nue. C'eft ainfi que M. de la Tour l'a
peint dans le beau portrait qui a été expofé
au dernier Sallon , que M. le
Moine a fait fon bufte,& que M. Guay,
l'a gravé en pierre. M. Aved l'avoit peint
primitivement : & c'eft de tous les portraits
qu'on a faits de M. de Crébillon ,
celui qui doit frapper le plus , parce qu'il
le préfente aux yeux, tel qu'on étoit accoutumé
à le voir , & que d'ai leurs ,
il est fort reffemblant. Ce portrait a été
gravé par le célébre Baléchou.
M. de Crébillon avoit les yeux bleux
grands , & pleins de feu ; on devinoit
fans peine , en le voyant , que ce n'étoit
point un homme ordinaire . Ses
fourcils , quoique blonds , étoient fort
marqués ; comme ils les fronçoit vo- ▸
186 MERCURE DE FRANCE.
lontiers , il avoit l'air d'être plus dur
qu'il ne l'étoit ; & au feu , & à l'expreffion
de fes yeux , lorfque quelque
idée forte , ou défagréable l'occupoit , on
n'avoit pas de peine à croire qu'il avoit
fait Atrée , & qu'il avoit dû le faire .
Quoique né fort impatient , & un peu.
colère , il étoit fort doux ; & ceux dequi
il croyoit avoir le plus à fe plaindre,
rentroient aifément en grace auprès
de lui . Il étoit très -aifé à vivre , trop
peut- être fur la fin de fa vie , que le
poids des années le retenant chez lui
plus fréquemment qu'autrefois , l'avoit
rendu auffi fur le choix de fes fociétés
moins difficile , qu'à tous égards , il
n'étoit fait pour l'être.
& Quoiqu'il eût l'air fort férieux
même affez mélancolique , il étoit fort
gai , & quelquefois quelque chofe de
plus. Avec fes amis particuliers , il étoit
fort badin : mais il haïffoit l'Epigramme
& fe la permettoit rarement : lorfqu'il
lui en échappoit , elles étoient du ton
de fon efprit , c'eſt -à-dire, fortes ,& nerveufes.
Il méprifoit au plus haut point
la fatyre. Un homme à qui il prenoit
intérêt , dans un âge où loin d'avoir le
droit de décider du mérite des Auteurs,
on peut à peine les entendre , avoit comJUILLET.
1762. 187
"
pofé un mauvais Ouvrage , fur quelques
Ecrivains de fon temps ; & avoit
eû de plus la confiance de vouloir qu'il
le jugeât. M.de Crévillon eut la patience
de le lire ; mais il ne voulut pas qu'elle
fût perdue pour le jeune homme ; &
après l'avoir vivement tancé du mauvais
ufage qu'il faifoit de l'efprit qu'il
fe croyoit , ce fut par ces mots qu'il
termina fa remontrance : jugez à quel
point la fatyre eft méprifable , puifque
yous y réuffiffez en quelque forte , même
à votre age. D'après ces principes , il n'avoit
jamais écrit contre perfonne ; & on
le fçavoit fi bien , que lorfque dans fon
difcours à l'Académie , il récita ce vers :
Aucun fiel n'a jamais empoiſonné ma plume
le Public , par des applaudiffemens
réitérés , confirma la juftice que ſe renfe
doit M. de Crébillon. On n'a connu de lui
dans le genre de la critique , qu'une efpèce
de Fable en vers marotiques contre
les Fables de M. de la Motte. Cet Ouvrage
étoit plein d'imagination , de
gaieté, & de modération . Comme il étoit
admirateur paffionné de la Fontaine ,
& qu'il n'y avoit perfonne qui fentît plus
vivement que lui , le mérite de ce char-
1
mant Poëte , il ne voulut jamais croire
188 MERCURE DE FRANCE.
que les Fables de M. de la Motte dûffent,
ainfi que le foutenoient alors fes partifans,
l'emporter fur celles de la Fontaine.
Dans le mouvement d'humeur , affez
bien fondé , que lui donna un jugement
auquel il étoit loin d'acquiefcer , il fit le
petit Ouvrage dont nous parlons ; mais
foin de le deſtiner à l'impreffion , il ne
l'acheva feulement pas. Il n'a compofé
que très - peu de ces Piéces que l'on
appelle Fugitives ; & fa façon de vivre
fort retirée , l'éloignoit encore plus de
ces agréables bagatelles , que le genre
de fon efprit. Il avoit autrefois entrepris
un affez grand Ouvrage intitulé Maximes
pour les Rois , dans lequel , ſans
s'être permis un ton féditieux il y
avoit de très-grandes beautés. Il ne l'a
pas fini non plus ; & quoiqu'on ait fujet
de croire que ce qu'il en a fair ,
existe , ainfi que fa Fable fur M. de la
Motte , on n'a pas plus retrouvé de l'un
que de l'autre , dans fes papiers.
›
M. de Crébillon étoit fort fimple dans
fes moeurs né fans vanité, il parloit fort
rarement de lui - même ; & n'a jamais
pu fupporter la louange en face. Il étoit
tout fimple qu'il nnee fuût pas tâché qu'on
fentît ce qu'il valoit ; mais il n'aimoit
pas qu'on le lui dît , ou du moins
JUILLET. 1762. 189
qu'on le lui dit longtemps. Dans les
derniers mois de fa vie , i fe fit relire
Les Ouvrages
, n'en diffimula ni es
beautés ni les défauts ; & fe jugea
enfin auffi impartialement , qu'il étoit
accoutumé à juger les autres . Il a
confervé jufqu'à la fin de fa vie ,
un fentiment extrêmement fingulier &
un tact fort far. Dans fes derniers jours,
on lui envova de la Police un Ouvrage
a cenfurer , & dont l'Auteur ne fe
nommoit pas. A la beauté des vers , il
l'attribua fans balancer , à un jeune Poëte
de qui le nom , déja fort avantageufement
connu , doit aller plus loin encore;
& il ne s'étoit pas trompé.
M. de Crébillon , ( & c'eft une juftice
que tout le monde lui rend´ , )
n'a jamais connu la jaloufie : il méprifoit
tout manége, de quelque efpèce qu'il
pût être ; & n'a jamais fait plus de cabales
contre les autres , que de brigues
pour lui-même. Le jour de la premiere
repréfentation de Catilina , il étoit le
matin dans le foyer , où les Comédiens
qui craignoient un Parterre trop nombreux
, déterminoient avec lui , la quantité
de billets que l'on devoit diftribuer.
Beaucoup de perfonnes qui vouloient
être sûres d'y être placées , demandoient
190 MERCURE DE FRANCE.
qu'on leur en donnât d'avance . Un
homme , attaché de très- près par le fang
à M. de Crébillon , lui en demanda luimême
pour quelques amis qui l'en
avoient prié. Morbleu ! Monfieur , lui
répondit-il , vous fçavez bien que je ne
veux pas qu'il y ait dans le Parterre ,
perfonne qui fe croye dans l'obligation
de m'applaudir. Eh ! mon Dieu ! lui
repliqua-t- on , ne craignez rien à cet
égard : ceux pour qui je vous demande
des billet's, ne vous enferont pas plus de
grâce , pour les tenir de vos mains ; &
je puis vous en répondre .... Puifque cela
eft , vous en aurez
›
On qualifie quelquefois de Philofophie
, la pareffe qu'on a fur certaines
chofes. M. de Crébillon , qui véritablement
étoit un des plus pareffeux hommes
du monde non feulement ne faifoit
jamais de vifites dans quelque occafion
que ce fût , mais encore ne comprenoit
pas comme on pouvoit en faire ;
& il y a bien peu de Gens de Lettres ,
qui , s'ils ne regardent pas ce temps - là
comme perdu , n'imaginent du moins ,
que c'en eft un affez mal employé. Rien
auffi , n'étoit plus difficile que d'obtenir
deluiune réponse. Tous les petits devoirs
de la fociété lui étoient onéreux ; & il
JUILLET. 1762. 191
n'en rempliffoit guéres ; mais il avoit ordinairement
l'équité de ne fe pas bleffer
qu'on s'en difpensât à ſon égard.
La diffipation dans laquelle on l'a vu
vivre , furtout après le fuccès de Rhadamifte,
le peu de goût qu'il avoit pour afficher
fon talent dans la converfation , fon
ton dans le monde, fort éloigné , en effet,
du ton de ſes ouvrages , la jaloufie , peutêtre
, de quelques Auteurs , moins bien
accueillis que lui du Public , furent , felon
toute apparence , ce qui donna naif
fance au bruit qu'il n'étoit que le prêtenom
de fes oeuvres. Comme il eût été
tout au moins fort difficile de les attribuer
à aucune des perfonnes avec lef
quelles il étoit alors fort lié , ce fut un
Chartreux qu'on jugea à propos d'en faire
l'Auteur ; & ce Chartreux étoit , ajou
toit - on , un de fes plus proches parens.
Ce bruit étoit affurément, dénué de toute
vraisemblance. M. de Crébillon n'avoit
aux Chartreux, ní parens ni amis ; & fon
goût pour la folitude , tout grand qu'il
étoit , ne l'avoit même pas conduit dans
leur jardin trois fois en fa vie ; mais il
n'en éprouva pas moins pendant quelque
temps , qu'il n'y a pas de bruit , quelque
inepte qu'il puiffe être , que la méchanceté
n'accrédite , au moins dans
l'efprit de certaines gens , & que la fottife
192 MERCURE DE FRANCE.
n'adopte. Quand ces mêmes perfonnes le
virent refter fur Catilina , iis dirent que
le Chartreux étoit mort ; & que c'étoit
la cause du filence de M. de Crévillon
;
& ils le difoient depuis tant de temps ,
que lorfque , contre leur efpérance , cette
Piéce parut , ils n'eurent pas la hardieffe
de le reffufciter ; & qu'elle refta , même
de leur aveu , à M. de Crévillon.
Il parloit , au refte , fur la Tragédie
fi fupérieurement , que ceux mêmes qui
vouloient douter le plus qu'il fut l'Auteur
de fes ouvrages , ne pouvoient
l'entendre , lorfque de lui-même il entamoit
ce fujet , ou que le hazard de la
converfation le portoit deffus , fans être
convaincus qu'il n'y avoit qu'un trèsgrand
Poëte Tragique qui pût avoir fur
cet Art des vues fi profondes , & le connoître
fi bien On lui apportoit quelque
fois des plans de Tragédies fur lesquels
on le confultoit . Quand le Sujet étoit
mal choifi , & que la façon dont il étoit
arrangé , lui déceloit peu de talens dans
l'Auteur , il fe contentoit de l'exhorter à
ne pas entrer dans une carrière pour laquelle
il ne lui fembloit pas né ; mais
s'il trouvoit dans ce qu'on foumettoit à
fes lumières , dequoi renfer différemment
, loin d'en dire fimplement fon
avis
JUILLET. 1762. 103
avis , il refaifoit le plan avec l'Auteur ;
& quelquefois le rendoit tel , qu'il eût
fallu avoir tout fon génie pour le traiter
avec fuccès. Il s'étoit propofé de
donner des réfléxions fur la Tragédie ;
& l'on ne fçauroit nier que ce ne foit
un malheur pour le Public , qu'il n'ait
pas exécuté ce projet ; mais pour cela il
auroit fallu écrire ; & c'étoit une chofe
à laquelle il n'étoit pas facile de le déterminer.
On peut avancer fans témérité , que
fans cette averfion qu'il n'a jamais pu
furmonter , il auroit très-bien écrit en
profe. Il tournoit une lettre fort agréa→
blement ; & fçavoit , quand le Sujet le
comportoit , y mettre un badinage &
une légéreté dont on ne l'auroit pas
cru capable:
Il n'y a pas de François , quelque zélé
qu'il foit pour la Perfonne de fon Roi ,
qui puiffe porter ce fentiment plus loin
qu'il ne faifoit. Il le révéroit à la fois
comme fon Maître & fon Bienfaiteur,
Il eut , étant Directeur de l'Académie ,
l'honneur de le haranguer deux fois , la
premiere le 17 Novembre 1744 , après
la cruelle maladie qui penfa nous enlever
ce Monarque , & coûta tant de
larmes à la France ; l'autre en 1745:
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
Dans ces deux occafions il parla au Roi
avec une noble fermeté qui parut d'autant
plus finguliére qu'il n'avoit jamais
vû Sa Majefté , que de loin ; & quel'éclat
du Trône , qui éblouit quelquefois
les perfonnes qui en approchent le plus
fouvent , devoit à plus forte raiſon produire
cet effet fur lui , qui avoit l'honneur
de parler au Roi pour la premiere
fois. Quelqu'un lui paroiffant étonné de
ce que la préfence du Roi ne l'avoit
pas fait trembler: Eh ! pourquoi , lui
répondit-il , aurois -je été intimidé de la
prefence d'un Prince qui ne peut faire
trembler fes Sujets que de la crainte de
le perdre ?
Sa Majefté qui , fi Elle ne connoiffoit
pas perfonnellement l'homme qui lui
adreffoit la parole , fçavoit , du moins
le nom que fes ouvrages lui avoient fait
dans la République des Lettres , écouta
avec une extrême bonté , & les deux
Difcours qu'il prononça devant Elle en
ces deux occafions , & les Vers qui fuivirent
le premier de ces Difcours . On
trouve toutes ces Piéces dans l'Edition
de fes Euvres in-4°, qui en 1750. fur
faite au Louvre , par exprès Comman →
dement de Sa Majefté , & donnée par
Elle à l'Auteur,
JUILLET. 1762. 195
Le Roi , fans compter ce bienfait &
ceux qui l'avoient déja précédé , lui faifoit
une gratification annuelle de fix cens
liv. & une penfion de quatre cent francs
fur fes Bâtimens , pour le dédommager
d'un logement qu'il lui avoit donné
dans une de ces maifons qui étoient
dans la Cour du vieux Louvre , &
la défiguroient tant , avant que Sa Majefté
ayant conçu le glorieux deffein
d'achever ce fuperbe Palais fous la direction
de M. le Marquis de Marigny ,
eût ordonné qu'on les abbattît. Le Roi
depuis lui accorda encore une penſion
de 2000 liv. fur le Mercure.
M. de Crébillon ne vivoit pas comme
un autre. Il dormoit peu , & le plus fouvent
à l'heure où les autres veillent. II
étoit grand mangeur ; mais les alimens
les plus fimples, même les plus groffiers,
étoient ceux qu'il aimoit le plus . On ne
pouvoit pas être couché plus durement
que lui ; il auroit pu le difputer aux
Ánachorétes mêmes & l'emporter
peut-être. Il avoit eu beaucoup de goût
- pour la parure & les beaux meubles.
A la façon dont il étoit , quand il eſt
mort , on auroit eu de la peine à croire
qu'il eût autrefois attaché à tout cela un
fort grand prix . Il étoit très -humain ;
"
,
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
& tout ce qu'il voyoit fouffrir avoit des
droits fur fon coeur. C'étoit par ce prin →
cipe qu'il a eu pendant très - longtemps
fa maifon remplie de chiens & de chats
de qui la figure & les infirmités dépofoient
en faveur de fa commifération ,
& même en prouvoient l'excès.
Il étoit de la conftitution la plus forte
; & c'est ce que fa longue vie a encore
moins prouvé , que la façon dont
il vivoit , & qui fembloit ne devoir pas
lui permettre d'aller fi loin . Vingt ans
au moins avant fa mort , il fut attaqué
d'un éréfypéle aux jambes , qui flüoit ,
& qui par conféquent ne fut pas alors
dángereux. On l'avoit averti de prendre
garde que cette humeur ne cefsât de
couler. Quelquefois il fongeoit à l'entretenir
, quelquefois auffi il y faifoit
moins d'attention . Sur la fin de Décembre
de l'année derniere , étant dans une
maiſon d'ami , il tomba dans une espéce
de fyncope qui parut annoncer une dangereufe
maladie ; & en même temps fes
jambes fe fermérent. Comme c'étoit un
accident qui lui étoit déja arrivé plus
d'une fois , & n'avoit rien amené de finiftre
, il ne crut pas devoir s'en inquiéter
, & malgré les menaces de fes
Médecins , n'en changea pas plus de réJUILLET.
1762. 197
gime ; & c'eſt dire affez qu'il n'en vou-
Lut admettre aucun. Sa maladie, cependant,
devint affez grave pour que fur la
fin de Janvier , M. le Curé de S. Gervais
fon Paſteur , qui depuis plus de quinze
jours le difpofoit à recevoir les Sacremens
, crût qu'il étoit temps de les lui
adminiftrer. Le 29 du même mois, il reçut
donc tout à la fois le Viatique &
I'Extrême-Onction. Sa fanté parut peuà-
peu fe raffermir affez pour qu'il pût
faire efpérer que cette maladie ne feroit
pas fa derniere ; & peut- être , en effet ,
ne l'eût - elle pas été , s'il eût pu fe réfoudre
à fe ménager davantage ; mais loin
de vouloir s'affujettir à ce qui lui étoit
préfcrit , il ne changea en quelque façon
que ce fut,une maniere de vivre dans laquelle
une longue habitude l'avoit confirmé
, & que la force de fon tempérament
lui avoit jufques-là fait foutenir.
Enfin le 12 du mois dernier , il fut attaqué
d'une fuppreffion d'urine qui éffraya
d'autant plus pour lui , qu'on ignoroit
moins qu'il ne fe prêteroit pas facilement
à tout ce qui pourroit le fauver.
M. Pibrac , Chevalier de l'Ordre de S.
Michel , & Chirurgien célébre , dont l'amitié
qu'il avoit pour M. de Crébillon ne
s'étoit pas démentie , & qui par ce feul
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
principe , lui donnoit tous fes foins , jugeant
fort dangereux l'état où étoit fon
malade ; le fils de M. de Crébillon , qui
depuis quelque tems étoit allé loger chez
fon Père , pour être plus à portée de lui,
fit avertir M. le Curé de S. Gervais . Le
Lundi 14 , il fut adminiftré une ſeconde
fois , & avec l'édification de tous ceux
qui étoient dans fa chambre en ce moment-
là. Il enviſagea la mort avec beaucoup
de fermeté , mais fans nulle oftentation
de courage. Son état , enfin , ne
fit plus qu'empirer : fa tête qu'il avoit
jufques-là affez bien confervée, fe perdit
le foir du Mercredi qu'il entra dans le
tranfport ; le Jeudi il la retrouva quel
quefois , & notamment quelques heures
avant fa mort. Il éxpira enfin après une
agonie affez douce , le Jeudi 17 Juin à
neuf heures du foir,âgé de près de qua→
tre-vingt-huit ans & demi . Par des ordres
particuliers qu'il avoit donnés
qu'il étoit impoffible qu'on ne refpectât
pas ,
il ne fut inhumé que le foir du
Samedi 19 dans l'Eglife de S. Gervais fa
Paroiffe.
> &
Nous ne pouvons pas douter qu'ainfi
qu'il arrive à tous les grands Hommes
la mort de M. de Crébillon n'ajoûte cncore
à fa gloire ; & nous croyons pouJUILLET.
1762. 199
voir fans rifque , lui faire l'application
de ces vers qui font dans fon Difcours à
l'Académie , & qui y terminent l'éloge
du feu Roi.
Ce demi-Dieu mortel reffemble à la lumière
Qui prend de nouveaux feux dans l'ombre de la
Nuit ,
Et dont le corps s'accroît à mesure qu'il fuit.
Il ne laiffe qu'un fils à qui , fans les
bienfaits que Sa Majefté , en confidération
de l'honneur que M. de Crébillon
faifoit à la Nation , & aux Lettres , a
daigné répandre fur lui , il ne reſteroit
exactement que le nom de fon Père.
Il eût été à defirer pour le Public
& pour la mémoire de M. de Crébillon
lui-même , qu'une autre main que celle
qui vient de tracer l'éloge d'un homme
fi célébre , & fi digne de l'être , en eût
été chargée ; mais il eft des devoirs defquels
la médiocrité de talens ne difpenfe
pas.
Dates des Pièces de M. de Crébillon.
Idoménée , repréfenté le 29 Décembre
1705 , 13 repréſentations.
Atrée , 14 Mars 1707 , 18 repréſentations.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Electre , 14 Décembre 1708 , 14 repréfentations.
Cette Tragédie en auroit eu un plus
grand nombre , fans doute, fans le grand
froid qui obligea de fermer le Théâtre.
Les Comédiens , en faveur de quelques
perfonnes que la rigueur de la faifon
n'avoit pu empêcher de venir à la Comédie
,jouerent cette Piéce dans le foyer.
Rhadamifte & Zénobie 12 Janvier
1711 , 30 repréſentations , 23 de fuite ,
& 7 à la repriſe du mois de Mai . Il ſe fit
de cette Piéce deux éditions en huit
jours , qui fe trouvant épuifées , obligérent
à une troifiéme dans le cours de la
même année .
2
Xercès , 7 Février 1714 , jouée une
feule fois.
Sémiramis , 10 Avril 1717,7 repréfentations
.
Pyrrhus , 29 Avril 1726 , jouée 16
fois .
Catilina , 20 Décembre 1748 , 20
repréſentations.
Le Triumvirat , 23 Décembre 1754 ,
joué 10 fois.
On croit ne devoir pas omettre que
le Mardi 6 Juillet , MM . les Comédiens
firent célébrer pour M. de Crébillon ,
JUILLET. 1762. 201
dans l'Eglife de S. Jean de Latran , un
pompeux Service , comme une preuve
de leur reconnoiffance pour ce grand
homme , & un monument de leur refpect
pour les Lettres.
Il étoit des Académies de Dijon &
de Rouen ; fes lettres de réception dans
la premiere font de 1761. On ignore
dans quelle année il fut de l'autre.
N. B. Quelques perfonnes trouveront
peut-être que , dans cet éloge hiſtorique
, on eft entré dans trop de détails.
Les grands Hommes font ordinairement
vûs de leurs contemporains , avec une
indifférence qui n'admet pas fur ce qui
les regarde une curiofité bien étendue ;
mais la Poftérité aime à être inftruite
de tout ce qui concernoit ces mêmes
hommes , qu'elle eft réduite à regretter ;
& c'eft elle , fpécialement , que nous
avons eu en vue dans cet Ouvrage . Pour
le rendre moins indigne d'y paffer, nous
n'avons rien écrit ici dont nous n'ayons
été témoins , & que nous ne tenions
de la propre bouche de M. de Crébillon .
On a oublié de dire qu'il étoit l'aîné
de deux frères , morts fans poftérité , &
d'une foeur qui en a laiffé.
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V I.
SUITE des Nouvelles Politiques du
premier Vol. de Juillet.
DE COMMERCY , le 4 Juin.
MESDAMES ESDAMES Adélaïde & Victoire fe rendirent le
29 du mois dernier à Plombieres. Ces Princeffes
ont témoigné de la fatisfaction des ouvrages qul
y ont été faits depuis leur dernier voyage . Par
les foins du fieur de la Galaiziere , Intendant de
Lorraine , on jouit actuellement dans ce Bourg
de toutes les commodités dont le lieu eft fufcep
tible. On doit compter principalement dans le
nombre de celles que procurent les nouveaux travaux
, l'avantage de pouvoir prendre les eaux à
Couvert fous une gallerie fpacieufe . L'agréable a
été joint à l'utile , & l'on a pratiqué de vaftes
promenades aux deux extrémités du Bourg.
DE PLOMBIERES , le 11 Juin.
Meldames Adélaide & Victoire continuent de
prendre les Eaux avec fuccès . Le Roi de Pologne
Duc de Lorraine & de Bar , eft arrivé aujourd'hui
de Luneville , dans le deffein de paffer plufieurs
jours avec ces Princeſſes . Sa Majeſté Polonoiſe a
paru fatisfaite des Ouvrages éxécutés par fes
ordres , pour l'embelliffement de ce Bourg , &
pour la commodité des perfonnes qu'y attire l'intérêt
de leur fanté.
DE PARIS , le 21 Juin.
Les Lettres d'Allemagne contiennent les nouJUILLET.
1762. 203
velles fuivantes . Le Prince Frédéric de Brunſwick
fit , le 23 du mois dernier , une reconnoiffance
près de Gottingue. On fit fortir les Volontaires &
les Dragons , pour repouffer les Troupes qui s'en
étoient approchées , & l'eſcarmouche s'anima. Il
y eut quinze hommes tués , bleſſés ou pris de
part & d'autre. Le fieur de Larre , Officier de
diftinction , y reçut un coup de fabre ſur la tête:
il avoit été abattu & pris ; les Dragons l'ont retiré
des mains de l'ennemi , & l'ont ramené dans la
Place .
Le 29 , le Prince de Condé a formé deux nouvaux
Camps , des Troupes du Bas - Rhin , l'un
à Wefel , l'autre à Duffeldorff , & a fait entrer
dans les places les Garnifons qu'il deftine pour la
Campagne.
Le Prince Héréditaire eſt toujours à Manfter
& le Prince Ferdinand à Pyrmont. On croit que
l'Armée de ce dernier fera inceffamment un mouvement
général.
Le Marquis de Vaudreuil , ci- devant Gouver
neur & Lieutenant Général pour le Roi en Canada
, le fieur de Boishebert , ci-devant Commandant
à Miramichy , & le fieur Defmeloife , cidevant
Capitaine Aide- Major des Troupes du Canada
, qui avoient été décrétés de prife de corps
par la commifion du Châtelet , établie pour l'affaire
du Canada , viennent d'être provifoirement
mis en liberté, à la charge de fe repréſenter en étas
d'ajournement perfonnel à toutes les affignation
qui leur feront données.
L'Eſcadre du Roi , fortie de Breft le 24 Janvier,
fous le commandement du Comte de Blenac , eft
arrivée le 17 au Cap - François. Cette Eſcadre eſt
compofée de fep: Vaiffeaux de ligne , de trois Frégates
& d'une Corvette. Le Vaiffeau le Dragon ,
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
de foixante-quatre canons , a touché ſur les reftifs
qui forment la vaffe de l'entrée du Port. On a
fauvé l'Equipage , l'Artillerie , & la Carguaifon
confiftante en munitions de guerre & de bouche.
Le fort du Vaiffeau n'eſt pas encore décidé. L'Eſcadre
tranfportoit deux mille hommes de terre ,
qu'on a débarqués en fort bon état .
Le 24 du mois dernier , l'Archevêque d'Auch ,
Commiffaire délégué par le Roi de Sardaigne ,
Grand-Maître de l'Ordre de S. Maurice de Savoye
, à l'effet de conférer cet Ordre au fieur
d'Hozier de Sevigny , Juge d'Armes de la Maifon
de France , en furvivance , & au Chevalier
d'Hozier , ſon frère , Chambellan du Roi de Pologne
, Duc de Lorraine , qui avoient obtenu du
Roi la permiflion de recevoir ledit Ordre , fit ,
au nom de S. M. S. & très-folemnellement dans
l'Eglife des Dames du Calvaire , la Cérémonie de
leur donner l'Habit & la Croix de Chevaliers de
Juſtice de cet Ordre , dont Charles d'Hozier ‚, Í1 eur
grand oncle paternel , Juge d'Armes de la Nobleffe
de France , avoit été auffi honoré en 1681 ,
par le feu Roi de SardaigneVictor Amédée. Ce Prélat
étoit affifté de l'Abbé de Taſcher , Chanoine
de l'Eglife Noble & Cathédrale de Coire aux Ligues
Grifes , nommé Promoteur de l'Ordre pour
cette Cérémonie.
Les nouvelles de Toulon portent que l'Eſcadre
commandée par le fieur de Bompar , laquelle eſt
composée de dix Vaiffeaux de ligne , de deux
Frégates , & de trois Chebecs , à mis à la voile le
7 de ce mois , fur les deux heures après-midi ,
ayant fous fon Convoi plufieurs Bâtimens de
tranſport.
Le fieur Pingré , Chanoine Régulier de Sainté
Geneviève , & le fieur l'Huillier , que le Roi avoit
fenvoyé à l'Ifle Rodriguez , pour y obſerver le paf
age de Vénus , font de retour de leur voyage ; &
JUILLET. 1762. 205
le Comte de Saint-Florentin , Miniſtre & Sécrétaire
d'Etat , les préfenta à S. M. le 31 du mois
dernier.
Le 7 de ce mois à midi , le Curé de Saint
Roch , affifté de tout fon Clergé , célébra dans fon
Eglife , à l'Autel de la Chapelle de la Vierge , une
Meffe pour le Roi, oùily eut un concours nombreux
de perfonnes de tous Ordres ; & le Maréchal Duc
de Noailles étoit à la tête des Marguilliers. On
continuera de dire , tous les jours , à la même
heure , dans cette Eglife , pendant la vie du Roi ,
une Meffe pour Sa Majefté , fuivant les intentions
du feu fieur de Mergeret , ancien Lieutenant de
Vaiffeaux .
Le dix -feptiéme Tirage de la Lotterie de l'Hôtel-
de-Ville , s'est fait le 19 Mai , en la maniere
accoutumée . Le Lot de cinquante mille livres eft
échu au Numero 93863 , celui de vingt mille ,
au Numero 97715 , & les deux de dix mille aux
Numeros 199479 & 81670.
Les Juin , on tira auffi dans l'Hôtel- de-Ville ,
la Lotterie de l'Ecole Royale Militaire. Les cinq
Numeros fortis de la roue de fortune , font 37 ,
67,35 , 74 , & 57 3 le prochain tirage fe fera le
S Juillet.
MARIAGES.
Charles- Jules Armand de Rohan , Prince de
Rochefort , Maréchal des Camps & Armées du
Roi & Gouverneur de Nifmes & de Saint- Hyppolite
en furvivance , fut marié le 24 Mai à Demoiſelle
Marie - Henriette -Charlotte - Dorothée ,
fille d'Alexandre d'Orléans Marquis de Rothelin,
Lieutenant-Général des Armées du Roi , Gouverneur
du Port- Louis ; & de Marie- Catherine - Dorothée
de Roncherolles du Pont-Saint-Pierre . La
Bénédiction Nuptiale leur a été donnée par le
Cardinal de Rohan , dans la Chapelle particuliére
206 MERCURE DE FRANCE.
de l'Hôtel de Rothelin . Le Prince de Rochefort eft
fils de Charles de Rohan , Comte de Rochefort,
Prince de Montauban , Lieutenant Général des
Armées du Roi , & Gouverneur de Nifmes ; & de
feue Eléonore - Eugénie de Béthify.
Le 22 du même mois , Jean - Laurent de Durfort-
Civrac , fils du Marquis de Durfort- Civrac ,
Ambaffadeur de France auprès de S. M.Sicilienne,
a époufé Adélaïde- Philippine de Durfort , feconde
fille du Duc de Lorges , Lieutenant Général
des Armées du Roi. Le Comte de Durfort - Civrac,
en faveur de fon mariage , & avec la permiſſion
de Sa Majefté , a pris le titre de Comte de Lorges.
MORTS.
Barbe- Magdeleine- Elizabeth de Schembech ,
veuve du Comte de Lowendalh , Maréchal de
France , mourut à Paris , le 8 Mai , dans ſa cinquante-
troisiéme année.
Elifabeth -Charlotte de Saureau , Epoufe de
Jean-Jacques , Comte de Ligneville & du Saint-
Empire , Chambellan de feu Léopold , Duc de
Lorraine & de Bar , Capitaine des Gardes de ce
Prince , Lieutenant- Colonel de fon Régiment,
Chevalier des Ordres Royaux & Militaires de S,
Maurice & de S. Lazare de Piémont , & Grand-
Bailli des Villes & Bailliage d'Epinal, mourut ici
le mêmejour , âgée de foixante- deux ans.
Marie-Anne Huart de la Poterie , veuve d'Elie
Guillaume , Comte de l'Hôpital - Sainte-Mefme ,
eft morte le 17 , au Château de Sainte- Mefme en
Beauce .
François-Jofeph , Comte de la Tour -du-Pin ,
Vicomte de la Charce , eft mort à Paris le 18 ,
âgé de 70 ans.
Denis -Henri le Blond , Abbé de l'Abbaye
Royale de Bardoue , Ordre de Citeaux , Diocèle
A JUILLET. 1762. 207
d'Aufch , mourut en cette Ville le 30 , dans la
foixante -dix- neuvième année de fon âge.
Charlotte-Jacqueline-Jofephe Marnays de S.
André de Verfel , époufe de Pierre - Jacques- François
Louis -Augufte Feron , Comte de la Ferronnays
, Brigadier , Meſtre de Camp du Régiment
de Dragons de fon nom & Gouverneur de la
Ville de Dole en Franche - Comté , mourut à Paris
, le 2 .
,
François-Charles de Bragelongne , Brigadier
d'Infanterie , ancien Capitaine de Grénadiers au
Régiment des Gardes Françoiſes , mourut à Paris ,
les Juin , âgé de foixante-quatre ans.
Charles-Amable - Honoré Barentin , Confeiller
d'Etat , ci- devant Intendant de la Rochelle , &
enſuite d'Orléans , eft mort en cette Ville , le 8 ,
dans la foixantiéme année de fon âge.
Antoine- Paul- Jofeph Feydeau de Brou , Maître
des Requêtes ordinaire de l'Hôtel du Roi & Intendant
de la Généralité de Rouen , eft mort à
Paris , le 9 , âgé de vingt-huit ans.
MÉMOIRE de S. E. Don Louis de Acunha fur
la réfolutionpriſe par Sa Majefté Très - Fidelle.
DONON Louis de Acunha , Secrétaire & Miniſtre
d'Etat de Sa Majeſté Très -Fidelle , ayant mis fous
les yeux de ce Monarque le Mémoire qui lui a été
remis le premier jour du mois d'Avril par Don
Jofeph Torrero , Ambaffadeur du Roi Catholique ,
& par M. O- Dunne , Miniftre Plénipotentiaire du
Roi Trés- Chrétien , dans lequel ( nonobftant les
railons apportées de la part du Roi T. F. en réponſe
au Mémoire du 20 Mars dernier ) , ils infiftent
l'un & l'autre fur toutes les demandes qu'ils
ont faites par leur premier Mémoire du 16 du même
mois ; & où ils déclarent que , fans qu'il foit
fait de nouvelles démarches auprès de S. M. T. F.
208 MERCURE DE FRANCE.
pour avoir fon confentement , les troupes Efpagnoles
poftées fur les frontieres du Portugal entreroient
dans ce Royaume pour occuper & fermer
fes Ports , de forte qu'il ne reſteroit plus au
choix de S. M. T. F. que de les recevoir comme
amies ou comme ennemies. S. M.T. F. après
avoir réfléchi fur le fufdit Mémoire , & avoir vu
que l'on y infifte toujours fur les mêmes demandes
, ordonne au fufdit Secrétaire d'Etat de donner
la réponſe ſuivante.
*
>> 1 °. Que S. M. T. F. perfiftant ( même après
→ une déclaration à laquelle on devoit fi peu s'at-
» tendre ) dans le defir fincere qu'Elle a eu &
>> qu'Elle aura toujours de complaire à LL. MM.
» C. & T. C. , Elle ne peut cependant ſe perfua-
» der qu'il lui foit permis de rompre des Traités
» défenfifs , fans que l'Angleterre lui en ait donné
fujet & fans que l'intérêt du Portugal y foit affez
» éffentiellement & immédiatement compromis ,
>> pour juſtifier une pareille infraction , & pour
» balancer les calamités d'une guerre , dans la-
>> quelle feroient engagés des Peuples qu'Elle eft
>»> obligée de conferver.
יכ
» 2. Qu'Elle ne peut pas regarder non plus ,
» comme offenfifs , les Traités qui fubfiftent de-
›› puis tant d'années entre cette Couronne & celle
» d'Angleterre , ni croire que ce qui les rend
" offenfifs , c'eft que le commerce du Portugal
» facilite à l'Angleterre les moyens exposés dans
» le dernier Mémoire fufdit . Que tout le monde
fçait au contraire, que cette raifon eft commune
» à tous les Traités défenfifs , & qu'elle en a été
>>& en fera toujours la baſe fondamentale ; l'in-
» térêt des fufdits Traités confiftant uniquement
» en ce que chacune des Puiffances contractantes
» trouve toujours , dans les fecours de la Puiffan-
>> ce avec laquelle elle a contracté , des moyens
» de fe foutenir , foit que ces fecours confiftent en
>>
JUILLET. 1762. 209
» troupes ou en argent ou en quelque chofe d'équivalent.
C'eft le cas de tous les Traités , qui
»fubfiftent entre le Portugal & l'Angleterre. Il
» eft fuffifamment autorité par le Droit Divin
> ainfi que par le Droit de la Nature & des Gens
» & par la conduite de toutes les Nations ; & per-
»fonne ne s'eft jamais plaint jufqu'à cette heure,
de ces Traités , fous prétexte qu'une raifond'intérêt
exige qu'ils ne fubfiftent point. Que non-
» feulement l'intérêt de telle ou telle Puiffance ,
comme lui étant particulier , doit céder & a
» toujours cédé à l'intéret commun & univerfel
» de la tranquillité publique des Puiffances neu-
>>tres , mais que jufqu'ici l'on n'a jamais vû le
» feul intérêt particulier fervir de titre pour attaquer
& envahir les Droits & les Poffeffions
» d'autrui , entre les Monarques auffi fcrupuleu-
» ſement attachés aux Loix de l'équité , que le
So font LL. MM. C. & T. C.
3כ
3 °. Que la confiance fans bornes , que S. M.
T. F. a toujours mife dans les liens du fang &
de l'amitié , & dans le bon voifinage du Roi C.
>>que S. M. T. F. a toujours ménagé avec tant de
» foin , ne pouvoit le manifefter par une preuve
» plus décifive & plus concluante que celle du
» filence avec lequel S. M. T. F. a vû les Fron-
>> tieres bloquées & infeftées de troupes , ainfi que
>> les empêchemens qui ont été apportés à la con-
>> tinuation du commerce des grains avec les fufdites
frontieres , de même que la grande quantité
de magafins de provifions de bouche & de
» guerre , qui ont été formés dans les environs ,
>> & le nombre des troupes Eſpagnoles que l'on
>> y a affemblées & qui y eft toujours devenu de
» plus en plus confidérable ; & enfin que S. M.
>> T. F. malgré tous ces préparatifs militaires , &
210 MERCURE DE FRANCE.
» malgré deux Actes d'hoftilités auffi caractérisés
» & auffi publics que l'étoient ceux de bloquer
a fes frontieres , & de les infeſter de troupes , n'a
jamais donné ordre à fon Ambaffadeur à la
» Cour de Madrid , de proférer une ſeule parole
aqui marquât la moindre défiance.
>>
4°.Que malgré tout cela , ce n'a été que lorf
>> qu'il eft devenu indifpenfablement, néceffaire à
>> Š.M. T. F. de mettre l'honneur de la Couronne
» à l'abri des clameurs de fes Sujers , & des cen-
→ fures que les écrits publics mêmes ofoient por
» ter für Elle , ( tout le monde fachant qu'il
» n'y avoit en Portugal ni Généraux ni Officiers
» expérimentés ) qu'Elle a fait appeller à fon fer-
» vice le Lord Tyrawley , ainfi qu'it's'est toujours
» pratiqué dans ce Royaume , & qu'il vient de fe
>> pratiquer encore par rapport à différens autres
» Officiers , non-
-feulement Anglois , mais même
» de toutes les autres Nations de l'Europe . Que
» S. M. T. F. les avoit fait venir pour difcipliner
» les troupes Portugaifes , & enfin que LL. MM.
» T. C. & C. & méme toutes les autres Puiffances
» Souveraines , pratiquoient la même chofe , fans
que cela donnât lieu de former aucun soupçon
» contre Elles.
5°.Que S, M. T. F. ne s'arrêtant point aux
»imputations contre des Particuliers qui n'éxécutent
que les ordres de leurs Souverains , &
»voulant s'expliquer fur les Vaiffeaux de l'Efca-
» dre de M. de la Clue , Elle ne peut fe difpenfer
» de rappeller qu'Elle a reçu de la part du Roi
Britannique une réparation fatisfaisante pour
» ce qui concernoit l'honneur de la Fortereffe ,
» fous le canon de laquelle ces Vaiffeaux avoient
» été pris ; qu'Elle a fait , pour obtenir leur ref
» titution , toutes les demandes réitérées dont
ם כ
JUILLET. 1762. 211
» S. M. T. C. a été informée ; & qu'il lui fem-
» bloit plus naturel d'attendre de l'amitié de Sa
» M. B. l'effet de ſes démarches , & la reſtitution
» deſdits Vaiffeaux en temps convenable , que de
» vouloir fe la procurer par une guerre entre
» prife hors de faifon , qui ne pouvoit fervir qu'à
>> rendre cette reftitution impoffible,
» 69. Que S. M. T. F. fe fatte que ces raifons
>>frappantes feront la plus grande impreflion fur
» le coeur équitable & humain , & fur l'efprit
» éclairé de LL. MM. T. C. & C.: & qu'Elles
>> reconnoîtront qu'il n'eſt ni raiſonnable ni juſte
>> qu'Elles pourſuivent contre le Portugal la guer-
» re qu'Elles ont déclarée à l'Angleterre. Qu'Elles
» ne voudroient pas donner un exemple autfi
» dangereux pour la fureté générale que celui
D d'attaquer des Puiffances neutres fur le feul
» prétexte que celles-ci ont des Traités défenfifs
>> avec quelques - unes des Puiffances belligéran
» tes. Qu'il en réfulteroit inévitablement que la
» guerre allumée entre deux Puillances embrafe-
>> roit auffi-tôt tous les autres Etats de l'Europe.
>>Que dans de pareilles circonftances , S. M. T. F.
a ne pourroit point renoncer à la neutralité qui
» conftitue fon fyftême , & que , fi Elle le faifoir,
» les Rois Très- Chrétien & Catholique feroient
eux - mêmes les premiers auprès de qui Elle
» perdroit une réputation qu'Elle a toujours préférée
à fes intérêts.
>
7°. Que s'il arrivoit donc , ( ce que l'on n'oferoit
fuppofer ) que les troupes Eſpagnoles
fous quelque prétexte que ce fût , entraffent en
>> Portugal , non-feulement fans le confentement
> de S.M. T. F. mais contre les déclarations expreffes
qu'Elle a faites dans le fufdit Mémoire
>> du 20 Mars dernier , & qui font répétées dans
212 MERCURE DE FRANCE.
celui-ci , ce qui feroit faire une guerre offenfive
& ouverte par le fait même d'une attaque
& d'une invafion ; en ce cas , le Roi T. F. ne
» pourroit fe difpenfer , fans manquer au Droit
» Divin , ainſi qu'au droit de la Nature & au
» Droit des Gens , & fans caufer un fcandale
» univerfel , de fe fervir de tous les moyens qui
font en fon pouvoir pour ſe défendre. S. M. a
» donné les ordres pour y employer toutes fes
forces , & pour les unir avec celles de fes Alliés
; & Elle fera enforte de maintenir par ce
» moyen la neutralité qui a toujours formé &
» forme encore l'objet unique & permanent de
>>fes defirs. S. M. T. F. eft perfuadée qu'il lui en
>> coûtera encore moins ( même en cette extrémi-
» té où tout doit être réglé par l'Arbitre Suprê-
» me ) de voir renverfer jufqu'à la derniere pierre
> du Palais de fa réfidence & de voir ſes fidéles
Sujets verfer juſqu'à la derniere goutte de leur
»fang , que de facrifier l'honneur de fa Couron-
» ne , qui eft ce qu'Elle a de plus cher , & de don-
» ner un exemple dangereux à toutes les Puiſſan →
>> ces amies de la paix , qui ne pourroient plus
jouir d'un état tranquille dans leur neutra-
» lité , auffi- tôt qu'il fe feroit allumé quelque
" guerreentre d'autres Puiffances avec lesquelles
» Elles auroient des Traités défenfifs. Au Palais
» d'Alcantara , le 5 Avril 1762. Signé , DON
LOUIS DE ACUNHA.
SUITE de l'EXPOSÉ des motifs de l'entrée des
troupes Espagnoles dans le Portugal .
MÉMOIRE par lequel Don Jofeph Torrero &
Don Jacques O- Dunne , demandent au Roi de
Portugal les paffeports néceſſaires pourſe retirer
chacun à leur Cour.
DON ON Jofeph Torrero , Ambaffadeur du Roi CaJUILLET.
1762. 213
tholique , & Don Jacques O-Dunne , Miniftre
Plénipotentiaire du Roi Très- Chrétien , près du
Roi de Portugal , fe conforment aux inſtructions
& ordres de leurs auguftes Souverains , en terminant
la négociation qu'ils ont entrepriſe & fuivie
de concert, à l'effet d'attirer S. M. T. F. dans le
parti que lui confeillent les véritables intérêts ;
parti qui à la vérité l'expoferoit aux viciffitudes.
des armes , mais qui indubitablement convient le
plus à fon honneur & à fa gloire , puifqu'il confifte
à unir les forces à celles d'Elpagne & de
France , & à fecouer le joug de l'Angleterre, que
la Nation Portugaile porte à fon grand préjudice.
Lefdits Ambaſſadeur & Miniftre n'eſpérent
plus que leurs Maîtres réuffiffent dans des vues fi
généreufes & fi raifonnables , foit que le Roi de
Portugal & fes Miniftres foient fi accoutumés au
joug qu'ils fouffrent , & qu'ils ne puiffent plus
le fentir , foit que l'ennemi commun ait tellement
fubjugué leur efprit , qu'il ait pu les rendre
infenfibles à toutes les raifons qui leur ont
été repréſentées avec tant d'amitié & avec
des intentions fi droites , par LL. MM, C.
& T. C. & comme il feroit abfolument inutile
quoique rien ne fût plus aifé , de réfuter tou
tes celles que contient le dernier Mémoire remis
lés do ce mois auxdits Ambaffadeur & Miniftre
par S. E. Louis de Acunha , ils ſe reſtraignent
à faire à S. M. T. F. fur ce Mémoire quelques
obfervations.
>
Il éft très - douloureux pour les Rois leurs
Maîtres , que le Roi T. F. avouant que l'Angleterre
lui a donné fujet de rompre les Traités défenfifs
( puiſqu'il a dit que ce fujet de rompre
n'étoit point d'un intérét affez éffentiel & affez
direct pour balancer les calamités d'une guerre ) ,
& pouvant avoir pefé le malheur & le défavantage
d'avoir la guerre contre l'Angleterre vis - à
214 MERCURE DE FRANCE .
vis de celui d'être en guerre contre la France &
l'Eſpagne , S. M. T. F. air pu cependant choifir
les calamités attachées à ce dernier parti , quoique
par ce choix Elle montrât le peu d'eftime
qu'Elle faifoit des forces de ces deux Monarques,
& combien elle méprifoit leur amitié , en s'uniffant
à une Puiffance par qui il est toujours conftant
qu'elle a été offenfée , foit grievement , foit
légérement , & en ne failant pas difficulté d'en
offenfer d'autres , qui n'ont pu lui en donner de
fujer qu'en voulant l'éclairer fur fes propres in
térêts.
C'eft une pure obftination & mauvaiſe volon
té dans le Roi de Portugal & dans fes Miniftres ,
quand ils difent ne pouvoir pas comprendre ni
fe perfuader que leurs Traités défenfifs avec les
Anglois feroient offenfifs par rapport à l'Espagne
& a la France , & quand ils foutiennent qu'ils
ne le le feroient pas , puifque les preuves da
contraire , apportées dans les précédens Mémoires
, font reftées fans replique . Rien d'ailleurs
n'eft plus mal fondé que la comparaiſon qu'on a
cherché à faire avec les Traités des autres Puiffances
, vâ la grande différence des fituations &
des circonstances.
La fuite des Nouvelles Politiques au Mercure
prochain.
APPROBATION.
J'ai la ,par ordre de Monſeigneur le Chancelier,
le Mercure du ſecond volume de Juillet 1762
& je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
P'impreffion. AParis,ce 14 Juillet 1762.GUIROY.
JUILLET. 1762 .
215
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VIRS T IN PROSI.
AM. De la Place , Auteur du Mercure. Pages
ODE far fainte Cécile , par Pope.
L'EMPIRE de la Mufique, Ode de Dryden.
LAUSUS à Lydie, Héroïde,
ARGUMENT Ou Hiftoire d'une Piéce de Théâtre
Chinoife , repréſentée à Cantone.
REMARQUES fur cette Piéce.
EPITRE à M. de Grandmefnil,
LE Roffignol , la Fauvette & la mere , Fable.
DISCOURS prononcé le jour de la S. Hubert.
MADRIGAUX donnés dans un Bal à Madame
de P..... mariée depuis peu.
AUTRE à Madame de S...
AUTRE à Mile Au.....
AUTRE à Mlle C....
Le Pouvoir de l'Amour , Sonnet.
12
19
31
42
45
48
49
ibid.
ibid.
བྷཱཝཱཡ
53
ODE fur la mort de M. Jolyot de Crébillon,
l'un des Quarante de l'Académie Franç oife $4
VERS à M. du Belloy , fur la Tragédie de
Zelmire.
ENIGMES.
19
60 &61
62 &63
64 LOGOGRYPHES.
CHANSON.
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES,
LA République de Platon , ou Difcours fur
la Juftice , divifé en dix Livres &c .
SUITE de l'Atlas de M. Buy de Mornas.
"
66
75
638
216 MERCURE DE FRANCE.
EPITRE à M. Greffet.
LETTRE à l'Auteur du Mercure..
78
81
ANNONCES de Livres. 82 & fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADEMIES.
SEANCE publique de la Société Littéraire
d'Arras , tenue le 3 Avril 1762 . 94
MEMOIRE fur la diftance du Soleil & de
toutes les Planétes & c . 95
ART. V. SPECTACCLES.
LETTRE d'un ancien Maître de Ballets dans
les Cours Etrangères.
III
OPÉRA.
122
COMÉDIE Françoiſe.
132
COMÉDIE Italienne. 134
VERS à Mlle Riviere , repréfentant le Rôle
dè lajeune Grecque.
135
CONCERT Spirituel . 136
POMPE funébre de M. de Crébillon. 141
Éloge hiftorique de M. de Crébillon.
SUITE des Nouvelles Politiques du I. Vol. de
149
by Juillet.
MARIAGES.
20г
205
MORTS. 206
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis-à-vis la Comédie Françoife.
1 .
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
A O UST. 1762 .
Diverfité , c'eft ma devife . La Fontaine.
Confia
Sains
Chez
A PARIS ,
( CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à- vis la Comédie Françcife.
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi .
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch à côté du
Sellier du Roi.
>
C'est à lui que l'on prie d'adreffer ,
francs de port, les paquets & lettres ,
pour remettre , quant à la partie littéraire
, à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour faize volumes
, à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir , ou qui prendront les frais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
par volum. c'est -à- dire 24 livres d'avance,
en s'abonnant pour feize volumes.
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire veécriront
à l'adreſſe ci- nir le Mercure
deffus.
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payanı
le droit , leurs ordres , afin que le payement
en foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
, refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année. Il y en a
jufqu'à préfent foixante-dix-neuf volumes
dont la Table générale, rangée par
ordre des Matieres , fe trouve à la fin
du foixante-douzième.
MERCURE
DE FRANCE.
A O UST. 1762 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LA FAUVETTE , LE ROSSIGNOL
ET LE PINSON.
D'UNE
FABLE.
UNE jeune & tendre Fauvette ,
Parmi le peuple des oiſeaux ,
Un jour dans un bocage on célébroit la fête :
On voyoit accourir Pinſons & Tourtereaux ,
Et Roffignols , dont le ramage
1
A iij
6 MFRCURE DE FRANCE.
Formoit les concerts les plus beaux :
L'un dans fon bec apportoit pour hommage
Une branche de mirthe , un autre de laurier ,
Plufieurs , des rameaux d'olivier :
P
Dons de l'Amour & du Village.
Amant de la Fauvette un Roffignol charmant ,
Auprès d'elle , dans le bocage ,
Elevoit fon gofier brillant.
Des Roffignols du voisinage
C'étoit alors le plus galant :
Jadis il en étoit encor le plus volage ;
Mais la Fauvette avoit fixé cet inconftant.
Un timide Pinſon caché dans le feuillage ,
Au milieu des tranfports de tout le peuple aîlé ,
Paroiffoit trifte & défolé.
Le Roffignol lui dit , dans ſon charmant langage :
» La Fauvette attendoit de vous une chanfon :
» Des hôtes de ces lieux la gaîté fe déploie ,
» Et vous vous affligez ! ... » Je prends , dit le
» Pinfon,
» La même part que vous à la commune joie :
» Mais comment à vos chants pouvoir m'aſſocier?
>> J'ai votre coeur , mais non votre gofier.
» Chantez pourtant , lui dit la Fauvette adorable.
Le Pinfon ofa s'enhardir ;
Et fa voix parut agréable .
On chante toujours bien en chantant le plaifir.
Par M. LÉGIER .
AO UST. 1762.
SI
ÉPITRE ,
A Madame de V ***.
I vous étiez un peu coquette ,
Ainfi que les Belles du temps ,
Souvent des roſes du printemps
J'embellirois votre toilette :
Près de vous , dans un doux concert ,
J'irois jouer fur ma mufette
Les airs que chante St Lambert ,
Et qu'avec lui l'Amour répété.
J'irois , Papillon libertin ,
Voler autour de votre glace ;
Et m'y fixer où votre tein
Va ſe peindre ſur ſa ſurface.
J'irois vanter vos agrémens :
L'honneur qu'on a d'être jolie :
Mais par vous tous les riens brillans
De l'Amour & de la Folie ,
Et les pompons & les rubans
Qu'inventa la mode légére ,
Sont mis au-deffous des talens ,
Et Duchat ( a ) aux pieds de Voltaire.
Vous laiffez à la vanité
(a ) Célebre Parfumeur.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Et la guirlande de Thalie ,
Et le fceptre de la Beauté :
Vous tenez celui du Génie .
Des Graces avoir la douceur ,
De Minerve être la rivale ,
C'eft reffembler à votre Sour
Je ne lui croyois pas d'égale .
* Madame H ...
Par le même.
LA SOIRÉE BOULONNOISE.
ODE.
ENFIN prêt à rentrer dans l'onde ,
L'aftre qui brûle nos côteaux
Va rendre la fraîcheur au monde
En fe plongeant au fein des eaux :
Déjà de la côte prochaine ,
L'on voit deſcendre dans la plaine
Le Berger avec fon troupeau :
Déjà l'on entend la mufette
Du jeune Amant de Timarette ,
Qui vient d'arriver au hameau.
Tout languiffoit dans la Nature.
Par les ardeurs du Dieu du jour ,
A O UST. 1762. 9
Tout s'y ranime , & la verdure
Redevient un trône à l'Amour :
La fleur qui fe foutient à peine ,
De Zéphir fent la douce haleine ,
Son éclat augmente à l'inſtant ;
Poffédant enfin ce qu'elle aime ,
Son fein fe ferme au moment même
Pour conferver cet inconftant.
La nuit améné le filence ,
L'ouvrier quitte le marteau ,
Le régne de l'Amour commence ,
L'âme reffent un feu nouveau .
Sur un rempart où tout enchante ,
Aux genoux de fa chère Amante ,
Un tendre Amant peint fon ardeur.
Son trouble fait fon éloquence :
L'efprit vaut moins que le filence
Caufé par l'embarras du coeur.
Là l'épaiffeur d'un verd feuillage
Irrite la timidité
A profiter de l'avantage
Que préfente l'obscurité.
Eglé da vainqueur qui la preſſe ,
Voudroit punir l'heureuſe adreffe ;
L'Amour s'oppose à fa rigueur.
Avec quel trait punir l'offenſe
D'un coupable dont la Puiffance
S'étend fi loin fur notre coeur ?
1
A v
10 MERCURE DE FRANCE .
Loin d'ici le regard profane
D'un fombre & farouche jaloux ,
Dont l'oeil empoifonné condamne
Ce que la vie a de plus doux :
Qu'il porte loin de cet afyle
Le cruel venin qu'il diftile
Sur des biens qu'il ne peut goûter.
Qu'il laiffe jouir en filence ,
Des faveurs que l'Amour diſpenſe ,
L'Amant qui fçait les mériter.
En vain près de ce qu'on adore
L'on voudroit arrêter le temps :
Il fuit , un tendre Amant l'imploré ,
Pour lui les jours font des momens.
La Cloche * fonne , on ſe retire ,
Le coeur fouffre , chacun foupire
Après le foir du lendemain :
Songes charmans , occupez l'ame ;
Amour ! ne quittes point la trame
Que nous remettons en ta main.
Puiffe toujours notre jeuneſſe
Couler ainfi d'heureux inftans !
Jouiffons des biens , le temps preſſe
Tout difparoît avec les ans.
Des plaifirs que permet notre âge
Savoir faire un modeſte uſage ,
La Cloche de 10 heures.
A O UST . 1762 .
II
1
C'eft affurer notre bonheur :
Tout dépend de l'oeconomie
Que le Sage fait de la vie ,
Pour en prolonger la douceur.
Toi qui fur cette aimable rive ,
As verfé des bienfaits fi doux ,
>
D'AUMONT * notre ardeur la plus vive <
Seroit de te voir avec nous :
Ce peuple heureux qui te révère
Jouiroit de l'afpect d'un Père ,
Qui partageroit les douceurs.
A tes enfans fois favorable ,
Fais- nous voir la main fecourable
Qui fouvent éffuya nos pleurs.
Viens fur ces bords , quittes la gêne
Où te retiennent les grandeurs :
En ce lieu , notre unique chaîne ,
Eft celle que forment les fleurs.
Le vif éclat que la couronne
Répand fur ce qui l'environne ,
Vaut- il un fentiment du coeur ?
Non , c'eſt cette délicateſſe ,
Qu'on goûte au ſein de la tendreſſe ,
Qui feule offre le vrai bonheur.
ParM. DELPORTE , de Boulogne fur Mer.
* M. le Duc d'AUMONT , premier Gentilhomme de
la Chambre , &c. Gouverneur du Boulonnois.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE .
LETTRE à Madame de P *** .
MADAME,
Vous vous informez de ma fanté
avec la plus tendre inquiétude . Que j'ai
lû avec tranfport ces paroles de votre
derniere Lettre ! mon ami , vos jours
me font bien chers. A qui dans l'univers
font-ils plus précieux qu'à moi ? vous
craignez que je ne paffe encore les nuits
à lire , & vous attribuez la maladie que
j'ai eue , à ma paffion pour la lecture.
Ah ! Madame , je connois trop à préfent
tout le prix de la vie .
Le fçavoir vaut-il la fanté ?
Je viens fur ces rives tranquilles ,
Ranimer dans l'oifiveté ,
Le flambeau de mes jours fragiles.
Sauvé du foufle de la mort ,
Ici comme à l'ombre du Port ,
Je vois le fil de mes années
Se renouer à leur printemps :
Chaque aurore de mes journées
Fait naître en moi de nouveaux ſens,
Dans les tranſports du plaifir d'être ,
Tout m'offre des plaifirs nouveaux ..
AOUST. 1762. 13
Un gazon , l'ombre de ce hêtre ,
Ces moiffons , le chant des oifeaux ,
Chaque fleur , cette eau qui ferpente ,
Tout me plaît , me ravit , m'enchante.
Je lens ,fur ces bords enchanteurs ,
Mon âme fi longtemps flétrie ,
S'épanouir avec les fleurs .
Plaifir , doux charme de la vie ,
Je vais te goûter en ces lieux !
Eloignez-vous , Livres affreux ,
Qui des ombres de la trifteffe ,
Couvrites longtemps ma jeuneffe.
Hélas ! à la fleur de mes ans ,
Epris de ftériles merveilles ,
Je féchois à force de veilles ;
Et moiffonné dès mon printemps ,
Je périffois comme une roſe ,
Qui , le matin à peine écloſe,
Tombe & meurt fous l'effort des vents.
Jours de ma convalefcence , que jamais
le temps n'éffacera de ma mémoire
, vous coulerez dans la tranquillité &
la joie , au fein d'une aimable pareffe !
Oui , le Sage doit jouir de la vie : le
temps paffe comme un éclair ; l'étude en
précipite encore la courfe : le plaifir feul
peut le fixer.
J'ai l'honneur d'être & c .
Le Chevalier de P *****
14 MERCURE DE FRANCE .
-
POUR mettre au bas du Portrait de
M. DELATOUR
, Peintre.
LATOUR , par un enchantement ,
A les portraits donne la vie.
Avec le pinceau du Génie
Il rend toujours le Sentiment.
Par M. de C***.
LINDOR ET DÉLIE ,
CERTAIN
CONTE.
ERTAIN Enchanteur , & certaine
Fée s'aimoient depuis fi longtemps ,
qu'ils commençoient à fe hair. Tous
deux , cependant , vouloient paroître
s'aimer encore , parce que tous deux fe
craignoient. Leur pouvoir étoit à-peuprès
le même. Leur caractère entiérement
oppofé. C'eſt ce qui avoit fait furnommer
l'une , la Fée Colère , & l'autre
l'Enchanteur Pacifique. L'une étoit
extrême en tout , aimoit & haïffoit avec
emportement ; protégeoit & perfécu--
toit avec la même ardeur ; faifoit le
A O UST. 1762. IS
bien , faifoit le mal , s'en repentoit tourà-
tour ; en un mot , la meilleure & la
plus mauvaiſe de toutes les femmes.
L'autre , à toutes les bonnes qualités de
la premiere , ne joignoit qu'un petit
nombre de fes défauts. Il avoit le pou
voir de nuire , & n'en ufoit que modérément
, vertu dès - lors auffi rare que
celle d'obliger : c'étoit , pour mieux
dire , un de ces hommes , qui font le
bien par penchant , & fe permettent le
mal quand on ofe les pouffer à bout.
Il fe l'étoit permis dans une querelle
que lui , & la Fée Colère , eurent à foutenir
contre la Fée Docile & l'Enchaneur
Brouillon, autre couple auffi mal afforti
que le premier. Brouillon & Docile
avoient fuccombé ; ils fubiffoient la métamorphofe
la plus bifarre , mais elle devoit
finir un jour , & celle de Colère &
de Pacifique , lui fuccéder. Ceux - ci
trouvoient dans ce commun péril , une
raifon de plus pour refter unis & , peutêtre
une de moins pour refter Amans.
Ils fe promenoient un jour tête - à-tête ,
& s'ennuyoient fans ofer fe le dire ; auffi
ne difoient-ils prèfque rien. Ils en entendirent
mieux la converfation d'un jeune
homme & d'une jeune fille qui ne paroiffoient
difpofés ni à s'ennuyer , ni à ſe
16 MERCURE DE FRANCE.
taire. L'Amour & la fincérité préfidoient
à leur entretien; ils parloient de leur tendreffe
, de leur bonheur , & en parloient
fi éloquemment , qu'ils rendirent jaloux
ceux qui les écoutoient. Voila ce que
nous nous fommes dit plus d'une fois,
difoit froidement l'Enchanteur à la Fée .
II y a longtemps ! reprenoit - elle fur le
même ton. En difant cela , elle fixoit le
jeune homme , qui lui parut en valoir
bien la peine , ce qui étoit vrai. De fon
côté , l'Enchanteur éxaminoit Délie
c'eſt le nom de la jeune perfonne , Délie
que la nature avoit créée charmante , &
que l'Amour embelliffoit encore. Qu'ils
font heureux ! difoient , chacun à part ,
les deux témoins de leur félicité. Déja
même, & toujours chacun à part , ils
fongeoient à y mettre obftacle. Ce fut
la Fée qui s'expliqua la premiere ; mais ,
toutefois , fans trop s'expliquer. Avouez,
dit- elle à l'Enchanteur , que ce fpectacle
vous amufe ? Il dépend de vous de n'en
être pas fitot privé. Obligeons ces jeunes
gens à refter avec nous jufqu'à ce qu'ils
nous ennuient. Ce confeil fut avidement
reçu . On fe concerte , on a recours au
pouvoir des Enchantemens & de la
Féerie. Il en faloit moins pour éloigner
de leur route ordinaire deux
AOUST. 1762. 17
amans occupés uniquement l'un de l'au-,
tre. Tous deux croyoient regagner leur
demeure ; & tous deux fe trouvent dans
un Palais magnifique , environné de
vaftes & fuperbes Jardins. Leur furpriſe
fut grande, leur crainte encore plus, parce
qu'ils craignoient d'être féparés : mais,
auparavant , on vouloit jouir de leurs
embarras. Où fommes nous ? difoit Delie
à Lindor, comment avons- nous pû nous
égarer ainfi ? Je l'ignore, reprenoitil ; en
marchant je ne voyois que Délie ; &
tant qu'il me fera permis de la voir
je n'appercevrai qu'elle .
L'Enchanteur & la Fée écoutoient
cette converfation fans fe laiffer voir.
Ils jugerent à propos de paroître , &
redoublerent l'etonnement du jeune
couple. Qui êtes vous ? demanda la Fée
à Lindor. Lindor lui répondit : je fuis
l'Amant de Délie.... Quelle est votre fortune
? ... l'Amour de Délie... Mais, enfin ,
quelles feroient vos vues , votre ambition
? ... d'être toujours aimé de Délie.
L'Enchanteur faifoit à - peu - près , les
mêmes queſtions à Délie , qui lui faifoit
à-peu - près les mêmes reponfes.
Il étoit nuit : les deux Amans furent
féparés , fans prèfque avoir eu le loifir
de s'en appercevoir. On conduifit Délie
18 MERCURE DE FRANCE.
dans un appartement qui , dans certains
fiécles & certaines contrées , eût pû
faire oublier plus d'un Lindor : mais
Lindor étoit toujours préfent à fa chère
Délie ; elle ne voyoit rien de ce qui
l'environnoit , ou plutôt elle ne voyoit
rien que d'éffrayant. Où eft Lindor ?
s'écrioit- elle ; que fait- il ? que penfe-t-il ?
C'étoit aux murs qu'elle faifoit ces
queftions ; & tout -à -coup il fembla que
les murs lui répondiffent . Elle entendit
chanter ces vers :
Ne craignez rien pour votre Amant ,
Ne redoutez rien pour vous-même :
Délie , un autre Amant vous aime ,
Et vous aimera conftamment.
Il peut tour , par fon art fuprême ,
Et n'a pu taire fon tourment.
Mais malgré cet amour extrême ,
Ne craignez rien pour votre Amant ,
Ne redoutez rien pour vous -même.
Délie , toute fimple qu'elle étoit, n'en
crut ni la Mufique , ni les paroles . Elle
devina qu'un rival ne pouvoit être qu'un
rival ; c'est-à-dire un ennemi . Elle trembloit
pour Lindor , qui ne trembloit que
pour elle . Tous deux , cependant, étoient
également bien traités . Leurs voeux
AOUST. 1762. 19
étoient prévenus fur tous les points , excepté
celui qui les touchoit uniquement
, le charme de fe parler & de fe
voir. L'Enchanteur voulut juger de l'effet
que fa Mufique avoit produit fur fa
jeune Captive. Il fuivit , en cela , l'exemple
de la Fée , qu'il croyoit être chez
Lindor , & jamais Amant ne reffentit
autant de joie d'être trompé , n'en eut
autant à prendre fa revanche. Il employa
toute fon éloquence à raffurer
Délie , & ne la raffura point. Ce
fut , cependant , la feule chofe qu'il entreprit
pour cette fois. La Fée ofa davantage
; ce qui veut dire feulement qu'el
le entra dans de plus grands détails . Elle
flatta Lindor de l'avenir le plus heureux .
Ne craignez rien , & efpérez tout , lui
difoit- elle . Ce peu de mots vouloit dire
bien des choſes ; mais il eft permis à une
Fée de tout dire . De fon côté , Lindor
ne l'entretint que de Délie. Elle feule
pouvoit lui faire fentir ce bonheur dont
la Fée lui parloit... Elle feule , reprit
cette derniere avec dépit ! Oui, Madame
, affirmoit le jeune homme avec
tranfport ; je n'ofe ni ne veux croire
qu'aucun autre puiffe la remplacer.
Que vous importe , pourvu qu'elle
» foit bien remplacée ?... Ah, Madame
20 MERCURE DE FRANCE .
» reprit naïvement Lindor , Délie peut-
» elle jamais l'être ?
Cette réponſe acheva d'irriter la Fée.
Elle quitta Lindor , à qui cette entrevue
donna matiere à rêver. Il frémit
du danger où fe trouvoit fa Maîtreffe .
Il avoit raifon. Quand pour fe venger
une rivale n'a qu'à vouloir, il eft prèfque
sûr qu'elle le voudra. Cependant la Fée
ne le vouloit pas encore. Elle eſpéroit
féduire , ou éblouir aisément un jeune
homme fans expérience. Elle ne doutoit
pas que l'Enchanteur n'eût les mêmes
vues fur Délie , & ne pût avoir le même
fuccès dans fes vues . C'eft de quoi la
Fée vouloit s'éclaircir avec lui , fans fe
laiffer pénétrer elle- même ; car leur puiffance
n'alloit point juſqu'à ſe deviner réciproquement
: faculté qui pourroit devenir
dangereufe entre deux Amans de
vieille date.
Que ferons- nous de ces enfans , demanda
le jour fuivant la Fée à l'Enchanteur
? Ce qu'il vous plaira , répondit
ce dernier ; je crois qu'on ne peut
rien faire de plus agréable pour eux que
de les réunir. "J'aurois voulu , dit Colère,
jouir un peu plus longtemps de leur embarras.
Nous y reviendrons , reprit Pacifique
, jouiffons , quant à préfent , de
A OUST. 1762. 21
leur fatisfaction . Lui-même vouloit jouir
de l'embarras de la Fée , & procurer à
Délie , qu'il efpéroit gagner , ce moment
de joie . Qui pourroit peindre les
naïfs tranfports de ces Amans ? L'Enchanteur
& la Fée les obfervoient en
filence , & s'obfervoient , en même
temps , l'un l'autre . Mais ce filence ne
fut pas longtemps gardé , la Fée le rompit
la premiere , tant la joie de Lindor
lui caufoit d'impatience . Pour l'Enchanteur
, il fouffroit & fe taifoit. Avouez ,
lui dit Colère , que ce couple eft bien
peu circonfpect ? Il n'en eft que plus
heureux , répondit Pacifique ... A peine
s'apperçoient-ils que nous les examinons....
C'eft qu'ils ont quelque chofe
de mieux à voir.... Quelle activité ce
Lindor met dans fes difcours ; fes proteftations
ne finiffent pas ! Il eſt dans
l'âge où l'on croit pouvoir tout promettre
, & tout éffectuer.... En vérité
c'eft porter trop loin l'indulgence .Quoi !
fouffrir qu'il baife trente fois la main à
fa Délie ? ... C'eft beaucoup , je l'avoue
, mais.... Mais ne la voyez - vous pas
lui préfenter l'autre ? ... Vous avez raifon
, reprit Pacifique un peu ému : ſe
priver ainfi de fes deux mains , c'eſt
trop... Cependant... Cependant, les voilà
22 MERCURE DE FRANCE .
,
qui s'éloignent pour s'approcher de ce
bofquet... Arrêtez . arrêtez ! leur cria
l'Enchanteur. Le ton avec lequel il prononça
ces mots fit juger à la Fée qu'il
ne prenoit pas moins d'intérêt qu'ellemême
aux actions du jeune couple . Elle
fuivit fon exemple , elle diffimula . Ils
s'approchérent de Lindor & de Délie ,
qui les évitoient. Ce fut encore la Fée
qui parla la premiere , & ce fut à Délie
qu'elle affecta de parler. On doit , lui
dit- elle , vous avoir enfeigné à fuir certaines
occafions . Quelles occafions ? demanda
naïvement Délie.... Celles qui
pourroient conduire à certaines libertés.
Qu'appelle - t- on des libertés ? demande
encore Délie... Celles , par exemple, que
vous venez de permettre ..... Quoi ? ce
n'eft que cela ! ... Que vous faudroit- il
donc de plus ?...Je n'en fçais rien .Tant
mieux ! dit en lui-même l'Enchanteur.
Mais un peu moins de févérité , dit - il
tout bas à la Fée. Ne craignez rien
répondit - elle en fouriant . Alors , continuant
à queſtionner Délie , elle ajoûtá
: quel eft votre père ? C'eft ce que
j'ignore , répondit Délie.... Quelle eft
votre mére ? ... Je l'ignore également ....
Quelle main vous a donc élevée ?... Je
ne puis le fçavoir, je ne l'ai jamais vue ...
AOUST. 1762. 23
Enfin , quel objet a le premier frappé
vos regards ? ... Lindor. L'Enchanteur
fit la même queſtion à Lindor , & il répondit
, Délie .
››
Ciel s'écriérent alors & l'Enchanteur
& la Fée... mais ils fe remirent de
ce trouble , & continuérent à queſtionner
Lindor. » J'ignore , leur dit- il , qui
» je fuis , & de qui je fuis né. Une tour
» que j'habitois feul fut longtemps
» mon unique demeure ; un être que je
» ne voyois pas , mais que j'entendois ,
» pourvut à tous mes befoins. Il m'apprit
à parler , fans m'apprendre fi jamais
je pourrois parler à quelqu'un ,
» ni s'il éxiftoit quelqu'un de mes fem-
» blables. Je paffai ainfi mes premieres
» années , fans bien fçavoir ce que c'é-
» toit que des années, J'en avois douze
» & rien ne m'avoit encore ennuié
» rien n'avoit paru me manquer. J'en
» eus à peine quinze,que tout m'ennuia
» & que je crus que tout me manquoit.
» Je me fentois privé de ce qui pou-
» voit feul faire mon bonheur , fans
» bien fçavoir en quoi ce bonheur con-
»fiftoit , ni ce qui pouvoit y contri-
» buer. " Quelles étoient alors vos idées
demanda la Fée avec un ton d'intérêt ?
Madame , reprit Lindor , embaraffé de
24 MERCURE DE FRANCE .
la queftion , je n'en avois que de trèsconfufes
; mais elles fe développérent
dès la premiere fois que j'apperçus Délie....
Reprenez le fil de votre récit , interrompit
vivement la Fée. Lindor obéit,
» Chaque jour , pourfuivit- il , ma pri-
» fon me devenoit plus infuportable. J'i-
» gnorois , cependant , qu'il y eût d'au-
» tres lieux habités . Vint , enfin , le
» moment où je ne l'ignorai plus. Je fens
» tout-à-coup , ma tour s'ébranler , je
» vois fa voute fe fendre , tout s'écrou-
» le , je tombe moi-même avec les dé-
» bris , mais fans éprouver d'autre ac-
» cident ; & je me trouve , enfin , dégagé
de ma prifon par fa chute . Le
» jour , que je n'avois jamais vu , m'é-
" blouit d'abord : j'avois peine à diftin-
" guer les objets . Mais quel objet frappa
» mes premiers regards ? Une jeune
» Beauté prête à périr , forcée de s'atta-
» cher à un mur que je voyois prêt à l'é-
» crafer. Une Beauté.... Ah ! Mada-
» me , c'étoit Délie !
"
Cette exclamation ne plaifoit point
à la Fée , que ce récit affectoit d'ailleurs
fingulièrement , & il en étoit de même
de l'Enchanteur . Lindor pourſuivit ainfi
: » voir Délie , l'admirer , la plain-
» dre , voler à fon fecours , fut pour
moi
AOUST . 1762. 25
moi l'ouvrage d'un inftant . Je l'arra-
» che au péril qui la menaçoit , je l'em-
» porte dans mes bras... Ah , Madame ,
quel délicieux inftant pour moi ! Quel
» fâcheux récit , difoit Colère en elle-
» même. Quand j'eus contemplé Délie à
» mon aiſe , ajoûta Lindor , je regardai
» autour de moi & ne vis plus que des
» ruines. A l'inftant même un jeune
» homme d'une figure intéreffante nous
» apparut. Ne craignez rien , nous dit il ;
»je fuis le Génie bienfaifant , le même
» qui vient de brifer vos fers. Les périls
» qui vous menaçoient jufqu'à ce mo-
» ment , furent les caufes de votre cap-
» tivité. Soyez libres , déformais , & ai-
» mez-vous autant que fe haïffent ceux à
» qui vous devez le jour. Quoi ? le de-
» vons-nous aux mêmes perfonnes , lui
» demandai-je avec inquiétude . Non, ré-
» pondit Bienfaifant. Mais le Confeil
» des Génies obligea la Fée , mère de
» Délie , d'époufer l'Enchanteur , père
» de Lindor. On efpéroit par là mettre
» fin à leurs difputes rien ne prouve
» mieux que les plus fages Arbitres peu-
» vent fe tromper. Quoiqu'il en foit, ce
» couple fubit depuis quelque temps
» une deſtinée des plus bifarres , & c'eft
» à vous feuls qu'eft réfervé l'avantage
B
26 MERCURE
DE FRANCE
.
» d'y mettre
fin... Ah ! que faut- il fai- " re? demandâmes
-nous avec empreffe-
» ment. L'heure
favorable
n'eft pas enreprit
le Génie
» core venue
,
mais
» elle viendra... Je fçaurai bien l'empêcher
, dit la Fée à demi - voix. Alors elle
fit figne à l'Enchanteur
; & voilà Délie
& Lindor encore une fois féparés.
Nous fommes bien fots , malgré toute
notre ſcience magique , dit l'Enchanteur
à la Fée ; fans le hazard qui nous
rend maîtres de ces deux jeunes gens ,
peut- être allions-nous bientôt fubir le
fort de Docile & de Brouillon nos
ennemis & nos victimes. Tout nous
annonce
que Délie & Lindor font
leurs enfans ; ils ont échappé aux périls
qui les menaçoient
, & leur réunion
nous en prépare d'inévitables
. Hé bien ,
dit la Fée , il faut les empêcher
de fe
réunir, de fe voir, & furtout, de s'aimer ;
car l'Amour
eft trop ingénieux
, trop
fertile en expédiens. Le plus für feroit
qu'ils puffent aimer quelqu'autre
, ajoûta
Pacifique. Effayons le plus fùr , dit la
Fée. Effayons , reprit très volontier
l'Enchanteur
.
Ils jugerent
bientôt que cet éffai iroit mal s'ils n'ufoient
d'artifices
Un tel
expédient
devoit leur plaire , & plaît
AOUST . 1762. 27
fouvent à tels & telles , qui ne font ni
Enchanteurs , ni Fées . Voilà ce couple
jaloux qui délibére. Après quelques incertitudes
, dont les confeils les mieux
compofés ne font pas toujours exempts ,
on fe détermine , on a recours aux preftiges
; la Fée emprunte la figure de Délie,
l'Enchanteur celle de Lindor: mais il leur
manquoit tout ce que l'art de la magie
ne pouvoit leur donner , j'entends cette
vertu fympathique par laquelle Délie
& Lindor étoient fans ceffe attirés l'un
vers l'autre. Le Génie Bienfaisant les
en avoit doués fans les prévenir , & fans
qu'ils s'en fuffent apperçus , tant leurs
coeurs s'y prêtoient volontiers : dès - lors ,
fans cet Agent fecret, toute reffemblance
avec eux , devenoit infructueuſe .
On fe figure aifément la trifteſſe
où Délie & Lindor étoient plongés ;
ils ne trouvoient pas moins de bifarrerie
que d'injuftice dans la conduite de
leurs tyrans, ils n'efpéroient jamais fe revoir.
