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1760, 10, vol. 1-2, 11-12
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
OCTOBRE . 1760 .
PREMIER VOLUME.
Diverfité , c efi ma devife . La Fontaine
Cochin
Filius fo
PapillonSeulp.
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis a vis la Comédie Françoife
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins. -
CELLOT , grande Saile du Palais,
Avec Approbation & Privilège du Roi,
HC NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
335909
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier , Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer, francs
de
port , les paquets
& lettres
, pour
remettre
, quant
à la partie
littéraire
M. DE LA PLACE
, Auteur
du Mercure
.
à
Le prix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raison de 30 fols pièce.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir,ou qui prendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
c'est- à- dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci deſſus.
A ij
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit ,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement enfois
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eflampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
De la Place , le trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions, font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE . 1760 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE.
RESVER , ami , c'eft mon partage ;
Trompé fouvent par une fauffe image ,
Je jouis des plaifirs refufés à mes voeux ,
Et je fuis libre au fein de l'efclavage :
S'il faut penfer pour être fage .
Il faut rêver pour être heureux.
Quelquefois lorfque la folie ,
Par fes preftiges féducteurs ,
Ecarte les noires vapeurs
De la fombre mélancolie ,
1. Vol,
A j
MERCURE DE FRANCE.
Ami , fur l'aile des defirs ,
J'égare mes efprits volages ,
Loin de ce monde , aux yeux des fages
Si fécond en trifles orages ,
Et fi ftérile en vrais plaifirs.
Loin de l'affemblage bizarre ,
Dont il nous offre le tableau ;
L'erreur où mon efprit s'égare ,
Me forme un univers nouveau.
Dans un féjour où la vertu préfide ,
Je place quelques coeurs unis ;
Non de ces noeuds que d'une main avide
Forme Plutus entre les favoris ;
Et non de ceux d'une ardeur paffagere ,
Qui s'allumant au flambeau de l'amour ,
Au gré de ſon aîle légére ,
S'enflamme & s'éteint tour- à-tour.
Amitié , charmante Déeffe ,
C'eft de tes mains que je veux les unir !
Toi qui des noeuds de la fageffe ,
Enchaînes feule le plaifir :
Toi dont la tendrelle immortelle ,
Triomphant de l'heure qui fuit ,
Sçait puifer une ardeur nouvelle
Dans les plaifirs qu'elle produir :
Loin de ces faux plaifirs , dont l'éclat infidéle-
Trompe fouvent nos yeux féduits ,
Et qui formés par le caprice ,
Se foutiennent par l'artifice ,
OCTOBRE. 1760 .
Et meurent au fein des ennuis.
De la nouvelle République ,
Devenu le Législateur ,
J'y fais régner , fans politique ,
Des loix que je puiſe en mon coeur :
Tantôt d'un plaifir monotone
Evitant l'infipidité ,
Le fentiment s'unit à la gaîté
De l'enjoûment qui l'affaifonne :
Tantôt fous le léger vernis .
D'une rime peu préparée ,
L'amitié fe montre parée
Du poëtique coloris :
Mais pour ménager la pareffe ,
Que l'ouvrage pourroit bleſſer ,
Par les loix du nouveau Permeffe ,
Pour être Auteur , il ne faut que penfer.
Tantot par des critiques fages ,
Réformant ces doux badinages ,
L'efprit emprunte tour- à- tour ,
Les yeux d'Argus pour les ouvrages ,
Pour les Auteurs , le bandeau de l'Amour.
Quelquefois la Philofophie ,
Soumife aux loix de l'agrément ,
Se montre fans être fuivie
De l'impitoyable argument :
Loin de ce langage barbare ,
Où la Raifón fouvent s'égare
Dans les loix du raifonnement ,
Aiv
MERCURE DE FRANCE
Sans appareil & fans mystère ,
Eile a pour guide , l'enjoûment ;
Pour objet , le talent de plaire ;
Pour langage , le fentiment.
Ce n'eft point cet atrabilaire ,
A l'oeil farouche , au front auſtère ,
Qui d'un ftoïque plein d'humeur ,
Empruntant l'organe ſévère ,
A a grandeur imaginaire ,
Vouloit immoler le bonheur :
Ce n'eft point cet aigle intrépile ,
Qui prenant un effor rapide ,
Va s'élevantjuſques aux Cieux
Dans des régions inconnues ,
Porter fon vol audacieux ,
Et fe perd enfin dans les nuës :
L'Amitié le trouve bien mieux
De la Déelle d'Epicure ,
Qui fans cette vaine parure ,
A la vertu peut quelquefois s'unir ,
Pour lui montrer le vrai plaifir ,
Er pour embellir la Nature.
Heureufement enseveli
Dans ce féjour philofophique ,
Ami , dans le fein de l'oubli ,
J'etablis notre république :
Loin de la trifte dignité ,
Je fais régner l'égalité ,
OCTOBRE. 1760.
Et profcris le ton magnifique
Du luxe & de la vanité.
Les foucis naiffent ſur le trône ;
Ils defcendent de la couronne ,
Sur l'opulente Oifiveté;
Mais ennemis de la pouffiere ,
Ils s'éteignent fous la chaumiere ,
Et meurent dans l'obſcurité.
Ainfi ma Raifon menfongère ,
Se jouant de mon coeur féduit,
Dans ce chimérique réduit,
M'offre un bonheur imaginaire ,
Que loin de l'ignorant vulgaire
Eloigne la ftupidité ;
Que de l'empire de Cythere
Ecarte la frivolité ,
Et que des grandeurs qu'on révére
Proferit la fombre vanité.
Mais , quoi ! toujours pour des erreurs fi cheres,
Craindrai-je un réveil déteſté ;
Ne peut-on faire une réalité ,
De ces agréables chimeres
Je crois avoir déjà trouvé
Des Citoyens pour mon nouvel empire ;
Aimer , pour nous , eft un bien éprouvé ;
Il ne faut plus que nous le dire :
Ami , je n'aurai pas rêvé.
Αν
10 MERCURE DE FRANCE.
LA COQUETTE & LA GUEPE ,
FABLE.
Traduite librement , de M. GAY.
DEVEVANT fon miroir de toilette ,
Examinant comme elle eſt faite ,
Doris , pendant le chaud du jour ,
Pour mieux faire fortir fes charmes ,
A fes ajuſtemens donnoit un nouveau tour ;
Gaie & rêveufe tour-à- tour ,
Sur elle-même elle éffayoit fes armes ;
C'étoit un Ange , ou plutôt un Amour.
Une Guêpe étourdie , en bourdonnant voltige ,
Recule , avance , incertaine en fon vol ;
Elle en veut à la joue , aux yeux, au front, au col
De mon petit prodige.
L'éventail de Doris , agile en ce danger ,
S'offre envain à la protéger;
L'infecte revient , la menace ,
Des rebuts accroît fon audace ,
Et fur fa bouche enfin pofé ,
Ilofe ce qu'Amour lui -même n'eût oſé ;
Il la preffe , il l'entr'ouvre , il la ſuce³ , il reſpire
Ce parfum fi voluptueux ,
Le parfum des Amans heureux.
Doris tremblante , & s'irrite , & foupires
OCTOBRE. 1760 . Fi
Sa plainte monte jufqu'aux Cieux :
De tous les animaux que vous fites, grands Dieux !
Voilà le plus défagréable ;
Voilà le plus infupportable.
% SANS déranger fon corps , la Guêpe répondit :
Pourquoi ce courroux , ce dépit ?
De ma témérité vos attraits feuls font cauſe ;
Ces lévres , voyez-les , ces lévres ont , Doris ,
L'éclat de la cerife , & l'odeur de la roſe !
Des fleurs de votre teint qui ne feroit épris ?
Je croyois m'approcher ( erreur bien féduifante ! )
De la pêche la plus charmante ! ...
Un Amant n'eût pas mieux parlé .
A ce propos Doris s'écrie :
Ah ! ne la frappe point, Lifette , je te prie ;
Pauvre animal ! il feroit immolé ?
Non. Il a , je le confeffe ,
Marqué trop de hardieffe :
Mais il eft galant & poli ,
Fardonnons-lui , regarde , il eft même joli..
La Guêpe, que fon fuccès flate ,
Plus indifcrette , hélas ! qu'ingrate ,
Prône en tous lieux Doris & le nectar divin ,
Promet d'y retourner, en montre encore un reſte ,
Cette nouvelle anime , émeut l'effain :
Il vole , il eſt ſouffert ; complaifance funefte l'
Guêpes ne vont fans aiguillon.
Qu'arriva-t-il ? Doris en fentit la piqûre
Avi
12 MERCURE DE FRANCE.
Beautés , à qui l'Amour jette fon hameçon ,
De cetendre impoſteur , redoutez la bleſſure !
Par M. GUICHARD .
VERS à M. GERBIER , Avocat au
Parlement de Paris.
Tor , dont l'éloquence invincible ,
Telle qu'un charme féducteur ,
Dans le coeur le plus infenfible ,
Jette , des paffions , le preftige enchanteurs
O Gerbier ! quel dieu dans ton âme ,
A fait paller ces traits de flâme ,
Dont tu pénétres tous mes fens ?
Cette Hydre toujours renaiffante ,
La Chicane , à ta voix puiſſante ,
Rampe fous tes pieds triomphants.
Noble rival de Démosthènes ,
Je t'ai vû , dans une autre Athènes,
D'un augufte Sénat enchaîner les efprits ;
De fes ftoiques yeux j'ai vu couler des larmes ;
Je l'ai vu des mains de Thémis ,
Pour venger l'équité , prendre en fes mains les
armes,
Frapper un père injufte en couronnant les fils, *.
Le Poëte rappelle dans ces vers , la célébre affaire
des Diles Simonet , qui furent déſayouées par leur père,
OCTOBRE . 1760. 13
Moi-même je te dois la moitié de mon être ;
L'avarice , au regard cruel ,
Alloit flétrir mes jours d'un opprobre éternel ,
Et me ravir un bien que j'ofois me promettre.
Tu parles : ce Monftre en courroux ,
Eléve un trophée à ta gloire ,
Céde fa proie & la victoire ,
Et t'admire lui- même , en tombant fous tes coups .
Ton amitié prit ma défenſe :
Le zéle conduifoit ta rapide éloquence ,
Et le fuccès en fut le fruit.
Que ne peuvent l'Art & l'efprit ,
Quand le coeur , avec eux , agit d'intelligence !
M. Gerbier défendoit leur cauſe , & il en fit valoir toutes
les circonstances , avec cette fupériorité de talens que le
Public admire en lui . Son plaidoyer fur fi éloquent
qu'il jetta le trouble dans l'âme même du père, qui etoit préfent
à l'Audience. L'Orateur s'en apperçut & faifit cette cir
conftance. L'apostrophe qu'il fit au père & anx créanciers
qui le faifoient mouvoir, fut fi pathétique que l'on vit couler
les larmes des yeux des Juges , des parties intéreffées , &
d'une partie de l'Auditoire . Et il fit voir , dans cette
occafion , combien Péloquence du coeur & du moment
eft fupérieure à celle , dont on p'eft redevable qu'aux éf,
forts de l'Art.
*
14 MERCURE DE FRANCE.
VERS , à Madame de * *** de Marfeille.
LAA Déeffe qui n'y voit pas ,
Qu'Irus maudit , que Créfus loue ,
La Fortune vous mit tout au haut de la roue ,
Et fe plût à me mettre au bas ;
Er le Dieu qu'un bandeau prive auffi de la vue ,
L'amour, d'un trait toujours vainqueur,
En perçant , pour moi , votre coeur ,
Rendit , pour vous , mon âme émue :
Nous nous aimâmes ! Depuis lors ,
Pour monter juſqu'à vous , je fis de vains éfforts :
A nous joindre jamais , je ne dois plus prétendres
Il faut y renoncer , je croi ...
Mais.... éffayez un peu , vous , de venir à moi :
Il eſt plus aifé de defcendre.
Par M. D ** de ***
LES AMIS RIVAUX.
ALCAST
ANECDOTE.
de rap
LCASTRE & LEANDRE étoient liés de
la plus étroite amitié ; cette liaiſon furprenoit
d'autant plus , que le peu
port de leurs goûts , de leurs inclinations
, de leur caractére , fembloit devoir
les éloigner davantage,
OCTOBRE. 1760 .
15
Alcaftre , grand , bienfait , d'une figure
charmante , joignoit à l'humeur la plus
impérieufe , une vanité qui perçoit dans
toutes les occafions : de là mille défauts
qui rendoient fon commerce infupporta
ble à tout autre qu'à un ami ; la plus petite
contradiction , la plus légére équivoque
, l'ombre même de la raillerie , le
jettoit dans des tranfports , qu'il avoit
bien de la peine à modérer . Il avoit de
l'efprit , mais beaucoup moins qu'il ne
croyoit jaloux de toute efpéce de mérite
, il en accordoit rarement aux autres
; il cultivoit les lettres , mais par
air plus que par goût ; porté au plaifir
par tempérament , il dédaignoit ceux
qu'une tendre fenfibilité rend fi délicieux
ils auroient trop coûté à fon
amour-propre. En blâmant les défauts
d'Alcaftre , on ne pouvoit s'empêcher
de rendre juftice à mille qualités eſtimable
qu'il poffédoit ; il étoit libéral , généreux
, plein d'honneur , & de probité ;
il faififfoit , avec plaifir , les occafions
d'obliger ; mais il ignoroit l'art de donner
à un bienfait ces graces qui en augment
fi fort le prix. Tel étoit Alcaftre.
Léandre étoit bien différent ; il n'avoit
pas l'extérieur à beaucoup près fi agréable
; mais en revanche , quelle aménité
16 MERCURE DE FRANCE.
dans les moeurs ! quelle douceur dans le
caractére ! Humain , tendre , compatif
fant , il fuffifoit d'être malheureux pour
avoir des droits fur fon coeur ; étayé par
la Raifon , fon efprit étoit enrichi des
plus rares connoiffances ; il en avoit infiniment
, & ne s'en fervoit jamais pour
offenfer perfonne. Ceux qui ne le connoiffoient
point , voyant avec quelle avidité
il faififfoit les occafions de dire quelque
chofe d'obligeant ; combien les
louanges , qu'il diftribuoit toujours avec
difcernement , étoient fines & délicates ;
avec quel art il fe mettoit à la portée des
différens efprits ; comment il trouvoit le
fecret de laiffer tomber un voile épais
fur les défauts des autres , & de répandre
une clarté lumineufe fur tout ce qu'ils
avoient d'estimable ; ceux , dis - je , qui
ne le connoiffoient pas , & qui voyoient
tout cela , le croyoient naturellement
porté à la flatterie : il en étoit cependant
bien éloigné ; l'efpoir de la fortune la
plus brillante n'auroit pu lui faire encenfer
le vice , & trahir la vérité. Mais
il fçavoit que fi un galant homme ne doit
jamais s'en écarter , il eft des occafions où
peut , où il doit même la taire ; ſon humeur
bienfaifante , lui perfuadoit , avec
raiſon , qu'on pouvoit être vrai fans être
il
OCTOBRE. 1760. 17
cauftique ; on ne reprochoit à Léandre
qu'un penchant à la tendreffe , capable
de le porter aux plus grands excès : il
connoifloit fon foible , & ne voyoit les
femmes que par bienséance ; rempli de
l'amitié qu'il portoit à Alcaftre , fon coeur
évitoit avec foin tout autre attachement.
Alcaftre & Léandre fervoient dans le
même Régiment ; leur amitié , dans un
fiécle où ce fentiment fi vertueux eft
devenu fi rare , étoit citée , elle leur attiroit
l'admiration de tout le monde :
l'Amour en conçut de l'ombrage ; il forma
le deffein d'altérer au moins leur
union , s'il ne pouvoit la détruire. Elvire
fut celle qu'il choifit pour l'exécution de
fon deffein ; elle étoit grande , faite à
peindre , de la figure du monde la plus
féduifante : elle n'étoit fortie du Couvent
que pour époufer un mari , dont le moindre
défaut étoit d'être fexagénaire. Naturellement
tendre , l'imagination d'ailleurs
échauffée par la lecture des Romans , un
tel mari étoit peu propre à fatisfaire fon
coeur elle venoit de fe marier , lorfque
le Régiment de nos deux amis arriva.
Alcaftie avoit une de ces figures qui intéreffent
, qui touchent , qui frappent :
Elvire, en le voyant, foupira tout bas ; le
trouble de fes regards annonça celui de
18 MERCURE DE FRANCE.
fon âme ; fes yeux ne pouvoient quitter
l'aimable objet qui fixoit toute fon attention
. Eclairé par le flambeau de l'amourpropre
, Alcaftre s'apperçut du trouble
d'Elvire; il en devina le principe ; &
prit les fecrets mouvemens de joie que
lui caufa cette découverte , pour autant
d'effets d'une tendre fympathie. Perfuadé
de la meilleure foi du monde qu'il aimoit
, il mit tout en ufage pour en convaincre
Elvire. On avoit trop d'intérêt à
le croire, pour douter de fa fincérité ; on
étoit charmé d'avoir de quoi juftifier une
foibleffe ; & la paffion d'un homme fait
comme Alcaftre , paroiffoit plus que
fante .
fuffi
Alcaftre venoit d'obtenir un aveu charmant.
Cette conquête le flattoit fi fort ,
que l'amant le plus paffionné n'eût pas
reffenti des tranfports plus vifs . Il rencontre
dans le moment fon ami Léandre ;
mon cher Léandre , lui dit-il , concevezvous
bien l'excès de ma joie ? Elvire ,
l'aimable Elvire eft fenfible , fa belle bouche
vient de me confirmer ce que fes
regards m'avoient déjà appris ! ... vous ne
répondez rien ; d'où peut venir ce filence
morne , cet air abbatu , ces regards languiffans
? une indifpofition vint au fecours
de Léandre. Pénétré de ce qu'on venoit
OCTOBRE. 1760. 19
'de lui dire , il fe retira chez lui. Il adoroit
Elvire. Qu'on jugé de l'horreur de fa fi
tuation que de facrifices ne fit - il pas રે
l'amitié ? Sa paffion fut la feule qu'il
n'immola point ; le pouvoit - il ? .... Confident
d'un rival heureux , que ne devoit- il
pas fouffrir ?
La vanité de ce rival étoit fatisfaite ; il
revint bientôt à fon état naturel : plus
d'affiduités , plus de petits foins, plus de regards
enflammés , plus de propos tendres ;
Pindifférence la plus cruelle fut le prix de
l'amour le plus vif. Il ne m'aime plus ,difoit
quelquefois Elvire à Léandre; remarquez-
Vous avec quel foin le cruel m'évite ? par
où ai-je pû m'attirer fa haine ? Qu'ai- je à
me reprocher , que de l'avoir trop aimé ?
Mais vous qui êtes fon ami,vous qui êtes
le mien , ne ferez- vous pas votre poffible
pour ramener un coeur qui m'echappe
En le perdant , ce coeur , je perds tout
mon repos , je perds tout mon bonheur ;
ayez pitié d'une amante éplorée , victime
de l'amour!... Victime de l'amitié, Léandre
foupiroit , verfoit des larmes , & faifoit
ce qu'on exigeoit de lui. Quel amant !
quel ami !
Non , Madame , dit- il un jour à Elvire
, l'amitié , l'amour , vos attraits même,
rien ne peut infpirer la tendreffe à
20 MERCURE DE FRANCE.
un coeur qui n'eſt pas fait pour la fentir ;
Alcaftre eft un ingrat que n'a- t - il mes
mes yeux ? que n'a -t- il ma fenfibilité ?
fon bonheur feroit mon défefpoir ; mais
il combleroit vos voeux les plus doux: ne
dois-je pas le fouhaiter ? Je ne voudrois
pas être heureuſe à ce prix , répondit Elvire
; vous m'êtes trop cher, Léandre :
pourquoi ne puis - je difpofer de mon
coeur ? que nous ferions heureux ! Mais
l'eftime la plus parfaite... fi l'amitié...
Ah ! Madame , de l'eftime , de l'amitié ;
eft ce avec cette monoye que l'on paye
une paffion comme la mienne ? Alcaftre ,
heureux Alcaftre , que votre fort eft à envier
! & toi, Amour, cruel Amour , jufques
à quand me perfécuteras- tu ? n'as- tu pas
encore épuifé tous tes traits ? les maux que
tu m'as faits,ne font ils pas affez grands ?
Vous avez donc aimé, interrompit Elvire ?
vous me ferez plaifir de m'apprendre les
particularités de cette inclination ; vous
fçavez combien l'intérêt que je prends à
ce qui vous regarde eft vif ; l'amitié que
vous m'avez infpirée eft bien tendre , à
peine la diftingue- t- on de l'amour ; mais
hâtez-vous de fatisfaire ma curiofité. Enchanté
de ce que venoit de lui dire Elvire
, Léandre ouvrit fon coeur à la douce
efpérance . Après quelques inftans d'un
OCTOBRE. 1760. 2F
lence qui difoit beaucoup , il prit la
parole en ces termes :
Je me fuis , toute ma vie , mis au- deffus
de certains préjugés , fur-tout en matiere
d'inclination ; de la figure , des
grâces , du caractére : voilà les titres de
Nobleffe ; voilà les feules richeffes qui
me plaiſent dans une femme . Julie poffédoit
tous ces avantages. Joignez- y des
fentimens bien audeffus d'un état très médiocre
; & vous conviendrez que tant
de charmes devoient faire oublier les
torts que la fortune avoit eus à fon égard.
Mes premiers regards fe fixerent , avec
un fecret plaifir , ſur cet objet charmant;
je l'aimois , je l'adorois dans un temps, out
le commun des hommes ignore juſqu'au
nom de l'Amour ; fes beaux yeux avoient
ouvert les miens ; fon efprit avoit formé
le mien ; dès lors je ne pouvois vivre un
inftant fans elle. Mes parens la protégeoient
, les grâces prévenoient en fa fayeur
; fa mere d'ailleurs avoit nourri
une de mes fours ; la maiſon de mon
père étoit devenue la fienne ; on y avoit
pris foin de fon éducation , & le fuccès
avoit paffé l'efpérance. L'innocente tendreffe,
qui me lioit à Julie,n'étoit regardée
que comme un pur badinage ; on n'avoit
garde d'en prévoir les fuites ; nous pro22
MERCURE DE FRANCE.
fitions de la liberté qu'on nous laiffoit :
l'Amour feul pourroit vous donner une
idée des plaifirs , que nous puifions dans
une tendreffe réciproque. Qu'ils le font
écoulés vîte , ces inftans ! il ne m'en reſte
plus qu'un trifte & tendre fouvenir. Hélas!
pourrois-je jamais oublier ce jour, où elle
me découvrit des fentimens que mon
coeur devinoit , mais dont la certitude
me caufa des tranfports inexprimables ?
Elle venoit de danfer'; fon tein étoit animé
des plus vives couleurs ; fes yeux brilloient
de mille feux nouveaux ; la troupe
légère des grâces voltigeoit autour d'elle ;
l'Amour , le tendre Amour , précédoit
fes pas il lui marqua fa place à côté de
moi ; que j'étois émû dans cet inftant ! je
voulus lui parler ; je ne fis que balbutier.
Elle eut pitié de mon trouble. Je pénétre
vos fentimens , me dit- elle d'un air charmant
; j'en fens tout le prix ; pourquoi
la fortune a-t - elle mis tant de diftance
entre nous ? qu'il m'auroit été doux ! ...
mais ne nous repaiffons point de chimères
, réprimons les mouvemens de
nos coeurs , il feroit dangereux de les faivre...
pourquoi les réprimer ; lui dis -je ,
ne font-ils pas tout notre bonheur ? c'eſt
à l'Amour de réparer les injuftices de la
fortune ; qu'il me fera doux de rendre
"
OCTOBRE. 17 Go.: 23
heureuſe ce que j'aime ... Eh ! Monſieur ,
voudriez-vous vous abaiffer à ce point- là ?
votre fortune...vos parens... l'honneur...
dites le préjugé , il n'aura jamais de pouvoir
fur mon efprit , furtout quand il ſera
fondé fur l'orgueil . On vint me prendre
pour danfer : je ne pus continuer un
entretien qui avoit pour moi tant de
charmes.
Mon amour étoit trop vif , pour pouvoir
le cacher. Mes parens en furent inftruits
; ils s'allarmerent, ils en craignirent
les fuites ; & pour les prévenir, ils crurent
devoir m'éloigner pendant quelques années.
On m'annonce dans le tems que je m'y
attendois le moins , qu'il faut partir pour
le Régiment de B... quelle nouvelle !
Je vole chez Julie ; mes foupirs & mes
larmes lui apprennent le malheur qui
nous menaçoit . Voilà le coup que je redoutois
, s'écrie la tendre Julie ; j'en avois
un fatal préffentiment ! Vous partez , &
avec vous ma joie , mon bonheur , mon
unique efpérance , en un mot , tout ce que
j'ai au monde de plus cher ; ma tendreffe
feule me refte pour me défefpérer. Mais
infenfée , que dis- je ? & pourquoi me
plaindre ? N'est- ce pas ce qui pouvoit
vous arriver de plus heureux ? L'abfence
24 MERCURE DE FRANCE:
triomphera d'un amour qui feroit tous les
malheurs de votre vie ; la Raifon reprendra
le deffus ; vous oublierez une infortunée
qui n'a à vous offrir que l'amour
le plus tendre ; & c'eft cet amour qui
feul peut faire le bonheur de ma vie.
Ah ! Julie , ceffez un langage qui offenfe
vos charmes & mes fentimens ; moi ceffer
de vous aimer ? moi vous oublier ? ...
pouvez-vous m'en croire capable ? Quels
jours que ceux que je vais couler loin
de vous ! Je foupirerai continuellement
après l'inftant qui me rendra ce qui m'eſt
fi cruellement ravi le deftin ne nous
fera pas toujours contraire ; un temps
plus heureux viendra où je pourrai don
ner l'éffor à mes fentimens. Ah ' Julie ,
que je chérirai la vie , fi je la paffe avec
Vons ! Ce furent mes dernieres paroles :
une chaiſe de pofte m'attendoit , on m'y
porta plus mort que vif ; & Julie , dans
quel état étoit elle ? Les coeurs de la
trempe du fien ne peuvent que reffentir
bien vivement de pareils coups .
Arrivé à mon Régiment , j'y vécus de
la maniere du monde la plus retirée , des
livres , les lettres de Julie , voilà en quoi
confiftoient tous mes plaifirs . Bien des
fur-tout ceux qui n'ont pas même
l'idée de cet amour délicat , qui fait la
félicité
gens ,
OCTOBRE . 1760.
25
félicité des coeurs fenfibles , me traiterent
d'homme particulier : il faut facrifier à
la débauche pour leur plaire ; je me confolai
aifément de n'avoir pu obtenir leurs ры
fuffrages .
Il y avoit près d'un an que je languiffois
éloigné de Julie , lorfqu'on me remit
de fa part la lettre fuivante : » Ha-
» farder fa fortune , fa réputation même
» pour un Amant , c'eft ce que l'on voit
" tous les jours ; mais renoncer, par un ex-
» cès d'amour, à tout ce que cet amour fait
" envifager de flatteur , à l'efpoir d'être
» uni à ce qu'on aime ; c'eft ce que l'on
33
ne voit pas ; c'eft un facrifice qui a lieu
» de furprendre . Je ne vous ai jamais
» tant aimé , & j'ai cru ne pouvoir mieux
» vous le prouver , qu'en contractant des
engagemens , qui m'ôtaffent l'efpérance
fi flatteufe d'être un jour à vous. Le
» renversement de votre fortune , l'indignation
de vos Parens , le mépris du
» Public , auroient été les fuites d'un
» amour malheureux . Le facrifice eft
» grand , il me coûte bien des larmes ,
» peut- être même me coûtera- t-il la vie ;
» mais confidere- t - on rien , quand on ai-
» me auffi éperdûment que moi ? Tâchez
de m'oublier, c'eft le feul moyen de
» recouvrer votre repos . Quel confeil !
» ai-je bien la force de le donner ? JULIF.
I.Vol . B
18 MERCURE DE FRANCE...
Comment vous repréfenter ce que je
devins à cette fatale lecture ! étonné ,
faifi , confterné , je ne fortis du profond
accablement où j'étois tombé , que pour
me livrer aux tranfports les plus furieux .
Voilà donc le prix qui étoit réſervé à
mon amour , m'écriai -je ? vous avez changé
, ingrate ! ne croyez pas que je fois la
dupe de votre fauffe générofité... Que je
vous rendois peu de juftice , aimable Julie
; y eut-il jamais de coeur comme le
vôtre?
J'appris peu de temps après que Julie
s'étoit enfevelie dans un cloître. Les combats
qu'elle livroit continuellement à une
paffion , dont elle ne put jamais fe rendre
maîtreffe , prirent fur un tempérament
naturellement délicat : l'austérité
de la régle,acheva de l'épuifer ; elle tomba
dans une maladie de langueur qui eut
bientôt terminé fes jours. Je fus longtems
inconfolable ; mais ma douleur s'affoiblit
infenfiblement. Il ne m'en refta
plus qu'un tendre fouvenir que je conferverai
toujours.
Dégoûté de l'amour , je m'étois promis
d'éviter avec foin tout ce qui pourroit
me conduire à un engagement. Je
vous ai vue , je vous ai aimée , cela ne
pouvoit guere être autrement : mais tou→
OCTOBRE. 1760 .
27
jours
malheureux , j'ai trouvé votre coeur
prévenu en faveur d'un autre.
Elvire avoit prêté une attention extraordinaire
au récit de Léandre : une
façon d'aimer fi délicate , tant de conftance,
dans un fiécle & dans un état, où le
véritable amour a fi peu de partifans , l'avoient
étonnée ; elle avoit envifagé de la
douceur à être aimée par un amant de
cette trempe ; le fort de Julie l'avoit touchée
; fes beaux yeux étoient mouillés
de quelques larmes : que
Imoment pour
l'Amour ! Elvire eftimoit Léandre ; elle
fit plus , elle l'aima.
Alcaftre regretta
alors un coeur qu'il avoit laiſſé échapper.
Témoin de la
fatisfaction de ces deux
tendres Amans , il envia leur bonheur
leurs plaifirs lui parurent bien au- deffus
de ceux que la vanité lui procuroit : il
fouhaita plufieurs fois d'avoir le coeur de
Léandre. Mais, l'homme n'eft pas né
être heureux : Léandre l'éprouva.
pour
;
- Il fortoit de chez Elvire ; jamais elle
n'avoit été fi tendre ; il ne lui avoit jamais
trouvé tant de charmes ; jamais auffi
il ne s'étoit fenti tant d'amour on lui
annonce dans le moment qu'il faut
tir , qu'il faut s'éloigner , peut - être pour
toujours , des lieux qu'habite ce qu'il aime.
Qel ordre ! quel coup de foudre ! 11
par-
Bij
28. MERCURE DE FRANCE.
rentre chez Elvire : elle étoit déjà inf
truite . Il la trouve dans un état plus aifé.
lui à imaginer qu'à décrire. Vous partez ,
dit elle , du fon de voix le plus doux ?.
aurez-vous bien la force de m'abandonner
? Ah ! reſtez , fi vous ne voulez pas
que je meure.... Léandre promit tout ; il.
y auroit eu de l'inhumanité à ne pas le.
faire . Mais l'honneur parloit : ce fut à
l'amour de fe taire ; il partit. Alcaftre
voyant fon ami défefpéré , mit tout en
ufage pour le confoler. Imitez -moi , lui
dit -il mes plaifirs font moins vifs ; j'avoue
même qu'il en eft une infinité de
réfervés pour les coeurs tendres qui me
feront toujours inconnus ; mais auffi que
de peines , que de chagrins , que de regrets
ne traîne pas après foi une paffion ?
Vous le voyez ! peut- on defirer des plaifirs
qu'on achete auffi cher ? Léandre en
convint ; il promit à fon ami de travail-
Ter à réprimer les mouvemens d'un coeur
trop tendre . L'infidélité d'Elvire qu'il apprit
peu de temps après , lui en fit prendre
ne forte réfolution. Réuffira- t- il ? Je le
fouhaite pour fon repos . Qu'il ait toujours
devant les yeux le Vers fuivant ;
Quand on eft né trop tendre , on ne doit pas
aimer.
Par M. de M**** Officier au Régiment de B ..■
abonné au Meicure.
OCTOBRE . 1760. 29
VERS de M. D *** , fur ce qu'on le
croyoit Auteur d'une Chanfon faite
contre quelques Demoifelles .
FrILLE des Dieux , la noble Poëfie ,
Se réſerve à chanter les Belles , les Héros :
Sa lyre célébre à propos ,
De Mars la guerriere folie ,
Et les myſtéres de Paphos :
Voilà fes droits . La noire calomnie ,
Peut du beau fexe outrager les attraits
Et la fottife , à l'aide de l'envie ,
Pour l'ordinaire , en aiguile les traits.
Rangé fous l'amoureux empire ,
Mon coeur ne s'en fervit jamais ,
Beau fexe ! il vous adore ; & fes premiers ſouhaits ,
Etoient de pouvoir vous le dire .
HAVE , de Rheins.
LE ROSSIGNOL & LE HIBOU ,
Αν
FABLE.
A M. le Comte de T ***
Au retour du Printemps , reprenant fon ramage
,
Un jeune Roffignol , par les fons les plus doux ,
Bij
30 MERCURE
DE FRANCE:
Célébroit fes amours , & charmoit le bocage
Quand pour lui diſputer cet heureux avantage ,
Le plus enroué des Hiboux
Vole , arriv, e lui dit , dans fon tranfportjaloux :
>> Chérif Harmoniqueur , es - tu donc fi peu fage ,
» Que par le chant , par le langage ,
» Tu veuilles l'emporter fur nous ?
*
» Jeune présomptueux ! fais un moment filence ;
» Tu verras auffi- tôt , des hôtes de ces bois ,
» La foule s'empreffer aux accords de ma voix ,
» Et m'accorder la préférence.
Il entonne ; en effet , à ſon finiftre chant ,
Se raſſemble à grand bruit toute la volatille :
D'abord l'on crie karo fur ce chantre impudent
Croyant qu'on l'applaudit , qu'il brille ;
Le fat redouble , s'égofille ....
Hélas ! à peine encore on l'avoit entendu ,
Que fous les coups de bec il tombe confondu
De mille fots cette Fable eft l'hiſtoire :
Quand quelque vain jaloux de ton heureux talens
Ofe te difputer tes fuccès & ta gloire ,
Cher Comte , on croitvoir notre Chat- Huant ;
Qui veut au Roffignol diſputer la victoire.
Par M. le Chevalier de JUILLY THOMASSIN
OCTOBRE. 1760. 31
VERS à Mademoiselle CLAIRON.
DIGNE Prêtreffe de Voltaire !
Ses oracles divins , ennoblis par ta voix
Font du Théâtre un fanctuaire ,
Où Paris étonné vient recevoir des loix.
J'ai revû ce Dieu qui t'inſpire ,
Couvert de rayons éclatans ,
Sur tes trépieds affermir fon empire,
Et par toi de l'envie étouffer les ferpens.
Je n'examine point fi l'Art ou la Nature ,
Forme tes fons touchants qui m'arrachent des
pleurs :
Rempli d'une volupté pure,
Je reffens tes tranfporrs , tes craintes , tes douleurs
;
Je ne vois point là d'impoſture.
Voltaire , fois long-temps , en dépit des jaloux ,
Semblable au Dieu de la lumiere ,
Qui rend , au bout de fa carriere ,
Des feux moias brûlants , mais plus dour
que Thétis , qui fort du ſein de l'onde
Pour embellir de fes appas
Et telle
Ce Dieu l'aftre brillant du monde ,
De Voltaire , Clairon , ne quitte point les pas ;
Ton triomphe et le fien , & fa gloire oft la rien■c
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
S'il fait des Vers dignes de toi,
Ta voix eft digne de la fienne ;
Et tous deux du plaifir vous nous faites la loi.
BOUQUET
A M. P. en lui envoyant une Epine , le
jour defa fête.
UNNE Mufe , folle & badine ,
Quijaſe comme un perroquet ,
Depuis un quart d'heure rumine ,
Au bouquer qu'elle te deftine ,
Et s'exerce au fond d'un Bofquet.
Mais loin que Phébus l'illumine ,
Ce Dieu , laffé de ſon caquet ,
Pour panir fon efprit coquet ,
Au lieu de l'onde cryftalline ,
Qui re donne point le hoquet
Lui fait boire , à pleine chapine ,
De l'eau bourbeufe l'un baquet ,
Qui fert d'égoût à la cuisine ,
Où Son Alteffe maroquine ,
Joue , en hyver , au bilboquet.
Flore auffi, qui lui fait la mine ,
A fermé fes fleurs au loquer .
Coquet , mis à la fourdine ,
Eft une effroyable machine ,
こ
J
OCTOBRE. 1760.
Faite des débris d'un briquet
D'un Grenadier mort à Meffine
La même nuit que Méluſine
Inventa les loix du Piquet ;
Que le Prophete de Médine ,
Fut fait cocu par un criquet ;
Et que le Mogol , au Jacquet ,
Battit l'Empereur de la Chine.
Ainfi , fi le Dieu freluquet ,
Qui fans m'inſpirer me lutine ,
De mon deffein ne ſe moquoit ,
Et fi Flore étoit moins murine ;
Je t'euffe offert , par Mathurine ,
De Vers & de Fleurs un paquet.
Mais que peut un pauvre roquet ,
Sans leur affiſtance divine ?
D'ailleurs , comme un pareil Bouquet
A pour but , dans fon origine ,
Régal pompeux , Poularde fine ,
Vin exquis & friand Croquet;
Contente-toi de cette Epine :
Je te difpenfe du banquet.
Par M. FRANCOIS , ancien Cornette de Cavalerie.
By
34 MERCURE DE FRANCE:
EPITRE A DORI S.
DANS ANS cette retraite charmante ,
Afyle des jeux & des ris ,
Dont l'onde la plus tranſparente ,
Dans la courſe paifible & lente ,
Arrofe les fentiers fleuris ;
Sur quoi roulent tous vos écrits ,
Répondez-moi , Mufe innocente ?
Je célébre de nos jardins
La fraîcheur douce & naturelle ,
Dans des vers aiſés & badins ,
Je chante la faiſon nouvelle ,
L'abondance de nos moiffons ,
L'efpoir d'une vendange heureufe
La richeffe de nos toiſons ,
Et l'abeille laborieuſe ,
Sont les objets de mes chanfons.
Je me plais à chanter encore
Le ramage de mille oiſeaux ,
Les pleurs délicats de l'aurore ,
Les attraits de la jeune Flore ,
Le riant murmure des eaux ,
La verdure de nos fougeres ,
La douce haleine des zéphirs ,
Et de nos folâtres bergeres ,
Et les amours , & les plaifirs,
OCTOBRE . 1760. 59
Interrompez ces doux loisirs ,
Prêtez-moi vos grâces naïves ;
Et par les couleurs les plus vives
Peignez l'objet de mes foupirs.
J'ai besoin d'un portrait fidéle ,
Amour ! guide ici ſon pinceau ,..
Et de la Nymphe la plus belle ,,
Trace toi- même le tableau,
Doris eft la beauté que j'aime..
A ce nom fi cher ? tu fouris.
Mon erreur te paroît extrême ..
Il eſt vrai , je me fuis mépris :
Qui veut un portrait de Doris ,
N'a qu'à te bien peindre toi - même ..
Mais admire ma bonne for:
Comment aureis - je pu le faire ,
Amour ; quand elle eſt , ſelon moi , ·
Plus féduifante que ta Mere ,
Et plus dangereuſe que toi ?
Si pour elle dans ces retraites ,.
Tu m'infpiras le premier Vers .
Par elle , dans tout l'Univers ,
Tu vois étendre tes conquêtes.
Mais loin qu'elle ait porté tes fers ,
Tu ne l'as pas même réduite
Jufqu'à fouffrir ton entretien ;1
L'hymen dans tes bras l'a conduite
Sans tes charmes il l'a féduite ;
B vj
16 MERCURE DE FRANCE.
Mais fans lui tu ne pouvois rien.
Ce triomphe manque à tes armes ;
Vele , viens embrafer ſon coeur ;
Un feul mortel de tant de charmes ,
Doit-il être le polleffeur ?
Fier honneur , tyran infléxible,
Ton empire eft- il éternel ?
Un coeur , fans être criminel ,
Ne peut- il devenir fenfible ?
Amour , dompte les préjugés
Qu'enfante une vertų lévére ;
Il est temps qu'ils foient abrogés ,
Fais aimer qui ne fçait que plaire.
Doris , tu vois mes fentimens !
Réponds à l'ardeur qui m'anime ;
Crois que l'amour n'eft jamais crime
Chez les véritables Amans.
Par le même.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR,
La Lettre que vous allez lire, m'eft parvenue
par une voie affez finguliere , pour
que je vous en falle part. Je me promenois
il y a quelques jours au Luxembourg, avec
un de mes amis , qui après une heure de
OCTOBRE . 1760. 37
"
promenade me quitta pour aller à fes affaires.
Je me difpofois moi - même à fortir ,
pour me rendre dans la rue de la Comédie
Françoiſe où j'étois attendu , quand
une femme qui par les façons me parut
tenir un certain rang dans le monde
laiffa tomber à mes pieds une Lettre fans
enveloppe , qui n'etoit point encore cachetée.
J'étois dans ce moment le feul
témoin de cette perte ; auffi il me fut aifé
de ramaſſer la Lettre , fans que perfonne
s'apperçûr de mon larcin. Je voulus voir
ce que ce pouvoit être , & mes premiers
regards tomberent fur l'adreffe . Permettez-
moi , Monfieur , de vous en taire
le contenu. Tout ce que je puis vous
dire , c'eft qu'elle s'adreffoit à une Demoifelle
d'un très-grand nom , & qui par
fes biens & fa beauté fait parler d'elle dans
Paris . Vous vous doutez bien que cette
adreſſe ne me donna que plus d'envie de
voir ce que la Lettre renfermoit. Je la
courus , ou plutôt je la dévorai des yeux.
Toute réflexion faite, je réfolus de me pu
nir de ma curiofité , en rendant la Lettre à
qui elle appartenoit ; je n'avois point perdu
de vue la perfonne qui l'avoit laiffe
tomber. Je me preffai donc de la rejoindre.
Mais avant que d'avoir pu gagner la
porte , je la vis monter dans un équipage
par38
MERCURE DE FRANCE.
des plus élégants : ce qui me perfuada
que j'avois deviné jufte. Je fus fur le
point de crier au Cocher d'arrêter un inf
tant mais le même motif qui m'avoit
porté à lire la lettre , me porta auffi à
la garder. Je ne fus pas plutôt dans la
rue , que je contentai ma curioſité ; &
je vous avouerai franchement que je fus
charmé de n'avoir pas écouté le remords
qui m'avoit pris. La lecture de cette lettre
me fit tant de plaifir , que dès que
je fus dans ma chambre , j'en tirai une
copie que je montrai à quelques - uns
de mes amis qui en porterent le même
jugement que moi. Je réfolus donc dès
ce moment de la rendre publique , en
vous priant de l'inférer dans votre prochain
Mercure. Je me flatte , Monfieur ,
que vous ne me refuferez pas. J'eſpére
auffi que la perfonne à qui appartient la
lettre , ne me voudra aucun mal du petit
larcin que je lui ai fait , puifque cachant
le nom de celle à qui elle s'adreffe , je
rends publiquement juſtice au bon coeur
& au mérite de celle qui en eft l'Auteur.
Je fuis avec toute l'eftime poffible , votre
&c. H... D... Bl...
1
J'ai au moins vingt ans de plus que
yous , Mademoiſelle : fans doute , en faOCTOBRE
. 1760. 3.9
veur de mon âge , de mon expérience
mais bien plus en faveur de mon amitié
pour vous , vous me pardonnerez de
vouloir vous donner des leçons . Je me
fuis trouvée dans la même fituation que
la vôtre une amie de ma mere & qui
étoit la mienne auffi, a bien voulu me prodiguer
fes avis ; j'en ai profité ; & je me
fuis applaudi plus d'une fois d'avoir été
capable de les fuivre.
J'entendis , il y a huit jours, la converfation
de deux amis, dont l'un fe plaignoit
fortement de vous . On ne me croyoit pas
fi près & l'on ne fe gênoit pas. Je vous
avouerai fincérement , que je fus étonnée
de votre façon d'agir ; & dès le moment
je réfolus de vous donner des confeils fur
votre conduite, à venir , en vous faifant
Voir le ridicule de votre conduite paffée.
Je vous connois affez pour me flatter que
vous les regarderez , plutôt comme une
preuve de l'intérêt que je prends à ce qui
vous regarde, que comme une demangeaifon
d'affecter des airs de petite maîtreffe,
affez naturelle à notre fexe, mais dont,graces
à Dieu , je fçais me défendre.
L'on donne le nom de fociété à un cercle
de femmes ou d'hommes , ou même
des deux fexes réunis qui s'affemble chez
un ami commun : là chacun felon fon gé
40 MERCURE DE FRANCE.
.
nie fournit à la converfation ; les hommes
y viennent pour faire leur cour aux
femmes qui y font fouveraines . Mais s'ils
n'avoient d'autre efpérance que d'être
traités avec froideur & indifférence ;
croyez vous , ma chere enfant , qu'ils s'y
rendroient avec tant d'affiduité Non :
tous les hommes , les François fur-tout ,
aiment à être prévenus : un rien les frappe
; il n'en faut pas davantage , pour leur
faire rechercher avec avidité ce je ne
fçais quoi qui leur a fait impreffion . La
vue de ce qu'ils aiment les anime , la
converfation s'égaye , le moindre coup
d'oeil favorable eft la fource de mille reparties
agréables , enfin les jours paroiffent
des heures , & on fe quitte avec une
vive ardeur de fe rejoindre. Eh , quels ſeroient
donc nos droits , où puiſerionsnous
le bonheur attaché à notre fexe , fi
nous n'avions pas le privilége de nous
rendre maîtreffes du coeur des hommes ?
Et quel eft le moyen le plus fûr pour y
parvenir Ceft fans doute de paroître
fenfibles à leurs politeffes , & d'y répon
dre par une eftime proportionnée au mérite
de ceux qui la recherchent . Je ne
crois pas qu'il foir poffible , & l'expé
rience le confirme tous les jours , de fai
re la conquête d'un coeur, quelque par
OCTOBRE. 1760. 41
fionné qu'il foit , par l'indifférence & le
mépris. On le rebute , au lieu de fe l'attacher
; & cependant c'eft ce défaut , car
c'en eft un , que je prétends vous reprocher
, & dont je veux vous guérir . Vous
poffédez toutes les qualités qu'on peut
fouhaiter dans une Demoiselle , à la beauté
, vous joignez l'efprit & la fageffe. Ces
vertus ne font point incompatibles avec
P'envie de plaire. Toutes les femmes l'ont
cette envie pourquoi en feriez - vous
exempre ? Mais à quoi bon ces froideurs
& ces réponfes accablantes, que vous faites
à ceux qui vous font l'aveu de leur
fenfibilité L'on vous aime : eh le grand
mal ! c'eft prouver que l'on n'eft pas de
mauvais goût. Croyez- moi , les femmes
ne s'offenſent jamais des louanges qu'on
Jeur donne : au contraire , leur vanité en
eft flattée. Et cependant vous vous of
fenfez de ce qu'on vous aime, de ce qu'on
vous dit que vous êtes adorable ! » Quelle
» petiteffe! vous me direz, peut - être: mais
"
pourquoi vouloir me forcer de prendré
» du goût , pour des perfonnes pour lef
quelles je n'en reffens aucun ? en fuppc-
» fant même que je puffe en avoir, pour-
*
#
quoi me forger des chaînes ,qui peuvent
» faire le malheur de ma vie » ? Point du
tout , ma chére fille : je ne vous force,
42 MERCURE DE FRANCE.
1
point d'aimer ceux qui ne font aucune
impreffion fur vous ; mais je veux vous
dire que fans lleeuurr marquer de préférence
, vous devez les regarder comme des
membres néceffaires à la fociété , & par
conféquent vous êtes obligée de les ménager.
Que deviendroit- elle donc cette
Société , fi auffi fiéres que vous , toutes
les femmes traitoient les hommes avec
autant d'indifférence ? Car , je ne rougis
point de l'avouer , laquelle de nous ne
s'ennuyeroit pas terriblement de la monotonie
& de la frivolité de nos entretiens
, fi les hommes ne venoient l'égayer
, & en même temps la rendre plus
férieufe Il faut donc les fouffrir , même
leur paffer quelques défauts , puifqu'il eft
de la foibleffe humaine que chacun ait
les fiens ; il faut en leur rendant juſtice ,
fçavoir les contenir par des politeffes &
des prévenances. Croyez -moi, Mademoifelle
, jamais vous ne parviendrez en
fuivant le plan que vous vous êtes formé.
Je conviens qu'on ne pourra s'empêcher,
au premier abord, de vous trouver
charmante ; mais vous perdrez à vous
faire connoître : l'on aime aujourd'hui à
vous voir , dans peu l'on vous fuira , &
vous vous trouverez réduite au peu
perfonnes qui pourront s'accoutumer à
?
de
OCTOBRE. 1760
45
votre milantropie . Quel trifte avenir !
N'allez cependant pas croire que je vous
confeille de vous afficher ; il s'en faut
beaucoup que ce foit mon intention . Cetté
extrémité, eft pour le moins auffi dangereufe
que celle dans laquelle vous donnez
avec tant d'imprudence ; mais il eſt
un jufte milieu entre la mifantropie & la
trop grande légèreté. Attachez-vous par
votre efprit , les hommes qui vous plaifent
; & s'il fe peut , ne rendez point les
armes. C'eft ainfi que la plupart des femmes
, moi la premiere , foit dit fans vanité
, ont mené la vie la plus heureuſe .
Au refte , ma belle enfant , ne croyez
pas , comme je vous l'ai déjà dit , que ce
foit par envie de parler & par jalousie ,
que je trouve à redire à votre conduite . Si
j'étois attaquée de la derniere de ces
paſſions ; au lieu de vous prodiguer des
leçons , je jouirois du plaifir de vous voir
donner dans le travers. Mais non ; je
fuis incapable de l'une & de l'autre ; &
fije déclinois mon nom , vous verriez que
vous n'avez pas d'amie plus fincére que
moi.
Je ferai dans peu à portée de voir quel
cas vous faites de mes avis . Le meilleur
que l'on puiffe vous donner , c'eſt d'en
profiter.
44 MERCURE DE FRANCE.
VERS AU ROI ,
Qui avoient été faits pour être récités par
le Sergent-Major de Meffieurs les Gentilshommes
Eléves defon Ecole Militaire
, lorfque SA MAJESTÉ les honora
de fa Préfence , le 18 Août 1760 .
ן י
1 GN Es fils de Héros , que la France révére ,
Voici l'inftant heureux où votre Fondateur ,
Vous permet de lui rendre un hommage fincére !
Nos voeux n'atten front plus ce moment fi flateur,
Lefeul qui pût combler notre parfait bonheur :
Embraffons les genoux de notre AUGUSTE PERE .
Au nom de ces Guerriers , qui furent autrefois
I es défenfeurs du Trône & les vengeurs des Rois ,
Jurons Ini de marcher dans les routes certaines
Que nous traça leur main , au milieu des combats }
Et de verfer , jufqu'au trépas ,
Un fang qui coula dans leurs veines.
Difons-lui qu'en fon régne on ne verra jamais ,
Après notre tendreffe extrême ,
Rien de plus fignalé que fes rares bienfaits ,
Et rien de plus grand que Lui-même.
Pardonnez , ô mon Roi ! fi , vous ouvrant nos
coeurs ,
OCTOBRE. 1760 . 45
Nous laiffons échapper un zéle téméraire :
En voyant un Bourbon , des enfans de vainqueurs,
Peuvent-ils s'empêcher de le nommer leur Père?
Par M. BACON , Avocat au Parlement , olim
Profeffeur-Adjoint de Langue & de Belles-Lettres
Françoifes , à l'Ecole Royale-Militaire .
PORTRAIT de Madame P
AVEC les attraits du bel âge
L'Amour a confervé mes feux ;
Fidelle aux loix du mariage ,
Je fçais , de mon amour rendre l'objet heureux.
Vous, qui connoiffant peu mes noeuds ,
Croyez toute beauté volage ;
Apprenez qu'on peut être fage ,
Pofféder un coeur vertueux ,
Avec le plus charmant visage.
VERS pour mettre au bas du Portrait de
Mlle CAMILLE, de la Comédie Italienne.
TENDRE & folâtre , tour- à - tour ,
Je raſſemble en mon caractére ,
La malice du Dieu d'Amour ,
Et la volupté de ſa mère.
·LEBEAU DE Schosne.
46 MERCURE DE FRANCE.
COUPLET fur l'Air : Quoi vous partez ,
fans & c.
L'AMOUR voulant étendre ſon empire ,
Sortoit envain fléches de fon carquois ;
Les coeurs craignoient un dangereux délire ,
De la beauté l'on négligeoit les droits.
Que fit l'Amour ? il fit chanter Thémire ;
Et de ce Dieu tout reconnut les loix .
Par le nommé DUBOURG , de Rennes , Soldat au
Régiment des Vaiffeaux , alors en faction fous
les fenêtres de Madame la Marquise de M ...
qui venoit de chanter plufieurs Couplets fur le
même Air.
LE mot de la première Enigme da
Mercure du mois de Septembre , eft matelas
; celui de la feconde eft , une commode
; celui de la troifiéme , eft , les Elémens
.
Le mot du premier Logogryphe , eſt ,
quolibet , dans lequel on trouve oie , bile,
ouie , oui , élu , Tobie , oubli , but, bouë ,
lot , boule , oeil , Lo , Elor , bote , bute ,
lobe , loi , élu , toile , tube , bel, Celui du
fecond , eft , Hermaphrodite.
OCTOBRE. 1760.
Qu
ENIGM E.
U mon fort eft fâcheux , hélas ! ami Lec
teur ,
Souvent en te fervant j'éprouve ta rigueur.
Je ne puis cependant t'accuſer d'injuſtice :
Ce n'eft qu'en me perçant le corps ,
Qu'on peut de moi tirer quelque fervice.
Auffi , fans murmurer , je céde à tes efforts,
Quoique je fois fouvent affez brillante ,
Ma richeffe n'eft qu'apparente.
Enfin, je reffemble au Gafcon ;
Habit doré , ventre de fon.
S
AUTR E.
ANS la lumiere & l'eau , je n'exiſterois pas.
Je ne fuis qu'un fantôme , & je ne fuis point fom
bre .
On me voit par en haut , & jairais par en bas.
Je ne fuis point un corps , encor moins fuis -je une
ombre.
Le Chevalier de C ****.
48 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
JE fuis libre , & fans moi l'on ne fait point de
Vers.
Je ſuis moindre qu'un rien , je conduis l'Univers,
De toute éternité , j'exifte fans paroître.
A ce langage obfcur , tu peux être ſurpris ;
Mais bientôt , cher Lecteur , tu pourras me connoître
,
Si je t'aide moi-même à chercher qui je fuis.
Du même.
LOGOGRYPHE.
LECTEU
TE U R, qui que tu fois , fi tu veux me connoître
,
Sâche premierement que Dieu ſeul eſt mon maître;
Que je fus de tout temps ; que je fuis aujourd'hui;
Que j'exifte en tous lieux , fous la machine ronde ,
Et que vieille comme le monde ,
Je ne finirai qu'avec lui.
Sept membres compofent mon tout.
Otes-en trois , tu trouveras fans peine ,
Ce qui met fort fouvent un Poëte à la gêne.
Courage , lis-moi juſqu'au bout :
Décompofant mes pieds avec adreffe ,
J'offre
OCTOBRE. 1760.
34
J'offre , à tes yeux , un objet de tendreſſe ;
Deux notes de muſique ; un nombre ; un grain ;
Un quadrupède ; un fruit ; un animal de chaffe ;
L'inftrument du Dieu du Parnaſſe ;
La couronne du Dieu du vin .
Ce n'eft pas tout ; pourfuis , & pour fruit de t
veille ,
Tu trouveras un péché capital ;
Un des ouvrages de l'Abeille ;
Un mot fynonyme à Rival ;
Une ville de Normandie .
L'époux de Bethlabée , un Prophete fameux
Qui , fans perdre la vie ,
Fut admis dans les Cieux ;
Ce que l'homme en tous lieux préfére au diademe ,
Ce qui reste au fond du tonneau.
Un mot encor pour finir mon tableau :
Je te fers dans ce moment même.
LOGOGRYPHE A IRIS.
Six lettres peignent ma figure ;
Combinez -les , voici ma decoupure.
Deux fignes de plaifir ; un fubtil élément ;
Infinitif babillard ; carte ; vent ;
Poifon de mer ; deux notes de mufique ;
Certain Docteur de la Loi Judaïque ;
Ce qu'un Dragon fait briller au combat ;
Chez l'Eſpagnol , utile & bas Soldat ;
1. Vol. C
E
fo MERCURE DE FRANCE.
Une Ville de la Pologne ;
?
Une en Artois ; l'autre en Gafcogne ;
Titre d'honneur qui n'appartient qu'au Roi ;
Préfervatif que porte enfant fous foi ;
Un fondement ; un très-ardent chaufage ;
Une chauffure ; & d'un barbier l'ouvrage ;
Entier , je fuis fymbole de la paix :
J'en ai trop dit ; ferviteur , je me tais.
EN VOI.
Du mot êtes- vous curieuſe ?
L'Auteur s'offre à vous l'expliquer :
Que fon ame feroit joyeuſe ,
S'il l'exprimoit fans vous choquer !
Par M. DESNOYERS d'Etampes,
CHANSON,
PARODIE d'une Aria de M. de
MONDONVILLE.
L Dieu qui fe plaît à tendre
Mille piéges fur nos pas ,
Devroit-il jamais y prendre ,
Les coeurs dont il ne veut pas ?
Charmant objet qui m'engage ,
Mes yeux t'ont dit mon amour ;
Je m'en tiens à cet hommage;
Le Dieu quiseplait à tendre Mille piéges
+
surnospas,Devroit-iljamaisyprendreLesca"
dont il ne veut pas Charmantobjetquim'engage
Mesyeux tonditmonamour,je m'en tiens à cetho
mage sans différer davantage,Daigne
+
en
-tendre leur langage Et le parler à ton
tour.Le Dieu qui . C'estenvain queje l'ap
pelle,Elle nesaitque charmer,Pour ces
ser d'être re belle, Qu'elle apprenne la cru
el le Que lepritems dune bellePasse coe u
W
ne étincelleMais qu'onpeut toujours ai=
+
+
mer.Le Dieu qui seplait à tendreMille
pieges sur nospas,Devroit- iljamais y
prendre ,Les coeurs dont il ne veut pas.
OCTOBRE. * 1760 .
SE
Sans différer davantage ,
Daigne entendre leur langage ,
Et le parler à ton tour.
Le Dieu & c.
C'eſt envain que je l'appelle ,
Elle ne fçait que charmer.
Pour celler d'être rebelle
Qu'elle apprenne , la cruelle ,
Que le printemps d'une Belle ,
Paffe comme une étincelle :
Mais qu'on peut toujours aimer.
Le Dieu & c.
Parun Abenné au Mercure.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE à M. Fl... C. R. de l'A. des
O , &c. fur le Théâtre Italien.
Il est bien flatteur pour moi, Monfieur,
detrouver l'occafion de m'entretenir avec
un des plus zélés Amateurs de la Littérature
Italienne . Jaloux de mériter vos
confeils , de profiter de vos lumières , de
me former le goût fous vos yeux , je me
Cij
32 MERCURE DE FRANCE.
1
hâte de vous faire part de ma nouvelle
découverte. Il s'agit d'un excellent Traité
fur une forte d'Ouvrages auffi finguliers
qu'importans : puifque c'eft eux qui mirent
à la mode en France le goût de la
Langue Italienne , & nous firent connoître
le génie de cette Nation dans la partie
dramatique . Vous parler de l'Italie eft
un titre pour vous plaire , vous qui avez
confacré tant de foins , & de dépenses à
réunir abfolument tous les différens Ouvrages
que cette Nation a vû naître depuis
les plus précieux jufqu'aux moins
eftimés. Ce Cabinet juftement célébre ,
ou plutôt cette Bibliothèque immenfe ,
eft aux yeux de l'homme de Lettres un
tréfor. Il y cueille les fruits des travaux
des grands hommes , autrefois moins rares
dans l'Italie. Il éprouve à la vuë de
leurs différentes éditions , & de la variété
des formes que la Typographie leur a
données , ce charme dont jouit le Fleurifte
, en contemplant ces fertiles platebandes
, où l'Art a prís foin d'aider les
jeux de la Nature. Que de telles recherches
vous ont acquis de droits fur l'estime
de cette Nation & de la nôtre ! mais un
titre plus flatteur vous attire pour toujours,
celle du peu de gens qui ofent penfer.
Vous connoiffez , Monfieur , ces
OCTOBRE. 1760. 53
nombreux Ouvrages que vous avez reaeillis.
Secondé par une époufe aimable,
inftruite, ainfi que vous, de cette Langue
confacrée à la Poëfie , à la Mufique
& à l'Amour , vous vous renfermez dans
votre cabinet : il devient pour vous cette
retraite que Socrate eût voulu trouver ;
Vous vous y nourriffez de ces fçavans
écrits que vous avez pris foin de réunir ;
vous en appréciez la valeur. C'est votre
goût & vos lumiéres qui défignent leur
véritable rang : mérite peu commun aujourd'hui
, où les plus précieufes Bibliothéques
font fouvent poffédées par des
gens , qui n'en fçauroient pas faire le catalogue.
Perfuadé en bon Citoyen , qu'il eſt toujours
dangereux pourun État, que le nombre
des plaifirs honnêtes y diminuë ; je
confidérois avec regret la rapide décaden-
⚫e du Théâtre Italien, qui bientôt ne méritera
plus ce titre : puifque l'on n'y repréfente
que bien rarement de ces Piéces Italiennes
, dont Boileau faifoit un cas particulier.
Si de temps en temps on y voit
naître quelque heureufe nouveauté Frangoife,
( elles y font malheureufement peu
fréquentes ) & ce Théâtre , jadis eftimé
juftement, femble s'être uniquement confacaé
aux Parodies , efpéces d'Opéra-
Cij
34 MERCURE DE FRANCE.
Comiques,productions monftrueufes, dont
la frivolité du fiécle n'a pas même encore
conftaté l'agrément ; qui n'appartiennent
qu'à ces Spectacles Forains rarement fréquentés
par la bonne compagnie , & qui
font auffi déplacés fur le Théâtre de l'Hôtel
de Bourgogne , que les feux d'artifice
que l'on y donnoit il y a fept ou huit ans.
Je cherchois quel motif déterminoit les
Comédiens , a ne donner leurs Piéces Italiennes
, que les jours où le Spectacle eft le
moins fréquenté , & pourquoi ces jours - là
même il étoit encore plus défert. Dans la
crainte d'en appercevoir la raifon véritable
, je me difois ces Piéces font pourtant
le fonds réel de leur répertoire ; elles
étoient jadis en poffeffion de plaire. D'où
peut naître leur difgrace feroit - ce le
défaut des Acteurs ? la plupart d'entre eux
réuniffent bien des talens ; & fi tous , en
général , ne font pas auffi voifins de la
perfection que l'on pourroit le defirer ,
plus de lectures réfléchies , une nouvelle
provifion d'idées , plus d'attention dans
les répétitions qu'ils nomment concerts ,
& peut- être un peu moins d'envie de
briller chacun en particulier , les y con
duiroit facilement.
Je m'attachois à ces idées , lorfque M.
Parfait , l'un des Hiftoriens du Théâtre
2
OCTOBRE. 1960. 5$
François , à qui j'en avois fait part , me
voulut bien communiquer un Manufcrit
du fieur Ricoboni le Pere , corrigé par
fon Fils , eftimé & connu fous le nom de
Lélio. Que l'ouvrage de ces deux hommes
, qui réuniffoient fi bien les talens de
compofer & d'exécuter , a jetté de lumieres
dans mon efprit ! fon premier auteur ,
fut votre ami ; vous vous en faites gloire .
Quel plaifir n'aurez- vous pas à découvrir
dans fon Traité , quelle et l'origine &
Peffence de la Comédie impromptu , fon
principe, & fon but ; quels font les carac
téres qui la compofent ; en un mot , quels
talens , quelles qualités ils exigent de la
part des Acteurs qui s'en chargent . Cette
petite differtation me paroît une poëtique
auffi utile aux Spectateurs qu'aux Comédiens
, qui ne peuvent fûrement que ga
gner à la connoître . Je dirai plus : les gens
du monde peuvent en tirer avantage, dans
le commerce de la vie ; elle leur enfeigne
l'art de parler facilement , & d'exprimer
à propos & avec décence les différentes
paffions qui affectent , ou doivent
paroître affecter l'âme. Les Gens de
Lettres, enfin, y trouveront un Traité fçavant
fur les différens Perfonnages du
Théâtre Italien, le Pantalon , le Docteur,
les deux Zani , jufqu'à Scaramouche »
(
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Trivelin , & c. caractéres dont on nous
privés, je ne fçais trop pourquoi. J'imagine
que ce petit ouvrage, feroit un véritable
préfent à faire au Public . On pourroit
y ajouter , pour rendre le Volume plus
complet , quelques plans de Comédies
de ce genre , que l'Auteur propofe pour
modéle , & qui ferviroient à mettre les
Lecteurs au fait de ce que c'eft , au vrai ,
qu'un canevas Italien.
Puifque je trouve l'occafion de raifonner
de ce Théâtre, avec une perfonne auffi
éclairée que vous, qui avez vu les Ricoboni
pere , les Flaminia , les Silvia , les
Thomaffin , les Paquetti , &c. permettezmoi
de hazarder quelques-unes de mes
réfléxions , fur les principes de ce dégoût,
auquel je ne prévois pas qu'il foit vraiment
bien facile de remédier . Sans confdérer
le plus ou moins de talens des Acteurs ,
le plus ou moins de mérite des Piéces
j'eftime que ce dégoût dérive de deux
fources, 1 ° .de la Langue que l'on parle. 2 ° .
Des caractéres ou des ridicules que l'on
peint.Ileft bien difficile d'amufer le François,
qui voit fa Langue , immortalifée par
les écrits de fes Compatriotes , fleurir dans
l'Europe entiere , avec une Langue qu'il
n'entend point : il aimeroit autant , &
même mieux , des pantomimes. Je dirai
OCTOBRE. 1760 : 57
蕈
plus ; il ne peut prêter attention aux Scenes
purement Italiennes , fans que fon
amour- propre ne foit bleffé de ne pouvoir
goûter un plaifir qu'il paye , & dont
ła privation devient un reproche d'ignorance.
Voilà pour le général du Public .
Les Anglois , me dira- t - on , font auffi jaloux
de leur Langue ; & cependant l'Opéra
Italien fleurit à Londres d'accord..
Mais 1 ° . ils n'en ont point d'autre ; en
fecond lieu , ce n'eft pas les paroles que
Pon chérit & que l'on écoute dans un
Opéra , c'est la Mufique. Les oreilles.
fçavantes ne font- elles pas auffi très - fou
vent bleffées à la Comédie Italienne ?
non feulement Pantalon Vénitien le
Docteur Bolonois , gardent le caractére &
l'habit de la Nation , qu'ils repréfentent
mais ils en parlent le langage ; & ces différens
idiômes , ce mêlange de Tofcan , de
Bolonois, de Vénitien , de Bergamafque
de François , forment , felon moi , une
confufion , une bigarrure qui ne peut que
fatiguer l'auditeur , & finir par lui déplai
re. Je me figure une Comédie françoife ,
dont l'amoureux feroit Picard , la maîtreffe
Normande , le père Champenois ,
la foubrette Provençale , le valet Bas-
Breton , l'oncle Gafcon : & où trouver
une tête affez bien organifée , pour foute
Cv
& MERCURE DE FRANCE.
tenir un pareil fpectacle? il rappelle l'idée
de la Tour de Babel.
Ces réfléxions , jointes aux beautés
réelles , qui fe trouvent dans un grand
nombre de fituations & de Scenes Italiennes,
m'avoient fait defirer que l'on éllayât
d'en traduire quelques - unes en François.
Mais en rémédiant aux vices de la forme,
on laifferoit fubfifter celui du fonds , c'eſtà
dire , des caractéres que nous offre la
Comédie Italienne impromptu.
Pantalon Vénitien , ne peint que les ridicules
de fa patrie , le Docteur Bolonois
ceux de Bologne ; cela nous eft fort égal , à
nous , qui n'avons nulle liaiſon prochaine
avec ces deux villes ,& qui ne pouvons pas
même juger du mérite & de la vérité du
tableau : puifque nous n'avons pas l'original
fous les yeux. Mais ces Piéces réuffiffoient
jadis. La nouveauté , cette idole
des François , ne contribuoit- elle pas un
peu à leurs fuccès ? Un Ouvrage vraiment
bon , plaît toujours. Je fens que le
Corollaire de ces raifonnemens , n'eft pas
abfolument favorable à la Comédie impromptu.
Mais après tout , ce ne font ,
Monfieur , que des conjectures , peut être
même me fuis- je trop avancé ; daignez
excufer un efprit jeune , qui s'égare aifément
; & vous reflouvenir que la fociété
OCTOBRE. 1760. 59
n'eft qu'un commerce de lumiéres & d'idées
les plus éclairés guident les autres.
Les erreurs des hommes ont mis la plume
à la main des Sages ; & c'eft aux
vices de l'humanité que nous fommes redevables
des plus excellens Traités de
Morale. Je fuis & c.
P.... le jeune.
LETTRE , fur l'Origine des Caractéres.
V ous me demandez , Monfieur , mon
fentiment fur l'origine de l'Art d'écrire.
Je vais éllayer de vous fa isfaire , en la
cherchant à travers les plus épaiffes ténébres
de l'antiquité. Les obftacles ne m'éffrayent
point , puifqu'il s'agit de vous
donner cette foible marque d'amitié
perfuadé que vous l'apprécierez plutôt
par le zéle & la bonne intention, que par
par
le fuccès de mes recherches.
De tous les Arts , il n'en eft point ,
peut-être , qui ait occupé plus de Sçavans
que celui- ci. On a vu depuis deux fiécles
des Ouvrages immenfes fur ce fujet ; &
avec tout cela , l'époque de cet Art eft
encore bien problématique. Pourquoi ?
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
c'eft que nous manquons de tous les mo
numens précieux , qui auroient pû nous
inftruire par des faits inconteftables . Que
font - ils donc devenus ? Les uns ont péri
par la longueur , ou l'injure des tems ; les
autres par l'ignorance , ou la malice des
hommes. On fçait qu'il y a eu des Bibliothèques
entieres que le feu a dévorées;
on fçait que la fureur a renversé des
Villes les plus fuperbes : les Infcriptions
où les Manufcrits, qui pouvoient nous en
donner de véritables notions, ent péri en
même temps. D'un autre côté, une nation,
pour s'approprier la gloire de cette découverte
, a fupprimé ou détruit tout ce
qui prouvoit le contraire , & ne flattoit.
pas fon orgueil . Il eft pourtant bien vrai
que l'écriture a eu un commencement ,
tout le monde en eft perfuadé. C'eſt ce
Commencement que j'ofe entreprendre de
découvrir.
Je crois , Monfieur , que le moyen de
débrouiller ce cahos , c'eft de parcourir
les Ouvrages des Sçavans qui en ont parlé,
& de rapporter les opinions qu'ils ont
eues , en y femant à propos quelques
réfléxions. Ce n'eft , ce me femble , que
par un tableau de cette forte , tracé aux
yeux fidelement , & qui mettra tout fous
OCTOBRE. 1760.
le même point de vue , qu'on pourra jetter
quelque clarté , fur un objet , qui a
toujours été couvert d'un voile impénétrable
. Heureux , fi par le plan que je
forme , je puis réuffir à contenter votre
curiofité !
Penfer que les caractéres étoient dans
leur origine ce qu'ils font aujourd'hui ,
ce feroit ignorer les révolutions arrivées
dans les fiécles qui nous ont précédés .
Rien n'a été plus fujet à l'altération &
au déguisement que les Lettres ; une foule
de preuves le préfenteroient à mon ſecours
, fi je voulois convaincre de ces vé
rités. Je laiffe au R. P. Olivier de l'Oratoire
, fi connu dans la Littérature , & fi
favant dans l'Antiquité , à montrer aux
curieux tous les changemens que le caprice
des hommes a introduit dans la forme
des Lettres. L'Ouvrage ( 4 ) auquel il
rravaille depuis longtemps , prouvera
qu'il étoit le feul capable de perfectionmer
les idées de Scaliger.
Je me borne donc , Monfieur , à vous
donner,fur l'invention des Lettres , la plus
exacte recherche. Mais auparavant , je
vous entretiendrai fur l'Écriture en géné-
( a ) Explication de l'Alphabet de Cadmus . On
a commencé à imprimer cet Ouvrage en 17561
shez Hériffant.
62 MERCURE DE FRANCE.
ral. Cette espéce d'introduction paroît
liée naturellement à mon fujet.
DE L'ÉCRITURE EN GÉNÉRAL.
L'Écriture eft l'art de peindre les fons
différens de tous les langages du monde.
Ces fons qui rendent tout ce que l'efprit
penfe , fe figurent par des fignes
caractéres qui font d'inftitution , & qui
par cette même inftitution ont un rapport
intime avec ces fans. On peut dire
avec raifon, que l'Écriture eft à la parole,
ce. que la parole eft à l'efprit. L'efprit
fe manifefte par la parole , & la parole
s'annonce à la postérité par l'Art merveilleux
de l'Écriture.
Il faut convenir,après cette légére idée
de l'Écriture , que rien n'eft au deffus de
fon invention. Perfonne n'ignore que
c'eft elle qui conferve dans les Bibliothéques,
des dépôts fi utiles à la Religion &
fichers aux Savans. Mais fi l'on a fait at
tention aux avantages qu'elle procure ,
peu ont penfé qu'elle confiftoit dans un
arrangement auffi fimple que furprenant ,
& dans un fi petit nombre de figures ,
qu'il eft prèfque incroyable que cette
utile invention ait été trouvée par un
Mortel. On peut dire , que c'eft une déOCTOBRE.
1760. 63
Couverte heureufe, & qui l'emporte infiniment
fur toutes celles qui ont fuppléé à
fon ufage , parmi les Peuples qui n'ont eû
l'Écriture que fort tard. Tels étoient les
Hieroglyphes en Egypte , & les Quippos
au Pérou . Ces inventions , toutes utiles
qu'elles ont été , rendoient toujours les
idées dans l'imperfection ; & cependant
coutoient vraisemblablement une étude
auffi fatigante que préjudiciable , à l'avancement
des connoiffances humaines , à
la certitude de l'hiftoire , & à la manifef
tation de la grandeur de Dieu.
Les Caractéres n'étant inftitués que
pour peindre les fons de la voix , il étoit
libre aux Nations qui adoptoient l'écriture
, ou à ceux qui leur en donnoient
la connoiffance , de varier la figure des
caractéres qu'ils avoient vû ailleurs , pour
s'en faire une gloire toute particuliere.
Ils ne fe fixoient pas encore à ce fimple
changement; ils ajouterent d'autres caractéres
à ceux qui étoient déjà connus , pour
exprimer les idées qui fe multiplioient , à
mesure que le befoin des hommes augmentoit
, & qu'ils faifoient des progrès
dans les Sciences & dans les Arts . Ce n'eft
pas fout ; ils prirent une route différente
des autres, pour tracer les caractéres , qu'ils
avoient fait recevoir ou compofés. Ceft
64 MERCURE DE FRANCE.
ce qui fait que , quoique tous les hommes
écrivent avec la main droite , ils ne le
font pas tous de la même maniere : puifque
les Orientaux vont de la droite à la
gauche, en remontant au bout de la ligne,
comme les Hébreux le faifoient autre
fois ; les Occidentaux de la gauche à la
droite , en deſcendant au bour de la ligne,
comme font encore les Latins , & comme
nous faifons nous - mêmes. Les Chinois
écrivent , ou du moins peignent avec un
pinceau en defcendant , c'eft- à- dire , en
mettant leurs fignes les uns deffous les
autres en ligne perpendiculaire . Les Méxiquains
, lorfqu'on en fir la découverte
écrivoient en remontant , comme nous
Paffure Acofta (b) , en plaçant leurs carac
téres ou les figures qui en tenoient lieu ,
les uns deffus les autres. Par cette expli
cation , il eft conftant qu'il y a eu quatre
diverfes manieres de peindre les pensées
& les actions des hommes. Les trois premieres
fubfiftent encore, mais la quatriéme
eft tout-à-fait abandonnée . Les Européens
, maîtres dans le nouveau mon
de , fur-tout les Efpagnols , firent adop
ter par force leurs coutumes , en détrui
fant les anciennes qu'ils regardoient com
ne fuperftitieufes.
(5) Acoſta , L. 27
OCTOBRE . 1766. *
S'il eft vrai , comme il n'y a pas de
doute , que les premiers Caractéres en
ufage dans le monde , font les Hébraïques
, il en résultera que la premiere maniere
d'écrire étoit celle d'aller de la
droite à la gauche. Cette maniere fut
fuivie par les Phéniciens , & plufieurs autres
Peuples. Cadmus , qui donna la connoiffance
des Lettres aux Grecs , les fir
écrire comme les Phéniciens , avec cette
différence pourtant , qu'ayant commencé
de la droite à la gauche , ils revenoient
enfuite de la gauche à la droite. Cet uſage
changea parmi eux avec le temps ; ils
ne conferverent feulement que celui d'aller
de la gauche à la droite. Evandre , qui
vint en Italie , changea un peu la forme
des caractéres Grecs , pour en faire d'autres
que nous appellons Romains ; mais
conferva toujours la maniere d'écrire de
la gauche à la droite. C'eft des Grecs plûtôt
que des Romains que s'eft introduit
dans les Gaules cet ufage d'écrire , que.
nous confervons encore , & qui ne changera
pas fi tôt , & peut - être jamais.
66 MERCURE DE FRANCE.
ORIGINE DE L'ÉCRITURE .
PREMIERE OPINION.
DEE tous les fentimens qui fe font répandus
fur l'origine des Lettres , celui qui
attribue aux Phéniciens la gloire de cette
admirable invention , paroît être le plus
adopté. Pline (c ) & Quinte- Curce (d) , s'accordent
tous deux pour le foutenir ; mais
je crois que ce qui a donné plus de force
à cette opinion , parmi les modernes , ce
font deux Vers de la Pharfale de Lucain
( e ) :
Phenices primi , fama fi creditur , aufi
Manfuram rudihus vocemfignare figuris .
Brebeuf, qui a traduit la Pharfale en
vers François , les a rendus comme il fuit :
C'eft de lui que nous vient cet Art ingénieux ,
De peindre la parole & de parler aux yeux,
Et par les traits divers de figures tracées ,
Donner de la couleur & du corps aux penſées.
Rien n'eft plus élégant , ni plus ſonoré
( c ) Plin. l. 5. ch . 12. & 19 .
(d ) Quin, Curc . 1. 4. nomb. 4 .
( e ) Luc. Pharf. 1. 3. vers 220.
OCTOBRE. 1760. 87
que ces vers ; cependant on a trouvé la
Traduction du Grand Corneille plus fidelle.
Je la rapporte en ce lieu , pour la
curiofité.
C'eſt du Phénicien que nous vient l'Art d'écrire ,
Cet Art ingénieux de parler fans rien dire ,
Et
par les traits divers que notre main conduit ,
Attacher au papier la parole qui fuit .
Beaucoup de Savans prétendent , d'un
côté, que les Phéniciens avoient reçu des
Hébreux , l'ufage des Caractères . D'un autre
côté, on avance comme un fait certain,
que Phénix fils d'Agenor ( f ) qui étoit
Egyptien , & qui fut Roi de Tyr & de
Sidon , enfeigna à ces Peuples l'Art d'écrire.
Lequel croire de ces deux fentimens
? Il fe peut que les Phéniciens aient
eu , des Hébreux , l'invention des Lettres:
ils étoient voifins , & pour ainfi dire , le
même Peuple , puifque ceux - ci étoient
compris , fuivant M. Rollin (g ) fous le
nom général de Phéniciens. Les Grecs
l'entendoient ainfi , & après eux les Romains.
La terre de Chanaan , fi fouvent
nommée dans l'Ecriture Sainte , & qui
t
(f) Effais fur les honneurs, par Titon du Tillet
, pag. 23 .
(g ) Rollin , Hift. ancienne, T. I. p . 121 .
38 MERCURE DE FRANCE.
fut appellée dans la fuite la Palestine , faifoit
la plus forte partie de la Phénicie
qui s'étendoit le long de la Méditerra
née , depuis le fleuve Eleuthere jufqu'à
Pélafe en Egypte . Il fe peut encore que
les Phéniciens aient reçu l'Art d'écrire
par l'organe de Phénix : il étoit leur Roi;
& s'il a eu des Egyptiens la connoiffance
des Caractéres , il a pû en donner l'ufage.
à fes fujets. Cependant à bien examiner
ce point de critique , on fera porté à
eroire, que les Hébreux les en ont inftruit.
La preuve en eft fenfible ; elle fe tire des
Lettres Phéniciennes qui ont, au rapport
de Scaliger , une parfaite reffemblance
avec les Lettres Samaritaines , qui font
certainement les mêmes que les anciennes
Lettres Hébraïques. D'ailleurs , que
ce foit des Hébreux ou de Phénix , que
les Phéniciens aient reçu l'écriture ; il
n'en fera pas moins vrai , qu'elle ne vient
point originairement de ces Peuples , &
qu'elle étoit pratiquée , avant même qu'ils
connuffent l'heureux effet que produifoit
Faffemblage des Caractéres.
Les Phéniciens qui étoient adroits ,
induftrieux , & célébres navigateurs ,
avoient l'ambition de paffer pour les in
venteurs de l'écriture. Ce qui a encore
fervi à leur donner cette réputation ,
OCTOBRE. 1780 .
' est qu'ils avoient porté l'ufage des Lettres
dans les Pays éloignés , où ils voyageoient
pour leur Commerce ou pour former
des établiffemens . Témoin Cadmus ,
en Grèce. Ce Cadmus étoit le frere de
Phénix , dont il eft parlé plus haut.
DEUXIÈME OPINION.
Diodore de Sicile , ( h ) célébre Hiſtorien
de l'Antiquité , en parlant de l'invention
des Lettres , dit que de fon temps,
en affuroit qu'elle étoit venue de l'Ethiopie
, & que les Egytiens l'avoient reçue
de là. Pline , après Anticlide , avance que
c'étoit Memnon qui en étoit l'inventeur.
Memnon , cet Artifte fi renommé par
les Anciens , qui florifloit vers l'an du
Monde 2232 , étoit d'Ethiopie , & auſſi
cette terre eft- elle appellée Memnonienne ,
les Poëtes . Il vivoit environ 400 ans
par
avant Phénix & Cadmus . S'il en faut croire
Jacquelot , ce Memnon eft le même
que Menès , le premier Roi qui ait régné
en Egypte. Ce fentiment ne peut avoir
une grande autorité fur ceux qui aiment
les preuves. D'abord rien n'y paroît folide,
puifque l'on faifoit fortir le premier prin-
( h) Diod. Sicil . 1. 4 .
( i ) Plin. l. 7. ch. 57.
70 MERCURE DE FRANCE.
cipe de l'écriture , des Ethiopiens , fur ce
que beaucoup l'avoient avancé , au rapport
fans doute de plufieurs , qui n'en
étoient pas plus inftruits qu'eux.En fecond
lieu , rien ne conftate que ce font les
Ethiopiens , qui ont fait part aux Egyptiens
du fecret de l'écriture ; & comment le
pourroit- on conſtater ? On a dans Euſebe,
& dans les ouvrages d'une infinité d'Auteurs
anciens , la preuve du contraire.
Tous s'accordent pour affirmer que les
Egyptiens ont appris des Hébreux , ou
de quelques- uns des Hébreux , comme il
fera plus expliqué à la fuite , non ſeulement
la connoiffance des Caractéres, mais
encore celle de plufieurs autres Arts .
TROISIEME OPINION.
Pline (1) curieux de découvrir l'Auteur
de l'écriture , a rapporté avec foin tous
les fentimens qui régnoient de fon temps
fur cet objet. Et quoiqu'il n'en fuive aucun
, à cause de leur peu de certitude , il
dit pourtant que les Affyriens avoient
trouvé l'Art d'écrire dans la Syrie ou la
Chaldée , ce qui eft la même chofe. C'étoit
- là , vraisemblablement, l'opinion la
plus fuivie du temps de Pline , puifqu'il
(1) Plin. l . 7. ch.56.
OCTOBRE. 1760. 71
s'y arrête préférablement à toutes les autres
. Avant lui , Diodore de Sicile , après
Hérodote , avoit foutenu la même chofe en
ajoûtant encore , que les Egyptiens fe flattoient
d'en avoir fait la découverte longtemps
avant eux. Tory (m) , autorisé par
Prifcien , dit de même , & affure que l'invention
des Lettres , vient directement
des Affyriens. Platon , fur ce fujet , fait
bien fentir que les Egyptiens n'étoient
pas perfuadés que les caractéres euſſent
pris naiffance parmi eux , puifqu'il avance
que ce Peuple les croyoit originaires
d'Afie ou de Chaldée . Cette opinion , qui
fait fortir de l'Afie l'origine des Lettres
, eft celle qui approche le plus de la
vérité , & tous ces grands hommes ne fe
trompoient point en le croyant ainfi . II
leur manquoit cependant , pour jetter
plus de lumiere fur cette découverte , de
fçavoir que la Chaldée , avoit poffédé
une petite famille , defcendante d'Abraham
, laquelle étoit fous la protection de
Dieu. Que dans cette famille ignorée de
tous les hommes , s'étoit confervé la
connoiffance de l'écriture . Enfin que c'étoit
de plufieurs de cette famille , qui
( m ) Torry. Champ fleury. fol . 5. 1 a fait en
1529. un Ouvrage fur les Lettres antiques. Ce
Livre rare , et à la Bibliothéque du Roi.
2 MER CURE DE FRANCE.
avoient voyagé , que différentes Nations
avoient appris cet Art , que la néceſſité
rendoit adoptif , fitôt qu'il le montroit
aux yeux.
QUATRIÈME OPINION.
Pline , (n ) toujours attentif à rappor
ter les fentimens les plus connus de fon
temps , fur l'invention des Lettres , dit
encore qu'elle vient de Mercure Egyptien .
Diodore de Sicile , ( o ) Cicéron , ( p )
Plutarque ( q ) & Aulugelle , ( 7 ) ont
avancé la même chofe , & prétendent
tous qu'il eft le premier, qui ait enſeigné
l'art d'écrire aux Egyptiens. Ce Mercure ,
s'appelloit Trifmégifte , qui veut dire,trois
fois grand, parce qu'il etoit grand Philofo
phe , Grand- Prêtre,& grand Mathématicien.
L'antiquité le diftingue encore , fous
trois noms différens. Thoths par les Egyptiens
, Hermès par les Grecs , & Mercure
par les Latins. Les Egyptiens , le plus ancien
Peuple du monde,& qui fe difoient les
inventeurs de tout , le regardoient comme
( n ) Plin. 1. 7.
(o ) Diod. Sicil.1 2.
(p ) Cicer. l. 3. Nat. des Dieux.
( q ) Plutarq. 1. 9. Sympof.
(r) Aulugell . en fes nuits artiques;
OCTOBRE . 1760 . 73
1
un Dieu. Platon ( s ) fur ce fujet nous apprend
que les Egyptiens avoient une finguliere
vénération pour un certain Dieu
nommé Thoths , qui leur avoit enfeigné
Pufage de peindre les penfées. Malgré la
concordance de tant d'Auteurs célébres ,
on prétendra toujours , & avec raifon, que
les Egyptiens ne font point les inventeurs
de l'écriture , & qu'ils l'ont reçue véritablement
d'une autre main que celle de
Mercure . Je croirois plutôt que Mercure
ft quelques changemens en bien dans
leurs hieroglyphes . Un paffage de Sanchoniaton
(t ) le confirme : il dit que
Taautus ou Thoths perfectionna l'écriture
en peinture, dont Ouranus lui avoit appris
l'ufage. Les hiéroglyphes étoient pour les
Egyptiens une écriture , il est vrai , mais
une écriture toujours inférieure à celle
dont nous cherchons l'origine . De plus ,
il eft poffible de croire que l'ufage des
caractéres n'eft venu que fort tard aux
Egyptiens , & que c'est lui qui a fait tom
ber parmi eux les figures hieroglyphiques.
Bien des Sçavans affurent que les caracté
res des Egyptiens étoient femblables aux
( s ) Apud Wathon Proteg. 2 § . 3 .
( t ) Ellais fur les Hieroglyp. par M. Warbur
thon. Je n'ai point lû cet Ouvrage , mais bien ce
qu'en a dit le Journaliſte de Trévoux en 1744.
I. Vol. D
74- MERCURE
DE FRANCE
.
caractéres Hébraïques ou Phéniciens , &
même à ceux des Chaldéens. Ce fentiment
ne peut point paroître hazardé ; au
contraire , il femble affez croyable. Abraham
, Jofeph & Moïfe , avoient demeuré
en Egypte, & même longtems, furtout les
deux derniers ; & par conféquent ils peuvent
avoir inftruit ce Peuple d'un Art qui
étoit plus connu dans leur famille que partout
ailleurs.
Ce fujet m'entraîne plus avant que
n'étoit mon deffein . Un paffage de M.
Warburthon, dans fon Effai fur les hiéroglyphes
, me fait avancer une réflexion
fut l'Auteur de l'écriture en Egypte. Certe
réflexion eft fondée fur ce qu'Euſebe ( u )
Mous apprend que Jofeph enfeigna aux
Egyptiens l'Afrologie , & leur donna la
connoiffance des Lettres.
L'Ecriture que les Egyptiens nommoient
Epiftolique , fut trouvée par un
Secrétaire du Roi d'Egypte , dit M. Warbuthon
dans le Journal de Trévoux.
Ce fut lui probablement , continue-t- il ,
qui fe forma un Alphabeth , dont les Leteres
liées enfemble , exprimoient de, mois ,
& ne peignoient point les chofes , comme les
Hieroglyphes.
Tout m'engage à croire que ce Sacré-
(u) Eufeb Préparat. Evangel . 1. 3. ch. 1 .
OCTOBRE. 1760. 75
T
taire étoit le même que Jofeph. On fçait à
quel degré de puiffance il étoit parvenu
dans ce Royaume par fa fageffe & fa juftice.
On fçait qu'il étoit un Hébreu éle
vé dans les arts connus de fa famille &
comme elle poffédoit l'écriture , Jofeph
affurément en fçavoit tout le myſtere.
Parvenu au faîte des grandeurs en Egyp
te , & connoiffant le peu de fecours que
procuroient les Hieroglyphes, dans des circonftances
où la promptitude & le developement
étoient indifpenfables , il crut
rendre un notable fervice aux Egyptiens ,
en leur donnant la connoiffance des Caractéres.
Ira-t- on s'imaginer qu'il en compofa
de nouveaux , pendant qu'il en avoit
fous fa main , & avec lefquels il étoit
familier ? Non fans doute. Il leur fit part
des Caractéres qu'il connoiffoit , & ces
Caractéres étoient affurément les mêmes
que les Hébraïques .
};
Les Egyptiens , qui ont appris des Hébreux
bien des Sciences & des Arts
avoient la vanité de n'en point conve
nir. Au contraire , voulant glorifier leur
Nation , ils attribuoient toujours à quelqu'un
élevé parmi eux , les découvertes
qu'ils tenoient des autres Jofeph étoit un
Etranger , que la Providence avoit élevé
comme par miracle à une extraordinaire
Dij
MERCURE DE FRANCE.
puiffance ; & comme Intendant de toute
Egypte , & ayant la confiance du Roi ,
ne pouvoit il pas être en même temps
fon Secrétaire : Rien ne contrarie ce
fentiment. Si cela étoit , il feroit fans
doute ce Secrétaire dont le nom n'eft
point connu , & que les Egyptiens par
envie avoient intérêt de cacher à tous les
fiécles à venir.
CINQUIÈME OPINION.
Pline (x) qui vouloit abfolument trouver
l'Auteur de l'écriture , conclut après
beaucoup de recherches & après avoir
réfléchi fur l'utilité dont elle étoit aux
hommes , conclut , dis - je , que l'invention
des Lettres étoit auffi ancienne que
de monde. Le peu de rapport qu'il voyoit
dans toutes les opinions qu'il avoit eu
foin de recueillir , le faifoit raiſonner
de la forte. Epigenes, Auteur plus ancien
que lui , eft tout-à- fait conforme à fon
idée. Platon fuivant Tory ( y) , auffi
embarraffé que ces deux Savans pour découvrir
le véritable Auteur des Lettres ,
ofe avancer qu'elles font éternelles ainf
que le monde Le ſyſtême de Platon étang
( x ) Plin. 1. 7. ch. 56.
(y ) Tory. Champfleury , fol.§ .
OCTOBRE. 1760. 77
9
+
pofé fur un faux principe , ne peut avoir
aucune force. Celui d'Epigenes, & de'
Pline, eft plus probable , & l'on peut
dire même qu'ils s'éloignoient peu du
temps où les caractéres avoient commencé
à paroître. Si ces deux Sayans , fi refpectés
dans l'antiquité , euflent été fidelement
inftruit de la création du monde ,
& d'un petit Peuple que Dieu avoit confervé
, & conduit avec lenteur à l'état
-monarchique , alors ils auroient connu
Pinventeur d'un Art auffi ingénieux que
néceffaire à tous les hommes, & qui vivoit
peu de temps après que Dieu eut
créé l'Univers & tout ce qu'il renferme
SIXIÉME
SIXIEME OPINION.
Jufqu'à préfent je ne vous ai développé
, Monfieur , que les fentimens qui ont
attribué aux Payens l'origine des Lettres,
dans lefquels je n'ai rien trouvé de poutif&
de certain . Voyons fi, parmi les Sçavans
qui en donnent l'honneur au Peuple'
de Dieu , je découvrirai plus de probabilité
fur l'époque & fur l'Auteur d'un Art
qui porte avec lui l'utilité la plus preffante.
Le fentiment fur lequel je vais appuyer,
eft d'une autorité fi grande , qu'il peut en
impofer beaucoup. Il fait Moife le pre-
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
mier inventeur de l'écriture.Il eſt foutenu
avec chaleur par Eupoleme & S. Ifidore.
Jacquelot , ( 2 ) qui a voulu approfondir
cette matiere , dit formellement que l'ufage
des Lettres vient de ce grand Légiflateur
, & que c'eft de lui que les autres
Peuples l'ont appris. Crinitus ( & ) affure
que Moïfe inventa les Caractéres Hébraïques,&
en cela il s'eft trompé. Il eft certain ,
& on peut le dire, que l'écriture eft antérieure
à Moïfe. C'eft auffi le fentiment
du docte Walthon ( 1 ) & d'une légion
d'Ecrivains . On a des preuves qui confirment
qu'on écrivoit avant lui , & qu'il y
avoit des Mémoires plus anciens que
ce grand homme. Témoin le Livre des
Juftes , cités dans Jofué ( 2 ) & dans le
Livre des Rois. ( 3 ) Témoin le Livre des
guerres du Seigneur , dont Moïfe ( 4 ) fait
mention , & qui fubfiftoit fuivant la conjecture
du Rabin Aben- Efra , (5 ) dès le tems
d'Abraham. Témoin la Ville de Dabir (6)
(z) Jacquelot , Exiſtence de Dieu , t. 2.
( & ) Crinit. honn. difcip . 1. 17. ch. 1.
( 1 ) Walthon. prolegonienes.
( 2 ) Jofué ch. 10. v. 13 .
( 3 ) Rois , l . 2. ch . 1. v . 18 ,
( 4 ) Nomb. ch. 21. v. 14.
( s ) Aben Efra , Commentaire fur l'Ecrioux
Sainte. Il vivoit dans le XII. Siécle
( 6 ¡ Joſuć , ch. 10, v. 38. & 39%
OCTOBRE. 1760. 79
qu'attaqua Josué en entrant dans la Palertine
, qu'on appelloit auparavant Cariach-
Sepher , qui veut dire , Ville des Lettres.
Témoin le Livre de Job , que la plûpart
des Savans & M. l'Abbé Anfelme (7 ) , alfurent
être plus ancien que Moife. A tant
de témoignages , puifés dans l'Ecriture-
Sainte , pourroit-on douter,un inftant, que
L'écriture ne fût connue & en ufage, avant
Moife ? Il falloit bien , dit Voffius ( 8 ) ,
que les Ifraelites en euffent la connoiffance
, car comment auroient- ils lû les
Tables de la Loi, à moins de convenir que
Dieu fit un miracle , en communiquant à
chacun des enfans d'Ifrael , le fecret de
Jire & de connoître toutes les combinaifons
des caractéres, pour former les mots?
Si Dieu avoit manifefté fa gloire , dans
cette occafion , Moïfe , qui rapporte tous
les prodiges qu'il fit en faveur de fon
Peuple , auroit - il oublié celui- ci , qui en
auroit été un des plus étonnants?Non fans
doute. Moïfe n'en parlant pas ; il faut
donc conclure que l'écriture étoit plas
ancienne que lui , & que même dès lors
elle étoit commune en Egypte & dans la
Terre promife.
(7 ) L'Abbé Anfelme , Mémoires de l'Académie
des Infcriptions , t. 6, p. 1. & 2.
( 8 ) Jacquelet, Exiftente de Dien , t . 2.
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
•
SEPTIEME OPINION.
Philon, hiftorien Juif & renommé chez
fa nation , fait Abraham inventeur des
lettres. Crinitus ( 9 ) de Florence , Poëte
Latin , affure qu'il inventa les caractéres
Syriaques & Chaldaïques . Eufebe ( 10 )
foutient la même chofe , & prétend que
ce faint Patriarche enfeigna aux Egyptiens
toutes fortes de Sciences , dont ils
n'avoient aucune teinture avant lui . Toutes
ces autorités prouvent qu'Abraham:
avoit l'ufage de l'écriture , & qu'il a pu
inftruire les Egyptiens , fur les Sciences
& les Arts qu'ils ignoroient. Mais cela ne
démontre pas , avec évidence , qu'il en
foit l'inventeur. Les caractéres étoient
connus , dans fa famille , bien avant
lui , & mêine on doute beaucoup que·
les Lettres Chaldaiques foient de fon:
invention. En fuppofant qu'elles le fuffent
; cela ne pourroit pourtant pas le
faire paffer , comme le veut Philon , pour
le premier qui auroit trouvé par la
force de l'imagination , le myftere de l'é
criture.
( 9 ) Crinit. honn. difcip . 1. 17. ch. 11
(10 ) Euleb. Prépar . Evangéliq . ch. 1 , là 35 ..
OCTOBRE . 1760. 81
HUITIEME OPINION.
Je touche enfin au fentiment qui paroît
d'autant plus vrai , qu'il eft foutenu par
plufieurs Auteurs , par l'Hiftoire fainte &
par les Peres. C'eft que les Lettres aient
été inventées par Adam , ou par Seth font
troifiéme fils , mort l'an du monde 1042,
auparavant le déluge . Bien des Savans
foutiennent fur ce fujet qu'il n'eft pas
croyable qu'Adam , à qui Dieu avoit donné
tant de ſciences infuſes , eût été privé
d'une connoiffance fi néceffaire que 'celle
des Lettres . Théodoret ( 11 ) & Suidas ( 12 ),
prétendent que Seth a inventé l'ufage des
Lettres & les noms des Planetes & des
Etoiles. Crinitus ( 13 ) & plufieurs autres
Savans de nos jours font du même fentiment.
Suivant l'Ecriture fainte ( 14) , kes
caractéres font divins & formés de la
main de Dieu , & ce , ajoute le Rabin
Moife ( 15 ) Egyptien , avant la création
du monde . Je ne crois pas , que le fyf-
1
( II ) Théod. Quef. 47. fur la Geneſe.
( 12 ) Suidas fur Seth.
( 13 ) Crinit . honn . difcip .
( 14 ) Exode , ch. 32. vers 15. & 16.
( 1 ) Rab. Moyf. ch. 65.1.1 . de fon Direct. furr
le Talmud.
Dy
82 MERCURE DE FRANCE
tême de ce, Docteur Juif trouve beaucoup
de Sectateurs ? Quoi qu'il en foit , on
peut foutenir , & fans fe tromper , que
l'écriture étoit connue avant le déluge.
Deux preuves vont à l'inftant le démontrer.
La premiere , confifte dans les écrits
prophétiques d'Enoch, le feptiéme depuis
Adam , cité par Saint Jude dans fon épitre
canonique , & par un grand nombre
de Peres de l'Eglife , entre lefquels font
Tertullien ( 16 ) , Saint Clement d'Alexandrie
( 17) , Origene ( 18 ) & Saint Auguftin
(19) . C'eft encore un des faits dont fe
fert M l'Abbé Anfelme (20) pour prouver
l'antiquité des lettres. La feconde ,
fe tire des deux colonnes dont parle Jofeph
, bâties par Seth ou par fes fils , &
où ils avoient gravé la connoiffance des
Arts & des Sciences , pour en inftruire
ceux qui viendroient après le terrible
bouleversement du déluge. Une de ces
deux colonnes fubfiftoit encore , dans la
( 16 ) Tertull. Traité de l'ornem , des femmes ,
1. 1. n. 3. & 1. 2. n . 10.
( 17 ) S. Clem. opufcul .
( 18 ) Origen. hom. 28. fur les nomb. & 1. s .
contre Celfe.
( 19 ) S. Aug. 1. 15. de la Citéde Dieu , ch . 23 .
& l. 18. ch. 38.
( 20 )L'Abbé Anfelme , Mémoires de l'Académie
des Infcript. t. 6. p. 1. & 2 ,
OCTOBRE . 1760 . $ 3
Syrie du temps de Jofeph ( 21 ) . Euftathe
Patriarche d'Antioche , & Zonare le fervoient
ordinairement de ces deux colonnes
, pour prouver que l'écriture étoit
antérieure au déluge. Que décider fur
tous ces faits , qui ne portent point l'empreinte
du doute ? Que l'ufage des caractéres
pour exprimer les penfées , eft
de la plus haute antiquité , qu'il nous
vient inconteftablement ou d'Adam , ou
de Seth , ou de fes fils , qu'il s'eft confervé
précieuſement dans cette famille
jufqu'à Noë , qui le conferva auffi dans
l'Arche. A la tour de Babel où arriva
une étrange confufion , Dieu permit que
l'écriture ne fouffrit aucune altération :
elle fe maintint toujours avec pureté parmi
les Patriarches , jufqu'au moment que
la Providence voulut la faire connoître
aux autres nations.
Voilà , Monfieur , tout ce que j'ai pu
recouvrer de plus probable fur l'origine
des Lettres. Que j'aurois lieu d'être fatiffait
de ce petit ouvrage , s'il avoit la
gloire de vous plaire ! J'ofe croire que les
preuves que j'ai avancées font fuffifantes
pour convaincre que ce n'eft point aux
Phéniciens & aux Egyptiens que nous
(21 ) Hiftoire des Juifs par Jofeph , 1. 1. ch. 2 .
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
·
avons l'obligation de cet Art unique qui
fixe la voix & qui rend vifibles les idées
de l'efprit. C'eft aux Hébreux , à ce peuple
choifi de Dieu & gouverné par lui , à qui
on doit en attribuer la gloire. C'eſt à ce
peuple , à qui l'on eft redevable de tous
les Arts , & de toutes les Sciences . Il
me feroit aifé de le prouver , mais je fortirois
du fujet auquel je me fuis engagé
envers vous. Pour le préfent , contentez
-vous de grace de ce feul objet , en
attendant que je vous entretienne fur la
premiere écriture qui a été en ufage dans
le monde , & für l'origine des caractéres
grecs , latins , gothiques & françois
Tous ces articles feront la matiere d'une
feconde Lettre. Je fuis , & c.
PAILLASSON. E. E. j .
LETTRE de. M. l'Abbé TRUBLET ,
l'Auteur du Mercure.
I
Paris , 5 Septembre 1760..
:
E viens de lire , Monfieur , dans le
Mercure de ce mois , page 57 , le compte
abrégé que vous y avez rendu de l'affaire
de M. de Saintfolx , avec deux des Au
teurs du Journal Chrétien , & de la ma--
niere dont elle s'eft terminée. PermettezOCTOBRE.
1760. &
moi de me fervir de la même voie , pour
faire connoître au Public ce qui fuit.
M. de Saintfoix s'eft plaint , & on lui
a fait réparation. Mais comme je n'avois
eu aucune part à la Lettre critique de fes
Effais hiftoriques fur Paris , je n'en ai eu
aucune non plus à l'Avis des Journaliſtes
au fujet de cette Lettre ; & je n'ai connu
P'une & l'autre , qu'en les lifant dans le
Journal de Mai & dans celui d'Août.
MM. les Abbés Joannet & Dinouart auroient
donc dû ne parler qu'en leur nom ,.
& figner leur Avis . Alors , vous n'auriez
point dit , en le rapportant : Meffieurs les
Auteurs du Journal Chrétien s'expriment
de la façon fuivante , & c. Vous auriez dit
feulement: Deux de MM. les Auteurs , &c.
Cet Avis commence ainfi : Nous n'avions
point lu les Effais hiftoriques fur
Paris , & c.
Voilà ce que je n'aurois point dit ; car
je les avois lus , & je les tenois de l'Auteur
même. J'ai l'honneur d'être , & c.
P. S. Depuis ma Lettre écrite , j'ai lu
celle de M. de Voltaire au Roi Stanillas,
& j'y ai trouvé ces mots :
» Un Breton ayant fait , il y a quel-
» ques années , des recherches fur la ville
» de Paris , l'Abbé Trublet & confors
l'ont accufé d'irréligion ... & le Breton
"
".
3
86 MERCURE DE FRANCE
·
» a été obligé de faire affigner fon Accu-
» fateur au Chatelet de Paris.
Il eft faux , je le répéte , que j'aye été
un des accufateurs de M. de Saintfoix ,
& faux encore qu'il m'ait fait affigner.
Cependant il fe répand des Copies de la
Lettre de M. de Voltaire ; & je ne doute
point qu'elle ne foit bientôt imprimée.
C'eft pour moi un nouveau motif de vous
prier , Monfieur , de vouloir bien inférer
la mienne dans le Mercure prochain.
LA SCIENCE DU GOUVERNEMENT ,
par feu M. DE REAL , Grand Séné
chal de Forcalquier.
Voici un Ouvrage de morale , de
droit , & de politique : on y trouve , les
principes du commandement & de l'obéiffance
; on y réduit toutes les ma
tieres de gouvernement en un corps unique
, & entier dans chacune de fes parties
; on y explique les droits & les devoirs
des Souverains , ceux des fujets , &
de tous les hommes , en quelque fituation
qu'ils fe trouvent .
Les deux premiers volumes , contien⚫
nent une idée générale de la fcience du
OCTOBRE. 1760 . 87
gouvernement. Dans la premiere partie ,
l'Auteur parle en général , des diverfes
formes de gouvernemens qu'il y a dans
le monde , & en particulier , du gouvernément
actuel de chaque peuple , de l'Afie
, de l'Affrique , de l'Amérique , & enfin
de chaque peuple de l'Europe. La feconde
partie , eft un traité du droit naturel.
La connoiffance de foi-même , celle
de la Divinité , l'amour du prochain
l'amour de Dieu , l'amour de foi-même ,
l'ordre & la fubordination des devoirs
en font tout le partage.
La troisième partie , contient le droit
public ; le gouvernement économique ;
la fouveraineté , confidérée en général ,
par rapport à fon origine , à fes objets ,
à fes modifications & à fes effets ; le pouvoir
législatif , le pouvoir judiciaire , le
pouvoir coactif ; enfin , tous les pouvoirs
de la fouveraineté ; les droits de Cité aufquels
un Etranger non naturalife ne participe
pas ; l'inauguration , le facre , le
couronnement , & les fermens des Rois ;
leur minorité , leur majorité ; les Régens
du Royaume ; les devoirs du Souverain ,
& ceux des fujets .
La quatrième partie , difcute tous les
rapports du droit eccléfiaftique au gouvernement
; fon autorité , fon étendue , &
38 MERCURE DE FRANCE.
fes bornes ; les droits de la puiffance tem
porelle fur l'exercice extérieur de l'autorité
eccléfiaftique ; la part que les Princes
doivent prendre au gouvernement ,
à la difcipline , à la police de l'Eglife ;
les libertés & les ufages de tous les pays
catholiques.
La cinquième partie , offre une idée
très-étendue du droit des gens , des Ambaffadeurs,
de la guerre , des traités , des
prérogatives , des prétentions , & des
droits refpectifs des Souverains . Tel eft
le titre des chapitres.
La fixiéme , contient la politique.L'Auteur
y parle du gouvernement , par rapport
au dedans & au dehors de l'état , &
des intérêts refpectifs qui partagent la do:
mination de l'Europe.
»
La feptiéme partie , contient l'examen
des principaux ouvrages compofés fur les
matieres du gouvernement. Voici ce que
M. Real en dit. Après avoir expliqué
» en entier la ſcience du gouvernement ,
» j'ai cru devoir donner une idée jufte des
principaux ouvrages compofés fur cette
" matiere. Je ne crois pas me tromper,
en penfant que cette derniere partie de
mon livre , eft auffi nouvelle que. les
» autres , & qu'elle n'étoit pas moins à
defirer pour la république des lettres ,
OCTOBRE. 1760.
*
que dans la fcience du gouvernement .
Naudé , Auteur françois , & quelques
Ecrivains étrangers , ont publié des Bibliographies
politiques ; mais en les lí
fant on s'appercevra fans peine , qu'au
cun de ces ouvrages n'a dû me détourner
du deffein de compofer ce dernier volume.
Ils ont exposé le titre des livres ,
& j'en fais les extraits ; ils ont indiqué
où l'on trouveroit les connoiffances , & je
les donne ; ils n'ont ea qu'un objet particulier
, & je m'en propofe un général' ;
ils ont enfin rarement éclairé le lecteur ,
par le flambeau d'une fage critique , &
je porte toujours mon jugement fur chaque
ouvrage , en renvoyant aux endroits
du mien , ou les mêmes fujets fe trouvent
difcutés.
Je ferai fentir les beautés , & je remarquerai
les défauts des livres qui font
le fujet de ce volume , foit qu'ils aient
été compofés chez les Grecs , ou chez
les Romains , foit qu'ils aient été publiés
chez les peuples modernes. Les Auteurs
qui ont écrit fur l'éducation des Princes,
y trouveront auffi leur place ; parce que
l'éducation politique des Souverains eſt la
bafe de leurs gouvernemens : ceux qui ont
difcuté les différences des deux puiffances,
y feront également examinés ; attendu
MERCURE DE FRANCE.
B
leurs livres regardent précisément la
tie du droit eccléfiaftique , qui a fourla
matiere de mon cinquième volume.
out livre de quelque confidération dont
le fujet entre dans la fcience du gouvernement
, formera ici un article.
Les ouvrages y feront rangés fous la
nation de l'écrivain par ordre chronolo
gique , eu égard au temps où ils ont été
publiés ; & même lorfque cela fera pofible
, à celui où ils ont été composés.
Cet Ouvrage imprimé à Aix- la- Chapelle
, ou foi difant , fe trouve à Paris
chez Simon, Imprimeur du Parlement , &
chez les autres Libraires.
A VIS.
Le fieur Bauche , Libraire à Paris, quar
des Auguftins , délivrera dans le mois de
Septembre aux Soufcripteurs , les Tomes
III. & IV. de l'Ornithologie , ou Hiftoire
des Oifeaux , par M. Briffon . Les augmentations
confidérables, dont l'Auteur a
chargé le 3º volume , l'ont obligé de le
partager en deux. Le Libraire efpére que
les Soufcripteurs ne fe plaindront point
du retardement , puifqu'ils recevront effectivement
trois volumes qui ne leur
e
OCTOBRE. 1760.
feront comptés que pour deux. La foufcription
fera encore ouverte pour quel
que temps , fur le pied de cent vingt li
vres en feuilles pour les fix volumes , qui
rééllement en feront fept , le troifiéme
en faifant deux.
ESSAI SUR L'HISTOIRE ECONOMIQUE
des Mers Occidentales de France. Par M,
Tiphaigne , Docteur en Médecine. vol.
in-8°. Paris. 1760 , avec Approbation &
Privilége du Roi. Chez le même Libraire.
TRADUCTION NOUVELLE du Prophete
Ifaie , avec des differtations préliminaires
& des remarques. Par feu M. Def
champs , Docteur de Sorbonne & Curé
de Dangu. in- 8 ° . Paris , 1760. Chez Debure
l'ainé , quai des Auguftins , à l'Image
S. Paul . Avec Approbation & Privilége
du Roi.
› LE PARFAIT AIDE DE- CAMP où l'on
traite de ce que doit fçavoir tout jeune
Militaire qui fe propofe de faire fon chemin
à la guerre ; avec des notes fur
différens Ouvrages de Campagne , & fur
les Plans des principaux Camps des
guèrres de 1740 , & 1756 , enfemble la
defcription d'un inftrument nouveau pour
lever promptement toutes fortes de
92 MERCURE DE FRANCE.
Plans . Ouvrage enrichi de 55 Planches
Par M. le Rouge ,
Ingénieur Géographe
du Roi , & de S. A. S. Mgr le Comte de
Clermont.
•
Multos caftra juvant...
Bellaque matribus deteſtata. ”
Horat. L. I. Od. I.
Paris , 1760. Chez l'Auteur , rue des
Grands - Auguſtins: Avec Privilége du Roi.
LES
PRÉJUGÉS . Volume in- 8°. Paris's
* 1760. Chez Didot l'aîné, Libraire & Imprimeur
, rue Pavée , près le quaiˆ des
Auguftins , à la Bible d'Or . Avec Approbation
&
Privilége.
ARMORIAL des principales Maifons &
Familles du Royaume ,
particulierement
"de celles de Paris , & de l'Ile de France ,
contenant les armes des Princes , Seigneurs
, Grands- Officiers de la Couronne
& de la Maifon du Roi , celles des Cours
Souveraines & c. avec
l'Explication de
tous les Blafons. Par M. Dubuiffon. Ouvrage
enrichi de quatre mille écuſſons ,
gravés en Taille-douce. 2 vol. in- 12 . Pa
ris , aux dépens de l'Auteur. Et fe vendent
chez H. L. Guérin , & L. F. Delatour
, rue S. Jacques , Laurent Durand ,
rue du Foin , & la veuve J. B. T. Legrasy
OCTOBRE . 1760.
93
an Palais. Avec Approbation & Privilége
du Roi.
GRAMMAIRE LATINE , avec des éclairciffemens
fur les principales difficultés de
la Syntaxe , & une Préface où l'on examine
les principes de Sanctius , de Scioppius
, de Voffius &c. & une Méthode
pour expliquer les Auteurs Latins. Par
M. l'Abbé Valart , de l'Académie d'Amiens.
Neuviéme Edition.
Grammaticus amor non fcholarum temporibus,
fed vitæ fpatio terminatur. Quintil. x.8.
Volume in- 12 . Paris , 1760. Chez Jofeph
Barbou , rue S. Jacques , près la Fontaine
S. Benoît , aux Cigognes.
GIPHANTIE. in - 12 . deux parties , en un
volume. 1760. Se trouve à Paris , chez
Durand , Libraire , rue du Foin.
DISCOURS prononcés dans l'Académie
Royale des Sciences & Belles- Lettres de
Nanci , le Jeudi 8 Maj 1760 , jour de la
Fête de S. Staniflas , à la réception de
M. le Marquis de Paulmy , & de M.
l'Abbé Guyot , Aumônier de Mgr le Duc
d'Orléans , & Prédicateur ordinaire de
Sa Majefté le Roi de Pologne , Duc de
Lorraine & de Bar , in- 49 . Nanci, 1766:
94 MERCURE DE FRANCE:
Chez la veuve & Claude Le Seure , Imprimeurs
ordinaires du Roi , de la Sociéé
Royale & c .
TRAITÉ entre le Roi , & le Roi de Sardaigne,
conclu à Turin le 24 Mars 1760 ,
in - 4°. Paris 1760. De l'Imprimerie
Royale.
ELOGE de Henri- François Dagueffeau ;
Chancelier de France , Commandeur des
Ordres du Roi : Difcours qui a remporté
le prix de l'Académie Françoife , en 1760.
Par M. Thomas , Profeffeur en l'Univerfité
de Paris , au Collège de Beauvais ,
in-8°. Paris , chez Brunet , Imprimeur de
l'Académie Françoife , Grand'Salle du
Palais.
MON ODYSSÉE , ou le Journal de mon
retour de Saintonge , Poëme à Chloé. in-
8°. La Haye , 1760. Et fe trouve à Paris
, chez Thibouft , Libraire . C'est un
Poëme en 4 Chants , plein de chaleur ,
d'images , & de force , orné de quatre Eftampes
du célébre Cochin , & dont je
rendrai compte avee plaifir dans le prochain
Mercure.
LE COSMOPOLITE , ou les Contradictions
, Hiſtoire , Conte , Roman , & tout
ce que l'on voudra , avec des Notes.
OCTOBRE . 1760 : 95
Traduit de l'Allemand. 1760. Se trouve
chez les Libraires du Palais
à Paris
Royal.
"
LA VRATE PHILOSOPHIE , ou l'Art d'être
heureux , Epître en vers libres . Brochure
in- 8°. A Genève , 1760. Et fe trouve
à Paris , chez Duchefne , rue S. Jacques
, au Temple du Goûr.
EPITRE à un Ami , dans fa retraite , à
l'occafion des Philofophes , & de l'Ecof
foife.
Quid verum atque decens curo & rogo , omnis
in hoc fum .
Hor.
BROCHURE in-8° , à Amfterdam , & fe
vendent à Paris , chez le même Libraire; ces
deux Epîtres font attribuées à M. Dorat ,
Auteur de la Tragédie de Zulica , & de
plufieurs Ouvrages de Poëfie eftimables.
Nous nous promettons d'en rendre compte
plus amplement dans le fecond Volume
d'Octobre .
L'ÉCHO , ou Journal de Mufique Françoife
& Italienne , contenant des Airs ,
Chanfons , Brunettes , Parodies d'airs
connus , Duo tendres ou bachiques ,
Rondes , Vaudevilles , Contredanfes &
Menuets , in - 4°. gravé à Liège , chez
9% MERCURE DE FRANCE..
B. Aldrez , derriere S. Thomas. Et fe
trouve à Paris , chez M. Lutton , Commis
au Mercure , rue Sainte Anne , Butte
Saint Roch. Ce Recueil , qui a commencé
au premier Janvier 1759 , continue
de paroître tous les mois , & d'être
reçu favorablement. Il coûte 1 liv. de
France , & liv . de port pour les douze
Recueils. Moyennant 18 liv. de France ,
payées d'avance , on le recevra franc ,
en quelque lieu du Royaume que ce foit.
Le Recueil , en détail , fe vend 30 f.
EPITRE à M. de Voltaire , fuivie de
quelques obfervations fur fa derniere Piéce
de Théâtre ( l'Ecoffoife. ) Par M. Ga
zon d'Ourxigné. Brochure in - 8 °. Paris
1769 , chez Cuiffart , Quai de Gêvres .
CORPS D'OBSERVATIONS de la Société
d'Agriculture , de Commerce & des Arts,
établie par les Etats de Bretagne , années
1757 & 1758 , in - 8° , 1 Vol . 1760. A
Rennes , chez Jacques Vatar , Place du
Palais , aux Etats de Bretagne , & fe
trouve à Paris , chez Defpilly , Libraire,
ue S. Jacques , à la vieille Pofte , & chez
les Libraires des principales Villes de
Province .
Ces obfervations d'une Société , formée
OCTOBRE . 1760. 97
mée dans la Bretagne , par ordre des
Etats , donnent des moyens fürs de perfectionner
l'Agriculture & les Arts , &
d'augmenter le Commerce de cette Province.
C'eſt au zéle des Citoyens éclairés
de rendre de plus en plus ces inftructions
utiles , en faifant part de leurs découvertes
à une Société , qui ne les defire
que pour les faire connoître à fa Patrie.
Cer Ouvrage eft orné de Vignettes
& d'Estampes en taille - douce , fort bien
gravées , & qui ont rapport aux Sujets , à
la tête defquels elles font placées . L'impreffion
eft belle & correcte ; le talent
de l'Imprimeur mérite beaucoup d'éloges
; tout y annonce du goût & les connoiffances
de fon état. La protection que
les Etats accordent aux Arts , eft vifiblement
marquée dans le choix qu'ils onr
fait d'un Imprimeur, qui répond à la confiance
dont ils l'ont honoré . En protégeant
cet Art , duquel tous les autres
tirent leurs inftructions , c'eft perpétuer
les Sciences ; & on les augmente en multipliant
les moyens de les acquérir. ?
I. Vol.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIES.
SEANCE publique de l'Académie Royale
des Sciences , Belles- Lettres & Arts de
Rouen.
L'ACADÉMIE tint le Mercredi 6 Août fa
Séance publique ordinaire , au Palais Archiepifcopal
, dans la Salle des Etats .
Mgr le Maréchal Due de Luxembourg,
Gouverneur de la Province, & Protecteur
de l'Académie , y préfida.
MM . le Cat & du Boullay , Secrétaires
de l'Académie , le premier pour les Sciences
, & le fecond pour les Belles Lettres ,
ouvrirent la Séance , fuivant l'ufage , par
un Extrait raisonné des travaux Académiques
de l'année dans chacune de ces deux
Claffes ; ils commencerent cet Extrait, en
tâchant d'exprimer les fentimens de la
Compagnie pour fon Protecteur , & la
joie qu'elle reffentoit d'être honorée de fa
préfence.
OCTOBRE. 1760 .
99
M. le Cat annonça enfuite que l'Académie
n'ayant point été fatisfaite des
Mémoires envoyés au concours pour le
Prix de Phyfique de cette année , elle
l'avoit remis aux mêmes conditions à l'année
prochaine.
Le Sujet eft cette queftion. » La Seine
» n'a - t- elle pas été autrefois navigable ,
» pour des vaiffeaux plus confidérables
» que ceux qu'elle porte aujourd'hui ? &
n'y auroit- il pas de moyens de lui rendre
» ou de lui procurer cet avantage ?
Les Mémoires , francs de port , feront
adreffés fous la forme ordinaire avant le
15 de Juin , à M. le Cat , Secrétaire de
l'Académie ,, pour les Sciences à Rouen.
M. du Boullay annonça enfuite que le
prix d'Eloquence , dont le fujet étoit de
déterminer , comment & à quelles marques
les moins équivoques , pouvons nous reconnoître
les difpofitions que la nature nous
a données pour certaines Sciences ou pour
certains Arts , plutôt que pour d'autres ,
avoit été adjugé à un Difcours N° . 6.
dont la deviſe eſt, foyez plutôt Maſſon &c.
dans un billet cacheté , joint au Diſcours,
s'eft trouvé le nom de M. l'Abbé Bellet
de l'Académie de Montauban.
L'Académie a donné avec éloge , l'acceffit
au Difcours No. 7, qui a pour devife,
É ij
535309
100 MERCURE DE FRANCE
Quidferre recufent , Quid valeant humeri
dont l'Auteur eft M. Louis - Alexandre
d'Ambournay , Négociant à Rouen. Son
ouvrage a beaucoup balancé le premier ,
& a même partagé les Commiffaires
nommés par l'Académie , pour juger le
Prix , qui avoit été déjà remis de l'année
derniere.
L'Académie avoit auffi remis le Prix
d'Hiftoire , dont le fujet étoit la queſtion
fuivante ;
» La délivrance annuelle d'un prifonnier,
» qui fe fait folemnellement à Rouen le
» jour de l'Afcenfion , a - t- elle quelque fon-
» dement dans l'Hiftoire Civile & Ecclé-
» fiaftique de cette Province ; ou ne feroit-
» ce qu'un veftige d'un ufage autrefois plus
» généralement répandu, & dont quelques
» Eglifes font reftées feules en poffeffion ,
» d'une maniere différente , felon les lieux
» & les circonstances ?
Ce Prix a été remporté par un Mémoire
, qui a pour devife , Templorum
cautela non nocentibus fed lefis datur.
L'Auteur , M. Pierre Camille le Moine ;
Secrétaire & Archivifte de l'Eglife de
Toul , a très-bien rempli le Programme ,
en établiffant , d'après les Monumens
Hiftoriques , que les deux propofitions
que l'Académie avoit mifes en alternati
OCTOBRE. 1760. iot
ve ,font toutes deux vraies , & indiquene
la véritable origine de ce fingulier Privi
lége.
M. le Moine s'étant trouvé à Rouen ,
lors de la Séance Publique , reçut , des
mains de M. de Luxembourg , une Médaille
d'or , de la valeur de 300 livres .
L'Académie propofe , pour le fujer du
Prix de Poefie , qui fera diftribué à la
Séance Publique du mois d'Août 1761 ,
» la délivrance de Salerne , pat 40 Che
» valiers Normands , & la fondation du
» Royaume de Sicile , qui fut la fuite de
cette expédition.
On laiffe aux Auteurs une entiere liberté
, foit pour la forme , foit pour l'étendue
du Poëme ; on exige feulement
qu'il foit proportionné Sujet , & qu'il
forme un tableau intéreffant d'un des
plus finguliers événemens de notre Hif
toire. Les ouvrages feront adreffés francs
de port , & fous la forme ordinaire , avant
le is de Juin , à M. Maillet du Boullay ,
Maître des Comptes , Secrétaire de l'Académie
, pour les Belles- Lettres , rue de
l'Ecureuil , à Rouen.
M. le Cat annonça enfuite les Prix des
Ecoles de la Claffe des Sciences , qui font
fous la protection de l'Académie .
Ceux d'Anatomie :
E jij
102 MERCURE DE FRANCE.
Le premier à Nicolas - Théodore - Thi
mothée Maffi de Blerancourt , en Picardie
; le fecond à M. Joachim la Fleche de
Bernay ; le troifiéme à M. Antoine le
Maire de Coulanges , en Bourgogne.
Ceux de Chirurgie :
Le premier au même M. Maffi ; le ſecond
à M. Thomas Cornieres , d'Anctoville
, près Bayeux. Le premier acceffit à M.
la Fleche ci-deffus ; le fecond à M. Claude
Chandelet , de Soiffons.
Ceux de Botanique :
Le premier ex æquo à M. Bomare , de
Morfan , & à M. Mauffion de Nantes , qui
ont tiré au fort ; le moins heureux a eu le
fecond.
Ceux de Mathématique :
Le premier à 1. Dornay de Rouen fur
la haute Géométrie ; le fecond à M.
Crevel de Caen , ſur la Géométrie fimple.
M. du Boullay annonça les prix de
l'Ecole de Deffein , dont M. Defcamps eft
Profeffeur.
L'Académie avoit donné pour fujet
de compofition , aux Peintres , & aux
Sculpteurs , la mort de Didon , Reine de
Carthage.
Le premier prix de Peinture , a été
adjugé au tableau de Barthelemi l'A
moureux de Rouen , qui a remporté le
OCTOBRE. 1760. 103
premier prix de compofition en efquiffe ,
en 1758 , & le premier prix d'après nature
, en 1757.
Le premier prix de Sculpture , a été
adjugé au bas relief de Nicolas Marin
Jadoulle de Rouen , qui avoit rem
porté le premier d'après nature ,
1756.
en
Le premier prix d'après nature , a été .
remporté par P. Amable Beaufils de
Rouen ; qui avoit remporté le ſecond
dans la même claffe en 1759 , & le premier
d'après le deffein en 1758.
Le fecond d'après nature , par Nicolas
Carlier de Dunkerque, l'Acceffit par Th.
Bremontier du Tronquai près Lions la
forêt.
Le prix de la Boffe
Prince de Blois .
, par Nicolas
le
Le prix de la claffe du deffein , par
J. B. Méance du port de paix Ifle de S.
Domingue ; l'acceffit par Jofeph Gode
froi de Darnetal .
L'Académie avoit propofé pour fujet
d'Architecture , les plans , élévations &
coupe d'une maifon dans un terrein donné
, &c. Ce prix a été remporté par J.
B. Torci de Rouen.
M. Vrejeon lut les obfervations Météorologiques.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE
M. Pinard, Profeffeur de l'École Royale
de Botanique , lut un difcours fur les
amours des plantes ; dans lequel , après
avoir comparé les plantes aux animaux ,
il fait voir qu'il fe trouve entre les uns
& les autres une grande conformité ,
les organes , foit pour l'accroiffement
, foit enfin pour les diverſes périodes
de la vie , & les accidents auxquels
elle eft fujette. Il éffaya de prouver
, que les plantes ont auffi deux fexes
bien marqués , & que la génération doit
s'exécuter chez les unes, comme chez les:
Loir
pour
aut.es.
Après une exae defcription des par
ties qui forment la fleur , M. P. prouva
que les étamines & le piftil en conftituent
l'effence , parce qu'il n'en eft point
où ces parties ne fe rencontrent : il conclut
, avec les Botaniftes de nos jours.
que l'étamine eft l'organe mâle , & le
piftil l'organe femelle . Ces organes font
quelquefois féparés , & plus fouvent réunis
dans les plantes ; différence remar
quable entr'elles & les animaux , mais
d'autant plus néceffaire , qu'elles font privées
du mouvement progreffif pour s'ap-.
procher.
Les plantes, comme les animaux , naiffent
dans un ovaire placé au bas du pif
OCTOBRE. 1760. 105
til , & qui ne peut être fecondé que
par une vapeur contenue dans les petits
globules , qui conftituent la pouffiere
répandue fur les étamines. L'air la
porte fur l'extrémité du piftil ; les globules
s'y ouvrent , & laiffent échapper
cet efprit féminal , qui s'infinuant par
le ftigmate , va porter la vie aux Embryons
, qui croiffent alors comme le foetus
dans l'uterus. Dans les plantes , dont
les fexes font féparés , comme le chanvre
, le faule , &c. la génération eft impoffible
, fi la nature , ou le cultivateur
induftrieux ne les réunit.
S'il eft quelquefois des plantes , comme
des animaux , privées de l'avantage de fe
multiplier ; il en eft d'autres , qui femblent
vivre dans l'int empérance. On voit
fouvent , dit , M. P. des plantes mâles
& femelles , mêlées parmi des hermaphrodites
; les premieres font des aides
qui viennent fuppléer à la foibleffe des
étamines , & fans lesquelles une grande
partie de ces hermaphrodites avorteroit.
Dans les fecondes , des étamines trop
nombreuſes s'affocient des femelles , qui
profitent du fuperflu de leur pouffiere.
Cette polygamie prouve , que le vrai but
de la Nature , eft la multiplication . C'eſt
s'y oppoſer , que de chercher à rendre les
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
fleurs doubles on en fait des Eunuques ,
en privant les fleurs fimples de leurs éta
mines , que la culture par des fucs trop
abondans fait dégénérer en petales.
Mais n'eft- on pas dédommagé de la diminution
de l'efpéce , par la beauté de
ces monftres , dont la forme , l'éclat &
la variété , caufent tant de plaifir ?
,
M. du Boullay lut un difcours , dans
lequel il fe propofa de prouver , qu'indépendamment
des motifs tirés de la reli
gion & des loix , le véritable intérêt perfon
nel de tous les hommes , eft de pratiquer la
vertu & d'être fidéle aux engagemens facrés
de la fociété ; dût- on les remplir feut ;
dût cet exemple , ne pas trouver d'imi
tateurs. C'est ce qu'il éffaya de démontrer
, en prouvant d'une part , que
part , que le vice
& le crime , même accompagnés du ſuccès
, ne menent point au bonheur ; de
l'autre , que la probité & la fageffe
même perfécutées & calomniées y conduifent
feules : enfin , foit que l'on confidére
ces deux fyftêmes de conduite , da
côté des inconvéniens aufquels ils font
expofés , ou du côté des avantages aufquels
ils peuvent prétendre ; il prouva
qu'il n'y a nulle comparaifon à faire entr'eux
, & que tout est évidemment en
faveur de la vertu , de l'amour de fes
OCTOBRE . 1760. 107
femblables , de la fidélité à tous fes devoirs.
M. l'Abbé Yart, des Académies de Caën
& de Lyon , lat un autre difcours : fur
ce que les gens de lettres , doivent à la patrie.
Après avoir fixé leurs talens , leur
objet & leur fin , il s'étendit fur les difpofitions
intérieures & extérieures qu'ils
doivent acquérir pour être utiles : connoiffances
générales , qui leur font communes
avec toux ceux qui penfent ; connoiffances
particulieres à l'état qu'ils ont
embraffé ; & s'ils n'en ont point d'autre
que celui de littérateurs , connoiffances,
relatives à quelqu'un des états les
plus importants de la fociété : voilà pour
les premieres difpofitions. Quant aux fecondes
; fageffe dans les principes , folidité
dans les recherches , égards pour
les moeurs & les bienféances. Ce difcourseft
la fuite d'un autre lû l'année derniere ,
fur ce que les grands & les riches doivent
à la patrie .
M. l'Abbé Vrejeon , lut un mémoire
fur le pouvoir des pointes électriques ,
dans lequel il éffaya de faire voir , que
l'on a trop tôt & trop légérement abandonné
l'opinion de M. Francklin fur ce
fujet ; il rapporta plufieurs obfervations &
expériences , qui femblent la confirmer.
E vi
108 MERCURE DE FRANCE.
"
Telles font plufieurs opinions & traditions
populaires , qui paroiffent affez fondées
, du moins quant aux faits. Des ufages
dont on ne fçait point la raiſon
tel que celui qui s'obfervoit autrefois.
'de couronner les édifices d'un très -grand
nombre de pointes ; ce que l'Auteur prétend
n'avoir pas été fait pour un fimple
ornement ,
mais par l'obfervation que
ces édifices étoient par là moins en danger
d'être frappés de la foudre : enfin ,,
des expériences nouvelles , par lesquelles
il paroît que des pointes difpofées avec
art ont amorti l'effet de l'étincelle foudroyante
de Leyde. D'où il fuit évidem--
ment , qu'il n'eft pas impoffible de parvenir
au même but pour le tonnerre ,
qui eft la même expérience en grand. Mais
comme le remarque M. Vrejeon , il faudroit
proportionner les moyens à l'effet ; .
fans quoi, on attireroit plutôt qu'on n'écarteroit
le coup qu'on voudroit éviter.
M. Vrejeon fe propofe de réitérer à cet
égard fes expériences , pour ne donner
que des réfultats certains & répétés .
M. Rondeaux , Maître des Comptes ,
fut une defcription détaillée d'un ancien
château , fitué au haut de la côte de Moulineaux
près de Rouen , & qui a confervé
le nom de château de Robert le diable.
OCTOBRE. 1760. 109
Quelques Auteurs en attribuent la conf
truction à Robert le diable , ou le magnifique
,,
pere de Guillaume le Conquérant.
D'autres la font remonter jufqu'avant
l'invafron des Normands , & prétendent
qu'il fut bâti par un Robert , Gouverneur
de Neuftrie , furnommé le diable , à cauſe
de fes brigandages. C'étoit un quarré
long flanqué de fix tours , trois dans chaque
bout ; le logement du Gouverneur
dans un des angles ; fous les remparts des
galleries voutées pour les vivres & la garnifon.
Ces galleries communiquoient à d'autres
fouterrains, qui étoient vraisemblablement
des contre- mines , & qui font moins
étendus qu'on ne le croit dans le pays..
Ces fortifications étoient entourées d'un
foffé large & profond ; l'entrée étoit couverte
d'un ravelin , & plus loin d'une
efpéce de retranchement. M. Rondeaux
joignit à cette deſcription , un plan détaillé
levé par lui-même fur les lieux ,
& qui lui donna occafion de parler d'un
canal, autrefois commencé en cet endroit.
pour couper l'ifthme , & aller en droiture
de la Bouille à Moulineaux.
Entre ces divers ouvrages , M. le Méle
lut trois épîtres en vers dans le genre
noble , & dans le genre Anacréontique,
110 MERCURE DE FRANCE
PRIX propofe par l'Académie des Scien
ces Belles-Lettres & Arts d'Amiens ,
pour l'Année 1761.
L'ACADÉMIE ACADÉMIE des Sciences , Belles - Lettres
& Arts d'Amiens , pour célébrer,fuivant
fon ufage , la fête de S. Louis , a
affifté à une Meffe , qui a été fuivie du Panégyrique
du Saint , prononcé par M.
l'Abbé Iſembart , Curé de Notre- Dame
de Montdidier.
M. Petyft , Avocat du Roi , pour l'abfence
du Directeur , a ouvert la Séance
publique par un Difcours fur les régles
qu'il faut fuivre pour parler & fe taire
à propos.
M. Baron , Secrétaire perpétuel , a
fait l'éloge de M. de Gournai , Intendant
du Commerce , de M. l'Abbé Lebeuf, Académiciens
honoraires , & de M. d'Harigard
qui étoit Academicien en fa qualité de
Maire de la Ville.
M. d'Efmery , Docteur en Médecine , a
la des réfléxions fur le ftyle épiftolaire.
M. Collignon , Démonftrateur Royal
en Chirurgie , a donné des obfervations
fur la Bella- dona , plante propre à la
OCTOBRE. 1760 . III
cure radicale des fquirres & cancers .
M. Diret a communiqué un Mémoire
pour prouver , contre le fentiment de
quelque Auteur oeconomique , que les
matieres qui compofent les parties les
plus groffieres du fumier , telles que la
paille , le bois & les feuilles des végétaux
, font auffi propres à former la fubftance
des fruits que celle des différentes
parties des plantes qui les produifent.
M. Marteau , Médecin Penfionnaire
d'Aumale , a fait lecture d'une Epître en
vers fur l'Etude de la Nature.
Le Prix propofé , dont le Sujet étoit
le Commerce du Nord , a été adjugé à M.
Duval , Négociant au Havre.
Le Prix de Littérature a été remis ,
les ouvrages envoyés au concours n'ayant
point rempli les vues de l'Académie.
Celui de l'Ecole de Botanique a été
remporté par M. le Bel , Etudiant en
Pharmacie.
L'Académie , pour Sujet d'un des Prix
qu'elle diftribuera le 25 Août 1761 ,
demande ,
Quel a été l'état du Commerce en Fran
ce depuis le regne de François I. jufqu'à
celui de Louis-le- Grand inclufivement ?
Et pour Sujet du Prix de Littérature ?
112 MERCURE DE FRANCE.
La droiture du coeur eft auffi néceffaire
dans la recherche de la vérité que la juf
Leffe de l'efprit.
Chacun des Prix eft une Médaille d'or,
de la valeur de 300 liv.
Les Ouvrages feront reçus jufqu'au
premier Juin exclufivement , & adreffés
francs de port , à M. Baron , Secrétaire
perpétuel de l'Académie à Amiens .
SEANCE publique de la Société Littéraire
d'Arras , seņuë le 29 Mars 1760.
M. Enlart de Grandval , Conſeiller
at Confeil d'Artois , Directeur de la Société
en exercice , ouvrir cette Séance
par une diſſertation fur l'origine des Fiefs.
Un grand nombre de Savans ne veulent
point qu'on recherche l'inftitution des
Fiefs au-delà des derniers Rois de la maifon
Carlovingienne ; & dans la crainte
qu'on ne prétende en trouver des veftiges
plus anciens, ils écartent toute idée de Fief
des poffeffions connues auparavant fous les
noms de Terres faliques & de Bénéfices:
Ceux qui foutiennent au contraire que
les Fiefs ont commencé avec la Monar
OCTOBRE. 1760. 113
chie , ne voient que des Fiefs dans les
Bénéfices & dans les Terres faliques. M.
de Grandval entreprend de concilier ces
deux opinions fi oppofées . Les Terres faliques
& les Bénéfices , dit - il , par l'exemption
du tribut , & par le fervice de guerre
, étoient de véritables Fiefs . Le nier ,
ce feroit ne difputer que du nom ; & ces
Fiefs font auffi anciens que la France. Les
inféodations par lefquelles les Seigneurs ,
à l'exemple & par extenfion des anciens
Fiefs , fe font fait des fujets en propre ,
avec attribution de Juftice patrimoniale ;
ces Fiefs , chargés dans la fuite de droits
pécuniaires à chaque mutation , droits
qui les dénaturent & les aviliffent , ne
peuvent le rapporter , pour l'origine ,
qu'aux temps où nous les voyons commencer
à paroître , à ces temps de trouble
& de confufion qui renverferent le
tróne des Rois Carlovingiens.
M. de Ruzé de Jouy , Receveur &
Agent de l'Ordre de S. Louis , Chancelier
de la Société , fit lecture d'un Difcours
fur la Bienféance , qu'il enviſagea
principalement comme un moyen de fe
ménager des refſources dans les revers
de fortune , & des confolations dans la
vieilleffe.
Enfuite , M. le Sergent d'Hendecourt ,
114 MERCURE DE FRANCE .
Chevalier d'honneur du Confeil d'Artois ,
nouvellement reçu dans la Compagnie ,
pour fuccéder à M. fon Pere , fit un remercîment
, auquel répondit le Directeur.
Après ces Difcours , M. Harduin , Avocat
, Secrétaire perpétuel , donna la feconde
partie d'un Mémoire , tiré des Regiftres
de l'Hôtel-de-Ville d'Arras , concernant
les Joûtes , Tournois , Faits - d'armes
& autres pareils exercices qui fe firent
dans cette Ville , au quinziéme fiécle
du temps de Philippe le Bon , Duc de
Bourgogne & d'Artois.
M. l'Abbé Delys , Bénéficier de la Ca
thédrale , lut des Obſervations Météorelogiques
, pour l'année académique , finie
à l'équinoxe du Printemps de 1760.
Le Pere Lucas , Jéfuite , Affocié honoraire
, lut une Differtation hiftorique fur
le nom de Caracalla , donné à l'Empereur
Baffien Antonin , à l'occafion d'une
robbe qu'il prit chez les Atrebates Morins .
La féance fut terminée par la lecture
d'un Mémoire de M. Wartel , Chanoine
Régulier de l'Abbaye du Mont S. Eloi
Affocié honoraire fur les Minéraux ,
Pierres & pétrifications du Pays.
,
OCTOBRE. 17607
EXTRAIT de la Differtation du Pere
Lucas , annoncée ci- deffus.
APRPRÉÉSS avoir expofé le doute d'Elius
Spartianus fur l'endroit où le corps de
Sévere fut brûlé après fa mort , & reftitué
le texte d'Herodianus fur le même fait ,
le Pere Lucas conclud que les Obféques
de Sévere fe firent chez les Atrébates Morins
, où les Empereurs Baffien & Géta ;
furent obligés de s'arrêter quelque temps
pour cette cérémonie ; & que ce fut pendant
leur séjour , dans ce canton , que
Baffien Anionin , charmé de la couleur,
de la forme , & de la noble fimplicité des
robbes Atrébates , nommées Caracalles
en langage du Pays , s'en revêtit lui -même,
fit acheter toutes celles qui fe trouverent
alors chez les marchands de la contrée
, & les fit tranſporter avec lui à Rome
, où , felon Aurelius Victor , il en fit
des largeffes aux Sénateurs & au Peuple ;
ce qui lui fit donner le nom de Caracalla ,
qu'il porta toujours depuis ; comme l'avance
Malbrancq , dans fes Mémoires
fur les Morins , Liv. II .
Le Pere Lucas obferve que le mot de
Garacalla n'a jamais été en uſage , dans
18 MERCURE DE FRANCE.
aucune autre partie des Gaules que chez
les Atrébates Morins : qu'ainfi ce mot eft
Morin ; & que d'ailleurs il s'eft tranfmis
chez ces Peuples , de génération en génération
, depuis le régne de Bafien jul
qu'au temps du vénérable Bede & de S.
Ömer , c'est- à- dire , jufqu'à la fin du feptiéme
fiécle ; d'où l'Auteur tire la conféquence
que cet Empereur a pris la Caracalle
& fon nom chez les Atrébates Morins
, foit à Boulogne , foit à Térouane.
Il s'attache enfuite à établir contre Xiphilin
& quelques Ecrivains modernes ,
que le nom de Caracalla donné à Baffien ,
n'étoit pas une dénomination injurieuſe,
ni un fobriquet pour le tourner en ridi
cule ; idée d'autant moins vraisemblable,
que la beauté & l'élégance de la Caracalle
donnoient un air de grandeur à
ceux qui en étoient revêtus .
Dans un fecond Article , le P. Lucas
traite de la couleur des Caracalles . Il en
diftingue deux efpéces ; les unes , plus
fines & bien garencées , réservées pour
la parure des Sénateurs ; les autres , plus
groffieres & teintes dans une décoction
de garence commune , deftinées pour le
peuple & pour les efclaves. La couleur
de celles- ci eft défignée par ce texte de
Pline , Liv. XVI. Gallia verè purpuram
OCTOBRE . 1760. 117
tingendi causa adfervitiorum veftes ; & le
même Auteur s'exprime ainfi au fujet des
premieres , Liv. XXII . Jam verò infici
veftes fcimus admirabili fuco.... Gallia
( Belgica fcilicet ) herbis Tyrium atque
Conchylium tingit , nec quarit in profundis
murices. Le P. Lucas apporte différentes
raifons dont il réfulre que ces
Caracalles étoient d'une couleur de garence
fine & choifie , qui réuniffoit l'éclat
de la cochenille avec le feu foncé
de la pourpre , & formoit un ton de couleur
mitoyen , dont l'écarlate étoit la
nuance fupérieure & prochaine , & dont
la pourpre étoit la nuance inférieure , ce
qui devoir faire une couleur admirable ,
admirabili fuco.
Le Pere Lucas , dans le troifiéme article
de fon Ouvrage , décrit ainfi la forme
de la caracalle Atrébate. Cette robbe
noble & fimple tout à la fois , defcendoit
jufqu'aux talons , mais fans être traînante,
à ce que fait entendre Ælius Spartianus ;
& elle étoit , par - là , moins embarraf
fante & plus commode. Elle étoit ouverte
comme les fimarres , fuivant le vénérable
Bede , qui dit que c'étoit l'habit
des Prêtres de fon temps : elle avoit des
manches affez larges pour y paffer ailément
les bras on pouvoit la mettre ,
118 MERCURE DE FRANCE.
fans fe gêner , fur un autre vêtement
parce qu'étant un peu pliffée fur les côtés
& par derriere , elle s'élargiffoit d'ellemême
au befoin , & fe prêtoit à l'épaiffeur
des autres habits qu'on mettoit def
fous , au rapport d'Elius Spartianus . C'étoit
une robbe qui donnoit , comme il a
été dit ci - devant , un certain air de majefté
à ceux qui la portoient ; & il eſt
probable que ce fut pour relever fa taille,
fort petite , que l'Empereur Baffien la
préféra à toutes les robbes Romaines , &
ne la quitta jamais , que quand il manoeuvroit
avec fes Soldats fur les bords du
Danube , où il fe revêtoit alors d'une cafaque
Germaine, découpée partout en lozanges
& fort courte . *
L'Auteur ajoute que les Caracalles n'étoient
pas connues à Rome avant Baffien,
fe fondant encore à cet égard fur un Texte
d'Elius Spartianus , qui le dit expreffément
, Liv. X. Quod ante non fue
Tat. Il prouve qu'elles différoient confidérablement
des Cappes de Bearn & de
Saintonge dont parle Martial , Liv. XIV.
parce qu'elles avoient des manches , &
n'étoient pas , comme les cappes , accompagnées
d'un capuchon , mais fe terminoient
au cou , fans le furmonter. Le P.
* Herodian. in Baffiano.
OCTOBRE. 1760. 115
Lucas montre auffi que les robbes des
Gaulois Tranfalpins ( par rapport à nous )
étoient des robbes ou toges Romaines ,
que Rome n'avoit point reçues d'eux ,
mais qu'ils avoient eux- mêmes reçues de
Rome , fuivant ce vers de Martial ,
Gallia Romanæ nomine dicta toga ,
& que la forme de la toge Romaine ,
devenue Gauloife , n'avoit prèfque rien
de commun avec celle de la Caracalle
Atrébate , felon Apulée in XI° . Aurei
Afini.
Le P. L. prouve également que la Caracalle
ne reffembloit à aucun des vêtemens
Romains , dont il fait une énumération
& une comparaifon fuivie avec cette robbe
Atrébate; aprèsquoi il indique les trois
genres d'habillemens dont Baffien ſe revêtoit
dans les trois états différens de fa
vie. En tems de paix, fa robbe favorite étoit
la Caracalle dans les Temples , où il
faifoit l'office de Pontife , fa robbe Sacerdotale
étoit une Tunique de lin : dans fon
Camp en Germanie , fa robbe Militaire
étoit une espèce de Soubrevefte fort
courte ; trois fortes d'habits que Xiphilin
a confondus fous le feul & même
nom de Caracalle .
Dans la derniere partie de fa Differta120
MERCURE DE FRANCE.
tion , le P. L. a pour objet de faire voir
que la Caracalle Atrébate s'eft en quelque
façon perpétuée jufqu'à nos jours .
Plufieurs probabilités le conduifentà penfer
que les Simarres de nos Chanceliers &
celles de nos premiers Préfidens leur font
venus des Sénateurs de Rome, qui autant
par goût que par complaifance pour Baf
fien , commencerent prèfque auffi - tôt
après l'arrivée de cet Empereur à Rome ,
& continuerent depuis à porter des caracalles
, comme des habits diftingués , &
qui caractériſoient leur état. L'Auteur
termine cet Article , en prouvant , par
le témoignage de Bede , que dès le troifiéme
fiécle & dans le feptième , l'habit
long des Prêtres du Chriftianifme s'appelloit
encore Caracalla chez les Atrébates
: Ed & meâ & fancti Audomari
atate Clericis in ufu fuit , & Caracalla
dicebatur ; & que quand plufieurs Conciles
depuis ce temps-là ont recommandé
aux Eccléfiaftiques de ne point changer
l'habit clérical qui étoit en uſage
dans les premiers temps , ils avoient en
vuë , à la couleur près , l'ancienne caracalle
, dont la foutane actuelle eſt une
inition .
* Beda in Malbrancq.
Le
OCTOBRE. 1760. 121
Le P. Lucas a tiré ce morceau du fecond
livre de l'Hiftoire ancienne de la
Province d'Artois , à laquelle il travaille
depuis plufieurs années , ainfi qu'à l'Hiltoire
Naturelle du même pays . Il prie
ceux qui auroient fait des découvertes
relatives à ces deux objets , de vouloir
bien les lui communiquer. Il fe fera un
devoir de nommer les perfonnes à qui il
fera redevable de quelques particularités
intéreffantes .
M. le Comte de Couturelle , Chevalier
de l'Ordre de S. Louis , ci - devant
Major du Régiment de Rohan - Rochefort
Infanterie , & Aide- Major général
de l'armée de Minorque , ayant reçu plufieurs
bienfaits de S. A. S. Monfeigneur
l'Electeur Palatin , qui l'honora encore
l'hyver dernier de la clef de Chambellan
; la Société littéraire d'Arras , qui
compte ce Gentilhomme parmi fes Membres
, a faifi cette occafion pour payer
à leurs Alteffes Electorales , le tribut de
louanges que leur doivent tous les gens
de lettres. Lorfque M. de Couturelle fut
parti d'Arras , avec l'agrément du Roi ,
pour aller remplir les fonctions de fa
nouvelle charge , M. Harduin , Sécrétaire
perpétuel de la Société , lui adreffa les
vers fuivans.
I. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE:
Aimable Chambellan , reçoi le témoignage
Des ennuis qu'en ces lieux a laiffé ton départ.
Nous regrettons ton coeur fimple & fans fard
Tes propos délicats , ton charmant badinage ,
Et les talens divers dont la Nature & l'Art
T'ont fait le plus bel appanage.
Ne crois pas toutefois que nos efprits jaloux
Ofent te condamner , quand tu fuis loin de nous.
Le fentiment murmure , & la raiſon t'approuve
Oui , cher Comte , ne vive ardeur
Dût t'entraîner vers ce grand Electeur ,
Dont la bonté pour to: nous prouve
Que du mérite il eft le protecteur.
En parcourant notre Province ,
Depuis long-temps la Déeffe aux cent voix
Nous a dit qu'on admire en cet auguſte Prince
Toutes les vertus à la fois.
Elle nous a vanté le penchant qui l'anime
A combler le bonheur de fes nombreux fujets
Elle nous a parlé de ſon eſprit fublime ,
Dont la ſphere étenduë embraſſe mille objets,
Nous connoiffons fa paffion extrême ,
Son goût exquis pour les beaux Arts ,
Qu'il attire de toutes parts ,
Et ne dédaigne pas de cultiver lui- même. /
Nousfçavons qu'on le voit marquer tous fes inftans
Par des traits dignes de l'hiftoire ,
Et que pour lui des honneurs éclatans
OCTOBRE. 1766) 123
Sont réservés au Temple de Mémoire .
Le foin de célébrer ce Maître glorieux
Doit faire ta premiere étude :
Et nous , dont à jamais , en te rendant heureux,
Il s'eft acquis la gratitude ,
Nous devions bien auffi nous impoſer la loi
De le célébrer avec toi.
Couturelle , nous n'ofons croire
Quefon nom dans ces vers foit dignement chanté
Mais qu'il nous feroit doux de faire pour fa gloire
Autant qu'il fait pour ta félicité !
La Renommée au portrait de ton maître ,
Que vient de retracer un trop foible pinceau ,
A joint le fidéle tableau
De celle que pour lui le Ciel exprès fit naître.
Hymen , jamais un noeud plus beau
Ne fe vit éclairé des feux de ton flambeau.
Dans fon âme quelle nobleſſe !
Dans fon efprit quelle délicateffe !
Et dans la taille , dans fes traits ,
Quel affemblage heureux de grandeur & d'attraits
Aux fons que fes doigts font éclore
A l'élégance de fes pas ,
Sous la figure on croit voir ici-bas
Et Polymnie & Terpficore .
Les Graces ne la quittent pas :
Tout en elle eft parfait ; & cependant l'envie ,
Que défarme fa modeftie ,
Fij
324 MERCURE DE FRANCE
Pardonne à fes talens , & même à fes appas
L. A. S. E. fous les yeux defquelles
cette Piéce eft parvenuë , ont fait l'honneur
à la Société littéraire , de lui envoyer
une très- belle médaille d'or , por
tant d'un côté , la tête de Monfeigneur
l'Electeur , & de l'autre celle de Madame
l'Electrice , avec cette infcription
fur le cordon : id læti Mufis damus Atrebatenfibus
ambo . 1760.La médaille étoit
renfermée dans une lettre de M. le Comte
de Couturelle , conçue en ces termes.
» Meffieurs & chers Confreres ,
" Son Alteffe Séréniffime, Monfeigneur
l'Electeur Palatin , l'un des Princes de la
» terre les plus éclairés , & qui parmi tant
» de qualités glorieufes , poffede émi-
» nemment celle d'aimer à récompenfer
મ
le mérite , m'a fait la grace de me re-
» mettre publiquement pour vous la médaille
ci- jointe , ornée de fon portrait ,'
» & de celui de Madame l'Electrice fon
» augufte époufe. Il m'a chargé , Meffieurs,
» de vous la préfenter de leurs parts ,
comme une marque authentique & dusable
des fentimens dont les ont af
» fectes ceux que vous faites éclater pour
OCTOBRE. 1760. 12f
leurs Perfonnes , & que la diftinction
dont jouit votre Société , leur rend
d'autant plus agréables .
» L'honneur que j'ai de vous être affocié,
me fait reffentir une double joie à m'acquitter
de la flatteufe commiffion qu'ont
» bien voulu me confier ces Souverains
» adorés , à qui le rang fuprême qu'ils oc-
>> cupent , étoit moins dû par leur naiffan-
» ce , que par la fublimité de leurs ames .
Q,
» La plus noble modeftie ne permet
point à L. A. E. de fe reconnoître aux
vérités admirables dont la Renommée
» vous a inftruits , Monfeigneur l'Electeur
, qui femble ignoinrix de
» fes bienfaits , a daigné me dire , Mc
fieurs , au fujet de ce beau préfent
qu'il employoit , pour vous le faire
mieux agréer , l'entremife de votre an-
» cien Chancelier . Ces paroles, dictées par
» un caractére de générofité fi rare au
» faîte des grandeurs , me font trop
"
honorables
, & le font trop à vous-mê-
» mes , pour ne pas nous être fidélement
» tranſmiſes .
» Ce n'eft pas , Meffieurs , fans avoir
» pris la liberté de communiquer cette
» lettre à L. A. S. E. que j'ai le plaifir
» de vous l'envoyer. Elles ont eu la bonté
de l'approuver , comme entierement
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
≫ conforme aux fentimens dont elles vous
» honorent.
» Souffrez , qu'après l'exécution de
leurs ordres précieux , je vous conjure
d'agréer ma vive reconnoiffance de
l'eftime & de l'affection que vous m'accordez
fi gratuitement , & que je vous
» offre pour toujours le zéle refpectueux
» avec lequel je me fais honneur d'être
» dans tous les lieux du monde ,
MESSIEURS ,
ASchwet-
» zinghuen ,
près deMar
-
» Votre très - hnabic ,
» obéilerviteur , le Comte de
Couturelle , Chambellan actuel
ie 21 » de Son Alteffe Séréniffime Elec
Juillet 1760. » torale Palatine.
P. S. » Vous euffiez goûté plutôt
Meffieurs , la fatisfaction de recevoir
» cette médaille inappréciable , fi elle
" avoit pu être frappée avec autant de
» promptitude , que ces Illuftres Souve-
" rains l'avoient ordonné. Pour éternifer
» d'autant mieux la preuve de leur fen-
"
fibilité à votre égard , Monfeigneur
» l'Electeur m'a prefcrit , Meffieurs , de
faire mettre fur le cordon de la mé-
» daille , le vers que vous y trouverez
» gravé. Je crois devoir vous obferver
OCTOBRE. 1760. , 127
squ'elle eft d'or du Rhin , des États de
» ce Prince .
» S. A. S. E. m'a fait l'honneur de
» vouloir garder la copie de ma lettre
La Société littéraire d'Arras , s'eft
empreffée de marquer fa reconnoiffanǝ
à L. A. E. par la lettre fuivante.
MONSEIGNEUR ,
L'excès des bontés dont vous dai-
»gnez nous honorer , ainfi que Son Alteffe
Séréniffime Madame l'Electrice ,
» femble autorifer la liberté que nous
» prenons de préfenter directement à
» Votre Alteffe S. E. le témoignage fincére
& refpectueux de notre gratitude.
» L'inestimable préfent qui vient de nous
» être remis , nous a caufé , Monfeigneur,
» une joie extrême , dont notre ſurpriſe
» peut feule égaler la meſure. Comment
» en effet nous flatter qu'une fimple
» expreffion de nos fentimens envers des
" Souverains univerfellement admirés
» nous attireroit de leur part une grâce
auffi diftinguée ? Loin de concevoir cette
»ambitieuſe eſpérance , nous ne reffen-
» tions que la juke crainte d'avoir altéré,
"
en traçant fi foiblement leurs éloges ,
» des vérités refpe&tables , & faites pour
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
"
» occuper les plumes les plus célébres.
» Nous devons fans doute la médaille
précieufe que nous accordent Vos Al-
» teffes Electorales , à l'opinion trop
» avantageuse que M. le Comte de Cou-
» turelle leur a infpirée en notre faveur :
» ou , touchées du zéle ardent qui l'at-
» tache à leurs Auguftes Perfonnes , elles
» ont eu pour objet de lui en marquer
» leur fatisfaction , en gratifiant une Société
dont la gloire lui eft commune.
» Mais lorsque nous nous formons cette
» idée , elle ne dérobe rien , Monfeigneur,
» à l'étendue de notre reconnoiffance .
» Le monument durable qui met
fous nos yeux les nobles traits de Vos
A. S. E. eft pour nous bien fupérieur
» à ces médailles antiques , dont la rareté
» excite des recherches fi pénibles & fi
difpendieufes. Et pourrions- nous , Mon-
» feigneur , lui refufer cette préférence ?
Il la mérite par lui-même , plus en-
» core par la maniere à jamais glorieufe
» dont nous l'acquérons , mais furtout
» par le foin généreux qu'a pris V. A. S.
d'y faire ajouter cette Infcription flat-
» teufe , qui prévient les doutes de la
»Poftérité fur l'honneur , en effet peu
croyable , que nous recevons aujour-
» d'hui. Puiffions- nous , Monfeigneur
»
و ر
OCTOBRE. 1760 . 129
après l'avoir obtenu , réuffir à nous en
» rendre dignes ! Heureux , fi du moins
nos veilles littéraires enfantoient dans
» la fuite quelques productions capables
» de plaire à V. A. E. & qu'il nous fût
» permis de lui offrir fans préfomption !
» Nous fommes avec le plus profond
» reſpect ,
"
Monſeigneur
» De V. A. S. Ë.
Les très-humbles & très- obéif
fans ferviteurs.
Harduin Sécr. perp.
L. d'Arras.
de la S.
M. Harduin ayant été honoré en particulier
d'une médaille ſemblable , fur le
cordon de laquelle font infcrits ces mots:
Munificentiâ utriufque hoc tenet D. Harduinus.
1760. il a tâché d'exprimer ,
par les vers qui fuivent , les fentimens
dont cette grace l'a pénétré.
A LEURS ALTESSES SÉRÉNISSIMES
ELECTOR ALES PALATINES.
Que vois-je ! quel beau jour me luit !
N'est- ce point un perfide fonge
130 MERCURE DE FRANCE.
Dont l'illufion me féduit ,
Et dans un vain délire en cet inſtant me plonge
Eft-il vrai que mon nom , tout- à -coup élevé ,
Près des noms les plus grands foit en effet gravé ?
Ma mufe foible & téméraire
Ola crayonner deux portraits ,
Dont le feul pinceau d'un Voltaire
Peut former dignement les traits .
J'efpérois toutefois qu'une extrême indulgence
De mon zéle fincere agréant les tranſports ,
Daigneroit excufer l'orgueil de mes éfforts.
Mais combien le fuccès paffe mon eſpérance
Lorfque je dois à peine obtenir un pardon ,
Je reçois une récompenſe ;
Et la plus rare bienfaiſance
M'accorde un magnifique don.
Médaille précieuſe , adorables images
Qu'avec des foins conftans je vous conferverai !
Et que de fois je vous rendrai ,
Par d'avides regards , les plus juftes hommages !
A ceux que m'attache le fang
Ma mort ne tranfmett a ni fortune ni rang ;
Mais ce beau monument fera mon héritage.
A mes derniers neveux parvenu d'âge en âge ,
Il leur fera connoître , Illuftres Souverains ,
Que j'en fus honoré par vos auguftes mains.
Ils estimeront ma mémoire ,
En voyant ce bienfait de vos coeurs généreux ;
Et flaités d'un éclat qui s'étendra fur eux ,
Eux- mêmes chanteront vos bontés & ma gloiret
OCTOBRE. 1760. 131
PRIX proposé par l'Académie des Scien
ces, Belles- Lettres & Arts de Lyon , pour
l'Année 1762.
L'ACADÉMIE des Sciences , Belles - Lettres
& Arts de Lyon , propofe pour le Prix des
Arts fondé par M. Chriftin , qui fera diftribué
à la fête S. Louis 1762 , le Sujet
fuivant : Trouver une maniere nouvelle de
décreufer la foie , fans altérer ni fa qua.
lité , ni fon luftre.
.
Il eft conftant que nos étoffes font fupérieures
à celles de la Chine par le goût
du deffein , & par la perfection du travail.
On ne peut néanmoins difputer à
celles- ci des qualités qu'on defireroit de
trouver dans les nôtres. Les étoffes de la
Chine confervent leur éclat à l'épreuve
des lavages & des teintures. Le blanc
furtout s'y maintient fans altération.Pourquoi
nos étoffes n'ont- elles pas les mêmes
avantages On croit devoir en attribuer
la caufe à notre maniere de décreufer la
foie avec le favon , pratique inconnue
aux Chinois. L'huile qui abonde dans la
compofition du favon eft très - capable de
nuire à la blancheur qu'on veut donner
F vj
132 MERCURE DE FRANCE:
à la foie , & de lui faire perdre fon brillant
.
› que
les
Toutes perfonnes pourront afpirer à ce
Prix. Il n'y aura d'exception que pour les
Membres de l'Académie , tels
Académiciens ordinaires , & les Vétérans.
Les Affociés réfidant hors de Lyon , auront
la liberté d'y concourir.
Ceux qui enverront des Mémoires, font
priés de les écrire en François ou en Latin
, & d'une maniere lifible .
Les Auteurs mettront une devife à la
tête de leurs Ouvrages . Ils y joindront un
billet cacheté , qui contiendra la même
devife , avec leurs nom , demeure & qualités.
La Piéce qui aura remporté le Prix,
fera la feule dont le Billet fera ouvert.
On n'admettra point au concours les
Mémoires dont les Auteurs fe feront fait
connoître , directement ou indirectement,
avant la décifion.
Les Ouvrages feront adreffés francs.
de port à Lyon :
Chez M. Bollioud Mermet , Secrétaire
perpétuel de l'Académie pour la Claffe
des Sciences , rue de l'Arfenal :
Ou chez M. de Fleurieu , Secrétaire
perpétuel pour la Claffe des Belles- Lettres
, rue Boiffac :
Ou chez Aimé de la Roche, Imprimeur
OCTOBRE . 1760. 133
Libraire de l'Académie , aux Halles de
la Grenette.
Aucun Ouvrage ne fera reçu après le
premier Avril 1762. L'Académie dans
fon Affemblée publique , qui fuivra immédiatement
la fête de S. Louis , proclamera
la Piéce qui aura mérité les fuffrages.
Le Prix eft une Médaille d'or , de la
valeur de 300 liv . Elle fera donnée à celui
qui , au jugement de l'Académie , aura
fait le meilleur Mémoire fur le Sujet propofé
.
Cette Médaille fera délivrée à l'Auteur
même , qui fe fera connoître , ou au porteur
d'une procuration de fa
en bonne forme.
part ,
dreffée
SUJETS propofés par l'Académie des
Sciences , Belles - Lettres & Arts de
Befançon , pour l'année 1761 .
L'ACADÉMIE des Sciences , Belles-Lettres
& Arts de Befançon , diftribuera le
24 d'Août de l'année 1761 , deux Prix
fondés par feu M. le Duc de Tallard ,
& un troifiéme fondé par la Ville de Befançon
134 MERCURE DE FRANCE.
Le Prix pour l'Eloquence eft une Médaille
d'or , de la valeur de trois cens
cinquante livres . Le fujet du Diſcours ,
qui doit être d'environ une demi - heure ,
fera : Si le defir de perpétuer fon nom &
fes actions dans la mémoire des hommes ,
eft conforme à la nature & à la raifon ?
Le Prix pour la Differtation Littéraire,
eft une Médaille d'or , de la valeur de
deux cens cinquante livres , dont le fujer
fera: Quel a été le Gouvernement politique
de Besançon fous les Empereurs d'Allemagne
, & quelles ont été les raifons
particulieres de la Devife de cette Ville ,
defes armoiries , & de celles defes Quartiers
ou Bannieres ?
Le Prix pour les Arts, eft une Médaille
d'or , de la valeur de deux cens livres ,
deftinée à celui qui indiquera : Quelle eft
la meilleure façon de cultiver les Vignes ,
& de faire les Vins dans le Comté de
Bourgogne ?
Les Auteurs font avertis de ne pas
mettre leurs noms à leurs Ouvrages , mais
une marque ou paraphe , avec telle devife
ou fentence qu'il leur plaira : Ils la
répéteront dans un billet cacheté , dans
lequel ils écriront leurs noms & leurs
adreffes. Les Piéces de ceux qui ſe feront
connoîtré , foit par eux- mêmes , foit par
OCTOBRE. 1760. 135
leurs amis , ne feront pas admifes aut
concours.
Ceux qui prétendront aux Prix , font
avertis de faire remettre leurs Ouvrages
avant le premier du mois de Mai prochain
, au fieur Daclin , Imprimeur de
l'Académie , & d'en affranchir le port ,
précaution fans laquelle ils ne feroient
pas retirés.
ASSEMBLÉE publique de l'Académie de
Peinture , Sculpture & autres Arts re
latifs au deffein de MARSEILLE.
L'ACADÉMIE de Peinture , Sculpture
, & c. de Marſeille , a tenu , le 24
Août de cette année , fon Affemblée publique
à l'Hôtel de Ville . MM . de l'Académie
des Belles Lettres , & MM . les
Amateurs honoraires y ont été invités .
M. Verdiguier , Directeur perpétuel a ouvert
la féance par un compliment à M. le
Duc de Villars , qui y préfidoit , & qui a
diftribué la Médaille d'or & les autres
Prix adjugés aux éleves . M. Dorange ,
Profeffeur d'Anatomie , a fait enfuite
une Differtation fur la néceffité de l'Oftéologie
& de la Miologie aux jeunes
136 MERCURE DE FRANCE
Peintres & Sculpteurs , s'ils veulent fe
perfectionner dans leur Art. M. Moulinneuf,
Profeffeur & Secrétaire perpétuel ,
a terminé la féance par un Difcours , qui
prouvoit que le deffein eft la bafe de
tous les Arts , & combien un Artiſte doit
avoir de génie pour fe rendre célébre .
Tous ces Difcours ont été généralement
applaudis.
Ce même jour , les Membres de cette
Académie ont fait , dans la Salle de l'étude
du modéle , l'expofition de leurs
Ouvrages. Cette expofition a duré huit
jours , & le Public a paru auffi fatisfait
de leurs progrès que d'un tel établiffement
, fi avantageux à tous les Arts .
C'eft ainfi que les Profeffeurs non contens
d'être attentifs à corriger les deffeins
de leurs Diſciples , leur mettent encore
fous les yeux les exemples effectifs & variés
des moyens qu'ils doivent mettre en
pratique pour perfectionner leurs talens.
EXPOSITION des Ouvrages de divers
Membres de l'Académie de Peinture
Sculpture, &c. de MARSEILLE.
LES
ES QUATRE SAISONS , de deux pieds
de hauteur , & un Apollon qui tourne
OCTOBRE. 1760. 737
autour du globe terreftre , pour M. de la
Garde , par M. Verdiguier , Sculpteur de
la Ville , Directeur perpétuel .
Six Deffeins à l'encre de la Chine , au
biftre & à la gouache , par M. Cofte ,
Peintre , Profeffeur , P.
Quatre Tableaux en Payfages , & deux
en Coquillages & Plantes marines , par
M. Richaume , P.
Un grand Tableau Payſage héroïque ,
& un autre champêtre , avec plufieurs
Deffeins à la plume & au biftre par M.
David , P.
Un Tableau tepréfentant un Cabinet
de mufique , où eft une Eſtampe analogue
au fujet. Une Marine repréfentant le
combat du Vaiffeau du Roi , le Centaure,
commandé par M. de Sabran , contre 14
Vaiffeaux Anglois ; & un autre Tableau
à la gouache , repréfentant un chien , un
chat & quelques piéces de gibier , par
M. Moulinneuf, Peintre de la Ville , Profeffeur
, Secrétaire perpétuel .
Trois Efquiffes repréfentant l'Afcenfion
, l'Affomption de la Ste Vierge , &
l'Apothéose de S. Louis , par M. Zirio , P.
Deux Portraits par le même .
Un faint Sébastien de grande nature ,
& un autre grand Tableau repréfentant
le repos d'Hercule. Une Efquiffe de la
38 MERCURE DE FRANCE.
Ste Famille au lever du Soleil , par M.
Beaufort. P.
Un grand Tableau , Architecture &
Marine ; deux petits Payfages ; quatre
Marines en longueur ; cinq Morceaux à
la gouache ; Architecture , Payfages &
Marines ; cinq Deffeins à l'encre de la
Chine , par M. Kopeller . P.
Un grand Portrait de M. Revelly ca
det & de Madame fon époufe , & quatre
autres Portraits en bufte par M. Revelly.
P.
Un grand Portrait & quatre en buſte
par M. Arnaud , Peintre , Académicien.
Deux petits Payfages par M. Defpeches.
A.
Un Tableau de réception , repréfentant
une Marine par M. Reyvicel. A.
LETTRE à l'Anonyme , qui a propofe
un Problême dans le Mercure d'Août
1760 , page 132 .
ILL fera fans doute agréable , pour tous les
amateurs du calcul & de l'art des combinaifons
, d'apprendre de vous , Monfieur,
laméthode aifée que vous annoncez dans
votre Lettre , inférée au Mercure d'Août
OCTOBRE 1760. 139
1760 , & je vous inviteâ la donner au Pu
blic.Si j'avois l'honner de vous connoître
j'y joindrois bien vountiers les opérations
Arithmétiques , ie j'ai faites il y a quelques
années, fu les diverfes combinaiſons
que peuvent recevoir plufieurs cartes ,
diftribuées un certain nombre deJoueurs.
Je n'ai point eu befoin , Monfieur , non
plus que vous , de recourir au calcul littéral
, j'ai ouvé des méthodes fimples
pour découvrir ces combinaiſons par les
régle ordinaires du calcul numérique .
ne partie de Tri dont j'étois fpectaceur
à la campagne , donna lieu à quelques
faux raifonnemens , fur les combinaifons
d'un certain nombre d'atouts
entre deux Joueurs . Je calculai le coup
dont il s'agiffoit : ce calcul me conduifit à
d'autres , & j'en vins à trouver toutes les
combinaifons poffibles des treize cartes
d'une même couleur , entre les mains de
deux , de trois & de quatre Joueurs .
L'application de ces calculs à tous les
coups du Médiateur , du Tri , du Piquer
& c . eft facile. En jettant les yeux fur les
tables que je dreffai alors , il n'eft aucun
coup dont je ne puiffe dire exactement
qu'il y a tant à parier pour & contre.
Par exemple , dans l'efpéce que vous
propofez d'un Joueur , qui , au Quadrille,
140 MERCUPE DE FRANCE.
a Spadille , Manille fixiémes en noir ; je
trouve que les cinq atres atouts ſe combinent
de 243 façons afférentes dans les
mains des trois autres Joueurs .
il
Que de ces 243 combina(ons
y en a 90 , où ces cinq atots
fe trouvent deux- à- deux & à un
ce que j'exprime ainfi :
Qu'il y en a foixante où ils
font , trois dans une main , dex
dans une autre , & point du tout
dans la troifiéme , ce qui s'exprime
ainfi :
1.2 . I
3.2 .
Qu'il y en a 60 où ils font , trois ,
à un , & à un , ainfi :
3. 1. 1.
Qu'il y en a 30 , où ils font
quatre, à un , & à point , ainfi : 4.1.0 .
Enfin qu'il y en a trois , où les
cinq atouts font enſemble dans
une même main , ainfi :
S. o. .
De cette premiere découverte , il réfulte
que s'il faut quatre atouts dans une
main pour faire perdre , il y a 210 contre
33 à parier que le Joueur gagnera ,
ou plus fimplement 70 contre 11 .
Que fi trois atouts enfemble font perdre
, il y a 17 contre 10 à parier qu'il
perdra.
Mais ce premier point de vue eft bien
infuffifant ; car la nature des atouts qui
OCTOBRE 1760. 149
font enfemble, & la pofition des Joueurs,
influent beaucoup fur la perte ou le gain
du jeu que vous citez pour exemple : il
faudroit donc que le calcul nous découvrit
le plus ou le moins de rifque qu'il y
auroit , fi un tel atout étoit dans une telle
main; s'il y étoit feul , s'il y étoit fecond ;
s'il y étoit troifiéme ; s'il y étoit quatriéme
, &c. Or voilà ce que je trouve facilement
par les méthodes que je me fuis
faites .
Suivons toujours votre fuppofition de
fpadille , manille , fixièmes en noir : je
trouve qu'il y a 16 contre 11 à parier ,
que le bafte n'eft pas troifiéme chez l'un
des trois autres Joueurs.
Qu'il y a 59 contre 22 à parier que le
bafte n'eft pas troifiéme chez l'un des
deux Joueurs nommés.
Qu'il y a 70 contre 11 à parier que le
bafte n'eft pas troifiéme chez un Joueur
nommé .
Qu'il y a 2 contre 1 à parier que
deux atouts nommés ne font point enfemble.
Qu'il y a 62 contre 19 à parier que
deux atouts nommés ne font point enfemble
, & troifiémes , dans une même
main.
Enfin , Monfieur , il n'y a point d'ar
742 MERCURE DE FRANCE.
rangement poffible de ces cinq atouts ,
dans les trois autres mains , fur lequel je
ne puiffe vous dire , qu'il y a tant à parier
pour & contre.
De même je trouve par mes calculs
appliqués au Piquet , que le premier en
carte qui n'a point d'as
peut parier ...
qu'il en prendra au moins
un dans les cinq cartes de
rentrée .
Au contraire , je parie-
232 contre 91
rois contre lui ....... 728 contre 241
qu'il n'en prendra point
deux ou plus.
Je parierois .
qu'il n'en prendra point
trois.
Je parierois ..
qu'il n'en prendra point
quatre .
Le dernier en carte ,
qui n'a point d'as , peut
parier .
qu'il en prendra au moins
un dans les 3 cartes de
rentrée.
Mais je parierois contre
lui ....
qu'il n'en prendra point
deux.
938 contre 31
968 contre 1
29 contre 28
£2 contre 58
OCTOBRE. 1760. 143
Enfin je parierois .....
qu'il n'en prendra point
trois.
284 contre
Je pourrois , Monfieur , vous faire un
Volume in-folio de tous les paris que me
fournit le calcul fur tous les coups poffibles
du Piquet , du Médiateur , du Tri &
de tous les autres Jeux ; mais je crois que
ce feroit du papier & du temps affez mal
employés. Un Joueur de profeffion ne
penferoit peut-être pas de même. Heureufement
cette paffion ne m'a point encore
dominé jufqu'à préfent ; le calcul
d'un coup de Médiateur m'amufera toujours
plus que le coup lui- même. Cependant
je n'ai jamais donné beaucoup de
temps à ces fortes de calculs ; j'avois
même perdu de vue ce que , dans quelques
momens de loifir , j'avois écrit làdeffus
, il y a à préfent huit ans : votre
lettre vient de me rappeller ces idées
prèſque éffacées ; & la curiofité de fçavoir
fi votre méthode feroit la même
la mienne, me fait prendre la même voie
par laquelle votre lettre m'eft parvenuë.
Vous jugerez facilement par les nombres
que j'ai employés ci- deſſus , fi mes calculs
font conformes aux vôtres . L'Auteur du
Mercure voudra bien encore me faire
paffer vos obfervations ; & pour peu
que
144 MERCURE DE FRANCE:
que vous foyez curieux de comparer plus
fpécialement votre méthode à la mienne,
vous en ferez le maître , en vous faifant
connoître. Je fuis , &c. ·
AUTRE LETTRE , fur le même Sujet.
ONSIEUR ,
J'ai l'honneur de vous envoyer la folu
tion du problême propofé par un Anonyme
, dans votre dernier Mercure , relativement
aux combinaiſons du quadrille .
Il m'a femblé qu'il auroit pû être trouvé
d'une façon plus claire . Quoiqu'il en foit ,
je me flatte d'avoir aflez bien faifi l'idée
de l'Auteur fur l'efpéce de difficultés qu'il
propofe. Il y a fort longtems que je n'ai
lu le Traité de M. de Monmort fur les
jeux de hazard ; il fe peut donc bien ,
comme on le dit , que la folution directe
de ce problême n'y foit pas comprife :
mais il eft fûr au moins que les principes
néceffaires pour ces fortes de quef
tions y font renfermés , & qu'il ne s'agit
que d'un peu d'adreffe pour en faire l'application
, à ce cas particulier Venons au
fait. On fçait , en général , qu'un certain
nombre de chofes exprime porn , put
s'arranger ,
OCTOBRE . 1760. 145
s'arranger , d'autant de manieres différentes
qu'en exprime le Produit de tous les
nombres naturels depuis l'unité jusqu'au
nombre , N.; ainfi par exemple , 7 chofes
comme 7 cartes différentes peuvent s'arranger
en 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. c'est- à- dire,
en 5040 manieres différentes entr'elles ;
mais quelquefois , felon l'état de la queſtion
qu'on le propofe , le nombre de ces.combinaifons
réduit à celles qui font feulement
néceffaires , fe trouve de beaucoup
diminué ; ainfi dans l'exemple que donne
l'Auteur du problême , au lieu d'exprimer
les 30 cartes par 30 lettres différentes
, j'exprimerai les 5 atouts par la même
lettre , A , répétées fois , & les 25 autres
cartes par la même lettre , B , répétée
25 fois , puifqu'il eft aifé de voir que
quoique différentes entr'elles , leur différence
n'importe en rien à l'état de la
question . Or la doctrine des combinaifons
nous apprend que les 30 cartes dénommées
de cette maniere ne font fufceptibles
que d'un nombre d'arangemens
entr'elles, exprimé par
expreffion où tous les facteurs tant au
numerateur qu'au dénominateur , font
Cenfés multipliés les uns par les autres ,
& qui donne le nombre 142506. Il s'a-
I. Vol.
30 , 29 , 28 , 27 , 26 ,
I 2., 3. 4 , S
G
146 MERCURE DE FRANCE.
git maintenant dans ce nombre d'arran
gemens tous également poffibles de 30
cartes, de diftinguer féparément ceux qu'on
aftraint à la condition que les atouts
S
foient diftribués de telle ou telle maniere
dans les trois mains. Si l'on demande 1 °.
Le nombre d'arrangemens ou deux des
trois Joueurs, auroient chacun deux atouts
& le troifiéme le cinquième atout reftant
: j'imagine pour cela les 30 cartes
partagées en 3 lots de 10 cartes chacun ;
& pour mieux me faire entendre , on
fuppofera ces trois lots rangés de fuite ;
dans celui de la gauche il ne fe trouvera
qu'un atout , & deux dans chacun
des deux autres . La doctrine des combinaifons
que nous venons déjà d'employer
ci-deffus , m'apprend que le premier lot
où il ne fe trouve qu'un atout , n'eſt ſufceptible
à lui feul que de 10 arrangemens
; & les deux autres , chacun de
io , 9,
1 , 2 , 45. Mais comme chaque arrangement
particulier de chacun de ces
trois lots , fe combine avec tous les arrangemens
des deux autres lots , nous
aurons le produit 10, 45 , 45 , —20250
pour tous les arrangemens où le premier
lot de la gauche ayant un feul atout
les deux autres en auroient chacun deux ,
OCTOBRE. 1760. 147
Ilfaut enfuite confidérer que les trois lots
dont deux font femblables , pourront s'ar
ranger entr'eux de trois manieres différentes
; il faudra multiplier par 3 , le
nombre 20250 ci - deffus trouvé , & nous
aurons finalement 60750 , pour tous les
arrangemens des 30 cartes où les 5 atouts
fe trouveroient diftribués aux trois Joueurs
de la maniere 1 , 1 , 2 : par un raifonnement
femblable , & fondé fur les mêmes
principes on trouvera l'expreffion
10 x 10 x 10 , 9 , 8 , 7 2 × 3 = 36000 pour
tous les
I , 2, 3 > 4 ,
arrangemens où tous les atouts
fe trouveroient diftribués 1 , 1 , 3
讣
10 , 9
I , 2
X- 10 , 9º 8 , 632400 pour la diftri ×
>
8,2X612600
I , 2 , 3
bution 0, 2,3 °
IOXTO , 9
1 , 2 , 3 , 4
pour la diftribution
°, 1 , 4 , & 10, 9,8,7,6
1, 2 , 3 , 4 , 5 )
x3756 pour la diftribution o , o , 5.
Comme nous venons d'épuifer toutes les
manieres dont cinq atouts peuvent fe
combiner entre trois perfonnes , la fomme
des nombres que nous venons de trouver,
c'est-à- dire, 50750 × 36000 × 3 2400
X 126 x 756 , doit équivaloir la fomme
totale de tous les arrangemens poffibles,
des 30 cartes ; & que nous avons trouvé
plus haut être de 142506. C'eft ce qu'on
Gij
48 MERCURE DE FRANCE
vérifiera en effet par une addition. Il eff
maintenant facile de voir l'ufage qu'on
peut faire de ces nombres pour les combi
naifons du quadrille : fi celui qui veut
jouer fans prendre , n'a d'événement à
craindre , que celui de rencontrer dans
la même main less atouts qu'il n'a pas ,
en verra qu'il y a à parier la totalité
des quatre premieres fommes contre les
dernieres , c'est - à- dire , 141750 contre
756
71
106
que ce malheur ne lui arrivera
point , rapport qui fe trouve à moindres
termes que celui de 187 à l'unité. S'il
a quatre atouts à craindre dans la même
main
le pari de ne les pas trouver
fera des trois premieres fommes aux
deux dernieres , c'est- à - dire , de 129150
contre 13356 ou de 2 à l'unité . Enfin
, s'il veut qu'aucun de fes adverfaires
n'ait trois atouts dans la main , il faut
prendre le rapport du premier nombre
aux quatre fuivans , c'est -à - dire , 60750
à81756 , qui fe réduit à celui de 1125 à
1514 , ou de l'unité à 1x382, on voit
donc qu'il auroit dans ce dernier cas du
défavantage à jouer en fuppofant , comme
de raifon , que ce qu'on donne de fi
ches , en cas de perte, foit égal à ce qu'on
recevroit en cas de gain ; car il eft bon
de remarquer que pour avoir en génés
1125
OCTOBRE. 1760. 149
ral le rapport précis qui détermine à
jouer ou ne pas jouer , il faut multiplier
par le nombre d'événemens favo
rables ce qu'on retireroit en cas de gain ,
multiplier auffi par le nombre d'événemens
contraires ce qu'on donneroit en
cas de perte & le rapport de ces deux
produits fera , pour ainfi parler , celui de
l'eſpérance à la crainte .
Il peut encore arriver pour celui qui
fe propofe de jouer , que les atouts qui
le feroient perdre , s'il les trouvoit dans
telle ou telle main felon fon rang à jouer ,
ne l'empêcheroient pas de gagner s'ils fe
trouvoient dans telle ou telle autre. C'eft
encore une nouvelle combinaiſon , mais
qu'on trouveroit facilement, à l'aide de la
Théorie précédente , quand on l'aura bien
entendue. Aufurplus, j'ai niis fur les voies ,
& en voilà fuffifamment fur le jeu de la
part d'un homme qui ne joue jamais . J'ai
l'honneur d'être & c.
LETTRE , à l'Auteur du Mercurs,
E ferois bien charmé , Monſieur , fi par
la voie du Mercure , où l'on puife tous
Les jours les plus belles connoiffances , tant
G iij
150 MERCURE DE FRANCE
Phyfiques que morales , je pouvois voir
la folution d'une queſtion , d'autant plus
intéreffante que je ne l'ai encore vue traitée
nulle part.
Pourquoi une voiture chargée , qui pafferoit
fur le corps d'un homme , ou sur un
de fes membres , il en résulteroit des acci
dens moins confidérables que fi elle ne l'é
toit point du tout.
Je joindrois cette obligation à celle
que je vous ai déjà , de m'orner le coeur
& l'efprit , par le fecours de votre Mercu
re , que je lis toujours avec un nouveau
plaifir. J'ai l'honneur d'être &c. votre trèshumble
fervante Ch....
ARTICLE IV .
BEAUX ARTS.
ARTS UTILE S.
LA DESCRIPTION DES ARTS , pa
l'Académie Royale des Sciences.
Avertiffement des Editeurs.
L'OUVRAGE que nous annonçons au Pu
blic , eft le fruit d'un travail commencé
OCTOBRE . 1760 . Ifr
depuis long- temps par l'Académie Royale
des Sciences. Cette Compagnie étoit à
peine formée , qu'elle conçut le projet
d'examiner & de décrire fucceffivement
toutes les opérations des Arts méchaniques
, perfuadée que cette entrepriſe
pouvoit également contribuer à leur progrès
& à celui des Sciences.
Si les Arts nés dans l'obfcurité , &
lentement avancés de fiécle en fiécle par
Fes tâtonnemens de l'induftrie , ont précédé
de beaucoup l'établiffement des Compagnies
favantes ; on ne peut s'empêcher
de reconnoître qu'ils ont fait des progrès
rapides dans les temps , & dans les Etats
où les Sciences ont été cultivées avec
plus de fuccès. On en fera bientôt convaincu
, fi l'on veut comparer l'état préfent
de l'Horlogerie , de l'Artillerie , des
Arts qui concernent la Navigation , de
ceux qui fourniffent les Inftrumens de
Géométrie , d'Optique , d'Aftronomie ,
de Chirurgie , enfin de plufieurs autres
Arts relatifs aux travaux ordinaires des
Académies , à l'état où ces mêmes Arts
étoient il y a cent ans ; on y verra des différences
immenfes qui ne font point dues
au hazard , mais aux efforts que l'on a
faits depuis cette époque pour perfectionner
la Géométrie , la Méchanique ,
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
la Chymie , l'Optique , l'Anatomie , & c.
Ne doit- on pas attendre de nouveaux
degrés de perfection dans les Arts , lorfque
des Savans exercés fur les différentes
parties de la Phyfique fe donneront la
peine d'étudier & de développer les opérations
fouvent ingénieufes que l'Artiste
exécute dans fon attelier ; lorfqu'ils verront
par eux mêmes les befoins de l'Art ,
les bornes où il s'arrête , les difficultés
qui l'empêchent d'aller plus loin , les ſecours
qu'on peut faire paffer d'un Art
dans un autre , & que l'Ouvrier eft rarement
à portée de connoître ? Le Géométre
, le Méchanicien , le Chymifte , donneront
des vues à l'Artifte intelligent
pour furmonter les obftacles qu'il n'a
point ofé franchir. Ils le mettront fur la
voie pour inventer des nouveautés utiles ;
en même temps ils apprendront de lui
quelles font les parties de la théorie auxquelles
il faudroit s'appliquer davantage
pour éclairer la pratique , & pour affujettir
à des régles fûres un nombre d'opérations
délicates, qui dépendent de la jufteffe
du coup d'oeil ou d'un tour de main ,
& dont la réuffite n'eft que trop fouvent
incertaine .
C'eft dans cette vue que l'Académie
des Sciences dirigeant toujours fes tra
OCTOBRE . 1760. 153
vaux vers les chofes utiles , avcit inſpiré
aux Membres qui la compofent le defir
de concourir à la defcription des Arts .
Depuis le commencement de ce fiécle ,
elle n'a pas ceffé de raffembler des marériaux
pour y parvenir ; mais l'objet eft
immenfe & ne peut être rempli que par la
fuite des temps . Feu M. de Réaumur
avoit été chargé de recueillir un aſſez
grand nombre de Mémoires déjà faits
par plufieurs Académiciens ainfi que
d'autres , envoyés des différentes Provinces
de la France , ou des Pays Etrangers.
Les Mémoires fur les Arts fe font multipliés
; un grand nombre d'atteliers , d'opérations
, de machines , d'inftrumens:
& d'outils , ont été deffinés & gravés
fous un même format ; & l'Académie pofféde
à préfent plus de deux cens Planches
fervant à leur deſcription. Elle en auroit
davantage fi plufieurs cuivres , gravés à
fes frais , mais dont il ne lui refte que
des épreuves , n'avoient point été détournés
, ainfi que plufieurs Mémoires qui
faifoient partie de cette Collection précieuſe.
Heureufement il lui refte encore aflez
de matériaux pour fournir inceffamment
les defcriptions complettes d'un grand
nombre d'Arts : ces matériaux ont été
Gw
154 MERCURE DE FRANCE
diftribués en 1759 , aux Académiciens ,
dont les études fe font portées principalement
du côté de la Méchanique & de la
Phyfique. En fe chargeant d'achever les
defcriptions déjà commencées , & d'ajouter
à celles qui ont été faites au commencement
de ce fiécle les nouvelles
pratiques , les nouveaux procédés qui
ont été inventés depuis , & qui font à
préfent en uſage , ils fe feront un devoir
de rendre juſtice à tous ceux qui les auront
précédés ou fecondés dans ce travail,
en faifant honneur à chacun d'eux des
Ouvrages qu'il aura fournis ils profiteront
avec reconnoiffance des Mémoires .
qui pourront être envoyés déformais à
l'Académie ; concernant la defcription
ou la perfection des Arts. Elle nous autorife
même à déclarer de fa part , que
fon intention eft de publier fous les noms
de leurs Auteurs , & d'inférer en tout ou en
partie, dans la Collection qu'elle prépare ,
les Ouvrages bien faits en ce genre qui
lui feront préfentés , foit par d'habiles
Artiftes , foit par des Savans étrangers ,
après qu'ils auront été examinés & approuvés
dans la forme ordinaire ; ainfi
qu'elle a déja publié en différens temps ,
des recueils de Differtations Mathématiques
& Phyfiques , foumises à fon jugeOCTOBRE.
1750 .
ment , par des Savans étrangers ou régnicoles
, lorfqu'elle a trouvé dans leurs
Ouvrages des obfervations & des recherches
capables de contribuer à l'avancement
des Sciences.
L'Académie ayant excité , par cette ef
péce d'adoption , l'émulation de ceux qui
cultivent les Sciences , fans appartenir à
aucun Corps Académique ; elle a lieu
d'efpérer que les Citoyens verfés dans la
connoiffance des Arts , & les Artiftes du
premier ordre , s'emprefferont de concourir
à la perfection des monumens qu'elle
veut ériger à l'induftrie humaine : la carriere
eft trop vafte pour ne pas l'ouvrir à
tous ceux qui font en état de s'y diftinguer
, & l'on ne peut employer à la fois
trop de mains habiles pour accélérer l'exécution
d'une entreprife qui peut être utile
à notre fiecle , & plus encore à ceux quf
le fuivront. C'eft épargner à la postérité
beaucoup de temps & de peine , fi les
Arts avoient encore à fubir de ces grandes
révolutions qui les ont autrefois prèſque
anéantis.
Il feroit à fouhaiter fans doute qu'on
pût dès -à-préfent réunir , foit en un feul
foit en plufieurs volumes, les Arts qui ont
entr'eux des relations prochaines : par
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
-
exemple , tous les Arts qui façonnent le
fer , ceux qui travaillent l'or & l'argent ;
ceux qui trament des tiffus de toute efpéce
. Mais comme il feroit très difficile
de faire achever en même temps les defcriptions
propres à former des volumes
complets & fuivis , avec les enchaînemens
néceffaires ; l'Académie , pour ne point
mettre de nouveaux obftacles à la publication
d'un Ouvrage long - temps attendu ,.
fe borne , quant à préfent , à donner les :
deſcriptions des Arts par cahiers féparés ,
dont chacun contiendra le tableau com
plet d'un Art avec tous les détails néceffaires
, repréfentés dans des planches gra
vées avec foin. Ces cahiers auront la
même forme , & déja plufieurs de ces
Arts font fous preffe:
En les publiant ainfi féparément , on
ménage aux Artiftes la facilité de fe procurer
à peu de frais les Traités des Arts :
qu'ils exercent , ou de ceux qu'ils voudroient
connoître , fans être obligés d'en:
acheter en même temps d'autres qui leur
feroient moins néceffaires ; c'est un moyen
de les répandre davantage , fur- tout dans
cette claffe de Citoyens utiles , auxquels.
ils font principalement destinés .
Lorfque l'Ouvrage fera fuffifamment.
OCTOBRE. 1760. 157
avancé , pour que l'on puiffe penſer à en
former des fuites , ceux qui fe feront procurés
les cahiers précédemment diftri
bués , pourront , en rangeant les différens
Arts felon l'enchaînement qu'ils ont entr'eux
, former des volumes , où ils feront
maîtres de choisir l'ordre qui leur paroîtra
le plus convenable.
Pour fatisfaire la curiofité de ceux qui
voudroient connoître ce qui a été fait
jufqu'à préfent fur les Arts , l'Académie
a fait remettre chez les fieurs Defaint &
Saillant , Libraires , chargés de cette
Edition , une fuite des épreuves de toures
les Planches gravées ; on y trouvera
pareillement les épreuves des Planches
qui ont été fouftraites , & que l'Académie
eft en droit de reclamer , quelque
part où elles puiffent être. Ceux qui en
auroient connoiffance , font priés d'en
donner avis aux fieurs Defaint & Saillant
, rue S. Jean de Beauvais ; ou de
rapporter les Planches , qu'ils pourroient
avoir , au Secrétariat de l'Académie .
Les Libraires avertiffent qu'ils ne tirent
que cinq cens Exemplaires de l'Hiftoire
des Arts : ainfi ceux qui defireront tant
à Paris qu'en Province , recevoir chaque
Art , à mesure que l'impreffion en fera
158 MERCURE DE FRANCE.
achevée , font priés de fe faire inferire
chez eux ils feront affurés de recevoir
leur Exemplaire , & d'avoir de bonnes
Epreuves , à charge d'en payer la valeur
en le recevant. On pourra fe faire inferire
chez les Libraires des principales Villes du
Royaume .
2
On commencera à publier les premiers
Arts vers la S. Martin.
ANATOMIE.
LETTRE circulaire , à MM. les Souf
cripteurs des Planches Anatomiques de
M. GAUTIER.
De Marſeille , ce 12 Septembre 1760* )
MESSIEURS ESSIEURS ,
Les Planches Anatomiques, de M. Gau
tier , pour lefquelles vous avez foufcrit ,
font actuellement fous preffe , ainfi que
leurs Tables explicatives . On a commencé
la premiere diftribution ; elle contient
fix grandes Planches , fur la feuille entiere
du grand colombier , avec leurs couleurs
naturelles ; les Tables font de même grandeur
& fur le même papier , accompagnées
de Differtations fur chaque Vifcère en
OCTOBRE. 1760 . 159
particulier & de la deſcription des nerfs ,
des veines , & des artères qui les parcourent.
Les amateurs de cette entrepriſe
auront lieu d'être fatisfaits ; M. Gautier
n'a négligé ni les recherches , ni la dépenfe
, ni le travail ; & s'il y a eu quel
que retard , vous connoîtrez , Meffieurs ,
en recevant les Planches que j'ai l'honneur
de vous annoncer , la néceffité de ce retard.
Les grands ouvrages en général ne
paroiffent pas toujours dans les tempsprojettés
; témoin l'Encyclopédie & tant
d'autres entrepriſes où les diftributions
ont fouvent été retardées. M. Gautier ne
s'eft point rebuté, il a laiffé dire ſes Antagonistes
, s'eft retiré dans fon Pays origi
naire , avec l'agrément de la Cour , pour
être plus tranquille , compléter fon entre
prife & fatisfaire à fes engagemens. Je
me fuis chargé à Marfeille de la diftribu
tion des Planches & d'en recevoir le prix,
pour en tenir compte à ceux qui ont fait
les avances de cet Ouvrage , affez connu
& qui eft intéreffant pour le Public . Et
comme il y a des Soufcripteurs parmi
vous , Meffieurs , qui ont foufcrit en entier
pour le Supplément & pour La feconde
Edition , d'autres pour le Supplément ſeu
lement , & plufieurs qui ne fe font propofés
que de payer une diftribution d'avances
160 MERCURE DE FRANCE.
il faut néceffairement que la préfente Lettre
circulaire foit annoncée , & que chaque
Amateur foit mis au fait de ce qui lui appartient.
Pour les vingt Planches Anatomiques
du Supplément.
1. Les Soufcripteurs qui ont fouſcrit
en entier pour le Supplément & pour la
feconde Edition ; je les avertis que je ne
fuis chargé que du Supplément en vingt
Planches avec leurs Tables explicatives ,
quant à préfent : parce que M. Gautier
ne peut pas donner tout à la fois ces deux
Ouvrages , mais qu'il donnera fa feconde
Edition immédiatement après.
2º. Les Soufcripteurs du Supplément
feulement & qui ont payé en entier , vont
recevoir actuellement en trois diftributions
leur Exemplaire complet , fans qu'ils
foient obligés de rien débourfer davanrage.
3. Ceux qui n'ont foufcrit qu'un louis
d'avance recevront la premiere diſtribu
tion , en payant encore un louis , & la
feconde enfuite en payant 36 liv. & ils
n'auront rien à donner à la troifiéme
diftribution.
4. Finalement , ceux qui n'ont point
fouferit payeront deux louis d'or en re
OCTOBRE . 1760. 161
cevant la premiere diftribution , & 36
liv. en recevant la feconde , & n'auront
rien à payer à la troifiéme , non plus que
les précédens Soufcripteurs.
Premiere Diftribution , qu'on délivre
actuellement aux Soufcripteurs.
Elle confifte en fix Planches . La premiere
& la feconde forment une femme
enceinte fur pied , dont la matrice eft ouverte
, le foetus en fituation , le bas - ventre
& les parties inférieures difféquées, ainfi
que le fein & l'une des extrémités fupérieures
. La troifiéme repréfente une fille
difféquée. La quatriéme une Angéologie
complette du tronc de la tête & des extrémités
fupérieures . La cinquième & fixiéme
, un homme fur pied difléqué , où l'on
voit les muſcles , les nerfs , les vaiffeaux ,
& le coeur dans fon péricarde , avec des
fituations différentes de ce qu'on a donné
dans la premiere Edition.
Seconde Diftribution , qu'on délivrera à la
fin de Novembre de cette année 1760.
Elle contient auffi fix Planches . Premiere
, la Femme en couche difféquée.
Seconde , le Foetus difféqué , & les parties
détachées , où l'on voit ce qui comprend
62 MERCURE DE FRANCE.
la circulation particuliere dans le fein de
la mere. Troisième , les parties de la Fem-
- me difféquées , & les parties inférieures
de la troifiéme Planche de la premiere
diftribution. Quatrième , les parties de
l'Homme difféqué avec les parties inférieures
de la figure d'Angéologie , ce qui
fait une figure complette, l'une des parties
la plus effentielle de l'Anatomie , & ce
- qu'on n'a pas donné dans la premiere
Edition . Cinquiéme & fixième , l'Homme
vu par le dos dans une diſſection & fitua
tion différente de la premiere Edition.
Troifiéme & dernière Diftribution , qui
paroîtra le premier Mai de l'année
prochaine 1761.
Cette diftribution fera de huit Planches,
avec leurs Tables explicatives de même
que les précédentes. La premiere & feconde
repréfenteront des coupes & des
diffections de tous les Vifcères , qui n'auront
pas été repréſentés. La troifiéme &
quatrième, démontreront un Squelette garni
du Diaphragme & de plufieurs autres
parties effentielles d'Anatomie. Lacinquiéme
& fixiéme feront une Nevrologie
complette ; & la feptiéme & huitième ,
des coupes de la Tête & du Cerveau ,
OCTOBRE. 1760. 18
foutes nouvelles & intéreffantes pour les
Anatomiftes .
Pour payer & recevoir les Planches.
La principale adreffe eft chez moi , Jean-
Baptifte Feraud , Négociant , rue Caifferie
, à Marseille.
Je prie Meffieurs les Soufcripteurs, qui
ont foufcrit en entier pour le Supplément
dont il s'agit , d'écrire à mon adreffe , de
m'envoyer copie de leurs Billets de foufcription,
& de me marquer l'endroit où ils
veulent que je leur faffe tenir les exemplaires
des diftributions. On les fera parvenir
gratis à Paris feulement , qui eft
l'endroit où l'on a ſouſcrit ; mais partout
ailleurs , vous aurez la bonté de payer le
port depuis Paris jufqu'au lieu indiqué ,
à moins que ce fût fur la route de cette
Ville ; pour lors il ne vous en coûteroit
rien , comme fi vous les receviez à Paris.
Je vous prie auffi , Meffieurs , de préſenter
à ceux qui vous remettront les Planches ,
vos Billets, qu'on échangera par des nouveaux
, fignés Gautier, qui vous affureront
les deux diftributions fuivantes; & les perfonnes
qui ont des Billets du Supplément
& de la feconde Edition , enfemble , on
leur donnera deux Billets féparés , l'um
164 MERCURE DE FRANCE.
ร์
pour les diftributions à recevoir du Supple
ment , & l'autre pour la feconde Edition ,
a
A l'égard des perfonnes qui n'ont point
fouferit & qui veulent profiter du courant
des diftributions,ils pouront le faire depuis
Ja premiere diftribution jufqu'à la feconde ;
paffé lequel tems , ils ne feront plus reçus
à foufcrire. Ils auront la bonté de s'adreffer
à Marseille , chez moi , & d'affranchir
la Lettre ; je leur ferai tenir les Planches ' ,
comme aux précédens Soufcripteurs ; &
ils payeront de la façon qu'on a dit cideffus.
Ils pourront le faire de même aux
adreffes fuivantes :
A Marfeille , chez J. B. FERAUD , Négociant
, rue Caifferie.
A Paris , chez M. Le Roi , Bijoutier ,
vis- à - vis la Comédie Françoife , qui indiquera
l'endroit des diftributions .
A Amfterdam , chez MARC-MICHEL
REY, Libraire.
Les Soufcripteurs n'ontpayé & ne payɛ-
Tent que 84 liv ; mais ceux qui n'ont pas
fouferit , payeront 108 liv.
Je crois , Meffieurs , qu'il a fallu entrer
dans tous ces détails , & que m'intéreffant
à M. Gautier & à fes talens ; je devois
OCTOBRE. 1966. 165
Yous avertir de fon, exactitude à remplir
fes engagemens pour les ouvrages qu'il
promet , & vous prier de l'excufer du retard
de temps pour ces diftributions , parce
que cela n'a pas dépendu de lui. Je
fuis témoin des peines & des travaux confidérables
qu'il a faits dans les Piéces
Anatomiques que je vous préfente , fans
parler de ceux qu'il avoit déjà faits à Paris
pour la même entrepriſe. J'ai l'honneur
d'être , &c. J. B. FERAUD.
TABLE GEOMETRIQUE concernant la
Multiplication de tous les Nombres ,
depuis 1 jufqu'à 100 , par M. Du-
FOUR , ancien S. Ingénieur des Ponts
& Chauffées , & Profeffeur de Mathé
matiques,
A
L'EXPÉRI 'EXPÉRIENCE fucceffive , que nous ont
procuré les différens Eléves que nous
avons eu occafion d'inftruire & de former
dans le Calcul numérique & Algébrique
( premier pas de ceux qui fe vouent aux
Arts libéraux , lorfqu'ils font parvenus à
la Multiplication ) nous ayant déterminé
à compofer une Table Géométrique qui
166 MERCURE DE FRANCE.
préfentât au premier afpect le réfultar
de la Multiplication de tous les nombres
depuis 1 jufqu'à 100 , par tel nombre intermédiaire
& à volonté de cette progreffion
; nous avons penſé ne pouvoir
trop tôt élaguer les difficultés , en préfentant
cette Table Géométrique , dans
laquelle on trouvera fans peine les produits
quarrés des cent nombres généra
teurs , & les 4950 produits rectangulaires
contenus en soso carreaux qui forment
un triangle rectangle qui a 100 pour baſe
& 100 pour hauteur.
Cette Table eft compofée de 4 Planches
, qui fe raffemblent en une feule , en
réuniffant le texte qui fait la tête des
deux premieres Planches , & celui qui
termine les deux dernieres.
?
L'Auteur de cette Table , n'ayant eu
en vue que l'utilité du Public , n'a rien
épargné pour fon exécution ; pour cela , il
l'a fait graver en Langue Françoife & Al
lemande imprimer fur papier nom
de Jefus , & fous plufieurs formats ; le
premier en quatre feuilles féparées ,
coûtera 2 1. 8 f. le deuxième en 4 feuil
les collées enſemble , 2 l . 12 f; le troifiéme
en 4 feuilles collées fur toile avec
bordure bleue , 41. 4 f; & le quatrième
relié en bazane grand in - 4°. avec onglets,
31.10 f.
·
OCTOBRE. 1780. 767
Les Etrangers qui defireront fe procurer
ces Tables , pourront s'adreffer à
Paris au feur Brocas , Libraire , rue S.
Jacques , au Chef S. Jean , & au fieur
Gautier , débitant la nouvelle Carte de
France , Cloître S. Honoré , en fpécifiant
leur adreffe , en affranchiffant leurs lettres
& le port de l'argent relatif aux chofes
demandées , & déterminant le moyen
de les leur faire parvenir. Les Perfonnes
de Paris , en trouveront dans tous les
mêmes formats , chez les perfonnes cidevant
indiquées , & chez l'Auteur , rue
de la Harpe , maifon de M. Blondel , Architecte
du Roi . Les envois fuivront immédiatement
la réception des demandes.
Les deux formats, collés fur toile & in.
4° . feront les plus convenables dans les
Bureaux & Cabinets.
ARTS AGRÉABLES.
GRAVURE.
Les quatre premieres Eſtampes de la
LESEs
fuite des Ports de France ( peints par M.
Vernet ) , gravées par MM. Cochin & le
Bas , commenceront à être délivrées le
10 Octobre 1760 , chez M. Chardin ,
168 MERCURE DE FRANCE.
Peintre du Roi , Confeiller & Tréforier
de l'Académie Royale de Peinture & de
Sculpture , aux Galeries du Louvre.
C'eft avec le plus grand déplaifir que
les Graveurs fe font vus forcés de retarder
cette livraifon jufqu'à ce temps. Ils
efpérent cependant que le travail foigné
que l'on appercevra dans ces Eftampes ,
les juftifiera.
Ils propofent, en même temps , une ſeconde
Soufcription pour les quatre Eftampes
fuivantes. Dans la reconnoiffance de
Soufcription qu'ils fourniront , ils ne s'engageront
à les livrer qu'au mois de Décembre
de l'année 1761. Ils peuvent d'autant
plus s'aflurer de tenir cette promeſſe ,
que ces quatre planches font déja commencées
, & qu'il y en a deux qui font
prèfque gravées à l'eau forte. Cependant
l'expérience leur a trop appris les difficultés
de cet Ouvrage , pour ne pas les rendre
timides fur les engagemens qu'ils
contractent , & les oblige de prévenir
que , quoiqu'ils prennent plus de temps.
qu'ils ne le jugent néceffaire, néanmoins ils:
efpérent encore de l'indulgence du Public ,
s'il arrivoit qu'ils ne puffent pas remplir
leur promeffe avec une entiere exactitude .
On ne peut graver ces Tableaux , qu'en
lés regardant dans un miroir & par petites
parties ,
OCTOBRE. 1760. 169
parties , ce qui empêche d'en juger l'accord
général ; & les améliorations néceffaires
, pour conduire à l'effet total , entraînent
quelquefois des retards de plufieurs
mois qu'on ne peut prévoir , ainfi
qu'il eft arrivé à l'égard des premieres.
En recevant les Eftampes , on donnera
les fix livres reftantes du prix de la
premiere Soufcription . Les perfonnes qui
voudront continuer à foufcrire , donneront
douze livres à compte fur les quatre
Estampes fuivantes , ainfi qu'il a été annoncé
par le Profpecus.
Les Graveurs avertiffent , qu'étant engagés
à recevoir de préférence les Soufcriptions
de ceux, qui leur feront l'honneur
de continuer , & le nombre des Soufcriptions
étant affez confidérable pour ne
pouvoir être augmenté , fans rifquer que
quelques uns d'entr'eux n'euflent des
épreuves moins belles ; ils n'accepteront
de nouveaux Soufcripteurs que deux mois
après l'ouverture de cette livraiſon , &
feulement pour remplacer ceux qui pourroient
s'être retirés.
·
Les quatre Eftampes pour lefquelles on
propofe de foufcrire de nouveau , ſont :
1°. Le Port d'Antibes en Provence , vû
du côté de la terre. Comme cette place
eft frontière , le devant du Tableau pré-
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE:
fente des Troupes qui y vont en garnl
fon. La campagne eft enrichie d'Orangers
& de Palmiers , qui font affez communs
dans cette Province. On y voit les Alpes
encore couvertes de neige. La vue des
montagnes du fonds , eft depuis Nice &
Villefranche , jufqu'à S. Remo . L'heure
du jour eft , au coucher du Soleil.
2 °. Le Port vieux de Toulon . La vue
en eft priſe du côté du Magafin aux vivres
, & le devant du Tableau eft orné
de l'embarquement qui s'eft fait pour les
Vaiffeaux du Roi : on voit dans le fonds
une partie du Port neuf. L'heure du jour
eft , au coucher du Soleil .
3 °. La vue de la Ville & de la rade de
Toulon , prife d'une maison de campagne
à mi- côté de la montagne, qui eft derriere
la Ville . On y a repréfenté les amufemens
des Habitans. L'heure du jour eft,
le matin .
4°. La vue du Port de Cette en Languedoc
, prife du côté de la Mer , derriere
la jettée ifolée . On y a repréſenté un
temps orageux , avec des bâtimens qui
font une manoeuvre extraordinaire , mais
convenable , pour l'entrée de ce Port , &
au vent par lequel ils entrent. Sur le devant
un Brigantin Malthois prend le parti
d'échouer , & fait une manoeuvre en conOCTOBRE.
1766 171
Téquence. L'heure eft , vers les dix heures
du matin.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
PERMETTEZ - moi , Monfieur , de me
plaindre à vous d'un Avis au Public , inféré
dans le Mercure d'Août , page 209 ,
oùfur la foi d'un prétendu Certificat qui
n'eft ni vrai , ni vraisemblable , on fuppofe
que je ne fuis pas l'Auteur d'un Livre
intitulé l'Art du Chant.
1º. Ce Certificat eft figné , PENOL ; &
il eft certain qu'il n'y a point d'Avocat au
Confeil qui porte ce nom.
2 °. L'Avocat au Confeil qui occupoit
contre moi pour le fieur Blanchet , fe
nomme PERROT ; mais comment M° .
Perrot auroit - il ofé attefter des faits auffi
faux , que ceux qui font contenus dans
fon Certificat ? Comment pourroit - il
dire qu'il ne s'agiffoit point entre le fieur
Blanchet & moi , de fçavoir quel étoit le
véritable Auteur de l'Art du Chant ?
Pour trancher toute difficulté fur ce
point , Monfieur , je vous envoie la groffe
de l'Arrêt du 2 Mai 1757 , dans lequel
Vous verrez » que le Confeil déclare nul
Hij
172 MERCURE DE FRANCE:
ود
»te privilégefurpris par le fieur Blanchet
»pour l'Art du Chant , lui fait défenfe
» de s'en fervir à peine d'amende , dé-
» clare les Exemplaires par moi faifis ,
confifqués à mon profit ; & condamne
» ledit Blanchet en 100 l. de dommages
n & intérêts envers moi & aux dépens :
Ordonne que l'Arrêt fera publié & affiché
par tout où befoin fera.
2
Après cela , Monfieur , je crois pouvoir
dire que c'eft au Public éclairé & impara
tial d'apprécier les raifons , fur lesquelles fe
fonde le fieur Blanchet. La Préface dans
laquelle il les expofe , eft un tiffu d'injures
& de menfonges , auxquelles je
rougirois de répondre.
J'ai l'honneur d'être , &c.
BERARDA
OCTOBRE. 1780. 173
TYPOGRAPHIE.
GRAVURE.
FABLES DE J. DE LA FONTAINE
Nouvelle Edition , grand in-folio en
4 volumes , ornée de fleurons , culs- delampe
, enrichie de 276 Eftampes de
même format , & dédiée au Roi. Quaariéme
& dernier Volume . A Paris , chez
Defaint & Saillant , rue S. Jean de
Beauvais , Durand , rue du Foin , en
entrant par la rue S. Jacques. Avec
Approbation & Privilége du Roi.
V OICI le quatriéme & dernier Volume
de cette Edition célébre , qu'on attend
depuis fi long-temps. C'eft la fin d'un Ouvrage
qui a coûté vingt années de travaux
affidus , partagées entre la compofition
des Sujets , & l'exécution d'une entreprise
que la Typographie & le Deffein
fe font tour - à- tour difputés le mérite
d'orner & d'embellir de toutes les reffources
de l'Art & du goût. *
* Nous apprenons que cette Edition va deve
nir d'autant plus précieuſe qu'après avoir fait tirer
un certain nombre d'Exemplaires , on va faire
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
Ce long intervalle paroîtra fans doute
bien confidérable à ceux qui ne voient ,
dans ce Livre , qu'une nouvelle Édition
d'un Ouvrage répandu dans toute l'Europe
, & multiplié fous toutes les formes de
la Bibliographie ordinaire. Mais les Curieux
, capables d'apprécier chaque partie
, de connoître les procédés des Arts
& l'exécution entiere du corps de l'Ouvrage
, loin d'avoir les mêmes idées , feront
fans doute plus furpris de le voir
conduit auffi heureuſement à fa fin , que
du temps qui y a été employé. Combien
de travaux différens n'a- t- il pas en effet
fallu réunir ? Peinture , Deffein , Gravure
en Taille- douce , Gravure en bois , fonte
de Caractéres , fabrication de papier, impreffion
de Caractéres , impreffion en
Taille-douce : tous ces Arts différens ont
été appellés , & mis en oeuvre par les
Maîtres les plus fameux , chacun dans
Ieur genre.
dorer les planches ( ce qui les met hors d'état de
fervir ) & les dépoſer ainfi , comme un monument
à la gloire des Arts , à la Bibliothèque &
dans le Cabinet du Roi. Ainfi cet Ouvrage ne
fera pas du nombre de ceux qui s'aviliffent à la
fuite des temps, par la multiplicité des mauvaiſes
épreuves. Les Exemplaires en deviendront vrai
femblablement très-rares, avant qu'il foir peu
OCTOBRE. 1960. 175
Après avoir confulté les Editions les
plus fûres , & corrigé avec le plus grand
foin le Texte défiguré partout , M. de
Montenault eft entré dans les plus petits
détails d'exécution qui pouvoient former
un bel enfemble. Caractéres , réglets ,
grandes lettres , efpaces , interlignes ,
hauteur & largeur des pages &c . grandeur
des fleurons , cul-de lampe , rien n'a été
oublié , jufques à la relation de grandeur
que devoient conferver les objets les uns
par rapport aux autres.
Ce dernier article eft un mérite toutà-
fait particulier à cette Edition , auquel
peu de gens portent leur attention , mais
qui n'a point échappé aux Connoiffeurs.
en effet rien de fi bifarre , de fi difparate ,
& de fi opposé à l'unité d'un ouvrage ,
que de voir dans le même Livre , & quelquefois
dans la même Planche , des figu
res d'une grandeur tout- à- fait difpropor
tionnée au rapport qu'elles doivent avoir
entr'elles , ou avec les objets qui les accompagnent
, & qui leur font acceffoires.
Tel eft cépendant le défaut d'analogie
, & la difparité qu'on remarque généralement
dans toutes les Éditions de ce
genre !
Pour peu qu'on foit au fait des Arts ,
on fentira la difficulté de les faire már-
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
cher enfemble , & quelles font les recherches
, les combinaifons & l'application
continuelle , qu'il a fallu apporter à la
conduite & à l'exécution de cet Ouvrage.
Auffi eft- le fruit d'une conftance &
d'un courage qui n'a guères d'exemple ,
& que les obftacles & les difficultés de
toute efpéce , n'ont pu abattre ni rallentir.
Cette entreprife , on le fçait , dégagée
de toutes vues mercenaires , confacrée à
la gloire du régne de Sa Majefté , faite
par un Amateur qui a oublié les risques de
fa fortune , & qui s'eſt oublié lui-même ,
n'a eu pour objet d'émulation que l'Amour
des Lettres & des Arts.
Il ne s'agit donc point du texte purement
des Fables , ouvrage immortel qui
ne fçauroit changer de nature par aucun
ornement étranger ; mais d'une production
Typographique , capable de les mettre
dans tout leur jour , & qui nous retraçât
, pour ainsi dire , dans une nouvelle
langue , & par des impreffions neuves ,
le texte & l'originalité d'un Auteur qu'on
ne fçauroit trop célébrer,
L'Éditeur a donc eu pour but de réunir
les efforts & le mérite des Arts agréables,
propres à former l'Edition la plus parfaite
, & à remplir les intentions de 444
OCTOBRE. 1760. 177
FONTAINE qui defiroit , comme il s'en explique
lui-même dans les premieres Éditions
, de voir fes Fables accompagnées
de deffeins. Aucunes Eftampes ne pouvoient
remplir plus dignement ce projet,
ni mieux faire remarquer les progrès des.
Arts que celles dont cette Edition eft ornée.
Elles peuvent figurer fous des bordures
dans les plus beaux Cabinets * ; &
M. de Montenault a procuré au Public ,
fans s'en appercevoir , un avantage toutà-
fait étranger aux Ouvrages de ce genre
& qu'on n'a pas coutume d'y chercher ;
c'est l'utilité qu'on peut retirer de la vaſte
collection de fujets , qui compofent ces
Fables. Ils font tellement connus & traités
avec tant d'intelligence & de goût ,
qu'ils fe trouvent déjà exécutés en partie
fur les tapifferies , fauteuils , meubles ,
deffus de portes , peintures de boiferies ,
Pour fatisfaire l'empreffement.& le goût de
plufieurs Curieux , M. de Montenault a bien
voulu avoir la complaifance de laiffer vendre
quelques corps d'Eſtampes féparément du Texte
, & d'accorder environ un quart de diminution
fur le prix de cette Collection composée de
.276 Eftampes , dont les Exemplaires valent comme
on le fçait , Sçavoir ,
très- grand papier
Le grand papier ..
papier ordinaire
·
400 liv.
348 liv.
300.liv.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
&c. Les Orfévres & Bijoutiers les préfé
rent tous les jours aux compofitions bizarres
, aufquelles ils ont ordinairement
recours pour l'ornement de la vaiffelle
& des bijoux en or ; & plufieurs équipages
des plus riches , portent déjà les livrées
de cette Edition. * Rien ne fauroit
en faire un plus grand éloge , & n'eft
plus capable de faire connoître la relation
que les belles chofes ont toujours
avec l'utilité générale , quelqu'éloignés
qu'en puffent paroître les rapports avant
l'exécution . La grandeur du format a naturellement
concouru à cet avantage ,
qu'on n'auroit pû retirer de petites vignettes
& planches , où le trait , le détail
des parties , l'effet & la correction
ne peuvent être au plus qu'indiqués fans
précifion & fans jufteffe.
Ceux qui par les bornes de leur goûr
& de leurs lumieres ne fentiroient point
le prix ni la beauté de cet Ouvrage , auroient
tort de rechercher cette Edition
* M. Bachelier , de l'Académie Royale de
Peinture & Sculpture , Inventeur des fleurons &
culs- de- lampe de cette Edition , les a fait exécuter
fur un fervice de porcelaine , fait pour Sa
Majefté , à la Manufacture Royale de Séve , dont
il est le Directeur quant à la partie des fleurs
& du deffein,
OCTOBRE. 1760. 179
qui n'eft point faite pour leurs yeux : ils
peuvent fe fatisfaire à peu de frais ; &
I'Exemplaire des Fables le plus fimple ,
leur fuffit . S'ils vont un peu plus loin ,
ils feront contens de quelques Editions
anciennes , ornées de petits deffeins auffi
mauvais que mal exécutés.
C'eft en abufant de cette ignorance
que des Libraires avides , viennent de
copier & de contrefaire à Dreſde & à
Leyde , par deux Editions différentes in-
8°, celle de Paris. Ils fe croyent fi affurés
de l'accueil des demi- connoiffeurs &
des curieux ordinaires , qu'après avoir mis
en parallele leurs Editions avec celle - ci ,
ils ne craignent point d'exalter la fupériorité
de leurs médiocres copies , & de
les faire prévaloir par la commodité du
format , par la fuppreffion de quelques
prétendues négligences , & par la modicité
du prix. Il eft tel cependant , que ,
proportion gardée avec ce qu'a couté
l'Edition de Paris , ces contrefactions fe
trouvent d'un prix autant au - deffus de
la valeur de l'Original , qu'elles lui font
inférieures à tous égards pour l'exécution
; fans compter la fuppreffion de
plufieurs fujets dont ces Libraires ont
fait un objet d'épargne. * S'ils nous fa-
* Suivant les Profpectus répandus par ces Li-
H vi
[180 MERCURE DE FRANCE.
vent mauvais gré de ces obſervations , le
Public éclairé doit au moins nous tenir
compte de chercher à le garantir
d'une furpriſe qu'il eft de notre devoir
de prévenir ; pour qu'un ouvrage , digne
d'immortalifer les preffes Françoiſes , &
qui fait autant d'honneur à la Nation , ne
fe trouve point confondu avec des productions
communes, aufquelles s'ajuſte ſi
bien la Eable du Geai paré des plumes
du Paon .
-braires,cesEditions valoient par foufcription 8 ducats
, &maintenant 10 ducats , ce qui repréſente
à- peu- près 120 liv. de notte monnoie : cependant
la dépenfe de ces contrefactions évaluéechérement,
ne peut monter à plus d'un cinquième de la
valeur de l'Original , dont l'Exemplaire , papier
ordinaire , n'eft que de 300 liv. Or ces copies , en
gardant une jufte proportion , ne devroient être
vendues que 60 liv . Leur prix eft donc au double
de celui de l'Edition de Paris.
OCTOBRE. 1760. 181
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
OPERA.
LE Mardi , 16 Septembre , l'Académie
Royale de Mufique a donné la premiere
repréſentation du PRINCE DE NOIsı , Ballet
héroïque , Poëme de feu M. de la
Bruere , mis en Mufique par MM . Rebel
& Francoeur, Surintendans de la Mufique
de S. M. & Directeurs de l'Académie
Royale de Mufique . Cet Opéra avoit été
repréſenté , pour la premiere fois , devant
le Roi , fur le Théâtre des petits Appar
temens à Verſailles , le 13 Mars 1749
remis fur le même Théâtre , le 10 Mars
1750 ; & repris , pour la troifiéme fois ,
fur le Théâtre de Bellevue , auffi en préfence
du Roi , le 17 Mai 1752. Nous
en rendrons compte dans le fecond Volume
de ce mois.
Le début de Mlle Rozet , fait concevoir
les plus hautes refpérances. Sa voix
eft belle , grande , elle prononce , & les
cadences font brillantes.
182 MERCURE DE FRANCE.
COMEDIE FRANÇOISE.
3 L. Mercredi , Septembre , les Comédiens
François ont donné la premiere
repréſentation de TANCREDE, Tragédie de
M. de Voltaire. L'intérêt répandu dans
cet Ouvrage , & furtout dans les trois
derniers Actes , femble fe renouveller &
s'accroître à chaque repréfentation . Les
fituations variées où fe trouve Aménaïde ,
( l'héroïne de la Piéce ) font on ne peut
pas plus touchantes ; & ce rôle , joué
par Mile Clairon , a produit le plus grand
effet. On n'a point d'idée de l'intelligence
& de la maniere fublime avec lefquelles
elle l'a rendu , ni des mouvemens divers
qu'elle excite dans l'âme du Spectateur.
Ćette Piéce eft généralement bien jonée.
On ne peut trop louer les foins que les Comediens
ont pris pour rendre ce Spectacle
véritablement fuperbe , & l'illufion
faite .
par-
Nous parlerons plus amplement de cet
te Tragédie , lorfqu'elle fera imprimée.
OCTOBRE. 1760. 183
COMEDIE ITALIENNE.
Le Lundi , 15 Septembre , on donna
la premiere repréſentation de Barbacole,
ou le Manufcrit volé , Comédie nouvelle
en un Acte , en vers , & mêlée d'Ariettes.
Quoiqu'on y ait trouvé quelques Airs
agréables , elle a peu réuffi. On donna
le Samedi 20 , la premiere repréfentation
de l'Ecoffoife , Comédie déjà jouée
en Profe au Théâtre François , & mife en
Vers par M. de la Grange , Auteur des
Contretems. La Piéce a été bien jouée , &
reçue favorablement . Mlle Catinon , chargée
du rôle de Lindane , a prononcé ,
avant la Piéce, le Compliment ci- deffous :
MESESSISIEEUURS ,
» Ofer remettre fous vos yeux un Dra-
" me que le premier Théâtre du Monde
"vous a déjà préfenté, avec fes fuccès ordinaires
, eft une entrepriſe dont nous
» ne pouvons nous diffimuler le danger.
» Il femble que , féduits par quelques
» applaudiffemens dont vos bontés dai-
" gnent chaque jour encourager notre
184 MERCURE DE FRANCE:
ود
» foibleffé , nous veuillons entrer en
concurrence avec la Scène Françoife.
» Non , Meffieurs , cet efprit de rivalité
ne nous amène pas aujourd'hui devant
vous : l'ambition de, vous plaire nous
» anime feule ; & nous ne craignons , à
cet égard , aucune fupériorité. Nous
» avons cru qu'un Ouvrage , qui avoit
» déjà pû vous.amufer , pourroit , à la
» faveur du langage de la Poëfie , piquer
encore votre curiofité. Cet éfpoir nous
a fait étouffer la voix de l'amour- pro-
» pre , qui ne pourra que fouffrir beaucoup
de la comparaifon , fi , touchés
» de notre zéle , vous ne daignez , Melfieurs
, pour quelques momens, oublier
nos modéles. J'ai fans doute à craindre
plus particulierement cette comparai-
»fon; & je fens que je n'ai jamais eu tant
befoin de votre indulgence.
E
OPERA - CO MIQUE.
LF 4 Septembre , on y donna la premiere
repréfentation de l'Ecoffeufe , Parodie
de l'Ecoffoife..
Le 19 , on joua les nouveaux Calotins
Cette Piéce fut donnée en 1721 , fous le
itre du Régiment de la Calotte, par MM.
OCTOBRE. 1760 . 185
"Ze Sage & d'Orneval. Les Scènes de Dorimene
avec fon Muficien , & de Pantalon
, Député de la Comédie Italienne ,
font les mêmes preuve incontestable
que les circonftances des mêmes ridicules
& des mêmes folies fe ramènent dans
un cercle de temps bien court ! Elle eſt
plaifante , quoiqu'un peu trop critique ,
& a reçu beaucoup d'applaudiffemens.
CONCERT SPIRITUEL.
LE Concert exécuté aux Tuilleries le
jour de la Fête de la NATIVITÉ de la Vierge
, a commencé par une fymphonie
fuivie de Cantate Domino, Motet à grand
choeur de Lalande. Mlle Rozet y a chanté
le récit Viderunt. Elle a eu les mêmes
applaudiffemens qu'à l'Opéra , où elle a
débuté nouvellement.
M. Balbâtre a joué un Concerto d'orgue
, de fa compofition.
Mlle Fel à chanté un petit Motet dans
le goût Italien , avec le naturel , la légereté
& les graces qu'on defire trouver
dans les autres Cantatrices.
Ce Concert a fini par Nifi Dominus,
Motet à grand choeur de M. Mondonville
, dans lequel il a fait des change186
MERCURE DE FRANCE.
mens, qui ont été fentis , particulierement
des connoiffeurs , & applaudis de tout le
monde. MM. Larrivée & Défintis y ont
chanté , & ont fait beaucoup de plaifir ,
fur-tout dans le Duo.
AVIS AU PUBLIC.
M. O Reilly , dont les deux premiers
cours de Langue Angloife ont eu le
plus grand fuccès , en ouvrira un nouveau
le 15 de ce mois. On y donnera des
leçons fur la prononciation & fur les propriétés
de la Langue Angloife , depuis
neuf heures du matin jufqu'à dix , le Mardi
, le Jeudi & le Samedi de chaque fe
maine , pendant trois mois. Ceux qui
voudront en profiter , pourront fuivre
un fecond & un troifiéme Cours , fans
aucuns frais , fi , contre toute attents ,
premier ne leur fuffit pas. On s'adrefera
pour fe faire infcrire , chez M. O Reilly',
tue Hautefeuille , au coin de la rue Ser
pente.
le
*
OCTOBRE. 1760. 187
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES
De PETERSBOURG , le premier Août 1760 .
LEE
Comte de Galitzin , nommé Ambaſſadeur
à la Cour de France , fe difpofe à partir inceffamment
pour fe rendre à fa deſtination .
De VIENNE , le 7 Septembre.
On apprend de Conftantinople, que les Hofpodas
de Valachie & de Moldavie ont reçu de la
Porte l'inveftiture de ces Principautés. Le Bacha
d'Iconium , ayant reçu l'ordre de venir rendre
compte de fa conduite au Grand- Seigneur , s'eft
révoltés il est à la tête de vingt mille hommes,
& il met à contribution les Pays voifins de fon
Gouvernement . On a délibéré dans un Divan
extraordinaire fur les moyens d'étouffer une
rebellion qui peut avoir de dangereufes fuites .
On a reffenti le 13 , vers les fept heures du
foir , une fecouffe de tremblement de terre ; mais
elle a été fort légére , & n'a caufé aucun dommage.
La Cour a reçu du Maréchal Comte de Daun
les détails fuivans de l'action paffée entre le
Corps du Baron de Laudon & l'Armée Pruffienne,
Ce Général , fe conformant aux ordres du
Comte de Daun , s'étoit mis en mouvement le
14 au foir , & il avoit paffé le Katzbach près de
Forthmuhle. L'avant-garde compofće de huis
188 MERCURE DE FRANCE.
'bataillons & de deux regimens de Cavalerie, étoit
commandée par le Général Baron de Wolfersdorff.
On marcha une partie de la nuit en fe dirigeant
vers les hauteurs de Banthen , où l'on devoit
le former pour attaquer le flane gauche de
l'Armée Pruffienne. Les deux bataillons des Grenadiers
de Laudon , qui formoient la tête de la
marche, rencontrerent en y arrivant , le régiment
des Huffards de Ziethen , qui fe retira avec
précipitation. Le Baron de Laudon fit alors hâter
la marche du refte de fon Corps pour s'affurer de
ces hauteurs , mais on s'apperçut , à la pointe du
jour , qu'elles étoient occupées par beaucoup d'Infanterie
& de Cavalerie Pruffienne. Il n'étoit plus
poffible d'éviter un combat ; ainfi l'ordre fut auffitôt
donné pour attaquer , & on le fit avec tant
de fuccès , que l'Ennemi fut obligé d'abandonner
ce poſte avec toute fon artillerie. Le Baron de
Laudon faifoit fes difpofitions pour profiter de cet
avantage , lorfque l'Armée Pruffienne , qui s'étoit
formée derriere le bois d'Humelen , marcha
pour l'attaquer. Le combat recommença avec la
plus grande vivacité , & devint général ; mais le
Baron de Laudon s'étant apperçu vers les fix
heures du matin qu'il avoit à foutenir l'effort de
toute l'Armée Pruſſienne , ordonna la retraite qui
fe fit fans précipitation , & avec la contenance la
plus ferme. Les deux bataillons des Grenadiers
de Laudon protégerent cette retraite en occupant
des hauteurs de Binowitz . Le Colonel de Rouvroi
y conduit l'artillerie , & il s'en fervit avec tant
d'habileté que les Corps Pruffiens , qui avoient été
détachés à notre pourſuite , furent contraints de
fe retirer .
Toutes les troupes fe font comportées dans
cette action avec la plus grande valeur, & la perte
de l'Ennemi ne peut être que fort confidérable.
OCTOBRE . 1760? 189
Les patrouilles envoyées le lendemain fur le
champ de bataille ont rapporté qu'il y avoir eu
deux Régimens Pruffiens prèfqu'entierement détruits.
Nous avons fait quantité de prifonniers
parmi lesquels font un Colonel , un Major , plufieurs
Capitaines & autres Officiers de moindre
grade.
Suivant l'état dreffé après cette affaire , nous
avons eu quatorze cens vingt & un hommes de
tués , & deux mille trois cens foixante & dix de
bleffés. Le nombre des manquans étoit de deux
mille cent quarante ; mais un grand nombre
de ces derniers rejoignent fucceffivement leurs
Corps.
Les Lieutenans- Généraux de Drafkowitz & de
Campitelli ont été bleffés ainsi que les Généraux-
Majors de Giannini,de Calemberg, de Gourcy & de
Rebbach. Le Baron de Biela & le Comte de Gondrecour,
Généraux- Majors, ont été faits prifonniers.
L'Armée du Prince Henri a fait un mouvement
depuis peu , pour fe réunir à celle du Ro
de Pruffe. Un corps de Troupes détaché de la
premiere , fous le commandement du Général
de Goltze , a paffé l'Oder à Koben . Son arrieregarde
a été attaquée par le Général de Tottleben ,
& elle a été fort maltraitée . On attend les détails
de cette petite action . Les Rufles font actuellement
dans les environs d'Herrenftadt, & leurs troupes
légéres s'étendent du côté de Wintzig & de Wohlau.
Le Général- Major de Gribauval fe rendit, le
23 du mois dernier , devant Schweidnitz , pour
diriger les opérations du fiége de cette Place.
L'Artillerie néceffaire partit le 21 , des environs
d'Olmutz. On a conduit ici depuis quelquesjours ,
fous fûre garde , un homme qui travailloit à exci
ter quelques mouvemens dans la Hongrie..
い
190 MERCURE DE FRANCE
On hâre les préparatifs des fêtes qui doivent
être exécutées à l'occafion du mariage de l'Archiduc.
Le Feld- Maréchal Prince de Lichtenſten ,
Grand- Maître de l'Artillerie , doit être à Parme
depuis le premier de ce mois. La plus grande partie
de la Maifon de la future Archiduchelle eſt en
chemin pour s'y rendre.
De l'Armée de l'Empire , le 21 Août.
Le Feld-Maréchal Prince de Deux -Ponts , ayant
réfolu d'obligerles Pruffiens à quitter les environs
de Drefde , fit avancer , dès le de ce mois , le
Prince de Stolberg avec la réferve à Keffeldorff.
Le Général de Weczey fe porta avec les troupes
Jégéres à Wilfdruff , d'où il étendit les poftes jufqu'à
Weiffdrop & Lamperfdorff. En même temps
le Général de Klééfeld marcha de Freyberg à Auguftulberg
, & il fit occuper par des détachemens
Roffwein & Seligenstadt . Ces difpofitions obligerent
les Pruffiens à fe retirer de la Ville de Noffen .
Il ne fe fit le 10 & le 11 aucun mouvement confidérable
, les poftes que nous avions du côté de
Seligenstadt furent attaqués par un Corps de Huffards
& de Dragons Pruffiens ; mais il fut repous
fé & fuivi jufqu'à Windifchbora ; l'on fit dans cetteoccafion
plufieurs prifonniers. Le pofte de Roffwein
fut attaqué le 11 par des forces fupérieures ,
& nos troupes furent obligées de fe replier. Mais
les Pruffiens , après avoir exigé des contributions
de cette petite ville , l'abandonnerent la nuit fuivante
; & nous y rentrâmes auffitôt . On eut avis
le même jour , que les ennemis raffembloient
au- deffous de leur Camp un grand nombre de
bateaux ; ce qui détermina le Prince de Deux-
Ponts à renforcer par un Corps de Grenadiers
& de Huffards le Colonel de Zetwitz , qui étoit
chargé de garder , avec les Bannaliſtes , la rive
OCTOBRE. 1760 191
droite de l'Elbe . On apprit que le fieur de Graven ,
Colonel dans le Régiment de Baroniai , avoit
marché de Gera à Naumbourg , & qu'à ſon approche
, le Colonel de Salemon s'étoit replie
fur Léipfick , & le Capitaine Kowars ſur Merſe
bourg.
L'Armée eut ordre , le 12 au foir , de fe tenir
prête à marcher. Les Grenadiers & les Carabiniers
, avec l'artillerie de réſerve , fe mirent en
mouvement , à l'entrée de la nuit , fous les ordres
du Lieutenant Général Comte de Guafco.
L'Armée décampa de Plawen , le 13 à la pointe
du jour , & marcha vers Meiffen . Elle établit fon
camp près de Reiodorff, fa droite appuyée à
Conitabel , & fa gauche à Sora . Le corps du
Général de Guafco prit pofte entre Seligenstadt
& Burckerswalde . Le Prince de Deux-Ponts fit
en même temps attaquer les poftes avancés des
ennemis par la réſerve du Général Prince de
Stolberg. Cette attaque eut tout le fuccès qu'on
pouvoit defirer. On délogea les Pruffiens des hauteurs
de Polentz & de Sihenrichen , & on les
pouffa jufqu'aux Fauxbourgs de Meiffen.Le Géné
ral Klééfeld chaffa auffi les ennemis des retran--
chemens qu'ils occupoient du côté d'Auguſtuſberg
, & il les repouffa jufqu'à Katzenhaufen :
pendant qu'on exécutoit ces attaques à la gauche
de l'Elbe , le Colonel de Zetwitz fe pofta fur la
droite à Alten- Clofter au - deffous du camp des
Ennemis , & il brûla les bateaux qu'ils y avoient
raffemblés . Il s'en trouva plufieurs qui venoient
d'arriver de Torgau , & qui étoient chargés de
vivres & de munitions de guerre. On continua ,
le 14 , de pouffer les Pruffiens de pofte en pofte ,
ils furent délogés des hauteurs de Katzenhaufen,
ainfi que des Villages de Miltitz , de Sopen & de
Gregitz , & ils le retirerent dans leur camp re
91 MERCURE DE FRANCE
tranché entre Lotayn & Meyffen, L'Armée occur
pa le pofte de Katzenhaufen , & le quartier général
fut établi à Haynitz. La Ville de Meiffen
fut évacuée , & nous en prîmes poffeffion . On y
trouva un magazin confidérable & beaucoup d'armes
. Un des fauxbourgs avoit été brûlé la veille ,
par ordre du Commandant Pruffien .
L'armée ne fit aucun mouvement le rs & le 16;
le Maréchal Prince de Deux - Ponts alla reconnoître
le Camp Pruffien , & il en trouva la poſition extrêmement
avantageufe. La difficulté de le forcer
lui fit prendre la réfolution d'en déloger l'ennemi
, en lui coupant fes communications ; dans ce
deffein il pouffa le corps de réſerve en avant juſqu'à
Giezenhayn fur le chemin de Lomatfch. Ce
mouvement détermina le Général Hulsen à quitter
fa pofition. L'Armée Pruffienne détendit fon
camp à dix heures du foir . Elle marcha toure
la nuit par Nieder-Miltitz , & par Welfch , &
elle alla camper entre Riefa & Brauffnitz. Auffitôt
qu'on eut avis de fa retraite , les troupes légéres
& quelques détachemens de Cavalerie furent
envoyés à fa pourſuite. On amena plufieurs
prifonniers avec quelques chevaux . Le Colonel
Zetwitz continua , le même jour , de marcher
le long de la rive droite de l'Elbe ; il fe porta de
de Wienbiehla à Zahdel , où il brûla encore fix
bateaux qui venoient de Torgau chargés de vivres
& de fourages pour l'Armée Pruffienne. Il y eur ,
près de Waldheim , une vive efcarmouche entre un
gros détachement Pruffien fous les ordres du Cofonel
de Kleift & un corps de nos Chaffeurs com .
mandé par le Colonel Otto ; ce dernier fut obligé
de fe replier fur Sloha . Il ne fut point pourfuivi
par les Pruffiens.
On fe remit en marche le 17 à midi , & l'on
occupa les hauteurs de Lomatfch. Le Corps des
Grenadiers
OCTOBRE . 1760. 193
Grenadiers fut porté en avant , & le Colonel de
Zetwitz fe pofta a Zeidlitz , d'où il poulla des Détachemens
jufqu'a Zehrhauzen. La réſerve du
Prince de Stolberg , qui avoit cottoyé les Pruffiens
pendant leur marche , prit poſte à Staucha..
Nous fumes informés , le lendemain au matin,
que l'armée Prullienne avoit profité de l'obfcurité
pour continuer fa retraite fur Strehla , & qu'elle
y campoit dans la même pofition que le Prince.
Henri avoit occupée l'année précédente. Sur cette.
nouvelle , l'Armée reçut ordre de poursuivre fa
marche , & elle vint camper à Riefa , où le quartier
général fut établi . On fit le même jour quel
ques prifonniers aux Pruffiens, & l'on reçut un
grand nombre de déſerteurs.
Le Maréchal Prince de Deux Ponts alla reconnoître
, le 19 au matin , avec le Baron de Haddick
, la pofition des Pruffiens. Il remarqua qu'ils
Occupoient une étendue beaucoup plus confidérable
que leurs forces ne leur permettoient. Cette
circonftance le détermina à les attaquer dès le
lendemain.
On le mit en marche , à minuit , du Camp de
Riela fur quatre colonnes ; & l'on fut , avant le
jour , à la portée de l'ennemi. La principale attaque
fut dirigée contre le Corps qui occupoit les
retranchemens de la montagne de Dirrenberg,
& le foin en fut confié au Prince de Stolberg. Ce
Général, à la tête de la réſerve ſoutenue par les
Grenadiers & par les Régimens de Palavicini &
de Saxe-Gotha aux ordres du Général Comte de
Guafco , commença l'attaque au point du jour.
Notre artillerie fut fi bien fervie , que les bateries
des ennemis furent démontées en peu de
temps ; & en moins de demi heure , nous fumes
maîtres de ce pofte important. Les ennemis fe
replierent en défordre fur une hauteur qu'ils
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
avoient derriere eux . Ils firent pendant quelques
hêúres une vigoureuſe réſiſtance ; mais le Géné
ral de Kleefeld , qui étoit chargé d'une des atta
ques , les prit en flanc avec tant de vivacité , qu'il
les obligea d'abandonner ce fecond poſte. Ils le res
tirèrent dans les retranchemens de Strehla , laillant
fur le champ de bataille un grand nombre de
morts & de bleffés . Il étoit à peine huit heures du
matin, lorſque nos troupes remporterent ce fecond
avantage.
Cependant les ennemis occupoient en Force
leur Camp de Strehla. Pour en rendre l'accès plus
difficile , ils mirent le feu à deux villages qu'ils
avoient en avant. Mais lorfqu'ils virent qu'on fe
difpofoit à les attaquer , ils fe retirèrent du côté de
Torgau , à travers les bois & les défilés. Le Maréchal
Prince de Deux- Ponts détacha fur le champ
pour les pourfuivre fes troupes légères , foutenues
par quelques régimens de Cavalerie & de Dragons,
fous les ordres du Lieutenant Général Comte
de Lanthieri. La perte des ennemis n'eſt pas
encore conftatée ; mais on eftime qu'elle monte
à plus de deux mille hommes , & qu'elle eft au
moins double de la nôtre.
De BERLIN , le 20 Août.
Après l'avantage remporté le 1s de ce mois ,
par les troupes de Sa Majefté fur le Corps du Gé
néral Laudon , elles marcherent fur Parchwitz ,
& elles y pafférent le défilé de ce nom , L'Armée
du Roi s'eft enfuite avancée juſqu'à Neumarek ,
d'où elle couvre Breslau , le Prince Henri eft audelà
de l'Oder , & il obſerve l'Armée Pruffienne
qui eft toujours campée dans les environs de Leu
bus & d'Auras. Le Général de Goltze eft chargé
de veiller , avec fon Corps, fur les mouvemens
des Troupes Ruffes, poftées près de Wohlau. Le
OCTOBRE.: 1760.
ت و ر
Maréchal Conte de Daun , informé de cette
marche , mit fon, Armée en mouvement. Elle
marcha fur Striegau , où elle arriva le même
jour. Le lendemain elle palla la riviere , & elle
vint camper fur les hauteurs de Groff- Poferitz.
Celles de Pirschenberg furent occupées par les
Grenadiers de l'Armée , pendant que le Baron de
Laudon prit pofte à Striegau , & le Prince de Lo
wenſtein à Wurben dans les environs de Schweid-
Laitz.
De HAMBOURG , le 23 Août.
Les Pruffiens , à l'approche de l'Armée Suédoife
, ont abandonné Demmin , & les Suédois y
font entrés. Ils font actuellement maîtres d'Anclam
; les Pruffiens ont perdu dans leur retraite
précipitée plus de foixante & dix chariots chargés
de farine , & on leur a fait quelques prifonniers.
Le Général Baron de Lantingshaufen a établi , le
21 de ce mois, ſon quartier général à Schmarzow.
La Ville de Brunfwick , où le Landgrave dé
Heffe faifoit fon féjour depuis quelque tems ,
n'étant plus un endroit affez für , ce Prince va
réfider à Lunebourg , où une partie de les gardes
selt déjà rendue.
De LISBONNE , le 20 Août.
Les démêlés de notre Cour avec celle de Rome ,
loin de le terminer , s'aigriffent de jour en jour.
Sa Majesté a enjoint , par une ordonnance publiée
le 4 de ce mois , à tous les fujets de Sa Sainteté
de fortir de fon Royaume dans l'efpace de deux
mois. Elle a prohibé les marchandiſes qui viennent
de l'état Eccéfiaftique , & elle a défendu à
tous les fujets de folliciter à la Cour de Rome, ou,
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
d'en recevoir aucune Bulle grace ou difpenfe
fans une permiffion expreffe du Bureau des Secrétaires
d'Etat .
On a amené de Brague à Oporto trois nou
yeaux prifonniers, qu'on dit être des Clercs du Palais
de l'Archevêque , frere du Roi . Les Infans
Don- Antoine & Don Jofeph , font renfermés
féparément dans deux hérmitages des jardins du
Couvent de Bolaco , autour defquels veille une
garde nombreule. On travaille à les enfermer de
hautes murailles , afin de mieux interdire toute
Communication .
De ROME, le 9 Août.
Le Pape a déclaré qu'il deſtinoit la Roſe-d'Or ,
qu'il bénit , fuivant la coutume , le premier Di
manche de Carême, à l'Infante- Habelle de Parme,
Ila nommé Don-Jean-Baptifte Rezzonico , l'un
de fes neveux , pour porter ce préfent à cette
Princeffe,
De PARME le 25 Août.
On fait ici de grands préparatifs , pour célébrer
le mariage de la Princeffe Ifabelle , avec l'Archi-
Duc Jofeph. Une partie des magnifiques équipages
du Maréchal , Prince de Lichtenftein , eft arrivée
dans cette Ville . On apprend de Mantoue
que ce Prince y paffa le 21 de ce mois , & qu'il en
partit le lendemain , prenant la route de Milan,
On compte qu'il arrivera ici vers le commencement
du mois prochain. Le concours des étran
gers qui viennent pour affifier aux Fètes brillantes ,
qui feront données à l'occafion de ce mariage
très- nombreux . On commence à conſtruire à
OCTOBRE . 1780. 197
1
Gafal Maggiore , un pont fur le Pô , pour le
paffage de la future Archiducheffe , & de fa
fuite.:
De GENES le 30 Août
Le Doge , Mathieu Franzone, ayant rempli le
temps ordinaire de certe Dignité , la dépofa le
de ce mois , & il quitta le Palais Ducal pour retourner
en fon hôtel . On n'a pas encore procédé
àl'élection d'un nouveau Doge. Les révolutions en
Corfe , continuent toujours. On croit que le Cardinal
Spinola , qui doit paffer en cette Ville , en
revenant d'Espagne , eft chargé d'un projet d'accommodement
, qui pourra terminer nos diffi
cultés avec le S. Siége .
FRANCE.
Nouvelles de la Cour de l'Armée
de Paris , &c.
5.De VERSAILLES , le 18 Septembre 1760.
Lis
5.
3
E23 du mois dernier , on tira fur la terraffe ,
par ordre de la Comtelle de Marfan , Gouvernante
des Enfans de France , un feu d'artifice pour l'anniverfaire
de la naiffance de Monfeigneur le Duc
de Berry. Monfeigneur le Duc de Bourgogne honora
de la préfence cette petite fête , & donna le
fignal pour tirer ce feu , qui fut parfaitement exé
cute par le fear Garnier , Artificier breveté du
Roi , pour Verfalles .
• Le fieur Rouillé ,-Miniftre d'Etat , ayant fup-
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
plié le Roi de recevoir fa démiflion de la Charge
de Grand- Maître & Sur- Intendant Général des
Poftes & relais de France , Sa Majefté a réuni
cette Charge à celle de Miniftre & Secrétaire d'Etat
, au département des affaires étrangeres.
Le Roi a donné au Comte de Treffan , Lieutenant-
Général de fes armées , & Grand- Maréchal des Logisdu
Roi de Pologne , Ducde Lorraine & de Bar ,
Je Commandement de Bitche & de la Lorraine
Allemande , vacant par la mort du Comte de
Bombelles.
>
Le feur Hurfon , Confeiller Honoraire au
Parlement & ci - devant Intendant de la Martinique
, a été nommé par Sa Majefté , à la place
d'Intendant de la Marine à Toulon , vacante par
la mort du fieur Charron.
Le Roi a accordé au Comte de Jumilhac Saint
Jean , Moufquetaire de la premiere Compagnie,
un Guidon de la Gendarmerie , Compagnie de
Flandre.
Le 3 de Septembre , le Roi de Pologne , Duc
de Lorraine & de Bar , partit d'ici pour ſe rendre
à Luneville .
Le 4 , les Députés des Etats de Languedoc , eurent
Audience du Roi , Ils furent préſentés par le
Comte d'Eu , Gouverneur de la Province , & par
le Comte de Saint Florentin , Miniftre & Secré
taire d'Etat , & conduits par le fieur Defgranges ,
Maître des Cérémonies . La députation étoit compofée
; pour le Clergé , de l'Archevêque d'Albi ,.
qui porta la parole ; du Marquis de Calviffon ,
pour la Nobleffe ; des fieurs Guérin & Journet
pour le Tiers-Etat ; & du heur Joubert , Syndic
Général de la Province.
Les , le Roi , la Reine & la Famille Royale furent
en vifite chez Mademoiſelle de Sens , à l'oc
cafion de la mort de l'Abbeffe de Saint AntoineOCTOBRE
. 1760 , 199
Le , Monfeigneur le Duc de Berry fut remis
entre les mains des hommes , après les formalités
requifes à cette occafion. On tira le foir , dans
l'appartement de ce Prince , un feu d'artifice qui
fat exécuté par le fieur Garnier Artificier des
Enfans de France .
Le 9 , le fieur Pamphili , Archevêque de Colofle
, & Nonce du Pape , eur fa premiere Audience
particuliere de Sa Majefté , à laquelle il
fut conduit, ainfi qu'à celles de la Reine , de Monfeigneur
le Dauphin , de Madame la Dauphine ,
de Monfeigneur le Duc de Bourgogne , de Monfeigneur
le Duc de Berry , de Monfeigneur le
Comte de Provence , de Monfeigneur le Comte
d'Artois , de Madame Adélaïde & de Mel
dames Victoire , Sophie , & Louiſe , par le feur
de la Live , Introducteur des Amballareurs.
X
Le 14 , le Roi , la Reine , & la Famille Royale
fignerent le contrat de mariage du Comte d'E
pinay , avec Demoiſelle de Sebeville.
Le 16 , Sa Majefté tint le Sceau.
De l'Armée , commandée par le Maréchal de
Broglie, le 14 Septembre
Cette Armée n'a pas encore fait de mouvement
important, le quartier général eſt toujours
à Immenhaufen .
>
Le 6 de ce mois , à deux heures du matin , un
Corps de quatre à cinq mille hommes , commandé
par le Prince héréditaire de Brunfwick.
fe porta fur Zierenberg , petite Ville de la Heffe ,
à trois lieues de Cafel ; elle étoit occupée par les
deux Régimens des Volontaires du Dauphiné &
de Clermont. Les Grenadiers Anglois , ayant pénétré
dans la Ville , y firent trois cens foixante &
feize prifonniers tant de l'Infanterie que des Dra
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
gons , & une trentaine d'Officiers , parmi lesquels
fe trouvent le fieur de Nortmann , Brigadier , qur
commandoit cette Brigade, & le Sr. de Comeiras,
Colonel du Régiment des Volontaires de Clermont
; ces deux Officiers ont été bleffés . Le fieur
de Viomenil , qui a auffi été bleffé légérement ,
ayant raffemblé ce qui reftoit des deux Régimens,
a fuivi les ennemis dans leur retraite , & a repris
Pofte à Zierenberg ; il y a eu dans cette affaire environ
cinquanté hommes tués , tant du côté des
Anglois , que de celui des François .
Le 9 , le Prince de Condé, ayant à fes ordres
différens Corps de troupes , au nombre d'environ
quinze mille hommes commandés par les Marquis
de Saint Pern , de Poyanne & de Ségur , Lieutenans
Généraux , par le Prince de Robecq, Maréchal
de Camp , & par le Baron de Clozen , Brigadier
, ayant prévenu l'ennemi fur les hauteurs
voifines de Geifmar , fit un fourage avec le plus
grand fuccès. Il n'y a eu que quelques efcarmouches
dans lesquelles on a fait quelques prifonniers,
& on n'a eu qu'un Officier & fix ou fept hommes
de blétlés.
De PARIS , le 20 Septembre.
Sa Majesté voulant mettre la Ville de Paris en
état d'exécuter différentes entreprifes projettées
pour l'utilité & pour l'embélillement de cette Capitale
, fans intervertir la deſtination de fes revenus
ordinaires , fpécialement affectés au payement
des rentes & des autres Charges dont Elle eft
tenue , vient de lui accorder pour trois années ,
une loterie de 2400000 livres , qui fera renouvellée
& tirée tous les deux mois . Cette loterie
fera compolée decent mille billets, chacun du prix
de
24 liv. Il y aura dix mille lots , dont le pre
OCTOBRE . 1760. 201
nier fera de 150000 livres , le fecond de 100000 ,
& le troifiéme de 50000. Parmi les antres lots , il
y en aura deux de 3000 livres , quatre de 15000,
vingt de rooco , cinquante de 3000 , cent neuf
de 2000 , deux cens onze de rooo , fix cens deux
de soo . Les autres au nombre de huit mille neuf
cens quatre- vingt dix neuf , feront de roo liv . à
l'exception d'un qui fera de 200. On retiendra fur
lefdits lots , dix pour cent , pour les frais & pour
le bénéfice de la loterie. Sa Majefté permet à toutes
perfonnes de s'y intéreller , même aux étrangers
non naturalifés demeurant dans le Royaume ,
ou hors du Royaume , fans excepter les Sujets des
Puiffances avec lesquelles Elle eft actuellement , &
ou Elle pourroit être en guerre ; & Elle renonce
en leur faveur à tous droits de dèshérence , bâtardile
, &c. fur les billets de ladité loterie , & fur
les lots qui pourroient leur écheoir .
Le 25 du mois dernier , Fête de Saint Louis , le
Gorps de Ville alla à Verſailles , & ayant à la tête
le Duc de Chevreuſe , Gouverneur de Paris , il
eur Audience du Roi . Il fut préfenté à Sa Majeſé
par le Comte de Saint Florentin , Miniftre & Secrétaire
d'Etat , & conduit par le fieur Defgranges ,
Maître des Cérémonies. Le fieur Camus de Pontcarré
de Viarme , Prévôt des Marchands , & les
feurs Darlu & Boyer , nouveaux Echevins , prê
terent le ferment , dont le Comte de Saint Florentin
' fit l'a lecture , ainfi que du fcrutin qui fur
préfenté par le fieur de la Briffe , Avocat du Roi
au Châtelet. Le Corps de Ville eut enfuite l'honneur
de rendre les refpects à la Reine , & à la Fa
mille Royale.
Le niême jour , la proceffion des Carmes dut
Grand Couvent fe rendit , felon la coutume , à la
Chapelle du Palais des Tuileries , où ces Religieu
chanterent la Melle:
I w
202 MERCURE DE FRANCE.
On célébra le premier de ce mois , dans l'Eglife
de l'Abbaye Royale de Saint Denis , le Service annuel
pour le repos de l'ame de Louis XIV . L'Evêque
de Comminges y officia pontificalement.
Le Duc de Penthiévre , & le Prince de Lamballe y
affiftérent , ainfi que le Maréchal Duc de Noail
les , & plufieurs autres Seigneurs de la Cour.
>
P
Marie Gabrielle Eléonore de Bourbon Condé ,
Princelle du Sang , Abbeffe de l'Abbaye Royale
de Saint Antoine de Paris mourut à la Sauffaye
le 28 du mois dernier , âgée de 69 ans , 8 mois &
6 jours. Elle étoit fille aînée de Louis , Duc de
Bourbon-Condé , Prince du Sang , Grand- Maître
de la Maifon du Roi , & Gouverneur du Duché
de Bourgogne , & de Louife- Françoiſe de Bourbon
, légitimée de France , fille du feu Roi ,
morte le 6 Juin 1743. Cette Princeffe avoit fait
fa profeffion dans l'Abbaye de Fontevrault , le
20 Mai 1707 , & Sa Majesté l'avoit nommée Abbeffe
de l'Abbaye Royale de Saint Antoine , le
Mai 1723. Elle a été transférée du Couvent de la
Saulaye le 3 de ce mois , à l'Abbaye Royale de
Saint Antoine , où elle a été inhumée le même
jour , avec toutes les cérémonies dues à fon rang.
Son corps avoit été préfenté à la Supérieure par
l'Abbé de Citeaux. La Cour a pris le deuil le 5 ,
pour douze jours , à l'occafion de la mort de
cette Princeffe.
و ت
Sa Majesté a conclu avec le Roi de Sardaigne
un traité , portant une fixation exacte , générale
& définitive des limites , qui doivent déformais
féparer leurs Etats , depuis la fortie du Rhône des
Terres de la Répub ique de Genève , juſqu'à l'em➡
bouchure du Var . Par ce traité , la Ville de Che
zery , fituće en-deçà du Rhône , ainsi que fes ap
partenances , depuis le pont de Grefin , jufqu'aux
OCTOBRE. 1760. 203
confins de la Franche-Comté , font cédées à la
France ; & en échange , une partie de la vallée
de Seiffel , & divers territoires fitués au- delà đu
Rhône , font réunis à la Savoye. La Provence acquiert
par cette fixation , quelques territoires ; &
quelques autres , ci -devant de la domination Francoife
, font cédés au Roi de Sardaigne . Et pour.ci
menter de plus en plus l'union & la correfpondance
, que les deux Rois defirent voir regner entre
leurs Sujets refpectifs , ils renoncent pour l'avenir
au droit d'Aubaine , & à tous autres qui
pourroient être contraires à la liberté des fucceffions
& difpofitions réciproques pour tous less
Etats des deux Puiffances , y compris les Duchés
de Lorraine & de Bar. Par le même traité , la
Nobleffe des Provinces de Breffe, Bugey , Valro
mey & Gex , eft confervée dans fes exemptions
relativement aux biens qu'elle poffède en Savoye
dès l'année 1738 ; & les mêmes priviléges font
affurés à la Nobleffe de Savoye , pour les biens
qu'elle pofféde dans les Provinces fufdites , dès la
même date. La même réciprocité d'exemptions:
aura lieu, à l'égard de la Nobleffe des Terres qui
viennent d'être échangées , & pour les biens:
qu'elle pofféde en franchife , à la date de ce traité..
Cette réciprocité d'exemptions n'aura lieu néanmoins
, à l'égard de la Nobleffe du Dauphiné &
de Savoye, qu'en faveur de ceux qui feront preuve
de Noblefle & de poffeffion fucceffive , dès le
Commencement de l'année 1600. Il eſt ſtipulé
par un autre article , que les hypothéques établiss
dans un des deux Etats , auront lieu dans l'autre ,,
& que les Cours Supérieures déféreront de part &
d'autre , aux réquifitoires qui leur ferontadreffés.
Ce traité été conclu & figné à Turin le 24
Mars de cette année , & ratifié par Sa Majesté le
10 du mois de Juillet.
On a appris par des Lettres du Canada dir moiss
Lvj
204 MERCURE DE FRANCE
dernier , que l'Evêque de Quebec étoit mort à
Montréal le 9 Juin ; il eft univerfellement regretté.
Ces mêmes Lettres ajoutent , que le Général
Amherst étoit retenu au Fort Saint Frederic,,
à caufe des Chiroquois , qui menaçoient les colonies
Angloifes; & que le Général Murray,Gouverneur
de Quebec , qui s'étoit avancé jusqu'au
Richelieu , avoit été battu au mois de Juillet dernier
par les Canadiens , joints aux troupes de la
colonie, commandées par le fieur Repantigny..
Le tirage de la loterie de l'Ecole Royale mili
taire , s'eft fait en la maniere accoutumée , dans
l'Hôtel de Ville de Paris , le 6. Les numeros qui:
font fortis de la roue de fortune , font 62 , 89, 28,
30 , 38. Le prochain tirage fe fera le 7 du mois .
d'Octobre..
MARIAGE.
Melfire Omer Joly de Fleury , Avocat Général
du Roi du Parlement, veuf de Dame Magdeleine-
Genevieve- Mélanie Desvieux , a épouſe le
9 des
Septembre dans la Chapelle particuliere du Châ
teau - le- Coq , Dame Marie- Françoiſe Lemaitre ,,
veuve du fieur Avet de Neuilly , Confeiller au
Parlement , & Commiſſaire aux Requêtes du
Palais.
MORT S
Dame Honorée-Marie Sophie de Montgrand',
époufe du Marquis de Sorbe , Miniftre Plénipo
tentiaire de Genes auprès du Roi , eft morte à
Toulon le 7 du mois d'Août.
Le Marquis d'Hérouville de Claye , Lieutenant-
Général des Armées du Roi , & Gouverneur du
Fort des Barraux , mourut le 27 en fon Château
de Claye , dans la quatre-vingtiéme année de fon
âge.
Le fieur Thomas Dutrou de Villetan, Brigadier
OCTOBRE. 1760. 201
des Armées de Sa Majefté , ancien Directeur des
Fortifications de Normandie , & Chevalier de
l'Ordre Royal & militaire de Saint Louis , eft
moft au Havre de Grace le 29 , âgé de foixante
& feize ans.
Mellire Pierre - Jofeph d'Artaud , Evêque de
Cavaillon , eft mort en cette Ville les Septembre,
âgé de cinquante- quatre ans , après une maladie
de quelques jours.
Dame Auguftine- Marie de Menou , époufe de
Meflire Louis - Théodore Andrault , Comte de
Langeron , Lieutenant - Général des Armées du
Roi , Gouverneur de Breft, & des Inles d'Oueffant ,
mourut ler dans la trente- cinquiéme année de
fon âge.
Gui- Augufte de Rohan- Chabot , Lieutenant-
Général des Armées de Sa Majefté , eft mort le
13 , âgé de foixante & dix- fept ans.
1
Mellire Eutrope Alexis Chafteigner , Chevalier,
Seigneur , Marquis de S. George , Touffou , Talmon
& autres lieux , ancien Capitaine de Cavalerie
au Régiment de Talmon , depuis Grammont ,
& à préfent Balincourt , mourut le vingt - deux
Juillet dernier à Poitiers , âgé de foixante- dixneuf
ans , regretté généralement de tous les pauvres
qu'il affittoir immenfement; il laiffe pour fillet
unique de fon mariage avec Dame Eléonore
de Megrigny , Dame Armande Eléonore Chafreigner
, Epoufe de Haut & Puiffant Seigneur ,
Meffire Jean-Henri Chafteignier , Chevalier , Seigneur
de Rouvre , ancien Capitaine de Cavalerie
au Régiment ci- devant de Granmont , aujourd'hui
Balincourt , Chevalier de l'Ordre Militaire
de S. Louis & qui a été élu Commandant de la Nobleffe
du haut Poitou à l'Affemblée de la Nobleffe
à S. Jean Dangely , en 1758 , & dont le frere appellé
le Chevalier Chafteigner , eft actuellement
206 MERCURE DE FRANCE.
Capitaine de Carabiniers ; Monfieur l'Abbé de
Chafteigner de Rouyre , Abbé des Chaftelliers en
Poitou , eft fon oncle ; Monfieur l'Abbé de la
Chafteigneraye , Comte de Lyon & Aumônier du
Roi , eft de cette Maifon , & plufieurs autres branches
. Nous ne dirons rien de l'ancienneté & de
de l'illuftration de la Maiſon de Chafteigner.
Nous renvoyons à la généalogie qu'en a faite André
Duchefne au mémoire de M. de Thou & à·
Morery , à la liste des Chevaliers du S. Elprit ,.
fous Henri III, & d'autres livres des Officiers de
la Couronne. Cette Maifon eft alliée à celle de
Chatillon , Laval - Montmorency , Apelvoifin ,
Lamothe- Houdancourt , Rochechouard , Turpin ,
Luzignan ; & aurres de la plus grande diftinction..
Melfire Louis Auguftin Cafimir de Seytres
Caumont , Chanoine de l'Eglife , Comte de Lyon,
depuis le 9 Novembre 1751 , Vicaire général du
Diocèle de Dijon , mourut dans cette Ville le ro
Mai de cette année , après trois jours de maladie ,
âgé de 18 ans , cinq mois , vingt-un jours ; em
portant les regrets de fon Chapitre , & du Dio→
cèfe où il étoit employé.
-
Il étoit né le 19 Novembre 1731 ,de feu Meffire
Jofeph de Seytres , Marquis de Caumont , & de
Dame Marie- Elizabeth de Doni , encore vivante.
Deftiné à l'Etat Eccléfiaftique, dès fon'jeune âge,
il reçut de fes parens l'éducation qui y étoit pro
pres on l'envoya à l'âge de dix ans à Paris au
College Mazarin , plutôt pour être afluré qu'il y
feroit de bonnes études, que pour profiter du pri
vilége qu'ont les Avignonois , d'y être reçus
comme Sujets de N. S. P. le Pape . L'Abbé de
Caumont ne trompa pas l'efpérance de les parens ,
& il fit dans ce Collége toutes fes études , jufqu'à
la Théologie , avec une liftinction particuliere .
El entra enfuite à S. Sulpice , & fit de même fa
OCTOBRE . 1760. 207
licence dans la Maifon de Navarre. Sa famille
defira en 1750 , de faire fes preuves pour le Chapitre
de Lyon. Elles furent faites la même année ;
& quoiqu'il eût fix concurrens , dont les preaves
avoient été admifes avant lui , le Chapitre le '
nomma à la Comté vacante , par la mort de M.
le Comte de Dortan , Grand - Chantre de l'Eglife.
Feu N. S. P. le Pape Benoît XIV , adreffa
un mois après un Bref , auffi flateur pour le
Chapitre , que pour l'Abbé de Caumont , par lequel
Sa Sainteté recommandoit à Meffieurs les
Comtes , de le nommer a la premiere Comté vacante.
Mais les fouhaits du S. Pere , avoient déja
été prévenus. Après avoir fini fes études & fon Séminaire
, l'Abbé de Caumont fut choifi par M.-
l'Evêque de Dijon,pour être un de fes Vicaires Gé
néraux . Il s'acquitta avec foin des fonctions de
fon nouvel état , autant que le Service de fon
Eglife pouvoit le lui permettre , & il partagea fa
réfidence entre Lyon & Dijon . Il étoit né avec une
grande vivacité ; mais il ne la tourna qu'à remplir
avec exactitude fes devoirs même au- delà de
ce qu'ils lui prefcrivoient ; & il prêcha quelquefois
à Lyon , ou ailleurs. Il n'aimoit point le
inonde ; & fon délaffement , après avoir rempli
les devoirs de fon état , étoit l'étude des Belles-
Lettres. Le goût qu'il avoit pour elles , & qu'il
avoit puifé auprès d'un pére dont le nom eft affez
connu dans la République des Lettres , pour qu'il
fuffife de le nommer. Ce goût l'engagea à former
une Bibliotheque telle que fon revenu pou
voit lui permettre d'en former une. Il fe retrancha
même fur autre chofe pour fatisfaire la
paffion qu'il avoit pour les livres. La vivacité de
l'Abbé de Caumont , qui le portoit à remplir fi
bien fes devoirs , a abregé fes jours . Il fe trouva
incommodé du maigre le Carême dernier ; &
208 MERCURE DE FRANCE.
quelque repréfentation qu'on lui fit , il ne crut
pas devoir l'interrompre pour prendre quelque
rafraîchiffement ; & après le Carême fini , il négligea
encore de le faire pour fe rendre à Dijon
, & fervir le Diocèfe . Il partit de Lyon pour
cette Ville les premiers jours de Mai , & au bout
de trois jours de maladie , il mourut d'une fiévre
maligne dans les fentimens de piété & de religion
dans lefquels il avoit vêcu . On peut dire fans flatterie
que l'Eglife de France a fait en lui une véritable
perte , puifque fes Membres les plus refpec--
tables en ont rendu un pareil témoignage ; ennemi
de l'Efpric de parti , il aimoit la paix & ne ceffoit
de faire des voeux pour qu'elle régnât dans l'E--
glife . Le Chapitre de Lyon a donné une marque
d'eftime & d'affection pour la Maiſon de Seytres-
Caumont, en nommant à la Comté vacante Mellire
Olivier Eugene- François de Paule de Seytres
Chevalier de Malthe.
-
DANS
AVIS AU PUBLIC.
ANS le Mercure de Septembre 1760 , on a
inféré la Commiffion pour les affaires de l'Hôpital
de la Grave de Touloufe . Cette Commiſſion eſt
compofée des quatre Confeillers d'Etat y dénommés
, des quatre Maîtres des Requêtes dont les
noms font rapportés dans le Mercure ; mais on a
obmis les quatre Confeillers au Grand Confeil
qui font partie de la Commiffion , & le Procureur
Général , qui font MM. Guignace de Villeneuve
Duport , Michel de Monpezat & Sorronet
de Bougy ; Debonnaire , Procureur Général .
Taffetas d'Angleterre , par M. WOODCOCK.
CE Taffetas eft le plus commode & le plus utile
reméde dont les Mellieurs & Dames puiffent fe
OCTOBRE. 1760. 200
fervir . Les plus délicats peuvent le porter dans
leurs Poches ; car non feulement l'odeur n'en eſt
point fâcheufe ; mais elle eft agréable . Il ne sçauroit
manquer de guérir toutes Coupures ou Brûlures.
Et étant immédiatement appliqué , il arrête
d'abord le fang & te entiere.nent la douleur.
En le mouillant feulement avec la langue & le
mettant fur la partie affligée , il y tiendra fi fort ,
qu'en fe lavant il ne fe dérangera pas.
N. B. Il fuffit de le couper de la même grandeur
de la bleffure.
Ce Taffetas fe vend à Paris chez la Veuve
Leduc , au Magafin de Provence , rue Dauphine ,
36 fois la pièce.
L'EAU de Perle , par le fieur Dubois , fans être
du fard , a la vertu d'oter toutes les taches auxquelles
les peaux fines font fujettes . Elle modére
les rougeurs du vilage , féche & guérit les boutons
en peu de temps. Elle tient la peau fraîche & faihe
, la raffermit , la nourrit , la conferve fans rides.
Elle eft encore excellente pour les yeux. Les hommes
s'en fervent auffi , après que la barbe eft faite.
Elle ore le feu du rafoir , rafraîchit & conferve la
peau. Cette Eau fe vend à Paris , chez la veuve Leduc
, Marchande Epiciere- Droguifte , rue Dauphine,
au Magafin de Provence.
Le prix eft de 3. livres la bouteille. On prie d'affranchir
les Lettres.
LA découverte & les vertus admirables des Teintures
pour les dents ont mérité au fieur Grecnough ,
leur inventeur , une Patente de Dentifte , de la
part de S. M. Britannique. La premiere de ces
Teintures ôte toute les faletés des dents , leur donles
ne une blancheur , & une beauté éclatantes ,
raffermit , les empêche de fe carier , & les guéris
110 MERCURE DE FRANCE.
entierement du fcorbut. La feconde , guérit les
maux de dents les plus violens & l'on fe fent foulagé
auffitôt qu'on en a fait ufage. Ces teintures
fe vendent auffi chez la veuve Leduc , Marchande
Epiciere-Droguifte , rue Dauphine. Chaque bouteille
eft de 36 fols. Des brolles pour l'utage de
ees Teintures fe vendent au même endroit , à 12
fols la pièce. On prie d'affranchir les Lettres.
Heureufe découverte pour la Peinture.
M. le Lieutenant de Police , avant que de faire
la faveur de donner à l'Auteur la permiſſion d'imprimer
, a eu la bonté d'envoyer à M. Cochin ,
Garde des Deffeins du Cabinet du Roi , aux Galeries
du Louvre , un petit Tableau pour fçavoir
de lui ce qu'il penferoit de ce furprenant vernis
afin que les curieux en Peinture ne fuffent pas
trompés davantage . M. Cochin l'ayant approuvé ,
M. Bachelier, Peintre ordinaire du Roi & de fon
Académie , en a fait l'analyfe & en a donné fon
Certificat comme on le verra ci- deffous. Il feroit
inutile d'en dire davantage : l'on fçait trop bien
les dommages que les Tableaux ont reçus des
vernis ordinaires que l'on ne fçauroit enlever fans
gâter les foibles touches qui font toutes les graces
du Tableau & font écailler la peinture . Ce vernis
que nous annonçons, redonne aux couleurs toute
leur vivacité ; il fait reparoître à nos yeux tout ce
qui s'étoit perdu , & avec un éclar fans pareil . Il
s'enleve ailément,après nombre d'années, avec une
éponge, & laiffe la peinture dans fa beauté fans
jamais rien gâter . L'Auteur fe fait gloire d'offrir
fes fervices aux Curieux. Il ne vend point fon
vernis , il l'employe lui-même ; on ne dérangepien
dans les appartemens : il vernit les Tableaux
OCTOBRE . 1760. 211
à leur place, comme il a fait en Angleterre , ou
if a demeuré 35 ans.
M. Burel , demeure rue S. Honoré , au coin
de celle du Chantre , Maiſon neuve , au troifiéme
étage.
La fieur Fabre , Arborifte , rue Mazarine , vis
à- vis la rue Guénegaud , donne avis au Public , que
Fon trouve chez lui du Creflon de Roche , qu'il
fait venir des Pays Etrangers , qui eft propre pour
les perfonnes qui font attaquées de la poitrine , &
pour purifier la maffe du lang. Le prix eft de 6
liv. l'once.
LES Pilules Mercurielles du célébre M. Bianchi
, Profeffeur Royal en Médecine , font fi connues
par les bons effets qu'elles ont produits dans
un grand nombre de maladies , qu'il femble- fyperflu
de les annoncer de nouveau : mais comme
de tout tems on a contrefait les meilleurs remedes
, on n'a pas manqué plufieurs fois de le faire
à l'égard de celui- ci ; & par là quantité de ma--
lades ont été fruftrés des bons effets qu'ils auroient
éprouvés s'ils s'étoient adrellés à l'unique
fource où il fe débite depuis plus de 25 ans. On
avertit donc qu'il fe vend chez M. Broé , Maître
en Pharmacie à Genève , feul poffefleur de ce reméde.
On y joint un Mémoire qui indique la
maniere de s'en fervir , & les maladies auxquelles
i eft falutaire , dont voici les principales , dans
les maladies froides , vieilles douleurs , rhumatifmes
, obftructions , enfûres univerfelles , fuites
de couches , comme épanchement de lait dans
Tes fiévres opiniâtres , coliques venteufes , épilepfie
, indifpofitions glanduleufes , dans les maladies
cutanées , comme toute forte de Dartres , dans le
fcorbut & contre les vers ; mais particulierement?
pour les maladies vénériennes , &c.
Le Prix eft de deux écus de Geneve l'once..
212 MERCURE DE FRANCE.
On y trouve auffi l'Effence de Corail , dont le
fecret eft depuis peu de temps dans la maison de
Bade , laquelle a été communiquée à l'Expofant.
Les bons effets qu'elle a produits , l'ont mife en
grande réputation dans le Pays & chez l'Etranger.
Elle eft recommandable pour soute forte de flux ,
foit hépatique flux té fange C'est le plus
prompt remete qu'on, pulle eggployer pour les
pertes des femmes ; on l'employe aufli comme
cordial & ftomachal, son en prend-one cuillerée
à caffé le matin à jeun & le foiry file cas eft pref--
fanton en de ase une heure avant après le repas .
Le Prix eft deur écus de Genève Tence.
Eau Sultane du Steur PAGNON
Conftantinople.
de
Cette eau a la vertu de Hanchir la peau , maintenir
le teint frais , ôter toutes les rides , boutons
& dartres du vilage en très -peu de tems.
Le Public eft aveti qu'elle fe débité chez le
Portier de MM. les Religieux de S. Martin des
Champs à Paris. Les bouteilles font de poiffon &
le prix de i livre 10 fois. L'on donnera avec les
bouteilles la maniere de s'en fervir , écrit à la main .
& paraplé de l'Auteur ou de fon neveu , pour que
le Public ne foit point trompé par d'autre Eau que
l'on pourroit débiter pour la fienne.
3
· AUDOU , Maître Vitrier , rue S. Victor , vis - àle
Séminaire de S. Nicolas , proche la rue du
Paon : Tient Magafin de très- beaux Verres blancs
de Bohème & autres propres aux Eftampes , Pafrelles
, Voitures, Pendules, Mignatures , & pour les
Croisées. Il monte les Eftampes en Bordures de
routes couleurs . Il colle les Cartes , Thèfes fur
toile. Entreprend le Bâtiment. Le tout à jufte
prix.
OCTOBRE. 1760. 213
APPROBATION.
'Ar par ordre de Monfeigneur le Chancelier
le
Mercure du premier Volume du mois d'Octo
bre 1760 , & je n'y ai rien trouvé , qui puiffe en
empêcher l'impreffion. A Paris , ce 30 Septembre
1960.GUIROY .
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
E PITRE.
ARTICLE PREMIER.
La Coquette & la Guêpe , Fable .
Page s
10
Vers à M. Gerbier , Avocat au Parlement A
de Paris.
Vers , à Madame de **** de Marſeille.
Les Amis rivaux . Anecdote."
Vers de M. D. *** & c.
Le Roffignol & le Hibou , Fable. A. M. le
Comte de T *** .-
Vers à Mlle Clairon .
Bouquets à M.P. en lui envoyant une Epine,
le jour de fa fête.
Epitre à Doris. uri ob
Lettre , à l'Auteur du Mercure.:
I2
14
ibid
29
ibid.
31
132
34
361
Vers au Roi , qui devoient être récités par
le Sergent Major de Meffieurs les Gentilshommes
Eléves de fon Ecole Militaire ,
lorfque, S. M. les honora de fa Préfence , A
le 18 Août 1760 .
214 MERCURE DE FRANCE.
Portrait de Madame P ***.
Vers , pour mettre au bas du Portrait de
45
Mlle Camille , de la Comédie Italienne. 45
Couplet fur l'Air : Quoi vouspartezfans &c. 45
Enigmes.
Logogrypges.
Envoi.
Chanfon.
47 & 48
48 49
ibid.
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Lettre à M. Fl .. C. R. de l'A. des O , &c .
fur le Théâtre Italien .
Lettre , far l'Origine des Caractéres.
Origine de l'Écriture .
Lettre de M. l'Abbé Trubler , à l'Auteur du
Mercure.
La Science du Gouvernement , par feu M.
de Réal , Grand - Sénéchal de Forcalquier.
Annonce des Livres nouveaux .
Sx
59
66
84
190 &fuiv
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
ACADEMIES.
Séance publique de l'Académie Royale des
Sciences , Belles- Lettres & Arts de Rouen.
Prix propofé par l'Académie des Sciences
Belles- Lettres & Arts d'Amiens,pour l'année
1761 .
Séance publique de la Société Littéraire
-d'Arras.
112
Inst
135
Extrait de la Differtation du Pere Lucas.
Prix proposé par l'Académie des Sciences ,
Belles Lettres & Arts de Lyon .
Sujets propolés par l'Académie des Sciences
, Belles Lettres & Arts de Belançon. 133
Affemblée publique de l'Académie de Pein
OCTOBRE. 1760.
215
ture , Sculpture & autres Arts relatifs aux
deffeins de Marſeille.
Expofition des Ouvrages de divers Membres
de l'Académie de Peinture , Sculpture
&c. de Marseille ,
Lettre à l'Anonyme , qui a propofé un Problême
dans le Mercure d'Août 1760 .
Autre Lettre fur le même Sujer.
Lettre , à l'Auteur du Mercure.
135
136
138
144
149
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES .
La Defcription des Arts , par l'Académie
Royale des Sciences.
ANATOMIE.
150
Lettre circulaire , à MM. les Soufcripteurs
des Planches Anatomiques de M. Gautier. 158
Table géométrique concernant la Multiplication
de tous les Nombres , depuis t
jufqu'à 100 , par M. Dufour &c.
ARTS AGRÉABLES.
165
Gravure.
1.67
Lettre , à l'Auteur du Mercure. 171
TYPOGRAPHIE .
GRAVURE.
Fables de J. de la Fontaine , nouvelle Edition
, grand in-folio en 4 vol. & c.
Opéra .
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoiſe.
Comédie Italienne.
173
181
182
183
116 MERCURE DE FRANCE.
Opéra-Comique.
Concert Spirituel .
Avis au Public .
184
185
186
189
208 &ſuiv.
ART. VI. Nouvelles Politiques.
Avis divers.
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
ruë & vis- à- vis la Comédie Françoiſe.
ALMANACH
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
THE
NEW
YORK PUBLIC
LIBRARY
11
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
OCTOBRE . 1760 .
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine.
Cochin
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PropilionSeulp. 1718
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis a vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier , Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure, rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch, à côté du Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer, francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre
, quant à la partie littéraire , à
M. De la PLACE, Auteur du Mercure.
Leprix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir, ou qui prendront les frais du port
Jur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
c'est- à- dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci- deffus.
A ij
On Supplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit
Le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en foit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
De la Place , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions, font les mêmes
pour une année.
A
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE . 1760 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ODE.
SUR la mort de mon Pere.
Vous qu'un tendre Amour , bien mieux que
la Nature ,
Fait couler de mes yeux, pour nourrir ma douleur,
Larmes que je chéris ! aigriffez la blekure
Que la mort a faite à mon coeur.
Vous tâchez vainement d'en détourner la fource ,
Amis officieux , foibles confolateurs .
Le filence & l'ennui font ma feule reffource ;
Tous mes plaifirs font dans mes pleurs.
JI, Vola A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Dans l'état déplorable , où m'a mis la triſteſſe ,
Pleurer eſt le feul bien que je puiſſe goûter.
Laiffez-moi m'affliger ; fi c'eft une foibleffe,
L'objet la fera reſpecter.
Le Ciel, pour mon bonheur,me fit naître d'un Pere,
Dont j'éprouvai les foins au fortir du berceau.
Je le perds pour toujours ; un deftin trop févére,
Ouvre loin de moi ſon tombeau.
Lorfque je me flattois que la bonté céleſte ,
De cinq luftres encore , allongeroit les jours ;
D'un Aftre empoiſonné, l'influence funeſte ,
De fa vie arrête le cours !
Ainfi vous vous jouez des projets de la tèrre....
J'adore , en gémiſſant , vos ſuprêmes décrets ;
Mais fouffrez , juftes Dieux , que ce coup de ton
nère ,
Immortalife mes regrets !
Du devoir filial fi fuivant les loix faintes ,
Ma main trifte & tremblante eût pû fermer fes
yeux ;
Le tems & la raison pourroient borner les plaintes
Dont je fais retentir ces lieux.
Cher Auteur de mes jours , à ton heure derniére ,
Je n'ai pû recevoir tes adieux éternels !
Mes frères plus heureux accompagnent ta biére ,
Que l'on porte au pied des Autels.
OCTOBRE. 1760. 7
Du fond de ce rombeau, dans l'horreur du filence,
La voix de ton amour parle encore à ton fils :
Reçois-y le tribut de ma reconnoiffance ,
Pour tous les biens que tu me fis
J'aime à me rappeller ce tems de ma jeuneffe ,
Od de foibles talens tu daignas m'enrichir ;
Ta douceur me ſoumit aux loix de la ſageſſe ,
Dont je cherchois à m'affranchir.
Aurois-je pû fans crime affliger un tel Pére?
Devois -je , fils ingrat , me fouftraire au devoir ?
Lors même qu'aux dépens de fon pur néceſſaire ,
F'acquérois vertus & fçavoir
Ces jours de châtimens, de peines, de contraintes,
Qui du travail claffique infpirent le dégoût ,
N'exciterent en moi ni murmures , ni plaintes ;
Je tâchois de lui plaire en tout,
"
Virgile , Cicéron , Phédre ( a ) , Salufte , Horace
De leurs doctes écrits formerent mes plaifirs ;
Descartes ( b) m'éclaira ; Thomas ( c ) qui prit fa
place,
Occupa quatre ans mes loiſirs.
Animant mes travaux par un facteur fourire ,
Ade plus grands fuccès ilvouloit m'amener
(a ) Les baffes Claffes,
(6) La Philofophie.
(c) La Théologie.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Quels furent les tranfports ! quand le Dieu de la
lyre
D'un laurier (d ) vint me couronner.
Cher Fere !ton plaifir mit le comble à ma gloire :
Le jour que je vainquis pour toi fut un grand jour:
Tu m'écrivis : l'Amour grava dans ma mémoire
Tout ce que te dicta l'Amour.
Aux regards d'Apollon ta Mufe a trouvé grace ::
Jamais aux Paffions ne confacres ta voix ,
Mon fils , me difois- tu ? fçaches que du Parnaſſe
Les moeurs font les premieres loix .
Hélas ! qu'on les fuit peu ces loix fi reſpectables !
La licence triomphe : effronté Corrupteur ,
Quels traits viens- tu m'offrir ?. dans tes rimes cous
pables ,
Les jeux font rougir la Pudeur.
Des Vers font applaudis : l'envieuſe cabale
Voit tromper fon efpoir , & fa bile s'aigrit :
Les traits font aiguilés : la Haine fe fignale ;;
L'efprit combat contre l'efprit ,
De l'Erreur aujourd'hui les eaux font débordées ,
L'air fiffle , la nef panche , & le Pilote craint :
Cent Plumes à l'envi par l'audace guidées
Attaquent la foi qui s'éteint .
( d ) Le Prix de Poëfie remporté à l'Académie Françoife ,
en l'année 17,3,8; •
OCTOBRE. 1760 . ༡ ་
Portant jufques au Ciel leurs efforts téméraires ,
Ils vont faire la guerre à la Divinité :
Rien n'eft facré pour eux ; ils traitent nos myſteres,
De folie & d'abſurdité.
De ces hommes pervers , mon fils , fuis le com
merce :
Que leurs triftes écarts te fervent de leçon :
Et que dans les fujets , où ton efprit s'exerce ,
La Foi conduife la Raifon.
Ne donnes de l'encens que d'une main difcréte :
Que jamais l'intérêt n'excite tes tranſports :
Le Public indigné mépriſe le Poëte
Qui met à l'encan fes accords.
Ne va point , par tes voeux , fatiguer la fortune :
Lorſqu'après elle on court par des fentiers tortus ,
Ses dons coûtent trop cher ; leur remords im
portune ,
S'ils ne font le prix des vertus,
Je n'ai point oublié de fi faintes maximes ;
La décence toujours animą mes pinceaux :
Mon reſpect pour les Dieux a paffé dans mest.
rimes ;
J'ai même chanté mes rivaux.
Quelquefois , je l'avoue , au fort de mon délire ,»
Un intérêt de gloire a flatté mon loifir ;
A w
10 MERCURE DE FRANCE
Que je me fois trompé ! j'ai tiré de ma lyre
Un profit réel , le plaifir.
Cher objet de mes pleurs , Mânes que j'interroge !
Vous ai-je fait rougir dans l'ombre du cercueil
J'ai cherché , des coeurs droits , à mériter l'éloge ş
Et j'en fçai jouir fans orgueil.
Vos vertus ont été mon unique partage :
De tous vos autres biens je n'ai point hérité :
Je ne m'en plaindrai point : que faut-il donc au
Sage ?
Le néceſſaire & la fanté.
Je coule d'heureux jours dans un état tranquille ;
Je fuis content de peu ; je ne defire rien ;
Les Mufes quelquefois vifitent mon aſyle :
Je goûte le fouverain bien .
Tous les jours dans un cercle , où de la ſympathie
La fecrette douceur hâte le temps qui fuit ,
L'amitié , que je trouve à mes goûts affortie ,
Tour-à-tour m'amufe & m'inftruit.
Là , de quelques Auteurs refpectant la perfonne ,
A notre tribunal nous citons leurs écrits :
Mais de tous les Arrêts que la critique y donne
Les tons de maître font profcrits.
Ainúi, de la douleur que ta perte me caufe,
Cher Pere, envain je cherche à repouffer les traits #
OCTOBRE. 1760 . II
Par l'amour emportée , où ta cendre repoſe
Mon âme exhale fes regrets.
Par M. l'Abbé CLEMENT , Chanoine de
S. Louis du Louvre.
RONDEAU ,
AM.M. L'INTENDANT de L.... pour le
jour de S. François fa fête , en faveur
d'un jeune homme qu'il protége , &
qu'il appelle fon BRAS DROIT.
VoOTRE bras droit ( point n'oubliez ce nom )","
Vous aime fort , fervez-lui de patron .
Quoique peu riche , il eſt d'honnête race ,
Sage , bien fait , connu fur le Parnaffe :
Mais las , il jette un fort mauvais coron !
Ah ! penſez donc à ce pauvre garçon.
Penfez-y bien , Monfieur François ; finen ,
Verrez bientôt chargé d'une beface ,
Votrebras droit
Quoi , d'un oeil fec , lui verriez le cordon
Et puis après de la barbe au menton ?
Par Saint François ! point ne veux qu'il fe faſſe
Capucin , non. Près de vous qu'il ait place :
Ilfera lors , à plus forte raiſon ,
Votre bras droit.
FRANCOISE DESJARDIN
A vj
12 MERCURE DE FRANCE .
ÉPITRE.
A M. D *** C **** imitée de la
4. Epitre du premier Livre d'Horace,
Albi , noftrorum fermonum , candide judex.
ELEVE des beaux Arts , favori de Cypris ,
Arifte , dont le goût épure mes écrits !
Errant dans les détours de ton ruftique aſyle , "
Infpiré par Eglé , foupires- tu des vers?>
De la Philofophie heureux & vrai pupille ,,
Sans nuage & fans fard à fa lueur utile ,
Les traits de la vertu te feroient- ils offerts ?.
Les Dieux t'ont embelli par leurs dons les plus rares::
Minerve , les Amours , Plutus , les chaftes Soeurs ,,
T'ornant de leurs tréfors , ne furent point avares..
Tu fçais l'art d'en jouir, fans flétrir leurs douceurs..
Si tu veux ajouter un prix à ces faveurs ;
Quelque vif fentiment qui te flatte ou t'altére ,
Crois que l'aftre du jour , de ta courte carriére ,
En éteignantles feux , marque le terme fûr :
Par un bienfait du fort , fi fon retour t'éclaire ,,
Cejour t'offre un éclat plus brillant & plus pur
Sage voluptueux , nourriffon d'Epicure ,
Mon front porte fes traits gravés par la gaîté. :.
Viens la voir dans ces lieux , où ma raifon épure ,
Les droits de la vertu joints à la volupté..
Le Marquis de la P** C. A. R. D. L.M.
OCTOBRE. 1760. 13 .
BOUQUET
A Mere JEAN- PAUL DE RELONGUE,
Chevalier , Seigneur de LA LOUPTIERE,
ancien Moufquetaire de la premiere
Compagnie des Moufquetaires de la
Garde du Roi,
MALGRital
ALGRÉ tant de vertus , que votre Saint raf
femble ,
Vous rimez affez mal enſemble :
Son nom chez vous eft déplacé .
Votre parrain eut tort , n'en déplaiſe à fon zéle ;;
Il devoit bien prévoir qu'un héros terraffé ,
Ne feroit pas votre modéle.
aw
Par M. de RELONGUE DE LA LOUPTIERE ,
Membre de l'Académie des Arcades de Rome ,
Château de la Louptiere , en Champagne..
STANCES
A M. DE LA LOUPTIERE , fur fes
Poëfies galantes , par une SAP HO
Champenoife.
QUAU AND tu fouets à ton chant,
Un fexe né pour l'empire ,,
14 MERCURE DE FRANCE.
Louptiere , un art ſi touchant
N'eft pas le feul qui t'inſpire ;
Philis vante par- tout
Ton coeur, ta politeke ;
Eglé dit que ton goût
Embellit la tendreſſe.
Tu remportes chaque jour
Quelque nouvelle victoire ;
Ton nom , tes vers & l'amour ,
Te font des fiécles de gloire ;
L'art fourit à tes jeux :
Mais le fidéle hommage
Qui fixera tes voeux ,
Nous plaira davantage.
Que ton efprit eft charmant !
Et qu'à bon droit on l'admire !
Si tel étoit mon amant ,
Je me plairois à lui dire :
Pour mériter ton coeur ,
J'ai la délicateffe ,
Le fentiment , l'ardeur
De l'amour qui te bleſſe.
OCTOBRE. 1760. –
EPITRE , à Madame de P....
Vous , qui des fleurs les plus nouvelles
Joignez la fraîcheur & l'éclat ,
A l'efprit le plus délicar ,
A mille grâces naturelles :
Permettez- vous qu'un voyageur ,
Que fon cruel deſtin entraîne ,
Loin du plus aimable vainqueur ,
Brigue le fuprême bonheur ,
De vous rendre , comme à fa Reine ,
Un hommage plein de candeur ?
N'appréhendez pas , belle Dame ,
Que vos bontés m'enhardiflant ,
Je peigne avec de traits de flamme ,
Tout ce que pour vous mon coeur fent.
Des loix par la vertu prefcrites ,
Religieux obfervateur ,
Je fçais , dans de juſtes limites ,
Contenir la plus vive ardeur.
Pardonnez ..... ma raifon s'égare ;
Mais hélas ! il eſt mal-aifé
De voir une beauté ſi rare ,
Sans fentir fon coeur embraft.
Le jour où votre main divine ,
Daigna , d'un excellent caffé ,
36 MERCURE DE FRANCE.
"
Me préfenter une chopine ;
Il n'eft , de Paris à la Chine ,
Nul Vieillard que n'eût réchauffé
Cet éclat , cette bonne mine ,
Par qui le Dieu qui me domine.
De ma raiſon a triomphé.
Oui, dans ce jour , belle Emilie ,
Dont je me fouviendrai long- temps
Pour plaire au mortel dont j'envie
Et le bonheur & les talens ,
Vous aviez , d'une âme ravie
Par une parure choiſie ,
Embelli vos attraits brillans.
Ah ! que vous étiez dangereufet
Dans ce moment délicieux ,
Où votre époux , dans vos beaux yeux',,
Lifoit fa deftinée heureuſe.
Hélas , que dis- je ? ... il faut finir
Un entretien qui vous offenſe;
Mais en rentrant dans le filence,
Dont je n'aurois pas du fortir ,
Mon coeur de fa reconnoiffance ,
Croit pouvoir vous entretenir.
Quand je condamne mon audace ,
Sçachez donc , objet enchanteur,
Qui , de l'air le plus féducteur ,
Me fites vuider une taſſe
Bleine d'une douce liqueur
OCTOBRE. 1760. 17
Que la plus légére faveur ,
Venant de la main d'une Grace ,
Suffit pour graver dans mon coeur
Un fentiment que rien n'efface.
C'est à quoi le borne , en ce jour ,
L'hommage que je veux vous rendre
Non que de plus en plus l'amour
Ne me fuggére de l'étendre ;
Mais , c'eft qu'à parler fans détour ,
Je me connois trop pour prétendre
A groffir fa nombreufe Cour..
Vous uniffez , à l'art de plaire ,
Le minois piquant de ce Dieu ;
Vous avez les yeux de fa mére ;
Le plaifir vous fuit en tout lieu.
A P .... vous êtes chére ,
C'est trop de raiſon pour me taire »
Adieu , ma belle Reine , adieu !
Mais , non ; daignez encor permettre ,
Que j'affure ici votre époux
De l'eftime qu'il a fait naître,
Dans un coeur qui , quoique jaloux
D'un réfor dont il eft le maître ,
Convient qu'il eft digne de l'étre ,
Par fon ardent amour pour vous.
Cependant , foit dit entre nous ,
Si vous lui cachiez cette Lettre ,
Mon fort m'en paroîtroit plus doux.
18 MERCURE DE FRANCE.
DANS
EN VOI.
ANS cette retraite profonde ,
Où mon malheur guide mes pas ,
Où je vais , retiré du monde ,
Rêver fans ceſſe à vos appas ;
Quoique je ne me flatte pas
Qu'à mes petits Vers on réponde ,
Voici mon adreſſe : à D ....
Jadis employé pour Cornette ,
Qui bientôt laffé du métier ,
S'il fut un mauvais Officier ,"
Eft encor plus mauvais Poëte :
Son corps part pour Uzès , ſon coeur eft à Dijong
Et ſon eſprit diſtrait vous écrit de Lyon.
Par M. D..
COUPLETS d'une Demoiselle à fon Pere,
pour le jour de S. Louis fa fête.
Sur l'Air : Si j'voulions être un tantet caquette &C .
QU'AUX fons de ma voix ſe réuniſſe
fe
Le coeur de nos finceres amis ;
Que dans ce beau jour tout retentiffe ,
Des doux accens du nom de LOUIS..
Célébrons à l'envi cette fête ,
OCTOBRE. 1760 . 19
Qu'un chacun s'apprête ,
Qu'on cueille des fleurs ;
Que tout refpire ici l'allégreſſe ,
Et que la tend : effe
Régne dans les cours.
De flatteurs une fou'e importune ,
Vient faire aux Grands des voeux éloquens}
Mais c'eft fur l'Autel de la fortune ,
Que tous viennent brûler leur encens.
Mon coeur , il eft vrai , dans fon hommage ,
N'a point le langage
Des fins Courtifans ;
Son talent eft de peindre à votre âme ,
Sa fincere flamme
Par les fentimens.
Si des mains de la Parque inflexible ,
Je pouvois arracher le cifeau ,
Ou qu'à mes voeux devenant fenfible ,
Elle me confiât ſon fuſeau ;
Quel bonheur feroit- ce pour ma flâme ,
De filer la trâme
De vos heureux jours !
Il manqueroit encore à mon zéke,
D'être une Immortelle
Pour filer toujours.
Par Mile B.……. de C. dans l'Orléanois.
20 MERCURE DE FRANCE.
TRADUCTION de différens Morceaux
de SENEQUE.
LETTRE PREMIERE.
CROYEZ - moi , cher Lucilius , ren
dez - vous à vous - même. Le temps qu'on
vous enlevoit jufqu'ici , celui qu'on vous
déroboit , celui qui vous échappoit , ménagez
- le foigneufement. Faites - y réfléxion
: une partie de la vie nous eft enlevée
on nous en dérobe une autre :
une troifiéme nous échappe par notre
faute ; & cette derniere perte , effet de
notre négligence , devroit fur- tout nous
faire rougir.
Un coup
d'oeil
fur
notre
conduite
à
quoi
fe paffent
les
jours
? fouvent
à mal
faire
, encore
plus
fouvent
à ne rien
faire
,
& toujours
à faire
quelque
autre
chofet
que
ce qu'il
faudroit
faire
. Où eft l'homme
qui
fcache
feulement
que
le temps
eft
quelque
chofe
de précieux
? qui
connoiffe
le prix
d'une
journée
? qui
comprenne
, qué
chaque
jour
il meurt
? C'eft
une
coutume
& une
erreur
univerfelle
, de regarder
la
mort
comme
éloignée
dans
l'avenir
. Tout
ce que
nous
laiffons
derriere
nous
, eft à
elle
.
OCTOBRE . 1760 . 211
que
Vous ne fçauriez donc trop perfévérer
dans le plan de conduite , auquel votre
lettre m'apprend que vous vous êtes attaché.
Saififfez les inftans , n'en laiffez
échapper aucun. Profitez du jour préſent ,
vous en dépendrez moins de celui qui doit
fuivre. La vie fe paffe à différer , & les
délais n'en arrêtent pas le cours rapide.
Rien n'eft à nous , cher Lucilius , que
le
temps : & ce bien paſſager , le feul
nous tenions en propre de la nature , eft
encore fi fragile, qu'à chaque inftant nous
pouvons en être dépouillé par tout ce qui
nous environne. Mais , ô comble d'aveuglement
Les hommes fouffrent qu'on
leur faffe valoir les plus minces , les plus
communs & les moins néceffaires de ces
biens. Le temps eft l'unique chofe qu'ils
reçoivent fans reconnoiffance. Seroit- ce,
parce que c'eft la feule que la reconnoiffance
même ne puiffe rendre ?
Vous me demanderez peut être , fi je
fuis auffi fidéle à mettre en pratique ces
préceptes , qu'éloquent à les dicter ? Je
vous avouerai ingénûment qu'il en eft du
temps chez moi , comme de l'argent chez
un Particulier fomptueux , mais attentif
à fes affaires : je tiens compte de ma dépenfe.
Je ne puis pas dire que je ne perds
rien ; mais je dirai bien & ce que je perds,
22 MERCURE DE FRANCE .
& pourquoi , & comment je le perds : je
fçaurai rendre raifon de ma pauvreté.
Auffi en eft - il de moi , comme de la
plupart des Riches qui ſe ruinent , fans
qu'il y ait abfolument de leur faute . Perfonne
ne m'accufe , & tout le monde
m'abandonne. Quoiqu'il en foit , je ne
crois pas être pauvre , tandis que ce qui
me refte peut me fuffire.
N'abufez pas cependant de mon exemple
: le mieux eft de ne rien perdre. Vous
êtes dans le bon tems , commencez à en
profiter. Nos bons Ayeux avoient bien
raiſon : ménager fur le fonds du tonneau ,
c'eft s'y prendre un peu tard . Ce qui refte
au fonds eft non feulement la moindre
partie , c'eft encore la plus mauvaiſe.
LETTRE SECONDE.
CB que vous m'écrivez , joint à ce
E
que j'entends dire , me donne de vous
les plus belles espérances . Tranquille dans
le lieu où vous vous trouvez , vous n'avez
point recours à ces changemens éternels ,
qui ne font propres en effet qu'à jetter le
trouble dans l'ame. L'agitation ne fut jamais
la marque d'un coeur bien difpofé.
Pouvoir le fixer , & demeurer avec foiOCTOBRE
1760 . 23'
même , voilà , felon moi , le figne certain
d'un efprit fage & réglé.
Je ne fçais cependant , fi ce grand nombre
d'écrivains & d'ouvrages de tout genre,
que vous vous permettez de lire , në marque
point encore quelque principe fecret
d'inconftance & d'inftabilité. Il faut dans
la lecture fçavoir choifir fes Auteurs , s'y
arrêter enfuite , & s'en nourrir. Sans cela
point de fruits , du moins durables pour
l'esprit.
Etre partout , c'eft n'être nulle - part.
Voyager continuellement, c'eft le moyen
de faire bien des hôtes , & point d'amis.
Ainfi en eft - il néceffairement de ceux qui
voltigent d'un Auteur à un autre , fans
jamais s'habituer , ſe familiariſer avec aucun.
Il faut que la nourriture s'arrête dans
l'eftomach , pour qu'il en retienne quelque
profit , qu'il en refte quelque chofe
au corps : rien n'eft fi oppofé à la fanté ,
que la multitude & la variété des mets.
Üne bleffure ne fe ferme pas , lorfque fans
ceffe on en change l'appareil. L'arbre
fouvent tranfplanté,n'en devient pas plus
fertile . Les chofes les plus utiles , prifes
en paffant , ne fervent à rien. La multiplicité
des livres partage l'efprit , le rétré
eit & le diminue. Vous n'en pouvez lire
autant que vous pouvez en avoir: il ſuffit
24 MERCURE
DE FRANCE
:
que vous en ayez autant que vous en pou
vez lire . Mais , dites- vous , je fuis bien
aife de pouvoir lire tantôt l'un , tantôt
l'autre ? Ainfi font par rapport à la nourriture
les eftomachs débiles : Ils goûtent
de tout , & la diverfité des mets ne fert
qu'à augmenter le principe de leur dégoût.
Tenez- vous en à ce que vous aurez
trouvé de meilleur , & ne vous en écartez
que pour y revenir bientôt . Travaillez
chaque jour à munir votre coeur contre la
pauvreté , contre la mort , contre les autres
peftes du bonheur.
Je ne demande pas que vous vous appefantiffiez
fur chaque ligne . Je veux que
de chaque lecture vous recueilliez un trait
plus frappant ; que vous le digériez enfuite
le refte de la journée : c'eft ainfi que
j'en agis moi-même . Voici , par exemple ,
ce qu'aujourd'hui j'ai tiré d'Epicure , D'Epicure
! Oui , vous paffez donc dans le
camp ennemi ? Affez fouvent, non pas en
transfuge , mais en efpion. Voici ce que
j'en ai rapporté. La pauvreté , m'a-t -il dit ,
n'eft qu'honorable , quand elle eſt ſoutenue
avec joie.
Ce n'eft donc plus pauvreté. Etre content
de la pauvreté , c'eft être riche. Le
pauvre n'eft pas celui qui a peu ; mais celui
qui defire au - delà de ce qu'il a. Que
lui
OCTOBRE. 1760 . 29
lui fert d'avoir des coffres & des greniers
remplis ? A quoi bon fes nombreux troupeaux
& fes ufures , fi tout fon coeur fe
porte vers ce qu'il n'a pas à s'il oublie ce
qu'il a gagné , pour penfer à ce qu'il doit
acquérir ? Qu'eft - ce donc qu'un homme
riche ? C'eft celui qui ayant le néceſſaire ,
fçait enfuite fe contenter de ce qu'il a de
plus .
LETTRE TROISIEME.
Vo
ous me mandez que celui à qui
vous avez livré vos Lettres pour me les
rendre , eft votre ami ; & enſuite vous
m'avertiffez de ne pas néanmoins entrer
fans réſerve avec lui , dans le détail de ce
qui vous touche , parce que vous n'avez
pas vous-même coûtume d'en agir ainfi
avec lui . C'eſt-à- dire qu'il eft votre ami ,
& que cependant il ne l'eft pas ; ou plutôt
le titre d'ami n'eft ici qu'une fimple formule
d'ufage , fans doute , comme celui
d'homme de bien par rapport à un Candidat
, ou de Monfieur pour un paffant ,
dont on ne fe rappelle pas le nom : en
ce lens , je vous entends. Mais de regarder
comme votre ami , un homme en qui
vous n'auriez pas autant de confiance
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
qu'en vous - même , ce feroit avoir bien
peu d'idées de la véritable amitié .