Quel état pour deux coeurs qui
s'aiment , & qui croient devoir s'aimer
toujours déja une nuit s'étoit écoulée
déja même le jour qui lui avoit fuccédé
étoit fur fon déclin , & Délie pleuroit
encore. Elle fe refufoit au repos ,
dédaignoit les alimens que l'Enchanteur
&
Bij
28 MERCURE
DE FRANCE
.
lui faifoit offrir. C'eft pour vivre , difoit-
elle , qu'on fe nourrit , & je ne
dois plus vivre , puifqu'il faut renoncer
à Lindor.
A l'inftant même elle croit entendre
Lindor
cet Amant lui crier : vivez pour
qui vous aime & qui vous eft rendu !
Une porte s'ouvre & Délie croit le voir,
en effet. Elle pouffe un cri de joie ,
veut voler à fa rencontre
: mais un pouvoir
inconnu l'arrête. Au .cri de joie
fuccéde un cri de douleur & de furprife.
Deux fois Délie veut tendre les bras
à celui qu'elle croit être Lindor , & deux
fois cette puiffance
intérieure
s'y oppofe.
Egarée , hors d'elle- même , ne
pouvant plus réfifter à l'antipathie
qui
l'étonne & la maîtrife , elle veut fuir ,
elle ne voit qu'avec une horreur mêlée
de défeſpoir , le prétendu Lindor à fes
pieds .
Celui - ci jugea dès lors que fon
ftratagême
n'auroit pas le fuccès qu'il
s'en étoit promis. On peut tromper
les yeux ; mais en amour , le coeur s'abufe
moins facilement. Il ne perdit cependant
pas toute efpérance . Quoi ! difoit-
il à Délie , quoi c'est vous qui me
fuyez ? c'eft à Délie que Lindor paroît
il vouloit odieux ? En même remps
AOUST. 1762. 29
prendre cette main que Délie offroit la
veille de fi bonne grace au véritable
Lindor , & Délie la retiroit en frémiffant.
Nouveaux motifs de regret pour ellemême.
Ses foupirs & fes fanglots la fuffoquoient
. Ah ! Lindor , s'écria -t - elle enfin
, ah cher Lindor ! plaignez-moi ' ....
que je vais être malheureufe... Lindor...
je ne vous aime plus !
Ciel ! s'écria l'Enchanteur , en prenant
encore une fois cette main que Délie
retira de nouveau , & toujours en pleurant
; Ciel ! c'en eft donc fait ? Eh que
deviendra le malheureux Lindor , fi vous
l'abandonnez ? Eh ! que deviendrai - je
moi-même fi Lindor m'abandonne ? reprenoit
l'affligée Délie ; fon nom feul
me pénétre l'âme. Cependant , il eſt
trop vrai que votre préfence me glace ...
Ah Lindor ! cher Lindor ! eft- il poffible
que je ne puiffe plus vous aimer ? En
achevant ces mots , Délie pleuroit de
plus en plus , & en même temps , faifoit
de plus grands efforts pour s'éloigner.
L'Enchantenr avoit la fcience , mais
non la méchanceté de fes femblables.
Il étoit patient ; vertu bien rare dans
quiconque peut fe difpenfer de l'avoir :
il ne voulut pas accabler plus longtemps
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
la charmante & naïve Délie. Je vais
lui dit-il , vous délivrer de ma préfence
qui vous gêne. Peut-être un autre
inftant me fera- t- il plus favorable ; peutêtre
vous rapellerez -vous que Lindor
yousfut cher & devroit vous l'être encore.
A ces mots l'Enchanteur s'éloigne
en effet. Délie veut le fuivre , & recule
après avoir fait deux pas . Elle veut
l'appeller , fa voix expire fur fes lévres.
Toute fa perfonne refte immobile ,
anéantie , pétrifiée.
Une fcène á peu- près femblable , fe
paffoit entre la Fée & Lindor. Celui-ci
renfermé comme Délie , étoit occupé
à gémir comme elle & pour elle . Toutà-
coup , il voit les portes de fa priſon
s'ouvrir comme d'elles-mêmes. Il s'échappe
& cherche des yeux quel endroit
de ce Palais peut renfermer Délie.
Sans elle la liberté , la vie même , font
pour lui peu de chofe. Du Palais qu'il
a inutilement parcouru , il pénétre dans
les Jardins. Là , il promene de nouveau
fes regards , perce d'un coup d'oeil les
allées les plus profondes , & n'apperçoit
rien . Il jette enfin les yeux à quelques
pas de lui , & voit ou croit voir ,
Délie couchée fur un lit de gazon, Délie
fe livrant à un fommeil paifible . Ciel !
AOUST. 1762. 31
c'eft elle , s'écria Lindor ! Ciel ! mon
coeur ne la devine- t- il plus ? n'auroitil
pas dû me conduire d'abord à fes
pieds ? pourquoi même n'y fuis-je pas
encore crains - je de troubler fon
fommeil l'Amour & la joye excufe
tout qu'ils foient mes feuls guides ...
Mais quelle eft cette tiédeur que j'éprouve
où font ces tranfports que
Déliefçut toujours m'infpirer? N'eft - ce
plus elle ne fuis-je plus moi- même ?
ce font-là fes traits , fes charmes ; quelle
autre pourroit les réunir ? Je l'entends
qui rêve, & c'est mon nom qu'elle répéte
. Elle m'appelle , & je n'ofe voler
dans fes bras.... Que dis-je , loin d'y
voler , je fuis prêt à la fuir !
Tels étoient les combats qu'éprouvoit
Lindor. Ils ennuyérent la Fée , qui ,
comme on le préfume bien , ne dormoit
pas. Elle paroît s'éveiller , fixe
Lindor & s'avance , avec précipitation,
vers lui. Quelle fut fa furpriſe de voir
qu'à mesure qu'elle faifoit un pas en
avant , Lindor en faifoit un en arrière !
Lui-même n'en étoit pas moins furpris
que celle qu'il fuyoit . Cher Lindor
difoit-elle , nos maux font finis ; PEnchanteur
& la Fée confentent à notre
bonheur , ils n'y mettront plus d'obſta-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
cles. Nous pouvons nous aimer , nous
le dire ; nous fommes libres & maîtres
dans ces lieux . Ainfi parloit la Fée ,
en s'avançant , & Lindor reculoit toujours.
>
Elle s'arrêta & Lindor en fit autant .
Ah ! Délie, s'écria- t-il , où fommes- nous?
quel affreux changement ! fe peut- il que
j'éprouve pour vous , prèfque la même
indifférence la même averfion que
pour la Fée ?... L'infolent ! difoit cette
derniere en elle-même.... Oui , pourfuivoit-
il , un afcendant invincible m'éloigne
de vous ; mais fans doute il
n'eſt point naturel ; c'eſt l'effet de l'art
de nos perfécuteurs. Ah Délie ! quels
lieux fommes-nous venus habiter ?
Quels lieux ! où l'on change ainfi , où
l'on peut changer pour Délie ! Que
je hais nos Tyrans , depuis qu'ils m'ôtent
le pouvoir de vous aimer !
La colère de la Fée étoit au comble.
Elle avance quelques pas , & heureufement
Lindor continue à retrograder.
La Fée eût oublié le rôle de Délie pour
reprendre le fien. Mais enfin elle conferva
celui qu'elle avoit d'abord pris ;
moyen beaucoup plus fùr de défefpérer
Lindor. Va traître ! Jui dit- elle , va porter
ailleurs tes vaines excufes ; elles ne
AOUST. 1762. 33
peuvent m'en impofer. L'amour eſt indépendant
de la magie . Il la foumet
lui - même à fon pouvoir. Va , fuis , renonce
pour jamais à Délie , comme elle
renonce pour jamais à toi. A ces mots
elle s'éloigne , & Lindor au défefpoir ,
ne peut , cependant, ni la rappeller , ni
la fuivre.
L'Enchanteur & la Fée fe retrouvent ,
& tiennent de nouveau confeil. Colère
crioit fort haut : Pacifique éffayoit de la
calmer. N'efpérons plus rien de la métamorphofe
, lui difoit - il , un inſtinct
fecret , plus fort que toute notre magie ,
empêche ces enfans de s'y méprendre.
D'ailleurs , j'ai pitié de leur fituation ....
Ayez pitié de vous - même , lui repliqua
la Fée toute furieufe : c'eft bien à un
Enchanteur à plaindre qui lui réfiſte ?
Allez , vous êtes indigne d'occuper un
rang ! Avouez , reprenoit - il , fur le ton
le plus paifible ; avouez que cette envie
de dominer nous a fait faire plus d'une
fotife ? Quelle petiteffe de les reconnoître
ajouta la Fée ..... Mais , par
exemple , cette métamorphofe bifarre
de Docile & de Brouillon , qu'en direzvous?....
Que ce font deux ennemis humiliés....
Mais vous fçavez combien ce dernier
fut impérieux & emporté... Il eut rai-
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
fon; & quant à nous peu nous importe,
il reftèra ce qu'il eft.... J'avoue que je
plains Docile , cette Fée fi douce & fi
patiente .... Elle eut tort de l'être ; elle
foutint mal fes droits ; & c'eft par dérifion
que je l'ai métamorphofée en aigle
.... Mais fi cette double métamorphofe
finit la nôtre ..... C'est ce qu'il
faut empêcher.... Mais fi Délie & Lindor
font éffectivement deftinés à
tre fin ? ... C'eft par cette raifon qu'il
faut les retenir ici : Brouillon , dans l'état
où nous l'avons mis , n'y pourra pénétrer
, & peu m'importe que Decile y
pénétre. L'Enchanteur fit encore beaucoup
d'autres objections , & y joignit
des raifons fi fages , & fi modérées ,
qu'il mit la Fée Colère entiérement hors
d'elle-même .
y met-
Elle parut, toutefois, fe calmer ; c'eftà-
dire , qu'elle fit un peu moins de bruit.
Eh bien , difoit - elle au Magicien , ufons
d'un nouveau préftige. C'eft peu d'avoir
emprunté , vous la figure de Lindor , &
moi celle de Délie ; je veux qu'ils paroiffent
être nous -mêmes aux yeux l'un de
l'autre. Mais , reprit l'Enchanteur , s'ils
continuent à s'aimer fous ce nouvel extérieur
? Tant mieux , dit encore la Fée,
nous ferions vangés , & ils feroient pu-
-
AOUST . 1762. 35
nis ; car vous préfumez bien qu'on ne
les perdra point de vue. L'Enchanteur
fit encore d'autres objections ; mais Colère
s'emporta , & Pacifique foufcrivit à
tout.
Pour Lindor , il continuoit à érrer en
infenfé , en furieux dans les jardins du
Palais . Il contemploit , avec défeſpoir ,
ce lit de verdure où il avoit cru voir
Délie , Délie qu'il croyoit avoir outragée
par fes dédains . Quoi ! c'eft elle que
je fuyois ? s'écrioit-il hors de lui-même ;
c'eft elle qui renonce à moi pour toujours
? J'ai pu ceffer de l'aimer ? J'ai pu
mériterfa haine ? Quel affreux afcendant
me domine !
En prononçant ces mots , il leva les
yeux au Ciel & vit un grand aigle voltiger
au- deffus de fa tête. Cet aigle tenoit
dans fes ferres un glaive qu'il laiſſa
tomber aux pieds de Lindor. Grace aux
Dieux , dit cet Amant affligé , voici un
reméde à mes maux .... Arrête ! lui cria
une voix qu'il ne reconnut pas ; le moment
de t'en fervir n'eft pas encore arrivé.
Sois toujours courageux , mais fache
l'être à propos. Lindor eut pour cet
oracle tout le refpect qu'on a pour les
chofes qu'on n'entend point : il fe faifis
B vj
36 MERCURE
DE
FRANCE
.
du glaive , & attendit l'inftant d'en pouvoir
faire ufage.
Mais une nouvelle épreuve attendoit
& Délie & lui- même . Le couple magicien
étoit convenu de leur fournir les
moyens de fe rencontrer. Délie s'apperçut
qu'elle pouvoit fortir de fon appartement
lorfqu'elle s'y croyoit le plus
étroitement refferrée. Elle parcourt de
nouveau ces jardins où d'abord elle avoit
vu fon cher Lindor avec tant de plaifir ,
où elle eſpére encore le voir, & réparer
fes froideurs involontaires . Il y étoit en
effet. Le fympathique inftin & qui les
conduit les a bientôt rapprochés . Tous
deux tréffaillent en s'appercevant , &
toutefois , ni l'un ni l'autre ne fe reconnoiffent.
C'eft la Fée , difoit Lindor :
c'eft l'Enchanteur , difoit Délie ....Ah !
fuyons , s'écrioient - ils chacun à part ; &
tout en difant ces mots , ils s'avançoient
de plus en plus. Ils font bientôt à portée
de fe parler , & toujours fans fe reconnoître.
L'émotion qu'ils éprouvent
les étonne & les afflige. Eft - il bien
vrai , difoit Lindor , en lui-même , eftil
bien vrai que j'aye pu fuir Delie ,
& que mon penchant m'entraîne vers la
Fée ? Eft- ce bien elle qui me cauſe cette
impreffion ſi vive , fi tendre , fi digne de
AOUST. 1762 37
Délie , que j'outrage ? Quelle perfidie !
Quel changement ! .... Délie fe faifoit
les mêmes reproches , y joignoit les mêmes
réflexions , fentoit & penfoit comme
Lindor. La fituation de ces deux
Amans ne pouvoit être ni plus critique ,
ni plus violente. L'Enchanteur & la Fée
en jouiffoient , fans être vus : c'étoit
pour eux une forte de triomphe , mais
un de ces triomphes dont on ne peut fe
difpenfer de rougir. Auffi l'Enchanteur
fe le reprochoit- il : quant à la Fée , elle
ne fe reprochoit rien . Pouvoit - ce donc
être un malheur pour Lindor de croire
l'aimer ? A l'égard de Délie , elle la trouvoit
un peu plus à plaindre de croire aimer
l'Enchanteur.
Le jeune couple avoit fait d'inutiles
éfforts pour fe parler avec indifférence .
Lindor cédoit à fon afcendant ; il étoit
aux genoux de la prétendue Fée ; il lui
parloit tendrement , & elle l'écoutoit ; il
tenoit une de fes mains qu'elle ne fongeoit
plus à retirer. C'eft, cependant ,
ma main qu'il croit tenir , difoit la Fée
à l'Enchanteur ? C'eft à mes genoux
qu'il croit être ! D'accord , reprenoit le
Magicien , mais , en même temps , c'eft
moi que Délie croit voir à fes genoux ;
c'eft à moi que fa main s'abandonne.
38 MERCURE DE FRANCE .
Cette obfervation ne plut point à la Fée.
Elle s'avance , & Lindor croit toujours
en elle appercevoir Délie. Il fe reléve
avec précipitation , avec honte. L'Enchanteur
avoit paru en même temps ,
&
Délie l'avoit également pris pour Lindor.
Quelle confufion ! quelle douleur ,
s'emparérent de fon ame ! Ce qui achevoit
de détromper & de défoler ce jeune
couple , c'eft qu'aux yeux de Délie la
Fée n'avoit point changé de figure , &
qu'il en étoit de même de l'Enchanteur
à l'égard de Lindor. Quoi ! difoit ce
dernier avec fureur : c'eft peu de tromper
Délie , il faut encore la rendre témoin
de mon infidélité ? Hélas , difoit
Délie à fon tour , que va penfer le malheureux
Lindor ? Je l'ai fui , & il voit
fon rival à mes genoux , fon rival que
j'y fouffre. Ah ! mourons .....Je n'y
puis plus tenir , difoit l'Enchanteur à la
Fée ; cette pauvre enfant va s'évanouir.
Eh ! laiffez , laiffez , difoit Colère , elle
fait bien ce qu'elle fait ; mais heureuſement
nous fommes ici.
Quant à Lindor , il étoit prêt à tourner
contre lui - même le glaive que l'aigle
lui avoft laiffé. Tout-à- coup , il voit
ce même aigle voltiger au-deffus de lui ,
tenant un ferpent monftrueux dans fes
AOUST. 1762. 39
ferres . L'Enchanteur & la Fée jettent
un cri , & reftent immobiles. L'aigle
continue de deſcendre, & laiſſe tomber
le ferpent aux pieds de Délie , que Lindor
croit toujours être la Fée. Elle
veut fuir. Quoi , dit-il , une Fée craindre
les ferpens ? N'importe , je ne veux
pas l'aimer ; mais je dois la défendre. It
dit , & fond fur le reptile , à qui d'un
feul revers il fait voler la tête. Mais
quelle fut fa furprife de voir ce même
ferpent devenir homme , & le ferrer
dans fes bras , en s'écriant : Ah , mon
fils ! ta générofité aura fa récompenfe :
reconnois ton père , reconnois Délie ,
que Délie te reconnoiffe . Nous allons
tous être vengés. En effet lorfque
Brouillon ( car c'étoit lui , avoit repris
fa forme , Pacifique avoit perdu la fienne.
Il érroit dans le jardin fous celle
d'un mouton . Mais la Fée n'avoit encore
fubi aucune métamorphofe ; elle
confervoit même la figure de Délie aux
yeux de Lindor , à qui la vraie Délie
paroiffoit toujours être la Fée , tandis
que lui-même n'offroit à fes regards
que les traits de l'Enchanteur. Nouveau
fujet de douleur pour ces jeunes Amans
à qui les épreuves les plus triftes fembloient
être réfervées. La Fée Colère y
40 MERCURE DE FRANCE.
›
mit le comble . Elle vouloit achever de
défefpérer fa Rivale . Regarde cet Aigle,
lui dit- elle ; c'eft ta mère. Elle gardera
cette forme aux yeux du monde
entier , & toi la mienne & moi la
tienne aux yeux de Lindor. Quoi ! s'écria
Délie , avec frémiffement , ma mère
confervera la figure d'un Aigle , moi
celle de la Fée , & la Fée la mienne ? ……..
Ah ! donnez-moi ce glaive ..... Délie
s'en faifit & alloit fe percer. Toute la
diligence de Lindor , ne put même empêcher
qu'elle ne fe bleffât légérement
à la main . Il en tombe quelques goutes
de fang ; auffitôt la Fée Colère
s'envole fous la forme d'une Chouette,
& l'Aigle redevient une femme digne
par fa beauté d'être la mère de Délie ;
mais Délie elle -même n'avoit pas encore
repris fes charmes aux yeux de
Lindor : Lindor offroit toujours les traits
de l'Enchanteur aux yeux de ſa maîtreffe
.
Le pauvre enfant ! difoit la Chouette
perchée fur un arbre , c'etoit pourtant
moi qu'il croyoit défendre ; c'eſt dommage
qu'il foit condamné à garder la
figure de l'Enchanteur. De fon côté le
Mouton difoit : il est bien trifte pour
Délie d'avoir troqué de vifage avec la
AOUST. 1762. 4I
Fée. C'etoit cependant une bonne femme
que cette Fée Colère , difoit à fon
tour l'Enchanteur Brouillon. En vérité
je regrette & je plains l'Enchanteur Pacifique
, ajoutoit en elle même , la Fée
Docile. Quant à Délie & à Lindor , ils
ne difoient rien , fe regardoient , s'aimoient
encore malgré leur figure étrangère
, & fentoient qu'ils s'aimeroient
beaucoup mieux fous leur figure naturelle.
Mais l'un & l'autre poufferent un cri
de joie à l'afpect du Génie Bienfaiſant .
Confolez- vous , leur dit - il , je ne vous
ai point perdus de vue ; & fur le champ
il ajouta , en s'adreffant aux Fées &
aux Enchanteurs : vous me paroiffez tous
quatre fort embaraffés ; avouez qu'on
rifque fouvent de l'être quand on a
tout pouvoir , excepté celui de réparer
fes fotifes ? c'eft pour mettre fin aux
vôtres , qu'aujourd'hui je deſcends parmi
vous ; mais commençons par ces jeunes
gens , qui en font les victimes , fans
jamais en avoir été les complices. Que
Délie , pourfuivit il , ceffe de reffembler
à la Fée ... Ah tant - mieux !
s'écria le Mouton . Que Lindor , ajouta
Bienfaifant , quitte les traits de l'Enchanteur
.. Ah tant
·
...
- mieux ! s'écria la
42 MERCURE DE FRANCE.
·
Chouette. Que Pacifique , pourfuivit le
Génie , reprenne fa forme pour ne la
plus quitter ... Ah tant-mieux ! s'écria
Lindor... Que Colère quitte la figure
d'une Chouette pour reprendre à jamais
la fienne ... Ah tant mieux ! s'écria
Délie. Ce n'eft pas tout , reprit encore
Bienfaifant , que Pacifique s'uniffe avec
Docile , & Brouillon avec Colère ...
Ah tant-mieux ! s'écriérent , en même
tems , & Colère , & Brouillon , & Docile
, & Pacifique.
On voulut remercier le Génie;il avoit
déja difparu. Les deux couples Magiciens
fe promirent bien de mettre fes
confeils à profit. Ils s'étoient fait réciproquement
affez de mal , pour bannir
d'entr'eux toute rancune : mais les
feuls vraiment heureux , furent Délie &
Lindor: ils n'avoient jamais opprimés
perfonne ; ils s'aimoient.
Par M. de la DIXMERIE.
AOUST. 1762. 43
-EPITRE
A M. DELALANDE , Membre de l'Académie
Royale des Sciences de Paris
, & Profeffeur de Mathématiques
au Collège Royal.
CELEBRB Élève de Newton ,
Aimable & délicat génie ,
Qui fçavez aufi bien le ton
De la bonne plaifanterie ,
Que vous fçavez donner leçon
D'Algébre & de Géométrie !
Vous Aftronome- Bel-Efprit ,
Que la docte & fage Uranie
Éclaire , protége & chérit ;
Quittez enfin l'Obfervatoire ,
Le télescope , le compas ,
Et fermez le laboratoire
Où vous favourez les appas
D'un aftronomique grimoire ,
Qui jufqu'ici ne me plaît pas,
Venez goûter dans la patrie
Dans votre famille chérie ,
Et près de vos tendres amis
Un repos aux Sçavans permis.
Mais , hélas ! voudrez-vous m'en croire !
44 MERCURE DE FRANCE .
Quand on fait le ferme propos ,
D'aller au Temple de Mémoire ,
On ne connoît point le repos :
On ne fçait point reprendre haleine ,
Si l'on ne touche pas la fin
De les travaux & de fa peine ;
Et l'on va toujours fon chemin.
Vous avez bien voulu prédire
Depuis longtemps l'inftant heureux
De votre arrivée en ces lieux ,
Où tout le monde vous defire .
Ah ! pour ma fatisfaction ,
Faites en forte , je vous prie ,
Qu'un jour cette prédiction
Se trouve auffi bien accomplie ,
Que celle que votre Uranie
Se plaît à faire tous les jours ,
Sur les Aftres & fur leur cours.
Par M. JAN... à Chaf en B...
Le Juillet 1762. (
ÉPIGRAMME
SUR un PETIT- MAITRE .
Js n'envierai jamais , je le dis franchement ,
La beauté dè ce Petit-Maître ;
Mais je voudrois uniquement
Etre auffi beau qu'il penſe l'être.
Par un Inconnu de Breffe.
AOUST. 1762: 45
LE PRINTEMPS ,
EPITRE à CHLORIS , pour l'inviter à
Se rendre à la Campagne.
Doux ornement de ces ruftiques bords ,
Viens ma Chloris , embellir ton empire ,
Viens de mes timides accords
Y perpétuer le délire ;
Viens , hâte - toi , c'est ici le féjour
Du jeune enfant de Cythérée :
Tout refpire , y chante l'Amour ,
Tout y peint à mon coeur ton image adorée ;
Tout s'anime dans ces beaux lieux ,
Tout renaît , & bénit fon être:
Dans ce féjour agréable & champêtre ,
Tout fatisfait le coeur , tout enchante les
Les troupeaux bondiffent ,
Les arbres fleuriffent ,
Le Zéphir léger
Daigne y voltiger ;
9.
Les amours s'y gliffent
Pour nous engager.
"
Dans ces boccages ,
Sousces ombrages
Le tendre moineau
yeux.
Pår fon doux ramage
46 MERCURE DE FRANCE .
Que redit écho ,
Des jours du bel âge
Trace le tableau .
Bientôt docile au penchant qui l'entraîne ,
Cédant avec tranſport à la loi du defir ,
L'inftinct le ramène
Vers le plaifir.
Toujours heureux , dans fon ardeur difcrette >
Il aime , il eft aimé : Dieux quel fort eſt le fien !
Il goûte le fouverain bien
Sans éprouver jamais l'amertume inquiette ,
Qui conftamment empoiſonne le mien .
Ah ! reviens , ma Chloris , feul charme de ma vie !
Viens dans ces lieux apprendre aux vrais Amans
Qu'il eft de fortunés momens
Pour deux coeurs qui bravent l'envie ;
Et qu'une heureuſe ſympathie
Fait naître d'aimables inftans
Que fait égayer la Folie.
Symbole d'un bien paffager ,
Le cours de cette onde argentée
Semble , hélas ! trop nous préſager
De nos beaux jours la trop courte durée :
Profitons de notre printemps ;
Le plaifir fuit , le temps s'avance ;
Trop tôt les hyvers accablans
Nous amèneront la prudence.
Amour , c'eft ici le tombeau
De toute flamme peu difcrette; •
A O UST . 1762. 47
Et dans notre ame ſatisfaite ,
Nous y confervons ton flambeau.
Heureux qui de tes traits aimables
Savoure la tendre douceur ,
De qui le trop fenfible coeur
Se plaît dans des liens durables !
Libre par tes feux
Sa raison expire ,
Il aime, il foupire .
D'un coeur amoureux
Ravillant délire ,
Ris , folâtres jeux ,
D'Hilas qui defire
Secondez les voeux ,
L'Amour qui l'inſpire ,
Veut le rendre heureux.
Déja l'Aurore impatiente ,
Quittant pour nous d'autres Etats ,
De fa lumière bienfaisante
Vient dorer nos heureux climats.
O ma Bergêre , ofe fuir l'embarras
Et le tumulte de la Ville !
Viens en ces lieux , viens goûter les appas
D'une félicité tranquille .
Amour qui fut nous animer ,
Dans ces lieux charmans te defire.
Oma Chloris , s'il eſt doux de s'aimer ,
Il eſt cent fois plus doux de pouvoir ſe le dire !
Par M. DAUGIER , Garde du Pavillon Amiral,
au Département de Toulon.
48 MERCURE DE FRANCE .
A L'AUTEUR DU MERCURE.
MONSIEUR ,
Heureux les Epoux qui ne s'aiment
pas ! C'étoit l'Epigraphe & la morale
d'un Conte inféré dans un de vos derniers
Mercures . Cent fois plus heureux
les Epoux qui s'aiment : c'est une vérité
de fait que pour le bien de l'humanité
, mille expériences démontrent .
Le dialogue que je prends la liberté
de vous adreffer en eft une nouvelle
preuve : il a été composé par une époufe
tendre & chérie ; c'eft Chonchette ,
elle-même , qui s'eft plû à célébrer ſon
bonheur d'une maniere qui montre
combien elle en eft digne. Son deffein
étoit , après en avoir amufé l'époux qui
partage fa félicité , de laiffer mourir
entre quelques amis , ce petit Ouvrage,
ainfi que beaucoup d'autres qui ont
déja eu le même fort ; j'ai cru qu'il
méritoit d'être inféré dans votre Journal
, & j'ai pensé qu'il étoit en quelque
façon de devoir de l'y mettre , ne fûtce
que pour la converfion des incrédules
A O UST. 1762. 49
dules en matière de tendreffe conjugale
. Je ne vous dirai point que l'aimable
Chonchette fe nomme dans le
monde Madame D *** , & que le nom
qu'elle porte , ainfi que fon époux
dans fon dialogue , eft un de ces noms
bizarres que l'Amour donne par hazard
, & que la familiarité confacre par
habitude ; je craindrois qu'une indifcrétion
complette ne me fit du tort dans
fon efprit , furtout fi, comme je m'y attends
, la vôtre fecondoit la mienne :
je prévois que j'aurai déja affez de peine
à obtenir que l'on me pardonne d'avoir
livré à l'impreffion un Ouvrage
qui ne m'étoit que confié.
J'ai l'honneur d'être , & c.
P. D. P.
DIALOGUE.
CHONCHON , L'AMOUR ET
CHON CHЕТТЕ .
L'AMOUR.
OH ! pour cela vous me jouez tous
les deux un vilain tour !
C
so MERCURE DE FRANCE .
CHONCHON,
De quoi donc , Chonchette , fe plaint
cet aimable enfant ? lui aurois -tu manqué
en quelque chofe ?
CHONCHETTE.-
Qui moi ? hélas , depuis fix mois je
ne fais que ce qu'il m'inſpire !
CHONCHON.
J'en dirois bien autant. Cependant
il paroît fâché.
L'AMOUR.
On le feroit à moins. Etois-je convenu
avec vous , que vous me garderiez
un fiécle après l'hymen ? quand je
fais à des époux la galanterie de paroître
à leurs nôces , c'eft à peu- près tout
ce que l'on peut éxiger de moi. Depuis
la vôtre , je n'ai pu m'échapper d'ici .
Combien comptez -vous que cela dure
encore.?
CHONCHON ET CHONCHETTE .
Tant que nous vivrons tous les
deux,
L'AMOUR,
Cela eft confolant ! je n'avois pas
AOUST. 1762.
51
-
prévu cette perfidie . Quoi , vous êtes
époux , & vous m'emprifonnez dans
votre coeur ! Pour l'Eftime , à la bonne
heure , elle pourroit vous le pardonner.
Mais moi ! ... c'eft me traiter un
peu cruellement.
CHONCHETTE.
Nous la tenons auffi captive volontaire
,au point qu'elle m'a donné pour caution
de fa conftance à refter avec nous ,
les aimables qualités dé mon Chonchon.
CHONCH ON .
Je puis t'offrir de fa part la même
garantie ; je vois toujours en toi les
mêmes charmes.
L'AMOU R.
Eh voilà ce qui me défole ! vit - on
jamais époux donner dans de pareils
écarts ? quoi ! voir ce qui n'eft plus ,
tandis que tant d'autres ne fentent plus
ce qu'ils voyent !
CHONCHETTE.
Telle eft précisément ma félicité ! &
je n'ai tant attendu que pour mieux
affurer mon bonheur......
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
CHONCHON.
Mais laiffes-moi donc le temps de
parler de celui que je goûte avec toi...,
L'AMOUR.
Oh ! je fuis perdu fans reffource : ce
combat de fentiment ne m'annonce que
trop l'éternité de mon esclavage : je vois
d'ici une fuite de procédés réciproques
qui, malgré mon dépit, m'enchaîneront
à eux pour la vie.
CHONCHETTE.
Nous voilà devinés , mais cela ne fait
pas caution. Crois-moi , Chonchon , faifis
-toi d'une de fes aîles tandis que
j'emporterai l'autre . En ceffant de craindre
fa légéreté , nous l'en aimerons encore
davantage .
CHONCHO N.
Je fuis de ton avis : mais où mettre
en fureté ce larcin ?
CHONCHETTE.
La nuit s'approche ; elle porte confeil
je me charge d'y rêver. Bon foir
à toute la Nature , excepté à toi.
AOUST . 1762. 53
ODE tirée du Pfeaume X.
UOI !
Quor ! l'on veut que
fuite ,
David , par une lâche
Se dérobe en tremblant à l'injufte pourfaite
D'un cruel oppreffeur ;
Tel que le foible oifeau qui , déployant fes aîles ,
Sur des monts escarpés fuit les fléches mortelles
Du vigilant Chaſſeur ?
Loin de moi ce confeil que la crainte me donne :
Le Seigneur,dont le bras jamais ne m'abandonne »
Sçaura me protéger.
Mon âme dans fon ſein a placé mon aſyle :
Elle s'y réfugie , & voit d'un oeil tranquille
Le plus preffant danger.
Saül , n'écoutant plus que fa jalouſe rage ,
Enchaîne , anéantit mon fidéle courage
Et mes juftes projets :
Guidé par la Fureur , aveuglé par l'Envie ,
Ce Prince impitoyable arme contre ma vie
Ses perfides Sujets.
Vain péril , tu ne peux ébranler ma conſtance ;
Dieu, dont je vais bientôt éprouver l'affiftance
Réfide dans les Cieux.
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
C'eft-là qu'il a fixé fon trône & fa demeure ;
De-là ce Dieu puiffant fur le pauvre à toute heure
Daigne baiffer les yeux.
Il tient fous fon pouvoir tous les enfans des hommes
;
As au haut des Cieux fur tous tant que nous
fommes
Je le vois dominer.
Ce Dieu , dont l'équité nous paroît aſſoupie ,
D'un regard interroge & le Jufte & l'Impie ,
Et fçait les difcerner.
Le fort de la vertu n'eft point celui du crime ;
Le vice triomphant pendant un temps l'opprime
Et le croit tout permis ;
Mais le Seigneur enfin fe déclare pour elle ,
Ecoute les foupirs , époufe fa querelle ,
Confond fes ennemis.
C'eft ainfi qu'en faveur de l'aimable innocence ,
Le Très-haut fçait dompter l'orgueilleufe licence
De l'homme criminel.
De nos fiers ennemis bravons donc la menace ;
Et fçachons oppoſer à leur coupable audace
Le bras de l'Eternel.
Non , ne redoutant rien , Dieu prendra ma défenſe
:
AOUST. 1762. 55
Ne craignons que ce Dieu que jamais on n'offenſe,
Avec impunité.
Un péril effrayant ici - bas m'environne ;
Mais le Seigneur eſt juſte , & du haut de fon Trône
Il venge l'équité .
VERS , pour mettre au bas du Portrait
de M. D'AQUIN , Organifte.
PEINTRE EINTRE toujours fécond , harmoniſte brillant ,
Bien moins admiré qu'admirable ,
Le célébre D'AQUIN , fublime en fon talent ,
A l'art encor d'être agréable.
Par M. GUICHARD .
IT
A MDE LA PLACE.
L ne tiendra qu'à vous , Monfieur , de
me rendre un fervice notable , en inférant
dans votre Mercure les Vers ci-inclus
. Je vous ai déja l'obligation d'avoir
fait voir le jour à mon projet fur les Foffiles
de France , mois de Mars 1760 .
Les Vers que je vous adreffe , Monfieur ,
font une espéce de badinage. Je difois
un jour à une perfonne de diftin&tion
1
Civ
56 MERCURE DE FRANCE .
qui vifitoit mon petit Cabinet d'Hiftoire-
Naturelle , que j'étois tenté de demander
l'aumône à tous les Seigneurs , &
Curieux opulens , dont les Collections
font fi merveilleufes. Il y eut à ce sujet
une forte de défi ; faites - moi gagner ,
Monfieur , s'il vous plaît : je pourrai gagner
de bien des façons .
J'ai l'honneur d'être , &c.
DALLET , l'aîné , Correfpondant de
l'Académie Royale des Sciences de
Rouen.
AValogne les Juin 1762.
EPITRE
Atous nos Seigneurs curieux ,
Salut &gloire enTerre comme auxCieux.
UN habitant d'une baſſe Province ,
Dont le coeur eft plein de defirs ,
Mais dont la fortune un peu mince
Le févre de tous les plaiſirs ,
Epris furtout de la gloire immortelle
De fuivre , & de baifer les pas
De cette gentille femelle
Qu'on nomme Hiftoire- Naturelle
Dont il adore les appas 3
AOUST . 1762. 57
Cet habitant du fond de la Neuftrie ,
Où Lachéfis file les triſtes jours ,
Loin du bonheur , des jeux , & des amours ;
S'adreffe à vous , Meffeigneurs , & vous prie
De vouloir par quelques bienfaits
Echapper de vos Cabinets
Enjoliver fon toît ruſtique ;
Sa reconnoiſſance autenthique
Suivra , je vous jure , de près.
Bienfaiteurs actuels.
Mlle De la Gardye.
Madame le Sauvage.
Madame de Colleville.
Meffieurs.
D'Argenville.
Le Cat.
L'Abbé De la Haye.
Do&teville.
De Réville .
De la Rue.
Joret.
Sival.
De l'Angle.
De Littiniere , &c.
Bienfaiteurs
Mefdames.
La Préfidente de Bendeville.
La Comteffe de Fuligny.
De Courtagnon.
De Chazot du Pleffis.
Meffieurs.
Le Duc de Chaulnes,
Hennin .
efpérés.
Du Bois Jourdain.
Le Chevalier Turgot
Le Marq. de Croiſmar
Davila.
L'Abbé Coutbout.
L'Abbé Aubry.
Le Comte de Treſſan.
Journu , de Bordeaux.
De la Faille.
Et tous ceux & celles qui voudront bien enrichis
de Demandeur,
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
IMITATION des Vers Anglois de
M. PRIOR , qu'il a intitulés :
CLOE HUNTING.
THEMIRE
HEMIRE un jour ayant perdu la Chaffe ,
S'égare dans un bois ; Apollon l'apperçoit ;
Comme elle a de Diane , & la taille & la grâce ,
Qu'elle a fes blonds cheveux , que de plus il lui
voit
Un Arc en main , le Dieu s'y trompe & croit
Voir Diane elle-même. A grands cris il l'appelle..
Ma foeur où courez- vous ? ma foeur ,
La Chaffe qui fans vous ne fauroit - être belle
Eft de ce côté- ci . Témoin de fon erreur ,
Le malin Dieu d'Amour , qui faifoit fentinelle
Auprès de fa Nymphe fidelle ,
Se mit à rire de bon coeur.
La méprife eft vraiment nouvelle ,
Dit l'enfant de Cypris , pour un fi grand Docteur,
La beauté qu'Apollon prend ici pour la ſoeur ,
Eft la gloire de mon empire.
C'eft l'aimable & jeune Thémire ,
A qui j'ai remis tous mes droits ,
Avec mon Arc & mon Carquois.
Sur ces bords enchantés arrofés par la Seine , *
2. Dans l'Anglois , la Tamife.
AOUST. 1762.
59
Seule elle éxerce un fouverain domaine.
Votre foeur qui brave mes loix
Oferoit- elle y rien prétendre ?
Allez aux rives du Méandre ,
Armé de ce dard meurtrier ,
Pourſuivre au gré de l'ardeur qui vous guide ,
Le Cerf léger , le Daim timide ,
Ou le féroce Sanglier.
Si d'un tel paffe -temps Diane fe contente ,
Thémire & moi journellement
Nous failons notre amuſement
D'une Chaffe bien différente :
Ce n'eft qu'au coeur humain que s'adreffent nos
traits.
En les lançant , Thémire eft fure
De faire une telle bleffure ,
Qu'on en mourra plutôt que d'en guérir jamais.
Par M, L. L. B.....
POUR Madame de Br ... le jour
•
> de la MAGDELEINE dont
-
elle porte le nom
1 .
MAGDELEINE fut fage & belle ,
Mais en deux temps bien différens.
***
J
Br , pour l'emporter fur elle ,
Eft belle & fage en même temps.
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
E Le mot de la premiere Enigme du
fecond Volume de Juillet eft la Refpiration.
Celui de la feconde eft la Rofe.
Celui du premier Logogryphe eft Procédure
, dans lequel on trouve cure ,
écu , écroue , eu , Pérou , re , or , cédre ,
Porc. Celui du fecond eft la feringue.
On y trouve rue , finge , ferin , figne ,
fein , grue , fire , reine , rufe , négre ,
nigar , nuc.
QUII
ENIGM E.
UBL eft mon fort ! fi- tôt que je ſuis née ,
On m'inſulte , on me bat ; mais malgré ces tourmens
,
La Coquette voudroit avoir ma deſtinée :
Plus je fuis vieille , & plus je plais à mes Amans`
AUTRE.
LORSQUE par de juftes liens
On fçait unir à moi celui qui me reſſemble ,
Nous ne faiſons plus qu'un enſemble ;
Je vois tout par les yeux , il voit tout par les miens.
Si je lui fais tenir quelque diſcours frivole ,
En revanche je fçais lui couper la parole.
AOUST. 1762.
61
LOGO GRYPH E.
Da la variété je préfente l'idée.
Tour , hors l'Etre fuprême, eft foumis à mes loix
J'habite également & l'antre de Prothée ,
Et le palais des Rois.
Veux-tu fçavoir , Le&eur , qui je ſuis ? Décompoſer
Raffemble mes dix pieds .... Mals qu'en est- il be
foin ?
Peut- être , fans aller fi loin ,
Trouveras - tu chez toi la choſe.
Mais non .... Lecteur , pourfuis ; va jufqu'au bout
Et d'un oeil attentif examine mon tout.
Tu trouveras en moi l'immortelle fubftance ,
Par qui l'homme ſe meut & penſe ;
Un figne de gaîté ; l'arbre majeſtueux
Dont la tête touche les Cieux ;
Un fleuve dont les eaux roulent l'or en Eſpagne ;
Prefque une ville de Bretagne ;
La prifon d'un oiſeau ; cet animal trompeur ,
Des rats grand exterminateur :
En un feul trait enfin pour peindre mon effence ,
Je n'ai rien de conftant que ma feule inconſtance.
Par M. LAUs de Boissy .
62 MERCURE DE FRANCE.
+
AUTR E.
Las neufs pieds , cher Lecteur , qui forment ES
mon effence ,
T'offriront , fans effort , un nom qui fut fameux ;
Un Héros de nos jours , dont la haute vaillance
Mérite moins encor que. le coeur généreux .
Combine maintenant , tu trouveras un être ,
Dont la vafte étendue embraſſe l'Univers ;
Ce que maint mortel veut paroître
Pour écarter le foupçon du revers ;
Ce que pour s'inftruire il faut faire ;
Le fruit du travail merveilleux
D'un infecte laborieux ;
Pour un jeune Ecolier une pénible affaire ;
Ce que craignoient ſouvent des combattans nouveaux
;
Un mot dont l'effet eft de fixer la mémoire ,
Quand on veut , avec fruit , étudier l'Hiftoire ;
Ce qui conferve enfin le vin dans les tonneaux.
Pourfuis , & tu verras le nom de ce Prophète
Exempt du fatal monument ;
Ce Sacrificateur, dont l'exemple touchant
Doit fervir aux parens d'inftruction parfaite ;
Ce qui s'écoule avec rapidité ,
Avec l'objet dont on eft enchanté ;
Ꭺ Ꮕ Ꮜ ᏕᎢ , 1762. - -
L'une des fources de la vie;
Ce qui doit exciter notre plus forte envie ;
Une note en Mufique ; un pronom relatif ;
Une plante commune ; une riviere en France;
Ce qui peut quelquefois défarmer la vengeance:
Encor .... Mais c'eft affez pour ton génie actif.
L. de Bordeaux.
AUTRE.
Si je fuis en entier , tout le monde fait gloire
De me fuir avec foin & de me détefter ; }
Mais qu'on ôte monchef, qui pourroit alors croire
Le temps que bien des gens paffent à me chere
cher ?
.
Par le même.
193 294 aland ho
64 MERCURE DE FRANCE.
Un
CHANSON.
N jour dans le fond d'un boſquet
Coridon chantoit un air tendre;
Chloris qui cherchoit du muguet ,
S'approcha pour le mieux entendre.
Mais ce Berger appercevant
Celle pour qui fon coeur foupire :
C'est vous , dit-il , objet charmant ,
C'eſt vous , c'eſt vous qui cauſez mon martyre;
Bergère , depuis l'heureux jour ,
Que je vous vis dans la prairie ,
Flater , careffer tour-à-tour
Mon chien & ma brebis chérie ,
Pour vous je brûle conſtamment ,
Sans avoir ofé vous le dire.
C'est vous , Chloris , objet charmant ,
C'eſt vous , c'eſt vous qui cauſez mon martyrë.
Ouije brûle du plus beau feu ,
On ne peut aimer davantage.
Chloris furpriſe de l'aveu ,
Reprend le chemin du Village.
Coridon marche fur fes pas ,
Et ne ceffe de lui redire
C'eſt vous , belle Chloris , hélas !
C'estvous , c'est vous qui caufez mon martyre
Tendremt.
Un jour
dans lefond d'un bosquet
, Cori _ =
don chan toit un air
tenare
, Cloris qui
cher
W
choit du muguet S'ap -pro
-cha
pour
le
mieux
entendre
: Mais
le berger
apperce
vant
Celle pour
qui son coeur
soupire
,
C'est
vous,dit - il, objet
charmant
. C'est
vous,
C'est
vous qui
cau- ser mon
marti
..
re
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOM
AND
TILDEN
FOUNDATIONE
,
AOUST. 1762.
65
De ces feux , le Berger diſcret ,
Lui promit de faire un mystère ;
Chloris qui l'aimoit en fecret,
L'écouta bientôt fans colère ;
Et le regardant tendrement ,
L'entend avec plaifir redire ,
C'eſtvous , Chloris , objet charmant ,
C'est vous , c'est vous qui caufez mon martyre.
Le lendemain , dans le boſquet,
Chloris du matin va fe rendre ,
Pour cueillir un autre bouquet ,
Et fon Berger va l'y ſurprendre.
Elle reconnoît fon vainqueur ;
Elle rougit , elle foupire ,
Et Coridon a le bonheur
De voir , de voir la fin de fon martyre.
L' Air & les paroles font de M. Depe…………
66 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
ÉCOLE MILITAIRE :
OUVRAGE compofé par ordre du
Gouvernement. A Paris, chezDurand,
rue du Foin , 1762. 3. vol. in- 12 .
"
PREMIER EXTRAIT.
LES Auteurs Grecs & Latins ,
» dit l'Auteur , ont recueilli avec foin
» & avec goût , les particularités de la
» vie des grands Capitaines de leur Na-
> tion , qui pouvoient élever les efprits
» & les animer à la défenfe de la Pa-
» trie.
» Le Miniſtère a cru que l'Hiftoire
» moderne , comme l'ancienne , de-
» voit préfenter des traits d'activité
d'intelligence , d'humanité , de pré-
» fence d'efprit , de fermeté , d'hé-
» roïfme ; & il m'a fait l'honneur de
» me charger de les raffembler.
»
» Il m'eft venu d'abord dans l'efprit
AOUST. 1762. 67
» de commencer mon travail où les
» Ecrivains originaux de l'Antiquité
» avoient fini le leur ; mais lorfque
» j'ai fait réfléxion que la décadence de
» l'Empire Romain avoit entrainé la
» ruine de l'Art de la guerre comme
» la ruine des autres Arts ; j'ai pensé
» qu'on ne pourroit tirer , ni beaucoup
d'inſtruction , ni un grand encoura
» gement de la routine d'une longue
» fuite de fiécles barbares .
"
"
» L'expédition de CHARLES VIII.
» en Italie 2. m'a paru l'époque à la-
» quello jo dëvois me fixer. Alors feule-
» ment on a commencé à foupçonner
» des principes qui ont été développés
" fucceffivement , & que le Prince
» Maurice d'Orange & le grand Guftave
» ont enfin mis dans tout leur jour .
" Quoique j'écrive pour les François ,
» j'ai puifé dans les Faftes de toutes les
» Nations de l'Europe ; en mettant fous
» les yeux de nos jeunes guerriers les
» vertus & les talens de leurs Ancêtres,
» il m'a paru important de les convain-
» cre que les ennemis qu'ils avoient à
» combattre avoient auffi des talens
» & des vertus. Cette conviction qui
» feroit une impreffion dangereufe fur
»
"
"
"
"2 des ames foibles , doit naturellement
68 MERCURE DE FRANCE.
» redoubler les efforts d'un Peuple que
» l'honneur a toujours guidé.
" J'ai longtemps balancé fi je mêlerois
quelques fentimens bas , quek-
" ques actions déshonorantes , parmi
» les fentimens généreux , les actions
éclatantes qui font le fond de ce re-
» cueil. Des Officiers diftingués m'ont
» perfuadé qu'il étoit éffentiel de gra-
» ver profondément dans tous les coeurs,
» que la honte de la lâcheté , de l'avi-
» dné de l'incapacité fe perpétuoit
» comme la gloire de l'intrépidité , du
» défintéreffement , de l'application .
>
» Le grade militaire n'a point in-
» flué fur le choix des difcours & des
» faits propres au but qu'on fe propo-
» foit. Le Soldat qui, comme fes Chefs ,
»a befoin d'encouragement , eft fuf-
» ceptible d'émulation , verra que s'il
» remplit fes devoirs avec diftinction ,
» s'il a des occupations heureuſes , il
» peut efpérer d'occuper fes contempo-
» rains & la poſtérité.
"
"
Quelques perfonnes auroient defiré
qu'on rangeât les matières fous
» certains tîtres. Des Généraux conful-
» tés , ont craint la monotonie de cette
» méthode. Ils ont préféré l'ordre chro-
» nologique , qui , outre l'agrément de
AOUST. 1762. 69
la variété, préfenteroit la marche &
» les progrès de la fcience la plus fu-
" nefte , & malheureuſement la plus
» néceffaire .
" L'ufage de ce Livre ne doit pas être
" borné à Meffieurs les Eléves de l'E-
" cole Militaire. Tous les jeunes gens
» qu'on deſtine au fervice , tous ceux
» qui y font entrés en tireront le plus
» grand fruit. J'ofe encore former un
» fouhait ; c'est qu'on en établiffe la
» lecture journaliere dans les chambrées
» des Soldats.
» Les Officiers de toutes les Nations
» de l'Europe , font invités à recueillir
» ce qui entre dans le plan qui a été
" tracé. Le Libraire recevra leurs pa-
» quets francs de port , & les remettra
à l'Auteur. Avec ce fecours , on
parviendra à élever à la gloire de
» l'Europe moderne un monument
» peut être auffi refpectable que tous
» ceux qui nous reftent des temps les
» plus héroïques.
,
Telle eft l'idée que l'Auteur a tracée
lui -même , de l'Ouvrage que nous annonçons.
Quelques citations feront juger
de l'exécution.
Le célèbre Génois Chriftophe Colomb
entreprend la découverte de l'Amérique
70 MERCURE DE FRANCE .
pour la Reine de Caftille . Ce fut dans
I'Ile de Saint-Domingue qu'il forma
fon premier établiffement , qu'il appella
le Fort Ifabelle , du nom de la Princeffe
qu'il fervoit. Le manquement abfolu
de toutes chofes qu'on y éprouve
donne occafion à Pedro Marguerit , qui
y commande , de faire une action toutà
-fait héroïque .
Un Indien lui apporte deux Tourterelles
en vie ; il les reçoit , les paye &
prie une partie de fa Garniſon de monter
avec lui au lieu le plus élevé de la
Citadelle. Meffieurs , leur dit-il , en tenant
dans fa main les deux Tourterelles,
je fuis bien fáché qu'on ne m'ait pas
apporté de quoi vous régaler tous ; mais
je ne puis me réfoudre à faire un bon
repas , tandis que vous mourez de faim.
En achevant ces mots, il donna la liberté
aux deux oifeaux.
Chriftophe Colomb fait une defcente
à la Jamaïque , où il veut former un
établiffement. Les Infulaires s'éloignent
du rivage , & laiffent manquer les Caftillans
de vivres. Un ftratagême très-fingulier
eft mis en ufage dans cette occafion
préffante.
Il doit y avoir bientôt une Eclipſe de
AOUST. 1762. 71
Lune . Colomb fait avertir les Chefs des
peuplades voifines , qu'il a des chofes
très -importantes à leur communiquer.
Après leur avoir fait des reproches trèsvifs
fur leur dureté , il ajoute d'un ton
affuré Vous en ferez bientôt rudement
punis : le Dieu puiffant des Espagnols
que j'adore , va vous frapper de fes plus
terribles coups. Pour preuve de ce que je
vous dis , vous allez voir dès ce foir la
Lune rougir , puis s'obfcurcir & vous
refufer fa lumière. Ce ne fera- là que
prélude de vos malheurs , fi vous ne profitez
de l'avis que je vous donne.
le
L'Eclipfe commence en effet quelques
heures après ; la défolation eft extrême
parmi les Sauvages : ils fe profternent
aux pieds de Colomb , & jurent
qu'ils ne le laifferont manquer de
rien. Cet homme habile fe laiffe toucher
, s'enferme comme pour appaifer
la colère célefte , fe montre quelques
inftans après , annonce que Dieu eft appaifé
, & que la Lune va paroître. Les
Barbares demeurent perfuadés que cet
Etranger difpofe à fon gré de toute la
Nature , & ne lui laiffent pas dans la
fuite le temps même de defirer.
Quelques Portugais font faits prifon72
MERCURE DE FRANCE.
,
niers dans l'Inde . Comme leur Nation ,
dans le temps de fes prodigieux fuccès ,
trouve cet événement honteux elle
ne s'empreffe pas de les racheter. Le
Pere de Lauriere , vertueux Francifcain ,
qui eft avec eux , demande qu'on le
laiffe partir pour aller traiter lui - même
cette affaire. Le Roi de Cambaie , paroiffant
inquiet du retour , le Religieux
détache fon cordon , & le lui met en
main , comme le gage le plus affuré de
fa foi : fur cela feul on le laiffe partir.
Sa négociation eft infructueuse , & il
revient dans les fers. Le Roi eft fi frappé
de cette fidélité , & il conçoit une fi
haute opinion d'un peuple qui produit
des hommes capables de cet acte de
vertu , qu'il les renvoye tous fans rançon
.
Soliman , ce fier Souverain des Turcs,
dont les talens font fort grands , & l'ambition
fans bornes , attaque la Hongrie
& prend Belgrade qu'on regardoit comme
le boulevard de la Chrétienté. II
vient de faire cette importante conquête,
lorfqu'une femme du commun s'approche
de lui , & fe plaint amèrement de
ce que des Soldats lui ont enlevé des
beftiaux qui faifoient toute fa richeffe :
Il
AOUST. 1762 . 73
Il falloit que vous fuffiez enfevelie dans
un fommeil bien profond , lui dit en riant
le Sultan , puifque vous n'avez pas enrendu
venir les voleurs ? Oui , je dormois
, Seigneur , répond- elle ; mais c'étoit
dans la confiance que votre Hautefe
veilloit pour
la sûreté publique. Le Prince
qui a de l'élévation approuve ce mot,
tout hardi qu'il eft , & répare convenablement
un dommage qu'il auroit dû
empêcher.
Les Impériaux & leurs Alliés qui entreprennent
de chaffer les François du
Milanès , croyent devoir commencer
par s'emparer de Parme. Il furvient pendant
le fiége mille contretemps qui doivent
les déterminer à l'abandonner. On
tient fuivant l'ufage beaucoup de confeils
, fans rien décider. Enfin le Marquis
de Pefcaire plus hardi que les autres
dit : je vois bien que nous fommes
tous d'un même avis mais que
perfonne n'en veut paroître l'Auteur.
Pour moi qui n'ai en vue que le bien
commun , je conclus fur tout ce qui
été dit & que tout le monde fçait , à
lever le fiége. Dès qu'il a fait cette ouverture
les Généraux parlent tous
>
2
D
74 MERCURE DE FRANCE .
comme lui , & on prend l'unique partì
qu'il y avoit à prendre.
Les Impériaux affiégent les François
dans Foffan , ville du Piémont .
Montpefat montre dans la défenſe de
cette Place un courage héroïque & une
capacité extraordinaire à la fin ; cependant
, comme il manque de tout ,
s'engage à fe rendre , fi dans quinze
jours il n'eft pas fecouru .
il
Dans cet intervalle , Charles -Quint
arrive au camp , où Antoine de Léve
fon Général lui préfente la Roche du
Maine , un des ôtages que les Affiégés
ont donné. Le Prince qui connoît beaucoup
de réputation cet Officier , fait
devant lui la revue de fon armée , &
veut fçavoir ce qu'il en penfe. Je la
trouve , dit-il , plus belle que je ne voudrois
; maisfi Votre Majefté paffe les
monts , elle en verra une plus lefte encore.
L'Empereur lui dit enfuite qu'il va
vifiter les Provençaux qui font fes Sujers.
Je vous affure , reprend-il , que
vous les trouverez fort défobéifans.
L'entretien s'échauffant infenfiblement,
Charles demande, combien il y a de
journées du lieu où ils font jufqu'à Paris.
Si par journées vous entendez des
batailles , il y en a douze au moins ,
AOUST. 1762.
répond le Gentilhomme François , &
moins que vous ne foyez battu dès la
premiere.
Un jour que le fameux Portugais Jean
de Caftro fe promenoit dans Lisbonne
il apperçut fur la boutique d'un Tailleur
un habit galant , & demanda pour qui
il étoit. Quand on lui eut répondu que
c'étoit pour un de fes enfans il prit
des cifeaux , le coupa en piéces & dit
au Tailleur : dites à ce jeune homme qu'il
fe falſe faire des armes. Et quoi plus ?...
des armes.
›
Le Maréchal de Briffac vient à bout
d'emporter d'un coup de main la ville
de Quiers dont il croyoit ne fe rendre
maître que par un fiége régulier. Les
vainqueurs fe flattent ouvertement que
ce premier avantage fera rapidement
fuivi des plus grands fuccès. L'Hiftorien
Davila qui fe trouve parmi les
Troupes Efpagnoles qui défendoient la
Place , dit à l'un d'eux : Vous avez bien
fçu , Meffieurs les François , commencer
la guerre à votre avantage ; mais j'efpére
que l'impatience & la légèreté avec
lefquelles vous conduifez vos affaires ,
rétabliront les nôtres. On rapporte ce
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
difcours au Maréchal , qui répond : Cet
Etranger nous connoît de longue main .
Dans le temps de l'héroifme des Portugais
dans l'Inde , un Soldat qui étoit
dans l'Ifle de Ceylan , ofa defirer
un jour un oignon. Que demandezvous
, lui dit froidement fon Capitaine ?
les Portugais n'ont pour toutes_provifions
que du pain , de l'eau , de la poudre
& des balles. On ne les accoutume
point aux mets exquis.
Le Portugais Hem Lopès Carafco
eft attaqué à l'Ifle de la Sonde par le
Roi d'Achem. Il fe défend avec une
valeur plus qu'humaine , Tranquille dans
le plus grand péril , il paroît travailler
aux apprêts de quelque Fête confidérable.
Au milieu du combat , il eſt fi
dangereufement bléffé, qu'on croit qu'il
a été tué, Son Fils qui eft dans l'inftant
averti de ce malheur , répond fimplement
en continuant de combattre: C'eſt
un brave homme de moins : mais nous
vivons encore'; triomphons , & méritons
une mort auffi glorieufe que la fienne.
Les Efpagnols avoient été chaffés de
Maftricht par les Habitans , mais ils
AOUST. 1762. 77
-
étoient réftés les maîtres de Wich , petite
partie de la Place , féparée de l'autre
par la Meufe. Les vaincus humiliés d'un
affront auffi fenfible , qui vient uniquement
de leur négligence , veulent réparer
fur le champ leur faute , en reprenant ce
qu'ils ont perdu. Comme ils n'y voient
d'obſtacle que celui qu'y mettent quelques
piéces de Canon placées fur le pont
qui joint les deux Villes , ils prennent
pour évirer ce danger une réfolution
très extraordinaire . Ils mettent devant
eux toutes les femmes de Wich qu'ils
peuvent prendre. Avec ce rempart ils
entrent fur le pont ; & couverts de ces
finguliers boucliers , ils tirent hardiment
& furement fur les Citoyens , qui ne
pouvant fe défendre fans tirer fur leurs
parentes , ou du moins fur les femmes
de leur parti , quittent leur pofte , ſe réfugient
dans leurs maifons , & abandonnent
le champ de bataille aux Efpagnols
, qui fe trouvent maîtres de la
Ville , fans avoir couru de rifque .
L'Espagnol Lopez de Acunha , s'armant
à la hâte pour un coup de main
dit à deux Domeftiques qui l'habillent
de mettre mieux fon cafque , parce qu'il
lui caufe une grande douleur à l'oreille .
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
On lui foutient obftinément que cela.
ne peut pas être ; & fans infifter davantage
, il part pour le lieu où le danger &
la gloire l'appellent. A fon retour , il jette
fon cafque & fon oreille , & dit à
fes ferviteurs avec douceur : Ne vous
difois-je pas que mon cafque étoit mal
mis ?
Dom Juan de Guzman devant qui on
contoit ce trait fingulier , avoua que
s'il eût été Dom Lopez , il eût coupé
les oreilles à ces deux coquins. C'eût été ,
lui dit Dom Juan d'Autriche , vendre la
fienne à vil prix , au lieu d'acheter comme
Dom Lopez toutes les Langues de la
Renommée , qui célébreront à jamais fa
modération.
Le brave & vertueux la Noue méne
un Corps de François au fecours des
Confédérés des Pays-Bas. Les fuccès
qu'il a , élévent fi fort l'âme de fes Soldats
, fes exemples leur infpirent une
telle ardeur pour la gloire , qu'ils ne
fongent point à s'enrichir par le pillage ,
dans le temps que la guerre n'eft qu'un
brigandage , qu'ils négligent même de
recevoir leur paye. Sur ce qu'on leur
annonce que leurs montres font arrivées
à Menin , ils répondent qu'ils ne
AOUST. 1762. 79
fçavent point perdre à compter de l'argent
, le temps qu'ils peuvent employer a
vaincre.
On peut voir , par ce qu'on vient de
lire,dans quel goût eft traité l'Ecole Militaire
. Elle deviendra fans doute la lecture
la plus ordinaire des Officiers , & fervira
de bafe à l'éducation des jeunes gens
qu'on deftine au fervice . Les Profeffeurs
& les Inſtituteurs particuliers y trouveront
des fecours abondans pour former
l'âme de leurs Elèves , à quelque profeffion
qu'ils foient deftinés : l'élévation
du coeur eft de tous les états.
Il est très-beau à notre miniftere d'avoir
formé un projet auffi utile , & fort
honorable pour M. l'Abbé Raynal d'a
voir été chargé de l'exécution .
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
VARIÉTÉS PHILOSOPHIQUES
& Littéraires ; vol. in- 12 . de 250 pag.
à Londres , & fe trouvent à Paris
chez Duchefne , Libraire , rue S. Jacques
, 1762.
Lectorem delectando , pariterque monendo..
CE
Horatius.
E Vers d'Horace fe lit au frontifpice
du Livre dont nous allons rendre
compte Ouvrage qui fuppofe beaucoup
de talens & de connoiffances. On
y voit un homme d'efprit , qui écrit
avec élégance & nobleffe , un Hiftorien.
qui raconte avec intérêt , un Littérateur
dont le goût für , modère les élans d'une
imagination vive & brillante , un Poëte ,
même , qui vérfifie avec aifance , un Citoyen
qui a des vues utiles , & un Sçavant
qui pofféde plufieurs Langues , tant
anciennes que modernes.
" J'ai lu , j'ai réfléchi , dit l'Auteur
» dans fa Préface ; voilà en deux mots.
» toute l'Hiftoire de l'Ouvrage que j'of-
» fre au Public. Une penfée qui m'a
"frappé dans la lecture des meilleurs Au-
» teurs , tant anciens que modernes , &2
A O UST. 1762. 81
"
"
» qui m'a paru préfenter un grand fens,
» a été l'occafion fubite de chacun des
» difcours qu'on va lire . Ces efpèces
» d'étincelles qui m'ont fervi d'Epigra-
» phes , ont quelquefois caufé un em-
» brafement , & mes réfléxions fe font
» multipliées ; quelquefois je les ai
» étouffées dès leur naiffance , pour laif-
» fer au Lecteur le plaifir piquant de
» les ranimer. Montagne difoit : de cent
» membres &vifages qu'a chaque chofe ,
» j'en prends un , tantôt à lécher feule-
» ment , tantôt à effleurer , & par fois
» à pincerjufqu'à l'os. Je l'ai imité en
» ce point ; de-là ces deffeins ou ébau-
" chés ou finis ; de là ces difcours plus
» ou moins longs . Je conviens que cette
» diftribution inégale des fujets , n'a
" été fouvent de ma part , que le pur
» effet du caprice ; j'ofe cependant ef-
» pérer que cette variété ne fera pas le
» moindre agrément de l'Ouvrage. Mon
» but étoit d'inſtruire & de plaire ; j'a-
» vois donc deux écueils à éviter ; d'un
» côté , la morgue du pédantifme
" prèfque toujours inféparable de l'in-
» ftruction ; de Fautre côté , ce ton de
» futilité qui ne règne que trop dans
» ce que nous appellons Ouvrages
nagréables. Pour fur ces deux exces ,
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
» j'ai cru devoir femer de traits Hiftoriques
la morale de cet Ouvrage. Je
» ne fais ordinairement que les indi-
» quer ; mais ces fimples indications
» doivent fuffire , dès qu'elles fervent
» de réminifcences aux gens inftruits
» & qu'intéreffant la curiofité de ceux
» qui ne le font pas , elles peuvent leur
infpirer du goût pour la lecture , & c.
>>
Le corps du Volume renferme cinquante-
neuf Chapitres qui ont chacun
leur Epigraphe en différentes langues ,
mais que l'Auteur a toujours foin de
traduire en vers Francois , de manièreà
faire honneur à fon original . Le premier
Chapitre a pour titre, les avantages
de la Science. Euffé-je, difoit l'Empereur
Didier Julien , euffé - je un pied dans
le tombeau , l'étude auroit encore des
charmes pour moi ..... » On cherche
depuis longtemps une panacée uni-
» verfelle ; ceux qui aiment l'étude l'ont
» trouvée : elle adoucit nos maux , dif
fipe nos chagrins , vivifie toutes les
» facultés de notre ame , & lui donne
» ( qu'on me paffe l'expreffion ) un cer-
» tain embonpoint que ne lui procureroient
jamais les autres plaifirs auxquels
elle pourroit fe livrer . C'eft-là,
2 fans doute , ce qu'un célèbré CourA
O UST. 1762 . 83
» tifan * voulut faire entendre , lorfqu'il
» répondit à LOUIS XIV. qui lui de-
» mandoit à quoi lui fervoit de lire ?
» Sire , la lecture fait à mon efprit ,
» ce que vos Perdrix font à mes jouës.
Le fecond Chapitre qui eft fur les
agrémens de la Campagne , merite d'être
lû en entier. Ce Vers de Virgile lui ſert
d'Epigraphe.
Oforunatos nimium ,fuafi bona norint,
Agricolas ! Virgile.
Que tu ferois heureux , ô Citoyen champêtre !
Si dans le fein des biens tu fçavois les connoître.
Le tableau qu'on nous trace ici de
la vie champêtre eft de toute beauté ,
le Bel-Efprit y marche de pair avec le
Philofophe , & tout ce que la Poëfie
a de plus brillant & de plus gracieux
y affaifonne des vérités de la plus faine)
morale:
On lit dans le troifiéme Chapitre fur
les tombeaux , » qu'un Perfan ** auſſi
» diftingué par fa naiffance que par la
" pénétration & la folidité de fon ef
* Le Duc de Vivonne..
** Hormifdass.
Dvjj
84 MERCURE DE FRANCE.
» prit , ayant vu Rome dans fa fplen-
» deur , l'Empereur lui demanda ce
"
,
qu'il penfoit des magnificences qui
» s'y étoient offertes à fa vue , & s'il ne
» fouhaiteroit pas y fixer fon féjour ?
Seigneur , lui répondit-il , rien n'eft comparable
aux beautés qui fe font préfentées
à mes yeux : mais vous l'avouraije
? je n'en ai été ni ébloui ni touché.
Au milieu des Obélifques , des Arcs de
Triomphes , des Palais , des Temples &
des autres Edifices que cette illuftre Métropole
renferme dans fon fein , j'ai vu
des Tombeaux. Puifque l'on meurt à
Rome comme en Perfe , toutes les beaurés
de Rome s'éclipfent à mes yeux-
Parcourons rapidement les autres Chapitres.
La modération dans les defirs
conftitue l'éffence du bonheur , fi l'on
en croit notre Philofophe. » Soyons
» modérés dans nos defirs , le bonheur
» nous fuivra partout. Avant de nous
» livrer à l'impétuofité , calculons du
» moins les maux & les plaifirs dont
» leur accompliffement doit être fuivi.
» La Sageffe , dit agréablement à ce pro-
" pos ,
l'Auteur des Mondes la Sa-
» geffe doit avoir toujours les jettons à
» la main.
Le Chapitre de la Liberalité décéle
AOUST. 1762. 85
une grande ame & pleine de fentimens
nobles & généreux. On y donne des
exemples aux Grands fur la manière dont
ils doivent régler leurs libéralités. Quas
dederis , folas femper habebis opes.
Les biens que vous donnez font les feuls qui vous
reftent.
Cette traduction du vers latin eft
très -heureufe.
On demande fi l'on doit être libéral
même à l'égard des méchans ? oui , ſans
doute , » parce que le méchant même,
» dès qu'il eft indigent & malheureux , a
» en cette qualité des droits fur les lar-
» geffes d'un bon coeur. » Réponse digné
d'une ame fenfible .
Les Chapitres qui regardent l'Etude
des Langues & les Voyages méritent
une attention particulière. L'Ecrivain
paroît les avoir travaillés avec complaifance.
L'avantage des Voyages & la maniere
de les faire , voilà les deux points fur
lefquels roulent tout ce Chapitre intéreffant
, auquel on ajoute un projet qui
feroit très-utile à l'État & qui nous paroît
en même temps facile à exécuter.
Le Chapitre du Luxe , de la Louange
, de la Concorde , de l'Ingratitude ,
86 MERCURE DE FRANCE.
de la Reconnoiffance , & de la Cruauté
à l'égard des animaux, nous fourniffent
plufieurs traits frappans & des anecdotes
curieufes. Les Parifiens & tous ceux
qui connoiffent la Capitale du Royaume
liront avec plaifir les Chapitres de Paris
tel qu'il fut , ou de Paris futur , ou tel
qu'on fouhaite qu'il devienne. Dans le
premier , l'Auteur nous fait voir qu'il
poffède à fond l'Hiftoire de cette grande
Ville. Dans le 2° , il propofe différens
projets pour l'embellir , qui ne peuvent
avoir été infpirés que par un zéle vraîment
patriotique. Le refte du Volume
contient vingt - quatre ou vingt - cinq
Chapitres également curieux , inftructifs
& amufans. Nous y renvoyons le Lecteur
en lui indiquant quelques Articles ,
entr'autres fur l'orgueil de quelques Savans
, les grands événemens occafionnés
par les petites cauſes , l'humanité , les
préjugés nationaux , qu'est-ce qu'un Génie
? Les moeurs des anciens Guerriers
&c.
Nous terminerons notre Extrait en
citant une partie du dernier Chapitre,
qui fert de conclufion à cet Ouvrage
eftimable.
AOUST. 1762.
87
CONCLUSION DE L'OUVRAGE..
Majores majora fonent ; mihi parva locuto,
Sufficit in veftras fæpè redire manus. •
Martialis , Lib. 9 .
Auteurs volumineux que le vulgaire admire ,
Infatigables Ecrivains ,
Ecrivez plus qu'on n'en peut lire;
Pour moi , cher Lecteur , je n'afpire
Qu'au plaifir de me voir fouvent entre vos mains.
,
» Mon ambition littéraire fera fatisfaite
, fi je me fuis fait goûter par les
» vérités utiles que j'ai tâché de répan-
» dre dans le cours de cet Ouvrage
» fruit de mes momens de loifir. Ma
» plume n'a été guidée que par le defir
d'infpirer de l'amour pour la vertu ,
»& du goût pour les beaux Arts . Puiffent:
» ces fentimens germer dans tous les
» coeurs ; puiffent- ils s'y conferver ! »
»
Tandis que dans les prés , on verra les ruiffeaux
Former mille détours du cryſtal de leurs eaux ,
Ou tant que les Zéphirs , réveillant la Nature,
Orneront les bofquets de leur verte parure
Puiffe auffi notre Auteur employer
As long , as ftreams in filver mazes rove ,
Or fpring with annual green renews the grove..
Fenton,
88 MERCURE DE FRANCE.
toujours fes loifirs auffi agréablement
pour le Public !
Nota . Nous avons remarqué quelques
fautes d'impreffion , omifes dans
l'Errata. Entr'autres les fuivantes . Page
29 , quels coups que la fortune vous porte
, pour quelques coups que la fortune
vous porte. Page 198 dans l'Epigraphe ;
des hominis hujus honorem , pour des
nominis hujus honorem. Page 215 , je
pécherois au refte contre la coutume
pour je pécherois au refte contre le coftume
, & c.
TEXTE DE CORNELIUS-NEPOS *
dans la Vie de LISANDRE
l'on a fupplée une Lacune.
Ch. I. Ly
out
y
YSANDER Lacedemonius
magnam reliquit fui famam , magis felicitate
quàm virtute partam. Athenienfes
enim in Peloponefios fexto & vigefimo
anno bellum gerentes confeciffe
apparet. Id quâ ratione confecutus
fit , latet. Non enim virtute fui
exercitus , fed immodeftiâ factum eft
adverfariorum ; qui quod dicto audienAOUST.
1762. 89
tes Imperatoribus fuis non erant , difpalati
in agris , relictis navibus , in hoftium
venerunt poteftatem. Quo facto
Athenienfes fe Lacedæmoniis dediderunt.
Hac victoriâ Lyfander elatus
cùm anteà femper factiofus audaxque
fuiffet , fic fibi indulfit , ut ejus operâ
in maximum odium Græciæ Lacedæmonii
pervenerint. Nam cùm hanc caufam
Lacedæmonii di&titaffent fibi effe belli
ut Athenienfium impotentem dominationem
refringerent , poftquam apud
Ægor flumen Lyfander claffis hoftiumeft
potitus , nihil aliud molitus eft quàm
ut omnes civitates in fua teneret potef
cùm id fe Lacedæmoniorum caufâ
facere fimularet. Namque undique
qui Athenienfium rebus ftuduiffent ,
ejectis decem delegerat in unaquaque
civitate quibus fummum Imperium poteftatem
omnium rerum committeret.
Horum in numerum nemo admittebatur“,
nifi qui aut ejus hofpitio contineretur
, aut fe illius fore proprium fide
,
confirmaret.
Ch. II . Ita decemvirali poteftate in
omnibus urbibus conftitutâ , ipfius nutu
omnia gerebantur ; cujus de crudelitate
ac perfidiâ fatis eft unam rem
90 MERCURE DE FRANCE.
>
exempli gratiâ , proferre , ne de eodem
plura enumerando , fatigemus Lectores .
Victor ex Afiâ cum reverteretur , Thafumque
divertiffet , quod ea civitas præcipua
fide fuerat erga Athenienfes ,
proindè ac fi iidem firmiffimi folerent
effe amici qui conftantes fuiffent inimici
, eam pervertere concupivit , vidit autem
, nifi in eo occultaffet voluntatem ,
futurum ut Thafii dilaberentur , confulerentque
rebus fuis. *
LACUNE REM P LIE.
Conceptam igitur fraudem quo certiùs
perpetraret , fpecie religionis & clementia
velavit. Thafi erat Templum Herculi
dicatum , quod fummâ religione colebatur.
Huc vocata concione verbafecit
Lyfander , nec nifi benignos animi ſenfus
protulit , dictitans videlicet pacem
fe ac veniam omnibus afferre , feque
tumultuarios motus in commutatione re-
* L'exemple de perfidie dont il s'agit , & qui
manque dans notre Auteur , fe trouve dans les
ftratagêmes de Polyen , C. F. C'eft de là que je
l'ai pris pour remplir cette lacune. J'y ai fait au
refte quelques changemens que j'ai cru néceffaires
pour la vraiſemblance de l'hiſtoire , & j'ai
accommodé le tout de mon mieux au ſtyle & au
récit de Cornelius Nepos
AOUST . 1762 . 91
rum concitatos oblivioni planè dediffe.
Nemini ergo timendum à fe aut cavendum
; omnes ultro adeffent ac fuce humanitati
confiderent , teftari fe fuper ea
re numen Herculis. Hac religone decepti
cives quotquot latuerant , fuis exiere
latebris ac prodiere in publicum . Paucis
vero poft diebus , hos adortus incautos
omnes interfici juffit.
,
Suite du Texte de l'Auteur.
Ch . III . Itaque decemviralem fuam
poteftatem fui ab illo conftitutam fuftulerunt
, & c.
Au furplus j'obferverai que les Thafiens
avoient été jadis ennemis d'Athénes
, mais que Cimon , l'un des grands
Capitaines de cette République , avoit
fubjugué ces Peuples ; Thafios opulentiá
fretos adventu fuo fregit. Nepos
in vita Cimonis . Depuis cet événement,
jufqu'à la victoire de Lyfandre , ils
avoient paru tous dévoués aux Athéniens
; ce qui fert à faire entendre ce
que dit ici notre Auteur , fçavoir que
ceux qui ont été les plus grands ennemis
deviennent fouvent après cela
,
les plus conftans & les plus fidéles amis.
92 MERCURE DE FRANCE .
1
Perindè ac fi iidem firmiffimi folerent
effe amici , qui conftantes fuiffent inimici.
Cornelius Népos femble affirmer que
que Lyfandre irrité contre les Thafiens ,
à caule qu'ils avoient montré un fingulier
attachement pour Athènes , conçut
l'horrible deffein de les facrifier à fa vengeance
, & de renverfer leur Ville de
fond en comble , quod ea civitas præcipua
fidefuerat erga Athenienfes , cam
pervertere concupivit. Tel eft le fens
hafardé , ou pour mieux dire , abfolument
erroné qu'adoptent les Traducteurs
, fondés fur le fens littéral que
préſente le pervertere de Népos ; mais je
vais montrer qu'ici la Lettre nous induit
en erreur , & que le tout fe rectifie
par ce que nous dit Polien fur le
même Sujet. Voici le Paffage copié fur
la Verfion Latine du Texte Grec. Lyfander
Thafios cepit , apud quos erant
multi qui Athenienfuum partes fecuti fuerant.
Ii fe ab lacone occultabant , qui
convocatis Thafiis in Templum Herculis
humaniffimam orationem habuit , oportere
veniam dare his qui laterent in commutatione
rerum , & eos bonum animum
gererejuffit ; nihil enim accepturos damA
OUST . 1762. 93
ni , quippe cùm eam orationem in Templo
haberet , idque in civ tate Herculis
avi. Occulti igitur fidem habentes orationis
benignitate prodierunt. Lyfander
intermiffis paucis diebus , quo tutiùs res
adminiftraretur , correptos interficijuffit.
On voit par ce récit de Polien , qu'il
n'eft ici queftion ni de maffacre général
, ni de la ruine d'une Ville , excès
qui paffe toute croyance , & dont on
peut dire que Lifandre n'étoit pas capable.
En effet , s'il étoit artificieux &
fans foi , s'il étoit même cruel , on fait
qu'il n'étoit pas moins politique , & c'eſt
pourquoi , comme Général fubordonné
qui devoit rendre compte de fa conduite
devant des Magiftrats févères , devant
les redoutables Ephores, il ne pouvoit pas
rifquer de commettre une telle barbarie
qui bleffoit également les loix de la
guerre & de l'humanité , mais furtout
qui étoit contraire aux intérêts de Lacedémone
, dont la plus grande force confiftoit
dans le grand nombre de fes Confédérés
, qu'elle auroit sûremenr aliénés
par un traitement fi atroce,
D'ailleurs , fi Lifandre avoit détruit
une Ville entiere prèfque fans motif, &
après le ferment qu'il avoit fait d'oublier
de prétendus mécontentemens , toutes
94 MERCURE DE FRANCE .
les hiftoires de ce temps-là retentiroient
d'un fait fi étrange , & Plutarque entre
autres n'auroit pas manqué de le relever.