Que votre ami entre dans toutes vos
délibérations , mais qu'auparavant il ent
ait été l'objet lui -même. L'examen doit
précéder l'amitié , & l'amitié produira la
confiance : Voilà l'ordre. Jugez d'abord ;
confiez - vous enfuite , & ne faites pas ,
dit Théophrafte , comme tant de têtes lé
géres, dans qui l'amitié précéde tout examen
, & l'examen détruit toute amitié.
Pefez long temps le mérite de celui ,
dont vous pensez à faire un ami. Votre
choix fait , ouvrez - lui votre coeur tout
entier ; parlez- lui avec autant de hardieffe
, qu'à vous- même . Le mieux , fans
doute , feroit de ne fe rien permettre
qu'on craignît de révéler même à un ennemi
. Cependant il y a certaines chofes,
fur lefquelles la coûtume ordonne le fe
cret. Ce font là précisément celles qu'il
faut confier à un ami ; foins , inquiétu
des , penfées de toute eſpéce , rien qui ne
doive être commun entre vous & lui.
D'ailleurs le moyen de lui donner de
la fidélité , c'eft de lui en fuppofer. Plufieurs
ont été trompés , par la feule raifon
qu'ils craignoient trop de l'être. Leurs
foupçons furent à l'égard de leurs amis ,
& une leçon d'infidélité , & un prétexte
OCTOBRE. 1766. 27
pour fe la permettre. Eh ! pourquoi donc
aurois - je des réferves avec le mien ? Pourquoi
ne me croirois-je pas feul , quand je
fuis avec lui ?
Il eft , je le fçais , des gens qui racontent
au premier venu , des chofes qui
ne devroient fe communiquer qu'à des
amis . Accablés du fardeau d'un fecret , ils
s'en déchargent , dès qu'ils trouvent une
oreille difpofée à le recevoir ; mais on en
voit auffi qui portent la défiance trop
loin. Ils redoutent jufqu'aux meilleurs
amis. A les voir renfermer leurs fecrets ,
on diroit qu'ils craignent de s'en fouvenir,
qu'ils fe défient d'eux-mêmes . N'imitez
ni les uns , ni les autres. Ne ſe fier à
fonne , n'eft pas un moindre excès , que
de s'ouvrir à tout le monde. Si celui - ci eft
moins fûr , du moins il eft plus honnête.
per-
Auffi condamnons- nous également ,
& l'humeur inquiéte qui ne peut fouffrir
le repos , & l'indolence qui fe livre à l'inaction.
Le goût pour le tumulte & l'agitation
, n'eft rien moins qu'amour du travail
; c'eft pur emportement d'un efprit
fans régle , qui ne peut fe contenir. De
l'autre côté , ce repos éternel , cette horreur
du mouvement n'eft en effet que
langueur , foibleffe & lâcheté.
,
Qu'elle eft fage , la réfléxion que je
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
lifois dans Pomponius ! Quelques - uns ,
dit-il , aiment fi fort la retraite dans laquelle
ils fe confinent , qu'ils prennent
le grand jour pour la tempête. Il faut ici ,
comme ailleurs , de la viciffitude . L'action
eft auffi néceffaire à celui qui repoſe ,
que le repos à celui qui agit . Interrogez
la Nature , elle vous dira qu'elle fit la
nuit pour fuccéder au jour , & le jour
fuccéder à la nuit.
pour
Par M. D.... d'ARRA S.
TRADUCTION libre du premier Chaur
d'EDIPE , Tragédie de SOPHOCLE.
QU'ANNONCE l'Oracle céleſte ,
Emané du pur fein des Dieux ?
Eteindra- t-il l'ardeur funeſte
De nos Aftres injurieux ?
Daigne éclaircir nos deſtinées ,
Phébus , dont les mains fortunées
Verfent la paix chez les humains .
Fils de l'immortelle Espérance ,
Oracle , par ta bienfaifance ,
Séche les larmes des Thébains !
Accepte nos humbles prieres ,
Fille du Souverain des Cieux ;
OCTOBRE. 1760. 2.9
Toi , dont les feeours tutélaires
Ont toujours protégé ces lieux ;
Diane , reçois les hommages
Que Thèbe adreffe à tes images !
Laiffe - toi fléchir , Dieu puiſſant ,
Dont les fléches inévitables ,
Ont , dans les cahos redoutables ,
Englouti l'horrible ſerpent !
Si des Nations défolées ,
Vous avez éteint les douleurs ;
Si de nos Villes accablées ,
Sous le faix pefant des malheurs ,
Vos mains ont chaffé les tempêtes :
Daignez , en faveur de nos têtes ,
Armer le tonnèrre éclatant ;
Sans vos fecours , Thèbe victime ,
Dans le centre ouvert de l'abîme,
Va s'écrouler en un inftant .
Au fein des épouses tremblantes ,
La mort plonge fes bras ardens ;
Et dans leurs entrailles fanglantes
Tarit les germes abondans.
Nos mânes aux rivages fombres
Vont accroître des pâles ombres
Les bataillons inanimés :
Ainfi , dans le fort des orages ,
Les oifeaux fuyent , des nuages ,
Les foudres par- tout allumés .
1
Bij
30 MERCURE DE FRANCE
Les cadavres , fans fépulture ,
Couvrent nos fillons defertés ;
Alefton , de la bouche impure ,
Soufle l'horreur de tous côtés .
Les Matrônes , d'un pas débile ,
Aux Autels cherchent un afyle ;
L'époufe au fein de fon époux :
Tout tombe , & les voutes fuprêmes ,
Avec leurs plus affreux blafphêmes ,
Répétent nos voeux les plus doux .
Tuiffe ta foudre étincelante ,
Minerve , purger nos climats ,
De ce Mars , dont l'ardeur brûlante ,
Sans traits , fans armes , fans combats ,
Mais , par des flammes empeftées ,
Dans nos demeures infectées ,
Seme fon horrible venin :
Lance un trait qui le précipite
Dans les flots obfcurs d'Amphitrite ,
Cu dans les gouffres de l'Euxin .
Ce qu'en fa courfe bouillonnante
La nuit a laiflé de vivant ,
Tombe , à l'approche rayonnante
De l'aurore du jour fuivant.
D'un rapide éclat de ta foudre ,
Jupiter , mets ce monftre en poudre.
Phébus , dans les fombres féjours
OCTOBRE. 1760 . 31
Fais tomber cet affreux génie ,
Et de fa dure tyrannie ,
Défends les derniers de nos jours.
Lance d'un bras ferme & terrible ,
Diane, des traits affurés ,
Qui , de cette Mégère horrible ,
Vengent nos peuples éplorés .
Et toi , dont Thèbe eft la patrie ,
Chef des Bacchantes en furie ,
De cette noire Déité ,
Calme la fureur dévorante ;
Et , dans notre Ville mourante ,
Ramene l'utile fanté.
Par M. L.....
ODES ANACREONTIQUES.
C
PLEIN
LEIN de l'image de Clélie ,
Sans ceffe je vois fes attraits :
L'Univers eft ce que j'oublie.
J'aime , voilà ce que je fçais .
Mon amour pour elle eft extrême ;
Il épuife mes fentimens :
Je m'ignore prèfque moi- même.
Mon coeur feul eft ce que je lens.
J'enflamme l'objet que j'adore ;
L'Amour couronne notre ardeur :
Biv
32 MERCURE DE FRANCE
Le tendre feu qui me dévore
Se confond avec mon bonheur.
QUE
AUTRE ODE.
UE j'aime au fond d'une retraite ,
Impénétrablé au Dieu du jour ,
A trouver une ombre difcrète ,
Pour mieux foupirer mon amour !
Lieux enchanteurs , lieux favorables
Aux doux myſtéres des plaiſirs 3.
Qui , fous vos ombrages aimables ,
Ne poufferoit point de foupirs ?
Gazons fleuris , fombre verdure ,
Pour moi que vos charmes font doux !
Séjour chéri de la Nature ,
Puiffé- je n'habiter que vous !
Par M. P. *** d'Arras.
LETTRE de l'Auteur du Mercure.
QUELQUES perfonnes , Monfieur , qui
favent que j'ai des Piéces Angloifes traduites
& deftinées à la continuation de
mon Théâtre Anglois , ont paru defirer
que j'en donnaffe de tems en tems . quelOCTOBRE
. 1760. 33
”
ques Scènes dans le Mercure . Il s'agit de
favoir file Public fera du même fentiment
les hardieffes & la fingularité des
fituations que les Auteurs Anglois fe permettent
, malgré le piquant de la nouveauté
, toujours en droit de plaire à bien
des Lecteurs , peuvent déplaire à beaucoup
d'autres. J'attendrai fon jugement
fur celle- ci , pour favoir à quoi m'en tenir
fur quelques autres du même genre .
Elle est tirée de la Tragédie du DỤC DE
› GUISE , ou du Maſſacre de Blois , dé
MM. Dryden, & Lée, deux des meilleurs
Tragiques Anglois , Acte s .
SCENE VII.
Le Théâtre repréfente un appartement préparé pour
unefête . On voit , dans le lointain , des Bergers
& des Bergères à Table. Le Comte de Malicorne ,
après les avoir regardés , s'approche fur le devant
du Théâtre.
LE COMTE DE MALICORNE , ſeul.
VoOICI la fête anniverfaire du Contrât -
que j'ai paffé, depuis douze ans, avec l'Enfer
! Les fuccès , l'opulence, & des plaifirs
toujours nouveaux , feuls objets dés defirs
Bv.
34 MERCURE DE FRANCE.
de l'homme , furent le prix que je de
mandai pour mon âme ; & je crois l'avoir
bien vendue.... On m'a promis vingt &
un ans de jouiffance fans obftacle ; on
m'a jufqu'à préfent tenu parole : ainſi
je puis compter fur neuf encore.... Comment
l'Enfer peut - il être affez fot , pour
mettre une âme à fi haut prix ? ... Je ne
puis m'empêcher d'en rire ! ... J'ignore ,
cependant , quel mouvement intérieur
femble tout-à- coup m'agiter ; quel nuage
offufque ma tête , & me rend trifte malgré
moi ... Appellons , pour nous diffiper
, le fecours de la joie d'autrui.....
Approchez , mes amis ?... Chantez , danfez
, animez - vous , jouiſſez du préſent .
( On exécute un Divertiffement champêtre , vèrs
la fin duquel , on entend heurter un grand
coup à la porte. )
MALICORNE.
D'où part ce bruit ?
UN DOMESTIQUE .
Seigneur , un homme en noir, de mauvaife
mine , & d'une voix tonnante , eft
à la porte... & prétend vous parler .
MALICORNE .
Qu'il s'en retourne : dis -lui , que dans
ce jour , je ne reçois perfonne ; que je le
confacre au plaifir .
L
OCTOBRE . 1760 . 3.9
Le Domestiquefort . Les coups redoublent . )
Quel eft donc l'infolent qui heurte ain-
G ... Sçait- il , que c'eft chez moi ?
( Le Domestique rentre . )
LE DOMESTIQUE .
•
Seigneur , il dit , que l'affaire eft preffante
; qu'il faut que vous veniez à lui ;
ou qu'il viendra troubler la fête.
MALICORNE.
Dis- lui , que je n'en ferai rien .
LE DOMESTIQUE.
En vérité , Seigneur , je n'oferois ...
Je ne
( Le bruit redouble . )
puis le voir , fans frémir ! vos
chiens même , à fon afpèt , fe fauvent en
heurlant .
MALICORNE, après avoir révé un inftant.
Qu'il entre... Sortez tous.
( Lefonds du Théâtre , fe ferme . )
ઉન
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
SCENE VIII.
MALICORNE. Le Démon MÉLANAX ,
tenant une horloge de fable ,
prèfque vuide..
Qu
MALICORNE.
Ui te rend donc affez hardi , pour
venir interrompre mes plaifirs ? ... Tu ris ,
malin démon ! oublierois-tu l'empire que
l'Enfer m'a donné fur toi ? à quel point
je puis te punir ?
MELANA X.
Malicorne , je te crains peu ... Regarde
cette horloge !
MALICORNE.
Qu'a- t- elle de commun avec ma puiffance
fur toi ?
MÉLANAX.
Regarde... voi ce fâble qui s'écoule ...
Il t'annonce le peu d'inftans qui te reftent
à vivre.
MALICORNE.
Vaine & lourde fupercherie! .. I te reſte
neuf ans à me fervir.
MÉLANAX.
Pas même , neuf minutes,
OCTOBRE . 1760.
37
MALICORNE.
Vil impofteur ! ... connois- tu ce contrât
? ... regardes - en la date .
MÉLANA X.
Tu t'en rapportes donc à ce papier ?
MALICORNE.
Oui , je le jure... & que le Ciel ' me
foit en aide !
MÉLANA X.
Et que l'Enfer te prenne... Lis ... vois,
qui de nous eft le plus impofteur .
( Illui montre le double du Contrât. )
. MALICORNE.
Ciel ! au lieu de 21 ans , mon oeil trou
blé n'en trouve plus que 12.
MELANA Χ.
Va , malheureux , tu ne vois que trop
clair.... Mais lorfque tu fignas ce funefte
écrit, je fçus te fafciner les yeux au point
de lire 21 , ou dans tout autre temps tu
n'aurois lû que 12 .
MALICORNE.
Ainfi ton crime eft avoué ... C'eft me
donner le droit d'en appeller à l'équité
du Ciel.
MÉLANAX.
Aveugle que tu es ! ....Tu viens de
36 MERCURE
DE FRANCE
.
SCENE VIII.
MALICORNE. Le Démon MELANAX ,
tenant une horloge de fable ,
prèfque vuide.
QUI
MALICORNE.
52
UI te rend donc affez hardi , pouf
venir interrompre mes plaifirs ? ... Turis ,
malin démon ! oublierois-tu l'empire que
l'Enfer m'a donné fur toi ? à quel point
je puis te punir ?
MELANA X.
Malicorne , je te crains peu... Regarde
cette horloge !
MALICORNE.
Qu'a - t- elle de commun avec ma puif
fance fur toi ?
MELANAX.
Regarde... voi ce fable le..
Il f'annonce le peu d'i
tent à vivre.
Vair
OCTOBRE. 1965 . 37
MALICORNE
Vil impofteur ! ... connois- tu ce contrât
? ... regardes- en la date.
MÉLANAX.
Tu t'en rapportes donc à ce papier ?
MALICORNE.
Oui , je le jure...& que le Ciel ' me
foit en aide !
MÉLANAX.
Et que l'Enfer te prenne. .. Lis ….. vois,
qui de nous eft le plus impoſteur .
(Illui montre le double du Contrát. )
MALICORNE.
Ciel ! au lieu de 21 ans , mon oeil trou
blé n'en trouve plus que 12 .
MELANA X.
Va , malheureux , tur
clair.... Mais lorfque t
écrit, je fçus te fafcine
de lire 21 , ou dans
n'aurois lû que 12.
MAJ
Ainfi ton cr
don le dr
ue trop
funefte
38 MERCURE DE FRANCE.
t'interdire cet appel , en atteftant tout-àl'heure,
en fon nom , que tu t'en rappor
tois à cet écrit.
MALICORNÉ.
Ah , malheureux ! je fuis perdu.
MÉLANAX.
Qui t'en feroit douter ?
MALICORNE.
'Ah ! fi du moins , tu m'avois prévenu.
MELANAX .
Je n'avois garde !...Tu m'aurois trompé
moi-même.
MALICORNE.
Accorde-moi du moins un jour ? ...un
demi jour ... une heure ... Tien ,
*
?
laiffe- moi ce jour : je ne contefte plus ;
je fuis à toi ..... Je te pardonne même ,
fans regret , le vol que tu me fais de
neuf années.
MELANA X.
Attendrit- on l'enfer ? ..... lâche ! ..
Dépêche - toi ...... C'eft trop avilir ma
victoire.
MALICORNE.
Barbare créancier ! ..... je fuis pour-
* Mélanax , à toutes ces demandes , ne répond
qu'en hochant la tête.
OCTOBRE. 1760. 39
tant encore ton maître : obéis -moi , perfide....
Guife m'eft cher ; & jufqu'à mon
dernier foupir , je veux le lui prouver. Répons
fans détour . Dévoile - moi l'avenir
qui l'attend.
MÉLANA X.
Si ton Guife monte au Château ; s'il
ofe affifter au Confeil , ..... il eft perdu.....
Ton Guife eft mort.
MALICORNE.
Holà , quelqu'un ? ..... ( un Domeftique
arrive. ) Volez ; portez à Guiſe mon
dernier adieu... Dites- lui que j'expire; qu'il
fe garde , fur- tout , d'aller au Confeil ; où ,
fa mort eft certaine.
( Le Domeftiquefort ; &Malicorne s'apperçoit
que Mélanax fecoue l'horloge. )
Cruel , arrête ! .... Le fâble coule encore
ne précipite point fa chûte ! tu
n'auras que trop ta proie ..... ( à part. )
Si je pouvois fincérement me repentir.....
Il ne me refte qu'un inftant ! Mais ta miféricorde
, ( ô Ciel ! ) pourroit - elle être
limitée ? ..... Daigne daigne me l'accorder
!
MÉLANA X.
Prieres auffi fauffes que légères , qui
ne frappent que les airs , & que le Ciel
40 MERCURE DE FRANCE.
rejette ! .... Mortel , je fus Ange autrefois
; je fus même du premier Ordre : près
du Trône brillant de l'Eternel , mon oeil
en foutenoit prèfque l'éclat. Je croyois
infenfiblement parvenir jufqu'à pouvoir ,
fans fourciller , enviſager fa gloire . Hélas
! ainfi que mes pareils , je n'eus que
ce moment d'orgueil ; & nous tombâmes
tous ! Et nous tombâmes pour jamais ! ....
L'homme moins malheureux , l'homme
pétri d'argile , & d'une espéce bien moins
noble , l'homme fe rend fans ceffe plus
coupable , & peut toujours efpérer le
pardon. Le Ciel eft jufte cependant ? nos
lumieres , étoient plus parfaites : nous
avions vû , fenti , connu , notre forfait :
tandis que l'homme , enveloppé d'organes
plus ou moins groffiers , moitié âme,
moitié matiére , tombe toujours prèfque
aveuglément dans le crime.
MALICORNE , avec vivacité.
Ah ! Ciel ! .... Je puis donc efpérer
encore ?
MÉLANAX..
Toi , malheureux ! .... Apprens , qu'en
te parlant ainsi , mon but étoit de te diftraire
, de te ravir le peu d'inftans qui
te reftent pour demander plus fincérement
ta grace , .... Regarde cette horOCTOBRE.
1760
loge..... Tombe dans le défeſpoir !
MALICORNE.
Dieu ! jufte Dieu ! Que d'horreurs m'environnent
? .... Ainfi l'homme , trop peu
foigneux de fon état futur , difpute , ne
fçait rien , & croit toujours trop tard ! ' ....
( La foudre tombefur Malicorne ; & tous les
deux font engloutis . )
EPITRE , à M. de VOLTAIRE , für la
Comédie de l'EcoSSOISE.
Tor que le Dieu du goût , & le Dieu du génie
Ont à l'envi comblé de leurs divins talens !
Toi dont les fublimes accens
T'ont rendu dans ce fiécle , & dès tes jeunes and
Le héros de la Poëfie ,
Le plus digne de notre encens !
Daigne accepter ce foible hommage..
Permets que j'ole ici t'offrir
Ce tribut que je dois à la vertu d'un Sage ,
Qui m'enfeigne à bien vivre &m'apprend à mourir
J'ai vu les fruits nouveaux de l'efprit qui t'anime ,
Et le jufte fuccès de ce drame enchanté ,
Où le fage Friport , que j'aime & que j'eftime
Rend par fa bienfaiſance hommage à la beauté ;
Où l'humanité parle , où ta jeune Ecoffaife
Donne fur la Scène Françaiſe
42 MERCURE DE FRANCE.
Des leçons de vertu , d'honneur , & de fierté.
Mon coeur doublement agité,
Par les malheurs & par fes charmes ,
Nageait dans un torrent de plaifirs & d'allarmes,
Ses foupirs , fes dédains , fa noble fermeté ,
M'enchantaient tour - à - tour , & m'arrachaient
des larmes
De douleur & de volupté !
Le jufte défefpoir qui tranfporte Monrose ,
En voyant un mortel que fa haine a profcrit ,
Le refpect de Murrai qui fiérement s'expofe
Au fer vangeur qui le pourfuit ,
Sontun tableau frappant dont l'Enſemble compoſe
Un afpect effrayant qui touche & qui féduit .
Ofublime Voltaire ! ô nouvel Euripide !
Toi qui couvres , de ton Egide ,
L'infortuné mortel fous les maux abbattu !
Ton efprit nous apprend , en ce fiécle éperdu ,
A marcher d'un pas intrépide
Dans le fentier de la vertu .
Notre Raifon s'éclaire au flambeau quite guide
C'eſt un nouveau foleil qui nous eft apparu.
Toi feul dans le fiécle où nous fommes ,
Par des Ecrits toujours nouveaux ,
Toi feul tu fais inftruire & confoler les hommes ;
Tuvas jufqu'à leur faire aimer leurs propres maux!
Ta façon de penfer m'éleve ... & me décide
Sur les événemens cruels & malheureux
OCTOBRE. 1760. 43
Ta voix qui me prépare aux accidens fâcheux ,
M'apprend à méprifer l'ingrat & le perfide ,
Dont le poignard & le coup homicide
Portent prefque toujours fur les coeurs généreux !
Qu'un Auteur , après toi , vienne affadir la Scène,
Par un faux intérêt , par un ftyle ampoulé
Où le bon fens eft toujours à la gène ,
Où l'efprit tâche ... & croit fans peine
Qu'un tel drame eft parfait , tandis qu'il eft fiflé ;
Je gémirai fur lui , fur l'erreur qui l'enchaîne ,
Et je plaindrai le fiécle où ce Sot a parlé.
Mais toi qu'Apollon même éclaire ,
Et pénétre d'un feu divin ,
Toi qui nous aime & qui nous tends la main ,
Lorsque le fort nous eft contraire ;
Toi qui fais confifter ton bonheur fouverain
Dans le talent , dans l'art de plaire
En inftruifant le genre humain ;
Viens embellir , viens graver au Théâtre
Par la voix de Clairon , Dumefnil , & Gaufin ,
Ces nobles fentimens dont ton coeur eft fi plein ,
que l'honnête-homme idolâtre . Et
Que ta mâle éloquence , & que la vérité
En détruifant l'erreur , nous y parlent fans ceffe]
Sur le ron de l'humanité ;
fa
Que l'homme riche & vain , qui n'a que ſa fierté ,
Con naiffe en te lifant fon néant , fa faiblelle ,
Et qu'il falle fa volupté
44 MERCURE DE FRANCE:
D'accueillir l'indigent qui fouffre , & qui s'abaiffe,
En contemplant la pauvreté .
Viens manifefter l'ignorance ,
Abailler l'amour- propre , & confondre l'orgueil
De ces petits Auteurs dont l'âme eſt un recueil
De baffeffe & de fuffifance ;
Et dont la coupable infolence
Va jufqu'à defirer de te voir au cercueil .....
Mais plutôt aiffe-les dans leurs erreurs groffières
Préparer fans fuccès leurs traits & leur poiſon ;
Le fort de cet amas d'Ecrivains mercénaires ,
Eft de ramper fans ceffe aux pieds de l'Hélicon ;
D'avoir un voile épais , tendu fur leurs paupieres .
Qui leur ôte à jamais l'efprit & la raison.
Et qu'importe en effer qu'un Sot ou qu'un Infâme
Applaudiffe à ta gloire , infulte à tes talens ;
Sa voix le perd dans l'air , fes cris font impuiſſans,
Et le mépris public , & l'opprobre , & le blâme ,
Sont le prix qu'on arroge à fes vils fentimens.
L'efprit que t'a donné le Maître du Tonnèrre ,
Eft autant au- deffus de ce troupeau vulgaire ,
Que le palmier , le cédre du Liban
Sont au- deffus du pin qu'on abbat & qu'on fend
Lorsqu'il dépérit fur la tèrre ,
Et qu'il n'y fert plus d'ornement.
Le féjour où tu vis , ces champs où l'on t'adore,
Sont pour toi le vrai paradis ;
Tu t'y plais & tu les chéris
OCTOBRE.. 1760.
43
Plus que ces lieux charmans que le Louvre décore
Et ton coeur fatisfait les préfére à Paris.
Ta fublime philofophie
Admet que les vrais biens & la félicité
Sont de vivre éloigné du faſte & de l'envie ,
D'éxifter chez un peuple où gît la liberté ,
La bienfaifance & l'induftrie :
Le vrai Sage en tous lieux fait trouver la patrie.
Sois heureux fur les bords de ton lac enchanté ;
Rien ne manque à tes voeux , ta gloire eft inouïe :
Un des plus beaux efprits que la Tèrre ait porté,
Frédéric , rend hommage à ta célébrité ,
Et t'encenfe fans jaloufie .
Tes Ecrits , où des Dieux parle la majeſté ,
Marqués du fceau brillant du goût & du génie,
Iront avec éclat à la postérité ;
Et tu jouis pendant ta vie
De la certitude infinie
D'aller même en mourant à l'immortalité.
Par M. de S. ETIENNE.
UN
FABLE.
N ver luifant que l'aurore vit naître ,
Fier de fe voir brillant fur le déclin du jour ,
Crut qu'il l'avoit fait diſparoître ;
Qu'Auteur de la lumiere , il alloit à ſon tour ,
A l'Universentier,la en partager Maître.
Déjà dédaignant fon réduit ,
46 MERCURE DE FRANCE
Ils'empreffe à gagner la plaine ,
D'où les rayons doivent fans peine ,
De la tèrre , à jamais , chaffer l'affreuſe nuit
ignoroit , hélas ! que fon éclat vînt d'elle.
Tandis que ce Phébus nouveau
Porte au loin fa clarté qu'il prodigue avec zéle
L'aftre du jour rallume fon flambeau ;
Et bientôt échauffant la plaine ,
De fa brillante haleine ,
Grilla le pauvre vermiffeau .
Jeunes préfomptueux , c'eft ici votre hiftoire !
A- t-on dans quelque cercle applaudi nos talens ;
On paroît : mais , au jour , quefont ces faux Sçavans ?
Trop heureux, fi leur chûte eft digne de mémoire !
PASQUIER
OCTOBRE. 1760 . 47
ESSAI SUR CETTE QUESTION :
Lequel de ces deuxfentimens eft le plus
relatif au bien être de la fociété ou celui
des François qui notte d'infamie les
parens des perfonnes fupliciées , ou celui
des Angiois qui lui eft exactement oppoſe.
Refpicere exemplar vitæ , morumque jubebo
Doctum imitatorem , & veras hinc ducere voces.
Horat. Art. Poët. v. 317 .
CETTE queſtion , Meſſieurs , a déjà
été agitée plus d'une fois dans vos affemblées.
Le refpectable Académicien qui fe
la propofa d'abord , content d'avoir mis
en parallele , ce qui fembloit devoir faire
pancher la balance en faveur de chacun
de ces fentimens , & en même temps leur
faire refufer la préférence , laiffa l'affaire
indécife , & à chacun de fes auditeurs la
liberté de fe déterminer. Sans prédilection
au moins apparente pour l'un ou l'autre
de ces deux objets , qu'il venoit de peindre
avec les couleurs qui leur étoient effentielles
, il vit d'un ceil indifférent , l'un
penfer à l'Anglaife à cet égard , l'autre
tenir bon pour le fentiment nationnal.
48 MERCURE DE FRANCE :
Ami décidé des hommes , M. Poréę
en donnant fa differtation au Public , rempliffoit
deux objets intéreffans à la fois.
D'un côté , en examinant ce que chaque
fentiment avoit pour & contre lui , il
apprenoit à une partie de fes Auditeurs à
raiſonner leur façon de penfer; de l'autre,
en reftant en- deçà de la décifion , il ouvroit
une carrière à ceux qui doués de
quelques talens , voudroient prendre l'un
ou l'autre parti , & rendre compte des
raifons qui les auroient décidés.
Un de vous , Meffieurs , ( * ) prit le fentiment
françois fous fa protection , &
s'annonça dans ce fanctuaire en plaidant
en fa faveur. J'ofe entreprendre de foutenir
celui d'une nation rivale de notre patrie
; j'ofe croire en même temps que perfonne
ne me foupçonnera de le défendre
autrement qu'en bon françois .
Les fociétés & les loix nâquirent en
même temps ; & cela eft dans l'ordre. Il
falloit des conventions pour former les
fociétés , & de leur obfervation dépendoient
le bonheur & le repos de ceux qui
y avoient accédé . On n'auroit jamais connu
les loix pénales , fi les hommes n'avoient
jamais violé les régles éternelles
* M. Manchon , Curé de Chichebouville.
du
OCTOBRE. 1760 . 49
du jufte , & de l'honnête , & s'ils avoient
toujours écouté la voix de leurs devoirs :
mais il fallut qu'elles vinffent fervir de
frein à l'emportement fougueux des paffions
; & c'est là que commence cette lifte
humiliante pour l'humanité , où font tracés
les noms de ces malheureux illuftres
leurs crimes , dont les tourmens &
la mort , ont été l'éffroi des fiécles qui les
ont vu vivre & terminer leur carrière.
par
Mais cette humiliation , Meffieurs , eft
commune à tous les hommes en général ,
parce que tous les hommes ont entr'eux
une liaiſon certaine , néceffaire & effentielle
; cette humiliation leur eft commune
, parce que le voeu unanime de tous les
êtres penfans , eft de n'être environnés
que d'êtres penfans avec autant de délicareffe
qu'eux , & qu'ils ne peuvent voir fans
douleur un homme femblable à eux en
toutes chofes , élevé à la même école , fe
dégrader de fa grandeur, & devenir l'objet
dela haine & de l'horreur publique.
Peut- on avec quelque raifon conclure
de ce principe , que les parens de ceux que
leurs crimes ont conduit fur l'échafaut ,
doivent participer à leur honte & devenir
non feulement le jouet , mais le rebut,
& l'objet le plus marqué du mépris de
urs compatriotes? On croit être en droit
11.Vol. C
yo MERCURE DE FRANCE.
de le faire ; on agit en conféquence dans
notre Patrie , où l'on fe pique avec raifon
d'avoir épousé les fentimens , & d'avoir
fecoué le joug de bien des préjugés ,dont
nos Peres avoient été , & dont plufieurs
de nos voisins font encore les efclaves ou
les victimes .
Raifonnons - nous avec jufteffe? L'affaire
femble affez importante pour être diſcutée
férieufement ; & bien d'honnêtes gens
trouveroient leur compte , fi nous n'avions
fuivi jufqu'à préfent que le préjugé pour
guide , en portant des jugemens auffi flétriffans.
Voyons d'abord , quel eft l'objet de
notre mépris ? nous l'aurons trouvé bientot
: c'eft la famille entiere d'un homme
qui a péri par les mains du bourreau, fans
diftinction d'âge , de rang , ou de fentiment.
Le vieillard qui aura fourni une
carrière vertueufe , defcend couvert de
honte au tombeau ; l'enfant qui n'a pas
encore vû le jour , apprendra , en commençant
à fe connoître , qu'il eft né dans
une famille déshonorée , & portera la
peine que mérita jadis un ayeul qu'il ne
connut jamais.
Examinons enfuite quel eft le motif de
ce mépris décidé , dont rien ne peut nous
faire revenir en faveur de cette famille
OCTOBRE. 1760 .
Infortunée ; nous en avons deux qui nous
font agir , le crime , ou la peine du cri
me. Voyons fi l'un ou l'autre de ces motifs
font déterminans. Pour y parvenir
prenons - les chacun à part ; citons notre
façon de penfer au tribunal de la Raifon,
& ne prononçons que fur de bonnes
preuves .
Eft- ce le crime en effet qui eft notre
principal motif ? mais fi le crime que
quelqu'un a commis nous porte à regarder
fa famille comme couverte d'un opprobre
inéfaçable, il me femble que nous devons
d'abord nous faire mettre fous les yeux
un tableau vrai de la vie du coupable ,
depuis qu'il commença à fe connoitre ,
jufqu'au moment qui a terminé fon fort :
que nous devons examiner fcrupuleuſement
chacune des circonftances de cette
vie , relativement à l'éducation qu'il a
reçue , & aux foins que fa famille a pris
de lui : que nous devons nous former une
idée nette de ce que cette famille a fait cu
négligé de faire en faveur de cet homme,
qui , fuivant notre jugement , vient de
la déshonorer ; difcuter foigneufement fi
ce fut l'avarice ou la prodigalité de fes
parens ; une tendreffe mal entendue , ou
une haine décidée ; une molle indulgence
, ou une lévérité outrée , qui furent
C ij
52 MERCURE DE FRANCE:
les caufes de fa perte ; diftinguer attenti
vement entre celui de fes parens , qui , à
portée de lui donner de fages avis , négligea
de le faire , & celui , qui hors d'état
de s'acquitter de cet indiſpenſable devoir
, ne put former pour lui que des
voeux impuiffans : & comme dans une
famille affemblée , il eft rare de voir tous
les avis réunis , il faudra fçavoir exacte
ment quel des parens avoit choifi le plus
fage , quel avoit pris un travers , afin de
ne répandre fur chacun que la portion de
mépris qui lui fera due , & conferver entiere
la réputation de ceux qui par une
conduite fage & mefurée auront mérité
qu'on n'y porte aucune atteinte .
Mais cet examen fi néceffaire pour
n'ê- tre pas
induit
en erreur
, qui de ceux qui prononcent
un jugement
flétriffant
, l'a fait difons
plus , qui l'a pu faire ? aucun fans doute. De cette impoffibilité
de pé- nétrer
à fond la conduite
qu'ont
tenuë ceux que les liens du fang atrachoient
au coupable
, fort naturellement
un défaut effentiel
dans le jugement
que nous por- tons fur elle. Le crime commis
, pár un membre
de cette famille
, ne peut donc
être qu'un prétexte
pour la couvrir
d'op- probre
& de confufion
.
Mais allons plus loin , & fuppofons que
OCTOBRE. 1760.
53
de l'examen attentif & réfléchi que nous
aurons fait , il réfulte clairement que la
famille a contribué par fon inattention ,
ou fa pareffe , à la faute capitale que nous
reprochons au coupable & que nous
imputons aux parens par contrecoup ,
qu'en pourrons- nous conclure de favorable
pour notre façon de penfer Rien
certainement ; au contraire , un peu de
réfléxion nous convaincra qu'elle eft abfolument
inconféquente.
C'eſt le crime qui vient d'être commis
qui eft notre motif , difons - nous.
Mais premierement n'eft- il de coupables
que ceux qui tombent entre les mains de
la Juftice ? En fecond lieu , n'eft-il de
crimes que ceux contre lefquels les loix
humaines ont prononcé des peines capitales
?
L'une & l'autre de ces propofitions ne
peuventêtre foutenues avec quelque vraifemblance.
En effet , nous fommes entourés
d'une multitude d'hommes , dont
la vie a été un tiffu de crimes , qui , vendus
à l'iniquité , ont même ofé s'annoncer
fur ce ton dans le monde , dont les coeurs
viciés ont été infenfibles à la voix intérieure
de la confcience , & aux fages confeils
de leurs amis , qui après avoir vécu
dans le crime ont rendu le dernier foupir
C iij
34 MERCURE DE FRANCE.
en defirant encore d'en confommer de
nouveaux. En fecond lieu , combien de crimes
bien effentiels contre lefquels les loix
humaines , n'ont prononcé aucune peine
dans notre patrie , ou du moins auxquels
on n'en inflige aucune ? les jours du mér
difant , du calomniateur , de l'impie déclaré
, du matérialiste , de l'infâme adul
tére , ne jouiffent-ils pas en paix de la
protection que les loix accordent au Citoyen
le plus vertueux ? Nous cependant,
dont le jugement eft fi févére contre une
famille deshonorée , felon nous , par
le crime d'un de fes membres. , nous
vivons en fociété avec les criminels des
deux espéces , que nous venons de nommer
; l'intérêt , l'amitié , les égards , tour
nous lie avec eux , & cependant leurs
cours nous font connus ; la profeffion
ouverte de leur façon de penfer ne nous
permet pas de nous la cacher ; leurs vices,
leurs défordres font affichés ; pouvonsnous
après cela affurer avec quelque raifon
que le crime eft l'objet de notre mé
pris ? Que e'eft lui qui nous fait rompre
avec cette famille qui jouiffoit , il n'y a
que peu de momens,de toute notre eftime
pour le prouver , mettons donc au
rang de la famille du criminel ces hommes
que nous connoiffons coupables deș
OCTOBRE. 1750. S$
Crimes dont nous venons de faire l'énu
mération ; ou ayons pour ceux qui ont le
malheur d'avoir nourri des hommes indignes
d'eux , une indulgence que nous
leur devons à des titres bien plus réels ,
que ceux à qui nous l'accordons fi libéra
lement..
J'ignore comment on pourroit autre.
ment mettre d'accord des fentimens autant
oppofés ; & je conclus , contre ceux
que je combats , qu'ils fe font illufion ,
que leur coeur les trompe , & que ce n'eft
nullement au crime qu'ils en veulent en
flétriffant la famille du criminel .
Le fecond motif dont nous avons parlé
eft donc celui qui nous fait agit , &
nous flétriffons la famille du coupable ,
parce que le coupable -a été puni . Mais
dans ce fecond cas avons nous plus de
raifon que dans le premier ? Jettons encore
fur nous mêmes un oeil attentif à
cet égard ; examinons l'effet abfolu du
jugement que nous portons fur la famille
du Supplicié , & l'effet de ce même jugement
relativement à la fociété en général.
La famille du Supplicié eft bien à
plaindre , fans doute , d'avoir produit un
monftre qui rompant les nouds qui l'attachoient
à l'efpéce humaine , s'eſt dé-
C iv
56 MERCURE DE FRANCE.
claré fon ennemi. Sa fenfibilité eft réveil
lée par le crime & par les circonstances
qui l'aggravent ; fon influence eſt au
comble , puifqu'à ces premiers chagrins
toujours renaiffans , elle va voir ajouter
la honte , dont fuivant le fentiment reçu ,
la peine infligée au coupable va la couvrir.
Mais fi la façon de penfer de cette famille
étoit épurée ( & je crois que les
plus zélés défenfeurs du fentiment que je
combats m'accorderont qu'on ne doit
pas.regarder comme coupables tous les
parens d'un criminel , uniquement parce
qu'ils font fe parens ) le jugement que
vous portez n'ajoute rien à fa peine ; elle
eft dans l'âme , & indépendante du jugement
des hommes .Votre fyftême n'a donc
aucune influence fur la famille du coupable
fupplicié. En a t il davantage fur la
Société Vous foutenez l'affirmative : de
la honte , dites- vous , du fupplice infligé
au coupable , va naître une attention redoublée
dans tous les pères de famille ;
les démarches les plus innocentes , en apparence
, vont être fcrupuleufement examinées
, les parens vont févérement interdire
à leurs enfans certaines liaifons ,
certaines fociétés ; leur défendre la fréquentation
de certains amis ; la moindre
OCTOBRE. 1760. 57
manque,
fauffe démarche va être férieufement cenfurée
de là l'indifpenfable néceffité de
facrifier la famille du Supplicié au bon
ordre qui va regner déformais dans toutes
les autres familles , comme on a facrifié
le coupable au repos de la fociété.
Pour donner à ce raiſonnement la plus
grande partie de la force qui lui
il faudroit prouver d'abord que l'ufage
que nous avons fuivi jufqu'à préfent a
produit ce bon effet , que nous en regardons
comme une fuite invariable ; or l'expérience
s'oppose à cette preuve. Il faudroit
prouver enfuite que tous ceux dont
les inclinations font vicieuſes , ont des
fupérieurs immédiats qui vont travailler
à les rectifier , & qu'ils y réuffiront efficacernent
; & je nie que ces deux condi
tions fe rencontrent dans les cas paffés.
Quel bon effet fuivra donc votre façon
depenfer , relativement à la fociété aucun
encore. Au contraire elle donnera
naiffance à une multitude de faux raifonnemens
, de démarches défavantageufes
au bien-être de cette fociété , pour laquelle
vous combattez , & à des réfolutions
défefpérées de la part des infortu
nés que vous accablez fous le poids de
vos cruelles déciſions .
C▾
58 MERCURE DE FRANCE.
Je dis qu'il en naîtra de faux raiſonnemens
: le libertin en conclura , que puilque
le fupplice feul peut faire la honte de
fa famille , il lui fuffit d'éviter , avec foin,
tout ce qui peut faire connoître qu'il eſt
l'auteur du crime;il apportera toute la réflexion
, que les grandes paffions laiffent à
l'âme à combiner les moyens les plus éfficaces
pour éviter les recherches de la juftice
; il rafinera fur l'art malheureux d'épaiffir
les voiles dont ceux qui conçoivent
le crime tâchent de s'envelopper pour le
commettre.
Il en naîtra des démarches défavantageufes
au bien de la fociété, en ce que les
familles apporteront moins de foins pour
inſpirer, à ceux qui leur appartiennent , des
fentimens vetueux & réfléchis , que pour les
fouftraire à la peine, lorſque l'oeil pénétrant
de ceux qui font chargés de la vengeance
publique , aura percé les afyles reculés ou
le criminel s'étoit caché. Delà cette activité
dans les mouvemens auprès d'un Juge
prêt à prononcer ; delà ces foins redoublés
pour faire difparoître ou pour affoiblir
ce qui pourroit faire un corps de
preuve complet ; delà ces tentatives réitérées
pour corrompre des témoins , ou
pour les engager à pallier des dépofitions
OCTOBRE . 1760. $ 9
accablantes ; delà ces efforts foutenus.
pour préfenter l'affaire fous des couleurs
empruntées , pour féduire des Juges trop
faciles , pour faire plier la décifion des
autres fous le poids des amis & des recommandations
, ou enfin pour les faire
recufer par un pouvoir fupérieur , fi la
brigue a été vainement employée pour
furmonter les difficultés que leur droiture
-aura fait naître .
Il en naîtra des réſolutions défeſpérées ,
en ce que cette foule d'honnêtes gens
que vous facrifiez inhumainement au préjugé
dominant , déformais fans afyles &
fans appui , n'ayant pour compagnons
que fes vertus & fes malheurs , ira cher-
.cher fous un ciel étranger le fupport que
vous lui refufez , & enrichir de fes talens
& de fon induftrie des fociétés moins
.cruelles.
De quelque côté donc que nous regardions
le fentiment reçu en France , ce
préjugé de ma Patrie que j'éffaye de vaincre
, nous trouverons qu'il ne fe foutient
nullement , que les principes d'où il naît
ne font ni fermes , ni invariables , & que
fa marche n'eft pas raifonnée. Pourquoi
le refpecter donc encore , puifque fous
quelque face que nous envifagions ce qui
C vj
60 MER CURE DE FRANCE.
en réſulte , nous n'appercevons qu'inconféquence
, & qu'erreur ?
Les Loix militaires , vont m'en fournir
un exemple fans replique . Ces Loix préfentent
d'abord un fond de févérité éffrayan
; la peine fuit la faute de près ,
& cette peine ne peut être adoucie ni diminuée.
Le genre de vie auquel font deftinés
les hommes pour qui ces Loix ont
été faites , a femblé exiger que le Légif
lateur renonçât en partie aux fentimens
de l'humanité. Auroit- on , fans cet effort
de difcipline , retenu dans le bon ordre
une foule fans éducation & fans moeurs
qui auroit cru trouver dans cet Etat des
raifons pour autorifer fon libertinage ?
Non fans doute ; auffi l'examen eft fimple.
Le Soldat traduit au Confeil de guerre ,
eft coupable ou innocent ; l'attention des
Juges ne roule que fur ces deux objets.
S'il eft coupable , il eft condamné fans
égard aux circonftances . C'eft un malheur
de plus pour quelques uns . Mais fi l'on
entroit dans le détail de ce qui a déterminé
le Soldat à fe rendre criminel , on
de ce qui auroit pû le retenir , outre que
les longueurs feroient fans fin , il en réfulteroit
encore qu'à peine quelques- uns
feroient dans le cas de fervir d'exemple ,
& bientôt le bon ordre fi effentiel dans
OCTOBRE. 1760 65
les armées fe trouveroit abfolument
anéanti. Comme pour le maintenir il
falloit fermer l'oreille à la voix de la
follicitation , & aux recommandations
d'une famille , ou puiffante , ou vertueufe
, on a décidé que la peine de mort
infligée au Soldat déferteur ne reporteroit
aucune honte fur fes parens. Mais
au fond , Meffieurs , la différence entre
ce déferteur que l'on fait paffer par les
armes , & ce coupable que je vois attaché
à une potence font- elles donc auffi
grandes que l'on veut fe l'imaginer ? L'un
a forcé un coffre fort , l'autre a pris la
fuite avec le prix de fa liberté ? Qu'on
ne dife pas que ce prix étoit modique :
la fomme eft indifférente. D'ailleurs , il
ne pouvoit pas difpofer de lui- même.
Mais allons plus loin ; fuppofons que le
déferteur qui vient d'être puni n'ait pas
dû flétrir fa famille , parce qu'il n'étoit
que déferteur ; combien d'hommes coupables
de grands crimes n'ont fubi que
cette même peine , parce qu'ils étoient
Soldats , & parce que , nous dit- on tranquillement
, on n'a pas voulu déshonorer
leurs familles . D'où vient donc la perte
de l'honneur ? Je le demande encore ;
eft- ce du crime ? eft- ce du fupplice ? eſtce
du genre de fupplice different ? Pour
62 MERCURE DE FRANCE.
être conféquens dans cette partie , cou
vrons donc d'ignominie , avec tant d'autres
, les parens de ce Soldat qui vient de
fervir d'exemple à fon Régiment ; ou
faifons grace à ces infortunés qui n'ont
pas plus contribué à faire de leur parent
un voleur ou un affaffin , que ceux ci , à
faire un déferteur de celui qui leur appartenoit.
Il ne réfultera pas plus de mal
pour le bon ordre civil en prenant ce
parti , qu'il en résulte de le fuivre pour
le bon ordre militaire.
Offrons encore à nos concitoyens leur
propre façon de penfer.Tous les membres
d'un Tribunal font des hommes dont la
vertu ne doit pas être fufpecte ; un Collége
d'Avocats doit être compofé d'hommes
dont la droitare ne doit recevoir aucune
atteinte, les Eccléfiaftiques,deftinés à
remplir des fonctions facrées, doivent être
pour la fociété des hommes effentiellement
vénérables , des Cénobites dont les
jeûnes , les veilles , & les macérations reprochent
tacitement aux libertins les
défordres de leur vie : tous ces corps
qui font en droit d'exiger tant d'égards
d'une multitude qui ne les fuit que de
loin dans la route de la fageffe , n'ont - ils
jamais nourri parmi eux quelques membres
viciés ? N'a -t - on jamais vû de Ma
OCTOBRE. 1760 . 63
giftrats céder à la voix de la follicitation
ou de l'intérêt ? Ne vit on jamais un défenfeur
par état de la veuve & de l'orphelin
, vendre le droit de fes cliens ? Ne
vit - on jamais de miniftres des Autels facrifier
à de vicieufes inclinations ? Ne viton
jamais de Moines tomber dans l'apoftafie
, & les écarts d'une vie licencieuſe ?
Pouvons-nous nous cacher que la pourpre
Romaine n'ait été déshonorée par
des hommes indignes d'en être revêtus ?
A- t-on conclu delà que perfonne ne doive
remplacer ce Magiftrat que fon Corps
aura retranché ? L'Avocat dont le nom a
été rayé de la matricule ; le Prêtre auquel
un Official aura prononcé fa fentence ; le
Religieux , qui , privé de voix au chapitre ,
s'occupe triftement dans fa cellule à jetter
des regards douloureux fur fes égaremens
paflés : eft-ce une raifon pour nous d'avilir
le facré Collége : Ceux que la naiffance
ou le mérite ont mis en droit de prétendre
à ces dignités , font ils moins empreffés
à en être décorés ? Nos fentimens
refpectueux pour ces hommes qui occupent
les premieres places dans l'Eglife,
en font- ils affoiblis ? La honte dont ces
membres viciés fe font couverts , eft- elle
retombée fur les corps auxquels ils appartenoient
? Si ces corps font flétris , nos
64 MERCURE DE FRANCE.
refpects font bien trompeurs ; s'ils ne le
font pas , notre façon de penfer, relativement
au refte des citoyens , eft abſolument
fauffe & illufoire : il faut que nous
en convenions.
. Les hommes dont vous parlez , nous
dira- t -on , ne tiennent les uns aux autres
qu'accidentellement ; nés tous de différen
tes familles , la façon de penfer de l'un
d'eux ne doit pas influer , & n'influe pas
réellement fur les autres , & l'on doit
avoir une toute autre idée d'une famille
liée par le fang au coupable.... mais ,
Meffieurs , loin que les liaisons du fang
donnent aux hommes les mêmes inclinations
, l'expérience ne juftifie-t- elle pas le
contraire chaque jour fous nos yeux ?
Quoi de plus commun que de voir les fils
d'un avare donner dans le travers de la
prodigalité , & dépenſer en peu d'années
une fortune amaffée pendant une longue
vie ? Quoi de plus ordinaire que de voir
les fils d'un homme vertueux , par principes
, facrifier leurs beaux jours à la moleffe
, & au libertinage le plus outré ? La
Science , le courage , l'amour de la Patrie ,
l'attachement à fes devoirs , toutes ces
vertus ſe tranſmettent- elles des pères aux
enfans ? Les fureurs du reffentiment , le
defir de la vengeance , la foif immodérée
OCTOBRE. 1760. 65
d'amaffer des richeffes , par les voies même
les plus injuftes , enfin tous les vices
de caractéres deviennent- ils un héritage
que les enfans ne puiffent fe difpenfer de
recueillir ? J'en appelle aux objets qui
font fous nos yeux ; cette propofition ne
peut fe foutenir. Nulle différence donc à
faire entre les familles & les corps dont
nous avons parlé. Ici l'alternative eft encore
bien fimple.
›
Mais , nous dit- on encore , un fils párticipe
à la gloire de fon pére. Un guerrier
fameux , par des exploits brillans ;
un Sçavant dont les ouvrages pafferont à
la poftérité ; un homme recommandable
enfin dans quelque genre que ce foit
couvrent leurs familles de gloire : n'eſt- il
pas dans l'ordre , puifque les familles de
ceux- ci participent à leurs honneurs , que
les familles de ceux qui fe font déshonorés,
ayent part à leur infamie ? Je réponds
d'abord que la comparaifon manque de
jufteffe ; c'eft ce que j'examinerai tout-à-
T'heure. Je dis enfuite , que quand elle
en auroit une complete , on ne pourroit
en inférer rien d'avantageux : car en accordant
que la gloire d'ancêtres illuftres
retombe fur les defcendans & les proches,
il faut que l'on convienne avec moi , que
ce n'est qu'autant que ces proches & ees
66 MERCURE DE FRANCE
defcendans tâchent de marcher fur les
traces de ces modéles qu'ils nous vantent .
Les hommes ne font point affez officieux
pour rendre un hommage gratuit à d'autres
hommes , & fi un intérêt perfonnel
ne les fait pas agir ; dès que le fils de ce
Guerrier s'endort fur les lauriers que fon
pére avoit moiffonnés ; dès que le fils de
ce Sçavant méprifa les travaux qui feuls
illuftroient fon ayeul ; dès , enfin , que
cette famille dégénére de la vertu de fes
ancêtres , elle eft d'autant plus mépriſée
que ceux auxquels elle doit fon origine
furent plus illuftres : elle eft confondue
dans la foule & bientôt tout - à-fait
ignorée. Quand donc la comparaiſon ſeroit
complete , le fentiment reçu ne fe
foutiendroit pas , puifque nous voulons
que le déshonneur foit perpétuel fur la
famille du Supplicié, & que nous ne rendons
qu'à l'homme illuftre les hommages
dus à la célébrité , & nullement à fa famille
ou à fes proches. Mais je dis que
la
comparaifon manque de jufteffe , en ce
qu'il eft rare que les hommes en géné
ral trouvent dans eux-mêmes indépen
damment de ce qui les environne , tout
ce qu'il faut pour leur mériter les égards ;
& les refpects de leurs femblables . L'expérience
juftifie chaque jour à nos yeux
OCTOBRE. 1760. 67
*
cette propofition ; & certainement fi l'on
retranchoit ce qui n'eft qu'acceffoire , ou
emprunté chez une grande partie de l'efpéce
humaine , on verroit bien des Figurans
préfomptueux , reduits à jouer un
-trifte rôle. Si c'eft un préjugé d'avoir quel
ques égards particuliers pour une famille
qui doit fon luftre à de refpectables Ancêties
, au moins , eft- ce un préjugé pris
dans la nature, tandis que celui qui trouve
ici tant de Partifans lui eft abfolument in-
-jurieux ? En ce que , comme nous l'avons
dit , il eft au - deffus des recherches les plus
attentives , de prouver que les familles
que nous déshonorons , ayent eu quelque
part directe , ou indirecte , au crime de
celui qui , felon nous , les déshonore.
Mais il ne fuffit pas d'avoir vu ce que
le fentiment que je combats , a de défectueux
en lui - même & dans fes fuites ,
de quels maux il eft la fource , & combien
peu la fociété y trouve fon compte , il
nous faut quelque chofe de plus . Il faut
nous convaincre que le fentiment oppofé
a des avantages certains & inconteftables ;
qu'il eft de plus dans la nature de l'homme;
qu'en particulier , les familles y trouvent
un repos que l'autre leur enléve ; & qu'en
général , il remplit mieux les vues de la
Société , & contribue plus efficacement à
fon bien- être.
68 MERCURE DE FRANCE
?
De l'inftant où la honte du fupplice ne
réfléchit plus fur les familles des Suppliciés
, parce que le crime devenant perfonnel
, ne peut plus être imputé aux parens
des coupables , les hommes vont
prendre un nouvel être ; libres du préjugé
auquel ils avoient facrifié jufqu'alors , entrant
dans des vues plus faines , éclairés
d'une lumiere plus pure & plus vive , ils
ne jugeront dorénavant que fur une valeur
réelle , & plus fur une valeur apparente
: le Phantôme diſparoîtra , les chofes
feules demeureront .
En vain , un Vicieux décidé vient nous
vanter fon courage , il fe trompe , ou veut
nous tromper.1left toujours foible & pufillanimetrop
groffier pour prêter une oreille
attentive à la voix de la vertu , il ne fçait
que trembler à l'appareil du fupplice. Le
reméde eft violent , il faut en convenir ;
mais la grandeur du mal exige qu'il foit
mis en oeuvre ; & comme il deviendra
commun pour tous les coupables , & que
le rang qu'ils tiendront dans le monde ,
le crédit fur lequel ils fonderoient leur
impunité , les richeffes qui la leur auroient
affurée , font autant de reffources qui vont
leur manquer ; le frein redoutable des
loix que le préjugé avoit rendu inutile
en s'accréditant , va reprendre toute fa
OCTOBRE. 1780. 69
vigueur, & les intentions du Légiflateur
vont être remplies : chaque famille convaincue
de la néceffité de former pour
l'Etat des Sujets fidéles & vertueux , va
redoubler d'efforts pour remplir ce but :
mais débarraffée en même temps de l'inquiétude
d'être avilie , fi l'un de fes membres
fe déshonore lui-même , elle abandonnera
le criminel à la peine , fi elle a
travaillé fans fuccès à lui faire quitter la
route du crime. On ne verra plus des
hommes vraiment refpectables s'abaiſſer
à demander des graces dont ils font intérieurement
convaincus que leurs protégés
font indignes ; on n'aura plus les triftes &
pernicieux exemples de gens,dont la vertu
ne fe feroit jamais démentie , fi le préjugé
plus puiffant qu'elle , ne leur avoit fait
violence , employer des moyens au-deffous
du plus chétif des êtres , & devenir
criminels , en les mettant en oeuvre pour
fauver un coupable . On ne verra plus des
familles recommandables , par des talens
rares , par des vertus foutenues , fouvent
par des fervices effentiels rendus à l'Etat ,
pour lequel elles travaillent encore dans
l'inftant même où l'on écrit leurs noms
dans les faftes du déshonneur , être contraintes
de s'expatrier , & reclamer ailleurs
ce que l'inconféquence & le préjugé
70 MERCURE DE FRANCE:
leur enlévent dans leur Patrie , avec tant
d'injuftice. Le crime alors fera la honte,
& non plus l'échafaut ; & le véritable
honnête- homme , n'aura plus à rougir des
écarts d'un malheureux , qui ne devoit jamais
avoir été formé de fon fang.
Notre intérêt le plus preffant, eft celui de
rendre ici -bas notre fort le plus doux qu'il
nous eft poffible ; & pouvons - nous y
travailler plus efficacement , qu'en contribuant
autant qu'il eft en nous , à adoucir
les amertumes dont la vie de nos compatriotes
eft traverfée ? Les hommes ne
font point méchans impunément, ou bienfaifans
fans récompenfe. Le repentir &
le remords font les compagnons infeparables
de ceux qui refufent de rendre à leurs
pareils les bons offices dont ils font capables
; des idées fâcheufes , des regrets im
portuns , les troublent au milieu des plaifirs
les plus bruyans , & les fixent , malgré
eux , fur ces objets que leurs injures ou
leurs mépris ont encore avilis : une fatiffaction
intérieure , au contraire , un plaifir
pur & foutenu , une tranquillité qui eft
le partage des feules ames compâtiffantes,
font les premieres recompenfes des êtres
vertueux. Pouvons - nous raifonnablement
reclamer les prérogatives de cet état ,
parce que nous aurons retracé à des paOCTOBRE.
1760. 71
rens dans la douleur , le fujet de leurs peines
? parce que le récit que nous aurons
fait de leur infortune , les aura écartés de
quelques emplois honorables ou lucratifs ?
parce que nous aurons empêché quelqu'un
qui faifoit à ces objets une attention
plus légére , de former avec eux une alliance
avantageuſe ?
Brutus , en condamnant à la mort des
fils tendrement aimés , montra peut être
moins d'héroïsme que de férocité : c'eſt
l'idée que nous nous formons affez volontiers
de la réſolution que ce pére jaloux
de la liberté de fa Patrie , prit contre fon
propre fang ; fur tout quand nous réfléchiffons
que le peuple le laiffoit l'arbitre
fuprême de leur fort , & qu'il auroit fouf
crit à leurs Lettres de grace , avec moins
de répugnance peut-être , qu'il n'en eut à
les voir paffer entre les mains des Licteurs.
Quel étoit cependant le fentiment dont
Brutus étoit rempli? c'étoit fans doute celui
de former des hommes pour la Patrie,
en donnant à ce peuple, qui fortoit à peine
વે
de la Barbarie , un exemple qui devoit
'couter bien cher à fa tendreffe , & celui
de montrer à ce même peuple dont il vouloit
être le vengeur , que fe fang du coupable
pouvoit feul laver la honte dont il
s'étoit couvert. Eh ! fi cette honte eût ré-
Héchi fur lui, & fur ceux de fes parens qui
72 MERCURE DE FRANCE:
partageoient les premiers emplois de l'E
tat ;fi cette honte avoit dû les rendre méprifables
& vils aux yeux d'un peuple auquel
il faifoit un fi grand facrifice ; fi cette
honte avoit dû les faire renoncer aux
Charges dont ils étoient revêtus , & dépouiller
ce pére vraiment malheureux
d'un pouvoir dont il venoit de faire un
ufage auffi éffrayant pour des traîtres ;
croira-t-on qu'il fe fût porté à cet excès
de Juſtice ? Non fans doute; ce fiècle quoique
groffier encore , auroit fourni des reffources
, pour rendre la faute excufable.
. Les moyens de féduction employés par les
Tarquins , la grande jeuneffe des coupables
, leur repentir, n'en étoit- ce pas
affez
pour difpenfer Brutus de les faire con
duire au fupplice ?
Il entre dans nos moeurs plus de candeur
& d'aménité. Arriere de nous , le
fentiment cruel qui engageroit un pére à
armer la main qui va trancher les jours
d'un fils coupable. Mais nos enfans , nos
proches , nos alliés , font les enfans de la
Patrie ; c'eft à elle qu'ils font comptables
de leurs démarches. Comme elle a pourvu
aux moyens de les fouftraire à l'oppreffion
, elle en a trouvé d'éfficaces pourfaire
trembler les oppreffeurs. La vengeance eſt
remiſe en fes mains , laiffons-luin action
•
OCTOBRE , 1760. ༡༣
tion libre & raifonnée ; elle aura des
coups d'autant plus rares à porter , qu'elle
fera moins gênée dans fes opérations . Gardons-
nous bien d'exiger que des parens , devenus
barbares, pour fatisfaire à un ufage
cruel , prononcent contre un homme qui
leur appartient ; mais ne contraignons pas
des malheureux , à oublier qu'ils ont des
larmes à verfer fur l'urne qui renferme les
cendres d'un coupable, pour reporter leurs
fentimens douloureux fur eux-mêmes. Si
le coupable doit être pour nous un objet
de pitié , dans l'inftant même où le crime
eft l'objet de l'honneur & de la vengeance:
combien plus devons -nous gémir fur le
fort de ceux auxquels le criminel fut lié ;
loin de les accabler, en ajoutant des maux
nouveaux à ceux qu'ils reffentent affez vivement
, nous devrions être leurs confolateurs.
La nature a mis ce fentiment dans
l'homme ; notre propre intérêt doit l'augmenter:
car pouvons- nous réponde allez
de ceux qui nous appartiennent, pour nous
affurerquejamais nous n'auronsaucun chagrin
à effuyer de leur part ? & que toutes
leurs démarches feront toujoursguidées par
la fageffe & la vertu ? Ce feroit trop préfumer
fans doute ; un inftant peut ternir là
gloire d'une longue vie: & alors , que le che
min eftcourt,pour une famille, du triomphe
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
á la douleur ! Ajoutons que, lorfqu'on veut
jouir de fes avantages avec trop de faſte
& de hauteur,, on n'eft plus en droit d'exiger
des égards qu'on avoit refufés à fes
femblables , dans l'enthouſiaſme de la
prospérité.
Un voyageur nous apprend ( a ) qu'en
Mofcovie , ceux qui ont été châtiés par la
Juftice , par la main même du Bourreau ,
ne font notés d'aucune infamie , & que
rien n'eft plus ordinaire que de voir de pareilles
gens, élevés dans la fuite à des poftes
d'honneur & de confiance. Un autre
nous dit ( b ) que dans l'Ile de Java , lorf
qu'un homme eft mis à mort pour les crimes
, toute fa famille eft fouvent fuppliciée
avec lui. Nous convenons tous que
ces Peuples donnent dans des excès bien
blâmables. En effet un homme n'a plus à
rougir quand il eft déshonoré , & perfonne
ne niera qu'une peine infamante , quand
elle eft méritée, n'aviliffe l'ame. D'ailleurs,
quels refpects , quels égards , eft on en
droit de prétendre d'un peuple , pour un
homme auquel on confie le dépôt de ces
mêmes loix , qui févirent autrefois avec
juftice contre lui ? Il opprimera à la pre-
( a ) Perry. Extrait du Dict. de Furet, au mot
infamie.
Schouten. Extrait ibid. au mot fupplice.
OCTOBRE 1760. 75
miere occafion offerte , celui qui prononça
fa Sentence ; & les loix dans fes
mains , feront moins interprétées pour
punir des criminels , que pour mettre au
même rang avec lui , quiconque ofera
faire profeffion de quelques vertus .
Nous n'avons pas à craindre que l'uſage.
Moſcovite prenne en France. Mais nous
fommes moins éloignés que nous ne penfons
de la coutume reçue aux extrémités
de l'Afie. La famille du coupable , dans
cette Ifle , meurt avec lui & du même ſupplice
, fans examen fi elle a d'autres crimes
que fes liaiſons avec le criminel ; &
en France , elle eft couverte d'une honte
& d'un opprobre inéfaçables. L'admiffion
aux Charges & aux emplois, l'entrée dans
dans les Sociétés qui fe piquent de vertu ,
& auxquelles l'honneur eft en recommandation
, leur font interdites. La différence
entre ces ufages , eſt certainement bien
difficile àdéterminer. Qu'est- ce pour nous
que la vie , fans l'honneur ? Un vrai François
fçait- il balancer entre renoncer au
jour, & vivre déshonoré ?
On pourroit ajouter beaucoup aux
moyens de préférence , que j'indique en
faveur du fentiment Anglois . Ce que j'ai
dit , n'eft fans doute qu'un précis imparfait
des raifons qui déterminent ce peuple
Dij
6 MERCURE DE FRANCE.
à regarder les fautes comme perfonnelles,
& à rendre à la vertu les hommages.
qu'elle merite dans le pére ou le fils d'un
coupable. La Société ne peut que gagner
beaucoup à la pratique de cet ufage : une
famille que l'on ne déshonore point , fera
de nouveaux efforts pour juftifier les égards
dont on ufe envers elle. Le parent le plus
proche du coupable , redoublera d'atten
tion dans les emplois qui lui font confiés ,
pour prouver que jamais la délicateffe de
fes fentimens ne fut affoiblie ; & ce moyen
eft une reſſource fûre pour conferver des
fujets précieux , dans l'inftant où l'on retranche
ceux qui ont manqué aux devoirs.
indifpenfables de leur état.
Le mot de la premiere Enigme du prémier
volume d'Octobre , eft , la pelotte
aux épingles.Celui de la feconde eft , l'arcen
ciel . Celui de la troifiéme ,eft, la penſée:
Celui du premier Logogryphe , eft , la lumiere
, dans lequel on trouve rime, mere,
re , mi , mil grain , mil nombre , mule ,
mure , liévre , lire , liére , ire , miel, émule,
vire , urie , Elie , lie & vie . Celui du fecond
eft , baifer,
OCTOBRE. 1766 . 77
ENIGM E.
ILLE de l'ignorance & mère de l'ennui ,
Je ne fuis , cependant , timide ni chagrine ,
On méconnoît mon origine :
Je pourfuis le plaifir & l'on me prend pour lui ;
Souvent de la gaîté j'outre le caractère ,
Souvent auffi d'un profond férieux ,
Sous les traits du génie impofant au vulgaire ,
Je palle pour fage à les yeux.
Lecteur qui prétends me connoître ,
Et me cherches avidement ,
Tu me donnes plus d'un moment ,
Qui vont s'échapper de ton être.
C
AUTRE.
ANS moi l'on vous verroit encor ,
Malheu eux fiécles , où nos Péres
Ignoroient que mes biens font les plus falutaires ,
Et la fcience un vrai tréfor .
Par le fecours de la mémoire ,
J'éclaire les talens , je délafle avec fruit ,
J'apprens la politique auffi bien que l'hiftoire ,
En un mot tout , pour peu qu'on ait d'efprit,
Dij
78 MERCURE DE FRANCE:
Si je te parois trop obfcure ,
Songe à ce que tu fais , Lecteur , préſentement,
Et fans te mettre à la torture ,
Tu pourras deviner mon nom dans un moment.
LOGOGRYPHE.
JE fuis ce que vous pouvez être ,
Et fuis ce que vous n'êtes pas ;
La faculté de me connoître
N'eft point un petit embarras.
Six & fept pieds foutiennent ma ſtructure :
Si vous voulez confulter ma figure ,
Je préfente d'abord ce que l'on offre aux Dieux;
Un animal rongeur; le patron des peureux ;
Ce qui forme votre exiſtence
Une ville de la Provence ;
Le trifte Succeffeur du malheureux Laïus ,
Et l'épouſe de Romulus ;
Un perfide élément ; deux notes de Mufique ;
Tour figuré , d'ufage en Rhétorique ;
Ce
qu le droit a reconnu certain ;
Ce qu'une Angloiſe prend le foir & le matin
Un perfonnage auſtére & ſouvent hypocrite;
Ce qu'a fouvent fait Démocrite ;
La fille d'Inachus ; & l'amant de Thisbé
Un furnom de la jeune Hébé
Celui d'un captieux Sophifte
OCTOBRE. 1760 79
Ce qu'un fidéle chien fuit toujours à la piſte.
Nouveau Caméléon , je puis vous échapper :
Examinez de près , je vous laiſſe le maître.
Surtout , fouvenez- vous , que , tel croit me connaître
,
Qui le premier peut s'y tromper,
DE GROUBENTALL , fils .
CHANSON,
Sur l'AIR » Tendre fruit des pleurs de l'Aurore.
A Madame le C *** de Paris , lorfqu'elle
étoit en Province.
DE votre Ville féduifante
Oubliez l'efprit enchanteur :
Sa gaîté la plus fémillante
Vaut-elle , Iris , un tendre coeur ?
Pour l'éprouver , un Agréable
Parle Amour , avec trop d'eſprit :
En Province , on eft moins aimable ,
Mais on aime , quand on le dit .
Iris fi longtemps defirée ,
Demeurez longtemps parmi nous :
Vous ne pouvez être adorée
Par des coeurs plus dignes de vous ,
3
.
Div
to MERCURE DE FRANCE.
Rendez - vous à notre prière ,
Nous pourrons un jour vous charmer :
Vous nous apprendrez l'art de plaire ,
Nous vous apprendrons l'art d'aimer .
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
ESSAI fur l'Education d'un Prince ,"
par le Sieur DE BURY .
Deus , Judicium tuum Regi da , & Sapientiam
tuam Filio Regis.
LORSQUE ORSQUE jejette les yeux fur les Puiffances
de l'Europe , lorfque je vois leurs
Couronnes affermies par la naiffance d'un
grand nombre de Princes , qui comme de
jeunes Palmiers , croiffent & s'élèvent à
l'ombre de ceux qui leur ont donné l'exiftence
, en attendant qu'ils puiffent faire
gouter la douceur de leurs fruits aux
peuples qui leur feront foumis ; pourquoi
n'aurois- je pas le courage de contribuer à
leur culture ? Il eft vrai que je fuis étonné
de ma préfomption : c'eft fans doute porter
trop loin la hardieffe , que d'ofer donner
OCTOBRE. 1760 .
quelques avis à ceux qui font chargés de
l'éducation des Princes ; mais eft - il un objet
plus digne de fatisfaire l'ambition d'un
bon patriote , que d'offrir à fes Souverains
le fruit de fon travail ? Et pourquoi
nous feroit - il défendu de joindre aux
voeux que nous faifons pour leur profpérité
, le defir de leur faire part des connoillances
que nous avons acquifes , pour
leur faciliter celles dont ils doivent être
infruits ? Je regarde comme un grand
bonheur, celui de pouvoir parler anx Rois,
fans crainte de leur déplaire : j'ofe m'en
flater , mais je ne fuis pas fûr de leur parler
avec cette nobleffe & cette dignité , capables
de meriter un regard favorable de
leur part. Je fens toute mon infuffifance ;
mais j'aurai du moins la fatisfaction de
leur témoigner l'ardent defir que j'ai de
leur être utile , & mon refpectueux dévoûment.
L'éducation de la jeuneſſe a toujours éré
regardée chez les Nations policées , comme
une choſe fi néceffaire , fur- tout pour les
Princes , qu'on s'eft principalement attaché
avec le plus grand foin à leur en pro
curer une qui fût digne d'eux ; parce
qu'on a reconnu , que de - là , dépendoit la
gloire des Souverains , & la félicité de
leurs Peuples.
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
Les Perfes , enfuite les Grecs , & après
eux les Romains , font les feules Nations
qui nous ayent laiffé les modéles d'une
bonne éducation ; mais lorsque les Peuples
barbares eurent envahi l'Empire Romain
, ils introduifirent leurs moeurs &
leurs ufages chez ceux qu'ils avoient fubjugués.
L'ignorance s'empara de tous les
efprits , & l'on ne reconnut plus dans les
Etats de l'Europe les traces de ce Gouvernement
fage , dirigé par la prudence , &
ces loix dictées par le bon fens , qui
avoient fi long temps foutenu l'Empire
Romain.Lorfqu'on parcourt l'Hiftoire de
puis Clovis , on n'y voit qu'une barbarie
groffiere , deftituée de raifon ; les loix font
foumises à la force , & les armes décident
feules de la justice & de l'équité: ce n'eft pas
qu'il n'y ait eu des Princes, dont la fageffe
& la prudence méritent de grandes louanges
; mais leurs régnes euffent encore été
plus glorieux , s'ils avoient eu une éducation
convenable à leur rang. On peut dire
qu'elle a manqué à prefque tous les Princes
, juqu'au règne de François Premier ,
qui a le plus contribué au rétabliſſement
des Lettres .
Les jeunes Princes que le Ciel deftine
aujourd'hui pour porter les différentes
Couronnes de l'Europe , font heureux
OCTOBRE. 1760.
d'être élevés fous les yeux de leurs Peres ,
qui connoiffant le prix de l'éducation , par
celle qu'ils ont reçue , font les premiers à
préfider à celle de leurs enfans , & à donner
tous leurs foins pour leur procurer ces
hautes connoiffances , qui font la Science
des Rois. Telle fut cette éducation que
Philippe de Macédoine , le Prince le plus
inftruit de fon temps , donna lui - même ,
& fit donner à fon fils Alexandre. *.
Mon deffein n'eft pas d'entrer à préfent
dans le détail de toutes les connoiffances
qu'on peut procurer à un Prince ; cet ouvrage
doit être d'une plus grande étendue :
je veux feulement offrir au Public le projet
de celui auquel je travaille , afin de
confulter fon goût , & préffentir li je dois
abandonner , ou continuer ce que j'ai
commencé .
Je ne parlerai point ici des premiers
exercices qui doivent contribuer, à former
le Corps. Les Grecs & les Romains commençoient
par là l'éducation de leurs enfans
, afin de les accoutumer de bonne
heure àfupporter les fatigues de la guerre.
La maniere de la faire aujourd'hui étant
toute différente , nos Princes ne font pas
obligés de faire un pareil apprentiſſage ;
* On en verra un Extrait dans la vie de Philippe
que l'Auteur doit faire paroître inceffamment.
D vj
84 MERCURE DE, FRANCE.
on peut feulement leur faire faire des
exercices capables de fortifier leur tempérament
, & ils doivent être mêlés par
forme de récréation , aux premieres inftrutions
qu'on leur donnera . Mais la prin
cipale attention doit être pour les Sciences
, qui doivent former le coeur & l'ef
prit. Je pourrois cependant parler aupara
vant de la Rhétorique , non pas de la
partie de cette Science qui eft le fondement
de l'éloquence , mais de celle qui
apprend à parler correctement une Langue
. Je crois que les Princes n'ont pas
befoin d'embarraffer leur mémoire des
régles de la Grammaire , parce qu'étant
continuellement environnés de perfonnes
fçavantes & très -inftruites , ils apprennent
par l'habitude & par l'ufage , ce que
les régles leur apprendroient difficilement
par la réfléxion, dans un âge , où la jeuneffe
eft hors d'état d'en faire. A l'égard
des autres Langues , comme elles feront
la matiere d'un article féparé & qui feroit
ici trop long , je commencerai. par l'étude
de la Morale , que je diftingue en Morale
Chrétienne , & Morale Civile.
La Morale Chrétienne doit fans doute
occuper la premiere place , dans l'éducation
d'un Prince : c'eft la connoiffancé de
la Religion ; mais nous nous en rappor
OCTOBRE . 1760.
tons fur cet article , aux lumieres de ceux
qui font chargés de les en inftruire , à leur
fageffe & à leur difcrétion , pour fçavoir
jufqu'où cette connoiffance doit être portée,
afin qu'ils ne reffemblent pas à Henri
VIII, Roi d'Angleterre, qui voulant faire
parade de Théologie , fe fit méprifer , &
s'attira des injures groffieres de la part
des Luthériens , pour avoir voulu écrire
contre eux ; ni à Charles II , qui fe mêla
mal - à - propos dans l'affaire des Arminiens,
qui penfa renverser la République d'Hollande
. C'eft aux Miniftres de l'Eglife à
éclairer les Princes , fur ce qu'ils doivent
fçavoir de leur Religion.
A l'égard de la Morale Civile , c'eft la
connoillance des vertus qui apprennent
aux Princes l'art de gouverner fagement ;
c'est cette Morale qui doit être puifée
dans la Philofophie ; mais ils n'en doivent
être inftruits , que lorfque l'âge ayant
dévéloppé les organes de leur conception,
leur efprit commence d'être capable de
méditations férieufes ; & comme avant
ce temps- là , il eft des connoiffances qui
font plus à leur portée , je parlerai de
' Hiftoire avant la Morale .
De toutes les Sciences qui doivent contribuer
à l'éducation d'un Prince , l'Hif
soire eft une des plus néceffaires, & peut
86 MERCURE DE FRANCE.
être des plus faciles à apprendre : la jeuneffe
aime naturellement à fçavoir des faits ; &
elle les retient d'autant plus facilement ,
qu'elle n'a pas besoin de beaucoup réfléchir
pour les concevoir .
C'eft elle qui fait connoître le genie &
le caractére de ceux , dont elle a confervé
les actions mémorables. Elle nous inftruit
des événemens que leurs vertus ou leurs
vices ont produit , & des fuites utiles ou
préjudiciables qu'ils ont eu . L'Hiftoire eft
une fource inépuifable de réfléxions folides
, pour ceux qui en fçavent faire le véritable
ufage. Les hommes de tous les
fiécles fe raffemblent ; leurs paffions font
les mêmes ; elles ont produit chez ceux
qui nous ont précédé , des éffets pareils à
ceux que nous voyons arriver de nos jours:
mais les Princes doivent étudier l'Hiftoire
d'une façon différente des autres. Il feroit
à fouhaiter qu'on pût leur en compoſer
des modéles uniquement deftinés pour
eux,& qui ne continffent que ce qu'ils doivent
fçavoir, fur- tout dans leurs premieres
inftructions , parce qu'enfuite fuivant le
plus ou le moins de goût qu'ils auront pour
cette Science , on leur en montrera davantage
; & les premiers élémens fagement
dirigés , leur donneront la facilité
de s'en inftruire par eux-mêmes. Comme
OCTOBRE. 1760.
87
d'une part il faut leur infpirer ce goût , il
fant d'un autre côté modérer leur curiofité
, & ne leur pas offrir des faits plus
amufans qu'ils ne leur procureroient
d'inftruction. Il faut cependant qu'ils ne
fecs & trop
foient pas trop
décharnés
, de
peur de les ennuyer
; le vrai talent
feroit
de joindre
l'agréable
à l'utile
.
De tous les Ouvrages hiftoriques qui
peuvent fervir à l'éducation d'un Prince ,
fur- tout d'un Prince de notre Nation , je
n'en connois point de plus utile que l'Abregé
chronologique de M. le Préfident
Hénaut : je ne connois point d'Ouvrage.
mieux conçu , ni dans un plus bel ordre.
On l'a trouvé fi bean & fi bien fait , qu'ila
fervi de modéle pour l'Hiftoire des autres
Nations. Les faits néceffaires y font
liés avec les faits intéreffans , fans s'embaraffer
les uns dans les autres . Les actions
principales des Princes, font choifies
avec tant de difcernement , qu'elles font .
connoître leurs véritables caractéres , avec
leurs belles qualités , & leurs défauts . Il
a trouvé le ſecret de placer dans un trèscourt
efpace , les événemens les plus remarquables.
La Chronologie y eft fi claire
& fibien arrangée , qu'on peut l'apprendre
fans éffort , & fans s'en appercevoir.
Les noms des Princes contemporains de
88: MERCURE DE FRANCE.
nos Rois , & la durée de leurs régues , y)
font expliqués fi nettement , que cet Ouvrage
donne un commencement de connoiffance
agréable & facile à retenir , de
l'Hiftoire de l'Europe .
?
Lorfqu'en parcourant ce Livre , on tombera
fur un fait ou fur une action remar
quable , qui peuvent faire defirer de les
voir plus circonftanciés, alors l'Inftituteur
peut avoir recours aux Originaux , où il
fera voir un récit plus détaillé du fait , qui
a frappé fon Eléve, & il fera enforte que
ce récit foit intéreffant , & puiffe donner
lieu à des réfléxions utiles & agréables . Je
ne parlerai pas ici des Livres hiftoriques
qui doivent contribuer à l'éducation d'un
Prince , de la maniere dont ils doivent
être étudiés , ni du choix qu'il faut faire
des morceaux qui lui feront préfentés ,
parce que je me réſerve dans mon ouvrage
, d'en faire un détail qui pafferoit
aujourd'hui les bornes d'un éffai .
Les Princes ont encore une facilité pour
apprendre agréablement l'Hiftoire par le
moyen des Tableaux , des Statues & des
Eftampes. Lorqu'ils voyent un beau Tableau
qui reprélente un trait d'Hiftoire
intéreffant , & qu'on leur en fait l'expli
cation , le plaifir qu'ils ont en admirant
Phabileté de l'Artiste, leur donne du goût
OCTOBRE. 1760
890
pour les belles chofes , & grave en mênie
temps dans leur mémoire , le fouvenir de
ces faits: c'eft ainfi que fans beaucoup d'éfforts
une connoiffance en procure une
autre .
La Géographie & la Chronologie font
deux Sciences , fans lefquelles on ne fçait
l'Hiftoire qu'imparfaitement. Il n'eft pas
néceffaire qu'un Prince fçache la Géogra
phie , comme ceux qui en font profeffion,
pourvu qu'il connoiffe fommairement les
trois parties du monde , féparées de notre
continent, les différens Royaumes qu'elles
contiennent , & les principales Villes quis
yfont fituées , en forte qu'il ne mette pas
Conftantinople en Perfe, ouHifpahan dans
l'Inde , & qu'il ne faffe aucune confufion
des unes avec des autres , cela lui fuffit ,
parce que nous avons beſoin de ménager
fa mémoire pour des chofes plus néceffaires.
Il doit avoir une connoiffance plus particuliere
de l'Europe , parce que fes Etats
y font fitués , & qu'ils ont une liaiſon né,
ceffaire avec les autres ; mais après les
premieres notions , celle ci doit s'acquérir.
par l'habitude & par l'expérience . Le
moyen le plus court & le plus facile , eft
de leur faire lire l'hiftoire fur la Carte .J'ai
oui dire à M.l'Abbé de Fleury, qui avoit été
90 MERCURE DE FRANCE.
Sous- Précepteur des trois Petits - fils de
Louis XIV * qu'on leur faifoit lire la gazette
la carte à la main ; c'étoit une étude
d'environ une demie - heure par femaine ,
qui ne les fatiguoit pas , & les entretenoit
dans la connoiffance de la Géogra
phie.
La Chronologie aide auffi à retenir les
faits'; il ne faut pas cependant s'y attacher
trop fcrupuleufement. Je prendrois volontiers
pour modéle , celle de M. Boffuet,
dans fon Hiftoire univerfelle ; mais il faut
en fçavoir affez , pour ne pas faire des
anacronifmes ridicules ainfi ces trois
Sciences doivent marcher d'un
pas égal ,
dans l'éducation d'un Prince.
Les Mathématiques font une Science
qui n'eft néceffaire à un Prince , que pour
ce qui concerne les fortifications . Comme
il peut avoir occafion d'aller lui -même à
la guerre, ou de diriger de fon cabinet les
opérations de fes Généraux , il doit en
avoir une connoiffance affez étendue, fans
cependant entrer ,furtout dans les commencemens,
dans de trop grands détails. Je crois
qu'on pourroit attendre à lui en donner la
* C'eft celui qui a écrit l'Hiftoire Eccléfiaftique,
J'ai vêcu avec lui les dix dernieres années de fa
vie , ayant été élevé avec M. Delavigne ſon neveu
, qui eft mort , il y a dix-huit mois , premier
Médecin de la Reine.
OCTOBRE. 1760.
Théorie, qu'il fut en état de la joindre à la
Pratique , fans laquelle toutes les Sciences
s'oublient aifément : je veux dire , qu'il
foit dans un âge, où pouvant voyager , il
puiffe par l'inſpection des lieux & des différentes
Citadelles , acquérir la connoiffance
qui lui eft néceſſaire.
J'ai dit que la Science la plus néceſſaire
à un Prince , étoit celle de la Morale Ci
vile , après la Morale Chrétienne.
La Morale Civile dont je veux parler ,
eft proprement la Politique ; mais j'entends
cette Politique fage , éclairée , prévoyante
, dirigée par les lumieres de la
Religion, par la vertu , & par le bon fens ,
qui tend à la gloire du Prince , à la ſplendeur
de l'Etat , & au bonheur des Peuples
; & non pas cette fauffe Politique dirigée
par la fineffe , la rufe & la tromperie :
Politique qui a fait long- temps la régle
du Gouvernement des Princes de l'Europe
, & fur tout de l'Italie , qui en avoit
infecté les autres Etats ; Politique tirée
de Tacite , de Machiavel , & d'une infinité
de Commentateurs extravagans , fans
religion , & fans probité , qui font tombés
dans l'oubli , depuis le fiècle de Louis
XIV.
La faine Politique doit être fondée ſur
la fageffe ; c'eft celle dont le Prince doit
acquérir une connoiffance parfaite , &
92 MERCURE DE FRANCE.
qu'il doit puifer dans l'étude de la Philofophie.
Les hommes qui fe font attachés les premiers
à la Philofophie , nous ont preſcrit
des régles adoptées par toutes les Nations
policées , par le moyen defquelles nous
pourrions nous inftruire des connoiffances
néceffaires pour nous conduire avec fageffe
; mais il faut fçavoir diftinguer celles
auxquelles nous devons nous appliquer ,
d'avec celles que nous devons rejetter.
On divife la Philofophie en quatre par
ties. La Logique , la Méchaphyfique , la
Phyfique & la Morale.
La Logique eft. l'art de raifonner foli
dement. Elle apprend à connoître la véri
té des propofitions , pour en tirer des conféquences
juftes , & des démonſtrations
infaillibles. Ce fut par la Logique qu' Arif
tote commença , ce qu'on peut apeller la
véritable éducation d'Aléxandre ; mais il
ne l'en inftruifit pas comme on fait depuis
fi longtemps dans nos Ecoles , où l'on paf
fe la plus grande partie de fon temps à
difputer fur des queftions frivoles , & à
pointiller fur des termes ; il lui apprit à
diftinguer les raifonnemens vrais d'avec
les fophifmes , afin de pouvoir décider ,
avec juſteſſe , dans les affaires qui ſe préfentent
, & prendre un parti fage , fur les
avis qui font propofés dans les confeils
OCTOBRE. 1760.
93
·
parce que c'eft d'où dépend la réuffite des
affaires .
La Méthaphyfique eft une fcience abftraite
, dans laquelle on marche toujours
dans l'obfcurité , qui a peu de certitude ,
qui ne produit que des opinions fouvent
fauffes , parce qu'elle n'a point de fondement
folide fur lequel on puiffe s'appuyer.
On veut raiſonner fur des matieres dont
Dieu n'a pas jugé à propos de nous donner
connoiffance , & qu'il a livré aux difputes
des hommes , comme dit le Sage. *
je la crois abfolument inutile au Prince.
A l'égard de la Phyfique , la connoiffance
en eft un peu plus néceffaire : cependant
il faut empêcher que le Prince ne s'y
livre avec trop d'ardeur ; l'étude en eft fi
agréable & fi variée , qu'on s'y attache
facilement : il n'en doit fçavoir que ce
qui peut lui donner affez de goût , pour
l'engager à protéger & encourager ceux
qui en font profeffion , dans la vue d'être
utiles à la Société.
. Mais la Morale eft la véritable ſcience
du Prince : elle lui apprendra ce que c'eſt
que la vertu , pour la pratiquer lui- même
& la reconnoître dans fes Sujets.
La vertu eft une habitude au bien ,
* Tradidit mundum difputationi hominum .
34 MERCURE DE FRANCE:
qui tient le milieu entre les deux extrémi
tés du vice.
Le courage tient le milieu entre la témérité
& la timidité.
La libéralité, entre la prodigalité & l'avarice.
L'amitié , entre la flatterie & la haine.
La prudence , entre la rufe & la folie.
La vérité , entre la diffimulation & la
trop grande franchiſe , & ainfi des autres
vertus ; mais elles ont des nuances particulieres
qui les rendent , plus ou moins
recommandables , comme les vices en
ont qui les rendent , plus ou moins dangereux
; je donnerai pour exemple le courage.
Cette vertu , comme je le viens de
dire , tient le milieu entre la témérité &
la timidité.
L'homme courageux eft celui que rien
n'étonne , qui ne ſe laiffe abattre par aucun
de ces événemens funeftes & terribles
, qui arrivent dans le cours de la vie ;
qui cherche par fa prudence à les prévenir
, les arrêter , les éloigner , ou les diminuer
; c'eft l'homme vertueux d'Horace ;
fans être étonné ni faifi de crainte , il fe
verroit frapper par les ruines de l'Univers
; c'est lui dont l'âme eft inacceffible
à la timidité ; c'eft enfin ce Prince à
*
* Si fractus illabatur Orbis , impavidum ferient
tuinx.
OCTOBRE. 1760. 95
qui la femme fage de l'Ecriture difoit :
Le Roi mon Seigneur eft femblable à
l'Ange de Dieu ; la bénédiction ni la malédiction
ne peuvent altérer la tranquillité
de fon âme. *
L'homme véritablement courageux ,
comme dit Ariftote , eft celui qui ne s'expofe
jamais aux grands périls que pour
de grandes chofes ; pour fon Prince ,
pour la gloire , pour la patrie , pour fes
amis : il ne s'y expofe jamais qu'avec
beaucoup de prudence & de circonſpection
.
Le Téméraire , ou le faux Brave , s'expofe
à tout ce qui a l'apparence du péril ,
pour peu de chofe , inconfidérément &
fans précaution. Ce qui le foutient dans
les périls eft l'efpérance qu'il n'y fuccombera
pas ; car s'il voyoit la mort certaine ,
fa Bravoure l'abandonneroit bientôt .
Alexandre fut un téméraire , lorfqu'il
Le précipita feul dans une Ville ennemie ,
où il devoit périr , fi la fortune eût ceffé
un moment de le favorifer.
L'homme timide fe laifie abbatre par
tout ce qui a l'apparence du péril ; la peur.
offufque fa raifon , & le met hors d'état
de remédier aux dangers qui fe préfentent;
Sicut enim Angelus Dei , fic eft Dominus
meus Rex , qui nec benedictione , nec maledictione
moveatu Reg. II. ch . 14. v. 17.
96 MERCURE DE FRANCE;
& pour les éviter , il fe jette dans l'extré
mité oppofée.
Il faut diftinguer la crainte de la timidité
; un homme courageux peut avoir
de la crainte. Elle n'eft pas un défaut ,
c'est l'action d'appréhender que les événemens
qui ne dépendent pas de lui ,
lui foient contraires ou préjudiciables :
mais fon courage lui infpire d'employer
la prudence pour les prévenir & y rémédier.
La valeur , ou la bravoure, eft ordinairement
la compagne du courage. Quoiqu'il
y ait de la différence entre ces deux
vertus , cependant on les confond fouvent
enſemble : mais je penfe qu'elles
peuvent quelquefois exifter féparément ;
& c'eft ce qu'on peut mieux faire ſentir
par.des faits que par des raifonnemens.
Alexandre étoit brave ; on ne fçauroit
lui difputer cette qualité mais étoit - il
véritablement courageux ? Ce Prince revient
couvert de gloire , victorieux de
toutes les Nations de l'Orient : il eft arrêté
par les prédictions des Chaldéens ,
qui lui annoncent la mort, s'il entre dans
Babylone. La peur s'empare de fon âme.
I hélice longtemps pour entrer dans
çette Ville ; il fe livre à la fuperftition
pour détourner les finiftres prélages qui
le
OCTOBRE. 1760. 97
le menacent , & pour guérir fon imagition
frappée. Il n'en peut venir à bout : il
s'abandonne à toutes fortes de plaifirs ,
afin de s'étourdir lui- même ; fes excès ne
font qu'accélérer la mort qu'on lui avoit
prédite , au lieu de l'attendre avec courage
, s'il ne pouvoit l'éviter .
La mort de Caton d'Utique , à laquelle
on a donné des louanges exceffives , marque
dans cet homme , un défaut de courage.
Il n'a pas la force de réfifter aux malheurs
qu'il prévoit , & qu'il appréhende ;
& il fe donne la mort avec affez de façons
pour faire croire qu'il regrette la vie.
"
Ce fameux Brutus , le meurtrier de Cé-
Jar * qu'on nous a tant vanté , prêt à ſe
jetter fur la pointe de fon épée , s'écrie ,
» vertu que j'ai fuivie toute ma vie , pour
laquelle j'ai quitté plaiſirs , biens & for-
» tune , tu n'es qu'un vain fantôme fans
pouvoir , le vice a toujours l'avantage
> fur toi , & déformais eft- il un mortel qui
» doive s'attacher à ton inutile puiffance
! la mort qu'il fe donne enfuite eft
une action de défefpoir , & non pas de
"
"
courage.
Annibal eft un homme véritablement
courageux. Après les grandes actions qu'il
* Voir la vie de Céfar , par l'Auteur , To . 2.p.
247 .
II. Vol.
98 MERCURE DE FRANCE
a faites , forcé de céder à la fortune des
Romains , il eft vaincu , mais fon courage
ne l'abandonne jamais. Il parcourt tous
les Royaumes de l'Univers , où il croit
pouvoir fufciter des ennemis aux Romains ,
& il fuccombe enfin lorſqu'il ne peut plus
réfifter à la fatalité de fon fort , & après
avoir fait tous les éfforts
pour la corriger.
Scipion l'Afriquain , ce vainqueur d'Annibal
, eft accufé par fes citoyens : au lieu
de répondre à des accufations , dictées par
leur jaloufie , il les méprife , il s'exile luimême
de fa Patrie , & paffe le refte de ſes
jours avec un courage héroïque , qui
lui fait oublier l'ingratitude d'une ville
qui lui doit toute fa gloire.
Cicéron n'a jamais paffé pour avoir de
la valeur. Il a donné , dans plufieurs occafions
de fa vie , des marques de foibleffe
: Il fupporte fon exil & la mort de fa
fille , avec des regrets indignes de lui ;
mais la grandeur de fon courage ſe fair
connoître , lorsqu'il eft queftion de fauver
fa Patrie , par la découverte de la conjuration
de Catilina , malgré ce qu'il avoit
à craindre des plus Grands de Rome , qui
en étoient complices . Si ce qu'on dit de
fa mort eft vrai , elle fut celle d'un homme
courageux ; il tend la gorge aux bourreaux
, fans donner aucune marque de
OCTOBRE. 1760. 99
crainte ni de timidité : ce qui pourroit me
faire croire qu'un homme peut être courageux
fans valeur. *
Nous avons vu de nos jours un exemple
bien frappant de la grandeur du courage
jointe a la valeur , dans la perfonne de
Louis XIV. C'eft moins dans l'éclat de fa
grandeur qu'il paroît un homme courageux
,que dans l'adverfité . Après avoir paffé
la plus grande partie de fa vie dans la
profpérité , la fortune l'abandonne. Toute
l'Europe eft liguée contre lui ; les malheurs
fe fuccédent avec rapidité , il éprouve
les plus grands revers . Ses Armées font
battues à Hochftet , à Ramillies , à Malplaquet
. Il perd prèſque tout ce qu'il avoit
conquis en Flandres , en Eſpagne , & en
Italie. A ces pertes fe joint la défolation de
fa famille . La mort lui enléve , en moins
d'une année , le Dauphin fon fils , le Duc
& la Ducheffe de Bourgogne & leur fils ,
& ne lui laiffe qu'un foible rejetton , dont
la fanté chancelante lui fait enviſager ,
s'il venoit à le perdre , les plus terribles
fuites.
Au millieu de ces défaftres fon courage
ne l'abandonne pas , & lui fournit de nou-
* Démosthènes reffembloit affez à
avoit encore moins de valeur que
mort dans Plutarque.
Cicéron . Il
lui ;
voyez fa
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
velles reffources ; il donne fes ordres partour
avec une intrépidité & une tranquillité
qui étonne l'Europe . Indigné des infolentes
propofitions de paix , que lui font
fes ennemis , il les rejette avec mépris.
Secondé par fes fidéles fujets , fes Armes
font victorieufes . Vendôme , par le gain de
la bataille de Villaviciofa , affermit la
Couronne d'Espagne fur la tête de Philippe
V, & Villars force la victoire de lui
être favorable à Denain . Les affaires fe rétabliffent
: Louis conferve , par une paix
honorable , la plus grande partie de fes
prétentions , & fait voir à toute l'Europe ,
qu'il eft redevable de fes dernieres profpérités
à fon courage. Si fon courage l'avoit
abandonné dans l'adverfité , tout étoit
perdu.
J'ai dit que le courage étoit la vertu
opposé à la témérité ; lorfque je parlerai
de ce vice , j'en ferai fentir les terribles
conféquences. Je parlerai de Philippe de
Valois , qui perd la bataille de Crecy ,
pour avoir imprudemment attaqué les
Anglois. Du Roi Jean , qui pouvant avoir
à difcrétion le Prince de Galles , aime
mieux le combattre : il perd la bataille de
Poitiers ; il eft fait prifonnier , & met fon
Royaume à deux doigts de fa perte. Gufta-
Adolphe , Roi de Suéde , fe fait tuer à
OCTOBRE . 1760. 101
la bataille de Lutzen , après avoir remporté
la victoire. Le Duc de Nemours , à
la bataille de Ravennes , avoit eu le même
fort , & Charles XII eft emporté d'un
coup de canon , au Siége de Frédéricshall.
C'eft ainfi qu'en joignant les exemples
aux préceptes , on peut inftruire un Prince
des effets que produifent les vertus &
les vices . Il apprendra à pénétrer dans le
coeur des humains , pour y diftinguer les
motifs de fes actions,& comment elles font
conduites par les différentes paffions qui
l'agitent . Il apprendra , par ce moyen , à
connoître les hommes , leurs véritables
caractéres , leurs belles ou leurs médiocres
qualités, afin de fçavoir les employer pour
le bien de fon fervice & l'utilité de fon
état , chacun fuivant fon talent .
La connoiffance des hommes eft fans
doute une des plus néceffaires & dès plus
utiles pour le Prince. Louis XIV la poffédoit
au premier degré. Pendant fon régne
aucun de ceux qui fe diftinguerent dans
tous les
genres , ne fut oublié ni négligé.
Mais pourquoi ne propoferions- nous
pas , aux jeunes Princes , des exemples vivans
? notre Augufte Monarque n'imite- til
pas
fon illuftre Bifayeul ? nous voyons ,
avec fatisfaction , le Maréchal de Broglie
à la tête de fes Armées. Tous les autres
E iij
102 MERCURE DE FRANCE
Miniftres occupent des places dans lefquelles
ils fe diftinguent , autant par leur
amour pour leur Prince , que par leur attention
à exécuter fes ordres avec exactitude
& fidélité .
Nous reconnoiffons dans les autres Monarques
la même fagacité , par le choix
qu'ils ont fait de ceux qui rempliffent les
premiers emplois de leurs Etats .
L'Impératrice Reine de Hongrie & de
Bohéme , s'applaudit du choix qu'elle a
fait pour commander les Armées , des
Généraux Daun & Laudon , & du Comte
de Kaunits fon Grand Chancelier , qu'elle
a mis à la tête de fon Confeil .
Les Miniftres de Frederic V , Roi de
Dannemarc , font dignes de ce fage Monarque
, dont la prudence fait l'admira
tion de toute l'Europe. Nous avons rendu
juſtice au Baron de Bernftorf, l'un d'eux ,
pendant fon Ambaffade en cette Cour ,
où il étoit autant eftimé , qu'il fçait fe
faire aimer à celle de Coppenhague. Avec
quelle union les Miniftres d'Efpagne choifis
par Dom- Carlos, ne concourent- ils
avec lui à la gloire & à la profpérité de
cette Monarchie ! En réuniffant ainfi ſous
un même afpect les vertus des différens
Monarques qui gouvernent aujourd'hui
l'Europe , & les belles qualités de leurs
pas
OCTOBRE. 1760 . 183
Miniftres ,, on peut former fur ces modéles
, des Tableaux inftructifs & dignes
d'être mis fous les yeux des jeunes Princes.
Une des plus importantes attentions des
Rois , eft le choix des Gouverneurs de
leurs enfans : c'eft parmi les perfonnes de
condition qu'on doit les prendre. Elles
ont plus ordinairement en partage , la
grandeur & la nobleffe des fentimens.
Comme elles approchent du Throne plus
fouvent , & de plus près que les autres ;
comme elles fréquentent la Cour ; comme
elles y voyent continuellement ceux qui
fe diftinguent par leur mérite & leur
Science elles font plus à portée d'acquérir
les qualités néceffaires pour former
un Prince . Nous ne voyons juſqu'à Louis
XIV, aucun Gouverneur digne par fon
mérite d'être placé dans l'Hiftoire . Elle
nous a confervé feulement le nom & les
belles qualités du Comte de Chievres ,
Gouverneur de Charles - Quint , auquel
il procura une fi belle éducation , qu'il
fut un des plus grands Princes de fon
temps.
Nous pourrions encore citer M. le Duc
de Montauzier , qui avoit préfidé à l'éducation
de Mgr le Grand Dauphin : c'étoit
un homme du premier mérite , fage , prudent
, inftruit , éclairé. La nobleffe de fes
E iv
104 MERCURE DE FRANCE:
fentimens, répondoit à celle de fa race; cependant
un peu trop mifantrope , il avoit
un refte de Pédantiſme , qu'on croyoit
alors néceffairepour l'éducation . J'ai appris
d'un homme qui avoit paffé fa vie à cette
Cour, que lorfque Louis XIV voulut choifir
celui qu'il placeroit auprès de fes Petitsfils
, on crut que M. de Montauzier feroit
encore nommé, & quelqu'un lui en ayant
fait compliment : non , dit-il , jefuis trop
mais je gronderois bien encore.
Au furplus , comme ces importantes places
font aujourd'hui remplies auprès des
jeunes Princes de l'Europe , par les hommes
les plus recommandables , nous n'avons
rien à defirer fur cet article.
vieux
Une choſe bien difficile dans l'éducation
d'un Prince , eft le choix de ceux
qu'on pourroit lui deftiner pour amis ; on
n'en fait pas de propos délibéré. L'amitié
ne fe donne point; elle fe contracte
infenfiblement par la conformité de l'âge,
des moeurs , du caractére , & par une certaine
habitude de vivre enfemble. Alexandre
eut le bonheur d'en diftinguer un ,
entre ceux qui l'environnoient, qu'il aima
préférablement aux autres , qui fe rendit
digne de fon amitié , & qui fit le bonheur
de fa vie. L'Empereur Augufte fut
*
* Voir le caractére d'Epheftion dans la Vie
d'Aléxandre de l'Auteur. P. 554.
OCTOBRE. 1760 . 105
affez heureux , pour en trouver deux . Ce
Prince ayant eu la foibleffe de divulguer
dans Rome les déréglemens de fa propré
fille , s'écria , pénétré de douleur : fi Mecène
ou Agrippa euffent été vivans , je
n'aurois pas commis une fi grande faute !
Un ami fage , éclairé, intelligent , n'eft
intéreffé que pour la gloire du Prince ; fon
amitié lui donne le droit de dire librement
fon avis , & il le mefure au carac
tére de celui auquel il parle.
Retire-toi , Bourreau , écrivit un jour
Mecène à Augufte , qu'il ne pouvoit aborder
à caufe de la foule des malheureux
qu'il faifoit tourmenter. La remontrance
étoit violente , mais elle fit fon effet ,
parce que le Prince connoiffoit la fageffe
de fon ami. Le Duc de Sully ne corrigeoit
pas Henri IV fi durement , auffi ne s'expofa-
t- il jamais à de pareils reproches.
Le Ministre repréfentoit avec douceur ,
mais avec fermeté , ce qu'il croyoit
utile au Prince , & le Prince convaincu
de la droiture & de la fageffe du Miniftre ,
fe rendoit fouvent à fon avis .
En faisant connoître au Prince les agré
mens qui accompagnent l'amitié , il faut
tacher de l'inftruire , comment il pourra
diftinguer ceux qui aiment la fortune ,
plutôt que le Prince c'eft ce qu'Ale-
E v
r06 MERCURE DE FRANCE.
xandre connoiffoit parfaitement , lorfque
parlant de fes deux principaux Minif
tres , il difoit qu'Epheftion aimoit Alexandre
, & que Cratère aimoit le Roi. Il
faut encore s'attacher à lui faire connoître
la différence qu'il y a entre un ami , & un
favori. L'Hiftoire eft pleine de favoris ingrats
, qui ne regardent l'amitié du Prince,
que comme une voie fûre de faire fortune
, qui font infatiables de dons , qui
abufent du pouvoir qu'ils ont fur fon efprit
, qui veulent le maîtrifer , & qui lui
font fouvent faire de lourdes fautes ; &
je pourrois dire qu'il n'y a que les Princes
foibles , qui ont des favoris .
Il ne faut pourtant pas qu'un Prince ,
faute de trouver des amis parfaits , fe
prive des douceurs de l'amitié. Le coeur
de l'homme eft fait pour aimer : un Prince
généreux furtout eft fujet à cette belle paffion;&
lorfqu'il eft intelligent, il en fait un
ufage conduit par le difcernement , qui
rend heureux ceux qui l'approchent. Rien
n'eft comparable , dit le Sage , à un véritable
ami ; toutes les richeffes du monde ,
ne fçauroient égaler fa bonté & fa fidélité.
*
* Amico fideli nulla eft comparatio , & non
eft digna ponderatio auri & argenti contra bonitatem
fidei illius . Ecclefiaftic. ch . 24. v. 15,
OCTOBRE. 1760. 107
On fent parfaitement que cet éffai n'eſt
qu'une efquiffe très- légére d'un plus grand
Ouvrage . J'employerai tous mes foins à
le rendre digne des Princes , auxquels je
le define , & utile en même temps , par
le mêlange des traits hiftoriques , avec les
préceptes de la Morale . Si je ne fuis pas
affez heureux pour remplir mon objet à
leur fatisfaction , j'en accuferai mon infuffifance
, & je me tiendrai dans la foule de
ceux que la Nature a bornés dans le témoignage
de leur zéle envers leurs Princes ,
aux voeux qu'ils font pour leur profpérité.
Le fieur de Bury qui nous a fourni cet
éſſai , a déjà donné au Public la vie de
Jules-Céfar. Il fe difpofe encore à donner
celles de Philippe & ďAlexandre- le - Grand,
qui font dédiées au Roi de Dannemarc .
Elles font fous Preffe , & paroîtront le
mois prochain.
HISTOIRE de la Maifon de STUART
fur le Throne d'Angleterre , par M.
HUME.
Q
UELLE foule d'événemens extraordinaires
& tragiques , nous annonce le
Titre feul de cette Hiftoire ! & quelle
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
idée ne doit - on pas concevoir d'un Ouvrage
, dont l'Auteur eft M. Hume , & le
Traducteur , M. l'Abbé Prevôt ? Ce Livre
en trois volumes in - 4° . eft donc également
recommandable , & par le nom des
Auteurs , & par l'importance du fujet : il
l'eft auffi par le mérite de l'exécution dans
la partie littéraire , & dans le travail
pographique.
33
ty.
Nous diviferons l'Analyſe de cette Hifsoire
, en trois parties ; chaque Volume
nous fournira la matiere d'un extrait. Le
premier commence à la mort d'Elizabeth,
dont la Couronne paffa fur la tête de Jacques
Stuard, Roi d'Ecoffe. Il étoit arrierepetit
-fils de Marguerite , fille aînée de
Henri VII, & le défaut de la ligne mafculine
, rendoit fes droits inconteftables.
Elizabeth mourut le 24 Mars 1603 ,
après un long & heureux régne : heu-
» reux , parce qu'il avoit été prudent. Ja-
» mais femme n'a joui de tant de gloire ,
& de réputation. On a difputé long-
» temps , & l'on demande encore qui
doit être regardé comme le plus grand
» des hommes ; mais auffi long- temps que
» le nom d'Elizabeth ſubſiſtera, la prééminence
ne fera point incertaine entre les
femmes. Elle réuniffoit prèfque toutes
les vertus , dont l'affemblage peut faire
39
OCTOBRE . 1760. 109
» la perfection du caractère d'un Souve-
» rain. Sa févérité même & fon économie,
» par lesquelles elle fembloit pancher vers
» l'extrême , convinrent fi particulierement
» aux circonftances de fa fituation , que
» l'influence de ces qualités , parut égale
» à celle de fes plus éclatantes vertus.
» Elle avoit été fans ceffe accompagnée
» de la victoire au dehors , & de la paix
» dans l'intérieur de fes Etats . Enfin elle
laiffa fa nation dans une condition fi
» floriffante , que fon fucceffeur , en montant
fur le Thrône , fe vit tout d'un
" coup en poffeffion de toutes fortes d'a-
"vantages , excepté celui d'un nom com-
» parable à l'illuftre nom qu'il remplaçoit. »
Jacques I ne fçut profiter ni de l'état
floriffant où il trouva le Royaume d'Angleterre
, ni de l'affection finguliere que
les Peuples témoignerent d'abord pour
leur nouveau Monarque. Les premiers
foins qui l'occuperent fur le Thrône, furent
entierement conformes aux inclinations
de fon coeur: il eut la fatisfaction de s'employer
à donner magiftralement des Loix
à une affemblée de Théologiens , concernant
les points de foi & de diſcipline ; &
de recevoir les applaudiffemens de ces
faintes ames ,pour la fupériorité de fon zéle
& de fon fçavoir. Il avoit convoqué cette
110 MERCURE DE FRANCE.
f
Affemblée , au Château d'Hamptoncour.
L'événement le plus mémorable de ce
régne , & un des plus extraordinaires que
l'Hiftoire ait tranfmis à la postérité , eft
la confpiration des poudres ; fait auffi certain
, qu'il paroît incroyable. Les Conjurés
avoient loué une maifon , qui touchoit
à la Salle du Parlement : ils formerent
l'horrible projet de creufer une mine
fous cette Salle, & de la faire fauter à certain
jour , où le Roi , la famille Royale ,
le Seigneurs & les Communes devoient
s'y trouver affemblés. Le hazard même
parut autorifer leur fcélérateffe : une cave
fituée fous cette Salle , fe trouva libre ; &
ils y placerent trente- fix barils de poudre,
quifurent foigneufement couverts defagots
& de buches ; après quoi , pour éviter toute
fufpicion, ils laifferent les portes de la cave
ouvertęs , avec entiere liberté d'y entrer.
Le jour de l'Affemblée du Parlement
approchoit. L'horrible fecret , quoique répandu
entre plus de vingt perfonnes, avoit
été religieufement gardé l'efpace d'un an
& demi : nul remords, nul mouvement de
pitié , nul efpoir de récompenfe , n'avoient
eu la force d'engager aucun des Confpirateurs
, foit à quitter l'entrepriſe , foit à
la découvrir une Lettre ambigue , écrite
par un Conjuré, fut remife entre les mains
OCTOBRE . 1760. III
du Roi , qui en demêla le vrai fens . La
conjuration fut découverte , & le crime
des Confpirateurs puni. Le Roi , dans le
difcours qu'il fit au Parlement , obferva
que s'il étoit vrai que des motifs de religion
euffent engagé les Confpirateurs dans
une fi criminelle entrepriſe , tous les Catholiques
Romains ne méritoient pas le
même reproche . » Un grand nombre de
» faints hommes , dit-il , entre lefquels
» on peut compter nos Ancêtres , ont eu
la foibleffe de donner dans la doctrine
»fcholaftique de cette Eglife , fans avoir
» jamais admis les féditieux principes
» qui attribuent au Pape le pouvoir de
» détrôner les Souverains , ou qui fanc-
» tifient l'affaffinat . »
Jacques le préfente fous un jour plus favorable,
lorfqu'il entreprend d'être le Légiflateur
de l'Irlande , que lorfqu'il préfide
aux Affemblées de Théologiens : il civilifa
les Habitans de cette Ifle , qu'on eût pris
alors pour une nation de Sauvages . Aucun
crime pernicieux n'étoit puni de mort ;
les plus grandes fautes n'entraînoient
d'autres châtimens , qu'une amende pécuniaire.
Chacun , par exemple , avoit fon
prix fixe , une valeur attachée à fa
Lonne , & proportionnée à fon rang. Le
prix de chaque Irlandois , étoit nommé
per112
MERCURE DE FRANCE.
9
fon Eric ; & quiconque étoit affez riche
pour payer l'Eric de fon ennemi , pouvoit
hardiment l'affaffiner. On peut juger par
cette Loi , des autres ufages de ce Peuple.
A la réſerve des Seffions du Parlement,
l'Hiftoire du régne de Jacques I , eft plutôt
l'Hiftoire de la Cour , que celle de la
Nation. Ce Monarque eut fucceffivement
deux favoris: le premier fut Robert- Carre,
Vicomte de Rochefter , l'autre le fameux
Duc de Buckingham. Robert- Carre ,
jeune homme de vingt ans , & d'une
bonne maifon d'Ecoffe , parut à Londres
après avoir donné quelque temps à fes
voyages. Toutes fes perfections naturelles
confiftoient dans une belle figure, & toutes
fes qualités acquifes , dans l'air & la contenance
aifée. La paffion du Roi pour la jeuneffe,
la beauté & les graces extérieures, lui
fit faire attention à ce jeune homme . On
prétend qu'il fe trouva fi mal élevé , qu'il
ignoroit jufqu'aux premiers élémens de la
Langue latine ; & que le Monarque dépofant
le Sceptre , prit la férule dans fes
mains royales , pour l'inftruire des principes
de la Grammaire. Les affaires d'Etat
fervoient d'intermédes à cette noble occupation.
Dans l'opinion que le Roi avoie
de fa propre fageffe , il fe trouva flatté , de
penfer que par les avis & fes inftructions ,
OCTOBRE. 1760. ? 117
un novice de cet âge deviendroit bientôt
égal aux plus fages Miniftres: il lui conféra
bientôt la dignité de Chevalier ; il le créa
Vicomte de Rochefter ; il lui donna
l'Ordre de la Jarretiere; il l'admit au Confeil
privé, & mit entre fes mains la direction
fuprême de toutes les affaires & de
tous les intérêts politiques. Les richeſſes
convenables à ce rapide progrès de crédit
& d'honneurs , furent accumulées fur fa
tête ; & il ne paroît pas , dit l'Hiftorien ,
que la paffion de Jacques pour ce favori ,
ait rien eu de criminel , ni de vicieux.
Le Vicomte de Rochefter ne fçut pas fe
maintenir long-temps , dans les bonnes
graces de fon maître . S'étant fouillé d'un
empoifonnement pour plaire à fa femme,
il fut d'abord enfermé avec elle dans la
Tour ;mais après quelques années de prifon
, le Roi adoucit la rigueur de fon
fort , en lui rendant la liberté . Il lui accorda
même une penfion , avec laquelle
il chercha une retraite , où il traîna une
vie longue dans l'infamie & l'obſcurité,
L'hiſtoire du mariage & du crime de ce
Favori , eft un morceau intéreffant qu'il
faut lire dans l'ouvrage même , les loix
ordinaires de l'analyfe ne permettent pas
de le rapporter en entier ; & ce feroit
trop l'affoiblir que d'en donner un extrait.
•
114 MERCURE DE FRANCE.
La chute de Rochefter , & fon banniffement
de la Cour ouvrirent le chemin
au fecond favori , pour monter tout d'un
coup au fommet de la faveur , des honneurs
& des richeffes. Il fe nommoit
George Villiers , jeune homme de vingtun
ans , cadet d'une bonne maiſon . II
revenoit alors de ſes voyages ; & il fe fir
remarquer par les avantages d'une belle
figure , d'un air fin , & d'une parure du
meilleur goût. Jacques le revêtit d'abord
de l'office d'Echanfon ; il le créa enſuite
Vicomte de Villiers , Comte , Marquis
& Duc de Bukingham : puis ne penfant
plus qu'à faire le Précepteur avec lui , il
prit , en le chargeant d'honneurs exclufifs
& prématurés , une méthode infaillible
, pour le rendre toute fa vie téméraire
& préfomptueux jufqu'à l'infolence.
Ce Miniftre engagea le Prince de Galles
, qui fut depuis Charles I , à fe rendre
en Perfonne à Madrid , où il l'accompagna
, pour hâter fon mariage avec l'Infante.
Il repréfenta à ce Prince , qu'il y
avoit un malheur comme attaché au mariage
des perfonnes de fon rang ; que
le
fort de leur naiffance les condamnoit ordinairement
à recevoir dans leurs bras
une femme qu'ils ne connoiffoient point ,
pour laquelle ils ne fentoient pas les ten
OCTOBRE. 1760. 115
dres mouvemens de la fympathie , &
qu'ils ne devoient qu'à des intérêts politiques.
Il ajouta que l'Infante , avec toutes
les perfections dont elle étoit remplie
, devoit le regarder comme une trifte
victime d'Etat , & envifager avec averfion
, le jour qui devoit la faire entrer
dans le lit d'un inconnu ; qu'il étoit au
pouvoir du Prince de Galles d'adoucir ces
rigueurs , & de fe faire auprès d'elle un
mérite capable d'attacher le coeur le plus
indifférent ; qu'un voyage à Madrid feroit
une galanterie imprévue , égale à toutes
les fictions des Romans Efpagnols , convenable
au caractère amoureux & entreprenant
de cette Nation ; & qu'il paroîtroit
aux yeux de l'Infante , fous les titres
agréables d'amant dévoué , & de brave
avanturier. L'ame du jeune Prince fut
aifément enflammée par cette généreufe
& romanefque peinture. Ils convinrent
d'en parler au Roi , pour obtenir fon approbation.
Jacques y confentit d'abord ;
mais réflechiffant enfuite à cette démarche
, il ne crut pas qu'il fût prudent de
confier à la difcrétion des Efpagnols , fon
fils unique , l'héritier de fa Couronne :
il retira donc fon confentement ; & le
Prince , les larmes aux yeux , reçut ce
refus avec un reſpectueux filence. Il n'en
116 MERCURE DE FRANCE.
fut
pas de même de l'impérieux favori
qui ofa menacer de tout fon reffentiment
, quiconque avoit fait changer le
Roi de réfolution. Jacques protefta qu'il
n'avoit communiqué ce deffein à perfonne
; mais le trouvant affailli tout à la fois
par les violentes importunités de Buca
kingham , & par les ardentes prieres de
fon fils , il eut la foibleffe de confentir
encore au voyage. On convint que le
Prince ne feroit accompagné que de Buc
kingham , de Cottington & de trois au
tres. Cottington fe trouvant alors dans
l'antichambre
, fut auffi- tôt appellé par
l'ordre du Roi qui lui dit : » Voilà Baby
» Charles & Stenny , ( il donnoit ordi-
» nairement ces ridicules furnoms * au
» Prince & au favori ) qui ont grande en
» vie de prendre la poste pour l'Espagne ,
» de nous amener ici l'Infante : que pen-
» fez- vous de cette courfe ? Cottington
, qui étoit un homme prudent , expofa
au Roi toutes les objections qui fe
préfentent naturellement contre une entreprife
de cette nature , & ne fit pas de
difficulté de la condamner. Le Roi fe
jetta fur fon lit en criant : N'est - ce pas
ce que je vous ai dit ? Il recommença
* Baby fignifie poupée ; & Stenny eft un dimi
nutif de S. Jean .
OCTOBRE. 1760. 117
fes lamentations avec une nouvelle cha
leur , en difant qu'il étoit perdu , & qu'il
alloit perdre Baby Charles . Le Favori s'emportant
contre Cottington , »les quef-
» tions du Roi , lui dit- il , ne regardoient
que la maniere de faire ce voyage ;
»pourquoi ofez-vous donner votre avis
» fur les affaires d'État , fans qu'on vous
» le demande ? C'eft une hardieffe , dont
» vous vous repentirez toute votre vie . »
Il ajouta mille autres menaces , qui mirent
le pauvre Roi dans une nouvelle
agonie , en faveur d'un Officier dont il
prévoyoit que le fort feroit à plaindre ,
pour lui avoir répondu en homme d'honneur.
Il prit la parole avec quelque émotion
: » Pardieu , Stenny , je vous blâme
25
»
beaucoup de l'avoir traité fi mal. Il a
» répondu directement à ma queſtion ;
» & vous fçavez bien qu'il n'a rien dit de
plus , que ce que je vous ai dit moi-
» même , avant que de le faire appel-
» ler. Après toute cette chaleur des deux
parts , Jacques renouvella fon confentement
, & les mefures furent prifes pour
le voyage. Ils traverferent la France déguilés
, fans y être reconnus , & fe hazarderent
même à paroître dans un bal
de la Cour , où le Prince de Galles vit la
Princeffe Henriette , qu'il époufa dans la
118 MERCURE DE FRANCE
fuite. Onze jours après leur départ de
Londres , ils arriverent à Madrid , & n'y
cauferent pas peu de furpriſe , par une
démarche fi peu ordinaire aux grands
Princes. Le Roi d'Efpagne s'empreffa de
vifiter Charles , lui témoigna la plus vive
reconnoiffance de l'opinion qu'il avoit
de fa bonne foi , & lui promit , avec des
proteftations fort ardentes , un retour
égal de franchiſe & d'amitié. Il lui donna
une clef d'or , qui ouvroit tous les
appartemens , afin que le Prince n'eût
pas befoin d'introduction pour le voir à
toute heure. Dans toutes les occafions il
prit la gauche , excepté dans l'appartement
même de Charles , où ce Prince ,
difoit-il , étoit chez lui. Charles , dans
fa premiere entrée au Palais , y fut reçu
avec la même pompe & les mêmes céré
monies qui s'obfervent en Eſpagne au
couronnement du Roi. Le Confeil privé
reçut un ordre public de lui obéir comme
au Roi même. Toutes les priſons d'Ef
pagne furent ouvertes , & la liberté fut
rendue aux prifonniers , comme fi le plus
mémorable & le plus heureux événement
étoit arrivé à la Monarchie. Cependant
l'Infante ne fut montrée qu'en public à
fon amant ; les idées efpagnoles de décence
, ne permettoit pas un commerce
OCTOBRE. 1760 119
plus familier , jufqu'à l'arrivée des Bulles !
de difpenfe pour le mariage. Le caractère
de Charles , compofé de modestie , de
douceur & de fobriété , vertus fi confor- ›
mes aux moeurs d'Eſpagne ; la confiance
fans exemple qu'il avoit eue pour la nation
, fa galanterie romanefque , toutes
ces circonstances jointes aux graces de fa
jeuneffe & de fa figure , l'avoient rendu
cher à la Cour de Madrid , & laiffoient
à toute l'Espagne , la plus favorable idée
de fon naturel. Mais le mépris & la haine
y étoient dans la même proportion pour
le Duc de Buckingham , que l'eftime &
l'affection pour le Prince. Ses diffolutions
, fon humeur arrogante , impétueufe
, irriterent les Efpagnols. Il pouffa l'imprudence
jufqu'à infulter le Comte Duc
d'Olivarez , leur premier Miniftre. Ne
pouvant le déguifer combien il étoit
odieux à cette nation , il employa tour
fon crédit , pour faire avorter le mariage.
Il y réuffit par l'afcendant qu'il fçut toujours
conferver fur l'efprit du Roi , & fur
le Prince de Galles. Celui - ci , malgré toutes
les proteftations , & le traitement généreux
qu'il avoit reçu des Eſpagnols
quitta Madrid , ayant déja formé la réfolution
de rompre tous fes engagemens .
"
Jacques I étoit dans l'opinion , que .
720 MERCURE DE FRANCE.
fon fils feroit dégradé par un mariage
avec toute autre Princeffe qu'une fille de
Roi . Dans cette idée , après la rupture
de l'Espagne , il ne reftoit qu'une alliance
avec la France. Mais ce Monarque ne furvêcut
pas long-tems à ce mariage avec
la Princeffe Henriette il mourut le 27
Mars 1625 , dans la cinquante- neuvième
année de fon âge , & la vingt-troifiéme
de fon regne fur le thrône d'Angleterre.
A ce regne pacifique , fuccéda le regne
orageux & fanglant de Charles I. Le Parlement
, déja indifpofé contre Jacques I ,
ne garde que peu de mefares avec le
nouveau Roi. Toutes fes demandes font
rejettées , mitigées ou combattues. Luimême
eft bientôt contraint de fe relâcher
fur quelques - uns de fes droits. Mais
plus il accorde , plus on lui demande , &
moins il obtient. Son attachement pour
fon Favori , n'étoit pas un des moindres
motifs du mécontentement national. Ce
mécontentement , paffant dans le coeur
d'un enthouſiaſte défefpéré , éclata bientôt
par un événement des plus horribles .
Un nommé Felton , d'un naturel ardent
& mélancolique , avoit fervi , en qualité
de Lieutenant , fous le Duc de Buckin-'
gham. Son Capitaine ayant été tué , il
avoit follicité la Compagnie , & le chagrin
OCTOBRE. 1760. [ 20
grin de n'avoir pu l'obtenir , lui avoit fait
abandonner fa commiffion. Le fanatifme
enflammant encore fon reffentiment
perfonnel , il lui tomba dans l'efprit , qu'il·
rendroit un fervice à l'Etat , s'il pouvoir
délivrer fon pays d'un Miniftre trop puiffant
: un jour que Buckingham le trouvoit
engagé en converfation avec plufieurs Seigneurs
; quelque différence de fentiment
fit naître une difpute , qui , fans bleffer la
modération & la décence , produifit quelques
geftes animés , & des tons de voix
éclatans. Après l'entretien , le Duc fe mit
en chemin pour fortir ; & dans le paffage
même de la porte , le Duc fe tournant
pour parler à un Officier , fut brufquement
frappé d'un coup de couteau dans
la poitrine ; fans prononcer d'autres mots
que,le vilain m'a tué , & tirant le couteau
de fa bleffure , il rendit le dernier foupir.
Perſonne n'avoit fçu le coup , ni de quelle
main il étoit parti;mais dans la confufion,
chacun formoit fa conjecture : tout le
monde jugea que le meurtre avoit été
commis par les Seigneurs dont on avoit
vu les geftes , & entendu la voix , quoique
perfonne n'eût entendu leurs expref-
Gons. Le moment d'après , on trouva
proche de la porte un chapeau , dont le
fond contenoit un papier coufu , où l'on
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
avoit écrit quelques lignes , qui déclaroient
Buckingham ennemi du Royaume . On en
conclut aifément que le chapeau appartenoit
à l'affaffin ; mais il reftoit la difficulté
de le connoître ; car il étoit fort
vraisemblable qu'une prompte fuite l'avoit
déjà conduit affez loin . Au milieu de
ce tumulte , on apperçut un homme fans
chapeau , qui fe promenoit fort tranquillement
devant la porte.Quelqu'un s'étant
écrié Voici l'homme qui a tué le Duc ;
cet homme répondit d'un ton fort tranquille
: Oui , c'est moi . Les plus emportés
fe jetterent auffitôt fur lui l'épée nue ;
d'autres plus capables de réfléxion , prirent
fa défenfe : lui , les bras ouverts, d'un
air joyeux & fort compofé , offroit ſa poitrine
à l'épée des plus furieux , dans la
vue apparemment de périr fur le champ
par leurs mains , plutôt que de fe voir réfervé
à la Juftice publique. Lorſqu'on
l'eut conduit dans une chambre particuliere
, on prit le parti de diffimuler , jufqu'à
lui dire que Buckingham n'avoit reçu
ca'une profonde bleffure , & qu'on ne
défefpéroit pas de fa guérifon . Il fourit :
Je fçais trop bien , dit - il aux affiftans , que
le coup qu'il a reçu , termine toutes vos
efpérances. Lorsqu'on lui demanda , à l'inf
tigation de qui il s'étoit rendu coupable ,
7 OCTOBRE. 1760 . 123
il répondit qu'on pouvoit s'épargner la
peine de cette recherche ; que perfonne
au monde n'avoit affez d'afcendant fur
lui , pour l'avoir difpofé à cette action ;
qu'il n'avoit même confié fon deffein à
perfonne ; que fa réſolution n'étoit venue
que de lui même ; & qu'on feroit inftruit
de les motifs ,fi fon chapeau fe retrouvoit ;
parce que s'étant attendu à périr dans l'entreprife
, il avoit pris foin de les écrire.
A la premiere nouvelle de l'affaffinat ,
le Roi qui la reçut en Public , ne donna
aucune marque de chagrin , ni d'émotion.
Les Affiftans qui obfervoient fa contenance
, jugerent qu'au fond du coeur , il
n'étoit pas fâché de fe voir defait d'un
Miniftre fi généralement odieux à la Nation.
Mais l'empire qu'il avoit eu fur luimême,
n'étoit venu que de fa gravité naturelle
, & de l'habitude qu'il avoit de compofer
fon vifage. Il étoit auffi attaché que
jamais à fon favori ; & pendant toute fa
vie il conferva de l'affection pour les
amis de Buckingham , & de l'éloignement
pour les ennemis . Il demanda inftamment
que la queftion fût employée ,
pour arracher à Felton la connoiffance
de fes complices ; mais les Juges déclarerent
que cette pratique étoit contraire
aux loix du Pays.
Fi
124 MERCURE DE FRANCE.
Le Chevalier Thomas Wenworth ,
, que
Charles créa Baron , enfuite Vicomte , &
Comte de Strafford , fuccéda à Buckingham
, & comme Favori , & comme
principal Miniftre. Strafford méritoit , par
fes talens & par les lumieres , toute la
confiance de fon Maître. Il étoit d'un caractère
grave & auftère , plus propre à
lui faire obtenir de l'eftime , que de l'affection.
Il gouverna la Grande - Bretagne
avec une grande autorité , & fon crédit
le rendit odieux . Voyant les préventions
populaires déchaînées contre lui , il demanda
au Roi de fe retirer dans fon Gouvernement.
Charles , qui fe repoloit enrierement
furfes lumieres, le retint auprès
de lui ; mais le Comte ayant été accufé
en plein Parlement de plufieurs crimes ,
la haine de fes ennemis prévalut ; & il
fut condamné à perdre la tête . Le Roi
figna la Sentence de mort , quoiqu'il fûr
perfuadé de l'innocence de fon Miniftre.
Mais on parloit de foulevement & de fédition
; & le foible Monarque céda à la
crainte , & aux inftances d'un peuple mécontent.
Il envoya un de fes Officiers au
Comte de Strafford , pour l'informer de
ce que la néceffité venoit de lui arracher.
Le Comte parut frappé d'une ſurpriſe qui
le fit tréffaillir , & s'écria dans les termes
OCTOBRE. 1760 . 125
و د
de l'Écriture : » Ne mettez pas votre
» confiance dans les Princes , ni dans les
» enfans des hommes , parce qu'il n'y a
point de falut à fe promettre d'eux.
On ne lui accorda que trois jours. Le Roi
fit un nouvel effort en fa faveur , & envoya
par les mains du Prince fon fils , une
lettre adreffée aux Pairs , dans laquelle il
les preffoit de conférer avec les Communes
, fur les moyens d'adoucir la Sentence.
On lui refufa fa demande . Strafford
marcha à l'échaffaut la tête haute
& d'un air de dignité , au- deffus même
de celle qui l'accompagnoit toujours . Son
difcours avant que de mourir , fut plein
de décence & de courage , & finiffoit par
ces mots » Je vais repofer ma tête fur
» ce bloc auffi volontiers , que je l'ai ja-
» mais fait pour dormir. » Charles I conferva
jufqu'au dernier moment de fa vie ,
an vif regret de l'exécution de fon Miniftre
; & dans les fatales circonftances
de fa propre mort , le fouvenir de fa foibleffe
lui revint à l'efprit , avec une vive
douleur, & le plus cuifant remords.
:
Envain ce Prince avoit efpéré , comme
un retour pour fa complaifance
qu'enfin le Parlement en auroit un peu
pour lui , & deviendroit capable de cette
bonne intelligence , qu'il avoit recher-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
་
chée avec tant de foin , aux dépens de
fon pouvoir & du fang de fon ami . Les
Chambres n'en deviennent que plus audacieufes
elles s'emparent de toute l'autorité
; une partie des Pairs s'abfente ; le
Roi quitte Londres ; la guerre civile eft
allumée ; & c'est ici que finit le premier
volume de cette hiftoire . Nous donnerons
l'extrait du fecond Tome , dans le
Mercure du mois prochain .
-
MÉMOIRES fur la langue Celtique ,
tome troifiéme , contenant la feconde
partie du Dictionnaire Celtique. Par M.
Bullet , Profeffeur Royal de Théologie ,
& Doyen de l'Univerfité de Befançon , de
Lyon , affocié de l'Académie, Royale des
Infcriptions & Belles Lettres , in- folio ,
1760. A Besançon , de l'Imprimerie de
Claude Jofeph d'Aclin , Imprimeur ordinaire
du Rei , de l'Académie des Sciences
, &c. avec approbation & Privilége.
On trouve des exemplaires de ce bel &
fçavant ouvrage , chez le Prieur , rue
S. Jacques , à l'Olivier.
HISTOIRE DE PIERRE TERRAIL , dit le
Chevalier Bayard , fans peur , & fans
reproche. Par M. G. de Barville , in- 8 °.
OCTOBRE. 1760. 127
1760. A Paris , chez Pierre - Laurent
Giffart , Libraire , rue S. Jacques , à
Ste Thérefe . Avec approbation & Privi
lége du Roi.
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& de réflexions , fur toutes fortes de fujets
Religion , Philofophie , Beaux- Arts ,
Hiftoire , Politique , Caractères , Paffions ,
Vices , Portraits , & c . par ordre alphabé
tique. Ouvrage utile pour former le jugement
& le goût ; propre en même tems
à tous ceux qui font dans le cas de compofer
des Difcours , tant dans le Sacré
que dans le Profane ; & qui réunit ce que
nos plus beaux génies ont penſé de mieux
fur toutes ces matieres , in- 8 ° . Paris ,
1760. Chez Guillyn , Quai des Auguftins ,
près du pont S. Michel , au Lys d'or ,
avec approbation & Privilége.
PROPRE de la Paroiffe de S. Sauveur ,
contenant les Offices de la Vigile & de la
- Fête de la Transfiguration de N. S. Jeſus-
Chrift , avec octave , & c . in- 8°. Paris ,
chez Buttard , Imprimeur- Libraire , rue
S. Jacques , à la Vérité.
LES VIES DES HOMMES ILLUSTRES de la
France , continuées par M. l'Abbé Perau ,
Licentié de la Maiſon & Société de Sor-
Fiv
128 MER CURE DE FRANCE.
bonne , tome vingt- troifiéme , contenant
la Vie de Henri de la Tour d'Auvergne ,
Vicomte de Turenne , in- 12 . Amfterdam
1760. Et fe vend à Paris , chez G. Def
prez , Imprimeur du Roi & du Clergé de
France , rue S. Jacques , à S. Profper &
aux trois Vertus. Prix , rélié , 3 livres.
N. B. On trouve au même prix , féparément
, les autres volumes de cet ouvrage
chez le même Libraire..
ATLAS HISTORIQUE , ou Cartes des prin
cipales Parties du Globe Terreftre , affujetties
aux révolutions féculaires qu'il a
éprouvées , pour fervir à l'Hiftoire des
Tems qui ont fuivi la Création , ornées
de bordures & de traits d'hiftoire arrivés
dans les fiécles auxquels chaque Carte
doit correfpondre. Par M. l'Abbé Luneau
de Bois-Jermain , in- 8 ° . Paris , chez l'Auteur
, rue & à côté de la Comédie Françoife
, même maiſon de M. Lambert , Imprimeur
- Libraire. Avec approbation &
Privilége du Roi. On voit , par le Profpectus
de cet Ouvrage , que fon exécution
doit jetter un grand jour fur la Géographie
ancienne , & peut être extrêmement
utile à la jeuneffe. L'Auteur , dont nous
avons déja annoncé un Difcours fur une
nouvelle manière d'enfeigner la Géogra
OCTOBRE . 1760 . 129
•
phie , d'après un Plan d'opérations typographiques
, paroît fuivre toujours avec
la même ardeur le plan qu'il s'étoit fait ,
d'applanir les difficultés qu'on rencontre
dans l'étude de cette fcience. Si toutes les :
Cartes qui doivent compofer l'Atlas hiftorique
, font exécutées avec le même foin
que la premiere qu'il vient de publier ;
on peut affurer que rien ne fera plus beau
que cette Collection . Le morceau d'hif
toire qui doit faire partie des ornemens
de chaque Carte , eft , dans celle - ci ,,
Adam dans le Paradis Terreftre. Le deffein
, qui le repréfente , eft de la compofition
de M. Gravelot , connu par l'élegance
& l'efprit qu'il répand fur tous
fes
ouvrages..
י
OBSERVATIONS fur les manufcrits de
feu M. du Marfais , avec quelques réflexions
fur l'Éducation . Par M. le Rebours ,
ancien Adjoint au Profeffeur de Langue
Latine de l'Ecole Royale Militaire ; brochure
in- 12 . Paris , 1760. Chez la Veuve
David , Libraire , Quai des Auguftins ,
au S. Efprit , avec approbation & permif
fion. N. B. On trouve chez elle le Magazin
des adolefcentes , en quatre volu
mes , ainfi que celui des enfans , en deux
volumes .
F'v
130 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. l'Abbé Trublet , fur l'Hif
toire ; brochure in - 12 . Bruxelles , 1760.
Et fe trouve à Paris , chez Antoine Boudet
, Imprimeur du Roi , rue S. Jacques ,
à la Bible d'or.
P.
***
VOYAGE DE CHANTILLY , à M. D. *
; brochure in- 12. Profe & Vers.
Se trouve à Paris , chez Heriffant , Libraire
, rue neuve Notre Dame .
BIBLIS , à Cannus, fon frere, Héroïde, par
l'Auteur de Sapho , in- 8° . 1760. Se trouve
à Paris , chez Cuffari , Quai de Gèvres ,
à l'Ange Gardien. Il y a de la Poëfie &
du fentiment dans cet ouvrage , dont
Fabondance des matières qui me font
furvenues , ne me permet point de donner
maintenant l'extrait..
AVIS AU PUBLIC.
L'impreffion de la fuite de l'Hiftoire
Univerfelle compofée, par feu le R. P. D.
Auguftin Calmet , Abbé de Senones , qui
avoit été commencée d'imprimer dès l'an
1732 , & dont il a paru jufqu'ici VIII volumes
in 4° . qui avoit été interrompue ,
fera inceffamment remife fous la preffe.
Le R. P. D. Auguftin Fangé , Abbé de
Senones , neven du célébre D. Calmet &
fon fucceffeur dans l'Abbaye , dépofitaire
OCTOBR E. 1760. 13 I
du manufcrit de l'Auteur , s'eft chargé du
foin de faire continuer l'impreffion de
cet ouvrage , dont le Public a jufqu'ici
ardemment fouhaité la continuation. Dans
cette vue il a retiré des mains du fieur
Jean- Daniel Dulfecker , Imprimeur - Libraire
à Strasbourg , le manufcrit & les
premieres feuilles imprimées du IX tome
, pour le faire imprimer , ainfi que
les tomes fuivans , fous fes yeux & dans
fon Abbaye. L'ouvrage fera remis inceffamment
fous preffe , fous la même forme
, & même papier que les VIII premiers
volumes déja imprimés , avec des
caractéres tout neufs . On fe propofe de
fournir le tome IX au mois de Mai de
fannée prochaine. Le Prix de la foufcription
fera de fix livres de France par volume
, & de huit livres pour ceux qui n'auront
pas foufcrit. On pourra foufcrire entre
les mains de Jofeph Parifet , Imprimeur
à Senones , en la Principaute de
Salm .
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIE S.
SEANCE publique de l'Académie des
Sciences, Belles - Lettres & Arts de
Lyon , tenue le Mardi 26 Août 1760 .
,
M. l'Abbé de Valernod , Directeur , fit
P'ouverture de cette Séance , & dit : que
le premier objet de l'Affemblée , étoit
d'adjuger le Prix annuel d'une Médaille
d'Or , fondé par feu M. Chriftin. Le ſujet
du Prix de Mathématiques propofé l'année
derniere
, étoit de trouver la figure des
pales des rames la plus avantageufe , &
de déterminer relativement à cettefigure , la
longueur la plus convenable des rames des
Galéres , celle de leurs parties intérieures
& extérieures, & la grandeur de leurs pales.
L'Académie , après un mûr examen des
différens ouvrages envoyés au concours ,
& fur le rapport des Commiffaires-ExaOCTOBRE
. 1760. +
133
minateurs , a cru devoir adjuger & partager
également le Prix au Mémoire N °.
2. de MM. Bernoulli fils & Jeanneret réfidens
à Bâle , qui ont mis en tête de leur
Manufcrit , la devife : Lentandus remus
in unda. Virg. & au Mémoire N° . 3. fous
l'épigraphe : Fecit ufus artem de M.
***
M. l'Abbé de Valernod obferve qu'il
eft d'ufage de lire dans les Séances publiques
des Académies , les ouvrages de
Belles- Lettres en profe ou en vers qui y
font couronnés ; mais que des Mémoires
de Mathématiques , pleins des termes de
Géométrie , & du calcul algébrique , ne
font pas aifés à faifir dans une fimple lectu
re , qu'il feroit inutile de faire publiquement.
M. l'Abbé de Valernod fupplée à ce
défaut par une courte expofition du problême
, de fes difficultés , & de ce qu'il
falloit trouver pour le réfoudre. Il a enfuite
annoncé les Sujets des Prix de 1761
& 1762 , dont les programmes font déjà
publiés .
M. le Président de Fleurieu , Secrétaire
perpétuel pour la Claffe des Belles- Lettres
, prononça l'éloge hiftorique du Pere
Pierre Bimet , Jéfuite , Grand Préfet des
Etudes au Collège de Lyon , & Acadé
micien ordinaire. Il mourut dans cette
Ville le 17 Mai dernier.
134 MERCURE DE FRANCE.
1
M. Genève , ancien Echevin , & Syndic
de la Place de Lyon , ayant été élu Académicien
pour remplir la place que l'Académie
a deſtinée au Commerce , vint le
même jour prendre féance , & fit fon remercîment
à la Compagnie. Il lut enſuite
un diſcours , dans lequel , après avoir examiné
combien le Commerce , ce lien de
la Société , eft néceſſaire aux hommes , &
quelle a dû en être l'origine ; il trace une
bauche historique de fes progrès & de
fes viciffitudes , depuis le temps où les
Egyptiens commencerent à lui donner
une étendue qui mérita l'attention des
Hiftoriens , jufqu'au fiécle préfent. Il annonça
enfuite un projet de travail affez
vafte , qu'il fe propofe d'exécuter, & dont
l'objet eft de décrire le genre de négoce
de chacune des Nations qu'on peut appeller
commerçantes , en les confidérant
féparément une connoiffance exacte de
la conduite que tiennent nos rivaux pour
accroître leur Commerce , doit être felon
M. Genève , d'une grande utilité pour le
nôtre , par la raifon qu'on ne fçauroit bien
fe défendre , fi l'on ne connoît parfaitement
comment l'on eft attaqué. Son def
fein n'eft pas de fe borner à de fimples.
defcriptions ; il y ajoûtera les réfléxions
convenables pour l'avantage de notre
OCTOBRE. 1760. 135
Commerce national. L'ouvrage fera divifé
en plufieurs difcours , dont le premier
aura pour objet la France , un autre
l'Angleterre , un autre l'Efpagne ; ainfi
des autres. Ces difcours ferviront à l'acquitter
du tribut annuel dû à l'Académie.
Ils pourront étant réunis , former
dans la fuite un traité complet de l'état
actuel du Commerce, dans les quatre Parties
du Monde .
M. le Chevalier de Bory termina la
Séance , par la lecture d'une Imitation en
Vers françois de l'Ode 19 du 2 Livre
d'Horace , qui commence par ces mots :
Bacchum in remotis , &c.
Sur des rochers folitaires
Tu chantois , puiflant Bacchus
Que mes fens furent émus
A l'afpect de tes myſtères !
Les Dieux des Eaux & des Bois ,
Le Satyre , la Nayade ,
L'impétueufe Ménade ,
Se profernoient à ta voix.
© Bacchus , j'ai vû ṭa gloire !
Si de ma fidélité-
Tu permets que la mémoire
Paffe à la Poftérité ;
Que le feu de tes Bacchantes
Etincéle dans mes vers..
136 MERCURE DE FRANCE,
Viens redire à l'Univers
Les merveilles éclatantes
De ton bras victorieur
Etendu fur la nature ,
Quand la naiffante culture
De tes bourgeons précieux , ›
Eut ouvert à l'induftrie ,
D'une nouvelle ambrofie ,
Les canaux délicieux.
C'eft du Thyrfe que fortirent:
Les rayons du miel divin ;
Tes fontaines répandirent
Des flots de lait & de vin.
L'abondance fur tes traces
Suivoit le char de la Paix ;
Et tandis que tu plaçais
De concert avec les Graces .
Parmi les Aftres brillans ,
Ariane couronnée
Des rayons étincelans
Dont Vénus l'avoit ornée ,
Tu tonnois fur les ingrats.
Tes vengeances mémorables ,
Contre les enfans coupables ,
D'Echion & de Dryas ,
Leur fupplice , leur trépas ,
Leurs Palais réduits en poudre ,
Tout apprit au genre humain
Que le Thyrfe dans ta main
OCTOBRE. 1768. 137
1
Eft l'émule de la foudré.
Ta voix brife l'Océan ,
Et les fleuves t'obéiffent ;
Des climats de l'Eridan ,
Jufqu'aux mers de l'Indoftan ,
Les rivages retentiſſent ,
De ta gloire & de tes jeux.
La Thyade , avec audace ,
Franchit les monts de la Thrace ,
Dès qu'elle a fenti tes feux ,
Et dans fes courfes légères ,
Se joue avec les vipères ,
Qui couronnent fes cheveux.
Quand aux champs de Theffalie ,
Des Titans la race impie
Déracinoit Pélion ,
C'eſt ton courage invincible ,
Sous la forme d'un lion ,
Qui dompta le plus terrible.
Tu femblois avant le cours
De tes brillantes conquêtes ,
N'être né que pour les fêtes ,
Les banquets , & les amours :
Mais dans ces combats célébrés ,
Où les enfans criminels
De la terre & des ténébres ,
Jufqu'aux Thrônes éternels ,
Portoient leurs drapeaux funébres
L'heureux Maître des deftins
138 MERCURE DE FRANCE
Voulut devoir à tes mains ,
Les honneurs de la victoire ,
Pour annoncer que fon fils
Seroit le Dieu de la gloire ,
Comme il eſt le Dieu des Ris.
Il étendit ton empire
Jufqu'aux gouffres où la mort ,
Au jour marqué par le fort ,
Engloutit ce qui refpire .
Le flambeau du Dieu des coeurs ,
Dans ces routes meurtrières ,
Eclairoit tes pás vainqueurs :
L'enfer ouvrit fes barriéres ;
Les trois langues de fon chien
Careffoient ta main divine ,
L'infléxible Proferpine ,
Détacha le noir lien
Dont Eaque , & Rhadamante ,
Enchaînoient la tendre amante
Qui t'avoit donné le jour :
Et le Roi du fombre abîme ,
Renonçant à la victime ,
La rendit à ton amour.
Après la clôture de la Séance , M. De.
lorme , Membre de cette Académie, expofa
aux yeux du Public, des Plans des ponts &
acquédacs conftruits par les Romains depuis
le mont Pila jufqu'au Village de
OCTOBRE. 1760. 139
Soucieu près de Lyon. Ces Plans de l'étendue
d'environ 140 pieds, contiennent
les profils & élévations de ces acquéducs
C'est une partie des recherches que M.
Delorme fe propofe de faire fur les trois
grands acquéducs de Lyon : ouvrages également
dignes de la grandeur Romaine &
de la curiofité des Amateurs de l'antiquité.
↓
L'Académie Royale des Sciences , celle
des Infcriptions & Belles - Lettres , & celle
d'Architecture ont applaudi à cette entreprife
, & elles invitent l'Auteur à la continuer.
·
ASSEMBLÉE publique , & Programme
S de l'Académie des Belles Lettres de
Marfeille.
LEE
25 Août , Fête de S. Louis , l'Académie
des Belles - Lettres de Marſeille ,
tint fon Affemblée publique dans la
Grande Salle de l'Hôtel- de- Ville . M. le
Duc de Villars , fon Protecteur , y préfida.
M. Barthe , Directeur , ouvrit la Séance
par un diſcours relatif au fujet de l'Affemblée
, & dans lequel il fit entrer fuivant
l'ufage , l'éloge de M. le Maréchal de
Villars , Fondateur de l'Académie . Il lut
140 MERCURE DE FRANCE.
enfuite un précis de la vie d'Alexandre.
: Cette lecture fut fuivie de celle du
diſcours qui a remporté le Prix , & qui a
pour Sujet : A quels caractéres on diftingue
les Ouvrages de Génie , des Ouvrages d'Efprit.
M. Floret de Marſeille , en eft l'Auteur.
Il reçut le Prix des mains de M. le
Duc de Villars , & fit fon remerciment.
On lut l'Ode couronnée , qui a pour
Sujet les Tournois , & dont M. Ferrand
de S. Firmin , de Bourbon- l'Archambaut ,
eft l'Auteur. Le Prix fut délivré à la
fonne qui remit le récépiffé de M. le Secrétaire.
per-
M. Ricaud , Chancelier de l'Académie ,
lut une traduction en Vers du grand morceau
du 24 Livre de l'Iliade , ou Priam
va demander à Achille , le corps de fon
fils Hector.
La Séance fut terminée par la lecture
de la traduction en Vers de l'endroit du
11. Liv. de l'Enéide , où , par l'ordre
d'Enée , les honneurs funébres font rendus
à la mémoire du jeune Pallas , fils
d'Evandre. M. Barthe eft l'Auteur de cette
traduction.
Tous ces différens Ouvrages furent
fort applaudis. MM. les Échevins affifterent
à cette Séance Académique , re
vêtus des marques de leur Dignité. L'AG
OCTOBRE. 1760. 141
femblée fut nombreuſe , & on y compta
plufieurs perfonnes de diftinction de l'un
& de l'autre féxe. Ce concours qui augmente
d'année en année , prouve que la
fondation de l'Académie de Marſeille , a
répandu dans cette Ville un goût de littérature
, un peu négligé avant cet établiffement
honorable pour la Patrie , &
utile aux Lettres .
L'Académie a propofé pour fujet du
Prix de Poëfie de l'année prochaine , la
Pêche. Il fera libre aux Auteurs de préfenter
une Ode , ou un Poëme à rimes
plates , de cent Vers au moins , & de
cent cinquante au plus. Ils ne mettront
point leur nom à l'Ouvrage , mais une
Sentence , ou Devife tirée de l'Ecriture ,
ou des Auteurs profanes . On les adreſſera
à M. Dulard , Secrétaire perpétuel de l'Académie
de Marfeille , rue de la Croix d'Or;
& il enverra fon récépiffé à l'adreffe qui
lui fera indiquée , ou le remettra à la perfonne
domiciliée à Marſeille , qui lui préfentera
l'Ouvrage. On affranchira les paquets
à la Pofte , fans quoi ils feront rebutés.
Ils ne feront reçus que jufqu'au premier
de Mai inclufivement.
Les Auteurs font priés de prendre les
-mefures néceffaires , pour n'être pas connus
avant la décifion de l'Académie , de
142 MERCURE DE FRANCE.
1
ne point figner les Lettres qu'ils pourront
écrire à M. le Secrétaire , de ne point le
faire connoître à lui , ou à quelqu'autre
Académicien ; & on les avertit que s'ils
font connus par leur faute , ou par celle
de leurs amis, leurs Ouvrages feront exclus
du concours. On en exclura auſſi ceux en
faveur deſquels on aura follicité , & ceux
qui contiendront quelque chofe d'indé
cent , de fatyrique , de contraire à la Religion
ou au Gouvernement. On ufera de
la même févérité à l'égard des Auteurs
plagiaires , lorfque deurs larcins feront
découverts , & ils le font prèſque toujours.
L'Auteur qui aura remporté le Prix ,
viendra , s'il eft à Marſeille , le recevoir
dans la Salle de l'Académie le 25 Août ,
jour de l'Affemblée publique : s'il eſt abfent,
il fera préfenter le récépiffé de M. le
Secrétaire par une perfonne domiciliée en
cette Ville , & elle retirera le Prix.
Ce Prix eft une Médaille d'Or de la
valeur de 300 livres , portant d'un côté
le Bufte de M. le Maréchal -Duc deVillars,
& fur le revers ces mots : Premium Academia
Maffilienfis , entourés d'une couronne
de laurier.
La République des Lettres & l'Acadé
mie de Marſeille en particulier , vienOCTOBRE.
1760 . 143
nent de faire une perte confidérable ,
dont la triſte annonce trouve ici ſa place
bien naturellement . M. de Chalamont de
la Vifclede , ancien Secrétaire perpétuel
de cette Académie , eft mort le 22 Août ,
âgé de 68 ans , après de longues infirmi
tés. Ses talens fupérieurs pour l'Eloquence
& pour la Poëfie , fon caractére foutenu
d'excellent Académicien , d'ami fûr , de
bon Citoyen , fourniffent une ample matiere
d'éloge , & juftifient les regrets que.
perte a excités dans le coeur de toutes
les perfonnes qui l'ont connu.
fa
SEANCE publique de l'Académie des
Sciences & Belles - Lettres de Beziers .
LEE 25 Août dernier , l'Académie de Beziers
célébra la Fête deS.Louis dans la Chapelle
de l'Hôtel- de : Ville par une Meffe,,
pendant laquelle on chanta un Motet en
Mufique ; & par le Panégyrique du Saint ,
qui fut lu par M. Roufier , Prêtre , en
préfence d'un grand nombre d'Auditeurs ,
parmi lesquels étoient MM. les Officiers
du Régiment de Flandres , & ceux de la
Garde - Côte.
L'après midi , l'Académie ayant à la
44 MERCURE DE FRANCE
tête M. l'Evêque, s'affembla à quatre heus
res dans la Salle-Haute de l'Hôtel - de-
Ville , où, en préfence de MM. les Maire ,
& Confuls , & d'une foule de Spectateurs
de tout état , de l'un & de l'autre Séxe
M. l'Abbé Roquefort ouvrit la Séance
par un difcours fur l'utilité des Belles-
Lettres , & fur les progrès qu'elles ont
faits depuis environ un fiécle.
M. Foulquier lut l'éloge de M. d'Afier,
mort dans le mois de Septembre de l'année
derniere , & qui s'étoit diftingué dans
la Compagnie , par fes travaux aftronomiques.
M. de Forés , après un court remerciment
pour la réception , fit voir que l'Etude
des Mathématiques étoit plus ailée
que celle de l'Éloquence & de la Poëfie
que les progrès qu'on y pouvoit faire ,
étoient plus fürs & plus rapides.
&
M. de Lafabliere lut quelques remarques
fur la diverfité des opinions , & des
fenfations , laquelle il attribua à la différente
façon dont chacun envifage les objets
, & en eft affecté.
M. de Mante réfuta M. de Boiffy , fur
ce qu'il a dit dans un de fes derniers Mercures
; qu'une honnête femme qui fait des
Leçons à un Philofophe , & qui lui préte
des armes contre les artifices de fon fexe ,
C
eft
OCTOBRE. 1760. 145
eft un vieux Médecin qui dévoile de bonne
foi la charlatanerie de fa profeffion. Il
prouve très- bien que la Médecine n'eft
point une charlatanerie ; quoiqu'il y ait
eu autrefois, & qu'il y ait peut-être encore
aujourd'hui dans les Pays étrangers des
Médecins charlatans , que l'appas du gain
attire de temps en temps en ce pays- ci.
Il fit voir que la Médecine eft une Science
comme la Phyfique , la Méchanique ,
P'Aftronomie , &c. Et afin qu'on pût reconnoître
le vrai Médecin , & le Médecin
charlatan , il traça les caractéres de l'un
& de l'autre ; & les défigna par des marques
très-fenfibles , après avoir averti qu'il
n'avoit en vue aucun Médecin François ,
encore moins ceux de fa Ville , qu'il reconnoiffoit
tous pour de vrais Médecins,
pour des Médecins qui fe font attirés à
jufte titre , la confiance de leurs Concitoyens.
M. Bouillet le pere lut un difcours pour
être mis à la tête d'un recueil d'obfervations
& de réfléxions , fur l'anafarque &
fur l'hydropifie de poitrine , que fon fils
& lui ont deffein de mettre inceffamment
au jour. Il donna une idée de fon écrit fur
l'anafarque , & de celui de fon fils , fur
l'hydropifie de poitrine, qui a été imprimé
en 1758 , & dont on verra bientôt une
11. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
nouvelle édition revue , & confidérablement
augmentée . Il annonça qu'il difcuteroit
les différens moyens qui ont été
propofés par Hipocrate , & par les autres
Médecins anciens & modernes, pour traiter
l'anafarque , & qu'il feroit voir qu'à
cet égard on a donné dans deux excès
oppofés ; les uns n'ayant en vue que d'évacuer
des humeurs qu'ils croyoient fuperfluës
, & de donner plus de reffort aux
folides ; les autres n'ayant penſé qu'à détremper
de plus en plus les humeurs , & à
d'étendre davantage les parties folides
( voyez la Théfe de M. Finet le pere
notre compatriote , Docteur Regent de
la Faculté de Médecine de Paris , an
quò fluidior fanguis , eò fanitas firmior ,
& la Thefe fur la boiffon de M.Hequet )
& à remédier à la teufion des folides ;
& il ajoute qu'il indiqueroit les cas
où les fcarifications pouvoient avoir
lieu. Il expofa . auffi en peu de mots les
augmentations que fon fils avoir faites à
fon mémoire fur l'hydropifie de poitrine;
& à l'occafion de la Parecentefe qui y eft
recommandée dans certains cas , il tâcha
de raffurer le Public contre la crainte des
opérations chirurgicales , dont l'omiffion
coute la vie à bien des malades.
M. de la Rouviere termina la Séance
OCTOBRE. 1760. 147
par un court compliment en Vers . qu'il
adreffe aux Dames qui avoient honoré
notre Affemblée de leur préfence.
On réſerva pour une autre Allemblée ,
le cinquiéme & dernier Mémoire de M.
de Guibal , pour fervir à l'Hiftoire de la
Ville , & du Diocèle de Beziers.
-
SEANCE publique de l'Académie Royale
des Belles Lettres de la Rochelle , du
25 Avril 1760.
L'ACADÉMIE tint fon afſſemblée publique
à l'ordinaire dans la grande Salle de
PHôtel- de -Ville , où M. le Maréchal de
Senecerre affifta. M. de la Faille , Chancelier
, ouvrit la Séance par la lecture d'un
Mémoire fur la manoeuvre des taupes ,
leurs dégâts , & les moyens d'y remédier.
Le Mémoire , par fes détails & fes recherches
, fut trouvé beaucoup plus intéreſſant
le titre ne fembloit le promettre .
que
Comme il n'eft guères fufceptible d'extrait,
& que d'ailleurs il doit paroître dans
le prochain Recueil de l'Académie , on
n'en dira rien de plus ici .
M. Arcére de l'Oratoire lut , enfuite ,
des remarques fur plufieurs fautes , ou méprifes
échappées à des Auteurs célébres :
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
ces remarques parurent auffi intéreffan
tes que judicieuſes.
Cette lecture fut fuivie d'un Mémoire
de M. Mercier Dupaty , fur la cultu re&
la fabrication des Sucres à S. Domingue.
La Séance fut terminée par la lecture
que fit M. Valin , de la Préface deftinée
à être mife à la tête de fon Commentaire
fur l'Ordonnance de la Marine , du mois
d'Août 1681. L'impreffion de cet ouvrage
, qui étoit dès- lors fort avancée , a été
achevée depuis ; & cette feconde production
de l'Auteur , qui a déja donné au
Public un Commentaire fur la Coutume
de la Rochelle , eft expofée en vente depuis
quelques jours , tant à la Rochelle ,
chez Jerôme Legier & Pierre Mefnier , qui
Pont imprimée , que chez M. Durand ,
Libraire à Paris , rue du Foin. Sans vouloir
prévenir le goût du Public fur le mérite
de cet ouvrage , on peut affurer qu'il
n'a jamais paru en ce genre , rien de plus
utile , de plus recherché, & de plus propre
à faire connoître cette partie effentielle
de la Jurifprudence Maritime.
OCTOBRE. 1760 .
149
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
PEINTURE.
CONCOURS au fujet de l'expreffion
d'une Tête.
UN illuftre Amateur ( a ) , également
jaloux de procurer la perfection des Arts
& le progrès des Lettres ( b ) , vient de
fonder , avec l'agrément du Roi , un Prix
de l'Expreffion , en faveur des Éleves dé
F'Académie Royale de Peinture & de
Sculpture , en confacrant à cet effet un
fond de quatre mille livres . Du produit
de cette fomme , cent livres font adjugées
pour récompenfe à celui qui deffinera ,
peindra , ou modélera mieux une Tête
d'expreffion ; cinquante livres font deftinées
pour la perfonne qui fervira de Mo-
(a ) M. le Comte de Caylus , de l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles-Lettres . Honor.
Amat. de l'Académie Royale de Peinture & de
Sculpure.
(b ) M. le Comte de Caylus fonda en 1754 , un
Prix à l'Acad. Royale des Infer. & Belles-Lettres .
Giij
10 MERCURE DE FRANCE..
déle , & les cinquante livres reftantes
pour les frais de l'Exercice .
L'Académie , perfuadée de l'avantage
que les Beaux - Arts qu'elle cultive avec
diftinction. peuvent retirer de cet établiſfement
, l'a accepté avec beaucoup de
reconnoiffance . Eternifant dans fesFaftes
la générofité du Fondateur , elle a fait des
Réglemens particuliers pour la police du
Concours , qui fera propofé à ce fujer au
mois de Septembre de toutes les années.
Il eft vrai que le fuccès du premier
effai de cet Exercice , que l'on fit l'année
derniere , ne répondit pas à toutes les
vues de la Compagnie , & que le Prix ne
fur point adjugé ; mais nous ne fçaurions
nous difpenfer de donner une légère idée
du Difcours fur l'Expreffion , relative au
Concours propofé , que prononça dans
l'Affemblée, avant la Séance, le Profeffeur
qui , fuivant un Article des nouveaux Rés
glemens , avoit été élu par la voix du fort
pour diriger l'Exercice . Les Éleves afpirans
, furent admis à la lecture de ce Dif
cours. Son objet étoit de rappeller , &
d'expofer les principes qui peuvent concourir
à rendre l'expreffion d'une Tête ,
avec toute l'énergie que l'Art peut lui
pêter.
M. Dandré Bardon fit d'abord fentir ,
OCTOBRE. 1760. 151
qu'il eft très- dangereux pour les Eléves
de n'être dirigé dans leurs études que par
le fentiment feul , ou par le feul génie ;
"
& que l'un & l'autre , fuffent-ils réunis ,
peuvent leur faire illufion & les jetter
dans des écarts . Paffant enfuite à la néceffité
des préceptes , dont le flambeau
dirige fûrement au vrai , il les réduifit à
deux points effentiels , qui forment la divifion
de fon Difcours. If diftingua , dans
une Expreffion , ce qui en forme le corps
& ce qui lui donne l'efprit . La vérité des
traits propres à chaque Paffion , la cou
leur qui lui eft convenable & l'intelli
gence du clair - obfcur , font les moyens
importans qu'il propofa pour rendre fur
la toile muette & fur le marbre infenfible
, les diverfes émotions de l'âme.
Dans la vérité des formes , qui rend ce
qu'on peut appeller le corps de l'Expreffon
, l'Auteur du Difcours comprend le
bel enfemble de la tête , & la variété des
traits dans les parties de détail . Il retrace
au fouvenir des concurrens , les maximes
effentielles qui conftituent le bel enfemble
d'une tête , benvifagée fous différent
afpect , & leur explique les diverfes formes
que les Paffions impriment fur toutes
les parties du vifage ; miroir où la Na-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
ture fe plaît à peindre toutes les fituations
du coeur.
Pour faire cette analyfe avec ordre &
avec clarté , il ſe borna aux quatre principaux
caractères des Paffions , auxquels ,
à bien des égards , prèfque toutes les autres
peuvent le rapporter.
Paffions tranquilles ,
Paffions agréables ,
Paffions triftes & douloureuſes ,
Paffions violentes & terribles.
Les différentes impreffions de ces di
vers fentimens & les traits cactériſtiques ,
qu'elles occafionnent far toutes les parties
du mafque , font exprimées dans la premiere
portion de ce Difcours, avec la force
& la précifion propres à les inculquer vivement
dans l'efprit des Eléves , à qui
l'Auteur l'adreffe. Les détails fcholaftiques
pittorefquement énoncés , y font relevés
par des images , qui les rendent intéreffans
.
Dans la feconde Partie , M. D. B. s'applique
à démontrer que les nuances de
couleur & de lumiere , donnent l'efprit
& l'âme aux expreffions des figures d'un
tableau , lorfque le corps de ces expreffions
eft heureuſement rendu , par la vé
OCTOBRE . 1760. 153
rité des formes & par la jufteffe des traits.
Sous ces diverfes nuances il comprend les
teintes de chaleur , ou de lividité , répandues
fur les carnations ; la légèreté , ou la
vigueur des ombres & des lumieres ; la finelle
ou la fierté des touches que la Paffion
exige , & qu'on ne peut lui prêter
qu'à l'aide d'un fentiment délicat.
وز
» Sans couleur affortie , dit- il , il n'eft
» point d'Expreffion vraie dans une peinture
; fans clair- obfcur , l'Expreffion
» n'a ni force ni faillant , même dans un
bas - relief ; enfin fi les touches n'affar-
» fonnent l'Expreffion , elle eft fade &
» infipide dans toutes les productions de
» nos Arts .
Il dévoila les preuves de ces principes
dans des exemples heureufement affociés
à ces principaux caractères ; & il expofa
fous des afpècts lumineux , non - feulement
les divers détails concernant le coloris
qui caractériſe les différentes Paffions ,
mais encore ceux qui font propres aux
effets de lumiere , capables de leur donner
un relief afforti , & ceux qui font relatifs
aux touches convenables à chaque Paffion.
En réfumant le précis de fon Difcours' ,
il exhorta les Eléves à graver profondément
dans leur mémoire , cinq moyens
effentiels qui concourent à l'Expreffion
G v
154 MERCURE DE FRANCE.
d'une tête. 1 ° . Le bel- enfemble , 2 °. la
jufteffe des traits , que chaque Paffion imprime
fur la phyfionomie ; 3 ° . la varieté
des tons de couleur qu'elle y jette ; 4°.
les nuances de lumiere & d'ombre que
l'Artifte doit y porter ; 5 ° .la convenance
des touches que la nature de l'Expreffion
exige.
Il leur indiqua enfuite ce qu'ils doivent
éviter , & leur fuggéra par quel art ils
atteindront à ces ménagemens ingénieux ,
d'où refultent l'énergie fans dureté , le
caractère fans maniere & l'Expreffion fans
grimaces. Il indiqua les belles têtes antiques
, qui peuvent leur fervir d'étude
pour remplir avec fuccès l'objet du nouveau
Concours . Enfin il leur confeilla
d'épier la Nature , à l'exemple des Grands-
Maîtres , de faifir les expreffions telles
qu'elles fe rencontrent fortuitement dans
la fociété civile ; & d'étudier d'après euxmêmes
, à l'aide d'un miroir , les effets
féduifans de diverfes Paffions , qui affectent
d'une maniere fenfible l'efprit , l'âme
& le
corps.
99
» Voilà , dit- il , en s'adreffant à Meffieurs
de l'Académie , les principes gé-
» néraux qui m'ont paru pouvoir être de
quelque utilité aux Eléves deftinés au
nouveau Concours. J'en croirai l'ufage
OCTOBRE. 1760.
155
avantageux , fi vous daignez , Meffieurs,
» les honorer de votre approbation . Laiffons
à nos habilesConfréres, qui me fuc-
» céderont dans ce nouvel exercice , le
» foin de perfectionner ce dont je n'ai fait
qu'ébaucher les élémens . Cet objet
» dont la fçavante pratique a immortaliſé
» les Pouffin , les le Sueur , les le Brun ,
» les Jouvenet , les Girardon , les Coyze-
» vaux , les Puget , les Couftous , eft également
d'une vafte étendue & d'une importance
finguliere , pour perpétuer le
luftre où l'École Française , fous les
auſpices d'un Mécene zélé * › porte la
gloire de nos Arts.
י נ כ
و د
L'Académie a jugé à propos de n'admettre
au nouveau Concours de l'Expreffion
, que les Eléves qui ont remporté les
grands Prix de Peinture & de Sculpture ,
ceux qui ont gagné les premieres Médailles
du Deffein ou du Bas-relief , & les fils
des Académiciens .
La Séance eft annoncée quinze jours
avant l'Exercice ; mais le fujet de l'Expreffion
eft ignoré, jufqu'à l'inftant que les
Eleves font entrés dans la Salle pour con-
* M. le Marquis de Marigny , Commandeur
des Ordres du Roi , & Ordonnateur général
de fes Bâtimens , Jardins , Arts , Académies ,
& Manufactures Royales. C vj
156 MERCURE DE FRANCE.
courir. Le Profeffeur fait alors une explication
fuccinte , mais inftructive des principaux
mouvemens du vifage , & furtout
des attentions & des recherches qu'exige
l'Expreffion propofée. Voici de quelle
maniere M. Dandré Bardon s'eft énoncé
dans la Séance de cette année :
» Vous voyez , Meffieurs , dans ce modé-
» le , le caractère de l'Affliction . C'eſt le
"Suiet que nous défignons pour le Prix du
"Concours . Tel eft le fentiment dont
" Artemife étoit affectée , lorfqu'elle bu-
» voit les cendres de fon époux , détrempées
dans une coupe d'amertume , pour
» fatisfaire tout à la fois & fa tendreffe
» & fa douleur.
30
و د
"" }
» Cette expreffion pathétique , réunit
deux affections principales ; l'inquié-
» tude de l'efprit & les peines de l'âme.
» l'abattement de la tête panchée für une
épaule , défigne l'inaction des efprits
» animaux ; l'altération des muſcles du
vifage , peint les tourmens du coeur.
" Saififfez d'abord, Meffieurs , dans votre
» defein cet abandonnement de la tête ,
qui fait partie effentielle de l'Expreffion
propofée ; il caractériſe l'inquiétude.
Mais quelle eft l'agitation des
mufcles du vifage qui retrace les fouf-
» frances de l'âme ? Nous en puifons le
»
OCTOBRE . 1760. 157
détail dans les obfervations du célébre
» le Brun ( a ) .
» Les côtés des fourcils , font plus éle-
» vés vers le milieu du front , où ils for-
» ment des travaux , que du côté des
joues.
"
38
» Les yeux font triftement fixés fur l'ob
jet de l'affliction . Le blanc de l'oeil pa-
» roît jaunâtre ; les prunelles font trou-
» bles ; les paupieres abattues & un peu
enflées ; le tour des yeux eft livide.
» Les narines tirent en bas.
» La bouche eft entr'ouverte ; les coins
» en font abbaiffés ; ils fe terminent quar
» rément , les levres font pâles , & toute
» la couleur du viſage eſt plombée .
ور
و د
Tels font les fignes qui caractériſent
Affliction . La nature ne vous les indiqué
» ici, Meffieurs, qu'autant que peut le faire
» un fentiment factice ; votre génie intelligent
doit fuppléer à ce qui manque.
» Obfervez néanmoins , que le tourment
» des muſcles , léger & peu fenfible ,
» comme il doit l'être fur la phyfionomie
» d'une Reine , ne prend rien ſur la no-
» bleffe de fon caractère , & que l'expref-
» fion s'y peint fans grimaces. Les ombres
& les lumieres en font douces &
( a) Conferences fur l'Expreffion.
498 MERCURE DE FRANCE.
» fuavement reffenties. Les touches moëleufes
ne font pouffées avec vivacité
» qu'aux coins de la bouche , où s'arti-
» culent la douleur de l'âme & la trif-
» teffe de l'efprit.
"
» Le Modèle ne fçauroit vous offrir que
» des affections momentanées. Quelle
» adreffe à fçavoir les épier , les fçavoir !
» L'art confifte à les bien rendre . Vos
» connoiffances ; votre application , l'in-
» térêt de votre gloire vous en fuggére-
» ront les moyens. On ne s'engage dans
» la lice , que pour y marcher avec cou-
»rage & pour en fortir avec honneur.
» La palme vous attend . Puiffiez - vous
» tous la mériter !
"
Au refte , en rendant compte de cet
Exercice , nous devons avertir que l'Aca
démie Royale n'a rien oublié , pour lui
procurer le bon ordre & la décence. Conformément
aux intentions du Fondateur ,
le fujet de l'Expreffion fera pris dans l'Hiftoire
, ou dans la Fable , & ordinairement
parmi les traits qui intéreffent le féxe ,
dont la délicateffe finguliere eft fufceptible
de fentimens plus difficiles à retracer.
On n'y préfente pour Modèle , que des
perfonnes dont les moeurs & l'honnêteté
répondent aux graces , à l'air de nobleffe
& au beau caractère de la phyfionomie.
OCTOBRE. 1760. 159
•
MM. les Officiers en exercice , Directeur
, Recteur , Profeffeur , Tréforier &
Secrétaire y font préfens. Le Fondateur
eft invité d'y affifter ; mais , en conféquence
des Réglemens de l'Académie
nulle autre perfonne n'y eft admiſe.
La durée des Séances eft fixée à deux
heures , depuis dix jufqu'à midi , pendant
trois jours confecutifs. Les Deffeins ,
Tableaux , & Bas - relief des Concurrens
font exposés à la derniere Aſſemblée du
mois de Septembre , où l'Académie juge
le même jour les ouvrages & diftribue le
Prix. Elle fe réferve le droit d'expofer à
la S. Louis de l'année fuivante le morceau
couronné , s'il lui paroît digne de
l'attention du Public . Une partie auffi
difficile qu'eft l'expreffion d'une tête , peut
mériter aux Eléves une récompenfe , que
fouvent l'Académie ne leur accorde que
par un motif d'encouragement ; c'eſt l'obque
les Connoiffeurs ne doivent point
perdre de vue , lorsqu'ils feront tentés de
refufer leurs fuffrages à fes jugemens.
L'expreffion d'une tête , eft tout à la fois.
l'écueil & le chef d'oeuvre des Arts , qui
ont pour objet l'imitation de la Nature.
jet
L'Académie Royale de Peinture & de
Sculpture , affemblée par convocation générale
le 27 Septembre 1760 ; tous les
160 MERCURE DE FRANCE.
Membres ayant voix délibérative , a adjugé
le Prix de l'Expreffion au fieur du
Rameau , Peintre , l'un des Eléves protegés
par le Roi , & elle a donné au fieur
Pollet , Sculpteur , le Prix réservé de l'année
derniere. Le Deffein couronné a été
offert en préfent au généreux Fondateur
d'un Exercice auffi honorable qu'utile aux
Arts , dont il eft le cultivateur & l'ami.
ARTICLE V.
SPECTACLES.
O
OPERA.
LE PRINCE DE NOISI
N continuë, fur ce Théâtre, les représ
fentations de ce Ballet.
L'idée de ce Poëme eft prife du Conte
du Bélier , d'Hamilton ainfi que les
noms des Perfonnages. Le jour de l'action
eft celui de la cérémonie religieufe ,
la plus célébre chez les anciens Gaulois ,
& qui eft généralement connuë.
Le Théâtre repréſente d'abord une forêt
; dont une partie , plus épaiffe & plus
OCTOBRE . 1760. 161
fombre , eft la demeure des Druides : au
milieu est un Chêne , remarquable par fa
grandeur , qui porte le Gui , pour lequel
les Gaulois avoient une fi grande vénération
; au- devant de ce Chêne eft un Autel
de gazon : fur le côté & proche du
Chêne , eft la Statuë d'Efus , Divinité
principale de ce Peuple , élevée ſur un
piédeſtal ruftique de l'autre côté font
divers Monumens antiques.
La premiere Scène , entre le Chef des
Druides, qui eft Enchanteur , & le Grand-
Prêtre , contient l'expofition du Sujet. Le
Druide charge le Grand- Prêtre d'ordonner
la pompe de la cérémonie da Gui-
Sacré , il ne peut s'acquitter de ce devoir ;
parce que le Géant Moulineau , à qui il
a refufé fa fille Alie , le rappelle aux
combats , & veut le furprendre pendant
les jeux. Incertain du fort de cette journée
, il confie ainfi au Grand- Prêtre fon
fecret & fes craintes.
Vous aimez cet enfant qui , nourri dans ces lieux ,
Objet de tous mes foins , ignore ſa naiſſance.
Fils du fage Merlin , dépôt myſtérieux ,
Cet enfant doit , un jour , combler notre espérance
Mais , jufqu'au temps marqué par les décrets des
Dieux ,
Mille périls affiégent ſon enfance.
162 MERCURE DE FRANCE.
Le Ciel , en fa faveur , n'armera ſa puiſſance
Qu'au moment même où fon bras généreur,
Par les coups les plus glorieux ,
Méritera fon affiſtance.
S'il perdoit mon appui, veillez à ſa défenſe ;
Veillez fur les jours précieux !
Le Grand -Prêtre fe retire , en l'affurant
de fon zéle.
Le Druide appelle les Efprits de la
Tèrre : ils en fortent à fa voix ; il les interroge.
Le Ciel feroit- il le foutien ,
Du perfide ennemi qui me livre la guèrre ›
Ce monftre , le mépris & l'horreur de la tèrre ,
Verroit- il fon deftin l'emporter fur le mien ?
LE CHOUR DES GNOMES.
D'un oracle irrévocable ,
Obferve les décrets ;
Crains un danger redoutable,
Si tu méprifes fes arrêts.
LE DRUIDE.
J'ai fuivi vos confeils ; j'ai fait , dès fon enfance,
Conduire dans ces lieux le Prince de Noifi.
Il continue , en leur montrant le piédeftal
de la Statue d'Efus.
Dans ce marbre enfermé , loin de notre ennemi ,
Ity garde ce fer commis à ma prudence.
OCTOBRE. 1760. 163
Je lui cache , avec foin , que mon coeur l'a choifi
Pour lui donner ma fille , & ma puiſſance.
LE CHEUR DES GNOMES.
Contre l'Amour & fes traits ,
Défends leur foible jeuneſſe ;
S'ils connoiffent fes fecrets ,
A l'inftant ton pouvoir cèffe .
Le Druide , refté feul , fe rappelle que
le Deftin a prefcrit que Poinçon & Alie
puiffent fe voir une heure chaque jour.
En vain , dit-il ,
Par leur fimplicité je cherche à les défendre :
Un regard éclaire un coeur tendre ,
Sur tous les fecrets de l'Amour.
Alie vient , & marque naïvement fon
impatience au Druide:
Seigneur , déjà l'heure s'envole ;
Poinçon devroit être en ces lieux .
Quoi ! ne verra-t -il point les jeux ?
Son pére , allarmé de cet empreffement
, lui rappelle les malheurs dont ils
font menacés , fi elle fe laiffoit furpren
dre aux traits de l'Amour. Je fais , répond
Alie , combien je dois redouter fa
fureur !... Mais que Poinçon paroille.
164 MERCURE DE FRANCE.
Le Druide , forcé d'obéir aux loix du
Deftin , touche de fa baguette le piédeftal
d'Efus ; Poinçon en fort & vole vers
Alie. Le Druide les quitte , pour aller au
combat , en leur difant de préfider aux
Jeux facrés.
POINÇON .
Mon coeur peut donc s'ouvrir au plaifir le plus
doux !
Je foupirois déjà de ne point voir Alie ,
Ah ! je voudrois retrancher , de ma vie“;
Tous les momens que je paffe fans vous.
Vous ne partagez point ma vive impatience at
Le doux plaifir régne en ces lieux charmans.
labrége pour vous les heures de l'abſence ,
Et j'en compte tous les momens !
ALIE .
Cette retraite eft embellie
Par l'effort de l'art enchanteur :
Mais aucun des plaifirs dont je la vois remplie
Aucun n'a ce charme flatteur ,
Que vous portez dans mon âme ravie.
Au fein de ces plaiſirs,vous manquez à mon coeur
Quand je vous vois , je les oublie.
POINÇON.
Que cet aveu m'eft doux ! que mon fort eſt heureux
!
ALIE.
Notre bonheur dépend de notre obeiffance.
OCTOBRE. 1760. 165
Si le fatal Amour difpofoit de nos voeux
Nous formes menacés des maux les plus affreux,
POINÇON.
Aidons-nous l'un & l'autre , à braver fa puiffance,
ALIE.
Quoi ! les piéges qu'il tend font- ils fi dangereux ?
POINÇON.
On dit que fous fon esclavage ,
Par l'espoir le plus doux , il fçait nous attirer !
Mais quel bien peut defirer
Un coeur , que remplit votre image ?
A peine le mien , tout entier ,
Suffit à l'amitié dont le noeud nous engage.
Loin de chercher aucun partage ,
Il voudroit fe multiplier ,
Pour vous aimer davantage .
ALIE.
Vous peignez tous mes fentimens .
Les grandeurs , les tréſors , les plaifirs , les délices,
Je les donnerois tous pour un de nos momens ;
Et je ne croirois pas faire de facrifices.
POINÇON
& ALIE.
Fuis , Amour , tyran redoutable ;
Porte ailleurs tes enchantemens . !
Telle eft cette Scène , une des plus ingénieufes
qu'on puiffe imaginer , & dans
166 MERCURE DE FRANCE.
laquelle la Mufique ne le céde point à la
Pocfie . Avec quelle jufteffe le fentiment y
eft développé ! on voit combien c'eſt un
tableau heureux & piquant que celui de
deux jeunes amans , qui fous l'idée de
l'amitié , fe livrent aux fentimeus de la
plus vive tendieffe , avec la naïveté de
leur âge , & tout en déciamant contre
l'Amour.
A cette Scène fuccéde la cérémonie du
Gui-facré , qui eft faite avec la pompe &
la majefté convenables ; & qui eft mélée
de danfes de la part des Peuples qui y
affiftent.
$
*
Après ce Choeur.
Banniffons de ce bocage ,
L'Amour , ce tyran des coeur :
Poinçon demande au Grand Prêtre de
le lui faire connoître pour l'aider à l'éviter
mieux. Le portrait qui fait & qui eſt bien
fait , éclaire Poinçon & Atie ſur la nature
de leurs fentimens dans l'inftant , & fur une
fymphonie vraiment belle , l'Oracle des
Gnomes fe vérifie : le Ciel s'obſcurcit ; les
éclairs brillent ; le tonnèrre gronde ; tous
les monumens fe brifent : on voit dans
l'intérieur du Piédeftal d'Efus le glaive
qui femble jetter une vive lumiere. La
terreur des deux Amans & des Peuples
OCTOBRE. 1760. 167
eft portée au comble par un Suivant du
Druide , qui vient leur apprendre qu'il a
été vaincu & mis aux fers par le Géant.
Poinçon le faifit vivement du glaive pour
courir à la vengeance , à quoi il eft excité
par le Grand- Prêtre , qui l'affare de
la protection du Ciel , en ajoutant :
Si le Sort vous trahit , vous ſçaurez quels refforts
: Peuvent encor fervir votre vaillance .
Un Choeur, en fituation , & dont la Mufique
augmente encore l'intérêt , termine
cet Acte , dont la fin préfente un tableau,
qu'il faut voir pour en fentir toutes les
beautés.
Au fecond Acte, le Théâtre repréfente
les Jardins du Géant Moulineau , qui
ouvre la Scène en s'applaudiſſant de ſa
victoire fur le Druide. Il ordonne aux
Démons de conduire Alie dans ce féjour ,
où il veut rendre fon ennemi témoin de
fon bonheur. Les Démons partent , pour
lui obéir.
Poinçon , qui cherche à pénétrer juſqu'au
Géant , dont il n'eft point connu ,
& qui ignore les effets des moyens qu'on
lui a prefcrits pour parvenir à s'en venger
, paroît , conduifant les Suivans du
Druide travefti , & qui forment le diver68
MERCURE DE FRANCE.
tiffement le plus vif & le plus gai. Il y
a dans cette fête quantité de chofes charmantes
, en paroles & en muſique.
. Le Géant fatisfait , demande à Poinçon
une nouvelle preuve de fes talens : il lui
apprend qu'il aime Alie , qu'elle eft loin
de répondre à fes vaux ; qu'il poffède un
Oracle infaillible qui lui a appris qu'elle
aime le Prince de Noifi , qu'il le réferve
de punir. Poinçon , étonné , dérobe fa
douleur à Moulineau , qui fort pour fuivre
fa vengeance contre fon Rival , en
ordonnant à Poinçon de préparer une
nouvelle fête pour Alie.
Poinçon , après avoir exprimé de la
maniere la plus pathétique les tourmens
qu'il éprouve tombe dans l'accablement.
Il en est tiré par les Choeurs , qui
l'excitent à reprendre le foin de fa vengeance
, en lui retraçant l'affreufe fituation
du Druide. Poinçon fe la reproche ;
mais le Géant eft invulnérable , par un
charme infernal qu'il faut détruire. Il dit
donc à fa fuite :
Au milieu de nos chants , préparez vos guirlandes ;
Déposez à fes pieds nos magiques offrandes ;
Obéiffons : & comptons fur les Dieux .
Ce moyen, qu'on lui a prefcrit, eft l'objet
du fecond Divertiffement , compofé
d'Airs
OCTOBRE. 1760. 169
d'airs délicieux & du genre le plus ingénieux.
Moulineau , après une partie de
ce Divertiffement , s'affied for un lit de
gazon : à l'inftant defcend une efpéce de
Pavillon , porté par des Génies , garni de
guirlandes de fleurs , & également pittorefque
& agréable : ces guirlandes fervent
à former autour du Géant un Ballet d'enchantement
, à la fin duquel il s'endort.
Le Choeur dit à Poinçon , & à demi- voix ,
en lui montrant Moulineau :
Le charme eft détruits frappe ; immole ta victime !
POINÇON , au Choeur.
Quoi?pendant fon fommeil,je trancherois fes jours?
Ah ! j'ai honte d'un tel fecours ;
Ma victoire feroit un crime.
Ce que
( àMoulineau. )
Eveille-toi barbare !
LE CHEUR , à Poinçon.
O Ciel ! que faites - vous ?
POINÇON , au Choeur.
l'honneur ordonne à mon courroux.
( à Moulineau. )
Connois , en moi , l'Amant d'Alie ,
MOULINEAU , avançant , fur lui , la maſſe levée.
Meurs ! .. Quel glaive étincelant ! ( il recule . }
POINÇON, le pourfuivant , leglaive à la main.
Je fers les Dieux , l'Amour , en t'immolant.
( ILs difparoiffent . )
11. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
LE CHUR.
(à Poinçon . ).
Arrête ...Il va périr ! ... Ciel , prends foin de fa vie.
Un coup de tonnèrre annonce la protection
que les Dieux accordent en ce
moment à Poinçon , qui reparoît vainqueur
; mais accablé de douleur par le
fouvenir de cet oracle infaillible , qu'il fe
rappelle. Il veut l'interroger lui- même
& fort en ordonnant à fa fuite d'aller brifer
les fers du Druide.
,
On voit aisément combien toute cette
fituation eft intéreffante & théâtrale , depuis
la fin du premier divertiffement jufqu'à
celle de l'Acte on peut juger de
même de l'effet des Chours ainfi liés à
l'action , dialoguant avec les Perfonnages
principaux , & ramenés par- là à leur
véritable objet, fi bien connu des Auteurs
Grecs , à qui nous les devons , & qui en
ont tiré un fi grand parti dans les chefsd'oeuvres
qui les ont immortalifés. On
doit dire, pour rendre justice aux Auteurs
de la Mufique , que fingulierement dans
la partie de cet Acte qui vient d'être remarquée
, aucun autre ouvrage n'offre
une expreffion plus vraie & plus pathétique
, ni un dialogue plus jufte & plus
OCTOBRE . 1760. 17.1
Y
ferré c'eft en un mot la déclamation
la mieux fentie , embellie par le charme
des fons .
Le Théâtre repréſente d'abord au III
Acte un Veſtibule du Palais de Moulineau
, dans le fond le Temple de lavérité
, dont on voit la Statue fur un Autel .
Poinçon entre , en frémiſſant ; il héfite
à interroger l'oracle ; il ofe à peine lever
les yeux. Alie defcend , enveloppée dans
un nuage & portée par les Démons , qui
s'abîment bientôt dans la terre. Alie
vient ; elle apperçoit fon amant : enchantée
de lui devoir fa liberté & de le
retrouver , elle exprime fes fentimens
avec la plus grande vérité. Il faudroit
tranfcrire cette Scène pour en faire connoître
tout le mérite . Poinçon , qui croit
Alie infidelle , lui fait des reproches , qu'il
appuie fur ce qu'il a appris de Moulineau ;
Elle s'efforce de le raffurer en lui développant
toute fa tendreffe . Il eſt ébranlé ,
& ce moment eft bien préparé par le
doute qu'il a laiffé voir en finiffant le fecond
Acte : il dit à Alie :
Eh bien , fur nos deftins que l'Oracle prononce .
Vous le voyez ....Je vais l'interroger.
ALIE , l'arrêtant.
Ah ! par ce doute affreux cefez de m'outrager.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE:
POINÇON.
Eh quoi ! craignez-vous fa réponſe
A: L I E.
Je voulois que votre amour
Vous répondit de ma flâme :
Mais fi l'Oracle feul peut raffurer votre âme ,
Je vais l'interroger , fans crainte & fans détour.
fa Elle le fait , avec la confiance que
candeur lui infpire ; & telle eft la réponſe
de l'Oracle ;
L'Amant qu'Alie a choifi ,
Eft le Prince de Noifi.
Non , ( dit-elle à Poinçon , en courant à lui )
non , c'est toi feul que j'aime !
Garde-toi d'écouter un preftige impofteur.
Quand le Ciel parleroit lui -même ,
Le Ciel feroit démenti par mon coeur.
Poinçon veut la fuir ; elle le retient , &
lui peint fi bien fa douleur, & fon déſeſpoir
que, vaincu par ce tableau attendriffant, il
céde au fentiment de fon amour , malgré
tout ce qui lui parle contre Alie ; mais en
cónfervant un refte de doutes. Dans cet
inftant le Théâtre change , & repréfente
un Palais Aerien où des Génies & des Fées
paroiffent grouppés fur des nuages lumi,
OCTOBRE. 1760. 173
neux , & le Druide au milieu d'eux . Il
leur fait reconnoître Poinçon pour le fils
de Merlin leur Maître , & ramène la férénité
dans le coeur des deux jeunes Amans ,
en leur difant que Poinçon eſt lui - même
ce rival que l'Oracle a nommé . Les Génies
& les Fées les reconnoiffent pour leurs
Souverains ; on leur donne un fceptre &
une baguette , marques de leur nouveau
pouvoir ; & une Fête magnifique termine
l'Opéra.
Tels font le fond & la marche de ce
Poëme , plein de détails charmans , & gér
néralement penfé & écrit comme on fait
que faifoit M. de la Bruere .
On ofe affurer que la Mufique y répond
: tout le récitatif eft de la plus jufte
expreffion ; les chofes de chant, du genre
agréable , ne laiffent rien à fouhaiter . On
y trouve d'ailleurs des oppofitions de
Mufique très- heureufes ; des fymphonies
brillantes ; des choeurs pleins d'harmonie
& de clarté dans les parties . Quant aux
Airs des Divertiffemens , ceux des Gnomes
, & celui fur lequel fe fait l'adoration
du Gui facré au premier Acte ; ceux
des deux Fêtes du fecond Acte , & de celle
du troifiéme , terminée par une Chaconne
, font de jour à autre mieux fentis &
plus applaudis.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
Le Spectacle de cet Opéra eft foigné ,
bien entendu & magnifique dans les parties
où il doit l'être . La décoration de la
forêt au premier Acte & celle du Palais
Aërien à la fin du troifiéme , font toujours
un nouveau plaifir : la premiere par la maniere
fçavante & vraie de fa compofition
fon heureuſe exécution ; la derniere
par l'analogie brillante qu'elle a avec la
Fête qui s'y paffe , & le caractére de féérie
de cet ouvrage
.
&
par
Les rôles font généralement bien remplis
: ceux de Poinçon & d'Alie , qui font
les principaux , repréſentés pat Mlles
Lemierre & Arnoud, font la plus vive fenfation
: ces deux Actrices , par la jufteffe
du jeu , la force de l'expreffion , le char
me de la voix & de la figure , offrent aux
yeux & à l'âme le tableau le plus fatif
faifant.
Les Ballets font en général bien compofés.
MM. Lamy , Veftris , Laval &.
Gardel, Miles Lany, Lyonnois & Veftris,
ont fait à l'envi de nouveaux efforts pour
ne rien laiffer à defirer.
On ne doit cependant pas diffimuler
que le fuccès de cet Opéra a été très - balancé
, à la premiere Repréſentation. Des
longueurs dans le premier Acte , & furtout
la Cérémonie religieufe qui en fait.
OCTOBRE. 1760. 175
>
partie , avoient refroidi & prévenu défavorablement
le Public pour les deux autres
Actes : Le dénoûment , qui n'étoit pas
heureux , avoit achevé de déterminer le
jugement un peu précipité qui en avoit
été porté. On pourroit même préfumer
qu'il y avoit à cette premiere Repréſentation
de l'indifpofition de la part d'une
partie des Spectateurs.
Les Auteurs , uniquement occupés du
foin de fatisfaire le Public , fe font hâtés
de changer & de retrancher les endroits
qui avoient pû déplaire. La faine & nombreufe
partie de ce Public , toujours judicieuſe
, leur a fû gré de ces foins ; & fes
applaudiffemens foutenus jufqu'à préfent ,
font l'éloge d'un Ouvrage qui mérite en
effet d'être entendu avec attention , &
d'être fuivi.
P. S. Le dérangement affez confidérable
de la fanté de Mlle Lany , l'a obligée
de quitter les entrées le Vendredi 26 Septembre
: elle a été remplacée par la Dlle
Dumonceau , qui continue depuis ces entrées
, & dont les talens encouragés par
le Public , fe développent de jour en jour.
Les mêmes cauſes ayant mis M. Veftris
dans la même néceffité , le fieur Gardel
l'a remplacé le Mardi 7 Octobre , avec
beaucoup d'agrément.
H iiij
175 MERCURE DE FRANCE.
Mile Carville a danfé le même jour en
place de Mlle Veftris , & a mérité les applaudiffemens
qu'elle a reçus.
COMEDIE FRANÇOISE.
ONNa donné , le Samedi 4 , la treiziéme
& derniere repréſentation de la Tragédie
de Tancrède . La foible fanté de
Mile Clairon , en a interrompu les repréfentations
plutôt que les Comédiens ne
comptoient le faire ,& le Public en a paru
fâché. Ils préparent actuellement des nouveautés
, qu'ils comptent donner inceffamment.
COMEDIE ITALIENNE.
MERCREDI 8 , les Comédiens firent
l'ouverture de leur Salle nouvellement
reconftruite. La Décoration en a été généralement
approuvée ; & les Colonnes
qui ornent l'avant Scène , ont paru du
plus grand goût. Le fond des Loges eft de
couleur de marbre veiné , relevé d'or .
Le Spectacle commença par un Prologue.
Les Comédiens y implorent le fecours
de M. de la Rapfodiere Auteur ComiOCTOBRE.
1760. 177
que , qui leur promet des nouveautés en
abondance.
Ce Prologue fut fuivi de la premiere
repréfentation de la nouvelle Joute , Parodie
en un Acte de Tancrède , du même
Auteur.
On donna enfuite , auſſi pour la premiere
fois , la Fortune au Village , petite
Parodie d'Eglé . Elle eft , dit on , de Madame
Favart. La Mufique en eft nouvelle ;
il y a de fort jolis Airs , fur- tout ceux que
le fieur Cailleau chante : fa voix eft faite
pour animer & embellir tout ce qu'il exécute.
Du refte , cette petite Piéce a fem
blé faire plaifir , du moins elle a été plus
applaudie que la précédente ; & Madame
Favart , qui y a joué le premier rôle , ne
peut que s'être fentie encouragée , par la
maniere dont on l'a accueillie.
? Le tout fut terminé par la Veillée Cauchoife
nouveau Ballet Pantomime du
feur Billoni. On ne fe laffe point d'admifer
également les grâces de Mlle Camille ,
& la légèreté de Mlle Gatinon.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
CE
OPERA - COMIQUE.
E Spectacle , à qui le Roi a accordé
trois jours de grace , a fait fa clôture le
jour de S. Denis , 9 du mois d'Octobre.
Dans le Compliment , le Public a trouvé
ce qui lui eft légitimement dû , des fentimens
de reconnoiffance fur le paffé ,
d'inftantes prévenances pour l'avenir.
Tous les Acteurs ont fait leurs efforts ,
pour être regrettés par leurs Spectateurs.
fès
Les cent jours de la Foire S. Laurent ,
fe font foutenus , pour ainfi dire , fur le
fuccès de deux Piéces nouvelles , le Proès
des Arietes & des Vaudevilles , & le
Soldat Magicien : la premiere a été jouée
43 fois , & la feconde 32 avec l'accueil
le plus favorable , & les applaudiffemens
les plus décidés .
On ne peut , fans injuſtice , s'empêcher
de louer l'ardeur des nouveaux Entrepreneurs
, à faifir tous les moyens de
captiver le goût du Public : nulle épargne
fur les talens , les habits , les décorations.
Ils méritent de réuffir , fi le fuccès
dépend du zéle qu'on met dans les
affaires qu'on entreprend.
OCTOBRE. 1760 . 179
"
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
De VIENNE , le 20 Septembre."
SELON
ELON les nouvelles de Conftantinople , la révolte
du Pacha d'Iconium commence à donner de
l'inquiétude au Divan. Ce Pacha , à la tête de
quinze mille hommes , s'eft mis en marche de fon
Gouvernement vers cette Capitale . On prétend
que le Grand-Seigneur la fait allurer de la grâce
s'il rentroit dans fon devoir ; mais on ne croit pas
que ce Rebelle fe laiffe prendre à ce piege , & il
faudra employer la force pour le foumettre .
Les fêtes préparées pour le mariage de l'Archi-
Duc Jofeph avec l'Infante Ifabelle , viennent de
commencer. La nouvelle de la conclufion de ce
mariage fut apportée le 14 de ce mois , par le
Comte de Kaunitz-Rittberg , Chambellan de leurs
Majeftés Impériales , fils aîné du Comte de ce
nom , Chancelier de Cour & d'Etat ; la Cour ſe
mit , à cette occafion , en grand gala pour trois
jours , & leurs Majeftés Impériales furent compli
mentées par les Ambaffadeurs & les Miniftres,
étrangers , ainfi que par la haute Nobleffe. Elles
dînerent enfuite en Public avec les Archiducs Jofeph
, Charles & Léopold , quatre des Archidscheffes
, & avec le Prince Charles & la Princeffe
Charlotte de Lorraine. On exécuta un beau Concert
pendant le repas. Le foir , il y eur un bal paré
qui fut fuivi d'un grand fouper. Le matin , Leurs
Majeftés Impériales , accompagnées de l'Archiduc
Jofeph , avoient affifté à la Proceffion qui fe fait
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
annnellement , en mémoire de la levée du Siége
de cette Capitale , par les Turcs en 1683. L'Artillerie
des remparts fit une triple falve , à chacune
defquelles la Garniſon répondit par le feu de fa
Moufquetterie.
Le Comte de Palfi , Général d'Infanterie , fut
déclaré, le même jour, Capitaine de la Compagnie
des Gardes du Corps , formée par le Royaume de
Hongrie, pour
la Garde de l'Archiduc & de l'Archiduchelle
.
On a reçu
de Parme , le détail fuivant des cérémonies
qui ont été faites , à l'occafion du Mariage
de l'Archiduc Jofeph avec l'Infante Ifabelle.
DETAIL de tout ce qui s'eft paffé depuis l'arrivée
de M. le Prince de LICHTENSTEIN jufqu'au 4 .
M. le Prince de Lichtenſtein arriva à Parme le
1 Septembre ; auflitôt après , il fit informer M.
Dutillot , par un de fes Gentilshommes.
M. Dutillot fe tranfporta chez lui , & lui donna
l'heure que l'Infant avoit fixé pour fon audience
particuliere.
Cette audience fut le lendemain à midi & demi;
M.Dutillot alla prendre M. le Prince de Lichtenftein
au Palais Palavicini où il eſt logé , & l'amena
chez l'Infant , il le conduifit enfuite chez le Prince
Ferdinand , de là à l'appartement de Madame
Infante Ifabelle , où le trouva auffi Madame Louiſe ..
M.le Prince de Lichtenſtein, fut au fortir du Palais
, rendre la vifire à M. Dutillot ; fortit de chez
Ge Miniftre , & y revint dîner avec les Miniftres de
France , d'Espagne , de Turin , de Gènes & de
Malte ; M. le Comte de Neuilly , M le Bailli de
Breteuil , M. l'Abbé de Canillac & M. le Comte
de Mercy . Il amena avec lui les huit Chambellans
qui l'ont accompagné , & deux Officiers Majors..
OCTOBRE. 1760. 185
M. Dutillot avoit invité le Capitaine & le Major
des Gardes du Corps , le grand Ecuyer & le premier
Ecuyer de l'Infant , le Gouverneur du Frince
Ferdinand , des Gentilshommes de la Chambre ,
des Majordomes , des Dames du Palais , M. l'Evêque
de Plaifance , frere du feu Chancelier Criftiani
chargé par l'Infant , à caufe de la mort de
l'Evêque de Parme , de la cérémonie du mariage )
& quelques Perfonnes de la premiere Nobleffe du
Pays.
Après le dîner , M. de Lichtenftein retourna à
fon Hôtel , où il reçut des vifites .
Le troifiéme jour fixé pour l'Audience publique,
M. le Comte Peroli , Introducteur, partit du
Palais à onze heures & demie , dans un caroffe
de l'Infant attelé à huit chevaux ; ce caroffe étoit
précédé par un autre à fix chevaux ( vuide ) , &
fuivi par trois autres attelés à huit chevaux ; dans
chacun de ces caroffes , étoit un Majordome.
Un Officier de l'Ecurie étoit à cheval à la tête
de ce Cortége ; douze Valets de pied étoient fur
deux files aux deux côtés de la voiture de l'Infant
, où étoit M. l'Introducteur , trois derriere ce
carofie , & deux derriere chacun des autres .
Deux Palfreniers à cheval ſuivoient l'Officier
de l'Ecurie
M. le Comte Peroli fut dans cet ordre prendre
chez lui M. le Marquis Palavicini , premier Gentilhomme
de la Chambre , que l'Infant avoir
chargé de faire les honneurs à M. le Prince de
Lichtenſtein .
M. de Palavicini monta dans le même caroffe ,
dans lequel étoit venu M. le Comte Peroli ; ce
dernier lui donna la droite.
Ils furent dans le même ordre chez M. le Prin
ce de Lichtenſtein.
Ils monterent l'efcalier , fuivis des trois Majordomes
qui les avoient accompagnés : les
182 MERCURE DE FRANCE. 1
douze valets de pieds fuivoient fur deux files.
M. le Prince de Lichtenſtein étoit venu au-devant
d'eux, & avoit defcendu deux marches; il les conduifitjufques
à la chambre. MM . les Majordomest
refterent à la piéce la plus voisine de cette chambre
, où ils entrerent un moment après M. de
Palavicini & M. Peroli , à qui M. le Prince de
Lichtenſtein avoit fait partout les honneurs des
Portes.
On defcendit de chez M. le Prince , qui fit
toujours les honneurs à M. de Palavicini jufques
au bas de fon efcalier ; où étant arrivé , M. de
Palavicini lui fit les honneurs du caroffe , il y
monta , fe plaça feul dans le fond , M. de Pałavicini
fur le devant à droite , M. Peroli à gauche.
MM. les Majordomes firent également les
bonneurs des caroffes de l'Infant dans lesquels
ils étoient venus , aux huit Chambellans .
On fe mit en marche dans l'ordre fuivant :
Un Officier de l'Ecurie de l'Infant , & deur
Palfreniers à cheval.
Le caroffe de M. l'Introducteur , à fix chevaux ,
vuide.
Deux Suiffes , de M. le Prince de Lichtenſtein ,
à cheval.
24 Valets de pied.
6 Coureurs.
6 Heyducs.
12 Palfreniers , tenant chacun un cheval par la
bride.
9 Officiers , de la Maifon de M. le Prince , à
cheval.
Son Ecuyer.
& Pages, dont deux Hongrois, & fix Allemands
Quatre Gentilshommes.
Le caroffe de l'Infant , où étoit M. le Prince de
Lichtenſtein , M. de Palavicini & M. Peroli , 1 %
Valets de pied de l'Infant aux deux côtés.
OCTOBRE . 1760 . 184
Un grand caroffe d'entrée , à M. le Prince,
attelé à 8 chevaux.
Les trois caroffes de l'Infant , dont les Majordomes
faifoient les honneurs.
A une diſtance de 30 ou 40 pas , trois autres
carolles , à M. le Prince de Lichtenſtein , attelés à
huit chevaux .
Les rues étoient bordées , depuis l'Hôtel Palavicini
jufques au Palais , par les deux Bataillons du
Régiment de Parme habillés de neuf, à-peu-près
comme le Corps des Grenadiers de France
douze Compagnies de Grenadiers.
> &
Les Troupes préfentoient les armes , les tambours
rappelloient , & les Officiers ont falué du
chapeau .
La Garde du Palais étoit formée devant la
porte; elle préfentoit les armes ; les tambours rappelloient
, & les Officiers ont falué du chapeau.
12 Suifles des Portes étoient fous la voute de
l'entrée du Palais.
80 Hallebardiers de la Garde de S. A. R. bordoient
l'escalier fur deux files, depuis la premiere
marche juſques au pallier d'en- haut ; & les deux
portes qui donnent de ce pallier à l'appartement
de l'Infant & à celui de Madame Ifabelle , étoient
gardées par quatre de ces mêmes Hallebardiers ,
la hallebarde fur l'épaule.
M. Le Comte Rimbaldefi, Maître des Cérémonies,
vint recevoir M. le Prince au bas de l'efcalier
& marcha devant lui.
La Livrée de l'Infant précédoit fur deux files ;
celle de M. le Prince fuivoit ce Seigneur , qui mar
choit entre M. le Marquis Palavicini & l'Introducteur.
La Livrée de M. le Prince s'arrêta dans deur
anti-falles avec celle de l'Infant ; deux Suiffes de la
porte empêchoient celle des particuliers d'y entrer,
184 MERCURE DE FRANCE.
M. le Prince de Lichtenstein , toujours précédé
par le Maître des Cérémonies , & ayant M. de Pala
vicini à fa droite & l'Introducteur à ſa gauche, traverfa
la Salle des Gardes : les Gardes du Corps
étoient fous les armes. Le Capitaine des Gardes le
reçut à la porte de la Salle en dedans, prit la place
de M. l'Introducteur à côté de lui , & marcha
ainfi à toutes les Audiences. L'Introducteur s'étoit
avancé d'un pas , & marchoit à côté du Maître
des Cérémonies . M. le Prince étoit précédé par
les Officiers de fa Maiſon qui s'arrêterent dans la
prémiere antichambre après la Salle des Gardes ,
par les Pages qui s'arrêterent dans l'antichambre
après celle où étoient reftés les Officiers de fa
Maifon , & avant celle où étoient les Pages de
S. A. R. par fes quatre Gentilshommes qui entrerentjufques
dans la piéce du Sallon de l'Audience
de l'Infant ; & par les huit Chambellans de l'Empereur
qui les précédérent jufques aux pieds , da
Throne .
Toutes les Dames de la Nobleffe du Pays &
Etrangeres , s'étoient rendues le matin chez Madame
Ifabelle .
La Nobleffe de l'Etat , les Seigneurs les plus
diftingués d'Italie , & l'Infant , étoient placés autour
de fon thrône , & rempliffoient douze Piéces
que traverfa M. le Prince de Lichtenftein , depuis
celle où s'étoient arrêtés fes Pages juſques à la
porte de la Salle de l'Audience.
Certe Salle eft , très-vaffe , & avoit été richement
& galamment ornée ; le dais de l'Infant étoit au
fond , vis-à-vis de la porte , par où entra M. le
Prince de Lichtenftein .
Au moment où ce Seigneur parut dans la Salle,
S. A. R. fe leva du fauteuil , ou il étoit affis , falua
M. le Prince de Lichtenftein & remit fon chapeau.
M.le Prince fe couvrit , & expola l'objet de fa
million..
OCTOBRE. 1760. r&'s
M. le Comte de S. Vital fut envoyé , avec deux
Gentilshommes de la Chambre , & deux Majordomes
prendre Madame Infante Ifabelle dans fon
appartement. Elle entra dans la Salle d'audience
par une porte pratiquée à côté du dais, précédée des
perfonnes qui avoient été envoyées pour la chercher
, & fuivie par Madame de Gonzales , Madame
la Comteffe de Siffa , & cing Dames du Palais.
M. le Prince de Lichtenſtein s'adreſſant à Madame
Infante Ifabelle , lui répéta la demande qu'il
avoit faite à S. A. R. Madame fe tourna du côté de
l'Infant , comme pour lui demander fon approbation
; après quoi elle répondit à M. le Prince de
Lichtenſtein , & reçut de lui une Lettre de la main
de l'Archiduc , & le portrait de ce Prince ; enfuite
elle fe retira dans fon appartement.
L'Infant & M. le Prince de Lichtenstein resterent
découverts , tout le tems que Madame Infante
Ifabelle refta dans la Salle .
M. le Prince de Lichtenftein préfenta à l'Infant
Les huit Chambellans de l'Empereur.
M. le Prince de Lichtenſtein forrit de l'audience
de l'Infant dans le même ordre qu'il yétoit entré ,
& marcha dans ce même ordre à celle du Prince
Ferdinand ; le cérémonial y fut obfervé comme à
celle de l'Infant.
M. le Prince de Lichtenstein paffa de cette audience
à celle de Madame Infante Ifabelle. Tour y
fut obfervé comme aux précédentes, excepté que M.
le Prince ne fe couvrit qu'un moment , ôta fon chapeau
, & refta découvert julques à ce qu'il fortît.
Il paffa à l'Audience de Madame Louife où tout
fut exactement obfervé comme à celle de Madame
Infante Iíabelle.
Il fut conduit enfuite dans l'appartement qui
lui avoit été préparé à la Cour , par M. de Palavicini,
M. l'Introducteur & le Maître des Cérémo186
MERCURE DE FRANCE.
nies.Il y fut fuivi par quantité de Nobleſſe .
M. de Lichtenſtein arrivé dans cet appartement
, y fut vifité par un Gentilhomme de la
Chambre de la part dé l'Infant.
Un moment après , M. le Comte de S. Vital ,
fur auffi lui annoncer que S. A. R. le faifoit
traiter. Il lui préſenta en même- tems le Majordome
, le Comte de S. Vital , le Capitaine des
Gardes , le Gouverneur du Prince Ferdinand ,
des Gentilshommes de la Chambre , le Maître
des Cérémonies , l'Introducteur , quatre Chambellans
de l'Empereur , M. le Marquis Canoffa , &
quelques autres perfonnes de la Nobleſſe du Pays ,
& Allemande.
M. Le Prince fut fervi par les Officiers de l'Infant
, propofés pour fervir S. A. R. à table :
toutes les autres perfonnes furent fervies par la
livrée de S. A. R.
On ne s'étoit mis à table qu'après que l'Infant
eut dîné.
Après le repas , M. de Lichtenſtein paſſa chez
l'Infant lui faire une vifite , & en fortit un moment
après pour retourner dans ſon appartement,
où il reçut des vifites.
Afept heures & demie , on paffa au Théâtre
pour voir l'Opéra. L'Infant & Madame Ifabelle
furent , avec leur Cour , dans la grande loge du
milieu , appellée la loge de la Couronne. M. le
Prince de Lichtenſtein étoit , avec quelques Scigneurs
de fa fuite , dans celle qui eft la plus près
du Théâtre à droite.
Trois Majordomes avoient été chargés par
l'Infant , de faire les honneurs du Théâtre où
tout fe paffa dans le plus grand ordre.
Le parterre & les loges étoient remplis de
toute la Nobleffe du Pays , & Etrangeres , qui
avoient pu y contenir.
OCTOBRE . 1760 . 187
Note des Perfonnes qui font venues à Parme ,
avec M. le Prince de Lichtenftein .
SCAVO I R.
Chambellans de
leurs Majeftés,
Impériales.
M. le Prince FRANÇOIS DE
LICHTENSTEIN , fon frére.
JEAN DE LICHTENSTEIN.
Le Comte ERNEST DE
KAUNITZ RITTBERG .
Son frere , DOMINIQUE DE
KAUNITZ..
Le Comte de LESTIER .
Le Comte de LAMBERG,
Le Comte BATHYANI.
Le Comte de PUTFFY .
Le Chevalier THOMASOLI . Majors deCava
M. BULDALSI . Slerie.
M. de LOCHENKHAL , Confeiller Aulique de
leurs Majeftés Impériales .
M. le Maréchal Comte BOTTA ADORNO .
M. le Comte de SÁLM .
M. le Comte de PAAR , Grand -Maître des Poftes.
Suite de la Relation de tout ce qui s'eft
paffé depuis.
L'Opera que l'on repréſenta , eft compofé de
trois Actes ; il eft intitulé les Fétes de L'Hymen
pour les nôces de LL. AA. RR. &c. il eft précédé
d'un Prologue.
Ce Prologue , qui a pour Titre le Triomphe de
PAmour , eft une querelle que les Dieux font à
l'Amour , fur les maux qu'il ne ceffe de faire
aux hommes . L'Amour convient de toutes ces
fauces, & obtient fon pardon en faveur de l'Union ,
qu'il vient de faire de la vertu & de la beauté,
188 MERCURE DE FRANCE.
Les fajets des trois Actes qui compofent l'Opéra
font féparés. C'est une licence que l'on a cru
devoir prendre à caufe du merveilleux & de la
galanterie qu'apportent avec eux des fujers fabuleux
& variés , qui femblent mieux convenir à la
Fête qu'on a célébrée .
L'Acte d'Aris eft le premier. L'Amour par ordre
du Deftin , ceffe d'être aveugle ; il jette fes premiers
regards fur Iris , & en devient amoureux ;
Iris le prend pour le Zéphire ; mais revenue de
fon erreur, elle en devient éprife , diffipe les nuages
qu'Aquilon jaloux lui oppofe fans ceffe , &
sunit à l'Amour pour rendre au monde les jours
les plus beaux & les plus fereins.
Le fecond Acte , eft celui de Sapho . Le Poëte
a feint cette dixiéme Muſe , amoureufe d'Alcée
celèbre Poëte Lyrique natif de Lesbos : il a
feint aufli Doris , fils de Neptune , amant de Sapho
, qui fe voyant préferer fon rival , a recours
a fon pére , & le prie de le vanger par la mort
de l'un & de l'autre. Neptune écoute les voeux
de fon fiis ; & par le fecours d'Eole , & des vents
fouléve tellement les eaux , que les habitans de
la campagne craignent d'ètre fubmergés : 1
paroît lui-même fur une vague qui s'élève beaucoup
au defius des autres ; menace de tour
inonder , fi dans une heure , Sapho n'eft pas fenible
à l'amour de fon fils il rentre dans le fein
de la mer , qui continue dans la plus grande
agitation .
Sapho invoque Apollon , & l'Amour. Une
Lyre defcend du Ciel attachée à des guirlandes
de fleurs ; un arc s'élève dans la Mer à l'endroit
où elle doit avoir fes bornes , & les lui marque
pour l'avenir.
Sapho prend la Lyre : à mesure qu'elle chante
les prodiges opérés par Apollon , & l'Amour ;
OCTOBRE. 1760. 189
la Mer fe calme & fe retire au lieu où elle
étoit avant le débordement ; remplie des infpirations
divines , & de l'enthousiasme poétique ,
elle voit dans l'avenir la fuitte nombreufe des
héros , dont elle doit célébrer l'alliance , annonce
le bonheur dont l'Univers doit jouir ; & par fon
mariage avec Alcée , accomplit le triomphe de
l'harmonie , & de l'amour.
Le troifiéme Acte eft intitulé Eglé. Cette Nymphe
eft amoureufe de Chromis ; Alcée fa compagne
l'eft de Lincée .Elles fe plaifent enſemble
à faire foupirer leurs Amants , en leur cachant
leur tendreffe ; enfin Eglé dit à Chromis qu'elle
l'aimera , lorfqu'elle verra les eaux d'un torrent
enchaînées ; Alcée promet à Lincée de l'aimer
quand Eglé aimera Chromis.
Ces deux jeunes Faunes , déſeſpérés , fe confultent
enſemble , & vont trouver Silene pour qu'il
les aide de fes confeils . Ce vieillard leur demande
où ils ont laillé Eglé & Alcée ; ils répondent
qu'elles font à cueillir des mûres pour lui
teindre le vifage, lorfqu'elles le trouveront endormi
. Silene confole les deux Faunes, leur ordonne
de ſe retirer , leur promet de les fervir , & fe
met fur un lit de gazon où il feint de dormir
en attendant les deux Nymphes. Elles arrivent
avec des guirlandes de fleurs , en enchaînent Si-
Lene qu'elles croyent endormi ; elles le pouffents
il feint de s'éveiller & montre de la colere :
mais bien-tôt après il leur conte la fable d'Acis
& Galatée. Au milieu de cette fable , il s'arrête
comme infpiré , & leur conſeille d'aller trouver
Prothée , de le furprendre endormi , & de l'enchaîner
fans s'épouvanter des différentes formes
qu'il prendra , parce qu'à la fin il parlera , & leur
apprendra des chofes merveilleules.
Elles remercient Silene , & le quittent pour al190
MERCURE DE FRANCE:
ler chercher Prothée ; Chromis & Lincée les accoma
pagnent. Elles le furprennent , l'enchaînent , &
ferrent toujours plus fes liens , à mesure qu'il change
de forme ; il fe change enfin en un Torrent
qui refte immobile : toutes les Nymphes admirent
ce prodige . Silene arrive , rapelle à Eglé le ferment
qu'elle a fait d'être à Chromis lorſqu'elle
verra enchaîner un torrent ; Eglé confent à être
unie à Chromis , & Alcée tient auffi fa parole à
Lincée ; les Faunes & les Nymphes applaudiffent
à cette union,& Silene; au lieu de finir la fable qu'il
fe fouvient d'avoir commencée , ordonne aux Faunes,
& aux Nymphes, de célébrer cet heureux jour,
en repréfentant par leurs danfes , les amours
d'Acis , & Galatée.
L'Italie a vû dans cette occafion renaître fur la
fcène les enchantemens , & la nouveauté de ce
fpectacle digne de l'admiration des étrangers , par
la magnificence , la vérité , & le bon goût qui eft
diftribué dans l'exécution de toutes ces parties. Les
machines employées aux différens prodiges amenés
par le Sujet , ont eu le plus grand fuccès ;
& le Théâtre actuellement difpofé par les machines
à recevoir tout ce que l'imagination peut fournir
de plus merveilleux , retracera chaque fois le
fouvenir de la fête pour laquelle il fert la premiere
fois.
Après l'Opéra l'Infant & Madame Infante Iſabelle,
furent à l'hôtel Palavicini où M. le Prince de
Lichtenſtein avoit fait préparer une Fête, à laquelle
toute la Nobleſſe fut invitée ; plufieurs tables furent
abondamment ſervies , ainſi que quantité de
rafraîchiffemens. On y danſa juſqu'au matin.
1
Le lendemain, M. le Prince de Lichtenſtein donna
un fuperbe dîner à tous les Miniftres étrangers ,
& à la Nobleffe la plus confidérable de l'Etat , &
Etrangere . Le foir il y eut Opéra.
OCTOBRE. 1760. Iol
Le Vendredi cinq , M. le Comte de Rochechouart
donna un grand dîner à M. le Prince de
Lichtenſtein & aux mêmes perfonnes qui avoient
dîné chez lui la veille . Il y eut Opéra le foir.
Le Samedi fix , M. de Lichtenſtein le Prince
dîna chez M. le Marquis de Revilla . Il y eut le foir
affemblée au Palais.
Le Dimanche ſept, jour fixé pour la Cérémonie
du Mariage , les Troupes prirent les Armes dès le
matin ; deux bataillons du Régiment de Parme &
quatorze Compagnies de Grenadiers borderent
les rues par où le Cortége devoit paffer.
Six cens Carabiniers formèrent quatre eſcadrons
fur la place , deux defquelles y retterent , jufques
après que le cortége y eut paffé ; les deux autres
furent repartis pour fermer toutes les rues qui
viennent aboutir à celles par où les Princes pafferent:
chaque troupe étoit formée fur deux rangs ,
à trente pas derriere l'Infanterie qui occupoit le
débouché de la rue.
" L'Eglife Cathédrale , où fe fit la cérémonie ,
étoit magnifiquement décorée. Les Peintures du
Corrége , & des autres excellents Maîtres dont ce
vafte Edifice fe trouve orné dans les voutes , &
dans les frifes , donnant des bornes à la richeffe
de la décoration projettée pour cette Augufte cérémonie
; on fut obligé de fe contenter d'orner
les pilaftres , les arcades , & les baffes nefs de damas
cramoifi à fleurs , enrichis de grandes lames
d'étoffes d'argent , de deux pieds de large; lefquelles
interrompoient fymétriquenient , d'espace
en efpace, le cours du damas d'une maniere agréable
& gracieufe; les impoftes fur lesquelles repofent
les arcades , étoient entourées d'une riche
pente du même damas , pliffée & terminée par
une frange d'or , ainfi que les rideaux qui ornoient
le dedans des arcades , & qui étoient retrouffés
192 MERCURE DE FRANCE.
vers l'impofte , pour donner lieu de découvrir la
décoration des chapelles , & des nefs laterales . Aux
deux côtés de la porte de lagrande nef étoient deur
orcheftres , parées dans le même goût que le refte
de l'Eglife : elles étoient remplies de trente Muficiens
que l'on avoit fait venir pour jouer des
fanfares , depuis le moment où les Princes defcen➡
dirent de carolles , juſqu'a celui où ils furent entrés
dans le fanctuaire ; les deux tribunes qui fe'
trouvent près du Maître Autel , étoient remplies
des Muficiens de la Chambre de S. A. R. qui exé-'
cuterent fupérieurement d'excellentes fymphonies
à deux choeurs.
Le Maître-Autel , beaucoup plus étendu qu'à
l'ordinaire , le trouvoit richement paré d'étoffe
d'or , & couvert d'une quantité de lumieres . Du
côté de l'Evangile , étoit le dais de S. A. R. du
côté de l'Epitre , étoit la Cathetra , deftinée pour
l'Evêque de Plaifance , qui devoit faire la cérémonie.
Au milieu du Sanctuaire , qui étoit couvert de
tapis de la Savonerie , étoit un prie- Dieu , cou-'
vert d'un grand tapis de velours cramoihi galonné
d'or , ainfi que trois couffins , qui étoient pofés
au bas.
Les latereaux du Sanctuaire , furent remplis
par un nombre infini de Nobleffe. Aux deux côtés ,
en face du Maître - Autel , étoient deux grands parquets
décorés dans la même ordonnance de l'Eglife
, l'un defquels étoit deftiné pour tous les
Miniftres Etrangers , l'autre pour les Dames de
la premiere diftinction .
Le Sanctuaire étoit gardé par les Gardes du
Corps de S. A. R. le veftibule du Sanctuaire ainfi
que les degrés qui defcendent à la grande nef
& toute cette nef jufqu'à la porte de l'Eglife
étoir bordée par la garde des Hallebardiers
Royaux. M.
OCTOBRE. 1760.
M.Je Prince de Lichtenſtein partit à 11 heures de
195
l'Hôtel Palavicini où il étoit logé pour le rendre à
la Cathédrale,fon cortége marchoit dans le même
ordre que le jour de fon Audience publique ; il fut
reçu à la porte de L'Eglife par le Chapitre qui le
complimenta. Sa Livrée entra dans la nef du milieu
& fe rangea des deux côtés devant les Hailebardiers
Royaux.
Pendant ce tems- là le cortége de la Cour s'étoit
mis en mrcche dans l'ordre fuivant.
Quarante Hallebardiers Royaux ouvroient la
marche ; la mufique de cette Compagnie étoit à
la tête.
Le Commandant de l'Ecurie & deux Officiers
de l'Ecurie à cheval , quatre Palfreniers les fuivoient
à pied .
I caroffe à fix chevaux pour le Maître des
Cérémonies & trois
Majordomes.
I caroffe à fix chevaux , quatre Gentilshommes
de la Chambre.
I caroffe à fix chevaux, quatre Dames du Palais.
I caroffe à fix chevaux , quatre Dames du Palais.
I caroffe àfix chevaux , quatre
Gentilshommes
de la Chambre.
I caroffe à 8 chevaux. Le Gentilhomme de la
Chambre de fervice à l'Infant.
Le premier Ecuyer , le Majordome de ſervice.
I caroffe à huit chevaux . Le ſervice de Madame
Infante Ifabelle.
Les trompettes & timballes des Gardes du
Corps , avec feize Gardes.
1 caroffe à huit chevaux , l'Infant.
Le Capitaine des Gardes , le Grand Ecuyer.
I caroffe à 8 chevaux ,¡Madame InfanteÏfabelle,
Madame de Gonzales , Madame de Siſſa .
La Compagnie des Gardes du Corps ayant à
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
leur tête le Lieutenant , l'Enſeigne , & huic
Exempts.
2 caroffes de refpect vuidės , attelés à 8 chevaux.
I caroffe à fix chevaux , quatre Gentilshommes
de la Chambre.
Tous les Pages marchoient à pied aux deux côtés
des caroffes des Princes .
On arriva dans cet ordre à la porte de l'Eglife :
on marchoit lentement pour donner aux perfonnes
qui étoient dans les caroffes qui précédoient
ceux des Princes , le temps de defcendre .
M.le Prince de Lichtenſtein attendoit à la porte
de l'Eglife.
Pendant que l'Infant defcendoit de fon carolle,
Le Maître desCérémonies fut prendre M.le Prince
Liechtenſtein & le conduifit à la portiere du caroffe
de Madame Infantelfabelle . L'Infant s'en aprocha
auffi & reçut la main droite de Madame fa fille en
defcendant du caroffe;M. le Prince reçur la main
gauche.
Ils marcherent ainfi jufqu'au prie- Dieu qui fe
trouvoit dans le Sanctuaire en face du Maître-
Autel , où ils fe mirent à genoux fur les couffins
qui étoient au bas de ce prie- Dieu. L'Infant occupa
celui de la droite ; Madame Ifabelle celui
du milieu ; M. de Lichtenſtein celui de la gauche.
Ils fe leverent un moment après , & s'approcherent
des degrés de l'Autel ; l'Evêque déranda
à M. le Prince s'il avoit le pouvoir d'épouler Mae
InfanteIfabelle, au nom de l'Archiduc Jofeph ; fes
Pouvoirs furent lus à haute voix par un Secretaire
impérial , après quoi le Chancelier de l'Evêché
lutauffi à haute voix la Difpenfe du Pape .
Le refte de la Cérémonie fut exécutée ſuivant le
Rituel ordinaire de l'Eglife , excepté que l'anneau
fut préfenté à Madame l'Archiduchelle par M. le
Prince de Lichtenftein , fur une foucoupe , & qu'elle
le mit elle-même à fon doigt.
OCTOBRE. 1760.
195
Après cette cérémonie , Madame l'Archiducheffe
retourna au Pri - Dieu , ayant toujours M.
de Lichtenſtein à la gauche. Après une courte
priere , les Princes fe remirent en marche pour
fortir de l'Eglife dans le même ordre qu'ils y
étoient entrés ; l'Infant & M. de Lichtenttein
donnerent la main à Madaine
l'Archiducheffe
pour monter dans fon carolle , l'Infant monta
dans le fien , & M. le Prince fut joindre les
équipages qui l'attendoient à une des portes latérales
de l'Eglife.
l'on
On le mit en marche pour retourner au Palais
par un chemin plus long que celui
avoit fait en venant du Palais à la Cathédrale
que
afin que tout le Peuple , & une quantité prodigieufe
d'Etrangers qui s'étoient rendus à Parme
pullent voir la magnificence , de cette marche.
Le Cortége de M. le Prince de Lichtenſtein
précédoit celui de la Cour , de 60 ou 80 pas . Les
Troupes qui bordoient les rues lui préfenterent
les armes , les tambours rappelloient , & les
Officiers le faluerent du chapeau .
Pendant l'efpace qui étoit entre le caroffe de
M. de Lichtenftein & celui de l'Infant , l'Infanterie
mit la bayonnette au bout du fufl. Lorsqu'ils
pafferent , on préſenta les armes , les tambours
battirent au champ , & les Officiers faluerent de
l'eſponton .
M. de Lichtenſtein defcendit à la porte du Palais
pour y attendre Madame l'Archiducheſſe ;
l'Infant aufuôt arrivé defcendit de fon caroffe ,
& s'avança à la portiere de celui de Madame
l'Archiducheffe fa fille pour lui donner la main.
Elle fut conduite à ſon
appartement par l'Infant
& M. de Lichtenftein toujours dans l'ordre
obfervé
précédemment , c'eft à dire l'Infant à
fa droite , & M. de Lichtenſtein à la gauche ;
I j
196 MERCURE DE FRANCE.
yne quantité prodigieufe de Nobleffe rem pliffoit
le Palais .
S. A. R. l'Infant fe retira dans fon appartement
, après avoir reſté un moment dans celui
de la fille ; qui , après que l'Infant fut retiré
donna fa main à baifer à tous les Sujets de la
Maifon d'Autriche qui fe trouverent préfens.
L'heure du repas étant arrivée , le Maître des
Cérémonies fut avertir l'Infant , & marcha devant
lui jufques à l'appartement de Madame
l'Archiducheffe , où S. A. R. s'étoit propofée de
l'aller prendre pour la conduire à la table de
nôces.
2
Cette table étoit préparée dans la falle d'audience
, de façon que les trois fiéges fe trouvoient
fous le dais ; il n'y avoit pas de fauteuil ,
mais trois chaifes à dos parfaitement égales.
Madame l'Archiducheſſe entra dans la falle &
fut conduite à table par Monfeigneur l'Infant à
qui elle donnoit la main droite , & M. le Prince
de Lichtenſtein à qui elle donnoit la main gauche
; elle fe plaça au milieu , l'Infant à fa droite ,
& M. de Lichtenftein à fa gauche ; le Maître des
Cérémonies avoit toujours précédé les Princes jufques
à la table.
M. le Comte de S. Vital , Gouverneur de la
Maifon de S. A. R. avec tous les Majordomes ,
excepté celui qui étoit de fervice , furent prendre
lés plats au buffet , & les apporterent ſur la table
dans l'ordre ci-après.
L'Huifier des viandes entre deux Gardes du
Corps , la carabine fur l'épaule : les Gardes s'arrêterent
à la porte de la falle .
Le Maître des Cérémonies marchoit feul quatre
pas après l'Huiffier des viandes.
Douze Pages , portant chacun un plat.
Six Majordomes , portant chacun un plat.
OCTOBRE. 1760. 197
M. le Comte de S. Vital , marchant feul immédiatement
après ,
Le Contrôleur de la Bouche.
Quatre Gardes du Corps la carabine fur l'épaule
, qui fe font arrêtés au même endroit que
les deux premiers.
Le Majordome de fervice prit les plats des
mains des autres Majordomes , & des Pages , &
les arrangea fur la table. Pendant ce temps ,
M. de S. Vital fut fe mettre derriere les Princes
pour fervir Madame l'Archiducheffe , il lui ap
procha fa chaife , celle de l'Infant fut approchée
par un Majordone , & celle de M. le Prince de
Lichtentein par un Gentilhomme de la Maiſon
de S. A R. Madame l'Archiducheffe fut fervie
par M. de S. Vital , l'infant le fut à l'ordinaire
par le entilhomme de la Chambre de fervice ,
& M. le Prince de Lichtenſtein par un Gentilhomme
de la Maiſon.
Ce repas fut fervi avec toute la magnificence
& tout le goût imaginable.
Au fortir de table , Madame l'Archiducheffe
fut reconduite dans fon appartement dans le mê -
me ordre qui avoit été observé en venant à table.
Il n'y eut plus rien jufqu'au foir.
L
Toute la Nobleffe étoit invitée de fe rendre à
huit heures du foir au Palais du Jardin , pour de
là , voir tirer un feu d'artifice , & voir en même
temps une fuperbe illumination difpofée dans le
Jardin . L'ordonnance en étoit riche & galante.
Le Palais du jardin fut dès fept heures rempli
d'un grand nombre de Nobleffe. M. le Prince de
Lichtenftein s'y rendit à fept heures & demie. Le
Prince Ferdinand & Madame Louife , s'y rendirent
peu après , & l'Infant & Madame l'Archiduchefle
y arriverent à huit heures précifes.
Le feu d'artifice fut appliqué à un monument
· Iiij
198 MERCURE DE FRANCE.
Hlevé au milieu d'une très- grande place dans le
jardin de Parme , & faifoit face au Palais où les
Princes fe tranfportérent pour en voir l'effet .
Il repréfentoit l'union de l'Amour & de l'hymen
dans le Temple de Minerve. Ce Temple
étoit élevé fur un grand fondement amtique , dont
la forme étoit ovale , de quatre - vingt - dix - huit
pieds de longueur , fur foixante- quatre pieds de
large ; un grand focle de porphyre , comprenant.
dans fa hauteur les gradins qui formoient les deux
entrées principales du Temple , s'élevoit au-delfus
de ce fondement , & contournoit la baſe de ce
monument , qui étoit orné de vingt- quatre colonnes
d'ordre Dorique entourées de guirlandes
de fleurs. Il avoit quatre faces égales , & fes angles
étoient flanqués de quatre pyramides ifolées
dédiées aux Arts & portant leurs attributs en trophées.
Ces Pyramides étoient environnées de quatre
colonnes du même ordre , formant des avantcorne
à jour , rachetés fur les angles du quarré
du Temple , en forme de tours ou de baftions.
L'entablement étoit décoré de guirlandes de
fleurs dans la frife , & les quatre avant- corps. de
colonnes qui couvroient les Pyramides , foutenoient
fur chaque face des médaillons , en tout au
nombre de ſeize , moitié appuyés ſur la frife &
l'architrave de cet ordre , & moitié tombant dans
le vuide de l'entre- colonne. Ils repréſentoient
des tableaux où étoient peintes les qualités vertueufes
de l'Archiduc & de Madame Iſabelle
comme la nobleffe , la magnanimité , la Majesté
Royale , la libéralité , la jeunelle , la beauté , la
bonté , la clémence , la fécondité , la douceur ,
l'amour de la gloire , l'amour de la Patrie , l'amour
des Sciences , l'amour des Arts , l'enjoûment
& l'affabilité .
Au- deffus des quatre tours des Colonnes , s'élevoir
OCTOBRE. 1760. 199
au milieu des trophées Militaires, un piédeftal portant
des renommées,fur les quatre portes ou Arcades
de ce Temple étoient les Écuffons de l'Archiduc
& de Madame Ifabelle , au milieu de deux
vales ,de Parfums , & appuyé fur le focle qui couronnait
la Corniche .
Au -dellus de ce Socle, dont le plan étoit quarré
comme le Temple , s'élevoit une attique ronde
en forme de Piédeftal couronnée d'un dôme ouvert
par le haur & décoré de guirlandes de fleurs .
Ce Piédeſtal fervita porterautour dela Naillance
du dôme 12 Figures réprefentant les Jeux , les
Ris, & les Plairs , danfant & formant une chaîne
de guirlandes autour de ce monument.
Les quatre portes du Temple étoient décorées &
comme gardées par huit Figures repréſentantes la
vigilance , la dignité , l'Intelligence , la pureté ,
le filence , la douceur , & le courage , qui compo.
fept enfemble toutes les vertus qui caractérisent.
la fagelle.
Au milieu de ce temple dont la forme intérieure.
étoit octogone rachetant une voûte ronde & farbaillée
, étoit la Figure de Minerve fur différens
plans de quées , réuniffant entre fes bras les Figures
de l'Amour & de l'Hymen.
Sur les deux aîles du focle qui joignoit toute la
longueur du fondement ovale , & qui comprenoit
toute la hauteur des perrons , étoient de chaque
côté les autels de l'Amour & de l'Hymen .
Quatre fontaines de feu élevées fur des rochers
qui fortoient de terre contribuoient à la richeſſe de
la bafe de ce monument , en même tems qu'elles
augmentoient l'effet des différens tableaux de feu
qui fortoient de cet édifice deftiné à faire éclater
la joie publique que procure cet événement.
L'Illumination générale de cette machine d'Artifice
fur accompagnée de deux Phénomènes qui
I iv
200 MERCURE DE FRANCE
fe voyoient à droite & à gauche à une certaine dif :
tance du feu & comme dans le lointain. Ils montroient
chacun le Globe du Monde tranfparent
d'un diamètre confidérable , environnés dans l'air
d'un cercle de feu , en figne de l'allégreffe que
qu'infpire à tout l'Univers cet Augufte Mariage
. Une grande quantité de fufées fortoient
également de derriere ces Phénomènes , & formoient
en l'air des Bouquets qui , dirigés pour fe
réunir ſur le ſommer du Temple , conftruifoient
une voute de feu , qui le couvroit continuelle
ment.
Tout ce Spectacle étoit accompagné d'une illumination
générale dans le jardin ; les terraffes décorées
d'ifs , de girandoles & de cordons de lu
mieres hautes & baſſes ; les miroirs de feu , les
pots à-feu formant des cordons élevés , toutes les
allées éclairées fur différens deffeins , & l'illumination
de toute la façade du Palais qui fait face
l'entrée de ce jardin , auffi bien que les différen
tes avenues en étoile , qui y conduifent ; enfin
rien ne fut oublié pour rendre cette Fête augufte
& digne de fon Souverain.
Après le feu d'artifice , l'Infant & Madame
l'Archiducheffe furent fouper. Pendant ce tems
toute la Nobleffe fe ren lit au Théâtre , que l'on
avoit préparé pour y donner un Bal mafqué.
On avoit élevé le Parterre à la hauteur du plane
cher du Théâtre , & l'on avoit pratiqué fur ce
même Théâtre , des Loges folides , femblables à
celles de la Salle ; de façon que le Theâtre &
le Parterre ne faifoient qu'une grande Salle
ovale , applatie par les flancs , & toute entourrée .
de trois rangs de Loges les unes fur les autres ;
cette Salle étoit ornée de guirlandes de fleurs , &
gazes bleues & argent , qui fe rattachoient galamment
aux montants qui feparent les Loges , &
de
OCTOBRE. 1760. 201
qui tomboient en feftons fur les appuis des Loges ,
d'une maniere agréable & pleine de goût ; elle
étoit éclairée par une quantité de luftres de cryftal
ornés de guirlandes de petites fleurs , & par
des bras de cryftal ornés de même , appliqués contre
les appuis des Loges des rangs fupérieurs ; c'étoit
à ces bras que venoient s'attacher les guirlan
des de fleurs , qui ornoient le devant des Loges .
On entroit dans cette Salle par la Loge de la couronne
qui s'avance fur le Parterre , comme les
Amphithéâtres employés en France dans les Salles
des Spectacles ; on en avoit coupé l'appui par
devant , & on defcendoit de-là dans le corps de la
Salle par quatre degrés couverts de tapis de Turquie.
Toutes les Loges étoient remplies , tant celles
pratiquées fur le Théâtre que celles de la Salle ,
pår une grande quantité de Dames & de Cavaliers
ment parés.
Madame l'Archiducheffe étant arrivée , on ouvrit
le Bal par une Allemande , où douze perfonnes
danferent enſemble : Madame l'Archiduchefe
donnoit la main au Prince François , neveu de M.
le Prince de Lichtenſtein . On danſa jufqu'à quatre
heures du matin ; & pendant tout le tems que
durat le Bal , les Officiers de la maiſon de l'Infant
fervirent abondamment de toutes fortes de rafraîchiflemens.
Tout fe paffa avec beaucoup d'ordre ,
& tout le monde fortit extrêmement fatisfait.
Le lendemain 8 , M. le Prince de Lichtenſtein
prit fon Audience de congé ; tout fut obſervé à
cette Audience comme à celle de la demande ,
excepté que l'Introducteur , le Maître des Cérémonies
, & M. le Marquis Palavicini , furent pren .
dre.M. le Prince dans l'Appartement qu'il occupoit
à la Cour ; & que M. de Lichtenſtein , en
fortant de l'Audience de l'Infant , fur à celle de
I v
200 MERCURE DE FRANCE
fe voyoient à droite & à gauche à une certaine dif
tance du feu & comme dans le lointain. Ils mon
troient chacun le Globe du Monde tranſparent
d'un diamètre confidérable , environnés dans l'air
d'un cercle de feu , en figne de l'allégreffe que
qu'infpire à tout l'Univers cet Augufte Mariage.
Une grande quantité de fufées fortoient
également de derriere ces Phénomènes , & formoient
en l'air des Bouquets qui , dirigés pour fe
réunir fur le fommer du Temple , conftruifoient
une voute de feu , qui le couvroit continuelle
ment.
Tout ce Spectacle étoit accompagné d'une illu
mination générale dans le jardin ; les terraffes décorées
d'ifs , de girandoles & de cordons de lu
mieres hautes & balles ; les miroirs de feu , les
pots à- feu formant des cordons élevés , toutes les
allées éclairées fur différens deffeins , & l'illumination
de toute la façade du Palais qui fait face à
l'entrée de ce jardin , auffi bien que les différen➡
tes avenues en étoile , qui y conduifent ; enfin
rien ne fut oublié pour rendre cette Fête auguſte
& digne de fon Souverain.
Après le feu d'artifice , l'Infant & Madame :
l'Archiducheffe furent fouper. Pendant ce tems
toute la Nobleffe fe ren lit au Théâtre , que l'on
avoit préparé pour y donner un Bal mafqué.
On avoit élevé le Parterre à la hauteur du plan
cher du Théâtre , & l'on avoit pratiqué fur ce
même Théâtre , des Loges folides , femblables à
celles de la Salle ; de façon que le Theâtre &
le Parterre ne faifoient qu'une grande Salle
ovale , applatie par les flancs , & toute entourrée
de trois rangs de Loges les unes fur les autres ;
cette Salle étoit ornée de guirlandes de fleurs , &
de gazes bleues & argent , qui fe rattachoient galamment
aux montants qui feparent les Loges , &
OCTOBRE. 1760. 201
qui tomboient en feftons fur les appuis des Loges ,
d'une maniere agréable & pleine de goût ; elle
étoit éclairée par une quantité de luftres de cryftal
ornés de guirlandes de petites fleurs , & par
des bras de cryftal ornés de même , appliqués contre
les appuis des Loges des rangs fupérieurs ; c'étoit
à ces bras que venoient s'attacher les guirlan
des de fleurs , qui ornoient le devant des Loges.
On entroit dans cette Salle par la Loge de la couronne
qui s'avance fur le Parterre , comme les
Amphithéâtres employés en France dans les Salles
des Spectacles ; on en avoit coupé l'appui pardevant
, & on defcendoit de -là dans le corps de la
Salle par quatre degrés couverts de tapis de Tur
quie.
Toutes les Loges étoient remplies , tant celles
pratiquées fur le Théâtre que celles de la Salle ,
par une grande quantité de Dames & de Cavaliers
ment parés.
Madame l'Archiducheffe étant arrivée , on ouvrit
le Bal par une Allemande , où douze perfonnes
danſerent enſemble : Madame l'Archiduchele
donnoit la main au Prince François , neveu de M.
le Prince de Lichtenſtein . On danſa jufqu'à quatre
heures du matin ; & pendant tout le tems que
durat le Bal , les Officiers de la maiſon de l'Infant
fervirent abondamment de toutes fortes de rafraîchiflemens.
Tout fe paffa avec beaucoup d'ordre ,
& tout le monde fortit extrêmement fatisfait.
Le lendemain 8 , M. le Prince de Lichtenftein
prit fon Audience de congé ; tout fut obfervé à
cette Audience comme à celle de la demande 9
excepté que l'Introducteur , le Maître des Cérémonies
, & M. le Marquis Palavicini , furent pren .
dre.M. le Prince dans l'Appartement qu'il occupoit
à la Cour ; & que M. de Lichtenſtein , en
fortant de l'Audience de l'Infant , fur à celle de
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200 MERCURE DE FRANCE
fe voyoient à droite & à gauche à une certaine dif
tance du feu & comme dans le lointain. Ils montroient
chacun le Globe du Monde tranfparent , '
d'un diamètre confidérable , environnés dans l'air
d'un cercle de feu , en figne de l'allégreffe que
qu'infpire à tout l'Univers cet Augufte Mariage
. Une grande quantité de fufées fortoient
également de derriere ces Phénomènes , & formoient
en l'air des Bouquets qui , dirigés pour fe
réunir fur le fommet du Temple , conftruifoient
une voute de feu , qui le couvroit continuelle
ment.
Tout ce Spectacle étoit accompagné d'une illu
mination générale dans le jardin ; les terraffes décorées
d'ifs , de girandoles & de cordons de lu
mieres hautes & baffes ; les miroirs de feu , les
pots à-feu formant des cordons élevés , toutes les
allées éclairées fur différens deffeins , & l'illumination
de toute la façade du Palais qui fait face à
l'entrée de ce jardin , auffi bien que les différen
tes avenues en étoile , qui y conduifent enfin
rien ne fut oublié pour rendre cette Fête augufte
& digne de fon Souverain.
Après le feu d'artifice , l'Infant & Madame
l'Archiducheffe furent fouper. Pendant ce tems
toute la Nobleffe ſe ren fit au Théâtre , que l'on
avoit préparé pour y donner un Bal maſqué .
On avoit élevé le Parterre à la hauteur du plan
cher du Théâtre , & l'on avoit pratiqué fur ce
même Théâtre , des Loges folides , femblables à
celles de la Salle ; de façon que le Theâtre &
le Parterre ne faifoient qu'une grande Salle
ovale , applatie par les flancs , & toute entourrée
de trois rangs de Loges les unes fur les autres ;
cette Salle étoit ornée de guirlandes de fleurs , &
de gazes bleues & argent , qui fe rattachoient galamment
aux montants qui ſéparent les Loges , &
OCTOBRE. 1760. 201
qui tomboient en feftons fur les appuis des Loges ,
d'une maniere agréable & pleine de goût ; elle
étoit éclairée par une quantité de luftres de cryftal
ornés de guirlandes de petites fleurs , & par
des bras de cryſtal ornés de même , appliqués contre
les appuis des Loges des rangs fupérieurs ; c'étoit
à ces bras que venoient s'attacher les guirlandes
de fleurs , qui ornoient le devant des Loges.
On entroit dans cette Salle par la Loge de la couronne
qui s'avance fur le Parterre , comme les
Amphithéâtres employés en France dans les Salles
des Spectacles ; on en avoit coupé l'appui pardevant
, & on defcendoit de -là dans le corps de la
Salle par quatre degrés couverts de tapis de Turquie.
Toutes les Loges étoient remplies , tant celles
pratiquées fur le Théâtre que celles de la Salle
pår une grande quantité de Dames & de Cavaliers
ment parés.
Madame l'Archiducheſſe étant arrivée , on ouvrit
le Bal par une Allemande , où douze perfonnes
danferent enſemble : Madame l'Archiduchele
donnoit la main au Prince François , neveu de M.
le Prince de Lichtenftein . On danſa jufqu'à quatre
heures du matin ; & pendant tout le tems que
durat le Bal , les Officiers de la maiſon de l'Infant
fervirent abondamment de toutes fortes de rafraîchiflemens.
Tout fe paffa avec beaucoup d'ordre ,
& tout le monde fortit extrêmement fatisfait.
Le lendemain 8 , M. le Prince de Lichtenftein
prit fon Audience de congé ; tout fut obfervé à
cette Audience comme à celle de la demande ,
excepté que l'Introducteur , le Maître des Cérémonies
, & M. le Marquis Palavicini , furent pren .
dre.M. le Prince dans l'Appartement qu'il occupoit
à la Cour ; & que M. de Lichtenſtein , en
fortant de l'Audience de l'Infant , fut à celle de
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Madame l'Archiducheffe , avant d'être conduit à
celle du Prince Ferdinand.
Après l'Audience de Madame Louife , M. le
Prince , au lieu de retourner dans fon appartement
a la Cour , defcendit par le grand efcalier ,
& fut monter dans fon Caroffe qui l'attendoit a la
porte du Palais , pour le ramener à l'Hôtel Palavicini
.
Le Maître des Cérémonies l'accompagna juf
qu'au bas de l'efcalier , M. de Palavicini & M.
Introducteur jufques à la portiere de la voiture ,
qui ne fur fermée que quand ces Meffieurs fe futent
retirés.
Le foir , il y eut Opéra.
Le 9. l'Infant fut dîner chez M. de Lichtenſtein.
Lé foir , il y eut Opéra.
Le to M. le Prince de Lichtenſtein dina chez M.
Dutillot , & partit après dîner pour Cafalmajor.
Le foir , il y eut Aflemblée au Paļais .
Le 11. au matin tous les Corps de l'Etat , le
Militaire , la Nobleffe , & la Maifon de S. A R.
eurent l'honneur de baifer la main à Madame
l'Archiducheffe .
Il y eut Opéra , le ſoir.
Le .les Princes n'ont reçu perfonne .
Le 13. S. A. R. Madame l'Archiducheffe partit
à dix heures du matin pour le rendre à Cafalmajor:
elle y a été accompagnée par Madame de
Gonzales , Madame de Silla , quatre Dames du
Pálais , des Majordomes , & huit Gentilshommes
de la Chambre ; elle étoit faivîe d'un nombre de
Pages , d'Ecuyers , de fon premier fervice , & defon
fervice du fecond Ordre , du Commandant de
l'Ecurie de deux Officiers des Ecuries , du Sellier >
du Maréchal , du Charron & de 24 Palfreniers à
Cheval;elle étoit éfcortée par des Gardes du Corps.
Les rues par lesquelles elle a pallé, étoient bordées
OCTOBRE , 1760. 203
de troupes , on avoit difpofé des Détachemens de
Cavalerie & d'Infanterie fur différens endroits de
la roure.
Des Bataillons Provinciaux , fix Compagnies de
Grenadiers, un Bataillon du Régiment de Parme ,
& les deux Compagnies de Grenadiers de inême
Régiment, étoient difpofées fur les bords du Pô ,
en deçà de la tête du Pont. Elle y a trouvé des
Elcadrons de Gardes du Corps & de Cavalerie. Elle
eft arrivée à Cafalmajor à midi & deux minutes.
M. le Comte de S. Vital eft chargé de la Cérémonie
de la remife , un Secrétaire du Cabinet de
l'Acte de certe ' remiſe .
S. A. R. s'arrête demain à Cafalmajor pour y
donner la main à bailer aux Deputés de la Lombardie
Autrichienne , aux Chambres Souveraines ,
& à la Nobleffe. Le lundi elle ira à Mantoue, où elle
s'arrêtera encore un jour, pour un objet ſemblable.
De l'Armée aux ordres du Maréchal de Daun ,
le 7 Septembre.
Le Roi de Pruffe ayant voulu occuper le pofte
de Nieder-Arnsdorff , & fe trouvant prévenu par
le Général Beck , détacha trois Régimens , avec
quelques pieces d'Artillerie , pour en déloger nos
troupes. Ils attaquèrent ce pofte avec beaucoup
de vivacité ; mais le Baron de Beck eut le tems
de faire foutenir les Volontaires de Siléfie , qui
Foccupoient , par deux Bataillons de Waradins,
& le Comte de Daun détacha , de fon côté , dans '
le méme deffein , trois Bataillons de Grenadiers.
Au moyen de ce fecours , les Pruffiens furent re
pouffés ; & après une attaque de trois heures, ils
fe retirèrent avec une perte confidérable . On ne
peut pas l'évaluer à moins de fept à huir cens
Bommes.› ant tués que bleffés. La nôtre eft de
I vi
204 MERCURE DE FRANCE.
trois cens hommes. Depuis , le Roi de Pruffe ayant
voulu gagner Landshut , le Maréchal de Daun
fit une marche qui arrêta ce Prince , & le Comte
de Lafcy a pris pofte à Landshut & fur les hauteurs
voifines. Depuis , il ne s'eft rien paſſé de
confidérable .
De l'Armée de l'Empire , le 16 Septembre.
>
>
Nous attaquames , ' le 1o , avec fuccès , quelques
poftes avancés des ennemis. Ils fe repliérent avec
précipitation jufques fous le canon de leurs retranchemens
de Torgau. On reconnut , par ce
moyen , de fort près leur pofition . Le +1 les
ennemis attaquérent , à leur tour , vers le foir
nos poftes avancés ; mais on leur oppofa une
vigoureuſe réſiſtance & ils fe retirerent après
une heure d'attaque infructueufe. Le Prince de
Deux- Ponts a fon Quartier à Strehla où la droite
de l'Armée eft appuyée , & la gauche eft à Doberschitz
. Le Corps de réſerve eft entre Schilda
& Profthayn , & les Troupes légères occupent les
Bois & les Villages que nous avons en avant d'ici
à Torgau.
I
>
Le Prince de Deux-Ponts , informé de l'arrivée
du Duc de Wirtemberg dans les environs de Hall ,
lui dépêcha , le 1 ,, le Général d'Infanterie Baron
de Haddick , pour concerter les opérations du
refte de la Campagne. Le Général Lucfinsky occupe
Duben & fes environs.
De HAMBOURG , le 10 Septembre.
L'Armée Suédoiſe , qui campoit depuis quel
ques curs à Strasbourg , petite Ville de l'Ucker-
Marck ,, s'ébranla le trois de ce mois. A l'ap-
J
OCTOBRE. 1760 205
proche des Suédois , les Pruffiens abandonnerent
leurs poftes & fe retirerent du côté de Prentzlow
. Le Colonel de Sparre avec ſa Cavalerie ,
fe mit à la pourfuite d'un corps ennemi ; il atteignit
quatre cens cinquante Dragons & Huffards qu'il
nrit en déroute; le Baron de Wrangel à la tête d'un
corps d'Infanterie & de Cavalerie , attaqua auffi.`
le corps Pruffien , & il prit cent- quarante trois
hommes & quatre Officiers , parmi lesquels étoit
le Major de Kalckstein ' , Commandant de ce
Corps.
Le Colonel de Klinpfor fit une troifiéme attaque,
qui cut d'abord le plus grand fuccès. Il renverfa
avec deux Eſcadrons le Bataillon de Dohna
mais les Pruffiens étant revenus avec des forces
fupérieures , dégagérent ce Bataillon , & le Colonel
de Klinpfor refta prifonnier avec cinquante
à foixante Soldats & quelques Officiers , la plûpart
griévement bleffés. Les Suédois ont eu , dans
ces différens chocs , une centaine d'hommes tués ,
bleffés ou prifonniers. Les Pruffiens ont perdu environ
deux cens hommes qui ont été pris , fans
compter les morts , dont le nombre eft au moins
égal .
- L'Armée Suédoife ſe remit le 6 en mouvement,
de Werbelow. Elle marcha le long de la Rive
gauche de l'Ucker , fur Prenzlow , Les Pruffiens
avoient pris une pofition avantageuſe en avant
de cette Ville ; mais ils l'abandonnerent à l'approche
des Suédois . Le Baron de Lantingshauſen
envoya fommer le Commandant de Prenzlow
de rendre cette place ; & fur fon refus , il ordonna
l'attaque. Les deux portes de Beflin & d'Anclam
furent forcées , les Pruffiens firent leur retraite
avec précipitation , on leur a fait plus de cent
Priſonniers , & les Suédois n'ont eu qu'un homme
tué & un petit nombre de bleſſés . Quoique cette
206 MERCURE DE FRANCE.
Ville ait été prife de force , le foldat Suédois a
obfervé la plus exacte difcipline.
Les troupes Suédoifes employées en Pomeranie,
confiftent en dix-fept Bataillons , & en quarantedeux
Eſcadrons. Six autres Bataillons ont été laiſfés
pour veiller à la fureté de Daungarten , de
Triblés , de Gutzkow & de Wolgaft.
De RATISBONNE le 20 Septembre.
Le Corps de troupes du Duc de Wirtemberg
campe actuellement dans les environs de Hall.
Ce Prince fit fommer , le 10 de ce mois , le Commandant
Pruffien de Leipfick de fe retirer de cette
place. Ce Commandant répondit qu'il avoit ordre
du Roi fon Maître de la défendre juſqu'à
la derniere extrémité , & de bruler fes fauxbourgs
& la Ville même plutôt que de la rendre. Le
Duc de Wirtemberg lui fit dire que la Ville de
Hall , dont il étoit en poffeffion , lui répondroic .
du traitement que l'on feroit à celle de Leipfick .
De MADRID , le 17 Septembre,
Le Comte de Merle , Ambaffadeur de Sa Majefté
Très Chrétienne auprès du Roi de Portugal ,
qui a obtenu la permilion de faire un Voyage
en France , fut préfenté , de 14 de ce mois , au
Roj par le Marquis d'Oflum , qui réfide ici avec
le même caractère.
A$ 710
5
OCTOBRE. 1760. 207
1
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée ,
de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 2 Octobre.
L 29 du mois dernier , le Roi tint le fceau.
B
Sa Majefté a donné l'Abbaye de Saint Antoine,
Ordre de Cieaux , Diocèle & fauxbourg de Paris ,
à la Dame de Beauvau-Craon , Religeufe de celle
de Juvigni ;
L'Abbaye de la Regle , Ordre de Saint Benoît ,
Diocèle de Limoges , à la Dame de Bois- jolland ,
Religieufe de celle de Saint Aufonne ;
L'Abbaye de Nidoifeau , Ordre de Saint Benoît ,
Diocèse d'Angers , à la Dame de Scépeaux ,
Religieufe de celle d'Eftival , Diocèle du Mans ;
L'Abbaye de la Vaflin , Ordre de Saint Benoît ,
Diocèfe de Clermont , à la Dame de la Salle ,
Religieufe de la même Abbaye ;
Et le Prieuré de la Ferté - Milon , à la Dame
de Rochelambert , Religieufe du même Monaftere.
De PARIS , le 4 Octobre,
Le 21 du mois dernier , on fit la Dédicace de
l'Eglife Paroiffiale de Choifi- le- Roi : cette Eglife
fur dédiée fous l'invocation de Saint Louis , Roi
de France , & de Saint Nicolas , Evêque de Myrre.
Cette Cérémonie fut faite par l'Archevêque de
Paris , affifté des Archevêques d'Aries , de Tours ,
de Befançon , de Touloufe , d'Alby , & des Evêques
de Grenoble , de Chartres , d'Orléans , de
208 MERCURE DE FRANCE.
Meaux , de Metz & d'Autun , en qualité de
Co-Confécrateurs . Les autres Evêques qui fe trouvoient
ici y affiftérent avec les Agens Généraux
du Clergé , fur l'invitation qui leur en avoit été
faite de la part de Sa Majefté. Le Roi , la Reine ,
Monfeigneur le Dauphin , Madame la Dauphine ,
& Mefdames , affifterent à cette Cérémonie.
L'Archevêque de Paris , les Archevêques & Evêques
Co-Confécrateurs , les autres Evêques qui
avoient affifté à la Cérémonie , & les deux Agens
Généraux du Clergé , eurent l'honneur de dîner
avec Sa Majesté .
De METZ , le 18 Septembre.
'Sa Majesté vient d'accorder des Lettres patentes
à une nouvelle Société des Sciences & des Arts
établie dans cette Ville , fous les aufpices du ,
Maréchal Duc de Belle- Ifle , Pair de France , Miniftre
& Secrétaire d'Etat de la guerre , Gouverneur
des Trois Evéchés . L'objet de cet établiffement
eft de contribuer aux progrès de l'Agriculture
& des Arts utiles à l'économie & au Commerce
. Le Maréchal Duc de Belle -Ifle a fair en
fa faveur une fondation de trois mille livres de
renté annuelle. Cette Société propoſera chaque
année un fujet de Prix , qui fera toujours relatif
aux Arts utiles . Le prix fera une médaille d'Or
de la valeur de quatre cens livres & portant l'effigie
de fon Fondateur. Elle tiendra fa premiere
Allemblée publique le 17 Novembre prochain .
De BAYONNE , le 16 Septembre.
On apprend par un Vaiffeau arrivé à Saint Ander
que des fix Vaiffeaux partis de Bordeaux ,
trois font arrivés dans le fleuve Saint Laurent ,
favoir ; le Marchand , le Marquis de Malaufe &
le Bienfaifant. Ils ont atterré dans la Baye des
Chaleurs avec fix prifes qu'ils avoient faites dans
OCTOBRE. 1760. 206-
ce fleuve fur les Anglois. Cinq Vaiffeaux de guerre
ennemis les ont pourfuivis jufques dans ce port,
Les Capitaines de ces trois VaiffeauxMarchands ,
ont fait la plus belle manoeuvre ; ils ont mis à
terre prèfque tous leurs Canons ; ils ont conftruit
à la hate une efpéce de fort d'où ils ont tiré fur
les Vaiffeaux Anglois ; ils en ont coulé un à fond
ils ont eu le tems de mettre à terre leur Car
gaifon , & l'on ne doute pas qu'ils n'ayent fait
paffer à Montréal les munitions & les fubfiftancés
qui étoient deftinées pour cette place. Ils ont
enfuite mis le feu à leurs trois Vailleaux & aux
fix qu'ils avoient pris , afin qu'ils ne tombaſſent
point entre les mains des Anglois.
Le Marquis de Vaudreuil , ayant formé le projet
d'une expédition fur le fleuve Saint Laurent ,
a chargé le fieur Minville l'aîné , Armateur de ce
port , de l'exécuter . Cet Armateur a paffé hardiment
avec fon Vaiffeau fous le fort de Quebec
de l'Artillerie duquel il a effuyé tout le feu , &
dont il a été fort endommagé; cela ne l'a pas em
pêché de remplir fon objet ; il a pris dans ce
fleuve quatorze Vaifleaux Anglois pleins de munitions
pour Quebec ; il les a conduits un peu plus
haut que la Baye des Chaleurs , & après en avoir
fait décharger toutes les Cargaifons qu'il a fair
tranfporter à Montréal , il les a brulés ainfi que
fon Vaiffeau , pour 'qu'ils ne devinflent pas la
proie des ennemis.
On affure que la recolte a été abondante dans
le Territoire de Montréal , & que nous fommes
en état de nous y foutenir long-tems contre les
Anglois,
De FRANCFORT , le 22 Septembre.
On a été ici quelques jours fans recevoir des
nouvelles de l'Armée. Un Corps détaché de celle .
"
210 MERCURE DE FRANCE.
da Prince Ferdinand s'érgit poſté fur Marburg &
ayoit interrompu la communication ; les polles
qui avoient été établis pour fa fureté s'étant repliés
à l'approche des ennemis , deux, Compagnies
da Régiment de Cavalerie de Rougrave , qui occupoient
celui de Butzbach , y furent attaquées
le au matin , & furent faites Prifonnieres de
guerre. Le Maréchal de Broglie , ayant eu avis
de la marche des ennemis , fit partir de Merdenhagen
, le 12 à la pointe du jour , le Corps
aux ordres du Comte de Stainville , Lieutenant
Général , & du Marquis d'Aubigni , Maréchal de
Camp , pour le pofter fur Marburg afin de leur
couper leur retraite . Ce Corps étoit compofé de
la Brigade d'Infanterie d'Auvergne ; de celle de
Bouillon formée de ce Régiment & de ceux de
Vierzet & d'Horion , & des Régimens, de Dragons
du Roi & de la Ferronaye ; & de la Brigade
de Cavalerie de Royal- Pologne , compoſée
de ce Régiment & de ceux de Poly & de Touftain,
Ilarriva le même jour à Marienhagen . On trouva
en arrivant un détachement des ennemis qui fe
reriroit de Marburg à Franckenberg . On leur fit
trente Prifonniers,
Le Comte de Stainville fut informé que le Corps
des ennemis , commandé par les Généraux de
Bulowet & de Ferien , n'ayant pu fe rendre maître
du Chateau de Marburg par la réſiſtance du fieur
Kenedy , Commandant , & après avoir fait quelque
dégât dans la Ville, fe retiroit auffi fur Franckenberg.
Il ne voulur pas manquer l'occaſion de
le joindre , & il fe remit en marche le 13 à la
pointe du jour. Il fe porta avec la plus grande
diligence vers Radern. Les ennemis étoient en
Bataille à une demi- lieue de ce Village. Le Comte
de Stainville fit auffi - tôt les difpofitions pour les
attaquer ; toutes les troupes pallerent le ruiffeau
OCTOBRE. 1760. 211
du ravin qui les féparoient des ennemis. Les deux
Régimens de Dragons , commandés par le Comte
de Cey , Brigadier , & la Caval rie de la Légion
Royale commandée par le Comte de Melfort
fe portérent pendant ce tems , avec la plus grande
vivacité fur la hauteur occupée par les ennemis.
Ils chargérent la Cavalerie qui s'y trouva & ils la
culbuterent. Le Comte de Ferfen furrué dans cette
charge.
Les ennemis furent fuivis de près , malgré les
obftacles du terrein , par les Grenadiers & les
Challeurs , par la Brigade d'Auvergne, commandée
par le Marquis de Rochambeau , Brigadier ,
& par l'Infanterie de la Légion Royale. Ils furent
ainfi obligés d'abandonner la hauteur qu'ils occupoient
; ils le retirérent par le Village de Munden
où leur droite avoit été appuyée , & ils gagnérent
une autre hauteur près de Neukirchen , On les y
canona vivement jufqu'à ceque les troupes devancées
par les Dragons , après avoir paffé un fecond
ruiffeau affez profond & un ravin difficile , les chaf
ferent de hauteurs , en hauteurs , & les obligerent
de s'appuyer à une haute montagne derniere leVillage
de Hallenberg .
Commela nuit approchoit , le Comte de Stainville
, afin d'empêcher les ennemis d'en profiter
pour affurer leur pofition, ou pour fe retirer en bon
ordre , ne perdit pas un moment à les faire attaquer.
La Brigade d'Auvergne gravit avec la plus
grande vivacité une montagne d'un accès très-difficile.
La Légion Royale & les Dragons s'y porterent
de même , malgré les obftacles du terrein & la roideur
de la montagne. Ils mirent les ennemis en déroute
les Dragons leur firent abandonner trois piéces
de Canon ; le fieur Duchemin, Major de la Légion
Royale, avec quelques Dragons de ce Corps ,
en prit auffi trois pieces , & l'on en trouva deur
212 MERCURE DE FRANCE.
autres abandonnées dans le bois. La nuit mit fin
au combat , qui avoit commencé à dix heures du
matin.
Le Corps des ennemis , étoit d'environ fix mille
hommes. Ils ont perdu beaucoup , & on leur a
fait près de 400 Priſonniers, parmi lesquels il y a
plufieurs Officiers. On leur a pris auffi tous les
bagages ; du côté des François , on n'a perdu qu'environ
cinquante hommes tués ou bleffès.
A
Depuis , le Maréchal de Broglie , ayant réfolu
de faire attaquer le Camp du Général Vangenheim
, par les troupes aux ordres du Comte de
Luface campées entre Fridlandet Vitzenhauſen ,
fe rendit pour cet effet au quartier du Comte de,
Luface , & il renforça fa réferve d'un Corps de
troupes tiré de l'Armée. Le Corps ennemi étoit
d'environ quinze mille hommes. On marcha fur
quatre colonnes dirigées fur Dransfeld ; auffi- tôt
qu'elles parurent fur la hauteur voiſine de cette
Ville , les ennemis leverent leur Camp & entrerent
dans le bois qu'ils avoient derriere eux. La Colonne
d'Infanterie de notre droite , aux ordres du
Comte de Luface , compofée du Corps Saxon &
des Brigades de Caftelas & de la Marck , s'avança
avec toute la diligence poffible . Elle étoit précédée
par le Comte de Vaux , Lieutenant Général , ayant
avec lui les Grenadiers & les Chaffeurs des ces Brigades
, & par le fieur de Klingenberg , Maréchal
de Camp , ayant avec lui trois Bataillons de Grenadiers
Saxons , foutenus de la Brigade Suiffe.de
Diesbach. L'attaque ne put commencer que vers
les fept heures du foir.Le feu de Moufquetterie fut ,
vif & dura plus d'une heure ; mais il futpeu meurtrier,
à caufe de l'obfcurité & de l'épaiffeur du bois .
Les ennemis furent pouffés jufqu'à l'efcarpement
du Vefer. Les Grenadiers Saxons leur prirent deux
piéces de Canon , & le fieur de Grandmaiſon ,
OCTOBRE. 1760. 213
Commandant les Volontaires de Hainault , en
prit deux autres & fit quelques Priſonniers,
Pendant ce tems- là , le Prince de Croy fit déboucher
de Munden un Détachement aux ordres
du fieur de la Borde , Lieutenant Colonel du Régiment
de Condé , pour le porter fur le pont des
-ennemis à Humel ; il l'attaqua & s'en rendit maître.
Mais les ennemis étant revenus par la gauche
du Véfer avec des forces fupérieures & beaucoup
d'Artillerie , il ne put le conferver . Le lendemain
matin , le fieur de Grandmaifon s'étant porté vers
ce pont , il le trouva abandonné ; il le fit
& en fit brifer les pontons.
trompre
Auffi- tôt après cette opération , le Prince de Robecq
, Maréchal de Camp , fut détaché avec fa divifion
pour aller à Gottinguen , d'où il a dû envoyer
des Détachemens fur Northeim & Eimbeck.
Le fieur de Cambefort , Commandant d'un
Corps de troupes légères , fe trouvant à Bocholtz
avec la troupe , fut averti qu'un Détachement fort
fupérieur au fien marchoit à lui : il ſe retira ; & ce
Détachement l'ayant fuivi , le fieur de Cambefort
fit volte-face , & l'attaqua avec tant de vivacité
qu'il le mit en déroute , & le pourſuivit jufqu'à
la porte de Coesfeldt. Il a tué ou bleffé dans ce
choc, plus de cinquante hommes aux ennemis ,
& il a fait trente quatre Prifonniers , avec lesquels
il a repris la route de Wefel. Il n'a eu que trois
hommes bleffés & trois autres faits Prifonniers.
De CASSEL, le 17 Septembre.
L'Armée a quitté le 13 de ce mois , le Camp
d'Immenhauſen , & elle eft venue camper près de
cette Ville. La réſerve commandée par le Chevalier
de Muy , a été placée à la gauche de l'Armée.
Un Corps aux ordres du Prince de Croy , Lieutenant
Général , borde la baffe Fulde & la baſſe-
Verra. le Prince de Robecq eft placé avec ſa divifion
à Landverhagen & à Sandershaufen. Le
214 MERCURE DE FRANCE.
Comte de Chabot occupe Breitenbach , & la Těferve
du Comte de Luface campe au- delà de la
Verra entre Friedland & Vitzenhaufen.
MORT.
Antoine Nicolas , Marquis de Choifeul Beaupré
, Capitaine de Vaiffeaux du Roi , eft morrà
Rennes , le 19 du mois dernier , agé de quarantequatre
ans.
TANCREDE ,
TRAGEDIE EN CINQ ACTES.
Par M. DE VOLTAIRE.
Repréfentée , pour la premiere fois , par les Comédiens
François ordinaires du Roi , te 3
Septembre 1760.
AVIS AU PUBLIC.
Cette Piéce , actuellement fous preſſe avec la
Préface , les corrections , additions & changemens
de M. de Voltaire , va paroître incellamment
; elle fera ornée du Portrait de l'Auteur , &
d'Estampes repréfentant les fituations les plus intéreffantes
de cette Tragédie . Le prix fera le
même que celui ordinaire des Piéces de Théâtre.
On croit devoir avertir le Public de fe donner de
garde d'acheter aucune édition de cette Piéce imprimée
furtivement , & conféquemment pleine de
fautes. On reconnoîtra la bonne édition à ces
mêmes corrections , additions & gravûres , qui
eft la feule avouée de l'Auteur : Elle le vendra
à Paris chez Prault , petit-fils , Libraire , Quái
des Auguftins , la deuxième boutique au - deflus
de la rue Gît-le -coeur , à l'immortalité . Avec
Permiflion.
OCTOBRE. 1760. 215
Madame Helvetius eft accouchée le de
de mois , d'une fille qui a été baptifée à S. Roch.
Elle a eu pour Parrain M. le Duc de Choifeul ,
& pour Marraine , Madame la Duchelle de Grammont
, & a été nommée Béatrix -Henriette .
APPROBATION.
J'ai lu ,par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le fecond Volume du Mercure du mois d'Octobre
1760 , & je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion . A Paris , ce 14 Octobre 1760.
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE .
ARTICLE PREMIER.
ODE. Sur la mortde mon pére.
Rondeau , à M. l'Intendant de L .... &c.
Epître à M. D ** * C * * * * &c.
Page s
II
32
Bouquet , à Meffire Jean - Paul de Relongue , Chevalier
, Seigneur de la Louptiere &c.
Stances , à M. de la Louptiere & c.
Epître , à Madame de P ......
43
1,8
35
Couplets d'une Demoiſelle à fon pére &c. ibid.
Traduction de différens Morceaux de Sénéque. 20
Traduction libre du premier Choeur d'OEdipe . 28
Ode Anacréontique.
Autre Ode.
Lettre de l'Auteur du Mercure .
Scène.VII . & VIII, de la Tragédie du Duc
31
32
ibid.
de Guile, ou du Mallacre de Blois, &c.33 &fuiv.
216 MERCURE DE FRANCE:
Epître à M. de Voltaire , fur la Comédie de
l'Ecoffoife.
Fable.
Ellai fur cette queſtion & c.
Enigmes.
Logogryphe.
Chanfon.
41
45
47
77
78
29
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Effai fur l'Education d'un Prince & c. 80
Hiftoire de la Maifon de Stuart, par M. Hume. 107
Annonce des Livres nouveaux. 126 &fuiv.
ART. III, SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIES .
Séance publique de l'Académie des Sciences ,
Belles - Lettres , & Arts de Lyon .
Séance publique de l'Académie des Sciences ,
& Belles-Lettres de Beziers.
Séance publique de l'Académie Royale des
Belles-Lettres de la Rochelle.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
PEINTURE.
132
143
&
147
Concours au fujet de l'expreffion d'uneTête. 149
ART. V. SPECTACLES.
Opéra .
Comédie Françoife.
Opéra-Comique.
Comédie Italienne.
160
176
ibid.
178
ART. VI . Nouvelles Politiques. 179
Tancréde , Tragédie en cinq Actes , par M. de
Voltaire. 214
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
Jue & vis-à-vis la Comédie Françoife .
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
NOVEMBRE . 1760 .
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine
Cochin
Silueinve
PapilionSculp
Chez
A PARIS ,
( CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis à vis la Comédie Françoife.
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE, rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier , Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
,
å
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer, francs
'de port , les paquets & lettres , pour remettre
, quant à la partie littéraire
M. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols pièce.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir, ou quiprendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
c'eft-à-dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes .
Les Libraires des provinces ou des pays
'étrangers qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci- deffus .
A ij
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit ,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en foit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
De la Place , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions, font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
NOVEMBRE . 1760.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
PROME THÉ E.
POEM E.
L'ORGUEILLEUX Prométhée , au fein d'une onde
pure ,
Contemploit , de fon corps , l'admirable ſtructure :
Quand , dans le noir accès d'un tranfport furieux ;
>Oui, dit-il , j'atteindrai la majefté des Dieux.
>>Le puiffant Jupiter , dont la grandeur fuprême ,
» Dans mon corps , trait par trait , fe peignit elle-
» même ;
Par un foible Mortel , aujourd'hui ſurpaſſé ,
A iij
6 MERCURE DE, FRANCE.
» Verra , dans l'Univers , fon pouvoir effacé.
Il dit : & fous les doigts , l'argile ramollie ,
Préfente , des humains , une image accomplie
Il admire fon oeuvre ; & plus prompt que l'éclair
Il s'élance déjà dans les plaines de l'air.
L'aftre brûlant du jour , parcourant la carrière ,
Verfoit , de toutes parts , les torrens de lumière ;
Quand le fils de Japet , fous la voûte des Cieux ,
Arrêta , de fon vol , l'éffor audacieux.
Dans le corps du Soleil maffe énorme & fluide ,
Dans ce vafte Océan de matière liquide ,
Dont les feux bouillonnans , à propos difpenfés ,
Hors du centre commun,font d'eux- mêmes élancés,
Une torche , au milieu de la flamme ondoyante ,
A l'inftant , dans fa main , ſe montre flamboyante
Il reprend fon éffor , dans le vague de l'air :
Yvre du fol espoir d'égaler Jupiter ,
Il a déjà revu fes figures humaines ;
Le feu vivifiant circule dans leurs veines :
De leur bouche on entend des fons articulés ,
Et leurs pieds affortis tracent des pas réglés.
Telle fut , des Mortels , la fameuse naiffance
Si ce qu'a dit la Fable eft digne de croyance.
Par le P. Boscus , Doctrinaire ,
Régent de Troifiéme au C. de B
NOVEMBRE. 1760.
ADIEU AUX MUSES.
EPITRE adreffée à M. BRUNET
à S. Cloud , par Madame GUIBERT ,
Auteur de L'HOMME HEUREUX , inféré
dans le Mercure d'Août dernier.
*
QUAN U AND loin d'une bruyante ville ,
Arifle , tu guidois mes pas ,
Dans ce féjour fi plein d'appas ,
Dont tu fais ton plus cher afyle,
Je me crus chez les Immortels ;
Et dans ma douce rêverie ,
Cueillant les fleurs de la prairie ,
J'en allois parer leurs Aurels.
Suis - je , difois -je , où régne Cythérée ?
Ce lit de fleurs , eft - il celui d'Anacréon ?
Eft- ce là le bocage , où Diane attirée
Par le plaifir d'y voir fon cher Endymion ,
L'aimoit , en étoit adorée?
Eft-ce l'Olympe enfin ? cette voûte azurée
Semble ne s'arrondir que pour fermer ces lieux ;
A quelle Déité dois- je adreffer mes voeux ?
Par une chimérique image ,
Mon ivreffe abufoit mes fens ;
Je n'étois qu'au féjour d'un Sage ,
*La Maifon de M. de V ***.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE
Et je n'y devois point d'encens
Philofophe dès le bel âge ,.
Toujours maître de tes defirs ,
Il n'eft pour toi que des Plaifirs .
Dans cette heureufe folitude ,
Au lever de l'Aurore une douce habitude ,
Te niéne rêver fur des fleurs.
D'un infecte volage admirant les couleurs ,
La Nature y fait ton étude.
C'eft dans ce féjour enchanteur ,
Ce Parnaffe chéri , qu'une Mule paifible
Vient careffer l'heureux Auteur ;
C'eft là que le Berger fenfible ,
Par de tendres char fons , peint fi bien ſon ardeur
Que 1 e pis- je , fans ceffe , étlayer fur ma lyre
Les fens que ta Mafe m infpire !
Mais , hélas envain , cher Mentor ,
Tu me dé ouvris ce tréfor
Qui fait le charne de la vie ,
Ce vrai bonheur , put être à l'abri de l'envie ,
Enfin l'art heureux de penfer ;
Je fens que je dois renoncer
A fuivre cette route épineufe & fleurie ,
Où cent monfires à terraffer ,
Etonnent mon foible génie.
Oui , dans ce périlleux chemin ,
Envain l'Auteur * de ce divin modéle
+ M. l'Abbé Manyenot , Auteur de l'Eglogue : Au
déclin d'un bean jour, une jeune Bergere , & .
NOVEMBRE. 1760 .
す
Que pouvoit avouer le tendre Fontenelle ,
Offre de me donner la main ,
Cher Arifte ; je fors d'une lice fi belle.
De ma timide voix entends les derniers fons.
Si j'euffe profité de tes fages leçons ,
Chaque jour t'offriroit une chanfon nouvelle ;
Mais quand du Roffignol j'imiterois le chant ,
Je dois , malgré la voix d'Apollon qui m'appelle ,
Aux foins de mon état immoler mon penchant.
VERS préfentés par Mademoiſelle D. B.
à M. fon Pére , au jour defa Fête.
AGRIEZ , z , avec ce Bouquet ,
Deux fentimens qui guident mon hommage ,
Et que toujours j'éprouve à votre aſpect.
Sans que j'en dife davantage ,
Mon cher Papa , vous devinez , je gage ,
Que c'eſt l'amour & le reſpect .
ODE.
SUR MARLY.
Or 01 ,
Créature
premiere ,
ΤΟΙ ,
Fille du Dieu de la Lumiere ,
Nature ! à quels raviflemens ,
A v
10 MERCURE DE FRANCE;
Dans Marly livres- tu nos fens !
Sur les plus beaux lits de verdure ,
On y voit ton fein décoré ,
Et foupirer dans fa parure
Pour plaire à LOUIS adoré.
Le Philofophe envain s'écrie ,
Contre la noble fymétrie ,
De la main des Arts triomphans :
Les Arts font tes plus beaux enfans
Ils ne gênent tes eaux brillantes ,
Et n'ont inventé les baffins
Que pour les rendre jailliffantes ,
Et pour mieux fervir tes deffeins.
C'est à ta voix que la Sculpture ,
S'uniffant à l'Architecture ,
Rendit en ces lieux féduifans ,
Le bronze & le marbre vivans.
Sous ces verds & rians portiques,
Où le cifeau fçut t'imiter ,
Epris des charmes poètiques ,
Tout m'enchaîne & fçait m'arrêter
De ce féjour plein de délices ,
Si je parcours les édifices
Le lieu par Noaille habité ,
M'offre un tableau d'humanité :
Des malheureux j'y vois le pere ,
Inquiet s'il ne fait du bien ;
NOVEMBRE. 1760. II
Et des Grâces j'y vois la Mere ,
Dont le coeur eft égal au fien.
C'est là qu'au printemps de l'année ;
1. Brillent du plus bel hyménée ,
Les flambeaux qu'alluma l'Amour.
Ils augmentent l'éclat du jour.
Le Ciel fatisfait les regarde ;
Et pour contempler ces époux ,
Phébus rallentit & retarde
Un cours qu'ils lui rendent fi dour.
Par M. BRUKER.
CARACTERE S.
L'AMBITION AMBITION eft un obftacle continuel au
bonheur des hommes , & cependant elle
eft de tous les états , de tous les âges . Geta
paroiffoit avoir le coeur excellent , il connoiffoit
l'humanité , il étoit citoyen ; &
c'eft faire fon éloge que de rappeller ce
qu'il fut envieux , calomniateur , avare ,
prodigue , diffimulé , & c. actuellement il
réunit tous les vices ; il eft capable de
tout .
Trébatius , concerte avec l'attention la
plus exacte fon gefte , fon regard & fes
difcours intérieurement plein d'amour-
A vj
10 MERCURE DE FRANCE;
Dans Marly livres- tu nos fens !
Sur les plus beaux lits de verdure ,
On y voit ton fein décoré ,
Et foupirer dans fa parure
Pour plaire à LOUIS adoré.
Le Philofophe envain s'écrie ,
Contre la noble fymétrie ,
De la main des Arts triomphans :
Les Arts font tes plus beaux enfans
Ils ne gênent tes eaux brillantes ,
Et n'ont inventé les baffins
Que pour les rendre jailliffantes
Et pour mieux fervir tes defleins .
C'est à ta voix que la Sculpture ,
S'uniffant à l'Architecture ,
Rendit en ces lieux féduifans
Le bronze & le marbre vivans.
Sous ces verds & rians portiques,
Où le cifeau fçut t'imiter ,
Épris des charmes poètiques ,
Tout m'enchaîne & fçait m'arrêter
De ce féjour plein de délices ,
Si je parcours les édifices ;
Le lieu par Noaille habité ,
M'offre un tableau d'humanité :
Des malheureux j'y vois le pere ,
Inquiet s'il ne fait du bien ;
NOVEMBRE. 1760 .. II
Et des Grâces j'y vois la Mere ,
Dont le coeur eft égal au fien.
C'est là qu'au printemps de l'année
Brillent du plus bel hyménée ,
Les flambeaux qu'alluma l'Amour.
Ils augmentent l'éclat du jour.
Le Ciel fatisfait les regarde ;
Et pour contempler ces époux ,
Phébus rallentit & retarde
Un cours qu'ils lui rendent ſi doux.
Par M. BRUKER.
CARACTERE S.
L'AMBI AMBITION eft un obftacle continuel au
bonheur des hommes , & cependant elle
eft de tous les états , de tous les âges. Geta
paroiffoit avoir le coeur excellent , il connoiffoit
l'humanité , il étoit citoyen ; &
c'eft faire fon éloge que de rappeller ce
qu'ilfut envieux , calomniateur , avare ,
prodigue , diffimulé , & c. actuellement il
réunit tous les vices ; il eft capable de
tout.
Trébatius , concerte avec l'attention la
plus exacte fon gefte , fon regard & fes
difcours intérieurement plein d'amour-
A vj
10 MERCURE DE FRANCE;.
Dans Marly livres- tu nos fens !
Sur les plus beaux lits de verdure ,
On y voit ton fein décoré ,
Et foupirer dans fa parure
Pour plaire à LOUIS adoré.
Le Philofophe envain s'écrie ,
Contre la noble fymétrie ,
De la main des Arts triomphans :
Les Arts font tes plus beaux enfans
Ils ne gênent tes eaux brillantes ,
Et n'ont inventé les baffins
Que pour les rendre jailliffantes ,
Et pour mieux fervir tes deffeins.
C'est à ta voix que la Sculpture ,
S'uniffant à l'Architecture ,
Rendit en ces lieux féduifans ,
Le bronze & le marbre vivans.
Sous ces verds & rians portiques,
Où le cifeau fçut t'imiter ,
Epris des charmes poètiques ,
Tout m'enchaîne & fçait m'arrêter.
De ce féjour plein de délices ,
Si je parcours les édifices ;
Le lieu par Noaille habité ,
M'offre un tableau d'humanité :
Des malheureux j'y vois le pere ,
Inquiet s'il ne fait du bien ;
NOVEMBRE. 1760 .. II
Et des Grâces j'y vois la Mere ,
Dont le coeur eft égal au fien.
C'est là qu'au printemps de l'année
1. Brillent du plus bel hyménée ,
Les flambeaux qu'alluma l'Amour.
ils augmentent l'éclat du jour.
Le Ciel fatisfait les regarde ;
Et pour contempler ces époux ,
Phébus rallentit & retarde
Un cours qu'ils lui rendent fi doux.
Par M. BRUKER.
CARACTERE S.
L'AMBITION eft un obftacle continuel au
bonheur des hommes , & cependant elle
eft de tous les états , de tous les âges. Geta
paroiffoit avoir le coeur excellent , il connoiffoit
l'humanité , il étoit citoyen ; &
c'eft faire fon éloge que de rappeller ce
qu'il fut envieux , calomniateur , avare ,
prodigue , diffimulé , & c. actuellement il
réunit tous les vices ; il eſt capable de
tout.
Trébatius , concerte avec l'attention la
plus exacte fon gefte , fon regard & fes
difcours intérieurement plein d'amour-
A vj
12 MER CURE DE FRANCE.
propre & de vanité , il n'agit que d'une
maniere infultante avec tout homme
dont il ne peut tirer aucun fervice ; au
contraire s'il rencontre quelqu'un capable
de lui procurer le moindre avantage , il
n'eft point de baffeffe qu'il n'emploie . Il
l'aborde d'un air empreffé , paroît s'intéreffer
à tout ce qui le touche , l'accable de
louanges , & lui fait offre de fervices , lorfqu'il
eft çertain d'être remercié . Trébatius
n'afpire point à cette noble fatisfaction
que l'on reffent après avoir obligé fon femblable
: il veut qu'on lui tienne compte
d'une bonne volonté , qu'il affecte en
toute occafion , fans l'avoir réellement .
Avez-vous quelque affaire auprès du Miniftre
? il vous offre fa protection : j'ai des
amis , dit-il ; & fouvent ils fe réduisent à
quelques valets , qu'il connoît à peine par
leur nom ; & qui cependant étoient les intimes
de fon Pere. Il n'a que ces mots
dans la bouche ; je fuis tout à vous. • • • je
fuis infiniment flatté de cet honneur.....
croyez- en ma fincérité..... Le chargezvous
d'une commiffion dont vous auriez
pa rougir ; rien ne lui coûte , rien né le
rebute. S'il vous apperçoit dans la place
publique , il fe fait gloire de groffir le
nombre de vos clients : il vous parle avec
emphale des victoires que vous avez rem
NOVEMBRE. 1760. 13
portées lorfque vous étiez à la tête des Armées
de la République ; loue votre modeftie
; & n'interrompt un fujet fi ftérile
pour vos véritables amis , que pour le récrier
fur l'Architecture de votre Palais
qu'il n'apperçoit pas encore entiérement.Il
entre .... La volubilité de fa voix fuffit à
peine pour vous peindre l'admiration qu'il
paroît reffentir à la vue de tout ce qui
vous appartient . Il s'arrête , il fe récrie ,
vous rapelle & vous fait reculer en paffant
dans une Galerie pour voir ce tableau ,
cette Statue dans fon véritable jour. Tout
eft felon lui d'un goût exquis. Ce tableau
vous repréfente , dit- il : eh ! qui ne vous
reconnoîtroit pas ? quel autre porte fur
fon vifage tant de magnanimité , tant de
candeur , tant de vertus ? Il falloit un
Peintre tel que *** pour les exprimer.
Je connois tous les ouvrages , pas un n'approche
de la vérité de celui- ci. Enfin il
ne vous quitte qu'à regret. Ce Palais enchanté
, l'homme divin qui l'habite , tout
le retient ; & intérieurement il eſt charmé
d'être débaraffé de votre préfence. Quel
abîme de diffimulation ! quel art ! ou plutôt
, quelle indignité ! quelle trahifon !
Ariftarque & Théonas coururent tous
deux la même carrière; un génie vafte conduit
par la plus faine Philofophie , un dif
44 MERCURE DE FRANCE.
cernement infaillible, un tact fûr, une confommation
décidée,fembloient préparer le
triomphe d'Ariftarque fur un rival né voluptueux
, dont la docilité la fineffe & la
légéreté faifoient le caractére : cependant
Théonas l'emporta. Il fut fe plier adroitement
, tirer parti de la vanité de ceux avec
qui il fe trouva & remporter quelqu'avantage
fur Ariftarque , qui en fut choqué &
fe retira. Fier du fuccès , Théonas changea
de conduite , fuivit les principes qu'il
avoit pris tant de foin de diffimuler ; il
éflaya de penfer , que dis-je , il parla : &
cet inftant fut celui de fa chûre.
Eft- ce Rufus , qui léve fi orgueilleufement
la tête ? Hier encore , hier , on
parloit de fon ayeul qui fut affranchi par
Tucca. Quel vent a pû le transporter
dans ces régions impénétrables au vulgaire
par leur élévation ? Je conviens qu'il
décide d'une étoffe , d'une dentelle , d'une
coëffure avec goût ; qu'il fait divifer
la porcelaine en fept claffes , & qu'il eft
impoffible de le tromper en toute espéce
de bijoux : il en a tant vûs ! mais j'ignore
qu'il ait pouffé plus loin fes découvertes.
Un imprudent lui demandoit il y a
quelque temps , s'il avoit voyagé dans
cette Province fangeufe où la République
porte fes armes , & quelles particularités
NOVEMBRE . 1766 .
il en connoiffoit . Rufus parla du vin qui
croft fur les bords d'un fleuve qui la traverfe
, le définit fort exactement & termina
en affurant qu'il étoit exquis , mais
indigefte. Si de pareilles connoiffances
fuffifent pour décider les matières les
plus graves , pour afpirer aux dignités ;
je ne connois pas de candidat qui y ait
plus de droit que Rufus.
Quel motif, dites-vous , engage Démophon
à le montrer depuis quelques
jours ? Aux jeux , au portique, au temple,
dans les places publiques , on le rencontre
partout. Pouvez - vous en ignorer la
caufe ? Démophon a obtenu une dignité
dont il porte la marque ; il est juste qu'il
reçoive pendant deux jours des complimens
fur ce qui lui a coûté deux ans de
foumiffion à acquérir.
Théobalde pouvoit tout attendre de
fon efprit & de fes lumières : il a méprifé
la brigue , & perfonne ne le connoiffoit.
Un homme en place en parla
avec éloge , tous ceux qui l'entouroient
répétérent ce qu'il avoit dit , & Théobalde
fut à la mode. Les expreffions les
plus fortes fuffifoient à peine pour peindre
fon mérite. Il parut , on trouva le
portrait au- deffus de l'original , & Théobalde
fut oublié. S'il avoit été annoncé
16 MERCURE DE FRANCE.
plus modeftement , il auroit réuffi .
Qui ne fe feroit perfuadé avec Scapin ,
qu'époufer une belle femme & fe fentir
une humeur pacifique , étoit le moyen de
plaire à tout le monde ? Qui ne fe feroit
trompé comme lui ?
Varus aime le mystère & l'affecte même
fur ce qui paroît de la plus petite
conféquence. Il ne donne jamais une réponſe
qui ne foit fufceptible d'interprétation
, encore faut il qu'il y foit forcé :
Souvent il garde le filence . Forme-t- il un
projet il craint d'être découvert . Si
quelqu'un lui parle d'une chofe qui ait
rapport à la réfolution qu'il a priſe , il
dit autrement qu'il ne penfe , & le feul
moyen de tirer la vérité de fa bouche eft
de croire le contraire de ce qu'il affûre .
Je devine la caufe d'une attention fi
vive à dérober fa conduite aux yeux de
tout le monde . Varus auroit trop à
rougir .
Souvent on promet plus que l'on ne
peut & que l'on ne veut tenir ; & c'eft
un moyen infaillible de fe faire haïr.
L *** apporta par le Coche de Normandie
un génie borné mais fouple ,
joint à une complaifance apparente qui
voiloit un grand fonds d'amour- propre ;
& tout le monde l'aima , tout le monde
NOVEMBRE. 1760 17
l'obligea auffi faut- il convenir que perfonne
ne feait mieux folliciter & remercier
; & il parvint . Un homme au- deflus
de lui fut le trouver , accompagné de
Varro fon ami , pour l'engager à faire
quelques démarches en fa faveur . L ***
s'offrit à faire plus , & promit d'être appuyé
par Varro qui étoit fon intime , &
dont la chofe dépendoit entierement. Il
alloit entamer une hiftoire pour prouver
leur liaison ; lorfque Varro lui affûra qu'il
n'avoit aucun crédit en pareil cas &
qu'il ne l'avoit jamais vû.
2
A Mile PUVIGNÉE , fur fa retraite de
l'Académie Royale de Mufique.
'ERROIS dans le facré vallon ,
Quand je vis la troupe choifie
Des enfans chéris d'Apollon ,
Former des jeux : les uns déployoient leur génie ,
Les autres leurs talens ; mon âme étoit ravie.
Une Nymphe parut , & chacun la fuivit :
Afon heureux retour le Permeffe applaudit.
Ses graces , fa décence , & furtout fa nobleſſe ,
Ses doux & tendres mouvemens ,
( Dont l'art imite envain la facile foupleffe )
Peignoient des paffions les divers fentimens ,
Leur donnoient à chacun , un nouveau caractére.
1
18 MERCURE DE FRANCE:
Fiere , timide , on conftante , ou légére ;
Là , ſenſible , elle émeut , & féduit tous les coeurs
D'un amour malheureux , appaife les rigueurs ;
Ici , jaloufe , ou bien févére
Elle fait craindre ou défefpére ;
Et conduit ainfi tour -à - tour ,
A la crainte , à l'éfpoir , & toujours à l'amour
Chaque trait eft une peinture .....
On vit fourire la Nature ,
Qui ſe reconnoiſſant , applaudiſſoit tout bas .
C'étoit , pour le Parnaffe une fête nouvelle ;
Tous les coeurs enchantés volent au- devant d'elle ,
Les grâces marchent fur les pas ;
La douce volupté ſe jette dans fes bras ;
Du Dieu du goût elle eft accompagnée.
Quoi ! c'est vous , m'écriai-je ? oui , je vous re
connois ,
Comment fe méprendre à ces traits ,
Inimitable Puvignée ?
Paris vous redemande ; écoutez fes regrets !
Votre danfe eft fi féduifante !
Faite pour enchanter les coeurs ,
Régnez fur eux , venez , rempliffez notre attente ,
De vos talens divins recueillez les honneurs.
Non , non , dit Apollon , reviens de ta ſurpriſe ;
Comme toi tout Paris a fait cette méprife.
Celle qu'ici tu vois , à qui pendant long temps
La France a prodigué fes applaudiffemens 2
NOVEMBRE. 1760 . 19
C'eſt Terpficore même ; oui , fous cette figure
Elle s'eft montrée aux Mortels ,
Pour faire diftinguer l'Art d'avec la Nature ;
Elle revient ici jouir de fes Autels.
Par un Abonné au Mercure
REPLIQUE d Madame D ** C ... fur ce
qu'on avoit fait une querelle à l'Auteur,
d'avoir fait des Vers pour elle.
UNPN Poëte , ou tel autre , a le droit de tout dire
Lorfque fon langage eft décent .
Sur ce , moi qui vous parle , & qu'on voudroit
profcrire ,
Je n'ai jamais rien dit que de très- innocent.
On fe fâche , on me tympanife ,
De ce que dans mes vers , par la fougue emporté à
J'ai célébré votre beauté.
Tant pis pour qui s'en fcandalife :
Je ne vois pas , en vérité ,
Pourquoi l'on blâme ma franchiſe.
Au fait , n'êtes-vous pas un compofé charmant ,
De l'amour le plus bel ouvrage ?
Oui fans doute, & pour qui réferver fon hommage,
Si vous louant ingénûment ,
Le reproche eft notre partage ?
18 MERCURE DE FRANCE.
Fiere , timide , on conftante , ou légére ;
Là , fenfible , elle émeut , & féduit tous les coeurs
D'un amour malheureux , appaife les rigueurs ;
Ici , jalouſe , ou bien ſévére
Elle fait craindre ou défefpére ;
Et conduit ainfi tour-à- tour ,
A la crainte , à l'éſpoir , & toujours à l'amour
Chaque trait eft une peinture.....
On vit fourire la Nature ,
Qui fe reconnoiffant , applaudiffoit tout bas.
C'étoit , pour le Parnaffe une fête nouvelle ;
Tous les coeurs enchantés volent au- devant d'elle ,
Les grâces marchent fur les pas ;
La douce volupté fe jette dans fes bras ;
Du Dieu du goût elle eft accompagnée.
Quoi ! c'est vous , m'écriai-je ? oui , je vous re
connois ,
Comment fe méprendre à ces traits ,
Inimitable Puvignée ?
Paris vous redemande ; écoutez fes regrets !
Votre danfe eft fi féduifante !
Faite pour enchanter les coeurs ,
Régnez fur eux , venez , rempliffez notre attente ,
De vos talens divins recueillez les honneurs.
Non , non , dit Apollon , reviens de ta furpriſe ;
Comme toi tout Paris a fait cette méprife.
Celle qu'ici tu vois , à qui pendant long temps
La France a prodigué fes applaudiffemens ,
NOVEMBRE. 1760. 19
C'eſt Terpficore même ; oui , fous cette figure
Elle s'eft montrée aux Mortels ,
Pour faire diftinguer l'Art d'avec la Nature ;
Elle revient ici jouir de ſes Autels.
Par un Abonné au Mercure
REPLIQUE d Madame D ** C ... fur ce
qu'on avoit fait une querelle à l'Auteur ,
d'avoir fait des Vers pour elle.
UN Poëte , ou tel autre , a le droit de tout dire
Lorfque fon langage eft décent.
-
Sur ce , moi qui vous parle , & qu'on voudroit
profcrire
Je n'ai jamais rien dit que de très-innocent.
On fe fâche , on me tympanife ,
De ce que dans mes vers , par la fougue emporté è
J'ai célébré votre beauté .
Tant pis pour qui s'en fcandalife :
Je ne vois pas , en vérité ,
Pourquoi l'on blâme ma franchife.
Au fait , n'êtes- vous pas un compofé charmant ,
De l'amour le plus bel ouvrage ?
Oui fans doute, & pour qui réferver fon hommage,
Si vous louant ingénûment ,
Le reproche eft notre partage ?
20 MERCURE DE FRANCE.
Voyez, Philis , le ton que vous auriez ,
Si vous condamniez notre zéle ;
Oui , je l'ai dit , vous êtes belle ,
Vous devriez avoir l'Univers à vos pieds ,
Vous meritez qu'on vous adore.
Hé bien , dans cet aveu que tout doit confirmer ,
Et qu'exprès je répéte encore ,
Qu'ofe-t-on trouver à blâmer ?
Et pourquoi me taxer d'un orgueil téméraire ,
D'une indifcrétion condamnable en effet ?
N'eft- ce pas le tribut ou public ou fecret ,
Que l'on doit rendre à qui fait plaire ?
Si mes organes fourds & privés d'action ,
Ne fentoient point l'impreffion
D'un objet tel que vous, qui plaît, féduit, enchante,
Mon exiſtence languiffante ,
Seroit un éternel fommeil ;
Je n'aurois ni plaifirs , ni fentimens , ni peine ;
Je voudrois qu'une mort certaine ,
Pût me rapprocher du réveil:
Mais dieu merci , Philis , je fais tout ce qui fatte
Je lens , je réfléchis , & je raiſonne un peu ;
Et bien loin d'être un automate ,
Votre afpect , dans mes fens , allume un nouveau
feu.
Quand je vois un tableau dé le Brun , du Corrége,
Ou quelque Groupe ingénieux ;
N'ai- je donc pas le privilége ,
NOVEMBRE. 1760. 2x
D'admirer, de louer , l'ouvrage précieux
Qui ravit tous mes fens en plaifant à mes yeux ?
Quand je vous vois , même langage :
Je dis , Dieux ! quel objer , quel plus rare affemblage
D'efprit , de talent , de beauté !
Que la Nature eft grande , & qu'elle a de bonté
De former pour nos yeux , un fi parfait ouvrage !
Ainſi , mon crime feul , c'eſt donc de trop fentir ,
D'avoir la faculté d'admirer , de connoître ,
D'exprimer bonnement , & fans y réfléchir ,
Un goût que la Nature en mon fein a fait naître.
Si lorfque , dans mes Vers , j'ai chanté vos attraits,
J'avois dit , c'eſt pour moi que l'Amour les a faits
Je les mérite enfin ; mon eſprit , ma jeuneſſe ,
Mon coeur , furtout mon coeur , qu'anime la tene
dreffe ,
Tout cela doit me faire aimer :
Mais , non , je ne tiens point un langage femblable
;
Je fçais que je n'ai point tout ce qu'il faut d'aimable
,
Pour avoir droit de vous charmer ;
Moi qui , loin du grand monde où l'on me voit
paroître ,
Vis dans la médiocrité ;
Moi qui , fi l'on m'aimoit , ne pourrois jamais être
L'amant qu'on a par vanité ;
22 MERCURE DE FRANCE .
Moi qui , fans pofféder la fublime ſcience
Des Maîtres fameux de notre Art ,
Penſe à mon gré , rime au hazard ,
Et dont l'efprit furtout fuit toute dépendance ;
Moi qui , fi par bonheur , j'infpirois de l'amour ,
Serois trop délicat , trop fenfible , trop tendre ;
Moi qui , plein de candeur , & peu fait au détour
Peut- être , malgré moi , donnerois à comprendre
Quel eft l'objet charmant , d'où mon fort doit
dépendre ;
Moi qui voudrois à chaque inftant du jour ,
Le voir , lui parler & l'entendre ;
Moi qui , fi je pouvois jamais vous enflammer ,
Sentirois tout le prix d'une ardeur auffi belle ,
Ne vivrois , que pour vous aimer ,
Dont la conſtance enfin deviendroit éternelle ;
Moi qui !... mais c'en eft trop;je crois avoir montré
Philis , que l'on m'a fait une injufte querelle.
Ces Cenfeurs , qui toujours jugent tout à leur gré,
Iront peut-être encor condamner ma replique :
Oh mafoi , fi plus loin ils portent leur critique ,
Pour le coup ils s'arrangeront.
Bien loin que je les défabule ;
Je n'irai plus , pour eux , fabriquer une excufe :
Ils en croiront ce qu'ils voudront.
D ... Abonné
au Mercure
NOVEMBRE. 1760. 23
LETTRE fur les rimes croifées dans
les Vers Alexandrins , & fur l'unité
de lieu .
Vo
Ou s vous rappellez peut- être , Monfieur
, les converfations que nous avons
eues enfemble fur la Poëfie & fur notre
Verfification. Nous avons été contens de
nos petits vers , dans les Sujets légers ou
délicats. Nous avons trouvé qu'ils flattent
l'oreille lorfqu'ils font tous de même mefure
; & que , quand ils font mêlangés avec
goût , ils prêtent à des chûtes heureuſes
& font une agréable variété. Nos vers
hendécafyllabes , ne nous ont rien laiffé
à defirer dans la Fontaine , dans quelques
Epîtres de Rouffeau & dans le Poëme de
la Pucelle.
Nous n'avons pas été fatisfaits de même
de nos Vers Alexandrins. Comme
nous n'avons prèfque point de quantité ,
ils font
pour l'ordinaire de peſans fpondaïques.
Ils font toujours coupés en deux
parties égales monotonie fatigante.
Chaque vers rime avec celui dont il eft
fuivi ennuyeuſe uniformité. Souvent même
vous devinez par là un vers entier ,
34 MERCURE DE FRANCE.
dès que vous en avez entendu les premiers
mots ainfi vous perdez le plaifir
de la furpriſe ; plaifir dont les Romains
connoiffoient fi bien le prix , qu'ils terminoient
ordinairement leurs phrâfes par
le mot principal, par celui qui déterminoit
le fens.
Il y avoit un moyen de remédier à ce
dernier défaut. C'eſt celui que M. de Voltaire
vient d'employer dans fa Tragédie
de Tancrède , qu'il a écrite en rimes croifées
. Nous n'avions auparavant qu'une
feule combinaiſon pour les rimes dans
les grands vers , & nous en avons fix .
Vous fçavez les éfforts que M. de Voltaire
a faits de tout tems , pour élargir le
cercle trop étroit où les Poëtes fe trouvoient
renfermés. Ainfi ce nouvel éffai
de fa part , ne vous furprendra pas. Mais
ce qui aura droit de vous étonner , c'eſt
qu'il fe trouve des Gens qui veulent s'élever
contre cette heureuſe tentative. Vous
n'ignorez pas leur argument ordinaire :
On s'eft contenté fi long- tems de rimes
plates ; donc on doit s'en contenter toujours
: donc qui nous offre des rimes croi-
Jées a tort. Vous voyez bien quels font
ces raifonnemens. Ce font ces mêmes
Gens qui fe révoltent contre les inventeurs
dans tous les genres , qui n'ont d'autre
NOVEMBRE. 1760. L
25
tre occupation que de couper les aîles du
génie , & qui , du même ton dont ils déclament
contre le Poëte qui ofe , crient
contre le Philofophe qui découvre une
vérité inconnue à leur grand - mére .
Il est bien fingulier , que dans un fiécle
plus fécond qu'aucun autre en hommes
qui ont penfé , & qui ont dû apprendre
aux autres à penfer , il s'en trouve encore
qui refufent de pofféder les richeffes qu'on
leur offre , précisément parce qu'ils n'en
jouiffoient pas avant qu'on les leur offrit :
des vérités utiles , mais nouvellement apperçues
; des perfections dans les Arts ,
mais nouvellement trouvées ! De telles
Gens , s'ils étoient nés aveugles , ne voudroient
point qu'on leur fît l'opération
de la cataracte , parce qu'ils auroient bien
vécu jufqu'alors fans voir le Soleil.
Eft-il rien en effet de plus antiphilofophique
, que de s'élever contre des nouveautés
, feulement parce qu'elles font des
nouveautés ? Examinez d'abord. S'il s'agit
de matière Philofophique , cette nouveauté
eft- elle vraie embraffez la. S'il
s'agit de Littérature , cette nouveauté
eft- elle agréable ? applaudiffez , encouragez
l'Auteur à ofer davantage . Mais je
parle à des fourds , qui ne m'entendront
jamais. Cela eft nouveau , donc il faut re-
B
26 MERCURE DE FRANCE.
jetter cela. Je n'en tirerai pas davan
tage.
>
Je me fuis beaucoup mieux exprimé
que je ne croyois d'abord , Monfieur
quand j'ai dit que je parlois à des fourds.
Oui , ce font des fourds & des aveugles
que ces hommes à préjugés : le préjugé
ôte aux fens leur action . Il y a des perfonnes
qui veulent prendre un ton dans le
monde , & qui font affez dignes d'y réuffir
, à qui vous foutiendriez en vain que
la neige eft blanche , fi leur nourrice leur
avoit appris qu'elle eft noire.
Vous ne trouverez nulle-part davantage
cette opiniâtreté que dans les beaux
efprits. Il n'y a perfonne qui penfe avec
moins de profondeur. Jamais la vérité la
plus évidente ne les perfuadera ; elle ne
fera pour eux que la matiére d'un bon
mot , d'une fauffe plaifanterie.
Ils ne pourront du moins l'emporter
fur le témoignage de notre oreille , qui
fera flattée agréablement par le mêlange
des rimes. Nous ne trouverons plus cette
monotonie qui nous fatiguoit.
Je m'étois plaint d'une autre caufe d'en
nui , au commencement de cette lettre :
c'eſt la coupure de nos grands vers en
deux parties égales. A ce mal , il n'y a
point de reméde ; il faudra toujours que
NOVEMBRE 1760. 27
fi
nous ayons une céfure à la fixiéme fyllabe.
Mais peut -être ce mal n'eft il pas
grand que je le faifois d'abord ; car j'ai
déja remarqué , il y a long - tems , qu'outre
cette céfure il s'en trouve d'autres dans
nos vers , en forte qu'au lieu d'être coupé ,
en deux parries égales , ils le font quelquefois
en trois inégales . Cela eſt aiſé à
appercevoir , quand on lit les vers comme
on doit les lire. Je vais vous en tranfcrire
quelques- uns , & vous marquer d'un
trait les différentes céfures que j'y trouve.
Quedis-je ? où font ces tems, | où font ces jours
profpéres ,
Oùj'ai vu les François malfacrés par leurs fréres ?
C'étoit vous, Prêtres faints, qui conduifiez leurs
bras.
|
Coligny par vous ſeuls | a reçu le trépas,
J'ai nagé dans le fang : que le fang coule encore .
Montrez-vous : infpirez ce peuple qui m'adore .
Henriade.
Quelle variété ! Combien tous ces vers
fonnent différemment à l'oreille ! Le premier
eft coupé en trois parties toutes inégales.
Le troifiéme auffi en trois parties ,
dont la feconde eft égale à la premiere ,
& la troifiéme différente des deux autres.
Le fecond vers & le cinquième , ne
font pas d'une même efpéce dans tous
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
deux la céfure eft feulement à la fixiéme
fyllabe ; mais cependant au fecond la céfure
fe fait à peine fentir dans la déclamation
, & l'on ne doit s'y arrêter qu'infenfiblement
, enforte que le vers entier
paroiffe prononcé de fuite & d'une haleine
:
Où j'ai vû les François maffacrés par leurs fre
res,
Et au cinquième , la céfure eft tranchante
& l'on s'y arrête long- tems : ainſi
ce vers doit fe prononcer comme deux
vers de fix fyllabes :
J'ai nagé dans le fang :
Que le fang coule encore.
Le dernier vers eft encore d'une efpéce
différente de tous les autres : car , après
s'être arrêté à la premiere céfure que j'ai
marquée enfuite de la troifiéme fyllabe ,
on doit prononcer le refte du vers fans
s'interrompre , ou , s'il y a encore un repos
à obferver , ce fera après le mot peuple
:
Montrez-vous.... infpirez ce peuple.... qui m'adore
.
Mais c'eft pouffer trop loin ces réfléxions
de grammaire-poetique. Je crois cepenNOVEMBRE.
1760. 29
dant qu'elles font neuves , & qu'elles ne
font pas tout-à-fait inutiles . Je penfe bien
que ces différentes coupures de vers ,fe font
offertes d'elles - mêmes au Poëte dans l'a
chaleur de la compofition ; mais il n'en
eft pas moins vrai , qu'on pourroit auffi les
chercher quelquefois pour la variété &
pour repofer l'oreille. C'eft un agrément
que Corneille ne connoiffoit point.
Revenons à notre ſujet . Voilà donc une
nouveauté introduite dans nos vers Aléxandrins
: les rimes croifées . Je crois qu'on
pourroit encore ofer davantage. Qui empêcheroit
qu'on ne changeât la mefure
des vers dans les récits vifs , dans certains
monologues , dans les morceaux où les
paffions font véhémentes ? Il femble que
dans bien des endroits , les vers mêlés conviendroient
mieux que les grands & lourds
Alexandrins . Un Poëte qui a du goût, fauroit
quand il faudroit changer la meſure
des vers , & quelle mefure il faudroit choifir
; & là- deffus , comme fur prèfque tout ,
on ne donneroit jamais de régles qui në
fuffent des fottifes .
Cette variété ne feroit une chofe nouvelle
que pour les Modernes , car les Grecs ni
les Romains , ne fe font jamais affujettis
à une même meſure dans leurs ouvrages
dramatiques.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Tout le monde convient qu'il n'y a
point de Langue moins poëtique que la
nôtre , & que notre verfification eft la
plus ingrate de toutes. Qu'on ne vienne
donc pas nous empêcher d'en tirer le meil
leur parti qu'il eft poffible.
Mais ce n'eft pas feulement dans la verfification
que fe trouvent les nouveautés
introduites par M. de Voltaire dans fon
Tancrède : il y a auffi un changement de
décoration , qui fait crier les frondeurs
littéraires. Examinons s'il y a quelque régle
violée dans ce changement de décoration
, & fi cette violation de régle eft un
attentat poëtique.
Ariftote , qui n'a jamais fait un vers , a
donné des loix aux Poëtes , & j'ai cherché
ce qu'il difoit fur l'unité de lieu. Je viens
de relire prèfque toute fa Poëtique , & je
n'ai point trouvé ce que je cherchois . Je
croyois avoir mal lu , & qu'il avoit certainement
recommandé cette vérité. J'ai
ouvert le difcours de P. Corneille fur ce
fujet , & voici ce que j'y ai lu : Quant à
l'unité de lieu , je n'en trouve aucun précepte
dans Ariftote , ni dans Horace.
Puifque ces deux Anciens fe font tus ,
jugeons M. de Voltaire fur les préceptes
& fur l'exemple du Grand Corneille . Le
fentiment d'un Poëte , & d'un très -grand
NOVEMBRE. 1760. 31
Poëte , fera ici d'un bien autre poids que
celui du Logicien.
Souvenez vous que toute la violation
de M. de Voltaire confifte à avoir placé la
Scène aux deux premiers Actes , dans une
Salle à Syracufe , & aux trois autres
dans une Place publique de la même Ville.
Ecoutons à préſent Corneille.
D'abord, il fouhaiteroit que toute l'action
d'un drame , fe paffat dans un même
lieu nous le fouhaiterions avec lui ;
rien n'eft plus aifé que les fouhaits . Mais
il ajouté Souvent cela eft fi malaife ,
pour ne pas dire , impoffible , qu'ilfaut de
néceffité trouver quelqu'elargiffement pour
le lieu comme pour le tems ...... J'accorde
rois très volontiers que ce qu'on feroit paffer
en une feule Ville , auroit l'unité de
lieu. Ce n'eft pas que je vouluffe que le
Theatre repréfentât cette Ville toute entiére
, cela feroit un peu trop vafte ; mais
feulement deux ou trois lieux particuliers ,
enfermé dans l'enclos de fes murailles .
( Difcours des trois unités . )
Eh bien ? M. de Voltaire a - t-il gagné
au tribunal de Corneille ? Mais confidérons
la pratique de celui - ci . Dans Cinna,
une partie de la Piéce ſe paſſe dans le Palais
d' Augufte , & une partie dans la maifon
d'Emilie. "Dans Rodogune , la Scène
B iiij
32
MERCURE DE FRANCE.
eft au premier Acte dans l'antichambre de
Rodogune , au fecond dans la chambre de
Cléopâtre , au troifiéme dans celle de Rodogune
; elle varie plufieurs fois au quatriéme
Acte ; & au cinquième elle eft dans
une Salle d'audience. Une partie du Menteur
fe paffe aux Thuilleries , & l'autre à
la Place Royale . Corneille n'a pas été plus
fcrupuleux dans la plupart de fes autres
Piéces. M. de Voltaire a - t il pris de telles
libertés I en a pris beaucoup moins ;
mais , par fon changement de décoration ,
il a averti le Public de ce qu'il s'eft permis
; au lieu que Corneille a femblé vouloir
le féduire en confervant la même décoration
, lorfque le lieu n'étoit plus le
même. Deux hommes tentent une entreprife
difficile : tous deux échouent ; mais
l'un d'eux veut infinuer qu'il a réuffi . Lequel
condamnerez-vous ?
Tant qu'on voudra s'aftreindre à une
obfervation exacte & fcrupuleule de la
régle des unités , on trouvera nombre de
beaux fujets impraticables.
L'unité d'action femble la plus néceffaire
cependant Corneille & Racine s'en
font fouvent écartés : car que font ces épifodes
fi fréquens dans Racine & affez fré
quens dans Corneille , finon une feconde
action ?
NOVEMBRE 1760. 33
Corneille a demandé grace pour ceux
qui étendroient l'unité de tems à trente
heures. Ce grand homme connoiffoit les
difficultés de l'art .
La feule unité de lieu , fera-t- elle plus
privilégiée que les autres ?
Mais , dit - on , eft - il vraiſemblable que
je fuive les Acteurs d'un lieu à un autre ,
tandis que je refte immobile dans le Parterre
?
- Mais , Cenfeur , eft il vraisemblable
qu'un Prince communique devant vous
à fon Confident , fes fecrets les plus cachés
? Eft- il vraisemblable qu'un Héros
prononce un long monologue , où il parle
tout feul au milieu de deux mille perfonnes
? Eft- il vraisemblable qu'une Princeffe
expirante, ait un teint de rofes ? Eft - il vraifemblable
qu'un Héros fe poignarde ,fans
verler une goutte de fang : Eft-il vraifemblable
qu'un Sénat parle , en vers ? Eft il
vraisemblable ? ... Je ne finirois pas.
Ou prêtez- vous à l'illufion , ou qu'on ne
faffe plus de Tragédies.
Poëtes Anglois , quelles beautés n'avez
-vous pas qui nous font inconnues ?
Mais vous êtes des hommes libres , & nous
marchons chargés de fers .
Ou l'on allégera ces fers , ou il faut
Hous en tenir aux richeffes que nous pof
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
fédons. Il n'eft point de mine inépuisable ;
il n'eft point de genre qui n'ait fes limites .
Ou banniffons les hommes de génie , ou
permettons au génie d'être audacieux .
Je ne ferois point choqué qu'on me
donnât un drame fait avec goût & avec
génie , mais dont l'Auteur auroit peu penſé
aux régles . J'écouterois avec attention ;
je me laifferois entraîner aux mouvemens
qui me feroient infpirés ; & fi j'étois ou
amufé ou touché , j'applaudirois . S'il me
faifoit plus d'impreffion qu'Athalie , je
dirois qu'il eft moins exact , qu'il eft plus
imparfait ; que je l'eftime moins , mais
que je l'aime davantage. Souvent ce ne
font pas les beautés régulières qui plaifent
le plus..
Infectes du Parnaffe , qui ne voulez pas
que l'on vole , parce que vous êtes obligés
de ramper; quand nous permettrezvous
d'avoir un plaifir bien flatteur pour .
une âme qui aime à être émue ? Savezvous
, Monfieur , quel eft ce plaifir que
je defire tant ? C'eft de voir repréſenter
fur notre Théâtre , avec les feuls agrémens
qu'exige la bienféance , ou plutôt l'exceffive
délicateffe de notre Nation , la piéce
Angloife du Marchand de Londres. Vous
verriez frémir & fondre en larmes les Loges
& le Parterre jamais vous n'auriez
NOVEMBRE . 1760. 35
été témoins d'un tel fpectacle. Barnewelt
plein de vertus & devenu par une paffion
malheureuſe le plus criminel , le plus affreux
des hommes , mais toujours agité
de remords & condamné enfin au dernier
fupplice : quel Héros plus touchant ! C'eſt
une Piéce faite pour le genre humain
parce que le fond du coeur eft partout le
même. C'eſt une Piéce faite furtout pour
les coeurs bien placés , parce qu'ils font
plus expofés que les autres à une paffion
aimable , mais qui peut devenir bien funefte.
Si Shakespeare étoit né en France au dixhuitiéme
fiécle , il auroit été , fans doute ,
plus régulier ; mais ou il auroit bravé bien
des gens , ou il n'auroit pas ces grands
traits de génie que nous admirons . Il faut
fouvent braver les efprits pufillanimes.
Ils meurent , & l'ouvrage qu'ils ont condamné
refte.
Je fuis , Monfieur , &c.
L'ABBÉ LEVESQUE,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
L
A LA MEMOIRE DE MON AMI.
*
Es grâces , le fçavoir , le goût & le génie
La douce & flatteufe harmonie ,
Furent des doctes foeurs , le célefte préfent
Que Blamont reçut en naiſlant.
L'amour l'anima de fa flâme ,
La fidelle amitié s'envola dans fon âme ;
Leurs charmes réunis , comblerent fes defirs.
Il cultiva les arts & les plaiſirs ;
Le fentiment forma fon caractère ,
Et qui le cónnur , le chérit.
Sous quelqueforme qu'il s'offrêt ,
Il étoit affuré de plaire.
Rempli des traits étincelans
Du feu que ravit Prométhée
Par le mêlange des talens ,
Il fut un aimable Prothée.
"
?
Les mêmes fleurs , enfin, qui couvroient fon berceau,
Croiffoient encore autour de fon tombeau.
* Feu M, Colin de Blament , Surintendant de la. Mu
fique du Roi,
Par M. TAN EF OT,
NOVEMBRE. 1760. 37
VERS à Mlle CLAIRON , jouant le
Rôle d'AMÉNAÏDE
de TANCRÉDE.
dans la Tragédie
Au milieu de ce cri flatteur , U
Qui retentit en ton honneur >
Clairon , oferai- je prétendre,
Que jufqu'à toi ma voix ſe faſſe entendre
Telle qu'une Divinité ,
Fiere & touchante Aménaïde ,
Oui , je te vois , oui mon coeur tranſporté ,
Efclave du tien , qui le guide,
S'irrite , eft appaifé , fe confole , gémit ,
Tremble , s'allarme , eſpére , craint, frémit.
O moment précieux , lorsque l'active joie ,
Sur ton front éclairci par degré le déploie !
Tes douleurs , tes plaifirs , ta vive émotion ,
Paroiffent enfantés par la Nature même.
Quoi ! tant d'amour n'eſt qu'une fiction ,
Quand chaque (pectateur dit : c'eſt ainfi que j'aime!
Quand trop épris d'un art , que je crois paffion
Quand rival jaloux de Tancréde ,
Je voudrois te caufer la même impreſſion !
Talent fublime à qui tout céde !
Je le fens , je l'admire , & ne le peindrai pas.
Relâche- toi , Clairon , du droit d'être ſévère ;
Lis mes Vers : de tes yeux fi doux,fi pleins d'appas,
Qu'ils paffentpar ta bouche , &je fuis für de plaire
ParM. GUICHARD,
8 MERCURE DE FRANCE
BOUQUET.
POUR OUR offrir un bouquet , à l'aimable Silvie
Digne de fes attraits , digne dé mon ardeur
Flore à chercher chez toi je pafferois ma vie ;
De tes riches tréfors qu'emporter une fleur.
Non , me difois -je , il faut que l'Amour même
Daigne préparer mon encens :
Il fçait combien font dûs les feux que je reſſens ,
Puifqu'il forma l'objet que j'aime.
J'eus donc recours à lui ; je peignis vos appas ,
Mes fentimens pour vous , enfin mon embarras.
Encor fi je croyois , lui dis- je , pour hommage ,
Qu'elle pût accepter un coeur tendre , conftant ,
Dont le feu vif & pur n'admet aucun partage ? ...
Oui , dit l'Amour , un coeur eſt un rare préfent-
Pour qui voit l'Univers fubir fon eſclavage !
J'ai jufé , dites-vous , de n'être point volage.
Eh ! qui connoît Silvie , & n'en dit pas autant.
Par T. P.
NOVEMBRE. 1760 . 39
FANN Y.
Nouvelle Angloife .
FANNY entroit dans ſa quinziéme année
, cet âge où les femmes commencent
à s'appercevoir qu'elles font jolies , & à
croire que l'art de plaire eft le premier
de tous. Le pere de cette jeune perfonne
jouiffoit d'une fortune brillante ; il eft
vrai qu'il l'a devoit à des Emplois diftingués
qu'il poffédoit à la Cour. Sa mort
imprévue plongea fa veuve & fa fille dans
une fituation bornée , qui approchoit de
Findigence. Elles trouverent de vrais.
amis , qui leur épargnerent cette humiliation
, la compagne de tout ce qui porte
le caractère de l'infortune. Elles confervérent
donc cette confidération , que
l'on accorde à l'extérieur de l'aifance.
Fanny ne vouloit pas fe dire , que cer
éclat qui les environnoit , dépendoit du
caprice d'autrui , qu'un inftant pouvoit
voir cet enchantement s'évanouir fous la
baguette de quelque Génie ennemi : elle
avoit d'autres yeux que ceux de la raiſon.
Les agrémens de l'efprit étoient venus ſe
40 MERCURE DE FRANCE
joindre aux charmes de la figure ; c'en
étoit affez pour que Fanny s'abusât encore
plus , que de compter fur la bienfaifance
des perfonnes qui les obligeoient.
La perfpective la plus riante lui offroit
fans ceffe un mariage confidérable , qui
l'éléveroit au faîte de l'opulence & des
grandeurs ; en un mot , elle ne voyoit
que fa beauté. Sa mére , qui ne fe trompoit
point fur les déffauts de fa fille ,
avoit déja faifi ce goût de coquetterie
qui la dominoit. Elle lui donnoit de fages
confeils , & y ajoûtoit ces larmes
maternelles , plus touchantes que tous
les difcours ; ces pleurs gliffoient fur le
coeur de Fanny : où la mére appercevoit
des fautes , des périls évidens , la fille
n'enviſageoit que les agrémens du monde
, un art innocent de plaire , qui répand
des fleurs fur l'efprit de fociété ,
qui ne forme que des chaînes légères , &
prête de nouvelles grâces à la beauté.
Fanny étoit une des Toftes ( a ) les plus
à la mode. Les Beaux (b) , les plus en
réputation , affiftoient à fon the. Dans
(a ) C'eft la Coutume en Angleterre de boire
à la fanté du Roi , des Princes , des plus jolies
Femmes on appelle ces fantés des Toftes.
(b) Les Beaux , c'eft le titre qu'on donne aur
Petits-Maitres de l'Angleterre.
NOVEMBRE . 1760 . 47
le nombre , fe faifoit remarquer Dygby ,
un jeune Baronet , qui venoit d'entrer en
poffeffion de fes titres & de fes biens. Ses
attentions marquées pour Fanny , lui
firent croire qu'elle pouvoit regarder cet
Amant comme prêt à devenir fon mari ;
elle fouffrit donc les affiduités de Dygby ;
enfin il fe déclara , il parla : mais quel
coup de foudre , pour la vanité de fa
maîtreffe ! Le Baronet ne s'étoit expliqué
que comme un homme à bonnes fortunes ,
qui étoit bien éloigné de vouloir devoir
fon bonheur au mariage .
>
Sa propofition fut rejettée avec autant
d'indignation , que de mépris. Dygby
favant déja dans le talent de féduire ,
ne fut point déconcerté ; il fe jetta aux
pieds de Fanny , s'excufa fur l'excès de
fa paffion. Fanny eut la foibleffe de lai
pardonner , comptant toujours que fes
charmes détermineroient Dygby ; peutêtre
l'amour avoit- il fait , dans le coeur
de cette malheureufe fille autant de
progrès , que cet orgueil qui l'aveugloit.
Le féducteur,décidé à la pofféder fous le
titre honteux de maîtreffe , ou à ceffer de
la voir, s'il ne pouvoit en triompher à ce
prix , prétexta un voyage de quelques
jours ; & en prenant congé de Fanny , il
lui laiffa une lettre entre les mains . Cette
"
42 MERCURE DE FRANCE.
lettre mettoit le comble aux procédés
infolens du Baronet ; il y parloit le même
langage qu'il avoit employé dans fon
premier aveu à Fanny. Elle fut bientôt
déterminée fur le parti qu'elle avoit
à prendre ; elle donna ordre que la porte
fût fermée à Dygby : mais la vanité ne
voulut rien perdre de fon triomphe
elle montra cette lettre aux femmes de
fa connoiffance ; elle expofa , pour ainfi
dire , en plein cercle fon tentateur pieds
& mains liés enchaîné à fon char : elle
regardoit cet acte d'indifcrétion comme
un témoignage irréprochable de fa
vertu , & un reproche impofant à quiconque
auroit la témérité de blâmer la
légéreté de fa conduite . Quelques jours
après cette avanture , Fanny affifta à la
repréfentation d'une nouvelle Piéce , au
Théâtre de Drury Lane. L'Affemblée
étoit nombreufe . Bentley , jeune homme
, fils d'un Négociant extrêmement riche
, & qui , lui même , étoit déja maître
de quelque bien , voit Fanny , eft frappé
de l'éclat de fa beauté , & en devient
éperduement amoureux. On fçait que les
grandes paffions ont fouvent été l'ouvrage
d'un feul inftant .
L'efpérance , autant que la curiofité ,
fait demander à Bentley qui peut être la
NOVEMBRE. 1760. 43
fouveraine de fon coeur ; car Fanny l'étoit
déja. Ce qu'il en apprend , lui fait
craindre d'être féduit en faveur d'une
femme qui n'eſt pas digne d'un attachement
férieux. Elle eft dépeinte à fes yeux
comme une adroite coquette , qui n'eft
jalouſe que d'exciter des paffions , & cependant
qui ne favorife aucun de fes
Amans. Mais l'amour parloit , il eſt ſeul
écouté de Bentley ; il prend le parti d'écrire
à la mére de la jeune Miff; il détailloit
dans cette lettre l'état dont il jouiffoit
, les efpérances d'une fortune beaucoup
plus confidérable , & il demandoit
en grace d'être admis au nombre des heureux
qui faifoient leur cour à Fanny, dans
l'intention de lui offrir leur main. La
mére , après quelques informations , trouva
que Bentley avoit dit la vérité ; elle
permit donc qu'il vînt lui rendre vifite . Il
vola à l'invitation . Cette Dame ,feule ,l'attendoit
; elle lui apprit , avec une noble
franchife , que fa fille avoit de fon côté
peu de bien à eſpérer . Elle ajoûta , que
pour lui qui dépendoit de la volonté d'un
pére , il s'engageroit dans une démarche
des plus imprudentes , de nourrir une
paffion fans l'aveu de fes parens ; qu'enfin
il ne devoit reparoître à fes yeux , qu'appuyé
du confentement de fon pére . Bent
44 MERCURE DE FRANCE.
2
ley étoit embarraffé dans fa réponse ;
Fanny entra : le nouvel Amant lui plut .
Sa perfonne , fon ajuſtement , fa timidité
réuffirent ; ils furent contens l'un de l'autre.
La converfation , l'amour , le fentiment
réciproque fe fortifia ; les vifites furent
répétées , malgré la fage précaution
de la mére. Chaque moment ajoûtoit à
la vivacité de l'amour de Bentley ; il craignoit
cependant fon pére. Il avoit laiſſé
entrevoir fon goût & fes deffeins ; des
indifcrétions de Fanny , fa façon de vivre
, fes fociétés , tous ces traits n'étoient
point échappés à la connoiffance du vieux
Bentley. Le fils imagina envain tous les
moyens poffibles de faire agréer fon mariage
à fon pére ; ce dernier fut infléxible .
Las de ces inutiles éfforts , fatigué de ſe
combattre foi même , le jeune Bentley s'a
bandonna à fa paffion : il époufa fa Maitreffe
qui l'imita , & contracta cet engagementfans
l'aveu de fa mére.L'ivreffe denos
Amans ne pouvoient être éternelle ; ils ouvrirent
les yeux. Fanny fut la premiere
qui inftruifit fa mére de fon mariage. Elle
fentit toute l'étendue de la fauffe démarche
de fa fille ; elle en conçut un chagrin fi
violent , qu'elle ne fit que traîner une vie
languiffante , & elle expira dans les bras
de Fanny , en lui pardonnant , & en priant
NOVEMBRE. 1760. 45.
le Ciel qu'il détournât l'orage qu'elle prévoyoit.
Bentley étoit accablé de douleur ; il
aimoit fon pére & il en étoit aimé : quelquefois
il fixoit fur lui fes yeux couverts
de larmes ; il vouloit lui révéler fon fecret
, & la voix lui manquoit ; enfin il
réfolut d'écrire à fon pére. La lettre étoit
exprimée dans les termes les plus refpectueux
, les plus touchans , & en même
tems les plus favorables pour fon épouſe.
Le jeune homme , après un tableau de fa
conduite qui jufqu'alors avoit été irréprochable
, demandoit , au nom de la tendreffe
filiale , de l'humanité , qu'il pût s'aller
jetter aux genoux de fon pére , lui préfenter
fa femme , & qu'il leur accordât ſa
bénédiction , qui mettroit le comble à leur
bonheur. Le Vieillard furieux , à la lecture
de cette lettre , répondit à fon fils que s'il
n'avoit fait que la folie d'avoir eu du goût
pour Fanny , & que cette faute l'eût entraîné
dans quelques dettes , l'amour pacernel
eût pris fa défenſe : mais qu'il n'y
avoit point de pardon à efpérer après un
pareil mariage ; il ajoutoit , que fa maiſon
lai étoit interdite ; qu'il renonçât à fon
ére pour jamais ; il finiffoit par l'accabler
de fa malédiction . Cette cruelle réponſe
porta la mort dans le coeur du fils. L'eférance
cependant que fon pére fe laiffe46
MERCURE DE FRANCE.
roit défarmer , l'arracha à l'horrible mélancolie
où il étoit plongé depuis ce funefte
mariage. Fanny réuniffoit tous les
charmes : c'en étoit affez pour adoucir la
trifteffe de Bentley ; il remit donc au tems
à folliciter un pardon qu'on lui refuſoit ſi
durement. Il loua un joli appartement
garni pour fa femme ; & deux mois après
il entreprit le voyage des Echelles du Levant.
Il falloit qu'il fongeât férieuſement
à fa fortune, puifque felon les apparences
il n'avoit rien à attendre de fon père. Le
moment de fon départ arrivé , il lui fembla
que le bandeau de l'Amour tomboit
de fes yeux : il connoiffoit fa femme vive,
enjouée , aimant la fociété , la louange ,
ce qu'on appelle le tumulte du monde ,
& il la laiffoit feule expofée à ces diverfes
féductions ! Bentley aimoit éperdument
: il n'eut pas de peine à devenir jaloux.
Fanny , de fon côté , paroiffoit s'éfforcer
de juftifier les craintes de fon mari.
La mauvaiſe humeur du vieux Bentley ,
la mort de fa mére , fon mariage , qui
avoit été une fource de chagrins pour fon
époux , rien n'avoit pu lui faire changer
de caractére & d'extérieur , elle fe laiffoit
emporter dans les mêmes tourbillons où
elle avoit vécu avant que d'être unie à
Bentley. Il partit enfin, le coeur déchiré d'at
NOVEMBRE. 1760. 47
mour & de jaloufie . Son abſence ne fit que
donner plus de liberté à Fanny pour céder
àce goût du monde qui l'entraînoit . Sa con.
duite prit une forme encore moins circonfpecte
; aujourd'hui au Bal , demain à
l'Opéra , voltigeant de fêtes en fêtes
cherchant à fixer les yeux dans les Affemblées
publiques , revenant tard à la maifon
, quelquefois reftant plufieurs nuits
fans y reparoître . C'eft ainfi que Fanny
s'abandonnoit à l'impétuofité de fes defirs
, & de fes étourderies. Cette façon de
vivre , donnoit à raifonner à l'Hôte & à
l'Hôteffe. Ils prirent d'abord cette jeune
Dame pour une de ces femmes qui n'ont
d'autre état que le plaifir ; ces foupçons
les conduifirent à des recherches . Ils découvrirent
pourtant que Fanny voyoit
des femmes eftimées , & dont la réputation
étoit à l'abri des moindres traits de
la malice humaine . Il eft vrai que fa conduite
étoit inexcufable : toutes les ápparences
dépofoient contr'elle ; ſes voifins
en penferent & en parlerent mal.
L'Hôteffe, malgré fes informations , ne put
retenir fon envie de fe plaindre , elle ofa ,
en termes les plus refpectueux , faire des
repréfentations à Fanny qui les reçut trèsmal
, elle en fut même indignée . Fière
d'une vertu qu'elle confervoit au milieu
48 MERCURE DE FRANCE.
de ce tourbillon de coquetterie & de légéreté
, elle répondit à l'Hôteffe avec un
mépris qui perça le coeur de la bonne femme
; qui fe retira, bien réfolue de donner
le congé à Bentley à fon retour. Il revint
au bout de dix mois , après avoir fait un
voyage heureux. L'Hôteffe lui annonça ce
fatal congé. Bentley demeura étonné.
Ayant toujours payé avec exactitude , il
ne pouvoit foupçonner quelles raiſons lui
attiroient un pareil procédé : il en voulut
être inftruit. L'Hôteffe qui avoit un bon
coeur & de l'humanité , refufoit d'éclairer
Bentley. Il perfifta dans fes demandes :
fans doute qu'il s'apperçut de quelque embarras
; il pouffa cette femme qui , après
avoir hélité quelque tems , avoua avec
peine que Madame voyoit trop de monde
; que
fouvent elle reftoit en Ville trèstard
; que le repos & la régularité avoient
régné dans fa maiſon jufqu'à l'arrivée de
Bentley & de fa femme ; qu'elle étoit , en
un mot , réfolue de louer fon appartement
à des perfonnes d'un genre de vie plus
tranquille.Cette explication ,à chaqué mot,
frappoit Bentley d'un coup de poignard :
il tomba dans une rêverie profonde. Il en
fortit tout à-coup pour conjurer l'Hôtelle
de ne lui rien cacher. Celle- ci s'apperçut
qu'elle avoit trop parlé ; mais les bleffures
étoient
NOVEMBRE. 1760 . 49
étoient faites ; elle chercha en vain à le
raffurer , en lui difant qu'il avoit tort d'être
allarmé fur la vertu de Madame ; qu'il n'y
avoit à reprendre en elle que cet air de
diffipation attaché à toutes les jeunes perfonnes
qui figurent dans le monde : cette
elpéce de réparation ne fit point mourir
les foupçons de Bentley , ils prirent au
contraire une nouvelle force : il imagina.
qu'il avoit trouvé dans cette Hôteffe une
furveillante à qui il pouvoit confier fes plus
chers intérêts. Il déclara donc à cette femme
, qu'il avoit quelques doutes fur fon
époufe ; qu'il étoit de la plus grande importance
pour fa tranquillité & fon honneur,
d'éclaircir ces doutes; il la pria qu'elle
lui laiffat encore l'appartement le terme
d'une année , ajoutant qu'il avoit un nouveau
voyage à faire qui ne feroit pas long;
que pendant ce tems , il la chargeoit d'avoir
les yeux ouverts fur Fanny ; & qu'à
fon retour , le compte que l'Hôteffe lui
rendroit le guideroit dans le parti que néceffairement
il devoit prendre. L'Hôtelle
fit quelque difficulté ; Bentley preffa , joignit
aux prieres les plus vives les raifons les
mieux préfentées : la bonne femme enfin
céda , & promit de s'acquitter avec fidélité
d'une commiffion auffi délicate. Bentley
s'étudia à cacher fes foupçons à la fem-
C
So MERCURE DE FRANCE
me ; ils fe diffiperent en fa préfence. Il
y avoit des momens , où il eût voulu employer
les reproches : il regardoit Fanny
& il craignoit de faire couler fes pleurs ;
il fçavoir que fa femme joignoit un caractére
alrier à beaucoup de douceur ; il cherchoit
à lui plaire ; quelquefois il fe laiffoit
féduire par le plaifir de croire qu'il étoit
aimé: mais ces inftans étoient bientôt fuivis
d'autres momens , où la plus fombre
jaloufie le dévotoit. Enfin Bentley part
pour fon fecond voyage ; & ne peut s'empêcher
d'ouvrir fon coeur à la tendreffe la
plus vive. Ma chere âme , dit- il à fon
époufe , en la preffant contre fon fein , je
fçais que mon pére veille jour & nuit fur
votre conduite ; fa façon de penfer , fon
retour dépendent entierement de vous ;
ma fortune , que dis -je ! ma vie eft entre
vos mains vous fçavez combien mon
pére m'eft cher ; il eft fur les bords de la
tombe , & il va peut- être y defcendre en
emportant des fentimens de haine contre
fon malheureux fils ! .... s'il n'a rien à
vous reprocher , il me rendra fes bontés ,
fon coeur paternel .... Ma chere Fanny
prends pitic de moi-même ! ... je t'aime ...
je t'adore... & tu me perces le coeur
je doute de ta tendreffe ! .... n'empoifonne
pas le bonheur que je te dois : j'ai connu
NOVEMBRE. 1760. Sx
....
'Amour par toi .... connoîtrois - je , par
tout ce qui m'attache à la vie, le plus cruel
des tourmens ? refpecte ma fenfibilité ,
ma délicateffe .... crains - moi .... que
dis- je daigne m'aimer , & je reviens à tes
pieds le plus heureux des hommes ! Bentley
accompagna de fes larmes cette éffufion
de fon coeur ; Fanny y répondit par les
careffes les plus vives , les plus tendres :
ils fe quitterent enfin comblés , l'un & l'autre
, des témoignages d'un amour inaltérable.
Fanny , veuve pour ainfi dire une feconde
fois , fe trouva enceinte : elle eut
le malheur de faire une chûte ; elle accou
cha avant terme. L'enfant qu'elle mit au
monde , ne fouffrit point de cet accident.
Livrée à elle- même, elle fe rappella les difcours
de fon mari ; fon dernier entretien
lui étoit resté gravé profondément dans
fon efprit : la naiffance de fon enfant pouvoit
paroître équivoque , les circonftances
n'étoient pas favorablesà la vérité. Un jour
que le hazard l'avoit conduite dans le Parc
Saint James , elle vint à s'affeoir à côté
d'une Dame , qui bientôt entra en converfation
avec Fanny. L'entretien de
l'inconnue plut beaucoup à l'époufe de
Bentley , dont l'efprit n'intéreffa pas
moins l'étrangere ; toutes deux conçurent
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
un defir extrême de fe connoître & de
fe voir. La Dame fit les avances ; elle
vint chez Fanny ; qui , à fon tour , fans
faire d'autre information que celle de
la demeure de l'inconnue , fe hâta de
lui rendre fa vifite . Elles fe mirent à la fenêtre
: quelqu'un fixa les yeux de ce côté,
Fanny , après l'avoir examiné quelques
inftans , crut reconnoître le pére de fon
mari . D'abord il regarda fa bru ; & portant
enfuite la vue fur la Dame qui étoit
à fes côtés , il laiffa échapper un gefte de
mépris & d'indignation , & fe retira. L'époule
de Bentley , qu'avoit déconcertée
la préfence de fon beau - pere , ne put foutenir
ce coup; elle fut pénétrée de douleur,
mais fans pouvoir foupçonner la cauſe
de cette efpéce d'infulte. Peu de tems
après la Dame difparut ; on dit à Fanny
qu'elle étoit fortie de l'Angleterre pour
voyager. Fanny rentra donc dans fon ef
péce de folitude ; elle s'abandonnoit à des
craintes fans nombre fur la naiſſance de
fon fils , elle l'allaitoit elle - même , & il
prenoit des forces au point qu'on ne pouvoit
plus diftinguer qu'il étoit né avant
terme. Chaque regard que fa mére laiffoit
tomber fur lui , étoit chargé de larmes.
Après bien des projets, elle conçut le deffein
de cacher à fon mari l'âge de fon enNOVEMBRE
1760. 53
fant. Il avoit fix mois , quand Bentley revint.
Elle reçut fon époux avec des tranfports
de joie , mêlés d'un embarras qu'elle
ne pouvoit vaincre . Fanny n'avoit pas
cette férénité qui fuit la jouiffance des
plaifirs purs & innocens ; à peine elle fourioit
quelquefois elle fe furprenoit les
yeux baignés de larmes qu'elle renvoyoit
dans fon coeur . Bentley embraffoit fa femme
& fon fils. La vue de cet enfant lui faifoit
defirer avec plus d'empreffement que
jamais de regagner latendreffe de fon pére.
Il apprend qu'il eft dangereufement malade
; il y vole , promettant à fa femme qu'il
reviendroit fouper. Il avoit au milieu de fes
caréffes demandé l'âge de fon enfant; Fanny
avoit éludé la queftion . Bentley fortoit
du logis, quand il eft arrêté par l'Hôteffe
il n'étoit pas trop difpofé à s'informer fi
elle s'étoit acquittée de fa commiffion ;
mais les regards & les fignes de cette femme
lui apprirent qu'elle avoit quelque
particularité importante à lui communiquer
; il entra dans la chambre , elle ferma
la porte avec précaution , & alors elle
rappella à Bentley le foin dont il l'avoit
chargée. Elle ajouta , que c'étoit contre
fon gré qu'elle s'étoit prêtée aux importunités
de Bentley. Monfieur , pourfuitelle
, je fuis très - fâchée de vous faire part
C iij
$ 4 MERCURE DE FRANCE.
de ce que je vais vous apprendre ; mais
vous êtes un galant homme , & mon honneur
me défend de vous cacher la moindre
circonftance. Elle lui dit alors que
fon fils n'étoit pas venu à terme ; qu'elle.
avoit voulu examiner de près cet enfant ,
& qu'elle avoit été toujours refufée . Ce
qui confirmoit cette femme dans fes foup--
çons , c'étoit la hauteur arrogante avec
laquelle Fanny l'avoit écartée depuis
qu'elle s'étoit mêlée de donner des con-
1eils.
A ce rapport, Bentley fut prêt de s'évanouir.
Il fe reflouvint qu'on avoit évité
de répondre à fa demande , fur l'âge de
l'enfant ; il refta attaché à cette affreufe,
penfée , trait perçant qui lui déchiroit
le coeur ! auffitôt , une horrible image s'éléve
dans fon âme ; il fe voit le jouet d'une
miférable & d'un bâtard qui l'avoient
arraché du fein de fa famille ; ce ſpectacle
le plonge dans le défefpoir . Il paffe
de la fornbre douleur aux emportemens
de la fureur la plus violente. Plus il envifage
fa femme coupable , plus il revoit
fon pére digne de toute fa tendreffe : il
court dans l'intention de fe jetter à fes
pieds , & d'obtenir fon pardon . Il ne fut
pas arrivé dans ce défordre à la demeure
de fon pére, qu'il apprend qu'il vient d'ex
NOVEMBRE. 17607 5.5
pirer , & que
fes parens étoient affemblés
pour affifterà l'ouverture de fon Teftament.
Bercley, un des freres de la mére de
Bentley & qui avoit toujours aimé tendrement
ce neveu , entend fa voix ; ik
l'embraffe , & le preffe d'entrer dans l'appartement
où la famille étoit réunie.
Bentley fe laiffe entraîner égaré , hors de
lui- même ; on lit le Teftament : Bentley
loin d'entendre un feul mot , n'étoit occupé
que du rapport
cruel
de l'Hôtelle
Il ne fort de fa léthargie
, que
lorfque
la
perfonne
qui avoit
le Teftament
entre
les
mains,eut ceffé de lire. Son oncle
, croyant
que cet accablement
de trifteffe
étoit
produit
par ce qu'il venoit
de fçavoir
des dernieres
volontés
de fon pére , qui ne lui
laiffoit
qu'un
feul
Schelling
pour fa légirime
, conduit
fon neveu
dans
une autre
chambre
, & cherche
à juftifier
la dureté
de fon beau- frere , en difant
à Bentley
que la façon
de vivre
de la femme
n'avoit
fervi
qu'à
irriter
de jour en jour fon pére ,
indifpofé
déja
par fon mariage
; que le
déshonneur
de fon épouſe
étoit
public
depuis
furtout
qu'on
l'avoit
vue liée de
fociété
avec
une femme
perdue
de réputation
.... ce nouveau
trait contre
Fanny
,
acheva
d'enfoncer
le poignard
dans
le
çoeur
de Bentley
. Son oncle
, cherchant
à
C iv
46 MERCURE DE FRANCE.
Te retirer de cet anéantiffement doulou
reux , lui offre pour le confoler & pour
tirer parti , autant qu'il eft poffible , de fa
deplorable fituation , de ne point retourner
auprès de Fanny & d'accepter un
appartement dans fa maiſon . Il l'affura
qu'il prendroit des mefures convenables ,
& qu'il engageroit fon épouſe à donner
les mains à une féparation à l'amiable.
Bentley qui n'étoit plus à lui , confentit
à tout , promit tout , & tourna fes pas
vers la demeure de Bercley.
Fanny attendoit fon mari avec le plus
vif empreffement . Jamais elle n'avoit été
plus tendre , elle comptoit les momens,
fon coeur étoit en proie à mille diverfes
inquiétudes ; il y avoir des inftans
où elle frémiffoit ; un affreux préffentiment
fembloit l'avertir du malheur qui la
menaçoit enfin elle reçoit un billet de
fon mari , ou plutôt elle eft écrasée de la
foudre. Cette fatale lettre contenoit les
reproches les plus outrageants ; Bentley
Faccufoit d'avoir abufé de fa confiance ,
de s'être rendue complice d'une miférable
Courtisane , d'avoir enfin porté le déshonneur
& l'opprobre dans fon lit ; il finiffoit,
en difant qu'il avoit des preuves certaines
de ce qu'il avançoit ; & qu'elle devoit
pour jamais renoncer à le voir. Fanny ne
NOVEMBRE. 1760 . 57
revient à la vie que pour expirer cent
fois de la plus vive douleur ; le fommeil
fuit de fes yeux ; incapable de prendre la
moindre nourriture , elle s'abreuvoit de
fes larmes. Elle ignoroit ce qu'étoit devenu
Bentley ; & quand elle eût pu le
voir , elle doutoit que fon innocence l'eût
fervie , & qu'il lui eût été poffible de la
faire éclater. Cette violente agitation ne
tarda pas à être fuivie d'une fiévre auffi
violente , qu'elle communiqua à fon fils
qu'elle nourriffoit encore. Il y avoit dix
jours que Bentley n'avoit vu ces deux malheureuſes
créatures ; fon oncle l'avoit engagé
d'accompagner quelques - uns de fes
amis à la campagne , à une diftance d'environ
foixante milles. Pendant ce tems
il s'étoit chargé de faire accepter à Fanny
la féparation dont il étoit convenu avec
fon neveu. Il fe rend chez elle , dans
ce deffein. Il la trouve expirante , ſon enfant
déja mort à fes côtés . L'Hôteffe
dans les mains de qui elle avoir mis quelques
bijoux , comme des nantiflemens qui
répondoient de ce qu'elle pouvoit lui devoir
, étoit fi pénétrée de fa fituation , fi
convaincue de fon innocence , qu'elle fe
jette , toute en pleurs , aux genoux de Bercley.
Elle le fupplie au nom de l'humamité
, de faire venir promptement Bene-
Cy
$ 8 MERCURE DE FRANCE.
ley , s'il fçavoit le lieu de fa retraite..
Monfieur , dit cette bonne femme avec
deux ruiffeaux de larmes , c'eft la meilleure
action que vous puiffiez faire : vous
fauverez les jours , l'honneur de cette pau :
vre Dame , & fon mari vous devra fon
bonheur ; elle eft en état de ſe juſtifier ;
ne refufez pas cette grace à l'humanité
quivous implore. Bercley céda bientôt à la
pitié il s'engagea . à faire parvenir une
lettre àfon neveu. L'Hôteffe n'eut pas plu
tôt obtenu la parole , qu'elle courut à Fanny,
& lui fit part de ce que Bercley venoit
de lui promettre. La malheureufe femme, à
ces mots , ouvre un oeil mourant , éllaye
de fe relever fur un bras , & prête à chaque
inftant d'expirer , rappelle , fi l'on peut
s'exprimer ainfi , fon âme , & d'une main
tremblante trace un billet qui eft remis
cacheté à l'oncle. Bercley tient fa promeffe.
Bentley n'eut pas de peine à reconnoître
l'écriture & le cachet : il balance
; il ouvre enfin la lettre , & lit ces
mots :
و د
Je n'ai rien à me reprocher : je fçais.
» que les apparences ont été contre moi ;
» mais c'est moins pour l'intérêt de ma
vertu que pour votre fatisfaction que
je vous écris. J'ai appris depuis quel
» ques jours ce qui avoit pu donner lieu
NOVEMBRE. 1760. £9
de foupçonner mes liaifons : je fuis pu
» nie de mon imprudence. En effet , la
" femme dont j'avois fait la connoif-
» fance au Parc Saint - James , étoit indi-,
" gne de ma fociété . Voilà ce qui m'avoit
» rendue coupable aux yeux de votre famille
; mais je vous parle avec cette vé-,
rité qui s'élève du lit de la mort , je n'ai
» vu cette femme chez elle qu'une feule
fois, & j'ignorois entiérement ce que j'ai
fçu depuis pour mon malheur. Ce cher
" enfant , dont la naiffance m'a été fi funefte
, eft mort trifte victime de mes-
» indifcrétions & de votre reffentiment..
Je vous le jure par l'amour le plus pur ,
" par le Ciel même , qu'il vous devoit la
» vie .... & c'eſt vous , ... ou plutôt c'eft
» moi qui la lui ôte ! à peine me refte - t- il ,
" affez de force pour retenir ma plume qui,
» m'échappe. Ne perdez pas un moment ,
"
"
"
hâtez-vous de venir me voir , de don-
" ner encore votre main à une malheu-
" reufe qui n'a jamais manqué à fon de-
" voir ni à fa tendreffe , & qui paye bien
» cher fes fautes ..... que vous puiffiez
» du moins goûter la confolation de m'en-
» tendre attefter mon innocence ....
qu'elle éclate dans mon dernier foupir
..... venez infortuné & cher
» époux ! fceller notre réconciliation fur
"
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
» mes lévres mourantes , tandis qu'elles
»font encore fufceptibles de fentiment....
Bentley fent renaître toute fa ten-
'dreffe , quitte la maifon où il étoit avec
précipitation , prend des chevaux de pofte ,
arrive à Londres en moins de fix heures ,
& vole vers la malheureuſe Fanny. Comment
s'offre-t- elle à fes yeux ? n'entendant
plus , ne voyant plus , expirante ,
inanimée ! Bentley fe précipite dans fes
bras , il la couvre d'un baifer où étoit
toute fon âme , il recueille fon dernier
foupir. On l'arrache de cette demeure
affreufe : il ne revient à la vie que pour
perdre la raiſon. On l'enferme enfin dans
une maifon de force , où il meurt au
bout de deux ans. Trifte exemple des fuites
de l'étourderie , de l'imprudence , &
d'un autre côté du penchant trop facile à
céder aux foupçons , aux apparences , & à
la jaloufie Les jeunes perfonnes ne sçauroient
trop fe pénétrer de cette déplorable
hiftoire. Puiffe-t- elle leur fervir d'inftruction
, en faifant couler leurs larmes !
NOVEMBRE. 1760.
br
Le mot de la premiere Enigme du fecond
volume du Mercure d'Octobre , eft
la Frivolité. Celui de la feconde eft
ledure . Le mot du Logogryphe eft , Her
maphrodite.
ENIGM E.
SUIVANT la loi que l'on m'impoſe ,
Je cours , ou bien je me repoſe :
Je m'étends en longueur ; enfin
De mon pied j'avance chemin.
De douze måles je fuis pere ,
Sans avoir jamais vû leur mere
Leurs filles , dont je fuis l'ayeul ,
Et dont la charge eft fur moi feul ,
Compofent, fans en rien rabattre ,
Le nombre cent quarante- quatre.
Mon nom n'eft pas myſtérieux ,
Lecteur , puifqu'il eft fous tes yeux.
Par M. DESNOYERS , d'Etampes.
VBS
AUTR E.
EST U. de toutes les façons
Je cours la ville , & vais dans de bonnes maiſons
2 MERCURE DE FRANCE.
Je fuis auffi la Cour & vais dans la Province ;
J'amufe le Bourgeois , & j'amuſe le Prince
Quelquefois , d'un ton gracieux ,
Je philofophe en habits bleux ;
Tantôt cenfeur mordant , & critique févére ,
Mon habit blanc dément mon caractére.
Vêtu tantôt en Arlequin ,
J'abandonne mon nom , pour en prendre un
divin ;
J'occupe au mieux ma place en compagnie
Je parle Profc & Poëfie ,
Chansons , Théâtre , Hiftoire quelquefois ;
Et vis rarement plus d'un mois.
J.
LOGOGRYPHE.
JE porte , en onze pieds , le métail précieux ,
Dont tout homme repaît & fon coeur & les yeux
Une Ville en Hainaut ; un ancien Patriarche ;
Un autre qui, par Dieu , fut confervé dans l'Arches
Un fleuverenommé ; le premier d'un Etat;
Un légume l'habit d'un grave Magiſtrat ;
Un Empereur cruel ; une ville d'Afriques
Unfpectacle flatteur ; trois notes de Muſique ;
Deux mois ; le Directeur d'un Spectacle bouffon s
Le Héros qui conquit la fameuſe Toison ;
Ce qui , de tout buveur ,épanouit la rate;
Deux offices d'Eglife;un métail; un pirates
NOVEMBRE. 1760 . 63
Cet oifeau dans lequel Argus fut transformé ;
Et le Berger par qui le Trio fut jugé ;
Un fameux Cafuifte ; une bête de fomme ;
Une ville où l'on vit jadis plus d'un grand hommes
Etle Siége à préfent du Pontife facré ;
En Eſpagne , furtout , un Etre révéré ;
Une fleur , & deux fruits ; un gros bourg d'Italie
Un Poëte fameux; du monde une partie ;
Trois aimables objets du fexe féminin ;
Deux vents qui très-fouvent , fortent du corps hu
main ;
>
Ce Poëte charmant dont l'aimable génie ,
Pour critiquer des fols fit la Métromanie ;
L'ornement d'un Prélat : pour le coup voilà tout.
Je fens , de mon rolet , qu'enfin je fuis à bout.
Par M. HUBIEZ , Procureur Fifcal du Charmel
JB
AUTRE.
me gliffe où je peux , fans bruit & pas à pas.
L'Hermite ne me connoît pas.
Celui qui ne craint pas ma rage ,
N'eft pas fage ;
Puifque des coeurs les plus unis
J'en fais bientôt des ennemis.
De quatre de mes pieds naît une multitude ,
Quifait voir combien peu j'aime la folitude ..
Continuez de combiner ,
J'offre un nombre connu , facile à deviner
64 MERCURE DE FRANCE.
Un attribut du mariage ,
Qui l'eft auffi de l'esclavage ;
Un livre du vieux Teftament ;
Ce qui mord & n'a pas de dent ;
Un protecteur des Arts , ami d'Augufte à Romer
Ce qui fait pendre un homme ;
Ce qui refte aufond du tonneau ;
Un corps ftable au milieu de l'eau ;
Une riviere ; une ville de France ;
Un fleuve qui déborde & répand l'abondance ;
Ce qui paffe en plus d'une main ,
Avant de parvenir à couvrir un beau fein ;
Ce qu'un Edit de la Couronne ,
Vient de faire acheter à plus d'une perfonne ;
Un préfent de l'abeille ; & pour finir enfin ,
Ce que l'on quitte le matin.
L'AMANT DISCRET.
ROMANCE.
Prus difcret & plus fidéle ;
Que l'amant qui fe trahit ,
A peine je me révéle ,
Le feu que mon âme nourrit.
Plus votre beauté me touche ,
Et plus je cache mon ardeur .
Votre nom n'eft point fur ma bouche;
Mais il refte dans mon coeur.
Gracieux
Plus discret et plus fidèle Que l'a
=mant qui se trahit , Apeineje me ré =
W
vèle Le feu que mon ame nourrit Plus vo
-tre beaute me touche Et plusje cache mon ar
+
F
deur,Votre nom n'est point
sur ma bouche
Mais il reste dans mon coeur.
Grave par M Charpentie
"mprimépar Tournelle.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND THDEN
FOUNDATIONS
,
NOVEMBRE. 1760. દરે
Je ne dis point au bocage ,
Où je vous portai mes voeux ,
Ces Vers , le fincére hommage
Que mon coeur offrit à vos yeux :
Sous cette ombre qui m'infpire ,
Plein de mon amoureux tourment
A l'objet pour qui je foupire ,
J'ofe rêver feulement.
Je ne vais point fur un chêne ,
Tracer indifcrettement
Les chiffres de mon Ifméne ,
Ni ceux d'un malheureux amant.
Hélas ! ces traits pleins de flâme?
Que je me plais à conferver ,
L'Amour , dans le fond de mon âme 5:
A fça trop bien les graver.
Je revois cette onde pure ,
Où dans la chaleur du jour,"
Vous venez , à la Nature ,
Montrer la beauté fans atour.
Des flots decette fontaine
Mon amour s'enivre à longs traits
Ils augmentent mes feux , Iſméne ,
Sans les rendre moins difcrets..
Cet enchanteur agréable ,
Le fommeil , vient quelquefois
Flatter, d'une erreur aimable,
#6 MERCURE DE FRANCE.
Une âme qui vit fous vos loix.
Je vous vois ... un doux menfonge
Voudroit me contraindre à parler :
J'ai , difcret même dans un fonge ,
La force de m'éveiller.
Duroffignol le ramage ,
Ifméne, fçait vous flatter ;
Je n'en dis rien au village ,
Et je cours au bois l'écouter.
Vous aimez la violette ,
C'eſt pour moi la plus belle fleur
Je n'en pare point ma he lette ,
Je la mets contre mon coeur.
Je feins de fentir à peine ,
Le Zéphir tout parfumé
Des rofes de votre haleine ,
Et par lui je fuis animé.
De votre brebis fidelle ,
Je veux in'éloigner aujourd'hui ,
Mais mon troupeau court après elle ,
Et le Berger avec lui.
Qu'avec tranfport , ma Bergère ,
Je vois ce gazon naiſſant ,
Où du fein de la fougère ,
Vous commandez à votre Amant !
Je diffimule ma flâme
Atous les regards curieux;
NOVEMBRE. 1760. 67
Et je dis tout bas , dans mon âme ,
Voilà le Trône des Dieux !
Auleau jour de votre fête ,
De mes rivaux arrogans ,
L'amour faftueux s'apprête
A vous porter les voeux brillans.
Ils penfent , par des largeſſes ,
Prouver l'ardeur de leurs defirs.
Ils vous préfentent des richeffes :
Je vous offre des foupirs.
Mon coeur feul , de ma tendreſſe ,
Ifméne , eft le confident.
Je lui répéte , fans ceffe ,
Que je ferai toujours conftant.
Je confens que le myſtere ,
De fon voile couvre mes feux.
Si malheureux , je fçais me taire ,
Que ferois-je , amant heureux ?
Par M. l'Ab. D.
68 MERCURE DE FRANCE
ARTICLE IL
NOUVELLES LITTERAIRES,
LE
LETTRES de M.
EXTRA I T.
Es Lettres, aux yeux de quelques gens,
paroiffent un genre frivole ; les perfonnes
au contraire qui aiment à voir la nature
de près dégagée des entraves de l'art ,
trouvent dans les Lettres un tableau fidéle
de l'homme ; on croit l'entendre parler ,
on s'imagine caufer avec lui : cette façon
d'écrire prévient d'autant plus en fa faveur
, qu'elle n'annonce aucune prétention
à l'efprit : en Morale , c'eſt le plus
court chemin pour aller au coeur. L'Aureur
des Lettres , dont nous donnons ici
l'extrait , a le defir de voir les hommes
heureux ce font fes expreffions ; écoutons-
le lui- même dans une eſpèce de Préface
très-judicieuſe & pleine de fentiment
adreffée à un Ami. » Les occafions ont
fait naître ces Lettres ; elles n'ont d'aure
ftyle que le caractére des chofes qui
NOVEMBRE. 1760. 6.9
fe préfentoient. Vous y verrez du moins
le patriotifme , l'amitié , & l'amour ;
Vous y trouverez les amuſemens d'une
» âme tranquille ; un commerce fans médifance
, des differtations fans aigreur ,
les arts & les fciences fans apprêt ; point
d'application , point de travail pénible ;
» la feule Science gaie , cet aimable bien
» des hommes , en fe jouant , y couronne
de fleurs la Nature.
59
L'Auteur nous tient parole ; c'eft un
Philofophe aimable qui ne réfléchit , fi
l'on peut parler ainfi , que pour enrichir
le fentiment ; il l'aggrandit , il l'étend ,
il éclaire le coeur fur les vrais plaifirs. Le
morceau fuivant doit être goûté de tous
ceux qui cherchent la nature & fçavent
l'apprécier. » Remettez votre coeur vis-à-
"vis de la nature ; confidérez quels ont
» été d'abord fes alimens ; ils font encore
» les mêmes : il avoit tous les goûts , tous
» fes fentimens avant l'ivreffe de l'ambi-
» tion & des richeffes. Si vous pouviez
• aujourd'hui vous ramener à vous - même ,
» vous fentiriez que tous ces fantômes
produits par le déréglement de l'imagi-
" nation , font pour le coeur autant de poi
» fons dévorants qui le défféchent , & le
» rendent incapable d'aucun fentiment
» agréable.
"
yo MERCURE DE FRANCE.
Cet interpréte du coeur, augmente l'intérêt
que produifent ces Lettres , en nous
traçant le portrait d'une Julie , dont chaque
Lecteur , fi on ofe le dire , devient l'amant.
Jamais femme ne fut repréſentée
fous des traits plus eftimables , plus enchanteurs
que l'époufe de l'Auteur ; elle en
eft toujours la maîtreffe ; & ce fentiment
exprimé avec chaleur , & , je puis dire
avec quelque forte de nouveauté , donne
lieu à beaucoup de Lettres plus paffionnées
, plus touchantes les unes que les autres
. En voici un fragment, qui refpire la
Pocfie la plus agréable.
"
( Il s'adreffe à Julie :) » Dans cette ai-
» mable faifon tout me paroît heureux
» dans la nature ; le roffignol m'entretient
» fans ceffe de fes victoires ; la biche ti-
» mide , à la vue de fon amant , s'arrête
» dans un épais buiffon ; les poiffons mê-
» mes fortant de leurs grottes profondes ,
» forment fur les eaux mille jeux ; & la
jeune bergere , étonnée de fes nouveaux
» defirs , céde & partage le bonheur de
fon berger. Tout s'anime , tout s'em-
» bellit par l'attrait du plaifir ; la terre
» amoureufe lance dans le myrte languiffant
une féve abondante qui lui rend fa
beauté , & la fleur éprife d'une autre
»fleur fe panche vers elle , & répand dans
"
ود
NOVEMBRE. 1760. 71
fon fein le fruit délicieux .....
Quelquefois notre fagePhilofophe,fe permet
des traits de critique . C'eft ainfi qu'il
nous dépeint l'amour de nos voifins les
Anglois , » pour foumettre tout au compas
de l'analyse & de la définition , l'Anglois
aujourd'hui difféque continuelle-
» ment la nature , & croit la mieux con-
» noître enla dégradant . Quelle trifte ma-
"
nie s'empare de fon cervean ! Ce que
» fes peres regardoient comme d'une na
» ture divine , ce qu'il y a de plus déli-
» cieux au monde , ce qui tient lieu d'empire
aux hommes , ce qui les confole
» d'être efclaves & miférables , ce qui
rend enfin leur efprit fi aimable & fi fé-
» cond , n'eft plus pour lui qu'une figure
» abjecte ! Eft-il étonnant
»
Annuve
de la vie , il finiffe par fe tuer lui même ?
» C'eft ce qu'il peut faire de mieux.
La XXII Lettre à Julie fur le bonheur,'
eft remplie d'une faine Philofophie Les
bornes d'un extrait empêchent que rous
la mettions fous les yeux de nos Lecters.
La XXIII offre une image qui mérite êtrerapportée.
On ne jouit, véritablemen
que de la feconde partie de la vie. Imagi
» nez que les jours de l'homme font occ
pés à franchir une montagne tranfarer
te. Le côté qui fe préfente d'abord à l'ar72
MERCURE DE FRANCE:
à la jeuneffe , eft un labyrinthe eſcarpé ,
hériffé de rochers & d'épines ; il faut
» avec peine gravir continuellement dans
des fentiers inconnus. Mais arrivé au
fommet , on trouve une pente douce &
aifée , l'air y eft parfumé d'un bois d'orangers
qui vous ombrage ; tout ce qui
»fe paffe derriere vous fe réfléchit à vos
regards , & vous préfente un ſpectacle
amufant. Vous defcendez imperceptiblement
par des chemins de fleurs fur
» un lit de gazon , où vous vous endormez
» pour toujours.
و د
On croiroit entendre Epicure lui-même
, non pas tel que fes difciples l'ont
travefti , mais pénétré de cette volupté
douce & fage , la bâfe de la pure Philofophie.
On trouve auffi d'autres Lettres qui
nous prouvent , que notre Auteur a des
connoiffances neuves fur la Phyſique. La
Lettre où il femble regretter l'ancien tems
des Chevaliers François , eft extrêmement
intéreffante & agréable ; elle eft même
approfondie : ce Recueil eft terminé
un expofé très-bien raiſonné , de la conduite
des Anglois à notre égard ; on y voit
un homme qui poffède des lumieres de
bonne politique , & qui eft au fait de la
matiere qu'il traite. Ce qu'il dit fur notre
par
Nation,
NOVEMBRE . 1760 . 73
Nation , ne peut partir que de l'âme d'un
excellent Patriote. » Un preftige deſtructif
» ſemble régner fur les malheureux François
l'opinion de foi même , cette fée
» fecourable qui rendoit nos peres plus
» grands que leurs défaftres ; hélas ! qu'eſt-
» ce que tout va devenir , avec des hom-
» mes qui fe mépriſent eux- mêmes !
Ce dernier trait eft lumineux. Puiffe - t - il
corriger ces mauvais Citoyens qui font
toujours à crier contre leur Patrie , & qui
goûtent un fecret plaifir à la déprimer.
Ces Lettres ne peuvent affez recevoir
d'éloges ; elles annoncent le Philofophe ,
l'homme qui fent , qui penfe , & qui ſçait
réunir la volupté raifonnée , & la fageffe
agréable. Ce petit ouvrage forme un infeize
, imprimé très - joliment à Manheim :
on en trouve des exemplaires chez Bauche
, Quai des Auguftins , Durand , rue
du Foin , & Duchefne , rue S. Jacques.
On lit à la tête cette Epigraphe : Hac
meminiffe juvat , de Virg. que l'on peut
rendre ainfi Leur fouvenir fait encor
mes plaifirs.
D
74 MERCURE DE FRANCE.
EFFETS de l'air fur le corps humain ;
confidérés dans le fon , ou Difcours
fur la nature du Chant.
СЕТ
EXTRA I T.
ET Ouvrage paroît être de la même
main qui nous a donné le recueil de Lettres
que je viens d'annoncer. Au Frontifpice,
eft une Eftampe agréable , qui repréfente
Orphée fur le mont Hoémus. L'explication
eft une Traduction de la deuxiéme
Ode d'Horace par le P. Sanadon
fuivie d'un Envoi à Julie , auffi digne
peut- être de la célébrité que la fameufe
Julie Dangennes , la Muſe de l'Hôtel de
Rambouillet . Cet envoi mérite d'être
rapporté , le voici.
ود
» Vous qui difpofez du bonheur de
» mes jours , vous qui embelliffez la Na-
» ture , combien de fois ne m'avez- vous
point fait éprouver le charme que je
» célébre ! Tantôt par la gaîté & la légé-
» reté de votre chant , vous faifiez difparoître
les fombres foucis ; & tantôt
» par une douce & tendre mélodie , je me
» trouvois tranfporté dans un état divin .
» Yous me prépariez infenfiblement au
و د
NOVEMBRE. 1760. 75
»
fentiment que vous m'alliez donner.
» L'air que vous animiez des accens de
» votre voix , paroiffoit être agité par les
aîles de l'amour ; & quand impercep-
» tiblement vous aviez éteint un fon , je
» ne fçai quelle harmonie duroit encore,
& fembloit donner naiffance à celui
qui lui fuccédoit. Quelle vérité dans le
goût ! Quelle variété dans le go fier ! Quels
» fons filés & onctueux ! Etoient - ils
» éclatans , étoient - ils adoucis , c'étoit
» toujours les échos de votre âme qui
» venoient modifier la mienne , déter-
» miner fa puiffance , & fe repofer dans
»
رد
» mon coeur & c.
C'eft en peu de mots donner toutes
les modifications du chant , & pour ainfi
dire nous en repréfenter l'image.
Un avertiffement nous inftruit que cet
effai ne contient que le méchaniſme de
l'air fur le corps humain . C'eſt le feul
but de l'Auteur ; il nous dit auffi que fon
intention n'a pas été de répondre à la
lettre de M. Rouffeau fur notre Mufique .
Il nous rappelle avec goût le fentiment
de M. de Voltaire , fur les langues , qui
entr'autres obfervations penfe que le
plus beau de tous les langages doit être
» celui qui eft à la fois le plus complet ,
» le plus fonore , le plus varié dans fes
رد
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
tons , & le plus régulier dans fa marche
; celui qui a le plus de mots com-
• pofés ; celui qui par fa profodié expri-
» me le mieux les mouvemens de l'âme ;
» celui qui reffemble le plus à la Mufique.
Il ajoute » La plus belle Langue
qu'ayent jamais parlé les hommes ,
c'eft la Langue Grecque, parée de l'har-
» monie naturelle.
و د
83
:
J'oferois dire après M. de Voltaire
que parmi les Langues vivantes le Perfan
eft le langage qui réunit le plus ces qualités
éffentielles à la Langue Grecque : il
a furtout une variété d'infléxions à l'infini ,
ce qui doit être très - propre au chant.
Cette efpéce de differtation fur la Muque
eft pleine de goût , de vérité & de
lumiére , on n'en peut donner ici qu'une
légére idée.
L'Auteur nous dit , que la plupart des
plus beaux récitatifs Italiens ont toujours
le même mouvement , & que ce mouvement
eft d'une peſanteur immenſe , ( ce
font fes expreffions. ) Il ne peut ignorer
que ces mêmes Italiens ont auffi le Récitatifobligé
; qu'ils ont des Récitatifs qui
font admirables , & qui font couler des
larmes ; il faut , pourfuit- il , une longue
و ر
habitude , & toute l'autorité du préju-
» gé , pour applaudir à leurs Eunuques .
NOVEMBRE. 1760 . 77
On répondra , que lorfque ces Chanteurs
ont reçu de laNature d'heureux organes, ils
ont la voix extrêmement mélodieufe . Salinbeni,
à Berlin & à Drefde , excitoit , fi .
l'on peut parler ainfi , le raviffement ;
l'âme fembloit être fufpendue avec for
chant. La critique fur nos Chours François
eft auffi jufte qu'ingénieufe. Je ne
fçais pourquoi l'Auteur veut profcrire les
machines de notre Théâtre Lyrique ; il
les appelle un Phénomène des fiécles barbares
, que nous aurións dû abandonner
avec la Comédie de la Paffion . Qu'il ait la
bonté de confidérer que les Opéra François
font d'un autre genre que les Opéra
Italiens ; ces derniers font des Tragédies
chantantes , qui dans leur récitatif nous
donnent quelque foible idée de la mélopée
des Anciens , au lieu que nos Opéra
femblent être confacrés aux prodiges ,
aux féeries : c'eft un plaifir de plus que
nous avons ; & l'Auteur de la Differtation
n'eft pas d'affez mauvaiſe humeur
pour décrier les plaifirs. M. de Fontenelle
n'a-t- il pas dit , que chaque âge avoit fon
hochet ? Il falloit plutôt fe plaindre de la
maladreffe & de l'informe qui régnent
encore dans nos machines : nous fommes
bien peu avancés dans cet amuſement
des yeux. On a obfervé, avec beau
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
coup de goût dans cette Differtation, que
les Bouffons étoient peut- être parmi les
Italiens les Chanteurs qui font le mieux
fentir ce qu'ils chantent. En effet ils ont
des fons particuliers & analogues aux
divers mouvemens de l'âme qu'ils expriment.
Autre obfervation auffi judicieuſe :
nous allons la citer.
»
» Les Anglois ayant trouvé que les
" Italiens chantoient plus légérement
qu'eux , ont crû qu'ils n'avoient pour
les égaler qu'à abandonner leur Mufi-
» que nationale , & prendre celle d'Italie.
Cette judicieufe réfolution fut d'a-
» bord exécutée ; & on voit aujourd'hui ,
» non fans étonnement , le mode Italien
» avec le jargon Anglois. Quel monf-
» trueux affemblage ! Ces doux fons def-
» tinés à exprimer les tendres voyelles
» Italiennes , font forcés de rendre les
» confonnes Angloifes.
Rien de plus vrai ; ne pourrions- nous
pas nous appliquer cette critique fi fenfée
? Les Italiens doivent trouver que notre
langue avec toutes fes infléxions
muettes , eft difcordante avec leur Mufique.
Quelle différence pour des notes
muficales , entre les paroles chantées de
la Serva Padrona & de la Servante Maitreffe
!
NOVEMBRE. 1760. 79
'Anecdote affez finguliére : » Hendel ,
» ce fameux Compofiteur Allemand , dont
» le talent faifoit la plaifante vanité des
Anglois , a été chercher fa belle mufette
» dans les montagnes d'Ecoffe , comme
» pour lear dire qu'il ne falloit jamais défefpérer
de la Patrie.
ود
L'Auteur traite Lully de monotone
on oferoit demander fi la langue du ſentiment
peut avoir beaucoup de variation ?
Lully eft le Racine de notre Mufique .
On fe plaint avec raiſon , dans cet éffai, que
plus de huit cens Auteurs ont écrit fur la
Mufique , & à force de calculs en ont fait
une fcience abftraite . On répond avec folidité
aux perfonnes qui répétent , qu'il eft
ridicule de mourir en chantant . On finit par
cette obſervation lumineuſe : » La colere,
» ce mouvement violent , cette exploſion
fubite & momentanée du fang , eft ren-
» due à notre imagination par le fon lent
» & traînant de deux fyllabes longues ,
» tandis qu'on n'en employe qu'une pour
»
» nous donner l'idée du charme.
La même faute exifte néceffairement
dans notre Poëfie. Si les premiers hommes
qui ont formé des fons euffent été
un peuple de Philofophes , nous aurions
des expreffions , fideles organes des mouvemens
de l'âme ; & tous les jours il nous
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
échappe des mots , qui ne font
faux fignes de la penſée.
que
de
Cette
differtation
mérite
d'être
lue toute
entiere
. Il eft fâcheux
que
l'Auteur
ne ſe
foit
pas
étendu
davantage
: il fait
toujours
marcher
la Phyſique
à côté
du raifonnement
. Cet
ouvrage
eft enrichi
de Notes
excellentes
; entr'autres
il invite
les Compofiteurs
à retrancher
l'e muet
. Je crois
que
les Poëtes
lyriques
, indépendamment
de la variété
plus
marquée
qu'ils
devroient
employer
dans
le rithme
de la verfification
, pourroient
auffi
fe défendre
les vers
féminins
, & ne
fe fervir
que
des
maſculins
cette
attention
épargneroit
aux
oreilles
délicates
le dégoût
infupportable
que
lui
caufent
ces
fons
muets
&
mores
, la partie
honteufe
de notre
Mufique
vocale
. Cet
éffai
, un
des
meilleurs
écrits
qui
ayent
paru
fur
cette
matiére
,
porte
le nom
d'Amfterdam
pour
infcription
, & fe vend
chez
Lambert
& chez
Duchefne
. Il fait
fouhaiter
que
fon
Auteur
faffe
de nouveaux
pas
dans
la carrière
littéraire
.
NOVEMBRE. 1760. 81
MON ODYSSÉE ,
Ou Journal de mon retour de Saintonge .
POEME A CHLOÉ..
C'EST
"h
"
' EST à M. Robé, connu déja par des
Vers pleins de force & d'énergie. , que
nous devons ce Poëme , que les Connoiffeurs
trouvent digne de fon Auteur. Ce
n'eft point un pinceau mol , un coloris.
tendre ; c'eft un ton de couleur qui eft
propre au génie , & qui fe fait remarquer
dans les moindres traits : chaque Poete
comme les Peintres , a fon faire ; celui
de M. Robé eft différent entiérement de
Chapelle de la Fontaine , & n'en a
peut -être pas moins de beauté. L'argument
du premier Chant , nous préfente le
départ de l'Auteur ; defcription de fon
équipage ; fon arrivée à Jonfac , où il
paffe huit jours ; il monte en cabriolet:
pour gagner Saintes , où il trouve le coche
parti : H fe détermine à pourfuivre fa
route à pied ; belle peur qu'il eut en paffant
un bois ; rencontre qu'il fair d'un
Tambour ; converfation qu'il eut avec
lui : Il arrive à la Ville- Dieu .
DV
82 MERCURE DE FRANCE.
Le Poëme débute par une peinture vigoureufe
& neuve , de la Lune :
» L'Aftre , qui fur fon char nocturne ,
» Va , par fes rayons réfléchis ,
De la nuit fombre & taciturne
» Eclairant les voiles blanchis ;
> Six fois dans fa courfe elliptique
» A déja franchi l'écliptique.
Le cheval Pégafe eft agréablement repréſenté.
» Sans doute vous avez appris
>> A connoître cette monture ,
<< Dont on fait fi riche peinture ;
» Ce fier Courfier à dos aîlé ,
Qui , quand il fe fent appellé ,
» Par quelque Citoyen du Pinde ,
Surfa croupe dans l'air le guinde ?
» Or ce phantaftique animal ,
>>Quand nous le montons perd fa forme ,
» Et fi bien en nous fe transforme ,
>> Qu'un Centaure nous rendroit mal .
Argumenr du fecond Chant. Les jambes
manquent à l'Auteur dans les plaines
de Poitiers. Son aventure fur la charrette.
On veut le conduire à Poitiers , de l'Auberge
où il fe préfente. Comme quoi il fait
NOVEMBRE. 1760. 83
entendre raifon à l'Hôte. Il fe remet en
route pour gagner Clan. Hiftoire du jeune
Carme apoftat .
Une riche defcription du Soleil , où la
Poëfie s'embellit des connoiffances de la
Phyfique , ouvre le Chant fecond .
» L'Aftre que nous peint l'Ecriture ,
» S'avançant à pas de géant ,
"
» Pour triompher de ce néant
» Où la nuit plonge la Nature ,
» Lance , fans jamais s'épuifer ,
» Les feux nourriciers de fon globe ;
» Et l'on le voit , fans fe laffer ,
>> Partant du point où brille l'aube ,
>> Sur fa fpirale traverſer ,
» En roulant , la carriere immenſe ,
>> Que le matin il recommence.
Le morceau fuivant, eft fort de réfléxions
autant que de poësie.
» L'Homme eft un animal de gloire ,
» Comme Auguſtin l'a défini ;
» Dans chaque âme l'Etre infini
» A logé l'amour de foi- même ,
» Qui n'en peut être défani .
» En morale j'ai pour lyftême ,
» Qu'il vaut bien mieux le carefle
En autrui que de le bleffer.
D vj
$4 MERCURE DE FRANCE..
» Qu'elle eft petite à mon idée
» L'âme de ces grands prétendus ,
» Qui d'un for orgueil poffédée
» Du fang dont ils ſont deſcendus ,
> Enflant leur cervelle vuidée ,
» Accablent les pauvres Mortels
» Du poids de leur grandeur précaires:
» Et veulent forcer le vulgaire.
» A les nicher fur des autels !
›› Mais s'étendant de grade en grade,
» Ce vice entiche tous états ;
>> Des Sujets jufqu'aux Potentats ,"
» Qu'on remonte , ou qu'on rétrograde ;
>> Partout les faisceaux de l'orgueil
» Des portes entourent le feuil,
L'hiftoire du jeune Carme eft extrêmement
intéreffante , & prouve que M. Robé
, quand il le veut , pofféde la magie de
la Poëfie de fentiment. Il faudroit citer
cette hiftoire toute entiere : nous renvoyons
nos lecteurs au Poëme . Nous nous
contenterons de donner le portrait du
Moine.
·
» En ma chambre , au même moment
» Descend un- Difciple d'Elie,
» D'une figure très- jolie ,
» Et dont le printanier menton
NOVEMBRE. 1760.
85
» Renforce à peine ſon coton .
» Sur fon front la nobleſſe eſt peinte
» Sa pâleur donne peu d'atteinte
» A des traits plus beaux qué le jour ;;
» Et vous euffiez crû voir l'Amour,
>> Qui pour qu'on vénérât fon arme
>> Avoit pris un habit de Carme &c .
Je le répéte , cet épiſode eft auffi ingénieux
que touchant.
Troifiéme Chant. I.'Auteur part de
Clan , par la pluie . Accident qui arrive à
fon haut - de -chauffe. Comme quoi repofé ,
Rendu à Ste Maure, il fe couche . Apparition
de Rabelais , qui l'invite à aller lui
rendre fes hommages dans fa maifon de
Chinon. Le Poëte s'y achemine. Ce qui
fe paffe dans l'écurie de l'Auberge. Defcription
de Tours & de fes environs . Arrivée
de l'Auteur à Amboife . Il foupe avec:
les gens du coche , qui allaient à Bordeaux..
Difpute entre un Jacobin , un Jésuite , &
un Capucin. Comme quoi l'Auteur, fit les
honneurs de la Table..
L'apparition de Rabelais , eft un morceau
qu'on ne peut affez louer. Le Lecteur
éclairé en jugera lui -même.
›› Dans le fommeil où je me plonge,
» Je goûtois un profond repos ,
$6 MERCURE DE FRANCE.
» Quand prenant en main leurs pinceaux ,
» Mes efprits me tracent ce fonge.
» Je vois approcher de mon lit
>> Un homme avec l'air de lieffe
Qui me paroiffoit un confit
>> Et de folie & de fageffe.
» Il portoit au cou le collier
» Des Médecins de Montpellier ;
» Leur affaffine houpelande ,
» Qu'en découpure mainte bande
>> Falbanaffe de maints grelots ,
» Couvroit le ceintre de fon dos.
» Ce large cercle que compaffe
Le facré râfoir que l'on paffe
» Sur chaque ChefSacerdotal ,
» Örnoit fon cuir occipital.
>> De fon front fortoit une flamme ,
Actif fymbole de fon âme.
Minerve & le Bouffon des Dieux
» Le tirailloient à qui mieux mieux ;
Mais entre tous deux il partage
Et fon fouris , & fon regard :
» Tel avec Pompée & César,
» A Rome Atticus fe ménage.
55 En bandouliere , Amours badins ,
* Lui paffoient du Dieu des Jardins
>> La trop laſcive Cornemuſe,
* Qune plus férieule Mufe,
NOVEMBRE. 1760 .
81
.
»Que fur lui je vois foupirer,
>>S'efforçoit de lui retirer.
>> D'autres , dérobant par derriere ,
>> De deffous fon bras le Breviaire ,
לכ
>>D'Horace y plaçoient le Pfeautier ,
» Et le jouoient avec l'école
» Que le facerdotal métier
Lui faifoit porter fur l'épaule.
Le Poëte eft infpiré par Rabelais ; il
va à Chinon ; & trouve que le cabinet du
dernier , eft métamorphofé en écurie.
»Là , difois - je , fur des Autels ,
» On place ces rares Mortels
» Dont on vit le génie illuftre
>> De leur fiécle faire le luftre ;
De Confucius , la maiſon ,
» S'y change en un lieu d'oraiſon ;
» Et de Rabelais le lycée
>> Eft une étable méprifée !
» Du Mufæum abandonné.
» Moi-même , ainfi que fit Alcide ,
› Chez Augias , Prince d'Elide
Lavant le pavé profané ,
>> Je m'y fais dreſſer une table ,
» Et par force libation ,
» Au joyeux Curé de Meudon-
Je fais mon amende honorable.
$8 MERCURE DE FRANCE.
Tout cet endroit refpire la bonne plaifanterie.
Argument du Chant quatrième . Chûte
de l'Auteur fur la Levée , préfageant peutêtre
celle de fon Poëme : ( nous nous fervons
des expreffions de M. Robé. ) Defcription
de Blois. Rencontre qu'il fait à
Saint Dié , d'un Chanoine de fes amis ,
avec qui il foupe. L'Auteur fait part au
Chanoine du projet qu'il a de chanter fon
voyage. L'Abbé lui confeille d'y inférer
une aventure gaillarde qui lui eft arrivée.
L'Auteur s'en défend . Comme quoi , &'
pourquoi. Defcription d'Orléans .
La defcription de Blois,forme une image
agréable.
» Voyez-vous , en amphithéâtre ,
» S'élever l'antique château ,
» Qall'on montre encor fur le plâtre
» Le fang que ce fameux couteau ,
» Qui pour la vengeance s'aiguiſe ,
» Fit couler , des veines de Guife ?
» Voyez-vous ce riche Evêché ,
>> Où de deffus ces larges maffes
» Formant de fuperbes terraffes ,
Le mépris des biens eft prêché ?
>> Ces clochers , voiſins de la nue ,
Dont la pointe à l'oeil s'atténue ,,
NOVEMBRE. 1760.
de toits?
» Ce long cordon de murs ,
» Voilà ce que l'on nomme Blois.
Nous en demeurerons à cet Extrait, trop
borné pour détailler toutes les beautés
de cet ouvrage. M. Robé a un avantage',
c'eft qu'il ne copie point : tout eft créé
fous fes mains fécondes. Nous l'exhortons
à nous enrichir fouvent de pareilles productions.
Quelques perfonnes pourront re
gretter qu'il n'yait pas plus d'aménité dans
la verfification : mais un Peintre Hollandois
ou Flamand , n'a pas la touche
d'un Italien . Je le redirai : chaque Peintre
à fa maniere ; & celle de M. Robé eft
mâle & vigoureufe.
;
LETTRE à M. DE LA LOUPTIERE ,
ou réponse à fa question inférée dans le
Mercure de Septembre 1760 ; fçavoir ,
lequel feroit plus flateur pour un Berger
, d'être aimé de fa Bergere fi éperduement
qu'elle fouhaitat de l'aimer
moins ; ou d'en être aimé moins &
qu'elle fouhaitat de l'aimer davantage.
SUPPOSONS ,
Monfieur , pour pouvoir
répondre à votre question , qu'un
90 MERCURE DE FRANCE .
Berger foit aimé de deux Bergéres ; que
celui là foit tendre & délicat , & que
celles ci foient , par leur jeuneffe & leur
beauté , capables de faire naître des defirs
; que l'une aime fi éperdument qu'elle
voudroit aimer moins , & que l'autre aime
moins & qu'elle fouhaite aimer davantage.
Suppofons encore que le Berger
foit affez clairvoyant pour pouvoir
pénétrer ce qui fe paffe dans le coeur des
deux Bergéres. Cela pofé , examinons actuellement
vers laquelle le Berger doit
tourner fon choix.
L'ardeur extrême , qui confume la premiere
, prouve , en quelque façon , que
la violente épreuve de cet amour exceffif,
qui accompagne prèfque toujours un premier
attachement , n'a point encore uſé
les facultés fenfibles de fon âme , & que
fen coeur tout neuf encore , ne brûle que
pour la premiere fois.Si elle defire d'aimer
moins , ce n'eft pas qu'elle découvre dans
le Berger des imperfections qui le rendent
indigne de fon amour : l'objet qu'on
aime en a- t- il jamais à nos yeux ? Mais
c'est parce qu'elle le trouve fi beau , fi
bien fait , fi charmant , que fon coeur ,
dont elle n'eft plus maîtreffe , lui fait
craindre de manquer aux rigoureux devoirs
que l'honneur & la décence lui préſNOVEMBRE.
1760 .
crivent.C'eft qu'intérieurement agitée par
des mouvemens qui fe combattent toujours
fans fe détruire, elle appréhende & fouhaite
fans ceffe de le voir ; c'eft que fon amour
qui l'occupe continuellement la rend infenfible
à tous les plaifirs , lorfqu'elle fe
voit privée de fa préfence ; c'eft que fa
jaloufie lui fait envifager que l'imprudente
légèreté peut l'entraîner vers une autre
Bergére ; enfin , c'eft que la contrainte
où elle vit toujours , pour ne point laiſſer
trop éclater la violence de fon amour ,
la rend malheureufe .
:
Les éfforts que fait la feconde pour
aimer davantage , font pour le Berger
une preuve bien fatisfaifante de fon mérite
car la paffion de cette Amante
moins vive que celle de l'autre , la rendant
moins aveugle fur les qualités de fon
Amant , la laiſſe en état d'en juger plus
fainement ; & le reproche qu'elle fe fait
de n'être pas plus tendre , n'eft fans doute
fondé que fur ce qu'elle remarque en
lui d'aimable : mais la foibleffe de fon
amour ne peut provenir que de l'une de
ces trois caufes , toutes peu favorables
pour un Berger ; fçavoir , ou de ce qu'elle
panche naturellement un peu vers l'indifférence
; ou de ce que fortement attachée
d'un autre côté , elle ne peut rom
92 MERCURE DE FRANCE.
pre les noeuds qui la retiennent ; ou bien , de
ce que fon coeur épuifé par une premiere
inclination , n'eft plus propre à en former
une feconde auffi forte.
Il est facile de voir par ceci , que la façon
d'aimer de cette derniere, reffemble
bien plus à de l'eftime qu'à de l'amour.
Ainfi , Monfieur , votre question ſe réduit
prèſqu'à celle- ci : Lequelferoit plus flatteur
pour un Berger d'être eftimé de fa Bergere
, ou d'en être aimé ? Il n'eſt pas douteux
que tout ce qui approche de ce froid
fentiment , qu'on nomme eftime , fert
plutôt à défefperer un amant paffionné ,
qu'à le contenter. Quand on aime , on
veut être payé de retour ; & ce n'eft de la
part de l'amante que le plus ardent amour
qui puiffe remplir les voeux du Berger.
Pourquoi cela C'eft que , dans un pareil
amour , il apperçoit pour lui un triomphe
fûr & prochain ; c'eft qu'il y diftingue
le terme chéri de fes eſpérances & de
fes defirs ; & qu'il y découvre , en un mot ,
un bonheur parfait . Il voit , au contraire ,
qu'il n'y a rien à gagner avec celle qui ai
me foiblement , à moins que fon amour
ne vienne à augmenter; car fa liberté ,
qu'elle n'a perdue qu'à demi , permet en
core à la voix févère de la raifon & de
l'honneur , de fe faire entendre : ce n'eft
NOVEMBRE. 1760. 93
peut-être que pour
que pour être plus foible qu'elle
defire d'aimer davantage . Mais ce n'eft
pas affez ; il faudroit qu'elle eût encore
cette foibleffe qui feconde fi bien les deffeins
d'un Berger
entreprenant.
ןכ
D'ailleurs un Berger , dont la délicateffe
n'eft corrompue ni par l'injuftice , ni
par l'ingratitude , fera toujours flatté de
remarquer dans une Bergère les mouvemens
d'inquiétude & de jaloufie qui accompagnent
ordinairement les grandes
paffions, lorfqu'il pourra fe flatter que c'eſt
lui qui les excite . Pour en être convaincu ,
il ne faut qu'entendre s'exprimer la jaloufie
,quand elle est un effet de l'amour . N'eftce
pas là à-peu- près fon langage ? » Je ne
» vois rien dans le monde de plus accompli
que vous ! Vous m'avez fçu charmer
» par mille attraits que je ne puis rencon-
» trer ailleurs . Je vous adore ! Vous êtes
» mon tréſor , ma vie , tout ce que j'ai de
plus cher. Votre coeur , que je crois pofféder
, devroit faire tout mon bonheur ;
» mais la peur, que j'ai de me le voir enlever,
me caufe un trouble, une agitation
qui ne me permettent pas de jouir d'un
bien fi précieux. Ma crainte eft fans doute
» excufable! Dois - je, ou puis- je me flatter
» de paroître toujours affez aimable à vos
» yeux, pour n'avoir jamais rien à craindre
و د
"
39
94 MERCURE DE FRANCE.
de la part de l'inconftance?Je ne me con-
»nois d'autre mérite, que celui de fçavoir
»bien aimer ; & j'en fçais pour qui votre
"coeur pourroit peut être, hélas ! fans trop
»d'injuſtice & même fans le vouloir , fen-
»tir ce doux penchant qui vous entraîne
"aujourd'hui vers moi . L'objet le plus rem-
»pli de perfections & le plus digne de nos
"hommages, & l'amour , qui n'eft point un
"effet de notre volonté , nous enchaîne
fous fes loix , malgré la réfiftance que
"nous lui oppofons. Quel malheur, quelle
"difgrace, ne feroit - ce pas pour moi , fi je
»venois un jour à vous perdre? L'idée feule
»m'en fait frémir ! Pourrois je furvivre un
»feul inftant à un deftin fi funefte ? Ah !
>>croyez que la mort viendroit bientôt
»m'enlever à mes maux.
Cet éloge doit paroître d'autant plus
délicieux à la perfonne à qui il s'adreffe
que , quoiqu'il foit peut êtie outré , car
l'amour eft fujet à donner dans l'excès ,
elle doit être affurée que la flatterie n'y a
point de part , & qu'il n'eft que l'expref-
Gon fincère des fentimens qu'éprouve un
coeur vivement épris.
Enfin , pour revenir aux deux Bergères ,
celle qui aime le plus , fera plus conftante
, parce que fa chaîne eft plus difficile à
Iompre ; celle qui aime moins fera plus
NOVEMBRE. 1760. 95
, parce que les liens , qui l'attachent ,
ne font pas aflez forts. Il n'y a point à ſe
défier de la premiere , elle n'a point de
détours ; il y a à prendre garde de ne fe
point laiffer tromper par la feconde , elle
peut être artificieufe & diffimulée ; l'une
facrifiera tout , s'il le faut , pour le Berger
; l'autre en exigera plutôt des ſacrifices
; le malheur de celle- là touche & intéreffe
fortement pour elle ; la fituation
tranquille de celle- ci n'a prèfque rien qui
prévienne en fa faveur ; enfin l'une a plus
l'air d'une eſclave foumife , & l'autre plus
celui d'une maîtreffe qui veut le faire obéir.
Je ne crois pas , Monfieur , après cela ,
que notre Berger , inftruit par fa propre
pénétration des fentimens des deux Bergères
pour lui , ainfi que nous l'avons fuppofé
au commencement de cette Lettre ,
puiffe balancer quelque tems à donner la
préférence à l'une d'elles. La queftion ne
me paroît plus indécife ; & dans la peur
que j'ai d'en dire trop , je ne m'étendrai
pas davantage fur cette matiére . Si je me
fuis trompé , daignez avoir quelqu'indulgence
pour un jeune homme , qui ne fait
encore qu'entrer dans la carrière des Lettres
, qui eft relégué dans un défert , &
qui n'a d'autre fecours que celui de la réfléxion
& des livres.
J'ai l'honneur d'être , &c.
96 MERCURE DE FRANCE.
>
,
NOUVELLE expofition du Plan des traits
de l'Hiftoire univerfelle , facrée & profane
, d'après les plus grands Peintres
& les meilleurs Ecrivains dédiés à
Mgr. LE DUC DE BOURGOGNE
& propofés par foufcription par le fieur
LE MAIRE , Graveur. Ouvrage deftiné
à l'éducation des jeunes gens , ainfi
qu'à l'inftruction des perfonnes , qui
fans beaucoup de lecture , veulent avoir
des notions de l'Hiftoire.
Segniùs irritant animos demiffa per aurem ,
Quàm quæ funt oculis fubjecta fidelibus .
Hor. Art. Poet
que
L'IMPRI
IMPRESSION
des objets fur les
» efprits eft plus lente par les oreilles
» par les yeux . Voilà ce qu'on a compris
de tout temps : les yeux font les premiers
inftrumens
de la mémoire , & par conféquent
ceux de nos connoiflances
. Mais
cet admirable
attribut , la Mémoire
qu'eft- elle elle- même ? Les Philofophes
difputent encore fur fa nature & fur fa
fubftance organique ; mais Strada , qui
s'eft contenté d'en repréfenter
le méchanifme
fous des images fenfibles
, l'a peutêtre
NOVEMBRE. 1760 . 97
être mieux définie que tous les Métaphyficiens.
"
"
» Que peut on imaginer de plus mer-
» veilleux , dit cet éloquent Ecrivain
» que cette capacité de l'efprit qu'un im-
» menfe amas de chofes, qui s'accumulent
tous les jours , n'égale point , ne remplit
point , ne fçauroit combler ; mais
femble , au contraire , étendre , élargir
» ou dilater de telle forte , que l'on diroit
» qu'elle s'ouvre fans ceffe & fe creuſe
» intérieurement de nouveaux réduits
» de nouvelles niches , pour de nou-
» veaux objets qui s'y logent à l'aife ?
Quel fpectacle plus admirable , que
» de voir un mêlange infini d'efpéces &
» de fignes , de formes fi différentes & fi
difparates , fubfifter enfemble fans fe
confondre , & fe démêler fans embar-
›› ras , dans les replis étroits du cerveau ?
» Cette multitude d'objets eft comme un
» Peuple nombreux , partagé , diſtribué
» par familles ou par têtes . Chacun a fon
logement féparé , fur la face duquel on
» lit le nom de celui qui l'occupe ; de
façon qu'il vous eft aifé de paffer en
revue chaque habitant , ou de faire le
» dénombrement de toute la peuplade.
» Quel avantage que d'avoir toujours à
vos ordres une quantité prodigieufe
"
"
E
98 MERCURE DE FRANCE.
22
39
d'efpéces ou d'images , comme une mi-
» lice engagée fous vos drapeaux , & telle-
» ment attachée, tellement unie, liée , fer-
» rée entre elle , que vous pouvez , à votre
gré, faire marcher toute la troupe en.
» corps de phalange , la divifer par pelo-
» ton , ou faire défilet en bon ordre un à un
» vos légionnaires ! Et qu'il eft étonnant,
» fans doute , que , dans une pareille foule
» d'objets , il n'y ait ni confufion , ni
défordre ; mais que les uns fe tenant ,
» pour ainfi dire , à l'écart , àà llaa
queue
» du camp , cédent la place à ceux qui
» veulent s'avancer ; que les autres ref-
» tent fur le paffage , comme pour ten-
» ter la fortie , & pour obferver fi l'on a
» beſoin d'eux ; que d'autres enfin ſe
préfentent au premier fignal , & s'élan-
» cent, à l'inftant de l'appel , fur le champ
» de bataille , où ils fe déployent !
33
ور
"
*
An poteft quicquam effe aut excogitari præf
tantius , quàm eam patere in animo capacitatem ,
quam immenfa rerum , aliarum aliis quotidiè accedentium
, congeries , non modò non exæquet ,
non expleat , non cumulet , fed dilatet etiam ,
laxetque ac fundat ampliùs , novofque femper
finus ac receffus intùs latè lacunofos aperiat ?
Quid admirabilius , quàm rerum verborumque
multitudinem formâ variam , ſenfu difcrepantem
, numero infinitam , iis loci anguftiis , ità non
confusè ac permixtè , fed diftinétè , electèque
confervari ; ut quafi difcreto deferiptoque in capita
feu familias populo , in fronte domûs doNOVEMBRE
. 1760 . 99
Cette analyfe pittorefque eft le plus
agréable tableau qu'on ait jamais fait de
la Mémoire. Mais fi tous les fens , dont
chacun à fes perceptions à part , font fes
tributaires , c'eft évidemment de la vue
qu'elle tire fes principales reffources.
Tous les Instituteurs , tous les Maîtres
chargés de l'inftruction des jeunes gens ,
dont la mémoire eft une toile d'attente
où tout doit fe peindre pour y refter imprimé
, ont fenti la néceffité de l'aider
toujours par les yeux . Quelques uns même
ont éffayé de revenir aux anciens
hiéroglyphiques qui repréfentoient immédiatement
les objets , ou du moins
quelques attributs des chofes qu'on vouloit
graver dans la mémoire ; & ces cacare
,
mini titulum legere , indèque habitatorem evoaut
gentem univerfam cenfere facilè potis ?
Quid accommodatius quàm fimulachrorum ingentes
copias , tanquàm addictàm ubiquè tibi
facramento militiam , eo inter fe nexu ac fide
conjunctam , cohærentemque habere , ut five
unumquodque feparatim , five confertim univerfa
, five fingula ordinatim , in aciem proferre
velis , nihil planè in tantâ rerum turbâ turbetur ;
fed alia procul atque in receffu fita prodeuntibus
locum cedant ; alia femi aperto a litu , quafi tentabında
, & , an ipfa quærantur , exploratura ,
fubfidant ; alia fe tota confeftim promant , atque
in medium , certo evocatu , profiliant. Fam
Strada Prolus . Academ. L. I. Prolus I.
E ij
10 MERCURE
DE FRANCE
.
ractères ont été fouvent employés avec
fuccès , pour apprendre aux enfans les
fignes du langage.
Mais c'est pour l'étude de l'Hiftoire que
la mémoire des jeunes gens , auffi volatile
qu'elle eft prompte , a fur - tout befoin du
fecours des yeux & de l'attrait du fpectacle.
Heureufement
tous les beaux Arts
femblent être confacrés à l'Hiftoire , &
s'empreffent
de la fervir. Le pinceau , le
cifeau , le burin , font continuellement
occupés à retracer des faits hiftoriques
,
& à nous les rendre préfens ; enforte
qu'on peut regarder les Cabinets.de
tableaux,
d'eftampes
, de médailles, comme
autant de dépôts de l'Hiftoire , comme de
vraies Bibliothèques
.
pre-
L'Hiftoire Sacrée , qui méritoit les
miers hommages des Arts , a été prèsqu'entierement
traitée en détail . Sans
parler de la fameufe Bible de Picart &
de plufieurs autres , tous les grands Maîtres
des Ecoles d'Italie , de Flandre , d'Allemagne
& de France , ont peint , repréſenté
en relief , ou gravé quelque partie
de cette belle Hiftoire , & peu de fujets
intéreſſans leur ont échappé.
L'Hiftoire Poetique,ou la Fable, n'a pas
été moins remaniée. On en a des corps
entiers , ou de grandes fuites , telles que
NOVEMBRE . 1760. ΤΟΥ
le Temple des Mufes , & différentes Éditions
des Métamorphofes d'Ovide , ornées
de figures.
Les Artiſtes de tous les âges fe font
auffi beaucoup exercés fur l'Hiftoire Ancienne
, & principalement fur les Hiſtoire
Grecque & Romaine , qui comprennent
celles de tant d'autres Peuples . On
voit donc que , s'il étoit poffible de raffembler
, dans chaque genre , tous les
bons monumens des Arts , on auroit, pour
ces trois parties , foit en tableaux , foit
en eftampes , un corps d'Hiftoire immenfe
& prèfque complet.
Refte l'Hiftoire Moderne , qui , à l'exception
de l'Hiftoire Eccléfiaftique , n'a
pas , à beaucoup près , autant occupé les
Arts. On a peu fouillé dans cette partie .
Difons plus fi l'on excepte quelques
morceaux en petit nombre des Hiftoires
Nationales , & celle des derniers régnes
de nos Rois , l'Hiftoire Moderne eft prèfque
encore , par rapport aux Arts , comme
ces terres où les voyageurs ont de
temps en temps relâché , mais où l'on
n'a point jufqu'ici formé d'établiſſemens .
Le projet de raffembler les Traits de
ces quatre genres d'Hiftoire , & d'en former
un corps d'Ouvrage , pourroit paroître
téméraire & peut- être d'une exé
E iij
702 MERCURE DE FRANCE.
cution impoffible , fi l'on différoit de
s'expliquer de nouveau fur la nature de
cette entrepriſe.
>
Il falloit d'abord fçavoir où puifer les
fujets traités par les meilleurs Maîtres , &
multipliés par la Gravure . Or , graces à
cet amour pour les Arts , que M. Bignon,
Bibliothécaire du Roi , fait revivre , avec
le nom bienfaifant & fi cher aux Mufes
de fon illuftre Prédéceffeur graces aux
foins obligeans que M. Joly , Garde des
eftampes du Roi , a bien voulu fe donner,
pour aider l'Auteur dans fes recherches ,
le plus riche Cabinet de l'Europe, ouvert
à ce laborieux Artifte , l'a mis en état de
faire contribuer toutes les Écoles à fon
Ouvrage. C'eſt dans ce précieux dépôt
que , pour ne point copier les Bibles en
eftampes ( ce qui auroit épargné beaucoup
de travail ) le Sieur le Maire a cherché la
plus grande partie des fujets qui compofent
le Pentateuque , ou les cinq Livres
de Moïfe ; & en lifant , au bas de fes
petits quadres , les noms de Raphaël ,
de Rubens , de Paul Véronèfe , du Pouffin
, & des autres Maîtres , dont il a ré
duit les compofitions , on voit qu'il n'étoit
pas poffible de faire un meilleur
choix . Il faut remarquer d'ailleurs , que
les Figures de la Bible font tellement
NOVEMBRE . 1760. 103
multipliées dans les feuls Livres de Moife
, qu'aucune Hiftoire Sacrée ne fera ni
auffi complette , ni auffi détaillée que
celle- ci.
On auroit bien voulu pouvoir donner
en même tems l'Hiftoire Moderne , & c'étoit
l'intention de l'Auteur . Mais on lui a
fait obferver , que c'étoit intervertir l'ordre
de l'Hiftoire Univerfelle ; que ce dérangement
pourroit mettre de la confufion
dans les idées des jeunes gens ; &
que , s'il vouloit accélérer plus utilement
fon ouvrage , il étoit bien plus convenable
de faire marcher de front la Fable ,
qui eft l'Hiftoire de l'Idolâtrie , avec celle
de la Religion révélée. L'Auteur a donç
pris le parti de fuivre ce plan , & dès - àpréfent
il fe difpofe à publier régulièrement
, avec les vingt fujets d'Hiftoire Sacrée
, qu'il fait paroître tous les mois , autant
de fujets de la Fable.
Il ne copiera point les grands corps
d'Hiftoire Poëtique que nous avons : il
tirera tous fes fujets des mêmes fources
qui lui fourniffent les fujets facrés ; il fe
permettra feulement de les fimplifier , &
d'y fuppléer au befoin , foit par les figures
de Picart ou par celles du Temple des
Mufes , foit par des fujets nouveaux
qu'il fera compofer exprès par d'habiles
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
ܝ
Maîtres. Du refte , il fe conformera au
odule qu'il a choifi pour les Figures
de la Bible.
Ainfi , tous les fujets Poëtiques , & les
autres , feront réduits à la hauteur d'environ
deux pouces & demi fur trois pou
ces de largeur.
>
Chaque Eftampe occupera la moitié
d'une page in octavo ; l'autre moitié fera
remplie par le titre du fujet › par la date
de l'événement , lorfqu'il pourra faire
époque , & par le Trait Hiftorique en
Latin & en François , toujours tiré des
meilleures fources. Toutes les Eftampes
feront ombrées , comme les Figures de la
Bible l'ont été depuis l'Exode , & continueront
de l'être.
La partie littéraire de l'Hiftoire Poëtique
fera faite avec le plus grand foin.
Les textes feront pris d'Ovide & des au-.
tres Mythologues Latins , qui feront tous
mis à contribution . Quant à la verfion
de ces textes , le morceau de Strada fur
la Mémoire eft un Effai qui fera juger de
la manière du Traducteur.
Quand la Fable fera finie , l'Histoire
Ancienne fuccédera , & marchera fur la
même ligne avec le refte de l'Hiftoire
Sainte , ou avec l'Hiftoire des Juifs , juſ
qu'à la Naillance de Jefus- Chrift , puis
NOVEMBRE. 1760. 105
avec l'Hiftoire de l'Eglife qui doit commencer
à cette époque. Enfuite viendra.
P'Hiftoire Moderne › que l'on divifera .
par fiécles , & qui fera conduite jufqu'au
18 , où l'Auteur a deffein de s'arrêter.
On donnera un nouveau Programme pour
chacune de ces parties , dont le plan fera
nettement expliqué.
Cette carrière , au premier coup d'oeil ,
paroît d'une étendue infinie , & plufieurs
perfonnes effrayées de la longueur d'un
ouvrage dont elles craignent de ne point
jouir , héfitent à s'en affurer les prémices
par les foufcriptions qui font ouvertes .
Pour affermir leur confiance , om les prie
de confidérer avec quelle activité l'Au
teur a procédé jufqu'à préfent dans l'Hif
toire facrée , dont il a donné depuis environ
fix mois , près de deux volumes ,
ou deux cens quarante fujets . Or les cinq
Livres de Morfe , jufqu'au Livre des Juges,
qui eft déjà bien avancé, font à- peuprès
le tiers de la Bible , & la fuite ira
du même pas. L'Hiftoire poëtique qu'on
tâchera de renfermer , s'il fe peut , dans
deux cens ou deux cens - cinquante fujets ,
& qui fuivra parallélement l'Hiftoire Sacrée
, eft au plus l'ouvrage d'un an. L'Hiftoire
Ancienne qui doit fuivre immédiatement
l'Histoire Poëtique , amènera la
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
fin de l'Hiftoire Sacrée , & atteindra celle
de l'Eglife , qui , parvenue au démembrement
de l'Empire Romain , conduira à
l'Hiftoire Moderne. Ainfi , toute cette
longue fuite d'Hiftoires , refferrée par
un homme intelligent , & repréſentée
par des Traits qui ne font que les racourcis
des grands Tableaux, dont chacune eft
formée , n'eft pas d'une exécution auffi
difficile que beaucoup de gens fe le figurent
, & l'on fe flatte de l'achever en
fept ou huit ans.
On peut comparer cet Ouvrage à une
grande Mappemonde , où un Géographe
auroit entrepris de faire entrer toutes
les Terres & les Mers connues , toutes
les divifions du Globe , toutes les Peuplades
qui le partagent , leurs principales
habitations , & c. Une pareille Carte contiendroit
certainement bien des détails .
Mais quand une Capitale eft indiquée
par un point ; quand une grande Province
, un Royaume entier font circonscrits
par quelques lignes ; lorſqu'une plage &
un continent n'occupent que l'efpace
néceffaire , pour faire démêler leur pofition
, leurs limites ; lorfqu'enfin on peut
parcourir des yeux toutes les parties de la
terre , fans confondre aucun des objets
qu'embraffe la Cofmographie qui répond
NOVEMBRE. 1760. 107
exactement à l'Hiftoire Univerfelle , on
conçoit le poffibilité de l'exécution . Telle
eft cette Mappemonde Hiftorique , à la
différence des détails qu'on y multipliera
plus ou moins, fuivant la néceffité de l'inf
truction. Mais quelqu'idée que l'on s'en
faffe , on peut affurer avec la plus grande
confiance , que les progrès en feront rapides
, & que l'Auteur , occupé de ce feul
objet , n'a rien plus à coeur que de mettre
, le plus promptement qu'il fera poffible,
entre les mains du Public , fon Ouvrage
complet de tous points.
L'honneur que Monfeigneur le Duc
DE BOURGOGNE lui a fait d'en accepter
l'hommage , étoit l'encouragement le
plus propre à le faire redoubler d'efforts ,
pour remplir un engagement qu'il ne
peut plus ni abandonner , ni négliger
pour quelque raison que ce foit .
CONDITIONS.
Cet ouvrage a commencé à paroître le
15 Décembre 1759 , & à la fin du mois
d'Août de cette année 1760 , il y a eu
240 Eftampes.
On continuera de diftribuer tous les
mois comme on a fait julqu'ici très- exactement
, vingt traits de l'Hiftoire Sacrée ,
qui feront par an 240 fujers. Le prix de
-
E vj .
108 MERCURE DE FRANCE.
F'année entière , pour les foufcripteurs ,
fera de 18 liv . & pour ceux qui n'auront
foufcrit , de 24 liv.
pas
*
Les Traits de la Fable , qui vont inceffamment
concourir avec ceux de l'Hiftoire
Sacrée fe diftribueront de même chaque
mois par fuite ou par cahier de 20 ſujets ,
qui feront auffi 240 Eftampes par an. Le
prix de ces 240 fujets , dont les 20 premiers
feront diftribués au plus tard le 15
Décembre prochain ,fera le même que celui
des fujets de l'Hiftoire Sacrée . Ainf
pour ces deux parties , les Soufcripteurs
payeront trente- fix liv. & ceux qui n'auront
pas foufcrit , 48 liv . Le prix pour la
Province , franc de port , fera , pour chaque
partie féparée , de 21 liv. & pour les
deux parties enfemble , de 42 liv .
On foufcrit dès - à préſent pour les
deux parties , à Paris chez l'Auteur , rue
S. Jean de Beauvais , Defaint & Saillant
, même rue , les Frères Etienne, rue
S. Jacques , Lambert , rue & à côté de la
Comédie Françoise Joullain , Marchand
d'Eftampes , quai de la Mégifferie .
Des raifons , fenties par les Artiftes ,
avoient fait prendre le parti de ne graver
qu'au fimple trait tous les fujets de
cette Hiftoire , & la premiere partie , compofée
de 130 Eftampes , eft exécutée de
NOVEMBRE. 1760. 109
cette maniere . Mais comme cet Ouvrage
eft principalement deftiné pour les jeunes.
gens , on a fait obferver à l'Auteur que
des Eftampes plus ou moins ombrées "
> qui prononcent toujours mieux le fujet
feroient fur eux plus d'impreffion ; & il a
commencé dès l'Exode à jetter des ombres
dans fes Eftampes. Or , pour rendre
les 130 fujets dont eft compofée la Ge
nèfe , conformes à ceux qui les ont fuivis
& qui les fuivront , l'Auteur s'eft déterminé
à retoucher ces 130 fujets & il
s'eft mis en état de les diftribuer en même
temps que les 20 premiers fujets de la
Fable. Le prix de ces 130 Eftampes ombrées
qui repréfentent toute la Génefe ,
pour ceux qui ont pris les premieres,ain
que pour les Soufcripteurs , fera de 9 l. 1s
f. & de 13 liv. pour les autres.
10 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. *** Sur un nouveau
bandage élastique pour guerir l'hydropifie
dufac lacrymal. Par M. Deshais
Gendron , Docteur en Médecine de l'Univerfité
de Montpellier , Confeiller Med.
du Roi près fon Grand- Confeil.
Vous fçavez mieux que moi , Monfeur
, qu'il n'y a point de traitement de
maladies Chirurgicales , fur lequel les fentimens
ayent été plus partagés , que celui
de la fiftule lacrymale. Les diverfes méthodes
qu'on a propofées pour guérir cette
maladie, auroient peut- être acquis plus de
fuccès , fi elles euffent été pratiquées relativement
, aux caufes & aux différentes efpéces
de fiftules auxquelles elles pouvoient
convenir. Il en eft des inftrumens comme
des médicamens . Ils ont tous leur action
& leur propriété ; mais l'action' méchanique
des uns & la propriété physique des
autres ont leurs bornes ; c'est par l'abus
que l'on en fait , & par une application
trop étendue & peu réfléchie , qu'ils deviennent
le plus fouvent infructueux.
Le bandage élaftique , Monfieur , que
je propoſe pour réduire la dilatation du
fac lacrymal , faire fortir au dehors les lar
E
C
B
F
G
D
THE
NEW
YORK PUBLIC
LIBRARY
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
.
NOVEMBRE . 1760 . III
mes qui s'y arrêtent & leur donner iſſue ,
n'a d'avantage fur tous les autres , que
par la facilité que l'on a de s'en fervir ; de
forte que la preffion qu'il fait fur le fac lacrimal
eft fi jufte , fi égale & fi ferme , que
l'on ne craint point qu'il fe dérange , qu'il
comprime les parties voilines & qu'il occafionne
aucune inflammation .
Il y a long- temps que j'en avois conçu
l'idée , mais il s'agiffoit de trouver quelque
Artiste qui pût feconder mes vues ;
elles ont été remplies au-delà de mon attente
par les foins & l'habileté du fieur
Coufin , Chirurgien bandagifte , très- connu
par fon génie , inventeur dans la ftructure
des bandages élaftiques , & dans la
connoiffance de toutes les hernies où ils
conviennent ; mais , avant que de faire
connoître la forme & l'utilité de celui que
j'annonce , éffayons , Monfieur , de diftinguer
l'efpéce de fiſtule à laquelle il peut
convenir.
L'hydropifie du fac lacrymal , eft une
des efpéces de fiftule les plus communes ;
c'eft par elle que commencent les autres :
elle fe manifefte par une tumeur plus ou
moins élevée , fituée à l'angle interne de
l'oeil , au deffous & quelquefois au deffus
du tendon mitoyen du mufcle orbiculaire
des paupieres , laquelle tumeur étant pref
112 MERCURE DE FRANCE:
fée avec le doigt , il fort par les points la
crymaux & quelquefois par le nez , une
liqueur limpide épaiffe & fouvent blanchâtre.
La rétention des larmes dans ce fac eft
regardée comme la caufe immédiate de
cette maladie ; elles ne s'y arrêteront
qu'autant qu'elles ne pourront s'écouler
par le nez; alors le fac lacrymal qui forme
une cavité ovale , & dont le tiffu eft
lâche & membraneux , cédera facilement
à leur abondance ; elles feront éffort &
agiront fur fes parois en les dilatant ; de
là , la tumeur qui paroîtra à l'extérieur
plus ou moins élévée , fuivant la quantité
de larmes qui y fera contenue.
La dilatation du fac ne fe forme pas
tout- à- coup ; on fe plaint long- temps auparavant
d'un écoulement de larmes le
long des joues ; fouvent le fac eft rempli
& dilaté , fans qu'il paroiffe de tumeur à
l'extérieur.
Il arrive auffi que les fyphons ou conduits
lacrymaux , font dilatés en même
tems ; mais les points lacrymaux dont les
orifices font cartilagineux , réfiftent à la
dilatation ; cette efpéce eft plus rare , par
la facilité qu'ont les larmes à refluer par
les points lacrymaux , qui font toujours
Ouverts.
NOVEMBRE. 1760. 113
C'eft de l'abondance de la lymphe la
crymale , arrêtée dans le fac ou conduir
nafal & du féjour qu'elle y fait , que naif
fent dans ces parties les accidens les plus
fâcheux , tels que l'inflammation , abcès ,
ulcéres , caries , & c. fymptomes qui caractérisent
les autres efpéces de fiftules.
Je ne m'arrêterai point , Monfieur , a en
faire le détail , afin de ne m'attacher qu'à
l'efpéce de fiftule où ce bandage devient
avantageux .
Puifque la dilatation du fac lacrymal
eft l'effet de la rétention des larmes ,
quelles font les caufes qui donnent occafion
à leur engorgement : eft ce quelque
humeur ou épaiffiffement lymphatique ,
qui bouche le canal & le retient dans le
fac ? ou bien font- ce les larmes qui s'y
arrêtent par la perte du reffort du fac lacrymal
? Mais avant que d'entrer dans cet
examen , permettez - moi , Monfieur , de
confidérer quelles font les forces qui font
circuler les larmes depuis leur féparation
des conduits excréteurs de la glande lacrymale
, jufqu'à leur iffue par le nez .
Les obfervations que j'ai faites à ce fujet
m'ont appris , que ce n'eft ni le mouvement
, ni la preffion des paupieres qui
détermine la liqueur lacrymale à fe porter
vers les points lacrymaux ; de même
114 MERCURE DE FRANCE.
que , ni leur qualité , ni l'action & reffort
du fac lacrymal , ne les font point paffer
par le nez. Pour le prouver , voici des expériences
que j'ai répétées plufieurs fois.
Si l'on prend une liqueur teinte en jau
ne ou en noir , & qu'on en répande plufieurs
gouttes dans les angles externes des
yeux , foit d'un vivant , ou d'un cadavre ,
fans donner aucun mouvement aux paupieres
, on voit auffitôt la liqueur fortir
par le nez .
Il arrive la même chofe à un oeil détaché
de l'orbite , avec toutes fes paupieres.
Après l'avoir fufpendu par un fil , de forte
que l'angle interne regarde la partie fupérieure
, & l'angle externe la partie inférieure
i l'on répand auffi quelques
gouttes d'une liqueur colorée dans l'angle
externe , l'on voit la liqueur ſe gliffer entre
la furface des paupieres & le globe ,
& monter jufqu'à la commiffure du tendon
mitoyen des muſcles des paupieres.
*
D'après ces expériences , il eft évident
* Si entre deux lames de plomb , ou bien deux
lames de verre appliquées l'une contre l'autre ,
& cependant un peu entr'ouvertes , l'on répand
quelques gouttes d'eau ou d'huile à l'une des extrémités
, on voit les gouttes s'étendre fur leurs
furfaces & le porter juſqu'à l'autre extrémité.
NOVEMBR E. 1760. FIS
que les larmes ne circulent point entre
les paupieres & le globe de l'oeil par une
force méchanique , telle que le mouve
ment des paupieres & leur preffion ; mais
elles font portées par une force phyfique
de fuccion & d'adhéfion qui les entraîne.
*
›
Les principes de l'hydraulique nous
apprennent que les fluides dans les tuyaux
capillaires , s'infinuent & s'élèvent d'autant
plus , que le diamètre de fes tuyaux
eft plus étroit & que leurs orifices offrent
plus de points de contact ; or les
points lacrymaux font de vrais tubes capillaires
, où la fuccion , où l'adhéſion de
la liqueur lacrymale doit avoir plus d'éfque
dans le fac & conduit nafal , dont
le diamètre eft beaucoup plus grand ; ainfi
le mouvement progreffif des larmes fera
beaucoup plus rapide dans les points lacrymaux
, & beaucoup plus lent dans le
fac lacrymal.
fet
Ces principes pofés , il s'enfuivra que
le cours des larmes acquérant plus de lenteur
dans le fac , elles pourront donner
*
Un tuyau d'un tiers de ligne éléve l'eau à
26 lignes ; un d'un dix huitiéme de ligne l'éléve
à 13 pouces , & un autre encore plus étroit à 22
pouces ; ceci fe paffe dans le plein comme dan
le vuide. Hales Hémaftiques.
116 MERCURE DE FRANCE.
donner naiffance à l'hydropifie du fac lacrymal
; ce rallentiffement ne dépendra
point de la perte de fon reffort.
Mais ce qui contribuera à les arrêter
c'eft l'épaiffiffement de l'humeur muqueufe
, féparée des petites glandes qui tapif
fent l'intérieur de cette petite poche membraneufe
, ainfi que les parois du conduit
nafal ; laquelle humeur s'adhérant avec les
larmes , les rendra plus épaiffes & moins
propres à paffer dans le nez de là leur
engorgement qui pourra fe former dans
le fac, de même que dans le conduit nafal .
Or cet engorgement deviendra plus
confidérable , s'il fe trouve quelque difpo
fition cachetique dans le fang , ou quelque
altération de l'humeur pituitaire ;
comme après quelques fluxions catharreufes
, éréfipélateufes , dartreufes , & c. Alors
les petites glandes qui tapiffent la membrane
pituitaire , ainfi que celles du fac
& conduit nafal étant engorgées , irritées
par l'âcreté & épaiffiffement de cette humeur
, s'enflammeront , fe gonfleront &
formeront un obftacle à l'écoulement des
larmes par le nez.
Je ne donne ici , Monfieur , qu'une idée
des caufes les plus générales & déterminantes
, qui occafionnent l'engorgement
de la liqueur lacrymale dans le fac : j'enNOVEMBRE.
1760 .. 117
trerois dans un plus grand détail , s'il me
falloit les extraire en particulier. Examinons
préfentement les avantages de la
compreffion dans l'hydropifie du fac lacrymal.
Les plus habiles Médecins & Chirur
giens- oculiftes, ont regardé la compreſſion
comme un moyen très- avantageux pour
guérir les fiftules récentes : maladies qui
affectent plus particulièrement les perfonnes
cacochymes , & les enfans dont
le mucus eft fort épais , & les fibres fort
lâches.
*
» Dionis mettoit une petite emplâtre
» de cérufe brûlée , fur l'endroit de la tu-
» meur , & une compreffe triangulaire ,
» d'un demi pouce , pour remplir le coin
» de l'oeil : fur cette compreffe il en appliquoit
une autre de même forme & de
» même épaiffeur & un peu plus large ,
après les avoir trempées dans des eaux
» défficatives ; il les contenoit par une
» bande circulaire , afin , diſoit-il , que
» l'humeur ne s'y amaffe pas , & que le
» vuide fe récole.
"
Outre l'incommodité de cette méthode
, j'y vois de plus un grand inconvénient
; c'eft que les points de compreffion
ne portant pas feulement fur le fac , mais
auffi fur les parties voisines , il en réſulte
}
118 MERCURE DE FRANCE:
des inflammations à l'oeil , comme je l'ai
vú fouvent arriver.
Fabrice Aquapendente , Scultet , Palfin
, Platner , Heifter , &c. ont inventé
des bandages d'acier de différentes formes
; mais toute leur ftructure fe réduit à
comprimer le fac au moyen d'un peffon
à vis qui , attaché à une branche d'acier
va porter fur la tumeur.
Malgré les vues & les intentions de
ces grands Médecins , ces bandages n'ont
pas eu un grand fuccès , non -feulement
parce qu'il eft difficile de les affujettir fans
qu'ils fe dérangent ; mais parce que la
compreffion fur le fac eft trop dure , &
gêne trop le malade.
Celui que je propofe , Monfieur , eft
beaucoup plus fimple , moins défagréable
à la vue & plus facile à porter : il eft compofé
d'un cercle d'acier en ovale * A, garni
de taffetas qui peut fe cacher fous les che
veux ou fous la perruque;il paffe par la partie
fupérieure du coronal & fe fixe derriere
l'occipital, au moyen d'un bouton , qui entre
dans différens trous , afin de le contenir
& ferrer fuivant la groffeur de la tête. Du
milieu de ce cercle il part une branche d'argent
B , furmontée en acier & un peu recourbée
; cette branche eft placée à la par
* Voyez la Planche.
NOVEMBRE . 1760. 119
tie fupérieure , entre deux pivots C , & arrêtée
au moyen d'une vis D, de forte qu'elle
ne peut le mouvoir que de dehors en dedans
. Sur le cercle d'acier eft un reffort
élaftique E , de deux pouces de longueur ,
qui fait faire le lévier à cette branche fa
partie inférieure forme une courbe F , afin
de paffer fous la voute arbitraire du côté
du nez ; à fon extrémité eft un bouton
oval G , qui pofe fur le fac lacrymal .
Depuis l'invention , Monfieur, de ce nouveau
bandage, je ne m'en fuis fervi qu'une
fois , mais j'ai eu le plus grand fuccès.
M.D. étoit affligé depuis plus de trois années
d'une hydropifie du fac lacrymal à l'oeil
droit ; cette espéce de fiftule , que quelques-
uns avoit caractériſée de fiftule complette
, formoit une tumeur élevée , rouge
& douloureuſe au toucher ; en la comprimant
avec le doigt , il fortoit, avec difficulté,
une matiere épaiffe & purulente ; le malade
avoit reffenti en cet endroit , plufieurs fois,
des inflammations confidérables , qui s'étoient
étendues jufques fur les paupieres
& le globe de l'oeil ; elles ne fe font diffipées
que par un abcès qui s'eft ouvert à
l'extérieur du fac , & avoit répandu beaucoup
de matiere purulente. Les remédes ,
tant externes qu'internes , n'avoient pu
diffiper entiérement cette efpéce de fiftule.
120 MERCURE DE FRANCE.
L'opération avoit été confeillée , comme
le feul moyen de guériſon . C'eſt alors que
j'ai été confulté. Après avoir examiné avec
attention s'il n'y avoit point carie , ou quelque
tumeur dans le nez qui bouchât l'orifice
inférieure de la gouttiere nafale , je me
décidai pour le bandage compreffif , que
M. Coufin appliqua avec toute la juſteſſe
poffible. J'ai preferit en même temps ,
pour laver l'oeil , une eau déterfive & émolliente
, qui pût pénétrer dans le fac & le
déterger. Je voyois de jour à autre la tumeur
diminuer , la matiere devenir claire
moins abondante : Elle s'eft enfin tarie entiérement
, & les larmes prirent leur cours
par
le nez . Le malade s'eft fervi environ
fix femaines de ce bandage , encore n'en
faifoit- il ufage que l'après- midi , & fouvent
il paffoit des jours entiers fans le
porter.
J'avoue , Monfieur , que les circonftances
de cette eſpèce de fiftule & fa guérifon
, me préviennent beaucoup en faveur
de ce nouveau bandage. Tout fon uſage.
ne fe réduit pas feulement à rétablir le fac
dilaté & à vuider les larmes qui s'y arrêtent
; il peut fervir contenir les appareils
, après la perforation de l'os unguis
il agit encore comme une espéce de
pifton , qui , foulant les larmes vers le
pour
conduit
NOVEMBRE. 1760. 121
conduit nafal , détruit peu-à- peu la réfiftance
qui s'y trouve ; or comme cette réfiftance
n'eft formée , le plus fouvent , que
par une matiére muqueufe épaiffie , les
larmes alors ayant plus de mouvement ,
atténuées & divifées par la compreffion ,
agiront avec force , détacheront & entraîneront
la matiére arrêtée dans le conduit
nafal .
Malgré les avantages de la compreffion
, il ne faut point perdre de vue les
remédes intérieurs , qui tendent à divifer ,
atténuer l'épaiffiffement du fang & de la
lymphe il ne faut pas négliger non plus
les remedes extérieurs , tels que les emplâtres
réfolutifs & fondans appliqués fur
le fac , les véficatoires derriere la nuque
du col ou les oreilles , les vapeurs reçues
par le nez , les fternutatoires , & enfin tous
les remédes qui peuvent détourner les humeurs
, tamollir & fondre les engorge
mens qui fe trouvent dans le canal nafal.
: Je fuis , Monfieur , &c .
122 MERCURE DE FRANCE .
•
EUVRES Métallurgiques de M. Jean
Christian Orfchall , Infpecteur des Mines.
de S. A. S. le Landgrave de Heffe Caffel ,
contenant 1 ° . l'art de la Fonderie ; 2 un
Traité de la Liquation ; 3 ° . un Traité
de la Macération des Mines ; 4 ° . le Trait
des trois Merveilles , ( traduit de l'Allemand
) vol. in- 12. du prix de 2 liv. 10
J. broché , & 3 liv. relié. A Paris , chez
Hardy , Libraire , rue S. Jaeques , à la
Colonne d'or , 1760 .
Les Voyageurs Modernes , ou Abrégé
de plufieurs Voyages faits en Europe
Afte & Afrique , traduit de l'Anglois ,
4 vol. in-12. du prix de 8 liv . brochés.
A Paris , chez Nyon & Guillyn , quai des
Auguftins , & Hardy , rue S. Jacques , à
la Colonne d'or , 1760 .
LES PRINCIPES fondamentaux de la
Religion , ou le Catéchisme de l'âge mûr :
Méthode courte & à la portée de tous
les fidéles , qui n'ont point reçu d'autres
inftructions fur cette matiere que celles
de l'enfance , & qui defirent fe rendre
raifon des motifs de leur foi . Volume in-
12. Paris. 1760. chez Babuty fils , quai
des Auguftins , Brocas & Humblot , LiNOVEMBRE.
1760. 123
braires , rue S. Jacques. Avec Approbation
& Privilége du Roi.
L'ARMÉE ROMAINE SAUVÉE , par les
prières de la Légion fulminante ; Poëme,
par M. l'Abbé Šélis.
Laus ibi nulla ducum
Claudi .
Brochure in-8°. Paris . 1760. chez la veu
ve Damonneville , quai des Auguftins , &
chez l'Auteur , au Bureau de lecture des
papiers publics , rue Bétizy.
EPITRE A M. DE VOLTAIRE , fuivie de
quelques Obfervations fur fa derniere
Piéce de Théâtre ( l'Orphelin de laChine,
& non pas l'Ecoffaife , comme on l'avoit
dit par erreur , dans le premier Vol.
du Mercure d'Octobre. ) Par M. Gazon
Dourxigné. Nouvelle Edition . Se vend à'
Paris , chez Cailleau , Libraire , quai des
Auguftins.
ALMANACH DE CUISINE , pour l'année
1761 , qui explique les productions des
alimens de chaque mois , & leur apprêt.
ALMANACH D'OFFICE , pour la même
année. L'un & l'autre fe vendent à Paris
chez Leclerc , Libraire , quai des Auguf
tins , à la Toiſon d'or.
Fij
424 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIE S.
SEANCE publique de la Société Litté
raire de Châlons -fur- Marne,
LE Mercredi 3 du mois de Septembre , la
Société Littéraire de Châlons - fur - Marne
a tenu fa feconde Séance publique .
Elle a été ouverte par la lecture de la
fuite des recherches hiftoriques & critiques
faites par M, Fradet , Secrétaire de
l'Intendance de Champagne , fur la Vie
& les Ecrits qui nous restent de Manaſſé,
Archevêque de Reims , fecond du nom ,
de l'illuftre Maifon de Chatillon - furz.
Marne , M. Vialet , Sous-Ingénieur des
Ponts & Chauffées a lû enfuite un Mémoire
dans lequel il a fait voir que l'on
peur augmenter par la cuiffon la dureté ,
& par conféquent la durée de l'ardoife.
Il réfulte des expériences qu'il a faites ,
que moyennant une légére dépenfe de
trente fols par milliers , l'ardoife des
NOVEMBRE 1760. t25
bords de la Meufe acquiert, à la cuiffon ,
non pas une dureté aigre & caffante ,
mais une dureté pleine , qui la rend au
moins du double plus durable. Un des
plus grands avantages de cette décou
verte , c'eft que la plus mauvaiſe ardoife
devient par l'action du feu auffi folide que
celle de la meilleure qualité.
M. Vialet a auffi effayé de verniffer
Pardoife ; fes tentatives ont eu quelques
fuccès , & il doit continuer fes expériences
; mais quand il en refteroit au point
où il eft parvenu , fa découverte n'en devroit
pas moins être mife au nombre des
progrès que l'on fait chaque jour dans les
Arts utiles.
M. Rouffel , un des Curés de cette Ville
, ayant entrepris de diſcuter les cauſes
du rétréciffement de l'efprit humain , a
fait part à l'Affemblée de la premiere par
tie de fes réflexions ; il y a démontré, avec
autant de clarté & d'agrément , que de
folidité , que le principal obftacle qui retient
nos connoiffances dans des bornes
étroites , c'est la multiplicité des objets
auxquels le même homme fe livre fans
choix , & fans avoir confulté fes forces .
Si on fe renfermoit dans l'étude d'une
feule ſcience , on n'en fçauroit qu'une , à
la vérité , mais on la fçauroit bien , &
F iij
116 MERCURE DE FRANCE:
l'Etat trouveroit dans ce Citoyen éclairé
& profond des avantages que ne peuvent
lui procurer ces génies fuperficiels qui
voltigent fans ceffe de branche en bran
che , fans fe repofer fur aucune.
Ce difcours a été fuivi de quelques ob
fervations de M. Vanier , Docteur Mé
decin , établi à Vitry , au fujet de diffé
rentes plantes affez rares , qu'il a trouvées
dans la Province de Champagne , & qui
peuvent être employées utilement au fou
Fagement des maux , auxquels l'humanité
n'eft que trop fujette .
Enfin , la Séance a été terminée par
la Préface que M. Dupleffis , qui demeure
auffi à Vitry, fe propofe de mettre à la tête
d'une Hiftoire des Infectes & des Vers ,
qui fe trouvent dans la même Province.
J
PRIX proposés par l'Académie Royale
des Sciences , Infcriptions & Belles-
Lettres de Touloufe , pour les années
1761 , 1762 & 1763 .
La Toulouſe A Ville de , célèbre par les
Prix qu'on y diftribue depuis longtemps
à l'Eloquence , à la Poëfie & aux Arts ,
voulant contribuer auffi au progrès des
NOVEMBRE. 1760. 127
Sciences & des Lettres , a , fous le bon
plaifir du Roi , fondé un Prix de la valeur
de cinq cens livres , pour être diftribuét
tous les ans par l'Académie Royale des
Sciences , Infcriptions & Belles Lettres ,
à celui qui , au jugement de cette Compagnie
, aura le mieux traité le fujet qu'elle
aura propofé.
Le fujer doit être alternativement de
Mathématique , de Médecine & de Lit
térature,
L'Acadéinie avoit propofé en 1757 s
pour Sujet du Prix de 1760 , les moyens
de reconnoître les contre- coups dans le
corps humain , & d'en prévenir les fuites.
Dans le nombre des ouvrages préſentés
pour ce Prix, quelques- uns ont mérité les
Eloges de l'Académie , & particuliéremenr
celui qui porte pour Dévife ces paroles de
Celle : Ut alimenta fanis corporibus agricultura
, fiefanitatem ægris Medicina promittit
.
Mais comme entre ces Pièces , certaines
fe bornent aux contre coups de la
tête ; que dans celles qui ont embraffe
ceux du tronc & des extrémités , les articles
qui s'y rapportent font peu approfondis
, & qu'en général aucun des ouvrages
préfentés n'explique le méchanifme des
contre- coups, dans un détail fuffifant pour
F
128 MERCURE DE FRANCE.
déterminer quelles font les connoiffancest
qu'on peut en tirer fur le fiége & la nature
des léfions produites par ces accidents ;
l'Académie s'eft déterminée à referver le
Prix & à le joindre à celui de 1763 , qui
fera de mille livres , & pour lequel elle
propofe le même Sujet.
On fçait que le Sujet propofé pour le
Prix de 1761 , qui fera de 2000 liv.eft l'état
des fciences & des arts dans le Royaume de
Toulouse , fous les Rois Vifigots , & quelles
y furent les Loix & les Maurs fous le
Gouvernement de ces Princes. Et les Auteurs
ont été avertis qu'ils doivent s'attacher
à rendre fenfibles les changemens
que la domination des Vifigots a produits
dans le Pays que renfermoit le Royaume
de Toulouſe.
Quant au Prix de 1762 , qui eft auffi
de 2000 livres , on eft inftruit encore qu'il
a pour fujer de déterminer la Direction &
la forme la plus avantageufe d'uné Digue
, pour qu'elle réfifte avec tout l'avantage
poffible aux efforts des Eaux, en ayant
égard aux diverfes manieres dont elles
tendent à la détruire ; & que les Auteurs
qui compoferont pour ce Prix , doivent
avoir principalement en vue les Digues
ou les Epis deſtinés à changer le cours
des Rivieres , & les principes de DynaNOVEMBRE.
1760. 129
mique relatifs à la folution de ce problême
, fans toutefois négliger la pratique.
Les Sçavans font invités à travailler
fur ces Sujets , & même les Affociés
étrangers de l'Académie . Ses autres Mem
bres font exclus de prétendre au Prix.
Ceux qui compoferont font priés d'écrire
en François ou en Latin & de remettre
une copie de leurs ouvrages qui foit bien
lifible , fur-tout quand il y aura des Calculs
Algébriques.
Les Auteurs écriront au bas de leurs
ouvrages une Sentence ou Deviſe ; mais
ils n'y mettront point leur nom. Ils pourront
néanmoins y joindre un Billet féparé
& cacheté , qui contienne la même
Sentence ou Devife , avec leur nom ,
leurs qualités & leur adreffe ; l'Académie
exige même qu'ils prennent cette précau❤
tion , lorsqu'ils adrefferont leurs Ecrits au
Secrétaire. Ce Billet ne fera point ouvert
fi la Pièce n'a remporté le Prix.
Ceux qui travailleront pour le Prix ,
pouront adreffer leurs ouvrages à M. l'Abbé
de Sapte , Secrétaire perpétuel de l'Académie,
ou les lui faire remettre par quel
que perfonne domiciliée à Toulouſe.Dans
ce dernier cas il en donnera fon récépiffé
, fur lequel fera écrite la Sentence
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
de l'Ouvrage , avec fon numero , felon
l'ordre dans lequel il aura été reçu .
Les Paquets adreffés au Secrétaire ,
doivent être affranchis de port.
Les Ouvrages ne feront reçus que
jufqu'au dernier Janvier des années pour
le Prix defquels ils auront été composés.
L'Académie proclamera dans fon Affemblée
publique du vingt - cinq du mois
d'Août de chaque année , la Piéce qu'elle
aura couronnée.
Si l'Ouvrage qui aura remporté le
Prix , a été envoyé au Secrétariat à
droiture , le Tréforier de l'Académie ne
délivrera ce Prix qu'à l'Auteur même qui
fe fera connoître , ou au Porteur d'une
Procuration de fa
part.
S'il y a un récépiffé du Secrétaire , le
Prix fera délivré à celui qui le repréſentera.
L'Académie , qui ne preferit aucun
fyftême , déclare auffi qu'elle n'entend
point adopter les principes des Ouvrages
qu'elle couronnera.
NOVEMBRE. 1760. 13 I'
GRAMMAIRE.
SENTIMENT de feu M. DU MARSAIS ,
fur les Noms de nombre confidérés per
rapport à la Grammaire .
VOUS ous me faites l'honneur de me dire
Monfieur , que quelques perfonnes , de
votre connoiffance , prétendent que les
noms de nombre deux , trois , quatre ,
cinq &c. ne font ni adjectifs , ni ſubſtantifs
; enforte qu'ils font , dans la Grammaire
, une espéce particuliere .
C'eſt le fentiment de M. l'Abbé Girard,
qui , à ce qu'il dit , t . 1. p. 73 , réhabilite
les nombres dans les honneurs de la Grammaire
, dont on avoit affecté de les dégrader.
Je les place , pourfuit- il , au rang
des efpéces générales , parce qu'ils en font
réellement une; l'idée de calcul étant une idée
Spéciale qui ne peut fe rapporter à aucune
de celles qui conftituent les autres espèces.
Mais , eft- il bien certain , que l'idée de
calcul étant une idée ſpéciale , les mots
qui expriment , qui fixent , qui détermnent
cette idée , ne foient fubordonnés à
aucune des efpéces générales de mots
F vi
132 MERCURE DE FRANCE.
connues jufqu'ici par les Grammaitiens ?
L'idée de figure eft une idée fpéciale :
s'enfuit il de-là que les mots , qui marquent
qu'un tel corps eft rond ou quarré ,
faffent une espéce particulière , qui ne
doive point être comprife fous quelqu'une
des espéces générales connues en Grammaire
, & que rond & quarré ceffent d'être
des adjectifs ?
Il me femble , Monfieur , qu'il faudroit
faire ici un arbre de Porphyre. Il y a certains
points généraux , felon lefquels les
mots , auffi bien que les êtres réels , conviennent
entre eux ; il y a enfuite des
points particuliers , felon lefquels ils différent
.
Les points les plus généraux , & qui
conviennent à tous les mots , par exemple
, d'être fignes d'une pensée , d'un concept
, ou de quelque point de vue de l'efprit
, donnent lieu à l'idée générale , MoŁ.
Enfuite nos obfervons des différences entre
les mots ou fignes de nos pensées.
Ces différences nous donnent lieu de
diftraire , de féparer les mots , & d'en
faire autant de claffes ou efpéces particulières
, felon que nous obfervoit qu'ils
conviennent entre eux à certains égards ,
& qu'ils différent en d'autres par rapport
à leur emploi grammatical
NOVEMBRE. 1760 133
•
Si dans ces premieres claffes ou espéces
particulières , nous voyons d'autres différences
, ces différences nous donnent encore
lieu de faire d'autres fubdivifions
jufqu'à ce qu'enfin nous n'en trouvious
plus à faire.
Ainfi , comme l'Ontologie , après avoir
d'abord reconnu l'être , le divife en efpéces
générales , qu'elle fubdivife enfuite
en efpéces moins générales , qui
n'ont plus fous elles que les individus ;
de même la Grammaire , qui a les mots
pour objet , en fait auffi des efpéces
qu'elle fubdivife enfuite felon les différences
qu'elle y obferve par rapport à
leurs propriétés & à leur ufage.
Pour déterminer de quelle claffe eft un
mot , il faut d'abord avoir une idée précife
de ce que le mot fignifie , & de
toute l'étendue de fon fervice grammatical
; enfuite , il faut avoir une connoif-
·fance diftincte des diverfes claffes connues
en Grammaire ; fauf à nous d'en
établir de nouvelles , s'il eft bien évident
que celles qui font déja établies ne fuffifent
pas.
Les mots ne font point des êtres réels.
Je conviens que tout ceci dépend de la
manière de penfer ; mais notre manière
de penfer doit être conforme aux idées
734 MERCURE DE FRANCE.
exemplaires que nous avons acquifes par
l'ufage de la vie , & que les autres hommes
ont comme nous, avec plus ou moins
d'étendue , de précifion & de netteté.
Ainfi j'aurois autant de tort à foutenir
que le mot Soleil eft un verbe , que fi
je difois que le cercle eft quarré.
que
Voilà bien des paroles , Monfieur
pour en venir à vous dire que je penſe
les noms de nombre cardinal , un ,
deux , trois , quatre , cinq , &c. doivent
être placés d'abord , fi vous voulez , dans
une claffe particulière , que vous nommerez
claffe des noms des nombres ; mais qui
fera enfuite compriſe dans la claffe générale
des noms adjectifs , à laquelle la
premiere eft fubordonnée.
Quelle eft l'idée exemplaire du nom
adjectif? Le nom adjectif eft un mot qui
défigne la manière d'être d'un objet , &
qui eft tellement identifié avec cet objet ,
que le fubftantif & l'adjectif font l'objet
même confidéré fous un certain point
de vue , & pourroient n'être exprimés
que par un feul mot .
Ainfi , tout mot qui marque la manière
d'être d'un objet avec lequel il eſt uni ,
eft un adjectif, quelle que puiffe être cette
manière d'être : ou plutôt quel que puiffe
être le point de vue ,fous lequel l'adjec
NOVEMBRE. 1760.
tif marque que nous confidérons l'objet.
Et voilà pourquoi , dit M. l'Abbé Girard,
on leur a donné le nom d'adjectif,
qui annonce , ajoute-t- il , un perfonnage
de lafuite d'un autre .
Ainfi , comme , rond , ou quarré , dé.
terminent la figure du fubftantif , puifque,
blanc , noir , rouge , en déterminent la
couleur : puifque , mon , mien , ton , vô
tre, nôtre , indiquent un rapport perfonnel
d'appartenance ; que , premier , fecond ,
deuxième , troifiéme , cinquième , font des
adjectifs , felon M. l'Abbé Girard mê
me, parce qu'ils qualifient la chofe par
un attribut d'ordre numéral : enfin , comme,
felon M. l'Abbé Girard , un , plu
fieurs , tout , nul , aucun , font des adjectifs
qui expriment une qualification de
quotité vague & non déterminée ; de même
, un , deux , trois , quatre , cinq , &c.
font des adjectifs qui expriment une qualification
de quotité déterminée.
Ainfi , je place d'abord chacun de ces
adjectifs dans leur claffe particuliere ; les
uns , comme déterminant la figure ; les
autres , la couleur ; ceux ci l'appartenance
; ceux-là , l'ordre numéral ; d'autres ,
la quotité vague ; enfin , je mets ceux
dont il s'agit dans la claffe des adjectifs
qui déterminent le nombre des êtres , avec
136 MERCURE DE FRANCE
lefquels ils font identifiés collectivement ;
& je fubordonne toutes ces claffes particulières
à la claffe générale des adjectifs .
M. l'Abbé Girard , qui fait de ces
noms de nombre une feptième partie d'oraiſon
, qui , felon lui , n'eft fubordonnée
à aucune autre , ne peut s'empêcher
de convenir que le régime de ces mots- là
eft tel que d'adjectif à fubftantif ; ce qui
ne fauroit être que parce que ces mots - là
ne forment qu'un même tout avec leur
fubftantif ; ce qui eft le caractère propre
de l'adjectif.
Ainfi dans ces exemples , les Saints
Apôtres , les douze Apôtres : Saints , eſt
un adjectif qui marque la fainteté des
Apôtres , & douze eft un adjectif qui en
défigne le nombre collectivement . Je
vais finir par une derniere réflexion .
Dans ces paffages Latins : Fortè , unam
adfpicio adolefcentulam ; ou , fi vous voulez
: Foriè , duas adfpicio adolefcentulas
( 1 ) ; & dans Virgile : Bisfenos cui , noftra
, dies , altaria fumant. Pueri bis feni
fulgent (1 ) : Je ne crois pas qu'il y ait de
Grammairien qui ne reconnoiffe là des
noms de nombre fubordonnés à la claſſe
des adjectifs . Pourquoi donc ne le fe
(1) Terent. And. Act . 1 .
Sc. 1.
(z) Virg. Ecl. 1. v. 44. Eneid.l. s .v. 56x
NOVEMBRE. 1760. 137
toient- ils pas en François ? N'y ont - ils
pas la même valeur?
ADDITION , où l'on répond à des objectionsfaites
contre l'écrit précédent.
JEE n'ai point traité des nombres confidérés
en eux- mêmes , ou plutôt confidérés
par abftraction , & comme faifant l'objet
de l'Arithmétique , parce que je n'avois
à en parler que relativement à l'idée
que M.l'Abbé Girard s'en eft faite dans fon
Xe Difcours , où il joint les mots qu'il ap
pelle calculatifs , avec les chofes calculées.
Mais , fi vous me demandez dans quelle
claffe il faut mettre les noms de nombre
confidérés in abstracto , & comme faiſant
l'objet de l'Arithmétique , je commencerai
par vous prier de faire , avec moi , les
obfervations fuivantes.
I. Il n'y a point de terme abftrait , qui
ne tire fon origine du réel & du phyfique ,
ou pour ne parler que des mots qui font
toujours les mêmes , foit qu'ils foient employés
dans l'ordre phyfique , ou qu'on en
faffe ufage dans l'ordre des abftraits ; je
dis que ces mots - là , ne devant leur pre18
MERCURE DE FRANCE.
mier être qu'à l'ordre phyfique , ont pris
là leur dénomination.
Beau , à caufe de la qualification qu'it
donne à la chofe , eft de la claffe des adjectifs
mais , quel nom faut-il lui donner
quand on fe fert de ce mot dans un
fens abftrait , & qu'on dit , par exemple
Le beau vous touche ?
Pour moi j'aime à reconnoître les mafques
, & je ne tire pas les chofes de leur
premier état , quand je crois appercevoir
qu'elles y tiennent, quoi qu'avec une forme
nouvelle ainfi je dis , que beau eſt
alors un adjectif pris fubftantivement : de
qui n'eft pas être fubftantif , comme l'Auteur
des Remarques fur mon petit écris
paroît le croire. Ces noms de nombre ,
dit- il , doivent toujours êté pris fubftanti
vement , & font en effet , felon toutes les
régles de la Grammaire & de la Logique ,
de vrais fubftantifs.
Je crois au contraire , qu'ils ne peuvent
être pris fubftantivement , que parce qu'a
lors même ils ne font pas de vrais ſubſtantifs.
Ce feroit en effet des mots d'une efpéce
bien finguliére , que des fubftantifs
pris fubftantivement .
Au fond , que veut dire cette énonciation
, le beau vous touche ? c'est - à- dire ce
NOVEMBRE. 1760.
139
qui eft beau : ainfi beau n'eft pas alors
bien mafqué en fubftantif , qu'on n'y découvre
fon état naturel d'adjectif , mais
d'un adjectif qui renferme avec lui un
fubftantifquelconque , fans quoi , beau no
pourroit jamais fubfifter dans le diſcours
' eft- à- dire , y être le fujet de la propofi
tion ; & voilà pourquoi je dis qu'il eft
alors un adjectif pris fubftantivement :
mais il n'eft pas pour cela , par lui - même ,
unfubftantif.
Ainfi , un , deux , trois , quatre , ayant
commencé par être joints aux chofes calculées
, dont ils ont déterminé la quantité
, ils ont été appellés adjectifs , & confervent
toujours ce caractére indélébile :
& voilà mon catéchifme grammatical.
Il y a plus : c'eft que je puis bien à la
vérité concevoir les nombres nombrans
& faire abftraction de tel ou tel être par
ticulier nombré ; mais , je ne fçaurois faire
abstraction d'être quelconque : Nombre.
nombrant nombre quelque chofe. Nombrant
, eft actif tranfitif. Je conviens de
l'axiome , que fcientia funt de univerfalibus
, & que fingularium non datur fcientia.
Ainfi quand je dis , 2 + 2 = 4 › je
fais , à la vérité , abftraction de louis , d'écus
, & de tout autre être ou individu particulier
déterminé ; mais je ne fçaurois
140 MERCURE DE FRANCE.
faire abtraction de l'idée de l'être quelconque
nombré. Ainfi il ne me paroît pas
véritable , fauf reſpect , que je puiffe confidérer
en eux - mêmes les nombres nombrans
, & en abftraire l'idée d'être quelconque
nombré. Deux & deux font quatre ,
c'eft à dire toutes les fois que vous ajouterez
deux êtres , ou individus quelconques
, à deux autres individus quelconques
, vous aurez quatre individus quelconques.
Cette addition de louis , d'écus , ou même
d'étre quelconque , ne ferviroit qu'à
allonger le difcours du calculateur : il la
fupprime , & il eft également entendu ;
mais cette idée , d'être quelconque , eft fi
véritablement dans fon efprit , que fans
elle il n'auroit aucune idée , & ne pourroit
appercevoir aucun rapport .
Puifque vous accordez pleinement , que
les noms dont il s'agit , font de véritables
adjectifs , dans leur affociation aux chofes
nombrées ; il s'enfuit que dans cette phra
fe , deux êtres , plus deux êtres , foni quatre
êtres : deux & quatre font adjectifs.
Pourquoi donc , fi je viens à fupprimer
être comme mot fuffifamment entendu ,
deux & quatre deviendront- ils fubftantifs ?
J'aime mieux dire que , ces noms renfermant
alors l'idée d'atres , fans perdre leur
NOVEMBRE . 1760. 147
hature d'adjectifs , ce feront des adjectifs
pris fubftantivement.
Je conviens que dans les opérations
d'Arithmétique , on eft fi fort accoutumé
à la fuppreffion de tout individu particulier
, que l'on croit n'appercevoir que le
rapport entre deux fois deux &. quatre
& c. Mais je fuis perfuadé , que fans l'idée
de l'être quelconque , qui eft alors calculé ,
il n'y auroit aucun rapport entre deuxfois
deux & quatre , qui ne feroient alors que
des mots fans nulle valeur.
Il n'en eft pas de même des noms fubftantifs
abftraits. Quiconque a un peu réfléchi
fur les abftraits , tel que la mefure ,
la durée , la couleur & le nombre , n'ignore
pas que ces mots marquent une idée ,
ou concept abfolu de l'efprit , qui , à la
vérité , ne répond à aucun être réel qui
exifte hors de nous ; mais la fignification
de ces mots , pour être conçue par quiconque
entend la langue , n'exige pas une
autre idée ce font là de vrais fubftantifs
par imitation ; ils excitent dans notre efprit
une idée abfolue , qui peut être toute
feule le fujet de la propofition. Etre &
Néant , ne marquent pas , à la vérité , des
objets réels & pofitifs hors de nous ; mais
l'idée de l'être , & le concept abftrait du
néant, font en nous des idées & des cont
42 MERCURE DE FRANCE.
cepts également abfolus & pofitifs : l'un
& l'autre eft également l'objet de ma penfée,
& peut , tout feul , être le fujet d'une
propofition. Le néant , n'a aucune proprié
ré ; la couleur, eft un effet de la lumière, &c.
& c'eft pour cela que ces mots font des fubftantifs
; ils fubfiftent par imitation dans
le difcours nous en parlons de la même
maniere que nous parlons des objets réels;
& nous fommes même fi fort accoutumés
à en parler , comme des autres fubftantifs ,
que nous croyons les confidérer en euxmêmes
, quoiqu'au fond tous ces mots- là
entant qu'abftraits , n'ayent point d'euxmêmes.
Mais , l'adjectif ne sçauroit jamais perdre
fon effence de mot qualificatif , ainſi ,
il ne fçauroit jamais exifter feul dans le
difcours , infenfu divifo. Encore un coup,
quand il y eft dans un fens abftrait , &
que, pour parler comme M. l'Abbé Gi➡
rard , ilmarche enfubftantif, il n'est pour
tant qu'un adjectif pris fubftantivement ,
& in fenfu compofito. Demeurons- en-là ;
car , faut- il que la moindre question nous
faffe rappeller une Logique entiere ?
NOVEMBRE . 1760. 143
LETTRE à Monfeigneur le Prince
FREDERIC DE SALM , fur un Phủ .
nomène obfervé en Normandie.
MONSEIGNEUR,
Votre goût décidé pour la Phyfique ,
vous rend curieux de tous les phénomènes
que la Nature nous préfente ; j'ai cru
vous faire plaifir en vous faiſant part de
celui qui parut ici il y a quelque temps.
Le 24 Juillet au foir , fur les dix heures
pendant que la Lune étoit fort claire ,
j'apperçus à la même latitude vers l'oueft
une lumiere éclatante au milieu d'une
pe
tite obfcurité. Cette lumiere avoit toutes
les couleurs de l'arc- en- ciel bien marquées ,
difpofées de maniere que le rouge étoit
du côté de la Lune , & elles s'étendoient
beaucoup plus de haut en bas que de côté.
Quoique nous ne voyions ordinairement
l'arc- en - ciel que dans la partie duCiel oppofée
auSoleil qui le forme, & en tournant
le dos à cet aftre ; je ne doutai point que la
lumière que je voyois ne fût une partie
d'un iris formé par le briſement & la réflexion
des rayons de la Lune , qui fe
144 MERCURE DE FRANCE
rompoient dans un nuage, ou gros bouillon
fort élevé, que la mer envoyoit fur la côte :
car j'étois alors dans le voisinage de la mer ,
à deux lieues de Fefcamp. M. l'Abbé de
Montmorillon , Maître du Chour , Comte
de Lyon , vient de me mander , que
dans le même temps l'on a vu à Lyon une
lueur un peu colorée fans forme d'arc enciel
; cela , Monfeigneur , me perfuaderoit
que je n'ai pas trouvé la vraie caufe de ce
Phénomène , & qu'il étoit à une bien plus.
grande diftance de la terre que les brouillards
de la mer. Cependant , dans ma
premiere perfuafion , je mefurai , le plus
exactement qu'il me fut poffible , avec
l'inftrument que j'avois , l'éloignement
de cette lumière à la Lune , que je trouvai
entre 40 & 45 degrés. Pendant près
de deux heures qu'a duré l'obfervation
j'ai remarqué que ces couleurs faifoient
le même chemin que la Lune , & qu'elles
avançoient devant elle , en gardant toujours
la même diftance. La Lune a donc
auffi des arcs en ciel auffi bien que le Soleil
. Je ne vous rappellerai pas , pour le
prouver , cette couronne éclatante par
toutes les couleurs de l'iris que j'obfervai
il y a douze ans autour du difque de
la Lune ; j'ai quelque chofe de plus particulier.
Un véritable arc- en - ciel fut apperçu
NOVEMBRE.. 1760. 145
perçu il y a quatre ans pendant la nuit ;
avoit la même difpofition que ceux qui
paroiffent pendant le jour. Dans le mois
de Décembre , deux jours après la pleine.
Lune , une heure avant l'aurore , il parut
vers l'Eft un arc en ciel auffi beau que s'il
eut été formé par le Soleil même ; les
rayons de la Lune alloient fe peindre dans
un nuage, d'où il tomboit une pluie qui fe
fit bientôt fentir à l'Obfervateur. Il y a ,
Monfeigneur , une infinité de beautés , dont
nous pourrions avoir l'agréable fpectacle ;
mais il faudroit fçavoir , felon le beau
mot de M. de Fontenelle , prendre la Nature
fur le fait. J'ai l'honneur d'être avec
un très-refpectueux dévouement , Monfeigneur
, &c.
146 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE IV.-
BEAUX - ARTS.
' ARCHITECTURE.
RÉPONSE à la Lettre de M...
fur
l'Architecture inférée dans le premier
Volume de Juillet dernier.
J'ATR ' AI lû , Monfieur , votre Lettre fur
l'Architecture. L'on ne peut qu'applau
dir à vos intentions ; votre Lettre eft d'un
bon Citoyen. 1
Il feroit à fouhaiter , que le Plan que
vous propoſez , eût fon effet. Ce projet
feroit un de ceux,dont on pourroit eſpérer
un heureux fuccès. Permettez- moi , cependant
, Monfieur , de vous faire quelques
obfervations.
Je n'entrerai pas dans le détail des
qualités requifes pour former un Archi
tecte. Je n'indiquerai pas non plus toutes
les différentes parties qu'il doit fçavoir.
Nos Maîtres en ont traité affez
favamment , pour nous en tenir à ce qu'ils
ont dit. Mais vous fçavez , Monfieur ,
que pour faire un homme , dans tel Art
NOVEMBRE . 1760. 147
que ce foit , il faut que la Nature & l'Art
concourent fucceffivement à le former.
Les difpofitions naturelles fe fuppofent
dans le fujet qui fe deftine à l'Art ; on le
fçait.
Vous pofez pour bafe de l'Art , qu'il
faudroit
que celui qui fe deftine à l'Architecture
fût bon deffinateur , & même
bon Peintre. Je crois , Monfieur , que
la partie du deffein , telle que vous l'indiquez
, doit lui fuffire. La Peinture emploiroit
elle feule trop de temps , qui
peut être employé à une partie plus éffentielle
, je veux dire aux Mathématiques
, & particulierement à la Géométrie
Science inféparablement unie à
l'Architecture , & propre à en faciliter les
progrès. Le choix des Profeffeurs , que
vous indiquez dans les différentes parties
d'étude , eft très-judicieuſe. Vous defireriez
que les jeunes gens , qui auroient
remporté le prix dans les trois genres ,
Décoration , Diftribution , Jardins
reftaffent plus longtemps à Paris. Cela
me paroît réfléchi ; ils feroient plus en
état de fe rendre raifon des bonnes chofes
qu'ils verroient enfuite en Italie ; pays
à jamais confacré , pour donner à nos
Artiftes le degré d'excellence dans tous -
les genres.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
Refte enfin la Pratique de l'Art que
l'on appelle Conftruction , dont vous ne
parlez point. Je defirerois donc , Monfieur
, que nos Artiftes étant parvenus à
un certain degré de fupériorité dans leur
talent , ils s'appliquaffent à cette Pratique.
On ne la regarde ordinairement
qu'avec un certain air de mépris , ne confidérant
fous cette dénomination que la
partie méchanique , trop fouvent abandonnée
à des gens qui ne fçavent que
manoeuvrer. Je penfe bien différemment
fur cette partie , quand elle fera confiée
à des Artiftes intelligens . Je ne conçois
pas , Monfieur , comment un jeune hom
me ,, avec route la fcience que vous lui
fuppofez , pourra faire l'application de
cette théorie , s'il n'eft entré dans les détails
de la Pratique de l'Art. Vous conviendrez
avec moi que tous les Arts ont
pour bâfe ces deux parties également éffentielles
, & qui doivent marcher de
compagnie. La Pratique fans la Théorie
eft aveugle , & ne peut convenir qu'à
des Automates , & non à des hommes.
Mais que feroit la Théorie fans la Pratique
? Elle pe ferviroit qu'à faire de faux
Savans. Je penfe fur l'Architecture , comme
fur la Peinture. Faites lire à votre
Eleve tous les meilleurs Traités de
NOVEMBRE. 1760. 149
I
Peinture ; qu'il en foit pénétré , qu'il en
raiſonne fupérieurement, vous n'avez faic
tout au plus qu'un Amateur , & non un
Peintre. Voulez vous en faire l'épreuve ?
mettez- lui le pinceau à la main . J'appréhende
avec raifon qu'il n'en foit ainfi de
notre Architecte , qui ne poffédera que
la Théorie de fon Art . Quand il voudra
faire exécuter un projet , il fera obligé
de s'en rapporter à des gens qui auront
feur intérêt à ne fe pas laiffer pénetrer ,,
de crainte que par la fuite on n'éclaire
leur travail de trop près Je dis , Mon
feur , que cet Artifte , avec toute la probité
poffible , peut faire dépenfer le doyble
au Particulier qui lui aura confié fes
intérêts , & même qu'il courera rifque
d'être fufpecté. De plus , ne connoiſſant
pas par lui- même la bonne conftruction ,
ni la qualité des matériaux pour y parvenir
, ni &c . il pourra avoir le défagrément
de voir la réputation perdue , par
le défaut des connoiffances qui fervent
de complément à celles qu'il a déja acquifes.
Voilà mon fentiment , Monfieur , je
fuis perfuadé que vous penfez comme
moi fur cette partie. Mais , n'ayant donné
qu'un projet très-fuccint , fur une matière
auffi étendue , les grands objets vous
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
ont feuls occupé , & vous avez laiffé au
Lecteur intelligent à fuppléer cette partie
que l'on fent être indifpenfable, pour
peu que l'on y réfléchiffe . J'ai pris la liberté
d'ajouter ce fupplément , pour ne
point induire en erreur les jeunes gens
qui commencent l'étude de cet Art .
Je fuis animé du même zéle que vous,
Monfieur ; c'est l'intérêt général que je
calcule . Je fouhaiterois que chaque Particulier
, qui eft dans le cas de faire bâtir ,
pût ne mettre les intérêts qu'entre les
mains d'Artiftes capables de bien concevoir
un projet , de le rendre exactement,
& de le faire exécuter avec le plus d'é
conomie poffible , & fuivant les régles
d'une bonne conftruction.
Vous pensez bien judicieufement, Monfieur
, fur l'expofition des projets d'Ar-
'chitecture , à l'imitation de celle des
morceaux de Peinture & de Sculpture.
Ce feroit un grand avantage pour les
Arts & pour les Artiftes . Il en résulteroit
cette heureuſe rivalité qui nous formeroit
de grands hommes. Je defirerois
comme vous , Monfieur , que ce projet
pût s'exécuter dans l'année où l'on ne
fait point d'expofition de Peinture au
Sallon , pour que dans le même lieu l'on
y vînt remarquer les différens progrès
NOVEMBRE. 1760.
151
des Arts , & de l'Architecture furtout
qui eft des Arts utiles le plus néceſſaire ,
& dont tous les autres tirent leur utilité
& leur éclat.
PHYSIQUE.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
Je craindrois , Monfieur , que le Public
ne tardât trop longtemps à être inftruit
d'une nouvelle qui , fans contredit , lui
doit être fort utile. Le peu d'empreffement
de l'Inventeur à fe faire valoir ,
pourroit aller jufqu'à garder le filence.
En qualité d'ami je crois devoir le rompre
, moins pour fon intérêt que pour celui
du Public. Cependant je ne rapporterai
que le réſultat des différentes converfations
qu'il m'a tenues à ce fujet . Je
craindrois de le déſobliger , fi je n'en parlois
pas auffi modeftement lui.
que
•
Il n'eft guéres permis de douter que les
hommes de tous les fiécles n'aient cherché
les moyens de refter fous l'eau le plus
de temps poffible. On ne découvre ,à la vérité,
chez les Anciens, aucunes tentatives
de machines propres à cet ufage ; mais
Veftime qu'ils faifoient des bons Plon-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
·
la geurs , & l'utilité dont ils étoient pour
pêche des Perles , nous prouvent affez
que par un art naturel bien cultivé , ils
fcavoient fe dédommager des avantages
d'un fecret très difficile à découvrir
pour eux , puifqu'ils n'avoient pas pouffé
la méchanique au même point que les
Modernes. Quoi qu'il en foit , les Sçavans
du fiécle précédent ont inventé ,
pour refpirer fous l'eau , plufieurs machines
ingénieufes , que des inconvéniens ,
dans la pratique , ont , fans doute , fait
abandonner . Ceper dant la cloche a fouvent
été miſe en ufage , malgré l'attirail
& les embarras qu'elle entraîne à fa fuite.
L'air s'y trouve d'autant plus condenfé
qu'on la defcend à une plus grande profondeur.
La refpiration y devient par
conféquent d'autant plus difficile. D'ail
leurs , on fçait que le même air qui a paffé.
un certain nombre de fois par nos poulmons
, n'eft plus propre à nous donner la
vie. Boyle le fixe à fept fois. On ne peut
donc y refpirer que très peu de temps.
Si l'on pouvoit perfectionner cette machine
, au point d'y demeurer un temps
confidérable , par exemple , deux heures ,
ce feroit déja rendre un grand ſervice à
ceux qui en font ufage. Or , la cloche eft
très facile. J'avertis de ne pas prendre ce
NOVEMBRE 1760. 1 5 3
que je vais dire pour une fimple ſpéculation
de cabinet les expériences qu'on a
faites ce fujet , donnent la certitude de
réuffir dans la pratique ; certitude qui fait
tout le prix d'une machine. Il ne s'agit ,
pour cela que de faire communiquer
l'homme qui eft fous la cloche avec l'air.
extérieur , fans que l'air comprimé dans
cette cloche puiffe s'échapper.
On fent d'abord qu'il faut des tuyaux
prolongés au- deffus de la furface de l'eau.
Mais comment empêcher l'air intérieur
de fortir ? La chofe eft route fimple : un
robinet ferme ce paffage . La difficulté
confiftoit donc à imaginer une embouchure
d'yvoire conftruite de forte que
l'homme la tenant dans fa bouche , pût
y adapter fes lévres , de manière qu'il
n'y ait aucune communication avec l'intérieur
de la bouche. Cette embouchure
n'eft point , comme on pourroit fe l'imaginer
, une fimple idée de Méchanicien
propofée au Public avant d'en avoir conftaté
les effets par l'expérience . Elle a été
éprouvée quantité de fois fous l'eau pendant
vingt cinq minutes , fans qu'une
feule goutte d'eau ait pénétré dans l'intérieur
de la bouche : ce qui eft fans con-
Tredit une plus forte épreuve que celle
de refpirer dans l'air comprimé. Quoi154
MERCURE DE FRANCE.
qu'on travaille fous la cloche ,, on pest
très-bien tenir continuellement l'embouchure
fans être obligé de fermer le robinet
, en y adaptant un tuyau de cuir garni.
en dedans d'un fil de laiton tourné en
ftors , ou bien en rendant un tuyau de
cuivre fufceptible de différens mouver
mens par le moyen de trois cylindres
creux qui s'ajuftent les uns dans les au
tres.
Je paffe maintenant à un inconvénient
auquel on n'a point éffayé de remédier
jufqu'à préfent dans les différentes mar
chines à plonger : c'est que l'air qu'on
chaffe dans l'expiration ne monte point
jufqu'au haut des tuyaux , furtout lorf
qu'ils ont une certaine hauteur ; c'eſt ce
qui fait que , dans l'infpiration , le plongeur
reçoit encore ce même air. L'Auteur
a remédié à ce défaut éffentiel , par le
moyen d'un foufflet qui a une foupape
dans le tuyau de conduite. Ce tuyau eft
recourbé , à angle droit , pour s'adapter à
l'extrémité de l'un des grands tuyaux ; &
comme ces deux grands tuyaux fe réu
niffent à une boëte commune qui com
munique à l'embouchure , ce ventilateur
renouvelle fans ceffe l'air de la machine ,
& fait par conféquent toujours circuler
un nouvel air dans les poulmons du plon
geur.
NOVEMBRE. 1760. 155
Je crois devoir remarquer, qu'il est né
ceffaire de comprimer le nez avec un reffort
, en mettant auparavant dans les
narines un peu de coton imbibé d'huile.
On peut auffi le comprimer avec deux vis
garnies d'un cuir moelleux , & fe tenir
certain que ni l'air ni l'eau n'y pourront
paffer. Outre cela, il faut avoir au-deffous
de l'embouchure un réſervoir pour la pituite
, tel qu'en ont ces pipes nommées
brulegueules . Tout ceci n'eft que dans la
vue de perfectionner la cloche à plonger ::
car l'Auteur est très- perfuadé qu'on peut
trouver mieux.
A l'égard de l'habit de plongeur , il eft
rempli de trop d'inconvéniens. Il eft trop
difficile de l'exécuter affez parfaitement ,
pour le rendre impénétrable à l'eau ; fon
tuyau de cuir eft fi peu facile à contenir ,
de façon que les parois n'étranglent en fe
rapprochant le paffage de l'air , ou ne les
ferment tout-à-fait. D'ailleurs l'homme y
court de fi grands rifques de fe noyer ,
puifqu'il faut le rendre plus pefant qu'un
pareil volume d'eau , & il eft fi difficile de
manoeuvrer avec cet habit dans la mer ,
qu'il paroît inutile de propofer des moyens
de le perfectionner.
Ce qu'il y auroit donc de plus avanta→
geux à l'art de plonger , feroit , fans con-
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
ttedit , de faire defcendre fous l'eau un
homme nud , fans qu'il fûr attaché à rien ,
& que dans cet état , il pût appliquer fa
bouche à une embouchure qui le fit communiquer
avec l'air extérieur par le moyen
de deux tuyaux prolongés au deffus de la
furface de l'eau : Ces deux tuyaux communiquant
auffi enſemble auprès de l'embouchure
, & le nez étant toujours comprimé
par un reffort ou par des vis, comme
on l'a expliqué ci - deffus.
le
La foule des témoins qui ont vu les
expériences réitérées qui ont été faites à
ce fujet , ne laiffe aucun lieu de douter
de la découverte & de l'effet de cette
machine . Mais l'Auteur craint que paffé
une certaine profondeur, la colonne d'eau
ne fût affez forte pour fe frayer un paffage
entre les lévres , quelque ferrées que
plongeur les tînt contre l'embouchure.
Envain d'habiles gens ont- ils voulu les
raffurer. Il en appelle à l'expérience , &
voudroit l'éprouver à 40 ou sa pieds fous
l'eau , pour fe convaincre par les faits
Mais , à de moindres profondeurs ,fa machine
feroit très- utile pour les voies d'eau
& pour une infinité d'autres ufages. Or ,
ce ne feroit pas un foible avantage ; &
quand par fon moyen on ne fauveroit
tous les dix ans qu'un feul vaiffeau du nauNOVEMBRE
. 1760. 157
frage , dans toute l'étendue des mers ,
l'Auteur ne feroit- il pas récompenfé de la
maniere la plus flatteufe pour tout homme
fenfible , puiſqu'il auroit contribué à
conferver la vie des hommes ?
Quoique cette façon de refpirer fous
l'eau foit abfolument neuve , & que la
machine foit réduite à fon plus grand degré
de fimplicité , néanmoins l'Auteur ,
qui s'eft appliqué à cette partie , croit en
avoir trouvé une meilleure. Mais elle lur
a paru fi avantageufe , dans la pratique
pour la pêche du corail , qu'il lui femble
bien permis d'en différer la publication ,
jufqu'à ce qu'il puiffe juger par lui - même ,
des avantages particuliers qu'il en retireroit.
Je ne crois pas devoir taire le nom
d'un auffi bon Citoyen. Il s'appelle M.
de Villeneuve. J'ai l'honneur d'être &c.
ETABLISSEMENT d'une Ecole de la
Guerre , par le fieur DE GOURNAY ,
Ingénieur , rue S. André des Arts , visd-
vis la rue Git-le- Caur , à Paris .
O
N eft affez convaincu de l'utilité de la
Théorie de la Guerre il y a même diffé
158 MERCURE DE FRANCE.
rentes méthodes pour l'étudier & en acquérir
les principes. La question eft d'y
parvenir par la voie la plus courte & les
moyens les plus fûrs.
Si l'on fait attention au temps qui pourroit
terminer les études du Latin des jeunes
gens , & à l'âge où ils peuvent entrer dans
le Militaire , & fi l'on fait quelques réflexions
fur la diverfité de leurs études , lorfqu'ils
apprennent à la fois toutes les parties
propres à leur éducation ; on verra
qu'il eft poffible de faire une diftribution
du temps mieux entendue , & combien
il feroit plus important pour de jeunes
Seigneurs deftinés au Militaire , qu'ils
employaffent une année tout au plus uniquement
à l'étude de la théorie d'un Art
qui doit faire l'occupation de toute leur
vie , & les mettre en état d'en remplir
dignement les places les plus élevées.
C'eft afin de concourir à ces vues , que
nous annonçons aujourd'hui une École
de la Guerre , pour les fondemens de
faquelle nous avons fait tous nos éfforts
pour compléter un Cours de leçons théoriques
, prévoir à tout ce qui pourroit
en rendre l'accès plus facile , & les imprimer
le plus promptement dans la
mémoire. Guidés par un principe que
les idées qui naiffent , & les raiſonneNOVEMBRE.
1760. Ifa
mens qui découlent des objets que nous
voyons , font ceux dont la perception eft
la plus prompte , nous avons rendu les
Mathématiques & toutes les autres Leçons
fi faciles & fi lumineufes , qu'elles
feront pour nos Eléves plutôt un amu
fement qu'un travail. L'expofé des parties
que nous enfeignerons dans le courant
d'une année , pourra donner une
idée de l'avantage qu'ils en retireront ,
lequel fera d'autant plus grand, que nous
donnerons les Leçons ou en commun ou
en particulier , felon le befoin des jeunes
gens qui n'auront d'autres études & exercices
en vue que ceux de cette Ecole.
:
Nous croyons pouvoir réduire aux
cinq parties fuivantes tout ce qui comprend
éffentiellement la théorie d'un
Militaire : 1. les Mathématiques ; 2 °.
l'Histoire rapportée à la Guerre ; 3 ° la
Géographie ; 4° . l'Hydrographie ou le
Pilotage ; 5. le Deffein & les parties qui
y ont rapport. Nous avons en conféquence
divifé les jours de l'année en cinq
parties autant parce que nous avons
éprouvé que foixante Leçons ou environ
que contiennent le Cours de chacune
des quatre premieres parties , & cent Le ;
çons pour ce qui concerne le Deffein , font
fuffifantes, par la méthode que nous avons
拳
160 MERCURE DE FRANCE.
1
formée , que pour faciliter aux Eléves
qui feront externes ou penfionnaires , felon
ce qui leur conviendra le mieux , la
liberté de doubler les Cours qui paroîtroient
leur être plus utiles ou les affec-.
ter davantage ?
Voici le détail des Parties , & l'ordre
que nous fuivrons dans les Leçons : les
Mathématiques qui comprennent l'Arithmétique
, la Géométrie & les Méchaniques
, doivent faire un des principaux
objets de l'étude d'un Militaire ; auffi
feront elles la premiere occupation des
Eléves de notre Ecole : nous donnerons
les Leçons des deux dernieres fuivant
une méthode d'obfervation , de remarque
& d'expérience , d'après des inftrumens ,
des figures , des corps géométriques &
des modéles en relief; d'où nous dédui-
Fons les opérations à la régle & au comles
pas , ainfi que démonftrations en rigueur
, felon l'exigence. Cette étude fe
fera dans la matinée tous les Lundi ,
Mercredi & Vendredi de chaque femaine
: l'après- midi de ces mêmes jours fera
employée à des Differtations fur tout ce
qui peut intéreffer davantage un Militaire
& lui être plus utile ; fur l'Histoire
rapportée à la Guerre , l'Artillerie , les
Mines , lP'AArrtt ddee camper ;
camper ; les´ Attaques,
NOVEMBRE 1760. 167
la Défenfe , les Evolutions , & c. le tout
appuyé des exemples des plus grands Capitaines
, tiré des meilleurs Auteurs &
aidé des plans , des modéles en reliefs ,
des inftrumens & des figures néceffaires
pour donner affez de Théorie aux Eléves ,
& leur infpirer tout le goût qu'on peut
avoir pour l'Art de la Guerre. ÀA ces deux
Cours fuccéderont fans interruption &
les mêmes jours , dans la matinée , la Géographie
, & l'après midi l'Hydrographie
ou le Pilotage , l'une & l'autre Parties accompagnées
des traits hiftoriques les plus
convenables ; & les Eléves auront fous
les yeux les Cartes , les Globes , les Sphè- ,
res , les Inftrumens & les Modéles propres
à leur en donner toute l'intelligence
poffible. Quant aux autres jours
les Mardi , Jeudi & Samedi de chaque.
femaine , les Eléves feront occupés au
Deffein , au Lavis des Plans , à la connoiffance
des Syftêmes de Fortification &
des Ordres d'Architecture . On choifira
les heures de ces jours qui conviendront,
pour l'étude des Langues étrangères &
les exercices du corps.
Si les approbations & les encouragemens
que nous avons eus de perſonnes
fupérieures dans ces genres , pouvoient
fervir de garans au progrès des Eléves
162 MERCURE DE FRANCE.
dont on voudra bien nous confier l'éducation
, nous pourrions fans doute nous
en faire un mérite auprès de celles à qui
nous avons l'honneur de parler ; mais
outre que nous leur donnerons là- deffus
toute la fatisfaction qu'elles exigeront ,
nous les prions de fe repofer fur l'intérêt
que nous avons au fuccès de cet établiſ
fement : elles verront jufqu'à quel point
nous porterons nos foins & nos égards
pour mériter leur confiance.
MUSIQUE.
LA premiere Edition du Livre intitulé ,
la Mufique rendue fenfible par la Méchanique
, ou nouveau fyflême pour apprendre
facilement la Mufique foi-même ; Ouvrage
utile & curieux , approuvé par l'Académie
Royale des Sciences : fe trouvant épuisée ,
l'Auteur s'eft propofé d'en donner une ſeconde
par Soufcription , dans laquelle il
fera des Corrections & des Augmentations
éffentielles ; il a eu l'avantage de rectifier
le Monochorde dans les Semi-Tons ; de
façon que les Tons & Demi-Tons qu'on
trouvera fur ce nouveau Monochorde , feront
plus juftes que fur quelque Inftrument
de Mufique que ce puiffe être. Cette nou
NOVEMBRE. 1760. 163
velle rectification démontre la fauffeté des
Clavecins en général dans les Semi -Tons ,
& conféquemment dans les Modulations
chargées de Dièfes ou de Bémols ; de forte
que le Public trouvant dans cette nouvelle
Edition le moyen de rectifier lesClavecins,
cet Inftrument deviendra parfait , & la
bafe de tous les autres fans exception.
Cette feconde Edition ſera de la même
forme que la précédente , c'est - à - dire , in-
8°. grandformat , & fera augmentée d'environ
24 pages, outre les corrections éffen
tielles en la feuille D..
L'Auteur ayant été prié de faire graver
en grand l'Echelle des Tons & Semi Tons
du Monorchorde , dont il s'étoit contenté
de donner la figure en raccourci , y joindra
cette feuille ; de forte que ceux qui
voudront fe faire des Monochordes , fans
avoir la peine d'en tracer & divifer les
Tons & Demi- Tons , fuivant les nouvelles
proportions qui feront dans ce livre ,
n'auront qu'à coller cette feuille fur un ais
bien uni , d'un pouce d'épaiffeur , en obfervant
que le papier ne s'allonge pas plus
d'un côté que de l'autre , & en y appliquant
des Sillets de fer dont on trouvera
la figure dans cette nouvelle Edition ; le
Monochorde fera parfait , & fournira tous
les Tons & Semi-Tons de la Mufique pen
164 MERCURE DE FRANCE.
dant trois Octaves de furite dans la plus
grande juftéffe .
Le prix fera de 2 liv. en feuille pour le's
Soufcripteurs , & de 3 liv. pour ceux qui
n'auront pas fouferit.
On pourra s'adreffer ,pour foufcrire , an
Sieur Ballard , feul Imprimeur du Roi
pour la Mufique , rue S. Jean-de - Beauwais
, au Sieur Duchesne , Libraire , rue
S. Jacques , au Temple du Goût , & au
Sieur Lambert , Imprimeur - Libraire près
la Comédie Françoife .
On avertit le Public qu'il faut affran
chir les Lettres, fi l'on écrit par la Pofte.
Cette deuxième Edition étant déja fous la
prelle , pourra être délivrée dans le mors
d'Octobre prochain.LesSoufcripteurs font
priés de donner leurs adreffes avec préci
fien , afin qu'on puiffe lès avertir lorſque
le Livre fera prêt d'être délivré.
>
Les Libraires de Province pourront
foufcrire pour telle quantité d'Exemplai
res qu'ils jugeront à propos.
On trouvera chez l'Auteur , des Monochordes
montés à quatre cordes , &
pourvus de chevalets néceffaires, moyennant
fix livres. On s'adreffera rue S. Honoré
, à l'Hôtel d'Aligre , jadis le Grand-
Confeil , auMagafin des Fontaines filtran
tes.
NOVEMBRE 1760. 165.
E
GRAVURE.
N annonçant le quatriéme & dernier
volume des Fables DE LA FONTAINE, dans
le premier tome du mois dernier , nous
fimes obferver que cette magnifique édition
remportoit non feulement le prix de la
Typographie, mais qu'elle enrichiffoit encore
les Arts d'excellens modéles dans
tous les genres . Cet avantage fe trouve
réalifé , jufques dans les parties acceffoires
qui ont concouru à l'embelliffement
de cet ouvrage. On a déja vu les culs- delampes
& les fleurons employés à décorer
un fervice de porcelaine fait pour Sa Ma
jefté à la Manufacture de Séve . Mais ces
mêmes ornemens , propres encore aux Cifeleurs
, Metteurs- en oeuvre , Bijoutiers ,
à la Fayancerie , aux Fabriques d'étoffes ,
&c. demandoient d'être communiqués
d'une manière moins difpendieufe , que
celle qu'offroit l'ouvrage où ils font employés
, & où il falloit les chercher. Le
heur Choffard , Graveur en taille douce ,
dont les ralens font connus, vient de rendre
ce fervice au Public,fous le bon plaifir.
de M. de Montenaùlt , qui lui a communiqué,
pour cet effet, les delfeins originaux
166 MERCURE DE FRANCE.
de M. Bachelier Peintre du Roi. La Collection
complette de ces culs- de lampe &
fleurons eft diftribuée en quatre fuites
dont la premiere paroît actuellement. M.
Bachelier en a retouché les épreuves ; &
la maniére élégante dont ces defſeins
déja gravés en bois , fe trouvent traduits
en taille- douce , a de quoi piquer la curiofité
des perfonnes capables de comparer
& d'apprécier les travaux de chaque
genre. Le prix modique de cette fuite
la met à portée d'être promptement diftribuée.
Elle fe vend vingt fols , chez la
veuve Chereau , rue Saint Jacques , aux
deux Piliers d'or. Les trois dernieres fuites
feront chacune au même prix , & ſuivront
immédiatement celle - ci.
Quelques Graveurs en bois fe font immifcés
de copier & d'exécuter une partie
de ces culs - de -lampe & fleurons , fans y
-être autorisés en aucune manière . On en
a vu différens éffais, dans plufieurs Livres
nouveaux. Comme cette entrepriſe eſt
directement contraire au Privilége du
Roi , & aux droits que M. de Montenault
a bien voulu conférer au fieur Choffard ,
quant à cette partie ; cet Artifte avertit
MM. les Imprimeurs - Libraires , & tous
autres , de ceffer une pareille contrefaction
auffi préjudiciable à la choſe par fa
NOVEMBRE. 1760. 167
mauvaiſe exécution, qu'à fes intérêts particuliers.
Il eft jufte , en effet , qu'il jouiffe
du fruit de ſes travaux ; & cet avertiffement
du fieur Choffart nous paroît d'aurant
plus louable de fa part, qu'il eſt à portée
, par le Privilége dont il s'agit , de faire
les pourfuites les plus rigoureufes. D'ail
leurs , la carrière de la perfection, eſt toujours
ouverte ; & loin de laiffer défigurer
& flétrir les belles chofes , comme il n'arrive
que trop ordinairement , lorfque
tout le monde y porte les mains ; il eft
bien plus avantageux pour la Typogra
phie que nos Imprimeurs , fur l'exemple
de l'édition dont il s'agit , & retenus par
les défenfes , faffent de nouveaux éfforts
pour enrichir nos preffes de deffeins agréables
, & de belles gravures en bois . Cet
Art a été trop négligé depuis longtemps ;
& les premieres dépouilles , à force d'être
copiées , font devenues des haillons qu'il
eft temps d'abandonner.
168 MERCURE DE FRANCE.
"
9
} CATALOGUE des Eftampes gravées d'après
les Tabicaux des plus grands Maitres
tités des Cabinets des Rois de
France , de Pologne & de Dannemarck ,
de M. le Prince de Carignan , de M. le
Duc de Valentinois de Madame la
Comteffe de Verrue , de M. le Comte de
Teffin , de M. le Comte de Chorfeuil ,
de M. le Comte de Vence , de M. le
Marquis d'Argenfon , de M. le Marquis
de Laffay , de M le Marquis de Mirabeau
, de M. le Baron de Thiers , de M.
le Chevalier de la Roque , de M. de
Fonpertuis , de Madame de Julienne
de M. de Vaux , de M. l'Empereur , de
M. Hicman , de M. Aved , de M. le
Noir , & autres , par le fieur Jacques-
LEBAS , Graveur du Cabinet du Roi ,
& defon Académie Royale. Il demeure
à Paris , au bas de la rue de la Harpe ,
dans la porte cochére vis-à- vis la rue
Percée , chez lequel on trouvera les Eftampes
énoncées ci après , & des plus
belles Epreuves , étant le feul poffeffeur
defdites Planches.
L
De M. Oudry , Peintre du Roi.
9
IVRE d'Animaux en 12 feuilles , 3 1.
Abois du Cerf , 11. 15 f.
Le
NOVEMBRE. 1760. 169
Le Cygne effrayé,
La Curée faite ,
11.
1. 15 f.
This f. 15
De M. Aved , Peintre du Roi.
Le Portrait de M. Caze , Directeur de
l'Académie de Peinture & Sculpture
11. 10 f
De M. Lancret , Peintre du Roi.
,
Le Repas Italien ,
Le Maître Galant ,
4 1 .
il. 15 f.
Le Portrait de M. Grandval , 3 l.
De M. Boucher , Peintre du Roi.
Premiere vue de Beauvais ,
Seconde vue de Beauvais .
Premiere vue de Charenton ,
Seconde vue de Charenton ,
L'Agréable Solitude ,
1 l . 15 f.
1 1. 15
11.
46.
f.
ር
■ l. 4 f.
is f Livre en vingt feuilles , pour deffiner
3 1 .
De Paulus Potter , Peintre Hollandois.
Petite vue d'Hollande ,
De Ruifdail.
Vue de Skervin ,
1 l. 4 f.
promenade à un
quart de liene de la Haye ,
Moulin Hollan fois ,
La fêche Hollandoife ,
Montagne de Terlatto ,
1 l. 15 f.
15 ..
4f.
4 f
H
170 MERCURE DE FRANCE.
Vue de Haarlem ,
Vue de Dickebuufe du côté d'Ipres .
De Bott A. V. de Velde.
11. 46
ul . of
Le Courier de Flandres
Petite Marine , '} de Bott.
21. 8 f
Vue de Santoliet ,
Vue de Schevlinge
, de V.V. de Veld.
3 1. 10 f.
De Berghem , Peintre Hollandois.
Les quatre heures du jour , en quatre
Eftampes ,
Embarquement de Vivres ,
8 1.
61.
De Jordaens , Peintre Flamand.
OEuvres de Jordaens , en feize Planches
,
De A. Van Dyck.
48.1.
Ecce Homo , gravé à l'eau- forte pár
A. Van Dyck ,
vé par C. Vermeulen ,
3 l.
Le Portrait de N. Vander Borcht , gra-
3
1.
De M. Vernet , Peintre du Roi ,
Départ pour la Pêche
Port de Mer d'Italie ,
3 1.
3 1.
NOVEMBRE. 1760. 171
III Vue d'Italie ,
IVe Vue d'Italie >
i l. 15 f.ር
I 1.
1 l. 15 f
Cérémonies qu'on obferve à la Réception
des Francs - Mâcons , en fept Eftampes
,
Le bon Mari peint par Broor ,
De différens Auteurs.
7 l.
15.6
.
de
15 f.
Le Balet du Prince de Salerne
Marvy
Le Village pillé par les Pandours d'après
Bregdel ,
Les Soldats en bonne humeur , idem ;
Vue de Leyden par Zorque ,
Six Sujets d'après Benedette
L'Amour à l'école ,
Le Triomphe de la Paix ,
gravé par C. Schut ,
La Touffaint , par Schut ,
Saint Sebaſtien , par Schut ,
1 l.
1 l.
11.4 f.
3 1,
I l. 10 f.
deffiné &
1 1.
I l.
1 l.
›
Le Portrait de Meffire J. B. Boyer ;
Confeiller au Parlement d'Aix , par H.
Rigaud , gravé par Vermeulen , il.
Vue entre la Haye & Roterdam , par
Vanderneer , 11. 15 f
De M. Coypel , Peintre du Roi.
L'Alliance de Bacchus & de Vénus ;
1 l. 10 f.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
Sainte Thérèfe ,
De Pater.
6 f
L'Officier Galant , & les Vivandieres ,
1 l. 10 f.
De M. Drouais , Peintre du Roi..
Le Portrait de M. Lorrain , Sculpteur
du Roi , & Recteur ,
I l . 10 f.
De M. Chardin , Peintre du Roi.
Le Négligé , ou la Toilette du matin ,
1 l. 10 f.
<
Dame , prenant fon thé , 1 l.
Faifeur de château de cartes , I l.
L'Econome , 11. 10 f.
La bonne éducation I l . 10 f.
Etude du Deffein , 11. 10 f
De M. Carlo Vanloo , Peintre du Roi.
Livre de proportion du corps humain
pour deffiner ,
4 !.
Suite de Décorations , de fix feuilles ,
àl'ufage des Théâtres , Paneaux , Caroffes
, &c. par M. Jacques , 3 1.
De M, Chantreau , Peintre François ,
Vue d'un Camp ,
Diftribution du Fourage au fec ,
18f.
18 f.
NOVEMBRE . 1760. 173
De Salvator Rofa , Peintre Italien.
S. Antoine de Padoue , prêchant aux
Poiffons , 10 f.
S. Antoine de Padoue , prêchant aux
Oifeaux ,
10 f..
De Van- Falens , Peintre Flamands
Le Rendez vous de chaffe ,
Le Chaffeur fortuné
La prife du Héron ,
Départ de Chaffe ,
3 1.
3 L.
3 1.
3
1. De M. Defcamps , Peintre Flamand.
Le Négociant ,
La Pupille ,
1 1. 10 f
11. 10 f
Le voyage du Roi au Havre de Grace ,
en fix Eftampes , de la grandeur du Pot au
Lait ,
36 I.
Et avec Vignettes , Difcours & Lettres
grifes ,
48 l.
De M. Defportes , Peintre du Roi.
Suite de 12 chiens de chaffe , 2 1. 10 f.
De Ondius.
Le Paradis Terrestre ,
De Rubbens , Peintre Flamand.
Job fur le fumier ,
11. 10 f
l. ' 11.5 6 .
Le Mariage de la Sainte Vierge gravé
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
par Boltwert,
•
Six Païfages , gravés . ibid.
3.1.
10 l. 10 f
La Réfurrection , gravée. ibid. 3 1 .
La Sainte Famille , gravé par Vofter
man , 11. 10 f. I
Une Nativité , gravée par Bolswert
•
L'Apothéofe d'Henri IV. gravée par
31. 15 f.
Vofterman ,
11. 4f.
Judith , qui coupe la tête d'Holopherne
,
Il. 4 f.
La Magdelaine ,
11. 46.
I
1 l. sf.
La chaffe au Sanglier , 1 .
Sainte Barbe , gravée par Bolswert
Sainte Catherine , gravée par Bols--
Wert ,
3 1.
L'Afcenfion , gravée par Bolswere
La Mere des Douleurs ,
31.
11. 4f.
La Dragme trouvée dans la gueule du
11. 10 f.
poiffon ,
Jupiter & Mercure , gravé par Kan Loo ,
11.
Du Sieur le Bas , Graveur du Cabinet
du Roi.
Livre de griffonnement , en fept feuilles
,
11. 10 f
Livre de Payfage pour deffiner à la plus
me ,
11. 10
NOVEMBRE. 1760. 175
Le temps mal employé ,
Les gentilles Villageoifes ,
Les Belles Vendangeufes ,
1of.
10 f.
10 f..
Io f
10 f.
10 f.
6 f.
L'Amant aimé ,
Colin- Maillard ,
Pierrot & fa progéniture ,
Monfieur de la Grandeur ,
Livre d'Etude de différentes Figures
Militaires , 2 1.
De David Teniers , Peintre Flamand.
1 Le Veilleur ,
2 Les Philofophes Bachiques , 31 .
3 Les Miferes de la Guerre ,
4
Les Pêcheurs Flamands ,
rl. 15 f
11. 15. f.
S La Terre ,
6 Le Feu ,
7 L'Air ,
8 L'Eau ,
8 f.
ዶር
8 f
* ር
2
La Vue ,
8f.
10 Le Toucher , 8 F
11 L'Odorat , 8-6
12 Le Goût , 8 f
I ; L'Ouie , 3
14 Le Bon Pere ,
15 Le Vieillard content ,
16 L'Ecole du bon Goût ,
8 f.
10 f.
Iof
10 f.
3717 Les Joueurs de Boule , 10 f.
18 Fête de Village , 4. 1.
19 La Solitude , 10f.
Juny
Hiv
376 MERCURE DE FRANCE .
36 La Guinguette Flamande ,
20 Premiere Vue de Flandre , 18 f
21 II°Vue de Flandre , l'arc- en- ciel , 18 f
22 Le Château de Teniers ,
23 Le Berger content ,
24 Le Berger rêveur ,
25 III Vue de Flandre ; la Moiffon ,
26 IV Vue de Flandre ; Jeu de Boule
27 S. François d'Affife ,
28 Réjouiffance Flamande ,
29 La Ferme ,
30 La Baffe cour ?
31 La Vente de la Pêche ,
32 La Pêche ,
33. Ve Vue de Flandre ,
34 Le Sifleur de Linotte ,
35. Le Rémouleur ,
37 Les deux Amis ,
S La Petite Laitiere ,
f.
ር .
10
f.
18 ር
18 ር
1 1. f.
15
11.15 £
10 f
41.
1 l. 15. f.
I 1 1. 15.f.
14
15.
f.
11. 10. f.
il. 10 f
1 l. 15 f.
Isl
.
15. f.ር .
39 Vue & Port de Mer de Flandre ,
6 I.
40 La Famille de Teniers , 1 l. 15 f.
41 La Tentation de S. Antoine , 1 I. 15 f
42 Le Fluteur ,
4 Le Chymifte ,
Les OEuvres de Miféricorde , dédiées 44
au Roi ,
4 ) Nôce de Village ,
15 L
3
l.
6 l.
256
NOVEMBRE. 1760. 177 .
46 Les Pêcheurs ,
15 f.
47 Saint Antoine , 1 1.
48 Le bon Mari ,
15 ..
49 Le Fumeur ,
15 f.1 .
so La Boudiniere
51 Retour de la Guinguette ,
52 VI . Vue de Flandre ,
I 1. 15 1.
i l. ..
1.
IS
f.
53 Le Berger amoureux ,
54 La Veffie ,
55 La Femme jalouſe ,
10 f.
15. f.
1. Il. 46.
où fone
6 1.
15 f.
15 f.
56 Troifiéme Fête Flamande ,
192 figures ,
57 Septiéme Vue de Flandre ,
58 Huitiéme Vue de Flandre ,
59 Neuviéme Vue de Flandre ,
60 Quatriéme Fête Flamande ,
Madame de Pompadour ,
61 L'Enfant Prodigue ,
62 La Blanchifferie , Xe Vue
63 Vue d'Anvers , XI de
de Flandre ,
Flandre ,
64 Le Jour naiſſant ,
65 La fin du Jour ,
11.15f
l.
dédiée à
6 1.
61.
6 l.
6 1.
De la Gall.
du Roi de
Pologne.
15 fo
is
lo
3 1.
4 1. 10 f
66 & 67 Les Canards ,
De Wouwreman , Peintre Hollandois.
67, 68 , 69 ,
Le Pot au Lait , 3
1.
La Chaffe à l'Italienne , 3 I.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
Halte d'Officiers ,
Les Sangliers forcés ,
Halte de Cavalerie ,
La petite Fermiere ,
Le Parc aux Cerfs ,.
Les Voituriers ,
3 1.
41. 10 f..
ul. 10 f.
*
- 15 f.
Is f
rl 10f
De M. Parocel , Peintre du Roi.
Détachement de Cavalerie ,
Halte des Gardes Suiffes ,)
Rencontre de Cavalerie ,.
11. 15 f
11.15 f..
3 1.
Petite halte des Gardes Suiffes , 1 1 .
Petite halte des Gardes Françoifes ,
Danfe à l'Italienne ,
11. ſ.
11. f.
Les quatre heures du jour , 2.1.. Départ de Chaffe , 11. 5 f.
Foire de Venife ,
10 f
Premier Livre de principes , pour appren
dre à deffiner à la plume , deftinés aux
jeunes gens de qualité , qui font dans
les Colléges ,
2 l. 10 f.
Second Livre , de treize feuilles , propre
aux Sculpteurs , Peintres & Orfèvres ,
pour fervir de fupports pour les Armoiries
, à l'uſage de tous ceux qui aiment
le deffein ,
2 1.
Tempête , V Vue d'Italie , peint par
Stork 11. 15 fo
NOVEMBRE. 1760. 179:
Premier Livre de Vues , en douze feuilles
, des environs de Paris , d'après Lan--
tara ,
18 for
Second Livre de Vues , en dix feuilles
des environs de Paris , d'après Lantara
Is fi
Vue de Rotterdam , de Van Goyen ,
I 1. IS
Tempête de Groenlande , de J. Peters
f.
11. 156.
Premiere & feconde Vue d'Italie , de Ber
tholomé , 11106
BOTANIQUE , AGRICULTURE
ET COMMERCE.
DÉCOUVRIR
ECOUVRIR
une nouvelle propriété
dans une Plante , c'eft procurer à l'Etat
& au Commerce un avantage d'autant
plus précieux , que c'eft enrichir l'Agri
culture & les Fabriquans : elle peut mertre
en valeur une terre en friche. C'eft ce
qui nous fait annoncer avec éloge l'emploi
que le fieur la Rouviere , Bonneties
de Sa Majefté , a fçu faire induftrieufement
de la Plante connue , au Jardin d'u
Roi , fous le nom d'Apocynum , & à
Trianon fous celui d'Afclepias. Cette
H vi
180 MERCURE DE FRANCE.
Plante vient de Syrie on la trouve dépeinte
& gravée dans le Muntingius 1672
& 1702 , fous le nom d'Apocynum Syriacum
, &c. Ne lui connoiffant point de
nom François , on nous permettra de l'appeller
ici la Soyeufe.
La Soyeuſe donc a la propriété déja
connue de fournir une ouate de foye. Le
fieur la Rouviere a fçu la rendre capable
d'être filée ; & en conféquence de fon
utile invention il a obtenu un Arrêt du
Confeil , qui l'autorife à en fabriquer des
velours , molletons & flanelles, fupérieurs
à celles d'Angleterre ; comme auffi de l'étoffe
de poil de lapin blanc , fouveraine
pour le rhumatifme ; & toute forte d'our
vrages de bonneterie faite au métier , à
jufte prix . On en trouve chez lui différens
affortimens. Il fe difpofe à donner inceffamment
au Public une inftruction des
différens ufages qu'on peut tirer de la
Soyeuse , dont il fournit gratis de la graine.
Il paye un petit écu la livre de cette
ouate , toute épluchée. On invite les
Cultivateurs à ne pas négliger ne pas négliger cette manière
honnête de s'enrichir. Le fieur la
Rouviere demeure place du Louvre.
NOVEMBRE. 1760. 181
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
OPERA.
L'ACADÉMIE CADÉMIE Royale de Mufique a
repris l'Opéra de Dardanus , que l'on
revoit toujours avec le même plaifir .
COMEDIE FRANÇOISE.
OxNy a donné , le Samedi 25 , l'Epouse
à la mode , ou le Triomphe du Coeur
Comédie en Vers , & en trois Actes ,
n'a pas réuffi .
qui
COMEDIE ITALIENNE.
O N continue toujours à ce Spectacle
les repréſentations de la Fortune au Vil-
Lage. On tend de plus en plus juſtice aux
beautés de la Mufique de cette Piéce.
Elle eſt de M. Gibert , jeune Muficien de
La plus grande efpérance, & qui a donné à
ceThéâtre , des chofes qui lui ont fait honneur
.Il a du goût , le chant aifé , noble
& gracieux ; fes fuccès doivent l'encou
182 MERCURE DE FRANCE.
rager , & l'exciter à mériter de nouveaux
fuffrages .
Le Mercredi 15 du mois dernier , le
fieur Savi débuta dans la Dame invincible
, Piéce Italienne , par le rôle d'Arle
quin ; cette tentative , dans une Comédie
où le fieur Carlin a toujours brillé avec
tant d'avantage , ne lui a pas réuffi ; mais
il a été applaudi dans Arlequin Sénateur
Romain. Il ne parle encore qu'Italien
& tous ceux qui poffédent cette Langue
font convenus qu'il perdoit infiniment à
n'être pas entendu.
Il paroît que le Public a enfin égard
aux foins affidus que ces Comédiens prennent
depuis longtemps pour le ramener
chez eux ; on n'y eft plus choqué de ce
vuide continuel qui fembloit éloigner les
mieux intentionnés ; & ils ont lieu d'efpérer
qu'ils fixeront par leur zéle cette foule
de Spectateurs , que la feule curiofité
avoit dabord fait accourir pour juger leur
nouvelle Salle .
Ils fe préparent à donner une nouvelle
Comédie en trois Actes , mêlés d'Ariettes
dont la Mufique eft de M. Gavigniés . La
célébrité de cet excellent Muficien eft de
l'augure le plus favorable pour cette Piéce,
que l'on attend déjà avec toute l'impa
tience qu'il eft digne d'exciter.
NOVEMBRE. 1760. 1836
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
L
De VIENNE ,le 10 Oftobre.
A nouvelle Archiducheffe étant arrivée le
13 du mois dernier à midi à Cafal- Maggiore ,
fut remife par le Comte de Saint Vital , Grand-
Maître , & Miniftre Plénipotentiaire de l'Infant
Duc de Parme , de Plaiſance & de Guaftalle , entre
les mains du Prince de Lichtenſtein , chargé
de la recevoir au nom de Leurs Majestés Impériales
, & de l'accompagner jufqu'à Vienne. La
Cour qui l'avoit fuivie de Parme , prit alors publiquement
congé d'elle en lui baifant la main , &
fa nouvelle Cour lui fut préfentée , & eut le même.
honneur . La Princeffe , après avoir auffi donné
fa main à baifer à un grand nombre de perfonnes
de diftinction , qui étoient venues de divers endroits
pour la complimenter , dîna en public fous
le dais. Elle fe rendit le foir à la falle que les Etats
de Milan avoient fait préparer. On y exécuta un
Concert dans lequel plufieurs excellentes voix fe
firent entendre. La Ville fut illuminée cette nuit ,
ainfi que la fuivante ..
L'Archiducheffe partit le 15 au matin de Caſal-
Maggiore pour le rendre à Mantoue. Elle y arriva
vers une heure, après midi , au bruit d'une
triple décharge de l'artillerie . Une double haie
de troupes bordoit les rues depuis la porte de la
Ville jufqu'au Château , où elle defcendit . Après
184 MERCURE DE FRANCE.
avoir pris quelques momens de repos , elle donna
fa main à baifer à une grande quantité de No.
bleffe du Milanois. Elle dîna enfuite en public ,
& le foir Elle affifta à un Concert qui fut exécuté
au Théâtre du Château ; après quoi Elle ſe rendit
au Bal où Elle retta quelque temps. Le lendemain
16 , Elle féjourna dans la même Ville , Elle parcourut
en caroffe les principales rues. Elle parur
très -fatisfaite de leur décoration . Le Duc de Modène
, qui fe trouva à Montignano , eut l'honneur
de la complimenter.
Le 17 , la Princefle continua fa route. A fon
arrivée à Rovera -Bella dans les Etats de Venife
qu'elle devoit traverfer , Elle fut reçue & compli
mentée au nom de la République par le Chevalier
Contarini , Commandant de Vérone , accompagné
de vingt -quatre Nobles . Deux détachemens de
Cavalerie des Troupes Vénitiennes fe joignirent à
fon escorte . On avoit conftruit à Caftel - Nuovo ,
où la Princeffe devoit dîner , un Bâtiment , dont
l'intérieur étoit magnifiquement décoré en glaces ,
en cryftaux & en tapis. Ce fut là que l'Archiduchelle
defcendit. Elle y dina en public . Il y eur
enfuite onze tables fervies magnifiquement , par
ordre de la République , pour la Cour de l'Archiduchelle
& pour la Nobleffe qui fe trouvoit à
Caftel-Nuovo. Au départ de la Princeffe , le Chevalier
Contarinila pria , au nom de la République ,
d'accepter les glaces , les cryftaux & les tapis qui
avoient fervi d'ameublement à la falle où Elle
avoit dîné. Le Chevalier Contarini ſe trouva encore
avec la même députation au pont d'Etích , où l'on
devoit fortir des Etats de Venife , & il y prit congé
de l'Archiducheffe , qui lui témoigna la plus gran
de fatisfaction des attentions de la République , &
de la magnificence avec laquelle elle avoit été
reçue.
NOVEMBRE. 1760.
185
On arriva le même ſoir à Ala ; la Princeffe y
fut complimentée au nom de l'Evêque de Trente.
Elle en partit le 19 , & Elle a continué fa marche
par Trente , Bolzano , Brixen , & par la Carinthie.
Elle a trouvé dans toutes les Villes de fa route
des Troupes & des Compagnies bourgeoifes fous
les armes , & l'on s'eft empreffé partout à lui témoigner
par des fêtes la joie de fon augufte union
avec l'Archiduc Jofeph. Cette Princefle arriva enfin
le i de ce mois au matin à Laxembourg où Elle
dîna . Elle partit enfuite pour le Château de Belvedere
, où Elle refta jufqu'au 6 , jour de la célébration
de fon mariage.
Le 2 , Leurs Majeftés Impériales , accompagnées
de l'Archiduc Jofeph , des deux Archiducheffes
aînées , du Prince Charles & de la Princelle
Charlotte de Lorraine , fe rendirent vers le midi
au Belvedere , pour faire la premiere vifite à l'Archiduchelle
; Elles dinèrent enfuite en particulier
avec cette Princeffe que le refte de la Famille Impériale
vint complimenter l'après - midi. Il y eut le
foir dans la Galerie un magnifique Concert , dans
lequel plufieurs Muficiens dú premier ordre , appellés
de divers endroits de l'Europe , firent connoître
leurs talens . Les Ambaffadeurs & Miniftres
Etrangers , les Confeillers d'Etat & les Principaux
Officiers de la Maifon de Leurs Majeftés Impériales
, furent préfentés le même foir à l'Archiducheffe
& eurent l'honneur de lui baiſer la main . Le
lendemain , il y eut encore concert au Belvedere.
Le 4 , jour de la fête de l'Empereur , la Cour
fut en Gala , & Sa Majefte Impériale reçut les
complimens accoutumés. La nouvelle garde des
Nobles Hongrois , qui étoit arrivée le 2 de Pref
bourg, fe rendit fur la place du Palais , & après
avoir fait le maniement des armes & plufieurs
186 MERCURE DE FRANCE.
évolutions , elle fut admiſe à l'honneur de baifer
la main de l'Empereur..
L'Archiducheffe fit , le 6 , fon entrée publique
dans cette Capitale. Elle partit du Beldevere à
deux heures après- midi. Les Trompettes & les
Timbales des Etats d'Autriche ouvroient la marche.
Après eux , venoient un grand nombre de
Caroffes remplis par diverfes perfonnes de la
Cour ou de la Maifon de Leurs Majeftés Impériales.
Ils étoient fuivis du Carolle du Grand Ecuyer
où étoient cet Oficier & le Grand- Maître de la
Maifon de l'Archiducheffe . Le Caroffe du Prince
de Lichtenſtein , avec le Cortége nombreux qui
Favoit accompagné dans fon Ambaffade , marchoic
enfuite & précédoit le Caroffe de l'Archiducheffe ,
dans lequel étoit la Comteffe d'Erdodi , Grand-
Maîtrelle de fa Maiſon . Ce Caroffe étoit fuivi par
fix Pages à cheval , par plufieurs Sous- Ecuyers ,
par un détachement des Gardes-du-Corps , par la
garde des Nobles Hongrois , & par quelques au
tres Caroffes dans lefquels étoient plufieurs perfonnes
de la Cour. La Marche étoit fermée par un
détachement du Régiment des Dragons de l'Archiduc
Jofeph.
On avoit élevé plufieurs Arcs-de-triomphe en
divers quartiers de la Ville qui étoient décorés
avec goût & magnificence. Les rues étoient bordées
par la Bourgeoifie qui étoit fous les armes , &
vêtue de beaux uniformes.
On fe rendit dans cet ordre à l'Eglife des Auguftins-
Déchauffés , où l'Archiducheffe artiva vers
les cinq heures du foir. Leurs Majeftés Impériales
vinrent la recevoir à l'entrée de l'Eglife , & l'Arehiduc
Jofeph lui donna la main lorfqu'elle defcendit
de fon Caroffe. La Princeffe , après avoir
reçu ainfi que l'Archiduc, la bénédiction du Nonce
& l'eau benite que ce Prince leur préſenta , fut
NOVEMBRE. 1760. 187
conduite par l'Impératrice dans une Chapelle par
ticuliere pendant qu'on chantoit quelques Prieres,
après lefquelles Leurs Majeftés Impériales , précé
dées du Nonce & du Clergé , fe rendirent dans le
Choeur. Leurs Majeftés Impériales fe placèrent
fous le dais du côté de l'Evangile. L'Archiduc &
P'Archiducheffe , vêtus de drap d'argent , fe placerent
en face du Grand - Autel . Après quelques
Prieres , le Nonce leur donna la Bénédiction Nuptiale
;
il entonna le Te Deum qui fut chanté par la
Mufique de la Cour. Leurs Majeftés Impériales
fortirent de l'Eglife , & Elles rentrèrent au Palais
avec toute la Famille Impériale par la Galerie
qui conduit de ce Palais à l'Eglife. L'Archiducheffe
prit enfuite quelque repos , après quoi , Elle donna
fa main à baifer à plufieurs Miniftres & Confeillers
d'Etat , aux Généraux , & aux perfonnes de la
haute Nobleffe , qui n'avoient pas encore reçu cer
honneur.
A huit heures du foir ,. Leurs Majeftés Timpé
riales , les nouveaux Epoux , les Archiducs Charles
& Léopold , les quatre Archiducheffes aînées ,
le Prince Charles & la Princeffe Charlotte de Lorraine
, fe rendirent à la falle du feftin. Cette falle
avoit été décorée par le Chevalier Servandoni ş
elle étoit éclairée par un très- grand nombre de
luftres & de Girandoles de cryftal ; celles des
quatre coins avoient vingt cinq pieds de hauteurs ,
portées par des groupes d'Amours. Le dais étoit
d'une forme nouvelle , & décoré par le même Artifte
de figures fymboliques en fculpture . La Cour :
entra dans cette falle au bruit des fanfares . L'Empereur
& l'impératrice fe placerent fous le dais ,
& l'Archiducheffe à droite , entre l'Empereur &
F'Archiduc. La table fut fervie en vailfelle d'or
nouvellement faite , & d'un travail exquis. Une
nombreuſe troupe de Muficiens exécura , pendant
188 MERCURE DE FRANCE.
le repas , des fymphonies & des morceaux de mu
fique vocale , analogues à l'objet de la Fête. La
falle étoit remplie d'une foule de Spectateus placés
fur un amphithéâtre & fur une tribune , & l'on
donna au Peuple la permiffion d'y entrer fucceffivement.
Le feftin Impérial étant fini , Leurs
Majeftés retournerent dans leurs appartemens ,
& la Princeffe fut conduite dans celui qui lui étoit
deftiné. Il y eut pendant la nuit une illumination
générale.
On célébra le lendemain , dans l'Eglife des Auguftins
, une Meffe en inufique pour la prospérité
des nouveaux Epoux. L'Archevêque de Vienne
officia , & toure la Cour y affifta. Leurs Majeftés
Impériales dînerent enfuite en public , & le
foir on exécuta , for le Théâtre de la Cour , un
nouvel Opéra , intitulé Alcide al Bivio , piéce allégorique
, dont les paroles font de l'Abbé Metaftafio
, & la musique du fieur Haffe . Le Spectacle
fut terminé par un Ballet ingénieux du ſieur
Angiolini.
Selon les nouvelles de Conftantinople , le Pacha
d'Iconium perfifie dans fa rébellion . Il a
évité les différens piéges qu'on lui avoit dreffés ,
& après avoir battu quelques corps de troupes
qu'on avoit envoyés contre lui , il a pris , aur
environs d'Erferom , une pofition avantageuſe ,
qui le met en état de réfifter à des forces trèsfupérieures.
Les mêmes nouvelles portent qu'une
des Sultanes eft enceinte de quatre mois ; ce qui
fait beaucoup de plaifir dans cette Capitale , où
F'on conçoit l'efpérance de voir naître un Succeffeur
à fa Hautelle.
De l'Armée aux ordres du Maréchal de
Daun , le 30 Septembre.
Le Maréchal de Daun , par les bonnes difpofi
NOVEMBRE. 1760. 189
>
tions, a obligé le Roi de Pruffe de renoncer au
projet qu'n avoit formé de pénétrer du côté de
Glatz & de Landshut . Il s'eft donné , à cette occafion
, plufieurs petits combats pour déloger les
Pruffiens de leurs poftes: Il n'y a eu que nos corps
avancés qui aient agi . Le Général d'ajafas
qui fuivoit les ennemis dans la plaine , avec les
Carabiniers & les Grenadiers à cheval , s'étant ap
perçu que l'Infanterie Pruffienne étoit fort éloignée
de la Cavalerie , & que la célérité de fa
marche y avoit caufé quelque défordre , réſolut
de l'attaquer. Il le fit avec tant de vivacité , qu'il
enfonça d'abord trois Bataillons ennemis de la
premiere ligne , prit douze piéces de canon , &
fit soo prifonniers . La feconde ligne commençoit
à plier lorsque les Pruffiens reçurent du renfort
; ils fe rallieren & firent fur notre Cavalerie
⚫un feu très- vif de leur Artillerie. Le Général d'Ajaffas
fut alors obligé de fe retirer & d'abandonner
une partie de fes prifonniers ; il n'en emmena
qu'environ 130 , parmi lesquels étoit un Officier
de l'Etat - Major Sa perte fur d'une centaine
d'hommes tués ou bleffés . Celle des ennemis fut
beaucoup plus conſidérable au rapport des déferteurs
qui ſe rendirent le même jour à notre armée
au nombre de plus de 60.
Pendant que nos Corps détachés harceloient
l'ennemi , notre armée arriva , & campa , fa droi
te appuyée à Seittendorff , & la gauche à Kunzendorff.
Le Général de Lafcy occupa en même
tems Langen-Wattersdorff , & pouffa les troupes
légères aux ordres du Général Brentano jufqu'à
Dannhauſen . Le Général Baron de Laudon fuivit ,
pendant tous ces mouvemens l'arriere - garde
Pruffienne , & établit ſon Camp fur les hauteurs
de Reifendorff & de Waldenbourg. Le Roi de
Prufle fit camper fon armée fur les hauteurs de
190 MERCURE DE FRANCE
Hohen- Gersdorff , fa gauche s'étendant juſqu'à
Blaven- Rantzen. Depuis , il ne s'eft rien paſſé de
confidérable.
De l'Armée de l'Empire , le 28 Septembre .
La Conférence du Feld Maréchal Prince de
Deux- Ponts avec le Duc de Wirtemberg avoit eu
pour objet de déloger le Corps Pruffien aux ordres
du Général Hullen , du Camp avantageux qu'il
occupoit: En conféquence , les Corps avancés de
l'arméefe mirent en mouvement le 13.On occupa
Malitſchen , Elfnig , Wogellang & Weidenhayn.
En même tems , le Corps d'armée du Duc de
Wirtemberg marcha de Bitterfeld à Pretfch , & le
Général Luczinsky prit pofte à Domitſch au- deffous
de Torgau , où on lui envoya un train de
pontons.
L'armée quitta , le 24 à la pointe du jour, fon
Camp de Strehla. On délogea les ennemis deSuptitz
, de Zina & de Wollau . On campa enfuite
fur les hauteurs de Suptitz . Le Colonel de Zetwitz
délogea , de fon côté, les Pruffiens de Lockwitz
& Behrewitz , &il s'établit entre l'Elbe & le grand
étang.
un Le Général Lucfinsky fit conftruire , le 25 ,
pont fur l'Elbe à Domitſch ; il y paffa ce Fleuve
pendant la nuit , avec toute la cavalerie & quelques
bataillons , & il fe pofta fur la rive droite.
Le 26 à midi , l'armée ſe forma en bataille & s'approcha
du Camp Pruffien . Pendant qu'elle faifoit
ce mouvement , le Corps du Général Lucfinsky
longeoit l'Elbe , & faifoit replier les poftes ennemisqu'il
pourfuivit jufqu'au pontde Torgau . Alors
le Général Hulfen , craignant d'être attaqué de
tous côtés , prit le parti de la retraite & rentra
dans la Ville avec précipitation. On atteignit fon
NOVEMBRE.
1760.
arriere- garde , & le
combat fut
pendant
quelque
191
tems des plus vifs .
L'ennemi
craignant
d'être coupé
, fe retira en
défordre vers la Ville , & fe rallia
fous le feu des
remparts.
Le
Général
Hulfen
faifoit ,
pendant ce tems
paffer l'Elbe à fon armée fur le pont de la Ville &
fur un de
pontons. Le
Prince de Deux - Ponts.
s'en étant
apperçu , fit
amener de la
groffe artillerie
pour les
ruiner,
pendant
qu'on
tâchoit de pénétrer
dans la Ville.
Toutes ces
difpofitions
furent
exécutées avec
beaucoup de
concert & de
jufteffe.
On
pénétra ,
malgré le feu des
ennemis ,
jufqu'au
pont
volant dont on
s'empara , &
l'artillerie fur
fervie avec tant
d'habileté
qu'on mit le feu à l'extrémité
du pont de la Ville. Par là tout
moyen
retraite fut ôté au refte des
troupes
ennemies quide
n'avoient pu paffer
l'Elbe. Le
Prince de
Deux-
Ponts
envoya
fommer le
Colonel de
Normann
leur
Commandant , de fe
rendre ; ce qu'il fi,
après
quelques
difficultés. La
Capitulation fut fignée
le 27 à trois heures du
matin , &
auffitôt
l'armée fut miſe en
poffeffion des deux
portes de
la Ville. Les
troupes
Pruffiennes
fortirent à midi
&
mirent bas les armes . Le
nombre des
priſonniers
faits en cette
occafion eft de deux
mille cinq
cens
vingt-fept ,
parmi
lesquels ſe
trouvent un
Colonel , fix
Majors & douze
Capitaines .
Notre
perte eft très-legére , &
n'excéde pas cent hommes
, tant tués que bleffés .
L'armée
Pruſſienne
profita de la nuit pour fe retirer du côté de Wirtemberg
, le long de l'Elbe.
De
Rome , le 26
Septembre .
On écrit de
Naples que le fieur
Bignon ,
chargé
de porter au Roi des Deux - Siciles le Cordon de
l'Ordre du Saint- Elprit , y eft arrivé , le 12 , à
bord du
Vaiſſeau de guerre
Efpagnol le Ferme,
રે
192 MERCURE DE FRANCE.
De Londres , le 10 Octobre.
On apporta , le S de ce mois , au Roi la nouvelle
que la Ville de Montréal avoit capitulé le 8
du mois dernier. Le Miniftere a fait imprimer
une
Cazette extraordinaire
, pour faire part au Public
de cet événement. Par la Capitulation , les troupes
Françoifes
qui défendoient
le Canada doivent
être traníportées en France aux frais de Sa Majeté
, & ne ferviront point pendant cette guerre,
Les habitans du Pays font maintenus
dans leurs
priviléges & dans le libre exercice de leur Religion.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
L
De VERSAILLES , le 9 Octobre.
E 7 de ce mois , Dom Jaime Maffones de
Lima , Ambaffadeur extraordinaire du Roi d'Efpagne
eur , en long manteau de deuil , une Audience
particuliere du Roi , dans laquelle il fit
part a Sa Majeté de la mort de la Reine d'Efpagne.
Il fut conduit à cette Audience , ainfi qu'à
celles de la Reine , de Monfeigneur le Dauphin ,
de Madame la Dauphine , de Monſeigneur le Duc
de Bourgogne , de Monfeigneur le Duc de Berry ,
de Monteigneur le Comte de Provence , de Monfeigneur
le Comte d'Artois , de Madame , de Madame
A lélaïde , & de Meldames Victoire , Sophie
& Louife , par le fieur de la Live , Introducteur
des Amballadeurs. Cette Princelle , qui eft
morte le 27 du mois dernier , fe nommoit Marie-
Amélie ;
NOVEMBRE. 1960 . 193
Amélie ; elle étoit fille aînée du Roi de Pologne ,
Electeur de Saxe , & de Marie-Jolephe d'Autriche ,
fille de l'Empereur Jofeph. Elle étoit âgée de
trente-cinq ans , dix mois & trois jours . Elle avoit
époufé , le 19 Juin 1738 , Dom Carlos , alors Roi
de Naples & des Deux- Siciles. La Cour a pris ,
le 9 , le deuil pour cette Princelle , pour un mois.
De PARIS , le 25 Octobre
€ Sa Majellé , par fon Edit portant établiſſement
de l'Ecole Royale Militaire , avoit ordonné que ,
dans l'admiffion des Enfans qui feroient préſentés
pour entrer dans cette Ecole , on donnât la préférence
à ceux dont les Peres feroient encore actuéllement
au Service , fe réſervant néanmoins de
s'expliquer dans la fuite fur les cas où l'on pour
roit s'écarter de cette régle , ainfi que fur quelques
autres difpofitions du même Edit . Elle vient d'ordonner
par une nouvelle Déclaration , que les Enfans
des Peres que leurs bleffures , ou des infirmi
tés & des accidens naturels auront mis hors d'état
de lui continuer leurs fervices , foient reçus concurremment
avec ceux dont les Peres font encore
dans les Armées. Sa Majesté entend auffi que les
Enfans des Peres qui ont obtenu la permiffion de
fe retirer , après trente années de fervice , jouiffent
du même privilége.
Le Comte de Colloredo , Chambellan de l'Em--
pereur & de l'Impératrice , Reine de Hongrie &
de Bohême , que Leurs Majeftés Impériales ont
envoyé pour annoncer au Roi la célébration du
Mariage de l'Infante Ifabelle avec l'Archi fuc Jofeph
, arriva en cette Ville le 18 de ce mois ; il
alla le lendemain à Fontainebleau , & il s'ac
quitta de fa commiflion auprès du Roi. Il fut
préfenté à Sa Majesté par le Comte de Starhem-
I
194 MERCURE DE FRANCE.
berg , Amballadeur de Leurs Majeftés Impéria
les. Le Comte de Colloredo fut préfenté le mê-.
me jour à Monfeigneur le Dauphin , à Madame
la Dauphine, & à Madame Adélaïde, à Meſdames
Victoire , Sophie & Louife. Il fe rendit le 20 à
Verfailles , où il fut préfenté à la Reine , à Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , Monſeigneur le
Duc de Berry, Monfeigneur le Comte de Provence
, Monfeigneur le Comte d'Artois , & à
Madame.
Nous apprenons encore que le Général Comte
de Lafcy eft entré , le 9 de ce mois , dans Berlin ,
en même temps que les Ruffes. La Garniſon de
cette Ville , compofée de trois mille hommes , a
été faite prifonniere de guerre. Les Commandans
des troupes Autrichiennes & Ruffes ont fait
obferver la plus grande difcipline . Il n'eſt entré
dans Berlin & dans Poftdam que quelques bataillons
de Grenadiers néceffaires pour garder
ces deux Places . Les Officiers des deux Nations
n'y font entrés qu'avec des permiffions par écrit
de leurs Généraux , de forte qu'il ne s'y eft pas
commis le moindre défordre , & les boutiques
des Marchands n'ont pas été fermées. Mais on a
ruiné les Fabriques de toute efpéce qui ont rapport
à la guerre. On a abandonné aux Soldats
tous les magafins remplis d'effets deſtinés à l'entretien
& à l'habillement des troupes Pruffiennes.
On a trouvé dans Berlin & dans Potſdam une
grande quantité d'armes dont on a détruit les
Manufactures , ainfi que les Fonderies d'artille
rie.
Les Ruffes ont exigé quinze cens mille écus de
contributions.
Le Prince de Deux- Ponts ayant appris que le
Roi de Pruffe avoit détaché feize mille hommes
de fon armée pour fecourir Wittemberg , prit la
NOVEMBRE. 1760. 195
réfolution de brufquer le fiége qu'il faifoit de cette
Place , en l'attaquant en même temps de plufieurs
côtés ; ce qui fut exécuté le 13. Le Commandant
de Wittemberg , qui n'avoit porté fon attention
que fur la partie la plus foible de la Place , fe
trouvant preflé de toutes parts , prit le parti de
faire battre la chamade , & de capituler le 14 au
matin ; il s'est rendu prifonnier de guerre avec
fa Garniſon , aux mêmes conditions qui avoient
été accordées à la ville de Torgau . Cette Garnifon
étoit de trois Bataillons & de quatre cens
Soldats convalefcens. On a trouvé dans la Ville
trente piéces de canon , dont douze de vingt- quatre
livres , huit mortiers , & une grande quantité
de munitions. Toutes les fortifications ont été
rafées.
On a reçu le 20 de ce mois un Courier dépêché
le 16 au foir par le Marquis de Caftries ,
Lieutenant Général , pour apporter la nouvelle
d'un Combat qui s'eſt donné le même jour près
de Rhinberg , entre les troupes du Roi , qui étoient
à les ordres , & celles qui étoient commandées
par le Prince Héréditaire de Brunfwik. L'action
a commencé une heure avant le jour , & après
un feu très- long & très- vif , le Prince Héréditaire
a été forcé de ſe retirer avec une perte trèsconfidérable
, laiffant en notre pouvoir le plus
grand nombre de fes Bleffés .
On a appris par un autre Courier dépêché le
18 , que le Prince Héréditaire de Brunfwik arepaffé
le Rhin fur les deux Ponts qu'il avoit établis
au-deffous de Wefel , & qu'il a entierement levé
le fiége de cette Place . On affure qu'il avoit pris
le chemin de Halleren fur la Lippe. Son arrieregarde
a été attaquée vivement en deçà du Rhin ,
& elle a été forcée de paffer ce fleuve en déſor-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE
1
dre , après avoir perdu beaucoup de monde , &
fans avoir pû replier fes ponts , dont nous fommes
reflés maîtres . Dès le is , le Marquis de Caftries
avoit fait attaquer le pofte de Rhinberg ,
qu'on avoit emporté l'épée la main . Il avoit
fait entrer en même temps dans Wefel , le fieur
de Boisclaireau , Brigadier , avec fix cens hommes
d'élite. Le 18 , il y a fait entrer huit Batail-
Ions.
Le corps aux ordres du Prince Héréditaire de
vant Wefel étoit d'environ vingt- cinq mille hommes
; mais il paroît n'avoir eu au Combat que
quinze mille hommes d'Infanterie , & trois à
quatre mille chevaux . La difficulté du terein n'à
permis au Marquis de Caftries de faire combattre
que les quatre brigades d'Infanterie, de Normanmandie
, d'Auvergne , de la Tour- Dupin & d'Alface.
Ces troupes ont combattu avec la plus grande
valeur & avec la plus grande fermeré , ainfi que
la troupe
du fieur Fifcher , qui a foutenu les premiers
éfforts des ennemis à l'Abbaye de Clofter-
Camp. On n'a pas encore de détail de tout ce qui
s'eft paffé pendant l'action , ni l'état des Officiers
qui ont été tués ou bleffés ; on fçait feulement
que le Marquis de Segur , Lieutenant Général , a
été bleffé légèrement & qu'il a été fait priſonnier.
Les Marquis de Perufe & de la Tour-Dupin & le
Baron de Vangen , Brigadiers , ont auffi été bleffés
, & ce dernier a étéfait prifonnier. La Gendarmerie
, qui étoit à l'action , n'a perdu d'Officiers'
que le fieur de Greneville qui a été tué. Le Marquis
de Caftries fait les plus grands éloges des
Troupes & des Officiers Généraux & particuliers
qui ont combattu.
Nous donnerons ci- après la perte que nous avons
faire à cette journée.
NOVEMBRE. 1760. 197
Le tirage de la Loterie de l'Ecole Royale Mili
taire s'eft fait , en la maniere accoutuinée , dans
'Hôtel-de- Ville de Paris , le de ce mois. Les
Numeros qui font fortis de la roue de fortune font
57, 32 , 26 , 84 , 38. Le prochain tirage fe fera
le 6 du mois de Novembre.
De CASSEL, le premier Octobre.
Après l'expédition du Comte de Luface contre
le Corps commandé par le Général Vangenheim ,
les troupes qui y avoient été employées revinrent
partie au Camp de Friedland , partie à l'Arniée .
On a fait cantonner quelques brigades d'Infanterie
, ainfi que la Gendarmerie & quelques Régimens
de Cavalerie Le Général Vangenheim campe
préfentement à Uflar , & l'on ne voit plus en
deça de la forêt de Solingen que des troupes légè
res des ennemis , qui ont de fréquentes elcar nouches
avec les nôtres , & qui cherchent ſouvent à
inquiéter nos fourages . Les Chaffeurs de Luckner
attaquérent , le 24 du mois dernier , un de nos
Détachemens près de Neftau , Village fitué fur la
Leyne , à quelque diftance de Gottingen. Cent
Dragons & quelque Infanterie , qui formoient ce
Détachement , furent obligés de céder au nombre.
Les Dragons ont été prèſque tous faits prilonniers.
Le Comte de Chabot & le Duc de Fronsac fu
rent détachés, le 27 , pour enlever le poste que les
ennemis occupoient à Vella , près de Varbourg.
Ceux-ci fe retirerent à l'approche de nos troupes
mais ils furent attaqués par le Duc de Fronfac avec
tant de vivacité & fi a propos , qu'ils perdirent
trente hommes , qui furent faits prifonniers avec
autant de chevaux.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE
Etat général de la perte de l'Infanterie aux ordres
du Marquis de Caftries , à lajournée du 16
Octobre 1760.
REGIMENT DE NORMANDIE.
Le Marquis de Peruffe d'Efcars , Brigadier &
Colonel , bleffé. Le fieur de Bienaffife , Lieutenant
Colonel , bleffé & prifonnier. Le fieur de
Bollioud , Commandant du fecond bataillon
bleffé. Le fieur de Puches , Aide-Major , bleffé.
Le Geur de Charriere , Major , bleffé . Le fieur de
Puches , Aide- Major , bleflé. Les fieurs de Bermont
, de Montriac , de Pesnemart , de Raumrunt
, de S.Hilaire , de Caſtellenaud & de Tanéſe,
Capitaines , tués. Les fieurs de la Croix & de
Beliffant, Lieutenans, tués . Les fieurs de la Faye, de
Bourbon , de Pindray , de Pinbon , de Mainal , de
Preville , de Papin , de Calviere , de Ferrand , de
Librefac , de Vivier , de Fontaine - Marie , de Laval
, de la Ferriere , Desflottes de la Longue
Duleau & de Chazel , Capitaines , bleffés . Les
fieurs de Fumée , du Fagnei , Chevalier de Marfan
, de Saboulin , de Saint- Antoine, Chevalier de
Ferriere , de Galland , de Clavier , de Vallée , de
Lefcail , de Courfon , de Gilibert , de Guenard,de
Rubrant , de Fontaine , de Beauregard , de Lauretan
, de Moulon , Daunois , de Mericy , de Clery,
de Beaumont & de Chillaud , Lieutenans , bleſſes.
Les fieurs de Bourbon , du Creufet & de Becail
Capitaines , ont été faits priſonniers ; le premier
a été bleffé.
'
RÉGIMENT D'AUVERGNE.
Le Comte de Rochambeau , Brigadier & Colonel
, bleffé . Le fieur de la Barlette , Lieutenant
- Colonel , bleffé. Perichon , Major , bleſſé,
NOVEMBRE . 17607 199
>
Les fieurs d'Haupré & du Roure , Aides-Majors ,
bleffés . Les fieurs Chevalier d'Affar , de Juignan
de S. Firmin , de Roquade , d'Alba , de Saignard
& de la Roche- Pancée , Capitaines , tués. Les
heurs Dupuy & Laugier , Lieutenans , tués . Les
fieurs Hoftallier , d'Olias , de la Bune , de Chambarlhac
, Duquel , de Morgues , de Liabel , de
Laval , de Regnerie , de Pontagnan , de Fatrie,
de Chery , Delpens , de Barillac , de la Ferté ,
de Choumouroux , de Saffellange , de Malherbe
& de Saint- Victor , Capitaines , bleffés . Les fieurs
de Rubé , de Lalune , de Truffaux , de Veiller , de
Langon , de Saint- Juft , de Ferragus , de Quin
cerot , de Nouy , du Toucher , de Vallons , de
Comarque , de Sireville , de Villars , de Valence,
Chevalier de Valorie . de Bordenau , de Saint-
Denis , de Calenave , de Verdun , de Palluat
Chevaliers de Villars & de Choumouroux , Desforeft
, de Coucy , Chevalier de Seignard , Lieutenans
, bleffés. Le fieur de Lort , Capitaine des
Grenadiers , a été fait prifonnier.
REGIMENT DE LA TOUR-DU-PIN.
Le Marquis de la Tour -du-Pin , Brigadier &
Colonel , bleifé . Les fieurs de Seigneur & de Favieres
, Capitaines , bleffés. Les fieurs de Chevaux
& Defplats , Lieutenans , bleffés.
RÉGIMENT DE BRIQUE VILLE,
Le fieur de Thezut , Commandant de Bataillon
, bleffé. Le fieur Anfelme , Major , bleffé .
Le fieur de Belcier , Aide - Major , bleffé. Les
fieurs de Nolivor , de Valée , du Fayer , de Sevin ,
de Droullin & de Gilbert , Capitaines , bleffés.
REGIMENT D'ALSACE.
Les fieurs Peter-Romlinguen , Hermelsheim
Mouch, Adams , Capitaines , tués . Le fieur Di-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
loth , Aide Major , tué. Les fleurs de Muker &
Piquet , Commandans de Bataillon , bleflés. Les
feurs Delvet & lic , Aides- Majors , & le Baron
d'Arenfeld , Sous- Aide- Major , bleffés . Les fieurs
Delpert , George de Gottesheim & Baron d'Oldembourg
, Lieutenans , tués. Les fieurs Pigenol , de
Saint- Aulbin , Philippe Baron de Roeder , Baron
de Spiegel , Papignie , d'Arundel , Henry , Talinguen
, Franques , Emanuel Cabanès , Franz Do,
meker , Jofeph Pareth , Charle Baron de Røeder,
Otto Baron de Wurmfer , Seantel , Baron de
Bock , Vilhem Pareth , Hithard , Antoni Baron
de Neusfein , Philippe Koch , Comte de Valdeck ,
Chrißian Baron de Roeder , & Carl. Hoch , Capiraines
, bleffés. Les fieurs Mons , Baron de Heffelberg
, Brindel , Baron de Brukel , Baron de
Tulskeuskion , Frans Romlinguen , Marion
Frans Baron de Neufieim , Klingling , Furfem-
' berg, ofeph Stock , Petrus Cabane , Fre deric
Stock , Baron de Billard , Oldenel , lofe ph Martel
, Baron de Beho , Baron de Strafemdorf , de
Ker , Boppel , Poifol , Efchenbacher , Lieutenans ,
bleffe
RECAPITULATION .
Normandie . Sept Capitaines tués & vingt- trois
bleflés ; Lieutenans , deux tués , & vingt-trois blef
fés ; Soldats , deux cent tués , quatre cent trentehuit
bleffés .
Auvergne. Sept Capitaines tués, & vingt - quatre
bleffés , deux Lieutenans tués , vingt- fix bleflés ;
deux cent trois Soldats tués , cinq cent douze
bleffés.
La Tour-du-Pin. Trois Capitaines bleff's ; deux
Lieutenans bleflés ; quatre Soldats tués , foixanteneuf
bleflés.
Briqueville. Huit Capitaines bleflés ; un Lieu
NOVEMBRE. 1760. 201
tenant bleffé ; vingt un Soldats tués , ćent fix
bleffés.
Alface. Cinq Capitaines tués , vingt -fept bleffés ;
trois Lieutenans tués , vingt- deux bleflés ; trois
cent quatre-vingt-fept Soldats tués , cinq cent
dix-neuf bleffés .
Total. Dix-neuf Capitaines tués , quatre-vingtbleflés
; fept Lieutenans tués , foixante & feize
bleffés ; huit cent quinze Soldats tués & feize cent
quarante- quatre belifés.
MARIAGE.
}
Le 22 Septembre 1760 , Très Haut & Trèse'
Puillant Seigneur Timoleon - Antoine - Jofeph-
François-Louis- Alexandre Comte d'Elpinay , de
Saint Luc , Marquis de Lignery , fils de défunt
Très Haut & Très - Puiffant Seigneur François
d'Efpinay de Saint- Luc , Marquis de Lignery ,
Meftre de Camp de Cavalerie , & de Très- Haute
& Très- Puillante Dame Marie Madeleine- Louife-
Catherine de Samfon , Dame de Lorcheres , fut
marié dans la Chapelle de l'Archevêché à Rouen
avec Très - Haute & Très Puillante Demoiſelle
Marie - Bernardine Cadot de Sebeville , fille du
défunt Très- Haut & Très- Puillant Seigneur Bernardin
- François Calot , Marquis de Sebeville ,
Colonel du Régiment du Vieux - Languedoc Dragons
, & de Très - Haute & Très Puiflante Dame
Barbe Anzeray de Courvaudon.
La Bénédiction Nuptiale leur fut donnée par
M. l'Archevêque de Rouen .
Leur Contrat de Mariage avoir été figné par le
Roi , la Reine & la Famille Royale , le 14 Sep
tembre.
Iv
202 MERCURE DE FRANCE
MORT S
Le 27 Septembre ,Meffire Louis de la Tour- du-
Pin , Marquis de Montauban , Seigneur de Roquebeau
, premier Cornette des Chevaux- légers
d'Aquitaine , & Chambellan de Monfeigneur le
Duc d'Orleans , premier Prince du Sang , mourut
au Palais Royal , âgé de vingt ans , dix mois.
Il étoit fils aîné de Meffire Louis de la Tour- du-
Pin , Comte de Montauban , Brigadier des Armées
du Roi & premier Ecuyer de Monſeigneur le
Duc d'Orléans , décédé le s Avril dernier , & dont
la mort a été annoncée dans le Mercure du mois
de Mai de cette année.
Hugues -Jean - Baptifte - François le Bourfier .
chargé des affaires de S. A. S. Monfeigneur le
Duc de Modène , eft mort le Lundi 6 Octobre ,
âgé de 49 ans.:
Meffire Jean- François de Boyvin , Marquis de
Bacqueville , ancien Colonel d'Infanterie , eft
mort à Paris le 7 , âgé de foixante & douze ans.
Le feu ayant pris à une aîle de fa Maiſon , fife fur
Te Quai des Théatins , il a malheureuſement péri
dans cet incendie..
Dame Marie- Lambertine de la Marque, veuve
de Meffire Auguftin - Louis , Marquis de Xime-
Maréchal des Camps & Armées du Roi , eſt
morte le 10 de ce mois , âgée de cinquante- neuf
nez ,
ans.
NOVEMBRE. 1760. 203
HOPITAL
DE M. LE MARECHAL DUC DE BIRON.
Vingt-deuxième Traitement confécutif, depuisfon
Etabliffement.
Les nommés
DUCH UCHATEAU ,
Compagnies.
de Marfay.
$. Flour ,
Vambre ,
Prevost ,
S. Amour ,
Thibault
Brunet ,
Lapenfée ,
Dubois ,
Michaut ,
Flamand ,'
D'Orlay ,
du Dreneuc
de Vifé.
de Voifenon .
d'Etrrieu.
de Lanoy.
de Guer.
Colonelle.
de Voifenon.
de Guer
de Noliers.
Colonelle.
Ces douze Soldats font entrés à l'Hôpital dans
les mois de Mars & d'Avril , de la préſente année
attaqués des maladies les plus graves , & ont été
parfaitement guéris.
M. Keyfer a l'honneur d'informer le Public que
n'étant pas poffible de lui donner dans le préfent
Mercure , les détails des maladies traitées à Londres,
à l'Orient , & à Limoges , où il s'est fait différentes
épreuves , il peut néanmoins lui certifier
publiquement que lesdites épreuves ont également
I vj
202 MERCURE DE FRANCE
MORT S
Le 27 Septembre,Meffire Louis de la Tour-du-
Pin , Marquis de Montauban , Seigneur de Roquebeau
, premier Cornette des Chevaux- légers
d'Aquitaine , & Chambellan de Monfeigneur le
Duc d'Orleans , premier Prince du Sang , mourut
au Palais Royal , âgé de vingt ans , dix mois.
Il étoit fils aîné de Meffire Louis de la Tour- du-
Pin , Comte de Montauban , Brigadier des Armées
du Roi & premier Ecuyer de Monſeigneur le
Duc d'Orléans , décédé le s Avril dernier , & dont
la mort a été annoncée dans le Mercure du mois.
de Mai de cette année .
Hugues -Jean - Baptifte- François le Bourfier .
charge des affaires de S. A. S. Monfeigneur le
Duc de Modène , eft mort le Lundi 6 Octobre ,
âgé de 49 ans..
Meffire Jean- François de Boyvin , Marquis de
Bacqueville , ancien Colonel d'Infanterie , eft
mort à Paris le7 , âgé de foixante & douze ans.
Le feu ayant pris à une aîle de fa Maiſon , fife fur
le Quai des Théatins , il a malheureuſement péri
dans cet incendie.
Dame Marie -Lambertine de la Marque , veuve
de Meffire Auguftin - Louis , Marquis de Ximenez
, Maréchal des Camps & Armées du Roi , eft
morte le 10 de ce mois , âgée de cinquante- neuf
ans.
NOVEMBRE. 1760. 203
"
HOPITAL
DE M. LE MARECHAL DUC DE BIRON.
Vingt-deuxième Traitement confécutif, depuisfon
Etabliffement,
Les nommés
D UCHATEAU ,
Compagnies.
de Marfay,
S. Flour ,
Vambre,
Prevost ,
S. Amour,
Thibault
Brunet ,
Lapenfée ,
Dubois ,
Michaut *
Flamand ,'
D'Orlay ,
du Dreneuc.
de Vifé.
de Voifenon.
d'Etrrieu.
de Lamoy.
de Guer.
Colonelle.
de Voifenon.
de Guer
de Noliers.
Colonelle.
Ces douze Soldats font entrés à l'Hôpital dans
les mois de Mars & d'Avril , de la préſente année ,
attaqués des maladies les plus graves , & ont été
parfaitement guéris.
M. Keyfer a l'honneur d'informer le Public que
n'étant pas poffible de lui donner dans le préfent
Mercure , les détails des maladies traitées à Lon
dres , à l'Orient , & à Limoges , où il s'eſt fait différentes
épreuves , il peut néanmoins lui certifier
publiquement que lesdites épreuves ont également
I vj
202 MERCURE DE FRANCE
MORTS
Le 27 Septembre,Meffire Louis de la Tour-du-
Pin , Marquis de Montauban , Seigneur de Roquebeau
, premier Cornette des Chevaux- légers
d'Aquitaine , & Chambellan de Monfeigneur le
Duc d'Orleans , premier Prince du Sang , mourut
au Palais Royal , âgé de vingt ans , dix mois.
11 étoit fils aîné de Meffire Louis de la Tour- du-
Pin , Comte de Montauban , Brigadier des Ar- »
mées du Roi & premier Ecuyer de Monſeigneur le
Duc d'Orléans , décédé le s Avril dernier , & dont
la mort a été annoncée dans le Mercure du mois
de Mai de cette année.
Hugues -Jean - Baptifte - François le Bourfier
chargé des affaires de S. A. S. Monfeigneur le
Duc de Modène , eft mort le Lundi 6 Octobre,
âgé de 49 ans..
Meffire Jean- François de Boyvin , Marquis de
Bacqueville , ancien Colonel d'Infanterie , eft
mort à Paris le7 , âgé de ſoixante & douze ans.
Le feu ayant pris à une aîle de fa Maiſon , fife fur
Te Quai des Théatins , il a malheureuſement péri
dans cet incendie..
Dame Marie- Lambertine de la Marque, veuve
de Meffire Auguftin - Louis , Marquis de Xime-
Maréchal des Camps & Armées du Roi , eft
morte le 10 de ce mois , âgée de cinquante- neuf nez ,
ans.
NOVEMBRE. 1760. 203
HOPITAL
t
DE M. LE MARÉCHAL DUC DE BIRON.
Vingt-deuxième Traitement confécutif, depuisfon
Etabliffement.
Les nommés
D UCHATEAU ,
$. Flour ,
Vambre,
Prevoft ,
S. Amour ,
Thibault ,
Brunet ,
Lapenſée ,
Dubois ,
Michaut ,
Flamand ,'
D'Orlay ,
Compagnies.
de Marfay,
du Dreneuc
de Vifé .
de Voifenon.
d'Etrrieu.
de Lanoy.
de Guer.
Colonelle.
de Voifenon.
de Guer.
de Noliers.
Colonelle
Ces douze Soldats font entrés à l'Hôpital dans
les mois de Mars & d'Avril , de la préſente année ,
attaqués des maladies les plus graves , & ont été
parfaitement guéris .
M. Keyfer a l'honneur d'informer le Public que
n'étant pas poffible de lui donner dans le préfent
Mercure , les détails des maladies traitées à Londres
, à l'Orient , & à Limoges , oùil s'eſt fait différentes
épreuves , il peut néanmoins lui certifier
publiquement que lesdites épreuves ont également
I vj
202 MERCURE DE FRANCE
MORTS.
Le 27 Septembre,Meffire Louis de la Tour- du-
Pin , Marquis de Montauban , Seigneur de Roquebeau
, premier Cornette des Chevaux - légers
d'Aquitaine , & Chambellan de Monfeigneur le
Duc d'Orleans , premier Prince du Sang , mourut
au Palais Royal , âgé de vingt ans , dix mois.
Il étoit fils aîné de Meffire Louis de la Tour- du-
Pin , Comte de Montauban , Brigadier des Ar-·
mées du Roi & premier Ecuyer de Monfeigneur le
Duc d'Orléans , décédé le 5 Avril dernier , & dont
la mort a été annoncée dans le Mercure du mois
de Mai de cette année.
Hugues -Jean - Baptifte - François le Bourfier .
charge des affaires de S. A. S. Monfeigneur le
Duc de Modène , eft mort le Lundi 6 Octobre ,
âgé de 49 ans.:
Meffire Jean- François de Boyvin , Marquis de
Bacqueville , ancien Colonel d'Infanterie , eft
mort à Paris le 7 , âgé de foixante & douze ans.
Le feu ayant pris à une aîle de fa Maiſon , fife fur
Te Quai des Théatins , il a malheureuſement péri
dans cet incendie..
Dame Marie - Lambertine de la Marque, veuve
de Meffire Auguftin - Louis , Marquis de Xime-
Maréchal des Camps & Armées du Roi ,. eft
morte le 10 de ce mois , âgée de cinquante- neuf
nez ,
ans.
NOVEMBRE. 1760. 203
HOPITAL
DE M. LE MARECHAL DUC DE BIRON.
Vingt-deuxième Traitement confécutif, depuisfon
Etabliffement,
Les nommés
D UCHATEAU ,
Compagnies
de Marfay.
s. Flour ,
Vambre,
Prevost ,
S. Amour ,
Thibault
*
Brunet ,
Lapenfée ,
Dubois ,
Michaut ,
Flamand ,'
D'Orlay ,
du Dreneuc.
de Vifé .
de Voifenon.
d'Etrrieu.
de Launoy.
de Guer.
Colonelle.
de Voifenon.
de Guer
de Noliers.
Colonelle.
Ces douze Soldats font entrés à l'Hôpital dans
les mois de Mars & d'Avril , de la préſente année ,
attaqués des maladies les plus graves , & ont été
parfaitement guéris.
M. Keyfer a l'honneur d'informer le Public que
n'étant pas poffible de lui donner dans le préfent
Mercure , les détails des maladies traitées à Londres
, à l'Orient , & à Limoges , oùil s'eſt fait différentes
épreuves , il peur néanmoins lui certifier
publiquement que lesdites épreuves ont également
I vj
204 MERCURE DE FRANCE:
bien réuffi partout , & que les malades traités dans
ces trois endroits ont été parfaitement guéris au
rapport de Meffieurs les Médecins & Chirurgiens
deldits lieux , dont il a les certificats les plus authentiques.
Il le prévient en même temps , que
quoiqu'il plaife à plufieurs perfonnes de répandre
faullement & malignement que fon reméde ton
be de jour en jour , les cures qu'il opée n'en
font pas moins conftantes & continuelles , les malades
de fon hôpital n'en font pas moins abondans
& traités continuellement , & que la plus grande
preuve qu'il puiffe lui en donner , c'eft qu'il a plû
au Roi de vouloir bien accorder à cet hôpital des
Lettres - Fatentes qui ont été enregiſtrées au Parlement
& annoncées dans les Gazettes & les Ecrits
publics .
Le fieur PREVÔT , Marchand Fabriquant de
Caftors , rue Guénégaud , à Paris , donne avis au
Public , qu'il vient d'inventer une compofition de
Chapeaux , qui par un mélange parfait de caftor
& defoye , ont acquis un degré de beauté , d'ufage
& de perfection que cette marchandiſe n'avoit pas
eu jufqu'à ce jour , il en fabrique depuis 1 liv.
jufqu'à 24.
Dans le Mercure du mois dernier , on a annoncé
le prix de la Table Géométrique ( que M. Dufour
vient de mettre au jour foit en François , foit en
Allemand être de 2 liv . & f. Pour les 4 planches
en feuilles réunies & collées enſemble , 2 liv . 12
f. collées fur toille avec bordure bleue liv 4. f.
& reliées en in- 4°. avec onglet , f . liv. 10. f.
On avoit commis une erreur dans l'énoncé de
ces prix , & on va indiquer à demeure les prix des
différens formats de cette Table Géométrique.
Les & Planches.
En feuilles. 218
NOVEMBRE. 1760. 105
Réunies & collées en papier.
Réunies & collées fur toile , avec bordure
en foie bleue.
Ces dernieres , montées fur gorge.
Reliées en in-4º bazane.
Relićes en veau in 4º.
I. f.
2 12
1
f 10
7 Ο
4 4
4.16
En outre des adreffes indiquées dans le Mercure
d'Octobre , on trouvera encore des Exemplaires
de ces Tables ( pour la construction defquelles
on a retranché la moitié des calculs de celle
de Pythagore , chez les fieurs Petit , Marchand
d'Eftampes rue S. Jacques , à l'image S. Jacques
& chez Chauvigny , Marchand Papetier , rue de
la Harpe , vis-a - vis le Collège d'Harcourt.
Avis aux Chaffeurs .
Le fieur SANTINY , Italien , Plombier Privilégié
& Penfionnaire du Roi pour les Chaffes , fabrique
dans la derniere des perfections , toute forte de
plomb a giboyer, bien rond, bien égal , fans cavité
& fans être compofé d'aucune drogue venimeufe ,
ni apprêté avec aucune mine de plomb : ce plomb
eft très-propre &auffi blanc que de l'argent , de forte
qu'il ne falit ni les mains ni les gibecieres ; il porte
les coups fans s'écarter , plus ferré & plus loin de
1 à 15 pas que tout autre plomb ; il eſt trèsnécellaire
de ne charger que les trois quarts de la
charge ordinaire. Le fieur Santini a l'honneur d'en
fournir avec fuccès , pour les plaifirs des Chaſſes
de Sa Majesté & de toute la Cour.
Comme le Public paroît lui donner fon aprobation
par les demandes réitérées qu'on lui fait ,
le fieur Santiny , pour répondre à l'empreflement
206 MERCURE DE FRANCE.
de ceux qui veulent de fon plomb , les avertit qu'il
établit fon Magafin général à Paris , chez M. Duchauffour
, Marchand de fer , rue Saint Martin
proche Saint Julien , à la Tête d'or , où toutes les
perfonnes de Province qui en defireront pourront
s'adreffer.
Pour la facilité publique , l'on en débitera à
l'adreffe ci- deffus & chez le fieur Regnard , Marchand
Epicier rue Dauphine , à côté du Caffé de
Conty , au bas du Pont- Neuf.
A Verfailles , chez le fieur Tortel , Marchand
Epicier , rue Satory au bas de la Rampe.
A Saint Germain-en-Laye , chez le fieur Metayer
, Marchand, à la Gerbe d'or , dans le Marché,
vis-à- vis le Poids à la Farine .
Pour empêcher l'abus qui pourra fe commettre,
F'on donnera aux Domeftiques qui viendront chercher
du Plomb fabriqué par Santiny , une facture
fignée du Marchand où ledit plomb aura été
pris , & l'on n'en débitera que dans les endroits
indiqués ci-deffus. Le prix eft de fept fols la livre.
M. MACLOT commencera le 16 Novembre
1760 , à trois heures après-midi , un nouveau
Cours de Géographie public & gratuit , qu'il continuera
Fêtes & Dimanches depuis pareille heure
jufqu'à celle de quatre & demie. Sa demeure actuelle
eft au Caffé du Fort , qui fait le coin des
rues de la Verrerie & des Arcis , & face à celle des
Lombards. Il fe fervira pour ces Leçons des Inftitutions
abrégées de Géographie qu'il a données au
Public l'année derniere , & dont nous avons dans
le temps rendu compte. Il donne des Leçons particuliéres
, tant de Géographie que de Mathémati
ques. Les Inftitutions abrégées de Géographie fe
trouvent à Paris , chez Vincent , rue & vis- à- vis.
Saint Severin , àl'Ange.
妻
NOVEMBR E. 1760. 207
LETTRE de M.
ONSIEUR ,
En lifant le fecond volume du Mercure d'Avril
dernier, à l'article de la Société Littéraire de Châ
lons-fur-Marne , j'ai vû citer dans une Differta
tion de M. Grofley , dont on connoît bien ici les
talens , une Bibliothèque de cette Ville , que vous
appellez Megliabelli. Son vrai nom eft Magliabecchi.
Ce n'est qu'une faute d'impreffion qui
peut cependant porter atteinte à l'exactitude de
F'Auteur , avec qui j'ai fréquenté cette Bibliothè
que qui lui eft bien connue à tous égards. Cette
méprife a frappé les Florentins , qui font jaloux
de ce qui les regarde . ,
Avis important au Publie.
La Dame Veuve du fieur BELLOSTE , Méde
cin à Thurin , donne avis au Public que les Diles
de Caix demeurantes à Verſailles , Avenues de
S. Cloud , lui en ont impofé , en s'annonçant
dans la Gazette d'Amfterdam du 12 Septembre
dernier , pour avoir les vraies pilules de Bellofte.
Leur pere qui eſt décédé , a bien été le Commettant
dudit défunt fieur Bellofte , pendant qu'il
étoit en Pays Etranger : mais depuis près de deux
ans que la Dame Bellofte eft à Paris , elle ne
leur a donné aucunes pilules à débiter , de forte
que ces pilules des Demoiſelles De Caix ne peuvent
être que des pilules contrefaites. Elles ne
font pas les feules qui faffent & débitent de fauffes
pilules de Belofte. Il s'en débite à Paris chez
"
208 MERCURE DE FRANCE.
> le nommé Maffieu , Tourneur rue du Jour ,
vis-à vis le Portail de S. Euftache avec de petits
livrets qui feuls font capables de faire reconnoî
tre la fourberie , en faitant attention que fur un
avertiffement étant en fin de chaque livret , &
avant la copie du Privilége , eft collée une bande
de papier blanc qui couvre 7 lignes de cet Avertiffement
, lefquelles ne laillent pas que d'être
lues à travers en expolant les feuilles au grand
jour. Il fe vend auffi de ces faufles Pilules à Paris '
rues S. Martin , S. Denys & Bourg - Labbé & dans
le Fauxbourg S. Germain près la Croix - Rouge.
La Dame veuve Bellofte feule munie des priviléges
du Roi de France , de Sa Majeſté Impériale
& de la Séréniffime République de Venife , pour
vendre & faire vendre & débiter les Pilules mercurielles
de fa compofition & fous fon nom , fe
croit obligée en conscience d'avertir le Public du'
danger qu'il y a de faufles Pilules , ayant reçu
de vifs reproches par plufieurs Particuliers qui en
avoient pris , & par différens Médecins & Chirurgiens
qui en avoient fait prendre à leurs malades.
La Dame Veuve Bellofte avertit auffi le Public
que les vraies Pilules de Bellofte de fa compofition ,
ne le débitent & ne fe font débitées depuis qu'elle
eft à Paris , qué par elle -même , & non par aucun
Commettant à Paris & ès environs.
La Dame Veuve Bellofte demeure toujours à
Paris , Place de S. Sulpice , au Bâtiment neuf ,
vis- à-vis l'Eglife.
L'once de Pilales fe vend 24 liv. Il y a des
boëtes de demi once & de quart d'once. Les performes
de Province qui voudront en avoir pour
ront s'adreffer directement à elle , en affranchif
fant leurs lettres , & en lui faisant paller les deniers
néceffaires.
NOVEMBRE. 1760. 209
AU ROI DE FRANCE , Place du Vieux Louvre ,
entre le Caffé du Grand-Confeil & l'Arquebufie
du Roi.
NOUVELLE MANUFACTURE.
LEBLOND , Marchand Jouaillier- Bijoutier , Attifte
pour la derniere perfection des pierres à fufil
& de nouveaux opals des plus parfaits qui ayent
encore paru,fait d'autres fortes de pierres de toutes
couleurs & de toutes efpéces , qui par leur grand
éclat , imitent parfaitement le diamant. H fabrique
toutes fortes de beaux Ouvrage de Bijouteries ,
comme boucles de toutes espèces , coliers , noeuds
de cols , aigrettes , pompons , papillons , fultannes
, épingles tortillées , épingles à la Ducheffe ,
bagues, braffelers , agraffes , boutons de corfets
& de compéres , boucles d'oreilles , girondolles ,
rubans de tête , becs en brillant & toutes fortes
d'ajustemens pour les Dames. Il fait auffi les Croix
de Malthe , ornées de leur couronne , ainf que tous
autres Ordres du dernier goût , qui effacent tout
ce qui a paru ci-devant, dont il efpére fatisfaire les
connoiffeurs. Il envoie dans toutes les Cours Etrangéres
& en Province. Décore les bonnets de Ne-
& de Coureurs. Raccommode & met en neuf
les anciens ouvrages les plus défectueux . Le tout
à jufte prix. A Paris.
gres
>
CATALOGUE des Cartes héraldiques du fieur Du-
BUISSON , Généalogifte & Doteur du Roi , avec
Privilege du Roi , 1760 .
Le Tab eau de l'honneur , ou abrégé méthodique
de la Science du Blafon . 2 feuilles.
Chronologie des Papes & anti- Papes , depuis la
maillance de l'Egliſe juſqu'en 1758 , contenant
110 MERCURE DE FRANCE. -
leurs noms de Papes , leurs noms de famille ,
leurs pays ; la date de leur élévation , le temps
de leur Pontificat , leur mort & les armes de ceux
qui en ont portées , jufqu'à préfent , 3 F.
Noms , qualité , Armes & Blafon de tous les
Papes & Cardinaux François de naillance , de ceux
qui ont été nommés par nos Rois , & de ceux qui
ont poffédé des Archevêchés & Evêchés en France
jufqu'à préfent , 3 F.
Grands - Maîtres de Saint Jean de Jérufalem ,
dit de Malte , depuis leur création juſqu'à préfent
, 1 F.
Chronologie des Empereurs & Impératrices
d'Occident , depuis Charlemagne jufqu'à préfent
, 2 F.
Généalogie des Rois de France , depuis le commencement
de cette Monarchie jufqu'à préſent
9 F.
Chronologie des Rois & des Reines de France ,
depuis Pharamond jufqu'à préfent , 2 F.
Chronologie des Rois d'Angleterre , depuis Egbert
, premier Roi des Saxons Occidentaux ; jufqu'à
préfent , 2 F.
Chronologie des Rois & Reines de Portugal , &
des Algarbes , depuis Hugues Caper jufqu'à préfent
, I F.
Généalogie des Rois & Reines d'Espagne , depuis
le commencement de cette Monarchie jufqu'à
préfent , 9 F.
Chronologie des Rois & Reines d'Espagne , depuis
l'Erection du Comté de Caftille en Royaume ,
par Sanche IV. dit le Grand , Roi de Navarre
jufqu'à préfent , 1 F.
t Les Rois & Reines des deux Siciles , depuis leur
origne jufqu'à préſent , 2 F.
Les Dauphins de France , depuis la ceffion du
Dauphiné faite par Humbert , dernier Dauphin
Viennois , jufqu'à préſent , 1 F.
NOVEMBRE. 1760. 21F
Les 32 quartiers paternels & maternels de
Monfeigneur Louis Dauphin de France , 1 F.
Les Ducs & Pairs de France , depuis 1701 juf
qu'à préfent , 1 F.
Les Régents & Régentes du Royaume de France,
depuis leur origine jufqu'à préfent , 1 F.
Les Grands Sénéchaux & Connétables de France
, depuis le Regne du Roi Hugues- Capet jul
qu'à préfent , Ě.
Chanceliers & Gardes des Sceaux de France ,
depuis le Regne de S. Louis jufqu'à préſent , 2 F.
Maréchaux de France , depuis le Regne du Roi
Philippe-Augufte jufqu'à préfent , 3 F.
Les Grands Amiraux & Généraux des Galéres ,
depuis le Regne du Roi S. Louis juſqu'à préſent
2 F.
>
Grands Maitres des Arbalêtriers , & Grands-
Maîtres de l'Artillerie de France , depuis leur origine
jufqu'à préfent , 2 F.
Portes- Oriflâmes & Colonels Généraux de l'Infanterie
Françoife , depuis leur Création jufqu'à
préfent , F.
Grands Aumôniers de France , depuis leur ori→
gine jufqu'à préfent , i F.
Grands Maîtres de France , depuis leur origine
jufqu'à préfent , 1 F.
+
Grands Ecuyers de France , depuis leur Création
jufqu'à préfent , 1 F.
Grands Chambriers & Grands Chambellans de
France , depuis leur origine jufqu'à préfent , 2 F.
Grands Bouteillers ou Grands Echanfons
Grands Panetiers , & Grands Queux de France
depuis leur Création jufqu'à préfent , 2 F.
Grands Veneurs , Grands Louvetiers & Grands
Fauconniers de France , depuis leur origine jufqu'à
préfent , 2 F.
Tous les Chevaliers Commandeurs de l'Ordre
212 MERCURE DE FRANCE.
du Saint Elprit , créés par Louis XV. du nom ร
Ve Chef de l'Ordre , jufqu'à préfent , 4 F.
Généalogie & Defcendance de l'illufire Maiſon
de Croy , F.
La Cour des Monnoyes telle qu'elle eft en là
préſente année , 1 F.
Confeillers du Roi & Quartiniers de la Ville
de Paris , depuis l'année 15oo jufqu'à préfent , F.
Carte générale des Rois & Princes de l'Europe
, 2 E.
Nobiliaire de Normandie , 2.7 F.
Nobiliaire de Bretagne , 10 F.
Nobiliaire de Picardie , 2 F.
Nobiliaire de Champagne , 4 F.
Le Grand-Confeil tel qu'il eft à préſent , 2 F.
Armorial des principales Maifons & Familles
du Royaume , enrichi de 4000 Ecuflons
leurs explications , noms de Famille & Seignen
rie , deux volumes in- 12.
:
Avertiffement.
> avec
On trouve chez ledit fieur Dubuillon toutes
ces Cartes blafonnées , en couleur , & colées fur
toile , montées avec des gorges de toures façons
ou reliées en grand Atlas ; il en finit plufieurs autres
qui paroîtront bientôt ; il fait aufli toutes les
Armes tant en or qu'en peinture. Il enteigne
TArt Héraldique ou la Science du Blafon, Il demeure
rue S. Jacques , près la Fontaine S. Benoît.
>
SIX SONNATES en Duo , travaillées pour fix
Inftrumens différens , Flûte Haut-bois , Pardellus
de Viole a cinq cordes fans aucun démanchement
, Violon , Baffon & Violoncelle , en obfervant
la Clefde Fa , qui eft pofée ſur la quatriéme
ligne , avec des fignes pour diminuer & augmenter
les fons par degrés dans les endroits neNOVEMBRE.
1760. 213
ceffaires. Compofées par M. ATYS , Maître de
Flûte. Cuvre IV . Gravées par Jofeph Renou . Prix
4 livres feize fols . A Paris , chez l'Auteur , að
Paffage de la rue Traverfiere , à celle des Bouche
ries Saint Honoré ; M. Bayard, rue Saint Honoré,
à la Régle d'or ; Madeinoifelle Caftagnerie , rue
des Prouvaires , à la Mutique Royale ; M. Le
Menue , à la Clef d'or , rue du Roule.
Pour faciliter le Baffon & le Violoncelle , on a
tranfpofé la troifiéme Sonate en ton demi , grand
pour éviter le grand nombre de bémols
qui rendroit les modulations trop difficiles dans
l'exécution.
diéze
On trouvera aux mêmes adreffes un premier
Livre du grand Duo , le fecond Livre eft en Trio ,
Solo & Duo ; le troifiéme Livre eft une Méthode
pour la Flûte , qui expliqee l'attitude & la manière
de gouverner le foufle , avec des Préludes
en conféquence , le tout du même Auteur. Avec
Privilége du Roi,
LES FAVEURS DU SOMMEIL , Cantatille à voix
feute , avec Symphonie , dédiée à M. Te Marquis
DE BRASSAc , Lieutenant Général des Armées
du Roi , Commandeur de l'Ordre Royal & Milifaire
de Saint Louis , compofée par M. PIZET
l'aîné , Maître de Mufique du Concert de Caen ,
gravée par Labaffée. Prix trente-fix fols. A Caen
chez l'Auteur , rue Saint Pierre , vis- à- vis celle
des Teinturiers. A Paris , aux adreſſes ordinaires
de Mufique , & chez M. Dâton , rue Beaubourg ,
la porte cochere vis- à-vis le cul de-fac des Anglois,
Cire épilatoire.
Le fieur Peronet fait une cire épilatoire pour
dégarnir les fourcils ; le front , les joues , les bras
& les mains qui font trop couverts & chargés de
poils.
214 MERCURE DE FRANCE.
Il a établi fon Bureau chez le fieur Malivaire ,
Marchand Parfumeur , rue Bar -du- Becq , près
S. Merry.
Le Prix eft de 3 liv. & de fix liv . la douzaine : il
donne par écrit la manière de s'en fervir.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier, ΑΙ
de Mercure du mois de Novembre 1760 , & je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 30 Octobre 1760. GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE,
ARTICLE PREMIER.
PROMETHE ROMETHEE , Poëme ,
Pagé s
ADIEU aux Muſes . Epître adreffée à M Brunet
à S. Cloud , par Madame Guibert ,
Auteur de l'Homme Heureux .
VERS préfentés par Mlle D.B.à M.fon Pére,
au jour de fa fète.
ODE , fur Marly.
CARACTERES.
A MLLE Puvignée , fur fa ' retraite de l'Académie
Royale de Mufique.
REPLIQUE à Madame D ** C ... fur ce qu'on
avoit fait une querelle à l'Auteur, d'avoir
fait des Vers pour elle.
LETTRE fur les rimes croiſées dans les Vers
Alexandrins , & fur l'unité de lieu. L
9.
ibid.
II
17
19
23
NOVEMBRE 1760. 215
VERS , à la mémoire de mon Ami.
VERS à Mlle Clairon , jouant le Rôle d'Aménaïde
, dans la Tragédie de Tancrède.
BOUQUET.
FANNY , Nouvelle Angloife.
ENIGMES.
LOGOGRYPHE.
CHANSON .
36
37
38
39
I
62863
64
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRES de M *** . Extrait. 68
EFFETS de l'air fur le
corps humain , confidérés
dans le fon , ou Difcours fur la nature
du Chant . Extrait.
MON Odyffée, ou Journal de mon retour de
Saintonge. Poëme à Chloé. Extrait.
LETTRE à M. de la Louptiere.
NOUVELLE Expofition du Plan des traits de
Hiftoire univerfelle , facrée & profane ,
d'après les plus grands Peintres & les
meilleurs Ecrivains , dédiés à Mgr le Duc
de Bourgogne.
LETTRE à M. *** , fur un nouveau bandage
élaftique , pour guérir l'hydropifie du fac
lacrymal.
ANNONCE des Livres nouveaux .
74
81
89
96
IIO
122 &fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIE S.
SEANCE publique de la Société Littéraire de
Châlons-fur- Marne.
PRIX proposés par l'Académie Royale des
Sciences , Infcriptions & Belles-Lettres de
Toulouſe.
SENTIMENT de feu M. du Marfais , fur les
Noms de nombre confidérés par rapport
à la Grammaire.
124
126
131
216 MERCURE DE FRANCE.
ADDITION , où l'on répond à des objections
faites contre l'écrit précédent.
LETTRE à Monfeigneur le Prince Frédéric
de Salm , fur un Phénomène obfervé en
Normandie.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARCHITECTURE .
RÉPONSE à la Lettre de M..... fur l'Architeeture
, inférée dans le premier Volume de
Juillet dernier .
PHYSIQUE.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure .
ÉTABLISSEMENT d'une École de la Guerre ,
par le fieur de Gournai , Ingénieur.
MUSIQUE .
GRAVURE.
137
143
146
151
157
162
165
CATALOGUE des Eftampes gravées d'après les
Tableaux des plus grands Maîtres & c . par
le fieur Lebas , Graveur du Cabinet du
Roi , & de fon Académie Royale. 167 &fuiv.
BOTANIQUE , Agriculture & Commerce.
OPERA.
ART. V. SPECTACLES.
179
181
COMÉDIE Françoife. ibid.
COMÉDIE Italienne. ibid.
ART. VI. Nouvelles Politiques. 183
HÔPITAL de M. le Maréchal Duc de Biron . 203
LETTRE de M. **** 207
De l'Imprinierie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis- à-vis la Comédie Françoife .
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
DECEMBRE . 1760 .
Diverjité , c'eft ma devife. La Fontaine.
Cos'in
Stive inve
PupillenSculp 1775
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à-vis la Comédie Françoife.
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU, quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilège du Roi,
216 MERCURE DE FRANCE
ADDITION , où l'on répond à des objections
faites contre l'écrit précédent.
LETTRE à Monfeigneur le Prince Frédéric
de Salm , fur un Phénomène obſervé en
Normandie.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARCHITECTURE.
RÉPONSE à la Lettre de M..... fur l'Architeeture
, inférée dans le premier Volume de
Juillet dernier.
137
143
146
PHYSIQUE.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure .
ÉTABLISSEMENT d'une École de la Guerre ,
par le fieur de Gournai , Ingénieur.
MUSIQUE .
GRAVURE.
151
157
162
165.
CATALOGUE des Eſtampes gravées d'après les
Tableaux des plus grands Maîtres &c. par
le fieur Lebas , Graveur du Cabinet du
Roi , & de fon Académie Royale . 167 &fuiv.
BOTANIQUE , Agriculture & Commerce.
ART. V. SPECTACLE S.
179
181
OPERA.
COMÉDIE Françoiſe.
ibid.
COMÉDIE Italienne .
ibid.
ART. VI. Nouvelles Politiques. 183
HÔPITAL de M. le Maréchal Duc de Biron. 203
LETTRE de M. **** 207
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
Iue & vis- à- vis la Comédie Françoife.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
DECEMBRE . 1760 .
Diverjité , c'est ma devife. La Fontaine.
Chez
Cos'sin
Jivesinve
ErpilleySculp
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis à-vis la Comédie Françoife.
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi,
216 MERCURE DE FRANCE
ADDITION , où l'on répond à des objections
faites contre l'écrit précédent.
LETTRE à Monfeigneur le Prince Frédéric
de Salm , fur un Phénomène obfervé en
Normandie.
ART. IV . BEAUX - ARTS.
ARCHITECTURE.
RÉPONSE à la Lettre de M..... fur l'Architeeture
, inférée dans le premier Volume de
Juillet dernier.
137
143
146
PHYSIQUE.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
ÉTABLISSEMENT d'une École de la Guerre ,
par le fieur de Gournai , Ingénieur.
MUSIQUE .
GRAVURE.
ISI
157
162
165.
CATALOGUE des Eftampes gravées d'après les
Tableaux des plus grands Maîtres &c . par
le fieur Lebas , Graveur du Cabinet du
Roi , & de fon Académie Royale . 167 &fuiv.
BOTANIQUE , Agriculture & Commerce.
ART. V. SPECTACLE S.
179
OPERA.
181
COMÉDIE Françoife. ibid.
COMÉDIE Italienne. ibid.
ART. VI. Nouvelles Politiques. 183
HÔPITAL de M. le Maréchal Duc de Biron . 203
LETTRE de M. ****
207
De l'Imprinierie de SEBASTIEN JORRY ,
ruë & vis- à-vis la Comédie Françoiſe.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
DECEMBRE . 1760 .
Diverjité , c'eft ma devife . La Fontaine.
Corin
Jus inve
BurgilleySculp
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis à-vis la Comédie Françoife.
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE, rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins .
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilège du Roi,
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis aù
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch, à côté duSellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre
, quant à la partie littéraire , à
M. DE LA PLACE Auteur du
Mercure.
"
Le prix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols pièce.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir,ou qui prendront lesfrais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
c'eft-à- dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudrone faire venir les
Mercure , écriront à l'adreffe ci- veffus.
A ij
Onfupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement enfoit.
fait d'avance au Bureau .
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pièces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
DE LA PLACE , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
DECEMBRE . 1760.
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE.
A Mile de *** qui avoit approuvé des
Vers de l'Auteur fur une Matière Philofophique
& c.
E
H quoi, jeune Aglaé, vos yeux ouverts àpeine
A la clarté du flambeau de l'Amour,
Qui vous promet une Aurore certaine ,
Se détournent d'un fi beau jour !
Je les vois s'attacher fur une fombre image ,
Sur des Vers , triftes fruits de la réfléxion ,
A iij
6. MERCURE DE FRANCE.
Trop fidéles tableaux du malheureux partage
De l'humaine condition !
Eh ! depuis qua nd les Grâces moins riantes ,
Ont-elles cherché l'ombre & l'horreur des tom
beaux ?
Allez , volez fous ces berceaux ,
Couronnés de rofes naiffantes ,
Où vous portent , des jeux , les aîles careffantes ,
Où des Amours le voltigeant éffain ,
Avec des tranfports d'allégreffe,
Des guirlandes de fleurs , & l'encens à la main,
Vous attend comme la Déeffe
Qui doit fixer leur hommage incertain .
Aglaé , ce n'eft point à Flore ,
De regarder l'Hyver , & les glaçons affreux ;
On ne voit point la jeune Aurore ,
Sur la nuit tourner fes beaux yeux.
ouiffez de l'heureux preſtige
Qui flatte vos goûts innocens;
Tout prend pour vous , les attraits du prodige:
Vous ne voyez que jeux , Grâces , enchantemens >
Des Cieux toujours fereins , un éternel Printemps.
L'Amour eſt un enfant aimable ,
Qui vous place avec lui ſur uu trône de lys ;
La moindre fleur répand un parfum agréable ,
Et s'embellit d'un riche coloris ;
Le moindre oiſeau vous femble le Phénix
Ila du roffignol le gofier admirable ;
DECEMBRE. 1760 .
Que 'dis-je? un papillon emporte vos defirs ;
Tout l'univers entier confpire à vos plaifirs.
Vous avez la ces brillantes féeries,
De l'efprit qui s'amufe aimables rêveries ....
Vous riez , Aglaé ! ces contes enfantins ,
Sont l'Hiftoire de nos deftins :
La Nature , eft la bonne Fée.
Qui fur votre route enchantée
ร
Répand fes diamans , fon or à pleines mains ,
Vous bâtit des Palais , vous orne des jardins.
La malfaifante Fée , eft la Raiſon cruelle ;
C'eft elle qui viendra détruire ce bonheur ,
Qui ne vous laiffera pour ce Ciel enchanteur ,
Pour ces bois , ces palais qu'en vain l'âme rappelle,
Chére & délicieuſe erreur ,
Qu'un immenfe défert que parcourt la douleur.
Aglaé , croyez-moi , d'une main complaifante
Vous-même fur vos yeux abaiffez le bandeau
Qu'un doux menfonge vous préfente ;
Du Sentiment fuivez le magique flambeau ;
Laillez-vous entraîner à fa facile pente ;
La Nature conduit les traits de fon pinceau :
A votre jeuneffe brillante ,
Il n'offre qu'un riant tableau.
N'écoutez point cette Raiſon avare ,
Qui fe plaît à nous appauvrir :
".
Le Sentiment quelquefois nous égare ,
A iv
1 MERCURE DE FRANCE.
Mais toujours il méne au plaifir.
Entretenez la douce ivreffe ;
Et dans la glace enchantereffe ,
L'ouvrage même des Amours ,
Dans ce miroir flatteur , qu'à vous fervir fidéles
Ces Dieux de fleurs embelliffent toujours ,,
Et vous apportent fur leurs alles ,
Aglaé , ne voyez que vos grâces nouvelles ,
Et le régne de vos beaux jours.
Repouffez cet écrit où la Raifon noircie
Des plus fombres vapeurs de la mélancolie ,
Vante Caton , & ſon ſtoïque éffort.
Qui , comme vous , fçait faire aimer la vie,
Doit rejetter l'éloge de la mort.
Lifez ces Vers que l'Amour grave encore
Sur des myrthes facrés vainqueurs des temps ja
loux ;
Rempliffez votre coeur de ces accens fi doux
De Pétrarque, da Taffe : ils vous parlent de Laure,
De la divine Armide , ils vous parlent de vous
Eloigné de vos yeux ( ces Aftres de ma vie ! )
De la Mort entouré , pleurant fur un cercueil ,
J'emprunte à la plaintive & lugubre Elégie
Sa lyre gémiffante , & fon funébre deuil .
Mais lorfque d'Aglaé l'âme toute remplie ,
DECEMBRE. 1760.
A fes genoux je puis être un infant ;
D'Ovide j'ai le luth galant ,
Et vous avez les charmes de Julie.
ParM. d' ARNAUD , Confeiller d'Ambaffade de
S. M. le Roi de Pologne , Electeur de Saxe.
SAT PULCHER , QUI SAT BONUS ,
FABLE.
Par Madame du M....
Qui , des Dieux reçut en partage ,
Coeur droit , efprit jufte , bonté ,
A tout l'éclat de la beauté ,
Dut préférer cet avantage.
Le bon eſt toujours affez bean ,
Et Phédre avec grâce l'explique ,
Dans l'apologue véridique ,
Dont il nous offre le tableau.
Chéris tous deux avec tendreffe ,
D'un pére rempli de douceur ,
Un adoleſcent & fa fæeur ,
Compofoient toute la richeffe.
Du garçon l'afpect enchanteur
Forçoit tous les coeurs à fe rendre ,
Et de la fille la laideur ,
Pouvoit à peine ſe comprendre.
A v
10 MERCURE DE FRANCE..
Un jour , que fans l'appercevoir ,
On avoit laiffé le miroir
De leur maman , par avanture ;
.. Frappé, ravi , de ſa figure ,
Le bel enfant fe pavannoit
Près de fa foeur , & la railloit :
Elle gémit de cette injure ....
Alors , dans les embraſſemens ,
Les uniflant avec tendreſſe ,
Le pére dit : ô mes enfans !
Je veux que tous les deux fans ceſſe
Vous vous regardiez au miroir ;
Vous mon fils , pour bien concevoir
A quel point vous feriez coupable ,
Si par quelques vices honteux
Vous deveniez jamais capable
De ternir l'image des Dieux ;
Et toi , ma fille , pour conclure
Que tu ne sçaurois éffacer
Les outrages de la Nature ,
Que par une âme noble & pure ,
Capable de tout réparer.
VERS à Mlle CATINON
la Comédie Italienne.
Actrice de
Vous dont les talens & les charmes,
Fixent de tous les coeurs les defirs & le choix
DECEMBRE. 1760 . II
Aimable Catinon , le mien vous rend les armes ;
L'amour, par vos beaux yeux , l'a foumis à fes loix.
Vous êtes de ce Dieu le plus parfait ouvrage.
Hélas ! de mes tranſports il fçait la vérité :
Daignez agréer leur hommage;
Le Ciel , le Ciel jaloux n'en peut être irrité.
Quand on a du reſpect pour la Divinité ,
On doit adorer fon image,
Par M. D ... de N ...
LE VER LUISANT ,
FABLE.
UN ver luifant , dans le fond d'un jardin ,
Jettoit une foible lumiére :
Il éclairoit pourtant toute une fourmilliére
Qui l'admiroit comme un Etre Divin
Enorgueilli de voir qu'on l'idolâtre ,
Il veut briller fur un plus grand théâtre.
Bientôt traverſant le jardin ,
Guidé par fon audace vaine ,
Dans un fallon voifin
A grand-peine il ſe traîne.
Là des luſt res brillans ſuſpendus au lambris ,
Offufquent les yeux éblouis .
Il fe remet pourtant , ôſe lever la crêté :
Mais c'eſt là que fa mort s'apprête ;
Du Phoſphore rampant l'éclat a diſparu.
A vi
12 MERGURE DE FRANCE:
En vain il dreffe & la queue & la tête :
L'Infecte eft écrasé , fans même être apperçu.
Que de gens d'un mérite mince ,
Vantés , pronés dans leur pays ,
Quittent tous les jours leur Province
Pour éffuyer même fort à Paris !
Par M. Abbé de V ****
VERS au Docteur NOVELLO , Médecin .
T.
Italien.
N
u n'aurois point quitté les Romains d'autre
fois ;
Mais la France aujourd'hui doit être ta Patrie :
L'âme de leurs héros a paffé dans nos Rois ,
Et celle d'Efculape anime ton génie.
Par Madame GUIBERT de F.
ÉPITRE ,
...
M. P.. Receveur des Domaines du Roi
á V..
Vous , qui joignez un caractére égal ,
Aux grâces du Dieu de Cythère ;
Vous , dont l'eſprit eft partout fûr de plaire ;
Apprentif Fermier Général ,
Que Plutus favoriſe , & que Phébus éclaire :
Quand viendrez-vous me voir dans le triſte ſéjour
DECEMBRE. 1760 13
Où je fais maintenant ma demeure ordinaire ,
Loin des plaifirs & de l'amour ?
A vous parler fans fard , & fans plaifanterie,
L'aimable Volupté , cette fille chérie
D'Anacréon & de Chaulieu ,
Et dont Paris eſt la Patrie,
N'a jamais paſſé dans ce lieu .
On n'y connoît point la moleffe ,
Les repas fins , les vins délicieux ,
Les propos brillans & joyeux ,
Ni cette indolente pareffe
Que vous étalez à mes yeux ,
Et que j'imite tout au mieux ,
Mais que je condamne fans ceffe :
Morphée eft fans pouvoir fur ces bords ennuyeux.
A peine d'une main divine
A-t-il verſé ſur nous cent pavots merveilleux ,
Qu'un éffain affamé d'infectes odieux ,
Nous pique , nous éveille , enfin nous affaffines
Et nos biens les plus précieux ,
Sont lits chauds , & froide cuiſine .
Nous vivons de fromage & de quelques oeufs frais
Le Dimanche & les grandes Fêtes ,
Avec du lait & des noiſettes ,
Nous formons des repas plus fobres que parfairs 3
La Nature dans ces retraites
Ne nous fournit point d'autre mets,"
On y trouve , par avanture ,
Des harangs fors , du porc falé,
4 MERCURE DE FRANCE.
!
Avec un pain noit & brûlé :
Voilà , depuis un mois , quelle eft ma nourriture !
Méprifant des grandeurs le pompeur appareil ,
Affez paisiblement je pafferois ma vie ,
Si je pouvois dormir au gré de mon envie ,
Et dérober ma tête aux ardeurs du Soleil .
Tout lejour enfermé dans une grotte obfcure ,
Et couvert de mauvais haillons ,
Je reffemble à ces penaillons ,
Dont l'embonpoint relève une trifte figure.
A peine Phébus a paffé
Dans le vafte fein d'Amphitrite ,
Que fortant du trou que j'habite ,
Je traîne mon corps haraffé ,
Non dans un parc fuperbe & bien percé ,
Mais fur deux arides collines ,
Où plus d'une fois j'ai laiffé
La moitié de mes bas à travers les épines.
Vous que j'ai Louvent invité
A venir me trouver dans ce féjour ruftique ,
Ceffez de vous armer d'un front philofophique ,
Pour combattre la Volupté :
Suivez le doux penchant qui vous guide vers elle
Ne laiffez point étouffer vos defirs
Aux préjugés , ennemis des plaifirs :
Au Dieu d'Amour foyez toujours fidéle ,
Mais bornez-vous à d'utiles foupirs.
Semblable au papillon volage ,
Soyez preffant , tendre , léger:
DECEMBRE. 1760.
La conftance eft un esclavage ,
L'inconftance un doux badinage :
Sâchez à propos voltiger ;
Un coeur facile à s'engager ,
En plaît quelquefois davantage ,
Et vous êtes dans l'heureux age ,
Où l'on doit aimer pour changer.
Envain dans ce charmant lage ,
La vertu trouve du danger ;
En amour il faut abréger :
Le moins fidéle eft le plus fage.
J'ai fuivi le ſexe enchanteur ,
Que le Sage refpecte & que le Fat mépriſe ,
Tantôt fier , tantôt foible & toujours féducteur ;
Par un regard perçant , par un fouris flatteur ,
Il nous fubjugue , il nous maîtriſe ;
Erquandfur nos efprits il commande en vainqueur,
Il nous careffe par faveur ,
Et par goût-il nous tyranniſe.
Mais comme fans ce fexe il n'eft point'debonheur 3
En matiére d'amour & de galanterie ,
Il faut gagner de primauté ,
Quitter de peur d'être quitté,
Et prévenir la tromperie.
Eloigné du grand monde , iſolé dans ce bois ,
Je brave les artraits & l'empire funeſte
D'un Dieu qui tient la terre affervie à fes loix ;
Et fous fon joug cruel , qu'à bon droit je déteste ,
Il ne me verra plus captif comme autrefois..
16 MERCURE DE FRANCE.
Gardez- vous cependant d'imiter mon exemples
Sacrifiez fur les autels :
Malgré le luxe des Mortels >
La vertu quelquefois habite dans fon temple.
Mais il faut raffurer vos efprits allarmés ;
Heft temps de finir... je fens que je m'égare ;
Mes yeux appefantis font à demi fermés :
Minuit fonne ; & l'éflain d'infectes affamés ,
A me dévorer fe prépare .
Par M. FRANÇOIS , ancien Cornette de Cavalerie:
CRIZÉAS ET ZELNIDE.
Traduction du Grec.
A MADAME A. D. R.
MADAME,
Je dirois bien que vous reffemblez à
Zelnide , dont j'écris l'Hiftoire , car elle
avoit une belle âme & des grâces touchantes
; mais vous avez de plus cet efprit
aimable & délicat qui lui manquoit ,
parce qu'elle étoit fimple bergère . Agréez
toutefois ce foible éffor d'une plume que
vous avez daigné encourager. Si Zelnide
peut vous faire verfer une larme , j'aurai
DECEMBRE. 1760. 17
réuffi. Je fuis avec un très- profond ref
pect , Madame , &c .
NoN , Amour , je ne t'implore point
pour raconter à nos Bergers la malheureufe
hiftoire de Crizéas & de Zelnide
Ne conduis point ma voix , dans un auffi
triſte récit. Laiſſe - moi , cruel , je ne veux
pas que tu m'infpires . Mon deffein n'eſt
pas de charmer les coeurs : mais je veux
que tout le hameau fonde en larmes , &
pour cela , ne me fuffit -il pas de pleurer
Bergers & Bergères , vous voyez que le
Soleil eft au milieu de fa courfe , que
fes rayons ardens défféchent les prairies ,
& font mourir cette verdure qui animoit
nos campagnes : Laiffez vos troupeaux
pour quelques inftans. Les brebis fatiguées
font couchées fur l'herbe aride , &
Te chien fidéle fait la garde en halerant autour
d'elles. Venez , fuivez moi dans ce
petit bois ; & fi vous aimez à être attendris,
écoutez le récit que je vais vous faire.
*
Ainfi parloit Philémon. Chacun laiffa
tomber la houlette. On le fuivit en foule
dans le petit bois. Il fe forma un cercle
autour de lui ; & lorfqu'il vit tout le mon
de en filence , il reprit ainfi la parole.
Zelnide étoit fi belle , que je n'ofe
prèfque décrire fes charmes. Je ne puis
18 MERCURE DE FRANCE.
J
cependant réfifter au penchant qui m'entraîne
à vous en donner une idée. Sa taille
étoit parfaite : On y obfervoit toutes
ces belles proportions que la Nature faifit
quand elle veut , & que l'art imite quelquefois.
Ses longs cheveux , qui flottoient
en boucles fur fes épaules , & couvroient
une partie de fon ſein, étoient de ce beau
blond cendré , la vraie couleur desBeaurés
touchantes. Sa figure portoit cette
Jégére teinte de mélancolie , qui fert ordinairement
à intéreffer davantage. Elle
étoit à la fois douce & fine , tendre & modefte
: chofes qui ne ſe rencontrent prèſque
jamais , & qui n'appartiennent qu'aux
grâces. Pour les yeux , je ne puis bien
vous dire ce que c'étoit que fes yeux
.
en échappoit quelquefois un fourire.
Je ne puis bien vous dire encore ce que
c'étoit que ce fourire : mals l'enſemble de
fa tête étoit je ne fais quoi de divin , de
délicat , de gracieux , qui porte le trouble
jufqu'au fond de l'âme la moins fenfible ,
& en arrache des foupirs. Avec tout cela ,
la beauté de Zelnide étoit le moindre
de fes attraits : fon âme développoit à
chaque inftant de nouveaux charmes. La
naïveté , la candeur , l'honnêteté , Pinnocence
, l'extrême fenfibilité , en formoient
le caractère. En un mot , rien ne
II
DECEMBRE. 1760. 19
reffembloit plus à fa figure que fon âme ;
& c'eft cette heureufe conformité que la
Nature donne , quand elle fait un chefd'oeuvre.
Crizéas, étoit bien fait ; il avoit la phyfionomie
aimable & intéreffante , l'efprit
jufte , l'âme honnête & fenfible. Il ref
fembloit prèfqu'à Zelnide , fi on avoit pu
lui reffembler. Il étoit digne d'elle , fi
jamais aucun Mortel avoit pû l'être .
Vous voyez que ces deux créatures
étoient faites l'une pour l'autre. Crizéas
& Zelnide n'habitoient pas le même hameau
, mais il y avoit peu de diftance entre
leurs demeures . Ils fe virent à une
de ces Fêtes , où la joie naïve , en fe communiquant
, invite les habitans de plufeurs
cantons à fe réunir dans un feul
pour y former des danfes & des concerts
champêtres . Ils cherchérent à fe connoître
, parce qu'ils s'aimoient déja ; & dès
qu'ils fe connurent , ils s'aimerent davantage.
La douce familiarité devenant peuà-
peu l'âme de leur entretien , le Berger
avoua fon amour. La Bergére rougit &
fe troubla . Il s'en apperçut , fe jetta aux
genoux de Zelnide , & cacha fa tête dans
les plis de fa robbe , qu'il mouilloit de
pleurs. Zelnide fe troubla encore. Un
profondfoupir qu'elle jetta , comme pour
20 MERCURE DE FRANCE.
fe délivrer d'un fardeau qui accabloit fon
ame , fit lever la tête de Crizéas . Il vit
une autre tête panchée vers la fienne , &
quelques larmes tomber de deux beaux
yeux qui reftoient languiffamment attachés
fur lui. Il fe leva , il embraffa fon
Amante ; & ce beau moment fut le triomphe
de l'amour.
Dès-lors il ne fut plus queftion entr'eux,
que de s'unir pour jamais. Crizéas prépara
fa retraite pour y recevoir fon Amante
& fon époufe. On choifit un beau jour
d'été pour célébrer leur union , & ce fut
auhameau de Zelnide que cette Fête fe fit.
Il y eut des feftins , des concerts & des
danfes tout le jour & toute la nuit . Vers
le milieu de cette nuit , Crizéas s'étant
approché de Zelnide , lui dit en fouriant
, qu'elle avoit befoin de repos , &
qu'il étoit temps de partir. Il lui prit
la main ; elle rougit & fe laiffa entraîner.
Ils fortirent de l'affemblée & du hameau
, fans être vûs de perfonne.
L'heureux Crizéas , fentant le bras de
fa Zelnide appuyé fur le fien , & tout
fier de ce précieux fardeau , tantôt lui
faifoit doubler le pas pour arriver de bonne
heure , tantôt la faifoit arrêter pour
avoir le plaifir de la confidérer. L'aimable
pudeur de la Bergère , fon teint ani¬
DECEMBRE, 1760 , 25 •
mé des plus vives couleurs , & par les
plaifirs qu'elle avoit pris , & peut -être par
l'éfpoir de ceux qui alloient fuivre , un
ajuftement fimple & galant , un certain air
de liberté modefte , qui n'eft autre chofe
que l'effet de cette fécurité dans le plaifir
lorfque l'innocence en eft l'âme , la
fraîcheur de la nuit , & ce demi-jour que
produit un beau clair de Lune ; tout concouroit
à rendre Zelnide plus belle &
plus touchante que jamais. Encore une
demi- heure au plus , elle fe voyoit dans
les bras de fon époux , & tous deux alloient
être heureux.
Cependant le Ciel s'obfcurciffoit : les
nuages s'étoient amoncelés , & portoient
dans leur fein ces matiéres éthérées , le
germe des orages & des tempêtes. Les
éclairs commençoient à enflammer l'horifon
. On entendoit même , dans le lointain,
le murmure fourd de la foudre . Toutà-
coup un vent furieux ſe déchaîne , part
du Sud , & pouffe les nuages avec rapi,
dité. Bientôt tout l'atmosphère ne préfente
plus aux yeux que de noirs grou
pes de nuées ; les éclairs brillent plus
fréquemment le Ciel eft embrafé , &
femble s'entr'ouvrir ; la grêle & la pluie
tombent avec un bruit horrible : Toute
la Nature gémit. O ! tendres & infortu
22 MERCURE DE FRANCE:
nés Amans ! que ferez-vous
vous devenir ?
qu'allez-
Grands de la Terrè , habitans faftueux
des Cours & des Villes , l'induftrie humaine
s'eft épuisée pour vous feuls ! Vous
foumettez la Nature à vos ordres : les
Elémens ne peuvent le déchaîner contre
vous ; & tandis que l'on vous traîne nonchalamment
dans des chars dorés , le fimple
Villageois fe trouve expofé aux injures
du temps , & à l'intempérie des Saifons.
Il eft vrai que vous n'avez pas tout
envahi ; vous lui avez laiffé l'innocence
& l'heureufe tranquillité qui la fuit toujours.
Crizéas & Zelnide , ne peuvent continuer
leur chemin ; nulle retraite où ils
puiffent fe réfugier. Ils courent s'enfon
cer dans la forêt voifine , & s'afléient
fous un arbre touffu , où la pluie n'avoit
pas encore pénétré.
Que ne puis- je vous rendre tout ce qui
fe paffoit alors dans les âmes de ces deux
époux ! Que ne puis - je vous peindre & la
tendre inquiétude de Zenilde , & la fage
fermeté de Crizéas , & les mouvemens
paffionnés de tous deux ! La foudre grondoit
& éclatoit avec un fracas épouvantable.
Les éclairs , qui brilloient & dif
paroiffoient tour-à- tour, faifoient de cette
*
DECEMBRE. 1966. 23
folitude affreufe , tantôt un vafte embrafement
, tantôt une caverne obfcure. Crizéas
foupiroit;Zelnide pleutoit. Hélas! difoit-
elle,avant de te connoître, avant que
d'être à toi , je n'ai jamais craint la mort ;
je n'aurois jamais tremblé pour mes jours,
& je tremble à préfent pour les tiens &
pour les miens. O , mon cher Crizéas !
O , toi que j'adore , toi , l'âme de ma
vie ! Dis-moi fi la mort n'eft pas affreufe
pour deux êtres qui s'aiment , qui fe le
difent en liberté , & qui peuvent fe le
prouver fans crime ? L'amour double ,
fans doute , les plaifirs de la vie ; mais
je fens bien qu'il en double auffi les peines.
Non , Crizéas , je n'ai plus de fermeté
Je ne voudrois plus mourir.
Chére Zelnide , répondoit- il , à quoi
ofez-vous penfer écartez , je vous en
conjure , ces noires idées qui obfcurciffent
votre âme .... Va , Zelnide , croismoi,
le Ciel en te créanta fait un trop bel
ouvrage , pour en vouloir déjà la deftruc
tion . La foudre gronde également fur
tous les hommes ; mais elle ne frappe
que les têtes coupables. Nous fommes
innocens , Zelnide , pourquoi veuxtu
que nous foyons punis Aurionsnous
commis un crime en nous aimant ?
Non , fans doute , nous avons rempli
22 MERCURE DE FRANCE:
nés Amans ! que ferez-vous ? qu'allezvous
devenir?
Grands de la Terre , habitans faftueux
des Cours & des Villes , l'induftrie humaine
s'eft épuisée pour vous feuls ! Vous
foumettez la Nature à vos ordres : les
Elémens ne peuvent le déchaîner contre
vous ; & tandis que l'on vous traîne nonchalamment
dans des chars dorés , le fimple
Villageois fe trouve expofe aux injures
du temps , & à l'intempérie des Saifons.
Il eft vrai que vous n'avez pas tout
envahi ; vous lui avez laiffé l'innocence
& l'heureufe tranquillité qui la fuit toujours
.
Crizéas & Zelnide , ' ne peuvent continuer
leur chemin ; nulle retraite où ils
puiffent fe réfugier . Ils courent s'enfon
cer dans la forêt voifine , & s'afléient
fous un arbre touffu , où la pluie n'avoit
pas encore pénétré.
Que ne puis- je vous rendre tout ce qui
fe paffoit alors dans les âmes de ces deux
époux ! Que ne puis- je vous peindre & la
tendre inquiétude de Zenilde , & la fage
fermeté de Crigéas , & les mouvemens
paffionnés de tous deux ! La foudre grondoit
& éclatoit avec un fracas épouvantable
. Les éclairs , qui brilloient & dif
paroiffoient tour -à-tour, faifoient de cette
DECEMBRE. 1766. 23
folitude affreufe , tantôt un vaſte embrafement
, tantôt une caverne obfcure. Crizéas
foupiroit;Zelnide pleutoit. Hélas ! difoit-
elle, avant de te connoître, avant que
d'être à toi , je n'ai jamais craint la mort ;
je n'aurois jamais tremblé pour mes jours,
& je tremble à préfent pour les tiens &
pour les miens. O , mon cher Crizéas !
O, toi que j'adore , toi , l'âme de ma
vie ! Dis-moi la fi mort n'eft pas affreuſe
pour deux êtres qui s'aiment , qui fe le
difent en liberté , & qui peuvent fe le
prouver fans crime ? L'amour double ,
fans doute , les plaifirs de la vie ; mais
je fens bien qu'il en double auffi les peines.
Non , Crizéas , je n'ai plus de fermeté
Je ne voudrois plus mourir .
Chére Zelnide , répondoit-il , à quoi
ofez-vous penfer écartez , je vous en
conjure , ces noires idées qui obfcurciffent
votre âme .... Va , Zelnide , croismoi,
le Ciel en te créanta fait un trop bel
ouvrage , pour en vouloir déjà la deftruc
tion. La foudre gronde également fur
tous les hommes ; mais elle ne frappe
que les têtes coupables. Nous fommes
innocens Zelnide pourquoi veuxtu
que nous foyons punis Aurionsnous
commis un crime en nous aimant ?
Non , fans doute , nous avons rempli
,
24 MERCURE DE FRANCE.
le voeu de la Nature. Et plût au Ciel
que cette terre ne fût habitée que par
des créatures telles que nous ! On ne la
verroit jamais fouillée du fang des hommes.
Je fais , Zelnide , que le moment
le plus affreux pour deux Amans , eft celui
de leur féparation : ` mais la fuprême
Intelligence éloignera ce moment , &
voudra que nous vivions tous deux.
1
En parlant ainfi , Crizéas embraffoit
fon époufe ; il lui faifoit de tendres reproches
fur la triſteſſe . Non , diſoit- il , en
la regardant fixement , tu ne m'aimes.
point , ou tu oublies que Crixéas t'adore ,
que tu es à lui pour jamais , & que tes
bras vont bientôt s'ouvrir pour le recevoir.
... Ah ! Zelnide , fi tu favois aimer
! ... Si tu favois ce que c'eft qu'un
amant vertueux qui devient époux ! ...
Tu m'accables, interrompoit- elle : éprouves-
tu quelque plaifir à affliger ainſi mon
âme ? Tu ofes me dire , cruel , que je ne
fais pas aimer , moi qui ne veux vivre
que pour toi. Eh bien , viens , ô l'amant
le plus chéri qui fut jamais ! Une force
inconnue m'éléve en ce moment au- deffus
de moi- même : Viens , tenons - nous étroitement
embraffés ; & fi la foudre doit
éclater fur nous , qu'elle nous confume
tous deux ? & que nous périffions enfemble.
Alors
DECEMBRE. 1760. 20
Alors les bras des deux Amans s'étendirent
; ceux de Crizéas le croiférent autour
du corps de Zelnide ; elle paffa les
fiens autour du cou de Crizéas , & pola
doucement fa tête fur fon fein. Dans cette
attendriffante fituation , la frayeur de
Zelnide fe calma , & fa tendreffe pour
Crizéas fut le feul fentiment qui lui refta.
Pendant qu'ils foupiroient ainfi leurs
peines & leurs plaifirs ; la nue s'ouvre ,
un globe de feu s'échappe du brûlant
atmoſphère , vole & tombe en éclatant
aux pieds des deux Amans : l'air d'alentour
eft infecté ; tout fe corrompt , tout
fe détruit. Soit par un fimple mouvement
de furpriſe & de frayeur , foit par cet
inftinct obfcur & rapide que la Nature a
donné à l'homme pour la confervation
de fa vie , & qui veille à cette conſervation
avant que l'homme ait le temps
de vouloir , Crizéas & Zelnide ceffent
tout- à- coup de fe tenir embraffés . Zelnide
jette un cri perçant , & Crizéas tombe
évanoui à quelques pas d'elle.
Trop heureux , hélas , s'il eût pû mourir
! Il revint à lui quelques momens
après , croyant être refté longtemps dans
cette efpéce d'anéantiſſement.
L'orage s'étoit diffipé ; l'air étoit des
yenu plus pur ; le Ciel commençoit à re-
B
26 MERCURE DE FRANCE
prendre fa premiere férénité ; & toute la
Nature qui , un inftant auparavant fem
bloit mourir , reprenoit déjà une nouvelle
vie. L'infortuné Crizéas tourne les
yeux fur fa Zelnide , en admirant ce beau
calme . Il la voit telle qu'il l'avoit quit
tée , affife fur le gazon , le dos appuyé
contre le tronc de l'arbre , la tête panchée
de fon côté ; mais paroiffant plongée
dans un profond fommeil. L'affou
piffement qu'il venoit d'éprouver lui- même
lui avoit ôté fes forces & prèſque ſa
raifon. Il appelle Zelnide .
Elle
ne répond point. Zelnide , s'écria- t -il ,
quoi , vous ne m'entendez plus ? Vous
étiez tranquille ! Vous dormiez au milieu
des horreurs qui nous environnoient !
Vous laiffiez votre Amant fans fecours !
Et vos mains , ces mains qui font à lui ,
que vous lui avez abandonnées tant de
fois , qui ont ferré fa tête contre votre
fein , n'ont point été employées à rappeller
Crizéas à la vie ? ... Vous ne répon
dez point , Zelnide ! ... ne connoiffezvous
plus ma voix ? Hélas ! Elle favoit fit
bien le chemin de votre coeur ! ... Zelnide
? ..... ô Dieux ! vous ne répondez
point ... Ah ! cruelle , eft- ce ainfi que
vous aimez ?... Ma chére Zelnide, écoutemoi
, regarde-moi , reconnois- moi... Elle
DECEMBRE . 1760 . 27
ne répond point encore.... Que fignifie
cet horrible filence ? Je me fens pénétré
d'horreur. Tout m'éffraye, jufqu'au calme
qui régne ici.....
Le malheureux Crizéas , en proférant
ces dernieres paroles , fait tous fes éfforts
pour le foulever. Il rampe jufqu'auprès
de Zelnide : il n'ofe encore la toucher. Il
la confidére , il l'admire. Il cherche fes
yeux. Il approche fa bouche de la fienne.
Zelnide , quoi , tu ne m'entens point !
tu ne me vois point ? C'eft Crizéas , c'eft
l'amant le plus tendre qui t'appelle ...
Viens , fortons de cette affreufe folitude ,
& que ton époux fe voye enfin dans tes
bras . En même- temps , il prend une des
mains de Zelnide . Apeine l'a-t-il touchée...
O Ciel ! ô prodige ! ô Phénomène éffrayant
& inconcevable ! Zelnide tombe
en pouffière aux pieds de Crizéas ..... Cet
amant infortuné pouffe un cri lamentable,
cherche Zelnide , regarde autour de lui ,
& ne voit qu'un monceau de cendres.
Zelnide avoit été frappée du foudre.
Je ne vous peindrai point la douleur ,
T'éffroi , le défefpoir qui affiégerent en
ce funefte moment l'ame du tendre Crigéas.
Mais , ô vous qui m'écoutez , vous
concevrez fans peine fa fituation , fi vous
avez des coeurs fenfibles. Une refpi-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
ration haute & convulfive , enfuite des
mugiffemens plutôt que des cris , & des
larmes amères : C'étoit - là toute l'expreffion
de Crizéas ; car l'extrême douleur
eft filencieufe. A peine pouvoit- il prononcer
le nom de Zelnide. Il fe rouloir
fur fes cendres , il s'en couvroit le corps &
la tête , il s'arrachoit les cheveux : mais
dès qu'il put proférer quelques mots, il devint
furieux: Il outragea le Ciel & la Terre
; toute la Nature fut en proie à fes
imprécations : Il demanda la mort. Bêtes
féroces , s'écrioit- il , eft ce en vain que
vous faites retentir cette forêt de vos
mugiffemens ? Est- ce en vain que vous
êtes nées voraces ? Pourquoi ne venezvous
point déchirer mes entrailles ? ô
ciel impitoyable ! ô deftinée cruelle ! fi
Zelnide n'eft plus , fi vous l'avez enlevée
à mon amour, qu'ai- je befoin de vivre
davantage ?
Une douleur morne & fombre fuccéda
bientôt à ces premiers accès douleur
plus terrible fouvent que la fureur même
, parce qu'elle eft prèfque toujours
accompagnée de quelque deffein funefte.
Il ne ceffa point de fe plaindre du fort ,
mais il s'en plaignit avec moins de véhémence.
Les larmes coulérent abondamment
dé fes yeux. Je ne l'ai plus , ô ciel !
DECEMBRE. 1760. 29
dit -il , je ne veux plus murmurer contre
vos decrets impénétrables, mais qu'il me
foit au moins permis de mourir fur fes
cendres. Et toi , malheureuſe Amante ,
qui n'as péri que pour m'avoir aimé , fi de
l'empire des morts tu peux entendre mes
triftes accens & être touchée de mes regrets
, reçois encore avec tendreffe mon
dernier facrifice , & vois avec joie l'âme
d'un époux qui t'adore fe rejoindre à la
tienne! C'en eft fait , je ne quitte plus
ces lieux je refte couché fur ces cendres
précieuſes , jufqu'à ce que j'y rende le
dernier foupir.
Crizéas paffa le refte de la nuit dans
cette agitation . A peine l'aurore commençoit
à paroître , que le bruit de la
mort funefte de Zelnide ſe répand dans
tous les hameaux circonvoifins. On accourt
de toutes parts à la forêt . Ceux qui
avoient connu les deux Amans , ne favoient
lequel ils devoient plaindre davantage.
Ils gémiffoient fur Crizéas &
fur Zelnide ; mais ce fut àla vue des reftes
de l'Amante & de la fituation de l'Amant
, que les cris des peuples montérent
jufqu'aux Cieux.
La farouche douleur de Crizéas ne vit
qu'avec répugnance tout ce monde s'approcher
de lui. Il fic d'abord figne des
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
mains qu'on fe retirât. Voyant enfuite
qu'on ne l'écoutoit point : au nom de l'humanité
, dit- il , d'une voix forte & plaintive
,retirez- vous d'ici : fuyez moi. Je fuis
un malheureux..... Sortez tous de ce lieu
funefte , & laiffez-moi mourir .
Ces lugubres paroles ne fervirent qu'à
échauffer la pitié dans les coeurs. On releya
Crizéas, malgré fes éfforts. On l'arracha
à ces cendres qu'il fembloit vouloir
toujours embraffer , & il fut tranfporté
chez lui. Dans le chemin il tournoit à
chaque inftant les yeux vers la forêt , en
pouffant de profonds foupirs. Quand il
fut arrivé dans fa retraite , il demanda
qu'on lui rendît les reftes de Zelnide.
Cette trifte fatisfaction lui fut accordée .
Depuis ce moment il ne parla plus . Il eut
toujours les yeux fixés fur ces reftes juſqu'à
fon dernier foupir . Le chagrin profond
dans lequel il demeura plongé le conduifit
bientôt au tombeau. Il expira quelques
jours après fa funefte avanture , en cherchant
encore dans les cendres de Zelnide
l'image de cette tête qu'il avoit adorée.
Philémon ayant ceffé de parler , tout le
monde fe leva en foupirant , les yeux
mouillés & baiffés vers la terre ; on fortit
du petit bois en filence. On reprit
avec peine les travaux champêtres. Il n'y
DECEMBRE. 1760.
eut le foir ni jeux , ni danſes, ni concerts .
Le Berger fidéle s'occupa à foupirer fes
amours , & la Bergère naïve n'ofa feindre
de ne pas l'entendre .
IMITATION d'un Paffage de POPE.
MORTEL , enivré de toi- même ,
Qui prétends fonder ton Auteur,
Parle. Es- tu donc la fin fuprême
Des Ouvrages du Créateur ?
Plein de ces chimériques faftes
Qui de l'Univers te font Roi ,
Crois-tu que dans fes projets vaftes
Dieu n'ait eu d'autre objet que toi'?
Qu'il ait mefuré ton empire ,
A tes ambitieux defirs ,
Et qu'ici-bas tout ne refpire ,
Que pour ta gloire ou tes plaifirs ?
Ces doux préfens de la Nature ,
Par tous les êtres reclamés
Pour fournir à ta nourriture
Uniquement font- ils formés ?
Pour ta table a-t-elle fait naître ,
Sous cet agréable horizon ,
Le jeune faon que l'on voit paître ,
Et bondir fur ce verd gazon ?
B iv
1 MERCURE DE FRANCE
Ses richeffes, de tous chéries ,
Dont chacun fait le même emploi ,
Pour lui , fur ces plaines fleuries ,
Croiffent de même que pour toi.