Ce que dit Polien eft tout différent ; il
affure que plufieurs des Thafiens qui
avoient paru en quelque occafion partifans
d'Athène, eurent grand foin de fe cacher
à l'arrivée de Lifandre , craignant
quelque mauvais traitement de fa part ;
mais que ce Général les ayant raffurés
par des apparences trompeufes & par la
promeffe folemnelle d'une amniftie générale
, peu de jours après les avoit fait
paffer au fil de l'épée. Ce qui ne fignifie
point que Lifandre ait détruit une Ville
avec tous ceux qui l'habitoient. Il eſt
donc vifible que le pervertere de Nepos
pas s'entendre à la lettre , & il
faut penfer que ce fage Ecrivain , dans
l'horreur que lui infpiroit la perfidie &
la cruauté de Lifandre , a laiffé couler
de fa plume une expreffion outrée
conforme à l'indignation dont il étoit
ému ; expreffion néanmoins qui ne défigne
en cet endroit , que le bouleverſement
moral , que la confternation d'une
Ville , qui contre la foi jurée à la face
des Autels , voit maffacrer tout-à-coup
une partie de fes Citoyens , mais non la
deftruction phyfique d'une Cité entiere,
ne doit
AOUST. 1762. 95
ni le carnage de tous fes Habitans ; &
telle eft l'idée que j'ai fuivie dans ma
traduction .
Après avoir expliqué Cornelius Nepos,
tâchons d'expliquer Polien. Toute la
raifon qu'il apporte du maffacre que fit
Lifandre dans l'Ifle de Thafe , c'eſt que
plufieurs des Thafiens avoient fuivi le
parti d'Athènes , quand & comment ,
c'eft ce qu'il ne dit point : Multi Athenienfium
partes fecuta fuerant : Ce qui
ne peut fignifier autre chofe en prenant
les termes dans le fens le plus naturel ,
finon que plufieurs de ces Infulaires
contens du gouvernement jufte & modéré
des Athéniens , leur étoient fincérement
attachés , & qu'en conféquence
ils avoient infifté pour fe défendre avec
vigueur contre les Lacédémoniens
vainqueurs d'Athènes, tandis qu'une autre
partie de ces Infulaires avoient paru
plus difpofés à fe rendre d'abord,& à
reconnoître la domination de Sparte.
Mais que voit - on dans tout cela de
répréhenfible & qui ait befoin d'amniftie
? Jamais Conquérant n'a fait un crime
aux Sujets d'une Puiffance étrangère
d'avoir paru attachés à leurs anciens
Maîtres & d'avoir réfifté de leur
>
?
mieux à l'Ennemi. Or les Thafiens
96 MERCURE DE FRANCE.
étoient depuis longtemps Sujets d'Athè
nes , & dans le cas d'une défenfe légitime
, autorisée par toutes les Nations. Ils
n'avoient donc pas occafion de fe cacher
, ni d'appréhender le reffentiment
de Lifandre , s'ils n'avoient fait que retarder
la priſe de leur Ville . Par conféquent
il eft à croire qu'ils firent quelque
chofe de plus que de réfifter d'abord aux
Lacédémoniens , puifque cette réfiftance
fi jufte & fi louable ne pouvoit être
fenfée criminelle . Ainfi l'on peut fuppofer
qu'après la défaite des Athéniens
par Lifandre , les Thafiens leurs Sujets
furent bientôt réduits à recevoir garnifon
Lacédémoniene , & qu'enfuite ils.
firent quelque légère tentative en faveur
d'Athènes , ou pour s'ériger eux-mêmes
en République indépendante ; que néanmoins
ce petit foulevement fut appaifé
fans peine & fans éffufion de fang , mais
que Lifandre paffant par cette Ifle à fon
retour d'Afie , & fçachant qu'il y avoit
eu quelqu'étincelle de révolte contre le
gouvernement actuel , voulut punir féverement
ceux qui en étoient cenfés les
auteurs , & qu'il employa contre eux
le trait de perfidie que je rapporte ici
d'après Polien. Dans cette fuppofition ,
le fait hiftorique dont il s'agit s'explique
facilemeur
#
AOUST. 1762. 97
facilement , au lieu qu'on n'y voit , fans
cela , que beaucoup d'inconféquence &
d'obscurité.
ANNONCES DE LIVRES.
L'ÉGYPTE ANCIENNE ou Mémoires
historiques & critiques fur les
objets les plus importans de l'Histoire
du grand Empire des Egyptiens. Par
M. d'Origny , Chevalier de l'Ordre Militaire
de S. Louis , ci-devant Capitaine
de Grenadiers au Régiment de Champagne.
In - 12. 2 vol . Paris , 1762. Chez
Vincent , Imprimeur - Libraire , rue S.
Severin. Nous fommes bien fachés de
ne pouvoir dès-à- préfent rendre compte
de cet Ouvrage auffi éftimable que
favant.
RÉFUTATION du nouvel Ouvrage
de Jean - Jacques Rouffeau , intitulé
Emile , ou de l'Education . In- 8° . Paris ,
1762. Chez Defaint & Saillant Libraires
, rue S. Jean de Beauvais , visà-
vis le Collége.
>
EUVRES diverfes du P. du Baudory ,
de la Compagnie de Jefus . Nouv. Edit.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
revue , corrigée & augmentée . In-12.
Paris , 1762. Chez Brocas & Humblot,
Libraires , rue S. Jacques , au Chef S.
Jean ; & chez Barbou , Libraire , même
rùe.
TABLETTES morales & hiftoriques.
.animum rege , qui nifi paret ,
Imperat : huncfranis , hunc tu compefce catená.
Horat. 1. 1. E. 2.
In-12. Amfterdam , 1762 ; & fe trouve
à Paris , chez Rofet " Libraire rue
S. Severin , au coin de la rue Zacharie
, près la rue de la Harpe , à la Roſe
d'or.
ESSAI fur les Fiévres aigues.
Nobis propofitum eft naturas rerum manifeftas
Indicate , non caufas indagare dubias .
Flin. 1.2.c.3 .
In- 12. Bordeaux , 1762. Chez les Fréres
la Botiere , Imprimeurs- Libraires ,
Place du Palais. L'Auteur jouit d'une
réputation qui prévient en faveur de
cet Ouvrage , dont nous nous propofont
de parler plus amplement.
AOUST. 1762. 99
MÉMOIRE fur la pratique du femoir
, dont les avantages font démontrés
par le réfultat des produits de plufieurs
Champs enfemencés avec cet inftrument
d'agriculture , comparés avec
ceux d'autres Champs enfémencés fuivant
l'ufage ordinaire. RÉCOLTE, année 1760.
In-8 °. Lyon , 1762. Chez de la Roche
aux Halles de la Grenette ; & fe vend à
Paris , chez Durand , Libraire , rue du
Foin ; chez Lambert , rue & près la
Comédie Françoife ; & chez Duchefne,
rue S. Jacques , au Temple du Goût .
>
MEMOIRE fur l'Agriculture en général
, & en particulier fur la culture &
le défrichement des Champs ; fur la
nourriture & l'entretien des beftiaux &
le gouvernement des Pacages , fur la
nourriture des, Poiffons & l'adminiftration
des Etangs . Par M. le Large , Avocat
en Parlement. In - 12. Paris , 1762 .
Chez Duchefne , Libraire, rue S. Jacques,
au Temple du Goût ..
On trouve chez le même Libraire :
LE RIVAL par reffemblance , Comédie
en cinq Actes & en vers , mis au
Théâtre François , le 7 Juin 1762. Par
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
M. Palilot de Montenoy , de l'Académie
Royale de Lorraine ; avec de petites
notes inftructives. Prix 30 f.
LA JEUNE GRECQUE, Comédie en
trois Actes & en vers , repréfentée pour
la premiere fois par les Comédiens Italiens
ordinaires du Roi , le 16 Décembre
1756 , remife au Théâtre les Juillet
1761. Le prix eft de 24 f.
t
SANCHO- PANÇA dans fon Ifle
Opéra bouffon en un Acte ; par M.
Poinfinet le jeune. La Mufique eft de
M. Philidor , repréfenté pour la premiere
fois par les Comédiens Italiens ordinaires
de S. M. le 8 Juillet 1762 ,
Non plaufus , fed rifus.
Le prix eft de 24 f. avec la Mufique.
AMÉLIE , Roman de M. Fielding ,
traduit de l'Anglois , par Madame Riccoboni.
Seconde Partie , in- 12 . Paris
1762. Chez Brocas & Humblot , Libraires
, rue S. Jacques , entre la rue des
Mathurins & S. Benoît , au Chef Saint
Jean. Prix , 1 liv. 16 f. Cette feconde
Partie né dément pas la premiere . Nous
attendrons que F'Ouvrage de Madame
-
AO UST. 1762. 101
་ མ
.
Riccoboni foit fini , pour comparer enfemble
les deux Amélies.
LA NOUVELLE ITALIE , Comédie
héroïque , Italienne & Françoiſe ; en
trois Actes en Profe , mêlée d'Ariettes
& de Spectacle. Repréfentée pour la
premiere fois par les Comédiens Italiens
ordinaires du Roi, le 23 Juin 1762.
Par M. De Bibiena . Dédiée à Mlle Piccinelli.
Le prix eft de 24 f. La Mufique
fe vend féparément. In - 8° . Paris, 1762.
Chez les Libraires qui vendent les Nouveautés,
ZARUCMA , par M. Cordier , repréfentée
pour la premiere fois par les Comédiens
ordinaires du Roi, le 17 Mars
-1762. Paris , 1762. Chez Rofet , Libraire
, rue S. Severin , à la Rofe d'Or.
Le prix eft de 30 f.
ÉPITRE A MINETTE , par M. C.....
Brochure in-8° . Paris , 1762. Chez
Charpentier , Libraire , quai des Auguf
tins , à l'entrée de la rue du Hurepoix ,
à S. Chryfoftôme.. Nous en parlerons
avec plaifir dans le prochain Mercure.
POEME de la Chicane , par un Pro-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
cureur. Brochure in - 8°. Se trouve chez
les Libraires qui débitent les Nouveautés
.
PRINCIPES de Lecture , d'Ortographe
& de Prononciation , mis à la portée
de tous les Maîtres & de toutes les
Ecoles . Chez M. Viard , Auteur , à l'Académie
des Enfans , rue de Harlai , au
Marais.
Ce petit Ouvrage nous a paru trèsméthodique
, & nous croyons pouvoir
affurer que c'eft ce qui a paru de
mieux fait en ce genre jufqu'à préfent
pour la Lecture , l'Ortographe & la
· Prononciation .
Comme ce fecours a manqué jufqu'à
préfent pour la premiere inftruc
tion de la Jeuneffe , on pourroit reprocher
à l'Auteur de n'en avoir pas plutôt
fait part au Public , dont il a droit
d'attendre l'accueil le plus favorable.
Prix , 36 f. relié , & 24 f. broché.
AOUST. 1761. 103
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES LETTRES
GÉOMÉTRIE.
A Monfieur DE LA PLACE , Auteur
du MERCURE.
MONSIEUR ,
Ayant lû l'Article de Géométrie , inféré
dans le dernier Mercure de Mai p.
152 , & le renvoi , que l'Auteur du nouveau
rapport du diamètre à la circonférence
, fait à MM . les Géomètres , nous
prenons la liberté de vous écrire aujourd'hui
, efpérant que vous voudrez bien
avoir la bonté d'inférer dans votre Mercure
de Juillet prochain , s'il eft poffible,
la lettre fuivante adreffée à l'Auteur de
la nouvelle Découverte .
Nous avons l'honneur d'être , & c.
G P. & A. D. G.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à Monfieur L, B. D. M.
MONSIEUR ,
Le zele de ceux qui font tout ce qui
leur eft poffible pour l'avancement des
Sciences , eft toujours louable, quelque
chemin qu'ils aient pris pour parvenir
à leur but ; & on augmente à jufte titre
les louanges qui leur font dues , iorfqu'ils
ont fait une découverte auffi exacte
qu'utile.
left démontré , que le rapport du
diamètre à la circonférence eft une chofe
, qu'on ne peut trouver que par approximation
, & on y a déja tellement
réuffi , qu'il eft prefqu'impoffible d'approcher
davantage de la vérité ; mais
pour voir , Monfieur , fi le rapport de
23099 à 12576 , que vous propofez à
MM . les Géomètres à la page 142 du
Mercure de France , Mai 1762 , eft plus
exact , que tous ceux qu'on a trouvé jufqu'ici
, nous nous contenterons de le
compater à ceux d'Archimede & de Van
Ceulen.
Archimede a trouvé , que le rapport
du diamètre , à la circonférence d'un
AOUST. 17
cercle eft comme 7 à 22 , rapport qu'on
a trouvé être trop grand , & faifant cette
proportion 23099 : 725767 au quatriéme
terme , on voit que votre calcul
donne 21. 993679 , & c. d'où il eſt aifé
de conclure , que le rapport de 7 à 22
eft moins exact que de 23099 à 72576.
LudolfVan Ceulen eft le premier , qui
ait trouvé que fi le diamètre d'un cercle
étoit 10000000000 , la circonférence
feroit 3. 141592653589793238463
&c. felon cette fuppofition votre calcul
donne pour la circonférence 3.
1419545975513 , &c. & fi on retranche
3. 545592653589793 , & c. le refte
eft 0. 000361543561598 , d'où il s'en
fuit que le rapport de 23099 à 72576
eft plus grand que de 10000000 à 3 .
1415922653589793238463 , & c. L'opération
que Van Ceulen a dû faire pour
trouver le rapport de 10005000000000 ,
&c . à 3. 141592653589793238463, & c.
eft immenfe , tant par fa longueur , que
par les difficultés qu'il a dû y rencon-
-trer ; mais il faut confidérer le temps où
il a vécu ; temps où les Mathématiqués
n'étoient pas , à beaucoup pres , pouffées
au degré où elles le font actuéllement
; mais aujourd'hui , Monfieur ,
vingt-cinq ans de travail eft un temps
=
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
#
9
bien confidérable pour une chofe
qu'on peut trouver fi aifément & avec
beaucoup plus d'exactitude , par le calcul
des fluxions , comme il paroît par
la quadrature du Cercle , calculée par
M. Halley & d'autres Sçavans Anglois.
Voy. Sherwins Mathematical Tables ,
pages 153 &fuiv. parmi lesquels il y en
a qui ont pouffé la jufteffe du calcul
jufqu'à cent caractères décimaux , &
même jufqu'à 126 , comme l'a fait M.
Euler. Voy. fon Analyfis infinitorum
&c.
M. Klintenberg , Aftronome Hollandois
& Correfpondant de l'Académie
Royale des Sciences de Paris a calculé
de la même maniere le rapport que
Van Ceulen a trouvé , comme on le
voit dans les Mémoires de l'Académie
des Sciences de Hollande , Tome 3 ,
page 147 & fuiv. où il montre de combien
cette maniere l'emporte fur celle
de Van Ceulen , & où il fait voir évidemment
, que quoique ce rapport ſoit
un peu trop grand , l'erreur , en calculant
fur un cercle , dont le diamétre feroit
égal à celui du globe terreftre , ne
peut cependant pas monter à la 26000
millioniéme partie d'un grain de fable
AOUST. 1762. 107
dont deux cent mis de file font tout au
plus la longeur d'un pouce .
› Enfin , Monfieur nous ne fçavons
pas quelle méthode vous avez employée
pour parvenir à votre découverte ; mais
puifque le rapport de 100000 &c. à 3.
1415926536979 &c. eft trop grand , &
qu'il eft aifé de conclure de ce que
nous avons dit ci-deffus , que celui que
vous avez trouvé eft plus grand que
celui- ci il est certain qu'il eft auffi
beaucoup moins exact ; nous espérons
que vous voudrez bien pardonner les
réfléxions que nous venons de faire ,
que nous foumettons à votre judicieufe
critique , & à celle de plus habiles
›
- que nous.
Nous avons l'honneur d'être &c.
G. P. A. D. G.
U
AGRICULTURE.
PROSPECTUS.
NE Compagnie de Patriotes , diftingués
par leur zéle & par leur intelligence
à fuivre le fyftême de la véritable
s'engage aujourd'hui de
oeconomie >
É vj
108 MERCURE DE FRANCE.
nous prouver que ce n'eft pas infruc
tueufement que l'on travaille depuis plu
fieurs années à diriger les vues de la Nation
du côte de l'Agriculture , cet Art fi
éffentiel & trop long - temps négligé.
Une vafte étendue de terrein inculte
qui contient environ deux cens quarante
mille arpens , & qui fait une partie des
Domaines du Marquifat de Certes , fitué
dans la Sénéchauffée de Bordeaux , vient
de lui être abandonnée en toute propriété
par un contrat de vente dont les claufes
ne fçauroient manquer de contribuer
éfficacement à l'avantage perfonnel des
Acquéreurs , à l'utilité particulière de
quelques Provinces , & par une heureufe
fuite de rapports , au bien commun
de l'Etat.
Quoi de plus favorable , par exemple
, au projet de ces dignes Citoyens ,
que d'entrer en poffeffion du pouvoir
d'ériger la vingtième partie de ces friches
, foit en fiefs , arrière-fiefs , foit
en droits de juftice , d'y établir , fuivant
le befoin & à leur volonté , des
Manufactures , des Moulins , des Pref
foirs , des Fours bannaux , des Colombiers
, des Foires , des Marchés , & de
jouir d'une exemption générale de tous
les droits de lods & ventes dans les preAOUST.
1762. 109
mieres mutations ou échanges qui pourront
être faites ? Pour peu que l'on foit
initié dans les fages mystères de l'oeconomie
, ou fentira facilement tout le
prix de pareilles prérogatives .
Une entrepriſe de cette importance ,
dans laquelle l'intérêt particulier vient
néceffairement fe confondre avec l'intérêt
public , n'a point échappé à l'attention
du gouvernement dont elle a obtenu
les fuffrages les plus flateurs . Sa Majefté
, toujours empreffée de faifir l'occafion
de réparer les pertes & de multiplier
les moyens d'aifance
,, a approuvé
& confirmé cette vente par un Arrêt de
fon Confeil d'Etat , donné le premier
du mois de Juin dernier , & revêtu de
Lettres-Patentes. A cette premiere marque
de fa protection fouveraine , le Roi
a voulu joindre un autre témoignage
de fa bienfaifance très capable de foutenir
la noble ardeur & de feconder les
opérations de cette courageufe Compagnie
dans le cours de fes défrichemens.
•
Sa Majefté , par le même Arrêt de
confirmation , a ordonné 1° . que les
Cultivateurs de ces terreins vagues
foient exempts de Tailles & autres impôts
réels , perfonnels & mixtes pendant
108 MERCURE DE FRANCE.
nous prouver que ce n'eft pas infruc
tueufement que l'on travaille depuis plu
fieurs années à diriger les vues de la Nation
du côte de l'Agriculture , cet Art fi
éffentiel & trop long - temps négligé.
Une vafte étendue de terrein inculte
qui contient environ deux cens quarante
mille arpens , & qui fait une partie des
Domaines du Marquifat de Certes , fitué
dans la Sénéchauffée de Bordeaux , vient
de lui être abandonnée en toute proprié-
"
té par un contrat
de vente
dont les claufes
ne fçauroient
manquer
de contribuer
éfficacement
à l'avantage
perfonnel
des
Acquéreurs
, à l'utilité
particulière
de
quelques
Provinces
, & par une heureufe
fuite de rapports
, au bien commun
de l'Etat.
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Quoi de plus favorable , par exemple
, au projet de ces dignes Citoyens ,
que d'entrer en poffeffion du pouvoir
d'ériger la vingtiéme partie de ces friches
foit en fiefs , arrière-fiefs , foit
en droits de juftice , d'y établir , fuivant
le befoin & à leur volonté , des
Manufactures , des Moulins , des Pref
foirs , des Fours bannaux , des Colombiers
, des Foires , des Marchés , & de
jouir d'une exemption générale de tous
les droits de lods & ventes dans les preAOUST.
1762 . 109
20
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mieres mutations ou échanges qui pourront
être faites ? Pour peu que l'on foir
initié dans les fages myftères de l'oeconomie
, ou fentira facilement tout le
prix de pareilles prérogatives.
Une entrepriſe de cette importance ,
dans laquelle l'intérêt particulier vient
néceffairement fe confondre avec l'intérêt
public , n'a point échappé à l'attention
du gouvernement dont elle a obtenu
les fuffrages les plus flateurs. Sa Majefté
, toujours empreffée de faifir l'occafion
de réparer les pertes & de multiplier
les moyens d'aifance , a approuvé
& confirmé cette vente par un Arrêt de
fon Confeil d'Etat , donné le premier
du mois de Juin dernier , & revêtu de
Lettres-Patentes. A cette premiere marque
de fa protection fouveraine , le Roi
a voulu joindre un autre témoignage
de fa bienfaiſance très capable de foutenir
la noble ardeur & de feconder les
opérations de cette courageufe Compagnie
dans le cours de fes défrichemens.
Sa Majefté , par le même Arrêt de
confirmation , a ordonné 1°. que les
Cultivateurs de ces terreins terreins vagues
foient exempts de Tailles & autres impôts
réels , perfonnels & mixtes pendant
108 MERCURE DE FRANCE.
nous prouver que ce n'eft pas infruc
tueufement que l'on travaille depuis plu
fieurs années à diriger les vues de la Nation
du côté de l'Agriculture , cet Art fi
éffentiel & trop long - temps négligé.
Une vafte étendue de terrein inculte
qui contient environ deux cens quarante
mille arpens , & qui fait une partie des
Domaines du Marquifat de Certes ,
fitué
dans la Sénéchauffée de Bordeaux , vient
de lui être abandonnée en toute propriété
par un contrat de vente dont les claufes
ne fçauroient manquer de contribuer
éfficacement à l'avantage perfonnel des
Acquéreurs , à l'utilité particulière de
quelques Provinces , & par une heureufe
fuite de rapports , au bien commun
de l'Etat.
Quoi de plus favorable , par exemple
, au projet de ces dignes Citoyens ,
que d'entrer en poffeffion du pouvoir
d'ériger la vingtiéme partie de ces friches
, foit en fiefs , arrière-fiefs , foit
en droits de juftice , d'y établir , fuivant
le befoin & à leur volonté , des
Manufactures , des Moulins , des Prefoirs
, des Fours bannaux , des Colombiers
, des Foires , des Marchés , & de
jouir d'une exemption générale de tous
les droits de lods & ventes dans les preAOUST.
1762. 109
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mieres mutations ou échanges qui pourront
être faites ? Pour peu que l'on foit
initié dans les fages myftères de l'oeconomie
, ou fentira facilement tout le
prix de pareilles prérogatives.
Une entrepriſe de cette importance ,
dans laquelle l'intérêt particulier vient
néceffairement fe confondre avec l'intérêt
public , n'a point échappé à l'attention
du gouvernement dont elle a obtenu
les fuffrages les plus flateurs . Sa Majefté
, toujours empreffée de faifir l'occafion
de réparer les pertes & de multiplier
les moyens d'aifance , a approuvé
& confirmé cette vente par un Arrêt de
fon Confeil d'Etat , donné le premier
du mois de Juin dernier , & revêtu de
Lettres-Patentes. A cette premiere marque
de fa protection fouveraine , le Roi
a voulu joindre un autre témoignage
de fa bienfaifance très capable de foutenir
la noble ardeur & de feconder les
opérations de cette courageufe Compagnie
dans le cours de fes défrichemens.
+
Sa Majefté , par le même Arrêt de
confirmation , a ordonné 1°. que les
Cultivateurs de ces terreins vagues
foient exempts de Tailles & autres impôts
réels , perfonnels & mixtes pendant
108 MERCURE DE FRANCE.
nous prouver que ce n'eft pas infruc
tueufement que l'on travaille depuis plu
fieurs années à diriger les vues de la Nation
du côte de l'Agriculture , cet Art fi
éffentiel & trop long - temps négligé.
Une vafte étendue de terrein inculte
qui contient environ deux cens quarante
mille arpens , & qui fait une partie des
Domaines du Marquifat de Certes , fitué
dans la Sénéchauffée de Bordeaux , vient
de lui être abandonnée en toute propriété
par un contrat de vente dont les claufes
ne fçauroient manquer de contribuer
éfficacement à l'avantage perfonnel des
Acquéreurs , à l'utilité particulière de
quelques Provinces , & par une heureufe
fuite de rapports , au bien commun
de l'Etat.
Quoi de plus favorable , par exemple
, au projet de ces dignes Citoyens ,
que d'entrer en poffeffion du pouvoir
d'ériger la vingtième partie de ces friches
, foit en fiefs , arrière-fiefs , ſoit
en droits de juftice , d'y établir , fuivant
le befoin & à leur volonté , des
Manufactures , des Moulins , des Pref
foirs , des Fours bannaux , des Colombiers
, des Foires , des Marchés , & de
jouir d'une exemption générale de tous
les droits de lods & ventes dans les preAOUST.
1762. 109
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mieres mutations ou échanges qui pourront
être faites ? Pour peu que l'on foit
initié dans les fages myftères de l'oeconomie
, ou fentira facilement tout le
prix de pareilles prérogatives.
Une entreprise de cette importance
dans laquelle l'intérêt particulier vient
néceffairement fe confondre avec l'intérêt
public , n'a point échappé à l'attention
du gouvernement dont elle a obtenu
les fuffrages les plus flateurs . Sa Majefté
, toujours empreffée de faifir l'occafion
de réparer les pertes & de multiplier
les moyens d'aifance , a approuvé
& confirmé cette vente par un Arrêt de
fon Confeil d'Etat , donné le premier
du mois de Juin dernier , & revêtu de
Lettres- Patentes. A cette premiere marque
de fa protection fouveraine , le Roi
a voulu joindre un autre témoignage
de fa bienfaifance très capable de foutenir
la noble ardeur & de feconder les
opérations de cette courageufe Compagnie
dans le cours de fes défriche-
**
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Sa Majefté , par le même Arrêt de
confirmation , a ordonné 1°. que les
Cultivateurs de ces terreins terreins vagues
foient exempts de Tailles & autres impôts
réels , perfonnels & mixtes pendant
108 MERCURE DE FRANCE.
nous prouver que ce n'eft pas infruc
tueufement que l'on travaille depuis plu
fieurs années à diriger les vues de la Nation
du côté de l'Agriculture , cet Art fi
éffentiel & trop long - temps négligé.
Une vafte étendue de terrein inculte
qui contient environ deux cens quarante
mille arpens , & qui fait une partie des
Domaines du Marquifat de Certes , fitué
dans la Sénéchauffée de Bordeaux , vient
de lui être abandonnée en toute propriété
par un contrat de vente dont les claufes
ne fçauroient manquer de contribuer
éfficacement à l'avantage perfonnel des
Acquéreurs , à l'utilité particulière de
quelques Provinces , & par une heureufe
fuite de rapports , au bien commun
de l'Etat.
Quoi de plus favorable , par exemple
, au projet de ces dignes Citoyens ,
que d'entrer en poffeffion du pouvoir
d'ériger la vingtiéme partie de ces friches
, foit en fiefs , arrière-fiefs , foit
en droits de juftice , d'y établir , fuivant
le befoin & à leur volonté , des
Manufactures , des Moulins , des Pref
foirs , des Fours bannaux , des Colombiers
, des Foires , des Marchés , & de
jouir d'une exemption générale de tous
les droits de lods & ventes dans les preAOUST.
1762. 109
2011
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mieres mutations ou échanges qui pourront
être faites ? Pour peu que l'on foit
initié dans les fages myftères de l'oeconomie
, ou fentira facilement tout le
prix de pareilles prérogatives.
Une entrepriſe de cette importance ,
dans laquelle l'intérêt particulier vient
néceffairement fe confondre avec l'intérêt
public , n'a point échappé à l'attention
du gouvernement dont elle a obtenu
les fuffrages les plus flateurs . Sa Majefté
, toujours empreffée de faifir l'occafion
de réparer les pertes & de multiplier
les d'aifance , a approuvé moyens d'aifance
& confirmé cette vente par un Arrêt de
fon Confeil d'Etat , donné le premier
du mois de Juin dernier , & revêtu de
Lettres-Patentes. A cette premiere marque
de faprotection fouveraine , le Roi
a voulu joindre un autre témoignage
de fa bienfaifance très capable de foutenir
la noble ardeur & de feconder les
opérations de cette courageufe Compagnie
dans le cours de fes défriche-
".
mens.
+
Sa Majefté , par le même Arrêt de
confirmation , a ordonné 1°. que les
Cultivateurs de ces terreins vagues
foient exempts de Tailles & autres impôts
réels , perfonnels & mixtes pendant
108 MERCURE DE FRANCE.
nous prouver que ce n'eſt pas infruc
tueufement que l'on travaille depuis plu
fieurs années à diriger les vues de la Nation
du côté de l'Agriculture , cet Art fi
éffentiel & trop long - temps négligé.
Une vafte étendue de terrein inculte
qui contient environ deux cens quarante
mille arpens , & qui fait une partie des
Domaines du Marquifat de Certes , fitué
dans la Sénéchauffée de Bordeaux , vient
de lui être abandonnée en toute propriété
par un contrat de vente dont les claufes
ne fçauroient manquer de contribuer
éfficacement à l'avantage perfonnel des
Acquéreurs , à l'utilité particulière de
quelques Provinces , & par une heureufe
fuite de rapports , au bien commun
de l'Etat.
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Quoi de plus favorable , par exemple
, au projet de ces dignes Citoyens ,
que d'entrer en poffeffion du pouvoir
d'ériger la vingtième partie de ces frifoit
en fiefs , arrière-fiefs , foit
en droits de juftice , d'y établir , fuivant
le befoin & à leur volonté , des
Manufactures , des Moulins , des Prefoirs
, des Fours bannaux , des Colombiers
, des Foires , des Marchés , & de
jouir d'une exemption générale de tous
les droits de lods & ventes dans les preAOUST.
1762. 109
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mieres mutations ou échanges qui pourront
être faites ? Pour peu que l'on foit
initié dans les fages myftères de l'oeconomie
, ou fentira facilement tout le
prix de pareilles prérogatives.
Une entrepriſe de cette importance
dans laquelle l'intérêt particulier vient
néceffairement fe confondre avec l'intérêt
public , n'a point échappé à l'attention
du gouvernement dont elle a obtenu
les fuffrages les plus flateurs . Sa Majefté
, toujours empreffée de faifir l'occafion
de réparer les pertes & de multiplier
les moyens d'aifance , a approuvé
& confirmé cette vente par un Arrêt de
fon Confeil d'Etat , donné le premier
du mois de Juin dernier , & revêtu de
Lettres-Patentes. A cette premiere marque
de fa protection fouveraine , le Roi
a voulu joindre un autre témoignage
de fa bienfaifance très capable de foutenir
la noble ardeur & de feconder les
opérations de cette courageufe Compagnie
dans le cours de fes défrichemens
.
,
Sa Majefté , par le même Arrêt de
confirmation a ordonné 1 °. que les
Cultivateurs de ces terreins vagues
foient exempts de Tailles & autres impôts
réels , perfonnels & mixtes pendant
108 MERCURE DE FRANCE.
nous prouver que ce n'eft pas infruc
tueufement que l'on travaille depuis plu→
fieurs années à diriger les vues de la Nation
du côte de l'Agriculture , cet Art fi
éffentiel & trop long - temps négligé.
Une vafte étendue de terrein inculte
qui contient environ deux cens quarante
mille arpens , & qui fait une partie des
Domaines du Marquifat de Certes , fitué
dans la Sénéchauffée de Bordeaux , vient
de lui être abandonnée en toute propriété
par un contrat de vente dont les claufes
ne fçauroient manquer de contribuer
éfficacement à l'avantage perfonnel des
Acquéreurs , à l'utilité particulière de
quelques Provinces , & par une heureufe
fuite de rapports , au bien commun
de l'Etat.
Quoi de plus favorable , par exemple
, au projet de ces dignes Citoyens ,
que d'entrer en poffeffion du pouvoir
d'ériger la vingtiéme partie de ces friches
, foit en fiefs , arrière-fiefs , foit
en droits de juftice , d'y établir , fuivant
le befoin & à leur volonté , des
Manufactures , des Moulins , des Pref
foirs , des Fours bannaux , des Colombiers
, des Foires , des Marchés , & de
jouir d'une exemption générale de tous
les droits de lods & ventes dans les preAOUST.
1762. 109
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mieres mutations ou échanges qui pourront
être faites ? Pour peu que l'on foir
initié dans les fages myftères de l'oeconomie
, ou fentira facilement tout le
prix de pareilles prérogatives.
Une entrepriſe de cette importance
dans laquelle l'intérêt particulier vient
néceffairement fe confondre avec l'intérêt
public , n'a point échappé à l'attention
du gouvernement dont elle a obtenu
les fuffrages les plus flateurs . Sa Majefté
, toujours empreffée de faifir l'occafion
de réparer les pertes & de multiplier
les moyens d'aifance , a approuvé
& confirmé cette vente par un Arrêt de
fon Confeil d'Etat , donné le premier
du mois de Juin dernier , & revêtu de
Lettres-Patentes. A cette premiere marque
de fa protection fouveraine , le Roi
a voulu joindre un autre témoignage
de fa bienfaifance très capable de foutenir
la noble ardeur & de feconder les
opérations de cette courageufe Compagnie
dans le cours de fes défrichemens.
.
>
Sa Majefté , par le même Arrêt de
confirmation a ordonné 1°. que les
Cultivateurs de ces terreins vagues
foient exempts de Tailles & autres impôts
réels , perfonnels & mixtes pendant
108 MERCURE DE FRANCE.
nous prouver que ce n'eft pas infruc
tueufement. que l'on travaille depuis plu
fieurs années à diriger les vues de la Nation
du côte de l'Agriculture , cet Art fi
éffentiel & trop long - temps négligé.
Une vafte étendue de terrein inculte
qui contient environ deux cens quarante
mille arpens , & qui fait une partie des
Domaines du Marquifat de Certes , fitué
dans la Sénéchauffée de Bordeaux , vient
de lui être abandonnée en toute propriété
par un contrat de vente dont les claufes
ne fçauroient manquer de contribuer
éfficacement à l'avantage perfonnel des
Acquéreurs , à l'utilité particulière de
quelques Provinces , & par une heureufe
fuite de rapports , au bien commun
de l'Etat.
Quoi de plus favorable , par exemple
, au projet de ces dignes Citoyens ,
que d'entrer en poffeffion du pouvoir
d'ériger la vingtième partie de ces friches
, foit en fiefs , arrière- fiefs , foit
en droits de juftice , d'y établir , fuivant
le befoin & à leur volonté , des
Manufactures , des Moulins , des Pref
foirs , des Fours bannaux , des Colombiers
, des Foires , des Marchés , & de
jouir d'une exemption générale de tous
les droits de lods & ventes dans les preAOUST.
1762. 109
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mieres mutations ou échanges qui pourront
être faites ? Pour peu que l'on foit
initié dans les fages myftères de l'oeconomie
, ou fentira facilement tout le
prix de pareilles prérogatives.
Une entrepriſe de cette importance
dans laquelle l'intérêt particulier vient
néceffairement fe confondre avec l'intérêt
public , n'a point échappé à l'attention
du gouvernement dont elle a obtenu
les fuffrages les plus flateurs . Sa Majefté
, toujours empreffée de faifir l'occafion
de réparer les pertes & de multiplier
les moyens d'aifance , a approuvé
& confirmé cette vente par un Arrêt de
fon Confeil d'Etat , donné le premier
du mois de Juin dernier , & revêtu de
Lettres- Patentes. A cette premiere marque
de fa protection fouveraine , le Roi
a voulu joindre un autre témoignage
de fa bienfaifance très capable de foutenir
la noble ardeur & de feconder les
opérations de cette courageufe Compagnie
dans le cours de fes défrichemens.
Sa Majefté , par le même Arrêt de
confirmation , a ordonné 1º . a ordonné 1 °. que les
Cultivateurs de ces terreins vagues
foient exempts de Tailles & autres im-
7
pôts réels , perfonnels & mixtes pendant
110 MERCURE DE FRANCE .
2
quarante années confécutives. 2°. Elle
fixe à dix fols feulement les droits de
controlle de toutes fortes de contrats
ventes , échanges , mutations , partages
& autres actes quelconques relatifs
au fuccès de ce plan d'amélioriffement.
3º. Elle réduit à un denier par arpent
les droits d'infinuation , de centiéme
denier & de demi - centiéme denier. 4º.
Elle accorde aux non-nobles la jouiffance
, pendant quarante ans , des francsfiefs
pour les baux par eux faits relativement
à ladite exploitation , quoiqu'ils
foient paffés pour un terme au - deffus
de neuf années jufqu'à vingt-fept années.
5 °. Le dernier Article renouvelle
les priviléges accordés par l'Edit de
Henri IV. du mois de Janvier 1607 à
ceux qui avoient travaillé au défféchement
des Marais. Les Etrangers qui auront
été occupés , pendant trois années
, à la culture de ces friches feront
dès-lors réputés Régnicoles , & jouiront
de toutes les prérogatives qui résultent
des lettres de naturalité. Ils auront une
liberté entiére d'établir leur domicile
dans tel endroit de la France qu'ils defireront
, & d'y exercer telle profeffion
que bon leur femblera , fans qu'ils puiffent
rien perdre de leurs droits .
AOUST. 1762. 111
Sous des aufpices auffi favorables ,
cette Compagnie agricole va s'empreffer
de prendre les dernieres mefures pour
entamer fon utile entrepriſe. Quel avantage
fupérieur cette nouvelle culture ne
doit-elle pas procurer à l'Etat dont elle
peut facilement augmenter la population
de plus de trois cent mille Citoyens !
Car quelle abondance de denrées de
toute eſpèce ne produira pas cette vaſte
étendue de terrein ? Plus de cent mille
têtes de gros bétail pourront , après quelques
années de travaux , bondir dans
ces belles Prairies . Et puifqu'il eft démontré
que le nombre des Habitans d'un
pays eft toujours en proportion avec la
quantité de la fubfiftance qu'on y trouve
, n'a-t-on pas lieu de fe promettre
que les familles fe multiplieront confidérablement
fitôt que l'on entre dans
un certain calcul des bleds de toute forte
qui feront recueillis dans ces grands
défrichemens ? Que de chanvres , que
de légumes , que de bois , que d'arbres
fruitiers l'on fera maître de cultiver !
Combien de Manufactures qui exploiteront
les laines & les foyeries du canton
, ne pourra-t-on pas établir ! Combien
le voifinage de la mer n'offrira-
?
t- il pas de voyes également promptes
112 MERCURE DE FRANCE.
& faciles pour la vente & le tranſport
de tous les objets d'échange & de confommation
!
,
Il ne s'agit donc maintenant que de
raffembler des bras qui veuillent s'occuper
de l'exécution de ce plan . Comme
MM. Vallet de Sallignac & Chaulce de
Chazelle les premiers Entrepreneurs
avant de conclure l'accquifition de
ces friches , ont fait ufage de tous les
moyens poffibles pour s'affurer de leur
qualité , & qu'après un examen Phyfique
des lieux & certaines expériences
plufieurs fois répétées , ils ont reconu
la valeur intrinfeque du fol qui reçoit
les influences du plus beau Ciel ; loin
de prétendre par l'efprit d'une politique
trop dure , affujettir tous les Cultivateurs
qui fe préfenteront à une même
Loi , ils déclarent que leur volonté eft
de fe conformer aux engagemens raifonnables
qui leur feront propofés de
quelque nature qu'ils puiffent être.
Si les Colons fouhaitent d'être employés
à la journée , la Compagnie acquiefcera
fans nulle difficulté à leur demande.
S'ils préférent de recevoir des gages an
nuels , ils leur feront accordés . Au cas
que quelques -uns aiment mieux affer
mer un certain canton de ce terrein ,
AOUST. 1762.
1113
le bail leur en fera paffé aux conditions
les plus avantageufes. Cette liberté facile
qui regnera dans le cours de toutes
ces opétations pourroit- elle n'être
pas couronnée du fuccès ?
La Compagnie penfe , d'après une
diftribution générale & raifonnée de tout
le terrein , qu'il feroit d'une fage economie
, d'établir feize ou dix-fept cent
métairies. Elle affigneroit à chacune une
feule pièce de terre d'environ cent ou
cent cinquante journaux. Elle obferveroit
de placer l'habitation du Laboureur
, les granges , les écuries , les jardins
& pépiniere au milieu de ce Domaine
, dont une moitié feroit convertie
en terres labourables & l'autre
moitié employée à la culture des paturages
& des bois. Les Entrepreneurs.
s'obligeront de fournir aux Fermiers
le bétail qu'il leur fera néceffaire pour
les premieres exploitations.
Suivant la difpofition de ce plan oeconomique
, il réfulte que le feul emplacement
des habitations , des granges &
des écuries occuperoit environ fix mille
arpens. Il y en auroit cinq mille qui
feroient employés en jardins & en potagers
Cent dix mille feroient mis en terres
labourables , quatre - vingt mille,
114 MERCURE DE FRANCE .
>
feroient cultivés en prairies , tant natutelles
qu'artificielles . Vingt mille feroient
couverts de bois douze mille porteroient
des chanvres , des lins , & c . Quatre
mille feroient employés en chemins,
canaux , cours d'eau & bouches de mer.
Trois mille enfin feroient deftinés aux
places publiques , foires , marchés & c.
Tel à - peu-près , pourroit être l'emploi
de ces deux cens quarante mille arpens.
P. S. On donne avis aux perfonnes
qui voudroient prendre des conceffions,
de s'adreffer à M. Vallet de Sallignac ,
l'un des principaux Affociés , & Tréforier
genéral de ladite Compagnie d'Agriculture.
Sa demeure eft à Paris , rue
des vieux Auguftins.
AOUST. 1762. IIS
ARTICLE IV .
BEAUX-ARTS.
ARTS UTILE S.
CHIRURGIE
OBSERVATIONS d'un Chirurgien de
Province , fur l'origine &fur les progrès
de la Taille appellée Méthode de
Rau ; en conféquence des éloges qu'on
prodigue aujourd'hui à cette opération
, fous les noms de Méthode de
M. Foubert & de Méthode de M. Tho
mas. ( a )
AVANT-PROPOS.
QUOIQUE les éloges qu'on prodigue
aujourd'hui
à cette efpéce de taille ,
& particuliérement
au manuel de M.
Thomas , femblent partir des meilleures
fources ; cette opération nous paroît de
( a ) Rau , Médecin Opérateur à Amſterdam .
MM. Foubert & Thomas , Chirurgiens de Paris .
116 MERCURE DE FRANCE.
nature fi vicieufe , que nous ne pou
vons lui accorder aucune confiatice. En
effet le Litotome couvert de M. Tho
mas , bien loin d'être comme on le pu
blie , une heureufe combinaifon des refléxions
de Rau , de M. Foubert & du
Frère Cofme, n'eft qu'une altération
du Litotome caché du Frère Cofme appliqué
à l'incertitude du poinçon de
M. Foubert , pour éxécuter une espéce
de taille que Rau n'a jamais pratiquée ;
& quoiqu'on préconife le manuel de
M. Thomas , comme celle de toutes les
méthodes de tailler , inventées jufqu'ici ,
qui réunit le plus d'avantages & qui eft
la moins fujette à inconveniens , il ne
nous paroît pas que l'incifion de la veffie
par le périnée , fans toucher à fon
col , qui conftitue éffentiellement la
prétendue taille de Rau , de quelque
côté qu'on la confidére & quelque
moyen qu'on y employe bien loin
de pouvoir faire une méthode falutaire ,
puiffe jamais devenir ( b ) praticable .
,
(b) Mémoires de l'Académie Royale de Chirurgie
, Tome XIII . Année 1757 , dans le rapport
de ces expériences fur la Litotomie. Journal
Economique du mois de Mai 1757. Gazette
de Médecine , du 5 , du 15 & du 16 Septembre
1761.
AO UST. 1762 117
mais comme les décisions d'un fimple
Particulier ne doiven naturellement pas
prévaloir contre les éloges qu'en font le
Journal Economique , la Gazette de
Médecine & l'Académie Royale de
Chirurgie . ( c ) Nous allons déduire nos
raifons afin que le Public , & particuliérement
les Chirurgiens de Province ,
puiffent fe décider fans erreur fur le
mérite de cette opération .
ARTICLE I.
De l'Origine de la prétendue Taille
LA
de RAU,
A prévention que Mery & les au¬
tres Litotomiftes de fon parti , établirênt
(il y a 60 ans ) contre la découverte du
Frère Jacques , par la fauffeté des obfervations
qu'ils publiérent & répandirent
dans toute l'Europe contre fa nouvelle
maniere de tirer la pierre , en fuppofant
que la fonde dont il fe fervoit
pour tailler , n'étoit point cannelée pour
( c ) Une opération doit être réputée impraticable
, fitôt qu'il y a conftamment incertitude
dans l'exécution , & que les dangers font en outre
plus grands que le fuccès qu'on en peut attendre.
48 MERCURE DE FRANCE.
retenir & conduire la pointe de fon
litotome à la veffie ( d , & en affirmant
par des differtations fpécienfes , que
la
fection de la proftate & du ſphincter de
la veffie étoient dans fon opération des
caufes prèfque inévitables & incurables ,
de fiftule urinaire , d'incontinence d'urine
&c. &c. Cette prévention ne permettant
pas aux gens de l'Art de reconnoître
fans correction , l'opération du
Frère Jacques dans le manuel de Rau ,
lequel étoit devenu célébre par fes
grands fuccès dans la pratique de cette
opération que le Frère Jacques lui avoit
enfeignée ( e ) , fit naître le préjugé que
Rau évitoit par une manoeuvre particuliere
la fection de la proftate & du ſphin-
( d) Il y a des preuves fans replique , qué
te Frère Jacques n'a jamais taillé avec un cathe
ter ou fonde point cannelée , & la pallion a rellement
aveuglé les Auteurs de cette imputation ,
qu'ils ont donné en conféquence plufieurs obfervations
des impérities du Frère Jacques , qui font
d'une impoffibilité abfolue , Voyez les opérations
de Dionis , & particuliérement les Obfervations
de Mery fur les Tailles du Frère Jacques.
(e ) Vers l'an 1702 , Rau attira le Frère Jacques
à Amfterdam où ils liérent une étroite amitié
; & il eft faux que Rau le foit jamais élevé
contre le Frère Jacques , comme l'envie l'a pu
blié , pour déprimer ce Frère par tous les côtés
poflibles.
AOUST. 1762. 119
&ter , & qu'il n'incifoit que le corps de
la veffie fans toucher à fon col. Rau de
fon côté profita de l'erreur où l'on étoit
fur le progrès de fon incifion intérieure,
il en fit fecret , & n'en a jamais rien
communiqué.
ARTICLE II.
De la Taille que pratiquoit véritablement
RAU.
ALBINU
LBINUS père , Médecin de Leyde ,
qui avoit fouvent vu tailler Rau , & qui
n'étoit pas homme à prévention , remarque
expreffément à la page 29. de
l'Oraifon qu'il a faite fur la mort de
Rau , qu'il coupoit dans fa taille le col
de la veffie & la veffie , comme Frère Jacques
avoit coutume de le faire au rapport
de Mery &c. Et Heifter , Médecin
Opérateur à Altorfes , qui avoit auffi
vu tailler Rau , rapporte dans fes Inftit,
de Chirurgie , Sect. XIII.que Rau faifoit
comme le Frère Jacques , coucher fes
malades les feffes bien élevées ; qu'il fe
fervoit d'un catheter plus gros que les
ordinaires à la façon du Frère Jacques,&
faifoit l'opération au même endroit; qu'il
120 MERCURE DE FRANCE.
commençoit par couper la même partie
du périnée que le Frère Jacques & les
Anciens &c, c'est-à-dire obliquement au
bas du périnée , comme dans le petit appareil
que les Anciens pratiquoient.
Voilà donc l'incifion extérieure & l'incifion
intérieure de la Taille du Frère Jacques
, conftatées dans la Taille que pratiquoit
Rau , avec les manoeuvres acceffoires
, tout ainfi que lui avoit enfeigné
ce Frère quand il fut à Amfterdam
. & c .
Albinus fils ne pouvoit donc pas
ignorer que la Taille que pratiquoit Ray
étoit véritablement celle du Frère Jac
ques ? Et la defcription qu'il a donnée
de cette opération dans l'Hiftoire qu'il
a faite depuis ( de la vie de Rau ) comme
étant la méthode qu'il s'étoit faite
& qu'il pratiquoit , eft donc faufſe ?
Ce qui eft d'autant moins équivoque
que l'incifion du corps de la veffie fans
toucher à fon col , eft impoffible fur la
fonde qu'Albinus fils a fait graver
comme étant celle dont Rau fe fervoit
pour diriger cette incifion . Et de plus
c'eft que Rau avoit des fuccès conftans ,
qui ne pouvoient appartenir qu'à une
méthode facile & sûre ; & que cette
efpéce de Taille qu'on lui attribue , ne
peut
A O UST. 1762. 121
44
peut pas même devenir une opération
praticable.
Albinus fils a donc profité de la prévention
où l'on étoit contre la Taille
du Frère Jacques , & du préjugé que
Rau l'avoit perfectionnée , & s'en étoit
fait une méthode particuliere , pour faire
paffer fous prétexte de correction &
de perfection , l'honneur de cette découverte
à fa Patrie (f). Car s'il eût décrit
cette opération de bonne foi comme
Albinusfon Père , c'eût été au contraire
en dépouiller Rau , pour la rendre
au Frère Jacques fon véritable &
unique Auteur. Il n'a donc véritablement
jamais exiſté , ni à titre d'invention
, ni à titre de perfection , de méthode
de tailler , propre & particuliere
à Rau ; & l'on ne fçauroit abfolument
en produire aucune preuve quelconque ,
quoiqu'on en parle avec éloge , comme
d'un fait pofitif, dans tous les traités
, & dans toutes les leçons de Litotomie
; & que le Frère Jacques , celut
(f)Aufli Heifter dit- il, Section XIII . de fes
Inftituts de Chirurgie , en parlant des prétendus
Correcteurs de la Taille du Frère Jacques , on
ne l'a pas attribué à Mery ni à Maréchal , mais
on l'a appellée communément Taille de Rau.
F
122 MERCURE DE FRANCE .
qui a rendu la Taille méthodique , n'y
foit que pour les injures & les mépris .
ARTICLL III,
Des progrès de la prétendue Taille
H
de RAU.
Épreuves d'HEISTER .
EISTER dit dans fes Inftituts de
Chirurgie , Section XIII , qu'il a vû
tailler Rau étant à Amfterdam & c. &
il ajoute en apoftille. » Dans le même
temps,j'ai tenté plufieurs fois cette
» opération fur les cadavres & j'ai
» toujours trouvé que j'avois coupé la
» veffie avec fon col, Je penfois alors
» que j'avois pu me tromper , & qu'ap
» paremment je ne connoiffois pas affez
" bien la façon de couper la veffie fans.
» toucher a fon. col . Comme Rau ne
» s'expliquoit que , par ces mots : Con-
» faltez Celfe, ( g) Ces paroles ( con
(g ) Cela eft bien d'un homme qui ne vou
loit pas s'expliquer ; car ce qu'a décrit Celfe für
le manuel de la Taille eft inintelligible ; & ceux
qui fe flattent de l'entendre , n'entendent que le
fens qu'ils veulent bien lui donner.
AOULT. 1762. 123
tinue Heifter ) m'ontparu longtemps
», une énigme , jufqu'à ce qu'enfin je
» conclus qu'il falloit , à l'aide du cathe-
» ter,couper le même endroit que Celfe
» coupoit fur la pierre dans le petit ap-
» pareil, fans fe fervir de catheter. ( h)
Heifter avoit donc reconnu que la fection
de la veffie fur la fonde cannelée
fans toucher à fon col , qui conftitue la
prétendue Taille de Rau , étoit impraticable
; & que Rau incifoit véritablement
, comme le Frère Jacques , le col
& le corps de la veffie en même
L
ARTICLE IV.
temps .
Recherches de CHESSELDEN fur
la prétendue Taille de RAU.
E Frère Jacques ayant donc été dépouillé
, par les foins de l'Envie , de
l'honneur de fa découverte , il ne fut
plus queftion que de la Taille de Rau ,
lequel n'ayant rien communiqué de
( h ) Les Anciens s'imaginoient qu'ils faifoient
paffer la pierre dans le col de la vellie ; mais c'étoit
le plus fouvent le corps de la veffie même
qu'ils amenoient & préfentoient avec la pierre
au tranchant de leur biftouri .
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
cette opération , elle démeura enfouie
fous les altérations & les calomnies , &
rentra en quelque façon dans le néant.
Tous les Litotomiftes aveuglés par la
prévention & l'efprit de parti , contre
le mérite réel du Frère Jacques , n'ont
pu ní voulu depuis reconnoitre fon opération
, que dans les fauffes corrections
par lefquelles on lui avoit ravi l'honneur
d'une fi bonne découverte. ( i )
Cheffelden , célèbre Chirurgien de
Londres, fit après la mort de Rau beaucoup
de recherches , pour recouvrer la
méthode de tailler qu'il pratiquoit.
Trompé par la fauffe defcription qu'en
avoit donnée Albinus fils , il éffaya d'abord
, comme l'avoit fait Heifter , d'ouvrir
le corps de la veffie , fur une fonde
cannelée fans toucher à fon col ; & n'y
pouvant parvenir , il prit le parti de la
diftendre par l'injection d'un liquide , ou
par
la rétention de l'urine, pour la mettre
à portée de l'incifion extérieure du périnée
, & l'incifer enfuite fur la fonde
introduite dans fa capacité ; en dirigeant
fon biſtouri avec le doigt index de fa
( i ) C'eft précisément la Taille du Frère Jacques
, que les plus obftinés Liroromiftes font forcés
de reconnoître & d'adopter aujourd'hui dans
les effers du litotome caché du Frère Cafine.
AOUST. 1762. 125.
main gauche &c. mais les inconvéniens
qui fuivoient de l'affaiffement des parois
de la veffie , par l'écoulement duliquide
qui la diftendoit ; comme la difficulté
d'étendre l'incifion & d'introduire la tenette
; les inflammations & les ulcérations,
que caufoit l'infiltration de l'urine
dans le tiffu cellulaire , entre les muſcles
voifins & autour du rectum , qui faifoient
périr la plupart de fes malades ,
lui firent abandonner ce moyen comme
trop défectueux . ( k ) Cheffelden prit enfuite
le parti contraire , de n'incifer que
le col de la veffie fans toucher à
fon corps , & c'eft ce qu'on appelle Taille
de Cheffelden &c . ( 1 )
ARTICLE V
De la prétendue Taille de RAU par
MR.
M. LEDRAN .
R. LEDRAN Chirurgien de Paris ,
dit dans fon parallele des différentes
(k ) Cene defcription eft tirée du Traité des
Opérations de M. Scharpt , page 215.
( 1) Les Chirurgiens François ont revendiqué
la Taille de Cheffelden , dans le nom du Frère
Jacques ; mais fur les prétendues corrections de
Mery , Hunault &c .
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
»
"
manieres de tirer la pierre , ( imprimé
en 1730 , à l'Article de la méthode de
Rau. ) » Qu'il alpratiqué cette opération
à-peu-près telle que l'a décrite Albinus
( Albinus fils ) fur plus de foixante
» cadavres , & plufieurs malades,grands
» & petits , affligés de la pierre , avec
» fuccès & fans fiftule , même dans des
» cas de veffies très-petites & très -racor-
» nies , en préfence de plufieurs de fes
» Confrères , entr'autres M. Verdier *
» qui en ont fouvent été témoins , &
» cela avec une fonde dont il a moulé
» la courbure de façon qu'elle entre aifément
, & fe loge toute entiere dans
» la veffie la plus petite , fa grandeur
» & fon peu de capacité étant deux cho-
»fes égales à l'égard de cette opération ;
» & qu'avec cette fonde il affujettit la
22. veffiefans peine , & s'approche beau-
" coup vers l'incifion extérieure , fans
qu'elle puiffe s'échapper dans l'uretre ,
comme la fonde ordinaire ; de manie-
" re que l'artère honteufe qui paffe fous
» la tubérofité de l'ifchion , fe trouve
» couverte & garantie par la veffie mê-
» me. Enfin que par le moyen de cette
fonde , il est très -facile d'incifer le
corps de la veffie autant qu'on lejuge
» propos , fans toucher à fon cal , &
à
AOUST. 1762. 127
fans qu'il foit poffible d'endomma-
" ger le rectum ; fans aucune peine ,
» très-promptement , & autant qu'on le
» veut ; ( m ) & qu'il eft moins étonné
» des grands fuccès de cette opération,
( qu'il croit être celle que Rau avoit
» effectivement pratiquée ) que de ce
» qu'on l'a abandonnée. ·
REMARQUES.
Une fonde par le moyen
de laquelle
on peut ouvrir fans aucune peine, trèspromptement
& autant qu'on le veut ,
non Teulement
la veffie fans toucher
à
fon col , mais la veffie la plus petite ,
& même des veffies très-petites & trèsracornies
, fa grandeur
& fon peu de
capacité lui étant indifférentes
; fans que
cette fonde puifle s'échapper
dans l'urétre
, & fans crainte de pouvoir
donner
atteinté
au tronc de l'artère honteuſe
,
ni au boyau rectum , ni expofer le ma-
2 >
( m ) M. Ledran dit que fa fonde a un petit talon
qui fait faillie à l'endroit de la courbure ,
qu'elle a le manche plus long & le bec plus
Court que celle que M. Albinus ( Albinus fils )
& de plus , que la crenelure eft percée dans une
partie du talon que forme fa courbure , pour
laiffer paffer la pointe de la lame de fon litotome
& c.
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
lade à la fiftule & c. Voilà donc enfin
fuivant la déclaration de M. Ledran , la
prétendue Taille de Rau réduite en pratique
, par une manoeuvre fimple , facile
, sure , & qui écarte même les dangers
,
enfin conftatée par les fuccès.Mais
qu'eft devenue cette admirable fonde ?
Pourquoi M. Ledran dans fes efforts
contre le litotome caché ( n ) ne lui at-
il pas oppofé plutôt que fa double Section
de la proftate ? Cette double Taille
latérale qui confifte à ifoler entre deux
incifions , à gauche & puis à droite le
verrumontanum où aboutiffent les canaux
excréteurs de la femencee ;; & que
l'extraction de la pierre achéveroit indubitablement
de féparer totalement du
refte de la proftate , s'il ne l'avoit pas
été d'abord par cette double incifion .
( n ) M. Ledran a prétexté en 1757 de donner
une fuite de fon paralléle des Tailles , uniquement
pour décrier le litotome caché & fon
Auteur ; mais il n'a pas mieux réuffi que dans
fa Taille de Rau , & dans fa double Taille laté
rale.
AOUST. 1762. 129
ARTICLE V I.
De la prétendue Taille de RAU , par
LE
M. FOU BERT.
>
E manuel de M. Foubert , ainfi
qu'il eft décrit dans les Mémoires de
l'Académie Royale de Chirurgie , ( 0 ) ,
confifte après avoir diftendu la veffie
par la collection d'un liquide , [ comme
l'avoit éffayé M. Cheffelden ] , &
en la comprimant pardeffus le pubis ;
à fubftituer à la fonde cannelée , décrite
par Albinus fils , un poinçon cannelé
pour attaquer cet organe à côté de fon
col par le bas du périnée , & diriger fuivant
cette cannelure , fon biftouri litotome
jufques dans fa capacité ; & à
l'incifer enfuite par un mouvement de
bafcule de bas en haut & c. M. Foubert
affure que par cette mancitvie ,
il fair
facilement à la veffie une incifion auffi
grande qu'il le fouhaite , & qu'il a réuffi
dans les cinq premieres opérations qu'il
a faites , par cette méthode fur le vivant
& c.
( o ) Mémoires de l'Académie de Chirurgie
Tome I. Partie III , Année 1743.
F V
130 MERCURE
DE FRANCE
.
REMARQUES
.
7
Qui pourra
concilier
cette facilité
& les fuccès
de M. Foubert
, non feulement
avec les obftacles
inféparables
de la nature
de cette
Opération
; mais avec ce qui en eft rapporté
dans le rap- port des expériences
de l'Académie
Royale
de Chirurgie
fur la Litotomie
, année
1757 ? » que les Commiffaires
» qu'elle
avoit nommés
, ont remarqué
» que dans les expériences
de M. Fou- » bert , l'incifion
du corps
de la veffie » fe børnoit
à la divifion
que produit » la pointe
du Biftouri
litotome
en en- » trant dans cet organe
. Le mouve- » ment
que fait l'Opérateur
en baif- » fant le poignet
, pour relever
inté- >> rieurement
la pointe
de la lame tran- » chante
, dont la bafe fait angle avec » le manche
de cet inftrument
, ne » procure
pas une plus grande
ouverainfi
qu'on l'avoit
cru , parce » qu'alors
le tranchant
ne gliffe pas fur » les parties
qu'on fe propofe
de couper » par ce mouvement
, & que ces parties » ceffent
d'être
tendues
, par le fluide
» que la veffie contient
, & qui s'échappe " par la plaie ; c'eft ce qu'on a éxaminé
» avec foin , en confidérant
le jeu des
» ture ,
A OUST. 1762 . 131
inftrumens dans la véffie ouverte au-
» deffus des os pubis. Auffi M. Fou-
» bertfe fert-il d'un gorgeret dilatatoire ,
» pour écarter les lévres de la divifion
» faites par fon Litotome , & c.
REFLEXIONS.
Si l'on confidère préfentement que
la lame tranchante du biftouri Litotome
de M. Foubert , qui a environ
quatre pouces & demi de longueur
fuivant la figure qu'il en a donnée
n'a pas plus de quatre lignes dans fa
plus grande largeur , & qu'elle n'en a
plus que trois vers fon milieu , & va
toujours en diminuant jufqu'à fa pointe
; enfin qu'il l'introduit dans la veffie
le dos couché dans la crenelure de fon
poinçon , ou trois quarts ; de façon que
le tranchant vers fa pointe, ne le furmonte
guères que d'environ deux lignes. L'étendue
de cette incifion ne fera donc
que de deux lignes tout au plus , en
fus du trou fait par le trois- quarts , lequel
trou n'eft qu'un écartement forcé
des fibres étaftiques de la veffie , qui
ne fubfifte que par la préfence du poinçon
qui le produit ; de façon que le
tranchant , & le poinçon retirés , l'ou
verture qu'ils ont faite à la veffie
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
fe trouve égale à zéro , eu égard à fa
deftination,puifque fuivant les expériences
de l'Académie de Chirurgie , cette
incifion ſe borne uniquement au temps
de l'introduction de la pointe de cette
lame , & rien de plus.
Cependant M. Foubert aflure qu'il
fait facilement à la veffie une incifion
auffi grande qu'il le fouhaite. &c. Etle
manuel de M. Foubert jouit depuis
environ vingt ans , dans tous les traités
de Litotomie , & dans toutes les écoles
de Chirurgie , du crédit d'une découverte
réelle & utille ; l'Académie
Royale de Chirurgie , n'hésite pas à
en faire les plus grands éloges. Précifément
dans le même mémoire où
elle anéantit fon incifion intérieure ;
la méthode de M. Foubert , dit cette Académie,
permet l'extraction des plus groffes
pierres [ &cela , par une incifion de
deux lignes . ] .... C'eft cette méthode.
qu'on peut proprement appeller Taille
latérale ...... La méthode de M. Foubert
à enrichie la Chirurgie , en multipliant
les reffources de l'Art.&c. Et pourquoi
l'a-t-il donc abandonnée ?
La fuite au Mercure prochain.
AOUST. 1762. 133
1
HOPITAL
DE M. LE MARÉCHAL DUC DE BIRON .
Trentiéme & trente- uniéme Traitement
depuis fon Etablissement.
Noms des Soldats.
BAR ,
Feuillebarde ,
Le Maire.
Leger ,
Brizon ,
Guerard .
Souahet ,
Gueny ,
La Jeuneffe ,
Thélémaque ,
Mathieu ,
Compagnies.
Dampierre.
Nolivos
Mathan.
Chevalier.
Tourville .
Rochegude.
Le Camus.
Tourville.
Demoges .
De la Sône .
Delatour.
Chevalier.
Dampierre .
Vincelot ,
Deville
Laîné ,
Le Camus.
L'alliance , De la Sône.
Lahaye ,
Lebrun
De la Sône.
Le Camus.
Tailleur
Delatour.
Sansbut,
Colonelle.
134 MERCURE DE FRANCE .
Antier
Cader
Aimé ,
Beaufoleil ,
La Croix ,
La Rofe ,
De la Sône.
Bouville.
De Graffe.
Tourville .
Tourville.
Delatour.
Ces vingt- cinq Soldats ont été radicalement
guéris en fix femaines , &
étoient attaqués la plupart de maladies
très-graves.
L'on rendra inceffamment compte de
huit à neuf cent Soldats traités & guéris
dans les Armées du Roi aux Hôpitaux
de Francfort , de Bornebourg , & de
Scheleftad. En attendant , M. Keyfer
croît n'avoir rien de plus authentique à
expofer aux yeux du Public que les
nouveaux certificats ci-deffous.
Certificat de Mgr le Maréchal Duc
DE BIRON.
LOUIS-ANTOINE DE GONTAUT ,
Duc de Biron , Pair & Maréchal de
France , Chevalier des Ordres du Roi
Colonel Général du Régiment des Gardes
Françoifes & c .
Certifions à qui il appartiendra , que
depuis l'Etabliffement de notre Hôpital
pour le Régiment des Gardes Françoi
AOUST . 1762. 135
fes , il appert par les Regiftres dudit Ho- Hổ
pital que le fieur Keyfer nons a guéri
quatre cent cinquante- deux Soldats attaqués,
fuivant le rapport de nos Chirurgiens
, des maladies les plus graves , &
beaucoup d'eux manqués par les frictions
, fans qu'il en foit mort un ſeul ,
& fans qu'aucun foit venu fe plaindre
de n'avoir pas été guéri ; que nous avons
fait faire des examens férieux & réïtérés
de tous les traitemens qui fe font faits ; que
n'ayant eu en vue que le bien de l'humanité
& la confervation des hommes
que nous perdions précédemment en
grand nombre , nous avons cru devoir
faire une attention particuliere à cet
objet , & qu'en conféquence nous l'avons
appuyé de toute notre protection ;
en foi de quoi nous avons délivré le
préfent certificat figné de notre main ,
fcellé du fceau de nos armes & contrefigné
par notre premier Secrétaire
pour fervir & valoir ce que de raifon .
Fait à Paris , le 8 Avril 1762. Signé ,
LE MARÉCHAL DUC DE BIRON.
"
Nous fouffigné Maréchal des Camps
& Armées du Roi , Commandeur
Grand-Croix de l'Ordre Royal & Militaire
de S. Louis , Major Général des
136 MERCURE DE FRANCE .
Armées du Roi , & Major du Régiment
des Gardes Françoiſes.
Certifions à qui il appartiendra , que
depuis l'Etabliffement de l'Hôpital des .
Gardes Françoifes en 1756 , M. Keyfer
a guéri jufqu'à ce jour la quantité de
quatre cent cinquante -deux Soldats,ſuivant
ce qu'il appert par les Regiftres
dudit Hôpital & le rapport des Chirurgiens
Majors & autres , fans qu'il en
foit mort un feul , & fans qu'aucun ſe
foit venu plaindre de n'avoir pas été
guéri , ce qui nous a confervé bien des
hommes qui étoient dans les états les
plus fâcheux. En foi de quoi nous avons
donné le préfent certificat figné de notre
main & fcellé du fceau de nos armcs
, pour fervir & valoir ce que de
raiſon . Fait à Paris , le 8 Avril 1762 .
Signé , DE CORNILLON.
Nous fouffignés Chirurgiens Majors
du Régiment des Gardes Françoiſes ,
certifions avoir vu & fuivi pendant les
premieres années , excepté le temps que
nous avons été fervir dans les Armées
du Roi , la plus grande partie des Soldats
dénommés au préfent état & traités
par la Méthode de M. Keyfer , lefquels
nous avons vu bien & parfaiteAOUST.
1762. 137
ment guéris de maladies même fort graves
, & en foi de quoi Nous avons déja
donné plufieurs certificats que nous réïtérons
ici pour rendre hommage à la
vérité & fervir à ce que de raifon . A
Paris , le 8 Avril 1762. Signé , Faget,
DUFOUAR , avec paraphe.
Je fouffigné , Chirurgien Major de
la feconde Compagnie des Moufquetaires
& de l'Hôpital du Régiment des
Gardes Françoifes , certifie que depuis
l'Etabliffement dudit Hôpital,j'ai exactement
préfidé à tous les traitemens des
Soldats , qui s'y font faits depuis la fin
de l'année 1756 , excepté pendant les
fix mois de l'année 1761 , que j'ai fait
la campagne en Weftphalie , que j'ai
fidélement fait tenir regiftre & conftater
leurs états tant en y entrant qu'en
fortant ; que tous ont été parfaitement
guéris ; qu'aucun des Soldats jufqu'à ce
jour , n'a eu le moindre accident quelconque
; qu'au contraire il y est entré :
plufieurs malades crachant du pus , les
autres du fang , lefquels malgré cet état
fâcheux n'ont éprouvé aucun inconvé
nient de la part du reméde , & font fortis
bien guéris & parfaitement rétablis.
Je certifie de plus que nous avons fait
138 MERCURE DE FRANCE.
plufieurs revues générales des malades
traités audit Hôpital d'année en année ,
& quej'ai toujours trouvé les guérifons
conftantes & folides. A Paris , le 8
Avril 1762.
EXTRAIT d'une Lettre de M. LECAT,
Ecuyer , Secrétaire perpétuel de l'Académie
des Sciences & Belles-Lettres
de Rouen , en date du 31 Décembre ,
à M. KEYSer.
Vous pouvez , Monfieur , faire mettre
en votre nom dans le Mercure &
dans les Journaux , qu'ayant fait d'après
les témoignages de MM. Morand , Guérin
& autres,plufieurs expériences de vos
dragées , & nommément celle de M.Signard
, dont on a vu le certificat dans
un des derniers Mercures , je me fuis
déterminé à préférer cette méthode à
toutes les autres ; & que j'ai accepté
votre correfpondance , ainfi que le dépôt
d'un magafin de vos dragées,
ARRÊT du Confeil d'Etat du Roi ,
du 23 Avril 1762 ; qui permet à la Dame
veuve du Docteur Fels , premier
AOUST. 1762. 139
Médecin & Bourg- meftre de la Ville
de Scheleftat , de compofer & d'adminiftrer
qu faire adminiftrer par fes prépofés
, tant à Paris que dans les Provinces
, le REMÉDE ou SPÉCIFIQUE
ANTI-VÉNÉRIEN , dont feu fon mari
a fait la découverte ; & qui fait trèsexpreffes
& itératives défenfes à tous
autres non prépofés par ladite Dame
veuve Fels pour l'adminiftration dudit
reméde , de quelque qualité & condition
qu'ils foient , d'adminiftrer , fous
quelque prétexte ou dénomination que
ce puiffe être , ledit Reméde à aucun
malade , à peine de trois mille livres d'amende
& de tous dépens , dommages
& intérêts .
,
Ce Reméde avec lequel feu M.
Fels a guéri un très -grand nombre
de maladies vénériennes les plus invétérées
, fous les yeux des perfonnes
de l'Art lui avoit attiré la confiance
du Public , & l'en a beaucoup fait
regretter. Les expériences authentiques
qu'il en a faites , les cures promptes &
radicales qu'il a opérées , ont attiré l'attention
des Magiftrats du premier ordre.
Ce Spécifique , auffi sûr & auffi éfficace
que l'étoit parmi les Egyptiens , celui
avec lequel ils guériffoient les Lépreux ,
140 MERCURE DE FRANCE.
eft un Apozême dont on boit trois verres
par jour.
Il a l'avantage 1º. de guérir les maladies
vénériennes , fans jamais caufer de
falivation , étant compofé fans aucun
ingrédient mercuriel.
2º. Les préparations qui le précédent
fe font en très-peu de jours , les bains
n'y étant pas néceffaires.
3° . Pendant l'ufage de ce Reméde ,
qui ne dure ordinairement que vingtquatre
jours , on n'eft point aftreint à
garder la chambre : on peut même vaquer
aux affaires qui ne caufent point.
trop de fatigue & n'exigent point une
trop longue contention d'efprit , ayant
foin néanmoins de ne fe pas expofer.
aux injures de l'air.
4°. Ce Spécifique n'a rien de contraire
aux eftomachs débiles ni aux poitrines
délicates ; il en eft même fouvent le
véritable antidote , principalement lorfque
la langueur ou le malaife de ces
organes provient de quelques anciens :
réfidus vénériens , mafqués ou dégénérés
, comme il n'arrive que trop communément
à ceux qui ont eu dans la
jeuneffe certaines galanteries imparfaitement
terminées.
5º . Ce reméde agit avec tant de douceur
, que M. Fels l'a employé pen-
嘻
AOUST. 1762. 14Y
dant le cours de la groffeffe même
avec les plus heureux fuccès ; & de
même pour les enfans à la mammelle
en le faifant boire à leurs nourrices.
6°. Loin d'être affoibli ou amaigri
par fon ufage , on y recouvre les forces
& l'embonpoint détruits ou diminués
par la maladie.
Enfin , un de fes effets particuliers eft
de réuffir parfaitement dans la cure des
maladies Vénériennes , qui ont réſiſté
à l'ufage du Mercure le mieux adminiftré
; avantage dont on étoit privé
avant la découverte de ce Spécifique.
Les preuves très- authentiques de
toutes ces propriétés font en bonne
forme , entre les mains de la Dame veuve
Fels.
Mais comme l'adminiſtration d'un
Remède auffi important doit être dirigée
par un Médecin , qui juge de l'état
de la maladie & des malades , & qui
conduife méthodiquement cette adminiftration
, felon les différens cas; Sa Majefté
informée par M. de Senac, fon premier
Médecin , que M. Caumont , père ,
Médecin ordinaire du Roi en fa Compagnie
des Cent- Suiffes , & c . avoit éxactement
obfervé la méthode & les effets
de ce remédey pendant les trois der142
MERCURE DE FRANCE :
?
nieres années que M. Fels l'a adminif
tré , tant à Paris qu'à Verfailles ordonne
par ce même Arrêt , que l'adminiſtration
de ce Spécifique fera faite
fous l'inſpection & direction dudit fieur
Caumont.
La demeure de la Dame veuve Fels
eft rue Quincampoix , près de la rue
de Venife , même maifon que M. Arnoult
, ancien Epicier -Droguifte , où
elle fait adminiftrer ledit remède.
Le fieur ANDRÉ , Maître en Chirurgie
à Verfailles, Chirurgien de la Charité
de la Paroiffe Saint Louis , & ancien
de la Maiſon Royale de Saint Cyr,croit
devoir annoncer de nouveau au Public ,
qu'il eft inventeur , non feulement de
bougies chirurgicales , mais d'une méthode
propre à guérir radicalement les
maladies les plus invétérées de l'urètre
& de la veffie , les écoulemens purulens
perpétuels & même prefque imperceptibles
, les fiftules au périnée , les tumeurs
fquireufes de ces parties , toutes les efpéces
de rétention d'urine , tant complettes
qu'incomplettes , & nombre de
maux qui proviennent des fuites des impreffions
du vice gonhorroïque , qui
au lieu d'avoir été détruit dans fon oriAOUST.
1762. 143
gine , n'a été qu'enfeveli & caché , raifon
qui produit des oedèmes purulens à
la veffie , qui y porte la pourriture qui
fait périt les malades ; & quoique ces,
maux foient très-communs , cependant
on fe fait illufion fur leurs caufes.
Le fieur ANDRÉ eft toujours feul
chargé par Mrs les Miniftres de la guerre
& de la Marine , de fournir de fes bougies
les Hôpitaux militaires de terre &
de mer.
Les heureux effets qu'elles ont opéré
jufqu'à préfent , au plus grand avantage
de l'humanité , jufques fur des maux qui
étoient regardés comme incurables , &
les atteftations que les Médecins & les
plus habiles Chirurgiens -majors de ces
Hôpitaux , en ont données aux Miniftres
par Mrs les Intendans , prouvent fuffifamment
la bonté & la néceffité de ce
reméde , & que les méthodes pour s'en
fervir , que le fieur André a indiquées,
dans tous fes Ouvrages , font les feules
propres pour parvenir à découvrir & à
déraciner le vice primitif de ces maladies
; ils l'autorifent en même temps à
avancer fans oftentation , que l'étude
particuliere qu'il a faite à cet égard , lui
a donné la plus parfaite connoiffance de
ces maux , de leurs progrès & de leurs
144 MERCURE DE FRANCE.
déguiſemens ; cette étude & les expériences
qu'il fait journellement , l'ont
conduit à découvrir infenfiblement le
peu de folidité des cures annoncées en
ce genre , & l'erreur des perfonnes qui
croyent avoir des fecours univerfels contre
de femblables maladies .
On trouvera la méthode du fieur ANDRÉ
& de fes Bougies , chez lui à Verfailles
, rue de l'Orangerie , & à Paris ,`
chez le fieur ALIDIER , Chirurgien,
Cour du Dragon Sainte Marguerite
près l'Abbaye Saint Germain .
GÉOGRAPHIE.
ATLAS
MARITIME ( portatif) ou
Cartes réduites de toutes les Côtes de
France , avec des Cartes particulieres
des Ifles voifines les plus confidérables ,
fuivies des Plans des principales Villes
maritimes de ce Royaume , par M. Bonne
, de la Société Littéraire Militaire
Maître des Mathématiques , Ingénieur
Géographe , dédié & préfenté au Roi ,
par le Sieur Lattré. A Paris,chez Lattré
rue Saint Jacques , à la ville de Bordeaux.
Le même Graveur , rue Saint Jacques
, au coin de la rue de la parcheminerie
AOUST. 1762. 145
minerie , à la ville de Bordeaux , vient
de mettre au jour un petit Atlas Topographique
des environs de Paris , en
vingt- quatre feuilles bien portatif qu'il
a eu l'honneur de préfenter au Roi. On
y trouvera le plus grand détail avec une
précifion & une propreté qui fera plaifir.
On peut dire que ce petit Ouvrage eft
un chef- d'oeuvre.
Prix relié en Maroquin & lavé.
Relié en Veau & lavé.
Relié en Veau fans lavure.
Collé fur taffetas & lavé.
Collé fur toile & lavé.
Collé fur toile & fans lavure.
101. 4f,
06
8
7
1
5
On trouvera des Etuis à différens prix.
Le Sieur Lattré , donnera au commencement
du mois d'Août l'Atlas , petit
in-folio , d'après la Géographie moderne
de l'Abbé Nicolle de la Croix
on le trouve auffi chez Jean- Thomas
Hériffant , Libraire rue Saint Jacques ,
qui vend la Géographie moderne.
M. le Chevalier de BE A URAIN ,
Géographe ordinaire du Roi & ci-devant
de l'éducation de Mgr LE Dau-
PHIN , a mis au jour les Cartes fuivantes
dédiées à Sa Majefté , & qui lui ont
1.