Au riant aſpect de l'aurore ,
Quand l'allouette vole aux Cieux
Eft-çe encor toi qui fais éclore
Ses accens fi mélodieux ?
C'eft du Jour cette Meffagére ,
De quil'approche , en l'éveillant,
Agite fon aîle légére ,
Dilate fon gofier brillant.
Eft- ce pour toi que la fauverte
Fait retentir des plus beaux fons
Nos hameaux , dont l'écho répéte
Aux échos voisins , fes chanfons ?
Non, mais fa voix enchantereſſe ,
Organe d'un fenfible coeur ,
Soupire fa vive tendreſſe ,
Et peint les traits de fon vainqueur.
Ce courfer fougueux & rapide
Aux reins , aux jarrets vigoureux,
Qui daigne , à ta morgue intrépide ,
Soumettre fes flancs généreux ;
Quoique bravant fa force extrême ,
Tu l'afferviffes d'un clin d'oeil,
T'ofe difputer à toi- même ,
Et ton plaifir , & ton orgueil.
DECEMBRE. 1760. 33
Ce grain que , pour toi , tu ménages,
Et qui couvre ces champs divers ,
L'as-tu feul? Non , tu le partages
Avec les habitans des airs.
Tribut d'une année abondante ,
Cette jaune & riche moiſſon
Qui forme ta plus chére attente ,
N'eſt-elle que pour ta maiſon ?
Le jeune taureau , la geniffe ,
Y fçauront trouver leurs befoins :
Nature eft auffi leur nourrice ;
Elle eſt juſte , & leur doit ſes ſoins.
ParM. DORI.
}
LETTRE de Madame BOURETTE , ¿
M. le Marquis CARACCIOLI , Colonel,
au Service du ROI DE POLOGNE.
Vos adieux précipités , Monſieur , ne
m'ont pas permis de vous faire tous mes
remercîmens , fur le préfent de votre ou
vrage dont vous m'avez honoré. Ce traité
de l'amitié n'eft point chez vous un fentiment
de repréſentation; vos actions font
conformes à vos principes , & j'en ai des
preuves éclatantes , dans la maniére obligeante
dont vous avez bien voulu parler
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
1.
de moi , à Madame la Princeſſe Radzivil z
& dans le monument précieux de l'extrait
de fa lettreque vous m'avez envoyé.
Je n'oferois , Monfieur , mettre au jour les
chofes flatteufes dont cette augufte Princeffe
a daigné m'honorer , fi je ne publiois
en même temps mon profond refpect
pour elle. J'ofe vous fupplier de lui
en faire parvenir les témoignages . Vous,
parerez mon hommage , dès qu'il paffera
par vos mains.
A MADAME LA PRINCESSE
RADZIVIL.
NON ,je n'en reviens point , il le faut avouer ,
U ne augufte Princefle a daigné me louer,
Moi chétive enfermée en ma petite ſphère ,
Qui vois les Grands de loin , & ne fçaurois mieux
faire,
Elle n'a confulté que fa feule bonté :
Ah , c'eft un paffe- droit fait à la dignité !
Du fang même des Dieux que fert d'être forties,
Si pour moi la belle âme oublie
L'orgueil de la Naiffance, & la marque du rang
Déch aînez -vous fur moi, noirs ferpens de l'Envie
La gloire a couronné mes travaux , & ma vie.
Une illuftre Immortelle est mon heureux appui
Auprès de fon beau nom mes vers vivront fans
ceffe
DECEMBRE. 1760.
35
Is vivront fur le Pinde; & je trouve aujourd'hui
Dans la faveur des Dieux , mes titres de Nobleffe.
Je reviens , Monfieur , à votre Traité
de l'Amitié. Je n'ai eu que le temps
d'en dévorer la lecture ; il eft actuéllement
entre les mains de Madame Du
Boccage. Cette illuftre Savante connoît
votre réputation diftinguée.
Vous ne devez pas vous inquiéter des
Journaliſtes : s'ils fe manquent à eux-mêmes
; qu'on vous life : une feule de vos
phrafes fait plus votre éloge , que tout ce
qu'on pourroit dire ; & les éditions multipliées
, à chacune de vos productions ,
prouvent le goût du Public en votre faveur.
J'ai l'honneur d'être & c.
Je vous envoie ci -joint mes vers à Madame
l'Infante Ifabelle. J'aime trop ma
patrie , pour ne pas en célébrer tous les
heureux événemens.
Sur le Mariage de l'Infanie ISABELLE
avec le ROI DES ROMAINS.
On dit que la Difcorde , aux noces de Thétis ,
Souffla fes noirs poifons fur la troupe immortelle
L'Europe dans nos jours voit des Dieux plus unis
La paix eft defcendue aux feftins d'Iſabelle.
L'Aigle prenddans fa ferreun faifceau de nos lys
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
Et volant au milieu d'une fête fi belle ,
Couronne ces trois noms , Parme , Vienne,
Paris.
LETTRE de M. le Marquis CARACCIOLI
, à Madame BOURETTE.
MADAME,
La lecture de vos Ouvrages vient de
charmer une Princeffe , qui connoît tout
le prix de l'efprit & du coeur. Voici com
me elle s'exprime , dans une des Lettres
que je viens de recevoir.
» La Mufe Limonadiére m'a infiniment
» amufée. Je voudrois de tout mon coeur ,
"
être à Paris pour connoître cette Mufe ,
» comme une perfonne qui honore infini-
» ment notre Sexe. J'admire la vivacité
d'efprit de Madame Bourette, mais j'ad-
»mire encore plus fon caractére liant , ſuſ-
» ceptible d'amitié & de reconnoiffance ,
» & qui fe peint dans fes Ouvrages . Qu'on
» vienne maintenant , fi Pon ofe , faire
» parade de la naiffance , à deffein de rabaiffer
celle de Madame Bourette. Toute
perfonne qui penſe , regardera en pitié
» ces ignorans bien nés , qui n'ont d'autre
mérite qu'une kirielle d'ancêtres glos
DECEMBRE, 1760. 37
rieux dont ils aviliffent la mémoire.
» Bien des femmes de Condition defire-
» roient le plaifir de voir la Mufe Limo- ,
» nadiére , dans fon Caffé . Pour moi je
troquerois, avec plaifir, le titre faftueux
» de Princeffe qu'on me donne , pour les
» talens de Madame Bourette ; mais elle
» a trop d'efprit pour faire un échange
» où elle auroit tant à perdre.
»
La Princeffe Radzivil, née Comteſſe de
Czafpska , qui vous rend un fibeau témoi
gnage , Madame , mérite par fa noble
maniére de penfer , que vous faffiez connoître
la générofité de ſes ſentimens : oubliez-
vous donc vous- même , & faites
taire toute modeftie, pour informer le Public
, qu'il y a encore dans le monde des
Grands , fupérieurs aux préjugés de la
naiffance , & à la vanité du fiécle . Je
fouhaite qu'un fi bel exemple corrige ces
Riches fottement fuperbes , qui n'eftiment
que l'or & les titres.
Vous voyez , Madame , que vos Ou
vrages ont pénétré jufqu'en Pologne , &
qu'ici comme à Paris , on les lit avec un
vrai plaifir. J'ai l'honneur d'être , Madame
, avec tous les fentimens d'admiration
& de confidération que vous méritez.
Votre &c. CARACCIOLI
18 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à mon Elève , fur l'Emploi
du Temps.
La Fortune qui vous a , dès le berceau
, fait fentir quelques- uns de fes plus
terribles coups , ne vous permet pas de
prétendre aux emplois où votre naiſſance
diftinguée vous appelloit ; vous ne pouvez
jouir de ces plaifirs qui exigent de la force
& de Fagilité il faut renoncer à ces
amuſemens que la bouillante jeuneffe faifit
avec une efpéce de fureur. Je fçais qu'à
votre âge où les defirs naiffent , en foule ,
Fimpuiffance de les fatisfaire rend les
malheurs plus fenfibles ; mais j'ai lieu de
tout attendre de la force de votre âme :
yous avez fi fouvent marqué de l'admi
ration pour les Sages de l'Antiquité , que
fofe croire que vous portez dans votre
eoeur le germe de leurs vertus ; mais ce
germe précieux ne peut être développé
que par un travail continuel. C'eft le
but que vous devez vous propofer , & ce
qui doit faire l'occupation de toute votre
vie. Nous ne paroiffons qu'un inftant fur
la terre ; le temps nous emporte rapidement
avec lui : quels regrets , lorfqu'ar
rivés au bout de la carrière , nous n'ap
L
DECEMBRE. 1760. 39
percevons aucunes traces de nos pas !
Nous' reconnoiffons alors l'inutilité de
notre exiſtence paffée.
Tel eft , mon cher Eléve , le fort
d'une grande partie des jeunes gens. Livrés
à eux-mêmes , après quelques étu
des imparfaites , qui ne leur laiffent fouvent
que le dégoût des Sciences , ils entrent
dans le monde ; la variété des plaifirs
qu'il leur offre les féduit ; ils s'y livrent
fans réferve ; & ils perdent dans
l'oifiveté les momens les plus précieux de
la vie. Nous avons reçu de la Nature
des qualités qui nous élévent au- deffus
de tous les êtres qui nous environnent
& nous les rendons inutiles , en menant
une vie prèfqu'animale. Semblable à ces
arbriffeaux , qui rampent autour de l'endroit
où ils ont pris naiffance , celui qui
ne fait qu'un foible ufage de fa raifon
rampe dans la Société : fa vie eft une ef
péce de fommeil , qui n'eft interrompu
que par des befoins qu'il eft obligé de fatisfaire
, & qu'il multiplie fouvent pour
s'arracher à l'ennui qui le dévore . J'ai
tout lieu de croire que vous ne ferez jamais
de ce nombre , & que vous ne ferez
point obligé d'avoir recours à des plaifirs
paffagers qui , bien loin de remplir nos
dears , ne laillent dans l'âme qu'un vaide
D
40 MERCURE DE FRANCE.
affreux , que des regrets & des remords
qui nous détruiſent peu- à - peu. De même
que le corps a des ennemis qui tendent
à fa deftruction , lorfqu'il ne travaille pas
à s'en garantir , l'âme eft pareillement
tourmentée par des paffions violentes &
défordonnées , par des plaifirs forcés ,
par les chagrins que les uns & les autres
ne manquent jamais de produire . S'il
vous étoit poffible de pénétrer dans le
coeur de ce riche , qui raffemble dans fa
maifon tout ce qui peut flatter les fens ,
vous verriez peut - être avec ſurpriſe , que
fon âme ne participe que foiblement à
tous ces plaifirs. Si dans quelques inftans
la joie paroît fur fon vilage , combien
d'autres où l'inquiétude , l'agitation & le
trouble , le rendent infenfible à tous ces
amuſemens.
N'efpérons échapper à l'ennui , au dégoût
& aux chagrins qu'entraîne à ſa ſuite
la diffipation du monde , qu'autant que
nous ferons uſage de notre raiſon. Nous
éprouvons tous les jours les befoins de
notre corps ; ils font trop preffans , &
notre vie y eft trop intéreffée pour ne pas
la fatisfaire fur le champ : mais comme
les befoins de l'âme ne font pas fi ſenſibles
, nous ne nous occupons que des
premiers. Cependant fi la fanté de notre
DECEMBRE. 1780
corps dépend de l'attention que nous
avons de fatisfaire fes befoins , foyons
perfuadés qu'il ne nous eft pas moins intéreffant
de fatisfaire ceux de l'âme. Nous
voyons des Gens de Lettres enterrés pour
ainfi dire dans leur cabinet , rompre tout
commerce avec le genre humain , fans
éprouver les horreurs de l'ennui. Semblables
à des voyageurs qui découvrent à
chaque inftant de nouveaux objets , ils
acquiérent par l'étude de nouvelles idées,
de nouvelles connoiffances qui excitent
dans leur âme des impreffions agréables :
leurs journées font délicieufes & remplies.
L'amour que vous avez pour les Lettres
& les productions des grands hommes ,
me fait efpérer que vous les prendrez
pour modéles , & que vous travaillerez à
les imiter. Que vous ferez bien récompenfé
de vos travaux ! vos jours feront
tranquilles & égaux. La joie pure dont
votre âme fera remplie paroîtra fur votre
viſage , & fe répandra fur tous vos
difcours ; votre bonheur que vous ferez
vous-même , & que tous les revers de
fortune ne pourront anéantir , ne dépendra
point des hommes trompeurs & diffimulés.
Mais outre ce bonheur , dont vous
ferez le maître , vous mériterez encore
41 MERCURE DE FRANCE.
l'eftime de vos femblables. Si vous excitez
la jaloufie de quelques efprits faux
& méchans , les hommes fenfes refpecseront
votre ſcience, & vous placeront au
rang que vous mériterez d'occuper ; furtout
, fi vous joignez aux talens la douceur
& la modeftie . L'orgueil n'eſt point
fait pour l'humanité ; celui qui s'eft étudié
lui-même eft bien éloigné de méprifer
fes femblables : il les plaint quelquefois
, mais il les aime toujours.
Quoiqu'en général les hommes ne paroiffent
attachés qu'aux richeffes , il eft
cependant certain qu'ils leur préférent
les connoiffances & les ralens. Nous en
pouvons juger par la vénération que les
riches ont pour les Sciences , & l'accueil
qu'ils font aux Savans. Souvent les biens
ne font dûs qu'au hafard , quelquefois à
l'injuftice ; nos talens font à nous : c'eſt
un bien qui nous eftpropre. Mais fi nous
voulons jouir de la gloire qui y eft atta-.
chée , ne les deshonorons pas par un ufage
pernicieux & criminel ; & ne nous
couvrons pas d'opprobre , en confacrant
nos veilles & nos travaux à la médifance
. & à la calomnie.
Mais l'étude exige des précautions, fans
lefquelles elle devient ftérile & infruc
sucufe. Un jeune homme avide d'appren
DECEMBRE. 1760 . 43
dre , dont les premiers pas ne font point
éclairés par un homme inftruit , ne met
point de bornes à fes defirs , & n'apporte
aucune méthode dans fes études . Des lectures
continuelles & fouvent difparates ,
produifent dans fa tête un cahos qu'il lui
eft impoffible de débrouiller : il n'affigne
aucun rang aux idées qu'il reçoit ; elles
demeurent confondues ; il ne peut plus
diftinguer les rapports qu'il y a entre
toutes les chaînes de fes connoiffances.
Une idée qui ne devroit en renouveller
que quelques autres qui lui font analogues
, ou tout au plus celles qu'il auroit
reçues dans le même temps & les mêmes
circonftances , en produit une multitude
dont il ne peut appercevoir la liaiſon.
La confufion qui régne dans les idées fe
répand néceffairement fur les difcours :
il ne peut rendre ce qu'il fçait , ou plutôt
il ne fçait rien .
Comme nous ne pourrions acquérir
beaucoup d'idées fi nous vivions ifolés
& féparés du refte des humains , de même
nous ne pouvons acquérir des connoiffances
que par la lecture ou l'entretien
des hommes favans. Mais de quelle
utilité peut nous êtrel'un & l'autre, fi toujours
occupés de ce que les autres ont penfé
, nous ne travaillons pas à penfer nous
44 MERCURE DE FRANCE.
mêmes ? C'eft fermer les yeux , pour ne
voir que par ceux d'autrui. Il faut , pour
lire avec fruit , comparer enfemble les
idées qui nous font communiquées ; chercher
à faire de nouvelles combinaifons ,
pour en tirer de nouveaux réſultats . Mais
il est bien plus facile de lire, que de réflé
chir. Les gens qui ne veulent que s'amufer
, font très- communs ; & parmi
ceux qui veulent s'inftruire , combien y
en a-t- il qui ont befoin de fecours ? Voilà,
mon cher Eléve , un petit nombre de réflexions
que j'ai faites fur l'Emploi du
Temps. Si elles vous font inutiles , elles
vous prouveront , du moins , mon zéle &
mon attachement. J'ai l'honneur , & c.
Desbords de la Conie.
TRADITION DANOISE ,
Sur la Maifon de FALINSPERK.
LE Nord a fes origines fabuleuſes , &
fes traditions populaires fur les grandes
Maiſons , comme les autres pays. * Il
* Plufieurs grandes Maiſons ont une fable pour
leur origine , & cela feul marqueroit leur antiquité.
Celle de Lufignan , & celle de Saffenage ,
en Dauphiné , fe vantent d'être defcendues de Mé
lufine. Un recueil de ces origines fabuleuſes, pourroit
être amuſant.
DECEMBRE. 1760.
43
n'y avoit pas longtemps (dit une ancienne
Chronique ) qu'un Comte de Falinfperk
avoit épousé une des plus belles
femmes du Dannemark , lorfqu'une nuit
qu'elle dormoit auprès de fon époux ,
elle fut réveillée par un grand bruit. La
Dame n'étoit point peureufe ; elle ouvrit
les rideaux de fon lit , & vit entrer dans
fa chambre une petite femme qui n'avoit
qu'une coudée de haut, mais d'une beauté
merveilleufe , & qui tenoit un flambeau
à la main. Elle crut d'abord que c'étoit un
fonge mais elle fe trouva bientôt trop
éveillée pour demeurer longtems dans
cette erreur. La petite femme s'approcha
de fon lit , & la furprit fi fort qu'elle ne
fongea pas même à réveiller fon mari. Ne
vous troublez point , Madame ( lui dit la
Naine ) loin de penſer à vous faire aucun
mal , je viens vous annoncer une grande
fortune pour les enfans que vous aurez , fi
yous êtes affez courrageufe pour me donner
les fecours que j'attends de vous.
Ce premier compliment, ne remit point
la Comtelle. Mais la petite femme s'étant
approchée de plus près , lui parla fi affectueufement
qu'elle la raffura , & la mit
en état d'écouter la propofition qu'elle
vouloit lui faire. Si vous voulez me croire,
ajouta-t- elle , & faire exactement ce que
46 MERCURE DE FRANCE.
je vous préfcrirai , vous ferez la plus heureufe
femme qui fut jamais. Suivez - moi
dans les lieux où j'ai deffein de vous
conduire ; gardez-vous de rien manger
de ce que l'on vous offrira ; ne recevez
aucun des préfens que l'on voudra vous
faire ; & prenez feulement ce que je
vous donnerai .
La Comteffe ne pouvant imaginer que
cette petite créature eût le deffein de lui
faire aucun mal , ni qu'un mauvais efprit
pût paroître fous une figure fi agréable ,
prit le parti de s'habiller à la hâte , & de
fuivre fa Conductrice. Elle traverfa des
fouterrains , où elle ne vit d'autre lumiére
que celle du flambeau que portoit
la Naine. Mais quel fut fon étonnement ,
lorfqu'elle fe trouva tout- à coup dans un
appartement où l'or , les pierreries , & un
grand nombre de lumières , formoient un
jour plus éclatant que ceux que produit
le Soleil ! Tout ce que la Comteffe avoit
entendu dire des Palais les plus fuperbes
n'approchoit point de celui- là . Elle
trouva dans cet appartement , quantité
d'hommes & de femmes de la taille de
fa Conductrice , qui s'emprefferent autour
d'elle, & la comblerent de politeſſes;
& après avoir traversé un grand nombre
de chambres , toutes auffi fuperbes
·
NOVEMBRE . 1760 . 47
que la premiere , on la fit entrer dans une
plus grande & plus magnifique encore ,
où elle fut reçue par un petit homme
d'une figure charmante , qui paroiffoit.
êrre le Souverain de ce petit Peuple. Il fit
quelques pas au-devant d'elle , & malgré
fa petite taille , il l'accueillit avec dignité,
Il la conduifit lui- même vers un lit dont
la richeffe répondoit à celle de l'apparte
ment : elle y trouva une petite Reine ,
qui avoit befoin d'une Sage- femme ; &
l'on dit à la Comteffe , que c'étoit le fervice
que l'on exigeoit d'elle . Elle n'avoit
jamais eu d'enfans : Qu'on juge de fon
embarras ! Il fallut pourtant obéir. Le
hafard la fervit bien ; & la petite Reine
mit au monde un fils , dont la naiffance
répandit une joie exceffive dans cette
Cour. On accabla la Comteffe de complimens
, qui faifoient connoître toute
l'importance du fervice qu'elle avoit rendú
, & on la conduifit dans un fallon dont
la magnificence étoit égale à tout cc
qu'elle avoit vû Elle y trouva une colla
tion , où tout ce qu'on peut imaginer de
plus délicieux fe trouvoit raffemblé : mais
quelques infances qu'on lui fit , elle refufa
de manger. Comme on la vit obftinée
à ne vouloir goûter de rien , on lui
laiffa la liberté de s'en retourner avec la
48 MERCURE DE FRANCE:
Naine qui l'avoit amenée , en la priant
d'accepter des baffins d'or remplis des
plus belles pierreries. Mais elle fuivit les
confeils de fa Conductrice , & refufa
tout. En la remettant dans fa chambre ,
où fon mari dormoit encore , la petite
femme lui tint à peu- près ce difcours :
Vous avez rendu un fi grand ſervice à
notre petit Royaume , que nous ne l'oublierons
jamais , & moi furtout , qui chercherai
toujours les occafions de vous
obliger. Pour commencer à vous en donner
des preuves , recevez ceci , lui ditelle
, en lui mettant entre les mains un
petit fac de broderie d'argent : il contient
trois rouleaux de bois ; mettez- les
fous le chevet de votre lit. Demain, à votre
réveil , racontez l'avanture à votre
mari , & tenez- la fecrette. Ces rouleaux ,
lorfque vous ouvrirez le fac , feront convertis
en or : de l'un , vous ferez faire
un hareng , de l'autre des jettons , & du
troifiéme une quenouille. Vous aurez
trois enfans , qui formeront trois branches
dans la Maiſon de Falinſperk. Celui
qui aura le harèng , fera fort heureux à
la guerre , & lui & fes defcendans y auront
des Emplois confidérables ; celui qui
aura les jettons , poffèdera les premiers
Emplois de l'Etat,& fes defcendans auront
le
DECEMBRE. 1760: 49
le même bonheur. La quenouille portera
une grande abondance de fucceffeurs
dans la branche qui l'aura. Après ces
mots , la petite femme difparut .
La Comteffe , qui eut de la peine à ſe
rendormir , s'éveilla pourtant avant fon
mari , à qui elle raconta fon avanture à
fon réveil . Il prit toute l'hiftoire pour un
fonge , & en rit beaucoup. Mais, à la vue
des trois rouleaux , qui réellement étoient
d'or , il ne crut rien rifquer en exécutant
ce qu'on avoit ordonné à fa femme . Il
eut trois enfans ; & ces trois enfans ( die
la Chronique ) ont eu , tant qu'ils ont
gardé ce tréfor dans leur maifon , les avantures
qui leur avoient été prédites. Ceux
de la branche des jettons , prétendent
même encore aujourd'hui , qu'un Roi de
Dannemark leur en ayant un jour de◄
mandé un , celui qui le lui donna fentit
dans le moment où le Prince le prit , une
douleur auffi violente que fi on lui eût déchiré
les entrailles.
VERS fur le mariage de Mlle le M.
L'AMOU
9308.0
'AMOUR & la Vertu , rivaux dès leur naiffance,
larg
D'Eglé , depuis longtemps, difputoient les faveurs
C
so MERCURE DE FRANCE
L'une faifoit valoir le prix de l'innocence ,
L'autre des vrais plaifirs lui vantoit les douceurs,
Malgré l'effort de la tendreffe ,
Eglé réfiftoit au penchant
Dont notre âme n'eft plus maîtreffe ,
Quand on le doit au fentiment.
La Raiſon , qui toujours lui prêta ſa lumière
Veut enfin en ce jour déterminer fon choix :
Fiers ennemis , dit-elle , entrez dans la carrière ,
Décidez qui de vous lui donnera des loix.
Pour triompher de cette Belle ,
Amour eft dans fes yeux , la Verru dans fon coeur.
On combat; la Vertu chancelle .....
Eglé fourit ; & l'Amour eft vainqueur.
Par M. D... de N…….
CONSTANT , PETIT CHIEN-LOUP ,
A Mile K **
C
BELLE maîtreffe , écoutez-moi :
Votre petit chien-loup a deux mots à vous dire.
Je veux vous détailler , & comment & pourquoi ,
Je vis fous votre aimable empire.
J'eus votre amant pour maître ; & , foit dit entre
nous ,
Je le crois tant foit peu jaloux.:
Va , di -ik, auprès de Thémire ,
DECEMBRE.
1760.
Jouir du deftin lé plus doux ;
Dors près de fon chevet , ou bien fur lesgenoux;
mufe la par
tonadrelle ;
» Fais-lui cent jolis tours de grâce ou de
ſoupleſſe
>>Tiens-toi fur tes deux pieds ; fais le mort ; léve
>> toi ;
Rapporte un éventail ; dérobe des paftilles ;
» Et fous mille formes
gentilles ,
» Fais-lui chérir le don qu'elle
tiendra de moi.
Je l'écoute , & je pars . Mais foudain il
m'apelle :
» Ce n'eſt pas tout , dit- il , que de vivre auprès
>> d'elle.
Vois-tu bien ces longs poils que le Ciel t'a
›› donnés ,
» Et qui te pendent fur le nés :
» Il faudra t'en fervir en
compagnon habile.
›› Sous ce voile flottant ,
obſervateur adroit ,
» La tête morne & l'oeil agile,
» Tu pourras , ſans péril , lorgner dans chaque
>> endroit.
» Soit
que l'on entre , ou que l'on forte ,
Obferve qui ,
pourquoi ; fais le ſuiſſe à la porte.
>> Mais furtout , mon ami , prends bien garde aux
» amans !
» Ces Meffieurs font adroits , & les chiens font
»
gourmans.
» Lis dans leur air , leur
contenance ;
»Va chercher leur fecretjuſques dans leur filence
Cij
5 MERCURE DE FRANCE.
» Le filence en Amour quelquefois dit beaucoup.
» Surtout qu'aucun bonbon ne puiſſe te féduire.
» En un mot , fois chien pour Thémire,
» Et pour mes rivaux deviens loup.
Je rêvois à ces mots , Moi , chien , dis-je en moi
même ,
Devenir efpion ! quelle baffeffe extrême !
Paffe pour lerenard , le chat , ou les humains.
Pourrois-je , après cela , revoir mes camarades ?
Se charge qui voudra de telles ambaſſades :
Serviteur..... De la fuite enfilant les chemins ,
Je détale au plus vite en fecouant l'oreille :
Lorfque dans ma courſe , ô merveille !
Croyant de la candeur voir les touchans appas ,
Je vous fuis , vous falue ; & marchant fur vos pas .
Dans votre appartement me coule fans rien dire,
Mais quel fut mon étonnement ,
Quand j'entendis nommer Thémire !
Thémire , dis- je alors : c'eft fon nom ; juftement
Il la nommoit ainfi ; mon maître eft fon Amant
Ah ! s'il venoit ici ... la crainte alloit me prendre ;
Quand me gliffſant ſur vos genoux ,
Je vis dans vos regards quelque choſe de doux ,
Qui fembloit vouloir,me défendre
Contre les traits de fon courroux .
Belle maîtreffe , au moins , vous fçavez mon hiſ
toire :
Je ſuis de la maiſon ; vous aimez votre gloire :
C'eſt à vous de me ſoutenir.
DECEMBRE. 1960.
$3
Quand mon maître viendra , daignez vous fou
venir
Que fi Conftant ne fçauroit feindre ,
Et fervir les deffeins d'un amant trop jaloux ;
Par fon amour fidéle , il peut fervir à peindre
Le feu tendre & conftant dont il brûle pour vous.
Par M. D * *** ,
" A Meſdames P *** D. M *** & M***
D. P. *** dînant à la maison de campagne
de l'Auteur.
JARDINS ,
ARDINS , qui chaque jour voyez la prompte automne
,
En fuyant , vous ravir vos agrémens ; vos traits
Triftes champs , vergers nuds , que la faifon moiffonne
,
Du moins , en ces inftans , fufpendez vos regrets !
Que vous fait le départ de Flore & de Pomone ?
Deux Grâces par les leurs réparent vos attraits.
Vous brillez fous leurs pas ; leur éclat vous décoré,
Plus fraîches que Pomone, & plus belle que Flore,
Quand Eglé , quand Thémire entrent fous vos
· berceaux ,
Zéphir qui penſe voir éclore
Des rofes & des lys nouveaux ,
Revient,comme au printemps, les careffer encore,
C fij
54 MERCURE DE FRANCE
Leslieux que leur préfence honore ,
Fuffent d'affreux déferts,font dès- lors affez beaux
O couple aimable autant qu'illuftre !
Si ce féjour vous doit fes charmes & fon luftre ,
Combien le maître eft plus heureux !
Vous comblez fes defirs; vous couronnez fa gloire:
Defcendre jufqu'à lui , c'eft l'élever aux Cieux.
Dans un ruftique Réfectoire ,
Jadis , chez Philémen , vinrent s'affeoir des Dieux
Ce trait fabuleux de l'hiftoire
Se réalife donc à ma table , à mes yeux.
Oui , par un plus flatteur exemple
Sous des dehors mortels , de céleftes appas
De ma cabane font un temple.
Quel bonheur ! Quel triomphe ! Un feul regret
hélas ,
Rend ici mon ame confuſe :
L'Olympe me vifite , & je fuis fans nectar .
Si le deftin me le refuſe ,
S'il manque à ce banquet les fins apprêts de l'art ,
J'offre au moins ( & c'eft mon excufe )
Dans l'effort de mon zéle,un hommage fans fard!
Lz mot de la premiere Enigme du Mercure
de Novembre , eft pied- de- Roi, celui
de la feconde , eft Journal. Celui du
premier Logogryphe , eft , Misantrope
Celui du fecond , eft , Méfintelligence.
DECEMBRE. 1760.
ENIGM E.
T OUJOURS noiré comme un Démon ,
Tantôt grande & tantôt petite ;
Utile au Roi dans ma façon ,
Juges par-là de mon mérite.
Si je blanchis je ne vaux rien
On me méprife , on m'abandonne ,
Du laquais je deviens le bien.
Mais je vois que cela t'étonne ! -
Tu feras donc bien plus furpris :
La Fleur refuſe mon ſervice.
Combien voit-on de favoris ,
Qui fans contracter un feul vice ,
Déchus de leur autorité ,
Encourent la même diſgrâce !
Méprifés dans l'adverfité ,
A leurs défauts qui feroit grâce ?
Par Madame A. M.T.
AUTRE.
NÉCESSAIRE aux foibles humains ,
Qui me doivent leur éxiſtance ,
J'affifte à leur trépas , ainſi qu'à leur naiſſance ,
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
Et je fuis toujours dans leurs mains .
On peut me voir auffi dans le carnage ,
Me mêler parmi les Soldats ,
Secondant la valeur , animant le courage ,
Courir ainfi qu'eux au trépas.
Des plus auguftes Rois , je fers à la puiffance ;
Je puis fans vanité , m'allier à leur Sang.
Chez les Américains , je tiens le premier rang ,
Lefecond dans Madrid , & le troifiéme en France :
M a gloire cependant fe perd dans le néant.
Je précéde l'Amour ,fans moi pour luipoint d'armes
;
Et quoique toujours dans les larmes ,
Je fers également & l'Amante & l'Amant.
LOGOGRYPHE.
QUAND j'ai beaucoup reçu l'on me fait beaucoup
rendre ;
Mais ce n'eft pas fans coup férir
Qu'on a coûtume de le prendre ;
Quoique fans réfifter je me laiſſe appauvrir.
Pour me connoître à fonds , Lecteur , fais une
épreuve',
Et difféque mon tout , de fix membres conſtruit.
Ne m'ôté que le cou , je deviens un grand fleuve ,
Mais ôte encore ma tète , & je ſuis tout efprit.
Un trait facile , alors , peut opérer ma chûte,
DECEMBRE. 1760 . $7
Et d'efprit que j'étols , je ferai bête brute ,
Si tu m'ôtes encore mon pénultiéme pić.
Ce n'eft pas tout , Lecteur , pourfuis , & fans pitié
Fais fur mon autre pié pareillement main baſſe ;
Ne laiffe que mon tronc , de deux membres tiſſu ,
Tu me verras encor après cette diſgrace ,
affez connu.
Tenir dans chaque fiécle un rang
Reviens préfentement fur tes pas: Prends ma tête ,
Fais fuivre de mon tronc le premier élément ,
Et joints- y mes deux piés , je fuis l'affortiment
Qu'exige quelquefois l'Ufurier quand il prête.
Lecteur, fi ce détail eſt abſtrait , ennuyeux ,
Il peut au moins fervir à dévoiler mon être :
Déjà par ce ſecours tu me connois peut - être . ..
En ce cas tout eſt dit : je te fais mes adieux.
Par M. DESFLOTTES DE L'EICHOISIER.
AUTRE.
MOND Ó N nom feul , dans l'âme du Sage ,
Imprimé une juſte terreur.
Sous un mafque impofant , exerçant ma fureur ,
Des malheurs les plus grands je retrace l'image :
Enfin je fuis un monftre affreux .
Dans la main de celui qui lance le Tonnerre ,
Sâchez -le , habitans de la terre ,
Il n'eft fléau plus dangereux .
Rien ne peut échapper à ma jalouſe rage;
Cv
58 MERCURE DE FRANCE
Un aveugle tranfport fait mon unique loi ,.
Et fouvent j'entraîne avec moi
La mort, le fang & le carnage.
Que dis-je , il eft peu de climats ,
Où ma déteftable manie ,
N'ait excité le peuple à d'étranges combats
Témoins , & l'Europe & l'Afic.
Du fang , comme de l'amitié ,
J'étouffe le cri reſpectable ;
Quelquefois même fans pitié ,
Pour l'objet le plus cher , je fuis inexorable.
Fuis donc , me dites-vous , Lecteur ,
Monftre garde- toi de paroître:
Tu ne me remplis que d'horreur ,
Et je commence à te connoître.
Hé bien , foit ; achevez. Dans la combinaiſon
Dès neufpieds feulement qui compoſent mon être,
Vous trouverez d'abord ce qu'en une maiſon
On apperçoit bientôt quand on déplaît au Maîtres
Dans l'Inde , un Royaume fameux ;
De plus , une douce monture ;
Un nom commun aux Bienheureux ;
L'espéce humaine en mignature ;
L'arrière- petit-fils du plus fage des Rois 5.
Le mont d'où l'Eternel , dans l'éclat redoutable
De la gloire , aux Hébreux voulut dicter les loix
Un Héréfiarque exécrable ;
Du bien , l'ennemi furieux
Toujours amans, toujours aimes : Surlafoi
W
W
d'une tendre amie Vous n'êtes jamais allar =
W
- més: Parmi vous la plus courte absence
Finitpar le pluspromptretour , Toujours la
vive impatienceVous prete l'aile de l'amour.
Gravepar M Charpentie.
Imprimépar Tournelle
Louré.
8
Que d'une felicite pure Vousjouis
W
-sés dans vos plaisirs, Bergers dont la sim
W
-ple.nature Forme et remplit tous les de=
= sirsjamais lafortune volage Ne corrompt
W
de sidoux transports: L'amour seul obtient
votre hommage, C'est le Dieu de tous vostre
Majeur. W
-sors . Sans trouble vous passes
W
la vi
DECEMBRE. 1760 12
Une Rivière en Franconie ;
Chez les Juifs un nom odieux -
Du Monde une belle parties
Un membre du corps ; un fléau
De l'Egypte jadis , la Ville capitale
Ce qui refte de l'homme , en entrant au tombeau
L'Office dont l'heure fatale
Fait gémir le Chanoine , & l'arrache au repos
De Noé l'un des fils; une étoffe eftimable ;
Et pour finir tous ces propos , "
Chez les gens de bon goût , un être infupporabler
Par M.l'Abbé RIMBER F.
LE POUR ET LE CONTRE ,
ROMANCE.
A Madame la Marquiſe de **
Que d'une félicité pure , UE
Vous jouiffez dans vos plaiſirs ,
Bergers, dont la fimple nature
Forme & remplit tous les defirs !!
Jamais la fortune volage
Ne corrompt de fi doux tranfports :
L'Amour ſenl obtient votre hommages
C'eſt le Dieu de tous vos tréfors !
Sans trouble vous paſſez la vie ,
Cij
60 MERCURE DE FRANCE
Toujours Amans , toujours aimés :
Sur la foi d'une tendre amie
Vous n'êtes jamais allarmés .
Parmi vous la plus courte abfence ,
Finit par le plus prompt retour :
Toujours la vive impatience
Vous prête l'aile de l'Amour .
Dans nos champs , l'amoureux martyre
Fait le plus doux charme des coeurs :
Son esclavage eft un Empire ,
Et les fers ne font que des fleurs.
Mais quoiqu'il foit inexprimable ,
L'attrait de ce joug enchanté
Belle Iris , eft - il comparable
Aux douceurs de la liberté
Elle rend heureux , fans yvreſſe
Ceux qui fçavent fentir fon prix ;
Et par les attraits la tendreffe
Flatte & trompe les favoris .
L'Amour fe plaît dans les allarmes 3.
Tous fes plaifirs font fuppofés :
Ses faveurs ainfi que fes charmes,
Ne font que des maux déguifés.
Ainfi fur fa tendre mufette ,
Formant les fons les plus légers
Atis craint, admire , rejette ,
Le beau deflin denas Bergers .
DECEMBRE. 1760 .
Que n'eft- il donc Berger lui - même ,
Pour jouir d'un fort fi flatteur ?
Qui , mieux que lui , fçait l'art fuprême
D'aimer & d'enflammer un coeur ?
En vantant fon indépendance ,
Croit-il prouver qu'il n'aime rien ?
S'il avoit tant d'indifférence ,
Il ne chanteroit pas fi bien.
Craignons de nous laiffer furprendre :
C'eft le confeil de la raiſon .
Mais , hélas ! que pour un tour tendre
C'eft une inutile leçon !
Les paroles font de M. le Chevalier de JUILLY
THOMASSIN ; la Musique de M. Legat de
FURCY :
62 MERCURE DE FRANCE
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
QUOIQUE(
VOIQUE nous avons déjà annoncé la
SCIENCE DU GOUVERNEMENT
par M. DE
REAL, Nous devons avertir que laVI partie
qui a eu de fi auguftes approbations & qui
renferme la Politique , n'a été rendue publique
que par rapport aux circonftances
où fe trouve l'Europe, puifqu'elle contient
les intérêts de Puiffances qui y dominent.
Ce volume , rapproché dupremier
qui paroît, & du fecond qui paroîtra vers
la fin de Décembre , contenant la conftitution
primitive & actuelle de chaque
Etat , avec les changemens qui y font arrivés
, finguliérement par les Traités inclufivement
jufqu'au dernier d'Aix - la-
Chapelle , le caractère , les moeurs , la
Religion , les ufages , les loix de chaque
Nation , ne laiffera rien à defirer fur une
matiére auffi importante. Le Difcours
préliminaire fera connoître l'objet & l'étendue
d'un Ouvrage également propre
aux Souverains , aux Miniftres & à tous
les hommes en général
DECEMBRE . 1760. 63
DISCOURS Préliminaire fur la Science
du Gouvernement.
L'EDUCATION n'eft que la culture des
moeurs de l'homme dans les premiers
temps de fa vie , elle eft abandonnée aux
foins des peres & des meres , mais la
culture des moeurs des Nations eft réſer
vée aux Souverains ; elle embraffe tous
les âges , & les qualités de ceux qui gouvernent
deviennent les qualités de ceux
qui font gouvernés. La force ou la foibleffe
, les profpérités ou les difgraces de
chaque régne , tirent leur origine des
vertus ou des vices , des talens ou de
l'incapacité des Princes. On verroit ( dit
fur ce fujet un des plus grands maîtres
dans l'art de gouverner ) la nature errer
dans fes opérations , plutôt qu'un Souverain
donner à fa Nation un caractère dif
férent du fien ( a ). C'eft aux Souverains
auffi qu'eft réfervée l'éducation des Princes
qui doivent leur fuccéder.
Veiller à l'inftruction de la jeuneffe
pour former de bons fujets à l'Etat , eft
fans doute un des devoirs de la Royauté ;
(a ) Facilius errare naturam quam Principem re
formare Rempublicam diffimilem. Caffiodore ( Mi
miſtre d'Etat ſous Théodoric. ) Liv, 3. Varr, Ep
12.
6 MERCURE DE FRANCE
ARTICLE II
NOUVELLES LITTERAIRES:
QUOIQUE
VOIQUE nous ayons déjà annoncé la
SCIENCE DU GOUVERNEMENT
par M. DE
REAL,Nous devons avertir que laVI® partie
qui a eu de ſi auguſtes approbations & qui
renferme la Politique , n'a été rendue publique
que par rapport aux circonftances
où fe trouve l'Europe , puifqu'elle contient
les intérêts de Puiffances qui y dominent.
Ce volume , rapproché dupremier
qui paroît, & du fecond qui paroîtra vers
la fin de Décembre , contenant la conftitution
primitive & actuelle de chaque
Etat , avec les changemens qui y font arrivés
, finguliérement par les Traités inclufivement
jufqu'au dernier d'Aix - la-
Chapelle , le caractère , les moeurs ,
Religion , les ufages , les loix de chaque
Nation , ne laiffera rien à defirer fur une
matiére auffi importante. Le Diſcours
préliminaire fera connoître l'objet & l'étendue
d'un Ouvrage également propre
aux Souverains , aux Miniftres & à tous
les hommes en général.
la
DECEMBRE. 1760. 632
DISCOURS Préliminaire fur la Science
du Gouvernement.
L'EDUCATION n'eft que la culture des
moeurs de l'homme dans les premiers
temps de fa vie , elle eft abandonnée aux
foins des peres & des meres , mais la
culture des moeurs des Nations eft réfervée
aux Souverains ; elle embraffe tous
les âges , & les qualités de ceux qui gouvernent
deviennent les qualités de ceux
qui font gouvernés. La force ou la foibleffe
, les profpérités ou les difgraces de
chaque régne , tirent leur origine des
vertus ou des vices , des talens ou de
l'incapacité des Princes. On verroit ( dit
fur ce fujet un des plus grands maîtres
dans l'art de gouverner ) la nature errer
dans fes opérations , plutôt qu'un Souve
rain donner à fa Nation un caractère dif
férent du fien ( a ). C'eft aux Souverains
auffi qu'eft réfervée l'éducation des Prin
ces qui doivent leur fuccéder.
Veiller à l'inftruction de la jeuneſſe
pour former de bons fujets à l'Etat , eft
fans doute un des devoirs de la Royauté ;
(a) Facilius errare naturam quam Principem re
formare Rempublicam diffimilem. Caffiodore ( Mi
niftre d'Etat fous Théodoric. ) Liv. 3. Varr. Eps
ja.
64 MERCURE DE FRANCE.
mais faire élever avec foin l'héritier de
la Couronne , pour préparer à la Nation
un maître capable de la gouverner , eft
une des plus éffentielles obligations du
Monarque. Les particuliers n'embraſſent
ordinairement une profeffion que lorfque
leur Raifon s'eft développée ; au lieu que
celle de l'héritier d'une Couronne eft fixée
dans le moment de fa naiffance. C'eſt
une tête précieuſe qui fera ceinte du diadême;
& former le Souverain , c'est en
quelque forte former tout le Peuple auquel
il doit commander , & qui ſe réglera
fur lui. De fon inftruction naiffent
& l'avantage de fon pays , & des exemples
utiles à toutes les Nations étrangéres.
Ces exemples paffent de bouche en
bouche , de génération en génération ;
tous les Peuples , tous les temps y prennent
part , & la poftérité la plus éloignée
peut en recueillir le fruit .
Je fçais qu'on a beaucoup écrir fur la
maniére d'élever les enfans des maîtres
du monde. Cent Auteurs ont indiqué
les connoiffances que le Prince doit avoir,
mais aucun n'a entrepris de les lui donner.
Lors même qu'on éléve bien les héritiers
des grands Empires comme hom-
J'en ai donné la lifte dans mon Examen,au
mot Duguet,
DECEMBRE. 1760. sy
mes , on verfe dans leur fein quelques
principes de Religion , de juftice & de
bonté on imprime dans leur efprit quelques
maximes d'honneur ; on leur donne
quelques teintures des Arts & des Sciences
; on les forme à des exercices académiques
; mais on ne leur apprend pas à
porter dignement une Couronne , on ne
les inftruit point de la feule fcience qu'il
ne leur eft pas permis d'ignorer . S'il eft
utile de former l'homme , ne l'eft- il pas
plus encore de former le Souverain
Ceft des vaftes fonctions , c'eft des devoirs
infinis de la Royauté qu'il faut principalement
inftruire les Princes.
Toutes leurs fautes dans la vie privée ,
font d'une conféquence extrême pour
leur État. On ne fçauroit trop estimer
les vertus morales , elles font prèfque les
feules qui foient à l'ufage des particu
liers , & elles doivent purifier & anoblir
les vertus civiles & politiques , par lef
quelles on doit juger du vrai mérite des
Princes en tant que Princes ; mais ce ne
* Quò perniciofiùs de Republicâ merentur vitiofi
Principes , quod non folum vitia concipiunt ipfi ,
fed ea infundunt in civitatem , neque folum obfunt
quod ipfi corrumpuntur , fed etiam quod corrumpunt
, plufque exemplo quam peccato nocent.
Cicer. de Legib. lib. 3 .
66 MERCURE DE FRANCE.
font pas ordinairement les vices de l'hom
me , ce font les défauts du Prince qui
l'empêchent de gouverner heureufement.
Il eft néceffaire de diftinguer dans les
Rois la vie privée d'avec la vie publique
, les vertus domeftiques d'avec les
qualités Royales ; ils peuvent avoir toutes
les vertus qui honorent les particu
liers , fans pofféder aucune des qualités
qui font les grands Rois. Ne pas connoître
profondément le pays qu'on doir
gouverner , n'être pas inftruit de tous les
avantages qu'on peut lui procurer , ignorer
les principes de la conduite qu'on
doit tenir relativement au citoyen & à
F'étranger , ne pas bien régler les diverſes
parties du Gouvernement , abufer de la
puiffance pour faire quelque injuſtice , ne
prévenir ni ne punir le mal , ne pas faire
tout le bien poffible ; voilà quelles font
les fautes de l'homme d'État.
Je dis de l'homme d'Etat , car ce que
j'aplique ici aux Souverains regarde leurs
Miniftres , & toutes les perfonnes qui font
employées au Gouvernement. Ce n'eft
pas affez que les perfonnes qui y participent
vivent bien comme hommes , il eft
encore plus important qu'ils vivent bien
comme perfonnes publiques. Dans les
Monarchies , les Miniftres ne répondront
DECEMBRE . 1760. 64
pas moins que leurs maîtres de tout le
mal qu'ils auroient pû éviter , & qu'ils auront
commis ou laiffé commettre , & de
tout le bien qu'ils auroient pu faire &
qu'ils n'auront pas fait. Dans les Ariftocraties
& dans les Démocraties , les Sénateurs
, ceux qui ont part aux délibérations
des Républiques , & leurs Officiers ne répondront
pas moins que les Souverains
des fautes d'omiffion ou de commiffion
qui leur feront perfonnelles .
Comment les Princes éviteront- ils ces
fautes , s'ils ne connoiffent pas tous les
devoirs attachés à la Royauté ? Comment
feront-ils inftruits de ces devoirs , fi perfonne
ne prend foin de les leur expliquer ?
Comment enfin foutiendront- ils le faix du
Gouvernement , fi l'on ne leur enfeigne à
le connoître & à le porter ?
Cette inftruction eft indifpenfable &
doit être proportionnée à l'importance
des devoirs du rang fuprême. Plus les
hommes font élevés au deffus des autres
hommes , & plus leurs démarches entraînent
de conféquences , plus ils doivent
tendre à la perfection . Si les Scipions & la
plupart des illuftres perfonnages de l'ancienne
Rome , à la vue des images de
leurs peres , furent excités à ces grandes
entrepriſes qui porterent au loin la répu
68 MERCURE DE FRANCE.
tation de leur patrie , * quel motif ne
trouvera-t-on pas dans l'éclat de la premiere
maison du monde , toujours regnante
depuis huit fiécles , & toujours regnante
fur la plus ancienne, la plus illuf
tre & la plus puiffante Monarchie de l'Europe
! Que ne doit pas produire un regard
jetté fur le régne de tant de Rois !
Le temps de la jeuneffe, ce temps où la
docilité ouvre la porte aux vertus , & tient
lieu des qualités dont on manque , eft prèſque
le feul ou la vérité trouve quelque
accès auprès des Princes. Dans tour le
refte de leur vie , la flatterie les affiége
ordinairement. Il n'eft par conféquent perfonne
à qui la lecture foit auffi néceffaire
qu'aux Souverains ; parce que , fans bleſfer
leur délicateffe , elle les inftruit des
vérités qu'on ofe rarement leur annoncer
, & qu'ils aiment rarement à entendre.
Et que doit -on étudier , fi ce n'eft
les devoirs de fon état ? Que doivent apprendre
les enfans , fi ce n'eft ce qu'ils
doivent faire étant hommes ? Que doivent
apprendre les jeunes Princes , fi ce
n'eft ce qu'ils doivent faire étant Rois ?
Si les Arts & les Sciences font la gloire
& le bonheur des États , comme l'on
鼐
Saluft, in Præfat. Bell. Jugurth.
DECEMBRE
. 1760. €69
n'en peut douter , de quelle utilité ne
fera pas pour les Princes la Science du
Thrône ! Les Souverains
ne doivent être
fçavans
que dans les connoiffances
qui conviennent
éffentiellement
à leur état :
c'eft en Rois qu'il faut les inftruire . L'Em-
-pereur Conftantin
Porphyrogenéte
, Alphonfe
Roi d'Arragon
, Jacques premier
Roi d'Angleterre
, furent des Princes trèsfçavans
mais le premier
étoit entierement
livré à l'amour des Belles - Letties ;
de fecond , à la compofition
des Tables
Aftronomiques
, appellées
Alphonfines
de fon nom ; & le troifiéme
fut tantôt Grammairien
, tantôt Théologien
, jamais Roi .
Aucun de ces trois Princes ne fçut , ni ne
fit fon métier. Le degré d'eftime dû aux
Arts & aux Sciences , ne peut être mefuré
que fur le rapport plus ou moins prochain
qu'ils ont à l'avancement
du bonheur
de
la Société civile. Un Souverain
doit connoître
, aimer , encourager
toutes les profeffions;
& un Prince deftiné à régner, ne
doit bien apprendre
que la fcience de
commander
aux hommes . Les autres peuvent
lui fervir comme de degrés pour ar river à ce but ; mais il ne doit les eltimer
utiles pour lui , qu'autant
qu'elles contribueront
à l'en approcher
. Il eft donc néceffaire
de donner aux
70
MERCURE DE FRANCE.
Princes toutes les
connoiffances qui ont
rapport au Gouvernement , & de les affectionner
àces
connoiffances ; car les grands
talens ne ſe développent qu'à la faveur
d'une forte
inclination pour tout ce qui
a rapport à leur objet. Eh ! quelle gloire
pour un Prince , lorfque le defir de remplir
des devoirs devient en lui une paffion !
Qu'il me foit permis d'entrer dans un
détail qu'exigent la majefté &
l'importance
du fujet.
Il n'eft point d'Ecrivain , ſoit parmi les
Anciens , foit parmi les Modernes , qui ,
ayant traité de matieres de
Gouvernement,
n'ait prouvé la néceffité de les étudier , ou
au moins qui n'ait fuppofé cette néceſſité
comme une de ces vérités évidentes auxquelles
l'efprit ne peut ſe refuſer. Tant
de Livres compofés fur des Affaires d'Etat,
dans tous les fiécles , dans tous les Pays
& fur toutes les parties du
Gouvernement,
ne montrent-ils pas la néceffité de les
étudier ?
་
On apprenoit dans les Ecoles des Grecs
tout ce qui fait le bon Citoyen , le grand
Capitaine , l'Homme d'Etat . Ceux qui
inftruifoient la jeuneffe ,
infpiroient par
leur exemple ce qu'ils
enfeignoient par
leurs leçons , l'amour de la Patrie ; & ces
instructions formoient des hommes qui
DECEMBRE. 1760.
r
étoient l'ornement du genre humain &
qui peuvent en être encore aujourd'hui le
modéle , comme ils en font l'admiration .
les
•
Dans les premiers fiécles de Rome , les
Sénateurs , pour former de bonne heure
leurs enfans à la Science du Gouvernement
, les introduifoient au Sénat , avant
même qu'ils euffent atteint l'âge de puberté
; & cet ufage , changé à l'occafion
du jeune Papirus dont l'hiſtoire eft connue
(a) fut rétabli par Augufte. (6) Dans tous
temps , dès que les enfans avoient pris
la Robe virile , ils étoient introduits fo
lemnellement dans la place publique ,
lieu où les Magiftrats haranguoient le
Peuple , Ecole des affaites d'Etat qui y
étoient difcutées. Un Romain étudioit de
bonne heure les intérêts de fa patrie , &
il n'étoit élevé aux emplois publics, qu'après
avoir acquis par le fecours de l'étude
, la capacité de gouverner une République
maîtreffe d'une grande partie de
la Terre.
Aujourd'hui , les jeunes Gentilshommes
de la Chancellerie de Suéde , n'y
font reçus qu'à la faveur de leurs difpofitions
naturelles , de leurs voyages , de
leurs études. C'eft dans cette Chancel-
( a ) Aulagelle. L. 1. Chap. 3 .
( b ) Suetone, g
32
72- MERCURE DE FRANCE.
lerie qu'on leur communique les Actes,
publics , & qu'on les inftruit des affaires
de la Nation (a).
Le Roi de Dannemarck vient d'ordondonner
(6 ) que des jeunes gens de diftinctions
affifteront aux Audiences du.
Tribunal Suprême de Dannemarck , en
qualité d'Affeffeurs ; afin qu'ils qu'ils puif
fent fe rendre dignes d'exercer les Ma-l
giftratures dont par la fuite ils pourront
être revêtus.
i Les Nobles Polonois ménent leurs enfans
aux Diettines ( c ) ; & les Nonces
(d) les leurs aux Diettes générales , pour
les rendre capables de fervit un jour la
République.
A Venife , où la politique eft l'affaire
capitale de tous les Citoyens , l'inftruction
des Peres rend les enfans capables :
de gouverner. Les jeunes Nobles affiftent
aux Confultations du College & aux
Délibérations du Sénat , feulement pour!
écouter. On les inftruit des affaires del
l'Etat , & on leur fait fentir chaque jour ,
qu'ils font nés pour y avoir part. La
'' ' ཎཱི ཝོ, 。
(a ),24 Article de l'Election de 4718 , confir
mé par celles de 1720 & de
( b ) En 1749
1743.
(c) Diettes des Palatinats. I. !
( d) Députés aux Diettes générales de Pologne.
Chambre
DECEMBRE . 1760. 73
Chambre fecrette , où font confervées
les Dépêches des Amballadeurs avec les
Registres de la République , leur eft ouverte.
Quelques jeunes Gentilshommes
accompagnent les Miniftres de la République
dans les Cours étrangères , pour
y faire l'apprentiffage des Emplois aufquels
ils afpirent . Enfin , aucun Noble
ne parvient aux grandes Magiftratures ,
qu'après s'être acquitté des moindres , à
la fatisfaction de fes Concitoyens ( a) .
›
En Allemagne , la Bulle d'or renferme
des difpofitions fur la manière d'élever
les Héritiers des Electeurs ; les No-,
bles s'appliquent à l'étude même du
Droit privé ; les Comtes & les Princes
de l'Empire ne dédaignent pas de s'en
inftruire. Tous les Gentilshommes quine
fe deftinent pas uniquement aux Armes
, fouvent même ceux qui s'y defti
nent , paffent plufieurs années aux Univerfités
, aux Académies , pour y apprendre
l'Hiftoire & les Loix de leur Patrie . Il y
a dans toutes les grandes Cours du Corps
( a) Hiftoire du Gouvernement de Venife , par
Amelot . pag. 24. de l'édition de 1676. La Ville
& la République de Venife , par Saint- Didier ; &
l'Ambajadeur & fes fonctions , par Wicquefort ,
P. 175 & 177 du premier volume ; édition de la
Haye , 1724.
D
74 MERCURE DEFRANCE
Germanique , une Chancellerie d'Etat
où les jeunes Gens font une étude réglée
des affaires publiques , fous l'infpection
générale du Chancelier , & fous la direction
particulière des Référendaires .
Les Allemands ne deviennent enfin Négociateurs
ou Miniftres d'Etat , que par
degrés , & qu'après s'être longtemps inftruits
de l'Hiſtoire , du Droit public , des
intérêts des Princes , de la Politique.
Cent Ouvrages fur le Gouvernement
font publiés continuellement dans les
Provinces Unies , & ce qui s'imprime
dans les autres Pays , eft toujours exactement
réimprimé dans celui-là. Un Hollandois
partage fes foins entre les intérêts
de fon Commerce & ceux de fa République.
Il étudie tout ce qui a rapport
au Gouvernement ; & comme il eft
fouvent Dépuré à l'Affemblée des Etats
Généraux , il eft communément fort inf
truit.
La connoiffance des principes du Gouvernement
est en Angleterre un objet
commun à toutes les Profeffions. Les Députations
aux Etats- Généraux , qu'on appelle
dans ce pays- là Parlement , mettent
les perfonnes de tous les Ordres à
portée de prendre part aux affaires publiques
; & l'intérêt que les Anglois ont de
DECEMBRE. 1760 . 75
poffeder des connoiffances dont ils peuvent
faire un ufage avantageux à leur Patrie
ou à leur fortune particulière , leur iufpire
une grande application pour les acquérir.
Ils veulent obtenir des graces & jouer
un grand rôle dans le Parlement , en fe
rendant néceffaires au parti de la Cour, ou
en fe diftinguant dans celui qui lui oppofé.
Il y a un fi grand nombre de Pairs dans
la Chambre Haute , la Chambre Baffe eft
compofée de tant de Députés , ces Repréfentans
de la Nation changent fi fouvent ,
& le defir de paroître avec éclat dans l'u-.
ne ou dans l'autre Chambre , agit ſi puiffi
famment fur le coeur de chaque Membre.
du Parlement , qu'il eft comme impoffible
que les Anglois n'ayent en général une
grande connoiffance des matières de Politique.
Si l'Angleterre ne fournit pas à
l'Europe des Ouvrages fyftématiques fur
le Gouvernement , comme font l'Allemagne
& la Hollande , elle fe fuffit au moins
à elle - même . Des feuilles volantes &
d'excellentes brochures inftruiſent tous les
Citoyens des droits & des intérêts de la
Nation , non pas feulement toutes les années
, tous les mois , mais toutes les femaines
, tous les jours .
De grands Rois & des hommes mêmes
qui commandoient à des Rois , n'avoient
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
appris que des Philofophes politiques la
Science du Gouvernement , & ils y ont
excellé. Caffandre fe faifoit donner des
préceptes politiques par Theophrafte , &
Sigebert par Fortunat . Pompée , ( a ) qui
avoit paffé fa jeuneffe dans le tumulte des
armes , ignoroit le bien public ; il pria
Varron de lui en compofer un livre , & il
fe rendit auffi excellent homme d'Etat
par l'Etude , qu'il s'étoit rendu grand Capitaine
par l'exercice des armes. Charles
V. qui a reçu de fon fiécle le nom illuſtre
de Sage , ( & , ce qui eft beaucoup plus
confidérable , à qui la poftérité l'a confirmé
, ) fe faifoit lire chaque jour quelque
ouvrage fur le Gouvernement . ( b ) Le
Grand Guftave- Adolfe , avoit perpétuellement
fous les yeux le Traité du Droit de
la Guerre & de la paix de Grotius ( c ) .
Dans le dixiéme fiècle , l'Empereur
Conftantin Porphyrogenete fit compofer
des Pandectes politiques ( d) . C'étoit une
grande compilation où l'on voyoit rangé
( a ) Pompée & autres Chefs de la République
Romaine.
(b ) Voyez le commencement du Somnium viridarii.
( c) Lettre de Jérôme Bignon à Grotius , du s
Mars 1632.
(d) Sanilas , Proleg. in Jul,
DECEMBRE 1760 .
77
fous certains titres , ce que Polybe , Nicolas
de Damas , Denis d'Halicarnaffe ,
Diodore de Sicile , & d'autres Hiftoriens
avoient écrit fur ce Sujet , afin que les
hommes d'Etat puffent s'inftruire facilement.
Si une compilation de cette étendue
n'eut pour objet que d'épargner aux
Princes la peine de lire ces Hiſtoriens
quel fruit ne pourra- t-on pas eſpérer de
la Science du Gouvernement expliquée
en entier ?
9
L'Hiftoire nous repréfente le Conqué
rant Mogol du dernier fiécle , le fameux
Orang Zeb , dans un cercle de Sçavans
, donnant à fa Cour un fpectacle
bien digne d'attirer , pendant quelques
momens les regards . Ce Prince déplore
l'éducation qu'on lui a donnée. Il trouve
mauvais qu'on l'ait bornée à des minuties
de grammaire & à une légére connoiſſance
de l'Indonftan , de fes Villes , de fes
Provinces , de fes revenus. Il marque un
regret extrême qu'on lui ait laiffé ignorer
les moeurs, les Coutumes & les intérêts des
Nations Etrangères , les refforts de la politique
, l'art de gouverner les Provinces ,
& les tempéramens de douceur & de févérité
qu'il y faut garder . Le difcours de
ce grand Prince fut diftribué dans tous les
Diij
76 MERCURE DE FRANCE.
appris que des Philofophes politiques la
Science du Gouvernement , & ils y ont
excellé. Caffandre fe faifoit donner des
préceptes politiques par Theophrafte , &
Sigebert par Fortunat. Pompée , ( a ) qui
avoit paffé fa jeuneffe dans le tumulte des
armes , ignoroit le bien public ; il pria
Varron de lui en compofer un livre , & il
fe rendit auffi excellent homme d'Etat
par l'Etude , qu'il s'étoit rendu grand Capitaine
par l'exercice des armes . Charles
V. qui a reçu de fon fiécle le nom illuftre
de Sage , ( & , ce qui eft beaucoup plus
confidérable , à qui la poſtérité l'a confirmé
, ) ſe faiſoit lire chaque jour quelque
ouvrage fur le Gouvernement . (b ) Le
Grand Guftave- Adolfe , avoit perpétuellement
fous les yeux le Traité du Droit de
la Guerre & de la paix de Grotius ( c ) .
Dans le dixième fiécle , l'Empereur
Conftantin Porphyrogenete fit compofer
des Pandectes politiques ( d ) . C'étoit une
grande compilation où l'on voyoit rangé
( a ) Pompée & autres Chefs de la République
Romaine.
(b ) Voyez le commencement du Somnium viridarii
.
( c ) Lettre de Jérôme Bignon à Grotius , du s
Mars 1632.
(d) Sanilas , Proleg. in Jul,
DECEMBRE 1760 . 77
fous certains titres , ce que Polybe , Nicolas
de Damas , Denis d'Halicarnaffe ,
Diodore de Sicile , & d'autres Hiftoriens
avoient écrit fur ce Sujet , afin que les
hommes d'Etat puffent s'inftruire facilement.
Si une compilation de cette étendue
n'eut pour objet que d'épargner aux
Princes la peine de lire ces Hiftoriens
quel fruit ne pourra -t- on pas efpérer de
la Science du Gouvernement expliquée
en entier ?
9
L'Hiftoire nous repréfente le Conqué
rant Mogol du dernier fiècle , le fameux
Orang Zeb , dans un cercle de Sçavans
, donnant à la Cour un fpectacle
bien digne d'attirer , pendant quelques
momens les regards. Ce Prince déplore
l'éducation qu'on lui a donnée. Il trouve
mauvais qu'on l'ait bornée à des minuties
de grammaire & à une légére connoiſſance
de l'Indonftan , de fes Villes , de fes
Provinces , de les revenus . Il marque un
regret extrême qu'on lui ait laiffé ignorer
les moeurs , les Coutumes & les intérêts des
Nations Etrangères , les refforts de la politique
, l'art de gouverner les Provinces ,
& les tempéramens de douceur & de févérité
qu'il y faut garder . Le difcours de
ce grand Prince fut diftribué dans tous les
Diij
76 MERCURE DE FRANCE.
appris que des Philofophes politiques la
Science du Gouvernement , & ils y ont
excellé. Caffandre fe faifoit donner des
préceptes politiques par Theophrafte , &
Sigebert par Fortunat . Pompée , ( a ) qui
avoit paffé fa jeuneffe dans le tumulte des
armes , ignoroit le bien public ; il pria
Varron de lui en compofer un livre , & il
fe rendit auffi excellent homme d'Etat
par l'Etude , qu'il s'étoit rendu grand Capitaine
par l'exercice des armes. Charles
V. qui a reçu de fon fiécle le nom illuftre
de Sage , ( & , ce qui est beaucoup plus
confidérable , à qui la poſtérité l'a confirmé
, ) ſe faiſoit lire chaque jour quelque
ouvrage fur le Gouvernement. ( b ) Le
Grand Guftave- Adolfe , avoit perpétuellement
fous les yeux le Traité du Droit de
la Guerre & de la paix de Grotius ( c ) .
Dans le dixième fiécle , l'Empereur
Conftantin Porphyrogenete fit compofer
des Pandectes politiques ( d ) . C'étoit une
grande compilation où l'on voyoit rangé
( a ) Pompée & autres Chefs de la République
Romaine.
(b ) Voyez le commencement du Somnium viridarii
.
( c) Lettre de Jérôme Bignon à Grotius , du s
Mars 1632.
(d ) Sanilas , Proleg. in Jul,
DECEMBRE 1760 . 77
fous certains titres , ce que Polybe , Nicolas
de Damas , Denis d'Halicarnaffe ,
Diodore de Sicile , & d'autres Hiftoriens
avoient écrit fur ce Sujet , afin que les
hommes d'Etat puffent s'inftruire facilement.
Si une compilation de cette étendue
n'eut pour objet que d'épargner aux
Princes la peine de lire ces Hiftoriens
quel fruit ne pourra -t - on pas eſpérer de
la Science du Gouvernement expliquée
en entier ?
L'Hiftoire nous repréfente le Conquérant
Mogol du dernier fiécle , le fameux
Orang Zeb , dans un cercle de Sçavans
, donnant à fa Cour un fpectacle
bien digne d'attirer , pendant quelques
momens les regards . Ce Prince déplore
l'éducation qu'on lui a donnée. Il trouve
mauvais qu'on l'ait bornée à des minuties
de grammaire & à une légère connoiſſance
de l'Indonftan , de fes Villes , de fes
Provinces , de les revenus. Il marque un
regret extrême qu'on lui ait laiffé ignorer
les moeurs, les Coutumes & les intérêts des
Nations Etrangères , les refforts de la politique
, l'art de gouverner les Provinces ,
& les tempéramens de douceur & de févérité
qu'il y faut garder. Le difcours de
ce grand Prince fut diftribué dans tous les
Diij
76 MERCURE DE FRANCE.
appris que des Philofophes politiques la
Science du Gouvernement , & ils y ont
excellé. Caffandre fe faifoit donner des
préceptes politiques par Theophrafte , &
Sigebert par Fortunat . Pompée , ( a ) qui
avoit paffé fa jeuneffe dans le tumulte des
armes , ignoroit le bien public ; il pria
Varron de lui en compofer un livre , & il
fe rendit auffi excellent homme d'Etat
par l'Etude , qu'il s'étoit rendu grand Capitaine
par l'exercice des armes. Charles
V. qui a reçu de fon fiécle le nom illuſtre
de Sage , ( & , ce qui eft beaucoup plus
confidérable , à qui la poſtérité l'a confirmé
, ) fe faifoit lire chaque jour quelque
ouvrage fur le Gouvernement. ( b ) Le
Grand Guftave- Adolfe , avoit perpétuellement
fous les yeux le Traité du Droit de
la Guerre & de la paix de Grotius ( c ).
Dans le dixième fiécle , l'Empereur
Conftantin Porphyrogenete fit compofer
des Pandectes politiques ( d) . C'étoit une
grande compilation où l'on voyoit rangé
( a ) Pompée & autres Chefs de la République
Romaine.
(b ) Voyez le commencement du Somnium viridarii.
(c) Lettre de Jérôme Bignon à Grotius , du s
Mars 1632 .
(d) Sanilas , Proleg. in Jul.
DECEMBRE 1760 . 77
fous certains titres , ce que Polybe , Nicolas
de Damas , Denis d'Halicarnaffe ,
Diodore de Sicile , & d'autres Hiftoriens
avoient écrit fur ce Sujet , afin que les
hommes d'Etat puffent s'inftruire facilement.
Si une compilation de cette érendue
n'eut pour objet que d'épargner aux
Princes la peine de lire ces Hiftoriens ,
quel fruit ne pourra-t - on pas espérer de
la Science du Gouvernement expliquée
en entier ?
L'Hiftoire nous repréfente le Conqué
rant Mogol du dernier fiécle , le fameux
Orang Zeb , dans un cercle de Sçavans
, donnant à la Cour un fpectacle
bien digne d'attirer , pendant quelques
momens les regards. Ce Prince déplore
l'éducation qu'on lui a donnée. Il trouve
mauvais qu'on l'ait bornée à des minuties
de grammaire & à une légére connoiffance
de l'Indonftan , de fes Villes , de fes
Provinces , de fes revenus. Il marque un
regret extrême qu'on lui ait laiffé ignorer
les moeurs, lesCoutumes & les intérêts des
Nations Etrangères , les refforts de la politique
, l'art de gouverner les Provinces ,
& les tempéramens de douceur & de févérité
qu'il y faut garder. Le difcours de
ce grand Prince fut diftribué dans tous les
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
vaftes Etats de fa domination ( a ).
le
Ce fut par l'ordre du feu Roi que
célébre Evêque de Meaux fit un ouvrage
fur le Gouvernement , pour l'inftruction
de Monfeigneur le Duc de Bourgogne. (b) ,
& ce Monarque avoit ordonné qu'il en
fût compofé , fur le même fujet , un autre
( c ) d'où la flatterie feroit bannie . La
vérité devoit y paroîtte dans toute fa
pureté , & l'ouvrage demeurer fecret
pour tout autre que pour les trois Enfans
de France qui vivoient alors.
Quelpoids la lumière naturelle ne peutelle
pas ajouter à ces opinions des Anciens
& des Modernes , à ces ufages des
Peuples , à ces exemples des Rois !
Rien n'eft fi digne d'occuper la raiſon
que la Science du Gouvernement. Cetre
Science a pour objet le bonheur public ,
& elle eft la plus utile comme la plus noble
des fciences humaines. On n'y trouve
(a) Voyages de Bernier. Hiftoire générale du
Mogol par Catrou . Paris , 1705 .
(b) Politique tirée des paroles de l'Ecriture
Sainte , par Boffuet , Paris , 1709 , in-4º .
(c ) Voyez les pages 186 , 187 & 188 , de la
Méthode tenue pour l'éducation de Melleigneurs
les Ducs de Bourgogne , d'Anjou & de Berry ;
imprimée à la fuite de l'ouvrage énoncé dans la
précédente note.
DECEMBRE . 1760 . 79
aucun principe dont on n'apperçoive
l'application , & la théorie s'y tourne toujours
en pratique. Sans cette Science , les
Sujets ignorent des vérités & des principes
qu'il leur importe de fçavoir ; les Souverains
ne peuvent appuyer leur conduite ,
ni les Miniftres leurs Confeils , fur des
fondemens folides ; & ces mots de vertu
de raifon , d'équité , qu'ils prononcent fi
fouvent , font des noms vuides de fens
dans leur bouche.
Nous y apprendrons une vérité éffentielle,
que les bons Rois ne perdent jamais
de vue . C'eft que les fupériorités n'ont
point leur fin en elles- mêmes ; que les
Souverainetés n'ont eté établies que pour
l'avantage des Sujets ; & que
la domination
de la volonté d'un feul homme fur celle
des autres hommes , n'eft jufte que parce
qu'elle doit procurer leur bonheur. C'eft
des veilles du Souverain que doit naître
le bonheur de plufieurs millions d'hommes
confiés à fes foins. L'Agriculture ,
le commerce intérieur & extérieur , la
manutention des Loix qui font le fondement
d'un Etat , la difcipline des Armées
où réfide toute fa puiffance , le réglement
des Finances qui le foutiennent , les négociations
étrangères qui le fortifient ,
doivent partager tour- à- tour l'attention
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
du Prince. Il ne peut fe relâcher für au
cuns de ces foins , fans fe refufer à la
juftice qu'il doit à fes Sujets. Il eſt un double
lien entre les Maîtres & les Citoyens
des Etats ; l'un de protection , unit le
Prince à fon Sujet ; l'autre de dépendance
, lie le Sujet à fon Prince. Les Rois
font la plus vive image de Dieu fur la
terre , ils y montrent fa grandeur , ils
y exercent fon autorité ; l'Ecriture Sainte
les appelle des Dieux (a) ; mais ce nom
n'eft pas moins pour les Princes une leçon
de juſtice , de vigilance , de bonté
que pour les Peuples une leçon de refpect
, d'obéiffance d'amour ; & c'eft
principalement par la juftice que les Souverains
doivent reffembler à Dieu. C'eft
être Dieu à l'homme , que de fecourir
P'homme ; faire régner la juftice , c'eſt
être la caufe univerfelle du bien , & mériter
en quelque forte par reflemblance
un nom qui appartient à Dieu par nature.
>
Quel est le moyen de remplir de fi
grands devoirs ? Les hommes ont dans
l'âme les principes de toutes les vertus
morales & politiques ; mais ces femences
demeurent ftériles , fi elles ne font culti-
( a ) Ego dixi . Dii eftis vos Pfalm. 81. v . Zá
DECEMBRE. 1760. 81
vées ; & ce n'eft que par l'étude & par
l'expérience qu'un Prince peut fe rendre
capable de régner. On fçait quels peuvent
être lesfruits de l'une,& de l'autre ; & il
s'en faut bien que l'expérience fournie
les mêmes refſources que l'étude . L'intervalle
qui fépare le commencement & la
fin de la vie eft fi court , qu'il femble
que ces deux extrémités fe touchent ;
une expérience de fi peu de jours ne fçauroit
fournir qu'une inftruction médiocre.
L'étude , par un chemin plus facile & plus
abrégé , donne des connoiffances plus
étendues & plus parfaites ; on n'eft jamais
à portée de tout voir , mais la lecture
peut tout enfeigner. Quelque long que
foit fon régne , un Souverain n'a prèfque
jamais à conduire deux grandes affaires
qui fe reffemblent parfaitement. C'eft
par la connoiffance des événemens qui
ont précédé , qu'on doit fe précautionner
contre ceux qui peuvent fuivre. Si
l'on n'eſt d'avance inftruit des principes ,
on fait de fauffes démarches qu'on n'a
pas toujours le temps de réparer. N'eftil
pas plus fage & plus utile de s'inftruire
par les fautes des autres , dans l'étude &
la Science du Gouvernement , que par
celles qu'on feroit foi - même dans la
pratique , fi cette étude n'avoit précédée
Dy
82 MERCURE
DE FRANCE
."
Les perfonnes
qui fervent
les Princes
dans leurs affaires , ne font tant de fautes
que parce qu'il n'y a ni régle pofitive , ni
principes
écrits qui ferviroient
ou à re- dreffer leurs vues , ou à leur donner celles
qu'ils doivent
avoir. Delà vient qu'on
arrive fi tard au but qu'on devroit fe propofer
, & que très- fouvent
on le manque. Aucune Société ne fçauroit
fubfifter
longtemps
, qu'avec
le fecours
d'une régle d'inftitut
toujours
préfente
à ceux qui la conduifent
. Comment
l'Etat , qui renfer- me toutes les Communautés
, Dauffi bien
que tous les Particuliers
, pourroit
- il s'en
paffer ? Comment
, ceux qui fuccédent
aux places & aux emplois
, feront ils au
fait de ce que les conjonctures
changent
aux principes
qu'ils voyent qu'ont fuivi
leurs prédéceffeurs
? Faute de cette régle permanente
, une bonne idée qui n'a pû
s'exécuter
, périt avec l'inventeur
; & une
infinité de mauvaiſes
, adoptées
par
cité , par ignorance
, ſe perpétuent
. Chaque
emploi demande
une étude
particulière
, tous les Arts s'apprennent
; & les plus faciles , les moindres
ont leurs
principes
, leur méthode
, leur temps
d'apprentiffage
. Celui de conduire
le
re humain, n'aura t- il pas fes régles ? Gou- vernera-t- on le monde à l'avanture
? Il
vivagenDECEMBRE
. 1760. 83
eft moralement impoffible que le Gouvernement
exercé fans théorie , foit longtemps
heureux. La perfection d'un art
demeure toujours inconnue à ceux qui
ne fe conduifent que par routine (a ) ; &
une longue expérience qui n'eft pas foutenue
par un fond réel de connoiffances ,
n'eft fouvent qu'une longue habitude
d'erreur. Il faut joindre les exemples
des fiécles paffés à l'expérience , la fpéculation
à la pratique , la raifon à l'ufage.
Ce n'est qu'en exerçant fans ceffe fon
intelligence , qu'on lui donne de l'étendue.
Ce qu'on apprend par l'étude ne
fuffit pas ,
il est vrai , pour former un
grand homme d'Etat ; mais on y acquiert
des connoiffances abfolument néceffaires ,
des principes fondamentaux , une théorie
qui ouvre l'efprit , qui fournit des
idées , & qui contribue par des réflexions
à affurer & à étendre les vues de la
tique. Les connoiffances fpéculatives . &
celles de l'ufage s'entr'aident , l'exercice
perfectionne ce que la méditation a enfeigné
, & achève l'homme d'Etat que
l'étude a commencé .
pra-
Si l'on a vu des hommes gouverner
avec fuccès fans le fecours de l'étude
c'étoient des efprits fupérieurs , & il n'eſt
(e) Cicer. Acad. queft. Lib. 4.
2
D vj
84 MERCURE DE FRANCE:
donné qu'à des Génies du premier or
dre de tirer tout de leur propre fonds.
Peu de gens peuvent fe flatter d'être nés
avec cette pénétration & cette étendue
d'efprit qui fuppléent à l'étude , & quelquefois
même à l'expérience. D'ailleurs ,
ces hommes extraordinaires ont été bien
rares & feroient allés plus loin , fi une
bonne éducation eût augmenté les avantages
qu'ils avoient reçus de la Nature.
Eh ! qu'on ne croye point que l'étude
des diverfes parties de la Science du Gouvernement
, foit inutile aux Sujets. Qui
pourroit penfer que l'étude du Droit naturel
, laquelle nous donne des principes
qui s'étendent à tout , & qui font de
tous les temps & de tous les lieux , ſoit
inutile à des hommes ? Tous les particu
liers font obligés de bien vivre ? & doivent
par conféquent connoître le Droit
naturel. Qui pourroit penfer que la connoiffance
du Droit , dans fes plus nobles
portions , foit inutile à des Citoyens :
Nous avons à vivre avec nos Concitoyens
& à communiquer avec les Etrangers , &
il importe que nous n'ignorions pas les
régles de ces diverfes Sociétés. Tout le
monde n'eft pas appellé à la conduit
des Peuples ; mais puifque les particu
liers & les Sociétés entières vivent fou
DECEMBRE. 1760. 85
des régles , ils doivent s'en former des
idées auffi nettes & auffi juftes qu'il eft
poffible. La fcience d'obéir & de commander
, prife dans toute fon étendue ,
ne peut être indifférente à perfonne. Elle
eft , a divers égards , néceflaire à tout le
monde ; aux uns , abfolument , pour bien
gouverner ; aux autres , jufqu'à un certain
point , pour le gouverner eux- mêmes
, & pour obéir aux Loix fous lefquelles
ils vivent.
,
Loin de nous ce rafinement de certains
Politiques , qui placent l'effentiel du Gouvernement
dans un mystére impénétrable
au peuple. Il importe fans doute aux Princes
de ne pas manifeſter les délibérations
du cabinet les entreprifes qui pourroient
échouer fi elles étoient découvertes
, les négociations fujettes à être traverfées
, les reffources qu'ils fe font ménagées
pour certains événemens , l'état
de leurs finances ; mais ils ne doivent pas
vouloir cacher les principes généraux da
Gouvernement , ils ne le veulent point ,
& ils le voudroient inutilement.
Ce ne font point les lumières des Sujets
que le Prince doit craindre , c'eft leur
ignorance. Celle des Lettres eft toujours
fuivie de celle des Loix , comme celle -ci
Peft de celle des devoirs. Le fçavoir rend
86 MERCURE DE FRANCE .
tranquille , fournit une douce occupation ;
& éclaire fur les fuites de l'indocilité ;
mais les gens peu inftruits , & les gens
oififs , font également dangereux dans un
Etat. Le Gouvernement n'a d'autre objet
que de rendre les Peuples heureux ;
& il eft fi utile aux hommes , que tous
les avantages dont ils jouiffent fur la
terre , leur fortune , leur honneur , leur
vie en dépendent.
Les Souverains mêmes doivent defirer
que les régles du commandement & de
l'obéiffance foient connues. Cette connoiffance
difpofe à faire par amour ce que
fans elle on ne feroit que par contrainte.
L'un de ces moyens eft plus für que l'autre
; mais réunis , ils ne laiffent rien à defirer.
Une foumiffion éclairée n'en eſt que
plus prompte & plus fincére. Quand la
régle eft bien connue , le Prince régne
felon les Loix , le Magiftrat fait un ufage
raifonnable de fon pouvoir , le Sujet rend
une obéiffance dont il connoît & l'utilité
& la néceffité : toutes les voies qui
nous inftruiſent de notre devoir nous le
font aimer , & nous ne fçaurions étudier
les principes de Gouvernement , fans être
convaincus que les Loix font la fource de
la félicité publique , & que chaque Ci-
Loyen a intérêt d'obéir exactement au
DECEMBRE. 1760. 87
Souverain , foit. que le pouvoir fuprême
réfide dans un feul , foit qu'il réfide dans
plufieurs , ou dans tous .
L'étude de la Science du Gouverne-
, cette étude fi néceffaire à la Société
, fi importante , fi fort en honneur
en Hollande , en Angleterre , en Allemagne
, & dans le Nord , eft néanmoins
abandonnée en quelqués lieux : Négligence
déplorable ! S'il n'eft point d'Art
plus relevé que celui de gouverner , il
n'en eft point auffi où les erreurs foient
d'une fi dangereufe conféquence . Dans
les autres Arts , l'ignorance ne peut nuire
qu'à peu de gens : Ici , elle porte un préjudice
capital à tous les Citoyens ; & la
mifére publique marche à la fuite des
différentes efpéces de fautes des Princes
& de leurs Miniftres.
L'homme eft naturellement porte
négliger la connoiffance des chofes qui
l'environnent : ou il croit les fçavoir , ou
il fuppofe qu'il fera toujours à temps de
les apprendre . Il réferve fon attention
pour celles la diftance des temps &
des lieux a mifes hors de fa portée . * Il
néglige ce qui leregarde perfonnellement,
& s'attache à des objets étrangers . Par
que
*Vetera extollimus , recentium incuriofi. Tacit,
Annal. Lib. 2 .
88 MERCURE DE FRANCE.
cette bifarre difpofition d'efprit , on ignore
affez fouvent les chofes qu'on a intérêt de
connoître , & l'on ne s'applique qu'à acquérir
la connoiffance de celles qu'on
pourroit ignorer fans danger. Delà vient ,
que peu de perfonnes connoiffent les principes
de Gouvernement & les fondemens
du repos public , qui font la fureté des
Princes & le bonheur de fes Sujets.
On découvre fans peine , pourquoi quelques
pays font féconds, & quelques autres
ftériles en fujets propres à manier les affaires
publiques. C'eft fuivant le goût de
chaque Nation, la forme de chaque Etat,
& à proportion de l'attention de chaque
Souverain , que la Science du Gouvernement
eft plus ou moins cultivée; felon que
Ja difcipline nationale eft bonne ou mauwaife,
lesNations font bien ou mal élevées.
La négligence à étudier les principes
de Gouvernement fe manifefte furtour
dans les Monarchies , qui n'admettent
dans les myſtères d'Etat qu'un petit nombre
de perfonnes. Les particuliers y něgligent
cette étude , dans la penfée qu'ils
ne parviendront jamais aux grands emplois
; & ceux mêmes à qui une naiffance
illuftre & une fortune confidérable font
concevoir des espérances plus relevées ,
me font
pas exempts de cette négligence,
DECEMBRE. 1760. 89
parce qu'ils doutent fi leur ambition fera
jamais fatisfaite. Les Miniftres que d'heureufes
circonftances ont mis en place ,
font plus occupés des ufages reçus , qu'attentifs
à connoître la régle. Les Princes
mêmes ne font pas toujours affez de réfléxions
, ni fur les principes qui fondent
le fage Gouvernement , ni fur les conféquences
qui en résultent.
Louis le Jufte & Louis le Grand ont
établi des Académies célébres ; leurs régnes
ont été fertiles en grands hommes
dans prèfque tous les genres ; & le der
nier fiécle a été le fiècle des Arts & des
Sciences ; mille productions de l'efprit
humain ont illuftré la France , & par une
heureuſe influence , inftruit toute l'Europe.
Le Roi foutient les anciens établiffemens
& en fait de nouveaux ; mais , fous
aucun de ces trois grands Monarques
perfonne n'a perfectionné la Science du
Gouvernement. Perfonne n'a traité d'aucune
des parties de cette Science , avec
quelque forte d'ordre , & dans une juſte
étendue .
Qu'il eft peu d'hommes parmi nous
qui s'inftruiſent des Loix & des intérêts
de leur pays , des moeurs & des maximes
des autres peuples ! Les François ſemblent
réſerver leur eftime pour les honneurs
90 MERCURE DE FRANCE.
qui s'acquiérent par la profeffion des armes
; & , comme fi la valeur étoit la feule
vertu néceffaire à la guerre , ils négligent
encore en ce point cette étude du cabinet
qui feule prépare des grands hommes
aux Nations. L'art de la guerre eſt
malheureuſement regardé par beaucoup
d'Officiers François , comme un art méchanique
, où les yeux du corps
, l'exercice
, & la pratique fuffifent , & ou le
génie fupérieur , l'efprit pénétrant & cultivé
, & l'habitude de penfer , femblent
inutiles. Auffi , qu'il me foit permis de
le dire , cette Monarchie a - t - elle peu
d'Officiers généraux en qui les qualités
acquifes éclatent au même dégré que les
Talens naturels . Dieu veuille que trois
bons Ouvrages qu'on a publiés , il n'y
a pas longtemps , contribuent à déprendre
nos Guerriers de cette erreur. Cicéron
rapporte que Lucullus , ayant employé
tout le temps du trajet de Rome
en Afie , à lire les actions des grands Capitaines
, & à interroger les gens du métier
, arriva dans ce pays -là Général tour
formé , quoiqu'il fût parti de Rome fans
aucune expérience militaire . Le Marquis
*
* Les Mémoires de Feuquieres ; les Commentaires
fur Polybe , par Folard ; l'Art de la Guerre
par régles & principes , par Puyfegur.
DECEMBRE 1760. 91
C
Spinola , fi célébre dans les guerres des
Pays-Bas , le plus grand Général de fon
fiécle après le Prince Maurice de Naffau ,
fçut faire la guerre , donner des batailles ,
prendre des Villes , conduire des Armées ,
avant que d'avoir fervi .
Les Sujets du Roi font réduits à la fâcheufe
alternative , ou d'ignorer tout ce
qui a rapport au Gouvernement , ou de
n'en être inftruits qu'imparfaitement par
les Auteurs étrangers. Il n'y a dans cette
Monarchie ni Académie de Politique (a) ,
ni Cabinet d'Etat (b) , ni chaire de Droit
public , ni Profeffeurs de Droit des Gens ,
ni régle certaine, pour élever de bons Sujets
dans les connoiffances que demandent
les emplois du Gouvernement. Le
principe d'une inftruction univerfelle , par
rapport au Gouvernement actif & paffif ,
( a ) Henri VIII. Roi d'Angleterre , avoit établi
dans fes Etats , & le feu Roi dans les fiens , une
Académie de jeunes gens qu'ils faifoient inftruire ,
& deftinoient aux Négociations.
(b) On ne peut lire dans les Mémoires de Sully,
(pag. 89 jufqu'à 103 du troifiéme vol . ) le
projet d'un Cabinet d'Etat fait entre Henri IV &
fon Miniftre , faus regretter que ce Cabinet n'ait
pas été formé. Il eût été utile au Roi , aux Miniftres
, à tous les Citoyens , pourvû qu'on n'y eût
pas fait entrer les idées Lacédémoniennes du Duc
de Sully.
92 MERCURE DE FRANCE.
manque à ce Royaume , & un parallèle ,
ailé à faire entre nos ufages & ceux de
quelques autres Peuples , nous montreroit
avec évidence , pourquoi nous fommes
communément moins inftruits à cet
égard que nos voisins.
Ce n'eft pas d'aujourd'hui qu'on fe
plaint que nous négligeons cette étude.
Un de nos anciens Auteurs a remarqué
que les François ne confervoient pas.
avec l'exactitude qu'on avoit dans les autres
Pays , les actes de la paix , de la
guerre , des négociations ; & que moins
informés de leurs affaires qu'aucun autre
Peuple , ils étoient comme étrangers dans
leur propre pays ( a ). Un autre Ecrivain
nous apprend que de fon temps , les Ambaffadeurs
des autres Nations étoient
beaucoup mieux inftruits que ceux dè
France (b) . Il y a près de deux fiécles que le
premier de ces reproches nous a été fait ,
nous n'y avons remédié qu'en partie (c); &
( a ) Budé , dans fes Notes fur les Pandectes ,
pag. 89.
(b ) Villiers-Hotman , dans l'Epître qui eſt à
la tête du Livre intitulé : De la charge & dignité
de l' Ambaffadeur , deuxième édition , Paris , 1604 ,
‚in-12.
(c) Les papiers qui regardent les négociations
étrangères font confervés à préfent dans un appartement
au Palais des Thuileries ; mais à l'inf
truction de qui fervent-ils ?
es
DECEMBRE. 1760. 93
s'il faut dire la vérité , à ne parler qu'en
général , le fecond fubfifte dans toute
fon étendue.
Nos François font naturellement ingénieux
mais quelle funefte alliance
que celle de l'ignorance & de l'efprit !
Nous n'avons point d'autre principe que
la mode ; elle décide de nos études
comme de nos ajuſtemens , & la mode
n'eft pas de travailler à fe rendre utile
à la Monarchie , en étudiant fes intérêts
& nous mettant en état de fervir à fes
befoins. Les jeunes gens qui , dans le
cours de leurs premières études , temps
fi précieux , & ordinairement fi mal employé
, ne voyent rien qui ait rapport à
la Science du Gouvernement, ne s'aviſent
point de s'y appliquer , lorfqu'ils font livrés
à toutes les paffions , à tous les emportemens
de l'âge. Cette négligence influe
fur la conduite du refte de la viede cette
Jeuneffe peu inftruite ; & c'eft de- là que
vient l'ignorance qui , en même temps
qu'elle rend incapable de remplir lesEmplois
publics , femble augmenter le defir
ambitieux de les pofféder.
En voila affurément plus qu'il ne faut
pour prouver qu'il eft indifpenfable que
les Princes foient inftruits des principes de
Gouvernement , & qu'ils connoiffent tous
92 MERCURE DE FRANCE.
manque à ce Royaume , & un parallèle ,
aié à faire entre nos ufages & ceux de
quelques autres Peuples , nous montreroit
avec évidence , pourquoi nous fommes
communément moins inftruits à cet
égard que nos voisins.
Ce n'eft pas d'aujourd'hui qu'on fe
plaint que nous négligeons cette étude.
Un de nos anciens Auteurs a remarqué
que les François ne confervoient pas.
avec l'exactitude qu'on avoit dans les autres
Pays , les actes de la paix , de la
guerre , des négociations ; & que moins
informés de leurs affaires qu'aucun autre
Peuple , ils étoient comme étrangers dans
leur propre pays ( a ). Un autre Ecrivain
nous apprend que de fon temps , les Ambaffadeurs
des autres Nations étoient
beaucoup mieux inftruits que ceux de
France (b) . Il y après de deux fiécles que le
premier de ces reproches nous a été fait
nous n'y avons remédié qu'en partie (c) ; &
( a ) Budé , dans fes Notes fur les Pandectes
pag. 89.
(b) Villiers-Hotman , dans l'Epître qui eſt à
la tête du Livre intitulé : De la charge & dignité
de l' Ambaffadeur , deuxième édition , Paris , 1604 ,
in-12.
(c) Les papiers qui regardent les négociations
étrangères font confervés à préfent dans un ap
partement au Palais des Thuileries ; mais à l'inf
ruction de qui fervent-ils ?
2%
DECEMBRE. 1760. 93
s'il faut dire la vérité , à ne parler qu'en
général , le fecond fubfifte dans toute
fon étendue.
Nos François font naturellement ingénieux
mais quelle : funefte alliance
que celle de l'ignorance & de l'efprit !
Nous n'avons point d'autre principe que
la mode ; elle décide de nos études
comme de nos ajuſtemens , & la mode
n'eft pas de travailler à fe rendre utile
à la Monarchie , en étudiant fes intérêts
& nous mettant en état de fervir à fes
befoins. Les jeunes gens qui , dans le
cours de leurs premières études , temps
fi précieux , & ordinairement fi mal employé
, ne voyent rien qui ait rapport à
la Science du Gouvernement, ne s'aviſent
point de s'y appliquer , lorfqu'ils font livrés
à toutes les paffions , à tous les emportemens
de l'âge. Cette négligence influe
fur la conduite du refte de la viede cette
Jeuneffe peu inftruite ; & c'eft de- là que
vient l'ignorance qui , en même temps
qu'elle rend incapable de remplir lesEmplois
publics , femble augmenter le defir
ambitieux de les pofféder.
En voila affurément plus qu'il ne faut
pour prouver qu'il eft indifpenfable que
les Princes foient inftruits des principes de
Gouvernement , & qu'ils connoiffent tous
94
MERCURE DE FRANCE.
les détails de la Science pour laquelle ils
font nés.
Un Traité complet de Gouvernement
a été , en divers temps & en differens pays ,
l'objet des voeux de trois fçavans Jurifconfultes
( a ) , dont le dernier fut plus habile
que ne l'ont été la plupart des Légiflateurs
. Mais comment raffembler tous
les matériaux qui doivent former cet Ouvrage
? Où trouver toutes les connoiffances
, pour donner une inftruction fi
utile , fi néceffaire , fi indifpenfable ? Pour
inftruire toutes les perfonnesqui pourront
dans la fuite être employées dans les diverfes
parties de l'adminiftration publique
? Pour éclairer les Peuples ?
Sera- ce dans l'Antiquité ? Peu de régles
anciennes de Gouvernement font venues
jufqu'à nous , foit qu'elles n'ayent pas
été écrites dans tous les Etats , foit que ,
plus occupés du préfent que de l'avenir , les
Sçavans ayent négligé de les tranſmettre
à la postérité , foit enfin qu'elles n'ayent
pu échapper aux outrages du temps ,
ou que les ravages des guerres nous les
}
( a ) Louis le Roy , dont je fais mention dans
mon Examen ; Vincent Caboi , à qui j'ai auſſi donné
un article ; & Hugues Grotius. Voyez le Difcours
préliminaire qui eft à la tête du Traité : De
Jure belli & pacis.
DECEMBRE , 1760 .
95
ayent enlevées. Dans quelques fragmens
que les Grecs nous ont confervés des
Loix des Orientaux , tout marque l'ignorance
& la groffiéreté qui accompagnent
toujours les premiers âges des Nations.
Nous n'avons prèfque rien des Grecs euxmêmes
, quoique ce Peuple s'appliquât.
beaucoup à la Science du Gouvernement .
Les Romains , ces hommes fi habiles , ne
nous ont laiffé à cet égard aucun précepte.
Leurs Succeffeurs n'ont pas eu plus
d'attention à faire paffer jufqu'à nous
des régles que nous puffions confulter.
Si quelques unes des Loix de ces Nations
célébres , fi quelques -unes de leurs régles
, fi quelques uns de leurs préceptes
pour le Gouvernement , ont franchi la
barrière de tant de fiécles , ils ne nous
ont été confervés que dans un état d'imperfection
qui nous les rend prèfque inutiles
. Auffi éloignés des moeurs des Anciens
que de leurs fiécles , nous chercherions
en vain dans leurs ouvrages toutes
les régles de Gouvernement qui nous font
néceffaires .
Sera - ce dans les Auteurs modernes
qu'il faudra les chercher ? Nous avons
des avantages qui'manquoient à nos péres.
Les Sociétés ont pris une forme ftable
, & les droits des hommes font par
96 MERCURE DE FRANCE
conféquent mieux connus , & plus aifés
à diftinguer. Le monde eft plus âgé , &c
c'eft le temps qui perfectionne les Sciences.
Nous fommes inftruits par les découvertes
de ceux qui font venus avant
nous ; & les premiers Inventeurs nous
aident eux- mêmes à les furpaffer. La
Science du Gouvernement n'a pas fait
cependant tout le progrès que tant d'avantages
fembloient nous promettre . Elle
n'eft pas au point de perfection où le
genre humain a intérêt qu'elle foit portée.
Les connoiffances néceffaires pour
régir les Etats font difperfées , aucun
Ecrivain n'a pris foin de les raffembler ,
aucun même n'a indiqué les fources où
l'on peut les puifer. Il y a des Auteurs
qui ne font pas une diftinction néceffaire
entre la Politique & les Négociations ;
il y en a qui ne diftinguent pas non plus
entre le Droit & la Politique ; il en eft
enfin qui parlent fur le même ton , de la
Politique & de la Science du Gouvernement
. Tous prèfque confondent la cauſe
& l'effet , l'efpéce & le genre , les eſpéces
entr'elles . Les Ecrivains des Souverainetés
qui partagent aujourd'hui l'Europe
, n'ont d'ailleurs eu pour objet que
le bien des Etats où ils vivoient ; leurs
Ouvrages fe rapportent au Droit reçu ,
aux
DECEMBRE. 1760. 97
aux Coutumes établies , à la Religion
profeffée dans leur pays ; aucun n'a expliqué
la Science du Gouvernement avec
méthode , & n'a montré le tout avec fes
parties. On peut traiter ce grand fujet
avec plus de précifion qu'ils n'ont fait ,
& ainfi le mettre dans un plus grand
jour , en même temps qu'on lui donnera
plus d'étendue. Ce feroit affurément ſe
tromper , que de penfer qu'un homme
d'Etat puiffe trouver dans les Auteurs
modernes toutes les lumières dont il a
befoin.
Sera- ce dans la lecture affidue des Anciens
& des Modernes , mêlés & confondus
, qu'on trouvera ces lumieres ? Oui ,
fans doute , en rectifiant les Anciens , &
perfectionnant les Modernes.
Il est néceffaire de raffembler dans le
même Livre toute la Doctrine du Gouvernement
, de réunir fous un même point
de vue les connoiffances éparſes , de les
mettre au degré de perfection où elles
peuvent être portées , & d'en faire un
corps de Science unique & entier dans.
toutes les parties , pour le bonheur des
Peuples & pour la gloire des Souverains
qui en eft inféparable.
Ce Livre ne doit être borné ni au Gouvernement
d'une Province , ni à celui d'un
E
98 MERCURE DE FRANCE.
Royaume , ni à celui d'une partie du mon
de. Il doit embraffer le Gouvernement de
toute la terre policée , & intéreffer tous
les
pays.
Pour rendre cet ouvrage digne de l'eftime
& de l'amour des hommes , l'Auteur,
libre dans fes jugemens & affranchi de
toute prévention de lieu & de naiffance ,
doit écrire non pas en homme uniquement
zélé pour la gloire de fon Roi , & pour l'avantage
de fa patrie , mais en homme qui
écrit pour tous les hommes , en Habitant
du monde,qui cherche la vérité & qui aime
fes femblables , fous quelque climat
qu'ils vivent , quelque Religion qu'ils
profeffent , & par quelque conftitution
d'Etat qu'ils foient gouvernés. Le feul
lieu où il lui foit permis de paroître Catholique
, c'eft dans le Traité du Droit
Eccléfiaftique qui doit néceffairement entrer
dans la compofition de la Science
du Gouvernement pour la rendre complette.
J'ai ofé travailler fur ce plan à réduire
toutes les matières de Gouvernement en
un feul corps , de Science , & fans doute
qu'en cela j'ai plus confulté mon zéle
que mes forces. Pendant près de quarante
ans , je me fuis continuellement occupé
du foin de le compofer , & ce n'eft point
DECEMBR E. 1760. 99
trop de temps pour l'exécution d'un Ouvrage
d'une fi grande étendue. Heureux,
fi j'ai pu élever un édifice qui foit de quelque
utilité , & qui foit jugé digne d'une
main plus habile !
'HISTOIRE D'ANGLETERRE , depuis
la defcente de JULES CESAR , jufqu'au
Traité d'AIX-LA-CHAPELLE ,
en 1748. par M. T. SMOLETT. M.
D. traduite de l'Anglois par M. TARGE
, Correfpondant de l'Acad. Royale
de Marine. 1760.
EXTRA IT.
Il a déjà paru quatre volumes de cette
Traduction . Les deux premiers , dit M.
TARGE dans un Avertiſſement qu'on lit
au commencement du troifiéme , ont eu
le bonheur d'être favorablement reçus
du Public , malgré la féchereffe inféparable
de tous les commencemens des grandes
hiftoires . Le fuccès des fuivans ne
peut pas être douteux. L'Hiftoire d'Angleterre
, féconde en grandes révolutions,
eft faite
pour intéreffer & pour inftruire
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
tous les Peuples , & particulierement les
François , par la liaifon qu'elle a eue
prèfque dans tous les temps avec leur
Hiftoire. Le Traducteur donne une marque
de fa modeftie & de fa reconnoiffance
, en avertiffant que les Sçavans , qui
ont eu la bonté de lui donner des avis
au fujet de fon travail , s'appercevront
qu'il en a profité. Tout l'Ouvrage aura
dix-huit volumes, fans compter un Tome
féparé que l'on pourra donner fous le
titre d'INTRODUCTION A L'HISTOIRE
d'ANGLETERRE , où l'on traitera tout ce
qui concerne la Religion & le Gouvernement
de cette Ifle fameufe. On fera
peut être bien-aife de trouver ici la diftribution
des matiéres qui doivent être
contenues dans chacun des Tomes qui
reftent à faire imprimer.
Les Tomes 5 & 6 contiendront la fin
du régne de HENRI III . ceux d'EDOUARD
I. d'EDOUARD II. & d'EDOUARD III. jufqu'en
1377.
Dans les Tomes 7 & 8 , on verra les
ségnes tumultueux de RICHARD II. de
HENRI I V. de HENRI V. de .HENRI V I.
remarquable par l'Hiftoire de la PUCELLE
' ORLEANS , & celui d'EDOUARD IV . qui
fe termine en 1483 .
DECEMBRE 1560. Ior
**
Les Tomes 9 & 10 , parleront du régne
d'EDOUARD V. de la réunion des deux
Maifons de LANCASTRE & d'YORK , fous
HENRI VII. du régne de HENRI VIII. trop
fameux par les coups funeftes que reçut
la Religion , fous ce Prince. Trifte réfor
mation confommée fous EDOUARD VI. &
cependant ébranlée fous la Reine MARTE:
ce qui conduit jufqu'à la mort de cette
Princeffe , en 1557.
On verra dans les Tomes 11 & 12 ,
l'Hiftoire de l'illuftre ELISABETH , la nouvelle
Religion plus folidement établie
après une multitude de variations , le régne
de JACQUES I , & partie de celui de
CHARLES I. jufqu'en 1642.
Les Tomes 13 & 14 contiendront la
fuite de l'Hiftoire de cet infortuné Monarque
, terminée par le parricide exécrable
qui mit CROMWEL à la tête de la
Nation ; le rétabliffement de la Royauté
fous CHARLES II ; & le régne de JACQUES
II. jufqu'en 1689. où fon Gendre & fa
Fille lui enlevérent la Couronne.
Dans les Tomes 15 & 16 , on lira la
fuite de cette fameufe révolution fous
les régnes de GUILLAUME III & de MARIE,
avec partie de celui de la Reine ANNE
jufqu'en l'année 1703 .
Enfin les derniersVolumes contiendront
E iij
To MERCURE DE FRANCE
le régne de GEORGE I , celui de GEORGE II
actuellement fur le Trône , & termineront
cette Hiftoire par la paix d'Aix- la-
Chapelle en 1748 .
Je reviens aux Tomes trois & quatre ;
qui contiennent tout ce qui s'eft paffé depuis
1087 jufqu'en 1258. On voit dans
l'un , les régnes de GUILLAUME LE ROUX ,
qui fuccéda à GUILLAUME LE CONQUÉRant,
de HENRI I , d'ETIENNE , de HENRI II.
L'autre renferme les régnes de RICHARD ,
Coeur de Lion; de JEAN , furnommé Sanszerre
; & la plus grande partie du régne
de Henri III. Mon deffein n'eft pas de
faire un Extrait fuivi de ces deux volumes
; ce n'eft pas les faits qu'ils contiennent
que je voudrois faire connoître
, mais la maniére dont l'Auteur les a
-envisagés , & dont le Traducteur a rendu
fon original. Je vais tâcher de mettre les
Lecteurs à portée d'apprécier le mérite
de l'un & de l'autre , en préfentant quelques
morceaux de la copie , où font tracés
le caractère , les vices , & les vertus
des principaux Perſonnages qui figurent
dans cette Hiftoire .
On voit dans ROBERT & GUILLAUME
le Roux , fils de GUILLAUME le Conquérant
, deux Princes d'un caractère bien
oppofé. GUILLAUME le Roux avoit tous
DECEMBRE. 1760. 103
tes vices de fon pere , fans aucune de ſes
vertus , excepté le courage. Il étoit em→
porté , dur , féroce , ingrat ; il manquoit
également de connoiffances, de principes ,
d'humanité & de Religion. ROBERT ne
reffembloit à fon frere que par la valeur
& la fcience militaire. Son caractère
étoit franc , genéreux & humain . Ses
grandes qualités étoient connues & efti→
mées des Anglois ; il devoit encore , par
le droit d'aîneffe , l'emporter fur fon fre
re , dont ceux-ci connoiffoient la dureté:
Tant de titres ne purent le faire monter
fur le Trône d'Angleterre ; il étoit indolent
: fon indolence fit oublier fes vertus.
GUILLAUME étoit actif: fon activité
fit oublier les vices ; il fut couronné , &
fçut conferver la couronne , malgré les
exactions dont il accabloit les Anglois ,
qu'il haïffoit jufqu'à chercher à les réduire
tous en esclavage . ROBERT ne fçut
pas même conferver fa liberté après
avoir perdu le Duché de Normandie , il
fut envoyé en Angleterre , & renfermé
dans une étroite prifon , où il mourut
après une captivité de vingt- huit ans. *
* Il paroît qu'il y a ici une erreur, qu'il faut attribuer
au Copifte. Voici ce qu'on lit , page 123.
» Ce Prince infortuné ( ROBERT ) termina fes
» jours dans le Château de Cardiff , après avoir
E iv
TC4 MERCURE DE FRANCE.
7
--
Un traitement fi cruel étoit l'ouvrage
d'un autre frere de ROBERT , Henri I,
qui , après avoir trouvé le moyen de
exclure du Trône d'Angleterre , & de
s'y placer à la mort de GUILLAUme , s'étoit
encore emparé du Duché de Normandie
. Ce troifiéme frere femble préfenter
un caractère compofé de quelques
vertus de ROBERT , & de quelques vices
de GUILLAUME , joints à d'autres qualités
qu'ils n'avoient ni l'un ni l'autre . Il étoit
d'un tempérament robufte , facétieux ,
aifé & affable pour les Favoris ; mais vindicatif
, cruel , implacable & inexorable
pour fes ennemis. Son efprit naturellement
fubtil , avoit été fi bien cultivé
que les Sçavans lui donnerent le furnom
de BEAU-CLERC. Froid , réfervé , politique
& pénétrant , fa valeur étoit univerfellement
reconnue, & fon courage invincible.
Rigide & févère dans l'exécution
traîné une vie languiffante pendant vingt-fx
ans d'une dure captivité » . Robert perdit la
Bataille de Tinchebrai en 1105 , & fut envoyé im
médiatement après fa défaite en Angleterre , où il
mourut en 1133. Sa captivité a donc duré 28 ans,
Ce qui me fait croire que ceci n'est qu'une faute
de Copifte , c'eft qu'on lit à la pag. 83 « Enfin la
» mort lui ( A ROBERT ) rendit fa liberté à Car-
>> diff, dans le Comté de Glamorgan , après une
captivité de vingt-huit ans..
DECEMBRE. 1760 . 105
de la justice , modéré dans le boire & le
manger,mais voluptueux dans fes amours .
La profpérité dont ce Prince jouiffoit fur
troublée par la plus terrible avanture . Il
travailloit depuis longtemps à affurer fa
fucceffion à un fils qu'il avoit tonjours
tendrement aimé : toutes les peines qu'il
s'étoit données , devinrent infructueufes ;
il apprit tout-à- coup la mort de fon fils ,
qui périt dans un vaiffeau , en paſſant de
Normandie en Angleterre. HENRI venoit
de faire un accommodement avec la France
; après avoir reçu les hommages de la
Nobleffe de Normandie , & fait prêter un
nouveau ferment de fidélité par les Sujets
de ce Duché à fon fils GUILLAUME , qui
étoit alors dans la dix- huitiéme année de
fon âge , il réfolut de retourner dans fon
Royaume. « Il mit à la voile de Harfleur
»& arriva le lendemain matin en Angle-
» terre. Le jeune Prince , fon fils , monta
» fur un vaiffeau neuf de THOMAS FITZSTEPHEN
, dont le perc avoit paffé GUIL-
» LAUME le Conquérant en Angleterre ,
» dans fa première expédition contre
» HAROLD. Toute la jeune Nobleffe , au
» nombre de trois cens , entra dans le
même vaiffeau , & fe livra auffitôt à
» une débauche exceffive. Les Mariniers
bûrent juſqu'à l'yvreffe , & le Maître
Ev
106 MER CURE DE FRANCE
93
"
ود
و د
95
» lui - même avoit excédé de beaucoup les
» bornes de la fobriété , lorfque le Prince
lui ordonna de faire un éffort pour
joindre fon pere , dont le vaiffeau avoit
» une avance confidérable fur eux . Fitzs-
TEPHEN chargea toutes les voiles ; mais
» comme il étoit hors d'état de diriger
» le pilotage , il donna fur un rocher
» couvert , nommé CATTE-RAZE , avec
tant de violence , que le vaiffeau s'ouvrit
de tous les côtés. On mit auffitôt
la chaloupe en mer pour fauver le Prin-
» ce , & elle approchoit déja du rivage ,
» lorfqu'il entendit les cris de fa foeur na-
»turelle Mathilde , Comteffe de Perche ;
il voulut retourner au vaiſſeau pour la
» mettre dans fa chaloupe ; mais il s'y
» jetta tant de monde en même temps ,
qu'elle enfonça & qu'ils périrent tous .
» Ceux qui étoient reftés dans le vaiſ-
»feau eurent le même fort , excepté un
» Bouche de Rouen , nommé BARTOUD ,
qui s'empara du mât , & flotta deffus
jufqu'au matin , où il fut rencontré par
quelques Pêcheurs. GEOFFROI , fils de
» GILBERT de CRAIGLE, s'étoit attaché à la
» même piéce de bois ; mais fon tempé-
» rament n'étoit pas encore affez for
» mé pour réfifter au froid , & il fut noyé
» avant le lever du Soleil. THOMAS ,
"
"
و ر
و د
DECEMBRE. 1760 107
ور
Maître du vaiffeau , après avoir été
quelque temps fous l'eau , nagea vers
» le Boucher , & lui demanda ce que le
» Prince étoit devenu. Lorsqu'il fçur qu'il
» étoit péri , je ne veux pas , dit- il , lui
furvivre ; & il difparut auffitôt . ROGER
» de Coutance , & plufieurs autres , en-
» tendirent du rivage les cris de ces malheureux
, & le bruit même en parvint
au vaiffeau du Roi , fans qu'il eût connoiffance
de cet accident , dont il ne
» fut informé que trois jours après . Il
reçut ces fâcheufes nouvelles à Southampton
, tomba évanoui , & depuis
» ce temps , jufqu'à fa mort , on ne le vit
» jamais fourire.
"
HENRI qui s'étoit remarié, après la mort
de fon fils , avec ADELAIDE , fille de Go-
DEFROY ,, Duc de Louvain , défeſpérant
d'avoir des Héritiers de ce fecond Mariage
, réfolút de faire paffer ſa fucceffion à
fa fille l'Impératrice MATHILDE , qui
étoit revenue en Angleterre depuis la mort
de fon mari. Il la fit paffer en Normandie
, & crut lui affurer fa fucceffion en lui
faifant époufer GEOFFROY PLANTAGENET
fils de FOULQUES , Comte d'Anjou ; elle
palla avec peine de la dignité d'Impératrice
à l'état de fimple Comteffe ; & les mefu
fon père avoit prifes pour lui affures
que
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
rer la couronne, contribuérent au contraire
à l'en faire exclure . HENRI avoit attiré
à fa Cour & comblé de faveurs ETIENNE ,
troifiéme fils du Comte de Blois & d'Adéle ,
fille du Conquérant , dans l'efpérance
qu'il foutiendroit de tout fon pouvoir les
intérêts de l'impératrice ; mais ETIENNE
ne fongea qu'aux fiens ; il fe forma un
Parti du vivant même de HENRI ; & après
fa mort il fut couronné. Son régne fut
rempli de plus de troubles encore que les
précédens. En qualité de Roi , dit l'Hif
torien , fes vices paroiffent avoir été les
fuites des troubles qui agitérent fon régne;
mais comme particulier , il étoit
brave , ouvert & libéral. MATHILDE ne le
laiffa pas jouir tranquillement de fon ufurpation
; il ne fut véritablement affermi
fur le Trône , qu'au moment qu'il y renonça
pour fon propre fils GUILLAUME , &
qu'il reconnut pour fon Héritier préfomptif
, HENRI fils de MATHILDE. Par cet accommodement
qui combla de joie toute
l'Angleterre , ETIENNE devoit régner pendant
fa vie , & la juftice être adminiftrée
en fon nom mais aucune affaire importante
ne devoit fe faire que de l'avis &
avec le confentement de HENRI , qui n'at
tendit pas longtemps la Couronne ETIENNE
mourut peu de temps après cet arrange
ment.
DECEMBRE . 1760 10
Le régne de Henri H. n'eft que trop
célèbre par la divifion qui fe mit entre
ce Prince & Saint Thomas , Archevêque
de Cantorbéry. Le Traducteur , dans des
notes judicieuſes , fait voir l'indécence
de plufieurs invectives échappées contre
ce Prélat ; il remarque qu'il y a de l'injuftice
& de la prévention à le condamner
légèrement . La mort de Saint Thomas
eft une tache qui jettera toujours
quelque ombre fur la gloire de HENRI ,
dont je ne donnerai que le portrait : je
renvoye à l'Hiftoire pour
connoître plus
particulièrement fes actions. « Ce Prince
fit paroître en un grand nombre d'occafions
toute l'habileté d'un profond
politique , la fagacité d'un Légiflateur ,
» & la magnanimité d'un Héros. Il étoit
» le plus révéré de tous les Princes de fon
temps , & fa mort fut pleurée amère-
» ment par fes Sujets , dont le bonheur
avoit été l'objet de toutes fes actions.
» Non feulement il publia d'excellentes
» Loix , mais il eut la fatisfaction de les
» voir exécutées. Généreux à l'excès en-
» vers ceux qui l'avoient offenfé perfon
» nellement , il ne pardonna jamais les
injures faites à fes Sujets , & fit punir
» févérement les grands crimes fans égard
pour la qualité des criminels. Sa taille
ן כ
•
10 MERCURE DE FRANCE.
» étoit moyenne, mais bien proportionnée;
» fon vifage rond , beau & vermeil ; ſes
» yeux bleus étoient doux & engageans ,
» excepté dans les tranfports de la colère,
où ils paroiffoient étincelans , & fai-
» foient frémir ceux qui le regardoient
il avoit la poitrine large , étoit fort muf-
» culeux & de tempérament à devenir
» trop gras ; mais il avoit prévenu cette
> incommodité par des exercices violens ,
» & une fatigue continuelle. Sobre dans
» fa nourriture , même jufqu'à l'abſtinence
; il ne s'afféyoit jamais pour manger ,
» excepté au fouper. Il étoit éloquent ,
agréable , facétieux , très-poli , compâtiffant
pour tous les malheureux , & f
» charitable qu'il faifoit donner réguliè
»rement le dixième des provifions de fa
» Maiſon aux pauvres. Pendant une famine
qui fe fit fentir dans l'Anjou & lé
» Maine , il foutint dix mille perfonnes
"indigentes depuis le commencement
» du Printemps jufqu'à la fin de l'Autom
"
ne. Il avoit cultivé avec foin fes talens
naturels , & fe plaifoit à la converfation
des Sçavans , dont il étoit un
généreux Bienfaiteur. Sa mémoire étoit
furprenante , & jamais il ne manquoit à
reconnoître quelqu'un , ni à retenir un
fait qui avoit mérité fon attention.
DECEMBRE. 1760. TIT
Malgré fa fupériorité en forces , en richefles
, en vrai courage , & en fçience
» militaire , fur tous fes Contemporains ,
il ne fit jamais la guerre qu'avec répu
» gnance , & avoit tant d'éloignement
" pour le fang , qu'il paroiffoit affligé de
» la perte d'un fimple Soldat. Cependant
» ce grand Monarque ne fut pas exempt
" de foibleffes humaines : fes paffions na-
» turellement violentes , le précipitérent
» dans de grands excès . Il fut enclin à la
colère , exceffivement jaloux de fa puiffance
, & accufé d'incontinence , non
» feulement par rapport à la Belle Rost-
MONDE , qu'on dit qu'il cacha dans un
labyrinthe à Wodeftoke , pour la dérober
aux jaloufes recherches de la Rei-
» ne , mais encore dans le commerce
» qu'on fuppofe qu'il eut avec ALIX , Prin-
» ceffe de France , amenée en Angleterre
pour être mariée à fon fils RICHARD. S'il
fur coupable de ce crime , une conduite
» auffi infâme , & auffi contraire aux
» Loix de l'honneur , qu'à celles de l'hofpitalité
, eft la tache la plus honteufe.
Mais le fait eft refté douteux , & je
» crois qu'on doit le regarder comme
» une fauffe accufation . Élevé dans la plus
haute idée des prérogatives de la Cou
ronne , il foutint fes droits avec un
1
12 MERCURE
DE FRANCE.
" courage étonnant contre tous les fou
" dres de la Cour de Rome , & toutes les
" entrepriſes de la trahifon . Sous fon
Règne , les Droits de la Royauté le
» trouvérent joints à ceux de l'Eglife
d'Angleterre , & il les foutint avec l'attachement
le plus inviolable: mais dans
l'exercice de fa puiffance, il n'attaqua
jamais les libertés de les Sujets , qu'il
foutint par d'excellentes Loix & des
Réglemens admirables ; en forte que
» les Peuples vivoient dans l'aifance &
jouiffoient fûrement de leurs biens.
. En un mot , il fut le Roi , le Prêtre &
," le Pere de fa Patrie , & l'un des plus
puiffans & des plus illuftres Monar-
» ques qui eût encore fleuri fur le Trône
d'Angleterre.
+33
39
M. TARGE ne devine pas quel a été le
but de M. SMOLLET , en donnant cette
qualité de Prêtre , à HENRI II. à moins
qu'il ne le regarde comme un des premiers
Monarques Anglois qui ait voulu s'attribuer
la fuprématie : ce qui n'a cependant
aucun fondement .
Après fa mort , la Couronne paffa à
fon fils , RICHARD , coeur de Lion , qui
foutint durant tout fon régne la gloire de
fon père. L'Europe & l'Afe furent les témoins
de fon courage,& de fon habileté
DECEMBRE. 1760. 113
dans la guerre. Ses qualités brillantes ne
fçauroient cependant faire oublier fes défauts.
La plupart des événemens , fous
fon régne & fous les deux fuivans , de
JEAN SANS - TERRE & de HENRI III.font fi
étroitement liés avec les événemens des
régnes de PHILIPPE - AUGUSTE & de Louis
fon fils , que l'Hiftoire d'Angleterre dans
ce moment, fe confond , pour ainfi dire ,
avec celle de France. Je ne m'étendrai
pas davantage fur cet Ouvrage , qui méritoit
d'être traduit dans notre Langue.
L'accueil que le Public fait à cette Traduction
, doit encourager M. TARGE à
continuer fon travail , à l'enrichir de notes
auffi précifes , auffi profondes , auffi juftes,
auffi néceffaires que celles qu'il a mifes
dans les derniers Volumes qu'il vient de
mettre au jour.
AVIS de l'AUTEUR DU MONDE ,
comme il eft.
A u mois de Mars , de cette année , je
,commençai à publier un fecond Spectafous
le titre DU MONDE COMNE IL
EST. Le jugeant imparfait , comme le premier,
j'eus affez de vanité pour l'inter
teur ,
574 MERCURE DE FRANCE:
rompre à la fin du fecond Volume ; mais
j'efpérai de pouvoir le reprendre avec des
fecours puiffans , & néceflairement agréa
bles au Public. Ce projet va s'exécuter.
En m'affociant plufieurs des meilleurs Plumes
de la Nation dans bien des genres ,
je me fuis flatté de pouvoir offrir à cette
même Nation un Livre digne , tout à la
fois , de fa curiofité & de fon attention.
Cette ambition eft raisonnable : je conviens
cependant qu'elle ne peut être juſtifiée
que par le fuccès. Les hommes célébres
qui veulent bien m'honorer de leurs
fecours , fe font engagés folemnellement
à me les continuer; & fans m'expliquer
mieux , je crois pouvoir compter fur leur
exactitude & fur leur conftance.
Par refpect pour leur grande réputation
& pour eux- mêmes , j'aurois exécuté ce
projet fous un nouveau titre ; mais un refpect
encore plus indifpenfable , pour
beaucoup de Lecteurs dont le Libraire
avoit reçu l'abonnement , ne m'a pas
permis de faire céder le bien au mieux.
L'Ouvrage paroîtra déformais fous le
titre feulement Du MONDE : Il fe diftribuera
par cahiers de cent vingt pages ,
vingt- quatre fois par an : il en paroîtra
en conféquence un cahier le 15 & un le
dernier de chaque mois. Ces vinge- quaDECEMBRE.
1780. 117
tre cahiers formeront huit volumes. Le
premier paroîtra le 15 de Décembre.
Le prix de chaque cahier en détail fera
de vingt- quatre fols , qu'il faudra que les
perfonnes qui defireront l'ouvrage faffent
payer exactement chaque fois , lorſqu'on
le portera chez elles ; celles qui voudrone
éviter ce détail , pourront foufcrire pour
les vingt- quatre cahiers , & dans ce cas ,
elles les auront même à meilleur compte,
la foufcription étant fixée à
24 liv.
Les perfonnes de Province qui voudront
fe procurer cet Ouvrage par la
Pofte , auront l'attention de faire payer
d'avance au Burean , 30 livres pour les
mêmes vingt - quatre cahiers , qu'elles
recevront francs de port par tout le
Royaume exactement tous les quinze
jours.
Le Bureau de cette Collection eft chez
M. LERIS , dans la naifon de M. Rollin ,
Quai des Auguftins , près la rue Gît- le-
Coeur. Il faut faire affranchir les Lettres
& l'argent qu'on lui adreffera par la
Pofte , ainfi que les Lettres qu'on écrira
à l'Auteur relativement à fon Ouvrage.
On trouvera chez les Libraires , & au
même Bureau , les deux premiers volumes
DU MONDE COMME IL EST, moyennant
un écu le volume -broché. On pourra auffi
1
416 MERCURE DE FRANCE.
s'y procurer les huit volumes du Nouvean
Spectateur pour 24 liv. brochés, ou 28 liy
reliés.
TRAITÉ des Changes & des Arbitrages,
coù l'on donne 1 ° . une idée générale &
diftincte des Changes & Lettres de Change
, l'explication des termes du Commerce
qui y ont du rapport , les principes généraux
de la Jurifprudence , du Commer-
-ce des Lettres de Change , & les ufances
& jours de faveur.
2º. Les Monnoies & les prix courans
des Changes des Places de Commerce
fur le pied actuel .
3. Des régles générales , avec des
exemples pour chiffrer les Changes ; &
l'explication de la régle conjointe.
4. Un Traité du pair des Monnoies ,
avec la Méthode de le trouver ; & une
Table qui indique . à- peu- près , le rapport
actuel des différentes Monnoies de
l'Europe.
5. Un Traité des Arbitrages de Change
& de Marchandiſe, où l'on donne tous
Hes calculs concernant les Spéculations
- & les opérations , tant fur la Banque que
fur la Marchandise .
Enfin , le rapport des Poids & des Mefures.:
DECEMBRE. 1760.
Ouvrage dans lequel on s'eft attaché.
à l'ordre & à l'exactitude ; mis au jour
principalement en faveur de ceux qui
Le deftinent au Commerce , par Pierre
Senebier. Volume in - 4 °. A Genève , chez
Pierre Pellet , & fe vend chez l'Auteur .
J'apprends que les Banquiers & les Négocians
, en font beaucoup de caș .
LETTRE de M. GODEHEU,à M. DUPLEIX ;
Mémoire à confulter , & Confultation ;
Piéces juftificatives , & Extrait de quelques
Lettres de M. Godeḥeu , à M. Saundars.
in-4°. Paris , 1760. Chez Michel,
Lambert , rue & à côté de la Comédie
Françoife .
MÉMOIRE fur les différens accroiffemens
de la Ville de Paris , depuis Céfar
jufqu'à préfent , fuivi de Tables alphabétiques
des noms des rues & culs -de-facs,
avec leurs variantes , des Abbayes , Couvents
& Communautés d'Hommes & de
Filles , des Colléges , Paroiffes & c. avec
la date de leurs fondations : pour {ervir
d'intelligence au nouveau Plan de cette
Ville ; Publié par M.Robert de Vaugondy,
Géographe ordinaire du Roi , de S. M.
Polonoife , Duc de Lorraine & de Bar,
& de l'Académie Royale des Sciences &
Belles - Lettres de Nanci. in - 8 °, Paris ,
18 MERCURE DE FRANCE
1760. Chez l'Auteur , Quai de l'Horloge,
du Palais , près le Pont Neuf ; & chez
Antoine Boudet , Imprimeur du Roi , ruë
S.Jacques.Avec Approbation & Privilége
du Roi.
LETTRES à M. de *** , fur l'art d'écrire
, où l'on fait voir les divers inconvé
niens d'une Ecriture trop négligée ; &
où il eft traité de plufieurs objets relatifs
à cet Art. Par L. P. Vallain , Ecrivain
Juré-Expert. in- 16 . Paris , 1760. Chez
Aug. Mart, Lottin , Libraire , rue S. Jacques
, près S. Yves , au Coq : Avec Approbation
& Privilége.
NOUVELLE PROSODIE , ou Méthode courte
& facile pour apprendre les premiers
élémens de la quantité , & de la Poëfie
Latine , à l'ufage de la Jeuneffe , brochure
in-8° . Paris, 1760. Chez Paul- Denis Brocas
, rue S. Jacques , au Chef de S. Jean.
Prix , 16 f. relié.
TRAITÉ du maintien du corps , & de la
manière de ſe préfenter avec grâce , pour
l'inftruction de la Jeuneffe , par le fieur
Chevalier de Londeau , Maître de Danfe.
in- 12. Paris , 1760. Chez L'Esclapart
Libraire , Quai de Gefvres.
L'ECOSSOISE , Comédie , en cinq actes }
DECEMBRE . 1760. 119
traduite de l'Anglois , & mife enVers par
M. de la Grange : repréſentée pour la premiere
fois , par les Comédiens Italiens
ordinaires du Roi , le 20 Septembre 1760.
A Paris , chez Duchefne , Libraire , rue
S. Jacques , au Temple du goût . Avec
Approbation & Privilège. Le prix eft de
I liv. 10 f.
LE PETIT PHILOSOPHE , Comédie , en un
Acte , & en Vers libres , par M. Poinfines
Le jeune repréſenté , pour la premiere
fois , par les Comédiens Italiens ordinaires
du Roi , le 14 Juillet 1760. A
Paris , chez Prault petit- fils , quai des
Auguftins , la deuxième Boutique après la
rue Gît-le-Coeur , à l'Immortalité.
TITUS , Tragédie en s Actes , avec des
Obfervations fur la Poëfie Dramatique
adreffées à M. de Voltaire.
Nec tam mea fata premuntur ;
Ut nequeam relevare caput.
A Paris , 1760. Chez Ballard , Imprimeur
du Roi , rue S. Jean de Beauvais ,
à fainte Cécile. Avec Approbation &
Privilége.
120 MERCURE DE FRANCE
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
*
ACADÉMIES.
REMARQUES fur le mot TRUAND .
M. P. D. M. de la Société Littéraire
de Châlons- Sur- Marne , communiqua , if
y a plufieurs mois, à cette Société une differtation
fur l'origine du mot Truand .Après
avoir fini la lecture de fa Differtation ,
il avança de vive voix qu'il hafardoit l'explication
de deux vers Latins cités dans DU
CANGE à l'Article Trutanus, & qui lui paroiffoient
ajouter quelqu'éclairciffement à
fon avis , jufqu'à ce qu'il pût en lifant les
vers qui précédent & ceux qui fuivent
être plus fûr du fens de ces vers ; mais
ayant fait des recherches inutiles pour
découvrir l'Auteur dont parle du Cange ,
fous cette notice : Poëta M. infimi avi .
in Biblioth, Thuana , il ofe donner fon
fentiment fur ces vers feulement , comme
un éffai. Il eſt éffentiel avant de les rapporter
, de fe mettre au fait de la difcuffion
.
DECEMBRE. 1760. IZE
+
›
hion . M. P. D. M. donne à ce mot une
étymologie différente de toutes celles qui
lui ont été jufqu'ici données par nombre
d'Auteurs ; & il s'attache principalement
à détruire le fentiment de Ducange , qui
fait dériver ce mot de tributum , d'où les
vieux mots de tru , treu , treubs , trehus
truage , trevage & c . bien diftincts dans les
mêmes Auteurs des 12 & 13 fiécles , de
truhänd , truander , truanderie & fes autres
dérivés. Il prend de là occafion de
rejetter le fentiment de M. de Saintfoix
fur la rue de la grande Truanderie , qui ,
à la vérité, après de refpectables garants ,
penfe que cette rue étoit ainfi appellée à
caufe que des Fermiers y avoient des bureaux.
Ces Fermiers étant , fuivant eux ,
nommés Truands du mot tru , comme on
dit traittant de traites. Mais quand il feroit
vrai qu'anciennement truand feroit
dérivé de tru , il feroit toujours conftant
que le nom de cette rue auroit une autre
origine , parce qu'elle n'a été bâtie que
vers 1300 ; & pour lors, l'acception générale
de truand étoit pour défigner cette efpéce
de gens qui amufent le peuple pour
exciter à leur faire l'aumône . Ceci bien
établi , M. P. D. M. paffe à l'étymologie
plus ancienne. Il feroit trop long det
porter toutes les preuves & les autorités
F
rap122
MERCURE DE FRANCE
fur lesquelles il fe fonde, la plupart tirées
de Ducange, qu'il combat avec fes propres
armes. Il fuffira de dire , qu'il prouve que
truand vient de la langue Etrufque avec.
une terminaiſon Eſpagnolle, tru fignifiant
en cette premiere langue Arufpex , & du
mot and. de andar , verbe Espagnol qui
fignifie aller çà & la. On voit , par cette
dénomination honorable dans fon principe
, qu'on a voulu défigner ces prétendus
devins , ces difeurs de bonne avanture ,
ce qu'on appelle aujourd'hui des Bohémiens
; & depuis, figurément, on a compris
fous ce titre tous ceux qui ont paru entichés
des vices principaux de ces augures
vagabonds . De façon qu'on a dit truhand,
pour caractériſer foit un faux Prophéte (a)
ou un Impofteur ( b ) ou un Coquin ( c ) ,
( a ) Gaufridus Vofienfis , c. 68. De urbe pellitur
quafi Trudanus qui fuper Chrifti difcipulum
pridie miffam célébraverat ut Pontifex Maximus,
Ebrardus Bethunienfis contra Valdenſes , c. 25.
Novum genus Trutanorum qui locorum varietates
aliter videre non poterant , nifi fe fingerent
effe Chriftos.
( b ) Suivant Jean de la Porte , qui vouloit
faire dériver ce mot de Trudo . Eo quod verbis
fuis trudat ad hoc quod decipiat . Car, dit cetAuteur
, facit enim credi quod verum non eſt.
(c) Vit. S. Yvon. Maii , Tom. IV. pag. 545. Et
ex hoc d'étus juvenis dicebat verba opprobriofa
Divi Yvonis , vocando ipfum Coquinum , five
Truannum .
DECEMBRE. 1760. 123
ou un Mendiant ( d ) ou un pareffeux ( e ),
ou un gourmand (f) , ou un Bâteleur ( g)
&c. toutes qualités que ces Pronoftiqueurs
ambulans poffédoient au fuprême degré.
De là cette variété des différentes acceptions
fous lefquelles ce mot eft pris ; &
comme ces fortes de gens , pour féduire
le Peuple & l'engager à entendre leurs
fourberies , s'affembloient dans les Places
publiques , on a donc pû les confondre
avec les Baladins ( h ) , les Hiftrions
( d) Roman de Garin.
Entre les Povres , fut ly Truans affis .
Diction. Celt.
Un Gueux , un Miſérable , un Mendiant.
( e ) Ugutio. Hac appellatione donantur vulgo
ignavi illi qui per provincias vagantur paffim ac
mendaciis & ftrophis omnibus illudunt.
(f) Carol. Bovin . Hi autem quos vulgus vocat
Truans , amatores funt culinæ & liguritores culinarum.
De là ceux qui prenoient le mot dans
cette acception, vouloient le faire dériver de Trua.
(g) Bollandus. Vitâ S. Columba Reatina.
Maii com. V. pag. 328. Cum tamen affines , confanguinei
mugitiis Trutatinicifque verbis , unà
cum procacibus mimis , eam fæpius retunderent.
( h ) Diction. Espagnol , in-fol. 1726. Truhand ,
el que con acciones y palabras placenteras y burlefcas
, entiende en divertir , y caufar rifas en los
circunftantes. Truand , celui qui par des actions
& des paroles plaifantes & burlefques, ſe propoſe
de divertir & faire rire les affiftans .
Fij
F24 MERCURE DE FRANCE:
(i) , les Boufons. Ce mot même d'Hiftrion a
beaucoup d'analogie avec truand; ils viennent
l'un & l'autre de la même langue ,
& les fonctions ont quelque rapport ; &
comme on voit par la Note h , c'eft fous
cet afpect que ce mot eft employé en Efpagnol.
Ce qui me paroît très - concluant , dit
M. P. D. M. pour prouver cette étymologie
de truand , c'eft que Ducange , ce
fameux Gloffateur , quoiqu'il ne foit pas
de notre avis , en donne la preuve non
équivoque à l'Article trotanus , voici fes
termes .
Trotanus is qui trutanus , erro , hariolus,
mendax ; fed quifquis fuit ille propheta
feu trotanus qui hoc promulgavit videat fi
in futuro aliquá expeditione implendum
expectetur.
Trotanus eft donc le même que truta-
& l'un & l'autre expriment donc
également propheta , hariolus . Or il eft
conftant que ces mots font fynonymes
Arufpex. Calepin au mot Harufpica, Divinatrix,
rapporte un paffage de Plaute, qui
( i ) Liv . & Valer. Ifter Ludio , onis . Açciti ab
Etruriâ Ludiones , qui ad tibicinis modum faltabant.
Calep . dict . Hifter. Etrufcorum linguâ dicebatur
Ludio. Livius , liv. 7. ab urbe.
DECEMBRE. 1760. 125.
concourt à prouver l'intime rapport qui .
fe trouve entre Trotanus Trutanus
Propheta , Hariolus , Harufpex , & mê-.
me avec Hiftrio. Da quod dem quinquatribus
Percantatrici , Collectrici , Hariole
arque Harufpica. Cic. Lib . de Divin . Nec
eos qui queftus caufa hariolantur , agnofco.
Hariolus a auffi une origine Etrufque
, ab hara , comme qui diroit homme
confacré au fervice des Autels .
Qui pourra douter, d'après ces rapports,
que Truand ne vienne de la Langue
Etrufque ? Nous avons plus de mots qu'on
ne penfe, que nous devons à cette Langue.
Comme ces gens , pour attirer la confiance
du Peuple, feignoient d'avoir commerce
avec de prétendus génies , même
les Démons , ils furent en exécration aux
Miniftres de l'Evangile . Auffi voit- on des
ordonnances d'Evêques , par lefquelles ils
font exclus avec menaces des faintes Affemblées.
(k) Exite , exite , per Sanguinem
Dei , Trutanica familia , vos morie
mini in hac domo . Et ces Evêques engageant
les Fidéles à faire l'aumône en
excluoient les Truans. ( 1 ) Præcipimus
ut femper pauperes magis indigentes , &
( k ) In Tabulas , Epifcopat . Ambian. fol. 179.
( 1 ) Ordinatio Humberti II . Delphini , ann
340. tom. 2. mot Delphin. p . 406. col. 1 .
Fiij
726 MERCURE DE FRANCE:
minime Trutanil & Baraterii , ad ipfam
elemofinam admittantur. Quoi de plus fort
pour prouver cette origine que la liaiſon
de ces deux mots , ce dernier fignifiant
en langue Etrufque Sacerdotes ? Et ce qui
met auffi la chofe dans un plus grand
jour , eft la dénomination de ces Peuples ,
ainfi appellés à caufe de la réputation
qu'ils s'étoient acquife dans l'art des Augures.
Ils furent auffi nommés Thufci ;
ou Tufci , à caufe de leurs Rits dans les
Sacrifices. Je paffe beaucoup d'autres raifons
apportées par M. P. D. M. pour
établir fon fentiment. Tout ce préambule
étoit néceffaire pour mettre au faie
de l'explication propofée. Voici les vers :
Dat Trutanus in ir , paterem tenet , & fedet ad
Pyr ,
Regem Cappadocum computat effe cocum (m).
M. P. D. M. croit y appercevoir la
peinture du Truand dans fon origine ; &
voici le fens qu'il y donne :
Dat Trutanus in ir :
Le métier du Truand eft de courir cà
& là . Ir , du verbe ire , ou de l'Eſpagnol
ir ( n à l'infinitif , qui veut dire la même
choſe.
(m ) Gloff. Ducange , Cocus formula , Barban
fcripta , idem eft ac Coquus.
(n) Diction. Eſpagnol. Ir , hacer el movimien
DECEMBRE. 1760 . 127
Paterem (o ) tenet"
Il tient une coupe. Ce qui fait parfaitement
allufion aux Harufpices & à la,
Religion des Etrufques ; Dii Etrufci pateras
tenent. En effet , les Dieux & les
Sacrificateurs Etrufques , font repréfentés
partout avec ce vafe.
Er fedet ad Pir , ou Pyr. (p)
& eit affis auprès du feu , les pieds au
feu.
Les Dieux Etrufques & les Augures
font en même temps ,dans tous les monumens
qui nous reftent de ces Peuples, affis
les pieds au feu.
Et comme ces fortes de Devins parcou
roient le monde,fans follicitude , qui devoit
pourvoir à leur cuifine;mais comptant feulement
fur la crédulité des Peuples pour
fournir à leur fubfiftance , ils pouvoient
regarder les Peuples, même les Rois , comme
leurs cuifiniers ; & l'Auteur fait dire
au Truand :
to con que le paffa del lugar donde ſe eſta à otro,
Lo mifimo que andar.
( 0 ) Calep. Diction. Patera , poculi genus latum.
Virg, Eneid.
Impiger haufit fpumantem pateram ac plenofe
proluit auro.
(p) Pyr , ( ùg ). Latine ignis.
Fiv
728 MERCURE DE FRANCE.
Regem Cappadocum computat effe Coquum.
Il regarde le Roi de Cappadoce , comme
un de fes Cuifiniers .
Ou fi l'on prend le mot de paterem
dans fon étroite fignification , & qu'alors .
le Truand foit fuppofé buvant amplement
auprès du feu , on peut lui faire dire : Je
crois que toute la terre eft à moi.
M. P. D. M. fouhaiteroit que l'on pût
lui apprendre , par la voie de ce Journal ,
quel pourroit être l'Auteur de ces Vers ,
ou fi quelqu'un a une interprétation plus
fatisfaifante .
EXTRAIT des Mémoires lus à la Séance
publique de l'ACADEMIE ROYALE
DE CHIRURGIE , le Jeudi 17 Avril
1760.
I.
Sur une Exoftofe à la machoire inférieure.
L'EXOSTOSE EXOSTOSE et une tumeur contre nature
, formée par le gonflement d'un os.
Cette maladie eft fufceptible de fe ter
miner par fuppuration ; ce que M. Bordenave
a vu à la machoire inférieure .
L'obfervation qu'il en donne , eſt le ſujet
DECEMBRE. 1760. 129
principal du Mémoire dont il a fait la
lecture. il y traite de la Nature & des
caufes les plus ordinaires des Exoftofes
, en adoptant les principes reçus fur
cette matière ; & il propofe le moyen le
plus fimple de remédier au vice local ,
dans l'efpéce particulière dont il s'agit.
Un engorgement des vaiffeaux , dans
le tiffu fpongieux qui eft entre les deux
lames de l'os maxillaire inférieur , les
avoit écartées à un jeune homme de 15
ans. Les progrès de la tumeur furent
affez lents , le Malade la portoit depuis
plufieurs années. Les mouvemens de la
machoire devinrent moins libres , lorf
que l'action des muſcles fut gênée par
l'accroiffement du volume de l'os ; les
battemens intérieurs & la fenfation douloureufe
firent connoître qu'il fe faifoit
une fuppuration dans le centre. L'ufage
intérieur des fondans & des fudorifiques
n'ayant point foulagé le malade , il chercha
dans la médecine efficace les fecours
utiles qu'il ne pouvoit plus efpérer des
remédes ; il crut que la Chirurgie lui of
friroit quelques reffources , & il ne fut
pas trompé dans fon attente. M. Borde-
Rave , confulté au mois de Février 1759 ,
trouva que la tumeur s'étendoit du côte
droit , depuis l'angle de la machoirejuf-
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
qu'à la fymphife du menton; qu'elle avoit
extérieurement le volume d'un gros oeuf
allongé & applati ; & qu'elle failoit une
pareille faillie en dedans . Les gencives
& les dents paroiffoient faines ; la conformation
viciée de l'os maxillaire faifoit
incliner les dents du côté de la langue .
D'après quelques foupçons , fur le vice
fcrophuleux , M. B. propofa l'adminiftration
des grands remèdes , dans l'idée que
les feceurs locaux auroient bien plus de
fuccès , fi l'on avoit préalablement combattu
le vice du fang. Cet avis fut approuvé
dans une Confultation ; & il y
fut déterminé en outre , que pour reconnoître
la nature de la maladie on feroit
l'extraction d'une ou de deux dents. La
feconde molaire fut arrachée , pendant
qu'on préparoit le malade aux remédes
dont on étoit convenu. Les racines de
cette dent commençoient à s'altérer ; on
pénétra par le fonds de l'alvéole dans la
cavité de l'os , d'où il fortit une fanie trèsfétide.
L'extraction d'une dent voifine
établit une plus ample communication ,
par laquelle on put injecter des liqueurs
convenables dans la cavité de la tumeur.
On eut bientôt corrigé la mauvaiſe odeur
de la matière que les injections entraînoient
à chaque panfement ; une portion
DECEMBRE . 1760. 131
affez confidérable de l'alvéole s'éxfolia ,
ce qui donna beaucoup de facilité pour
panfer l'intérieur. Il étoit rempli d'une
fubftance carniforme ; la cavité s'étendoit
en devant jufques fous la dent canine ; ce
qui fit prendre la réfolution de tirer la
premiere dent molaire , & l'on brifa le
fonds de fon alvéole. Par cette opération
, la maladie fut à découvert à peu
près dans toute fon étendue ; les panfemens
devinrent plus libres ; les chairs détergées
devinrent fermes , vermeilles ,
femblables à celles des gencives , & continues
avec elles ; la fuppuration diminua
peu- à - peu , après les frictions mercurielles
fuivies de l'ufage de la ptifane des
bois. La tumeur s'eft un peu affaiffée extérieurement
, & le malade fut guéri en
quatre mois de l'abfcès dans le corps de
l'os; mais il lui refte une cavité entre les
lames de l'os maxillaire ; il la rince rous
les jours , en l'injectant avec de l'eau ; il
la remplit enfuite de bourdonnets fecs ,
roulés dans de la colophone en poudre
fans cette précaution , il fentiroit l'incon
vénient d'un réfonnement , par lequel le
fon de fa voix feroit changé , & des parties
d'alimens rempliroient ce vuide. La
charpie a paru préférable à un obcurateur
que M. Bordenave avoit fait faire ;
T
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
mais qu'il jugea à propos de fupprimer ,
parce qu'il s'oppofoit au rapprochement
des parois offeufes. L'Auteur tire de ce
fait les conféquences qui en réfultent naturellement
, & qui font l'apologie de la
conduite qu'il a tenue dans le traitement
de cette maladie. L'extraction des dents
& la deftruction des alvéoles , font préférables
à la perforation latérale de l'os
que M. Runge a pratiquée dans un cas où
il n'y avoit point de carie aux dents : on
peut voir la Differtation de cet Auteur
dans le premier volume des Thèſes choifies
de Chirurgie par M.Haller. M. Runge
n'a pas héfité de faire ôter les dents dans
un autre cas où elles étoient altérées par
la carie ; & c'eft cette méthode que M.
Bordenave recommande , lors même qu'il
n'y aura aucun vice apparent aux dents,
I I.
NOUVELLES remarques fur les Fiftules
falivaires.
L'Académie de Chirurgie , en propofant
pour le Prix de cette année la méthode
de traiter les Fiftules dans les différentes
parties du corps , avoit formellement dif
penfe les concurrens de parler des Fiſtules
qui font l'objet de ce Mémoire . M. Louis,
qui a contribué aux motifs de cette exDECEMBRE.
1760. 133
ception , fe crut obligé de fuppléer à ce
qui lui a paru manquer encore à la doctrine
reçue fur ce point de Chirurgie , en
publiant une cure importante qu'il a faite
depuis l'impreffion des Mémoires qu'il a
donnés fur les Fiftules Salivaires , dans le
troifiéme Tome de l'Académie.
Les Anciens , tout habiles & expérimentés
qu'ils étoient , femblent avoir
ignoré l'existence des Fiftules Salivaires.
Il n'y a que deux Praticiens qui paroiffent
les avoir obfervées , avant l'année 1660 ,
époque de la découverte du canal excréteur
de la glande parotide , par Stenon.
Ces deux hommes , nés pour le bien de
l'humanité , n'ont pû donner à leurs obfervations
, le prix qu'elles auroient eu ,
s'ils avoient été plus inftruits du méchanifme
de la Nature dans l'afage des parties
léfées. Ambroife Paré avoit remarqué
à la fuite des plaies à la joue , des Fiftules
avec écoulement de falive : Fabrice d'Aquapendente
obferva la même maladie ,fans
Je former aucune idée fur fon caractére :
il en fait l'aveu le plus pofitif. La fource de
cette eau limpide quals voyoient coulèr
abondamment par un trou fiftuleux , leur
étoit entiérement inconnue : ils appercurent
bien qu'elle fortoit principalement
lorfque les malades parloient ou mad-
1
134 MERCURE DE FRANCE.
1
geoient ; la quantité de cette liqueur , exprimée
par les mouvemens de la machoire
inférieure, étoit pour eux un phénomène
inexplicable . Mais une chofe digne de remarque
dans ce défaut abfolu des connoiffances
primitives fur le fiège & fur
la nature du mal , c'eft que ces mêmes
hommes qui étoient fi peu inftruits , ont
traité cette maladie avec le plus grand
fuccès ; & que des Praticiens , depuis eux ,
avec les idées les plus précifes du mal ,
ont échoué dans l'application des mêmes
fecours qui avoient fi bien réuffi , fous la
direction des anciens Maîtres. Je fçais ,
dit M. Louis , tout ce qu'on peut dire
contre leur pratique ; elle ne nous a point
éclairé ; ce n'étoit , fi l'on veut , qu'un
pur empyrifme ; malgré cela , ils ont
guéri leurs malades ; ils ont indiqué les
moyens fimples dont ils fe font fervi efficacement
, & nous voyons que des Chirurgiens
plus modernes , guidés par les
lumières de l'anatomie , ont adminiftré
ces mêmes moyens fans fuccès dans des
circonftances exactement femblables .
•
Les Fiftules falivaires font bien cara-
&térifées dans la mention qu'Ambroife
Paré en a faite. Il les a guéries en cautérifant
le fonds de l'ulcère avec de l'eau
forte , & en y appliquant quelquefois de
DECEMBRE. 1760. 135
la poudre de vitriol calciné. Munniks a
obtenu la guérifon d'une fiftule falivaire
par l'application d'un cauftique fait avec
le précipité rouge & l'efprit de vitriol.
Fabrice d'Aquapendente en Italie , &
Roonhuis en Hollande , ont réuffi à confolider
l'ulcère fiftuleux qui laiffoit couler
involontairement la falive fur la joue
en le traitant avec des défficatifs : voilà
des faits auxquels on ne peut rien oppafer.
Des tentatives plus récentes n'ont
pas eu le même fuccès. M. de Roy à Paris,
& M. Monro à Edimbourg , ont perdu
leurs foins à fe fervir , dans des cas toutà
- fait pareils , des cauftiques & des plus
puiffans défficatifs. M. Louis a penſe
qu'on auroit travaillé utilement , fi l'on
parvenoit à concilier des obfervations
contradictoires , qui faute d'être méditées
& approfondies , ne peuvent que laiffer
des doutes, dont l'inconvénient , dit-il , eft
de couvrir la théorie de leur obfcurité ,
& de rendre la pratique auffi peu fûre
dans fes opérations , qu'infidelle dans fes
éffets. Frappé de cette oppofition , entre
l'expérience ancienne & moderne, il avoit
éffayé dans un premier Mémoire fur cette
matière, d'applanir les difficultés qui naiffent
des faits contraires , en diſtinguant
lé fiége particulier que chaque maladie
136 MERCURE DE FRANCE.
avoit occupé. Les Auteurs cités n'ont dé
crit exactement que les fymptômes du
mal ; & l'expérience attentive & raiſonnée
, montre que la glande parotide ulcérée
, danne lieu à un écoulement de
falive , de même que l'ulcération de fon
canal excréteur. M. Louis avoit inféré
avec beaucoup de vraisemblance , des
expreffions bien méditées de Paré & d'Aquapendente
, que les fiftules qu'ils ont
traitées étoient à la glande parotide , &
il en avoit conclu que des Chirurgiens
modernes n'avoient manqué de réuffir ,
en ufant des mêmes moyens , que parce
qu'ils avoient donné leurs foins à des
fiftules au canal falivaire.M . Louis revient
contre cette conféquence : toute probable
qu'elle ait parue , elle n'a pas , dit -il,
le mérite de la vérité , qui doit être le but
de tous nos travaux .
L'Auteur rappelle ici les différentes
opérations qu'on a imaginées pour guérir
da fiftule du canal falivaire , & ce qu'il a
dit ailleurs de leur infidélité bien prouvée
, malgré les cures qu'on a faites en
les pratiquant le feton , compofé de
quelques brins de foie , paffés en forme
de méche dans la continuité du canal, rérablit
la route naturelle de la falive fans
douleur ; & ce moyen auffi fûr qu'il eft
DECEMBRE. 1760.. 137
fimple avoit été fubftitué aux opérations
douloureufes par lefquelles on fe propofoit
d'ouvrir une nouvelle route à la
falive . M. Louis rapporte une obfervation
nouvelle & très-inftructive , qui fournit
l'exemple fingulier de la cure d'une Fif
tulle très- invétérée au canal falivaire ,
laquelle , après avoir réſiſté à différentes
opérations prefcrites par les Maîtres de
la plus grande réputation , & depuis jugée
incurable , a été guérie par fes foins de la
manière la plus fimple , & pour ainfi
dire , contre fon attente , eu égard au
moyen qui a fuffi pour opérer la cure
radicale.
"
Un enfant de trois ans fut bleffé à la
joue droite par un boeuf qui lui donna un
coup de corne ; la playe refta fiftuleuſe ,
avec écoulement de falive . En 17459
l'enfant , âgé de Sans , parut fufceptible
de l'opération qu'on avoit projettée pour
la guérifon de la fiftule : une grande incifion
qui permettoit de porter
librement
le doigt dans la bouche par la joue , &
qu'on réunit à l'extérieur par des points
de future , fe cicatrifa en dedans naturellement
& laiffa un trou fiftuleux au dehors
comme auparavant. Il furvint même
pendant la cure, des abfcès qui obligérent
à faire des incifions. Quelque temps après
138 MERCURE DE FRANCE.
on tenta une nouvelle opération avec la
précaution d'entretenir par une méche de
fil l'ouverture au dedans de la bouche :
cette tentative fut encore infructueuse ,
parce qu'il fe fit un abfcès dont la matiére
purulente fe fit jour d'elle -même , en
rompant la cicatrice qui s'étoit formée.
après l'incifion d'un premier dépôt , à la
fuite de l'opération précédente. La maladie
étant abfolument dans le même étar
qu'avant toutes ces opérations , la falive
fe perdoit en grande partie fur la joue ,
dans tous les mouvemens de la machoire
inférieure & des lévres : les parens confultérent
les plus habiles Chirurgiens ; aur
détail de tout ce qui s'étoit paffé juſqu'a
fors, on joignit le profil du malade, qu'on
fit deffiner avec foin , pour repréfenter
d'après nature la joue dans fes véritables
proportions , montrer l'étendue & la dif
pofition des cicatrices , & marquer exactement
le lieu de la Fiftule , afin que les
confultans puffent porter avec plus de
certitude un jugement décifif , fur un cas
qui étoit purement accidentel. Tous s'accordérent
à dire , qu'ils ne croyoient pas
qu'on dût rien entreprendre pour la gué
rifon de cette maladie.
Treize ans après cette décifion , & la
Fiftule étant toujours au même étar , le
DECEMBRE. 1760:
jeune homme , âgé d'environ 22 ans , fut
envoyé à Paris en 1759. M. Louis paffa
la pierre infernale une feule fois fur l'orifice
de la Fiftule ; & elle a été guérie radicalement.
Les bornes d'un Extrait ne
permettent pas de rapporter toutes les précautions
qu'il a prifes pour affurer l'exficcation
de la petite efcarre, & qui lui font dire
qu'il faut de la fagacité & du difcernement
pour réuffir par principes , dans les
plus petites chofes. La Raifon , ajoute- t - il ,
eft la lumière de l'efprit , & fans elle , on
eft fouvent mal habile avec beaucoup de
deftérité.
Le fuccès de cette cure exigeoit de l'Auteur
la folution du problême qu'il avoit
propofé , & qui confifte à faire connoître
pourquoi les moyens qui ont été fi utiles
entre les mains des Anciens , ont été inéfficaces
lorfque d'autres les ont adminiftrés
dans la même maladie , & pofitivement
dans les mêmes circonftances.
On a employé plufieurs fois le cauftique
fans effet dans le traitement des Fif
tules du canal falivaire ; c'eft un fait bien
avéré.L'expérience ſembloit donc défavorable
à l'ufage des remédes qui ont cette
vertu . Il paroiffoit d'ailleurs fort facile de
rendre raifon de ces mauvais fuccès. Le
cauftique pouvoit être regardé comme un
40 MERCURE DE FRANCE
moyen qui aggrandit l'ulcère fiftuleux , & .
qui par conféquent ne pouvoit guéres
être propre à mettre obſtacle au paſſage
de l'humeur , dont l'écoulement habituel
eft la caufe permanente & néceffaire de
la Fiſtule. Voilà un raiſonnement fimple ,
naturel , & qui eft appuyé fur plufieurs
faits de pratique. Il faut concilier ces faits
avec d'autres obfervations qui font un témoignage
avantageux du bon effet des
Cautiques. Les procédés curatifs feront
arbitraires , & les efpérances de guérifon
tout- à - fait , dépendantes du haſard ,
fi l'on ne réfout ces difficultés. L'Art ne
reftera pas couvert de ces incertitudes
, fi l'on connoît la nature des médicamens
, & qu'on fçache les adminiftrer
avec intelligence , en jugeant de leurs
diverfes manières d'agir , relativement au
cas où on les applique . Dans la queſtion
préfente , il eft certain , dit M. Louis ,
que des confomptifs putréfians , ou qui
feroient une trop grande ouverture ; ne
peuvent contribuer à la confolidation de
la Fiftule : mais des cauftiques déſſéchans,
mis avec la plus grande circonfpection
,
& dont l'action fera bornée à l'orifice de
la Fiftule , y produiront une eſcarre folide
, qui fera corps avec la peau , & leur
effet primitif fera la parfaite obturation
DECEMBRE. 1760 . 14T
de la Fiftule. Si l'on a enfuite l'attention
de déflécher conftamment cetre efcarre ,
& qu'on ne fe livre pas à la routine qui
a confacré en quelque forte les remédes
pourriffans pour faire tomber les efcarres
par la fuppuration , en relâchant leur tiffu ,
on la verra toujours auffi folide fe féparer
par defquammation ; elle tombera comme
une croute , & la partie dont elle fe
fera détachée , fe trouvera folidement cicatrifée
, ou très -difpofée à l'être promptement
par l'application du moindre déficatif.
Ces principes ramènent fous un même
Point de vue les faits oppofés pour & contre
l'ufage des cauftiques & des défficatifs
dans le traitement des Fiftules du canal falivaire
Faute de réflexions on a abandonné
des moyens fimples pour des opérations
douloureufes & fouvent inutiles. Enfin , ce
qui femble mettre le fceau de la vérité à
toute la doctrine que M. Louis a établie
dans cette difcuffion , c'eſt qu'il a guéri
une Fiſtule du canal falivaire , qui fubfif.
toit depuis dix-neuf ans , en la touchant
une feule fois avec la pierre infernale.
» C'eſt , dit- il , un argument fans repli-
» que , qui exigeoit le facrifice public ,
» que je fais avec plaifir , des idées diffé-
» rentes que j'avois eues fur cet objet , &
و د
42 MERCURE DE FRANCE.
qui avoient mérité l'approbation des
» Connoiffeurs.
53
La fuite au Mercure prochain.
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
LETTRE au sujet des Embelliſſemens
faits dans l'Eglife de S. RocH , avec
la Defcription de ces nouveaux Ouvrages.
Αν
la
u moment de votre départ pour
Province , je vous promis , Monfieur , de
vous communiquer les nouveautés qui
occupent fi fouvent la Capitale .Il s'en préfente
une qui mérite toute votre curiofité .
Zélé comme vous l'êtes pour la décoration
des Temples, & amateur éclairé des Arts,
vous me fçaurez gré de vous annoncer les
embelliffemens de l'Eglife de S. Roch.On
ne doit les découvrir au Public que le 4
du mois prochain , mais je me hâte de
vous envoyer la defcription qu'on en a
préparée. Vous jugerez aisément qu'elle
DECEMBRE. 1760. 143
1
n'eft pas fortie de ma plume , vous devinerez
même qu'elle a pour Auteur un
de nos amis communs, dont vous connoiffez
le génie , le goût & l'excellente maniére
de préfenter les objets des Arts . Je
ne doute pas que ce Morceau ne vous intéreffe
très- particulièrement. L'Auteur y
a répandu quelques notes hiftoriques qui
ne déparent point l'ouvrage : celles qui
font à la fin ont paru néceffaires , & je
crois que vous les approuverez comme
tous les détails de la Defcription . Je n'ajoute
ici qu'un mot : c'eft qu'en confidérant
aujourd'hui l'Eglife de S. Roch avec
tous fes ornemens , on a peine à la diftinguer
de ce qu'elle étoit auparavant.
J'entrerois , Monfieur , dans des détails ,
fi je ne craignois de fufpendre trop longtemps
le plaifir que doit vous caufer la
belle relation qui accompagne ma lettre.
Je fuis &c. D. B.
i LES DÉCORATIONS DE S. ROCH .
L'Eglife Paroiffiale de S. Roch , majeftueufe
par fa conftruction & riche par
fon Architecture , n'avoit dans fes principales
Chapelles qu'une décoration comme
empruntée , qui répondoit trop imparfaitement
à la magnificence de l'Edifice
.
144 MERCURE DE FRANCE.
t
En 1752 , un Paſteur zélé ( a ) , qui allie
conftamment les devoirs de fon miniftère
aux louables attentions d'embellir
le Temple confié à fes foins , forma le
projet d'orner la Chapelle de la Vierge
d'un Monument convenable qui fixật
l'attention & ranimât la piété des Fidéles.
Le Sujet de l'Annonciation , lui parut .
propre à remplir fes vues. Il penfa que
la repréſentation en Sculpture de cet
événement qui n'exige que deux Figures
placées à quelque diftance l'une
de l'autre , fourniroit les moyens à un
Artifte intelligent de ménager le percé
qui dévoile d'un feul coup d'oeil l'Autel
du Choeur , celui de la Vierge , celui de la
Communion & celui du Calvaire . Mais
ce motif qui ne concerne prèfque que
l'intérêt des Arts & d'un faint Spectacle ,
ne vint qu'à l'appui de l'idée heureuſe de
réunir dans un même point de vue les
plus grands Myſtères de notre Religion ,
l'Incarnation & la Mort du Sauveur :
penſée refpectable , bien digne de la piété
de celui qui la conçut !
(a ) M. l'Abbé Marduel , Docteur de Sorbonne
, Curé de Saint Roch en 1749. Ce n'est que
des Décorations ajoûtées depuis lors , dans l'intérreur
de l'Eglife , qu'on rend compte au Public.
Ce
DECEMBRE. 1760. 145
"
Ce projet de Décoration propofé par
la voie du Concours fut adjugé en 1753
à M. Falconnet ( b ) . Le Public , à l'admiration
de qui les nouvelles Décorations
de S. Roch feront exposées le 4 du
courant , jugera que l'Auteur a parfaitement
rempli l'idée avantageufe que fa
réputation donne de fes talens.
par
L'Embelliffement de la Chapelle de la
Vierge eft fon morceau le plus confidérable.
On y voit la Vierge à genoux, modeftement
inclinée devant l'Ange . Elle
défigne , par l'expreffion de fon vifage ,
le mouvement de ſes bras , par toute
fon attitude , ce qui fe palla dans fon âme
au moment que l'Envoyé célefte fe préfenta
à fes regards , & qu'elle lui répondit
: Ecce ancilla Domini. L'humilité , la
candeur , la nobleffe font affociées dans
cette figure ( e ) à l'élégance , à la dignité
, & au beau caractère qui lui conviennent.
L'Ange Annonciateur paroît vis-à-vis .
(b ) Sculpteur Ordinaire du Roi & adjoint à
Profeffeur de l'Académie Royale de Peinture &
Sculpture.
(c) Elle eft de ronde boffe , ainfi que celles ·
dont on parlera ci-après. La Vierge , l'Ange &
les nuées qui les grouppent font de marbre.
Les deux Figures ont huit pieds & demi de proportion.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
On croit l'entendre prononcer les paroles
de la Salutation Angélique. Il montre la
Gloire d'où il defcend . Son action hardie
& aifée , fon enfemble fouple & fvelte ,
la légèreté de fes aîles & de fes vêtemens
ne laiffent rien appercevoir du poids de
la matiére dont il eft compofé. Une même
chaîne de nuée le groupe avec la Gloire
& avec la Vierge.
+
Entre les deux pilaftres , qui décorent
l'arcade , où fe paffe la fcène mystérieuſe ,
font placés les deux Prophètes (d) qui ont
plus fpécialement annoncé l'Incarnation
du Verbe.
Le Prophéte Roi eft ailément reconnu
à fes vêtemens , ajuſtés fuivant le Costume
des Orientaux & à fes attributs caractériftiques
, appuyé fur fa harpe , il retrace
l'enthoufiafme dont il fut doué , & rappelle
, par l'infcription pittorefquement
jettée à fes pieds , la promeffe qui lui avoit
été faite par l'Eternel : Juravi Davidfervo
meo.
Ifaïe eft repréfenté fous des habillemens
auftéres , drappé dans le grand ſtyle.
Il paroît occupé des chofes divines , tient
d'une main la table où eft écrite fa Prophétie
: Ecce Virgo concipiet, & de l'autre,
( d ) David & Ifaïe. Ces Statues fontée plomb
bronzé &de huit pieds de proportion. འའ
DECEMBRE. 1760. 147
montre au peuple l'événement que l'Eſprit
Saint lui fait annoncer.
Ces deux figures de caractére entrent
dans cette compofition comme la preuve
du Mystère. Les prérogatives de prophétie
dont David & Ifaïe étoient favorifés
leur rendoient préfent ce qui ne devoit
- arriver que longtemps après eux. C'eſt
dans cet efprit qu'on a cru pouvoir affocier
les Prophéties avec la repréſentation
du Mystère qu'ils ont prédit .
Au milieu du fecond Ordre d'architec-
& perpendiculairement à l'arcade
où paroît l'Annonciation , eft placée une
Gloire célefte . Ces rayons mêlés de
nuées & de Chérubins s'étendent fort audeffus
de la dernière corniche , environ
trente pieds par les côtés , & juſqu'aux
deux tiers de l'arcade . Ils prennent leur
origine dans un tranfparent lumineux qui
fait illufion. Cette Gloire eft d'une grandeur
dont on n'a pas encore vu d'exemple
dans ce pays , Elle a cinquante pieds
fur trente. Quel efpace affez vafte pourroit
donner une jufte idée de l'immenfité
de la Gloire divine ? Les rapports & les
contraftes judicieufement ménagés de
toutes les parties qui compofent l'embelliffement
de cette Chapelle , & qui tendent
à une même fin , en font une des
Gij
148 MERCURE DE FRANCE
plus brillantes Décorations que la Sculp
ture puiffe metrre au jour.
L'Autel eft de marbre blanc veiné. Sa
forme d'un quarré oblong , fimple , mais
noble , eft convenablement afforti au fujet
. Les moulures , l'Etoile rayonnée ;
qui décore le panneau du milieu , les rofes
, dont ceux des côtés font ornés , font
de bronze doré. On y monte par cinq
marches. Son élévation le met à portée
d'être apperçu de très- loin. Les arrièrescorps
, qui lui font contigus , lui don
ment affez de largeur pour remplir l'ou
verture de l'arcade .
Le Tabernacle en eft ingénieuſement
pratiqué dans l'épaiffeur de la portion
de nuages qui defcend du haut de la
Gloire jufques fur l'Autel.Cette invention
fingulière fauve l'inconvénient des petites
parties que les acceffoires d'un Tabernacle
ordinaire auroient introduit parmi
les grands objets dont cette décoration
eft composée.
Une balustrade de marbre , pareil à celui
de l'Autel , avec des portes aux deux
côtés faites de même matiére , enferme
le Sanctuaire , & fert de table pour la
Communion .
Des torches en façon de chandeliers à
bras , dont les branches font formées de
DECEMBRE. 1760. 149-
trois lys qui fortent des volutes d'un cartel
agraffè fur la bafe de deux pilaftres ,
tiennent lieu des chandeliers qu'on eft
communément en ufage de placer fur les
gradins de l'Autel. Cet ornement. eft de
bronze doré .
Tout le Sanctuaire eft revêtu de marbre
blanc veiné , à la hauteur de fept
pieds. Telle eft la hauteur des bafes de
tous les piliers de l'Eglife , celle des gradins
de l'Autel & celle des piédeſtaux des
Statues , repréſentans David & Ifaïe . Ces
piédeftaux font revêtus du même marbre
que le Sanctuaire & ornés d'une guirlande
de chêne en bronze .
La décoration de la Chapelle de la
Vierge eft couronnée par un magnifique
Plafond de M. Pierre. ( e ) Cette brillante
production qui fut expoſée au Public le
2 Octobre 1756 , repréſente l'Affomption
de laVierge ; elle offre tout ce que la Religion
fournit de plus intéreffant dans ce
fujet , & ce que l'art de la Peinture étale
de plus féduifant dans la Science des Plafonds.
Nous renvoyons le Lecteur à l'exacte
& judicieufe defcription que les
( e ) Peintre ordinaire du Foi , premier Peintre
de Mgr le Duc d'Orléans , & Profeffeur de
T'Académie Royale.
G iij
Fro MERCURE DE FRANCE.
Nouvelles Littéraires ont faite de ce
beau Poëme pittorefque. (f)
Le même Auteur a peint la coupole
qui décore la Chapelle de la Communion.
Cet Ouvrage dans lequel brille
une heureuſe facilité , retrace le Triom--
phe de la Religion . Le marbre & les dorures
brillent de toutes parts dans cette
Chapelle. L'Autel eft enrichi de Chérubins
& de deux Anges adorateurs , de
grandeur naturelle. Tous les ornemens
font de feu M. Paul Slodtz. ( g )
Le Calvaire eft une troifiéme Chapelle
conftruite derriere les deux dont nous
venons de parler ; elle termine l'Eglife
du côté du Nord. Ce refpectable afyle
offre à la curiofité des Connoiffeurs & à
la piété des Fidéles le Sauveur crucifié ( h),
& la Madelaine éplorée au pied de la Croix,
objets attendriffans qui femblent emprunter
un nouveau pathétique d'une lumière
célefte qui les éclaire dans la cavité d'une
efpéce de niche où ils font placés . Ils s'y
détachent fur un fond de ciel orné d'un
grouppe de nuages peint avec goût par
(f) Voyez l'Année Littéraire , Lettre 12 du 30
Octobre 1756 .
(g) Profeffeur de l'Académie Royale.
Ce Crucifix eft un Ouvrage d'Anguiers
Sculpteur habile du Siécle paffé.
DECEMBRE . 1760. If Ix
M. Machi . ( i ) Le Chrift & la Madelaine
paroiffent au haut de la montagne. Sur
un plan plus avancés font ingénieufement
placés , d'une part , les Soldats prépofés,
pour la garde de l'Homme- Dieu crucifié ;
de l'autre , des troncs d'arbres , des plantes
, parmi lesquelles on voit le ferpent
qui prêt à fe précipiter , femble blafphémer
contre le vainqueur de la mort & du,
péché.
Au bas de la montagne , où font deux
portes taillées dans le roc pour monter
fur le Calvaire , eft un Autel de marbre.
bleu Turquin , qui n'a pour tout ornement
que deux urnes d'où fort la fumée
des parfums par le moyen de laquelle
l'Autel fe trouve lié avec les rochers du
Calvaire. Au milieu s'élève un Taberna
cle formé d'un refte de colonne de bronze
doré , fur laquelle font grouppés divers
attributs de la Paffion du Sauveur ,
fa robe , la Couronne d'Epines , la Lance
, le Roſeau , les dez , & c. Cette penſée
heureuſe , ainsi que toute la décoration
du Calvaire , eft due à M. Falconnet , Artifte
également attentif à jetter de la poëfie
& du pathétique , dans les fujets qui
en font fufceptibles , & à y répandre les
effets piquans de la magie pittorefque.
( i ) De l'Académie Royale.
Giv
752 MERCURE DE FRANCE.
L'Architecture de l'Autel qu'on voit dans
cette retraite refpectable , de même que
le Sanctuaire de la Chapelle de la Vierge ,
eft de M. Boulée ( k ) , dont les talens font
connus par différens beaux Ouvrages.
Si après l'examen de ces trois Chapelles
, le Spectateur revient dans la grande
Nef de l'Eglife , il y trouvera d'autres
décorations .
Dans la croifée font deux Autels de
marbre bleu Turquin, ornés d'urnes & de
bas- reliefs dorés ; fur l'un eft placé un
Chrift agonifant au Jardin des Olives , par
M. Falconet; fur l'autre , s'élève la Figure
de S. Roch , Ouvrage de M. Couftou l'ainé
(1). Les Autels font de M. Couftou le
jeune (m) . Ces deux freres , qui foutiennent
par leurs talens l'éclat du nom qu'ils
portent , ont dévoilé dans ces Ouvrages
la correction de leur ftyle , & la noble
fimplicité de leur goût.
Une Chaire , d'une manière qui tient de
l'italique , attire & fixe les regards des
Curieux. Ce monument neuf par ſa compofition
, brillant par fa richeffe , intéreffant
par fa fingularité , mérite bien de
(k ) Architecte & ancien Penſionnaire du Roi.
(2) Sculpteur Ordinaire du Roi , & Profeffeur
de l'Académic Royale.
(m ) Architecte & Infpecteur de Marli.
DECEMBRE. 1760. 153
la confidération à M. Challe , ( n ) qui en
elt l'Auteur.
Les nouveaux embelliffemens de l'Églife
de S. Roch s'étendent jufqu'aux
grilles du Choeur . La réforme qu'on y
a faite en les rabaiffant , femble l'aggrandir.
Elles ne cachent plus les Cérémonies
qui s'y font , comme elles les
cachoient autrefois . Au moyen de cette
réparation avantageufe , on apperçoit
aujourd'hui , de toute la Nef , & d'une
partie des bas côtés ; non feulement les
décorations nouvelles , le Maître- Autel ,
mais encore la célébration des Saints
Myſtères.
Un jeu d'Orgues très - complet , trèsmélodieux
, confié aux talens d'un Artifte
diftingué ( o ) , entre dans l'ordre des
décorations dont on rend ici compte au
Public. Elles font toutes convenables au
faint édifice; elles font relatives à la gloire
du Seigneur , à l'édification des Chrétiens
, & n'ont pour objet que de ranimer
la piété des Fidéles. Ce font autant
de monumens authentiques & permanens
de la libéralité de quelques Paroiffiens
d'autant plus louables dans leurs largeſn
) Sculpteur Ordinaire du Roi.
40 ) M. Balbâtre , Organiſte de S. Roch , de
Notre-Dame , &c.
GY
144 MERCURE DE FRANCE.
1
En 1752 , un Paſteur zélé ( a ) , qui allie
conftamment les devoirs de fon miniftère
aux louables attentions d'embellir
le Temple confié à fes foins , forma le
projet d'orner la Chapelle de la Vierge
d'un Monument convenable qui fixật
l'attention & ranimât la piété des Fidéles.
propre
Le Sujet de l'Annonciation , lui parut .
à remplir les vues . Il penfa que
la repréfentation en Sculpture de cet
événement qui n'exige que deux Figures
placées à quelque diftance l'une
de l'autre , fourniroit les moyens à un
Artifte intelligent de ménager le percé
qui dévoile d'un feul coup d'oeil l'Autel
du Choeur , celui de la Vierge , celui de la
Communion & celui du Calvaire. Mais
ce motif qui ne concerne prèfque que
l'intérêt des Arts & d'un faint Spectacle ,
ne vint qu'à l'appui de l'idée heureuſe de
réunir dans un même point de vue les
plus grands Myſtères de notre Religion
I'Incarnation & la Mort du Sauveur :
penſée refpectable , bien digne de la piété
de celui qui la conçut !
( a ) M. l'Abbé Marduel , Docteur de Sorbonne
, Curé de Saint Roch en 1749. Ce n'est que
des Décorations ajoûtées depuis lors , dans l'intérreur
de l'Eglife , qu'on rend compte au Public.
Ce
DECEMBRE. 1760. 145
Ce projet de Décoration propofé par
la voie du Concours fut adjugé en 1753
à M. Falconnet ( b ). Le Public , à l'admiration
de qui les nouvelles Décorations
de S. Roch feront exposées le du
courant , jugera que l'Auteur a parfaitement
rempli l'idée avantageufe que fa
réputation donne de fes talens.
4
L'Embelliffement de la Chapelle de la
Vierge eft fon morceau le plus confidérable.
On y voit la Vierge à genoux, modeftement
inclinée devant l'Ange. Elle
défigne , par l'expreffion de fon vifage ,
par le mouvement de fes bras , par toute
fon attitude , ce qui fe paffa dans fon âme
au moment que l'Envoyé célefte fe préfenta
à fes regards , & qu'elle lui répondit
: Ecce ancilla Domini. L'humilité , la
candeur , la nobleffe font affociées dans
cette figure ( c ) à l'élégance , à la dignité
, & au beau caractère qui lui conviennent.
L'Ange Annonciateur paroît vis- à- vis.
(b ) Sculpteur Ordinaire du Roi & adjoint à
Profeffeur de l'Académie Royale de Peinture &
Sculpture.
(c) Elle eft de ronde boffe , ainfi que cellesdont
on parlera ci-après. La Vierge , l'Ange &
les nuées qui les grouppent font de marbre.
Les deux Figures ont huit pieds & demi de proportion.
G
146 MERCURE DE FRANCE:
On croit l'entendre prononcer les paroles
de la Salutation Angélique. Il montre la
Gloire d'où il defcend . Son action hardie
& aifée , fon enfemble fouple & fvelte ,
la légèreté de fes aîles & de fes vêtemens
ne laiffent rien appercevoir du poids de
la matiére dont il eft compofé. Une même
chaîne de nuée le groupe avec la Gloi-
' re & avec la Vierge.
Entre les deux pilaftres , qui décorent
l'arcade , où fe paffe la ſcène myſtérieuſe ,
font placés les deux Prophètes (d) qui ont
plus fpécialement annoncé l'Incarnation
du Verbe.
Le Prophéte Roi eft ailément reconnu
à fes vêtemens , ajuftés fuivant le Costume
des Orientaux & à fes attributs caractériftiques
, appuyé fur fa harpe , il retrace
l'enthoufiafme dont il fut doué , & rappelle
, par l'infcription pittorefquement
jettée à fes pieds , la promeffe qui lui avoit
été faite par l'Eternel : Juravi Davidfervo
meo.
Ifaïe eft repréſenté fous des habillemens
auftéres , drappé dans le grand ſtyle.
Il paroît occupé des chofes divines , tient
d'une main la table où eft écrite la Prophétie
: Ecce Virgo concipiet, & de l'autre,
( d ) David & Ifaïe . Ces Statues fontde plomb
bronzé &de huit pieds de proportion.
DECEMBRE. 1760. 147
montre au peuple l'événement que l'Eſprit
Saint lui fait annoncer.
Ces deux figures de caractére entrent
dans cette compofition comme la preuve
du Myftère. Les prérogatives de prophétie
dont David & Ifaïe étoient favorisés
leur rendoient préfent ce qui ne devoit
arriver que longtemps après eux. C'eſt
dans cet efprit qu'on a cru pouvoir affo
cier les Prophéties avec la repréfentation
du Myſtère qu'ils ont prédit.
Au milieu du fecond Ordre d'architecture
, & perpendiculairement à l'arcade
ou paroît l'Annonciation , eft placée une
Gloire célefte . Ces rayons mêlés de
nuées & de Chérubins s'étendent fort audeffus
de la dernière corniche , environ
trente pieds par les côtés , & jufqu'aux
deux tiers de l'arcade. Ils prennent leur
origine dans un tranfparent lumineux qui
fait illufion. Cette Gloire eft d'une grandeur
dont on n'a pas encore vu d'exemple
dans ce pays , Elle a cinquante pieds
fur trente. Quel efpace affez vafte pourroit
donner une jufte idée de l'immenfité
de la Gloire divine ? Les rapports & les
contraſtes judicieufement ménagés de
toutes les parties qui compofent l'embelliffement
de cette Chapelle , & qui tendent
à une même fin , en font une des
Gij
148 MERCURE DE FRANCE
W
plus brillantes Décorations que la Sculp
ture puiffe metrre au jour.
L'Autel eft de marbre blanc veiné . Sa
forme d'un quarré oblong , fimple , mais
noble , eft convenablement afforti au fujet
. Les moulures , l'Etoile rayonnée ;
qui décore le panneau du milieu , les rofes
, dont ceux des côtés font ornés , font
de bronze doré. On y monte par cinq
marches. Son élévation le met à portée
d'être apperçu de très- loin. Les arrièrescorps
, qui lui font contigus , lui don
Rent affez de largeur pour remplir l'ou
verture de l'arcade .
Le Tabernacle en eft ingénieufement
pratiqué dans l'épaiffeur de la portion
de nuages qui defcend du haut de la
Gloire jufques fur l'Autel.Cette invention
fingulière fauve l'inconvénient des petites
parties que les acceffoires d'un Tabernacle
ordinaire auroient introduit parmi
les grands objets dont cette décoration
eft composée.
Une balustrade de marbre , pareil à celui
de l'Autel , avec des portes aux deux
côtés faites de même matiére , enferme
le Sanctuaire , & fert de table pour la
Communion.
Des torches en façon de chandeliers à
bras , dont les branches font formées de
DECEMBRE . 1760. 149
trois lys qui fortent des volutes d'un cartel
agraffé fur la bafe de deux pilaftres ,
tiennent lieu des chandeliers qu'on eft
communément en ufage de placer fur les
gradins de l'Autel. Cet ornement, eft de
bronze doré.
Tout le Sanctuaire eft revêtu de marbre
blanc veiné , à la hauteur de fept
pieds. Telle eft la hauteur des baſes de
tous les piliers de l'Eglife , celle des gradins
de l'Autel & celle des piédeſtaux des
Statuës , repréſentans David & Ifaïe. Ces
piédeftaux font revêtus du même marbre
que le Sanctuaire & ornés d'une guirlande
de chêne en bronze.
La décoration de la Chapelle de la
Vierge eft couronnée par un magnifique
Plafond de M. Pierre . ( e ) Cette brillante
production qui fut expofée au Public le
2 Octobre 1756 , repréſente l'Assomption
de laVierge ; elle offre tout ce que la Religion
fournit de plus intéreffant dans ce
fujet , & ce que l'art de la Peinture étale
de plus féduifant dans la Science des Plafonds.
Nous renvoyons le Lecteur à l'exacte
& judicieufe defcription que les
( e) Peintre ordinaire du Roi , premier Peintre
de Mgr le Duc d'Orléans , & Profeffeur de
'Académie Royale.
G iij
Fro MERCURE DE FRANCE.
Nouvelles Littéraires ont faite de ce
beau Poëme pittorefque. (f)
Le même Auteur a peint la coupole
qui décore la Chapelle de la Communion.
Cet Ouvrage dans lequel brille
une heureuſe facilité , retrace le Triomphe
de la Religion. Le marbre & les dorures
brillent de toutes parts dans cette
Chapelle. L'Autel eft enrichi de Chérubins
& de deux Anges adorateurs , de
grandeur naturelle. Tous les ornemens
font de feu M. Paul Slodtz. ( g )
Le Calvaire eft une troifiéme Chapelle
conftruite derriere les deux dont nous
venons de parler ; elle termine l'Eglife
du côté du Nord . Ce refpectable aſyle
offre à la curiofité des Connoiffeurs & à
la piété des Fidéles le Sauveur crucifié (h),
& la Madelaine éplorée au piedde la Croix,
objets attendriffans qui femblent emprunter
un nouveau pathétique d'une lumière
céleste qui les éclaire dans la cavité d'une
efpéce de niche où ils font placés. Ils s'y
détachent fur un fond de ciel orné d'un
grouppe de nuages peint avec goût par
(f) Voyez l'Année Littéraire , Lettre 12 du 30
Octobre 1756.
(g) Profeffeur de l'Académie Royale.
Ce Crucifix eft un Ouvrage d'Anguiers
Sculpteur habile du Siécle paffé ."
DECEMBRE . 1760. 1517
M. Machi. ( i ) Le Chrift & la Madelaine
paroiffent au haut de la montagne . Sur
un plan plus avancés font ingénieufement
placés , d'une part , les Soldats prépofés ,
pour la garde de l'Homme- Dieu crucifié ;,
de l'autre , des troncs d'arbres , des plantes
, parmi lesquelles on voit le ferpent
qui prêt à fe précipiter , femble blafphé
mer contre le vainqueur de la mort & du,
péché.
Au bas de la montagne , où font deux
portes taillées dans le roc pour monter
fur le Calvaire , eft un Aurel de marbre.
bleu Turquin , qui n'a pour tout ornement
que deux urnes d'où fort la fumée
des parfums par le moyen de laquelle
l'Autel fe trouve lié avec les rochers du
Calvaire. Au milieu s'élève un Tabernacle
formé d'un refte de colonne de bronze
doré , fur laquelle font grouppés divers
attributs de la Paffion du Sauveur ,
fa robe , la Couronne d'Epines , la Lance
, le Roſeau , les dez , &c. Cette penſée
heureufe , ainfi que toute la décoration
du Calvaire , eft due à M. Falconnet , Artifte
également attentif à jetter de la poëfie
& du pathétique , dans les fujets qui
en font fufceptibles , & à y répandre les
'effets piquans de la magie pittorefque.
( i ) De l'Académie Royale.
Giv
752 MERCURE DE FRANCE.
L'Architecture de l'Autel qu'on voit dans
cette retraite refpectable , de même que
le Sanctuaire de la Chapelle de la Vierge ,
eft de M. Boulée ( k ) , dont les talens font
connus par différens beaux Ouvrages.
Si après l'examen de ces trois Chapelles
, le Spectateur revient dans la grande
Nef de l'Eglife , il y trouvera d'autres
décorations .
Dans la croifée font deux Aurels de.
marbre bleu Turquin, ornés d'urnes & de
bas-reliefs dorés ; fur l'un eft placé un
Chrift agonifant au Jardin des Olives , par
M. Falconet ; fur l'autre , s'élève la Figure
de S. Roch , Ouvrage de M. Couftou l'ainé
(1). Les Autels font de M. Couftou le
jeune (m) . Ces deux freres, qui foutiennent
par leurs talens l'éclat du nom qu'ils
portent , ont dévoilé dans ces Ouvrages
la correction de leur ftyle , & la noble
fimplicité de leur goût.
Une Chaire , d'une manière qui tient de
l'italique , attire & fixe les regards des
Curieux. Ce monument neuf par fa compofition
, brillant par fa richeffe , intéreffant
par fa fingularité , mérite bien de
(k ) Architecte & ancien Penfionnaire du Roi.
(1) Sculpteur Ordinaire du Roi , & Profeffeur
de l'Académic Royale.
(m ) Architecte & Infpecteur de Marli.
DECEMBRE. 1760. 153
la confidération à M. Challe , ( n ) qui en
eft l'Auteur.
Les nouveaux embelliffemens de l'Eglife
de S. Roch s'étendent jufqu'aux
grilles du Choeur. La réforme qu'on y
a faite en les rabaiffant , femble l'aggrandir.
Elles ne cachent plus les Cérémonies
qui s'y font , comme elles les
cachoient autrefois. Au moyen de cette
réparation avantageufe , on apperçoit
aujourd'hui , de toute la Nef , & d'une
partie des bas côtés ; non feulement les
décorations nouvelles , le Maître- Autel ,
mais encore la célébration des Saints
Myftères.
Un jeu d'Orgues très - complet , trèsmélodieux
, confié aux talens d'un Artiſte
diftingué ( o ) , entre dans l'ordre des
décorations dont on rend ici compte au
Public . Elles font toutes convenables au
faint édifice; elles font relatives à la gloire
du Seigneur à l'édification des Chrétiens
, & n'ont pour objet que de ranimer
la piété des Fidéles. Ce font autant
de monumens authentiques & permanens
de la libéralité de quelques Paroiffiens
d'autant plus louables dans leurs largef
An ) Sculpteur Ordinaire du Roi.
40 ) M. Balbâtre , Organiſte de S. Roch, de
Notre-Dame , &c.
Gy
154 MERCURE DE FRANCE
fes , qu'ils ne veulent point être connus
& qu'ils ont dépofé dans le fein de leur'
Paſteur le fecret de leurs bienfaits. Rare
générofité , reffource heureufe , que tous
les revenus de l'Eglife & de la Cure de
S. Roch n'auroient pû fuppléer !
NOTES HISTORIQUES.
L'Eglife de S. Roch , conftruite fur le
plan de M. le Mercier , premier Architecte
du Roi , a été commencée en 1653 .
Louis XIV. en a pofé la premiere pierre
le 28 Mars .
Le Portail fait fur les plans de M. de
Cotte , premier Architecte de Sa Majeſté ,
a été achevé en 1738.
Dans cet intervalle , la Chapelle de
la Vierge & celle de la Communion ont
été conftruites en 1717.
Celle du Calvaire fut conftruite en
1754 , fur le terrein qui fervoit de Cimetiére.
Les premieres pierres des quatre
principaux piliers ont été pofées , celle
du premier par M. le Maréchal DUC DE
NOAILLES ; celle du fecond , par M. le
COMTE DE LA MARK , Grand d'Eſpagne ;'
& celles des deux autres , par M. DE
SAVALETTE , Garde du Tréfor Royal , &
M. DE BEAUMONT , l'un des Fermiers Gé
néraux de Sa Majesté.
DECEMBRE. 1760. 155
L'étendue de l'Eglife de S. Roch eft de
foixante - cinq toifes , mefure pareille à
celle de la Cathédrale de Paris.
MUSIQUE.
LEE Code de Mufique de M. RAMEAU ,
annoncé en 1757 pour 1758 , joint à de
nouvelles réflexions fur le principe fonore,
le tout imprimé à l'Imprimerie Royale ,
fera délivré fur la fin de la préfente année
1760. Vol. in - 4°. chez l'Auteur , rue des
Bons- Enfans , chez Jorry , Duchesne , Libraires,&
chez les Marchands de Mufique.
RECUEIL D'AIRS avec accompagnement
de Flute , ou Violon , ou Pardeffus de
Viole . Par M. Bordet , le tout fecueilli &
mis en ordre par M. *** . Prix 6 liv . en
blanc , fe vend à Paris aux adreffes ordinaires
de Mufique , à Rouen , chez M.
L'ainé , Marchand rue des Carmes , au
Bureau de la Lotterie de l'Ecole Royale
Militaire.
Il a été jugé néceffaire pour les voix qui
n'ont pas encore acquis la perfection du
chant , de donner des airs qui fuffent connus,
& pour les Inftrumens qui font dans
le même cas que les accompagnemens
fuffent d'une facile exécution ; on a lieu
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
d'efpérer que les uns & les autres en tiretont
la fatisfaction qu'on s'eft proposée .
XX. SONATE per Cembalo compoſte da
vari Autori Alberti , Iozzi , Galuppi , Le
Grand , Bach , Haffe , Lorenzini , Agrel,
Martini , Schaffrath, Opera feconda, prix
liv. Racolte da G. B. Venier ; gravée
par Mlle Vendome , à Paris , chez M.
Venier , rue S. Thomas du Louvre , visà-
vis le Château d'Eau. M. Bayard , rue
S. Honoré , à la Régle d'Or. Mademoifelle
Caftagneri , rue des Prouvaires , à la
Mufique Royale , M. Le Menu , rue du
Roule , à la Clef d'Or , & rue S. Honoré,
vis-à- vis le Palais Royal , à la Mufique
moderne , au- deffous du très- Galand.
LI
GRAVURE.
EST RIGAUD Graveur , vient de joindre
à fon Recueil des vues & perfpectives,
deux nouvelles vues du château de Maifons
. Toutes fes vues font propres pour
l'optique. Cette collection confifte en cent
trente deux vues des Maiſons Royales &
autres; plus, quelques Marines & Payfages.
Il demeure toujours rue S. Jacques , visà-
vis le Collége du Pleffis.
DECEMBRE . 1760. 157
Le Sr LE CANU , vient de faire paroître
une fontaine gravée d'après M. Petitor ,
Architecte de S. A. l'Infant Dom Philippe
, & dédiée à M. Franque , Architecte
du Roi , & de l'Académie Royale d'Architecture.
Cette fontaine , qui eft du
meilleur goût , ne pourroit que contribuer
à l'embelliffement de cette Capitale. Elle
eft très-bien gravée , & fe vend , chez
P'Auteur , Porte S. Jacques , rue S. Thomas
, & à Rouen , chez Jacques , Parvis
Notre-Dame.
M. OUVRIER , Graveur , qui a donné
les Villageois de l'Apennin , & les Jardinieres
Italiennes au Marché , Eftampes
annoncées dans les Mercures d'Août
1755 , & Juillet , fecond vol. 1756 , vient
de faire paroître la vue de l'Apennin
& des Alpes , deux Eftampes d'après
M. Vernet , elles font de la hauteur de
celles des vues des Ports de France de
Vernet, mais bien plus étroites , & du meilleur
goût . Elles fe trouvent chez l'Auteur,
Place Maubert.même maiſon que M. Bel
lot , Marchand Bonnetier , au Soleil d'or.
158 MERCURE DE FRANCE.
HORLOGERI E.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure..
LA
4
A Pendule à équation , dont la def
cription eft inférée dans le Volume de
Mai, Mercure de France n'eft ni nouvelle,
ni ignorée , car c'eft la même que je préfentai
à l'Académie en 1754 : je l'ai de
crite à l'Article Equation , cinquième Volume
de l'Encyclopédie : M. Gallon , Edi
teur du Recueil des machines approuvées
par l'Académie , l'a inférée dans ledit ou
vrage ; & depuis longtemps , j'ai exécuté
& vendu plufieurs Pendules de cette con
ftruction. J'en ai encore actuellement
quatre chez moi . Enfin on a vû dans l'Ef
faifur l'Horlogerie que je viens de publier,
la difpofition & le plan de cette équation ;
je ne me fuis pas contenté de décrire &
de faire graver des planches pour les dif
férentes équations de Pendules . J'ai joint
à cet ouvrage le méchanifme des montres
à équations que j'ai compofées & que j'e
xécute journellement , & j'ai donné les
méthodes fimples & faciles dont je me ſers
pour tailler les courbes d'équation , foit
des Pendules ou des Montres.
Je vous envoye , Monfieur , l'Extrait
des Regiftres de l'Académie Royale des
DECEMBRE. 1760. 159
Sciences , année 1754 : non pour m'afficher,
puiſque je ne veux être annoncé que
par mes ouvrages : mais pour vous prouver
ce que j'ai avancé. J'ai l'honneur d'être ,
&c. BERTHOUD.
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie
·Royale des Sciences, du 7 Août 1754.
Nous avons examiné par ordre de l'A
cadémie , une montre à fecondes concentriques
, préfentée par le fieur Ferdinand
Berthoud, Horloger de Paris , marquant
en même tems les mois de l'année , leurs
quantièmes , le tems vrai & le tems moyen
Immédiatement au- deffous du cadran ,
eft placée une roue annuelle fendue en
rochet , cette roue dont la grandeur eft
la même que celle du cadran , lui eft concentrique
fur fon plan , elle porte une
ellipfe dont la circonférence touche &
gouverne un rateau , qui par le moyen
d'un pignon où il engrenne , fait tourner
un cadran d'équation concentrique à celui
des heures.
Le rateau mobile alternativement en
fens contraire dans le cours d'une année
produit le même mouvement alternatif
dans ce cadran qui change de direction
160 MERCURE DE FRANCE
à- peu-près tous les trois mois , & fuit l'équation
du tems;elle eft marquée en même
tems fur les deux cadrans par les deux extrémités
opposées de l'aiguille des minutes.
Le mouvement annuel , & celui de l'équation
qui marche en même tems, font
abfolument indépendants du mouvement
journalier: c'eft en montant la montre une
fois par jour , qu'on fait marcher le mouvement
annuel , & l'équation par une méchanifme
fort fimple.
il
Le garde-chaîne eft fixé fur une tige
dont les pivots font dans les deux platines;
peut décrire un petit arc de cercle ; un
de ces pivots porte un carré fur lequel eft
ajufté dans la cadrature un levier à pied
de biche,
Lorſqu'on remonte la montre , le gar
de-chaîne eft foulevé par la chaîne jufqu'à
ce qu'il foit à la hauteur du crochet
de la fufée; ce crochet lui donne un petit
mouvement circulaire qu'il communique
au pied de biche , dont l'extrémité
s'engage dans une Etoile à cinq rayons ,
& fait paffer un de fes rayons toutes les
fois que le crochet de la fufée pouffe le
garde - chaîne.
L'étoile eft affujettie par un Valet ou
fautoir , qui lui fait faire fûrement la cinquiéme
partie d'un tour , & l'empêche
DECEMBRE. 1760 . 161
de revenir en fens contraire ; lorfque le
pied de biche ſe dégage. L'arbrede cette
même étoile porte deux palettes oppofées
pour conduire la roue annuelle , en forte
que deux dents de cette roue paffent néceffairement
en cinq jours , ce qui lui
fait faire fa révolution en 365 jours . Par
cette ingénieuſe conftruction , le mouvement
annuel & celui d'équation , dont
les effets font toujours affurés , fe trouvent
abfolument indépendants au mouvement
de la montre ; ils n'y produifent , par
conféquent , aucune réfiftance à la force
motrice , aucun dérangement à ſa juſteſſe .
Un autre avantage de cette conftruction ,
c'eft qu'elle permet de placer au centre
l'aiguille des fecondes , ce qui feroit trèsdifficile
à exécuter, en faifant conduire la
roue d'équation par le rouage de la montre.
(a) Enfin il n'eft pas plus difficile d'y
( a ) J'ai finguliérement perfectionné le méchaniſme
de la montre à équation qui eft ici décrite
; car je fuis parvenu à faire une montre à
répétition , à fecondes concentriques de deux battemens
du balancier par ſecondes. Cette montre
qui eft en même temps à équation , marque les
mois de l'année & les quantiémes du mois. J'en
ai fait auffi qui vont huit jours fans remonter ,
dont les fecondes font d'un feul battement , font
à répétition , à équation , & marquent les mois
de l'année ; & d'autres enfin qui vont un mois
162 MERCURE DE FRANCE.
"
ajouter une cadrature & un rouage de
répétition qu'aux montrés ordinaires , ou
les fecondes font concentriques . Cette
invention fait difparoître tous les incon--
véniens des montres qui marquent en
même temps les fecondes , les minutes
les heures : les jours du mois , le quantiéme
& l'équation. On n'a point encore
imaginé de maniére plus fimple & plus
commode pour remplir toutes ces conditions
avec moins d'inconvéniens , &
nous la croyons très- digne de l'approbation
de l'Académie.
APPROBATIONS.
Approuvées par l'Académie. Signé
CAMUS , DE Montigny.
Je certifie le préfent Extrait conforme
à fon original, & au jugement de la Compagnie.
A Paris , ce 3 Septembre 1754.
Signé , GRANDJEAN DE FOURCHY , Secrétaire
perpétuel de l'Académie Royale
des Sciences.
fans remonter , font à équation , à répétition &c,
Ces montres font tellement difpofées , qu'elles en
font fort peu groffies, & que d'ailleurs elles font
folides , & nullement fujettes à fe déranger.
DECEMBRE. 1760. 16
SUPPLEMENT à l'Article des Arts utiles .
DISSERTATION fur la maladie
de la PIERRE,
DEE tous les maux dont Dieu a puni les
hommes depuis la défobéiffance de notre
premier pere, on peut affurer avec certitude
, qu'il n'y en a point de plus cruel que
celui de la pierre qui s'engendre dans les
reins & dans la veffie, outre que cette maladie
eft extrêmement douloureufe & infupportable,
elle eft prèfque toujours mortelle
, fi on n'en extirpe pas radicalement
la caufe. Quelle reconnoiffance nedevonsnous
pas aux perfonnes qui ont contribué à
guérir cette cruelle maladie ! Il y a longtems
qu'elle eft connue, mais on n'a point
de certitude du tems auquel l'opération de
la taille a commencé d'être en ufage . Hippocrate
, ce Prince des Médecins , qui vivoit
460 ans avant J. C: en a traité , mais
il l'a trouvée fi dangereufe , qu'il a proteſté
qu'il ne la feroit jamais ; c'eft l'aveu qu'il
en fait dans fon ferment , où il charge de
cette opération ceux qui exercent cette
profeffion particuliére. Auffi ne voit -on
point qu'aucun Chirurgien faifant les au164
MERCURE DE FRANCE.
tres opérations de Chirurgie , ſe foit rendu
habile en celle- ci , tant à l'égard du petit
appareil qui eft fort ancien, que du grand
appareil qui n'a été inventé qu'en l'année
1525 , par Jean des Romains , natif de Cremone
,qui communiqua fon fecret à Marianusfanctus
des Barlettes , Docteur en Médecine
de Padoue . Ce Marianus l'enfeigna
à un nommé Octavius de Ville , qui fut le
Maître de Laurent Collot , lequel exerça
la Médecine en la Ville de Fresnel en
Champagne , où il fit un grand nombre
d'opérations qui le rendirent très - célébre
.
En l'année 1556 , Henri II. lui ordonna
de fe rendre à Paris & de s'y établir
; il le gratifia d'un préfent confidérarable
, le fir Chirurgien de fa Maiſon , &
créa pour lui une Charge d'Opérateur
pour la Pierre , qui a été poffédée par
fes defcendans. C'étoit alors le feul qui
par la mort d'Odavien de Ville fût inftruit
du fecret du grand appareil ' ; il
l'apprit à fon fils , qui ne fe rendit pas
moins habile ni moins célébre que fon
pére. C'est d'eux dont Antoine Paré fait
mention dans fon Traité de Chirurgie qu'il
fit imprimer en François , & que Jacques
Guillemeau , auffi Chirurgien du Roi traduifit
en Latin , & fit imprimer en 15.82
DECEMBRE. 1760 . 169
Paré , après avoir rapporté plufieurs
exemples des belles opérations que les
Collots avoient faites , affure qu'il ne
croit pas que ni le pere ni le fils ayent jamais
eu de pareils dans leur profeffion .
On prétend que la premiere opération
de la taille qui fut faite à Paris , fut exécutée
fur un criminel condamné à être
pendu , en 1474. On dit que l'opération
réuffit parfaitement , qu'en quinze jours
le criminel fut guéri , & qu'il obtint fa
grace. Cependant on cite toujours les
Collots comme les premiers Opérateurs
de la taille en France.
Après les deux dont nous venons de
parler , Laurent Collot fut le troifiéme
qui hérita de l'habileté de fes peres : non
feulement il apporta toute la dextérité
qu'il tenoit d'eux ; mais il perfectionna
leur manière d'opérer , & il en ôta tout
ce qu'il y avoit de rude & de difficile.
Philippe Collot , fils du précédent , nâquit
en l'année 1593. Il furpaffa encore
fon pere , fon ayeul & fon bifayeul dans
l'art de la Lithotomie , & depuis lui fes
fils & petits- fils ont taillé les malades de
la pierre avec une adreffe finguliére , &
un fuccès prèfque toujours heureux . Il
mourut à Luçon , où il étoit allé traiter
un malade de la pierre , au commence166
MERCURE DE FRANCE
ment du mois de Mars de l'année 1656 ;
étant âgé de 63 ans. On peut lui reprocher
de même qu'à fes ancêtres , & à ſes
defcendans , d'avoir tenu caché le fecret
qu'il avoit pour cette opération , & de
ne l'avoir communiqué à aucun homme
de leur profeffion . Ils auroient pû faire
ce préfent au Public fans fe faire aucun
tort , puifqu'on auroit eu toujours recours
à eux préférablement à tous les autres.
Des fecrets peuvent fe garder dans des
familles quand ils ne vont qu'à la fimple
curiofité ; mais lorsqu'ils font affez utiles
pour conferver la vie des hommes , il
femble qu'on doive les mettre , autant
qu'il fe peut , dans les mains de tout le
monde , quand même cela ne fe pourroit
faire fans en fouffrir quelque préjudice.
Nous avons plufieurs livres qui traitent
de la Lithotomie. François Tollet , feul
Opérateur du Roi pour la Pierre , nous
en a donné un excellent traité , imprimé
à Paris avec figures en 1681 , & dont il y
a eu une quatrième édition en 1689 ,
in -12.
Obfervation fur la manière de tailler
de Frere Jacques , par Jean Mery , Paris
1700 , in- 12.
Differtation fur les maladies & les opé
rations de la Pierre , par Charles-Denis
DECEMBRE. 1760. 767
Delaunay , Paris 1700 , in- 12 .
Nouvelle manière de faire l'opération
de la taille , par Douglas , traduit de
l'Anglois , Paris 1724 , in- 12 .
Traité de l'opération de la taille , par
François Collot , Paris 1727 , in- 12.
M. Le Dran , Chirurgien Juré du Roi ,
auffi connu par fon habileté dans fon
- Art , que par les Ouvrages de fa compofition
, nous a donné un excellent Traité
intitulé : Parallèle des différentes manières
de tirer la Pierre hors la veffie , Paris
- 1730 , in - 8 ° , & réimprimé à Paris , chez
-Laguette , en 1740 , avec fon Traité des
opérations de Chirurgie en 1742.
L'Opération de la taille , par l'appareil
latéral , ou la méthode de Frere Jacques
, corrigée par René Croiffant de Garengeot
, Paris 1730 , in- 12 .
Differtation fur la Pierre , par Pierre
Defaut , Paris 1736 , in- 12 ,
Je ne parle pas de plufieurs fecrets
qu'on prétend avoir trouvés pour fondre
la Pierre dans la veffie , entr'autres un recueil
d'expériences & d'obfervations fur
la Pierre & fur les remédes de Mlle Stephens
, traduites de l'Anglois , & imprimées
à Paris en 1740 , in- 12.
Ni du traité des moyens de diffoudre
la Pierre par Théophile Lobe , Docteur en
68 MERCURE DE FRANCE:
>
Médecine , de la Société Royale de Londres
, traduit de l'Anglois par M. T. A. &
imprimé à Paris en 1744 , ni de pluſieurs
autres fecrets qu'on prétend avoir trouvés
fur le même fujet , & dont l'expérience
n'a pas répondu à des promeffes auffi
flatteufes mais le Frere Cofme , Feuillant
au Couvent de Paris nous'a donné un
recueil de piéces importantes fur l'opé
ration de la taille faite par fon Lithoto
me caché , imprimé chez d'Houry en deux
vol. en 1751 & 1753 & dont l'expérience
prouve l'éfficacité . C'étoit à cet
habile Lithotomifte qu'il étoit réſervé de
perfectionner cet Art. Il eft inutile de
vanter le mérite de cet inftrument , ni
celui de fon inventeur , dont la réputation
lui a attiré tant d'envieux ; mais le
nombre prodigieux de fes opérations , qui
ont fibien réuffi jufqu'à préſent, font affez
l'éloge de cet admirable inftrument , qui
doit immortalifer l'Auteur d'un fecret
auffi utile à l'humanité. D. D. N.
CHYMIE,
DECEMBRE. 1760. 169
CHYMI E.
NALYSE de la Poudre du Sr CHARTREY
, par PIA & Cadet , Apoticaires
affociés.
MONSEIGNEUR ONSEIGNEUR le Maréchal Duc de
BIRON nous fit remettre l'année derniere
un paquet cacheté contenant une poudre
blanche pour en faire l'analyfe , ce à quoi
nous avons procédé de la maniére fuivante.
Nous avons verfé fur une partie de cette
poudre de l'acide vitriolique qui en a
fait la diffolution ; nous avons mêlé cette
diffolution avec trois parties d'efprit de
vin rectifié, & nous avons vû paroître dans
le mêlange une quantité affez confidérable
de petits cryftaux , qui féchés, avoient
parfaitement le goût du fel de fedlitz : ce
qui nous a fait juger que cette poudre
n'étoit qu'une magnefie blanche tirée , ou
de l'eau mere du nitre , ou d'un fel fedlitz ,
ou d'un fel d'ebfom à baſe terreuſe . Pour
nous en convaincre , nous avons décompofé
ces deux derniers fels en verfant fur
leur folution dans l'eau , de l'huile de tartre
par défaillance , nous en avons vû ſe
H
170 MERCURE DE FRANCE
précipiter une poudre blanche ſemblable
à celle que nous examinions , nous avons
verfé fur cette poudre de l'acide vitriolique
qui en a fait la diffolution , & cette diffolution
mêlée avec de l'eſprit de vin rectifié
dans les mêmes proportions que ci - deſſus ,
nous a fourni précisément les mêmes cryftaux
dont nous avons parlé .
D'après ces expériences , il nous a paru
conftant que cette poudre n'étoit autre
chofe qu'une magnefie ; mais ayant mis le
feu à un mélange d'efprit de vin avec une
diffolution de cette poudre dans l'acide
vitriolique , la flamme nous fit juger que
cette magnefie étoit cuivreufe. Pour
nous affurer davantage de l'existence du
cuivre dans cette poudre , & que le cuivre
n'étoit pas dans l'acide par nous employé
, nous fîmes de cet acide feul un
mêlange avec de l'efprit de vin , & nous
l'enflammâmes ; la flamme qui en réſulta
ne nous donna , point de verd , comme
avoit fait le mêlange de la diffolution de
la poudre par l'acide vitriolique , avec
l'efprit de vin , & nous fûmes alors convaincus
que la couleur verte de la flamme
ne pouvoit venir que du cuivre contenu
dans la poudre que nous analyfions.
Cette expérience , quelqu'évidente
qu'elle foit , ne nous a pas fatisfaits , nous
RO DECEMBRE. 1760. 171
T
avons été plus loin dans l'intention où
nous étions de démontrer le cuivre d'une
manière non équivoque. Nous avons
mis de cette poudre dans un papier blanc ;
nous l'avons humectée avec de l'efprit
de vin; nous avons roulé légèrement notre
papier imbû pareillement d'efprit de vin,
nous y avons mis le feu, & à l'aide de l'ob
fcurité où nous étions alors , nous avons
vû paroître une belle flamme verte , que
nous ranimions de temps en temps en
fecouant notre papier ; fi nous annonçons
dans cette expérience que nous nous fommes
fervi de papier blancs , c'eſt que nous
avons exprès évité d'employer du papier
écrit , pour que l'on n'eût pas à nous reprocher
que la couleur verte de la flamme
étoit occafionnée par les parties cuivreufes
contenues dans l'encre , dans laquelle
on fait ordinairement entrér du
vitriol qui peut être cuivreux . L'on ne
dira pas non plus que cette couleur verte
provient de l'efprit de vin ; il avoit été
auparavant enflammé tout ſeul , & fa
flamme étoit telle qu'il a coutume de la
donner ; c'est-à- dire , fans aucune nuance
de verd.
&
Nous avons mis de cette poudre dans
un petit matras , nous avons verfé pardeffus
de bon alkali volatil , nous avons
Hij
170 MERCURE DE FRANCE:
précipiter une poudre blanche femblable
à celle que nous examinions , nous avons
verfé fur cette poudre de l'acide vitriolique
qui en a fait la diffolution , & cette diffolution
mêlée avec de l'efprit de vin rectifié
dans les mêmes proportions que ci - deffus ,
nous a fourni précisément les mêmes cryftaux
dont nous avons parlé.
D'après ces expériences , il nous a paru
conftant que cette poudre n'étoit autre
chofe qu'une magnefie ; mais ayant mis le
feu à un mélange d'efprit de vin avec une
diffolution de cette poudre dans l'acide
vitriolique , la flamme nous fit juger que
cette magnefie étoit cuivreufe. Pour
nous affurer davantage de l'exiſtence du
cuivre dans cette poudre , & que le cuivre
n'étoit pas dans l'acide par nous employé
, nous fîmes de cet acide feul un
mêlange avec de l'efprit de vin , & nous
l'enflammâmes ; la flamme qui en réſulta
ne nous donna , point de verd , comme
avoit fait le mêlange de la diffolution de
la poudre par l'acide vitriolique , avec
l'efprit de vin , & nous fûmes alors convaincus
que la couleur verte de la flamme
ne pouvoit venir que du cuivre contenu
dans la poudre que nous analyfions.
Cette expérience , quelqu'évidente
qu'elle foit , ne nous a pas fatisfaits , nous
1
O DECEMBRE. 1760. 171
avons été plus loin dans l'intention où
nous étions de démontrer le cuivre d'une
manière non équivoque. Nous avons
mis de cette poudre dans un papier blanc ;
nous l'avons humectée avec de l'efprit
de vin; nous avons roulé légèrement notre
papier imbû pareillement d'efprit de vin,
nous y avons mis le feu, & à l'aide de l'ob
fcurité où nous étions alors , nous avons
vû paroître une belle flamme verte , que
nous ranimions de temps en temps en
fecouant notre papier ; fi nous annonçons
dans cette expérience que nous nous fommes
fervi de papier blancs , c'eft que nous
avons exprès évité d'employer du papier
écrit , pour que l'on n'eût pas à nous reprocher
que la couleur verte de la flamme
étoit occafionnée par les parties cuivreufes
contenues dans l'encre , dans laquelle
on fait ordinairement entrér du
vitriol qui peut être cuivreux. L'on ne
dira pas non plus que cette couleur verte
provient de l'efprit de vin ; il avoit été
auparavant enflammé tout feul , & fa
flamme étoit telle qu'il a coutume de la
donner ; c'est- à- dire , fans aucune nuance
de verd.
Nous avons mis de cette poudre dans
un petit matras , nous avons verfé pardeffus
de bon alkali volatil , nous avons
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
t
tenu notre petit matras pendant quel
ques minutes à la chaleur d'un bain marie
prêt à bouillir , & nous avons vû
l'alkali volatil fe colorer fenfiblement &
prendre la couleur bleue .
D'après ces expériences , nous n'avons
pas cru qu'il fût néceffaire d'en tenter
de nouvelles pour affurer que la poudre
en queftion que nous avons fçu être celle
du fieur Chartrey eft une Magnéfie devenue
cuivreufe par le peu d'attention de
fon Auteur, qui vraiſemblablement ſe ſera
fervi de vaiffeaux de cuivre pour préparer
ſa Magnéfie , ou d'une eau mere de
nitre contenant du cuivre , dont il n'aura
pas eu la précaution de la priver avant
que de faire la précipitation.
Cela prouvé, il devient inutile d'entrer
dans le détail des inconvéniens fâcheux
qui doivent réſulter de l'ufage de cette
poudre ; chacun peut aifément les prévoir
, puifque perfonne n'ignore que le
cuivre pris intérieurement devient un
poifon ; d'ailleurs la Magnéfie eft un reméde
qui ne doit être préparé que par
des Artiſtes inftruits. A Paris , le 1 Octobre
1760. PIA & CADET , Apoticaires af
fociés,
DECEMBRE. 1766 171
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
QU'UN Auteur , à la repréſentation
d'une Piéce nouvelle , foit applaudi du
Public enchanté de l'Ouvrage , rien n'eft
moins étonnant , ni plus naturel. Mais
qu'à la derniere repréfentation d'un Ouvrage
repris , & qui a été joué un grand
nombre de fois , ce même Public , en
voyant l'Auteur dans une loge , fe tourne
vers lui & lui adreffe fes applaudiffemens
avec tranfports , c'eft ce qui n'eft guères
arrivé qu'au célébre Rameau , à la fin de
fon Opéra de Dardanus , qui a été donné
pour la derniere fois le Dimanche , Novembre
. Cet événement , fi honorable
pour M. Rameau , & pour le Public , ne
l'eft pas moins pour les Acteurs de l'Opéra
, qui tous femblent s'être furpaffés
pour mettre le comble à la réuffite de
l'Ouvrage & à la gloire de fon immortel
Auteur.
Le 11 du même mois , on a donné la
H iij
174 MERCURE DE FRANCE
premiere Repréſentation de CANENTE ,
Tragédie de feu M. La Motte- Houdart ,
miſe en muſique par M. d'Auvergne, Auteur
d'Enée & Lavinie , des Fêtes d'Euterpe
, des Troqueurs , & autres bóns Ouvrages
. J'en rendrai compte dans le prochain
Mercure .
Le Jeudi 20 , on a mis au Théâtre des
Fragmens , compofés du Prologue de Pla
tée , du Devin du Village & de Pigmalion
. En attendant que nous parlions
plus au long de ce Spectacle , déjà connu
, nous croyons devoir rendre juſtice à
la façon dont le fieur Jolly , nouvelle
haute - contre , s'eft acquitté du rôle de
Pigmalion. Les juftes applaudiffemens
qu'il a reçus font affez flatteurs pour
qu'il travaille à en mériter de nouveaux.
Mlle Suavi , nouvelle Danfeufe Italienne
, qui a débuté dans la derniere Re
priſe d'Ifmène , par les Entrées de Mlle
Veftris , a danfe dans l'Opéra nouveau
P'Entrée de la Bergère qui repréfente l'âgé
d'or , & a été reçue favorablement
du Public.
DECEMBRE. 1760 ... 175.
COMEDIE FRANÇOISE.
LES Comédiens François ont donné lé
12 Novembre la premiére tepréfentation
de Califte , Tragédie nouvelle de M. Colardeau
. Le plan de cette Tragédie , tirée
du Théâtre Anglois , a dû donner beaucoup
de peine à ce jeune Auteur , furtout
pour l'accommoder à nos moeurs . On ne
fçauroit trop louer la maniére adroite
avec laquelle il a traité l'outrage fait à
Califte. Elle parle fans ceffe de fon déshonneur
; fon Amant en parle , ainfi
que la Confidente ; mais toujours fans que
les oreilles les plus chaftes en puiffent être
fcandalilées. La verfification de cette
Piéce a été généralement goûtée ; & l'Auteur
n'a point démenti dans cetOuvrage ce
qu'il avoit fait efpérer de fon talent , dans
fa Tragédie d'Aftarbé , & dans la Lettre.
d'Héloïfe à Abaillard. On trouve dans cette
Tragédie, un grand nombre de vers dignes
de nos plus grands Maîtres ; les feuls défauts
qu'on puiffe lui reprocher tiennent
au Sujet qu'il a choifi , & en étoient prèſque
inféparables.
Nos yeux ne font point encore accoutumés
aux fituations & aux fpectacles faits
Hiv
174 MERCURE DE FRANCE!
premiere Repréſentation de CANENTE ,
Tragédie de feu M. La Motte- Houdart ,
miſe en mufique par M. d'Auvergne , Auteur
d'Enée & Lavinie , des Fêtes d'Euterpe
, des Troqueurs , & autres bóns Ouvrages.
J'en rendrai compte dans le prochain
Mercure .
Le Jeudi 20 , on a mis au Théâtre des
Fragmens , compofés du Prologue de Pla
tée , du Devin du Village & de Pigmalion
. En attendant que nous parlions"
plus au long de ce Spectacle , déjà connu
, nous croyons devoir rendre juſtice à
la façon dont le fieur Jolly , nouvelle
haute - contre , s'eft acquitté du rôle de
Pigmalion. Les juftes applaudiffemens
qu'il a reçus font affez flatteurs pour
qu'il travaille à en mériter de nouveaux.
Mlle Suavi , nouvelle Danfeufe Italienne
, qui a débuté dans la derniere Repriſe
d'Ifmène , par les Entrées de Mlle
Veftris , a danfe dans l'Opéra nouveau
PEntrée de la Bergère qui repréfente l'âge
d'or , & a été reçue favorablement
du Public.
DECEMBRE . 1760.. 17.5.
COMEDIE FRANÇOISE.
LESE
s Comédiens François ont donné lé
12 Novembre la premiére repréſentation
de Calife , Tragédie nouvelle de M. Colardeau
. Le plan de cette Tragédie , tirée
du Théâtre Anglois , a dû donner beaucoup
de peine à ce jeune Auteur , furtout
pour l'accommoder à nos moeurs. On ne
fçauroit trop louer la maniére adroite.
avec laquelle il a traité l'outrage fait à
Califte. Elle parle fans ceffe de fon déshonneur
; fon Amant en parle , ainfi
que la Confidente ; mais toujours fans que
les oreilles les plus chaftes en puiffent être
fcandalilées. La verfification de cette
Piéce a été généralement goûtée ; & l'Auteur
n'a point démenti dans cetOuvrage ce
qu'il avoit fait efpérer de fon talent , dans
fa Tragédie d'Aftarbé , & dans fa Lettre.
d'Héloïfe à Abaillard.On trouve dans cette
Tragédie, un grand nombre de vers dignes
de nos plus grands Maîtres ; les feuls défauts
qu'on puiffe lui reprocher tiennent
au Sujet qu'il a choifi , & en étoient prèf
que inféparables.
Nos yeux ne font point encore accoutumés
aux fituations & aux fpectacles faits
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
pour plaire aux Anglois , & qui , bien ménagés
, font cependant du reffort de la
grande Tragédie. On a vu , avec une forte
de répugnance , une femme s'empoiſonner
fur le Théâtre , & s'y rouler quand le
poifon produit tout fon effet. La tenture
noire du cinquiéme Acte , a excité chez
bien des perfonnes plus d'horreur que de
pitić. On eft pourtant venu revoir cette
Tragédie ; plus on la joue , plus elle
eft applaudie , & plus on y découvre de
beautés . Mlle Clairon a joué le rôle de
Califte avec toute la perfection dont il
pouvoit être fufceptible. Cette Tragédie
, enfin , ne peut faire que beaucoup
d'honneur à M. Colardeau , qui annonce
de grands talens. On en continue les repréfentations
, & nous nous promettons.
d'en donner l'extrait dès qu'elle fera im
primée .
COMEDIE ITALIENNE.
Le Jeudi 6 du mois dernier , on donna
la premiere Repréfentation du Prétendu ,
Comédie nouvelle du fieur Riccoboni ,
ancien Acteur de ce Théâtre . Elle eft en
trois actes , en vers , & mêlée d'Ariettes
V
DECEMBRE. 1760. 177
dont la Mufique eft de M. Gavigniés.
Voici l'Extrait de cette Piéce.
Un riche Bourgeois de Paris veut donner
fa fille en marlage à un Provincial.
Cette fille aime un jeune Officier qui l'aime
auffi ; le pére n'en fçait rien . Ces deux
Amans fe font part de leur fituation &
tâchent réciproquement de ranimer l'efpérance
dans leurs coeurs . Le pére vient
l'amant difparoît. Scène entre le pére & la
fille fur le prochain mariage qu'elle doit
conclure avec le Provincial, & dont elle fe
défend de fon mieux , mais il faut obéir.
Arrive fon Maître à danfer , fuivi du jeune
amant qui paffe pour fon Prévôr. Tandis
que le pére eft un peu éloigné , nos deux
amans chantent fur l'air de leur menuer
qu'ils continuent toujours de danfer, quelque
vers fur l'embarras où ils fe trouvent.
Enfin , le Pere furprend l'Amant aux pieds
de fa fille ; le Maître à danfer s'enfuit , &
le Pére arrête le Prévôt , qui , n'ayant
plus de défaite , eft obligé d'avouer fon
amour. Le Pére lui dit qu'il eft très-fâché
de le refufer ; mais que tout eft arrêté
pour le mariage de fa fille avec un autre.
Les deux Amans cherchent envain à l'attendrir
; & l'Acte finit. La fcène du menuet
, quoique imitée du Bal Bourgeois ,
Opéra Comique , n'en a pas moins été
applaudie.
Hy
·
178 MERCURE DE FRANCE.
Au fecond Acte , l'Amoureufe propofe
à Marine fa Suivante , de paffer devant le
Provincial pour la Maîtreffe , & elle - même
pour fa Soubrette. Le Pére qui eft
forti , leur laiffe le temps d'exécuter leur
ftratagême. Le Provincial arrive , trèsempreffé
de voir fa Prétendue. Marine
fous le nom de fa Maîtreffe , qui l'accompagne
comme Soubrette , paroît très- aimable
aux yeux du Provincial qui croit
voir en elle une Déeffe ; l'émotion qu'elle
fent à fa vue la fait tomber entre les
bras de fa Suivante , qui la reméne à fon
appartement ; & le Provincial reſté ſeul
s'applaudit de l'effet que fa préfence vient
de produire fur le coeur de fa prétendue.
La fauffe Soubrette revient ; le Provincial
lui demande des nouvelles de fa Maî
treffe , lui fait le portrait des plaifirs &
des amuſemens de fon pays. La Soubrette
lui fait , à fon tour , celui de la manière
dont les maris & femmes vivent à Paris ;
cette peinture révolte le Prétendu , que
la fauffe Soubrette laiffe à fes réflexions.
Le pére revient , embraffe fon gendre , &
lui demande s'il a vu fa fille , & s'il en
eft content. Celui- ci répond qu'il a tout
lieu de l'être ; mais qu'elle a une Sou
brette dont les difcours ont un peu cho
qué fa délicateffe. Enfuite il lui apprend
DECEMBRE. 1760. 179
que fa vue a caufé tant d'émotion à la
fille qu'elle eft un peu malade ; le pére
fe fait conduire à l'appartement qu'il lui
a deſtiné , & va chez fa fille qui fe préfente
dans le moment , appuyée ſur Marine
& fe plaignant beaucoup. Le pére
veut envoyer chercher un Chirurgien ,
Marine dit que celui de la Malade eft à
la
campagne , mais qu'un jeune Médecin
a promis de venir dans le moment,
Le Galant de la Demoiſelle eft ce Médecin
, qui arrive , lui tâte le pouls , &
devine que chez elle le coeur eft attaqué.
L'accès de la Malade redouble , le Médecin
preffe le pére de la foulager en lui
accordant celui qu'elle aime ; embarras
du pére , inftances du Médecin & de
Marine , & PActe finit. On voit que le
déguisement de l'Amoureux en Médecin
n'eft pas plus nouveau que les ftratagêmes
précédens.
Le troifiéme Acte commence de la manière
la plus ingénieufe, & préte de grands
effets à la mufique. C'eft l'Amoureufe , l'Amant
Médecin , & Marine qui entrent fur
la Scène l'un après l'autre , en faisant chacun
une comparaifon , & en s'uniffant en
fuite par un Trio qui eft de la plus grande
beauté ; on laiffe Marine feule lorsqu'on
en tend le Provincial. Il fait de nouvelles
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
proteftations d'amour à cette Soubrette ,
qui reprend alors le Rôle de Maîtreffe
& qui le prie de différer encore leur mariage
de quelques jours. Il eft étonné , &
demande les raifons de ce délai. Elle lui
avoue , enfin , fa fupercherie. Le Provincial
, que la Maîtreffe , fous l'habit de
Soubrette , a déja indifpofé contre elle ,
n'eſt point fâché de ce qu'elle ne l'aime
point , & fe réfout à partir la nuit fans
que le Pére en fçache rien. Marine paroît
le regretter; & ce fentiment le touche au
point , qu'après quelques réflexions , il
veut bien convenir de l'époufer , & lui
donne rendez- vous fur le minuit pour
partir enfemble. Le Provincial , feul
chante une Ariette fur les différentes
lités qui plaifent dans les trois conditions.
des femmes. L'Amoureuſe , contrefaiſant
toujours la Soubrette , vient trouver le
Provincial. Leur entretien fe termine par
un Vaudeville fur les peines que l'on a
dans le mariage , lorfqu'on ne s'aime
point. L'Amoureuſe inftruit fon Pére du
deffein que le Provincial a formé d'enle
ver Marine , & ils fortent tous deux dans
le deffein de fe venger . Marine vient au
rendez- vous ; & en attendant le Provincial
, elle chante une nouvelle Romance
très-jolie. Cependant le fommeil la gaz.
quaDECEMBRE
. 1760. 181
gne ; le pére qui ſurvient , la fait remonter
à fa chambre , & attend le Provincial
, qui frappe à la porte , & te prend
pour la Soubrette , dont le pére contrefait
la voix. A la vue de la mépriſe , il
cherche à fe juftifier , & fa fille vient fe
joindre à lui ; le pére vaincu par les inftances
de fa fille , lui accorde celui qu'elle
aime. Le jeune Amant paroît auffitôt le
Pére alors s'écrie :
Ceci me fait comprendre,
Que pour vous marier je ne dois plus attendre.
En vain contre ces noeuds je me gendarmerois :
Ils fe feroient tout feuls , fi je m'y refufois .
Ce mariage arrêté , Marine refufe de
fuivre le Provincial , que l'on renvoye en
lui fouhaitant un bon voyage. On n'a jamais
trop compris d'où vient ce refus de
Marine , qui avoit paru jufques- là fouhaiter
de bonne foi fon union avec le Provincial.
Cette Piéce eft théâtrale , quoique rien
n'y foit abfolument neuf. La coupure des
Ariettes eft faite avec intelligence, mais le
ftyle en eft ſouvent négligé ; & c'eſt avec
raifon qu'on attribue principalement fon
fuccès à la Mufique. On voit par ce coup
d'éffai de M. Gavigniés , qu'il s'eft donné
le temps de débuter en Maître. Ses ri
182 MERCURE DE FRANCE.
tourneles , furtout , font de la premiere
force ; fes Trio & fes Quatuor font trèsfçavans
; le goût & la variété brillent
dans la plupart de fes airs , qui font tous
auffi agréables que bien travaillés . Tout
le fublime de l'harmonie , toutes les ticheffes
fe trouvent réunis dans fes accompagnemens
; & l'on ne craint point
de dire que les plus grands Connoiffeurs
n'ont vu fon ouvrage que pour y applaudir
.
On a reproché à Mlle Desglands ďavoir
mis de l'indécence dans fon rôle ;
elle le joue pourtant comme il doit être
joué , & elle l'embellit des agrémens de
fa voix , auxquels on applaudit toujours
avec plaifir. C'eft avec plus de raiſon
qu'on a remarqué que le fieur Rochard
ne charge pas affez le fien. Mais pour
être à fon aife au Théâtre , il faut être
für de fa mémoire ; & c'eft d'ailleurs la
premiere fois que cet Acteur fe prête au
genre ridicule.
Cette Piéce fut d'abord fuivie des Fêtes
Espagnolles , nouveau Ballet férieux &
comique , qui , n'ayant pas réuffi , a´été
remplacé depuis la quatriéme repréſentation
, par le Ballet de Thémire fauvée ,
qui a fait fur ce Théâtre le même plaifir
qu'aux Boulevarts. Le fieur Billoni , qui
DECEMBRE. 1760. 18
l'a compofé , le prépare à en donner un
nouveau , intitulé Pigmalion.
CONCERT SPIRITUEL.
LE Concert qui a été executé, la Fête de
la Touffaints , a commencé par une Symphonie
fuivie d'Exaltabo te , Moter à
grand Choeur de Lalande. Mlle Rozet y
a chanté Ufquequò , petit Motet de Mouret
. M. Piffet a joué un Concerto de fat
compofition. Mlle Fel a chanté un petit
Motet dans le goût Italien; & le Concert.
a fini par le De profundis , Motet de
M. Mondonville.
Mlle Rozet a furpris par l'étendue de
fa voix , la beauté de fes cadences & de
fes ports de voix. L'on a trouvé dans le
jeu de M. Piffet beaucoup de feu , d'har
monie & de chant . L'on ne dira rien de
Mlle Fel & de M. Mondonville ; leur nom
fait leur éloge.
2 .
182 MERCURE DE FRANCE.
tourneles , furtout , font de la premiere
force ; fes Trio & fes Quatuor font trèsfçavans
; le goût & la variété brillent
dans la plupart de fes airs , qui font tous
auffi agréables que bien travaillés. Tout
le fublime de l'harmonie , toutes les ticheffes
fe trouvent réunis dans fes accompagnemens
; & l'on ne craint point
de dire que les plus grands Connoiffeurs
n'ont vu fon ouvrage que pour y applaudir.
On a reproché à Mlle Desglands d'avoir
mis de l'indécence dans fon rôle ;
elle le joue pourtant comme il doit être
joué , & elle l'embellit des agrémens de
fa voix , auxquels on applaudit toujours
avec plaifir. C'eft avec plus de raifon
qu'on a remarqué que le fieur Rochard
ne charge pas affez le fien. Mais pour
être à fon aife au Théâtre , il faut être
für de fa mémoire ; & c'eft d'ailleurs la
premiere fois que cet Acteur fe prête au
genre ridicule.
Cette Piéce fut d'abord fuivie des Fêtes
Efpagnolles , nouveau Ballet férieux &
comique , qui , n'ayant pas réuffi , a été
remplacé depuis la quatrième repréfentation
, par le Ballet de Thémire fauvée ,
qui a fait fur ce Théâtre le même plaifir
qu'aux Boulevarts . Le fieur Billoni , qui
DECEMBRE. 1760. 18%
la compofé , le prépare à en donner un
nouveau , intitulé Pigmalion.
$ CONCERT SPIRITUEL
LE Concert qui a été executé, la Fête de
la Touffaints , a commencé par une Symphonie
fuivie d'Exaltabo te , Moter à
grand Choeur de Lalande. Mlle Rozet y
a chanté Ufquequò , petit Motet de Mouret
. M. Piffet a joué un Concerto de fa
compofition. Mlle Fel a chanté un petit
Motet dans le goût Italien; & le Concert
a fini par le De profundis , Motet de
M. Mondonville.
Mlle Rozet a furpris par l'étendue de
fa voix , la beauté de fes cadences & de
fes
ports
de voix. L'on a trouvé dans le
jeu de M. Piffet beaucoup de feu , d'har
monie & de chant . L'on ne dira rien de
Mlle Fel & de M. Mondonville ; leur nom
fait leur éloge.
2 .
182 MERCURE DE FRANCE.
tourneles , furtout , font de la premiere
force ; fes Trio & les Quatuor font trèsfçavans
; le goût & la variété brillent
dans la plupart de fes airs , qui font tous
auffi agréables que bien travaillés. Tout
le fublime de l'harmonie , toutes les ticheffes
fe trouvent réunis dans fes accompagnemens
; & l'on ne craint point
de dire que
les plus grands Connoiffeurs
n'ont vu fon ouvrage que pour y applaudir.
On a reproché à Mlle Desglands ďavoir
mis de l'indécence dans fon rôle ;
elle le joue pourtant comme il doit être
joué , & elle l'embellit des agrémens de
fa voix , auxquels on applaudit toujours
avec plaifir. C'eft avec plus de raiſon,
qu'on a remarqué que le fieur Rochard
ne charge pas affez le fien. Mais pour
être à fon aife au Théâtre , il faut être
für de fa mémoire ; & c'eft d'ailleurs la
premiere fois que cet Acteur fe prête au
genre ridicule.
Cette Piéce fut d'abord fuivie des Fêtes
Espagnolles , nouveau Ballet férieux &
comique , qui , n'ayant pas réuffi , a été
remplacé depuis la quatriéme repréſentation
, par le Ballet de Thémire fauvée ,
qui a fait fur ce Théâtre le même plaifir
qu'aux Boulevarts. Le fieur Billoni , qui
DECEMBRE. 1760. 18%
l'a compofé , le prépare à en donner un
nouveau , intitulé Pigmalion .
CONCERT SPIRITUEL
LE Concert qui a été executé, la Fête de
la Touffaints , a commencé par une Symphonie
fuivie d'Exaltabo te , Motet à
grand Choeur de Lalande . Mile Rozet y
a chanté Ufquequd , petit Motet de Mouret
. M. Piffet a joué un Concerto de fa
compofition. Mlle Fel a chanté un petit
Motet dans le goût Italien; & le Concert.
a fini par le De profundis , Motet de
M. Mondonville.
Mlle Rozet a furpris par l'étendue de
fa voix , la beauté de fes cadences & de
fes
ports
de voix. L'on a trouvé dans le
jeu de M. Piffet beaucoup de feu , d'har
monie & de chant . L'on ne dira rien de
Mlle Fel & de M. Mondonville ; leur nom
fait leur éloge.
182 MERCURE DE FRANCE.
tournelles , furtout , font de la premiere
force ; fes Trio & fes Quatuor font trèsfçavans
; le goût & la variété brillent
dans la plupart de fes airs , qui font tous
auffi agréables que bien travaillés. Tout
le fublime de l'harmonie , toutes les ticheffes
fe trouvent réunis dans fes accompagnemens
; & l'on ne craint point
de dire que les plus grands Connoiffeurs
n'ont vu fon ouvrage que pour y applaudir.
On a reproché à Mlle Desglands d'avoir
mis de l'indécence dans fon rôle ;
elle le joue pourtant comme il doit être
joué , & elle l'embellit des agrémens de
fa voix , auxquels on applaudit toujours
avec plaifir. C'eft avec plus de raifon
qu'on a remarqué que le fieur Rochard
ne charge pas affez le fien. Mais pour
être à fon aife au Théâtre , il faut être
für de fa mémoire ; & c'eft d'ailleurs la
premiere fois que cet Acteur fe prête au
genre ridicule.
Cette Piéce fut d'abord fuivie des Fêtes
Espagnolles , nouveau Ballet férieux &
comique , qui , n'ayant pas réuffi , a été
remplacé depuis la quatriéme repréfentation
, par le Ballet de Thémire fauvée ,
qui a fait fur ce Théâtre le même plaifir
qu'aux Boulevarts . Le fieur Billoni , qui
1
DECEMBRE. 1760 . 183
l'a compofé , le prépare à en donner un
nouveau , intitulé Pigmalion .
CONCERT SPIRITUEL
LE Concert qui a été executé, la Fête de
la Touffaints , a commencé par une Symphonie
fuivie d'Exaltabo te , Moter à
grand Choeur de Lalande. Mlle Rozet y
a chanté Ufquequòd , petit Moret de Mouret
. M. Piffet a joué un Concerto de fa
compofition. Mlle Fel a chanté un petit
Motet dans le goût Italien; & le Concert.
a fini par le De profundis , Motet de
M. Mondonville.
Mlle Rozet a furpris par l'étendue de
fa voix , la beauté de fes cadences & de
fes ports de voix. L'on a trouvé dans le
jeu de M. Piffet beaucoup de feu , d'har
monie & de chant. L'on ne dira rien de
Mlle Fel & de M. Mondonville ; leur nom
fait leur éloge.
184 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
E
De PETERSBOURG , le 16 Octobre 1760.
Le Feld-Maréchal Comte de Buttarlin eft parti
vers le commencement de ce mois , pour aller
prendre le Commandement de notre Armée fur
les Frontieres de la Siléfie ; la maladie continuelle
du Feld Maréchal Comte de Soltikoff ne lui permettant
plus de faire les Fonctions de Général . Le
Comte de Fermer commande cette Armée jufqu'à
l'arrivée du Comte de Butturlin .
Les Ruffes , après avoir exigé de la Ville de
Francfort fur l'Oder , une comtribution de cinquante
mille écus , ont décampé de fes environs , & ils
marchent , par Droffen & Zietenzig fur Driefen ,
pour entrer dans la Poméranie. Un de leurs Corps
a déjà pénétré jufqu'auprès de Schwedt , fous les
ordres du Général de Czernichew.
1 De WARSOVIE , le ro Octobre.
Les de ce mois, jour anniverfaire de l'élection
de Sa Majeſté , on célébra cet événement par les
réjouiffancesaccoutumées . Le même jour , le Marquis
de Paulmy , Ambaffadeur de Sa Majesté Très-
Chrétienne , auprès du Roi & de la République ,
fit fon entrée dans cette Ville . Il fut conduit à
l'Audience de Sa Majeſté , par le Prince Czartorifky
, Palatin de Ruffie > avec tous les honneurs &
les cérémonies d'uſage.
DECEMBRE. 1760. 185
De COPPENHAGUE , le 20 Octobre.
On célébra le 16 de cé mois , dans cette Capitale
& dans tout le Royaume , le centiéme anniverfaire
du jour auquel la Couronne de Dannemark
fut rendue héréditaire dans la Maifon d'Oldenbourg
De VIENNE , le 8 Novembre.
Le Lieutenant Colonel Baron de de Rotchitz ,
Aide de Camp général , arriva le 6 dans cette
ville précédé d'un grand nombre de poftillons fonnant
du cor. Il apportoit à Leurs Majeftés Impé
riales , la nouvelle d'une victoire remportée le 3
dans les environs de Torgau , par l'Armée Autrichienne
fur celle du Roi de Pruffe. Ses dépêches
contenoient les détails ſuivans.
Le Roi de Pruffe , ayant réuni toutes les forces
dès la fin du mois dernier , marcha le 2 d'Eulenbourg
fur Schilda . Son objet étoit de couper à
L'Armée Autrichienne fa communication avec
Dreſde & Freyberg en fe portant fur fes derrieres;
mais le Maréchal Comte de Daun , s'étant apperçu
de ce deffein , fit faire à fon Armée un mouvement
de converfion par lequel il préfenta le front
à l'Armée Pruffienne ; il porta fa droite à Zima ,
& fa gauche fut appuyée aux hauteurs de Suplitz ,
voifines de Torgau.
Le 3 ,
l'action s'engagea vers midi . L'Armée
Pruffienne déboucha des bois fur plufieurs colonnes
ponr nous attaquer ; elle fut reçue partout avec
tant de vigueur , que plufieurs de ces colonnes furent
repouffées jufques dans le bois. Elle renouvella
fes attaques à diverles repriſes & avec acharnement
juſqu'à huit heures du ſoir qu'elle fit ſa retraite
, abandonnant le champ de bataille à nos
groupes. Notre Cavalerie a beaucoup contribué à
186 MERCURE DE FRANCE.
eet avantage. Elle a enfoncé plufieurs fois l'Infanterie
Ennemie , & elle a fait un très- grand nombre
de prifonniers. Cette action a été fort meurtriére
de part & d'autre. On évaiue la perte des Prufliens
à feize mille hommes environ, tant tués que bleffés,
prifonniers & déferteurs. Le nombre des prifonniers
montoit , au départ du Baron de Rotchitz
à plus de trois mille hommes. De ce nombre font
les Généraux de Finckenftein & de Bulow.
C
"
Notre perte peut monter à près de dix mille
hommes, tant tués que bleffés. Le Général deWalther
, qui commandoit l'Artillerie , eft au nombre
des premiers. Le Maréchal Comte de Daun , ayaut
recu un coup de feu dans la jambe qui le mettoit
hors d'état de fe tenir à cheval , remit le Commandement
au Comte Odonel , Général de Cavalerie
, & il fe fit tranfporter à Torgau . Les autres
Officiers Généraux bleffés font , le Duc d'Aremberg,
& le Comte de Sincere, Généraux d'Infanterie
; le Comte de Buckow , Général de Cavalerie,
le Duc de Bragance , & le Comte de Domballe. Le
Général de Saint- Ignon a été fait prifonnier.
Le Baron de Rotchitz , qui a apporté ces détails ,
ayoit été dépêché à dix heures du foir par le Maréchal
de Dawn . On apprend , par des avis poftérieurs
que les Pruffiens , ayant raflemblé leurs forces ,
font parvenus,fous les ordres duGénéral de Ziéten,
à gagner , pendant la nuit , les hauteurs de Suplitz ,
auxquelles la gauche de notre Armée étoit appayée.
La difficulté de les déloger de ce pofte trèsavantageux
, qui dominoit notre armée , l'a obligée
d'abandonner fa pofition & les environs de
Torgau , le 4 , à la pointe du jour , après avoir
paffé la nuit fur le champ de bataille . Elle n'a pas
Exécuté cette retraite fans être inquiétée par les
Pruffiens. Le gros de l'Armée a paffé l'Elbe & eft
allé camper à Coffdorff , le Corps du Général
DECEMBRE. 1760. 187
Comte de Lafcy continue d'occuper , avec quelques
autres troupes , la rive gauche de ce fleuve ,
en s'étendant jufqu'a Belgern.
Les playes preique continuelles qui font tombées
pendant plufieurs jours en Silésie ont tellement
augmenté l'étendue des marais , dont la fortereffe
de Cofel eft environnée de toute part , que le Baron
de Laudon a été obligé de renoncer au projet
d'affiéger cette place. Ce Général s'eft mis en
marche avec ſon Corps du côté de Cunzendorff ;
le Baron de Goltze eſt arrivé dans les environs de
Breflau avec un détachement de l'Armée Pruffienne
d'environ quinze mille hommes.
On apprend, par les Lettres de Conftantinople ,
que Kérid- Kan , l'un des prétendans au Trône
de Sophis, a été reconnu par la plus grande partie
de la Perfe. Le fils d'Affad- Kan , le dernier de fes
compétiteurs , a été obligé de ſe réfugier , dans
une Province frontiére du Mogolftan. Kérid-Kan
travaille à s'affermir fur le Trône , & la Perfe
commence à fe rétablir des ravages qu'elle a ef
fuyés pendant les troubles qui l'ont agitée.
De HAMBOURG , le 2 Novembre..
La rigueur de la faifon a obligé les troupes Sat
doifes de prendre des quartiers de Cantonnement.
Elles évacuerent Anclàm le 27 du mois dernier
& elles marcherent fur Grifpwalde où le Baron de
Lantingshaufen a établi fon quartier général. Une
partie de ces troupes forme un cordon le long de
la Péene , de la Trebbel & de la Rechnitz.
La principale divifion de l'Armée Ruffe campe
préfentement dans les environs de Sranſtadt & de
Liffa. La divifion qui eft aux ordres du Général
Comte de Czernichef, eft auprès de Landsberg
fur la Wartha.
88 MERCURE DE FRANCÊ.
De RATISBONNE , le 6 Novembre.
Les dernieres nouvelles de la Saxe portent que
l'Armée de l'Empire , après avoir évacué Léipfick,
s'eft portée à Lucka , le 31 du mois dernier : elle a
continué fa marche la nuit fuivante , & elle eſt arrivée
le lendemain dans les environs de Zéitz. Le
Corps de troupes du Duc de Wirtemberg s'eft replié
de Lindenau , fur Weiffenfels & Naumbourg.
Le Roi de Pruffe a fait publier dans Léipfick une
Ordonnance par laquelle il énjoint à tous les habians
de cette Ville qui s'en font retirés à cauſe de la
Guerre , d'y retourner fans délai , fous peine d'encourir
fon indignation , & d'être rigoureuſement
punis. Cette ordonnance menace les Parens de
ceux qui font abfens, de les en rendre reſponſables.
Cette Ville eft dans les allarmes , & fes habitans
s'attendent à éprouver bientôt de nouvelles ri
gueurs , fi le Roi de Pruffe fe maintient dans cette
partie de la Saxe.
On vient de transférér ici un grand nombre
d'otages Prùffiens qu'on s'eft fait donner pour la
fûreté des contributions impofées par le Duché de
Magdebourg par l'Armée de l'Empire & par le
Corps du Duc de Wirtemberg. On a conduit dans
cette Ville plufieurs Officiers Pruffiens pris dans
les actions de Torgau & de Wirtemberg. La gar
nifon de cette derniere Ville , commandée par
Général Salomon , s'étoit rendue prifoniére avec
lui. Elle confiftoit en près de trois mille hommes.
le
Les nouvelles de Drefde ont appris que les Généraux
de Lafcy & de Totteleben , ayant rempli
leur objet , & étant informés que le Roi de Pruffe
marchoit au fecours de fa Capitale , l'abandonnèrent
le 13 de ce mois . Les Ruffes prirent la route
de Fuftenwald pour rejoindre leur armée qui campoit
à Rippen , près de Francfort fur l'Oder . Le
DECEMBRE. 1760.
Corps du Général de Lafcy ſe rerira par Jutterbock
du côté de Wittemberg, où il joignit l'Armée
de l'Empire.
La Ville de Berlin n'ayant pas pu trouver les
quinze cens mille Rixdales qu'on lui a demandées ,
on s'eft contenté de cinq cens mille qui ont été
payées comptant. On a reçu pour le furplus , des
Lettres de change payables en deux termes , &
en s'eft fait donner les ôtages néceffaires pour la
fûreté de ces payemens .
On écrit de Hambourg que la Ville de Philip
ftadt , dans la Province de Warmie , a été prèfqu'entierement
réduite en cendres la nuit du 25
au 26 de Septembre.
Les Pruffiens avoient évacué la Ville de Léipfick
, où ils font rentrés , la nuit du 4 au d'Octobre
, après avoir encloué l'artillerie qu'ils ne
pouvoient pas emmener.
De MADRID , le 14 Octobre.
Le Comte de Ricla , que le Roi avoit nommé
fon Miniftre Plénipotentiaire à la Cour de Ruffie,
ayant demandé que Sa Majefté voulût bien le
difpenfer de remplir cette deftination , Elle
choisi pour le remplacer , avec le même caractè
re , le Marquis de Almodovas , un de fes Majordommes
.
Don Jofeph Torrefo , Ambaffadeur ordinaire
de notre Cour auprès du Roi de Portugal , eft
parti pour le rendre à fa deſtination.
On apprend de Lisbonne que les Marattes ont
mis le fiége devant Goa qu'ils preffent avec
beaucoup d'ardeur. Don Joachim d'Acofta , Miniftre
& Secrétaire d'Etat de la Marine a été dif,
gracié. On s'occupe à rebâtir, cette Capitale. Les
Infants Dom Antoine & Dom Jofeph , freres napurels
du Roi de Portugal , ne font plus gardés fi
Ego MERCURE DE FRANCE.
rigoureuſement dans leur retraite. Ces deux Prin
ces ont la liberté de le voir , & on eſpére qu'ils
rentreront bientôt en grâce.
De ROME , Le 3 Novembre.
Letour que prend notre démêlé avec la Cour de
Portugal, caufe ici beaucoup d'inquiétude. La bonne
intelligence entre notre Cour & la République
de Génes, ne prend pas un meilleur tour. Le Sénat
de Génes exige pour préliminaire de réconciliation,
que le Vifiteur Apoftolique foit rappellé de l'Ile de
Corfe.
Dans la derniere affemblée des Nobles tenue au
Capitole , la famille des Comtes de Renaldis , originaires
du Frioul, fut aggrégée au Corps de la Nobleffe
Romaine.
On apprend que la Ville de Naples a réfolu
d'élever une Statue de Bronze en l'honneur de
Don Carlos , pour marque de reconnoiffance des
beaux établiffemens que ce Prince a faits pendant
qu'il a été fur le Trône des deux Siciles.
De LONDRES , le 4 Novembre.
On apprit , le 25 du mois dernier , dans cette
Ville la mort du Roi Georges II . arrivée le même
jour à Kinfington vers les huit heures du matin .
Auffitôt les Lords du Confeil privé s'affemblerent
à l'hôtel de Carleton , & ils y drefferent l'acte de
proclamation du nouveau Roi. Le lendemain , cer
acte fut publié dans lesquatre principaux quartiers
de la Ville ; après quoi le Roi Georges III . recut
les complimens accoutumés,& il créa Membre du
Confeil le Duc d'Yorck fon frere, qui prit féance à
côté de lui.
De LA HAYE, le 9 Novembre.
On a apprispar les Lettres de l'Inde, la véritable
DECEMBRE. 1760. 19t
cauſe du démêlé furvenu à Bengale , entre notre
Compagnie & celle des Anglois. Ceux - ci ayant
placé fur le Trône le Nabab régnant , ce Prince
les a affranchis de toute redevance , & en a impofé
de nouvelles fur notre Commerce. Il venoit d'ex
torquer récemment à notre Compagnie une fomme
fort confidérable . Le Gouverneur de Battavia
envoya pour le faire rendre juftice , quelques Vaif
feaux de ligne dans le Golfe de Bengale ; mais les
Anglois , Alliés de Nabab , les ont attaqués avec
des forces fupérieures , & les ont empêchés d'exécuter
leur projet. Ils ont enfuite repréſenté en
Europe cette expédition avec les traits les plus
noirs,& commeune entrepriſe fur leur Commerce,
pendant qu'elle avoit un objet très- différent.
Le Prince de Stadhouder & fa maiſon , ont pris
le deuil pour fix mois , à l'occaſion de la mort du
Roi d'Angleterre.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée
de Paris , &c.
LE
De VERSAILLES , le 20 Novembre.
E Rol a donné l'Abbaye de Jouy , Ordre de
S. Benoît , Diocéfe de Sens , à l'Archevêque de
Tours.
Celle de S. Faron , Ordre de S. Benoît , Diocèle
de Meaux , à l'Abbé de Soulange , Vicaire Général
du Diocéfe de Vannes & Aumônier de Madame
Adelaide.
Celle de Préaux , Ordre de S. Benoît , Diocèle
de Lifieux , à la Dame de Gimel de Lantilhac ,
192 MERCURE DE FRANCE.
C
Religieufe de l'Abbaye de la Régle à Limoges.
Et le Prieuré de Neufchâtel, Diocéle de Rouen,
à la Dame de Rofée , Religieufe Bénédictine du
Monaftére de Belfond à Rouen .
Le 24 du mois dernier , Sa Majeſté tint le
Sceau.
La Cour a pris le deuil pour trois ſemaines à
l'occafion de la mort du Roi d'Angleterre . Ce
Prince mourut fubitement âgé de foixante & dixfept
ans.
Le 12 de ce mois , la Reine & Monfeigneur le
Dauphin fe rendirent à la Chapelle pour y tenir
fur les Fonts de Baptême un fils du fieur Thierry,
Moufquetaire , & Huiffier de la Chambre du Roi ,
que Sa Majefté nomma Marie - Louis . L'Abbé de
-Saint- Hermine , fon Aumônier de Quartier , fit
la Cérémonie.
Le 17 , le Roi tint le Sceau.
De CASSEL , le 9 Novembre.
Nous occupons toujours Duderftard & le Pays
d'Eyfeldt , d'où il arrive à Gottingen une grande
quantité de fubfiftance. On travaille à réparer
cette derniere Place avec la plus grande diligence.
De WESSEL , le 16 Novembre.
Le Corps aux ordres du Marquis de Caftries >
après avoir paffé le Rhin , s'eft avancé le 10 de
ce mois à Drevenick , éloigné de cette Ville de
deux lieues. On a appris que le Prince Héréditaire
de Brunſwick , dont une partie des troupes
étoient cantonnées, les a raffemblées en deux Corps
P'un près Gros- Kekum , où eft fon Quartier général
, l'autre près de Dorften , aux ordres du Général
Spangenberg.
On eft reſté jufqu'à cejour de part & d'autre
dans la même fituation . Il n'y a eu que quelques
efcarmouches
DECEMBRE 1760. 193
efcarmouches entre les poftes avancés. La groffe
artillerie du Marquis de Caftries eft encore dans
cette Ville. Toutes les voitures de munitions font
chargées , & tout eſt à fe mettre en marche
au premier ordre.
prêc
L'expédition dont le Comte de Stainville avoit
été chargé , a eu tout le fuccès qu'on pouvoit defirer.
Ce Lieutenant Général s'eft porté par Nordhaufen
, Hartzzerode & Quedlinbourg , jufqu'à
Halberstadt , qu'il a mis à contribution . Il a attaqué
, le 18 de ce mois , près de Emfleben , cinq
cens hommes des Ennemis qui s'étoient retranchés
; il les a forcés , & a fait cent cinquante prifonniers.
Le Comte de Stainville eſt enfuite retourné
à l'armée avec les ôtages qu'il s'eft fait livrer
pour la fureté des contributions.
De PARIS , le 22 Novembre.
Il paroît une Déclaration du Roi , en date du
18 Septembre dernier , par laquelle Sa Majefté
rétablit les Officiers Commenfaux de fa Maiſon ,
& autres , à qui l'exemption de la Taille perfonnelle
eft accordée , dans la jouillance de cette
exemption , à commencer du premier Octobre de
cette année , nonobſtant la ſuſpenſion ordonnée
par la Délcaration du 17 Avril 1759.
Sa Majeſté informée par l'Evêque d'Orléans
de l'extrême modicité des revenus des Chanoines-
Comtes de Brioude , a confenti à l'union de la
Manfe Abbatiale de l'Abbaye de Charroux , Diocèle
de Poitiers , & de plufieurs Prieurés qui en dépendent
, pour en être les fruits & revenus unis
en leur faveur . Ces Chanoines Comtes de Brioude
, pénétrés de cette grace , fe font affemblés
capitulairement , & ils ont arrêté , pour perpétuer
leur refpectueuse reconnoiffance envers Sa
Majefté , de fonder une Grand'-Melle , qui fera
I
194 MERCURE DE FRANCE.
célébrée annuellement le lendemain de la Fête
de Saint Louis , afin de demander plus particulièrement
à Dieu la confervation de Sa Majefté &
de la Famille Royale. Ils ont auffi arrêté que le
Comte de Montmorillon feroit député pour faire
agréer , de la part du Chapitre , à l'Evêque d'Or
léans , des Lettres de Comte Honoraire de Briou
de , pour lui témoigner combien ils font fenfibles
aux repréſentations qu'il a faites à Sa Majeſté en
faveur de la Nobleffe qui compofe ce Corps.
Le fieur Bertin , Contrôleur général des Finances
, ayant préſenté au Roi le plan qu'il a formé
pour la difpenfation des revenus de Sa Majefté
dans l'année 1761 , le Roi l'a fait examiner en fon
Confeil , où il a été unanimement approuvé. Par
cet arrangement les fonds font faits pour les dépenfes
de la guerre de terre & de mer de la campagne
prochaine , pour celles de la Maifon de Sa
Majefté , pour le payement des rentes de l'Hôtelde-
Ville & de toutes les autres rentes quifont
payées jufqu'à préfent ; & cela fans nouveaux impôts
& emprunts.
Le douze de ce mois l'ouverture du Parlement
fe fit avec les Cérémonies accoutumées , par une
Mefle folemnelle , à laquelle le fieur Molé , Premier
Préſident , & les Chambres affiftérent , &
qui fut célébrée par l'Abbé de Sailly , Chantre de
la Sainte- Chapelle , & Aumônier de Madame la
Dauphine.
> La Cour des Aydes fit auffi , le 12 la rentrée
ordinaire de ſes Séances . Après la Meſſe , le fieur
de Lamoignon de Malesherbes , Premier Prédent
, fit un Diſcours ſur la Prudence dont le Magiftrat
doit ufer ; & le fieur Clément de Barville ',
Avocat Général , fit voir dans fa Harangue combien
le Magiftrat doit mettre d'âme dans fes
fonctions.
DECEMBRE. 1760: 195
Le 13 de ée mois , Dom Tilly , Abbé de l'Or
dre des Prémontrés , reçut , dans l'Eglife des
Carmelites de la rue Saint Jacques , l'abjuration
de la Dame veuve du brave Capitaine Thurot ,
à laquelle il fit un Difcours éloquent fur les Vérités
de la Religion.
Le tirage de la Loterie de l'Ecole Royale Militaire
, s'eft fait en la manière accoutumée , dans
l'Hôtel-de -Ville de Paris , le 6 de ce mois. Les
numéros fortis de la roue de fortune font , 6 ,
20 , 38 , 52 , 57 ; le prochain tirage fe fera le
ƒ du mois de Décembre.
MORTS.
Le fieur Aunillon , Abbé Commendataire de
P'Abbaye Royale de Gué - de- l'Annay , Ordre de
Saint Benoît , Diocèfe du Mans , mourut en cette
Ville , le 15 du mois dernier , dans fa foixante &
dix-feptiéme année.
Le fieur Du Vigier , Abbé de l'Abbaye Royale
de Gondon , Ordre de Citeaux , Diocèle d'Agen ,
eft mort à Bordeaux , le 17 , âgé de foixante ans.
N. de Valcroiffant , Archidiacre de l'Eglife
Cathédrale d'Aix , Abbé de l'Abbaye Royale de
Saint Sauveur de Vertus , Ordre de Saint Benoît
, Diocèſe de Châlons- fur- Marne , mourut à
Aix , le 18 , dans la quatre- vingt-troifiéme année
de fon âge.
Les RR. Péres Bénédictins de l'Abbaye de Saint
Laumer , de la Congrégation de Saint Maur ,
Ville & Diocèfe de Blois , pour fatisfaire aux Réglemens
de leur dernier Chapitre , ont fait , le
du préfent mois de Novembre , le Service folem
nel pour le repos de l'âme de Meffieurs les Offi
ciers & Soldats, tués dans la guerre actuelle . Ces
Religieux , pour témoigner leur zéle à s'acquitter
I ij
196 MERCURE DE FRANCE
de ce qu'ils peuvent , felon leur état , ont fait
ce Service avec toute la folemnité poffible . Comme
tous les grands & les petits font intéreſſés aux
pertes inféparables d'une action , y ayant des parens
ou amis , ils ont fait inviter par billets imprimés
tous les Habitans de la Ville . Ce Service
a été annoncé le 4 par le fon des cloches , qui
ont fonné à midi , à fept heures du foir , &
le lendemain à fix du matin , pendant une heure
à chaque fois ; le Choeur & le Sanctuaire de leur
Eglife étoient tendus en noir de la hauteur de douze
pieds au milieu s'élevoit un Catafalque haut de
quinze pieds , illuminé de plus de cent cierges.
La Grand'- Meffe a été célébrée par le Prieur de
l'Abbaye , avec les Diacre & Soûdiacre. Elle a
été entonnée par le premier Chantre , avec fon
bâton de dignité , accompagné de les deux Sous-
Chantres , & a été pourfuivie par les Religieux du
Choeur , avec deux Serpents que Meſſieurs de la
Cathédrale de Blois fe font fait un plaifir d'accor--
der à la demande des Religieux. La Profe Dies
ira , &c. a été chantée , à l'alternative avec le
Choeur , par le Sous - Chantre avec fon bâton de
dignité , accompagné de deux autres Religieux
tous trois en chappe de velours noir , A la fin de
la Melle , quatre Religieux Prêtres , y compris le
Prieur , tous revêtus d'aube , étole & chappes de
velours noir , ont fait les quatre Abfoutes qui ,
feules , ont duré près d'une heure.
On peut dire qu'on ne peut pas afſiſter à un
Office qui puille fe faire , de la part de ces Religieux
, avec plus de fageffe , de modeſție & de
gravité de chant ; comme également on doit ajoûter
que la piété , la dévotion & le recueillement
des affiftans , étoient capables d'en infpirer aux
plus indifférens. Tout s'eft paflé avec ordre , décence
& fans trouble. Meffieurs de l'Hôtel- deDECEMBRE
1760. 107
Ville ont eu la politeffe d'accorder aux Religieux
des Soldats de leur garde , pour empêcher la cokue
& maintenir le bon ordre.
Tout ce qu'il y a de grands & petits à Blois y ont
affifté. On y a vu des Chanoines de la Cathédrale ,
des Curés , Vicaires , & beaucoup d'autres Ecclé .
fiaftiques ; comme aufli Chanoines Réguliers , Jacobins
, Cordeliers , Minimes , Capucins. M. le
Premier Président de la Chambre des Comptes ,
& d'autres Membres de cette Cour , s'y font trouvés
; comme auffi des Membres du Préfidial
de la Cour des Aydes & de la Chambre de Ville ;
il y avoit beaucoup de Nobleffe , anciens Officiers ,
quantité de Meffieurs & Dames de diftinction , &
un nombre très-grand de tout état.
Nifi enim eos refurecturos fperaret , fuperfluum
Videretur & vanum orare pro mortuiss
Gazettes & Papiers Anglais.
7 Les Éditeurs des Papiers Anglois traduits dans
notre Langue , viennent de repandre un nouvel
avis dans le Public. On le rappelle affez combien
les premieres feuilles de cette tradnction furent accueillies
; mais le but pour lequel on s'étoit permis
de ne rien diffimuler de la licence des déclamations
Angloifes , échappa à la multitude. Les
raifons folides qui avoient autorifé cette liberté ,
ne purent prévaloir contre les préventions d'une
grande partie du Public ; &, comme il arrive prèfque
toujours , il fallut facrifier des vues utiles à
la crainte de déplaire.
Ce découragement eût fait abandonner l'entreprife
, fi les Editeurs n'avoient été conduits que
par des intérêts particuliers ; mais un feul inconvénient
ne permettoit pas à des Citoyens de né-
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
gliger les avantages fenfibles qui pouvoient réfalter
de la continuation de cet Ouvrage.
On n'a point ceflé de croire qu'il étoit intéreſfant
pour la Nation de connoître les opinions qui
partagent les Anglois fur l'adminiſtration de la
Grande-Bretagne ; de faire fentir les vices & les
malheurs de leur Gouvernement qui épuiſent
l'Angleterre , malgré les fuccès apparens qu'elle
peut avoir pendant cette guerre. Ce tableau , véritablement
utile , pouvoit encore le trouver fucceffivement
dans les papiers que l'on s'étoit propofé
de traduire , & c'en étoit affez pour que le
zéle des Editeurs ne fe réfroidît pas.
Mais dans la continuation qui fut donnée , on
s'affervit trop fcrupuleufement , à peut-être, des
détails qui ne pouvoient intéreffer que foiblement
hors de l'Angleterre. On traduifit dans toute fon
étendue , de longs écrits politiques , dont il eût
fuffi de faire connoître l'efprit dans un extrait fidéle.
On s'écarta trop de toutes les Gazettes conques
, en laiffant trop peu de place aux nouvel
les qui font , dans les circonftances préfentes
Tobjet le plus effentiel de la curiofité. On ne fur
point varié , autant qu'il étoit poffible de l'être .
Les annonces de Littérature , les événemens par
ticuliers , les anecdotes , fouvent piquantes , furent
entiérement négligés.
,
On a confulté la voix publique , & d'après elle ,
on s'eft proposé d'éviter tous ces écueils . Un homme
de Lettres , d'un mérite connu a bien voulu
fe charger de la traduction des papiers Anglois.
La premiere feuille vient de paroître le 11 de ce
mois , avec le nouvel avis des Editeurs ; il en paroîtra
une réguliérement tous les Mardis . Pour
rendre le Public juge des changemens avantageux
que l'on a faits & dans le fond & dans la
forme de cet Ouvrage , pour le mettre à portée
DECEMBRE. 1760 . 199
de recevoir de lui des inftructions fur ce qui
lui plairoit davantage ; enfin , pour étudier fon
goût, qui doit être la régle de tout Ecrivain qui
fe refpectera lui-même , on donnera gratuite ,
ment toutes les feuilles du mois de Novembre ,
& à ceux qui feront abonnés , on continuera ce
même envoi gratuit jufqu'au mois de Janvier .
On s'adreflera , pour les abonnemens , au Bur
reau général des Gazettes étrangères , rue & visà-
vis la grille des Mathurins.
On pourra s'adrefler auffi aux Bureaux parti
culiers établis dans les principales Villes du Royau
me.
Il fera de régle de faire infcrire avant le 20
du mois qui précédera celui pour lequel on fouhaitera
de commencer fon abonnement,
A VI S.
LE COURIER POLITIQUE , OU GAZETTE DE FRANCFORT
a commencé le 17 Juin 1760 avant l'ouver
ture de la Campagne , & paroîtra régulierement
deux fois par semaine. C'elt principalement pour
l'armée deFrance que l'on a établi cette Gazette.On
y trouve exactement tous les bulletins des armées
de Broglie , de Daun & de l'Empire. Le Lecteur
appercevra ailément, que l'Auteur écrit fans paffion
& fans partialité , & qu'inftruit le premier des faits
qui fe paffent , pour ainfi dire , fous les yeux, par
le voifinage de l'armée de France , il n'a d'autre
vue que de nous les faire parvenir dans leur nouveauté
, & avec la plus exacte vérité .
L'année d'abonnement de cette Gazette eft de
trente-fix livres , & commencera au premier ordinaire
du mois de Janvier prochain . Pour le la pro
curer en France , il faut s'adreſſer ou au Bureau
général des . Gazettes étrangeres , rue & vis- à-vis
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
la grille des Mathurins, ou aux Bureaux particuliers
des Provinces.
L'Auteur de cette Gazette fait paroître les mêmes
jours un Courier littéraire , dans lequel on
donne une notice courte des Livres qui paroiffent :
le Bureau des Gazettes étrangères n'en eft pas chargé.
Pour fe le procurer , on pourra s'adreſſer à fon
Auteur , à Francfort , en attendant qu'il indique
ceux chez qui on le trouvera en France.
Tirage de la premiere Loterie de l'Hôtel- de-
Ville de Paris , accordée par Arrêt du Conſeil du
30 Juillet 1760.
De par les Prévôt des Marchands & Echevins.
Le Public eft averti que le Tirage de la premiere
Loterie de l'Hôtel de Ville de Paris , ac
cordée par Arrêt du Confeil du 30 Juiller 1760 ,
fe fera publiquement dans la grande Salle dudit
Hôtel de Ville , en préfence & fous les ordres
des Frévôt des Marchands & Echevins , en
la manière accoutumée , le Mardi 16 Décembre
1760 , & jours fuivans , fans interruption : &
que huitaine après ledit Tirage fini , la lifte des
numéros gagnans fera imprimée & rendue publique
; & les Lots payés comptant, au defir dudit
Arrêt.
Remédes.
M. DE CLAIRON , Préfident à la Chambre des
Comptes & Cour des Aides de Franche - Comté , a
prefenté au Roi , à la Reine , a la Famille Royale
, à tous les Miniftres , à M. le Maréchal de
Belleifle , à M. le Maréchal de Broglie , à M. de
Senac , premier Médecin du Roi , & à Meffieurs
de la Facultéde Médecine de Paris , un Mémoire
par lequel il leur expofe la découverte qu'il a
DECEMBRE. 1760. 201
faite de plufieurs Plantes fpécifiques pour la guérifon
des fiévres de toute espéce , des pleurélies &
au plus tard au cinquiéme accès , des obftructions
du foye & de la rate , de l'hydropifie , de la
rétention d'urine caufée par la pierre dans un
mois , de la dyfenterie même jufqu'au fang
dans huit jours , des fleurs blanches dans la révolution
de deux mois à n'en prendre que fix jours
defuite par mois, & des hémorroïdes en vingt - quatre
heures. Il a fait un Traité qui enfeigne la maniè
re de fe les procurer & de s'en fervir , qui a mérité
l'approbation de MM . les Cenfeurs de la Faculté
de Médecine de Paris , de M. de Senac , & de plufeurs
autres Médecins , & en attendant que ce
Traité parvienne à la connoillance du Public ,
i en offre à MM. les Médecins , Chirurgiens &
Apoticaires , & à quiconque en voudra faire ufage
, parce qu'il en garantit l'éthcacité & une
prompte guérifon . Il eft logé à la rue du Plâtre ,
près la rue S. Jacques , chez un Marchand Herborifte.
GOUTTES PHILOSOPHIQUES du fieur Mutelé
du Chevalier.
Le fieur MUTE LÉ , dont l'étude continuelle
lui a mérité l'attention du Public , par le nombre
des cures furprenantes qu'il a opérées, & qu'il opére
continuellement par les vertus finguliéres de fon
Opiat Philofophique, qui eft l'ouvrage de la nature
& de l'art ; fe croit obligé par reconnoiffance de
la confiance dont on l'a honoré , de faire part à fa
Patrie d'un nouveau reméde qui par d'heureux &
& infaillibles fuccès , guérit une infinité de maladies
& maintient en parfaite fanté.
Il eft bon de fçavoir que toutes les maladies en
général qui affligent le corps humain , tirent leuc
202 MERCURE DE FRANCE.
origine de la corruption de la maffe du fang , cau→
fée les excès du boire & du manger ,
par
ainfi que
des mauvais alimens qui formant un mauvais levain
, fe communiquent en naiffant par nos péres
& méres , dont les vices du tempérament font
la foibleffe de la conftitution , & la rendent plus
fufceptible des influences malignes qui dominent
fur les corps. Chaque Aftre comme chef dominateur
fur ce monde fubcéleste nous communique
fuivant la nature les maux qu'il gouverne. C'eſt
ce qu'ont voulu nous faire entendre ces fçavans
Philofophes Ephémériftes , vrais fcrutateurs de la
Nature , en nous difant après Salomon, que Dieu
a créé une Médecine de la terre que le Sage ne
méprifera pas , puifque cette Médecine , en fervant
à prolonger nos jours , & à nous conferver
la fanté, devroit faire l'objet de nos plus férieufes
attentions. C'eft dans cette fource que l'Auteur
du préfent écrit , en s'efforçant de dévoiler les
fens obfcurs & énigmatiques de ces naturaliſtes
Ecrivains , qui étoient jaloux de leurs fecrets , &
croyoient que les meilleures chofes deviennent
méprifables à mesure qu'elles deviennent communes
, eft parvenu à la découverte de fes Gouttes
Philofophiques , dont les heureux fuccès font
l'éloge , malgré la bale jalouse de ceux qui condaminent
d'abord tout ce qui paffe leur intelligence
bornée , aimant mieux fe fixer à ces remédes
qu'ils appellent familiers , & qui ne font
bons qu'à mettre les humeurs en mouvement
& le corps hors d'état de recevoir cette précieuſe
Médecine diſtribuée par les fages mains de la Nature.
C'est un reméde agréable à la bouche ; une
Médecine qui furpaffe en vertu la Pierre de Buther
, plus excellente que le grand Alkaeſt & Or
horizontal des Spagiriques ; plus amie de nos
corps que les Népentes des Poëtes ; qui nous con
DECEMBRE. 1760. 203
ferve & délivre beaucoup mieux d'une infinité de
maux que tous les Elixirs des laboratoires , ri
que la Panacée chimérique des Philofophes , &
que ces Effences ou Baumes de Vie , que des
Etrangers & autres diftribuent , dont la baſe eſt
l'Efprit-de-Vin rectifié , ou l'Eau- de- vie diftillée ,
qui font autant de corrofifs & fubtiles poiſons
qui brûlent le fang , attaquent le genre nerveux
& dont l'ufage caufe toujours des effets funeſtes.
On y trouvera un reméde naturel , qui eft un
Elixir parfait , une quintellence ſpécifique & une
femence vitale , propre à réparer les efprits diffi
pés par la perte continuelle que nous faisons de
notre propre ſubſtance ; à multiplier les principes
radicaux , à entretenir & rétablir dans une
bonne fanté les tépides & les vieillards en pro
Fongeant leurs jours. D'où il s'enfuit qu'il guérit
toutes les maladies humorales , en pacifiant
l'archée irritée & fortifiant les efprits vitaux
animaux & naturels , purifie la maffe du fang
même fcorbutique ; ôte la difficulté de refpirer
, & guérit toutes les maladies qui proviennent
du poulmon ; réjouit le coeur & le cerveau
fortifie les nerfs & les membranes , maintient l'har
monieux accord de la tête , de l'eftomach & dù
foye dans un jufte équilibre , réfite au mal cat
duc , empêche les fyncopes , les défaillances , &
chaffe le venin des maladies contagieufes , toutes
fiévres & poifons , partie par les urines , par les
fueurs , partie par l'infenfible tranfpiration & le's
felles. En outre , il modifie , déterge & confo
lide les ulcères internes externes , & généra
lement toutes playes , arrête le crachement de
fang , nettoye les reins & la veffie , guérit les
fuffocations de mere , régle les Dames , diffipe
leurs pertes en blanc , & les rend par ce moyen
fécondes. Toutes perfonnes qui auront la pré-
I vi
204 MERCURE DE FRANCE.
caution de s'en munir d'une bouteille , foit à la
campagne , foit en voyage , feront exempts de
toutes maladies dangereules , comme apoplexie ,
paralyfie , coups de fang , & généralement de
toutes menaces & avant-coureurs de maladies
qui font des progrès , furtout dans les Provinces
où les morts fubites font fi fréquentes , faute de
précautions & de fecours. Ce Reméde fympathife
d'autant plus avec mon Opiat philofophique
, dont les vertus fingulières font connues pour
le plus excellent fondant & défobftructif qu'il y
ait , comme le Mémoire ſuivant l'annonce . Ceux
qui pourroient concevoir une mauvaiſe idée de
mon Opiat & de mes Gouttes philofophiques , par
la raison qu'ils font propres à la guériton d'un
grand nombre de maladies articulées ci- deffus
pourront voir chez le Sieur MUTELÉ les Certificats
Ipécifiés des guérifons opérées par ces Remédes.
L'ufage familier de ce Reméde eft de neuf gourtes
pour les femmes , & douze pour les hommes ,
pris le matin dans quelque véhicule convenable.
Il y a des bouteilles à 3 liv. 6 liv. 12 liv . 24 liv.
On trouvera tous les matins le fieur Mutelé chez
lui ; & dans le cas où il n'y feroit pas , on s'adreffera
en toute fûreté à Madame fon Epoufe qui
travaille avec lui , & qui eft la feule dépofitaire de
fes deux excellens Remédes.
•
La Veuve CHACHIGNON , Marchande Apoticaire
, rue S. Honoré , au coin de celle de Grenelle
, fait & vend des Bougies , tant pleines que
creufes , faites fans le fecours de fil d'archal pour
la parfaite guérifon des carncfités , callofités , &
rétention d'urine , dont on fe fert avec le plus
grand fuccès.
DECEMBRE. 1760. 205
COURS DE GEOGRAPHIE , contenant des Principes
généraux , Mathématiques & Physiques ,
fur cette Science . Par M. BONNE , Maitre de
Mathématiques , & de la Société Littéraire-
Militaire.
Ce Cours a été donné pour la premiere fois ,
dans le mois de Juin & de Juillet dernier . L'accueil
favorable qu'il a reçu , engage à l'annoncer
de nouveau dans un temps où beaucoup de monde
eſt toujours hors de la Capitale , il a été
rempli bien au- delà de l'attente de l'Auteur ; &
depuis on le fait entrer dans l'éducation de plufeurs
jeunes perfonnes de l'un & de l'autre fexe.
Ainfi l'Auteur ne peut que fe féliciter de ce qu'il
s'eft occupé d'objets que le Public trouve agréa
bles & intéreffans .
La premiere Leçon de ce Cours , ſera remplie
par des Obfervations générales fur les principaux
objets de la furface de la Terre , afin de reconnoître
ces mêmes objets , qui doivent fournir la
matière de nos entretiens . Nous nous occuperons
enfuite de la figure qu'on a dû attribuer à la
Terre , & de fa fituation par rapport au Ciel ;
puis il fera traité des mouvemens du Soleil &
des mouvemens de la Lune , de même que ceux
des autres Corps Céleftes. En un mot , aucun
principe utile de la Sphère , relativement à la
Géographie , ne fera oublié.
Après avoir expofé les mouvemens des Aſtres,
tels que les apparences nous les montrent, nous
ferons voir qu'ils s'expliquent avec beaucoup de
facilité , dans le fyftême qui fait mouvoir la Terre
autour du Soleil en un an , & fur elle -même en
vingt - quatre heures. Cette hypothèſe , ſi ç'en eſt
ane,paroît contenir levrai Méchanifme des moi
206 MERCURE DE FRANCE.
vemens Céleftes ; ainfi elle nous occupera d'une
manière intérellante & avantageufe. D'ailleurs ,
nous aurons recours par la fuite aux mouvemens
de notre globe,pour expliquer fon applatiſſement.
La Géographie Phyfique commencera par un
examen réfléchi des couches de la terre & de leur
nature , des Coquillages & des autres corps étrangers
renfermés dans ces couches. Enfuite nous
nous occuperons des montagnes & des vallées,
des carriéres & des mines , de l'origine des fontaines
& du mouvement des eaux des fleuves : puis
fuivra le détail des principaux effets que les eaux
courantes produiſent ſur la ſurface de la terre .
Après ces chofes , l'enchaînement des matiéres
demande que nous nous entretenions des lacs , de
même que les eaux de la mer & de leur nature.
Avant que d'abandonner ce fujet , nous explique
rons comment l'action de la Lune & celle du Soleil
, produifent le flux & le reflux de la mer . Les
courans , les vents réglés , les vents variables , les
ouragans , &c , feront auffi un des objets de nos
Leçons. Et comme les Vents influent confidérablement
fur la température des climats , ils nous
donneront occafion d'expliquer les cauſes des dif
férences qui fe font reffentir dans le froid , en
divers endroits fitués fur le même parallèle. Enfuite
nous décrirons les principales altérations
que les mouvemens de la Mer & les vents produifent
fur notre globe. De là nous pafférons aux
effets des Volcans & à leur caufe : puis il fera
parlé des tremblemens de Terre fur lefquels
nous expoferons les différentes explications que
les Phyficiens donnent de ces terribles agitations,
qui femblent vouloir détruire notre séjour.
Nous développerons enfuite la caufe des diverfes
longueurs du Pendule aux différentes latisudes.
Après viendra la détermination des die
DECEMBRE. 1760. 207
menfions de la Tèrre , tant par le raiſonnement
que d'après les mefures . La diminution des de
grés des parallèles , aux différentes latitudes , fera
auffi donnée , de même que les inégalités des
degrés des Méridiens , qui fur un globe exact ,
feroient tous égaux entr'eux .
La Leçon précédente nous conduira avec ordre
à la manière de dreffer les Cartes ; chacun fe ferr
de ces repréſentations des Contrées de la Terre ,
& peu de perfonnes foupçonnent l'art avec lequel
elles font faites. L'avantage des Cartes dont les
Parallèles font des Courbes , qui coupent les Mé
ridiens perpendiculairement , fera mis dans tout
fon jour. La projection des Mappemondes que
nous expliquerons , fera celle où les degrés des
Méridiens & ceux des parallèles , font partout
exactement dans le rapport qu'ils ont fur le globe.
Enfin , la manière de dreffer les Cartes Marines
ou réduites , ne fera pas oubliée.
Avec la folution des Problèmes du pilotage ,
qui entre naturellement dans le plan de ce Cours ;
feront exposés fuccinctement & clairement , les
divers moyens que les Marins employent pour fe
conduire fur l'Elément liquide , prèſque auffi fûrement
que s'ils voyageoient fur la Terre. L'art de
fe diriger en Mer nous fera parler de la Bouffole
de la déclinaifon de l'aiguille aimantée , & de fon
inclinaison : ce qui donnera lieu d'expliquer com
ment on peut avec cet inftrument , trouver àpeu-
près les longitudes fur Mer.
Ce Cours fera terminé par une Analyfe de la
Géographie Politique , qui contiendra les Capi
tales des principaux Etats , les moeurs des habitans
de chaque contrée , les principales produc
tions qui s'y trouvent , & le commerce qu'on y
Fait. On arrête ordinairement fur ce fujet feul
qui nous occupera quelques jours , les jeunes gens
208 MERCURE DE FRANCE.
plufieurs mois de fuite. Pour cela , on les oblige
de retenir quantité de noms de lieux peu contidérables
, qu'ils oublient prèſque auffitôt , & on
s'amufe à leur expliquer nombre de chofes , qui
pour les bien entendre , exigent à peine d'être
lues. Il nous a paru qu'il fuftifoit dans ce cas
d'avoir l'intelligence de la matière & la manière
de l'étudier. C'eft au defir de fçavoir , joint à la
lecture de quelques bons ouvrages fur la Géographie
, & furtout à celle des Voyageurs & des
Hiftoriens , qu'il faut laiffer faire le refte.
Dans l'explication des différens effets de la Nature
,qui feront l'objet de ces Leçons , nous n'embrafferons
aucun fyftême , & il ne fera employé ,
que des raifonnemens familiers , palpables , & à
fa portée de tout le monde. Les faits connus ,
analyfés & difcutés , feront les feuls guides que
nous nous permettrons de fuivre ; ainfi nos entretiens
feront plus vrais que brillants , plus utiles
que merveilleux. La peine des calculs , lorfque la
matière l'a exigée , n'a point été épargnée : comme
ils pourroient n'être point à la portée des Auditeurs
, nous n'en donnerons que les réfultats ,
en laiffant voir les principes fur lesquels ils font
fondés ; ce qui mettra en état de jouir du fruit de
ces Calculs , fans avoir eu la peine d'en effuyer
les difficultés.
Ce Cours fera compofé de vingt féances , qui
fe tiendront les Mardi , Jeudi & Samedi de chaque
femaine. Nous prendrons l'heure la plus
commode au plus grand nombre de Soufcripreurs.
L'ouverture s'en fera le Jeudi 8 Janvier
1761 , & il continuera jufqu'au 24 ou 26 Fevrier.
Il en coûtera 48 livres pour chaque perfonne ,
On fe fera infcrire avant que le Cours commence
, chez M. BONNE , Maître en Mathémariques
, rue Mazarine , près la rue Guénégaud
à'Hôtel Saint Jofeph,
DECEMBRE. 1760. · 209
ECOLE LATINE & GRECQUE , où l'on enfeigne
les Langues Françoife , Italienne , Efpagnolle ,
Angleife & Allemande.
L'ABBÉ CHOCQUART , par une longue étude de
tout ce qui peut abréger l'éducation morale & politique
de l'homme par les différens Effais qu'il a
faits fur les Éléves qu'il a formés , a trouvé le
moyen , d'ouvrir une route facile vers les Vertus &
les Sciences. La conduite que tenoient certains
Peuples pour rendre chez eux l'amour de la gloire.,
comme héréditaire , a facilité les recherches qu'il
a faites pour infpirer plus éfficacement à la jeunelfe
l'amour du vrai bien : & la Nature dont la marche
eft toujours heureuſe & rapide , lui fert de guide
dans les Belles- Lettres & les Beaux-Arts.Si l'enfant
fous les yeux de fà Nourrice , apprend fans peine
la langue qu'elle parle , pourquoi faudroit-il confacrer
tant d'années à l'ufage d'une langue fouvent
plus facile? Les oreilles ont elles plus d'eme
pire fur l'âme que les yeux?
Convaincu d'ailleurs , par l'expérience, que rien
ne retarde tant nos études que le dégoût & l'ennui
qui les accompagnent ; il fait évanouir l'un & l'au
tre en diverfifiant tellement les execices de la
journée , qu'une leçon devient comme le télaffement
de celle qui l'a précédée . Les premieres heures
de l'une & l'autre partie du jour foat données
aux études qui demandent le plus d'application :
des objets capables de réveiller l'attention leur
fuccédent & font eux- mêmes fuivis par des leçons
plus amufantes. Ainfi les Langues Latine &
Françoife , le Calcul Numérique , la Mufique &
tous les Exercices du Corps qui peuvent entrer
dans une éducation noble & polie , occupent
fucceffivement les matinées,
208 MERCURE DE FRANCE.
plufieurs mois de fuite . Pour cela , on les oblige
de retenir quantité de noms de lieux peu contidérables
, qu'ils oublient prèfque auffitôt , & on
s'amufe à leur expliquer nombre de choſes , qui
pour les bien entendre , exigent à peine d'être
lues. Il nous a paru qu'il fuftifoit dans ce cas ,
d'avoir l'intelligence de la matière & la manière
de l'étudier . C'est au defir de fçavoir , joint à la
lecture de quelques bons ouvrages fur la Géographie
, & furtout à celle des Voyageurs & des
Hiftoriens, qu'il faut laiffer faire le refte .
อ
Dans l'explication des différens effets de la Nature
, qui feront l'objet de ces Leçons , nous n'embrafferons
aucun ſyſtême , & il ne fera employé ,
que des raifonnemens familiers , palpables , & à
fa portée de tout le monde. Les faits connus
analyfés & difcutés , feront les feuls guides que
nous nous permettrons de fuivre ; ainfi nos entretiens
feront plus vrais que brillants , plus utiles
que merveilleux. La peine des calculs , lorfque la
matière l'a exigée , n'a point été épargnée : com
me ils pourroient n'être point à la portée des Auditeurs
, nous n'en donnerons que les réfultats ,
en laifant voir les principes fur lefquels ils font
fondés ; ce qui mettra en état de jouir du fruit de
ces Calculs , fans avoir eu la peine d'en effuyer
les difficultés.
Ce Cours fera compofé de vingt féances , qui
fe tiendront les Mardi , Jeudi & Samedi de chaque
femaine. Nous prendrons l'heure la plus
commade au plus grand nombre de Soufcripreurs.
L'ouverture s'en fera le Jeudi 8 Janvier
1761 , & il continuera jufqu'au 24 ou 26 Fevrier.
Il en coûtera 48 livres pour chaque perfonne ,
On fe fera infcrire avant que le Cours commence
, chez M. Bonne , Maître en Mathémariques
, rue Mazarine , près la rue Guénégaud
à'Hôtel Saint Joſeph,
DECEMBRE. 1760. 209
ECOLE LATINE & GRECQUE , où l'on enfeigne
les Langues Françoife , Italienne , Espagnolle ,
Angleife & Allemande.
L'ABBÉ CHOCQUART , par une longue étude de
tout ce qui peut abréger l'éducation morale & politique
de l'homme par les différens Effais qu'il a
faits fur les Eléves qu'il a formés , a trouvé le
moyen , d'ouvrir une route facile vers les Vertus &
les Sciences. La conduite que tenoient certains
Peuples pour rendre chez eux l'amour de la gloire ,
comme héréditaire , a facilité les recherches qu'il
a faites pour infpirer plus éfficacement à la jeunelfe
l'amour du vrai bien : & la Nature dont la marche
eft toujours heureuſe & rapide , lui fert de guide
dans les Belles- Lettres & les Beaux-Arts.Si l'enfant
fous les yeux de fa Nourrice , apprend fans peine
la langue qu'elle parle , pourquoi faudroit- il confacrer
tant d'années à l'ufage d'une langue fourvent
plus facile ? Les oreilles ont elles plus d'eme
pire fur l'âme que les yeux ?
Convaincu d'ailleurs , par l'expérience, que rien
ne retarde tant nos études que le dégoût & l'ennui
qui les accompagnent ; il fait évanouir l'un & l'au
tre en diverfifiant tellement les execices de la
journée , qu'une leçon devient comme le télaffement
de celle qui l'a précédée. Les premieres heures
de l'une & l'autre partie du jour font données
aux études qui demandent le plus d'application :
des objets capables de réveiller l'attention leur
fuccédent & font eux-mêmes fuivis par des leçons
plus amufantes . Ainfi les Langues Latine &
Françoife , le Calcul Numérique , la Mufique &
tous les Exercices du Corps qui peuvent entrer
dans une éducation noble & polie , occupent
fucceffivement les matinées,
208 MERCURE DE FRANCE.
plufieurs mois de fuite. Pour cela , on les oblige
de retenir quantité de noms de lieux peu conlidérables
, qu'ils oublient prèfque auffitôt , & on
s'amufe à leur expliquer nombre de choſes , qui
pour les bien entendre , exigent à peine d'être
lues. Il nous a paru qu'il fuffifoit dans ce cas ,
d'avoir l'intelligence de la matière & la manière
de l'étudier. C'est au defir de fçavoir , joint à la
lecture de quelques bons ouvrages fur la Géographie
, & furtout à celle des Voyageurs & des
Hiftoriens, qu'il faut laiffer faire le refte .
Dans l'explication des différens effets de la Nature,
qui feront l'objet de ces Leçons , nous n'embrafferons
aucun ſyſtême , & il ne fera employé ,
que des raifonnemens familiers , palpables , & à
fa portée de tout le monde. Les faits connus
analyfés & difcutés , feront les feuls guides que
nous nous permettrons de fuivre ; ainfi nos entretiens
feront plus vrais que brillants , plus utiles
que merveilleux. La peine des calculs , lorfque la
matière l'a exigée , n'a point été épargnée : comme
ils pourroient n'être point à la portée des Auditeurs
, nous n'en donnerons que les réſultats ,
en laiffant voir les principes fur lefquels ils font
fondés ; ce qui mettra en état de jouir du fruit de
ces Calculs , fans avoir eu la peine d'en effuyer
les difficultés .
Ce Cours fera compofé de vingt féances , qui
fe tiendront les Mardi , Jeudi & Samedi de chaque
femaine. Nous prendrons l'heure la plus
commade au plus grand nombre de Soufcripreurs.
L'ouverture s'en fera le Jeudi 8 Janvier
1761 , & il continuera juſqu'au 24 ou 26 Fevrier.
Il en coûtera 48 livres pour chaque perfonne,
On fe fera infcrire avant que le Cours come,
mence , chez M. BONNE , Maître en Mathémariques
, rue Mazarine , près la rue Guénégaud ,
à Hôtel Saint Joſeph,
DECEMBRE. 1760. 209
2
ECOLE LATINE & GRECQUE , où l'on enfeigne
les Langues Françoife , Italienne , Efpagnolle ,
Angleife & Allemande.
L'ABBÉ CHOCQUART , par une longue étude de
tout ce qui peut abréger l'éducation morale & politique
de l'homme par les différens Ellais qu'il a
faits fur les Éléves qu'il a formés , a trouvé le
moyen , d'ouvrir une route facile vers les Vertus &
les Sciences. La conduite que tenoient certains
Peuples pour rendre chez eux l'amour de la gloire .,
comme héréditaire , a facilité les recherches qu'il
a faites pour infpirer plus éfficacement à la jeunelfe
l'amour da vrai bien : & la Nature dont la marche
eft toujours heureuſe & rapide , lui fert de guide
dans les Belles- Lettres & les Beaux-Arts.Si l'enfant
fous les yeux de fa Nourrice , apprend fans peine
la langue qu'elle parle , pourquoi faudroit- il confacrer
tant d'années à l'ufage d'une langue fouvent
plus facile? Les oreilles ont elles plus d'eme
pire fur l'âme que les yeux ?
Convaincu d'ailleurs , par l'expérience , que rien
ne retarde tant nos études que le dégoût & l'ennui
qui les accompagnent ; il fait évanouir l'un & l'au
tre en diverfifiant tellement les execices de la
journée , qu'une leçon devient comme le télaffement
de celle qui l'a précédée. Les premieres heures
de l'une & l'autre partie du jour font données
aux études qui demandent le plus d'application :
des objets capables de réveiller l'attention leur
fuccédent & font eux-mêmes fuivis par des leçons
plus amufantes. Ainfi les Langues Latine &
Françoife , le Calcul Numérique , la Mufique &
tous les Exercices du Corps qui peuvent entrer
dans une éducation noble & polie , occupent
fucceffivement les matinées,
210 MERCURE DE FRANCE.
Après la récréation qui fuit le dîné , l'Algébre,
la Géométrie & les Fortifications fous une mêmě
marche ; les loix de l'Optique & le Deffein , les
proportions des Méchaniques démontrées conformesaur
Loix de l'Univers & aux expériences de
Phyfique la Géographie enfin & l'Hiftoire , réunies
par le moyen de Cartes pliées ; de forte que
les faits & les lieux le rappellent mutuellement
occupent toutes les heures de l'après-dîné.
Les leçons de Langue Françoife,d'Arithmétique,
de Géographie & d'Hiftoire , n'employant que fore
peu de tems dans le cours d'études , on donne les
heures qu'elles occupoient , aux Langues Allemande
, Italienne , Angloife ou Efpagnoles où l'on
s'occupe à des exercices Militaires , ou à conftruire
des Plans de Villes avec des piéces rapportées , ou
l'on s'exerce à des travaux du Tour , de la Linie,
& c. ou même à quelque fcience relative à l'état au
quel on eft deftiné .
L'ufage accompagnant partout la fpéculation ,
& l'Harmonie difpenfant tous les travaux , il eſt
facile de concevoir , combien les jeunes gens deviennent
avides de fçavoir & quelle doit être la
rapidité de leurs progrès.
Pour les Externes & tous ceux qui feront encore
dans le cas d'aller au College , on donnera des
leçons à part.
Les Maitres en chaque partie font tous des hommes
choifis & connus.
Les curieux trouveront auffi chez l'Abbé Chocquart
, des machines de Phyfique & furtout d'Optique.
Il demeure rue des SS . Peres , Fauxbourg S
Germain , vis- à- vis le Portail de la Charité , dans
un Hôtel où il y a un très-beau Jardin. La pen
fon alimentaire eft de soo liv..
DECEMBRE. 1760. 210
ESSENCE volatile d'Ambre gris.
Les Propriétés extraordinaires de cette Effence
l'ont rendu d'un Uſage univerfel parmi nous,
La Nobleffe en porte conftamment un flacon
dans la poche, & en général il fait équilibre du côté
oppofé avec la tabatiere. La décadence des célébres
Eaux de la Reine d'Hongrie & de Lavande a commencé
dès que celle - ci a paru , & ne font prèſque
point d'ufage aujourd'hui . Cette liqueur eft
douée d'une odeur plus vive & pénétrante qu'au
cun fel d'Angleterre , dès qu'on la fent , elle ranime
les efprits défaillans , rappelle les perdus ,
& porte un remede auffi fubit qu'éfficace , aux
affections hiftériques . Nos Dames , dont la déli
cateffe eft reconnue & imitée de l'Univers , s'en
fervent heureufement , dans les maux de tête ,
défaillances , toutes affections nerveufes , hypocondriaques
, & pour s'aiguifer l'imagination dans
les affections faporeufes , & en recommandent
inftamment l'ufage aux Etrangères voifines , pour
s'égayer & diffiper les vapeurs.
•
Manière de fe fervir de cette Effence volatile.
Quand il s'agit de ranimer & de rafraîchit
l'efprit , il ne faut que fentir légérement cette admirable
Effence.
Pour faire diffiper toute mauvaiſe odeur , &
pour le garantir contre la petite vérole , fiévres
malignes , & toutes maladies contagieufes , on
en verfe un peu dans fon mouchoir pour la fentir
occafionnellement.
Dans les défaillances & affections hiftériques ,
on en frotte un peu au- deffous des narines & aur
tempes , & on en prend une dixaine de gouttes
dans un verre d'eau.
212 MERCURE DE FRANCE .
Dans les affections hypocondriaques & ner
veuſes , on en prend de même dix goutres dans
un verre d'eau , auffi bien qu'à chaque fois qu'on
Le trouve les efprits opprimés & languiffans ; &
fi on eft habituellement affujetti à ces maux , il
convient d'en prendre vingt gouttes dans un verre
d'eau foir & matin , pendant l'espace d'un mois
ou de fix femaines , & on en retirera des avanta
ges,merveilleux .
Dans les maux de tête , on en prend une goutte
ou deux dans les narines , & dix dans un verre
d'eau.
Dans l'ardeur ou mal de coeur , on en prend
dix gouttes dans un verre d'eau.
Six gouttes prifes dans une taffe de thé froid ,
préviennent les inconvéniens nombreux & trop
fréquens qui furviennent à ceux qui font un trop
grand ufage du thé .
Il faut remuer le flacon toutes les fois qu'on le
fert de cette Effence ; on mer le doigt fur le trou ,
& en le refermant a tourne le bouchon fans
quoi certe Effence volatile s'évaporeroit , il fuffit
de fentir le bouchon de ces flacons.
Cette Effence volatile fe vend à Paris chez M.
LEDUC Marchand Epicier- Droguite , au Magafin
de Provence , rue Dauphine . Les flacons
font de 3 liv. & les flacons avec leurs éruits font
de 4 livres.
C'eft où fe vend , chez le même Marchand , le
véritable Elixir de Garrus.
ROUSSEL , privilégié du Roi , vient d'établir
rue Baffroid,près la rue de la Raquette, Faubourg
S. Antoine , une nouvelle Manufacture de fayan
ce blanche en dedans , & feuille morte ou olive
en dehors , qui réfifte au plus grand feu jusqu'à
rougirfans le rayer ni caffer , quoiqu'elle foit aufli
-
DECEMBRE. 1760.
213
mince & auffi légére que celle du Pont-aux-choux:
il la vend moins cher fuivant les prix ci- deffous.
43
SÇAVOIR ,
Les affiettes , la douzaine depuis 3 I.
juſqu'à
Les plats ronds des 4 grandeurs , la
pièce , depuis 1 ſols juſqu'à
Les ovales , idem.
Saucières & leur plateau ,
Les oilles & leur plateau ,
Les terrines & leur plateau ,
sh
3 1.
3 l.
6 I.
s l.
Les grandes terrines & leur plateau , 12 1.
Les terrines rondes tournées , depuis -
trente fols juſqu'à
Les écuelles depuis 8 fols jufqu'à
Les cafferoles depuis 8 fols jufqu'à
Les marmites depuis 2 & 3 1. juſqu'à
Les bouillottes depuis 6 fols jufqu'à
Les goblets Saxons , brodés & unis
de toutes les façons & grandeurs ,
depuis 4 fols jufqu'à
Les brocs depuis 10 fols jufqu'à
Pots à l'eau du dernier goût , & leur
jatte fans peinture , depuis 3 liv .
julqu'à
3 1.
3 l.
2 1.
6 1 .
1 l. 4 f
8.f.
-6 1,
6 1.
Les huiliers ,
.3 1.
Sceaux à verres , demi bouteille , &
bouteille , depuis 2 liv. juſqu'à 6 1.
Les Coquetiers ,
6 f.
Les Moutardiers ,
10 f.
Mots des deux Logogryphes du mois de
Novembie 1760.
Le mot du premier o ogryphe , eft Mifantrope
, dans lequel on trouve or , Mons , Moïfe ,
214 MERCURE DE FRANCE.
Noé , pô , Roi , poids , fimare , Néron , Oran ,
Opéra , mi, re,fi , Mars , Mai, Monet , Jafon,
pinte , prime , Matines , étain , Pirate Paon ,
Paris , Pontas , âne, Rome, Moine , rofe , poire,
pomme , Nifo , Marot , Afie, main , tein , fein ,
pet , rot , Piron , mitre.
>
Le mot du fecond Logogryphe , eft Méfintelligence
, dans lequel on trouve gens , mille , lien ,
Genèfe , lime, Mécène , fentence , lie , Ifte , Seine,
Nifmes, Nil , lin , fel , miel , lit.
Errata de Novembre 1760.
Dans le Mercure de Novembre 1760 , page
213 , à la trentiéme ligne , lifés Bâton , au lieu
de Dâton.
APPROBATION.
'AI lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le Mercure du mois de Décembre 1760 , & je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 2 Novembre 1760. GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE,
F
ARTICLE PREMIER.
PITRE à Mlle de *** qui avoit approuvé des
Vers de l'Auteur fur une Matière Philofophique.
Page's
Sat Pulcher qui fat bonus , Fable , par Madame
du M.....
VERS à Mlle Catinon , Actrice de la Comédie
Italienne.
9
DECEMBRE. 1760 11
Le Ver luifant , Fable.
VERS au Docteur Novello , Médecin Italien .
EPITRE à M. P.. Receveur des Domaines du
Roi à V..
CRIZEAS & ZELNIDE , Traduction du Grec ,
à Madame A. D. R.
IMITATION d'un Paffage de POPE.
LETTRE de Madame Bourette , à M. le Marquis
Caraccioli .
VERS à Madame la Princeffe Radzivil.
LETTRE de M. le Marquis Caraccioli , à
Madame Bourette .
12
IE
ibid.
I
15
-3xj
33
30
36
LETTRE à mon Elève , fur l'Emploi du Tems. 38
TRADITION Danoiſe , fur la Maiſon de Falinfperk.
VERS fur le mariage de Mlle le M.
CONSTANT , petit Chien-Loup &c.
A Meſdames P *** D. M *** D.P *** dînant
à la maiſon de campagne de l'Auteur.
ENIGMES.
LOGOGRYPHE.
CHANSON .
44
49
So
53
55
36857
59
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
DISCOURS préliminaire , fur la fçience du
Gouvernement ,
HISTOIRE d'Angleterre , depuis la defcente
de Jules - Cefar , juſqu'au Traité d'Aixla
- Chapelle , en 1748 , par M. T. Smolett.
&c. Extrait.
92
61
199
113
Avis de l'Auteur du Monde comme il eft.
ANNONCES des Livres nouveaux . 116 &ſuiv.
ART. IN. SCIENCES ET BELLES-LETTRES,
ACADÉMIE S.
REMARQUES fur le mot Truand. IZO
116 MERCURE DE FRANCE.
EXTRAIT des Mémoires lûs à la Séance publique
de l'Académie Royale de Chirurgie. 128
ART. IV . BEAUX - ARTS.
LETTRE an fujet des Embelliffemens faits
dans l'Eglife de S. Roch , avec la Deſcription
de ces nouveaux Ouvrages. 142
MUSIQUE.
155
GRAVURE. 156
HORLOGERIE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure . 158
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie Royale
des Sciences. 159
Supplément à l'Article des Arts utiles.
DISSERTATION fur la maladie de la Pierre. 163
CHYMIE.
ANALYSE de la Poudre du Sr Chartrey , par
Piat & Cadet , Apoticaires allociés. 169
ART . V. SPECTACLES.
QPÉRA. 173
COMÉDIE Françoiſe .
175
COMÉDIE Italienne. 176
CONCERT Spirituel , 183
ART. VI. Nouvelles Politiques. 184
Avis divers. 199
REMÉDES. 200
213
MOTs des Logogryphes de Novembre .
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
ru & vis-à - vis la Comédie Françoiſe.
( 1 )
C
AVIS
CONCERNANT
LE JOURNAL
ENCYCLOPÉDIQUE ,
établi à Bouillon , pour l'année 1761.
L
ES révolutions furvenues depuis deux
ou trois années dans l'empire des Lettres
en France , ont entraîné la fuppreffion du Dictionnaire
Encyclopédique : la fageffe du Gouvernement
l'a jugée néceffaire. Quoiqne ce
grand Ouvrage , qui s'imprimoit à Paris , n'eut
que le titre de commun avec le Journal Ency
clopédique , dont l'établiſſement étoit alors à
Liége , des ennemis fecrets chercherent à
faire fubir le même fort à ce Journal ; mais le
Public éclairé n'a pas penfé comme eux ; &
d'ailleurs des Protecteurs puiflans l'ont mis
à l'abri des coups qu'on vouloit lui porter.
Cet Ouvrage périodique n'a jamais fouffert aucune
interruption on fent néanmoins que ,
dans les momens de perfécution , il étoit impoffible
qu'il parut avec la régularité ordinaire .
Les Auteurs ont rempli jufqu'à préfent leurs
( 2 )
eugagemens , malgré les obftacles les plus
grands & les contretems fans nombre qu'on
n'auroit jamais pu prévoir , & dont il feroit trèsinurile
de faire ici le détail. L'ordre eft aujourd'hui
rétabli tant dans l'exécution de ce Journal ,.
que dans les envois ou expéditions ; & tout annonce
aux Auteurs de cet Ouvrage le fuccès
le plus flatteur. S'ils ont été affez heureux pour
plaire à leurs Lecteurs & les intéreffer dans
un tems où il étoit impoffible qu'ils fe livraffent
entiérement à leur travail , que ne doivent-
ils point efpérer des foins qu'ils fe donneront
au milieu du calme favorable dont ils
commencent à jouir ? Excités à continuer cet
Ouvrage par le fuffrage du Public , & furtout de
ces Hommes célébres qui font la gloire &
l'ornement de la Littérature & des Sciences ,
& qui ont daigné publier dans quelques écrits ,
que le Journal Encyclopédique étoit un des
premiers de 173 Journaux qui paroiffent tous.
les mois en Europe ; ils vont faire de nouveaux
efforts afin de juftifier des témoignages auffi
glorieux , qu'ils ne regardent cependant que
comme un encouragement , & l'augure de ce
que leur Journal peut devenir à force de foins.
Le Journal Encyclopédique a commencé à
Liége en Janvier 1756 , & depuis cette époque
n'a jamais été difcontinué. H en a paru deux
Volumes mois , de 168 pages chacun ,
qui fait 24 Volumes par année . A la fin de
Décembre prochain , la collection complette
fera de 120 Volumes ou 40 Tomes .
par
ce
Le premier Volume de chaque mois paroîtra
le 15 , & le fecond , à la fin du méme mois.
Le prix de la Soufcription eft de 24 livres.
( 3 )
pour l'année entiere , & en outre 9 livres 12
fols, à raifon de 8 fols par volume , pour le port
dans quelque ville ou endroit de la France que
ce foit. Ces deux fommes doivent être payées.
d'avance. Ceux qui voudront fe procurer cet
ouvrage par une autre voye que par la
pofte , fe chargeront du port , & ne payeront
que les 24 livres de la Soufcription .
On tirera très- peu d'exemplaires au- delà
du nombre des Soufcripteurs qui fe feront préfentés
dans le courant de Décembre prochain ,
ou tout au plus dans les premiers jours de
Janvier 1761 .
On s'adreffera au fieur Lutton , commis au
recouvrement du Mercure , rue Ste. Anne , Butte
St. Roch , à Paris ; ou bien directement à
Bouillon , où il y a un Bureau des Poftes de
France , au Sieur Weiffenbruch , Directeur du
Bureau du Journal , ou au Sr. Trouffeand.
On peut encore s'adreffer aux Libraires
des principales Villes , fçavoir :
A Paris , au Sieur Duchefne , ou au Sieur
Lambert.
A Lyon , au Sr. de la Roche , ou au Sr
Deville.
A Dijon , au Sr. Defventes , ou à la Veuve
Coignard .
A Grenoble , au Sr. Giroud .
A Befançon , au Sr. Fantet.
A Marfeille , au Sr: Moiffy.
A Montpellier, au Sr. Rigaud, ou à la Veuve
Gontier & Faure.
A Toulouſe , au Sr. Bidoſſe.
A Bayonne , au Sr. Tréboze;
A La Rochelle , au Sr, Pavie,
( 4 )
A Nantes , au Sr. Vatard.
A Caen , au Sr. Le Roy.
A Rouen , au Sr. Befogne.
A Dunkerque au Sr. Boubers.
A Lille , au Sr. Pankouke.
A Amiens , au Sr. Godard.
A Rheims , au Sr. Cazin.
A Charleville , au Sr. Théfin.
A Châlons , au Sr. Briquet.
A Strasbourg , au Sr, Le Roux , ou au Sr.
Bawer.
On aura foin d'affranchir le payement de la
Soufcription , ainfi que les Lettres d'avis , qui ,
fans cela , refteront au rebut. Et l'on ne doitpoint
étre étonnéfi l'on ne reçoit pas de réponſe , ni le
Journal. On a été obligé de prendre cette précau
tion , parcequ'on eftfouventfurchargé de Lettres.
inutiles.
Il reste un très-petit nombre de collections
complettes des cinq années depuis l'établiſſement
de ce Journal ; ceux qui defireront s'en procurer,
font priés de donner inceffamment leurs ordres.
Les Soufcripteurs font encore très- inflamment
priés d'envoyer leurs noms & leurs adreffes écrits
très - lifiblement , pour éviter toute confuſion dans
les envois.
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
OCTOBRE . 1760 .
PREMIER VOLUME.
Diverfité , c efi ma devife . La Fontaine
Cochin
Filius fo
PapillonSeulp.
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis a vis la Comédie Françoife
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins. -
CELLOT , grande Saile du Palais,
Avec Approbation & Privilège du Roi,
HC NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
335909
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1905
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier , Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer, francs
de
port , les paquets
& lettres
, pour
remettre
, quant
à la partie
littéraire
M. DE LA PLACE
, Auteur
du Mercure
.
à
Le prix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raison de 30 fols pièce.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir,ou qui prendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
c'est- à- dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci deſſus.
A ij
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit ,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement enfois
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eflampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
De la Place , le trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions, font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE . 1760 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE.
RESVER , ami , c'eft mon partage ;
Trompé fouvent par une fauffe image ,
Je jouis des plaifirs refufés à mes voeux ,
Et je fuis libre au fein de l'efclavage :
S'il faut penfer pour être fage .
Il faut rêver pour être heureux.
Quelquefois lorfque la folie ,
Par fes preftiges féducteurs ,
Ecarte les noires vapeurs
De la fombre mélancolie ,
1. Vol,
A j
MERCURE DE FRANCE.
Ami , fur l'aile des defirs ,
J'égare mes efprits volages ,
Loin de ce monde , aux yeux des fages
Si fécond en trifles orages ,
Et fi ftérile en vrais plaifirs.
Loin de l'affemblage bizarre ,
Dont il nous offre le tableau ;
L'erreur où mon efprit s'égare ,
Me forme un univers nouveau.
Dans un féjour où la vertu préfide ,
Je place quelques coeurs unis ;
Non de ces noeuds que d'une main avide
Forme Plutus entre les favoris ;
Et non de ceux d'une ardeur paffagere ,
Qui s'allumant au flambeau de l'amour ,
Au gré de ſon aîle légére ,
S'enflamme & s'éteint tour- à-tour.
Amitié , charmante Déeffe ,
C'eft de tes mains que je veux les unir !
Toi qui des noeuds de la fageffe ,
Enchaînes feule le plaifir :
Toi dont la tendrelle immortelle ,
Triomphant de l'heure qui fuit ,
Sçait puifer une ardeur nouvelle
Dans les plaifirs qu'elle produir :
Loin de ces faux plaifirs , dont l'éclat infidéle-
Trompe fouvent nos yeux féduits ,
Et qui formés par le caprice ,
Se foutiennent par l'artifice ,
OCTOBRE. 1760 .
Et meurent au fein des ennuis.
De la nouvelle République ,
Devenu le Législateur ,
J'y fais régner , fans politique ,
Des loix que je puiſe en mon coeur :
Tantôt d'un plaifir monotone
Evitant l'infipidité ,
Le fentiment s'unit à la gaîté
De l'enjoûment qui l'affaifonne :
Tantôt fous le léger vernis .
D'une rime peu préparée ,
L'amitié fe montre parée
Du poëtique coloris :
Mais pour ménager la pareffe ,
Que l'ouvrage pourroit bleſſer ,
Par les loix du nouveau Permeffe ,
Pour être Auteur , il ne faut que penfer.
Tantot par des critiques fages ,
Réformant ces doux badinages ,
L'efprit emprunte tour- à- tour ,
Les yeux d'Argus pour les ouvrages ,
Pour les Auteurs , le bandeau de l'Amour.
Quelquefois la Philofophie ,
Soumife aux loix de l'agrément ,
Se montre fans être fuivie
De l'impitoyable argument :
Loin de ce langage barbare ,
Où la Raifón fouvent s'égare
Dans les loix du raifonnement ,
Aiv
MERCURE DE FRANCE
Sans appareil & fans mystère ,
Eile a pour guide , l'enjoûment ;
Pour objet , le talent de plaire ;
Pour langage , le fentiment.
Ce n'eft point cet atrabilaire ,
A l'oeil farouche , au front auſtère ,
Qui d'un ftoïque plein d'humeur ,
Empruntant l'organe ſévère ,
A a grandeur imaginaire ,
Vouloit immoler le bonheur :
Ce n'eft point cet aigle intrépile ,
Qui prenant un effor rapide ,
Va s'élevantjuſques aux Cieux
Dans des régions inconnues ,
Porter fon vol audacieux ,
Et fe perd enfin dans les nuës :
L'Amitié le trouve bien mieux
De la Déelle d'Epicure ,
Qui fans cette vaine parure ,
A la vertu peut quelquefois s'unir ,
Pour lui montrer le vrai plaifir ,
Er pour embellir la Nature.
Heureufement enseveli
Dans ce féjour philofophique ,
Ami , dans le fein de l'oubli ,
J'etablis notre république :
Loin de la trifte dignité ,
Je fais régner l'égalité ,
OCTOBRE. 1760.
Et profcris le ton magnifique
Du luxe & de la vanité.
Les foucis naiffent ſur le trône ;
Ils defcendent de la couronne ,
Sur l'opulente Oifiveté;
Mais ennemis de la pouffiere ,
Ils s'éteignent fous la chaumiere ,
Et meurent dans l'obſcurité.
Ainfi ma Raifon menfongère ,
Se jouant de mon coeur féduit,
Dans ce chimérique réduit,
M'offre un bonheur imaginaire ,
Que loin de l'ignorant vulgaire
Eloigne la ftupidité ;
Que de l'empire de Cythere
Ecarte la frivolité ,
Et que des grandeurs qu'on révére
Proferit la fombre vanité.
Mais , quoi ! toujours pour des erreurs fi cheres,
Craindrai-je un réveil déteſté ;
Ne peut-on faire une réalité ,
De ces agréables chimeres
Je crois avoir déjà trouvé
Des Citoyens pour mon nouvel empire ;
Aimer , pour nous , eft un bien éprouvé ;
Il ne faut plus que nous le dire :
Ami , je n'aurai pas rêvé.
Αν
10 MERCURE DE FRANCE.
LA COQUETTE & LA GUEPE ,
FABLE.
Traduite librement , de M. GAY.
DEVEVANT fon miroir de toilette ,
Examinant comme elle eſt faite ,
Doris , pendant le chaud du jour ,
Pour mieux faire fortir fes charmes ,
A fes ajuſtemens donnoit un nouveau tour ;
Gaie & rêveufe tour-à- tour ,
Sur elle-même elle éffayoit fes armes ;
C'étoit un Ange , ou plutôt un Amour.
Une Guêpe étourdie , en bourdonnant voltige ,
Recule , avance , incertaine en fon vol ;
Elle en veut à la joue , aux yeux, au front, au col
De mon petit prodige.
L'éventail de Doris , agile en ce danger ,
S'offre envain à la protéger;
L'infecte revient , la menace ,
Des rebuts accroît fon audace ,
Et fur fa bouche enfin pofé ,
Ilofe ce qu'Amour lui -même n'eût oſé ;
Il la preffe , il l'entr'ouvre , il la ſuce³ , il reſpire
Ce parfum fi voluptueux ,
Le parfum des Amans heureux.
Doris tremblante , & s'irrite , & foupires
OCTOBRE. 1760 . Fi
Sa plainte monte jufqu'aux Cieux :
De tous les animaux que vous fites, grands Dieux !
Voilà le plus défagréable ;
Voilà le plus infupportable.
% SANS déranger fon corps , la Guêpe répondit :
Pourquoi ce courroux , ce dépit ?
De ma témérité vos attraits feuls font cauſe ;
Ces lévres , voyez-les , ces lévres ont , Doris ,
L'éclat de la cerife , & l'odeur de la roſe !
Des fleurs de votre teint qui ne feroit épris ?
Je croyois m'approcher ( erreur bien féduifante ! )
De la pêche la plus charmante ! ...
Un Amant n'eût pas mieux parlé .
A ce propos Doris s'écrie :
Ah ! ne la frappe point, Lifette , je te prie ;
Pauvre animal ! il feroit immolé ?
Non. Il a , je le confeffe ,
Marqué trop de hardieffe :
Mais il eft galant & poli ,
Fardonnons-lui , regarde , il eft même joli..
La Guêpe, que fon fuccès flate ,
Plus indifcrette , hélas ! qu'ingrate ,
Prône en tous lieux Doris & le nectar divin ,
Promet d'y retourner, en montre encore un reſte ,
Cette nouvelle anime , émeut l'effain :
Il vole , il eſt ſouffert ; complaifance funefte l'
Guêpes ne vont fans aiguillon.
Qu'arriva-t-il ? Doris en fentit la piqûre
Avi
12 MERCURE DE FRANCE.
Beautés , à qui l'Amour jette fon hameçon ,
De cetendre impoſteur , redoutez la bleſſure !
Par M. GUICHARD .
VERS à M. GERBIER , Avocat au
Parlement de Paris.
Tor , dont l'éloquence invincible ,
Telle qu'un charme féducteur ,
Dans le coeur le plus infenfible ,
Jette , des paffions , le preftige enchanteurs
O Gerbier ! quel dieu dans ton âme ,
A fait paller ces traits de flâme ,
Dont tu pénétres tous mes fens ?
Cette Hydre toujours renaiffante ,
La Chicane , à ta voix puiſſante ,
Rampe fous tes pieds triomphants.
Noble rival de Démosthènes ,
Je t'ai vû , dans une autre Athènes,
D'un augufte Sénat enchaîner les efprits ;
De fes ftoiques yeux j'ai vu couler des larmes ;
Je l'ai vu des mains de Thémis ,
Pour venger l'équité , prendre en fes mains les
armes,
Frapper un père injufte en couronnant les fils, *.
Le Poëte rappelle dans ces vers , la célébre affaire
des Diles Simonet , qui furent déſayouées par leur père,
OCTOBRE . 1760. 13
Moi-même je te dois la moitié de mon être ;
L'avarice , au regard cruel ,
Alloit flétrir mes jours d'un opprobre éternel ,
Et me ravir un bien que j'ofois me promettre.
Tu parles : ce Monftre en courroux ,
Eléve un trophée à ta gloire ,
Céde fa proie & la victoire ,
Et t'admire lui- même , en tombant fous tes coups .
Ton amitié prit ma défenſe :
Le zéle conduifoit ta rapide éloquence ,
Et le fuccès en fut le fruit.
Que ne peuvent l'Art & l'efprit ,
Quand le coeur , avec eux , agit d'intelligence !
M. Gerbier défendoit leur cauſe , & il en fit valoir toutes
les circonstances , avec cette fupériorité de talens que le
Public admire en lui . Son plaidoyer fur fi éloquent
qu'il jetta le trouble dans l'âme même du père, qui etoit préfent
à l'Audience. L'Orateur s'en apperçut & faifit cette cir
conftance. L'apostrophe qu'il fit au père & anx créanciers
qui le faifoient mouvoir, fut fi pathétique que l'on vit couler
les larmes des yeux des Juges , des parties intéreffées , &
d'une partie de l'Auditoire . Et il fit voir , dans cette
occafion , combien Péloquence du coeur & du moment
eft fupérieure à celle , dont on p'eft redevable qu'aux éf,
forts de l'Art.
*
14 MERCURE DE FRANCE.
VERS , à Madame de * *** de Marfeille.
LAA Déeffe qui n'y voit pas ,
Qu'Irus maudit , que Créfus loue ,
La Fortune vous mit tout au haut de la roue ,
Et fe plût à me mettre au bas ;
Er le Dieu qu'un bandeau prive auffi de la vue ,
L'amour, d'un trait toujours vainqueur,
En perçant , pour moi , votre coeur ,
Rendit , pour vous , mon âme émue :
Nous nous aimâmes ! Depuis lors ,
Pour monter juſqu'à vous , je fis de vains éfforts :
A nous joindre jamais , je ne dois plus prétendres
Il faut y renoncer , je croi ...
Mais.... éffayez un peu , vous , de venir à moi :
Il eſt plus aifé de defcendre.
Par M. D ** de ***
LES AMIS RIVAUX.
ALCAST
ANECDOTE.
de rap
LCASTRE & LEANDRE étoient liés de
la plus étroite amitié ; cette liaiſon furprenoit
d'autant plus , que le peu
port de leurs goûts , de leurs inclinations
, de leur caractére , fembloit devoir
les éloigner davantage,
OCTOBRE. 1760 .
15
Alcaftre , grand , bienfait , d'une figure
charmante , joignoit à l'humeur la plus
impérieufe , une vanité qui perçoit dans
toutes les occafions : de là mille défauts
qui rendoient fon commerce infupporta
ble à tout autre qu'à un ami ; la plus petite
contradiction , la plus légére équivoque
, l'ombre même de la raillerie , le
jettoit dans des tranfports , qu'il avoit
bien de la peine à modérer . Il avoit de
l'efprit , mais beaucoup moins qu'il ne
croyoit jaloux de toute efpéce de mérite
, il en accordoit rarement aux autres
; il cultivoit les lettres , mais par
air plus que par goût ; porté au plaifir
par tempérament , il dédaignoit ceux
qu'une tendre fenfibilité rend fi délicieux
ils auroient trop coûté à fon
amour-propre. En blâmant les défauts
d'Alcaftre , on ne pouvoit s'empêcher
de rendre juftice à mille qualités eſtimable
qu'il poffédoit ; il étoit libéral , généreux
, plein d'honneur , & de probité ;
il faififfoit , avec plaifir , les occafions
d'obliger ; mais il ignoroit l'art de donner
à un bienfait ces graces qui en augment
fi fort le prix. Tel étoit Alcaftre.
Léandre étoit bien différent ; il n'avoit
pas l'extérieur à beaucoup près fi agréable
; mais en revanche , quelle aménité
16 MERCURE DE FRANCE.
dans les moeurs ! quelle douceur dans le
caractére ! Humain , tendre , compatif
fant , il fuffifoit d'être malheureux pour
avoir des droits fur fon coeur ; étayé par
la Raifon , fon efprit étoit enrichi des
plus rares connoiffances ; il en avoit infiniment
, & ne s'en fervoit jamais pour
offenfer perfonne. Ceux qui ne le connoiffoient
point , voyant avec quelle avidité
il faififfoit les occafions de dire quelque
chofe d'obligeant ; combien les
louanges , qu'il diftribuoit toujours avec
difcernement , étoient fines & délicates ;
avec quel art il fe mettoit à la portée des
différens efprits ; comment il trouvoit le
fecret de laiffer tomber un voile épais
fur les défauts des autres , & de répandre
une clarté lumineufe fur tout ce qu'ils
avoient d'estimable ; ceux , dis - je , qui
ne le connoiffoient pas , & qui voyoient
tout cela , le croyoient naturellement
porté à la flatterie : il en étoit cependant
bien éloigné ; l'efpoir de la fortune la
plus brillante n'auroit pu lui faire encenfer
le vice , & trahir la vérité. Mais
il fçavoit que fi un galant homme ne doit
jamais s'en écarter , il eft des occafions où
peut , où il doit même la taire ; ſon humeur
bienfaifante , lui perfuadoit , avec
raiſon , qu'on pouvoit être vrai fans être
il
OCTOBRE. 1760. 17
cauftique ; on ne reprochoit à Léandre
qu'un penchant à la tendreffe , capable
de le porter aux plus grands excès : il
connoifloit fon foible , & ne voyoit les
femmes que par bienséance ; rempli de
l'amitié qu'il portoit à Alcaftre , fon coeur
évitoit avec foin tout autre attachement.
Alcaftre & Léandre fervoient dans le
même Régiment ; leur amitié , dans un
fiécle où ce fentiment fi vertueux eft
devenu fi rare , étoit citée , elle leur attiroit
l'admiration de tout le monde :
l'Amour en conçut de l'ombrage ; il forma
le deffein d'altérer au moins leur
union , s'il ne pouvoit la détruire. Elvire
fut celle qu'il choifit pour l'exécution de
fon deffein ; elle étoit grande , faite à
peindre , de la figure du monde la plus
féduifante : elle n'étoit fortie du Couvent
que pour époufer un mari , dont le moindre
défaut étoit d'être fexagénaire. Naturellement
tendre , l'imagination d'ailleurs
échauffée par la lecture des Romans , un
tel mari étoit peu propre à fatisfaire fon
coeur elle venoit de fe marier , lorfque
le Régiment de nos deux amis arriva.
Alcaftie avoit une de ces figures qui intéreffent
, qui touchent , qui frappent :
Elvire, en le voyant, foupira tout bas ; le
trouble de fes regards annonça celui de
18 MERCURE DE FRANCE.
fon âme ; fes yeux ne pouvoient quitter
l'aimable objet qui fixoit toute fon attention
. Eclairé par le flambeau de l'amourpropre
, Alcaftre s'apperçut du trouble
d'Elvire; il en devina le principe ; &
prit les fecrets mouvemens de joie que
lui caufa cette découverte , pour autant
d'effets d'une tendre fympathie. Perfuadé
de la meilleure foi du monde qu'il aimoit
, il mit tout en ufage pour en convaincre
Elvire. On avoit trop d'intérêt à
le croire, pour douter de fa fincérité ; on
étoit charmé d'avoir de quoi juftifier une
foibleffe ; & la paffion d'un homme fait
comme Alcaftre , paroiffoit plus que
fante .
fuffi
Alcaftre venoit d'obtenir un aveu charmant.
Cette conquête le flattoit fi fort ,
que l'amant le plus paffionné n'eût pas
reffenti des tranfports plus vifs . Il rencontre
dans le moment fon ami Léandre ;
mon cher Léandre , lui dit-il , concevezvous
bien l'excès de ma joie ? Elvire ,
l'aimable Elvire eft fenfible , fa belle bouche
vient de me confirmer ce que fes
regards m'avoient déjà appris ! ... vous ne
répondez rien ; d'où peut venir ce filence
morne , cet air abbatu , ces regards languiffans
? une indifpofition vint au fecours
de Léandre. Pénétré de ce qu'on venoit
OCTOBRE. 1760. 19
'de lui dire , il fe retira chez lui. Il adoroit
Elvire. Qu'on jugé de l'horreur de fa fi
tuation que de facrifices ne fit - il pas રે
l'amitié ? Sa paffion fut la feule qu'il
n'immola point ; le pouvoit - il ? .... Confident
d'un rival heureux , que ne devoit- il
pas fouffrir ?
La vanité de ce rival étoit fatisfaite ; il
revint bientôt à fon état naturel : plus
d'affiduités , plus de petits foins, plus de regards
enflammés , plus de propos tendres ;
Pindifférence la plus cruelle fut le prix de
l'amour le plus vif. Il ne m'aime plus ,difoit
quelquefois Elvire à Léandre; remarquez-
Vous avec quel foin le cruel m'évite ? par
où ai-je pû m'attirer fa haine ? Qu'ai- je à
me reprocher , que de l'avoir trop aimé ?
Mais vous qui êtes fon ami,vous qui êtes
le mien , ne ferez- vous pas votre poffible
pour ramener un coeur qui m'echappe
En le perdant , ce coeur , je perds tout
mon repos , je perds tout mon bonheur ;
ayez pitié d'une amante éplorée , victime
de l'amour!... Victime de l'amitié, Léandre
foupiroit , verfoit des larmes , & faifoit
ce qu'on exigeoit de lui. Quel amant !
quel ami !
Non , Madame , dit- il un jour à Elvire
, l'amitié , l'amour , vos attraits même,
rien ne peut infpirer la tendreffe à
20 MERCURE DE FRANCE.
un coeur qui n'eſt pas fait pour la fentir ;
Alcaftre eft un ingrat que n'a- t - il mes
mes yeux ? que n'a -t- il ma fenfibilité ?
fon bonheur feroit mon défefpoir ; mais
il combleroit vos voeux les plus doux: ne
dois-je pas le fouhaiter ? Je ne voudrois
pas être heureuſe à ce prix , répondit Elvire
; vous m'êtes trop cher, Léandre :
pourquoi ne puis - je difpofer de mon
coeur ? que nous ferions heureux ! Mais
l'eftime la plus parfaite... fi l'amitié...
Ah ! Madame , de l'eftime , de l'amitié ;
eft ce avec cette monoye que l'on paye
une paffion comme la mienne ? Alcaftre ,
heureux Alcaftre , que votre fort eft à envier
! & toi, Amour, cruel Amour , jufques
à quand me perfécuteras- tu ? n'as- tu pas
encore épuifé tous tes traits ? les maux que
tu m'as faits,ne font ils pas affez grands ?
Vous avez donc aimé, interrompit Elvire ?
vous me ferez plaifir de m'apprendre les
particularités de cette inclination ; vous
fçavez combien l'intérêt que je prends à
ce qui vous regarde eft vif ; l'amitié que
vous m'avez infpirée eft bien tendre , à
peine la diftingue- t- on de l'amour ; mais
hâtez-vous de fatisfaire ma curiofité. Enchanté
de ce que venoit de lui dire Elvire
, Léandre ouvrit fon coeur à la douce
efpérance . Après quelques inftans d'un
OCTOBRE. 1760. 2F
lence qui difoit beaucoup , il prit la
parole en ces termes :
Je me fuis , toute ma vie , mis au- deffus
de certains préjugés , fur-tout en matiere
d'inclination ; de la figure , des
grâces , du caractére : voilà les titres de
Nobleffe ; voilà les feules richeffes qui
me plaiſent dans une femme . Julie poffédoit
tous ces avantages. Joignez- y des
fentimens bien audeffus d'un état très médiocre
; & vous conviendrez que tant
de charmes devoient faire oublier les
torts que la fortune avoit eus à fon égard.
Mes premiers regards fe fixerent , avec
un fecret plaifir , ſur cet objet charmant;
je l'aimois , je l'adorois dans un temps, out
le commun des hommes ignore juſqu'au
nom de l'Amour ; fes beaux yeux avoient
ouvert les miens ; fon efprit avoit formé
le mien ; dès lors je ne pouvois vivre un
inftant fans elle. Mes parens la protégeoient
, les grâces prévenoient en fa fayeur
; fa mere d'ailleurs avoit nourri
une de mes fours ; la maiſon de mon
père étoit devenue la fienne ; on y avoit
pris foin de fon éducation , & le fuccès
avoit paffé l'efpérance. L'innocente tendreffe,
qui me lioit à Julie,n'étoit regardée
que comme un pur badinage ; on n'avoit
garde d'en prévoir les fuites ; nous pro22
MERCURE DE FRANCE.
fitions de la liberté qu'on nous laiffoit :
l'Amour feul pourroit vous donner une
idée des plaifirs , que nous puifions dans
une tendreffe réciproque. Qu'ils le font
écoulés vîte , ces inftans ! il ne m'en reſte
plus qu'un trifte & tendre fouvenir. Hélas!
pourrois-je jamais oublier ce jour, où elle
me découvrit des fentimens que mon
coeur devinoit , mais dont la certitude
me caufa des tranfports inexprimables ?
Elle venoit de danfer'; fon tein étoit animé
des plus vives couleurs ; fes yeux brilloient
de mille feux nouveaux ; la troupe
légère des grâces voltigeoit autour d'elle ;
l'Amour , le tendre Amour , précédoit
fes pas il lui marqua fa place à côté de
moi ; que j'étois émû dans cet inftant ! je
voulus lui parler ; je ne fis que balbutier.
Elle eut pitié de mon trouble. Je pénétre
vos fentimens , me dit- elle d'un air charmant
; j'en fens tout le prix ; pourquoi
la fortune a-t - elle mis tant de diftance
entre nous ? qu'il m'auroit été doux ! ...
mais ne nous repaiffons point de chimères
, réprimons les mouvemens de
nos coeurs , il feroit dangereux de les faivre...
pourquoi les réprimer ; lui dis -je ,
ne font-ils pas tout notre bonheur ? c'eſt
à l'Amour de réparer les injuftices de la
fortune ; qu'il me fera doux de rendre
"
OCTOBRE. 17 Go.: 23
heureuſe ce que j'aime ... Eh ! Monſieur ,
voudriez-vous vous abaiffer à ce point- là ?
votre fortune...vos parens... l'honneur...
dites le préjugé , il n'aura jamais de pouvoir
fur mon efprit , furtout quand il ſera
fondé fur l'orgueil . On vint me prendre
pour danfer : je ne pus continuer un
entretien qui avoit pour moi tant de
charmes.
Mon amour étoit trop vif , pour pouvoir
le cacher. Mes parens en furent inftruits
; ils s'allarmerent, ils en craignirent
les fuites ; & pour les prévenir, ils crurent
devoir m'éloigner pendant quelques années.
On m'annonce dans le tems que je m'y
attendois le moins , qu'il faut partir pour
le Régiment de B... quelle nouvelle !
Je vole chez Julie ; mes foupirs & mes
larmes lui apprennent le malheur qui
nous menaçoit . Voilà le coup que je redoutois
, s'écrie la tendre Julie ; j'en avois
un fatal préffentiment ! Vous partez , &
avec vous ma joie , mon bonheur , mon
unique efpérance , en un mot , tout ce que
j'ai au monde de plus cher ; ma tendreffe
feule me refte pour me défefpérer. Mais
infenfée , que dis- je ? & pourquoi me
plaindre ? N'est- ce pas ce qui pouvoit
vous arriver de plus heureux ? L'abfence
24 MERCURE DE FRANCE:
triomphera d'un amour qui feroit tous les
malheurs de votre vie ; la Raifon reprendra
le deffus ; vous oublierez une infortunée
qui n'a à vous offrir que l'amour
le plus tendre ; & c'eft cet amour qui
feul peut faire le bonheur de ma vie.
Ah ! Julie , ceffez un langage qui offenfe
vos charmes & mes fentimens ; moi ceffer
de vous aimer ? moi vous oublier ? ...
pouvez-vous m'en croire capable ? Quels
jours que ceux que je vais couler loin
de vous ! Je foupirerai continuellement
après l'inftant qui me rendra ce qui m'eſt
fi cruellement ravi le deftin ne nous
fera pas toujours contraire ; un temps
plus heureux viendra où je pourrai don
ner l'éffor à mes fentimens. Ah ' Julie ,
que je chérirai la vie , fi je la paffe avec
Vons ! Ce furent mes dernieres paroles :
une chaiſe de pofte m'attendoit , on m'y
porta plus mort que vif ; & Julie , dans
quel état étoit elle ? Les coeurs de la
trempe du fien ne peuvent que reffentir
bien vivement de pareils coups .
Arrivé à mon Régiment , j'y vécus de
la maniere du monde la plus retirée , des
livres , les lettres de Julie , voilà en quoi
confiftoient tous mes plaifirs . Bien des
fur-tout ceux qui n'ont pas même
l'idée de cet amour délicat , qui fait la
félicité
gens ,
OCTOBRE . 1760.
25
félicité des coeurs fenfibles , me traiterent
d'homme particulier : il faut facrifier à
la débauche pour leur plaire ; je me confolai
aifément de n'avoir pu obtenir leurs ры
fuffrages .
Il y avoit près d'un an que je languiffois
éloigné de Julie , lorfqu'on me remit
de fa part la lettre fuivante : » Ha-
» farder fa fortune , fa réputation même
» pour un Amant , c'eft ce que l'on voit
" tous les jours ; mais renoncer, par un ex-
» cès d'amour, à tout ce que cet amour fait
" envifager de flatteur , à l'efpoir d'être
» uni à ce qu'on aime ; c'eft ce que l'on
33
ne voit pas ; c'eft un facrifice qui a lieu
» de furprendre . Je ne vous ai jamais
» tant aimé , & j'ai cru ne pouvoir mieux
» vous le prouver , qu'en contractant des
engagemens , qui m'ôtaffent l'efpérance
fi flatteufe d'être un jour à vous. Le
» renversement de votre fortune , l'indignation
de vos Parens , le mépris du
» Public , auroient été les fuites d'un
» amour malheureux . Le facrifice eft
» grand , il me coûte bien des larmes ,
» peut- être même me coûtera- t-il la vie ;
» mais confidere- t - on rien , quand on ai-
» me auffi éperdûment que moi ? Tâchez
de m'oublier, c'eft le feul moyen de
» recouvrer votre repos . Quel confeil !
» ai-je bien la force de le donner ? JULIF.
I.Vol . B
18 MERCURE DE FRANCE...
Comment vous repréfenter ce que je
devins à cette fatale lecture ! étonné ,
faifi , confterné , je ne fortis du profond
accablement où j'étois tombé , que pour
me livrer aux tranfports les plus furieux .
Voilà donc le prix qui étoit réſervé à
mon amour , m'écriai -je ? vous avez changé
, ingrate ! ne croyez pas que je fois la
dupe de votre fauffe générofité... Que je
vous rendois peu de juftice , aimable Julie
; y eut-il jamais de coeur comme le
vôtre?
J'appris peu de temps après que Julie
s'étoit enfevelie dans un cloître. Les combats
qu'elle livroit continuellement à une
paffion , dont elle ne put jamais fe rendre
maîtreffe , prirent fur un tempérament
naturellement délicat : l'austérité
de la régle,acheva de l'épuifer ; elle tomba
dans une maladie de langueur qui eut
bientôt terminé fes jours. Je fus longtems
inconfolable ; mais ma douleur s'affoiblit
infenfiblement. Il ne m'en refta
plus qu'un tendre fouvenir que je conferverai
toujours.
Dégoûté de l'amour , je m'étois promis
d'éviter avec foin tout ce qui pourroit
me conduire à un engagement. Je
vous ai vue , je vous ai aimée , cela ne
pouvoit guere être autrement : mais tou→
OCTOBRE. 1760 .
27
jours
malheureux , j'ai trouvé votre coeur
prévenu en faveur d'un autre.
Elvire avoit prêté une attention extraordinaire
au récit de Léandre : une
façon d'aimer fi délicate , tant de conftance,
dans un fiécle & dans un état, où le
véritable amour a fi peu de partifans , l'avoient
étonnée ; elle avoit envifagé de la
douceur à être aimée par un amant de
cette trempe ; le fort de Julie l'avoit touchée
; fes beaux yeux étoient mouillés
de quelques larmes : que
Imoment pour
l'Amour ! Elvire eftimoit Léandre ; elle
fit plus , elle l'aima.
Alcaftre regretta
alors un coeur qu'il avoit laiſſé échapper.
Témoin de la
fatisfaction de ces deux
tendres Amans , il envia leur bonheur
leurs plaifirs lui parurent bien au- deffus
de ceux que la vanité lui procuroit : il
fouhaita plufieurs fois d'avoir le coeur de
Léandre. Mais, l'homme n'eft pas né
être heureux : Léandre l'éprouva.
pour
;
- Il fortoit de chez Elvire ; jamais elle
n'avoit été fi tendre ; il ne lui avoit jamais
trouvé tant de charmes ; jamais auffi
il ne s'étoit fenti tant d'amour on lui
annonce dans le moment qu'il faut
tir , qu'il faut s'éloigner , peut - être pour
toujours , des lieux qu'habite ce qu'il aime.
Qel ordre ! quel coup de foudre ! 11
par-
Bij
28. MERCURE DE FRANCE.
rentre chez Elvire : elle étoit déjà inf
truite . Il la trouve dans un état plus aifé.
lui à imaginer qu'à décrire. Vous partez ,
dit elle , du fon de voix le plus doux ?.
aurez-vous bien la force de m'abandonner
? Ah ! reſtez , fi vous ne voulez pas
que je meure.... Léandre promit tout ; il.
y auroit eu de l'inhumanité à ne pas le.
faire . Mais l'honneur parloit : ce fut à
l'amour de fe taire ; il partit. Alcaftre
voyant fon ami défefpéré , mit tout en
ufage pour le confoler. Imitez -moi , lui
dit -il mes plaifirs font moins vifs ; j'avoue
même qu'il en eft une infinité de
réfervés pour les coeurs tendres qui me
feront toujours inconnus ; mais auffi que
de peines , que de chagrins , que de regrets
ne traîne pas après foi une paffion ?
Vous le voyez ! peut- on defirer des plaifirs
qu'on achete auffi cher ? Léandre en
convint ; il promit à fon ami de travail-
Ter à réprimer les mouvemens d'un coeur
trop tendre . L'infidélité d'Elvire qu'il apprit
peu de temps après , lui en fit prendre
ne forte réfolution. Réuffira- t- il ? Je le
fouhaite pour fon repos . Qu'il ait toujours
devant les yeux le Vers fuivant ;
Quand on eft né trop tendre , on ne doit pas
aimer.
Par M. de M**** Officier au Régiment de B ..■
abonné au Meicure.
OCTOBRE . 1760. 29
VERS de M. D *** , fur ce qu'on le
croyoit Auteur d'une Chanfon faite
contre quelques Demoifelles .
FrILLE des Dieux , la noble Poëfie ,
Se réſerve à chanter les Belles , les Héros :
Sa lyre célébre à propos ,
De Mars la guerriere folie ,
Et les myſtéres de Paphos :
Voilà fes droits . La noire calomnie ,
Peut du beau fexe outrager les attraits
Et la fottife , à l'aide de l'envie ,
Pour l'ordinaire , en aiguile les traits.
Rangé fous l'amoureux empire ,
Mon coeur ne s'en fervit jamais ,
Beau fexe ! il vous adore ; & fes premiers ſouhaits ,
Etoient de pouvoir vous le dire .
HAVE , de Rheins.
LE ROSSIGNOL & LE HIBOU ,
Αν
FABLE.
A M. le Comte de T ***
Au retour du Printemps , reprenant fon ramage
,
Un jeune Roffignol , par les fons les plus doux ,
Bij
30 MERCURE
DE FRANCE:
Célébroit fes amours , & charmoit le bocage
Quand pour lui diſputer cet heureux avantage ,
Le plus enroué des Hiboux
Vole , arriv, e lui dit , dans fon tranfportjaloux :
>> Chérif Harmoniqueur , es - tu donc fi peu fage ,
» Que par le chant , par le langage ,
» Tu veuilles l'emporter fur nous ?
*
» Jeune présomptueux ! fais un moment filence ;
» Tu verras auffi- tôt , des hôtes de ces bois ,
» La foule s'empreffer aux accords de ma voix ,
» Et m'accorder la préférence.
Il entonne ; en effet , à ſon finiftre chant ,
Se raſſemble à grand bruit toute la volatille :
D'abord l'on crie karo fur ce chantre impudent
Croyant qu'on l'applaudit , qu'il brille ;
Le fat redouble , s'égofille ....
Hélas ! à peine encore on l'avoit entendu ,
Que fous les coups de bec il tombe confondu
De mille fots cette Fable eft l'hiſtoire :
Quand quelque vain jaloux de ton heureux talens
Ofe te difputer tes fuccès & ta gloire ,
Cher Comte , on croitvoir notre Chat- Huant ;
Qui veut au Roffignol diſputer la victoire.
Par M. le Chevalier de JUILLY THOMASSIN
OCTOBRE. 1760. 31
VERS à Mademoiselle CLAIRON.
DIGNE Prêtreffe de Voltaire !
Ses oracles divins , ennoblis par ta voix
Font du Théâtre un fanctuaire ,
Où Paris étonné vient recevoir des loix.
J'ai revû ce Dieu qui t'inſpire ,
Couvert de rayons éclatans ,
Sur tes trépieds affermir fon empire,
Et par toi de l'envie étouffer les ferpens.
Je n'examine point fi l'Art ou la Nature ,
Forme tes fons touchants qui m'arrachent des
pleurs :
Rempli d'une volupté pure,
Je reffens tes tranfporrs , tes craintes , tes douleurs
;
Je ne vois point là d'impoſture.
Voltaire , fois long-temps , en dépit des jaloux ,
Semblable au Dieu de la lumiere ,
Qui rend , au bout de fa carriere ,
Des feux moias brûlants , mais plus dour
que Thétis , qui fort du ſein de l'onde
Pour embellir de fes appas
Et telle
Ce Dieu l'aftre brillant du monde ,
De Voltaire , Clairon , ne quitte point les pas ;
Ton triomphe et le fien , & fa gloire oft la rien■c
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
S'il fait des Vers dignes de toi,
Ta voix eft digne de la fienne ;
Et tous deux du plaifir vous nous faites la loi.
BOUQUET
A M. P. en lui envoyant une Epine , le
jour defa fête.
UNNE Mufe , folle & badine ,
Quijaſe comme un perroquet ,
Depuis un quart d'heure rumine ,
Au bouquer qu'elle te deftine ,
Et s'exerce au fond d'un Bofquet.
Mais loin que Phébus l'illumine ,
Ce Dieu , laffé de ſon caquet ,
Pour panir fon efprit coquet ,
Au lieu de l'onde cryftalline ,
Qui re donne point le hoquet
Lui fait boire , à pleine chapine ,
De l'eau bourbeufe l'un baquet ,
Qui fert d'égoût à la cuisine ,
Où Son Alteffe maroquine ,
Joue , en hyver , au bilboquet.
Flore auffi, qui lui fait la mine ,
A fermé fes fleurs au loquer .
Coquet , mis à la fourdine ,
Eft une effroyable machine ,
こ
J
OCTOBRE. 1760.
Faite des débris d'un briquet
D'un Grenadier mort à Meffine
La même nuit que Méluſine
Inventa les loix du Piquet ;
Que le Prophete de Médine ,
Fut fait cocu par un criquet ;
Et que le Mogol , au Jacquet ,
Battit l'Empereur de la Chine.
Ainfi , fi le Dieu freluquet ,
Qui fans m'inſpirer me lutine ,
De mon deffein ne ſe moquoit ,
Et fi Flore étoit moins murine ;
Je t'euffe offert , par Mathurine ,
De Vers & de Fleurs un paquet.
Mais que peut un pauvre roquet ,
Sans leur affiſtance divine ?
D'ailleurs , comme un pareil Bouquet
A pour but , dans fon origine ,
Régal pompeux , Poularde fine ,
Vin exquis & friand Croquet;
Contente-toi de cette Epine :
Je te difpenfe du banquet.
Par M. FRANCOIS , ancien Cornette de Cavalerie.
By
34 MERCURE DE FRANCE:
EPITRE A DORI S.
DANS ANS cette retraite charmante ,
Afyle des jeux & des ris ,
Dont l'onde la plus tranſparente ,
Dans la courſe paifible & lente ,
Arrofe les fentiers fleuris ;
Sur quoi roulent tous vos écrits ,
Répondez-moi , Mufe innocente ?
Je célébre de nos jardins
La fraîcheur douce & naturelle ,
Dans des vers aiſés & badins ,
Je chante la faiſon nouvelle ,
L'abondance de nos moiffons ,
L'efpoir d'une vendange heureufe
La richeffe de nos toiſons ,
Et l'abeille laborieuſe ,
Sont les objets de mes chanfons.
Je me plais à chanter encore
Le ramage de mille oiſeaux ,
Les pleurs délicats de l'aurore ,
Les attraits de la jeune Flore ,
Le riant murmure des eaux ,
La verdure de nos fougeres ,
La douce haleine des zéphirs ,
Et de nos folâtres bergeres ,
Et les amours , & les plaifirs,
OCTOBRE . 1760. 59
Interrompez ces doux loisirs ,
Prêtez-moi vos grâces naïves ;
Et par les couleurs les plus vives
Peignez l'objet de mes foupirs.
J'ai besoin d'un portrait fidéle ,
Amour ! guide ici ſon pinceau ,..
Et de la Nymphe la plus belle ,,
Trace toi- même le tableau,
Doris eft la beauté que j'aime..
A ce nom fi cher ? tu fouris.
Mon erreur te paroît extrême ..
Il eſt vrai , je me fuis mépris :
Qui veut un portrait de Doris ,
N'a qu'à te bien peindre toi - même ..
Mais admire ma bonne for:
Comment aureis - je pu le faire ,
Amour ; quand elle eſt , ſelon moi , ·
Plus féduifante que ta Mere ,
Et plus dangereuſe que toi ?
Si pour elle dans ces retraites ,.
Tu m'infpiras le premier Vers .
Par elle , dans tout l'Univers ,
Tu vois étendre tes conquêtes.
Mais loin qu'elle ait porté tes fers ,
Tu ne l'as pas même réduite
Jufqu'à fouffrir ton entretien ;1
L'hymen dans tes bras l'a conduite
Sans tes charmes il l'a féduite ;
B vj
16 MERCURE DE FRANCE.
Mais fans lui tu ne pouvois rien.
Ce triomphe manque à tes armes ;
Vele , viens embrafer ſon coeur ;
Un feul mortel de tant de charmes ,
Doit-il être le polleffeur ?
Fier honneur , tyran infléxible,
Ton empire eft- il éternel ?
Un coeur , fans être criminel ,
Ne peut- il devenir fenfible ?
Amour , dompte les préjugés
Qu'enfante une vertų lévére ;
Il est temps qu'ils foient abrogés ,
Fais aimer qui ne fçait que plaire.
Doris , tu vois mes fentimens !
Réponds à l'ardeur qui m'anime ;
Crois que l'amour n'eft jamais crime
Chez les véritables Amans.
Par le même.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
MONSIEUR,
La Lettre que vous allez lire, m'eft parvenue
par une voie affez finguliere , pour
que je vous en falle part. Je me promenois
il y a quelques jours au Luxembourg, avec
un de mes amis , qui après une heure de
OCTOBRE . 1760. 37
"
promenade me quitta pour aller à fes affaires.
Je me difpofois moi - même à fortir ,
pour me rendre dans la rue de la Comédie
Françoiſe où j'étois attendu , quand
une femme qui par les façons me parut
tenir un certain rang dans le monde
laiffa tomber à mes pieds une Lettre fans
enveloppe , qui n'etoit point encore cachetée.
J'étois dans ce moment le feul
témoin de cette perte ; auffi il me fut aifé
de ramaſſer la Lettre , fans que perfonne
s'apperçûr de mon larcin. Je voulus voir
ce que ce pouvoit être , & mes premiers
regards tomberent fur l'adreffe . Permettez-
moi , Monfieur , de vous en taire
le contenu. Tout ce que je puis vous
dire , c'eft qu'elle s'adreffoit à une Demoifelle
d'un très-grand nom , & qui par
fes biens & fa beauté fait parler d'elle dans
Paris . Vous vous doutez bien que cette
adreſſe ne me donna que plus d'envie de
voir ce que la Lettre renfermoit. Je la
courus , ou plutôt je la dévorai des yeux.
Toute réflexion faite, je réfolus de me pu
nir de ma curiofité , en rendant la Lettre à
qui elle appartenoit ; je n'avois point perdu
de vue la perfonne qui l'avoit laiffe
tomber. Je me preffai donc de la rejoindre.
Mais avant que d'avoir pu gagner la
porte , je la vis monter dans un équipage
par38
MERCURE DE FRANCE.
des plus élégants : ce qui me perfuada
que j'avois deviné jufte. Je fus fur le
point de crier au Cocher d'arrêter un inf
tant mais le même motif qui m'avoit
porté à lire la lettre , me porta auffi à
la garder. Je ne fus pas plutôt dans la
rue , que je contentai ma curioſité ; &
je vous avouerai franchement que je fus
charmé de n'avoir pas écouté le remords
qui m'avoit pris. La lecture de cette lettre
me fit tant de plaifir , que dès que
je fus dans ma chambre , j'en tirai une
copie que je montrai à quelques - uns
de mes amis qui en porterent le même
jugement que moi. Je réfolus donc dès
ce moment de la rendre publique , en
vous priant de l'inférer dans votre prochain
Mercure. Je me flatte , Monfieur ,
que vous ne me refuferez pas. J'eſpére
auffi que la perfonne à qui appartient la
lettre , ne me voudra aucun mal du petit
larcin que je lui ai fait , puifque cachant
le nom de celle à qui elle s'adreffe , je
rends publiquement juſtice au bon coeur
& au mérite de celle qui en eft l'Auteur.
Je fuis avec toute l'eftime poffible , votre
&c. H... D... Bl...
1
J'ai au moins vingt ans de plus que
yous , Mademoiſelle : fans doute , en faOCTOBRE
. 1760. 3.9
veur de mon âge , de mon expérience
mais bien plus en faveur de mon amitié
pour vous , vous me pardonnerez de
vouloir vous donner des leçons . Je me
fuis trouvée dans la même fituation que
la vôtre une amie de ma mere & qui
étoit la mienne auffi, a bien voulu me prodiguer
fes avis ; j'en ai profité ; & je me
fuis applaudi plus d'une fois d'avoir été
capable de les fuivre.
J'entendis , il y a huit jours, la converfation
de deux amis, dont l'un fe plaignoit
fortement de vous . On ne me croyoit pas
fi près & l'on ne fe gênoit pas. Je vous
avouerai fincérement , que je fus étonnée
de votre façon d'agir ; & dès le moment
je réfolus de vous donner des confeils fur
votre conduite, à venir , en vous faifant
Voir le ridicule de votre conduite paffée.
Je vous connois affez pour me flatter que
vous les regarderez , plutôt comme une
preuve de l'intérêt que je prends à ce qui
vous regarde, que comme une demangeaifon
d'affecter des airs de petite maîtreffe,
affez naturelle à notre fexe, mais dont,graces
à Dieu , je fçais me défendre.
L'on donne le nom de fociété à un cercle
de femmes ou d'hommes , ou même
des deux fexes réunis qui s'affemble chez
un ami commun : là chacun felon fon gé
40 MERCURE DE FRANCE.
.
nie fournit à la converfation ; les hommes
y viennent pour faire leur cour aux
femmes qui y font fouveraines . Mais s'ils
n'avoient d'autre efpérance que d'être
traités avec froideur & indifférence ;
croyez vous , ma chere enfant , qu'ils s'y
rendroient avec tant d'affiduité Non :
tous les hommes , les François fur-tout ,
aiment à être prévenus : un rien les frappe
; il n'en faut pas davantage , pour leur
faire rechercher avec avidité ce je ne
fçais quoi qui leur a fait impreffion . La
vue de ce qu'ils aiment les anime , la
converfation s'égaye , le moindre coup
d'oeil favorable eft la fource de mille reparties
agréables , enfin les jours paroiffent
des heures , & on fe quitte avec une
vive ardeur de fe rejoindre. Eh , quels ſeroient
donc nos droits , où puiſerionsnous
le bonheur attaché à notre fexe , fi
nous n'avions pas le privilége de nous
rendre maîtreffes du coeur des hommes ?
Et quel eft le moyen le plus fûr pour y
parvenir Ceft fans doute de paroître
fenfibles à leurs politeffes , & d'y répon
dre par une eftime proportionnée au mérite
de ceux qui la recherchent . Je ne
crois pas qu'il foir poffible , & l'expé
rience le confirme tous les jours , de fai
re la conquête d'un coeur, quelque par
OCTOBRE. 1760. 41
fionné qu'il foit , par l'indifférence & le
mépris. On le rebute , au lieu de fe l'attacher
; & cependant c'eft ce défaut , car
c'en eft un , que je prétends vous reprocher
, & dont je veux vous guérir . Vous
poffédez toutes les qualités qu'on peut
fouhaiter dans une Demoiselle , à la beauté
, vous joignez l'efprit & la fageffe. Ces
vertus ne font point incompatibles avec
P'envie de plaire. Toutes les femmes l'ont
cette envie pourquoi en feriez - vous
exempre ? Mais à quoi bon ces froideurs
& ces réponfes accablantes, que vous faites
à ceux qui vous font l'aveu de leur
fenfibilité L'on vous aime : eh le grand
mal ! c'eft prouver que l'on n'eft pas de
mauvais goût. Croyez- moi , les femmes
ne s'offenſent jamais des louanges qu'on
Jeur donne : au contraire , leur vanité en
eft flattée. Et cependant vous vous of
fenfez de ce qu'on vous aime, de ce qu'on
vous dit que vous êtes adorable ! » Quelle
» petiteffe! vous me direz, peut - être: mais
"
pourquoi vouloir me forcer de prendré
» du goût , pour des perfonnes pour lef
quelles je n'en reffens aucun ? en fuppc-
» fant même que je puffe en avoir, pour-
*
#
quoi me forger des chaînes ,qui peuvent
» faire le malheur de ma vie » ? Point du
tout , ma chére fille : je ne vous force,
42 MERCURE DE FRANCE.
1
point d'aimer ceux qui ne font aucune
impreffion fur vous ; mais je veux vous
dire que fans lleeuurr marquer de préférence
, vous devez les regarder comme des
membres néceffaires à la fociété , & par
conféquent vous êtes obligée de les ménager.
Que deviendroit- elle donc cette
Société , fi auffi fiéres que vous , toutes
les femmes traitoient les hommes avec
autant d'indifférence ? Car , je ne rougis
point de l'avouer , laquelle de nous ne
s'ennuyeroit pas terriblement de la monotonie
& de la frivolité de nos entretiens
, fi les hommes ne venoient l'égayer
, & en même temps la rendre plus
férieufe Il faut donc les fouffrir , même
leur paffer quelques défauts , puifqu'il eft
de la foibleffe humaine que chacun ait
les fiens ; il faut en leur rendant juſtice ,
fçavoir les contenir par des politeffes &
des prévenances. Croyez -moi, Mademoifelle
, jamais vous ne parviendrez en
fuivant le plan que vous vous êtes formé.
Je conviens qu'on ne pourra s'empêcher,
au premier abord, de vous trouver
charmante ; mais vous perdrez à vous
faire connoître : l'on aime aujourd'hui à
vous voir , dans peu l'on vous fuira , &
vous vous trouverez réduite au peu
perfonnes qui pourront s'accoutumer à
?
de
OCTOBRE. 1760
45
votre milantropie . Quel trifte avenir !
N'allez cependant pas croire que je vous
confeille de vous afficher ; il s'en faut
beaucoup que ce foit mon intention . Cetté
extrémité, eft pour le moins auffi dangereufe
que celle dans laquelle vous donnez
avec tant d'imprudence ; mais il eſt
un jufte milieu entre la mifantropie & la
trop grande légèreté. Attachez-vous par
votre efprit , les hommes qui vous plaifent
; & s'il fe peut , ne rendez point les
armes. C'eft ainfi que la plupart des femmes
, moi la premiere , foit dit fans vanité
, ont mené la vie la plus heureuſe .
Au refte , ma belle enfant , ne croyez
pas , comme je vous l'ai déjà dit , que ce
foit par envie de parler & par jalousie ,
que je trouve à redire à votre conduite . Si
j'étois attaquée de la derniere de ces
paſſions ; au lieu de vous prodiguer des
leçons , je jouirois du plaifir de vous voir
donner dans le travers. Mais non ; je
fuis incapable de l'une & de l'autre ; &
fije déclinois mon nom , vous verriez que
vous n'avez pas d'amie plus fincére que
moi.
Je ferai dans peu à portée de voir quel
cas vous faites de mes avis . Le meilleur
que l'on puiffe vous donner , c'eſt d'en
profiter.
44 MERCURE DE FRANCE.
VERS AU ROI ,
Qui avoient été faits pour être récités par
le Sergent-Major de Meffieurs les Gentilshommes
Eléves defon Ecole Militaire
, lorfque SA MAJESTÉ les honora
de fa Préfence , le 18 Août 1760 .
ן י
1 GN Es fils de Héros , que la France révére ,
Voici l'inftant heureux où votre Fondateur ,
Vous permet de lui rendre un hommage fincére !
Nos voeux n'atten front plus ce moment fi flateur,
Lefeul qui pût combler notre parfait bonheur :
Embraffons les genoux de notre AUGUSTE PERE .
Au nom de ces Guerriers , qui furent autrefois
I es défenfeurs du Trône & les vengeurs des Rois ,
Jurons Ini de marcher dans les routes certaines
Que nous traça leur main , au milieu des combats }
Et de verfer , jufqu'au trépas ,
Un fang qui coula dans leurs veines.
Difons-lui qu'en fon régne on ne verra jamais ,
Après notre tendreffe extrême ,
Rien de plus fignalé que fes rares bienfaits ,
Et rien de plus grand que Lui-même.
Pardonnez , ô mon Roi ! fi , vous ouvrant nos
coeurs ,
OCTOBRE. 1760 . 45
Nous laiffons échapper un zéle téméraire :
En voyant un Bourbon , des enfans de vainqueurs,
Peuvent-ils s'empêcher de le nommer leur Père?
Par M. BACON , Avocat au Parlement , olim
Profeffeur-Adjoint de Langue & de Belles-Lettres
Françoifes , à l'Ecole Royale-Militaire .
PORTRAIT de Madame P
AVEC les attraits du bel âge
L'Amour a confervé mes feux ;
Fidelle aux loix du mariage ,
Je fçais , de mon amour rendre l'objet heureux.
Vous, qui connoiffant peu mes noeuds ,
Croyez toute beauté volage ;
Apprenez qu'on peut être fage ,
Pofféder un coeur vertueux ,
Avec le plus charmant visage.
VERS pour mettre au bas du Portrait de
Mlle CAMILLE, de la Comédie Italienne.
TENDRE & folâtre , tour- à - tour ,
Je raſſemble en mon caractére ,
La malice du Dieu d'Amour ,
Et la volupté de ſa mère.
·LEBEAU DE Schosne.
46 MERCURE DE FRANCE.
COUPLET fur l'Air : Quoi vous partez ,
fans & c.
L'AMOUR voulant étendre ſon empire ,
Sortoit envain fléches de fon carquois ;
Les coeurs craignoient un dangereux délire ,
De la beauté l'on négligeoit les droits.
Que fit l'Amour ? il fit chanter Thémire ;
Et de ce Dieu tout reconnut les loix .
Par le nommé DUBOURG , de Rennes , Soldat au
Régiment des Vaiffeaux , alors en faction fous
les fenêtres de Madame la Marquise de M ...
qui venoit de chanter plufieurs Couplets fur le
même Air.
LE mot de la première Enigme da
Mercure du mois de Septembre , eft matelas
; celui de la feconde eft , une commode
; celui de la troifiéme , eft , les Elémens
.
Le mot du premier Logogryphe , eſt ,
quolibet , dans lequel on trouve oie , bile,
ouie , oui , élu , Tobie , oubli , but, bouë ,
lot , boule , oeil , Lo , Elor , bote , bute ,
lobe , loi , élu , toile , tube , bel, Celui du
fecond , eft , Hermaphrodite.
OCTOBRE. 1760.
Qu
ENIGM E.
U mon fort eft fâcheux , hélas ! ami Lec
teur ,
Souvent en te fervant j'éprouve ta rigueur.
Je ne puis cependant t'accuſer d'injuſtice :
Ce n'eft qu'en me perçant le corps ,
Qu'on peut de moi tirer quelque fervice.
Auffi , fans murmurer , je céde à tes efforts,
Quoique je fois fouvent affez brillante ,
Ma richeffe n'eft qu'apparente.
Enfin, je reffemble au Gafcon ;
Habit doré , ventre de fon.
S
AUTR E.
ANS la lumiere & l'eau , je n'exiſterois pas.
Je ne fuis qu'un fantôme , & je ne fuis point fom
bre .
On me voit par en haut , & jairais par en bas.
Je ne fuis point un corps , encor moins fuis -je une
ombre.
Le Chevalier de C ****.
48 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
JE fuis libre , & fans moi l'on ne fait point de
Vers.
Je ſuis moindre qu'un rien , je conduis l'Univers,
De toute éternité , j'exifte fans paroître.
A ce langage obfcur , tu peux être ſurpris ;
Mais bientôt , cher Lecteur , tu pourras me connoître
,
Si je t'aide moi-même à chercher qui je fuis.
Du même.
LOGOGRYPHE.
LECTEU
TE U R, qui que tu fois , fi tu veux me connoître
,
Sâche premierement que Dieu ſeul eſt mon maître;
Que je fus de tout temps ; que je fuis aujourd'hui;
Que j'exifte en tous lieux , fous la machine ronde ,
Et que vieille comme le monde ,
Je ne finirai qu'avec lui.
Sept membres compofent mon tout.
Otes-en trois , tu trouveras fans peine ,
Ce qui met fort fouvent un Poëte à la gêne.
Courage , lis-moi juſqu'au bout :
Décompofant mes pieds avec adreffe ,
J'offre
OCTOBRE. 1760.
34
J'offre , à tes yeux , un objet de tendreſſe ;
Deux notes de muſique ; un nombre ; un grain ;
Un quadrupède ; un fruit ; un animal de chaffe ;
L'inftrument du Dieu du Parnaſſe ;
La couronne du Dieu du vin .
Ce n'eft pas tout ; pourfuis , & pour fruit de t
veille ,
Tu trouveras un péché capital ;
Un des ouvrages de l'Abeille ;
Un mot fynonyme à Rival ;
Une ville de Normandie .
L'époux de Bethlabée , un Prophete fameux
Qui , fans perdre la vie ,
Fut admis dans les Cieux ;
Ce que l'homme en tous lieux préfére au diademe ,
Ce qui reste au fond du tonneau.
Un mot encor pour finir mon tableau :
Je te fers dans ce moment même.
LOGOGRYPHE A IRIS.
Six lettres peignent ma figure ;
Combinez -les , voici ma decoupure.
Deux fignes de plaifir ; un fubtil élément ;
Infinitif babillard ; carte ; vent ;
Poifon de mer ; deux notes de mufique ;
Certain Docteur de la Loi Judaïque ;
Ce qu'un Dragon fait briller au combat ;
Chez l'Eſpagnol , utile & bas Soldat ;
1. Vol. C
E
fo MERCURE DE FRANCE.
Une Ville de la Pologne ;
?
Une en Artois ; l'autre en Gafcogne ;
Titre d'honneur qui n'appartient qu'au Roi ;
Préfervatif que porte enfant fous foi ;
Un fondement ; un très-ardent chaufage ;
Une chauffure ; & d'un barbier l'ouvrage ;
Entier , je fuis fymbole de la paix :
J'en ai trop dit ; ferviteur , je me tais.
EN VOI.
Du mot êtes- vous curieuſe ?
L'Auteur s'offre à vous l'expliquer :
Que fon ame feroit joyeuſe ,
S'il l'exprimoit fans vous choquer !
Par M. DESNOYERS d'Etampes,
CHANSON,
PARODIE d'une Aria de M. de
MONDONVILLE.
L Dieu qui fe plaît à tendre
Mille piéges fur nos pas ,
Devroit-il jamais y prendre ,
Les coeurs dont il ne veut pas ?
Charmant objet qui m'engage ,
Mes yeux t'ont dit mon amour ;
Je m'en tiens à cet hommage;
Le Dieu quiseplait à tendre Mille piéges
+
surnospas,Devroit-iljamaisyprendreLesca"
dont il ne veut pas Charmantobjetquim'engage
Mesyeux tonditmonamour,je m'en tiens à cetho
mage sans différer davantage,Daigne
+
en
-tendre leur langage Et le parler à ton
tour.Le Dieu qui . C'estenvain queje l'ap
pelle,Elle nesaitque charmer,Pour ces
ser d'être re belle, Qu'elle apprenne la cru
el le Que lepritems dune bellePasse coe u
W
ne étincelleMais qu'onpeut toujours ai=
+
+
mer.Le Dieu qui seplait à tendreMille
pieges sur nospas,Devroit- iljamais y
prendre ,Les coeurs dont il ne veut pas.
OCTOBRE. * 1760 .
SE
Sans différer davantage ,
Daigne entendre leur langage ,
Et le parler à ton tour.
Le Dieu & c.
C'eſt envain que je l'appelle ,
Elle ne fçait que charmer.
Pour celler d'être rebelle
Qu'elle apprenne , la cruelle ,
Que le printemps d'une Belle ,
Paffe comme une étincelle :
Mais qu'on peut toujours aimer.
Le Dieu & c.
Parun Abenné au Mercure.
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
LETTRE à M. Fl... C. R. de l'A. des
O , &c. fur le Théâtre Italien.
Il est bien flatteur pour moi, Monfieur,
detrouver l'occafion de m'entretenir avec
un des plus zélés Amateurs de la Littérature
Italienne . Jaloux de mériter vos
confeils , de profiter de vos lumières , de
me former le goût fous vos yeux , je me
Cij
32 MERCURE DE FRANCE.
1
hâte de vous faire part de ma nouvelle
découverte. Il s'agit d'un excellent Traité
fur une forte d'Ouvrages auffi finguliers
qu'importans : puifque c'eft eux qui mirent
à la mode en France le goût de la
Langue Italienne , & nous firent connoître
le génie de cette Nation dans la partie
dramatique . Vous parler de l'Italie eft
un titre pour vous plaire , vous qui avez
confacré tant de foins , & de dépenses à
réunir abfolument tous les différens Ouvrages
que cette Nation a vû naître depuis
les plus précieux jufqu'aux moins
eftimés. Ce Cabinet juftement célébre ,
ou plutôt cette Bibliothèque immenfe ,
eft aux yeux de l'homme de Lettres un
tréfor. Il y cueille les fruits des travaux
des grands hommes , autrefois moins rares
dans l'Italie. Il éprouve à la vuë de
leurs différentes éditions , & de la variété
des formes que la Typographie leur a
données , ce charme dont jouit le Fleurifte
, en contemplant ces fertiles platebandes
, où l'Art a prís foin d'aider les
jeux de la Nature. Que de telles recherches
vous ont acquis de droits fur l'estime
de cette Nation & de la nôtre ! mais un
titre plus flatteur vous attire pour toujours,
celle du peu de gens qui ofent penfer.
Vous connoiffez , Monfieur , ces
OCTOBRE. 1760. 53
nombreux Ouvrages que vous avez reaeillis.
Secondé par une époufe aimable,
inftruite, ainfi que vous, de cette Langue
confacrée à la Poëfie , à la Mufique
& à l'Amour , vous vous renfermez dans
votre cabinet : il devient pour vous cette
retraite que Socrate eût voulu trouver ;
Vous vous y nourriffez de ces fçavans
écrits que vous avez pris foin de réunir ;
vous en appréciez la valeur. C'est votre
goût & vos lumiéres qui défignent leur
véritable rang : mérite peu commun aujourd'hui
, où les plus précieufes Bibliothéques
font fouvent poffédées par des
gens , qui n'en fçauroient pas faire le catalogue.
Perfuadé en bon Citoyen , qu'il eſt toujours
dangereux pourun État, que le nombre
des plaifirs honnêtes y diminuë ; je
confidérois avec regret la rapide décaden-
⚫e du Théâtre Italien, qui bientôt ne méritera
plus ce titre : puifque l'on n'y repréfente
que bien rarement de ces Piéces Italiennes
, dont Boileau faifoit un cas particulier.
Si de temps en temps on y voit
naître quelque heureufe nouveauté Frangoife,
( elles y font malheureufement peu
fréquentes ) & ce Théâtre , jadis eftimé
juftement, femble s'être uniquement confacaé
aux Parodies , efpéces d'Opéra-
Cij
34 MERCURE DE FRANCE.
Comiques,productions monftrueufes, dont
la frivolité du fiécle n'a pas même encore
conftaté l'agrément ; qui n'appartiennent
qu'à ces Spectacles Forains rarement fréquentés
par la bonne compagnie , & qui
font auffi déplacés fur le Théâtre de l'Hôtel
de Bourgogne , que les feux d'artifice
que l'on y donnoit il y a fept ou huit ans.
Je cherchois quel motif déterminoit les
Comédiens , a ne donner leurs Piéces Italiennes
, que les jours où le Spectacle eft le
moins fréquenté , & pourquoi ces jours - là
même il étoit encore plus défert. Dans la
crainte d'en appercevoir la raifon véritable
, je me difois ces Piéces font pourtant
le fonds réel de leur répertoire ; elles
étoient jadis en poffeffion de plaire. D'où
peut naître leur difgrace feroit - ce le
défaut des Acteurs ? la plupart d'entre eux
réuniffent bien des talens ; & fi tous , en
général , ne font pas auffi voifins de la
perfection que l'on pourroit le defirer ,
plus de lectures réfléchies , une nouvelle
provifion d'idées , plus d'attention dans
les répétitions qu'ils nomment concerts ,
& peut- être un peu moins d'envie de
briller chacun en particulier , les y con
duiroit facilement.
Je m'attachois à ces idées , lorfque M.
Parfait , l'un des Hiftoriens du Théâtre
2
OCTOBRE. 1960. 5$
François , à qui j'en avois fait part , me
voulut bien communiquer un Manufcrit
du fieur Ricoboni le Pere , corrigé par
fon Fils , eftimé & connu fous le nom de
Lélio. Que l'ouvrage de ces deux hommes
, qui réuniffoient fi bien les talens de
compofer & d'exécuter , a jetté de lumieres
dans mon efprit ! fon premier auteur ,
fut votre ami ; vous vous en faites gloire .
Quel plaifir n'aurez- vous pas à découvrir
dans fon Traité , quelle et l'origine &
Peffence de la Comédie impromptu , fon
principe, & fon but ; quels font les carac
téres qui la compofent ; en un mot , quels
talens , quelles qualités ils exigent de la
part des Acteurs qui s'en chargent . Cette
petite differtation me paroît une poëtique
auffi utile aux Spectateurs qu'aux Comédiens
, qui ne peuvent fûrement que ga
gner à la connoître . Je dirai plus : les gens
du monde peuvent en tirer avantage, dans
le commerce de la vie ; elle leur enfeigne
l'art de parler facilement , & d'exprimer
à propos & avec décence les différentes
paffions qui affectent , ou doivent
paroître affecter l'âme. Les Gens de
Lettres, enfin, y trouveront un Traité fçavant
fur les différens Perfonnages du
Théâtre Italien, le Pantalon , le Docteur,
les deux Zani , jufqu'à Scaramouche »
(
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Trivelin , & c. caractéres dont on nous
privés, je ne fçais trop pourquoi. J'imagine
que ce petit ouvrage, feroit un véritable
préfent à faire au Public . On pourroit
y ajouter , pour rendre le Volume plus
complet , quelques plans de Comédies
de ce genre , que l'Auteur propofe pour
modéle , & qui ferviroient à mettre les
Lecteurs au fait de ce que c'eft , au vrai ,
qu'un canevas Italien.
Puifque je trouve l'occafion de raifonner
de ce Théâtre, avec une perfonne auffi
éclairée que vous, qui avez vu les Ricoboni
pere , les Flaminia , les Silvia , les
Thomaffin , les Paquetti , &c. permettezmoi
de hazarder quelques-unes de mes
réfléxions , fur les principes de ce dégoût,
auquel je ne prévois pas qu'il foit vraiment
bien facile de remédier . Sans confdérer
le plus ou moins de talens des Acteurs ,
le plus ou moins de mérite des Piéces
j'eftime que ce dégoût dérive de deux
fources, 1 ° .de la Langue que l'on parle. 2 ° .
Des caractéres ou des ridicules que l'on
peint.Ileft bien difficile d'amufer le François,
qui voit fa Langue , immortalifée par
les écrits de fes Compatriotes , fleurir dans
l'Europe entiere , avec une Langue qu'il
n'entend point : il aimeroit autant , &
même mieux , des pantomimes. Je dirai
OCTOBRE. 1760 : 57
蕈
plus ; il ne peut prêter attention aux Scenes
purement Italiennes , fans que fon
amour- propre ne foit bleffé de ne pouvoir
goûter un plaifir qu'il paye , & dont
ła privation devient un reproche d'ignorance.
Voilà pour le général du Public .
Les Anglois , me dira- t - on , font auffi jaloux
de leur Langue ; & cependant l'Opéra
Italien fleurit à Londres d'accord..
Mais 1 ° . ils n'en ont point d'autre ; en
fecond lieu , ce n'eft pas les paroles que
Pon chérit & que l'on écoute dans un
Opéra , c'est la Mufique. Les oreilles.
fçavantes ne font- elles pas auffi très - fou
vent bleffées à la Comédie Italienne ?
non feulement Pantalon Vénitien le
Docteur Bolonois , gardent le caractére &
l'habit de la Nation , qu'ils repréfentent
mais ils en parlent le langage ; & ces différens
idiômes , ce mêlange de Tofcan , de
Bolonois, de Vénitien , de Bergamafque
de François , forment , felon moi , une
confufion , une bigarrure qui ne peut que
fatiguer l'auditeur , & finir par lui déplai
re. Je me figure une Comédie françoife ,
dont l'amoureux feroit Picard , la maîtreffe
Normande , le père Champenois ,
la foubrette Provençale , le valet Bas-
Breton , l'oncle Gafcon : & où trouver
une tête affez bien organifée , pour foute
Cv
& MERCURE DE FRANCE.
tenir un pareil fpectacle? il rappelle l'idée
de la Tour de Babel.
Ces réfléxions , jointes aux beautés
réelles , qui fe trouvent dans un grand
nombre de fituations & de Scenes Italiennes,
m'avoient fait defirer que l'on éllayât
d'en traduire quelques - unes en François.
Mais en rémédiant aux vices de la forme,
on laifferoit fubfifter celui du fonds , c'eſtà
dire , des caractéres que nous offre la
Comédie Italienne impromptu.
Pantalon Vénitien , ne peint que les ridicules
de fa patrie , le Docteur Bolonois
ceux de Bologne ; cela nous eft fort égal , à
nous , qui n'avons nulle liaiſon prochaine
avec ces deux villes ,& qui ne pouvons pas
même juger du mérite & de la vérité du
tableau : puifque nous n'avons pas l'original
fous les yeux. Mais ces Piéces réuffiffoient
jadis. La nouveauté , cette idole
des François , ne contribuoit- elle pas un
peu à leurs fuccès ? Un Ouvrage vraiment
bon , plaît toujours. Je fens que le
Corollaire de ces raifonnemens , n'eft pas
abfolument favorable à la Comédie impromptu.
Mais après tout , ce ne font ,
Monfieur , que des conjectures , peut être
même me fuis- je trop avancé ; daignez
excufer un efprit jeune , qui s'égare aifément
; & vous reflouvenir que la fociété
OCTOBRE. 1760. 59
n'eft qu'un commerce de lumiéres & d'idées
les plus éclairés guident les autres.
Les erreurs des hommes ont mis la plume
à la main des Sages ; & c'eft aux
vices de l'humanité que nous fommes redevables
des plus excellens Traités de
Morale. Je fuis & c.
P.... le jeune.
LETTRE , fur l'Origine des Caractéres.
V ous me demandez , Monfieur , mon
fentiment fur l'origine de l'Art d'écrire.
Je vais éllayer de vous fa isfaire , en la
cherchant à travers les plus épaiffes ténébres
de l'antiquité. Les obftacles ne m'éffrayent
point , puifqu'il s'agit de vous
donner cette foible marque d'amitié
perfuadé que vous l'apprécierez plutôt
par le zéle & la bonne intention, que par
par
le fuccès de mes recherches.
De tous les Arts , il n'en eft point ,
peut-être , qui ait occupé plus de Sçavans
que celui- ci. On a vu depuis deux fiécles
des Ouvrages immenfes fur ce fujet ; &
avec tout cela , l'époque de cet Art eft
encore bien problématique. Pourquoi ?
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
c'eft que nous manquons de tous les mo
numens précieux , qui auroient pû nous
inftruire par des faits inconteftables . Que
font - ils donc devenus ? Les uns ont péri
par la longueur , ou l'injure des tems ; les
autres par l'ignorance , ou la malice des
hommes. On fçait qu'il y a eu des Bibliothèques
entieres que le feu a dévorées;
on fçait que la fureur a renversé des
Villes les plus fuperbes : les Infcriptions
où les Manufcrits, qui pouvoient nous en
donner de véritables notions, ent péri en
même temps. D'un autre côté, une nation,
pour s'approprier la gloire de cette découverte
, a fupprimé ou détruit tout ce
qui prouvoit le contraire , & ne flattoit.
pas fon orgueil . Il eft pourtant bien vrai
que l'écriture a eu un commencement ,
tout le monde en eft perfuadé. C'eſt ce
Commencement que j'ofe entreprendre de
découvrir.
Je crois , Monfieur , que le moyen de
débrouiller ce cahos , c'eft de parcourir
les Ouvrages des Sçavans qui en ont parlé,
& de rapporter les opinions qu'ils ont
eues , en y femant à propos quelques
réfléxions. Ce n'eft , ce me femble , que
par un tableau de cette forte , tracé aux
yeux fidelement , & qui mettra tout fous
OCTOBRE. 1760.
le même point de vue , qu'on pourra jetter
quelque clarté , fur un objet , qui a
toujours été couvert d'un voile impénétrable
. Heureux , fi par le plan que je
forme , je puis réuffir à contenter votre
curiofité !
Penfer que les caractéres étoient dans
leur origine ce qu'ils font aujourd'hui ,
ce feroit ignorer les révolutions arrivées
dans les fiécles qui nous ont précédés .
Rien n'a été plus fujet à l'altération &
au déguisement que les Lettres ; une foule
de preuves le préfenteroient à mon ſecours
, fi je voulois convaincre de ces vé
rités. Je laiffe au R. P. Olivier de l'Oratoire
, fi connu dans la Littérature , & fi
favant dans l'Antiquité , à montrer aux
curieux tous les changemens que le caprice
des hommes a introduit dans la forme
des Lettres. L'Ouvrage ( 4 ) auquel il
rravaille depuis longtemps , prouvera
qu'il étoit le feul capable de perfectionmer
les idées de Scaliger.
Je me borne donc , Monfieur , à vous
donner,fur l'invention des Lettres , la plus
exacte recherche. Mais auparavant , je
vous entretiendrai fur l'Écriture en géné-
( a ) Explication de l'Alphabet de Cadmus . On
a commencé à imprimer cet Ouvrage en 17561
shez Hériffant.
62 MERCURE DE FRANCE.
ral. Cette espéce d'introduction paroît
liée naturellement à mon fujet.
DE L'ÉCRITURE EN GÉNÉRAL.
L'Écriture eft l'art de peindre les fons
différens de tous les langages du monde.
Ces fons qui rendent tout ce que l'efprit
penfe , fe figurent par des fignes
caractéres qui font d'inftitution , & qui
par cette même inftitution ont un rapport
intime avec ces fans. On peut dire
avec raifon, que l'Écriture eft à la parole,
ce. que la parole eft à l'efprit. L'efprit
fe manifefte par la parole , & la parole
s'annonce à la postérité par l'Art merveilleux
de l'Écriture.
Il faut convenir,après cette légére idée
de l'Écriture , que rien n'eft au deffus de
fon invention. Perfonne n'ignore que
c'eft elle qui conferve dans les Bibliothéques,
des dépôts fi utiles à la Religion &
fichers aux Savans. Mais fi l'on a fait at
tention aux avantages qu'elle procure ,
peu ont penfé qu'elle confiftoit dans un
arrangement auffi fimple que furprenant ,
& dans un fi petit nombre de figures ,
qu'il eft prèfque incroyable que cette
utile invention ait été trouvée par un
Mortel. On peut dire , que c'eft une déOCTOBRE.
1760. 63
Couverte heureufe, & qui l'emporte infiniment
fur toutes celles qui ont fuppléé à
fon ufage , parmi les Peuples qui n'ont eû
l'Écriture que fort tard. Tels étoient les
Hieroglyphes en Egypte , & les Quippos
au Pérou . Ces inventions , toutes utiles
qu'elles ont été , rendoient toujours les
idées dans l'imperfection ; & cependant
coutoient vraisemblablement une étude
auffi fatigante que préjudiciable , à l'avancement
des connoiffances humaines , à
la certitude de l'hiftoire , & à la manifef
tation de la grandeur de Dieu.
Les Caractéres n'étant inftitués que
pour peindre les fons de la voix , il étoit
libre aux Nations qui adoptoient l'écriture
, ou à ceux qui leur en donnoient
la connoiffance , de varier la figure des
caractéres qu'ils avoient vû ailleurs , pour
s'en faire une gloire toute particuliere.
Ils ne fe fixoient pas encore à ce fimple
changement; ils ajouterent d'autres caractéres
à ceux qui étoient déjà connus , pour
exprimer les idées qui fe multiplioient , à
mesure que le befoin des hommes augmentoit
, & qu'ils faifoient des progrès
dans les Sciences & dans les Arts . Ce n'eft
pas fout ; ils prirent une route différente
des autres, pour tracer les caractéres , qu'ils
avoient fait recevoir ou compofés. Ceft
64 MERCURE DE FRANCE.
ce qui fait que , quoique tous les hommes
écrivent avec la main droite , ils ne le
font pas tous de la même maniere : puifque
les Orientaux vont de la droite à la
gauche, en remontant au bout de la ligne,
comme les Hébreux le faifoient autre
fois ; les Occidentaux de la gauche à la
droite , en deſcendant au bour de la ligne,
comme font encore les Latins , & comme
nous faifons nous - mêmes. Les Chinois
écrivent , ou du moins peignent avec un
pinceau en defcendant , c'eft- à- dire , en
mettant leurs fignes les uns deffous les
autres en ligne perpendiculaire . Les Méxiquains
, lorfqu'on en fir la découverte
écrivoient en remontant , comme nous
Paffure Acofta (b) , en plaçant leurs carac
téres ou les figures qui en tenoient lieu ,
les uns deffus les autres. Par cette expli
cation , il eft conftant qu'il y a eu quatre
diverfes manieres de peindre les pensées
& les actions des hommes. Les trois premieres
fubfiftent encore, mais la quatriéme
eft tout-à-fait abandonnée . Les Européens
, maîtres dans le nouveau mon
de , fur-tout les Efpagnols , firent adop
ter par force leurs coutumes , en détrui
fant les anciennes qu'ils regardoient com
ne fuperftitieufes.
(5) Acoſta , L. 27
OCTOBRE . 1766. *
S'il eft vrai , comme il n'y a pas de
doute , que les premiers Caractéres en
ufage dans le monde , font les Hébraïques
, il en résultera que la premiere maniere
d'écrire étoit celle d'aller de la
droite à la gauche. Cette maniere fut
fuivie par les Phéniciens , & plufieurs autres
Peuples. Cadmus , qui donna la connoiffance
des Lettres aux Grecs , les fir
écrire comme les Phéniciens , avec cette
différence pourtant , qu'ayant commencé
de la droite à la gauche , ils revenoient
enfuite de la gauche à la droite. Cet uſage
changea parmi eux avec le temps ; ils
ne conferverent feulement que celui d'aller
de la gauche à la droite. Evandre , qui
vint en Italie , changea un peu la forme
des caractéres Grecs , pour en faire d'autres
que nous appellons Romains ; mais
conferva toujours la maniere d'écrire de
la gauche à la droite. C'eft des Grecs plûtôt
que des Romains que s'eft introduit
dans les Gaules cet ufage d'écrire , que.
nous confervons encore , & qui ne changera
pas fi tôt , & peut - être jamais.
66 MERCURE DE FRANCE.
ORIGINE DE L'ÉCRITURE .
PREMIERE OPINION.
DEE tous les fentimens qui fe font répandus
fur l'origine des Lettres , celui qui
attribue aux Phéniciens la gloire de cette
admirable invention , paroît être le plus
adopté. Pline (c ) & Quinte- Curce (d) , s'accordent
tous deux pour le foutenir ; mais
je crois que ce qui a donné plus de force
à cette opinion , parmi les modernes , ce
font deux Vers de la Pharfale de Lucain
( e ) :
Phenices primi , fama fi creditur , aufi
Manfuram rudihus vocemfignare figuris .
Brebeuf, qui a traduit la Pharfale en
vers François , les a rendus comme il fuit :
C'eft de lui que nous vient cet Art ingénieux ,
De peindre la parole & de parler aux yeux,
Et par les traits divers de figures tracées ,
Donner de la couleur & du corps aux penſées.
Rien n'eft plus élégant , ni plus ſonoré
( c ) Plin. l. 5. ch . 12. & 19 .
(d ) Quin, Curc . 1. 4. nomb. 4 .
( e ) Luc. Pharf. 1. 3. vers 220.
OCTOBRE. 1760. 87
que ces vers ; cependant on a trouvé la
Traduction du Grand Corneille plus fidelle.
Je la rapporte en ce lieu , pour la
curiofité.
C'eſt du Phénicien que nous vient l'Art d'écrire ,
Cet Art ingénieux de parler fans rien dire ,
Et
par les traits divers que notre main conduit ,
Attacher au papier la parole qui fuit .
Beaucoup de Savans prétendent , d'un
côté, que les Phéniciens avoient reçu des
Hébreux , l'ufage des Caractères . D'un autre
côté, on avance comme un fait certain,
que Phénix fils d'Agenor ( f ) qui étoit
Egyptien , & qui fut Roi de Tyr & de
Sidon , enfeigna à ces Peuples l'Art d'écrire.
Lequel croire de ces deux fentimens
? Il fe peut que les Phéniciens aient
eu , des Hébreux , l'invention des Lettres:
ils étoient voifins , & pour ainfi dire , le
même Peuple , puifque ceux - ci étoient
compris , fuivant M. Rollin (g ) fous le
nom général de Phéniciens. Les Grecs
l'entendoient ainfi , & après eux les Romains.
La terre de Chanaan , fi fouvent
nommée dans l'Ecriture Sainte , & qui
t
(f) Effais fur les honneurs, par Titon du Tillet
, pag. 23 .
(g ) Rollin , Hift. ancienne, T. I. p . 121 .
38 MERCURE DE FRANCE.
fut appellée dans la fuite la Palestine , faifoit
la plus forte partie de la Phénicie
qui s'étendoit le long de la Méditerra
née , depuis le fleuve Eleuthere jufqu'à
Pélafe en Egypte . Il fe peut encore que
les Phéniciens aient reçu l'Art d'écrire
par l'organe de Phénix : il étoit leur Roi;
& s'il a eu des Egyptiens la connoiffance
des Caractéres , il a pû en donner l'ufage.
à fes fujets. Cependant à bien examiner
ce point de critique , on fera porté à
eroire, que les Hébreux les en ont inftruit.
La preuve en eft fenfible ; elle fe tire des
Lettres Phéniciennes qui ont, au rapport
de Scaliger , une parfaite reffemblance
avec les Lettres Samaritaines , qui font
certainement les mêmes que les anciennes
Lettres Hébraïques. D'ailleurs , que
ce foit des Hébreux ou de Phénix , que
les Phéniciens aient reçu l'écriture ; il
n'en fera pas moins vrai , qu'elle ne vient
point originairement de ces Peuples , &
qu'elle étoit pratiquée , avant même qu'ils
connuffent l'heureux effet que produifoit
Faffemblage des Caractéres.
Les Phéniciens qui étoient adroits ,
induftrieux , & célébres navigateurs ,
avoient l'ambition de paffer pour les in
venteurs de l'écriture. Ce qui a encore
fervi à leur donner cette réputation ,
OCTOBRE. 1780 .
' est qu'ils avoient porté l'ufage des Lettres
dans les Pays éloignés , où ils voyageoient
pour leur Commerce ou pour former
des établiffemens . Témoin Cadmus ,
en Grèce. Ce Cadmus étoit le frere de
Phénix , dont il eft parlé plus haut.
DEUXIÈME OPINION.
Diodore de Sicile , ( h ) célébre Hiſtorien
de l'Antiquité , en parlant de l'invention
des Lettres , dit que de fon temps,
en affuroit qu'elle étoit venue de l'Ethiopie
, & que les Egytiens l'avoient reçue
de là. Pline , après Anticlide , avance que
c'étoit Memnon qui en étoit l'inventeur.
Memnon , cet Artifte fi renommé par
les Anciens , qui florifloit vers l'an du
Monde 2232 , étoit d'Ethiopie , & auſſi
cette terre eft- elle appellée Memnonienne ,
les Poëtes . Il vivoit environ 400 ans
par
avant Phénix & Cadmus . S'il en faut croire
Jacquelot , ce Memnon eft le même
que Menès , le premier Roi qui ait régné
en Egypte. Ce fentiment ne peut avoir
une grande autorité fur ceux qui aiment
les preuves. D'abord rien n'y paroît folide,
puifque l'on faifoit fortir le premier prin-
( h) Diod. Sicil . 1. 4 .
( i ) Plin. l. 7. ch. 57.
70 MERCURE DE FRANCE.
cipe de l'écriture , des Ethiopiens , fur ce
que beaucoup l'avoient avancé , au rapport
fans doute de plufieurs , qui n'en
étoient pas plus inftruits qu'eux.En fecond
lieu , rien ne conftate que ce font les
Ethiopiens , qui ont fait part aux Egyptiens
du fecret de l'écriture ; & comment le
pourroit- on conſtater ? On a dans Euſebe,
& dans les ouvrages d'une infinité d'Auteurs
anciens , la preuve du contraire.
Tous s'accordent pour affirmer que les
Egyptiens ont appris des Hébreux , ou
de quelques- uns des Hébreux , comme il
fera plus expliqué à la fuite , non ſeulement
la connoiffance des Caractéres, mais
encore celle de plufieurs autres Arts .
TROISIEME OPINION.
Pline (1) curieux de découvrir l'Auteur
de l'écriture , a rapporté avec foin tous
les fentimens qui régnoient de fon temps
fur cet objet. Et quoiqu'il n'en fuive aucun
, à cause de leur peu de certitude , il
dit pourtant que les Affyriens avoient
trouvé l'Art d'écrire dans la Syrie ou la
Chaldée , ce qui eft la même chofe. C'étoit
- là , vraisemblablement, l'opinion la
plus fuivie du temps de Pline , puifqu'il
(1) Plin. l . 7. ch.56.
OCTOBRE. 1760. 71
s'y arrête préférablement à toutes les autres
. Avant lui , Diodore de Sicile , après
Hérodote , avoit foutenu la même chofe en
ajoûtant encore , que les Egyptiens fe flattoient
d'en avoir fait la découverte longtemps
avant eux. Tory (m) , autorisé par
Prifcien , dit de même , & affure que l'invention
des Lettres , vient directement
des Affyriens. Platon , fur ce fujet , fait
bien fentir que les Egyptiens n'étoient
pas perfuadés que les caractéres euſſent
pris naiffance parmi eux , puifqu'il avance
que ce Peuple les croyoit originaires
d'Afie ou de Chaldée . Cette opinion , qui
fait fortir de l'Afie l'origine des Lettres
, eft celle qui approche le plus de la
vérité , & tous ces grands hommes ne fe
trompoient point en le croyant ainfi . II
leur manquoit cependant , pour jetter
plus de lumiere fur cette découverte , de
fçavoir que la Chaldée , avoit poffédé
une petite famille , defcendante d'Abraham
, laquelle étoit fous la protection de
Dieu. Que dans cette famille ignorée de
tous les hommes , s'étoit confervé la
connoiffance de l'écriture . Enfin que c'étoit
de plufieurs de cette famille , qui
( m ) Torry. Champ fleury. fol . 5. 1 a fait en
1529. un Ouvrage fur les Lettres antiques. Ce
Livre rare , et à la Bibliothéque du Roi.
2 MER CURE DE FRANCE.
avoient voyagé , que différentes Nations
avoient appris cet Art , que la néceſſité
rendoit adoptif , fitôt qu'il le montroit
aux yeux.
QUATRIÈME OPINION.
Pline , (n ) toujours attentif à rappor
ter les fentimens les plus connus de fon
temps , fur l'invention des Lettres , dit
encore qu'elle vient de Mercure Egyptien .
Diodore de Sicile , ( o ) Cicéron , ( p )
Plutarque ( q ) & Aulugelle , ( 7 ) ont
avancé la même chofe , & prétendent
tous qu'il eft le premier, qui ait enſeigné
l'art d'écrire aux Egyptiens. Ce Mercure ,
s'appelloit Trifmégifte , qui veut dire,trois
fois grand, parce qu'il etoit grand Philofo
phe , Grand- Prêtre,& grand Mathématicien.
L'antiquité le diftingue encore , fous
trois noms différens. Thoths par les Egyptiens
, Hermès par les Grecs , & Mercure
par les Latins. Les Egyptiens , le plus ancien
Peuple du monde,& qui fe difoient les
inventeurs de tout , le regardoient comme
( n ) Plin. 1. 7.
(o ) Diod. Sicil.1 2.
(p ) Cicer. l. 3. Nat. des Dieux.
( q ) Plutarq. 1. 9. Sympof.
(r) Aulugell . en fes nuits artiques;
OCTOBRE . 1760 . 73
1
un Dieu. Platon ( s ) fur ce fujet nous apprend
que les Egyptiens avoient une finguliere
vénération pour un certain Dieu
nommé Thoths , qui leur avoit enfeigné
Pufage de peindre les penfées. Malgré la
concordance de tant d'Auteurs célébres ,
on prétendra toujours , & avec raifon, que
les Egyptiens ne font point les inventeurs
de l'écriture , & qu'ils l'ont reçue véritablement
d'une autre main que celle de
Mercure . Je croirois plutôt que Mercure
ft quelques changemens en bien dans
leurs hieroglyphes . Un paffage de Sanchoniaton
(t ) le confirme : il dit que
Taautus ou Thoths perfectionna l'écriture
en peinture, dont Ouranus lui avoit appris
l'ufage. Les hiéroglyphes étoient pour les
Egyptiens une écriture , il est vrai , mais
une écriture toujours inférieure à celle
dont nous cherchons l'origine . De plus ,
il eft poffible de croire que l'ufage des
caractéres n'eft venu que fort tard aux
Egyptiens , & que c'est lui qui a fait tom
ber parmi eux les figures hieroglyphiques.
Bien des Sçavans affurent que les caracté
res des Egyptiens étoient femblables aux
( s ) Apud Wathon Proteg. 2 § . 3 .
( t ) Ellais fur les Hieroglyp. par M. Warbur
thon. Je n'ai point lû cet Ouvrage , mais bien ce
qu'en a dit le Journaliſte de Trévoux en 1744.
I. Vol. D
74- MERCURE
DE FRANCE
.
caractéres Hébraïques ou Phéniciens , &
même à ceux des Chaldéens. Ce fentiment
ne peut point paroître hazardé ; au
contraire , il femble affez croyable. Abraham
, Jofeph & Moïfe , avoient demeuré
en Egypte, & même longtems, furtout les
deux derniers ; & par conféquent ils peuvent
avoir inftruit ce Peuple d'un Art qui
étoit plus connu dans leur famille que partout
ailleurs.
Ce fujet m'entraîne plus avant que
n'étoit mon deffein . Un paffage de M.
Warburthon, dans fon Effai fur les hiéroglyphes
, me fait avancer une réflexion
fut l'Auteur de l'écriture en Egypte. Certe
réflexion eft fondée fur ce qu'Euſebe ( u )
Mous apprend que Jofeph enfeigna aux
Egyptiens l'Afrologie , & leur donna la
connoiffance des Lettres.
L'Ecriture que les Egyptiens nommoient
Epiftolique , fut trouvée par un
Secrétaire du Roi d'Egypte , dit M. Warbuthon
dans le Journal de Trévoux.
Ce fut lui probablement , continue-t- il ,
qui fe forma un Alphabeth , dont les Leteres
liées enfemble , exprimoient de, mois ,
& ne peignoient point les chofes , comme les
Hieroglyphes.
Tout m'engage à croire que ce Sacré-
(u) Eufeb Préparat. Evangel . 1. 3. ch. 1 .
OCTOBRE. 1760. 75
T
taire étoit le même que Jofeph. On fçait à
quel degré de puiffance il étoit parvenu
dans ce Royaume par fa fageffe & fa juftice.
On fçait qu'il étoit un Hébreu éle
vé dans les arts connus de fa famille &
comme elle poffédoit l'écriture , Jofeph
affurément en fçavoit tout le myſtere.
Parvenu au faîte des grandeurs en Egyp
te , & connoiffant le peu de fecours que
procuroient les Hieroglyphes, dans des circonftances
où la promptitude & le developement
étoient indifpenfables , il crut
rendre un notable fervice aux Egyptiens ,
en leur donnant la connoiffance des Caractéres.
Ira-t- on s'imaginer qu'il en compofa
de nouveaux , pendant qu'il en avoit
fous fa main , & avec lefquels il étoit
familier ? Non fans doute. Il leur fit part
des Caractéres qu'il connoiffoit , & ces
Caractéres étoient affurément les mêmes
que les Hébraïques .
};
Les Egyptiens , qui ont appris des Hébreux
bien des Sciences & des Arts
avoient la vanité de n'en point conve
nir. Au contraire , voulant glorifier leur
Nation , ils attribuoient toujours à quelqu'un
élevé parmi eux , les découvertes
qu'ils tenoient des autres Jofeph étoit un
Etranger , que la Providence avoit élevé
comme par miracle à une extraordinaire
Dij
MERCURE DE FRANCE.
puiffance ; & comme Intendant de toute
Egypte , & ayant la confiance du Roi ,
ne pouvoit il pas être en même temps
fon Secrétaire : Rien ne contrarie ce
fentiment. Si cela étoit , il feroit fans
doute ce Secrétaire dont le nom n'eft
point connu , & que les Egyptiens par
envie avoient intérêt de cacher à tous les
fiécles à venir.
CINQUIÈME OPINION.
Pline (x) qui vouloit abfolument trouver
l'Auteur de l'écriture , conclut après
beaucoup de recherches & après avoir
réfléchi fur l'utilité dont elle étoit aux
hommes , conclut , dis - je , que l'invention
des Lettres étoit auffi ancienne que
de monde. Le peu de rapport qu'il voyoit
dans toutes les opinions qu'il avoit eu
foin de recueillir , le faifoit raiſonner
de la forte. Epigenes, Auteur plus ancien
que lui , eft tout-à- fait conforme à fon
idée. Platon fuivant Tory ( y) , auffi
embarraffé que ces deux Savans pour découvrir
le véritable Auteur des Lettres ,
ofe avancer qu'elles font éternelles ainf
que le monde Le ſyſtême de Platon étang
( x ) Plin. 1. 7. ch. 56.
(y ) Tory. Champfleury , fol.§ .
OCTOBRE. 1760. 77
9
+
pofé fur un faux principe , ne peut avoir
aucune force. Celui d'Epigenes, & de'
Pline, eft plus probable , & l'on peut
dire même qu'ils s'éloignoient peu du
temps où les caractéres avoient commencé
à paroître. Si ces deux Sayans , fi refpectés
dans l'antiquité , euflent été fidelement
inftruit de la création du monde ,
& d'un petit Peuple que Dieu avoit confervé
, & conduit avec lenteur à l'état
-monarchique , alors ils auroient connu
Pinventeur d'un Art auffi ingénieux que
néceffaire à tous les hommes, & qui vivoit
peu de temps après que Dieu eut
créé l'Univers & tout ce qu'il renferme
SIXIÉME
SIXIEME OPINION.
Jufqu'à préfent je ne vous ai développé
, Monfieur , que les fentimens qui ont
attribué aux Payens l'origine des Lettres,
dans lefquels je n'ai rien trouvé de poutif&
de certain . Voyons fi, parmi les Sçavans
qui en donnent l'honneur au Peuple'
de Dieu , je découvrirai plus de probabilité
fur l'époque & fur l'Auteur d'un Art
qui porte avec lui l'utilité la plus preffante.
Le fentiment fur lequel je vais appuyer,
eft d'une autorité fi grande , qu'il peut en
impofer beaucoup. Il fait Moife le pre-
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
mier inventeur de l'écriture.Il eſt foutenu
avec chaleur par Eupoleme & S. Ifidore.
Jacquelot , ( 2 ) qui a voulu approfondir
cette matiere , dit formellement que l'ufage
des Lettres vient de ce grand Légiflateur
, & que c'eft de lui que les autres
Peuples l'ont appris. Crinitus ( & ) affure
que Moïfe inventa les Caractéres Hébraïques,&
en cela il s'eft trompé. Il eft certain ,
& on peut le dire, que l'écriture eft antérieure
à Moïfe. C'eft auffi le fentiment
du docte Walthon ( 1 ) & d'une légion
d'Ecrivains . On a des preuves qui confirment
qu'on écrivoit avant lui , & qu'il y
avoit des Mémoires plus anciens que
ce grand homme. Témoin le Livre des
Juftes , cités dans Jofué ( 2 ) & dans le
Livre des Rois. ( 3 ) Témoin le Livre des
guerres du Seigneur , dont Moïfe ( 4 ) fait
mention , & qui fubfiftoit fuivant la conjecture
du Rabin Aben- Efra , (5 ) dès le tems
d'Abraham. Témoin la Ville de Dabir (6)
(z) Jacquelot , Exiſtence de Dieu , t. 2.
( & ) Crinit. honn. difcip . 1. 17. ch. 1.
( 1 ) Walthon. prolegonienes.
( 2 ) Jofué ch. 10. v. 13 .
( 3 ) Rois , l . 2. ch . 1. v . 18 ,
( 4 ) Nomb. ch. 21. v. 14.
( s ) Aben Efra , Commentaire fur l'Ecrioux
Sainte. Il vivoit dans le XII. Siécle
( 6 ¡ Joſuć , ch. 10, v. 38. & 39%
OCTOBRE. 1760. 79
qu'attaqua Josué en entrant dans la Palertine
, qu'on appelloit auparavant Cariach-
Sepher , qui veut dire , Ville des Lettres.
Témoin le Livre de Job , que la plûpart
des Savans & M. l'Abbé Anfelme (7 ) , alfurent
être plus ancien que Moife. A tant
de témoignages , puifés dans l'Ecriture-
Sainte , pourroit-on douter,un inftant, que
L'écriture ne fût connue & en ufage, avant
Moife ? Il falloit bien , dit Voffius ( 8 ) ,
que les Ifraelites en euffent la connoiffance
, car comment auroient- ils lû les
Tables de la Loi, à moins de convenir que
Dieu fit un miracle , en communiquant à
chacun des enfans d'Ifrael , le fecret de
Jire & de connoître toutes les combinaifons
des caractéres, pour former les mots?
Si Dieu avoit manifefté fa gloire , dans
cette occafion , Moïfe , qui rapporte tous
les prodiges qu'il fit en faveur de fon
Peuple , auroit - il oublié celui- ci , qui en
auroit été un des plus étonnants?Non fans
doute. Moïfe n'en parlant pas ; il faut
donc conclure que l'écriture étoit plas
ancienne que lui , & que même dès lors
elle étoit commune en Egypte & dans la
Terre promife.
(7 ) L'Abbé Anfelme , Mémoires de l'Académie
des Infcriptions , t. 6, p. 1. & 2.
( 8 ) Jacquelet, Exiftente de Dien , t . 2.
Div
80 MERCURE DE FRANCE .
•
SEPTIEME OPINION.
Philon, hiftorien Juif & renommé chez
fa nation , fait Abraham inventeur des
lettres. Crinitus ( 9 ) de Florence , Poëte
Latin , affure qu'il inventa les caractéres
Syriaques & Chaldaïques . Eufebe ( 10 )
foutient la même chofe , & prétend que
ce faint Patriarche enfeigna aux Egyptiens
toutes fortes de Sciences , dont ils
n'avoient aucune teinture avant lui . Toutes
ces autorités prouvent qu'Abraham:
avoit l'ufage de l'écriture , & qu'il a pu
inftruire les Egyptiens , fur les Sciences
& les Arts qu'ils ignoroient. Mais cela ne
démontre pas , avec évidence , qu'il en
foit l'inventeur. Les caractéres étoient
connus , dans fa famille , bien avant
lui , & mêine on doute beaucoup que·
les Lettres Chaldaiques foient de fon:
invention. En fuppofant qu'elles le fuffent
; cela ne pourroit pourtant pas le
faire paffer , comme le veut Philon , pour
le premier qui auroit trouvé par la
force de l'imagination , le myftere de l'é
criture.
( 9 ) Crinit. honn. difcip . 1. 17. ch. 11
(10 ) Euleb. Prépar . Evangéliq . ch. 1 , là 35 ..
OCTOBRE . 1760. 81
HUITIEME OPINION.
Je touche enfin au fentiment qui paroît
d'autant plus vrai , qu'il eft foutenu par
plufieurs Auteurs , par l'Hiftoire fainte &
par les Peres. C'eft que les Lettres aient
été inventées par Adam , ou par Seth font
troifiéme fils , mort l'an du monde 1042,
auparavant le déluge . Bien des Savans
foutiennent fur ce fujet qu'il n'eft pas
croyable qu'Adam , à qui Dieu avoit donné
tant de ſciences infuſes , eût été privé
d'une connoiffance fi néceffaire que 'celle
des Lettres . Théodoret ( 11 ) & Suidas ( 12 ),
prétendent que Seth a inventé l'ufage des
Lettres & les noms des Planetes & des
Etoiles. Crinitus ( 13 ) & plufieurs autres
Savans de nos jours font du même fentiment.
Suivant l'Ecriture fainte ( 14) , kes
caractéres font divins & formés de la
main de Dieu , & ce , ajoute le Rabin
Moife ( 15 ) Egyptien , avant la création
du monde . Je ne crois pas , que le fyf-
1
( II ) Théod. Quef. 47. fur la Geneſe.
( 12 ) Suidas fur Seth.
( 13 ) Crinit . honn . difcip .
( 14 ) Exode , ch. 32. vers 15. & 16.
( 1 ) Rab. Moyf. ch. 65.1.1 . de fon Direct. furr
le Talmud.
Dy
82 MERCURE DE FRANCE
tême de ce, Docteur Juif trouve beaucoup
de Sectateurs ? Quoi qu'il en foit , on
peut foutenir , & fans fe tromper , que
l'écriture étoit connue avant le déluge.
Deux preuves vont à l'inftant le démontrer.
La premiere , confifte dans les écrits
prophétiques d'Enoch, le feptiéme depuis
Adam , cité par Saint Jude dans fon épitre
canonique , & par un grand nombre
de Peres de l'Eglife , entre lefquels font
Tertullien ( 16 ) , Saint Clement d'Alexandrie
( 17) , Origene ( 18 ) & Saint Auguftin
(19) . C'eft encore un des faits dont fe
fert M l'Abbé Anfelme (20) pour prouver
l'antiquité des lettres. La feconde ,
fe tire des deux colonnes dont parle Jofeph
, bâties par Seth ou par fes fils , &
où ils avoient gravé la connoiffance des
Arts & des Sciences , pour en inftruire
ceux qui viendroient après le terrible
bouleversement du déluge. Une de ces
deux colonnes fubfiftoit encore , dans la
( 16 ) Tertull. Traité de l'ornem , des femmes ,
1. 1. n. 3. & 1. 2. n . 10.
( 17 ) S. Clem. opufcul .
( 18 ) Origen. hom. 28. fur les nomb. & 1. s .
contre Celfe.
( 19 ) S. Aug. 1. 15. de la Citéde Dieu , ch . 23 .
& l. 18. ch. 38.
( 20 )L'Abbé Anfelme , Mémoires de l'Académie
des Infcript. t. 6. p. 1. & 2 ,
OCTOBRE . 1760 . $ 3
Syrie du temps de Jofeph ( 21 ) . Euftathe
Patriarche d'Antioche , & Zonare le fervoient
ordinairement de ces deux colonnes
, pour prouver que l'écriture étoit
antérieure au déluge. Que décider fur
tous ces faits , qui ne portent point l'empreinte
du doute ? Que l'ufage des caractéres
pour exprimer les penfées , eft
de la plus haute antiquité , qu'il nous
vient inconteftablement ou d'Adam , ou
de Seth , ou de fes fils , qu'il s'eft confervé
précieuſement dans cette famille
jufqu'à Noë , qui le conferva auffi dans
l'Arche. A la tour de Babel où arriva
une étrange confufion , Dieu permit que
l'écriture ne fouffrit aucune altération :
elle fe maintint toujours avec pureté parmi
les Patriarches , jufqu'au moment que
la Providence voulut la faire connoître
aux autres nations.
Voilà , Monfieur , tout ce que j'ai pu
recouvrer de plus probable fur l'origine
des Lettres. Que j'aurois lieu d'être fatiffait
de ce petit ouvrage , s'il avoit la
gloire de vous plaire ! J'ofe croire que les
preuves que j'ai avancées font fuffifantes
pour convaincre que ce n'eft point aux
Phéniciens & aux Egyptiens que nous
(21 ) Hiftoire des Juifs par Jofeph , 1. 1. ch. 2 .
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
·
avons l'obligation de cet Art unique qui
fixe la voix & qui rend vifibles les idées
de l'efprit. C'eft aux Hébreux , à ce peuple
choifi de Dieu & gouverné par lui , à qui
on doit en attribuer la gloire. C'eſt à ce
peuple , à qui l'on eft redevable de tous
les Arts , & de toutes les Sciences . Il
me feroit aifé de le prouver , mais je fortirois
du fujet auquel je me fuis engagé
envers vous. Pour le préfent , contentez
-vous de grace de ce feul objet , en
attendant que je vous entretienne fur la
premiere écriture qui a été en ufage dans
le monde , & für l'origine des caractéres
grecs , latins , gothiques & françois
Tous ces articles feront la matiere d'une
feconde Lettre. Je fuis , & c.
PAILLASSON. E. E. j .
LETTRE de. M. l'Abbé TRUBLET ,
l'Auteur du Mercure.
I
Paris , 5 Septembre 1760..
:
E viens de lire , Monfieur , dans le
Mercure de ce mois , page 57 , le compte
abrégé que vous y avez rendu de l'affaire
de M. de Saintfolx , avec deux des Au
teurs du Journal Chrétien , & de la ma--
niere dont elle s'eft terminée. PermettezOCTOBRE.
1760. &
moi de me fervir de la même voie , pour
faire connoître au Public ce qui fuit.
M. de Saintfoix s'eft plaint , & on lui
a fait réparation. Mais comme je n'avois
eu aucune part à la Lettre critique de fes
Effais hiftoriques fur Paris , je n'en ai eu
aucune non plus à l'Avis des Journaliſtes
au fujet de cette Lettre ; & je n'ai connu
P'une & l'autre , qu'en les lifant dans le
Journal de Mai & dans celui d'Août.
MM. les Abbés Joannet & Dinouart auroient
donc dû ne parler qu'en leur nom ,.
& figner leur Avis . Alors , vous n'auriez
point dit , en le rapportant : Meffieurs les
Auteurs du Journal Chrétien s'expriment
de la façon fuivante , & c. Vous auriez dit
feulement: Deux de MM. les Auteurs , &c.
Cet Avis commence ainfi : Nous n'avions
point lu les Effais hiftoriques fur
Paris , & c.
Voilà ce que je n'aurois point dit ; car
je les avois lus , & je les tenois de l'Auteur
même. J'ai l'honneur d'être , & c.
P. S. Depuis ma Lettre écrite , j'ai lu
celle de M. de Voltaire au Roi Stanillas,
& j'y ai trouvé ces mots :
» Un Breton ayant fait , il y a quel-
» ques années , des recherches fur la ville
» de Paris , l'Abbé Trublet & confors
l'ont accufé d'irréligion ... & le Breton
"
".
3
86 MERCURE DE FRANCE
·
» a été obligé de faire affigner fon Accu-
» fateur au Chatelet de Paris.
Il eft faux , je le répéte , que j'aye été
un des accufateurs de M. de Saintfoix ,
& faux encore qu'il m'ait fait affigner.
Cependant il fe répand des Copies de la
Lettre de M. de Voltaire ; & je ne doute
point qu'elle ne foit bientôt imprimée.
C'eft pour moi un nouveau motif de vous
prier , Monfieur , de vouloir bien inférer
la mienne dans le Mercure prochain.
LA SCIENCE DU GOUVERNEMENT ,
par feu M. DE REAL , Grand Séné
chal de Forcalquier.
Voici un Ouvrage de morale , de
droit , & de politique : on y trouve , les
principes du commandement & de l'obéiffance
; on y réduit toutes les ma
tieres de gouvernement en un corps unique
, & entier dans chacune de fes parties
; on y explique les droits & les devoirs
des Souverains , ceux des fujets , &
de tous les hommes , en quelque fituation
qu'ils fe trouvent .
Les deux premiers volumes , contien⚫
nent une idée générale de la fcience du
OCTOBRE. 1760 . 87
gouvernement. Dans la premiere partie ,
l'Auteur parle en général , des diverfes
formes de gouvernemens qu'il y a dans
le monde , & en particulier , du gouvernément
actuel de chaque peuple , de l'Afie
, de l'Affrique , de l'Amérique , & enfin
de chaque peuple de l'Europe. La feconde
partie , eft un traité du droit naturel.
La connoiffance de foi-même , celle
de la Divinité , l'amour du prochain
l'amour de Dieu , l'amour de foi-même ,
l'ordre & la fubordination des devoirs
en font tout le partage.
La troisième partie , contient le droit
public ; le gouvernement économique ;
la fouveraineté , confidérée en général ,
par rapport à fon origine , à fes objets ,
à fes modifications & à fes effets ; le pouvoir
législatif , le pouvoir judiciaire , le
pouvoir coactif ; enfin , tous les pouvoirs
de la fouveraineté ; les droits de Cité aufquels
un Etranger non naturalife ne participe
pas ; l'inauguration , le facre , le
couronnement , & les fermens des Rois ;
leur minorité , leur majorité ; les Régens
du Royaume ; les devoirs du Souverain ,
& ceux des fujets .
La quatrième partie , difcute tous les
rapports du droit eccléfiaftique au gouvernement
; fon autorité , fon étendue , &
38 MERCURE DE FRANCE.
fes bornes ; les droits de la puiffance tem
porelle fur l'exercice extérieur de l'autorité
eccléfiaftique ; la part que les Princes
doivent prendre au gouvernement ,
à la difcipline , à la police de l'Eglife ;
les libertés & les ufages de tous les pays
catholiques.
La cinquième partie , offre une idée
très-étendue du droit des gens , des Ambaffadeurs,
de la guerre , des traités , des
prérogatives , des prétentions , & des
droits refpectifs des Souverains . Tel eft
le titre des chapitres.
La fixiéme , contient la politique.L'Auteur
y parle du gouvernement , par rapport
au dedans & au dehors de l'état , &
des intérêts refpectifs qui partagent la do:
mination de l'Europe.
»
La feptiéme partie , contient l'examen
des principaux ouvrages compofés fur les
matieres du gouvernement. Voici ce que
M. Real en dit. Après avoir expliqué
» en entier la ſcience du gouvernement ,
» j'ai cru devoir donner une idée jufte des
principaux ouvrages compofés fur cette
" matiere. Je ne crois pas me tromper,
en penfant que cette derniere partie de
mon livre , eft auffi nouvelle que. les
» autres , & qu'elle n'étoit pas moins à
defirer pour la république des lettres ,
OCTOBRE. 1760.
*
que dans la fcience du gouvernement .
Naudé , Auteur françois , & quelques
Ecrivains étrangers , ont publié des Bibliographies
politiques ; mais en les lí
fant on s'appercevra fans peine , qu'au
cun de ces ouvrages n'a dû me détourner
du deffein de compofer ce dernier volume.
Ils ont exposé le titre des livres ,
& j'en fais les extraits ; ils ont indiqué
où l'on trouveroit les connoiffances , & je
les donne ; ils n'ont ea qu'un objet particulier
, & je m'en propofe un général' ;
ils ont enfin rarement éclairé le lecteur ,
par le flambeau d'une fage critique , &
je porte toujours mon jugement fur chaque
ouvrage , en renvoyant aux endroits
du mien , ou les mêmes fujets fe trouvent
difcutés.
Je ferai fentir les beautés , & je remarquerai
les défauts des livres qui font
le fujet de ce volume , foit qu'ils aient
été compofés chez les Grecs , ou chez
les Romains , foit qu'ils aient été publiés
chez les peuples modernes. Les Auteurs
qui ont écrit fur l'éducation des Princes,
y trouveront auffi leur place ; parce que
l'éducation politique des Souverains eſt la
bafe de leurs gouvernemens : ceux qui ont
difcuté les différences des deux puiffances,
y feront également examinés ; attendu
MERCURE DE FRANCE.
B
leurs livres regardent précisément la
tie du droit eccléfiaftique , qui a fourla
matiere de mon cinquième volume.
out livre de quelque confidération dont
le fujet entre dans la fcience du gouvernement
, formera ici un article.
Les ouvrages y feront rangés fous la
nation de l'écrivain par ordre chronolo
gique , eu égard au temps où ils ont été
publiés ; & même lorfque cela fera pofible
, à celui où ils ont été composés.
Cet Ouvrage imprimé à Aix- la- Chapelle
, ou foi difant , fe trouve à Paris
chez Simon, Imprimeur du Parlement , &
chez les autres Libraires.
A VIS.
Le fieur Bauche , Libraire à Paris, quar
des Auguftins , délivrera dans le mois de
Septembre aux Soufcripteurs , les Tomes
III. & IV. de l'Ornithologie , ou Hiftoire
des Oifeaux , par M. Briffon . Les augmentations
confidérables, dont l'Auteur a
chargé le 3º volume , l'ont obligé de le
partager en deux. Le Libraire efpére que
les Soufcripteurs ne fe plaindront point
du retardement , puifqu'ils recevront effectivement
trois volumes qui ne leur
e
OCTOBRE. 1760.
feront comptés que pour deux. La foufcription
fera encore ouverte pour quel
que temps , fur le pied de cent vingt li
vres en feuilles pour les fix volumes , qui
rééllement en feront fept , le troifiéme
en faifant deux.
ESSAI SUR L'HISTOIRE ECONOMIQUE
des Mers Occidentales de France. Par M,
Tiphaigne , Docteur en Médecine. vol.
in-8°. Paris. 1760 , avec Approbation &
Privilége du Roi. Chez le même Libraire.
TRADUCTION NOUVELLE du Prophete
Ifaie , avec des differtations préliminaires
& des remarques. Par feu M. Def
champs , Docteur de Sorbonne & Curé
de Dangu. in- 8 ° . Paris , 1760. Chez Debure
l'ainé , quai des Auguftins , à l'Image
S. Paul . Avec Approbation & Privilége
du Roi.
› LE PARFAIT AIDE DE- CAMP où l'on
traite de ce que doit fçavoir tout jeune
Militaire qui fe propofe de faire fon chemin
à la guerre ; avec des notes fur
différens Ouvrages de Campagne , & fur
les Plans des principaux Camps des
guèrres de 1740 , & 1756 , enfemble la
defcription d'un inftrument nouveau pour
lever promptement toutes fortes de
92 MERCURE DE FRANCE.
Plans . Ouvrage enrichi de 55 Planches
Par M. le Rouge ,
Ingénieur Géographe
du Roi , & de S. A. S. Mgr le Comte de
Clermont.
•
Multos caftra juvant...
Bellaque matribus deteſtata. ”
Horat. L. I. Od. I.
Paris , 1760. Chez l'Auteur , rue des
Grands - Auguſtins: Avec Privilége du Roi.
LES
PRÉJUGÉS . Volume in- 8°. Paris's
* 1760. Chez Didot l'aîné, Libraire & Imprimeur
, rue Pavée , près le quaiˆ des
Auguftins , à la Bible d'Or . Avec Approbation
&
Privilége.
ARMORIAL des principales Maifons &
Familles du Royaume ,
particulierement
"de celles de Paris , & de l'Ile de France ,
contenant les armes des Princes , Seigneurs
, Grands- Officiers de la Couronne
& de la Maifon du Roi , celles des Cours
Souveraines & c. avec
l'Explication de
tous les Blafons. Par M. Dubuiffon. Ouvrage
enrichi de quatre mille écuſſons ,
gravés en Taille-douce. 2 vol. in- 12 . Pa
ris , aux dépens de l'Auteur. Et fe vendent
chez H. L. Guérin , & L. F. Delatour
, rue S. Jacques , Laurent Durand ,
rue du Foin , & la veuve J. B. T. Legrasy
OCTOBRE . 1760.
93
an Palais. Avec Approbation & Privilége
du Roi.
GRAMMAIRE LATINE , avec des éclairciffemens
fur les principales difficultés de
la Syntaxe , & une Préface où l'on examine
les principes de Sanctius , de Scioppius
, de Voffius &c. & une Méthode
pour expliquer les Auteurs Latins. Par
M. l'Abbé Valart , de l'Académie d'Amiens.
Neuviéme Edition.
Grammaticus amor non fcholarum temporibus,
fed vitæ fpatio terminatur. Quintil. x.8.
Volume in- 12 . Paris , 1760. Chez Jofeph
Barbou , rue S. Jacques , près la Fontaine
S. Benoît , aux Cigognes.
GIPHANTIE. in - 12 . deux parties , en un
volume. 1760. Se trouve à Paris , chez
Durand , Libraire , rue du Foin.
DISCOURS prononcés dans l'Académie
Royale des Sciences & Belles- Lettres de
Nanci , le Jeudi 8 Maj 1760 , jour de la
Fête de S. Staniflas , à la réception de
M. le Marquis de Paulmy , & de M.
l'Abbé Guyot , Aumônier de Mgr le Duc
d'Orléans , & Prédicateur ordinaire de
Sa Majefté le Roi de Pologne , Duc de
Lorraine & de Bar , in- 49 . Nanci, 1766:
94 MERCURE DE FRANCE:
Chez la veuve & Claude Le Seure , Imprimeurs
ordinaires du Roi , de la Sociéé
Royale & c .
TRAITÉ entre le Roi , & le Roi de Sardaigne,
conclu à Turin le 24 Mars 1760 ,
in - 4°. Paris 1760. De l'Imprimerie
Royale.
ELOGE de Henri- François Dagueffeau ;
Chancelier de France , Commandeur des
Ordres du Roi : Difcours qui a remporté
le prix de l'Académie Françoife , en 1760.
Par M. Thomas , Profeffeur en l'Univerfité
de Paris , au Collège de Beauvais ,
in-8°. Paris , chez Brunet , Imprimeur de
l'Académie Françoife , Grand'Salle du
Palais.
MON ODYSSÉE , ou le Journal de mon
retour de Saintonge , Poëme à Chloé. in-
8°. La Haye , 1760. Et fe trouve à Paris
, chez Thibouft , Libraire . C'est un
Poëme en 4 Chants , plein de chaleur ,
d'images , & de force , orné de quatre Eftampes
du célébre Cochin , & dont je
rendrai compte avee plaifir dans le prochain
Mercure.
LE COSMOPOLITE , ou les Contradictions
, Hiſtoire , Conte , Roman , & tout
ce que l'on voudra , avec des Notes.
OCTOBRE . 1760 : 95
Traduit de l'Allemand. 1760. Se trouve
chez les Libraires du Palais
à Paris
Royal.
"
LA VRATE PHILOSOPHIE , ou l'Art d'être
heureux , Epître en vers libres . Brochure
in- 8°. A Genève , 1760. Et fe trouve
à Paris , chez Duchefne , rue S. Jacques
, au Temple du Goûr.
EPITRE à un Ami , dans fa retraite , à
l'occafion des Philofophes , & de l'Ecof
foife.
Quid verum atque decens curo & rogo , omnis
in hoc fum .
Hor.
BROCHURE in-8° , à Amfterdam , & fe
vendent à Paris , chez le même Libraire; ces
deux Epîtres font attribuées à M. Dorat ,
Auteur de la Tragédie de Zulica , & de
plufieurs Ouvrages de Poëfie eftimables.
Nous nous promettons d'en rendre compte
plus amplement dans le fecond Volume
d'Octobre .
L'ÉCHO , ou Journal de Mufique Françoife
& Italienne , contenant des Airs ,
Chanfons , Brunettes , Parodies d'airs
connus , Duo tendres ou bachiques ,
Rondes , Vaudevilles , Contredanfes &
Menuets , in - 4°. gravé à Liège , chez
9% MERCURE DE FRANCE..
B. Aldrez , derriere S. Thomas. Et fe
trouve à Paris , chez M. Lutton , Commis
au Mercure , rue Sainte Anne , Butte
Saint Roch. Ce Recueil , qui a commencé
au premier Janvier 1759 , continue
de paroître tous les mois , & d'être
reçu favorablement. Il coûte 1 liv. de
France , & liv . de port pour les douze
Recueils. Moyennant 18 liv. de France ,
payées d'avance , on le recevra franc ,
en quelque lieu du Royaume que ce foit.
Le Recueil , en détail , fe vend 30 f.
EPITRE à M. de Voltaire , fuivie de
quelques obfervations fur fa derniere Piéce
de Théâtre ( l'Ecoffoife. ) Par M. Ga
zon d'Ourxigné. Brochure in - 8 °. Paris
1769 , chez Cuiffart , Quai de Gêvres .
CORPS D'OBSERVATIONS de la Société
d'Agriculture , de Commerce & des Arts,
établie par les Etats de Bretagne , années
1757 & 1758 , in - 8° , 1 Vol . 1760. A
Rennes , chez Jacques Vatar , Place du
Palais , aux Etats de Bretagne , & fe
trouve à Paris , chez Defpilly , Libraire,
ue S. Jacques , à la vieille Pofte , & chez
les Libraires des principales Villes de
Province .
Ces obfervations d'une Société , formée
OCTOBRE . 1760. 97
mée dans la Bretagne , par ordre des
Etats , donnent des moyens fürs de perfectionner
l'Agriculture & les Arts , &
d'augmenter le Commerce de cette Province.
C'eſt au zéle des Citoyens éclairés
de rendre de plus en plus ces inftructions
utiles , en faifant part de leurs découvertes
à une Société , qui ne les defire
que pour les faire connoître à fa Patrie.
Cer Ouvrage eft orné de Vignettes
& d'Estampes en taille - douce , fort bien
gravées , & qui ont rapport aux Sujets , à
la tête defquels elles font placées . L'impreffion
eft belle & correcte ; le talent
de l'Imprimeur mérite beaucoup d'éloges
; tout y annonce du goût & les connoiffances
de fon état. La protection que
les Etats accordent aux Arts , eft vifiblement
marquée dans le choix qu'ils onr
fait d'un Imprimeur, qui répond à la confiance
dont ils l'ont honoré . En protégeant
cet Art , duquel tous les autres
tirent leurs inftructions , c'eft perpétuer
les Sciences ; & on les augmente en multipliant
les moyens de les acquérir. ?
I. Vol.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIES.
SEANCE publique de l'Académie Royale
des Sciences , Belles- Lettres & Arts de
Rouen.
L'ACADÉMIE tint le Mercredi 6 Août fa
Séance publique ordinaire , au Palais Archiepifcopal
, dans la Salle des Etats .
Mgr le Maréchal Due de Luxembourg,
Gouverneur de la Province, & Protecteur
de l'Académie , y préfida.
MM . le Cat & du Boullay , Secrétaires
de l'Académie , le premier pour les Sciences
, & le fecond pour les Belles Lettres ,
ouvrirent la Séance , fuivant l'ufage , par
un Extrait raisonné des travaux Académiques
de l'année dans chacune de ces deux
Claffes ; ils commencerent cet Extrait, en
tâchant d'exprimer les fentimens de la
Compagnie pour fon Protecteur , & la
joie qu'elle reffentoit d'être honorée de fa
préfence.
OCTOBRE. 1760 .
99
M. le Cat annonça enfuite que l'Académie
n'ayant point été fatisfaite des
Mémoires envoyés au concours pour le
Prix de Phyfique de cette année , elle
l'avoit remis aux mêmes conditions à l'année
prochaine.
Le Sujet eft cette queftion. » La Seine
» n'a - t- elle pas été autrefois navigable ,
» pour des vaiffeaux plus confidérables
» que ceux qu'elle porte aujourd'hui ? &
n'y auroit- il pas de moyens de lui rendre
» ou de lui procurer cet avantage ?
Les Mémoires , francs de port , feront
adreffés fous la forme ordinaire avant le
15 de Juin , à M. le Cat , Secrétaire de
l'Académie ,, pour les Sciences à Rouen.
M. du Boullay annonça enfuite que le
prix d'Eloquence , dont le fujet étoit de
déterminer , comment & à quelles marques
les moins équivoques , pouvons nous reconnoître
les difpofitions que la nature nous
a données pour certaines Sciences ou pour
certains Arts , plutôt que pour d'autres ,
avoit été adjugé à un Difcours N° . 6.
dont la deviſe eſt, foyez plutôt Maſſon &c.
dans un billet cacheté , joint au Diſcours,
s'eft trouvé le nom de M. l'Abbé Bellet
de l'Académie de Montauban.
L'Académie a donné avec éloge , l'acceffit
au Difcours No. 7, qui a pour devife,
É ij
535309
100 MERCURE DE FRANCE
Quidferre recufent , Quid valeant humeri
dont l'Auteur eft M. Louis - Alexandre
d'Ambournay , Négociant à Rouen. Son
ouvrage a beaucoup balancé le premier ,
& a même partagé les Commiffaires
nommés par l'Académie , pour juger le
Prix , qui avoit été déjà remis de l'année
derniere.
L'Académie avoit auffi remis le Prix
d'Hiftoire , dont le fujet étoit la queſtion
fuivante ;
» La délivrance annuelle d'un prifonnier,
» qui fe fait folemnellement à Rouen le
» jour de l'Afcenfion , a - t- elle quelque fon-
» dement dans l'Hiftoire Civile & Ecclé-
» fiaftique de cette Province ; ou ne feroit-
» ce qu'un veftige d'un ufage autrefois plus
» généralement répandu, & dont quelques
» Eglifes font reftées feules en poffeffion ,
» d'une maniere différente , felon les lieux
» & les circonstances ?
Ce Prix a été remporté par un Mémoire
, qui a pour devife , Templorum
cautela non nocentibus fed lefis datur.
L'Auteur , M. Pierre Camille le Moine ;
Secrétaire & Archivifte de l'Eglife de
Toul , a très-bien rempli le Programme ,
en établiffant , d'après les Monumens
Hiftoriques , que les deux propofitions
que l'Académie avoit mifes en alternati
OCTOBRE. 1760. iot
ve ,font toutes deux vraies , & indiquene
la véritable origine de ce fingulier Privi
lége.
M. le Moine s'étant trouvé à Rouen ,
lors de la Séance Publique , reçut , des
mains de M. de Luxembourg , une Médaille
d'or , de la valeur de 300 livres .
L'Académie propofe , pour le fujer du
Prix de Poefie , qui fera diftribué à la
Séance Publique du mois d'Août 1761 ,
» la délivrance de Salerne , pat 40 Che
» valiers Normands , & la fondation du
» Royaume de Sicile , qui fut la fuite de
cette expédition.
On laiffe aux Auteurs une entiere liberté
, foit pour la forme , foit pour l'étendue
du Poëme ; on exige feulement
qu'il foit proportionné Sujet , & qu'il
forme un tableau intéreffant d'un des
plus finguliers événemens de notre Hif
toire. Les ouvrages feront adreffés francs
de port , & fous la forme ordinaire , avant
le is de Juin , à M. Maillet du Boullay ,
Maître des Comptes , Secrétaire de l'Académie
, pour les Belles- Lettres , rue de
l'Ecureuil , à Rouen.
M. le Cat annonça enfuite les Prix des
Ecoles de la Claffe des Sciences , qui font
fous la protection de l'Académie .
Ceux d'Anatomie :
E jij
102 MERCURE DE FRANCE.
Le premier à Nicolas - Théodore - Thi
mothée Maffi de Blerancourt , en Picardie
; le fecond à M. Joachim la Fleche de
Bernay ; le troifiéme à M. Antoine le
Maire de Coulanges , en Bourgogne.
Ceux de Chirurgie :
Le premier au même M. Maffi ; le ſecond
à M. Thomas Cornieres , d'Anctoville
, près Bayeux. Le premier acceffit à M.
la Fleche ci-deffus ; le fecond à M. Claude
Chandelet , de Soiffons.
Ceux de Botanique :
Le premier ex æquo à M. Bomare , de
Morfan , & à M. Mauffion de Nantes , qui
ont tiré au fort ; le moins heureux a eu le
fecond.
Ceux de Mathématique :
Le premier à 1. Dornay de Rouen fur
la haute Géométrie ; le fecond à M.
Crevel de Caen , ſur la Géométrie fimple.
M. du Boullay annonça les prix de
l'Ecole de Deffein , dont M. Defcamps eft
Profeffeur.
L'Académie avoit donné pour fujet
de compofition , aux Peintres , & aux
Sculpteurs , la mort de Didon , Reine de
Carthage.
Le premier prix de Peinture , a été
adjugé au tableau de Barthelemi l'A
moureux de Rouen , qui a remporté le
OCTOBRE. 1760. 103
premier prix de compofition en efquiffe ,
en 1758 , & le premier prix d'après nature
, en 1757.
Le premier prix de Sculpture , a été
adjugé au bas relief de Nicolas Marin
Jadoulle de Rouen , qui avoit rem
porté le premier d'après nature ,
1756.
en
Le premier prix d'après nature , a été .
remporté par P. Amable Beaufils de
Rouen ; qui avoit remporté le ſecond
dans la même claffe en 1759 , & le premier
d'après le deffein en 1758.
Le fecond d'après nature , par Nicolas
Carlier de Dunkerque, l'Acceffit par Th.
Bremontier du Tronquai près Lions la
forêt.
Le prix de la Boffe
Prince de Blois .
, par Nicolas
le
Le prix de la claffe du deffein , par
J. B. Méance du port de paix Ifle de S.
Domingue ; l'acceffit par Jofeph Gode
froi de Darnetal .
L'Académie avoit propofé pour fujet
d'Architecture , les plans , élévations &
coupe d'une maifon dans un terrein donné
, &c. Ce prix a été remporté par J.
B. Torci de Rouen.
M. Vrejeon lut les obfervations Météorologiques.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE
M. Pinard, Profeffeur de l'École Royale
de Botanique , lut un difcours fur les
amours des plantes ; dans lequel , après
avoir comparé les plantes aux animaux ,
il fait voir qu'il fe trouve entre les uns
& les autres une grande conformité ,
les organes , foit pour l'accroiffement
, foit enfin pour les diverſes périodes
de la vie , & les accidents auxquels
elle eft fujette. Il éffaya de prouver
, que les plantes ont auffi deux fexes
bien marqués , & que la génération doit
s'exécuter chez les unes, comme chez les:
Loir
pour
aut.es.
Après une exae defcription des par
ties qui forment la fleur , M. P. prouva
que les étamines & le piftil en conftituent
l'effence , parce qu'il n'en eft point
où ces parties ne fe rencontrent : il conclut
, avec les Botaniftes de nos jours.
que l'étamine eft l'organe mâle , & le
piftil l'organe femelle . Ces organes font
quelquefois féparés , & plus fouvent réunis
dans les plantes ; différence remar
quable entr'elles & les animaux , mais
d'autant plus néceffaire , qu'elles font privées
du mouvement progreffif pour s'ap-.
procher.
Les plantes, comme les animaux , naiffent
dans un ovaire placé au bas du pif
OCTOBRE. 1760. 105
til , & qui ne peut être fecondé que
par une vapeur contenue dans les petits
globules , qui conftituent la pouffiere
répandue fur les étamines. L'air la
porte fur l'extrémité du piftil ; les globules
s'y ouvrent , & laiffent échapper
cet efprit féminal , qui s'infinuant par
le ftigmate , va porter la vie aux Embryons
, qui croiffent alors comme le foetus
dans l'uterus. Dans les plantes , dont
les fexes font féparés , comme le chanvre
, le faule , &c. la génération eft impoffible
, fi la nature , ou le cultivateur
induftrieux ne les réunit.
S'il eft quelquefois des plantes , comme
des animaux , privées de l'avantage de fe
multiplier ; il en eft d'autres , qui femblent
vivre dans l'int empérance. On voit
fouvent , dit , M. P. des plantes mâles
& femelles , mêlées parmi des hermaphrodites
; les premieres font des aides
qui viennent fuppléer à la foibleffe des
étamines , & fans lesquelles une grande
partie de ces hermaphrodites avorteroit.
Dans les fecondes , des étamines trop
nombreuſes s'affocient des femelles , qui
profitent du fuperflu de leur pouffiere.
Cette polygamie prouve , que le vrai but
de la Nature , eft la multiplication . C'eſt
s'y oppoſer , que de chercher à rendre les
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
fleurs doubles on en fait des Eunuques ,
en privant les fleurs fimples de leurs éta
mines , que la culture par des fucs trop
abondans fait dégénérer en petales.
Mais n'eft- on pas dédommagé de la diminution
de l'efpéce , par la beauté de
ces monftres , dont la forme , l'éclat &
la variété , caufent tant de plaifir ?
,
M. du Boullay lut un difcours , dans
lequel il fe propofa de prouver , qu'indépendamment
des motifs tirés de la reli
gion & des loix , le véritable intérêt perfon
nel de tous les hommes , eft de pratiquer la
vertu & d'être fidéle aux engagemens facrés
de la fociété ; dût- on les remplir feut ;
dût cet exemple , ne pas trouver d'imi
tateurs. C'est ce qu'il éffaya de démontrer
, en prouvant d'une part , que
part , que le vice
& le crime , même accompagnés du ſuccès
, ne menent point au bonheur ; de
l'autre , que la probité & la fageffe
même perfécutées & calomniées y conduifent
feules : enfin , foit que l'on confidére
ces deux fyftêmes de conduite , da
côté des inconvéniens aufquels ils font
expofés , ou du côté des avantages aufquels
ils peuvent prétendre ; il prouva
qu'il n'y a nulle comparaifon à faire entr'eux
, & que tout est évidemment en
faveur de la vertu , de l'amour de fes
OCTOBRE . 1760. 107
femblables , de la fidélité à tous fes devoirs.
M. l'Abbé Yart, des Académies de Caën
& de Lyon , lat un autre difcours : fur
ce que les gens de lettres , doivent à la patrie.
Après avoir fixé leurs talens , leur
objet & leur fin , il s'étendit fur les difpofitions
intérieures & extérieures qu'ils
doivent acquérir pour être utiles : connoiffances
générales , qui leur font communes
avec toux ceux qui penfent ; connoiffances
particulieres à l'état qu'ils ont
embraffé ; & s'ils n'en ont point d'autre
que celui de littérateurs , connoiffances,
relatives à quelqu'un des états les
plus importants de la fociété : voilà pour
les premieres difpofitions. Quant aux fecondes
; fageffe dans les principes , folidité
dans les recherches , égards pour
les moeurs & les bienféances. Ce difcourseft
la fuite d'un autre lû l'année derniere ,
fur ce que les grands & les riches doivent
à la patrie .
M. l'Abbé Vrejeon , lut un mémoire
fur le pouvoir des pointes électriques ,
dans lequel il éffaya de faire voir , que
l'on a trop tôt & trop légérement abandonné
l'opinion de M. Francklin fur ce
fujet ; il rapporta plufieurs obfervations &
expériences , qui femblent la confirmer.
E vi
108 MERCURE DE FRANCE.
"
Telles font plufieurs opinions & traditions
populaires , qui paroiffent affez fondées
, du moins quant aux faits. Des ufages
dont on ne fçait point la raiſon
tel que celui qui s'obfervoit autrefois.
'de couronner les édifices d'un très -grand
nombre de pointes ; ce que l'Auteur prétend
n'avoir pas été fait pour un fimple
ornement ,
mais par l'obfervation que
ces édifices étoient par là moins en danger
d'être frappés de la foudre : enfin ,,
des expériences nouvelles , par lesquelles
il paroît que des pointes difpofées avec
art ont amorti l'effet de l'étincelle foudroyante
de Leyde. D'où il fuit évidem--
ment , qu'il n'eft pas impoffible de parvenir
au même but pour le tonnerre ,
qui eft la même expérience en grand. Mais
comme le remarque M. Vrejeon , il faudroit
proportionner les moyens à l'effet ; .
fans quoi, on attireroit plutôt qu'on n'écarteroit
le coup qu'on voudroit éviter.
M. Vrejeon fe propofe de réitérer à cet
égard fes expériences , pour ne donner
que des réfultats certains & répétés .
M. Rondeaux , Maître des Comptes ,
fut une defcription détaillée d'un ancien
château , fitué au haut de la côte de Moulineaux
près de Rouen , & qui a confervé
le nom de château de Robert le diable.
OCTOBRE. 1760. 109
Quelques Auteurs en attribuent la conf
truction à Robert le diable , ou le magnifique
,,
pere de Guillaume le Conquérant.
D'autres la font remonter jufqu'avant
l'invafron des Normands , & prétendent
qu'il fut bâti par un Robert , Gouverneur
de Neuftrie , furnommé le diable , à cauſe
de fes brigandages. C'étoit un quarré
long flanqué de fix tours , trois dans chaque
bout ; le logement du Gouverneur
dans un des angles ; fous les remparts des
galleries voutées pour les vivres & la garnifon.
Ces galleries communiquoient à d'autres
fouterrains, qui étoient vraisemblablement
des contre- mines , & qui font moins
étendus qu'on ne le croit dans le pays..
Ces fortifications étoient entourées d'un
foffé large & profond ; l'entrée étoit couverte
d'un ravelin , & plus loin d'une
efpéce de retranchement. M. Rondeaux
joignit à cette deſcription , un plan détaillé
levé par lui-même fur les lieux ,
& qui lui donna occafion de parler d'un
canal, autrefois commencé en cet endroit.
pour couper l'ifthme , & aller en droiture
de la Bouille à Moulineaux.
Entre ces divers ouvrages , M. le Méle
lut trois épîtres en vers dans le genre
noble , & dans le genre Anacréontique,
110 MERCURE DE FRANCE
PRIX propofe par l'Académie des Scien
ces Belles-Lettres & Arts d'Amiens ,
pour l'Année 1761.
L'ACADÉMIE ACADÉMIE des Sciences , Belles - Lettres
& Arts d'Amiens , pour célébrer,fuivant
fon ufage , la fête de S. Louis , a
affifté à une Meffe , qui a été fuivie du Panégyrique
du Saint , prononcé par M.
l'Abbé Iſembart , Curé de Notre- Dame
de Montdidier.
M. Petyft , Avocat du Roi , pour l'abfence
du Directeur , a ouvert la Séance
publique par un Difcours fur les régles
qu'il faut fuivre pour parler & fe taire
à propos.
M. Baron , Secrétaire perpétuel , a
fait l'éloge de M. de Gournai , Intendant
du Commerce , de M. l'Abbé Lebeuf, Académiciens
honoraires , & de M. d'Harigard
qui étoit Academicien en fa qualité de
Maire de la Ville.
M. d'Efmery , Docteur en Médecine , a
la des réfléxions fur le ftyle épiftolaire.
M. Collignon , Démonftrateur Royal
en Chirurgie , a donné des obfervations
fur la Bella- dona , plante propre à la
OCTOBRE. 1760 . III
cure radicale des fquirres & cancers .
M. Diret a communiqué un Mémoire
pour prouver , contre le fentiment de
quelque Auteur oeconomique , que les
matieres qui compofent les parties les
plus groffieres du fumier , telles que la
paille , le bois & les feuilles des végétaux
, font auffi propres à former la fubftance
des fruits que celle des différentes
parties des plantes qui les produifent.
M. Marteau , Médecin Penfionnaire
d'Aumale , a fait lecture d'une Epître en
vers fur l'Etude de la Nature.
Le Prix propofé , dont le Sujet étoit
le Commerce du Nord , a été adjugé à M.
Duval , Négociant au Havre.
Le Prix de Littérature a été remis ,
les ouvrages envoyés au concours n'ayant
point rempli les vues de l'Académie.
Celui de l'Ecole de Botanique a été
remporté par M. le Bel , Etudiant en
Pharmacie.
L'Académie , pour Sujet d'un des Prix
qu'elle diftribuera le 25 Août 1761 ,
demande ,
Quel a été l'état du Commerce en Fran
ce depuis le regne de François I. jufqu'à
celui de Louis-le- Grand inclufivement ?
Et pour Sujet du Prix de Littérature ?
112 MERCURE DE FRANCE.
La droiture du coeur eft auffi néceffaire
dans la recherche de la vérité que la juf
Leffe de l'efprit.
Chacun des Prix eft une Médaille d'or,
de la valeur de 300 liv.
Les Ouvrages feront reçus jufqu'au
premier Juin exclufivement , & adreffés
francs de port , à M. Baron , Secrétaire
perpétuel de l'Académie à Amiens .
SEANCE publique de la Société Littéraire
d'Arras , seņuë le 29 Mars 1760.
M. Enlart de Grandval , Conſeiller
at Confeil d'Artois , Directeur de la Société
en exercice , ouvrir cette Séance
par une diſſertation fur l'origine des Fiefs.
Un grand nombre de Savans ne veulent
point qu'on recherche l'inftitution des
Fiefs au-delà des derniers Rois de la maifon
Carlovingienne ; & dans la crainte
qu'on ne prétende en trouver des veftiges
plus anciens, ils écartent toute idée de Fief
des poffeffions connues auparavant fous les
noms de Terres faliques & de Bénéfices:
Ceux qui foutiennent au contraire que
les Fiefs ont commencé avec la Monar
OCTOBRE. 1760. 113
chie , ne voient que des Fiefs dans les
Bénéfices & dans les Terres faliques. M.
de Grandval entreprend de concilier ces
deux opinions fi oppofées . Les Terres faliques
& les Bénéfices , dit - il , par l'exemption
du tribut , & par le fervice de guerre
, étoient de véritables Fiefs . Le nier ,
ce feroit ne difputer que du nom ; & ces
Fiefs font auffi anciens que la France. Les
inféodations par lefquelles les Seigneurs ,
à l'exemple & par extenfion des anciens
Fiefs , fe font fait des fujets en propre ,
avec attribution de Juftice patrimoniale ;
ces Fiefs , chargés dans la fuite de droits
pécuniaires à chaque mutation , droits
qui les dénaturent & les aviliffent , ne
peuvent le rapporter , pour l'origine ,
qu'aux temps où nous les voyons commencer
à paroître , à ces temps de trouble
& de confufion qui renverferent le
tróne des Rois Carlovingiens.
M. de Ruzé de Jouy , Receveur &
Agent de l'Ordre de S. Louis , Chancelier
de la Société , fit lecture d'un Difcours
fur la Bienféance , qu'il enviſagea
principalement comme un moyen de fe
ménager des refſources dans les revers
de fortune , & des confolations dans la
vieilleffe.
Enfuite , M. le Sergent d'Hendecourt ,
114 MERCURE DE FRANCE .
Chevalier d'honneur du Confeil d'Artois ,
nouvellement reçu dans la Compagnie ,
pour fuccéder à M. fon Pere , fit un remercîment
, auquel répondit le Directeur.
Après ces Difcours , M. Harduin , Avocat
, Secrétaire perpétuel , donna la feconde
partie d'un Mémoire , tiré des Regiftres
de l'Hôtel-de-Ville d'Arras , concernant
les Joûtes , Tournois , Faits - d'armes
& autres pareils exercices qui fe firent
dans cette Ville , au quinziéme fiécle
du temps de Philippe le Bon , Duc de
Bourgogne & d'Artois.
M. l'Abbé Delys , Bénéficier de la Ca
thédrale , lut des Obſervations Météorelogiques
, pour l'année académique , finie
à l'équinoxe du Printemps de 1760.
Le Pere Lucas , Jéfuite , Affocié honoraire
, lut une Differtation hiftorique fur
le nom de Caracalla , donné à l'Empereur
Baffien Antonin , à l'occafion d'une
robbe qu'il prit chez les Atrebates Morins .
La féance fut terminée par la lecture
d'un Mémoire de M. Wartel , Chanoine
Régulier de l'Abbaye du Mont S. Eloi
Affocié honoraire fur les Minéraux ,
Pierres & pétrifications du Pays.
,
OCTOBRE. 17607
EXTRAIT de la Differtation du Pere
Lucas , annoncée ci- deffus.
APRPRÉÉSS avoir expofé le doute d'Elius
Spartianus fur l'endroit où le corps de
Sévere fut brûlé après fa mort , & reftitué
le texte d'Herodianus fur le même fait ,
le Pere Lucas conclud que les Obféques
de Sévere fe firent chez les Atrébates Morins
, où les Empereurs Baffien & Géta ;
furent obligés de s'arrêter quelque temps
pour cette cérémonie ; & que ce fut pendant
leur séjour , dans ce canton , que
Baffien Anionin , charmé de la couleur,
de la forme , & de la noble fimplicité des
robbes Atrébates , nommées Caracalles
en langage du Pays , s'en revêtit lui -même,
fit acheter toutes celles qui fe trouverent
alors chez les marchands de la contrée
, & les fit tranſporter avec lui à Rome
, où , felon Aurelius Victor , il en fit
des largeffes aux Sénateurs & au Peuple ;
ce qui lui fit donner le nom de Caracalla ,
qu'il porta toujours depuis ; comme l'avance
Malbrancq , dans fes Mémoires
fur les Morins , Liv. II .
Le Pere Lucas obferve que le mot de
Garacalla n'a jamais été en uſage , dans
18 MERCURE DE FRANCE.
aucune autre partie des Gaules que chez
les Atrébates Morins : qu'ainfi ce mot eft
Morin ; & que d'ailleurs il s'eft tranfmis
chez ces Peuples , de génération en génération
, depuis le régne de Bafien jul
qu'au temps du vénérable Bede & de S.
Ömer , c'est- à- dire , jufqu'à la fin du feptiéme
fiécle ; d'où l'Auteur tire la conféquence
que cet Empereur a pris la Caracalle
& fon nom chez les Atrébates Morins
, foit à Boulogne , foit à Térouane.
Il s'attache enfuite à établir contre Xiphilin
& quelques Ecrivains modernes ,
que le nom de Caracalla donné à Baffien ,
n'étoit pas une dénomination injurieuſe,
ni un fobriquet pour le tourner en ridi
cule ; idée d'autant moins vraisemblable,
que la beauté & l'élégance de la Caracalle
donnoient un air de grandeur à
ceux qui en étoient revêtus .
Dans un fecond Article , le P. Lucas
traite de la couleur des Caracalles . Il en
diftingue deux efpéces ; les unes , plus
fines & bien garencées , réservées pour
la parure des Sénateurs ; les autres , plus
groffieres & teintes dans une décoction
de garence commune , deftinées pour le
peuple & pour les efclaves. La couleur
de celles- ci eft défignée par ce texte de
Pline , Liv. XVI. Gallia verè purpuram
OCTOBRE . 1760. 117
tingendi causa adfervitiorum veftes ; & le
même Auteur s'exprime ainfi au fujet des
premieres , Liv. XXII . Jam verò infici
veftes fcimus admirabili fuco.... Gallia
( Belgica fcilicet ) herbis Tyrium atque
Conchylium tingit , nec quarit in profundis
murices. Le P. Lucas apporte différentes
raifons dont il réfulre que ces
Caracalles étoient d'une couleur de garence
fine & choifie , qui réuniffoit l'éclat
de la cochenille avec le feu foncé
de la pourpre , & formoit un ton de couleur
mitoyen , dont l'écarlate étoit la
nuance fupérieure & prochaine , & dont
la pourpre étoit la nuance inférieure , ce
qui devoir faire une couleur admirable ,
admirabili fuco.
Le Pere Lucas , dans le troifiéme article
de fon Ouvrage , décrit ainfi la forme
de la caracalle Atrébate. Cette robbe
noble & fimple tout à la fois , defcendoit
jufqu'aux talons , mais fans être traînante,
à ce que fait entendre Ælius Spartianus ;
& elle étoit , par - là , moins embarraf
fante & plus commode. Elle étoit ouverte
comme les fimarres , fuivant le vénérable
Bede , qui dit que c'étoit l'habit
des Prêtres de fon temps : elle avoit des
manches affez larges pour y paffer ailément
les bras on pouvoit la mettre ,
118 MERCURE DE FRANCE.
fans fe gêner , fur un autre vêtement
parce qu'étant un peu pliffée fur les côtés
& par derriere , elle s'élargiffoit d'ellemême
au befoin , & fe prêtoit à l'épaiffeur
des autres habits qu'on mettoit def
fous , au rapport d'Elius Spartianus . C'étoit
une robbe qui donnoit , comme il a
été dit ci - devant , un certain air de majefté
à ceux qui la portoient ; & il eſt
probable que ce fut pour relever fa taille,
fort petite , que l'Empereur Baffien la
préféra à toutes les robbes Romaines , &
ne la quitta jamais , que quand il manoeuvroit
avec fes Soldats fur les bords du
Danube , où il fe revêtoit alors d'une cafaque
Germaine, découpée partout en lozanges
& fort courte . *
L'Auteur ajoute que les Caracalles n'étoient
pas connues à Rome avant Baffien,
fe fondant encore à cet égard fur un Texte
d'Elius Spartianus , qui le dit expreffément
, Liv. X. Quod ante non fue
Tat. Il prouve qu'elles différoient confidérablement
des Cappes de Bearn & de
Saintonge dont parle Martial , Liv. XIV.
parce qu'elles avoient des manches , &
n'étoient pas , comme les cappes , accompagnées
d'un capuchon , mais fe terminoient
au cou , fans le furmonter. Le P.
* Herodian. in Baffiano.
OCTOBRE. 1760. 115
Lucas montre auffi que les robbes des
Gaulois Tranfalpins ( par rapport à nous )
étoient des robbes ou toges Romaines ,
que Rome n'avoit point reçues d'eux ,
mais qu'ils avoient eux- mêmes reçues de
Rome , fuivant ce vers de Martial ,
Gallia Romanæ nomine dicta toga ,
& que la forme de la toge Romaine ,
devenue Gauloife , n'avoit prèfque rien
de commun avec celle de la Caracalle
Atrébate , felon Apulée in XI° . Aurei
Afini.
Le P. L. prouve également que la Caracalle
ne reffembloit à aucun des vêtemens
Romains , dont il fait une énumération
& une comparaifon fuivie avec cette robbe
Atrébate; aprèsquoi il indique les trois
genres d'habillemens dont Baffien ſe revêtoit
dans les trois états différens de fa
vie. En tems de paix, fa robbe favorite étoit
la Caracalle dans les Temples , où il
faifoit l'office de Pontife , fa robbe Sacerdotale
étoit une Tunique de lin : dans fon
Camp en Germanie , fa robbe Militaire
étoit une espèce de Soubrevefte fort
courte ; trois fortes d'habits que Xiphilin
a confondus fous le feul & même
nom de Caracalle .
Dans la derniere partie de fa Differta120
MERCURE DE FRANCE.
tion , le P. L. a pour objet de faire voir
que la Caracalle Atrébate s'eft en quelque
façon perpétuée jufqu'à nos jours .
Plufieurs probabilités le conduifentà penfer
que les Simarres de nos Chanceliers &
celles de nos premiers Préfidens leur font
venus des Sénateurs de Rome, qui autant
par goût que par complaifance pour Baf
fien , commencerent prèfque auffi - tôt
après l'arrivée de cet Empereur à Rome ,
& continuerent depuis à porter des caracalles
, comme des habits diftingués , &
qui caractériſoient leur état. L'Auteur
termine cet Article , en prouvant , par
le témoignage de Bede , que dès le troifiéme
fiécle & dans le feptième , l'habit
long des Prêtres du Chriftianifme s'appelloit
encore Caracalla chez les Atrébates
: Ed & meâ & fancti Audomari
atate Clericis in ufu fuit , & Caracalla
dicebatur ; & que quand plufieurs Conciles
depuis ce temps-là ont recommandé
aux Eccléfiaftiques de ne point changer
l'habit clérical qui étoit en uſage
dans les premiers temps , ils avoient en
vuë , à la couleur près , l'ancienne caracalle
, dont la foutane actuelle eſt une
inition .
* Beda in Malbrancq.
Le
OCTOBRE. 1760. 121
Le P. Lucas a tiré ce morceau du fecond
livre de l'Hiftoire ancienne de la
Province d'Artois , à laquelle il travaille
depuis plufieurs années , ainfi qu'à l'Hiltoire
Naturelle du même pays . Il prie
ceux qui auroient fait des découvertes
relatives à ces deux objets , de vouloir
bien les lui communiquer. Il fe fera un
devoir de nommer les perfonnes à qui il
fera redevable de quelques particularités
intéreffantes .
M. le Comte de Couturelle , Chevalier
de l'Ordre de S. Louis , ci - devant
Major du Régiment de Rohan - Rochefort
Infanterie , & Aide- Major général
de l'armée de Minorque , ayant reçu plufieurs
bienfaits de S. A. S. Monfeigneur
l'Electeur Palatin , qui l'honora encore
l'hyver dernier de la clef de Chambellan
; la Société littéraire d'Arras , qui
compte ce Gentilhomme parmi fes Membres
, a faifi cette occafion pour payer
à leurs Alteffes Electorales , le tribut de
louanges que leur doivent tous les gens
de lettres. Lorfque M. de Couturelle fut
parti d'Arras , avec l'agrément du Roi ,
pour aller remplir les fonctions de fa
nouvelle charge , M. Harduin , Sécrétaire
perpétuel de la Société , lui adreffa les
vers fuivans.
I. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE:
Aimable Chambellan , reçoi le témoignage
Des ennuis qu'en ces lieux a laiffé ton départ.
Nous regrettons ton coeur fimple & fans fard
Tes propos délicats , ton charmant badinage ,
Et les talens divers dont la Nature & l'Art
T'ont fait le plus bel appanage.
Ne crois pas toutefois que nos efprits jaloux
Ofent te condamner , quand tu fuis loin de nous.
Le fentiment murmure , & la raiſon t'approuve
Oui , cher Comte , ne vive ardeur
Dût t'entraîner vers ce grand Electeur ,
Dont la bonté pour to: nous prouve
Que du mérite il eft le protecteur.
En parcourant notre Province ,
Depuis long-temps la Déeffe aux cent voix
Nous a dit qu'on admire en cet auguſte Prince
Toutes les vertus à la fois.
Elle nous a vanté le penchant qui l'anime
A combler le bonheur de fes nombreux fujets
Elle nous a parlé de ſon eſprit fublime ,
Dont la ſphere étenduë embraſſe mille objets,
Nous connoiffons fa paffion extrême ,
Son goût exquis pour les beaux Arts ,
Qu'il attire de toutes parts ,
Et ne dédaigne pas de cultiver lui- même. /
Nousfçavons qu'on le voit marquer tous fes inftans
Par des traits dignes de l'hiftoire ,
Et que pour lui des honneurs éclatans
OCTOBRE. 1766) 123
Sont réservés au Temple de Mémoire .
Le foin de célébrer ce Maître glorieux
Doit faire ta premiere étude :
Et nous , dont à jamais , en te rendant heureux,
Il s'eft acquis la gratitude ,
Nous devions bien auffi nous impoſer la loi
De le célébrer avec toi.
Couturelle , nous n'ofons croire
Quefon nom dans ces vers foit dignement chanté
Mais qu'il nous feroit doux de faire pour fa gloire
Autant qu'il fait pour ta félicité !
La Renommée au portrait de ton maître ,
Que vient de retracer un trop foible pinceau ,
A joint le fidéle tableau
De celle que pour lui le Ciel exprès fit naître.
Hymen , jamais un noeud plus beau
Ne fe vit éclairé des feux de ton flambeau.
Dans fon âme quelle nobleſſe !
Dans fon efprit quelle délicateffe !
Et dans la taille , dans fes traits ,
Quel affemblage heureux de grandeur & d'attraits
Aux fons que fes doigts font éclore
A l'élégance de fes pas ,
Sous la figure on croit voir ici-bas
Et Polymnie & Terpficore .
Les Graces ne la quittent pas :
Tout en elle eft parfait ; & cependant l'envie ,
Que défarme fa modeftie ,
Fij
324 MERCURE DE FRANCE
Pardonne à fes talens , & même à fes appas
L. A. S. E. fous les yeux defquelles
cette Piéce eft parvenuë , ont fait l'honneur
à la Société littéraire , de lui envoyer
une très- belle médaille d'or , por
tant d'un côté , la tête de Monfeigneur
l'Electeur , & de l'autre celle de Madame
l'Electrice , avec cette infcription
fur le cordon : id læti Mufis damus Atrebatenfibus
ambo . 1760.La médaille étoit
renfermée dans une lettre de M. le Comte
de Couturelle , conçue en ces termes.
» Meffieurs & chers Confreres ,
" Son Alteffe Séréniffime, Monfeigneur
l'Electeur Palatin , l'un des Princes de la
» terre les plus éclairés , & qui parmi tant
» de qualités glorieufes , poffede émi-
» nemment celle d'aimer à récompenfer
મ
le mérite , m'a fait la grace de me re-
» mettre publiquement pour vous la médaille
ci- jointe , ornée de fon portrait ,'
» & de celui de Madame l'Electrice fon
» augufte époufe. Il m'a chargé , Meffieurs,
» de vous la préfenter de leurs parts ,
comme une marque authentique & dusable
des fentimens dont les ont af
» fectes ceux que vous faites éclater pour
OCTOBRE. 1760. 12f
leurs Perfonnes , & que la diftinction
dont jouit votre Société , leur rend
d'autant plus agréables .
» L'honneur que j'ai de vous être affocié,
me fait reffentir une double joie à m'acquitter
de la flatteufe commiffion qu'ont
» bien voulu me confier ces Souverains
» adorés , à qui le rang fuprême qu'ils oc-
>> cupent , étoit moins dû par leur naiffan-
» ce , que par la fublimité de leurs ames .
Q,
» La plus noble modeftie ne permet
point à L. A. E. de fe reconnoître aux
vérités admirables dont la Renommée
» vous a inftruits , Monfeigneur l'Electeur
, qui femble ignoinrix de
» fes bienfaits , a daigné me dire , Mc
fieurs , au fujet de ce beau préfent
qu'il employoit , pour vous le faire
mieux agréer , l'entremife de votre an-
» cien Chancelier . Ces paroles, dictées par
» un caractére de générofité fi rare au
» faîte des grandeurs , me font trop
"
honorables
, & le font trop à vous-mê-
» mes , pour ne pas nous être fidélement
» tranſmiſes .
» Ce n'eft pas , Meffieurs , fans avoir
» pris la liberté de communiquer cette
» lettre à L. A. S. E. que j'ai le plaifir
» de vous l'envoyer. Elles ont eu la bonté
de l'approuver , comme entierement
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
≫ conforme aux fentimens dont elles vous
» honorent.
» Souffrez , qu'après l'exécution de
leurs ordres précieux , je vous conjure
d'agréer ma vive reconnoiffance de
l'eftime & de l'affection que vous m'accordez
fi gratuitement , & que je vous
» offre pour toujours le zéle refpectueux
» avec lequel je me fais honneur d'être
» dans tous les lieux du monde ,
MESSIEURS ,
ASchwet-
» zinghuen ,
près deMar
-
» Votre très - hnabic ,
» obéilerviteur , le Comte de
Couturelle , Chambellan actuel
ie 21 » de Son Alteffe Séréniffime Elec
Juillet 1760. » torale Palatine.
P. S. » Vous euffiez goûté plutôt
Meffieurs , la fatisfaction de recevoir
» cette médaille inappréciable , fi elle
" avoit pu être frappée avec autant de
» promptitude , que ces Illuftres Souve-
" rains l'avoient ordonné. Pour éternifer
» d'autant mieux la preuve de leur fen-
"
fibilité à votre égard , Monfeigneur
» l'Electeur m'a prefcrit , Meffieurs , de
faire mettre fur le cordon de la mé-
» daille , le vers que vous y trouverez
» gravé. Je crois devoir vous obferver
OCTOBRE. 1760. , 127
squ'elle eft d'or du Rhin , des États de
» ce Prince .
» S. A. S. E. m'a fait l'honneur de
» vouloir garder la copie de ma lettre
La Société littéraire d'Arras , s'eft
empreffée de marquer fa reconnoiffanǝ
à L. A. E. par la lettre fuivante.
MONSEIGNEUR ,
L'excès des bontés dont vous dai-
»gnez nous honorer , ainfi que Son Alteffe
Séréniffime Madame l'Electrice ,
» femble autorifer la liberté que nous
» prenons de préfenter directement à
» Votre Alteffe S. E. le témoignage fincére
& refpectueux de notre gratitude.
» L'inestimable préfent qui vient de nous
» être remis , nous a caufé , Monfeigneur,
» une joie extrême , dont notre ſurpriſe
» peut feule égaler la meſure. Comment
» en effet nous flatter qu'une fimple
» expreffion de nos fentimens envers des
" Souverains univerfellement admirés
» nous attireroit de leur part une grâce
auffi diftinguée ? Loin de concevoir cette
»ambitieuſe eſpérance , nous ne reffen-
» tions que la juke crainte d'avoir altéré,
"
en traçant fi foiblement leurs éloges ,
» des vérités refpe&tables , & faites pour
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
"
» occuper les plumes les plus célébres.
» Nous devons fans doute la médaille
précieufe que nous accordent Vos Al-
» teffes Electorales , à l'opinion trop
» avantageuse que M. le Comte de Cou-
» turelle leur a infpirée en notre faveur :
» ou , touchées du zéle ardent qui l'at-
» tache à leurs Auguftes Perfonnes , elles
» ont eu pour objet de lui en marquer
» leur fatisfaction , en gratifiant une Société
dont la gloire lui eft commune.
» Mais lorsque nous nous formons cette
» idée , elle ne dérobe rien , Monfeigneur,
» à l'étendue de notre reconnoiffance .
» Le monument durable qui met
fous nos yeux les nobles traits de Vos
A. S. E. eft pour nous bien fupérieur
» à ces médailles antiques , dont la rareté
» excite des recherches fi pénibles & fi
difpendieufes. Et pourrions- nous , Mon-
» feigneur , lui refufer cette préférence ?
Il la mérite par lui-même , plus en-
» core par la maniere à jamais glorieufe
» dont nous l'acquérons , mais furtout
» par le foin généreux qu'a pris V. A. S.
d'y faire ajouter cette Infcription flat-
» teufe , qui prévient les doutes de la
»Poftérité fur l'honneur , en effet peu
croyable , que nous recevons aujour-
» d'hui. Puiffions- nous , Monfeigneur
»
و ر
OCTOBRE. 1760 . 129
après l'avoir obtenu , réuffir à nous en
» rendre dignes ! Heureux , fi du moins
nos veilles littéraires enfantoient dans
» la fuite quelques productions capables
» de plaire à V. A. E. & qu'il nous fût
» permis de lui offrir fans préfomption !
» Nous fommes avec le plus profond
» reſpect ,
"
Monſeigneur
» De V. A. S. Ë.
Les très-humbles & très- obéif
fans ferviteurs.
Harduin Sécr. perp.
L. d'Arras.
de la S.
M. Harduin ayant été honoré en particulier
d'une médaille ſemblable , fur le
cordon de laquelle font infcrits ces mots:
Munificentiâ utriufque hoc tenet D. Harduinus.
1760. il a tâché d'exprimer ,
par les vers qui fuivent , les fentimens
dont cette grace l'a pénétré.
A LEURS ALTESSES SÉRÉNISSIMES
ELECTOR ALES PALATINES.
Que vois-je ! quel beau jour me luit !
N'est- ce point un perfide fonge
130 MERCURE DE FRANCE.
Dont l'illufion me féduit ,
Et dans un vain délire en cet inſtant me plonge
Eft-il vrai que mon nom , tout- à -coup élevé ,
Près des noms les plus grands foit en effet gravé ?
Ma mufe foible & téméraire
Ola crayonner deux portraits ,
Dont le feul pinceau d'un Voltaire
Peut former dignement les traits .
J'efpérois toutefois qu'une extrême indulgence
De mon zéle fincere agréant les tranſports ,
Daigneroit excufer l'orgueil de mes éfforts.
Mais combien le fuccès paffe mon eſpérance
Lorfque je dois à peine obtenir un pardon ,
Je reçois une récompenſe ;
Et la plus rare bienfaiſance
M'accorde un magnifique don.
Médaille précieuſe , adorables images
Qu'avec des foins conftans je vous conferverai !
Et que de fois je vous rendrai ,
Par d'avides regards , les plus juftes hommages !
A ceux que m'attache le fang
Ma mort ne tranfmett a ni fortune ni rang ;
Mais ce beau monument fera mon héritage.
A mes derniers neveux parvenu d'âge en âge ,
Il leur fera connoître , Illuftres Souverains ,
Que j'en fus honoré par vos auguftes mains.
Ils estimeront ma mémoire ,
En voyant ce bienfait de vos coeurs généreux ;
Et flaités d'un éclat qui s'étendra fur eux ,
Eux- mêmes chanteront vos bontés & ma gloiret
OCTOBRE. 1760. 131
PRIX proposé par l'Académie des Scien
ces, Belles- Lettres & Arts de Lyon , pour
l'Année 1762.
L'ACADÉMIE des Sciences , Belles - Lettres
& Arts de Lyon , propofe pour le Prix des
Arts fondé par M. Chriftin , qui fera diftribué
à la fête S. Louis 1762 , le Sujet
fuivant : Trouver une maniere nouvelle de
décreufer la foie , fans altérer ni fa qua.
lité , ni fon luftre.
.
Il eft conftant que nos étoffes font fupérieures
à celles de la Chine par le goût
du deffein , & par la perfection du travail.
On ne peut néanmoins difputer à
celles- ci des qualités qu'on defireroit de
trouver dans les nôtres. Les étoffes de la
Chine confervent leur éclat à l'épreuve
des lavages & des teintures. Le blanc
furtout s'y maintient fans altération.Pourquoi
nos étoffes n'ont- elles pas les mêmes
avantages On croit devoir en attribuer
la caufe à notre maniere de décreufer la
foie avec le favon , pratique inconnue
aux Chinois. L'huile qui abonde dans la
compofition du favon eft très - capable de
nuire à la blancheur qu'on veut donner
F vj
132 MERCURE DE FRANCE:
à la foie , & de lui faire perdre fon brillant
.
› que
les
Toutes perfonnes pourront afpirer à ce
Prix. Il n'y aura d'exception que pour les
Membres de l'Académie , tels
Académiciens ordinaires , & les Vétérans.
Les Affociés réfidant hors de Lyon , auront
la liberté d'y concourir.
Ceux qui enverront des Mémoires, font
priés de les écrire en François ou en Latin
, & d'une maniere lifible .
Les Auteurs mettront une devife à la
tête de leurs Ouvrages . Ils y joindront un
billet cacheté , qui contiendra la même
devife , avec leurs nom , demeure & qualités.
La Piéce qui aura remporté le Prix,
fera la feule dont le Billet fera ouvert.
On n'admettra point au concours les
Mémoires dont les Auteurs fe feront fait
connoître , directement ou indirectement,
avant la décifion.
Les Ouvrages feront adreffés francs.
de port à Lyon :
Chez M. Bollioud Mermet , Secrétaire
perpétuel de l'Académie pour la Claffe
des Sciences , rue de l'Arfenal :
Ou chez M. de Fleurieu , Secrétaire
perpétuel pour la Claffe des Belles- Lettres
, rue Boiffac :
Ou chez Aimé de la Roche, Imprimeur
OCTOBRE . 1760. 133
Libraire de l'Académie , aux Halles de
la Grenette.
Aucun Ouvrage ne fera reçu après le
premier Avril 1762. L'Académie dans
fon Affemblée publique , qui fuivra immédiatement
la fête de S. Louis , proclamera
la Piéce qui aura mérité les fuffrages.
Le Prix eft une Médaille d'or , de la
valeur de 300 liv . Elle fera donnée à celui
qui , au jugement de l'Académie , aura
fait le meilleur Mémoire fur le Sujet propofé
.
Cette Médaille fera délivrée à l'Auteur
même , qui fe fera connoître , ou au porteur
d'une procuration de fa
en bonne forme.
part ,
dreffée
SUJETS propofés par l'Académie des
Sciences , Belles - Lettres & Arts de
Befançon , pour l'année 1761 .
L'ACADÉMIE des Sciences , Belles-Lettres
& Arts de Befançon , diftribuera le
24 d'Août de l'année 1761 , deux Prix
fondés par feu M. le Duc de Tallard ,
& un troifiéme fondé par la Ville de Befançon
134 MERCURE DE FRANCE.
Le Prix pour l'Eloquence eft une Médaille
d'or , de la valeur de trois cens
cinquante livres . Le fujet du Diſcours ,
qui doit être d'environ une demi - heure ,
fera : Si le defir de perpétuer fon nom &
fes actions dans la mémoire des hommes ,
eft conforme à la nature & à la raifon ?
Le Prix pour la Differtation Littéraire,
eft une Médaille d'or , de la valeur de
deux cens cinquante livres , dont le fujer
fera: Quel a été le Gouvernement politique
de Besançon fous les Empereurs d'Allemagne
, & quelles ont été les raifons
particulieres de la Devife de cette Ville ,
defes armoiries , & de celles defes Quartiers
ou Bannieres ?
Le Prix pour les Arts, eft une Médaille
d'or , de la valeur de deux cens livres ,
deftinée à celui qui indiquera : Quelle eft
la meilleure façon de cultiver les Vignes ,
& de faire les Vins dans le Comté de
Bourgogne ?
Les Auteurs font avertis de ne pas
mettre leurs noms à leurs Ouvrages , mais
une marque ou paraphe , avec telle devife
ou fentence qu'il leur plaira : Ils la
répéteront dans un billet cacheté , dans
lequel ils écriront leurs noms & leurs
adreffes. Les Piéces de ceux qui ſe feront
connoîtré , foit par eux- mêmes , foit par
OCTOBRE. 1760. 135
leurs amis , ne feront pas admifes aut
concours.
Ceux qui prétendront aux Prix , font
avertis de faire remettre leurs Ouvrages
avant le premier du mois de Mai prochain
, au fieur Daclin , Imprimeur de
l'Académie , & d'en affranchir le port ,
précaution fans laquelle ils ne feroient
pas retirés.
ASSEMBLÉE publique de l'Académie de
Peinture , Sculpture & autres Arts re
latifs au deffein de MARSEILLE.
L'ACADÉMIE de Peinture , Sculpture
, & c. de Marſeille , a tenu , le 24
Août de cette année , fon Affemblée publique
à l'Hôtel de Ville . MM . de l'Académie
des Belles Lettres , & MM . les
Amateurs honoraires y ont été invités .
M. Verdiguier , Directeur perpétuel a ouvert
la féance par un compliment à M. le
Duc de Villars , qui y préfidoit , & qui a
diftribué la Médaille d'or & les autres
Prix adjugés aux éleves . M. Dorange ,
Profeffeur d'Anatomie , a fait enfuite
une Differtation fur la néceffité de l'Oftéologie
& de la Miologie aux jeunes
136 MERCURE DE FRANCE
Peintres & Sculpteurs , s'ils veulent fe
perfectionner dans leur Art. M. Moulinneuf,
Profeffeur & Secrétaire perpétuel ,
a terminé la féance par un Difcours , qui
prouvoit que le deffein eft la bafe de
tous les Arts , & combien un Artiſte doit
avoir de génie pour fe rendre célébre .
Tous ces Difcours ont été généralement
applaudis.
Ce même jour , les Membres de cette
Académie ont fait , dans la Salle de l'étude
du modéle , l'expofition de leurs
Ouvrages. Cette expofition a duré huit
jours , & le Public a paru auffi fatisfait
de leurs progrès que d'un tel établiffement
, fi avantageux à tous les Arts .
C'eft ainfi que les Profeffeurs non contens
d'être attentifs à corriger les deffeins
de leurs Diſciples , leur mettent encore
fous les yeux les exemples effectifs & variés
des moyens qu'ils doivent mettre en
pratique pour perfectionner leurs talens.
EXPOSITION des Ouvrages de divers
Membres de l'Académie de Peinture
Sculpture, &c. de MARSEILLE.
LES
ES QUATRE SAISONS , de deux pieds
de hauteur , & un Apollon qui tourne
OCTOBRE. 1760. 737
autour du globe terreftre , pour M. de la
Garde , par M. Verdiguier , Sculpteur de
la Ville , Directeur perpétuel .
Six Deffeins à l'encre de la Chine , au
biftre & à la gouache , par M. Cofte ,
Peintre , Profeffeur , P.
Quatre Tableaux en Payfages , & deux
en Coquillages & Plantes marines , par
M. Richaume , P.
Un grand Tableau Payſage héroïque ,
& un autre champêtre , avec plufieurs
Deffeins à la plume & au biftre par M.
David , P.
Un Tableau tepréfentant un Cabinet
de mufique , où eft une Eſtampe analogue
au fujet. Une Marine repréfentant le
combat du Vaiffeau du Roi , le Centaure,
commandé par M. de Sabran , contre 14
Vaiffeaux Anglois ; & un autre Tableau
à la gouache , repréfentant un chien , un
chat & quelques piéces de gibier , par
M. Moulinneuf, Peintre de la Ville , Profeffeur
, Secrétaire perpétuel .
Trois Efquiffes repréfentant l'Afcenfion
, l'Affomption de la Ste Vierge , &
l'Apothéose de S. Louis , par M. Zirio , P.
Deux Portraits par le même .
Un faint Sébastien de grande nature ,
& un autre grand Tableau repréfentant
le repos d'Hercule. Une Efquiffe de la
38 MERCURE DE FRANCE.
Ste Famille au lever du Soleil , par M.
Beaufort. P.
Un grand Tableau , Architecture &
Marine ; deux petits Payfages ; quatre
Marines en longueur ; cinq Morceaux à
la gouache ; Architecture , Payfages &
Marines ; cinq Deffeins à l'encre de la
Chine , par M. Kopeller . P.
Un grand Portrait de M. Revelly ca
det & de Madame fon époufe , & quatre
autres Portraits en bufte par M. Revelly.
P.
Un grand Portrait & quatre en buſte
par M. Arnaud , Peintre , Académicien.
Deux petits Payfages par M. Defpeches.
A.
Un Tableau de réception , repréfentant
une Marine par M. Reyvicel. A.
LETTRE à l'Anonyme , qui a propofe
un Problême dans le Mercure d'Août
1760 , page 132 .
ILL fera fans doute agréable , pour tous les
amateurs du calcul & de l'art des combinaifons
, d'apprendre de vous , Monfieur,
laméthode aifée que vous annoncez dans
votre Lettre , inférée au Mercure d'Août
OCTOBRE 1760. 139
1760 , & je vous inviteâ la donner au Pu
blic.Si j'avois l'honner de vous connoître
j'y joindrois bien vountiers les opérations
Arithmétiques , ie j'ai faites il y a quelques
années, fu les diverfes combinaiſons
que peuvent recevoir plufieurs cartes ,
diftribuées un certain nombre deJoueurs.
Je n'ai point eu befoin , Monfieur , non
plus que vous , de recourir au calcul littéral
, j'ai ouvé des méthodes fimples
pour découvrir ces combinaiſons par les
régle ordinaires du calcul numérique .
ne partie de Tri dont j'étois fpectaceur
à la campagne , donna lieu à quelques
faux raifonnemens , fur les combinaifons
d'un certain nombre d'atouts
entre deux Joueurs . Je calculai le coup
dont il s'agiffoit : ce calcul me conduifit à
d'autres , & j'en vins à trouver toutes les
combinaifons poffibles des treize cartes
d'une même couleur , entre les mains de
deux , de trois & de quatre Joueurs .
L'application de ces calculs à tous les
coups du Médiateur , du Tri , du Piquer
& c . eft facile. En jettant les yeux fur les
tables que je dreffai alors , il n'eft aucun
coup dont je ne puiffe dire exactement
qu'il y a tant à parier pour & contre.
Par exemple , dans l'efpéce que vous
propofez d'un Joueur , qui , au Quadrille,
140 MERCUPE DE FRANCE.
a Spadille , Manille fixiémes en noir ; je
trouve que les cinq atres atouts ſe combinent
de 243 façons afférentes dans les
mains des trois autres Joueurs .
il
Que de ces 243 combina(ons
y en a 90 , où ces cinq atots
fe trouvent deux- à- deux & à un
ce que j'exprime ainfi :
Qu'il y en a foixante où ils
font , trois dans une main , dex
dans une autre , & point du tout
dans la troifiéme , ce qui s'exprime
ainfi :
1.2 . I
3.2 .
Qu'il y en a 60 où ils font , trois ,
à un , & à un , ainfi :
3. 1. 1.
Qu'il y en a 30 , où ils font
quatre, à un , & à point , ainfi : 4.1.0 .
Enfin qu'il y en a trois , où les
cinq atouts font enſemble dans
une même main , ainfi :
S. o. .
De cette premiere découverte , il réfulte
que s'il faut quatre atouts dans une
main pour faire perdre , il y a 210 contre
33 à parier que le Joueur gagnera ,
ou plus fimplement 70 contre 11 .
Que fi trois atouts enfemble font perdre
, il y a 17 contre 10 à parier qu'il
perdra.
Mais ce premier point de vue eft bien
infuffifant ; car la nature des atouts qui
OCTOBRE 1760. 149
font enfemble, & la pofition des Joueurs,
influent beaucoup fur la perte ou le gain
du jeu que vous citez pour exemple : il
faudroit donc que le calcul nous découvrit
le plus ou le moins de rifque qu'il y
auroit , fi un tel atout étoit dans une telle
main; s'il y étoit feul , s'il y étoit fecond ;
s'il y étoit troifiéme ; s'il y étoit quatriéme
, &c. Or voilà ce que je trouve facilement
par les méthodes que je me fuis
faites .
Suivons toujours votre fuppofition de
fpadille , manille , fixièmes en noir : je
trouve qu'il y a 16 contre 11 à parier ,
que le bafte n'eft pas troifiéme chez l'un
des trois autres Joueurs.
Qu'il y a 59 contre 22 à parier que le
bafte n'eft pas troifiéme chez l'un des
deux Joueurs nommés.
Qu'il y a 70 contre 11 à parier que le
bafte n'eft pas troifiéme chez un Joueur
nommé .
Qu'il y a 2 contre 1 à parier que
deux atouts nommés ne font point enfemble.
Qu'il y a 62 contre 19 à parier que
deux atouts nommés ne font point enfemble
, & troifiémes , dans une même
main.
Enfin , Monfieur , il n'y a point d'ar
742 MERCURE DE FRANCE.
rangement poffible de ces cinq atouts ,
dans les trois autres mains , fur lequel je
ne puiffe vous dire , qu'il y a tant à parier
pour & contre.
De même je trouve par mes calculs
appliqués au Piquet , que le premier en
carte qui n'a point d'as
peut parier ...
qu'il en prendra au moins
un dans les cinq cartes de
rentrée .
Au contraire , je parie-
232 contre 91
rois contre lui ....... 728 contre 241
qu'il n'en prendra point
deux ou plus.
Je parierois .
qu'il n'en prendra point
trois.
Je parierois ..
qu'il n'en prendra point
quatre .
Le dernier en carte ,
qui n'a point d'as , peut
parier .
qu'il en prendra au moins
un dans les 3 cartes de
rentrée.
Mais je parierois contre
lui ....
qu'il n'en prendra point
deux.
938 contre 31
968 contre 1
29 contre 28
£2 contre 58
OCTOBRE. 1760. 143
Enfin je parierois .....
qu'il n'en prendra point
trois.
284 contre
Je pourrois , Monfieur , vous faire un
Volume in-folio de tous les paris que me
fournit le calcul fur tous les coups poffibles
du Piquet , du Médiateur , du Tri &
de tous les autres Jeux ; mais je crois que
ce feroit du papier & du temps affez mal
employés. Un Joueur de profeffion ne
penferoit peut-être pas de même. Heureufement
cette paffion ne m'a point encore
dominé jufqu'à préfent ; le calcul
d'un coup de Médiateur m'amufera toujours
plus que le coup lui- même. Cependant
je n'ai jamais donné beaucoup de
temps à ces fortes de calculs ; j'avois
même perdu de vue ce que , dans quelques
momens de loifir , j'avois écrit làdeffus
, il y a à préfent huit ans : votre
lettre vient de me rappeller ces idées
prèſque éffacées ; & la curiofité de fçavoir
fi votre méthode feroit la même
la mienne, me fait prendre la même voie
par laquelle votre lettre m'eft parvenuë.
Vous jugerez facilement par les nombres
que j'ai employés ci- deſſus , fi mes calculs
font conformes aux vôtres . L'Auteur du
Mercure voudra bien encore me faire
paffer vos obfervations ; & pour peu
que
144 MERCURE DE FRANCE:
que vous foyez curieux de comparer plus
fpécialement votre méthode à la mienne,
vous en ferez le maître , en vous faifant
connoître. Je fuis , &c. ·
AUTRE LETTRE , fur le même Sujet.
ONSIEUR ,
J'ai l'honneur de vous envoyer la folu
tion du problême propofé par un Anonyme
, dans votre dernier Mercure , relativement
aux combinaiſons du quadrille .
Il m'a femblé qu'il auroit pû être trouvé
d'une façon plus claire . Quoiqu'il en foit ,
je me flatte d'avoir aflez bien faifi l'idée
de l'Auteur fur l'efpéce de difficultés qu'il
propofe. Il y a fort longtems que je n'ai
lu le Traité de M. de Monmort fur les
jeux de hazard ; il fe peut donc bien ,
comme on le dit , que la folution directe
de ce problême n'y foit pas comprife :
mais il eft fûr au moins que les principes
néceffaires pour ces fortes de quef
tions y font renfermés , & qu'il ne s'agit
que d'un peu d'adreffe pour en faire l'application
, à ce cas particulier Venons au
fait. On fçait , en général , qu'un certain
nombre de chofes exprime porn , put
s'arranger ,
OCTOBRE . 1760. 145
s'arranger , d'autant de manieres différentes
qu'en exprime le Produit de tous les
nombres naturels depuis l'unité jusqu'au
nombre , N.; ainfi par exemple , 7 chofes
comme 7 cartes différentes peuvent s'arranger
en 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. c'est- à- dire,
en 5040 manieres différentes entr'elles ;
mais quelquefois , felon l'état de la queſtion
qu'on le propofe , le nombre de ces.combinaifons
réduit à celles qui font feulement
néceffaires , fe trouve de beaucoup
diminué ; ainfi dans l'exemple que donne
l'Auteur du problême , au lieu d'exprimer
les 30 cartes par 30 lettres différentes
, j'exprimerai les 5 atouts par la même
lettre , A , répétées fois , & les 25 autres
cartes par la même lettre , B , répétée
25 fois , puifqu'il eft aifé de voir que
quoique différentes entr'elles , leur différence
n'importe en rien à l'état de la
question . Or la doctrine des combinaifons
nous apprend que les 30 cartes dénommées
de cette maniere ne font fufceptibles
que d'un nombre d'arangemens
entr'elles, exprimé par
expreffion où tous les facteurs tant au
numerateur qu'au dénominateur , font
Cenfés multipliés les uns par les autres ,
& qui donne le nombre 142506. Il s'a-
I. Vol.
30 , 29 , 28 , 27 , 26 ,
I 2., 3. 4 , S
G
146 MERCURE DE FRANCE.
git maintenant dans ce nombre d'arran
gemens tous également poffibles de 30
cartes, de diftinguer féparément ceux qu'on
aftraint à la condition que les atouts
S
foient diftribués de telle ou telle maniere
dans les trois mains. Si l'on demande 1 °.
Le nombre d'arrangemens ou deux des
trois Joueurs, auroient chacun deux atouts
& le troifiéme le cinquième atout reftant
: j'imagine pour cela les 30 cartes
partagées en 3 lots de 10 cartes chacun ;
& pour mieux me faire entendre , on
fuppofera ces trois lots rangés de fuite ;
dans celui de la gauche il ne fe trouvera
qu'un atout , & deux dans chacun
des deux autres . La doctrine des combinaifons
que nous venons déjà d'employer
ci-deffus , m'apprend que le premier lot
où il ne fe trouve qu'un atout , n'eſt ſufceptible
à lui feul que de 10 arrangemens
; & les deux autres , chacun de
io , 9,
1 , 2 , 45. Mais comme chaque arrangement
particulier de chacun de ces
trois lots , fe combine avec tous les arrangemens
des deux autres lots , nous
aurons le produit 10, 45 , 45 , —20250
pour tous les arrangemens où le premier
lot de la gauche ayant un feul atout
les deux autres en auroient chacun deux ,
OCTOBRE. 1760. 147
Ilfaut enfuite confidérer que les trois lots
dont deux font femblables , pourront s'ar
ranger entr'eux de trois manieres différentes
; il faudra multiplier par 3 , le
nombre 20250 ci - deffus trouvé , & nous
aurons finalement 60750 , pour tous les
arrangemens des 30 cartes où les 5 atouts
fe trouveroient diftribués aux trois Joueurs
de la maniere 1 , 1 , 2 : par un raifonnement
femblable , & fondé fur les mêmes
principes on trouvera l'expreffion
10 x 10 x 10 , 9 , 8 , 7 2 × 3 = 36000 pour
tous les
I , 2, 3 > 4 ,
arrangemens où tous les atouts
fe trouveroient diftribués 1 , 1 , 3
讣
10 , 9
I , 2
X- 10 , 9º 8 , 632400 pour la diftri ×
>
8,2X612600
I , 2 , 3
bution 0, 2,3 °
IOXTO , 9
1 , 2 , 3 , 4
pour la diftribution
°, 1 , 4 , & 10, 9,8,7,6
1, 2 , 3 , 4 , 5 )
x3756 pour la diftribution o , o , 5.
Comme nous venons d'épuifer toutes les
manieres dont cinq atouts peuvent fe
combiner entre trois perfonnes , la fomme
des nombres que nous venons de trouver,
c'est-à- dire, 50750 × 36000 × 3 2400
X 126 x 756 , doit équivaloir la fomme
totale de tous les arrangemens poffibles,
des 30 cartes ; & que nous avons trouvé
plus haut être de 142506. C'eft ce qu'on
Gij
48 MERCURE DE FRANCE
vérifiera en effet par une addition. Il eff
maintenant facile de voir l'ufage qu'on
peut faire de ces nombres pour les combi
naifons du quadrille : fi celui qui veut
jouer fans prendre , n'a d'événement à
craindre , que celui de rencontrer dans
la même main less atouts qu'il n'a pas ,
en verra qu'il y a à parier la totalité
des quatre premieres fommes contre les
dernieres , c'est - à- dire , 141750 contre
756
71
106
que ce malheur ne lui arrivera
point , rapport qui fe trouve à moindres
termes que celui de 187 à l'unité. S'il
a quatre atouts à craindre dans la même
main
le pari de ne les pas trouver
fera des trois premieres fommes aux
deux dernieres , c'est- à - dire , de 129150
contre 13356 ou de 2 à l'unité . Enfin
, s'il veut qu'aucun de fes adverfaires
n'ait trois atouts dans la main , il faut
prendre le rapport du premier nombre
aux quatre fuivans , c'est -à - dire , 60750
à81756 , qui fe réduit à celui de 1125 à
1514 , ou de l'unité à 1x382, on voit
donc qu'il auroit dans ce dernier cas du
défavantage à jouer en fuppofant , comme
de raifon , que ce qu'on donne de fi
ches , en cas de perte, foit égal à ce qu'on
recevroit en cas de gain ; car il eft bon
de remarquer que pour avoir en génés
1125
OCTOBRE. 1760. 149
ral le rapport précis qui détermine à
jouer ou ne pas jouer , il faut multiplier
par le nombre d'événemens favo
rables ce qu'on retireroit en cas de gain ,
multiplier auffi par le nombre d'événemens
contraires ce qu'on donneroit en
cas de perte & le rapport de ces deux
produits fera , pour ainfi parler , celui de
l'eſpérance à la crainte .
Il peut encore arriver pour celui qui
fe propofe de jouer , que les atouts qui
le feroient perdre , s'il les trouvoit dans
telle ou telle main felon fon rang à jouer ,
ne l'empêcheroient pas de gagner s'ils fe
trouvoient dans telle ou telle autre. C'eft
encore une nouvelle combinaiſon , mais
qu'on trouveroit facilement, à l'aide de la
Théorie précédente , quand on l'aura bien
entendue. Aufurplus, j'ai niis fur les voies ,
& en voilà fuffifamment fur le jeu de la
part d'un homme qui ne joue jamais . J'ai
l'honneur d'être & c.
LETTRE , à l'Auteur du Mercurs,
E ferois bien charmé , Monſieur , fi par
la voie du Mercure , où l'on puife tous
Les jours les plus belles connoiffances , tant
G iij
150 MERCURE DE FRANCE
Phyfiques que morales , je pouvois voir
la folution d'une queſtion , d'autant plus
intéreffante que je ne l'ai encore vue traitée
nulle part.
Pourquoi une voiture chargée , qui pafferoit
fur le corps d'un homme , ou sur un
de fes membres , il en résulteroit des acci
dens moins confidérables que fi elle ne l'é
toit point du tout.
Je joindrois cette obligation à celle
que je vous ai déjà , de m'orner le coeur
& l'efprit , par le fecours de votre Mercu
re , que je lis toujours avec un nouveau
plaifir. J'ai l'honneur d'être &c. votre trèshumble
fervante Ch....
ARTICLE IV .
BEAUX ARTS.
ARTS UTILE S.
LA DESCRIPTION DES ARTS , pa
l'Académie Royale des Sciences.
Avertiffement des Editeurs.
L'OUVRAGE que nous annonçons au Pu
blic , eft le fruit d'un travail commencé
OCTOBRE . 1760 . Ifr
depuis long- temps par l'Académie Royale
des Sciences. Cette Compagnie étoit à
peine formée , qu'elle conçut le projet
d'examiner & de décrire fucceffivement
toutes les opérations des Arts méchaniques
, perfuadée que cette entrepriſe
pouvoit également contribuer à leur progrès
& à celui des Sciences.
Si les Arts nés dans l'obfcurité , &
lentement avancés de fiécle en fiécle par
Fes tâtonnemens de l'induftrie , ont précédé
de beaucoup l'établiffement des Compagnies
favantes ; on ne peut s'empêcher
de reconnoître qu'ils ont fait des progrès
rapides dans les temps , & dans les Etats
où les Sciences ont été cultivées avec
plus de fuccès. On en fera bientôt convaincu
, fi l'on veut comparer l'état préfent
de l'Horlogerie , de l'Artillerie , des
Arts qui concernent la Navigation , de
ceux qui fourniffent les Inftrumens de
Géométrie , d'Optique , d'Aftronomie ,
de Chirurgie , enfin de plufieurs autres
Arts relatifs aux travaux ordinaires des
Académies , à l'état où ces mêmes Arts
étoient il y a cent ans ; on y verra des différences
immenfes qui ne font point dues
au hazard , mais aux efforts que l'on a
faits depuis cette époque pour perfectionner
la Géométrie , la Méchanique ,
Giv
152 MERCURE DE FRANCE .
la Chymie , l'Optique , l'Anatomie , & c.
Ne doit- on pas attendre de nouveaux
degrés de perfection dans les Arts , lorfque
des Savans exercés fur les différentes
parties de la Phyfique fe donneront la
peine d'étudier & de développer les opérations
fouvent ingénieufes que l'Artiste
exécute dans fon attelier ; lorfqu'ils verront
par eux mêmes les befoins de l'Art ,
les bornes où il s'arrête , les difficultés
qui l'empêchent d'aller plus loin , les ſecours
qu'on peut faire paffer d'un Art
dans un autre , & que l'Ouvrier eft rarement
à portée de connoître ? Le Géométre
, le Méchanicien , le Chymifte , donneront
des vues à l'Artifte intelligent
pour furmonter les obftacles qu'il n'a
point ofé franchir. Ils le mettront fur la
voie pour inventer des nouveautés utiles ;
en même temps ils apprendront de lui
quelles font les parties de la théorie auxquelles
il faudroit s'appliquer davantage
pour éclairer la pratique , & pour affujettir
à des régles fûres un nombre d'opérations
délicates, qui dépendent de la jufteffe
du coup d'oeil ou d'un tour de main ,
& dont la réuffite n'eft que trop fouvent
incertaine .
C'eft dans cette vue que l'Académie
des Sciences dirigeant toujours fes tra
OCTOBRE . 1760. 153
vaux vers les chofes utiles , avcit inſpiré
aux Membres qui la compofent le defir
de concourir à la defcription des Arts .
Depuis le commencement de ce fiécle ,
elle n'a pas ceffé de raffembler des marériaux
pour y parvenir ; mais l'objet eft
immenfe & ne peut être rempli que par la
fuite des temps . Feu M. de Réaumur
avoit été chargé de recueillir un aſſez
grand nombre de Mémoires déjà faits
par plufieurs Académiciens ainfi que
d'autres , envoyés des différentes Provinces
de la France , ou des Pays Etrangers.
Les Mémoires fur les Arts fe font multipliés
; un grand nombre d'atteliers , d'opérations
, de machines , d'inftrumens:
& d'outils , ont été deffinés & gravés
fous un même format ; & l'Académie pofféde
à préfent plus de deux cens Planches
fervant à leur deſcription. Elle en auroit
davantage fi plufieurs cuivres , gravés à
fes frais , mais dont il ne lui refte que
des épreuves , n'avoient point été détournés
, ainfi que plufieurs Mémoires qui
faifoient partie de cette Collection précieuſe.
Heureufement il lui refte encore aflez
de matériaux pour fournir inceffamment
les defcriptions complettes d'un grand
nombre d'Arts : ces matériaux ont été
Gw
154 MERCURE DE FRANCE
diftribués en 1759 , aux Académiciens ,
dont les études fe font portées principalement
du côté de la Méchanique & de la
Phyfique. En fe chargeant d'achever les
defcriptions déjà commencées , & d'ajouter
à celles qui ont été faites au commencement
de ce fiécle les nouvelles
pratiques , les nouveaux procédés qui
ont été inventés depuis , & qui font à
préfent en uſage , ils fe feront un devoir
de rendre juſtice à tous ceux qui les auront
précédés ou fecondés dans ce travail,
en faifant honneur à chacun d'eux des
Ouvrages qu'il aura fournis ils profiteront
avec reconnoiffance des Mémoires .
qui pourront être envoyés déformais à
l'Académie ; concernant la defcription
ou la perfection des Arts. Elle nous autorife
même à déclarer de fa part , que
fon intention eft de publier fous les noms
de leurs Auteurs , & d'inférer en tout ou en
partie, dans la Collection qu'elle prépare ,
les Ouvrages bien faits en ce genre qui
lui feront préfentés , foit par d'habiles
Artiftes , foit par des Savans étrangers ,
après qu'ils auront été examinés & approuvés
dans la forme ordinaire ; ainfi
qu'elle a déja publié en différens temps ,
des recueils de Differtations Mathématiques
& Phyfiques , foumises à fon jugeOCTOBRE.
1750 .
ment , par des Savans étrangers ou régnicoles
, lorfqu'elle a trouvé dans leurs
Ouvrages des obfervations & des recherches
capables de contribuer à l'avancement
des Sciences.
L'Académie ayant excité , par cette ef
péce d'adoption , l'émulation de ceux qui
cultivent les Sciences , fans appartenir à
aucun Corps Académique ; elle a lieu
d'efpérer que les Citoyens verfés dans la
connoiffance des Arts , & les Artiftes du
premier ordre , s'emprefferont de concourir
à la perfection des monumens qu'elle
veut ériger à l'induftrie humaine : la carriere
eft trop vafte pour ne pas l'ouvrir à
tous ceux qui font en état de s'y diftinguer
, & l'on ne peut employer à la fois
trop de mains habiles pour accélérer l'exécution
d'une entreprife qui peut être utile
à notre fiecle , & plus encore à ceux quf
le fuivront. C'eft épargner à la postérité
beaucoup de temps & de peine , fi les
Arts avoient encore à fubir de ces grandes
révolutions qui les ont autrefois prèſque
anéantis.
Il feroit à fouhaiter fans doute qu'on
pût dès -à-préfent réunir , foit en un feul
foit en plufieurs volumes, les Arts qui ont
entr'eux des relations prochaines : par
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
-
exemple , tous les Arts qui façonnent le
fer , ceux qui travaillent l'or & l'argent ;
ceux qui trament des tiffus de toute efpéce
. Mais comme il feroit très difficile
de faire achever en même temps les defcriptions
propres à former des volumes
complets & fuivis , avec les enchaînemens
néceffaires ; l'Académie , pour ne point
mettre de nouveaux obftacles à la publication
d'un Ouvrage long - temps attendu ,.
fe borne , quant à préfent , à donner les :
deſcriptions des Arts par cahiers féparés ,
dont chacun contiendra le tableau com
plet d'un Art avec tous les détails néceffaires
, repréfentés dans des planches gra
vées avec foin. Ces cahiers auront la
même forme , & déja plufieurs de ces
Arts font fous preffe:
En les publiant ainfi féparément , on
ménage aux Artiftes la facilité de fe procurer
à peu de frais les Traités des Arts :
qu'ils exercent , ou de ceux qu'ils voudroient
connoître , fans être obligés d'en:
acheter en même temps d'autres qui leur
feroient moins néceffaires ; c'est un moyen
de les répandre davantage , fur- tout dans
cette claffe de Citoyens utiles , auxquels.
ils font principalement destinés .
Lorfque l'Ouvrage fera fuffifamment.
OCTOBRE. 1760. 157
avancé , pour que l'on puiffe penſer à en
former des fuites , ceux qui fe feront procurés
les cahiers précédemment diftri
bués , pourront , en rangeant les différens
Arts felon l'enchaînement qu'ils ont entr'eux
, former des volumes , où ils feront
maîtres de choisir l'ordre qui leur paroîtra
le plus convenable.
Pour fatisfaire la curiofité de ceux qui
voudroient connoître ce qui a été fait
jufqu'à préfent fur les Arts , l'Académie
a fait remettre chez les fieurs Defaint &
Saillant , Libraires , chargés de cette
Edition , une fuite des épreuves de toures
les Planches gravées ; on y trouvera
pareillement les épreuves des Planches
qui ont été fouftraites , & que l'Académie
eft en droit de reclamer , quelque
part où elles puiffent être. Ceux qui en
auroient connoiffance , font priés d'en
donner avis aux fieurs Defaint & Saillant
, rue S. Jean de Beauvais ; ou de
rapporter les Planches , qu'ils pourroient
avoir , au Secrétariat de l'Académie .
Les Libraires avertiffent qu'ils ne tirent
que cinq cens Exemplaires de l'Hiftoire
des Arts : ainfi ceux qui defireront tant
à Paris qu'en Province , recevoir chaque
Art , à mesure que l'impreffion en fera
158 MERCURE DE FRANCE.
achevée , font priés de fe faire inferire
chez eux ils feront affurés de recevoir
leur Exemplaire , & d'avoir de bonnes
Epreuves , à charge d'en payer la valeur
en le recevant. On pourra fe faire inferire
chez les Libraires des principales Villes du
Royaume .
2
On commencera à publier les premiers
Arts vers la S. Martin.
ANATOMIE.
LETTRE circulaire , à MM. les Souf
cripteurs des Planches Anatomiques de
M. GAUTIER.
De Marſeille , ce 12 Septembre 1760* )
MESSIEURS ESSIEURS ,
Les Planches Anatomiques, de M. Gau
tier , pour lefquelles vous avez foufcrit ,
font actuellement fous preffe , ainfi que
leurs Tables explicatives . On a commencé
la premiere diftribution ; elle contient
fix grandes Planches , fur la feuille entiere
du grand colombier , avec leurs couleurs
naturelles ; les Tables font de même grandeur
& fur le même papier , accompagnées
de Differtations fur chaque Vifcère en
OCTOBRE. 1760 . 159
particulier & de la deſcription des nerfs ,
des veines , & des artères qui les parcourent.
Les amateurs de cette entrepriſe
auront lieu d'être fatisfaits ; M. Gautier
n'a négligé ni les recherches , ni la dépenfe
, ni le travail ; & s'il y a eu quel
que retard , vous connoîtrez , Meffieurs ,
en recevant les Planches que j'ai l'honneur
de vous annoncer , la néceffité de ce retard.
Les grands ouvrages en général ne
paroiffent pas toujours dans les tempsprojettés
; témoin l'Encyclopédie & tant
d'autres entrepriſes où les diftributions
ont fouvent été retardées. M. Gautier ne
s'eft point rebuté, il a laiffé dire ſes Antagonistes
, s'eft retiré dans fon Pays origi
naire , avec l'agrément de la Cour , pour
être plus tranquille , compléter fon entre
prife & fatisfaire à fes engagemens. Je
me fuis chargé à Marfeille de la diftribu
tion des Planches & d'en recevoir le prix,
pour en tenir compte à ceux qui ont fait
les avances de cet Ouvrage , affez connu
& qui eft intéreffant pour le Public . Et
comme il y a des Soufcripteurs parmi
vous , Meffieurs , qui ont foufcrit en entier
pour le Supplément & pour La feconde
Edition , d'autres pour le Supplément ſeu
lement , & plufieurs qui ne fe font propofés
que de payer une diftribution d'avances
160 MERCURE DE FRANCE.
il faut néceffairement que la préfente Lettre
circulaire foit annoncée , & que chaque
Amateur foit mis au fait de ce qui lui appartient.
Pour les vingt Planches Anatomiques
du Supplément.
1. Les Soufcripteurs qui ont fouſcrit
en entier pour le Supplément & pour la
feconde Edition ; je les avertis que je ne
fuis chargé que du Supplément en vingt
Planches avec leurs Tables explicatives ,
quant à préfent : parce que M. Gautier
ne peut pas donner tout à la fois ces deux
Ouvrages , mais qu'il donnera fa feconde
Edition immédiatement après.
2º. Les Soufcripteurs du Supplément
feulement & qui ont payé en entier , vont
recevoir actuellement en trois diftributions
leur Exemplaire complet , fans qu'ils
foient obligés de rien débourfer davanrage.
3. Ceux qui n'ont foufcrit qu'un louis
d'avance recevront la premiere diſtribu
tion , en payant encore un louis , & la
feconde enfuite en payant 36 liv. & ils
n'auront rien à donner à la troifiéme
diftribution.
4. Finalement , ceux qui n'ont point
fouferit payeront deux louis d'or en re
OCTOBRE . 1760. 161
cevant la premiere diftribution , & 36
liv. en recevant la feconde , & n'auront
rien à payer à la troifiéme , non plus que
les précédens Soufcripteurs.
Premiere Diftribution , qu'on délivre
actuellement aux Soufcripteurs.
Elle confifte en fix Planches . La premiere
& la feconde forment une femme
enceinte fur pied , dont la matrice eft ouverte
, le foetus en fituation , le bas - ventre
& les parties inférieures difféquées, ainfi
que le fein & l'une des extrémités fupérieures
. La troifiéme repréfente une fille
difféquée. La quatriéme une Angéologie
complette du tronc de la tête & des extrémités
fupérieures . La cinquième & fixiéme
, un homme fur pied difléqué , où l'on
voit les muſcles , les nerfs , les vaiffeaux ,
& le coeur dans fon péricarde , avec des
fituations différentes de ce qu'on a donné
dans la premiere Edition.
Seconde Diftribution , qu'on délivrera à la
fin de Novembre de cette année 1760.
Elle contient auffi fix Planches . Premiere
, la Femme en couche difféquée.
Seconde , le Foetus difféqué , & les parties
détachées , où l'on voit ce qui comprend
62 MERCURE DE FRANCE.
la circulation particuliere dans le fein de
la mere. Troisième , les parties de la Fem-
- me difféquées , & les parties inférieures
de la troifiéme Planche de la premiere
diftribution. Quatrième , les parties de
l'Homme difféqué avec les parties inférieures
de la figure d'Angéologie , ce qui
fait une figure complette, l'une des parties
la plus effentielle de l'Anatomie , & ce
- qu'on n'a pas donné dans la premiere
Edition . Cinquiéme & fixième , l'Homme
vu par le dos dans une diſſection & fitua
tion différente de la premiere Edition.
Troifiéme & dernière Diftribution , qui
paroîtra le premier Mai de l'année
prochaine 1761.
Cette diftribution fera de huit Planches,
avec leurs Tables explicatives de même
que les précédentes. La premiere & feconde
repréfenteront des coupes & des
diffections de tous les Vifcères , qui n'auront
pas été repréſentés. La troifiéme &
quatrième, démontreront un Squelette garni
du Diaphragme & de plufieurs autres
parties effentielles d'Anatomie. Lacinquiéme
& fixiéme feront une Nevrologie
complette ; & la feptiéme & huitième ,
des coupes de la Tête & du Cerveau ,
OCTOBRE. 1760. 18
foutes nouvelles & intéreffantes pour les
Anatomiftes .
Pour payer & recevoir les Planches.
La principale adreffe eft chez moi , Jean-
Baptifte Feraud , Négociant , rue Caifferie
, à Marseille.
Je prie Meffieurs les Soufcripteurs, qui
ont foufcrit en entier pour le Supplément
dont il s'agit , d'écrire à mon adreffe , de
m'envoyer copie de leurs Billets de foufcription,
& de me marquer l'endroit où ils
veulent que je leur faffe tenir les exemplaires
des diftributions. On les fera parvenir
gratis à Paris feulement , qui eft
l'endroit où l'on a ſouſcrit ; mais partout
ailleurs , vous aurez la bonté de payer le
port depuis Paris jufqu'au lieu indiqué ,
à moins que ce fût fur la route de cette
Ville ; pour lors il ne vous en coûteroit
rien , comme fi vous les receviez à Paris.
Je vous prie auffi , Meffieurs , de préſenter
à ceux qui vous remettront les Planches ,
vos Billets, qu'on échangera par des nouveaux
, fignés Gautier, qui vous affureront
les deux diftributions fuivantes; & les perfonnes
qui ont des Billets du Supplément
& de la feconde Edition , enfemble , on
leur donnera deux Billets féparés , l'um
164 MERCURE DE FRANCE.
ร์
pour les diftributions à recevoir du Supple
ment , & l'autre pour la feconde Edition ,
a
A l'égard des perfonnes qui n'ont point
fouferit & qui veulent profiter du courant
des diftributions,ils pouront le faire depuis
Ja premiere diftribution jufqu'à la feconde ;
paffé lequel tems , ils ne feront plus reçus
à foufcrire. Ils auront la bonté de s'adreffer
à Marseille , chez moi , & d'affranchir
la Lettre ; je leur ferai tenir les Planches ' ,
comme aux précédens Soufcripteurs ; &
ils payeront de la façon qu'on a dit cideffus.
Ils pourront le faire de même aux
adreffes fuivantes :
A Marfeille , chez J. B. FERAUD , Négociant
, rue Caifferie.
A Paris , chez M. Le Roi , Bijoutier ,
vis- à - vis la Comédie Françoife , qui indiquera
l'endroit des diftributions .
A Amfterdam , chez MARC-MICHEL
REY, Libraire.
Les Soufcripteurs n'ontpayé & ne payɛ-
Tent que 84 liv ; mais ceux qui n'ont pas
fouferit , payeront 108 liv.
Je crois , Meffieurs , qu'il a fallu entrer
dans tous ces détails , & que m'intéreffant
à M. Gautier & à fes talens ; je devois
OCTOBRE. 1966. 165
Yous avertir de fon, exactitude à remplir
fes engagemens pour les ouvrages qu'il
promet , & vous prier de l'excufer du retard
de temps pour ces diftributions , parce
que cela n'a pas dépendu de lui. Je
fuis témoin des peines & des travaux confidérables
qu'il a faits dans les Piéces
Anatomiques que je vous préfente , fans
parler de ceux qu'il avoit déjà faits à Paris
pour la même entrepriſe. J'ai l'honneur
d'être , &c. J. B. FERAUD.
TABLE GEOMETRIQUE concernant la
Multiplication de tous les Nombres ,
depuis 1 jufqu'à 100 , par M. Du-
FOUR , ancien S. Ingénieur des Ponts
& Chauffées , & Profeffeur de Mathé
matiques,
A
L'EXPÉRI 'EXPÉRIENCE fucceffive , que nous ont
procuré les différens Eléves que nous
avons eu occafion d'inftruire & de former
dans le Calcul numérique & Algébrique
( premier pas de ceux qui fe vouent aux
Arts libéraux , lorfqu'ils font parvenus à
la Multiplication ) nous ayant déterminé
à compofer une Table Géométrique qui
166 MERCURE DE FRANCE.
préfentât au premier afpect le réfultar
de la Multiplication de tous les nombres
depuis 1 jufqu'à 100 , par tel nombre intermédiaire
& à volonté de cette progreffion
; nous avons penſé ne pouvoir
trop tôt élaguer les difficultés , en préfentant
cette Table Géométrique , dans
laquelle on trouvera fans peine les produits
quarrés des cent nombres généra
teurs , & les 4950 produits rectangulaires
contenus en soso carreaux qui forment
un triangle rectangle qui a 100 pour baſe
& 100 pour hauteur.
Cette Table eft compofée de 4 Planches
, qui fe raffemblent en une feule , en
réuniffant le texte qui fait la tête des
deux premieres Planches , & celui qui
termine les deux dernieres.
?
L'Auteur de cette Table , n'ayant eu
en vue que l'utilité du Public , n'a rien
épargné pour fon exécution ; pour cela , il
l'a fait graver en Langue Françoife & Al
lemande imprimer fur papier nom
de Jefus , & fous plufieurs formats ; le
premier en quatre feuilles féparées ,
coûtera 2 1. 8 f. le deuxième en 4 feuil
les collées enſemble , 2 l . 12 f; le troifiéme
en 4 feuilles collées fur toile avec
bordure bleue , 41. 4 f; & le quatrième
relié en bazane grand in - 4°. avec onglets,
31.10 f.
·
OCTOBRE. 1780. 767
Les Etrangers qui defireront fe procurer
ces Tables , pourront s'adreffer à
Paris au feur Brocas , Libraire , rue S.
Jacques , au Chef S. Jean , & au fieur
Gautier , débitant la nouvelle Carte de
France , Cloître S. Honoré , en fpécifiant
leur adreffe , en affranchiffant leurs lettres
& le port de l'argent relatif aux chofes
demandées , & déterminant le moyen
de les leur faire parvenir. Les Perfonnes
de Paris , en trouveront dans tous les
mêmes formats , chez les perfonnes cidevant
indiquées , & chez l'Auteur , rue
de la Harpe , maifon de M. Blondel , Architecte
du Roi . Les envois fuivront immédiatement
la réception des demandes.
Les deux formats, collés fur toile & in.
4° . feront les plus convenables dans les
Bureaux & Cabinets.
ARTS AGRÉABLES.
GRAVURE.
Les quatre premieres Eſtampes de la
LESEs
fuite des Ports de France ( peints par M.
Vernet ) , gravées par MM. Cochin & le
Bas , commenceront à être délivrées le
10 Octobre 1760 , chez M. Chardin ,
168 MERCURE DE FRANCE.
Peintre du Roi , Confeiller & Tréforier
de l'Académie Royale de Peinture & de
Sculpture , aux Galeries du Louvre.
C'eft avec le plus grand déplaifir que
les Graveurs fe font vus forcés de retarder
cette livraifon jufqu'à ce temps. Ils
efpérent cependant que le travail foigné
que l'on appercevra dans ces Eftampes ,
les juftifiera.
Ils propofent, en même temps , une ſeconde
Soufcription pour les quatre Eftampes
fuivantes. Dans la reconnoiffance de
Soufcription qu'ils fourniront , ils ne s'engageront
à les livrer qu'au mois de Décembre
de l'année 1761. Ils peuvent d'autant
plus s'aflurer de tenir cette promeſſe ,
que ces quatre planches font déja commencées
, & qu'il y en a deux qui font
prèfque gravées à l'eau forte. Cependant
l'expérience leur a trop appris les difficultés
de cet Ouvrage , pour ne pas les rendre
timides fur les engagemens qu'ils
contractent , & les oblige de prévenir
que , quoiqu'ils prennent plus de temps.
qu'ils ne le jugent néceffaire, néanmoins ils:
efpérent encore de l'indulgence du Public ,
s'il arrivoit qu'ils ne puffent pas remplir
leur promeffe avec une entiere exactitude .
On ne peut graver ces Tableaux , qu'en
lés regardant dans un miroir & par petites
parties ,
OCTOBRE. 1760. 169
parties , ce qui empêche d'en juger l'accord
général ; & les améliorations néceffaires
, pour conduire à l'effet total , entraînent
quelquefois des retards de plufieurs
mois qu'on ne peut prévoir , ainfi
qu'il eft arrivé à l'égard des premieres.
En recevant les Eftampes , on donnera
les fix livres reftantes du prix de la
premiere Soufcription . Les perfonnes qui
voudront continuer à foufcrire , donneront
douze livres à compte fur les quatre
Estampes fuivantes , ainfi qu'il a été annoncé
par le Profpecus.
Les Graveurs avertiffent , qu'étant engagés
à recevoir de préférence les Soufcriptions
de ceux, qui leur feront l'honneur
de continuer , & le nombre des Soufcriptions
étant affez confidérable pour ne
pouvoir être augmenté , fans rifquer que
quelques uns d'entr'eux n'euflent des
épreuves moins belles ; ils n'accepteront
de nouveaux Soufcripteurs que deux mois
après l'ouverture de cette livraiſon , &
feulement pour remplacer ceux qui pourroient
s'être retirés.
·
Les quatre Eftampes pour lefquelles on
propofe de foufcrire de nouveau , ſont :
1°. Le Port d'Antibes en Provence , vû
du côté de la terre. Comme cette place
eft frontière , le devant du Tableau pré-
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE:
fente des Troupes qui y vont en garnl
fon. La campagne eft enrichie d'Orangers
& de Palmiers , qui font affez communs
dans cette Province. On y voit les Alpes
encore couvertes de neige. La vue des
montagnes du fonds , eft depuis Nice &
Villefranche , jufqu'à S. Remo . L'heure
du jour eft , au coucher du Soleil.
2 °. Le Port vieux de Toulon . La vue
en eft priſe du côté du Magafin aux vivres
, & le devant du Tableau eft orné
de l'embarquement qui s'eft fait pour les
Vaiffeaux du Roi : on voit dans le fonds
une partie du Port neuf. L'heure du jour
eft , au coucher du Soleil .
3 °. La vue de la Ville & de la rade de
Toulon , prife d'une maison de campagne
à mi- côté de la montagne, qui eft derriere
la Ville . On y a repréfenté les amufemens
des Habitans. L'heure du jour eft,
le matin .
4°. La vue du Port de Cette en Languedoc
, prife du côté de la Mer , derriere
la jettée ifolée . On y a repréſenté un
temps orageux , avec des bâtimens qui
font une manoeuvre extraordinaire , mais
convenable , pour l'entrée de ce Port , &
au vent par lequel ils entrent. Sur le devant
un Brigantin Malthois prend le parti
d'échouer , & fait une manoeuvre en conOCTOBRE.
1766 171
Téquence. L'heure eft , vers les dix heures
du matin.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
PERMETTEZ - moi , Monfieur , de me
plaindre à vous d'un Avis au Public , inféré
dans le Mercure d'Août , page 209 ,
oùfur la foi d'un prétendu Certificat qui
n'eft ni vrai , ni vraisemblable , on fuppofe
que je ne fuis pas l'Auteur d'un Livre
intitulé l'Art du Chant.
1º. Ce Certificat eft figné , PENOL ; &
il eft certain qu'il n'y a point d'Avocat au
Confeil qui porte ce nom.
2 °. L'Avocat au Confeil qui occupoit
contre moi pour le fieur Blanchet , fe
nomme PERROT ; mais comment M° .
Perrot auroit - il ofé attefter des faits auffi
faux , que ceux qui font contenus dans
fon Certificat ? Comment pourroit - il
dire qu'il ne s'agiffoit point entre le fieur
Blanchet & moi , de fçavoir quel étoit le
véritable Auteur de l'Art du Chant ?
Pour trancher toute difficulté fur ce
point , Monfieur , je vous envoie la groffe
de l'Arrêt du 2 Mai 1757 , dans lequel
Vous verrez » que le Confeil déclare nul
Hij
172 MERCURE DE FRANCE:
ود
»te privilégefurpris par le fieur Blanchet
»pour l'Art du Chant , lui fait défenfe
» de s'en fervir à peine d'amende , dé-
» clare les Exemplaires par moi faifis ,
confifqués à mon profit ; & condamne
» ledit Blanchet en 100 l. de dommages
n & intérêts envers moi & aux dépens :
Ordonne que l'Arrêt fera publié & affiché
par tout où befoin fera.
2
Après cela , Monfieur , je crois pouvoir
dire que c'eft au Public éclairé & impara
tial d'apprécier les raifons , fur lesquelles fe
fonde le fieur Blanchet. La Préface dans
laquelle il les expofe , eft un tiffu d'injures
& de menfonges , auxquelles je
rougirois de répondre.
J'ai l'honneur d'être , &c.
BERARDA
OCTOBRE. 1780. 173
TYPOGRAPHIE.
GRAVURE.
FABLES DE J. DE LA FONTAINE
Nouvelle Edition , grand in-folio en
4 volumes , ornée de fleurons , culs- delampe
, enrichie de 276 Eftampes de
même format , & dédiée au Roi. Quaariéme
& dernier Volume . A Paris , chez
Defaint & Saillant , rue S. Jean de
Beauvais , Durand , rue du Foin , en
entrant par la rue S. Jacques. Avec
Approbation & Privilége du Roi.
V OICI le quatriéme & dernier Volume
de cette Edition célébre , qu'on attend
depuis fi long-temps. C'eft la fin d'un Ouvrage
qui a coûté vingt années de travaux
affidus , partagées entre la compofition
des Sujets , & l'exécution d'une entreprise
que la Typographie & le Deffein
fe font tour - à- tour difputés le mérite
d'orner & d'embellir de toutes les reffources
de l'Art & du goût. *
* Nous apprenons que cette Edition va deve
nir d'autant plus précieuſe qu'après avoir fait tirer
un certain nombre d'Exemplaires , on va faire
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
Ce long intervalle paroîtra fans doute
bien confidérable à ceux qui ne voient ,
dans ce Livre , qu'une nouvelle Édition
d'un Ouvrage répandu dans toute l'Europe
, & multiplié fous toutes les formes de
la Bibliographie ordinaire. Mais les Curieux
, capables d'apprécier chaque partie
, de connoître les procédés des Arts
& l'exécution entiere du corps de l'Ouvrage
, loin d'avoir les mêmes idées , feront
fans doute plus furpris de le voir
conduit auffi heureuſement à fa fin , que
du temps qui y a été employé. Combien
de travaux différens n'a- t- il pas en effet
fallu réunir ? Peinture , Deffein , Gravure
en Taille- douce , Gravure en bois , fonte
de Caractéres , fabrication de papier, impreffion
de Caractéres , impreffion en
Taille-douce : tous ces Arts différens ont
été appellés , & mis en oeuvre par les
Maîtres les plus fameux , chacun dans
Ieur genre.
dorer les planches ( ce qui les met hors d'état de
fervir ) & les dépoſer ainfi , comme un monument
à la gloire des Arts , à la Bibliothèque &
dans le Cabinet du Roi. Ainfi cet Ouvrage ne
fera pas du nombre de ceux qui s'aviliffent à la
fuite des temps, par la multiplicité des mauvaiſes
épreuves. Les Exemplaires en deviendront vrai
femblablement très-rares, avant qu'il foir peu
OCTOBRE. 1960. 175
Après avoir confulté les Editions les
plus fûres , & corrigé avec le plus grand
foin le Texte défiguré partout , M. de
Montenault eft entré dans les plus petits
détails d'exécution qui pouvoient former
un bel enfemble. Caractéres , réglets ,
grandes lettres , efpaces , interlignes ,
hauteur & largeur des pages &c . grandeur
des fleurons , cul-de lampe , rien n'a été
oublié , jufques à la relation de grandeur
que devoient conferver les objets les uns
par rapport aux autres.
Ce dernier article eft un mérite toutà-
fait particulier à cette Edition , auquel
peu de gens portent leur attention , mais
qui n'a point échappé aux Connoiffeurs.
en effet rien de fi bifarre , de fi difparate ,
& de fi opposé à l'unité d'un ouvrage ,
que de voir dans le même Livre , & quelquefois
dans la même Planche , des figu
res d'une grandeur tout- à- fait difpropor
tionnée au rapport qu'elles doivent avoir
entr'elles , ou avec les objets qui les accompagnent
, & qui leur font acceffoires.
Tel eft cépendant le défaut d'analogie
, & la difparité qu'on remarque généralement
dans toutes les Éditions de ce
genre !
Pour peu qu'on foit au fait des Arts ,
on fentira la difficulté de les faire már-
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
cher enfemble , & quelles font les recherches
, les combinaifons & l'application
continuelle , qu'il a fallu apporter à la
conduite & à l'exécution de cet Ouvrage.
Auffi eft- le fruit d'une conftance &
d'un courage qui n'a guères d'exemple ,
& que les obftacles & les difficultés de
toute efpéce , n'ont pu abattre ni rallentir.
Cette entreprife , on le fçait , dégagée
de toutes vues mercenaires , confacrée à
la gloire du régne de Sa Majefté , faite
par un Amateur qui a oublié les risques de
fa fortune , & qui s'eſt oublié lui-même ,
n'a eu pour objet d'émulation que l'Amour
des Lettres & des Arts.
Il ne s'agit donc point du texte purement
des Fables , ouvrage immortel qui
ne fçauroit changer de nature par aucun
ornement étranger ; mais d'une production
Typographique , capable de les mettre
dans tout leur jour , & qui nous retraçât
, pour ainsi dire , dans une nouvelle
langue , & par des impreffions neuves ,
le texte & l'originalité d'un Auteur qu'on
ne fçauroit trop célébrer,
L'Éditeur a donc eu pour but de réunir
les efforts & le mérite des Arts agréables,
propres à former l'Edition la plus parfaite
, & à remplir les intentions de 444
OCTOBRE. 1760. 177
FONTAINE qui defiroit , comme il s'en explique
lui-même dans les premieres Éditions
, de voir fes Fables accompagnées
de deffeins. Aucunes Eftampes ne pouvoient
remplir plus dignement ce projet,
ni mieux faire remarquer les progrès des.
Arts que celles dont cette Edition eft ornée.
Elles peuvent figurer fous des bordures
dans les plus beaux Cabinets * ; &
M. de Montenault a procuré au Public ,
fans s'en appercevoir , un avantage toutà-
fait étranger aux Ouvrages de ce genre
& qu'on n'a pas coutume d'y chercher ;
c'est l'utilité qu'on peut retirer de la vaſte
collection de fujets , qui compofent ces
Fables. Ils font tellement connus & traités
avec tant d'intelligence & de goût ,
qu'ils fe trouvent déjà exécutés en partie
fur les tapifferies , fauteuils , meubles ,
deffus de portes , peintures de boiferies ,
Pour fatisfaire l'empreffement.& le goût de
plufieurs Curieux , M. de Montenault a bien
voulu avoir la complaifance de laiffer vendre
quelques corps d'Eſtampes féparément du Texte
, & d'accorder environ un quart de diminution
fur le prix de cette Collection composée de
.276 Eftampes , dont les Exemplaires valent comme
on le fçait , Sçavoir ,
très- grand papier
Le grand papier ..
papier ordinaire
·
400 liv.
348 liv.
300.liv.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE .
&c. Les Orfévres & Bijoutiers les préfé
rent tous les jours aux compofitions bizarres
, aufquelles ils ont ordinairement
recours pour l'ornement de la vaiffelle
& des bijoux en or ; & plufieurs équipages
des plus riches , portent déjà les livrées
de cette Edition. * Rien ne fauroit
en faire un plus grand éloge , & n'eft
plus capable de faire connoître la relation
que les belles chofes ont toujours
avec l'utilité générale , quelqu'éloignés
qu'en puffent paroître les rapports avant
l'exécution . La grandeur du format a naturellement
concouru à cet avantage ,
qu'on n'auroit pû retirer de petites vignettes
& planches , où le trait , le détail
des parties , l'effet & la correction
ne peuvent être au plus qu'indiqués fans
précifion & fans jufteffe.
Ceux qui par les bornes de leur goûr
& de leurs lumieres ne fentiroient point
le prix ni la beauté de cet Ouvrage , auroient
tort de rechercher cette Edition
* M. Bachelier , de l'Académie Royale de
Peinture & Sculpture , Inventeur des fleurons &
culs- de- lampe de cette Edition , les a fait exécuter
fur un fervice de porcelaine , fait pour Sa
Majefté , à la Manufacture Royale de Séve , dont
il est le Directeur quant à la partie des fleurs
& du deffein,
OCTOBRE. 1760. 179
qui n'eft point faite pour leurs yeux : ils
peuvent fe fatisfaire à peu de frais ; &
I'Exemplaire des Fables le plus fimple ,
leur fuffit . S'ils vont un peu plus loin ,
ils feront contens de quelques Editions
anciennes , ornées de petits deffeins auffi
mauvais que mal exécutés.
C'eft en abufant de cette ignorance
que des Libraires avides , viennent de
copier & de contrefaire à Dreſde & à
Leyde , par deux Editions différentes in-
8°, celle de Paris. Ils fe croyent fi affurés
de l'accueil des demi- connoiffeurs &
des curieux ordinaires , qu'après avoir mis
en parallele leurs Editions avec celle - ci ,
ils ne craignent point d'exalter la fupériorité
de leurs médiocres copies , & de
les faire prévaloir par la commodité du
format , par la fuppreffion de quelques
prétendues négligences , & par la modicité
du prix. Il eft tel cependant , que ,
proportion gardée avec ce qu'a couté
l'Edition de Paris , ces contrefactions fe
trouvent d'un prix autant au - deffus de
la valeur de l'Original , qu'elles lui font
inférieures à tous égards pour l'exécution
; fans compter la fuppreffion de
plufieurs fujets dont ces Libraires ont
fait un objet d'épargne. * S'ils nous fa-
* Suivant les Profpectus répandus par ces Li-
H vi
[180 MERCURE DE FRANCE.
vent mauvais gré de ces obſervations , le
Public éclairé doit au moins nous tenir
compte de chercher à le garantir
d'une furpriſe qu'il eft de notre devoir
de prévenir ; pour qu'un ouvrage , digne
d'immortalifer les preffes Françoiſes , &
qui fait autant d'honneur à la Nation , ne
fe trouve point confondu avec des productions
communes, aufquelles s'ajuſte ſi
bien la Eable du Geai paré des plumes
du Paon .
-braires,cesEditions valoient par foufcription 8 ducats
, &maintenant 10 ducats , ce qui repréſente
à- peu- près 120 liv. de notte monnoie : cependant
la dépenfe de ces contrefactions évaluéechérement,
ne peut monter à plus d'un cinquième de la
valeur de l'Original , dont l'Exemplaire , papier
ordinaire , n'eft que de 300 liv. Or ces copies , en
gardant une jufte proportion , ne devroient être
vendues que 60 liv . Leur prix eft donc au double
de celui de l'Edition de Paris.
OCTOBRE. 1760. 181
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
OPERA.
LE Mardi , 16 Septembre , l'Académie
Royale de Mufique a donné la premiere
repréſentation du PRINCE DE NOIsı , Ballet
héroïque , Poëme de feu M. de la
Bruere , mis en Mufique par MM . Rebel
& Francoeur, Surintendans de la Mufique
de S. M. & Directeurs de l'Académie
Royale de Mufique . Cet Opéra avoit été
repréſenté , pour la premiere fois , devant
le Roi , fur le Théâtre des petits Appar
temens à Verſailles , le 13 Mars 1749
remis fur le même Théâtre , le 10 Mars
1750 ; & repris , pour la troifiéme fois ,
fur le Théâtre de Bellevue , auffi en préfence
du Roi , le 17 Mai 1752. Nous
en rendrons compte dans le fecond Volume
de ce mois.
Le début de Mlle Rozet , fait concevoir
les plus hautes refpérances. Sa voix
eft belle , grande , elle prononce , & les
cadences font brillantes.
182 MERCURE DE FRANCE.
COMEDIE FRANÇOISE.
3 L. Mercredi , Septembre , les Comédiens
François ont donné la premiere
repréſentation de TANCREDE, Tragédie de
M. de Voltaire. L'intérêt répandu dans
cet Ouvrage , & furtout dans les trois
derniers Actes , femble fe renouveller &
s'accroître à chaque repréfentation . Les
fituations variées où fe trouve Aménaïde ,
( l'héroïne de la Piéce ) font on ne peut
pas plus touchantes ; & ce rôle , joué
par Mile Clairon , a produit le plus grand
effet. On n'a point d'idée de l'intelligence
& de la maniere fublime avec lefquelles
elle l'a rendu , ni des mouvemens divers
qu'elle excite dans l'âme du Spectateur.
Ćette Piéce eft généralement bien jonée.
On ne peut trop louer les foins que les Comediens
ont pris pour rendre ce Spectacle
véritablement fuperbe , & l'illufion
faite .
par-
Nous parlerons plus amplement de cet
te Tragédie , lorfqu'elle fera imprimée.
OCTOBRE. 1760. 183
COMEDIE ITALIENNE.
Le Lundi , 15 Septembre , on donna
la premiere repréſentation de Barbacole,
ou le Manufcrit volé , Comédie nouvelle
en un Acte , en vers , & mêlée d'Ariettes.
Quoiqu'on y ait trouvé quelques Airs
agréables , elle a peu réuffi. On donna
le Samedi 20 , la premiere repréfentation
de l'Ecoffoife , Comédie déjà jouée
en Profe au Théâtre François , & mife en
Vers par M. de la Grange , Auteur des
Contretems. La Piéce a été bien jouée , &
reçue favorablement . Mlle Catinon , chargée
du rôle de Lindane , a prononcé ,
avant la Piéce, le Compliment ci- deffous :
MESESSISIEEUURS ,
» Ofer remettre fous vos yeux un Dra-
" me que le premier Théâtre du Monde
"vous a déjà préfenté, avec fes fuccès ordinaires
, eft une entrepriſe dont nous
» ne pouvons nous diffimuler le danger.
» Il femble que , féduits par quelques
» applaudiffemens dont vos bontés dai-
" gnent chaque jour encourager notre
184 MERCURE DE FRANCE:
ود
» foibleffé , nous veuillons entrer en
concurrence avec la Scène Françoife.
» Non , Meffieurs , cet efprit de rivalité
ne nous amène pas aujourd'hui devant
vous : l'ambition de, vous plaire nous
» anime feule ; & nous ne craignons , à
cet égard , aucune fupériorité. Nous
» avons cru qu'un Ouvrage , qui avoit
» déjà pû vous.amufer , pourroit , à la
» faveur du langage de la Poëfie , piquer
encore votre curiofité. Cet éfpoir nous
a fait étouffer la voix de l'amour- pro-
» pre , qui ne pourra que fouffrir beaucoup
de la comparaifon , fi , touchés
» de notre zéle , vous ne daignez , Melfieurs
, pour quelques momens, oublier
nos modéles. J'ai fans doute à craindre
plus particulierement cette comparai-
»fon; & je fens que je n'ai jamais eu tant
befoin de votre indulgence.
E
OPERA - CO MIQUE.
LF 4 Septembre , on y donna la premiere
repréfentation de l'Ecoffeufe , Parodie
de l'Ecoffoife..
Le 19 , on joua les nouveaux Calotins
Cette Piéce fut donnée en 1721 , fous le
itre du Régiment de la Calotte, par MM.
OCTOBRE. 1760 . 185
"Ze Sage & d'Orneval. Les Scènes de Dorimene
avec fon Muficien , & de Pantalon
, Député de la Comédie Italienne ,
font les mêmes preuve incontestable
que les circonftances des mêmes ridicules
& des mêmes folies fe ramènent dans
un cercle de temps bien court ! Elle eſt
plaifante , quoiqu'un peu trop critique ,
& a reçu beaucoup d'applaudiffemens.
CONCERT SPIRITUEL.
LE Concert exécuté aux Tuilleries le
jour de la Fête de la NATIVITÉ de la Vierge
, a commencé par une fymphonie
fuivie de Cantate Domino, Motet à grand
choeur de Lalande. Mlle Rozet y a chanté
le récit Viderunt. Elle a eu les mêmes
applaudiffemens qu'à l'Opéra , où elle a
débuté nouvellement.
M. Balbâtre a joué un Concerto d'orgue
, de fa compofition.
Mlle Fel à chanté un petit Motet dans
le goût Italien , avec le naturel , la légereté
& les graces qu'on defire trouver
dans les autres Cantatrices.
Ce Concert a fini par Nifi Dominus,
Motet à grand choeur de M. Mondonville
, dans lequel il a fait des change186
MERCURE DE FRANCE.
mens, qui ont été fentis , particulierement
des connoiffeurs , & applaudis de tout le
monde. MM. Larrivée & Défintis y ont
chanté , & ont fait beaucoup de plaifir ,
fur-tout dans le Duo.
AVIS AU PUBLIC.
M. O Reilly , dont les deux premiers
cours de Langue Angloife ont eu le
plus grand fuccès , en ouvrira un nouveau
le 15 de ce mois. On y donnera des
leçons fur la prononciation & fur les propriétés
de la Langue Angloife , depuis
neuf heures du matin jufqu'à dix , le Mardi
, le Jeudi & le Samedi de chaque fe
maine , pendant trois mois. Ceux qui
voudront en profiter , pourront fuivre
un fecond & un troifiéme Cours , fans
aucuns frais , fi , contre toute attents ,
premier ne leur fuffit pas. On s'adrefera
pour fe faire infcrire , chez M. O Reilly',
tue Hautefeuille , au coin de la rue Ser
pente.
le
*
OCTOBRE. 1760. 187
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES
De PETERSBOURG , le premier Août 1760 .
LEE
Comte de Galitzin , nommé Ambaſſadeur
à la Cour de France , fe difpofe à partir inceffamment
pour fe rendre à fa deſtination .
De VIENNE , le 7 Septembre.
On apprend de Conftantinople, que les Hofpodas
de Valachie & de Moldavie ont reçu de la
Porte l'inveftiture de ces Principautés. Le Bacha
d'Iconium , ayant reçu l'ordre de venir rendre
compte de fa conduite au Grand- Seigneur , s'eft
révoltés il est à la tête de vingt mille hommes,
& il met à contribution les Pays voifins de fon
Gouvernement . On a délibéré dans un Divan
extraordinaire fur les moyens d'étouffer une
rebellion qui peut avoir de dangereufes fuites .
On a reffenti le 13 , vers les fept heures du
foir , une fecouffe de tremblement de terre ; mais
elle a été fort légére , & n'a caufé aucun dommage.
La Cour a reçu du Maréchal Comte de Daun
les détails fuivans de l'action paffée entre le
Corps du Baron de Laudon & l'Armée Pruffienne,
Ce Général , fe conformant aux ordres du
Comte de Daun , s'étoit mis en mouvement le
14 au foir , & il avoit paffé le Katzbach près de
Forthmuhle. L'avant-garde compofće de huis
188 MERCURE DE FRANCE.
'bataillons & de deux regimens de Cavalerie, étoit
commandée par le Général Baron de Wolfersdorff.
On marcha une partie de la nuit en fe dirigeant
vers les hauteurs de Banthen , où l'on devoit
le former pour attaquer le flane gauche de
l'Armée Pruffienne. Les deux bataillons des Grenadiers
de Laudon , qui formoient la tête de la
marche, rencontrerent en y arrivant , le régiment
des Huffards de Ziethen , qui fe retira avec
précipitation. Le Baron de Laudon fit alors hâter
la marche du refte de fon Corps pour s'affurer de
ces hauteurs , mais on s'apperçut , à la pointe du
jour , qu'elles étoient occupées par beaucoup d'Infanterie
& de Cavalerie Pruffienne. Il n'étoit plus
poffible d'éviter un combat ; ainfi l'ordre fut auffitôt
donné pour attaquer , & on le fit avec tant
de fuccès , que l'Ennemi fut obligé d'abandonner
ce poſte avec toute fon artillerie. Le Baron de
Laudon faifoit fes difpofitions pour profiter de cet
avantage , lorfque l'Armée Pruffienne , qui s'étoit
formée derriere le bois d'Humelen , marcha
pour l'attaquer. Le combat recommença avec la
plus grande vivacité , & devint général ; mais le
Baron de Laudon s'étant apperçu vers les fix
heures du matin qu'il avoit à foutenir l'effort de
toute l'Armée Pruſſienne , ordonna la retraite qui
fe fit fans précipitation , & avec la contenance la
plus ferme. Les deux bataillons des Grenadiers
de Laudon protégerent cette retraite en occupant
des hauteurs de Binowitz . Le Colonel de Rouvroi
y conduit l'artillerie , & il s'en fervit avec tant
d'habileté que les Corps Pruffiens , qui avoient été
détachés à notre pourſuite , furent contraints de
fe retirer .
Toutes les troupes fe font comportées dans
cette action avec la plus grande valeur, & la perte
de l'Ennemi ne peut être que fort confidérable.
OCTOBRE . 1760? 189
Les patrouilles envoyées le lendemain fur le
champ de bataille ont rapporté qu'il y avoir eu
deux Régimens Pruffiens prèfqu'entierement détruits.
Nous avons fait quantité de prifonniers
parmi lesquels font un Colonel , un Major , plufieurs
Capitaines & autres Officiers de moindre
grade.
Suivant l'état dreffé après cette affaire , nous
avons eu quatorze cens vingt & un hommes de
tués , & deux mille trois cens foixante & dix de
bleffés. Le nombre des manquans étoit de deux
mille cent quarante ; mais un grand nombre
de ces derniers rejoignent fucceffivement leurs
Corps.
Les Lieutenans- Généraux de Drafkowitz & de
Campitelli ont été bleffés ainsi que les Généraux-
Majors de Giannini,de Calemberg, de Gourcy & de
Rebbach. Le Baron de Biela & le Comte de Gondrecour,
Généraux- Majors, ont été faits prifonniers.
L'Armée du Prince Henri a fait un mouvement
depuis peu , pour fe réunir à celle du Ro
de Pruffe. Un corps de Troupes détaché de la
premiere , fous le commandement du Général
de Goltze , a paffé l'Oder à Koben . Son arrieregarde
a été attaquée par le Général de Tottleben ,
& elle a été fort maltraitée . On attend les détails
de cette petite action . Les Rufles font actuellement
dans les environs d'Herrenftadt, & leurs troupes
légéres s'étendent du côté de Wintzig & de Wohlau.
Le Général- Major de Gribauval fe rendit, le
23 du mois dernier , devant Schweidnitz , pour
diriger les opérations du fiége de cette Place.
L'Artillerie néceffaire partit le 21 , des environs
d'Olmutz. On a conduit ici depuis quelquesjours ,
fous fûre garde , un homme qui travailloit à exci
ter quelques mouvemens dans la Hongrie..
い
190 MERCURE DE FRANCE
On hâre les préparatifs des fêtes qui doivent
être exécutées à l'occafion du mariage de l'Archiduc.
Le Feld- Maréchal Prince de Lichtenſten ,
Grand- Maître de l'Artillerie , doit être à Parme
depuis le premier de ce mois. La plus grande partie
de la Maifon de la future Archiduchelle eſt en
chemin pour s'y rendre.
De l'Armée de l'Empire , le 21 Août.
Le Feld-Maréchal Prince de Deux -Ponts , ayant
réfolu d'obligerles Pruffiens à quitter les environs
de Drefde , fit avancer , dès le de ce mois , le
Prince de Stolberg avec la réferve à Keffeldorff.
Le Général de Weczey fe porta avec les troupes
Jégéres à Wilfdruff , d'où il étendit les poftes jufqu'à
Weiffdrop & Lamperfdorff. En même temps
le Général de Klééfeld marcha de Freyberg à Auguftulberg
, & il fit occuper par des détachemens
Roffwein & Seligenstadt . Ces difpofitions obligerent
les Pruffiens à fe retirer de la Ville de Noffen .
Il ne fe fit le 10 & le 11 aucun mouvement confidérable
, les poftes que nous avions du côté de
Seligenstadt furent attaqués par un Corps de Huffards
& de Dragons Pruffiens ; mais il fut repous
fé & fuivi jufqu'à Windifchbora ; l'on fit dans cetteoccafion
plufieurs prifonniers. Le pofte de Roffwein
fut attaqué le 11 par des forces fupérieures ,
& nos troupes furent obligées de fe replier. Mais
les Pruffiens , après avoir exigé des contributions
de cette petite ville , l'abandonnerent la nuit fuivante
; & nous y rentrâmes auffitôt . On eut avis
le même jour , que les ennemis raffembloient
au- deffous de leur Camp un grand nombre de
bateaux ; ce qui détermina le Prince de Deux-
Ponts à renforcer par un Corps de Grenadiers
& de Huffards le Colonel de Zetwitz , qui étoit
chargé de garder , avec les Bannaliſtes , la rive
OCTOBRE. 1760 191
droite de l'Elbe . On apprit que le fieur de Graven ,
Colonel dans le Régiment de Baroniai , avoit
marché de Gera à Naumbourg , & qu'à ſon approche
, le Colonel de Salemon s'étoit replie
fur Léipfick , & le Capitaine Kowars ſur Merſe
bourg.
L'Armée eut ordre , le 12 au foir , de fe tenir
prête à marcher. Les Grenadiers & les Carabiniers
, avec l'artillerie de réſerve , fe mirent en
mouvement , à l'entrée de la nuit , fous les ordres
du Lieutenant Général Comte de Guafco.
L'Armée décampa de Plawen , le 13 à la pointe
du jour , & marcha vers Meiffen . Elle établit fon
camp près de Reiodorff, fa droite appuyée à
Conitabel , & fa gauche à Sora . Le corps du
Général de Guafco prit pofte entre Seligenstadt
& Burckerswalde . Le Prince de Deux-Ponts fit
en même temps attaquer les poftes avancés des
ennemis par la réſerve du Général Prince de
Stolberg. Cette attaque eut tout le fuccès qu'on
pouvoit defirer. On délogea les Pruffiens des hauteurs
de Polentz & de Sihenrichen , & on les
pouffa jufqu'aux Fauxbourgs de Meiffen.Le Géné
ral Klééfeld chaffa auffi les ennemis des retran--
chemens qu'ils occupoient du côté d'Auguſtuſberg
, & il les repouffa jufqu'à Katzenhaufen :
pendant qu'on exécutoit ces attaques à la gauche
de l'Elbe , le Colonel de Zetwitz fe pofta fur la
droite à Alten- Clofter au - deffous du camp des
Ennemis , & il brûla les bateaux qu'ils y avoient
raffemblés . Il s'en trouva plufieurs qui venoient
d'arriver de Torgau , & qui étoient chargés de
vivres & de munitions de guerre. On continua ,
le 14 , de pouffer les Pruffiens de pofte en pofte ,
ils furent délogés des hauteurs de Katzenhaufen,
ainfi que des Villages de Miltitz , de Sopen & de
Gregitz , & ils le retirerent dans leur camp re
91 MERCURE DE FRANCE
tranché entre Lotayn & Meyffen, L'Armée occur
pa le pofte de Katzenhaufen , & le quartier général
fut établi à Haynitz. La Ville de Meiffen
fut évacuée , & nous en prîmes poffeffion . On y
trouva un magazin confidérable & beaucoup d'armes
. Un des fauxbourgs avoit été brûlé la veille ,
par ordre du Commandant Pruffien .
L'armée ne fit aucun mouvement le rs & le 16;
le Maréchal Prince de Deux - Ponts alla reconnoître
le Camp Pruffien , & il en trouva la poſition extrêmement
avantageufe. La difficulté de le forcer
lui fit prendre la réfolution d'en déloger l'ennemi
, en lui coupant fes communications ; dans ce
deffein il pouffa le corps de réſerve en avant juſqu'à
Giezenhayn fur le chemin de Lomatfch. Ce
mouvement détermina le Général Hulsen à quitter
fa pofition. L'Armée Pruffienne détendit fon
camp à dix heures du foir . Elle marcha toure
la nuit par Nieder-Miltitz , & par Welfch , &
elle alla camper entre Riefa & Brauffnitz. Auffitôt
qu'on eut avis de fa retraite , les troupes légéres
& quelques détachemens de Cavalerie furent
envoyés à fa pourſuite. On amena plufieurs
prifonniers avec quelques chevaux . Le Colonel
Zetwitz continua , le même jour , de marcher
le long de la rive droite de l'Elbe ; il fe porta de
de Wienbiehla à Zahdel , où il brûla encore fix
bateaux qui venoient de Torgau chargés de vivres
& de fourages pour l'Armée Pruffienne. Il y eur ,
près de Waldheim , une vive efcarmouche entre un
gros détachement Pruffien fous les ordres du Cofonel
de Kleift & un corps de nos Chaffeurs com .
mandé par le Colonel Otto ; ce dernier fut obligé
de fe replier fur Sloha . Il ne fut point pourfuivi
par les Pruffiens.
On fe remit en marche le 17 à midi , & l'on
occupa les hauteurs de Lomatfch. Le Corps des
Grenadiers
OCTOBRE . 1760. 193
Grenadiers fut porté en avant , & le Colonel de
Zetwitz fe pofta a Zeidlitz , d'où il poulla des Détachemens
jufqu'a Zehrhauzen. La réſerve du
Prince de Stolberg , qui avoit cottoyé les Pruffiens
pendant leur marche , prit poſte à Staucha..
Nous fumes informés , le lendemain au matin,
que l'armée Prullienne avoit profité de l'obfcurité
pour continuer fa retraite fur Strehla , & qu'elle
y campoit dans la même pofition que le Prince.
Henri avoit occupée l'année précédente. Sur cette.
nouvelle , l'Armée reçut ordre de poursuivre fa
marche , & elle vint camper à Riefa , où le quartier
général fut établi . On fit le même jour quel
ques prifonniers aux Pruffiens, & l'on reçut un
grand nombre de déſerteurs.
Le Maréchal Prince de Deux Ponts alla reconnoître
, le 19 au matin , avec le Baron de Haddick
, la pofition des Pruffiens. Il remarqua qu'ils
Occupoient une étendue beaucoup plus confidérable
que leurs forces ne leur permettoient. Cette
circonftance le détermina à les attaquer dès le
lendemain.
On le mit en marche , à minuit , du Camp de
Riela fur quatre colonnes ; & l'on fut , avant le
jour , à la portée de l'ennemi. La principale attaque
fut dirigée contre le Corps qui occupoit les
retranchemens de la montagne de Dirrenberg,
& le foin en fut confié au Prince de Stolberg. Ce
Général, à la tête de la réſerve ſoutenue par les
Grenadiers & par les Régimens de Palavicini &
de Saxe-Gotha aux ordres du Général Comte de
Guafco , commença l'attaque au point du jour.
Notre artillerie fut fi bien fervie , que les bateries
des ennemis furent démontées en peu de
temps ; & en moins de demi heure , nous fumes
maîtres de ce pofte important. Les ennemis fe
replierent en défordre fur une hauteur qu'ils
I. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
avoient derriere eux . Ils firent pendant quelques
hêúres une vigoureuſe réſiſtance ; mais le Géné
ral de Kleefeld , qui étoit chargé d'une des atta
ques , les prit en flanc avec tant de vivacité , qu'il
les obligea d'abandonner ce fecond poſte. Ils le res
tirèrent dans les retranchemens de Strehla , laillant
fur le champ de bataille un grand nombre de
morts & de bleffés . Il étoit à peine huit heures du
matin, lorſque nos troupes remporterent ce fecond
avantage.
Cependant les ennemis occupoient en Force
leur Camp de Strehla. Pour en rendre l'accès plus
difficile , ils mirent le feu à deux villages qu'ils
avoient en avant. Mais lorfqu'ils virent qu'on fe
difpofoit à les attaquer , ils fe retirèrent du côté de
Torgau , à travers les bois & les défilés. Le Maréchal
Prince de Deux- Ponts détacha fur le champ
pour les pourfuivre fes troupes légères , foutenues
par quelques régimens de Cavalerie & de Dragons,
fous les ordres du Lieutenant Général Comte
de Lanthieri. La perte des ennemis n'eſt pas
encore conftatée ; mais on eftime qu'elle monte
à plus de deux mille hommes , & qu'elle eft au
moins double de la nôtre.
De BERLIN , le 20 Août.
Après l'avantage remporté le 1s de ce mois ,
par les troupes de Sa Majefté fur le Corps du Gé
néral Laudon , elles marcherent fur Parchwitz ,
& elles y pafférent le défilé de ce nom , L'Armée
du Roi s'eft enfuite avancée juſqu'à Neumarek ,
d'où elle couvre Breslau , le Prince Henri eft audelà
de l'Oder , & il obſerve l'Armée Pruffienne
qui eft toujours campée dans les environs de Leu
bus & d'Auras. Le Général de Goltze eft chargé
de veiller , avec fon Corps, fur les mouvemens
des Troupes Ruffes, poftées près de Wohlau. Le
OCTOBRE.: 1760.
ت و ر
Maréchal Conte de Daun , informé de cette
marche , mit fon, Armée en mouvement. Elle
marcha fur Striegau , où elle arriva le même
jour. Le lendemain elle palla la riviere , & elle
vint camper fur les hauteurs de Groff- Poferitz.
Celles de Pirschenberg furent occupées par les
Grenadiers de l'Armée , pendant que le Baron de
Laudon prit pofte à Striegau , & le Prince de Lo
wenſtein à Wurben dans les environs de Schweid-
Laitz.
De HAMBOURG , le 23 Août.
Les Pruffiens , à l'approche de l'Armée Suédoife
, ont abandonné Demmin , & les Suédois y
font entrés. Ils font actuellement maîtres d'Anclam
; les Pruffiens ont perdu dans leur retraite
précipitée plus de foixante & dix chariots chargés
de farine , & on leur a fait quelques prifonniers.
Le Général Baron de Lantingshaufen a établi , le
21 de ce mois, ſon quartier général à Schmarzow.
La Ville de Brunfwick , où le Landgrave dé
Heffe faifoit fon féjour depuis quelque tems ,
n'étant plus un endroit affez für , ce Prince va
réfider à Lunebourg , où une partie de les gardes
selt déjà rendue.
De LISBONNE , le 20 Août.
Les démêlés de notre Cour avec celle de Rome ,
loin de le terminer , s'aigriffent de jour en jour.
Sa Majesté a enjoint , par une ordonnance publiée
le 4 de ce mois , à tous les fujets de Sa Sainteté
de fortir de fon Royaume dans l'efpace de deux
mois. Elle a prohibé les marchandiſes qui viennent
de l'état Eccéfiaftique , & elle a défendu à
tous les fujets de folliciter à la Cour de Rome, ou,
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
d'en recevoir aucune Bulle grace ou difpenfe
fans une permiffion expreffe du Bureau des Secrétaires
d'Etat .
On a amené de Brague à Oporto trois nou
yeaux prifonniers, qu'on dit être des Clercs du Palais
de l'Archevêque , frere du Roi . Les Infans
Don- Antoine & Don Jofeph , font renfermés
féparément dans deux hérmitages des jardins du
Couvent de Bolaco , autour defquels veille une
garde nombreule. On travaille à les enfermer de
hautes murailles , afin de mieux interdire toute
Communication .
De ROME, le 9 Août.
Le Pape a déclaré qu'il deſtinoit la Roſe-d'Or ,
qu'il bénit , fuivant la coutume , le premier Di
manche de Carême, à l'Infante- Habelle de Parme,
Ila nommé Don-Jean-Baptifte Rezzonico , l'un
de fes neveux , pour porter ce préfent à cette
Princeffe,
De PARME le 25 Août.
On fait ici de grands préparatifs , pour célébrer
le mariage de la Princeffe Ifabelle , avec l'Archi-
Duc Jofeph. Une partie des magnifiques équipages
du Maréchal , Prince de Lichtenftein , eft arrivée
dans cette Ville . On apprend de Mantoue
que ce Prince y paffa le 21 de ce mois , & qu'il en
partit le lendemain , prenant la route de Milan,
On compte qu'il arrivera ici vers le commencement
du mois prochain. Le concours des étran
gers qui viennent pour affifier aux Fètes brillantes ,
qui feront données à l'occafion de ce mariage
très- nombreux . On commence à conſtruire à
OCTOBRE . 1780. 197
1
Gafal Maggiore , un pont fur le Pô , pour le
paffage de la future Archiducheffe , & de fa
fuite.:
De GENES le 30 Août
Le Doge , Mathieu Franzone, ayant rempli le
temps ordinaire de certe Dignité , la dépofa le
de ce mois , & il quitta le Palais Ducal pour retourner
en fon hôtel . On n'a pas encore procédé
àl'élection d'un nouveau Doge. Les révolutions en
Corfe , continuent toujours. On croit que le Cardinal
Spinola , qui doit paffer en cette Ville , en
revenant d'Espagne , eft chargé d'un projet d'accommodement
, qui pourra terminer nos diffi
cultés avec le S. Siége .
FRANCE.
Nouvelles de la Cour de l'Armée
de Paris , &c.
5.De VERSAILLES , le 18 Septembre 1760.
Lis
5.
3
E23 du mois dernier , on tira fur la terraffe ,
par ordre de la Comtelle de Marfan , Gouvernante
des Enfans de France , un feu d'artifice pour l'anniverfaire
de la naiffance de Monfeigneur le Duc
de Berry. Monfeigneur le Duc de Bourgogne honora
de la préfence cette petite fête , & donna le
fignal pour tirer ce feu , qui fut parfaitement exé
cute par le fear Garnier , Artificier breveté du
Roi , pour Verfalles .
• Le fieur Rouillé ,-Miniftre d'Etat , ayant fup-
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
plié le Roi de recevoir fa démiflion de la Charge
de Grand- Maître & Sur- Intendant Général des
Poftes & relais de France , Sa Majefté a réuni
cette Charge à celle de Miniftre & Secrétaire d'Etat
, au département des affaires étrangeres.
Le Roi a donné au Comte de Treffan , Lieutenant-
Général de fes armées , & Grand- Maréchal des Logisdu
Roi de Pologne , Ducde Lorraine & de Bar ,
Je Commandement de Bitche & de la Lorraine
Allemande , vacant par la mort du Comte de
Bombelles.
>
Le feur Hurfon , Confeiller Honoraire au
Parlement & ci - devant Intendant de la Martinique
, a été nommé par Sa Majefté , à la place
d'Intendant de la Marine à Toulon , vacante par
la mort du fieur Charron.
Le Roi a accordé au Comte de Jumilhac Saint
Jean , Moufquetaire de la premiere Compagnie,
un Guidon de la Gendarmerie , Compagnie de
Flandre.
Le 3 de Septembre , le Roi de Pologne , Duc
de Lorraine & de Bar , partit d'ici pour ſe rendre
à Luneville .
Le 4 , les Députés des Etats de Languedoc , eurent
Audience du Roi , Ils furent préſentés par le
Comte d'Eu , Gouverneur de la Province , & par
le Comte de Saint Florentin , Miniftre & Secré
taire d'Etat , & conduits par le fieur Defgranges ,
Maître des Cérémonies . La députation étoit compofée
; pour le Clergé , de l'Archevêque d'Albi ,.
qui porta la parole ; du Marquis de Calviffon ,
pour la Nobleffe ; des fieurs Guérin & Journet
pour le Tiers-Etat ; & du heur Joubert , Syndic
Général de la Province.
Les , le Roi , la Reine & la Famille Royale furent
en vifite chez Mademoiſelle de Sens , à l'oc
cafion de la mort de l'Abbeffe de Saint AntoineOCTOBRE
. 1760 , 199
Le , Monfeigneur le Duc de Berry fut remis
entre les mains des hommes , après les formalités
requifes à cette occafion. On tira le foir , dans
l'appartement de ce Prince , un feu d'artifice qui
fat exécuté par le fieur Garnier Artificier des
Enfans de France .
Le 9 , le fieur Pamphili , Archevêque de Colofle
, & Nonce du Pape , eur fa premiere Audience
particuliere de Sa Majefté , à laquelle il
fut conduit, ainfi qu'à celles de la Reine , de Monfeigneur
le Dauphin , de Madame la Dauphine ,
de Monfeigneur le Duc de Bourgogne , de Monfeigneur
le Duc de Berry , de Monfeigneur le
Comte de Provence , de Monfeigneur le Comte
d'Artois , de Madame Adélaïde & de Mel
dames Victoire , Sophie , & Louiſe , par le feur
de la Live , Introducteur des Amballareurs.
X
Le 14 , le Roi , la Reine , & la Famille Royale
fignerent le contrat de mariage du Comte d'E
pinay , avec Demoiſelle de Sebeville.
Le 16 , Sa Majefté tint le Sceau.
De l'Armée , commandée par le Maréchal de
Broglie, le 14 Septembre
Cette Armée n'a pas encore fait de mouvement
important, le quartier général eſt toujours
à Immenhaufen .
>
Le 6 de ce mois , à deux heures du matin , un
Corps de quatre à cinq mille hommes , commandé
par le Prince héréditaire de Brunfwick.
fe porta fur Zierenberg , petite Ville de la Heffe ,
à trois lieues de Cafel ; elle étoit occupée par les
deux Régimens des Volontaires du Dauphiné &
de Clermont. Les Grenadiers Anglois , ayant pénétré
dans la Ville , y firent trois cens foixante &
feize prifonniers tant de l'Infanterie que des Dra
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
gons , & une trentaine d'Officiers , parmi lesquels
fe trouvent le fieur de Nortmann , Brigadier , qur
commandoit cette Brigade, & le Sr. de Comeiras,
Colonel du Régiment des Volontaires de Clermont
; ces deux Officiers ont été bleffés . Le fieur
de Viomenil , qui a auffi été bleffé légérement ,
ayant raffemblé ce qui reftoit des deux Régimens,
a fuivi les ennemis dans leur retraite , & a repris
Pofte à Zierenberg ; il y a eu dans cette affaire environ
cinquanté hommes tués , tant du côté des
Anglois , que de celui des François .
Le 9 , le Prince de Condé, ayant à fes ordres
différens Corps de troupes , au nombre d'environ
quinze mille hommes commandés par les Marquis
de Saint Pern , de Poyanne & de Ségur , Lieutenans
Généraux , par le Prince de Robecq, Maréchal
de Camp , & par le Baron de Clozen , Brigadier
, ayant prévenu l'ennemi fur les hauteurs
voifines de Geifmar , fit un fourage avec le plus
grand fuccès. Il n'y a eu que quelques efcarmouches
dans lesquelles on a fait quelques prifonniers,
& on n'a eu qu'un Officier & fix ou fept hommes
de blétlés.
De PARIS , le 20 Septembre.
Sa Majesté voulant mettre la Ville de Paris en
état d'exécuter différentes entreprifes projettées
pour l'utilité & pour l'embélillement de cette Capitale
, fans intervertir la deſtination de fes revenus
ordinaires , fpécialement affectés au payement
des rentes & des autres Charges dont Elle eft
tenue , vient de lui accorder pour trois années ,
une loterie de 2400000 livres , qui fera renouvellée
& tirée tous les deux mois . Cette loterie
fera compolée decent mille billets, chacun du prix
de
24 liv. Il y aura dix mille lots , dont le pre
OCTOBRE . 1760. 201
nier fera de 150000 livres , le fecond de 100000 ,
& le troifiéme de 50000. Parmi les antres lots , il
y en aura deux de 3000 livres , quatre de 15000,
vingt de rooco , cinquante de 3000 , cent neuf
de 2000 , deux cens onze de rooo , fix cens deux
de soo . Les autres au nombre de huit mille neuf
cens quatre- vingt dix neuf , feront de roo liv . à
l'exception d'un qui fera de 200. On retiendra fur
lefdits lots , dix pour cent , pour les frais & pour
le bénéfice de la loterie. Sa Majefté permet à toutes
perfonnes de s'y intéreller , même aux étrangers
non naturalifés demeurant dans le Royaume ,
ou hors du Royaume , fans excepter les Sujets des
Puiffances avec lesquelles Elle eft actuellement , &
ou Elle pourroit être en guerre ; & Elle renonce
en leur faveur à tous droits de dèshérence , bâtardile
, &c. fur les billets de ladité loterie , & fur
les lots qui pourroient leur écheoir .
Le 25 du mois dernier , Fête de Saint Louis , le
Gorps de Ville alla à Verſailles , & ayant à la tête
le Duc de Chevreuſe , Gouverneur de Paris , il
eur Audience du Roi . Il fut préfenté à Sa Majeſé
par le Comte de Saint Florentin , Miniftre & Secrétaire
d'Etat , & conduit par le fieur Defgranges ,
Maître des Cérémonies. Le fieur Camus de Pontcarré
de Viarme , Prévôt des Marchands , & les
feurs Darlu & Boyer , nouveaux Echevins , prê
terent le ferment , dont le Comte de Saint Florentin
' fit l'a lecture , ainfi que du fcrutin qui fur
préfenté par le fieur de la Briffe , Avocat du Roi
au Châtelet. Le Corps de Ville eut enfuite l'honneur
de rendre les refpects à la Reine , & à la Fa
mille Royale.
Le niême jour , la proceffion des Carmes dut
Grand Couvent fe rendit , felon la coutume , à la
Chapelle du Palais des Tuileries , où ces Religieu
chanterent la Melle:
I w
202 MERCURE DE FRANCE.
On célébra le premier de ce mois , dans l'Eglife
de l'Abbaye Royale de Saint Denis , le Service annuel
pour le repos de l'ame de Louis XIV . L'Evêque
de Comminges y officia pontificalement.
Le Duc de Penthiévre , & le Prince de Lamballe y
affiftérent , ainfi que le Maréchal Duc de Noail
les , & plufieurs autres Seigneurs de la Cour.
>
P
Marie Gabrielle Eléonore de Bourbon Condé ,
Princelle du Sang , Abbeffe de l'Abbaye Royale
de Saint Antoine de Paris mourut à la Sauffaye
le 28 du mois dernier , âgée de 69 ans , 8 mois &
6 jours. Elle étoit fille aînée de Louis , Duc de
Bourbon-Condé , Prince du Sang , Grand- Maître
de la Maifon du Roi , & Gouverneur du Duché
de Bourgogne , & de Louife- Françoiſe de Bourbon
, légitimée de France , fille du feu Roi ,
morte le 6 Juin 1743. Cette Princeffe avoit fait
fa profeffion dans l'Abbaye de Fontevrault , le
20 Mai 1707 , & Sa Majesté l'avoit nommée Abbeffe
de l'Abbaye Royale de Saint Antoine , le
Mai 1723. Elle a été transférée du Couvent de la
Saulaye le 3 de ce mois , à l'Abbaye Royale de
Saint Antoine , où elle a été inhumée le même
jour , avec toutes les cérémonies dues à fon rang.
Son corps avoit été préfenté à la Supérieure par
l'Abbé de Citeaux. La Cour a pris le deuil le 5 ,
pour douze jours , à l'occafion de la mort de
cette Princeffe.
و ت
Sa Majesté a conclu avec le Roi de Sardaigne
un traité , portant une fixation exacte , générale
& définitive des limites , qui doivent déformais
féparer leurs Etats , depuis la fortie du Rhône des
Terres de la Répub ique de Genève , juſqu'à l'em➡
bouchure du Var . Par ce traité , la Ville de Che
zery , fituće en-deçà du Rhône , ainsi que fes ap
partenances , depuis le pont de Grefin , jufqu'aux
OCTOBRE. 1760. 203
confins de la Franche-Comté , font cédées à la
France ; & en échange , une partie de la vallée
de Seiffel , & divers territoires fitués au- delà đu
Rhône , font réunis à la Savoye. La Provence acquiert
par cette fixation , quelques territoires ; &
quelques autres , ci -devant de la domination Francoife
, font cédés au Roi de Sardaigne . Et pour.ci
menter de plus en plus l'union & la correfpondance
, que les deux Rois defirent voir regner entre
leurs Sujets refpectifs , ils renoncent pour l'avenir
au droit d'Aubaine , & à tous autres qui
pourroient être contraires à la liberté des fucceffions
& difpofitions réciproques pour tous less
Etats des deux Puiffances , y compris les Duchés
de Lorraine & de Bar. Par le même traité , la
Nobleffe des Provinces de Breffe, Bugey , Valro
mey & Gex , eft confervée dans fes exemptions
relativement aux biens qu'elle poffède en Savoye
dès l'année 1738 ; & les mêmes priviléges font
affurés à la Nobleffe de Savoye , pour les biens
qu'elle pofféde dans les Provinces fufdites , dès la
même date. La même réciprocité d'exemptions:
aura lieu, à l'égard de la Nobleffe des Terres qui
viennent d'être échangées , & pour les biens:
qu'elle pofféde en franchife , à la date de ce traité..
Cette réciprocité d'exemptions n'aura lieu néanmoins
, à l'égard de la Nobleffe du Dauphiné &
de Savoye, qu'en faveur de ceux qui feront preuve
de Noblefle & de poffeffion fucceffive , dès le
Commencement de l'année 1600. Il eſt ſtipulé
par un autre article , que les hypothéques établiss
dans un des deux Etats , auront lieu dans l'autre ,,
& que les Cours Supérieures déféreront de part &
d'autre , aux réquifitoires qui leur ferontadreffés.
Ce traité été conclu & figné à Turin le 24
Mars de cette année , & ratifié par Sa Majesté le
10 du mois de Juillet.
On a appris par des Lettres du Canada dir moiss
Lvj
204 MERCURE DE FRANCE
dernier , que l'Evêque de Quebec étoit mort à
Montréal le 9 Juin ; il eft univerfellement regretté.
Ces mêmes Lettres ajoutent , que le Général
Amherst étoit retenu au Fort Saint Frederic,,
à caufe des Chiroquois , qui menaçoient les colonies
Angloifes; & que le Général Murray,Gouverneur
de Quebec , qui s'étoit avancé jusqu'au
Richelieu , avoit été battu au mois de Juillet dernier
par les Canadiens , joints aux troupes de la
colonie, commandées par le fieur Repantigny..
Le tirage de la loterie de l'Ecole Royale mili
taire , s'eft fait en la maniere accoutumée , dans
l'Hôtel de Ville de Paris , le 6. Les numeros qui:
font fortis de la roue de fortune , font 62 , 89, 28,
30 , 38. Le prochain tirage fe fera le 7 du mois .
d'Octobre..
MARIAGE.
Melfire Omer Joly de Fleury , Avocat Général
du Roi du Parlement, veuf de Dame Magdeleine-
Genevieve- Mélanie Desvieux , a épouſe le
9 des
Septembre dans la Chapelle particuliere du Châ
teau - le- Coq , Dame Marie- Françoiſe Lemaitre ,,
veuve du fieur Avet de Neuilly , Confeiller au
Parlement , & Commiſſaire aux Requêtes du
Palais.
MORT S
Dame Honorée-Marie Sophie de Montgrand',
époufe du Marquis de Sorbe , Miniftre Plénipo
tentiaire de Genes auprès du Roi , eft morte à
Toulon le 7 du mois d'Août.
Le Marquis d'Hérouville de Claye , Lieutenant-
Général des Armées du Roi , & Gouverneur du
Fort des Barraux , mourut le 27 en fon Château
de Claye , dans la quatre-vingtiéme année de fon
âge.
Le fieur Thomas Dutrou de Villetan, Brigadier
OCTOBRE. 1760. 201
des Armées de Sa Majefté , ancien Directeur des
Fortifications de Normandie , & Chevalier de
l'Ordre Royal & militaire de Saint Louis , eft
moft au Havre de Grace le 29 , âgé de foixante
& feize ans.
Mellire Pierre - Jofeph d'Artaud , Evêque de
Cavaillon , eft mort en cette Ville les Septembre,
âgé de cinquante- quatre ans , après une maladie
de quelques jours.
Dame Auguftine- Marie de Menou , époufe de
Meflire Louis - Théodore Andrault , Comte de
Langeron , Lieutenant - Général des Armées du
Roi , Gouverneur de Breft, & des Inles d'Oueffant ,
mourut ler dans la trente- cinquiéme année de
fon âge.
Gui- Augufte de Rohan- Chabot , Lieutenant-
Général des Armées de Sa Majefté , eft mort le
13 , âgé de foixante & dix- fept ans.
1
Mellire Eutrope Alexis Chafteigner , Chevalier,
Seigneur , Marquis de S. George , Touffou , Talmon
& autres lieux , ancien Capitaine de Cavalerie
au Régiment de Talmon , depuis Grammont ,
& à préfent Balincourt , mourut le vingt - deux
Juillet dernier à Poitiers , âgé de foixante- dixneuf
ans , regretté généralement de tous les pauvres
qu'il affittoir immenfement; il laiffe pour fillet
unique de fon mariage avec Dame Eléonore
de Megrigny , Dame Armande Eléonore Chafreigner
, Epoufe de Haut & Puiffant Seigneur ,
Meffire Jean-Henri Chafteignier , Chevalier , Seigneur
de Rouvre , ancien Capitaine de Cavalerie
au Régiment ci- devant de Granmont , aujourd'hui
Balincourt , Chevalier de l'Ordre Militaire
de S. Louis & qui a été élu Commandant de la Nobleffe
du haut Poitou à l'Affemblée de la Nobleffe
à S. Jean Dangely , en 1758 , & dont le frere appellé
le Chevalier Chafteigner , eft actuellement
206 MERCURE DE FRANCE.
Capitaine de Carabiniers ; Monfieur l'Abbé de
Chafteigner de Rouyre , Abbé des Chaftelliers en
Poitou , eft fon oncle ; Monfieur l'Abbé de la
Chafteigneraye , Comte de Lyon & Aumônier du
Roi , eft de cette Maifon , & plufieurs autres branches
. Nous ne dirons rien de l'ancienneté & de
de l'illuftration de la Maiſon de Chafteigner.
Nous renvoyons à la généalogie qu'en a faite André
Duchefne au mémoire de M. de Thou & à·
Morery , à la liste des Chevaliers du S. Elprit ,.
fous Henri III, & d'autres livres des Officiers de
la Couronne. Cette Maifon eft alliée à celle de
Chatillon , Laval - Montmorency , Apelvoifin ,
Lamothe- Houdancourt , Rochechouard , Turpin ,
Luzignan ; & aurres de la plus grande diftinction..
Melfire Louis Auguftin Cafimir de Seytres
Caumont , Chanoine de l'Eglife , Comte de Lyon,
depuis le 9 Novembre 1751 , Vicaire général du
Diocèle de Dijon , mourut dans cette Ville le ro
Mai de cette année , après trois jours de maladie ,
âgé de 18 ans , cinq mois , vingt-un jours ; em
portant les regrets de fon Chapitre , & du Dio→
cèfe où il étoit employé.
-
Il étoit né le 19 Novembre 1731 ,de feu Meffire
Jofeph de Seytres , Marquis de Caumont , & de
Dame Marie- Elizabeth de Doni , encore vivante.
Deftiné à l'Etat Eccléfiaftique, dès fon'jeune âge,
il reçut de fes parens l'éducation qui y étoit pro
pres on l'envoya à l'âge de dix ans à Paris au
College Mazarin , plutôt pour être afluré qu'il y
feroit de bonnes études, que pour profiter du pri
vilége qu'ont les Avignonois , d'y être reçus
comme Sujets de N. S. P. le Pape . L'Abbé de
Caumont ne trompa pas l'efpérance de les parens ,
& il fit dans ce Collége toutes fes études , jufqu'à
la Théologie , avec une liftinction particuliere .
El entra enfuite à S. Sulpice , & fit de même fa
OCTOBRE . 1760. 207
licence dans la Maifon de Navarre. Sa famille
defira en 1750 , de faire fes preuves pour le Chapitre
de Lyon. Elles furent faites la même année ;
& quoiqu'il eût fix concurrens , dont les preaves
avoient été admifes avant lui , le Chapitre le '
nomma à la Comté vacante , par la mort de M.
le Comte de Dortan , Grand - Chantre de l'Eglife.
Feu N. S. P. le Pape Benoît XIV , adreffa
un mois après un Bref , auffi flateur pour le
Chapitre , que pour l'Abbé de Caumont , par lequel
Sa Sainteté recommandoit à Meffieurs les
Comtes , de le nommer a la premiere Comté vacante.
Mais les fouhaits du S. Pere , avoient déja
été prévenus. Après avoir fini fes études & fon Séminaire
, l'Abbé de Caumont fut choifi par M.-
l'Evêque de Dijon,pour être un de fes Vicaires Gé
néraux . Il s'acquitta avec foin des fonctions de
fon nouvel état , autant que le Service de fon
Eglife pouvoit le lui permettre , & il partagea fa
réfidence entre Lyon & Dijon . Il étoit né avec une
grande vivacité ; mais il ne la tourna qu'à remplir
avec exactitude fes devoirs même au- delà de
ce qu'ils lui prefcrivoient ; & il prêcha quelquefois
à Lyon , ou ailleurs. Il n'aimoit point le
inonde ; & fon délaffement , après avoir rempli
les devoirs de fon état , étoit l'étude des Belles-
Lettres. Le goût qu'il avoit pour elles , & qu'il
avoit puifé auprès d'un pére dont le nom eft affez
connu dans la République des Lettres , pour qu'il
fuffife de le nommer. Ce goût l'engagea à former
une Bibliotheque telle que fon revenu pou
voit lui permettre d'en former une. Il fe retrancha
même fur autre chofe pour fatisfaire la
paffion qu'il avoit pour les livres. La vivacité de
l'Abbé de Caumont , qui le portoit à remplir fi
bien fes devoirs , a abregé fes jours . Il fe trouva
incommodé du maigre le Carême dernier ; &
208 MERCURE DE FRANCE.
quelque repréfentation qu'on lui fit , il ne crut
pas devoir l'interrompre pour prendre quelque
rafraîchiffement ; & après le Carême fini , il négligea
encore de le faire pour fe rendre à Dijon
, & fervir le Diocèfe . Il partit de Lyon pour
cette Ville les premiers jours de Mai , & au bout
de trois jours de maladie , il mourut d'une fiévre
maligne dans les fentimens de piété & de religion
dans lefquels il avoit vêcu . On peut dire fans flatterie
que l'Eglife de France a fait en lui une véritable
perte , puifque fes Membres les plus refpec--
tables en ont rendu un pareil témoignage ; ennemi
de l'Efpric de parti , il aimoit la paix & ne ceffoit
de faire des voeux pour qu'elle régnât dans l'E--
glife . Le Chapitre de Lyon a donné une marque
d'eftime & d'affection pour la Maiſon de Seytres-
Caumont, en nommant à la Comté vacante Mellire
Olivier Eugene- François de Paule de Seytres
Chevalier de Malthe.
-
DANS
AVIS AU PUBLIC.
ANS le Mercure de Septembre 1760 , on a
inféré la Commiffion pour les affaires de l'Hôpital
de la Grave de Touloufe . Cette Commiſſion eſt
compofée des quatre Confeillers d'Etat y dénommés
, des quatre Maîtres des Requêtes dont les
noms font rapportés dans le Mercure ; mais on a
obmis les quatre Confeillers au Grand Confeil
qui font partie de la Commiffion , & le Procureur
Général , qui font MM. Guignace de Villeneuve
Duport , Michel de Monpezat & Sorronet
de Bougy ; Debonnaire , Procureur Général .
Taffetas d'Angleterre , par M. WOODCOCK.
CE Taffetas eft le plus commode & le plus utile
reméde dont les Mellieurs & Dames puiffent fe
OCTOBRE. 1760. 200
fervir . Les plus délicats peuvent le porter dans
leurs Poches ; car non feulement l'odeur n'en eſt
point fâcheufe ; mais elle eft agréable . Il ne sçauroit
manquer de guérir toutes Coupures ou Brûlures.
Et étant immédiatement appliqué , il arrête
d'abord le fang & te entiere.nent la douleur.
En le mouillant feulement avec la langue & le
mettant fur la partie affligée , il y tiendra fi fort ,
qu'en fe lavant il ne fe dérangera pas.
N. B. Il fuffit de le couper de la même grandeur
de la bleffure.
Ce Taffetas fe vend à Paris chez la Veuve
Leduc , au Magafin de Provence , rue Dauphine ,
36 fois la pièce.
L'EAU de Perle , par le fieur Dubois , fans être
du fard , a la vertu d'oter toutes les taches auxquelles
les peaux fines font fujettes . Elle modére
les rougeurs du vilage , féche & guérit les boutons
en peu de temps. Elle tient la peau fraîche & faihe
, la raffermit , la nourrit , la conferve fans rides.
Elle eft encore excellente pour les yeux. Les hommes
s'en fervent auffi , après que la barbe eft faite.
Elle ore le feu du rafoir , rafraîchit & conferve la
peau. Cette Eau fe vend à Paris , chez la veuve Leduc
, Marchande Epiciere- Droguifte , rue Dauphine,
au Magafin de Provence.
Le prix eft de 3. livres la bouteille. On prie d'affranchir
les Lettres.
LA découverte & les vertus admirables des Teintures
pour les dents ont mérité au fieur Grecnough ,
leur inventeur , une Patente de Dentifte , de la
part de S. M. Britannique. La premiere de ces
Teintures ôte toute les faletés des dents , leur donles
ne une blancheur , & une beauté éclatantes ,
raffermit , les empêche de fe carier , & les guéris
110 MERCURE DE FRANCE.
entierement du fcorbut. La feconde , guérit les
maux de dents les plus violens & l'on fe fent foulagé
auffitôt qu'on en a fait ufage. Ces teintures
fe vendent auffi chez la veuve Leduc , Marchande
Epiciere-Droguifte , rue Dauphine. Chaque bouteille
eft de 36 fols. Des brolles pour l'utage de
ees Teintures fe vendent au même endroit , à 12
fols la pièce. On prie d'affranchir les Lettres.
Heureufe découverte pour la Peinture.
M. le Lieutenant de Police , avant que de faire
la faveur de donner à l'Auteur la permiſſion d'imprimer
, a eu la bonté d'envoyer à M. Cochin ,
Garde des Deffeins du Cabinet du Roi , aux Galeries
du Louvre , un petit Tableau pour fçavoir
de lui ce qu'il penferoit de ce furprenant vernis
afin que les curieux en Peinture ne fuffent pas
trompés davantage . M. Cochin l'ayant approuvé ,
M. Bachelier, Peintre ordinaire du Roi & de fon
Académie , en a fait l'analyfe & en a donné fon
Certificat comme on le verra ci- deffous. Il feroit
inutile d'en dire davantage : l'on fçait trop bien
les dommages que les Tableaux ont reçus des
vernis ordinaires que l'on ne fçauroit enlever fans
gâter les foibles touches qui font toutes les graces
du Tableau & font écailler la peinture . Ce vernis
que nous annonçons, redonne aux couleurs toute
leur vivacité ; il fait reparoître à nos yeux tout ce
qui s'étoit perdu , & avec un éclar fans pareil . Il
s'enleve ailément,après nombre d'années, avec une
éponge, & laiffe la peinture dans fa beauté fans
jamais rien gâter . L'Auteur fe fait gloire d'offrir
fes fervices aux Curieux. Il ne vend point fon
vernis , il l'employe lui-même ; on ne dérangepien
dans les appartemens : il vernit les Tableaux
OCTOBRE . 1760. 211
à leur place, comme il a fait en Angleterre , ou
if a demeuré 35 ans.
M. Burel , demeure rue S. Honoré , au coin
de celle du Chantre , Maiſon neuve , au troifiéme
étage.
La fieur Fabre , Arborifte , rue Mazarine , vis
à- vis la rue Guénegaud , donne avis au Public , que
Fon trouve chez lui du Creflon de Roche , qu'il
fait venir des Pays Etrangers , qui eft propre pour
les perfonnes qui font attaquées de la poitrine , &
pour purifier la maffe du lang. Le prix eft de 6
liv. l'once.
LES Pilules Mercurielles du célébre M. Bianchi
, Profeffeur Royal en Médecine , font fi connues
par les bons effets qu'elles ont produits dans
un grand nombre de maladies , qu'il femble- fyperflu
de les annoncer de nouveau : mais comme
de tout tems on a contrefait les meilleurs remedes
, on n'a pas manqué plufieurs fois de le faire
à l'égard de celui- ci ; & par là quantité de ma--
lades ont été fruftrés des bons effets qu'ils auroient
éprouvés s'ils s'étoient adrellés à l'unique
fource où il fe débite depuis plus de 25 ans. On
avertit donc qu'il fe vend chez M. Broé , Maître
en Pharmacie à Genève , feul poffefleur de ce reméde.
On y joint un Mémoire qui indique la
maniere de s'en fervir , & les maladies auxquelles
i eft falutaire , dont voici les principales , dans
les maladies froides , vieilles douleurs , rhumatifmes
, obftructions , enfûres univerfelles , fuites
de couches , comme épanchement de lait dans
Tes fiévres opiniâtres , coliques venteufes , épilepfie
, indifpofitions glanduleufes , dans les maladies
cutanées , comme toute forte de Dartres , dans le
fcorbut & contre les vers ; mais particulierement?
pour les maladies vénériennes , &c.
Le Prix eft de deux écus de Geneve l'once..
212 MERCURE DE FRANCE.
On y trouve auffi l'Effence de Corail , dont le
fecret eft depuis peu de temps dans la maison de
Bade , laquelle a été communiquée à l'Expofant.
Les bons effets qu'elle a produits , l'ont mife en
grande réputation dans le Pays & chez l'Etranger.
Elle eft recommandable pour soute forte de flux ,
foit hépatique flux té fange C'est le plus
prompt remete qu'on, pulle eggployer pour les
pertes des femmes ; on l'employe aufli comme
cordial & ftomachal, son en prend-one cuillerée
à caffé le matin à jeun & le foiry file cas eft pref--
fanton en de ase une heure avant après le repas .
Le Prix eft deur écus de Genève Tence.
Eau Sultane du Steur PAGNON
Conftantinople.
de
Cette eau a la vertu de Hanchir la peau , maintenir
le teint frais , ôter toutes les rides , boutons
& dartres du vilage en très -peu de tems.
Le Public eft aveti qu'elle fe débité chez le
Portier de MM. les Religieux de S. Martin des
Champs à Paris. Les bouteilles font de poiffon &
le prix de i livre 10 fois. L'on donnera avec les
bouteilles la maniere de s'en fervir , écrit à la main .
& paraplé de l'Auteur ou de fon neveu , pour que
le Public ne foit point trompé par d'autre Eau que
l'on pourroit débiter pour la fienne.
3
· AUDOU , Maître Vitrier , rue S. Victor , vis - àle
Séminaire de S. Nicolas , proche la rue du
Paon : Tient Magafin de très- beaux Verres blancs
de Bohème & autres propres aux Eftampes , Pafrelles
, Voitures, Pendules, Mignatures , & pour les
Croisées. Il monte les Eftampes en Bordures de
routes couleurs . Il colle les Cartes , Thèfes fur
toile. Entreprend le Bâtiment. Le tout à jufte
prix.
OCTOBRE. 1760. 213
APPROBATION.
'Ar par ordre de Monfeigneur le Chancelier
le
Mercure du premier Volume du mois d'Octo
bre 1760 , & je n'y ai rien trouvé , qui puiffe en
empêcher l'impreffion. A Paris , ce 30 Septembre
1960.GUIROY .
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
E PITRE.
ARTICLE PREMIER.
La Coquette & la Guêpe , Fable .
Page s
10
Vers à M. Gerbier , Avocat au Parlement A
de Paris.
Vers , à Madame de **** de Marſeille.
Les Amis rivaux . Anecdote."
Vers de M. D. *** & c.
Le Roffignol & le Hibou , Fable. A. M. le
Comte de T *** .-
Vers à Mlle Clairon .
Bouquets à M.P. en lui envoyant une Epine,
le jour de fa fête.
Epitre à Doris. uri ob
Lettre , à l'Auteur du Mercure.:
I2
14
ibid
29
ibid.
31
132
34
361
Vers au Roi , qui devoient être récités par
le Sergent Major de Meffieurs les Gentilshommes
Eléves de fon Ecole Militaire ,
lorfque, S. M. les honora de fa Préfence , A
le 18 Août 1760 .
214 MERCURE DE FRANCE.
Portrait de Madame P ***.
Vers , pour mettre au bas du Portrait de
45
Mlle Camille , de la Comédie Italienne. 45
Couplet fur l'Air : Quoi vouspartezfans &c. 45
Enigmes.
Logogrypges.
Envoi.
Chanfon.
47 & 48
48 49
ibid.
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Lettre à M. Fl .. C. R. de l'A. des O , &c .
fur le Théâtre Italien .
Lettre , far l'Origine des Caractéres.
Origine de l'Écriture .
Lettre de M. l'Abbé Trubler , à l'Auteur du
Mercure.
La Science du Gouvernement , par feu M.
de Réal , Grand - Sénéchal de Forcalquier.
Annonce des Livres nouveaux .
Sx
59
66
84
190 &fuiv
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES.
ACADEMIES.
Séance publique de l'Académie Royale des
Sciences , Belles- Lettres & Arts de Rouen.
Prix propofé par l'Académie des Sciences
Belles- Lettres & Arts d'Amiens,pour l'année
1761 .
Séance publique de la Société Littéraire
-d'Arras.
112
Inst
135
Extrait de la Differtation du Pere Lucas.
Prix proposé par l'Académie des Sciences ,
Belles Lettres & Arts de Lyon .
Sujets propolés par l'Académie des Sciences
, Belles Lettres & Arts de Belançon. 133
Affemblée publique de l'Académie de Pein
OCTOBRE. 1760.
215
ture , Sculpture & autres Arts relatifs aux
deffeins de Marſeille.
Expofition des Ouvrages de divers Membres
de l'Académie de Peinture , Sculpture
&c. de Marseille ,
Lettre à l'Anonyme , qui a propofé un Problême
dans le Mercure d'Août 1760 .
Autre Lettre fur le même Sujer.
Lettre , à l'Auteur du Mercure.
135
136
138
144
149
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARTS UTILES .
La Defcription des Arts , par l'Académie
Royale des Sciences.
ANATOMIE.
150
Lettre circulaire , à MM. les Soufcripteurs
des Planches Anatomiques de M. Gautier. 158
Table géométrique concernant la Multiplication
de tous les Nombres , depuis t
jufqu'à 100 , par M. Dufour &c.
ARTS AGRÉABLES.
165
Gravure.
1.67
Lettre , à l'Auteur du Mercure. 171
TYPOGRAPHIE .
GRAVURE.
Fables de J. de la Fontaine , nouvelle Edition
, grand in-folio en 4 vol. & c.
Opéra .
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoiſe.
Comédie Italienne.
173
181
182
183
116 MERCURE DE FRANCE.
Opéra-Comique.
Concert Spirituel .
Avis au Public .
184
185
186
189
208 &ſuiv.
ART. VI. Nouvelles Politiques.
Avis divers.
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
ruë & vis- à- vis la Comédie Françoiſe.
ALMANACH
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
ASTOR , LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
THE
NEW
YORK PUBLIC
LIBRARY
11
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
OCTOBRE . 1760 .
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine.
Cochin
Filiusinv
PropilionSeulp. 1718
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis a vis la Comédie Françoife.
PRAULT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier , Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure, rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch, à côté du Sellier du Roi.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer, francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre
, quant à la partie littéraire , à
M. De la PLACE, Auteur du Mercure.
Leprix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir, ou qui prendront les frais du port
Jur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
c'est- à- dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreſſe ci- deffus.
A ij
On Supplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit
Le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en foit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
De la Place , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions, font les mêmes
pour une année.
A
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE . 1760 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ODE.
SUR la mort de mon Pere.
Vous qu'un tendre Amour , bien mieux que
la Nature ,
Fait couler de mes yeux, pour nourrir ma douleur,
Larmes que je chéris ! aigriffez la blekure
Que la mort a faite à mon coeur.
Vous tâchez vainement d'en détourner la fource ,
Amis officieux , foibles confolateurs .
Le filence & l'ennui font ma feule reffource ;
Tous mes plaifirs font dans mes pleurs.
JI, Vola A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Dans l'état déplorable , où m'a mis la triſteſſe ,
Pleurer eſt le feul bien que je puiſſe goûter.
Laiffez-moi m'affliger ; fi c'eft une foibleffe,
L'objet la fera reſpecter.
Le Ciel, pour mon bonheur,me fit naître d'un Pere,
Dont j'éprouvai les foins au fortir du berceau.
Je le perds pour toujours ; un deftin trop févére,
Ouvre loin de moi ſon tombeau.
Lorfque je me flattois que la bonté céleſte ,
De cinq luftres encore , allongeroit les jours ;
D'un Aftre empoiſonné, l'influence funeſte ,
De fa vie arrête le cours !
Ainfi vous vous jouez des projets de la tèrre....
J'adore , en gémiſſant , vos ſuprêmes décrets ;
Mais fouffrez , juftes Dieux , que ce coup de ton
nère ,
Immortalife mes regrets !
Du devoir filial fi fuivant les loix faintes ,
Ma main trifte & tremblante eût pû fermer fes
yeux ;
Le tems & la raison pourroient borner les plaintes
Dont je fais retentir ces lieux.
Cher Auteur de mes jours , à ton heure derniére ,
Je n'ai pû recevoir tes adieux éternels !
Mes frères plus heureux accompagnent ta biére ,
Que l'on porte au pied des Autels.
OCTOBRE. 1760. 7
Du fond de ce rombeau, dans l'horreur du filence,
La voix de ton amour parle encore à ton fils :
Reçois-y le tribut de ma reconnoiffance ,
Pour tous les biens que tu me fis
J'aime à me rappeller ce tems de ma jeuneffe ,
Od de foibles talens tu daignas m'enrichir ;
Ta douceur me ſoumit aux loix de la ſageſſe ,
Dont je cherchois à m'affranchir.
Aurois-je pû fans crime affliger un tel Pére?
Devois -je , fils ingrat , me fouftraire au devoir ?
Lors même qu'aux dépens de fon pur néceſſaire ,
F'acquérois vertus & fçavoir
Ces jours de châtimens, de peines, de contraintes,
Qui du travail claffique infpirent le dégoût ,
N'exciterent en moi ni murmures , ni plaintes ;
Je tâchois de lui plaire en tout,
"
Virgile , Cicéron , Phédre ( a ) , Salufte , Horace
De leurs doctes écrits formerent mes plaifirs ;
Descartes ( b) m'éclaira ; Thomas ( c ) qui prit fa
place,
Occupa quatre ans mes loiſirs.
Animant mes travaux par un facteur fourire ,
Ade plus grands fuccès ilvouloit m'amener
(a ) Les baffes Claffes,
(6) La Philofophie.
(c) La Théologie.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Quels furent les tranfports ! quand le Dieu de la
lyre
D'un laurier (d ) vint me couronner.
Cher Fere !ton plaifir mit le comble à ma gloire :
Le jour que je vainquis pour toi fut un grand jour:
Tu m'écrivis : l'Amour grava dans ma mémoire
Tout ce que te dicta l'Amour.
Aux regards d'Apollon ta Mufe a trouvé grace ::
Jamais aux Paffions ne confacres ta voix ,
Mon fils , me difois- tu ? fçaches que du Parnaſſe
Les moeurs font les premieres loix .
Hélas ! qu'on les fuit peu ces loix fi reſpectables !
La licence triomphe : effronté Corrupteur ,
Quels traits viens- tu m'offrir ?. dans tes rimes cous
pables ,
Les jeux font rougir la Pudeur.
Des Vers font applaudis : l'envieuſe cabale
Voit tromper fon efpoir , & fa bile s'aigrit :
Les traits font aiguilés : la Haine fe fignale ;;
L'efprit combat contre l'efprit ,
De l'Erreur aujourd'hui les eaux font débordées ,
L'air fiffle , la nef panche , & le Pilote craint :
Cent Plumes à l'envi par l'audace guidées
Attaquent la foi qui s'éteint .
( d ) Le Prix de Poëfie remporté à l'Académie Françoife ,
en l'année 17,3,8; •
OCTOBRE. 1760 . ༡ ་
Portant jufques au Ciel leurs efforts téméraires ,
Ils vont faire la guerre à la Divinité :
Rien n'eft facré pour eux ; ils traitent nos myſteres,
De folie & d'abſurdité.
De ces hommes pervers , mon fils , fuis le com
merce :
Que leurs triftes écarts te fervent de leçon :
Et que dans les fujets , où ton efprit s'exerce ,
La Foi conduife la Raifon.
Ne donnes de l'encens que d'une main difcréte :
Que jamais l'intérêt n'excite tes tranſports :
Le Public indigné mépriſe le Poëte
Qui met à l'encan fes accords.
Ne va point , par tes voeux , fatiguer la fortune :
Lorſqu'après elle on court par des fentiers tortus ,
Ses dons coûtent trop cher ; leur remords im
portune ,
S'ils ne font le prix des vertus,
Je n'ai point oublié de fi faintes maximes ;
La décence toujours animą mes pinceaux :
Mon reſpect pour les Dieux a paffé dans mest.
rimes ;
J'ai même chanté mes rivaux.
Quelquefois , je l'avoue , au fort de mon délire ,»
Un intérêt de gloire a flatté mon loifir ;
A w
10 MERCURE DE FRANCE
Que je me fois trompé ! j'ai tiré de ma lyre
Un profit réel , le plaifir.
Cher objet de mes pleurs , Mânes que j'interroge !
Vous ai-je fait rougir dans l'ombre du cercueil
J'ai cherché , des coeurs droits , à mériter l'éloge ş
Et j'en fçai jouir fans orgueil.
Vos vertus ont été mon unique partage :
De tous vos autres biens je n'ai point hérité :
Je ne m'en plaindrai point : que faut-il donc au
Sage ?
Le néceſſaire & la fanté.
Je coule d'heureux jours dans un état tranquille ;
Je fuis content de peu ; je ne defire rien ;
Les Mufes quelquefois vifitent mon aſyle :
Je goûte le fouverain bien .
Tous les jours dans un cercle , où de la ſympathie
La fecrette douceur hâte le temps qui fuit ,
L'amitié , que je trouve à mes goûts affortie ,
Tour-à-tour m'amufe & m'inftruit.
Là , de quelques Auteurs refpectant la perfonne ,
A notre tribunal nous citons leurs écrits :
Mais de tous les Arrêts que la critique y donne
Les tons de maître font profcrits.
Ainúi, de la douleur que ta perte me caufe,
Cher Pere, envain je cherche à repouffer les traits #
OCTOBRE. 1760 . II
Par l'amour emportée , où ta cendre repoſe
Mon âme exhale fes regrets.
Par M. l'Abbé CLEMENT , Chanoine de
S. Louis du Louvre.
RONDEAU ,
AM.M. L'INTENDANT de L.... pour le
jour de S. François fa fête , en faveur
d'un jeune homme qu'il protége , &
qu'il appelle fon BRAS DROIT.
VoOTRE bras droit ( point n'oubliez ce nom )","
Vous aime fort , fervez-lui de patron .
Quoique peu riche , il eſt d'honnête race ,
Sage , bien fait , connu fur le Parnaffe :
Mais las , il jette un fort mauvais coron !
Ah ! penſez donc à ce pauvre garçon.
Penfez-y bien , Monfieur François ; finen ,
Verrez bientôt chargé d'une beface ,
Votrebras droit
Quoi , d'un oeil fec , lui verriez le cordon
Et puis après de la barbe au menton ?
Par Saint François ! point ne veux qu'il fe faſſe
Capucin , non. Près de vous qu'il ait place :
Ilfera lors , à plus forte raiſon ,
Votre bras droit.
FRANCOISE DESJARDIN
A vj
12 MERCURE DE FRANCE .
ÉPITRE.
A M. D *** C **** imitée de la
4. Epitre du premier Livre d'Horace,
Albi , noftrorum fermonum , candide judex.
ELEVE des beaux Arts , favori de Cypris ,
Arifte , dont le goût épure mes écrits !
Errant dans les détours de ton ruftique aſyle , "
Infpiré par Eglé , foupires- tu des vers?>
De la Philofophie heureux & vrai pupille ,,
Sans nuage & fans fard à fa lueur utile ,
Les traits de la vertu te feroient- ils offerts ?.
Les Dieux t'ont embelli par leurs dons les plus rares::
Minerve , les Amours , Plutus , les chaftes Soeurs ,,
T'ornant de leurs tréfors , ne furent point avares..
Tu fçais l'art d'en jouir, fans flétrir leurs douceurs..
Si tu veux ajouter un prix à ces faveurs ;
Quelque vif fentiment qui te flatte ou t'altére ,
Crois que l'aftre du jour , de ta courte carriére ,
En éteignantles feux , marque le terme fûr :
Par un bienfait du fort , fi fon retour t'éclaire ,,
Cejour t'offre un éclat plus brillant & plus pur
Sage voluptueux , nourriffon d'Epicure ,
Mon front porte fes traits gravés par la gaîté. :.
Viens la voir dans ces lieux , où ma raifon épure ,
Les droits de la vertu joints à la volupté..
Le Marquis de la P** C. A. R. D. L.M.
OCTOBRE. 1760. 13 .
BOUQUET
A Mere JEAN- PAUL DE RELONGUE,
Chevalier , Seigneur de LA LOUPTIERE,
ancien Moufquetaire de la premiere
Compagnie des Moufquetaires de la
Garde du Roi,
MALGRital
ALGRÉ tant de vertus , que votre Saint raf
femble ,
Vous rimez affez mal enſemble :
Son nom chez vous eft déplacé .
Votre parrain eut tort , n'en déplaiſe à fon zéle ;;
Il devoit bien prévoir qu'un héros terraffé ,
Ne feroit pas votre modéle.
aw
Par M. de RELONGUE DE LA LOUPTIERE ,
Membre de l'Académie des Arcades de Rome ,
Château de la Louptiere , en Champagne..
STANCES
A M. DE LA LOUPTIERE , fur fes
Poëfies galantes , par une SAP HO
Champenoife.
QUAU AND tu fouets à ton chant,
Un fexe né pour l'empire ,,
14 MERCURE DE FRANCE.
Louptiere , un art ſi touchant
N'eft pas le feul qui t'inſpire ;
Philis vante par- tout
Ton coeur, ta politeke ;
Eglé dit que ton goût
Embellit la tendreſſe.
Tu remportes chaque jour
Quelque nouvelle victoire ;
Ton nom , tes vers & l'amour ,
Te font des fiécles de gloire ;
L'art fourit à tes jeux :
Mais le fidéle hommage
Qui fixera tes voeux ,
Nous plaira davantage.
Que ton efprit eft charmant !
Et qu'à bon droit on l'admire !
Si tel étoit mon amant ,
Je me plairois à lui dire :
Pour mériter ton coeur ,
J'ai la délicateffe ,
Le fentiment , l'ardeur
De l'amour qui te bleſſe.
OCTOBRE. 1760. –
EPITRE , à Madame de P....
Vous , qui des fleurs les plus nouvelles
Joignez la fraîcheur & l'éclat ,
A l'efprit le plus délicar ,
A mille grâces naturelles :
Permettez- vous qu'un voyageur ,
Que fon cruel deſtin entraîne ,
Loin du plus aimable vainqueur ,
Brigue le fuprême bonheur ,
De vous rendre , comme à fa Reine ,
Un hommage plein de candeur ?
N'appréhendez pas , belle Dame ,
Que vos bontés m'enhardiflant ,
Je peigne avec de traits de flamme ,
Tout ce que pour vous mon coeur fent.
Des loix par la vertu prefcrites ,
Religieux obfervateur ,
Je fçais , dans de juſtes limites ,
Contenir la plus vive ardeur.
Pardonnez ..... ma raifon s'égare ;
Mais hélas ! il eſt mal-aifé
De voir une beauté ſi rare ,
Sans fentir fon coeur embraft.
Le jour où votre main divine ,
Daigna , d'un excellent caffé ,
36 MERCURE DE FRANCE.
"
Me préfenter une chopine ;
Il n'eft , de Paris à la Chine ,
Nul Vieillard que n'eût réchauffé
Cet éclat , cette bonne mine ,
Par qui le Dieu qui me domine.
De ma raiſon a triomphé.
Oui, dans ce jour , belle Emilie ,
Dont je me fouviendrai long- temps
Pour plaire au mortel dont j'envie
Et le bonheur & les talens ,
Vous aviez , d'une âme ravie
Par une parure choiſie ,
Embelli vos attraits brillans.
Ah ! que vous étiez dangereufet
Dans ce moment délicieux ,
Où votre époux , dans vos beaux yeux',,
Lifoit fa deftinée heureuſe.
Hélas , que dis- je ? ... il faut finir
Un entretien qui vous offenſe;
Mais en rentrant dans le filence,
Dont je n'aurois pas du fortir ,
Mon coeur de fa reconnoiffance ,
Croit pouvoir vous entretenir.
Quand je condamne mon audace ,
Sçachez donc , objet enchanteur,
Qui , de l'air le plus féducteur ,
Me fites vuider une taſſe
Bleine d'une douce liqueur
OCTOBRE. 1760. 17
Que la plus légére faveur ,
Venant de la main d'une Grace ,
Suffit pour graver dans mon coeur
Un fentiment que rien n'efface.
C'est à quoi le borne , en ce jour ,
L'hommage que je veux vous rendre
Non que de plus en plus l'amour
Ne me fuggére de l'étendre ;
Mais , c'eft qu'à parler fans détour ,
Je me connois trop pour prétendre
A groffir fa nombreufe Cour..
Vous uniffez , à l'art de plaire ,
Le minois piquant de ce Dieu ;
Vous avez les yeux de fa mére ;
Le plaifir vous fuit en tout lieu.
A P .... vous êtes chére ,
C'est trop de raiſon pour me taire »
Adieu , ma belle Reine , adieu !
Mais , non ; daignez encor permettre ,
Que j'affure ici votre époux
De l'eftime qu'il a fait naître,
Dans un coeur qui , quoique jaloux
D'un réfor dont il eft le maître ,
Convient qu'il eft digne de l'étre ,
Par fon ardent amour pour vous.
Cependant , foit dit entre nous ,
Si vous lui cachiez cette Lettre ,
Mon fort m'en paroîtroit plus doux.
18 MERCURE DE FRANCE.
DANS
EN VOI.
ANS cette retraite profonde ,
Où mon malheur guide mes pas ,
Où je vais , retiré du monde ,
Rêver fans ceſſe à vos appas ;
Quoique je ne me flatte pas
Qu'à mes petits Vers on réponde ,
Voici mon adreſſe : à D ....
Jadis employé pour Cornette ,
Qui bientôt laffé du métier ,
S'il fut un mauvais Officier ,"
Eft encor plus mauvais Poëte :
Son corps part pour Uzès , ſon coeur eft à Dijong
Et ſon eſprit diſtrait vous écrit de Lyon.
Par M. D..
COUPLETS d'une Demoiselle à fon Pere,
pour le jour de S. Louis fa fête.
Sur l'Air : Si j'voulions être un tantet caquette &C .
QU'AUX fons de ma voix ſe réuniſſe
fe
Le coeur de nos finceres amis ;
Que dans ce beau jour tout retentiffe ,
Des doux accens du nom de LOUIS..
Célébrons à l'envi cette fête ,
OCTOBRE. 1760 . 19
Qu'un chacun s'apprête ,
Qu'on cueille des fleurs ;
Que tout refpire ici l'allégreſſe ,
Et que la tend : effe
Régne dans les cours.
De flatteurs une fou'e importune ,
Vient faire aux Grands des voeux éloquens}
Mais c'eft fur l'Autel de la fortune ,
Que tous viennent brûler leur encens.
Mon coeur , il eft vrai , dans fon hommage ,
N'a point le langage
Des fins Courtifans ;
Son talent eft de peindre à votre âme ,
Sa fincere flamme
Par les fentimens.
Si des mains de la Parque inflexible ,
Je pouvois arracher le cifeau ,
Ou qu'à mes voeux devenant fenfible ,
Elle me confiât ſon fuſeau ;
Quel bonheur feroit- ce pour ma flâme ,
De filer la trâme
De vos heureux jours !
Il manqueroit encore à mon zéke,
D'être une Immortelle
Pour filer toujours.
Par Mile B.……. de C. dans l'Orléanois.
20 MERCURE DE FRANCE.
TRADUCTION de différens Morceaux
de SENEQUE.
LETTRE PREMIERE.
CROYEZ - moi , cher Lucilius , ren
dez - vous à vous - même. Le temps qu'on
vous enlevoit jufqu'ici , celui qu'on vous
déroboit , celui qui vous échappoit , ménagez
- le foigneufement. Faites - y réfléxion
: une partie de la vie nous eft enlevée
on nous en dérobe une autre :
une troifiéme nous échappe par notre
faute ; & cette derniere perte , effet de
notre négligence , devroit fur- tout nous
faire rougir.
Un coup
d'oeil
fur
notre
conduite
à
quoi
fe paffent
les
jours
? fouvent
à mal
faire
, encore
plus
fouvent
à ne rien
faire
,
& toujours
à faire
quelque
autre
chofet
que
ce qu'il
faudroit
faire
. Où eft l'homme
qui
fcache
feulement
que
le temps
eft
quelque
chofe
de précieux
? qui
connoiffe
le prix
d'une
journée
? qui
comprenne
, qué
chaque
jour
il meurt
? C'eft
une
coutume
& une
erreur
univerfelle
, de regarder
la
mort
comme
éloignée
dans
l'avenir
. Tout
ce que
nous
laiffons
derriere
nous
, eft à
elle
.
OCTOBRE . 1760 . 211
que
Vous ne fçauriez donc trop perfévérer
dans le plan de conduite , auquel votre
lettre m'apprend que vous vous êtes attaché.
Saififfez les inftans , n'en laiffez
échapper aucun. Profitez du jour préſent ,
vous en dépendrez moins de celui qui doit
fuivre. La vie fe paffe à différer , & les
délais n'en arrêtent pas le cours rapide.
Rien n'eft à nous , cher Lucilius , que
le
temps : & ce bien paſſager , le feul
nous tenions en propre de la nature , eft
encore fi fragile, qu'à chaque inftant nous
pouvons en être dépouillé par tout ce qui
nous environne. Mais , ô comble d'aveuglement
Les hommes fouffrent qu'on
leur faffe valoir les plus minces , les plus
communs & les moins néceffaires de ces
biens. Le temps eft l'unique chofe qu'ils
reçoivent fans reconnoiffance. Seroit- ce,
parce que c'eft la feule que la reconnoiffance
même ne puiffe rendre ?
Vous me demanderez peut être , fi je
fuis auffi fidéle à mettre en pratique ces
préceptes , qu'éloquent à les dicter ? Je
vous avouerai ingénûment qu'il en eft du
temps chez moi , comme de l'argent chez
un Particulier fomptueux , mais attentif
à fes affaires : je tiens compte de ma dépenfe.
Je ne puis pas dire que je ne perds
rien ; mais je dirai bien & ce que je perds,
22 MERCURE DE FRANCE .
& pourquoi , & comment je le perds : je
fçaurai rendre raifon de ma pauvreté.
Auffi en eft - il de moi , comme de la
plupart des Riches qui ſe ruinent , fans
qu'il y ait abfolument de leur faute . Perfonne
ne m'accufe , & tout le monde
m'abandonne. Quoiqu'il en foit , je ne
crois pas être pauvre , tandis que ce qui
me refte peut me fuffire.
N'abufez pas cependant de mon exemple
: le mieux eft de ne rien perdre. Vous
êtes dans le bon tems , commencez à en
profiter. Nos bons Ayeux avoient bien
raiſon : ménager fur le fonds du tonneau ,
c'eft s'y prendre un peu tard . Ce qui refte
au fonds eft non feulement la moindre
partie , c'eft encore la plus mauvaiſe.
LETTRE SECONDE.
CB que vous m'écrivez , joint à ce
E
que j'entends dire , me donne de vous
les plus belles espérances . Tranquille dans
le lieu où vous vous trouvez , vous n'avez
point recours à ces changemens éternels ,
qui ne font propres en effet qu'à jetter le
trouble dans l'ame. L'agitation ne fut jamais
la marque d'un coeur bien difpofé.
Pouvoir le fixer , & demeurer avec foiOCTOBRE
1760 . 23'
même , voilà , felon moi , le figne certain
d'un efprit fage & réglé.
Je ne fçais cependant , fi ce grand nombre
d'écrivains & d'ouvrages de tout genre,
que vous vous permettez de lire , në marque
point encore quelque principe fecret
d'inconftance & d'inftabilité. Il faut dans
la lecture fçavoir choifir fes Auteurs , s'y
arrêter enfuite , & s'en nourrir. Sans cela
point de fruits , du moins durables pour
l'esprit.
Etre partout , c'eft n'être nulle - part.
Voyager continuellement, c'eft le moyen
de faire bien des hôtes , & point d'amis.
Ainfi en eft - il néceffairement de ceux qui
voltigent d'un Auteur à un autre , fans
jamais s'habituer , ſe familiariſer avec aucun.
Il faut que la nourriture s'arrête dans
l'eftomach , pour qu'il en retienne quelque
profit , qu'il en refte quelque chofe
au corps : rien n'eft fi oppofé à la fanté ,
que la multitude & la variété des mets.
Üne bleffure ne fe ferme pas , lorfque fans
ceffe on en change l'appareil. L'arbre
fouvent tranfplanté,n'en devient pas plus
fertile . Les chofes les plus utiles , prifes
en paffant , ne fervent à rien. La multiplicité
des livres partage l'efprit , le rétré
eit & le diminue. Vous n'en pouvez lire
autant que vous pouvez en avoir: il ſuffit
24 MERCURE
DE FRANCE
:
que vous en ayez autant que vous en pou
vez lire . Mais , dites- vous , je fuis bien
aife de pouvoir lire tantôt l'un , tantôt
l'autre ? Ainfi font par rapport à la nourriture
les eftomachs débiles : Ils goûtent
de tout , & la diverfité des mets ne fert
qu'à augmenter le principe de leur dégoût.
Tenez- vous en à ce que vous aurez
trouvé de meilleur , & ne vous en écartez
que pour y revenir bientôt . Travaillez
chaque jour à munir votre coeur contre la
pauvreté , contre la mort , contre les autres
peftes du bonheur.
Je ne demande pas que vous vous appefantiffiez
fur chaque ligne . Je veux que
de chaque lecture vous recueilliez un trait
plus frappant ; que vous le digériez enfuite
le refte de la journée : c'eft ainfi que
j'en agis moi-même . Voici , par exemple ,
ce qu'aujourd'hui j'ai tiré d'Epicure , D'Epicure
! Oui , vous paffez donc dans le
camp ennemi ? Affez fouvent, non pas en
transfuge , mais en efpion. Voici ce que
j'en ai rapporté. La pauvreté , m'a-t -il dit ,
n'eft qu'honorable , quand elle eſt ſoutenue
avec joie.
Ce n'eft donc plus pauvreté. Etre content
de la pauvreté , c'eft être riche. Le
pauvre n'eft pas celui qui a peu ; mais celui
qui defire au - delà de ce qu'il a. Que
lui
OCTOBRE. 1760 . 29
lui fert d'avoir des coffres & des greniers
remplis ? A quoi bon fes nombreux troupeaux
& fes ufures , fi tout fon coeur fe
porte vers ce qu'il n'a pas à s'il oublie ce
qu'il a gagné , pour penfer à ce qu'il doit
acquérir ? Qu'eft - ce donc qu'un homme
riche ? C'eft celui qui ayant le néceſſaire ,
fçait enfuite fe contenter de ce qu'il a de
plus .
LETTRE TROISIEME.
Vo
ous me mandez que celui à qui
vous avez livré vos Lettres pour me les
rendre , eft votre ami ; & enſuite vous
m'avertiffez de ne pas néanmoins entrer
fans réſerve avec lui , dans le détail de ce
qui vous touche , parce que vous n'avez
pas vous-même coûtume d'en agir ainfi
avec lui . C'eſt-à- dire qu'il eft votre ami ,
& que cependant il ne l'eft pas ; ou plutôt
le titre d'ami n'eft ici qu'une fimple formule
d'ufage , fans doute , comme celui
d'homme de bien par rapport à un Candidat
, ou de Monfieur pour un paffant ,
dont on ne fe rappelle pas le nom : en
ce lens , je vous entends. Mais de regarder
comme votre ami , un homme en qui
vous n'auriez pas autant de confiance
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
qu'en vous - même , ce feroit avoir bien
peu d'idées de la véritable amitié .
Que votre ami entre dans toutes vos
délibérations , mais qu'auparavant il ent
ait été l'objet lui -même. L'examen doit
précéder l'amitié , & l'amitié produira la
confiance : Voilà l'ordre. Jugez d'abord ;
confiez - vous enfuite , & ne faites pas ,
dit Théophrafte , comme tant de têtes lé
géres, dans qui l'amitié précéde tout examen
, & l'examen détruit toute amitié.