été préſentées :
G
146 MERCURE DE FRANCE .
1er Tableau repréfentant les Signaux
de correfpondance Maritime qu'un Chef
d'Efcadre ou autre Officier fupérieur
ordonne être gardés & obfervés par
tous les Capitaines & autres Officiers
de Vaiffeaux qui compofent fon Eſcadre
. Cette Carte eft très - inſtructive par
tous les détails qu'elle renferme tant fur
l'Hiftoire de la Navigation que fur la
Science propre de la Marine ; elle eft en
une feule feuille. Les Signaux y font
rangés fous différentes claffes , Signaux
pour la nuit , pour le jour , pendant la
brune , Signaux de reconnoiffance de
nuit & de jour , Signaux pour parler
aux Vaiffeaux & c. &c. Toutes ces
chofes font non feulement expliquées ;
mais on y trouve de plus divers petits
Vaiffeaux joliment gravés & où chaque
Signal eft repréſenté, fervant encore à
en rendre les idées plus fenfibles .
L'Auteur y a joint une courte defcription
d'un Vaiffeau conftruit par ordre
du Roi LOUIS XIII . en 1638. Ce Vaiffeau
nommé la Couronne , étoit un des
plus grands qui ayent jamais été conftruits
, & faifoit l'admiration de tous les
Peuples qui étoient à portée de le voir.
2. Carte Marine de la mer. ou Océan
Septentrional , dreffée pour fervir à la
Navigation des Ports & Côtes des Payst
AOUST. 1762. 147
Bas , tant extérieure par mer , qu'intérieure
par les Canaux depuis l'ifle de
Rottum , fituée proche la Côte de la Province
de Groningue jufqu'à Calais , &
partie de celle d'Angleterre depuis la
rivière de Humber jufqu'au Port de
Reze . Les bancs de fable , les fondes ou
profondeurs de la mer & c. &c. y font
marqués. On y a joint l'explication des
marques qui y font employées.
3. Carte de la Manche ou du Canal
qui fépare les Côtes de France d'avec
celles d'Angleterre , contenant la defcription
des bancs de fables , fondes
ou profondeurs de la mer , des Caps ,
Bayes , Ports ou Havres , &c. L'on y a
marqué les courans avec une méthode
pour connoître dans tous les endroits
de cette Carte l'heure de la Marée , con-
Яruite par ordre de Sa Majesté Britannique
d'après les obfervations du Capitaine
Haley , augmentée de nouveau par
l'Auteur. On y trouvera la defcription
& les figures des principales Machines
dont les Navigateurs font ufage & des
notions Phyfiques fur les divers mouvemens
de la mer..
4. Tableau hydrographique qui contient
le détail Maritime des principaux
Ports qui fe trouvent repréfentés dans la
Gij
148 MERCURE DE FRANCE .
,
,
Carte de la Manche qui font Falmouth
Plimouth Portsmouth , fur la Côte
Méridionale d'Angleterre , Yarmouth
Neuport , S. Hollan , dans l'Ifle de
Wigt , le Cours de la Tamife , de Medway
& c. Les Ports de Dunkerque , de
Calais , de Dieppe du Havre-de - Grace
, de S. Malo & de Breft fur les Côtes
de France , avec la configuration des
plans des Villes & Forts qui en défendent
les approches , particulièrement de
ceux d'Angleterre qui ne font connus
de très que peu de perfonnes , même
des Anglois. Fait d'après des manuſcrits
précieux poffédés par l'Auteur.
-
5. Carte Topographique ou defcription
très-particuliere de l'Ifle de Belle-
Ifle diviſée en fes 4 Paroiffes , faite d'après
plufieurs autres qui ont été levées
fur les lieux , entr'autres d'une grande
qui a fervi à en faire le terrier qui en
donne les connoiffances les plus détaillées
, joint à un ample difcours relatif à
ces mêmes détails ; on y trouve auffa
fur la Côte les batteries qui ont été faites
pour fervir à fa défenſe & réduites
fur un plus grand point , placées ſur la
Planche ci-deffus ; elle contient encore
un détail Chronologique , Hiftorique
& Géographique de cette Ifle par l'Auteur.
Il donne fur la même feuille la
E
AOUST. 1762 . 14.9
Carte de la Côte de Bretagne depuis
Breft jufqu'à l'embouchure de la Loire ,
réduite d'après les Cartes que le Roi a
fait lever de cette Côte , fuivant les obfervations
de MM . de l'Académie Royale
des Sciences . On y trouvera encore
un Plan en grand du Bourg ou Citadelle
du Palais ou de Belleifle avec tous
les derniers ouvrages qui y ont été faits.
Le Chevalier de Beaurain travaille à
perfectionner un Supplément à fa grande
Carte de Heffe - Caffel qu'il donnera
inceffamment au Public. Cette Carte
aura toujours de plus que celles qui ont
paru depuis , l'avantage d'être Originale.
il y a des vices inféparables de tout ce
qui eft copie on ne doit pas craindre
de les trouver dans la Carte que l'on
annonce.
M. BELLIN , Ingénieur de la Marine,
vient de rendre publique une Carte qui
a pour titre , le Portugal & fesfrontières
avec l'Espagne, dreffée par ordre de M. le
Duc de CHOISEUL, Colonel général des
Suiffes & Grifons, Miniftre de la Guerre,
& de la Marine , 1762. Elle eft grande
& très - détaillée , & fort bien gravée .
Il y joint un petit Mémoire qui fait
voir le jugement qu'on peut porter de
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
toutes les Cartes de Portugal qui ont paru
jufqu'à ce jour ; & qui avertit de
ne pas confondre ces Marchands de
Cartes qui fe multiplient fi fort depuis
quelque temps , avec le petit nombre
d'habiles Géographes , dont les talens &
les ouvrages font connus.
M. Bellin rend enfuite un compte
fuccinct des fources dans lefquelles il a
puifé , pour dreffer fa nouvelle Carte ,
qu'il reconnoît n'avoir pas encore ce
degré de précifion qu'il cherche. Il
donne dans ce Mémoire une petite
Carte , d'une partie de la frontière de
Portugal , compriſe entre Alcantara &
Almeida , où les Campemens de l'armée
d'Efpagne , depuis le premier Septembre
jufqu'au 27 Octobre 1704 , font marqués,
avec ceux des Portugais joints aux
Anglois & Hollandois. C'eft un exemple
de la façon dont il auroit fouhaité
traiter le Portugal ; mais pour le faire ,
il auroit fallu quatre feuilles de grand
Aigle , au lieu qu'il a été obligé de fe
renfermer dans une feule feuille , & c.
- Cette Carte fe trouve chez l'Auteur
rue du Doyené , à la premiere Arcade
de Saint Louis du Louvre.
HORLOGERI E..
LE ROI ayant trouvé la nouvelle
AOUST. 1762. 151
Pendule aftronomique de l'invention
de M. Millot ( annoncée au Mercure de
Mars dernier ) très- ingénieufe & trèsfçavante
, par les effets furprenans que
Sa Majefté y a reconnus dans le cours
naturel des Aftres & le cours artificiel de
notre horifon , l'a fait placer dans fon
Cabinet de Phyfique , comme un Morceau
précieux , après en avoir inarqué
fa fatisfaction en préfence de toute la
Cour , à Versailles , le 4 Avril 1762 .
MECHANIQUE.
NOUVELLE & prompte maniere
d'appliquer la platine du fufil fur le
bois.
LE fieur CHALLIER , Périgourdin ,
Maître Arquebufier à Paris & de S. A. S.
Monfeigneur le Prince DE CONDÉ ,
á inventé le moyen d'appliquer la platine
du fufil fur le bois fans aucune viffe
, de façon qu'on la fépare dans un
feul temps , & l'on la remet de même .
Voici l'avantage qui en réfulte : comme
il faut de néceffité éffuyer la craffe qui
fe fait dans le baffinet après que le fufil
a tiré plufieurs coups , il arrive qu'il
s'en introduit une partie dans la lumiére
, & c'eſt-là une des principales cau-
Giv
152 MERCURE
DE FRANCE
.
fes des longs feux. Pour parer cet inconvénient
, il faut déviffer les deux viffes
qui tiennent la platine , & les reviffer
; mais le Chaffeur qui chérit tous
les momens de la chaffe , regrette celuici
, & defire ce nouveau moyen. Plufieurs
perfonnes y ont encore trouvé
un autre avantage ; lorfqu'il furvient
une pluie , elles prennent leurs platines
de deffus leur fufil , & la mettent dans
leur pofte. Se préfente-t-il un coup
de
fufil à faire ? elles la remettent trèspromptement
, & font bien sûres qu'elle
cft féche , & qu'elle ne ratera pas . Cet
Artiſte a été engagé d'en donner avis au
Public par des perfonnes de grande diftinction
pour qui il a eu l'honneur d'en
faire depuis quinze mois , & même d'en
préfenter un à Meffieurs de l'Académie
Royale des Sciences , qui l'ont approuvé
unanimement , & lui en ont donné
le certificat qui fuit.
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie
Royale des Sciences , du 23
Juin 1760 .
Meffieurs Fougeroux & de Tourriere
qui avoient été nommés pour examiner
un fufil préfenté par le fieur Challier
Maître Arquebufier à Paris , dans lequel
AOUST. 1762 . 153
la platine fe fépare facilement au moyen
d'un feul bouton que l'on pouffe ; en
ayant fait leur rapport , l'Académie a
jugé que cette invention , toute fimple
qu'elle eft , mérite des éloges à proportion
de fon utilité , & qu'il y a tout lieu
de croire que les Chaffeurs en feront
fort fatisfaits : en foi de quoi j'ai figné
le préfent certificat , à Paris , ce 27 Juin
1762. GRANJEAN DE FOUCHY
Secrétaire perpétuel de l'Académie
Royale des Sciences.
La demeure du fieur CHALLIER
eft rue Dauphine , au grand Hôtel de
Londres , à l'Enfeigne du grand Fufil
Royal.
NOUVELLE CARTE du Théâtre de
la Guerre en Portugal , dreffée fur les
meilleures Cartes des Efpagnols . Chez
le Rouge , Géographe , rue des Grands
Auguftins.
ARTS AGRÉABLES.
SCULPTUR E.
M. TITON DU TILLET , qui a commencé
de faire éxécuter en bronze la
Médaille de M. de Crébillon , fait tra-
G
154 MERCURE DE FRANCE .
vailler , préfentement que la mort l'a
enlevé , à fa figure en bronze pour être
placé fur fon ParnaJe François , avec
nos plus illuftres Poëtes qui font morts.
Cineri gloria datur.
MUSIQU E.
RECREATIONS
de Polymnie , ou
choix d'Ariettes , Monologues & Airs
tendres & légers , avec accompagnement
de Violon , Flute , Hautbois
'Pardeffus de Viole , & c. qui peuvent
auffi s'éxécuter , au défaut de voix , par
deux Inftrumens de deffus indiftin& ement.
Dédiées au beau Séxe. Prix 2 1 .
3
12f. On les trouve à Paris chez le fieur
le Loup , Maître de Flute au Caffé
du coin des rues du Mouton & de la
Tixerandrie , proche la Grève.
>
Philinte & Licoris , Cantatille à voix
feule & fymphonie , dédiés à Monfeigneur
le Duc de Nivernois , par M. le
Petit , de l'Académie Royale de Mufique.
Prix 1 1. 16 f. à Paris , chez l'Au-
.teur , rue de Grenelle S. Honoré , visà-
vis la rue des deux écus , & aux adreffes
ordinaires de Mufique.
AOUST. 1762 . 155
2
Les petites Récréations de Campagne
, premier Livre contenant huit
Duetti à duo Violini 6 Mandolini , compofta
de varii Autori. On peut les éxécuter
fur le Pardeffus de Viole . Prix
2 1. 6 f. à Paris , aux adreffes ordinaires.
La Conftance couronnée , Parodie fur
les Motets à voix feule , refpice & exaudi
me. Prix 6 f. fe trouve chez Dufour,
Quai de Gêvres.
SONATES pour le Clavecin en quatuor
, avec premier , & fecond deſſus
de violon , par M. l'Abbé Gravier
Organiſte de la Métropole de Bordeaux.
Nouvelle Edition , & fe vend aux adreffes
ordinaires de Mufique.
Prix 12 liv. compris la partie des
violons.
Le fieur DIDIER LE GAY, ayant
préſenté à l'Académie Royale des
Sciences un nouvel Inftrument de Mufique
de fon invention , à claviers , à
cordes de boyau , archet , & fautereaux
, qui a la propriété de faire à la
fois plufieurs parties , d'imiter les inftruments
à archet depuis le violon jufqu'à
la contrebaffe inclufivement & les
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
inftrumens qui fe pincent comme la
Harpe & autres , de tenir les fons , de
les enfler , & les diminuer ; l'Académie
l'a approuvé dans fa Séance du 16 de
ce mois , & en a fait délivrer un certificat
à l'Auteur .
Nota. Cet Inftrument fe verra publiquement
; il fera touché par le fieur
Damoreau Organiſte , & par
les perfonnes
qui fçachant toucher le Clavecin
& l'Orgue , defireront toucher cet
Inftrument ; on indiquera le jour & le
lieu .
ON
GRAVURE.
N trouve chez le fieur P. J. Duret,
Graveur , au milieu de la rue du Fouare ,
en porte cochere , quatre Eftampes
d'après le fieur Lantara intitulées
l'Heureux Baigneur , le Pêcheur amoureux
le Berger amoureux , & la rencontre
fâcheufe.
>
Le fieur MOYREAU , Graveur du Roi
en fon Accadémie Royale de Peinture
& Sculpture , vient de mettre au jour
une Eftampes gravée d'après M. Caffanova,
Peintre du Roi ; le tableau a 13
pouces de haut fur 18 pouces 6 lignes de
AOUST. 1762. 157
large , qui a pour titre l'Eſcorte d'Equipages
, & qui appartient à M. le Chevalier
Damery; l'Auteur demeure toujours
rue des Mathurins à Paris .
MM. Floding & Charpentier , viennent
de mettre au jour fix Eftampes
gravées dans la maniere du deffein au
lavis , nouvelle & heureufe découverte
dont ils font Auteurs. On fent de
quelle utilité eft pour les Arts cette gravure
fafceptible encore de perfection
comme toutes les nouvelles inventions .
Les Amateurs & les Connoiffeurs verront
avec fatisfaction cette nouvelle gravure
propre à multiplier & à perpétuer
les deffeins précieux des grands Maîtres
& même jufqu'à leurs croquis qui
échauffent l'imagination des jeunes Ar
tiftes , par le feu & la liberté qu'on y
voit , & qu'il eft impoffible de rendre.
dans un autre genre de gravure. Les.
Graveurs préviennent qu'ayant été obli-.
gés de faire de grandes dépenfes pour
Fexécution , & que ce genre de gravure
ne permettant de tirer qu'un trèspetit
nombre d'épreuves , ainfi qu'il fera
aifé de le voir àl'infpection de l'Eftampe
, ils ont été obligès de mettre à leur
premier Ouvrage un prix un peu plus
158 MERCURE DE FRANCE.
haut que n'eft celui qu'on met ordinairement
aux Estampes.
Les Sujets gravés par le fieur Floding,
font :
1º. Une Naiffance de la Vierge d'après
M. Monnet , dédiée à la Reine de
Suéde ; elle eft imprimée avec deux
Planches , dont la premiere fait le lavis
au bifter , la feconde le trait à l'imitation
de l'encre de la Chine , fur la demie
feuille d'Aigle . Prix , 4 liv.
2º. Une Bataille d'après M. la Rue ,
dédiée au Prince Royal de Suéde , imprimée
avec une feule Planche fur la
feuille entiere du grand Aigle. Son prix
eft de 6 liv.
3° . Un Corps- de-garde d'après M.
Boucher , dédié à M. l'Ambaffadeur de
Suéde. Prix 3 liv.
Apollon & Daphné , d'après le même
Maître ; dédiée à fon Excellence le Baron
de Scheffer , Sénateur de Suéde . Prix
4 liv. 10 f. Ces deux dernieres Eftampes
s'impriment chacune avec une feule
Planche fur la demie feuille du Colombier.
Elles fe trouvent chez le fieur Floding
, Graveur & Penfionnaire du Roi
de Suéde , rue l'Evêque , au Carrefour
des quatre cheminées , la troifiéme
porte cochere à gauche , chez Madame
Dérifeville .
AOUST. 1762. 159
Les morceaux gravés par le fieur
Charpentier , font:
•
1º. Perfée & Andromede , d'après M.
Wanloo , Premier Peintre du Roi ; dédié
à M. le Marquis de MARIGNY
imprimé avec deux Planches fur la demi
- feuille d'Aigle . Son prix eft de 4.
liv.
2º. Une Décollation de Saint Jean ,
d'après le fieur Guarchin ; dédiée à M.
De la Live de July , Introducteur des
Ambaffadeurs , d'une feule Planche fur
la demi - feuille de Colombier . Prixx.3
liv.
Elles fe vendent chez le Sieur Charpentier,
demeurant rue Clos -Georgeot,
chez M. la Male , Chirurgien . Ala premiere
inſpection des épreuves , il fera
aifé de connoître que cette Gravure eſt
d'une très - grande délicateffe , & que
par conféquent les Planches ne peuvent
fournir qu'un très - petit nombre d'épreuves
; c'eft pourquoi les Amateurs
font invités de s'en procurer promptement
des premieres .
४.९
160 MERCURE DE FRANCE .
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
SUITE de la Lettre d'un ancien Maître
des Ballets.
CONTR ONTRE ce que je propofe , de
» rendre les danfes théâtrales parlantes ,
» on objectera la difficulté d'exécuter
» ce projet , par la muette uniformité
» des caractères que les Sujets dramati-
» ques laiffent au Danfeur ; on
» demandera comment & par quels
» moyens on parviendroit toujours à
» ce but ?
me
" Je pourrois répondre ce qu'auroit
» probablement répondu Homère lui-
» même , à tout Poëte qui lui auroit de-
» mandé comment on feroit une Iliade .
" Il fe feroit contenté fans doute d'in-
» diquer les effets que doit produire un
» Poëme épique . Au furplus , il auroit
» pu dire à fes queftionneurs , étudiez ;
» apprenez tout ce qu'il eft poffible de
» fçavoir , relativement à votre objet ,
» qui eft de peindre prèfque toute la
» Nature phyfique & morale ; alors
A O UST. 1762. 161
» vous ferez en état de trouver par..
» vous-même ce que j'ai trouvé pour
» faire l'Iliade . Or il s'en faut bien que
» je fois un Homère en compofition de
» Ballets ; à plus forte raifon n'auroit-
" on pas le même droit de me preffer
» fur les moyens pratiques ; il fuffiroit
» quej'indiqu'affe le but , & que ce but
» fût inconteftablement celui de l'art ,
» pour que mon principe & les précep-
» tes qui en dérivent ne puffent être
" attaqués. En fe prêtant néanmoins à
l'objection , examinons fi elle eſt éta-
» blie fur la nature de l'art dont je
» parle.
"
Je conviens que dans les Opéra ,
» ces Peuples, ces éternels Bergers, ces
» Faunes , ces Prêtres &c. & c . tous Per-
" fonnages fi commodes aux Poëtes.
» pour plaquer un divertiffement à cha-
» que Acte , paroiffent la plupart du
» temps ne pas mieux appartenir à un
» Poëme qu'à un autre , & n'avoir rien
» autre chofe à faire qu'à remplir la
» formule préfcrite. Je fuis convaincu
» cependant qu'avec de l'étude , & fur-
" tout le génie convenable , l'un & l'au-
» tre appliqués à l'art des Ballets , tous
» ces Sujets fi uniformes pourront , en
162 MERCURE DE FRANCE.
"
» fe modifiant , fournir des diverfités
» innombrables.
Plufieurs circonftances diverfifient
» des Pofitions qui paroiffent les mêmes
» au coup d'oeil général . Un éxamen
» plus refléchi , y découvre des nuan-
» ces favorables. Par la recherche des
» Comment , des Pourquoi ( fi l'on peut
» s'exprimer ainfi ) on adaptera dif-
» tinctement au genre & même aux ac-
" tions de chaque Opéra , des perfonna-
» ges que l'on retrouve dans prèfque tous
» les autres. Il eft vrai qu'il feroit encore
plus facile aux Poëtes de préparer ces
» moyens , par le choix & par le tour
» de leurs Sujets,, dans le moment de
la création du Drame , qu'il ne l'eft
» au Maître de Ballets d'y fuppléer ; mais
» ce qui n'eft que pénible & difficile
» n'eft
" pas impoffible. Parcourons, pour
» le:
prouver , quelques -uns des caracteres
les plus généraux.
» Rien de fi commun au Théâtre
Lyrique , que des Peuples chantans
» & danfans. Un Héros triomphe des
» Peuples danfant. La Princeffe fe ma-
» rie ; il faut bien que le Peuple danfe
encore ; ainfi donc les Peuples danfent
toujours fur ce Théâtre. Rien
A O UST. 1762. 163
•
» cependant qui puiffe fournir au Maitre
de Ballets plus de variété dans ſes
» compofitions.
» Parmi les Nations anciennes & modernes
, il n'en eft aucune qui n'ait
fon caractére propre de danfes , &
" parmi ces Nations , il eft encore des
fubdivifions très-diftin &tives . Si nous
» ignorons plufieurs de ces genres de
danfe , propres à quelques Nations de
» l'Antiquité, que l'on faififfe les carac
» teres , les moeurs que l'hiftoire leur
» a affignés , on ne s'écartera que très-
» peu de la vérité particuliere qu'on
ignorera , parce que la Nature , la
» même dans tous les temps & dans
tous les lieux , quant à fes opérations
» générales , a infpiré une maniere de
danfe populaire à chaque Nation , relative
au climat , au génie national ,
& c. En tout cas , il y a lieu par-là
"" de faire paffer fous les yeux tous les
divers coftumes , & ce Spectacle feroit
en même temps auffi agréable
» qu'inftructif.
» D'ailleurs , indépendamment de ce
moyen général , il eſt encore d'autres
» circonftances à obferver ; par exemple
» les conjonctures dans lefquelles fe font
ce qu'on nomme les Divertiffemens.
164 MERCURE DE FRANCE.
» On ne diftingue prèfque jamais ceux
qu'un mouvement fubit amène , d'a-
» vec ceux que la vraisemblance per-
» met de regarder comme plus préparés
; ce qui produiroit néanmoins des
différences dans le genre & dans l'ef-
» péce , qui devroient être remarqua-
» bles & que le Compofiteur gagneroit
» à faire remarquer.
»
» Ce que je viens de dire des Peuples
» pourroit avec des modifications , s'ap-
» pliquer aux Bergers . Ces Êtres , pref-
» qu'imaginaires , ne forment point en-
» tr'eux une fociété particuliere qui foit
» la même dans tous les lieux & dans
tous les temps . Ils font partie de cha-
» que Peuple ; ils en repréfentent celle
» qui jouit le plus paiſiblement des plai-
» firs de la vie champêtre. N'y a-t-il pas
» de l'abfurdité à ne leur rien laiffer du
» Peuple auquel ils tiennent ? Si vous
» voulez ne les confidérer que poëti-
» quement , c'eft - à - dire comme ab-
» folument idéals , n'eft - il rien qui
» puiffe en faire diftinguer le carac-
» tere ? Les Bergers du Lignon doi-
" vent-ils être confondus avec les Ber-
" gers de Théocrite.
" En étudiant bien les Poëtes anciens,
" on fentira & l'on exprimera différenAOUST.
1762. 165
tes cfpéces de Faunes. On diftinguera
leurs actions & leurs jeux ; d'au-
" tant plus qu'au Théâtre , fous cette
» dénomination , on comprend les Sa-
» tyres que la forme donnée par la Fa-
» ble rendroit trop difficiles & fans
» doute ridicules à repréfenter. Une
» autre forte de Fête qui revient affez
» fouvent fur ce Théâtre , eft celle des
» Suivans de Bacchus. Rien peut-être de
» tout ce que la Poëfie a créé de chi-
» méres , n'eft auffi abondant en va-
» riétés ; & nous ne voyons communé-
» ment rien de plus uniforme. Cepen-
» dant , je me trouvois à Paris lorsqu'on
» y repréfentoit l'Opéra d'Enée & La-
» vinie , en rendant juſtice à la vérité ,
» j'ai vu peu de chofes en Ballet mieux
» conçu , mieux faifi & mieux exécuté
» qu'une Fête de Bacchantes qui étoit.
» dans cet Opéra. Cet exemple fuffiroit
» feul pour faire voir qu'en profitant
» bien de l'à propos , qu'en diftinguant
» avec jufteffe ce qui , dans un même
≫ genre , convient à l'action du Drame,
" on peut trouver fouvent du nouveau
» dans les caracteres les plus ufés . Celui-
» ci,par exemple, qui n'avoit prefque ja-
» mais paru que fous un feul & même
» point de vue , fut trouvé neuf , avec
166 MERCURE DE FRANCE.
"
"
-
» raifon ; il captiva le Spectateur , par
» une autre caufe encore plus raifonna-
" ble , c'est qu'il offroit la vérité , & de .
» la convenance avec le Sujet. Ce gen-
» re n'eft pas moins fufceptible de nou-
» velles variétés , fuivant la variété des
» occafions. Bacchus eft il imploré
» comme Dieu tutélaire ? Ce font des
» myfteres tout religieux que doivent
» exprimer les danfes de fes Prêtres ou
» de fes Initiés . Bacchus revient - il de
» la conquête des Indes ? Entreprend-
» il de confoler Ariane ? C'eft l'allégreffe
d'un courage de force & non
» de férocité , que l'on doit entrevoir
» dans l'éclat du triomphe ; c'eft me
≫ confiance fereine & gaie que refpirent,
» tous les suivans du Vainqueur. Que
» penfer du mal- adroit Compofiteur ,
» qui pour féduire Ariane expofercit
» en cette occafion tous les défordres de
" la débauche bacchique ? Au contraire ,
» confondant les circonftances , il ne
» manqueroit pas d'introduire les com-
" pagnons de Bacchus combattant dans
» les Orgies de fes Nymphes . C'eſt donc
» dans cette diftinction de circonftances
» que vous trouverez des reffources
» contre l'uniformité de notre Art, vous,
» mes chers Confreres, qui vous croyez
AOUST. 1762. 167
» de bonne foi des Maîtres de Ballet ,
» & qui peut- être néanmoins craignez
» déja en m'écoutant de n'être pas feu-
» lement encore des écoliers , en con-
» fidérant l'immenfe étendue de chofes
» qu'il faudra fçavoir:
» Un champ plus vafte encore va
» s'ouvrir à vos regards , fi , comme je
» le confeillerois , on recherchoit par
» l'étude hiftorique & Poëtique de
» l'Antiquité , les danfes & les ac-
» tions caractériſtiques , toujours mêlées
» à ces danfes , dans les rites de tant
» de cultes qu'avoit introduit le Poli-
» théisme. Ce n'eft pas tout ; nos Poëtes,
» à l'imitation des Grecs , employent
» les mêmes Prêtres , les mêmes Myf-
" tères , prétendus facrés , à diverfes
» fins & par des motifs différens , fe-
» lon les fituations ou les paffions de
» leurs A&teurs. Suivons toutes ces va-
» riétés , nous connoîtrons bien -tôt
» que l'on pourroît ne pas mettre un
» Opéra fur le Théâtre fans Prêtres
» pendant plufieurs années & faire
» néanmoins des Ballets pour ce carac-
» tère fans qu'aucun reffemblât à d'au-
» tres . Suivons plus foigneufement cet
objet , non pas arbitrairement & aų
"
» gré de notre unique invention , mais
168 MERCURE DE FRANCE.
prenons la vérité des ufages pour guide.
» Nous éprouverons deux chofes ; la
» premiere , que ce feul genre deman-
» de une quantité innombrable de recherches
, tant par foi-même que par
le fecours des gens éclairés & verfés
dans cette étude , pourvu toutefois
» que le goût en dirige l'application ;
la feconde , que par cette voie nous
» ferons étonnés de l'abondance des
» moyens qui fe préfenteront pour va
rier. On ne sçauroit croire combien ,
» en certaine matiere , parmi les hom-
>> mes la réalité des faits eft au-deffus
" de la fiction la plus étendue & la plus
» inventive.
,
» Tant d'erreurs, que peut-être le fié-
» cle prochain reprochera au nôtre
» avec mépris , font la fuite néceffaire
» de l'ignorance des chofes que je viens
» d'indiquer. Pour être impartial en fa-
» veur de mes Confrères , je ne dois
» paş être injufte à leur egard . J'en de-
» mande pardon à genoux au Maître que
» je refpecte , mais je ne peux pas dif-
» convenir que ce Maître , ce Public
» ſpectateur ne foit quelquefois de plus
" que de moitié avec les Compofiteurs
» de Ballets , dans ces petits écarts , que
»je nommeróis autrement fans la part
» qu'il
AOUST. 1762.
169
35
qu'il paroît y avoir. Je ne veux point
» manquer à ce Public , toujours infaillible
, dit-on ! dans fes goûts , & tou-
» jours refpectable ; mais il conviendra
» lui-même qu'il aime auffi fort notre
» Art aujourd'hui , que bien des gens
» aiment les femmes d'un certain état ;
» je veux dire non feulement à propo
» tion de ce qu'elles leur font perdie
» de raiſon , cela eft affez conféquent
» mais encore à proportion de ce qu'el-
» les manquent elles-mêmes de raifon ,
» de conduite & d'efprit ; cela ne me
"
>
paroît pas auffi conféquent. Je ne
» prendrai qu'un exemple , entre mille
" pour appuyer ce que je viens de dire .
» J'ai été témoin que dans un Opéra où
» l'on repréfentoit le plus augufte , le
» plus révéré des Myſtères dans la Re-
» ligion des Druides , les Spectateurs
» avoient trouvé fi ridicule une action
» qui exprimoit la vérité ou la fuffifan-
» te vraisemblance d'une partie de cette
» cérémonie , qu'on avoit été contraint
d'y fubftituer un Pas de trois Drui-
» des , vénérables par leurs vêtemens ,
» & plus encore par leurs longues bar-
» bes blanches , ces Druides › par les
» entrechats les plus brillans , par la
» danſe la plus haute & la plus pétu-
"
H
,
170 MERCURE DE FRANCE .
"
>
» lante ramenérent
fur eux , très-fé-
» rieuſement
, autant d'applaudiffemens
» qu'ils avoient éffuyé de ris moqueurs
,
» quand ils avoient craint d'être juſte-
» ment très-rifibles. Je n'ajoute rien à
» ce fait ; je le crois même conftaté
» dans les Faftes duThéâtre François.(a)
» Que demander
, dira-t- on , à ceux
» dont le premier devoir eft de plaire ,
» lorfque leurs Maîtres voyent ainfi ?
» Que l'on ne m'accufe point d'une hu-
» meur que je ne me permettrois
pas ,
" fije croyois bleffer l'inviolable
fou-
» miffion que nous devons au Public.
» Non , ce n'eft point à la fauffeté de
» fon difcernement
, qu'on doit impu-
» ter ces erreurs paffagéres
. Elles font le
» dangereux
effet d'une caufe très-flat-
» teufe , comme je l'ai déja dit. On aime
paffionnément
la danſe fur le Théâtre, » l'amour d'un art ou d'un talent en
» multiplie rapidement
les Connoiffeurs
,
» & par une inconféquence
affez bizar-
» re on voit affez fouvent , dans les Arts
» agréables
, fe refferrer le cercle des
» vraies connoiffances
à mesure que
>>
"
""
(a ) On préfume que l'Auteur entend parler des.
représentations du Prince de Noify , à l'occaſion
defquelles ce fait a été remarqué dans notre Mercure.
AOUST. 1762 . 171
» s'étend le cercle des Connoiffeurs . (b)
» Il faudroit une differtation pour dé-
» velopper cette vérité , & je la croirois
» déplacée dans cette Lettre . Notre art
» eft dans le cas dont je viens de parler
; la Mufique y eft encore davan-
» tage , auffi eft-elle encore plus mena-
» cée. Que cela ne décourage point
» ceux qu'un génie bien décidé porte à
» la vérité. Ce Public , toujours infailli-
» ble dans le réfultat de fes vrais juge-
» mens , lorfqu'ils ont été réfléchis , ne
doit jamais éffrayer la faine Raiſon ,
» ni allarmer le goût , lorfqu'accidentel-
» lement il érrera par la voix de quel-
» ques Affemblées qui le repréfentent ,
» mais qui ne le conftituent pas. Il y a
» 4 ou 5 ans que fur la Scène Françoife
» les Spectateurs auroient ri au nez de
» Cornélie , fi elle étoit venue préfenter
» l'Urne des cendres de Pompée fans
» de beaux gands blancs & fans être
» enfevelie dans le plus vafte des Pan-
» niers poffibles. Aujourd'hui Cornélie
» peut paroître en Dame Romaine , &
» Cornélie feroit trouvée ridicule autre-
(b) L'Auteur entend parler vraisemblablement
des faux Connoiffeurs qui fe piquent de fçavoir le
métier pour faire croire qu'ils connoiffent l'Art ,
avec lequel ils le confondent.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
ment. Pourfuivons donc nos progrès
» dans l'art de la repréſentation , indé-
» pendamment de ces petites confidé-
" rations , & revenons à nos Danfeurs .
"
"
» La Magie , l'Enfer , & tout ce
» qui peut y avoir rapport , étant ce
» qu'il y a de plus officieux pour les
grands effets en Mufique , depuis
» fur-tout que , dans cet Art , le grand
» bruit eft devenu le grand beau ; il y
» a peu d'Opéra où les Danfeurs n'ayent
» à s'exercer dans ce genre , devenu
» auffi pour eux le genre brillant aux
regards de la multitude. Ceci eft à la
» danfe ce que font les fureurs à l'art du
» Comédien. Plus il eft facile d'en im-
» poſer par-là , plus il y a de mérite lorf-
» que le raifonnement , & la fineffe du
» talent juftifient le preftige. Je com-
» mencerai par faire remarquer quel-
» ques abus généraux dans ce genre
» de danſe. Celui qui frappe d'abord
» eft fans contredit le même qui regne
» par - tout , la faftidieufe uniformité.
» Dans toutes les occafions , on fait à
» peu- près exécuter les mêmes chofes
» aux démons de toutes les efpéces , &
» plus encore ; c'eſt qu'il n'y a que les
» habits qui diftinguent d'avec eux les
» Magiciens . Les Puiffances évoquantes
» n'ont nul caractere diftinctif des Puif-
و د
AOUST. 1762 .
173
» fances évoquées , dans l'action de nos
» Ballets ; la confufion eft évidente . Un
» autre abus , fupérieur en déraifon à ce-
» lui -la , eft ce que j'ai cru appercevoir
» univerfellement pratiqué dans lepoint
» caractériſtique de ce genre de Danſes.
» Soit Démon , foit Furie , ou tout au-
» tre Être infernal , il eft conftant que
l'objet de l'action eft de tourmenter
» quelquefois , toujours d'éffrayer. Au
» contraire , toutes les attitudes , toutes
» les expreffions du Danfeur ne peignent
» que le fentiment de la plus grande
» horreur de ce qu'il voit & du plus
» violent effroi qu'il en éprouve. Que
» veulent dire autre chofe , d'après les
"
و د
>>
geftes de la Nature , ces mains éten-
» dues , ces ports de bras en avant du
» corps , ce corps renversé de côté ou
» en arriere jufqu'au dernier terme de
l'équilibre ; ces faults précipités en
fuyant ? En un mot , tout ce qui eft
» reçu par les Danfeurs , pour caractériftique
en ce genre , ne peint & n'ex-
» prime que la terreur paffive , au lieu
» d'exprimer l'action de l'infpirer aux
» autres. Il eft incroyable , quoique
» nous le voyions, que fur cela on n'ait,
» à force de talens , fait autre chofe de-
» puis long- temps , qu'ajouter pe nou-
""
و د
"
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
"
» veaux abus aux anciens. Il n'y a pour-
» tant méprife ici , que de la cauſe à
» l'effet , & de l'effet à la caufe . Les
Danfeurs modernes ne doivent pas
» croire que ce foit fur eux que porte
» l'amertume de mes remarques. La vé-
» rité atteſte à cet égard que ceux qui les
ont précédé , ont été peut- être encore
» plus loin dans cette carriere d'abfurdi-
» tés ; ceux mêmes dont avec juſtice , à
» d'autres égards , l'immortelle célébrité
» de leurs talens eft déja confacrée , ne
» fe font point écartés de cette ridicule
» pratique , ils ont prodigué au contrai-
» re toutes les reffources de l'art & tous
» les dons de la Nature pour en mieux
» appuyer l'extravagance.
"
» Je voudrois qu'à préfent nos grands
» Talens commencaffent par chercher
» des moyens oppofés à ceux que l'on
» pratique , pour rendre le véritable ef-
» fet des caracteres infernaux ; je vou-
» drois même que l'on aimât affez fon
» art , pour ne pas chercher à fe faire
» admirer aux dépens de l'eftime publi-
» que pour cet art. Il eft fenfible que
» fi le Spectateur prend quelque plaifir
» à tous ces efforts du Danfeur , en con-
» trefens , ce n'eft apparemment que
» parce qu'il ne juge pas la Danfe un
AOUST. 1762. 175
»
་
" art digne d'être foumis à l'examen.
» de fa raifon. Jufqu'à quand donc
confentirons - nous à faire l'objet uni-
» que de notre gloire , de partager la
» même attention & les mêmes éloges
" que l'on donne à ces animaux dreffés
» pour prendre toutes les plus belles &
» les plus fingulieres pofitions , dont la
» Nature a rendu leurs corps fufcepti-
» bles ? Il s'eft établi , un , concert de
» Faux entre le Danfeur & le Specta-
" teur; l'habitude fera que dès que le
» Danfeur agira avec plus de jufteſſe , il
» fera moins applaudi . Cela peut être
» d'abord; qu'importe : il faut avoir le
» courage de le rifquer. L'honneur de
» l'art eft toujours le feul dont puiffe
» véritablement s'honorer celui qui le
profeffe , & tous ceux qui ont fait
" quelques efforts pour l'étendre en
» ont toujours recueilli de la gloire pour
» eux-mêmes.
""
" Que nous ne confondions plus dans
» nos Ballets le Magicien qui évoque des
» Êtres hideux & terribles , & qui doit
» par-là être faifi d'horreur de ce que
" İ'yvreffe de fon imagination lui repré-
» fente , avec ces mêmes Etres qui occafionnent
en lui ce fentiment ; que
»-nous n'imaginions plus que des Dé-
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
» mons doivent ne peindre leur puiffan-
» ce que par l'effort de leurs faults ; que
» des gambades font les moyens les
» plus éfficaces pour éffrayer ou pour
» tourmenter les humains. Nous nous
rapprocherons alors de la vérité ; nous
» rapprocherons le Public d'une confi-
» dération dont notre art n'eft point indigne
, & nous oferons invoquer les
» lumieres dont la critique honore tous
» les autres arts.
גכ
»
» Pour découvrir autant de variétés
» au moins dans ce dernier caractere gé-
» neral de nos Ballets que dans les pré-
» cédens , je n'ai que le même moyen
» à indiquer ; je puis donc me flatter
» de la sûreté de mon principe , puifque
» fon application eft également propre
» à toutes les parties de la matiere que
» je traite. Ce moyen fera toujours la
» diftinction des circonftances & celle
» des différentes efpéces de ces Êtres ou
"
ود
"
magiques ou infernaux ; car en ce
» genre , l'invention fabuleufe tient la
place de la vérité à l'égard des Étres.
réels ; elle a établi des coftumes , des
» actes différens , fuivant les divifions
» de ces chimeres ; & dans la magie ,
» l'extravagance humaine a fourni abon-
» damment aux Poëtes des Canevas , fur
"
A O UST. 1762. 177
"
lefquels ils ont conftaté des ufages
» dont il n'eſt pas permis de s'écarter
» fans renoncer au vrai de l'imitation .
» Tout dépend d'étudier , de connoître
» toutes ces différences , de puifer dans
» les fources qui les fourniffent ; on fera
plus occupé de pouvoir employer tou-
» tes ces variétés , qu'embarraffé pour
» en trouver , comme on l'eft aujour-
» d'hui.
"
33
» Je n'ai parcouru jufqu'à préfent
» que fuperficiellement les Sujets les
plus ufités dans nos Ballets Dramati-
» ques ; les bornes d'une lettre m'y ont
obligé ; je me permettrai une feule
»propofition de moyen ; propofition
» relative au genre dont il eft queftion ,
» & fur un Sujet qui eft encore récent
» dans la mémoire du Public.
33
ور
» Le troifiéme Acte d'Armide , ce
» chef - d'oeuvre d'invention Poëtique
» fi admirablement fecondé par le gé-
» nie du Muficien n'a paru jufqu'à
».préfent , & même à la derniere repri-
» fe de cet Opéra , qu'une espéce de
»fervitude pour la Danfe , afin de rem-
و د
,
plir les fymphonies qui coupent le rôle
» de la Haine ; on eft autorifé à le pen-
» fer ainfi , par la façon dont ce Baller
» a toujours été traité , Comment en effet
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
و د
رو
exprimer par la danfe un Acte auffi
métaphyfique que celui de fubftituer
» dans le coeur d'Armide le Sentiment
» de la Haine à celui du plus ardent
" Amour ? Les Gargouillades , les Pi-
» rouettes , les Entrechats & c. ont - ils
»
quelqu'analogie avec cette action ?
>> Pour prouver que dans les occafions
"les moins favorables en apparence ,
» on peut trouver , en étudiant bien un
» Poëme , des reffources fort riches , &
» fouvent un travail tout tracé , lifons
» feulement , écoutons ce que chante
» la Haine dans fon invitation : Plus
» on connoît l'Amour & plus on le détefte.
Détruifons fon pouvoir funefte ;
» Déchirons fon bandeau , &c.
و د
» Nous trouverons, pour les Danfeurs,
» fuivans de la Haine, plufieurs actions à
" faire fous les yeux d'Armide préfente ,
telles de déchirer avec fureur enque
» tr'eux un bandeau , de renverser un
» carquois , de s'en diftribuer les flé-
» ches , & de les brifer en diverſes ma-
» nieres l'extinction du flambeau de
» l'Amour , pourroit produire feul un
» Ballet figuré en mille manieres diffé-
» rentes ; le jeu de ce flambeau avec
» ceux des Furies , après l'avoir pré-
» fenté à Armide ; tout enfin produiroit
AOUST. 1762 . 179 :
« la plus féconde matiere d'un Poëme
» entier en danfe. Je demande que l'on
parle de bonne foi , fi un tel fpectacle
» n'occuperoit pas davantage & plus .
» convenablement l'efprit & les yeux ,.
» que les répétitions multipliées des
" mêmes Pas & des mêmes Figures ,
>>-quelque beauté qu'on puiffe leur fup-
» pofer ? $
Ce que je viens de remarquer fur .
» ce Ballet ,d'un des Actes d'Armide ,
" peut fans contradiction fe dire & s'e-
"-xécuter fur prefque tous les autres
» Poëmes où l'on ne trouve jamais qu'à
» danfer.
+
» Pour ne pas excéder l'étendue
que
je me fuis préfcrite dans cet Ecrit , je
» n'ai pu entrer dans aucuns détails , fur
" une infinité d'autres caractéres
. J'en
» ai dit trop pour ceux de mes Con-
» fréres qui ne font pas difpofés à en-
» tendre les confeils que je leur adref-
»fe ; j'en aurai dit affez pour ceux qui
» auront fenti comme moi que la
» danfe peut devenir un art , & avoir
» des régles & des principes
généraux,
» communs
avec la Poëfie , la Mufique
» & la Peinture. En un mot , le Maître
» de Ballets a des moyens animés pour
>> rendre ce què les autres ne peuvent
,
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
» exprimer qu'avec des moyens artifi
» ciels . Mais je ne peux trop le répéter ,
» il faut que le Danfeur ne s'en tienne
» pas à fe perfuader qu'il ne doit céder
» en rien au Poëte ni au Peintre ; il faut-
» qu'il devienne en effet lui- même Poëte
» & Peintre dans fa danfe.
"
و و » Si par les confeils que je publie au-
» jourd'hui , je pouvois me flatter que
" le Public devînt un peu plus difficile
» fur les Ballets, ceux qui les compofent
» & ceux qui les exécutent doivent m'en :
fçavoir bon gré , parce qu'ils en de-
» viendront beaucoup meilleurs .
"3
J'ai l'honneur d'être &c . ,
P. A. N. ancien Maître des Ballet.
OPERA.
L'ACADÉMIE Royale de Mufique a
mis au Théâtre , le Mardi 20 Juillet, des
Fragmens, compofés de la Guirlande out:
les Fleurs enchantées , A&te de Ballet ,
Poëme de M. Marmontel , Mufique de
M. Rameau , précédé du Prologue des
Indes Galantes & de l'Acte des Sauvages.
L'Acte de la Guirlande a été repré
AOUST. 1762. 181
fenté , pour la premiere fois , le 24 Septembre
1751 ; quoique les Livres de
paroles indiquent le 21 ( a ) . Il fut trèsbien
reçu alors , & réuffit pleinement ,
quant au Poëme , & quant à la Mufique
; on a donné dans le temps l'Analyfe
de cet Acte , dont on a même tranf
crit prèfque tous les Vers ( b ) .
Ce Ballet femble avoir été encore
mieux fenti à cette Reprife. Le Public ,
fi prévenu contre les Scènes depuis certaine
convulfion de goût , paroît attaché
à celle de cet A&te qui lui arrache
des applaudiffemens. Mlle le Mierre y
chante le rôle de Zélide ; elle y plaît ,
elle y enchante , non feulement comme
Cantatrice , mais comme Actrice . M.
Pilot , qui y chante le rôle de Mirtil , y
fatisfait les Auditeurs , quoiqu'il y ait
beaucoup de chant dans ce rôle , & que
l'on puiffe fe fouvenir encore de M. Géliote
, qui l'a exécuté dans fa nouveauté .
Le Ballet eft nombreux & agréable ;
Mrs Lani , Gardel , & Mlles Lyonnois
Vefiris & Guimard , font les principaux :
Sujets qui y danfent.
Mlle le Mierre chante dans le Prolo-
( a ) Voyez le Mercure d'Octobre 1751 , ой
l'on parle de cette repréſentation.
( ) V. le Mercure de Novembre 175IA
182 MERCURE DE FRANCE .
gue , Mlle Dubois dans l'Acte des Sauvages.
Dans ce même Prologue , Mlle
Peflin & M. d'Auberval danfent l'Air
Polonois , & font plaifir. Mlle Allard
danfe l'Air des Sauvages , & deux Tambourins
dans l'Acte qui en porte le titre.
M. Gardel , dans ce même Acte , y danfe
feul la belle Chaconne que l'on connoît
, & à la fin un Pas de deux avec
Mlle Allard. Nous ne nous étendons:
pas davantage fur un Ouvrage dont la
célébrité eft fi bien établie , non plus:
que fur des talens , pour l'exécuter , qui
font en poffeffion des fuffrages publics.
COMÉDIE
FRANÇOISE.
EPUIS notre dernier Volume de
Juillet , on n'a rien donné de nouveau
fur ce Théâtre dont nous ayons à rendre
compte . Nous croyons que nos Lecteurs
trouveront cet article convenablement
rempli par l'hommage que rend
un Auteur couronné à l'Actrice qui a
le plus contribué à fon triomphe.
fi
AOUST. 1762. 183
VERS à Mlle CLAIRON , par l'Auteur
de la Tragédie de ZELMIRE.
AINSI de tes talens le pouvoir enchanteur ,
De l'aveu de l'efprit , ſe rend maître du coeur !
Mère du Sentiment & fille du Génie ,
Quand ta voix nous contraint à pleurer , à frémir,
Cette raifon fublime à tes tranſports unie
Rend à l'âme en fecret compte de fon plaifir.
Ton noble enthouſiaſme & le goût qui l'épure
Loin des bornes de l'art vont faifir la nature.
O divine Clairon , c'eſt ce charme vainqueur
Que la France idolâtre & que l'envie admire ,
C'eſt lui qui , par tes mains , embelliffoit Zelmire.
Je ne m'éblouis point de mon frêle bonheur ;
Ne crois pas qu'en fecret mon orgueil fe couronne
Des lauriers éclatans que ta gloire moiſſonne :
L'Actrice en laiſſe à peine une feuille à l'Auteur.
Que dis- je ? fijamais de l'ardeur immortelle ,
Dont un fils d'Apollon fent pénétrer fon coeur j
Mes vers pouvoient offrir quelque trace fidélle ;
J'en devrois à tes yeux la premiere étincelle .
Ces yeux , où brillent confondus
Le feu des paffions & celui des vertus ;
Où le peint l'héroïſme avec des traits de flâmes
184 MERCURE DE FRANCE.
Oùfemblent refpirer toutes les grandes âmes .
Le Père de Cinna , pour tonner dans nos coeurs ,
A repris dans le tien une nouvelle vie ;
Tu lances fes foudres vainqueurs
Ton gefte , ton regard eft l'éclair du Génie.
Quelquefois .... ( mais à peine on croit en la
voyant
Cette raviffante merveille , )
Ton filence eft plus éloquent
Que les vers même de Corneille.
Eh quel amant des Arts peut t'entendre & te voir
Sans que d'un doux tranſport il ſe ſente émouvoir
;
Sans qu'une ardeur rapide , une ivreffe brûlante
Vienne porter dans fes efprits
Et la flâme & le Dieu dont les tiens font remplis ?
Ah ! ton feul fouvenir , ton image vivance ,
Que mon coeur à mes yeux rendoit toujours préfente
,
Dans les glaces du Nord embraſoit tous mes fens.
Pour faire mieux parler Zelmire
Je me la figurai fous tes traits féduiſans ;
Je la voiois en toi , j'entendois tes accens :
Moâme s'élevoit par cet heureux délire .
Dieux ! qu'avec intérêt Minerve nous inſpire
Les vers que tu dois prononcer.
Elle fait toujours mieux penfer
Ce quelle doit t'entendre dire.
AOUST. 1762. 185
COMÉDIE ITALIENNE.
LA JEUNE GRECQUE , Comédie
remife au Théâtre , à été continuée
avec applaudiffemens , & a toujours paru
faire plaifir au Public . Le 24 Juillet
elle avoit été donnée fix fois . ( a )
Sancho-Pança dans fon Ifle , Opéra
Bouffon en un Acte , a été interrompu
après la quatriéme repréſentation ,
par l'indifpofition de M. Caillot qui y
jouoit le principal rôle ; plus la Mufique
de cette Piéce a été entendue , &
plus elle a été applaudie ; le Public l'a
décidée digne de foutenir la réputation
que M. Philidor s'étoit juftement acquife
par fes Ouvrages précédens (b) .
( a ) Cette Comédie , en vers , eft fi agréablement
écrite que nos Lecteurs nous fçauront gré
de leur en avoir indiqué l'impreffion , à Paris ,
chez Duchefne Libraire rue S. Jacques , au Temple
du Goût. Prix 24 f
ib
Au précédent
Mercure
, nous fommes tombés
dans deux erreurs , à l'égard du titre de
cette Piéce , contre lefquelles
l'Auteur
des Pa- roles reclame
: il eſt juſte de ſe rectifier . 1º . trom- pés par l'étendue
du fujet , par le nombre
des Scénes , encore plus par un changement
de lieu
avec intervalle dans l'action ; nous avions cru cette
186 MERCURE DE FRANCE.
Le 16 Juillet on a repréfenté pour
la premiere fois la Vengeance généreufe
, Comédie Italienne en 3 Actes ; mêlée
de Scènes Françoifes. Elle a cutrois
repréſentations .
Le 22 du même mois on a donné la
premiere repréſentation des Soeurs Rivales
, Comédie en un A&te , mêlée
d'Ariettes. Les paroles de M. de la Ribardiere
; la Mufique de M. Desbroffes ,
Acteur du Théâtre Italien .
Cette petite Piéce , dont la repréſentation
n'avoit point été annoncée longtemps
auparavant dans le Public , a été
très- bien reçue ; elle eft fort applaudie
& continuée avec fuccès.
La Mufique en a été trouvée très-
Pièce en deux Actes , fans faire attention qu'en
effet elle étoit affichée en un Acte. 2 ° .Pour l'intelligence
de ceux qui n'ont pas voyagé en Italie , nous
avions annoncé que cette Piéce étoit dans le genre
des Opéras Comiques modernes , ce qui eft vrai :
mais il ne l'eft pas moins qu'elle eft intitulée ,
Opéra Bouffon fur l'affiche , & nous devons en
informer nos lecteurs . Nous ne laifferons jamais
fubfifter d'obſcurité ſur les moindres faits relatifs
aux anecdotes Théâtrales. Il feroit à defirer
fouvent , pour la fatisfaction du Public , qu'il
fût auffi facile à tous les Auteurs des Piéces , de
reconnoître & de corriger leurs erreurs , qu'il
nous l'eft de les fatisfaire en reconnoiffant & en
corrigeant les nôtres .
K
AOUST. 1762. 187
agréable , chantante & ingénieufement
travaillée ; la fcience de l'art femble n'y
avoir été employée qu'au profit du goût
pour en rendre les chants plus naturels ,
fans que les accompagnemens y foient
négligés ; ils fecondent partout le Sujet ,
mais ils ne l'étouffent jamais par le poids
du travail muſical . Ce jugement eft celui
que nous avons recueilli d'après le
fentiment général .
La Comédie des Saurs Rivales eft
affez plaifamment intriguée pour produire
de l'amufement ; elle est écrite
fimplement , mais fort bien coupée pour
les jolis airs dont elle eft enrichie : voici
quel eft le fujet du Drame.
Colette & Babet , filles de Lucas , riche
Fermier , ont pour Amans deux
frères Officiers d'un Régiment en garnifon
dans le Pays , & nommés Dorimon.
Les deux frères ont conduit leur
intrigue avectant de fecret , qu'ils n'ont
point fçu qu'ils étoient amans des deux
Soeurs , & chacune des Soeurs a de même
ignoré que fon Amant eût un frère.
Les deux Dorimon ayant écrit chacun
à leur Maîtreffe , & ayant chacun
figné la lettre de leur nom , il eſt arrivé
que les deux lettres font tombées
entre les mains de Lucas , qui ne
188 MERCURE DE FRANCE.
fçachant pas la double intrigue , ouvre
la Scène , en faifant des reproches à fes
filles , fur leur imprudence d'aimer toutes
deux un Officier qui ne cherche
qu'à les tromper ; ce qu'il prouve en
faifant voir les Lettres qu'il a interceptées
& qu'il croit de la même perfonne.
Après qu'il eft forti ; les deux foeurs , en
raifonnant fur cette avanture , fe perfuadent
être toutes deux amoureufes du
même Dorimon , & dans cette fuppofition
fe traitent en rivales. L'aînée fort ;
& pendant que la cadette réfléchit fur
cet incident , Dorimon le jeune arrive ;
elle fe plaint à lui de fa prétendue infidélité
; Dorimon ſe juſtifie . Cette Scène
eft interrompue par l'arrivée de Lucas ,
conduit par l'autre foeur , l'Amant fe
fauve ; Babet refte feule exposée aux
réprimandes de fon pére qui l'emméne
avec lui. Colette étant feule fe promet
de pouffer auffi loin qu'elle pourra fa
vengeance contre fa four. Lorfque Dorimon
l'aîné arrive , Colette croyant que
c'eft lui qu'elle a vu parler à Babet , l'accufe
d'infidélité. Dorimon ne fçachant
ce qu'on lui veut dire , eft prêt à ſe fâcher
à fon tour , quand Lucas furvient
une feconde fois , conduit par Babet ,
qui prend ainfi fa revanche du tour qu'on
lui a joué à elle- même. Babet reconnoît
AOUST. 1762. 189
fa méprife & foutient à fon père que ce
n'eft pas là Dorimon . Colette & Dorimon
foutiennent le contraire . Ainfi Luacs ne
fçait plus qu'en croire . Alors paroît
l'autre Dorimon. Chacune des foeurs reconnoît
fon Amant , & tous quatre fe
réuniffent pour obtenir de Lucas le
confentement à leur mariage. Lucas fe
fait prier quelque temps , & enfin confent
à tout , charmé de l'occafion de
s'allier mieux qu'il n'auroit ofé l'efpérer.
CONCERT SPIRITUEL.
LESES Nouveaux
Directeurs fe difpofent
à donner leur premier Concert le
15 de ce mois , Fête de l'Affomption.
A deux grands Motets nouveaux , qui
doivent faire le fond de ce Concert ,
ils doivent joindre tout ce qu'il leur
fera poffible de raffembler de plus propre
à fixer & à fatisfaire l'attention .
Déterminés à n'adopter exclufivement
aucun genre de Mufique , ils annoncent
& promettent qu'ils feront leurs efforts
pour fe conformer aux différens goûts
de tous les Auditeurs à chaque Concert.
On croit qu'ils prennent auffi des
mefures pour ajouter à la décoration
de la Salle de nouveaux embelliffemens.
190 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VI.
SUITE des Nouvelles Politiques du
premier Vol. de Juillet.
LEURS MAJESTÉS T C. & C. ne peuvent point
regarder , comme une marque de confiance &
d'amitié de la part du Roi T. F. le filence obfervé
par fon Ambaffadeur à Madrid au ſujet des
préparatifs de guerre qui fe dirigeoient vers les
frontieres du Portugal . Ce filence a dû au contraire
donner lieu dès le commencement aux
foupçons , qui malheureuſement ne fe vérifient
que trop aujourd'hui , que S. M. T. .F préfére à
leur union celle du Roi Britannique. En effet , fi
Elle eût été dans d'autres fentimens , Elle auroit
demandé , comme il convient à une puiffance
amie , quel étoit l'objet de ces préparitfs ; Elle auroit
cherché à entamer une négociation que la
prudence ne permettoit pas à LL. MM . C. & T.
C. de demander fitôt , de peur que leurs vues ne
fuffent dévoilées par la Cour de Lisbonne à celle
de Londres , qui poffédoit & qui poffède encore
toutes les affections. Il eft für que la Cour de
Lifbonne avoit pris fecrètement le parti , fur lequel
elle eft contrainte aujourd'hui de ne plus diffimuler.
L'indifférence apparente avec laquelle elle
voyoit les frontieres bloquées & infeſtées de troupes
, (pour nous fervir de fes expreffions) , lui
fervoit à mafquer les démarches qu'elle faifoit
faire à Londres , pour y folliciter des fecours ,
pendant qu'elle gardoit le filence à Madrid , &
AOUST . 1762 . 191
elle oppofoit ainfi des préparatifs cachés à des
préparatifs ouverts & publics.
Malgré toutes les déclamations par lesquelles
la Cour de Lisbonne cherche à faire voir que
fa neutralité ne différe point de celle qu'obfervent
les autres Puiffances , & qu'il n'y a point de
droit pour leur faire violence , il faut qu'elle fe
défabule à ce fujet. Aucune Puillance impartiale
ne conviendra avec elle de cette affertion , dès
qu'on fongera aux maux éprouvés par l'Espagne
dans les guerres précédentes avec les Anglois ;
& S. M. T. F. fi fa rupture avec L. MM, C.
& T. C. attire fur Elle les maux qu'elle
de ne point craindre , & étant unie
tannique , aura peut-être lieu de fe reprocher
d'avoir pû les éviter au jugement de la partie
la plus faine & la plus judicieufe de l'Europe.
ecte
Bri-
Puifque S. M. T. F. fait fi mal à propos confifter
fa gloire & celle de fa Couronne , non à
fecouer le joug réel des Anglois , mais à empêcher
les troupes Espagnoles d'entrer en Portugal
, où elles ne viennent que pour le défendre
& le fecourir , LL. MM. C. & T. C. font auffi
confifter leur gloire & celle de leurs Couronnes
à l'entreprendre , & Elles la foutiendront avec
une ardeur & une perfévérance égales en tous
points à celles dont S. M T. F. fait parade en
difant qu'Elle ne renoncera jamais à cette prétendue
gloire , & qu'Elle verroit plutôt renverfer
la derniere pierre de fon Palais , & fes Sujets
verfer la derniere goute de leur fang .
Enfin comme le Roi T. F. dans l'alternative
qui lui a été proposée , a préféré de réſiſter aux
troupes Efpagnoles , & de les regarder comme
des troupes ennemies qui fe préfentent pour
entrer dans fon Royaume , plûtôt que de les
192 MERCURE DE FRANCE .
recevoir comme des troupes amies , & qu'ainfi
il a choi l'inimitié de LL . MM . C. & T. C.
de préférence à leur amitié , il devient très-inutile
& trèss-
peu convenable , que les fufdits Ambaffadeur
d'Espagne & Miniftre Plénipotentiaire de
France reftent auprès du Roi T. F. C'eft pourquoi
ils le fupplient de vouloir leur faire expédier
les palleports néceffaires , pour qu'ils puiffent le
retirer fur le champ chacun à leur Cour.
1
A Lisbonne , le 23 Avril 1762.
FIN de l'EXPOSÉ des motifs de l'entrée des troupes
Espagnoles dans le Portugal.
MÉMOIRE de S. E. Dom Louis de Acunha en
réponse au précedent , & par lequel il offre à
Dom Jofeph Torrero & à M. Jacques Odunne
les paffeports qu'ils lui ont demandés.
E
N réponſe au Mémoire préfenté le 23 du préfent
mois d'Avril par S. E. Don Jofeph Torrero,
Ambaſſadeur du Roi Catholique , & par M. Jacques
O-Dunne, Miniftre Plénipotentiaire du Roi Três-
Chrétien . Louis de Acunha leur fait fçavoir
par l'ordre du Roi Três - Fidéle fon Maître :
« Que S. M. lui a expreflément recommandé
» de n'employer aucune des expreflions dont
» le Mémoire fufdit eft rempli , qui lui paroiffent
>> trop vives & inufitées entre des Souverains , &
qui d'ailleurs font abfolument étrangeres au
» fond de l'affaire dont il s'agit ; & qu'Elle n'y
» a vû aucune idée nouvelle qui pût ouvrir les
"
voies d'une négociation , & faire prendre à
» S. M. des réfolutions différentes de celles
» qui ont été communiquées aux fuldits Am-
» bafiadeur & Miniftre dans les réponſes du
Secrétair
>
A O UST. 1762. 193
» Secrétaire d'Etat , en date du 20 Mars dernier,
» & du du préſent mois d'Avril.
» Que la rupture ouverte , dont les mêmes
» Miniftres alliés viennent de faire l'aveu dans
→ des termes fi clairs & fi pofitifs , n'a pas cauſé‹
» la moindre furpriſe à Sa Majefté , d'autant
» qu'Elle a vû que la premiereouverture de cette
» négociation , dont il n'y a point d'exemple , fe
» réduifoit à notifier à S. M. T. F. par le pre-
» mier Mémoire du 16 Mars dernier , qu'il étoit
» décidé entre les Cours de Verfailles & de Madrid,
fans que S. M. T. F. en eût eu la moindre
» connoillance , de rendre le Royaume neurre
» de Portugal le théâtre d'une guerre ; d'obli-
» ger S. M. à fouffrir tranquillement que fes
» Provinces & fes Ports fuffent occupés par les
>> armées Efpagnoles ; de lui déclarer qu'à cer
» effet lefdites armées étoient déjà fur les fron-
ל כ
tieres de fon Royaume ; & encore par- deflus
» tout cela de lui fignifier auffi qu'Elle eût non-
» feulement à rompre tous les traités de paix
» & de commerce avec l'Angleterre , mais même
» à déclarer à cette Couronne une guerre offen-
»› five ; d'autant auffi que , pour annoncer toutes
» ces réfolutions à S. M. loin d'employer un
langage modéré & capable de la perfuader,
» on avoit cherché au contraire à lui faire en-
» tendre par les expreffions les plus vives & les
» plus fortes , que l'on n'avoit point envie de
» négocier , mais bien plutôt de rompre ; d'au-
» tant enfin que S. M. T. F. s'eft vue confirmer
> encore toutes ces chofés , par le fecond Mé-
» moire que les fufdits Don Jofeph Torrero &
» Don Jacques O- Dunne ont préſenté le 1. de
» ce mois , où il étoit déclaré que S. M. C. avoit
» donné les derniers ordres pour que fes troupes
3
I
194 MERCURE DE FRANCE.
» entraffent dans ce Royaume , fans attendre à
» ce fujet d'autre réponſe ou confentement de
» S. M. T. F.
24
!
Que S. M. fait confifter tout fon honneur
» & toute fa gloire à être fidele à fa parole
» Royale , aux engagemens de fa Couronne
» & aux fentimens de Religion & d'humanité
» qui lui défendent de fe porter à faire une
guerre offenfive à quelque Puiffance que ce.
fait , même quand elle lui feroit indifférente,
» & quand elle ne lui feroit point alliée par des
» Traités réciproques , qui fubfiftent depuis, un
fiecle , tels que ceux de S. M. avec la Cou
» ronne d'Angleterre.
>>
» Qu'on n'a point rendu à LL. MM. C. &
» T.C. un compte fidele des réponſes données
par la Cour de Portugal les 20 Mars dernier ,
» & du préfent mois d'Avril , fi on leur a dit
qu'il y eûr quelque point de ces réponses , que..
» l'on pât interpréter comme un aveu de la
» part de S. M. T. F. que l'Angleterre lui eût
» donné fujet de rompre les anciens Traités.
» défenfifs dont il s'agit ; étant au contraire
» très certain que S. M. devoit à la Couronne
» de la Grande-Bretagne toute la bonne corref
"pondance , qui eft la fuite naturelle de ces
» mêmes anciens . Traités.
Que S. M. T. F. en même temps qu'Elle
a la plus haute idée du pouvoir & de l'amitié
» de LL. MM . T. C. & C. croit qu'indubitable-
›› ment LL. MM. fufdites feroient les premieres
» à défapprouver dans la conduite de S. M. une
» démarche comme celle de rompre fa neutra-
» lité , pour faire une guerre offenfive à fes Alliés,
étant avec eux dans les termes qui ont été
>> rapportés.
.
<t
AOUST. 1762 . 195
Que S. M. ne voit aucune différence entre
» la neutralité & celle des autres Puiflances , G
» ce n'eſt dans la maniere dont les frontieres
» fe trouvent attaquées , ce qui a été fait lans
» aucun fujet , & feulement parce qu'on s'eft
» perfuadé qu'il couvenoit aux deux Cours de
» Verfailles & de Madrid , que le Portugal rompit
avec l'Angleterre tous les liens qui les
>> uniffent ainfi qu'on vient de le voir. Qu'il
eft inconteftable que la feule raifon de l'in-
» térêt , lorfqu'elle n'eft foutenue d'aucun titre
» légitime , n'a jamais autorifé les Puitlandes
Belligérantes à attaquer celles qui , fe trouvant
>> neutres , jouiffent des douceurs & des avan-
» tages de la paix .
"
ور
د ب
ود
ود
t
Que S. M. fouhaiteroit que le reproche qu'on
» lui fait de n'avoir point porté de plaintes ,
» lorfqu'Elle a vû fes frontieres bloquées & in-
» feftées de troupes , ne für pas auffi bien fondé
qu'il l'eft dans les Mémoires fufdits du 16
» Mars & du i de ce mois , où l'on a déclaré
» en termes exprès & nullement équivoques ,
» qu'il avoit été réfolu dès le temps de la ftipu
» lation du Pacte de Famille , d'infefter de
» troupes & de bloquer les fufdites frontieres
» pout envahir & occuper ce Royaume . Que
» ce font des termes , par lefquels il eft fenfible
que le Portugal ne devoit ni demander ni
>> attendre des fecours des mêmes Cours qui
s'étoient liées pour l'attaquer , & que le feu
» caché avoit toujours été du côté où l'on avoit
réfolu d'attaquer offenfivement , & non de
> celui où l'on n'avoit fait , comme on le fait
encore , que s'efforcer de fe défendre , & de fe
« maintenir dans un état de Paix, que l'on fe croit
Iij
196 MERCURE DE FRANCE.
affuré par le Droit Divin , ainfi que par celui
>> de la nature & des gens.
בכ
Que , fi S. M. C. avoit été informée fidélement
de ce qui s'eft paffé dans toutes les-
» guerres antérieures , Elle verroit qu'il y a
beaucoup de profit & d'avantages à retirer, &
» en une infinité d'occafions , pour la Couronne
& pour fes Sujets , de cette Paix inféparable
de la neutralité de S. M. T. F. qu'il y en a
» eu des preuves dont la mémoire doit être
» encore bien récente à Madrid , & que la Couronne
d'Angleterre n'a pas été la feule qui ait
» profité de la neutralité & de la paix du Por-
» tugal.
>> Que S. M. entend enfin , que , pour défendre
» fon Royaume contre des invafions , Elle a le
» même droit que le plus fimple Particulier, &
» que l'on ne peut pas le difpenfer de défendre
>> fa propre maifon contre quiconque veut y
> entrer de force.
ם כ
ور
» Et que S. M. fe réduifant à ce feul point
» de défenſe naturelle de fa neutralité & de la
Paix de fes Royaumes , de fes Ports & de les
Sujets , Elle fera tout ce que fes forces &
» celles de fes Alliés lui permettront , fi , malgré
tout ce qui vient d'être dit , Elle fe voit attaquée.
Elle a donné à la Secrétairerie d'Etat
les ordres nécelfaires , pour que l'on expédiât
2 à S. E. Don Jofeph Torrero & à M. Jacques
» O-Dunne, les palleports accoutumés , auffi- tôt
» qu'ils les enverroient demander , & pour que
» l'on dépêchât auffi des Courriers à l'Ambaffa-
» deur Don Jofeph de Silva Paçanha & au Miniftre
Pedro da Cofta de Almeyda , avec ordre
» de quitter, l'un la Cour de Madrid , & l'autre
>> celle de Verſailles , de la même maniere
AOUST. 1762 . 197
» qu'il aura été pratiqué ici par les fufdits
» Ambaſſadeur du Roi Catholique & Miniftre
» Plénipotentiaire du Roi Très - Chrétien.»
Au Palais d'Alcantara , le 25 Avril 1762 .
DON LOUIS DE ACUNHA.
LETTRE qui accompagnoit le précédent
Mémoire.
M. Pour éviter à V. E. autant d'embarras
qu'il m'eft poffible , j'ai l'honneur de lui envoyer
la réponse au Mémoire qui m'a été remis le 23
de ce mois au foir par V. E. & par le Miniftre
Plénipotentiaire de France , & je vous prie de
vouloir bien faire part à ce Miniftre de la Réponfe
fufdite, qui vous doit être commune à l'un &
à l'autre.
Les Paffeports, qui m'ont été demandés ce matin
de la part de V. E. & du fufdit Miniftre Plénipotentiaire,
font actuellement à l'expédition , &
ils feront délivrés quand on viendra les chercher
de la part de V. E. & de M. O- Dunne.
Jeferai toujours charmé de convaincre V. E.
de mon empreffement à la fervir. A Alcantara le
25 Avril 1762 , &c. DON LOUIS DE ACUNHA.
Nota, A la troifiéme Piéce de ce Manifeſte ,
derniere phrafe du troifiéme paràgraphe , au lieu
de ces mors , Que les ennemis font bien voir, &c.
il faut lire, Que leurs ennemis connoiffent affez
la bonne foi de ces difpofitions , en cas qu'ils
veuillent en profiter.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE .
Nouvelle's Politiques qui devoient entrer
dans le II. Volume de Juillet.
ON a
De PETERSBOURG , les Juin.
Na remis ces jours ci à tous les Miniftres accrédités
, excepté à ceux de France & d'Espagne ,
une Note portant ce qui fuit: » comme les circon-
» ftances pourroient demander que l'Empereur
..
fe rendit à fon Armée , pour la commander en
» perfonne , Sa Majefté Impériale a ordonné de
prévenir Meffieurs les Miniftres Etrangers ,
qu'Elle defireroit qu'ils y accompagnaffent la
›› Cour. Ceux de leurs Majeftés Très- Chrétienne
& Catholique n'ont pas reçu cette Note , parce
qu'ils n'ont pas encore eu leur premiere Audience.
Cependant le Baron de Breteuil a obtenu
une rêverfale pareille à celle qui fur donnée par
P'Impératrice Elifabeth , lorfque la France accorda
à cette Princeffe fe titre Impérial .
t
De WARSOVIE , le 6 Juin.
On dit que le Corps de troupes Ruffes , commandé
par le Comte de Czernichew , doit être
rendu vers la fin de ce mois à Breffau .
La charge de Grand Veneur de Lithuanie , vacante
par la mort de Jofeph Sulkouski , Prince
de l'Empire & de Bilitz dans da Haute Silefie ,
vient d'être donné au Comte Charles de Bruhl ,
Colonel au fervice de France , fecond fils du premier
Miniftre .
A OUST. 1762.
199
De STOCKHOLM , le 4 Juin.
Let de ce mois , il arriva de Hambourg un
Courier qui a apporté le Traité de paix conclu
entre la Suéde & le Roi de Pruffe . Quoique
les articles de ce Traité ne foient pas encore connus
du Public , on fçait néanmoins qu'il n'eft
qu'un renouvellement de celui de 1720 .
De VIENNE , le 16 Juin.
秦
Un Courier du Feld-Maréchal de Serbelloni a
apporté le détail des différentes attaques que ce
Général a fait éxécuter le premier de ce mois , On
compte que les Ennemis , tant en morts qu'en
prifonniers & en déferteurs , y ont perdu plus de
douze cens hommes.
Selon les nouvelles de Siléfie , un Corps de
troupes Ennemies fortit brufquement les au matin
d'un bois qu'il occupoit , & il vint fondre fur
nos poftes de Wernersdorff & de Wohnau . Le
Lieutenant Général Brentano , ayant marché aulirôt
avec de la Cavalerie au fecours de ces poftes
manoeuvra fi habilement , que les Prufliens
furent repouffés & pourſuivis jufqu'aux Montagnes
de Sackwitz .
Le 6 , à deux heures & demie aprè minuit ,
les Pruffiens porterent cinquante Eſcadrons dans
la plaine de Wernersdorff & de Grosmohau . Ces
Troupes , qui menoient avec elles quatre piéces
de canons , s'avancerent , à la faveur d'un brouillard
épais , vers un de nos Poftes , l'enfoncerent ,
& continuerent leur marche vers les hauteurs de
Floriandorffqu'elles envelopperent de toutes parts.
Le brouillard empêchoit de juger du nombre des
ennemis , & déroboit leurs mouvemens. Il ne
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
leur fut pas difficile de renverſer nos Poftes , qui
ne s'étoient pas attendus à être attaqués par des
forces fi fupérieures. Notre perte cependant s'eft
réduite à une vingtaine d'hommes tués , & à quelques
chevaux. Les Pruffiens fe retirerent à l'approche
de plufieurs Régimens d'Infanterie & de
Cavalerie , que le Feld- Maréchal Comte de Daun
fit marcher avec du canon.
Un des prifonniers , amenés par un de nos détachemens
, a affuré que le corps de Cavalerie
ennemie , qui campoit auprés de Boën , étoit
deftiné feulement à couvrir le tranfport de Munitions
que Sa Majesté Pruffienne fait conduire de
Glogau à Breslau .
De HAMBOURG , le 18 Juin.
Depuis que les troupes étrangères ont évacué
le Mecklenbourg , le Duc Souverain de cet Etat
a quitté Lubeck , pour retourner à la réfidence
de Schwerin . La Ducheffe , fon époufe , dont la
fanté eft confidérablement altérée, s'eft rendue
ici , dans le deffein d'y prendre les eaux .
De MUNICH ,ale aj Juin
Le 19 de ce mois , l'Electeur vint ici de Nimphenbourg,
& ce Prince pofa la premiere pierre
du Bâtiment qu'il fait élever , pour y placer la
Bibliothéque Electorale , fi commue de tous les
Savans par le nombre de fes précieux Manufcrits.
On fait qu'Albert V , Duc de Baviere , célébre
par la fageffe & la modération avec lesquelles
il fe conduifit pendant les troubles de la Religion
& dans l'importante affaire du Concile de Trente
, raffembla une grande partie des richelles que
renferme ce fameux dépôt. A une grande multi-
3
AOUST. 1762. 201
tude de Manufcrits originaux que ce Princé avoit
recueillis lui-même dans les voyages en Italie ,
il ajouta les copies de la plupart de ceux qu'il n'avoit
pu fe procurer , & un recueil de tous les li
vres manufcrits que Mathias Corvin , Roi de Hongrie
, avoit laiffés , en mourant. Depuis longtemps,
on avoit négligé ce qu'Albert avoit fi glorieufement
commencé. L'Electeur , aujourd'hui regnant
, marchant fur les traces d'un Ancêtre fi
illuftre , a confacré annuellement une fomme '
confidérable à l'achat des livres qui manquoient
à cette collection ; & dans peu d'années , cette
Bibliothéque fera une des plus riches de l'Europe
en tout genre. Le vailleau dans lequel on la
placera , fera digne du tréfor qu'il doit contenir.
Entre les diverfes infcriptions , qui ont été préfentées
pour être mifes dans les fondemens de
cet édifice , on a choift la fuivante : Qui hant
molem diruifti , vel collapfam reftaurare paras
difcito conditam , ut arx Mafaram , augendis atera
nandifque artibus , facta foret , juffu Ser. Pt.
Max. Jof. Aug. C. & A. F. Bav. D. S. A.
Imp. IX. Viri. Ah. S. R. M. D. CC. LXII.
D. 19 M. Juh. Elle éft du Chevalier du Buat.
De GOTHA , le 4 juin.
L
La petité Ville de Zella de Saint Blaife n'eft
plus qu'un amas de cendres. Eglifes , Maifons ,
Granges , tout fut confumé le 25 du mois dernier,
par un incendié dont on ignore la caufe.
Beaucoup de pérfonnes ont péni dans les flam
mes , ou ont été enfevelies fous les ruines de
leurs habitations.
De MADRID , le 15 Juin.
Par un Courier que le Marquis de Sarria
1
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
:
•
a dépêché du quartier général de Dos- Iglefias ;
le 8 de ce mois , on appris que , le 1 , le Brigadier
Don Alexandre O Reilly, avec les Troupes légeres
à fes ordres , a marché de Villareal. Cet Officier
avoit pris les mesures convenables pour éviter
les effets d'un complot qu'il favoit être formé
contre lui , tant par les habitans du Pays , que
par les troupes Portugaifes qui ne prennent que
Le nom d'auxiliaires , & qui , pour n'être pas
reconnues , ne portent point d'uniformes. Les
avis qu'il avoit reçus , n'étoient que trop bien
fondés : à peu de diftance de Villareal , il s'apperçur
que les hauteurs & les poftes les plus avantageux
étoient occupés par une multitude de
Payfans armés , dont le nombre augmentoit à
tout moment , & qui incommodoient extrêmement
nos troupes dans leur marche , non - feulement
par un feu continuel de mouſqueterie
mais encore en embaraffant d'arbres le chemin
étroit & difficile qu'elles avoient enfilé. Don
Alexandre O Reilly fit tant par fes fages difpofitions
, que les ennemis ne purent , ainfi qu'ils
en avoient le deffein , couper la retraite . Il les
délogea des hauteurs , malgré la réfiftance opiniâtre
qu'ils lui oppoferent ; & fans égard au
danger , il s'ouvrit un chemin au milieu d'eux.