Pefez long temps le mérite de celui ,
dont vous pensez à faire un ami. Votre
choix fait , ouvrez - lui votre coeur tout
entier ; parlez- lui avec autant de hardieffe
, qu'à vous- même . Le mieux , fans
doute , feroit de ne fe rien permettre
qu'on craignît de révéler même à un ennemi
. Cependant il y a certaines chofes,
fur lefquelles la coûtume ordonne le fe
cret. Ce font là précisément celles qu'il
faut confier à un ami ; foins , inquiétu
des , penfées de toute eſpéce , rien qui ne
doive être commun entre vous & lui.
D'ailleurs le moyen de lui donner de
la fidélité , c'eft de lui en fuppofer. Plufieurs
ont été trompés , par la feule raifon
qu'ils craignoient trop de l'être. Leurs
foupçons furent à l'égard de leurs amis ,
& une leçon d'infidélité , & un prétexte
OCTOBRE. 1766. 27
pour fe la permettre. Eh ! pourquoi donc
aurois - je des réferves avec le mien ? Pourquoi
ne me croirois-je pas feul , quand je
fuis avec lui ?
Il eft , je le fçais , des gens qui racontent
au premier venu , des chofes qui
ne devroient fe communiquer qu'à des
amis . Accablés du fardeau d'un fecret , ils
s'en déchargent , dès qu'ils trouvent une
oreille difpofée à le recevoir ; mais on en
voit auffi qui portent la défiance trop
loin. Ils redoutent jufqu'aux meilleurs
amis. A les voir renfermer leurs fecrets ,
on diroit qu'ils craignent de s'en fouvenir,
qu'ils fe défient d'eux-mêmes . N'imitez
ni les uns , ni les autres. Ne ſe fier à
fonne , n'eft pas un moindre excès , que
de s'ouvrir à tout le monde. Si celui - ci eft
moins fûr , du moins il eft plus honnête.
per-
Auffi condamnons- nous également ,
& l'humeur inquiéte qui ne peut fouffrir
le repos , & l'indolence qui fe livre à l'inaction.
Le goût pour le tumulte & l'agitation
, n'eft rien moins qu'amour du travail
; c'eft pur emportement d'un efprit
fans régle , qui ne peut fe contenir. De
l'autre côté , ce repos éternel , cette horreur
du mouvement n'eft en effet que
langueur , foibleffe & lâcheté.
,
Qu'elle eft fage , la réfléxion que je
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
lifois dans Pomponius ! Quelques - uns ,
dit-il , aiment fi fort la retraite dans laquelle
ils fe confinent , qu'ils prennent
le grand jour pour la tempête. Il faut ici ,
comme ailleurs , de la viciffitude . L'action
eft auffi néceffaire à celui qui repoſe ,
que le repos à celui qui agit . Interrogez
la Nature , elle vous dira qu'elle fit la
nuit pour fuccéder au jour , & le jour
fuccéder à la nuit.
pour
Par M. D.... d'ARRA S.
TRADUCTION libre du premier Chaur
d'EDIPE , Tragédie de SOPHOCLE.
QU'ANNONCE l'Oracle céleſte ,
Emané du pur fein des Dieux ?
Eteindra- t-il l'ardeur funeſte
De nos Aftres injurieux ?
Daigne éclaircir nos deſtinées ,
Phébus , dont les mains fortunées
Verfent la paix chez les humains .
Fils de l'immortelle Espérance ,
Oracle , par ta bienfaifance ,
Séche les larmes des Thébains !
Accepte nos humbles prieres ,
Fille du Souverain des Cieux ;
OCTOBRE. 1760. 2.9
Toi , dont les feeours tutélaires
Ont toujours protégé ces lieux ;
Diane , reçois les hommages
Que Thèbe adreffe à tes images !
Laiffe - toi fléchir , Dieu puiſſant ,
Dont les fléches inévitables ,
Ont , dans les cahos redoutables ,
Englouti l'horrible ſerpent !
Si des Nations défolées ,
Vous avez éteint les douleurs ;
Si de nos Villes accablées ,
Sous le faix pefant des malheurs ,
Vos mains ont chaffé les tempêtes :
Daignez , en faveur de nos têtes ,
Armer le tonnèrre éclatant ;
Sans vos fecours , Thèbe victime ,
Dans le centre ouvert de l'abîme,
Va s'écrouler en un inftant .
Au fein des épouses tremblantes ,
La mort plonge fes bras ardens ;
Et dans leurs entrailles fanglantes
Tarit les germes abondans.
Nos mânes aux rivages fombres
Vont accroître des pâles ombres
Les bataillons inanimés :
Ainfi , dans le fort des orages ,
Les oifeaux fuyent , des nuages ,
Les foudres par- tout allumés .
1
Bij
30 MERCURE DE FRANCE
Les cadavres , fans fépulture ,
Couvrent nos fillons defertés ;
Alefton , de la bouche impure ,
Soufle l'horreur de tous côtés .
Les Matrônes , d'un pas débile ,
Aux Autels cherchent un afyle ;
L'époufe au fein de fon époux :
Tout tombe , & les voutes fuprêmes ,
Avec leurs plus affreux blafphêmes ,
Répétent nos voeux les plus doux .
Tuiffe ta foudre étincelante ,
Minerve , purger nos climats ,
De ce Mars , dont l'ardeur brûlante ,
Sans traits , fans armes , fans combats ,
Mais , par des flammes empeftées ,
Dans nos demeures infectées ,
Seme fon horrible venin :
Lance un trait qui le précipite
Dans les flots obfcurs d'Amphitrite ,
Cu dans les gouffres de l'Euxin .
Ce qu'en fa courfe bouillonnante
La nuit a laiflé de vivant ,
Tombe , à l'approche rayonnante
De l'aurore du jour fuivant.
D'un rapide éclat de ta foudre ,
Jupiter , mets ce monftre en poudre.
Phébus , dans les fombres féjours
OCTOBRE. 1760 . 31
Fais tomber cet affreux génie ,
Et de fa dure tyrannie ,
Défends les derniers de nos jours.
Lance d'un bras ferme & terrible ,
Diane, des traits affurés ,
Qui , de cette Mégère horrible ,
Vengent nos peuples éplorés .
Et toi , dont Thèbe eft la patrie ,
Chef des Bacchantes en furie ,
De cette noire Déité ,
Calme la fureur dévorante ;
Et , dans notre Ville mourante ,
Ramene l'utile fanté.
Par M. L.....
ODES ANACREONTIQUES.
C
PLEIN
LEIN de l'image de Clélie ,
Sans ceffe je vois fes attraits :
L'Univers eft ce que j'oublie.
J'aime , voilà ce que je fçais .
Mon amour pour elle eft extrême ;
Il épuife mes fentimens :
Je m'ignore prèfque moi- même.
Mon coeur feul eft ce que je lens.
J'enflamme l'objet que j'adore ;
L'Amour couronne notre ardeur :
Biv
32 MERCURE DE FRANCE
Le tendre feu qui me dévore
Se confond avec mon bonheur.
QUE
AUTRE ODE.
UE j'aime au fond d'une retraite ,
Impénétrablé au Dieu du jour ,
A trouver une ombre difcrète ,
Pour mieux foupirer mon amour !
Lieux enchanteurs , lieux favorables
Aux doux myſtéres des plaiſirs 3.
Qui , fous vos ombrages aimables ,
Ne poufferoit point de foupirs ?
Gazons fleuris , fombre verdure ,
Pour moi que vos charmes font doux !
Séjour chéri de la Nature ,
Puiffé- je n'habiter que vous !
Par M. P. *** d'Arras.
LETTRE de l'Auteur du Mercure.
QUELQUES perfonnes , Monfieur , qui
favent que j'ai des Piéces Angloifes traduites
& deftinées à la continuation de
mon Théâtre Anglois , ont paru defirer
que j'en donnaffe de tems en tems . quelOCTOBRE
. 1760. 33
”
ques Scènes dans le Mercure . Il s'agit de
favoir file Public fera du même fentiment
les hardieffes & la fingularité des
fituations que les Auteurs Anglois fe permettent
, malgré le piquant de la nouveauté
, toujours en droit de plaire à bien
des Lecteurs , peuvent déplaire à beaucoup
d'autres. J'attendrai fon jugement
fur celle- ci , pour favoir à quoi m'en tenir
fur quelques autres du même genre .
Elle est tirée de la Tragédie du DỤC DE
› GUISE , ou du Maſſacre de Blois , dé
MM. Dryden, & Lée, deux des meilleurs
Tragiques Anglois , Acte s .
SCENE VII.
Le Théâtre repréfente un appartement préparé pour
unefête . On voit , dans le lointain , des Bergers
& des Bergères à Table. Le Comte de Malicorne ,
après les avoir regardés , s'approche fur le devant
du Théâtre.
LE COMTE DE MALICORNE , ſeul.
VoOICI la fête anniverfaire du Contrât -
que j'ai paffé, depuis douze ans, avec l'Enfer
! Les fuccès , l'opulence, & des plaifirs
toujours nouveaux , feuls objets dés defirs
Bv.
34 MERCURE DE FRANCE.
de l'homme , furent le prix que je de
mandai pour mon âme ; & je crois l'avoir
bien vendue.... On m'a promis vingt &
un ans de jouiffance fans obftacle ; on
m'a jufqu'à préfent tenu parole : ainſi
je puis compter fur neuf encore.... Comment
l'Enfer peut - il être affez fot , pour
mettre une âme à fi haut prix ? ... Je ne
puis m'empêcher d'en rire ! ... J'ignore ,
cependant , quel mouvement intérieur
femble tout-à- coup m'agiter ; quel nuage
offufque ma tête , & me rend trifte malgré
moi ... Appellons , pour nous diffiper
, le fecours de la joie d'autrui.....
Approchez , mes amis ?... Chantez , danfez
, animez - vous , jouiſſez du préſent .
( On exécute un Divertiffement champêtre , vèrs
la fin duquel , on entend heurter un grand
coup à la porte. )
MALICORNE.
D'où part ce bruit ?
UN DOMESTIQUE .
Seigneur , un homme en noir, de mauvaife
mine , & d'une voix tonnante , eft
à la porte... & prétend vous parler .
MALICORNE .
Qu'il s'en retourne : dis -lui , que dans
ce jour , je ne reçois perfonne ; que je le
confacre au plaifir .
L
OCTOBRE . 1760 . 3.9
Le Domestiquefort . Les coups redoublent . )
Quel eft donc l'infolent qui heurte ain-
G ... Sçait- il , que c'eft chez moi ?
( Le Domestique rentre . )
LE DOMESTIQUE .
•
Seigneur , il dit , que l'affaire eft preffante
; qu'il faut que vous veniez à lui ;
ou qu'il viendra troubler la fête.
MALICORNE.
Dis- lui , que je n'en ferai rien .
LE DOMESTIQUE.
En vérité , Seigneur , je n'oferois ...
Je ne
( Le bruit redouble . )
puis le voir , fans frémir ! vos
chiens même , à fon afpèt , fe fauvent en
heurlant .
MALICORNE, après avoir révé un inftant.
Qu'il entre... Sortez tous.
( Lefonds du Théâtre , fe ferme . )
ઉન
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
SCENE VIII.
MALICORNE. Le Démon MÉLANAX ,
tenant une horloge de fable ,
prèfque vuide..
Qu
MALICORNE.
Ui te rend donc affez hardi , pour
venir interrompre mes plaifirs ? ... Tu ris ,
malin démon ! oublierois-tu l'empire que
l'Enfer m'a donné fur toi ? à quel point
je puis te punir ?
MELANA X.
Malicorne , je te crains peu ... Regarde
cette horloge !
MALICORNE.
Qu'a- t- elle de commun avec ma puiffance
fur toi ?
MÉLANAX.
Regarde... voi ce fâble qui s'écoule ...
Il t'annonce le peu d'inftans qui te reftent
à vivre.
MALICORNE.
Vaine & lourde fupercherie! .. I te reſte
neuf ans à me fervir.
MÉLANAX.
Pas même , neuf minutes,
OCTOBRE . 1760.
37
MALICORNE.
Vil impofteur ! ... connois- tu ce contrât
? ... regardes - en la date .
MÉLANA X.
Tu t'en rapportes donc à ce papier ?
MALICORNE.
Oui , je le jure... & que le Ciel ' me
foit en aide !
MÉLANA X.
Et que l'Enfer te prenne... Lis ... vois,
qui de nous eft le plus impofteur .
( Illui montre le double du Contrât. )
. MALICORNE.
Ciel ! au lieu de 21 ans , mon oeil trou
blé n'en trouve plus que 12.
MELANA Χ.
Va , malheureux , tu ne vois que trop
clair.... Mais lorfque tu fignas ce funefte
écrit, je fçus te fafciner les yeux au point
de lire 21 , ou dans tout autre temps tu
n'aurois lû que 12 .
MALICORNE.
Ainfi ton crime eft avoué ... C'eft me
donner le droit d'en appeller à l'équité
du Ciel.
MÉLANAX.
Aveugle que tu es ! ....Tu viens de
36 MERCURE
DE FRANCE
.
SCENE VIII.
MALICORNE. Le Démon MELANAX ,
tenant une horloge de fable ,
prèfque vuide.
QUI
MALICORNE.
52
UI te rend donc affez hardi , pouf
venir interrompre mes plaifirs ? ... Turis ,
malin démon ! oublierois-tu l'empire que
l'Enfer m'a donné fur toi ? à quel point
je puis te punir ?
MELANA X.
Malicorne , je te crains peu... Regarde
cette horloge !
MALICORNE.
Qu'a - t- elle de commun avec ma puif
fance fur toi ?
MELANAX.
Regarde... voi ce fable le..
Il f'annonce le peu d'i
tent à vivre.
Vair
OCTOBRE. 1965 . 37
MALICORNE
Vil impofteur ! ... connois- tu ce contrât
? ... regardes- en la date.
MÉLANAX.
Tu t'en rapportes donc à ce papier ?
MALICORNE.
Oui , je le jure...& que le Ciel ' me
foit en aide !
MÉLANAX.
Et que l'Enfer te prenne. .. Lis ….. vois,
qui de nous eft le plus impoſteur .
(Illui montre le double du Contrát. )
MALICORNE.
Ciel ! au lieu de 21 ans , mon oeil trou
blé n'en trouve plus que 12 .
MELANA X.
Va , malheureux , tur
clair.... Mais lorfque t
écrit, je fçus te fafcine
de lire 21 , ou dans
n'aurois lû que 12.
MAJ
Ainfi ton cr
don le dr
ue trop
funefte
38 MERCURE DE FRANCE.
t'interdire cet appel , en atteftant tout-àl'heure,
en fon nom , que tu t'en rappor
tois à cet écrit.
MALICORNÉ.
Ah , malheureux ! je fuis perdu.
MÉLANAX.
Qui t'en feroit douter ?
MALICORNE.
'Ah ! fi du moins , tu m'avois prévenu.
MELANAX .
Je n'avois garde !...Tu m'aurois trompé
moi-même.
MALICORNE.
Accorde-moi du moins un jour ? ...un
demi jour ... une heure ... Tien ,
*
?
laiffe- moi ce jour : je ne contefte plus ;
je fuis à toi ..... Je te pardonne même ,
fans regret , le vol que tu me fais de
neuf années.
MELANA X.
Attendrit- on l'enfer ? ..... lâche ! ..
Dépêche - toi ...... C'eft trop avilir ma
victoire.
MALICORNE.
Barbare créancier ! ..... je fuis pour-
* Mélanax , à toutes ces demandes , ne répond
qu'en hochant la tête.
OCTOBRE. 1760. 39
tant encore ton maître : obéis -moi , perfide....
Guife m'eft cher ; & jufqu'à mon
dernier foupir , je veux le lui prouver. Répons
fans détour . Dévoile - moi l'avenir
qui l'attend.
MÉLANA X.
Si ton Guife monte au Château ; s'il
ofe affifter au Confeil , ..... il eft perdu.....
Ton Guife eft mort.
MALICORNE.
Holà , quelqu'un ? ..... ( un Domeftique
arrive. ) Volez ; portez à Guiſe mon
dernier adieu... Dites- lui que j'expire; qu'il
fe garde , fur- tout , d'aller au Confeil ; où ,
fa mort eft certaine.
( Le Domeftiquefort ; &Malicorne s'apperçoit
que Mélanax fecoue l'horloge. )
Cruel , arrête ! .... Le fâble coule encore
ne précipite point fa chûte ! tu
n'auras que trop ta proie ..... ( à part. )
Si je pouvois fincérement me repentir.....
Il ne me refte qu'un inftant ! Mais ta miféricorde
, ( ô Ciel ! ) pourroit - elle être
limitée ? ..... Daigne daigne me l'accorder
!
MÉLANA X.
Prieres auffi fauffes que légères , qui
ne frappent que les airs , & que le Ciel
40 MERCURE DE FRANCE.
rejette ! .... Mortel , je fus Ange autrefois
; je fus même du premier Ordre : près
du Trône brillant de l'Eternel , mon oeil
en foutenoit prèfque l'éclat. Je croyois
infenfiblement parvenir jufqu'à pouvoir ,
fans fourciller , enviſager fa gloire . Hélas
! ainfi que mes pareils , je n'eus que
ce moment d'orgueil ; & nous tombâmes
tous ! Et nous tombâmes pour jamais ! ....
L'homme moins malheureux , l'homme
pétri d'argile , & d'une espéce bien moins
noble , l'homme fe rend fans ceffe plus
coupable , & peut toujours efpérer le
pardon. Le Ciel eft jufte cependant ? nos
lumieres , étoient plus parfaites : nous
avions vû , fenti , connu , notre forfait :
tandis que l'homme , enveloppé d'organes
plus ou moins groffiers , moitié âme,
moitié matiére , tombe toujours prèfque
aveuglément dans le crime.
MALICORNE , avec vivacité.
Ah ! Ciel ! .... Je puis donc efpérer
encore ?
MÉLANAX..
Toi , malheureux ! .... Apprens , qu'en
te parlant ainsi , mon but étoit de te diftraire
, de te ravir le peu d'inftans qui
te reftent pour demander plus fincérement
ta grace , .... Regarde cette horOCTOBRE.
1760
loge..... Tombe dans le défeſpoir !
MALICORNE.
Dieu ! jufte Dieu ! Que d'horreurs m'environnent
? .... Ainfi l'homme , trop peu
foigneux de fon état futur , difpute , ne
fçait rien , & croit toujours trop tard ! ' ....
( La foudre tombefur Malicorne ; & tous les
deux font engloutis . )
EPITRE , à M. de VOLTAIRE , für la
Comédie de l'EcoSSOISE.
Tor que le Dieu du goût , & le Dieu du génie
Ont à l'envi comblé de leurs divins talens !
Toi dont les fublimes accens
T'ont rendu dans ce fiécle , & dès tes jeunes and
Le héros de la Poëfie ,
Le plus digne de notre encens !
Daigne accepter ce foible hommage..
Permets que j'ole ici t'offrir
Ce tribut que je dois à la vertu d'un Sage ,
Qui m'enfeigne à bien vivre &m'apprend à mourir
J'ai vu les fruits nouveaux de l'efprit qui t'anime ,
Et le jufte fuccès de ce drame enchanté ,
Où le fage Friport , que j'aime & que j'eftime
Rend par fa bienfaiſance hommage à la beauté ;
Où l'humanité parle , où ta jeune Ecoffaife
Donne fur la Scène Françaiſe
42 MERCURE DE FRANCE.
Des leçons de vertu , d'honneur , & de fierté.
Mon coeur doublement agité,
Par les malheurs & par fes charmes ,
Nageait dans un torrent de plaifirs & d'allarmes,
Ses foupirs , fes dédains , fa noble fermeté ,
M'enchantaient tour - à - tour , & m'arrachaient
des larmes
De douleur & de volupté !
Le jufte défefpoir qui tranfporte Monrose ,
En voyant un mortel que fa haine a profcrit ,
Le refpect de Murrai qui fiérement s'expofe
Au fer vangeur qui le pourfuit ,
Sontun tableau frappant dont l'Enſemble compoſe
Un afpect effrayant qui touche & qui féduit .
Ofublime Voltaire ! ô nouvel Euripide !
Toi qui couvres , de ton Egide ,
L'infortuné mortel fous les maux abbattu !
Ton efprit nous apprend , en ce fiécle éperdu ,
A marcher d'un pas intrépide
Dans le fentier de la vertu .
Notre Raifon s'éclaire au flambeau quite guide
C'eſt un nouveau foleil qui nous eft apparu.
Toi feul dans le fiécle où nous fommes ,
Par des Ecrits toujours nouveaux ,
Toi feul tu fais inftruire & confoler les hommes ;
Tuvas jufqu'à leur faire aimer leurs propres maux!
Ta façon de penfer m'éleve ... & me décide
Sur les événemens cruels & malheureux
OCTOBRE. 1760. 43
Ta voix qui me prépare aux accidens fâcheux ,
M'apprend à méprifer l'ingrat & le perfide ,
Dont le poignard & le coup homicide
Portent prefque toujours fur les coeurs généreux !
Qu'un Auteur , après toi , vienne affadir la Scène,
Par un faux intérêt , par un ftyle ampoulé
Où le bon fens eft toujours à la gène ,
Où l'efprit tâche ... & croit fans peine
Qu'un tel drame eft parfait , tandis qu'il eft fiflé ;
Je gémirai fur lui , fur l'erreur qui l'enchaîne ,
Et je plaindrai le fiécle où ce Sot a parlé.
Mais toi qu'Apollon même éclaire ,
Et pénétre d'un feu divin ,
Toi qui nous aime & qui nous tends la main ,
Lorsque le fort nous eft contraire ;
Toi qui fais confifter ton bonheur fouverain
Dans le talent , dans l'art de plaire
En inftruifant le genre humain ;
Viens embellir , viens graver au Théâtre
Par la voix de Clairon , Dumefnil , & Gaufin ,
Ces nobles fentimens dont ton coeur eft fi plein ,
que l'honnête-homme idolâtre . Et
Que ta mâle éloquence , & que la vérité
En détruifant l'erreur , nous y parlent fans ceffe]
Sur le ron de l'humanité ;
fa
Que l'homme riche & vain , qui n'a que ſa fierté ,
Con naiffe en te lifant fon néant , fa faiblelle ,
Et qu'il falle fa volupté
44 MERCURE DE FRANCE:
D'accueillir l'indigent qui fouffre , & qui s'abaiffe,
En contemplant la pauvreté .
Viens manifefter l'ignorance ,
Abailler l'amour- propre , & confondre l'orgueil
De ces petits Auteurs dont l'âme eſt un recueil
De baffeffe & de fuffifance ;
Et dont la coupable infolence
Va jufqu'à defirer de te voir au cercueil .....
Mais plutôt aiffe-les dans leurs erreurs groffières
Préparer fans fuccès leurs traits & leur poiſon ;
Le fort de cet amas d'Ecrivains mercénaires ,
Eft de ramper fans ceffe aux pieds de l'Hélicon ;
D'avoir un voile épais , tendu fur leurs paupieres .
Qui leur ôte à jamais l'efprit & la raison.
Et qu'importe en effer qu'un Sot ou qu'un Infâme
Applaudiffe à ta gloire , infulte à tes talens ;
Sa voix le perd dans l'air , fes cris font impuiſſans,
Et le mépris public , & l'opprobre , & le blâme ,
Sont le prix qu'on arroge à fes vils fentimens.
L'efprit que t'a donné le Maître du Tonnèrre ,
Eft autant au- deffus de ce troupeau vulgaire ,
Que le palmier , le cédre du Liban
Sont au- deffus du pin qu'on abbat & qu'on fend
Lorsqu'il dépérit fur la tèrre ,
Et qu'il n'y fert plus d'ornement.
Le féjour où tu vis , ces champs où l'on t'adore,
Sont pour toi le vrai paradis ;
Tu t'y plais & tu les chéris
OCTOBRE.. 1760.
43
Plus que ces lieux charmans que le Louvre décore
Et ton coeur fatisfait les préfére à Paris.
Ta fublime philofophie
Admet que les vrais biens & la félicité
Sont de vivre éloigné du faſte & de l'envie ,
D'éxifter chez un peuple où gît la liberté ,
La bienfaifance & l'induftrie :
Le vrai Sage en tous lieux fait trouver la patrie.
Sois heureux fur les bords de ton lac enchanté ;
Rien ne manque à tes voeux , ta gloire eft inouïe :
Un des plus beaux efprits que la Tèrre ait porté,
Frédéric , rend hommage à ta célébrité ,
Et t'encenfe fans jaloufie .
Tes Ecrits , où des Dieux parle la majeſté ,
Marqués du fceau brillant du goût & du génie,
Iront avec éclat à la postérité ;
Et tu jouis pendant ta vie
De la certitude infinie
D'aller même en mourant à l'immortalité.
Par M. de S. ETIENNE.
UN
FABLE.
N ver luifant que l'aurore vit naître ,
Fier de fe voir brillant fur le déclin du jour ,
Crut qu'il l'avoit fait diſparoître ;
Qu'Auteur de la lumiere , il alloit à ſon tour ,
A l'Universentier,la en partager Maître.
Déjà dédaignant fon réduit ,
46 MERCURE DE FRANCE
Ils'empreffe à gagner la plaine ,
D'où les rayons doivent fans peine ,
De la tèrre , à jamais , chaffer l'affreuſe nuit
ignoroit , hélas ! que fon éclat vînt d'elle.
Tandis que ce Phébus nouveau
Porte au loin fa clarté qu'il prodigue avec zéle
L'aftre du jour rallume fon flambeau ;
Et bientôt échauffant la plaine ,
De fa brillante haleine ,
Grilla le pauvre vermiffeau .
Jeunes préfomptueux , c'eft ici votre hiftoire !
A- t-on dans quelque cercle applaudi nos talens ;
On paroît : mais , au jour , quefont ces faux Sçavans ?
Trop heureux, fi leur chûte eft digne de mémoire !
PASQUIER
OCTOBRE. 1760 . 47
ESSAI SUR CETTE QUESTION :
Lequel de ces deuxfentimens eft le plus
relatif au bien être de la fociété ou celui
des François qui notte d'infamie les
parens des perfonnes fupliciées , ou celui
des Angiois qui lui eft exactement oppoſe.
Refpicere exemplar vitæ , morumque jubebo
Doctum imitatorem , & veras hinc ducere voces.
Horat. Art. Poët. v. 317 .
CETTE queſtion , Meſſieurs , a déjà
été agitée plus d'une fois dans vos affemblées.
Le refpectable Académicien qui fe
la propofa d'abord , content d'avoir mis
en parallele , ce qui fembloit devoir faire
pancher la balance en faveur de chacun
de ces fentimens , & en même temps leur
faire refufer la préférence , laiffa l'affaire
indécife , & à chacun de fes auditeurs la
liberté de fe déterminer. Sans prédilection
au moins apparente pour l'un ou l'autre
de ces deux objets , qu'il venoit de peindre
avec les couleurs qui leur étoient effentielles
, il vit d'un ceil indifférent , l'un
penfer à l'Anglaife à cet égard , l'autre
tenir bon pour le fentiment nationnal.
48 MERCURE DE FRANCE :
Ami décidé des hommes , M. Poréę
en donnant fa differtation au Public , rempliffoit
deux objets intéreffans à la fois.
D'un côté , en examinant ce que chaque
fentiment avoit pour & contre lui , il
apprenoit à une partie de fes Auditeurs à
raiſonner leur façon de penfer; de l'autre,
en reftant en- deçà de la décifion , il ouvroit
une carrière à ceux qui doués de
quelques talens , voudroient prendre l'un
ou l'autre parti , & rendre compte des
raifons qui les auroient décidés.
Un de vous , Meffieurs , ( * ) prit le fentiment
françois fous fa protection , &
s'annonça dans ce fanctuaire en plaidant
en fa faveur. J'ofe entreprendre de foutenir
celui d'une nation rivale de notre patrie
; j'ofe croire en même temps que perfonne
ne me foupçonnera de le défendre
autrement qu'en bon françois .
Les fociétés & les loix nâquirent en
même temps ; & cela eft dans l'ordre. Il
falloit des conventions pour former les
fociétés , & de leur obfervation dépendoient
le bonheur & le repos de ceux qui
y avoient accédé . On n'auroit jamais connu
les loix pénales , fi les hommes n'avoient
jamais violé les régles éternelles
* M. Manchon , Curé de Chichebouville.
du
OCTOBRE. 1760 . 49
du jufte , & de l'honnête , & s'ils avoient
toujours écouté la voix de leurs devoirs :
mais il fallut qu'elles vinffent fervir de
frein à l'emportement fougueux des paffions
; & c'est là que commence cette lifte
humiliante pour l'humanité , où font tracés
les noms de ces malheureux illuftres
leurs crimes , dont les tourmens &
la mort , ont été l'éffroi des fiécles qui les
ont vu vivre & terminer leur carrière.
par
Mais cette humiliation , Meffieurs , eft
commune à tous les hommes en général ,
parce que tous les hommes ont entr'eux
une liaiſon certaine , néceffaire & effentielle
; cette humiliation leur eft commune
, parce que le voeu unanime de tous les
êtres penfans , eft de n'être environnés
que d'êtres penfans avec autant de délicareffe
qu'eux , & qu'ils ne peuvent voir fans
douleur un homme femblable à eux en
toutes chofes , élevé à la même école , fe
dégrader de fa grandeur, & devenir l'objet
dela haine & de l'horreur publique.
Peut- on avec quelque raifon conclure
de ce principe , que les parens de ceux que
leurs crimes ont conduit fur l'échafaut ,
doivent participer à leur honte & devenir
non feulement le jouet , mais le rebut,
& l'objet le plus marqué du mépris de
urs compatriotes? On croit être en droit
11.Vol. C
yo MERCURE DE FRANCE.
de le faire ; on agit en conféquence dans
notre Patrie , où l'on fe pique avec raifon
d'avoir épousé les fentimens , & d'avoir
fecoué le joug de bien des préjugés ,dont
nos Peres avoient été , & dont plufieurs
de nos voisins font encore les efclaves ou
les victimes .
Raifonnons - nous avec jufteffe? L'affaire
femble affez importante pour être diſcutée
férieufement ; & bien d'honnêtes gens
trouveroient leur compte , fi nous n'avions
fuivi jufqu'à préfent que le préjugé pour
guide , en portant des jugemens auffi flétriffans.
Voyons d'abord , quel eft l'objet de
notre mépris ? nous l'aurons trouvé bientot
: c'eft la famille entiere d'un homme
qui a péri par les mains du bourreau, fans
diftinction d'âge , de rang , ou de fentiment.
Le vieillard qui aura fourni une
carrière vertueufe , defcend couvert de
honte au tombeau ; l'enfant qui n'a pas
encore vû le jour , apprendra , en commençant
à fe connoître , qu'il eft né dans
une famille déshonorée , & portera la
peine que mérita jadis un ayeul qu'il ne
connut jamais.
Examinons enfuite quel eft le motif de
ce mépris décidé , dont rien ne peut nous
faire revenir en faveur de cette famille
OCTOBRE. 1760 .
Infortunée ; nous en avons deux qui nous
font agir , le crime , ou la peine du cri
me. Voyons fi l'un ou l'autre de ces motifs
font déterminans. Pour y parvenir
prenons - les chacun à part ; citons notre
façon de penfer au tribunal de la Raifon,
& ne prononçons que fur de bonnes
preuves .
Eft- ce le crime en effet qui eft notre
principal motif ? mais fi le crime que
quelqu'un a commis nous porte à regarder
fa famille comme couverte d'un opprobre
inéfaçable, il me femble que nous devons
d'abord nous faire mettre fous les yeux
un tableau vrai de la vie du coupable ,
depuis qu'il commença à fe connoitre ,
jufqu'au moment qui a terminé fon fort :
que nous devons examiner fcrupuleuſement
chacune des circonftances de cette
vie , relativement à l'éducation qu'il a
reçue , & aux foins que fa famille a pris
de lui : que nous devons nous former une
idée nette de ce que cette famille a fait cu
négligé de faire en faveur de cet homme,
qui , fuivant notre jugement , vient de
la déshonorer ; difcuter foigneufement fi
ce fut l'avarice ou la prodigalité de fes
parens ; une tendreffe mal entendue , ou
une haine décidée ; une molle indulgence
, ou une lévérité outrée , qui furent
C ij
52 MERCURE DE FRANCE:
les caufes de fa perte ; diftinguer attenti
vement entre celui de fes parens , qui , à
portée de lui donner de fages avis , négligea
de le faire , & celui , qui hors d'état
de s'acquitter de cet indiſpenſable devoir
, ne put former pour lui que des
voeux impuiffans : & comme dans une
famille affemblée , il eft rare de voir tous
les avis réunis , il faudra fçavoir exacte
ment quel des parens avoit choifi le plus
fage , quel avoit pris un travers , afin de
ne répandre fur chacun que la portion de
mépris qui lui fera due , & conferver entiere
la réputation de ceux qui par une
conduite fage & mefurée auront mérité
qu'on n'y porte aucune atteinte .
Mais cet examen fi néceffaire pour
n'ê- tre pas
induit
en erreur
, qui de ceux qui prononcent
un jugement
flétriffant
, l'a fait difons
plus , qui l'a pu faire ? aucun fans doute. De cette impoffibilité
de pé- nétrer
à fond la conduite
qu'ont
tenuë ceux que les liens du fang atrachoient
au coupable
, fort naturellement
un défaut effentiel
dans le jugement
que nous por- tons fur elle. Le crime commis
, pár un membre
de cette famille
, ne peut donc
être qu'un prétexte
pour la couvrir
d'op- probre
& de confufion
.
Mais allons plus loin , & fuppofons que
OCTOBRE. 1760.
53
de l'examen attentif & réfléchi que nous
aurons fait , il réfulte clairement que la
famille a contribué par fon inattention ,
ou fa pareffe , à la faute capitale que nous
reprochons au coupable & que nous
imputons aux parens par contrecoup ,
qu'en pourrons- nous conclure de favorable
pour notre façon de penfer Rien
certainement ; au contraire , un peu de
réfléxion nous convaincra qu'elle eft abfolument
inconféquente.
C'eſt le crime qui vient d'être commis
qui eft notre motif , difons - nous.
Mais premierement n'eft- il de coupables
que ceux qui tombent entre les mains de
la Juftice ? En fecond lieu , n'eft-il de
crimes que ceux contre lefquels les loix
humaines ont prononcé des peines capitales
?
L'une & l'autre de ces propofitions ne
peuventêtre foutenues avec quelque vraifemblance.
En effet , nous fommes entourés
d'une multitude d'hommes , dont
la vie a été un tiffu de crimes , qui , vendus
à l'iniquité , ont même ofé s'annoncer
fur ce ton dans le monde , dont les coeurs
viciés ont été infenfibles à la voix intérieure
de la confcience , & aux fages confeils
de leurs amis , qui après avoir vécu
dans le crime ont rendu le dernier foupir
C iij
34 MERCURE DE FRANCE.
en defirant encore d'en confommer de
nouveaux. En fecond lieu , combien de crimes
bien effentiels contre lefquels les loix
humaines , n'ont prononcé aucune peine
dans notre patrie , ou du moins auxquels
on n'en inflige aucune ? les jours du mér
difant , du calomniateur , de l'impie déclaré
, du matérialiste , de l'infâme adul
tére , ne jouiffent-ils pas en paix de la
protection que les loix accordent au Citoyen
le plus vertueux ? Nous cependant,
dont le jugement eft fi févére contre une
famille deshonorée , felon nous , par
le crime d'un de fes membres. , nous
vivons en fociété avec les criminels des
deux espéces , que nous venons de nommer
; l'intérêt , l'amitié , les égards , tour
nous lie avec eux , & cependant leurs
cours nous font connus ; la profeffion
ouverte de leur façon de penfer ne nous
permet pas de nous la cacher ; leurs vices,
leurs défordres font affichés ; pouvonsnous
après cela affurer avec quelque raifon
que le crime eft l'objet de notre mé
pris ? Que e'eft lui qui nous fait rompre
avec cette famille qui jouiffoit , il n'y a
que peu de momens,de toute notre eftime
pour le prouver , mettons donc au
rang de la famille du criminel ces hommes
que nous connoiffons coupables deș
OCTOBRE. 1750. S$
Crimes dont nous venons de faire l'énu
mération ; ou ayons pour ceux qui ont le
malheur d'avoir nourri des hommes indignes
d'eux , une indulgence que nous
leur devons à des titres bien plus réels ,
que ceux à qui nous l'accordons fi libéra
lement..
J'ignore comment on pourroit autre.
ment mettre d'accord des fentimens autant
oppofés ; & je conclus , contre ceux
que je combats , qu'ils fe font illufion ,
que leur coeur les trompe , & que ce n'eft
nullement au crime qu'ils en veulent en
flétriffant la famille du criminel .
Le fecond motif dont nous avons parlé
eft donc celui qui nous fait agit , &
nous flétriffons la famille du coupable ,
parce que le coupable -a été puni . Mais
dans ce fecond cas avons nous plus de
raifon que dans le premier ? Jettons encore
fur nous mêmes un oeil attentif à
cet égard ; examinons l'effet abfolu du
jugement que nous portons fur la famille
du Supplicié , & l'effet de ce même jugement
relativement à la fociété en général.
La famille du Supplicié eft bien à
plaindre , fans doute , d'avoir produit un
monftre qui rompant les nouds qui l'attachoient
à l'efpéce humaine , s'eſt dé-
C iv
56 MERCURE DE FRANCE.
claré fon ennemi. Sa fenfibilité eft réveil
lée par le crime & par les circonstances
qui l'aggravent ; fon influence eſt au
comble , puifqu'à ces premiers chagrins
toujours renaiffans , elle va voir ajouter
la honte , dont fuivant le fentiment reçu ,
la peine infligée au coupable va la couvrir.
Mais fi la façon de penfer de cette famille
étoit épurée ( & je crois que les
plus zélés défenfeurs du fentiment que je
combats m'accorderont qu'on ne doit
pas.regarder comme coupables tous les
parens d'un criminel , uniquement parce
qu'ils font fe parens ) le jugement que
vous portez n'ajoute rien à fa peine ; elle
eft dans l'âme , & indépendante du jugement
des hommes .Votre fyftême n'a donc
aucune influence fur la famille du coupable
fupplicié. En a t il davantage fur la
Société Vous foutenez l'affirmative : de
la honte , dites- vous , du fupplice infligé
au coupable , va naître une attention redoublée
dans tous les pères de famille ;
les démarches les plus innocentes , en apparence
, vont être fcrupuleufement examinées
, les parens vont févérement interdire
à leurs enfans certaines liaifons ,
certaines fociétés ; leur défendre la fréquentation
de certains amis ; la moindre
OCTOBRE. 1760. 57
manque,
fauffe démarche va être férieufement cenfurée
de là l'indifpenfable néceffité de
facrifier la famille du Supplicié au bon
ordre qui va regner déformais dans toutes
les autres familles , comme on a facrifié
le coupable au repos de la fociété.
Pour donner à ce raiſonnement la plus
grande partie de la force qui lui
il faudroit prouver d'abord que l'ufage
que nous avons fuivi jufqu'à préfent a
produit ce bon effet , que nous en regardons
comme une fuite invariable ; or l'expérience
s'oppose à cette preuve. Il faudroit
prouver enfuite que tous ceux dont
les inclinations font vicieuſes , ont des
fupérieurs immédiats qui vont travailler
à les rectifier , & qu'ils y réuffiront efficacernent
; & je nie que ces deux condi
tions fe rencontrent dans les cas paffés.
Quel bon effet fuivra donc votre façon
depenfer , relativement à la fociété aucun
encore. Au contraire elle donnera
naiffance à une multitude de faux raifonnemens
, de démarches défavantageufes
au bien-être de cette fociété , pour laquelle
vous combattez , & à des réfolutions
défefpérées de la part des infortu
nés que vous accablez fous le poids de
vos cruelles déciſions .
C▾
58 MERCURE DE FRANCE.
Je dis qu'il en naîtra de faux raiſonnemens
: le libertin en conclura , que puilque
le fupplice feul peut faire la honte de
fa famille , il lui fuffit d'éviter , avec foin,
tout ce qui peut faire connoître qu'il eſt
l'auteur du crime;il apportera toute la réflexion
, que les grandes paffions laiffent à
l'âme à combiner les moyens les plus éfficaces
pour éviter les recherches de la juftice
; il rafinera fur l'art malheureux d'épaiffir
les voiles dont ceux qui conçoivent
le crime tâchent de s'envelopper pour le
commettre.
Il en naîtra des démarches défavantageufes
au bien de la fociété, en ce que les
familles apporteront moins de foins pour
inſpirer, à ceux qui leur appartiennent , des
fentimens vetueux & réfléchis , que pour les
fouftraire à la peine, lorſque l'oeil pénétrant
de ceux qui font chargés de la vengeance
publique , aura percé les afyles reculés ou
le criminel s'étoit caché. Delà cette activité
dans les mouvemens auprès d'un Juge
prêt à prononcer ; delà ces foins redoublés
pour faire difparoître ou pour affoiblir
ce qui pourroit faire un corps de
preuve complet ; delà ces tentatives réitérées
pour corrompre des témoins , ou
pour les engager à pallier des dépofitions
OCTOBRE . 1760. $ 9
accablantes ; delà ces efforts foutenus.
pour préfenter l'affaire fous des couleurs
empruntées , pour féduire des Juges trop
faciles , pour faire plier la décifion des
autres fous le poids des amis & des recommandations
, ou enfin pour les faire
recufer par un pouvoir fupérieur , fi la
brigue a été vainement employée pour
furmonter les difficultés que leur droiture
-aura fait naître .
Il en naîtra des réſolutions défeſpérées ,
en ce que cette foule d'honnêtes gens
que vous facrifiez inhumainement au préjugé
dominant , déformais fans afyles &
fans appui , n'ayant pour compagnons
que fes vertus & fes malheurs , ira cher-
.cher fous un ciel étranger le fupport que
vous lui refufez , & enrichir de fes talens
& de fon induftrie des fociétés moins
.cruelles.
De quelque côté donc que nous regardions
le fentiment reçu en France , ce
préjugé de ma Patrie que j'éffaye de vaincre
, nous trouverons qu'il ne fe foutient
nullement , que les principes d'où il naît
ne font ni fermes , ni invariables , & que
fa marche n'eft pas raifonnée. Pourquoi
le refpecter donc encore , puifque fous
quelque face que nous envifagions ce qui
C vj
60 MER CURE DE FRANCE.
en réſulte , nous n'appercevons qu'inconféquence
, & qu'erreur ?
Les Loix militaires , vont m'en fournir
un exemple fans replique . Ces Loix préfentent
d'abord un fond de févérité éffrayan
; la peine fuit la faute de près ,
& cette peine ne peut être adoucie ni diminuée.
Le genre de vie auquel font deftinés
les hommes pour qui ces Loix ont
été faites , a femblé exiger que le Légif
lateur renonçât en partie aux fentimens
de l'humanité. Auroit- on , fans cet effort
de difcipline , retenu dans le bon ordre
une foule fans éducation & fans moeurs
qui auroit cru trouver dans cet Etat des
raifons pour autorifer fon libertinage ?
Non fans doute ; auffi l'examen eft fimple.
Le Soldat traduit au Confeil de guerre ,
eft coupable ou innocent ; l'attention des
Juges ne roule que fur ces deux objets.
S'il eft coupable , il eft condamné fans
égard aux circonftances . C'eft un malheur
de plus pour quelques uns . Mais fi l'on
entroit dans le détail de ce qui a déterminé
le Soldat à fe rendre criminel , on
de ce qui auroit pû le retenir , outre que
les longueurs feroient fans fin , il en réfulteroit
encore qu'à peine quelques- uns
feroient dans le cas de fervir d'exemple ,
& bientôt le bon ordre fi effentiel dans
OCTOBRE. 1760 65
les armées fe trouveroit abfolument
anéanti. Comme pour le maintenir il
falloit fermer l'oreille à la voix de la
follicitation , & aux recommandations
d'une famille , ou puiffante , ou vertueufe
, on a décidé que la peine de mort
infligée au Soldat déferteur ne reporteroit
aucune honte fur fes parens. Mais
au fond , Meffieurs , la différence entre
ce déferteur que l'on fait paffer par les
armes , & ce coupable que je vois attaché
à une potence font- elles donc auffi
grandes que l'on veut fe l'imaginer ? L'un
a forcé un coffre fort , l'autre a pris la
fuite avec le prix de fa liberté ? Qu'on
ne dife pas que ce prix étoit modique :
la fomme eft indifférente. D'ailleurs , il
ne pouvoit pas difpofer de lui- même.
Mais allons plus loin ; fuppofons que le
déferteur qui vient d'être puni n'ait pas
dû flétrir fa famille , parce qu'il n'étoit
que déferteur ; combien d'hommes coupables
de grands crimes n'ont fubi que
cette même peine , parce qu'ils étoient
Soldats , & parce que , nous dit- on tranquillement
, on n'a pas voulu déshonorer
leurs familles . D'où vient donc la perte
de l'honneur ? Je le demande encore ;
eft- ce du crime ? eft- ce du fupplice ? eſtce
du genre de fupplice different ? Pour
62 MERCURE DE FRANCE.
être conféquens dans cette partie , cou
vrons donc d'ignominie , avec tant d'autres
, les parens de ce Soldat qui vient de
fervir d'exemple à fon Régiment ; ou
faifons grace à ces infortunés qui n'ont
pas plus contribué à faire de leur parent
un voleur ou un affaffin , que ceux ci , à
faire un déferteur de celui qui leur appartenoit.
Il ne réfultera pas plus de mal
pour le bon ordre civil en prenant ce
parti , qu'il en résulte de le fuivre pour
le bon ordre militaire.
Offrons encore à nos concitoyens leur
propre façon de penfer.Tous les membres
d'un Tribunal font des hommes dont la
vertu ne doit pas être fufpecte ; un Collége
d'Avocats doit être compofé d'hommes
dont la droitare ne doit recevoir aucune
atteinte, les Eccléfiaftiques,deftinés à
remplir des fonctions facrées, doivent être
pour la fociété des hommes effentiellement
vénérables , des Cénobites dont les
jeûnes , les veilles , & les macérations reprochent
tacitement aux libertins les
défordres de leur vie : tous ces corps
qui font en droit d'exiger tant d'égards
d'une multitude qui ne les fuit que de
loin dans la route de la fageffe , n'ont - ils
jamais nourri parmi eux quelques membres
viciés ? N'a -t - on jamais vû de Ma
OCTOBRE. 1760 . 63
giftrats céder à la voix de la follicitation
ou de l'intérêt ? Ne vit on jamais un défenfeur
par état de la veuve & de l'orphelin
, vendre le droit de fes cliens ? Ne
vit - on jamais de miniftres des Autels facrifier
à de vicieufes inclinations ? Ne viton
jamais de Moines tomber dans l'apoftafie
, & les écarts d'une vie licencieuſe ?
Pouvons-nous nous cacher que la pourpre
Romaine n'ait été déshonorée par
des hommes indignes d'en être revêtus ?
A- t-on conclu delà que perfonne ne doive
remplacer ce Magiftrat que fon Corps
aura retranché ? L'Avocat dont le nom a
été rayé de la matricule ; le Prêtre auquel
un Official aura prononcé fa fentence ; le
Religieux , qui , privé de voix au chapitre ,
s'occupe triftement dans fa cellule à jetter
des regards douloureux fur fes égaremens
paflés : eft-ce une raifon pour nous d'avilir
le facré Collége : Ceux que la naiffance
ou le mérite ont mis en droit de prétendre
à ces dignités , font ils moins empreffés
à en être décorés ? Nos fentimens
refpectueux pour ces hommes qui occupent
les premieres places dans l'Eglife,
en font- ils affoiblis ? La honte dont ces
membres viciés fe font couverts , eft- elle
retombée fur les corps auxquels ils appartenoient
? Si ces corps font flétris , nos
64 MERCURE DE FRANCE.
refpects font bien trompeurs ; s'ils ne le
font pas , notre façon de penfer, relativement
au refte des citoyens , eft abſolument
fauffe & illufoire : il faut que nous
en convenions.
. Les hommes dont vous parlez , nous
dira- t -on , ne tiennent les uns aux autres
qu'accidentellement ; nés tous de différen
tes familles , la façon de penfer de l'un
d'eux ne doit pas influer , & n'influe pas
réellement fur les autres , & l'on doit
avoir une toute autre idée d'une famille
liée par le fang au coupable.... mais ,
Meffieurs , loin que les liaisons du fang
donnent aux hommes les mêmes inclinations
, l'expérience ne juftifie-t- elle pas le
contraire chaque jour fous nos yeux ?
Quoi de plus commun que de voir les fils
d'un avare donner dans le travers de la
prodigalité , & dépenſer en peu d'années
une fortune amaffée pendant une longue
vie ? Quoi de plus ordinaire que de voir
les fils d'un homme vertueux , par principes
, facrifier leurs beaux jours à la moleffe
, & au libertinage le plus outré ? La
Science , le courage , l'amour de la Patrie ,
l'attachement à fes devoirs , toutes ces
vertus ſe tranſmettent- elles des pères aux
enfans ? Les fureurs du reffentiment , le
defir de la vengeance , la foif immodérée
OCTOBRE. 1760. 65
d'amaffer des richeffes , par les voies même
les plus injuftes , enfin tous les vices
de caractéres deviennent- ils un héritage
que les enfans ne puiffent fe difpenfer de
recueillir ? J'en appelle aux objets qui
font fous nos yeux ; cette propofition ne
peut fe foutenir. Nulle différence donc à
faire entre les familles & les corps dont
nous avons parlé. Ici l'alternative eft encore
bien fimple.
›
Mais , nous dit- on encore , un fils párticipe
à la gloire de fon pére. Un guerrier
fameux , par des exploits brillans ;
un Sçavant dont les ouvrages pafferont à
la poftérité ; un homme recommandable
enfin dans quelque genre que ce foit
couvrent leurs familles de gloire : n'eſt- il
pas dans l'ordre , puifque les familles de
ceux- ci participent à leurs honneurs , que
les familles de ceux qui fe font déshonorés,
ayent part à leur infamie ? Je réponds
d'abord que la comparaifon manque de
jufteffe ; c'eft ce que j'examinerai tout-à-
T'heure. Je dis enfuite , que quand elle
en auroit une complete , on ne pourroit
en inférer rien d'avantageux : car en accordant
que la gloire d'ancêtres illuftres
retombe fur les defcendans & les proches,
il faut que l'on convienne avec moi , que
ce n'est qu'autant que ces proches & ees
66 MERCURE DE FRANCE
defcendans tâchent de marcher fur les
traces de ces modéles qu'ils nous vantent .
Les hommes ne font point affez officieux
pour rendre un hommage gratuit à d'autres
hommes , & fi un intérêt perfonnel
ne les fait pas agir ; dès que le fils de ce
Guerrier s'endort fur les lauriers que fon
pére avoit moiffonnés ; dès que le fils de
ce Sçavant méprifa les travaux qui feuls
illuftroient fon ayeul ; dès , enfin , que
cette famille dégénére de la vertu de fes
ancêtres , elle eft d'autant plus mépriſée
que ceux auxquels elle doit fon origine
furent plus illuftres : elle eft confondue
dans la foule & bientôt tout - à-fait
ignorée. Quand donc la comparaiſon ſeroit
complete , le fentiment reçu ne fe
foutiendroit pas , puifque nous voulons
que le déshonneur foit perpétuel fur la
famille du Supplicié, & que nous ne rendons
qu'à l'homme illuftre les hommages
dus à la célébrité , & nullement à fa famille
ou à fes proches. Mais je dis que
la
comparaifon manque de jufteffe , en ce
qu'il eft rare que les hommes en géné
ral trouvent dans eux-mêmes indépen
damment de ce qui les environne , tout
ce qu'il faut pour leur mériter les égards ;
& les refpects de leurs femblables . L'expérience
juftifie chaque jour à nos yeux
OCTOBRE. 1760. 67
*
cette propofition ; & certainement fi l'on
retranchoit ce qui n'eft qu'acceffoire , ou
emprunté chez une grande partie de l'efpéce
humaine , on verroit bien des Figurans
préfomptueux , reduits à jouer un
-trifte rôle. Si c'eft un préjugé d'avoir quel
ques égards particuliers pour une famille
qui doit fon luftre à de refpectables Ancêties
, au moins , eft- ce un préjugé pris
dans la nature, tandis que celui qui trouve
ici tant de Partifans lui eft abfolument in-
-jurieux ? En ce que , comme nous l'avons
dit , il eft au - deffus des recherches les plus
attentives , de prouver que les familles
que nous déshonorons , ayent eu quelque
part directe , ou indirecte , au crime de
celui qui , felon nous , les déshonore.
Mais il ne fuffit pas d'avoir vu ce que
le fentiment que je combats , a de défectueux
en lui - même & dans fes fuites ,
de quels maux il eft la fource , & combien
peu la fociété y trouve fon compte , il
nous faut quelque chofe de plus . Il faut
nous convaincre que le fentiment oppofé
a des avantages certains & inconteftables ;
qu'il eft de plus dans la nature de l'homme;
qu'en particulier , les familles y trouvent
un repos que l'autre leur enléve ; & qu'en
général , il remplit mieux les vues de la
Société , & contribue plus efficacement à
fon bien- être.
68 MERCURE DE FRANCE
?
De l'inftant où la honte du fupplice ne
réfléchit plus fur les familles des Suppliciés
, parce que le crime devenant perfonnel
, ne peut plus être imputé aux parens
des coupables , les hommes vont
prendre un nouvel être ; libres du préjugé
auquel ils avoient facrifié jufqu'alors , entrant
dans des vues plus faines , éclairés
d'une lumiere plus pure & plus vive , ils
ne jugeront dorénavant que fur une valeur
réelle , & plus fur une valeur apparente
: le Phantôme diſparoîtra , les chofes
feules demeureront .
En vain , un Vicieux décidé vient nous
vanter fon courage , il fe trompe , ou veut
nous tromper.1left toujours foible & pufillanimetrop
groffier pour prêter une oreille
attentive à la voix de la vertu , il ne fçait
que trembler à l'appareil du fupplice. Le
reméde eft violent , il faut en convenir ;
mais la grandeur du mal exige qu'il foit
mis en oeuvre ; & comme il deviendra
commun pour tous les coupables , & que
le rang qu'ils tiendront dans le monde ,
le crédit fur lequel ils fonderoient leur
impunité , les richeffes qui la leur auroient
affurée , font autant de reffources qui vont
leur manquer ; le frein redoutable des
loix que le préjugé avoit rendu inutile
en s'accréditant , va reprendre toute fa
OCTOBRE. 1780. 69
vigueur, & les intentions du Légiflateur
vont être remplies : chaque famille convaincue
de la néceffité de former pour
l'Etat des Sujets fidéles & vertueux , va
redoubler d'efforts pour remplir ce but :
mais débarraffée en même temps de l'inquiétude
d'être avilie , fi l'un de fes membres
fe déshonore lui-même , elle abandonnera
le criminel à la peine , fi elle a
travaillé fans fuccès à lui faire quitter la
route du crime. On ne verra plus des
hommes vraiment refpectables s'abaiſſer
à demander des graces dont ils font intérieurement
convaincus que leurs protégés
font indignes ; on n'aura plus les triftes &
pernicieux exemples de gens,dont la vertu
ne fe feroit jamais démentie , fi le préjugé
plus puiffant qu'elle , ne leur avoit fait
violence , employer des moyens au-deffous
du plus chétif des êtres , & devenir
criminels , en les mettant en oeuvre pour
fauver un coupable . On ne verra plus des
familles recommandables , par des talens
rares , par des vertus foutenues , fouvent
par des fervices effentiels rendus à l'Etat ,
pour lequel elles travaillent encore dans
l'inftant même où l'on écrit leurs noms
dans les faftes du déshonneur , être contraintes
de s'expatrier , & reclamer ailleurs
ce que l'inconféquence & le préjugé
70 MERCURE DE FRANCE:
leur enlévent dans leur Patrie , avec tant
d'injuftice. Le crime alors fera la honte,
& non plus l'échafaut ; & le véritable
honnête- homme , n'aura plus à rougir des
écarts d'un malheureux , qui ne devoit jamais
avoir été formé de fon fang.
Notre intérêt le plus preffant, eft celui de
rendre ici -bas notre fort le plus doux qu'il
nous eft poffible ; & pouvons - nous y
travailler plus efficacement , qu'en contribuant
autant qu'il eft en nous , à adoucir
les amertumes dont la vie de nos compatriotes
eft traverfée ? Les hommes ne
font point méchans impunément, ou bienfaifans
fans récompenfe. Le repentir &
le remords font les compagnons infeparables
de ceux qui refufent de rendre à leurs
pareils les bons offices dont ils font capables
; des idées fâcheufes , des regrets im
portuns , les troublent au milieu des plaifirs
les plus bruyans , & les fixent , malgré
eux , fur ces objets que leurs injures ou
leurs mépris ont encore avilis : une fatiffaction
intérieure , au contraire , un plaifir
pur & foutenu , une tranquillité qui eft
le partage des feules ames compâtiffantes,
font les premieres recompenfes des êtres
vertueux. Pouvons - nous raifonnablement
reclamer les prérogatives de cet état ,
parce que nous aurons retracé à des paOCTOBRE.
1760. 71
rens dans la douleur , le fujet de leurs peines
? parce que le récit que nous aurons
fait de leur infortune , les aura écartés de
quelques emplois honorables ou lucratifs ?
parce que nous aurons empêché quelqu'un
qui faifoit à ces objets une attention
plus légére , de former avec eux une alliance
avantageuſe ?
Brutus , en condamnant à la mort des
fils tendrement aimés , montra peut être
moins d'héroïsme que de férocité : c'eſt
l'idée que nous nous formons affez volontiers
de la réſolution que ce pére jaloux
de la liberté de fa Patrie , prit contre fon
propre fang ; fur tout quand nous réfléchiffons
que le peuple le laiffoit l'arbitre
fuprême de leur fort , & qu'il auroit fouf
crit à leurs Lettres de grace , avec moins
de répugnance peut-être , qu'il n'en eut à
les voir paffer entre les mains des Licteurs.
Quel étoit cependant le fentiment dont
Brutus étoit rempli? c'étoit fans doute celui
de former des hommes pour la Patrie,
en donnant à ce peuple, qui fortoit à peine
વે
de la Barbarie , un exemple qui devoit
'couter bien cher à fa tendreffe , & celui
de montrer à ce même peuple dont il vouloit
être le vengeur , que fe fang du coupable
pouvoit feul laver la honte dont il
s'étoit couvert. Eh ! fi cette honte eût ré-
Héchi fur lui, & fur ceux de fes parens qui
72 MERCURE DE FRANCE:
partageoient les premiers emplois de l'E
tat ;fi cette honte avoit dû les rendre méprifables
& vils aux yeux d'un peuple auquel
il faifoit un fi grand facrifice ; fi cette
honte avoit dû les faire renoncer aux
Charges dont ils étoient revêtus , & dépouiller
ce pére vraiment malheureux
d'un pouvoir dont il venoit de faire un
ufage auffi éffrayant pour des traîtres ;
croira-t-on qu'il fe fût porté à cet excès
de Juſtice ? Non fans doute; ce fiècle quoique
groffier encore , auroit fourni des reffources
, pour rendre la faute excufable.
. Les moyens de féduction employés par les
Tarquins , la grande jeuneffe des coupables
, leur repentir, n'en étoit- ce pas
affez
pour difpenfer Brutus de les faire con
duire au fupplice ?
Il entre dans nos moeurs plus de candeur
& d'aménité. Arriere de nous , le
fentiment cruel qui engageroit un pére à
armer la main qui va trancher les jours
d'un fils coupable. Mais nos enfans , nos
proches , nos alliés , font les enfans de la
Patrie ; c'eft à elle qu'ils font comptables
de leurs démarches. Comme elle a pourvu
aux moyens de les fouftraire à l'oppreffion
, elle en a trouvé d'éfficaces pourfaire
trembler les oppreffeurs. La vengeance eſt
remiſe en fes mains , laiffons-luin action
•
OCTOBRE , 1760. ༡༣
tion libre & raifonnée ; elle aura des
coups d'autant plus rares à porter , qu'elle
fera moins gênée dans fes opérations . Gardons-
nous bien d'exiger que des parens , devenus
barbares, pour fatisfaire à un ufage
cruel , prononcent contre un homme qui
leur appartient ; mais ne contraignons pas
des malheureux , à oublier qu'ils ont des
larmes à verfer fur l'urne qui renferme les
cendres d'un coupable, pour reporter leurs
fentimens douloureux fur eux-mêmes. Si
le coupable doit être pour nous un objet
de pitié , dans l'inftant même où le crime
eft l'objet de l'honneur & de la vengeance:
combien plus devons -nous gémir fur le
fort de ceux auxquels le criminel fut lié ;
loin de les accabler, en ajoutant des maux
nouveaux à ceux qu'ils reffentent affez vivement
, nous devrions être leurs confolateurs.
La nature a mis ce fentiment dans
l'homme ; notre propre intérêt doit l'augmenter:
car pouvons- nous réponde allez
de ceux qui nous appartiennent, pour nous
affurerquejamais nous n'auronsaucun chagrin
à effuyer de leur part ? & que toutes
leurs démarches feront toujoursguidées par
la fageffe & la vertu ? Ce feroit trop préfumer
fans doute ; un inftant peut ternir là
gloire d'une longue vie: & alors , que le che
min eftcourt,pour une famille, du triomphe
II. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
á la douleur ! Ajoutons que, lorfqu'on veut
jouir de fes avantages avec trop de faſte
& de hauteur,, on n'eft plus en droit d'exiger
des égards qu'on avoit refufés à fes
femblables , dans l'enthouſiaſme de la
prospérité.
Un voyageur nous apprend ( a ) qu'en
Mofcovie , ceux qui ont été châtiés par la
Juftice , par la main même du Bourreau ,
ne font notés d'aucune infamie , & que
rien n'eft plus ordinaire que de voir de pareilles
gens, élevés dans la fuite à des poftes
d'honneur & de confiance. Un autre
nous dit ( b ) que dans l'Ile de Java , lorf
qu'un homme eft mis à mort pour les crimes
, toute fa famille eft fouvent fuppliciée
avec lui. Nous convenons tous que
ces Peuples donnent dans des excès bien
blâmables. En effet un homme n'a plus à
rougir quand il eft déshonoré , & perfonne
ne niera qu'une peine infamante , quand
elle eft méritée, n'aviliffe l'ame. D'ailleurs,
quels refpects , quels égards , eft on en
droit de prétendre d'un peuple , pour un
homme auquel on confie le dépôt de ces
mêmes loix , qui févirent autrefois avec
juftice contre lui ? Il opprimera à la pre-
( a ) Perry. Extrait du Dict. de Furet, au mot
infamie.
Schouten. Extrait ibid. au mot fupplice.
OCTOBRE 1760. 75
miere occafion offerte , celui qui prononça
fa Sentence ; & les loix dans fes
mains , feront moins interprétées pour
punir des criminels , que pour mettre au
même rang avec lui , quiconque ofera
faire profeffion de quelques vertus .
Nous n'avons pas à craindre que l'uſage.
Moſcovite prenne en France. Mais nous
fommes moins éloignés que nous ne penfons
de la coutume reçue aux extrémités
de l'Afie. La famille du coupable , dans
cette Ifle , meurt avec lui & du même ſupplice
, fans examen fi elle a d'autres crimes
que fes liaiſons avec le criminel ; &
en France , elle eft couverte d'une honte
& d'un opprobre inéfaçables. L'admiffion
aux Charges & aux emplois, l'entrée dans
dans les Sociétés qui fe piquent de vertu ,
& auxquelles l'honneur eft en recommandation
, leur font interdites. La différence
entre ces ufages , eſt certainement bien
difficile àdéterminer. Qu'est- ce pour nous
que la vie , fans l'honneur ? Un vrai François
fçait- il balancer entre renoncer au
jour, & vivre déshonoré ?
On pourroit ajouter beaucoup aux
moyens de préférence , que j'indique en
faveur du fentiment Anglois . Ce que j'ai
dit , n'eft fans doute qu'un précis imparfait
des raifons qui déterminent ce peuple
Dij
6 MERCURE DE FRANCE.
à regarder les fautes comme perfonnelles,
& à rendre à la vertu les hommages.
qu'elle merite dans le pére ou le fils d'un
coupable. La Société ne peut que gagner
beaucoup à la pratique de cet ufage : une
famille que l'on ne déshonore point , fera
de nouveaux efforts pour juftifier les égards
dont on ufe envers elle. Le parent le plus
proche du coupable , redoublera d'atten
tion dans les emplois qui lui font confiés ,
pour prouver que jamais la délicateffe de
fes fentimens ne fut affoiblie ; & ce moyen
eft une reſſource fûre pour conferver des
fujets précieux , dans l'inftant où l'on retranche
ceux qui ont manqué aux devoirs.
indifpenfables de leur état.
Le mot de la premiere Enigme du prémier
volume d'Octobre , eft , la pelotte
aux épingles.Celui de la feconde eft , l'arcen
ciel . Celui de la troifiéme ,eft, la penſée:
Celui du premier Logogryphe , eft , la lumiere
, dans lequel on trouve rime, mere,
re , mi , mil grain , mil nombre , mule ,
mure , liévre , lire , liére , ire , miel, émule,
vire , urie , Elie , lie & vie . Celui du fecond
eft , baifer,
OCTOBRE. 1766 . 77
ENIGM E.
ILLE de l'ignorance & mère de l'ennui ,
Je ne fuis , cependant , timide ni chagrine ,
On méconnoît mon origine :
Je pourfuis le plaifir & l'on me prend pour lui ;
Souvent de la gaîté j'outre le caractère ,
Souvent auffi d'un profond férieux ,
Sous les traits du génie impofant au vulgaire ,
Je palle pour fage à les yeux.
Lecteur qui prétends me connoître ,
Et me cherches avidement ,
Tu me donnes plus d'un moment ,
Qui vont s'échapper de ton être.
C
AUTRE.
ANS moi l'on vous verroit encor ,
Malheu eux fiécles , où nos Péres
Ignoroient que mes biens font les plus falutaires ,
Et la fcience un vrai tréfor .
Par le fecours de la mémoire ,
J'éclaire les talens , je délafle avec fruit ,
J'apprens la politique auffi bien que l'hiftoire ,
En un mot tout , pour peu qu'on ait d'efprit,
Dij
78 MERCURE DE FRANCE:
Si je te parois trop obfcure ,
Songe à ce que tu fais , Lecteur , préſentement,
Et fans te mettre à la torture ,
Tu pourras deviner mon nom dans un moment.
LOGOGRYPHE.
JE fuis ce que vous pouvez être ,
Et fuis ce que vous n'êtes pas ;
La faculté de me connoître
N'eft point un petit embarras.
Six & fept pieds foutiennent ma ſtructure :
Si vous voulez confulter ma figure ,
Je préfente d'abord ce que l'on offre aux Dieux;
Un animal rongeur; le patron des peureux ;
Ce qui forme votre exiſtence
Une ville de la Provence ;
Le trifte Succeffeur du malheureux Laïus ,
Et l'épouſe de Romulus ;
Un perfide élément ; deux notes de Mufique ;
Tour figuré , d'ufage en Rhétorique ;
Ce
qu le droit a reconnu certain ;
Ce qu'une Angloiſe prend le foir & le matin
Un perfonnage auſtére & ſouvent hypocrite;
Ce qu'a fouvent fait Démocrite ;
La fille d'Inachus ; & l'amant de Thisbé
Un furnom de la jeune Hébé
Celui d'un captieux Sophifte
OCTOBRE. 1760 79
Ce qu'un fidéle chien fuit toujours à la piſte.
Nouveau Caméléon , je puis vous échapper :
Examinez de près , je vous laiſſe le maître.
Surtout , fouvenez- vous , que , tel croit me connaître
,
Qui le premier peut s'y tromper,
DE GROUBENTALL , fils .
CHANSON,
Sur l'AIR » Tendre fruit des pleurs de l'Aurore.
A Madame le C *** de Paris , lorfqu'elle
étoit en Province.
DE votre Ville féduifante
Oubliez l'efprit enchanteur :
Sa gaîté la plus fémillante
Vaut-elle , Iris , un tendre coeur ?
Pour l'éprouver , un Agréable
Parle Amour , avec trop d'eſprit :
En Province , on eft moins aimable ,
Mais on aime , quand on le dit .
Iris fi longtemps defirée ,
Demeurez longtemps parmi nous :
Vous ne pouvez être adorée
Par des coeurs plus dignes de vous ,
3
.
Div
to MERCURE DE FRANCE.
Rendez - vous à notre prière ,
Nous pourrons un jour vous charmer :
Vous nous apprendrez l'art de plaire ,
Nous vous apprendrons l'art d'aimer .
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
ESSAI fur l'Education d'un Prince ,"
par le Sieur DE BURY .
Deus , Judicium tuum Regi da , & Sapientiam
tuam Filio Regis.
LORSQUE ORSQUE jejette les yeux fur les Puiffances
de l'Europe , lorfque je vois leurs
Couronnes affermies par la naiffance d'un
grand nombre de Princes , qui comme de
jeunes Palmiers , croiffent & s'élèvent à
l'ombre de ceux qui leur ont donné l'exiftence
, en attendant qu'ils puiffent faire
gouter la douceur de leurs fruits aux
peuples qui leur feront foumis ; pourquoi
n'aurois- je pas le courage de contribuer à
leur culture ? Il eft vrai que je fuis étonné
de ma préfomption : c'eft fans doute porter
trop loin la hardieffe , que d'ofer donner
OCTOBRE. 1760 .
quelques avis à ceux qui font chargés de
l'éducation des Princes ; mais eft - il un objet
plus digne de fatisfaire l'ambition d'un
bon patriote , que d'offrir à fes Souverains
le fruit de fon travail ? Et pourquoi
nous feroit - il défendu de joindre aux
voeux que nous faifons pour leur profpérité
, le defir de leur faire part des connoillances
que nous avons acquifes , pour
leur faciliter celles dont ils doivent être
infruits ? Je regarde comme un grand
bonheur, celui de pouvoir parler anx Rois,
fans crainte de leur déplaire : j'ofe m'en
flater , mais je ne fuis pas fûr de leur parler
avec cette nobleffe & cette dignité , capables
de meriter un regard favorable de
leur part. Je fens toute mon infuffifance ;
mais j'aurai du moins la fatisfaction de
leur témoigner l'ardent defir que j'ai de
leur être utile , & mon refpectueux dévoûment.
L'éducation de la jeuneſſe a toujours éré
regardée chez les Nations policées , comme
une choſe fi néceffaire , fur- tout pour les
Princes , qu'on s'eft principalement attaché
avec le plus grand foin à leur en pro
curer une qui fût digne d'eux ; parce
qu'on a reconnu , que de - là , dépendoit la
gloire des Souverains , & la félicité de
leurs Peuples.
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
Les Perfes , enfuite les Grecs , & après
eux les Romains , font les feules Nations
qui nous ayent laiffé les modéles d'une
bonne éducation ; mais lorsque les Peuples
barbares eurent envahi l'Empire Romain
, ils introduifirent leurs moeurs &
leurs ufages chez ceux qu'ils avoient fubjugués.
L'ignorance s'empara de tous les
efprits , & l'on ne reconnut plus dans les
Etats de l'Europe les traces de ce Gouvernement
fage , dirigé par la prudence , &
ces loix dictées par le bon fens , qui
avoient fi long temps foutenu l'Empire
Romain.Lorfqu'on parcourt l'Hiftoire de
puis Clovis , on n'y voit qu'une barbarie
groffiere , deftituée de raifon ; les loix font
foumises à la force , & les armes décident
feules de la justice & de l'équité: ce n'eft pas
qu'il n'y ait eu des Princes, dont la fageffe
& la prudence méritent de grandes louanges
; mais leurs régnes euffent encore été
plus glorieux , s'ils avoient eu une éducation
convenable à leur rang. On peut dire
qu'elle a manqué à prefque tous les Princes
, juqu'au règne de François Premier ,
qui a le plus contribué au rétabliſſement
des Lettres .
Les jeunes Princes que le Ciel deftine
aujourd'hui pour porter les différentes
Couronnes de l'Europe , font heureux
OCTOBRE. 1760.
d'être élevés fous les yeux de leurs Peres ,
qui connoiffant le prix de l'éducation , par
celle qu'ils ont reçue , font les premiers à
préfider à celle de leurs enfans , & à donner
tous leurs foins pour leur procurer ces
hautes connoiffances , qui font la Science
des Rois. Telle fut cette éducation que
Philippe de Macédoine , le Prince le plus
inftruit de fon temps , donna lui - même ,
& fit donner à fon fils Alexandre. *.
Mon deffein n'eft pas d'entrer à préfent
dans le détail de toutes les connoiffances
qu'on peut procurer à un Prince ; cet ouvrage
doit être d'une plus grande étendue :
je veux feulement offrir au Public le projet
de celui auquel je travaille , afin de
confulter fon goût , & préffentir li je dois
abandonner , ou continuer ce que j'ai
commencé .
Je ne parlerai point ici des premiers
exercices qui doivent contribuer, à former
le Corps. Les Grecs & les Romains commençoient
par là l'éducation de leurs enfans
, afin de les accoutumer de bonne
heure àfupporter les fatigues de la guerre.
La maniere de la faire aujourd'hui étant
toute différente , nos Princes ne font pas
obligés de faire un pareil apprentiſſage ;
* On en verra un Extrait dans la vie de Philippe
que l'Auteur doit faire paroître inceffamment.
D vj
84 MERCURE DE, FRANCE.
on peut feulement leur faire faire des
exercices capables de fortifier leur tempérament
, & ils doivent être mêlés par
forme de récréation , aux premieres inftrutions
qu'on leur donnera . Mais la prin
cipale attention doit être pour les Sciences
, qui doivent former le coeur & l'ef
prit. Je pourrois cependant parler aupara
vant de la Rhétorique , non pas de la
partie de cette Science qui eft le fondement
de l'éloquence , mais de celle qui
apprend à parler correctement une Langue
. Je crois que les Princes n'ont pas
befoin d'embarraffer leur mémoire des
régles de la Grammaire , parce qu'étant
continuellement environnés de perfonnes
fçavantes & très -inftruites , ils apprennent
par l'habitude & par l'ufage , ce que
les régles leur apprendroient difficilement
par la réfléxion, dans un âge , où la jeuneffe
eft hors d'état d'en faire. A l'égard
des autres Langues , comme elles feront
la matiere d'un article féparé & qui feroit
ici trop long , je commencerai. par l'étude
de la Morale , que je diftingue en Morale
Chrétienne , & Morale Civile.
La Morale Chrétienne doit fans doute
occuper la premiere place , dans l'éducation
d'un Prince : c'eft la connoiffancé de
la Religion ; mais nous nous en rappor
OCTOBRE . 1760.
tons fur cet article , aux lumieres de ceux
qui font chargés de les en inftruire , à leur
fageffe & à leur difcrétion , pour fçavoir
jufqu'où cette connoiffance doit être portée,
afin qu'ils ne reffemblent pas à Henri
VIII, Roi d'Angleterre, qui voulant faire
parade de Théologie , fe fit méprifer , &
s'attira des injures groffieres de la part
des Luthériens , pour avoir voulu écrire
contre eux ; ni à Charles II , qui fe mêla
mal - à - propos dans l'affaire des Arminiens,
qui penfa renverser la République d'Hollande
. C'eft aux Miniftres de l'Eglife à
éclairer les Princes , fur ce qu'ils doivent
fçavoir de leur Religion.
A l'égard de la Morale Civile , c'eft la
connoillance des vertus qui apprennent
aux Princes l'art de gouverner fagement ;
c'est cette Morale qui doit être puifée
dans la Philofophie ; mais ils n'en doivent
être inftruits , que lorfque l'âge ayant
dévéloppé les organes de leur conception,
leur efprit commence d'être capable de
méditations férieufes ; & comme avant
ce temps- là , il eft des connoiffances qui
font plus à leur portée , je parlerai de
' Hiftoire avant la Morale .
De toutes les Sciences qui doivent contribuer
à l'éducation d'un Prince , l'Hif
soire eft une des plus néceffaires, & peut
86 MERCURE DE FRANCE.
être des plus faciles à apprendre : la jeuneffe
aime naturellement à fçavoir des faits ; &
elle les retient d'autant plus facilement ,
qu'elle n'a pas besoin de beaucoup réfléchir
pour les concevoir .
C'eft elle qui fait connoître le genie &
le caractére de ceux , dont elle a confervé
les actions mémorables. Elle nous inftruit
des événemens que leurs vertus ou leurs
vices ont produit , & des fuites utiles ou
préjudiciables qu'ils ont eu . L'Hiftoire eft
une fource inépuifable de réfléxions folides
, pour ceux qui en fçavent faire le véritable
ufage. Les hommes de tous les
fiécles fe raffemblent ; leurs paffions font
les mêmes ; elles ont produit chez ceux
qui nous ont précédé , des éffets pareils à
ceux que nous voyons arriver de nos jours:
mais les Princes doivent étudier l'Hiftoire
d'une façon différente des autres. Il feroit
à fouhaiter qu'on pût leur en compoſer
des modéles uniquement deftinés pour
eux,& qui ne continffent que ce qu'ils doivent
fçavoir, fur- tout dans leurs premieres
inftructions , parce qu'enfuite fuivant le
plus ou le moins de goût qu'ils auront pour
cette Science , on leur en montrera davantage
; & les premiers élémens fagement
dirigés , leur donneront la facilité
de s'en inftruire par eux-mêmes. Comme
OCTOBRE. 1760.
87
d'une part il faut leur infpirer ce goût , il
fant d'un autre côté modérer leur curiofité
, & ne leur pas offrir des faits plus
amufans qu'ils ne leur procureroient
d'inftruction. Il faut cependant qu'ils ne
fecs & trop
foient pas trop
décharnés
, de
peur de les ennuyer
; le vrai talent
feroit
de joindre
l'agréable
à l'utile
.
De tous les Ouvrages hiftoriques qui
peuvent fervir à l'éducation d'un Prince ,
fur- tout d'un Prince de notre Nation , je
n'en connois point de plus utile que l'Abregé
chronologique de M. le Préfident
Hénaut : je ne connois point d'Ouvrage.
mieux conçu , ni dans un plus bel ordre.
On l'a trouvé fi bean & fi bien fait , qu'ila
fervi de modéle pour l'Hiftoire des autres
Nations. Les faits néceffaires y font
liés avec les faits intéreffans , fans s'embaraffer
les uns dans les autres . Les actions
principales des Princes, font choifies
avec tant de difcernement , qu'elles font .
connoître leurs véritables caractéres , avec
leurs belles qualités , & leurs défauts . Il
a trouvé le ſecret de placer dans un trèscourt
efpace , les événemens les plus remarquables.
La Chronologie y eft fi claire
& fibien arrangée , qu'on peut l'apprendre
fans éffort , & fans s'en appercevoir.
Les noms des Princes contemporains de
88: MERCURE DE FRANCE.
nos Rois , & la durée de leurs régues , y)
font expliqués fi nettement , que cet Ouvrage
donne un commencement de connoiffance
agréable & facile à retenir , de
l'Hiftoire de l'Europe .
?
Lorfqu'en parcourant ce Livre , on tombera
fur un fait ou fur une action remar
quable , qui peuvent faire defirer de les
voir plus circonftanciés, alors l'Inftituteur
peut avoir recours aux Originaux , où il
fera voir un récit plus détaillé du fait , qui
a frappé fon Eléve, & il fera enforte que
ce récit foit intéreffant , & puiffe donner
lieu à des réfléxions utiles & agréables . Je
ne parlerai pas ici des Livres hiftoriques
qui doivent contribuer à l'éducation d'un
Prince , de la maniere dont ils doivent
être étudiés , ni du choix qu'il faut faire
des morceaux qui lui feront préfentés ,
parce que je me réſerve dans mon ouvrage
, d'en faire un détail qui pafferoit
aujourd'hui les bornes d'un éffai .
Les Princes ont encore une facilité pour
apprendre agréablement l'Hiftoire par le
moyen des Tableaux , des Statues & des
Eftampes. Lorqu'ils voyent un beau Tableau
qui reprélente un trait d'Hiftoire
intéreffant , & qu'on leur en fait l'expli
cation , le plaifir qu'ils ont en admirant
Phabileté de l'Artiste, leur donne du goût
OCTOBRE. 1760
890
pour les belles chofes , & grave en mênie
temps dans leur mémoire , le fouvenir de
ces faits: c'eft ainfi que fans beaucoup d'éfforts
une connoiffance en procure une
autre .
La Géographie & la Chronologie font
deux Sciences , fans lefquelles on ne fçait
l'Hiftoire qu'imparfaitement. Il n'eft pas
néceffaire qu'un Prince fçache la Géogra
phie , comme ceux qui en font profeffion,
pourvu qu'il connoiffe fommairement les
trois parties du monde , féparées de notre
continent, les différens Royaumes qu'elles
contiennent , & les principales Villes quis
yfont fituées , en forte qu'il ne mette pas
Conftantinople en Perfe, ouHifpahan dans
l'Inde , & qu'il ne faffe aucune confufion
des unes avec des autres , cela lui fuffit ,
parce que nous avons beſoin de ménager
fa mémoire pour des chofes plus néceffaires.
Il doit avoir une connoiffance plus particuliere
de l'Europe , parce que fes Etats
y font fitués , & qu'ils ont une liaiſon né,
ceffaire avec les autres ; mais après les
premieres notions , celle ci doit s'acquérir.
par l'habitude & par l'expérience . Le
moyen le plus court & le plus facile , eft
de leur faire lire l'hiftoire fur la Carte .J'ai
oui dire à M.l'Abbé de Fleury, qui avoit été
90 MERCURE DE FRANCE.
Sous- Précepteur des trois Petits - fils de
Louis XIV * qu'on leur faifoit lire la gazette
la carte à la main ; c'étoit une étude
d'environ une demie - heure par femaine ,
qui ne les fatiguoit pas , & les entretenoit
dans la connoiffance de la Géogra
phie.
La Chronologie aide auffi à retenir les
faits'; il ne faut pas cependant s'y attacher
trop fcrupuleufement. Je prendrois volontiers
pour modéle , celle de M. Boffuet,
dans fon Hiftoire univerfelle ; mais il faut
en fçavoir affez , pour ne pas faire des
anacronifmes ridicules ainfi ces trois
Sciences doivent marcher d'un
pas égal ,
dans l'éducation d'un Prince.
Les Mathématiques font une Science
qui n'eft néceffaire à un Prince , que pour
ce qui concerne les fortifications . Comme
il peut avoir occafion d'aller lui -même à
la guerre, ou de diriger de fon cabinet les
opérations de fes Généraux , il doit en
avoir une connoiffance affez étendue, fans
cependant entrer ,furtout dans les commencemens,
dans de trop grands détails. Je crois
qu'on pourroit attendre à lui en donner la
* C'eft celui qui a écrit l'Hiftoire Eccléfiaftique,
J'ai vêcu avec lui les dix dernieres années de fa
vie , ayant été élevé avec M. Delavigne ſon neveu
, qui eft mort , il y a dix-huit mois , premier
Médecin de la Reine.
OCTOBRE. 1760.
Théorie, qu'il fut en état de la joindre à la
Pratique , fans laquelle toutes les Sciences
s'oublient aifément : je veux dire , qu'il
foit dans un âge, où pouvant voyager , il
puiffe par l'inſpection des lieux & des différentes
Citadelles , acquérir la connoiffance
qui lui eft néceſſaire.
J'ai dit que la Science la plus néceſſaire
à un Prince , étoit celle de la Morale Ci
vile , après la Morale Chrétienne.
La Morale Civile dont je veux parler ,
eft proprement la Politique ; mais j'entends
cette Politique fage , éclairée , prévoyante
, dirigée par les lumieres de la
Religion, par la vertu , & par le bon fens ,
qui tend à la gloire du Prince , à la ſplendeur
de l'Etat , & au bonheur des Peuples
; & non pas cette fauffe Politique dirigée
par la fineffe , la rufe & la tromperie :
Politique qui a fait long- temps la régle
du Gouvernement des Princes de l'Europe
, & fur tout de l'Italie , qui en avoit
infecté les autres Etats ; Politique tirée
de Tacite , de Machiavel , & d'une infinité
de Commentateurs extravagans , fans
religion , & fans probité , qui font tombés
dans l'oubli , depuis le fiècle de Louis
XIV.
La faine Politique doit être fondée ſur
la fageffe ; c'eft celle dont le Prince doit
acquérir une connoiffance parfaite , &
92 MERCURE DE FRANCE.
qu'il doit puifer dans l'étude de la Philofophie.
Les hommes qui fe font attachés les premiers
à la Philofophie , nous ont preſcrit
des régles adoptées par toutes les Nations
policées , par le moyen defquelles nous
pourrions nous inftruire des connoiffances
néceffaires pour nous conduire avec fageffe
; mais il faut fçavoir diftinguer celles
auxquelles nous devons nous appliquer ,
d'avec celles que nous devons rejetter.
On divife la Philofophie en quatre par
ties. La Logique , la Méchaphyfique , la
Phyfique & la Morale.
La Logique eft. l'art de raifonner foli
dement. Elle apprend à connoître la véri
té des propofitions , pour en tirer des conféquences
juftes , & des démonſtrations
infaillibles. Ce fut par la Logique qu' Arif
tote commença , ce qu'on peut apeller la
véritable éducation d'Aléxandre ; mais il
ne l'en inftruifit pas comme on fait depuis
fi longtemps dans nos Ecoles , où l'on paf
fe la plus grande partie de fon temps à
difputer fur des queftions frivoles , & à
pointiller fur des termes ; il lui apprit à
diftinguer les raifonnemens vrais d'avec
les fophifmes , afin de pouvoir décider ,
avec juſteſſe , dans les affaires qui ſe préfentent
, & prendre un parti fage , fur les
avis qui font propofés dans les confeils
OCTOBRE. 1760.
93
·
parce que c'eft d'où dépend la réuffite des
affaires .
La Méthaphyfique eft une fcience abftraite
, dans laquelle on marche toujours
dans l'obfcurité , qui a peu de certitude ,
qui ne produit que des opinions fouvent
fauffes , parce qu'elle n'a point de fondement
folide fur lequel on puiffe s'appuyer.
On veut raiſonner fur des matieres dont
Dieu n'a pas jugé à propos de nous donner
connoiffance , & qu'il a livré aux difputes
des hommes , comme dit le Sage. *
je la crois abfolument inutile au Prince.
A l'égard de la Phyfique , la connoiffance
en eft un peu plus néceffaire : cependant
il faut empêcher que le Prince ne s'y
livre avec trop d'ardeur ; l'étude en eft fi
agréable & fi variée , qu'on s'y attache
facilement : il n'en doit fçavoir que ce
qui peut lui donner affez de goût , pour
l'engager à protéger & encourager ceux
qui en font profeffion , dans la vue d'être
utiles à la Société.
. Mais la Morale eft la véritable ſcience
du Prince : elle lui apprendra ce que c'eſt
que la vertu , pour la pratiquer lui- même
& la reconnoître dans fes Sujets.
La vertu eft une habitude au bien ,
* Tradidit mundum difputationi hominum .
34 MERCURE DE FRANCE:
qui tient le milieu entre les deux extrémi
tés du vice.
Le courage tient le milieu entre la témérité
& la timidité.
La libéralité, entre la prodigalité & l'avarice.
L'amitié , entre la flatterie & la haine.
La prudence , entre la rufe & la folie.
La vérité , entre la diffimulation & la
trop grande franchiſe , & ainfi des autres
vertus ; mais elles ont des nuances particulieres
qui les rendent , plus ou moins
recommandables , comme les vices en
ont qui les rendent , plus ou moins dangereux
; je donnerai pour exemple le courage.
Cette vertu , comme je le viens de
dire , tient le milieu entre la témérité &
la timidité.
L'homme courageux eft celui que rien
n'étonne , qui ne ſe laiffe abattre par aucun
de ces événemens funeftes & terribles
, qui arrivent dans le cours de la vie ;
qui cherche par fa prudence à les prévenir
, les arrêter , les éloigner , ou les diminuer
; c'eft l'homme vertueux d'Horace ;
fans être étonné ni faifi de crainte , il fe
verroit frapper par les ruines de l'Univers
; c'est lui dont l'âme eft inacceffible
à la timidité ; c'eft enfin ce Prince à
*
* Si fractus illabatur Orbis , impavidum ferient
tuinx.
OCTOBRE. 1760. 95
qui la femme fage de l'Ecriture difoit :
Le Roi mon Seigneur eft femblable à
l'Ange de Dieu ; la bénédiction ni la malédiction
ne peuvent altérer la tranquillité
de fon âme. *
L'homme véritablement courageux ,
comme dit Ariftote , eft celui qui ne s'expofe
jamais aux grands périls que pour
de grandes chofes ; pour fon Prince ,
pour la gloire , pour la patrie , pour fes
amis : il ne s'y expofe jamais qu'avec
beaucoup de prudence & de circonſpection
.
Le Téméraire , ou le faux Brave , s'expofe
à tout ce qui a l'apparence du péril ,
pour peu de chofe , inconfidérément &
fans précaution. Ce qui le foutient dans
les périls eft l'efpérance qu'il n'y fuccombera
pas ; car s'il voyoit la mort certaine ,
fa Bravoure l'abandonneroit bientôt .
Alexandre fut un téméraire , lorfqu'il
Le précipita feul dans une Ville ennemie ,
où il devoit périr , fi la fortune eût ceffé
un moment de le favorifer.
L'homme timide fe laifie abbatre par
tout ce qui a l'apparence du péril ; la peur.
offufque fa raifon , & le met hors d'état
de remédier aux dangers qui fe préfentent;
Sicut enim Angelus Dei , fic eft Dominus
meus Rex , qui nec benedictione , nec maledictione
moveatu Reg. II. ch . 14. v. 17.
96 MERCURE DE FRANCE;
& pour les éviter , il fe jette dans l'extré
mité oppofée.
Il faut diftinguer la crainte de la timidité
; un homme courageux peut avoir
de la crainte. Elle n'eft pas un défaut ,
c'est l'action d'appréhender que les événemens
qui ne dépendent pas de lui ,
lui foient contraires ou préjudiciables :
mais fon courage lui infpire d'employer
la prudence pour les prévenir & y rémédier.
La valeur , ou la bravoure, eft ordinairement
la compagne du courage. Quoiqu'il
y ait de la différence entre ces deux
vertus , cependant on les confond fouvent
enſemble : mais je penfe qu'elles
peuvent quelquefois exifter féparément ;
& c'eft ce qu'on peut mieux faire ſentir
par.des faits que par des raifonnemens.
Alexandre étoit brave ; on ne fçauroit
lui difputer cette qualité mais étoit - il
véritablement courageux ? Ce Prince revient
couvert de gloire , victorieux de
toutes les Nations de l'Orient : il eft arrêté
par les prédictions des Chaldéens ,
qui lui annoncent la mort, s'il entre dans
Babylone. La peur s'empare de fon âme.
I hélice longtemps pour entrer dans
çette Ville ; il fe livre à la fuperftition
pour détourner les finiftres prélages qui
le
OCTOBRE. 1760. 97
le menacent , & pour guérir fon imagition
frappée. Il n'en peut venir à bout : il
s'abandonne à toutes fortes de plaifirs ,
afin de s'étourdir lui- même ; fes excès ne
font qu'accélérer la mort qu'on lui avoit
prédite , au lieu de l'attendre avec courage
, s'il ne pouvoit l'éviter .
La mort de Caton d'Utique , à laquelle
on a donné des louanges exceffives , marque
dans cet homme , un défaut de courage.
Il n'a pas la force de réfifter aux malheurs
qu'il prévoit , & qu'il appréhende ;
& il fe donne la mort avec affez de façons
pour faire croire qu'il regrette la vie.
"
Ce fameux Brutus , le meurtrier de Cé-
Jar * qu'on nous a tant vanté , prêt à ſe
jetter fur la pointe de fon épée , s'écrie ,
» vertu que j'ai fuivie toute ma vie , pour
laquelle j'ai quitté plaiſirs , biens & for-
» tune , tu n'es qu'un vain fantôme fans
pouvoir , le vice a toujours l'avantage
> fur toi , & déformais eft- il un mortel qui
» doive s'attacher à ton inutile puiffance
! la mort qu'il fe donne enfuite eft
une action de défefpoir , & non pas de
"
"
courage.
Annibal eft un homme véritablement
courageux. Après les grandes actions qu'il
* Voir la vie de Céfar , par l'Auteur , To . 2.p.
247 .
II. Vol.
98 MERCURE DE FRANCE
a faites , forcé de céder à la fortune des
Romains , il eft vaincu , mais fon courage
ne l'abandonne jamais. Il parcourt tous
les Royaumes de l'Univers , où il croit
pouvoir fufciter des ennemis aux Romains ,
& il fuccombe enfin lorſqu'il ne peut plus
réfifter à la fatalité de fon fort , & après
avoir fait tous les éfforts
pour la corriger.
Scipion l'Afriquain , ce vainqueur d'Annibal
, eft accufé par fes citoyens : au lieu
de répondre à des accufations , dictées par
leur jaloufie , il les méprife , il s'exile luimême
de fa Patrie , & paffe le refte de ſes
jours avec un courage héroïque , qui
lui fait oublier l'ingratitude d'une ville
qui lui doit toute fa gloire.
Cicéron n'a jamais paffé pour avoir de
la valeur. Il a donné , dans plufieurs occafions
de fa vie , des marques de foibleffe
: Il fupporte fon exil & la mort de fa
fille , avec des regrets indignes de lui ;
mais la grandeur de fon courage ſe fair
connoître , lorsqu'il eft queftion de fauver
fa Patrie , par la découverte de la conjuration
de Catilina , malgré ce qu'il avoit
à craindre des plus Grands de Rome , qui
en étoient complices . Si ce qu'on dit de
fa mort eft vrai , elle fut celle d'un homme
courageux ; il tend la gorge aux bourreaux
, fans donner aucune marque de
OCTOBRE. 1760. 99
crainte ni de timidité : ce qui pourroit me
faire croire qu'un homme peut être courageux
fans valeur. *
Nous avons vu de nos jours un exemple
bien frappant de la grandeur du courage
jointe a la valeur , dans la perfonne de
Louis XIV. C'eft moins dans l'éclat de fa
grandeur qu'il paroît un homme courageux
,que dans l'adverfité . Après avoir paffé
la plus grande partie de fa vie dans la
profpérité , la fortune l'abandonne. Toute
l'Europe eft liguée contre lui ; les malheurs
fe fuccédent avec rapidité , il éprouve
les plus grands revers . Ses Armées font
battues à Hochftet , à Ramillies , à Malplaquet
. Il perd prèſque tout ce qu'il avoit
conquis en Flandres , en Eſpagne , & en
Italie. A ces pertes fe joint la défolation de
fa famille . La mort lui enléve , en moins
d'une année , le Dauphin fon fils , le Duc
& la Ducheffe de Bourgogne & leur fils ,
& ne lui laiffe qu'un foible rejetton , dont
la fanté chancelante lui fait enviſager ,
s'il venoit à le perdre , les plus terribles
fuites.
Au millieu de ces défaftres fon courage
ne l'abandonne pas , & lui fournit de nou-
* Démosthènes reffembloit affez à
avoit encore moins de valeur que
mort dans Plutarque.
Cicéron . Il
lui ;
voyez fa
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
velles reffources ; il donne fes ordres partour
avec une intrépidité & une tranquillité
qui étonne l'Europe . Indigné des infolentes
propofitions de paix , que lui font
fes ennemis , il les rejette avec mépris.
Secondé par fes fidéles fujets , fes Armes
font victorieufes . Vendôme , par le gain de
la bataille de Villaviciofa , affermit la
Couronne d'Espagne fur la tête de Philippe
V, & Villars force la victoire de lui
être favorable à Denain . Les affaires fe rétabliffent
: Louis conferve , par une paix
honorable , la plus grande partie de fes
prétentions , & fait voir à toute l'Europe ,
qu'il eft redevable de fes dernieres profpérités
à fon courage. Si fon courage l'avoit
abandonné dans l'adverfité , tout étoit
perdu.
J'ai dit que le courage étoit la vertu
opposé à la témérité ; lorfque je parlerai
de ce vice , j'en ferai fentir les terribles
conféquences. Je parlerai de Philippe de
Valois , qui perd la bataille de Crecy ,
pour avoir imprudemment attaqué les
Anglois. Du Roi Jean , qui pouvant avoir
à difcrétion le Prince de Galles , aime
mieux le combattre : il perd la bataille de
Poitiers ; il eft fait prifonnier , & met fon
Royaume à deux doigts de fa perte. Gufta-
Adolphe , Roi de Suéde , fe fait tuer à
OCTOBRE . 1760. 101
la bataille de Lutzen , après avoir remporté
la victoire. Le Duc de Nemours , à
la bataille de Ravennes , avoit eu le même
fort , & Charles XII eft emporté d'un
coup de canon , au Siége de Frédéricshall.
C'eft ainfi qu'en joignant les exemples
aux préceptes , on peut inftruire un Prince
des effets que produifent les vertus &
les vices . Il apprendra à pénétrer dans le
coeur des humains , pour y diftinguer les
motifs de fes actions,& comment elles font
conduites par les différentes paffions qui
l'agitent . Il apprendra , par ce moyen , à
connoître les hommes , leurs véritables
caractéres , leurs belles ou leurs médiocres
qualités, afin de fçavoir les employer pour
le bien de fon fervice & l'utilité de fon
état , chacun fuivant fon talent .
La connoiffance des hommes eft fans
doute une des plus néceffaires & dès plus
utiles pour le Prince. Louis XIV la poffédoit
au premier degré. Pendant fon régne
aucun de ceux qui fe diftinguerent dans
tous les
genres , ne fut oublié ni négligé.
Mais pourquoi ne propoferions- nous
pas , aux jeunes Princes , des exemples vivans
? notre Augufte Monarque n'imite- til
pas
fon illuftre Bifayeul ? nous voyons ,
avec fatisfaction , le Maréchal de Broglie
à la tête de fes Armées. Tous les autres
E iij
102 MERCURE DE FRANCE
Miniftres occupent des places dans lefquelles
ils fe diftinguent , autant par leur
amour pour leur Prince , que par leur attention
à exécuter fes ordres avec exactitude
& fidélité .
Nous reconnoiffons dans les autres Monarques
la même fagacité , par le choix
qu'ils ont fait de ceux qui rempliffent les
premiers emplois de leurs Etats .
L'Impératrice Reine de Hongrie & de
Bohéme , s'applaudit du choix qu'elle a
fait pour commander les Armées , des
Généraux Daun & Laudon , & du Comte
de Kaunits fon Grand Chancelier , qu'elle
a mis à la tête de fon Confeil .
Les Miniftres de Frederic V , Roi de
Dannemarc , font dignes de ce fage Monarque
, dont la prudence fait l'admira
tion de toute l'Europe. Nous avons rendu
juſtice au Baron de Bernftorf, l'un d'eux ,
pendant fon Ambaffade en cette Cour ,
où il étoit autant eftimé , qu'il fçait fe
faire aimer à celle de Coppenhague. Avec
quelle union les Miniftres d'Efpagne choifis
par Dom- Carlos, ne concourent- ils
avec lui à la gloire & à la profpérité de
cette Monarchie ! En réuniffant ainfi ſous
un même afpect les vertus des différens
Monarques qui gouvernent aujourd'hui
l'Europe , & les belles qualités de leurs
pas
OCTOBRE. 1760 . 183
Miniftres ,, on peut former fur ces modéles
, des Tableaux inftructifs & dignes
d'être mis fous les yeux des jeunes Princes.
Une des plus importantes attentions des
Rois , eft le choix des Gouverneurs de
leurs enfans : c'eft parmi les perfonnes de
condition qu'on doit les prendre. Elles
ont plus ordinairement en partage , la
grandeur & la nobleffe des fentimens.
Comme elles approchent du Throne plus
fouvent , & de plus près que les autres ;
comme elles fréquentent la Cour ; comme
elles y voyent continuellement ceux qui
fe diftinguent par leur mérite & leur
Science elles font plus à portée d'acquérir
les qualités néceffaires pour former
un Prince . Nous ne voyons juſqu'à Louis
XIV, aucun Gouverneur digne par fon
mérite d'être placé dans l'Hiftoire . Elle
nous a confervé feulement le nom & les
belles qualités du Comte de Chievres ,
Gouverneur de Charles - Quint , auquel
il procura une fi belle éducation , qu'il
fut un des plus grands Princes de fon
temps.
Nous pourrions encore citer M. le Duc
de Montauzier , qui avoit préfidé à l'éducation
de Mgr le Grand Dauphin : c'étoit
un homme du premier mérite , fage , prudent
, inftruit , éclairé. La nobleffe de fes
E iv
104 MERCURE DE FRANCE:
fentimens, répondoit à celle de fa race; cependant
un peu trop mifantrope , il avoit
un refte de Pédantiſme , qu'on croyoit
alors néceffairepour l'éducation . J'ai appris
d'un homme qui avoit paffé fa vie à cette
Cour, que lorfque Louis XIV voulut choifir
celui qu'il placeroit auprès de fes Petitsfils
, on crut que M. de Montauzier feroit
encore nommé, & quelqu'un lui en ayant
fait compliment : non , dit-il , jefuis trop
mais je gronderois bien encore.
Au furplus , comme ces importantes places
font aujourd'hui remplies auprès des
jeunes Princes de l'Europe , par les hommes
les plus recommandables , nous n'avons
rien à defirer fur cet article.
vieux
Une choſe bien difficile dans l'éducation
d'un Prince , eft le choix de ceux
qu'on pourroit lui deftiner pour amis ; on
n'en fait pas de propos délibéré. L'amitié
ne fe donne point; elle fe contracte
infenfiblement par la conformité de l'âge,
des moeurs , du caractére , & par une certaine
habitude de vivre enfemble. Alexandre
eut le bonheur d'en diftinguer un ,
entre ceux qui l'environnoient, qu'il aima
préférablement aux autres , qui fe rendit
digne de fon amitié , & qui fit le bonheur
de fa vie. L'Empereur Augufte fut
*
* Voir le caractére d'Epheftion dans la Vie
d'Aléxandre de l'Auteur. P. 554.
OCTOBRE. 1760 . 105
affez heureux , pour en trouver deux . Ce
Prince ayant eu la foibleffe de divulguer
dans Rome les déréglemens de fa propré
fille , s'écria , pénétré de douleur : fi Mecène
ou Agrippa euffent été vivans , je
n'aurois pas commis une fi grande faute !
Un ami fage , éclairé, intelligent , n'eft
intéreffé que pour la gloire du Prince ; fon
amitié lui donne le droit de dire librement
fon avis , & il le mefure au carac
tére de celui auquel il parle.
Retire-toi , Bourreau , écrivit un jour
Mecène à Augufte , qu'il ne pouvoit aborder
à caufe de la foule des malheureux
qu'il faifoit tourmenter. La remontrance
étoit violente , mais elle fit fon effet ,
parce que le Prince connoiffoit la fageffe
de fon ami. Le Duc de Sully ne corrigeoit
pas Henri IV fi durement , auffi ne s'expofa-
t- il jamais à de pareils reproches.
Le Ministre repréfentoit avec douceur ,
mais avec fermeté , ce qu'il croyoit
utile au Prince , & le Prince convaincu
de la droiture & de la fageffe du Miniftre ,
fe rendoit fouvent à fon avis .
En faisant connoître au Prince les agré
mens qui accompagnent l'amitié , il faut
tacher de l'inftruire , comment il pourra
diftinguer ceux qui aiment la fortune ,
plutôt que le Prince c'eft ce qu'Ale-
E v
r06 MERCURE DE FRANCE.
xandre connoiffoit parfaitement , lorfque
parlant de fes deux principaux Minif
tres , il difoit qu'Epheftion aimoit Alexandre
, & que Cratère aimoit le Roi. Il
faut encore s'attacher à lui faire connoître
la différence qu'il y a entre un ami , & un
favori. L'Hiftoire eft pleine de favoris ingrats
, qui ne regardent l'amitié du Prince,
que comme une voie fûre de faire fortune
, qui font infatiables de dons , qui
abufent du pouvoir qu'ils ont fur fon efprit
, qui veulent le maîtrifer , & qui lui
font fouvent faire de lourdes fautes ; &
je pourrois dire qu'il n'y a que les Princes
foibles , qui ont des favoris .
Il ne faut pourtant pas qu'un Prince ,
faute de trouver des amis parfaits , fe
prive des douceurs de l'amitié. Le coeur
de l'homme eft fait pour aimer : un Prince
généreux furtout eft fujet à cette belle paffion;&
lorfqu'il eft intelligent, il en fait un
ufage conduit par le difcernement , qui
rend heureux ceux qui l'approchent. Rien
n'eft comparable , dit le Sage , à un véritable
ami ; toutes les richeffes du monde ,
ne fçauroient égaler fa bonté & fa fidélité.
*
* Amico fideli nulla eft comparatio , & non
eft digna ponderatio auri & argenti contra bonitatem
fidei illius . Ecclefiaftic. ch . 24. v. 15,
OCTOBRE. 1760. 107
On fent parfaitement que cet éffai n'eſt
qu'une efquiffe très- légére d'un plus grand
Ouvrage . J'employerai tous mes foins à
le rendre digne des Princes , auxquels je
le define , & utile en même temps , par
le mêlange des traits hiftoriques , avec les
préceptes de la Morale . Si je ne fuis pas
affez heureux pour remplir mon objet à
leur fatisfaction , j'en accuferai mon infuffifance
, & je me tiendrai dans la foule de
ceux que la Nature a bornés dans le témoignage
de leur zéle envers leurs Princes ,
aux voeux qu'ils font pour leur profpérité.
Le fieur de Bury qui nous a fourni cet
éſſai , a déjà donné au Public la vie de
Jules-Céfar. Il fe difpofe encore à donner
celles de Philippe & ďAlexandre- le - Grand,
qui font dédiées au Roi de Dannemarc .
Elles font fous Preffe , & paroîtront le
mois prochain.
HISTOIRE de la Maifon de STUART
fur le Throne d'Angleterre , par M.
HUME.
Q
UELLE foule d'événemens extraordinaires
& tragiques , nous annonce le
Titre feul de cette Hiftoire ! & quelle
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
idée ne doit - on pas concevoir d'un Ouvrage
, dont l'Auteur eft M. Hume , & le
Traducteur , M. l'Abbé Prevôt ? Ce Livre
en trois volumes in - 4° . eft donc également
recommandable , & par le nom des
Auteurs , & par l'importance du fujet : il
l'eft auffi par le mérite de l'exécution dans
la partie littéraire , & dans le travail
pographique.
33
ty.
Nous diviferons l'Analyſe de cette Hifsoire
, en trois parties ; chaque Volume
nous fournira la matiere d'un extrait. Le
premier commence à la mort d'Elizabeth,
dont la Couronne paffa fur la tête de Jacques
Stuard, Roi d'Ecoffe. Il étoit arrierepetit
-fils de Marguerite , fille aînée de
Henri VII, & le défaut de la ligne mafculine
, rendoit fes droits inconteftables.
Elizabeth mourut le 24 Mars 1603 ,
après un long & heureux régne : heu-
» reux , parce qu'il avoit été prudent. Ja-
» mais femme n'a joui de tant de gloire ,
& de réputation. On a difputé long-
» temps , & l'on demande encore qui
doit être regardé comme le plus grand
» des hommes ; mais auffi long- temps que
» le nom d'Elizabeth ſubſiſtera, la prééminence
ne fera point incertaine entre les
femmes. Elle réuniffoit prèfque toutes
les vertus , dont l'affemblage peut faire
39
OCTOBRE . 1760. 109
» la perfection du caractère d'un Souve-
» rain. Sa févérité même & fon économie,
» par lesquelles elle fembloit pancher vers
» l'extrême , convinrent fi particulierement
» aux circonftances de fa fituation , que
» l'influence de ces qualités , parut égale
» à celle de fes plus éclatantes vertus.
» Elle avoit été fans ceffe accompagnée
» de la victoire au dehors , & de la paix
» dans l'intérieur de fes Etats . Enfin elle
laiffa fa nation dans une condition fi
» floriffante , que fon fucceffeur , en montant
fur le Thrône , fe vit tout d'un
" coup en poffeffion de toutes fortes d'a-
"vantages , excepté celui d'un nom com-
» parable à l'illuftre nom qu'il remplaçoit. »
Jacques I ne fçut profiter ni de l'état
floriffant où il trouva le Royaume d'Angleterre
, ni de l'affection finguliere que
les Peuples témoignerent d'abord pour
leur nouveau Monarque. Les premiers
foins qui l'occuperent fur le Thrône, furent
entierement conformes aux inclinations
de fon coeur: il eut la fatisfaction de s'employer
à donner magiftralement des Loix
à une affemblée de Théologiens , concernant
les points de foi & de diſcipline ; &
de recevoir les applaudiffemens de ces
faintes ames ,pour la fupériorité de fon zéle
& de fon fçavoir. Il avoit convoqué cette
110 MERCURE DE FRANCE.
f
Affemblée , au Château d'Hamptoncour.
L'événement le plus mémorable de ce
régne , & un des plus extraordinaires que
l'Hiftoire ait tranfmis à la postérité , eft
la confpiration des poudres ; fait auffi certain
, qu'il paroît incroyable. Les Conjurés
avoient loué une maifon , qui touchoit
à la Salle du Parlement : ils formerent
l'horrible projet de creufer une mine
fous cette Salle, & de la faire fauter à certain
jour , où le Roi , la famille Royale ,
le Seigneurs & les Communes devoient
s'y trouver affemblés. Le hazard même
parut autorifer leur fcélérateffe : une cave
fituée fous cette Salle , fe trouva libre ; &
ils y placerent trente- fix barils de poudre,
quifurent foigneufement couverts defagots
& de buches ; après quoi , pour éviter toute
fufpicion, ils laifferent les portes de la cave
ouvertęs , avec entiere liberté d'y entrer.
Le jour de l'Affemblée du Parlement
approchoit. L'horrible fecret , quoique répandu
entre plus de vingt perfonnes, avoit
été religieufement gardé l'efpace d'un an
& demi : nul remords, nul mouvement de
pitié , nul efpoir de récompenfe , n'avoient
eu la force d'engager aucun des Confpirateurs
, foit à quitter l'entrepriſe , foit à
la découvrir une Lettre ambigue , écrite
par un Conjuré, fut remife entre les mains
OCTOBRE . 1760. III
du Roi , qui en demêla le vrai fens . La
conjuration fut découverte , & le crime
des Confpirateurs puni. Le Roi , dans le
difcours qu'il fit au Parlement , obferva
que s'il étoit vrai que des motifs de religion
euffent engagé les Confpirateurs dans
une fi criminelle entrepriſe , tous les Catholiques
Romains ne méritoient pas le
même reproche . » Un grand nombre de
» faints hommes , dit-il , entre lefquels
» on peut compter nos Ancêtres , ont eu
la foibleffe de donner dans la doctrine
»fcholaftique de cette Eglife , fans avoir
» jamais admis les féditieux principes
» qui attribuent au Pape le pouvoir de
» détrôner les Souverains , ou qui fanc-
» tifient l'affaffinat . »
Jacques le préfente fous un jour plus favorable,
lorfqu'il entreprend d'être le Légiflateur
de l'Irlande , que lorfqu'il préfide
aux Affemblées de Théologiens : il civilifa
les Habitans de cette Ifle , qu'on eût pris
alors pour une nation de Sauvages . Aucun
crime pernicieux n'étoit puni de mort ;
les plus grandes fautes n'entraînoient
d'autres châtimens , qu'une amende pécuniaire.
Chacun , par exemple , avoit fon
prix fixe , une valeur attachée à fa
Lonne , & proportionnée à fon rang. Le
prix de chaque Irlandois , étoit nommé
per112
MERCURE DE FRANCE.
9
fon Eric ; & quiconque étoit affez riche
pour payer l'Eric de fon ennemi , pouvoit
hardiment l'affaffiner. On peut juger par
cette Loi , des autres ufages de ce Peuple.
A la réſerve des Seffions du Parlement,
l'Hiftoire du régne de Jacques I , eft plutôt
l'Hiftoire de la Cour , que celle de la
Nation. Ce Monarque eut fucceffivement
deux favoris: le premier fut Robert- Carre,
Vicomte de Rochefter , l'autre le fameux
Duc de Buckingham. Robert- Carre ,
jeune homme de vingt ans , & d'une
bonne maifon d'Ecoffe , parut à Londres
après avoir donné quelque temps à fes
voyages. Toutes fes perfections naturelles
confiftoient dans une belle figure, & toutes
fes qualités acquifes , dans l'air & la contenance
aifée. La paffion du Roi pour la jeuneffe,
la beauté & les graces extérieures, lui
fit faire attention à ce jeune homme . On
prétend qu'il fe trouva fi mal élevé , qu'il
ignoroit jufqu'aux premiers élémens de la
Langue latine ; & que le Monarque dépofant
le Sceptre , prit la férule dans fes
mains royales , pour l'inftruire des principes
de la Grammaire. Les affaires d'Etat
fervoient d'intermédes à cette noble occupation.
Dans l'opinion que le Roi avoie
de fa propre fageffe , il fe trouva flatté , de
penfer que par les avis & fes inftructions ,
OCTOBRE. 1760. ? 117
un novice de cet âge deviendroit bientôt
égal aux plus fages Miniftres: il lui conféra
bientôt la dignité de Chevalier ; il le créa
Vicomte de Rochefter ; il lui donna
l'Ordre de la Jarretiere; il l'admit au Confeil
privé, & mit entre fes mains la direction
fuprême de toutes les affaires & de
tous les intérêts politiques. Les richeſſes
convenables à ce rapide progrès de crédit
& d'honneurs , furent accumulées fur fa
tête ; & il ne paroît pas , dit l'Hiftorien ,
que la paffion de Jacques pour ce favori ,
ait rien eu de criminel , ni de vicieux.
Le Vicomte de Rochefter ne fçut pas fe
maintenir long-temps , dans les bonnes
graces de fon maître . S'étant fouillé d'un
empoifonnement pour plaire à fa femme,
il fut d'abord enfermé avec elle dans la
Tour ;mais après quelques années de prifon
, le Roi adoucit la rigueur de fon
fort , en lui rendant la liberté . Il lui accorda
même une penfion , avec laquelle
il chercha une retraite , où il traîna une
vie longue dans l'infamie & l'obſcurité,
L'hiſtoire du mariage & du crime de ce
Favori , eft un morceau intéreffant qu'il
faut lire dans l'ouvrage même , les loix
ordinaires de l'analyfe ne permettent pas
de le rapporter en entier ; & ce feroit
trop l'affoiblir que d'en donner un extrait.
•
114 MERCURE DE FRANCE.
La chute de Rochefter , & fon banniffement
de la Cour ouvrirent le chemin
au fecond favori , pour monter tout d'un
coup au fommet de la faveur , des honneurs
& des richeffes. Il fe nommoit
George Villiers , jeune homme de vingtun
ans , cadet d'une bonne maiſon . II
revenoit alors de ſes voyages ; & il fe fir
remarquer par les avantages d'une belle
figure , d'un air fin , & d'une parure du
meilleur goût. Jacques le revêtit d'abord
de l'office d'Echanfon ; il le créa enſuite
Vicomte de Villiers , Comte , Marquis
& Duc de Bukingham : puis ne penfant
plus qu'à faire le Précepteur avec lui , il
prit , en le chargeant d'honneurs exclufifs
& prématurés , une méthode infaillible
, pour le rendre toute fa vie téméraire
& préfomptueux jufqu'à l'infolence.
Ce Miniftre engagea le Prince de Galles
, qui fut depuis Charles I , à fe rendre
en Perfonne à Madrid , où il l'accompagna
, pour hâter fon mariage avec l'Infante.
Il repréfenta à ce Prince , qu'il y
avoit un malheur comme attaché au mariage
des perfonnes de fon rang ; que
le
fort de leur naiffance les condamnoit ordinairement
à recevoir dans leurs bras
une femme qu'ils ne connoiffoient point ,
pour laquelle ils ne fentoient pas les ten
OCTOBRE. 1760. 115
dres mouvemens de la fympathie , &
qu'ils ne devoient qu'à des intérêts politiques.
Il ajouta que l'Infante , avec toutes
les perfections dont elle étoit remplie
, devoit le regarder comme une trifte
victime d'Etat , & envifager avec averfion
, le jour qui devoit la faire entrer
dans le lit d'un inconnu ; qu'il étoit au
pouvoir du Prince de Galles d'adoucir ces
rigueurs , & de fe faire auprès d'elle un
mérite capable d'attacher le coeur le plus
indifférent ; qu'un voyage à Madrid feroit
une galanterie imprévue , égale à toutes
les fictions des Romans Efpagnols , convenable
au caractère amoureux & entreprenant
de cette Nation ; & qu'il paroîtroit
aux yeux de l'Infante , fous les titres
agréables d'amant dévoué , & de brave
avanturier. L'ame du jeune Prince fut
aifément enflammée par cette généreufe
& romanefque peinture. Ils convinrent
d'en parler au Roi , pour obtenir fon approbation.
Jacques y confentit d'abord ;
mais réflechiffant enfuite à cette démarche
, il ne crut pas qu'il fût prudent de
confier à la difcrétion des Efpagnols , fon
fils unique , l'héritier de fa Couronne :
il retira donc fon confentement ; & le
Prince , les larmes aux yeux , reçut ce
refus avec un reſpectueux filence. Il n'en
116 MERCURE DE FRANCE.
fut
pas de même de l'impérieux favori
qui ofa menacer de tout fon reffentiment
, quiconque avoit fait changer le
Roi de réfolution. Jacques protefta qu'il
n'avoit communiqué ce deffein à perfonne
; mais le trouvant affailli tout à la fois
par les violentes importunités de Buca
kingham , & par les ardentes prieres de
fon fils , il eut la foibleffe de confentir
encore au voyage. On convint que le
Prince ne feroit accompagné que de Buc
kingham , de Cottington & de trois au
tres. Cottington fe trouvant alors dans
l'antichambre
, fut auffi- tôt appellé par
l'ordre du Roi qui lui dit : » Voilà Baby
» Charles & Stenny , ( il donnoit ordi-
» nairement ces ridicules furnoms * au
» Prince & au favori ) qui ont grande en
» vie de prendre la poste pour l'Espagne ,
» de nous amener ici l'Infante : que pen-
» fez- vous de cette courfe ? Cottington
, qui étoit un homme prudent , expofa
au Roi toutes les objections qui fe
préfentent naturellement contre une entreprife
de cette nature , & ne fit pas de
difficulté de la condamner. Le Roi fe
jetta fur fon lit en criant : N'est - ce pas
ce que je vous ai dit ? Il recommença
* Baby fignifie poupée ; & Stenny eft un dimi
nutif de S. Jean .
OCTOBRE. 1760. 117
fes lamentations avec une nouvelle cha
leur , en difant qu'il étoit perdu , & qu'il
alloit perdre Baby Charles . Le Favori s'emportant
contre Cottington , »les quef-
» tions du Roi , lui dit- il , ne regardoient
que la maniere de faire ce voyage ;
»pourquoi ofez-vous donner votre avis
» fur les affaires d'État , fans qu'on vous
» le demande ? C'eft une hardieffe , dont
» vous vous repentirez toute votre vie . »
Il ajouta mille autres menaces , qui mirent
le pauvre Roi dans une nouvelle
agonie , en faveur d'un Officier dont il
prévoyoit que le fort feroit à plaindre ,
pour lui avoir répondu en homme d'honneur.
Il prit la parole avec quelque émotion
: » Pardieu , Stenny , je vous blâme
25
»
beaucoup de l'avoir traité fi mal. Il a
» répondu directement à ma queſtion ;
» & vous fçavez bien qu'il n'a rien dit de
plus , que ce que je vous ai dit moi-
» même , avant que de le faire appel-
» ler. Après toute cette chaleur des deux
parts , Jacques renouvella fon confentement
, & les mefures furent prifes pour
le voyage. Ils traverferent la France déguilés
, fans y être reconnus , & fe hazarderent
même à paroître dans un bal
de la Cour , où le Prince de Galles vit la
Princeffe Henriette , qu'il époufa dans la
118 MERCURE DE FRANCE
fuite. Onze jours après leur départ de
Londres , ils arriverent à Madrid , & n'y
cauferent pas peu de furpriſe , par une
démarche fi peu ordinaire aux grands
Princes. Le Roi d'Efpagne s'empreffa de
vifiter Charles , lui témoigna la plus vive
reconnoiffance de l'opinion qu'il avoit
de fa bonne foi , & lui promit , avec des
proteftations fort ardentes , un retour
égal de franchiſe & d'amitié. Il lui donna
une clef d'or , qui ouvroit tous les
appartemens , afin que le Prince n'eût
pas befoin d'introduction pour le voir à
toute heure. Dans toutes les occafions il
prit la gauche , excepté dans l'appartement
même de Charles , où ce Prince ,
difoit-il , étoit chez lui. Charles , dans
fa premiere entrée au Palais , y fut reçu
avec la même pompe & les mêmes céré
monies qui s'obfervent en Eſpagne au
couronnement du Roi. Le Confeil privé
reçut un ordre public de lui obéir comme
au Roi même. Toutes les priſons d'Ef
pagne furent ouvertes , & la liberté fut
rendue aux prifonniers , comme fi le plus
mémorable & le plus heureux événement
étoit arrivé à la Monarchie. Cependant
l'Infante ne fut montrée qu'en public à
fon amant ; les idées efpagnoles de décence
, ne permettoit pas un commerce
OCTOBRE. 1760 119
plus familier , jufqu'à l'arrivée des Bulles !
de difpenfe pour le mariage. Le caractère
de Charles , compofé de modestie , de
douceur & de fobriété , vertus fi confor- ›
mes aux moeurs d'Eſpagne ; la confiance
fans exemple qu'il avoit eue pour la nation
, fa galanterie romanefque , toutes
ces circonstances jointes aux graces de fa
jeuneffe & de fa figure , l'avoient rendu
cher à la Cour de Madrid , & laiffoient
à toute l'Espagne , la plus favorable idée
de fon naturel. Mais le mépris & la haine
y étoient dans la même proportion pour
le Duc de Buckingham , que l'eftime &
l'affection pour le Prince. Ses diffolutions
, fon humeur arrogante , impétueufe
, irriterent les Efpagnols. Il pouffa l'imprudence
jufqu'à infulter le Comte Duc
d'Olivarez , leur premier Miniftre. Ne
pouvant le déguifer combien il étoit
odieux à cette nation , il employa tour
fon crédit , pour faire avorter le mariage.
Il y réuffit par l'afcendant qu'il fçut toujours
conferver fur l'efprit du Roi , & fur
le Prince de Galles. Celui - ci , malgré toutes
les proteftations , & le traitement généreux
qu'il avoit reçu des Eſpagnols
quitta Madrid , ayant déja formé la réfolution
de rompre tous fes engagemens .
"
Jacques I étoit dans l'opinion , que .
720 MERCURE DE FRANCE.
fon fils feroit dégradé par un mariage
avec toute autre Princeffe qu'une fille de
Roi . Dans cette idée , après la rupture
de l'Espagne , il ne reftoit qu'une alliance
avec la France. Mais ce Monarque ne furvêcut
pas long-tems à ce mariage avec
la Princeffe Henriette il mourut le 27
Mars 1625 , dans la cinquante- neuvième
année de fon âge , & la vingt-troifiéme
de fon regne fur le thrône d'Angleterre.
A ce regne pacifique , fuccéda le regne
orageux & fanglant de Charles I. Le Parlement
, déja indifpofé contre Jacques I ,
ne garde que peu de mefares avec le
nouveau Roi. Toutes fes demandes font
rejettées , mitigées ou combattues. Luimême
eft bientôt contraint de fe relâcher
fur quelques - uns de fes droits. Mais
plus il accorde , plus on lui demande , &
moins il obtient. Son attachement pour
fon Favori , n'étoit pas un des moindres
motifs du mécontentement national. Ce
mécontentement , paffant dans le coeur
d'un enthouſiaſte défefpéré , éclata bientôt
par un événement des plus horribles .
Un nommé Felton , d'un naturel ardent
& mélancolique , avoit fervi , en qualité
de Lieutenant , fous le Duc de Buckin-'
gham. Son Capitaine ayant été tué , il
avoit follicité la Compagnie , & le chagrin
OCTOBRE. 1760. [ 20
grin de n'avoir pu l'obtenir , lui avoit fait
abandonner fa commiffion. Le fanatifme
enflammant encore fon reffentiment
perfonnel , il lui tomba dans l'efprit , qu'il·
rendroit un fervice à l'Etat , s'il pouvoir
délivrer fon pays d'un Miniftre trop puiffant
: un jour que Buckingham le trouvoit
engagé en converfation avec plufieurs Seigneurs
; quelque différence de fentiment
fit naître une difpute , qui , fans bleffer la
modération & la décence , produifit quelques
geftes animés , & des tons de voix
éclatans. Après l'entretien , le Duc fe mit
en chemin pour fortir ; & dans le paffage
même de la porte , le Duc fe tournant
pour parler à un Officier , fut brufquement
frappé d'un coup de couteau dans
la poitrine ; fans prononcer d'autres mots
que,le vilain m'a tué , & tirant le couteau
de fa bleffure , il rendit le dernier foupir.
Perſonne n'avoit fçu le coup , ni de quelle
main il étoit parti;mais dans la confufion,
chacun formoit fa conjecture : tout le
monde jugea que le meurtre avoit été
commis par les Seigneurs dont on avoit
vu les geftes , & entendu la voix , quoique
perfonne n'eût entendu leurs expref-
Gons. Le moment d'après , on trouva
proche de la porte un chapeau , dont le
fond contenoit un papier coufu , où l'on
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
avoit écrit quelques lignes , qui déclaroient
Buckingham ennemi du Royaume . On en
conclut aifément que le chapeau appartenoit
à l'affaffin ; mais il reftoit la difficulté
de le connoître ; car il étoit fort
vraisemblable qu'une prompte fuite l'avoit
déjà conduit affez loin . Au milieu de
ce tumulte , on apperçut un homme fans
chapeau , qui fe promenoit fort tranquillement
devant la porte.Quelqu'un s'étant
écrié Voici l'homme qui a tué le Duc ;
cet homme répondit d'un ton fort tranquille
: Oui , c'est moi . Les plus emportés
fe jetterent auffitôt fur lui l'épée nue ;
d'autres plus capables de réfléxion , prirent
fa défenfe : lui , les bras ouverts, d'un
air joyeux & fort compofé , offroit ſa poitrine
à l'épée des plus furieux , dans la
vue apparemment de périr fur le champ
par leurs mains , plutôt que de fe voir réfervé
à la Juftice publique. Lorſqu'on
l'eut conduit dans une chambre particuliere
, on prit le parti de diffimuler , jufqu'à
lui dire que Buckingham n'avoit reçu
ca'une profonde bleffure , & qu'on ne
défefpéroit pas de fa guérifon . Il fourit :
Je fçais trop bien , dit - il aux affiftans , que
le coup qu'il a reçu , termine toutes vos
efpérances. Lorsqu'on lui demanda , à l'inf
tigation de qui il s'étoit rendu coupable ,
7 OCTOBRE. 1760 . 123
il répondit qu'on pouvoit s'épargner la
peine de cette recherche ; que perfonne
au monde n'avoit affez d'afcendant fur
lui , pour l'avoir difpofé à cette action ;
qu'il n'avoit même confié fon deffein à
perfonne ; que fa réſolution n'étoit venue
que de lui même ; & qu'on feroit inftruit
de les motifs ,fi fon chapeau fe retrouvoit ;
parce que s'étant attendu à périr dans l'entreprife
, il avoit pris foin de les écrire.
A la premiere nouvelle de l'affaffinat ,
le Roi qui la reçut en Public , ne donna
aucune marque de chagrin , ni d'émotion.
Les Affiftans qui obfervoient fa contenance
, jugerent qu'au fond du coeur , il
n'étoit pas fâché de fe voir defait d'un
Miniftre fi généralement odieux à la Nation.
Mais l'empire qu'il avoit eu fur luimême,
n'étoit venu que de fa gravité naturelle
, & de l'habitude qu'il avoit de compofer
fon vifage. Il étoit auffi attaché que
jamais à fon favori ; & pendant toute fa
vie il conferva de l'affection pour les
amis de Buckingham , & de l'éloignement
pour les ennemis . Il demanda inftamment
que la queftion fût employée ,
pour arracher à Felton la connoiffance
de fes complices ; mais les Juges déclarerent
que cette pratique étoit contraire
aux loix du Pays.
Fi
124 MERCURE DE FRANCE.
Le Chevalier Thomas Wenworth ,
, que
Charles créa Baron , enfuite Vicomte , &
Comte de Strafford , fuccéda à Buckingham
, & comme Favori , & comme
principal Miniftre. Strafford méritoit , par
fes talens & par les lumieres , toute la
confiance de fon Maître. Il étoit d'un caractère
grave & auftère , plus propre à
lui faire obtenir de l'eftime , que de l'affection.
Il gouverna la Grande - Bretagne
avec une grande autorité , & fon crédit
le rendit odieux . Voyant les préventions
populaires déchaînées contre lui , il demanda
au Roi de fe retirer dans fon Gouvernement.
Charles , qui fe repoloit enrierement
furfes lumieres, le retint auprès
de lui ; mais le Comte ayant été accufé
en plein Parlement de plufieurs crimes ,
la haine de fes ennemis prévalut ; & il
fut condamné à perdre la tête . Le Roi
figna la Sentence de mort , quoiqu'il fûr
perfuadé de l'innocence de fon Miniftre.
Mais on parloit de foulevement & de fédition
; & le foible Monarque céda à la
crainte , & aux inftances d'un peuple mécontent.
Il envoya un de fes Officiers au
Comte de Strafford , pour l'informer de
ce que la néceffité venoit de lui arracher.
Le Comte parut frappé d'une ſurpriſe qui
le fit tréffaillir , & s'écria dans les termes
OCTOBRE. 1760 . 125
و د
de l'Écriture : » Ne mettez pas votre
» confiance dans les Princes , ni dans les
» enfans des hommes , parce qu'il n'y a
point de falut à fe promettre d'eux.
On ne lui accorda que trois jours. Le Roi
fit un nouvel effort en fa faveur , & envoya
par les mains du Prince fon fils , une
lettre adreffée aux Pairs , dans laquelle il
les preffoit de conférer avec les Communes
, fur les moyens d'adoucir la Sentence.
On lui refufa fa demande . Strafford
marcha à l'échaffaut la tête haute
& d'un air de dignité , au- deffus même
de celle qui l'accompagnoit toujours . Son
difcours avant que de mourir , fut plein
de décence & de courage , & finiffoit par
ces mots » Je vais repofer ma tête fur
» ce bloc auffi volontiers , que je l'ai ja-
» mais fait pour dormir. » Charles I conferva
jufqu'au dernier moment de fa vie ,
an vif regret de l'exécution de fon Miniftre
; & dans les fatales circonftances
de fa propre mort , le fouvenir de fa foibleffe
lui revint à l'efprit , avec une vive
douleur, & le plus cuifant remords.
:
Envain ce Prince avoit efpéré , comme
un retour pour fa complaifance
qu'enfin le Parlement en auroit un peu
pour lui , & deviendroit capable de cette
bonne intelligence , qu'il avoit recher-
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
་
chée avec tant de foin , aux dépens de
fon pouvoir & du fang de fon ami . Les
Chambres n'en deviennent que plus audacieufes
elles s'emparent de toute l'autorité
; une partie des Pairs s'abfente ; le
Roi quitte Londres ; la guerre civile eft
allumée ; & c'est ici que finit le premier
volume de cette hiftoire . Nous donnerons
l'extrait du fecond Tome , dans le
Mercure du mois prochain .
-
MÉMOIRES fur la langue Celtique ,
tome troifiéme , contenant la feconde
partie du Dictionnaire Celtique. Par M.
Bullet , Profeffeur Royal de Théologie ,
& Doyen de l'Univerfité de Befançon , de
Lyon , affocié de l'Académie, Royale des
Infcriptions & Belles Lettres , in- folio ,
1760. A Besançon , de l'Imprimerie de
Claude Jofeph d'Aclin , Imprimeur ordinaire
du Rei , de l'Académie des Sciences
, &c. avec approbation & Privilége.
On trouve des exemplaires de ce bel &
fçavant ouvrage , chez le Prieur , rue
S. Jacques , à l'Olivier.
HISTOIRE DE PIERRE TERRAIL , dit le
Chevalier Bayard , fans peur , & fans
reproche. Par M. G. de Barville , in- 8 °.
OCTOBRE. 1760. 127
1760. A Paris , chez Pierre - Laurent
Giffart , Libraire , rue S. Jacques , à
Ste Thérefe . Avec approbation & Privi
lége du Roi.
ENCYCLOPÉDIE de penfées , de maximes
& de réflexions , fur toutes fortes de fujets
Religion , Philofophie , Beaux- Arts ,
Hiftoire , Politique , Caractères , Paffions ,
Vices , Portraits , & c . par ordre alphabé
tique. Ouvrage utile pour former le jugement
& le goût ; propre en même tems
à tous ceux qui font dans le cas de compofer
des Difcours , tant dans le Sacré
que dans le Profane ; & qui réunit ce que
nos plus beaux génies ont penſé de mieux
fur toutes ces matieres , in- 8 ° . Paris ,
1760. Chez Guillyn , Quai des Auguftins ,
près du pont S. Michel , au Lys d'or ,
avec approbation & Privilége.
PROPRE de la Paroiffe de S. Sauveur ,
contenant les Offices de la Vigile & de la
- Fête de la Transfiguration de N. S. Jeſus-
Chrift , avec octave , & c . in- 8°. Paris ,
chez Buttard , Imprimeur- Libraire , rue
S. Jacques , à la Vérité.
LES VIES DES HOMMES ILLUSTRES de la
France , continuées par M. l'Abbé Perau ,
Licentié de la Maiſon & Société de Sor-
Fiv
128 MER CURE DE FRANCE.
bonne , tome vingt- troifiéme , contenant
la Vie de Henri de la Tour d'Auvergne ,
Vicomte de Turenne , in- 12 . Amfterdam
1760. Et fe vend à Paris , chez G. Def
prez , Imprimeur du Roi & du Clergé de
France , rue S. Jacques , à S. Profper &
aux trois Vertus. Prix , rélié , 3 livres.
N. B. On trouve au même prix , féparément
, les autres volumes de cet ouvrage
chez le même Libraire..
ATLAS HISTORIQUE , ou Cartes des prin
cipales Parties du Globe Terreftre , affujetties
aux révolutions féculaires qu'il a
éprouvées , pour fervir à l'Hiftoire des
Tems qui ont fuivi la Création , ornées
de bordures & de traits d'hiftoire arrivés
dans les fiécles auxquels chaque Carte
doit correfpondre. Par M. l'Abbé Luneau
de Bois-Jermain , in- 8 ° . Paris , chez l'Auteur
, rue & à côté de la Comédie Françoife
, même maiſon de M. Lambert , Imprimeur
- Libraire. Avec approbation &
Privilége du Roi. On voit , par le Profpectus
de cet Ouvrage , que fon exécution
doit jetter un grand jour fur la Géographie
ancienne , & peut être extrêmement
utile à la jeuneffe. L'Auteur , dont nous
avons déja annoncé un Difcours fur une
nouvelle manière d'enfeigner la Géogra
OCTOBRE . 1760 . 129
•
phie , d'après un Plan d'opérations typographiques
, paroît fuivre toujours avec
la même ardeur le plan qu'il s'étoit fait ,
d'applanir les difficultés qu'on rencontre
dans l'étude de cette fcience. Si toutes les :
Cartes qui doivent compofer l'Atlas hiftorique
, font exécutées avec le même foin
que la premiere qu'il vient de publier ;
on peut affurer que rien ne fera plus beau
que cette Collection . Le morceau d'hif
toire qui doit faire partie des ornemens
de chaque Carte , eft , dans celle - ci ,,
Adam dans le Paradis Terreftre. Le deffein
, qui le repréfente , eft de la compofition
de M. Gravelot , connu par l'élegance
& l'efprit qu'il répand fur tous
fes
ouvrages..
י
OBSERVATIONS fur les manufcrits de
feu M. du Marfais , avec quelques réflexions
fur l'Éducation . Par M. le Rebours ,
ancien Adjoint au Profeffeur de Langue
Latine de l'Ecole Royale Militaire ; brochure
in- 12 . Paris , 1760. Chez la Veuve
David , Libraire , Quai des Auguftins ,
au S. Efprit , avec approbation & permif
fion. N. B. On trouve chez elle le Magazin
des adolefcentes , en quatre volu
mes , ainfi que celui des enfans , en deux
volumes .
F'v
130 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. l'Abbé Trublet , fur l'Hif
toire ; brochure in - 12 . Bruxelles , 1760.
Et fe trouve à Paris , chez Antoine Boudet
, Imprimeur du Roi , rue S. Jacques ,
à la Bible d'or.
P.
***
VOYAGE DE CHANTILLY , à M. D. *
; brochure in- 12. Profe & Vers.
Se trouve à Paris , chez Heriffant , Libraire
, rue neuve Notre Dame .
BIBLIS , à Cannus, fon frere, Héroïde, par
l'Auteur de Sapho , in- 8° . 1760. Se trouve
à Paris , chez Cuffari , Quai de Gèvres ,
à l'Ange Gardien. Il y a de la Poëfie &
du fentiment dans cet ouvrage , dont
Fabondance des matières qui me font
furvenues , ne me permet point de donner
maintenant l'extrait..
AVIS AU PUBLIC.
L'impreffion de la fuite de l'Hiftoire
Univerfelle compofée, par feu le R. P. D.
Auguftin Calmet , Abbé de Senones , qui
avoit été commencée d'imprimer dès l'an
1732 , & dont il a paru jufqu'ici VIII volumes
in 4° . qui avoit été interrompue ,
fera inceffamment remife fous la preffe.
Le R. P. D. Auguftin Fangé , Abbé de
Senones , neven du célébre D. Calmet &
fon fucceffeur dans l'Abbaye , dépofitaire
OCTOBR E. 1760. 13 I
du manufcrit de l'Auteur , s'eft chargé du
foin de faire continuer l'impreffion de
cet ouvrage , dont le Public a jufqu'ici
ardemment fouhaité la continuation. Dans
cette vue il a retiré des mains du fieur
Jean- Daniel Dulfecker , Imprimeur - Libraire
à Strasbourg , le manufcrit & les
premieres feuilles imprimées du IX tome
, pour le faire imprimer , ainfi que
les tomes fuivans , fous fes yeux & dans
fon Abbaye. L'ouvrage fera remis inceffamment
fous preffe , fous la même forme
, & même papier que les VIII premiers
volumes déja imprimés , avec des
caractéres tout neufs . On fe propofe de
fournir le tome IX au mois de Mai de
fannée prochaine. Le Prix de la foufcription
fera de fix livres de France par volume
, & de huit livres pour ceux qui n'auront
pas foufcrit. On pourra foufcrire entre
les mains de Jofeph Parifet , Imprimeur
à Senones , en la Principaute de
Salm .
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIE S.
SEANCE publique de l'Académie des
Sciences, Belles - Lettres & Arts de
Lyon , tenue le Mardi 26 Août 1760 .
,
M. l'Abbé de Valernod , Directeur , fit
P'ouverture de cette Séance , & dit : que
le premier objet de l'Affemblée , étoit
d'adjuger le Prix annuel d'une Médaille
d'Or , fondé par feu M. Chriftin. Le ſujet
du Prix de Mathématiques propofé l'année
derniere
, étoit de trouver la figure des
pales des rames la plus avantageufe , &
de déterminer relativement à cettefigure , la
longueur la plus convenable des rames des
Galéres , celle de leurs parties intérieures
& extérieures, & la grandeur de leurs pales.
L'Académie , après un mûr examen des
différens ouvrages envoyés au concours ,
& fur le rapport des Commiffaires-ExaOCTOBRE
. 1760. +
133
minateurs , a cru devoir adjuger & partager
également le Prix au Mémoire N °.
2. de MM. Bernoulli fils & Jeanneret réfidens
à Bâle , qui ont mis en tête de leur
Manufcrit , la devife : Lentandus remus
in unda. Virg. & au Mémoire N° . 3. fous
l'épigraphe : Fecit ufus artem de M.
***
M. l'Abbé de Valernod obferve qu'il
eft d'ufage de lire dans les Séances publiques
des Académies , les ouvrages de
Belles- Lettres en profe ou en vers qui y
font couronnés ; mais que des Mémoires
de Mathématiques , pleins des termes de
Géométrie , & du calcul algébrique , ne
font pas aifés à faifir dans une fimple lectu
re , qu'il feroit inutile de faire publiquement.
M. l'Abbé de Valernod fupplée à ce
défaut par une courte expofition du problême
, de fes difficultés , & de ce qu'il
falloit trouver pour le réfoudre. Il a enfuite
annoncé les Sujets des Prix de 1761
& 1762 , dont les programmes font déjà
publiés .
M. le Président de Fleurieu , Secrétaire
perpétuel pour la Claffe des Belles- Lettres
, prononça l'éloge hiftorique du Pere
Pierre Bimet , Jéfuite , Grand Préfet des
Etudes au Collège de Lyon , & Acadé
micien ordinaire. Il mourut dans cette
Ville le 17 Mai dernier.
134 MERCURE DE FRANCE.
1
M. Genève , ancien Echevin , & Syndic
de la Place de Lyon , ayant été élu Académicien
pour remplir la place que l'Académie
a deſtinée au Commerce , vint le
même jour prendre féance , & fit fon remercîment
à la Compagnie. Il lut enſuite
un diſcours , dans lequel , après avoir examiné
combien le Commerce , ce lien de
la Société , eft néceſſaire aux hommes , &
quelle a dû en être l'origine ; il trace une
bauche historique de fes progrès & de
fes viciffitudes , depuis le temps où les
Egyptiens commencerent à lui donner
une étendue qui mérita l'attention des
Hiftoriens , jufqu'au fiécle préfent. Il annonça
enfuite un projet de travail affez
vafte , qu'il fe propofe d'exécuter, & dont
l'objet eft de décrire le genre de négoce
de chacune des Nations qu'on peut appeller
commerçantes , en les confidérant
féparément une connoiffance exacte de
la conduite que tiennent nos rivaux pour
accroître leur Commerce , doit être felon
M. Genève , d'une grande utilité pour le
nôtre , par la raifon qu'on ne fçauroit bien
fe défendre , fi l'on ne connoît parfaitement
comment l'on eft attaqué. Son def
fein n'eft pas de fe borner à de fimples.
defcriptions ; il y ajoûtera les réfléxions
convenables pour l'avantage de notre
OCTOBRE. 1760. 135
Commerce national. L'ouvrage fera divifé
en plufieurs difcours , dont le premier
aura pour objet la France , un autre
l'Angleterre , un autre l'Efpagne ; ainfi
des autres. Ces difcours ferviront à l'acquitter
du tribut annuel dû à l'Académie.
Ils pourront étant réunis , former
dans la fuite un traité complet de l'état
actuel du Commerce, dans les quatre Parties
du Monde .
M. le Chevalier de Bory termina la
Séance , par la lecture d'une Imitation en
Vers françois de l'Ode 19 du 2 Livre
d'Horace , qui commence par ces mots :
Bacchum in remotis , &c.
Sur des rochers folitaires
Tu chantois , puiflant Bacchus
Que mes fens furent émus
A l'afpect de tes myſtères !
Les Dieux des Eaux & des Bois ,
Le Satyre , la Nayade ,
L'impétueufe Ménade ,
Se profernoient à ta voix.
© Bacchus , j'ai vû ṭa gloire !
Si de ma fidélité-
Tu permets que la mémoire
Paffe à la Poftérité ;
Que le feu de tes Bacchantes
Etincéle dans mes vers..
136 MERCURE DE FRANCE,
Viens redire à l'Univers
Les merveilles éclatantes
De ton bras victorieur
Etendu fur la nature ,
Quand la naiffante culture
De tes bourgeons précieux , ›
Eut ouvert à l'induftrie ,
D'une nouvelle ambrofie ,
Les canaux délicieux.
C'eft du Thyrfe que fortirent:
Les rayons du miel divin ;
Tes fontaines répandirent
Des flots de lait & de vin.
L'abondance fur tes traces
Suivoit le char de la Paix ;
Et tandis que tu plaçais
De concert avec les Graces .
Parmi les Aftres brillans ,
Ariane couronnée
Des rayons étincelans
Dont Vénus l'avoit ornée ,
Tu tonnois fur les ingrats.
Tes vengeances mémorables ,
Contre les enfans coupables ,
D'Echion & de Dryas ,
Leur fupplice , leur trépas ,
Leurs Palais réduits en poudre ,
Tout apprit au genre humain
Que le Thyrfe dans ta main
OCTOBRE. 1768. 137
1
Eft l'émule de la foudré.
Ta voix brife l'Océan ,
Et les fleuves t'obéiffent ;
Des climats de l'Eridan ,
Jufqu'aux mers de l'Indoftan ,
Les rivages retentiſſent ,
De ta gloire & de tes jeux.
La Thyade , avec audace ,
Franchit les monts de la Thrace ,
Dès qu'elle a fenti tes feux ,
Et dans fes courfes légères ,
Se joue avec les vipères ,
Qui couronnent fes cheveux.
Quand aux champs de Theffalie ,
Des Titans la race impie
Déracinoit Pélion ,
C'eſt ton courage invincible ,
Sous la forme d'un lion ,
Qui dompta le plus terrible.
Tu femblois avant le cours
De tes brillantes conquêtes ,
N'être né que pour les fêtes ,
Les banquets , & les amours :
Mais dans ces combats célébrés ,
Où les enfans criminels
De la terre & des ténébres ,
Jufqu'aux Thrônes éternels ,
Portoient leurs drapeaux funébres
L'heureux Maître des deftins
138 MERCURE DE FRANCE
Voulut devoir à tes mains ,
Les honneurs de la victoire ,
Pour annoncer que fon fils
Seroit le Dieu de la gloire ,
Comme il eſt le Dieu des Ris.
Il étendit ton empire
Jufqu'aux gouffres où la mort ,
Au jour marqué par le fort ,
Engloutit ce qui refpire .
Le flambeau du Dieu des coeurs ,
Dans ces routes meurtrières ,
Eclairoit tes pás vainqueurs :
L'enfer ouvrit fes barriéres ;
Les trois langues de fon chien
Careffoient ta main divine ,
L'infléxible Proferpine ,
Détacha le noir lien
Dont Eaque , & Rhadamante ,
Enchaînoient la tendre amante
Qui t'avoit donné le jour :
Et le Roi du fombre abîme ,
Renonçant à la victime ,
La rendit à ton amour.
Après la clôture de la Séance , M. De.
lorme , Membre de cette Académie, expofa
aux yeux du Public, des Plans des ponts &
acquédacs conftruits par les Romains depuis
le mont Pila jufqu'au Village de
OCTOBRE. 1760. 139
Soucieu près de Lyon. Ces Plans de l'étendue
d'environ 140 pieds, contiennent
les profils & élévations de ces acquéducs
C'est une partie des recherches que M.
Delorme fe propofe de faire fur les trois
grands acquéducs de Lyon : ouvrages également
dignes de la grandeur Romaine &
de la curiofité des Amateurs de l'antiquité.
↓
L'Académie Royale des Sciences , celle
des Infcriptions & Belles - Lettres , & celle
d'Architecture ont applaudi à cette entreprife
, & elles invitent l'Auteur à la continuer.
·
ASSEMBLÉE publique , & Programme
S de l'Académie des Belles Lettres de
Marfeille.
LEE
25 Août , Fête de S. Louis , l'Académie
des Belles - Lettres de Marſeille ,
tint fon Affemblée publique dans la
Grande Salle de l'Hôtel- de- Ville . M. le
Duc de Villars , fon Protecteur , y préfida.
M. Barthe , Directeur , ouvrit la Séance
par un diſcours relatif au fujet de l'Affemblée
, & dans lequel il fit entrer fuivant
l'ufage , l'éloge de M. le Maréchal de
Villars , Fondateur de l'Académie . Il lut
140 MERCURE DE FRANCE.
enfuite un précis de la vie d'Alexandre.
: Cette lecture fut fuivie de celle du
diſcours qui a remporté le Prix , & qui a
pour Sujet : A quels caractéres on diftingue
les Ouvrages de Génie , des Ouvrages d'Efprit.
M. Floret de Marſeille , en eft l'Auteur.
Il reçut le Prix des mains de M. le
Duc de Villars , & fit fon remerciment.
On lut l'Ode couronnée , qui a pour
Sujet les Tournois , & dont M. Ferrand
de S. Firmin , de Bourbon- l'Archambaut ,
eft l'Auteur. Le Prix fut délivré à la
fonne qui remit le récépiffé de M. le Secrétaire.
per-
M. Ricaud , Chancelier de l'Académie ,
lut une traduction en Vers du grand morceau
du 24 Livre de l'Iliade , ou Priam
va demander à Achille , le corps de fon
fils Hector.
La Séance fut terminée par la lecture
de la traduction en Vers de l'endroit du
11. Liv. de l'Enéide , où , par l'ordre
d'Enée , les honneurs funébres font rendus
à la mémoire du jeune Pallas , fils
d'Evandre. M. Barthe eft l'Auteur de cette
traduction.
Tous ces différens Ouvrages furent
fort applaudis. MM. les Échevins affifterent
à cette Séance Académique , re
vêtus des marques de leur Dignité. L'AG
OCTOBRE. 1760. 141
femblée fut nombreuſe , & on y compta
plufieurs perfonnes de diftinction de l'un
& de l'autre féxe. Ce concours qui augmente
d'année en année , prouve que la
fondation de l'Académie de Marſeille , a
répandu dans cette Ville un goût de littérature
, un peu négligé avant cet établiffement
honorable pour la Patrie , &
utile aux Lettres .
L'Académie a propofé pour fujet du
Prix de Poëfie de l'année prochaine , la
Pêche. Il fera libre aux Auteurs de préfenter
une Ode , ou un Poëme à rimes
plates , de cent Vers au moins , & de
cent cinquante au plus. Ils ne mettront
point leur nom à l'Ouvrage , mais une
Sentence , ou Devife tirée de l'Ecriture ,
ou des Auteurs profanes . On les adreſſera
à M. Dulard , Secrétaire perpétuel de l'Académie
de Marfeille , rue de la Croix d'Or;
& il enverra fon récépiffé à l'adreffe qui
lui fera indiquée , ou le remettra à la perfonne
domiciliée à Marſeille , qui lui préfentera
l'Ouvrage. On affranchira les paquets
à la Pofte , fans quoi ils feront rebutés.
Ils ne feront reçus que jufqu'au premier
de Mai inclufivement.
Les Auteurs font priés de prendre les
-mefures néceffaires , pour n'être pas connus
avant la décifion de l'Académie , de
142 MERCURE DE FRANCE.
1
ne point figner les Lettres qu'ils pourront
écrire à M. le Secrétaire , de ne point le
faire connoître à lui , ou à quelqu'autre
Académicien ; & on les avertit que s'ils
font connus par leur faute , ou par celle
de leurs amis, leurs Ouvrages feront exclus
du concours. On en exclura auſſi ceux en
faveur deſquels on aura follicité , & ceux
qui contiendront quelque chofe d'indé
cent , de fatyrique , de contraire à la Religion
ou au Gouvernement. On ufera de
la même févérité à l'égard des Auteurs
plagiaires , lorfque deurs larcins feront
découverts , & ils le font prèſque toujours.
L'Auteur qui aura remporté le Prix ,
viendra , s'il eft à Marſeille , le recevoir
dans la Salle de l'Académie le 25 Août ,
jour de l'Affemblée publique : s'il eſt abfent,
il fera préfenter le récépiffé de M. le
Secrétaire par une perfonne domiciliée en
cette Ville , & elle retirera le Prix.
Ce Prix eft une Médaille d'Or de la
valeur de 300 livres , portant d'un côté
le Bufte de M. le Maréchal -Duc deVillars,
& fur le revers ces mots : Premium Academia
Maffilienfis , entourés d'une couronne
de laurier.
La République des Lettres & l'Acadé
mie de Marſeille en particulier , vienOCTOBRE.
1760 . 143
nent de faire une perte confidérable ,
dont la triſte annonce trouve ici ſa place
bien naturellement . M. de Chalamont de
la Vifclede , ancien Secrétaire perpétuel
de cette Académie , eft mort le 22 Août ,
âgé de 68 ans , après de longues infirmi
tés. Ses talens fupérieurs pour l'Eloquence
& pour la Poëfie , fon caractére foutenu
d'excellent Académicien , d'ami fûr , de
bon Citoyen , fourniffent une ample matiere
d'éloge , & juftifient les regrets que.
perte a excités dans le coeur de toutes
les perfonnes qui l'ont connu.
fa
SEANCE publique de l'Académie des
Sciences & Belles - Lettres de Beziers .
LEE 25 Août dernier , l'Académie de Beziers
célébra la Fête deS.Louis dans la Chapelle
de l'Hôtel- de : Ville par une Meffe,,
pendant laquelle on chanta un Motet en
Mufique ; & par le Panégyrique du Saint ,
qui fut lu par M. Roufier , Prêtre , en
préfence d'un grand nombre d'Auditeurs ,
parmi lesquels étoient MM. les Officiers
du Régiment de Flandres , & ceux de la
Garde - Côte.
L'après midi , l'Académie ayant à la
44 MERCURE DE FRANCE
tête M. l'Evêque, s'affembla à quatre heus
res dans la Salle-Haute de l'Hôtel - de-
Ville , où, en préfence de MM. les Maire ,
& Confuls , & d'une foule de Spectateurs
de tout état , de l'un & de l'autre Séxe
M. l'Abbé Roquefort ouvrit la Séance
par un difcours fur l'utilité des Belles-
Lettres , & fur les progrès qu'elles ont
faits depuis environ un fiécle.
M. Foulquier lut l'éloge de M. d'Afier,
mort dans le mois de Septembre de l'année
derniere , & qui s'étoit diftingué dans
la Compagnie , par fes travaux aftronomiques.
M. de Forés , après un court remerciment
pour la réception , fit voir que l'Etude
des Mathématiques étoit plus ailée
que celle de l'Éloquence & de la Poëfie
que les progrès qu'on y pouvoit faire ,
étoient plus fürs & plus rapides.
&
M. de Lafabliere lut quelques remarques
fur la diverfité des opinions , & des
fenfations , laquelle il attribua à la différente
façon dont chacun envifage les objets
, & en eft affecté.
M. de Mante réfuta M. de Boiffy , fur
ce qu'il a dit dans un de fes derniers Mercures
; qu'une honnête femme qui fait des
Leçons à un Philofophe , & qui lui préte
des armes contre les artifices de fon fexe ,
C
eft
OCTOBRE. 1760. 145
eft un vieux Médecin qui dévoile de bonne
foi la charlatanerie de fa profeffion. Il
prouve très- bien que la Médecine n'eft
point une charlatanerie ; quoiqu'il y ait
eu autrefois, & qu'il y ait peut-être encore
aujourd'hui dans les Pays étrangers des
Médecins charlatans , que l'appas du gain
attire de temps en temps en ce pays- ci.
Il fit voir que la Médecine eft une Science
comme la Phyfique , la Méchanique ,
P'Aftronomie , &c. Et afin qu'on pût reconnoître
le vrai Médecin , & le Médecin
charlatan , il traça les caractéres de l'un
& de l'autre ; & les défigna par des marques
très-fenfibles , après avoir averti qu'il
n'avoit en vue aucun Médecin François ,
encore moins ceux de fa Ville , qu'il reconnoiffoit
tous pour de vrais Médecins,
pour des Médecins qui fe font attirés à
jufte titre , la confiance de leurs Concitoyens.
M. Bouillet le pere lut un difcours pour
être mis à la tête d'un recueil d'obfervations
& de réfléxions , fur l'anafarque &
fur l'hydropifie de poitrine , que fon fils
& lui ont deffein de mettre inceffamment
au jour. Il donna une idée de fon écrit fur
l'anafarque , & de celui de fon fils , fur
l'hydropifie de poitrine, qui a été imprimé
en 1758 , & dont on verra bientôt une
11. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE.
nouvelle édition revue , & confidérablement
augmentée . Il annonça qu'il difcuteroit
les différens moyens qui ont été
propofés par Hipocrate , & par les autres
Médecins anciens & modernes, pour traiter
l'anafarque , & qu'il feroit voir qu'à
cet égard on a donné dans deux excès
oppofés ; les uns n'ayant en vue que d'évacuer
des humeurs qu'ils croyoient fuperfluës
, & de donner plus de reffort aux
folides ; les autres n'ayant penſé qu'à détremper
de plus en plus les humeurs , & à
d'étendre davantage les parties folides
( voyez la Théfe de M. Finet le pere
notre compatriote , Docteur Regent de
la Faculté de Médecine de Paris , an
quò fluidior fanguis , eò fanitas firmior ,
& la Thefe fur la boiffon de M.Hequet )
& à remédier à la teufion des folides ;
& il ajoute qu'il indiqueroit les cas
où les fcarifications pouvoient avoir
lieu. Il expofa . auffi en peu de mots les
augmentations que fon fils avoir faites à
fon mémoire fur l'hydropifie de poitrine;
& à l'occafion de la Parecentefe qui y eft
recommandée dans certains cas , il tâcha
de raffurer le Public contre la crainte des
opérations chirurgicales , dont l'omiffion
coute la vie à bien des malades.
M. de la Rouviere termina la Séance
OCTOBRE. 1760. 147
par un court compliment en Vers . qu'il
adreffe aux Dames qui avoient honoré
notre Affemblée de leur préfence.
On réſerva pour une autre Allemblée ,
le cinquiéme & dernier Mémoire de M.
de Guibal , pour fervir à l'Hiftoire de la
Ville , & du Diocèle de Beziers.
-
SEANCE publique de l'Académie Royale
des Belles Lettres de la Rochelle , du
25 Avril 1760.
L'ACADÉMIE tint fon afſſemblée publique
à l'ordinaire dans la grande Salle de
PHôtel- de -Ville , où M. le Maréchal de
Senecerre affifta. M. de la Faille , Chancelier
, ouvrit la Séance par la lecture d'un
Mémoire fur la manoeuvre des taupes ,
leurs dégâts , & les moyens d'y remédier.
Le Mémoire , par fes détails & fes recherches
, fut trouvé beaucoup plus intéreſſant
le titre ne fembloit le promettre .
que
Comme il n'eft guères fufceptible d'extrait,
& que d'ailleurs il doit paroître dans
le prochain Recueil de l'Académie , on
n'en dira rien de plus ici .
M. Arcére de l'Oratoire lut , enfuite ,
des remarques fur plufieurs fautes , ou méprifes
échappées à des Auteurs célébres :
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
ces remarques parurent auffi intéreffan
tes que judicieuſes.
Cette lecture fut fuivie d'un Mémoire
de M. Mercier Dupaty , fur la cultu re&
la fabrication des Sucres à S. Domingue.
La Séance fut terminée par la lecture
que fit M. Valin , de la Préface deftinée
à être mife à la tête de fon Commentaire
fur l'Ordonnance de la Marine , du mois
d'Août 1681. L'impreffion de cet ouvrage
, qui étoit dès- lors fort avancée , a été
achevée depuis ; & cette feconde production
de l'Auteur , qui a déja donné au
Public un Commentaire fur la Coutume
de la Rochelle , eft expofée en vente depuis
quelques jours , tant à la Rochelle ,
chez Jerôme Legier & Pierre Mefnier , qui
Pont imprimée , que chez M. Durand ,
Libraire à Paris , rue du Foin. Sans vouloir
prévenir le goût du Public fur le mérite
de cet ouvrage , on peut affurer qu'il
n'a jamais paru en ce genre , rien de plus
utile , de plus recherché, & de plus propre
à faire connoître cette partie effentielle
de la Jurifprudence Maritime.
OCTOBRE. 1760 .
149
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
PEINTURE.
CONCOURS au fujet de l'expreffion
d'une Tête.
UN illuftre Amateur ( a ) , également
jaloux de procurer la perfection des Arts
& le progrès des Lettres ( b ) , vient de
fonder , avec l'agrément du Roi , un Prix
de l'Expreffion , en faveur des Éleves dé
F'Académie Royale de Peinture & de
Sculpture , en confacrant à cet effet un
fond de quatre mille livres . Du produit
de cette fomme , cent livres font adjugées
pour récompenfe à celui qui deffinera ,
peindra , ou modélera mieux une Tête
d'expreffion ; cinquante livres font deftinées
pour la perfonne qui fervira de Mo-
(a ) M. le Comte de Caylus , de l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles-Lettres . Honor.
Amat. de l'Académie Royale de Peinture & de
Sculpure.
(b ) M. le Comte de Caylus fonda en 1754 , un
Prix à l'Acad. Royale des Infer. & Belles-Lettres .
Giij
10 MERCURE DE FRANCE..
déle , & les cinquante livres reftantes
pour les frais de l'Exercice .
L'Académie , perfuadée de l'avantage
que les Beaux - Arts qu'elle cultive avec
diftinction. peuvent retirer de cet établiſfement
, l'a accepté avec beaucoup de
reconnoiffance . Eternifant dans fesFaftes
la générofité du Fondateur , elle a fait des
Réglemens particuliers pour la police du
Concours , qui fera propofé à ce fujer au
mois de Septembre de toutes les années.
Il eft vrai que le fuccès du premier
effai de cet Exercice , que l'on fit l'année
derniere , ne répondit pas à toutes les
vues de la Compagnie , & que le Prix ne
fur point adjugé ; mais nous ne fçaurions
nous difpenfer de donner une légère idée
du Difcours fur l'Expreffion , relative au
Concours propofé , que prononça dans
l'Affemblée, avant la Séance, le Profeffeur
qui , fuivant un Article des nouveaux Rés
glemens , avoit été élu par la voix du fort
pour diriger l'Exercice . Les Éleves afpirans
, furent admis à la lecture de ce Dif
cours. Son objet étoit de rappeller , &
d'expofer les principes qui peuvent concourir
à rendre l'expreffion d'une Tête ,
avec toute l'énergie que l'Art peut lui
pêter.
M. Dandré Bardon fit d'abord fentir ,
OCTOBRE. 1760. 151
qu'il eft très- dangereux pour les Eléves
de n'être dirigé dans leurs études que par
le fentiment feul , ou par le feul génie ;
"
& que l'un & l'autre , fuffent-ils réunis ,
peuvent leur faire illufion & les jetter
dans des écarts . Paffant enfuite à la néceffité
des préceptes , dont le flambeau
dirige fûrement au vrai , il les réduifit à
deux points effentiels , qui forment la divifion
de fon Difcours. If diftingua , dans
une Expreffion , ce qui en forme le corps
& ce qui lui donne l'efprit . La vérité des
traits propres à chaque Paffion , la cou
leur qui lui eft convenable & l'intelli
gence du clair - obfcur , font les moyens
importans qu'il propofa pour rendre fur
la toile muette & fur le marbre infenfible
, les diverfes émotions de l'âme.
Dans la vérité des formes , qui rend ce
qu'on peut appeller le corps de l'Expreffon
, l'Auteur du Difcours comprend le
bel enfemble de la tête , & la variété des
traits dans les parties de détail . Il retrace
au fouvenir des concurrens , les maximes
effentielles qui conftituent le bel enfemble
d'une tête , benvifagée fous différent
afpect , & leur explique les diverfes formes
que les Paffions impriment fur toutes
les parties du vifage ; miroir où la Na-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
ture fe plaît à peindre toutes les fituations
du coeur.
Pour faire cette analyfe avec ordre &
avec clarté , il ſe borna aux quatre principaux
caractères des Paffions , auxquels ,
à bien des égards , prèfque toutes les autres
peuvent le rapporter.
Paffions tranquilles ,
Paffions agréables ,
Paffions triftes & douloureuſes ,
Paffions violentes & terribles.
Les différentes impreffions de ces di
vers fentimens & les traits cactériſtiques ,
qu'elles occafionnent far toutes les parties
du mafque , font exprimées dans la premiere
portion de ce Difcours, avec la force
& la précifion propres à les inculquer vivement
dans l'efprit des Eléves , à qui
l'Auteur l'adreffe. Les détails fcholaftiques
pittorefquement énoncés , y font relevés
par des images , qui les rendent intéreffans
.
Dans la feconde Partie , M. D. B. s'applique
à démontrer que les nuances de
couleur & de lumiere , donnent l'efprit
& l'âme aux expreffions des figures d'un
tableau , lorfque le corps de ces expreffions
eft heureuſement rendu , par la vé
OCTOBRE . 1760. 153
rité des formes & par la jufteffe des traits.
Sous ces diverfes nuances il comprend les
teintes de chaleur , ou de lividité , répandues
fur les carnations ; la légèreté , ou la
vigueur des ombres & des lumieres ; la finelle
ou la fierté des touches que la Paffion
exige , & qu'on ne peut lui prêter
qu'à l'aide d'un fentiment délicat.
وز
» Sans couleur affortie , dit- il , il n'eft
» point d'Expreffion vraie dans une peinture
; fans clair- obfcur , l'Expreffion
» n'a ni force ni faillant , même dans un
bas - relief ; enfin fi les touches n'affar-
» fonnent l'Expreffion , elle eft fade &
» infipide dans toutes les productions de
» nos Arts .
Il dévoila les preuves de ces principes
dans des exemples heureufement affociés
à ces principaux caractères ; & il expofa
fous des afpècts lumineux , non - feulement
les divers détails concernant le coloris
qui caractériſe les différentes Paffions ,
mais encore ceux qui font propres aux
effets de lumiere , capables de leur donner
un relief afforti , & ceux qui font relatifs
aux touches convenables à chaque Paffion.
En réfumant le précis de fon Difcours' ,
il exhorta les Eléves à graver profondément
dans leur mémoire , cinq moyens
effentiels qui concourent à l'Expreffion
G v
154 MERCURE DE FRANCE.
d'une tête. 1 ° . Le bel- enfemble , 2 °. la
jufteffe des traits , que chaque Paffion imprime
fur la phyfionomie ; 3 ° . la varieté
des tons de couleur qu'elle y jette ; 4°.
les nuances de lumiere & d'ombre que
l'Artifte doit y porter ; 5 ° .la convenance
des touches que la nature de l'Expreffion
exige.
Il leur indiqua enfuite ce qu'ils doivent
éviter , & leur fuggéra par quel art ils
atteindront à ces ménagemens ingénieux ,
d'où refultent l'énergie fans dureté , le
caractère fans maniere & l'Expreffion fans
grimaces. Il indiqua les belles têtes antiques
, qui peuvent leur fervir d'étude
pour remplir avec fuccès l'objet du nouveau
Concours . Enfin il leur confeilla
d'épier la Nature , à l'exemple des Grands-
Maîtres , de faifir les expreffions telles
qu'elles fe rencontrent fortuitement dans
la fociété civile ; & d'étudier d'après euxmêmes
, à l'aide d'un miroir , les effets
féduifans de diverfes Paffions , qui affectent
d'une maniere fenfible l'efprit , l'âme
& le
corps.
99
» Voilà , dit- il , en s'adreffant à Meffieurs
de l'Académie , les principes gé-
» néraux qui m'ont paru pouvoir être de
quelque utilité aux Eléves deftinés au
nouveau Concours. J'en croirai l'ufage
OCTOBRE. 1760.
155
avantageux , fi vous daignez , Meffieurs,
» les honorer de votre approbation . Laiffons
à nos habilesConfréres, qui me fuc-
» céderont dans ce nouvel exercice , le
» foin de perfectionner ce dont je n'ai fait
qu'ébaucher les élémens . Cet objet
» dont la fçavante pratique a immortaliſé
» les Pouffin , les le Sueur , les le Brun ,
» les Jouvenet , les Girardon , les Coyze-
» vaux , les Puget , les Couftous , eft également
d'une vafte étendue & d'une importance
finguliere , pour perpétuer le
luftre où l'École Française , fous les
auſpices d'un Mécene zélé * › porte la
gloire de nos Arts.
י נ כ
و د
L'Académie a jugé à propos de n'admettre
au nouveau Concours de l'Expreffion
, que les Eléves qui ont remporté les
grands Prix de Peinture & de Sculpture ,
ceux qui ont gagné les premieres Médailles
du Deffein ou du Bas-relief , & les fils
des Académiciens .
La Séance eft annoncée quinze jours
avant l'Exercice ; mais le fujet de l'Expreffion
eft ignoré, jufqu'à l'inftant que les
Eleves font entrés dans la Salle pour con-
* M. le Marquis de Marigny , Commandeur
des Ordres du Roi , & Ordonnateur général
de fes Bâtimens , Jardins , Arts , Académies ,
& Manufactures Royales. C vj
156 MERCURE DE FRANCE.
courir. Le Profeffeur fait alors une explication
fuccinte , mais inftructive des principaux
mouvemens du vifage , & furtout
des attentions & des recherches qu'exige
l'Expreffion propofée. Voici de quelle
maniere M. Dandré Bardon s'eft énoncé
dans la Séance de cette année :
» Vous voyez , Meffieurs , dans ce modé-
» le , le caractère de l'Affliction . C'eſt le
"Suiet que nous défignons pour le Prix du
"Concours . Tel eft le fentiment dont
" Artemife étoit affectée , lorfqu'elle bu-
» voit les cendres de fon époux , détrempées
dans une coupe d'amertume , pour
» fatisfaire tout à la fois & fa tendreffe
» & fa douleur.
30
و د
"" }
» Cette expreffion pathétique , réunit
deux affections principales ; l'inquié-
» tude de l'efprit & les peines de l'âme.
» l'abattement de la tête panchée für une
épaule , défigne l'inaction des efprits
» animaux ; l'altération des muſcles du
vifage , peint les tourmens du coeur.
" Saififfez d'abord, Meffieurs , dans votre
» defein cet abandonnement de la tête ,
qui fait partie effentielle de l'Expreffion
propofée ; il caractériſe l'inquiétude.
Mais quelle eft l'agitation des
mufcles du vifage qui retrace les fouf-
» frances de l'âme ? Nous en puifons le
»
OCTOBRE . 1760. 157
détail dans les obfervations du célébre
» le Brun ( a ) .
» Les côtés des fourcils , font plus éle-
» vés vers le milieu du front , où ils for-
» ment des travaux , que du côté des
joues.
"
38
» Les yeux font triftement fixés fur l'ob
jet de l'affliction . Le blanc de l'oeil pa-
» roît jaunâtre ; les prunelles font trou-
» bles ; les paupieres abattues & un peu
enflées ; le tour des yeux eft livide.
» Les narines tirent en bas.
» La bouche eft entr'ouverte ; les coins
» en font abbaiffés ; ils fe terminent quar
» rément , les levres font pâles , & toute
» la couleur du viſage eſt plombée .
ور
و د
Tels font les fignes qui caractériſent
Affliction . La nature ne vous les indiqué
» ici, Meffieurs, qu'autant que peut le faire
» un fentiment factice ; votre génie intelligent
doit fuppléer à ce qui manque.
» Obfervez néanmoins , que le tourment
» des muſcles , léger & peu fenfible ,
» comme il doit l'être fur la phyfionomie
» d'une Reine , ne prend rien ſur la no-
» bleffe de fon caractère , & que l'expref-
» fion s'y peint fans grimaces. Les ombres
& les lumieres en font douces &
( a) Conferences fur l'Expreffion.
498 MERCURE DE FRANCE.
» fuavement reffenties. Les touches moëleufes
ne font pouffées avec vivacité
» qu'aux coins de la bouche , où s'arti-
» culent la douleur de l'âme & la trif-
» teffe de l'efprit.
"
» Le Modèle ne fçauroit vous offrir que
» des affections momentanées. Quelle
» adreffe à fçavoir les épier , les fçavoir !
» L'art confifte à les bien rendre . Vos
» connoiffances ; votre application , l'in-
» térêt de votre gloire vous en fuggére-
» ront les moyens. On ne s'engage dans
» la lice , que pour y marcher avec cou-
»rage & pour en fortir avec honneur.
» La palme vous attend . Puiffiez - vous
» tous la mériter !
"
Au refte , en rendant compte de cet
Exercice , nous devons avertir que l'Aca
démie Royale n'a rien oublié , pour lui
procurer le bon ordre & la décence. Conformément
aux intentions du Fondateur ,
le fujet de l'Expreffion fera pris dans l'Hiftoire
, ou dans la Fable , & ordinairement
parmi les traits qui intéreffent le féxe ,
dont la délicateffe finguliere eft fufceptible
de fentimens plus difficiles à retracer.
On n'y préfente pour Modèle , que des
perfonnes dont les moeurs & l'honnêteté
répondent aux graces , à l'air de nobleffe
& au beau caractère de la phyfionomie.
OCTOBRE. 1760. 159
•
MM. les Officiers en exercice , Directeur
, Recteur , Profeffeur , Tréforier &
Secrétaire y font préfens. Le Fondateur
eft invité d'y affifter ; mais , en conféquence
des Réglemens de l'Académie
nulle autre perfonne n'y eft admiſe.
La durée des Séances eft fixée à deux
heures , depuis dix jufqu'à midi , pendant
trois jours confecutifs. Les Deffeins ,
Tableaux , & Bas - relief des Concurrens
font exposés à la derniere Aſſemblée du
mois de Septembre , où l'Académie juge
le même jour les ouvrages & diftribue le
Prix. Elle fe réferve le droit d'expofer à
la S. Louis de l'année fuivante le morceau
couronné , s'il lui paroît digne de
l'attention du Public . Une partie auffi
difficile qu'eft l'expreffion d'une tête , peut
mériter aux Eléves une récompenfe , que
fouvent l'Académie ne leur accorde que
par un motif d'encouragement ; c'eſt l'obque
les Connoiffeurs ne doivent point
perdre de vue , lorsqu'ils feront tentés de
refufer leurs fuffrages à fes jugemens.
L'expreffion d'une tête , eft tout à la fois.
l'écueil & le chef d'oeuvre des Arts , qui
ont pour objet l'imitation de la Nature.
jet
L'Académie Royale de Peinture & de
Sculpture , affemblée par convocation générale
le 27 Septembre 1760 ; tous les
160 MERCURE DE FRANCE.
Membres ayant voix délibérative , a adjugé
le Prix de l'Expreffion au fieur du
Rameau , Peintre , l'un des Eléves protegés
par le Roi , & elle a donné au fieur
Pollet , Sculpteur , le Prix réservé de l'année
derniere. Le Deffein couronné a été
offert en préfent au généreux Fondateur
d'un Exercice auffi honorable qu'utile aux
Arts , dont il eft le cultivateur & l'ami.
ARTICLE V.
SPECTACLES.
O
OPERA.
LE PRINCE DE NOISI
N continuë, fur ce Théâtre, les représ
fentations de ce Ballet.
L'idée de ce Poëme eft prife du Conte
du Bélier , d'Hamilton ainfi que les
noms des Perfonnages. Le jour de l'action
eft celui de la cérémonie religieufe ,
la plus célébre chez les anciens Gaulois ,
& qui eft généralement connuë.
Le Théâtre repréſente d'abord une forêt
; dont une partie , plus épaiffe & plus
OCTOBRE . 1760. 161
fombre , eft la demeure des Druides : au
milieu est un Chêne , remarquable par fa
grandeur , qui porte le Gui , pour lequel
les Gaulois avoient une fi grande vénération
; au- devant de ce Chêne eft un Autel
de gazon : fur le côté & proche du
Chêne , eft la Statuë d'Efus , Divinité
principale de ce Peuple , élevée ſur un
piédeſtal ruftique de l'autre côté font
divers Monumens antiques.
La premiere Scène , entre le Chef des
Druides, qui eft Enchanteur , & le Grand-
Prêtre , contient l'expofition du Sujet. Le
Druide charge le Grand- Prêtre d'ordonner
la pompe de la cérémonie da Gui-
Sacré , il ne peut s'acquitter de ce devoir ;
parce que le Géant Moulineau , à qui il
a refufé fa fille Alie , le rappelle aux
combats , & veut le furprendre pendant
les jeux. Incertain du fort de cette journée
, il confie ainfi au Grand- Prêtre fon
fecret & fes craintes.
Vous aimez cet enfant qui , nourri dans ces lieux ,
Objet de tous mes foins , ignore ſa naiſſance.
Fils du fage Merlin , dépôt myſtérieux ,
Cet enfant doit , un jour , combler notre espérance
Mais , jufqu'au temps marqué par les décrets des
Dieux ,
Mille périls affiégent ſon enfance.
162 MERCURE DE FRANCE.
Le Ciel , en fa faveur , n'armera ſa puiſſance
Qu'au moment même où fon bras généreur,
Par les coups les plus glorieux ,
Méritera fon affiſtance.
S'il perdoit mon appui, veillez à ſa défenſe ;
Veillez fur les jours précieux !
Le Grand -Prêtre fe retire , en l'affurant
de fon zéle.
Le Druide appelle les Efprits de la
Tèrre : ils en fortent à fa voix ; il les interroge.
Le Ciel feroit- il le foutien ,
Du perfide ennemi qui me livre la guèrre ›
Ce monftre , le mépris & l'horreur de la tèrre ,
Verroit- il fon deftin l'emporter fur le mien ?
LE CHOUR DES GNOMES.
D'un oracle irrévocable ,
Obferve les décrets ;
Crains un danger redoutable,
Si tu méprifes fes arrêts.
LE DRUIDE.
J'ai fuivi vos confeils ; j'ai fait , dès fon enfance,
Conduire dans ces lieux le Prince de Noifi.
Il continue , en leur montrant le piédeftal
de la Statue d'Efus.
Dans ce marbre enfermé , loin de notre ennemi ,
Ity garde ce fer commis à ma prudence.
OCTOBRE. 1760. 163
Je lui cache , avec foin , que mon coeur l'a choifi
Pour lui donner ma fille , & ma puiſſance.
LE CHEUR DES GNOMES.
Contre l'Amour & fes traits ,
Défends leur foible jeuneſſe ;
S'ils connoiffent fes fecrets ,
A l'inftant ton pouvoir cèffe .
Le Druide , refté feul , fe rappelle que
le Deftin a prefcrit que Poinçon & Alie
puiffent fe voir une heure chaque jour.
En vain , dit-il ,
Par leur fimplicité je cherche à les défendre :
Un regard éclaire un coeur tendre ,
Sur tous les fecrets de l'Amour.
Alie vient , & marque naïvement fon
impatience au Druide:
Seigneur , déjà l'heure s'envole ;
Poinçon devroit être en ces lieux .
Quoi ! ne verra-t -il point les jeux ?
Son pére , allarmé de cet empreffement
, lui rappelle les malheurs dont ils
font menacés , fi elle fe laiffoit furpren
dre aux traits de l'Amour. Je fais , répond
Alie , combien je dois redouter fa
fureur !... Mais que Poinçon paroille.
164 MERCURE DE FRANCE.
Le Druide , forcé d'obéir aux loix du
Deftin , touche de fa baguette le piédeftal
d'Efus ; Poinçon en fort & vole vers
Alie. Le Druide les quitte , pour aller au
combat , en leur difant de préfider aux
Jeux facrés.
POINÇON .
Mon coeur peut donc s'ouvrir au plaifir le plus
doux !
Je foupirois déjà de ne point voir Alie ,
Ah ! je voudrois retrancher , de ma vie“;
Tous les momens que je paffe fans vous.
Vous ne partagez point ma vive impatience at
Le doux plaifir régne en ces lieux charmans.
labrége pour vous les heures de l'abſence ,
Et j'en compte tous les momens !
ALIE .
Cette retraite eft embellie
Par l'effort de l'art enchanteur :
Mais aucun des plaifirs dont je la vois remplie
Aucun n'a ce charme flatteur ,
Que vous portez dans mon âme ravie.
Au fein de ces plaiſirs,vous manquez à mon coeur
Quand je vous vois , je les oublie.
POINÇON.
Que cet aveu m'eft doux ! que mon fort eſt heureux
!
ALIE.
Notre bonheur dépend de notre obeiffance.
OCTOBRE. 1760. 165
Si le fatal Amour difpofoit de nos voeux
Nous formes menacés des maux les plus affreux,
POINÇON.
Aidons-nous l'un & l'autre , à braver fa puiffance,
ALIE.
Quoi ! les piéges qu'il tend font- ils fi dangereux ?
POINÇON.
On dit que fous fon esclavage ,
Par l'espoir le plus doux , il fçait nous attirer !
Mais quel bien peut defirer
Un coeur , que remplit votre image ?
A peine le mien , tout entier ,
Suffit à l'amitié dont le noeud nous engage.
Loin de chercher aucun partage ,
Il voudroit fe multiplier ,
Pour vous aimer davantage .
ALIE.
Vous peignez tous mes fentimens .
Les grandeurs , les tréſors , les plaifirs , les délices,
Je les donnerois tous pour un de nos momens ;
Et je ne croirois pas faire de facrifices.
POINÇON
& ALIE.
Fuis , Amour , tyran redoutable ;
Porte ailleurs tes enchantemens . !
Telle eft cette Scène , une des plus ingénieufes
qu'on puiffe imaginer , & dans
166 MERCURE DE FRANCE.
laquelle la Mufique ne le céde point à la
Pocfie . Avec quelle jufteffe le fentiment y
eft développé ! on voit combien c'eſt un
tableau heureux & piquant que celui de
deux jeunes amans , qui fous l'idée de
l'amitié , fe livrent aux fentimeus de la
plus vive tendieffe , avec la naïveté de
leur âge , & tout en déciamant contre
l'Amour.
A cette Scène fuccéde la cérémonie du
Gui-facré , qui eft faite avec la pompe &
la majefté convenables ; & qui eft mélée
de danfes de la part des Peuples qui y
affiftent.
$
*
Après ce Choeur.
Banniffons de ce bocage ,
L'Amour , ce tyran des coeur :
Poinçon demande au Grand Prêtre de
le lui faire connoître pour l'aider à l'éviter
mieux. Le portrait qui fait & qui eſt bien
fait , éclaire Poinçon & Atie ſur la nature
de leurs fentimens dans l'inftant , & fur une
fymphonie vraiment belle , l'Oracle des
Gnomes fe vérifie : le Ciel s'obſcurcit ; les
éclairs brillent ; le tonnèrre gronde ; tous
les monumens fe brifent : on voit dans
l'intérieur du Piédeftal d'Efus le glaive
qui femble jetter une vive lumiere. La
terreur des deux Amans & des Peuples
OCTOBRE. 1760. 167
eft portée au comble par un Suivant du
Druide , qui vient leur apprendre qu'il a
été vaincu & mis aux fers par le Géant.
Poinçon le faifit vivement du glaive pour
courir à la vengeance , à quoi il eft excité
par le Grand- Prêtre , qui l'affare de
la protection du Ciel , en ajoutant :
Si le Sort vous trahit , vous ſçaurez quels refforts
: Peuvent encor fervir votre vaillance .
Un Choeur, en fituation , & dont la Mufique
augmente encore l'intérêt , termine
cet Acte , dont la fin préfente un tableau,
qu'il faut voir pour en fentir toutes les
beautés.
Au fecond Acte, le Théâtre repréfente
les Jardins du Géant Moulineau , qui
ouvre la Scène en s'applaudiſſant de ſa
victoire fur le Druide. Il ordonne aux
Démons de conduire Alie dans ce féjour ,
où il veut rendre fon ennemi témoin de
fon bonheur. Les Démons partent , pour
lui obéir.
Poinçon , qui cherche à pénétrer juſqu'au
Géant , dont il n'eft point connu ,
& qui ignore les effets des moyens qu'on
lui a prefcrits pour parvenir à s'en venger
, paroît , conduifant les Suivans du
Druide travefti , & qui forment le diver68
MERCURE DE FRANCE.
tiffement le plus vif & le plus gai. Il y
a dans cette fête quantité de chofes charmantes
, en paroles & en muſique.
. Le Géant fatisfait , demande à Poinçon
une nouvelle preuve de fes talens : il lui
apprend qu'il aime Alie , qu'elle eft loin
de répondre à fes vaux ; qu'il poffède un
Oracle infaillible qui lui a appris qu'elle
aime le Prince de Noifi , qu'il le réferve
de punir. Poinçon , étonné , dérobe fa
douleur à Moulineau , qui fort pour fuivre
fa vengeance contre fon Rival , en
ordonnant à Poinçon de préparer une
nouvelle fête pour Alie.
Poinçon , après avoir exprimé de la
maniere la plus pathétique les tourmens
qu'il éprouve tombe dans l'accablement.
Il en est tiré par les Choeurs , qui
l'excitent à reprendre le foin de fa vengeance
, en lui retraçant l'affreufe fituation
du Druide. Poinçon fe la reproche ;
mais le Géant eft invulnérable , par un
charme infernal qu'il faut détruire. Il dit
donc à fa fuite :
Au milieu de nos chants , préparez vos guirlandes ;
Déposez à fes pieds nos magiques offrandes ;
Obéiffons : & comptons fur les Dieux .
Ce moyen, qu'on lui a prefcrit, eft l'objet
du fecond Divertiffement , compofé
d'Airs
OCTOBRE. 1760. 169
d'airs délicieux & du genre le plus ingénieux.
Moulineau , après une partie de
ce Divertiffement , s'affied for un lit de
gazon : à l'inftant defcend une efpéce de
Pavillon , porté par des Génies , garni de
guirlandes de fleurs , & également pittorefque
& agréable : ces guirlandes fervent
à former autour du Géant un Ballet d'enchantement
, à la fin duquel il s'endort.
Le Choeur dit à Poinçon , & à demi- voix ,
en lui montrant Moulineau :
Le charme eft détruits frappe ; immole ta victime !
POINÇON , au Choeur.
Quoi?pendant fon fommeil,je trancherois fes jours?
Ah ! j'ai honte d'un tel fecours ;
Ma victoire feroit un crime.
Ce que
( àMoulineau. )
Eveille-toi barbare !
LE CHEUR , à Poinçon.
O Ciel ! que faites - vous ?
POINÇON , au Choeur.
l'honneur ordonne à mon courroux.
( à Moulineau. )
Connois , en moi , l'Amant d'Alie ,
MOULINEAU , avançant , fur lui , la maſſe levée.
Meurs ! .. Quel glaive étincelant ! ( il recule . }
POINÇON, le pourfuivant , leglaive à la main.
Je fers les Dieux , l'Amour , en t'immolant.
( ILs difparoiffent . )
11. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
LE CHUR.
(à Poinçon . ).
Arrête ...Il va périr ! ... Ciel , prends foin de fa vie.
Un coup de tonnèrre annonce la protection
que les Dieux accordent en ce
moment à Poinçon , qui reparoît vainqueur
; mais accablé de douleur par le
fouvenir de cet oracle infaillible , qu'il fe
rappelle. Il veut l'interroger lui- même
& fort en ordonnant à fa fuite d'aller brifer
les fers du Druide.
,
On voit aisément combien toute cette
fituation eft intéreffante & théâtrale , depuis
la fin du premier divertiffement jufqu'à
celle de l'Acte on peut juger de
même de l'effet des Chours ainfi liés à
l'action , dialoguant avec les Perfonnages
principaux , & ramenés par- là à leur
véritable objet, fi bien connu des Auteurs
Grecs , à qui nous les devons , & qui en
ont tiré un fi grand parti dans les chefsd'oeuvres
qui les ont immortalifés. On
doit dire, pour rendre justice aux Auteurs
de la Mufique , que fingulierement dans
la partie de cet Acte qui vient d'être remarquée
, aucun autre ouvrage n'offre
une expreffion plus vraie & plus pathétique
, ni un dialogue plus jufte & plus
OCTOBRE . 1760. 17.1
Y
ferré c'eft en un mot la déclamation
la mieux fentie , embellie par le charme
des fons .
Le Théâtre repréſente d'abord au III
Acte un Veſtibule du Palais de Moulineau
, dans le fond le Temple de lavérité
, dont on voit la Statue fur un Autel .
Poinçon entre , en frémiſſant ; il héfite
à interroger l'oracle ; il ofe à peine lever
les yeux. Alie defcend , enveloppée dans
un nuage & portée par les Démons , qui
s'abîment bientôt dans la terre. Alie
vient ; elle apperçoit fon amant : enchantée
de lui devoir fa liberté & de le
retrouver , elle exprime fes fentimens
avec la plus grande vérité. Il faudroit
tranfcrire cette Scène pour en faire connoître
tout le mérite . Poinçon , qui croit
Alie infidelle , lui fait des reproches , qu'il
appuie fur ce qu'il a appris de Moulineau ;
Elle s'efforce de le raffurer en lui développant
toute fa tendreffe . Il eſt ébranlé ,
& ce moment eft bien préparé par le
doute qu'il a laiffé voir en finiffant le fecond
Acte : il dit à Alie :
Eh bien , fur nos deftins que l'Oracle prononce .
Vous le voyez ....Je vais l'interroger.
ALIE , l'arrêtant.
Ah ! par ce doute affreux cefez de m'outrager.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE:
POINÇON.
Eh quoi ! craignez-vous fa réponſe
A: L I E.
Je voulois que votre amour
Vous répondit de ma flâme :
Mais fi l'Oracle feul peut raffurer votre âme ,
Je vais l'interroger , fans crainte & fans détour.
fa Elle le fait , avec la confiance que
candeur lui infpire ; & telle eft la réponſe
de l'Oracle ;
L'Amant qu'Alie a choifi ,
Eft le Prince de Noifi.
Non , ( dit-elle à Poinçon , en courant à lui )
non , c'est toi feul que j'aime !
Garde-toi d'écouter un preftige impofteur.
Quand le Ciel parleroit lui -même ,
Le Ciel feroit démenti par mon coeur.
Poinçon veut la fuir ; elle le retient , &
lui peint fi bien fa douleur, & fon déſeſpoir
que, vaincu par ce tableau attendriffant, il
céde au fentiment de fon amour , malgré
tout ce qui lui parle contre Alie ; mais en
cónfervant un refte de doutes. Dans cet
inftant le Théâtre change , & repréfente
un Palais Aerien où des Génies & des Fées
paroiffent grouppés fur des nuages lumi,
OCTOBRE. 1760. 173
neux , & le Druide au milieu d'eux . Il
leur fait reconnoître Poinçon pour le fils
de Merlin leur Maître , & ramène la férénité
dans le coeur des deux jeunes Amans ,
en leur difant que Poinçon eſt lui - même
ce rival que l'Oracle a nommé . Les Génies
& les Fées les reconnoiffent pour leurs
Souverains ; on leur donne un fceptre &
une baguette , marques de leur nouveau
pouvoir ; & une Fête magnifique termine
l'Opéra.
Tels font le fond & la marche de ce
Poëme , plein de détails charmans , & gér
néralement penfé & écrit comme on fait
que faifoit M. de la Bruere .
On ofe affurer que la Mufique y répond
: tout le récitatif eft de la plus jufte
expreffion ; les chofes de chant, du genre
agréable , ne laiffent rien à fouhaiter . On
y trouve d'ailleurs des oppofitions de
Mufique très- heureufes ; des fymphonies
brillantes ; des choeurs pleins d'harmonie
& de clarté dans les parties . Quant aux
Airs des Divertiffemens , ceux des Gnomes
, & celui fur lequel fe fait l'adoration
du Gui facré au premier Acte ; ceux
des deux Fêtes du fecond Acte , & de celle
du troifiéme , terminée par une Chaconne
, font de jour à autre mieux fentis &
plus applaudis.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
Le Spectacle de cet Opéra eft foigné ,
bien entendu & magnifique dans les parties
où il doit l'être . La décoration de la
forêt au premier Acte & celle du Palais
Aërien à la fin du troifiéme , font toujours
un nouveau plaifir : la premiere par la maniere
fçavante & vraie de fa compofition
fon heureuſe exécution ; la derniere
par l'analogie brillante qu'elle a avec la
Fête qui s'y paffe , & le caractére de féérie
de cet ouvrage
.
&
par
Les rôles font généralement bien remplis
: ceux de Poinçon & d'Alie , qui font
les principaux , repréſentés pat Mlles
Lemierre & Arnoud, font la plus vive fenfation
: ces deux Actrices , par la jufteffe
du jeu , la force de l'expreffion , le char
me de la voix & de la figure , offrent aux
yeux & à l'âme le tableau le plus fatif
faifant.
Les Ballets font en général bien compofés.
MM. Lamy , Veftris , Laval &.
Gardel, Miles Lany, Lyonnois & Veftris,
ont fait à l'envi de nouveaux efforts pour
ne rien laiffer à defirer.
On ne doit cependant pas diffimuler
que le fuccès de cet Opéra a été très - balancé
, à la premiere Repréſentation. Des
longueurs dans le premier Acte , & furtout
la Cérémonie religieufe qui en fait.
OCTOBRE. 1760. 175
>
partie , avoient refroidi & prévenu défavorablement
le Public pour les deux autres
Actes : Le dénoûment , qui n'étoit pas
heureux , avoit achevé de déterminer le
jugement un peu précipité qui en avoit
été porté. On pourroit même préfumer
qu'il y avoit à cette premiere Repréſentation
de l'indifpofition de la part d'une
partie des Spectateurs.
Les Auteurs , uniquement occupés du
foin de fatisfaire le Public , fe font hâtés
de changer & de retrancher les endroits
qui avoient pû déplaire. La faine & nombreufe
partie de ce Public , toujours judicieuſe
, leur a fû gré de ces foins ; & fes
applaudiffemens foutenus jufqu'à préfent ,
font l'éloge d'un Ouvrage qui mérite en
effet d'être entendu avec attention , &
d'être fuivi.
P. S. Le dérangement affez confidérable
de la fanté de Mlle Lany , l'a obligée
de quitter les entrées le Vendredi 26 Septembre
: elle a été remplacée par la Dlle
Dumonceau , qui continue depuis ces entrées
, & dont les talens encouragés par
le Public , fe développent de jour en jour.
Les mêmes cauſes ayant mis M. Veftris
dans la même néceffité , le fieur Gardel
l'a remplacé le Mardi 7 Octobre , avec
beaucoup d'agrément.
H iiij
175 MERCURE DE FRANCE.
Mile Carville a danfé le même jour en
place de Mlle Veftris , & a mérité les applaudiffemens
qu'elle a reçus.
COMEDIE FRANÇOISE.
ONNa donné , le Samedi 4 , la treiziéme
& derniere repréſentation de la Tragédie
de Tancrède . La foible fanté de
Mile Clairon , en a interrompu les repréfentations
plutôt que les Comédiens ne
comptoient le faire ,& le Public en a paru
fâché. Ils préparent actuellement des nouveautés
, qu'ils comptent donner inceffamment.
COMEDIE ITALIENNE.
MERCREDI 8 , les Comédiens firent
l'ouverture de leur Salle nouvellement
reconftruite. La Décoration en a été généralement
approuvée ; & les Colonnes
qui ornent l'avant Scène , ont paru du
plus grand goût. Le fond des Loges eft de
couleur de marbre veiné , relevé d'or .
Le Spectacle commença par un Prologue.
Les Comédiens y implorent le fecours
de M. de la Rapfodiere Auteur ComiOCTOBRE.
1760. 177
que , qui leur promet des nouveautés en
abondance.
Ce Prologue fut fuivi de la premiere
repréfentation de la nouvelle Joute , Parodie
en un Acte de Tancrède , du même
Auteur.
On donna enfuite , auſſi pour la premiere
fois , la Fortune au Village , petite
Parodie d'Eglé . Elle eft , dit on , de Madame
Favart. La Mufique en eft nouvelle ;
il y a de fort jolis Airs , fur- tout ceux que
le fieur Cailleau chante : fa voix eft faite
pour animer & embellir tout ce qu'il exécute.
Du refte , cette petite Piéce a fem
blé faire plaifir , du moins elle a été plus
applaudie que la précédente ; & Madame
Favart , qui y a joué le premier rôle , ne
peut que s'être fentie encouragée , par la
maniere dont on l'a accueillie.
? Le tout fut terminé par la Veillée Cauchoife
nouveau Ballet Pantomime du
feur Billoni. On ne fe laffe point d'admifer
également les grâces de Mlle Camille ,
& la légèreté de Mlle Gatinon.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
CE
OPERA - COMIQUE.
E Spectacle , à qui le Roi a accordé
trois jours de grace , a fait fa clôture le
jour de S. Denis , 9 du mois d'Octobre.
Dans le Compliment , le Public a trouvé
ce qui lui eft légitimement dû , des fentimens
de reconnoiffance fur le paffé ,
d'inftantes prévenances pour l'avenir.
Tous les Acteurs ont fait leurs efforts ,
pour être regrettés par leurs Spectateurs.
fès
Les cent jours de la Foire S. Laurent ,
fe font foutenus , pour ainfi dire , fur le
fuccès de deux Piéces nouvelles , le Proès
des Arietes & des Vaudevilles , & le
Soldat Magicien : la premiere a été jouée
43 fois , & la feconde 32 avec l'accueil
le plus favorable , & les applaudiffemens
les plus décidés .
On ne peut , fans injuſtice , s'empêcher
de louer l'ardeur des nouveaux Entrepreneurs
, à faifir tous les moyens de
captiver le goût du Public : nulle épargne
fur les talens , les habits , les décorations.
Ils méritent de réuffir , fi le fuccès
dépend du zéle qu'on met dans les
affaires qu'on entreprend.
OCTOBRE. 1760 . 179
"
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
De VIENNE , le 20 Septembre."
SELON
ELON les nouvelles de Conftantinople , la révolte
du Pacha d'Iconium commence à donner de
l'inquiétude au Divan. Ce Pacha , à la tête de
quinze mille hommes , s'eft mis en marche de fon
Gouvernement vers cette Capitale . On prétend
que le Grand-Seigneur la fait allurer de la grâce
s'il rentroit dans fon devoir ; mais on ne croit pas
que ce Rebelle fe laiffe prendre à ce piege , & il
faudra employer la force pour le foumettre .
Les fêtes préparées pour le mariage de l'Archi-
Duc Jofeph avec l'Infante Ifabelle , viennent de
commencer. La nouvelle de la conclufion de ce
mariage fut apportée le 14 de ce mois , par le
Comte de Kaunitz-Rittberg , Chambellan de leurs
Majeftés Impériales , fils aîné du Comte de ce
nom , Chancelier de Cour & d'Etat ; la Cour ſe
mit , à cette occafion , en grand gala pour trois
jours , & leurs Majeftés Impériales furent compli
mentées par les Ambaffadeurs & les Miniftres,
étrangers , ainfi que par la haute Nobleffe. Elles
dînerent enfuite en Public avec les Archiducs Jofeph
, Charles & Léopold , quatre des Archidscheffes
, & avec le Prince Charles & la Princeffe
Charlotte de Lorraine. On exécuta un beau Concert
pendant le repas. Le foir , il y eur un bal paré
qui fut fuivi d'un grand fouper. Le matin , Leurs
Majeftés Impériales , accompagnées de l'Archiduc
Jofeph , avoient affifté à la Proceffion qui fe fait
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
annnellement , en mémoire de la levée du Siége
de cette Capitale , par les Turcs en 1683. L'Artillerie
des remparts fit une triple falve , à chacune
defquelles la Garniſon répondit par le feu de fa
Moufquetterie.
Le Comte de Palfi , Général d'Infanterie , fut
déclaré, le même jour, Capitaine de la Compagnie
des Gardes du Corps , formée par le Royaume de
Hongrie, pour
la Garde de l'Archiduc & de l'Archiduchelle
.
On a reçu
de Parme , le détail fuivant des cérémonies
qui ont été faites , à l'occafion du Mariage
de l'Archiduc Jofeph avec l'Infante Ifabelle.
DETAIL de tout ce qui s'eft paffé depuis l'arrivée
de M. le Prince de LICHTENSTEIN jufqu'au 4 .
M. le Prince de Lichtenſtein arriva à Parme le
1 Septembre ; auflitôt après , il fit informer M.
Dutillot , par un de fes Gentilshommes.
M. Dutillot fe tranfporta chez lui , & lui donna
l'heure que l'Infant avoit fixé pour fon audience
particuliere.
Cette audience fut le lendemain à midi & demi;
M.Dutillot alla prendre M. le Prince de Lichtenftein
au Palais Palavicini où il eſt logé , & l'amena
chez l'Infant , il le conduifit enfuite chez le Prince
Ferdinand , de là à l'appartement de Madame
Infante Ifabelle , où le trouva auffi Madame Louiſe ..
M.le Prince de Lichtenſtein, fut au fortir du Palais
, rendre la vifire à M. Dutillot ; fortit de chez
Ge Miniftre , & y revint dîner avec les Miniftres de
France , d'Espagne , de Turin , de Gènes & de
Malte ; M. le Comte de Neuilly , M le Bailli de
Breteuil , M. l'Abbé de Canillac & M. le Comte
de Mercy . Il amena avec lui les huit Chambellans
qui l'ont accompagné , & deux Officiers Majors..
OCTOBRE. 1760. 185
M. Dutillot avoit invité le Capitaine & le Major
des Gardes du Corps , le grand Ecuyer & le premier
Ecuyer de l'Infant , le Gouverneur du Frince
Ferdinand , des Gentilshommes de la Chambre ,
des Majordomes , des Dames du Palais , M. l'Evêque
de Plaifance , frere du feu Chancelier Criftiani
chargé par l'Infant , à caufe de la mort de
l'Evêque de Parme , de la cérémonie du mariage )
& quelques Perfonnes de la premiere Nobleffe du
Pays.
Après le dîner , M. de Lichtenftein retourna à
fon Hôtel , où il reçut des vifites .
Le troifiéme jour fixé pour l'Audience publique,
M. le Comte Peroli , Introducteur, partit du
Palais à onze heures & demie , dans un caroffe
de l'Infant attelé à huit chevaux ; ce caroffe étoit
précédé par un autre à fix chevaux ( vuide ) , &
fuivi par trois autres attelés à huit chevaux ; dans
chacun de ces caroffes , étoit un Majordome.
Un Officier de l'Ecurie étoit à cheval à la tête
de ce Cortége ; douze Valets de pied étoient fur
deux files aux deux côtés de la voiture de l'Infant
, où étoit M. l'Introducteur , trois derriere ce
carofie , & deux derriere chacun des autres .
Deux Palfreniers à cheval ſuivoient l'Officier
de l'Ecurie
M. le Comte Peroli fut dans cet ordre prendre
chez lui M. le Marquis Palavicini , premier Gentilhomme
de la Chambre , que l'Infant avoir
chargé de faire les honneurs à M. le Prince de
Lichtenſtein .
M. de Palavicini monta dans le même caroffe ,
dans lequel étoit venu M. le Comte Peroli ; ce
dernier lui donna la droite.
Ils furent dans le même ordre chez M. le Prin
ce de Lichtenſtein.
Ils monterent l'efcalier , fuivis des trois Majordomes
qui les avoient accompagnés : les
182 MERCURE DE FRANCE. 1
douze valets de pieds fuivoient fur deux files.
M. le Prince de Lichtenſtein étoit venu au-devant
d'eux, & avoit defcendu deux marches; il les conduifitjufques
à la chambre. MM . les Majordomest
refterent à la piéce la plus voisine de cette chambre
, où ils entrerent un moment après M. de
Palavicini & M. Peroli , à qui M. le Prince de
Lichtenſtein avoit fait partout les honneurs des
Portes.
On defcendit de chez M. le Prince , qui fit
toujours les honneurs à M. de Palavicini jufques
au bas de fon efcalier ; où étant arrivé , M. de
Palavicini lui fit les honneurs du caroffe , il y
monta , fe plaça feul dans le fond , M. de Pałavicini
fur le devant à droite , M. Peroli à gauche.
MM. les Majordomes firent également les
bonneurs des caroffes de l'Infant dans lesquels
ils étoient venus , aux huit Chambellans .
On fe mit en marche dans l'ordre fuivant :
Un Officier de l'Ecurie de l'Infant , & deur
Palfreniers à cheval.
Le caroffe de M. l'Introducteur , à fix chevaux ,
vuide.
Deux Suiffes , de M. le Prince de Lichtenſtein ,
à cheval.
24 Valets de pied.
6 Coureurs.
6 Heyducs.
12 Palfreniers , tenant chacun un cheval par la
bride.
9 Officiers , de la Maifon de M. le Prince , à
cheval.
Son Ecuyer.
& Pages, dont deux Hongrois, & fix Allemands
Quatre Gentilshommes.
Le caroffe de l'Infant , où étoit M. le Prince de
Lichtenſtein , M. de Palavicini & M. Peroli , 1 %
Valets de pied de l'Infant aux deux côtés.
OCTOBRE . 1760 . 184
Un grand caroffe d'entrée , à M. le Prince,
attelé à 8 chevaux.
Les trois caroffes de l'Infant , dont les Majordomes
faifoient les honneurs.
A une diſtance de 30 ou 40 pas , trois autres
carolles , à M. le Prince de Lichtenſtein , attelés à
huit chevaux .
Les rues étoient bordées , depuis l'Hôtel Palavicini
jufques au Palais , par les deux Bataillons du
Régiment de Parme habillés de neuf, à-peu-près
comme le Corps des Grenadiers de France
douze Compagnies de Grenadiers.
> &
Les Troupes préfentoient les armes , les tambours
rappelloient , & les Officiers ont falué du
chapeau .
La Garde du Palais étoit formée devant la
porte; elle préfentoit les armes ; les tambours rappelloient
, & les Officiers ont falué du chapeau.
12 Suifles des Portes étoient fous la voute de
l'entrée du Palais.
80 Hallebardiers de la Garde de S. A. R. bordoient
l'escalier fur deux files, depuis la premiere
marche juſques au pallier d'en- haut ; & les deux
portes qui donnent de ce pallier à l'appartement
de l'Infant & à celui de Madame Ifabelle , étoient
gardées par quatre de ces mêmes Hallebardiers ,
la hallebarde fur l'épaule.
M. Le Comte Rimbaldefi, Maître des Cérémonies,
vint recevoir M. le Prince au bas de l'efcalier
& marcha devant lui.
La Livrée de l'Infant précédoit fur deux files ;
celle de M. le Prince fuivoit ce Seigneur , qui mar
choit entre M. le Marquis Palavicini & l'Introducteur.
La Livrée de M. le Prince s'arrêta dans deur
anti-falles avec celle de l'Infant ; deux Suiffes de la
porte empêchoient celle des particuliers d'y entrer,
184 MERCURE DE FRANCE.
M. le Prince de Lichtenstein , toujours précédé
par le Maître des Cérémonies , & ayant M. de Pala
vicini à fa droite & l'Introducteur à ſa gauche, traverfa
la Salle des Gardes : les Gardes du Corps
étoient fous les armes. Le Capitaine des Gardes le
reçut à la porte de la Salle en dedans, prit la place
de M. l'Introducteur à côté de lui , & marcha
ainfi à toutes les Audiences. L'Introducteur s'étoit
avancé d'un pas , & marchoit à côté du Maître
des Cérémonies . M. le Prince étoit précédé par
les Officiers de fa Maiſon qui s'arrêterent dans la
prémiere antichambre après la Salle des Gardes ,
par les Pages qui s'arrêterent dans l'antichambre
après celle où étoient reftés les Officiers de fa
Maifon , & avant celle où étoient les Pages de
S. A. R. par fes quatre Gentilshommes qui entrerentjufques
dans la piéce du Sallon de l'Audience
de l'Infant ; & par les huit Chambellans de l'Empereur
qui les précédérent jufques aux pieds , da
Throne .
Toutes les Dames de la Nobleffe du Pays &
Etrangeres , s'étoient rendues le matin chez Madame
Ifabelle .
La Nobleffe de l'Etat , les Seigneurs les plus
diftingués d'Italie , & l'Infant , étoient placés autour
de fon thrône , & rempliffoient douze Piéces
que traverfa M. le Prince de Lichtenftein , depuis
celle où s'étoient arrêtés fes Pages juſques à la
porte de la Salle de l'Audience.
Certe Salle eft , très-vaffe , & avoit été richement
& galamment ornée ; le dais de l'Infant étoit au
fond , vis-à-vis de la porte , par où entra M. le
Prince de Lichtenftein .
Au moment où ce Seigneur parut dans la Salle,
S. A. R. fe leva du fauteuil , ou il étoit affis , falua
M. le Prince de Lichtenftein & remit fon chapeau.
M.le Prince fe couvrit , & expola l'objet de fa
million..
OCTOBRE. 1760. r&'s
M. le Comte de S. Vital fut envoyé , avec deux
Gentilshommes de la Chambre , & deux Majordomes
prendre Madame Infante Ifabelle dans fon
appartement. Elle entra dans la Salle d'audience
par une porte pratiquée à côté du dais, précédée des
perfonnes qui avoient été envoyées pour la chercher
, & fuivie par Madame de Gonzales , Madame
la Comteffe de Siffa , & cing Dames du Palais.
M. le Prince de Lichtenſtein s'adreſſant à Madame
Infante Ifabelle , lui répéta la demande qu'il
avoit faite à S. A. R. Madame fe tourna du côté de
l'Infant , comme pour lui demander fon approbation
; après quoi elle répondit à M. le Prince de
Lichtenſtein , & reçut de lui une Lettre de la main
de l'Archiduc , & le portrait de ce Prince ; enfuite
elle fe retira dans fon appartement.
L'Infant & M. le Prince de Lichtenstein resterent
découverts , tout le tems que Madame Infante
Ifabelle refta dans la Salle .
M. le Prince de Lichtenftein préfenta à l'Infant
Les huit Chambellans de l'Empereur.
M. le Prince de Lichtenſtein forrit de l'audience
de l'Infant dans le même ordre qu'il yétoit entré ,
& marcha dans ce même ordre à celle du Prince
Ferdinand ; le cérémonial y fut obfervé comme à
celle de l'Infant.
M. le Prince de Lichtenstein paffa de cette audience
à celle de Madame Infante Ifabelle. Tour y
fut obfervé comme aux précédentes, excepté que M.
le Prince ne fe couvrit qu'un moment , ôta fon chapeau
, & refta découvert julques à ce qu'il fortît.
Il paffa à l'Audience de Madame Louife où tout
fut exactement obfervé comme à celle de Madame
Infante Iíabelle.
Il fut conduit enfuite dans l'appartement qui
lui avoit été préparé à la Cour , par M. de Palavicini,
M. l'Introducteur & le Maître des Cérémo186
MERCURE DE FRANCE.
nies.Il y fut fuivi par quantité de Nobleſſe .
M. de Lichtenſtein arrivé dans cet appartement
, y fut vifité par un Gentilhomme de la
Chambre de la part dé l'Infant.
Un moment après , M. le Comte de S. Vital ,
fur auffi lui annoncer que S. A. R. le faifoit
traiter. Il lui préſenta en même- tems le Majordome
, le Comte de S. Vital , le Capitaine des
Gardes , le Gouverneur du Prince Ferdinand ,
des Gentilshommes de la Chambre , le Maître
des Cérémonies , l'Introducteur , quatre Chambellans
de l'Empereur , M. le Marquis Canoffa , &
quelques autres perfonnes de la Nobleſſe du Pays ,
& Allemande.
M. Le Prince fut fervi par les Officiers de l'Infant
, propofés pour fervir S. A. R. à table :
toutes les autres perfonnes furent fervies par la
livrée de S. A. R.
On ne s'étoit mis à table qu'après que l'Infant
eut dîné.
Après le repas , M. de Lichtenſtein paſſa chez
l'Infant lui faire une vifite , & en fortit un moment
après pour retourner dans ſon appartement,
où il reçut des vifites.
Afept heures & demie , on paffa au Théâtre
pour voir l'Opéra. L'Infant & Madame Ifabelle
furent , avec leur Cour , dans la grande loge du
milieu , appellée la loge de la Couronne. M. le
Prince de Lichtenſtein étoit , avec quelques Scigneurs
de fa fuite , dans celle qui eft la plus près
du Théâtre à droite.
Trois Majordomes avoient été chargés par
l'Infant , de faire les honneurs du Théâtre où
tout fe paffa dans le plus grand ordre.
Le parterre & les loges étoient remplis de
toute la Nobleffe du Pays , & Etrangeres , qui
avoient pu y contenir.
OCTOBRE . 1760 . 187
Note des Perfonnes qui font venues à Parme ,
avec M. le Prince de Lichtenftein .
SCAVO I R.
Chambellans de
leurs Majeftés,
Impériales.
M. le Prince FRANÇOIS DE
LICHTENSTEIN , fon frére.
JEAN DE LICHTENSTEIN.
Le Comte ERNEST DE
KAUNITZ RITTBERG .
Son frere , DOMINIQUE DE
KAUNITZ..
Le Comte de LESTIER .
Le Comte de LAMBERG,
Le Comte BATHYANI.
Le Comte de PUTFFY .
Le Chevalier THOMASOLI . Majors deCava
M. BULDALSI . Slerie.
M. de LOCHENKHAL , Confeiller Aulique de
leurs Majeftés Impériales .
M. le Maréchal Comte BOTTA ADORNO .
M. le Comte de SÁLM .
M. le Comte de PAAR , Grand -Maître des Poftes.
Suite de la Relation de tout ce qui s'eft
paffé depuis.
L'Opera que l'on repréſenta , eft compofé de
trois Actes ; il eft intitulé les Fétes de L'Hymen
pour les nôces de LL. AA. RR. &c. il eft précédé
d'un Prologue.
Ce Prologue , qui a pour Titre le Triomphe de
PAmour , eft une querelle que les Dieux font à
l'Amour , fur les maux qu'il ne ceffe de faire
aux hommes . L'Amour convient de toutes ces
fauces, & obtient fon pardon en faveur de l'Union ,
qu'il vient de faire de la vertu & de la beauté,
188 MERCURE DE FRANCE.
Les fajets des trois Actes qui compofent l'Opéra
font féparés. C'est une licence que l'on a cru
devoir prendre à caufe du merveilleux & de la
galanterie qu'apportent avec eux des fujers fabuleux
& variés , qui femblent mieux convenir à la
Fête qu'on a célébrée .
L'Acte d'Aris eft le premier. L'Amour par ordre
du Deftin , ceffe d'être aveugle ; il jette fes premiers
regards fur Iris , & en devient amoureux ;
Iris le prend pour le Zéphire ; mais revenue de
fon erreur, elle en devient éprife , diffipe les nuages
qu'Aquilon jaloux lui oppofe fans ceffe , &
sunit à l'Amour pour rendre au monde les jours
les plus beaux & les plus fereins.
Le fecond Acte , eft celui de Sapho . Le Poëte
a feint cette dixiéme Muſe , amoureufe d'Alcée
celèbre Poëte Lyrique natif de Lesbos : il a
feint aufli Doris , fils de Neptune , amant de Sapho
, qui fe voyant préferer fon rival , a recours
a fon pére , & le prie de le vanger par la mort
de l'un & de l'autre. Neptune écoute les voeux
de fon fiis ; & par le fecours d'Eole , & des vents
fouléve tellement les eaux , que les habitans de
la campagne craignent d'ètre fubmergés : 1
paroît lui-même fur une vague qui s'élève beaucoup
au defius des autres ; menace de tour
inonder , fi dans une heure , Sapho n'eft pas fenible
à l'amour de fon fils il rentre dans le fein
de la mer , qui continue dans la plus grande
agitation .
Sapho invoque Apollon , & l'Amour. Une
Lyre defcend du Ciel attachée à des guirlandes
de fleurs ; un arc s'élève dans la Mer à l'endroit
où elle doit avoir fes bornes , & les lui marque
pour l'avenir.
Sapho prend la Lyre : à mesure qu'elle chante
les prodiges opérés par Apollon , & l'Amour ;
OCTOBRE. 1760. 189
la Mer fe calme & fe retire au lieu où elle
étoit avant le débordement ; remplie des infpirations
divines , & de l'enthousiasme poétique ,
elle voit dans l'avenir la fuitte nombreufe des
héros , dont elle doit célébrer l'alliance , annonce
le bonheur dont l'Univers doit jouir ; & par fon
mariage avec Alcée , accomplit le triomphe de
l'harmonie , & de l'amour.
Le troifiéme Acte eft intitulé Eglé. Cette Nymphe
eft amoureufe de Chromis ; Alcée fa compagne
l'eft de Lincée .Elles fe plaifent enſemble
à faire foupirer leurs Amants , en leur cachant
leur tendreffe ; enfin Eglé dit à Chromis qu'elle
l'aimera , lorfqu'elle verra les eaux d'un torrent
enchaînées ; Alcée promet à Lincée de l'aimer
quand Eglé aimera Chromis.
Ces deux jeunes Faunes , déſeſpérés , fe confultent
enſemble , & vont trouver Silene pour qu'il
les aide de fes confeils . Ce vieillard leur demande
où ils ont laillé Eglé & Alcée ; ils répondent
qu'elles font à cueillir des mûres pour lui
teindre le vifage, lorfqu'elles le trouveront endormi
. Silene confole les deux Faunes, leur ordonne
de ſe retirer , leur promet de les fervir , & fe
met fur un lit de gazon où il feint de dormir
en attendant les deux Nymphes. Elles arrivent
avec des guirlandes de fleurs , en enchaînent Si-
Lene qu'elles croyent endormi ; elles le pouffents
il feint de s'éveiller & montre de la colere :
mais bien-tôt après il leur conte la fable d'Acis
& Galatée. Au milieu de cette fable , il s'arrête
comme infpiré , & leur conſeille d'aller trouver
Prothée , de le furprendre endormi , & de l'enchaîner
fans s'épouvanter des différentes formes
qu'il prendra , parce qu'à la fin il parlera , & leur
apprendra des chofes merveilleules.
Elles remercient Silene , & le quittent pour al190
MERCURE DE FRANCE:
ler chercher Prothée ; Chromis & Lincée les accoma
pagnent. Elles le furprennent , l'enchaînent , &
ferrent toujours plus fes liens , à mesure qu'il change
de forme ; il fe change enfin en un Torrent
qui refte immobile : toutes les Nymphes admirent
ce prodige . Silene arrive , rapelle à Eglé le ferment
qu'elle a fait d'être à Chromis lorſqu'elle
verra enchaîner un torrent ; Eglé confent à être
unie à Chromis , & Alcée tient auffi fa parole à
Lincée ; les Faunes & les Nymphes applaudiffent
à cette union,& Silene; au lieu de finir la fable qu'il
fe fouvient d'avoir commencée , ordonne aux Faunes,
& aux Nymphes, de célébrer cet heureux jour,
en repréfentant par leurs danfes , les amours
d'Acis , & Galatée.
L'Italie a vû dans cette occafion renaître fur la
fcène les enchantemens , & la nouveauté de ce
fpectacle digne de l'admiration des étrangers , par
la magnificence , la vérité , & le bon goût qui eft
diftribué dans l'exécution de toutes ces parties. Les
machines employées aux différens prodiges amenés
par le Sujet , ont eu le plus grand fuccès ;
& le Théâtre actuellement difpofé par les machines
à recevoir tout ce que l'imagination peut fournir
de plus merveilleux , retracera chaque fois le
fouvenir de la fête pour laquelle il fert la premiere
fois.
Après l'Opéra l'Infant & Madame Infante Iſabelle,
furent à l'hôtel Palavicini où M. le Prince de
Lichtenſtein avoit fait préparer une Fête, à laquelle
toute la Nobleſſe fut invitée ; plufieurs tables furent
abondamment ſervies , ainſi que quantité de
rafraîchiffemens. On y danſa juſqu'au matin.
1
Le lendemain, M. le Prince de Lichtenſtein donna
un fuperbe dîner à tous les Miniftres étrangers ,
& à la Nobleffe la plus confidérable de l'Etat , &
Etrangere . Le foir il y eut Opéra.
OCTOBRE. 1760. Iol
Le Vendredi cinq , M. le Comte de Rochechouart
donna un grand dîner à M. le Prince de
Lichtenſtein & aux mêmes perfonnes qui avoient
dîné chez lui la veille . Il y eut Opéra le foir.
Le Samedi fix , M. de Lichtenſtein le Prince
dîna chez M. le Marquis de Revilla . Il y eut le foir
affemblée au Palais.
Le Dimanche ſept, jour fixé pour la Cérémonie
du Mariage , les Troupes prirent les Armes dès le
matin ; deux bataillons du Régiment de Parme &
quatorze Compagnies de Grenadiers borderent
les rues par où le Cortége devoit paffer.
Six cens Carabiniers formèrent quatre eſcadrons
fur la place , deux defquelles y retterent , jufques
après que le cortége y eut paffé ; les deux autres
furent repartis pour fermer toutes les rues qui
viennent aboutir à celles par où les Princes pafferent:
chaque troupe étoit formée fur deux rangs ,
à trente pas derriere l'Infanterie qui occupoit le
débouché de la rue.
" L'Eglife Cathédrale , où fe fit la cérémonie ,
étoit magnifiquement décorée. Les Peintures du
Corrége , & des autres excellents Maîtres dont ce
vafte Edifice fe trouve orné dans les voutes , &
dans les frifes , donnant des bornes à la richeffe
de la décoration projettée pour cette Augufte cérémonie
; on fut obligé de fe contenter d'orner
les pilaftres , les arcades , & les baffes nefs de damas
cramoifi à fleurs , enrichis de grandes lames
d'étoffes d'argent , de deux pieds de large; lefquelles
interrompoient fymétriquenient , d'espace
en efpace, le cours du damas d'une maniere agréable
& gracieufe; les impoftes fur lesquelles repofent
les arcades , étoient entourées d'une riche
pente du même damas , pliffée & terminée par
une frange d'or , ainfi que les rideaux qui ornoient
le dedans des arcades , & qui étoient retrouffés
192 MERCURE DE FRANCE.
vers l'impofte , pour donner lieu de découvrir la
décoration des chapelles , & des nefs laterales . Aux
deux côtés de la porte de lagrande nef étoient deur
orcheftres , parées dans le même goût que le refte
de l'Eglife : elles étoient remplies de trente Muficiens
que l'on avoit fait venir pour jouer des
fanfares , depuis le moment où les Princes defcen➡
dirent de carolles , juſqu'a celui où ils furent entrés
dans le fanctuaire ; les deux tribunes qui fe'
trouvent près du Maître Autel , étoient remplies
des Muficiens de la Chambre de S. A. R. qui exé-'
cuterent fupérieurement d'excellentes fymphonies
à deux choeurs.
Le Maître-Autel , beaucoup plus étendu qu'à
l'ordinaire , le trouvoit richement paré d'étoffe
d'or , & couvert d'une quantité de lumieres . Du
côté de l'Evangile , étoit le dais de S. A. R. du
côté de l'Epitre , étoit la Cathetra , deftinée pour
l'Evêque de Plaifance , qui devoit faire la cérémonie.
Au milieu du Sanctuaire , qui étoit couvert de
tapis de la Savonerie , étoit un prie- Dieu , cou-'
vert d'un grand tapis de velours cramoihi galonné
d'or , ainfi que trois couffins , qui étoient pofés
au bas.
Les latereaux du Sanctuaire , furent remplis
par un nombre infini de Nobleffe. Aux deux côtés ,
en face du Maître - Autel , étoient deux grands parquets
décorés dans la même ordonnance de l'Eglife
, l'un defquels étoit deftiné pour tous les
Miniftres Etrangers , l'autre pour les Dames de
la premiere diftinction .
Le Sanctuaire étoit gardé par les Gardes du
Corps de S. A. R. le veftibule du Sanctuaire ainfi
que les degrés qui defcendent à la grande nef
& toute cette nef jufqu'à la porte de l'Eglife
étoir bordée par la garde des Hallebardiers
Royaux. M.
OCTOBRE. 1760.
M.Je Prince de Lichtenſtein partit à 11 heures de
195
l'Hôtel Palavicini où il étoit logé pour le rendre à
la Cathédrale,fon cortége marchoit dans le même
ordre que le jour de fon Audience publique ; il fut
reçu à la porte de L'Eglife par le Chapitre qui le
complimenta. Sa Livrée entra dans la nef du milieu
& fe rangea des deux côtés devant les Hailebardiers
Royaux.
Pendant ce tems- là le cortége de la Cour s'étoit
mis en mrcche dans l'ordre fuivant.
Quarante Hallebardiers Royaux ouvroient la
marche ; la mufique de cette Compagnie étoit à
la tête.
Le Commandant de l'Ecurie & deux Officiers
de l'Ecurie à cheval , quatre Palfreniers les fuivoient
à pied .
I caroffe à fix chevaux pour le Maître des
Cérémonies & trois
Majordomes.
I caroffe à fix chevaux , quatre Gentilshommes
de la Chambre.
I caroffe à fix chevaux, quatre Dames du Palais.
I caroffe à fix chevaux , quatre Dames du Palais.
I caroffe àfix chevaux , quatre
Gentilshommes
de la Chambre.
I caroffe à 8 chevaux. Le Gentilhomme de la
Chambre de fervice à l'Infant.
Le premier Ecuyer , le Majordome de ſervice.
I caroffe à huit chevaux . Le ſervice de Madame
Infante Ifabelle.
Les trompettes & timballes des Gardes du
Corps , avec feize Gardes.
1 caroffe à huit chevaux , l'Infant.
Le Capitaine des Gardes , le Grand Ecuyer.
I caroffe à 8 chevaux ,¡Madame InfanteÏfabelle,
Madame de Gonzales , Madame de Siſſa .
La Compagnie des Gardes du Corps ayant à
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
leur tête le Lieutenant , l'Enſeigne , & huic
Exempts.
2 caroffes de refpect vuidės , attelés à 8 chevaux.
I caroffe à fix chevaux , quatre Gentilshommes
de la Chambre.
Tous les Pages marchoient à pied aux deux côtés
des caroffes des Princes .
On arriva dans cet ordre à la porte de l'Eglife :
on marchoit lentement pour donner aux perfonnes
qui étoient dans les caroffes qui précédoient
ceux des Princes , le temps de defcendre .
M.le Prince de Lichtenſtein attendoit à la porte
de l'Eglife.
Pendant que l'Infant defcendoit de fon carolle,
Le Maître desCérémonies fut prendre M.le Prince
Liechtenſtein & le conduifit à la portiere du caroffe
de Madame Infantelfabelle . L'Infant s'en aprocha
auffi & reçut la main droite de Madame fa fille en
defcendant du caroffe;M. le Prince reçur la main
gauche.
Ils marcherent ainfi jufqu'au prie- Dieu qui fe
trouvoit dans le Sanctuaire en face du Maître-
Autel , où ils fe mirent à genoux fur les couffins
qui étoient au bas de ce prie- Dieu. L'Infant occupa
celui de la droite ; Madame Ifabelle celui
du milieu ; M. de Lichtenſtein celui de la gauche.
Ils fe leverent un moment après , & s'approcherent
des degrés de l'Autel ; l'Evêque déranda
à M. le Prince s'il avoit le pouvoir d'épouler Mae
InfanteIfabelle, au nom de l'Archiduc Jofeph ; fes
Pouvoirs furent lus à haute voix par un Secretaire
impérial , après quoi le Chancelier de l'Evêché
lutauffi à haute voix la Difpenfe du Pape .
Le refte de la Cérémonie fut exécutée ſuivant le
Rituel ordinaire de l'Eglife , excepté que l'anneau
fut préfenté à Madame l'Archiduchelle par M. le
Prince de Lichtenftein , fur une foucoupe , & qu'elle
le mit elle-même à fon doigt.
OCTOBRE. 1760.
195
Après cette cérémonie , Madame l'Archiducheffe
retourna au Pri - Dieu , ayant toujours M.
de Lichtenſtein à la gauche. Après une courte
priere , les Princes fe remirent en marche pour
fortir de l'Eglife dans le même ordre qu'ils y
étoient entrés ; l'Infant & M. de Lichtenttein
donnerent la main à Madaine
l'Archiducheffe
pour monter dans fon carolle , l'Infant monta
dans le fien , & M. le Prince fut joindre les
équipages qui l'attendoient à une des portes latérales
de l'Eglife.
l'on
On le mit en marche pour retourner au Palais
par un chemin plus long que celui
avoit fait en venant du Palais à la Cathédrale
que
afin que tout le Peuple , & une quantité prodigieufe
d'Etrangers qui s'étoient rendus à Parme
pullent voir la magnificence , de cette marche.
Le Cortége de M. le Prince de Lichtenſtein
précédoit celui de la Cour , de 60 ou 80 pas . Les
Troupes qui bordoient les rues lui préfenterent
les armes , les tambours rappelloient , & les
Officiers le faluerent du chapeau .
Pendant l'efpace qui étoit entre le caroffe de
M. de Lichtenftein & celui de l'Infant , l'Infanterie
mit la bayonnette au bout du fufl. Lorsqu'ils
pafferent , on préſenta les armes , les tambours
battirent au champ , & les Officiers faluerent de
l'eſponton .
M. de Lichtenſtein defcendit à la porte du Palais
pour y attendre Madame l'Archiducheſſe ;
l'Infant aufuôt arrivé defcendit de fon caroffe ,
& s'avança à la portiere de celui de Madame
l'Archiducheffe fa fille pour lui donner la main.
Elle fut conduite à ſon
appartement par l'Infant
& M. de Lichtenftein toujours dans l'ordre
obfervé
précédemment , c'eft à dire l'Infant à
fa droite , & M. de Lichtenſtein à la gauche ;
I j
196 MERCURE DE FRANCE.
yne quantité prodigieufe de Nobleffe rem pliffoit
le Palais .
S. A. R. l'Infant fe retira dans fon appartement
, après avoir reſté un moment dans celui
de la fille ; qui , après que l'Infant fut retiré
donna fa main à baifer à tous les Sujets de la
Maifon d'Autriche qui fe trouverent préfens.
L'heure du repas étant arrivée , le Maître des
Cérémonies fut avertir l'Infant , & marcha devant
lui jufques à l'appartement de Madame
l'Archiducheffe , où S. A. R. s'étoit propofée de
l'aller prendre pour la conduire à la table de
nôces.
2
Cette table étoit préparée dans la falle d'audience
, de façon que les trois fiéges fe trouvoient
fous le dais ; il n'y avoit pas de fauteuil ,
mais trois chaifes à dos parfaitement égales.
Madame l'Archiducheſſe entra dans la falle &
fut conduite à table par Monfeigneur l'Infant à
qui elle donnoit la main droite , & M. le Prince
de Lichtenſtein à qui elle donnoit la main gauche
; elle fe plaça au milieu , l'Infant à fa droite ,
& M. de Lichtenftein à fa gauche ; le Maître des
Cérémonies avoit toujours précédé les Princes jufques
à la table.
M. le Comte de S. Vital , Gouverneur de la
Maifon de S. A. R. avec tous les Majordomes ,
excepté celui qui étoit de fervice , furent prendre
lés plats au buffet , & les apporterent ſur la table
dans l'ordre ci-après.
L'Huifier des viandes entre deux Gardes du
Corps , la carabine fur l'épaule : les Gardes s'arrêterent
à la porte de la falle .
Le Maître des Cérémonies marchoit feul quatre
pas après l'Huiffier des viandes.
Douze Pages , portant chacun un plat.
Six Majordomes , portant chacun un plat.
OCTOBRE. 1760. 197
M. le Comte de S. Vital , marchant feul immédiatement
après ,
Le Contrôleur de la Bouche.
Quatre Gardes du Corps la carabine fur l'épaule
, qui fe font arrêtés au même endroit que
les deux premiers.
Le Majordome de fervice prit les plats des
mains des autres Majordomes , & des Pages , &
les arrangea fur la table. Pendant ce temps ,
M. de S. Vital fut fe mettre derriere les Princes
pour fervir Madame l'Archiducheffe , il lui ap
procha fa chaife , celle de l'Infant fut approchée
par un Majordone , & celle de M. le Prince de
Lichtentein par un Gentilhomme de la Maiſon
de S. A R. Madame l'Archiducheffe fut fervie
par M. de S. Vital , l'infant le fut à l'ordinaire
par le entilhomme de la Chambre de fervice ,
& M. le Prince de Lichtenſtein par un Gentilhomme
de la Maiſon.
Ce repas fut fervi avec toute la magnificence
& tout le goût imaginable.
Au fortir de table , Madame l'Archiducheffe
fut reconduite dans fon appartement dans le mê -
me ordre qui avoit été observé en venant à table.
Il n'y eut plus rien jufqu'au foir.
L
Toute la Nobleffe étoit invitée de fe rendre à
huit heures du foir au Palais du Jardin , pour de
là , voir tirer un feu d'artifice , & voir en même
temps une fuperbe illumination difpofée dans le
Jardin . L'ordonnance en étoit riche & galante.
Le Palais du jardin fut dès fept heures rempli
d'un grand nombre de Nobleffe. M. le Prince de
Lichtenftein s'y rendit à fept heures & demie. Le
Prince Ferdinand & Madame Louife , s'y rendirent
peu après , & l'Infant & Madame l'Archiduchefle
y arriverent à huit heures précifes.
Le feu d'artifice fut appliqué à un monument
· Iiij
198 MERCURE DE FRANCE.
Hlevé au milieu d'une très- grande place dans le
jardin de Parme , & faifoit face au Palais où les
Princes fe tranfportérent pour en voir l'effet .
Il repréfentoit l'union de l'Amour & de l'hymen
dans le Temple de Minerve. Ce Temple
étoit élevé fur un grand fondement amtique , dont
la forme étoit ovale , de quatre - vingt - dix - huit
pieds de longueur , fur foixante- quatre pieds de
large ; un grand focle de porphyre , comprenant.
dans fa hauteur les gradins qui formoient les deux
entrées principales du Temple , s'élevoit au-delfus
de ce fondement , & contournoit la baſe de ce
monument , qui étoit orné de vingt- quatre colonnes
d'ordre Dorique entourées de guirlandes
de fleurs. Il avoit quatre faces égales , & fes angles
étoient flanqués de quatre pyramides ifolées
dédiées aux Arts & portant leurs attributs en trophées.
Ces Pyramides étoient environnées de quatre
colonnes du même ordre , formant des avantcorne
à jour , rachetés fur les angles du quarré
du Temple , en forme de tours ou de baftions.
L'entablement étoit décoré de guirlandes de
fleurs dans la frife , & les quatre avant- corps. de
colonnes qui couvroient les Pyramides , foutenoient
fur chaque face des médaillons , en tout au
nombre de ſeize , moitié appuyés ſur la frife &
l'architrave de cet ordre , & moitié tombant dans
le vuide de l'entre- colonne. Ils repréſentoient
des tableaux où étoient peintes les qualités vertueufes
de l'Archiduc & de Madame Iſabelle
comme la nobleffe , la magnanimité , la Majesté
Royale , la libéralité , la jeunelle , la beauté , la
bonté , la clémence , la fécondité , la douceur ,
l'amour de la gloire , l'amour de la Patrie , l'amour
des Sciences , l'amour des Arts , l'enjoûment
& l'affabilité .
Au- deffus des quatre tours des Colonnes , s'élevoir
OCTOBRE. 1760. 199
au milieu des trophées Militaires, un piédeftal portant
des renommées,fur les quatre portes ou Arcades
de ce Temple étoient les Écuffons de l'Archiduc
& de Madame Ifabelle , au milieu de deux
vales ,de Parfums , & appuyé fur le focle qui couronnait
la Corniche .
Au -dellus de ce Socle, dont le plan étoit quarré
comme le Temple , s'élevoit une attique ronde
en forme de Piédeftal couronnée d'un dôme ouvert
par le haur & décoré de guirlandes de fleurs .
Ce Piédeſtal fervita porterautour dela Naillance
du dôme 12 Figures réprefentant les Jeux , les
Ris, & les Plairs , danfant & formant une chaîne
de guirlandes autour de ce monument.
Les quatre portes du Temple étoient décorées &
comme gardées par huit Figures repréſentantes la
vigilance , la dignité , l'Intelligence , la pureté ,
le filence , la douceur , & le courage , qui compo.
fept enfemble toutes les vertus qui caractérisent.
la fagelle.
Au milieu de ce temple dont la forme intérieure.
étoit octogone rachetant une voûte ronde & farbaillée
, étoit la Figure de Minerve fur différens
plans de quées , réuniffant entre fes bras les Figures
de l'Amour & de l'Hymen.
Sur les deux aîles du focle qui joignoit toute la
longueur du fondement ovale , & qui comprenoit
toute la hauteur des perrons , étoient de chaque
côté les autels de l'Amour & de l'Hymen .
Quatre fontaines de feu élevées fur des rochers
qui fortoient de terre contribuoient à la richeſſe de
la bafe de ce monument , en même tems qu'elles
augmentoient l'effet des différens tableaux de feu
qui fortoient de cet édifice deftiné à faire éclater
la joie publique que procure cet événement.
L'Illumination générale de cette machine d'Artifice
fur accompagnée de deux Phénomènes qui
I iv
200 MERCURE DE FRANCE
fe voyoient à droite & à gauche à une certaine dif :
tance du feu & comme dans le lointain. Ils montroient
chacun le Globe du Monde tranfparent
d'un diamètre confidérable , environnés dans l'air
d'un cercle de feu , en figne de l'allégreffe que
qu'infpire à tout l'Univers cet Augufte Mariage
. Une grande quantité de fufées fortoient
également de derriere ces Phénomènes , & formoient
en l'air des Bouquets qui , dirigés pour fe
réunir ſur le ſommer du Temple , conftruifoient
une voute de feu , qui le couvroit continuelle
ment.
Tout ce Spectacle étoit accompagné d'une illumination
générale dans le jardin ; les terraffes décorées
d'ifs , de girandoles & de cordons de lu
mieres hautes & baſſes ; les miroirs de feu , les
pots à-feu formant des cordons élevés , toutes les
allées éclairées fur différens deffeins , & l'illumination
de toute la façade du Palais qui fait face
l'entrée de ce jardin , auffi bien que les différen
tes avenues en étoile , qui y conduifent ; enfin
rien ne fut oublié pour rendre cette Fête augufte
& digne de fon Souverain.
Après le feu d'artifice , l'Infant & Madame
l'Archiducheffe furent fouper. Pendant ce tems
toute la Nobleffe fe ren lit au Théâtre , que l'on
avoit préparé pour y donner un Bal mafqué.
On avoit élevé le Parterre à la hauteur du plane
cher du Théâtre , & l'on avoit pratiqué fur ce
même Théâtre , des Loges folides , femblables à
celles de la Salle ; de façon que le Theâtre &
le Parterre ne faifoient qu'une grande Salle
ovale , applatie par les flancs , & toute entourrée .
de trois rangs de Loges les unes fur les autres ;
cette Salle étoit ornée de guirlandes de fleurs , &
gazes bleues & argent , qui fe rattachoient galamment
aux montants qui feparent les Loges , &
de
OCTOBRE. 1760. 201
qui tomboient en feftons fur les appuis des Loges ,
d'une maniere agréable & pleine de goût ; elle
étoit éclairée par une quantité de luftres de cryftal
ornés de guirlandes de petites fleurs , & par
des bras de cryftal ornés de même , appliqués contre
les appuis des Loges des rangs fupérieurs ; c'étoit
à ces bras que venoient s'attacher les guirlan
des de fleurs , qui ornoient le devant des Loges .
On entroit dans cette Salle par la Loge de la couronne
qui s'avance fur le Parterre , comme les
Amphithéâtres employés en France dans les Salles
des Spectacles ; on en avoit coupé l'appui par
devant , & on defcendoit de-là dans le corps de la
Salle par quatre degrés couverts de tapis de Turquie.
Toutes les Loges étoient remplies , tant celles
pratiquées fur le Théâtre que celles de la Salle ,
pår une grande quantité de Dames & de Cavaliers
ment parés.
Madame l'Archiducheffe étant arrivée , on ouvrit
le Bal par une Allemande , où douze perfonnes
danferent enſemble : Madame l'Archiduchefe
donnoit la main au Prince François , neveu de M.
le Prince de Lichtenſtein . On danſa jufqu'à quatre
heures du matin ; & pendant tout le tems que
durat le Bal , les Officiers de la maiſon de l'Infant
fervirent abondamment de toutes fortes de rafraîchiflemens.
Tout fe paffa avec beaucoup d'ordre ,
& tout le monde fortit extrêmement fatisfait.
Le lendemain 8 , M. le Prince de Lichtenſtein
prit fon Audience de congé ; tout fut obſervé à
cette Audience comme à celle de la demande ,
excepté que l'Introducteur , le Maître des Cérémonies
, & M. le Marquis Palavicini , furent pren .
dre.M. le Prince dans l'Appartement qu'il occupoit
à la Cour ; & que M. de Lichtenſtein , en
fortant de l'Audience de l'Infant , fur à celle de
I v
200 MERCURE DE FRANCE
fe voyoient à droite & à gauche à une certaine dif
tance du feu & comme dans le lointain. Ils mon
troient chacun le Globe du Monde tranſparent
d'un diamètre confidérable , environnés dans l'air
d'un cercle de feu , en figne de l'allégreffe que
qu'infpire à tout l'Univers cet Augufte Mariage.
Une grande quantité de fufées fortoient
également de derriere ces Phénomènes , & formoient
en l'air des Bouquets qui , dirigés pour fe
réunir fur le fommer du Temple , conftruifoient
une voute de feu , qui le couvroit continuelle
ment.
Tout ce Spectacle étoit accompagné d'une illu
mination générale dans le jardin ; les terraffes décorées
d'ifs , de girandoles & de cordons de lu
mieres hautes & balles ; les miroirs de feu , les
pots à- feu formant des cordons élevés , toutes les
allées éclairées fur différens deffeins , & l'illumination
de toute la façade du Palais qui fait face à
l'entrée de ce jardin , auffi bien que les différen➡
tes avenues en étoile , qui y conduifent ; enfin
rien ne fut oublié pour rendre cette Fête auguſte
& digne de fon Souverain.
Après le feu d'artifice , l'Infant & Madame :
l'Archiducheffe furent fouper. Pendant ce tems
toute la Nobleffe fe ren lit au Théâtre , que l'on
avoit préparé pour y donner un Bal mafqué.
On avoit élevé le Parterre à la hauteur du plan
cher du Théâtre , & l'on avoit pratiqué fur ce
même Théâtre , des Loges folides , femblables à
celles de la Salle ; de façon que le Theâtre &
le Parterre ne faifoient qu'une grande Salle
ovale , applatie par les flancs , & toute entourrée
de trois rangs de Loges les unes fur les autres ;
cette Salle étoit ornée de guirlandes de fleurs , &
de gazes bleues & argent , qui fe rattachoient galamment
aux montants qui feparent les Loges , &
OCTOBRE. 1760. 201
qui tomboient en feftons fur les appuis des Loges ,
d'une maniere agréable & pleine de goût ; elle
étoit éclairée par une quantité de luftres de cryftal
ornés de guirlandes de petites fleurs , & par
des bras de cryftal ornés de même , appliqués contre
les appuis des Loges des rangs fupérieurs ; c'étoit
à ces bras que venoient s'attacher les guirlan
des de fleurs , qui ornoient le devant des Loges.
On entroit dans cette Salle par la Loge de la couronne
qui s'avance fur le Parterre , comme les
Amphithéâtres employés en France dans les Salles
des Spectacles ; on en avoit coupé l'appui pardevant
, & on defcendoit de -là dans le corps de la
Salle par quatre degrés couverts de tapis de Tur
quie.
Toutes les Loges étoient remplies , tant celles
pratiquées fur le Théâtre que celles de la Salle ,
par une grande quantité de Dames & de Cavaliers
ment parés.
Madame l'Archiducheffe étant arrivée , on ouvrit
le Bal par une Allemande , où douze perfonnes
danſerent enſemble : Madame l'Archiduchele
donnoit la main au Prince François , neveu de M.
le Prince de Lichtenſtein . On danſa jufqu'à quatre
heures du matin ; & pendant tout le tems que
durat le Bal , les Officiers de la maiſon de l'Infant
fervirent abondamment de toutes fortes de rafraîchiflemens.
Tout fe paffa avec beaucoup d'ordre ,
& tout le monde fortit extrêmement fatisfait.
Le lendemain 8 , M. le Prince de Lichtenftein
prit fon Audience de congé ; tout fut obfervé à
cette Audience comme à celle de la demande 9
excepté que l'Introducteur , le Maître des Cérémonies
, & M. le Marquis Palavicini , furent pren .
dre.M. le Prince dans l'Appartement qu'il occupoit
à la Cour ; & que M. de Lichtenſtein , en
fortant de l'Audience de l'Infant , fur à celle de
1 ་
200 MERCURE DE FRANCE
fe voyoient à droite & à gauche à une certaine dif
tance du feu & comme dans le lointain. Ils montroient
chacun le Globe du Monde tranfparent , '
d'un diamètre confidérable , environnés dans l'air
d'un cercle de feu , en figne de l'allégreffe que
qu'infpire à tout l'Univers cet Augufte Mariage
. Une grande quantité de fufées fortoient
également de derriere ces Phénomènes , & formoient
en l'air des Bouquets qui , dirigés pour fe
réunir fur le fommet du Temple , conftruifoient
une voute de feu , qui le couvroit continuelle
ment.
Tout ce Spectacle étoit accompagné d'une illu
mination générale dans le jardin ; les terraffes décorées
d'ifs , de girandoles & de cordons de lu
mieres hautes & baffes ; les miroirs de feu , les
pots à-feu formant des cordons élevés , toutes les
allées éclairées fur différens deffeins , & l'illumination
de toute la façade du Palais qui fait face à
l'entrée de ce jardin , auffi bien que les différen
tes avenues en étoile , qui y conduifent enfin
rien ne fut oublié pour rendre cette Fête augufte
& digne de fon Souverain.
Après le feu d'artifice , l'Infant & Madame
l'Archiducheffe furent fouper. Pendant ce tems
toute la Nobleffe ſe ren fit au Théâtre , que l'on
avoit préparé pour y donner un Bal maſqué .
On avoit élevé le Parterre à la hauteur du plan
cher du Théâtre , & l'on avoit pratiqué fur ce
même Théâtre , des Loges folides , femblables à
celles de la Salle ; de façon que le Theâtre &
le Parterre ne faifoient qu'une grande Salle
ovale , applatie par les flancs , & toute entourrée
de trois rangs de Loges les unes fur les autres ;
cette Salle étoit ornée de guirlandes de fleurs , &
de gazes bleues & argent , qui fe rattachoient galamment
aux montants qui ſéparent les Loges , &
OCTOBRE. 1760. 201
qui tomboient en feftons fur les appuis des Loges ,
d'une maniere agréable & pleine de goût ; elle
étoit éclairée par une quantité de luftres de cryftal
ornés de guirlandes de petites fleurs , & par
des bras de cryſtal ornés de même , appliqués contre
les appuis des Loges des rangs fupérieurs ; c'étoit
à ces bras que venoient s'attacher les guirlandes
de fleurs , qui ornoient le devant des Loges.
On entroit dans cette Salle par la Loge de la couronne
qui s'avance fur le Parterre , comme les
Amphithéâtres employés en France dans les Salles
des Spectacles ; on en avoit coupé l'appui pardevant
, & on defcendoit de -là dans le corps de la
Salle par quatre degrés couverts de tapis de Turquie.
Toutes les Loges étoient remplies , tant celles
pratiquées fur le Théâtre que celles de la Salle
pår une grande quantité de Dames & de Cavaliers
ment parés.
Madame l'Archiducheſſe étant arrivée , on ouvrit
le Bal par une Allemande , où douze perfonnes
danferent enſemble : Madame l'Archiduchele
donnoit la main au Prince François , neveu de M.
le Prince de Lichtenftein . On danſa jufqu'à quatre
heures du matin ; & pendant tout le tems que
durat le Bal , les Officiers de la maiſon de l'Infant
fervirent abondamment de toutes fortes de rafraîchiflemens.
Tout fe paffa avec beaucoup d'ordre ,
& tout le monde fortit extrêmement fatisfait.
Le lendemain 8 , M. le Prince de Lichtenftein
prit fon Audience de congé ; tout fut obfervé à
cette Audience comme à celle de la demande ,
excepté que l'Introducteur , le Maître des Cérémonies
, & M. le Marquis Palavicini , furent pren .
dre.M. le Prince dans l'Appartement qu'il occupoit
à la Cour ; & que M. de Lichtenſtein , en
fortant de l'Audience de l'Infant , fut à celle de
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Madame l'Archiducheffe , avant d'être conduit à
celle du Prince Ferdinand.
Après l'Audience de Madame Louife , M. le
Prince , au lieu de retourner dans fon appartement
a la Cour , defcendit par le grand efcalier ,
& fut monter dans fon Caroffe qui l'attendoit a la
porte du Palais , pour le ramener à l'Hôtel Palavicini
.
Le Maître des Cérémonies l'accompagna juf
qu'au bas de l'efcalier , M. de Palavicini & M.
Introducteur jufques à la portiere de la voiture ,
qui ne fur fermée que quand ces Meffieurs fe futent
retirés.
Le foir , il y eut Opéra.
Le 9. l'Infant fut dîner chez M. de Lichtenſtein.
Lé foir , il y eut Opéra.
Le to M. le Prince de Lichtenſtein dina chez M.
Dutillot , & partit après dîner pour Cafalmajor.
Le foir , il y eut Aflemblée au Paļais .
Le 11. au matin tous les Corps de l'Etat , le
Militaire , la Nobleffe , & la Maifon de S. A R.
eurent l'honneur de baifer la main à Madame
l'Archiducheffe .
Il y eut Opéra , le ſoir.
Le .les Princes n'ont reçu perfonne .
Le 13. S. A. R. Madame l'Archiducheffe partit
à dix heures du matin pour le rendre à Cafalmajor:
elle y a été accompagnée par Madame de
Gonzales , Madame de Silla , quatre Dames du
Pálais , des Majordomes , & huit Gentilshommes
de la Chambre ; elle étoit faivîe d'un nombre de
Pages , d'Ecuyers , de fon premier fervice , & defon
fervice du fecond Ordre , du Commandant de
l'Ecurie de deux Officiers des Ecuries , du Sellier >
du Maréchal , du Charron & de 24 Palfreniers à
Cheval;elle étoit éfcortée par des Gardes du Corps.
Les rues par lesquelles elle a pallé, étoient bordées
OCTOBRE , 1760. 203
de troupes , on avoit difpofé des Détachemens de
Cavalerie & d'Infanterie fur différens endroits de
la roure.
Des Bataillons Provinciaux , fix Compagnies de
Grenadiers, un Bataillon du Régiment de Parme ,
& les deux Compagnies de Grenadiers de inême
Régiment, étoient difpofées fur les bords du Pô ,
en deçà de la tête du Pont. Elle y a trouvé des
Elcadrons de Gardes du Corps & de Cavalerie. Elle
eft arrivée à Cafalmajor à midi & deux minutes.
M. le Comte de S. Vital eft chargé de la Cérémonie
de la remife , un Secrétaire du Cabinet de
l'Acte de certe ' remiſe .
S. A. R. s'arrête demain à Cafalmajor pour y
donner la main à bailer aux Deputés de la Lombardie
Autrichienne , aux Chambres Souveraines ,
& à la Nobleffe. Le lundi elle ira à Mantoue, où elle
s'arrêtera encore un jour, pour un objet ſemblable.
De l'Armée aux ordres du Maréchal de Daun ,
le 7 Septembre.
Le Roi de Pruffe ayant voulu occuper le pofte
de Nieder-Arnsdorff , & fe trouvant prévenu par
le Général Beck , détacha trois Régimens , avec
quelques pieces d'Artillerie , pour en déloger nos
troupes. Ils attaquèrent ce pofte avec beaucoup
de vivacité ; mais le Baron de Beck eut le tems
de faire foutenir les Volontaires de Siléfie , qui
Foccupoient , par deux Bataillons de Waradins,
& le Comte de Daun détacha , de fon côté , dans '
le méme deffein , trois Bataillons de Grenadiers.
Au moyen de ce fecours , les Pruffiens furent re
pouffés ; & après une attaque de trois heures, ils
fe retirèrent avec une perte confidérable . On ne
peut pas l'évaluer à moins de fept à huir cens
Bommes.› ant tués que bleffés. La nôtre eft de
I vi
204 MERCURE DE FRANCE.
trois cens hommes. Depuis , le Roi de Pruffe ayant
voulu gagner Landshut , le Maréchal de Daun
fit une marche qui arrêta ce Prince , & le Comte
de Lafcy a pris pofte à Landshut & fur les hauteurs
voifines. Depuis , il ne s'eft rien paſſé de
confidérable .
De l'Armée de l'Empire , le 16 Septembre.
>
>
Nous attaquames , ' le 1o , avec fuccès , quelques
poftes avancés des ennemis. Ils fe repliérent avec
précipitation jufques fous le canon de leurs retranchemens
de Torgau. On reconnut , par ce
moyen , de fort près leur pofition . Le +1 les
ennemis attaquérent , à leur tour , vers le foir
nos poftes avancés ; mais on leur oppofa une
vigoureuſe réſiſtance & ils fe retirerent après
une heure d'attaque infructueufe. Le Prince de
Deux- Ponts a fon Quartier à Strehla où la droite
de l'Armée eft appuyée , & la gauche eft à Doberschitz
. Le Corps de réſerve eft entre Schilda
& Profthayn , & les Troupes légères occupent les
Bois & les Villages que nous avons en avant d'ici
à Torgau.
I
>
Le Prince de Deux-Ponts , informé de l'arrivée
du Duc de Wirtemberg dans les environs de Hall ,
lui dépêcha , le 1 ,, le Général d'Infanterie Baron
de Haddick , pour concerter les opérations du
refte de la Campagne. Le Général Lucfinsky occupe
Duben & fes environs.
De HAMBOURG , le 10 Septembre.
L'Armée Suédoiſe , qui campoit depuis quel
ques curs à Strasbourg , petite Ville de l'Ucker-
Marck ,, s'ébranla le trois de ce mois. A l'ap-
J
OCTOBRE. 1760 205
proche des Suédois , les Pruffiens abandonnerent
leurs poftes & fe retirerent du côté de Prentzlow
. Le Colonel de Sparre avec ſa Cavalerie ,
fe mit à la pourfuite d'un corps ennemi ; il atteignit
quatre cens cinquante Dragons & Huffards qu'il
nrit en déroute; le Baron de Wrangel à la tête d'un
corps d'Infanterie & de Cavalerie , attaqua auffi.`
le corps Pruffien , & il prit cent- quarante trois
hommes & quatre Officiers , parmi lesquels étoit
le Major de Kalckstein ' , Commandant de ce
Corps.
Le Colonel de Klinpfor fit une troifiéme attaque,
qui cut d'abord le plus grand fuccès. Il renverfa
avec deux Eſcadrons le Bataillon de Dohna
mais les Pruffiens étant revenus avec des forces
fupérieures , dégagérent ce Bataillon , & le Colonel
de Klinpfor refta prifonnier avec cinquante
à foixante Soldats & quelques Officiers , la plûpart
griévement bleffés. Les Suédois ont eu , dans
ces différens chocs , une centaine d'hommes tués ,
bleffés ou prifonniers. Les Pruffiens ont perdu environ
deux cens hommes qui ont été pris , fans
compter les morts , dont le nombre eft au moins
égal .
- L'Armée Suédoife ſe remit le 6 en mouvement,
de Werbelow. Elle marcha le long de la Rive
gauche de l'Ucker , fur Prenzlow , Les Pruffiens
avoient pris une pofition avantageuſe en avant
de cette Ville ; mais ils l'abandonnerent à l'approche
des Suédois . Le Baron de Lantingshauſen
envoya fommer le Commandant de Prenzlow
de rendre cette place ; & fur fon refus , il ordonna
l'attaque. Les deux portes de Beflin & d'Anclam
furent forcées , les Pruffiens firent leur retraite
avec précipitation , on leur a fait plus de cent
Priſonniers , & les Suédois n'ont eu qu'un homme
tué & un petit nombre de bleſſés . Quoique cette
206 MERCURE DE FRANCE.
Ville ait été prife de force , le foldat Suédois a
obfervé la plus exacte difcipline.
Les troupes Suédoifes employées en Pomeranie,
confiftent en dix-fept Bataillons , & en quarantedeux
Eſcadrons. Six autres Bataillons ont été laiſfés
pour veiller à la fureté de Daungarten , de
Triblés , de Gutzkow & de Wolgaft.
De RATISBONNE le 20 Septembre.
Le Corps de troupes du Duc de Wirtemberg
campe actuellement dans les environs de Hall.
Ce Prince fit fommer , le 10 de ce mois , le Commandant
Pruffien de Leipfick de fe retirer de cette
place. Ce Commandant répondit qu'il avoit ordre
du Roi fon Maître de la défendre juſqu'à
la derniere extrémité , & de bruler fes fauxbourgs
& la Ville même plutôt que de la rendre. Le
Duc de Wirtemberg lui fit dire que la Ville de
Hall , dont il étoit en poffeffion , lui répondroic .
du traitement que l'on feroit à celle de Leipfick .
De MADRID , le 17 Septembre,
Le Comte de Merle , Ambaffadeur de Sa Majefté
Très Chrétienne auprès du Roi de Portugal ,
qui a obtenu la permilion de faire un Voyage
en France , fut préfenté , de 14 de ce mois , au
Roj par le Marquis d'Oflum , qui réfide ici avec
le même caractère.
A$ 710
5
OCTOBRE. 1760. 207
1
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée ,
de Paris , &c.
De VERSAILLES , le 2 Octobre.
L 29 du mois dernier , le Roi tint le fceau.
B
Sa Majefté a donné l'Abbaye de Saint Antoine,
Ordre de Cieaux , Diocèle & fauxbourg de Paris ,
à la Dame de Beauvau-Craon , Religeufe de celle
de Juvigni ;
L'Abbaye de la Regle , Ordre de Saint Benoît ,
Diocèle de Limoges , à la Dame de Bois- jolland ,
Religieufe de celle de Saint Aufonne ;
L'Abbaye de Nidoifeau , Ordre de Saint Benoît ,
Diocèse d'Angers , à la Dame de Scépeaux ,
Religieufe de celle d'Eftival , Diocèle du Mans ;
L'Abbaye de la Vaflin , Ordre de Saint Benoît ,
Diocèfe de Clermont , à la Dame de la Salle ,
Religieufe de la même Abbaye ;
Et le Prieuré de la Ferté - Milon , à la Dame
de Rochelambert , Religieufe du même Monaftere.
De PARIS , le 4 Octobre,
Le 21 du mois dernier , on fit la Dédicace de
l'Eglife Paroiffiale de Choifi- le- Roi : cette Eglife
fur dédiée fous l'invocation de Saint Louis , Roi
de France , & de Saint Nicolas , Evêque de Myrre.
Cette Cérémonie fut faite par l'Archevêque de
Paris , affifté des Archevêques d'Aries , de Tours ,
de Befançon , de Touloufe , d'Alby , & des Evêques
de Grenoble , de Chartres , d'Orléans , de
208 MERCURE DE FRANCE.
Meaux , de Metz & d'Autun , en qualité de
Co-Confécrateurs . Les autres Evêques qui fe trouvoient
ici y affiftérent avec les Agens Généraux
du Clergé , fur l'invitation qui leur en avoit été
faite de la part de Sa Majefté. Le Roi , la Reine ,
Monfeigneur le Dauphin , Madame la Dauphine ,
& Mefdames , affifterent à cette Cérémonie.
L'Archevêque de Paris , les Archevêques & Evêques
Co-Confécrateurs , les autres Evêques qui
avoient affifté à la Cérémonie , & les deux Agens
Généraux du Clergé , eurent l'honneur de dîner
avec Sa Majesté .
De METZ , le 18 Septembre.
'Sa Majesté vient d'accorder des Lettres patentes
à une nouvelle Société des Sciences & des Arts
établie dans cette Ville , fous les aufpices du ,
Maréchal Duc de Belle- Ifle , Pair de France , Miniftre
& Secrétaire d'Etat de la guerre , Gouverneur
des Trois Evéchés . L'objet de cet établiffement
eft de contribuer aux progrès de l'Agriculture
& des Arts utiles à l'économie & au Commerce
. Le Maréchal Duc de Belle -Ifle a fair en
fa faveur une fondation de trois mille livres de
renté annuelle. Cette Société propoſera chaque
année un fujet de Prix , qui fera toujours relatif
aux Arts utiles . Le prix fera une médaille d'Or
de la valeur de quatre cens livres & portant l'effigie
de fon Fondateur. Elle tiendra fa premiere
Allemblée publique le 17 Novembre prochain .
De BAYONNE , le 16 Septembre.
On apprend par un Vaiffeau arrivé à Saint Ander
que des fix Vaiffeaux partis de Bordeaux ,
trois font arrivés dans le fleuve Saint Laurent ,
favoir ; le Marchand , le Marquis de Malaufe &
le Bienfaifant. Ils ont atterré dans la Baye des
Chaleurs avec fix prifes qu'ils avoient faites dans
OCTOBRE. 1760. 206-
ce fleuve fur les Anglois. Cinq Vaiffeaux de guerre
ennemis les ont pourfuivis jufques dans ce port,
Les Capitaines de ces trois VaiffeauxMarchands ,
ont fait la plus belle manoeuvre ; ils ont mis à
terre prèfque tous leurs Canons ; ils ont conftruit
à la hate une efpéce de fort d'où ils ont tiré fur
les Vaiffeaux Anglois ; ils en ont coulé un à fond
ils ont eu le tems de mettre à terre leur Car
gaifon , & l'on ne doute pas qu'ils n'ayent fait
paffer à Montréal les munitions & les fubfiftancés
qui étoient deftinées pour cette place. Ils ont
enfuite mis le feu à leurs trois Vailleaux & aux
fix qu'ils avoient pris , afin qu'ils ne tombaſſent
point entre les mains des Anglois.
Le Marquis de Vaudreuil , ayant formé le projet
d'une expédition fur le fleuve Saint Laurent ,
a chargé le fieur Minville l'aîné , Armateur de ce
port , de l'exécuter . Cet Armateur a paffé hardiment
avec fon Vaiffeau fous le fort de Quebec
de l'Artillerie duquel il a effuyé tout le feu , &
dont il a été fort endommagé; cela ne l'a pas em
pêché de remplir fon objet ; il a pris dans ce
fleuve quatorze Vaifleaux Anglois pleins de munitions
pour Quebec ; il les a conduits un peu plus
haut que la Baye des Chaleurs , & après en avoir
fait décharger toutes les Cargaifons qu'il a fair
tranfporter à Montréal , il les a brulés ainfi que
fon Vaiffeau , pour 'qu'ils ne devinflent pas la
proie des ennemis.
On affure que la recolte a été abondante dans
le Territoire de Montréal , & que nous fommes
en état de nous y foutenir long-tems contre les
Anglois,
De FRANCFORT , le 22 Septembre.
On a été ici quelques jours fans recevoir des
nouvelles de l'Armée. Un Corps détaché de celle .
"
210 MERCURE DE FRANCE.
da Prince Ferdinand s'érgit poſté fur Marburg &
ayoit interrompu la communication ; les polles
qui avoient été établis pour fa fureté s'étant repliés
à l'approche des ennemis , deux, Compagnies
da Régiment de Cavalerie de Rougrave , qui occupoient
celui de Butzbach , y furent attaquées
le au matin , & furent faites Prifonnieres de
guerre. Le Maréchal de Broglie , ayant eu avis
de la marche des ennemis , fit partir de Merdenhagen
, le 12 à la pointe du jour , le Corps
aux ordres du Comte de Stainville , Lieutenant
Général , & du Marquis d'Aubigni , Maréchal de
Camp , pour le pofter fur Marburg afin de leur
couper leur retraite . Ce Corps étoit compofé de
la Brigade d'Infanterie d'Auvergne ; de celle de
Bouillon formée de ce Régiment & de ceux de
Vierzet & d'Horion , & des Régimens, de Dragons
du Roi & de la Ferronaye ; & de la Brigade
de Cavalerie de Royal- Pologne , compoſée
de ce Régiment & de ceux de Poly & de Touftain,
Ilarriva le même jour à Marienhagen . On trouva
en arrivant un détachement des ennemis qui fe
reriroit de Marburg à Franckenberg . On leur fit
trente Prifonniers,
Le Comte de Stainville fut informé que le Corps
des ennemis , commandé par les Généraux de
Bulowet & de Ferien , n'ayant pu fe rendre maître
du Chateau de Marburg par la réſiſtance du fieur
Kenedy , Commandant , & après avoir fait quelque
dégât dans la Ville, fe retiroit auffi fur Franckenberg.
Il ne voulur pas manquer l'occaſion de
le joindre , & il fe remit en marche le 13 à la
pointe du jour. Il fe porta avec la plus grande
diligence vers Radern. Les ennemis étoient en
Bataille à une demi- lieue de ce Village. Le Comte
de Stainville fit auffi - tôt les difpofitions pour les
attaquer ; toutes les troupes pallerent le ruiffeau
OCTOBRE. 1760. 211
du ravin qui les féparoient des ennemis. Les deux
Régimens de Dragons , commandés par le Comte
de Cey , Brigadier , & la Caval rie de la Légion
Royale commandée par le Comte de Melfort
fe portérent pendant ce tems , avec la plus grande
vivacité fur la hauteur occupée par les ennemis.
Ils chargérent la Cavalerie qui s'y trouva & ils la
culbuterent. Le Comte de Ferfen furrué dans cette
charge.
Les ennemis furent fuivis de près , malgré les
obftacles du terrein , par les Grenadiers & les
Challeurs , par la Brigade d'Auvergne, commandée
par le Marquis de Rochambeau , Brigadier ,
& par l'Infanterie de la Légion Royale. Ils furent
ainfi obligés d'abandonner la hauteur qu'ils occupoient
; ils le retirérent par le Village de Munden
où leur droite avoit été appuyée , & ils gagnérent
une autre hauteur près de Neukirchen , On les y
canona vivement jufqu'à ceque les troupes devancées
par les Dragons , après avoir paffé un fecond
ruiffeau affez profond & un ravin difficile , les chaf
ferent de hauteurs , en hauteurs , & les obligerent
de s'appuyer à une haute montagne derniere leVillage
de Hallenberg .
Commela nuit approchoit , le Comte de Stainville
, afin d'empêcher les ennemis d'en profiter
pour affurer leur pofition, ou pour fe retirer en bon
ordre , ne perdit pas un moment à les faire attaquer.
La Brigade d'Auvergne gravit avec la plus
grande vivacité une montagne d'un accès très-difficile.
La Légion Royale & les Dragons s'y porterent
de même , malgré les obftacles du terrein & la roideur
de la montagne. Ils mirent les ennemis en déroute
les Dragons leur firent abandonner trois piéces
de Canon ; le fieur Duchemin, Major de la Légion
Royale, avec quelques Dragons de ce Corps ,
en prit auffi trois pieces , & l'on en trouva deur
212 MERCURE DE FRANCE.
autres abandonnées dans le bois. La nuit mit fin
au combat , qui avoit commencé à dix heures du
matin.
Le Corps des ennemis , étoit d'environ fix mille
hommes. Ils ont perdu beaucoup , & on leur a
fait près de 400 Priſonniers, parmi lesquels il y a
plufieurs Officiers. On leur a pris auffi tous les
bagages ; du côté des François , on n'a perdu qu'environ
cinquante hommes tués ou bleffès.
A
Depuis , le Maréchal de Broglie , ayant réfolu
de faire attaquer le Camp du Général Vangenheim
, par les troupes aux ordres du Comte de
Luface campées entre Fridlandet Vitzenhauſen ,
fe rendit pour cet effet au quartier du Comte de,
Luface , & il renforça fa réferve d'un Corps de
troupes tiré de l'Armée. Le Corps ennemi étoit
d'environ quinze mille hommes. On marcha fur
quatre colonnes dirigées fur Dransfeld ; auffi- tôt
qu'elles parurent fur la hauteur voiſine de cette
Ville , les ennemis leverent leur Camp & entrerent
dans le bois qu'ils avoient derriere eux. La Colonne
d'Infanterie de notre droite , aux ordres du
Comte de Luface , compofée du Corps Saxon &
des Brigades de Caftelas & de la Marck , s'avança
avec toute la diligence poffible . Elle étoit précédée
par le Comte de Vaux , Lieutenant Général , ayant
avec lui les Grenadiers & les Chaffeurs des ces Brigades
, & par le fieur de Klingenberg , Maréchal
de Camp , ayant avec lui trois Bataillons de Grenadiers
Saxons , foutenus de la Brigade Suiffe.de
Diesbach. L'attaque ne put commencer que vers
les fept heures du foir.Le feu de Moufquetterie fut ,
vif & dura plus d'une heure ; mais il futpeu meurtrier,
à caufe de l'obfcurité & de l'épaiffeur du bois .
Les ennemis furent pouffés jufqu'à l'efcarpement
du Vefer. Les Grenadiers Saxons leur prirent deux
piéces de Canon , & le fieur de Grandmaiſon ,
OCTOBRE. 1760. 213
Commandant les Volontaires de Hainault , en
prit deux autres & fit quelques Priſonniers,
Pendant ce tems- là , le Prince de Croy fit déboucher
de Munden un Détachement aux ordres
du fieur de la Borde , Lieutenant Colonel du Régiment
de Condé , pour le porter fur le pont des
-ennemis à Humel ; il l'attaqua & s'en rendit maître.
Mais les ennemis étant revenus par la gauche
du Véfer avec des forces fupérieures & beaucoup
d'Artillerie , il ne put le conferver . Le lendemain
matin , le fieur de Grandmaifon s'étant porté vers
ce pont , il le trouva abandonné ; il le fit
& en fit brifer les pontons.
trompre
Auffi- tôt après cette opération , le Prince de Robecq
, Maréchal de Camp , fut détaché avec fa divifion
pour aller à Gottinguen , d'où il a dû envoyer
des Détachemens fur Northeim & Eimbeck.
Le fieur de Cambefort , Commandant d'un
Corps de troupes légères , fe trouvant à Bocholtz
avec la troupe , fut averti qu'un Détachement fort
fupérieur au fien marchoit à lui : il ſe retira ; & ce
Détachement l'ayant fuivi , le fieur de Cambefort
fit volte-face , & l'attaqua avec tant de vivacité
qu'il le mit en déroute , & le pourſuivit jufqu'à
la porte de Coesfeldt. Il a tué ou bleffé dans ce
choc, plus de cinquante hommes aux ennemis ,
& il a fait trente quatre Prifonniers , avec lesquels
il a repris la route de Wefel. Il n'a eu que trois
hommes bleffés & trois autres faits Prifonniers.
De CASSEL, le 17 Septembre.
L'Armée a quitté le 13 de ce mois , le Camp
d'Immenhauſen , & elle eft venue camper près de
cette Ville. La réſerve commandée par le Chevalier
de Muy , a été placée à la gauche de l'Armée.
Un Corps aux ordres du Prince de Croy , Lieutenant
Général , borde la baffe Fulde & la baſſe-
Verra. le Prince de Robecq eft placé avec ſa divifion
à Landverhagen & à Sandershaufen. Le
214 MERCURE DE FRANCE.
Comte de Chabot occupe Breitenbach , & la Těferve
du Comte de Luface campe au- delà de la
Verra entre Friedland & Vitzenhaufen.
MORT.
Antoine Nicolas , Marquis de Choifeul Beaupré
, Capitaine de Vaiffeaux du Roi , eft morrà
Rennes , le 19 du mois dernier , agé de quarantequatre
ans.
TANCREDE ,
TRAGEDIE EN CINQ ACTES.
Par M. DE VOLTAIRE.
Repréfentée , pour la premiere fois , par les Comédiens
François ordinaires du Roi , te 3
Septembre 1760.
AVIS AU PUBLIC.
Cette Piéce , actuellement fous preſſe avec la
Préface , les corrections , additions & changemens
de M. de Voltaire , va paroître incellamment
; elle fera ornée du Portrait de l'Auteur , &
d'Estampes repréfentant les fituations les plus intéreffantes
de cette Tragédie . Le prix fera le
même que celui ordinaire des Piéces de Théâtre.
On croit devoir avertir le Public de fe donner de
garde d'acheter aucune édition de cette Piéce imprimée
furtivement , & conféquemment pleine de
fautes. On reconnoîtra la bonne édition à ces
mêmes corrections , additions & gravûres , qui
eft la feule avouée de l'Auteur : Elle le vendra
à Paris chez Prault , petit-fils , Libraire , Quái
des Auguftins , la deuxième boutique au - deflus
de la rue Gît-le -coeur , à l'immortalité . Avec
Permiflion.
OCTOBRE. 1760. 215
Madame Helvetius eft accouchée le de
de mois , d'une fille qui a été baptifée à S. Roch.
Elle a eu pour Parrain M. le Duc de Choifeul ,
& pour Marraine , Madame la Duchelle de Grammont
, & a été nommée Béatrix -Henriette .
APPROBATION.
J'ai lu ,par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le fecond Volume du Mercure du mois d'Octobre
1760 , & je n'y ai rien trouvé qui puiffe en empêcher
l'impreffion . A Paris , ce 14 Octobre 1760.
GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE .
ARTICLE PREMIER.
ODE. Sur la mortde mon pére.
Rondeau , à M. l'Intendant de L .... &c.
Epître à M. D ** * C * * * * &c.
Page s
II
32
Bouquet , à Meffire Jean - Paul de Relongue , Chevalier
, Seigneur de la Louptiere &c.
Stances , à M. de la Louptiere & c.
Epître , à Madame de P ......
43
1,8
35
Couplets d'une Demoiſelle à fon pére &c. ibid.
Traduction de différens Morceaux de Sénéque. 20
Traduction libre du premier Choeur d'OEdipe . 28
Ode Anacréontique.
Autre Ode.
Lettre de l'Auteur du Mercure .
Scène.VII . & VIII, de la Tragédie du Duc
31
32
ibid.
de Guile, ou du Mallacre de Blois, &c.33 &fuiv.
216 MERCURE DE FRANCE:
Epître à M. de Voltaire , fur la Comédie de
l'Ecoffoife.
Fable.
Ellai fur cette queſtion & c.
Enigmes.
Logogryphe.
Chanfon.
41
45
47
77
78
29
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Effai fur l'Education d'un Prince & c. 80
Hiftoire de la Maifon de Stuart, par M. Hume. 107
Annonce des Livres nouveaux. 126 &fuiv.
ART. III, SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIES .
Séance publique de l'Académie des Sciences ,
Belles - Lettres , & Arts de Lyon .
Séance publique de l'Académie des Sciences ,
& Belles-Lettres de Beziers.
Séance publique de l'Académie Royale des
Belles-Lettres de la Rochelle.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
PEINTURE.
132
143
&
147
Concours au fujet de l'expreffion d'uneTête. 149
ART. V. SPECTACLES.
Opéra .
Comédie Françoife.
Opéra-Comique.
Comédie Italienne.
160
176
ibid.
178
ART. VI . Nouvelles Politiques. 179
Tancréde , Tragédie en cinq Actes , par M. de
Voltaire. 214
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
Jue & vis-à-vis la Comédie Françoife .
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
NOVEMBRE . 1760 .
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine
Cochin
Silueinve
PapilionSculp
Chez
A PARIS ,
( CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis à vis la Comédie Françoife.
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE, rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier , Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
,
å
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer, francs
'de port , les paquets & lettres , pour remettre
, quant à la partie littéraire
M. DE LA PLACE , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols pièce.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir, ou quiprendront les frais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
c'eft-à-dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes .
Les Libraires des provinces ou des pays
'étrangers qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci- deffus .
A ij
On fupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit ,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en foit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Piéces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
De la Place , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions, font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
NOVEMBRE . 1760.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
PROME THÉ E.
POEM E.
L'ORGUEILLEUX Prométhée , au fein d'une onde
pure ,
Contemploit , de fon corps , l'admirable ſtructure :
Quand , dans le noir accès d'un tranfport furieux ;
>Oui, dit-il , j'atteindrai la majefté des Dieux.
>>Le puiffant Jupiter , dont la grandeur fuprême ,
» Dans mon corps , trait par trait , fe peignit elle-
» même ;
Par un foible Mortel , aujourd'hui ſurpaſſé ,
A iij
6 MERCURE DE, FRANCE.
» Verra , dans l'Univers , fon pouvoir effacé.
Il dit : & fous les doigts , l'argile ramollie ,
Préfente , des humains , une image accomplie
Il admire fon oeuvre ; & plus prompt que l'éclair
Il s'élance déjà dans les plaines de l'air.
L'aftre brûlant du jour , parcourant la carrière ,
Verfoit , de toutes parts , les torrens de lumière ;
Quand le fils de Japet , fous la voûte des Cieux ,
Arrêta , de fon vol , l'éffor audacieux.
Dans le corps du Soleil maffe énorme & fluide ,
Dans ce vafte Océan de matière liquide ,
Dont les feux bouillonnans , à propos difpenfés ,
Hors du centre commun,font d'eux- mêmes élancés,
Une torche , au milieu de la flamme ondoyante ,
A l'inftant , dans fa main , ſe montre flamboyante
Il reprend fon éffor , dans le vague de l'air :
Yvre du fol espoir d'égaler Jupiter ,
Il a déjà revu fes figures humaines ;
Le feu vivifiant circule dans leurs veines :
De leur bouche on entend des fons articulés ,
Et leurs pieds affortis tracent des pas réglés.
Telle fut , des Mortels , la fameuse naiffance
Si ce qu'a dit la Fable eft digne de croyance.
Par le P. Boscus , Doctrinaire ,
Régent de Troifiéme au C. de B
NOVEMBRE. 1760.
ADIEU AUX MUSES.
EPITRE adreffée à M. BRUNET
à S. Cloud , par Madame GUIBERT ,
Auteur de L'HOMME HEUREUX , inféré
dans le Mercure d'Août dernier.
*
QUAN U AND loin d'une bruyante ville ,
Arifle , tu guidois mes pas ,
Dans ce féjour fi plein d'appas ,
Dont tu fais ton plus cher afyle,
Je me crus chez les Immortels ;
Et dans ma douce rêverie ,
Cueillant les fleurs de la prairie ,
J'en allois parer leurs Aurels.
Suis - je , difois -je , où régne Cythérée ?
Ce lit de fleurs , eft - il celui d'Anacréon ?
Eft- ce là le bocage , où Diane attirée
Par le plaifir d'y voir fon cher Endymion ,
L'aimoit , en étoit adorée?
Eft-ce l'Olympe enfin ? cette voûte azurée
Semble ne s'arrondir que pour fermer ces lieux ;
A quelle Déité dois- je adreffer mes voeux ?
Par une chimérique image ,
Mon ivreffe abufoit mes fens ;
Je n'étois qu'au féjour d'un Sage ,
*La Maifon de M. de V ***.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE
Et je n'y devois point d'encens
Philofophe dès le bel âge ,.
Toujours maître de tes defirs ,
Il n'eft pour toi que des Plaifirs .
Dans cette heureufe folitude ,
Au lever de l'Aurore une douce habitude ,
Te niéne rêver fur des fleurs.
D'un infecte volage admirant les couleurs ,
La Nature y fait ton étude.
C'eft dans ce féjour enchanteur ,
Ce Parnaffe chéri , qu'une Mule paifible
Vient careffer l'heureux Auteur ;
C'eft là que le Berger fenfible ,
Par de tendres char fons , peint fi bien ſon ardeur
Que 1 e pis- je , fans ceffe , étlayer fur ma lyre
Les fens que ta Mafe m infpire !
Mais , hélas envain , cher Mentor ,
Tu me dé ouvris ce tréfor
Qui fait le charne de la vie ,
Ce vrai bonheur , put être à l'abri de l'envie ,
Enfin l'art heureux de penfer ;
Je fens que je dois renoncer
A fuivre cette route épineufe & fleurie ,
Où cent monfires à terraffer ,
Etonnent mon foible génie.
Oui , dans ce périlleux chemin ,
Envain l'Auteur * de ce divin modéle
+ M. l'Abbé Manyenot , Auteur de l'Eglogue : Au
déclin d'un bean jour, une jeune Bergere , & .
NOVEMBRE. 1760 .
す
Que pouvoit avouer le tendre Fontenelle ,
Offre de me donner la main ,
Cher Arifte ; je fors d'une lice fi belle.
De ma timide voix entends les derniers fons.
Si j'euffe profité de tes fages leçons ,
Chaque jour t'offriroit une chanfon nouvelle ;
Mais quand du Roffignol j'imiterois le chant ,
Je dois , malgré la voix d'Apollon qui m'appelle ,
Aux foins de mon état immoler mon penchant.
VERS préfentés par Mademoiſelle D. B.
à M. fon Pére , au jour defa Fête.
AGRIEZ , z , avec ce Bouquet ,
Deux fentimens qui guident mon hommage ,
Et que toujours j'éprouve à votre aſpect.
Sans que j'en dife davantage ,
Mon cher Papa , vous devinez , je gage ,
Que c'eſt l'amour & le reſpect .
ODE.
SUR MARLY.
Or 01 ,
Créature
premiere ,
ΤΟΙ ,
Fille du Dieu de la Lumiere ,
Nature ! à quels raviflemens ,
A v
10 MERCURE DE FRANCE;
Dans Marly livres- tu nos fens !
Sur les plus beaux lits de verdure ,
On y voit ton fein décoré ,
Et foupirer dans fa parure
Pour plaire à LOUIS adoré.
Le Philofophe envain s'écrie ,
Contre la noble fymétrie ,
De la main des Arts triomphans :
Les Arts font tes plus beaux enfans
Ils ne gênent tes eaux brillantes ,
Et n'ont inventé les baffins
Que pour les rendre jailliffantes ,
Et pour mieux fervir tes deffeins.
C'est à ta voix que la Sculpture ,
S'uniffant à l'Architecture ,
Rendit en ces lieux féduifans ,
Le bronze & le marbre vivans.
Sous ces verds & rians portiques,
Où le cifeau fçut t'imiter ,
Epris des charmes poètiques ,
Tout m'enchaîne & fçait m'arrêter
De ce féjour plein de délices ,
Si je parcours les édifices
Le lieu par Noaille habité ,
M'offre un tableau d'humanité :
Des malheureux j'y vois le pere ,
Inquiet s'il ne fait du bien ;
NOVEMBRE. 1760. II
Et des Grâces j'y vois la Mere ,
Dont le coeur eft égal au fien.
C'est là qu'au printemps de l'année ;
1. Brillent du plus bel hyménée ,
Les flambeaux qu'alluma l'Amour.
Ils augmentent l'éclat du jour.
Le Ciel fatisfait les regarde ;
Et pour contempler ces époux ,
Phébus rallentit & retarde
Un cours qu'ils lui rendent fi dour.
Par M. BRUKER.
CARACTERE S.
L'AMBITION AMBITION eft un obftacle continuel au
bonheur des hommes , & cependant elle
eft de tous les états , de tous les âges . Geta
paroiffoit avoir le coeur excellent , il connoiffoit
l'humanité , il étoit citoyen ; &
c'eft faire fon éloge que de rappeller ce
qu'il fut envieux , calomniateur , avare ,
prodigue , diffimulé , & c. actuellement il
réunit tous les vices ; il eft capable de
tout .
Trébatius , concerte avec l'attention la
plus exacte fon gefte , fon regard & fes
difcours intérieurement plein d'amour-
A vj
10 MERCURE DE FRANCE;
Dans Marly livres- tu nos fens !
Sur les plus beaux lits de verdure ,
On y voit ton fein décoré ,
Et foupirer dans fa parure
Pour plaire à LOUIS adoré.
Le Philofophe envain s'écrie ,
Contre la noble fymétrie ,
De la main des Arts triomphans :
Les Arts font tes plus beaux enfans
Ils ne gênent tes eaux brillantes ,
Et n'ont inventé les baffins
Que pour les rendre jailliffantes
Et pour mieux fervir tes defleins .
C'est à ta voix que la Sculpture ,
S'uniffant à l'Architecture ,
Rendit en ces lieux féduifans
Le bronze & le marbre vivans.
Sous ces verds & rians portiques,
Où le cifeau fçut t'imiter ,
Épris des charmes poètiques ,
Tout m'enchaîne & fçait m'arrêter
De ce féjour plein de délices ,
Si je parcours les édifices ;
Le lieu par Noaille habité ,
M'offre un tableau d'humanité :
Des malheureux j'y vois le pere ,
Inquiet s'il ne fait du bien ;
NOVEMBRE. 1760 .. II
Et des Grâces j'y vois la Mere ,
Dont le coeur eft égal au fien.
C'est là qu'au printemps de l'année
Brillent du plus bel hyménée ,
Les flambeaux qu'alluma l'Amour.
Ils augmentent l'éclat du jour.
Le Ciel fatisfait les regarde ;
Et pour contempler ces époux ,
Phébus rallentit & retarde
Un cours qu'ils lui rendent ſi doux.
Par M. BRUKER.
CARACTERE S.
L'AMBI AMBITION eft un obftacle continuel au
bonheur des hommes , & cependant elle
eft de tous les états , de tous les âges. Geta
paroiffoit avoir le coeur excellent , il connoiffoit
l'humanité , il étoit citoyen ; &
c'eft faire fon éloge que de rappeller ce
qu'ilfut envieux , calomniateur , avare ,
prodigue , diffimulé , & c. actuellement il
réunit tous les vices ; il eft capable de
tout.
Trébatius , concerte avec l'attention la
plus exacte fon gefte , fon regard & fes
difcours intérieurement plein d'amour-
A vj
10 MERCURE DE FRANCE;.
Dans Marly livres- tu nos fens !
Sur les plus beaux lits de verdure ,
On y voit ton fein décoré ,
Et foupirer dans fa parure
Pour plaire à LOUIS adoré.
Le Philofophe envain s'écrie ,
Contre la noble fymétrie ,
De la main des Arts triomphans :
Les Arts font tes plus beaux enfans
Ils ne gênent tes eaux brillantes ,
Et n'ont inventé les baffins
Que pour les rendre jailliffantes ,
Et pour mieux fervir tes deffeins.
C'est à ta voix que la Sculpture ,
S'uniffant à l'Architecture ,
Rendit en ces lieux féduifans ,
Le bronze & le marbre vivans.
Sous ces verds & rians portiques,
Où le cifeau fçut t'imiter ,
Epris des charmes poètiques ,
Tout m'enchaîne & fçait m'arrêter.
De ce féjour plein de délices ,
Si je parcours les édifices ;
Le lieu par Noaille habité ,
M'offre un tableau d'humanité :
Des malheureux j'y vois le pere ,
Inquiet s'il ne fait du bien ;
NOVEMBRE. 1760 .. II
Et des Grâces j'y vois la Mere ,
Dont le coeur eft égal au fien.
C'est là qu'au printemps de l'année
1. Brillent du plus bel hyménée ,
Les flambeaux qu'alluma l'Amour.
ils augmentent l'éclat du jour.
Le Ciel fatisfait les regarde ;
Et pour contempler ces époux ,
Phébus rallentit & retarde
Un cours qu'ils lui rendent fi doux.
Par M. BRUKER.
CARACTERE S.
L'AMBITION eft un obftacle continuel au
bonheur des hommes , & cependant elle
eft de tous les états , de tous les âges. Geta
paroiffoit avoir le coeur excellent , il connoiffoit
l'humanité , il étoit citoyen ; &
c'eft faire fon éloge que de rappeller ce
qu'il fut envieux , calomniateur , avare ,
prodigue , diffimulé , & c. actuellement il
réunit tous les vices ; il eſt capable de
tout.
Trébatius , concerte avec l'attention la
plus exacte fon gefte , fon regard & fes
difcours intérieurement plein d'amour-
A vj
12 MER CURE DE FRANCE.
propre & de vanité , il n'agit que d'une
maniere infultante avec tout homme
dont il ne peut tirer aucun fervice ; au
contraire s'il rencontre quelqu'un capable
de lui procurer le moindre avantage , il
n'eft point de baffeffe qu'il n'emploie . Il
l'aborde d'un air empreffé , paroît s'intéreffer
à tout ce qui le touche , l'accable de
louanges , & lui fait offre de fervices , lorfqu'il
eft çertain d'être remercié . Trébatius
n'afpire point à cette noble fatisfaction
que l'on reffent après avoir obligé fon femblable
: il veut qu'on lui tienne compte
d'une bonne volonté , qu'il affecte en
toute occafion , fans l'avoir réellement .
Avez-vous quelque affaire auprès du Miniftre
? il vous offre fa protection : j'ai des
amis , dit-il ; & fouvent ils fe réduisent à
quelques valets , qu'il connoît à peine par
leur nom ; & qui cependant étoient les intimes
de fon Pere. Il n'a que ces mots
dans la bouche ; je fuis tout à vous. • • • je
fuis infiniment flatté de cet honneur.....
croyez- en ma fincérité..... Le chargezvous
d'une commiffion dont vous auriez
pa rougir ; rien ne lui coûte , rien né le
rebute. S'il vous apperçoit dans la place
publique , il fe fait gloire de groffir le
nombre de vos clients : il vous parle avec
emphale des victoires que vous avez rem
NOVEMBRE. 1760. 13
portées lorfque vous étiez à la tête des Armées
de la République ; loue votre modeftie
; & n'interrompt un fujet fi ftérile
pour vos véritables amis , que pour le récrier
fur l'Architecture de votre Palais
qu'il n'apperçoit pas encore entiérement.Il
entre .... La volubilité de fa voix fuffit à
peine pour vous peindre l'admiration qu'il
paroît reffentir à la vue de tout ce qui
vous appartient . Il s'arrête , il fe récrie ,
vous rapelle & vous fait reculer en paffant
dans une Galerie pour voir ce tableau ,
cette Statue dans fon véritable jour. Tout
eft felon lui d'un goût exquis. Ce tableau
vous repréfente , dit- il : eh ! qui ne vous
reconnoîtroit pas ? quel autre porte fur
fon vifage tant de magnanimité , tant de
candeur , tant de vertus ? Il falloit un
Peintre tel que *** pour les exprimer.
Je connois tous les ouvrages , pas un n'approche
de la vérité de celui- ci. Enfin il
ne vous quitte qu'à regret. Ce Palais enchanté
, l'homme divin qui l'habite , tout
le retient ; & intérieurement il eſt charmé
d'être débaraffé de votre préfence. Quel
abîme de diffimulation ! quel art ! ou plutôt
, quelle indignité ! quelle trahifon !
Ariftarque & Théonas coururent tous
deux la même carrière; un génie vafte conduit
par la plus faine Philofophie , un dif
44 MERCURE DE FRANCE.
cernement infaillible, un tact fûr, une confommation
décidée,fembloient préparer le
triomphe d'Ariftarque fur un rival né voluptueux
, dont la docilité la fineffe & la
légéreté faifoient le caractére : cependant
Théonas l'emporta. Il fut fe plier adroitement
, tirer parti de la vanité de ceux avec
qui il fe trouva & remporter quelqu'avantage
fur Ariftarque , qui en fut choqué &
fe retira. Fier du fuccès , Théonas changea
de conduite , fuivit les principes qu'il
avoit pris tant de foin de diffimuler ; il
éflaya de penfer , que dis-je , il parla : &
cet inftant fut celui de fa chûre.
Eft- ce Rufus , qui léve fi orgueilleufement
la tête ? Hier encore , hier , on
parloit de fon ayeul qui fut affranchi par
Tucca. Quel vent a pû le transporter
dans ces régions impénétrables au vulgaire
par leur élévation ? Je conviens qu'il
décide d'une étoffe , d'une dentelle , d'une
coëffure avec goût ; qu'il fait divifer
la porcelaine en fept claffes , & qu'il eft
impoffible de le tromper en toute espéce
de bijoux : il en a tant vûs ! mais j'ignore
qu'il ait pouffé plus loin fes découvertes.
Un imprudent lui demandoit il y a
quelque temps , s'il avoit voyagé dans
cette Province fangeufe où la République
porte fes armes , & quelles particularités
NOVEMBRE . 1766 .
il en connoiffoit . Rufus parla du vin qui
croft fur les bords d'un fleuve qui la traverfe
, le définit fort exactement & termina
en affurant qu'il étoit exquis , mais
indigefte. Si de pareilles connoiffances
fuffifent pour décider les matières les
plus graves , pour afpirer aux dignités ;
je ne connois pas de candidat qui y ait
plus de droit que Rufus.
Quel motif, dites-vous , engage Démophon
à le montrer depuis quelques
jours ? Aux jeux , au portique, au temple,
dans les places publiques , on le rencontre
partout. Pouvez - vous en ignorer la
caufe ? Démophon a obtenu une dignité
dont il porte la marque ; il est juste qu'il
reçoive pendant deux jours des complimens
fur ce qui lui a coûté deux ans de
foumiffion à acquérir.
Théobalde pouvoit tout attendre de
fon efprit & de fes lumières : il a méprifé
la brigue , & perfonne ne le connoiffoit.
Un homme en place en parla
avec éloge , tous ceux qui l'entouroient
répétérent ce qu'il avoit dit , & Théobalde
fut à la mode. Les expreffions les
plus fortes fuffifoient à peine pour peindre
fon mérite. Il parut , on trouva le
portrait au- deffus de l'original , & Théobalde
fut oublié. S'il avoit été annoncé
16 MERCURE DE FRANCE.
plus modeftement , il auroit réuffi .
Qui ne fe feroit perfuadé avec Scapin ,
qu'époufer une belle femme & fe fentir
une humeur pacifique , étoit le moyen de
plaire à tout le monde ? Qui ne fe feroit
trompé comme lui ?
Varus aime le mystère & l'affecte même
fur ce qui paroît de la plus petite
conféquence. Il ne donne jamais une réponſe
qui ne foit fufceptible d'interprétation
, encore faut il qu'il y foit forcé :
Souvent il garde le filence . Forme-t- il un
projet il craint d'être découvert . Si
quelqu'un lui parle d'une chofe qui ait
rapport à la réfolution qu'il a priſe , il
dit autrement qu'il ne penfe , & le feul
moyen de tirer la vérité de fa bouche eft
de croire le contraire de ce qu'il affûre .
Je devine la caufe d'une attention fi
vive à dérober fa conduite aux yeux de
tout le monde . Varus auroit trop à
rougir .
Souvent on promet plus que l'on ne
peut & que l'on ne veut tenir ; & c'eft
un moyen infaillible de fe faire haïr.
L *** apporta par le Coche de Normandie
un génie borné mais fouple ,
joint à une complaifance apparente qui
voiloit un grand fonds d'amour- propre ;
& tout le monde l'aima , tout le monde
NOVEMBRE. 1760 17
l'obligea auffi faut- il convenir que perfonne
ne feait mieux folliciter & remercier
; & il parvint . Un homme au- deflus
de lui fut le trouver , accompagné de
Varro fon ami , pour l'engager à faire
quelques démarches en fa faveur . L ***
s'offrit à faire plus , & promit d'être appuyé
par Varro qui étoit fon intime , &
dont la chofe dépendoit entierement. Il
alloit entamer une hiftoire pour prouver
leur liaison ; lorfque Varro lui affûra qu'il
n'avoit aucun crédit en pareil cas &
qu'il ne l'avoit jamais vû.
2
A Mile PUVIGNÉE , fur fa retraite de
l'Académie Royale de Mufique.
'ERROIS dans le facré vallon ,
Quand je vis la troupe choifie
Des enfans chéris d'Apollon ,
Former des jeux : les uns déployoient leur génie ,
Les autres leurs talens ; mon âme étoit ravie.
Une Nymphe parut , & chacun la fuivit :
Afon heureux retour le Permeffe applaudit.
Ses graces , fa décence , & furtout fa nobleſſe ,
Ses doux & tendres mouvemens ,
( Dont l'art imite envain la facile foupleffe )
Peignoient des paffions les divers fentimens ,
Leur donnoient à chacun , un nouveau caractére.
1
18 MERCURE DE FRANCE:
Fiere , timide , on conftante , ou légére ;
Là , ſenſible , elle émeut , & féduit tous les coeurs
D'un amour malheureux , appaife les rigueurs ;
Ici , jaloufe , ou bien févére
Elle fait craindre ou défefpére ;
Et conduit ainfi tour -à - tour ,
A la crainte , à l'éfpoir , & toujours à l'amour
Chaque trait eft une peinture .....
On vit fourire la Nature ,
Qui ſe reconnoiſſant , applaudiſſoit tout bas .
C'étoit , pour le Parnaffe une fête nouvelle ;
Tous les coeurs enchantés volent au- devant d'elle ,
Les grâces marchent fur les pas ;
La douce volupté ſe jette dans fes bras ;
Du Dieu du goût elle eft accompagnée.
Quoi ! c'est vous , m'écriai-je ? oui , je vous re
connois ,
Comment fe méprendre à ces traits ,
Inimitable Puvignée ?
Paris vous redemande ; écoutez fes regrets !
Votre danfe eft fi féduifante !
Faite pour enchanter les coeurs ,
Régnez fur eux , venez , rempliffez notre attente ,
De vos talens divins recueillez les honneurs.
Non , non , dit Apollon , reviens de ta ſurpriſe ;
Comme toi tout Paris a fait cette méprife.
Celle qu'ici tu vois , à qui pendant long temps
La France a prodigué fes applaudiffemens 2
NOVEMBRE. 1760 . 19
C'eſt Terpficore même ; oui , fous cette figure
Elle s'eft montrée aux Mortels ,
Pour faire diftinguer l'Art d'avec la Nature ;
Elle revient ici jouir de fes Autels.
Par un Abonné au Mercure
REPLIQUE d Madame D ** C ... fur ce
qu'on avoit fait une querelle à l'Auteur,
d'avoir fait des Vers pour elle.
UNPN Poëte , ou tel autre , a le droit de tout dire
Lorfque fon langage eft décent .
Sur ce , moi qui vous parle , & qu'on voudroit
profcrire ,
Je n'ai jamais rien dit que de très- innocent.
On fe fâche , on me tympanife ,
De ce que dans mes vers , par la fougue emporté à
J'ai célébré votre beauté.
Tant pis pour qui s'en fcandalife :
Je ne vois pas , en vérité ,
Pourquoi l'on blâme ma franchiſe.
Au fait , n'êtes-vous pas un compofé charmant ,
De l'amour le plus bel ouvrage ?
Oui fans doute, & pour qui réferver fon hommage,
Si vous louant ingénûment ,
Le reproche eft notre partage ?
18 MERCURE DE FRANCE.
Fiere , timide , on conftante , ou légére ;
Là , fenfible , elle émeut , & féduit tous les coeurs
D'un amour malheureux , appaife les rigueurs ;
Ici , jalouſe , ou bien ſévére
Elle fait craindre ou défefpére ;
Et conduit ainfi tour-à- tour ,
A la crainte , à l'éſpoir , & toujours à l'amour
Chaque trait eft une peinture.....
On vit fourire la Nature ,
Qui fe reconnoiffant , applaudiffoit tout bas.
C'étoit , pour le Parnaffe une fête nouvelle ;
Tous les coeurs enchantés volent au- devant d'elle ,
Les grâces marchent fur les pas ;
La douce volupté fe jette dans fes bras ;
Du Dieu du goût elle eft accompagnée.
Quoi ! c'est vous , m'écriai-je ? oui , je vous re
connois ,
Comment fe méprendre à ces traits ,
Inimitable Puvignée ?
Paris vous redemande ; écoutez fes regrets !
Votre danfe eft fi féduifante !
Faite pour enchanter les coeurs ,
Régnez fur eux , venez , rempliffez notre attente ,
De vos talens divins recueillez les honneurs.
Non , non , dit Apollon , reviens de ta furpriſe ;
Comme toi tout Paris a fait cette méprife.
Celle qu'ici tu vois , à qui pendant long temps
La France a prodigué fes applaudiffemens ,
NOVEMBRE. 1760. 19
C'eſt Terpficore même ; oui , fous cette figure
Elle s'eft montrée aux Mortels ,
Pour faire diftinguer l'Art d'avec la Nature ;
Elle revient ici jouir de ſes Autels.
Par un Abonné au Mercure
REPLIQUE d Madame D ** C ... fur ce
qu'on avoit fait une querelle à l'Auteur ,
d'avoir fait des Vers pour elle.
UN Poëte , ou tel autre , a le droit de tout dire
Lorfque fon langage eft décent.
-
Sur ce , moi qui vous parle , & qu'on voudroit
profcrire
Je n'ai jamais rien dit que de très-innocent.
On fe fâche , on me tympanife ,
De ce que dans mes vers , par la fougue emporté è
J'ai célébré votre beauté .
Tant pis pour qui s'en fcandalife :
Je ne vois pas , en vérité ,
Pourquoi l'on blâme ma franchife.
Au fait , n'êtes- vous pas un compofé charmant ,
De l'amour le plus bel ouvrage ?
Oui fans doute, & pour qui réferver fon hommage,
Si vous louant ingénûment ,
Le reproche eft notre partage ?
20 MERCURE DE FRANCE.
Voyez, Philis , le ton que vous auriez ,
Si vous condamniez notre zéle ;
Oui , je l'ai dit , vous êtes belle ,
Vous devriez avoir l'Univers à vos pieds ,
Vous meritez qu'on vous adore.
Hé bien , dans cet aveu que tout doit confirmer ,
Et qu'exprès je répéte encore ,
Qu'ofe-t-on trouver à blâmer ?
Et pourquoi me taxer d'un orgueil téméraire ,
D'une indifcrétion condamnable en effet ?
N'eft- ce pas le tribut ou public ou fecret ,
Que l'on doit rendre à qui fait plaire ?
Si mes organes fourds & privés d'action ,
Ne fentoient point l'impreffion
D'un objet tel que vous, qui plaît, féduit, enchante,
Mon exiſtence languiffante ,
Seroit un éternel fommeil ;
Je n'aurois ni plaifirs , ni fentimens , ni peine ;
Je voudrois qu'une mort certaine ,
Pût me rapprocher du réveil:
Mais dieu merci , Philis , je fais tout ce qui fatte
Je lens , je réfléchis , & je raiſonne un peu ;
Et bien loin d'être un automate ,
Votre afpect , dans mes fens , allume un nouveau
feu.
Quand je vois un tableau dé le Brun , du Corrége,
Ou quelque Groupe ingénieux ;
N'ai- je donc pas le privilége ,
NOVEMBRE. 1760. 2x
D'admirer, de louer , l'ouvrage précieux
Qui ravit tous mes fens en plaifant à mes yeux ?
Quand je vous vois , même langage :
Je dis , Dieux ! quel objer , quel plus rare affemblage
D'efprit , de talent , de beauté !
Que la Nature eft grande , & qu'elle a de bonté
De former pour nos yeux , un fi parfait ouvrage !
Ainſi , mon crime feul , c'eſt donc de trop fentir ,
D'avoir la faculté d'admirer , de connoître ,
D'exprimer bonnement , & fans y réfléchir ,
Un goût que la Nature en mon fein a fait naître.
Si lorfque , dans mes Vers , j'ai chanté vos attraits,
J'avois dit , c'eſt pour moi que l'Amour les a faits
Je les mérite enfin ; mon eſprit , ma jeuneſſe ,
Mon coeur , furtout mon coeur , qu'anime la tene
dreffe ,
Tout cela doit me faire aimer :
Mais , non , je ne tiens point un langage femblable
;
Je fçais que je n'ai point tout ce qu'il faut d'aimable
,
Pour avoir droit de vous charmer ;
Moi qui , loin du grand monde où l'on me voit
paroître ,
Vis dans la médiocrité ;
Moi qui , fi l'on m'aimoit , ne pourrois jamais être
L'amant qu'on a par vanité ;
22 MERCURE DE FRANCE .
Moi qui , fans pofféder la fublime ſcience
Des Maîtres fameux de notre Art ,
Penſe à mon gré , rime au hazard ,
Et dont l'efprit furtout fuit toute dépendance ;
Moi qui , fi par bonheur , j'infpirois de l'amour ,
Serois trop délicat , trop fenfible , trop tendre ;
Moi qui , plein de candeur , & peu fait au détour
Peut- être , malgré moi , donnerois à comprendre
Quel eft l'objet charmant , d'où mon fort doit
dépendre ;
Moi qui voudrois à chaque inftant du jour ,
Le voir , lui parler & l'entendre ;
Moi qui , fi je pouvois jamais vous enflammer ,
Sentirois tout le prix d'une ardeur auffi belle ,
Ne vivrois , que pour vous aimer ,
Dont la conſtance enfin deviendroit éternelle ;
Moi qui !... mais c'en eft trop;je crois avoir montré
Philis , que l'on m'a fait une injufte querelle.
Ces Cenfeurs , qui toujours jugent tout à leur gré,
Iront peut-être encor condamner ma replique :
Oh mafoi , fi plus loin ils portent leur critique ,
Pour le coup ils s'arrangeront.
Bien loin que je les défabule ;
Je n'irai plus , pour eux , fabriquer une excufe :
Ils en croiront ce qu'ils voudront.
D ... Abonné
au Mercure
NOVEMBRE. 1760. 23
LETTRE fur les rimes croifées dans
les Vers Alexandrins , & fur l'unité
de lieu .
Vo
Ou s vous rappellez peut- être , Monfieur
, les converfations que nous avons
eues enfemble fur la Poëfie & fur notre
Verfification. Nous avons été contens de
nos petits vers , dans les Sujets légers ou
délicats. Nous avons trouvé qu'ils flattent
l'oreille lorfqu'ils font tous de même mefure
; & que , quand ils font mêlangés avec
goût , ils prêtent à des chûtes heureuſes
& font une agréable variété. Nos vers
hendécafyllabes , ne nous ont rien laiffé
à defirer dans la Fontaine , dans quelques
Epîtres de Rouffeau & dans le Poëme de
la Pucelle.
Nous n'avons pas été fatisfaits de même
de nos Vers Alexandrins. Comme
nous n'avons prèfque point de quantité ,
ils font
pour l'ordinaire de peſans fpondaïques.
Ils font toujours coupés en deux
parties égales monotonie fatigante.
Chaque vers rime avec celui dont il eft
fuivi ennuyeuſe uniformité. Souvent même
vous devinez par là un vers entier ,
34 MERCURE DE FRANCE.
dès que vous en avez entendu les premiers
mots ainfi vous perdez le plaifir
de la furpriſe ; plaifir dont les Romains
connoiffoient fi bien le prix , qu'ils terminoient
ordinairement leurs phrâfes par
le mot principal, par celui qui déterminoit
le fens.
Il y avoit un moyen de remédier à ce
dernier défaut. C'eſt celui que M. de Voltaire
vient d'employer dans fa Tragédie
de Tancrède , qu'il a écrite en rimes croifées
. Nous n'avions auparavant qu'une
feule combinaiſon pour les rimes dans
les grands vers , & nous en avons fix .
Vous fçavez les éfforts que M. de Voltaire
a faits de tout tems , pour élargir le
cercle trop étroit où les Poëtes fe trouvoient
renfermés. Ainfi ce nouvel éffai
de fa part , ne vous furprendra pas. Mais
ce qui aura droit de vous étonner , c'eſt
qu'il fe trouve des Gens qui veulent s'élever
contre cette heureuſe tentative. Vous
n'ignorez pas leur argument ordinaire :
On s'eft contenté fi long- tems de rimes
plates ; donc on doit s'en contenter toujours
: donc qui nous offre des rimes croi-
Jées a tort. Vous voyez bien quels font
ces raifonnemens. Ce font ces mêmes
Gens qui fe révoltent contre les inventeurs
dans tous les genres , qui n'ont d'autre
NOVEMBRE. 1760. L
25
tre occupation que de couper les aîles du
génie , & qui , du même ton dont ils déclament
contre le Poëte qui ofe , crient
contre le Philofophe qui découvre une
vérité inconnue à leur grand - mére .
Il est bien fingulier , que dans un fiécle
plus fécond qu'aucun autre en hommes
qui ont penfé , & qui ont dû apprendre
aux autres à penfer , il s'en trouve encore
qui refufent de pofféder les richeffes qu'on
leur offre , précisément parce qu'ils n'en
jouiffoient pas avant qu'on les leur offrit :
des vérités utiles , mais nouvellement apperçues
; des perfections dans les Arts ,
mais nouvellement trouvées ! De telles
Gens , s'ils étoient nés aveugles , ne voudroient
point qu'on leur fît l'opération
de la cataracte , parce qu'ils auroient bien
vécu jufqu'alors fans voir le Soleil.
Eft-il rien en effet de plus antiphilofophique
, que de s'élever contre des nouveautés
, feulement parce qu'elles font des
nouveautés ? Examinez d'abord. S'il s'agit
de matière Philofophique , cette nouveauté
eft- elle vraie embraffez la. S'il
s'agit de Littérature , cette nouveauté
eft- elle agréable ? applaudiffez , encouragez
l'Auteur à ofer davantage . Mais je
parle à des fourds , qui ne m'entendront
jamais. Cela eft nouveau , donc il faut re-
B
26 MERCURE DE FRANCE.
jetter cela. Je n'en tirerai pas davan
tage.
>
Je me fuis beaucoup mieux exprimé
que je ne croyois d'abord , Monfieur
quand j'ai dit que je parlois à des fourds.
Oui , ce font des fourds & des aveugles
que ces hommes à préjugés : le préjugé
ôte aux fens leur action . Il y a des perfonnes
qui veulent prendre un ton dans le
monde , & qui font affez dignes d'y réuffir
, à qui vous foutiendriez en vain que
la neige eft blanche , fi leur nourrice leur
avoit appris qu'elle eft noire.
Vous ne trouverez nulle-part davantage
cette opiniâtreté que dans les beaux
efprits. Il n'y a perfonne qui penfe avec
moins de profondeur. Jamais la vérité la
plus évidente ne les perfuadera ; elle ne
fera pour eux que la matiére d'un bon
mot , d'une fauffe plaifanterie.
Ils ne pourront du moins l'emporter
fur le témoignage de notre oreille , qui
fera flattée agréablement par le mêlange
des rimes. Nous ne trouverons plus cette
monotonie qui nous fatiguoit.
Je m'étois plaint d'une autre caufe d'en
nui , au commencement de cette lettre :
c'eſt la coupure de nos grands vers en
deux parties égales. A ce mal , il n'y a
point de reméde ; il faudra toujours que
NOVEMBRE 1760. 27
fi
nous ayons une céfure à la fixiéme fyllabe.
Mais peut -être ce mal n'eft il pas
grand que je le faifois d'abord ; car j'ai
déja remarqué , il y a long - tems , qu'outre
cette céfure il s'en trouve d'autres dans
nos vers , en forte qu'au lieu d'être coupé ,
en deux parries égales , ils le font quelquefois
en trois inégales . Cela eſt aiſé à
appercevoir , quand on lit les vers comme
on doit les lire. Je vais vous en tranfcrire
quelques- uns , & vous marquer d'un
trait les différentes céfures que j'y trouve.
Quedis-je ? où font ces tems, | où font ces jours
profpéres ,
Oùj'ai vu les François malfacrés par leurs fréres ?
C'étoit vous, Prêtres faints, qui conduifiez leurs
bras.
|
Coligny par vous ſeuls | a reçu le trépas,
J'ai nagé dans le fang : que le fang coule encore .
Montrez-vous : infpirez ce peuple qui m'adore .
Henriade.
Quelle variété ! Combien tous ces vers
fonnent différemment à l'oreille ! Le premier
eft coupé en trois parties toutes inégales.
Le troifiéme auffi en trois parties ,
dont la feconde eft égale à la premiere ,
& la troifiéme différente des deux autres.
Le fecond vers & le cinquième , ne
font pas d'une même efpéce dans tous
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
deux la céfure eft feulement à la fixiéme
fyllabe ; mais cependant au fecond la céfure
fe fait à peine fentir dans la déclamation
, & l'on ne doit s'y arrêter qu'infenfiblement
, enforte que le vers entier
paroiffe prononcé de fuite & d'une haleine
:
Où j'ai vû les François maffacrés par leurs fre
res,
Et au cinquième , la céfure eft tranchante
& l'on s'y arrête long- tems : ainſi
ce vers doit fe prononcer comme deux
vers de fix fyllabes :
J'ai nagé dans le fang :
Que le fang coule encore.
Le dernier vers eft encore d'une efpéce
différente de tous les autres : car , après
s'être arrêté à la premiere céfure que j'ai
marquée enfuite de la troifiéme fyllabe ,
on doit prononcer le refte du vers fans
s'interrompre , ou , s'il y a encore un repos
à obferver , ce fera après le mot peuple
:
Montrez-vous.... infpirez ce peuple.... qui m'adore
.
Mais c'eft pouffer trop loin ces réfléxions
de grammaire-poetique. Je crois cepenNOVEMBRE.
1760. 29
dant qu'elles font neuves , & qu'elles ne
font pas tout-à-fait inutiles . Je penfe bien
que ces différentes coupures de vers ,fe font
offertes d'elles - mêmes au Poëte dans l'a
chaleur de la compofition ; mais il n'en
eft pas moins vrai , qu'on pourroit auffi les
chercher quelquefois pour la variété &
pour repofer l'oreille. C'eft un agrément
que Corneille ne connoiffoit point.
Revenons à notre ſujet . Voilà donc une
nouveauté introduite dans nos vers Aléxandrins
: les rimes croifées . Je crois qu'on
pourroit encore ofer davantage. Qui empêcheroit
qu'on ne changeât la mefure
des vers dans les récits vifs , dans certains
monologues , dans les morceaux où les
paffions font véhémentes ? Il femble que
dans bien des endroits , les vers mêlés conviendroient
mieux que les grands & lourds
Alexandrins . Un Poëte qui a du goût, fauroit
quand il faudroit changer la meſure
des vers , & quelle mefure il faudroit choifir
; & là- deffus , comme fur prèfque tout ,
on ne donneroit jamais de régles qui në
fuffent des fottifes .
Cette variété ne feroit une chofe nouvelle
que pour les Modernes , car les Grecs ni
les Romains , ne fe font jamais affujettis
à une même meſure dans leurs ouvrages
dramatiques.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Tout le monde convient qu'il n'y a
point de Langue moins poëtique que la
nôtre , & que notre verfification eft la
plus ingrate de toutes. Qu'on ne vienne
donc pas nous empêcher d'en tirer le meil
leur parti qu'il eft poffible.
Mais ce n'eft pas feulement dans la verfification
que fe trouvent les nouveautés
introduites par M. de Voltaire dans fon
Tancrède : il y a auffi un changement de
décoration , qui fait crier les frondeurs
littéraires. Examinons s'il y a quelque régle
violée dans ce changement de décoration
, & fi cette violation de régle eft un
attentat poëtique.
Ariftote , qui n'a jamais fait un vers , a
donné des loix aux Poëtes , & j'ai cherché
ce qu'il difoit fur l'unité de lieu. Je viens
de relire prèfque toute fa Poëtique , & je
n'ai point trouvé ce que je cherchois . Je
croyois avoir mal lu , & qu'il avoit certainement
recommandé cette vérité. J'ai
ouvert le difcours de P. Corneille fur ce
fujet , & voici ce que j'y ai lu : Quant à
l'unité de lieu , je n'en trouve aucun précepte
dans Ariftote , ni dans Horace.
Puifque ces deux Anciens fe font tus ,
jugeons M. de Voltaire fur les préceptes
& fur l'exemple du Grand Corneille . Le
fentiment d'un Poëte , & d'un très -grand
NOVEMBRE. 1760. 31
Poëte , fera ici d'un bien autre poids que
celui du Logicien.
Souvenez vous que toute la violation
de M. de Voltaire confifte à avoir placé la
Scène aux deux premiers Actes , dans une
Salle à Syracufe , & aux trois autres
dans une Place publique de la même Ville.
Ecoutons à préſent Corneille.
D'abord, il fouhaiteroit que toute l'action
d'un drame , fe paffat dans un même
lieu nous le fouhaiterions avec lui ;
rien n'eft plus aifé que les fouhaits . Mais
il ajouté Souvent cela eft fi malaife ,
pour ne pas dire , impoffible , qu'ilfaut de
néceffité trouver quelqu'elargiffement pour
le lieu comme pour le tems ...... J'accorde
rois très volontiers que ce qu'on feroit paffer
en une feule Ville , auroit l'unité de
lieu. Ce n'eft pas que je vouluffe que le
Theatre repréfentât cette Ville toute entiére
, cela feroit un peu trop vafte ; mais
feulement deux ou trois lieux particuliers ,
enfermé dans l'enclos de fes murailles .
( Difcours des trois unités . )
Eh bien ? M. de Voltaire a - t-il gagné
au tribunal de Corneille ? Mais confidérons
la pratique de celui - ci . Dans Cinna,
une partie de la Piéce ſe paſſe dans le Palais
d' Augufte , & une partie dans la maifon
d'Emilie. "Dans Rodogune , la Scène
B iiij
32
MERCURE DE FRANCE.
eft au premier Acte dans l'antichambre de
Rodogune , au fecond dans la chambre de
Cléopâtre , au troifiéme dans celle de Rodogune
; elle varie plufieurs fois au quatriéme
Acte ; & au cinquième elle eft dans
une Salle d'audience. Une partie du Menteur
fe paffe aux Thuilleries , & l'autre à
la Place Royale . Corneille n'a pas été plus
fcrupuleux dans la plupart de fes autres
Piéces. M. de Voltaire a - t il pris de telles
libertés I en a pris beaucoup moins ;
mais , par fon changement de décoration ,
il a averti le Public de ce qu'il s'eft permis
; au lieu que Corneille a femblé vouloir
le féduire en confervant la même décoration
, lorfque le lieu n'étoit plus le
même. Deux hommes tentent une entreprife
difficile : tous deux échouent ; mais
l'un d'eux veut infinuer qu'il a réuffi . Lequel
condamnerez-vous ?
Tant qu'on voudra s'aftreindre à une
obfervation exacte & fcrupuleule de la
régle des unités , on trouvera nombre de
beaux fujets impraticables.
L'unité d'action femble la plus néceffaire
cependant Corneille & Racine s'en
font fouvent écartés : car que font ces épifodes
fi fréquens dans Racine & affez fré
quens dans Corneille , finon une feconde
action ?
NOVEMBRE 1760. 33
Corneille a demandé grace pour ceux
qui étendroient l'unité de tems à trente
heures. Ce grand homme connoiffoit les
difficultés de l'art .
La feule unité de lieu , fera-t- elle plus
privilégiée que les autres ?
Mais , dit - on , eft - il vraiſemblable que
je fuive les Acteurs d'un lieu à un autre ,
tandis que je refte immobile dans le Parterre
?
- Mais , Cenfeur , eft il vraisemblable
qu'un Prince communique devant vous
à fon Confident , fes fecrets les plus cachés
? Eft- il vraisemblable qu'un Héros
prononce un long monologue , où il parle
tout feul au milieu de deux mille perfonnes
? Eft- il vraisemblable qu'une Princeffe
expirante, ait un teint de rofes ? Eft - il vraifemblable
qu'un Héros fe poignarde ,fans
verler une goutte de fang : Eft-il vraifemblable
qu'un Sénat parle , en vers ? Eft il
vraisemblable ? ... Je ne finirois pas.
Ou prêtez- vous à l'illufion , ou qu'on ne
faffe plus de Tragédies.
Poëtes Anglois , quelles beautés n'avez
-vous pas qui nous font inconnues ?
Mais vous êtes des hommes libres , & nous
marchons chargés de fers .
Ou l'on allégera ces fers , ou il faut
Hous en tenir aux richeffes que nous pof
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
fédons. Il n'eft point de mine inépuisable ;
il n'eft point de genre qui n'ait fes limites .
Ou banniffons les hommes de génie , ou
permettons au génie d'être audacieux .
Je ne ferois point choqué qu'on me
donnât un drame fait avec goût & avec
génie , mais dont l'Auteur auroit peu penſé
aux régles . J'écouterois avec attention ;
je me laifferois entraîner aux mouvemens
qui me feroient infpirés ; & fi j'étois ou
amufé ou touché , j'applaudirois . S'il me
faifoit plus d'impreffion qu'Athalie , je
dirois qu'il eft moins exact , qu'il eft plus
imparfait ; que je l'eftime moins , mais
que je l'aime davantage. Souvent ce ne
font pas les beautés régulières qui plaifent
le plus..
Infectes du Parnaffe , qui ne voulez pas
que l'on vole , parce que vous êtes obligés
de ramper; quand nous permettrezvous
d'avoir un plaifir bien flatteur pour .
une âme qui aime à être émue ? Savezvous
, Monfieur , quel eft ce plaifir que
je defire tant ? C'eft de voir repréſenter
fur notre Théâtre , avec les feuls agrémens
qu'exige la bienféance , ou plutôt l'exceffive
délicateffe de notre Nation , la piéce
Angloife du Marchand de Londres. Vous
verriez frémir & fondre en larmes les Loges
& le Parterre jamais vous n'auriez
NOVEMBRE . 1760. 35
été témoins d'un tel fpectacle. Barnewelt
plein de vertus & devenu par une paffion
malheureuſe le plus criminel , le plus affreux
des hommes , mais toujours agité
de remords & condamné enfin au dernier
fupplice : quel Héros plus touchant ! C'eſt
une Piéce faite pour le genre humain
parce que le fond du coeur eft partout le
même. C'eſt une Piéce faite furtout pour
les coeurs bien placés , parce qu'ils font
plus expofés que les autres à une paffion
aimable , mais qui peut devenir bien funefte.
Si Shakespeare étoit né en France au dixhuitiéme
fiécle , il auroit été , fans doute ,
plus régulier ; mais ou il auroit bravé bien
des gens , ou il n'auroit pas ces grands
traits de génie que nous admirons . Il faut
fouvent braver les efprits pufillanimes.
Ils meurent , & l'ouvrage qu'ils ont condamné
refte.
Je fuis , Monfieur , &c.
L'ABBÉ LEVESQUE,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
L
A LA MEMOIRE DE MON AMI.
*
Es grâces , le fçavoir , le goût & le génie
La douce & flatteufe harmonie ,
Furent des doctes foeurs , le célefte préfent
Que Blamont reçut en naiſlant.
L'amour l'anima de fa flâme ,
La fidelle amitié s'envola dans fon âme ;
Leurs charmes réunis , comblerent fes defirs.
Il cultiva les arts & les plaiſirs ;
Le fentiment forma fon caractère ,
Et qui le cónnur , le chérit.
Sous quelqueforme qu'il s'offrêt ,
Il étoit affuré de plaire.
Rempli des traits étincelans
Du feu que ravit Prométhée
Par le mêlange des talens ,
Il fut un aimable Prothée.
"
?
Les mêmes fleurs , enfin, qui couvroient fon berceau,
Croiffoient encore autour de fon tombeau.
* Feu M, Colin de Blament , Surintendant de la. Mu
fique du Roi,
Par M. TAN EF OT,
NOVEMBRE. 1760. 37
VERS à Mlle CLAIRON , jouant le
Rôle d'AMÉNAÏDE
de TANCRÉDE.
dans la Tragédie
Au milieu de ce cri flatteur , U
Qui retentit en ton honneur >
Clairon , oferai- je prétendre,
Que jufqu'à toi ma voix ſe faſſe entendre
Telle qu'une Divinité ,
Fiere & touchante Aménaïde ,
Oui , je te vois , oui mon coeur tranſporté ,
Efclave du tien , qui le guide,
S'irrite , eft appaifé , fe confole , gémit ,
Tremble , s'allarme , eſpére , craint, frémit.
O moment précieux , lorsque l'active joie ,
Sur ton front éclairci par degré le déploie !
Tes douleurs , tes plaifirs , ta vive émotion ,
Paroiffent enfantés par la Nature même.
Quoi ! tant d'amour n'eſt qu'une fiction ,
Quand chaque (pectateur dit : c'eſt ainfi que j'aime!
Quand trop épris d'un art , que je crois paffion
Quand rival jaloux de Tancréde ,
Je voudrois te caufer la même impreſſion !
Talent fublime à qui tout céde !
Je le fens , je l'admire , & ne le peindrai pas.
Relâche- toi , Clairon , du droit d'être ſévère ;
Lis mes Vers : de tes yeux fi doux,fi pleins d'appas,
Qu'ils paffentpar ta bouche , &je fuis für de plaire
ParM. GUICHARD,
8 MERCURE DE FRANCE
BOUQUET.
POUR OUR offrir un bouquet , à l'aimable Silvie
Digne de fes attraits , digne dé mon ardeur
Flore à chercher chez toi je pafferois ma vie ;
De tes riches tréfors qu'emporter une fleur.
Non , me difois -je , il faut que l'Amour même
Daigne préparer mon encens :
Il fçait combien font dûs les feux que je reſſens ,
Puifqu'il forma l'objet que j'aime.
J'eus donc recours à lui ; je peignis vos appas ,
Mes fentimens pour vous , enfin mon embarras.
Encor fi je croyois , lui dis- je , pour hommage ,
Qu'elle pût accepter un coeur tendre , conftant ,
Dont le feu vif & pur n'admet aucun partage ? ...
Oui , dit l'Amour , un coeur eſt un rare préfent-
Pour qui voit l'Univers fubir fon eſclavage !
J'ai jufé , dites-vous , de n'être point volage.
Eh ! qui connoît Silvie , & n'en dit pas autant.
Par T. P.
NOVEMBRE. 1760 . 39
FANN Y.
Nouvelle Angloife .
FANNY entroit dans ſa quinziéme année
, cet âge où les femmes commencent
à s'appercevoir qu'elles font jolies , & à
croire que l'art de plaire eft le premier
de tous. Le pere de cette jeune perfonne
jouiffoit d'une fortune brillante ; il eft
vrai qu'il l'a devoit à des Emplois diftingués
qu'il poffédoit à la Cour. Sa mort
imprévue plongea fa veuve & fa fille dans
une fituation bornée , qui approchoit de
Findigence. Elles trouverent de vrais.
amis , qui leur épargnerent cette humiliation
, la compagne de tout ce qui porte
le caractère de l'infortune. Elles confervérent
donc cette confidération , que
l'on accorde à l'extérieur de l'aifance.
Fanny ne vouloit pas fe dire , que cer
éclat qui les environnoit , dépendoit du
caprice d'autrui , qu'un inftant pouvoit
voir cet enchantement s'évanouir fous la
baguette de quelque Génie ennemi : elle
avoit d'autres yeux que ceux de la raiſon.
Les agrémens de l'efprit étoient venus ſe
40 MERCURE DE FRANCE
joindre aux charmes de la figure ; c'en
étoit affez pour que Fanny s'abusât encore
plus , que de compter fur la bienfaifance
des perfonnes qui les obligeoient.
La perfpective la plus riante lui offroit
fans ceffe un mariage confidérable , qui
l'éléveroit au faîte de l'opulence & des
grandeurs ; en un mot , elle ne voyoit
que fa beauté. Sa mére , qui ne fe trompoit
point fur les déffauts de fa fille ,
avoit déja faifi ce goût de coquetterie
qui la dominoit. Elle lui donnoit de fages
confeils , & y ajoûtoit ces larmes
maternelles , plus touchantes que tous
les difcours ; ces pleurs gliffoient fur le
coeur de Fanny : où la mére appercevoit
des fautes , des périls évidens , la fille
n'enviſageoit que les agrémens du monde
, un art innocent de plaire , qui répand
des fleurs fur l'efprit de fociété ,
qui ne forme que des chaînes légères , &
prête de nouvelles grâces à la beauté.
Fanny étoit une des Toftes ( a ) les plus
à la mode. Les Beaux (b) , les plus en
réputation , affiftoient à fon the. Dans
(a ) C'eft la Coutume en Angleterre de boire
à la fanté du Roi , des Princes , des plus jolies
Femmes on appelle ces fantés des Toftes.
(b) Les Beaux , c'eft le titre qu'on donne aur
Petits-Maitres de l'Angleterre.
NOVEMBRE . 1760 . 47
le nombre , fe faifoit remarquer Dygby ,
un jeune Baronet , qui venoit d'entrer en
poffeffion de fes titres & de fes biens. Ses
attentions marquées pour Fanny , lui
firent croire qu'elle pouvoit regarder cet
Amant comme prêt à devenir fon mari ;
elle fouffrit donc les affiduités de Dygby ;
enfin il fe déclara , il parla : mais quel
coup de foudre , pour la vanité de fa
maîtreffe ! Le Baronet ne s'étoit expliqué
que comme un homme à bonnes fortunes ,
qui étoit bien éloigné de vouloir devoir
fon bonheur au mariage .
>
Sa propofition fut rejettée avec autant
d'indignation , que de mépris. Dygby
favant déja dans le talent de féduire ,
ne fut point déconcerté ; il fe jetta aux
pieds de Fanny , s'excufa fur l'excès de
fa paffion. Fanny eut la foibleffe de lai
pardonner , comptant toujours que fes
charmes détermineroient Dygby ; peutêtre
l'amour avoit- il fait , dans le coeur
de cette malheureufe fille autant de
progrès , que cet orgueil qui l'aveugloit.
Le féducteur,décidé à la pofféder fous le
titre honteux de maîtreffe , ou à ceffer de
la voir, s'il ne pouvoit en triompher à ce
prix , prétexta un voyage de quelques
jours ; & en prenant congé de Fanny , il
lui laiffa une lettre entre les mains . Cette
"
42 MERCURE DE FRANCE.
lettre mettoit le comble aux procédés
infolens du Baronet ; il y parloit le même
langage qu'il avoit employé dans fon
premier aveu à Fanny. Elle fut bientôt
déterminée fur le parti qu'elle avoit
à prendre ; elle donna ordre que la porte
fût fermée à Dygby : mais la vanité ne
voulut rien perdre de fon triomphe
elle montra cette lettre aux femmes de
fa connoiffance ; elle expofa , pour ainfi
dire , en plein cercle fon tentateur pieds
& mains liés enchaîné à fon char : elle
regardoit cet acte d'indifcrétion comme
un témoignage irréprochable de fa
vertu , & un reproche impofant à quiconque
auroit la témérité de blâmer la
légéreté de fa conduite . Quelques jours
après cette avanture , Fanny affifta à la
repréfentation d'une nouvelle Piéce , au
Théâtre de Drury Lane. L'Affemblée
étoit nombreufe . Bentley , jeune homme
, fils d'un Négociant extrêmement riche
, & qui , lui même , étoit déja maître
de quelque bien , voit Fanny , eft frappé
de l'éclat de fa beauté , & en devient
éperduement amoureux. On fçait que les
grandes paffions ont fouvent été l'ouvrage
d'un feul inftant .
L'efpérance , autant que la curiofité ,
fait demander à Bentley qui peut être la
NOVEMBRE. 1760. 43
fouveraine de fon coeur ; car Fanny l'étoit
déja. Ce qu'il en apprend , lui fait
craindre d'être féduit en faveur d'une
femme qui n'eſt pas digne d'un attachement
férieux. Elle eft dépeinte à fes yeux
comme une adroite coquette , qui n'eft
jalouſe que d'exciter des paffions , & cependant
qui ne favorife aucun de fes
Amans. Mais l'amour parloit , il eſt ſeul
écouté de Bentley ; il prend le parti d'écrire
à la mére de la jeune Miff; il détailloit
dans cette lettre l'état dont il jouiffoit
, les efpérances d'une fortune beaucoup
plus confidérable , & il demandoit
en grace d'être admis au nombre des heureux
qui faifoient leur cour à Fanny, dans
l'intention de lui offrir leur main. La
mére , après quelques informations , trouva
que Bentley avoit dit la vérité ; elle
permit donc qu'il vînt lui rendre vifite . Il
vola à l'invitation . Cette Dame ,feule ,l'attendoit
; elle lui apprit , avec une noble
franchife , que fa fille avoit de fon côté
peu de bien à eſpérer . Elle ajoûta , que
pour lui qui dépendoit de la volonté d'un
pére , il s'engageroit dans une démarche
des plus imprudentes , de nourrir une
paffion fans l'aveu de fes parens ; qu'enfin
il ne devoit reparoître à fes yeux , qu'appuyé
du confentement de fon pére . Bent
44 MERCURE DE FRANCE.
2
ley étoit embarraffé dans fa réponse ;
Fanny entra : le nouvel Amant lui plut .
Sa perfonne , fon ajuſtement , fa timidité
réuffirent ; ils furent contens l'un de l'autre.
La converfation , l'amour , le fentiment
réciproque fe fortifia ; les vifites furent
répétées , malgré la fage précaution
de la mére. Chaque moment ajoûtoit à
la vivacité de l'amour de Bentley ; il craignoit
cependant fon pére. Il avoit laiſſé
entrevoir fon goût & fes deffeins ; des
indifcrétions de Fanny , fa façon de vivre
, fes fociétés , tous ces traits n'étoient
point échappés à la connoiffance du vieux
Bentley. Le fils imagina envain tous les
moyens poffibles de faire agréer fon mariage
à fon pére ; ce dernier fut infléxible .
Las de ces inutiles éfforts , fatigué de ſe
combattre foi même , le jeune Bentley s'a
bandonna à fa paffion : il époufa fa Maitreffe
qui l'imita , & contracta cet engagementfans
l'aveu de fa mére.L'ivreffe denos
Amans ne pouvoient être éternelle ; ils ouvrirent
les yeux. Fanny fut la premiere
qui inftruifit fa mére de fon mariage. Elle
fentit toute l'étendue de la fauffe démarche
de fa fille ; elle en conçut un chagrin fi
violent , qu'elle ne fit que traîner une vie
languiffante , & elle expira dans les bras
de Fanny , en lui pardonnant , & en priant
NOVEMBRE. 1760. 45.
le Ciel qu'il détournât l'orage qu'elle prévoyoit.
Bentley étoit accablé de douleur ; il
aimoit fon pére & il en étoit aimé : quelquefois
il fixoit fur lui fes yeux couverts
de larmes ; il vouloit lui révéler fon fecret
, & la voix lui manquoit ; enfin il
réfolut d'écrire à fon pére. La lettre étoit
exprimée dans les termes les plus refpectueux
, les plus touchans , & en même
tems les plus favorables pour fon épouſe.
Le jeune homme , après un tableau de fa
conduite qui jufqu'alors avoit été irréprochable
, demandoit , au nom de la tendreffe
filiale , de l'humanité , qu'il pût s'aller
jetter aux genoux de fon pére , lui préfenter
fa femme , & qu'il leur accordât ſa
bénédiction , qui mettroit le comble à leur
bonheur. Le Vieillard furieux , à la lecture
de cette lettre , répondit à fon fils que s'il
n'avoit fait que la folie d'avoir eu du goût
pour Fanny , & que cette faute l'eût entraîné
dans quelques dettes , l'amour pacernel
eût pris fa défenſe : mais qu'il n'y
avoit point de pardon à efpérer après un
pareil mariage ; il ajoutoit , que fa maiſon
lai étoit interdite ; qu'il renonçât à fon
ére pour jamais ; il finiffoit par l'accabler
de fa malédiction . Cette cruelle réponſe
porta la mort dans le coeur du fils. L'eférance
cependant que fon pére fe laiffe46
MERCURE DE FRANCE.
roit défarmer , l'arracha à l'horrible mélancolie
où il étoit plongé depuis ce funefte
mariage. Fanny réuniffoit tous les
charmes : c'en étoit affez pour adoucir la
trifteffe de Bentley ; il remit donc au tems
à folliciter un pardon qu'on lui refuſoit ſi
durement. Il loua un joli appartement
garni pour fa femme ; & deux mois après
il entreprit le voyage des Echelles du Levant.
Il falloit qu'il fongeât férieuſement
à fa fortune, puifque felon les apparences
il n'avoit rien à attendre de fon père. Le
moment de fon départ arrivé , il lui fembla
que le bandeau de l'Amour tomboit
de fes yeux : il connoiffoit fa femme vive,
enjouée , aimant la fociété , la louange ,
ce qu'on appelle le tumulte du monde ,
& il la laiffoit feule expofée à ces diverfes
féductions ! Bentley aimoit éperdument
: il n'eut pas de peine à devenir jaloux.
Fanny , de fon côté , paroiffoit s'éfforcer
de juftifier les craintes de fon mari.
La mauvaiſe humeur du vieux Bentley ,
la mort de fa mére , fon mariage , qui
avoit été une fource de chagrins pour fon
époux , rien n'avoit pu lui faire changer
de caractére & d'extérieur , elle fe laiffoit
emporter dans les mêmes tourbillons où
elle avoit vécu avant que d'être unie à
Bentley. Il partit enfin, le coeur déchiré d'at
NOVEMBRE. 1760. 47
mour & de jaloufie . Son abſence ne fit que
donner plus de liberté à Fanny pour céder
àce goût du monde qui l'entraînoit . Sa con.
duite prit une forme encore moins circonfpecte
; aujourd'hui au Bal , demain à
l'Opéra , voltigeant de fêtes en fêtes
cherchant à fixer les yeux dans les Affemblées
publiques , revenant tard à la maifon
, quelquefois reftant plufieurs nuits
fans y reparoître . C'eft ainfi que Fanny
s'abandonnoit à l'impétuofité de fes defirs
, & de fes étourderies. Cette façon de
vivre , donnoit à raifonner à l'Hôte & à
l'Hôteffe. Ils prirent d'abord cette jeune
Dame pour une de ces femmes qui n'ont
d'autre état que le plaifir ; ces foupçons
les conduifirent à des recherches . Ils découvrirent
pourtant que Fanny voyoit
des femmes eftimées , & dont la réputation
étoit à l'abri des moindres traits de
la malice humaine . Il eft vrai que fa conduite
étoit inexcufable : toutes les ápparences
dépofoient contr'elle ; ſes voifins
en penferent & en parlerent mal.
L'Hôteffe, malgré fes informations , ne put
retenir fon envie de fe plaindre , elle ofa ,
en termes les plus refpectueux , faire des
repréfentations à Fanny qui les reçut trèsmal
, elle en fut même indignée . Fière
d'une vertu qu'elle confervoit au milieu
48 MERCURE DE FRANCE.
de ce tourbillon de coquetterie & de légéreté
, elle répondit à l'Hôteffe avec un
mépris qui perça le coeur de la bonne femme
; qui fe retira, bien réfolue de donner
le congé à Bentley à fon retour. Il revint
au bout de dix mois , après avoir fait un
voyage heureux. L'Hôteffe lui annonça ce
fatal congé. Bentley demeura étonné.
Ayant toujours payé avec exactitude , il
ne pouvoit foupçonner quelles raiſons lui
attiroient un pareil procédé : il en voulut
être inftruit. L'Hôteffe qui avoit un bon
coeur & de l'humanité , refufoit d'éclairer
Bentley. Il perfifta dans fes demandes :
fans doute qu'il s'apperçut de quelque embarras
; il pouffa cette femme qui , après
avoir hélité quelque tems , avoua avec
peine que Madame voyoit trop de monde
; que
fouvent elle reftoit en Ville trèstard
; que le repos & la régularité avoient
régné dans fa maiſon jufqu'à l'arrivée de
Bentley & de fa femme ; qu'elle étoit , en
un mot , réfolue de louer fon appartement
à des perfonnes d'un genre de vie plus
tranquille.Cette explication ,à chaqué mot,
frappoit Bentley d'un coup de poignard :
il tomba dans une rêverie profonde. Il en
fortit tout à-coup pour conjurer l'Hôtelle
de ne lui rien cacher. Celle- ci s'apperçut
qu'elle avoit trop parlé ; mais les bleffures
étoient
NOVEMBRE. 1760 . 49
étoient faites ; elle chercha en vain à le
raffurer , en lui difant qu'il avoit tort d'être
allarmé fur la vertu de Madame ; qu'il n'y
avoit à reprendre en elle que cet air de
diffipation attaché à toutes les jeunes perfonnes
qui figurent dans le monde : cette
elpéce de réparation ne fit point mourir
les foupçons de Bentley , ils prirent au
contraire une nouvelle force : il imagina.
qu'il avoit trouvé dans cette Hôteffe une
furveillante à qui il pouvoit confier fes plus
chers intérêts. Il déclara donc à cette femme
, qu'il avoit quelques doutes fur fon
époufe ; qu'il étoit de la plus grande importance
pour fa tranquillité & fon honneur,
d'éclaircir ces doutes; il la pria qu'elle
lui laiffat encore l'appartement le terme
d'une année , ajoutant qu'il avoit un nouveau
voyage à faire qui ne feroit pas long;
que pendant ce tems , il la chargeoit d'avoir
les yeux ouverts fur Fanny ; & qu'à
fon retour , le compte que l'Hôteffe lui
rendroit le guideroit dans le parti que néceffairement
il devoit prendre. L'Hôtelle
fit quelque difficulté ; Bentley preffa , joignit
aux prieres les plus vives les raifons les
mieux préfentées : la bonne femme enfin
céda , & promit de s'acquitter avec fidélité
d'une commiffion auffi délicate. Bentley
s'étudia à cacher fes foupçons à la fem-
C
So MERCURE DE FRANCE
me ; ils fe diffiperent en fa préfence. Il
y avoit des momens , où il eût voulu employer
les reproches : il regardoit Fanny
& il craignoit de faire couler fes pleurs ;
il fçavoir que fa femme joignoit un caractére
alrier à beaucoup de douceur ; il cherchoit
à lui plaire ; quelquefois il fe laiffoit
féduire par le plaifir de croire qu'il étoit
aimé: mais ces inftans étoient bientôt fuivis
d'autres momens , où la plus fombre
jaloufie le dévotoit. Enfin Bentley part
pour fon fecond voyage ; & ne peut s'empêcher
d'ouvrir fon coeur à la tendreffe la
plus vive. Ma chere âme , dit- il à fon
époufe , en la preffant contre fon fein , je
fçais que mon pére veille jour & nuit fur
votre conduite ; fa façon de penfer , fon
retour dépendent entierement de vous ;
ma fortune , que dis -je ! ma vie eft entre
vos mains vous fçavez combien mon
pére m'eft cher ; il eft fur les bords de la
tombe , & il va peut- être y defcendre en
emportant des fentimens de haine contre
fon malheureux fils ! .... s'il n'a rien à
vous reprocher , il me rendra fes bontés ,
fon coeur paternel .... Ma chere Fanny
prends pitic de moi-même ! ... je t'aime ...
je t'adore... & tu me perces le coeur
je doute de ta tendreffe ! .... n'empoifonne
pas le bonheur que je te dois : j'ai connu
NOVEMBRE. 1760. Sx
....
'Amour par toi .... connoîtrois - je , par
tout ce qui m'attache à la vie, le plus cruel
des tourmens ? refpecte ma fenfibilité ,
ma délicateffe .... crains - moi .... que
dis- je daigne m'aimer , & je reviens à tes
pieds le plus heureux des hommes ! Bentley
accompagna de fes larmes cette éffufion
de fon coeur ; Fanny y répondit par les
careffes les plus vives , les plus tendres :
ils fe quitterent enfin comblés , l'un & l'autre
, des témoignages d'un amour inaltérable.
Fanny , veuve pour ainfi dire une feconde
fois , fe trouva enceinte : elle eut
le malheur de faire une chûte ; elle accou
cha avant terme. L'enfant qu'elle mit au
monde , ne fouffrit point de cet accident.
Livrée à elle- même, elle fe rappella les difcours
de fon mari ; fon dernier entretien
lui étoit resté gravé profondément dans
fon efprit : la naiffance de fon enfant pouvoit
paroître équivoque , les circonftances
n'étoient pas favorablesà la vérité. Un jour
que le hazard l'avoit conduite dans le Parc
Saint James , elle vint à s'affeoir à côté
d'une Dame , qui bientôt entra en converfation
avec Fanny. L'entretien de
l'inconnue plut beaucoup à l'époufe de
Bentley , dont l'efprit n'intéreffa pas
moins l'étrangere ; toutes deux conçurent
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
un defir extrême de fe connoître & de
fe voir. La Dame fit les avances ; elle
vint chez Fanny ; qui , à fon tour , fans
faire d'autre information que celle de
la demeure de l'inconnue , fe hâta de
lui rendre fa vifite . Elles fe mirent à la fenêtre
: quelqu'un fixa les yeux de ce côté,
Fanny , après l'avoir examiné quelques
inftans , crut reconnoître le pére de fon
mari . D'abord il regarda fa bru ; & portant
enfuite la vue fur la Dame qui étoit
à fes côtés , il laiffa échapper un gefte de
mépris & d'indignation , & fe retira. L'époule
de Bentley , qu'avoit déconcertée
la préfence de fon beau - pere , ne put foutenir
ce coup; elle fut pénétrée de douleur,
mais fans pouvoir foupçonner la cauſe
de cette efpéce d'infulte. Peu de tems
après la Dame difparut ; on dit à Fanny
qu'elle étoit fortie de l'Angleterre pour
voyager. Fanny rentra donc dans fon ef
péce de folitude ; elle s'abandonnoit à des
craintes fans nombre fur la naiſſance de
fon fils , elle l'allaitoit elle - même , & il
prenoit des forces au point qu'on ne pouvoit
plus diftinguer qu'il étoit né avant
terme. Chaque regard que fa mére laiffoit
tomber fur lui , étoit chargé de larmes.
Après bien des projets, elle conçut le deffein
de cacher à fon mari l'âge de fon enNOVEMBRE
1760. 53
fant. Il avoit fix mois , quand Bentley revint.
Elle reçut fon époux avec des tranfports
de joie , mêlés d'un embarras qu'elle
ne pouvoit vaincre . Fanny n'avoit pas
cette férénité qui fuit la jouiffance des
plaifirs purs & innocens ; à peine elle fourioit
quelquefois elle fe furprenoit les
yeux baignés de larmes qu'elle renvoyoit
dans fon coeur . Bentley embraffoit fa femme
& fon fils. La vue de cet enfant lui faifoit
defirer avec plus d'empreffement que
jamais de regagner latendreffe de fon pére.
Il apprend qu'il eft dangereufement malade
; il y vole , promettant à fa femme qu'il
reviendroit fouper. Il avoit au milieu de fes
caréffes demandé l'âge de fon enfant; Fanny
avoit éludé la queftion . Bentley fortoit
du logis, quand il eft arrêté par l'Hôteffe
il n'étoit pas trop difpofé à s'informer fi
elle s'étoit acquittée de fa commiffion ;
mais les regards & les fignes de cette femme
lui apprirent qu'elle avoit quelque
particularité importante à lui communiquer
; il entra dans la chambre , elle ferma
la porte avec précaution , & alors elle
rappella à Bentley le foin dont il l'avoit
chargée. Elle ajouta , que c'étoit contre
fon gré qu'elle s'étoit prêtée aux importunités
de Bentley. Monfieur , pourfuitelle
, je fuis très - fâchée de vous faire part
C iij
$ 4 MERCURE DE FRANCE.
de ce que je vais vous apprendre ; mais
vous êtes un galant homme , & mon honneur
me défend de vous cacher la moindre
circonftance. Elle lui dit alors que
fon fils n'étoit pas venu à terme ; qu'elle.
avoit voulu examiner de près cet enfant ,
& qu'elle avoit été toujours refufée . Ce
qui confirmoit cette femme dans fes foup--
çons , c'étoit la hauteur arrogante avec
laquelle Fanny l'avoit écartée depuis
qu'elle s'étoit mêlée de donner des con-
1eils.
A ce rapport, Bentley fut prêt de s'évanouir.
Il fe reflouvint qu'on avoit évité
de répondre à fa demande , fur l'âge de
l'enfant ; il refta attaché à cette affreufe,
penfée , trait perçant qui lui déchiroit
le coeur ! auffitôt , une horrible image s'éléve
dans fon âme ; il fe voit le jouet d'une
miférable & d'un bâtard qui l'avoient
arraché du fein de fa famille ; ce ſpectacle
le plonge dans le défefpoir . Il paffe
de la fornbre douleur aux emportemens
de la fureur la plus violente. Plus il envifage
fa femme coupable , plus il revoit
fon pére digne de toute fa tendreffe : il
court dans l'intention de fe jetter à fes
pieds , & d'obtenir fon pardon . Il ne fut
pas arrivé dans ce défordre à la demeure
de fon pére, qu'il apprend qu'il vient d'ex
NOVEMBRE. 17607 5.5
pirer , & que
fes parens étoient affemblés
pour affifterà l'ouverture de fon Teftament.
Bercley, un des freres de la mére de
Bentley & qui avoit toujours aimé tendrement
ce neveu , entend fa voix ; ik
l'embraffe , & le preffe d'entrer dans l'appartement
où la famille étoit réunie.
Bentley fe laiffe entraîner égaré , hors de
lui- même ; on lit le Teftament : Bentley
loin d'entendre un feul mot , n'étoit occupé
que du rapport
cruel
de l'Hôtelle
Il ne fort de fa léthargie
, que
lorfque
la
perfonne
qui avoit
le Teftament
entre
les
mains,eut ceffé de lire. Son oncle
, croyant
que cet accablement
de trifteffe
étoit
produit
par ce qu'il venoit
de fçavoir
des dernieres
volontés
de fon pére , qui ne lui
laiffoit
qu'un
feul
Schelling
pour fa légirime
, conduit
fon neveu
dans
une autre
chambre
, & cherche
à juftifier
la dureté
de fon beau- frere , en difant
à Bentley
que la façon
de vivre
de la femme
n'avoit
fervi
qu'à
irriter
de jour en jour fon pére ,
indifpofé
déja
par fon mariage
; que le
déshonneur
de fon épouſe
étoit
public
depuis
furtout
qu'on
l'avoit
vue liée de
fociété
avec
une femme
perdue
de réputation
.... ce nouveau
trait contre
Fanny
,
acheva
d'enfoncer
le poignard
dans
le
çoeur
de Bentley
. Son oncle
, cherchant
à
C iv
46 MERCURE DE FRANCE.
Te retirer de cet anéantiffement doulou
reux , lui offre pour le confoler & pour
tirer parti , autant qu'il eft poffible , de fa
deplorable fituation , de ne point retourner
auprès de Fanny & d'accepter un
appartement dans fa maiſon . Il l'affura
qu'il prendroit des mefures convenables ,
& qu'il engageroit fon épouſe à donner
les mains à une féparation à l'amiable.
Bentley qui n'étoit plus à lui , confentit
à tout , promit tout , & tourna fes pas
vers la demeure de Bercley.
Fanny attendoit fon mari avec le plus
vif empreffement . Jamais elle n'avoit été
plus tendre , elle comptoit les momens,
fon coeur étoit en proie à mille diverfes
inquiétudes ; il y avoir des inftans
où elle frémiffoit ; un affreux préffentiment
fembloit l'avertir du malheur qui la
menaçoit enfin elle reçoit un billet de
fon mari , ou plutôt elle eft écrasée de la
foudre. Cette fatale lettre contenoit les
reproches les plus outrageants ; Bentley
Faccufoit d'avoir abufé de fa confiance ,
de s'être rendue complice d'une miférable
Courtisane , d'avoir enfin porté le déshonneur
& l'opprobre dans fon lit ; il finiffoit,
en difant qu'il avoit des preuves certaines
de ce qu'il avançoit ; & qu'elle devoit
pour jamais renoncer à le voir. Fanny ne
NOVEMBRE. 1760 . 57
revient à la vie que pour expirer cent
fois de la plus vive douleur ; le fommeil
fuit de fes yeux ; incapable de prendre la
moindre nourriture , elle s'abreuvoit de
fes larmes. Elle ignoroit ce qu'étoit devenu
Bentley ; & quand elle eût pu le
voir , elle doutoit que fon innocence l'eût
fervie , & qu'il lui eût été poffible de la
faire éclater. Cette violente agitation ne
tarda pas à être fuivie d'une fiévre auffi
violente , qu'elle communiqua à fon fils
qu'elle nourriffoit encore. Il y avoit dix
jours que Bentley n'avoit vu ces deux malheureuſes
créatures ; fon oncle l'avoit engagé
d'accompagner quelques - uns de fes
amis à la campagne , à une diftance d'environ
foixante milles. Pendant ce tems
il s'étoit chargé de faire accepter à Fanny
la féparation dont il étoit convenu avec
fon neveu. Il fe rend chez elle , dans
ce deffein. Il la trouve expirante , ſon enfant
déja mort à fes côtés . L'Hôteffe
dans les mains de qui elle avoir mis quelques
bijoux , comme des nantiflemens qui
répondoient de ce qu'elle pouvoit lui devoir
, étoit fi pénétrée de fa fituation , fi
convaincue de fon innocence , qu'elle fe
jette , toute en pleurs , aux genoux de Bercley.
Elle le fupplie au nom de l'humamité
, de faire venir promptement Bene-
Cy
$ 8 MERCURE DE FRANCE.
ley , s'il fçavoit le lieu de fa retraite..
Monfieur , dit cette bonne femme avec
deux ruiffeaux de larmes , c'eft la meilleure
action que vous puiffiez faire : vous
fauverez les jours , l'honneur de cette pau :
vre Dame , & fon mari vous devra fon
bonheur ; elle eft en état de ſe juſtifier ;
ne refufez pas cette grace à l'humanité
quivous implore. Bercley céda bientôt à la
pitié il s'engagea . à faire parvenir une
lettre àfon neveu. L'Hôteffe n'eut pas plu
tôt obtenu la parole , qu'elle courut à Fanny,
& lui fit part de ce que Bercley venoit
de lui promettre. La malheureufe femme, à
ces mots , ouvre un oeil mourant , éllaye
de fe relever fur un bras , & prête à chaque
inftant d'expirer , rappelle , fi l'on peut
s'exprimer ainfi , fon âme , & d'une main
tremblante trace un billet qui eft remis
cacheté à l'oncle. Bercley tient fa promeffe.
Bentley n'eut pas de peine à reconnoître
l'écriture & le cachet : il balance
; il ouvre enfin la lettre , & lit ces
mots :
و د
Je n'ai rien à me reprocher : je fçais.
» que les apparences ont été contre moi ;
» mais c'est moins pour l'intérêt de ma
vertu que pour votre fatisfaction que
je vous écris. J'ai appris depuis quel
» ques jours ce qui avoit pu donner lieu
NOVEMBRE. 1760. £9
de foupçonner mes liaifons : je fuis pu
» nie de mon imprudence. En effet , la
" femme dont j'avois fait la connoif-
» fance au Parc Saint - James , étoit indi-,
" gne de ma fociété . Voilà ce qui m'avoit
» rendue coupable aux yeux de votre famille
; mais je vous parle avec cette vé-,
rité qui s'élève du lit de la mort , je n'ai
» vu cette femme chez elle qu'une feule
fois, & j'ignorois entiérement ce que j'ai
fçu depuis pour mon malheur. Ce cher
" enfant , dont la naiffance m'a été fi funefte
, eft mort trifte victime de mes-
» indifcrétions & de votre reffentiment..
Je vous le jure par l'amour le plus pur ,
" par le Ciel même , qu'il vous devoit la
» vie .... & c'eſt vous , ... ou plutôt c'eft
» moi qui la lui ôte ! à peine me refte - t- il ,
" affez de force pour retenir ma plume qui,
» m'échappe. Ne perdez pas un moment ,
"
"
"
hâtez-vous de venir me voir , de don-
" ner encore votre main à une malheu-
" reufe qui n'a jamais manqué à fon de-
" voir ni à fa tendreffe , & qui paye bien
» cher fes fautes ..... que vous puiffiez
» du moins goûter la confolation de m'en-
» tendre attefter mon innocence ....
qu'elle éclate dans mon dernier foupir
..... venez infortuné & cher
» époux ! fceller notre réconciliation fur
"
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
» mes lévres mourantes , tandis qu'elles
»font encore fufceptibles de fentiment....
Bentley fent renaître toute fa ten-
'dreffe , quitte la maifon où il étoit avec
précipitation , prend des chevaux de pofte ,
arrive à Londres en moins de fix heures ,
& vole vers la malheureuſe Fanny. Comment
s'offre-t- elle à fes yeux ? n'entendant
plus , ne voyant plus , expirante ,
inanimée ! Bentley fe précipite dans fes
bras , il la couvre d'un baifer où étoit
toute fon âme , il recueille fon dernier
foupir. On l'arrache de cette demeure
affreufe : il ne revient à la vie que pour
perdre la raiſon. On l'enferme enfin dans
une maifon de force , où il meurt au
bout de deux ans. Trifte exemple des fuites
de l'étourderie , de l'imprudence , &
d'un autre côté du penchant trop facile à
céder aux foupçons , aux apparences , & à
la jaloufie Les jeunes perfonnes ne sçauroient
trop fe pénétrer de cette déplorable
hiftoire. Puiffe-t- elle leur fervir d'inftruction
, en faifant couler leurs larmes !
NOVEMBRE. 1760.
br
Le mot de la premiere Enigme du fecond
volume du Mercure d'Octobre , eft
la Frivolité. Celui de la feconde eft
ledure . Le mot du Logogryphe eft , Her
maphrodite.
ENIGM E.
SUIVANT la loi que l'on m'impoſe ,
Je cours , ou bien je me repoſe :
Je m'étends en longueur ; enfin
De mon pied j'avance chemin.
De douze måles je fuis pere ,
Sans avoir jamais vû leur mere
Leurs filles , dont je fuis l'ayeul ,
Et dont la charge eft fur moi feul ,
Compofent, fans en rien rabattre ,
Le nombre cent quarante- quatre.
Mon nom n'eft pas myſtérieux ,
Lecteur , puifqu'il eft fous tes yeux.
Par M. DESNOYERS , d'Etampes.
VBS
AUTR E.
EST U. de toutes les façons
Je cours la ville , & vais dans de bonnes maiſons
2 MERCURE DE FRANCE.
Je fuis auffi la Cour & vais dans la Province ;
J'amufe le Bourgeois , & j'amuſe le Prince
Quelquefois , d'un ton gracieux ,
Je philofophe en habits bleux ;
Tantôt cenfeur mordant , & critique févére ,
Mon habit blanc dément mon caractére.
Vêtu tantôt en Arlequin ,
J'abandonne mon nom , pour en prendre un
divin ;
J'occupe au mieux ma place en compagnie
Je parle Profc & Poëfie ,
Chansons , Théâtre , Hiftoire quelquefois ;
Et vis rarement plus d'un mois.
J.
LOGOGRYPHE.
JE porte , en onze pieds , le métail précieux ,
Dont tout homme repaît & fon coeur & les yeux
Une Ville en Hainaut ; un ancien Patriarche ;
Un autre qui, par Dieu , fut confervé dans l'Arches
Un fleuverenommé ; le premier d'un Etat;
Un légume l'habit d'un grave Magiſtrat ;
Un Empereur cruel ; une ville d'Afriques
Unfpectacle flatteur ; trois notes de Muſique ;
Deux mois ; le Directeur d'un Spectacle bouffon s
Le Héros qui conquit la fameuſe Toison ;
Ce qui , de tout buveur ,épanouit la rate;
Deux offices d'Eglife;un métail; un pirates
NOVEMBRE. 1760 . 63
Cet oifeau dans lequel Argus fut transformé ;
Et le Berger par qui le Trio fut jugé ;
Un fameux Cafuifte ; une bête de fomme ;
Une ville où l'on vit jadis plus d'un grand hommes
Etle Siége à préfent du Pontife facré ;
En Eſpagne , furtout , un Etre révéré ;
Une fleur , & deux fruits ; un gros bourg d'Italie
Un Poëte fameux; du monde une partie ;
Trois aimables objets du fexe féminin ;
Deux vents qui très-fouvent , fortent du corps hu
main ;
>
Ce Poëte charmant dont l'aimable génie ,
Pour critiquer des fols fit la Métromanie ;
L'ornement d'un Prélat : pour le coup voilà tout.
Je fens , de mon rolet , qu'enfin je fuis à bout.
Par M. HUBIEZ , Procureur Fifcal du Charmel
JB
AUTRE.
me gliffe où je peux , fans bruit & pas à pas.
L'Hermite ne me connoît pas.
Celui qui ne craint pas ma rage ,
N'eft pas fage ;
Puifque des coeurs les plus unis
J'en fais bientôt des ennemis.
De quatre de mes pieds naît une multitude ,
Quifait voir combien peu j'aime la folitude ..
Continuez de combiner ,
J'offre un nombre connu , facile à deviner
64 MERCURE DE FRANCE.
Un attribut du mariage ,
Qui l'eft auffi de l'esclavage ;
Un livre du vieux Teftament ;
Ce qui mord & n'a pas de dent ;
Un protecteur des Arts , ami d'Augufte à Romer
Ce qui fait pendre un homme ;
Ce qui refte aufond du tonneau ;
Un corps ftable au milieu de l'eau ;
Une riviere ; une ville de France ;
Un fleuve qui déborde & répand l'abondance ;
Ce qui paffe en plus d'une main ,
Avant de parvenir à couvrir un beau fein ;
Ce qu'un Edit de la Couronne ,
Vient de faire acheter à plus d'une perfonne ;
Un préfent de l'abeille ; & pour finir enfin ,
Ce que l'on quitte le matin.
L'AMANT DISCRET.
ROMANCE.
Prus difcret & plus fidéle ;
Que l'amant qui fe trahit ,
A peine je me révéle ,
Le feu que mon âme nourrit.
Plus votre beauté me touche ,
Et plus je cache mon ardeur .
Votre nom n'eft point fur ma bouche;
Mais il refte dans mon coeur.
Gracieux
Plus discret et plus fidèle Que l'a
=mant qui se trahit , Apeineje me ré =
W
vèle Le feu que mon ame nourrit Plus vo
-tre beaute me touche Et plusje cache mon ar
+
F
deur,Votre nom n'est point
sur ma bouche
Mais il reste dans mon coeur.
Grave par M Charpentie
"mprimépar Tournelle.
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND THDEN
FOUNDATIONS
,
NOVEMBRE. 1760. દરે
Je ne dis point au bocage ,
Où je vous portai mes voeux ,
Ces Vers , le fincére hommage
Que mon coeur offrit à vos yeux :
Sous cette ombre qui m'infpire ,
Plein de mon amoureux tourment
A l'objet pour qui je foupire ,
J'ofe rêver feulement.
Je ne vais point fur un chêne ,
Tracer indifcrettement
Les chiffres de mon Ifméne ,
Ni ceux d'un malheureux amant.
Hélas ! ces traits pleins de flâme?
Que je me plais à conferver ,
L'Amour , dans le fond de mon âme 5:
A fça trop bien les graver.
Je revois cette onde pure ,
Où dans la chaleur du jour,"
Vous venez , à la Nature ,
Montrer la beauté fans atour.
Des flots decette fontaine
Mon amour s'enivre à longs traits
Ils augmentent mes feux , Iſméne ,
Sans les rendre moins difcrets..
Cet enchanteur agréable ,
Le fommeil , vient quelquefois
Flatter, d'une erreur aimable,
#6 MERCURE DE FRANCE.
Une âme qui vit fous vos loix.
Je vous vois ... un doux menfonge
Voudroit me contraindre à parler :
J'ai , difcret même dans un fonge ,
La force de m'éveiller.
Duroffignol le ramage ,
Ifméne, fçait vous flatter ;
Je n'en dis rien au village ,
Et je cours au bois l'écouter.
Vous aimez la violette ,
C'eſt pour moi la plus belle fleur
Je n'en pare point ma he lette ,
Je la mets contre mon coeur.
Je feins de fentir à peine ,
Le Zéphir tout parfumé
Des rofes de votre haleine ,
Et par lui je fuis animé.
De votre brebis fidelle ,
Je veux in'éloigner aujourd'hui ,
Mais mon troupeau court après elle ,
Et le Berger avec lui.
Qu'avec tranfport , ma Bergère ,
Je vois ce gazon naiſſant ,
Où du fein de la fougère ,
Vous commandez à votre Amant !
Je diffimule ma flâme
Atous les regards curieux;
NOVEMBRE. 1760. 67
Et je dis tout bas , dans mon âme ,
Voilà le Trône des Dieux !
Auleau jour de votre fête ,
De mes rivaux arrogans ,
L'amour faftueux s'apprête
A vous porter les voeux brillans.
Ils penfent , par des largeſſes ,
Prouver l'ardeur de leurs defirs.
Ils vous préfentent des richeffes :
Je vous offre des foupirs.
Mon coeur feul , de ma tendreſſe ,
Ifméne , eft le confident.
Je lui répéte , fans ceffe ,
Que je ferai toujours conftant.
Je confens que le myſtere ,
De fon voile couvre mes feux.
Si malheureux , je fçais me taire ,
Que ferois-je , amant heureux ?
Par M. l'Ab. D.
68 MERCURE DE FRANCE
ARTICLE IL
NOUVELLES LITTERAIRES,
LE
LETTRES de M.
EXTRA I T.
Es Lettres, aux yeux de quelques gens,
paroiffent un genre frivole ; les perfonnes
au contraire qui aiment à voir la nature
de près dégagée des entraves de l'art ,
trouvent dans les Lettres un tableau fidéle
de l'homme ; on croit l'entendre parler ,
on s'imagine caufer avec lui : cette façon
d'écrire prévient d'autant plus en fa faveur
, qu'elle n'annonce aucune prétention
à l'efprit : en Morale , c'eſt le plus
court chemin pour aller au coeur. L'Aureur
des Lettres , dont nous donnons ici
l'extrait , a le defir de voir les hommes
heureux ce font fes expreffions ; écoutons-
le lui- même dans une eſpèce de Préface
très-judicieuſe & pleine de fentiment
adreffée à un Ami. » Les occafions ont
fait naître ces Lettres ; elles n'ont d'aure
ftyle que le caractére des chofes qui
NOVEMBRE. 1760. 6.9
fe préfentoient. Vous y verrez du moins
le patriotifme , l'amitié , & l'amour ;
Vous y trouverez les amuſemens d'une
» âme tranquille ; un commerce fans médifance
, des differtations fans aigreur ,
les arts & les fciences fans apprêt ; point
d'application , point de travail pénible ;
» la feule Science gaie , cet aimable bien
» des hommes , en fe jouant , y couronne
de fleurs la Nature.
59
L'Auteur nous tient parole ; c'eft un
Philofophe aimable qui ne réfléchit , fi
l'on peut parler ainfi , que pour enrichir
le fentiment ; il l'aggrandit , il l'étend ,
il éclaire le coeur fur les vrais plaifirs. Le
morceau fuivant doit être goûté de tous
ceux qui cherchent la nature & fçavent
l'apprécier. » Remettez votre coeur vis-à-
"vis de la nature ; confidérez quels ont
» été d'abord fes alimens ; ils font encore
» les mêmes : il avoit tous les goûts , tous
» fes fentimens avant l'ivreffe de l'ambi-
» tion & des richeffes. Si vous pouviez
• aujourd'hui vous ramener à vous - même ,
» vous fentiriez que tous ces fantômes
produits par le déréglement de l'imagi-
" nation , font pour le coeur autant de poi
» fons dévorants qui le défféchent , & le
» rendent incapable d'aucun fentiment
» agréable.
"
yo MERCURE DE FRANCE.
Cet interpréte du coeur, augmente l'intérêt
que produifent ces Lettres , en nous
traçant le portrait d'une Julie , dont chaque
Lecteur , fi on ofe le dire , devient l'amant.
Jamais femme ne fut repréſentée
fous des traits plus eftimables , plus enchanteurs
que l'époufe de l'Auteur ; elle en
eft toujours la maîtreffe ; & ce fentiment
exprimé avec chaleur , & , je puis dire
avec quelque forte de nouveauté , donne
lieu à beaucoup de Lettres plus paffionnées
, plus touchantes les unes que les autres
. En voici un fragment, qui refpire la
Pocfie la plus agréable.
"
( Il s'adreffe à Julie :) » Dans cette ai-
» mable faifon tout me paroît heureux
» dans la nature ; le roffignol m'entretient
» fans ceffe de fes victoires ; la biche ti-
» mide , à la vue de fon amant , s'arrête
» dans un épais buiffon ; les poiffons mê-
» mes fortant de leurs grottes profondes ,
» forment fur les eaux mille jeux ; & la
jeune bergere , étonnée de fes nouveaux
» defirs , céde & partage le bonheur de
fon berger. Tout s'anime , tout s'em-
» bellit par l'attrait du plaifir ; la terre
» amoureufe lance dans le myrte languiffant
une féve abondante qui lui rend fa
beauté , & la fleur éprife d'une autre
»fleur fe panche vers elle , & répand dans
"
ود
NOVEMBRE. 1760. 71
fon fein le fruit délicieux .....
Quelquefois notre fagePhilofophe,fe permet
des traits de critique . C'eft ainfi qu'il
nous dépeint l'amour de nos voifins les
Anglois , » pour foumettre tout au compas
de l'analyse & de la définition , l'Anglois
aujourd'hui difféque continuelle-
» ment la nature , & croit la mieux con-
» noître enla dégradant . Quelle trifte ma-
"
nie s'empare de fon cervean ! Ce que
» fes peres regardoient comme d'une na
» ture divine , ce qu'il y a de plus déli-
» cieux au monde , ce qui tient lieu d'empire
aux hommes , ce qui les confole
» d'être efclaves & miférables , ce qui
rend enfin leur efprit fi aimable & fi fé-
» cond , n'eft plus pour lui qu'une figure
» abjecte ! Eft-il étonnant
»
Annuve
de la vie , il finiffe par fe tuer lui même ?
» C'eft ce qu'il peut faire de mieux.
La XXII Lettre à Julie fur le bonheur,'
eft remplie d'une faine Philofophie Les
bornes d'un extrait empêchent que rous
la mettions fous les yeux de nos Lecters.
La XXIII offre une image qui mérite êtrerapportée.
On ne jouit, véritablemen
que de la feconde partie de la vie. Imagi
» nez que les jours de l'homme font occ
pés à franchir une montagne tranfarer
te. Le côté qui fe préfente d'abord à l'ar72
MERCURE DE FRANCE:
à la jeuneffe , eft un labyrinthe eſcarpé ,
hériffé de rochers & d'épines ; il faut
» avec peine gravir continuellement dans
des fentiers inconnus. Mais arrivé au
fommet , on trouve une pente douce &
aifée , l'air y eft parfumé d'un bois d'orangers
qui vous ombrage ; tout ce qui
»fe paffe derriere vous fe réfléchit à vos
regards , & vous préfente un ſpectacle
amufant. Vous defcendez imperceptiblement
par des chemins de fleurs fur
» un lit de gazon , où vous vous endormez
» pour toujours.
و د
On croiroit entendre Epicure lui-même
, non pas tel que fes difciples l'ont
travefti , mais pénétré de cette volupté
douce & fage , la bâfe de la pure Philofophie.
On trouve auffi d'autres Lettres qui
nous prouvent , que notre Auteur a des
connoiffances neuves fur la Phyſique. La
Lettre où il femble regretter l'ancien tems
des Chevaliers François , eft extrêmement
intéreffante & agréable ; elle eft même
approfondie : ce Recueil eft terminé
un expofé très-bien raiſonné , de la conduite
des Anglois à notre égard ; on y voit
un homme qui poffède des lumieres de
bonne politique , & qui eft au fait de la
matiere qu'il traite. Ce qu'il dit fur notre
par
Nation,
NOVEMBRE . 1760 . 73
Nation , ne peut partir que de l'âme d'un
excellent Patriote. » Un preftige deſtructif
» ſemble régner fur les malheureux François
l'opinion de foi même , cette fée
» fecourable qui rendoit nos peres plus
» grands que leurs défaftres ; hélas ! qu'eſt-
» ce que tout va devenir , avec des hom-
» mes qui fe mépriſent eux- mêmes !
Ce dernier trait eft lumineux. Puiffe - t - il
corriger ces mauvais Citoyens qui font
toujours à crier contre leur Patrie , & qui
goûtent un fecret plaifir à la déprimer.
Ces Lettres ne peuvent affez recevoir
d'éloges ; elles annoncent le Philofophe ,
l'homme qui fent , qui penfe , & qui ſçait
réunir la volupté raifonnée , & la fageffe
agréable. Ce petit ouvrage forme un infeize
, imprimé très - joliment à Manheim :
on en trouve des exemplaires chez Bauche
, Quai des Auguftins , Durand , rue
du Foin , & Duchefne , rue S. Jacques.
On lit à la tête cette Epigraphe : Hac
meminiffe juvat , de Virg. que l'on peut
rendre ainfi Leur fouvenir fait encor
mes plaifirs.
D
74 MERCURE DE FRANCE.
EFFETS de l'air fur le corps humain ;
confidérés dans le fon , ou Difcours
fur la nature du Chant.
СЕТ
EXTRA I T.
ET Ouvrage paroît être de la même
main qui nous a donné le recueil de Lettres
que je viens d'annoncer. Au Frontifpice,
eft une Eftampe agréable , qui repréfente
Orphée fur le mont Hoémus. L'explication
eft une Traduction de la deuxiéme
Ode d'Horace par le P. Sanadon
fuivie d'un Envoi à Julie , auffi digne
peut- être de la célébrité que la fameufe
Julie Dangennes , la Muſe de l'Hôtel de
Rambouillet . Cet envoi mérite d'être
rapporté , le voici.
ود
» Vous qui difpofez du bonheur de
» mes jours , vous qui embelliffez la Na-
» ture , combien de fois ne m'avez- vous
point fait éprouver le charme que je
» célébre ! Tantôt par la gaîté & la légé-
» reté de votre chant , vous faifiez difparoître
les fombres foucis ; & tantôt
» par une douce & tendre mélodie , je me
» trouvois tranfporté dans un état divin .
» Yous me prépariez infenfiblement au
و د
NOVEMBRE. 1760. 75
»
fentiment que vous m'alliez donner.
» L'air que vous animiez des accens de
» votre voix , paroiffoit être agité par les
aîles de l'amour ; & quand impercep-
» tiblement vous aviez éteint un fon , je
» ne fçai quelle harmonie duroit encore,
& fembloit donner naiffance à celui
qui lui fuccédoit. Quelle vérité dans le
goût ! Quelle variété dans le go fier ! Quels
» fons filés & onctueux ! Etoient - ils
» éclatans , étoient - ils adoucis , c'étoit
» toujours les échos de votre âme qui
» venoient modifier la mienne , déter-
» miner fa puiffance , & fe repofer dans
»
رد
» mon coeur & c.
C'eft en peu de mots donner toutes
les modifications du chant , & pour ainfi
dire nous en repréfenter l'image.
Un avertiffement nous inftruit que cet
effai ne contient que le méchaniſme de
l'air fur le corps humain . C'eſt le feul
but de l'Auteur ; il nous dit auffi que fon
intention n'a pas été de répondre à la
lettre de M. Rouffeau fur notre Mufique .
Il nous rappelle avec goût le fentiment
de M. de Voltaire , fur les langues , qui
entr'autres obfervations penfe que le
plus beau de tous les langages doit être
» celui qui eft à la fois le plus complet ,
» le plus fonore , le plus varié dans fes
رد
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
tons , & le plus régulier dans fa marche
; celui qui a le plus de mots com-
• pofés ; celui qui par fa profodié expri-
» me le mieux les mouvemens de l'âme ;
» celui qui reffemble le plus à la Mufique.
Il ajoute » La plus belle Langue
qu'ayent jamais parlé les hommes ,
c'eft la Langue Grecque, parée de l'har-
» monie naturelle.
و د
83
:
J'oferois dire après M. de Voltaire
que parmi les Langues vivantes le Perfan
eft le langage qui réunit le plus ces qualités
éffentielles à la Langue Grecque : il
a furtout une variété d'infléxions à l'infini ,
ce qui doit être très - propre au chant.
Cette efpéce de differtation fur la Muque
eft pleine de goût , de vérité & de
lumiére , on n'en peut donner ici qu'une
légére idée.
L'Auteur nous dit , que la plupart des
plus beaux récitatifs Italiens ont toujours
le même mouvement , & que ce mouvement
eft d'une peſanteur immenſe , ( ce
font fes expreffions. ) Il ne peut ignorer
que ces mêmes Italiens ont auffi le Récitatifobligé
; qu'ils ont des Récitatifs qui
font admirables , & qui font couler des
larmes ; il faut , pourfuit- il , une longue
و ر
habitude , & toute l'autorité du préju-
» gé , pour applaudir à leurs Eunuques .
NOVEMBRE. 1760 . 77
On répondra , que lorfque ces Chanteurs
ont reçu de laNature d'heureux organes, ils
ont la voix extrêmement mélodieufe . Salinbeni,
à Berlin & à Drefde , excitoit , fi .
l'on peut parler ainfi , le raviffement ;
l'âme fembloit être fufpendue avec for
chant. La critique fur nos Chours François
eft auffi jufte qu'ingénieufe. Je ne
fçais pourquoi l'Auteur veut profcrire les
machines de notre Théâtre Lyrique ; il
les appelle un Phénomène des fiécles barbares
, que nous aurións dû abandonner
avec la Comédie de la Paffion . Qu'il ait la
bonté de confidérer que les Opéra François
font d'un autre genre que les Opéra
Italiens ; ces derniers font des Tragédies
chantantes , qui dans leur récitatif nous
donnent quelque foible idée de la mélopée
des Anciens , au lieu que nos Opéra
femblent être confacrés aux prodiges ,
aux féeries : c'eft un plaifir de plus que
nous avons ; & l'Auteur de la Differtation
n'eft pas d'affez mauvaiſe humeur
pour décrier les plaifirs. M. de Fontenelle
n'a-t- il pas dit , que chaque âge avoit fon
hochet ? Il falloit plutôt fe plaindre de la
maladreffe & de l'informe qui régnent
encore dans nos machines : nous fommes
bien peu avancés dans cet amuſement
des yeux. On a obfervé, avec beau
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
coup de goût dans cette Differtation, que
les Bouffons étoient peut- être parmi les
Italiens les Chanteurs qui font le mieux
fentir ce qu'ils chantent. En effet ils ont
des fons particuliers & analogues aux
divers mouvemens de l'âme qu'ils expriment.
Autre obfervation auffi judicieuſe :
nous allons la citer.
»
» Les Anglois ayant trouvé que les
" Italiens chantoient plus légérement
qu'eux , ont crû qu'ils n'avoient pour
les égaler qu'à abandonner leur Mufi-
» que nationale , & prendre celle d'Italie.
Cette judicieufe réfolution fut d'a-
» bord exécutée ; & on voit aujourd'hui ,
» non fans étonnement , le mode Italien
» avec le jargon Anglois. Quel monf-
» trueux affemblage ! Ces doux fons def-
» tinés à exprimer les tendres voyelles
» Italiennes , font forcés de rendre les
» confonnes Angloifes.
Rien de plus vrai ; ne pourrions- nous
pas nous appliquer cette critique fi fenfée
? Les Italiens doivent trouver que notre
langue avec toutes fes infléxions
muettes , eft difcordante avec leur Mufique.
Quelle différence pour des notes
muficales , entre les paroles chantées de
la Serva Padrona & de la Servante Maitreffe
!
NOVEMBRE. 1760. 79
'Anecdote affez finguliére : » Hendel ,
» ce fameux Compofiteur Allemand , dont
» le talent faifoit la plaifante vanité des
Anglois , a été chercher fa belle mufette
» dans les montagnes d'Ecoffe , comme
» pour lear dire qu'il ne falloit jamais défefpérer
de la Patrie.
ود
L'Auteur traite Lully de monotone
on oferoit demander fi la langue du ſentiment
peut avoir beaucoup de variation ?
Lully eft le Racine de notre Mufique .
On fe plaint avec raiſon , dans cet éffai, que
plus de huit cens Auteurs ont écrit fur la
Mufique , & à force de calculs en ont fait
une fcience abftraite . On répond avec folidité
aux perfonnes qui répétent , qu'il eft
ridicule de mourir en chantant . On finit par
cette obſervation lumineuſe : » La colere,
» ce mouvement violent , cette exploſion
fubite & momentanée du fang , eft ren-
» due à notre imagination par le fon lent
» & traînant de deux fyllabes longues ,
» tandis qu'on n'en employe qu'une pour
»
» nous donner l'idée du charme.
La même faute exifte néceffairement
dans notre Poëfie. Si les premiers hommes
qui ont formé des fons euffent été
un peuple de Philofophes , nous aurions
des expreffions , fideles organes des mouvemens
de l'âme ; & tous les jours il nous
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
échappe des mots , qui ne font
faux fignes de la penſée.
que
de
Cette
differtation
mérite
d'être
lue toute
entiere
. Il eft fâcheux
que
l'Auteur
ne ſe
foit
pas
étendu
davantage
: il fait
toujours
marcher
la Phyſique
à côté
du raifonnement
. Cet
ouvrage
eft enrichi
de Notes
excellentes
; entr'autres
il invite
les Compofiteurs
à retrancher
l'e muet
. Je crois
que
les Poëtes
lyriques
, indépendamment
de la variété
plus
marquée
qu'ils
devroient
employer
dans
le rithme
de la verfification
, pourroient
auffi
fe défendre
les vers
féminins
, & ne
fe fervir
que
des
maſculins
cette
attention
épargneroit
aux
oreilles
délicates
le dégoût
infupportable
que
lui
caufent
ces
fons
muets
&
mores
, la partie
honteufe
de notre
Mufique
vocale
. Cet
éffai
, un
des
meilleurs
écrits
qui
ayent
paru
fur
cette
matiére
,
porte
le nom
d'Amfterdam
pour
infcription
, & fe vend
chez
Lambert
& chez
Duchefne
. Il fait
fouhaiter
que
fon
Auteur
faffe
de nouveaux
pas
dans
la carrière
littéraire
.
NOVEMBRE. 1760. 81
MON ODYSSÉE ,
Ou Journal de mon retour de Saintonge .
POEME A CHLOÉ..
C'EST
"h
"
' EST à M. Robé, connu déja par des
Vers pleins de force & d'énergie. , que
nous devons ce Poëme , que les Connoiffeurs
trouvent digne de fon Auteur. Ce
n'eft point un pinceau mol , un coloris.
tendre ; c'eft un ton de couleur qui eft
propre au génie , & qui fe fait remarquer
dans les moindres traits : chaque Poete
comme les Peintres , a fon faire ; celui
de M. Robé eft différent entiérement de
Chapelle de la Fontaine , & n'en a
peut -être pas moins de beauté. L'argument
du premier Chant , nous préfente le
départ de l'Auteur ; defcription de fon
équipage ; fon arrivée à Jonfac , où il
paffe huit jours ; il monte en cabriolet:
pour gagner Saintes , où il trouve le coche
parti : H fe détermine à pourfuivre fa
route à pied ; belle peur qu'il eut en paffant
un bois ; rencontre qu'il fair d'un
Tambour ; converfation qu'il eut avec
lui : Il arrive à la Ville- Dieu .
DV
82 MERCURE DE FRANCE.
Le Poëme débute par une peinture vigoureufe
& neuve , de la Lune :
» L'Aftre , qui fur fon char nocturne ,
» Va , par fes rayons réfléchis ,
De la nuit fombre & taciturne
» Eclairant les voiles blanchis ;
> Six fois dans fa courfe elliptique
» A déja franchi l'écliptique.
Le cheval Pégafe eft agréablement repréſenté.
» Sans doute vous avez appris
>> A connoître cette monture ,
<< Dont on fait fi riche peinture ;
» Ce fier Courfier à dos aîlé ,
Qui , quand il fe fent appellé ,
» Par quelque Citoyen du Pinde ,
Surfa croupe dans l'air le guinde ?
» Or ce phantaftique animal ,
>>Quand nous le montons perd fa forme ,
» Et fi bien en nous fe transforme ,
>> Qu'un Centaure nous rendroit mal .
Argumenr du fecond Chant. Les jambes
manquent à l'Auteur dans les plaines
de Poitiers. Son aventure fur la charrette.
On veut le conduire à Poitiers , de l'Auberge
où il fe préfente. Comme quoi il fait
NOVEMBRE. 1760. 83
entendre raifon à l'Hôte. Il fe remet en
route pour gagner Clan. Hiftoire du jeune
Carme apoftat .
Une riche defcription du Soleil , où la
Poëfie s'embellit des connoiffances de la
Phyfique , ouvre le Chant fecond .
» L'Aftre que nous peint l'Ecriture ,
» S'avançant à pas de géant ,
"
» Pour triompher de ce néant
» Où la nuit plonge la Nature ,
» Lance , fans jamais s'épuifer ,
» Les feux nourriciers de fon globe ;
» Et l'on le voit , fans fe laffer ,
>> Partant du point où brille l'aube ,
>> Sur fa fpirale traverſer ,
» En roulant , la carriere immenſe ,
>> Que le matin il recommence.
Le morceau fuivant, eft fort de réfléxions
autant que de poësie.
» L'Homme eft un animal de gloire ,
» Comme Auguſtin l'a défini ;
» Dans chaque âme l'Etre infini
» A logé l'amour de foi- même ,
» Qui n'en peut être défani .
» En morale j'ai pour lyftême ,
» Qu'il vaut bien mieux le carefle
En autrui que de le bleffer.
D vj
$4 MERCURE DE FRANCE..
» Qu'elle eft petite à mon idée
» L'âme de ces grands prétendus ,
» Qui d'un for orgueil poffédée
» Du fang dont ils ſont deſcendus ,
> Enflant leur cervelle vuidée ,
» Accablent les pauvres Mortels
» Du poids de leur grandeur précaires:
» Et veulent forcer le vulgaire.
» A les nicher fur des autels !
›› Mais s'étendant de grade en grade,
» Ce vice entiche tous états ;
>> Des Sujets jufqu'aux Potentats ,"
» Qu'on remonte , ou qu'on rétrograde ;
>> Partout les faisceaux de l'orgueil
» Des portes entourent le feuil,
L'hiftoire du jeune Carme eft extrêmement
intéreffante , & prouve que M. Robé
, quand il le veut , pofféde la magie de
la Poëfie de fentiment. Il faudroit citer
cette hiftoire toute entiere : nous renvoyons
nos lecteurs au Poëme . Nous nous
contenterons de donner le portrait du
Moine.
·
» En ma chambre , au même moment
» Descend un- Difciple d'Elie,
» D'une figure très- jolie ,
» Et dont le printanier menton
NOVEMBRE. 1760.
85
» Renforce à peine ſon coton .
» Sur fon front la nobleſſe eſt peinte
» Sa pâleur donne peu d'atteinte
» A des traits plus beaux qué le jour ;;
» Et vous euffiez crû voir l'Amour,
>> Qui pour qu'on vénérât fon arme
>> Avoit pris un habit de Carme &c .
Je le répéte , cet épiſode eft auffi ingénieux
que touchant.
Troifiéme Chant. I.'Auteur part de
Clan , par la pluie . Accident qui arrive à
fon haut - de -chauffe. Comme quoi repofé ,
Rendu à Ste Maure, il fe couche . Apparition
de Rabelais , qui l'invite à aller lui
rendre fes hommages dans fa maifon de
Chinon. Le Poëte s'y achemine. Ce qui
fe paffe dans l'écurie de l'Auberge. Defcription
de Tours & de fes environs . Arrivée
de l'Auteur à Amboife . Il foupe avec:
les gens du coche , qui allaient à Bordeaux..
Difpute entre un Jacobin , un Jésuite , &
un Capucin. Comme quoi l'Auteur, fit les
honneurs de la Table..
L'apparition de Rabelais , eft un morceau
qu'on ne peut affez louer. Le Lecteur
éclairé en jugera lui -même.
›› Dans le fommeil où je me plonge,
» Je goûtois un profond repos ,
$6 MERCURE DE FRANCE.
» Quand prenant en main leurs pinceaux ,
» Mes efprits me tracent ce fonge.
» Je vois approcher de mon lit
>> Un homme avec l'air de lieffe
Qui me paroiffoit un confit
>> Et de folie & de fageffe.
» Il portoit au cou le collier
» Des Médecins de Montpellier ;
» Leur affaffine houpelande ,
» Qu'en découpure mainte bande
>> Falbanaffe de maints grelots ,
» Couvroit le ceintre de fon dos.
» Ce large cercle que compaffe
Le facré râfoir que l'on paffe
» Sur chaque ChefSacerdotal ,
» Örnoit fon cuir occipital.
>> De fon front fortoit une flamme ,
Actif fymbole de fon âme.
Minerve & le Bouffon des Dieux
» Le tirailloient à qui mieux mieux ;
Mais entre tous deux il partage
Et fon fouris , & fon regard :
» Tel avec Pompée & César,
» A Rome Atticus fe ménage.
55 En bandouliere , Amours badins ,
* Lui paffoient du Dieu des Jardins
>> La trop laſcive Cornemuſe,
* Qune plus férieule Mufe,
NOVEMBRE. 1760 .
81
.
»Que fur lui je vois foupirer,
>>S'efforçoit de lui retirer.
>> D'autres , dérobant par derriere ,
>> De deffous fon bras le Breviaire ,
לכ
>>D'Horace y plaçoient le Pfeautier ,
» Et le jouoient avec l'école
» Que le facerdotal métier
Lui faifoit porter fur l'épaule.
Le Poëte eft infpiré par Rabelais ; il
va à Chinon ; & trouve que le cabinet du
dernier , eft métamorphofé en écurie.
»Là , difois - je , fur des Autels ,
» On place ces rares Mortels
» Dont on vit le génie illuftre
>> De leur fiécle faire le luftre ;
De Confucius , la maiſon ,
» S'y change en un lieu d'oraiſon ;
» Et de Rabelais le lycée
>> Eft une étable méprifée !
» Du Mufæum abandonné.
» Moi-même , ainfi que fit Alcide ,
› Chez Augias , Prince d'Elide
Lavant le pavé profané ,
>> Je m'y fais dreſſer une table ,
» Et par force libation ,
» Au joyeux Curé de Meudon-
Je fais mon amende honorable.
$8 MERCURE DE FRANCE.
Tout cet endroit refpire la bonne plaifanterie.
Argument du Chant quatrième . Chûte
de l'Auteur fur la Levée , préfageant peutêtre
celle de fon Poëme : ( nous nous fervons
des expreffions de M. Robé. ) Defcription
de Blois. Rencontre qu'il fait à
Saint Dié , d'un Chanoine de fes amis ,
avec qui il foupe. L'Auteur fait part au
Chanoine du projet qu'il a de chanter fon
voyage. L'Abbé lui confeille d'y inférer
une aventure gaillarde qui lui eft arrivée.
L'Auteur s'en défend . Comme quoi , &'
pourquoi. Defcription d'Orléans .
La defcription de Blois,forme une image
agréable.
» Voyez-vous , en amphithéâtre ,
» S'élever l'antique château ,
» Qall'on montre encor fur le plâtre
» Le fang que ce fameux couteau ,
» Qui pour la vengeance s'aiguiſe ,
» Fit couler , des veines de Guife ?
» Voyez-vous ce riche Evêché ,
>> Où de deffus ces larges maffes
» Formant de fuperbes terraffes ,
Le mépris des biens eft prêché ?
>> Ces clochers , voiſins de la nue ,
Dont la pointe à l'oeil s'atténue ,,
NOVEMBRE. 1760.
de toits?
» Ce long cordon de murs ,
» Voilà ce que l'on nomme Blois.
Nous en demeurerons à cet Extrait, trop
borné pour détailler toutes les beautés
de cet ouvrage. M. Robé a un avantage',
c'eft qu'il ne copie point : tout eft créé
fous fes mains fécondes. Nous l'exhortons
à nous enrichir fouvent de pareilles productions.
Quelques perfonnes pourront re
gretter qu'il n'yait pas plus d'aménité dans
la verfification : mais un Peintre Hollandois
ou Flamand , n'a pas la touche
d'un Italien . Je le redirai : chaque Peintre
à fa maniere ; & celle de M. Robé eft
mâle & vigoureufe.
;
LETTRE à M. DE LA LOUPTIERE ,
ou réponse à fa question inférée dans le
Mercure de Septembre 1760 ; fçavoir ,
lequel feroit plus flateur pour un Berger
, d'être aimé de fa Bergere fi éperduement
qu'elle fouhaitat de l'aimer
moins ; ou d'en être aimé moins &
qu'elle fouhaitat de l'aimer davantage.
SUPPOSONS ,
Monfieur , pour pouvoir
répondre à votre question , qu'un
90 MERCURE DE FRANCE .
Berger foit aimé de deux Bergéres ; que
celui là foit tendre & délicat , & que
celles ci foient , par leur jeuneffe & leur
beauté , capables de faire naître des defirs
; que l'une aime fi éperdument qu'elle
voudroit aimer moins , & que l'autre aime
moins & qu'elle fouhaite aimer davantage.
Suppofons encore que le Berger
foit affez clairvoyant pour pouvoir
pénétrer ce qui fe paffe dans le coeur des
deux Bergéres. Cela pofé , examinons actuellement
vers laquelle le Berger doit
tourner fon choix.
L'ardeur extrême , qui confume la premiere
, prouve , en quelque façon , que
la violente épreuve de cet amour exceffif,
qui accompagne prèfque toujours un premier
attachement , n'a point encore uſé
les facultés fenfibles de fon âme , & que
fen coeur tout neuf encore , ne brûle que
pour la premiere fois.Si elle defire d'aimer
moins , ce n'eft pas qu'elle découvre dans
le Berger des imperfections qui le rendent
indigne de fon amour : l'objet qu'on
aime en a- t- il jamais à nos yeux ? Mais
c'est parce qu'elle le trouve fi beau , fi
bien fait , fi charmant , que fon coeur ,
dont elle n'eft plus maîtreffe , lui fait
craindre de manquer aux rigoureux devoirs
que l'honneur & la décence lui préſNOVEMBRE.
1760 .
crivent.C'eft qu'intérieurement agitée par
des mouvemens qui fe combattent toujours
fans fe détruire, elle appréhende & fouhaite
fans ceffe de le voir ; c'eft que fon amour
qui l'occupe continuellement la rend infenfible
à tous les plaifirs , lorfqu'elle fe
voit privée de fa préfence ; c'eft que fa
jaloufie lui fait envifager que l'imprudente
légèreté peut l'entraîner vers une autre
Bergére ; enfin , c'eft que la contrainte
où elle vit toujours , pour ne point laiſſer
trop éclater la violence de fon amour ,
la rend malheureufe .
:
Les éfforts que fait la feconde pour
aimer davantage , font pour le Berger
une preuve bien fatisfaifante de fon mérite
car la paffion de cette Amante
moins vive que celle de l'autre , la rendant
moins aveugle fur les qualités de fon
Amant , la laiſſe en état d'en juger plus
fainement ; & le reproche qu'elle fe fait
de n'être pas plus tendre , n'eft fans doute
fondé que fur ce qu'elle remarque en
lui d'aimable : mais la foibleffe de fon
amour ne peut provenir que de l'une de
ces trois caufes , toutes peu favorables
pour un Berger ; fçavoir , ou de ce qu'elle
panche naturellement un peu vers l'indifférence
; ou de ce que fortement attachée
d'un autre côté , elle ne peut rom
92 MERCURE DE FRANCE.
pre les noeuds qui la retiennent ; ou bien , de
ce que fon coeur épuifé par une premiere
inclination , n'eft plus propre à en former
une feconde auffi forte.
Il est facile de voir par ceci , que la façon
d'aimer de cette derniere, reffemble
bien plus à de l'eftime qu'à de l'amour.
Ainfi , Monfieur , votre question ſe réduit
prèſqu'à celle- ci : Lequelferoit plus flatteur
pour un Berger d'être eftimé de fa Bergere
, ou d'en être aimé ? Il n'eſt pas douteux
que tout ce qui approche de ce froid
fentiment , qu'on nomme eftime , fert
plutôt à défefperer un amant paffionné ,
qu'à le contenter. Quand on aime , on
veut être payé de retour ; & ce n'eft de la
part de l'amante que le plus ardent amour
qui puiffe remplir les voeux du Berger.
Pourquoi cela C'eft que , dans un pareil
amour , il apperçoit pour lui un triomphe
fûr & prochain ; c'eft qu'il y diftingue
le terme chéri de fes eſpérances & de
fes defirs ; & qu'il y découvre , en un mot ,
un bonheur parfait . Il voit , au contraire ,
qu'il n'y a rien à gagner avec celle qui ai
me foiblement , à moins que fon amour
ne vienne à augmenter; car fa liberté ,
qu'elle n'a perdue qu'à demi , permet en
core à la voix févère de la raifon & de
l'honneur , de fe faire entendre : ce n'eft
NOVEMBRE. 1760. 93
peut-être que pour
que pour être plus foible qu'elle
defire d'aimer davantage . Mais ce n'eft
pas affez ; il faudroit qu'elle eût encore
cette foibleffe qui feconde fi bien les deffeins
d'un Berger
entreprenant.
ןכ
D'ailleurs un Berger , dont la délicateffe
n'eft corrompue ni par l'injuftice , ni
par l'ingratitude , fera toujours flatté de
remarquer dans une Bergère les mouvemens
d'inquiétude & de jaloufie qui accompagnent
ordinairement les grandes
paffions, lorfqu'il pourra fe flatter que c'eſt
lui qui les excite . Pour en être convaincu ,
il ne faut qu'entendre s'exprimer la jaloufie
,quand elle est un effet de l'amour . N'eftce
pas là à-peu- près fon langage ? » Je ne
» vois rien dans le monde de plus accompli
que vous ! Vous m'avez fçu charmer
» par mille attraits que je ne puis rencon-
» trer ailleurs . Je vous adore ! Vous êtes
» mon tréſor , ma vie , tout ce que j'ai de
plus cher. Votre coeur , que je crois pofféder
, devroit faire tout mon bonheur ;
» mais la peur, que j'ai de me le voir enlever,
me caufe un trouble, une agitation
qui ne me permettent pas de jouir d'un
bien fi précieux. Ma crainte eft fans doute
» excufable! Dois - je, ou puis- je me flatter
» de paroître toujours affez aimable à vos
» yeux, pour n'avoir jamais rien à craindre
و د
"
39
94 MERCURE DE FRANCE.
de la part de l'inconftance?Je ne me con-
»nois d'autre mérite, que celui de fçavoir
»bien aimer ; & j'en fçais pour qui votre
"coeur pourroit peut être, hélas ! fans trop
»d'injuſtice & même fans le vouloir , fen-
»tir ce doux penchant qui vous entraîne
"aujourd'hui vers moi . L'objet le plus rem-
»pli de perfections & le plus digne de nos
"hommages, & l'amour , qui n'eft point un
"effet de notre volonté , nous enchaîne
fous fes loix , malgré la réfiftance que
"nous lui oppofons. Quel malheur, quelle
"difgrace, ne feroit - ce pas pour moi , fi je
»venois un jour à vous perdre? L'idée feule
»m'en fait frémir ! Pourrois je furvivre un
»feul inftant à un deftin fi funefte ? Ah !
>>croyez que la mort viendroit bientôt
»m'enlever à mes maux.
Cet éloge doit paroître d'autant plus
délicieux à la perfonne à qui il s'adreffe
que , quoiqu'il foit peut êtie outré , car
l'amour eft fujet à donner dans l'excès ,
elle doit être affurée que la flatterie n'y a
point de part , & qu'il n'eft que l'expref-
Gon fincère des fentimens qu'éprouve un
coeur vivement épris.
Enfin , pour revenir aux deux Bergères ,
celle qui aime le plus , fera plus conftante
, parce que fa chaîne eft plus difficile à
Iompre ; celle qui aime moins fera plus
NOVEMBRE. 1760. 95
, parce que les liens , qui l'attachent ,
ne font pas aflez forts. Il n'y a point à ſe
défier de la premiere , elle n'a point de
détours ; il y a à prendre garde de ne fe
point laiffer tromper par la feconde , elle
peut être artificieufe & diffimulée ; l'une
facrifiera tout , s'il le faut , pour le Berger
; l'autre en exigera plutôt des ſacrifices
; le malheur de celle- là touche & intéreffe
fortement pour elle ; la fituation
tranquille de celle- ci n'a prèfque rien qui
prévienne en fa faveur ; enfin l'une a plus
l'air d'une eſclave foumife , & l'autre plus
celui d'une maîtreffe qui veut le faire obéir.
Je ne crois pas , Monfieur , après cela ,
que notre Berger , inftruit par fa propre
pénétration des fentimens des deux Bergères
pour lui , ainfi que nous l'avons fuppofé
au commencement de cette Lettre ,
puiffe balancer quelque tems à donner la
préférence à l'une d'elles. La queftion ne
me paroît plus indécife ; & dans la peur
que j'ai d'en dire trop , je ne m'étendrai
pas davantage fur cette matiére . Si je me
fuis trompé , daignez avoir quelqu'indulgence
pour un jeune homme , qui ne fait
encore qu'entrer dans la carrière des Lettres
, qui eft relégué dans un défert , &
qui n'a d'autre fecours que celui de la réfléxion
& des livres.
J'ai l'honneur d'être , &c.
96 MERCURE DE FRANCE.
>
,
NOUVELLE expofition du Plan des traits
de l'Hiftoire univerfelle , facrée & profane
, d'après les plus grands Peintres
& les meilleurs Ecrivains dédiés à
Mgr. LE DUC DE BOURGOGNE
& propofés par foufcription par le fieur
LE MAIRE , Graveur. Ouvrage deftiné
à l'éducation des jeunes gens , ainfi
qu'à l'inftruction des perfonnes , qui
fans beaucoup de lecture , veulent avoir
des notions de l'Hiftoire.
Segniùs irritant animos demiffa per aurem ,
Quàm quæ funt oculis fubjecta fidelibus .
Hor. Art. Poet
que
L'IMPRI
IMPRESSION
des objets fur les
» efprits eft plus lente par les oreilles
» par les yeux . Voilà ce qu'on a compris
de tout temps : les yeux font les premiers
inftrumens
de la mémoire , & par conféquent
ceux de nos connoiflances
. Mais
cet admirable
attribut , la Mémoire
qu'eft- elle elle- même ? Les Philofophes
difputent encore fur fa nature & fur fa
fubftance organique ; mais Strada , qui
s'eft contenté d'en repréfenter
le méchanifme
fous des images fenfibles
, l'a peutêtre
NOVEMBRE. 1760 . 97
être mieux définie que tous les Métaphyficiens.
"
"
» Que peut on imaginer de plus mer-
» veilleux , dit cet éloquent Ecrivain
» que cette capacité de l'efprit qu'un im-
» menfe amas de chofes, qui s'accumulent
tous les jours , n'égale point , ne remplit
point , ne fçauroit combler ; mais
femble , au contraire , étendre , élargir
» ou dilater de telle forte , que l'on diroit
» qu'elle s'ouvre fans ceffe & fe creuſe
» intérieurement de nouveaux réduits
» de nouvelles niches , pour de nou-
» veaux objets qui s'y logent à l'aife ?
Quel fpectacle plus admirable , que
» de voir un mêlange infini d'efpéces &
» de fignes , de formes fi différentes & fi
difparates , fubfifter enfemble fans fe
confondre , & fe démêler fans embar-
›› ras , dans les replis étroits du cerveau ?
» Cette multitude d'objets eft comme un
» Peuple nombreux , partagé , diſtribué
» par familles ou par têtes . Chacun a fon
logement féparé , fur la face duquel on
» lit le nom de celui qui l'occupe ; de
façon qu'il vous eft aifé de paffer en
revue chaque habitant , ou de faire le
» dénombrement de toute la peuplade.
» Quel avantage que d'avoir toujours à
vos ordres une quantité prodigieufe
"
"
E
98 MERCURE DE FRANCE.
22
39
d'efpéces ou d'images , comme une mi-
» lice engagée fous vos drapeaux , & telle-
» ment attachée, tellement unie, liée , fer-
» rée entre elle , que vous pouvez , à votre
gré, faire marcher toute la troupe en.
» corps de phalange , la divifer par pelo-
» ton , ou faire défilet en bon ordre un à un
» vos légionnaires ! Et qu'il eft étonnant,
» fans doute , que , dans une pareille foule
» d'objets , il n'y ait ni confufion , ni
défordre ; mais que les uns fe tenant ,
» pour ainfi dire , à l'écart , àà llaa
queue
» du camp , cédent la place à ceux qui
» veulent s'avancer ; que les autres ref-
» tent fur le paffage , comme pour ten-
» ter la fortie , & pour obferver fi l'on a
» beſoin d'eux ; que d'autres enfin ſe
préfentent au premier fignal , & s'élan-
» cent, à l'inftant de l'appel , fur le champ
» de bataille , où ils fe déployent !
33
ور
"
*
An poteft quicquam effe aut excogitari præf
tantius , quàm eam patere in animo capacitatem ,
quam immenfa rerum , aliarum aliis quotidiè accedentium
, congeries , non modò non exæquet ,
non expleat , non cumulet , fed dilatet etiam ,
laxetque ac fundat ampliùs , novofque femper
finus ac receffus intùs latè lacunofos aperiat ?
Quid admirabilius , quàm rerum verborumque
multitudinem formâ variam , ſenfu difcrepantem
, numero infinitam , iis loci anguftiis , ità non
confusè ac permixtè , fed diftinétè , electèque
confervari ; ut quafi difcreto deferiptoque in capita
feu familias populo , in fronte domûs doNOVEMBRE
. 1760 . 99
Cette analyfe pittorefque eft le plus
agréable tableau qu'on ait jamais fait de
la Mémoire. Mais fi tous les fens , dont
chacun à fes perceptions à part , font fes
tributaires , c'eft évidemment de la vue
qu'elle tire fes principales reffources.
Tous les Instituteurs , tous les Maîtres
chargés de l'inftruction des jeunes gens ,
dont la mémoire eft une toile d'attente
où tout doit fe peindre pour y refter imprimé
, ont fenti la néceffité de l'aider
toujours par les yeux . Quelques uns même
ont éffayé de revenir aux anciens
hiéroglyphiques qui repréfentoient immédiatement
les objets , ou du moins
quelques attributs des chofes qu'on vouloit
graver dans la mémoire ; & ces cacare
,
mini titulum legere , indèque habitatorem evoaut
gentem univerfam cenfere facilè potis ?
Quid accommodatius quàm fimulachrorum ingentes
copias , tanquàm addictàm ubiquè tibi
facramento militiam , eo inter fe nexu ac fide
conjunctam , cohærentemque habere , ut five
unumquodque feparatim , five confertim univerfa
, five fingula ordinatim , in aciem proferre
velis , nihil planè in tantâ rerum turbâ turbetur ;
fed alia procul atque in receffu fita prodeuntibus
locum cedant ; alia femi aperto a litu , quafi tentabında
, & , an ipfa quærantur , exploratura ,
fubfidant ; alia fe tota confeftim promant , atque
in medium , certo evocatu , profiliant. Fam
Strada Prolus . Academ. L. I. Prolus I.
E ij
10 MERCURE
DE FRANCE
.
ractères ont été fouvent employés avec
fuccès , pour apprendre aux enfans les
fignes du langage.
Mais c'est pour l'étude de l'Hiftoire que
la mémoire des jeunes gens , auffi volatile
qu'elle eft prompte , a fur - tout befoin du
fecours des yeux & de l'attrait du fpectacle.
Heureufement
tous les beaux Arts
femblent être confacrés à l'Hiftoire , &
s'empreffent
de la fervir. Le pinceau , le
cifeau , le burin , font continuellement
occupés à retracer des faits hiftoriques
,
& à nous les rendre préfens ; enforte
qu'on peut regarder les Cabinets.de
tableaux,
d'eftampes
, de médailles, comme
autant de dépôts de l'Hiftoire , comme de
vraies Bibliothèques
.
pre-
L'Hiftoire Sacrée , qui méritoit les
miers hommages des Arts , a été prèsqu'entierement
traitée en détail . Sans
parler de la fameufe Bible de Picart &
de plufieurs autres , tous les grands Maîtres
des Ecoles d'Italie , de Flandre , d'Allemagne
& de France , ont peint , repréſenté
en relief , ou gravé quelque partie
de cette belle Hiftoire , & peu de fujets
intéreſſans leur ont échappé.
L'Hiftoire Poetique,ou la Fable, n'a pas
été moins remaniée. On en a des corps
entiers , ou de grandes fuites , telles que
NOVEMBRE . 1760. ΤΟΥ
le Temple des Mufes , & différentes Éditions
des Métamorphofes d'Ovide , ornées
de figures.
Les Artiſtes de tous les âges fe font
auffi beaucoup exercés fur l'Hiftoire Ancienne
, & principalement fur les Hiſtoire
Grecque & Romaine , qui comprennent
celles de tant d'autres Peuples . On
voit donc que , s'il étoit poffible de raffembler
, dans chaque genre , tous les
bons monumens des Arts , on auroit, pour
ces trois parties , foit en tableaux , foit
en eftampes , un corps d'Hiftoire immenfe
& prèfque complet.
Refte l'Hiftoire Moderne , qui , à l'exception
de l'Hiftoire Eccléfiaftique , n'a
pas , à beaucoup près , autant occupé les
Arts. On a peu fouillé dans cette partie .
Difons plus fi l'on excepte quelques
morceaux en petit nombre des Hiftoires
Nationales , & celle des derniers régnes
de nos Rois , l'Hiftoire Moderne eft prèfque
encore , par rapport aux Arts , comme
ces terres où les voyageurs ont de
temps en temps relâché , mais où l'on
n'a point jufqu'ici formé d'établiſſemens .
Le projet de raffembler les Traits de
ces quatre genres d'Hiftoire , & d'en former
un corps d'Ouvrage , pourroit paroître
téméraire & peut- être d'une exé
E iij
702 MERCURE DE FRANCE.
cution impoffible , fi l'on différoit de
s'expliquer de nouveau fur la nature de
cette entrepriſe.
>
Il falloit d'abord fçavoir où puifer les
fujets traités par les meilleurs Maîtres , &
multipliés par la Gravure . Or , graces à
cet amour pour les Arts , que M. Bignon,
Bibliothécaire du Roi , fait revivre , avec
le nom bienfaifant & fi cher aux Mufes
de fon illuftre Prédéceffeur graces aux
foins obligeans que M. Joly , Garde des
eftampes du Roi , a bien voulu fe donner,
pour aider l'Auteur dans fes recherches ,
le plus riche Cabinet de l'Europe, ouvert
à ce laborieux Artifte , l'a mis en état de
faire contribuer toutes les Écoles à fon
Ouvrage. C'eſt dans ce précieux dépôt
que , pour ne point copier les Bibles en
eftampes ( ce qui auroit épargné beaucoup
de travail ) le Sieur le Maire a cherché la
plus grande partie des fujets qui compofent
le Pentateuque , ou les cinq Livres
de Moïfe ; & en lifant , au bas de fes
petits quadres , les noms de Raphaël ,
de Rubens , de Paul Véronèfe , du Pouffin
, & des autres Maîtres , dont il a ré
duit les compofitions , on voit qu'il n'étoit
pas poffible de faire un meilleur
choix . Il faut remarquer d'ailleurs , que
les Figures de la Bible font tellement
NOVEMBRE . 1760. 103
multipliées dans les feuls Livres de Moife
, qu'aucune Hiftoire Sacrée ne fera ni
auffi complette , ni auffi détaillée que
celle- ci.
On auroit bien voulu pouvoir donner
en même tems l'Hiftoire Moderne , & c'étoit
l'intention de l'Auteur . Mais on lui a
fait obferver , que c'étoit intervertir l'ordre
de l'Hiftoire Univerfelle ; que ce dérangement
pourroit mettre de la confufion
dans les idées des jeunes gens ; &
que , s'il vouloit accélérer plus utilement
fon ouvrage , il étoit bien plus convenable
de faire marcher de front la Fable ,
qui eft l'Hiftoire de l'Idolâtrie , avec celle
de la Religion révélée. L'Auteur a donç
pris le parti de fuivre ce plan , & dès - àpréfent
il fe difpofe à publier régulièrement
, avec les vingt fujets d'Hiftoire Sacrée
, qu'il fait paroître tous les mois , autant
de fujets de la Fable.
Il ne copiera point les grands corps
d'Hiftoire Poëtique que nous avons : il
tirera tous fes fujets des mêmes fources
qui lui fourniffent les fujets facrés ; il fe
permettra feulement de les fimplifier , &
d'y fuppléer au befoin , foit par les figures
de Picart ou par celles du Temple des
Mufes , foit par des fujets nouveaux
qu'il fera compofer exprès par d'habiles
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
ܝ
Maîtres. Du refte , il fe conformera au
odule qu'il a choifi pour les Figures
de la Bible.
Ainfi , tous les fujets Poëtiques , & les
autres , feront réduits à la hauteur d'environ
deux pouces & demi fur trois pou
ces de largeur.
>
Chaque Eftampe occupera la moitié
d'une page in octavo ; l'autre moitié fera
remplie par le titre du fujet › par la date
de l'événement , lorfqu'il pourra faire
époque , & par le Trait Hiftorique en
Latin & en François , toujours tiré des
meilleures fources. Toutes les Eftampes
feront ombrées , comme les Figures de la
Bible l'ont été depuis l'Exode , & continueront
de l'être.
La partie littéraire de l'Hiftoire Poëtique
fera faite avec le plus grand foin.
Les textes feront pris d'Ovide & des au-.
tres Mythologues Latins , qui feront tous
mis à contribution . Quant à la verfion
de ces textes , le morceau de Strada fur
la Mémoire eft un Effai qui fera juger de
la manière du Traducteur.
Quand la Fable fera finie , l'Histoire
Ancienne fuccédera , & marchera fur la
même ligne avec le refte de l'Hiftoire
Sainte , ou avec l'Hiftoire des Juifs , juſ
qu'à la Naillance de Jefus- Chrift , puis
NOVEMBRE. 1760. 105
avec l'Hiftoire de l'Eglife qui doit commencer
à cette époque. Enfuite viendra.
P'Hiftoire Moderne › que l'on divifera .
par fiécles , & qui fera conduite jufqu'au
18 , où l'Auteur a deffein de s'arrêter.
On donnera un nouveau Programme pour
chacune de ces parties , dont le plan fera
nettement expliqué.
Cette carrière , au premier coup d'oeil ,
paroît d'une étendue infinie , & plufieurs
perfonnes effrayées de la longueur d'un
ouvrage dont elles craignent de ne point
jouir , héfitent à s'en affurer les prémices
par les foufcriptions qui font ouvertes .
Pour affermir leur confiance , om les prie
de confidérer avec quelle activité l'Au
teur a procédé jufqu'à préfent dans l'Hif
toire facrée , dont il a donné depuis environ
fix mois , près de deux volumes ,
ou deux cens quarante fujets . Or les cinq
Livres de Morfe , jufqu'au Livre des Juges,
qui eft déjà bien avancé, font à- peuprès
le tiers de la Bible , & la fuite ira
du même pas. L'Hiftoire poëtique qu'on
tâchera de renfermer , s'il fe peut , dans
deux cens ou deux cens - cinquante fujets ,
& qui fuivra parallélement l'Hiftoire Sacrée
, eft au plus l'ouvrage d'un an. L'Hiftoire
Ancienne qui doit fuivre immédiatement
l'Histoire Poëtique , amènera la
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
fin de l'Hiftoire Sacrée , & atteindra celle
de l'Eglife , qui , parvenue au démembrement
de l'Empire Romain , conduira à
l'Hiftoire Moderne. Ainfi , toute cette
longue fuite d'Hiftoires , refferrée par
un homme intelligent , & repréſentée
par des Traits qui ne font que les racourcis
des grands Tableaux, dont chacune eft
formée , n'eft pas d'une exécution auffi
difficile que beaucoup de gens fe le figurent
, & l'on fe flatte de l'achever en
fept ou huit ans.
On peut comparer cet Ouvrage à une
grande Mappemonde , où un Géographe
auroit entrepris de faire entrer toutes
les Terres & les Mers connues , toutes
les divifions du Globe , toutes les Peuplades
qui le partagent , leurs principales
habitations , & c. Une pareille Carte contiendroit
certainement bien des détails .
Mais quand une Capitale eft indiquée
par un point ; quand une grande Province
, un Royaume entier font circonscrits
par quelques lignes ; lorſqu'une plage &
un continent n'occupent que l'efpace
néceffaire , pour faire démêler leur pofition
, leurs limites ; lorfqu'enfin on peut
parcourir des yeux toutes les parties de la
terre , fans confondre aucun des objets
qu'embraffe la Cofmographie qui répond
NOVEMBRE. 1760. 107
exactement à l'Hiftoire Univerfelle , on
conçoit le poffibilité de l'exécution . Telle
eft cette Mappemonde Hiftorique , à la
différence des détails qu'on y multipliera
plus ou moins, fuivant la néceffité de l'inf
truction. Mais quelqu'idée que l'on s'en
faffe , on peut affurer avec la plus grande
confiance , que les progrès en feront rapides
, & que l'Auteur , occupé de ce feul
objet , n'a rien plus à coeur que de mettre
, le plus promptement qu'il fera poffible,
entre les mains du Public , fon Ouvrage
complet de tous points.
L'honneur que Monfeigneur le Duc
DE BOURGOGNE lui a fait d'en accepter
l'hommage , étoit l'encouragement le
plus propre à le faire redoubler d'efforts ,
pour remplir un engagement qu'il ne
peut plus ni abandonner , ni négliger
pour quelque raison que ce foit .
CONDITIONS.
Cet ouvrage a commencé à paroître le
15 Décembre 1759 , & à la fin du mois
d'Août de cette année 1760 , il y a eu
240 Eftampes.
On continuera de diftribuer tous les
mois comme on a fait julqu'ici très- exactement
, vingt traits de l'Hiftoire Sacrée ,
qui feront par an 240 fujers. Le prix de
-
E vj .
108 MERCURE DE FRANCE.
F'année entière , pour les foufcripteurs ,
fera de 18 liv . & pour ceux qui n'auront
foufcrit , de 24 liv.
pas
*
Les Traits de la Fable , qui vont inceffamment
concourir avec ceux de l'Hiftoire
Sacrée fe diftribueront de même chaque
mois par fuite ou par cahier de 20 ſujets ,
qui feront auffi 240 Eftampes par an. Le
prix de ces 240 fujets , dont les 20 premiers
feront diftribués au plus tard le 15
Décembre prochain ,fera le même que celui
des fujets de l'Hiftoire Sacrée . Ainf
pour ces deux parties , les Soufcripteurs
payeront trente- fix liv. & ceux qui n'auront
pas foufcrit , 48 liv . Le prix pour la
Province , franc de port , fera , pour chaque
partie féparée , de 21 liv. & pour les
deux parties enfemble , de 42 liv .
On foufcrit dès - à préſent pour les
deux parties , à Paris chez l'Auteur , rue
S. Jean de Beauvais , Defaint & Saillant
, même rue , les Frères Etienne, rue
S. Jacques , Lambert , rue & à côté de la
Comédie Françoise Joullain , Marchand
d'Eftampes , quai de la Mégifferie .
Des raifons , fenties par les Artiftes ,
avoient fait prendre le parti de ne graver
qu'au fimple trait tous les fujets de
cette Hiftoire , & la premiere partie , compofée
de 130 Eftampes , eft exécutée de
NOVEMBRE. 1760. 109
cette maniere . Mais comme cet Ouvrage
eft principalement deftiné pour les jeunes.
gens , on a fait obferver à l'Auteur que
des Eftampes plus ou moins ombrées "
> qui prononcent toujours mieux le fujet
feroient fur eux plus d'impreffion ; & il a
commencé dès l'Exode à jetter des ombres
dans fes Eftampes. Or , pour rendre
les 130 fujets dont eft compofée la Ge
nèfe , conformes à ceux qui les ont fuivis
& qui les fuivront , l'Auteur s'eft déterminé
à retoucher ces 130 fujets & il
s'eft mis en état de les diftribuer en même
temps que les 20 premiers fujets de la
Fable. Le prix de ces 130 Eftampes ombrées
qui repréfentent toute la Génefe ,
pour ceux qui ont pris les premieres,ain
que pour les Soufcripteurs , fera de 9 l. 1s
f. & de 13 liv. pour les autres.
10 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à M. *** Sur un nouveau
bandage élastique pour guerir l'hydropifie
dufac lacrymal. Par M. Deshais
Gendron , Docteur en Médecine de l'Univerfité
de Montpellier , Confeiller Med.
du Roi près fon Grand- Confeil.
Vous fçavez mieux que moi , Monfeur
, qu'il n'y a point de traitement de
maladies Chirurgicales , fur lequel les fentimens
ayent été plus partagés , que celui
de la fiftule lacrymale. Les diverfes méthodes
qu'on a propofées pour guérir cette
maladie, auroient peut- être acquis plus de
fuccès , fi elles euffent été pratiquées relativement
, aux caufes & aux différentes efpéces
de fiftules auxquelles elles pouvoient
convenir. Il en eft des inftrumens comme
des médicamens . Ils ont tous leur action
& leur propriété ; mais l'action' méchanique
des uns & la propriété physique des
autres ont leurs bornes ; c'est par l'abus
que l'on en fait , & par une application
trop étendue & peu réfléchie , qu'ils deviennent
le plus fouvent infructueux.
Le bandage élaftique , Monfieur , que
je propoſe pour réduire la dilatation du
fac lacrymal , faire fortir au dehors les lar
E
C
B
F
G
D
THE
NEW
YORK PUBLIC
LIBRARY
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
.
NOVEMBRE . 1760 . III
mes qui s'y arrêtent & leur donner iſſue ,
n'a d'avantage fur tous les autres , que
par la facilité que l'on a de s'en fervir ; de
forte que la preffion qu'il fait fur le fac lacrimal
eft fi jufte , fi égale & fi ferme , que
l'on ne craint point qu'il fe dérange , qu'il
comprime les parties voilines & qu'il occafionne
aucune inflammation .
Il y a long- temps que j'en avois conçu
l'idée , mais il s'agiffoit de trouver quelque
Artiste qui pût feconder mes vues ;
elles ont été remplies au-delà de mon attente
par les foins & l'habileté du fieur
Coufin , Chirurgien bandagifte , très- connu
par fon génie , inventeur dans la ftructure
des bandages élaftiques , & dans la
connoiffance de toutes les hernies où ils
conviennent ; mais , avant que de faire
connoître la forme & l'utilité de celui que
j'annonce , éffayons , Monfieur , de diftinguer
l'efpéce de fiſtule à laquelle il peut
convenir.
L'hydropifie du fac lacrymal , eft une
des efpéces de fiftule les plus communes ;
c'eft par elle que commencent les autres :
elle fe manifefte par une tumeur plus ou
moins élevée , fituée à l'angle interne de
l'oeil , au deffous & quelquefois au deffus
du tendon mitoyen du mufcle orbiculaire
des paupieres , laquelle tumeur étant pref
112 MERCURE DE FRANCE:
fée avec le doigt , il fort par les points la
crymaux & quelquefois par le nez , une
liqueur limpide épaiffe & fouvent blanchâtre.
La rétention des larmes dans ce fac eft
regardée comme la caufe immédiate de
cette maladie ; elles ne s'y arrêteront
qu'autant qu'elles ne pourront s'écouler
par le nez; alors le fac lacrymal qui forme
une cavité ovale , & dont le tiffu eft
lâche & membraneux , cédera facilement
à leur abondance ; elles feront éffort &
agiront fur fes parois en les dilatant ; de
là , la tumeur qui paroîtra à l'extérieur
plus ou moins élévée , fuivant la quantité
de larmes qui y fera contenue.
La dilatation du fac ne fe forme pas
tout- à- coup ; on fe plaint long- temps auparavant
d'un écoulement de larmes le
long des joues ; fouvent le fac eft rempli
& dilaté , fans qu'il paroiffe de tumeur à
l'extérieur.
Il arrive auffi que les fyphons ou conduits
lacrymaux , font dilatés en même
tems ; mais les points lacrymaux dont les
orifices font cartilagineux , réfiftent à la
dilatation ; cette efpéce eft plus rare , par
la facilité qu'ont les larmes à refluer par
les points lacrymaux , qui font toujours
Ouverts.
NOVEMBRE. 1760. 113
C'eft de l'abondance de la lymphe la
crymale , arrêtée dans le fac ou conduir
nafal & du féjour qu'elle y fait , que naif
fent dans ces parties les accidens les plus
fâcheux , tels que l'inflammation , abcès ,
ulcéres , caries , & c. fymptomes qui caractérisent
les autres efpéces de fiftules.
Je ne m'arrêterai point , Monfieur , a en
faire le détail , afin de ne m'attacher qu'à
l'efpéce de fiftule où ce bandage devient
avantageux .
Puifque la dilatation du fac lacrymal
eft l'effet de la rétention des larmes ,
quelles font les caufes qui donnent occafion
à leur engorgement : eft ce quelque
humeur ou épaiffiffement lymphatique ,
qui bouche le canal & le retient dans le
fac ? ou bien font- ce les larmes qui s'y
arrêtent par la perte du reffort du fac lacrymal
? Mais avant que d'entrer dans cet
examen , permettez - moi , Monfieur , de
confidérer quelles font les forces qui font
circuler les larmes depuis leur féparation
des conduits excréteurs de la glande lacrymale
, jufqu'à leur iffue par le nez .
Les obfervations que j'ai faites à ce fujet
m'ont appris , que ce n'eft ni le mouvement
, ni la preffion des paupieres qui
détermine la liqueur lacrymale à fe porter
vers les points lacrymaux ; de même
114 MERCURE DE FRANCE.
que , ni leur qualité , ni l'action & reffort
du fac lacrymal , ne les font point paffer
par le nez. Pour le prouver , voici des expériences
que j'ai répétées plufieurs fois.
Si l'on prend une liqueur teinte en jau
ne ou en noir , & qu'on en répande plufieurs
gouttes dans les angles externes des
yeux , foit d'un vivant , ou d'un cadavre ,
fans donner aucun mouvement aux paupieres
, on voit auffitôt la liqueur fortir
par le nez .
Il arrive la même chofe à un oeil détaché
de l'orbite , avec toutes fes paupieres.
Après l'avoir fufpendu par un fil , de forte
que l'angle interne regarde la partie fupérieure
, & l'angle externe la partie inférieure
i l'on répand auffi quelques
gouttes d'une liqueur colorée dans l'angle
externe , l'on voit la liqueur ſe gliffer entre
la furface des paupieres & le globe ,
& monter jufqu'à la commiffure du tendon
mitoyen des muſcles des paupieres.
*
D'après ces expériences , il eft évident
* Si entre deux lames de plomb , ou bien deux
lames de verre appliquées l'une contre l'autre ,
& cependant un peu entr'ouvertes , l'on répand
quelques gouttes d'eau ou d'huile à l'une des extrémités
, on voit les gouttes s'étendre fur leurs
furfaces & le porter juſqu'à l'autre extrémité.
NOVEMBR E. 1760. FIS
que les larmes ne circulent point entre
les paupieres & le globe de l'oeil par une
force méchanique , telle que le mouve
ment des paupieres & leur preffion ; mais
elles font portées par une force phyfique
de fuccion & d'adhéfion qui les entraîne.
*
›
Les principes de l'hydraulique nous
apprennent que les fluides dans les tuyaux
capillaires , s'infinuent & s'élèvent d'autant
plus , que le diamètre de fes tuyaux
eft plus étroit & que leurs orifices offrent
plus de points de contact ; or les
points lacrymaux font de vrais tubes capillaires
, où la fuccion , où l'adhéſion de
la liqueur lacrymale doit avoir plus d'éfque
dans le fac & conduit nafal , dont
le diamètre eft beaucoup plus grand ; ainfi
le mouvement progreffif des larmes fera
beaucoup plus rapide dans les points lacrymaux
, & beaucoup plus lent dans le
fac lacrymal.
fet
Ces principes pofés , il s'enfuivra que
le cours des larmes acquérant plus de lenteur
dans le fac , elles pourront donner
*
Un tuyau d'un tiers de ligne éléve l'eau à
26 lignes ; un d'un dix huitiéme de ligne l'éléve
à 13 pouces , & un autre encore plus étroit à 22
pouces ; ceci fe paffe dans le plein comme dan
le vuide. Hales Hémaftiques.
116 MERCURE DE FRANCE.
donner naiffance à l'hydropifie du fac lacrymal
; ce rallentiffement ne dépendra
point de la perte de fon reffort.
Mais ce qui contribuera à les arrêter
c'eft l'épaiffiffement de l'humeur muqueufe
, féparée des petites glandes qui tapif
fent l'intérieur de cette petite poche membraneufe
, ainfi que les parois du conduit
nafal ; laquelle humeur s'adhérant avec les
larmes , les rendra plus épaiffes & moins
propres à paffer dans le nez de là leur
engorgement qui pourra fe former dans
le fac, de même que dans le conduit nafal .
Or cet engorgement deviendra plus
confidérable , s'il fe trouve quelque difpo
fition cachetique dans le fang , ou quelque
altération de l'humeur pituitaire ;
comme après quelques fluxions catharreufes
, éréfipélateufes , dartreufes , & c. Alors
les petites glandes qui tapiffent la membrane
pituitaire , ainfi que celles du fac
& conduit nafal étant engorgées , irritées
par l'âcreté & épaiffiffement de cette humeur
, s'enflammeront , fe gonfleront &
formeront un obftacle à l'écoulement des
larmes par le nez.
Je ne donne ici , Monfieur , qu'une idée
des caufes les plus générales & déterminantes
, qui occafionnent l'engorgement
de la liqueur lacrymale dans le fac : j'enNOVEMBRE.
1760 .. 117
trerois dans un plus grand détail , s'il me
falloit les extraire en particulier. Examinons
préfentement les avantages de la
compreffion dans l'hydropifie du fac lacrymal.
Les plus habiles Médecins & Chirur
giens- oculiftes, ont regardé la compreſſion
comme un moyen très- avantageux pour
guérir les fiftules récentes : maladies qui
affectent plus particulièrement les perfonnes
cacochymes , & les enfans dont
le mucus eft fort épais , & les fibres fort
lâches.
*
» Dionis mettoit une petite emplâtre
» de cérufe brûlée , fur l'endroit de la tu-
» meur , & une compreffe triangulaire ,
» d'un demi pouce , pour remplir le coin
» de l'oeil : fur cette compreffe il en appliquoit
une autre de même forme & de
» même épaiffeur & un peu plus large ,
après les avoir trempées dans des eaux
» défficatives ; il les contenoit par une
» bande circulaire , afin , diſoit-il , que
» l'humeur ne s'y amaffe pas , & que le
» vuide fe récole.
"
Outre l'incommodité de cette méthode
, j'y vois de plus un grand inconvénient
; c'eft que les points de compreffion
ne portant pas feulement fur le fac , mais
auffi fur les parties voisines , il en réſulte
}
118 MERCURE DE FRANCE:
des inflammations à l'oeil , comme je l'ai
vú fouvent arriver.
Fabrice Aquapendente , Scultet , Palfin
, Platner , Heifter , &c. ont inventé
des bandages d'acier de différentes formes
; mais toute leur ftructure fe réduit à
comprimer le fac au moyen d'un peffon
à vis qui , attaché à une branche d'acier
va porter fur la tumeur.
Malgré les vues & les intentions de
ces grands Médecins , ces bandages n'ont
pas eu un grand fuccès , non -feulement
parce qu'il eft difficile de les affujettir fans
qu'ils fe dérangent ; mais parce que la
compreffion fur le fac eft trop dure , &
gêne trop le malade.
Celui que je propofe , Monfieur , eft
beaucoup plus fimple , moins défagréable
à la vue & plus facile à porter : il eft compofé
d'un cercle d'acier en ovale * A, garni
de taffetas qui peut fe cacher fous les che
veux ou fous la perruque;il paffe par la partie
fupérieure du coronal & fe fixe derriere
l'occipital, au moyen d'un bouton , qui entre
dans différens trous , afin de le contenir
& ferrer fuivant la groffeur de la tête. Du
milieu de ce cercle il part une branche d'argent
B , furmontée en acier & un peu recourbée
; cette branche eft placée à la par
* Voyez la Planche.
NOVEMBRE . 1760. 119
tie fupérieure , entre deux pivots C , & arrêtée
au moyen d'une vis D, de forte qu'elle
ne peut le mouvoir que de dehors en dedans
. Sur le cercle d'acier eft un reffort
élaftique E , de deux pouces de longueur ,
qui fait faire le lévier à cette branche fa
partie inférieure forme une courbe F , afin
de paffer fous la voute arbitraire du côté
du nez ; à fon extrémité eft un bouton
oval G , qui pofe fur le fac lacrymal .
Depuis l'invention , Monfieur, de ce nouveau
bandage, je ne m'en fuis fervi qu'une
fois , mais j'ai eu le plus grand fuccès.
M.D. étoit affligé depuis plus de trois années
d'une hydropifie du fac lacrymal à l'oeil
droit ; cette espéce de fiftule , que quelques-
uns avoit caractériſée de fiftule complette
, formoit une tumeur élevée , rouge
& douloureuſe au toucher ; en la comprimant
avec le doigt , il fortoit, avec difficulté,
une matiere épaiffe & purulente ; le malade
avoit reffenti en cet endroit , plufieurs fois,
des inflammations confidérables , qui s'étoient
étendues jufques fur les paupieres
& le globe de l'oeil ; elles ne fe font diffipées
que par un abcès qui s'eft ouvert à
l'extérieur du fac , & avoit répandu beaucoup
de matiere purulente. Les remédes ,
tant externes qu'internes , n'avoient pu
diffiper entiérement cette efpéce de fiftule.
120 MERCURE DE FRANCE.
L'opération avoit été confeillée , comme
le feul moyen de guériſon . C'eſt alors que
j'ai été confulté. Après avoir examiné avec
attention s'il n'y avoit point carie , ou quelque
tumeur dans le nez qui bouchât l'orifice
inférieure de la gouttiere nafale , je me
décidai pour le bandage compreffif , que
M. Coufin appliqua avec toute la juſteſſe
poffible. J'ai preferit en même temps ,
pour laver l'oeil , une eau déterfive & émolliente
, qui pût pénétrer dans le fac & le
déterger. Je voyois de jour à autre la tumeur
diminuer , la matiere devenir claire
moins abondante : Elle s'eft enfin tarie entiérement
, & les larmes prirent leur cours
par
le nez . Le malade s'eft fervi environ
fix femaines de ce bandage , encore n'en
faifoit- il ufage que l'après- midi , & fouvent
il paffoit des jours entiers fans le
porter.
J'avoue , Monfieur , que les circonftances
de cette eſpèce de fiftule & fa guérifon
, me préviennent beaucoup en faveur
de ce nouveau bandage. Tout fon uſage.
ne fe réduit pas feulement à rétablir le fac
dilaté & à vuider les larmes qui s'y arrêtent
; il peut fervir contenir les appareils
, après la perforation de l'os unguis
il agit encore comme une espéce de
pifton , qui , foulant les larmes vers le
pour
conduit
NOVEMBRE. 1760. 121
conduit nafal , détruit peu-à- peu la réfiftance
qui s'y trouve ; or comme cette réfiftance
n'eft formée , le plus fouvent , que
par une matiére muqueufe épaiffie , les
larmes alors ayant plus de mouvement ,
atténuées & divifées par la compreffion ,
agiront avec force , détacheront & entraîneront
la matiére arrêtée dans le conduit
nafal .
Malgré les avantages de la compreffion
, il ne faut point perdre de vue les
remédes intérieurs , qui tendent à divifer ,
atténuer l'épaiffiffement du fang & de la
lymphe il ne faut pas négliger non plus
les remedes extérieurs , tels que les emplâtres
réfolutifs & fondans appliqués fur
le fac , les véficatoires derriere la nuque
du col ou les oreilles , les vapeurs reçues
par le nez , les fternutatoires , & enfin tous
les remédes qui peuvent détourner les humeurs
, tamollir & fondre les engorge
mens qui fe trouvent dans le canal nafal.
: Je fuis , Monfieur , &c .
122 MERCURE DE FRANCE .
•
EUVRES Métallurgiques de M. Jean
Christian Orfchall , Infpecteur des Mines.
de S. A. S. le Landgrave de Heffe Caffel ,
contenant 1 ° . l'art de la Fonderie ; 2 un
Traité de la Liquation ; 3 ° . un Traité
de la Macération des Mines ; 4 ° . le Trait
des trois Merveilles , ( traduit de l'Allemand
) vol. in- 12. du prix de 2 liv. 10
J. broché , & 3 liv. relié. A Paris , chez
Hardy , Libraire , rue S. Jaeques , à la
Colonne d'or , 1760 .
Les Voyageurs Modernes , ou Abrégé
de plufieurs Voyages faits en Europe
Afte & Afrique , traduit de l'Anglois ,
4 vol. in-12. du prix de 8 liv . brochés.
A Paris , chez Nyon & Guillyn , quai des
Auguftins , & Hardy , rue S. Jacques , à
la Colonne d'or , 1760 .
LES PRINCIPES fondamentaux de la
Religion , ou le Catéchisme de l'âge mûr :
Méthode courte & à la portée de tous
les fidéles , qui n'ont point reçu d'autres
inftructions fur cette matiere que celles
de l'enfance , & qui defirent fe rendre
raifon des motifs de leur foi . Volume in-
12. Paris. 1760. chez Babuty fils , quai
des Auguftins , Brocas & Humblot , LiNOVEMBRE.
1760. 123
braires , rue S. Jacques. Avec Approbation
& Privilége du Roi.
L'ARMÉE ROMAINE SAUVÉE , par les
prières de la Légion fulminante ; Poëme,
par M. l'Abbé Šélis.
Laus ibi nulla ducum
Claudi .
Brochure in-8°. Paris . 1760. chez la veu
ve Damonneville , quai des Auguftins , &
chez l'Auteur , au Bureau de lecture des
papiers publics , rue Bétizy.
EPITRE A M. DE VOLTAIRE , fuivie de
quelques Obfervations fur fa derniere
Piéce de Théâtre ( l'Orphelin de laChine,
& non pas l'Ecoffaife , comme on l'avoit
dit par erreur , dans le premier Vol.
du Mercure d'Octobre. ) Par M. Gazon
Dourxigné. Nouvelle Edition . Se vend à'
Paris , chez Cailleau , Libraire , quai des
Auguftins.
ALMANACH DE CUISINE , pour l'année
1761 , qui explique les productions des
alimens de chaque mois , & leur apprêt.
ALMANACH D'OFFICE , pour la même
année. L'un & l'autre fe vendent à Paris
chez Leclerc , Libraire , quai des Auguf
tins , à la Toiſon d'or.
Fij
424 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIE S.
SEANCE publique de la Société Litté
raire de Châlons -fur- Marne,
LE Mercredi 3 du mois de Septembre , la
Société Littéraire de Châlons - fur - Marne
a tenu fa feconde Séance publique .
Elle a été ouverte par la lecture de la
fuite des recherches hiftoriques & critiques
faites par M, Fradet , Secrétaire de
l'Intendance de Champagne , fur la Vie
& les Ecrits qui nous restent de Manaſſé,
Archevêque de Reims , fecond du nom ,
de l'illuftre Maifon de Chatillon - furz.
Marne , M. Vialet , Sous-Ingénieur des
Ponts & Chauffées a lû enfuite un Mémoire
dans lequel il a fait voir que l'on
peur augmenter par la cuiffon la dureté ,
& par conféquent la durée de l'ardoife.
Il réfulte des expériences qu'il a faites ,
que moyennant une légére dépenfe de
trente fols par milliers , l'ardoife des
NOVEMBRE 1760. t25
bords de la Meufe acquiert, à la cuiffon ,
non pas une dureté aigre & caffante ,
mais une dureté pleine , qui la rend au
moins du double plus durable. Un des
plus grands avantages de cette décou
verte , c'eft que la plus mauvaiſe ardoife
devient par l'action du feu auffi folide que
celle de la meilleure qualité.
M. Vialet a auffi effayé de verniffer
Pardoife ; fes tentatives ont eu quelques
fuccès , & il doit continuer fes expériences
; mais quand il en refteroit au point
où il eft parvenu , fa découverte n'en devroit
pas moins être mife au nombre des
progrès que l'on fait chaque jour dans les
Arts utiles.
M. Rouffel , un des Curés de cette Ville
, ayant entrepris de diſcuter les cauſes
du rétréciffement de l'efprit humain , a
fait part à l'Affemblée de la premiere par
tie de fes réflexions ; il y a démontré, avec
autant de clarté & d'agrément , que de
folidité , que le principal obftacle qui retient
nos connoiffances dans des bornes
étroites , c'est la multiplicité des objets
auxquels le même homme fe livre fans
choix , & fans avoir confulté fes forces .
Si on fe renfermoit dans l'étude d'une
feule ſcience , on n'en fçauroit qu'une , à
la vérité , mais on la fçauroit bien , &
F iij
116 MERCURE DE FRANCE:
l'Etat trouveroit dans ce Citoyen éclairé
& profond des avantages que ne peuvent
lui procurer ces génies fuperficiels qui
voltigent fans ceffe de branche en bran
che , fans fe repofer fur aucune.
Ce difcours a été fuivi de quelques ob
fervations de M. Vanier , Docteur Mé
decin , établi à Vitry , au fujet de diffé
rentes plantes affez rares , qu'il a trouvées
dans la Province de Champagne , & qui
peuvent être employées utilement au fou
Fagement des maux , auxquels l'humanité
n'eft que trop fujette .
Enfin , la Séance a été terminée par
la Préface que M. Dupleffis , qui demeure
auffi à Vitry, fe propofe de mettre à la tête
d'une Hiftoire des Infectes & des Vers ,
qui fe trouvent dans la même Province.
J
PRIX proposés par l'Académie Royale
des Sciences , Infcriptions & Belles-
Lettres de Touloufe , pour les années
1761 , 1762 & 1763 .
La Toulouſe A Ville de , célèbre par les
Prix qu'on y diftribue depuis longtemps
à l'Eloquence , à la Poëfie & aux Arts ,
voulant contribuer auffi au progrès des
NOVEMBRE. 1760. 127
Sciences & des Lettres , a , fous le bon
plaifir du Roi , fondé un Prix de la valeur
de cinq cens livres , pour être diftribuét
tous les ans par l'Académie Royale des
Sciences , Infcriptions & Belles Lettres ,
à celui qui , au jugement de cette Compagnie
, aura le mieux traité le fujet qu'elle
aura propofé.
Le fujer doit être alternativement de
Mathématique , de Médecine & de Lit
térature,
L'Acadéinie avoit propofé en 1757 s
pour Sujet du Prix de 1760 , les moyens
de reconnoître les contre- coups dans le
corps humain , & d'en prévenir les fuites.
Dans le nombre des ouvrages préſentés
pour ce Prix, quelques- uns ont mérité les
Eloges de l'Académie , & particuliéremenr
celui qui porte pour Dévife ces paroles de
Celle : Ut alimenta fanis corporibus agricultura
, fiefanitatem ægris Medicina promittit
.
Mais comme entre ces Pièces , certaines
fe bornent aux contre coups de la
tête ; que dans celles qui ont embraffe
ceux du tronc & des extrémités , les articles
qui s'y rapportent font peu approfondis
, & qu'en général aucun des ouvrages
préfentés n'explique le méchanifme des
contre- coups, dans un détail fuffifant pour
F
128 MERCURE DE FRANCE.
déterminer quelles font les connoiffancest
qu'on peut en tirer fur le fiége & la nature
des léfions produites par ces accidents ;
l'Académie s'eft déterminée à referver le
Prix & à le joindre à celui de 1763 , qui
fera de mille livres , & pour lequel elle
propofe le même Sujet.
On fçait que le Sujet propofé pour le
Prix de 1761 , qui fera de 2000 liv.eft l'état
des fciences & des arts dans le Royaume de
Toulouse , fous les Rois Vifigots , & quelles
y furent les Loix & les Maurs fous le
Gouvernement de ces Princes. Et les Auteurs
ont été avertis qu'ils doivent s'attacher
à rendre fenfibles les changemens
que la domination des Vifigots a produits
dans le Pays que renfermoit le Royaume
de Toulouſe.
Quant au Prix de 1762 , qui eft auffi
de 2000 livres , on eft inftruit encore qu'il
a pour fujer de déterminer la Direction &
la forme la plus avantageufe d'uné Digue
, pour qu'elle réfifte avec tout l'avantage
poffible aux efforts des Eaux, en ayant
égard aux diverfes manieres dont elles
tendent à la détruire ; & que les Auteurs
qui compoferont pour ce Prix , doivent
avoir principalement en vue les Digues
ou les Epis deſtinés à changer le cours
des Rivieres , & les principes de DynaNOVEMBRE.
1760. 129
mique relatifs à la folution de ce problême
, fans toutefois négliger la pratique.
Les Sçavans font invités à travailler
fur ces Sujets , & même les Affociés
étrangers de l'Académie . Ses autres Mem
bres font exclus de prétendre au Prix.
Ceux qui compoferont font priés d'écrire
en François ou en Latin & de remettre
une copie de leurs ouvrages qui foit bien
lifible , fur-tout quand il y aura des Calculs
Algébriques.
Les Auteurs écriront au bas de leurs
ouvrages une Sentence ou Deviſe ; mais
ils n'y mettront point leur nom. Ils pourront
néanmoins y joindre un Billet féparé
& cacheté , qui contienne la même
Sentence ou Devife , avec leur nom ,
leurs qualités & leur adreffe ; l'Académie
exige même qu'ils prennent cette précau❤
tion , lorsqu'ils adrefferont leurs Ecrits au
Secrétaire. Ce Billet ne fera point ouvert
fi la Pièce n'a remporté le Prix.
Ceux qui travailleront pour le Prix ,
pouront adreffer leurs ouvrages à M. l'Abbé
de Sapte , Secrétaire perpétuel de l'Académie,
ou les lui faire remettre par quel
que perfonne domiciliée à Toulouſe.Dans
ce dernier cas il en donnera fon récépiffé
, fur lequel fera écrite la Sentence
F v
130 MERCURE DE FRANCE.
de l'Ouvrage , avec fon numero , felon
l'ordre dans lequel il aura été reçu .
Les Paquets adreffés au Secrétaire ,
doivent être affranchis de port.
Les Ouvrages ne feront reçus que
jufqu'au dernier Janvier des années pour
le Prix defquels ils auront été composés.
L'Académie proclamera dans fon Affemblée
publique du vingt - cinq du mois
d'Août de chaque année , la Piéce qu'elle
aura couronnée.
Si l'Ouvrage qui aura remporté le
Prix , a été envoyé au Secrétariat à
droiture , le Tréforier de l'Académie ne
délivrera ce Prix qu'à l'Auteur même qui
fe fera connoître , ou au Porteur d'une
Procuration de fa
part.
S'il y a un récépiffé du Secrétaire , le
Prix fera délivré à celui qui le repréſentera.
L'Académie , qui ne preferit aucun
fyftême , déclare auffi qu'elle n'entend
point adopter les principes des Ouvrages
qu'elle couronnera.
NOVEMBRE. 1760. 13 I'
GRAMMAIRE.
SENTIMENT de feu M. DU MARSAIS ,
fur les Noms de nombre confidérés per
rapport à la Grammaire .
VOUS ous me faites l'honneur de me dire
Monfieur , que quelques perfonnes , de
votre connoiffance , prétendent que les
noms de nombre deux , trois , quatre ,
cinq &c. ne font ni adjectifs , ni ſubſtantifs
; enforte qu'ils font , dans la Grammaire
, une espéce particuliere .
C'eſt le fentiment de M. l'Abbé Girard,
qui , à ce qu'il dit , t . 1. p. 73 , réhabilite
les nombres dans les honneurs de la Grammaire
, dont on avoit affecté de les dégrader.
Je les place , pourfuit- il , au rang
des efpéces générales , parce qu'ils en font
réellement une; l'idée de calcul étant une idée
Spéciale qui ne peut fe rapporter à aucune
de celles qui conftituent les autres espèces.
Mais , eft- il bien certain , que l'idée de
calcul étant une idée ſpéciale , les mots
qui expriment , qui fixent , qui détermnent
cette idée , ne foient fubordonnés à
aucune des efpéces générales de mots
F vi
132 MERCURE DE FRANCE.
connues jufqu'ici par les Grammaitiens ?
L'idée de figure eft une idée fpéciale :
s'enfuit il de-là que les mots , qui marquent
qu'un tel corps eft rond ou quarré ,
faffent une espéce particulière , qui ne
doive point être comprife fous quelqu'une
des espéces générales connues en Grammaire
, & que rond & quarré ceffent d'être
des adjectifs ?
Il me femble , Monfieur , qu'il faudroit
faire ici un arbre de Porphyre. Il y a certains
points généraux , felon lefquels les
mots , auffi bien que les êtres réels , conviennent
entre eux ; il y a enfuite des
points particuliers , felon lefquels ils différent
.
Les points les plus généraux , & qui
conviennent à tous les mots , par exemple
, d'être fignes d'une pensée , d'un concept
, ou de quelque point de vue de l'efprit
, donnent lieu à l'idée générale , MoŁ.
Enfuite nos obfervons des différences entre
les mots ou fignes de nos pensées.
Ces différences nous donnent lieu de
diftraire , de féparer les mots , & d'en
faire autant de claffes ou efpéces particulières
, felon que nous obfervoit qu'ils
conviennent entre eux à certains égards ,
& qu'ils différent en d'autres par rapport
à leur emploi grammatical
NOVEMBRE. 1760 133
•
Si dans ces premieres claffes ou espéces
particulières , nous voyons d'autres différences
, ces différences nous donnent encore
lieu de faire d'autres fubdivifions
jufqu'à ce qu'enfin nous n'en trouvious
plus à faire.
Ainfi , comme l'Ontologie , après avoir
d'abord reconnu l'être , le divife en efpéces
générales , qu'elle fubdivife enfuite
en efpéces moins générales , qui
n'ont plus fous elles que les individus ;
de même la Grammaire , qui a les mots
pour objet , en fait auffi des efpéces
qu'elle fubdivife enfuite felon les différences
qu'elle y obferve par rapport à
leurs propriétés & à leur ufage.
Pour déterminer de quelle claffe eft un
mot , il faut d'abord avoir une idée précife
de ce que le mot fignifie , & de
toute l'étendue de fon fervice grammatical
; enfuite , il faut avoir une connoif-
·fance diftincte des diverfes claffes connues
en Grammaire ; fauf à nous d'en
établir de nouvelles , s'il eft bien évident
que celles qui font déja établies ne fuffifent
pas.
Les mots ne font point des êtres réels.
Je conviens que tout ceci dépend de la
manière de penfer ; mais notre manière
de penfer doit être conforme aux idées
734 MERCURE DE FRANCE.
exemplaires que nous avons acquifes par
l'ufage de la vie , & que les autres hommes
ont comme nous, avec plus ou moins
d'étendue , de précifion & de netteté.
Ainfi j'aurois autant de tort à foutenir
que le mot Soleil eft un verbe , que fi
je difois que le cercle eft quarré.
que
Voilà bien des paroles , Monfieur
pour en venir à vous dire que je penſe
les noms de nombre cardinal , un ,
deux , trois , quatre , cinq , &c. doivent
être placés d'abord , fi vous voulez , dans
une claffe particulière , que vous nommerez
claffe des noms des nombres ; mais qui
fera enfuite compriſe dans la claffe générale
des noms adjectifs , à laquelle la
premiere eft fubordonnée.
Quelle eft l'idée exemplaire du nom
adjectif? Le nom adjectif eft un mot qui
défigne la manière d'être d'un objet , &
qui eft tellement identifié avec cet objet ,
que le fubftantif & l'adjectif font l'objet
même confidéré fous un certain point
de vue , & pourroient n'être exprimés
que par un feul mot .
Ainfi , tout mot qui marque la manière
d'être d'un objet avec lequel il eſt uni ,
eft un adjectif, quelle que puiffe être cette
manière d'être : ou plutôt quel que puiffe
être le point de vue ,fous lequel l'adjec
NOVEMBRE. 1760.
tif marque que nous confidérons l'objet.
Et voilà pourquoi , dit M. l'Abbé Girard,
on leur a donné le nom d'adjectif,
qui annonce , ajoute-t- il , un perfonnage
de lafuite d'un autre .
Ainfi , comme , rond , ou quarré , dé.
terminent la figure du fubftantif , puifque,
blanc , noir , rouge , en déterminent la
couleur : puifque , mon , mien , ton , vô
tre, nôtre , indiquent un rapport perfonnel
d'appartenance ; que , premier , fecond ,
deuxième , troifiéme , cinquième , font des
adjectifs , felon M. l'Abbé Girard mê
me, parce qu'ils qualifient la chofe par
un attribut d'ordre numéral : enfin , comme,
felon M. l'Abbé Girard , un , plu
fieurs , tout , nul , aucun , font des adjectifs
qui expriment une qualification de
quotité vague & non déterminée ; de même
, un , deux , trois , quatre , cinq , &c.
font des adjectifs qui expriment une qualification
de quotité déterminée.
Ainfi , je place d'abord chacun de ces
adjectifs dans leur claffe particuliere ; les
uns , comme déterminant la figure ; les
autres , la couleur ; ceux ci l'appartenance
; ceux-là , l'ordre numéral ; d'autres ,
la quotité vague ; enfin , je mets ceux
dont il s'agit dans la claffe des adjectifs
qui déterminent le nombre des êtres , avec
136 MERCURE DE FRANCE
lefquels ils font identifiés collectivement ;
& je fubordonne toutes ces claffes particulières
à la claffe générale des adjectifs .
M. l'Abbé Girard , qui fait de ces
noms de nombre une feptième partie d'oraiſon
, qui , felon lui , n'eft fubordonnée
à aucune autre , ne peut s'empêcher
de convenir que le régime de ces mots- là
eft tel que d'adjectif à fubftantif ; ce qui
ne fauroit être que parce que ces mots - là
ne forment qu'un même tout avec leur
fubftantif ; ce qui eft le caractère propre
de l'adjectif.
Ainfi dans ces exemples , les Saints
Apôtres , les douze Apôtres : Saints , eſt
un adjectif qui marque la fainteté des
Apôtres , & douze eft un adjectif qui en
défigne le nombre collectivement . Je
vais finir par une derniere réflexion .
Dans ces paffages Latins : Fortè , unam
adfpicio adolefcentulam ; ou , fi vous voulez
: Foriè , duas adfpicio adolefcentulas
( 1 ) ; & dans Virgile : Bisfenos cui , noftra
, dies , altaria fumant. Pueri bis feni
fulgent (1 ) : Je ne crois pas qu'il y ait de
Grammairien qui ne reconnoiffe là des
noms de nombre fubordonnés à la claſſe
des adjectifs . Pourquoi donc ne le fe
(1) Terent. And. Act . 1 .
Sc. 1.
(z) Virg. Ecl. 1. v. 44. Eneid.l. s .v. 56x
NOVEMBRE. 1760. 137
toient- ils pas en François ? N'y ont - ils
pas la même valeur?
ADDITION , où l'on répond à des objectionsfaites
contre l'écrit précédent.
JEE n'ai point traité des nombres confidérés
en eux- mêmes , ou plutôt confidérés
par abftraction , & comme faifant l'objet
de l'Arithmétique , parce que je n'avois
à en parler que relativement à l'idée
que M.l'Abbé Girard s'en eft faite dans fon
Xe Difcours , où il joint les mots qu'il ap
pelle calculatifs , avec les chofes calculées.
Mais , fi vous me demandez dans quelle
claffe il faut mettre les noms de nombre
confidérés in abstracto , & comme faiſant
l'objet de l'Arithmétique , je commencerai
par vous prier de faire , avec moi , les
obfervations fuivantes.
I. Il n'y a point de terme abftrait , qui
ne tire fon origine du réel & du phyfique ,
ou pour ne parler que des mots qui font
toujours les mêmes , foit qu'ils foient employés
dans l'ordre phyfique , ou qu'on en
faffe ufage dans l'ordre des abftraits ; je
dis que ces mots - là , ne devant leur pre18
MERCURE DE FRANCE.
mier être qu'à l'ordre phyfique , ont pris
là leur dénomination.
Beau , à caufe de la qualification qu'it
donne à la chofe , eft de la claffe des adjectifs
mais , quel nom faut-il lui donner
quand on fe fert de ce mot dans un
fens abftrait , & qu'on dit , par exemple
Le beau vous touche ?
Pour moi j'aime à reconnoître les mafques
, & je ne tire pas les chofes de leur
premier état , quand je crois appercevoir
qu'elles y tiennent, quoi qu'avec une forme
nouvelle ainfi je dis , que beau eſt
alors un adjectif pris fubftantivement : de
qui n'eft pas être fubftantif , comme l'Auteur
des Remarques fur mon petit écris
paroît le croire. Ces noms de nombre ,
dit- il , doivent toujours êté pris fubftanti
vement , & font en effet , felon toutes les
régles de la Grammaire & de la Logique ,
de vrais fubftantifs.
Je crois au contraire , qu'ils ne peuvent
être pris fubftantivement , que parce qu'a
lors même ils ne font pas de vrais ſubſtantifs.
Ce feroit en effet des mots d'une efpéce
bien finguliére , que des fubftantifs
pris fubftantivement .
Au fond , que veut dire cette énonciation
, le beau vous touche ? c'est - à- dire ce
NOVEMBRE. 1760.
139
qui eft beau : ainfi beau n'eft pas alors
bien mafqué en fubftantif , qu'on n'y découvre
fon état naturel d'adjectif , mais
d'un adjectif qui renferme avec lui un
fubftantifquelconque , fans quoi , beau no
pourroit jamais fubfifter dans le diſcours
' eft- à- dire , y être le fujet de la propofi
tion ; & voilà pourquoi je dis qu'il eft
alors un adjectif pris fubftantivement :
mais il n'eft pas pour cela , par lui - même ,
unfubftantif.
Ainfi , un , deux , trois , quatre , ayant
commencé par être joints aux chofes calculées
, dont ils ont déterminé la quantité
, ils ont été appellés adjectifs , & confervent
toujours ce caractére indélébile :
& voilà mon catéchifme grammatical.
Il y a plus : c'eft que je puis bien à la
vérité concevoir les nombres nombrans
& faire abftraction de tel ou tel être par
ticulier nombré ; mais , je ne fçaurois faire
abstraction d'être quelconque : Nombre.
nombrant nombre quelque chofe. Nombrant
, eft actif tranfitif. Je conviens de
l'axiome , que fcientia funt de univerfalibus
, & que fingularium non datur fcientia.
Ainfi quand je dis , 2 + 2 = 4 › je
fais , à la vérité , abftraction de louis , d'écus
, & de tout autre être ou individu particulier
déterminé ; mais je ne fçaurois
140 MERCURE DE FRANCE.
faire abtraction de l'idée de l'être quelconque
nombré. Ainfi il ne me paroît pas
véritable , fauf reſpect , que je puiffe confidérer
en eux - mêmes les nombres nombrans
, & en abftraire l'idée d'être quelconque
nombré. Deux & deux font quatre ,
c'eft à dire toutes les fois que vous ajouterez
deux êtres , ou individus quelconques
, à deux autres individus quelconques
, vous aurez quatre individus quelconques.
Cette addition de louis , d'écus , ou même
d'étre quelconque , ne ferviroit qu'à
allonger le difcours du calculateur : il la
fupprime , & il eft également entendu ;
mais cette idée , d'être quelconque , eft fi
véritablement dans fon efprit , que fans
elle il n'auroit aucune idée , & ne pourroit
appercevoir aucun rapport .
Puifque vous accordez pleinement , que
les noms dont il s'agit , font de véritables
adjectifs , dans leur affociation aux chofes
nombrées ; il s'enfuit que dans cette phra
fe , deux êtres , plus deux êtres , foni quatre
êtres : deux & quatre font adjectifs.
Pourquoi donc , fi je viens à fupprimer
être comme mot fuffifamment entendu ,
deux & quatre deviendront- ils fubftantifs ?
J'aime mieux dire que , ces noms renfermant
alors l'idée d'atres , fans perdre leur
NOVEMBRE . 1760. 147
hature d'adjectifs , ce feront des adjectifs
pris fubftantivement.
Je conviens que dans les opérations
d'Arithmétique , on eft fi fort accoutumé
à la fuppreffion de tout individu particulier
, que l'on croit n'appercevoir que le
rapport entre deux fois deux &. quatre
& c. Mais je fuis perfuadé , que fans l'idée
de l'être quelconque , qui eft alors calculé ,
il n'y auroit aucun rapport entre deuxfois
deux & quatre , qui ne feroient alors que
des mots fans nulle valeur.
Il n'en eft pas de même des noms fubftantifs
abftraits. Quiconque a un peu réfléchi
fur les abftraits , tel que la mefure ,
la durée , la couleur & le nombre , n'ignore
pas que ces mots marquent une idée ,
ou concept abfolu de l'efprit , qui , à la
vérité , ne répond à aucun être réel qui
exifte hors de nous ; mais la fignification
de ces mots , pour être conçue par quiconque
entend la langue , n'exige pas une
autre idée ce font là de vrais fubftantifs
par imitation ; ils excitent dans notre efprit
une idée abfolue , qui peut être toute
feule le fujet de la propofition. Etre &
Néant , ne marquent pas , à la vérité , des
objets réels & pofitifs hors de nous ; mais
l'idée de l'être , & le concept abftrait du
néant, font en nous des idées & des cont
42 MERCURE DE FRANCE.
cepts également abfolus & pofitifs : l'un
& l'autre eft également l'objet de ma penfée,
& peut , tout feul , être le fujet d'une
propofition. Le néant , n'a aucune proprié
ré ; la couleur, eft un effet de la lumière, &c.
& c'eft pour cela que ces mots font des fubftantifs
; ils fubfiftent par imitation dans
le difcours nous en parlons de la même
maniere que nous parlons des objets réels;
& nous fommes même fi fort accoutumés
à en parler , comme des autres fubftantifs ,
que nous croyons les confidérer en euxmêmes
, quoiqu'au fond tous ces mots- là
entant qu'abftraits , n'ayent point d'euxmêmes.
Mais , l'adjectif ne sçauroit jamais perdre
fon effence de mot qualificatif , ainſi ,
il ne fçauroit jamais exifter feul dans le
difcours , infenfu divifo. Encore un coup,
quand il y eft dans un fens abftrait , &
que, pour parler comme M. l'Abbé Gi➡
rard , ilmarche enfubftantif, il n'est pour
tant qu'un adjectif pris fubftantivement ,
& in fenfu compofito. Demeurons- en-là ;
car , faut- il que la moindre question nous
faffe rappeller une Logique entiere ?
NOVEMBRE . 1760. 143
LETTRE à Monfeigneur le Prince
FREDERIC DE SALM , fur un Phủ .
nomène obfervé en Normandie.
MONSEIGNEUR,
Votre goût décidé pour la Phyfique ,
vous rend curieux de tous les phénomènes
que la Nature nous préfente ; j'ai cru
vous faire plaifir en vous faiſant part de
celui qui parut ici il y a quelque temps.
Le 24 Juillet au foir , fur les dix heures
pendant que la Lune étoit fort claire ,
j'apperçus à la même latitude vers l'oueft
une lumiere éclatante au milieu d'une
pe
tite obfcurité. Cette lumiere avoit toutes
les couleurs de l'arc- en- ciel bien marquées ,
difpofées de maniere que le rouge étoit
du côté de la Lune , & elles s'étendoient
beaucoup plus de haut en bas que de côté.
Quoique nous ne voyions ordinairement
l'arc- en - ciel que dans la partie duCiel oppofée
auSoleil qui le forme, & en tournant
le dos à cet aftre ; je ne doutai point que la
lumière que je voyois ne fût une partie
d'un iris formé par le briſement & la réflexion
des rayons de la Lune , qui fe
144 MERCURE DE FRANCE
rompoient dans un nuage, ou gros bouillon
fort élevé, que la mer envoyoit fur la côte :
car j'étois alors dans le voisinage de la mer ,
à deux lieues de Fefcamp. M. l'Abbé de
Montmorillon , Maître du Chour , Comte
de Lyon , vient de me mander , que
dans le même temps l'on a vu à Lyon une
lueur un peu colorée fans forme d'arc enciel
; cela , Monfeigneur , me perfuaderoit
que je n'ai pas trouvé la vraie caufe de ce
Phénomène , & qu'il étoit à une bien plus.
grande diftance de la terre que les brouillards
de la mer. Cependant , dans ma
premiere perfuafion , je mefurai , le plus
exactement qu'il me fut poffible , avec
l'inftrument que j'avois , l'éloignement
de cette lumière à la Lune , que je trouvai
entre 40 & 45 degrés. Pendant près
de deux heures qu'a duré l'obfervation
j'ai remarqué que ces couleurs faifoient
le même chemin que la Lune , & qu'elles
avançoient devant elle , en gardant toujours
la même diftance. La Lune a donc
auffi des arcs en ciel auffi bien que le Soleil
. Je ne vous rappellerai pas , pour le
prouver , cette couronne éclatante par
toutes les couleurs de l'iris que j'obfervai
il y a douze ans autour du difque de
la Lune ; j'ai quelque chofe de plus particulier.
Un véritable arc- en - ciel fut apperçu
NOVEMBRE.. 1760. 145
perçu il y a quatre ans pendant la nuit ;
avoit la même difpofition que ceux qui
paroiffent pendant le jour. Dans le mois
de Décembre , deux jours après la pleine.
Lune , une heure avant l'aurore , il parut
vers l'Eft un arc en ciel auffi beau que s'il
eut été formé par le Soleil même ; les
rayons de la Lune alloient fe peindre dans
un nuage, d'où il tomboit une pluie qui fe
fit bientôt fentir à l'Obfervateur. Il y a ,
Monfeigneur , une infinité de beautés , dont
nous pourrions avoir l'agréable fpectacle ;
mais il faudroit fçavoir , felon le beau
mot de M. de Fontenelle , prendre la Nature
fur le fait. J'ai l'honneur d'être avec
un très-refpectueux dévouement , Monfeigneur
, &c.
146 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE IV.-
BEAUX - ARTS.
' ARCHITECTURE.
RÉPONSE à la Lettre de M...
fur
l'Architecture inférée dans le premier
Volume de Juillet dernier.
J'ATR ' AI lû , Monfieur , votre Lettre fur
l'Architecture. L'on ne peut qu'applau
dir à vos intentions ; votre Lettre eft d'un
bon Citoyen. 1
Il feroit à fouhaiter , que le Plan que
vous propoſez , eût fon effet. Ce projet
feroit un de ceux,dont on pourroit eſpérer
un heureux fuccès. Permettez- moi , cependant
, Monfieur , de vous faire quelques
obfervations.
Je n'entrerai pas dans le détail des
qualités requifes pour former un Archi
tecte. Je n'indiquerai pas non plus toutes
les différentes parties qu'il doit fçavoir.
Nos Maîtres en ont traité affez
favamment , pour nous en tenir à ce qu'ils
ont dit. Mais vous fçavez , Monfieur ,
que pour faire un homme , dans tel Art
NOVEMBRE . 1760. 147
que ce foit , il faut que la Nature & l'Art
concourent fucceffivement à le former.
Les difpofitions naturelles fe fuppofent
dans le fujet qui fe deftine à l'Art ; on le
fçait.
Vous pofez pour bafe de l'Art , qu'il
faudroit
que celui qui fe deftine à l'Architecture
fût bon deffinateur , & même
bon Peintre. Je crois , Monfieur , que
la partie du deffein , telle que vous l'indiquez
, doit lui fuffire. La Peinture emploiroit
elle feule trop de temps , qui
peut être employé à une partie plus éffentielle
, je veux dire aux Mathématiques
, & particulierement à la Géométrie
Science inféparablement unie à
l'Architecture , & propre à en faciliter les
progrès. Le choix des Profeffeurs , que
vous indiquez dans les différentes parties
d'étude , eft très-judicieuſe. Vous defireriez
que les jeunes gens , qui auroient
remporté le prix dans les trois genres ,
Décoration , Diftribution , Jardins
reftaffent plus longtemps à Paris. Cela
me paroît réfléchi ; ils feroient plus en
état de fe rendre raifon des bonnes chofes
qu'ils verroient enfuite en Italie ; pays
à jamais confacré , pour donner à nos
Artiftes le degré d'excellence dans tous -
les genres.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
Refte enfin la Pratique de l'Art que
l'on appelle Conftruction , dont vous ne
parlez point. Je defirerois donc , Monfieur
, que nos Artiftes étant parvenus à
un certain degré de fupériorité dans leur
talent , ils s'appliquaffent à cette Pratique.
On ne la regarde ordinairement
qu'avec un certain air de mépris , ne confidérant
fous cette dénomination que la
partie méchanique , trop fouvent abandonnée
à des gens qui ne fçavent que
manoeuvrer. Je penfe bien différemment
fur cette partie , quand elle fera confiée
à des Artiftes intelligens . Je ne conçois
pas , Monfieur , comment un jeune hom
me ,, avec route la fcience que vous lui
fuppofez , pourra faire l'application de
cette théorie , s'il n'eft entré dans les détails
de la Pratique de l'Art. Vous conviendrez
avec moi que tous les Arts ont
pour bâfe ces deux parties également éffentielles
, & qui doivent marcher de
compagnie. La Pratique fans la Théorie
eft aveugle , & ne peut convenir qu'à
des Automates , & non à des hommes.
Mais que feroit la Théorie fans la Pratique
? Elle pe ferviroit qu'à faire de faux
Savans. Je penfe fur l'Architecture , comme
fur la Peinture. Faites lire à votre
Eleve tous les meilleurs Traités de
NOVEMBRE. 1760. 149
I
Peinture ; qu'il en foit pénétré , qu'il en
raiſonne fupérieurement, vous n'avez faic
tout au plus qu'un Amateur , & non un
Peintre. Voulez vous en faire l'épreuve ?
mettez- lui le pinceau à la main . J'appréhende
avec raifon qu'il n'en foit ainfi de
notre Architecte , qui ne poffédera que
la Théorie de fon Art . Quand il voudra
faire exécuter un projet , il fera obligé
de s'en rapporter à des gens qui auront
feur intérêt à ne fe pas laiffer pénetrer ,,
de crainte que par la fuite on n'éclaire
leur travail de trop près Je dis , Mon
feur , que cet Artifte , avec toute la probité
poffible , peut faire dépenfer le doyble
au Particulier qui lui aura confié fes
intérêts , & même qu'il courera rifque
d'être fufpecté. De plus , ne connoiſſant
pas par lui- même la bonne conftruction ,
ni la qualité des matériaux pour y parvenir
, ni &c . il pourra avoir le défagrément
de voir la réputation perdue , par
le défaut des connoiffances qui fervent
de complément à celles qu'il a déja acquifes.
Voilà mon fentiment , Monfieur , je
fuis perfuadé que vous penfez comme
moi fur cette partie. Mais , n'ayant donné
qu'un projet très-fuccint , fur une matière
auffi étendue , les grands objets vous
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
ont feuls occupé , & vous avez laiffé au
Lecteur intelligent à fuppléer cette partie
que l'on fent être indifpenfable, pour
peu que l'on y réfléchiffe . J'ai pris la liberté
d'ajouter ce fupplément , pour ne
point induire en erreur les jeunes gens
qui commencent l'étude de cet Art .
Je fuis animé du même zéle que vous,
Monfieur ; c'est l'intérêt général que je
calcule . Je fouhaiterois que chaque Particulier
, qui eft dans le cas de faire bâtir ,
pût ne mettre les intérêts qu'entre les
mains d'Artiftes capables de bien concevoir
un projet , de le rendre exactement,
& de le faire exécuter avec le plus d'é
conomie poffible , & fuivant les régles
d'une bonne conftruction.
Vous pensez bien judicieufement, Monfieur
, fur l'expofition des projets d'Ar-
'chitecture , à l'imitation de celle des
morceaux de Peinture & de Sculpture.
Ce feroit un grand avantage pour les
Arts & pour les Artiftes . Il en résulteroit
cette heureuſe rivalité qui nous formeroit
de grands hommes. Je defirerois
comme vous , Monfieur , que ce projet
pût s'exécuter dans l'année où l'on ne
fait point d'expofition de Peinture au
Sallon , pour que dans le même lieu l'on
y vînt remarquer les différens progrès
NOVEMBRE. 1760.
151
des Arts , & de l'Architecture furtout
qui eft des Arts utiles le plus néceſſaire ,
& dont tous les autres tirent leur utilité
& leur éclat.
PHYSIQUE.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
Je craindrois , Monfieur , que le Public
ne tardât trop longtemps à être inftruit
d'une nouvelle qui , fans contredit , lui
doit être fort utile. Le peu d'empreffement
de l'Inventeur à fe faire valoir ,
pourroit aller jufqu'à garder le filence.
En qualité d'ami je crois devoir le rompre
, moins pour fon intérêt que pour celui
du Public. Cependant je ne rapporterai
que le réſultat des différentes converfations
qu'il m'a tenues à ce fujet . Je
craindrois de le déſobliger , fi je n'en parlois
pas auffi modeftement lui.
que
•
Il n'eft guéres permis de douter que les
hommes de tous les fiécles n'aient cherché
les moyens de refter fous l'eau le plus
de temps poffible. On ne découvre ,à la vérité,
chez les Anciens, aucunes tentatives
de machines propres à cet ufage ; mais
Veftime qu'ils faifoient des bons Plon-
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
·
la geurs , & l'utilité dont ils étoient pour
pêche des Perles , nous prouvent affez
que par un art naturel bien cultivé , ils
fcavoient fe dédommager des avantages
d'un fecret très difficile à découvrir
pour eux , puifqu'ils n'avoient pas pouffé
la méchanique au même point que les
Modernes. Quoi qu'il en foit , les Sçavans
du fiécle précédent ont inventé ,
pour refpirer fous l'eau , plufieurs machines
ingénieufes , que des inconvéniens ,
dans la pratique , ont , fans doute , fait
abandonner . Ceper dant la cloche a fouvent
été miſe en ufage , malgré l'attirail
& les embarras qu'elle entraîne à fa fuite.
L'air s'y trouve d'autant plus condenfé
qu'on la defcend à une plus grande profondeur.
La refpiration y devient par
conféquent d'autant plus difficile. D'ail
leurs , on fçait que le même air qui a paffé.
un certain nombre de fois par nos poulmons
, n'eft plus propre à nous donner la
vie. Boyle le fixe à fept fois. On ne peut
donc y refpirer que très peu de temps.
Si l'on pouvoit perfectionner cette machine
, au point d'y demeurer un temps
confidérable , par exemple , deux heures ,
ce feroit déja rendre un grand ſervice à
ceux qui en font ufage. Or , la cloche eft
très facile. J'avertis de ne pas prendre ce
NOVEMBRE 1760. 1 5 3
que je vais dire pour une fimple ſpéculation
de cabinet les expériences qu'on a
faites ce fujet , donnent la certitude de
réuffir dans la pratique ; certitude qui fait
tout le prix d'une machine. Il ne s'agit ,
pour cela que de faire communiquer
l'homme qui eft fous la cloche avec l'air.
extérieur , fans que l'air comprimé dans
cette cloche puiffe s'échapper.
On fent d'abord qu'il faut des tuyaux
prolongés au- deffus de la furface de l'eau.
Mais comment empêcher l'air intérieur
de fortir ? La chofe eft route fimple : un
robinet ferme ce paffage . La difficulté
confiftoit donc à imaginer une embouchure
d'yvoire conftruite de forte que
l'homme la tenant dans fa bouche , pût
y adapter fes lévres , de manière qu'il
n'y ait aucune communication avec l'intérieur
de la bouche. Cette embouchure
n'eft point , comme on pourroit fe l'imaginer
, une fimple idée de Méchanicien
propofée au Public avant d'en avoir conftaté
les effets par l'expérience . Elle a été
éprouvée quantité de fois fous l'eau pendant
vingt cinq minutes , fans qu'une
feule goutte d'eau ait pénétré dans l'intérieur
de la bouche : ce qui eft fans con-
Tredit une plus forte épreuve que celle
de refpirer dans l'air comprimé. Quoi154
MERCURE DE FRANCE.
qu'on travaille fous la cloche ,, on pest
très-bien tenir continuellement l'embouchure
fans être obligé de fermer le robinet
, en y adaptant un tuyau de cuir garni.
en dedans d'un fil de laiton tourné en
ftors , ou bien en rendant un tuyau de
cuivre fufceptible de différens mouver
mens par le moyen de trois cylindres
creux qui s'ajuftent les uns dans les au
tres.
Je paffe maintenant à un inconvénient
auquel on n'a point éffayé de remédier
jufqu'à préfent dans les différentes mar
chines à plonger : c'est que l'air qu'on
chaffe dans l'expiration ne monte point
jufqu'au haut des tuyaux , furtout lorf
qu'ils ont une certaine hauteur ; c'eſt ce
qui fait que , dans l'infpiration , le plongeur
reçoit encore ce même air. L'Auteur
a remédié à ce défaut éffentiel , par le
moyen d'un foufflet qui a une foupape
dans le tuyau de conduite. Ce tuyau eft
recourbé , à angle droit , pour s'adapter à
l'extrémité de l'un des grands tuyaux ; &
comme ces deux grands tuyaux fe réu
niffent à une boëte commune qui com
munique à l'embouchure , ce ventilateur
renouvelle fans ceffe l'air de la machine ,
& fait par conféquent toujours circuler
un nouvel air dans les poulmons du plon
geur.
NOVEMBRE. 1760. 155
Je crois devoir remarquer, qu'il est né
ceffaire de comprimer le nez avec un reffort
, en mettant auparavant dans les
narines un peu de coton imbibé d'huile.
On peut auffi le comprimer avec deux vis
garnies d'un cuir moelleux , & fe tenir
certain que ni l'air ni l'eau n'y pourront
paffer. Outre cela, il faut avoir au-deffous
de l'embouchure un réſervoir pour la pituite
, tel qu'en ont ces pipes nommées
brulegueules . Tout ceci n'eft que dans la
vue de perfectionner la cloche à plonger ::
car l'Auteur est très- perfuadé qu'on peut
trouver mieux.
A l'égard de l'habit de plongeur , il eft
rempli de trop d'inconvéniens. Il eft trop
difficile de l'exécuter affez parfaitement ,
pour le rendre impénétrable à l'eau ; fon
tuyau de cuir eft fi peu facile à contenir ,
de façon que les parois n'étranglent en fe
rapprochant le paffage de l'air , ou ne les
ferment tout-à-fait. D'ailleurs l'homme y
court de fi grands rifques de fe noyer ,
puifqu'il faut le rendre plus pefant qu'un
pareil volume d'eau , & il eft fi difficile de
manoeuvrer avec cet habit dans la mer ,
qu'il paroît inutile de propofer des moyens
de le perfectionner.
Ce qu'il y auroit donc de plus avanta→
geux à l'art de plonger , feroit , fans con-
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
ttedit , de faire defcendre fous l'eau un
homme nud , fans qu'il fûr attaché à rien ,
& que dans cet état , il pût appliquer fa
bouche à une embouchure qui le fit communiquer
avec l'air extérieur par le moyen
de deux tuyaux prolongés au deffus de la
furface de l'eau : Ces deux tuyaux communiquant
auffi enſemble auprès de l'embouchure
, & le nez étant toujours comprimé
par un reffort ou par des vis, comme
on l'a expliqué ci - deffus.
le
La foule des témoins qui ont vu les
expériences réitérées qui ont été faites à
ce fujet , ne laiffe aucun lieu de douter
de la découverte & de l'effet de cette
machine . Mais l'Auteur craint que paffé
une certaine profondeur, la colonne d'eau
ne fût affez forte pour fe frayer un paffage
entre les lévres , quelque ferrées que
plongeur les tînt contre l'embouchure.
Envain d'habiles gens ont- ils voulu les
raffurer. Il en appelle à l'expérience , &
voudroit l'éprouver à 40 ou sa pieds fous
l'eau , pour fe convaincre par les faits
Mais , à de moindres profondeurs ,fa machine
feroit très- utile pour les voies d'eau
& pour une infinité d'autres ufages. Or ,
ce ne feroit pas un foible avantage ; &
quand par fon moyen on ne fauveroit
tous les dix ans qu'un feul vaiffeau du nauNOVEMBRE
. 1760. 157
frage , dans toute l'étendue des mers ,
l'Auteur ne feroit- il pas récompenfé de la
maniere la plus flatteufe pour tout homme
fenfible , puiſqu'il auroit contribué à
conferver la vie des hommes ?
Quoique cette façon de refpirer fous
l'eau foit abfolument neuve , & que la
machine foit réduite à fon plus grand degré
de fimplicité , néanmoins l'Auteur ,
qui s'eft appliqué à cette partie , croit en
avoir trouvé une meilleure. Mais elle lur
a paru fi avantageufe , dans la pratique
pour la pêche du corail , qu'il lui femble
bien permis d'en différer la publication ,
jufqu'à ce qu'il puiffe juger par lui - même ,
des avantages particuliers qu'il en retireroit.
Je ne crois pas devoir taire le nom
d'un auffi bon Citoyen. Il s'appelle M.
de Villeneuve. J'ai l'honneur d'être &c.
ETABLISSEMENT d'une Ecole de la
Guerre , par le fieur DE GOURNAY ,
Ingénieur , rue S. André des Arts , visd-
vis la rue Git-le- Caur , à Paris .
O
N eft affez convaincu de l'utilité de la
Théorie de la Guerre il y a même diffé
158 MERCURE DE FRANCE.
rentes méthodes pour l'étudier & en acquérir
les principes. La question eft d'y
parvenir par la voie la plus courte & les
moyens les plus fûrs.
Si l'on fait attention au temps qui pourroit
terminer les études du Latin des jeunes
gens , & à l'âge où ils peuvent entrer dans
le Militaire , & fi l'on fait quelques réflexions
fur la diverfité de leurs études , lorfqu'ils
apprennent à la fois toutes les parties
propres à leur éducation ; on verra
qu'il eft poffible de faire une diftribution
du temps mieux entendue , & combien
il feroit plus important pour de jeunes
Seigneurs deftinés au Militaire , qu'ils
employaffent une année tout au plus uniquement
à l'étude de la théorie d'un Art
qui doit faire l'occupation de toute leur
vie , & les mettre en état d'en remplir
dignement les places les plus élevées.
C'eft afin de concourir à ces vues , que
nous annonçons aujourd'hui une École
de la Guerre , pour les fondemens de
faquelle nous avons fait tous nos éfforts
pour compléter un Cours de leçons théoriques
, prévoir à tout ce qui pourroit
en rendre l'accès plus facile , & les imprimer
le plus promptement dans la
mémoire. Guidés par un principe que
les idées qui naiffent , & les raiſonneNOVEMBRE.
1760. Ifa
mens qui découlent des objets que nous
voyons , font ceux dont la perception eft
la plus prompte , nous avons rendu les
Mathématiques & toutes les autres Leçons
fi faciles & fi lumineufes , qu'elles
feront pour nos Eléves plutôt un amu
fement qu'un travail. L'expofé des parties
que nous enfeignerons dans le courant
d'une année , pourra donner une
idée de l'avantage qu'ils en retireront ,
lequel fera d'autant plus grand, que nous
donnerons les Leçons ou en commun ou
en particulier , felon le befoin des jeunes
gens qui n'auront d'autres études & exercices
en vue que ceux de cette Ecole.
:
Nous croyons pouvoir réduire aux
cinq parties fuivantes tout ce qui comprend
éffentiellement la théorie d'un
Militaire : 1. les Mathématiques ; 2 °.
l'Histoire rapportée à la Guerre ; 3 ° la
Géographie ; 4° . l'Hydrographie ou le
Pilotage ; 5. le Deffein & les parties qui
y ont rapport. Nous avons en conféquence
divifé les jours de l'année en cinq
parties autant parce que nous avons
éprouvé que foixante Leçons ou environ
que contiennent le Cours de chacune
des quatre premieres parties , & cent Le ;
çons pour ce qui concerne le Deffein , font
fuffifantes, par la méthode que nous avons
拳
160 MERCURE DE FRANCE.
1
formée , que pour faciliter aux Eléves
qui feront externes ou penfionnaires , felon
ce qui leur conviendra le mieux , la
liberté de doubler les Cours qui paroîtroient
leur être plus utiles ou les affec-.
ter davantage ?
Voici le détail des Parties , & l'ordre
que nous fuivrons dans les Leçons : les
Mathématiques qui comprennent l'Arithmétique
, la Géométrie & les Méchaniques
, doivent faire un des principaux
objets de l'étude d'un Militaire ; auffi
feront elles la premiere occupation des
Eléves de notre Ecole : nous donnerons
les Leçons des deux dernieres fuivant
une méthode d'obfervation , de remarque
& d'expérience , d'après des inftrumens ,
des figures , des corps géométriques &
des modéles en relief; d'où nous dédui-
Fons les opérations à la régle & au comles
pas , ainfi que démonftrations en rigueur
, felon l'exigence. Cette étude fe
fera dans la matinée tous les Lundi ,
Mercredi & Vendredi de chaque femaine
: l'après- midi de ces mêmes jours fera
employée à des Differtations fur tout ce
qui peut intéreffer davantage un Militaire
& lui être plus utile ; fur l'Histoire
rapportée à la Guerre , l'Artillerie , les
Mines , lP'AArrtt ddee camper ;
camper ; les´ Attaques,
NOVEMBRE 1760. 167
la Défenfe , les Evolutions , & c. le tout
appuyé des exemples des plus grands Capitaines
, tiré des meilleurs Auteurs &
aidé des plans , des modéles en reliefs ,
des inftrumens & des figures néceffaires
pour donner affez de Théorie aux Eléves ,
& leur infpirer tout le goût qu'on peut
avoir pour l'Art de la Guerre. ÀA ces deux
Cours fuccéderont fans interruption &
les mêmes jours , dans la matinée , la Géographie
, & l'après midi l'Hydrographie
ou le Pilotage , l'une & l'autre Parties accompagnées
des traits hiftoriques les plus
convenables ; & les Eléves auront fous
les yeux les Cartes , les Globes , les Sphè- ,
res , les Inftrumens & les Modéles propres
à leur en donner toute l'intelligence
poffible. Quant aux autres jours
les Mardi , Jeudi & Samedi de chaque.
femaine , les Eléves feront occupés au
Deffein , au Lavis des Plans , à la connoiffance
des Syftêmes de Fortification &
des Ordres d'Architecture . On choifira
les heures de ces jours qui conviendront,
pour l'étude des Langues étrangères &
les exercices du corps.
Si les approbations & les encouragemens
que nous avons eus de perſonnes
fupérieures dans ces genres , pouvoient
fervir de garans au progrès des Eléves
162 MERCURE DE FRANCE.
dont on voudra bien nous confier l'éducation
, nous pourrions fans doute nous
en faire un mérite auprès de celles à qui
nous avons l'honneur de parler ; mais
outre que nous leur donnerons là- deffus
toute la fatisfaction qu'elles exigeront ,
nous les prions de fe repofer fur l'intérêt
que nous avons au fuccès de cet établiſ
fement : elles verront jufqu'à quel point
nous porterons nos foins & nos égards
pour mériter leur confiance.
MUSIQUE.
LA premiere Edition du Livre intitulé ,
la Mufique rendue fenfible par la Méchanique
, ou nouveau fyflême pour apprendre
facilement la Mufique foi-même ; Ouvrage
utile & curieux , approuvé par l'Académie
Royale des Sciences : fe trouvant épuisée ,
l'Auteur s'eft propofé d'en donner une ſeconde
par Soufcription , dans laquelle il
fera des Corrections & des Augmentations
éffentielles ; il a eu l'avantage de rectifier
le Monochorde dans les Semi-Tons ; de
façon que les Tons & Demi-Tons qu'on
trouvera fur ce nouveau Monochorde , feront
plus juftes que fur quelque Inftrument
de Mufique que ce puiffe être. Cette nou
NOVEMBRE. 1760. 163
velle rectification démontre la fauffeté des
Clavecins en général dans les Semi -Tons ,
& conféquemment dans les Modulations
chargées de Dièfes ou de Bémols ; de forte
que le Public trouvant dans cette nouvelle
Edition le moyen de rectifier lesClavecins,
cet Inftrument deviendra parfait , & la
bafe de tous les autres fans exception.
Cette feconde Edition ſera de la même
forme que la précédente , c'est - à - dire , in-
8°. grandformat , & fera augmentée d'environ
24 pages, outre les corrections éffen
tielles en la feuille D..
L'Auteur ayant été prié de faire graver
en grand l'Echelle des Tons & Semi Tons
du Monorchorde , dont il s'étoit contenté
de donner la figure en raccourci , y joindra
cette feuille ; de forte que ceux qui
voudront fe faire des Monochordes , fans
avoir la peine d'en tracer & divifer les
Tons & Demi- Tons , fuivant les nouvelles
proportions qui feront dans ce livre ,
n'auront qu'à coller cette feuille fur un ais
bien uni , d'un pouce d'épaiffeur , en obfervant
que le papier ne s'allonge pas plus
d'un côté que de l'autre , & en y appliquant
des Sillets de fer dont on trouvera
la figure dans cette nouvelle Edition ; le
Monochorde fera parfait , & fournira tous
les Tons & Semi-Tons de la Mufique pen
164 MERCURE DE FRANCE.
dant trois Octaves de furite dans la plus
grande juftéffe .
Le prix fera de 2 liv. en feuille pour le's
Soufcripteurs , & de 3 liv. pour ceux qui
n'auront pas fouferit.
On pourra s'adreffer ,pour foufcrire , an
Sieur Ballard , feul Imprimeur du Roi
pour la Mufique , rue S. Jean-de - Beauwais
, au Sieur Duchesne , Libraire , rue
S. Jacques , au Temple du Goût , & au
Sieur Lambert , Imprimeur - Libraire près
la Comédie Françoife .
On avertit le Public qu'il faut affran
chir les Lettres, fi l'on écrit par la Pofte.
Cette deuxième Edition étant déja fous la
prelle , pourra être délivrée dans le mors
d'Octobre prochain.LesSoufcripteurs font
priés de donner leurs adreffes avec préci
fien , afin qu'on puiffe lès avertir lorſque
le Livre fera prêt d'être délivré.
>
Les Libraires de Province pourront
foufcrire pour telle quantité d'Exemplai
res qu'ils jugeront à propos.
On trouvera chez l'Auteur , des Monochordes
montés à quatre cordes , &
pourvus de chevalets néceffaires, moyennant
fix livres. On s'adreffera rue S. Honoré
, à l'Hôtel d'Aligre , jadis le Grand-
Confeil , auMagafin des Fontaines filtran
tes.
NOVEMBRE 1760. 165.
E
GRAVURE.
N annonçant le quatriéme & dernier
volume des Fables DE LA FONTAINE, dans
le premier tome du mois dernier , nous
fimes obferver que cette magnifique édition
remportoit non feulement le prix de la
Typographie, mais qu'elle enrichiffoit encore
les Arts d'excellens modéles dans
tous les genres . Cet avantage fe trouve
réalifé , jufques dans les parties acceffoires
qui ont concouru à l'embelliffement
de cet ouvrage. On a déja vu les culs- delampes
& les fleurons employés à décorer
un fervice de porcelaine fait pour Sa Ma
jefté à la Manufacture de Séve . Mais ces
mêmes ornemens , propres encore aux Cifeleurs
, Metteurs- en oeuvre , Bijoutiers ,
à la Fayancerie , aux Fabriques d'étoffes ,
&c. demandoient d'être communiqués
d'une manière moins difpendieufe , que
celle qu'offroit l'ouvrage où ils font employés
, & où il falloit les chercher. Le
heur Choffard , Graveur en taille douce ,
dont les ralens font connus, vient de rendre
ce fervice au Public,fous le bon plaifir.
de M. de Montenaùlt , qui lui a communiqué,
pour cet effet, les delfeins originaux
166 MERCURE DE FRANCE.
de M. Bachelier Peintre du Roi. La Collection
complette de ces culs- de lampe &
fleurons eft diftribuée en quatre fuites
dont la premiere paroît actuellement. M.
Bachelier en a retouché les épreuves ; &
la maniére élégante dont ces defſeins
déja gravés en bois , fe trouvent traduits
en taille- douce , a de quoi piquer la curiofité
des perfonnes capables de comparer
& d'apprécier les travaux de chaque
genre. Le prix modique de cette fuite
la met à portée d'être promptement diftribuée.
Elle fe vend vingt fols , chez la
veuve Chereau , rue Saint Jacques , aux
deux Piliers d'or. Les trois dernieres fuites
feront chacune au même prix , & ſuivront
immédiatement celle - ci.
Quelques Graveurs en bois fe font immifcés
de copier & d'exécuter une partie
de ces culs - de -lampe & fleurons , fans y
-être autorisés en aucune manière . On en
a vu différens éffais, dans plufieurs Livres
nouveaux. Comme cette entrepriſe eſt
directement contraire au Privilége du
Roi , & aux droits que M. de Montenault
a bien voulu conférer au fieur Choffard ,
quant à cette partie ; cet Artifte avertit
MM. les Imprimeurs - Libraires , & tous
autres , de ceffer une pareille contrefaction
auffi préjudiciable à la choſe par fa
NOVEMBRE. 1760. 167
mauvaiſe exécution, qu'à fes intérêts particuliers.
Il eft jufte , en effet , qu'il jouiffe
du fruit de ſes travaux ; & cet avertiffement
du fieur Choffart nous paroît d'aurant
plus louable de fa part, qu'il eſt à portée
, par le Privilége dont il s'agit , de faire
les pourfuites les plus rigoureufes. D'ail
leurs , la carrière de la perfection, eſt toujours
ouverte ; & loin de laiffer défigurer
& flétrir les belles chofes , comme il n'arrive
que trop ordinairement , lorfque
tout le monde y porte les mains ; il eft
bien plus avantageux pour la Typogra
phie que nos Imprimeurs , fur l'exemple
de l'édition dont il s'agit , & retenus par
les défenfes , faffent de nouveaux éfforts
pour enrichir nos preffes de deffeins agréables
, & de belles gravures en bois . Cet
Art a été trop négligé depuis longtemps ;
& les premieres dépouilles , à force d'être
copiées , font devenues des haillons qu'il
eft temps d'abandonner.
168 MERCURE DE FRANCE.
"
9
} CATALOGUE des Eftampes gravées d'après
les Tabicaux des plus grands Maitres
tités des Cabinets des Rois de
France , de Pologne & de Dannemarck ,
de M. le Prince de Carignan , de M. le
Duc de Valentinois de Madame la
Comteffe de Verrue , de M. le Comte de
Teffin , de M. le Comte de Chorfeuil ,
de M. le Comte de Vence , de M. le
Marquis d'Argenfon , de M. le Marquis
de Laffay , de M le Marquis de Mirabeau
, de M. le Baron de Thiers , de M.
le Chevalier de la Roque , de M. de
Fonpertuis , de Madame de Julienne
de M. de Vaux , de M. l'Empereur , de
M. Hicman , de M. Aved , de M. le
Noir , & autres , par le fieur Jacques-
LEBAS , Graveur du Cabinet du Roi ,
& defon Académie Royale. Il demeure
à Paris , au bas de la rue de la Harpe ,
dans la porte cochére vis-à- vis la rue
Percée , chez lequel on trouvera les Eftampes
énoncées ci après , & des plus
belles Epreuves , étant le feul poffeffeur
defdites Planches.
L
De M. Oudry , Peintre du Roi.
9
IVRE d'Animaux en 12 feuilles , 3 1.
Abois du Cerf , 11. 15 f.
Le
NOVEMBRE. 1760. 169
Le Cygne effrayé,
La Curée faite ,
11.
1. 15 f.
This f. 15
De M. Aved , Peintre du Roi.
Le Portrait de M. Caze , Directeur de
l'Académie de Peinture & Sculpture
11. 10 f
De M. Lancret , Peintre du Roi.
,
Le Repas Italien ,
Le Maître Galant ,
4 1 .
il. 15 f.
Le Portrait de M. Grandval , 3 l.
De M. Boucher , Peintre du Roi.
Premiere vue de Beauvais ,
Seconde vue de Beauvais .
Premiere vue de Charenton ,
Seconde vue de Charenton ,
L'Agréable Solitude ,
1 l . 15 f.
1 1. 15
11.
46.
f.
ር
■ l. 4 f.
is f Livre en vingt feuilles , pour deffiner
3 1 .
De Paulus Potter , Peintre Hollandois.
Petite vue d'Hollande ,
De Ruifdail.
Vue de Skervin ,
1 l. 4 f.
promenade à un
quart de liene de la Haye ,
Moulin Hollan fois ,
La fêche Hollandoife ,
Montagne de Terlatto ,
1 l. 15 f.
15 ..
4f.
4 f
H
170 MERCURE DE FRANCE.
Vue de Haarlem ,
Vue de Dickebuufe du côté d'Ipres .
De Bott A. V. de Velde.
11. 46
ul . of
Le Courier de Flandres
Petite Marine , '} de Bott.
21. 8 f
Vue de Santoliet ,
Vue de Schevlinge
, de V.V. de Veld.
3 1. 10 f.
De Berghem , Peintre Hollandois.
Les quatre heures du jour , en quatre
Eftampes ,
Embarquement de Vivres ,
8 1.
61.
De Jordaens , Peintre Flamand.
OEuvres de Jordaens , en feize Planches
,
De A. Van Dyck.
48.1.
Ecce Homo , gravé à l'eau- forte pár
A. Van Dyck ,
vé par C. Vermeulen ,
3 l.
Le Portrait de N. Vander Borcht , gra-
3
1.
De M. Vernet , Peintre du Roi ,
Départ pour la Pêche
Port de Mer d'Italie ,
3 1.
3 1.
NOVEMBRE. 1760. 171
III Vue d'Italie ,
IVe Vue d'Italie >
i l. 15 f.ር
I 1.
1 l. 15 f
Cérémonies qu'on obferve à la Réception
des Francs - Mâcons , en fept Eftampes
,
Le bon Mari peint par Broor ,
De différens Auteurs.
7 l.
15.6
.
de
15 f.
Le Balet du Prince de Salerne
Marvy
Le Village pillé par les Pandours d'après
Bregdel ,
Les Soldats en bonne humeur , idem ;
Vue de Leyden par Zorque ,
Six Sujets d'après Benedette
L'Amour à l'école ,
Le Triomphe de la Paix ,
gravé par C. Schut ,
La Touffaint , par Schut ,
Saint Sebaſtien , par Schut ,
1 l.
1 l.
11.4 f.
3 1,
I l. 10 f.
deffiné &
1 1.
I l.
1 l.
›
Le Portrait de Meffire J. B. Boyer ;
Confeiller au Parlement d'Aix , par H.
Rigaud , gravé par Vermeulen , il.
Vue entre la Haye & Roterdam , par
Vanderneer , 11. 15 f
De M. Coypel , Peintre du Roi.
L'Alliance de Bacchus & de Vénus ;
1 l. 10 f.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
Sainte Thérèfe ,
De Pater.
6 f
L'Officier Galant , & les Vivandieres ,
1 l. 10 f.
De M. Drouais , Peintre du Roi..
Le Portrait de M. Lorrain , Sculpteur
du Roi , & Recteur ,
I l . 10 f.
De M. Chardin , Peintre du Roi.
Le Négligé , ou la Toilette du matin ,
1 l. 10 f.
<
Dame , prenant fon thé , 1 l.
Faifeur de château de cartes , I l.
L'Econome , 11. 10 f.
La bonne éducation I l . 10 f.
Etude du Deffein , 11. 10 f
De M. Carlo Vanloo , Peintre du Roi.
Livre de proportion du corps humain
pour deffiner ,
4 !.
Suite de Décorations , de fix feuilles ,
àl'ufage des Théâtres , Paneaux , Caroffes
, &c. par M. Jacques , 3 1.
De M, Chantreau , Peintre François ,
Vue d'un Camp ,
Diftribution du Fourage au fec ,
18f.
18 f.
NOVEMBRE . 1760. 173
De Salvator Rofa , Peintre Italien.
S. Antoine de Padoue , prêchant aux
Poiffons , 10 f.
S. Antoine de Padoue , prêchant aux
Oifeaux ,
10 f..
De Van- Falens , Peintre Flamands
Le Rendez vous de chaffe ,
Le Chaffeur fortuné
La prife du Héron ,
Départ de Chaffe ,
3 1.
3 L.
3 1.
3
1. De M. Defcamps , Peintre Flamand.
Le Négociant ,
La Pupille ,
1 1. 10 f
11. 10 f
Le voyage du Roi au Havre de Grace ,
en fix Eftampes , de la grandeur du Pot au
Lait ,
36 I.
Et avec Vignettes , Difcours & Lettres
grifes ,
48 l.
De M. Defportes , Peintre du Roi.
Suite de 12 chiens de chaffe , 2 1. 10 f.
De Ondius.
Le Paradis Terrestre ,
De Rubbens , Peintre Flamand.
Job fur le fumier ,
11. 10 f
l. ' 11.5 6 .
Le Mariage de la Sainte Vierge gravé
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
par Boltwert,
•
Six Païfages , gravés . ibid.
3.1.
10 l. 10 f
La Réfurrection , gravée. ibid. 3 1 .
La Sainte Famille , gravé par Vofter
man , 11. 10 f. I
Une Nativité , gravée par Bolswert
•
L'Apothéofe d'Henri IV. gravée par
31. 15 f.
Vofterman ,
11. 4f.
Judith , qui coupe la tête d'Holopherne
,
Il. 4 f.
La Magdelaine ,
11. 46.
I
1 l. sf.
La chaffe au Sanglier , 1 .
Sainte Barbe , gravée par Bolswert
Sainte Catherine , gravée par Bols--
Wert ,
3 1.
L'Afcenfion , gravée par Bolswere
La Mere des Douleurs ,
31.
11. 4f.
La Dragme trouvée dans la gueule du
11. 10 f.
poiffon ,
Jupiter & Mercure , gravé par Kan Loo ,
11.
Du Sieur le Bas , Graveur du Cabinet
du Roi.
Livre de griffonnement , en fept feuilles
,
11. 10 f
Livre de Payfage pour deffiner à la plus
me ,
11. 10
NOVEMBRE. 1760. 175
Le temps mal employé ,
Les gentilles Villageoifes ,
Les Belles Vendangeufes ,
1of.
10 f.
10 f..
Io f
10 f.
10 f.
6 f.
L'Amant aimé ,
Colin- Maillard ,
Pierrot & fa progéniture ,
Monfieur de la Grandeur ,
Livre d'Etude de différentes Figures
Militaires , 2 1.
De David Teniers , Peintre Flamand.
1 Le Veilleur ,
2 Les Philofophes Bachiques , 31 .
3 Les Miferes de la Guerre ,
4
Les Pêcheurs Flamands ,
rl. 15 f
11. 15. f.
S La Terre ,
6 Le Feu ,
7 L'Air ,
8 L'Eau ,
8 f.
ዶር
8 f
* ር
2
La Vue ,
8f.
10 Le Toucher , 8 F
11 L'Odorat , 8-6
12 Le Goût , 8 f
I ; L'Ouie , 3
14 Le Bon Pere ,
15 Le Vieillard content ,
16 L'Ecole du bon Goût ,
8 f.
10 f.
Iof
10 f.
3717 Les Joueurs de Boule , 10 f.
18 Fête de Village , 4. 1.
19 La Solitude , 10f.
Juny
Hiv
376 MERCURE DE FRANCE .
36 La Guinguette Flamande ,
20 Premiere Vue de Flandre , 18 f
21 II°Vue de Flandre , l'arc- en- ciel , 18 f
22 Le Château de Teniers ,
23 Le Berger content ,
24 Le Berger rêveur ,
25 III Vue de Flandre ; la Moiffon ,
26 IV Vue de Flandre ; Jeu de Boule
27 S. François d'Affife ,
28 Réjouiffance Flamande ,
29 La Ferme ,
30 La Baffe cour ?
31 La Vente de la Pêche ,
32 La Pêche ,
33. Ve Vue de Flandre ,
34 Le Sifleur de Linotte ,
35. Le Rémouleur ,
37 Les deux Amis ,
S La Petite Laitiere ,
f.
ር .
10
f.
18 ር
18 ር
1 1. f.
15
11.15 £
10 f
41.
1 l. 15. f.
I 1 1. 15.f.
14
15.
f.
11. 10. f.
il. 10 f
1 l. 15 f.
Isl
.
15. f.ር .
39 Vue & Port de Mer de Flandre ,
6 I.
40 La Famille de Teniers , 1 l. 15 f.
41 La Tentation de S. Antoine , 1 I. 15 f
42 Le Fluteur ,
4 Le Chymifte ,
Les OEuvres de Miféricorde , dédiées 44
au Roi ,
4 ) Nôce de Village ,
15 L
3
l.
6 l.
256
NOVEMBRE. 1760. 177 .
46 Les Pêcheurs ,
15 f.
47 Saint Antoine , 1 1.
48 Le bon Mari ,
15 ..
49 Le Fumeur ,
15 f.1 .
so La Boudiniere
51 Retour de la Guinguette ,
52 VI . Vue de Flandre ,
I 1. 15 1.
i l. ..
1.
IS
f.
53 Le Berger amoureux ,
54 La Veffie ,
55 La Femme jalouſe ,
10 f.
15. f.
1. Il. 46.
où fone
6 1.
15 f.
15 f.
56 Troifiéme Fête Flamande ,
192 figures ,
57 Septiéme Vue de Flandre ,
58 Huitiéme Vue de Flandre ,
59 Neuviéme Vue de Flandre ,
60 Quatriéme Fête Flamande ,
Madame de Pompadour ,
61 L'Enfant Prodigue ,
62 La Blanchifferie , Xe Vue
63 Vue d'Anvers , XI de
de Flandre ,
Flandre ,
64 Le Jour naiſſant ,
65 La fin du Jour ,
11.15f
l.
dédiée à
6 1.
61.
6 l.
6 1.
De la Gall.
du Roi de
Pologne.
15 fo
is
lo
3 1.
4 1. 10 f
66 & 67 Les Canards ,
De Wouwreman , Peintre Hollandois.
67, 68 , 69 ,
Le Pot au Lait , 3
1.
La Chaffe à l'Italienne , 3 I.
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
Halte d'Officiers ,
Les Sangliers forcés ,
Halte de Cavalerie ,
La petite Fermiere ,
Le Parc aux Cerfs ,.
Les Voituriers ,
3 1.
41. 10 f..
ul. 10 f.
*
- 15 f.
Is f
rl 10f
De M. Parocel , Peintre du Roi.
Détachement de Cavalerie ,
Halte des Gardes Suiffes ,)
Rencontre de Cavalerie ,.
11. 15 f
11.15 f..
3 1.
Petite halte des Gardes Suiffes , 1 1 .
Petite halte des Gardes Françoifes ,
Danfe à l'Italienne ,
11. ſ.
11. f.
Les quatre heures du jour , 2.1.. Départ de Chaffe , 11. 5 f.
Foire de Venife ,
10 f
Premier Livre de principes , pour appren
dre à deffiner à la plume , deftinés aux
jeunes gens de qualité , qui font dans
les Colléges ,
2 l. 10 f.
Second Livre , de treize feuilles , propre
aux Sculpteurs , Peintres & Orfèvres ,
pour fervir de fupports pour les Armoiries
, à l'uſage de tous ceux qui aiment
le deffein ,
2 1.
Tempête , V Vue d'Italie , peint par
Stork 11. 15 fo
NOVEMBRE. 1760. 179:
Premier Livre de Vues , en douze feuilles
, des environs de Paris , d'après Lan--
tara ,
18 for
Second Livre de Vues , en dix feuilles
des environs de Paris , d'après Lantara
Is fi
Vue de Rotterdam , de Van Goyen ,
I 1. IS
Tempête de Groenlande , de J. Peters
f.
11. 156.
Premiere & feconde Vue d'Italie , de Ber
tholomé , 11106
BOTANIQUE , AGRICULTURE
ET COMMERCE.
DÉCOUVRIR
ECOUVRIR
une nouvelle propriété
dans une Plante , c'eft procurer à l'Etat
& au Commerce un avantage d'autant
plus précieux , que c'eft enrichir l'Agri
culture & les Fabriquans : elle peut mertre
en valeur une terre en friche. C'eft ce
qui nous fait annoncer avec éloge l'emploi
que le fieur la Rouviere , Bonneties
de Sa Majefté , a fçu faire induftrieufement
de la Plante connue , au Jardin d'u
Roi , fous le nom d'Apocynum , & à
Trianon fous celui d'Afclepias. Cette
H vi
180 MERCURE DE FRANCE.
Plante vient de Syrie on la trouve dépeinte
& gravée dans le Muntingius 1672
& 1702 , fous le nom d'Apocynum Syriacum
, &c. Ne lui connoiffant point de
nom François , on nous permettra de l'appeller
ici la Soyeufe.
La Soyeuſe donc a la propriété déja
connue de fournir une ouate de foye. Le
fieur la Rouviere a fçu la rendre capable
d'être filée ; & en conféquence de fon
utile invention il a obtenu un Arrêt du
Confeil , qui l'autorife à en fabriquer des
velours , molletons & flanelles, fupérieurs
à celles d'Angleterre ; comme auffi de l'étoffe
de poil de lapin blanc , fouveraine
pour le rhumatifme ; & toute forte d'our
vrages de bonneterie faite au métier , à
jufte prix . On en trouve chez lui différens
affortimens. Il fe difpofe à donner inceffamment
au Public une inftruction des
différens ufages qu'on peut tirer de la
Soyeuse , dont il fournit gratis de la graine.
Il paye un petit écu la livre de cette
ouate , toute épluchée. On invite les
Cultivateurs à ne pas négliger ne pas négliger cette manière
honnête de s'enrichir. Le fieur la
Rouviere demeure place du Louvre.
NOVEMBRE. 1760. 181
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
OPERA.
L'ACADÉMIE CADÉMIE Royale de Mufique a
repris l'Opéra de Dardanus , que l'on
revoit toujours avec le même plaifir .
COMEDIE FRANÇOISE.
OxNy a donné , le Samedi 25 , l'Epouse
à la mode , ou le Triomphe du Coeur
Comédie en Vers , & en trois Actes ,
n'a pas réuffi .
qui
COMEDIE ITALIENNE.
O N continue toujours à ce Spectacle
les repréſentations de la Fortune au Vil-
Lage. On tend de plus en plus juſtice aux
beautés de la Mufique de cette Piéce.
Elle eſt de M. Gibert , jeune Muficien de
La plus grande efpérance, & qui a donné à
ceThéâtre , des chofes qui lui ont fait honneur
.Il a du goût , le chant aifé , noble
& gracieux ; fes fuccès doivent l'encou
182 MERCURE DE FRANCE.
rager , & l'exciter à mériter de nouveaux
fuffrages .
Le Mercredi 15 du mois dernier , le
fieur Savi débuta dans la Dame invincible
, Piéce Italienne , par le rôle d'Arle
quin ; cette tentative , dans une Comédie
où le fieur Carlin a toujours brillé avec
tant d'avantage , ne lui a pas réuffi ; mais
il a été applaudi dans Arlequin Sénateur
Romain. Il ne parle encore qu'Italien
& tous ceux qui poffédent cette Langue
font convenus qu'il perdoit infiniment à
n'être pas entendu.
Il paroît que le Public a enfin égard
aux foins affidus que ces Comédiens prennent
depuis longtemps pour le ramener
chez eux ; on n'y eft plus choqué de ce
vuide continuel qui fembloit éloigner les
mieux intentionnés ; & ils ont lieu d'efpérer
qu'ils fixeront par leur zéle cette foule
de Spectateurs , que la feule curiofité
avoit dabord fait accourir pour juger leur
nouvelle Salle .
Ils fe préparent à donner une nouvelle
Comédie en trois Actes , mêlés d'Ariettes
dont la Mufique eft de M. Gavigniés . La
célébrité de cet excellent Muficien eft de
l'augure le plus favorable pour cette Piéce,
que l'on attend déjà avec toute l'impa
tience qu'il eft digne d'exciter.
NOVEMBRE. 1760. 1836
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
L
De VIENNE ,le 10 Oftobre.
A nouvelle Archiducheffe étant arrivée le
13 du mois dernier à midi à Cafal- Maggiore ,
fut remife par le Comte de Saint Vital , Grand-
Maître , & Miniftre Plénipotentiaire de l'Infant
Duc de Parme , de Plaiſance & de Guaftalle , entre
les mains du Prince de Lichtenſtein , chargé
de la recevoir au nom de Leurs Majestés Impériales
, & de l'accompagner jufqu'à Vienne. La
Cour qui l'avoit fuivie de Parme , prit alors publiquement
congé d'elle en lui baifant la main , &
fa nouvelle Cour lui fut préfentée , & eut le même.
honneur . La Princeffe , après avoir auffi donné
fa main à baifer à un grand nombre de perfonnes
de diftinction , qui étoient venues de divers endroits
pour la complimenter , dîna en public fous
le dais. Elle fe rendit le foir à la falle que les Etats
de Milan avoient fait préparer. On y exécuta un
Concert dans lequel plufieurs excellentes voix fe
firent entendre. La Ville fut illuminée cette nuit ,
ainfi que la fuivante ..
L'Archiducheffe partit le 15 au matin de Caſal-
Maggiore pour le rendre à Mantoue. Elle y arriva
vers une heure, après midi , au bruit d'une
triple décharge de l'artillerie . Une double haie
de troupes bordoit les rues depuis la porte de la
Ville jufqu'au Château , où elle defcendit . Après
184 MERCURE DE FRANCE.
avoir pris quelques momens de repos , elle donna
fa main à baifer à une grande quantité de No.
bleffe du Milanois. Elle dîna enfuite en public ,
& le foir Elle affifta à un Concert qui fut exécuté
au Théâtre du Château ; après quoi Elle ſe rendit
au Bal où Elle retta quelque temps. Le lendemain
16 , Elle féjourna dans la même Ville , Elle parcourut
en caroffe les principales rues. Elle parur
très -fatisfaite de leur décoration . Le Duc de Modène
, qui fe trouva à Montignano , eut l'honneur
de la complimenter.
Le 17 , la Princefle continua fa route. A fon
arrivée à Rovera -Bella dans les Etats de Venife
qu'elle devoit traverfer , Elle fut reçue & compli
mentée au nom de la République par le Chevalier
Contarini , Commandant de Vérone , accompagné
de vingt -quatre Nobles . Deux détachemens de
Cavalerie des Troupes Vénitiennes fe joignirent à
fon escorte . On avoit conftruit à Caftel - Nuovo ,
où la Princeffe devoit dîner , un Bâtiment , dont
l'intérieur étoit magnifiquement décoré en glaces ,
en cryftaux & en tapis. Ce fut là que l'Archiduchelle
defcendit. Elle y dina en public . Il y eur
enfuite onze tables fervies magnifiquement , par
ordre de la République , pour la Cour de l'Archiduchelle
& pour la Nobleffe qui fe trouvoit à
Caftel-Nuovo. Au départ de la Princeffe , le Chevalier
Contarinila pria , au nom de la République ,
d'accepter les glaces , les cryftaux & les tapis qui
avoient fervi d'ameublement à la falle où Elle
avoit dîné. Le Chevalier Contarini ſe trouva encore
avec la même députation au pont d'Etích , où l'on
devoit fortir des Etats de Venife , & il y prit congé
de l'Archiducheffe , qui lui témoigna la plus gran
de fatisfaction des attentions de la République , &
de la magnificence avec laquelle elle avoit été
reçue.
NOVEMBRE. 1760.
185
On arriva le même ſoir à Ala ; la Princeffe y
fut complimentée au nom de l'Evêque de Trente.
Elle en partit le 19 , & Elle a continué fa marche
par Trente , Bolzano , Brixen , & par la Carinthie.
Elle a trouvé dans toutes les Villes de fa route
des Troupes & des Compagnies bourgeoifes fous
les armes , & l'on s'eft empreffé partout à lui témoigner
par des fêtes la joie de fon augufte union
avec l'Archiduc Jofeph. Cette Princefle arriva enfin
le i de ce mois au matin à Laxembourg où Elle
dîna . Elle partit enfuite pour le Château de Belvedere
, où Elle refta jufqu'au 6 , jour de la célébration
de fon mariage.
Le 2 , Leurs Majeftés Impériales , accompagnées
de l'Archiduc Jofeph , des deux Archiducheffes
aînées , du Prince Charles & de la Princelle
Charlotte de Lorraine , fe rendirent vers le midi
au Belvedere , pour faire la premiere vifite à l'Archiduchelle
; Elles dinèrent enfuite en particulier
avec cette Princeffe que le refte de la Famille Impériale
vint complimenter l'après - midi. Il y eut le
foir dans la Galerie un magnifique Concert , dans
lequel plufieurs Muficiens dú premier ordre , appellés
de divers endroits de l'Europe , firent connoître
leurs talens . Les Ambaffadeurs & Miniftres
Etrangers , les Confeillers d'Etat & les Principaux
Officiers de la Maifon de Leurs Majeftés Impériales
, furent préfentés le même foir à l'Archiducheffe
& eurent l'honneur de lui baiſer la main . Le
lendemain , il y eut encore concert au Belvedere.
Le 4 , jour de la fête de l'Empereur , la Cour
fut en Gala , & Sa Majefte Impériale reçut les
complimens accoutumés. La nouvelle garde des
Nobles Hongrois , qui étoit arrivée le 2 de Pref
bourg, fe rendit fur la place du Palais , & après
avoir fait le maniement des armes & plufieurs
186 MERCURE DE FRANCE.
évolutions , elle fut admiſe à l'honneur de baifer
la main de l'Empereur..
L'Archiducheffe fit , le 6 , fon entrée publique
dans cette Capitale. Elle partit du Beldevere à
deux heures après- midi. Les Trompettes & les
Timbales des Etats d'Autriche ouvroient la marche.
Après eux , venoient un grand nombre de
Caroffes remplis par diverfes perfonnes de la
Cour ou de la Maifon de Leurs Majeftés Impériales.
Ils étoient fuivis du Carolle du Grand Ecuyer
où étoient cet Oficier & le Grand- Maître de la
Maifon de l'Archiducheffe . Le Caroffe du Prince
de Lichtenſtein , avec le Cortége nombreux qui
Favoit accompagné dans fon Ambaffade , marchoic
enfuite & précédoit le Caroffe de l'Archiducheffe ,
dans lequel étoit la Comteffe d'Erdodi , Grand-
Maîtrelle de fa Maiſon . Ce Caroffe étoit fuivi par
fix Pages à cheval , par plufieurs Sous- Ecuyers ,
par un détachement des Gardes-du-Corps , par la
garde des Nobles Hongrois , & par quelques au
tres Caroffes dans lefquels étoient plufieurs perfonnes
de la Cour. La Marche étoit fermée par un
détachement du Régiment des Dragons de l'Archiduc
Jofeph.
On avoit élevé plufieurs Arcs-de-triomphe en
divers quartiers de la Ville qui étoient décorés
avec goût & magnificence. Les rues étoient bordées
par la Bourgeoifie qui étoit fous les armes , &
vêtue de beaux uniformes.
On fe rendit dans cet ordre à l'Eglife des Auguftins-
Déchauffés , où l'Archiducheffe artiva vers
les cinq heures du foir. Leurs Majeftés Impériales
vinrent la recevoir à l'entrée de l'Eglife , & l'Arehiduc
Jofeph lui donna la main lorfqu'elle defcendit
de fon Caroffe. La Princeffe , après avoir
reçu ainfi que l'Archiduc, la bénédiction du Nonce
& l'eau benite que ce Prince leur préſenta , fut
NOVEMBRE. 1760. 187
conduite par l'Impératrice dans une Chapelle par
ticuliere pendant qu'on chantoit quelques Prieres,
après lefquelles Leurs Majeftés Impériales , précé
dées du Nonce & du Clergé , fe rendirent dans le
Choeur. Leurs Majeftés Impériales fe placèrent
fous le dais du côté de l'Evangile. L'Archiduc &
P'Archiducheffe , vêtus de drap d'argent , fe placerent
en face du Grand - Autel . Après quelques
Prieres , le Nonce leur donna la Bénédiction Nuptiale
;
il entonna le Te Deum qui fut chanté par la
Mufique de la Cour. Leurs Majeftés Impériales
fortirent de l'Eglife , & Elles rentrèrent au Palais
avec toute la Famille Impériale par la Galerie
qui conduit de ce Palais à l'Eglife. L'Archiducheffe
prit enfuite quelque repos , après quoi , Elle donna
fa main à baifer à plufieurs Miniftres & Confeillers
d'Etat , aux Généraux , & aux perfonnes de la
haute Nobleffe , qui n'avoient pas encore reçu cer
honneur.
A huit heures du foir ,. Leurs Majeftés Timpé
riales , les nouveaux Epoux , les Archiducs Charles
& Léopold , les quatre Archiducheffes aînées ,
le Prince Charles & la Princeffe Charlotte de Lorraine
, fe rendirent à la falle du feftin. Cette falle
avoit été décorée par le Chevalier Servandoni ş
elle étoit éclairée par un très- grand nombre de
luftres & de Girandoles de cryftal ; celles des
quatre coins avoient vingt cinq pieds de hauteurs ,
portées par des groupes d'Amours. Le dais étoit
d'une forme nouvelle , & décoré par le même Artifte
de figures fymboliques en fculpture . La Cour :
entra dans cette falle au bruit des fanfares . L'Empereur
& l'impératrice fe placerent fous le dais ,
& l'Archiducheffe à droite , entre l'Empereur &
F'Archiduc. La table fut fervie en vailfelle d'or
nouvellement faite , & d'un travail exquis. Une
nombreuſe troupe de Muficiens exécura , pendant
188 MERCURE DE FRANCE.
le repas , des fymphonies & des morceaux de mu
fique vocale , analogues à l'objet de la Fête. La
falle étoit remplie d'une foule de Spectateus placés
fur un amphithéâtre & fur une tribune , & l'on
donna au Peuple la permiffion d'y entrer fucceffivement.
Le feftin Impérial étant fini , Leurs
Majeftés retournerent dans leurs appartemens ,
& la Princeffe fut conduite dans celui qui lui étoit
deftiné. Il y eut pendant la nuit une illumination
générale.
On célébra le lendemain , dans l'Eglife des Auguftins
, une Meffe en inufique pour la prospérité
des nouveaux Epoux. L'Archevêque de Vienne
officia , & toure la Cour y affifta. Leurs Majeftés
Impériales dînerent enfuite en public , & le
foir on exécuta , for le Théâtre de la Cour , un
nouvel Opéra , intitulé Alcide al Bivio , piéce allégorique
, dont les paroles font de l'Abbé Metaftafio
, & la musique du fieur Haffe . Le Spectacle
fut terminé par un Ballet ingénieux du ſieur
Angiolini.
Selon les nouvelles de Conftantinople , le Pacha
d'Iconium perfifie dans fa rébellion . Il a
évité les différens piéges qu'on lui avoit dreffés ,
& après avoir battu quelques corps de troupes
qu'on avoit envoyés contre lui , il a pris , aur
environs d'Erferom , une pofition avantageuſe ,
qui le met en état de réfifter à des forces trèsfupérieures.
Les mêmes nouvelles portent qu'une
des Sultanes eft enceinte de quatre mois ; ce qui
fait beaucoup de plaifir dans cette Capitale , où
F'on conçoit l'efpérance de voir naître un Succeffeur
à fa Hautelle.
De l'Armée aux ordres du Maréchal de
Daun , le 30 Septembre.
Le Maréchal de Daun , par les bonnes difpofi
NOVEMBRE. 1760. 189
>
tions, a obligé le Roi de Pruffe de renoncer au
projet qu'n avoit formé de pénétrer du côté de
Glatz & de Landshut . Il s'eft donné , à cette occafion
, plufieurs petits combats pour déloger les
Pruffiens de leurs poftes: Il n'y a eu que nos corps
avancés qui aient agi . Le Général d'ajafas
qui fuivoit les ennemis dans la plaine , avec les
Carabiniers & les Grenadiers à cheval , s'étant ap
perçu que l'Infanterie Pruffienne étoit fort éloignée
de la Cavalerie , & que la célérité de fa
marche y avoit caufé quelque défordre , réſolut
de l'attaquer. Il le fit avec tant de vivacité , qu'il
enfonça d'abord trois Bataillons ennemis de la
premiere ligne , prit douze piéces de canon , &
fit soo prifonniers . La feconde ligne commençoit
à plier lorsque les Pruffiens reçurent du renfort
; ils fe rallieren & firent fur notre Cavalerie
⚫un feu très- vif de leur Artillerie. Le Général d'Ajaffas
fut alors obligé de fe retirer & d'abandonner
une partie de fes prifonniers ; il n'en emmena
qu'environ 130 , parmi lesquels étoit un Officier
de l'Etat - Major Sa perte fur d'une centaine
d'hommes tués ou bleffés . Celle des ennemis fut
beaucoup plus conſidérable au rapport des déferteurs
qui ſe rendirent le même jour à notre armée
au nombre de plus de 60.
Pendant que nos Corps détachés harceloient
l'ennemi , notre armée arriva , & campa , fa droi
te appuyée à Seittendorff , & la gauche à Kunzendorff.
Le Général de Lafcy occupa en même
tems Langen-Wattersdorff , & pouffa les troupes
légères aux ordres du Général Brentano jufqu'à
Dannhauſen . Le Général Baron de Laudon fuivit ,
pendant tous ces mouvemens l'arriere - garde
Pruffienne , & établit ſon Camp fur les hauteurs
de Reifendorff & de Waldenbourg. Le Roi de
Prufle fit camper fon armée fur les hauteurs de
190 MERCURE DE FRANCE
Hohen- Gersdorff , fa gauche s'étendant juſqu'à
Blaven- Rantzen. Depuis , il ne s'eft rien paſſé de
confidérable.
De l'Armée de l'Empire , le 28 Septembre .
La Conférence du Feld Maréchal Prince de
Deux- Ponts avec le Duc de Wirtemberg avoit eu
pour objet de déloger le Corps Pruffien aux ordres
du Général Hullen , du Camp avantageux qu'il
occupoit: En conféquence , les Corps avancés de
l'arméefe mirent en mouvement le 13.On occupa
Malitſchen , Elfnig , Wogellang & Weidenhayn.
En même tems , le Corps d'armée du Duc de
Wirtemberg marcha de Bitterfeld à Pretfch , & le
Général Luczinsky prit pofte à Domitſch au- deffous
de Torgau , où on lui envoya un train de
pontons.
L'armée quitta , le 24 à la pointe du jour, fon
Camp de Strehla. On délogea les ennemis deSuptitz
, de Zina & de Wollau . On campa enfuite
fur les hauteurs de Suptitz . Le Colonel de Zetwitz
délogea , de fon côté, les Pruffiens de Lockwitz
& Behrewitz , &il s'établit entre l'Elbe & le grand
étang.
un Le Général Lucfinsky fit conftruire , le 25 ,
pont fur l'Elbe à Domitſch ; il y paffa ce Fleuve
pendant la nuit , avec toute la cavalerie & quelques
bataillons , & il fe pofta fur la rive droite.
Le 26 à midi , l'armée ſe forma en bataille & s'approcha
du Camp Pruffien . Pendant qu'elle faifoit
ce mouvement , le Corps du Général Lucfinsky
longeoit l'Elbe , & faifoit replier les poftes ennemisqu'il
pourfuivit jufqu'au pontde Torgau . Alors
le Général Hulfen , craignant d'être attaqué de
tous côtés , prit le parti de la retraite & rentra
dans la Ville avec précipitation. On atteignit fon
NOVEMBRE.
1760.
arriere- garde , & le
combat fut
pendant
quelque
191
tems des plus vifs .
L'ennemi
craignant
d'être coupé
, fe retira en
défordre vers la Ville , & fe rallia
fous le feu des
remparts.
Le
Général
Hulfen
faifoit ,
pendant ce tems
paffer l'Elbe à fon armée fur le pont de la Ville &
fur un de
pontons. Le
Prince de Deux - Ponts.
s'en étant
apperçu , fit
amener de la
groffe artillerie
pour les
ruiner,
pendant
qu'on
tâchoit de pénétrer
dans la Ville.
Toutes ces
difpofitions
furent
exécutées avec
beaucoup de
concert & de
jufteffe.
On
pénétra ,
malgré le feu des
ennemis ,
jufqu'au
pont
volant dont on
s'empara , &
l'artillerie fur
fervie avec tant
d'habileté
qu'on mit le feu à l'extrémité
du pont de la Ville. Par là tout
moyen
retraite fut ôté au refte des
troupes
ennemies quide
n'avoient pu paffer
l'Elbe. Le
Prince de
Deux-
Ponts
envoya
fommer le
Colonel de
Normann
leur
Commandant , de fe
rendre ; ce qu'il fi,
après
quelques
difficultés. La
Capitulation fut fignée
le 27 à trois heures du
matin , &
auffitôt
l'armée fut miſe en
poffeffion des deux
portes de
la Ville. Les
troupes
Pruffiennes
fortirent à midi
&
mirent bas les armes . Le
nombre des
priſonniers
faits en cette
occafion eft de deux
mille cinq
cens
vingt-fept ,
parmi
lesquels ſe
trouvent un
Colonel , fix
Majors & douze
Capitaines .
Notre
perte eft très-legére , &
n'excéde pas cent hommes
, tant tués que bleffés .
L'armée
Pruſſienne
profita de la nuit pour fe retirer du côté de Wirtemberg
, le long de l'Elbe.
De
Rome , le 26
Septembre .
On écrit de
Naples que le fieur
Bignon ,
chargé
de porter au Roi des Deux - Siciles le Cordon de
l'Ordre du Saint- Elprit , y eft arrivé , le 12 , à
bord du
Vaiſſeau de guerre
Efpagnol le Ferme,
રે
192 MERCURE DE FRANCE.
De Londres , le 10 Octobre.
On apporta , le S de ce mois , au Roi la nouvelle
que la Ville de Montréal avoit capitulé le 8
du mois dernier. Le Miniftere a fait imprimer
une
Cazette extraordinaire
, pour faire part au Public
de cet événement. Par la Capitulation , les troupes
Françoifes
qui défendoient
le Canada doivent
être traníportées en France aux frais de Sa Majeté
, & ne ferviront point pendant cette guerre,
Les habitans du Pays font maintenus
dans leurs
priviléges & dans le libre exercice de leur Religion.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
L
De VERSAILLES , le 9 Octobre.
E 7 de ce mois , Dom Jaime Maffones de
Lima , Ambaffadeur extraordinaire du Roi d'Efpagne
eur , en long manteau de deuil , une Audience
particuliere du Roi , dans laquelle il fit
part a Sa Majeté de la mort de la Reine d'Efpagne.
Il fut conduit à cette Audience , ainfi qu'à
celles de la Reine , de Monfeigneur le Dauphin ,
de Madame la Dauphine , de Monſeigneur le Duc
de Bourgogne , de Monfeigneur le Duc de Berry ,
de Monteigneur le Comte de Provence , de Monfeigneur
le Comte d'Artois , de Madame , de Madame
A lélaïde , & de Meldames Victoire , Sophie
& Louife , par le fieur de la Live , Introducteur
des Amballadeurs. Cette Princelle , qui eft
morte le 27 du mois dernier , fe nommoit Marie-
Amélie ;
NOVEMBRE. 1960 . 193
Amélie ; elle étoit fille aînée du Roi de Pologne ,
Electeur de Saxe , & de Marie-Jolephe d'Autriche ,
fille de l'Empereur Jofeph. Elle étoit âgée de
trente-cinq ans , dix mois & trois jours . Elle avoit
époufé , le 19 Juin 1738 , Dom Carlos , alors Roi
de Naples & des Deux- Siciles. La Cour a pris ,
le 9 , le deuil pour cette Princelle , pour un mois.
De PARIS , le 25 Octobre
€ Sa Majellé , par fon Edit portant établiſſement
de l'Ecole Royale Militaire , avoit ordonné que ,
dans l'admiffion des Enfans qui feroient préſentés
pour entrer dans cette Ecole , on donnât la préférence
à ceux dont les Peres feroient encore actuéllement
au Service , fe réſervant néanmoins de
s'expliquer dans la fuite fur les cas où l'on pour
roit s'écarter de cette régle , ainfi que fur quelques
autres difpofitions du même Edit . Elle vient d'ordonner
par une nouvelle Déclaration , que les Enfans
des Peres que leurs bleffures , ou des infirmi
tés & des accidens naturels auront mis hors d'état
de lui continuer leurs fervices , foient reçus concurremment
avec ceux dont les Peres font encore
dans les Armées. Sa Majesté entend auffi que les
Enfans des Peres qui ont obtenu la permiffion de
fe retirer , après trente années de fervice , jouiffent
du même privilége.
Le Comte de Colloredo , Chambellan de l'Em--
pereur & de l'Impératrice , Reine de Hongrie &
de Bohême , que Leurs Majeftés Impériales ont
envoyé pour annoncer au Roi la célébration du
Mariage de l'Infante Ifabelle avec l'Archi fuc Jofeph
, arriva en cette Ville le 18 de ce mois ; il
alla le lendemain à Fontainebleau , & il s'ac
quitta de fa commiflion auprès du Roi. Il fut
préfenté à Sa Majesté par le Comte de Starhem-
I
194 MERCURE DE FRANCE.
berg , Amballadeur de Leurs Majeftés Impéria
les. Le Comte de Colloredo fut préfenté le mê-.
me jour à Monfeigneur le Dauphin , à Madame
la Dauphine, & à Madame Adélaïde, à Meſdames
Victoire , Sophie & Louife. Il fe rendit le 20 à
Verfailles , où il fut préfenté à la Reine , à Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , Monſeigneur le
Duc de Berry, Monfeigneur le Comte de Provence
, Monfeigneur le Comte d'Artois , & à
Madame.
Nous apprenons encore que le Général Comte
de Lafcy eft entré , le 9 de ce mois , dans Berlin ,
en même temps que les Ruffes. La Garniſon de
cette Ville , compofée de trois mille hommes , a
été faite prifonniere de guerre. Les Commandans
des troupes Autrichiennes & Ruffes ont fait
obferver la plus grande difcipline . Il n'eſt entré
dans Berlin & dans Poftdam que quelques bataillons
de Grenadiers néceffaires pour garder
ces deux Places . Les Officiers des deux Nations
n'y font entrés qu'avec des permiffions par écrit
de leurs Généraux , de forte qu'il ne s'y eft pas
commis le moindre défordre , & les boutiques
des Marchands n'ont pas été fermées. Mais on a
ruiné les Fabriques de toute efpéce qui ont rapport
à la guerre. On a abandonné aux Soldats
tous les magafins remplis d'effets deſtinés à l'entretien
& à l'habillement des troupes Pruffiennes.
On a trouvé dans Berlin & dans Potſdam une
grande quantité d'armes dont on a détruit les
Manufactures , ainfi que les Fonderies d'artille
rie.
Les Ruffes ont exigé quinze cens mille écus de
contributions.
Le Prince de Deux- Ponts ayant appris que le
Roi de Pruffe avoit détaché feize mille hommes
de fon armée pour fecourir Wittemberg , prit la
NOVEMBRE. 1760. 195
réfolution de brufquer le fiége qu'il faifoit de cette
Place , en l'attaquant en même temps de plufieurs
côtés ; ce qui fut exécuté le 13. Le Commandant
de Wittemberg , qui n'avoit porté fon attention
que fur la partie la plus foible de la Place , fe
trouvant preflé de toutes parts , prit le parti de
faire battre la chamade , & de capituler le 14 au
matin ; il s'est rendu prifonnier de guerre avec
fa Garniſon , aux mêmes conditions qui avoient
été accordées à la ville de Torgau . Cette Garnifon
étoit de trois Bataillons & de quatre cens
Soldats convalefcens. On a trouvé dans la Ville
trente piéces de canon , dont douze de vingt- quatre
livres , huit mortiers , & une grande quantité
de munitions. Toutes les fortifications ont été
rafées.
On a reçu le 20 de ce mois un Courier dépêché
le 16 au foir par le Marquis de Caftries ,
Lieutenant Général , pour apporter la nouvelle
d'un Combat qui s'eſt donné le même jour près
de Rhinberg , entre les troupes du Roi , qui étoient
à les ordres , & celles qui étoient commandées
par le Prince Héréditaire de Brunfwik. L'action
a commencé une heure avant le jour , & après
un feu très- long & très- vif , le Prince Héréditaire
a été forcé de ſe retirer avec une perte trèsconfidérable
, laiffant en notre pouvoir le plus
grand nombre de fes Bleffés .
On a appris par un autre Courier dépêché le
18 , que le Prince Héréditaire de Brunfwik arepaffé
le Rhin fur les deux Ponts qu'il avoit établis
au-deffous de Wefel , & qu'il a entierement levé
le fiége de cette Place . On affure qu'il avoit pris
le chemin de Halleren fur la Lippe. Son arrieregarde
a été attaquée vivement en deçà du Rhin ,
& elle a été forcée de paffer ce fleuve en déſor-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE
1
dre , après avoir perdu beaucoup de monde , &
fans avoir pû replier fes ponts , dont nous fommes
reflés maîtres . Dès le is , le Marquis de Caftries
avoit fait attaquer le pofte de Rhinberg ,
qu'on avoit emporté l'épée la main . Il avoit
fait entrer en même temps dans Wefel , le fieur
de Boisclaireau , Brigadier , avec fix cens hommes
d'élite. Le 18 , il y a fait entrer huit Batail-
Ions.
Le corps aux ordres du Prince Héréditaire de
vant Wefel étoit d'environ vingt- cinq mille hommes
; mais il paroît n'avoir eu au Combat que
quinze mille hommes d'Infanterie , & trois à
quatre mille chevaux . La difficulté du terein n'à
permis au Marquis de Caftries de faire combattre
que les quatre brigades d'Infanterie, de Normanmandie
, d'Auvergne , de la Tour- Dupin & d'Alface.
Ces troupes ont combattu avec la plus grande
valeur & avec la plus grande fermeré , ainfi que
la troupe
du fieur Fifcher , qui a foutenu les premiers
éfforts des ennemis à l'Abbaye de Clofter-
Camp. On n'a pas encore de détail de tout ce qui
s'eft paffé pendant l'action , ni l'état des Officiers
qui ont été tués ou bleffés ; on fçait feulement
que le Marquis de Segur , Lieutenant Général , a
été bleffé légèrement & qu'il a été fait priſonnier.
Les Marquis de Perufe & de la Tour-Dupin & le
Baron de Vangen , Brigadiers , ont auffi été bleffés
, & ce dernier a étéfait prifonnier. La Gendarmerie
, qui étoit à l'action , n'a perdu d'Officiers'
que le fieur de Greneville qui a été tué. Le Marquis
de Caftries fait les plus grands éloges des
Troupes & des Officiers Généraux & particuliers
qui ont combattu.
Nous donnerons ci- après la perte que nous avons
faire à cette journée.
NOVEMBRE. 1760. 197
Le tirage de la Loterie de l'Ecole Royale Mili
taire s'eft fait , en la maniere accoutuinée , dans
'Hôtel-de- Ville de Paris , le de ce mois. Les
Numeros qui font fortis de la roue de fortune font
57, 32 , 26 , 84 , 38. Le prochain tirage fe fera
le 6 du mois de Novembre.
De CASSEL, le premier Octobre.
Après l'expédition du Comte de Luface contre
le Corps commandé par le Général Vangenheim ,
les troupes qui y avoient été employées revinrent
partie au Camp de Friedland , partie à l'Arniée .
On a fait cantonner quelques brigades d'Infanterie
, ainfi que la Gendarmerie & quelques Régimens
de Cavalerie Le Général Vangenheim campe
préfentement à Uflar , & l'on ne voit plus en
deça de la forêt de Solingen que des troupes légè
res des ennemis , qui ont de fréquentes elcar nouches
avec les nôtres , & qui cherchent ſouvent à
inquiéter nos fourages . Les Chaffeurs de Luckner
attaquérent , le 24 du mois dernier , un de nos
Détachemens près de Neftau , Village fitué fur la
Leyne , à quelque diftance de Gottingen. Cent
Dragons & quelque Infanterie , qui formoient ce
Détachement , furent obligés de céder au nombre.
Les Dragons ont été prèſque tous faits prilonniers.
Le Comte de Chabot & le Duc de Fronsac fu
rent détachés, le 27 , pour enlever le poste que les
ennemis occupoient à Vella , près de Varbourg.
Ceux-ci fe retirerent à l'approche de nos troupes
mais ils furent attaqués par le Duc de Fronfac avec
tant de vivacité & fi a propos , qu'ils perdirent
trente hommes , qui furent faits prifonniers avec
autant de chevaux.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE
Etat général de la perte de l'Infanterie aux ordres
du Marquis de Caftries , à lajournée du 16
Octobre 1760.
REGIMENT DE NORMANDIE.
Le Marquis de Peruffe d'Efcars , Brigadier &
Colonel , bleffé. Le fieur de Bienaffife , Lieutenant
Colonel , bleffé & prifonnier. Le fieur de
Bollioud , Commandant du fecond bataillon
bleffé. Le fieur de Puches , Aide-Major , bleffé.
Le Geur de Charriere , Major , bleffé . Le fieur de
Puches , Aide- Major , bleflé. Les fieurs de Bermont
, de Montriac , de Pesnemart , de Raumrunt
, de S.Hilaire , de Caſtellenaud & de Tanéſe,
Capitaines , tués. Les fieurs de la Croix & de
Beliffant, Lieutenans, tués . Les fieurs de la Faye, de
Bourbon , de Pindray , de Pinbon , de Mainal , de
Preville , de Papin , de Calviere , de Ferrand , de
Librefac , de Vivier , de Fontaine - Marie , de Laval
, de la Ferriere , Desflottes de la Longue
Duleau & de Chazel , Capitaines , bleffés . Les
fieurs de Fumée , du Fagnei , Chevalier de Marfan
, de Saboulin , de Saint- Antoine, Chevalier de
Ferriere , de Galland , de Clavier , de Vallée , de
Lefcail , de Courfon , de Gilibert , de Guenard,de
Rubrant , de Fontaine , de Beauregard , de Lauretan
, de Moulon , Daunois , de Mericy , de Clery,
de Beaumont & de Chillaud , Lieutenans , bleſſes.
Les fieurs de Bourbon , du Creufet & de Becail
Capitaines , ont été faits priſonniers ; le premier
a été bleffé.
'
RÉGIMENT D'AUVERGNE.
Le Comte de Rochambeau , Brigadier & Colonel
, bleffé . Le fieur de la Barlette , Lieutenant
- Colonel , bleffé. Perichon , Major , bleſſé,
NOVEMBRE . 17607 199
>
Les fieurs d'Haupré & du Roure , Aides-Majors ,
bleffés . Les fieurs Chevalier d'Affar , de Juignan
de S. Firmin , de Roquade , d'Alba , de Saignard
& de la Roche- Pancée , Capitaines , tués. Les
heurs Dupuy & Laugier , Lieutenans , tués . Les
fieurs Hoftallier , d'Olias , de la Bune , de Chambarlhac
, Duquel , de Morgues , de Liabel , de
Laval , de Regnerie , de Pontagnan , de Fatrie,
de Chery , Delpens , de Barillac , de la Ferté ,
de Choumouroux , de Saffellange , de Malherbe
& de Saint- Victor , Capitaines , bleffés . Les fieurs
de Rubé , de Lalune , de Truffaux , de Veiller , de
Langon , de Saint- Juft , de Ferragus , de Quin
cerot , de Nouy , du Toucher , de Vallons , de
Comarque , de Sireville , de Villars , de Valence,
Chevalier de Valorie . de Bordenau , de Saint-
Denis , de Calenave , de Verdun , de Palluat
Chevaliers de Villars & de Choumouroux , Desforeft
, de Coucy , Chevalier de Seignard , Lieutenans
, bleffés. Le fieur de Lort , Capitaine des
Grenadiers , a été fait prifonnier.
REGIMENT DE LA TOUR-DU-PIN.
Le Marquis de la Tour -du-Pin , Brigadier &
Colonel , bleifé . Les fieurs de Seigneur & de Favieres
, Capitaines , bleffés. Les fieurs de Chevaux
& Defplats , Lieutenans , bleffés.
RÉGIMENT DE BRIQUE VILLE,
Le fieur de Thezut , Commandant de Bataillon
, bleffé. Le fieur Anfelme , Major , bleffé .
Le fieur de Belcier , Aide - Major , bleffé. Les
fieurs de Nolivor , de Valée , du Fayer , de Sevin ,
de Droullin & de Gilbert , Capitaines , bleffés.
REGIMENT D'ALSACE.
Les fieurs Peter-Romlinguen , Hermelsheim
Mouch, Adams , Capitaines , tués . Le fieur Di-
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
loth , Aide Major , tué. Les fleurs de Muker &
Piquet , Commandans de Bataillon , bleflés. Les
feurs Delvet & lic , Aides- Majors , & le Baron
d'Arenfeld , Sous- Aide- Major , bleffés . Les fieurs
Delpert , George de Gottesheim & Baron d'Oldembourg
, Lieutenans , tués. Les fieurs Pigenol , de
Saint- Aulbin , Philippe Baron de Roeder , Baron
de Spiegel , Papignie , d'Arundel , Henry , Talinguen
, Franques , Emanuel Cabanès , Franz Do,
meker , Jofeph Pareth , Charle Baron de Røeder,
Otto Baron de Wurmfer , Seantel , Baron de
Bock , Vilhem Pareth , Hithard , Antoni Baron
de Neusfein , Philippe Koch , Comte de Valdeck ,
Chrißian Baron de Roeder , & Carl. Hoch , Capiraines
, bleffés. Les fieurs Mons , Baron de Heffelberg
, Brindel , Baron de Brukel , Baron de
Tulskeuskion , Frans Romlinguen , Marion
Frans Baron de Neufieim , Klingling , Furfem-
' berg, ofeph Stock , Petrus Cabane , Fre deric
Stock , Baron de Billard , Oldenel , lofe ph Martel
, Baron de Beho , Baron de Strafemdorf , de
Ker , Boppel , Poifol , Efchenbacher , Lieutenans ,
bleffe
RECAPITULATION .
Normandie . Sept Capitaines tués & vingt- trois
bleflés ; Lieutenans , deux tués , & vingt-trois blef
fés ; Soldats , deux cent tués , quatre cent trentehuit
bleffés .
Auvergne. Sept Capitaines tués, & vingt - quatre
bleffés , deux Lieutenans tués , vingt- fix bleflés ;
deux cent trois Soldats tués , cinq cent douze
bleffés.
La Tour-du-Pin. Trois Capitaines bleff's ; deux
Lieutenans bleflés ; quatre Soldats tués , foixanteneuf
bleflés.
Briqueville. Huit Capitaines bleflés ; un Lieu
NOVEMBRE. 1760. 201
tenant bleffé ; vingt un Soldats tués , ćent fix
bleffés.
Alface. Cinq Capitaines tués , vingt -fept bleffés ;
trois Lieutenans tués , vingt- deux bleflés ; trois
cent quatre-vingt-fept Soldats tués , cinq cent
dix-neuf bleffés .
Total. Dix-neuf Capitaines tués , quatre-vingtbleflés
; fept Lieutenans tués , foixante & feize
bleffés ; huit cent quinze Soldats tués & feize cent
quarante- quatre belifés.
MARIAGE.
}
Le 22 Septembre 1760 , Très Haut & Trèse'
Puillant Seigneur Timoleon - Antoine - Jofeph-
François-Louis- Alexandre Comte d'Elpinay , de
Saint Luc , Marquis de Lignery , fils de défunt
Très Haut & Très - Puiffant Seigneur François
d'Efpinay de Saint- Luc , Marquis de Lignery ,
Meftre de Camp de Cavalerie , & de Très- Haute
& Très- Puillante Dame Marie Madeleine- Louife-
Catherine de Samfon , Dame de Lorcheres , fut
marié dans la Chapelle de l'Archevêché à Rouen
avec Très - Haute & Très Puillante Demoiſelle
Marie - Bernardine Cadot de Sebeville , fille du
défunt Très- Haut & Très- Puillant Seigneur Bernardin
- François Calot , Marquis de Sebeville ,
Colonel du Régiment du Vieux - Languedoc Dragons
, & de Très - Haute & Très Puiflante Dame
Barbe Anzeray de Courvaudon.
La Bénédiction Nuptiale leur fut donnée par
M. l'Archevêque de Rouen .
Leur Contrat de Mariage avoir été figné par le
Roi , la Reine & la Famille Royale , le 14 Sep
tembre.
Iv
202 MERCURE DE FRANCE
MORT S
Le 27 Septembre ,Meffire Louis de la Tour- du-
Pin , Marquis de Montauban , Seigneur de Roquebeau
, premier Cornette des Chevaux- légers
d'Aquitaine , & Chambellan de Monfeigneur le
Duc d'Orleans , premier Prince du Sang , mourut
au Palais Royal , âgé de vingt ans , dix mois.
Il étoit fils aîné de Meffire Louis de la Tour- du-
Pin , Comte de Montauban , Brigadier des Armées
du Roi & premier Ecuyer de Monſeigneur le
Duc d'Orléans , décédé le s Avril dernier , & dont
la mort a été annoncée dans le Mercure du mois
de Mai de cette année.
Hugues -Jean - Baptifte - François le Bourfier .
chargé des affaires de S. A. S. Monfeigneur le
Duc de Modène , eft mort le Lundi 6 Octobre ,
âgé de 49 ans.:
Meffire Jean- François de Boyvin , Marquis de
Bacqueville , ancien Colonel d'Infanterie , eft
mort à Paris le 7 , âgé de foixante & douze ans.
Le feu ayant pris à une aîle de fa Maiſon , fife fur
Te Quai des Théatins , il a malheureuſement péri
dans cet incendie..
Dame Marie- Lambertine de la Marque, veuve
de Meffire Auguftin - Louis , Marquis de Xime-
Maréchal des Camps & Armées du Roi , eſt
morte le 10 de ce mois , âgée de cinquante- neuf
nez ,
ans.
NOVEMBRE. 1760. 203
HOPITAL
DE M. LE MARECHAL DUC DE BIRON.
Vingt-deuxième Traitement confécutif, depuisfon
Etabliffement.
Les nommés
DUCH UCHATEAU ,
Compagnies.
de Marfay.
$. Flour ,
Vambre ,
Prevost ,
S. Amour ,
Thibault
Brunet ,
Lapenfée ,
Dubois ,
Michaut ,
Flamand ,'
D'Orlay ,
du Dreneuc
de Vifé.
de Voifenon .
d'Etrrieu.
de Lanoy.
de Guer.
Colonelle.
de Voifenon.
de Guer
de Noliers.
Colonelle.
Ces douze Soldats font entrés à l'Hôpital dans
les mois de Mars & d'Avril , de la préſente année
attaqués des maladies les plus graves , & ont été
parfaitement guéris.
M. Keyfer a l'honneur d'informer le Public que
n'étant pas poffible de lui donner dans le préfent
Mercure , les détails des maladies traitées à Londres,
à l'Orient , & à Limoges , où il s'est fait différentes
épreuves , il peut néanmoins lui certifier
publiquement que lesdites épreuves ont également
I vj
202 MERCURE DE FRANCE
MORT S
Le 27 Septembre,Meffire Louis de la Tour-du-
Pin , Marquis de Montauban , Seigneur de Roquebeau
, premier Cornette des Chevaux- légers
d'Aquitaine , & Chambellan de Monfeigneur le
Duc d'Orleans , premier Prince du Sang , mourut
au Palais Royal , âgé de vingt ans , dix mois.
Il étoit fils aîné de Meffire Louis de la Tour- du-
Pin , Comte de Montauban , Brigadier des Armées
du Roi & premier Ecuyer de Monſeigneur le
Duc d'Orléans , décédé le s Avril dernier , & dont
la mort a été annoncée dans le Mercure du mois.
de Mai de cette année .
Hugues -Jean - Baptifte- François le Bourfier .
charge des affaires de S. A. S. Monfeigneur le
Duc de Modène , eft mort le Lundi 6 Octobre ,
âgé de 49 ans..
Meffire Jean- François de Boyvin , Marquis de
Bacqueville , ancien Colonel d'Infanterie , eft
mort à Paris le7 , âgé de foixante & douze ans.
Le feu ayant pris à une aîle de fa Maiſon , fife fur
le Quai des Théatins , il a malheureuſement péri
dans cet incendie.
Dame Marie -Lambertine de la Marque , veuve
de Meffire Auguftin - Louis , Marquis de Ximenez
, Maréchal des Camps & Armées du Roi , eft
morte le 10 de ce mois , âgée de cinquante- neuf
ans.
NOVEMBRE. 1760. 203
"
HOPITAL
DE M. LE MARECHAL DUC DE BIRON.
Vingt-deuxième Traitement confécutif, depuisfon
Etabliffement,
Les nommés
D UCHATEAU ,
Compagnies.
de Marfay,
S. Flour ,
Vambre,
Prevost ,
S. Amour,
Thibault
Brunet ,
Lapenfée ,
Dubois ,
Michaut *
Flamand ,'
D'Orlay ,
du Dreneuc.
de Vifé.
de Voifenon.
d'Etrrieu.
de Lamoy.
de Guer.
Colonelle.
de Voifenon.
de Guer
de Noliers.
Colonelle.
Ces douze Soldats font entrés à l'Hôpital dans
les mois de Mars & d'Avril , de la préſente année ,
attaqués des maladies les plus graves , & ont été
parfaitement guéris.
M. Keyfer a l'honneur d'informer le Public que
n'étant pas poffible de lui donner dans le préfent
Mercure , les détails des maladies traitées à Lon
dres , à l'Orient , & à Limoges , où il s'eſt fait différentes
épreuves , il peut néanmoins lui certifier
publiquement que lesdites épreuves ont également
I vj
202 MERCURE DE FRANCE
MORTS
Le 27 Septembre,Meffire Louis de la Tour-du-
Pin , Marquis de Montauban , Seigneur de Roquebeau
, premier Cornette des Chevaux- légers
d'Aquitaine , & Chambellan de Monfeigneur le
Duc d'Orleans , premier Prince du Sang , mourut
au Palais Royal , âgé de vingt ans , dix mois.
11 étoit fils aîné de Meffire Louis de la Tour- du-
Pin , Comte de Montauban , Brigadier des Ar- »
mées du Roi & premier Ecuyer de Monſeigneur le
Duc d'Orléans , décédé le s Avril dernier , & dont
la mort a été annoncée dans le Mercure du mois
de Mai de cette année.
Hugues -Jean - Baptifte - François le Bourfier
chargé des affaires de S. A. S. Monfeigneur le
Duc de Modène , eft mort le Lundi 6 Octobre,
âgé de 49 ans..
Meffire Jean- François de Boyvin , Marquis de
Bacqueville , ancien Colonel d'Infanterie , eft
mort à Paris le7 , âgé de ſoixante & douze ans.
Le feu ayant pris à une aîle de fa Maiſon , fife fur
Te Quai des Théatins , il a malheureuſement péri
dans cet incendie..
Dame Marie- Lambertine de la Marque, veuve
de Meffire Auguftin - Louis , Marquis de Xime-
Maréchal des Camps & Armées du Roi , eft
morte le 10 de ce mois , âgée de cinquante- neuf nez ,
ans.
NOVEMBRE. 1760. 203
HOPITAL
t
DE M. LE MARÉCHAL DUC DE BIRON.
Vingt-deuxième Traitement confécutif, depuisfon
Etabliffement.
Les nommés
D UCHATEAU ,
$. Flour ,
Vambre,
Prevoft ,
S. Amour ,
Thibault ,
Brunet ,
Lapenſée ,
Dubois ,
Michaut ,
Flamand ,'
D'Orlay ,
Compagnies.
de Marfay,
du Dreneuc
de Vifé .
de Voifenon.
d'Etrrieu.
de Lanoy.
de Guer.
Colonelle.
de Voifenon.
de Guer.
de Noliers.
Colonelle
Ces douze Soldats font entrés à l'Hôpital dans
les mois de Mars & d'Avril , de la préſente année ,
attaqués des maladies les plus graves , & ont été
parfaitement guéris .
M. Keyfer a l'honneur d'informer le Public que
n'étant pas poffible de lui donner dans le préfent
Mercure , les détails des maladies traitées à Londres
, à l'Orient , & à Limoges , oùil s'eſt fait différentes
épreuves , il peut néanmoins lui certifier
publiquement que lesdites épreuves ont également
I vj
202 MERCURE DE FRANCE
MORTS.
Le 27 Septembre,Meffire Louis de la Tour- du-
Pin , Marquis de Montauban , Seigneur de Roquebeau
, premier Cornette des Chevaux - légers
d'Aquitaine , & Chambellan de Monfeigneur le
Duc d'Orleans , premier Prince du Sang , mourut
au Palais Royal , âgé de vingt ans , dix mois.
Il étoit fils aîné de Meffire Louis de la Tour- du-
Pin , Comte de Montauban , Brigadier des Ar-·
mées du Roi & premier Ecuyer de Monfeigneur le
Duc d'Orléans , décédé le 5 Avril dernier , & dont
la mort a été annoncée dans le Mercure du mois
de Mai de cette année.
Hugues -Jean - Baptifte - François le Bourfier .
charge des affaires de S. A. S. Monfeigneur le
Duc de Modène , eft mort le Lundi 6 Octobre ,
âgé de 49 ans.:
Meffire Jean- François de Boyvin , Marquis de
Bacqueville , ancien Colonel d'Infanterie , eft
mort à Paris le 7 , âgé de foixante & douze ans.
Le feu ayant pris à une aîle de fa Maiſon , fife fur
Te Quai des Théatins , il a malheureuſement péri
dans cet incendie..
Dame Marie - Lambertine de la Marque, veuve
de Meffire Auguftin - Louis , Marquis de Xime-
Maréchal des Camps & Armées du Roi ,. eft
morte le 10 de ce mois , âgée de cinquante- neuf
nez ,
ans.
NOVEMBRE. 1760. 203
HOPITAL
DE M. LE MARECHAL DUC DE BIRON.
Vingt-deuxième Traitement confécutif, depuisfon
Etabliffement,
Les nommés
D UCHATEAU ,
Compagnies
de Marfay.
s. Flour ,
Vambre,
Prevost ,
S. Amour ,
Thibault
*
Brunet ,
Lapenfée ,
Dubois ,
Michaut ,
Flamand ,'
D'Orlay ,
du Dreneuc.
de Vifé .
de Voifenon.
d'Etrrieu.
de Launoy.
de Guer.
Colonelle.
de Voifenon.
de Guer
de Noliers.
Colonelle.
Ces douze Soldats font entrés à l'Hôpital dans
les mois de Mars & d'Avril , de la préſente année ,
attaqués des maladies les plus graves , & ont été
parfaitement guéris.
M. Keyfer a l'honneur d'informer le Public que
n'étant pas poffible de lui donner dans le préfent
Mercure , les détails des maladies traitées à Londres
, à l'Orient , & à Limoges , oùil s'eſt fait différentes
épreuves , il peur néanmoins lui certifier
publiquement que lesdites épreuves ont également
I vj
204 MERCURE DE FRANCE:
bien réuffi partout , & que les malades traités dans
ces trois endroits ont été parfaitement guéris au
rapport de Meffieurs les Médecins & Chirurgiens
deldits lieux , dont il a les certificats les plus authentiques.
Il le prévient en même temps , que
quoiqu'il plaife à plufieurs perfonnes de répandre
faullement & malignement que fon reméde ton
be de jour en jour , les cures qu'il opée n'en
font pas moins conftantes & continuelles , les malades
de fon hôpital n'en font pas moins abondans
& traités continuellement , & que la plus grande
preuve qu'il puiffe lui en donner , c'eft qu'il a plû
au Roi de vouloir bien accorder à cet hôpital des
Lettres - Fatentes qui ont été enregiſtrées au Parlement
& annoncées dans les Gazettes & les Ecrits
publics .
Le fieur PREVÔT , Marchand Fabriquant de
Caftors , rue Guénégaud , à Paris , donne avis au
Public , qu'il vient d'inventer une compofition de
Chapeaux , qui par un mélange parfait de caftor
& defoye , ont acquis un degré de beauté , d'ufage
& de perfection que cette marchandiſe n'avoit pas
eu jufqu'à ce jour , il en fabrique depuis 1 liv.
jufqu'à 24.
Dans le Mercure du mois dernier , on a annoncé
le prix de la Table Géométrique ( que M. Dufour
vient de mettre au jour foit en François , foit en
Allemand être de 2 liv . & f. Pour les 4 planches
en feuilles réunies & collées enſemble , 2 liv . 12
f. collées fur toille avec bordure bleue liv 4. f.
& reliées en in- 4°. avec onglet , f . liv. 10. f.
On avoit commis une erreur dans l'énoncé de
ces prix , & on va indiquer à demeure les prix des
différens formats de cette Table Géométrique.
Les & Planches.
En feuilles. 218
NOVEMBRE. 1760. 105
Réunies & collées en papier.
Réunies & collées fur toile , avec bordure
en foie bleue.
Ces dernieres , montées fur gorge.
Reliées en in-4º bazane.
Relićes en veau in 4º.
I. f.
2 12
1
f 10
7 Ο
4 4
4.16
En outre des adreffes indiquées dans le Mercure
d'Octobre , on trouvera encore des Exemplaires
de ces Tables ( pour la construction defquelles
on a retranché la moitié des calculs de celle
de Pythagore , chez les fieurs Petit , Marchand
d'Eftampes rue S. Jacques , à l'image S. Jacques
& chez Chauvigny , Marchand Papetier , rue de
la Harpe , vis-a - vis le Collège d'Harcourt.
Avis aux Chaffeurs .
Le fieur SANTINY , Italien , Plombier Privilégié
& Penfionnaire du Roi pour les Chaffes , fabrique
dans la derniere des perfections , toute forte de
plomb a giboyer, bien rond, bien égal , fans cavité
& fans être compofé d'aucune drogue venimeufe ,
ni apprêté avec aucune mine de plomb : ce plomb
eft très-propre &auffi blanc que de l'argent , de forte
qu'il ne falit ni les mains ni les gibecieres ; il porte
les coups fans s'écarter , plus ferré & plus loin de
1 à 15 pas que tout autre plomb ; il eſt trèsnécellaire
de ne charger que les trois quarts de la
charge ordinaire. Le fieur Santini a l'honneur d'en
fournir avec fuccès , pour les plaifirs des Chaſſes
de Sa Majesté & de toute la Cour.
Comme le Public paroît lui donner fon aprobation
par les demandes réitérées qu'on lui fait ,
le fieur Santiny , pour répondre à l'empreflement
206 MERCURE DE FRANCE.
de ceux qui veulent de fon plomb , les avertit qu'il
établit fon Magafin général à Paris , chez M. Duchauffour
, Marchand de fer , rue Saint Martin
proche Saint Julien , à la Tête d'or , où toutes les
perfonnes de Province qui en defireront pourront
s'adreffer.
Pour la facilité publique , l'on en débitera à
l'adreffe ci- deffus & chez le fieur Regnard , Marchand
Epicier rue Dauphine , à côté du Caffé de
Conty , au bas du Pont- Neuf.
A Verfailles , chez le fieur Tortel , Marchand
Epicier , rue Satory au bas de la Rampe.
A Saint Germain-en-Laye , chez le fieur Metayer
, Marchand, à la Gerbe d'or , dans le Marché,
vis-à- vis le Poids à la Farine .
Pour empêcher l'abus qui pourra fe commettre,
F'on donnera aux Domeftiques qui viendront chercher
du Plomb fabriqué par Santiny , une facture
fignée du Marchand où ledit plomb aura été
pris , & l'on n'en débitera que dans les endroits
indiqués ci-deffus. Le prix eft de fept fols la livre.
M. MACLOT commencera le 16 Novembre
1760 , à trois heures après-midi , un nouveau
Cours de Géographie public & gratuit , qu'il continuera
Fêtes & Dimanches depuis pareille heure
jufqu'à celle de quatre & demie. Sa demeure actuelle
eft au Caffé du Fort , qui fait le coin des
rues de la Verrerie & des Arcis , & face à celle des
Lombards. Il fe fervira pour ces Leçons des Inftitutions
abrégées de Géographie qu'il a données au
Public l'année derniere , & dont nous avons dans
le temps rendu compte. Il donne des Leçons particuliéres
, tant de Géographie que de Mathémati
ques. Les Inftitutions abrégées de Géographie fe
trouvent à Paris , chez Vincent , rue & vis- à- vis.
Saint Severin , àl'Ange.
妻
NOVEMBR E. 1760. 207
LETTRE de M.
ONSIEUR ,
En lifant le fecond volume du Mercure d'Avril
dernier, à l'article de la Société Littéraire de Châ
lons-fur-Marne , j'ai vû citer dans une Differta
tion de M. Grofley , dont on connoît bien ici les
talens , une Bibliothèque de cette Ville , que vous
appellez Megliabelli. Son vrai nom eft Magliabecchi.
Ce n'est qu'une faute d'impreffion qui
peut cependant porter atteinte à l'exactitude de
F'Auteur , avec qui j'ai fréquenté cette Bibliothè
que qui lui eft bien connue à tous égards. Cette
méprife a frappé les Florentins , qui font jaloux
de ce qui les regarde . ,
Avis important au Publie.
La Dame Veuve du fieur BELLOSTE , Méde
cin à Thurin , donne avis au Public que les Diles
de Caix demeurantes à Verſailles , Avenues de
S. Cloud , lui en ont impofé , en s'annonçant
dans la Gazette d'Amfterdam du 12 Septembre
dernier , pour avoir les vraies pilules de Bellofte.
Leur pere qui eſt décédé , a bien été le Commettant
dudit défunt fieur Bellofte , pendant qu'il
étoit en Pays Etranger : mais depuis près de deux
ans que la Dame Bellofte eft à Paris , elle ne
leur a donné aucunes pilules à débiter , de forte
que ces pilules des Demoiſelles De Caix ne peuvent
être que des pilules contrefaites. Elles ne
font pas les feules qui faffent & débitent de fauffes
pilules de Belofte. Il s'en débite à Paris chez
"
208 MERCURE DE FRANCE.
> le nommé Maffieu , Tourneur rue du Jour ,
vis-à vis le Portail de S. Euftache avec de petits
livrets qui feuls font capables de faire reconnoî
tre la fourberie , en faitant attention que fur un
avertiffement étant en fin de chaque livret , &
avant la copie du Privilége , eft collée une bande
de papier blanc qui couvre 7 lignes de cet Avertiffement
, lefquelles ne laillent pas que d'être
lues à travers en expolant les feuilles au grand
jour. Il fe vend auffi de ces faufles Pilules à Paris '
rues S. Martin , S. Denys & Bourg - Labbé & dans
le Fauxbourg S. Germain près la Croix - Rouge.
La Dame veuve Bellofte feule munie des priviléges
du Roi de France , de Sa Majeſté Impériale
& de la Séréniffime République de Venife , pour
vendre & faire vendre & débiter les Pilules mercurielles
de fa compofition & fous fon nom , fe
croit obligée en conscience d'avertir le Public du'
danger qu'il y a de faufles Pilules , ayant reçu
de vifs reproches par plufieurs Particuliers qui en
avoient pris , & par différens Médecins & Chirurgiens
qui en avoient fait prendre à leurs malades.
La Dame Veuve Bellofte avertit auffi le Public
que les vraies Pilules de Bellofte de fa compofition ,
ne le débitent & ne fe font débitées depuis qu'elle
eft à Paris , qué par elle -même , & non par aucun
Commettant à Paris & ès environs.
La Dame Veuve Bellofte demeure toujours à
Paris , Place de S. Sulpice , au Bâtiment neuf ,
vis- à-vis l'Eglife.
L'once de Pilales fe vend 24 liv. Il y a des
boëtes de demi once & de quart d'once. Les performes
de Province qui voudront en avoir pour
ront s'adreffer directement à elle , en affranchif
fant leurs lettres , & en lui faisant paller les deniers
néceffaires.
NOVEMBRE. 1760. 209
AU ROI DE FRANCE , Place du Vieux Louvre ,
entre le Caffé du Grand-Confeil & l'Arquebufie
du Roi.
NOUVELLE MANUFACTURE.
LEBLOND , Marchand Jouaillier- Bijoutier , Attifte
pour la derniere perfection des pierres à fufil
& de nouveaux opals des plus parfaits qui ayent
encore paru,fait d'autres fortes de pierres de toutes
couleurs & de toutes efpéces , qui par leur grand
éclat , imitent parfaitement le diamant. H fabrique
toutes fortes de beaux Ouvrage de Bijouteries ,
comme boucles de toutes espèces , coliers , noeuds
de cols , aigrettes , pompons , papillons , fultannes
, épingles tortillées , épingles à la Ducheffe ,
bagues, braffelers , agraffes , boutons de corfets
& de compéres , boucles d'oreilles , girondolles ,
rubans de tête , becs en brillant & toutes fortes
d'ajustemens pour les Dames. Il fait auffi les Croix
de Malthe , ornées de leur couronne , ainf que tous
autres Ordres du dernier goût , qui effacent tout
ce qui a paru ci-devant, dont il efpére fatisfaire les
connoiffeurs. Il envoie dans toutes les Cours Etrangéres
& en Province. Décore les bonnets de Ne-
& de Coureurs. Raccommode & met en neuf
les anciens ouvrages les plus défectueux . Le tout
à jufte prix. A Paris.
gres
>
CATALOGUE des Cartes héraldiques du fieur Du-
BUISSON , Généalogifte & Doteur du Roi , avec
Privilege du Roi , 1760 .
Le Tab eau de l'honneur , ou abrégé méthodique
de la Science du Blafon . 2 feuilles.
Chronologie des Papes & anti- Papes , depuis la
maillance de l'Egliſe juſqu'en 1758 , contenant
110 MERCURE DE FRANCE. -
leurs noms de Papes , leurs noms de famille ,
leurs pays ; la date de leur élévation , le temps
de leur Pontificat , leur mort & les armes de ceux
qui en ont portées , jufqu'à préfent , 3 F.
Noms , qualité , Armes & Blafon de tous les
Papes & Cardinaux François de naillance , de ceux
qui ont été nommés par nos Rois , & de ceux qui
ont poffédé des Archevêchés & Evêchés en France
jufqu'à préfent , 3 F.
Grands - Maîtres de Saint Jean de Jérufalem ,
dit de Malte , depuis leur création juſqu'à préfent
, 1 F.
Chronologie des Empereurs & Impératrices
d'Occident , depuis Charlemagne jufqu'à préfent
, 2 F.
Généalogie des Rois de France , depuis le commencement
de cette Monarchie jufqu'à préſent
9 F.
Chronologie des Rois & des Reines de France ,
depuis Pharamond jufqu'à préfent , 2 F.
Chronologie des Rois d'Angleterre , depuis Egbert
, premier Roi des Saxons Occidentaux ; jufqu'à
préfent , 2 F.
Chronologie des Rois & Reines de Portugal , &
des Algarbes , depuis Hugues Caper jufqu'à préfent
, I F.
Généalogie des Rois & Reines d'Espagne , depuis
le commencement de cette Monarchie jufqu'à
préfent , 9 F.
Chronologie des Rois & Reines d'Espagne , depuis
l'Erection du Comté de Caftille en Royaume ,
par Sanche IV. dit le Grand , Roi de Navarre
jufqu'à préfent , 1 F.
t Les Rois & Reines des deux Siciles , depuis leur
origne jufqu'à préſent , 2 F.
Les Dauphins de France , depuis la ceffion du
Dauphiné faite par Humbert , dernier Dauphin
Viennois , jufqu'à préſent , 1 F.
NOVEMBRE. 1760. 21F
Les 32 quartiers paternels & maternels de
Monfeigneur Louis Dauphin de France , 1 F.
Les Ducs & Pairs de France , depuis 1701 juf
qu'à préfent , 1 F.
Les Régents & Régentes du Royaume de France,
depuis leur origine jufqu'à préfent , 1 F.
Les Grands Sénéchaux & Connétables de France
, depuis le Regne du Roi Hugues- Capet jul
qu'à préfent , Ě.
Chanceliers & Gardes des Sceaux de France ,
depuis le Regne de S. Louis jufqu'à préſent , 2 F.
Maréchaux de France , depuis le Regne du Roi
Philippe-Augufte jufqu'à préfent , 3 F.
Les Grands Amiraux & Généraux des Galéres ,
depuis le Regne du Roi S. Louis juſqu'à préſent
2 F.
>
Grands Maitres des Arbalêtriers , & Grands-
Maîtres de l'Artillerie de France , depuis leur origine
jufqu'à préfent , 2 F.
Portes- Oriflâmes & Colonels Généraux de l'Infanterie
Françoife , depuis leur Création jufqu'à
préfent , F.
Grands Aumôniers de France , depuis leur ori→
gine jufqu'à préfent , i F.
Grands Maîtres de France , depuis leur origine
jufqu'à préfent , 1 F.
+
Grands Ecuyers de France , depuis leur Création
jufqu'à préfent , 1 F.
Grands Chambriers & Grands Chambellans de
France , depuis leur origine jufqu'à préfent , 2 F.
Grands Bouteillers ou Grands Echanfons
Grands Panetiers , & Grands Queux de France
depuis leur Création jufqu'à préfent , 2 F.
Grands Veneurs , Grands Louvetiers & Grands
Fauconniers de France , depuis leur origine jufqu'à
préfent , 2 F.
Tous les Chevaliers Commandeurs de l'Ordre
212 MERCURE DE FRANCE.
du Saint Elprit , créés par Louis XV. du nom ร
Ve Chef de l'Ordre , jufqu'à préfent , 4 F.
Généalogie & Defcendance de l'illufire Maiſon
de Croy , F.
La Cour des Monnoyes telle qu'elle eft en là
préſente année , 1 F.
Confeillers du Roi & Quartiniers de la Ville
de Paris , depuis l'année 15oo jufqu'à préfent , F.
Carte générale des Rois & Princes de l'Europe
, 2 E.
Nobiliaire de Normandie , 2.7 F.
Nobiliaire de Bretagne , 10 F.
Nobiliaire de Picardie , 2 F.
Nobiliaire de Champagne , 4 F.
Le Grand-Confeil tel qu'il eft à préſent , 2 F.
Armorial des principales Maifons & Familles
du Royaume , enrichi de 4000 Ecuflons
leurs explications , noms de Famille & Seignen
rie , deux volumes in- 12.
:
Avertiffement.
> avec
On trouve chez ledit fieur Dubuillon toutes
ces Cartes blafonnées , en couleur , & colées fur
toile , montées avec des gorges de toures façons
ou reliées en grand Atlas ; il en finit plufieurs autres
qui paroîtront bientôt ; il fait aufli toutes les
Armes tant en or qu'en peinture. Il enteigne
TArt Héraldique ou la Science du Blafon, Il demeure
rue S. Jacques , près la Fontaine S. Benoît.
>
SIX SONNATES en Duo , travaillées pour fix
Inftrumens différens , Flûte Haut-bois , Pardellus
de Viole a cinq cordes fans aucun démanchement
, Violon , Baffon & Violoncelle , en obfervant
la Clefde Fa , qui eft pofée ſur la quatriéme
ligne , avec des fignes pour diminuer & augmenter
les fons par degrés dans les endroits neNOVEMBRE.
1760. 213
ceffaires. Compofées par M. ATYS , Maître de
Flûte. Cuvre IV . Gravées par Jofeph Renou . Prix
4 livres feize fols . A Paris , chez l'Auteur , að
Paffage de la rue Traverfiere , à celle des Bouche
ries Saint Honoré ; M. Bayard, rue Saint Honoré,
à la Régle d'or ; Madeinoifelle Caftagnerie , rue
des Prouvaires , à la Mutique Royale ; M. Le
Menue , à la Clef d'or , rue du Roule.
Pour faciliter le Baffon & le Violoncelle , on a
tranfpofé la troifiéme Sonate en ton demi , grand
pour éviter le grand nombre de bémols
qui rendroit les modulations trop difficiles dans
l'exécution.
diéze
On trouvera aux mêmes adreffes un premier
Livre du grand Duo , le fecond Livre eft en Trio ,
Solo & Duo ; le troifiéme Livre eft une Méthode
pour la Flûte , qui expliqee l'attitude & la manière
de gouverner le foufle , avec des Préludes
en conféquence , le tout du même Auteur. Avec
Privilége du Roi,
LES FAVEURS DU SOMMEIL , Cantatille à voix
feute , avec Symphonie , dédiée à M. Te Marquis
DE BRASSAc , Lieutenant Général des Armées
du Roi , Commandeur de l'Ordre Royal & Milifaire
de Saint Louis , compofée par M. PIZET
l'aîné , Maître de Mufique du Concert de Caen ,
gravée par Labaffée. Prix trente-fix fols. A Caen
chez l'Auteur , rue Saint Pierre , vis- à- vis celle
des Teinturiers. A Paris , aux adreſſes ordinaires
de Mufique , & chez M. Dâton , rue Beaubourg ,
la porte cochere vis- à-vis le cul de-fac des Anglois,
Cire épilatoire.
Le fieur Peronet fait une cire épilatoire pour
dégarnir les fourcils ; le front , les joues , les bras
& les mains qui font trop couverts & chargés de
poils.
214 MERCURE DE FRANCE.
Il a établi fon Bureau chez le fieur Malivaire ,
Marchand Parfumeur , rue Bar -du- Becq , près
S. Merry.
Le Prix eft de 3 liv. & de fix liv . la douzaine : il
donne par écrit la manière de s'en fervir.
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier, ΑΙ
de Mercure du mois de Novembre 1760 , & je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 30 Octobre 1760. GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE,
ARTICLE PREMIER.
PROMETHE ROMETHEE , Poëme ,
Pagé s
ADIEU aux Muſes . Epître adreffée à M Brunet
à S. Cloud , par Madame Guibert ,
Auteur de l'Homme Heureux .
VERS préfentés par Mlle D.B.à M.fon Pére,
au jour de fa fète.
ODE , fur Marly.
CARACTERES.
A MLLE Puvignée , fur fa ' retraite de l'Académie
Royale de Mufique.
REPLIQUE à Madame D ** C ... fur ce qu'on
avoit fait une querelle à l'Auteur, d'avoir
fait des Vers pour elle.
LETTRE fur les rimes croiſées dans les Vers
Alexandrins , & fur l'unité de lieu. L
9.
ibid.
II
17
19
23
NOVEMBRE 1760. 215
VERS , à la mémoire de mon Ami.
VERS à Mlle Clairon , jouant le Rôle d'Aménaïde
, dans la Tragédie de Tancrède.
BOUQUET.
FANNY , Nouvelle Angloife.
ENIGMES.
LOGOGRYPHE.
CHANSON .
36
37
38
39
I
62863
64
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRES de M *** . Extrait. 68
EFFETS de l'air fur le
corps humain , confidérés
dans le fon , ou Difcours fur la nature
du Chant . Extrait.
MON Odyffée, ou Journal de mon retour de
Saintonge. Poëme à Chloé. Extrait.
LETTRE à M. de la Louptiere.
NOUVELLE Expofition du Plan des traits de
Hiftoire univerfelle , facrée & profane ,
d'après les plus grands Peintres & les
meilleurs Ecrivains , dédiés à Mgr le Duc
de Bourgogne.
LETTRE à M. *** , fur un nouveau bandage
élaftique , pour guérir l'hydropifie du fac
lacrymal.
ANNONCE des Livres nouveaux .
74
81
89
96
IIO
122 &fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
ACADÉMIE S.
SEANCE publique de la Société Littéraire de
Châlons-fur- Marne.
PRIX proposés par l'Académie Royale des
Sciences , Infcriptions & Belles-Lettres de
Toulouſe.
SENTIMENT de feu M. du Marfais , fur les
Noms de nombre confidérés par rapport
à la Grammaire.
124
126
131
216 MERCURE DE FRANCE.
ADDITION , où l'on répond à des objections
faites contre l'écrit précédent.
LETTRE à Monfeigneur le Prince Frédéric
de Salm , fur un Phénomène obfervé en
Normandie.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARCHITECTURE .
RÉPONSE à la Lettre de M..... fur l'Architeeture
, inférée dans le premier Volume de
Juillet dernier .
PHYSIQUE.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure .
ÉTABLISSEMENT d'une École de la Guerre ,
par le fieur de Gournai , Ingénieur.
MUSIQUE .
GRAVURE.
137
143
146
151
157
162
165
CATALOGUE des Eftampes gravées d'après les
Tableaux des plus grands Maîtres & c . par
le fieur Lebas , Graveur du Cabinet du
Roi , & de fon Académie Royale. 167 &fuiv.
BOTANIQUE , Agriculture & Commerce.
OPERA.
ART. V. SPECTACLES.
179
181
COMÉDIE Françoife. ibid.
COMÉDIE Italienne. ibid.
ART. VI. Nouvelles Politiques. 183
HÔPITAL de M. le Maréchal Duc de Biron . 203
LETTRE de M. **** 207
De l'Imprinierie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis- à-vis la Comédie Françoife .
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
DECEMBRE . 1760 .
Diverjité , c'eft ma devife. La Fontaine.
Cos'in
Stive inve
PupillenSculp 1775
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis- à-vis la Comédie Françoife.
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU, quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilège du Roi,
216 MERCURE DE FRANCE
ADDITION , où l'on répond à des objections
faites contre l'écrit précédent.
LETTRE à Monfeigneur le Prince Frédéric
de Salm , fur un Phénomène obſervé en
Normandie.
ART. IV. BEAUX - ARTS.
ARCHITECTURE.
RÉPONSE à la Lettre de M..... fur l'Architeeture
, inférée dans le premier Volume de
Juillet dernier.
137
143
146
PHYSIQUE.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure .
ÉTABLISSEMENT d'une École de la Guerre ,
par le fieur de Gournai , Ingénieur.
MUSIQUE .
GRAVURE.
151
157
162
165.
CATALOGUE des Eſtampes gravées d'après les
Tableaux des plus grands Maîtres &c. par
le fieur Lebas , Graveur du Cabinet du
Roi , & de fon Académie Royale . 167 &fuiv.
BOTANIQUE , Agriculture & Commerce.
ART. V. SPECTACLE S.
179
181
OPERA.
COMÉDIE Françoiſe.
ibid.
COMÉDIE Italienne .
ibid.
ART. VI. Nouvelles Politiques. 183
HÔPITAL de M. le Maréchal Duc de Biron. 203
LETTRE de M. **** 207
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
Iue & vis- à- vis la Comédie Françoife.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
DECEMBRE . 1760 .
Diverjité , c'est ma devife. La Fontaine.
Chez
Cos'sin
Jivesinve
ErpilleySculp
A PARIS ,
CHAUBERT, rue du Hurepoix.
JORRY , vis à-vis la Comédie Françoife.
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi,
216 MERCURE DE FRANCE
ADDITION , où l'on répond à des objections
faites contre l'écrit précédent.
LETTRE à Monfeigneur le Prince Frédéric
de Salm , fur un Phénomène obfervé en
Normandie.
ART. IV . BEAUX - ARTS.
ARCHITECTURE.
RÉPONSE à la Lettre de M..... fur l'Architeeture
, inférée dans le premier Volume de
Juillet dernier.
137
143
146
PHYSIQUE.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure.
ÉTABLISSEMENT d'une École de la Guerre ,
par le fieur de Gournai , Ingénieur.
MUSIQUE .
GRAVURE.
ISI
157
162
165.
CATALOGUE des Eftampes gravées d'après les
Tableaux des plus grands Maîtres &c . par
le fieur Lebas , Graveur du Cabinet du
Roi , & de fon Académie Royale . 167 &fuiv.
BOTANIQUE , Agriculture & Commerce.
ART. V. SPECTACLE S.
179
OPERA.
181
COMÉDIE Françoife. ibid.
COMÉDIE Italienne. ibid.
ART. VI. Nouvelles Politiques. 183
HÔPITAL de M. le Maréchal Duc de Biron . 203
LETTRE de M. ****
207
De l'Imprinierie de SEBASTIEN JORRY ,
ruë & vis- à-vis la Comédie Françoiſe.
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
DECEMBRE . 1760 .
Diverjité , c'eft ma devife . La Fontaine.
Corin
Jus inve
BurgilleySculp
Chez
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis à-vis la Comédie Françoife.
PRAULT, quai de Conti.
DUCHESNE, rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins .
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilège du Roi,
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis aù
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch, à côté duSellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreſſer , francs
de port , les paquets & lettres , pour remettre
, quant à la partie littéraire , à
M. DE LA PLACE Auteur du
Mercure.
"
Le prix de chaque volume eft de 36fols,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols pièce.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
faire venir,ou qui prendront lesfrais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
c'eft-à- dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers , qui voudrone faire venir les
Mercure , écriront à l'adreffe ci- veffus.
A ij
Onfupplie les perfonnes des provinces
d'envoyer par la pofte , en payant le droit,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement enfoit.
fait d'avance au Bureau .
Les paquets qui ne feront pas affranchis,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoyent des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
Le Nouveau Choix de Pièces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
DE LA PLACE , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
MERCURE
DE FRANCE.
DECEMBRE . 1760.
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
EPITRE.
A Mile de *** qui avoit approuvé des
Vers de l'Auteur fur une Matière Philofophique
& c.
E
H quoi, jeune Aglaé, vos yeux ouverts àpeine
A la clarté du flambeau de l'Amour,
Qui vous promet une Aurore certaine ,
Se détournent d'un fi beau jour !
Je les vois s'attacher fur une fombre image ,
Sur des Vers , triftes fruits de la réfléxion ,
A iij
6. MERCURE DE FRANCE.
Trop fidéles tableaux du malheureux partage
De l'humaine condition !
Eh ! depuis qua nd les Grâces moins riantes ,
Ont-elles cherché l'ombre & l'horreur des tom
beaux ?
Allez , volez fous ces berceaux ,
Couronnés de rofes naiffantes ,
Où vous portent , des jeux , les aîles careffantes ,
Où des Amours le voltigeant éffain ,
Avec des tranfports d'allégreffe,
Des guirlandes de fleurs , & l'encens à la main,
Vous attend comme la Déeffe
Qui doit fixer leur hommage incertain .
Aglaé , ce n'eft point à Flore ,
De regarder l'Hyver , & les glaçons affreux ;
On ne voit point la jeune Aurore ,
Sur la nuit tourner fes beaux yeux.
ouiffez de l'heureux preſtige
Qui flatte vos goûts innocens;
Tout prend pour vous , les attraits du prodige:
Vous ne voyez que jeux , Grâces , enchantemens >
Des Cieux toujours fereins , un éternel Printemps.
L'Amour eſt un enfant aimable ,
Qui vous place avec lui ſur uu trône de lys ;
La moindre fleur répand un parfum agréable ,
Et s'embellit d'un riche coloris ;
Le moindre oiſeau vous femble le Phénix
Ila du roffignol le gofier admirable ;
DECEMBRE. 1760 .
Que 'dis-je? un papillon emporte vos defirs ;
Tout l'univers entier confpire à vos plaifirs.
Vous avez la ces brillantes féeries,
De l'efprit qui s'amufe aimables rêveries ....
Vous riez , Aglaé ! ces contes enfantins ,
Sont l'Hiftoire de nos deftins :
La Nature , eft la bonne Fée.
Qui fur votre route enchantée
ร
Répand fes diamans , fon or à pleines mains ,
Vous bâtit des Palais , vous orne des jardins.
La malfaifante Fée , eft la Raiſon cruelle ;
C'eft elle qui viendra détruire ce bonheur ,
Qui ne vous laiffera pour ce Ciel enchanteur ,
Pour ces bois , ces palais qu'en vain l'âme rappelle,
Chére & délicieuſe erreur ,
Qu'un immenfe défert que parcourt la douleur.
Aglaé , croyez-moi , d'une main complaifante
Vous-même fur vos yeux abaiffez le bandeau
Qu'un doux menfonge vous préfente ;
Du Sentiment fuivez le magique flambeau ;
Laillez-vous entraîner à fa facile pente ;
La Nature conduit les traits de fon pinceau :
A votre jeuneffe brillante ,
Il n'offre qu'un riant tableau.
N'écoutez point cette Raiſon avare ,
Qui fe plaît à nous appauvrir :
".
Le Sentiment quelquefois nous égare ,
A iv
1 MERCURE DE FRANCE.
Mais toujours il méne au plaifir.
Entretenez la douce ivreffe ;
Et dans la glace enchantereffe ,
L'ouvrage même des Amours ,
Dans ce miroir flatteur , qu'à vous fervir fidéles
Ces Dieux de fleurs embelliffent toujours ,,
Et vous apportent fur leurs alles ,
Aglaé , ne voyez que vos grâces nouvelles ,
Et le régne de vos beaux jours.
Repouffez cet écrit où la Raifon noircie
Des plus fombres vapeurs de la mélancolie ,
Vante Caton , & ſon ſtoïque éffort.
Qui , comme vous , fçait faire aimer la vie,
Doit rejetter l'éloge de la mort.
Lifez ces Vers que l'Amour grave encore
Sur des myrthes facrés vainqueurs des temps ja
loux ;
Rempliffez votre coeur de ces accens fi doux
De Pétrarque, da Taffe : ils vous parlent de Laure,
De la divine Armide , ils vous parlent de vous
Eloigné de vos yeux ( ces Aftres de ma vie ! )
De la Mort entouré , pleurant fur un cercueil ,
J'emprunte à la plaintive & lugubre Elégie
Sa lyre gémiffante , & fon funébre deuil .
Mais lorfque d'Aglaé l'âme toute remplie ,
DECEMBRE. 1760.
A fes genoux je puis être un infant ;
D'Ovide j'ai le luth galant ,
Et vous avez les charmes de Julie.
ParM. d' ARNAUD , Confeiller d'Ambaffade de
S. M. le Roi de Pologne , Electeur de Saxe.
SAT PULCHER , QUI SAT BONUS ,
FABLE.
Par Madame du M....
Qui , des Dieux reçut en partage ,
Coeur droit , efprit jufte , bonté ,
A tout l'éclat de la beauté ,
Dut préférer cet avantage.
Le bon eſt toujours affez bean ,
Et Phédre avec grâce l'explique ,
Dans l'apologue véridique ,
Dont il nous offre le tableau.
Chéris tous deux avec tendreffe ,
D'un pére rempli de douceur ,
Un adoleſcent & fa fæeur ,
Compofoient toute la richeffe.
Du garçon l'afpect enchanteur
Forçoit tous les coeurs à fe rendre ,
Et de la fille la laideur ,
Pouvoit à peine ſe comprendre.
A v
10 MERCURE DE FRANCE..
Un jour , que fans l'appercevoir ,
On avoit laiffé le miroir
De leur maman , par avanture ;
.. Frappé, ravi , de ſa figure ,
Le bel enfant fe pavannoit
Près de fa foeur , & la railloit :
Elle gémit de cette injure ....
Alors , dans les embraſſemens ,
Les uniflant avec tendreſſe ,
Le pére dit : ô mes enfans !
Je veux que tous les deux fans ceſſe
Vous vous regardiez au miroir ;
Vous mon fils , pour bien concevoir
A quel point vous feriez coupable ,
Si par quelques vices honteux
Vous deveniez jamais capable
De ternir l'image des Dieux ;
Et toi , ma fille , pour conclure
Que tu ne sçaurois éffacer
Les outrages de la Nature ,
Que par une âme noble & pure ,
Capable de tout réparer.
VERS à Mlle CATINON
la Comédie Italienne.
Actrice de
Vous dont les talens & les charmes,
Fixent de tous les coeurs les defirs & le choix
DECEMBRE. 1760 . II
Aimable Catinon , le mien vous rend les armes ;
L'amour, par vos beaux yeux , l'a foumis à fes loix.
Vous êtes de ce Dieu le plus parfait ouvrage.
Hélas ! de mes tranſports il fçait la vérité :
Daignez agréer leur hommage;
Le Ciel , le Ciel jaloux n'en peut être irrité.
Quand on a du reſpect pour la Divinité ,
On doit adorer fon image,
Par M. D ... de N ...
LE VER LUISANT ,
FABLE.
UN ver luifant , dans le fond d'un jardin ,
Jettoit une foible lumiére :
Il éclairoit pourtant toute une fourmilliére
Qui l'admiroit comme un Etre Divin
Enorgueilli de voir qu'on l'idolâtre ,
Il veut briller fur un plus grand théâtre.
Bientôt traverſant le jardin ,
Guidé par fon audace vaine ,
Dans un fallon voifin
A grand-peine il ſe traîne.
Là des luſt res brillans ſuſpendus au lambris ,
Offufquent les yeux éblouis .
Il fe remet pourtant , ôſe lever la crêté :
Mais c'eſt là que fa mort s'apprête ;
Du Phoſphore rampant l'éclat a diſparu.
A vi
12 MERGURE DE FRANCE:
En vain il dreffe & la queue & la tête :
L'Infecte eft écrasé , fans même être apperçu.
Que de gens d'un mérite mince ,
Vantés , pronés dans leur pays ,
Quittent tous les jours leur Province
Pour éffuyer même fort à Paris !
Par M. Abbé de V ****
VERS au Docteur NOVELLO , Médecin .
T.
Italien.
N
u n'aurois point quitté les Romains d'autre
fois ;
Mais la France aujourd'hui doit être ta Patrie :
L'âme de leurs héros a paffé dans nos Rois ,
Et celle d'Efculape anime ton génie.
Par Madame GUIBERT de F.
ÉPITRE ,
...
M. P.. Receveur des Domaines du Roi
á V..
Vous , qui joignez un caractére égal ,
Aux grâces du Dieu de Cythère ;
Vous , dont l'eſprit eft partout fûr de plaire ;
Apprentif Fermier Général ,
Que Plutus favoriſe , & que Phébus éclaire :
Quand viendrez-vous me voir dans le triſte ſéjour
DECEMBRE. 1760 13
Où je fais maintenant ma demeure ordinaire ,
Loin des plaifirs & de l'amour ?
A vous parler fans fard , & fans plaifanterie,
L'aimable Volupté , cette fille chérie
D'Anacréon & de Chaulieu ,
Et dont Paris eſt la Patrie,
N'a jamais paſſé dans ce lieu .
On n'y connoît point la moleffe ,
Les repas fins , les vins délicieux ,
Les propos brillans & joyeux ,
Ni cette indolente pareffe
Que vous étalez à mes yeux ,
Et que j'imite tout au mieux ,
Mais que je condamne fans ceffe :
Morphée eft fans pouvoir fur ces bords ennuyeux.
A peine d'une main divine
A-t-il verſé ſur nous cent pavots merveilleux ,
Qu'un éffain affamé d'infectes odieux ,
Nous pique , nous éveille , enfin nous affaffines
Et nos biens les plus précieux ,
Sont lits chauds , & froide cuiſine .
Nous vivons de fromage & de quelques oeufs frais
Le Dimanche & les grandes Fêtes ,
Avec du lait & des noiſettes ,
Nous formons des repas plus fobres que parfairs 3
La Nature dans ces retraites
Ne nous fournit point d'autre mets,"
On y trouve , par avanture ,
Des harangs fors , du porc falé,
4 MERCURE DE FRANCE.
!
Avec un pain noit & brûlé :
Voilà , depuis un mois , quelle eft ma nourriture !
Méprifant des grandeurs le pompeur appareil ,
Affez paisiblement je pafferois ma vie ,
Si je pouvois dormir au gré de mon envie ,
Et dérober ma tête aux ardeurs du Soleil .
Tout lejour enfermé dans une grotte obfcure ,
Et couvert de mauvais haillons ,
Je reffemble à ces penaillons ,
Dont l'embonpoint relève une trifte figure.
A peine Phébus a paffé
Dans le vafte fein d'Amphitrite ,
Que fortant du trou que j'habite ,
Je traîne mon corps haraffé ,
Non dans un parc fuperbe & bien percé ,
Mais fur deux arides collines ,
Où plus d'une fois j'ai laiffé
La moitié de mes bas à travers les épines.
Vous que j'ai Louvent invité
A venir me trouver dans ce féjour ruftique ,
Ceffez de vous armer d'un front philofophique ,
Pour combattre la Volupté :
Suivez le doux penchant qui vous guide vers elle
Ne laiffez point étouffer vos defirs
Aux préjugés , ennemis des plaifirs :
Au Dieu d'Amour foyez toujours fidéle ,
Mais bornez-vous à d'utiles foupirs.
Semblable au papillon volage ,
Soyez preffant , tendre , léger:
DECEMBRE. 1760.
La conftance eft un esclavage ,
L'inconftance un doux badinage :
Sâchez à propos voltiger ;
Un coeur facile à s'engager ,
En plaît quelquefois davantage ,
Et vous êtes dans l'heureux age ,
Où l'on doit aimer pour changer.
Envain dans ce charmant lage ,
La vertu trouve du danger ;
En amour il faut abréger :
Le moins fidéle eft le plus fage.
J'ai fuivi le ſexe enchanteur ,
Que le Sage refpecte & que le Fat mépriſe ,
Tantôt fier , tantôt foible & toujours féducteur ;
Par un regard perçant , par un fouris flatteur ,
Il nous fubjugue , il nous maîtriſe ;
Erquandfur nos efprits il commande en vainqueur,
Il nous careffe par faveur ,
Et par goût-il nous tyranniſe.
Mais comme fans ce fexe il n'eft point'debonheur 3
En matiére d'amour & de galanterie ,
Il faut gagner de primauté ,
Quitter de peur d'être quitté,
Et prévenir la tromperie.
Eloigné du grand monde , iſolé dans ce bois ,
Je brave les artraits & l'empire funeſte
D'un Dieu qui tient la terre affervie à fes loix ;
Et fous fon joug cruel , qu'à bon droit je déteste ,
Il ne me verra plus captif comme autrefois..
16 MERCURE DE FRANCE.
Gardez- vous cependant d'imiter mon exemples
Sacrifiez fur les autels :
Malgré le luxe des Mortels >
La vertu quelquefois habite dans fon temple.
Mais il faut raffurer vos efprits allarmés ;
Heft temps de finir... je fens que je m'égare ;
Mes yeux appefantis font à demi fermés :
Minuit fonne ; & l'éflain d'infectes affamés ,
A me dévorer fe prépare .
Par M. FRANÇOIS , ancien Cornette de Cavalerie:
CRIZÉAS ET ZELNIDE.
Traduction du Grec.
A MADAME A. D. R.
MADAME,
Je dirois bien que vous reffemblez à
Zelnide , dont j'écris l'Hiftoire , car elle
avoit une belle âme & des grâces touchantes
; mais vous avez de plus cet efprit
aimable & délicat qui lui manquoit ,
parce qu'elle étoit fimple bergère . Agréez
toutefois ce foible éffor d'une plume que
vous avez daigné encourager. Si Zelnide
peut vous faire verfer une larme , j'aurai
DECEMBRE. 1760. 17
réuffi. Je fuis avec un très- profond ref
pect , Madame , &c .
NoN , Amour , je ne t'implore point
pour raconter à nos Bergers la malheureufe
hiftoire de Crizéas & de Zelnide
Ne conduis point ma voix , dans un auffi
triſte récit. Laiſſe - moi , cruel , je ne veux
pas que tu m'infpires . Mon deffein n'eſt
pas de charmer les coeurs : mais je veux
que tout le hameau fonde en larmes , &
pour cela , ne me fuffit -il pas de pleurer
Bergers & Bergères , vous voyez que le
Soleil eft au milieu de fa courfe , que
fes rayons ardens défféchent les prairies ,
& font mourir cette verdure qui animoit
nos campagnes : Laiffez vos troupeaux
pour quelques inftans. Les brebis fatiguées
font couchées fur l'herbe aride , &
Te chien fidéle fait la garde en halerant autour
d'elles. Venez , fuivez moi dans ce
petit bois ; & fi vous aimez à être attendris,
écoutez le récit que je vais vous faire.
*
Ainfi parloit Philémon. Chacun laiffa
tomber la houlette. On le fuivit en foule
dans le petit bois. Il fe forma un cercle
autour de lui ; & lorfqu'il vit tout le mon
de en filence , il reprit ainfi la parole.
Zelnide étoit fi belle , que je n'ofe
prèfque décrire fes charmes. Je ne puis
18 MERCURE DE FRANCE.
J
cependant réfifter au penchant qui m'entraîne
à vous en donner une idée. Sa taille
étoit parfaite : On y obfervoit toutes
ces belles proportions que la Nature faifit
quand elle veut , & que l'art imite quelquefois.
Ses longs cheveux , qui flottoient
en boucles fur fes épaules , & couvroient
une partie de fon ſein, étoient de ce beau
blond cendré , la vraie couleur desBeaurés
touchantes. Sa figure portoit cette
Jégére teinte de mélancolie , qui fert ordinairement
à intéreffer davantage. Elle
étoit à la fois douce & fine , tendre & modefte
: chofes qui ne ſe rencontrent prèſque
jamais , & qui n'appartiennent qu'aux
grâces. Pour les yeux , je ne puis bien
vous dire ce que c'étoit que fes yeux
.
en échappoit quelquefois un fourire.
Je ne puis bien vous dire encore ce que
c'étoit que ce fourire : mals l'enſemble de
fa tête étoit je ne fais quoi de divin , de
délicat , de gracieux , qui porte le trouble
jufqu'au fond de l'âme la moins fenfible ,
& en arrache des foupirs. Avec tout cela ,
la beauté de Zelnide étoit le moindre
de fes attraits : fon âme développoit à
chaque inftant de nouveaux charmes. La
naïveté , la candeur , l'honnêteté , Pinnocence
, l'extrême fenfibilité , en formoient
le caractère. En un mot , rien ne
II
DECEMBRE. 1760. 19
reffembloit plus à fa figure que fon âme ;
& c'eft cette heureufe conformité que la
Nature donne , quand elle fait un chefd'oeuvre.
Crizéas, étoit bien fait ; il avoit la phyfionomie
aimable & intéreffante , l'efprit
jufte , l'âme honnête & fenfible. Il ref
fembloit prèfqu'à Zelnide , fi on avoit pu
lui reffembler. Il étoit digne d'elle , fi
jamais aucun Mortel avoit pû l'être .
Vous voyez que ces deux créatures
étoient faites l'une pour l'autre. Crizéas
& Zelnide n'habitoient pas le même hameau
, mais il y avoit peu de diftance entre
leurs demeures . Ils fe virent à une
de ces Fêtes , où la joie naïve , en fe communiquant
, invite les habitans de plufeurs
cantons à fe réunir dans un feul
pour y former des danfes & des concerts
champêtres . Ils cherchérent à fe connoître
, parce qu'ils s'aimoient déja ; & dès
qu'ils fe connurent , ils s'aimerent davantage.
La douce familiarité devenant peuà-
peu l'âme de leur entretien , le Berger
avoua fon amour. La Bergére rougit &
fe troubla . Il s'en apperçut , fe jetta aux
genoux de Zelnide , & cacha fa tête dans
les plis de fa robbe , qu'il mouilloit de
pleurs. Zelnide fe troubla encore. Un
profondfoupir qu'elle jetta , comme pour
20 MERCURE DE FRANCE.
fe délivrer d'un fardeau qui accabloit fon
ame , fit lever la tête de Crizéas . Il vit
une autre tête panchée vers la fienne , &
quelques larmes tomber de deux beaux
yeux qui reftoient languiffamment attachés
fur lui. Il fe leva , il embraffa fon
Amante ; & ce beau moment fut le triomphe
de l'amour.
Dès-lors il ne fut plus queftion entr'eux,
que de s'unir pour jamais. Crizéas prépara
fa retraite pour y recevoir fon Amante
& fon époufe. On choifit un beau jour
d'été pour célébrer leur union , & ce fut
auhameau de Zelnide que cette Fête fe fit.
Il y eut des feftins , des concerts & des
danfes tout le jour & toute la nuit . Vers
le milieu de cette nuit , Crizéas s'étant
approché de Zelnide , lui dit en fouriant
, qu'elle avoit befoin de repos , &
qu'il étoit temps de partir. Il lui prit
la main ; elle rougit & fe laiffa entraîner.
Ils fortirent de l'affemblée & du hameau
, fans être vûs de perfonne.
L'heureux Crizéas , fentant le bras de
fa Zelnide appuyé fur le fien , & tout
fier de ce précieux fardeau , tantôt lui
faifoit doubler le pas pour arriver de bonne
heure , tantôt la faifoit arrêter pour
avoir le plaifir de la confidérer. L'aimable
pudeur de la Bergère , fon teint ani¬
DECEMBRE, 1760 , 25 •
mé des plus vives couleurs , & par les
plaifirs qu'elle avoit pris , & peut -être par
l'éfpoir de ceux qui alloient fuivre , un
ajuftement fimple & galant , un certain air
de liberté modefte , qui n'eft autre chofe
que l'effet de cette fécurité dans le plaifir
lorfque l'innocence en eft l'âme , la
fraîcheur de la nuit , & ce demi-jour que
produit un beau clair de Lune ; tout concouroit
à rendre Zelnide plus belle &
plus touchante que jamais. Encore une
demi- heure au plus , elle fe voyoit dans
les bras de fon époux , & tous deux alloient
être heureux.
Cependant le Ciel s'obfcurciffoit : les
nuages s'étoient amoncelés , & portoient
dans leur fein ces matiéres éthérées , le
germe des orages & des tempêtes. Les
éclairs commençoient à enflammer l'horifon
. On entendoit même , dans le lointain,
le murmure fourd de la foudre . Toutà-
coup un vent furieux ſe déchaîne , part
du Sud , & pouffe les nuages avec rapi,
dité. Bientôt tout l'atmosphère ne préfente
plus aux yeux que de noirs grou
pes de nuées ; les éclairs brillent plus
fréquemment le Ciel eft embrafé , &
femble s'entr'ouvrir ; la grêle & la pluie
tombent avec un bruit horrible : Toute
la Nature gémit. O ! tendres & infortu
22 MERCURE DE FRANCE:
nés Amans ! que ferez-vous
vous devenir ?
qu'allez-
Grands de la Terrè , habitans faftueux
des Cours & des Villes , l'induftrie humaine
s'eft épuisée pour vous feuls ! Vous
foumettez la Nature à vos ordres : les
Elémens ne peuvent le déchaîner contre
vous ; & tandis que l'on vous traîne nonchalamment
dans des chars dorés , le fimple
Villageois fe trouve expofé aux injures
du temps , & à l'intempérie des Saifons.
Il eft vrai que vous n'avez pas tout
envahi ; vous lui avez laiffé l'innocence
& l'heureufe tranquillité qui la fuit toujours.
Crizéas & Zelnide , ne peuvent continuer
leur chemin ; nulle retraite où ils
puiffent fe réfugier. Ils courent s'enfon
cer dans la forêt voifine , & s'afléient
fous un arbre touffu , où la pluie n'avoit
pas encore pénétré.
Que ne puis- je vous rendre tout ce qui
fe paffoit alors dans les âmes de ces deux
époux ! Que ne puis - je vous peindre & la
tendre inquiétude de Zenilde , & la fage
fermeté de Crizéas , & les mouvemens
paffionnés de tous deux ! La foudre grondoit
& éclatoit avec un fracas épouvantable.
Les éclairs , qui brilloient & dif
paroiffoient tour-à- tour, faifoient de cette
*
DECEMBRE. 1966. 23
folitude affreufe , tantôt un vafte embrafement
, tantôt une caverne obfcure. Crizéas
foupiroit;Zelnide pleutoit. Hélas! difoit-
elle,avant de te connoître, avant que
d'être à toi , je n'ai jamais craint la mort ;
je n'aurois jamais tremblé pour mes jours,
& je tremble à préfent pour les tiens &
pour les miens. O , mon cher Crizéas !
O , toi que j'adore , toi , l'âme de ma
vie ! Dis-moi fi la mort n'eft pas affreufe
pour deux êtres qui s'aiment , qui fe le
difent en liberté , & qui peuvent fe le
prouver fans crime ? L'amour double ,
fans doute , les plaifirs de la vie ; mais
je fens bien qu'il en double auffi les peines.
Non , Crizéas , je n'ai plus de fermeté
Je ne voudrois plus mourir.
Chére Zelnide , répondoit- il , à quoi
ofez-vous penfer écartez , je vous en
conjure , ces noires idées qui obfcurciffent
votre âme .... Va , Zelnide , croismoi,
le Ciel en te créanta fait un trop bel
ouvrage , pour en vouloir déjà la deftruc
tion . La foudre gronde également fur
tous les hommes ; mais elle ne frappe
que les têtes coupables. Nous fommes
innocens , Zelnide , pourquoi veuxtu
que nous foyons punis Aurionsnous
commis un crime en nous aimant ?
Non , fans doute , nous avons rempli
22 MERCURE DE FRANCE:
nés Amans ! que ferez-vous ? qu'allezvous
devenir?
Grands de la Terre , habitans faftueux
des Cours & des Villes , l'induftrie humaine
s'eft épuisée pour vous feuls ! Vous
foumettez la Nature à vos ordres : les
Elémens ne peuvent le déchaîner contre
vous ; & tandis que l'on vous traîne nonchalamment
dans des chars dorés , le fimple
Villageois fe trouve expofe aux injures
du temps , & à l'intempérie des Saifons.
Il eft vrai que vous n'avez pas tout
envahi ; vous lui avez laiffé l'innocence
& l'heureufe tranquillité qui la fuit toujours
.
Crizéas & Zelnide , ' ne peuvent continuer
leur chemin ; nulle retraite où ils
puiffent fe réfugier . Ils courent s'enfon
cer dans la forêt voifine , & s'afléient
fous un arbre touffu , où la pluie n'avoit
pas encore pénétré.
Que ne puis- je vous rendre tout ce qui
fe paffoit alors dans les âmes de ces deux
époux ! Que ne puis- je vous peindre & la
tendre inquiétude de Zenilde , & la fage
fermeté de Crigéas , & les mouvemens
paffionnés de tous deux ! La foudre grondoit
& éclatoit avec un fracas épouvantable
. Les éclairs , qui brilloient & dif
paroiffoient tour -à-tour, faifoient de cette
DECEMBRE. 1766. 23
folitude affreufe , tantôt un vaſte embrafement
, tantôt une caverne obfcure. Crizéas
foupiroit;Zelnide pleutoit. Hélas ! difoit-
elle, avant de te connoître, avant que
d'être à toi , je n'ai jamais craint la mort ;
je n'aurois jamais tremblé pour mes jours,
& je tremble à préfent pour les tiens &
pour les miens. O , mon cher Crizéas !
O, toi que j'adore , toi , l'âme de ma
vie ! Dis-moi la fi mort n'eft pas affreuſe
pour deux êtres qui s'aiment , qui fe le
difent en liberté , & qui peuvent fe le
prouver fans crime ? L'amour double ,
fans doute , les plaifirs de la vie ; mais
je fens bien qu'il en double auffi les peines.
Non , Crizéas , je n'ai plus de fermeté
Je ne voudrois plus mourir .
Chére Zelnide , répondoit-il , à quoi
ofez-vous penfer écartez , je vous en
conjure , ces noires idées qui obfcurciffent
votre âme .... Va , Zelnide , croismoi,
le Ciel en te créanta fait un trop bel
ouvrage , pour en vouloir déjà la deftruc
tion. La foudre gronde également fur
tous les hommes ; mais elle ne frappe
que les têtes coupables. Nous fommes
innocens Zelnide pourquoi veuxtu
que nous foyons punis Aurionsnous
commis un crime en nous aimant ?
Non , fans doute , nous avons rempli
,
24 MERCURE DE FRANCE.
le voeu de la Nature. Et plût au Ciel
que cette terre ne fût habitée que par
des créatures telles que nous ! On ne la
verroit jamais fouillée du fang des hommes.
Je fais , Zelnide , que le moment
le plus affreux pour deux Amans , eft celui
de leur féparation : ` mais la fuprême
Intelligence éloignera ce moment , &
voudra que nous vivions tous deux.
1
En parlant ainfi , Crizéas embraffoit
fon époufe ; il lui faifoit de tendres reproches
fur la triſteſſe . Non , diſoit- il , en
la regardant fixement , tu ne m'aimes.
point , ou tu oublies que Crixéas t'adore ,
que tu es à lui pour jamais , & que tes
bras vont bientôt s'ouvrir pour le recevoir.
... Ah ! Zelnide , fi tu favois aimer
! ... Si tu favois ce que c'eft qu'un
amant vertueux qui devient époux ! ...
Tu m'accables, interrompoit- elle : éprouves-
tu quelque plaifir à affliger ainſi mon
âme ? Tu ofes me dire , cruel , que je ne
fais pas aimer , moi qui ne veux vivre
que pour toi. Eh bien , viens , ô l'amant
le plus chéri qui fut jamais ! Une force
inconnue m'éléve en ce moment au- deffus
de moi- même : Viens , tenons - nous étroitement
embraffés ; & fi la foudre doit
éclater fur nous , qu'elle nous confume
tous deux ? & que nous périffions enfemble.
Alors
DECEMBRE. 1760. 20
Alors les bras des deux Amans s'étendirent
; ceux de Crizéas le croiférent autour
du corps de Zelnide ; elle paffa les
fiens autour du cou de Crizéas , & pola
doucement fa tête fur fon fein. Dans cette
attendriffante fituation , la frayeur de
Zelnide fe calma , & fa tendreffe pour
Crizéas fut le feul fentiment qui lui refta.
Pendant qu'ils foupiroient ainfi leurs
peines & leurs plaifirs ; la nue s'ouvre ,
un globe de feu s'échappe du brûlant
atmoſphère , vole & tombe en éclatant
aux pieds des deux Amans : l'air d'alentour
eft infecté ; tout fe corrompt , tout
fe détruit. Soit par un fimple mouvement
de furpriſe & de frayeur , foit par cet
inftinct obfcur & rapide que la Nature a
donné à l'homme pour la confervation
de fa vie , & qui veille à cette conſervation
avant que l'homme ait le temps
de vouloir , Crizéas & Zelnide ceffent
tout- à- coup de fe tenir embraffés . Zelnide
jette un cri perçant , & Crizéas tombe
évanoui à quelques pas d'elle.
Trop heureux , hélas , s'il eût pû mourir
! Il revint à lui quelques momens
après , croyant être refté longtemps dans
cette efpéce d'anéantiſſement.
L'orage s'étoit diffipé ; l'air étoit des
yenu plus pur ; le Ciel commençoit à re-
B
26 MERCURE DE FRANCE
prendre fa premiere férénité ; & toute la
Nature qui , un inftant auparavant fem
bloit mourir , reprenoit déjà une nouvelle
vie. L'infortuné Crizéas tourne les
yeux fur fa Zelnide , en admirant ce beau
calme . Il la voit telle qu'il l'avoit quit
tée , affife fur le gazon , le dos appuyé
contre le tronc de l'arbre , la tête panchée
de fon côté ; mais paroiffant plongée
dans un profond fommeil. L'affou
piffement qu'il venoit d'éprouver lui- même
lui avoit ôté fes forces & prèſque ſa
raifon. Il appelle Zelnide .
Elle
ne répond point. Zelnide , s'écria- t -il ,
quoi , vous ne m'entendez plus ? Vous
étiez tranquille ! Vous dormiez au milieu
des horreurs qui nous environnoient !
Vous laiffiez votre Amant fans fecours !
Et vos mains , ces mains qui font à lui ,
que vous lui avez abandonnées tant de
fois , qui ont ferré fa tête contre votre
fein , n'ont point été employées à rappeller
Crizéas à la vie ? ... Vous ne répon
dez point , Zelnide ! ... ne connoiffezvous
plus ma voix ? Hélas ! Elle favoit fit
bien le chemin de votre coeur ! ... Zelnide
? ..... ô Dieux ! vous ne répondez
point ... Ah ! cruelle , eft- ce ainfi que
vous aimez ?... Ma chére Zelnide, écoutemoi
, regarde-moi , reconnois- moi... Elle
DECEMBRE . 1760 . 27
ne répond point encore.... Que fignifie
cet horrible filence ? Je me fens pénétré
d'horreur. Tout m'éffraye, jufqu'au calme
qui régne ici.....
Le malheureux Crizéas , en proférant
ces dernieres paroles , fait tous fes éfforts
pour le foulever. Il rampe jufqu'auprès
de Zelnide : il n'ofe encore la toucher. Il
la confidére , il l'admire. Il cherche fes
yeux. Il approche fa bouche de la fienne.
Zelnide , quoi , tu ne m'entens point !
tu ne me vois point ? C'eft Crizéas , c'eft
l'amant le plus tendre qui t'appelle ...
Viens , fortons de cette affreufe folitude ,
& que ton époux fe voye enfin dans tes
bras . En même- temps , il prend une des
mains de Zelnide . Apeine l'a-t-il touchée...
O Ciel ! ô prodige ! ô Phénomène éffrayant
& inconcevable ! Zelnide tombe
en pouffière aux pieds de Crizéas ..... Cet
amant infortuné pouffe un cri lamentable,
cherche Zelnide , regarde autour de lui ,
& ne voit qu'un monceau de cendres.
Zelnide avoit été frappée du foudre.
Je ne vous peindrai point la douleur ,
T'éffroi , le défefpoir qui affiégerent en
ce funefte moment l'ame du tendre Crigéas.
Mais , ô vous qui m'écoutez , vous
concevrez fans peine fa fituation , fi vous
avez des coeurs fenfibles. Une refpi-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
ration haute & convulfive , enfuite des
mugiffemens plutôt que des cris , & des
larmes amères : C'étoit - là toute l'expreffion
de Crizéas ; car l'extrême douleur
eft filencieufe. A peine pouvoit- il prononcer
le nom de Zelnide. Il fe rouloir
fur fes cendres , il s'en couvroit le corps &
la tête , il s'arrachoit les cheveux : mais
dès qu'il put proférer quelques mots, il devint
furieux: Il outragea le Ciel & la Terre
; toute la Nature fut en proie à fes
imprécations : Il demanda la mort. Bêtes
féroces , s'écrioit- il , eft ce en vain que
vous faites retentir cette forêt de vos
mugiffemens ? Est- ce en vain que vous
êtes nées voraces ? Pourquoi ne venezvous
point déchirer mes entrailles ? ô
ciel impitoyable ! ô deftinée cruelle ! fi
Zelnide n'eft plus , fi vous l'avez enlevée
à mon amour, qu'ai- je befoin de vivre
davantage ?
Une douleur morne & fombre fuccéda
bientôt à ces premiers accès douleur
plus terrible fouvent que la fureur même
, parce qu'elle eft prèfque toujours
accompagnée de quelque deffein funefte.
Il ne ceffa point de fe plaindre du fort ,
mais il s'en plaignit avec moins de véhémence.
Les larmes coulérent abondamment
dé fes yeux. Je ne l'ai plus , ô ciel !
DECEMBRE. 1760. 29
dit -il , je ne veux plus murmurer contre
vos decrets impénétrables, mais qu'il me
foit au moins permis de mourir fur fes
cendres. Et toi , malheureuſe Amante ,
qui n'as péri que pour m'avoir aimé , fi de
l'empire des morts tu peux entendre mes
triftes accens & être touchée de mes regrets
, reçois encore avec tendreffe mon
dernier facrifice , & vois avec joie l'âme
d'un époux qui t'adore fe rejoindre à la
tienne! C'en eft fait , je ne quitte plus
ces lieux je refte couché fur ces cendres
précieuſes , jufqu'à ce que j'y rende le
dernier foupir.
Crizéas paffa le refte de la nuit dans
cette agitation . A peine l'aurore commençoit
à paroître , que le bruit de la
mort funefte de Zelnide ſe répand dans
tous les hameaux circonvoifins. On accourt
de toutes parts à la forêt . Ceux qui
avoient connu les deux Amans , ne favoient
lequel ils devoient plaindre davantage.
Ils gémiffoient fur Crizéas &
fur Zelnide ; mais ce fut àla vue des reftes
de l'Amante & de la fituation de l'Amant
, que les cris des peuples montérent
jufqu'aux Cieux.
La farouche douleur de Crizéas ne vit
qu'avec répugnance tout ce monde s'approcher
de lui. Il fic d'abord figne des
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
mains qu'on fe retirât. Voyant enfuite
qu'on ne l'écoutoit point : au nom de l'humanité
, dit- il , d'une voix forte & plaintive
,retirez- vous d'ici : fuyez moi. Je fuis
un malheureux..... Sortez tous de ce lieu
funefte , & laiffez-moi mourir .
Ces lugubres paroles ne fervirent qu'à
échauffer la pitié dans les coeurs. On releya
Crizéas, malgré fes éfforts. On l'arracha
à ces cendres qu'il fembloit vouloir
toujours embraffer , & il fut tranfporté
chez lui. Dans le chemin il tournoit à
chaque inftant les yeux vers la forêt , en
pouffant de profonds foupirs. Quand il
fut arrivé dans fa retraite , il demanda
qu'on lui rendît les reftes de Zelnide.
Cette trifte fatisfaction lui fut accordée .
Depuis ce moment il ne parla plus . Il eut
toujours les yeux fixés fur ces reftes juſqu'à
fon dernier foupir . Le chagrin profond
dans lequel il demeura plongé le conduifit
bientôt au tombeau. Il expira quelques
jours après fa funefte avanture , en cherchant
encore dans les cendres de Zelnide
l'image de cette tête qu'il avoit adorée.
Philémon ayant ceffé de parler , tout le
monde fe leva en foupirant , les yeux
mouillés & baiffés vers la terre ; on fortit
du petit bois en filence. On reprit
avec peine les travaux champêtres. Il n'y
DECEMBRE. 1760.
eut le foir ni jeux , ni danſes, ni concerts .
Le Berger fidéle s'occupa à foupirer fes
amours , & la Bergère naïve n'ofa feindre
de ne pas l'entendre .
IMITATION d'un Paffage de POPE.
MORTEL , enivré de toi- même ,
Qui prétends fonder ton Auteur,
Parle. Es- tu donc la fin fuprême
Des Ouvrages du Créateur ?
Plein de ces chimériques faftes
Qui de l'Univers te font Roi ,
Crois-tu que dans fes projets vaftes
Dieu n'ait eu d'autre objet que toi'?
Qu'il ait mefuré ton empire ,
A tes ambitieux defirs ,
Et qu'ici-bas tout ne refpire ,
Que pour ta gloire ou tes plaifirs ?
Ces doux préfens de la Nature ,
Par tous les êtres reclamés
Pour fournir à ta nourriture
Uniquement font- ils formés ?