De notre côté, il n'y a eu que deux Soldats tués
& huit bleffés. Les Portugais ont laiffé quarantefix
morts fur la place , & on leur a fait vingt huit
prifonniers , qui ont été conduits à Chaves. Nos
Troupes légeres y arriverent le 2 à cinq heures
du foir , après avoir fait douze lieues en vingtquatre
heures, & avoir donné de nouvelles preuves
de leur ardeur , de leur courage & de leur bonne
difcipline.
A O UST. 1762. 203
De PARME , le 19 Juin.
Le fieur de Perfeville , Huiffier des Ordres de
Roi de France , arriva ici le 17 de ce mois , &
préfenta à l'Infant Duc une lettre de Sa Majefté
Très-Chrétienne , & les marques de l'Ordre du
Saint- Efprit qu'elle a envoyées au Prince Héréditaire.
Hier le Jeune Prince fut revêtu de ces
marques par fon Alteffe Royale. Le Comte de
Rochechouart , Miniftre Plénipotentiaire de France
, & le Marquis de Saint Vital , l'un & l'autre
Chevaliers des ordres du Roi Très-Chrétien , affifterent
, ainsi que les principaux Officiers de la
Cour , à cette Cérémonie.
De VENISE , les Juin.
>
Le 31 du mois dernier , le Procurateur Marc
Foscarini , Chevalier de l'Etole d'Or fut élu
unanimement Doge. Le lendemain 1. de ce
mois , il fut couronné avec les Cérémonies accoutumées
.
De LONDRES , le 10 Juin.
Sa Majefté a donné au Chevalier Edouard
Hawke , le commandement en chef de tous les
Vaiffeaux de Guerre , depuis le Nord de l'Ecoffe
jufqu'au Roc de Lisbonne. On compte que cer
Amiral fe rendra bientôt de Spitéad aux Dunes,
où s'affemble actuellement une Flotte nombreuſe,
à bord de laquelle il arborera fon Pavillon .
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée
de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 30 Juin 1762.
LAComteffe de Lorges a été mile au nombre
des Dames nommées pour accompagner Madame
la Dauphine.
Le Roi à difpofé de la place de Confeiller
d'Etat , vacante par la mort du fieur Barentin
en faveur du fieur Bignon , Prevôt , Maître des
Cérémonies de l'Ordre du faint - Elprit.
L'affemblée générale du Clergé ayant terminé
fes féances , les Prélats & autres Députés qui la
compofoient , fe rendirent ici le 27 de ce mois.
Ils eurent audience du Roy avec les honneurs
qu'on rend au Clergé quand il eft en corps , &
avec les Cérémonies qui avoient été obfervées ,
lorfque les mêmes Députés avoient rendu leurs
refpects à Sa Majefté . Le 9 du mois dernier, l'Archevêque
de Narbonne étoit à la tête des Députés
, & l'Archevêque de Toulouse porta la
parole.
Le 16 , le Roi , accompagné de Monfeigneur
le Dauphin , alla voir , pour la premiére fois ,१
PHôtel de la Guerre , & Sa Majesté en parut
fatisfaite.
De l'Armée commandée par les Maréchaux
d'Eftrées & de Soubife , le 25 Juin .
Toute l'armée des ennemis ayant paſſé hier
a Dymel , & le Corps des Anglois s'étant porté
AOUST. 1762. 205
pendant la nuit fur notre gauche vers Zierenberg,
d'où ils pouvoient nous prévenir à Caffel , les Maréchaux
d'Eſtrées & de Soubile ont jugé à propos,
pour y arriver avant eux , de quitter le camp
de Grebenſtein . La marche s'eft faite avec beaucoup
d'ordre. Le Corps détaché en avant de la
droite aux ordres du Marquis de Caftries pour
éclairer les ennemis , a rejoint l'armée, après
avoir fait avec fuccès plufieurs charges très -vives
de Cavalerie. Le Régiment d'Alface a foutenu
avec la plus grande fermeté la charge de la Cavalerie
des ennemis , & leur a fait perdre beaucoup
de monde. On a fait auffi , dans cette partie ,
nombre de prifonniers. A notre gauche , le Comte
de Stainville voyant que le corps des Anglois
s'avançoit pour s'emparer des hauteurs de Wilhemftadt
, & connoiffant l'importance de ce
pofte , les a attaqués , quoique fort inférieur ,
dans un moment décifif pour la fûreté de la
marché de l'armée. Il a réuffi dans deux charges
très-vigoureufes , & a pris fept piéces de canon.
De ce nombre , trois ont été enlevées par les
Dragons de Nicolaï. A la troisième charge , les
Grenadiers de France s'étant trop enfoncés dans
le bois , plufieurs Compagnies de ce Corps &
une partie de la Brigade de Poitou ont éte enveloppées
& prifes. C'eſt le feul malheur qui foit
arrivé pendant notre marche.
1
Le Chevalier de Narbonne , Colonel aux Grenadiers
de France , détaché au Régiment des
Grenadiers de l'Eſpinaffe , a été tué. Il n'y a eu
aucun autre Officier fupérieur de tué dans cette
affaire. Les Marquis de Peyre & de la Rochelambert
, Colonels de Grenadiers , ont été bleffés
légérement , ainfi que le Duc de Picquigny.
Depuis cette action , les Maréchaux d'Eftrées
206 MERCURE DE FRANCE.
& de Soubife ont fait paffer la Fulde à l'armée
pour aller camper fur les hauteurs de Landf
verhagen , & ont laiffé le Comte de Stainville
avec trente Bataillons au camp rechanché de
Caffel.
De l'Armée du Bas- Rhin , les Juillet.
Le 21 du mois paffé , les Dragons des Volontaires
de Clermont attaquerent a Schermbeck cinq
cens hommes à cheval de la Troupe de Scheiter.
De part & d'autre le combat fut très -opiniâtre ;
on s'eft mêlé plufieurs fois , fans qu'il fe foit
tiré un feul coup de fufil . A la fin , les ennemis
ont cédé. On leur a tué beaucoup de monde ,
& l'on a fait prifonniers quarante-deux Dragons
montés & deux Maréchaux des Logis .
Les Volontaires de Clermont ont eu quatre
hommes tués & dix - huit bleffés , dont quatre
Officiers; favoir , les fieurs de Villereau & de
Cornier , Capitaines , affez légérement ; les fieurs
de Blaigis & de la Baffé , Lieutenans , plus grievement.
Une feule troupe du Régiment de Flamarens
, commandée par le fieur de Mirmont , a
pu charger. Elle s'y eft conduite avec diſtinction .
Le 25 , le Prince Héréditaire , à la tête d'un
Corps de Cavalerie de quatre cens chevaux ,
fuivi de quelques Bataillons , marcha contre le
Corps des Volontaires de Conflans ; à la nouvelle
qu'en reçut le Colonel de ces Troupes légères ,
il fe mit en bataille fur les hauteurs de Klinghaufen
, d'où s'étant apperçu qu'on cherchoit à
le tourner par fa gauche , il a mis fon Infanterie
dans les bois , & fa Cavalerie derriere un rideau ,
laiffant deux Efcadrons de Huffards fe battre
en retraite , pour attirer le Prince Héréditaire ,
わ
AOUST. 1762. 207
·
qui effectivement s'eft abandonné avec la Caya.
lerie , & a été amené jufqu'a celle de Conflans ,
qui l'a chargé , plié & pourſuivi juſqu'à Hornberg.
Elle lui a tué une, vingtaine d'hommes , bleflé
un beaucoup plus grand nombre, & pris deux cens
hommes à cheval , avec un Colonel & un Cornette
des Gendarmes Heſſois , un Major & un
Cornette des Carabiniers de Brunſwick.
Les Conflans ont eu peu d'hommes tués , &
quinze bleffés.
Le Prince de Condé a marché le 26 avec l'armée
du Bas Rhin , à Halterem , & a fait occuper
Dulmen par une de fes avant- gardes.
De PARIS, les Juillet.
On a reçu avis que la Princeffe Marie-Chriftine
de Saxe étoit arrivée le 24 du mois dernier à
Plombieres , fous le nom de Comteffe de Henneberg.
Ön écrit de Toulon , que l'efcadre commandée'
par le fieur de Bompar , a été fignalée le 17 du
mois dernier.
La Communauté des Marchands Fripiers de
la Ville de Paris vient de prendre une Délibération
, pour ſupplier Sa Majefté de lui permettre
de concourir , par une fomme confidérable ,
l'augmentation de la Marine.
Le dix huitiéme Tirage de la Loterie de l'Hôtel
de Ville s'eft fait le 19 du mois dernier , en la
maniere accoûtumée. Le lor de cinquante mille
livres eſt échu au numéro 15885 ; celui de vingt
mille au numéro 7042 , & les deux de dix mille
1
aux numéros 12339 & 5884.
208 MERCURE DE FRANCE.
•
En conféquence d'un Arrêt du Conſeil du
Mai dernier , il a été procédé à l'Hôtel de Ville
de Strasbourg, à commencer du 26 du même
mois , & par continuation , pendant les jours
fuivans , fans interruption , aux dix-neuf Tirages
qui reftoient à faire de la Loterie des trente
millions de livres de l'Emprunt ouvert par la
Déclaration du Roi du 16 Mars 1766. Cette
opération , qui vient d'être terminée par la fortie
de vingt-huit mille cinq cens numéros , & qui
a duré dix-neuf féances fur le pied de quinze
cens numéros chacune , s'eft faite en préſence
du Prêteur & des principaux Magiftrats de cette
Ville , avec tout l'ordre & toute l'exactitude
poffibles. On travaille actuellement à la confection
des Liftes , d'après les procès -verbaux qui
ont été dreſſés à chaque féance , & elles feront
inceffamment rendues publiques , afin que chaque
Actionnaire , dans cet Emprunt , puiffe connoître
fon fort , & prendre d'avance les arrangemens
qui lui feront les plus convenables, pour recevoir
le remboursement des obligations forties & les
intérêts échus , avec la prime attachée à chaque
obligation , dont le payement fe fera fucceffivement
au mois de Mai de chaque année , de la
manière expliquée dans l'Arrêt du Confeil ,fort
à Paris chez le fieur Baujon , Receveur général
des Finances , foir à Strasbourg chez le fieur de
Dietrich , au choix des Porteurs des obligations.
MORTS.
Adrien , Marquis d'Herbouville , Meftre-decamp
de Cavalerie , ci-devant Enfeigne des Gendarmes
de la Gardes du Roi , eft mort le 8 Juin
dans fon Château de Saint- Jean, en Normandie,
âgé de quatre- vingt- feize ans.
AOUST. 1762. 209
Le Comte de la Luzerne de Briqueville , Lieutenant
général des Armées du Roi , & Comman
deur de l'OrdreRoyal & Militaire de Saint- Louis,
eft mort à l'Armée du Haut - Rhin .
DÉCLARATION de guerre de Sa Majefté Très-
Fidelle , contre le Roi d'Espagne.
LB Rox notre Maître a jugé à propos de faire
expédier l'Edit fuivant au Confeil du Palais.
>1
Comme il paroît , par les Mémoires de l'Ambaffadeur
de Caftille , Don Jofeph Torrero , faifant
cauſe commune avec le Miniftre plénipotentiaire
de France Don Jacques O- Dunne , & par
les réponſes que j'y ai fait faire , le tout contend
dans le recueil joint au préfent Edit , qu'un des
points arrêtés entre les deux Puiffances fufdites ,
dans le Pacte de Famille qu'elles ont conclu en-
Temble , confiftoit dans la convention incroyable
& inouie , par laquelle Elles ont difpofé de ce
Royaume , comme s'il leur eût appartenu , pour
l'invahir , l'occuper & l'ufutper , fous le faux prétexte
de vouloir le fecourir & défendre contre les
ennemis que ces mêmes Puillances lui fuppofent ,
& qui n'ont jamais été. D'autant auffi qu'il a été i
publié fucceffivement dans mes Etats , depuis le :
30 Avril dernier jufqu'à ce jour , par différens
Généraux du Roi Catholique , plufieurs placards ,
où l'on prefcrit des Loix & des Ordonnances à
mes Sujets ; & que , pendant ce tems , J'ai vu mes
Provinces envahies , & mes Places attaquées par
une Armée divifée en plufieurs Corps , toutes ces
hoftilités étant accompagnées d'une autre infulte
auffi griéve que celle de prétendre qu'on ne s'étoit
porté à de tels excès , que pour des fins utiles
& glorieufes à ma Couronne & à mes Sujets ,
210 MERCURE DE FRANCE .
ainfi que le Roi Catholique me l'avoit préſenté ,
tandis qu'on me faifoit encore publiquenient
l'outrage de ne pas donner la moindre attention
aux réponses définitives , qui avoient été
faites par mon ordre fur les trois Mémoires ,
par lefquels les fufdits Ambaffadeur & Miniftre
Plénipotentiaire m'avoient fait leurs repréfentations
concernant le projet fufdit. Enfin comme ,
par tous ces procédés inouis & infoutenables , les
deux Monarques fufdits m'ont déclaré & fait de
concert enſemble une guerre offenfive & contraire
à toute bonne foi ; j'ai auſſi ordonné
qu'il fût en joint à tous mes Sujets de regarder
ceux qui font cette violence à la fouveraineté abfolue
de ma Couronne , & qui envahiffent ainfi
mon Royaume , comme des aggreffeurs & ennemis
déclarés & publics afin qu'à compter de
ce jour , pour tirer une vengeance jufte & néceffaire
, & pour leur défenfe naturelle & légitime ,
ils les traitent , en tout & partout , comme tels ,
& pour que , tant contre eux tous en général ,
que contre leurs perfonnes & leurs biens , puil
fent les gens de guerre , & tous ceux qui feront
de moi autorilés à cet effet , mettre en ufage toutes
les voies de fait , que toutes les espéces de
droit permettent d'employer en pareil cas.
J'entends auffi que lefdits gens de guerre , &
généralement toutes les perfonnes quelconques ,
de telle qualité & condition qu'elles puillent
être , ceffent abfolument toute efpéce de correfpondance
ou communication avec les fufdits
ennemis , fous les peines portées par le droit
contre les rebelles & les traîtres . Je veux pareillement
que tous les Sujets des Royaumes de
France & de Caftille , qui fe trouveront en cette
Cour & dans les Royaumes de Portugal & des AlAOUST.
1762.
211
**
garves , aient à en fortir dans le terme de quinze
jours , à compter de celui de la publication du préfent
ordre , à peine d'être traités comme ennemis ,
& de voir leurs biens confifqués , s'ils le trouvent
dans lefdits Royaumes après l'expiration du délai
fus- mentionné ; que tous les biens , qui fe trouveront
dans lesdits Royaumes , appartenans aux
Sujets de ces deux Couronnes , ou qui leur viendront
, foient mis en fequeftre & confifqués ; &
enfin que , tant par mer que par terre , toute
communication & tout commerce avec les fufdits
Royaumes de France & de Caftille & leurs
Sujets cellent dès ce moment , toute , entrée ,
vente , ou autre ufage quelconque des marchandifes
, effets & productions des Pays & Manufactures
de ces deux Royaumes , & des Etats de leur
domination , demeurant défendus , fous peine de
contrebande.
Ordonne Sa Majesté que le Confeil du Palais,
chargé de l'exécution du contenu au préſent Edit,
le falfe publier dans toutes les Provinces , pour
qu'il parvienne à la connoiffance de chacun . "
J'ai donné en même temps les ordres néceffaires
à l'Intendance Générale de la Police , pour
qu'il foit expédié des palleports à tous les Sujets
des fufdits deux Etats , qui feroient entrés , avec
bonne foi , dans ce Royaume ; ne voulant point
en ce cas , leur retirer ma protection , pour
qu'ils puiffent en fortir avec sûreté . Au Palais
de Notre-Dame du Secours , le 18 Mai 1762.
Avec le paraphe de S. M.
Et pour que le préfent Edit foit connu de
tout le monde , il a été ordonné qu'il fût affiché.
Fair à Lisbonne , ce 23 Mai 1762.
Signé ANTOINE- LOUIS DE CORDES .
La fuite des Nouvelles Politiques au Mercure
prochain.
212 MERCURE DE FRANCE.
+
AVIS SUR L'EAU DE COLOGne.
JEAN-ANTOINE FARINA, Diftillateur à Cologne,
rue de la Balance d'or , feul poſſeſſeur du véritable
fecret de l'Eau de Cologne , qui lui a été
laiffé par l'Inventeur Paul Ferninis , donne avis
que pour la commodité & l'utilité du Public , &
pour le prêter à l'empreffement des perfonnes
de Paris , & des Villes voisines , qui defirent ſe
procurer de cette Eau , & lui en demandent
journellement , il vient d'en établir un dépôt
chez le fieur Onfroy, Diftillateur du Roi , tenant
le grand Caffé à la defcente de la Place du Pont
S. Michel.
Le feur Farina avertit auffi que le fieur Onfroy
eft le feul à qui il en a confié le débit , que nul
autre que lui n'en diftribuera de la véritable, foit
dans Paris , foit dans les Villes voisines , & que
toute celle qui ne fort pas de fon Magaſin eft
contrefaite. Ön vend à Paris , fous le titre d'Eau
de Cologne , quantité de bouteilles d'Eau fans
vertu , qui trompent la confiance du Public. Pour
obvier à cette fupercherie , le fieur Farina a pris
la précaution d'envelopper toutes les bouteilles
d'un papier qui ne peut s'ouvrir fans brre coupé
ou déchiré, fur lequel il a mis la fignature.
Toutes les bouteilles qui n'auront pas cette marque
diſtinctive , doivent être regardées comme fauffes
you contrefaites.
*
1
L'Eau de Cologne s'employe aux mêmes víages
que l'Eau des Carmes , & beaucoup de
Médecins la préférent à l'Eau de Méliffe ; le
goût & l'odeur en font même plus agréables.
L'imprimé qui fe délivre avec la bouteille , apprend
la manière de s'en fervir , & les maux contre
lefquels on en fait uſage.
AOUST. 1762. 213
•
Par les arrangemens que les fieurs Farina &
Onfroy ont pris , cette Eau ne coûtera que 36 f
la bouteille , c'eſt-à-dire un fixieme feulement
au- deffus du prix qu'elle fe vend à Cologne ;
cet excédent n'eft que pour le port & les droits ,
qui deviendroient bien plus chers , fi on les fai
foit venir en petite quantité.
LIQUEUR NOUVELLE ,
appellée Ratafiat de Paris.
CETTE Liqueur inventée depuis peu , & compolée
par le Sieur ON FR OY, Diſtillateur du
Roi , tenant à Paris le grand Caffé à la deſcente .
de la Place du Pont Saint Michel , eft de deux
efpéces , ou , fi l'on veut , de deux couleurs ; l'une
jaune , & l'autre rouge. Elle eft d'un goût & d'un
parfum fupérieurs à ceux des Ratafiats d'Italie
les plus eftimés jufqu'à préfent . Le prix de la
Bouteille de pinte eft de 6 liv. On ofe fe flatter
que l'ufage & l'expérience , ne feront qu'ajou
ter à ce que l'on peut préfumer de l'habileté de
l'Artifte. Il ne fera peut- être pas indifférent de
rappeller à cette occafion fes autres Liqueurs ;
fes Chocolats fabriqués à la façon de Rome à différens
degrés de Vanille font goûtés de plus en
plus. Sa Liqueurfpiritueufe pour les Dents, done
l'effet certain eft d'en appailer fur le champ &
fans retour les plus vives douleurs , même de
les blanchir , ne dément point la réputations
fes Liqueurs de propreté pour la peau , continuent
de fe diftribuer avec le plus grand ſuccès.
214 MERCURE DE FRANCE.
ΑΙ
APPROBATION.
A lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier ;
le Mercure d'Août 1762 , & je n'y ai rien trouvé
qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris
ce 31 Juillet 1762. GUIROY.
-11.
TABLE DES ARTICLES.
ཎྜོ
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
LA
A Fauvette , le Roffignol & le Pinſon ,
Fable.
EPITRE à Madame de V ***
LA Soirée Boulonnoiſe , Ode.
LETTRE à Madame de P ***
VIRS pour mettre au bas du Portrait de M.
Delatour, Peintre. :
LINDOR & Délie , CONTE.
EPITRE à M. Delalande , Membre de l'Académie
Royale des Sciences de Paris.
ÉPIGRAMME fur un Petit-Maître.
LE PRINTEMPS , Epître à Chloris.
Al'Auteur du Mercure.
DIALOGUE.
Page f
7
8
12
14
ibid
4
45
48
49.
53 ODE tirée du Pleaume X.
VERS , pour mettre au bas du Portrait de
M. d'Aquin , Organiſte .
A M. De la Place.
EPITRE à tous nos Seigneurs curieux.
IMITATION des Vers Anglois de M. Prior.
ibid
56
18
AOUST. 1762. 215
POUR Madame de B ..... le jour de la Magdeleine
, dont elle porte le nom .
ÉNIGMBS.
12A
LOGOGRYPHES.
CHANSON.
ر و
60
165962 & 63
64
C ) ART. II . NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ÉCOLE Militaire ; Ouvrage compofé par ordre
du Gouvernement . Extrait.
VARIÉTÉS Philofophiques & Littéraires. Extrait.80
TEXTE de Cornelius Nepos , dans la Vie de
Lyfandre
ANNONCES de Livres.
3+ 88
97 &fuiv.,
1 ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRESS
GEOMETRIE.
A M. De la Place , Aureur du Mercure.
LETTRE à M. L. B D. M.
AGRICULTURE.
ART. IV . BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE.
OBSERVATIONS d'un Chirurgien de Province
, fur l'origine & fur les progrès de la
Taille.
HÔPITAL de M. le Maréchal Duc de Biron.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi,
103
104
107
IIS
133
138
GEOGRAPHIE. 144
HORLOGERIE,
150
MECHANIQUE.
ISI
ARTS AGRÉABLES.
SCULPTURE.
153
MUSIQUE.
154
216 MERCURE DE FRANCE.
GRAVURE.
ART. V. SPECTACLES.
2
SUITE de la Lettre d'un ancien Maître de
156
Ballets. 160
OPERAS 180
COMÉDIE Françoiſe, 182
VIRS à Mile Clairon , par l'Auteur de la
Tragédie de Zelmire. 1831
COMÉDIE Italienne. 183-
CONCERT Spirituel. 189
ART. VI. Nouvelles Politiques. 190
MORTS.
208
Aviss .*. 242
I
• HI !
*
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis-à-vis la Comédie Françoile.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI .
SEPTEMBRE . 1762 .
Diverfité , c'eft ma devife. La Fontaine.
Cochin
Siliusinv
PapillonSculp
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à-vis la Comédie Françoife.
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , rue Saint Jacques.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
LE
Bureau du
Mercure eft
chez M.
2
LUTTON ,
Avocat ,
Greffier
Commis
au
Greffe
Civil du
Parlement ,
Commis
au
recouvrement du
Mercure , rue
Sainte
Anne ,
Butte
Saint
Roch
Sellier du Roi.
à
côté du
>
C'eft à lui que
l'on prie
d'adreffer ,
francs
de
port , les
paquets &
lettres
pour
remettre ,
quant à la
partie littéraire
, à M. DE LA
PLACE ,
Auteur
du
Mercure.
Le prix de
chaque
volume eft de 36
fols ,
mais l'on ne
payera
d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres
pour feize volumes
, à
raifon de 30 fols piéce.
Les
perfonnes de
province
aufquelles
on
enverra le
Mercure
par la
pofte
payeront
pour
feize
volumes
32 livres
d'avance en
s'abonnant , &
elles les recevront
francs de port.
Celles qui
auront
des
occafions
pour
le
faire
venir , ou qui
prendront les
frais
du port fur
leur
compte , ne
payeront
comme à
Paris , qu'à
raifon de 30 fols
par
volum. c'est-à- dire 24 livres
d'avance,
en
s'abonnant
pour
feize
volumes.
Les
Libraires des
provinces ou des
A ij
!
AVERTISSEMENT.
LEE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis
au recouvrement du Mercure , rue Sainte
Anne , Butte Saint Roch à côté du
Sellier du Roi.
,
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer ,
francs de port, les paquets & lettres
pour remettre , quant à la partie littéraire
, à M. DE LA PLACE , Auteur
du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36
fols , mais l'on ne payera d'avance , en
s'abonnant , que 24 livres pour feize vo-
-lumes , à raifon de 30 fols piece.
Les perfonnes de province aufquelles
on enverra le Mercure par la pofte ,
payeront pour feize volumes 32 livres
d'avance en s'abonnant , & elles les recevront
francs de port.
Celles qui auront des occafions pour
le faire venir , ou qui prendront les frais
du port fur leur compte , ne payeront
comme à Paris , qu'à raifon de 30 fols
parvolum. c'est-à- dire 24 livres d'avance,
en s'abonnant pour feize volumes .
Les Libraires des provinces ou des
A ij
pays étrangers , qui voudront faire venir
le Mercure , écriront à l'adreſſe cideffus,
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , leurs ordres , afin que le payement'en
foit fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
, refteront au rebut,
On prie les perfonnes qui envoyent
des Livres , Eftampes & Mufique à annoncer
, d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées
des Mercures & autres Journaux , par
M. DE LA PLACE , fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes & les conditions font
les mêmes pour une année. Il y en a
jufqu'à préfent quatre-vingt volumes.
Une Table générale , rangée par
ordre des Matieres , fe trouve à la fin
du foixante-douziéme .
MERCURE
DE FRANCE.
SEPTEMBRE . 1762 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
DU
ÉPITRE
A M **.
u fçavoir , du bon goût , l'émule & le modéle
,
Des talens , des vertus , ami tendre & fidéle ,
Hluftre & cher B ...... l'honneur de nos féjours ,
Enfin
grace à tes foins , commencent nos beaux
jours !
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Trop longtems négligés dans nos heureux aſyles
Les beaux Arts vont régner en ces climats tranquilles
:
Cultivés par tes foins ,fur tes pas introduits ,
Ils éclairent déja la plus fombre des nuits.
L'Erreur , les Préjugés reſtent dans le filence ,
Une vive lumière en détruit la puiffance ;
Je vois luire déja ce feu vivifiant ,
L'âme de tous les Arts , l'épreuve du Talent.
Déja brille partout cette celeſte flâme
Qui réveille , ravit , éclaire , échauffe l'âme ,
Et qui s'infinuant dans nos fens engourdis
Y forme le bon goût , & par de traits hardis
Décéle le genie , annonce le grand - homme.
Noble émulation qui d'Athène , & de Rome
Porta jadis aux Cieux , & la gloire , & les noms ;
Qui dans ces heureux temps animois tous les fons
Des Chantres immortels que l'Univers admire ,
Regne à jamais fur nous , exerce ton empire
Dans ces aimables lieux , où deux Mortels chéris
De ton pouvoir fécond connoiffent tout le prix !
Là , ſoumis à tes loix , à leurs leçons dociles , -
Nous coulerons des jours fortunés & tranquilles :
Des beaux Arts , des vertus par leur exemple inftruits
,
De leurs foins complaifans nous cueillirons les
fruits.
L'un Mécène éclairé , guidé par la Sageffe ,
Des devoirs les plus faints nous inftruira ſans ceſſe :
SEPTEMBRE. 1762. 7
Ami du vrai mérite , il en fera l'appui 3
Il chétira dans nous ce qu'on admire en lui.
Des fuccès du génie approbateur fincère ,
Il fera des Talens & le Juge , & le Père .
Suivi de tous les Arts, le front ceint de lauriers ,
Du goût par fes écrits nous traçant les fentiers ,
L'autre dans ce féjour fixera les Sciences ,
Et répandant ſur nous leurs douces influences ,
Bannira de nos coeurs la molle oifiveté ,
Et nous arrachera de notre obſcurité.
Défrichés par fes foins , illuftrés par fes veilles ,
Nos climats étonnés de toutes les merveilles
Que fes heureux talens promettent aux Mortels ,
A ce nouveau Linus * drefferont les Autels ;
Et jouiffant des fruits de la vive éloquence ,.
Béniront à jamais le jour de fa naiſſance.
Favori de Minerve , Eléve d'Apollon ,
Parmi les noms fameux il voit déja fon nom .
Déja de la Garonne attirant les fuffrages ,
Des Mufes de fes bords il reçoit les hommages ;
Et marchant à grands pas vers l'Immortalité ,
Cueille le premier prix de fa célébrité.
Couronné par leurs mains , introduit dans leur
Temple ,
* Linus étoit un de ces hommes célébres , plus
connus par ce qu'ils ont fait , que parce qu'ils ont
été. Il vint de Phénicie en Grèce , y apporta les
Lettres , & apprit à les cultiver.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Il en ſera bientôt & la gloire & l'exemple.
Que ne promettent pas ces précieux travaux ?
Juftement diftingué parmi tous fes rivaux ,
Hérodote moderne , verra fes
ouvrages
Applaudis & goûtés aux plus lointains rivages,
Infpirés par le goût , dictés par la Raifon,
Revus & corrigés par les mains d'Apollon ,
Pleins d'efprit & de feu , de force & de fublime
Réunir du Public & l'amour & l'eftime.
>
Dieu du Goût , Dieu des Arts , préfide à tous
fes jours !
Que les Grâces , les Ris en filent l'heureux cours.
Que ces monftres affreux , l'Orgueil , l'Hypocrifie,
La ftupide Ignorance , & la jaloufe Envie
Ne traverfent jamais par leurs foucis malins
Une fi belle vie & de fi beaux deftins .
Que les troubles cachés & les fourdes intrigues ,
La froide antipathie & les fecrettes brigues
S'éloignent pour toujours de nos heureux climats ,
Et que l'Amitié feule accompagne fes pas.
Amitié doux plaifir, ferme appui des Sciences,
Verſe dans tous les coeurs tes douces influences ;
Que par toi nos efprits l'un de l'autre charmés ,
Se fentent au travail l'un par l'autre animés :
Qu'à ta voix l'union , la paix , la confiance ,
Les égards mutuals , la tendre complaifance
Détruifent à jamais tous ces jaloux chagrins
Entraves des Talens , la honte des humains ;
SEPTEMBRE. 1762. 9
Et qu'enfin excités par une noble envie ,
Nos efprits & nos coeurs éxempts de jaloufie ,
Enflammés & conduits par l'émulation ,
S'élèvent à l'envi vers la Perfection !
Tes exemples , ami , feront feuls ces prodiges.
C'eſt en fuivant de près tes illuftres veftiges ,
Que nous pourrons un jour , Courtiſans des neuf
Soeurs ,
Arriver fur tes pas au temple des honneurs.
Oui , c'eft en imitant ta tendre politeffe ,
Ton affabilité , ta douceur , ta fageſſe,
Que nos coeurs réunis trouveront dans ton coeur
Le prix de nos travaux , & le ſceau du bonheur.
A MM. de L *** , fur une diftribution
de Prix.
ODE AN ACRÉONTIQUE.
FAVORIS des Soeurs de Polhymnie ,
Accourez trop généreux vainqueurs ;
Accourez , Apollon vous en prie ,
C'eſt pour vous qu'il garde fes faveurs
Leur éclat fera toujours durable
Du Temps même il fera refpecté;
Et jamais la fureur implacable
N'en pourroit altérer la beauté,
A v
10 MERCURE DE FRANCE .
Dans vos yeux je vois votre âme peinte ,
Le chagrin n'ofe plus ſe montrer ;
A vos pieds la jalouſie éteinte
Contre vous n'ofe plus confpirer.
Votre coeur ennivré d'allegreffe ,
Déformais ne s'ouvre qu'aux plaifirs .
Loin de vous la crainte & la trifteffe
Tout concourt à remplir vos defirs.
Aux tranſports d'une joie incroyable
Votre efprit n'a pu fe dérober ,
Et déja fous fon poids redoutable
Je le vois tout prêt à fuccomber.
Tels jadis aux combats Olympiques
Paroiffoient les vainqueurs glorieux ,
Que les acclamations publiques
Egaloient aux habitans des Cieux.
Sur leur front une palme immortelle
Etendoit fes rameaux verdoyans ,
Et de leur victoire folemnelle
Le grand jour revenoit tous les ans..
Des travaux vous paffez à la gloire ::
Point de prix fans avoir combattu .
Recevez des mains de la Victoire ,
Les lauriers dûs à votre vertu .
CHAPPUS , de l'Oratoire.
SEPTEMBRE. 1762. fr
ODE fur la Tragédie de CINNA ,
remife au Théâtre le 29 Juin dernier.
A Mademoiselle CLAIRON.
Q
UELLE eft cette voix éloquente
Qui revient charmer tous les coeurs ?
Quel feu , quelle pompe éclatante ,
Nous ravit par fes traits vainqueurs !
Du Théâtre illuftre Merveille ,
Digne Chef-d'oeuvre de Corneille ,
Eft-ce vous enfin que j'entends ?
Oui , Cinna vient de reparoître ;
Sa gloire même va s'accroître ,
Vainqueur de la Mode & du Temps
Tel ', lorsqu'à travers le nuage
Dont les rayons furent couverts ,
Le Soleil fefaiiant paffage ,.
Vient s'élever au haut des airs ;
Son feu divin qu'il nous partage
Etale avec plus d'avantage
L'immensité de fa fplendeur ,
Et la force de fa lumière
Détruit à fon tour la barrière
Qui fembloit braver fa grandeur
12 MERCURE DE FRANCE.
O toi , dont le génie immenſe ,
Dans tes vers hardis & pompeux ,
Immortalifa la clémence
D'un Roi puiffant & généreux ;
O Corneille ! que ta grande âme
Pénétre d'une vive flâme
Celle de tes Admirateurs !
Tu brillas dans ton premier luftre ,
Et l'on croit voir ton ombre illuftre
Revivre dans tous les Acteurs.
Sur ce front aimable * & terrible ,
Quelle divine majeſté !
Du vifremords l'atteinte horrible
N'en flétrit point la dignité ;
De fon coeur longtemps infléxible
Le mouvement tendre & ſenſible
Ravit , emporte tous les fens :
Brifard , ton jeu plein de nobleffe ,
Unit aux pleurs de la tendreſſe
Tout le feu des grands ſentimens,
Mais quelle force inexprimable , **
Hardi Cinna , déployez- vous !
Quelle fermeté redoutable
Dont je préffens déja les coups !
Corneille unit à fon génie
* M.Brifard , dans le Rôle d' Augufte.
** M. le Kain , dans le Rôle de Cinna.
SEPTEMBRE. 13
L'éclat , le nerf & l'harmonie
Du rapide & bouillant Lucain ;
Je crois voir , comme ce grand Homme ,
Regorger les places de Rome
De to t le fang Républicain .
Clairon ! dirai-je , quelle joie ,
Quels tranfports , quels raviffemens ,
Lorfque ten grand art ſe déploie
Dans tes nobles emportemens !
De tes geftes , de ton filence
La muette & vive éloquence
Semble ajouter même à l'Auteur ;
Et de Corneille & d'Emilie
L'âme à la tienne réunie
Renaît avec plus de grandeur.
Régne donc fur notre Théâtre ,
Clairon › avec tous tes attraits ;
Puiffe un Peuple qui t'idolâtre
Te voir , t'applaudir à jamais !
Heureufe la Muſe naiffante
Qui peut de ta voix féduifante
Appuyer fes premiers éfforts !
Mais , fi Corneille ne l'anime ,
Sçaura- t-elle à ton jeu fublime
Unir d'affez dignes accords !
Parl'Auteur des Vers à M. du Belloy , fur fa Tragédie
de Zelmire.
14 MERCURE DE FRANCE .
LETTRE de l'Auteur du MERCURE
à Madame la M.... D.....
MADAME ,
*
Ce que vous avez ouï dire de la petite
Comédie d'Edgar & Emmeline
a , dites-vous , excité votre curiofité.
Vous doutez , & avec raiſon , que cet
aimable genre de Piéces , qui a fait ici
tant d'honneur à M. de Saint- Foix ,
puiffe être heureufement imité en Angleterre.
Vous defirez enfin , que cette
Féerie , dégagée des fcènes poftiches qui
en coupent l'intérêt & la marche , ainfi
que de tout fon Spectacle , foit mife
fous des noms François , & de façon
à pouvoir être jouée chez vous, par trois
ou quatre perfonnes au plus .... Vos defirs
font pour moi des loix , Madame ! Mais
quelque plaifir que j'aie toujours à m'y
foumettre , l'état de ma fanté , mes occupations
indifpenfables , & l'impatience
avec laquelle vous femblez attendre
cet Ouvrage , tout me fait craindre
qu'il ne perde affez dans mes mains
* Fouée à Londres, l'année dernière.
SEPTEMBRE. 1762. IS
pour vous faire regretter de m'en avoir
chargé. Daignez donc , je vous en fupplie
, Madame , en faveur de la refpectueufe
obéiffance du Traducteur , pardonner
à tous les défauts d'une traduction
, dont je fens qu'avec plus de talens
& de loifir , on pourroit probablement
tirer un meilleur parti.
J'ai l'honneur , & c.
D. L. P......
RENNIO ET ALINDE ,
O U
LES AMANS SANS LE SÇAVOIR ,
COMÉDI E.
PERSONNAGE S..
ALINDE , Fille du Duc de Bourgogne , déguilée :
en homme fous le nom de Myfis.
RENNIO , Fils du Duc de Bretagne , déguifé
en femme , fous le nom de Cléone..
UNE FÉE.
FLORIMOND , Courtisan.
La Scène eft dans une Maison Royale d'un ancien
Roi de FraNCE,
16 MERCURE DE FRANCE,
ACTE PREMIER .
SCENE PREMIERE .
Le Théâtre repréfente une partie de la
Forêt , d'où l'on apperçoit le Château.
ALINDE ,feule , déguisée en homme ,
fous le nom de Myfis.
QUELLE fituation eft la mienne ! . ?
Eft - ce en effet Alinde , eft -ce la fille
du Due de Bourgogne qui ofe paroître
en ces lieux fous ce déguiſement ? ..
Tout ce qui m'arrive , tout ce qui m'environne
a fi bien l'air d'un rêve , que je
n'ofe prefque penfer que je fois éveillée.....
Que cet habillement m'ennuie
& me gêne ! Ah ! fi je l'avois prévu ,
toute l'éloquence de la Fée qui me protége
n'eût pas obtenu de moi de le
prendre .... Pour détourner la maligne
influence de l'Aftre qui préfide à ma
naiſſance , il falloit , m'a- t - elle dit , paffer
ici le mois entier, que le Roi deftinoit
à la chaffe ....A ce prix feul , je
SEPTEMBRE. 1762. 17
pouvois efpérer d'être heureuſe ; & que
ne fait- on pas pour l'être ! ... C'eſt
demain que le terme expire ; & cependant
je n'ai rien éprouvé qu'inquiétude
& que défagrémens ....Je veux pour
la derniere fois , revoir cet Etre auffi
puiffant que fingulier , qui , quoiqu'invifible
, eft toujours prêt à m'obéir ..
Cet anneau que je tiens d'elle , pour peu
queje le touche avec l'intention de l'appeller
, doit la faire paroître .... Eprou
vons-en l'effet ....
....
(Alinde touche l'anneau. La Fée paroît.)
SCENE I I.
ALINDE , LA FÉE.
ALIN DE.
H ! Madame , ma fituation n'eft plus
Ан
fupportable
!
LA FÉ E.
Courage , belle Alinde ! ... c'eſt demain
que vos maux finiffent.
ALIND E.
Demain ? ... c'eft me parler d'un
fiécle ! ...
18 MERCURE DE FRANCE.
LA FÉ E.
Eh ! quels font donc les maux que
vous fouffrez ?
ALIND E.
Quelle demande , ô Ciel ! d'abord ...
& n'eft- ce rien , Madame ? depuis un
mois je vis dans cette Cour ...
LA FÉ E.
Et vous vous en plaignez ?
ALIND E.
Si je m'en plains ! ... J'ai tort , fans
doute ... Moi qui ne fortis jamais de
la Bourgogne ; qui ne connus jamais
que la Principauté de mon Pere , où
la noble fimplicité des moeurs n'offre
aux yeux que des coeurs où le moins
clairvoyant peut lire ; moi qui , cédant
à vos confeils réitérés , & par votre
puiffance , ai quitté cet heureux féjour ,
pour un Pays où l'hypocrifie porte le
nom de bonne éducation , la licence
de galanterie , la diffimulation & la
perfidie , d'adreffe & de conduite ; où
l'intérêt perfonnel eft le premier principe
de la prudence ; où toutes les vertus,
l'amour même de la patrie , font tournées
en ridicule , & regardées comme
Pappanage des âmes foibles.
LA FÉ E.
Votre déguiſement , du moins , fuffifoit
pour vous raffurer.
SEPTEMBRE. 1762. 19
ALIN D E.
Je lui dois préfque tout ce que j'ai
fouffert .... Quel fupplice pour l'oreille
d'une jeune perfonne de mon féxe
que les propos des hommes , lorsqu'ils
ne font pas retenus par la préfence connue
d'une femme ! ... Oui , je commence
à croire que j'aurois penfé moins
avantageufement, même de ceux que
l'habitude m'avoit fait eftimer , s'ils s'étoient
montrés à mes yeux comme ils
fe montrent les uns aux autres .... ]Il's
fe croient fi fupérieurs à nous , que je
fuis prèfqu'épouvantée de l'idée d'avoir
à vivre avec eux !
LA FÉ E.
Ne craignez jamais rien des vices ni
des ridicules que vous méprifez.
ALIND E.
Mais que puis -je eſpérer enfin.? Ah ,
puiffante Fée ! fi je me fuis livrée aveuglément
à vos confeils ; fi l'amitié n'a
pû m'arracher le fecret que vous avez
daigné me confier ; fi le meilleur des
Peres même ignore depuis un mois ma
deſtinée : abrégez le fupplice affreux de
mon incertitude !
LA FÉE.
Perfévérez ; croyez -moi votre amie.
20 MERCURE DE FRANCE .
ALINDE , d'un ton timide.
Je ne connois pourtant encore dans
ces lieux... aucun objet digne de ma tendreffe
? ...
LA FÉE.
Vous en trouverez un fans le connoître
... Tel eft l'arrêt du fort.
ALIND E.
Je fçai que pour être heureuſe , il
faut que je rencontre un ami dans le
plus aimable & le plus accompli des
hommes , fans que l'amour y entre pour
rien de part ni d'autre ... Hélas ! pardonnez
à mes doutes ... Pardonnez à
mes craintes ! ...
LA FÉE.
Tremblez , Alinde ! Gardez-vous de
douter ! ... Attendez à demain .
ALIND E.
trop
Je me foumets , Madame , j'attendrai
...
LA FÉE.
Parlez plus bas... Quelque prophane
approche ... C'eſt Florimond.
ALIND E.
Ah ! ce Fat eft mon ombre. Tout ce
qu'on appelle vertu , n'eft à fes yeux que
préjugé; tout ce qui me fait peine l'amufe;
& la rougeur que fes propos me caufent,
eft toujours un triomphe pour lui .
SEPTEMBRE. 1762. 21
Il me défole enfin ; & je prétends vainement
l'éviter.
LA FÉE .
Le bien naît fouvent du mal même.
Vous en aurez demain la preuve.
ALIND E.
Mais comment ? . . Par quel miracle ,
enfin ? .. Puiffante Fée , daignez m'entendre
! ...
LA FÉE , en difparoiffant.
La pauvre enfant ! .. Je vous aime
trop pour vous fatisfaire.
SCENE III.
ALINDE feule. La Fée qui eft cenfée
invifible , refte pour épier les démarches
d'ALINDE,
ELLE
LLE me laiffe ? ...Ah , c'eft trop fe
jouer de mes ennuis ! ... Je me repens
prèfque de l'avoir crue : mais il eft trop
tard..... Et voici quelqu'un qui me
prépare de nouvelles peines.
22 MERCURE DE FRANCE .
SCENE I V.
ALINDE. FLORIMOND. LA FÉE
invifible , & qui ne paroît que de temps
à autre.
FLORIMOND.
AH ! mon petit Rennio , je vous retrouve
enfin ! ... Quoi feul ? éxactement
! ... Ma foi , je vous croyois en
rendez-vous , & méditois un compliment
fur votre réforme.
*
ALIND E.
Monfieur , j'aime à être feul ; vous le
fçavez.
FLORIMON D , en ricanant.
Oui da , la lune eft belle ! ... la nuit
eft admirable ... ces objets font fans
doute nouveaux pour vous ... & dignes
de vous occuper ? ...
ALINDE.
Je n'ai que trop à réfléchir , Monfieur...
Vous oubliez peut-être qu'on
dane au château cette nuit, & que cela
fera certainement plus amufant pour
vous ?
SEPTEMBRE. 1762. 23
FLORIM ON D.
Oui , fi vous y venez ... on me feroit
un crime d'y paroître fans vous !
ALIND E.
·
Daignez m'en croire , je vous prie
je ferois maintenant mauvaiſe compagnie
, pour tout autre que pour moimême.
FLORIMOND.
Quoi , toujours folitaire ! toujours
rêveur ! .. & à votre âge ? .. je ne vous
conçois pas .... Allons , mon ami ,
de la joie ! je vous apporte des nouvelles.
ALINDE , allarmé.
A moi?...
FLORIM ON D.
Comme à d'autres.... Elles pourront
du moins vous amufer.
ALINDE,
Elles font donc intéreffantes , fingulières
? ...
FLORIMOND.
Singulières ? pas trop .... Il s'agit
uniquement de l'unique Héritière d'un
très -grand Seigneur , qui vient de fe
faire enlever par un jeune Amant.
ALINDE , avec émotion.
Il feroit à defirer que la chofe fût plus
rare ... La nomme-t-on ?
24 MERCURE DE · FRANCE .
FLORIM ON D.
• : Par-tout Ce n'eft que la belle
Alinde , la fille du Duc de Bourgogne.
ALINDE
,
Ah , Ciel ! ...
à
part.
FLORI MOND.
Quoi ! votre vertu fe révolte contre
la licence du fiécle ? ... Il eft parbleu
bon là ! .. feriez-vous par hafard amou
reux de cette belle fugitive ? .. hem !
vous voilà tout déconcerté ? ...
ALINDE, à part.
Ciel , que lui dire ? .. Mon trouble
me trahira fans doute ... ( haut . ) C'eſt
une efpéce d'étourdiffement auquel je
fuis fujet ... Mais quelles font les particularités
de cette avanture ? ... En diton
quelques-unes ?
FLORI MOND.
On prétend qu'elle avoit obtenu de
fon Père , la permiffion de le venir rejoindre
à la Cour ; & on vient d'apprendre
qu'elle a quitté fon château des
le lendemain , fans qu'elle ait encore
paru ici.
ALINDE.
7
J'entends ..... Mais d'où concluezvous
qu'elle s'eft enfuie avec un
homme ?
FLORIMONE
SEPTEMBRE. 1762. 25
FLORIMOND.
Uniquement parce que Rennio , le
fils du Duc de Bretagne , eft auffi dif-
Faru fous le même prétexte , préciſément
au même temps ; & que l'on n'a
pas plus de nouvelles de l'un que de
l'autre.
ALIND E.
Et cela fuffit-il , pour prononcer affir
mativement contre la réputation d'une
jeune perfonne , que le fouffle même
de la calomnie a jufqu'à préfent refpectée
?
FLORI MOND.
Ha ha! hal le fouffle même de la
calomnie ( en contrefaifant Alinde. )
Ha! ha ! ha ! ...
ALINDE , à part.
Que j'ai le coeur ferré ! .. Ciel , méritai
- je ce fupplice ! ... ( haut. ) Vous
m'excuferez , Monfieur , fi , en pareilles
circonftances , je prends la liberté de
vous dire que vos plaifanteries font un
peu déplacées ... & que...
FLORIMON D.
Oh! oh ! connoîtriez-vous cette Infante?..
Vous en déclarez-vous le Chevalier
?
d part.
À
LINDE ,
Contraignons
-nous : mon zèle pour-
B
26 MERCURE DE FRANCE.
roit me trahir... (haut. ) Je ne la connois
pas. Mais j'ai pour maxime de ne
fouffrir jamais que l'honneur des abfens
foit offenfé .... fur-tout, fans preuves.
FLORIM O N D.
La maxime eft vraîment louable ! ...
Elle est édifiante ! ... Mais apprenez cet
tain petit fecret.... Quelque intacte que
vous paroiffe la réputation de la belle
Alinde , un de vos humbles ferviteurs
( qui n'a garde de fe nommer ) pourroit
avoir quelques raifons d'imaginer que
la vertu de votre Protégée n'eft pas...
abfolument tigreffe...
ALINDE , à part.
Le miférable ! ... il ne me vit jamais
que fous cet habillement... (haut.) Vous
la connoiffez donc , Monfieur ?
FLORIM ON D.
Affez.... paffablement
.
ALINDE,
Quelle eft à-peu-près fa figure ?
FLORIMOND.
Sa figure ? jolie... Oui , parbleu , trèsjolie
!
ALINDE,
Eft- elle grande , petite , brune , og
blonde?
FLORI MONDA
Side
Quoi , vous ne l'avez jamais vue ? ...
Au vrai ?
SEPTEMBRE. 1762. 24
ALINDE.
Pas plus que dans ce moment- ci .
FLORIMOND
, à part .
Je ne rifque donc rien ... Mais ... elle eſt
blonde , grande , menue... la gorge bel- ?
le... Oh ! très- belle... bien faite... pétrie
de grâces... jambe élégante... & le plus
joli pied que portât jamais Déeffe !
ALINDE , à part.
Ah ! je n'y tiens plus....
FLORIMOND.
Ce Portrait vous intéreffe , je le vois ...
Mais , mon cher , il n'y faut plus penfer...
Parlons d'autre chofe... A propos !
connoiffez- vous ? ...
ALINDE.
Non ... je ne me détache pas d'Alinde
auffi aifément que vous... & peut- être
n'en devinez- vous pas bien la raiſon.
fi
FLORIMOND .
Cela peut être... Mais quelle eft-elle ?
ALINDE.
Je
m'étonne , je vous l'avoue , que
ce qui vient de lui arriver vous touche
peu ..... car foit que vous la
regardiez
comme une
maîtreffe perdue pour vous ,
foit que vous la
confidériez comme une
femme que vous avez aimée & à laquelle
vous êtes fuppofé devoir de la recon-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
noiffance en l'un ou l'autre cas , je
vous aurois cru plus fenfible .
FLORIMOND.
A cet égard , mon cher , la perte më
touche affez légérement : car , entre
nous.... je n'y penfois plus guère. Je vous
avouerai cependant , que je l'ai d'abord
prodigieufement aimée .... mais l'excès
de fa tendreffe étoit parvenu à excéder
la mienne... & vous fentez bien que....
le tout entre nous au moins !
ALINDE, a part, à
O mon coeur ! .... quel monftrueux
affemblage de vanité & de fourberie!
( haut. ) Ŏù aviez-vous coutume de la
voir ?
FLORIM OND.
Toutes les nuits , dans le parc de fon
Père , toujours au rifque de ma vie , de
façon que le danger , la fatigue & l'ennui
qui malheureufement fe fourre toujours
partout , m'en ont dégoûté au
point que j'ai cherché à la pourvoir
d'un autre Amant.... Le tout entre nous
au moins !
ALINDE.
Fort bien... Et quel étoit cet autre
Amant ?
FLORIM ON D.
Ce même Rennio , le Fils du Duc de
SEPTEMBRE. 1762. 29
Bretagne , celui par qui la Dame vient
de fe faire enlever.... L'avanture étoit
digne de Rennio , car c'eft un Paladin
qui ne cherche qu'à férailler.... Je fuis
pourtant faché qu'il ait porté fi loin les
chofes, Car , au bout du compte je l'avois
aimée cette pauvre Infante !
ALINDE.
03
Pardon , Monfieur .... un mot .... je
ne forme aucun doute fur tout ce que
vous m'apprenez ...mais je trouve dans
cette hiftoire quelques obfcurités que
je voudrois voir éclaircies ... Si vous
étiez auffi bien que vous le dites , &
que je dois le croire , avec Alinde ; fi
comme vous le dites encore , vous aviez
quelqu'inclination pour elle ; comment
n'avez-vous pas penfé à l'époufer ? Cette
alliance , ou je me trompe , ne pouvoit
vous déshonorer ( à part . ) je te
confonderai , Traître !
...
FLORIMOND.
,
L'époufer! dites-vous ? .. oh ! Vous ne
connoiffez pas la Princeffe ... Je m'aviſai
un jour de lui en faire la propofition ...
» Mon cher Florimond , me dit -elle...
( Son bras éroit paffé fur mon épaule ,
a -peu-près comme cela... ) » Mon cher
» Florimond , me dit - elle ,à quel propos,
» lorfque notre félicité dépend unique-
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
1
>
» ment de nous , à quel propos rifquer
» de former des noeuds dont l'effet pour-
» roit être de nous rendre mutuéllé-
» ment miférables ? ... Si vous deveniez
» mon époux , vous pourriez ceffer d'ê-
» tre mon amant. Alors ( ajouta t-elle
» avec un foûrire malin ) peut-être fe-
» rois-je tentée d'en aimer un autre :
» vous feriez le Tyran ; je deviendrois
» rebelle ; il ne vous refteroit d'autre
» éfpoir que celui de la furvivance , &
» je n'en aurois d'autre que celui de ne
» pas vous la céder.
ALINDE , à part.
Tout ceci me confond de plus en
plus ! ... En ce cas , pourquoi le faire
enlever par Rennio ? ... Cette démarche
eft contradictoire avec fes fentimens...
Elle détruit tout fon fyftême ?
FLORIMOND .
Oh ! vous ne connoiffez donc pas les
femmes... & je ne devinai jamais d'énigmes...
Quoi ! vous voilà dans vos rêveries
? ... Quelque flamme vertueufe vous
occupe, comme un amant tranfi, tendre
& fidéle au- delà même du trépas! ... Ha !
haj ha! Peut-on ainfi ſe bercer de chimères
! ... Quelque Nymphe traitable vous
guériroit bientôt de ces langueurs....
Que penfez-vous de Cléone ? Allons la
SEPTEMBRE: 1762 31
voir fans doute elle eft à fa toilette
maintenant... Ma foi c'eft unc aimablę
fille ! l'air un peu mâle fi vous voulez ,
mais charmante à tout prendre... Ecou
tez , mon cher... fi vous êtes moins ti
mide, elle fera moins réfervée ... Le tout
au moins ! C'eſt en ami que
je vous parle j'aime à tout partager
avec eux... Je vais la préparer à vous
recevoir comme il convient... Ne tardez
pas à me fuivre... ou plutôt , fuivez- moi
dès à préfent.
entre nous ,
ALINDE .
Je ne le puis , Monfieur.
FLORIMON D.
Mais , je le veux.
Non ,
ALINDE.
de grace , laiffez-moi ..
FLORIM O N D.
Oh ! vous viendrez parbleu... je veux
avoir l'honneur de votre converfion ...
en tiraillant Alinde. )
ALINDE , d'un ton ferme.
Laiffez-moi , dis- je ...j'ai aut e chofe
à faire maintenant , & je veux être feul .
FLORIM O N D.
?
A la bonne heure ... Cela fuffit ....
( à part. ) j'ai percé le myſtère .... Il s'agit
ici d'un duel ... Allons- nous-en ....
(haut. ) Eh bien , mon cher , jouiffez
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
en paix de ce beau clair de lune ... Vous
metrouverez chez Cléone & vous pourrez
m'avoir obligation de ma complaifance...
Mais le tout entre nous au moins !
( Ilfort. )
SCENE V.
ALINDE , feule.
COMMENT qualifier ce malheureux? ..
je ne le vis , ne le connus jamais ... quel
motif a donc pû l'induire à me calomnier
ainfi ? ..Sa légéreté , fa vanité , fans
doute ... Ah , Ciel ! que vais - je devenir
? & que j'ai lieu de craindre que la
Fée ne me trahiffe auffi ! ... Il faut que
je l'appelle , que je la voie , que je lui
faffe part de mes nouvelles afflictions...
( Elle touche plufieurs fois fa bague ).
Dieux ! fuis-je bien éveillée ? .. elle
ne paroît point ! .. je fuis perdue ! je
fuis trahie par eellllee........ Où recourir ?
A qui me confier ? .. ô divine amitié !
toi feule , hélas , pourrois me fecourir....
mais je n'ai point ici d'ami .... Cléone
cependant m'a laiffé voir des fentimens
que je crois fincères , & je ne fçai quelle
efpèce de fympathie me fait defirer qu'ils
SEPTEMBRE. 1762. 33
le foient en effet ... mon coeur me dit
qu'elle eft digne de ma confiance , & je
veux en croire mon coeur ..... confionslui
tous mes fecrets. Elle me défendra
contre la calomnie , & m'affiftera du
moins de fes confeils.
( Elle fort. )
SCENE V I.
LA FÉE , ( en regardant fortir Alinde . )
JEE
ne puis , quoiqu'en riant , m'empêcher
de la plaindre ! ... Voyons maintenant
, par la vertu de ma baguette , ce
que fait Rennio fous l'habillement de
Cléone.
Uncoup de baguette change le Théâtre,
& repréfente un appartement du Château,
où l'on voit Rennio àfa toilette. )
Bv
34 MERCURE DE FRANCE ,
SCENE VII.
RENNIO. Une femme de Chambre. LA
FÉE invifible.
RENNIO , à la Femme de Chambre.
FORT-BIEN , fort - bien ….. donnezmoi
ces rubans , & laiffez -moi ... laiffez-
moi , vous dis-je je vous appellerai
lorfque j'aurai befoin de vous.
LA FEMME DE CHAMBRE , à part.
Cette Demoiſelle eft d'un caractère
bien étrange!
SCENE VIII
RENNIO , feul.
JAMAIS homme fe trouva-t-il dans une
fituation plus ridicule ! .. Tout cet accoûtrement
n'eft-il pas en effet bien
convenable à Rennio , à l'héritier du
Duché de Bretagne ! ... Une jeune &
très-jolie fille s'occupe depuis deux heures
à me coëffer ... fon adreffe officieuSEPTEMBRE
. 1762. 35
ſe , la légéreté de fa main , empreffée à
relever mes charmes , & la gentilleffe
de fon caquet , deviennent un fupplice
que je ne puis endurer plus long-temps ! ..
Mon fort , dit- on , dépend de moi ...
Pour éviter tous les malheurs dont mon
étoile me menace , il faut que je rencontre
, il faut que j'aime le plus charmant
objet qu'ait produit la France , &
que j'en fois aimé fans former le moindre
defir de le pofféder ! ... Oh , Madame
la Fée, fi vous m'avez trompé , je
fuis un fot : au cas contraire, il faut donc
que je le devienne ! ...car enfin , quelle
relation peut avoir une jupe avec les
fentimens que je dois infpirer à cette
jeune merveille ? ... je conçois mieux
la poffibilité de ceux qu'elle peut m'infpirer
.... réfignons-nous pourtant : la
terme de ma pénitence finit demain avec
la chaffe du Roi ; & quelque foit mon
fort , je me . verrai pour le moins délivré
des ennuieufes confidences de toutes
les Caillettes qui m'entourent , &
des fades adulations d'un éffain de petits-
maîtres , dont les propos & la vaine
légéreté excéderoient une coquette
même. ...
( La Fée laiffe échapper un éclat de rire,
&ſe rend viſible à Rennio. )
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Qu
SCENE
IX.
RENNIO . LA FÉE.
RENNIO , avec dépit.
UOI ! Vous voilà encore ? ..
Encore ?
LA FÉE.
RENNIO.
› Etes-vous mon bou , ou mon mauvais
génie ?.. Expliquez-vous.
LA FÉE . .
Tout ce que vous penferez de moi , je
le ferai.
RENNIO.
Vous ferez donc le bon , car j'aimerois
fort à vous trouver tel .
LA FÉE.
Ce n'eft pas tout : il faut me croire
aveglé ment ... fans quoi ...
RENNIO.
Vous croire aveuglément ? .. regardez
feulement l'équipage où je fuis , &
jugez fi je vous ai cru !
14 LA FÉE.
Il faut que votre vertu foit éprouvée.
RENNIÓ.
Eprouvée ! .. Quels nouveaux fupSEPTEMBRE
. 1762. 37
plices ai-je à craindre encore ? .. N'ai-je
pas triomphé de la tentation & de l'incertitude
? .. En refte-t-il de plus affreux
? .. Vous le fçavez , Madame ! ..
LA FÉE , en riant.
1
Vous n'avez pas fouffert patiemment..
perfévérez , ou vous n'avez abfolument
rien fait.
RENNIO.
Répondez- moi feulement du fuccès
fur-tout du fuccès prochain ; & malgré
cet habit ; & malgré tout ce qu'il opére
en moi ... vous me verrez plus obéiffant
, plus patient qu'un vieil anachorète.
LA FÉE.
Fort-bien ! .. En ce cas apprenez..
mais furtout apprenez bien ....
RENNIO , avec impatience.
Ah ! que faut-il apprendre ? ...
LA FÉE , en difparoiffant.
A vaincre votre impatience.
ELLE
SCENE X.
RENNIO.
LLE me joue , cela n'eft plus douteux
... Oui , c'eft fans doute un de
38 MERCURE DE FRANCE .
ces efprits malfaifans , qui , pour fatisfaire
leur malignité , fe plaifent à tourmenter
les pauvres mortels .... Quoiqu'il
en foit , après m'être juſqu'à préfent ,
fi bien acquitté de mon pénible rôle
ce n'eft pas la peine de le quitter à la
derniere Scène ...
SCENE X I.
RENNIO. LA FEMME DE CHAMB.
LA FEMME DE CHAMBRE.
LEE Chevalier Beaucler demande des .
nouvelles de la fanté de Madame , & -
defire fçavoir s'il aura le bonheur de la
voir cette nuit au bal ?
RENNIO , en reprenant l'air & le
ton d'une femme.
Faites tous mes remercîmens
dites que je fuis engagée ailleurs,
LA FEMME DE CHAMBRE .
Oui , Madame.
RENNIO .
Ecoutez....
LA FEMME DE CHAMBRE .
Madame.
RENNI O.
Myfis a-t- il paru ici ce foir ?
&
SEPTEMBRE. 1762 39
LA FEMME DE CHAMbre.
Non , Madame .
RENNI O.
Ni envoyé ?
LA FEMME DE CHAMBRE .
Non , Madame.
( Elle fort. )
JE
SCNE X I I.
RENNIO , feul.
E ne connois en lui que les bonnes
qualités de notre féxe ! ... même fous ce
déguisement , je fuis jaloux de fon eftime
,.. que dis-je ? je crains fi fort de
lui déplaire , même en qualité de femme,
que lorsqu'il eft préfent ( j'ignore par
quelle efpèce de mouvement fecret ! )
je redouble d'efforts pour me rendre
agréable à fes yeux .... Avec quelle
rapidité fe forme l'union de certaines
âmes !
40 MERCURE DE FRANCE.
SCENE XIII.
RENNIO. LA FEMME DE CHAMB.
LA FEMME DE CHAMBRE.
MADAME , voici le Comte Florimond.
RENNI Q ..
Ne vous avois-je pas dit , que je
voulois être feul ?
LA FEMME DE CHAMMRE.
Oui , Madame , auffi le lui ai -je dit...
Mais il prétend qu'il faut qu'il vous voie.
RENNIO.
Il faut !
LA FEMME DE CHAMBRE.
Oui , Madame , il le dit ainfi .... en
conféquence , il entre malgré moì..
RENNIO , à part.
Cela eft violent ! .. Plaife au Ciel que
la fin de cette farce ne ſoit point un peu
tragique.
SEPTEMBRE. 1762.
SCENE XIV.
RENNIO. FLORIMOND.
FLORIMOND.
PARDON , adorable Déeſſe ! …….
RENNIO.
Je vous croyois moins impoli , Monfieur
.... Quoi donc , vit - on jamais
forcer ainfi les portes ? ... & fur- tout
dans un temps....
( Rennio travaille à réparer le défordre
de fon habillement. )
FLORIMOND , en feignant de
l'aider à rattacher un naud d'eftomach.
Ah , Madame ! malgré votre courroux
, nos coeurs battent à l'uniffon ...
Oui ! la trifteffe , je le vois , n'eft pas
plus l'autel de la beauté que celui de
l'amour ... Permettez que j'aide à placer
ce trop heureux ornement ....
RENNIO , en fe débattant.
Fi donc , Monfieur ! ... de grace ,
laiffez - moi .... ou vous me forcerez ....
( Florimond infifte , Rennio lui donne
un foufflet.)
42 MERCURE DE FRANCE .
FLORIM O N D , en reculant.
Madame ! votre main ... n'eft pas ce
qu'on appelle éxactement légère ... &
j'ofe vous promettre...
RENNIO , d'un ton mâle.
Me promettre quoi , Monfieur ? ..
(Pendant cette altercation , Alinde entre
& en voit la fin. )
FLORIMON D , en l'appercevant ,
& en s'en allant.
Que je fuis votre plus humble ferviteur.
SCENE X V.
RENNIO. FLORIMOND. ALINDE,
fous le nom de Myfis.
JE
Mysis , à Florimond fortant.
E vous ai fans doute beaucoup d'abligations
, Monfieur.... je vous fupplie
pourtant , de vouloir bien ne plus
vous embaraffer de mes affaires...
FLORIM O N D.
Puiffiez -vous avoir été à ma place ! ...
( Florimond , avant que de fortir, tire un
miroir de poche , & rajufte fa coëffure. ) .
SEPTEMBRE . 1762. 43
RENNIO à Myfis , & en achevant
de fe rajufter.
Ah , Monfieur ! .. je fuis au défefpoir
de m'être vue forcée à une violence fi
peu convenable à mon féxe .
FLORIM O N D.
Et moi , bien plus encore ! ... le Ciel
vous tienne en joie.
SCENE X V I.
RENNIO. ALINDE , fous le nom de
Myfis.
ALIND E.
VOTRE indignation eft fondée , Madame
.... quoique le reffentiment en
ait été un peu vif.
RENNI O.
J'en fuis fi confufe , Monfieur.... il
m'a tellement fait oublier moi-même....
par les libertés qu'il a prifes....
ALIND E.
De grace , calmez-vous , Madame ,
& tâchez de n'y plus penfer ... il ne
m'a pas moins déplu qu'à vous , je vous
lè jure !
44 MERCURE DE FRANCE.
RENNIO.
Vous m'étonnez , en vérité ! ... De
quelle impertinence s'eft-il auffi rendu
coupable auprès de vous ?
ALIND E.
D'un tas de calomnies , dignes de la
baffeffe de fon caractère.., il m'a foutenu
, que Rennio....
RENNIO , avec vivacité.
S &Que dites-vous , Monfieur ?.
ALINDE..
.....
Rennio , Madame , le fils du Duc de
Bretagne, ...
RENNIO.
Que dit-il de lui , Monfieur , de
quelle calomnie a-t- il ofé le noircir?
ALINDE , a
part
Ah ! comme elle prend feu.... elle
aime Rennio fans doute.
RENNI O.
Ah ! file lâche a calomnié Rennio.
parlez , Monfieur , ne me le cachez
point de grace !
ALIND E.
Son coeur s'explique nettement....
je gémis de fa peine ! ... ( haut. ) Non ,
Madame .... l'intérêt même que vous
prenez à Rennio , me défend de vous
obéir.
SEPTEMBRE. 1762. 45
RENNIO , avec chaleur.
Il m'intéreffe , je l'avoue... & cela
peut vous étonner ... Mais de grace ,
parlez , Madame ! ...
ALINDE , (furprife du ton mâle
& de la vivacité , qui involontairement
trahit Rennio . )
Ceçi me paroît bien étrange ! ...
RENNI 0.
Peut-être plus étrange encore , que
vous ne l'imaginez.
ALINDE , ( de plus enplus étonnée:
Madame , ... l'état où je vois ...
RENNIO.
Peu importe , Monfieur .... la contrainte,
la décence même s'évanouiffent,
lorfque t'honneur d'un ami eft attaqué.
ALINDE , à part.
Elle l'aime à la fureur... l'état où
je la vois me fait trembler !...
:
RENNI O,
Madame , au nom du Ciel ! ... ditesmoi
ce que vous fçavez....
ALINDE.
Je ne le puis...je vous le jure ....
RENNI O.
Vous ne le pouvez ?...
ALINDE.
Du moins , je ne le dois pas... Non ,
Madame , je ne le puis ... Qu'il vous
45 MERCURE DE FRANCE.
fuffife de fçavoir , que dans l'hiftoire
que l'on m'a faite , une femme d'un
grand nom est tout auffi calomniée que
Rennio ; que cette calomnie ne m’intéreſſe
pas moins
que vous ; que je prétends
la confondre fi publiquement ,
qu'elle ceffera d'être crue ; & que je
vous fupplie , tant pour votre repos ,
que pour le mien même , de ne plus infifter
fur le détail de cette horreur ....
RENNI O.
Quoi ! vous pourriez me refuſer ? ...
ALINDE , à
part.
Elle me touche trop ! ... ( haut. ) Je
fens que je ne le pourrois long-temps ,
Madame ... ainfi , je me retire.
(Elle fort précipitamment. )
SCENE XVII.
RENNIO , feul.
PESTE foit de cet attirail ! ( en regardant
fa jupe ) je n'ai pu le ratrapper...
Vit - on jamais rien de plus cruel ! Je me
vois diffamé , fans pouvoir me faire
juftice .... Mais tâchons de feindre avec
l'indigne Florimond , & de lui faire répeter
tout ce qu'il a dit à Myfis... Oui ,
i
SEPTEMBRE. 1762. 47
c'eft bien penfé ! ... le piége que je
vais lui tendre , fous ce déguifement ,
affurera d'autant mieux ma vengeance. ,
Fin du premier Acte.
ACTE I I.
SCENE PREMIERE.
Le Théâtre , comme au commencement du
premier Acte , repréfenté une partie
de la Forêt , d'où l'on apperçoit le
Château,
FLORIMOND , feul.
CELA n'eft pas douteux ... C'eſt la
préfence de Myfis , à l'inſtant même où
je la preffois le plus , qui l'a forcée de faire
éclater fi haut fon reffentiment contre
moi... La pefte foit du Sot ! J'aurois
bien dû fentir que cet excès de modeftie
n'étoit pas naturel .... Maintenant qu'elle
à réfléchi , la Belle s'en repent ... Elle a ,
dit - elle , à me parler , & va fe rendre
ici .... Ne feroit-ce point le cas de l'hu
milier en manquant de ma part au ren-,
48 MERCURE DE FRANCE.
dez - vous ?... Non….. Cela ſeroit trop
cruel.... je veux pourtant avoir l'air détaché
, lui faire expier fon offenſe ....
C'eſt le moyen d'achever le fuccès de
mes affaires... Mais la voici .
SCENE IL
FLORIMOND , d'un airde hauteur
négligée , & faluant froidement Rennio.
RENNIO , toujours fous l'habit de
femme.
J'ofe
efpérer que
Monfieur ne fe préà
part , en lui
vaudra point de ma foibleffe ...
FLORIMOND
tournant le dos.
Sa foibleffe , dit-elle ?.... ( haut. ) Madame
, ce ne fera du moins pas de celle
de votre bras.
RENNIO.
Les motifs qui me forcent de vous appeller
ici , font de nature ...( à part
Quels airs le Fat fe donne ? ... (haut. )
Sont de nature dis- je à juftifier ma
démarche ... ( à part. ) Je ne puis me
contenir plus longtemps..
FLORIMOND,
SEPTEMBRE. 1762. 49
FLORIMOND , à part.
La pauvre Fille ! ... Elle me fait pitié...
(haut. ) Je ne me prévaus de rien , Madame...
je fuppofe feulement , que Ma
dame a quelques ordres à me donner ...
& qu'elle a bien voulu , pour cet effet ,
choifir un lieu plus favorable .
RENNI 0.
Vous avez , je crois , entretenu Myfis
de certaine avanture, où Rennio ; certai
ne Dame & vous mêmê eutes beaucoup
de part? .. & le récit qu'il m'en a fait
me touche affez , pour defirer d'en être
un peu mieux inftruite.
FLORIMOND à
part.
Le détour
eft
ingénieux
... Le récit
d'une
avanture
galante
eft un très- beau
prélude
pour
une
fcène
du même
genre
;
& j'entrevois
que nous
ferons
bien-tôt
d'accord
.... (haut. ) Tout
ce que je
fçais
, Madame
, c'eft
qu'une
belle
Dame
, que l'on appelle
Alinde
, a jugé
propos
de rendre
Rennio
auffi
fortuné
qu'un
homme
puiffe
l'être
....
excepté
,
Madame
, celui
qu'il
vous
plairoit
d'honorer
des mêmes
bontés
....
Ma foi ,
Madame
, cette
Alinde
eft une
belle
créature
!.. mais
lorfque
l'on vous
voit...
RENNI
O.
à
Vous me déconcertez , Monfieur....
C
50 MERCURE DE FRANCE.
ma rougeur vous le prouve ... Epargnez-
moi , de grace !
FLORIMON D.
Ah ! que cette rougeur vous fied admirablement
! ...
RENNI 0:
Permettez que je vous fupplie de faire
grace à ma confufion , & de m'apprendre
les circonftances d'une affaire dont
perfonne ne peut être mieux inftruit
vous.
FLORIMOND , à part,
que
Ouais! .. ce font des détails intéreffans
que la Belle demande ? , . il faut la fatisfaire
,,. ( haut, ) Je préfume , Madame ,
que le jeune Rennio , brûlant pour la
charmante Alinde , la regarda d'abord
d'un ceil auffi languiffant qu'amoureux ;
que leurs yeux s'étant par hafard rencontrés
, elle les détourna bien - tôt en
rougiffant ; que l'Amant , enhardi par
cette rougeur même , mit un genou en
terre , s'empara de la main de la Belle,
la preffa dans les fiennes , la porta fur
fes lévres , & ....
RENNIO, (en retirantfa main.)
Monfieur ! Monfieur ! ... ( à part.)
La patience m'échappe .... il faut pourtant
gagner fur foi .. ( haut. )Si vous
croyez avoir quelqu'intérêt de m'obli-
....
SEPTEMBRE. 1762. SE
ger.... fi vous avez conçu quelqu'efpérance
de mes bontés ... non pas au
moins que je fois ce qu'on appelle difpofée
...
.....
FLORIMOND.
Ah , mon bel Ange ! pourquoi me
laiffer fi cruellement en fufpens ....
Parlez ; dictez vos loix , & difpofez de
votre esclave....
RENNIO , en reculant.
Commençez par être plus fage ....
de là , répondez précisément & fans
délai , à quelques queftions qui feront
courtes .
FLORI MON D.
Ordonnez , Madame.
RENN I O.
Premierement .... connoiffez-vous
Monfieur,connoiffez -vous bien Rennio
fils du Duc de Bretagne ?
FLORI MÓN D.
>
Perfone , je vous jure .... ne peut
le connoître mieux que le plus humble
de vos ferviteurs.
RENNI 0 , à
part.
Quel excès d'impudence ! ... ( haut. )
peu près fon âge? quelle eſt
quelle
eft à
fa figure ?
FLORIMOND , à part.
Sa curiofité prouve qu'elle ne le con-
Cij
52 MERCURE DE FRANCE .
connoit pas .... Madame ce jeune
homme eft d'un caractère affez ....
doux.... affez.... aimable.... c'eſtà-
dire....
RENNI O. NIO.
Ces termes vagues ne difent rien ...
foyez , de grace , plus précis.
FLORI MOND .
Sçachez , au moins , que la médifance
m'eft odieufe ! ... Mais puifqu'il faut
vous obéir .... apprenez donc ,› que
ce Rennio n'eft qu'un Sot .... oui , un
Sot , le mot pris à la lettre .... le tout
entre nous , au moins !
RENNIO , vivemeut.
Un Sot ? ...
FLORIM ON D.
Complet.... Le pauvre garçon eft
d'une gaucherie , d'une platitude ! ...
Eh bien , ( vous ne le croiriez pas ? ) j'ai
pourtant un foible pour lui ! ... car je
ne ferai jamais moi-même auffi galant
homme , que je voudrois qu'il le devînt.
RENNIO , ( oubliant fon caractère
de femme. )
Comment , lâche ! ...
FLORIMOND , ( effrayé , & reculant. )
Madame ! ...
RENNI 0 , à part.
Ciel qu'ai-je fait ? ... ( il tâche de !
SEPTEMBRE 1762. 53
Je remettre. ) Apprenez auffi mon foible,
Monfieur. Ce que j'entends dire de mal ,
quoique fondé , des perfonnes qui , par
leur rang , doivent fervir d'exemple aux
autres , me met toujours hors de moimême
... Vous m'en voyez.... prèfque
oppreffée ! ... ( Il tire un flacon. )
FLORIMON D , à part.
Quelle femelle !... ( avec précaution.)
Pourrois - je , Madame , vous être de
quelque fecours ?
RENNI 0.
Je commence à me fentir mieux ....
J'ai le genre nerveux fi prodigieufement
délicat ! ... Mille graces , Monfieur , du
portrait de Rennio .. Mais vous m'affurez
donc , qu'il s'en faut bien que fon
courage ? ...
FLORIM O N D.
Je vous refpecte trop , pour vous
mentir....
RENNIO , ( reprenant l'air & le ton
mafculin , mais fe remettant tout-àcoup
. )
Comment ? ...
FLORIMOND , ( en reculant jufqu'au
fond du Théâtre. )
Madame ! ...( à part. ) Elle eft plus
3
que folle... je ne m'y fierai plus.
Ĉiij
54 MERCURE DE FRANCE .
C
"
I
RENNIO , d'un ton affectueux.
grace...
...
J'aurois encore à vous demander une
Mais j'apperçois qu'on vient
de ce côté... fi pour les éviter , nous
paffions dans cette fombre allée ?
FLORIMON D , éffrayé , à part.
Le Ciel m'a préfervé... (haut. ) Madame....
j'ai beaucoup d'affaires maintenant...
RENNI O.
...
Si vous me refuſez... je ne réponds
pas de ma vie.
FLORIMOND , en reculant.
Ce foir.... demain... je ferai toujours
à vos ordres.
RENNI O.
Si ma réputation vous eft chère ,
faites de grace... dans l'état où je fuis...
qu'on ne me furprenne pas feule ave
vous !
FLORIMON D.
Très -volontiers , Madame... prene
cette allée , je prendrai Pautre.
RENNI O.
Non pas , Monfieur... je me croirois
perdue !….. Une féparation fi brufque
, feroit trop cruellement interprétée....
laiffez-moi prendre votre bras....
( Rennio s'empare de fon bras , & l
ferre fortement. )
SEPTEMBRE . 1762. 55
FLORIM O N D.
Ah , Madame ! ….. Madame ! …..
RENNI O.
Quoi , Monfieur ?
FLORIMOND.
Vous m'avez pincé ... de façon ! ...
RENNI O.
N'en accufez que mon éffroi ....
FLORIMOND , ( en fe laiſſant entraîner
malgré lui par Rennio , qui
le regarde fixement. )
( à part. ) Miféricorde ! .... jamais
Sergent n'eut un pareil poignet ! ...
SCENE II I.
LA FÉE feule.
LA Scène eft bonne , & me conduit
droit à mon but.... Il ne s'agit
plus que de faire aboucher nos Amans ...
Alinde vient.... difparoiffons ....
C iv
56 MERCURE DE FRANCE .
J
SCENE I V.
ALINDE. LA FÉE inviſible.
ALINDE.
E fuis venue trop tard.... Cléone eft
fans doute partie.... Ah ! je crois la
voir dans cette fombre allée , & Florimond
eft avec elle .... je ne me trompe
point.... Ciel , qu'elle eft émue ! ...
Que Florimond à l'air épouvanté ! ...
Il fe fauve , & elle vient de ce cóté....
Tant mieux , mon parti eft pris : il faut ,
plutôt pour elle que pour moi ... oui ,
il faut lui ouvrir mon coeur. Quelque
chagrin qu'elle en prenne d'abord , elle
ne peut enfin que rendre juftice aux
preuves de mon amitié.... Elle approche....
ne l'accoftons pas trop brufquement.
( Elle fe retire de quelques pas. )
SEPTEMBRË. 1762. 57
SCENE V.
RENNIO. ALINDE.
RENNIO à part , apperçoit Alinde &
s'arrête.
AH ! c'eft Myfis ... Je connois maintenant
les motifs de fon filence généreux
. Sous l'habit où je fuis , l'intérêt
qu'il m'a vu prendre à ce qui touchoit
Rennio , pouvoit- il à fes yeux ne point
paroître infpiré par l'amour ? ... Mais
lui-même ne s'intéreffe pas moins pour
la Dame.... il n'a pu me le cacher....
Donc il eft pour Alinde , tout ne qu'il
a cru que Rennio étoit pour moi....
Marquons - lui donc toute ma reconnoiffance
: confions-lui ce que je fuis ,
& qui je fuis , pour le convaincre de
la fauffeté d'une hiftoire , dont la réalité
n'eût pû que le rendre malheureux ....
( Il s'approche d'Alinde. ) Ne cherchez
pas à m'éviter , Monfieur ; je n'ai plus
rien à éxiger de vous , qui puiffe
bleffer votre délicateffe : la feule grace
que je vous demande , eft que vous me
pardonniez , fi , malgré vos intentions ,
C v
58 MERCURE DE FRANCE .
je n'ai pû m'empêcher de céder aux
mouvemens d'une curiofité , que vousmême
aviez fait naître . Je fçais tout
maintenant : je connois toute la générofité
, toute la nobleffe de vos fentimens
pour moi ; & mon coeur brûle de
vous offrir en revanche , tout ce que
l'amitié peut infpirer de plus pur & de
plus fincère.
ALINDE.
Ces fentimens , Madame , ont déja
fans doute un objet , & plus noble &
plus légitime... Le trop fortuné Rennio...
RENNIO.
Mes liaiſons avec lui , font véritablement
, en certains fens , la caufe que
votre mérite n'a pas fait fur mon coeur ,
toute l'impreffion , que je ne rougis pas
d'avouer que vous euffiez pû faire....
Je vous avoue auffi pourtant , que l'hiftoire
de fa fuite avec Alinde , m'affecte
moins que vous ne pouvez raiſonnablement
vous l'imaginer.... car j'ai la preuve
très - certaine , qu'elle n'eft , ni ne
peut être vraie....
ALINDE , avec précipitation.
Ni ne peut être vraie? ...
K RENNIO .
L'amitié que je vous ai vouée , vous
doit une confidence ( fi tant eft qu'en efSEPTEMBRE
. 1762. 59
fet c'en foit une ) que mon propre intérêt
m'avoit déja infpiré de vous faire....
Vos liaiſons avec Alinde , font je crois
de nature...
ALINDE .
Oui , Madame , les liaifons que j'ai
avec elle font de nature... à n'être plus
un fecret pour vous ... Je fens trop maintenant
que je les cacherois en vain...
RENNIO .
Permettez donc que je les fàche ....
Mais , pour gage de l'amitié que j'ai &
veux toujours avoir pour vous ; fouffrez
que ma confiance précéde la vôtre .... &
que je vous apprenne...
ALINDE.
Parlez donc vite , Madame ! .... Car
tout ce qui vous touche m'intéreffe au
point ! ...( à part. ) Quel peut donc
être ce fecret ? ...
RENNIO.
En premier lieu , Monfieur... Apprenez
que je fuis...un homme...
ALINDE , ( à part , avec une extrême
motion qu'elle cherche à déguiſer. )
Un homme ! ... Ah , Ciel , que vaisje
devenir ?
RENNIO.
Et dans cette qualité , permettez que
je vous embraffe comme le plus fincere
€ vi
60 MERCURE DE FRANCE .
ami... Plus de gêne ... Plus de contrainte
entre nous ...
ALINDE (couverte de confufion , veut
fe dérober à fes embraffemens , & fe
cache le vifage. )
Eh quoi , Monfieur ! ……..
RENNIO , effrayé.
Ciel ! qu'a donc mon ami ?
ALINDE ( en táchant de fe remettrc.)
Ah ! vous avez détruit tout ce que
mon projet... mepromettoit d'agréable ...
vous m'avez prévenue ... n'importe cependant....
RENNIO.
Quel eft donc ce mystère ? .. au nom
du Ciel , expliquez- vous... Se peut - il
que vous euffiez conçu ... de l'amour
pour moi ?
ALINDE.
Ah ! non ... vous vous trompez encore
...
RENNIO.
Dites-moi donc en quoi ? car déformais
nous pouvons nous ouvrir nos
coeurs & parler librement... Faites-moi
donc la grace de ne plus voir en moi
qu'un homme ... & comme tel ...
ALINDE .
Ah ! vous vous écartez ... Vous vous
égarez de plus en plus... Je ne fçaurois
me réfoudre à parler ! ...
SEPTEMBRE . 1762. 6E
RENNIO.
Vous le devez , mon cher ami.....Vous
me le devez ce fecret , que dans l'inſtant
vous m'alliez révéler.-
ALINDE.
Hélas ! alors , je le croyois connu ...
mais maintenant...
RENNIO.
Maintenant , j'invoque , j'implore avec
ardeur les droits facrés de l'amitié... Auriez-
vous l'injuftice de les méconnoître?
ALINDE.
Non , Monfieur , non ! .. .Mais je ne
puis me réfoudre à parler... Et fi je le
pouvois ... peut-être ne trouveriez - vous
point en moi cette eſpéce d'amitié dont
vous êtes fi digne ... & fi fort en droit
d'efpérer....
( RENNIOla regarde fixement avec
autant d'étonnement que d'embarras. )
ALINDE.
(à part. ) Son oeil m'anéantit ... O
mon coeur ! ....
RENNIO.
Je ne fçais où j'en fuis , ni que penfer
de tout ce que je vois ! ... Vous rougiffez
& pâliffez alternativement comme
une fille... ( Ces mots ajoutent à la confufion
d' linde ) . quoi ! vous tremblez ?..
O ciel ! Elle s'évanouit... ( Elle eft préte
62 MERCURE DE FRANCE .
J
à tomber; Rennio la retient , & la ferre
dans fes bras. O furprife ! O tranfports !
C'est une femme ! ...Que fa confufion eft
adorable ! ... Ah ! puiffe l'ardeur que tu
m'infpire te rappeller à la vie ... Ouvre
les yeux . ne vois plus en moi que
l'amour & l'honneur ... Ne te fais plus
de violence pour me déclarer ton fecret
.... Ah ! s'il le faut, pour te rendre
à la vie , je ne veux point paroître le
fçavoir ...
ALINDE ( en revenant à elle-même. )
Dieux ! que ne puis-je me cacher à
moi même ...Quoi ! mon fexe eft connu
? ... même ſous ce déguifement ! ...
Où me fauver ? en quels lieux enfevelir
ma honte ?...(d'un tonplusferme . ) Qui
êtes-vous , Monfieur ? .. dites - le moi ..
pour que j'évite à jamais votre vue.
RENNIO.
Non ! chère & trop adorable amie!...
Non ! .... A ces conditions , puiffé - je
vous être à jamais inconnu ?
ALINDE.
Parlez, pourtant : parlez ....fiez-vous-en
à moi...
RENNIO .
Si je m'y fie ? .. Oui, Madame , dût
ma vie en dépendre... Ton ami ! ....
SEPTEMBRE. 1762. 63
Mais connois-moi fous un nom plus
doux encore.... Ton ami .... celui qui
l'eft & le fera toujours... eft ce même
Rennio , ce même fils du Duc de Bretagne
, que tu as vu fi indignement calomnié
.
ALINDE.
Prodiges fur prodiges ! ..
RENNIO. (
Ou je rêve moi- même , ou tout ceci
n'eft qu'un enchantement.
ALINDE.
Vous pourriez bien mieux le penfer
fi j'étois mieux connue de vous !
RENNIQ .
ร
Ah! Faites-vous donc mieux connoître
, vous que dès à préfent je reconnoîs
pour la plus charmante , pour la plus
adorable de votre fexe ! Vous que j'ai
vue , vous que j'ai aimée tendrement ,
quoique fans amoureux defirs ! ... Cher
gage ! Cher garant de mon bonheur I...
Ah! puiffé-je bientôt être à toi ... Mais
je m'égare ; je me flatte fans doute ....
Votre destinée auroit- elle quelque chofe
de commun avec celle de Rennio ?
ALINDE ,
Seigneur , épargnez -moi... Vos difcours
ont un pouvoir fur moi, que vous
•
ne connoiffez pas encore.
64 MERCURE DE FRANCE.
RENNIO.
Abrégez mon fupplice ! ... Mes idées
fe confondent , & je m'y perds.... Oui ,
Madame ... Il eft en effet une jeune perfonne
, dont on m'a dit que la deftinée
étoit éxactement femblable à la mienne...
C'eft cette Alinde , c'eft cette Alinde
même que j'avois cru que vous aimiez...
Oh ! c'eft vous , c'est vous- même
qui l'êtes ... Quelle autre , ( Grands
Dieux ! ) pourroit-ce être ?
ALINDE .
De grace , laiffez-moi... ou je fuccombe
à mon trouble ! ...
RENNIO.
Ah ! fouffrez que je vous foutienne ;
que je vous cache dans mon fein ! .. &
qu'un foupir y foit votre réponſe ....
Chère Alinde ! eft-ce vous ? ...
ALINDE .
Si fa deſtinée eft conforme à la vôtre..
Je fuis Alinde. ....
RENNIO ( en l'embrafant encore
plus étroitement .)
...
Ah ! top fortuné Rennio calme
les tranfports d'une âme trop fenfible ...
& ne vois plus que la félicité , que l'amour
te prépare .
ALINDE.
Non , fouffrez que je me retire ... je
SEPTEMBRE. 1762 . 65
ne puis plus longtemps voir nivous ,
ni moi , fous ce déguisement .
RENNIO.
Je ne fcaurois y confentir ... Pardonnez
à mon premier refus : mais il eſt
néceffaire ... Votre gloire & la mienne
ont été également ternies .... Il nous
faut à tous deux juftice ; nous la devons
au calomniateur.
ALINDE .
Mérite-t-il notre reffentiment ?
RENNIO,
Si ce n'eft pas pour lui , c'eft pour
autrui que je veux le punir ... Le voici
juftement ! ... Laiffez moi faire , ou
plutot , daignez me feconder .
SCENE V I.
RENNIO. ALINDE. FLORIMOND .
FLORIMOND de loin, & à part .
QUAIS ! ..
>
UAIS ! ..je les trouve enfemble....
ce n'etoit pas mon intention ... éloignons
nous ...
RENNIO ( courant à lui , & le prenant
par le bras.
Approchez, Seigneur Florimond, ap-
- prochez .... ( en l'entraînant .)
66 MERCURE DE FRANCE .
FLORIMOND , éffrayé.
Doucement donc , Madame , !
vous allez m'arracher le bras ...
RENNIO , froidement.
Pleinement inftruit maintenant de la
fcandaleufe & très-fauffe hiftoire qu'il
vous a plû d'imaginer fur le compte de
Rennio & d'Alinde , il eft ici quel
qu'un , Monfieur , qui prétend en avoir
raiſon.
FLORIMOND.
De moi ? ... fuis-je garant de cette
hiftoire ? ... on me l'a faite ... & je
l'ai racontée : voilà tout ... Je m'en lave
les mains.
RENNIO.
Fort bien ! ... Mais vous ne nierez
pas , que vous connoiffez Rennio ? ..
Que vous avez particulierement connu
Alinde ? ... car vous l'avez dit à Monfieur?..
( en montrant Alinde .)
FLORIMOND .
D'accord... Haï donc ! Pourquoi tant
me fèrrer ? ... ( à part. ) Cette femme
en vaut douze ! ...
RENNIO .
Vous les connoiffez donc ?... Parlez...
( en le fèrrant plus fort.)
FLORIMOND .
Sans doute ... Ah ! quelle torture !...
SEPTEMBRE. 1762. 67
ل گ ا
RENNIO .
Eh bien , avouez donc votre infamie...
Demandez-leur grace... Ils font
devant vos yeux .
Qui?
FLORIMON D.
RENNIO .
Alinde & Rennio , vous dis-je .
FLORIM ON D.
Je ne vois que Cléone & Myfis !.
allons , allons . . . . vous badinez .
RENNI O.
On ne badine point avec les lâches
... L'un de nous deux eft Rennio ,
l'autre eft Alinde ... Si vous nous connûtes
jamais : parlez.
FLORIMON D , à part.
Miféricorde ! .
de ce pas ? ...
comment me ' tirer
RENNI0.
I Eh bien brave & véridique Scigneur
!... Quoi , cette Alinde , qui
vous a tant aimé ; ce Rennio , ce fot
enfant , à qui , fi généreufement , vous
cédâtes vos droits fur elle : l'un & l'autre
font fous vos yeux ... & vous ne les
reconnoiffez pas ? ... ( à Alinde. ) Seigneur
, prêtez-moi votre épée... Pour
un tel Champion , c'eft peut être trop
d'une femme.... ( Il prend l'épée d'A-
•
linde. )
68 MERCURE DE FRANCE.
ALIND E.
Ah , non ! ... de grace , laiffez-le....
FLORIMOND
, ( tremblant & refùfant
de fe battre , fe jette aux pieds
de Rennio . )
Ah , Madame , pardon ! ... ce n'eft
qu'ainfi que je me bats avec les femmes....
ou plutôt , que je ne rougis
jamais de leur demander grace....
I
SCENE VII.
Les mêmes Acteurs. LA FÉE.
LA FÉE.
L faut qu'on la lui faſſe ………. Rennio,
je vous l'ordonne ....
FLORIM ON D.
Rennio ?... Ah , Ciel ! ... oui , j'en
crois à fon bras ...
RENNIO.
Et j'ai l'honneur de vous préfenter
cette Alinde , qui doit tant à vos bon-
FLORIM ON D.
tés....
Alinde ! ...
RENNI O.
Elle-même .... & vous fçavez , dès -là ,
SEPTEMBRE, 1762.
69
ce que tous deux nous vous devons
de reconnoiffance.
LA FÉE .
Vous lui en devez plus que vous ne
penfez.... C'eft à lui , c'eft à fon impudence
même , qui m'a paru très - propre
à vous fervir , que vous devez l'accompliffement
de l'Oracle & du bonheur
conftant dont vous allez enfin
jouir.... Vos Pères , inſtruits par moi ,
vous attendent au Château , où tout fe
prépare pour célébrer un hyménée ,
qui fera la félicité des Peuples foumis
à vos loix ,
FLORIMOND .
Vivat ! ... ( à la Fée. ) Madame , je
vous devrai auffi ma converfion .
C'eft ainfi que fouvent le bien naît du mal même !
FIN,
TRADUCTION littérale de la premiere
Ode du troifiéme Livre d'Horace . Odi
profanum vulgus.
Ja hais le profane vulgaire , E
Et je l'écarte loin de moi.
O vous , de qui le culte eft mon plus doux
emploi ,
70 MERCURE DE FRANCE .
Chaftes foeurs, qu'à l'envi , tout l'Olympe révère,
Favorifez des chants deſtinés à vous plaire !
Je confacre en ce jour , aux Vierges , aux Enfans
Des Vers , que le premier je joignis à la Lyre :
J'y peins des Rois fameux par leurs fujets vaillans ,
Eux-mêmes affervis au fouverain Empire
Du Puiffant Jupiter , qui par l'airain brulant ,
Après avoir vaincu les Géants formidables ,
Par la feule terreur d'un geſte menaçant
Fait craindre à l'Univers fes foudres redoutables.
Mieux qu'un autre , ſouvent un homme indoftrieux
Sçait tracer les Sillons deſtinés à l'arbuſte ;
Plus noble , un Candidat né d'illuftres ayeux ,
Parvient du champ de Mars , dans un Sénat augufte.
Celui - ci par les moeurs , par fon intégrité ,
Offre un parfait modèle à la poftérité .
De les nombreux Cliens cet autre le décore ;
Mais , quel que foit l'éclat du faſte qui l'honore ,
Ici , la loi du fort réglant tout à fon gré ,
Confond le plus fublime , & le plus bas degré.
Dans l'Urne fpacieuſe , ou chaque Nom fe place ,
A la Houlette on voit les Sceptres réunis ,
Et les Rois terraffés par leurs fiers Ennemis
S'éclipfent en fuivant le Berger à la trace.
Du coupable qui voit le glaive fufpendu ,
Des mets delicieux couvrent en vain la table ;
Ils ne lui donnent point par leur faveur aimable
SEPTEMBRE . 1762. 71
Cette tranquillité que donne la vertu ;
> Et le chant des oiſeaux , ni le luth agréable ,
Ne lui ramène point le repos attendu .
Le doux repos chérit les demeures champêtres ;
Ces Coteaux , ces Valons , où même les Zephirs ,
Refpectent des Bergers couchés au pied des hêtres,
Et le calme innocent , & les riants plaifirs.
La Mer tumultuenfe , & les noires tempêtes ,
Les Aftres en courroux menaceroient nos têtes
Sans pouvoir ébranler le Mortel tempéré
Par qui le fuperflu n'eſt jamais defiré :
A la grêle , aux frimats la vigne abandonnée ,
Le Sol trompeur,l'Ormeau plaignant * ſa deſtinée,
Trifte jouet des Eaux ou du foufle brulant
Qui vient de moiffonner fon plus fertile champ ;
Rien ne peut ébranler fon âme courageufe.
L'Entrepreneur éléve une maffe orgueilleuſe ,
Et les Poillons preffés par de lourds fondemens
Se fentent refferrés dans les flots écumants * * ,
Le grand Seigneur mépriſe & défèrte fa tèrre : ]
Mais des foins dévorans la troupe meurtrière ,
Monte fur fon navire , où pour mieux l'affiéger
De fon coufier rapide embraffe l'étrier .
Si vainement tout l'or de la vaſte Lybie ,
Si le brillant Lapis qu'enfante la Phrygie ,
Si les vins de Phalerne & les parfums éxquis
* Arbore nunc aquas culpante.
•
** Contracta pifces æquora fcartiunt
72 MERCURE DE FRANCE .
Ne peuvent adoucir nos pénibles ennuis ;
Pourquoi donc élever tur des Colonnes vaſtes
Ces Palais fomptueux , monumens de nos Faſtes ?
En excitant l'Envie , & pourquoi changeons- nous
Des biens que nos ayeax jadis trouvojent fi doux ,
Pour ces Temples nouveaux , dont la grandeur
futile
Eft le feul prix qui reſte , au travail inutile ?
Par Madame DUMONT , Abonnée au Mercure.
VERS fur le début de Mlle DURANCY
à l'Opéra dans les Fêtes Grecques &
Romaines, par le Rôle de CLEOPATRE.
PAR le fon de fa voix mélodieuſe & tendre ,
Par fes talens , par fes charmes flateurs ,
Cléopatre a droit de prétendre
A l'hommage de tous les coeurs.
Ses chants , guidés par Therpficore ,
Peignent le Sentiment , la Nature & l'Amour :
Ce Dieu qu'à Paphos on adore ,
Dans les yeux enchanteurs a fixé ſon ſéjour...
Ceſt en un mot la plus brillante aurore
Qui nous promet le beau jour •
Par M. le C. de S. A ....
IMPROMPTU
SEPTEMBRE. 1762. 73
IMPROMPTU
A S. A. S. E. PALATINE, aujour de
V.
l'An.
ous m'ordonnez , grande Princeffe ,-
De prier Dieu pour votre Alte ffe ;
Eh ! que dois- je luidemander ,
Qu'il puiffe encor . vous accorder ?
N'avez- vous pas l'âme adorable ?
Avec l'efprit le plus aimable
Ne voit-on pas la majeſté
Briller en vous , avec les graces
De la taille , & de la beauté ?
Si tous les Grands fuivoient vos traces ,
Que les peuples feroient heureux !
Vous illuſtrez la Germanie ,
Et l'ignorez par modeftie ;
Ah ! pouvez-vous defirer mieux ?
Par M. ****
D
74 MERCURE DE FRANCE .
IMPROMPTU
A M. & à Madame VENDLINGS ,
Muficiens de L. A. S. E. Palatines.
HEUREUX BUREUX Vendlings, quel talent eft le vôtre ?
Quivous entend eft dans l'enchantement ;
Et l'on ne peut vous louer dignement ,
Qu'en vous comparant l'un à l'autre.
Par le même.
MADRIGAL
A Madame DE NESLE , Actrice de la
Cour Palatine.
ATANTdegraces , de talens
Qui vous font briller fur la Scéne ,
Nefle adorable , je vous prends
Pour Thalie , & pour Melpomène .
Jaloux d'obtenir votre foi ,
Quand fur le Trône en Souveraine ,
Vous déployez un coeur de Reine ,
J'ambitionne d'être Roi .
Quand d'une voix tendre & légère ,
Vous ne chantez dans un verger ,
Que le plaifir d'être Bergère ;
Je voudrois n'être que Berger.
Par le même.
SEPTEMBRE. 1762. 75
STANCES A ZAMIRE.
ON bonheur n'étoit donc qu'un fonge
Qu'a détruit un trop prompt réveil ?
féduiſant menfonge
Douce erreur ,
Je vous perds avec le fommeil.
L'illufion , toujours flateuſe ,
Adoucit en vain le tableau :
L'abſence toujours rigoureuſe
Déchire fon léger bandeau.
C'eft alors ma, chère Zamire,
Qu'on éprouve ce vuide affreux ,
Ce vuide dont mon coeur foupire ....
Et que nous éprouvons tous deux.
Phoebus fe leve , je t'adore ,
Il faut te fuir à ſon couchant ;
Ton deftin eft celui de Flore
De Zephire j'ai le penchant.
Il eſt une faifon cruelle
Qui vient terminer les plaifirs ;
Mais loin de le rendre in.fidéle
L'abfence augmente fes defirs.
Bientôt le Printemps le ramène ;
La Reine des Fleurs lui fourit;
H l'échauffe de fon haleine,
Et la Nature s'embellit.
Ah ! reviens donc , Saifon charmante ,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE .
Reviens fur l'aile des Amours ;
Que ten retour à mon Amante
Faffle eſpérer les plus beaux jours.
Que dis -je ! qu'il eſt loin encore
Ce temps , ce jour fifouhaité,
Que fembloit annoncer l'Aurore
De la plus tendre volupté .
Où nos coeurs plongés dans l'ivreffe
Que procurent les vrais plaiſirs ,
Au fein de la délicateffe
Puiferont de nouveaux defirs....
Mais quelles riantes Peintures !
Que le Pinceau du Sentiment
Aux agréables impoſtures
Donne un coloris féduifant.
Telles font ces vapeurs légéres
Qui brillent dans l'obfcurité ,
Dont les bluettes paffagéres
Voltigent dans les nuits d'Été.
Le Voiageur les prend pour guide,
Il fuit quelque tems leur lueur :
Elles s'éclipfent dans le vuide ....
Il s'arrête , & voit fon erreur.
Ainfi , la facile eſpérance ,
Divinité des malheureux ,
Couvre d'un voile la diſtance
Qui s'oppose à mes tendres voeux.
La trompeuſe me diffimule
Que mon bonheur toujours me fuit ,
SEPTEMBRE. 1762 .
77
Et m'en fait voir le crépuscule
Au milieu même de la nuit .
Tes attributs font infidéles ,
Vieillard deſtructeur des momens :
Si l'on te peint avec des aîlės ,
Hâtes- en donc les mouvemens.
Ou plutôt céde-m'en l'ufage.
Semblable pour lors aux Amours ,
Auffi tendre , mais moins volage ,
Je précipiterai ton cours ....
J'atteins déja , tendre Zamire ,
L'inftant qui doit combler nos voeux ;
Dans tes yeux , au ſein du délire
Je vais puiler de nouveaux feux.
Sois alors , vieillard indocile ,
Un Phénomène à l'Univers ;
Deviens une fois immobile ,
Refte fufpendu dans les airs...
Comme Titon , dans les délices ,
Bravant la Raifon & la Mort ,
J'imiterai fes facrifices ,
Trop heureux d'éprouver fon fort.
Par M. R***** de Dyon.
D üj
78 MERCURE
DE FRANCE .
BOUQUET
A Mlle A. C. L. N.
AIR: J'aime une ingrate Beauté.
LAA prudence & la douceur ,
Daphné , font votre partage .
Sans craindre d'être fateur ,
J'en dirois bien davantage :
Mais de votre portrait
Une image fidèle
POUR
A vos yeux paroîtroit
N'avoir point de modèle.
EN VOI.
OUR plaire , mon eſprit ne ſçait pas inventer;
Infpiré par mon coeur , il vous dit ce qu'il penfe .
Mon hommage , Daphné , peut- il vous révolter ,
Quand l'efprit & le coeur s'offrent d'intelligence ?
ParJ. M. N. M. de Donnemarie en Montois.
ગ
SEPTEMBRE. 1762 . 79
ÉPITAPHE de M. DE CRÉBILLon .
TUu gémis Melpomène ; & ton front abattu
Nous peint dans ta trifteffe une douleur fublime !
Tu nous dis , quel Mortel aima plus la Vertu ,
Quel Mortel conçut mieux toute l'horreur du
crime ?
Attributs de fon tombeau.
Tels font tes attributs , ô tombe revérée !
Rhadamifte langlant refpire la fureur ,
Thiefte le remord , Orefie la terreur ,
Et la Vengeancey boit dans la coupe d'Atrée.
LE
E mot de la premiere Enigme du
Mercure d'Août eft la Médaille. Celui
de la feconde eft le Mafque. Celui du
premier Logogryphe eft le changement ,
dans lequel on trouve âme , chant , chế-
ne , Tage, Nantes , cage , chat. Celui du
fecond eft Richelieu , où l'on trouve
lieu , riche , lire , cire , chrie , ere , lie ,
clie , Heli , heure , chile , ciel , re , le
celeri , le cher , cri. Celui du troifiéme eft
crime , le c retranché , il refte rime.
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
ENIGME
PLLUUSS oOnN me trouve rude,
Plus on me chérit en tous lieux ;
Je plais à la campagne & dans la folitude ,
Et je charme l'ennui des jeunes & des vieux.
Je fuis généreufe & fi bonne ,
Queje rends tout ce qu'on me donne.
Mais fi je viens à m'adoucir ,
On me mépriſe , on me rejette ,
Et c'eft à quoi je fuis ſujette
Lorfque je fais trop de plaifir .
AUTRE.
Ma Mer n'eut jamais d'eau ; mes Champs font
infertiles.
Je n'ai point de maiſon & j'ai de grandes Villes
Je réduis en un point mille ouvrages divers :
Je ne fuis prèfque rien , & je fuis l'Univers.
SEPTEMBRE. 1762. 81
LOGO GRY PH E.
A Mlle A... C... Q... J...
EGLE , fi quelquefois j'ai charmé tes loiſirs ;
Si quelquefois ta voix touchante
A ravi mille coeurs , fois en reconnoiffante
Et mets en me lifant , le comble à mes defirs.
Sept pieds font toute ma richeſſe ;
Six petits mots dits fans fineffe
Vont bien vite te mettre au fait ,
Et tu vas juger ce que c'eft.
Je t'offre un inftrument de guerre
Dont le bruit feul peut allarmer ;
L'exclamation ordinaire ;
L'Auteur latin de l'art d'aimer.
Après la farine faffée
Ce qui refte dans le bluteau ;
Un Animal plus laid que
beau ;
Puis une carte. Eh bien ! ne fuis-je pas aiſée ?
Par M. GOUDEMETZ,
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE .
FUYEZ UYEZ loin de mes yeux , Héraclites auftères ,
Philofophes quinteux , Rêveurs atrabilaires ,
Qui tenez compte ouvert de chagrins & d'ennuis,
Vous pour qui Lachefis ne file que des nuits ;
Qu'Amour , Ris , Plaifirs , Jeux autour de moi
fans ceffe
S'accordent pour narguer votre fombre fageffe.
Payez des Partiſans dont vous ferez loués ,
Car chez moi c'eſt gratis que vous ferez hués ,
Qu'à Caraccioli , ce Morrel vraiment fagé ,
Chacun vienne à l'envi préſenter ſon hommage ;
Que .... me tenez-vous ! non è je vais donc m'expliquer.
Jevous offre fix piéds aifés à difféquer.
Premierement une riviere
Qui traverſe le Portugal ;
Une Saiſon ; un faquin d'Animal
Que la Fontaine appella Plagiaire.
Le tuyau fur lequel l'oeillet vient fe percher ;
Ce qui chez nous croît à toute heure ,
Si bien qu'enfin il faut que l'on en meure. '
Voilà tout , cher Lecteur , c'eft à toi de chercher.
Par le même.
THE NEW YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ABTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
,
Graticusem
Près de l'éclat de
tes
yeux
de ton
tein, Ces fleurs verront bientôt tout leur éclat se
teindre: dre : Aminte
qui pourait les
plaindre , Elles vont mourir sur ton sein, Qu'à
leur destin je porte envie , Une si douce
mort Vaut mille fois la vie . A. e .
SEPTEMBRE. 1762. 8
AUTRE .
AMI Lecteur , plains-moi : quand je fuis toute
entière ,
L'on ne me voit jamais que mordre la pouffière.
Voions fi fupprimant une lettre à mon nom
Je n'aurai pas une autre chance ...
Mais c'eft encor pis ; quel guignon !
Je n'en ai pas plus d'importance.
Par le même.
CHAN SO N.
·Bouquet à Mlle ***
Prés de l'éclat de tes yeux , de ton tein ,
Cesfleurs verront bientôt tout leur éclat s'éteindre.
Aminthe , qui pourroit les plaindre ,
Elles vont mourir fur ton fein .
Qu'à leur deftin je porte envie ! ...
Une fi douce mort , vaut mille fois la vie.
D vj
Graticus em
Près de l'éclat de tes yeux
de ton
tein, Ces fleurs verront bientôt tout leur éclat s'é-
=
teindre: dre : Aminte qui pourait les
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plaindre , Elles vont mourir sur ton sein,Qu'à
leur destin je porte envie , Une si douce
mort Vaut millefois la vie. A. e.
SEPTEMBRE . 1762. 8
AUTRE.
AMI Lecteur , plains- moi : quand je fais toute
entière ,
L'on ne me voit jamais que mordre la pouffière.
Voions fi fupprimant une lettre à mon nom
Je n'aurai pas une autre chance ...
Mais c'eft encor pis ; quel guignon !
Je n'en ai pas plus d'importance.
Par le même.
CHANSON.
Bouquet
à Mlle ***.
Prés de l'éclat de tes yeux , de ton tein ,
Ces fleurs verront bientôt tout leur éclat s'éteindre.
Aminthe , qui pourroit les plaindre ,
Elles vont mourir fur ton fein .
Qu'à leur deſtin je porte envie !
...
Une fi douce mort , vaur mille fois la vie,
D vj
SEPTE
l'éclat de tes yeux
de ton
eurs verront
bientôt
tout leur éclats'é-
A
AMI
Lecteur, plai
entière ,
L'on ne mevoit jan
Voions fi
fupprima
Je
n'aurai pas
Mais c'eft enc
Je n'en aipas
dre : Aminte
qui
pourait
les
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Bouq
Ellesvont mourir sur ton sein,Qu'à
tin je porte
envie
, Une si douce
ut millefois la vie. A. e.
Prisde
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Ces
fleurs
verront b
Aminthe ,qu
Ellesvont mo
Qu'à leur def
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SEPTEMBRE. 1762. 8
AUTRE .
AMI Lecteur , plains -moi : quand je fuis toute
entière ,
L'on ne me voit jamais que mordre la pouffière.
Voions fifupprimant une lettre à mon nom
Je n'aurai pas une autre chance ...
Mais c'eft encor pis ; quel guignon !
Je n'en ai pas plus d'importance.
Par le même.
CHANSON
Bouquet à Mlle ***.
Prés de l'éclat de tes yeux , de ton tein ,
Ces fleurs verront bientôt tout leur éclat s'éteindre.
Aminthe , qui pourroit les plaindre ,
Elles vont mourir fur ton fein .
Qu'à leur deftin je porte envie ! ...
Une fi douce mort , vaut mille fois la vie.
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SEPTE
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Elles vont mourir sur ton sein, Qu'à
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SEPTEMBRE. 1762. 8
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AMI Lecteur , plains- moi : quand je fais toute
entière ,
L'on ne me voit jamais que mordre la pouffière.
Voions fi fupprimant une lettre à mon nom
Je n'aurai pas une autre chance ...
Mais c'eft encor pis ; quel guignon !
Je n'en ai pas plus d'importance.
Par le même.
PRÉS
CHANSON.
Bouquet à Mlle ***.
Prés de l'éclat de tes yeux , de ton tein ,
Ces fleurs verront bientôt tout leur éclat s'éteindre.
Aminthe , qui pourroit les plaindre ,.
Elles vont mourir fur ton fein .
Qu'à leur deftin je porte envie ! ...
Une fi douce mort , vaut mille fois la vie.
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L'éclat de tes yeux de ton
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Lecteur,pla
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L'on ne mevoit jan
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Mais c'eft enc
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Bouq
Elles vont mourir sur ton sein,Qu'à
tin je porte
envie , Une si douce
ut mille fois la vie. A. e.
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Ces
fleurs
verront b
Aminthe ,qu
Elles
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Qu'à leur def
Une fi
douce
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SEPTEMBRE. 1762. 8
AUTR E.
AMI Lecteur , plains-moi : quand je fuis toute
entière ,
L'on ne me voit jamais que mordre la pouffière.
Voions fi fupprimant une lettre à mon nom
Je n'aurai pas une autre chance ...
Mais c'eft encor pis ; quel guignon !
Je n'en ai pas plus d'importance.
Par le même.
CHANSON.
Bouquet à Mlle ***.
PRES de l'éclat de tes yeux , de ton tein ,
Ces fleurs verront bientôt tout leur éclat s'éteindre
Aminthe , qui pourroit les plaindre ,
Elles vont mourir fur ton fein .
Qu'à leur deftin je porte envie ! ...
Une fi douce mort , vaut mille fois la vie,
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
ÉCOLE MILITAIRE : Ouvrage compofé
par ordre duGouvernement . Par
M. l'Abbé RAYNAL , de la Société
Royale de Londres , & de l'Académie
des Sciences & Belles-Lettres de Pruffe.
A Paris , chez Durand , Libraire
rue du Foin. 1762. in-12. vol. 3.
SECOND EXTRAIT.
Nous ous avons rendu compte du premier
volume ; le fecond va nous occuper
,
& nous en extrairons autant de
traits que les bornes de notre Journal
pourront nous le permettre.
Le célèbre Navigateur Anglois
François Drack , attaque & prend
Saint- Domingue , en 1586. Il apprend
tout ce que les Efpagnols ont exercé
de cruautés dans cette partie confidérable
du nouveau Monde. On finit
SEPTEMBRE. 1762.
૪૬
les détails où l'on entre avec lui , par
une chofe qui peut-être n'a jamais eu
d'exemple. C'eft que parmi ces Infulaires
, les hommes en étoient venus à
ce point de défefpoir , que pour ne pas
mettre au monde des enfans qui fuffent
la victime du Conquérant , ils avoient
réfolu , tous de concert , de n'avoir
aucun commerce avec leurs femmes ;
ce qui avoit fait en peu de temps , un
défert de cette Ifle fi peuplée.
,
Le Moneftier , Gentilhomme Catholique
de Provence , fortifie durant
les guerres de Religion , fon Château ,
& y met une garnifon , quoiqu'il fe
foit engagé à ne faire ni l'un ni l'autre.
Lefdiguières lui envoie un Ami commun
, pour lui fignifier que , s'il ne répare
fes torts fans délai , il l'enterrera ,
lui & les fiens , fous les ruines de fa
Place. Le Moneftier , un des plus intrépides
guerriers de fon temps , après
avoir paifiblement écouté le Médiateur ,
lui tend froidemend le bras : Mon Gentilhomme
, lui dit - il , táte fi le poulx
me bat , pour toutes les menaces de
Lefdiguières : il fera comme bon lui
Semblera.
*
86 MERCURE DE FRANCE.
Les Portugais étant en guerre dans
l'ifle de Ceylan , Thomas de Souſa fait
prifonniere une jeune & belle perfonne,
qui vient d'être promife à un homme
grand & bien fait. L'Amant inftruit de
ce malheur , ne tarde pas à aller ſe jetter
aux pieds de fon Amante , qui fe précipite
avec tranſport dans fes bras : ils
confondent leurs foupirs & verfent des
torrens de larmes. Leur malheur leur
interdifant l'espoir de vivre libres enfemble
, ils fe jurent de partager toutes
les horreurs de l'esclavage.
Soufa né fenfible , eft attendri par
ce fpectacle. C'eft affez , leur dit-il , que
l'Amour vous impofe des chaînes ; puiffiez-
vous les porter jufqu'au dernierjour
de votre vie ! Allez, vivez heureux ; je
vous affranchis de mes fers. Les deux
Amans fe jettent à fes genoux. Ils s'attachent
pour toujours à leur généreux
Libérateur , & veulent vivre fous les
loix d'une nature qui fçait ufer fi noblement
de fa victoire.
Les Ligueurs , en 1589 , entreprennent
le fiége de Senlis , pour avoir un
communication libre avec les Villes de
Picardie , qui font dans leurs intérêts.
Comme les Royaliftes n'ont pas des
SEPTEMBRE . 1762. 87
forces fuffifantes pour attaquer les Affiégeans
, ils fe bornent à vouloir faire
entrer dans la Place , des munitions de
guerre & de bouche. Les Marchands
ne veulent pas les livrer fans argent ;
& les Traitans qui fe font fi fort enrichis
dans les affaires refufent d'en
avancer, Oh bien , dit le brave & vertueux
Lanoue , ce fera donc moi qui
ferai la dépenfe. Garde fon argent quiconque
l'eftimera plus que fon honneur.
Tandis que j'aurai une goutte defang
& un arpent de terre , je l'employerai
pour la défenfe de l'Etat où Dieu m'a
fait naître. Il engage auffi- tôt fa terre
des Tournelles , aux Marchands qui doivent
fournir les munitions.
En 1590 , le Duc de Savoie & la
ville de Genève , fe font une guerre
vive .
Pecolat , citoyen de la République ,
eft fait prifonnier. On emploie inutilement
toutes les rufes poffibles , pour
lui arracher fur fa patrie quelques éclairciffemens
, dont on avoit un beſoin
abfolu . Les tourmens les plus horribles
ne le font point parler davantage. Il eſt
foupçonné de magie ; & on imagine
pour rompre le charme , de lui rafer
tout le corps.
88 MERCURE DE FRANCE.
Dans le temps que cette fingulière
opération commence , l'intrépide Génevois
arrache le rafoir des mains du
Barbier , & fe coupe fur le champ la
langue , pour fe mettre dans l'impoffibilité
d'être foible. Une réfolution fi
héroïque ravit jufqu'à ceux qui l'ont
occafionnée ; ils renvoient Pecolat libre
& comblé d'honneurs.
Henri IV affiége & prend la Fère ,
en 1596. Les François chargés de rédiger
les articles de la capitulation , ftipulent
que la Ville fera rendue fans
fraude. Borio qui défend la Place , ne
veut jamas confentir , par une vanité
efpagnole , qu'on fe ferve du terme de
Se rendre , ni de celui de fraude ; le
premier fentant la lâcheté , & l'autre
la perfidie : vices dont , dit-il , on ne
peut pas foupçonner fa Nation .
Henri IV aimoit paffionnément fa
Nobleffe. Il lui avoit vu faire de fi belles
chofes à la guerre , qu'il ne fe laffoit
pas de répéter qu'avec elle rien ne lui
feroit impoffible. Un Ambaffadeur
d'Efpagne lui témoignant un jour qu'il
étoit furpris de le voir environné &
preffé par quantité de Gentilshommes.
SEPTEMBRE . 1762. 89
Si vous m'aviez vu un jour de bataille ,
epartit vivement ce Prince , ils me
reffoient bien davantage.
Un jour que Henri IV etoit entouré
des Grands de fa Cour , & de beaucoup
de Miniftres Etrangers , la converfation
tomba fur les grands Guerriers
: Meffieurs , dit le Roi , en mettant
la main fur l'épaule de Crillon ; voilà le
premier Capitaine du monde. Vous en
avez menti , Sire , c'eft vous , repliqua
vivement Crillon , plus accoutumé à
confulter la vérité que les bienféances .
Louis XIII affiégea , en 1622 , les
Huguenots dans Montpellier. Les Royaliftes
s'étant laiffés repouffer à une attaque
, fans faire beaucoup de réfiftance
, Zamet , Maréchal de Camp ,
leur crie : Soldats , vous fuyez? Monfieur
, nous n'avons ni poudre ni plomb ,
répondent-ils , quoi ! leur dit-il , n'avezvous
pas des épées & des ongles ? Cette
parole les ranime , ils reviennent à la
charge , & repouffent ceux qui les
avoient mis en fuite.
Le Duc de Montmorenci bat , en1625 ,
la Flotte des Huguenots , près de l'Ifle
90 MERCURE DE FRANCE .
de Rhé , & reprend cette Ifle dont ils
s'étoient emparés. Le Vainqueur demande
le gouvernement de fa conquête
, comme la récompenfe de l'important
fervice qu'il vient de rendre .
Le brave Toiras lui eft préféré . Bienloin
d'en témoigner quelque reffentiment
, Montmorenci abandonne pour
plus de cent mille écus de munitions
qui lui appartiennent légitimement
comme Amiral . On veut faire appercevoir
au Duc que c'eft un trop grand
facrifice : Je ne fuis pas venu ici pour
gagner du bien , répond-il , avec fierté ,
mais pour acquérir de la gloire.
Les Miniftres de Guftave Adolphe ,
veulent le détourner , en 1630 , de la
guerre d'Allemagne , fous prétexte qu'il
manque d'argent. Les pays que je vais
attaquer , dit-il , font riches & efféminés,
mes armées ont du courage & de l'intelligence
; elles arboreront un étendart chez
l'ennemi qui payera mes Troupes.
Le grand Guftave revenant un jour
d'une attaque , où il avoit été expofé
cinq heures de fuite à un feu terrible ,
Gaffion lui dit que , les François verroient
avec déplaifir leur Souverain courir
SEPTEMBRE. 1762. 91
d'auffi grands rifques. Les Rois de
France , répondit Guftave , font de
Grands Monarques ; & moi je fuis un
Soldat de fortune.
L'Empereur fe plaint de n'avoir pas
de quoi payer fes armées . Je ne vois à
ce malheur qu'un reméde , dit Walſtein,
c'eft de les doubler. Eh ! comment pourrois-
je entretenir cent mille hommes ,
replique Ferdinand , puifque je fuis
hors d'état d'en entretenir cinquante
mille ? Cinquante mille , reprit l'habile
Général , tirent leur fubfiftance du Pays
ami , & cent mille la tireroient du Pays
ennemi.
Le Peuple de Bordeaux s'étant révolté,
pour une nouvelle impofition qui lui
déplaifoit beaucoup , le Duc d'Epernon ,
Gouverneur de la Guienne , prend les
armes pour faire rentrerles Mécontens
dans leur devoir. Un Charpentier , qui
combat à la tête de ceux de fa profeffion
, ayant reçu à la défenfe d'une barricade
, un coup de feu qui lui caffe le
bras , entre dans la boutique d'un Chirurgien
, achève de faire couper fon
bras , qui n'eft foutenu que par la peau,
fait mettre un premier appareil fur fa
92 MERCURE DE FRANCE .
bleffure , & fe porte à l'inftant à une
autre barricade , qu'il défend avec beaucoup
de réfolution ,
Forcé dans ce nouveau pofte , il eft
préfenté à d'Epernon , qui , né avec une
grande fenfibilité pour tout ce qui eft
grand , prend un foin extrême d'un
homme qui vient de faire des chofes fi
héroïques. Cet homme extraordinaire
commençoit à guérir , lorſqu'ayant entendu
de fon lit le bruit d'une nouvelle
fédition , il va ſe mettre à la tête de fa
Troupe , où il fait , à ſon ordinaire , des
prodiges. Malheureufement il meurt peu
de jours après d'une fiévre continue
occafionnée par les efforts qu'il a faits.
Il n'y auroit rien au deffus des actions
qu'on vient de lire , fi le motif en étoit
louable.
En 1636, les Efpagnols entrepren→
nent de paffer la Somme , pour porter
la guerre jufqu'aux portes de Paris.
Puifégur eft chargé de leur difputer le
paffage avec peu de monde. Le Comte
de Soiffons , Général de l'Armée Françoife
, craignant avec raifon qu'il ne
foit écrafé , lui envoie dire de fe retirer ,
s'il le juge à propos. Monfieur, répond
Puifégur à l'Aide de Camp , un homme.
1
SEPTEMBRE. 1762 . 93
commandé dans une action périlleufe
comme eft celle-ci , n'a point d'avis à donner.
Jefuis venu par ordre de M. le Com
te ; je n'en fortirai pas , à moins qu'il
ne me l'envoie commander.
Le Maréchal de Toiras fut tué en
1636 , devant la fortereffe de Fontanette
dans le Milanès . Après qu'il eut
expiré , les Soldats trempoient leurs
mouchoirs dans le fang de fa plaie , difant
que tant qu'ils les porteroient fur
eux , ils vaincroient leurs ennemis,
Lorfque les Portugais eurent fecoué
en 1640 le joug de l'Eſpagne , la guerre
commença entre les deux Nations. Les
Efpagnols qui entrent les premiers en
campagne , ravagent des terres , pillent
des églifes , maffacrent des enfans , emménent
prifonniers quelques habitans.
Ils s'en retournoient fans ordre & fans
difcipline , jouant de plufieurs inftrumens
qu'ils avoient pris à des Bergers
& à des Laboureurs, Inutilement leur
Commandant leur crie : Vous chantez
trop tôt votre fupériorité ; on n'eft jamais
sûr d'être vainqueur tant qu'on eft
fur les terres de l'Ennemi. On n'écoute
rien. Mais bientôt après on apperçoit
94 MERCURE DE FRANCE.
les Portugais , & les chants fe changent
en trifteffe. Quittez maintenant vos guitarres
& vos flutes , leur dit leur Chef:
il ne s'agit plus de chants ni de fons ,
ilfaut combattre des hommes ; montrezvous
donc braves & courageux. Ce difcours
eft à peine fini , qu'ils font chargés
, taillés en piéces & mis en fuite.
Pour cacher leur honte en Eſpagne, ils
montrent les oreilles de leurs Compatriotes
tués dans les différentes actions
qui fe font paffées , affurent bien fort
qu'ils les ont coupées à des Portugais ;
on n'en veut rien croire ; & un Chanoine
de Bajados homme d'efprit leur dit
qu'ils auroient beaucoup mieux fais de
rapporter les armes de leurs ennemis que
leurs oreilles , parcequ'on ne peut pas les
diftinguer de celles des Caftillans .
L'hiftoire a beaucoup parlé du terrible
combat que le Grand Condé à la tête
des Mécontens , foutint en 1652 dans
le Faubourg Saint Antoine , contre les
troupes Royales commandés par Turenne
Il eft fingulier que la plus remarquables
de cette mémorable journée,
ait été oubliée .
Les Mécontens fatigués d'une action-
très vive , très-opiniâtre , très -fanSEPTEMBRE
. 1762 . 95
glantes , & ne pouvant plus balancer des
forces trop fupérieures , lâchent pied ,
fans qu'il foit poffible , ni de les
rallier , ni de leur faire tourner viſage .
Condé prend le parti de monter à cheval
, de gagner la tête des fiens qui
s'enfuyent en confufion dans la grande
rue , & de marcher ainfi avec eux , comme
s'il prenoit réellement le même parti.
Lorfque d'un pas grave , & à la
tête de ces foldats qui fe formoit peuà-
peu , le Prince eft arrivé vers les Halles ,
il tourne tout d'un coup ceux qui
le fuivent tournent comme lui par une
converfion à droite ; de forte que par
ce mouvement , cette maffe d'infanterie
fe trouve tout d'un coup en face
& à la vue de l'ennemi victorieuxqui
eft fort étonné de fe voir chargé
lorfqu'il croit la journée finie . Condé
croyoit devoir fon falut à cette belle
manoeuvre,ainfi qu'il l'a dit plufieurs fois
à Caderouffe de qui Folard le tenoit .
,
Turenne attaque Saint-Venant en
1657 ; il fuffit pour en faire lever le
Siége , de prendre un convoi , qui , efcorté
feulement par trois efcadrons
va de Béthune à l'Armée Françoife ; le
>
fuccès eft facile & infaillible mais la
96 MERCURE DE FRANCE.
mauvaiſe police introduite dans le cam
Efpagnol , empêche même qu'on ne
tente.
Dom Juan d'Autriche qui comman
de l'Armée , & le Marquis de Caraçenne
qui eft chargé de la diriger , dorment
tous les jours dans leur caroff
après le diner , fuivant lufage de leur
pays . Le convoi paffe pendant leur fommeil
; & tel eft l'orgueil du Cérémonial
qu'ils font obferver , que perfonne ne
veut prendre fur foi de les éveiller . Le
Prince de Ligne qui eft à la tête de la
Cavalerie , n'ofe rien entreprendre, parce
que dans les principes alors établis
en Eſpagne , il s'expofe à avoir le cou
coupé , même en réuffiffant , s'il attaque
fans ordre ; & que rien ne peut le fauver
, s'il a le malheur de recevoir un
échec .
Le Marquis de Marialve , Général
Portugais , remporte à Elvas , en 1659,
une victoire complette fur les Efpagnols
. Dans l'ivreffe de ce grand fuccès,
il affemble tous les Prifonniers qu'il vient
de faire , & leur tient ce langage.
» Votre défaite dépofe , Meffieurs ,
» contre la juftice de vos prétentions.
» Quelle que foit votre conviction , il
» vous
SEPTEMBRE . 1762 . 97
» vous eft libre de retourner dans votre
" Patrie. Souvenez-vous que , tout au-
» tant de fois que l'envie vous prendra
» de retourner en Portugal , vous ferez
" battus & chaffés. Adieu .
Marialve , dans la lettre qu'il écrit
à fa femme , foutient ce ton fanfaron.
Il lui exagère l'importance & la grandeur
de l'avantage qu'il vient de remporter
, & l'affure qu'on n'en a pas eu
d'auffi décifif contre les Espagnols ,
depuis la fondation de la Monarchie.
La Marquife , qui eft naturellement
très-fière , fe contente d'écrire à fon
mari , pour toute réponſe : Si vous en
euffiez moins fait , je ne vous aurois jamais
vu.
Les Hollandois avoient formé un
etabliffement très - confidérable dans
l'ifle Formofe .Le Chinois Coxinga arme
pour les en chaffer , & prend à la defcente
Hambroeck leur Miniftre. Choifi
entre les prifonniers pour aller au Fort de
Zélande déterminer les Affiégés à capituler
, il les exhorte à tenir ferme , &
leur prouve qu'avec beaucoup de conftance
ils forceront l'Ennemi à fe retirer.
La garnifon , qui ne doute pas que
E
98 MERCURE DE FRANCE .
camp ,
cet homme généreux , de retour au
ne foit maffacré , fait les plus
grands efforts pour le retenir. Ces inftances
font tendrement appuyées par
deux de fes filles qui font dans la Place.
J'ai promis , dit-il , d'aller reprendre mes
fers ; il faut dégager ma parole . Jamais
on ne reprochera à ma mémoire que ,
pour mettre mes jours à couvert , j'ai appefanti
le joug &peut- être caufé la mort
des compagnons de mon infortune. Après
ces mots énergiques , il reprend tranquillement
le chemin du camp Chinois .
Nous rendrons compte le mois prochain
, du troifiéme volume de cet agréa
ble Ouvrage.
ÉPITRE à MIN ETTE ; par M. C***,
A Paris , chez Charpentier, Libraire ,
Quai des Auguftins , à l'entrée de la
rue du Hurepoix , à S. Chryfoftome,
1762. Brochure in- 8° .
ILL paroît que M. C *** griévement
,
offenfé des critiques faites contre quelques-
uns de fes Ouvrages , a voulu s'en
venger dans une Epître qu'il adreffe à
SEPTEMBRE . 1762. 99
fon chat. Il reprend d'abord avec bonté,
dans cet animal , cette inclination malfaifante
qui le porte à égratigner fon
Maître. Il lui repréfente enfuite , que le
pouvoir de mal faire n'eft pas une chofe
fi rare ; & que lui -même , M. C ***
tout bon qu'il eft , pourroit bien traiter
fes critiques , comme fon chat traite
les fouris ; il ajoute :
Répondez -moi , penſez - vous que moi-même ,
(Moi qui fuis bon , puiſqu'enfin je vous aime )
Oui , répondez , dites - moi , penſez- vous
Qu'environné de critiques jaloux ,
Je ne pourrois comme eux plein d'amertume ,
A fon caprice abandonner ma plume ?
Si en effet M. C *** uſe envers eux
de modération , c'eſt qu'il s'eſt accoutumé
de bonne heure à fe vaincre luimême.
Grâces aux foins , qui depuis mon enfance ,
Ont de mes fens dompté la violence ,
Je ris en paix de l'orage & des Sots.
Il ne faut pourtant pas que l'on
imagine pouvoir abufer de cette patience
pour l'outrager impunément . Il veut
bien diffimuler les premieres critiques ;
Mais cependant l'Abeille courroucće
E ij
98 MERCURE
DE FRANCE
.
cet homme généreux , de retour au
camp , ne foit maffacré , fait les plus
grands efforts pour le retenir. Ces inftances
font tendrement appuyées par
deux de fes filles qui font dans la Place,
J'ai promis , dit-il , d'aller reprendre mes
fers ; il faut dégager ma parole. Jamais
on ne reprochera à ma mémoire que ,
pour mettre mesjours à couvert , j'ai appefanti
le joug & peut-être caufé la mort
des compagnons de mon infortune. Après
ces mots énergiques , il reprend tranquillement
le chemin du camp Chinois.
Nous rendrons compte le mois pro
chain , du troifiéme volume de cet agréa
ble Ouvrage.
ÉPITRE à MINETTE ; par M. C***,
A Paris , chez Charpentier, Libraire ,
Quai des Auguftins , à l'entrée de la
rue du Hurepoix , à S. Chryfoftome,
1762. Brochure in- 8° .
ILL
paroît que M. C *** , griévement
offenfé des critiques faites contre quelques-
uns de fes Ouvrages , a voulu s'en
venger dans une Epître qu'il adreffe à
SEPTEMBRE. 1762. 99
fon chat . Il reprend d'abord avec bonté,
dans cet animal , cette inclination malfaifante
qui le porte à égratigner fon
Maître. Il lui repréſente enfuite , que le
pouvoir de mal faire n'eft pas une chofe
fi rare ; & que lui - même , M. C ***
tout bon qu'il eft , pourroit bien traiter
fes critiques , comme fon chat traite
les fouris ; il ajoute :
Répondez-moi , penfez - vous que moi- même ,
(Moi qui fuis bon ,fpuifqu'enfin je vous aime )
Oui , répondez , dites - moi , penfez- vous
Qu'environné de critiques jaloux ,
Je ne pourrois comme eux plein d'amertume,
A fon caprice abandonner ma plume ?
Si en effet M. C *** uſe envers eux
de modération , c'est qu'il s'eft accoutumé
de bonne heure à fe vaincre luimême.
Grâces aux foins , qui depuis mon enfance ,
Ont de mes fens dompté la violence ,
Je ris en paix de l'orage & des Sois .
l'on
Il ne faut pourtant pas que
imagine pouvoir abufer de cette patience
pour l'outrager impunément. Il veut
bien diffimuler les premieres critiques ;
Mais cependant l'Abeille courroucće
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
A la vengeance eft quelquefois forcée.
Lorfqu'elle va pomper le fuc des fleurs ,
Et du matin mettre à profit les pleurs ,
Souvent un Sot qui la fuit à la trace ,
Dans fes travaux l'interrompt & l'agace.
L'Abeille alors prend l'humeur du Frélon
Sur l'importun darde ſon aiguillon ,
Et dans un coin bientôt notre Imbécille ,
Trifte & confus maudit la volatille.
>
Une chofe furtout qui indigne avec
raifon M. C *** , c'eft de voir qu'on attaque
fes écrits , lors même qu'il les
travaille avec le plus de foin.
Quoi , dans le temps où j'ufe mes efprits
A raifonner , à polir mes écrits ,
Un imprudent qui n'a d'autre mérite
Que le levain de fa bile maudite ,
Et qui femblable aux reptiles obfcurs
Dans un recoin vomit fes fucs împurs ,
Un vil Zoile ofera dans fa rage
Secrettement déchirer mon ouvrage?
Cet Ouvrage que M. C *** fe plaint
qu'on a déchiré, eft un Poëme fur les vaiffeaux.
A cette idée fon dépit fe réveille
& il menace fes Critiques de les
peindre avec les plus noires couleurs ;
mais fon courroux s'appaiſe à l'inftant
SEPTEMBRE. 1762. 101
& la douceur de fon carêtère le porte
à oublier cette offenfe.
Tout efprit doux ſe borne à menacer ;
Le glaive eft prêt ; mais il craint de bleſſer.
De là l'Auteur fait une digreffion fur
les querelles qui divifent la République
des Lettres . Il peint enfuite les cabales
que font contre les Piéces nouvelles ,
tous ces petits Auteurs dont regorgent
certains Caffés de Paris. Mais ceux aufquels
en veut furtout M. C *** , ce font
nos Ecrivains en Profe , qui n'ont pas
pour la Poëfie ce refpect & cette vénération
dont font pénétrés les véritables
enfans d'Apollon.
Ils n'aiment point ces nobles fictions ,
Ce mouvement , ces nobles paffions ,
Ces traits hardis , ces fougues téméraires ,
Du vrai Poëte élans involontaires ;
Ils n'aiment point ces mots de qui le choix ,
De qui les fons arrondis par la voix ,
En châtouillant notre oreille charmée ,
Donnent la vie à l'image exprimée.
M. C *** prétend que ces mêmes
hommes , fi ennemis de la bonne Poëfie,
protégent & accueillent favorablement
les Poëtes fubalternes. Cela ne paroît
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
guère vraisemblable ; & c'eft moins contre
la Poëfie en général , que contre les
mauvais Poëtes , que quelques-uns de
nos Profateurs ont quelquefois invectivé.
ODE SUR LA POÉSIE , comparée à
la philofophie ; par M.COLARDEAU,
A Paris, chez Charpentier , Libraire ,
quai des Auguftins , à Saint Jean
Chryfoftome. 1762. Brochure in-4° .
C'EST encore la défenſe de la Poëfie
qu'entreprend ici M. Colardeau , contre
les détracteurs ( s'il eft vrai qu'il y en ait
parmi nons ) de cet Art fublime : il
commence par une Peinture des Moeurs
barbares & fauvages qu'il fuppofe aux
premiers hommes vivant dans les forêts.
S'ils fe font policés dans la fuite , ce
n'eft point à la Philofophie qu'ils ont
cette obligation , dit M. Colardeau ;
c'eft à la Poëfie.
Vous qui de vos leçons nous vantez la ſageſſe ,
Philofophes fi fiers , Mortels fi dédaigneux ,
Eſt-ce par vos travaux , que l'homme plus heureux
,
De fes fauvages moeurs adoucit la rudeffe ?
SEPTEMBRE. 1762. 103
Vintes-vous , attendris fur le fort des humains ,
Organes infpirés de l'Arbitre ſuprême ,
Démontrer l'homme à l'homme ignoré de luimême
?
Du fceptre de la Terre ornâtes- vous ſes mains ?
Ces prodiges , dont M. Colardeau ne
croit point la Philofophie capable , ont
été opérés par la Poëfie.
O Mufe , ce fut toi qui par des noeuds fi purs
Reunis les humains fous la lyre d'Orphée ;
Et Thébes ton ouvrage & ton plus beau trophée,
Aux accords d'Amphion vit élever les murs ,
Homère vient ; le feu de fon puiſſant génie
Une feconde fois féconde l'Univers.
Ce mortel Créateur jufqu'au fond des Enfers
Etend & va porter le germe de la vie.
Quel éffor pourroit fuivre un deffein ſi hardi ?
Il franchit d'un feul fault les colonnes d'Alcide ;
Et le monde embraſé dans un vol plus rapide ,
A, par des fictions , befoin d'être aggrandi .
Toutes ces fictions fi nombreuſes dans
Homère , forment le fujet de plufieurs
ftrophes de l'Ode de M. Colardeau . C'eft
une espéce d'Abrégé de l'Hiftoire Poëtique
, dont chaque trait eft , pour ainfi
E iv
104 MERCURE DE FRANCE .
dire , renfermé dans autant de vers.
Viennent enfuite de nouvelles invectives
contre les Philofophes. Quoi , leur
dit l'Auteur ,
Quoi ! votre orgueil jaloux des plus belles couronnes
,
Les arrache du front des plus grands Ecrivains !
Vous fouillez leurs tombeaux ; & vos prophanes
mains
Du Temple de la Gloire ébranlent les colonnes !
M. Colardeau oppofe les grands
biens que la Poëfie a produits , aux
maux réels qu'il attribue à la Philofophie.
Alexandre a été le Diſciple
d'Ariftote. Quel fut l'effet des fages leçons
de ce Philofophe , demande M. Colardeau
? Il répond :
Ce Héros forcené va ravager la terre ;
Er l'Eléve d'un Sage eft un Brigand fameux.
Au lieu que les leçons de Virgile &
d'Horace ont fait du cruel Octave le
Prince le plus humain.
Eft-ce là cet Oftave entouré de bourreaux ,
Qui d'un foible Sénat renverfant les faiſceaux ,
Sous un fceptre de fer fit gémir fa patrie ?
SEPTEMBRE. 1762 . 105
Tout eft changé ! Je vois le plus grand des Céfars
,
Cet Augufte , l'ami des Enfans du Parnaſſe ,
Qui fenfible aux accords de Virgile & d'Horace ,
Donne la paix au Monde , & fait régner les Arts '
Ceux qui trouveront de l'exagération
dans l'Ode de M. Colardeau , ainfi
que dans l'Epître à Minette , ne manqueront
pas de l'attribuer au génie de
la Poëfie , qui admet volontiers les hyperboles.
Il y a d'ailleurs dans ces deux
Piéces, furtout dans l'Epître, de la Poëfie
des tirades agréables.
ANNONCES DE LIVRES.
>
ARCHITECTURE PRATIQUE , qui
comprend la conftruction générale des
Bâtimens ; le détail , le toifé & devide
chaque partie , fçavoir Maçonnerie
Charpenterie , Couverture , Menuiferie ,
Serrurerie , Vitrerie , Plomberie , Peinture
d'Impreffion , Dorure , Sculpture
Marbrerie , Miroiterie , Poëlerie & c.& c
avec une explication & une conférence
des 36 Articles de la Coutume de Paris
fur le titre des fervitudes & rapports qui
concernent lesBâtimens , & de l'Ordonnance
de 1673. par M. Bullet, Archite&te
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
du Roi, & de l'Acad . Royale d'Architecture.
Edition nouvelle , revue & corrigée
avec foin : confidérablement augmentée
, fur-tout des détails éffentiels à
l'uſage actuel du Toifé des Bâtimens ,
aux Us & Cout. de Paris , & aux Rég.
des Mémoires ; & à laquelle on a joint
un tarif & comptes faits de toute forte
d'ouvrages en Bâtimens , & un Tarif
pour connoître le poids du pied de fer ,
fuivant fes différentes groffeurs. Par
M. *** , Architecte , ancien Inſpecteur-
Toifeur de Bâtiment. Ouvrage très-utile
aux Architectes & Entrepreneurs,à tous
Propriétaires de maifons , & à ceux qui
veulent faire bâtir. Vol. in -8 ° . de plus de
600 pages. Prix , 5 l . 10 f. relié en veau ;
Paris , 1762. Chez Hériffant , à S. Paul
& à S. Hilaire ; Savoye , à l'Efpérance ;
Durand, rue du Foin, au Griffon ; Nyon,
'à l'Occafion ; Barrois , à la ville de Nevers
; veuve Damonneville & Mufier
fils ; de Bure fils , à la Bible d'or ; Didot
frères ; Marin Saugrain , au Lys d'or ;
Babuty fils , à l'Etoile, Libraires, quai des
Aug. Avec Approbation & Privilége.
DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE ,
ou Introduction à la connoiffance de
l'homme , nouvelle Edition , revue,corSEPTEMBRE.
1762. 107
rigée & augmentée confidérablement .
Felix , qui potuit rerum cognofcere caufas !
In- 8°. Paris , 1762. chez Durand , rue
du Foin , au Griffon ; & chez Guillyn ,
quai des Auguftins , au Lys d'or.
Cet Ouvrage , dont la premiere édition
a paru utile , a été retouché &
augmenté de plus de la moitié ; de forte
qu'on peut le regarder comme un Ouvrage
nouveau.
CORPS D'OBSERVATIONS de la
Société d'Agriculture , de Commerce &
des Arts , établie par les Etats de Bretagne.
Années 1759 & 1760. In-8°. Paris
, 1762. Chez la veuve Brunet , Imprimeur
de l'Académie Françoife, grande
Salle du Palais , & rue baffe des Urfins.
N. B. Afin que cet Ouvrage très- eſti.-
mable puiffe être à la portée de tout le
monde , on en a fait une autre Edition
in-12 , dont le prix eſt de 30
f. broché .
VOYAGES de Gulliver , traduit
par M. l'Abbé des Fontaines. Nouv.
Edition , en deux jolis volumes in- 16.
Paris , 1762. Chez la veuve Damonneville
& Mufier fils , quai des Auguftins ,
au coin de la rue Pavée , à S. Etienne.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE .
Cet agréable Ouvrage du célébre Docteur
Swift , Anglois , étoit devenu rare ,
& cette nouvelle Edition ne pourra probablement
qu'être bien reçue du Public .
NOUVELLE VERSION DES
PSEAUMES, faite fur le Texte hébreux ;
avec des argumens & des notes , qui en
développent le double fens littéral , & fe
fens moral. Par les Auteurs des Principes
difcutés.
Subfequigrandia noſtra lux
Non nova , fed novè .
"
In- 12. Paris , 1762. Chez Claude Herriffant
, Libraire-Imprimeur , rue Notre-
Dame . Nous nous trouvons forcés
de remettre au Mercure prochain le
compte que nous comptions rendre dans
celui- ci de ce fçavant Ouvrage.
DE LA SANTÉ. Ouvrage utile à
tout le monde.
Si tibi deficiant Medici , medici tibi fiant
Hac tria , mens hilaris , requies moderata , diata
Schol. Salert.
In-12. Paris , 1762. Chez Durand , Libraire
, rue du Foin , la premiere Porte
SEPTEMBRE. 1762, 109
cochère à droite , en entrant par la rue
S. Jacques .
"
,
FABLES NOUVELLES divifées en
fix Livres . In- 16. Paris , 1762. Chez
Brocas & Humblot , Libraires rue S.
Jacques , au- deffus de la rue des Mathurins
, au Chef S. Jean . L'Auteur anonyme
de ces Fables nous paroît avoir du
naturel & de la facilité . Nous parlerons
plus amplement , dans le Mercure prochain
, de ce nouvel Ouvrage.
LE CAPRICE , ou l'Épreuve dangereufe
, Comédie en trois Actes en Profe.
Par M. Renout. Repréſentée pour la premiere
fois par les Comédiens ordinaires
du Roi , le 28 Juin 1762. A Paris ,
chez Rozet , Libraire , rue S. Severin ,
au coin de la rue Zacharie , près la rue
de la Harpe , à la Rofe d'or.
›
NOUVEAU TRAITÉ d'Archite&ture
concernant les chapiteaux tant antiques
que modernes des cinq ordres
d'Architecture , les Plans en grand , & la
facilité de les pratiquer aifément vus de
face ou d'angles , de façon que les Éléves
de peu d'expérience dans cet Art
puiffent entreprendre à coup für de ré110
MERCURE DE FRANCE.
duire lefdits chapiteaux de tel le grandeur
qu'ils trouveront convenable , fans
autre fecours que celui de ce Livre.
Volume in-4°. grand papier , fe vend
chez la Veuve François Chereau, rue S.
Jacques ; chez l'Auteur , ( M. Dupuis
Architecte) à Versailles , Hôtel Urbin ,
proche celui des Gendarmes , avenue
de Paris. Prix , 31. 10 f. broché.
MÉMOIRES deMiff Sidney Bidulphe ,
extraits de fon Journal & c. Edition
d'Hollande , en 3 vol . in- 8°. Prix , 7 liv.
10 f. Se trouvent chez Duchefne, Libraire,
rue S. Jacques , au Temple du Goût.
C'eft , pour le fond , le même Ouvrage
que les Mémoires pourfervir à l'Hiftoire
de la Vertu , traduits par M. l'Abbé
Prevoft , & dont nous avons donné
l'Extrait dans le premier vol. du Mercure
de Juillet 1762.
LES CONTES DE BOCACE , vol.
5
in -8°. 1757. édition magnifique , enrichie
d'Estampes , Vignettes , Culs - delampe
, & c .
, Le fieur Charpentier , Libraire
quai des Auguftins , à S. Chryfoftôme ,
donne avis au Public qu'il a acquis un
nombre affez confidérable d'ExemplaiSEPTEMBRE
. 1762 111
res de cette édition , tant en Italien qu'en
François , fur papier d'Hollande , &
fur de très beau papier d'Auvergne,
Grand-raifin .
-
INSTRUCTION Criminelle fuivant
les Loix & Ordonnances du Royaume,
divifée en trois Parties. Partie premiere :
Inftruction fuivant l'Ordonnance de
1670 , & les Déclarations rendues en
conféquence. Partie feconde : Inftruction
fuivant la nouvelle Ordonnance de
1737 , fur le Faux Principal , le Faux
Incident & la Reconnoiffance des Ecritures
& Signatures privées , en Matiere
Criminelle. Partie troifiéme Inftruction
Conjointe entre le Juge d'Eglife &
le Juge Royal , pour le Cas Privilégié.
Par M. Muyart de Vouglans , Avocat
au Parlement. Pour fervir de fuite
aux Inftitutes au Droit Criminel &
au Traité des Crimes , du même Auteur.
A Paris , chez Deffaint & Saillant
, rue S. Jean de Beauvais. Briaffon
, rue S. Jacques . Savoye , rue S.
Jacques. Le Breton , rue de la Harpe.
Ganeau , rue S. Severin. Durand , rue
du Foin. La Veuve Rouy au Palais.
Cellot , au Palais. 1762. Avec Approtion
& Privilége du Roi.
112 MERCURE DE FRANCE.
AVERTISSEMENT
DE L'AUTEUR.
J'ai rendu compte dans la Préface qui
eft à la tête de mes Inftitutes au Droit
Criminel , du Plan que je me propofois
de garder dans les trois Parties qui
compofent ce fecond Volume. L'aije
exactement rempli ? C'eſt au Public
à enjuger. Tout ce que je puis affurer ,
c'est que je n'ai rien négligé pour me
mettre en état de le fatisfaire , & de
répondre à l'empreffement qu'il a bien
voulu témoigner pour la continuation
de mes premiers Travaux.
C'est dans cette vûe que j'ai tâché
de préfentér tous les Articles de l'Ordonnance
qui fait l'objet de la premiere
partie , dans le jour qui m'a paru
le plus prope à en faire connoître
l'Efprit , en expofant d'abord (comme
on peut le voir par les Sommaires qui
font à la tête de chacun de ces Articles)
les motifs qui y ont donné lieu
les Exceptions aux Régles générales
qu'ils établiffent , leur conformité ou
différence avec d'autres Articles de la
même Loi , ou avec les difpofitions des
Loix particuliéres qui l'ont fuivi , notamment
la Déclaration de 1731 , pour
SEPTEMBRE. 1762. 113
les Cas Prévôtaux ; en difcutant enfuite
les Questions qu'ils peuvent faire
naître , & rapportant les décisions de
MM. les Chanceliers qui ont été confultés
à ce fujet ; enfin , en marquant
l'ordre de la Procédure qui doit être
gardée dans leur exécution , & même
en y joignant , pour faciliter cette
éxécution , des Formules confacrées
par l'ufage.
A l'égard de la feconde Partie , quoije
ne l'aye pas travaillée avec moins de
foin que la premiere , je n'ai pû y futivre
tout-à-fait la même méthode ; &
l'on en conçoit aifément la raiſon . La
nouvelle Loi qui en eft l'objet , eft ,
comme l'on fçait , l'Ouvrage d'un des
plus grands Magiftrats que la France
ait eu ; elle ne roule uniquement que
fur la Procédure ; elle eft bornée à l'inftruction
d'un Crime particulier ; elle
eft elle-même un Commentaire de
toutes les Loix qui ont été rendues fur
la même matiére ; en un mot , elle n'a
été faite que pour remplacer les Titres
VIII & IX de l'Ordonnance de
1670 , à laquelle il faut par conféquent
s'en rapporter pour le furplus . Il ne me
reftoit donc , pour faciliter l'intelligence
& l'application des Principes qui font
114 MERCURE DE FRANCE.
>
établis par cette Loi , qu'à conférer
fes Difpofitions entr'elles ou avec
celles de l'Ordonnance de 1670 ; & à
donner des modéles des Actes éffentiels
de la Procédure qu'elle préfcrit.
C'eft auffi ce que j'ai tâché de faire
avec toute la clarté & la précifion que
la matiére pouvoit comporter.
Enfin
quant à la troifiéme
partie
qui
concerne
l'inftruction
conjointe
, j'efpére
que l'on me fçaura
gré de l'exactitude
& de l'impartialité
avec laquelle
j'ai
traité
une matière
auffi délicate
& auffi
compliquée
. J'aurois
fouhaité
pouvoir
concilier
la rigueur
des principes
&
des autorités
, dont j'y fais ufage , avec
les intérêts
refpectifs
des parties
que cette
matiére
peut regarder
. Je ne diffimulerai
même
point que pénétré
comme
je le fuis , de la médiocrité
de mes
talens
, j'aurois
volontiers
évité
cette
difcuffion
, fi elle n'avoit
été une fuite
inféparable
de l'engagement
que j'avois
contracté
envers
le Public
de lui donner
un Corps
entier
du Droit
Criminel
.
SEPTEMBRE . 1762. 115
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES
ACADEMIE S.
PRIX d'Eloquence pour l'Année 1763.
LEE vingt - cinquième jour du mois
d'Août 1763 , Fête de S. LOUIS , l'ACADÉMIE
FRANÇOISE donnera un
Prix d'Eloquence , qui fera une Médaille
d'or de la valeur de fix cens livres . *
Quoique l'Académie ne fe foit pas
fait une loi de donner toujours pourfujet
l'Eloge d'un homme illuftre , elle
propofe pour l'année prochaine , l'Eloge
de MAXIMILIEN DE BETHUNE ,
DUC DE SULLY , Surintendant des
Finances.
Il faudra que le Difcours ne foit que
d'une demi - heure de lecture ; & l'on
n'en recevra aucun fans un Approbation
fignée de deux Docteurs de la Fa-
* Le Prix de l'Académie eft formé des fondations
réunies de MM. de Balzac , de Clermont-
Tonnerre Evêque de Noyon , & Gaudron .
116 MERCURE DE FRANCE.
té de Théologie de Paris , & y réfidans
actuellement.
Toutes perfonnes , excepté les Quarante
de l'Académie , feront reçues à
compofer pour le Prix.
Les Auteurs ne mettront point leurs
noms à leurs Ouvrages , mais ils y mettront
une Sentence ou Devife telle
qu'il leur plaira .
Ceux qui prétendent au Prix , font
avertis que s'ils fe font connoître avant
le jugement , foit par eux-mêmes , foit
par leurs amis , ils ne concourront point.
Les Ouvrages feront remis avant le
premier jour du mois de Juillet prochain
à la Veuve de B. Brunet , Imprimeur de
l'Académie Françoife , rue baffe de
l'Hôtel des Urfins ; ou au Palais : & fi
le port n'en eft point affranchi , ils ne
feront point retirés .
SÉANCE publique de l'Académie
Royale de Nifmes.
LE 28 Mai , l'Académie tint ſa ſéance
publique dans la Salle de l'Hôtel-de-
Ville .
M. Vincens Directeur ouvrit la Séance
par un Difcours fur ce fujet : Combien
SEPTEMBRE. 1762. 117
l'humanié est néceſſaire aux Gens de
Lettres.
M. de Rochefort reçu dans l'Affemblée
précédente, fic fon remercîment, auquel
M. Vincens répondit.
M. de Mallip prononça l'Eloge funébre
de M. le Préfident de Dions.
M. de Rochefort lut le vingt - deuxiéme
Livre de l'Iliade , traduit par lui en
Vers François.
M. Razoux termina la Séance par des
Obfervations fur l'Inoculation .
Nous allons donner l'Extrait du Dif
cours par lequel nous avons dit que M.
Vincens avoit ouvert la féance .
L'humanité , cette vertu propre à
donner au génie la plus grande activité ;
aux lumières , la direction la plus noble
& la plus utile ; aux Difcours & aux
Ecrits , les graces & la perfuafion , a
droit de régner fur les coeurs , & de
préfider aux Ouvrages des Gens de
Lettres , de cette Claffe d'Hommes auxquels
un génie élevé , de vaftes connoiffances
, l'art de parler & d'écrire ,
une gloire fuperieure à tout ce qu'on
appelle rang , honneurs , emplois , dignités
, ont acquis l'empire des efprits
& des coeurs . Cette vertu leur eft né-
18 MERCURE DE FRANCE.
effaire , foit par rapport à la perfection
de leurs ouvrages ; foit par rapport à
l'influence qu'ils ont fur les moeurs.
Le Méchant n'eft point fait pour le
commerce des Mufes. Mille foucis l'agitent
fans ceffe ; mille craintes le tourmentent
: » comment le goût des Let-
» tres pourroit-il germer au milieu de ces
anxiétés ? Une terre couverte de
» buiffons & d'épines feroit- elle propre
" à nourrir ces fleurs éclatantes, qui em-
" belliffent nos jardins ?
» C'eſt à l'homme vertueux que les
» Mufes réfervent leurs faveurs ; & par-
» miles vertus , c'eft l'humanité qu'elle
» préfére. L'Homme de Lettres en qui
» l'amour du genre humain domine , eft
» leur plus cher favori . Livré par état à
» la contemplation & à l'étude , la dou-
» ce férénité , inféparable d'une âme
» bienfaifante , entretient dans fon
» coeur ce calme profond qui lui eft fi
» néceffaire pour le rendre maître de
» fes idées ; pour en examiner toutes les
» faces ; pour en faifir tous les rapports.
» Ami , fectateur de la vérité , jamais les
» nuages tumultueux des paffions ne la
» dérobent à fes yeux ; s'il veut inftruire,
» fes préceptes , qu'un tendre intérêt
»femble toujours dicter , convainquent
SEPTEMBRE. 1762. 119
l'efprit & pénétrent jufqu'au coeur; s'il
» veut plaire , la nature n'offre à fon
» imagination , que des images riantes
» & animées ; s'il veut perfuader , la
» franchife & les graces viennent fe
placer fur fes lévres dans tous les
» genres , Orateur , Philofophe, Hifto-
» rien , Poëte , il n'a qu'à épancher fon
» coeur dans fes Ecrits , pour intéreffer
» & pour plaire .
L'efprit ne fçauroit atteindre à de
pareils fuccès. Si le coeur ne l'infpire , ſa
froide lueur peut bien féduire un inftant
, mais l'ennui la remplace bien- tôt,
Dans l'Art oratoire , c'eſt le fentiment
qui donne ce mouvement , cette action ,
cette chaleur néceffaires pour toucher
pour émouvoir , pour entraîner. » L'ef
» prit éclaire l'intelligence , par une mé-
» thode lumineufe ; mais fa marche eſt
» tardive , fa gradation eft lente : le fen-
» timent pénétre, enléve le coeur ; & cet
» Art , que l'efprit ne fait qu'indiquer
» froidement , il l'infpire par un enthou-
» fiafme victorieux .
C'eſt le fentiment qui donne au Philofophe
cette éloquence douce , affectueufe
, qui cache le maître fous les
traits de l'ami fenfible , & donne au
précepte le ton de la tendre humanité,
120 MERCURE DE FRANCE.
C'est l'amour du genre humain qui
préferve l'Hiftorien des écueils dont la
vaine gloire , l'ambition , l'efprit de parti
fément fa route .. C'eſt l'humanité qui
répand dans fa narration , dans fes portraits
, dans les réflexions dont il accompagne
les faits , cet intérêt féduifant qui
retient fans ceffe l'ouvrage dans les
mains de l'avide Lecteur.
»
» Dans la Poëfie , le fentiment reçoit
» une nouvelle étendue ; tout s'anime
» tout vit aux yeux du Poëte ... les
fons que rendent ces rofeaux courbés
fous l'effort des vents , font les accens
" plaintifs d'une Nymphe fugitive ,
» échappée aux violences d'un Dieu ra-
» viffeur : ces Peupliers couverts d'un
» ambre liquide , font des Princeffes in-
» fortunées qui verfent des larmes fur
les cendres d'un Frère orgueilleux &
» téméraire les ruiffeaux , les forêts.
» les fleurs mêmes deviennent pour
» Poëte , les objets d'une tendre fenfi
» bilité. Ici le fentiment fe confond
avec le génie ; & ces beaux Efprits
» dont les coeurs manquent de chaleur
" & d'activité , font le vulgaire pro-
» phane que les Mufes écartent de leurs
» facrés myfteres.
C'est l'humanité , c'eft ce fentiment
vif
SEPTEMBRE . 1762. 121
vif & affectueux , répandu dans les Ouvrages
des Anciens , qui fait de ces
génies immortels , nos modéles & nos
délices. Homère , Ovide lui - même
cet Auteur plus ingénieux que naturel ,
Virgile fur-tout , nous fourniffent mille
exemples de cette précieuſe fenfibilité.
Le goût des ornemens ambitieux a
éloigné la plupart des Poëtes modernes
de ce fentier de la nature , & leur fait
trop fouvent facrifier le fentiment à la
coquetterie de l'efprit .
» Cependant fi l'intérêt perfonnel eft
» la régle des jugemens des hommes ,
» felon la penfée d'un Auteur moderne ,
» fi cet intérêt eft la meſure de l'efprit
» qu'ils accordent aux autres , le fuccès
» d'un Ouvrage qui refpire le fentiment
» & l'humanité , doit être plus affuré ,
» plus univerfel, que celui de ces Ecrits
» dont un ſtyle pétillant eft l'unique mé-
" rite. Les efforts que fait un Écrivain
» pour briller , décélent en lui des pré-
» tentions d'excellence & de fupé-
" riorité qui humilient le Lecteur ; &
» l'amour-propre fe croît auffi intéreffé
» à réprimer cet orgueil , que l'indi-
» gence à décrier un luxe faftueux , quả
» rend la mifére plus accablante.
"
Mais ce n'eft pas feulement l'intérêt
F
122 MERCURE DE FRANCE .
de leur propre gloire qui préfcrit l'humanité
aux Gens de Lettres ; l'influence
que leurs Ouvrages ont fur les moeurs ,
leur en fait fur-tout un devoir indifpenfable.
» Ce feroit s'abufer étrangement , que
» de regarder les Gens de Lettres comme
» des Particuliers indifférens à la fociété .
» Au fein de leur folitude , ils tiennent
» dans leurs mains tous les refforts qui
» font mouvoir les hommes. Arbitres
» de l'opinion , du plaifir & de la re-
» nommée , c'eft fouvent dans le filen-
» ce de leur cabinet , que fe préparent
» ces révolutions qui , par une grada-
» tion prèfqu'infenfible, changent enfin
» la face de l'Univers. L'Homme de
» Lettres régne fur les efprits par les lu-
» mieres qu'il répand ; il préfide au
" plaifir , en fe rendant maître de nos
» paffions ; il eft le difpenfateur de la
gloire . Semblable à l'aftre majestueux
» du jour qui , placé au centre des globes
» divers qui l'environnent , les éclaire ,
» les réjouit , & leur tranfmet une par-
» tie de fa fpendeur.
"
39
L'empire queles Gens de Lettres exercent
fur les efprits , a fouvent allarmé les
Miniftres de la Religion . Mais les fyftêmes
monstrueux d'impiété , que quelSEPTEMBRE.
123
""
&
, que
ques efprits audacieux ont renouvelles
de nos jours , ne peuvent avoir pris
naiffance , que parmi des hommes infenfibles
à l'intérêt du genre humain ,
dont les coeurs font vuides d'humanité.
Répondez , Philofophes fublimes ,
» Génies tranfcendans , quels font les
» motifs louables qui vous animent.
» lorfque vous attaquez nos principes
» les plus facrés ? Eft- ce pour rendre
» l'homme meilleur , que vous anéan-
» tiffez l'idée de la vertu ? Eft- ce pour
» affermir le bonheur de la fociété ,
» vous niez l'existence d'un Etre fuprê-
» me bon & jufte , qui récompenfe &
» qui punit ? Eft - ce l'intérêt des Hu-
» mains , qui vous porte à leur donner
» une âme de boue & de limon ? L'a-
» mour de la vérité vous oblige , dites-
» vous , à combattre les préjugés ....
» Ah ! fi nous étions affez infortunés
» pour que vos blafphêmes fuffent la
» vérité , l'humanité vous feroit une
» loi de cacher cette lumière funefte ;
» & ce feroit un crime horrible de la
» manifefter.
ge
Bien loin que le vrai Philofophe fonà
affoiblir la force de la Religion ,
de ce lien le plus fort de la fociété , il met
toute fon étude à l'affermir. » Plein de
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
و د
6
refpect pour fes myftéres impénétra-
» bles , il porte la lumière fur les motifs
» de crédibilité qui fondent la Foi :
» épris d'admiration & d'amour pour
» les principes de fa morale , dont le
» premier fondement eft l'amour de nos
» femblables , il démontre la propor-
» tion de cetre Loi fuprême , avec l'Etre
» parfait qui l'a dictée , & avec l'Etre
» foible qui doit la pratiquer. Par- tout
il s'éfforce de la rendre refpectable &
» de la faire aimer ; fur-tout il s'étudie
» à lui rendre fa beauté naturelle , en
» éffaçant les traits difformes dont l'er-
» reur & le fanatifme , l'impiété & la
fupperſtion cherchent fans ceffe à la
» défigurer, Eh ! ne nous étonnons pas ,
" fi fouvent il réuffit mieux à la per-
» fuader , que les Miniftres même du
» Sanctuaire : la malignité des Peuples
» ofe préfumer que l'intérêt perfonnel
» fe mêle quelquefois au zéle de leurs
» Conducteurs ; mais elle ne foupçon-
» ne jamais , dans le Philofophe , d'autre
» intérêt que celui de la vérité,
Un des moyens des plus fùrs de régner
fur les hommes , eft l'attrait du
plaifir , & ce reffort puiffant n'eſt pas
moins entre les mains de l'Homme de
Lettres que celui de l'Opinion ,, ·
SEPTEMBRE. 1762 125
» Le plaifir livre nos moeurs auxgens
de Lettres dès le moment que nous
» commençons à penfer. Avec quelle
» avidité ne dévorons - nous pas dans
» notre premiere jeuneffe , ces Ecrits
ingénieux qui , à l'aide de faits fup-
" pofés , nous montrent les tableaux
» divers de la vie humaine , & auxquels
» nous devons ordinairement les pre-
» miers développemens de notre coeur ?
39
ود
» Qu'il eft trifte de voir abandonné
» à des plumes molles & éfféminées
» quelquefois obfcènes , un genre qui
» a tant d'influence fur les premie-
" res affections des Humains ...
" O vous Auteurs favoris des Mufes ,
» à qui les grâces ont accordé le talent
» précieux d'embellir tout ce que vous
» touchez , jettez les yeux fur ces âmes
» neuves & fléxibles , avides de plaifir
» & de merveilleux , incapables d'aimer
» la Vertu toute nue & pour elle - mè-
» me l'humanité reclame en leur fa-
» veur les touches féduifantes de vos
» pinceaux ; daignez confacrer quel-
» quefois votre art enchanteur à leur
ingénuité ; & que la vertu envelop-
» pée des nuances du plaifir , s'intro-
» duife dans leur fein , & s'y établiſſe
» pour jamais ....
"
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
.
C'eſt furtout au Théâtre que l'Homde
Lettres influe fur les moeurs par l'attrait
du plaifir. La Comédie combat
les vices & les défauts par le ridicule .
l'arme la plus redoutable au coeur humain....
La Tragédie trace les devoirs
des Rois , & leur montre les dangers
des paffions. » C'est là que l'exemple
, plus puiffant mille fois que le
» difcours le plus pathétique , transformé
en demi-Dieu le fpectateur le plus
» vulgaire.Son âme eft pénétrée du mê.
» me feu qui anime les Perfonnages .
» Intrépide avec le Grand-Prêtre Joad ;
» clémente & généreufe avec Augufte ,
» dévouée à la Patrie avec Brutus ;
elle fent dans ces momens , qu'elle
» eft égale à celle de ces Héros ; lors
» même que l'illufion eft diffipée , elle
» conferve encore les traces de l'impref-
» fion de grandeur qu'elle a recue ; &
» l'habitude des grands fentimens la
foutient toujours dans quelque de-
» gré d'élévation.
Si l'Opinion & le plaifir font régner
l'Homme de Lettres fur la maffe générale
des hommes , la gloire dont il
eft le difpenfateur , lui affujettit les
Grands & les Monarques eux - mêmes.
Malheureufement les Gens de Lettres
SEPTEMBRE. 1762. 127
ne font pas toujours difpenfateurs équitables
de la gloire. Ils fe laiffent quelquefois
éblouir par certains vices qui
ufurpent l'éclat des vertus ; mais lorsque
l'humanité anime l'Homme de Lettres,
il ne voit le fondement de la vraie
gloire que dans l'utile , l'honnête &
le jufte ; & rien ne fçauroit le contraindre
à proftituer fes éloges à ces Héros
qui n'ont d'autres vertus que l'orgueil,
l'ambition & la vengeance , fources
fécondes des grands forfaits. Il juge
fourtout avec une jufte févérité ceux
que la mort a fait rentrer dans l'égalité
naturelle , afin que l'opprobre dont
il couvre les noms des méchans qu'il
arrache à l'oubli, devienne une leçon pour
les vivans qui leur reffemblent. » Sa voix
» redoutable , en féviffant contre les mo-
» déles , imprime une terreur fecrette
dans l'âme des imitateurs ; ils apperçoi-
» ventavec effroi les traits hideux qui les
peindront à la postérité ; & l'idée de l'i-
» gnominie qui les attend au delà du
» tombeau , eft une Furie vengereffe
» qui les pourfuit & les tourmente ,
» lors même que la terre conſternée
» s'abbaiffe & fe tait devant eux . C'eſt
» ainfi que les Lettres dirigées par l'hu-
» manité , fervent à l'éffroi des Tyrans,
"
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
» & au bonheur du Monde .
» Puiffe cette aimable vertu régner
» à jamais fur les favoris des Mufes
» pour la perfection de leurs Ouvrages ,
» pour l'avantage des moeurs , pour
fe
>> bonheur du genre humain !
Le reftant de la Séance , au Mercure
prochain.
Vou
GÉOMÉTRIE.
ous voudrez bien , Monfieur , inférer
dans votre Journal quelques propofitions
fur les Sections coniques ; je
les ai déduites d'un théorême beaucoup
plus général , dont M. Coufin fait fouvent
ufage dans fon excellent Mémoire
fur la Figure de la Terre. Voici ce théorême
, tel que ce fçavant Géomètre l'a
démontré.
Une courbe , quelle que foit fa nature
, aura toujours pour équation
VISS.- uu cof. λ² ) =
cof. A
λ³ ) = √ cofin. A
( du cof.x- uda fin. λ). S, u & λ
font les expreffions du diametre CB,
de la normale B R, & de l'angle BSF.
Soit auffi le grand axe au petit axe
SEPTEMBRE. 1762. 129
1 r, & après avoir abaiffé une
ordonnée B N , & mené une normale
C infiniment proche de la premiére ,
& qui la rencontre en un point Q ,
Nommons CP r, CNx, BNy, BQz
BR eft normale au point B , & les
triangles BRN, BCN, font rectangles ;
donc RN - ydy , SS = xx +yy ,
www
dx
& uudx² = y² × (dx² +dy). De plus
1 : dx :: z : V(dx² + dy² ; d'où l'on
tire ¿dλ = √(dx³ −→ dy³). Si du
rayon QR l'on décrit le petit arc R &,
dxdu
fa valeur fera ; car QB qui eft
dy
perpendiculaire fur BC, l'eft auffi fur
R ♪, & Cn eft paralléle à Re . Par la
même raiſon les triangles B6, BRN
font femblables ;, donc Be =
& par conféquent zu :
uds
dxdu
:: 2
dy
uds
undy
; donc 2. .Ileft
ވ
udy - ydu
facile de voir que dégageant x dans toutes
les équations précédentes , il viendra
F v
130 MERCURE DE FRANCE .
√(SS — yy) = ƒ -
٢٠
Sv
u4 dy³ dx²
udy y du --
√ น น -yy
ydy
dy²). Donc ayant
faityut , l'on aura (SS- uutt)
- tt
x (udt
--
idu), &
cof. A. Subftituant cette valeur de t
cof. x
√(SS — uu col. λ² ) = √√ A
x S
A
a
fin. X
X
(du cof. λ - udλ fin.λ). L'intégraydy
tion de l'équation différencielle Vuu - yy
u4dy dx
--
dy * ) nous a
adyydu
donné y cof.
Le triangle rectangle RBN donne
auffi la même chofe ; il feroit donc
facile de démontrer la propófition précédente
, fubftituant tout d'un coup dans
les équations S S x x + yy &
uu dxyx ( dx² + dy² ) qui deviennent
x (SS — yy) & dx =
ydy
V (uu ― yy}
+
2
au lieu de y fa valeur cof.
M. Varignon a démontré dans fes
éclairciffe mens fur l'analyfe des infiniSEPTEMBRE
. 1762. 131
mens petits , que fi l'on tire PE , &
PE qui rencontre BN prolongé en
un point m , ilil a dis - je , démontré
que la courbe PE étant une fection
conique , on doit toûjours avoir (NM)™
: ( NB) " ( NB ) " : ( Nm)" ; mais
NM =
772-28
r
r + x
&
Nmr
(r- x ) ™ × ( † + x ) *
donc y
NI + 72
Je fubftitue au lieu de x fa valeur
V( SS - u u cof. λ ) , & au lieu de
y
fa valeur auffi cof. λ , & il viendra
(ru col. λ)
V155
Tr
[ r + √ ( SSm
+ n
2 m
yu cof. λ² ) ] ×
2
X
n
u u cof. λ² ) ] ".
Subftituant encore dans cette derniére
équation au lieu de √(SS — uu cof. X²)
fa valeur trouvée ci-deffus , nous aurons
n
(rucol. x) " + " = [ 1 -
m
cof. a
fin.a.
(du cof. λ — udλ fin. λ) ] " × [r +
X
fcof.x x(du cof. λ udλ fin. λ)]".
fin. A ม
Cette équation peut auffi avoir cette
F vj
132 MERCURE DE FRANCE .
cof. A
forme, (ry) +" = (r -fo
A
x (r - fcof. dy ) " . fin. A
-dy)
龍
Si la fection conique étoit un cercle
r = 1 & y = cof. λ ;
dy
donc y" +" =(1-1))" x
ydy
+
√ ( 1 - yy)
-yy) ) " = [ 1 + √ ( 1 − xy)] ” -
× [1 −√(1 — yy) ]".
m
B
E
M
Se
T
ร
P Nn CR
Donc en général p étant un arc de
Cercle quelconque , l'on aura fun p =
SEPTEMBRE. 1762. 133
(1 + cof.p") × ( 1
col. p ").
Sim = n = 1 , viendra fin. p * =
1 ) × ( d joɔ + 1 )
- cof. p ),
propriété fi connue du cercle . Faiſons
auffi dans l'équation générale mn = i ,
& nous aurons
2
ry² = 11-
If
cof. A
dy ') ; donc
fin. a
√ cof. A dy = r√ (1 - yy ) ; diffé-
Sofin . A
renciant les deux membres de cette
équation , divifant tout par dy , &
élevant tout au quarré , il viendra
(1 — yy) cof. λ² ——rryy
·rryyfin. λo.
Donc fin. λ²
1-yy
1 + (18
-
2
Cette équation peut fervir à mener une
tangente à une fection conique ; car l'on
connoîtra toûjours l'angle que forme
la normale avec le grand on le petit
nous aurons auffi axe
cof. λ=
cof. λª
fin. A
rryy
1 + (11 — 1 ) × }}
-
•; donc
ry = —, ( 9 étant
√(1 —yy)
l'expreffion de la foutangente TN );
134 MERCURE DE FRANCE.
ryy
donc 9 = q
•. Reprenons
-
√(i — yy)
l'équation générale ( ru cof. λ) + n
cof. A
[r - x•x (du cof. λ — udλ fin. λ) ] ” ×
fin. A
a
-
[r + col.A x (du cof.λ
― uda fin. a
& faifons m 1 , cela nous donnera
(ru col. λ)" = 7 " +
( du cof. λ
I
d'où l'on tire
cof, a
fin.A
*
cof. λ
X
fin.. A
ud λ fin. λ ) ] " + 1
× (ducof.λ — udλ fin. λ) =
√" + ! [ r” + ' ( — rucol. λ) ] ” . Donc
en général toute différencielle , telle que
√( ₁ = 22) × ( zdu — udz) cft tou
2
jours intégrable , fi eft le cofinus R
d'un angle que formeroit une normaleà
une fection conique quelconque
avec un de fes axes.
Mais je m'apperçois que je me fuis '
beaucoup éloigné des bornes que j'au
rois dû me preferire . Puifque vous vou
lez bien me le permettre , Monfieur , je
SEPTEMBRE . 1762. 135
profiterai encore de votre Journal pour
rendre publiques les autres réfléxions
que j'ai faites fur le même fujet.
J'ai l'honneur d'être , & c .
CRUD , Maître de Mathématiques .
ASTRONOMI E.
,
LETTRE de M. LEPINE , Se
crétaire de la Société de Limoges
· à M. MESSIER , Aftronôme de
la Marine , fur la Penfion dont la
Cour vient de l'honorer , à l'occafion
de fes obfervations fur la derniere
Cométe.
JEE crois , Monfieur , qu'on eft défabufé
plus que jamais , des mauvaiſes influences
attribuées autrefois aux Cométes
; je les regardèrois plutôt comme
des Aftres bienfaifans , puifqu'elles n'ont
procuré que du bien & de la réputation
à leur plus éxact Scrutateur . La
Penfion dont j'ai l'honneur de vous féliciter
, n'eft que le prélude des récompenfes
qui vous attendent pour l'ave
nir ; fi vous ne marchez pas dans la
-carrière de la fortune avec autant de
Irapidité que dans celle de la gloire ,
-1973) 9
136 MERCURE DE FRANCE.
vous en ferez pleinement dédommagé
par la derniere , & vos defirs font affez
modérés , pour que la premiere vous
paroiffe toujours fuffifante. Continuez
à nous enrichir du fruit de vos veilles,&
foyez perfuadé que rien ne peut ajouter
aux fentimens que vous m'avez infpirés
depuis que j'ai l'honneur de vous connoître.
J'ai l'honneur d'être & c.
DELÉPINE.
SUITE des Obfervations d'un Chirurgien
de Province , fur l'origine & fur
les progrès de la Taille appellée Méthode
de RAU.
ARTICLE VII.
*
De la prétendue Taille de RAU par
M. THOMAS.
ENFIN M. Thomas a encore paru fur
la fcène ; a - t - il mieux rencontré que
les autres ? Tout ce qu'il y a de certain ,
c'eft qu'on lui a prodigué authentiquement
les plus grands éloges : mais il
s'agiffoit de déprimer , de faire diverSEPTEMBRE.
1762. 137
fion à la découverte du litotome caché.
Quoiqu'il en foit , paffons à l'Analyfe
de fon procédé pour la réduire à fa jufte
valeur.
Le manuel de M. Thomas , confifte
à diftendre la veffie , par la collection
de l'urine , comme M. Cheffelden , & en
comprimant avec une pelote pardeffus
le pubis , comme M. Foubert , pendant
qu'il y plonge fon troisquart litotome
par deffous la fimphife du pubis à
côté de l'urétre (a) ; & fi - tôt qu'il voit
(a) Troquart , ou Troisquarts , poinçon d'acier
, monté ſur un manche & revêtu d'une cannulle
ordinairement d'argent , & dont l'extrémité
fe termine , au- delà de la cannulle , par une
pointe triangulaire à trois facettes tranchantes.
Son principal ufage eft d'évacuer les Eaux des hydropiques
& pour la ponction de la veffie , dans les
Rétentions d'urine des malades que l'on ne peut
pas fonder. Les Troisquarts de MM . Foubert &
Thomas ont environ cinq pouces de longueur
& ne différent éffentiellement entre eux , qu'en
ce que le Troisquarts de M. Foubert eft fimplement
rainé dans fa longueur, pour conduire après
la ponction, la lame de fon Biſtouri litotome à la
veffie ; & que le Poinçon de M. Thomas eſt terminé
en lance & fendu à jour dans la longueur ,
pour loger une lame étroite & tranchante , afin
de la pouffer dans la veffie en même temps que
Je Poinçon auquel elle eft affujettie de façon à
pouvoir l'ouvrir au degré qu'il juge néceffaire.
Enfin c'eft le litotome caché du Frère Cofine ,
138 MERCURE DE FRANCE .
couler l'urine , il ouvre fa lame tranchante
au degré qu'il juge néceffaire
pour incifer la veffie , en le retirant de
dedans en dehors ; puis il y porte la
tenette fur une efpéce de gorgeret reſté
dans la plaie , & dont fon troisquart
étoit revêtu , & c. M. Thomas , dit la Gazette
de Médecine du 15 Septembre
1761 , ouvre la veffie en un endroit que
la Nature même femble avoir expreffement
défigné pour en tirer les plus groffes
pierres fans danger.... Il lui fuffit
que la veffie puiffe contenir un verre d'u
rine ; & il tire prèfque avec une égale
facilité , les grandes pierres comme les
petites , fans aucun délabrement &c.
REMARQUES fur le lieu d'élection
dans la Taille du périnée..
14
Le lieu d'élection de M. Thomas n'eft
qu'une illufion ; il n'eft abfolument
ajufté au Troisquart de M. Foubert. Leur opération
ne différe auffi éffentiellement , qu'en ce que
M. Foubert fait l'incifion de bas en haut , & que
M. Thomas la fait de haut en bas . Voyez la collection
des Thefes médico- chirurgicales de M. le
Baron de Haller , Tome III. La Gazette de Médecine
du 15 Septembre 1761. & la Thèſe de M.
Macquart Médecin de Paris , fur le parallèle du
litotome couvert & de la méthode de M.Thomas,
avec le litotome caché , & la méthode du Frère
Cofine &c.
SEPTEMBRE. 1762. 139
qu'une feule voie unique , pour toutes
les différentes manières de tirer la pierre
de la veffie par le périnée ; foit qu'on attaque
la veffie par l'urétre , ou qu'on
l'attaque immédiatement par fon corps ;
foit par dilatation , déchirement , ou
par incifion , que la coupe
extérieure ,
foit plus haute , plus baffe ou plus ou
moins oblique ; c'eft toujours la même
ligne , toujours le même détroit extérieurement
, entre le boyau rectum &
l'inclinaifon de l'angle des os echion &
pubis ; intérieurement entre l'origine
de l'urétre & l'embouchure de l'uretére ,
du côté qu'on opére , que le tranchant ,
la tenette & la pierre doivent parcourir
fans aucune exception . Ainfi le lieu
d'élection dans les différentes Tailles du
périnée , n'eft qu'une apparence extérieure
, & les dangers à cet égard font ,
à la fureté des manoeuvres près , les mêmes
pour toutes les différentes manières
d'opérer .
REMARQUES fur la Collection des
liquides dans la veffie , pourfaciliter
la prétendue Taille de RAU.
Outre que la veffie des Pierreux n'eft
pas toujours , il s'en faut de beaucoup
dans le cas de pouvoir être diftendue
140 MERCURE DE FRANCE.
par la collection d'un liquide , foit qu'il
y ait irritation , racorniffement ou fiftule
; c'eft que le poinçon qui fert dans
le manuel de MM Foubert & Thomas ,
à diriger la lame tranchante vers la capacité
de la veffie , n'a point lui-même
de guide ; & qu'étant pouffé au hazard ,
vers l'étroit intervalle des orifices de l'urétre
& de l'uretére ( b ) , il peut ne la
pas rencontrer , gliffer fur fa furface ,
ou l'attaquer hors des limites préfcrites.
(c ) Il y a plus , en déterminant
l'incifion, comme M. Thomas le préfcrit,
(b) Intervalle qui n'eft pas fouvent d'un pouce
dans les Adultes. Ilfaut , dit M. Keffelring , bien
de l'adreffe pour arriver au jufte dans l'espace qui fe
trouve entre les Uretéres & la Proftate , lequel efpace
n'a pasfix lignes. Voyez la collection des Thefes
M. C. de M. le Baron de Haller , Tome III.
page 63 .
( c) S'il pouvoit être un moyen de rendre la
prétendue Taille de Rau pratiquable , le Manuel
de M. Cheffelden feroit certainement l'unique ;
parceque le doigt & la fonde feroit un guide for
pour arriver à la veffie ; mais comme il l'a é
prouvé , ainfi que l'obferve M. S'charpt , & les
Commiffaires de la Taille de M. Foubert ; l'af
faiffement des parois de la veffie par l'écoulement
du liquide qui la diftend , s'oppofe aux progrés
de l'incifion , & à l'introduction de la Tenette &c.
Ainfi comme il eft abfolument impoffible de
pouvoir obvier à cet inconvénient , il rendra
toujours cette espéce de Taille impratiquable ,
quelque moyen qu'on puiffe y employer.
SEPTEMBRE. 1762. 141
immédiatement fur l'écoulement de l'urine
le long du poinçon, dont l'extrémité
terminée en lame , précéde la lame tranchante
de 4 lignes ; l'urine peut couler
& indiquer l'incifion avant que le tranchant
ait atteint la veffie, & conféquemment
frayer une fauffe route à la tenette.
(d) Le peu de champ qu'offre un
verre d'urine dans une veffie flexible
diamétralement comprimée , tant par la
pelotte , que par l'enfoncement du poinçon,
& particuliérement du poiçon de M,
Thomas , revêtu d'un gorgeret qui en
augmente fubitement le Diamétre , &
n'y peut entrer qu'avec force , & dépreffion
, (e) expoſe la veffie à être non
feulement percée de part en part ; mais
le champ diminuant encore par l'écou
lement du liquide qui la diftend , le tranchant
de la lame n'y peut point acquérir
par une introduction fuffifante , la
progreffion néceffaire à l'incifion . Énfin
la veffie s'affaiffant totalement par
(4) Cette objection eft de M. Pallas , Médecin
de Leyde. Voyez la collection des Theſes
Médico-chirurgicales de M. le Baron de Haller
Tome III. page 79.
(e ) Gorgeret , eſpèce de petite Gouttière conique
, ordinairement d'acier ou d'argent , pour
conduire la tenette dans la veffie.
142 MERCURE DE FRANCE .
l'écoulement continuel du liquide , fes
parois rebrouffent, fuyent devant le tranchant
, la Tenette & c. & c. Ainfi l'incifion
de la veffie & l'introduction de la
tenette dans fa capacité , n'eſt ni plus
fùre ni plus réelle dans le manuel de
M. Thomas , que dans le manuel de
M. Foubert.
Dans le Manuel de MM. Foubert &
Thomas , le litotome & la tenette font
donc toujours en rifque de fe fourvoyer
dans le voifinage de la veffie ; & la
veffie de fon côté d'être non feulement
percée & coupée en différens endroits ,
ainfi que l'uretère du côté qu'on opère ;
puifqu'elle eft attaquée au hafard , &
qu'on y porte tout à la fois , particulierement
dans le Manuel de M.Thomas,
une lame & une lame tranchante ; mais
encore d'être faifie & tenaillée par la
tenette , & même déchirée , & en partie
arrachée avec la pierre , &c. Cette opération
eft donc non feulement très-difficile
, mais encore très - incertaine &
très dangereufe à tous égards ; & ne
préfente, de quelque côté qu'on la confidére
, que le caractère de réprobation.
Nous ne conteftons cependant pas
que , malgré tous les obftacles & les
dangers inféparables de cette opération ,
1
SEPTEMBRE . 1762. 143
on ait pu être féduit par quelques
extractions de pierre , & même par
quelques fuccès ; parce qu'il n'eft pas
abfolument impoffible d'entrer brufquement
dans une veffie ample & tendue
comme un ballon , en l'enfonçant
en quelque façon fubitement avec la
tenette , avant que le liquide qui la
diftend , ait le temps de s'écouler ; (f)
& qu'il n'eft pas abfolument impoffible
non plus , à force de tâtonnement &
de repriſes , de rencontrer l'ouverture
de la veffie , de la déchirer & d'en tirer ›
la pierre , même avec quelque portion
de cet organe , fans que la mort s'enfuive
, parce que la nature guérit fouvent
, malgré la défectuofité des manoeuvres
,
(f) Comment s'en tireroit- on dans les cas
de réintroduction de la Tenette fouvent néceffaire
, & même à un grand nombre de reprifes
, tant dans la pluralité des pierres , que pour
des fragments des pierres brifées &c.
144 MERCURE DE FRANCE .
ARTICLE VI I I.
Des raifons de préférence de la prétentendue
Taille impraticable de RAU ,
fur la fection certaine de la veffie , par
Purétre.
ques ,
LA fection de la veffie par l'urétre ,
eft proprement la Taille du Frere Jac
à laquelle , comme nous l'avons
déjà obfervé , Mery & les autres Litotomiftes
de fon parti oppoferent la fection
de la proftate & du fphincter de la
veffie , comme des caufes inévitables
& incurables d'incontinence d'urine ,
de fiſtules urinaires , & c. Aujourd'hui
c'eſt encore la Taille du Frère Jacques
qui reparoît , recouvrée & facilitée par
l'invention du litotome caché du Frère
Cofme ; & ce font auffi précisément les
mêmes procédés & les mêmes raiſons ,
qu'on met en jeu contre l'inftallation de
cet inftrument ; quoique l'expérience
journaliere les contredife manifeftement.
2
En vain prétexte -t-on d'éviter la fection
de la proftate & du fphincter de la
veffie
SEPTEMBRE. 1762. 145
veffie , pour établir la ponction inceraine
du dangereux poinçon de MM.
Foubert & Thomas , par préférence à
la certitude de la fonde cannelée , pour
diriger & conduire le tranchant jufques
dans la capacité de la veffie : car non
feulement la fureté & la facilité de la
taille du périnée dépendent éffentiellement
de l'incifion fuffifante de la veffie
par l'urétre , & du plancher mufculeux
& aponevrotique qui ferment le baffin ;
mais encore l'aifance & le fuccès de
cette opération dépendent particulierement
de la fection de la proftate & du
fphincter de la veffie , parce qu'il ne
peut abfolument pas être de chemin aufli
für pour arriver à la veffie , que la voie
naturelle des urines , ni de moyen aufli
fpécifique pour en tirer la pierre fans
violence , que l'incifion fuffifante ; &
que par l'incifion de la proftate & du
fphincter , non feulement on facilite
l'entrée de la tenette & l'iffue de la
pierre , on léve encore l'obftacle qu'ils
oppofoient à l'excrétion des urines par
l'urétre , & la plaie de la veffie n'éprouve
pour lors de ce fluide, aucun effort qui
puiffe s'opposer à fa réunion .
Dans l'incifion de la veffie par Purétre
, non feulement l'orifice concourt
G
146 MERCURE DE FRANCE.
avec la plaie à l'iffue de la pierre , mais
la plaie de la veffie n'ayant qu'un angi
& le progrès de la cicatrice partant de
cet angle unique , les fibres du ſphincter,
coupées ne recouvrent leur point d'appui
réciproque , que par la terminaifon
de cette cicatrice à l'orifice , lequel reprend
pour lors fa premiere forme ; &
les urines fe trouvent ainfi peu-à-peu
progreffivement refferrées à leur iffue
naturelle , où comme plaie fimple ( dans
l'incifion fuffifante , ) la réunion fe fait
quelquefois fubitement , fans fupuration
& fans que le cours des urines y mette
oppofition.
44
Si l'incontinence d'urine ou la fiftule
urinaire fuccédent quelquefois dans
l'homme à l'incifion de la veffie par
l'urètre , c'est bien moins l'effet de la
fection de la proftate & du ſpin&ter , que
de quelqu'altération particuliere , ou de
la contufion , & de la dilacération inévitables
, quelque parti que l'on prenne
dans l'extraction des pierres , tout à la
fois très-irrégulieres , & d'un volume
confidérable , parce que l'ouverture de
l'angle des os pubis , par laquelle la
pierre doit inévitablement paffer , ne
prête point , au moins dans les adultes.
Il n'en eft donc pas de la prétendue
SEPTEMBRE . 1762.
147
Taille de Rau , comme de l'incifion de
la veffie par l'urètre ; en attaquant la
veffie immédiatement par fon corps ,
on eft non feulement privé de la fureté
& de la facilité que procure la voie naturelle
des urines ; mais en fuppofant
cette opération praticable , l'intégrité
ménagée de la proftate & du fphincter
de la veffie , s'oppofant à l'iffue des
urines par l'urètre , la plaie en éprouveroit
pour lors tout l'effort , & ne fe
confolideroit qu'avec peine ; & de - là
bien réellement , ainfi que l'a éprouvé
Cheffelden , l'infiltration , la fiftule urinaire
, & c.
ARTICLE IX.
De la refource du manuel de MM. Fou-
BERT & THOMAS , dans les embarras
du canal de l'urétre.
Q UANT à l'avantage particulier
qu'on attribue au manuel de MM. Foubert
& Thomas , de n'avoir pas befoin
de catheter , (g) que l'Académie Royale
(g ) Catheter , Sonde d'acier courbe , & cannellée
fur la convexité de la courbure , & qu'on
introduit par l'urétre dans la veffie , pour diri-
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
de Chirurgie publie comme une reffource
qui a enrichi l'Art , dans les cas
d'embaras du canal de l'urétre , qui
mettent un obftacle abfolu à l'introduction
de la fonde dans la veffie ; ( h )
ce n'eft qu'une propriété fpécieufe , qui
ne fçauroit foutenir l'examen . En effet ,
fi l'on ne peut pas fonder la veffie ,
quelle certitude aura - t- on de l'exiſtence
de la pierre ? Taillera- t-on le malade fur
des fignes équivoques , & par une manoeuvre
toute auffi incertaine , & au
moins auffi dangereufe que la maladie
même ?
Outre que les malades qu'on ne peut
abfolument pas fonder font en petit
nombre , & que leurs maladies ne font
pas toujours du reffort de la litotomie ,
c'eft que la veffie des pierreux eft ,
comme nous l'avons déjà obfervé , fouvent
dans le cas de ne pouvoir pas être
fuffisamment diftendue, par la collection
d'un liquide , ainfi que l'exécution de
cette opération l'exige. De plus , l'obſtacle
, dans le cas de pierre , vient fou
vent de ce qu'elle eft engagée à l'origer
& conduire le litotome dans l'opération
de la Taille.'
( h) Rapport des expériences de l'Académie
Royale de Chirurgie fur la Taille , deja cité.
SEPTEMBRE . 1762. 149
fice , dans l'origine de l'urètre , hors
l'atteinte de cette opération .
En conciliant toutes ces confidérations
; fçavoir , l'incertitude de l'exiitence
de la pierre , l'incertitude & les danigers
de l'opération même , avec la déduction
des cas de rétention d'urine ,
qui ne font pas du reffort de la litotomie
, & conféquemment , où cette
opération feroit bien plus qu'inutile ,
des pierres engagées dans l'origine de
l'urétre , hors l'atteinte de cette opération
enfin des cas où elle feroit impraticable
faute de pouvoir diftendre
la veffie par la collection d'un liquide
& c. & c . On fera non feulement convaincu
de la futilité d'une telle reffouce
, dans les cas d'obstacles à l'introduction
de la fonde dans la veffie ;
mais encore qu'on feroit toujours en
rifque de faire inutilement plufieurs
opérations très - dangereufes , & de facrifier
beaucoup de malades , dans l'ef
poir de quelques fuccès : ne feroit-ce
pas là le cas du reméde pire que le mal ?
Dans les cas d'obftacle à l'introduction
du cathéter dans la veffie , l'incir
fion de l'hipogaftre ( i ) feroit infiniment
(i) Hipogaftre, région inférieure du bas ventre
que l'on incife immédiatement au-deffus du Pu-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE .
plus fùre & moins dangereufe que la
ponction du perinée , pour y porter le
tranchant & la tenette , & cette opération
feroit au moins une reſſource
réelle dans les cas ou la veffie feroit
également fufceptible de dilatation par
la collection d'un liquide & c . Mais pourquoi
faire valoir aujourd'hui des moyens
auffi incertains & auffi infuffifans , pendant
que depuis l'invention du litotome
caché, il ne s'eft encore préſenté à cet
égard aucun cas invincible ; & qu'il
y a quantité d'exemples des plus frappans
des fuccès de cet admirable Inftrument
, dans différens cas d'obſtacle à
l'introduction du cathéter , jufques dans
la capacité de la veffie . Si le cathéter eft
arrêté à l'orifice de la veffie , par la préfence
de la pierre , il fuffit d'ouv: ir
l'urétre à l'ordinaire fur fa cannelure ;
le Litotome caché eft conftruit de façon
à pouvoir être infinué fans danger ,
entre le bord de l'orifice & la pierre ,
il peut également être introduit par la
bis , pour ouvrir la veffie par le fommet , & en
tirer la pierre c'eft ce qu'on appelle haut appareil
de Franco. Cette opération éxige également
que la précédente , dans l'homme , la diftention
de la veffie par la collection d'un liquide ,
ce qui la rendroit le plus fouvent impraticable.
SEPTEMBRE . 1762. 15I
plus médiocre dilatation d'une fiftule
urinaire , dans le canal de l'urètre , &
& dans la capacité de la veffie , fervir
lui-même à la perquifition de la pierre .
Enfin le Litotome caché n'éxige point
de difpofition particuliere de la veffie ;
il ne fraye point de route au hafard ,
& il n'opère qu'après avoir convaincu
de l'éxiſtence de la pierre.
CONCLUSIO N.
Nous laiffons préfentement aux Lecteurs
à juger s'il eft réellement une Taille
de Rau , & fi le manuel de M. Thomas
eft bien véritablement comme le
public la Gazette de Médecine : Celle
de toutes les méthodes de tailler , inventeés
jufqu'ici , qui réunit le plus
d'avantages , & qui eft la moins fujette
à inconvéniens . Si comme le publie
auffi le Journal economique.
(Mai 1757 ) L'inftrument qu'on peut
manier le plus fûrement , & qui eft le
plusfacile à conduire , & qui guide avec
certitude la main dans un endroit où la
vue ne peut pénétrer , cet Inftrument
eft le Litotome couvert de M. Thomas.
La méthode latérale nouvelle éxécutée
avec cet Inftrument eft la moins périlleufe
, la plus prompte , & la moins
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
douloureufe : nous avons vu plufieurs
perfonnes taillées par cet Inftrument;
elles avoient été promptement délivrées
de la pierre , elles n'avoient effuyées
aucun accident pendant ni après l'opération
, & la playe perfaitement cicatrifée.
L'expérience confirme donc ici
les avantages d'une chofe que la feule
infpection faifoit déja préfumer très-utille
&c. Enfin l'Académie Royale de Chirurgie
affure dans le rapport de fes expériences
fur la Litotomie ; que lafacilité
de l'extraction des pierres les plus
confidérables , eftfrapante , & féduit en
faveur de cette opération ; qu'elle a eu
des fuccès brillans fous les yeux de
M. Senac, premier Médecin du Roi (k )
& que M. de la Martiniere , premier
Chirurgien du Poi qui a affifté à toutes
les opérations qui ont été faites du vivant
par M. Thomas , en porte le jugement
le plus avantageux. &c. Voyez
Lecteur , redoublez d'attention , & découvrez
la vérité fi vous le pouvez :
entre ces éloges , & nos raifons . ( 2 )
( k ) Quelqu'un affure dans un Ecrit , que M.
Sénac n'a point affifté aux Tailles de M. Thomas .
( 1) Il ne manque à ces éloges que la lifte des
Taillés , avec ia date & les lieux où ils ont été
opérés , ainsi que leurs noms , qualités & demeuSEPTEMBRE.
1762. 153
Pour vous ouvrir la voie , nous vous
obferverons feulement que les Auteurs
des ces éloges décrient avec la même
énergie , la méthode de tailler & le
Litotome caché du Frère Cofme , adoptée
aujourd'hui partout , jufques dans
les Hôpitaux de Paris , par les Membres
mêmes de l'Académie de Chirurgie.
L
ARTS AGRÉABLES.
PEINTURE.
E concours nombreux des Savans
& des Curieux qui ont affifté à la Séance
publique de l'Académie Royale de
Chirurgie le 22 Avril de cette année ,
a vu avec plaifir deux Tableaux qui
avoient été placés dans la Salle de l'Affemblée
quelques jours auparavant . S'ils
ont eu la fatisfaction d'entendre de fçavans
Mémoire ( dont nous avons rendu
compte dans le premier Volume du Mercure
de Juillet ) qui tendent au progrès
res. Il y manque encore la lifte des Chirurgiens
qui ont adopté les manoeuvres de MM, Foubert
& Thomas. Ces deux Articles prouveroient certainement
plus , que tous les êloges poffibles.
G v
154 MERCURE DE FRANCE .
de l'Art , au bien de l'humanité, & qui,
fervent à faire connoître de plus en plus
d'une maniere avantageufe , l'utilité de
cette Académie ; ils n'ont pas paru moins
flatés d'y trouver le portrait de l'illuftre
Bienfaiteur de cette Compagnie & un
pendant allégorique dont l'idée a été
fournie par le génie & par la reconnoiffance.
L'Académie toujours occupée de fes
travaux , avoit toujours préfente , dans
chacun de fes Membres , la Mémoire de
M. de la Peyronie ; il lui manquoit cependant
le portrait de ce Grand - Maître
, de ce Reftaurateur de l'Art , & elle
s'étoit occupée fouvent du foin de fatisfaire
à fes defirs fur ce point , lorfqu'elle
a été prévenue par un de fes
Membres , qui plein d'un attachement
& d'une reconnoiffance particulière n'a
rien ménagé pour la décoration & la dignité
du fujet qu'il offre à la Compagnie
. Sa générofité trop modefte n'a
pas permis qu'on le nommât ; mais il
faut efpérer que la reconnoiffance trahira
le fecret & fera reconnoître celui qui
a déja fait décorer l'Amphithéâtre des
Ecoles de Chirurgie d'un monumen de
marbre & de bronze élevé à la Mémoire
de M. de la Peyronie. Un Amateur
SEPTEMBRE. 1702. 155
zélé des Beaux -Arts a bien voulu diriger
l'ordonnance de cette décoration .
Deux Tableaux ovales , encadrés de
bordures élégantes , & placés avantageufement
, préfentent du côté droit le
portrait de grandeur naturelle de M.
de la Peyronie , peint par M. Rigaud.
On le voit affis vis-à-vis d'un Bureau,tenant
de la main gauche le premier Volume
des Mémoires de l'Académie &
ayant devant lui d'autres Ouvrages auxquels
il a eu part. * Le pendant Allégorique
peint par M. Pouffin Eléve de l'Adémie
Royale de Peinture & de Sculpture
, eft du côté gauche ; il repréfente
Minerve, le Symbole de tous les Arts ,
du Génie & des Talens , qui regarde M.
de la Peyronie. Elle a la main appuiée
fur un bouclier , où eft repréfenté Apol
lon chaffé du Ciel , & qui par l'image
d'un Jardinier qui émonde , greffe &
ôte la fuperficie d'un arbre avec ces mots,
Apollini opifero , fait allufion à la Chirurgie
que M. de la Peyronie a illuftrée
par fes Talens & par fes Bienfaits.
Le Collége des Chirurgiens de Paris ,
pénétré de reconnoiffance pour fon
* Une robe & une fourrure jettés négligemment
derrière lui fur le fauteuil où il eft affis
défignent la qualité de Docteur en Médecine.
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
Bienfaiteur , a fait graver le portrait par
M. Daullé , Graveur du Roi , & a mis
au bas cette Infcription fimple & noble :
Francifcus DE LA PEYRONIE, Ludovici
XV Regis Chriftianiffimi Chirurgus primarius
, Regiorum Medicorum Confilii
Socius , Academiæ Regie Chirurgica
Præfes Munificentiffimus.
SCULPTURE.
É SSAI hiftorique fur la mort de M
BOUCHARDON , Sculpteur de S. M.
& Profeffeur enfon Académie Royale
de Peinture & de Sculpture.
L'INTÉRÊT que vous prenez
, Monfieur
, au deftin & à la gloire
des grands
Artiſtes
, ne me permet
pas de vous laiffer
ignorer
la mort d'un des plus célébres
Sculpteurs
du fiécle & les fincères
regrets
de toutes
les perfonnes
que fon
mérite
lui avoit
attachées
.
Bouchardon n'eft plus . Je n'entreprendrai
point de faire fon éloge. La
vérité peut devenir fufpecte dans la bouche
de l'amitié ; d'ailleurs je dois cette
réferve à l'illuftre Amateur , ( a ) chargé
(a ) M. le Comte de Caylus.
SEPTEMBRE. 1762. 157
de faire l'hiftoire de fes moeurs & de fes
talens. Eh ! que pourrois-je vous en apprendre
? L'intimité , qui vous a longtemps
unis , la connoiffance , que vous
avez prife par vous même des progrès
de fon génie & du fuccès de fes Ouvrages
, vous ont fuffifament inſtruit de
tout ce qui concerne les qualités de fon
coeur & de fon efprit.
Une vertu fans éclat , mais vraie , une
fermeté fans politique , mais honnête ,
formerent jufqu'à fes derniers inftans
le caractère de fon âme. Un zéle infatigable
, le plus ardent amour pour tout
ce qui concouroit à la perfection de fon
Art , furent les refforts qui animerent
fes études & fes travaux.
Après un féjour confidérable a Rome
où il fit un honneur infini à la Nation
par la fublinité de fes talens , nous le
vimes transporter dans nos climats ce
goût févère & noble , fimple & majeftueux
, agréable & impofant , qui lui
fit des critiques de tous ceux , qui ne
goûtoient pas fa maniere. Nous le vimes
lutter contre le prejugé dominant , ſoutege
& avec conſtance le
fyftême & les loix du vrai beau , qui
conftituoient le caractère diſtinctif de
nir avec courag
fes
ouvrages,
158 MERCURE DE FRANCE.
Son génie , élevé dans les principes du
Grand , imprima dans toutes fes produc
tions les beautés mâles & auftères de
l'Antique , qu'il prit toujours foin d'égayer
par les graces de la Nature .
La fécondité , la noble fingularité des
inventions , la grandeur des idées , combinée
avec la plus naïve fimplicité , éclatent
dans tous les monumens que fon
cifeau mit aujour. Il y affocia non-feulement
les parties éffentielles de fonArt,
mais encore celles qui pour n'y être que
relatives concourent néceffairement à
l'harmonie du tout - enfemble.
Les divers genres de bas- reliefs , les
caractéres variés des figures de tout âge
& de tout fexe , le fçavant contraſte des
groupes y font quelquefois réunis avec
les riches ordonnances & les ornemens
précieux de la noble Architecture . Difons
tout le Poëte , le Peintre même
femble briller de concert avec l'Architecte
& le Sculpteur dans les ouvrages
de Bouchardon. Les yeux bien organi
fés y decouvrent le moelleux , l'harmo
nie , le coloris , les nuances du Naturel.
L'efprit impartial y dévoile l'enthoufiafme
, la jufteffe , l'élévation , le fentiment
du vrai. Le Sculpteur y admire les
beautés , les principes lumineux de fon
SEPTEMBRE. 1762. 159
Art , & l'Architecte les plans ingénieux ,
les belles formes , les riches proportions
adroitement adaptés aux figures & aux
divers objets , qui font portion de l'Edifice
. Tels Michel- Ange & Pujet étonnerent
leurs Admirateurs par la fçavante
réunion des Talents divers , que ces
grands Maîtres eurent l'art de perfectionner
!
C'eſt par la netteté , l'énergie , la précifion
de fon cifeau , que Bouchardon
prêta au marbre & au bronze la vie &
le fentiment. Il puifa cette magie de
l'Art dans les Ouvrages des fameux
Sculpteurs de Rome & de la Gréce. Il
ne fit que les égaler par la nobleffe &
les graces de fon ébauchoir ; mais il les
furpaffa par la fierté de fon crayon.
Quel Artifte fe fignala jamais comme lui
par la fineffe , l'expreffion & la profondeur
dans la fcience du deffein ? Les
portefeuilles , les cabinets des Curieux
de toutes les Nations en rendent témoignage.
J'ajoute : Combien de Monumens
, projettés à Rome , ou exécutés à
Paris , annonceront à nos derniers neveux
, par l'organe de notre Artifte, que
le Siécle de LOUIS LE BIEN -AIMÉ a
produit des Sculpteurs auffi célébres
que ceux qu'on admira fous le Regne de
LOUIS-LE -GRAND !
160 MERCURE DE FRANCE.
毒
Quelque évidente qu'en foit la
:
preuve
dans la plus grande partie des productions
de Bouchardon , on ne fçauroit
difconvenir qu'il n'en ait mis au jour,
qui dépofent moins victorieufement en
faveur de fa gloire. N'en foyons point
étonnés les plus grans Maîtres ont eu
le même fort. Ils font fouvent forcés de
confier à des mains étrangères les travaux
qu'il leur eft impoffible d'exécuter.
Jugeons du mérite des Artiſtes par les
chefs-d'oeuvre qui leur ont valu pendant
leur vie la haute réputation dont
on ne jouit guères qu'après la mort.
La confidération dont Bouchardon fut
toujours honoré par fes propres Confrères
,, par d'illuftres Amateurs , par le
généreux Miniftre des Arts
par les
Grands , par les Souverains même , ne
pouvoit être portée à un plus haut degré.
Leur eftime , leur amitié même en
furent le témoignage ; les diftinctions, les
récompenfes en ont été le fruit . Chéri ,
révéré de toutes les perfonnes de goût ,
il fut chargé des Ouvrages les plus honorables
& les plus flatteurs. Pouvoit-il
fuffire à tous les travaux importans qui
lui étoient propofés ? Combien n'en facrifia-
t-il pas à celui qui devoit combler
fon ambition ,fon bonheur , fa fortune,
SEPTEMBRE. 1762. 161
fa gloire & qui eft devenu l'époque du
terme de fes jours ?
Brillante entrepriſe qui conftate la
haute idée que la Ville de Paris avoit
de fes rares talens , Monument célébre
, qui en éternifant la reconnoiffance
publique , immortalife un Artifle fameux
! Avec quel fuccès n'euffiez- vous
pas été conduit au dernier période de
la perfection , fi le deftin jaloux n'eût
point fitôt arraché le cifeau des mains
de Bouchardon , pour lui ravir une partie
de fa gloire ?
Je me trompe : c'est pour relever l'éclat
de cette gloire fi méritée , que la
Parque s'eft hatée de trancher le fil de
fes jours. L'Artiſte intrépide prévoit le
coup ; il ne fçauroit le détourner ; mais
il s'y prépare par une foumiffion refpectueufe
aux decrets de la Providence . Il
met au rang des devoirs du Chrétien, celui
de remplir avec honneur tous fes engagemens.
Il les couronne par le trait
d'une équité judicieufe & d'un louable
fang-froid. Il fe nomme un fucceffeur ,
non pour hériter de fa fortune mais
pour partager fa gloire . Le choifira-t-il
par des motifs de condefcendance
ou
d'amitié ? Sa délicateffe fe méfie des pré-
>
jugés de l'affection ; il ne confulte que
162 MERCURE DE FRANCE.
l'intérêt de l'ouvrage ; & fon choix,balancé
entre plufieurs de fes habiles Confrères
, fe détermine en faveur de celui
qu'il eftime le plus capable d'entrer dans
fa manière , dans fon ſtyle , dans fon efprit
& dans fon goût.
Une lettre adreffée à M. le Prévôt des
Marchands apprend à MM. les Chefs du
Bureau , à la Nation , à l'Univers , que
M. Pigalle , Sculpteur du Roi & Profeffeur
en fon Académie Royale de
Peinture & de Sculpture , eft celui que
Bouchardon choifit , pour conduire avec
fuccès & à la plus haute perfection , l'ouvrage
dont la Capitale l'avoit chargé.
Quelle plus brillante diftinction peut
flatter un Confrère déja célébre ? Il en
va goûter bientôt les fruits. ( b ) Bien-
-po-
(b) La Ville de Reims , pour qui M. Pigalle
fait un Ouvrage en l'honneur du Roi , charmée
d'apprendre le choix qui a été fait de cet habile
Altifte , pour achever le Monument de la Ville
de Paris , lui a écrit à ce fujet une lettre très- p
lie, qui finit en ces termes : Cet événement eft trop
flatteur , Monfieur , pour que le Corps de Ville ne
vous en félicite pas & ne vous marque dans cette
circonftance , tous les fentimens d'eftime & de confidération
avec lesquels nous fommes très-parfaitement,
Monfieur , vos très-humbles &c . les Lieutenans
, Gens du Confeil & Echevins de la Ville de
Reims , Le 6 Août 1762.
SEPTEMBRE. 1762. 163
tôt les refpectables Echevins lui annoncent
par une députation , la glorieufe
préférence , & lui expédient un double
de l'Acte que Bouchardon avoit fait en
fa faveur.
Jugez , Monfieur , par la copie de
cette lettre que je vous communique ,
fi elle n'eft pas également honorable à
l'Humanité , aux Talens , aux Artiſtes ,
& aux Peres de la Patrie , qui en réalifent
la teneur avec une exactitude fcrupuleufe
. Cette attention manifefte leur
amour pour la juftice , leur goût pour
les Arts & leur eftime pour le Sculpteur
célébre qu'ils ont honoré jufqu'au tombeau.
(c )
COPIE de la Lettre adreffée à M. le
Prévôt des Marchands › par
M.
BOUCHARDON.
» L'ouvrage important que j'ai entre-
» pris pour la Ville de Paris , & que
» j'ai actuellement entre les mains , ne
» ceffe de m'occuper , même dans l'état
» de fouffrance & d'infirmité auquel
» m'ont réduit des travaux , peut-être
» au-deffus de mes forces ; plus j'appro-
( c ) MM. les Echevins de la Ville de Paris ont
affifté au Convoi de M. Bouchardon.
164 MERCURE DE FRANCE .
33
» che du terme où il plaira à Dieu de
» m'appeller à lui , plus cet Ouvrage
» me devient cher & me fait penfer
» aux moyens de lui donner fon en-
» tiere perfection. Suppofé que lors de
» mon décès il ne fut pas tout-à-fait ter-
» miné ; dans ce cas , je fupplie très-
" humblement M. le Prevôt des Mar-
» chands , & MM. du Bureau de la
» Ville de Paris , de vouloir bien per-
» mettre que je leur préfente M. Pigalle,
Sculpteur du Roi & Profeffeur de fon
» Académie Royale de Peinture & de
» Sculpture , dont l'habileté eft fuffi-
» famment connue ; & je les prie de
» l'admettre & d'agréer le choix que
» je fais de lui pour l'achèvement de
" mon Ouvrage. Affuré que je fuis de
»fa grande capacité & de l'accord . de
» fa maniere avec la mienne ; j'espere
» que ces Meffieurs ne me refuferont
» pas cette derniere marque de leur
» confiance : je la leur demande fans au-
» cune vue d'intérêt & avec l'inftance de
» quelqu'un qui eft auffi véritablement
» jaloux de fa réputation , qu'il l'eft de
» l'Ouvrage même ; & je compte affez
» fur l'amitié de mon cher & illuftre
» Confrère , pour ofer me promettre
» qu'il fera pour moi ce qu'en pareil cas
SEPTEMBRE . 1762. 165
ود
» il ne doit pas douter que je n'euffe fait
» pour lui , s'il m'en avoit jugé digne ;
» qu'il fe chargera volontiers de ter
» miner ce qui fe trouvera manquer à
" mon Ouvrage au jour de mon décès :
» Je lui en réitére ma priere , & je
» fouhaite , s'il s'y rend ainfi que je
l'efpere , qu'il s'entende fur cela avec
» mes Héritiers , & que les modéles &
» deffeins que j'ai déjà préparés pour
» cette fin d'Ouvrage , & qu'il eſtime-
» ra lui être néceffaires , lui foient re-
» mis , fous le bon plaifir de la Ville ,
», afin qu'il puiffe mieux juger de mes
» intentions , & en les rempliffant au-
» tant qu'il le jugera à propos , qu'il
» travaille pour ma gloire & pour la
» fienne. Car quoique je fois très-con-
» vaincu qu'il ne feroit pas difficile de
» faire mieux , je crois devoir déclarer
» que dans l'état où j'ai amené l'ouvrage
» il feroit dangereux d'y rien changer
» tant par rapport à l'ordonnance générale,
que pour la difpofition de chaque
figure.Auffi eft-ce par cette confidéra-
» tion & parce que je connois le goût &
la façon d'opérer de M. Pigalle , que
» j'ai principalement jetté les yeux fur lui;
» & que fans vouloir faire tort à aucun
"
"3
de mes Confrères , dont je refpecte
166 MERCURE DE FRANCE.
les Talens , j'ofe affurer de la réuffi-
» te de l'Ouvrage de la Ville , du mo-
» ment que la conduite lui en aura été
» confiée. Au Roule , le 24 Juin 1762 .
Signé , BOUCHARDON .
"
Avouons-le , Monfieur , il n'eft point
de trait dans l'Hiftoire des Artiftes anciens
& modernes les plus célébres , qui
mérite autant notre admiration . S'illuftrer
foi-même eft dans l'ordre de la nature
; illuftrer ſes rivaux eft le chef-d'oeuvre
de la générofité. Si Bouchardon fut
refpectable par la fublimité de fes talens ,
pendant le cours de fa vie , il devient
bien plus refpectable encore par la nobleffe
de fes fentimens à l'heure de la
mort. Il acquiert de nouveaux droits à
l'immortalité , en nous convainquant ,
par un procédé , peut-être unique , que
la véritable vertu ne fe dément jamais .
Je fuis , Monfieur , &c .
DANDRÉ BARDON .
A Paris , ce 3 Août 1762.
SEPTEMBRE. 1762. 167
L
GRAVURE.
,
E fieur Maillard , Marchand d’Eftampes
, rue S. Jacques , près des Mathurins
, continue de débiter divers Emblêmes
, FFaabblleess ,, Devifes , Cadrans
Bouquets & Etrennes , fur des fujets de
piété , de morale & autres , le tout gravé
& proprement enluminé. Il vend actuellement
quatre Bouquets pour la S.
Laurent , l'Alfomption , la S. Louis &
la-S. Auguftin , compofés chacun d'une
vignette enluminée, relative à chaque
fête avec des vers au bas reffource
>
très commode pour les perfonnes qui
n'ont pas le talent ou le loifir d'en.compofer.
On trouve auffi chez lui un affortiment
d'Ouvrages en caractères , avee
des deffeins & des vignettes pour peindre
les meubles , les habillemens & c.
Son époufe montre aux Dames à fe
fervir de ces mêmes Ouvrages foit à la
broffe , foit au pinceau . Sa demeure eſt
toujours rue S. Jacques , chez M. de
Lambert , Avocat , proche les Mathurins.
Les Perſonnes qui lui écriront font
priées d'affranchir leurs lettres.
Le fieur LEMAIRE , Graveur , vient
168 MERCURE DE FRANCE.
de faire paroître deux nouveaux Cahiers
de fon ouvrage intitulé , Traits de l'Hiftoire
Univerfelle , facrée & profane :
fçavoir le 1. Cahier du 4. Tome de
l'Hiftoire Sacrée , n° . 15. compofé de
19 fujets , & les 19 premiers fujets du
2. Tome de l'Hiftoite Poëtique , nº . 7.
Cet Ouvrage , qui n'avoit d'abord été
exécuté qu'au fimple trait , a acquis depuis
des degrés de perfection , qui ne
peuvent que s'accroître fous la direction
du célébre M. Lebas , Graveur du Roi.
A l'égard des Textes qui font au bas de
chaque Eftampe , M. de Querlon s'étant
chargé de ce travail , on doit être perfuadé
& de la jufteffe du choix & de la
fidélité de la traduction . On continue
de foufcrire chez les Libraires indiqués
dans le Profpectus ; & chez le fieur Lemaire
, a & uellement rue S. André , la
porte cochère vis -à - vis la rue Gillecoeur
, au troifiéme. Les deux parties
formant 240 Eftampes , coutent 36 liv.
par an aux Soufcripteurs , & 48 liv . à
ceux qui n'ont point foufcrit.
On trouve chez le fieur GAUTIER ,
rue & Cloître S. Honoré , une nouvelle
Carte de la France , analyfée par Gouvernemens
, Parlemens , Généralités &
ArcheSEPTEMBRE.
1762. 169
Archevêchés . Par M. Brion , Ingénieur
Géographe .
Cette Carte paroîtra différente de bien.
d'autres , en ce que furtout on s'eft écarté
de l'ufagé affez général, d'entaffer pofition
fur pofitions , & de ne laiffer aucun
endroit élagué. L'objet éffentiel ici ,
a été de ne repréfenter que les lieux remarquables
, foit par toute autre qualification
encore que celles qu'annonce
le titre , foit par leur commerce & leurs
productions.
Le fieur LATTRÉ , Graveur , rue S.
Jacques , au coin de la rue de la Parcheminerie
, à la Ville de Bordeaux
vient de publier une nouvelle Carte de
Portugal , en deux moyennes feuilles
qui fe vendent enſemble quarante fols.
Cette Carte a été dreffée fur quantité de
morceaux Topographiques levés fur les
lieux , & particuliérement fur les Opérations
Géométriques de Dom Vasquez
de Cozuela. M. Rizzi Zannoni , Auteur
de cette Carte , en a dreffé le canaveas de
projection d'après une théorie dont il
rendra compte dans une analyſe.Les Obfervations
Aftronomiques faites dans le
Royaume d'Algarve par M. Godin , de
l'Académie des Sciences de Paris , celles
H
170 MERCURE DE FRANCE.
qui ont été faites en différentes parties du
Portugal par les PP. Capaffo & Lacerda
Jéfuites , ont fixé furfa Carte les points
principaux. Des Cartes Maritimes , conftruites
par des Pilotes Anglois, ont donné
le giffement & la configuration des Côtes
très-différentes que dans les Cartes qui
ont précédé celle- ci .
La Carte que nous annonçons n'eft
que le commencement d'un Ouvrage
plus confidérable d'une Espagne en douze
feuilles , qui ne tardera pas à paroître
avec une Analyfe dans laquelle l'Auteur
donnera le détail de fes Opérations.
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
O
OPERA.
N a continué , avec la fatisfaction
du Public , le Spectacle de Fragmens
dont nous avons rendu compte dans le
dernier Mercure .
*
* M. Veftris a repris dès le commencement
d'Août,fon Entrée dans la belle Chaçonne des Sauvages;
ce qui a fait très-grand plaifir. Excellent
SEPTEMBRE . 1762. 171
On donnera , le 7 du préfent mois ,
Acis & Galatée. Nous parlerons de cette
repriſe dansle volume prochain.
COMÉDIE
FRANÇOISE.
LE 29 Juillet on a remis au Théâtre
Cinna.
On doit aux Acteurs de notre temps
& particuliérement au Talent de Mile
Clairon , d'avoir renouvellé parmi nous
le Grand Corneille. La remife d'une de
fes Tragédies , éxcite aujourd'hui autant
de curiofité & d'empreffement qu'une
nouveauté longtemps annoncée , impatiemment
attendue , & dont le fuccès
eft toujours incertain. Plus les
beautés des chef- d'oeuvres de notre
dans toutes les chofes qu'il éxécute , il eſt admirable
dans cette Entrée. Le caractère de cette
Mufique célébre femble ajouter encore à la nobleffe
& aux grâces du Danfeur. Mlle Allard,qui
acquiert tous les jours de nouvelles perfections , a
fervi dans cet Opéra avec la plus grande éxactitude.
On convient généralement à préfent , que
le Pas de Polonnois n'avoit jamais été rendu, comme
il doit l'être , que par M. Dauberval & Mlle
Peflin qui ont danſé auſſi très - éxactement.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
Théâtre font connues , plus les Spectateurs
font difficiles fur la maniére de
les rendre ; ainfi dans le concours
qu'elles attirent à préfent & dans les fuffrages
unanimes qu'elles réuniffent , les
Acteurs ont une part très-honorable.
On connoît trop les Talens de M. le
Kain , pour douter de leur effet dans
le rôle de Cinna. M. Molé rend celui
de Maxime avec chaleur , & en mê
me temps , avec un détail de raiſonnement
qu'il ne doit qu'à fa propre intelligence
, & que l'on fent bien n'être emprunté
d'aucun modéle. Augufte ne
peut être mieux repréfenté que par M.
Brifart pour remplir l'idée que nous
en avons & produire tout l'intérêt que
l'Auteur a voulu mettre dans ce grand
caractére. Mlle Clairon , toujours admirée
& chaque jour plus admirable
fçu ajouter, pour ainfi dire, au génie de
Corneille dans le rôle d'Emilie . Ne pouvant
donner l'idée de tout ce qu'exprime
cette excellente Actrice , nous rapporte
rons un feul trait de fon jeu qui a frappé
tous les Spectateurs : c'eſt le gefte
par lequel elle interrompt Maxime ,
avant que de prendre la parole fur lui ,
lorfqu'Emilie prévoit tout ce qu'il va
dire & qu'elle ne veut pas entendre.
>
a
SEPTEMBRE . 1762. 173
Ce gefte fi fimple , eft ce qu'on peut appeller
le fublime en action ; d'autant qu'il
eft d'une jufteffe & d'une vérité qui ne
permettent pas de croire qu'on puiffe
jouer autrement , quoiqu'il ne fut venu
à perfonne , jufquà ce moment , de le
defirer dans le jeu de ce rôle. ( a )
Les repréſentations de Cinna , qui attiroient
autant de Spectateurs qu'il eft
poffible d'en raffembler dans cette faifon
, ont été interrompues , après la
cinquième , par l'indifpofition de Mlle
Clairon.
( a ) Les éloges réitérés que nous faifons de
certains Sujets diftingués fur la Scène , ou ceux
que nous donnons quelquefois , comme motifs
d'encouragemens , doivent paroîtrefaftidieux à
ceux qui n'ont ni les moyens ni les occaſions
d'en mériter dans quelque genre que ce foit.
Mais ceux que ces éloges bleffent davantage, font,
à la honte de l'efprit humain , les Auteurs dramatiques
qui n'ont pu obtenir des fuffrages foutenus
au Théâtre. Cependant , comme le Public
renouvelle à chaque occafion , par fes applaudif
femens & par fes éloges , le prix dont il croit devoir
payer le nouveau plaifir que lui donnent des
talens qu'il applaudit depuis longtemps , & qu'il
encourage ceux qui cherchent à obtenir les fuffrages;
fa conduite , à cet égard , fera notre loi plu
τότ que l'humeur de certains Particuliers.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE .
1
Le 1 Août on a remis le Curieux impertinent,
Comédie de M. Nericault Def
touches. Mile Dangeville étant tombée
malade après la première répréfentation
, Mlle Bellecourt fut obligée de la
remplacer à la feconde , dans le rôle
de Soubrette ; elle y fut applaudie avec
juftice ; & elle a continué ce rôle avec
agrément. La Piéce a été très-bien jouée,
en général ; M. Bellecourt n'a épargné
aucuns foins pour faire valoir le principal
rôle dont il étoit chargé. Malgré
toutes ces attentions , qui rendent à la
vérité plus fenfibles aujourd'hui les beautés
dont font remplies prèfque toutes les
Piéces de M. Deftouches , il faut convenir
cependant que les mêmes caufes
qui avoient occafionné l'indifférence du
Public dans la nouveauté , font encore
le même effet à la repriſe de celles qui
n'avoient pas eu un fuccès décidé. Le
Curieux impertinent a eu 4 repréfentations
qui ont fait plaifir fans produire un
grand concours de Spectateurs . On n'en
doit pas moins fçavoir gré aux Comédiens,
des peines qu'ils fe donnent pour
faire repaffer fous les yeux d'un Public
qui fe renouvelle fouvent , des Ouvrages
que beaucoup de gens ignorent ou
négligent de lire avec attention. Dans le
SEPTEMBRE. 1762. 175
nombre de ces éffais , qui ne peuvent
jamais déplaire au Public éclairé , il s'eft
déja trouvé & il fe trouvera encore dequoi
étendre beaucoup le Répertoire.
D'ailleurs quant aux Ouvrages de M.
Deftouches, quelques obftacles qui puiffent
fe rencontrer dans quelques - uns
pour le grand fuccès , il fe trouve dans
tous , des modéles à imiter pour le vrai
genre de la Comédie moderne & pour
en entretenir le goût .
Le Lundi 5 Août on donna la premiere
répréfentation des Deux Amis ,
Piéce en 3 Actes & en profe , dont le
Conte qui porte le même titre a fourni
le fujet. La chûte de cette Piéce étoit
déterminée dès le milieu de la premiere
Scéne , laquelle en effet étoit trop allongée
, & trop appefantie fur l'idée
indécente d'un commerce, que fe reprochent
mutuellement les deux vieux amis,
avec la Mere de la jeune Pupille que
chacun d'eux voudroit époufer. Il y
avoit dans le refte de la Piéce des plaifanteries
qui n'ont point produit l'effet
qu'elles auroient pû produire , par la fâcheufe
prévention qu'avoit donnée cette
Scène ; ce qui peut-être ne feroit pas
arrivé , fi l'on eût prévénu fur un genre
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
que l'on n'eft plus accoutumé depuis
longtemps de voir renaître au Théâtre
François. Il est d'autres Théâtres mixtes
où Thalie s'eft prêtée jufqu'à admettre
des Racoleurs , des Jérôme & Fanchonettes
, des Gilles Peintre Amoureux ,
des Sancho - Pança, & autres Drames ,
que l'efprit fe permet comme un délaffement
, mais dont il croit devoir
rougir de s'occuper fur une Scène confacrée
à la regularité. Rien ne prouve
plus inconteftablement la force des con
venances locales , que ces fortes de
contrariétés dans le Public qui applaudit
avec excès à un Théâtre, un genre qu'il
profcrit fur un autre par les jugemens les
plus févères.
L'attrait du jeu de M. Préville foutint
la repréfentation des Deux Amis
jufqu'à la fin ; & le plus grand nombre
de Spectateurs regretta le plaifir
qu'il y auroit pu faire fi le Parterre eût
eu un peu plus d'indulgence pour la
Piéce .
Mlle Dubois , qui n'a point démenti
les efpérances qu'avoit données fon début
, a joué avec applaudiffement pendant
l'abfence de Mlle Clairon dans
Ariane & dans l'Orphelin de la Chine.
SEPTEMBRE. 1762. 177
Le Public a vû avec un très - grand plaifir
reparoître Mlle Clairon dans Didon &
dans Héraclius. M. Brifart a pris le rôle
de Phocas dans cette dernière Tragédie .
N. B. On a remis auffi l'Irréfolu ,
Comédie de M. Néricault Deftouches :
nous parlerons de cette reprife dans le
Mercure prochain.
Comme nous avons inféré dans le 2°.
Vol. de Juillet un Éloge hiftorique de
feu M. de Crébillon , nous nous trouvons
obligés de prévenir le Public fur un Ou
vrage imprimé in - 8°. qui porte ironiquement
le même titre , dans la crainte
que l'on ne confonde la vérité avec le
poifon groffier de l'Envie répandu dans
ce méprifable Libelle contre les Ouvrages
d'un grand Homme.
COMÉDIE ITALIENNE.
DEPEPUUIIS la fin de Juillet & pendant le
mois d'Août , on a remis fur le Théâtre
de la Comédie Italienne plufieurs Opéra-
comiques de l'ancien genre ; fçavoir
Cendrillon , les Racoleurs , la Ser
vantejuftifiée , le Cocq du Village, &c..
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
On a repris & continué les repréfentations
de Sancho-Pança dans fon Ifle.
Le fuccès des Soeurs Rivales a toujours
été en augmentant , & cette petite
Piéce a été continuée avec un nouveau
plaifir pour les Spectateurs .
CONCERT SPIRITUEL.
LE 15 Août, Fête de l'Aſſomption , les
nouveaux Directeurs donnerent leur premier
Concert. Le Public marqua à M.
d'Auvergne par des applaudiffemens trèsfllateurs,
le plaifir quil avoit de le voir à
la tête de cette entrepriſe.
Le Concert commença par une fymphonie
qui mérite de véritables éloges.
Le Motet de M. Blanchard fut applaudi .
On entendit avec un étonnement agréable
un Joueur de Harpe qui tire de cet
Inftrument un fon prodigieux . Mlle Paganini
chanta, & l'on fut très-fatisfait de
la légéreté de fon gofier ainfi que de l'art
avec lequel elle exécute les paffages
qui conftituent le mérite de la Mufique
Italienne .
* La Piéce des Saurs Rivales le trouve imprimée
chez Duchesne , Libraire , rue S. Jacques , au
Temple du Goût , ainfi que celle de Sancho-
Pança.
,
SEPTEMBRE. 1762 . 179
M. Gavinié exécuta un Concerto de
fa compofition, qui fit le plus grand plaifir,
& que beaucoup de Connoiffeurs eftiment
le meilleur qu'il eût encore don
né. Nous ne dirons rien de l'exécution
de M. Gavinié , qui eft aujourd'hui
au- deffus des éloges , & dont la célébrité
n'a plus beſoin d'être annoncée .
Le dernier Motet , dont l'Auteur eſt
Anonyme, a plus réuffi au jugement des
gens de l'art qu'à celui des autres. Il eft
du meilleur genre de compofition ; mais
comme les paroles n'expriment dans
tous les verfets qu'un même fentiment ,
elles n'ont fourni au Muficien qu'une
feule expreffion , ce qui l'a obligé d'avoir
recours aux moyens de combinaifons
purement muficales , pour varier.
Ainfi ne donnant lieu ni à des images ni
à des fentimens contraftés , ce motet eft
en mufique ce qu'eft en deffein une excellente
étude , dont les Connoiffeurs
fentent le prix , mais où l'oeil du Spectateur
ordinaire n'apperçoit rien qui le
frappe.
On a fait dans la diftribution de l'Orcheftre
des changemens avantageux ,
en partageant également de chaque côté
les premiers & feconds deffus , ce qui lie
bien mieux l'harmonie à l'oreille de cha-
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
que Auditeur dans quelqu'endroit de la
Salle qu'il fe trouve placé.
La nouvelle Société , en faifant repeindre
la Salle & en fubftituant de trèsbeaux
luftres aux anciens , n'a pas négligé
la commodité du Public , auquel
on a procuré des efpaces bien plus, commodes
entre les banquettes.
Il y a eu beaucoup de monde à ce
premier Concert ; on fe propofe de ne
donner que des nouveautés,dans tous les
genres, au prochain Concert du 8 de ce
mois , Fête de la Nativité,
ARTICLE VI.
SUITE des Nouvelles Politiques du
fecond Volume de Juillet.
DECLARATION de guerre de Sa Majesté
Catholique contre le Roi de Portugal .
TOUOUTTEESS les fortes raifons , tous les motifs de
juſtice & de convenance , que j'ai repréſentés au
Roi de Portugal , de concert avec le Roi Très-
Chrétien toutes les exhortations fraternelles ,
dont je les ai accompagnés , n'ont pû le détacher
de la partialité aveugle qu'il a vouée aux
Anglois nos ennemis ; & fans laquelle il femble
qu'il ne pourroit ni refpirer ni régner , ce qui
eft en lui l'effet d'une habitude invétérée , &
SEPTEMBRE. 1762. 181
du pernicieux afcendant de ceux qui le confeilent.
Nous n'avons fait , au contraire , l'un & l'autre,
que lui donner lieu . non- feulement de nous
apprendre combien nos espérances étoient yaines
, mais encore de nous faire l'infulte la plus
atroce, par la préférence qu'il a donnée à l'amitié
& à l'alliance de l'Angleterre , fur celle de l'Efpage
& de la France , & de me faire à moi
en particulier , I outrage de retenir dans la Ville
d'Extremos mon Ambaffadeur Don Joſeph Torrero
, fans aucun égard pour le caractere dont
ce Miniftre étoit revêtu , après l'avoir laillé partir
de Lisbonne , & pourfuivre fon voyage jufqu'à
cerre Ville , fous la fauve garde des paffeports
qui lui avoient été accordés pour fortir du Portugal.
Malgré des procédés fi injurieux , & qui
m'autorifent fuffifamment a ne plus garder de
mefures avec le Roi de Portugal & avec fes
Sujets comme je ne voulois point m'écarter
de la réfolution que j'avois priſe , de ne faire
une guerre offenfive aux Portugais , qu'autant
qu'ils m'y auroient forcé , & de ne faire ent er
mes troupes dans leur pays , que pour les délivrer
du joug des Anglois , & nuire à ceux - ci
qui font mes ennemis déclarés , J'ai différé de
donner mes, ordres au Marquis de Sarria , Commandant
Général des troupes deftinées à entrer
eu Portugal , pour qu'il traitât , avec les rigueurs
de la guerre , les troupes de ce Royaume & fes
Peuples , & d'interrompre toute corespondance
& tout commerce avec eux . Mais , comme il
m'eſt parvenu un Edit , rendu le 18 Mai dernier
par le Roi de Portugal , dans lequel fous, prétexte
que le Roi Très - Chrétien & Moi Nous
fommes convenus de difpofer de les Etats , & de
les envahir & ufurper , on donne de fauffes in182
MERCURE DE FRANCE.
terprétations à nos démarches amicales , & à
nos intentions falutaires ; & dans lequel S. M.
T. F. ordonne à tous les Sujets de nous regarder
& de nous traiter comme des ennemis déclarés,
& de ceffer , tant par terre que par mer, tout
commerce & toute correfpondance avec nos
Etats , en même temps qu'Elle défend l'entrée
& l'ufage de leurs productions & marchandiſes,
qu'Elle ordonne la confifcation des biens , des
Efpagnols & des François , & qu'Elle leur enjoint
de fortir du Portugal , fous le terme de
quinze jours ; délai qui , quoique très-court, a été
cependant fi mal obfervé de fa part, qu'avant fon
expiration , on a vû, avec horreur , arriver en
Espagne plufieurs de mes Sujets , chaffés des
Villes Portugaifes , avec les violences les plus
odieufes , après avoir été très- maltraités , &
quelques- uns même eftropiés . D'ailleurs , comme
le fufdit Marquis de Sarria a reconnu que les
Portugais abulent de l'indulgence avec laquelle
il les traite & du foin qu'il apporte à leur
faire payer tout ce qu'ils fourniffent aux troupes
qui font à fes ordres : comme de plus ils ont
porté leur ingratitude jufqu'au point que des
Pays entiers ont comploté fecrettement d'égorger
les détachemens avancés , & que , pour cela ,
ils ont employé certains artifices qui font voir
qu'ils font confeillés & excités par des Officiers
déguilés ; & , comme enfin il ne me feroit plus
poffible de pouffer plus loin ma patience & ma
modération , fans compromettre ma gloire &
celle de ma Couronne : j'ai réſolu , fur toutes
ces confidérations , & je veux qu'à compter
d'aujourd'hui , mes troupes faffent la guerre dans
le Portugal , comme dans un Pays ennemi ; que
les biens des Portugais dans tous mes Etats
?
SEPTEMBRE. 1762 183
foient confifqués ; que les Portugais , qui s'y
trouveront , en fortent dans l'efpace de quinze
jours , après la publication du préfent Edit ; que
mes Sujers n'ayent plus aucune efpéce de com .
merce avec eux , & que l'entrée , la vente &
'lufage des productions & marchandifes des Pays
& des Manufactures du Portugal , foient défendus
dans mes Etats . J'ordonne que mon Confeil ·
faffe exécuter le contenu au préfent Edit.
Nouvelles Politiques qui devoient entrer
dans le Mercure d'Août.
De CONSTANTINOFLE , le 2 Juin 1762.
PENDANT la nuit du 21 au 22 du mois dernier »
le feu prit dans le voisinage de la Moſquée du
Sultan Bajazet le progrès des flammes fut fi rapide
, que malgré les fecours qu'on apporta ,
l'incendie dura plus de dix -huit heures . Il a cauſe
une perte très-conſidérable , & plus de deux
mille Maifons , parmi lesquelles on compte
plufieurs beaux Palais , ont été réduites en cendres.
ས་
De PETERSBOURG , le 18 Juin.
Le Baron de Breteuil , Miniftre Plénipotentiaire
de Sa Majesté Très-Chrétienne , a reçu ces jours
paffés , par le retour d'un Courrier qu'il avoit
dépêché à Versailles , des inftructions relatives
à la difficulté qui s'eſt élevée à l'occafion de fa
premiére audience . Cette difficulté , abfolument
étrangère au fond des affaires , ainfi qu'à l'intérêt
, & même au cérémonial des deux Cours ,
n'ayant pû s'applanir , le Baron de Breteuil , con184
MERCURE DE FRANCE.
formément aux or tres qui lui font parvenus , a
demandé des palleports pour retourner en France,
& il fe difpofe à partir inceffamment .
De TRAWENDAHL, le 10 Juillet.
Frédéric Chriftian , Duc de Holftein- Auguftebourg
, Lieutenant- général des armées du Roi ,
a épousé Charlotte -Amélie Wilhelmine , feconde
fille de feu Frédéric Charles , Duc de Holstein-
Ploen. Le Duc de Holftein - Auguftebourg eſt chef
de la branche de ce nom , la plus proche de la
branche régnante .
De STOCKHOLM , le 25 Juillet .
L'Ordre de la Nobleſſe a réfolu de faire ériger
à fes dépens une Statue à Guftave I , que
fon mérite & fes vertus élevérent de la condition
privée à celle de Souverain , & qui foutint ce
titre avec tant d'éclat. Le fieur Larchevêque ,
Sculpteur François , qui , avec l'agrément de
Sa Majesté Très- Chrétienne , eft au ſervice du
Roi , a reçu ordre de travailler au modéle. La
Statue fera placée vis - à - vis du Palais de la Nobleſſe
, au milieu de la Place où il eft firuć .
·
De VIENNE , le 10 Juillet.
Le 25 du mois du mois dernier , la Comteſſe
du Châtelet , époufe de l'Ambaſſadeur de France,
arriva ici de Paris.
On apprit hier , que le Général Brentano a
remporté un avantage confidérable fur un Corps
nombreux de troupes ennemies , auquel le Roi
de Pruffe doit s'être trouvé en perfonne . Les
Pruffiens ont perdu beaucoup de monde : on
feur a enlevé trois drapeaux , & l'on a fait près
de mille prifonniers.
SEPTEMBRE. 1762. 185
De BERLIN , le 26 Juin.
ه ل ل ا
Le Margrave Charles de Brandebourg , Chevalier
de l'Odre de l'Aigle Noir , & Grand-
Maître de l'Ordre de Saint Jean dans la Marche
la Saxe , la Poméranie & la Vandalie , mourut à
Breflau le 22 de ce mois , âgé de cinquante - lept
ans & dix -neuf jours , étant né le 3 Juin 1709 ,
Il étoit fils du Margrave Albert Frédéric , Oncle
du feu Roi. La Mere du Margrave Charles étoit
Marie Dorothée , fille de Frédéric Cafimir , Due
de Courlande.
>
Frédéric Erneft , Margrave de Brandebourg
Culmbach , Chevalier de l'Ordre de l'Eléphant
premier Feld Maréchal des armées de Dannemark
, & Gouverneur du Duché de Sleswick ,
eft mort le 23 à Friedrichfruhe , dans la cinquante-
neuvième année de fon âge.
De DRESDE , le 26 Juin.
>
Au commencement de cette femaine , le
Prince Henri avoit ordonné de conduire par eau
à Magdebourg trois cens quarante prifonniers
Autrichiens. Le Bâtiment fur lequel ils étoient
embarqués , s'étant engravé ſur un banc de fable ,
l'escorte qui les conduifoit , s'empreffa de remettre
ce Bâtiment à flot. Le peu de précaution
dont les Pruffiens uferent en fe livrant à ce
travail , fit naître aux prifonniers l'idée de recouvrer
leur liberté. Ils fe faifirent des armes
de leurs conducteurs , les firent prifonniers à
leur tour , & les amenerent ici le 19 de ce
mois en triomphe. Un Sergent à qui l'on doit
principalemeut le projet & l'exécution de cette
action hardie ; a été fait Capitaine & chaque >
Soldat a reçu une récompenfe.
186 MERCURE DE FRANCE .
De RATISBONNE , le 9 Juillet.
Le 31 du mois de Mai dernier , les Suédois
ont abandonné la Ville de Wollin , & toutes les
places qu'ils occupoient dans la Pomeranie Pruffienne.
Les Lettres de Brandebourg , du 26 du mois
dernier , confirment que l'Armée Ruffe , commandée
par le Général Romanzow , s'eft raffemblée
à Treptow fur la Réga. On ne compte pas
que le Czar marche à la tête de ſes troupes , comme
les apparences l'avoient fait croire.
Alexandre - Jofeph , Prince de Sulkowosky ,
& du Saint Empire , Duc de Bieliz , Comte de
Liffa , eft mort à Pétersbourg , âgé de foixantecinq
ans.
De MADRID , le 6 Juillet.
Les Nouvelles reçues cette ſemaine de l'Armée,
portent qu'elle devoit , le 29 du mois dernier ,
fe mettre en marche de Dos-Iglefias , vers Zamora.
Du côté des Portugais , le Maréchal Comte
Baron a établi ſon quartier général à Abrantes.
De ROME , le 24 Juin.
On apprend de Naples , qu'il y a eu à Foggia
un tremblement de terre , & que , du côté de
Salerne , un Village tout entier s'eſt abîmé.
De GENÉVE , le 23 Juin.
Le Confeil de cette République vient de condamner
, après un examen , l'Ouvrage du fieur
Rouffeau fur l'Education . Ce Livre a été lacéré &
brûlé ; & défenſe a été faite aux Libraires & Imprimeurs
de le débiter.
SEPTEMBRE . 1762. 187
De LONDRES , le 3 Juillet.
Les Lettres d'Irlande marquent que cinq des
Lebelles ont été condamnés à mort , & qu'il en
refte plus de cent à juger.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée ,
de Paris , &c.
LA
De VERSAILLES , le 21 Juillet.
' ABBE Lanti , Camérier fecret du Pape , &
qui eft venu pour apporter les Barrettes aux
nouveaux Cardinaux François , prit congé du
Roi le 6 de ce mois , & il fe difpofe à retourner
à Rome .
Le Comte d'Olmond ayant été nommé Chambellan
du Duc d'Orléans , a été préſenté en
cette qualité , par ce Prince , à Sa Majesté .
Le Roi a accordé les entrées de la Chambre
au Marquis de Bonnac.
f
Sa Majefté a donné l'Abbaye de Bardoue
Ordre de Cîteaux , Diocèle d'Auſch , à l'Abbé
de Lordat , Vicaire général de Narbonne ;
celle d'Honnecourt , Ordre de Saint Benoît
Diocèle de Cambrai , à l'Abbé de Siougeat ,
Vicaire général de Sens , Aumônier de Madame
la Dauphine ; celle de Sainte - Croix de
Quinkam , même Ordre , Diocèle de Tréguier ,
à l'Abbé de la Frefloniere , Vicaire général de
Rheims ; celle de Sandras , même Ordre ,
188 MERCURE DE FRANCE.
Diocèle d'Alais , à l'Abbé de Linars , Vicaire
général d'Arles & Comte de Lyon celle de
Baffac , même Ordre , Diocèfe de Saintes , à
l'Abbé de Saint Marfault , Vicaire général de
Meaux ; celle d'Aiguebelle , Ordre de Cîteaux ,
Diocèle de Saint Paul-Trois- Châteaux , à l'Abbé
de Peinier , Vicaire général de Marſeille ; celle de
Saint Hilaire , Ordre de Saint Benoît , Diocèſe
de Carcaffonne , à l'Abbé Teintot , Vicaire général
d'Alby ; celle de Belle-Ville , Ordre de
Saint Auguftin , Diocèſe de Lyon , à l'Abbé de
la Gouttu Vicaire général de Lyon.
Sa Majesté a difpofé en faveur de l'Abbé le
Rat , Vicaire général du Diocèſe de Narbonne
de la charge de Sous-Maître de fa grande Chapelle
, laquelle charge a été créée par un Edit
donné au mois d'Août de l'année derniere.
De LUNEVILLE , le 27 Juillet,
Mefdames Adélaïde & Victoire étant parties de
Plombieres le 10 de ce mois , font arrivées ici le
même jour , pour paffer l'intervalle des deux faifons
des eaux. Le Roi de Pologne , Duc de Lor
raine & de Bar , toujours empreffé de donner à
ces Princeſſes de nouvelles preuves de fa tendre
affection , eft allé au - devant d'elles jufqu'à Gerbe
villers. Elles ont reçu partout les hommages des
Lorrains , & les témoignages non équivoques de
l'allégreffe publique. Le 11 , Sa Majefté Polonoife
fit tirer ici , dans les Jardins du Château , un
magnifique feu d'artifice. Malheureuſement ce feu
a été fuivi d'un défaftre. La nuit du 11 au 12 , le
beau Kiofque du Roi de Pologne fut en quatre
heures totalement réduit en cendres. Plufieurs
maiſons voisines , dépendantes de l'Hôtel de
Craon , ont beaucoup louffert de cet incendie.
SEPTEMBRE. 1762. 189
On foupçonne que quelques fufées ont été la caufe
de cet accident , auquel Sa Majesté Polonoiſe eſt
d'autant plus fenfible , qu'Elle avoit fait préparer
dans fon Kiofque une très - belle fête peur les Princeffes.
Aujourd'hui , le Roi de Pologne , Duc de Lorraine
, & Madame Adélaide ont tenu fur les fonts ,
dans la Chapelle du Château , le fils du Marquis
de Boifle , Maréchal des Camps & Armées du Roi ,
& l'un des premiers Gentilshommes de la Chambre
de Sa Majefté Polonoiſe . Le Cardinal de Choifeul
, Grand - Aumônier de ce Prince , a fait la
cérémonie du Baptême.
La Princeffe Chriftine de Saxe eft arrivée aujourd'hui
de Plombieres.
De l'Armée du haut- Rhin, le Juillet.
Les Maréchaux d'Eftrées & de Soubife occupent
toujours le camp de Lands werhagen ; le Comte
de Luface celui de Lutterbeg , & le fieur de
Chevert celui de Deyerod .
Le Prince Ferdinand campe à Wilhemftat &
Hohenkirkem , & a fait avançer fur la droite
des troupes qui campent à Hoff , à Kirschberg , à
Lohn & aux environs de Waldeck ; ce qui a déterminé
les Maréchaux à renforcer le corps de
troupes , aux ordres du Comte de Guerchy ,
qur campe à Hafler , fur la rive droite de l'Eder ,
près de Melfungen.
Le Prince Ferdinand ayant fait marcher des
détachemens fur l'Eder , un de ces détachemens.
avoit paffé cette riviere le de ce mois , &
avoit pouffé les troupes légères jufqu'à Melfungen
& Rottenbourg. Elles avoient paffé la Fulde
& s'etoient portées jufqu'à Liebenau & Spangenberg.
Ce détachement a obligé le Comte de
iço MERCURE DE FRANCE.
Rochambeau de fe retirer avec fon corps fur
Zigenheim maisà l'arrivée du détachement du
Comte de Guerchy à Mefungen , les Ennemis
fe font retirés & ont repaflé l'Eder & le
Comte de Rochambeau eft revenu à Hombourg ,
pour le réunir au Comte de Guerchy
›
Le fieur de Chabot , qui avoit marché dans les
Harts , a établi des Contributions & ramené
des ôtages.
>
Le feur Klocker , Major des Volontaires
d'Auftrafie , qui avoit été détaché à Eimbeck
par le Comte de Vaux , Commandant dans
Gottingue , y a fait quelques prifonniers , &
détroit un Magafin de fix mille facs de grains .
Il en a détruit un de deux mille à Sećßlen où
il s'eft porté , & d'ou it a ramené trente Chevaux.
D'un autre côté , le fieur de Sombreuil a
trouvé dans le Village de Berglfeim fur l'Eder ,
un détachement de Freytag auquel il a enlevé
vingt- quatre Chevaux & une douzaine
d'Hommes.
Le 9 de ce mois , les Ennemis firent avancer
près de Marpurg un détachement , qui attaqua
le fieur de Nordmann , le pouffa , & le prit
avec quarante-deux Huffards , de deux cens que
cet Officier avoit avec lui.
Le fieur de Sombreuil , qui avoit été détaché
par le Comte de Guerchy , pour reconnoître les
derrieres de l'Armée ennemie , s'eſt porté julqu'aux
environs de Waldeck ; mais ayant trouvé
un Corps fupérieur au fien , il s'eft contenté
d'attaquer les poftes qui étoient à portée
de lui ; il leur a pris quelques Hommes &
vingt Chevaux , & s'eft retiré fans aucune perte.
On croit que les Ennemis veulent entre-
1
SEPTEMBRE. 1762. 191
prendre le fiege du Château de Waldeck.
D'autre part, le Marquis de Caraman , qui avoit
été détaché fur le Wefer , s'eft porté jusqu'à
Uflar , où il a enlevé un Lieutenant - Colonel
& cent hommes. Le Comte de Rochechouart ,
qui avoit marché du même côté , a fait vingt
prifonniers. Ces détachemens , faits par le Comte
de Vaux Commandant dans Gottingue , devoient
fe porter jufqu'à Hoxter ; mais l'arrivée du Général
Luckner , avec fon Corps de troupes renforcé
de fix bataillons Hannovriens , a fulpendu
leur marche.
La réſerve du Comte de Stainville occupe
le camp retranché de Caffel .
Le Corps du Comte de Luface a paſſé la Werra
& campe à Luttenberg .
De l'Armée du Bas-Rhin , le Juillet.
L'avant-garde du Prince de Condé, commandée
par le Comte de Melfort , s'étant avancée dans
la nuit du 3 au 4 de ce mois , du côté d'Holftmar
, elle trouva les ennemis le 4 au matin ,
les attaqua fur le champ , leur tua beaucoup de
monde , & fit prifonniers cent dix - huit foldats ,
& trois Officiers du nombre defquels eft le fieur
Scheither , dont l'infanterie s'eſt ſauvée dans le
plus grand défordre & à la faveur des bois.
Le fieur Duhoux , Officier des Volontaires de
Dauphiné, a été tué , & le Sr Dubouchel , Lieutenant
de Chapt , bleffé dangereufement d'un coup
de feu à travers le corps .
Le Prince de Conté campe à Coesfeld . Le détachement
aux ordres du Baron de Viomenil ,
qui avoit marché fur le Bas - Embs , a détruit aux
ennemis foixante-deux mille huit cens facs de
Seigle , quarante- fix mille huit cens quatre- vingt
192 MERCURE DE FRANCE .
facs d'avoine , & quatre cens mille rations de
foin. Le Prince Héréditaire campe à Wolbeck ,
près de Munfter.
De PARIS , le 23 Juillet.
>
Si la mémoire du fieur de Crébillon doit
être honorée par tous les François , elle doit
être chère particulierement aux Comédiens de
la Nation. Ceux du Roi ont donné un éclatant
témoignage de leurs fentimens à cet égard .
Le 6 , ils firent célébrer en Mufique , dans
l'Eglife Paroiffiale de Saint Jean- de- Latran
qui étoit tendue de noir jufquà la voute , &
éclairée avec beaucoup de magnificence , un
Service folemnel pour le célebre Auteur d'Atrée ,
Electre & Rhadamifte . En figne de deuil , leur
Théâtre fut fermé le jour de cette Cérémonie.
Le lendemain , ils repréfenterent la Tragédie
de Rhadamifte.
Les Lettres de Caen marquent , que , la nuit
du 12 au 13 , les Anglois defcendirent , au nonbre
de cinq cens hommes , fur les deux rives de la
rivière d'Orne , dans l'intention de brûler ou de
détruire treize Bâtimens chargés de bois de conftruction
& d'Artillerie pour Breft , & qui , depuis
quelque temps , font à l'embouchure de la même
rivière , prêts à faire voile . Les Ennemis fe font d'abord
emparés de deux batteries établies à cette
embouchure , & ils en ont encloué le canon ; mais
ayant jugé qu'ils ne pourroient pénétrer juſqu'aux
Bâtimens , ils ont pris le parti de fe rembarquer.
Les mêmes Lettres ajoutent qu'il y a quatorze à
quinze voiles qui croifent continuellement dans.
ces parages.
Le 19 , l'Ordre Royal , Militaire & Hoſpitalier
Notre- Dame de Mont-Carmel & de S. Lazare de
Jérusalem ,
SEPTEMBRE . 1762. 193
Jérufalem , fit célébrer dans la Chapelle Royale
du Louvre la Fête de Notre- Dame du Mont - Carmel
, Patrone de l'Ordre . Le Comte de Saint
Florentin , Miniftre & Secrétaire d'Etat , Gérent
& Adminiſtrateur dudit Ordre , a affifté à cette
cérémonie avec les Grands Officiers , les Commandeurs
Eccléfiaftiques & Laïques , & plufieurs
Chevaliers , en habit de l'Ordre. L'Abbé de Sculemberg
, Commandeur Eccléfiaftique , a officié à
cette cérémonie , & le lendemain , l'Ordre a fait
célébrer , fuivant l'ufage ordinaire , une Meffe de
Requiem pour les Chevaliers décédés.
Les de ce mois , on tira la Loterie de l'Ecole
Royale Militaire. Les cinq numéros fortis de la
roue de fortune , font , 53 , 38 , 6 , 26 & 32 .
MORTS.
Le fieur Fiſcher , Brigadier d'Infanterie , & cidevant
Colonel du Régiment des Troupes Légéres
commandées actuellement par le Marquis de Conflans
, eft mort , il y a quelques jours , à l'Armée
du Bas-Rhin.
Meffire Mathieu Coock , Maréchal des Camps
& Armées du Roi , mourut ici le 19 dans la foixante-
treizième année de fon âge.
Dame Marie -Françoife le Maiftre , épouſe de
Meffire Omer Joly de Fleury , Premier Avocat
Général du Parlement , mourut ici le 15 , âgée de
vingt- huit ans .
ORDONNANCE du Roi, portant DECLARATION
DE GUERRE Contre le Roi de Portugal .
Le
Du 20 Juin 1762 .
E Roi & le Roi Catholique , forcés de foutenir
la guerre contre l'Angleterre , ont contrac-
I
194 MERCURE DE FRANCE .
té des engagemens réciproques , pour mettre un
frein à l'ambition exceffive de cette Couronne ,
& au defpotifme qu'elle prétend ufurper fur toutes
les mers & fur la navigation & le commerce
des autres Puiffances , fur- tout dans les Indes
Orientales & Occidentales .
LL. MM. ont jugé qu'un des moyens convenables
, pour remplir cet objet , étoit d'inviter
le Roi de Portugal à entrer dans leur alliance. Il
étoit naturel de penfer que ce Prince accepteroit ,
avec empreffement , les propofitions qui lui ont
été faites en conféquence au nom de S. M. & de
S. M. C. Cette opinion étoit fondée ſur ce que le
Koi T. F. fe doit à lui- même , & fur ce qu'il doit
à fes peuples qui , depuis le commencement de ce
fiécle , gémiffent fous le joug impérieux des Anglois.
D'ailleurs , l'événement n'a que trop fait
connoître la néceffité des juſtes démarches de la
France & de l'Espagne , par rapport à une neutralité
fufpecte & dangereuſe , qui avoit tous les
inconvéniens d'une guerre cachée.
Les Mémoires préſentés ſur ce ſujet à la Cour
de Liſbonne ont été rendu publics : toute l'Europe
y a vu les raifons folides de juftice & de convenance
, fur lesquelles le Roi & le Roi Catholique
ont fondé leur demande au Roi de Portugal , &
auxquelles S. M. C. a ajouté les motifs les plus
tendres d'amitié & de parenté , qui auroient dû
faire la plus forte & la plus falutaire impreſſion
fur le coeur du Roi T. F.
Bien loin que des confidérations fi puiſſances &
fi légitimes ayent déterminé ce. Prince à s'unir à
S. M. & à S. M. C , il s'eft abſolument refuſé à
leurs offres , & a préféré de facrifier leur alliance ,
& la propre gloire , & l'avantage de les Sujets ,
à fon dévouement aveugle & fans bornes aux vo→
lontés de l'Angleterre.
SEPTEMBRE. 1762 . 195
Une pareille conduite ne laiffant aucun doute
fur les véritables intentions du Roi de Portugal ;
le Roi & le Roi Catholique ne pouvoient dès - lors
le regarder que comme un ennemi direct & perfonnel
, qui , fous le prétexte artificieux d'une neutralité
qu'il n'auroit pas obfervée , auroit livré fes
Ports à la difpofition des Anglois , pour fervir d'afyle
à leurs Vaiffeaux , & les mettre à portée de
nuire plus fûrement & plus efficacement à la Fran.
ce & à l'Espagne.
Cependant S. M. & S. M. C. ont cru devoir
encore garder des mefures avec le Roi T. F. &
fi les Troupes Efpagnoles font entrées en Portugal
, cette invafion devenue indiſpenſable n'a été
accompagnée d'aucune Déclaration de guerre , &
elles s'y font comportées avec des ménagemens
qui ne font d'ufage que vis - à - vis d'une Nation
amie & neutre.
Des procédés fi modérés ont été en pure perte.
Le Roi de Portugal vient de déclarer formellement
la guerre à la France & à l'Eſpagne. Le Roi
C. a été forcé par cette demarche inattendue , de
faire la même Déclaration contre le Portugal , &
le Roi ne peut plus différer de prendre la même
réfolution .
Indépendamment des motifs qui font communs
aux deux Monarques , chacun d'eux a des griefs
particuliers contre la Cour de Lisbonne , qui fuffiroient
feuls pourjuſtifier l'extrémité à laquelle LL.
MM. fe voyent à regret obligées de fe porter.
Perfonne n'ignore l'entrepriſe injufte & violente
, exécutée par les Anglois en 1759 , contre
quelques Vaiffeaux du Roi , fous le canon des
Forts Portugais de Lagos. S. M. fit demander aut
Roi T. F. de lui procurer la reſtitution de ces Vailfeaux
; mais les Miniftres de ce Pince , au mépris
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
de ce qu'ils devoient aux regles de la juftice , aux
loix de la mer , à la fouveraineté & au territoire
de leur Maître , indécemment violés par l'infrac
tion la plus fcandaleufe des droits des Souverains
& des Nations , n'ont jamais répondu aux réqui
fitions réitérées de l'Ambaſſadeur du Roi fur ce fujet
, que par des propos vagues , & avec un air
d'indifférence qui tenoient de la dériſion .
En même temps la Cour de Lisbonne , feignant
d'ignorer que les Souverains , qui ne tiennent leur
rang que de leur naiffance & de la dignité de leur
Couronne , ne peuvent jamais permettre , fous
quelque prétexte que ce foit , qu'aucune Puillance
entreprenne de donner atteinte aux prérogatives
& aux droits acquis à l'ancienneté & à la majeſté̟
de leur Trône , a prétendu établir indiftinctement
une alternative de prélléance entre tous les Ambaffadeurs
& Miniftres Etrangers , qui réfidoient auprès
du Roi de Portugal . Le Roi , informé par fon
Ambafladeur de la mortification qu'on lui avoit
faite de cet arrangement bizarre & fans exemple ,
fit témoigner par écrit fon jufte mécontentement
au Roi T. F. & S. M. déclara qu'Elle ne ſouffriroit
jamais qu'on entreprît d'affoiblir le droit élfentiellement
attaché au caractère de repréſentation
, dont Elle veut bien honorer fes Ambaſſadeurs
& fes Miniftres.
Quelque autorité que le Roi fût à marquer alors
fon reffentiment fur ces griefs , & fur plufieurs
autres fujets de plaintes que la Cour de Portugal
lui avoit donnés , S. M. fe contenta de rappeller
fon Ambaffadeur , & a continué d'entretenir avec
le Roi T. F. , une correfpondance qu'Elle defiroit
très -fincérement de rendre plus intime & plus durable.
Ce Prince ne pourra donc s'en prendre qu'à
SEPTEMBRE. 1762. 197
lui - même des malheurs d'une guerre , qu'il devoit
par toutes fortes de raiſons éviter , & qu'il a
déclarée le premier.
Les offres qu'il a faites , d'obſerver une exacte
neutralité , auroient pû trouver accès auprès du
Roi & du Roi Catholique , fi l'expérience du paffé
ne les avoient pas précautionnés contre l'illuſion
& les dangers d'une pareille propofition .
La Cour de Lisbonne s'empreffa , au commencement
de ce fiècle , de reconnoître le Roi Philippe
V , de glorieufe mémoire , & contracta les
engagemens les plus formels avec la France &
avec l'Espagne. Pierre II , qui régnoit en Portugal
, parut entrer de bonne foi dans l'alliance
des deux Couronnes : mais , après avoir diſſimulé
pendant trois ans fes intentions fecrettes , il
manqua à toutes les promelles , & à la neutrali
té qu'il avoit enfuite follicitée , & qu'il avoit même
confeillée à la République des Provinces- Unies
d'embraffer , par une lettre qu'il lui écrivit à ce
fujet , & il s'unir aux ennemis de la France & de
l'Espagne. La même confiance & la même fécurité
, de la part de ces deux Couronnes , auroient
été infailliblement ſuivies de la même défection de
la part de la Cour de Lisbonne dans les circonftances
préfentes.
Le Roi , uni au Roi Catholique par les fentimens
indiffolubles d'une amitié tendre , & d'un
- intérêt commun , eſpére que leurs éfforts réunis
éprouveront la protection du Dieu des Armées
& forceront enfin le Roi de Portugai à fe conduire
par des principes plus conformes à la faine politique
, à l'avantage de fes peuples , & aux liens du
fang qui l'uniffent à S. M. & à S. M. C.
Ordonne & enjoint S. M. à tous fes Sajets ,
Vaffaux & Serviteurs , de courre lus aux Sujets
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
du Roi de Portugal : leur fait très - expreffes inhi
bitions & défenfes d'avoir avec eux aucune communication
, commerce , ni intelligence , à pei
ne de la vie ; & en conféquence S. M. a dès-à- préfent
révoqué & révoque toutes permiffions , paf
feports , fauve-gardes , fauf- conduits contraires à
la prefente , qui pourroient avoir été accordés par
Elle ou par fes Lieutenants- Généraux & autres fes
Officiers , & les a déclarés nuls , de nul effet &
valeur , défendant à qui que ce foit d'y avoir
égard. Et , comme au mépris de l'Article XV du
Traité de paix , figné à Utrecht entre la France
& le Portugal le 11 Avril 1713 , & par lequel il
eft expreffément ftipulé : que dans le cas de quelque
rupture entre ces deux Couronnes on accordera
toujours le terme de fix mois aux Sujets de part &
d'autre après ladite rupture , pour vendre ou tranfporter
tous leurs effets & autres biens , & retirer
leurs perfonnes , où bon leur femblera , le Roi de
Portugal vient d'ordonner que tous les François ,
qui étoient dans fon Royaume , en fortifient dans
le terme de quinze jours , & que tous leurs biens
fullent confifqués & mis en fequeftre ; S. M. par
une jufte repréfaille , ordonne également que
tous les Portugais qui fe trouvent dans les Etats ,
en fortent dans le même terme de quinze jours ,
après la publication de la préfente , & que tous
leurs biens foient confifqués.
Mande & ordonne S. M. à M. le Duc de Fenthiévre
, Amiral de France , aux Maréchaux de
France, Gouverneurs & Lieutenans Généraux pour
S. M. Colonels , Meftres- de- Camp , Capitaines ,
Chefs & Conducteurs de les gens de guerre , tant
de cheval que de pied , François & Etrangers ,
& tous autres les Officiers qu'il appartiendra , que
le contenu en la préfente ils faffent éxécuter , chaSEPTEMBRE.
1762. 199
cun à fon égard dans l'étendue de fes pouvoirs &
jurifdictions. Car tel eft la volonté de S. M. laquelle
veut & entend que la préfente foit publiée
& affichée en toutes fes Villes tant maritimes
qu'autres , & en tous les Ports , Havres & autres
lieux de fon Royaume , & terres de fon obéillance
, que befoin fera , à ce qu'aucun n'en prétende
caufe d'ignorance.
Fait à Versailles le 20 de Juin 1762. Signé ,
LOUIS. Et plus bas , LE DUC DE CHOISEUL.
NOUVELLES POLITIQUES
du mois de Septembre.
De PETERSBOURG , le 28 Juin vieux ſtyle ,
c'est-à-dire , le 9 Juillet.
TRADUCTION du Manifefte de l'IM PÉRATRICE
DE RUSSIE .
PAR la grace de Dieu , nous CATHERINE II ,
Impératrice & Souveraine de toutes les Rullies ,
& c. Tous les vrais Patriotes n'ont que trop reconnu
le danger qui menaçoit l'Empire de Rulie. En
premier lieu, notre Religion orthodoxe étoit ébranlée
; les Canons de l'Eglife Grecque renversés ,
& l'on s'attendoit déja au dernier malheur de voir
l'Orthodoxie établie anciennement en Ruffie changée
, & une Religion étrangère introduite à ſa
place. En fecond lieu , la gloire de la Ruffie ,
portée au plus haut degré par les armes victorieuſes
, & au prix de fon fang , vient d'être ſacrifiée
à fes ennemis mêmes par la paix nouvel-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
lement conclue , pendant que les arrangemens
intérieurs de l'Empire , qui font le bonheur de
notre chère Patrie , étoient foulés aux pieds. Touchée
donc du péril auquel tous nos fidéles Sujets
alloient être expofés , & furtout ne pouvant nous
refufer à leurs fouhaits fincères & unanimes , nous
fommes montées fur notre Trône Impérial de
Ruffie , après avoir mis notre confiance en Dieu
& en fa juftice divine , en vertu de quoi
nos Sujets nous ont prêté folemnellement ferment
de fidélité .
tous
L'Original eftfigné de la propre main de Sa Majeflé
Impériale.
L. S. CATHERINE.
· Imprimé dans la Topographie du Sénat à Pétersbourg
, le 28 Juin 1762. ancien ftyle.
Du 4 Juillet.
Sa Majesté Impériale continue de donner tous
fes foins à l'affermiffement de fon autorité. Elle
a envoyé ordre à l'Armée de Romanzow & au
corps de Troupes qui eft en Siléfie de rentrer
fans perdre de temps , dans l'intérieur de fon
Empire.
>
Le Prince George de Holftein avoit été arrêté
le 9, & même un peu maltraité par la foldatefque.
L'Impératrice l'a fait retirer de la prifon où
on l'avoit defcendu dans ces premiers momens ;
& depuis , il eft fimplement gardé dans fon
Hôtel .
On affure que S. M. I. a dépêché le Knés
Wolkonsky vers l'ancien Chancelier Comte de
Nota. L'expreffion d'Ennemis a été fubftituée dans
cette feconde Piéce à celle dn plus grand Ennemi de
l'Empire qui étoit dans le premier Manifeſte en parlano,
de la Paix avec le Roi de Pruffe.
SEPTEMBRE. 1762. 201
Befucheff , pour le faire revenir de fon éxil. Le
Sénateur Comte de , Woronzow & la Frêle fa
fille , qui avoit été décorée du Cordon de Sainte
Catherine par PIERRE 111 , font gardés dans leur
maiſon.
Le fieur Wolkoff , Secrétaire de Pierre III , &
les fieurs Gudowitz & Milganaw , Aides de Camps
de ce Prince , font auffi arrêtés & refferrés étroitement.
Du 18 Juillet.
On a publié aujourd'hui de la part de l'Impératrice
la déclaration fuivante.
Nous CATHERINE II . par la grace de Dieu ,
Impératrice & Autocratrice de toutes les Ruffies
&c. Le feptième jour après notre avénement au
Trône de toutes les Ruffies , Nous avons reçu
la nouvelle que le ci-devant Empereur Pierre III.
par un accident hémorroïdal , auquel il étoit quelquefois
fujet , fe trouvoit attaqué d'une colique
violente. Pour ne point manquer à notre devoir
de chrétienne , & au faint commandement par
lequel nous fommes obligés à la confervation de
la vie de notre prochain ; Nous avons ordonné de
lui envoyer tout ce qui étoit néceffaire pour prévenir
les fuites dangereufes de cet accident , &
foigner la fanté à l'aide de la médecine . Mais à
notre grand regret & affliction , nous reçumes
hier au foir de nouveaux avis que , par la permiffion
du Tout- Puiffant , il étoit décédé .
C'eft pourquoi nous avons ordonné de tranſporter
fon corps au Monastère de Newsky , pour
y être inhumé ; & en même temps nous excitons
& exhortons tous nos fidéles Sujets , par notre
parole impériale & maternelle , pour , qu'en oabliant
tout le mal paffé , ils rendent à fon corps
les derniers honneurs , & prient fincérement Dieu
I y
202 MERCURE DE FRANCE .
pour le repos de fon ame , prenant en attendant
cette fin inopinée pour un effet particulier de la
Providence Divine qui , par des vues impénétrables
, prépare à Nous , à Notre Trône , & à toute
la Patrie , des voies uniquement connues à fa
fainte volonté .Fait à Pétersbourg le 7 & 18 Juillet
1762.
Pierre III étoit fils de Charles- Fréderic , Duc
de Holftein Gottorp , & d'Anne Pétrowna , fille
du fameux Czar Pierre I. Appellé à Petersbourg
par la feue Impératrice Elifabeth , fa tante , ilfur
déclaré Grand Duc , héritier présomptif de la
Couronne de Ruffie , le 18 Novembre 1742. Le
1 Septembre 1745 , il épousa Catherine Alexiewna
d'Anhaltzerbft , née le 2 Mai 1729 , aujourd'hui
Impératrice régnante. Par la mort de l'Impératrice
Elifabeth , il étoit monté fur le Trône ,
les Janvier de l'année 1762 ; il laiffe de fon
mariage un Prince & une Princeffe. Les changemens
fubits que cet Empereur a faits dans le Gouvernement
; les allarmes qu'il avoit caufées par
rapport à la Religion ; le peu d'égards qu'il avoit
montrés pour les engagemens pris par la feue
Impératrice , à qui il devoit la Couronne ; la
précipitation avec laquelle il avoit renoncé à des
conquêtes , qui avoient coûté tant de fang aux
Ruffes , avoient aliéné de lui les coeurs de la
Nation , & l'ont entraîné dans des malheurs auxquels
il n'a pas pu ſurvivre.
De WARSOVIE , le 17 Juillet.
Dans l'inftant , on reçoit de Pétersbourg l'importante
nouvelle de la dépofition de l'Empereur
Pierre III; l'Impératrice époufe du Prince dépofé
, eft montée fur le Trône ſous le nom de
Catherine II ; elle a reçu le même jour , l'homiSEPTEMBRE.
1762. 203
mage de les nouveaux Sujets ; & les ordres ont
été envoyés aux différens Corps des Troupes
Ruffes pour lui prêter ferment . Ön attend le détail
de cet événement , arrivé le 9 de ce mois ,
ou le 28 du mois dernier , vieux ftyle.
De KONIGSBERG , le 16 Juillet.
Les Armes de Ruffie viennent d'être replacées
ici , & le Lieutenant Général Woyakoff , Gouverneur
du Royaume de Pruffe au nom de l'Impératrice
Catherine II , a fait publier aujourd'hui
une Déclaration par laquelle il notifie que , bien
que, par un Edit imprimé en datte du 27 Juin
( vieux ſtyle ) il ait été notifié à tous les habitans
de la Pruffe , qu'en vertu d'un Traité conclu
avec Sa Majesté Pruffienne , ce Prince devoit rentrer
dans la pleine & entiere poffeffion de ce
Royaume , & que , parconféquent , les habitans
feroient déliés du ferment qu'ils avoient prêté, &
des autres engagemens par eux pris depuis l'occupation
des Pays conquis par les glorieufes Armes
Impériales de Ruffie : cependant , en conféquence
des ordres fouverains de Sa Très - Séréniffime
Grande Dame Impératrice Catherine Alexiewna
, tout ce qui a été publié pour la reftitution
de ce Pays fous la domination de S. M. P.
foit de la part de la Ruffie , foit de celle de Pruffe
, doit être à préfent cenſé nul , & comme non
avenu & que les Habitans dudit Royaume
ayent à rentrer de nouveau dans la fidélité &
obéiffance qu'ils devoient , avant ce dernier changement
, à l'Empire de Ruffie , & qu'ils doivent
maintenant en toutes chofes à Sa Majesté Impériale
Catherine II.
Les Régimens d'Infanterie qui étoient partis en
dernier lieu des environs de la Viftule , pour aller
I vj
204 MERCURE DE FRANCE .
2
ont els joindre l'Armée du Général Romanzow
ardre de retourner fur leurs pas . Un de ces Corps
a déja paffé la Viftule , & s'eft rendu en Pruffe ,
où l'on compte préfentement plus de fix mille
hommes des Troupes Rules.
D'ALTENA , le 3 Août.
Il y a apparence que les différends concernant
le Holftein feront réglés à Coppenhague . Pendant
la minorité du Prince Paul Petrowitz , l'Impéra
trice Catherine II fera Régente de ce Duché. On
dit qu'Elle fe propofe d'y renvoyer toutes les Troupes
Holfteinoifes quifont actuellement en Ruffie.
De VIENNE , le 7 Août. 3
Le Prince de Bevern abandonna , le 23 au matin
la Ville de Troppau , & le z4 , il fe replia jufqu'à
Léobfchitz. Ainfi toute la Haute- Siléfie fe
trouve actuellement délivrée des Pruffiens. Le 24 ,
le Général Beck marcha à Kozendorff , pour prendre
une pofition entre Troppau& Jagerndorff. Le
Maréchal de Daun avoit encore fon quartier Géné
ralle 26 à Grersdorff.
Suivant les détails que l'on a reçus de Bohême ,
au fujet de la courfe que les Ennemis ont faite juſqu'à
Konigsg ratz , il paroît que le dommage ,
qu'ils ont caufé , n'eft pas, à beaucoup près , auffi
confidérable qu'on l'avoit d'abord publié. Leur
nombre étoir moindre qu'on ne l'avoit annoncé
& ce n'a point été des Cofaques , mais des Pruffiens
déguifés en Cofaques, qui ont fait cette irruption
.
•
On apprend de Siléfie , que le Corps de Troupes
Ruffes s'eft déja féparé de l'Armée Pruffienné
, en exécution des ordres de l'Impératrice Catherine
II , & que le Roi de Pruffe a fait préfent
SEPTEMBRE . 1762. 205
d'une très-belle épée d'or au Général Comte de
Czernichew .
On a nouvelle de Hambourg , que les Ruffes
ont repris poffeffion de Konigsberg.
Le Roi de Pruffe a formé, le 21 du mois paſſfé ,
deux attaques contre les Corps de Brentano &
d'Ockeli. Les Pruffiens ont été repouffés ju qu'à
quatre fois à cette derniere ; mais le Corps de
Brentano , après une vigoureuſe réſiſtance , a été
obligé de céder à la fupériorité. La perte des deux
côtés a été très - grande . On eftime celle des Autrichiens
à trois mille hommes & feize piéces de
canon , & l'on croit celle des Pruffiens plus confidérable.
Pendant cette action , le Roi de Pruffe
étoit avec fon Armée en bataille , vis à - vis de celle
du Maréchal de Daun. Ce dernier , n'ayant pas
jugé fa pofition tenable , après avoir perdu le
pofte qu'occupoit le Général Brentano , s'eft retiré
en bon ordre , & fans être entamé , entre Gierfdorff
& Wuftwaltersdorf.
De PRAGUE , le 17 Juillet.
Plufieurs Partis ennemis ont pénétré dans ce
Royaume jufqu'à Brix , Sebanftiasberg , Friedland
& en plufieurs autres endroits , d'où ils ont
tiré de fortes contributions. Le 11 de ce mois un
détachement de Pruffiens , déguifés en Colaques ,
entra dans Konigfgratz. Le Commandant menaça
d'y mettre tout à feu & à fang , fi les habitans
ne lui comptoient fur le champ deux mille cent
cinquante ducats . Les Magiitrats & la Bourgeoisie
offrirent quatre mille florins. Le Commandant
parut fe contenter de cette fomme , & on la lui
livra ; mais à peine l'eut-il touchée , que les Cofaques
fe difperferent dans la Ville , & pillerent
toutes les maiſons de quelqu'apparence, parti206
MERCURE DE FRANCE .
culierement celles de l'Evêque & des principaux
Eccléfaftiques. En fe retirant , ils mirent le feut
en différens quartiers. Les flâmes , fecondées d'un
vent violent , ont confumé le Collége des Jéfuites
& cent foixante maiſons.
Nous devons au Lieutenant-Général Blunquer,
le bonheur de n'avoir plus en Bohéme aucunes
Troupes ennemies. Une pofition avantageuſe
qu'il prit avec quatre bataillons & cinq efcadrons,
fur une hauteur près de Toplitz , en impoſa au
fieur de Kleift , qui marchoit pour foutenir les
détachemens qu'il avoit pouffés en avant. Ce
Général Pruffien , malgré fa fupériorité , non
feulement n'ofa attaquer le Général Blunquet ,
mais fe retira précipitamment à Marieberg , fans.
doute dans la crainte que le Prince de Stolberg,
qui s'avançoit à grandes journées vers Annaberg,
ne lui fermât les chemins du côté de la Saxe.
La fuite des Nouvelles Politiques au Mercure
prochain.
EXPOSITION HISTORIQUE de l'Origine &
Naiffance de Meffire PIERRE DE PONS ,
Chevalier , Seigneur d'Annonville , Muffey,
Saucourt & Doulaincourt , Chevalier d'Honneur
aux Préfidial & Bailliage de Chaumont en
Baffigny; defon état & de celui defa Poftérité ,
juftifiés partitresfolemnels & authetiques .
En 1742 Meffire Pierre de Pons , Chevalier ,
Fils de Meffire Gafpard de Pons , Chevalier , Seigneur
de Rennepont , La Ville aux Bois &c. & de
Nicolle Legruyer , époufa Demoiſelle Anne de
Rommecourt , Fille de Meffire Claude De Rommecourt,
Chevalier , Seigneur d'Annonville , Mufley,
SEPTEMBRE . 1762. 207
& Poiſſon , Colonel de Cuiraffiers au fervice de
l'Empereur , petite Fille de Meffire Martin de
Rommecourt, Maréchal Général de Bataille de
l'Empereur ; fon Ayeul maternel , Meffire Marc
de Mathelan , Chevalier de l'Ordre du Saint-
Efprit , & fon Ayeule la Princeffe Blanche de
Courtenay. La Cérémonie avoit été précédée par
un Contrat de mariage , du 11 Mai 1642 ,
pallé devant Jofeph Thierriot , Notaire au Baillage
& Principauté de Joinville , témoins préfens
; & la célébation en fut faite après publication
de bancs dans toutes les formes requifes & accoutumées
, le 13 des mêmes mois & an , par
Meffire Claude Prevoft , Prêtre & Curé de Muffey.
Anne de Rommecourt , étoit reſtée feule de la
branche aînée de ſa Maiſon originaire d'Allemagne
, établie depuis long- temps & diftinguée dans
la Province de Champagne. Son pere , Claude de
Rommecourt, fils de Martinde Rommecourt , Maréchal
général de l'Armée de l'Empereur , & de
Charlotte Pied- de -fer, avoit été tué en 1720 , à la
bataille de Prague ; elle étoit feule héritiere de fon
pere , & Dame des Terres & Seigneuries de Muffey
, Annonville & Poiffon .
Avec ces avantages , demeurée jeune à la campagne
, fans pere ni mere; plus occupée du gouvernement
de fes biens , laiffés par fon pere en
mauvais ordre , que de toutes autres cultures &
connoiffances , elle avoit été trompée par fon
mari , Chevalier Profès de l'Ordre de Malthe ,
qui , n'écoutant que fa paffion , lui avoit diffimulé
fon état , & pris grand foin de l'entretenir dans
l'ignorance de fon premier engagement , pour
éviter d'encourir les cenfures de l'Ordre , &c.
De leur mariage naquirent deux garçons &
une fille ; le Cadet , Enfeigne au Régiment de
208 MERCURE DE FRANCE.
Picardie , fut tué jeune au fiége de Cambrai , &
la fille fit profeffion au Convent des Religieuſes
Bénédictines à Joinville.
L'Aîné , Pierre de Pons d'Annonville , étant
encore jeune & pea inftruit des principes , craignit
que les voeux faits par
fon pere ne fuffent un
obftacle invincible à la validité de fon mariage ;
c'eft pourquoi il obtint des lettres de légitimation
dans ce doute de fon état , ce qui fut toléré par
le pere , dans la réſolution de différer juſqu'à ſa
mort , les éclairciffemens néceffaires à fon fils pour
affurer folidement fon état , & peu après étant
décédé, Pierre de Pons d' Annonville trouva tous
les actes & piéces , dont juſqu'alors il n'avoit eu
qu'une connoiffance imparfaite & confufe ; de
forte que rendu certain de fa légitimité , il ſe
pourvut en lettres de refcifion contre tous les aЯes
de fa part & démarches contraires à fes découvertes
; & lorqu'il fur queſtion de leur entérinement
, d'abord au Bailliage de Chaumont , enſuire
aux Requêtes du Palais , où elles furent renvoyées ,
Gafpard de Pons , Seigneur de Rennepont & de
Maffiges , Major du Régiment de Fontaine , Cavalerie
, & l'un de fes frères qu'il s'affocia , y for
merent oppofition , d'autant moins attendue ,
qu'ils avoient toujours traité l'Impétrant de coufingermain
dont la légitimité leur étoit bien connue
& le fecret confié , ce qui fut conftaté par
différentes pièces , juridiquement produites au
procès.
La guerre , entr'eux ainfi déclarée , fut longtemps
pouffée avec fureur , & ne cella qu'après
toutes les reflources de la chicane , épuilées par
l'Aggreffeur , & autres qu'il fit intervenir .
En effet , après l'entérinement des lettres de
reſcifion , fans égard aux oppofitions , appel en fur
SEPTEMBRE . 1762. 209
interjetté au Parlement , où l'affaire , mife au
grand jour & amplement difcurée , intervint le
19 Décembre 1673 , fur les conclufions du célébre
M. Talon , Avocat Général , arrêt contradictoire
qui prononça que , Pierre DE PONS étoit
né en légitime mariage , de Meffire Pierre de Pons
de Rennepont , & de Demoiselle Anne de Rommecourt,
& qu'il jouiroit du nom , des armes & du
pécule defes Peres & Meres , avec défenfe à la Famille
de l'y troubler , & condamna les Parties adverfes
aux dépens.
Cet échec * ne rebuta pas Fes affaillans , ils
fufciterent le miniftere de M. le Procureur Général
des Aydes , pour conteſter à Pierre de Pons d'Annon
ville la noblelle , fous les mêmes prétextes , auxquels
il oppofa l'Arrêt du 19 Decembre 1673 , &
prétendit que c'étoit agiter une feconde fois la
queftion de fon état , & qu'ayant été jugé au Par- ,
lement , il ne devoit pas être traduit pour le même
fait à la Cour des Aydes , l'autorité des chofes
jugées étant fainte & inviolable , principalement
dans les queſtions d'Etat.
Il refufa donc de procéder à la Cour des Aydes ,
fe pourvut au Parlement , puis en réglement de
Juges au Confeil , ou par arrêt du 6 Mai 1681 ,
il fut ordonné qu'il procéderoit à la Cour des
Aydes : en conféquence il y procéda , & l'Arrêt
du Parlement ayant été communiqué au Procureur
Général , il fit fa déclaration à l'audience ,
qu'il n'entendoit conteſter l'état ni la filiation de1
n'eft autre
La bonne foi qui fe préfume toujours
chofe dans les mariages que l'ignorance de l'un des conjoints
de l'empêchement qui eft en l'autre , & qui ſuffit
pour affurer l'état des Enfans.
Tous les Auteurs François , Italiens . Efpagnols &
Allemands font de cet avis , & telle eft la Jurifprudence
univerfelle.
208 MERCURE
DE FRANCE
. Picardie , fut tué jeune au fiége de Cambrai , & la fille fit profeffion
au Couvent des Religieuſes
Bénédictines à Joinville. L'Aîné , Pierre de Pons Annonville
, étant encore jeune & pea inftruit des principes , crai guit que les voeux faits par fon pere ne fuffent un
obftacle invincible
à la validité de fon mariage ; c'eft pourquoi
il obtint des lettres de légitimation dans ce doute de fon état , ce qui fut toléré par le pere , dans la réfolution
de différer jufqu'à fa mort , les éclairciffemens
néceffaires
à fon fils pour aflurer folidement
fon état , & peu après étant
décédé, Pierre de Pons d' Annonville
trouva tous les actes & piéces , dont jufqu'alors
il n'avoit eu qu'une connoiffance
imparfaite
& confufe ; de forte que rendu certain de fa légitimité
, il le
pourvut
en lettres de refcifion
contre tous les actes de fa part & démarches
contraires
à fes décou
vertes ; & lorqu'il fut queftion
de leur entérine- ment ,d'abord au Bailliage
de Chaumont
, enfuite aux Requêtes
du Palais, où elles furent renvoyées, Gafpard
de Pons , Seigneur
de Rennepont
& de Malliges
, Major du Régiment
de Fontaine , Ca- valerie , & l'un de fes frères qu'il s'affocia , y
merent
oppofition
, d'autant
moins attendue , qu'ils avoient toujours
traité l'Impétrant
de coufin- germain
dont la légitimité
leur étoit bien con- nue & le fecret confié , ce qui fut conftaté par
différentes
piéces , juridiquement
produites
au
procès.
for-
La guerre, entr'eux
ainfi déclarée
, fut long- temps pouffée
avec fureur , & ne cella qu'après toutes les reffources
de la chicane , épuilées par l'Aggreffeur
, & autres qu'il fit intervenir
.
En effet, après l'entérinement
des lettres de reſciſion
, fans égard aux oppofitions
, appel en
fur
SEPTEMBRE . 1762. 209
interjetté au Parlement , où l'affaire , mife au
grand jour & amplement difcurée , intervint le
19 Décembre 1673 , fur les conclufions du célébre
M. Talon , Avocat Général , arrêt contradictoire
qui prononça que , Pierre DE PONS étoit
né en légitime mariage , de Meffire Pierre de Pons
de Rennepont , & de Demoiselle Anne de Rommecourt,
& qu'il jouiroit du nom , des armes & du
pécule defes Peres & Meres , avec défenfe à la Famille
de l'y troubler , & condamna les Parties adverfes
aux dépens.
Cet échec * ne rebuta pas les affaillans ,
ils
fufciterent le miniftere de M. le Procureur Général
des Aydes , pour conteſter à Pierre de Pons &Annon
ville la nobleffe , fous les mêmes prétextes , auxquels
il oppofa l'Arrêt du 19 Decembre 1673 , &
prétendit que c'étoit agiter une feconde fois la
queftion de fon état , & qu'ayant été jugé au Parlement
, il ne devoit pas être traduit pour le mê-
' me fait à la Cour des Aydes , l'autorité des chofes
jugées étant fainte & inviolable , principalement
dans les queſtions d'Etat.
Il refufa donc de procéder à la Cour des Aydes ,
pourvut au Parlement , puis en réglement de
Juges au Confeil , ou par arrêt du 6 Mai 1681 ,
il fut ordonné qu'il procéderoit à la Cour des
Aydes : en conféquence il y procéda , & l'Arrêt
du Parlement ayant été communiqué au Procureur
Général , il fit fa déclaration à l'audience ,
qu'il n'entendoit contefter l'état ni la filiation de
n'eft autre
* La bonne foi qui fe préfume toujours
chofe dans les mariages que l'ignorance de l'un des conjoints
de l'empêchement qui eft en l'autre , & qui fuffit
pour affurer l'état des Enfans.
Tous les Auteurs François , Italiens . Efpagnols &
Allemands font de cet avis , & telle eft la Jurifprudence
univerfelle.
208 MERCURE
DE FRANCE
.
Picardie , fut tué jeune au fiége de Cambrai , & la fille fit profeffion
au Couvent des Religieuſes
Bénédictines à Joinville . L'Aîné , Pierre de Pons & Annonville
, étant
encore jeune & pea inftruit des principes , crai guit que les voeux faits par fon pere ne fuffent un
obftacle
invincible
à la validité de fon mariage ; c'eft pourquoi
il obtint des lettres de légitimation dans ce doute de fon état , ce qui fut toléré par
fa
le pere , dans la réfolution
de différer juſqu'à mort , les éclairciffemens
néceffaires
à fon fils pour affurer folidement
fon état , & peu après étant
décédé, Pierre de Pons d' Annonville
trouva tous les actes & piéces , dont jufqu'alors
il n'avoit eu qu'une connoiffance
imparfaite
& confufe ; de forte que rendu certain
de fa légitimité
, il le
pourvut
en lettres de refcifion
contre tous les actes de fa part & démarches
contraires
à fes décou vertes ; & lorqu'il fut queftion
de leur entérine- ment , d'abord au Bailliage
de Chaumont
, enfuite aux Requêtes
du Palais, où elles furent renvoyées, Gafpard
de Pons , Seigneur
de Rennepont
& de Malliges
, Major du Régiment
de Fontaine , Ca- valerie , & l'un de fes frères qu'il s'affocia , y
merent
oppofition
, d'autant
moins attendue , qu'ils avoient toujours
traité l'Impétrant
de coufin- germain
dont la légitimité
leur étoit bien con- nue & le fecret confié , ce qui fut conftaté par
différentes
piéces , juridiquement
produites
au
procès.
for-
La guerre , entr'eux
ainfi déclarée
, fut long- temps pouffée
avec fureur , & ne ceffa qu'après toutes les reflources
de la chicane , épuilées par l'Aggreffeur
, & autres qu'il fit intervenir
.
En effet, après l'entérinement
des lettres de refcifion
, fans égard aux oppofitions
, appel en
fur
SEPTEMBRE . 1762. 209
interjetté au Parlement , où l'affaire , mife aut
grand jour & amplement difcurée , intervint le
19 Décembre 1673 , fur les conclufions du célébre
M. Talon , Avocat Général , arrêt contradictoire
qui prononça que , Pierre DE PONS étoit
né en légitime mariage , de Meffire Pierre de Pons
de Rennepont , & de Demoiselle Anne de Rommecourt,
& qu'il jouiroit du nom , des armes & du
pécule defes Peres & Meres , avec défenſe à la Famille
de l'y troubler , & condamna les Parties adverfes
aux dépens .
W
ils
Cet échec * ne rebuta pas les affaillans ,
fufciterent le miniftere de M. le Procureur Général
des Aydes, pour conteſter à Pierre de Pons d'Annon
ville la nobleffe , fous les mêmes prétextes , auxquels
il oppofa l'Arrêt du 19 Decembre 1673 , &
prétendit que c'étoit agiter une feconde fois la
queftion de fon état , & qu'ayant été jugé au Parlement
, il ne devoit pas être traduit pour le même
fait à la Cour des Aydes , l'autorité des chofes
jugées étant fainte & inviolable , principalement
dans les queſtions d'Etat.
Il refufa donc de procéder à la Cour des Aydes,
fe pourvut au Parlement , puis en réglement de
Juges au Confeil , ou par arrêt du 6 Mai 1681 ,
il fut ordonné qu'il procéderoit à la Cour des
Aydes : en conféquence il y procéda , & l'Arrêt
du Parlement ayant été communiqué au Procureur
Général , il fit fa déclaration à l'audience ,
qu'il n'entendoit contefter l'état ni la filiation de
* La bonne foi qui fe préfume toujours
1
n'eft autre
chofe dans les mariages que l'ignorance de l'un des conjoints
de l'empêchement qui eft en l'autre , & qui fuffit
pour affurer l'état des Enfans.
Tous les Auteurs François , Italiens . Efpagnols &
Allemands font de cet avis , & telle eft la Jurifprudence
univerfelle.
208 MERCURE
DE FRANCE
.
Picardie , fut tué jeune au fiége de Cambrai , & la fille fit profeffion
au Convent des Religieuſes
Bénédictines à Joinville . L'Aîné , Pierre de Pons Annonville
, étant
encore jeune & pea inftruit des principes , crai
fuffent un
fon ne
pere
guit que les voeux faits par obftacle invincible
à la validité de fon mariage; c'eft pourquoi
il obtint des lettres de légitimation dans ce doute de fon état , ce qui fut toléré par
le
pere , dans la réſolution de différer jufqu'à ſa mort , les éclairciffemens
néceffaires
àfonfils pour aflurer folidement
fon état , & peu après étant décédé, Pierre de Pons d' Annonville
trouva tous les actes & piéces , dont jufqu'alors
il n'avoit ea qu'une connoiffance
imparfaite
& confufe ; de forte que rendu certain de fa légitimité
, il le
pourvut en lettres de refcifion contre tous les actes de fa part & démarches
contraires
à fes décou
vertes ; & lorqu'il fut queſtion de leur entérine- ment ,d'abord au Bailliage
de Chaumont
, enfuite aux Requêtes
du Palais , où elles furent renvoyées, Gafpard
de Pons , Seigneur
de Rennepont
& de Malliges
, Major du Régiment
de Fontaine , Ca- valerie, & l'un de fes frères qu'il s'affocia , y for- merent oppofition
, d'autant
moins attendue , qu'ils avoient toujours traité l'Impétrant
de coufin germain
dont la légitimité
leur étoit bien con- nue & le fecret confié , ce qui fut conftaté
différentes
pièces , juridiquement
produites
au
procès.
par
La guerre , entr'eux
ainfi déclarée
, fut long- temps pouffée
avec fureur , & ne ceffa qu'après toutes les reflources
de la chicane , épuilées par l'Aggreffeur
, & autres qu'il fit intervenir
. En effet, après l'entérinement
des lettres de refcifion , fans égard aux oppofitions
, appel en fur
SEPTEMBRE. 1762. 209
interjetté au Parlement , où l'affaire , mife au
grand jour & amplement difcurée , intervint le
19 Décembre 1673 , fur les conclufions du célébre
M. Talon , Avocat Général , arrêt contradictoire
qui prononça que , Pierre DE PONS étoit
né en légitime mariage , de Meffire Pierre de Pons
de Rennepont, & de Demoiselle Anne de Rommecourt
, & qu'il jouiroit du nom , des armes & du
pécule defes Peres & Meres , avec défenfe à la Famille
de l'y troubler , & condamna les Parties adverfes
aux dépens .
Cet échec * ne rebuta pas fes affaillans , ils
fufciterent le miniftere de M. le Procureur Général
des Aydes, pour conteſter à Pierre de Pons d'Annon
ville la nobleffe , fous les mêmes prétextes , auxquels
il oppofa l'Arrêt du 19 Decembre 1673 , &
prétendit que c'étoit agiter une feconde fois la
queftion de fon état , & qu'ayant été jugé au Par- lement , il ne devoit pas être traduit pour le même
fait à la Cour des Aydes , l'autorité des chofes
jugées étant fainte & inviolable , principalement
dans les queſtions d'Etat.
Il refufa donc de procéder à la Cour des Aydes,
fe pourvut au Parlement , puis en réglement de
Juges au Confeil , ou par arrêt du 6 Mai 1681 ,
il fut ordonné qu'il procéderoit à la Cour des
Aydes : en conféquence il y procéda , & l'Arrêt
du Parlement ayant été communiqué au Procureur
Général , il fit fa déclaration à l'audience ,
qu'il n'entendoit conteſter l'état ni la filiation de
* La " bonne foi qui fe préfume toujours n'eft autre
chofe dans les mariages que l'ignorance de l'un des conjoints
de l'empêchement qui eft en l'autre , & qui fufpour
affurer l'état des Enfans. fit
Tous les Auteurs François , Italiens . Efpagnols &
Allemands font de cet avis , & telle eft la Jurifprudence
univerfelle.
208 MERCURE
DE FRANCE
.
Picardie , fut tué jeune au fiége de Cambrai , & la fille fit profeffion
au Convent des Religieuſes
Bénédictines à Joinville. L'Aîné , Pierre de Pons d'Annonville
, étant
encore jeune & pea inftruit des principes , crai
ne fuffent un faits fon
par
guit que les voeux pere obftacle invincible
à la validité de fon mariage ; c'eft pourquoi
il obtint des lettres de légitimation dans ce doute de fon état , ce qui fut toléré par le pere , dans la réſolution
de différer juſqu'à la mort , les éclairciffemens
néceffaires
àfonfilspour aflurer folidement
fon état , & peu après étant décédé , Pierre de Pons & Annonville
trouva tons les actes & piéces , dont jufqu'alors
il n'avoit ea qu'une connoiffance
imparfaite
& confufe ; de forte que rendu certain de fa légitimité
, il le
pourvut en lettres de refcifion contre tous les actes de fa part & démarches
contraires
à fes décou
vertes ; & lorqu'il fut queſtion de leur entérine- ment , d'abord au Bailliage
de Chaumont
, enfuite aux Requêtes
du Palais , où elles furent renvoyées, Gafpard
de Pons , Seigneur
de Rennepont
& de Malliges
, Major du Régiment
de Fontaine , Ca- valerie , & l'un de fes frères qu'il s'affocia , y for- merent oppofition
, d'autant
moins attendue , qu'ils avoient toujours traité l'Impétrant
de coufin germain
dont la légitimité
leur étoit bien con- nue & le fecret confié , ce qui fut conftaté par différentes
pièces , juridiquement
produites
au
procès. La guerre , entr'eux
ainfi déclarée
, fut long- temps pouffée
avec fureur , & ne ceffa qu'après toutes les reffources
de la chicane
, épuilées par
l'Aggreffeur
, & autres qu'il fit intervenir
. En effet, après l'entérinement
des lettres de refcifion
, fans égard aux oppofitions
, appel en fur
SEPTEMBRE . 1762. 209
interjetté au Parlement , où l'affaire , mife au
grand jour & amplement difcutée , intervint le
19 Décembre 1673 , fur les conclufions du célébre
M. Talon , Avocat Général , arrêt contradictoire
qui prononça que , Pierre DE PONS étoit
né en légitime mariage , de Meffire Pierre de Pons
de Rennepont , & de Demoiselle Anne de Rommecourt
, & qu'il jouiroit du nom , des armes & du
pécule defes Peres & Meres , avec défenſe à la Fåmille
de l'y troubler , & condamna les Parties adverfes
aux dépens.
*
Cet échec ne rebuta pas les affaillans , ils
fufciterent le miniftere de M. le Procureur Général
des Aydes, pour contefter à Pierre de Pons & Annonville
la nobleffe , fous les mêmes prétextes , auxquels
il oppofa l'Arrêt du 19 Decembre 1673 , &
prétendit que c'étoit agiter une feconde fois la
queftion de fon état , & qu'ayant été jugé au Parlement
, il ne devoit pas être traduit pour
le même
fait à la Cour des Aydes , l'autorité des chofes
jugées étant fainte & inviolable , principalement
dans les queſtions d'Etat.
Il refufa donc de procéder à la Cour des Aydes,
fe pourvut au Parlement , puis en réglement de
Juges au Confeil , ou par arrêt du 6 Mai 1681 ,
il fut ordonné qu'il procéderoit à la Cour des
Aydes : en conféquence il y procéda , & l'Arrêt
du Parlement ayant été communiqué au Procureur
Général , il fit fa déclaration à l'audience ,
qu'il n'entendoit contefter l'état ni la filiation de
* La bonne foi qui fe préfume toujours
1
n'eft autre
chofe dans les mariages que Pignorance de l'un des conjoints
de l'empêchement qui eft en l'autre , & qui fuffit
pour affurer l'état des Enfans.
Tous les Auteurs François , Italiens . Efpagnols &
Allemands font de cet avis , & telle eft la Jurifprudence
univerfelle.
210 MERCURE DE FRANCE .
Pierre de Pons d' Annonville. Ayant fatisfait exactement
, & le tout communiqué au Procureur
Général , de fon confentement Arrêt de la Cour
des Aydes fut rendu le 23 Mars 1684 , par lequel
Pierre DE PONS d' Annonville fut déclaré iffu par
voye légitime de noble race & lignée : ordonné qu'il
jouiroit , enfemble fes enfans nés & ànaître en légitime
mariage, des priviléges , exemptions & immunités
, dont jouiſſent tous les autres Nobles du
Royaume.
Cette feconde victoire ne fut pas fuffifante pour
calmer la bile & la mauvaiſe humeur de Gaſpard
de Pons ; il dreffa donc une nouvelle batterie en
1688 , à la faveur de laquelle il renouvella la
même queſtion , tant comme tuteur de Louis-
François de Pons , que fous les noms de Marie-
Anne , Marie-Magdeleine de Pons fes filles , &
Nicolas de Bouvigny, troifiéme frère qui parut
fur la scène , tous en qualité de tiers - oppofans
aux Arrêts précédemment rendus , traduifit
Pierre de Pons d' Annonville aux Requêtes du
Palais , où le 9 Juillet 1688 , il obtint Sentence ,
qui les déclara non - recevables dans leur oppofition
, & fur l'appel qu'ils en interjetterent , l'affaire
ayant été plaidée durant trois audiences à
la Grand'Chambre , Arrêt contradictoire fur les
conclufions de M. Talon , Avocat Général , fut
prononcé le 4 Février 1689 , par lequel , fans s'ar-
Têter à l'intervention de Gafpard de Pons , tuteur
de Louis-François de Pons , ni aux appellations,
requêtes judiciaires par écrit , tant dudit Mineur,
que de Nicolas , Marie- Anne & Marie-Magdeleine
de Pons , dans lefquels ils furent déclarés
non recevables , & condamnés en l'amende de 150
livres , comme tiers oppofans . La Sentence des
Requêtes du Palais fut confirmée avec amende &
dépens , par Arrêt du Confeil privé du Roi , du 31
-
SEPTEMBRE. 1762. 211
•
Mars 1689 , qui confirme encore la nobleffe ,
L'état légitime du fieur DE PONS d' Annonville.
&
Tels font les fuccès qui , malgré tant d'obſtacles
, & d'acharnement d'un implacable ennemi ,
ont procuré au fieur DE PONS d' Annonville , &
à fa poftérité , pleine affurance de leur état , &
l'ont mis à couvert de toute atteinte : & telle eft
l'hiftoire de leur naiffance. Elle eft fi connue en
Champagne , par tant d'Arrêts folemnels qui
l'ont rendu célébre , que MM. DE PONS ďAnnonville
n'auroient pas dû s'attendre à des propos
calomnieux , qui fe font répandus dans différentes
Provinces du Royaume. Rendus certains de ces
bruits qui les couvroient d'infamie , ainfi que les
Maifons dans lesquelles ils font entrés , ils firent
leur perquifition pour en découvrir la fource ,
après un très - long & mûr examen , ils crurent
devoir fe plaindre amérement à différentes perfonnes
qui compofent la branche des Rennepont;
mais tous ayant nié verbalement & par lettres
avoir tenu aucuns des propos à eux imputés ,
qu'ils étoient prêts de démentir quiconque les leur
attribuoit , & qu'au contraire , ils le faifoient
honneur , à toutes fortes de titres , de les regarder
& avouer pour parens : MM . DE PONS d'Annonville,
pour couper court & faire taire les méchans
, ont exigé actes folemnels de cette branche
, dont eft copie ci- bas . Ainfi le Public , informé
par tous ces différens Mémoires & Actes , fentira
combien il doit fe méfier de gens qui , malheureuſement
nés dans le menfonge & l'impofture
, ne font uſage de ce funefte talent , que pour
faire naître le divorce dans les Familles , foit par
leur perfidie , ou leur impudente imbécillité.
Nous fouffignés, Anne- Dorothée de Bettainvillers,
Marquife de Rennepont , Claude-Jean- Eu212
MERCURE DE FRANCE .
gene de Jouffroy, Seigneur des Abans , Jeanne-
Henriette de Rennepont de Jouffroy , & Elifabeth-
Charlotte d'Efcorailles , fur les remontrances &
plaintes à Nous faites , par MM de Pons , fils ,
petits-fils, & héritiers de feu Meffire Pierre de
Pons , Chevalier, Seigneur d' Annonville , Muffey,
Saucour , &c. leur ayeul & pere , des propos &
bruits calomnieux répandus contre l'origine & naiffance
de leur pere & ayeul , quoique juftifiés par
Arrêts, & par les titres les plus folemnels & les
plus authentiques , lefquels propos nous font fauffement
imputés , foit par malignité , foit par tout
autre motif, déclarons n'y avoir aucune part , &
les défavouons pleinement ; en outre que nous les
reconnoiffons pour être iffus de la Maifon de Pons ,
& que nous nous faifons honneur de les reconnoître
pournos Parens: En foi de quoi nous avons figné
le préfent Acte . Fait & Amnéville , le quinze Mai
milfept centfoixante . Signé BETT AINVILLERS
DE RENEPONT , CLAUDE-JEAN-EUGENE DE
JOUFFROY , DE RENEPONT DE JOUFFROY ,
D'ESCORAILLES.
Légalife par le Maire de Grandrange , le même
jour & an. HENRY DENISET.
Pareil Acte à fieur Cheron , du 26 Mai 1760 ,
de Claude- Alexandre de Renépont . Signé DE
PONS RENEPONT .
Légalife du même jour & an , par Joubert ,
Lieutenant en la Juftice de fieur Cheron.
Signé JOUBERT .
AVIS AU PUBLIC.
L'incertitude où l'on eft ſouvent à Paris & dans
les Provinces , fur les jours que le prennent &
fe quittent les deuils de cour , a fourni l'idée d'en
informer exactement le Public . On fe propoſe de
les annoncer par un billet imprimé qui fera enSEPTEMBRE.
1762. 213
voyé à Paris par la petite Pofte & dans les Provinces
, franc de port , par la Pofte ; & qui contiendra
, 1. le nom & les qualités du Prince ou de
la Princeffe dont on devra porter le deuil . 2º . les
jours fixés pour le prendre & le quitter. 39. les
autres particularités d'étiquette , quand il y en
aura. Le prix de l'abonnement pour Paris n'eft
que de 3 liv. par an & de 6 liv. pour les Provinces.
Ceux qui voudront s'abonner payeront d'avance
: leurs noms , qualités & demeure feront
infcrits fur un Regiftre. L'année d'abonnement
commencera du jour que l'argent aura été reçu .
Le Bureau pour les abonnemens de Paris eſt établi
rue & vis -à- vis la Monnoie , chez le fieur Rougeux
; Marchand Miroitier , au Grand- Prieur de
France. Pour les Provinces , les lettres devront
être adreffées , port franc , ainsi que l'argent , à
M. Dubois , rue d'Enfer , vis- à- vis la rue S. Thomas
, à Paris . On ne recevra ni les lettres ni l'argent
qui n'auront point été affranchis . Nota . On
ne s'engage de donner le détail des qualités ,
qu'autant qu'on pourra en être affez promptement
informé pour que le fervice ne foit pas retardé.
Le fieur SAVOYE , Valer de Chambre de M. le
Bailli de Fleury , donne avis au Public qu'il vend la
véritable Eau de Fleur d'Orange de Malthe, à 6 1 .
la Bouteille de pinte . Il demeure rue de la Ville-
Lévêque , Fauxbourg S. Honoré , au Nº.9 .
Le fieur DAVID , demeurant à Paris rue & à
l'Hôtel Ste Anne , butte S. Roch , ayant la Permiflion
de Monfieur le Lieutenant-Général de Police
, & l'Approbation de M. le Doyen de la Faculté
de Médecine , poffède un nouveau fecret &
reméde , avec lequel il guérit dans l'inſtant , tou214
MERCURE DE FRANCE.
tes fortes de maux de dents les plus douloureux
les fluxions des dents , les maux de tête & migraines
, fans que le mal y revienne jamais , fans
qu'il foit befoin d'arracher les dents , quelques
gâtées qu'elles foient , & fans qu'il entre rien dans
la bouche ni dans le corps.
C'est avec un Topique qu'il applique , & que
l'on peut autii s'appliquer foi-même , fur l'artére
temporal du côté de la douleur ; ce Topique ne
tient point à la peau , & ne lui fait aucun dommage
ni marque , lorfqu'il eft appliqué le foir en
fe couchant , auffitôt la douleur le palle ; il procure
un fommeil pendant lequel il fe fait une
tranſpiration , & au réveil on eft guéri pour
toujours .
On peut faire proviſion de ce reméde , & en
emporter partout , il eft des plus doux & trèsfacile
, & à bon marché.
Il n'en coûte rien aux pauvres néceffiteux.
Il en coûte 24 fols à toutes fortes de perfonnes
qui viennent chez lui , & liv. ou 6 liv. fuivant
l'éloignement , lorsqu'il fe tranfporte chez les
perfonnes qui lui font l'honneur de l'envoyer chercher.
Il a guéri un nombre confidérable de perfonnes
de renom , qui font très -fatisfaites , dont plufieurs
ont traité ce reméde de miracle.
APPROBATION.
J'ai lu ,par ordre de Monſeigneur le Chancelier, ΑΙ
le Mercure de Septembre 1762 , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , ce 31 Août 1762. GUIROY.
SEPTEMBRE . 1762. 215
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS IT IN PROSE.
EPITRE à M ** .
>
Page S
A MM . de L *** fur une diftribution
de
Prix. Ode Anacréontique .
ODE fur la Tragédie de Cinna , à Mile
Clairon.
LETTRE de l'Auteur du Mercure à Madame
la M.... D....
RENNIO & ALINDE , ou les Amans fans le
fçavoir , Comédie.
TRADUCTION littérale de la premiere Ode
du troifiéme Livre d'Horace. Odi profanum
vulgus .
VERS fur le début de Mlle Durancy à l'Opéra
dans les Fêtes Grecques & Romaines,
par le Rôle de Cléopatre.
IMPROMPTU à S. A. S. E. Palatine , au jour
de l'An .
IMPROMPTU à M. & à Madame Vendlings
Muficiens de L. A. S. E. Palatines .
MADRIGAL à Madame de Nefle , Actrice
de la Cour Palatine.
STANCES à Zamire.
9
II
14
IS
69
72
73
74
ibid.
75
BOUQUET à Mile A. C. L. N.
78
ÉPITAPHE de M. de Crébillon.
ÉNIGMES.
LOGOGYYPHES.
CHANSON .
ART. II . NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ÉCOLE Militaire : Ouvrage compofé par ordre
du Gouvernement. Par M. l'Abbé
79
80
81 & 82
83
Raynal. Second Extrait. 84
216 MERCURE DE FRANCE .
ÉPITRE à Minette ; par M C ***.
ODE fur la Poëfie , comparée à la Philofophie
; par M. Colardeau .
ANNONCES de Livres.
98
ΙΟΣ
105 & fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADEMIES.
PRIX d'Eloquence pour l'année 1763 .
SEANCE publique de l'Académie Royale de
Nifmes.
GEOMÉTRIE.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES.
CHIRURGIE .
SUITE des Obfervations d'un Chirurgien de
Province , fur l'origine & fur les progrès
de la Taille appellée Méthode de Rau.
ARTS AGRÉABLES.
125
116
128
1436
PEINTURE. 153
SCULPTURE.
156
GRAVURE. 167
ART. V. SPECTACLES.
OPÉRA.
170
COMÉDIE Françoife. 171
COMÉDIE Italienne. 177
CONCERT Spirituel .
178
ART. VI. Nouvelles Politiques.
EXPOSITION hiſtorique de l'Origine & Nailfance
de Meffire PIERRE DE PONS.
Avis.
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis-à-vis la Comédie Françoile .
Qualité de la reconnaissance optique de caractères