Pour ta table a-t-elle fait naître ,
Sous cet agréable horizon ,
Le jeune faon que l'on voit paître ,
Et bondir fur ce verd gazon ?
B iv
1 MERCURE DE FRANCE
Ses richeffes, de tous chéries ,
Dont chacun fait le même emploi ,
Pour lui , fur ces plaines fleuries ,
Croiffent de même que pour toi.
Au riant aſpect de l'aurore ,
Quand l'allouette vole aux Cieux
Eft-çe encor toi qui fais éclore
Ses accens fi mélodieux ?
C'eft du Jour cette Meffagére ,
De quil'approche , en l'éveillant,
Agite fon aîle légére ,
Dilate fon gofier brillant.
Eft- ce pour toi que la fauverte
Fait retentir des plus beaux fons
Nos hameaux , dont l'écho répéte
Aux échos voisins , fes chanfons ?
Non, mais fa voix enchantereſſe ,
Organe d'un fenfible coeur ,
Soupire fa vive tendreſſe ,
Et peint les traits de fon vainqueur.
Ce courfer fougueux & rapide
Aux reins , aux jarrets vigoureux,
Qui daigne , à ta morgue intrépide ,
Soumettre fes flancs généreux ;
Quoique bravant fa force extrême ,
Tu l'afferviffes d'un clin d'oeil,
T'ofe difputer à toi- même ,
Et ton plaifir , & ton orgueil.
DECEMBRE. 1760. 33
Ce grain que , pour toi , tu ménages,
Et qui couvre ces champs divers ,
L'as-tu feul? Non , tu le partages
Avec les habitans des airs.
Tribut d'une année abondante ,
Cette jaune & riche moiſſon
Qui forme ta plus chére attente ,
N'eſt-elle que pour ta maiſon ?
Le jeune taureau , la geniffe ,
Y fçauront trouver leurs befoins :
Nature eft auffi leur nourrice ;
Elle eſt juſte , & leur doit ſes ſoins.
ParM. DORI.
}
LETTRE de Madame BOURETTE , ¿
M. le Marquis CARACCIOLI , Colonel,
au Service du ROI DE POLOGNE.
Vos adieux précipités , Monſieur , ne
m'ont pas permis de vous faire tous mes
remercîmens , fur le préfent de votre ou
vrage dont vous m'avez honoré. Ce traité
de l'amitié n'eft point chez vous un fentiment
de repréſentation; vos actions font
conformes à vos principes , & j'en ai des
preuves éclatantes , dans la maniére obligeante
dont vous avez bien voulu parler
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
1.
de moi , à Madame la Princeſſe Radzivil z
& dans le monument précieux de l'extrait
de fa lettreque vous m'avez envoyé.
Je n'oferois , Monfieur , mettre au jour les
chofes flatteufes dont cette augufte Princeffe
a daigné m'honorer , fi je ne publiois
en même temps mon profond refpect
pour elle. J'ofe vous fupplier de lui
en faire parvenir les témoignages . Vous,
parerez mon hommage , dès qu'il paffera
par vos mains.
A MADAME LA PRINCESSE
RADZIVIL.
NON ,je n'en reviens point , il le faut avouer ,
U ne augufte Princefle a daigné me louer,
Moi chétive enfermée en ma petite ſphère ,
Qui vois les Grands de loin , & ne fçaurois mieux
faire,
Elle n'a confulté que fa feule bonté :
Ah , c'eft un paffe- droit fait à la dignité !
Du fang même des Dieux que fert d'être forties,
Si pour moi la belle âme oublie
L'orgueil de la Naiffance, & la marque du rang
Déch aînez -vous fur moi, noirs ferpens de l'Envie
La gloire a couronné mes travaux , & ma vie.
Une illuftre Immortelle est mon heureux appui
Auprès de fon beau nom mes vers vivront fans
ceffe
DECEMBRE. 1760.
35
Is vivront fur le Pinde; & je trouve aujourd'hui
Dans la faveur des Dieux , mes titres de Nobleffe.
Je reviens , Monfieur , à votre Traité
de l'Amitié. Je n'ai eu que le temps
d'en dévorer la lecture ; il eft actuéllement
entre les mains de Madame Du
Boccage. Cette illuftre Savante connoît
votre réputation diftinguée.
Vous ne devez pas vous inquiéter des
Journaliſtes : s'ils fe manquent à eux-mêmes
; qu'on vous life : une feule de vos
phrafes fait plus votre éloge , que tout ce
qu'on pourroit dire ; & les éditions multipliées
, à chacune de vos productions ,
prouvent le goût du Public en votre faveur.
J'ai l'honneur d'être & c.
Je vous envoie ci -joint mes vers à Madame
l'Infante Ifabelle. J'aime trop ma
patrie , pour ne pas en célébrer tous les
heureux événemens.
Sur le Mariage de l'Infanie ISABELLE
avec le ROI DES ROMAINS.
On dit que la Difcorde , aux noces de Thétis ,
Souffla fes noirs poifons fur la troupe immortelle
L'Europe dans nos jours voit des Dieux plus unis
La paix eft defcendue aux feftins d'Iſabelle.
L'Aigle prenddans fa ferreun faifceau de nos lys
Bvj
36 MERCURE DE FRANCE.
Et volant au milieu d'une fête fi belle ,
Couronne ces trois noms , Parme , Vienne,
Paris.
LETTRE de M. le Marquis CARACCIOLI
, à Madame BOURETTE.
MADAME,
La lecture de vos Ouvrages vient de
charmer une Princeffe , qui connoît tout
le prix de l'efprit & du coeur. Voici com
me elle s'exprime , dans une des Lettres
que je viens de recevoir.
» La Mufe Limonadiére m'a infiniment
» amufée. Je voudrois de tout mon coeur ,
"
être à Paris pour connoître cette Mufe ,
» comme une perfonne qui honore infini-
» ment notre Sexe. J'admire la vivacité
d'efprit de Madame Bourette, mais j'ad-
»mire encore plus fon caractére liant , ſuſ-
» ceptible d'amitié & de reconnoiffance ,
» & qui fe peint dans fes Ouvrages . Qu'on
» vienne maintenant , fi Pon ofe , faire
» parade de la naiffance , à deffein de rabaiffer
celle de Madame Bourette. Toute
perfonne qui penſe , regardera en pitié
» ces ignorans bien nés , qui n'ont d'autre
mérite qu'une kirielle d'ancêtres glos
DECEMBRE, 1760. 37
rieux dont ils aviliffent la mémoire.
» Bien des femmes de Condition defire-
» roient le plaifir de voir la Mufe Limo- ,
» nadiére , dans fon Caffé . Pour moi je
troquerois, avec plaifir, le titre faftueux
» de Princeffe qu'on me donne , pour les
» talens de Madame Bourette ; mais elle
» a trop d'efprit pour faire un échange
» où elle auroit tant à perdre.
»
La Princeffe Radzivil, née Comteſſe de
Czafpska , qui vous rend un fibeau témoi
gnage , Madame , mérite par fa noble
maniére de penfer , que vous faffiez connoître
la générofité de ſes ſentimens : oubliez-
vous donc vous- même , & faites
taire toute modeftie, pour informer le Public
, qu'il y a encore dans le monde des
Grands , fupérieurs aux préjugés de la
naiffance , & à la vanité du fiécle . Je
fouhaite qu'un fi bel exemple corrige ces
Riches fottement fuperbes , qui n'eftiment
que l'or & les titres.
Vous voyez , Madame , que vos Ou
vrages ont pénétré jufqu'en Pologne , &
qu'ici comme à Paris , on les lit avec un
vrai plaifir. J'ai l'honneur d'être , Madame
, avec tous les fentimens d'admiration
& de confidération que vous méritez.
Votre &c. CARACCIOLI
18 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à mon Elève , fur l'Emploi
du Temps.
La Fortune qui vous a , dès le berceau
, fait fentir quelques- uns de fes plus
terribles coups , ne vous permet pas de
prétendre aux emplois où votre naiſſance
diftinguée vous appelloit ; vous ne pouvez
jouir de ces plaifirs qui exigent de la force
& de Fagilité il faut renoncer à ces
amuſemens que la bouillante jeuneffe faifit
avec une efpéce de fureur. Je fçais qu'à
votre âge où les defirs naiffent , en foule ,
Fimpuiffance de les fatisfaire rend les
malheurs plus fenfibles ; mais j'ai lieu de
tout attendre de la force de votre âme :
yous avez fi fouvent marqué de l'admi
ration pour les Sages de l'Antiquité , que
fofe croire que vous portez dans votre
eoeur le germe de leurs vertus ; mais ce
germe précieux ne peut être développé
que par un travail continuel. C'eft le
but que vous devez vous propofer , & ce
qui doit faire l'occupation de toute votre
vie. Nous ne paroiffons qu'un inftant fur
la terre ; le temps nous emporte rapidement
avec lui : quels regrets , lorfqu'ar
rivés au bout de la carrière , nous n'ap
L
DECEMBRE. 1760. 39
percevons aucunes traces de nos pas !
Nous' reconnoiffons alors l'inutilité de
notre exiſtence paffée.
Tel eft , mon cher Eléve , le fort
d'une grande partie des jeunes gens. Livrés
à eux-mêmes , après quelques étu
des imparfaites , qui ne leur laiffent fouvent
que le dégoût des Sciences , ils entrent
dans le monde ; la variété des plaifirs
qu'il leur offre les féduit ; ils s'y livrent
fans réferve ; & ils perdent dans
l'oifiveté les momens les plus précieux de
la vie. Nous avons reçu de la Nature
des qualités qui nous élévent au- deffus
de tous les êtres qui nous environnent
& nous les rendons inutiles , en menant
une vie prèfqu'animale. Semblable à ces
arbriffeaux , qui rampent autour de l'endroit
où ils ont pris naiffance , celui qui
ne fait qu'un foible ufage de fa raifon
rampe dans la Société : fa vie eft une ef
péce de fommeil , qui n'eft interrompu
que par des befoins qu'il eft obligé de fatisfaire
, & qu'il multiplie fouvent pour
s'arracher à l'ennui qui le dévore . J'ai
tout lieu de croire que vous ne ferez jamais
de ce nombre , & que vous ne ferez
point obligé d'avoir recours à des plaifirs
paffagers qui , bien loin de remplir nos
dears , ne laillent dans l'âme qu'un vaide
D
40 MERCURE DE FRANCE.
affreux , que des regrets & des remords
qui nous détruiſent peu- à - peu. De même
que le corps a des ennemis qui tendent
à fa deftruction , lorfqu'il ne travaille pas
à s'en garantir , l'âme eft pareillement
tourmentée par des paffions violentes &
défordonnées , par des plaifirs forcés ,
par les chagrins que les uns & les autres
ne manquent jamais de produire . S'il
vous étoit poffible de pénétrer dans le
coeur de ce riche , qui raffemble dans fa
maifon tout ce qui peut flatter les fens ,
vous verriez peut - être avec ſurpriſe , que
fon âme ne participe que foiblement à
tous ces plaifirs. Si dans quelques inftans
la joie paroît fur fon vilage , combien
d'autres où l'inquiétude , l'agitation & le
trouble , le rendent infenfible à tous ces
amuſemens.
N'efpérons échapper à l'ennui , au dégoût
& aux chagrins qu'entraîne à ſa ſuite
la diffipation du monde , qu'autant que
nous ferons uſage de notre raiſon. Nous
éprouvons tous les jours les befoins de
notre corps ; ils font trop preffans , &
notre vie y eft trop intéreffée pour ne pas
la fatisfaire fur le champ : mais comme
les befoins de l'âme ne font pas fi ſenſibles
, nous ne nous occupons que des
premiers. Cependant fi la fanté de notre
DECEMBRE. 1780
corps dépend de l'attention que nous
avons de fatisfaire fes befoins , foyons
perfuadés qu'il ne nous eft pas moins intéreffant
de fatisfaire ceux de l'âme. Nous
voyons des Gens de Lettres enterrés pour
ainfi dire dans leur cabinet , rompre tout
commerce avec le genre humain , fans
éprouver les horreurs de l'ennui. Semblables
à des voyageurs qui découvrent à
chaque inftant de nouveaux objets , ils
acquiérent par l'étude de nouvelles idées,
de nouvelles connoiffances qui excitent
dans leur âme des impreffions agréables :
leurs journées font délicieufes & remplies.
L'amour que vous avez pour les Lettres
& les productions des grands hommes ,
me fait efpérer que vous les prendrez
pour modéles , & que vous travaillerez à
les imiter. Que vous ferez bien récompenfé
de vos travaux ! vos jours feront
tranquilles & égaux. La joie pure dont
votre âme fera remplie paroîtra fur votre
viſage , & fe répandra fur tous vos
difcours ; votre bonheur que vous ferez
vous-même , & que tous les revers de
fortune ne pourront anéantir , ne dépendra
point des hommes trompeurs & diffimulés.
Mais outre ce bonheur , dont vous
ferez le maître , vous mériterez encore
41 MERCURE DE FRANCE.
l'eftime de vos femblables. Si vous excitez
la jaloufie de quelques efprits faux
& méchans , les hommes fenfes refpecseront
votre ſcience, & vous placeront au
rang que vous mériterez d'occuper ; furtout
, fi vous joignez aux talens la douceur
& la modeftie . L'orgueil n'eſt point
fait pour l'humanité ; celui qui s'eft étudié
lui-même eft bien éloigné de méprifer
fes femblables : il les plaint quelquefois
, mais il les aime toujours.
Quoiqu'en général les hommes ne paroiffent
attachés qu'aux richeffes , il eft
cependant certain qu'ils leur préférent
les connoiffances & les ralens. Nous en
pouvons juger par la vénération que les
riches ont pour les Sciences , & l'accueil
qu'ils font aux Savans. Souvent les biens
ne font dûs qu'au hafard , quelquefois à
l'injuftice ; nos talens font à nous : c'eſt
un bien qui nous eftpropre. Mais fi nous
voulons jouir de la gloire qui y eft atta-.
chée , ne les deshonorons pas par un ufage
pernicieux & criminel ; & ne nous
couvrons pas d'opprobre , en confacrant
nos veilles & nos travaux à la médifance
. & à la calomnie.
Mais l'étude exige des précautions, fans
lefquelles elle devient ftérile & infruc
sucufe. Un jeune homme avide d'appren
DECEMBRE. 1760 . 43
dre , dont les premiers pas ne font point
éclairés par un homme inftruit , ne met
point de bornes à fes defirs , & n'apporte
aucune méthode dans fes études . Des lectures
continuelles & fouvent difparates ,
produifent dans fa tête un cahos qu'il lui
eft impoffible de débrouiller : il n'affigne
aucun rang aux idées qu'il reçoit ; elles
demeurent confondues ; il ne peut plus
diftinguer les rapports qu'il y a entre
toutes les chaînes de fes connoiffances.
Une idée qui ne devroit en renouveller
que quelques autres qui lui font analogues
, ou tout au plus celles qu'il auroit
reçues dans le même temps & les mêmes
circonftances , en produit une multitude
dont il ne peut appercevoir la liaiſon.
La confufion qui régne dans les idées fe
répand néceffairement fur les difcours :
il ne peut rendre ce qu'il fçait , ou plutôt
il ne fçait rien .
Comme nous ne pourrions acquérir
beaucoup d'idées fi nous vivions ifolés
& féparés du refte des humains , de même
nous ne pouvons acquérir des connoiffances
que par la lecture ou l'entretien
des hommes favans. Mais de quelle
utilité peut nous êtrel'un & l'autre, fi toujours
occupés de ce que les autres ont penfé
, nous ne travaillons pas à penfer nous
44 MERCURE DE FRANCE.
mêmes ? C'eft fermer les yeux , pour ne
voir que par ceux d'autrui. Il faut , pour
lire avec fruit , comparer enfemble les
idées qui nous font communiquées ; chercher
à faire de nouvelles combinaifons ,
pour en tirer de nouveaux réſultats . Mais
il est bien plus facile de lire, que de réflé
chir. Les gens qui ne veulent que s'amufer
, font très- communs ; & parmi
ceux qui veulent s'inftruire , combien y
en a-t- il qui ont befoin de fecours ? Voilà,
mon cher Eléve , un petit nombre de réflexions
que j'ai faites fur l'Emploi du
Temps. Si elles vous font inutiles , elles
vous prouveront , du moins , mon zéle &
mon attachement. J'ai l'honneur , & c.
Desbords de la Conie.
TRADITION DANOISE ,
Sur la Maifon de FALINSPERK.
LE Nord a fes origines fabuleuſes , &
fes traditions populaires fur les grandes
Maiſons , comme les autres pays. * Il
* Plufieurs grandes Maiſons ont une fable pour
leur origine , & cela feul marqueroit leur antiquité.
Celle de Lufignan , & celle de Saffenage ,
en Dauphiné , fe vantent d'être defcendues de Mé
lufine. Un recueil de ces origines fabuleuſes, pourroit
être amuſant.
DECEMBRE. 1760.
43
n'y avoit pas longtemps (dit une ancienne
Chronique ) qu'un Comte de Falinfperk
avoit épousé une des plus belles
femmes du Dannemark , lorfqu'une nuit
qu'elle dormoit auprès de fon époux ,
elle fut réveillée par un grand bruit. La
Dame n'étoit point peureufe ; elle ouvrit
les rideaux de fon lit , & vit entrer dans
fa chambre une petite femme qui n'avoit
qu'une coudée de haut, mais d'une beauté
merveilleufe , & qui tenoit un flambeau
à la main. Elle crut d'abord que c'étoit un
fonge mais elle fe trouva bientôt trop
éveillée pour demeurer longtems dans
cette erreur. La petite femme s'approcha
de fon lit , & la furprit fi fort qu'elle ne
fongea pas même à réveiller fon mari. Ne
vous troublez point , Madame ( lui dit la
Naine ) loin de penſer à vous faire aucun
mal , je viens vous annoncer une grande
fortune pour les enfans que vous aurez , fi
yous êtes affez courrageufe pour me donner
les fecours que j'attends de vous.
Ce premier compliment, ne remit point
la Comtelle. Mais la petite femme s'étant
approchée de plus près , lui parla fi affectueufement
qu'elle la raffura , & la mit
en état d'écouter la propofition qu'elle
vouloit lui faire. Si vous voulez me croire,
ajouta-t- elle , & faire exactement ce que
46 MERCURE DE FRANCE.
je vous préfcrirai , vous ferez la plus heureufe
femme qui fut jamais. Suivez - moi
dans les lieux où j'ai deffein de vous
conduire ; gardez-vous de rien manger
de ce que l'on vous offrira ; ne recevez
aucun des préfens que l'on voudra vous
faire ; & prenez feulement ce que je
vous donnerai .
La Comteffe ne pouvant imaginer que
cette petite créature eût le deffein de lui
faire aucun mal , ni qu'un mauvais efprit
pût paroître fous une figure fi agréable ,
prit le parti de s'habiller à la hâte , & de
fuivre fa Conductrice. Elle traverfa des
fouterrains , où elle ne vit d'autre lumiére
que celle du flambeau que portoit
la Naine. Mais quel fut fon étonnement ,
lorfqu'elle fe trouva tout- à coup dans un
appartement où l'or , les pierreries , & un
grand nombre de lumières , formoient un
jour plus éclatant que ceux que produit
le Soleil ! Tout ce que la Comteffe avoit
entendu dire des Palais les plus fuperbes
n'approchoit point de celui- là . Elle
trouva dans cet appartement , quantité
d'hommes & de femmes de la taille de
fa Conductrice , qui s'emprefferent autour
d'elle, & la comblerent de politeſſes;
& après avoir traversé un grand nombre
de chambres , toutes auffi fuperbes
·
NOVEMBRE . 1760 . 47
que la premiere , on la fit entrer dans une
plus grande & plus magnifique encore ,
où elle fut reçue par un petit homme
d'une figure charmante , qui paroiffoit.
êrre le Souverain de ce petit Peuple. Il fit
quelques pas au-devant d'elle , & malgré
fa petite taille , il l'accueillit avec dignité,
Il la conduifit lui- même vers un lit dont
la richeffe répondoit à celle de l'apparte
ment : elle y trouva une petite Reine ,
qui avoit befoin d'une Sage- femme ; &
l'on dit à la Comteffe , que c'étoit le fervice
que l'on exigeoit d'elle . Elle n'avoit
jamais eu d'enfans : Qu'on juge de fon
embarras ! Il fallut pourtant obéir. Le
hafard la fervit bien ; & la petite Reine
mit au monde un fils , dont la naiffance
répandit une joie exceffive dans cette
Cour. On accabla la Comteffe de complimens
, qui faifoient connoître toute
l'importance du fervice qu'elle avoit rendú
, & on la conduifit dans un fallon dont
la magnificence étoit égale à tout cc
qu'elle avoit vû Elle y trouva une colla
tion , où tout ce qu'on peut imaginer de
plus délicieux fe trouvoit raffemblé : mais
quelques infances qu'on lui fit , elle refufa
de manger. Comme on la vit obftinée
à ne vouloir goûter de rien , on lui
laiffa la liberté de s'en retourner avec la
48 MERCURE DE FRANCE:
Naine qui l'avoit amenée , en la priant
d'accepter des baffins d'or remplis des
plus belles pierreries. Mais elle fuivit les
confeils de fa Conductrice , & refufa
tout. En la remettant dans fa chambre ,
où fon mari dormoit encore , la petite
femme lui tint à peu- près ce difcours :
Vous avez rendu un fi grand ſervice à
notre petit Royaume , que nous ne l'oublierons
jamais , & moi furtout , qui chercherai
toujours les occafions de vous
obliger. Pour commencer à vous en donner
des preuves , recevez ceci , lui ditelle
, en lui mettant entre les mains un
petit fac de broderie d'argent : il contient
trois rouleaux de bois ; mettez- les
fous le chevet de votre lit. Demain, à votre
réveil , racontez l'avanture à votre
mari , & tenez- la fecrette. Ces rouleaux ,
lorfque vous ouvrirez le fac , feront convertis
en or : de l'un , vous ferez faire
un hareng , de l'autre des jettons , & du
troifiéme une quenouille. Vous aurez
trois enfans , qui formeront trois branches
dans la Maiſon de Falinſperk. Celui
qui aura le harèng , fera fort heureux à
la guerre , & lui & fes defcendans y auront
des Emplois confidérables ; celui qui
aura les jettons , poffèdera les premiers
Emplois de l'Etat,& fes defcendans auront
le
DECEMBRE. 1760: 49
le même bonheur. La quenouille portera
une grande abondance de fucceffeurs
dans la branche qui l'aura. Après ces
mots , la petite femme difparut .
La Comteffe , qui eut de la peine à ſe
rendormir , s'éveilla pourtant avant fon
mari , à qui elle raconta fon avanture à
fon réveil . Il prit toute l'hiftoire pour un
fonge , & en rit beaucoup. Mais, à la vue
des trois rouleaux , qui réellement étoient
d'or , il ne crut rien rifquer en exécutant
ce qu'on avoit ordonné à fa femme . Il
eut trois enfans ; & ces trois enfans ( die
la Chronique ) ont eu , tant qu'ils ont
gardé ce tréfor dans leur maifon , les avantures
qui leur avoient été prédites. Ceux
de la branche des jettons , prétendent
même encore aujourd'hui , qu'un Roi de
Dannemark leur en ayant un jour de◄
mandé un , celui qui le lui donna fentit
dans le moment où le Prince le prit , une
douleur auffi violente que fi on lui eût déchiré
les entrailles.
VERS fur le mariage de Mlle le M.
L'AMOU
9308.0
'AMOUR & la Vertu , rivaux dès leur naiffance,
larg
D'Eglé , depuis longtemps, difputoient les faveurs
C
so MERCURE DE FRANCE
L'une faifoit valoir le prix de l'innocence ,
L'autre des vrais plaifirs lui vantoit les douceurs,
Malgré l'effort de la tendreffe ,
Eglé réfiftoit au penchant
Dont notre âme n'eft plus maîtreffe ,
Quand on le doit au fentiment.
La Raiſon , qui toujours lui prêta ſa lumière
Veut enfin en ce jour déterminer fon choix :
Fiers ennemis , dit-elle , entrez dans la carrière ,
Décidez qui de vous lui donnera des loix.
Pour triompher de cette Belle ,
Amour eft dans fes yeux , la Verru dans fon coeur.
On combat; la Vertu chancelle .....
Eglé fourit ; & l'Amour eft vainqueur.
Par M. D... de N…….
CONSTANT , PETIT CHIEN-LOUP ,
A Mile K **
C
BELLE maîtreffe , écoutez-moi :
Votre petit chien-loup a deux mots à vous dire.
Je veux vous détailler , & comment & pourquoi ,
Je vis fous votre aimable empire.
J'eus votre amant pour maître ; & , foit dit entre
nous ,
Je le crois tant foit peu jaloux.:
Va , di -ik, auprès de Thémire ,
DECEMBRE.
1760.
Jouir du deftin lé plus doux ;
Dors près de fon chevet , ou bien fur lesgenoux;
mufe la par
tonadrelle ;
» Fais-lui cent jolis tours de grâce ou de
ſoupleſſe
>>Tiens-toi fur tes deux pieds ; fais le mort ; léve
>> toi ;
Rapporte un éventail ; dérobe des paftilles ;
» Et fous mille formes
gentilles ,
» Fais-lui chérir le don qu'elle
tiendra de moi.
Je l'écoute , & je pars . Mais foudain il
m'apelle :
» Ce n'eſt pas tout , dit- il , que de vivre auprès
>> d'elle.
Vois-tu bien ces longs poils que le Ciel t'a
›› donnés ,
» Et qui te pendent fur le nés :
» Il faudra t'en fervir en
compagnon habile.
›› Sous ce voile flottant ,
obſervateur adroit ,
» La tête morne & l'oeil agile,
» Tu pourras , ſans péril , lorgner dans chaque
>> endroit.
» Soit
que l'on entre , ou que l'on forte ,
Obferve qui ,
pourquoi ; fais le ſuiſſe à la porte.
>> Mais furtout , mon ami , prends bien garde aux
» amans !
» Ces Meffieurs font adroits , & les chiens font
»
gourmans.
» Lis dans leur air , leur
contenance ;
»Va chercher leur fecretjuſques dans leur filence
Cij
5 MERCURE DE FRANCE.
» Le filence en Amour quelquefois dit beaucoup.
» Surtout qu'aucun bonbon ne puiſſe te féduire.
» En un mot , fois chien pour Thémire,
» Et pour mes rivaux deviens loup.
Je rêvois à ces mots , Moi , chien , dis-je en moi
même ,
Devenir efpion ! quelle baffeffe extrême !
Paffe pour lerenard , le chat , ou les humains.
Pourrois-je , après cela , revoir mes camarades ?
Se charge qui voudra de telles ambaſſades :
Serviteur..... De la fuite enfilant les chemins ,
Je détale au plus vite en fecouant l'oreille :
Lorfque dans ma courſe , ô merveille !
Croyant de la candeur voir les touchans appas ,
Je vous fuis , vous falue ; & marchant fur vos pas .
Dans votre appartement me coule fans rien dire,
Mais quel fut mon étonnement ,
Quand j'entendis nommer Thémire !
Thémire , dis- je alors : c'eft fon nom ; juftement
Il la nommoit ainfi ; mon maître eft fon Amant
Ah ! s'il venoit ici ... la crainte alloit me prendre ;
Quand me gliffſant ſur vos genoux ,
Je vis dans vos regards quelque choſe de doux ,
Qui fembloit vouloir,me défendre
Contre les traits de fon courroux .
Belle maîtreffe , au moins , vous fçavez mon hiſ
toire :
Je ſuis de la maiſon ; vous aimez votre gloire :
C'eſt à vous de me ſoutenir.
DECEMBRE. 1960.
$3
Quand mon maître viendra , daignez vous fou
venir
Que fi Conftant ne fçauroit feindre ,
Et fervir les deffeins d'un amant trop jaloux ;
Par fon amour fidéle , il peut fervir à peindre
Le feu tendre & conftant dont il brûle pour vous.
Par M. D * *** ,
" A Meſdames P *** D. M *** & M***
D. P. *** dînant à la maison de campagne
de l'Auteur.
JARDINS ,
ARDINS , qui chaque jour voyez la prompte automne
,
En fuyant , vous ravir vos agrémens ; vos traits
Triftes champs , vergers nuds , que la faifon moiffonne
,
Du moins , en ces inftans , fufpendez vos regrets !
Que vous fait le départ de Flore & de Pomone ?
Deux Grâces par les leurs réparent vos attraits.
Vous brillez fous leurs pas ; leur éclat vous décoré,
Plus fraîches que Pomone, & plus belle que Flore,
Quand Eglé , quand Thémire entrent fous vos
· berceaux ,
Zéphir qui penſe voir éclore
Des rofes & des lys nouveaux ,
Revient,comme au printemps, les careffer encore,
C fij
54 MERCURE DE FRANCE
Leslieux que leur préfence honore ,
Fuffent d'affreux déferts,font dès- lors affez beaux
O couple aimable autant qu'illuftre !
Si ce féjour vous doit fes charmes & fon luftre ,
Combien le maître eft plus heureux !
Vous comblez fes defirs; vous couronnez fa gloire:
Defcendre jufqu'à lui , c'eft l'élever aux Cieux.
Dans un ruftique Réfectoire ,
Jadis , chez Philémen , vinrent s'affeoir des Dieux
Ce trait fabuleux de l'hiftoire
Se réalife donc à ma table , à mes yeux.
Oui , par un plus flatteur exemple
Sous des dehors mortels , de céleftes appas
De ma cabane font un temple.
Quel bonheur ! Quel triomphe ! Un feul regret
hélas ,
Rend ici mon ame confuſe :
L'Olympe me vifite , & je fuis fans nectar .
Si le deftin me le refuſe ,
S'il manque à ce banquet les fins apprêts de l'art ,
J'offre au moins ( & c'eft mon excufe )
Dans l'effort de mon zéle,un hommage fans fard!
Lz mot de la premiere Enigme du Mercure
de Novembre , eft pied- de- Roi, celui
de la feconde , eft Journal. Celui du
premier Logogryphe , eft , Misantrope
Celui du fecond , eft , Méfintelligence.
DECEMBRE. 1760.
ENIGM E.
T OUJOURS noiré comme un Démon ,
Tantôt grande & tantôt petite ;
Utile au Roi dans ma façon ,
Juges par-là de mon mérite.
Si je blanchis je ne vaux rien
On me méprife , on m'abandonne ,
Du laquais je deviens le bien.
Mais je vois que cela t'étonne ! -
Tu feras donc bien plus furpris :
La Fleur refuſe mon ſervice.
Combien voit-on de favoris ,
Qui fans contracter un feul vice ,
Déchus de leur autorité ,
Encourent la même diſgrâce !
Méprifés dans l'adverfité ,
A leurs défauts qui feroit grâce ?
Par Madame A. M.T.
AUTRE.
NÉCESSAIRE aux foibles humains ,
Qui me doivent leur éxiſtance ,
J'affifte à leur trépas , ainſi qu'à leur naiſſance ,
Civ
36 MERCURE DE FRANCE.
Et je fuis toujours dans leurs mains .
On peut me voir auffi dans le carnage ,
Me mêler parmi les Soldats ,
Secondant la valeur , animant le courage ,
Courir ainfi qu'eux au trépas.
Des plus auguftes Rois , je fers à la puiffance ;
Je puis fans vanité , m'allier à leur Sang.
Chez les Américains , je tiens le premier rang ,
Lefecond dans Madrid , & le troifiéme en France :
M a gloire cependant fe perd dans le néant.
Je précéde l'Amour ,fans moi pour luipoint d'armes
;
Et quoique toujours dans les larmes ,
Je fers également & l'Amante & l'Amant.
LOGOGRYPHE.
QUAND j'ai beaucoup reçu l'on me fait beaucoup
rendre ;
Mais ce n'eft pas fans coup férir
Qu'on a coûtume de le prendre ;
Quoique fans réfifter je me laiſſe appauvrir.
Pour me connoître à fonds , Lecteur , fais une
épreuve',
Et difféque mon tout , de fix membres conſtruit.
Ne m'ôté que le cou , je deviens un grand fleuve ,
Mais ôte encore ma tète , & je ſuis tout efprit.
Un trait facile , alors , peut opérer ma chûte,
DECEMBRE. 1760 . $7
Et d'efprit que j'étols , je ferai bête brute ,
Si tu m'ôtes encore mon pénultiéme pić.
Ce n'eft pas tout , Lecteur , pourfuis , & fans pitié
Fais fur mon autre pié pareillement main baſſe ;
Ne laiffe que mon tronc , de deux membres tiſſu ,
Tu me verras encor après cette diſgrace ,
affez connu.
Tenir dans chaque fiécle un rang
Reviens préfentement fur tes pas: Prends ma tête ,
Fais fuivre de mon tronc le premier élément ,
Et joints- y mes deux piés , je fuis l'affortiment
Qu'exige quelquefois l'Ufurier quand il prête.
Lecteur, fi ce détail eſt abſtrait , ennuyeux ,
Il peut au moins fervir à dévoiler mon être :
Déjà par ce ſecours tu me connois peut - être . ..
En ce cas tout eſt dit : je te fais mes adieux.
Par M. DESFLOTTES DE L'EICHOISIER.
AUTRE.
MOND Ó N nom feul , dans l'âme du Sage ,
Imprimé une juſte terreur.
Sous un mafque impofant , exerçant ma fureur ,
Des malheurs les plus grands je retrace l'image :
Enfin je fuis un monftre affreux .
Dans la main de celui qui lance le Tonnerre ,
Sâchez -le , habitans de la terre ,
Il n'eft fléau plus dangereux .
Rien ne peut échapper à ma jalouſe rage;
Cv
58 MERCURE DE FRANCE
Un aveugle tranfport fait mon unique loi ,.
Et fouvent j'entraîne avec moi
La mort, le fang & le carnage.
Que dis-je , il eft peu de climats ,
Où ma déteftable manie ,
N'ait excité le peuple à d'étranges combats
Témoins , & l'Europe & l'Afic.
Du fang , comme de l'amitié ,
J'étouffe le cri reſpectable ;
Quelquefois même fans pitié ,
Pour l'objet le plus cher , je fuis inexorable.
Fuis donc , me dites-vous , Lecteur ,
Monftre garde- toi de paroître:
Tu ne me remplis que d'horreur ,
Et je commence à te connoître.
Hé bien , foit ; achevez. Dans la combinaiſon
Dès neufpieds feulement qui compoſent mon être,
Vous trouverez d'abord ce qu'en une maiſon
On apperçoit bientôt quand on déplaît au Maîtres
Dans l'Inde , un Royaume fameux ;
De plus , une douce monture ;
Un nom commun aux Bienheureux ;
L'espéce humaine en mignature ;
L'arrière- petit-fils du plus fage des Rois 5.
Le mont d'où l'Eternel , dans l'éclat redoutable
De la gloire , aux Hébreux voulut dicter les loix
Un Héréfiarque exécrable ;
Du bien , l'ennemi furieux
Toujours amans, toujours aimes : Surlafoi
W
W
d'une tendre amie Vous n'êtes jamais allar =
W
- més: Parmi vous la plus courte absence
Finitpar le pluspromptretour , Toujours la
vive impatienceVous prete l'aile de l'amour.
Gravepar M Charpentie.
Imprimépar Tournelle
Louré.
8
Que d'une felicite pure Vousjouis
W
-sés dans vos plaisirs, Bergers dont la sim
W
-ple.nature Forme et remplit tous les de=
= sirsjamais lafortune volage Ne corrompt
W
de sidoux transports: L'amour seul obtient
votre hommage, C'est le Dieu de tous vostre
Majeur. W
-sors . Sans trouble vous passes
W
la vi
DECEMBRE. 1760 12
Une Rivière en Franconie ;
Chez les Juifs un nom odieux -
Du Monde une belle parties
Un membre du corps ; un fléau
De l'Egypte jadis , la Ville capitale
Ce qui refte de l'homme , en entrant au tombeau
L'Office dont l'heure fatale
Fait gémir le Chanoine , & l'arrache au repos
De Noé l'un des fils; une étoffe eftimable ;
Et pour finir tous ces propos , "
Chez les gens de bon goût , un être infupporabler
Par M.l'Abbé RIMBER F.
LE POUR ET LE CONTRE ,
ROMANCE.
A Madame la Marquiſe de **
Que d'une félicité pure , UE
Vous jouiffez dans vos plaiſirs ,
Bergers, dont la fimple nature
Forme & remplit tous les defirs !!
Jamais la fortune volage
Ne corrompt de fi doux tranfports :
L'Amour ſenl obtient votre hommages
C'eſt le Dieu de tous vos tréfors !
Sans trouble vous paſſez la vie ,
Cij
60 MERCURE DE FRANCE
Toujours Amans , toujours aimés :
Sur la foi d'une tendre amie
Vous n'êtes jamais allarmés .
Parmi vous la plus courte abfence ,
Finit par le plus prompt retour :
Toujours la vive impatience
Vous prête l'aile de l'Amour .
Dans nos champs , l'amoureux martyre
Fait le plus doux charme des coeurs :
Son esclavage eft un Empire ,
Et les fers ne font que des fleurs.
Mais quoiqu'il foit inexprimable ,
L'attrait de ce joug enchanté
Belle Iris , eft - il comparable
Aux douceurs de la liberté
Elle rend heureux , fans yvreſſe
Ceux qui fçavent fentir fon prix ;
Et par les attraits la tendreffe
Flatte & trompe les favoris .
L'Amour fe plaît dans les allarmes 3.
Tous fes plaifirs font fuppofés :
Ses faveurs ainfi que fes charmes,
Ne font que des maux déguifés.
Ainfi fur fa tendre mufette ,
Formant les fons les plus légers
Atis craint, admire , rejette ,
Le beau deflin denas Bergers .
DECEMBRE. 1760 .
Que n'eft- il donc Berger lui - même ,
Pour jouir d'un fort fi flatteur ?
Qui , mieux que lui , fçait l'art fuprême
D'aimer & d'enflammer un coeur ?
En vantant fon indépendance ,
Croit-il prouver qu'il n'aime rien ?
S'il avoit tant d'indifférence ,
Il ne chanteroit pas fi bien.
Craignons de nous laiffer furprendre :
C'eft le confeil de la raiſon .
Mais , hélas ! que pour un tour tendre
C'eft une inutile leçon !
Les paroles font de M. le Chevalier de JUILLY
THOMASSIN ; la Musique de M. Legat de
FURCY :
62 MERCURE DE FRANCE
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
QUOIQUE(
VOIQUE nous avons déjà annoncé la
SCIENCE DU GOUVERNEMENT
par M. DE
REAL, Nous devons avertir que laVI partie
qui a eu de fi auguftes approbations & qui
renferme la Politique , n'a été rendue publique
que par rapport aux circonftances
où fe trouve l'Europe, puifqu'elle contient
les intérêts de Puiffances qui y dominent.
Ce volume , rapproché dupremier
qui paroît, & du fecond qui paroîtra vers
la fin de Décembre , contenant la conftitution
primitive & actuelle de chaque
Etat , avec les changemens qui y font arrivés
, finguliérement par les Traités inclufivement
jufqu'au dernier d'Aix - la-
Chapelle , le caractère , les moeurs , la
Religion , les ufages , les loix de chaque
Nation , ne laiffera rien à defirer fur une
matiére auffi importante. Le Difcours
préliminaire fera connoître l'objet & l'étendue
d'un Ouvrage également propre
aux Souverains , aux Miniftres & à tous
les hommes en général
DECEMBRE . 1760. 63
DISCOURS Préliminaire fur la Science
du Gouvernement.
L'EDUCATION n'eft que la culture des
moeurs de l'homme dans les premiers
temps de fa vie , elle eft abandonnée aux
foins des peres & des meres , mais la
culture des moeurs des Nations eft réſer
vée aux Souverains ; elle embraffe tous
les âges , & les qualités de ceux qui gouvernent
deviennent les qualités de ceux
qui font gouvernés. La force ou la foibleffe
, les profpérités ou les difgraces de
chaque régne , tirent leur origine des
vertus ou des vices , des talens ou de
l'incapacité des Princes. On verroit ( dit
fur ce fujet un des plus grands maîtres
dans l'art de gouverner ) la nature errer
dans fes opérations , plutôt qu'un Souverain
donner à fa Nation un caractère dif
férent du fien ( a ). C'eft aux Souverains
auffi qu'eft réfervée l'éducation des Princes
qui doivent leur fuccéder.
Veiller à l'inftruction de la jeuneffe
pour former de bons fujets à l'Etat , eft
fans doute un des devoirs de la Royauté ;
(a ) Facilius errare naturam quam Principem re
formare Rempublicam diffimilem. Caffiodore ( Mi
miſtre d'Etat ſous Théodoric. ) Liv, 3. Varr, Ep
12.
6 MERCURE DE FRANCE
ARTICLE II
NOUVELLES LITTERAIRES:
QUOIQUE
VOIQUE nous ayons déjà annoncé la
SCIENCE DU GOUVERNEMENT
par M. DE
REAL,Nous devons avertir que laVI® partie
qui a eu de ſi auguſtes approbations & qui
renferme la Politique , n'a été rendue publique
que par rapport aux circonftances
où fe trouve l'Europe , puifqu'elle contient
les intérêts de Puiffances qui y dominent.
Ce volume , rapproché dupremier
qui paroît, & du fecond qui paroîtra vers
la fin de Décembre , contenant la conftitution
primitive & actuelle de chaque
Etat , avec les changemens qui y font arrivés
, finguliérement par les Traités inclufivement
jufqu'au dernier d'Aix - la-
Chapelle , le caractère , les moeurs ,
Religion , les ufages , les loix de chaque
Nation , ne laiffera rien à defirer fur une
matiére auffi importante. Le Diſcours
préliminaire fera connoître l'objet & l'étendue
d'un Ouvrage également propre
aux Souverains , aux Miniftres & à tous
les hommes en général.
la
DECEMBRE. 1760. 632
DISCOURS Préliminaire fur la Science
du Gouvernement.
L'EDUCATION n'eft que la culture des
moeurs de l'homme dans les premiers
temps de fa vie , elle eft abandonnée aux
foins des peres & des meres , mais la
culture des moeurs des Nations eft réfervée
aux Souverains ; elle embraffe tous
les âges , & les qualités de ceux qui gouvernent
deviennent les qualités de ceux
qui font gouvernés. La force ou la foibleffe
, les profpérités ou les difgraces de
chaque régne , tirent leur origine des
vertus ou des vices , des talens ou de
l'incapacité des Princes. On verroit ( dit
fur ce fujet un des plus grands maîtres
dans l'art de gouverner ) la nature errer
dans fes opérations , plutôt qu'un Souve
rain donner à fa Nation un caractère dif
férent du fien ( a ). C'eft aux Souverains
auffi qu'eft réfervée l'éducation des Prin
ces qui doivent leur fuccéder.
Veiller à l'inftruction de la jeuneſſe
pour former de bons fujets à l'Etat , eft
fans doute un des devoirs de la Royauté ;
(a) Facilius errare naturam quam Principem re
formare Rempublicam diffimilem. Caffiodore ( Mi
niftre d'Etat fous Théodoric. ) Liv. 3. Varr. Eps
ja.
64 MERCURE DE FRANCE.
mais faire élever avec foin l'héritier de
la Couronne , pour préparer à la Nation
un maître capable de la gouverner , eft
une des plus éffentielles obligations du
Monarque. Les particuliers n'embraſſent
ordinairement une profeffion que lorfque
leur Raifon s'eft développée ; au lieu que
celle de l'héritier d'une Couronne eft fixée
dans le moment de fa naiffance. C'eſt
une tête précieuſe qui fera ceinte du diadême;
& former le Souverain , c'est en
quelque forte former tout le Peuple auquel
il doit commander , & qui ſe réglera
fur lui. De fon inftruction naiffent
& l'avantage de fon pays , & des exemples
utiles à toutes les Nations étrangéres.
Ces exemples paffent de bouche en
bouche , de génération en génération ;
tous les Peuples , tous les temps y prennent
part , & la poftérité la plus éloignée
peut en recueillir le fruit .
Je fçais qu'on a beaucoup écrir fur la
maniére d'élever les enfans des maîtres
du monde. Cent Auteurs ont indiqué
les connoiffances que le Prince doit avoir,
mais aucun n'a entrepris de les lui donner.
Lors même qu'on éléve bien les héritiers
des grands Empires comme hom-
J'en ai donné la lifte dans mon Examen,au
mot Duguet,
DECEMBRE. 1760. sy
mes , on verfe dans leur fein quelques
principes de Religion , de juftice & de
bonté on imprime dans leur efprit quelques
maximes d'honneur ; on leur donne
quelques teintures des Arts & des Sciences
; on les forme à des exercices académiques
; mais on ne leur apprend pas à
porter dignement une Couronne , on ne
les inftruit point de la feule fcience qu'il
ne leur eft pas permis d'ignorer . S'il eft
utile de former l'homme , ne l'eft- il pas
plus encore de former le Souverain
Ceft des vaftes fonctions , c'eft des devoirs
infinis de la Royauté qu'il faut principalement
inftruire les Princes.
Toutes leurs fautes dans la vie privée ,
font d'une conféquence extrême pour
leur État. On ne fçauroit trop estimer
les vertus morales , elles font prèfque les
feules qui foient à l'ufage des particu
liers , & elles doivent purifier & anoblir
les vertus civiles & politiques , par lef
quelles on doit juger du vrai mérite des
Princes en tant que Princes ; mais ce ne
* Quò perniciofiùs de Republicâ merentur vitiofi
Principes , quod non folum vitia concipiunt ipfi ,
fed ea infundunt in civitatem , neque folum obfunt
quod ipfi corrumpuntur , fed etiam quod corrumpunt
, plufque exemplo quam peccato nocent.
Cicer. de Legib. lib. 3 .
66 MERCURE DE FRANCE.
font pas ordinairement les vices de l'hom
me , ce font les défauts du Prince qui
l'empêchent de gouverner heureufement.
Il eft néceffaire de diftinguer dans les
Rois la vie privée d'avec la vie publique
, les vertus domeftiques d'avec les
qualités Royales ; ils peuvent avoir toutes
les vertus qui honorent les particu
liers , fans pofféder aucune des qualités
qui font les grands Rois. Ne pas connoître
profondément le pays qu'on doir
gouverner , n'être pas inftruit de tous les
avantages qu'on peut lui procurer , ignorer
les principes de la conduite qu'on
doit tenir relativement au citoyen & à
F'étranger , ne pas bien régler les diverſes
parties du Gouvernement , abufer de la
puiffance pour faire quelque injuſtice , ne
prévenir ni ne punir le mal , ne pas faire
tout le bien poffible ; voilà quelles font
les fautes de l'homme d'État.
Je dis de l'homme d'Etat , car ce que
j'aplique ici aux Souverains regarde leurs
Miniftres , & toutes les perfonnes qui font
employées au Gouvernement. Ce n'eft
pas affez que les perfonnes qui y participent
vivent bien comme hommes , il eft
encore plus important qu'ils vivent bien
comme perfonnes publiques. Dans les
Monarchies , les Miniftres ne répondront
DECEMBRE . 1760. 64
pas moins que leurs maîtres de tout le
mal qu'ils auroient pû éviter , & qu'ils auront
commis ou laiffé commettre , & de
tout le bien qu'ils auroient pu faire &
qu'ils n'auront pas fait. Dans les Ariftocraties
& dans les Démocraties , les Sénateurs
, ceux qui ont part aux délibérations
des Républiques , & leurs Officiers ne répondront
pas moins que les Souverains
des fautes d'omiffion ou de commiffion
qui leur feront perfonnelles .
Comment les Princes éviteront- ils ces
fautes , s'ils ne connoiffent pas tous les
devoirs attachés à la Royauté ? Comment
feront-ils inftruits de ces devoirs , fi perfonne
ne prend foin de les leur expliquer ?
Comment enfin foutiendront- ils le faix du
Gouvernement , fi l'on ne leur enfeigne à
le connoître & à le porter ?
Cette inftruction eft indifpenfable &
doit être proportionnée à l'importance
des devoirs du rang fuprême. Plus les
hommes font élevés au deffus des autres
hommes , & plus leurs démarches entraînent
de conféquences , plus ils doivent
tendre à la perfection . Si les Scipions & la
plupart des illuftres perfonnages de l'ancienne
Rome , à la vue des images de
leurs peres , furent excités à ces grandes
entrepriſes qui porterent au loin la répu
68 MERCURE DE FRANCE.
tation de leur patrie , * quel motif ne
trouvera-t-on pas dans l'éclat de la premiere
maison du monde , toujours regnante
depuis huit fiécles , & toujours regnante
fur la plus ancienne, la plus illuf
tre & la plus puiffante Monarchie de l'Europe
! Que ne doit pas produire un regard
jetté fur le régne de tant de Rois !
Le temps de la jeuneffe, ce temps où la
docilité ouvre la porte aux vertus , & tient
lieu des qualités dont on manque , eft prèſque
le feul ou la vérité trouve quelque
accès auprès des Princes. Dans tour le
refte de leur vie , la flatterie les affiége
ordinairement. Il n'eft par conféquent perfonne
à qui la lecture foit auffi néceffaire
qu'aux Souverains ; parce que , fans bleſfer
leur délicateffe , elle les inftruit des
vérités qu'on ofe rarement leur annoncer
, & qu'ils aiment rarement à entendre.
Et que doit -on étudier , fi ce n'eft
les devoirs de fon état ? Que doivent apprendre
les enfans , fi ce n'eft ce qu'ils
doivent faire étant hommes ? Que doivent
apprendre les jeunes Princes , fi ce
n'eft ce qu'ils doivent faire étant Rois ?
Si les Arts & les Sciences font la gloire
& le bonheur des États , comme l'on
鼐
Saluft, in Præfat. Bell. Jugurth.
DECEMBRE
. 1760. €69
n'en peut douter , de quelle utilité ne
fera pas pour les Princes la Science du
Thrône ! Les Souverains
ne doivent être
fçavans
que dans les connoiffances
qui conviennent
éffentiellement
à leur état :
c'eft en Rois qu'il faut les inftruire . L'Em-
-pereur Conftantin
Porphyrogenéte
, Alphonfe
Roi d'Arragon
, Jacques premier
Roi d'Angleterre
, furent des Princes trèsfçavans
mais le premier
étoit entierement
livré à l'amour des Belles - Letties ;
de fecond , à la compofition
des Tables
Aftronomiques
, appellées
Alphonfines
de fon nom ; & le troifiéme
fut tantôt Grammairien
, tantôt Théologien
, jamais Roi .
Aucun de ces trois Princes ne fçut , ni ne
fit fon métier. Le degré d'eftime dû aux
Arts & aux Sciences , ne peut être mefuré
que fur le rapport plus ou moins prochain
qu'ils ont à l'avancement
du bonheur
de
la Société civile. Un Souverain
doit connoître
, aimer , encourager
toutes les profeffions;
& un Prince deftiné à régner, ne
doit bien apprendre
que la fcience de
commander
aux hommes . Les autres peuvent
lui fervir comme de degrés pour ar river à ce but ; mais il ne doit les eltimer
utiles pour lui , qu'autant
qu'elles contribueront
à l'en approcher
. Il eft donc néceffaire
de donner aux
70
MERCURE DE FRANCE.
Princes toutes les
connoiffances qui ont
rapport au Gouvernement , & de les affectionner
àces
connoiffances ; car les grands
talens ne ſe développent qu'à la faveur
d'une forte
inclination pour tout ce qui
a rapport à leur objet. Eh ! quelle gloire
pour un Prince , lorfque le defir de remplir
des devoirs devient en lui une paffion !
Qu'il me foit permis d'entrer dans un
détail qu'exigent la majefté &
l'importance
du fujet.
Il n'eft point d'Ecrivain , ſoit parmi les
Anciens , foit parmi les Modernes , qui ,
ayant traité de matieres de
Gouvernement,
n'ait prouvé la néceffité de les étudier , ou
au moins qui n'ait fuppofé cette néceſſité
comme une de ces vérités évidentes auxquelles
l'efprit ne peut ſe refuſer. Tant
de Livres compofés fur des Affaires d'Etat,
dans tous les fiécles , dans tous les Pays
& fur toutes les parties du
Gouvernement,
ne montrent-ils pas la néceffité de les
étudier ?
་
On apprenoit dans les Ecoles des Grecs
tout ce qui fait le bon Citoyen , le grand
Capitaine , l'Homme d'Etat . Ceux qui
inftruifoient la jeuneffe ,
infpiroient par
leur exemple ce qu'ils
enfeignoient par
leurs leçons , l'amour de la Patrie ; & ces
instructions formoient des hommes qui
DECEMBRE. 1760.
r
étoient l'ornement du genre humain &
qui peuvent en être encore aujourd'hui le
modéle , comme ils en font l'admiration .
les
•
Dans les premiers fiécles de Rome , les
Sénateurs , pour former de bonne heure
leurs enfans à la Science du Gouvernement
, les introduifoient au Sénat , avant
même qu'ils euffent atteint l'âge de puberté
; & cet ufage , changé à l'occafion
du jeune Papirus dont l'hiſtoire eft connue
(a) fut rétabli par Augufte. (6) Dans tous
temps , dès que les enfans avoient pris
la Robe virile , ils étoient introduits fo
lemnellement dans la place publique ,
lieu où les Magiftrats haranguoient le
Peuple , Ecole des affaites d'Etat qui y
étoient difcutées. Un Romain étudioit de
bonne heure les intérêts de fa patrie , &
il n'étoit élevé aux emplois publics, qu'après
avoir acquis par le fecours de l'étude
, la capacité de gouverner une République
maîtreffe d'une grande partie de
la Terre.
Aujourd'hui , les jeunes Gentilshommes
de la Chancellerie de Suéde , n'y
font reçus qu'à la faveur de leurs difpofitions
naturelles , de leurs voyages , de
leurs études. C'eft dans cette Chancel-
( a ) Aulagelle. L. 1. Chap. 3 .
( b ) Suetone, g
32
72- MERCURE DE FRANCE.
lerie qu'on leur communique les Actes,
publics , & qu'on les inftruit des affaires
de la Nation (a).
Le Roi de Dannemarck vient d'ordondonner
(6 ) que des jeunes gens de diftinctions
affifteront aux Audiences du.
Tribunal Suprême de Dannemarck , en
qualité d'Affeffeurs ; afin qu'ils qu'ils puif
fent fe rendre dignes d'exercer les Ma-l
giftratures dont par la fuite ils pourront
être revêtus.
i Les Nobles Polonois ménent leurs enfans
aux Diettines ( c ) ; & les Nonces
(d) les leurs aux Diettes générales , pour
les rendre capables de fervit un jour la
République.
A Venife , où la politique eft l'affaire
capitale de tous les Citoyens , l'inftruction
des Peres rend les enfans capables :
de gouverner. Les jeunes Nobles affiftent
aux Confultations du College & aux
Délibérations du Sénat , feulement pour!
écouter. On les inftruit des affaires del
l'Etat , & on leur fait fentir chaque jour ,
qu'ils font nés pour y avoir part. La
'' ' ཎཱི ཝོ, 。
(a ),24 Article de l'Election de 4718 , confir
mé par celles de 1720 & de
( b ) En 1749
1743.
(c) Diettes des Palatinats. I. !
( d) Députés aux Diettes générales de Pologne.
Chambre
DECEMBRE . 1760. 73
Chambre fecrette , où font confervées
les Dépêches des Amballadeurs avec les
Registres de la République , leur eft ouverte.
Quelques jeunes Gentilshommes
accompagnent les Miniftres de la République
dans les Cours étrangères , pour
y faire l'apprentiffage des Emplois aufquels
ils afpirent . Enfin , aucun Noble
ne parvient aux grandes Magiftratures ,
qu'après s'être acquitté des moindres , à
la fatisfaction de fes Concitoyens ( a) .
›
En Allemagne , la Bulle d'or renferme
des difpofitions fur la manière d'élever
les Héritiers des Electeurs ; les No-,
bles s'appliquent à l'étude même du
Droit privé ; les Comtes & les Princes
de l'Empire ne dédaignent pas de s'en
inftruire. Tous les Gentilshommes quine
fe deftinent pas uniquement aux Armes
, fouvent même ceux qui s'y defti
nent , paffent plufieurs années aux Univerfités
, aux Académies , pour y apprendre
l'Hiftoire & les Loix de leur Patrie . Il y
a dans toutes les grandes Cours du Corps
( a) Hiftoire du Gouvernement de Venife , par
Amelot . pag. 24. de l'édition de 1676. La Ville
& la République de Venife , par Saint- Didier ; &
l'Ambajadeur & fes fonctions , par Wicquefort ,
P. 175 & 177 du premier volume ; édition de la
Haye , 1724.
D
74 MERCURE DEFRANCE
Germanique , une Chancellerie d'Etat
où les jeunes Gens font une étude réglée
des affaires publiques , fous l'infpection
générale du Chancelier , & fous la direction
particulière des Référendaires .
Les Allemands ne deviennent enfin Négociateurs
ou Miniftres d'Etat , que par
degrés , & qu'après s'être longtemps inftruits
de l'Hiſtoire , du Droit public , des
intérêts des Princes , de la Politique.
Cent Ouvrages fur le Gouvernement
font publiés continuellement dans les
Provinces Unies , & ce qui s'imprime
dans les autres Pays , eft toujours exactement
réimprimé dans celui-là. Un Hollandois
partage fes foins entre les intérêts
de fon Commerce & ceux de fa République.
Il étudie tout ce qui a rapport
au Gouvernement ; & comme il eft
fouvent Dépuré à l'Affemblée des Etats
Généraux , il eft communément fort inf
truit.
La connoiffance des principes du Gouvernement
est en Angleterre un objet
commun à toutes les Profeffions. Les Députations
aux Etats- Généraux , qu'on appelle
dans ce pays- là Parlement , mettent
les perfonnes de tous les Ordres à
portée de prendre part aux affaires publiques
; & l'intérêt que les Anglois ont de
DECEMBRE. 1760 . 75
poffeder des connoiffances dont ils peuvent
faire un ufage avantageux à leur Patrie
ou à leur fortune particulière , leur iufpire
une grande application pour les acquérir.
Ils veulent obtenir des graces & jouer
un grand rôle dans le Parlement , en fe
rendant néceffaires au parti de la Cour, ou
en fe diftinguant dans celui qui lui oppofé.
Il y a un fi grand nombre de Pairs dans
la Chambre Haute , la Chambre Baffe eft
compofée de tant de Députés , ces Repréfentans
de la Nation changent fi fouvent ,
& le defir de paroître avec éclat dans l'u-.
ne ou dans l'autre Chambre , agit ſi puiffi
famment fur le coeur de chaque Membre.
du Parlement , qu'il eft comme impoffible
que les Anglois n'ayent en général une
grande connoiffance des matières de Politique.
Si l'Angleterre ne fournit pas à
l'Europe des Ouvrages fyftématiques fur
le Gouvernement , comme font l'Allemagne
& la Hollande , elle fe fuffit au moins
à elle - même . Des feuilles volantes &
d'excellentes brochures inftruiſent tous les
Citoyens des droits & des intérêts de la
Nation , non pas feulement toutes les années
, tous les mois , mais toutes les femaines
, tous les jours .
De grands Rois & des hommes mêmes
qui commandoient à des Rois , n'avoient
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
appris que des Philofophes politiques la
Science du Gouvernement , & ils y ont
excellé. Caffandre fe faifoit donner des
préceptes politiques par Theophrafte , &
Sigebert par Fortunat . Pompée , ( a ) qui
avoit paffé fa jeuneffe dans le tumulte des
armes , ignoroit le bien public ; il pria
Varron de lui en compofer un livre , & il
fe rendit auffi excellent homme d'Etat
par l'Etude , qu'il s'étoit rendu grand Capitaine
par l'exercice des armes. Charles
V. qui a reçu de fon fiécle le nom illuſtre
de Sage , ( & , ce qui eft beaucoup plus
confidérable , à qui la poftérité l'a confirmé
, ) fe faifoit lire chaque jour quelque
ouvrage fur le Gouvernement . ( b ) Le
Grand Guftave- Adolfe , avoit perpétuellement
fous les yeux le Traité du Droit de
la Guerre & de la paix de Grotius ( c ) .
Dans le dixiéme fiècle , l'Empereur
Conftantin Porphyrogenete fit compofer
des Pandectes politiques ( d) . C'étoit une
grande compilation où l'on voyoit rangé
( a ) Pompée & autres Chefs de la République
Romaine.
(b ) Voyez le commencement du Somnium viridarii.
( c) Lettre de Jérôme Bignon à Grotius , du s
Mars 1632.
(d) Sanilas , Proleg. in Jul,
DECEMBRE 1760 .
77
fous certains titres , ce que Polybe , Nicolas
de Damas , Denis d'Halicarnaffe ,
Diodore de Sicile , & d'autres Hiftoriens
avoient écrit fur ce Sujet , afin que les
hommes d'Etat puffent s'inftruire facilement.
Si une compilation de cette étendue
n'eut pour objet que d'épargner aux
Princes la peine de lire ces Hiſtoriens
quel fruit ne pourra- t-on pas eſpérer de
la Science du Gouvernement expliquée
en entier ?
9
L'Hiftoire nous repréfente le Conqué
rant Mogol du dernier fiécle , le fameux
Orang Zeb , dans un cercle de Sçavans
, donnant à fa Cour un fpectacle
bien digne d'attirer , pendant quelques
momens les regards . Ce Prince déplore
l'éducation qu'on lui a donnée. Il trouve
mauvais qu'on l'ait bornée à des minuties
de grammaire & à une légére connoiſſance
de l'Indonftan , de fes Villes , de fes
Provinces , de fes revenus. Il marque un
regret extrême qu'on lui ait laiffé ignorer
les moeurs, les Coutumes & les intérêts des
Nations Etrangères , les refforts de la politique
, l'art de gouverner les Provinces ,
& les tempéramens de douceur & de févérité
qu'il y faut garder . Le difcours de
ce grand Prince fut diftribué dans tous les
Diij
76 MERCURE DE FRANCE.
appris que des Philofophes politiques la
Science du Gouvernement , & ils y ont
excellé. Caffandre fe faifoit donner des
préceptes politiques par Theophrafte , &
Sigebert par Fortunat. Pompée , ( a ) qui
avoit paffé fa jeuneffe dans le tumulte des
armes , ignoroit le bien public ; il pria
Varron de lui en compofer un livre , & il
fe rendit auffi excellent homme d'Etat
par l'Etude , qu'il s'étoit rendu grand Capitaine
par l'exercice des armes . Charles
V. qui a reçu de fon fiécle le nom illuftre
de Sage , ( & , ce qui eft beaucoup plus
confidérable , à qui la poſtérité l'a confirmé
, ) ſe faiſoit lire chaque jour quelque
ouvrage fur le Gouvernement . (b ) Le
Grand Guftave- Adolfe , avoit perpétuellement
fous les yeux le Traité du Droit de
la Guerre & de la paix de Grotius ( c ) .
Dans le dixième fiécle , l'Empereur
Conftantin Porphyrogenete fit compofer
des Pandectes politiques ( d ) . C'étoit une
grande compilation où l'on voyoit rangé
( a ) Pompée & autres Chefs de la République
Romaine.
(b ) Voyez le commencement du Somnium viridarii
.
( c ) Lettre de Jérôme Bignon à Grotius , du s
Mars 1632.
(d) Sanilas , Proleg. in Jul,
DECEMBRE 1760 . 77
fous certains titres , ce que Polybe , Nicolas
de Damas , Denis d'Halicarnaffe ,
Diodore de Sicile , & d'autres Hiftoriens
avoient écrit fur ce Sujet , afin que les
hommes d'Etat puffent s'inftruire facilement.
Si une compilation de cette étendue
n'eut pour objet que d'épargner aux
Princes la peine de lire ces Hiftoriens
quel fruit ne pourra -t- on pas efpérer de
la Science du Gouvernement expliquée
en entier ?
9
L'Hiftoire nous repréfente le Conqué
rant Mogol du dernier fiècle , le fameux
Orang Zeb , dans un cercle de Sçavans
, donnant à la Cour un fpectacle
bien digne d'attirer , pendant quelques
momens les regards. Ce Prince déplore
l'éducation qu'on lui a donnée. Il trouve
mauvais qu'on l'ait bornée à des minuties
de grammaire & à une légére connoiſſance
de l'Indonftan , de fes Villes , de fes
Provinces , de les revenus . Il marque un
regret extrême qu'on lui ait laiffé ignorer
les moeurs , les Coutumes & les intérêts des
Nations Etrangères , les refforts de la politique
, l'art de gouverner les Provinces ,
& les tempéramens de douceur & de févérité
qu'il y faut garder . Le difcours de
ce grand Prince fut diftribué dans tous les
Diij
76 MERCURE DE FRANCE.
appris que des Philofophes politiques la
Science du Gouvernement , & ils y ont
excellé. Caffandre fe faifoit donner des
préceptes politiques par Theophrafte , &
Sigebert par Fortunat . Pompée , ( a ) qui
avoit paffé fa jeuneffe dans le tumulte des
armes , ignoroit le bien public ; il pria
Varron de lui en compofer un livre , & il
fe rendit auffi excellent homme d'Etat
par l'Etude , qu'il s'étoit rendu grand Capitaine
par l'exercice des armes. Charles
V. qui a reçu de fon fiécle le nom illuftre
de Sage , ( & , ce qui est beaucoup plus
confidérable , à qui la poſtérité l'a confirmé
, ) ſe faiſoit lire chaque jour quelque
ouvrage fur le Gouvernement. ( b ) Le
Grand Guftave- Adolfe , avoit perpétuellement
fous les yeux le Traité du Droit de
la Guerre & de la paix de Grotius ( c ) .
Dans le dixième fiécle , l'Empereur
Conftantin Porphyrogenete fit compofer
des Pandectes politiques ( d ) . C'étoit une
grande compilation où l'on voyoit rangé
( a ) Pompée & autres Chefs de la République
Romaine.
(b ) Voyez le commencement du Somnium viridarii
.
( c) Lettre de Jérôme Bignon à Grotius , du s
Mars 1632.
(d ) Sanilas , Proleg. in Jul,
DECEMBRE 1760 . 77
fous certains titres , ce que Polybe , Nicolas
de Damas , Denis d'Halicarnaffe ,
Diodore de Sicile , & d'autres Hiftoriens
avoient écrit fur ce Sujet , afin que les
hommes d'Etat puffent s'inftruire facilement.
Si une compilation de cette étendue
n'eut pour objet que d'épargner aux
Princes la peine de lire ces Hiftoriens
quel fruit ne pourra -t - on pas eſpérer de
la Science du Gouvernement expliquée
en entier ?
L'Hiftoire nous repréfente le Conquérant
Mogol du dernier fiécle , le fameux
Orang Zeb , dans un cercle de Sçavans
, donnant à fa Cour un fpectacle
bien digne d'attirer , pendant quelques
momens les regards . Ce Prince déplore
l'éducation qu'on lui a donnée. Il trouve
mauvais qu'on l'ait bornée à des minuties
de grammaire & à une légère connoiſſance
de l'Indonftan , de fes Villes , de fes
Provinces , de les revenus. Il marque un
regret extrême qu'on lui ait laiffé ignorer
les moeurs, les Coutumes & les intérêts des
Nations Etrangères , les refforts de la politique
, l'art de gouverner les Provinces ,
& les tempéramens de douceur & de févérité
qu'il y faut garder. Le difcours de
ce grand Prince fut diftribué dans tous les
Diij
76 MERCURE DE FRANCE.
appris que des Philofophes politiques la
Science du Gouvernement , & ils y ont
excellé. Caffandre fe faifoit donner des
préceptes politiques par Theophrafte , &
Sigebert par Fortunat . Pompée , ( a ) qui
avoit paffé fa jeuneffe dans le tumulte des
armes , ignoroit le bien public ; il pria
Varron de lui en compofer un livre , & il
fe rendit auffi excellent homme d'Etat
par l'Etude , qu'il s'étoit rendu grand Capitaine
par l'exercice des armes. Charles
V. qui a reçu de fon fiécle le nom illuſtre
de Sage , ( & , ce qui eft beaucoup plus
confidérable , à qui la poſtérité l'a confirmé
, ) fe faifoit lire chaque jour quelque
ouvrage fur le Gouvernement. ( b ) Le
Grand Guftave- Adolfe , avoit perpétuellement
fous les yeux le Traité du Droit de
la Guerre & de la paix de Grotius ( c ).
Dans le dixième fiécle , l'Empereur
Conftantin Porphyrogenete fit compofer
des Pandectes politiques ( d) . C'étoit une
grande compilation où l'on voyoit rangé
( a ) Pompée & autres Chefs de la République
Romaine.
(b ) Voyez le commencement du Somnium viridarii.
(c) Lettre de Jérôme Bignon à Grotius , du s
Mars 1632 .
(d) Sanilas , Proleg. in Jul.
DECEMBRE 1760 . 77
fous certains titres , ce que Polybe , Nicolas
de Damas , Denis d'Halicarnaffe ,
Diodore de Sicile , & d'autres Hiftoriens
avoient écrit fur ce Sujet , afin que les
hommes d'Etat puffent s'inftruire facilement.
Si une compilation de cette érendue
n'eut pour objet que d'épargner aux
Princes la peine de lire ces Hiftoriens ,
quel fruit ne pourra-t - on pas espérer de
la Science du Gouvernement expliquée
en entier ?
L'Hiftoire nous repréfente le Conqué
rant Mogol du dernier fiécle , le fameux
Orang Zeb , dans un cercle de Sçavans
, donnant à la Cour un fpectacle
bien digne d'attirer , pendant quelques
momens les regards. Ce Prince déplore
l'éducation qu'on lui a donnée. Il trouve
mauvais qu'on l'ait bornée à des minuties
de grammaire & à une légére connoiffance
de l'Indonftan , de fes Villes , de fes
Provinces , de fes revenus. Il marque un
regret extrême qu'on lui ait laiffé ignorer
les moeurs, lesCoutumes & les intérêts des
Nations Etrangères , les refforts de la politique
, l'art de gouverner les Provinces ,
& les tempéramens de douceur & de févérité
qu'il y faut garder. Le difcours de
ce grand Prince fut diftribué dans tous les
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
vaftes Etats de fa domination ( a ).
le
Ce fut par l'ordre du feu Roi que
célébre Evêque de Meaux fit un ouvrage
fur le Gouvernement , pour l'inftruction
de Monfeigneur le Duc de Bourgogne. (b) ,
& ce Monarque avoit ordonné qu'il en
fût compofé , fur le même fujet , un autre
( c ) d'où la flatterie feroit bannie . La
vérité devoit y paroîtte dans toute fa
pureté , & l'ouvrage demeurer fecret
pour tout autre que pour les trois Enfans
de France qui vivoient alors.
Quelpoids la lumière naturelle ne peutelle
pas ajouter à ces opinions des Anciens
& des Modernes , à ces ufages des
Peuples , à ces exemples des Rois !
Rien n'eft fi digne d'occuper la raiſon
que la Science du Gouvernement. Cetre
Science a pour objet le bonheur public ,
& elle eft la plus utile comme la plus noble
des fciences humaines. On n'y trouve
(a) Voyages de Bernier. Hiftoire générale du
Mogol par Catrou . Paris , 1705 .
(b) Politique tirée des paroles de l'Ecriture
Sainte , par Boffuet , Paris , 1709 , in-4º .
(c ) Voyez les pages 186 , 187 & 188 , de la
Méthode tenue pour l'éducation de Melleigneurs
les Ducs de Bourgogne , d'Anjou & de Berry ;
imprimée à la fuite de l'ouvrage énoncé dans la
précédente note.
DECEMBRE . 1760 . 79
aucun principe dont on n'apperçoive
l'application , & la théorie s'y tourne toujours
en pratique. Sans cette Science , les
Sujets ignorent des vérités & des principes
qu'il leur importe de fçavoir ; les Souverains
ne peuvent appuyer leur conduite ,
ni les Miniftres leurs Confeils , fur des
fondemens folides ; & ces mots de vertu
de raifon , d'équité , qu'ils prononcent fi
fouvent , font des noms vuides de fens
dans leur bouche.
Nous y apprendrons une vérité éffentielle,
que les bons Rois ne perdent jamais
de vue . C'eft que les fupériorités n'ont
point leur fin en elles- mêmes ; que les
Souverainetés n'ont eté établies que pour
l'avantage des Sujets ; & que
la domination
de la volonté d'un feul homme fur celle
des autres hommes , n'eft jufte que parce
qu'elle doit procurer leur bonheur. C'eft
des veilles du Souverain que doit naître
le bonheur de plufieurs millions d'hommes
confiés à fes foins. L'Agriculture ,
le commerce intérieur & extérieur , la
manutention des Loix qui font le fondement
d'un Etat , la difcipline des Armées
où réfide toute fa puiffance , le réglement
des Finances qui le foutiennent , les négociations
étrangères qui le fortifient ,
doivent partager tour- à- tour l'attention
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
du Prince. Il ne peut fe relâcher für au
cuns de ces foins , fans fe refufer à la
juftice qu'il doit à fes Sujets. Il eſt un double
lien entre les Maîtres & les Citoyens
des Etats ; l'un de protection , unit le
Prince à fon Sujet ; l'autre de dépendance
, lie le Sujet à fon Prince. Les Rois
font la plus vive image de Dieu fur la
terre , ils y montrent fa grandeur , ils
y exercent fon autorité ; l'Ecriture Sainte
les appelle des Dieux (a) ; mais ce nom
n'eft pas moins pour les Princes une leçon
de juſtice , de vigilance , de bonté
que pour les Peuples une leçon de refpect
, d'obéiffance d'amour ; & c'eft
principalement par la juftice que les Souverains
doivent reffembler à Dieu. C'eft
être Dieu à l'homme , que de fecourir
P'homme ; faire régner la juftice , c'eſt
être la caufe univerfelle du bien , & mériter
en quelque forte par reflemblance
un nom qui appartient à Dieu par nature.
>
Quel est le moyen de remplir de fi
grands devoirs ? Les hommes ont dans
l'âme les principes de toutes les vertus
morales & politiques ; mais ces femences
demeurent ftériles , fi elles ne font culti-
( a ) Ego dixi . Dii eftis vos Pfalm. 81. v . Zá
DECEMBRE. 1760. 81
vées ; & ce n'eft que par l'étude & par
l'expérience qu'un Prince peut fe rendre
capable de régner. On fçait quels peuvent
être lesfruits de l'une,& de l'autre ; & il
s'en faut bien que l'expérience fournie
les mêmes refſources que l'étude . L'intervalle
qui fépare le commencement & la
fin de la vie eft fi court , qu'il femble
que ces deux extrémités fe touchent ;
une expérience de fi peu de jours ne fçauroit
fournir qu'une inftruction médiocre.
L'étude , par un chemin plus facile & plus
abrégé , donne des connoiffances plus
étendues & plus parfaites ; on n'eft jamais
à portée de tout voir , mais la lecture
peut tout enfeigner. Quelque long que
foit fon régne , un Souverain n'a prèfque
jamais à conduire deux grandes affaires
qui fe reffemblent parfaitement. C'eft
par la connoiffance des événemens qui
ont précédé , qu'on doit fe précautionner
contre ceux qui peuvent fuivre. Si
l'on n'eſt d'avance inftruit des principes ,
on fait de fauffes démarches qu'on n'a
pas toujours le temps de réparer. N'eftil
pas plus fage & plus utile de s'inftruire
par les fautes des autres , dans l'étude &
la Science du Gouvernement , que par
celles qu'on feroit foi - même dans la
pratique , fi cette étude n'avoit précédée
Dy
82 MERCURE
DE FRANCE
."
Les perfonnes
qui fervent
les Princes
dans leurs affaires , ne font tant de fautes
que parce qu'il n'y a ni régle pofitive , ni
principes
écrits qui ferviroient
ou à re- dreffer leurs vues , ou à leur donner celles
qu'ils doivent
avoir. Delà vient qu'on
arrive fi tard au but qu'on devroit fe propofer
, & que très- fouvent
on le manque. Aucune Société ne fçauroit
fubfifter
longtemps
, qu'avec
le fecours
d'une régle d'inftitut
toujours
préfente
à ceux qui la conduifent
. Comment
l'Etat , qui renfer- me toutes les Communautés
, Dauffi bien
que tous les Particuliers
, pourroit
- il s'en
paffer ? Comment
, ceux qui fuccédent
aux places & aux emplois
, feront ils au
fait de ce que les conjonctures
changent
aux principes
qu'ils voyent qu'ont fuivi
leurs prédéceffeurs
? Faute de cette régle permanente
, une bonne idée qui n'a pû
s'exécuter
, périt avec l'inventeur
; & une
infinité de mauvaiſes
, adoptées
par
cité , par ignorance
, ſe perpétuent
. Chaque
emploi demande
une étude
particulière
, tous les Arts s'apprennent
; & les plus faciles , les moindres
ont leurs
principes
, leur méthode
, leur temps
d'apprentiffage
. Celui de conduire
le
re humain, n'aura t- il pas fes régles ? Gou- vernera-t- on le monde à l'avanture
? Il
vivagenDECEMBRE
. 1760. 83
eft moralement impoffible que le Gouvernement
exercé fans théorie , foit longtemps
heureux. La perfection d'un art
demeure toujours inconnue à ceux qui
ne fe conduifent que par routine (a ) ; &
une longue expérience qui n'eft pas foutenue
par un fond réel de connoiffances ,
n'eft fouvent qu'une longue habitude
d'erreur. Il faut joindre les exemples
des fiécles paffés à l'expérience , la fpéculation
à la pratique , la raifon à l'ufage.
Ce n'est qu'en exerçant fans ceffe fon
intelligence , qu'on lui donne de l'étendue.
Ce qu'on apprend par l'étude ne
fuffit pas ,
il est vrai , pour former un
grand homme d'Etat ; mais on y acquiert
des connoiffances abfolument néceffaires ,
des principes fondamentaux , une théorie
qui ouvre l'efprit , qui fournit des
idées , & qui contribue par des réflexions
à affurer & à étendre les vues de la
tique. Les connoiffances fpéculatives . &
celles de l'ufage s'entr'aident , l'exercice
perfectionne ce que la méditation a enfeigné
, & achève l'homme d'Etat que
l'étude a commencé .
pra-
Si l'on a vu des hommes gouverner
avec fuccès fans le fecours de l'étude
c'étoient des efprits fupérieurs , & il n'eſt
(e) Cicer. Acad. queft. Lib. 4.
2
D vj
84 MERCURE DE FRANCE:
donné qu'à des Génies du premier or
dre de tirer tout de leur propre fonds.
Peu de gens peuvent fe flatter d'être nés
avec cette pénétration & cette étendue
d'efprit qui fuppléent à l'étude , & quelquefois
même à l'expérience. D'ailleurs ,
ces hommes extraordinaires ont été bien
rares & feroient allés plus loin , fi une
bonne éducation eût augmenté les avantages
qu'ils avoient reçus de la Nature.
Eh ! qu'on ne croye point que l'étude
des diverfes parties de la Science du Gouvernement
, foit inutile aux Sujets. Qui
pourroit penfer que l'étude du Droit naturel
, laquelle nous donne des principes
qui s'étendent à tout , & qui font de
tous les temps & de tous les lieux , ſoit
inutile à des hommes ? Tous les particu
liers font obligés de bien vivre ? & doivent
par conféquent connoître le Droit
naturel. Qui pourroit penfer que la connoiffance
du Droit , dans fes plus nobles
portions , foit inutile à des Citoyens :
Nous avons à vivre avec nos Concitoyens
& à communiquer avec les Etrangers , &
il importe que nous n'ignorions pas les
régles de ces diverfes Sociétés. Tout le
monde n'eft pas appellé à la conduit
des Peuples ; mais puifque les particu
liers & les Sociétés entières vivent fou
DECEMBRE. 1760. 85
des régles , ils doivent s'en former des
idées auffi nettes & auffi juftes qu'il eft
poffible. La fcience d'obéir & de commander
, prife dans toute fon étendue ,
ne peut être indifférente à perfonne. Elle
eft , a divers égards , néceflaire à tout le
monde ; aux uns , abfolument , pour bien
gouverner ; aux autres , jufqu'à un certain
point , pour le gouverner eux- mêmes
, & pour obéir aux Loix fous lefquelles
ils vivent.
,
Loin de nous ce rafinement de certains
Politiques , qui placent l'effentiel du Gouvernement
dans un mystére impénétrable
au peuple. Il importe fans doute aux Princes
de ne pas manifeſter les délibérations
du cabinet les entreprifes qui pourroient
échouer fi elles étoient découvertes
, les négociations fujettes à être traverfées
, les reffources qu'ils fe font ménagées
pour certains événemens , l'état
de leurs finances ; mais ils ne doivent pas
vouloir cacher les principes généraux da
Gouvernement , ils ne le veulent point ,
& ils le voudroient inutilement.
Ce ne font point les lumières des Sujets
que le Prince doit craindre , c'eft leur
ignorance. Celle des Lettres eft toujours
fuivie de celle des Loix , comme celle -ci
Peft de celle des devoirs. Le fçavoir rend
86 MERCURE DE FRANCE .
tranquille , fournit une douce occupation ;
& éclaire fur les fuites de l'indocilité ;
mais les gens peu inftruits , & les gens
oififs , font également dangereux dans un
Etat. Le Gouvernement n'a d'autre objet
que de rendre les Peuples heureux ;
& il eft fi utile aux hommes , que tous
les avantages dont ils jouiffent fur la
terre , leur fortune , leur honneur , leur
vie en dépendent.
Les Souverains mêmes doivent defirer
que les régles du commandement & de
l'obéiffance foient connues. Cette connoiffance
difpofe à faire par amour ce que
fans elle on ne feroit que par contrainte.
L'un de ces moyens eft plus für que l'autre
; mais réunis , ils ne laiffent rien à defirer.
Une foumiffion éclairée n'en eſt que
plus prompte & plus fincére. Quand la
régle eft bien connue , le Prince régne
felon les Loix , le Magiftrat fait un ufage
raifonnable de fon pouvoir , le Sujet rend
une obéiffance dont il connoît & l'utilité
& la néceffité : toutes les voies qui
nous inftruiſent de notre devoir nous le
font aimer , & nous ne fçaurions étudier
les principes de Gouvernement , fans être
convaincus que les Loix font la fource de
la félicité publique , & que chaque Ci-
Loyen a intérêt d'obéir exactement au
DECEMBRE. 1760. 87
Souverain , foit. que le pouvoir fuprême
réfide dans un feul , foit qu'il réfide dans
plufieurs , ou dans tous .
L'étude de la Science du Gouverne-
, cette étude fi néceffaire à la Société
, fi importante , fi fort en honneur
en Hollande , en Angleterre , en Allemagne
, & dans le Nord , eft néanmoins
abandonnée en quelqués lieux : Négligence
déplorable ! S'il n'eft point d'Art
plus relevé que celui de gouverner , il
n'en eft point auffi où les erreurs foient
d'une fi dangereufe conféquence . Dans
les autres Arts , l'ignorance ne peut nuire
qu'à peu de gens : Ici , elle porte un préjudice
capital à tous les Citoyens ; & la
mifére publique marche à la fuite des
différentes efpéces de fautes des Princes
& de leurs Miniftres.
L'homme eft naturellement porte
négliger la connoiffance des chofes qui
l'environnent : ou il croit les fçavoir , ou
il fuppofe qu'il fera toujours à temps de
les apprendre . Il réferve fon attention
pour celles la diftance des temps &
des lieux a mifes hors de fa portée . * Il
néglige ce qui leregarde perfonnellement,
& s'attache à des objets étrangers . Par
que
*Vetera extollimus , recentium incuriofi. Tacit,
Annal. Lib. 2 .
88 MERCURE DE FRANCE.
cette bifarre difpofition d'efprit , on ignore
affez fouvent les chofes qu'on a intérêt de
connoître , & l'on ne s'applique qu'à acquérir
la connoiffance de celles qu'on
pourroit ignorer fans danger. Delà vient ,
que peu de perfonnes connoiffent les principes
de Gouvernement & les fondemens
du repos public , qui font la fureté des
Princes & le bonheur de fes Sujets.
On découvre fans peine , pourquoi quelques
pays font féconds, & quelques autres
ftériles en fujets propres à manier les affaires
publiques. C'eft fuivant le goût de
chaque Nation, la forme de chaque Etat,
& à proportion de l'attention de chaque
Souverain , que la Science du Gouvernement
eft plus ou moins cultivée; felon que
Ja difcipline nationale eft bonne ou mauwaife,
lesNations font bien ou mal élevées.
La négligence à étudier les principes
de Gouvernement fe manifefte furtour
dans les Monarchies , qui n'admettent
dans les myſtères d'Etat qu'un petit nombre
de perfonnes. Les particuliers y něgligent
cette étude , dans la penfée qu'ils
ne parviendront jamais aux grands emplois
; & ceux mêmes à qui une naiffance
illuftre & une fortune confidérable font
concevoir des espérances plus relevées ,
me font
pas exempts de cette négligence,
DECEMBRE. 1760. 89
parce qu'ils doutent fi leur ambition fera
jamais fatisfaite. Les Miniftres que d'heureufes
circonftances ont mis en place ,
font plus occupés des ufages reçus , qu'attentifs
à connoître la régle. Les Princes
mêmes ne font pas toujours affez de réfléxions
, ni fur les principes qui fondent
le fage Gouvernement , ni fur les conféquences
qui en résultent.
Louis le Jufte & Louis le Grand ont
établi des Académies célébres ; leurs régnes
ont été fertiles en grands hommes
dans prèfque tous les genres ; & le der
nier fiécle a été le fiècle des Arts & des
Sciences ; mille productions de l'efprit
humain ont illuftré la France , & par une
heureuſe influence , inftruit toute l'Europe.
Le Roi foutient les anciens établiffemens
& en fait de nouveaux ; mais , fous
aucun de ces trois grands Monarques
perfonne n'a perfectionné la Science du
Gouvernement. Perfonne n'a traité d'aucune
des parties de cette Science , avec
quelque forte d'ordre , & dans une juſte
étendue .
Qu'il eft peu d'hommes parmi nous
qui s'inftruiſent des Loix & des intérêts
de leur pays , des moeurs & des maximes
des autres peuples ! Les François ſemblent
réſerver leur eftime pour les honneurs
90 MERCURE DE FRANCE.
qui s'acquiérent par la profeffion des armes
; & , comme fi la valeur étoit la feule
vertu néceffaire à la guerre , ils négligent
encore en ce point cette étude du cabinet
qui feule prépare des grands hommes
aux Nations. L'art de la guerre eſt
malheureuſement regardé par beaucoup
d'Officiers François , comme un art méchanique
, où les yeux du corps
, l'exercice
, & la pratique fuffifent , & ou le
génie fupérieur , l'efprit pénétrant & cultivé
, & l'habitude de penfer , femblent
inutiles. Auffi , qu'il me foit permis de
le dire , cette Monarchie a - t - elle peu
d'Officiers généraux en qui les qualités
acquifes éclatent au même dégré que les
Talens naturels . Dieu veuille que trois
bons Ouvrages qu'on a publiés , il n'y
a pas longtemps , contribuent à déprendre
nos Guerriers de cette erreur. Cicéron
rapporte que Lucullus , ayant employé
tout le temps du trajet de Rome
en Afie , à lire les actions des grands Capitaines
, & à interroger les gens du métier
, arriva dans ce pays -là Général tour
formé , quoiqu'il fût parti de Rome fans
aucune expérience militaire . Le Marquis
*
* Les Mémoires de Feuquieres ; les Commentaires
fur Polybe , par Folard ; l'Art de la Guerre
par régles & principes , par Puyfegur.
DECEMBRE 1760. 91
C
Spinola , fi célébre dans les guerres des
Pays-Bas , le plus grand Général de fon
fiécle après le Prince Maurice de Naffau ,
fçut faire la guerre , donner des batailles ,
prendre des Villes , conduire des Armées ,
avant que d'avoir fervi .
Les Sujets du Roi font réduits à la fâcheufe
alternative , ou d'ignorer tout ce
qui a rapport au Gouvernement , ou de
n'en être inftruits qu'imparfaitement par
les Auteurs étrangers. Il n'y a dans cette
Monarchie ni Académie de Politique (a) ,
ni Cabinet d'Etat (b) , ni chaire de Droit
public , ni Profeffeurs de Droit des Gens ,
ni régle certaine, pour élever de bons Sujets
dans les connoiffances que demandent
les emplois du Gouvernement. Le
principe d'une inftruction univerfelle , par
rapport au Gouvernement actif & paffif ,
( a ) Henri VIII. Roi d'Angleterre , avoit établi
dans fes Etats , & le feu Roi dans les fiens , une
Académie de jeunes gens qu'ils faifoient inftruire ,
& deftinoient aux Négociations.
(b) On ne peut lire dans les Mémoires de Sully,
(pag. 89 jufqu'à 103 du troifiéme vol . ) le
projet d'un Cabinet d'Etat fait entre Henri IV &
fon Miniftre , faus regretter que ce Cabinet n'ait
pas été formé. Il eût été utile au Roi , aux Miniftres
, à tous les Citoyens , pourvû qu'on n'y eût
pas fait entrer les idées Lacédémoniennes du Duc
de Sully.
92 MERCURE DE FRANCE.
manque à ce Royaume , & un parallèle ,
ailé à faire entre nos ufages & ceux de
quelques autres Peuples , nous montreroit
avec évidence , pourquoi nous fommes
communément moins inftruits à cet
égard que nos voisins.
Ce n'eft pas d'aujourd'hui qu'on fe
plaint que nous négligeons cette étude.
Un de nos anciens Auteurs a remarqué
que les François ne confervoient pas.
avec l'exactitude qu'on avoit dans les autres
Pays , les actes de la paix , de la
guerre , des négociations ; & que moins
informés de leurs affaires qu'aucun autre
Peuple , ils étoient comme étrangers dans
leur propre pays ( a ). Un autre Ecrivain
nous apprend que de fon temps , les Ambaffadeurs
des autres Nations étoient
beaucoup mieux inftruits que ceux dè
France (b) . Il y a près de deux fiécles que le
premier de ces reproches nous a été fait ,
nous n'y avons remédié qu'en partie (c); &
( a ) Budé , dans fes Notes fur les Pandectes ,
pag. 89.
(b ) Villiers-Hotman , dans l'Epître qui eſt à
la tête du Livre intitulé : De la charge & dignité
de l' Ambaffadeur , deuxième édition , Paris , 1604 ,
‚in-12.
(c) Les papiers qui regardent les négociations
étrangères font confervés à préfent dans un appartement
au Palais des Thuileries ; mais à l'inf
truction de qui fervent-ils ?
es
DECEMBRE. 1760. 93
s'il faut dire la vérité , à ne parler qu'en
général , le fecond fubfifte dans toute
fon étendue.
Nos François font naturellement ingénieux
mais quelle funefte alliance
que celle de l'ignorance & de l'efprit !
Nous n'avons point d'autre principe que
la mode ; elle décide de nos études
comme de nos ajuſtemens , & la mode
n'eft pas de travailler à fe rendre utile
à la Monarchie , en étudiant fes intérêts
& nous mettant en état de fervir à fes
befoins. Les jeunes gens qui , dans le
cours de leurs premières études , temps
fi précieux , & ordinairement fi mal employé
, ne voyent rien qui ait rapport à
la Science du Gouvernement, ne s'aviſent
point de s'y appliquer , lorfqu'ils font livrés
à toutes les paffions , à tous les emportemens
de l'âge. Cette négligence influe
fur la conduite du refte de la viede cette
Jeuneffe peu inftruite ; & c'eft de- là que
vient l'ignorance qui , en même temps
qu'elle rend incapable de remplir lesEmplois
publics , femble augmenter le defir
ambitieux de les pofféder.
En voila affurément plus qu'il ne faut
pour prouver qu'il eft indifpenfable que
les Princes foient inftruits des principes de
Gouvernement , & qu'ils connoiffent tous
92 MERCURE DE FRANCE.
manque à ce Royaume , & un parallèle ,
aié à faire entre nos ufages & ceux de
quelques autres Peuples , nous montreroit
avec évidence , pourquoi nous fommes
communément moins inftruits à cet
égard que nos voisins.
Ce n'eft pas d'aujourd'hui qu'on fe
plaint que nous négligeons cette étude.
Un de nos anciens Auteurs a remarqué
que les François ne confervoient pas.
avec l'exactitude qu'on avoit dans les autres
Pays , les actes de la paix , de la
guerre , des négociations ; & que moins
informés de leurs affaires qu'aucun autre
Peuple , ils étoient comme étrangers dans
leur propre pays ( a ). Un autre Ecrivain
nous apprend que de fon temps , les Ambaffadeurs
des autres Nations étoient
beaucoup mieux inftruits que ceux de
France (b) . Il y après de deux fiécles que le
premier de ces reproches nous a été fait
nous n'y avons remédié qu'en partie (c) ; &
( a ) Budé , dans fes Notes fur les Pandectes
pag. 89.
(b) Villiers-Hotman , dans l'Epître qui eſt à
la tête du Livre intitulé : De la charge & dignité
de l' Ambaffadeur , deuxième édition , Paris , 1604 ,
in-12.
(c) Les papiers qui regardent les négociations
étrangères font confervés à préfent dans un ap
partement au Palais des Thuileries ; mais à l'inf
ruction de qui fervent-ils ?
2%
DECEMBRE. 1760. 93
s'il faut dire la vérité , à ne parler qu'en
général , le fecond fubfifte dans toute
fon étendue.
Nos François font naturellement ingénieux
mais quelle : funefte alliance
que celle de l'ignorance & de l'efprit !
Nous n'avons point d'autre principe que
la mode ; elle décide de nos études
comme de nos ajuſtemens , & la mode
n'eft pas de travailler à fe rendre utile
à la Monarchie , en étudiant fes intérêts
& nous mettant en état de fervir à fes
befoins. Les jeunes gens qui , dans le
cours de leurs premières études , temps
fi précieux , & ordinairement fi mal employé
, ne voyent rien qui ait rapport à
la Science du Gouvernement, ne s'aviſent
point de s'y appliquer , lorfqu'ils font livrés
à toutes les paffions , à tous les emportemens
de l'âge. Cette négligence influe
fur la conduite du refte de la viede cette
Jeuneffe peu inftruite ; & c'eft de- là que
vient l'ignorance qui , en même temps
qu'elle rend incapable de remplir lesEmplois
publics , femble augmenter le defir
ambitieux de les pofféder.
En voila affurément plus qu'il ne faut
pour prouver qu'il eft indifpenfable que
les Princes foient inftruits des principes de
Gouvernement , & qu'ils connoiffent tous
94
MERCURE DE FRANCE.
les détails de la Science pour laquelle ils
font nés.
Un Traité complet de Gouvernement
a été , en divers temps & en differens pays ,
l'objet des voeux de trois fçavans Jurifconfultes
( a ) , dont le dernier fut plus habile
que ne l'ont été la plupart des Légiflateurs
. Mais comment raffembler tous
les matériaux qui doivent former cet Ouvrage
? Où trouver toutes les connoiffances
, pour donner une inftruction fi
utile , fi néceffaire , fi indifpenfable ? Pour
inftruire toutes les perfonnesqui pourront
dans la fuite être employées dans les diverfes
parties de l'adminiftration publique
? Pour éclairer les Peuples ?
Sera- ce dans l'Antiquité ? Peu de régles
anciennes de Gouvernement font venues
jufqu'à nous , foit qu'elles n'ayent pas
été écrites dans tous les Etats , foit que ,
plus occupés du préfent que de l'avenir , les
Sçavans ayent négligé de les tranſmettre
à la postérité , foit enfin qu'elles n'ayent
pu échapper aux outrages du temps ,
ou que les ravages des guerres nous les
}
( a ) Louis le Roy , dont je fais mention dans
mon Examen ; Vincent Caboi , à qui j'ai auſſi donné
un article ; & Hugues Grotius. Voyez le Difcours
préliminaire qui eft à la tête du Traité : De
Jure belli & pacis.
DECEMBRE , 1760 .
95
ayent enlevées. Dans quelques fragmens
que les Grecs nous ont confervés des
Loix des Orientaux , tout marque l'ignorance
& la groffiéreté qui accompagnent
toujours les premiers âges des Nations.
Nous n'avons prèfque rien des Grecs euxmêmes
, quoique ce Peuple s'appliquât.
beaucoup à la Science du Gouvernement .
Les Romains , ces hommes fi habiles , ne
nous ont laiffé à cet égard aucun précepte.
Leurs Succeffeurs n'ont pas eu plus
d'attention à faire paffer jufqu'à nous
des régles que nous puffions confulter.
Si quelques unes des Loix de ces Nations
célébres , fi quelques -unes de leurs régles
, fi quelques uns de leurs préceptes
pour le Gouvernement , ont franchi la
barrière de tant de fiécles , ils ne nous
ont été confervés que dans un état d'imperfection
qui nous les rend prèfque inutiles
. Auffi éloignés des moeurs des Anciens
que de leurs fiécles , nous chercherions
en vain dans leurs ouvrages toutes
les régles de Gouvernement qui nous font
néceffaires .
Sera - ce dans les Auteurs modernes
qu'il faudra les chercher ? Nous avons
des avantages qui'manquoient à nos péres.
Les Sociétés ont pris une forme ftable
, & les droits des hommes font par
96 MERCURE DE FRANCE
conféquent mieux connus , & plus aifés
à diftinguer. Le monde eft plus âgé , &c
c'eft le temps qui perfectionne les Sciences.
Nous fommes inftruits par les découvertes
de ceux qui font venus avant
nous ; & les premiers Inventeurs nous
aident eux- mêmes à les furpaffer. La
Science du Gouvernement n'a pas fait
cependant tout le progrès que tant d'avantages
fembloient nous promettre . Elle
n'eft pas au point de perfection où le
genre humain a intérêt qu'elle foit portée.
Les connoiffances néceffaires pour
régir les Etats font difperfées , aucun
Ecrivain n'a pris foin de les raffembler ,
aucun même n'a indiqué les fources où
l'on peut les puifer. Il y a des Auteurs
qui ne font pas une diftinction néceffaire
entre la Politique & les Négociations ;
il y en a qui ne diftinguent pas non plus
entre le Droit & la Politique ; il en eft
enfin qui parlent fur le même ton , de la
Politique & de la Science du Gouvernement
. Tous prèfque confondent la cauſe
& l'effet , l'efpéce & le genre , les eſpéces
entr'elles . Les Ecrivains des Souverainetés
qui partagent aujourd'hui l'Europe
, n'ont d'ailleurs eu pour objet que
le bien des Etats où ils vivoient ; leurs
Ouvrages fe rapportent au Droit reçu ,
aux
DECEMBRE. 1760. 97
aux Coutumes établies , à la Religion
profeffée dans leur pays ; aucun n'a expliqué
la Science du Gouvernement avec
méthode , & n'a montré le tout avec fes
parties. On peut traiter ce grand fujet
avec plus de précifion qu'ils n'ont fait ,
& ainfi le mettre dans un plus grand
jour , en même temps qu'on lui donnera
plus d'étendue. Ce feroit affurément ſe
tromper , que de penfer qu'un homme
d'Etat puiffe trouver dans les Auteurs
modernes toutes les lumières dont il a
befoin.
Sera- ce dans la lecture affidue des Anciens
& des Modernes , mêlés & confondus
, qu'on trouvera ces lumieres ? Oui ,
fans doute , en rectifiant les Anciens , &
perfectionnant les Modernes.
Il est néceffaire de raffembler dans le
même Livre toute la Doctrine du Gouvernement
, de réunir fous un même point
de vue les connoiffances éparſes , de les
mettre au degré de perfection où elles
peuvent être portées , & d'en faire un
corps de Science unique & entier dans.
toutes les parties , pour le bonheur des
Peuples & pour la gloire des Souverains
qui en eft inféparable.
Ce Livre ne doit être borné ni au Gouvernement
d'une Province , ni à celui d'un
E
98 MERCURE DE FRANCE.
Royaume , ni à celui d'une partie du mon
de. Il doit embraffer le Gouvernement de
toute la terre policée , & intéreffer tous
les
pays.
Pour rendre cet ouvrage digne de l'eftime
& de l'amour des hommes , l'Auteur,
libre dans fes jugemens & affranchi de
toute prévention de lieu & de naiffance ,
doit écrire non pas en homme uniquement
zélé pour la gloire de fon Roi , & pour l'avantage
de fa patrie , mais en homme qui
écrit pour tous les hommes , en Habitant
du monde,qui cherche la vérité & qui aime
fes femblables , fous quelque climat
qu'ils vivent , quelque Religion qu'ils
profeffent , & par quelque conftitution
d'Etat qu'ils foient gouvernés. Le feul
lieu où il lui foit permis de paroître Catholique
, c'eft dans le Traité du Droit
Eccléfiaftique qui doit néceffairement entrer
dans la compofition de la Science
du Gouvernement pour la rendre complette.
J'ai ofé travailler fur ce plan à réduire
toutes les matières de Gouvernement en
un feul corps , de Science , & fans doute
qu'en cela j'ai plus confulté mon zéle
que mes forces. Pendant près de quarante
ans , je me fuis continuellement occupé
du foin de le compofer , & ce n'eft point
DECEMBR E. 1760. 99
trop de temps pour l'exécution d'un Ouvrage
d'une fi grande étendue. Heureux,
fi j'ai pu élever un édifice qui foit de quelque
utilité , & qui foit jugé digne d'une
main plus habile !
'HISTOIRE D'ANGLETERRE , depuis
la defcente de JULES CESAR , jufqu'au
Traité d'AIX-LA-CHAPELLE ,
en 1748. par M. T. SMOLETT. M.
D. traduite de l'Anglois par M. TARGE
, Correfpondant de l'Acad. Royale
de Marine. 1760.
EXTRA IT.
Il a déjà paru quatre volumes de cette
Traduction . Les deux premiers , dit M.
TARGE dans un Avertiſſement qu'on lit
au commencement du troifiéme , ont eu
le bonheur d'être favorablement reçus
du Public , malgré la féchereffe inféparable
de tous les commencemens des grandes
hiftoires . Le fuccès des fuivans ne
peut pas être douteux. L'Hiftoire d'Angleterre
, féconde en grandes révolutions,
eft faite
pour intéreffer & pour inftruire
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
tous les Peuples , & particulierement les
François , par la liaifon qu'elle a eue
prèfque dans tous les temps avec leur
Hiftoire. Le Traducteur donne une marque
de fa modeftie & de fa reconnoiffance
, en avertiffant que les Sçavans , qui
ont eu la bonté de lui donner des avis
au fujet de fon travail , s'appercevront
qu'il en a profité. Tout l'Ouvrage aura
dix-huit volumes, fans compter un Tome
féparé que l'on pourra donner fous le
titre d'INTRODUCTION A L'HISTOIRE
d'ANGLETERRE , où l'on traitera tout ce
qui concerne la Religion & le Gouvernement
de cette Ifle fameufe. On fera
peut être bien-aife de trouver ici la diftribution
des matiéres qui doivent être
contenues dans chacun des Tomes qui
reftent à faire imprimer.
Les Tomes 5 & 6 contiendront la fin
du régne de HENRI III . ceux d'EDOUARD
I. d'EDOUARD II. & d'EDOUARD III. jufqu'en
1377.
Dans les Tomes 7 & 8 , on verra les
ségnes tumultueux de RICHARD II. de
HENRI I V. de HENRI V. de .HENRI V I.
remarquable par l'Hiftoire de la PUCELLE
' ORLEANS , & celui d'EDOUARD IV . qui
fe termine en 1483 .
DECEMBRE 1560. Ior
**
Les Tomes 9 & 10 , parleront du régne
d'EDOUARD V. de la réunion des deux
Maifons de LANCASTRE & d'YORK , fous
HENRI VII. du régne de HENRI VIII. trop
fameux par les coups funeftes que reçut
la Religion , fous ce Prince. Trifte réfor
mation confommée fous EDOUARD VI. &
cependant ébranlée fous la Reine MARTE:
ce qui conduit jufqu'à la mort de cette
Princeffe , en 1557.
On verra dans les Tomes 11 & 12 ,
l'Hiftoire de l'illuftre ELISABETH , la nouvelle
Religion plus folidement établie
après une multitude de variations , le régne
de JACQUES I , & partie de celui de
CHARLES I. jufqu'en 1642.
Les Tomes 13 & 14 contiendront la
fuite de l'Hiftoire de cet infortuné Monarque
, terminée par le parricide exécrable
qui mit CROMWEL à la tête de la
Nation ; le rétabliffement de la Royauté
fous CHARLES II ; & le régne de JACQUES
II. jufqu'en 1689. où fon Gendre & fa
Fille lui enlevérent la Couronne.
Dans les Tomes 15 & 16 , on lira la
fuite de cette fameufe révolution fous
les régnes de GUILLAUME III & de MARIE,
avec partie de celui de la Reine ANNE
jufqu'en l'année 1703 .
Enfin les derniersVolumes contiendront
E iij
To MERCURE DE FRANCE
le régne de GEORGE I , celui de GEORGE II
actuellement fur le Trône , & termineront
cette Hiftoire par la paix d'Aix- la-
Chapelle en 1748 .
Je reviens aux Tomes trois & quatre ;
qui contiennent tout ce qui s'eft paffé depuis
1087 jufqu'en 1258. On voit dans
l'un , les régnes de GUILLAUME LE ROUX ,
qui fuccéda à GUILLAUME LE CONQUÉRant,
de HENRI I , d'ETIENNE , de HENRI II.
L'autre renferme les régnes de RICHARD ,
Coeur de Lion; de JEAN , furnommé Sanszerre
; & la plus grande partie du régne
de Henri III. Mon deffein n'eft pas de
faire un Extrait fuivi de ces deux volumes
; ce n'eft pas les faits qu'ils contiennent
que je voudrois faire connoître
, mais la maniére dont l'Auteur les a
-envisagés , & dont le Traducteur a rendu
fon original. Je vais tâcher de mettre les
Lecteurs à portée d'apprécier le mérite
de l'un & de l'autre , en préfentant quelques
morceaux de la copie , où font tracés
le caractère , les vices , & les vertus
des principaux Perſonnages qui figurent
dans cette Hiftoire .
On voit dans ROBERT & GUILLAUME
le Roux , fils de GUILLAUME le Conquérant
, deux Princes d'un caractère bien
oppofé. GUILLAUME le Roux avoit tous
DECEMBRE. 1760. 103
tes vices de fon pere , fans aucune de ſes
vertus , excepté le courage. Il étoit em→
porté , dur , féroce , ingrat ; il manquoit
également de connoiffances, de principes ,
d'humanité & de Religion. ROBERT ne
reffembloit à fon frere que par la valeur
& la fcience militaire. Son caractère
étoit franc , genéreux & humain . Ses
grandes qualités étoient connues & efti→
mées des Anglois ; il devoit encore , par
le droit d'aîneffe , l'emporter fur fon fre
re , dont ceux-ci connoiffoient la dureté:
Tant de titres ne purent le faire monter
fur le Trône d'Angleterre ; il étoit indolent
: fon indolence fit oublier fes vertus.
GUILLAUME étoit actif: fon activité
fit oublier les vices ; il fut couronné , &
fçut conferver la couronne , malgré les
exactions dont il accabloit les Anglois ,
qu'il haïffoit jufqu'à chercher à les réduire
tous en esclavage . ROBERT ne fçut
pas même conferver fa liberté après
avoir perdu le Duché de Normandie , il
fut envoyé en Angleterre , & renfermé
dans une étroite prifon , où il mourut
après une captivité de vingt- huit ans. *
* Il paroît qu'il y a ici une erreur, qu'il faut attribuer
au Copifte. Voici ce qu'on lit , page 123.
» Ce Prince infortuné ( ROBERT ) termina fes
» jours dans le Château de Cardiff , après avoir
E iv
TC4 MERCURE DE FRANCE.
7
--
Un traitement fi cruel étoit l'ouvrage
d'un autre frere de ROBERT , Henri I,
qui , après avoir trouvé le moyen de
exclure du Trône d'Angleterre , & de
s'y placer à la mort de GUILLAUme , s'étoit
encore emparé du Duché de Normandie
. Ce troifiéme frere femble préfenter
un caractère compofé de quelques
vertus de ROBERT , & de quelques vices
de GUILLAUME , joints à d'autres qualités
qu'ils n'avoient ni l'un ni l'autre . Il étoit
d'un tempérament robufte , facétieux ,
aifé & affable pour les Favoris ; mais vindicatif
, cruel , implacable & inexorable
pour fes ennemis. Son efprit naturellement
fubtil , avoit été fi bien cultivé
que les Sçavans lui donnerent le furnom
de BEAU-CLERC. Froid , réfervé , politique
& pénétrant , fa valeur étoit univerfellement
reconnue, & fon courage invincible.
Rigide & févère dans l'exécution
traîné une vie languiffante pendant vingt-fx
ans d'une dure captivité » . Robert perdit la
Bataille de Tinchebrai en 1105 , & fut envoyé im
médiatement après fa défaite en Angleterre , où il
mourut en 1133. Sa captivité a donc duré 28 ans,
Ce qui me fait croire que ceci n'est qu'une faute
de Copifte , c'eft qu'on lit à la pag. 83 « Enfin la
» mort lui ( A ROBERT ) rendit fa liberté à Car-
>> diff, dans le Comté de Glamorgan , après une
captivité de vingt-huit ans..
DECEMBRE. 1760 . 105
de la justice , modéré dans le boire & le
manger,mais voluptueux dans fes amours .
La profpérité dont ce Prince jouiffoit fur
troublée par la plus terrible avanture . Il
travailloit depuis longtemps à affurer fa
fucceffion à un fils qu'il avoit tonjours
tendrement aimé : toutes les peines qu'il
s'étoit données , devinrent infructueufes ;
il apprit tout-à- coup la mort de fon fils ,
qui périt dans un vaiffeau , en paſſant de
Normandie en Angleterre. HENRI venoit
de faire un accommodement avec la France
; après avoir reçu les hommages de la
Nobleffe de Normandie , & fait prêter un
nouveau ferment de fidélité par les Sujets
de ce Duché à fon fils GUILLAUME , qui
étoit alors dans la dix- huitiéme année de
fon âge , il réfolut de retourner dans fon
Royaume. « Il mit à la voile de Harfleur
»& arriva le lendemain matin en Angle-
» terre. Le jeune Prince , fon fils , monta
» fur un vaiffeau neuf de THOMAS FITZSTEPHEN
, dont le perc avoit paffé GUIL-
» LAUME le Conquérant en Angleterre ,
» dans fa première expédition contre
» HAROLD. Toute la jeune Nobleffe , au
» nombre de trois cens , entra dans le
même vaiffeau , & fe livra auffitôt à
» une débauche exceffive. Les Mariniers
bûrent juſqu'à l'yvreffe , & le Maître
Ev
106 MER CURE DE FRANCE
93
"
ود
و د
95
» lui - même avoit excédé de beaucoup les
» bornes de la fobriété , lorfque le Prince
lui ordonna de faire un éffort pour
joindre fon pere , dont le vaiffeau avoit
» une avance confidérable fur eux . Fitzs-
TEPHEN chargea toutes les voiles ; mais
» comme il étoit hors d'état de diriger
» le pilotage , il donna fur un rocher
» couvert , nommé CATTE-RAZE , avec
tant de violence , que le vaiffeau s'ouvrit
de tous les côtés. On mit auffitôt
la chaloupe en mer pour fauver le Prin-
» ce , & elle approchoit déja du rivage ,
» lorfqu'il entendit les cris de fa foeur na-
»turelle Mathilde , Comteffe de Perche ;
il voulut retourner au vaiſſeau pour la
» mettre dans fa chaloupe ; mais il s'y
» jetta tant de monde en même temps ,
qu'elle enfonça & qu'ils périrent tous .
» Ceux qui étoient reftés dans le vaiſ-
»feau eurent le même fort , excepté un
» Bouche de Rouen , nommé BARTOUD ,
qui s'empara du mât , & flotta deffus
jufqu'au matin , où il fut rencontré par
quelques Pêcheurs. GEOFFROI , fils de
» GILBERT de CRAIGLE, s'étoit attaché à la
» même piéce de bois ; mais fon tempé-
» rament n'étoit pas encore affez for
» mé pour réfifter au froid , & il fut noyé
» avant le lever du Soleil. THOMAS ,
"
"
و ر
و د
DECEMBRE. 1760 107
ور
Maître du vaiffeau , après avoir été
quelque temps fous l'eau , nagea vers
» le Boucher , & lui demanda ce que le
» Prince étoit devenu. Lorsqu'il fçur qu'il
» étoit péri , je ne veux pas , dit- il , lui
furvivre ; & il difparut auffitôt . ROGER
» de Coutance , & plufieurs autres , en-
» tendirent du rivage les cris de ces malheureux
, & le bruit même en parvint
au vaiffeau du Roi , fans qu'il eût connoiffance
de cet accident , dont il ne
» fut informé que trois jours après . Il
reçut ces fâcheufes nouvelles à Southampton
, tomba évanoui , & depuis
» ce temps , jufqu'à fa mort , on ne le vit
» jamais fourire.
"
HENRI qui s'étoit remarié, après la mort
de fon fils , avec ADELAIDE , fille de Go-
DEFROY ,, Duc de Louvain , défeſpérant
d'avoir des Héritiers de ce fecond Mariage
, réfolút de faire paffer ſa fucceffion à
fa fille l'Impératrice MATHILDE , qui
étoit revenue en Angleterre depuis la mort
de fon mari. Il la fit paffer en Normandie
, & crut lui affurer fa fucceffion en lui
faifant époufer GEOFFROY PLANTAGENET
fils de FOULQUES , Comte d'Anjou ; elle
palla avec peine de la dignité d'Impératrice
à l'état de fimple Comteffe ; & les mefu
fon père avoit prifes pour lui affures
que
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
rer la couronne, contribuérent au contraire
à l'en faire exclure . HENRI avoit attiré
à fa Cour & comblé de faveurs ETIENNE ,
troifiéme fils du Comte de Blois & d'Adéle ,
fille du Conquérant , dans l'efpérance
qu'il foutiendroit de tout fon pouvoir les
intérêts de l'impératrice ; mais ETIENNE
ne fongea qu'aux fiens ; il fe forma un
Parti du vivant même de HENRI ; & après
fa mort il fut couronné. Son régne fut
rempli de plus de troubles encore que les
précédens. En qualité de Roi , dit l'Hif
torien , fes vices paroiffent avoir été les
fuites des troubles qui agitérent fon régne;
mais comme particulier , il étoit
brave , ouvert & libéral. MATHILDE ne le
laiffa pas jouir tranquillement de fon ufurpation
; il ne fut véritablement affermi
fur le Trône , qu'au moment qu'il y renonça
pour fon propre fils GUILLAUME , &
qu'il reconnut pour fon Héritier préfomptif
, HENRI fils de MATHILDE. Par cet accommodement
qui combla de joie toute
l'Angleterre , ETIENNE devoit régner pendant
fa vie , & la juftice être adminiftrée
en fon nom mais aucune affaire importante
ne devoit fe faire que de l'avis &
avec le confentement de HENRI , qui n'at
tendit pas longtemps la Couronne ETIENNE
mourut peu de temps après cet arrange
ment.
DECEMBRE . 1760 10
Le régne de Henri H. n'eft que trop
célèbre par la divifion qui fe mit entre
ce Prince & Saint Thomas , Archevêque
de Cantorbéry. Le Traducteur , dans des
notes judicieuſes , fait voir l'indécence
de plufieurs invectives échappées contre
ce Prélat ; il remarque qu'il y a de l'injuftice
& de la prévention à le condamner
légèrement . La mort de Saint Thomas
eft une tache qui jettera toujours
quelque ombre fur la gloire de HENRI ,
dont je ne donnerai que le portrait : je
renvoye à l'Hiftoire pour
connoître plus
particulièrement fes actions. « Ce Prince
fit paroître en un grand nombre d'occafions
toute l'habileté d'un profond
politique , la fagacité d'un Légiflateur ,
» & la magnanimité d'un Héros. Il étoit
» le plus révéré de tous les Princes de fon
temps , & fa mort fut pleurée amère-
» ment par fes Sujets , dont le bonheur
avoit été l'objet de toutes fes actions.
» Non feulement il publia d'excellentes
» Loix , mais il eut la fatisfaction de les
» voir exécutées. Généreux à l'excès en-
» vers ceux qui l'avoient offenfé perfon
» nellement , il ne pardonna jamais les
injures faites à fes Sujets , & fit punir
» févérement les grands crimes fans égard
pour la qualité des criminels. Sa taille
ן כ
•
10 MERCURE DE FRANCE.
» étoit moyenne, mais bien proportionnée;
» fon vifage rond , beau & vermeil ; ſes
» yeux bleus étoient doux & engageans ,
» excepté dans les tranfports de la colère,
où ils paroiffoient étincelans , & fai-
» foient frémir ceux qui le regardoient
il avoit la poitrine large , étoit fort muf-
» culeux & de tempérament à devenir
» trop gras ; mais il avoit prévenu cette
> incommodité par des exercices violens ,
» & une fatigue continuelle. Sobre dans
» fa nourriture , même jufqu'à l'abſtinence
; il ne s'afféyoit jamais pour manger ,
» excepté au fouper. Il étoit éloquent ,
agréable , facétieux , très-poli , compâtiffant
pour tous les malheureux , & f
» charitable qu'il faifoit donner réguliè
»rement le dixième des provifions de fa
» Maiſon aux pauvres. Pendant une famine
qui fe fit fentir dans l'Anjou & lé
» Maine , il foutint dix mille perfonnes
"indigentes depuis le commencement
» du Printemps jufqu'à la fin de l'Autom
"
ne. Il avoit cultivé avec foin fes talens
naturels , & fe plaifoit à la converfation
des Sçavans , dont il étoit un
généreux Bienfaiteur. Sa mémoire étoit
furprenante , & jamais il ne manquoit à
reconnoître quelqu'un , ni à retenir un
fait qui avoit mérité fon attention.
DECEMBRE. 1760. TIT
Malgré fa fupériorité en forces , en richefles
, en vrai courage , & en fçience
» militaire , fur tous fes Contemporains ,
il ne fit jamais la guerre qu'avec répu
» gnance , & avoit tant d'éloignement
" pour le fang , qu'il paroiffoit affligé de
» la perte d'un fimple Soldat. Cependant
» ce grand Monarque ne fut pas exempt
" de foibleffes humaines : fes paffions na-
» turellement violentes , le précipitérent
» dans de grands excès . Il fut enclin à la
colère , exceffivement jaloux de fa puiffance
, & accufé d'incontinence , non
» feulement par rapport à la Belle Rost-
MONDE , qu'on dit qu'il cacha dans un
labyrinthe à Wodeftoke , pour la dérober
aux jaloufes recherches de la Rei-
» ne , mais encore dans le commerce
» qu'on fuppofe qu'il eut avec ALIX , Prin-
» ceffe de France , amenée en Angleterre
pour être mariée à fon fils RICHARD. S'il
fur coupable de ce crime , une conduite
» auffi infâme , & auffi contraire aux
» Loix de l'honneur , qu'à celles de l'hofpitalité
, eft la tache la plus honteufe.
Mais le fait eft refté douteux , & je
» crois qu'on doit le regarder comme
» une fauffe accufation . Élevé dans la plus
haute idée des prérogatives de la Cou
ronne , il foutint fes droits avec un
1
12 MERCURE
DE FRANCE.
" courage étonnant contre tous les fou
" dres de la Cour de Rome , & toutes les
" entrepriſes de la trahifon . Sous fon
Règne , les Droits de la Royauté le
» trouvérent joints à ceux de l'Eglife
d'Angleterre , & il les foutint avec l'attachement
le plus inviolable: mais dans
l'exercice de fa puiffance, il n'attaqua
jamais les libertés de les Sujets , qu'il
foutint par d'excellentes Loix & des
Réglemens admirables ; en forte que
» les Peuples vivoient dans l'aifance &
jouiffoient fûrement de leurs biens.
. En un mot , il fut le Roi , le Prêtre &
," le Pere de fa Patrie , & l'un des plus
puiffans & des plus illuftres Monar-
» ques qui eût encore fleuri fur le Trône
d'Angleterre.
+33
39
M. TARGE ne devine pas quel a été le
but de M. SMOLLET , en donnant cette
qualité de Prêtre , à HENRI II. à moins
qu'il ne le regarde comme un des premiers
Monarques Anglois qui ait voulu s'attribuer
la fuprématie : ce qui n'a cependant
aucun fondement .
Après fa mort , la Couronne paffa à
fon fils , RICHARD , coeur de Lion , qui
foutint durant tout fon régne la gloire de
fon père. L'Europe & l'Afe furent les témoins
de fon courage,& de fon habileté
DECEMBRE. 1760. 113
dans la guerre. Ses qualités brillantes ne
fçauroient cependant faire oublier fes défauts.
La plupart des événemens , fous
fon régne & fous les deux fuivans , de
JEAN SANS - TERRE & de HENRI III.font fi
étroitement liés avec les événemens des
régnes de PHILIPPE - AUGUSTE & de Louis
fon fils , que l'Hiftoire d'Angleterre dans
ce moment, fe confond , pour ainfi dire ,
avec celle de France. Je ne m'étendrai
pas davantage fur cet Ouvrage , qui méritoit
d'être traduit dans notre Langue.
L'accueil que le Public fait à cette Traduction
, doit encourager M. TARGE à
continuer fon travail , à l'enrichir de notes
auffi précifes , auffi profondes , auffi juftes,
auffi néceffaires que celles qu'il a mifes
dans les derniers Volumes qu'il vient de
mettre au jour.
AVIS de l'AUTEUR DU MONDE ,
comme il eft.
A u mois de Mars , de cette année , je
,commençai à publier un fecond Spectafous
le titre DU MONDE COMNE IL
EST. Le jugeant imparfait , comme le premier,
j'eus affez de vanité pour l'inter
teur ,
574 MERCURE DE FRANCE:
rompre à la fin du fecond Volume ; mais
j'efpérai de pouvoir le reprendre avec des
fecours puiffans , & néceflairement agréa
bles au Public. Ce projet va s'exécuter.
En m'affociant plufieurs des meilleurs Plumes
de la Nation dans bien des genres ,
je me fuis flatté de pouvoir offrir à cette
même Nation un Livre digne , tout à la
fois , de fa curiofité & de fon attention.
Cette ambition eft raisonnable : je conviens
cependant qu'elle ne peut être juſtifiée
que par le fuccès. Les hommes célébres
qui veulent bien m'honorer de leurs
fecours , fe font engagés folemnellement
à me les continuer; & fans m'expliquer
mieux , je crois pouvoir compter fur leur
exactitude & fur leur conftance.
Par refpect pour leur grande réputation
& pour eux- mêmes , j'aurois exécuté ce
projet fous un nouveau titre ; mais un refpect
encore plus indifpenfable , pour
beaucoup de Lecteurs dont le Libraire
avoit reçu l'abonnement , ne m'a pas
permis de faire céder le bien au mieux.
L'Ouvrage paroîtra déformais fous le
titre feulement Du MONDE : Il fe diftribuera
par cahiers de cent vingt pages ,
vingt- quatre fois par an : il en paroîtra
en conféquence un cahier le 15 & un le
dernier de chaque mois. Ces vinge- quaDECEMBRE.
1780. 117
tre cahiers formeront huit volumes. Le
premier paroîtra le 15 de Décembre.
Le prix de chaque cahier en détail fera
de vingt- quatre fols , qu'il faudra que les
perfonnes qui defireront l'ouvrage faffent
payer exactement chaque fois , lorſqu'on
le portera chez elles ; celles qui voudrone
éviter ce détail , pourront foufcrire pour
les vingt- quatre cahiers , & dans ce cas ,
elles les auront même à meilleur compte,
la foufcription étant fixée à
24 liv.
Les perfonnes de Province qui voudront
fe procurer cet Ouvrage par la
Pofte , auront l'attention de faire payer
d'avance au Burean , 30 livres pour les
mêmes vingt - quatre cahiers , qu'elles
recevront francs de port par tout le
Royaume exactement tous les quinze
jours.
Le Bureau de cette Collection eft chez
M. LERIS , dans la naifon de M. Rollin ,
Quai des Auguftins , près la rue Gît- le-
Coeur. Il faut faire affranchir les Lettres
& l'argent qu'on lui adreffera par la
Pofte , ainfi que les Lettres qu'on écrira
à l'Auteur relativement à fon Ouvrage.
On trouvera chez les Libraires , & au
même Bureau , les deux premiers volumes
DU MONDE COMME IL EST, moyennant
un écu le volume -broché. On pourra auffi
1
416 MERCURE DE FRANCE.
s'y procurer les huit volumes du Nouvean
Spectateur pour 24 liv. brochés, ou 28 liy
reliés.
TRAITÉ des Changes & des Arbitrages,
coù l'on donne 1 ° . une idée générale &
diftincte des Changes & Lettres de Change
, l'explication des termes du Commerce
qui y ont du rapport , les principes généraux
de la Jurifprudence , du Commer-
-ce des Lettres de Change , & les ufances
& jours de faveur.
2º. Les Monnoies & les prix courans
des Changes des Places de Commerce
fur le pied actuel .
3. Des régles générales , avec des
exemples pour chiffrer les Changes ; &
l'explication de la régle conjointe.
4. Un Traité du pair des Monnoies ,
avec la Méthode de le trouver ; & une
Table qui indique . à- peu- près , le rapport
actuel des différentes Monnoies de
l'Europe.
5. Un Traité des Arbitrages de Change
& de Marchandiſe, où l'on donne tous
Hes calculs concernant les Spéculations
- & les opérations , tant fur la Banque que
fur la Marchandise .
Enfin , le rapport des Poids & des Mefures.:
DECEMBRE. 1760.
Ouvrage dans lequel on s'eft attaché.
à l'ordre & à l'exactitude ; mis au jour
principalement en faveur de ceux qui
Le deftinent au Commerce , par Pierre
Senebier. Volume in - 4 °. A Genève , chez
Pierre Pellet , & fe vend chez l'Auteur .
J'apprends que les Banquiers & les Négocians
, en font beaucoup de caș .
LETTRE de M. GODEHEU,à M. DUPLEIX ;
Mémoire à confulter , & Confultation ;
Piéces juftificatives , & Extrait de quelques
Lettres de M. Godeḥeu , à M. Saundars.
in-4°. Paris , 1760. Chez Michel,
Lambert , rue & à côté de la Comédie
Françoife .
MÉMOIRE fur les différens accroiffemens
de la Ville de Paris , depuis Céfar
jufqu'à préfent , fuivi de Tables alphabétiques
des noms des rues & culs -de-facs,
avec leurs variantes , des Abbayes , Couvents
& Communautés d'Hommes & de
Filles , des Colléges , Paroiffes & c. avec
la date de leurs fondations : pour {ervir
d'intelligence au nouveau Plan de cette
Ville ; Publié par M.Robert de Vaugondy,
Géographe ordinaire du Roi , de S. M.
Polonoife , Duc de Lorraine & de Bar,
& de l'Académie Royale des Sciences &
Belles - Lettres de Nanci. in - 8 °, Paris ,
18 MERCURE DE FRANCE
1760. Chez l'Auteur , Quai de l'Horloge,
du Palais , près le Pont Neuf ; & chez
Antoine Boudet , Imprimeur du Roi , ruë
S.Jacques.Avec Approbation & Privilége
du Roi.
LETTRES à M. de *** , fur l'art d'écrire
, où l'on fait voir les divers inconvé
niens d'une Ecriture trop négligée ; &
où il eft traité de plufieurs objets relatifs
à cet Art. Par L. P. Vallain , Ecrivain
Juré-Expert. in- 16 . Paris , 1760. Chez
Aug. Mart, Lottin , Libraire , rue S. Jacques
, près S. Yves , au Coq : Avec Approbation
& Privilége.
NOUVELLE PROSODIE , ou Méthode courte
& facile pour apprendre les premiers
élémens de la quantité , & de la Poëfie
Latine , à l'ufage de la Jeuneffe , brochure
in-8° . Paris, 1760. Chez Paul- Denis Brocas
, rue S. Jacques , au Chef de S. Jean.
Prix , 16 f. relié.
TRAITÉ du maintien du corps , & de la
manière de ſe préfenter avec grâce , pour
l'inftruction de la Jeuneffe , par le fieur
Chevalier de Londeau , Maître de Danfe.
in- 12. Paris , 1760. Chez L'Esclapart
Libraire , Quai de Gefvres.
L'ECOSSOISE , Comédie , en cinq actes }
DECEMBRE . 1760. 119
traduite de l'Anglois , & mife enVers par
M. de la Grange : repréſentée pour la premiere
fois , par les Comédiens Italiens
ordinaires du Roi , le 20 Septembre 1760.
A Paris , chez Duchefne , Libraire , rue
S. Jacques , au Temple du goût . Avec
Approbation & Privilège. Le prix eft de
I liv. 10 f.
LE PETIT PHILOSOPHE , Comédie , en un
Acte , & en Vers libres , par M. Poinfines
Le jeune repréſenté , pour la premiere
fois , par les Comédiens Italiens ordinaires
du Roi , le 14 Juillet 1760. A
Paris , chez Prault petit- fils , quai des
Auguftins , la deuxième Boutique après la
rue Gît-le-Coeur , à l'Immortalité.
TITUS , Tragédie en s Actes , avec des
Obfervations fur la Poëfie Dramatique
adreffées à M. de Voltaire.
Nec tam mea fata premuntur ;
Ut nequeam relevare caput.
A Paris , 1760. Chez Ballard , Imprimeur
du Roi , rue S. Jean de Beauvais ,
à fainte Cécile. Avec Approbation &
Privilége.
120 MERCURE DE FRANCE
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
*
ACADÉMIES.
REMARQUES fur le mot TRUAND .
M. P. D. M. de la Société Littéraire
de Châlons- Sur- Marne , communiqua , if
y a plufieurs mois, à cette Société une differtation
fur l'origine du mot Truand .Après
avoir fini la lecture de fa Differtation ,
il avança de vive voix qu'il hafardoit l'explication
de deux vers Latins cités dans DU
CANGE à l'Article Trutanus, & qui lui paroiffoient
ajouter quelqu'éclairciffement à
fon avis , jufqu'à ce qu'il pût en lifant les
vers qui précédent & ceux qui fuivent
être plus fûr du fens de ces vers ; mais
ayant fait des recherches inutiles pour
découvrir l'Auteur dont parle du Cange ,
fous cette notice : Poëta M. infimi avi .
in Biblioth, Thuana , il ofe donner fon
fentiment fur ces vers feulement , comme
un éffai. Il eſt éffentiel avant de les rapporter
, de fe mettre au fait de la difcuffion
.
DECEMBRE. 1760. IZE
+
›
hion . M. P. D. M. donne à ce mot une
étymologie différente de toutes celles qui
lui ont été jufqu'ici données par nombre
d'Auteurs ; & il s'attache principalement
à détruire le fentiment de Ducange , qui
fait dériver ce mot de tributum , d'où les
vieux mots de tru , treu , treubs , trehus
truage , trevage & c . bien diftincts dans les
mêmes Auteurs des 12 & 13 fiécles , de
truhänd , truander , truanderie & fes autres
dérivés. Il prend de là occafion de
rejetter le fentiment de M. de Saintfoix
fur la rue de la grande Truanderie , qui ,
à la vérité, après de refpectables garants ,
penfe que cette rue étoit ainfi appellée à
caufe que des Fermiers y avoient des bureaux.
Ces Fermiers étant , fuivant eux ,
nommés Truands du mot tru , comme on
dit traittant de traites. Mais quand il feroit
vrai qu'anciennement truand feroit
dérivé de tru , il feroit toujours conftant
que le nom de cette rue auroit une autre
origine , parce qu'elle n'a été bâtie que
vers 1300 ; & pour lors, l'acception générale
de truand étoit pour défigner cette efpéce
de gens qui amufent le peuple pour
exciter à leur faire l'aumône . Ceci bien
établi , M. P. D. M. paffe à l'étymologie
plus ancienne. Il feroit trop long det
porter toutes les preuves & les autorités
F
rap122
MERCURE DE FRANCE
fur lesquelles il fe fonde, la plupart tirées
de Ducange, qu'il combat avec fes propres
armes. Il fuffira de dire , qu'il prouve que
truand vient de la langue Etrufque avec.
une terminaiſon Eſpagnolle, tru fignifiant
en cette premiere langue Arufpex , & du
mot and. de andar , verbe Espagnol qui
fignifie aller çà & la. On voit , par cette
dénomination honorable dans fon principe
, qu'on a voulu défigner ces prétendus
devins , ces difeurs de bonne avanture ,
ce qu'on appelle aujourd'hui des Bohémiens
; & depuis, figurément, on a compris
fous ce titre tous ceux qui ont paru entichés
des vices principaux de ces augures
vagabonds . De façon qu'on a dit truhand,
pour caractériſer foit un faux Prophéte (a)
ou un Impofteur ( b ) ou un Coquin ( c ) ,
( a ) Gaufridus Vofienfis , c. 68. De urbe pellitur
quafi Trudanus qui fuper Chrifti difcipulum
pridie miffam célébraverat ut Pontifex Maximus,
Ebrardus Bethunienfis contra Valdenſes , c. 25.
Novum genus Trutanorum qui locorum varietates
aliter videre non poterant , nifi fe fingerent
effe Chriftos.
( b ) Suivant Jean de la Porte , qui vouloit
faire dériver ce mot de Trudo . Eo quod verbis
fuis trudat ad hoc quod decipiat . Car, dit cetAuteur
, facit enim credi quod verum non eſt.
(c) Vit. S. Yvon. Maii , Tom. IV. pag. 545. Et
ex hoc d'étus juvenis dicebat verba opprobriofa
Divi Yvonis , vocando ipfum Coquinum , five
Truannum .
DECEMBRE. 1760. 123
ou un Mendiant ( d ) ou un pareffeux ( e ),
ou un gourmand (f) , ou un Bâteleur ( g)
&c. toutes qualités que ces Pronoftiqueurs
ambulans poffédoient au fuprême degré.
De là cette variété des différentes acceptions
fous lefquelles ce mot eft pris ; &
comme ces fortes de gens , pour féduire
le Peuple & l'engager à entendre leurs
fourberies , s'affembloient dans les Places
publiques , on a donc pû les confondre
avec les Baladins ( h ) , les Hiftrions
( d) Roman de Garin.
Entre les Povres , fut ly Truans affis .
Diction. Celt.
Un Gueux , un Miſérable , un Mendiant.
( e ) Ugutio. Hac appellatione donantur vulgo
ignavi illi qui per provincias vagantur paffim ac
mendaciis & ftrophis omnibus illudunt.
(f) Carol. Bovin . Hi autem quos vulgus vocat
Truans , amatores funt culinæ & liguritores culinarum.
De là ceux qui prenoient le mot dans
cette acception, vouloient le faire dériver de Trua.
(g) Bollandus. Vitâ S. Columba Reatina.
Maii com. V. pag. 328. Cum tamen affines , confanguinei
mugitiis Trutatinicifque verbis , unà
cum procacibus mimis , eam fæpius retunderent.
( h ) Diction. Espagnol , in-fol. 1726. Truhand ,
el que con acciones y palabras placenteras y burlefcas
, entiende en divertir , y caufar rifas en los
circunftantes. Truand , celui qui par des actions
& des paroles plaifantes & burlefques, ſe propoſe
de divertir & faire rire les affiftans .
Fij
F24 MERCURE DE FRANCE:
(i) , les Boufons. Ce mot même d'Hiftrion a
beaucoup d'analogie avec truand; ils viennent
l'un & l'autre de la même langue ,
& les fonctions ont quelque rapport ; &
comme on voit par la Note h , c'eft fous
cet afpect que ce mot eft employé en Efpagnol.
Ce qui me paroît très - concluant , dit
M. P. D. M. pour prouver cette étymologie
de truand , c'eft que Ducange , ce
fameux Gloffateur , quoiqu'il ne foit pas
de notre avis , en donne la preuve non
équivoque à l'Article trotanus , voici fes
termes .
Trotanus is qui trutanus , erro , hariolus,
mendax ; fed quifquis fuit ille propheta
feu trotanus qui hoc promulgavit videat fi
in futuro aliquá expeditione implendum
expectetur.
Trotanus eft donc le même que truta-
& l'un & l'autre expriment donc
également propheta , hariolus . Or il eft
conftant que ces mots font fynonymes
Arufpex. Calepin au mot Harufpica, Divinatrix,
rapporte un paffage de Plaute, qui
( i ) Liv . & Valer. Ifter Ludio , onis . Açciti ab
Etruriâ Ludiones , qui ad tibicinis modum faltabant.
Calep . dict . Hifter. Etrufcorum linguâ dicebatur
Ludio. Livius , liv. 7. ab urbe.
DECEMBRE. 1760. 125.
concourt à prouver l'intime rapport qui .
fe trouve entre Trotanus Trutanus
Propheta , Hariolus , Harufpex , & mê-.
me avec Hiftrio. Da quod dem quinquatribus
Percantatrici , Collectrici , Hariole
arque Harufpica. Cic. Lib . de Divin . Nec
eos qui queftus caufa hariolantur , agnofco.
Hariolus a auffi une origine Etrufque
, ab hara , comme qui diroit homme
confacré au fervice des Autels .
Qui pourra douter, d'après ces rapports,
que Truand ne vienne de la Langue
Etrufque ? Nous avons plus de mots qu'on
ne penfe, que nous devons à cette Langue.
Comme ces gens , pour attirer la confiance
du Peuple, feignoient d'avoir commerce
avec de prétendus génies , même
les Démons , ils furent en exécration aux
Miniftres de l'Evangile . Auffi voit- on des
ordonnances d'Evêques , par lefquelles ils
font exclus avec menaces des faintes Affemblées.
(k) Exite , exite , per Sanguinem
Dei , Trutanica familia , vos morie
mini in hac domo . Et ces Evêques engageant
les Fidéles à faire l'aumône en
excluoient les Truans. ( 1 ) Præcipimus
ut femper pauperes magis indigentes , &
( k ) In Tabulas , Epifcopat . Ambian. fol. 179.
( 1 ) Ordinatio Humberti II . Delphini , ann
340. tom. 2. mot Delphin. p . 406. col. 1 .
Fiij
726 MERCURE DE FRANCE:
minime Trutanil & Baraterii , ad ipfam
elemofinam admittantur. Quoi de plus fort
pour prouver cette origine que la liaiſon
de ces deux mots , ce dernier fignifiant
en langue Etrufque Sacerdotes ? Et ce qui
met auffi la chofe dans un plus grand
jour , eft la dénomination de ces Peuples ,
ainfi appellés à caufe de la réputation
qu'ils s'étoient acquife dans l'art des Augures.
Ils furent auffi nommés Thufci ;
ou Tufci , à caufe de leurs Rits dans les
Sacrifices. Je paffe beaucoup d'autres raifons
apportées par M. P. D. M. pour
établir fon fentiment. Tout ce préambule
étoit néceffaire pour mettre au faie
de l'explication propofée. Voici les vers :
Dat Trutanus in ir , paterem tenet , & fedet ad
Pyr ,
Regem Cappadocum computat effe cocum (m).
M. P. D. M. croit y appercevoir la
peinture du Truand dans fon origine ; &
voici le fens qu'il y donne :
Dat Trutanus in ir :
Le métier du Truand eft de courir cà
& là . Ir , du verbe ire , ou de l'Eſpagnol
ir ( n à l'infinitif , qui veut dire la même
choſe.
(m ) Gloff. Ducange , Cocus formula , Barban
fcripta , idem eft ac Coquus.
(n) Diction. Eſpagnol. Ir , hacer el movimien
DECEMBRE. 1760 . 127
Paterem (o ) tenet"
Il tient une coupe. Ce qui fait parfaitement
allufion aux Harufpices & à la,
Religion des Etrufques ; Dii Etrufci pateras
tenent. En effet , les Dieux & les
Sacrificateurs Etrufques , font repréfentés
partout avec ce vafe.
Er fedet ad Pir , ou Pyr. (p)
& eit affis auprès du feu , les pieds au
feu.
Les Dieux Etrufques & les Augures
font en même temps ,dans tous les monumens
qui nous reftent de ces Peuples, affis
les pieds au feu.
Et comme ces fortes de Devins parcou
roient le monde,fans follicitude , qui devoit
pourvoir à leur cuifine;mais comptant feulement
fur la crédulité des Peuples pour
fournir à leur fubfiftance , ils pouvoient
regarder les Peuples, même les Rois , comme
leurs cuifiniers ; & l'Auteur fait dire
au Truand :
to con que le paffa del lugar donde ſe eſta à otro,
Lo mifimo que andar.
( 0 ) Calep. Diction. Patera , poculi genus latum.
Virg, Eneid.
Impiger haufit fpumantem pateram ac plenofe
proluit auro.
(p) Pyr , ( ùg ). Latine ignis.
Fiv
728 MERCURE DE FRANCE.
Regem Cappadocum computat effe Coquum.
Il regarde le Roi de Cappadoce , comme
un de fes Cuifiniers .
Ou fi l'on prend le mot de paterem
dans fon étroite fignification , & qu'alors .
le Truand foit fuppofé buvant amplement
auprès du feu , on peut lui faire dire : Je
crois que toute la terre eft à moi.
M. P. D. M. fouhaiteroit que l'on pût
lui apprendre , par la voie de ce Journal ,
quel pourroit être l'Auteur de ces Vers ,
ou fi quelqu'un a une interprétation plus
fatisfaifante .
EXTRAIT des Mémoires lus à la Séance
publique de l'ACADEMIE ROYALE
DE CHIRURGIE , le Jeudi 17 Avril
1760.
I.
Sur une Exoftofe à la machoire inférieure.
L'EXOSTOSE EXOSTOSE et une tumeur contre nature
, formée par le gonflement d'un os.
Cette maladie eft fufceptible de fe ter
miner par fuppuration ; ce que M. Bordenave
a vu à la machoire inférieure .
L'obfervation qu'il en donne , eſt le ſujet
DECEMBRE. 1760. 129
principal du Mémoire dont il a fait la
lecture. il y traite de la Nature & des
caufes les plus ordinaires des Exoftofes
, en adoptant les principes reçus fur
cette matière ; & il propofe le moyen le
plus fimple de remédier au vice local ,
dans l'efpéce particulière dont il s'agit.
Un engorgement des vaiffeaux , dans
le tiffu fpongieux qui eft entre les deux
lames de l'os maxillaire inférieur , les
avoit écartées à un jeune homme de 15
ans. Les progrès de la tumeur furent
affez lents , le Malade la portoit depuis
plufieurs années. Les mouvemens de la
machoire devinrent moins libres , lorf
que l'action des muſcles fut gênée par
l'accroiffement du volume de l'os ; les
battemens intérieurs & la fenfation douloureufe
firent connoître qu'il fe faifoit
une fuppuration dans le centre. L'ufage
intérieur des fondans & des fudorifiques
n'ayant point foulagé le malade , il chercha
dans la médecine efficace les fecours
utiles qu'il ne pouvoit plus efpérer des
remédes ; il crut que la Chirurgie lui of
friroit quelques reffources , & il ne fut
pas trompé dans fon attente. M. Borde-
Rave , confulté au mois de Février 1759 ,
trouva que la tumeur s'étendoit du côte
droit , depuis l'angle de la machoirejuf-
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
qu'à la fymphife du menton; qu'elle avoit
extérieurement le volume d'un gros oeuf
allongé & applati ; & qu'elle failoit une
pareille faillie en dedans . Les gencives
& les dents paroiffoient faines ; la conformation
viciée de l'os maxillaire faifoit
incliner les dents du côté de la langue .
D'après quelques foupçons , fur le vice
fcrophuleux , M. B. propofa l'adminiftration
des grands remèdes , dans l'idée que
les feceurs locaux auroient bien plus de
fuccès , fi l'on avoit préalablement combattu
le vice du fang. Cet avis fut approuvé
dans une Confultation ; & il y
fut déterminé en outre , que pour reconnoître
la nature de la maladie on feroit
l'extraction d'une ou de deux dents. La
feconde molaire fut arrachée , pendant
qu'on préparoit le malade aux remédes
dont on étoit convenu. Les racines de
cette dent commençoient à s'altérer ; on
pénétra par le fonds de l'alvéole dans la
cavité de l'os , d'où il fortit une fanie trèsfétide.
L'extraction d'une dent voifine
établit une plus ample communication ,
par laquelle on put injecter des liqueurs
convenables dans la cavité de la tumeur.
On eut bientôt corrigé la mauvaiſe odeur
de la matière que les injections entraînoient
à chaque panfement ; une portion
DECEMBRE . 1760. 131
affez confidérable de l'alvéole s'éxfolia ,
ce qui donna beaucoup de facilité pour
panfer l'intérieur. Il étoit rempli d'une
fubftance carniforme ; la cavité s'étendoit
en devant jufques fous la dent canine ; ce
qui fit prendre la réfolution de tirer la
premiere dent molaire , & l'on brifa le
fonds de fon alvéole. Par cette opération
, la maladie fut à découvert à peu
près dans toute fon étendue ; les panfemens
devinrent plus libres ; les chairs détergées
devinrent fermes , vermeilles ,
femblables à celles des gencives , & continues
avec elles ; la fuppuration diminua
peu- à - peu , après les frictions mercurielles
fuivies de l'ufage de la ptifane des
bois. La tumeur s'eft un peu affaiffée extérieurement
, & le malade fut guéri en
quatre mois de l'abfcès dans le corps de
l'os; mais il lui refte une cavité entre les
lames de l'os maxillaire ; il la rince rous
les jours , en l'injectant avec de l'eau ; il
la remplit enfuite de bourdonnets fecs ,
roulés dans de la colophone en poudre
fans cette précaution , il fentiroit l'incon
vénient d'un réfonnement , par lequel le
fon de fa voix feroit changé , & des parties
d'alimens rempliroient ce vuide. La
charpie a paru préférable à un obcurateur
que M. Bordenave avoit fait faire ;
T
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
mais qu'il jugea à propos de fupprimer ,
parce qu'il s'oppofoit au rapprochement
des parois offeufes. L'Auteur tire de ce
fait les conféquences qui en réfultent naturellement
, & qui font l'apologie de la
conduite qu'il a tenue dans le traitement
de cette maladie. L'extraction des dents
& la deftruction des alvéoles , font préférables
à la perforation latérale de l'os
que M. Runge a pratiquée dans un cas où
il n'y avoit point de carie aux dents : on
peut voir la Differtation de cet Auteur
dans le premier volume des Thèſes choifies
de Chirurgie par M.Haller. M. Runge
n'a pas héfité de faire ôter les dents dans
un autre cas où elles étoient altérées par
la carie ; & c'eft cette méthode que M.
Bordenave recommande , lors même qu'il
n'y aura aucun vice apparent aux dents,
I I.
NOUVELLES remarques fur les Fiftules
falivaires.
L'Académie de Chirurgie , en propofant
pour le Prix de cette année la méthode
de traiter les Fiftules dans les différentes
parties du corps , avoit formellement dif
penfe les concurrens de parler des Fiſtules
qui font l'objet de ce Mémoire . M. Louis,
qui a contribué aux motifs de cette exDECEMBRE.
1760. 133
ception , fe crut obligé de fuppléer à ce
qui lui a paru manquer encore à la doctrine
reçue fur ce point de Chirurgie , en
publiant une cure importante qu'il a faite
depuis l'impreffion des Mémoires qu'il a
donnés fur les Fiftules Salivaires , dans le
troifiéme Tome de l'Académie.
Les Anciens , tout habiles & expérimentés
qu'ils étoient , femblent avoir
ignoré l'existence des Fiftules Salivaires.
Il n'y a que deux Praticiens qui paroiffent
les avoir obfervées , avant l'année 1660 ,
époque de la découverte du canal excréteur
de la glande parotide , par Stenon.
Ces deux hommes , nés pour le bien de
l'humanité , n'ont pû donner à leurs obfervations
, le prix qu'elles auroient eu ,
s'ils avoient été plus inftruits du méchanifme
de la Nature dans l'afage des parties
léfées. Ambroife Paré avoit remarqué
à la fuite des plaies à la joue , des Fiftules
avec écoulement de falive : Fabrice d'Aquapendente
obferva la même maladie ,fans
Je former aucune idée fur fon caractére :
il en fait l'aveu le plus pofitif. La fource de
cette eau limpide quals voyoient coulèr
abondamment par un trou fiftuleux , leur
étoit entiérement inconnue : ils appercurent
bien qu'elle fortoit principalement
lorfque les malades parloient ou mad-
1
134 MERCURE DE FRANCE.
1
geoient ; la quantité de cette liqueur , exprimée
par les mouvemens de la machoire
inférieure, étoit pour eux un phénomène
inexplicable . Mais une chofe digne de remarque
dans ce défaut abfolu des connoiffances
primitives fur le fiège & fur
la nature du mal , c'eft que ces mêmes
hommes qui étoient fi peu inftruits , ont
traité cette maladie avec le plus grand
fuccès ; & que des Praticiens , depuis eux ,
avec les idées les plus précifes du mal ,
ont échoué dans l'application des mêmes
fecours qui avoient fi bien réuffi , fous la
direction des anciens Maîtres. Je fçais ,
dit M. Louis , tout ce qu'on peut dire
contre leur pratique ; elle ne nous a point
éclairé ; ce n'étoit , fi l'on veut , qu'un
pur empyrifme ; malgré cela , ils ont
guéri leurs malades ; ils ont indiqué les
moyens fimples dont ils fe font fervi efficacement
, & nous voyons que des Chirurgiens
plus modernes , guidés par les
lumières de l'anatomie , ont adminiftré
ces mêmes moyens fans fuccès dans des
circonftances exactement femblables .
•
Les Fiftules falivaires font bien cara-
&térifées dans la mention qu'Ambroife
Paré en a faite. Il les a guéries en cautérifant
le fonds de l'ulcère avec de l'eau
forte , & en y appliquant quelquefois de
DECEMBRE. 1760. 135
la poudre de vitriol calciné. Munniks a
obtenu la guérifon d'une fiftule falivaire
par l'application d'un cauftique fait avec
le précipité rouge & l'efprit de vitriol.
Fabrice d'Aquapendente en Italie , &
Roonhuis en Hollande , ont réuffi à confolider
l'ulcère fiftuleux qui laiffoit couler
involontairement la falive fur la joue
en le traitant avec des défficatifs : voilà
des faits auxquels on ne peut rien oppafer.
Des tentatives plus récentes n'ont
pas eu le même fuccès. M. de Roy à Paris,
& M. Monro à Edimbourg , ont perdu
leurs foins à fe fervir , dans des cas toutà
- fait pareils , des cauftiques & des plus
puiffans défficatifs. M. Louis a penſe
qu'on auroit travaillé utilement , fi l'on
parvenoit à concilier des obfervations
contradictoires , qui faute d'être méditées
& approfondies , ne peuvent que laiffer
des doutes, dont l'inconvénient , dit-il , eft
de couvrir la théorie de leur obfcurité ,
& de rendre la pratique auffi peu fûre
dans fes opérations , qu'infidelle dans fes
éffets. Frappé de cette oppofition , entre
l'expérience ancienne & moderne, il avoit
éffayé dans un premier Mémoire fur cette
matière, d'applanir les difficultés qui naiffent
des faits contraires , en diſtinguant
lé fiége particulier que chaque maladie
136 MERCURE DE FRANCE.
avoit occupé. Les Auteurs cités n'ont dé
crit exactement que les fymptômes du
mal ; & l'expérience attentive & raiſonnée
, montre que la glande parotide ulcérée
, danne lieu à un écoulement de
falive , de même que l'ulcération de fon
canal excréteur. M. Louis avoit inféré
avec beaucoup de vraisemblance , des
expreffions bien méditées de Paré & d'Aquapendente
, que les fiftules qu'ils ont
traitées étoient à la glande parotide , &
il en avoit conclu que des Chirurgiens
modernes n'avoient manqué de réuffir ,
en ufant des mêmes moyens , que parce
qu'ils avoient donné leurs foins à des
fiftules au canal falivaire.M . Louis revient
contre cette conféquence : toute probable
qu'elle ait parue , elle n'a pas , dit -il,
le mérite de la vérité , qui doit être le but
de tous nos travaux .
L'Auteur rappelle ici les différentes
opérations qu'on a imaginées pour guérir
da fiftule du canal falivaire , & ce qu'il a
dit ailleurs de leur infidélité bien prouvée
, malgré les cures qu'on a faites en
les pratiquant le feton , compofé de
quelques brins de foie , paffés en forme
de méche dans la continuité du canal, rérablit
la route naturelle de la falive fans
douleur ; & ce moyen auffi fûr qu'il eft
DECEMBRE. 1760.. 137
fimple avoit été fubftitué aux opérations
douloureufes par lefquelles on fe propofoit
d'ouvrir une nouvelle route à la
falive . M. Louis rapporte une obfervation
nouvelle & très-inftructive , qui fournit
l'exemple fingulier de la cure d'une Fif
tulle très- invétérée au canal falivaire ,
laquelle , après avoir réſiſté à différentes
opérations prefcrites par les Maîtres de
la plus grande réputation , & depuis jugée
incurable , a été guérie par fes foins de la
manière la plus fimple , & pour ainfi
dire , contre fon attente , eu égard au
moyen qui a fuffi pour opérer la cure
radicale.
"
Un enfant de trois ans fut bleffé à la
joue droite par un boeuf qui lui donna un
coup de corne ; la playe refta fiftuleuſe ,
avec écoulement de falive . En 17459
l'enfant , âgé de Sans , parut fufceptible
de l'opération qu'on avoit projettée pour
la guérifon de la fiftule : une grande incifion
qui permettoit de porter
librement
le doigt dans la bouche par la joue , &
qu'on réunit à l'extérieur par des points
de future , fe cicatrifa en dedans naturellement
& laiffa un trou fiftuleux au dehors
comme auparavant. Il furvint même
pendant la cure, des abfcès qui obligérent
à faire des incifions. Quelque temps après
138 MERCURE DE FRANCE.
on tenta une nouvelle opération avec la
précaution d'entretenir par une méche de
fil l'ouverture au dedans de la bouche :
cette tentative fut encore infructueuse ,
parce qu'il fe fit un abfcès dont la matiére
purulente fe fit jour d'elle -même , en
rompant la cicatrice qui s'étoit formée.
après l'incifion d'un premier dépôt , à la
fuite de l'opération précédente. La maladie
étant abfolument dans le même étar
qu'avant toutes ces opérations , la falive
fe perdoit en grande partie fur la joue ,
dans tous les mouvemens de la machoire
inférieure & des lévres : les parens confultérent
les plus habiles Chirurgiens ; aur
détail de tout ce qui s'étoit paffé juſqu'a
fors, on joignit le profil du malade, qu'on
fit deffiner avec foin , pour repréfenter
d'après nature la joue dans fes véritables
proportions , montrer l'étendue & la dif
pofition des cicatrices , & marquer exactement
le lieu de la Fiftule , afin que les
confultans puffent porter avec plus de
certitude un jugement décifif , fur un cas
qui étoit purement accidentel. Tous s'accordérent
à dire , qu'ils ne croyoient pas
qu'on dût rien entreprendre pour la gué
rifon de cette maladie.
Treize ans après cette décifion , & la
Fiftule étant toujours au même étar , le
DECEMBRE. 1760:
jeune homme , âgé d'environ 22 ans , fut
envoyé à Paris en 1759. M. Louis paffa
la pierre infernale une feule fois fur l'orifice
de la Fiftule ; & elle a été guérie radicalement.
Les bornes d'un Extrait ne
permettent pas de rapporter toutes les précautions
qu'il a prifes pour affurer l'exficcation
de la petite efcarre, & qui lui font dire
qu'il faut de la fagacité & du difcernement
pour réuffir par principes , dans les
plus petites chofes. La Raifon , ajoute- t - il ,
eft la lumière de l'efprit , & fans elle , on
eft fouvent mal habile avec beaucoup de
deftérité.
Le fuccès de cette cure exigeoit de l'Auteur
la folution du problême qu'il avoit
propofé , & qui confifte à faire connoître
pourquoi les moyens qui ont été fi utiles
entre les mains des Anciens , ont été inéfficaces
lorfque d'autres les ont adminiftrés
dans la même maladie , & pofitivement
dans les mêmes circonftances.
On a employé plufieurs fois le cauftique
fans effet dans le traitement des Fif
tules du canal falivaire ; c'eft un fait bien
avéré.L'expérience ſembloit donc défavorable
à l'ufage des remédes qui ont cette
vertu . Il paroiffoit d'ailleurs fort facile de
rendre raifon de ces mauvais fuccès. Le
cauftique pouvoit être regardé comme un
40 MERCURE DE FRANCE
moyen qui aggrandit l'ulcère fiftuleux , & .
qui par conféquent ne pouvoit guéres
être propre à mettre obſtacle au paſſage
de l'humeur , dont l'écoulement habituel
eft la caufe permanente & néceffaire de
la Fiſtule. Voilà un raiſonnement fimple ,
naturel , & qui eft appuyé fur plufieurs
faits de pratique. Il faut concilier ces faits
avec d'autres obfervations qui font un témoignage
avantageux du bon effet des
Cautiques. Les procédés curatifs feront
arbitraires , & les efpérances de guérifon
tout- à - fait , dépendantes du haſard ,
fi l'on ne réfout ces difficultés. L'Art ne
reftera pas couvert de ces incertitudes
, fi l'on connoît la nature des médicamens
, & qu'on fçache les adminiftrer
avec intelligence , en jugeant de leurs
diverfes manières d'agir , relativement au
cas où on les applique . Dans la queſtion
préfente , il eft certain , dit M. Louis ,
que des confomptifs putréfians , ou qui
feroient une trop grande ouverture ; ne
peuvent contribuer à la confolidation de
la Fiftule : mais des cauftiques déſſéchans,
mis avec la plus grande circonfpection
,
& dont l'action fera bornée à l'orifice de
la Fiftule , y produiront une eſcarre folide
, qui fera corps avec la peau , & leur
effet primitif fera la parfaite obturation
DECEMBRE. 1760 . 14T
de la Fiftule. Si l'on a enfuite l'attention
de déflécher conftamment cetre efcarre ,
& qu'on ne fe livre pas à la routine qui
a confacré en quelque forte les remédes
pourriffans pour faire tomber les efcarres
par la fuppuration , en relâchant leur tiffu ,
on la verra toujours auffi folide fe féparer
par defquammation ; elle tombera comme
une croute , & la partie dont elle fe
fera détachée , fe trouvera folidement cicatrifée
, ou très -difpofée à l'être promptement
par l'application du moindre déficatif.
Ces principes ramènent fous un même
Point de vue les faits oppofés pour & contre
l'ufage des cauftiques & des défficatifs
dans le traitement des Fiftules du canal falivaire
Faute de réflexions on a abandonné
des moyens fimples pour des opérations
douloureufes & fouvent inutiles. Enfin , ce
qui femble mettre le fceau de la vérité à
toute la doctrine que M. Louis a établie
dans cette difcuffion , c'eſt qu'il a guéri
une Fiſtule du canal falivaire , qui fubfif.
toit depuis dix-neuf ans , en la touchant
une feule fois avec la pierre infernale.
» C'eſt , dit- il , un argument fans repli-
» que , qui exigeoit le facrifice public ,
» que je fais avec plaifir , des idées diffé-
» rentes que j'avois eues fur cet objet , &
و د
42 MERCURE DE FRANCE.
qui avoient mérité l'approbation des
» Connoiffeurs.
53
La fuite au Mercure prochain.
ARTICLE IV.
BEAUX- ARTS.
LETTRE au sujet des Embelliſſemens
faits dans l'Eglife de S. RocH , avec
la Defcription de ces nouveaux Ouvrages.
Αν
la
u moment de votre départ pour
Province , je vous promis , Monfieur , de
vous communiquer les nouveautés qui
occupent fi fouvent la Capitale .Il s'en préfente
une qui mérite toute votre curiofité .
Zélé comme vous l'êtes pour la décoration
des Temples, & amateur éclairé des Arts,
vous me fçaurez gré de vous annoncer les
embelliffemens de l'Eglife de S. Roch.On
ne doit les découvrir au Public que le 4
du mois prochain , mais je me hâte de
vous envoyer la defcription qu'on en a
préparée. Vous jugerez aisément qu'elle
DECEMBRE. 1760. 143
1
n'eft pas fortie de ma plume , vous devinerez
même qu'elle a pour Auteur un
de nos amis communs, dont vous connoiffez
le génie , le goût & l'excellente maniére
de préfenter les objets des Arts . Je
ne doute pas que ce Morceau ne vous intéreffe
très- particulièrement. L'Auteur y
a répandu quelques notes hiftoriques qui
ne déparent point l'ouvrage : celles qui
font à la fin ont paru néceffaires , & je
crois que vous les approuverez comme
tous les détails de la Defcription . Je n'ajoute
ici qu'un mot : c'eft qu'en confidérant
aujourd'hui l'Eglife de S. Roch avec
tous fes ornemens , on a peine à la diftinguer
de ce qu'elle étoit auparavant.
J'entrerois , Monfieur , dans des détails ,
fi je ne craignois de fufpendre trop longtemps
le plaifir que doit vous caufer la
belle relation qui accompagne ma lettre.
Je fuis &c. D. B.
i LES DÉCORATIONS DE S. ROCH .
L'Eglife Paroiffiale de S. Roch , majeftueufe
par fa conftruction & riche par
fon Architecture , n'avoit dans fes principales
Chapelles qu'une décoration comme
empruntée , qui répondoit trop imparfaitement
à la magnificence de l'Edifice
.
144 MERCURE DE FRANCE.
t
En 1752 , un Paſteur zélé ( a ) , qui allie
conftamment les devoirs de fon miniftère
aux louables attentions d'embellir
le Temple confié à fes foins , forma le
projet d'orner la Chapelle de la Vierge
d'un Monument convenable qui fixật
l'attention & ranimât la piété des Fidéles.
Le Sujet de l'Annonciation , lui parut .
propre à remplir fes vues. Il penfa que
la repréſentation en Sculpture de cet
événement qui n'exige que deux Figures
placées à quelque diftance l'une
de l'autre , fourniroit les moyens à un
Artifte intelligent de ménager le percé
qui dévoile d'un feul coup d'oeil l'Autel
du Choeur , celui de la Vierge , celui de la
Communion & celui du Calvaire . Mais
ce motif qui ne concerne prèfque que
l'intérêt des Arts & d'un faint Spectacle ,
ne vint qu'à l'appui de l'idée heureuſe de
réunir dans un même point de vue les
plus grands Myſtères de notre Religion ,
l'Incarnation & la Mort du Sauveur :
penſée refpectable , bien digne de la piété
de celui qui la conçut !
(a ) M. l'Abbé Marduel , Docteur de Sorbonne
, Curé de Saint Roch en 1749. Ce n'est que
des Décorations ajoûtées depuis lors , dans l'intérreur
de l'Eglife , qu'on rend compte au Public.
Ce
DECEMBRE. 1760. 145
"
Ce projet de Décoration propofé par
la voie du Concours fut adjugé en 1753
à M. Falconnet ( b ) . Le Public , à l'admiration
de qui les nouvelles Décorations
de S. Roch feront exposées le 4 du
courant , jugera que l'Auteur a parfaitement
rempli l'idée avantageufe que fa
réputation donne de fes talens.
par
L'Embelliffement de la Chapelle de la
Vierge eft fon morceau le plus confidérable.
On y voit la Vierge à genoux, modeftement
inclinée devant l'Ange . Elle
défigne , par l'expreffion de fon vifage ,
le mouvement de ſes bras , par toute
fon attitude , ce qui fe palla dans fon âme
au moment que l'Envoyé célefte fe préfenta
à fes regards , & qu'elle lui répondit
: Ecce ancilla Domini. L'humilité , la
candeur , la nobleffe font affociées dans
cette figure ( e ) à l'élégance , à la dignité
, & au beau caractère qui lui conviennent.
L'Ange Annonciateur paroît vis-à-vis .
(b ) Sculpteur Ordinaire du Roi & adjoint à
Profeffeur de l'Académie Royale de Peinture &
Sculpture.
(c) Elle eft de ronde boffe , ainfi que celles ·
dont on parlera ci-après. La Vierge , l'Ange &
les nuées qui les grouppent font de marbre.
Les deux Figures ont huit pieds & demi de proportion.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
On croit l'entendre prononcer les paroles
de la Salutation Angélique. Il montre la
Gloire d'où il defcend . Son action hardie
& aifée , fon enfemble fouple & fvelte ,
la légèreté de fes aîles & de fes vêtemens
ne laiffent rien appercevoir du poids de
la matiére dont il eft compofé. Une même
chaîne de nuée le groupe avec la Gloire
& avec la Vierge.
+
Entre les deux pilaftres , qui décorent
l'arcade , où fe paffe la fcène mystérieuſe ,
font placés les deux Prophètes (d) qui ont
plus fpécialement annoncé l'Incarnation
du Verbe.
Le Prophéte Roi eft ailément reconnu
à fes vêtemens , ajuſtés fuivant le Costume
des Orientaux & à fes attributs caractériftiques
, appuyé fur fa harpe , il retrace
l'enthoufiafme dont il fut doué , & rappelle
, par l'infcription pittorefquement
jettée à fes pieds , la promeffe qui lui avoit
été faite par l'Eternel : Juravi Davidfervo
meo.
Ifaïe eft repréfenté fous des habillemens
auftéres , drappé dans le grand ſtyle.
Il paroît occupé des chofes divines , tient
d'une main la table où eft écrite fa Prophétie
: Ecce Virgo concipiet, & de l'autre,
( d ) David & Ifaïe. Ces Statues fontée plomb
bronzé &de huit pieds de proportion. འའ
DECEMBRE. 1760. 147
montre au peuple l'événement que l'Eſprit
Saint lui fait annoncer.
Ces deux figures de caractére entrent
dans cette compofition comme la preuve
du Mystère. Les prérogatives de prophétie
dont David & Ifaïe étoient favorifés
leur rendoient préfent ce qui ne devoit
- arriver que longtemps après eux. C'eſt
dans cet efprit qu'on a cru pouvoir affocier
les Prophéties avec la repréſentation
du Mystère qu'ils ont prédit .
Au milieu du fecond Ordre d'architec-
& perpendiculairement à l'arcade
où paroît l'Annonciation , eft placée une
Gloire célefte . Ces rayons mêlés de
nuées & de Chérubins s'étendent fort audeffus
de la dernière corniche , environ
trente pieds par les côtés , & juſqu'aux
deux tiers de l'arcade . Ils prennent leur
origine dans un tranfparent lumineux qui
fait illufion. Cette Gloire eft d'une grandeur
dont on n'a pas encore vu d'exemple
dans ce pays , Elle a cinquante pieds
fur trente. Quel efpace affez vafte pourroit
donner une jufte idée de l'immenfité
de la Gloire divine ? Les rapports & les
contraftes judicieufement ménagés de
toutes les parties qui compofent l'embelliffement
de cette Chapelle , & qui tendent
à une même fin , en font une des
Gij
148 MERCURE DE FRANCE
plus brillantes Décorations que la Sculp
ture puiffe metrre au jour.
L'Autel eft de marbre blanc veiné. Sa
forme d'un quarré oblong , fimple , mais
noble , eft convenablement afforti au fujet
. Les moulures , l'Etoile rayonnée ;
qui décore le panneau du milieu , les rofes
, dont ceux des côtés font ornés , font
de bronze doré. On y monte par cinq
marches. Son élévation le met à portée
d'être apperçu de très- loin. Les arrièrescorps
, qui lui font contigus , lui don
ment affez de largeur pour remplir l'ou
verture de l'arcade .
Le Tabernacle en eft ingénieuſement
pratiqué dans l'épaiffeur de la portion
de nuages qui defcend du haut de la
Gloire jufques fur l'Autel.Cette invention
fingulière fauve l'inconvénient des petites
parties que les acceffoires d'un Tabernacle
ordinaire auroient introduit parmi
les grands objets dont cette décoration
eft composée.
Une balustrade de marbre , pareil à celui
de l'Autel , avec des portes aux deux
côtés faites de même matiére , enferme
le Sanctuaire , & fert de table pour la
Communion .
Des torches en façon de chandeliers à
bras , dont les branches font formées de
DECEMBRE. 1760. 149-
trois lys qui fortent des volutes d'un cartel
agraffè fur la bafe de deux pilaftres ,
tiennent lieu des chandeliers qu'on eft
communément en ufage de placer fur les
gradins de l'Autel. Cet ornement. eft de
bronze doré .
Tout le Sanctuaire eft revêtu de marbre
blanc veiné , à la hauteur de fept
pieds. Telle eft la hauteur des bafes de
tous les piliers de l'Eglife , celle des gradins
de l'Autel & celle des piédeſtaux des
Statues , repréſentans David & Ifaïe . Ces
piédeftaux font revêtus du même marbre
que le Sanctuaire & ornés d'une guirlande
de chêne en bronze .
La décoration de la Chapelle de la
Vierge eft couronnée par un magnifique
Plafond de M. Pierre. ( e ) Cette brillante
production qui fut expoſée au Public le
2 Octobre 1756 , repréſente l'Affomption
de laVierge ; elle offre tout ce que la Religion
fournit de plus intéreffant dans ce
fujet , & ce que l'art de la Peinture étale
de plus féduifant dans la Science des Plafonds.
Nous renvoyons le Lecteur à l'exacte
& judicieufe defcription que les
( e ) Peintre ordinaire du Foi , premier Peintre
de Mgr le Duc d'Orléans , & Profeffeur de
T'Académie Royale.
G iij
Fro MERCURE DE FRANCE.
Nouvelles Littéraires ont faite de ce
beau Poëme pittorefque. (f)
Le même Auteur a peint la coupole
qui décore la Chapelle de la Communion.
Cet Ouvrage dans lequel brille
une heureuſe facilité , retrace le Triom--
phe de la Religion . Le marbre & les dorures
brillent de toutes parts dans cette
Chapelle. L'Autel eft enrichi de Chérubins
& de deux Anges adorateurs , de
grandeur naturelle. Tous les ornemens
font de feu M. Paul Slodtz. ( g )
Le Calvaire eft une troifiéme Chapelle
conftruite derriere les deux dont nous
venons de parler ; elle termine l'Eglife
du côté du Nord. Ce refpectable afyle
offre à la curiofité des Connoiffeurs & à
la piété des Fidéles le Sauveur crucifié ( h),
& la Madelaine éplorée au pied de la Croix,
objets attendriffans qui femblent emprunter
un nouveau pathétique d'une lumière
célefte qui les éclaire dans la cavité d'une
efpéce de niche où ils font placés . Ils s'y
détachent fur un fond de ciel orné d'un
grouppe de nuages peint avec goût par
(f) Voyez l'Année Littéraire , Lettre 12 du 30
Octobre 1756 .
(g) Profeffeur de l'Académie Royale.
Ce Crucifix eft un Ouvrage d'Anguiers
Sculpteur habile du Siécle paffé.
DECEMBRE . 1760. If Ix
M. Machi . ( i ) Le Chrift & la Madelaine
paroiffent au haut de la montagne. Sur
un plan plus avancés font ingénieufement
placés , d'une part , les Soldats prépofés,
pour la garde de l'Homme- Dieu crucifié ;
de l'autre , des troncs d'arbres , des plantes
, parmi lesquelles on voit le ferpent
qui prêt à fe précipiter , femble blafphémer
contre le vainqueur de la mort & du,
péché.
Au bas de la montagne , où font deux
portes taillées dans le roc pour monter
fur le Calvaire , eft un Autel de marbre.
bleu Turquin , qui n'a pour tout ornement
que deux urnes d'où fort la fumée
des parfums par le moyen de laquelle
l'Autel fe trouve lié avec les rochers du
Calvaire. Au milieu s'élève un Taberna
cle formé d'un refte de colonne de bronze
doré , fur laquelle font grouppés divers
attributs de la Paffion du Sauveur ,
fa robe , la Couronne d'Epines , la Lance
, le Roſeau , les dez , & c. Cette penſée
heureuſe , ainsi que toute la décoration
du Calvaire , eft due à M. Falconnet , Artifte
également attentif à jetter de la poëfie
& du pathétique , dans les fujets qui
en font fufceptibles , & à y répandre les
effets piquans de la magie pittorefque.
( i ) De l'Académie Royale.
Giv
752 MERCURE DE FRANCE.
L'Architecture de l'Autel qu'on voit dans
cette retraite refpectable , de même que
le Sanctuaire de la Chapelle de la Vierge ,
eft de M. Boulée ( k ) , dont les talens font
connus par différens beaux Ouvrages.
Si après l'examen de ces trois Chapelles
, le Spectateur revient dans la grande
Nef de l'Eglife , il y trouvera d'autres
décorations .
Dans la croifée font deux Autels de
marbre bleu Turquin, ornés d'urnes & de
bas- reliefs dorés ; fur l'un eft placé un
Chrift agonifant au Jardin des Olives , par
M. Falconet; fur l'autre , s'élève la Figure
de S. Roch , Ouvrage de M. Couftou l'ainé
(1). Les Autels font de M. Couftou le
jeune (m) . Ces deux freres , qui foutiennent
par leurs talens l'éclat du nom qu'ils
portent , ont dévoilé dans ces Ouvrages
la correction de leur ftyle , & la noble
fimplicité de leur goût.
Une Chaire , d'une manière qui tient de
l'italique , attire & fixe les regards des
Curieux. Ce monument neuf par ſa compofition
, brillant par fa richeffe , intéreffant
par fa fingularité , mérite bien de
(k ) Architecte & ancien Penſionnaire du Roi.
(2) Sculpteur Ordinaire du Roi , & Profeffeur
de l'Académic Royale.
(m ) Architecte & Infpecteur de Marli.
DECEMBRE. 1760. 153
la confidération à M. Challe , ( n ) qui en
elt l'Auteur.
Les nouveaux embelliffemens de l'Églife
de S. Roch s'étendent jufqu'aux
grilles du Choeur . La réforme qu'on y
a faite en les rabaiffant , femble l'aggrandir.
Elles ne cachent plus les Cérémonies
qui s'y font , comme elles les
cachoient autrefois . Au moyen de cette
réparation avantageufe , on apperçoit
aujourd'hui , de toute la Nef , & d'une
partie des bas côtés ; non feulement les
décorations nouvelles , le Maître- Autel ,
mais encore la célébration des Saints
Myſtères.
Un jeu d'Orgues très - complet , trèsmélodieux
, confié aux talens d'un Artifte
diftingué ( o ) , entre dans l'ordre des
décorations dont on rend ici compte au
Public. Elles font toutes convenables au
faint édifice; elles font relatives à la gloire
du Seigneur , à l'édification des Chrétiens
, & n'ont pour objet que de ranimer
la piété des Fidéles. Ce font autant
de monumens authentiques & permanens
de la libéralité de quelques Paroiffiens
d'autant plus louables dans leurs largeſn
) Sculpteur Ordinaire du Roi.
40 ) M. Balbâtre , Organiſte de S. Roch , de
Notre-Dame , &c.
GY
144 MERCURE DE FRANCE.
1
En 1752 , un Paſteur zélé ( a ) , qui allie
conftamment les devoirs de fon miniftère
aux louables attentions d'embellir
le Temple confié à fes foins , forma le
projet d'orner la Chapelle de la Vierge
d'un Monument convenable qui fixật
l'attention & ranimât la piété des Fidéles.
propre
Le Sujet de l'Annonciation , lui parut .
à remplir les vues . Il penfa que
la repréfentation en Sculpture de cet
événement qui n'exige que deux Figures
placées à quelque diftance l'une
de l'autre , fourniroit les moyens à un
Artifte intelligent de ménager le percé
qui dévoile d'un feul coup d'oeil l'Autel
du Choeur , celui de la Vierge , celui de la
Communion & celui du Calvaire. Mais
ce motif qui ne concerne prèfque que
l'intérêt des Arts & d'un faint Spectacle ,
ne vint qu'à l'appui de l'idée heureuſe de
réunir dans un même point de vue les
plus grands Myſtères de notre Religion
I'Incarnation & la Mort du Sauveur :
penſée refpectable , bien digne de la piété
de celui qui la conçut !
( a ) M. l'Abbé Marduel , Docteur de Sorbonne
, Curé de Saint Roch en 1749. Ce n'est que
des Décorations ajoûtées depuis lors , dans l'intérreur
de l'Eglife , qu'on rend compte au Public.
Ce
DECEMBRE. 1760. 145
Ce projet de Décoration propofé par
la voie du Concours fut adjugé en 1753
à M. Falconnet ( b ). Le Public , à l'admiration
de qui les nouvelles Décorations
de S. Roch feront exposées le du
courant , jugera que l'Auteur a parfaitement
rempli l'idée avantageufe que fa
réputation donne de fes talens.
4
L'Embelliffement de la Chapelle de la
Vierge eft fon morceau le plus confidérable.
On y voit la Vierge à genoux, modeftement
inclinée devant l'Ange. Elle
défigne , par l'expreffion de fon vifage ,
par le mouvement de fes bras , par toute
fon attitude , ce qui fe paffa dans fon âme
au moment que l'Envoyé célefte fe préfenta
à fes regards , & qu'elle lui répondit
: Ecce ancilla Domini. L'humilité , la
candeur , la nobleffe font affociées dans
cette figure ( c ) à l'élégance , à la dignité
, & au beau caractère qui lui conviennent.
L'Ange Annonciateur paroît vis- à- vis.
(b ) Sculpteur Ordinaire du Roi & adjoint à
Profeffeur de l'Académie Royale de Peinture &
Sculpture.
(c) Elle eft de ronde boffe , ainfi que cellesdont
on parlera ci-après. La Vierge , l'Ange &
les nuées qui les grouppent font de marbre.
Les deux Figures ont huit pieds & demi de proportion.
G
146 MERCURE DE FRANCE:
On croit l'entendre prononcer les paroles
de la Salutation Angélique. Il montre la
Gloire d'où il defcend . Son action hardie
& aifée , fon enfemble fouple & fvelte ,
la légèreté de fes aîles & de fes vêtemens
ne laiffent rien appercevoir du poids de
la matiére dont il eft compofé. Une même
chaîne de nuée le groupe avec la Gloi-
' re & avec la Vierge.
Entre les deux pilaftres , qui décorent
l'arcade , où fe paffe la ſcène myſtérieuſe ,
font placés les deux Prophètes (d) qui ont
plus fpécialement annoncé l'Incarnation
du Verbe.
Le Prophéte Roi eft ailément reconnu
à fes vêtemens , ajuftés fuivant le Costume
des Orientaux & à fes attributs caractériftiques
, appuyé fur fa harpe , il retrace
l'enthoufiafme dont il fut doué , & rappelle
, par l'infcription pittorefquement
jettée à fes pieds , la promeffe qui lui avoit
été faite par l'Eternel : Juravi Davidfervo
meo.
Ifaïe eft repréſenté fous des habillemens
auftéres , drappé dans le grand ſtyle.
Il paroît occupé des chofes divines , tient
d'une main la table où eft écrite la Prophétie
: Ecce Virgo concipiet, & de l'autre,
( d ) David & Ifaïe . Ces Statues fontde plomb
bronzé &de huit pieds de proportion.
DECEMBRE. 1760. 147
montre au peuple l'événement que l'Eſprit
Saint lui fait annoncer.
Ces deux figures de caractére entrent
dans cette compofition comme la preuve
du Myftère. Les prérogatives de prophétie
dont David & Ifaïe étoient favorisés
leur rendoient préfent ce qui ne devoit
arriver que longtemps après eux. C'eſt
dans cet efprit qu'on a cru pouvoir affo
cier les Prophéties avec la repréfentation
du Myſtère qu'ils ont prédit.
Au milieu du fecond Ordre d'architecture
, & perpendiculairement à l'arcade
ou paroît l'Annonciation , eft placée une
Gloire célefte . Ces rayons mêlés de
nuées & de Chérubins s'étendent fort audeffus
de la dernière corniche , environ
trente pieds par les côtés , & jufqu'aux
deux tiers de l'arcade. Ils prennent leur
origine dans un tranfparent lumineux qui
fait illufion. Cette Gloire eft d'une grandeur
dont on n'a pas encore vu d'exemple
dans ce pays , Elle a cinquante pieds
fur trente. Quel efpace affez vafte pourroit
donner une jufte idée de l'immenfité
de la Gloire divine ? Les rapports & les
contraſtes judicieufement ménagés de
toutes les parties qui compofent l'embelliffement
de cette Chapelle , & qui tendent
à une même fin , en font une des
Gij
148 MERCURE DE FRANCE
W
plus brillantes Décorations que la Sculp
ture puiffe metrre au jour.
L'Autel eft de marbre blanc veiné . Sa
forme d'un quarré oblong , fimple , mais
noble , eft convenablement afforti au fujet
. Les moulures , l'Etoile rayonnée ;
qui décore le panneau du milieu , les rofes
, dont ceux des côtés font ornés , font
de bronze doré. On y monte par cinq
marches. Son élévation le met à portée
d'être apperçu de très- loin. Les arrièrescorps
, qui lui font contigus , lui don
Rent affez de largeur pour remplir l'ou
verture de l'arcade .
Le Tabernacle en eft ingénieufement
pratiqué dans l'épaiffeur de la portion
de nuages qui defcend du haut de la
Gloire jufques fur l'Autel.Cette invention
fingulière fauve l'inconvénient des petites
parties que les acceffoires d'un Tabernacle
ordinaire auroient introduit parmi
les grands objets dont cette décoration
eft composée.
Une balustrade de marbre , pareil à celui
de l'Autel , avec des portes aux deux
côtés faites de même matiére , enferme
le Sanctuaire , & fert de table pour la
Communion.
Des torches en façon de chandeliers à
bras , dont les branches font formées de
DECEMBRE . 1760. 149
trois lys qui fortent des volutes d'un cartel
agraffé fur la bafe de deux pilaftres ,
tiennent lieu des chandeliers qu'on eft
communément en ufage de placer fur les
gradins de l'Autel. Cet ornement, eft de
bronze doré.
Tout le Sanctuaire eft revêtu de marbre
blanc veiné , à la hauteur de fept
pieds. Telle eft la hauteur des baſes de
tous les piliers de l'Eglife , celle des gradins
de l'Autel & celle des piédeſtaux des
Statuës , repréſentans David & Ifaïe. Ces
piédeftaux font revêtus du même marbre
que le Sanctuaire & ornés d'une guirlande
de chêne en bronze.
La décoration de la Chapelle de la
Vierge eft couronnée par un magnifique
Plafond de M. Pierre . ( e ) Cette brillante
production qui fut expofée au Public le
2 Octobre 1756 , repréſente l'Assomption
de laVierge ; elle offre tout ce que la Religion
fournit de plus intéreffant dans ce
fujet , & ce que l'art de la Peinture étale
de plus féduifant dans la Science des Plafonds.
Nous renvoyons le Lecteur à l'exacte
& judicieufe defcription que les
( e) Peintre ordinaire du Roi , premier Peintre
de Mgr le Duc d'Orléans , & Profeffeur de
'Académie Royale.
G iij
Fro MERCURE DE FRANCE.
Nouvelles Littéraires ont faite de ce
beau Poëme pittorefque. (f)
Le même Auteur a peint la coupole
qui décore la Chapelle de la Communion.
Cet Ouvrage dans lequel brille
une heureuſe facilité , retrace le Triomphe
de la Religion. Le marbre & les dorures
brillent de toutes parts dans cette
Chapelle. L'Autel eft enrichi de Chérubins
& de deux Anges adorateurs , de
grandeur naturelle. Tous les ornemens
font de feu M. Paul Slodtz. ( g )
Le Calvaire eft une troifiéme Chapelle
conftruite derriere les deux dont nous
venons de parler ; elle termine l'Eglife
du côté du Nord . Ce refpectable aſyle
offre à la curiofité des Connoiffeurs & à
la piété des Fidéles le Sauveur crucifié (h),
& la Madelaine éplorée au piedde la Croix,
objets attendriffans qui femblent emprunter
un nouveau pathétique d'une lumière
céleste qui les éclaire dans la cavité d'une
efpéce de niche où ils font placés. Ils s'y
détachent fur un fond de ciel orné d'un
grouppe de nuages peint avec goût par
(f) Voyez l'Année Littéraire , Lettre 12 du 30
Octobre 1756.
(g) Profeffeur de l'Académie Royale.
Ce Crucifix eft un Ouvrage d'Anguiers
Sculpteur habile du Siécle paffé ."
DECEMBRE . 1760. 1517
M. Machi. ( i ) Le Chrift & la Madelaine
paroiffent au haut de la montagne . Sur
un plan plus avancés font ingénieufement
placés , d'une part , les Soldats prépofés ,
pour la garde de l'Homme- Dieu crucifié ;,
de l'autre , des troncs d'arbres , des plantes
, parmi lesquelles on voit le ferpent
qui prêt à fe précipiter , femble blafphé
mer contre le vainqueur de la mort & du,
péché.
Au bas de la montagne , où font deux
portes taillées dans le roc pour monter
fur le Calvaire , eft un Aurel de marbre.
bleu Turquin , qui n'a pour tout ornement
que deux urnes d'où fort la fumée
des parfums par le moyen de laquelle
l'Autel fe trouve lié avec les rochers du
Calvaire. Au milieu s'élève un Tabernacle
formé d'un refte de colonne de bronze
doré , fur laquelle font grouppés divers
attributs de la Paffion du Sauveur ,
fa robe , la Couronne d'Epines , la Lance
, le Roſeau , les dez , &c. Cette penſée
heureufe , ainfi que toute la décoration
du Calvaire , eft due à M. Falconnet , Artifte
également attentif à jetter de la poëfie
& du pathétique , dans les fujets qui
en font fufceptibles , & à y répandre les
'effets piquans de la magie pittorefque.
( i ) De l'Académie Royale.
Giv
752 MERCURE DE FRANCE.
L'Architecture de l'Autel qu'on voit dans
cette retraite refpectable , de même que
le Sanctuaire de la Chapelle de la Vierge ,
eft de M. Boulée ( k ) , dont les talens font
connus par différens beaux Ouvrages.
Si après l'examen de ces trois Chapelles
, le Spectateur revient dans la grande
Nef de l'Eglife , il y trouvera d'autres
décorations .
Dans la croifée font deux Aurels de.
marbre bleu Turquin, ornés d'urnes & de
bas-reliefs dorés ; fur l'un eft placé un
Chrift agonifant au Jardin des Olives , par
M. Falconet ; fur l'autre , s'élève la Figure
de S. Roch , Ouvrage de M. Couftou l'ainé
(1). Les Autels font de M. Couftou le
jeune (m) . Ces deux freres, qui foutiennent
par leurs talens l'éclat du nom qu'ils
portent , ont dévoilé dans ces Ouvrages
la correction de leur ftyle , & la noble
fimplicité de leur goût.
Une Chaire , d'une manière qui tient de
l'italique , attire & fixe les regards des
Curieux. Ce monument neuf par fa compofition
, brillant par fa richeffe , intéreffant
par fa fingularité , mérite bien de
(k ) Architecte & ancien Penfionnaire du Roi.
(1) Sculpteur Ordinaire du Roi , & Profeffeur
de l'Académic Royale.
(m ) Architecte & Infpecteur de Marli.
DECEMBRE. 1760. 153
la confidération à M. Challe , ( n ) qui en
eft l'Auteur.
Les nouveaux embelliffemens de l'Eglife
de S. Roch s'étendent jufqu'aux
grilles du Choeur. La réforme qu'on y
a faite en les rabaiffant , femble l'aggrandir.
Elles ne cachent plus les Cérémonies
qui s'y font , comme elles les
cachoient autrefois. Au moyen de cette
réparation avantageufe , on apperçoit
aujourd'hui , de toute la Nef , & d'une
partie des bas côtés ; non feulement les
décorations nouvelles , le Maître- Autel ,
mais encore la célébration des Saints
Myftères.
Un jeu d'Orgues très - complet , trèsmélodieux
, confié aux talens d'un Artiſte
diftingué ( o ) , entre dans l'ordre des
décorations dont on rend ici compte au
Public . Elles font toutes convenables au
faint édifice; elles font relatives à la gloire
du Seigneur à l'édification des Chrétiens
, & n'ont pour objet que de ranimer
la piété des Fidéles. Ce font autant
de monumens authentiques & permanens
de la libéralité de quelques Paroiffiens
d'autant plus louables dans leurs largef
An ) Sculpteur Ordinaire du Roi.
40 ) M. Balbâtre , Organiſte de S. Roch, de
Notre-Dame , &c.
Gy
154 MERCURE DE FRANCE
fes , qu'ils ne veulent point être connus
& qu'ils ont dépofé dans le fein de leur'
Paſteur le fecret de leurs bienfaits. Rare
générofité , reffource heureufe , que tous
les revenus de l'Eglife & de la Cure de
S. Roch n'auroient pû fuppléer !
NOTES HISTORIQUES.
L'Eglife de S. Roch , conftruite fur le
plan de M. le Mercier , premier Architecte
du Roi , a été commencée en 1653 .
Louis XIV. en a pofé la premiere pierre
le 28 Mars .
Le Portail fait fur les plans de M. de
Cotte , premier Architecte de Sa Majeſté ,
a été achevé en 1738.
Dans cet intervalle , la Chapelle de
la Vierge & celle de la Communion ont
été conftruites en 1717.
Celle du Calvaire fut conftruite en
1754 , fur le terrein qui fervoit de Cimetiére.
Les premieres pierres des quatre
principaux piliers ont été pofées , celle
du premier par M. le Maréchal DUC DE
NOAILLES ; celle du fecond , par M. le
COMTE DE LA MARK , Grand d'Eſpagne ;'
& celles des deux autres , par M. DE
SAVALETTE , Garde du Tréfor Royal , &
M. DE BEAUMONT , l'un des Fermiers Gé
néraux de Sa Majesté.
DECEMBRE. 1760. 155
L'étendue de l'Eglife de S. Roch eft de
foixante - cinq toifes , mefure pareille à
celle de la Cathédrale de Paris.
MUSIQUE.
LEE Code de Mufique de M. RAMEAU ,
annoncé en 1757 pour 1758 , joint à de
nouvelles réflexions fur le principe fonore,
le tout imprimé à l'Imprimerie Royale ,
fera délivré fur la fin de la préfente année
1760. Vol. in - 4°. chez l'Auteur , rue des
Bons- Enfans , chez Jorry , Duchesne , Libraires,&
chez les Marchands de Mufique.
RECUEIL D'AIRS avec accompagnement
de Flute , ou Violon , ou Pardeffus de
Viole . Par M. Bordet , le tout fecueilli &
mis en ordre par M. *** . Prix 6 liv . en
blanc , fe vend à Paris aux adreffes ordinaires
de Mufique , à Rouen , chez M.
L'ainé , Marchand rue des Carmes , au
Bureau de la Lotterie de l'Ecole Royale
Militaire.
Il a été jugé néceffaire pour les voix qui
n'ont pas encore acquis la perfection du
chant , de donner des airs qui fuffent connus,
& pour les Inftrumens qui font dans
le même cas que les accompagnemens
fuffent d'une facile exécution ; on a lieu
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
d'efpérer que les uns & les autres en tiretont
la fatisfaction qu'on s'eft proposée .
XX. SONATE per Cembalo compoſte da
vari Autori Alberti , Iozzi , Galuppi , Le
Grand , Bach , Haffe , Lorenzini , Agrel,
Martini , Schaffrath, Opera feconda, prix
liv. Racolte da G. B. Venier ; gravée
par Mlle Vendome , à Paris , chez M.
Venier , rue S. Thomas du Louvre , visà-
vis le Château d'Eau. M. Bayard , rue
S. Honoré , à la Régle d'Or. Mademoifelle
Caftagneri , rue des Prouvaires , à la
Mufique Royale , M. Le Menu , rue du
Roule , à la Clef d'Or , & rue S. Honoré,
vis-à- vis le Palais Royal , à la Mufique
moderne , au- deffous du très- Galand.
LI
GRAVURE.
EST RIGAUD Graveur , vient de joindre
à fon Recueil des vues & perfpectives,
deux nouvelles vues du château de Maifons
. Toutes fes vues font propres pour
l'optique. Cette collection confifte en cent
trente deux vues des Maiſons Royales &
autres; plus, quelques Marines & Payfages.
Il demeure toujours rue S. Jacques , visà-
vis le Collége du Pleffis.
DECEMBRE . 1760. 157
Le Sr LE CANU , vient de faire paroître
une fontaine gravée d'après M. Petitor ,
Architecte de S. A. l'Infant Dom Philippe
, & dédiée à M. Franque , Architecte
du Roi , & de l'Académie Royale d'Architecture.
Cette fontaine , qui eft du
meilleur goût , ne pourroit que contribuer
à l'embelliffement de cette Capitale. Elle
eft très-bien gravée , & fe vend , chez
P'Auteur , Porte S. Jacques , rue S. Thomas
, & à Rouen , chez Jacques , Parvis
Notre-Dame.
M. OUVRIER , Graveur , qui a donné
les Villageois de l'Apennin , & les Jardinieres
Italiennes au Marché , Eftampes
annoncées dans les Mercures d'Août
1755 , & Juillet , fecond vol. 1756 , vient
de faire paroître la vue de l'Apennin
& des Alpes , deux Eftampes d'après
M. Vernet , elles font de la hauteur de
celles des vues des Ports de France de
Vernet, mais bien plus étroites , & du meilleur
goût . Elles fe trouvent chez l'Auteur,
Place Maubert.même maiſon que M. Bel
lot , Marchand Bonnetier , au Soleil d'or.
158 MERCURE DE FRANCE.
HORLOGERI E.
LETTRE , à l'Auteur du Mercure..
LA
4
A Pendule à équation , dont la def
cription eft inférée dans le Volume de
Mai, Mercure de France n'eft ni nouvelle,
ni ignorée , car c'eft la même que je préfentai
à l'Académie en 1754 : je l'ai de
crite à l'Article Equation , cinquième Volume
de l'Encyclopédie : M. Gallon , Edi
teur du Recueil des machines approuvées
par l'Académie , l'a inférée dans ledit ou
vrage ; & depuis longtemps , j'ai exécuté
& vendu plufieurs Pendules de cette con
ftruction. J'en ai encore actuellement
quatre chez moi . Enfin on a vû dans l'Ef
faifur l'Horlogerie que je viens de publier,
la difpofition & le plan de cette équation ;
je ne me fuis pas contenté de décrire &
de faire graver des planches pour les dif
férentes équations de Pendules . J'ai joint
à cet ouvrage le méchanifme des montres
à équations que j'ai compofées & que j'e
xécute journellement , & j'ai donné les
méthodes fimples & faciles dont je me ſers
pour tailler les courbes d'équation , foit
des Pendules ou des Montres.
Je vous envoye , Monfieur , l'Extrait
des Regiftres de l'Académie Royale des
DECEMBRE. 1760. 159
Sciences , année 1754 : non pour m'afficher,
puiſque je ne veux être annoncé que
par mes ouvrages : mais pour vous prouver
ce que j'ai avancé. J'ai l'honneur d'être ,
&c. BERTHOUD.
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie
·Royale des Sciences, du 7 Août 1754.
Nous avons examiné par ordre de l'A
cadémie , une montre à fecondes concentriques
, préfentée par le fieur Ferdinand
Berthoud, Horloger de Paris , marquant
en même tems les mois de l'année , leurs
quantièmes , le tems vrai & le tems moyen
Immédiatement au- deffous du cadran ,
eft placée une roue annuelle fendue en
rochet , cette roue dont la grandeur eft
la même que celle du cadran , lui eft concentrique
fur fon plan , elle porte une
ellipfe dont la circonférence touche &
gouverne un rateau , qui par le moyen
d'un pignon où il engrenne , fait tourner
un cadran d'équation concentrique à celui
des heures.
Le rateau mobile alternativement en
fens contraire dans le cours d'une année
produit le même mouvement alternatif
dans ce cadran qui change de direction
160 MERCURE DE FRANCE
à- peu-près tous les trois mois , & fuit l'équation
du tems;elle eft marquée en même
tems fur les deux cadrans par les deux extrémités
opposées de l'aiguille des minutes.
Le mouvement annuel , & celui de l'équation
qui marche en même tems, font
abfolument indépendants du mouvement
journalier: c'eft en montant la montre une
fois par jour , qu'on fait marcher le mouvement
annuel , & l'équation par une méchanifme
fort fimple.
il
Le garde-chaîne eft fixé fur une tige
dont les pivots font dans les deux platines;
peut décrire un petit arc de cercle ; un
de ces pivots porte un carré fur lequel eft
ajufté dans la cadrature un levier à pied
de biche,
Lorſqu'on remonte la montre , le gar
de-chaîne eft foulevé par la chaîne jufqu'à
ce qu'il foit à la hauteur du crochet
de la fufée; ce crochet lui donne un petit
mouvement circulaire qu'il communique
au pied de biche , dont l'extrémité
s'engage dans une Etoile à cinq rayons ,
& fait paffer un de fes rayons toutes les
fois que le crochet de la fufée pouffe le
garde - chaîne.
L'étoile eft affujettie par un Valet ou
fautoir , qui lui fait faire fûrement la cinquiéme
partie d'un tour , & l'empêche
DECEMBRE. 1760 . 161
de revenir en fens contraire ; lorfque le
pied de biche ſe dégage. L'arbrede cette
même étoile porte deux palettes oppofées
pour conduire la roue annuelle , en forte
que deux dents de cette roue paffent néceffairement
en cinq jours , ce qui lui
fait faire fa révolution en 365 jours . Par
cette ingénieuſe conftruction , le mouvement
annuel & celui d'équation , dont
les effets font toujours affurés , fe trouvent
abfolument indépendants au mouvement
de la montre ; ils n'y produifent , par
conféquent , aucune réfiftance à la force
motrice , aucun dérangement à ſa juſteſſe .
Un autre avantage de cette conftruction ,
c'eft qu'elle permet de placer au centre
l'aiguille des fecondes , ce qui feroit trèsdifficile
à exécuter, en faifant conduire la
roue d'équation par le rouage de la montre.
(a) Enfin il n'eft pas plus difficile d'y
( a ) J'ai finguliérement perfectionné le méchaniſme
de la montre à équation qui eft ici décrite
; car je fuis parvenu à faire une montre à
répétition , à fecondes concentriques de deux battemens
du balancier par ſecondes. Cette montre
qui eft en même temps à équation , marque les
mois de l'année & les quantiémes du mois. J'en
ai fait auffi qui vont huit jours fans remonter ,
dont les fecondes font d'un feul battement , font
à répétition , à équation , & marquent les mois
de l'année ; & d'autres enfin qui vont un mois
162 MERCURE DE FRANCE.
"
ajouter une cadrature & un rouage de
répétition qu'aux montrés ordinaires , ou
les fecondes font concentriques . Cette
invention fait difparoître tous les incon--
véniens des montres qui marquent en
même temps les fecondes , les minutes
les heures : les jours du mois , le quantiéme
& l'équation. On n'a point encore
imaginé de maniére plus fimple & plus
commode pour remplir toutes ces conditions
avec moins d'inconvéniens , &
nous la croyons très- digne de l'approbation
de l'Académie.
APPROBATIONS.
Approuvées par l'Académie. Signé
CAMUS , DE Montigny.
Je certifie le préfent Extrait conforme
à fon original, & au jugement de la Compagnie.
A Paris , ce 3 Septembre 1754.
Signé , GRANDJEAN DE FOURCHY , Secrétaire
perpétuel de l'Académie Royale
des Sciences.
fans remonter , font à équation , à répétition &c,
Ces montres font tellement difpofées , qu'elles en
font fort peu groffies, & que d'ailleurs elles font
folides , & nullement fujettes à fe déranger.
DECEMBRE. 1760. 16
SUPPLEMENT à l'Article des Arts utiles .
DISSERTATION fur la maladie
de la PIERRE,
DEE tous les maux dont Dieu a puni les
hommes depuis la défobéiffance de notre
premier pere, on peut affurer avec certitude
, qu'il n'y en a point de plus cruel que
celui de la pierre qui s'engendre dans les
reins & dans la veffie, outre que cette maladie
eft extrêmement douloureufe & infupportable,
elle eft prèfque toujours mortelle
, fi on n'en extirpe pas radicalement
la caufe. Quelle reconnoiffance nedevonsnous
pas aux perfonnes qui ont contribué à
guérir cette cruelle maladie ! Il y a longtems
qu'elle eft connue, mais on n'a point
de certitude du tems auquel l'opération de
la taille a commencé d'être en ufage . Hippocrate
, ce Prince des Médecins , qui vivoit
460 ans avant J. C: en a traité , mais
il l'a trouvée fi dangereufe , qu'il a proteſté
qu'il ne la feroit jamais ; c'eft l'aveu qu'il
en fait dans fon ferment , où il charge de
cette opération ceux qui exercent cette
profeffion particuliére. Auffi ne voit -on
point qu'aucun Chirurgien faifant les au164
MERCURE DE FRANCE.
tres opérations de Chirurgie , ſe foit rendu
habile en celle- ci , tant à l'égard du petit
appareil qui eft fort ancien, que du grand
appareil qui n'a été inventé qu'en l'année
1525 , par Jean des Romains , natif de Cremone
,qui communiqua fon fecret à Marianusfanctus
des Barlettes , Docteur en Médecine
de Padoue . Ce Marianus l'enfeigna
à un nommé Octavius de Ville , qui fut le
Maître de Laurent Collot , lequel exerça
la Médecine en la Ville de Fresnel en
Champagne , où il fit un grand nombre
d'opérations qui le rendirent très - célébre
.
En l'année 1556 , Henri II. lui ordonna
de fe rendre à Paris & de s'y établir
; il le gratifia d'un préfent confidérarable
, le fir Chirurgien de fa Maiſon , &
créa pour lui une Charge d'Opérateur
pour la Pierre , qui a été poffédée par
fes defcendans. C'étoit alors le feul qui
par la mort d'Odavien de Ville fût inftruit
du fecret du grand appareil ' ; il
l'apprit à fon fils , qui ne fe rendit pas
moins habile ni moins célébre que fon
pére. C'est d'eux dont Antoine Paré fait
mention dans fon Traité de Chirurgie qu'il
fit imprimer en François , & que Jacques
Guillemeau , auffi Chirurgien du Roi traduifit
en Latin , & fit imprimer en 15.82
DECEMBRE. 1760 . 169
Paré , après avoir rapporté plufieurs
exemples des belles opérations que les
Collots avoient faites , affure qu'il ne
croit pas que ni le pere ni le fils ayent jamais
eu de pareils dans leur profeffion .
On prétend que la premiere opération
de la taille qui fut faite à Paris , fut exécutée
fur un criminel condamné à être
pendu , en 1474. On dit que l'opération
réuffit parfaitement , qu'en quinze jours
le criminel fut guéri , & qu'il obtint fa
grace. Cependant on cite toujours les
Collots comme les premiers Opérateurs
de la taille en France.
Après les deux dont nous venons de
parler , Laurent Collot fut le troifiéme
qui hérita de l'habileté de fes peres : non
feulement il apporta toute la dextérité
qu'il tenoit d'eux ; mais il perfectionna
leur manière d'opérer , & il en ôta tout
ce qu'il y avoit de rude & de difficile.
Philippe Collot , fils du précédent , nâquit
en l'année 1593. Il furpaffa encore
fon pere , fon ayeul & fon bifayeul dans
l'art de la Lithotomie , & depuis lui fes
fils & petits- fils ont taillé les malades de
la pierre avec une adreffe finguliére , &
un fuccès prèfque toujours heureux . Il
mourut à Luçon , où il étoit allé traiter
un malade de la pierre , au commence166
MERCURE DE FRANCE
ment du mois de Mars de l'année 1656 ;
étant âgé de 63 ans. On peut lui reprocher
de même qu'à fes ancêtres , & à ſes
defcendans , d'avoir tenu caché le fecret
qu'il avoit pour cette opération , & de
ne l'avoir communiqué à aucun homme
de leur profeffion . Ils auroient pû faire
ce préfent au Public fans fe faire aucun
tort , puifqu'on auroit eu toujours recours
à eux préférablement à tous les autres.
Des fecrets peuvent fe garder dans des
familles quand ils ne vont qu'à la fimple
curiofité ; mais lorsqu'ils font affez utiles
pour conferver la vie des hommes , il
femble qu'on doive les mettre , autant
qu'il fe peut , dans les mains de tout le
monde , quand même cela ne fe pourroit
faire fans en fouffrir quelque préjudice.
Nous avons plufieurs livres qui traitent
de la Lithotomie. François Tollet , feul
Opérateur du Roi pour la Pierre , nous
en a donné un excellent traité , imprimé
à Paris avec figures en 1681 , & dont il y
a eu une quatrième édition en 1689 ,
in -12.
Obfervation fur la manière de tailler
de Frere Jacques , par Jean Mery , Paris
1700 , in- 12.
Differtation fur les maladies & les opé
rations de la Pierre , par Charles-Denis
DECEMBRE. 1760. 767
Delaunay , Paris 1700 , in- 12 .
Nouvelle manière de faire l'opération
de la taille , par Douglas , traduit de
l'Anglois , Paris 1724 , in- 12 .
Traité de l'opération de la taille , par
François Collot , Paris 1727 , in- 12.
M. Le Dran , Chirurgien Juré du Roi ,
auffi connu par fon habileté dans fon
- Art , que par les Ouvrages de fa compofition
, nous a donné un excellent Traité
intitulé : Parallèle des différentes manières
de tirer la Pierre hors la veffie , Paris
- 1730 , in - 8 ° , & réimprimé à Paris , chez
-Laguette , en 1740 , avec fon Traité des
opérations de Chirurgie en 1742.
L'Opération de la taille , par l'appareil
latéral , ou la méthode de Frere Jacques
, corrigée par René Croiffant de Garengeot
, Paris 1730 , in- 12 .
Differtation fur la Pierre , par Pierre
Defaut , Paris 1736 , in- 12 ,
Je ne parle pas de plufieurs fecrets
qu'on prétend avoir trouvés pour fondre
la Pierre dans la veffie , entr'autres un recueil
d'expériences & d'obfervations fur
la Pierre & fur les remédes de Mlle Stephens
, traduites de l'Anglois , & imprimées
à Paris en 1740 , in- 12.
Ni du traité des moyens de diffoudre
la Pierre par Théophile Lobe , Docteur en
68 MERCURE DE FRANCE:
>
Médecine , de la Société Royale de Londres
, traduit de l'Anglois par M. T. A. &
imprimé à Paris en 1744 , ni de pluſieurs
autres fecrets qu'on prétend avoir trouvés
fur le même fujet , & dont l'expérience
n'a pas répondu à des promeffes auffi
flatteufes mais le Frere Cofme , Feuillant
au Couvent de Paris nous'a donné un
recueil de piéces importantes fur l'opé
ration de la taille faite par fon Lithoto
me caché , imprimé chez d'Houry en deux
vol. en 1751 & 1753 & dont l'expérience
prouve l'éfficacité . C'étoit à cet
habile Lithotomifte qu'il étoit réſervé de
perfectionner cet Art. Il eft inutile de
vanter le mérite de cet inftrument , ni
celui de fon inventeur , dont la réputation
lui a attiré tant d'envieux ; mais le
nombre prodigieux de fes opérations , qui
ont fibien réuffi jufqu'à préſent, font affez
l'éloge de cet admirable inftrument , qui
doit immortalifer l'Auteur d'un fecret
auffi utile à l'humanité. D. D. N.
CHYMIE,
DECEMBRE. 1760. 169
CHYMI E.
NALYSE de la Poudre du Sr CHARTREY
, par PIA & Cadet , Apoticaires
affociés.
MONSEIGNEUR ONSEIGNEUR le Maréchal Duc de
BIRON nous fit remettre l'année derniere
un paquet cacheté contenant une poudre
blanche pour en faire l'analyfe , ce à quoi
nous avons procédé de la maniére fuivante.
Nous avons verfé fur une partie de cette
poudre de l'acide vitriolique qui en a
fait la diffolution ; nous avons mêlé cette
diffolution avec trois parties d'efprit de
vin rectifié, & nous avons vû paroître dans
le mêlange une quantité affez confidérable
de petits cryftaux , qui féchés, avoient
parfaitement le goût du fel de fedlitz : ce
qui nous a fait juger que cette poudre
n'étoit qu'une magnefie blanche tirée , ou
de l'eau mere du nitre , ou d'un fel fedlitz ,
ou d'un fel d'ebfom à baſe terreuſe . Pour
nous en convaincre , nous avons décompofé
ces deux derniers fels en verfant fur
leur folution dans l'eau , de l'huile de tartre
par défaillance , nous en avons vû ſe
H
170 MERCURE DE FRANCE
précipiter une poudre blanche ſemblable
à celle que nous examinions , nous avons
verfé fur cette poudre de l'acide vitriolique
qui en a fait la diffolution , & cette diffolution
mêlée avec de l'eſprit de vin rectifié
dans les mêmes proportions que ci - deſſus ,
nous a fourni précisément les mêmes cryftaux
dont nous avons parlé .
D'après ces expériences , il nous a paru
conftant que cette poudre n'étoit autre
chofe qu'une magnefie ; mais ayant mis le
feu à un mélange d'efprit de vin avec une
diffolution de cette poudre dans l'acide
vitriolique , la flamme nous fit juger que
cette magnefie étoit cuivreufe. Pour
nous affurer davantage de l'existence du
cuivre dans cette poudre , & que le cuivre
n'étoit pas dans l'acide par nous employé
, nous fîmes de cet acide feul un
mêlange avec de l'efprit de vin , & nous
l'enflammâmes ; la flamme qui en réſulta
ne nous donna , point de verd , comme
avoit fait le mêlange de la diffolution de
la poudre par l'acide vitriolique , avec
l'efprit de vin , & nous fûmes alors convaincus
que la couleur verte de la flamme
ne pouvoit venir que du cuivre contenu
dans la poudre que nous analyfions.
Cette expérience , quelqu'évidente
qu'elle foit , ne nous a pas fatisfaits , nous
RO DECEMBRE. 1760. 171
T
avons été plus loin dans l'intention où
nous étions de démontrer le cuivre d'une
manière non équivoque. Nous avons
mis de cette poudre dans un papier blanc ;
nous l'avons humectée avec de l'efprit
de vin; nous avons roulé légèrement notre
papier imbû pareillement d'efprit de vin,
nous y avons mis le feu, & à l'aide de l'ob
fcurité où nous étions alors , nous avons
vû paroître une belle flamme verte , que
nous ranimions de temps en temps en
fecouant notre papier ; fi nous annonçons
dans cette expérience que nous nous fommes
fervi de papier blancs , c'eſt que nous
avons exprès évité d'employer du papier
écrit , pour que l'on n'eût pas à nous reprocher
que la couleur verte de la flamme
étoit occafionnée par les parties cuivreufes
contenues dans l'encre , dans laquelle
on fait ordinairement entrér du
vitriol qui peut être cuivreux . L'on ne
dira pas non plus que cette couleur verte
provient de l'efprit de vin ; il avoit été
auparavant enflammé tout ſeul , & fa
flamme étoit telle qu'il a coutume de la
donner ; c'est-à- dire , fans aucune nuance
de verd.
&
Nous avons mis de cette poudre dans
un petit matras , nous avons verfé pardeffus
de bon alkali volatil , nous avons
Hij
170 MERCURE DE FRANCE:
précipiter une poudre blanche femblable
à celle que nous examinions , nous avons
verfé fur cette poudre de l'acide vitriolique
qui en a fait la diffolution , & cette diffolution
mêlée avec de l'efprit de vin rectifié
dans les mêmes proportions que ci - deffus ,
nous a fourni précisément les mêmes cryftaux
dont nous avons parlé.
D'après ces expériences , il nous a paru
conftant que cette poudre n'étoit autre
chofe qu'une magnefie ; mais ayant mis le
feu à un mélange d'efprit de vin avec une
diffolution de cette poudre dans l'acide
vitriolique , la flamme nous fit juger que
cette magnefie étoit cuivreufe. Pour
nous affurer davantage de l'exiſtence du
cuivre dans cette poudre , & que le cuivre
n'étoit pas dans l'acide par nous employé
, nous fîmes de cet acide feul un
mêlange avec de l'efprit de vin , & nous
l'enflammâmes ; la flamme qui en réſulta
ne nous donna , point de verd , comme
avoit fait le mêlange de la diffolution de
la poudre par l'acide vitriolique , avec
l'efprit de vin , & nous fûmes alors convaincus
que la couleur verte de la flamme
ne pouvoit venir que du cuivre contenu
dans la poudre que nous analyfions.
Cette expérience , quelqu'évidente
qu'elle foit , ne nous a pas fatisfaits , nous
1
O DECEMBRE. 1760. 171
avons été plus loin dans l'intention où
nous étions de démontrer le cuivre d'une
manière non équivoque. Nous avons
mis de cette poudre dans un papier blanc ;
nous l'avons humectée avec de l'efprit
de vin; nous avons roulé légèrement notre
papier imbû pareillement d'efprit de vin,
nous y avons mis le feu, & à l'aide de l'ob
fcurité où nous étions alors , nous avons
vû paroître une belle flamme verte , que
nous ranimions de temps en temps en
fecouant notre papier ; fi nous annonçons
dans cette expérience que nous nous fommes
fervi de papier blancs , c'eft que nous
avons exprès évité d'employer du papier
écrit , pour que l'on n'eût pas à nous reprocher
que la couleur verte de la flamme
étoit occafionnée par les parties cuivreufes
contenues dans l'encre , dans laquelle
on fait ordinairement entrér du
vitriol qui peut être cuivreux. L'on ne
dira pas non plus que cette couleur verte
provient de l'efprit de vin ; il avoit été
auparavant enflammé tout feul , & fa
flamme étoit telle qu'il a coutume de la
donner ; c'est- à- dire , fans aucune nuance
de verd.
Nous avons mis de cette poudre dans
un petit matras , nous avons verfé pardeffus
de bon alkali volatil , nous avons
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
t
tenu notre petit matras pendant quel
ques minutes à la chaleur d'un bain marie
prêt à bouillir , & nous avons vû
l'alkali volatil fe colorer fenfiblement &
prendre la couleur bleue .
D'après ces expériences , nous n'avons
pas cru qu'il fût néceffaire d'en tenter
de nouvelles pour affurer que la poudre
en queftion que nous avons fçu être celle
du fieur Chartrey eft une Magnéfie devenue
cuivreufe par le peu d'attention de
fon Auteur, qui vraiſemblablement ſe ſera
fervi de vaiffeaux de cuivre pour préparer
ſa Magnéfie , ou d'une eau mere de
nitre contenant du cuivre , dont il n'aura
pas eu la précaution de la priver avant
que de faire la précipitation.
Cela prouvé, il devient inutile d'entrer
dans le détail des inconvéniens fâcheux
qui doivent réſulter de l'ufage de cette
poudre ; chacun peut aifément les prévoir
, puifque perfonne n'ignore que le
cuivre pris intérieurement devient un
poifon ; d'ailleurs la Magnéfie eft un reméde
qui ne doit être préparé que par
des Artiſtes inftruits. A Paris , le 1 Octobre
1760. PIA & CADET , Apoticaires af
fociés,
DECEMBRE. 1766 171
ARTICLE V.
SPECTACLES.
OPERA.
QU'UN Auteur , à la repréſentation
d'une Piéce nouvelle , foit applaudi du
Public enchanté de l'Ouvrage , rien n'eft
moins étonnant , ni plus naturel. Mais
qu'à la derniere repréfentation d'un Ouvrage
repris , & qui a été joué un grand
nombre de fois , ce même Public , en
voyant l'Auteur dans une loge , fe tourne
vers lui & lui adreffe fes applaudiffemens
avec tranfports , c'eft ce qui n'eft guères
arrivé qu'au célébre Rameau , à la fin de
fon Opéra de Dardanus , qui a été donné
pour la derniere fois le Dimanche , Novembre
. Cet événement , fi honorable
pour M. Rameau , & pour le Public , ne
l'eft pas moins pour les Acteurs de l'Opéra
, qui tous femblent s'être furpaffés
pour mettre le comble à la réuffite de
l'Ouvrage & à la gloire de fon immortel
Auteur.
Le 11 du même mois , on a donné la
H iij
174 MERCURE DE FRANCE
premiere Repréſentation de CANENTE ,
Tragédie de feu M. La Motte- Houdart ,
miſe en muſique par M. d'Auvergne, Auteur
d'Enée & Lavinie , des Fêtes d'Euterpe
, des Troqueurs , & autres bóns Ouvrages
. J'en rendrai compte dans le prochain
Mercure .
Le Jeudi 20 , on a mis au Théâtre des
Fragmens , compofés du Prologue de Pla
tée , du Devin du Village & de Pigmalion
. En attendant que nous parlions
plus au long de ce Spectacle , déjà connu
, nous croyons devoir rendre juſtice à
la façon dont le fieur Jolly , nouvelle
haute - contre , s'eft acquitté du rôle de
Pigmalion. Les juftes applaudiffemens
qu'il a reçus font affez flatteurs pour
qu'il travaille à en mériter de nouveaux.
Mlle Suavi , nouvelle Danfeufe Italienne
, qui a débuté dans la derniere Re
priſe d'Ifmène , par les Entrées de Mlle
Veftris , a danfe dans l'Opéra nouveau
P'Entrée de la Bergère qui repréfente l'âgé
d'or , & a été reçue favorablement
du Public.
DECEMBRE. 1760 ... 175.
COMEDIE FRANÇOISE.
LES Comédiens François ont donné lé
12 Novembre la premiére tepréfentation
de Califte , Tragédie nouvelle de M. Colardeau
. Le plan de cette Tragédie , tirée
du Théâtre Anglois , a dû donner beaucoup
de peine à ce jeune Auteur , furtout
pour l'accommoder à nos moeurs . On ne
fçauroit trop louer la maniére adroite
avec laquelle il a traité l'outrage fait à
Califte. Elle parle fans ceffe de fon déshonneur
; fon Amant en parle , ainfi
que la Confidente ; mais toujours fans que
les oreilles les plus chaftes en puiffent être
fcandalilées. La verfification de cette
Piéce a été généralement goûtée ; & l'Auteur
n'a point démenti dans cetOuvrage ce
qu'il avoit fait efpérer de fon talent , dans
fa Tragédie d'Aftarbé , & dans la Lettre.
d'Héloïfe à Abaillard. On trouve dans cette
Tragédie, un grand nombre de vers dignes
de nos plus grands Maîtres ; les feuls défauts
qu'on puiffe lui reprocher tiennent
au Sujet qu'il a choifi , & en étoient prèſque
inféparables.
Nos yeux ne font point encore accoutumés
aux fituations & aux fpectacles faits
Hiv
174 MERCURE DE FRANCE!
premiere Repréſentation de CANENTE ,
Tragédie de feu M. La Motte- Houdart ,
miſe en mufique par M. d'Auvergne , Auteur
d'Enée & Lavinie , des Fêtes d'Euterpe
, des Troqueurs , & autres bóns Ouvrages.
J'en rendrai compte dans le prochain
Mercure .
Le Jeudi 20 , on a mis au Théâtre des
Fragmens , compofés du Prologue de Pla
tée , du Devin du Village & de Pigmalion
. En attendant que nous parlions"
plus au long de ce Spectacle , déjà connu
, nous croyons devoir rendre juſtice à
la façon dont le fieur Jolly , nouvelle
haute - contre , s'eft acquitté du rôle de
Pigmalion. Les juftes applaudiffemens
qu'il a reçus font affez flatteurs pour
qu'il travaille à en mériter de nouveaux.
Mlle Suavi , nouvelle Danfeufe Italienne
, qui a débuté dans la derniere Repriſe
d'Ifmène , par les Entrées de Mlle
Veftris , a danfe dans l'Opéra nouveau
PEntrée de la Bergère qui repréfente l'âge
d'or , & a été reçue favorablement
du Public.
DECEMBRE . 1760.. 17.5.
COMEDIE FRANÇOISE.
LESE
s Comédiens François ont donné lé
12 Novembre la premiére repréſentation
de Calife , Tragédie nouvelle de M. Colardeau
. Le plan de cette Tragédie , tirée
du Théâtre Anglois , a dû donner beaucoup
de peine à ce jeune Auteur , furtout
pour l'accommoder à nos moeurs. On ne
fçauroit trop louer la maniére adroite.
avec laquelle il a traité l'outrage fait à
Califte. Elle parle fans ceffe de fon déshonneur
; fon Amant en parle , ainfi
que la Confidente ; mais toujours fans que
les oreilles les plus chaftes en puiffent être
fcandalilées. La verfification de cette
Piéce a été généralement goûtée ; & l'Auteur
n'a point démenti dans cetOuvrage ce
qu'il avoit fait efpérer de fon talent , dans
fa Tragédie d'Aftarbé , & dans fa Lettre.
d'Héloïfe à Abaillard.On trouve dans cette
Tragédie, un grand nombre de vers dignes
de nos plus grands Maîtres ; les feuls défauts
qu'on puiffe lui reprocher tiennent
au Sujet qu'il a choifi , & en étoient prèf
que inféparables.
Nos yeux ne font point encore accoutumés
aux fituations & aux fpectacles faits
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
pour plaire aux Anglois , & qui , bien ménagés
, font cependant du reffort de la
grande Tragédie. On a vu , avec une forte
de répugnance , une femme s'empoiſonner
fur le Théâtre , & s'y rouler quand le
poifon produit tout fon effet. La tenture
noire du cinquiéme Acte , a excité chez
bien des perfonnes plus d'horreur que de
pitić. On eft pourtant venu revoir cette
Tragédie ; plus on la joue , plus elle
eft applaudie , & plus on y découvre de
beautés . Mlle Clairon a joué le rôle de
Califte avec toute la perfection dont il
pouvoit être fufceptible. Cette Tragédie
, enfin , ne peut faire que beaucoup
d'honneur à M. Colardeau , qui annonce
de grands talens. On en continue les repréfentations
, & nous nous promettons.
d'en donner l'extrait dès qu'elle fera im
primée .
COMEDIE ITALIENNE.
Le Jeudi 6 du mois dernier , on donna
la premiere Repréfentation du Prétendu ,
Comédie nouvelle du fieur Riccoboni ,
ancien Acteur de ce Théâtre . Elle eft en
trois actes , en vers , & mêlée d'Ariettes
V
DECEMBRE. 1760. 177
dont la Mufique eft de M. Gavigniés.
Voici l'Extrait de cette Piéce.
Un riche Bourgeois de Paris veut donner
fa fille en marlage à un Provincial.
Cette fille aime un jeune Officier qui l'aime
auffi ; le pére n'en fçait rien . Ces deux
Amans fe font part de leur fituation &
tâchent réciproquement de ranimer l'efpérance
dans leurs coeurs . Le pére vient
l'amant difparoît. Scène entre le pére & la
fille fur le prochain mariage qu'elle doit
conclure avec le Provincial, & dont elle fe
défend de fon mieux , mais il faut obéir.
Arrive fon Maître à danfer , fuivi du jeune
amant qui paffe pour fon Prévôr. Tandis
que le pére eft un peu éloigné , nos deux
amans chantent fur l'air de leur menuer
qu'ils continuent toujours de danfer, quelque
vers fur l'embarras où ils fe trouvent.
Enfin , le Pere furprend l'Amant aux pieds
de fa fille ; le Maître à danfer s'enfuit , &
le Pére arrête le Prévôt , qui , n'ayant
plus de défaite , eft obligé d'avouer fon
amour. Le Pére lui dit qu'il eft très-fâché
de le refufer ; mais que tout eft arrêté
pour le mariage de fa fille avec un autre.
Les deux Amans cherchent envain à l'attendrir
; & l'Acte finit. La fcène du menuet
, quoique imitée du Bal Bourgeois ,
Opéra Comique , n'en a pas moins été
applaudie.
Hy
·
178 MERCURE DE FRANCE.
Au fecond Acte , l'Amoureufe propofe
à Marine fa Suivante , de paffer devant le
Provincial pour la Maîtreffe , & elle - même
pour fa Soubrette. Le Pére qui eft
forti , leur laiffe le temps d'exécuter leur
ftratagême. Le Provincial arrive , trèsempreffé
de voir fa Prétendue. Marine
fous le nom de fa Maîtreffe , qui l'accompagne
comme Soubrette , paroît très- aimable
aux yeux du Provincial qui croit
voir en elle une Déeffe ; l'émotion qu'elle
fent à fa vue la fait tomber entre les
bras de fa Suivante , qui la reméne à fon
appartement ; & le Provincial reſté ſeul
s'applaudit de l'effet que fa préfence vient
de produire fur le coeur de fa prétendue.
La fauffe Soubrette revient ; le Provincial
lui demande des nouvelles de fa Maî
treffe , lui fait le portrait des plaifirs &
des amuſemens de fon pays. La Soubrette
lui fait , à fon tour , celui de la manière
dont les maris & femmes vivent à Paris ;
cette peinture révolte le Prétendu , que
la fauffe Soubrette laiffe à fes réflexions.
Le pére revient , embraffe fon gendre , &
lui demande s'il a vu fa fille , & s'il en
eft content. Celui- ci répond qu'il a tout
lieu de l'être ; mais qu'elle a une Sou
brette dont les difcours ont un peu cho
qué fa délicateffe. Enfuite il lui apprend
DECEMBRE. 1760. 179
que fa vue a caufé tant d'émotion à la
fille qu'elle eft un peu malade ; le pére
fe fait conduire à l'appartement qu'il lui
a deſtiné , & va chez fa fille qui fe préfente
dans le moment , appuyée ſur Marine
& fe plaignant beaucoup. Le pére
veut envoyer chercher un Chirurgien ,
Marine dit que celui de la Malade eft à
la
campagne , mais qu'un jeune Médecin
a promis de venir dans le moment,
Le Galant de la Demoiſelle eft ce Médecin
, qui arrive , lui tâte le pouls , &
devine que chez elle le coeur eft attaqué.
L'accès de la Malade redouble , le Médecin
preffe le pére de la foulager en lui
accordant celui qu'elle aime ; embarras
du pére , inftances du Médecin & de
Marine , & PActe finit. On voit que le
déguisement de l'Amoureux en Médecin
n'eft pas plus nouveau que les ftratagêmes
précédens.
Le troifiéme Acte commence de la manière
la plus ingénieufe, & préte de grands
effets à la mufique. C'eft l'Amoureufe , l'Amant
Médecin , & Marine qui entrent fur
la Scène l'un après l'autre , en faisant chacun
une comparaifon , & en s'uniffant en
fuite par un Trio qui eft de la plus grande
beauté ; on laiffe Marine feule lorsqu'on
en tend le Provincial. Il fait de nouvelles
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
proteftations d'amour à cette Soubrette ,
qui reprend alors le Rôle de Maîtreffe
& qui le prie de différer encore leur mariage
de quelques jours. Il eft étonné , &
demande les raifons de ce délai. Elle lui
avoue , enfin , fa fupercherie. Le Provincial
, que la Maîtreffe , fous l'habit de
Soubrette , a déja indifpofé contre elle ,
n'eſt point fâché de ce qu'elle ne l'aime
point , & fe réfout à partir la nuit fans
que le Pére en fçache rien. Marine paroît
le regretter; & ce fentiment le touche au
point , qu'après quelques réflexions , il
veut bien convenir de l'époufer , & lui
donne rendez- vous fur le minuit pour
partir enfemble. Le Provincial , feul
chante une Ariette fur les différentes
lités qui plaifent dans les trois conditions.
des femmes. L'Amoureuſe , contrefaiſant
toujours la Soubrette , vient trouver le
Provincial. Leur entretien fe termine par
un Vaudeville fur les peines que l'on a
dans le mariage , lorfqu'on ne s'aime
point. L'Amoureuſe inftruit fon Pére du
deffein que le Provincial a formé d'enle
ver Marine , & ils fortent tous deux dans
le deffein de fe venger . Marine vient au
rendez- vous ; & en attendant le Provincial
, elle chante une nouvelle Romance
très-jolie. Cependant le fommeil la gaz.
quaDECEMBRE
. 1760. 181
gne ; le pére qui ſurvient , la fait remonter
à fa chambre , & attend le Provincial
, qui frappe à la porte , & te prend
pour la Soubrette , dont le pére contrefait
la voix. A la vue de la mépriſe , il
cherche à fe juftifier , & fa fille vient fe
joindre à lui ; le pére vaincu par les inftances
de fa fille , lui accorde celui qu'elle
aime. Le jeune Amant paroît auffitôt le
Pére alors s'écrie :
Ceci me fait comprendre,
Que pour vous marier je ne dois plus attendre.
En vain contre ces noeuds je me gendarmerois :
Ils fe feroient tout feuls , fi je m'y refufois .
Ce mariage arrêté , Marine refufe de
fuivre le Provincial , que l'on renvoye en
lui fouhaitant un bon voyage. On n'a jamais
trop compris d'où vient ce refus de
Marine , qui avoit paru jufques- là fouhaiter
de bonne foi fon union avec le Provincial.
Cette Piéce eft théâtrale , quoique rien
n'y foit abfolument neuf. La coupure des
Ariettes eft faite avec intelligence, mais le
ftyle en eft ſouvent négligé ; & c'eſt avec
raifon qu'on attribue principalement fon
fuccès à la Mufique. On voit par ce coup
d'éffai de M. Gavigniés , qu'il s'eft donné
le temps de débuter en Maître. Ses ri
182 MERCURE DE FRANCE.
tourneles , furtout , font de la premiere
force ; fes Trio & fes Quatuor font trèsfçavans
; le goût & la variété brillent
dans la plupart de fes airs , qui font tous
auffi agréables que bien travaillés . Tout
le fublime de l'harmonie , toutes les ticheffes
fe trouvent réunis dans fes accompagnemens
; & l'on ne craint point
de dire que les plus grands Connoiffeurs
n'ont vu fon ouvrage que pour y applaudir
.
On a reproché à Mlle Desglands ďavoir
mis de l'indécence dans fon rôle ;
elle le joue pourtant comme il doit être
joué , & elle l'embellit des agrémens de
fa voix , auxquels on applaudit toujours
avec plaifir. C'eft avec plus de raiſon
qu'on a remarqué que le fieur Rochard
ne charge pas affez le fien. Mais pour
être à fon aife au Théâtre , il faut être
für de fa mémoire ; & c'eft d'ailleurs la
premiere fois que cet Acteur fe prête au
genre ridicule.
Cette Piéce fut d'abord fuivie des Fêtes
Espagnolles , nouveau Ballet férieux &
comique , qui , n'ayant pas réuffi , a´été
remplacé depuis la quatriéme repréſentation
, par le Ballet de Thémire fauvée ,
qui a fait fur ce Théâtre le même plaifir
qu'aux Boulevarts. Le fieur Billoni , qui
DECEMBRE. 1760. 18
l'a compofé , le prépare à en donner un
nouveau , intitulé Pigmalion.
CONCERT SPIRITUEL.
LE Concert qui a été executé, la Fête de
la Touffaints , a commencé par une Symphonie
fuivie d'Exaltabo te , Moter à
grand Choeur de Lalande. Mlle Rozet y
a chanté Ufquequò , petit Motet de Mouret
. M. Piffet a joué un Concerto de fat
compofition. Mlle Fel a chanté un petit
Motet dans le goût Italien; & le Concert.
a fini par le De profundis , Motet de
M. Mondonville.
Mlle Rozet a furpris par l'étendue de
fa voix , la beauté de fes cadences & de
fes ports de voix. L'on a trouvé dans le
jeu de M. Piffet beaucoup de feu , d'har
monie & de chant . L'on ne dira rien de
Mlle Fel & de M. Mondonville ; leur nom
fait leur éloge.
2 .
182 MERCURE DE FRANCE.
tourneles , furtout , font de la premiere
force ; fes Trio & fes Quatuor font trèsfçavans
; le goût & la variété brillent
dans la plupart de fes airs , qui font tous
auffi agréables que bien travaillés. Tout
le fublime de l'harmonie , toutes les ticheffes
fe trouvent réunis dans fes accompagnemens
; & l'on ne craint point
de dire que les plus grands Connoiffeurs
n'ont vu fon ouvrage que pour y applaudir.
On a reproché à Mlle Desglands d'avoir
mis de l'indécence dans fon rôle ;
elle le joue pourtant comme il doit être
joué , & elle l'embellit des agrémens de
fa voix , auxquels on applaudit toujours
avec plaifir. C'eft avec plus de raifon
qu'on a remarqué que le fieur Rochard
ne charge pas affez le fien. Mais pour
être à fon aife au Théâtre , il faut être
für de fa mémoire ; & c'eft d'ailleurs la
premiere fois que cet Acteur fe prête au
genre ridicule.
Cette Piéce fut d'abord fuivie des Fêtes
Efpagnolles , nouveau Ballet férieux &
comique , qui , n'ayant pas réuffi , a été
remplacé depuis la quatrième repréfentation
, par le Ballet de Thémire fauvée ,
qui a fait fur ce Théâtre le même plaifir
qu'aux Boulevarts . Le fieur Billoni , qui
DECEMBRE. 1760. 18%
la compofé , le prépare à en donner un
nouveau , intitulé Pigmalion.
$ CONCERT SPIRITUEL
LE Concert qui a été executé, la Fête de
la Touffaints , a commencé par une Symphonie
fuivie d'Exaltabo te , Moter à
grand Choeur de Lalande. Mlle Rozet y
a chanté Ufquequò , petit Motet de Mouret
. M. Piffet a joué un Concerto de fa
compofition. Mlle Fel a chanté un petit
Motet dans le goût Italien; & le Concert
a fini par le De profundis , Motet de
M. Mondonville.
Mlle Rozet a furpris par l'étendue de
fa voix , la beauté de fes cadences & de
fes
ports
de voix. L'on a trouvé dans le
jeu de M. Piffet beaucoup de feu , d'har
monie & de chant . L'on ne dira rien de
Mlle Fel & de M. Mondonville ; leur nom
fait leur éloge.
2 .
182 MERCURE DE FRANCE.
tourneles , furtout , font de la premiere
force ; fes Trio & les Quatuor font trèsfçavans
; le goût & la variété brillent
dans la plupart de fes airs , qui font tous
auffi agréables que bien travaillés. Tout
le fublime de l'harmonie , toutes les ticheffes
fe trouvent réunis dans fes accompagnemens
; & l'on ne craint point
de dire que
les plus grands Connoiffeurs
n'ont vu fon ouvrage que pour y applaudir.
On a reproché à Mlle Desglands ďavoir
mis de l'indécence dans fon rôle ;
elle le joue pourtant comme il doit être
joué , & elle l'embellit des agrémens de
fa voix , auxquels on applaudit toujours
avec plaifir. C'eft avec plus de raiſon,
qu'on a remarqué que le fieur Rochard
ne charge pas affez le fien. Mais pour
être à fon aife au Théâtre , il faut être
für de fa mémoire ; & c'eft d'ailleurs la
premiere fois que cet Acteur fe prête au
genre ridicule.
Cette Piéce fut d'abord fuivie des Fêtes
Espagnolles , nouveau Ballet férieux &
comique , qui , n'ayant pas réuffi , a été
remplacé depuis la quatriéme repréſentation
, par le Ballet de Thémire fauvée ,
qui a fait fur ce Théâtre le même plaifir
qu'aux Boulevarts. Le fieur Billoni , qui
DECEMBRE. 1760. 18%
l'a compofé , le prépare à en donner un
nouveau , intitulé Pigmalion .
CONCERT SPIRITUEL
LE Concert qui a été executé, la Fête de
la Touffaints , a commencé par une Symphonie
fuivie d'Exaltabo te , Motet à
grand Choeur de Lalande . Mile Rozet y
a chanté Ufquequd , petit Motet de Mouret
. M. Piffet a joué un Concerto de fa
compofition. Mlle Fel a chanté un petit
Motet dans le goût Italien; & le Concert.
a fini par le De profundis , Motet de
M. Mondonville.
Mlle Rozet a furpris par l'étendue de
fa voix , la beauté de fes cadences & de
fes
ports
de voix. L'on a trouvé dans le
jeu de M. Piffet beaucoup de feu , d'har
monie & de chant . L'on ne dira rien de
Mlle Fel & de M. Mondonville ; leur nom
fait leur éloge.
182 MERCURE DE FRANCE.
tournelles , furtout , font de la premiere
force ; fes Trio & fes Quatuor font trèsfçavans
; le goût & la variété brillent
dans la plupart de fes airs , qui font tous
auffi agréables que bien travaillés. Tout
le fublime de l'harmonie , toutes les ticheffes
fe trouvent réunis dans fes accompagnemens
; & l'on ne craint point
de dire que les plus grands Connoiffeurs
n'ont vu fon ouvrage que pour y applaudir.
On a reproché à Mlle Desglands d'avoir
mis de l'indécence dans fon rôle ;
elle le joue pourtant comme il doit être
joué , & elle l'embellit des agrémens de
fa voix , auxquels on applaudit toujours
avec plaifir. C'eft avec plus de raifon
qu'on a remarqué que le fieur Rochard
ne charge pas affez le fien. Mais pour
être à fon aife au Théâtre , il faut être
für de fa mémoire ; & c'eft d'ailleurs la
premiere fois que cet Acteur fe prête au
genre ridicule.
Cette Piéce fut d'abord fuivie des Fêtes
Espagnolles , nouveau Ballet férieux &
comique , qui , n'ayant pas réuffi , a été
remplacé depuis la quatriéme repréfentation
, par le Ballet de Thémire fauvée ,
qui a fait fur ce Théâtre le même plaifir
qu'aux Boulevarts . Le fieur Billoni , qui
1
DECEMBRE. 1760 . 183
l'a compofé , le prépare à en donner un
nouveau , intitulé Pigmalion .
CONCERT SPIRITUEL
LE Concert qui a été executé, la Fête de
la Touffaints , a commencé par une Symphonie
fuivie d'Exaltabo te , Moter à
grand Choeur de Lalande. Mlle Rozet y
a chanté Ufquequòd , petit Moret de Mouret
. M. Piffet a joué un Concerto de fa
compofition. Mlle Fel a chanté un petit
Motet dans le goût Italien; & le Concert.
a fini par le De profundis , Motet de
M. Mondonville.
Mlle Rozet a furpris par l'étendue de
fa voix , la beauté de fes cadences & de
fes ports de voix. L'on a trouvé dans le
jeu de M. Piffet beaucoup de feu , d'har
monie & de chant. L'on ne dira rien de
Mlle Fel & de M. Mondonville ; leur nom
fait leur éloge.
184 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
E
De PETERSBOURG , le 16 Octobre 1760.
Le Feld-Maréchal Comte de Buttarlin eft parti
vers le commencement de ce mois , pour aller
prendre le Commandement de notre Armée fur
les Frontieres de la Siléfie ; la maladie continuelle
du Feld Maréchal Comte de Soltikoff ne lui permettant
plus de faire les Fonctions de Général . Le
Comte de Fermer commande cette Armée jufqu'à
l'arrivée du Comte de Butturlin .
Les Ruffes , après avoir exigé de la Ville de
Francfort fur l'Oder , une comtribution de cinquante
mille écus , ont décampé de fes environs , & ils
marchent , par Droffen & Zietenzig fur Driefen ,
pour entrer dans la Poméranie. Un de leurs Corps
a déjà pénétré jufqu'auprès de Schwedt , fous les
ordres du Général de Czernichew.
1 De WARSOVIE , le ro Octobre.
Les de ce mois, jour anniverfaire de l'élection
de Sa Majeſté , on célébra cet événement par les
réjouiffancesaccoutumées . Le même jour , le Marquis
de Paulmy , Ambaffadeur de Sa Majesté Très-
Chrétienne , auprès du Roi & de la République ,
fit fon entrée dans cette Ville . Il fut conduit à
l'Audience de Sa Majeſté , par le Prince Czartorifky
, Palatin de Ruffie > avec tous les honneurs &
les cérémonies d'uſage.
DECEMBRE. 1760. 185
De COPPENHAGUE , le 20 Octobre.
On célébra le 16 de cé mois , dans cette Capitale
& dans tout le Royaume , le centiéme anniverfaire
du jour auquel la Couronne de Dannemark
fut rendue héréditaire dans la Maifon d'Oldenbourg
De VIENNE , le 8 Novembre.
Le Lieutenant Colonel Baron de de Rotchitz ,
Aide de Camp général , arriva le 6 dans cette
ville précédé d'un grand nombre de poftillons fonnant
du cor. Il apportoit à Leurs Majeftés Impé
riales , la nouvelle d'une victoire remportée le 3
dans les environs de Torgau , par l'Armée Autrichienne
fur celle du Roi de Pruffe. Ses dépêches
contenoient les détails ſuivans.
Le Roi de Pruffe , ayant réuni toutes les forces
dès la fin du mois dernier , marcha le 2 d'Eulenbourg
fur Schilda . Son objet étoit de couper à
L'Armée Autrichienne fa communication avec
Dreſde & Freyberg en fe portant fur fes derrieres;
mais le Maréchal Comte de Daun , s'étant apperçu
de ce deffein , fit faire à fon Armée un mouvement
de converfion par lequel il préfenta le front
à l'Armée Pruffienne ; il porta fa droite à Zima ,
& fa gauche fut appuyée aux hauteurs de Suplitz ,
voifines de Torgau.
Le 3 ,
l'action s'engagea vers midi . L'Armée
Pruffienne déboucha des bois fur plufieurs colonnes
ponr nous attaquer ; elle fut reçue partout avec
tant de vigueur , que plufieurs de ces colonnes furent
repouffées jufques dans le bois. Elle renouvella
fes attaques à diverles repriſes & avec acharnement
juſqu'à huit heures du ſoir qu'elle fit ſa retraite
, abandonnant le champ de bataille à nos
groupes. Notre Cavalerie a beaucoup contribué à
186 MERCURE DE FRANCE.
eet avantage. Elle a enfoncé plufieurs fois l'Infanterie
Ennemie , & elle a fait un très- grand nombre
de prifonniers. Cette action a été fort meurtriére
de part & d'autre. On évaiue la perte des Prufliens
à feize mille hommes environ, tant tués que bleffés,
prifonniers & déferteurs. Le nombre des prifonniers
montoit , au départ du Baron de Rotchitz
à plus de trois mille hommes. De ce nombre font
les Généraux de Finckenftein & de Bulow.
C
"
Notre perte peut monter à près de dix mille
hommes, tant tués que bleffés. Le Général deWalther
, qui commandoit l'Artillerie , eft au nombre
des premiers. Le Maréchal Comte de Daun , ayaut
recu un coup de feu dans la jambe qui le mettoit
hors d'état de fe tenir à cheval , remit le Commandement
au Comte Odonel , Général de Cavalerie
, & il fe fit tranfporter à Torgau . Les autres
Officiers Généraux bleffés font , le Duc d'Aremberg,
& le Comte de Sincere, Généraux d'Infanterie
; le Comte de Buckow , Général de Cavalerie,
le Duc de Bragance , & le Comte de Domballe. Le
Général de Saint- Ignon a été fait prifonnier.
Le Baron de Rotchitz , qui a apporté ces détails ,
ayoit été dépêché à dix heures du foir par le Maréchal
de Dawn . On apprend , par des avis poftérieurs
que les Pruffiens , ayant raflemblé leurs forces ,
font parvenus,fous les ordres duGénéral de Ziéten,
à gagner , pendant la nuit , les hauteurs de Suplitz ,
auxquelles la gauche de notre Armée étoit appayée.
La difficulté de les déloger de ce pofte trèsavantageux
, qui dominoit notre armée , l'a obligée
d'abandonner fa pofition & les environs de
Torgau , le 4 , à la pointe du jour , après avoir
paffé la nuit fur le champ de bataille . Elle n'a pas
Exécuté cette retraite fans être inquiétée par les
Pruffiens. Le gros de l'Armée a paffé l'Elbe & eft
allé camper à Coffdorff , le Corps du Général
DECEMBRE. 1760. 187
Comte de Lafcy continue d'occuper , avec quelques
autres troupes , la rive gauche de ce fleuve ,
en s'étendant jufqu'a Belgern.
Les playes preique continuelles qui font tombées
pendant plufieurs jours en Silésie ont tellement
augmenté l'étendue des marais , dont la fortereffe
de Cofel eft environnée de toute part , que le Baron
de Laudon a été obligé de renoncer au projet
d'affiéger cette place. Ce Général s'eft mis en
marche avec ſon Corps du côté de Cunzendorff ;
le Baron de Goltze eſt arrivé dans les environs de
Breflau avec un détachement de l'Armée Pruffienne
d'environ quinze mille hommes.
On apprend, par les Lettres de Conftantinople ,
que Kérid- Kan , l'un des prétendans au Trône
de Sophis, a été reconnu par la plus grande partie
de la Perfe. Le fils d'Affad- Kan , le dernier de fes
compétiteurs , a été obligé de ſe réfugier , dans
une Province frontiére du Mogolftan. Kérid-Kan
travaille à s'affermir fur le Trône , & la Perfe
commence à fe rétablir des ravages qu'elle a ef
fuyés pendant les troubles qui l'ont agitée.
De HAMBOURG , le 2 Novembre..
La rigueur de la faifon a obligé les troupes Sat
doifes de prendre des quartiers de Cantonnement.
Elles évacuerent Anclàm le 27 du mois dernier
& elles marcherent fur Grifpwalde où le Baron de
Lantingshaufen a établi fon quartier général. Une
partie de ces troupes forme un cordon le long de
la Péene , de la Trebbel & de la Rechnitz.
La principale divifion de l'Armée Ruffe campe
préfentement dans les environs de Sranſtadt & de
Liffa. La divifion qui eft aux ordres du Général
Comte de Czernichef, eft auprès de Landsberg
fur la Wartha.
88 MERCURE DE FRANCÊ.
De RATISBONNE , le 6 Novembre.
Les dernieres nouvelles de la Saxe portent que
l'Armée de l'Empire , après avoir évacué Léipfick,
s'eft portée à Lucka , le 31 du mois dernier : elle a
continué fa marche la nuit fuivante , & elle eſt arrivée
le lendemain dans les environs de Zéitz. Le
Corps de troupes du Duc de Wirtemberg s'eft replié
de Lindenau , fur Weiffenfels & Naumbourg.
Le Roi de Pruffe a fait publier dans Léipfick une
Ordonnance par laquelle il énjoint à tous les habians
de cette Ville qui s'en font retirés à cauſe de la
Guerre , d'y retourner fans délai , fous peine d'encourir
fon indignation , & d'être rigoureuſement
punis. Cette ordonnance menace les Parens de
ceux qui font abfens, de les en rendre reſponſables.
Cette Ville eft dans les allarmes , & fes habitans
s'attendent à éprouver bientôt de nouvelles ri
gueurs , fi le Roi de Pruffe fe maintient dans cette
partie de la Saxe.
On vient de transférér ici un grand nombre
d'otages Prùffiens qu'on s'eft fait donner pour la
fûreté des contributions impofées par le Duché de
Magdebourg par l'Armée de l'Empire & par le
Corps du Duc de Wirtemberg. On a conduit dans
cette Ville plufieurs Officiers Pruffiens pris dans
les actions de Torgau & de Wirtemberg. La gar
nifon de cette derniere Ville , commandée par
Général Salomon , s'étoit rendue prifoniére avec
lui. Elle confiftoit en près de trois mille hommes.
le
Les nouvelles de Drefde ont appris que les Généraux
de Lafcy & de Totteleben , ayant rempli
leur objet , & étant informés que le Roi de Pruffe
marchoit au fecours de fa Capitale , l'abandonnèrent
le 13 de ce mois . Les Ruffes prirent la route
de Fuftenwald pour rejoindre leur armée qui campoit
à Rippen , près de Francfort fur l'Oder . Le
DECEMBRE. 1760.
Corps du Général de Lafcy ſe rerira par Jutterbock
du côté de Wittemberg, où il joignit l'Armée
de l'Empire.
La Ville de Berlin n'ayant pas pu trouver les
quinze cens mille Rixdales qu'on lui a demandées ,
on s'eft contenté de cinq cens mille qui ont été
payées comptant. On a reçu pour le furplus , des
Lettres de change payables en deux termes , &
en s'eft fait donner les ôtages néceffaires pour la
fûreté de ces payemens .
On écrit de Hambourg que la Ville de Philip
ftadt , dans la Province de Warmie , a été prèfqu'entierement
réduite en cendres la nuit du 25
au 26 de Septembre.
Les Pruffiens avoient évacué la Ville de Léipfick
, où ils font rentrés , la nuit du 4 au d'Octobre
, après avoir encloué l'artillerie qu'ils ne
pouvoient pas emmener.
De MADRID , le 14 Octobre.
Le Comte de Ricla , que le Roi avoit nommé
fon Miniftre Plénipotentiaire à la Cour de Ruffie,
ayant demandé que Sa Majefté voulût bien le
difpenfer de remplir cette deftination , Elle
choisi pour le remplacer , avec le même caractè
re , le Marquis de Almodovas , un de fes Majordommes
.
Don Jofeph Torrefo , Ambaffadeur ordinaire
de notre Cour auprès du Roi de Portugal , eft
parti pour le rendre à fa deſtination.
On apprend de Lisbonne que les Marattes ont
mis le fiége devant Goa qu'ils preffent avec
beaucoup d'ardeur. Don Joachim d'Acofta , Miniftre
& Secrétaire d'Etat de la Marine a été dif,
gracié. On s'occupe à rebâtir, cette Capitale. Les
Infants Dom Antoine & Dom Jofeph , freres napurels
du Roi de Portugal , ne font plus gardés fi
Ego MERCURE DE FRANCE.
rigoureuſement dans leur retraite. Ces deux Prin
ces ont la liberté de le voir , & on eſpére qu'ils
rentreront bientôt en grâce.
De ROME , Le 3 Novembre.
Letour que prend notre démêlé avec la Cour de
Portugal, caufe ici beaucoup d'inquiétude. La bonne
intelligence entre notre Cour & la République
de Génes, ne prend pas un meilleur tour. Le Sénat
de Génes exige pour préliminaire de réconciliation,
que le Vifiteur Apoftolique foit rappellé de l'Ile de
Corfe.
Dans la derniere affemblée des Nobles tenue au
Capitole , la famille des Comtes de Renaldis , originaires
du Frioul, fut aggrégée au Corps de la Nobleffe
Romaine.
On apprend que la Ville de Naples a réfolu
d'élever une Statue de Bronze en l'honneur de
Don Carlos , pour marque de reconnoiffance des
beaux établiffemens que ce Prince a faits pendant
qu'il a été fur le Trône des deux Siciles.
De LONDRES , le 4 Novembre.
On apprit , le 25 du mois dernier , dans cette
Ville la mort du Roi Georges II . arrivée le même
jour à Kinfington vers les huit heures du matin .
Auffitôt les Lords du Confeil privé s'affemblerent
à l'hôtel de Carleton , & ils y drefferent l'acte de
proclamation du nouveau Roi. Le lendemain , cer
acte fut publié dans lesquatre principaux quartiers
de la Ville ; après quoi le Roi Georges III . recut
les complimens accoutumés,& il créa Membre du
Confeil le Duc d'Yorck fon frere, qui prit féance à
côté de lui.
De LA HAYE, le 9 Novembre.
On a apprispar les Lettres de l'Inde, la véritable
DECEMBRE. 1760. 19t
cauſe du démêlé furvenu à Bengale , entre notre
Compagnie & celle des Anglois. Ceux - ci ayant
placé fur le Trône le Nabab régnant , ce Prince
les a affranchis de toute redevance , & en a impofé
de nouvelles fur notre Commerce. Il venoit d'ex
torquer récemment à notre Compagnie une fomme
fort confidérable . Le Gouverneur de Battavia
envoya pour le faire rendre juftice , quelques Vaif
feaux de ligne dans le Golfe de Bengale ; mais les
Anglois , Alliés de Nabab , les ont attaqués avec
des forces fupérieures , & les ont empêchés d'exécuter
leur projet. Ils ont enfuite repréſenté en
Europe cette expédition avec les traits les plus
noirs,& commeune entrepriſe fur leur Commerce,
pendant qu'elle avoit un objet très- différent.
Le Prince de Stadhouder & fa maiſon , ont pris
le deuil pour fix mois , à l'occaſion de la mort du
Roi d'Angleterre.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de l'Armée
de Paris , &c.
LE
De VERSAILLES , le 20 Novembre.
E Rol a donné l'Abbaye de Jouy , Ordre de
S. Benoît , Diocéfe de Sens , à l'Archevêque de
Tours.
Celle de S. Faron , Ordre de S. Benoît , Diocèle
de Meaux , à l'Abbé de Soulange , Vicaire Général
du Diocéfe de Vannes & Aumônier de Madame
Adelaide.
Celle de Préaux , Ordre de S. Benoît , Diocèle
de Lifieux , à la Dame de Gimel de Lantilhac ,
192 MERCURE DE FRANCE.
C
Religieufe de l'Abbaye de la Régle à Limoges.
Et le Prieuré de Neufchâtel, Diocéle de Rouen,
à la Dame de Rofée , Religieufe Bénédictine du
Monaftére de Belfond à Rouen .
Le 24 du mois dernier , Sa Majeſté tint le
Sceau.
La Cour a pris le deuil pour trois ſemaines à
l'occafion de la mort du Roi d'Angleterre . Ce
Prince mourut fubitement âgé de foixante & dixfept
ans.
Le 12 de ce mois , la Reine & Monfeigneur le
Dauphin fe rendirent à la Chapelle pour y tenir
fur les Fonts de Baptême un fils du fieur Thierry,
Moufquetaire , & Huiffier de la Chambre du Roi ,
que Sa Majefté nomma Marie - Louis . L'Abbé de
-Saint- Hermine , fon Aumônier de Quartier , fit
la Cérémonie.
Le 17 , le Roi tint le Sceau.
De CASSEL , le 9 Novembre.
Nous occupons toujours Duderftard & le Pays
d'Eyfeldt , d'où il arrive à Gottingen une grande
quantité de fubfiftance. On travaille à réparer
cette derniere Place avec la plus grande diligence.
De WESSEL , le 16 Novembre.
Le Corps aux ordres du Marquis de Caftries >
après avoir paffé le Rhin , s'eft avancé le 10 de
ce mois à Drevenick , éloigné de cette Ville de
deux lieues. On a appris que le Prince Héréditaire
de Brunſwick , dont une partie des troupes
étoient cantonnées, les a raffemblées en deux Corps
P'un près Gros- Kekum , où eft fon Quartier général
, l'autre près de Dorften , aux ordres du Général
Spangenberg.
On eft reſté jufqu'à cejour de part & d'autre
dans la même fituation . Il n'y a eu que quelques
efcarmouches
DECEMBRE 1760. 193
efcarmouches entre les poftes avancés. La groffe
artillerie du Marquis de Caftries eft encore dans
cette Ville. Toutes les voitures de munitions font
chargées , & tout eſt à fe mettre en marche
au premier ordre.
prêc
L'expédition dont le Comte de Stainville avoit
été chargé , a eu tout le fuccès qu'on pouvoit defirer.
Ce Lieutenant Général s'eft porté par Nordhaufen
, Hartzzerode & Quedlinbourg , jufqu'à
Halberstadt , qu'il a mis à contribution . Il a attaqué
, le 18 de ce mois , près de Emfleben , cinq
cens hommes des Ennemis qui s'étoient retranchés
; il les a forcés , & a fait cent cinquante prifonniers.
Le Comte de Stainville eſt enfuite retourné
à l'armée avec les ôtages qu'il s'eft fait livrer
pour la fureté des contributions.
De PARIS , le 22 Novembre.
Il paroît une Déclaration du Roi , en date du
18 Septembre dernier , par laquelle Sa Majefté
rétablit les Officiers Commenfaux de fa Maiſon ,
& autres , à qui l'exemption de la Taille perfonnelle
eft accordée , dans la jouillance de cette
exemption , à commencer du premier Octobre de
cette année , nonobſtant la ſuſpenſion ordonnée
par la Délcaration du 17 Avril 1759.
Sa Majeſté informée par l'Evêque d'Orléans
de l'extrême modicité des revenus des Chanoines-
Comtes de Brioude , a confenti à l'union de la
Manfe Abbatiale de l'Abbaye de Charroux , Diocèle
de Poitiers , & de plufieurs Prieurés qui en dépendent
, pour en être les fruits & revenus unis
en leur faveur . Ces Chanoines Comtes de Brioude
, pénétrés de cette grace , fe font affemblés
capitulairement , & ils ont arrêté , pour perpétuer
leur refpectueuse reconnoiffance envers Sa
Majefté , de fonder une Grand'-Melle , qui fera
I
194 MERCURE DE FRANCE.
célébrée annuellement le lendemain de la Fête
de Saint Louis , afin de demander plus particulièrement
à Dieu la confervation de Sa Majefté &
de la Famille Royale. Ils ont auffi arrêté que le
Comte de Montmorillon feroit député pour faire
agréer , de la part du Chapitre , à l'Evêque d'Or
léans , des Lettres de Comte Honoraire de Briou
de , pour lui témoigner combien ils font fenfibles
aux repréſentations qu'il a faites à Sa Majeſté en
faveur de la Nobleffe qui compofe ce Corps.
Le fieur Bertin , Contrôleur général des Finances
, ayant préſenté au Roi le plan qu'il a formé
pour la difpenfation des revenus de Sa Majefté
dans l'année 1761 , le Roi l'a fait examiner en fon
Confeil , où il a été unanimement approuvé. Par
cet arrangement les fonds font faits pour les dépenfes
de la guerre de terre & de mer de la campagne
prochaine , pour celles de la Maifon de Sa
Majefté , pour le payement des rentes de l'Hôtelde-
Ville & de toutes les autres rentes quifont
payées jufqu'à préfent ; & cela fans nouveaux impôts
& emprunts.
Le douze de ce mois l'ouverture du Parlement
fe fit avec les Cérémonies accoutumées , par une
Mefle folemnelle , à laquelle le fieur Molé , Premier
Préſident , & les Chambres affiftérent , &
qui fut célébrée par l'Abbé de Sailly , Chantre de
la Sainte- Chapelle , & Aumônier de Madame la
Dauphine.
> La Cour des Aydes fit auffi , le 12 la rentrée
ordinaire de ſes Séances . Après la Meſſe , le fieur
de Lamoignon de Malesherbes , Premier Prédent
, fit un Diſcours ſur la Prudence dont le Magiftrat
doit ufer ; & le fieur Clément de Barville ',
Avocat Général , fit voir dans fa Harangue combien
le Magiftrat doit mettre d'âme dans fes
fonctions.
DECEMBRE. 1760: 195
Le 13 de ée mois , Dom Tilly , Abbé de l'Or
dre des Prémontrés , reçut , dans l'Eglife des
Carmelites de la rue Saint Jacques , l'abjuration
de la Dame veuve du brave Capitaine Thurot ,
à laquelle il fit un Difcours éloquent fur les Vérités
de la Religion.
Le tirage de la Loterie de l'Ecole Royale Militaire
, s'eft fait en la manière accoutumée , dans
l'Hôtel-de -Ville de Paris , le 6 de ce mois. Les
numéros fortis de la roue de fortune font , 6 ,
20 , 38 , 52 , 57 ; le prochain tirage fe fera le
ƒ du mois de Décembre.
MORTS.
Le fieur Aunillon , Abbé Commendataire de
P'Abbaye Royale de Gué - de- l'Annay , Ordre de
Saint Benoît , Diocèfe du Mans , mourut en cette
Ville , le 15 du mois dernier , dans fa foixante &
dix-feptiéme année.
Le fieur Du Vigier , Abbé de l'Abbaye Royale
de Gondon , Ordre de Citeaux , Diocèle d'Agen ,
eft mort à Bordeaux , le 17 , âgé de foixante ans.
N. de Valcroiffant , Archidiacre de l'Eglife
Cathédrale d'Aix , Abbé de l'Abbaye Royale de
Saint Sauveur de Vertus , Ordre de Saint Benoît
, Diocèſe de Châlons- fur- Marne , mourut à
Aix , le 18 , dans la quatre- vingt-troifiéme année
de fon âge.
Les RR. Péres Bénédictins de l'Abbaye de Saint
Laumer , de la Congrégation de Saint Maur ,
Ville & Diocèfe de Blois , pour fatisfaire aux Réglemens
de leur dernier Chapitre , ont fait , le
du préfent mois de Novembre , le Service folem
nel pour le repos de l'âme de Meffieurs les Offi
ciers & Soldats, tués dans la guerre actuelle . Ces
Religieux , pour témoigner leur zéle à s'acquitter
I ij
196 MERCURE DE FRANCE
de ce qu'ils peuvent , felon leur état , ont fait
ce Service avec toute la folemnité poffible . Comme
tous les grands & les petits font intéreſſés aux
pertes inféparables d'une action , y ayant des parens
ou amis , ils ont fait inviter par billets imprimés
tous les Habitans de la Ville . Ce Service
a été annoncé le 4 par le fon des cloches , qui
ont fonné à midi , à fept heures du foir , &
le lendemain à fix du matin , pendant une heure
à chaque fois ; le Choeur & le Sanctuaire de leur
Eglife étoient tendus en noir de la hauteur de douze
pieds au milieu s'élevoit un Catafalque haut de
quinze pieds , illuminé de plus de cent cierges.
La Grand'- Meffe a été célébrée par le Prieur de
l'Abbaye , avec les Diacre & Soûdiacre. Elle a
été entonnée par le premier Chantre , avec fon
bâton de dignité , accompagné de les deux Sous-
Chantres , & a été pourfuivie par les Religieux du
Choeur , avec deux Serpents que Meſſieurs de la
Cathédrale de Blois fe font fait un plaifir d'accor--
der à la demande des Religieux. La Profe Dies
ira , &c. a été chantée , à l'alternative avec le
Choeur , par le Sous - Chantre avec fon bâton de
dignité , accompagné de deux autres Religieux
tous trois en chappe de velours noir , A la fin de
la Melle , quatre Religieux Prêtres , y compris le
Prieur , tous revêtus d'aube , étole & chappes de
velours noir , ont fait les quatre Abfoutes qui ,
feules , ont duré près d'une heure.
On peut dire qu'on ne peut pas afſiſter à un
Office qui puille fe faire , de la part de ces Religieux
, avec plus de fageffe , de modeſție & de
gravité de chant ; comme également on doit ajoûter
que la piété , la dévotion & le recueillement
des affiftans , étoient capables d'en infpirer aux
plus indifférens. Tout s'eft paflé avec ordre , décence
& fans trouble. Meffieurs de l'Hôtel- deDECEMBRE
1760. 107
Ville ont eu la politeffe d'accorder aux Religieux
des Soldats de leur garde , pour empêcher la cokue
& maintenir le bon ordre.
Tout ce qu'il y a de grands & petits à Blois y ont
affifté. On y a vu des Chanoines de la Cathédrale ,
des Curés , Vicaires , & beaucoup d'autres Ecclé .
fiaftiques ; comme aufli Chanoines Réguliers , Jacobins
, Cordeliers , Minimes , Capucins. M. le
Premier Président de la Chambre des Comptes ,
& d'autres Membres de cette Cour , s'y font trouvés
; comme auffi des Membres du Préfidial
de la Cour des Aydes & de la Chambre de Ville ;
il y avoit beaucoup de Nobleffe , anciens Officiers ,
quantité de Meffieurs & Dames de diftinction , &
un nombre très-grand de tout état.
Nifi enim eos refurecturos fperaret , fuperfluum
Videretur & vanum orare pro mortuiss
Gazettes & Papiers Anglais.
7 Les Éditeurs des Papiers Anglois traduits dans
notre Langue , viennent de repandre un nouvel
avis dans le Public. On le rappelle affez combien
les premieres feuilles de cette tradnction furent accueillies
; mais le but pour lequel on s'étoit permis
de ne rien diffimuler de la licence des déclamations
Angloifes , échappa à la multitude. Les
raifons folides qui avoient autorifé cette liberté ,
ne purent prévaloir contre les préventions d'une
grande partie du Public ; &, comme il arrive prèfque
toujours , il fallut facrifier des vues utiles à
la crainte de déplaire.
Ce découragement eût fait abandonner l'entreprife
, fi les Editeurs n'avoient été conduits que
par des intérêts particuliers ; mais un feul inconvénient
ne permettoit pas à des Citoyens de né-
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
gliger les avantages fenfibles qui pouvoient réfalter
de la continuation de cet Ouvrage.
On n'a point ceflé de croire qu'il étoit intéreſfant
pour la Nation de connoître les opinions qui
partagent les Anglois fur l'adminiſtration de la
Grande-Bretagne ; de faire fentir les vices & les
malheurs de leur Gouvernement qui épuiſent
l'Angleterre , malgré les fuccès apparens qu'elle
peut avoir pendant cette guerre. Ce tableau , véritablement
utile , pouvoit encore le trouver fucceffivement
dans les papiers que l'on s'étoit propofé
de traduire , & c'en étoit affez pour que le
zéle des Editeurs ne fe réfroidît pas.
Mais dans la continuation qui fut donnée , on
s'affervit trop fcrupuleufement , à peut-être, des
détails qui ne pouvoient intéreffer que foiblement
hors de l'Angleterre. On traduifit dans toute fon
étendue , de longs écrits politiques , dont il eût
fuffi de faire connoître l'efprit dans un extrait fidéle.
On s'écarta trop de toutes les Gazettes conques
, en laiffant trop peu de place aux nouvel
les qui font , dans les circonftances préfentes
Tobjet le plus effentiel de la curiofité. On ne fur
point varié , autant qu'il étoit poffible de l'être .
Les annonces de Littérature , les événemens par
ticuliers , les anecdotes , fouvent piquantes , furent
entiérement négligés.
,
On a confulté la voix publique , & d'après elle ,
on s'eft proposé d'éviter tous ces écueils . Un homme
de Lettres , d'un mérite connu a bien voulu
fe charger de la traduction des papiers Anglois.
La premiere feuille vient de paroître le 11 de ce
mois , avec le nouvel avis des Editeurs ; il en paroîtra
une réguliérement tous les Mardis . Pour
rendre le Public juge des changemens avantageux
que l'on a faits & dans le fond & dans la
forme de cet Ouvrage , pour le mettre à portée
DECEMBRE. 1760 . 199
de recevoir de lui des inftructions fur ce qui
lui plairoit davantage ; enfin , pour étudier fon
goût, qui doit être la régle de tout Ecrivain qui
fe refpectera lui-même , on donnera gratuite ,
ment toutes les feuilles du mois de Novembre ,
& à ceux qui feront abonnés , on continuera ce
même envoi gratuit jufqu'au mois de Janvier .
On s'adreflera , pour les abonnemens , au Bur
reau général des Gazettes étrangères , rue & visà-
vis la grille des Mathurins.
On pourra s'adrefler auffi aux Bureaux parti
culiers établis dans les principales Villes du Royau
me.
Il fera de régle de faire infcrire avant le 20
du mois qui précédera celui pour lequel on fouhaitera
de commencer fon abonnement,
A VI S.
LE COURIER POLITIQUE , OU GAZETTE DE FRANCFORT
a commencé le 17 Juin 1760 avant l'ouver
ture de la Campagne , & paroîtra régulierement
deux fois par semaine. C'elt principalement pour
l'armée deFrance que l'on a établi cette Gazette.On
y trouve exactement tous les bulletins des armées
de Broglie , de Daun & de l'Empire. Le Lecteur
appercevra ailément, que l'Auteur écrit fans paffion
& fans partialité , & qu'inftruit le premier des faits
qui fe paffent , pour ainfi dire , fous les yeux, par
le voifinage de l'armée de France , il n'a d'autre
vue que de nous les faire parvenir dans leur nouveauté
, & avec la plus exacte vérité .
L'année d'abonnement de cette Gazette eft de
trente-fix livres , & commencera au premier ordinaire
du mois de Janvier prochain . Pour le la pro
curer en France , il faut s'adreſſer ou au Bureau
général des . Gazettes étrangeres , rue & vis- à-vis
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
la grille des Mathurins, ou aux Bureaux particuliers
des Provinces.
L'Auteur de cette Gazette fait paroître les mêmes
jours un Courier littéraire , dans lequel on
donne une notice courte des Livres qui paroiffent :
le Bureau des Gazettes étrangères n'en eft pas chargé.
Pour fe le procurer , on pourra s'adreſſer à fon
Auteur , à Francfort , en attendant qu'il indique
ceux chez qui on le trouvera en France.
Tirage de la premiere Loterie de l'Hôtel- de-
Ville de Paris , accordée par Arrêt du Conſeil du
30 Juillet 1760.
De par les Prévôt des Marchands & Echevins.
Le Public eft averti que le Tirage de la premiere
Loterie de l'Hôtel de Ville de Paris , ac
cordée par Arrêt du Confeil du 30 Juiller 1760 ,
fe fera publiquement dans la grande Salle dudit
Hôtel de Ville , en préfence & fous les ordres
des Frévôt des Marchands & Echevins , en
la manière accoutumée , le Mardi 16 Décembre
1760 , & jours fuivans , fans interruption : &
que huitaine après ledit Tirage fini , la lifte des
numéros gagnans fera imprimée & rendue publique
; & les Lots payés comptant, au defir dudit
Arrêt.
Remédes.
M. DE CLAIRON , Préfident à la Chambre des
Comptes & Cour des Aides de Franche - Comté , a
prefenté au Roi , à la Reine , a la Famille Royale
, à tous les Miniftres , à M. le Maréchal de
Belleifle , à M. le Maréchal de Broglie , à M. de
Senac , premier Médecin du Roi , & à Meffieurs
de la Facultéde Médecine de Paris , un Mémoire
par lequel il leur expofe la découverte qu'il a
DECEMBRE. 1760. 201
faite de plufieurs Plantes fpécifiques pour la guérifon
des fiévres de toute espéce , des pleurélies &
au plus tard au cinquiéme accès , des obftructions
du foye & de la rate , de l'hydropifie , de la
rétention d'urine caufée par la pierre dans un
mois , de la dyfenterie même jufqu'au fang
dans huit jours , des fleurs blanches dans la révolution
de deux mois à n'en prendre que fix jours
defuite par mois, & des hémorroïdes en vingt - quatre
heures. Il a fait un Traité qui enfeigne la maniè
re de fe les procurer & de s'en fervir , qui a mérité
l'approbation de MM . les Cenfeurs de la Faculté
de Médecine de Paris , de M. de Senac , & de plufeurs
autres Médecins , & en attendant que ce
Traité parvienne à la connoillance du Public ,
i en offre à MM. les Médecins , Chirurgiens &
Apoticaires , & à quiconque en voudra faire ufage
, parce qu'il en garantit l'éthcacité & une
prompte guérifon . Il eft logé à la rue du Plâtre ,
près la rue S. Jacques , chez un Marchand Herborifte.
GOUTTES PHILOSOPHIQUES du fieur Mutelé
du Chevalier.
Le fieur MUTE LÉ , dont l'étude continuelle
lui a mérité l'attention du Public , par le nombre
des cures furprenantes qu'il a opérées, & qu'il opére
continuellement par les vertus finguliéres de fon
Opiat Philofophique, qui eft l'ouvrage de la nature
& de l'art ; fe croit obligé par reconnoiffance de
la confiance dont on l'a honoré , de faire part à fa
Patrie d'un nouveau reméde qui par d'heureux &
& infaillibles fuccès , guérit une infinité de maladies
& maintient en parfaite fanté.
Il eft bon de fçavoir que toutes les maladies en
général qui affligent le corps humain , tirent leuc
202 MERCURE DE FRANCE.
origine de la corruption de la maffe du fang , cau→
fée les excès du boire & du manger ,
par
ainfi que
des mauvais alimens qui formant un mauvais levain
, fe communiquent en naiffant par nos péres
& méres , dont les vices du tempérament font
la foibleffe de la conftitution , & la rendent plus
fufceptible des influences malignes qui dominent
fur les corps. Chaque Aftre comme chef dominateur
fur ce monde fubcéleste nous communique
fuivant la nature les maux qu'il gouverne. C'eſt
ce qu'ont voulu nous faire entendre ces fçavans
Philofophes Ephémériftes , vrais fcrutateurs de la
Nature , en nous difant après Salomon, que Dieu
a créé une Médecine de la terre que le Sage ne
méprifera pas , puifque cette Médecine , en fervant
à prolonger nos jours , & à nous conferver
la fanté, devroit faire l'objet de nos plus férieufes
attentions. C'eft dans cette fource que l'Auteur
du préfent écrit , en s'efforçant de dévoiler les
fens obfcurs & énigmatiques de ces naturaliſtes
Ecrivains , qui étoient jaloux de leurs fecrets , &
croyoient que les meilleures chofes deviennent
méprifables à mesure qu'elles deviennent communes
, eft parvenu à la découverte de fes Gouttes
Philofophiques , dont les heureux fuccès font
l'éloge , malgré la bale jalouse de ceux qui condaminent
d'abord tout ce qui paffe leur intelligence
bornée , aimant mieux fe fixer à ces remédes
qu'ils appellent familiers , & qui ne font
bons qu'à mettre les humeurs en mouvement
& le corps hors d'état de recevoir cette précieuſe
Médecine diſtribuée par les fages mains de la Nature.
C'est un reméde agréable à la bouche ; une
Médecine qui furpaffe en vertu la Pierre de Buther
, plus excellente que le grand Alkaeſt & Or
horizontal des Spagiriques ; plus amie de nos
corps que les Népentes des Poëtes ; qui nous con
DECEMBRE. 1760. 203
ferve & délivre beaucoup mieux d'une infinité de
maux que tous les Elixirs des laboratoires , ri
que la Panacée chimérique des Philofophes , &
que ces Effences ou Baumes de Vie , que des
Etrangers & autres diftribuent , dont la baſe eſt
l'Efprit-de-Vin rectifié , ou l'Eau- de- vie diftillée ,
qui font autant de corrofifs & fubtiles poiſons
qui brûlent le fang , attaquent le genre nerveux
& dont l'ufage caufe toujours des effets funeſtes.
On y trouvera un reméde naturel , qui eft un
Elixir parfait , une quintellence ſpécifique & une
femence vitale , propre à réparer les efprits diffi
pés par la perte continuelle que nous faisons de
notre propre ſubſtance ; à multiplier les principes
radicaux , à entretenir & rétablir dans une
bonne fanté les tépides & les vieillards en pro
Fongeant leurs jours. D'où il s'enfuit qu'il guérit
toutes les maladies humorales , en pacifiant
l'archée irritée & fortifiant les efprits vitaux
animaux & naturels , purifie la maffe du fang
même fcorbutique ; ôte la difficulté de refpirer
, & guérit toutes les maladies qui proviennent
du poulmon ; réjouit le coeur & le cerveau
fortifie les nerfs & les membranes , maintient l'har
monieux accord de la tête , de l'eftomach & dù
foye dans un jufte équilibre , réfite au mal cat
duc , empêche les fyncopes , les défaillances , &
chaffe le venin des maladies contagieufes , toutes
fiévres & poifons , partie par les urines , par les
fueurs , partie par l'infenfible tranfpiration & le's
felles. En outre , il modifie , déterge & confo
lide les ulcères internes externes , & généra
lement toutes playes , arrête le crachement de
fang , nettoye les reins & la veffie , guérit les
fuffocations de mere , régle les Dames , diffipe
leurs pertes en blanc , & les rend par ce moyen
fécondes. Toutes perfonnes qui auront la pré-
I vi
204 MERCURE DE FRANCE.
caution de s'en munir d'une bouteille , foit à la
campagne , foit en voyage , feront exempts de
toutes maladies dangereules , comme apoplexie ,
paralyfie , coups de fang , & généralement de
toutes menaces & avant-coureurs de maladies
qui font des progrès , furtout dans les Provinces
où les morts fubites font fi fréquentes , faute de
précautions & de fecours. Ce Reméde fympathife
d'autant plus avec mon Opiat philofophique
, dont les vertus fingulières font connues pour
le plus excellent fondant & défobftructif qu'il y
ait , comme le Mémoire ſuivant l'annonce . Ceux
qui pourroient concevoir une mauvaiſe idée de
mon Opiat & de mes Gouttes philofophiques , par
la raison qu'ils font propres à la guériton d'un
grand nombre de maladies articulées ci- deffus
pourront voir chez le Sieur MUTELÉ les Certificats
Ipécifiés des guérifons opérées par ces Remédes.
L'ufage familier de ce Reméde eft de neuf gourtes
pour les femmes , & douze pour les hommes ,
pris le matin dans quelque véhicule convenable.
Il y a des bouteilles à 3 liv. 6 liv. 12 liv . 24 liv.
On trouvera tous les matins le fieur Mutelé chez
lui ; & dans le cas où il n'y feroit pas , on s'adreffera
en toute fûreté à Madame fon Epoufe qui
travaille avec lui , & qui eft la feule dépofitaire de
fes deux excellens Remédes.
•
La Veuve CHACHIGNON , Marchande Apoticaire
, rue S. Honoré , au coin de celle de Grenelle
, fait & vend des Bougies , tant pleines que
creufes , faites fans le fecours de fil d'archal pour
la parfaite guérifon des carncfités , callofités , &
rétention d'urine , dont on fe fert avec le plus
grand fuccès.
DECEMBRE. 1760. 205
COURS DE GEOGRAPHIE , contenant des Principes
généraux , Mathématiques & Physiques ,
fur cette Science . Par M. BONNE , Maitre de
Mathématiques , & de la Société Littéraire-
Militaire.
Ce Cours a été donné pour la premiere fois ,
dans le mois de Juin & de Juillet dernier . L'accueil
favorable qu'il a reçu , engage à l'annoncer
de nouveau dans un temps où beaucoup de monde
eſt toujours hors de la Capitale , il a été
rempli bien au- delà de l'attente de l'Auteur ; &
depuis on le fait entrer dans l'éducation de plufeurs
jeunes perfonnes de l'un & de l'autre fexe.
Ainfi l'Auteur ne peut que fe féliciter de ce qu'il
s'eft occupé d'objets que le Public trouve agréa
bles & intéreffans .
La premiere Leçon de ce Cours , ſera remplie
par des Obfervations générales fur les principaux
objets de la furface de la Terre , afin de reconnoître
ces mêmes objets , qui doivent fournir la
matière de nos entretiens . Nous nous occuperons
enfuite de la figure qu'on a dû attribuer à la
Terre , & de fa fituation par rapport au Ciel ;
puis il fera traité des mouvemens du Soleil &
des mouvemens de la Lune , de même que ceux
des autres Corps Céleftes. En un mot , aucun
principe utile de la Sphère , relativement à la
Géographie , ne fera oublié.
Après avoir expofé les mouvemens des Aſtres,
tels que les apparences nous les montrent, nous
ferons voir qu'ils s'expliquent avec beaucoup de
facilité , dans le fyftême qui fait mouvoir la Terre
autour du Soleil en un an , & fur elle -même en
vingt - quatre heures. Cette hypothèſe , ſi ç'en eſt
ane,paroît contenir levrai Méchanifme des moi
206 MERCURE DE FRANCE.
vemens Céleftes ; ainfi elle nous occupera d'une
manière intérellante & avantageufe. D'ailleurs ,
nous aurons recours par la fuite aux mouvemens
de notre globe,pour expliquer fon applatiſſement.
La Géographie Phyfique commencera par un
examen réfléchi des couches de la terre & de leur
nature , des Coquillages & des autres corps étrangers
renfermés dans ces couches. Enfuite nous
nous occuperons des montagnes & des vallées,
des carriéres & des mines , de l'origine des fontaines
& du mouvement des eaux des fleuves : puis
fuivra le détail des principaux effets que les eaux
courantes produiſent ſur la ſurface de la terre .
Après ces chofes , l'enchaînement des matiéres
demande que nous nous entretenions des lacs , de
même que les eaux de la mer & de leur nature.
Avant que d'abandonner ce fujet , nous explique
rons comment l'action de la Lune & celle du Soleil
, produifent le flux & le reflux de la mer . Les
courans , les vents réglés , les vents variables , les
ouragans , &c , feront auffi un des objets de nos
Leçons. Et comme les Vents influent confidérablement
fur la température des climats , ils nous
donneront occafion d'expliquer les cauſes des dif
férences qui fe font reffentir dans le froid , en
divers endroits fitués fur le même parallèle. Enfuite
nous décrirons les principales altérations
que les mouvemens de la Mer & les vents produifent
fur notre globe. De là nous pafférons aux
effets des Volcans & à leur caufe : puis il fera
parlé des tremblemens de Terre fur lefquels
nous expoferons les différentes explications que
les Phyficiens donnent de ces terribles agitations,
qui femblent vouloir détruire notre séjour.
Nous développerons enfuite la caufe des diverfes
longueurs du Pendule aux différentes latisudes.
Après viendra la détermination des die
DECEMBRE. 1760. 207
menfions de la Tèrre , tant par le raiſonnement
que d'après les mefures . La diminution des de
grés des parallèles , aux différentes latitudes , fera
auffi donnée , de même que les inégalités des
degrés des Méridiens , qui fur un globe exact ,
feroient tous égaux entr'eux .
La Leçon précédente nous conduira avec ordre
à la manière de dreffer les Cartes ; chacun fe ferr
de ces repréſentations des Contrées de la Terre ,
& peu de perfonnes foupçonnent l'art avec lequel
elles font faites. L'avantage des Cartes dont les
Parallèles font des Courbes , qui coupent les Mé
ridiens perpendiculairement , fera mis dans tout
fon jour. La projection des Mappemondes que
nous expliquerons , fera celle où les degrés des
Méridiens & ceux des parallèles , font partout
exactement dans le rapport qu'ils ont fur le globe.
Enfin , la manière de dreffer les Cartes Marines
ou réduites , ne fera pas oubliée.
Avec la folution des Problèmes du pilotage ,
qui entre naturellement dans le plan de ce Cours ;
feront exposés fuccinctement & clairement , les
divers moyens que les Marins employent pour fe
conduire fur l'Elément liquide , prèſque auffi fûrement
que s'ils voyageoient fur la Terre. L'art de
fe diriger en Mer nous fera parler de la Bouffole
de la déclinaifon de l'aiguille aimantée , & de fon
inclinaison : ce qui donnera lieu d'expliquer com
ment on peut avec cet inftrument , trouver àpeu-
près les longitudes fur Mer.
Ce Cours fera terminé par une Analyfe de la
Géographie Politique , qui contiendra les Capi
tales des principaux Etats , les moeurs des habitans
de chaque contrée , les principales produc
tions qui s'y trouvent , & le commerce qu'on y
Fait. On arrête ordinairement fur ce fujet feul
qui nous occupera quelques jours , les jeunes gens
208 MERCURE DE FRANCE.
plufieurs mois de fuite. Pour cela , on les oblige
de retenir quantité de noms de lieux peu contidérables
, qu'ils oublient prèſque auffitôt , & on
s'amufe à leur expliquer nombre de chofes , qui
pour les bien entendre , exigent à peine d'être
lues. Il nous a paru qu'il fuftifoit dans ce cas
d'avoir l'intelligence de la matière & la manière
de l'étudier. C'eft au defir de fçavoir , joint à la
lecture de quelques bons ouvrages fur la Géographie
, & furtout à celle des Voyageurs & des
Hiftoriens , qu'il faut laiffer faire le refte.
Dans l'explication des différens effets de la Nature
,qui feront l'objet de ces Leçons , nous n'embrafferons
aucun fyftême , & il ne fera employé ,
que des raifonnemens familiers , palpables , & à
fa portée de tout le monde. Les faits connus ,
analyfés & difcutés , feront les feuls guides que
nous nous permettrons de fuivre ; ainfi nos entretiens
feront plus vrais que brillants , plus utiles
que merveilleux. La peine des calculs , lorfque la
matière l'a exigée , n'a point été épargnée : comme
ils pourroient n'être point à la portée des Auditeurs
, nous n'en donnerons que les réfultats ,
en laiffant voir les principes fur lesquels ils font
fondés ; ce qui mettra en état de jouir du fruit de
ces Calculs , fans avoir eu la peine d'en effuyer
les difficultés.
Ce Cours fera compofé de vingt féances , qui
fe tiendront les Mardi , Jeudi & Samedi de chaque
femaine. Nous prendrons l'heure la plus
commode au plus grand nombre de Soufcripreurs.
L'ouverture s'en fera le Jeudi 8 Janvier
1761 , & il continuera jufqu'au 24 ou 26 Fevrier.
Il en coûtera 48 livres pour chaque perfonne ,
On fe fera infcrire avant que le Cours commence
, chez M. BONNE , Maître en Mathémariques
, rue Mazarine , près la rue Guénégaud
à'Hôtel Saint Jofeph,
DECEMBRE. 1760. · 209
ECOLE LATINE & GRECQUE , où l'on enfeigne
les Langues Françoife , Italienne , Efpagnolle ,
Angleife & Allemande.
L'ABBÉ CHOCQUART , par une longue étude de
tout ce qui peut abréger l'éducation morale & politique
de l'homme par les différens Effais qu'il a
faits fur les Éléves qu'il a formés , a trouvé le
moyen , d'ouvrir une route facile vers les Vertus &
les Sciences. La conduite que tenoient certains
Peuples pour rendre chez eux l'amour de la gloire.,
comme héréditaire , a facilité les recherches qu'il
a faites pour infpirer plus éfficacement à la jeunelfe
l'amour du vrai bien : & la Nature dont la marche
eft toujours heureuſe & rapide , lui fert de guide
dans les Belles- Lettres & les Beaux-Arts.Si l'enfant
fous les yeux de fà Nourrice , apprend fans peine
la langue qu'elle parle , pourquoi faudroit-il confacrer
tant d'années à l'ufage d'une langue fouvent
plus facile? Les oreilles ont elles plus d'eme
pire fur l'âme que les yeux?
Convaincu d'ailleurs , par l'expérience, que rien
ne retarde tant nos études que le dégoût & l'ennui
qui les accompagnent ; il fait évanouir l'un & l'au
tre en diverfifiant tellement les execices de la
journée , qu'une leçon devient comme le télaffement
de celle qui l'a précédée . Les premieres heures
de l'une & l'autre partie du jour foat données
aux études qui demandent le plus d'application :
des objets capables de réveiller l'attention leur
fuccédent & font eux- mêmes fuivis par des leçons
plus amufantes. Ainfi les Langues Latine &
Françoife , le Calcul Numérique , la Mufique &
tous les Exercices du Corps qui peuvent entrer
dans une éducation noble & polie , occupent
fucceffivement les matinées,
208 MERCURE DE FRANCE.
plufieurs mois de fuite . Pour cela , on les oblige
de retenir quantité de noms de lieux peu contidérables
, qu'ils oublient prèfque auffitôt , & on
s'amufe à leur expliquer nombre de choſes , qui
pour les bien entendre , exigent à peine d'être
lues. Il nous a paru qu'il fuftifoit dans ce cas ,
d'avoir l'intelligence de la matière & la manière
de l'étudier . C'est au defir de fçavoir , joint à la
lecture de quelques bons ouvrages fur la Géographie
, & furtout à celle des Voyageurs & des
Hiftoriens, qu'il faut laiffer faire le refte .
อ
Dans l'explication des différens effets de la Nature
, qui feront l'objet de ces Leçons , nous n'embrafferons
aucun ſyſtême , & il ne fera employé ,
que des raifonnemens familiers , palpables , & à
fa portée de tout le monde. Les faits connus
analyfés & difcutés , feront les feuls guides que
nous nous permettrons de fuivre ; ainfi nos entretiens
feront plus vrais que brillants , plus utiles
que merveilleux. La peine des calculs , lorfque la
matière l'a exigée , n'a point été épargnée : com
me ils pourroient n'être point à la portée des Auditeurs
, nous n'en donnerons que les réfultats ,
en laifant voir les principes fur lefquels ils font
fondés ; ce qui mettra en état de jouir du fruit de
ces Calculs , fans avoir eu la peine d'en effuyer
les difficultés.
Ce Cours fera compofé de vingt féances , qui
fe tiendront les Mardi , Jeudi & Samedi de chaque
femaine. Nous prendrons l'heure la plus
commade au plus grand nombre de Soufcripreurs.
L'ouverture s'en fera le Jeudi 8 Janvier
1761 , & il continuera jufqu'au 24 ou 26 Fevrier.
Il en coûtera 48 livres pour chaque perfonne ,
On fe fera infcrire avant que le Cours commence
, chez M. Bonne , Maître en Mathémariques
, rue Mazarine , près la rue Guénégaud
à'Hôtel Saint Joſeph,
DECEMBRE. 1760. 209
ECOLE LATINE & GRECQUE , où l'on enfeigne
les Langues Françoife , Italienne , Espagnolle ,
Angleife & Allemande.
L'ABBÉ CHOCQUART , par une longue étude de
tout ce qui peut abréger l'éducation morale & politique
de l'homme par les différens Effais qu'il a
faits fur les Eléves qu'il a formés , a trouvé le
moyen , d'ouvrir une route facile vers les Vertus &
les Sciences. La conduite que tenoient certains
Peuples pour rendre chez eux l'amour de la gloire ,
comme héréditaire , a facilité les recherches qu'il
a faites pour infpirer plus éfficacement à la jeunelfe
l'amour du vrai bien : & la Nature dont la marche
eft toujours heureuſe & rapide , lui fert de guide
dans les Belles- Lettres & les Beaux-Arts.Si l'enfant
fous les yeux de fa Nourrice , apprend fans peine
la langue qu'elle parle , pourquoi faudroit- il confacrer
tant d'années à l'ufage d'une langue fourvent
plus facile ? Les oreilles ont elles plus d'eme
pire fur l'âme que les yeux ?
Convaincu d'ailleurs , par l'expérience, que rien
ne retarde tant nos études que le dégoût & l'ennui
qui les accompagnent ; il fait évanouir l'un & l'au
tre en diverfifiant tellement les execices de la
journée , qu'une leçon devient comme le télaffement
de celle qui l'a précédée. Les premieres heures
de l'une & l'autre partie du jour font données
aux études qui demandent le plus d'application :
des objets capables de réveiller l'attention leur
fuccédent & font eux-mêmes fuivis par des leçons
plus amufantes . Ainfi les Langues Latine &
Françoife , le Calcul Numérique , la Mufique &
tous les Exercices du Corps qui peuvent entrer
dans une éducation noble & polie , occupent
fucceffivement les matinées,
208 MERCURE DE FRANCE.
plufieurs mois de fuite. Pour cela , on les oblige
de retenir quantité de noms de lieux peu conlidérables
, qu'ils oublient prèfque auffitôt , & on
s'amufe à leur expliquer nombre de choſes , qui
pour les bien entendre , exigent à peine d'être
lues. Il nous a paru qu'il fuffifoit dans ce cas ,
d'avoir l'intelligence de la matière & la manière
de l'étudier. C'est au defir de fçavoir , joint à la
lecture de quelques bons ouvrages fur la Géographie
, & furtout à celle des Voyageurs & des
Hiftoriens, qu'il faut laiffer faire le refte .
Dans l'explication des différens effets de la Nature,
qui feront l'objet de ces Leçons , nous n'embrafferons
aucun ſyſtême , & il ne fera employé ,
que des raifonnemens familiers , palpables , & à
fa portée de tout le monde. Les faits connus
analyfés & difcutés , feront les feuls guides que
nous nous permettrons de fuivre ; ainfi nos entretiens
feront plus vrais que brillants , plus utiles
que merveilleux. La peine des calculs , lorfque la
matière l'a exigée , n'a point été épargnée : comme
ils pourroient n'être point à la portée des Auditeurs
, nous n'en donnerons que les réſultats ,
en laiffant voir les principes fur lefquels ils font
fondés ; ce qui mettra en état de jouir du fruit de
ces Calculs , fans avoir eu la peine d'en effuyer
les difficultés .
Ce Cours fera compofé de vingt féances , qui
fe tiendront les Mardi , Jeudi & Samedi de chaque
femaine. Nous prendrons l'heure la plus
commade au plus grand nombre de Soufcripreurs.
L'ouverture s'en fera le Jeudi 8 Janvier
1761 , & il continuera juſqu'au 24 ou 26 Fevrier.
Il en coûtera 48 livres pour chaque perfonne,
On fe fera infcrire avant que le Cours come,
mence , chez M. BONNE , Maître en Mathémariques
, rue Mazarine , près la rue Guénégaud ,
à Hôtel Saint Joſeph,
DECEMBRE. 1760. 209
2
ECOLE LATINE & GRECQUE , où l'on enfeigne
les Langues Françoife , Italienne , Efpagnolle ,
Angleife & Allemande.
L'ABBÉ CHOCQUART , par une longue étude de
tout ce qui peut abréger l'éducation morale & politique
de l'homme par les différens Ellais qu'il a
faits fur les Éléves qu'il a formés , a trouvé le
moyen , d'ouvrir une route facile vers les Vertus &
les Sciences. La conduite que tenoient certains
Peuples pour rendre chez eux l'amour de la gloire .,
comme héréditaire , a facilité les recherches qu'il
a faites pour infpirer plus éfficacement à la jeunelfe
l'amour da vrai bien : & la Nature dont la marche
eft toujours heureuſe & rapide , lui fert de guide
dans les Belles- Lettres & les Beaux-Arts.Si l'enfant
fous les yeux de fa Nourrice , apprend fans peine
la langue qu'elle parle , pourquoi faudroit- il confacrer
tant d'années à l'ufage d'une langue fouvent
plus facile? Les oreilles ont elles plus d'eme
pire fur l'âme que les yeux ?
Convaincu d'ailleurs , par l'expérience , que rien
ne retarde tant nos études que le dégoût & l'ennui
qui les accompagnent ; il fait évanouir l'un & l'au
tre en diverfifiant tellement les execices de la
journée , qu'une leçon devient comme le télaffement
de celle qui l'a précédée. Les premieres heures
de l'une & l'autre partie du jour font données
aux études qui demandent le plus d'application :
des objets capables de réveiller l'attention leur
fuccédent & font eux-mêmes fuivis par des leçons
plus amufantes. Ainfi les Langues Latine &
Françoife , le Calcul Numérique , la Mufique &
tous les Exercices du Corps qui peuvent entrer
dans une éducation noble & polie , occupent
fucceffivement les matinées,
210 MERCURE DE FRANCE.
Après la récréation qui fuit le dîné , l'Algébre,
la Géométrie & les Fortifications fous une mêmě
marche ; les loix de l'Optique & le Deffein , les
proportions des Méchaniques démontrées conformesaur
Loix de l'Univers & aux expériences de
Phyfique la Géographie enfin & l'Hiftoire , réunies
par le moyen de Cartes pliées ; de forte que
les faits & les lieux le rappellent mutuellement
occupent toutes les heures de l'après-dîné.
Les leçons de Langue Françoife,d'Arithmétique,
de Géographie & d'Hiftoire , n'employant que fore
peu de tems dans le cours d'études , on donne les
heures qu'elles occupoient , aux Langues Allemande
, Italienne , Angloife ou Efpagnoles où l'on
s'occupe à des exercices Militaires , ou à conftruire
des Plans de Villes avec des piéces rapportées , ou
l'on s'exerce à des travaux du Tour , de la Linie,
& c. ou même à quelque fcience relative à l'état au
quel on eft deftiné .
L'ufage accompagnant partout la fpéculation ,
& l'Harmonie difpenfant tous les travaux , il eſt
facile de concevoir , combien les jeunes gens deviennent
avides de fçavoir & quelle doit être la
rapidité de leurs progrès.
Pour les Externes & tous ceux qui feront encore
dans le cas d'aller au College , on donnera des
leçons à part.
Les Maitres en chaque partie font tous des hommes
choifis & connus.
Les curieux trouveront auffi chez l'Abbé Chocquart
, des machines de Phyfique & furtout d'Optique.
Il demeure rue des SS . Peres , Fauxbourg S
Germain , vis- à- vis le Portail de la Charité , dans
un Hôtel où il y a un très-beau Jardin. La pen
fon alimentaire eft de soo liv..
DECEMBRE. 1760. 210
ESSENCE volatile d'Ambre gris.
Les Propriétés extraordinaires de cette Effence
l'ont rendu d'un Uſage univerfel parmi nous,
La Nobleffe en porte conftamment un flacon
dans la poche, & en général il fait équilibre du côté
oppofé avec la tabatiere. La décadence des célébres
Eaux de la Reine d'Hongrie & de Lavande a commencé
dès que celle - ci a paru , & ne font prèſque
point d'ufage aujourd'hui . Cette liqueur eft
douée d'une odeur plus vive & pénétrante qu'au
cun fel d'Angleterre , dès qu'on la fent , elle ranime
les efprits défaillans , rappelle les perdus ,
& porte un remede auffi fubit qu'éfficace , aux
affections hiftériques . Nos Dames , dont la déli
cateffe eft reconnue & imitée de l'Univers , s'en
fervent heureufement , dans les maux de tête ,
défaillances , toutes affections nerveufes , hypocondriaques
, & pour s'aiguifer l'imagination dans
les affections faporeufes , & en recommandent
inftamment l'ufage aux Etrangères voifines , pour
s'égayer & diffiper les vapeurs.
•
Manière de fe fervir de cette Effence volatile.
Quand il s'agit de ranimer & de rafraîchit
l'efprit , il ne faut que fentir légérement cette admirable
Effence.
Pour faire diffiper toute mauvaiſe odeur , &
pour le garantir contre la petite vérole , fiévres
malignes , & toutes maladies contagieufes , on
en verfe un peu dans fon mouchoir pour la fentir
occafionnellement.
Dans les défaillances & affections hiftériques ,
on en frotte un peu au- deffous des narines & aur
tempes , & on en prend une dixaine de gouttes
dans un verre d'eau.
212 MERCURE DE FRANCE .
Dans les affections hypocondriaques & ner
veuſes , on en prend de même dix goutres dans
un verre d'eau , auffi bien qu'à chaque fois qu'on
Le trouve les efprits opprimés & languiffans ; &
fi on eft habituellement affujetti à ces maux , il
convient d'en prendre vingt gouttes dans un verre
d'eau foir & matin , pendant l'espace d'un mois
ou de fix femaines , & on en retirera des avanta
ges,merveilleux .
Dans les maux de tête , on en prend une goutte
ou deux dans les narines , & dix dans un verre
d'eau.
Dans l'ardeur ou mal de coeur , on en prend
dix gouttes dans un verre d'eau.
Six gouttes prifes dans une taffe de thé froid ,
préviennent les inconvéniens nombreux & trop
fréquens qui furviennent à ceux qui font un trop
grand ufage du thé .
Il faut remuer le flacon toutes les fois qu'on le
fert de cette Effence ; on mer le doigt fur le trou ,
& en le refermant a tourne le bouchon fans
quoi certe Effence volatile s'évaporeroit , il fuffit
de fentir le bouchon de ces flacons.
Cette Effence volatile fe vend à Paris chez M.
LEDUC Marchand Epicier- Droguite , au Magafin
de Provence , rue Dauphine . Les flacons
font de 3 liv. & les flacons avec leurs éruits font
de 4 livres.
C'eft où fe vend , chez le même Marchand , le
véritable Elixir de Garrus.
ROUSSEL , privilégié du Roi , vient d'établir
rue Baffroid,près la rue de la Raquette, Faubourg
S. Antoine , une nouvelle Manufacture de fayan
ce blanche en dedans , & feuille morte ou olive
en dehors , qui réfifte au plus grand feu jusqu'à
rougirfans le rayer ni caffer , quoiqu'elle foit aufli
-
DECEMBRE. 1760.
213
mince & auffi légére que celle du Pont-aux-choux:
il la vend moins cher fuivant les prix ci- deffous.
43
SÇAVOIR ,
Les affiettes , la douzaine depuis 3 I.
juſqu'à
Les plats ronds des 4 grandeurs , la
pièce , depuis 1 ſols juſqu'à
Les ovales , idem.
Saucières & leur plateau ,
Les oilles & leur plateau ,
Les terrines & leur plateau ,
sh
3 1.
3 l.
6 I.
s l.
Les grandes terrines & leur plateau , 12 1.
Les terrines rondes tournées , depuis -
trente fols juſqu'à
Les écuelles depuis 8 fols jufqu'à
Les cafferoles depuis 8 fols jufqu'à
Les marmites depuis 2 & 3 1. juſqu'à
Les bouillottes depuis 6 fols jufqu'à
Les goblets Saxons , brodés & unis
de toutes les façons & grandeurs ,
depuis 4 fols jufqu'à
Les brocs depuis 10 fols jufqu'à
Pots à l'eau du dernier goût , & leur
jatte fans peinture , depuis 3 liv .
julqu'à
3 1.
3 l.
2 1.
6 1 .
1 l. 4 f
8.f.
-6 1,
6 1.
Les huiliers ,
.3 1.
Sceaux à verres , demi bouteille , &
bouteille , depuis 2 liv. juſqu'à 6 1.
Les Coquetiers ,
6 f.
Les Moutardiers ,
10 f.
Mots des deux Logogryphes du mois de
Novembie 1760.
Le mot du premier o ogryphe , eft Mifantrope
, dans lequel on trouve or , Mons , Moïfe ,
214 MERCURE DE FRANCE.
Noé , pô , Roi , poids , fimare , Néron , Oran ,
Opéra , mi, re,fi , Mars , Mai, Monet , Jafon,
pinte , prime , Matines , étain , Pirate Paon ,
Paris , Pontas , âne, Rome, Moine , rofe , poire,
pomme , Nifo , Marot , Afie, main , tein , fein ,
pet , rot , Piron , mitre.
>
Le mot du fecond Logogryphe , eft Méfintelligence
, dans lequel on trouve gens , mille , lien ,
Genèfe , lime, Mécène , fentence , lie , Ifte , Seine,
Nifmes, Nil , lin , fel , miel , lit.
Errata de Novembre 1760.
Dans le Mercure de Novembre 1760 , page
213 , à la trentiéme ligne , lifés Bâton , au lieu
de Dâton.
APPROBATION.
'AI lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le Mercure du mois de Décembre 1760 , & je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 2 Novembre 1760. GUIROY.
TABLE DES ARTICLES.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE,
F
ARTICLE PREMIER.
PITRE à Mlle de *** qui avoit approuvé des
Vers de l'Auteur fur une Matière Philofophique.
Page's
Sat Pulcher qui fat bonus , Fable , par Madame
du M.....
VERS à Mlle Catinon , Actrice de la Comédie
Italienne.
9
DECEMBRE. 1760 11
Le Ver luifant , Fable.
VERS au Docteur Novello , Médecin Italien .
EPITRE à M. P.. Receveur des Domaines du
Roi à V..
CRIZEAS & ZELNIDE , Traduction du Grec ,
à Madame A. D. R.
IMITATION d'un Paffage de POPE.
LETTRE de Madame Bourette , à M. le Marquis
Caraccioli .
VERS à Madame la Princeffe Radzivil.
LETTRE de M. le Marquis Caraccioli , à
Madame Bourette .
12
IE
ibid.
I
15
-3xj
33
30
36
LETTRE à mon Elève , fur l'Emploi du Tems. 38
TRADITION Danoiſe , fur la Maiſon de Falinfperk.
VERS fur le mariage de Mlle le M.
CONSTANT , petit Chien-Loup &c.
A Meſdames P *** D. M *** D.P *** dînant
à la maiſon de campagne de l'Auteur.
ENIGMES.
LOGOGRYPHE.
CHANSON .
44
49
So
53
55
36857
59
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRES.
DISCOURS préliminaire , fur la fçience du
Gouvernement ,
HISTOIRE d'Angleterre , depuis la defcente
de Jules - Cefar , juſqu'au Traité d'Aixla
- Chapelle , en 1748 , par M. T. Smolett.
&c. Extrait.
92
61
199
113
Avis de l'Auteur du Monde comme il eft.
ANNONCES des Livres nouveaux . 116 &ſuiv.
ART. IN. SCIENCES ET BELLES-LETTRES,
ACADÉMIE S.
REMARQUES fur le mot Truand. IZO
116 MERCURE DE FRANCE.
EXTRAIT des Mémoires lûs à la Séance publique
de l'Académie Royale de Chirurgie. 128
ART. IV . BEAUX - ARTS.
LETTRE an fujet des Embelliffemens faits
dans l'Eglife de S. Roch , avec la Deſcription
de ces nouveaux Ouvrages. 142
MUSIQUE.
155
GRAVURE. 156
HORLOGERIE.
LETTRE à l'Auteur du Mercure . 158
EXTRAIT des Regiftres de l'Académie Royale
des Sciences. 159
Supplément à l'Article des Arts utiles.
DISSERTATION fur la maladie de la Pierre. 163
CHYMIE.
ANALYSE de la Poudre du Sr Chartrey , par
Piat & Cadet , Apoticaires allociés. 169
ART . V. SPECTACLES.
QPÉRA. 173
COMÉDIE Françoiſe .
175
COMÉDIE Italienne. 176
CONCERT Spirituel , 183
ART. VI. Nouvelles Politiques. 184
Avis divers. 199
REMÉDES. 200
213
MOTs des Logogryphes de Novembre .
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
ru & vis-à - vis la Comédie Françoiſe.
( 1 )
C
AVIS
CONCERNANT
LE JOURNAL
ENCYCLOPÉDIQUE ,
établi à Bouillon , pour l'année 1761.
L
ES révolutions furvenues depuis deux
ou trois années dans l'empire des Lettres
en France , ont entraîné la fuppreffion du Dictionnaire
Encyclopédique : la fageffe du Gouvernement
l'a jugée néceffaire. Quoiqne ce
grand Ouvrage , qui s'imprimoit à Paris , n'eut
que le titre de commun avec le Journal Ency
clopédique , dont l'établiſſement étoit alors à
Liége , des ennemis fecrets chercherent à
faire fubir le même fort à ce Journal ; mais le
Public éclairé n'a pas penfé comme eux ; &
d'ailleurs des Protecteurs puiflans l'ont mis
à l'abri des coups qu'on vouloit lui porter.
Cet Ouvrage périodique n'a jamais fouffert aucune
interruption on fent néanmoins que ,
dans les momens de perfécution , il étoit impoffible
qu'il parut avec la régularité ordinaire .
Les Auteurs ont rempli jufqu'à préfent leurs
( 2 )
eugagemens , malgré les obftacles les plus
grands & les contretems fans nombre qu'on
n'auroit jamais pu prévoir , & dont il feroit trèsinurile
de faire ici le détail. L'ordre eft aujourd'hui
rétabli tant dans l'exécution de ce Journal ,.
que dans les envois ou expéditions ; & tout annonce
aux Auteurs de cet Ouvrage le fuccès
le plus flatteur. S'ils ont été affez heureux pour
plaire à leurs Lecteurs & les intéreffer dans
un tems où il étoit impoffible qu'ils fe livraffent
entiérement à leur travail , que ne doivent-
ils point efpérer des foins qu'ils fe donneront
au milieu du calme favorable dont ils
commencent à jouir ? Excités à continuer cet
Ouvrage par le fuffrage du Public , & furtout de
ces Hommes célébres qui font la gloire &
l'ornement de la Littérature & des Sciences ,
& qui ont daigné publier dans quelques écrits ,
que le Journal Encyclopédique étoit un des
premiers de 173 Journaux qui paroiffent tous.
les mois en Europe ; ils vont faire de nouveaux
efforts afin de juftifier des témoignages auffi
glorieux , qu'ils ne regardent cependant que
comme un encouragement , & l'augure de ce
que leur Journal peut devenir à force de foins.
Le Journal Encyclopédique a commencé à
Liége en Janvier 1756 , & depuis cette époque
n'a jamais été difcontinué. H en a paru deux
Volumes mois , de 168 pages chacun ,
qui fait 24 Volumes par année . A la fin de
Décembre prochain , la collection complette
fera de 120 Volumes ou 40 Tomes .
par
ce
Le premier Volume de chaque mois paroîtra
le 15 , & le fecond , à la fin du méme mois.
Le prix de la Soufcription eft de 24 livres.
( 3 )
pour l'année entiere , & en outre 9 livres 12
fols, à raifon de 8 fols par volume , pour le port
dans quelque ville ou endroit de la France que
ce foit. Ces deux fommes doivent être payées.
d'avance. Ceux qui voudront fe procurer cet
ouvrage par une autre voye que par la
pofte , fe chargeront du port , & ne payeront
que les 24 livres de la Soufcription .
On tirera très- peu d'exemplaires au- delà
du nombre des Soufcripteurs qui fe feront préfentés
dans le courant de Décembre prochain ,
ou tout au plus dans les premiers jours de
Janvier 1761 .
On s'adreffera au fieur Lutton , commis au
recouvrement du Mercure , rue Ste. Anne , Butte
St. Roch , à Paris ; ou bien directement à
Bouillon , où il y a un Bureau des Poftes de
France , au Sieur Weiffenbruch , Directeur du
Bureau du Journal , ou au Sr. Trouffeand.
On peut encore s'adreffer aux Libraires
des principales Villes , fçavoir :
A Paris , au Sieur Duchefne , ou au Sieur
Lambert.
A Lyon , au Sr. de la Roche , ou au Sr
Deville.
A Dijon , au Sr. Defventes , ou à la Veuve
Coignard .
A Grenoble , au Sr. Giroud .
A Befançon , au Sr. Fantet.
A Marfeille , au Sr: Moiffy.
A Montpellier, au Sr. Rigaud, ou à la Veuve
Gontier & Faure.
A Toulouſe , au Sr. Bidoſſe.
A Bayonne , au Sr. Tréboze;
A La Rochelle , au Sr, Pavie,
( 4 )
A Nantes , au Sr. Vatard.
A Caen , au Sr. Le Roy.
A Rouen , au Sr. Befogne.
A Dunkerque au Sr. Boubers.
A Lille , au Sr. Pankouke.
A Amiens , au Sr. Godard.
A Rheims , au Sr. Cazin.
A Charleville , au Sr. Théfin.
A Châlons , au Sr. Briquet.
A Strasbourg , au Sr, Le Roux , ou au Sr.
Bawer.
On aura foin d'affranchir le payement de la
Soufcription , ainfi que les Lettres d'avis , qui ,
fans cela , refteront au rebut. Et l'on ne doitpoint
étre étonnéfi l'on ne reçoit pas de réponſe , ni le
Journal. On a été obligé de prendre cette précau
tion , parcequ'on eftfouventfurchargé de Lettres.
inutiles.
Il reste un très-petit nombre de collections
complettes des cinq années depuis l'établiſſement
de ce Journal ; ceux qui defireront s'en procurer,
font priés de donner inceffamment leurs ordres.
Les Soufcripteurs font encore très- inflamment
priés d'envoyer leurs noms & leurs adreffes écrits
très - lifiblement , pour éviter toute confuſion dans
les envois.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères