→ Vous voyez ici les données brutes du contenu. Basculez vers l'affichage optimisé.
Nom du fichier
1759, 10, vol. 2
Taille
7.50 Mo
Format
Nombre de pages
225
Source
Année de téléchargement
Texte
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI
OCTOBRE. 1759 .
SECOND VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife. La Fontaine .
Cochin
Flus inv
LupationSculp.
. Chez
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , vis à vis la Comédie Françoile
PISSOT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins .
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi .
KIBLIOTHECA
REGIA
MONACENSIS,
AVERTISSEMENT.
LE
Bureau du
Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier
Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure ,rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreJer, francs
deport , les paquets & lettres , pour remettre
, quant à la partie littéraire , à M.
MARMON TEL , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols pièce..
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
fairevenir, ou qui prendront lesfrais du port
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
d'eft-à- dire 24 livres d'avance , en s'abonnant
pour 16 volumes.
Les Libraires des provinces ou des pays
'étrangers qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci- deffus.
,
A ij
On fupplie les perfonnes des Province's
d'envoyerpar la pofte , en payant le droit ,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en foit
fait d'avance au Bureau .
Les paquets qui neferont pas affranchis ,
refteront au rebut.
On prie les perfonnes qui envoient des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
On peut fe procurer par la voie du
Mercure le Journal Encyclopédique
&
celui de Mufique , de Liége , ainfi que
les autres Journaux , Eftampes , Livres &
Mufique qu'ils annoncent .
Le Nouveau Choix de Piéces tirées des
Mercures & autres Journaux , par M.
Marmontel , fe trouve auffi au Bureau
du Mercure. Le format , le nombre de
volumes & les conditions font les mêmes
pour une année.
Il prie Meffieurs les Abonnés du Mercure
de vouloir bien prendre cette qualité
en fignant les Avis & les Piéces qu'ils luj
envoyent.
1
MERCURE
DE FRANCE.
OCTOBRE . 1759.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
7
EN VERS ET EN PROSE
L'ENFANT , LA MERE , ET LES CHATS.
FABLE.
ARARAMMIINNTTE avoit quatre chats ,
( Et peut- être en cor plus de rats )
Ces animaux pilloient fa table ,
Nuir & jour la trouvoient affable ,
Brifoient tout , pots , taffes & plats.
Loin que le châtiment tombât fur le coupable ,
Les valets , les enfans payoient tout le fracas ;
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
L'humeur pleuvoit fur eux , les faveurs fur les
chats .
Un jour un des enfans en larmes ,
Aufli beau que le Dieu d'Amour ,
Par fes pleurs augmentoit fes charmes :
Sa miere attendrie à fon tour
Le prend fur fes genoux , des plus doux noms
l'appelle :
Malgré fes foins l'enfant déploroit ſon état.
Que veux-tu donc , mon fils ? dit- elle.
Maman , répond l'enfant , je voudrois être chat.
LES
AVANTAGES
U
DE L'ADVERSITÉ.
FABLE.
N Bourgeois avoit à plaifir
Enfemencé le fol qu'il tenoit de fes Pères ;
Et pour en recueillir le fruit , tout fon defir
Se bornoit à des temps profpères.
Les glaces de l'hyver , la neige , les frimats ,
Vinrent fondre fur ces climats ;
Voilà notre homme dans les larmes ,
Croyant que la faifon alloit tout ravager.
Quelqu'un pour calmer fes allarmes ,
Lui dit mon pauvre enfant , apprends à mieux
juger ;
&
OCTOBRE. 1759 . 7
C'eſt à tes ennemis que l'hyver fait la guerre ,
Et d'eux il te délivrera ;
D'infectes deſtructeurs il purgera la terre ,
Et la moiffon te reſtera.
Que d'un fort malheureux les coups inévitables
Nous paroiffent moins redoutables :
C'eſt par eux qu'un prix juſte à tout peut être mis .
Ils écartent les faux amis ,
Et nous laiffent les véritables.
LE TROPHÉE.
AM*** en lui donnant une bague où deux
coeurs font entrelaffés .
DANANSs des climats où l'on aimoit jadis ,
Depuis un temps les frivoles caprices ,
Les gouts légers , & les jeux étourdis ,
Par le fuccès devenus plus hardis ,
S'attribuoient l'encens , les facrifices
Qu'au feul amour offroient les Amadis.
O fiécle ! ô moeurs ! dit le Dieu de Cithère ;
Quoi fur ces bords de Vénus fi chéris ,
Chez vous , François , chez vous , mes favoris ,
On méconnoît & l'Amour & ſa mère !
Ah ! puniffons de fi cruels mépris.
Puis tout- à-coup modérant fa colère ,
Voyons pourtant , voyons fi dans Paris ,
A iv
S MERCURE DE FRANCE.
Dans cette foule inconftante & légère ,
Il reste encor deux amans bien épris .
Que dis-je , hélas ! deux amans ! ce n'est guère
Mais je fuis bon . Si deux coeurs attendris
Brûlent encor d'une flâme ſincère ,
En leur faveur ma vengeance ſévère
S'appaifera ; mais ce n'eft qu'à ce prix.
Pour les chercher , de ruelle en ruelle
Il va, revient , fe met en fentinelle :
Petite loge & petite maiſon ,
Il veut tout voir ; mais tout ne lui décèle
Que faulleté , manége & trahifon.
Plus de coeurs vrais , plus d'ardeur mutuelle :
De la cigue ils ont bu le poifon.
Hélas , Amour ! de quel foin tu t'occupes !
Dans ce concours de fripons & de dupes.,
Du fentiment tout répète le nom ;
Mais dans les coeurs en est-il encor ? non..
De fon côté chacun jure qu'il aime ;
Chacun n'eft plus épris que de foi - même ;
Chacun s'admire & fe trouve charmant :
L'on n'eft que fat , & l'on fe croit amant.
Nul ne s'amufe au plaifir difficile :
Dès qu'on l'appelle on veut qu'il foit docile ;
C'eſt le payer que l'attendre un moment.
Ah ! dit l'Amour , il faut donc s'y réſoudre :
Perdons ce peuple infenfible & pervers.
Pour me venger & le réduire en poudre
*
A
OCTOBRE. 1759.
A Jupiter allons voler la foudre.
Que cet exemple étonne l'univers.
Comme il partoit , il vit loin de la foule
Un couple affis fous les ormeaux du route ;
L'objet l'émeut , le petit compagnon
S'approche , écoute ; il entend le langage
Que l'on parloit fur les bords du Lignon :
Le fin fourire & le doux badinage,
Et le regard confident des defirs ,
Et la rougeur , aurore des plaifirs ,
Tout retraçoit la candeur , l'innocence
De ce bel âge où l'amour prit nailfance.
Plus curieux , il parle à ces amans
De leurs toiſirs , de leurs amuſemens ;
Il veut fçavoir quel intérêt les touche ,
Quel bien les flâte , & tous les mouvemens
Qui de leur vie occupent les momens.
Déjà leur ame a volé fur leur bouche ;
Ils n'ont point l'art des vains déguiſemens :
Ils n'ont qu'un foin , & tous deux ont le même.
Plaire en aimant, rendre heureux ce qu'on aimes
C'eft le feul bien qui les puiffe toucher.
Ah ! dit l'Amour , à la fin je rencontre
Deux vrais amans ; & le hazard me montre
Ce que j'ai pris tant de peine à chercher.
Dès ce moment ma colère étouffée
Veut bien laiffer les François impunis
Mais du lien dont vos coeurs font unis
Av
To MERCURE DE FRANCE.
Je veux que l'art me compofe un trophée.
'Allez , Thémire , en donner le deffein ,
Et vous , Daphnis , ornez- en votre main.
VERS
PRESENTE'S à Madame de R***
le jour defa fête. Par M. Roub ...
JEE ne vais point pour célébrer ta fête
Au Dieu des vers préfenter de requête ,
Et traveftir en tendres fentimens
Ces feux follets de l'eſprit à la mode ,
Ce froid jargon , ces petits riens charmans ,
Dont la fadeur a compofé le code.
A fa Philis laiffons l'homme du jour ,
Suivant le rit de la galanterie ,
Analyfer le fyftême d'amour ,
De fa beauté lui vanter la férie ;
En traits mignons , pour gage de fa foi ,
Peindre les ris voltigeant fur fes traces ;
De - là paffant au détail de fes graces ,
Se perdre enfin dans le Je-ne-fçais-quoi.
De ce bel art je connois l'importance ,
J'en fens le prix , j'en fçais la récompenfe ;.
Mais m'en fervir , oh ! je ne le fçaurois.
Cet art eft bon pour des charmes futiles :
gout me porte aux qualités utiles : Mon
"
OCTOBRE. 1759. II
N'en vois-je point ? je paffe & je me tais.
Simple & fans fard, c'eſt mon coeur fe al qui loue,
Et c'eft le coeur qu'il le plaît à louer.
Dans ce travail je puis bien échouer ;
Mais tout au moins la vérité m'avoue.
Dans le fujet que ce jour vient m'offrir ,
Sans l'affoiblir je ne pourrai la peindre.
Le Dieu des coeurs doit m'aider à l'atteindre ;
Non pas celui qui les fait tant fouffrir ,
Vautour cruel fous l'air d'une colombe ,
Fourbe , empruntant la voix du tourtereau
Qui vient à nous les yeux fous le bandeau ,
Et qui s'enfuit dès que le bandeau tombe :
Non ; mais un Dieu que n'a point reconnu
L'antiquité , clairvoyant , ingénu ,
Sans allumer ces dangereufes flammes ,
Avec prudence alfortiffant les ames ,
Et qui tenant plus qu'il n'avoit promis ,
Fait des heureux fous le titre d'amis.
*
Je chante un coeur , fon plus parfait ouvrage,
Et qui lui rend le plus flatteur hommage ;
Un coeur formé fous un aftre fi doux ,
Que fans défauts il les pardonne tous ;
Un coeur facile & dont la complaiſance
Servant nos gouts , femble fuivre les fiens ;
Un coeur actif, & dont la bienfaiſance
De fes bienfaits lui forme des liens.
Pour les amis quel zèle le dévore ?
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
De leur fortune il fe fait un devoir.
Ses ennemis ! ... S'il pouvoit en avoir ,
A fes bontés ils auroient part encore.
Non , non , jamais dans ce féjour mortel
L'humanité n'eut un fi digne trône,
Ni l'amitié n'eut un fi pur autel.
R*** eh quoi ! tu rougis ! Ah ! pardonne.
Pouvois-je donc m'impofer une loi ? ...
Ce que je fens , je l'ai dit malgré moi ;
Mais je finis , fi tu crains de m'entendre ,
Mon zèle doit obéir à ce frein .
De tout l'encens auquel tu peux prétendre ,
Je n'ai brulé pourtant qu'un petit grain.
Si cette offrande en mon coeur allumée
Eft fans éclat , elle eft auffi fans art ;
fumée ;
L'éclat fouvent ne produit que
A l'homme faux il fert fouvent de fard.
Le fentiment qui tient au fond de l'ame ,
En traits brillans n'exhale point fa flamme ;
Ea flatterie aflife fur fes bord's
Fait mieux jaillir fes éclairs au dehors:
Mais ne crains point qu'un faux hommage fouille.
De fes vapeurs ta gloire & notre encens ;
Auparavant il faut qu'on nous dépouille ,
Toi de vertus , & nous de fentimens.
On ne fait point parler la flatterie ,
Où tout éloge eft une vérité .
Sur un défaut fieď une draperie
1
OCTOBRE. 1759. 13
Mais en eft- il qui parent la beauté ?
Dans le concert de nos juftes hommages
Ton ſexe même a mêlé fes fuffrages :
Ce point furprend ; car ( foit dit entre nous }
De nos autels votre fexe jaloux
Aime à brifer les idoles du nôtre ;
Or uniffant pour toi feule leurs goûts ,
A te chérir ils s'animent l'un l'autre :
Tel eft le droit des qualités du coeur.
Partout , à tous , en tout temps elles plaifent ;
Rien ne réfiſte à ce charme vainqueur ,
Et devant lui les paffions fe tailent.
Un coeur bien fait , par une douce loi ,
Tend vers les coeurs , & les attire à foi.
"Ami de tous , il faut que chacun l'aime :
Il les unit , bientôt dans fon fyftême
Il les emporte , & parcourt avec eux
Un cercle d'or marqué de jours heureux.
Sur ce tableau faut-il que l'on s'étonne
Si chaque fexe à l'envi te couronne ?
Celle qui n'a que de vains agrémens
A fes genoux ne voit que des amans ;,
Et ces amans lui font mille rivales.
Mais à ta cour , ce font de vrais amis :
Ton fexe veut dans ce rang être admis ::
C'eft- là le fruit des vertus fociales..
L'amour jaloux , cet enfant du coup d'oeil ,
Unit deux coeurs ; il exclut tout le reste e
3317
14 MERCURE DE FRANCE.
Du bien commun il eft ainfi l'écueil .
Mais l'amitié ne peut être funefte ;
Fruit de l'eftime , elle eſt fans paffion .
Elle bannit la triſte jalouſie ;
Un coeur de plus n'en rompt pas l'union.
Puiffe le tien , ô refpectable amie ,
Fournir longtemps à mes fimples accords ...
Ah ! fi les Dieux m'accordoient une grace ,
Comme jadis au Chantre de la Thrace ;
J'irois vivant dans le féjour des morts
Aux yeux furpris du févère Monarque ,
Par mes accens émouvant fa pitié ,
Ravir tes jours au fuſeau de la parque ,
Pour en donner le foin à l'amitié.
VERS
SUR le portrait d'une jeune Dame à qui
l'Auteur confeilloit de fe faire peindre
en Flore , & qui voulut ſe faire peindre
en Pomone.
DEE Philis on fait le portrait ,
Qu'il fera beau s'il lui reffemble !
Que le Peintre qui l'aura fait
Aura d'honneur & de plaifir enſemble !
Mais comment peindra- t - il cet air- vif , gracieux ,
Cet air qui fit pafier Vénus pour la plus belle ?
OCTOBRE. 1759. 15
Amour , pour l'imiter , prends le pinceau d'Appelle
,
Et tâche encor de peindre mieux :
Tu feras trop heureux fi l'image eſt fidèle .
Pour affortir ce teint dont les vives couleurs
Font foupçonner quelque impofture ,
On auroit dû choifir la brillante parure
De l'aimable Reine des Fleurs .
Mais , Philis , vous êtes Pomone ,
Tout doit céder à fes defirs ,
Et nous allons voir les zéphirs
Quitter le Printems
pour
l'Automne .
EPITRE
A M. LE MARQUIS DE LA
Toi qu'on vit dans tes plus beaux jours-
Formé pour les jeux & la gloire ,.
Courir au champ de la victoire ,
Et fuivre le char des amours ;
Toi dont l'amitié fur mon ame:
Te donne un pouvoir abſolu ;
Fixe mon coeur irréfolu :
Sauve- moi la honte du blâme
D'avoir vu couler mon printems
Dans un amuſement frivole ,
Qui , par mes defirs inconftans ,
16 MERCURE DE FRANCE.
Avec rapidité s'envole .
Sur l'aîle légere du temps.
Veux- tu qu'abîmé dans l'étude ,
Et confumé par les travaux ,
>
J'aille au fond d'une folitude
Pâlir fur les Livres nouveaux
Dont Paris voit gémir la preffe ?
Mon coeur qui chérit la pareſſe
Renonce au titre de fçavant
Si dans le tombeau d'Euripide
Il faut m'enfermer tout vivant :
La gloire eft un aimable guide ,
Mais qui nous égare fouvent.
Quoi ! trifte élève de la Gréce ,
F'irois immoler ma jeuneſſe
A cet éclat frivole & vain
Que donne une auſtère ſageſſe ?
Et dans mon orgueilleuſe yvretle
Injufte , impérieux , hautain ,
Me perdre ou m'égarer fans ceffe
En éclairant le genre humain ?
L'homme eft comptable de fon être
Aux befoins de tous les égaux ;
Mais l'honneur le plus vrai peut-
Eft d'être fenfible à leurs maux ;
être
D'être leur frere , & non leur maître ,
Encor moins leur réformateur.
Eh ! qui dans le fiécle où nous fommes
OCTOBRE. 1759. 17
Eft affez lage entre les hommes
Pour en être le précepteur ?
Veux-tu qu'avide d'opulence ,
Calculateur aride & froid ,
J'aille , tout enflé d'infolence ,
Etouffer dans le cercle étroit
Des écoles de la Finance ?
Non qu'on me traite d'infenfé
Si , d'un regard de complaiſance,
Plutus , idole qu'on encenſe ,
Eft par moi jamais careflé :
Il me fuffit de l'humble aifance
Où la main des Dieux m'a placé.
Mais philofophe fans rudeſſe ,
Je ne fçais pas , en vérité ,
Pouffer fi loin l'austérité
Que ce faux Sage de la Gréce,
Cet Ariftide fi vanté s
Ainfi que l'aveugle richeffe
On doit craindre la pauvreté.
Veux-tu que dans l'art invente
Par un fage & fameux Centaure,
Taille , docteur plein de fierté ,
Des prêtres du Dieu d'Epidaure
Groffir le nombre accrédité
Par la foibleffe & l'ignorance ?
Comment dans ma fimplicité
18 MERCURE DE FRANCE.
Affecter avec arrogance
Leur impofante gravité ?
Je n'ai pas cet art néceffaire
Cette emphaſe , ces tours heureux
D'une éloquence populaire ,
Dont l'étalage faftueux
Fafcine les yeux du vulgaire.
Voudrois-tu qu'eſclave enchaîné
Par la beauté que j'i fo'âtre ,
Dans la province où je fuis né
Je fuffe en triomphe mené
Par cette fière Cleopâtre ?
Non du deftin le plus fâcheux
Mon horoſcope me menace :
Je crains d'occuper une place
Au rang des époux malheureux.
l'amour fur le modèle Mais que
De l'objet qui touche mon coeur ,
Me forme une beauté fidèle ,
Douce , modefte , naturelle ;
Et l'hymen fera mon vainqueur.
Veux-tu qu'au champ de l'éloquence,
Courant d'un pas précipité ,
Je défende avec fermeté
Les droits de la foible innocence ?
Aux devoirs de l'humanité
Il est beau d'employer la vie ,
1
OCTOBRE. 1759. 19
Et de répandte la clarté
Dans le de lale où l'équité
Par la chicane poursuivie ,
Réclame en vain la vérité.
Mais verrois- je d'un oeil tranquille
Du fourbe l'indigne fuccès ,
La perte injufte du procès
Ou de la veuve ou du pupille ?
Riant au fortir du palais
Frai-je avec mon adverfaire ,
Buvant de corfaire à corfaire ,
Applaudir aux tours qu'il m'a faits ?
Qu'un autre emporté par la gloire
Dont on couronne les héros ,
Suive le char de la victoire ;
Je veux être Achile à Syros.
Au puillant maître d'Uranie
>
J'offie mes voeux & mon encens :
Et fi quelquefois Polymnie
Daignoit , dans mes jeux innocens ,
Du féu de ton brillant génie
Echauffer mes foibles accens ,
J'oferois défier l'envie .
Le fage fait la mépriser:
Therfite ne fut qu'un reptile
Que la grandeur d'ame d'Achile
Dédaigna longtems d'écrafer.
Qu'un fougueux Zoile m'outrages
28 MERCURE DE FRANCE.
Que fa main lance avec éclat
Ses traits éguisés par la rage ;
La critique injufte d'un fat
Honore plus que fon fuffrage.
SYNONIMES FRANÇOIS.
Par M. l'Abbé ROUBAUD.
Senfible , tendre.
A fenfibilité tient plus à la fenfation ,
la tendreffe au fentiment : celle - ci a un
rapport plus direct aux tranfports d'une
ame qui s'élance vers les objets ; elle eſt
active . Celle- là a une relation plus marquée
aux impreffions que les objets font
fur l'ame ; elle eft paffive. On s'attache
un coeur fenfible ; le coeur tendre s'attache
lui-même.
La chaleur du fang nous porte à la tendreffe
, la délicateffe des organes entre
dans la fenfibilité : les jeunes gens feront
donc plus tendres que les vieillards , les
vieillards plus fenfibles que les jeunes
gens , les hommes peut -être plus tendres
que les femmes , les femmes plus fenfibles
que les hommes.
La tendreffe eft un foible , la fenfibi
OCTOBRE. 1759 . 21
1
lité une foibleffe : la premiere eft un état
de l'ame , la feconde n'en eft qu'une difpofition.
Le coeur tendre éprouve toujours
une forte d'inquiétude analogue à celle
de l'amour , lors même qu'il n'aime
point un tel objet en particulier ; le coeur
fenfible , quoiqu'ouvert pour ainfi dire de
tous les côtés à l'amour , eft calme &
tranquille tant qu'il ne reffent pas les atteintes
de cette paffion.
La fenfibilité nous oblige à veiller
autour de nous pour notre intérêt perfonnel
, la tendreffe nous engage à agir
pour l'intérêt des autres.
L'habitude d'aimer n'éteint point la
tendreffe : l'habitude de fentir émouffe la
fenfibilité .
L'homme fenfible eft fouvent d'un
commerce fort difficile ; il faut toujours
ménager fa délicateffe : l'homme tendre
eft d'une humeur affez égale , ou du moins
dans une difpofition toujours favorable ;
il veut toujours vous intéreffer & vous
plaire.
Le coeur fenfible ne fera pas méchant ,
car il ne pourroit frapper autrui fans fe
bleffer lui-même : le coeur tendre eft bon
puifque la tendreffe eft une fenfibilité
* Je prends le terme d'amour dans le fens géné
rique du verbe aimer, ...
22 MERCURE DE FRANCE.
1
agiffante je veux bien que le coeur fenfible
ne foit pas l'ennemi de l'humanité ,
mais je fens que le coeur tendre en eſt
l'ami.
Le fenfible eft affecté de tout ; il s'agite
le tendre n'eft affecté que de fon
objet , il y tend.
Le coeur fénfible eft compatiffant ; le
coeur tendre eft de plus bienfaifant . Il eft
peu d'ames affez dures pour n'être pas
touchées des malheurs d'autrui ; la plupart
ne font pas affez humaines pour en
être attendries. On plaint les malheureux ,
on ne les foulage guère. La fenfibilité
s'allie donc avec une eſpèce d'inhumanité
; & fi cela n'étoit pas , détourneroiton
fi- tôt les yeux de deffus l'infortuné
fouffrant ? iroit on fi vite en perdre l'idée
dans des diftractions frivoles ou même
agréables ? Vous l'avez vu avec émotion ,
vous en avez été affecté juſqu'aux larmes ;
& qu'importe ? vous pouviez le fecourir ,
vous ne l'avez pas fait. C'eſt à cet homme
qui peut-être d'un oeil fec , mais avec une
ardeur inquiéte , vole lui chercher des
remèdes à quelque prix que ce foit , revient
avec une ardeur impatiente les lui
appliquer , & ne ceffe de lui donner fes
foins que quand ils lui font inutiles ; c'eft
à cet homme que la nature a donné un
OCTOBRE. 1759. 23
coeur , un coeur tendre , c'eft lui que j'embrale
au nom de l'humanité .
Il eft aflez ordinaire de voir des gens
fe plaindre & fe blâmer d'être trop fenfibles
; c'eft un tour qu'ils prennent pour
vous dire , j'ai le coeur excellent . Je ne
décide point fi la fenfibilité eft un vice ,
comme le prétendoient les Stoïciens ; il
eft certain au moins que c'eſt en général
une qualité fort équivoque , & par conféquent
qu'elle n'eft pas toujours la marque
d'un coeur bien fait. Elle répondra
par exemple , aux fervices qu'on vous
rendra ; mais elle groffira les offenfes
que vous recevrez elle prendra part
aux maux d'autrui ; mais elle aggravera
le poids des vôtres. Parcourez ainfi
les différentes veines , vous y trouverez
avec de l'or un alliage bien impur :
cependant on lui fait grace , on lui
applaudit quelquefois. Pourquoi ? Parce
qu'elle eft voifine de plufieurs bonnes
qualités avec lesquelles elle eft fouvent
unie , & avec lefquelles on la confond
preſque toujours ; parce qu'elle n'offenſe
pas directement la fociété , & qu'elle eſt
directement oppofée à un des vices dont
la fociété s'offenfe le plus.
que
Le beau défaut celui d'être trop
tendre ! Avec ce défaut nous fermerons
24 MERCURE DE FRANCE.
:..
volontiers les yeux fur les défauts d'autrui
nous ferons attentifs fur nous-mêmes
pour nous corriger des nôtres . Nous
ferons officieux & reconnoiffans : nous
pardonnerons avec plaifir , nous ne nous
offenferons même pas , dès que nous aimerons
les hommes. Ah! que la nature
feroit ingrate fi le coeur qui l'honore le
plus n'étoit pas fait pour être heureux !
Suivant le principe d'attraction par
lequel la nature nous fait graviter les
uns vers les autres , les coeurs s'attirent
réciproquement en raifon de leur tendreffe.
Les ames tendres par excellence
font auprès du centre de la fociété : les
ames qui ne font que fenfibles en font
auffi éloignées que les ames infociables
font éloignées d'elles.
L'irréfalu & l'indécis.
On eft irréfolu dans les matières où
l'on fe détermine par goût, par fentiment.
On eft indécis dans celles où l'on fe décide
par raifon & après une difcuffion.
Une ame peu fenfible , peu élastique , indolente
& pufillanime , fera irréfolue. Un
efprit lent , timide & peu fubtil , fera
indécis. Dans l'irréfolution , l'ame a'eft
affectée d'aucun objet affez fortement
porter pour vers lui de préférence.
fe
Dans
OCTOBRE. 1759. 25
Dans l'indécifion , l'efprit ne voit dans
aucun objet des motifs affez puiffans pour
fixer fon choix.
L'indécis balance entre les différens
partis fans pancher vers l'un plus que
vers l'autre. L'irréfolu flotte d'un parti à
l'autre , fans s'arrêter définitivement à aucun.
L'irréfolu ne peut vaincre fon indifférence
; l'indécis n'ofe porter un jugement.
L'irréfolu héfite fur ce qu'il fera , l'indécis
fur ce qu'il doit faire .
L'irréfolu n'eft pas fait pour des profeffions
dans lesquelles on eft fréquemment
obligé de fe porter fubitement à
l'action & de partir , pour ainfi dire , de
la main , comme dans les armes. L'indécis
n'eft pas propre à réuffir dans tout ce
qui demande que l'on faffe fur le champ
des combinaifons rapides , & que l'on
juge fur le coup d'oeil & fur de fimples
probabilités comme dans les jeux de commerce
.
On eft quelquefois décidé fur la bonté
d'un parti fans être réfolu à le fuivre , &
quelquefois on eft réfolu à fuivre un parti
fans être décidé fur fa bonté .
Nous aimons la hardieffe de l'homme
réfolu , & nous plaignons l'irréfolu que
la pufillanimité inquiéte. Nous fommes
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
choqués de la vaine préfomption de
l'homme décidé , & nous méprifons l'indécis
qu'une puérile défiance de lui- même
arrête.
L'irréfolu aime qu'on le retire de fon
irréfolution ; il fent que c'eft foibleſſe ,
ilfe condamne: l'indécis réfifte au contraire
quand on veut le retirer de fon indécifion
, il la prend fouvent pour prudence ,
il s'en applaudit.
Il faut exciter , piquer , aiguillonner ,
entraîner l'irréfolu. Il faut éclairer , inf- ·
truire , preffer , convaincre l'indécis. Pour
déterminer l'indécis , il faut avoir de
l'autorité fur fon efprit. Pour déterminer
l'irréfolu , il faut avoir un certain empire
fur fon ame . Il eft plus difficile de
mener l'indécis que l'irréfolu : il feroit
peut -être moins aifé de corriger l'irréfolu
que l'indécis.
Le terme d'indécis peut être appliqué
aux chofes,mon fort eft indécis. L'épithéte
d'irréfolu ne convient qu'aux perfonnes.
Sauvage , farouche.
Nous avons appellé les mêmes animaux
fauvages de ce qu'ils habitoient dans les
bois ; farouches de ce qu'ils fuyoient à
notre approche. Nous appellons farouches
& fauvages des hommes qui par leur
OCTOBRE. 1759. 27
éloignement pour la fociété femblent
plûtôt faits pour vivre dans les bois qu'avec
leurs femblables.
On eft farouche par caractère , ſauvage
par défaut de culture .
Le farouche n'eft pas fociable ; le fauvage
n'eft pas focial : le premier ne ſe
plaît pas avec les hommes parce qu'il les
hait , le fecond parce qu'il ne les connoît
pas celui - là voit dans tous les
hommes des ennemis : celui- ci n'y a pas
encore vu fes femblables. Le farouche
épouvante la fociété ; le fauvage en a
peur.
:
Le fauvage n'eft qu'un être inculte ; le
farouche eft un être monftrueux. Ménagez
le fauvage , il deviendroit farouche ;
ne heurtez pas le farouche, il deviendroit
féroce.
Le farouche, avec une imagination ardente,
une ame dure & infléxible , ne voit
à travers fon humeur noire la fociété que
fous un jour odieux. Qu'il ait des vertus,
ou qu'il n'ait què des vices , il n'apperçoit
dans les hommes que leurs vices ; il
feroit fâché de leur trouver des vertus.
Le fauvage n'a pas un caractere déterminé
, parce qu'on n'eft pas fauvage par
un vice particulier de l'ame . En général
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
on peut dire qu'il eft craintif , timide ,
méfiant , &c. peut -être parce que les
hommes font tous naturellement tels .
L'homme fauvage eſt dans la fociété
comme un oifeau timide dans la voliere ;
il s'y apprivoife. L'homme farouche y eft
comme la bête féroce dans les fers ; il
s'en irrite .
Poliffez le fauvage : adouciffez le farouche.
Poliffez le fauvage , en le familiarifant
avec le monde : adouciffez le
farouche , en lui infinuant fubtilement
des fentimens plus favorables à l'humanité.
Pour engager le fauvage à vivre
avec les hommes , prenez les momens
où il s'ennuye de lui-même. Pour donner
au farouche meilleure opinion des hommes
, faififfez l'inftant où il jouit de leurs
bienfaits , & où il fent les avantages de
leur commerce.
Dès que le fauvage pourra tenir le
pied dans la fociété , il s'y jettera à corps
perdu . Ce ne fera qu'en s'y enfonçant
infenfiblement que le farquche parviendra
à la fupporter,
Les cruautés du fort & les injuſtices
des hommes peuvent nous rendre farouches
, quoique nous ne foyons pas
nés tels. Le malheur endurcit l'ame naturellement
fenfible , comme le feu durOCTOBRE.
1759 . 29
tit l'argile naturellement molle & friable.
Des plaifirs longtemps goûtés fans amertume
dans une folitude agréable , nous
rendront fauvages , quoique nous ne
fuffions pas tels dans la fociété. L'ame
qui par ce genre de vie s'eft fait une
exiſtence & un bonheur à part , fe trouve
enfuite étrangère dans le fyftême de la
fociété , comme
, comme la goutte d'eau cryftallifée
dans les veines d'un rocher , l'eft
devenue au ſyſtême des fluides.
Les peuples fauvages ne font pas tous
farouches : Seres , dit Pline , mites quidem,
fed & ipfis feris perfimiles , coetum reliquo-
Tum mortalium fugient. Il y a des peuples
farouches parmi les peuples policés .
L'air fauvage eft l'expreffion de la rudeffe
mêlée de furprife & de crainte.
Mettez à la place de la crainte une averfion
qui altère les traits du vifage jufqu'à
le rendre hideux , vous aurez l'air farouche.
і
віў
30 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE
A M. D'ALEM BERT,
SUR l'art de traduire..
NOTA. Cette favante differtation eft tirée en partie
d'une lettre écrite en italien par M. Carli , traducteur
d'Héliode .
J'AI 'A1 lû plus d'une fois , Monfieur , &
toujours avec un nouveau plaifir , la nouvelle
édition de vos Mélanges de littérature
: je ne fçais ce que je dois le plus
admirer dans vos écrits , ou le philofophe ,
où l'homme de lettres. Vous poffédez le
talent rare d'orner la philofophie , fans
l'énerver , des plus belles fleurs de la littérature
; vous ramenez celle- ci à fes
véritables principes & vous la nourriffez
des folides réflexions que la philofophie
vous fournit. Mon projet étoit de revenir
, après une premiere lecture , fur les
plus beaux morceaux de votre recueil. Il
m'est arrivé la même choſe , à peu - près
qu'à l'Abbé Fraguier ; j'en ai relu toutes
les pièces , comme il avoit fouligné tous
les vers d'Homère. Me voici pour la troifieme
fois à votre traduction de Tacite .
Je me promène avec délices dans cette
galerie de portraits & de tableaux , &
OCTOBRE. 1759. 31
Je prends plaifir à comparer le coloris de
deux grands peintres .
"
Cet ouvrage eft fait de main de maître .
Vous avez traduit Tacite , comme il auroit
écrit en François . Vous avez pénétré
dans les profondeurs de fes penfées ;
vous vous êtes enveloppé , pour ainfi dire,
de fon efprit & de fes connoiffances ; ou
pour parler plus jufte , vous ne vous êtes
pas travesti , vous n'êtes pas forti de votre
propre caractère , & voilà la ſource
de vos fuccès. En vain par un défintéreffement
unique dans un auteur , avezvous
prétendu affoiblir le mérite de votre
traduction , en affurant que Tacite eft
plus facile à traduire , par la raifon même
qu'il fous- entend beaucoup , & qu'il fait
penfer fon lecteur. Quiconque aura mis
la main à l'oeuvre , fentira la difficulté
que vous femblez diffimuler , & qui vraifemblablement
n'en a pas été une pour
vous. Quels efforts ne faut - il pas faire ,
ou quel génie & quelle connoiffance des
deux langues ne faut-il pas avoir , pour
donner à une copie cet air libre & facile ;
pour faifir ces expreffions , ces tours &
ces images ; pour trouver dans une langue
lâche & diffuſe cette heureuſe brièveté ,
qui feroient douter , fi on ne le fçavoit
d'avance , lequel du latin ou du françois
eft l'original ou la copie ?
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
Votre exemple , Monfieur , venge les
traducteurs de l'injuſtice qu'on leur fait.
Il réfute , fans réplique , l'erreur groffière
de ces auteurs médiocres ou jaloux qui
regardent l'art de traduire comme la
derniere reffource des feuls écrivains pri→
vés de génie , & incapables de prendre
l'effor d'eux- mêmes , dans des ouvrages
originaux .
Mais pourquoi ces demi - connoiffeurs
traitent- ils fi légérement les traducteurs ,
& font-ils fi peu de cas de leur travail ?
C'eft moins fans doute par vanité que
par ignorance ; c'eft moins pour élever
un trophée à leur propre gloire des dépouilles
qu'ils enlévent aux autres , que
par une fauffe idée du genre qu'ils méprifent.
Qu'ils effayent leurs propres forces
; qu'ils daignent, ces efprits fublimes,
s'abaiffer un moment à tranfplanter dans
leur langue des beautés étrangères , ils
fentiront alors tout le poids du fardeau
qu'ils fe feront impofé, &peut être ferontils
des efforts impuiffans pour réuffir dans
un genre qu'ils trouvoient fi facile & fi
méprifable.
Ut fibi quivis
Speret idem , fudet multum , fruftraque laboret
aufus idem . Hor.
La même erreur qui leur faifoit fi mal
OCTOBRE. 1759. 33
apprécier les traductions , les rend incapables
d'en faire de bonnes.
Les uns s'imaginent qu'il fuffit de traduire
librement , fans s'affujettir au ftyle
de fon auteur , & fans fe piquer de rendre
exactement toutes fes penfées ; les autres
font perfuadés qu'une verfion doit être
littérale , c'est-à-dire , qu'il faut rendre
tous les mots de fon original. Ils écrivent
d'après leurs principes ; & ils font fort
étonnés , quand ils examinent leur ou
vrage de fang froid , de ne trouver
qu'un mannequin , au lieu d'un modèle
vivant , qu'un fqueléte décharné , ou un
phantôme hideux , à la place d'un corps
plein de vie , de grace & d'embonpoint .
Ils ne fe doutent pas de la véritable difficulté
. Elle confifte , comme vous nous
l'apprenez , & dans la différence du génie
des langues & dans le caractère de
l'auteur original , qu'il faut faifir & peindre.
Qu'il me foit permis , Monfieur , de
vous fuivre un moment , & pardonnezmoi
quelques réflexions fur ces deux objets
, lorsque je devrois me borner à étu
dier les vôtres.
و د » Si les langues , dites -vous , en parlant
» de leur génie , fi les langues étoient
exactement formées les unes fur les
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
» autres , on auroit plus de traducteurs
» médiocres , & moins d'excellens.
Je crois , Monfieur , que fi les langues
étoient exactement formées les unes fur
les autres , l'art de traduire étant plus
facile , le nombre des traducteurs , & par
conféquent des traducteurs médiocres ,
augmenteroit à proportion de cette facilité
; mais je penfe auffi que les bons
feroient alors & plus parfaits & en plus
grand nombre , & que la médiocrité
même feroit plus fupportable qu'elle ne
l'eft dans l'état préfent des langues.
» Les premiers , ajoutez-vous , fe bor-
» neroient à une traduction fervilement
» littérale , & ne verroient rien au- delà ;
» les autres y voudroient de plus l'har-
» monie , l'agrément & la facilité du
ftyle.
Mais fi les langues étoient exactement
formées les unes fur les autres , la traduction
pourroit être littérale , fans paroître
fervile , & la facilité du ftyle pourroit
naître , à l'infçu même du traducteur ,
de la reffemblance des langues . D'un
autre côté , les bons écrivains auroient
bien moins de difficultés à vaincre , moins
de facrifices à faire à l'antipathie des langues
, fi j'ofe m'exprimer ainfi. La facilité
qu'ils auroient de rendre avec énergie le
OCTOBRE. 1759. 35
fens de l'original , leur permettroit de
diriger leur plus grande attention du côté
de l'harmonie & des graces du ſtyle ,
qu'ils négligent le plus fouvent, en faveur
de l'exacte reffemblance .
» Le traducteur , dans votre fuppofition,
auroit fans doute beſoin d'un grand
» difcernement pour diftinguer dans quel
» cas cette reffemblance devroit céder
» aux agrémens du ftyle , fans trop s'af-
» foiblir : » mais dans le cas préſent cette
fineffe de tact eft- elle moins néceffaire ?
& le traducteur ayant moins à perdre ,
n'eft-il pas obligé d'être plus attentif &
plus févère ? La traduction la plus littérale
affoiblit déjà beaucoup le fens de
l'original ; pour peu que ce copifle en
retranche encore pour ajouter à l'harmonie
& aux autres graces du ftyle , il ne
lui restera plus qu'une ombre de reffemblance.
J'aurai une belle figure , fi vous
voulez ; mais j'avois demandé un portrait
, & le but eft manqué : l'oreille eft
fatisfaite , mais la raifon murmure.
Voulez - vous , Monfieur , une preuve
affez fenfible de ce que j'avance ? confultez
, je vous prie , les traductions Italiennes
d'Annibal Caco , de Marchetti , & c.
vous y verrez à chaque pas des morceaux
rendus avec une préciſion une précifion rigoureuſe ,
B.vj
36 MERCURE DE FRANCE.
& cependant pleins de force , d'harmonie ;
& de facilité , quoique les traducteurs
fuffent affervis à la meſure du vers . Quelle
en eft la raifon ? c'eft que la langue Italienne
et plus exactement formée que
la
nôtre fur la Latine , & qu'elle a les inverfions
, les détails & les reffources de cette
dernière .
33
"
Vous convenez vous - même , Monfieur,
que l'impoffibilité où fe trouve le traducteur
de rendre fon original trait
» pour trait , lui laiffe une liberté dangereufe
; d'où il arrive que ne pouvant
donner à la copie une parfaite reffem-
» blance , il ne lui donne pas toute celle
qu'elle peut avoir. » En fuppofant au
contraire les langues plus analogues , il
n'aura plus de prétexte pour s'écarter de
fon original , il le fuivra pas- à pas , & fa
démarche n'en paroîtra ni moins libre ,
ni moins noble .
"
Je fçai , Monfieur , que la Lettre tue ,
& qu'il n'y a rien de plus infupportable
& même de plus ridicule , furtout dans
notre langue , qu'une traduction fervilement
littérale . Mais plus les langues font
difparates , plus ce vice eft choquant-
Suppofez au contraire le génie des langues
femblable ou peu différent , ce génie
s'oppofera moins à l'imitation ; un
OCTOBRE. 1759. 37
traducteur alors fera obligé de rendre ſa
traduction agréable , facile & nombreuſe,
fans trop affoiblir la reffemblance . D'ailleurs
je lui pardonnerois plutôt tout autre
défaut que celui de l'infidélité. Si c'eft un
Poëte qu'il traduit , je fuppoferai fort aifément
plus d'harmonie & de coloris dans
l'original mais comment fçaurai- je que
la pensée & le fens ont échappé au traducteur
? Qui me dira qu'il affoiblit ou
qu'il change , qu'il dépouille ou qu'il embellit
? Quand j'examine une bonne copie
d'un excellent tableau , je fuis perfuadé
de la fupériorité de celui ci ; je
pardonne au copifte de n'avoir pas rendu
l'efprit , la touche fiere & hardie , le coloris
même de l'original : mais je ferois
révolté s'il changeoit les attitudes , s'il
altéroit les airs de tête & les caractères ,
s'il affoibliffoit ou s'il exagéroit l'expreffion
. L'important eft de faifir la penſée
& le caractère de fon modèle . Le refte
eft un acceffoire qui eft fans doute trèsprécieux
; mais dans le cas où il faudroit
opter , je ne ferois pas embarraffé du
choix. C'eft furtout en traduifant les Anciens
qu'il faut s'attacher au fens , puifque
auffi bien on ne fçauroit rendre les
tours, reproduire les images , imiter l'harmonie
de fon auteur. Les traducteurs
38 MERCURE DE FRANCE.
-
des Anciens , dites vous , font jugés
» plus févèrement que les autres » ; il eſt
vrai mais je ne pense pas que ce foit
l'effet d'une deflinée bizarre , ni d'une
fuperftition favorable à l'antiquité. Je
crois tout fimplement qu'on ne paroît
plus difficile à leur égard que parce qu'ils
laiffent un plus grand intervalle entr'eux
& leurs modèles ; & cela ne leur arrive
que parce qu'ils s'exercent fur deux langues
plus différentes entr'elles que toutes
les langues modernes . Le lecteur net
les juge point fur les fineffes qui lui échap--
pent ainfi qu'à eux ; il les juge fur celles
qu'il fuppofe que le traducteur a peut- être
tout auffi bien fenties , mais qu'il a déſeſpéré
de pouvoir rendre.
Je penfe donc que fi nos langues
étoient exactement formées fur celles des
Anciens , il feroit beaucoup plus aiſé de
traduire leurs ouvrages ; que la principale
difficulté de la traduction ne vient pas de
la ftérilité de nos langues modernes , mais
de la différence de leur génie avec celuides
langues anciennes.
Une preuve , ou plutôt une conjecture
que je foumets à vos lumières , fortifie ce
fentiment. Ne feroit- il pas auffi difficile
de transporter un auteur françois en grec
ou en latin , que de traduire un auteur
OCTOBRE. 1759% 3
grec ou latin en françois ? Les deux langues
anciennes font fécondes , variées ,
pleines de force , d'agrément & d'harmonie.
Choififfez- en une , & fervez-vousen
pour traduire une oraiſon funébre de
Boffuet , ou une fable de la Fontaine ,
imiterez- vous la conftruction & la cadence
françoiſe ? Vous dénaturerez , vous
rendrez barbares les plus belles langues
que les hommes ayent parlées. Employerez-
vous le tour & l'inverfion grecque ou
latine ? les auteurs françois s'éclipſeront :
vous chercherez Boffuet & la Fontaine
dans leurs propres écrits . Le plan , l'or--
dre , le tiffu de l'ouvrage fera le même ;
les pensées même & les fentimens fubfifteront
encore , malgré la métamorphofe ;
mais leurs expreffions , leur coloris feront
bien altérés ; l'harmonie ne fera plus la
même ; la vie , l'ame & la phifionomie
de votre auteur difparoîtront ; vous le
mettrez à la torture , ici dépouillé , l'a
furchargé ; tantôt mutilé , tantôt allongé ;
toujours changé , toujours travefti
n'est plus lui que je vois , c'eft ſon fantôme
, & je ne le reconnois que parce
qu'il porte fon nom & fes titres écrits
fur le front. Tous ces défauts devront
être imputés , non au traducteur , mais à
l'art ; non à la pauvreté des langues in-
› ce
40 MERCURE DE FRANCE.
capables d'exprimer telle ou telle idée ;
mais à la différence de leur génie . Ce
génie confifte principalement dans la cadence
& l'harmonie , dans un certain
enchaînement de termes , dans certaines
expreffions qui donnent de l'éclat & du
relief à la penfée. Comme les mots font
différens, leur arrangement l'eft auffi dans
toutes les langues , d'où il réfulte une harmonie
, des tours & des images qui ne fe
reffemblent pas. Auffi chaque langue a fa
maniere particulière de s'exprimer ; fi
nous en empruntons quelqu'une qui ne
nous foit pas naturelle , nous voilà tranfformés
, nous voilà revêtus d'un habillement
étranger qui nous embarraffe &
qui change notre air , en gênant notre
démarche. Nous éprouvons cette contrainte
quand nous faifons du latin ;
nous cherchons des tours & des expreffions
qui nous fuyent ; nous courons
après des termes & nous laiffons échaper
la penfée. Auffi la plûpart de nos compofitions
latines font vuides de chofes &
pleines de mots. Que nous fommes à notre
aife , fi dégagés de ces entraves , nous
écrivons dans une langue que nous avons,
pour ainfi dire , fuccée avec le lait , &
que nous nous fommes rendue propre
par un long ufage ! Nous ajuftons fi bien
OCTOBRE. 1759
notre caractère au génie de la langue ,
& le caractère de la langue à notre génie,
que tous nos écrits ont , fi j'ofe le dire ,
la même phifionomie.
Chaque langue , il eft vrai , fe prête à
tous les ftyles ; mais je ne penſe pas
comme vous qu'elle s'y prêtent toutes
également. Elles ne font pas , & vous
l'avouez , également propres à exprimer
une même idée : or il eft certaines idées
affectées principalement à certains genres
d'ouvrages. D'où je conclus que les langues
ne font pas également propres à tous
les genres. Notre langue , par exemple ,
s'accommode- t - elle auffi - bien du genre
paftoral que les langues grecque & latine
? Elle dédaigne , par une fauffe délicateffe
, les chofes agreftes & les idées
qui leur font analogues . Elle n'a pas même
de termes pour les exprimer noblement.
Cette langue , fi fage d'ailleurs , reffemble
dans cette occafion ( fi je puis m'exprimer
ainfi ) à une petite maîtreffe ridicule &
fantafque ; fes mains foibles & délicates ,
accoutumées à manier l'aiguille ou la navette
, feroient bleffées par le feul attouchement
de la bêche ou du foc. Elle fouffre
les bergers , s'ils font des Céladons
& les agneaux s'ils font ornés de rubans ;
1
42 MERCURE DE FRANCE.
+
mais elle reculeroir à l'aspect d'un bouvier
& d'une vache. Elle ne fouffre , en un
mot , en pocfie , que les bergers galans
que Boucher a empruntés de Fontenelle
ou de l'opéra. Quelle différence pour
l'oreille entre le Boxoxos des grecs & notre
bouvier entre le mot vache & le
bucula des latins. Cette difette de mots
propres à exprimer agréablement les idées
ruftiques , tient aux moeurs de nos ancêtres.
Notre langue a été formée par
un peuple ignorant & barbare qui méprifoit
les arts en général , & plus que
les autres , celui de tous qui eft le plus
ancien & le plus utile à l'humanité ; par
un peuple qui n'attachoit une idée de
gloire & de nobleffe qu'au métier fanglant
de la guerre , & aux bruyans exercices,
des armes. C'eſt à la touchante fimplicité
de leurs moeurs antiques que les
Grecs & les Romains doivent cette foule
de mots agréables & fonores , qui expriment
avec grace les plus petits détails
de l'agriculture.
La fuite au Mercure prochain.
JoseMa
OCTOBRE. 1759 43
IMITATION de l'Ode d'Horace , Beatus
ille qui procul negotiis , &c .
НHIUEUREUX qui libre d'affaires ,
Tels que les premiers humains ,
Cultive en paix de ſes mains
L'héritage de fes pères ;
Qui fans dette & fans procès ,
Loin des camps & des naufrages ,
Préfère au bruit des palais
Le filence des boccages
Et les ombres des forêts !
Le travail & la nature
Embéliffent les côteaux;
Ilfe plaît fous ces berceaux
Où le pampre & la verdure
S'entrelaffent aux ormeaux :
Les vieux feps , les bois ftériles
Avec la faulx émondés ,
Sont par des greffes utiles
Rajeunis & fécondés .
Ici la rive fleurie
D'un vallon qui plaît aux yeux ,
Lui préfente au loin fes boeufs.
Mugiffant dans la prairie.
Là fur l'émail des gazons ,
44 MERCURE DE FRANCE 1
Couronné de violettes ,
Au bruit flatteur des muſettes ,
Il voit tondre les moutons :
Et quand l'abeille prudente
A confommé ſes travaux,
Il fait couler dans des pots
Cette gomme bienfaiſante ,
Ce miel pur , ces fucs flatteurs
Diftillés du fein des fleurs.
Cependant la riche automne ,
Le front paré de fruits murs ,
Conduit déja dans les murs
Le Dieu de l'Inde & Pomonė .
Quelle douce volupté
De cueillir un fruit qu'on aime!
De le prendre à l'arbre même
De la main qui l'a planté !
De voir ces pêches vermeilles ,
Ce raifin qui pend aux treilles ,
Et dont le beau coloris
Ternit l'éclat des rubis !
Il en offre les prémices
Aux Dieux des champs , aux Sylvains ,
Aux Divinités propices
Qui confervent les jardins.
S'il fe couche aux pieds d'un hêtre
Sur les bords d'un clair ruiffeau ,
Le murmure de cette eau
OCTOBRE. 1759.
45
Qui baigne un gazon champêtre ,
Le chant des oiſeaux heureux ,
L'air parfumé du zéphire ,
Tout enchante , tout infpire
Un repos délicieux.
Il n'a point d'inquiétude
Du ravage des hyvers;
Mille amuſemens divers
Vont charmer fa folitude.
Tantôt au fond des forêts
Il pourfuit un cerf timide ,
Et tantôt la grive avide
Vient fe prendre à ſes filets.
Aidé d'une meute agile ,
Au bruit éclatant du cor ,
Il attaque dans fon fort
- Un fanglier indocile .
La victoire fuit fes pas ,
Et malgre les noirs frimars
Le fpectacle de fa proie
Le délaffe entre les bras
Du fommeil & de la joie,
Dans ces plaifirs innocens
Quel eft l'amant miférable
Qui n'oubliât les tourmens
D'un amour fouvent coupable ?
Mais de la faveur des Cieux
Le don le plus précieux
MERCURE DE FRANCE.
Au coeur d'un mortel fenfible ,
Un don qui l'égale aux Dieux ,
C'eſt une épouſe paisible
Attachée à fon époux ,
Qui fe prêtant à les gouts
Ne s'occupe qu'à lui plaire ,
Dont l'oeil attentif éclaire
Son domaine & fes enfans.
Le foir au retour des champs ,
De ſes vaches engraillées
Les mammelles font preffées
Par les doigts laborieux.
Telles jadis des Sabines
Les moeurs fimples & divines ,
Charmoient nos premiers ayeux.
Fatigué de la journée ,
Dans fa maiſon fortunée ,
L'époux ramene ſes pas ;
Elle vole fur les traces ,
L'amour naif & les
graces
Renouvellent fes appas.
Sa tendreffe vigilante
A déja tout préparé ,
Le vin frais , le feu facré ,
Une table appétiffante ,
Des mêts dont un art trompeur
Ne corrompt point la douceur ;
Non les poules de Lybie
OCTOBRE. 1759. 47
Les turbots , & les fargets ,
Et ces oifeaux qu'à grand fraix
Nous tirons de l'Ionie ,
Et les huîtres de Lucrin ,
Et la chere délicate
Dont l'ufage qui nous flatte
N'eft qu'un uſage afſaſſin.
Tout ce luxe de nos villes
Ne vaut pas le tendre agneau
Qu'on immole aux jours tranquilles
De la fête du hameau ,
Nila chevrette ingenue
Arrachée aux dents du loup ,
Ni la pomme d'un beau chou ,
Ni la mauve ou la laitue
D'un fertile
potager,
Ou la poire bien choisie
Au moment qu'elle eſt murie
Sur un arbre du verger.
Cependant le foleil baiffe
Sous un horizon doré ,
Le jour fuit , le travail ceffe ,
Tout arrive , tout s'empreſſe
Autour d'un maître adoré.
Les valets & les bergeres
Ont enfermé les
troupeaux;
De ruftiques chalumeaux ,
Des jeux , des danſes légères
48 MERCURE DE FRANCE
Amuferont leur loifir
Jufqu'à l'heure du filence:
Telle eft la douce alliance
Du travail & du plaifir
Dans le fein de l'innocence.
Ainfi parloit Alphius ,
Ufurier le plus avare :
Son nouveau gout ſe déclare ,
C'en eft fait , il ne veut plus
Dans le tumulte des Villes
Paffer des jours inquiets ;
Les campagnes font tranquilles ,
J'y vivrai , dit -il , en paix ,
Le jour même avec courage
Il retire fon argent ,
Et flatté modeftement
D'être enfin heureux & fage ,
Il s'endort paisiblement.
A fon réveil il embraffe ,
Il calcule fes trésors ,
Et les remet fur la place
A des intérêts plus forts.
Par M. DE BORY , de l'Acad.
des Sciences , belles- lettres & arts de Lyon.
Jusqu'à
OCTOBRE. 1759.
49
Jusqu'à quel point les Sens influentils
dans les
Ouvrages de goût ?
LE
plaifir
entre dans
notre ame par
tous les fens , & les ouvrages de goût ,
dont le but eft de nous procurer du plaifir
, ne
réuffiffent que lorfqu'ils excitent
en nous des fenfations agréables & délicieufes
, foit que par leur vivacité elles
nous infpirent de charmans
tranſports ,
foit que par leur douceur elles nous plongent
dans une tendre
mélancolie , peutêtre
plus
charmante & plus
délicieufe encore.
Les fens influent donc
beaucoup
dans les
ouvrages de goût : mais tout fe
paffe- t-il dans notre ame en fenfations ?
n'eft- il pas des plaifirs qui
n'appartientiennent
qu'à l'efprit & que la raiſon ſeule
foit en état de goûter ?
L'éloquence &
la Poëfie
empruntent - elles tous leurs
charmes de la
fenfibilité de nos organes ?
En nous
donnant de
nouveaux fens , en
augmentant ou en diminuant la fenfibilité
de ceux que nous avons
aurions - nous
une autre
éloquence & une autre Poeſie ,
& ne nous reſteroit - il plus rien de celles
que nous
connoiffons & qui
exercent un
empire fi doux fur nos cours ? Fixons d'a-
II. Vol. * C
,
jo MERCURE DE FRANCE.
bord l'état de la queſtion , & retranchons
tout ce qui excède les bornes dans leſquelles
elle doit être renfermée .
L'homme eft compofé de deux fubftances
entiérement différentes par leur nature
: l'une eft fpirituelle , l'autre eft matérielle
& d'un ordre bien inférieur. C'eſt
la première qui penfe , qui réfléchit , qui
fent en nous. L'autre eft incapable de la
penfée & du fentiment : mais les mouvemens
, felon qu'ils font doux ou violens
excitent dans l'ame des fenfations délicieufes
ou défagréables , en confequence
de l'harmonie que le premier Etre a établie
dans l'union de ces deux principes.
En réfléchiffant fur nos fenfations & en
les combinant, nous avons formé une infinité
d'idées que nous n'avons acquifès
que par le fecours des fens , fi même toutes
nos idées ne naiſſent pas de nos fenfations.
*
L'efprit húmain a des bornes qu'il ne
peut point franchir. Nous ne fommes
pas capables d'une attention affez grande
pour pouvoir embraffer un objet vafte &
étendu dans fon enſemble & dans tous fes
détails . Toutes les vérités ne fe préfentent
pas à nous d'une manière nette & diftincte ;
ce n'eft que par des efforts pénibles que
nous parvenons à les enchaîner fucceffiveOCTOBRE.
1759 .
1
ment & à monter ainfi de l'uneà l'autre.
Il a donc fallu qu'on inventât des règles
pour nous conduire & nous aider dans la
recherche de la vérité , pour proportionner
l'étendue du fujet à notre foiblefe , &
le couper, pour ainfi dire , en des maffes que
nous pulfions embraffer. Il ne s'agit pas ici
de fçavoir fi en perfectionnant nos organes
nous pourrions devenir capables d'une
plus grande attention . Il n'y a que l'Etre
infini qui embraffe toutes les vérités à la
fois & fous tous leurs rapports poffibles.
Quelque perfection qu'on donne à nos
fens , nous ferons toujours des êtres finis ,
& nous aurons toujours befoin de nous
faire des règles proportionnées à la mefure
d'attention dont nous ferons capables .
Il ne s'agit pas non plus de fçavoir fi en
augmentant la fenfibilité de nos organes ,
nous pourrions avoir un plus grand nombre
d'idées & un fentiment plus vif &
plus délicat. Ne raifonnons pas fur les
cas poffibles. Examinons- nous dans l'état
où nous fommes aujourd'hui. Analyfons
les plaifirs que la Nature nous a donnés ,
& non pas ceux qu'elle auroit pú y ajou
rer encore. Ellayons de tirer une ligne entre
nos fenfations & nos idées , & de déterminer
quelle eft dans les matières de
goût la portion de plaifir que nous ne devons
qu'à nos fens. Cij
5.2. MERCURE DE FRANCE.
Qu'est - ce que le plaifir , quelles font
les caufes qui le font naître , & comment
opèrent - elles en nous ? Le plaifir eft fait
pour être fenti ; on ne peut le décrire
exactement ; mais il femble qu'on peut
en nommer les cauſes.
Lorfque nos fens font effleurés avec délicateffe
, ces agitations légères excitent
dans notre ame des fenfations agréables ;
lorfqu'une vérité nouvelle vient briller à
nos yeux , nous fentons , pour ainfi dire ,
notre être s'élever & s'aggrandir ; lorfque
des fentimens vertueux viennent nous affecter
, fi notre coeur les goûte & s'y
abandonne , je ne fçais quelle douce émotion
nous agite alors. Dans tous ces cas
nous fommes avertis de notre exiſtence
d'une manière agréable ; nous jouiffons de
notre ame & nous defirons en jouir encore
voilà l'état de plaifir . Lorfque des
idées effrayantes ou des tableaux affreux
viennent jetter la terreur dans notre ame ;
lorfque des fentimens criminels y entrent
fuivis du trouble & des remords ; lorfque
l'agitation violente de nos organes nous
fait éprouver des fenfations cruelles , notre
ame n'eft avertie de fon exiſtence que
par les maux qu'elle fent : voilà l'état de
peine & de douleur.
Lorfque le feu des paffions commence
OCTOBRE. 1759. 53.
s'éteindre ; lorfque les organes ont perdu
leur première fenfibilité , & qu'il ne
refte plus à l'homme qu'un efprit qui n'a
pas été exercé à penfer , un coeur flétri &
une ame amollie par des plaifirs pris fans
meſure , rien alors ne l'avertit plus du fentiment
de fon exiftence ; il fent , pour
ainfi dire , une certaine difficulté d'être ;
les dégoûts s'emparent de lui & répandent
leur amertume fur toute la vie : voilà l'état
d'ennui . Etat malheureux qui tient le
milieu entre le plaifir & la douleur , &
qu'éprouvent prefque toujours dans le retour
de l'âge les hommes puiffans , qui
abufant de leurs richeffes , ont négligé
d'orner & d'embellir leur ame , & n'ont
occupé leur jeuneffe que du foin de fatisfaire
leurs fens .
Nos plaifirs font donc , pour ainfi dire ,
tout faits,& la Nature nous les offre fans
ceffe d'une main libérale : mais nous les
avons abandonnés pour courir après des
chimères & des illufions , qui ne nous enchantent
que lorfqu'elles fuyent devant
nous , & dont le charme difparoît áu
moment que nous les embraffons. C'eft
aux fentimens & aux plaifirs de la Nature
que les ouvrages de goût cherchent à nous
ramener ; c'eſt à ce but que tendent tous .
leurs efforts .
Cij
54 MERCURE DE FRANCE.
>
C
On peut diftinguer dans l'homme quatre
fources du plaifir. Il y a des plaifirs qui
appartiennent à l'efprit feul ; il y en a qui
appartiennent au coeur ; il y en a qui dépendent
de l'imagination & d'autres
qui ne dépendent que de l'émotion des
fens . Quand je dis l'efprit , le coeur , l'imagination
, on entend bien que je ne
parle que de la même ame , dont les
mouvemens font confidérés fous différens
rapports. Ainfi on pourroit dire plus
exactement que nous n'avons que deux
fortes de plaifirs ; les uns qui appartiennent
à l'ame , & les autres qui font attachés
à la douce , à la délicate , à la tendre
agitation de nos organes.
Dans les ouvrages qui ont pour objet
des recherches profondes , où l'efprit creufant
dans des abîmes n'en tire la verité
qu'avec peine & avec effort , l'ordre des
raifonnemens , la clarté & l'enchaînement
heureux des idées font les feuls ornemens
qu'il foit permis d'employer. C'est l'efprit
qui parle à l'efprit. L'ame a befoin de re--
cueillir toutes fes forces. Laiffez - la feule
& à elle - même , fon attention partagée
feroit affoiblie ; les charmes du ſtyle ne
feroient propres qu'à la diftraire. Ne lui
préfentez pas de nouveaux objets à confidérer
; vous rallentitiez l'ardeur de fa
marche.
OCTOBRE. 1759. S $
Lorfque les vérités qu'on propofe font
moins difficiles à faifir , on peut les parer
de quelques ornemens étrangers . Quand
elles feront ainfi embellies , elles trouveront
moins de difficulté à entrer dans le
coeur de la plupart des hommes. En général,
moins l'efprit fera fortement occupé ,
plus on pourra chercher à flatter l'imagi
nation & à émouvoir les fens , parcequ'alors
l'ame pourra fe tourner de plufieurs
côtés à la fois , & que fes mouvemens
étant moins vifs , elle pourra en recevoir
plufieurs en même temps.
Dans les ouvrages de pur agrément, qui
ne contiennent que des idées légères , au
milieu defquelles l'efprit voltige avec
vivacité , ou fe balance avec grace , ou
qui renferment des peintures naïves de ces
paffions que tous les hommes ont fenties ,
'ame n'étant que foiblement attachée ,
on peut le livrer à toute l'ardeur & à tout
le feu de fon imagination ; c'est alors
qu'elle doit prodiguer fes richeffes , femer
des fleurs , orner & embellir tout ce
qu'elle touche.
La force , la nobleffe , l'élévation des
penfées font indépendantes de l'émotion
de nos fens. Il n'appartient qu'à l'efprit
feul d'en connoître les beautés & d'en
fentir les charmes. Elles lui impriment
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
un certain caractère de grandeur ; & du
fein de la matière où il eft comme obfcurci,
elles le ramènent à la pureté & à l'éclat
de fon origine , & lui rappellent l'idée de
fá propre excellence. Les plaifirs que nous
fentons alors font tout entiers dans la
raifon ; elle feule eft en état de les
goûter.
Lorfque notre ame ne s'eft point rendue
efclave des fens , elle éprouve auffi
tous les jours une infinité de fentimens ,
que les mouvemens de la matière ne peuvent
point faire naître. La clémence
d'Augufte , la vertu du jeune Hyppolite
toujours conftante & jamais démentie ,
au milieu des maux & des perfécutions
injuftes qu'elle lui attire ; le retour & les
regrets de Rhadamiſte déteftant fes premières
fureurs ; l'attendriffement de Mérope
ou d'Idamé fur le fort de fon fils ,
font des fentimens éclairés & bien differens
de ces mouvemens aveugles qui no
dépendent que de la fenfibilite des organes
& des impreffions faites fur les fens.
L'imagination eft cette puiffance de
l'ame qui ajoute des images à nos pen .
fées & qui donne des couleurs à nos fenti
mens. Elle leur prête , pour ainfi dire , un
corps aux uns & aux autres & nous les offre
fous des traits fenfibles . Elle leur donne du
OCTOBRE. 1759 57 .
mouvement , de la chaleur & de la vie.
Elle emprunte les figures de tous les objets
qui frappent nos yeux , pour les en revêtir.
Elle les unit, les fépare , les fait choquer
ou contrafter Elle les ordonne , elle
les difpofe & règle leur marche. Tantôt
elle les ferre & les précipite avec force &
avec violence ; tantôt elle les laiffe s'érendre
& les fait couler avec lenteur & majefté.
Elle les fait faillir avec vivacité , ou
les enchaîne avec grace. Elle les approche
lorfqu'ils demandent à être vas de près.
Elle les éloigne lorfque l'effet en eft plus
agréable à une certaine diſtance. Quelque
fois elle nous les découvre tout entiers ,.
elle nous en montre toutes les faces , &
elle y répand une lumière douce , uniforme
& toujours la même ; quelquefois elle
met un des côtés dans l'ombre afin de
rendre la lumière des autres plus vive &
plus brillante & de lui donner plus de jeu..
La fuite au Mercure prochain .
NOTA. La Pièce fuivante eft facilement veffiée
, il y a même des chofes très - heureufement
rendues; mais la profe de M. de Voltaire perite
Toujours à être traduite,no mu
CV
58 MERCURE DE FRANCE.
DAMON ,
O U
LE SAGE INSENSE.
CONTE moral tiré de M. de Voltaire,
DAMON ΑΜΟΝ conçur un jour le projet infenté
De vivre en Philofophe , & d'être vraînent Sage :
Il eſt peu de Mortels dans ce monde volage
A qui pareil projet dans l'efprit n'ait paffè.)
Pour gouter , fe dit- il , un bonheur fans partage ,
Il faut avoir le coeur exempt de paffions ,
Ou du moins infenfible à leurs impreſſions :
Je l'aurai ; ce n'eft pas un fi pénible ouvrage.
Pour les femmes jamais je ne prendrai d'amour ,
Car en voyant une Beauté parfaite ,
Je me dirai , ces traits le faneront un jours
Et par là je rendrai mon ame fatisfaite.
En vain je me verrai tenté
Par le jeu , par le vin , on par la bonne chere ,
Par la féduction de la fociété ,
Je fuirai tout excès. Sobre fans être auſtère ,
Je jouirai toujours d'une égale fanté.
Il faut aufli fonger à ma fortune :
En vivant fans defirs & fans ambition ,
Sans briguer des honneurs dont l'éclat importune,
OCTOBRE. 1759. $9
J'ai des biens fuffifans pour ma condition .
J'ai des dettes : mais quoi ? mon banquier eſt folvable
,
Mon Fermier de beaucoup m'eft encor re levable ,
J'ai des amis d'ailleurs , je puis compter far eux :
D'aucune trahiſon , mon coeur ne les ſoupçonne :
Je n'aurai point d'humeur ; en n'enviant perfonne
Je n'aurai jamais d'envieux ;
Mais je fuirai furtout la Cour & les fâcheux.
Damon fur ce plan de fageffe
Avoit ainfi réglé le cours de fes momens ,
Et croyoit s'épargner bien d'ennuyeux tourmens,
Pour diffiper un refte de trifteffe
Il fort ; c'étoit vers le matin du jour :
Il apperçoit deux femmes dans la rue :
L'une déjà fur le retour
Etoit négligemment vêtue
L'autre paroiffoit trifte , inquiéte, abattue
Mais malgré les foupirs , fes pleurs & fes regrets ,
Sa jedneffe , un air fimple , une grace ingénue
Tout enfin relevoit l'éclat de fes attraits :
Notre Sage auffi -tôt fentit fon ame émue
En la voyant ; non que de fa beauté
Ses yeux fuffent furpris , & fon coeur enchanté :
Il eût rougi d'une telle foibleffe .
་ ་
Mais n'ofant la laiffer en proie à fes douleurs
Il l'aborde , à deffein d'apprendre les malheurs ,
Et pour la confoler enfuite avec fageffe,
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
Cette belle à ſes maux voyant qu'il s'intéreffe
Lui dit qu'un certain oncle en ufe avec rigueur
Pour lui ravir des biens dont elle étoit maîtreffe.
و ر
» Pour foulager , dit- elle , mes ennuis ' via
» Votre confeil , Monfieur , me feroit néceſſaire.
» Chez moi fi vous veniez examiner l'affaire
>> Vous pourriez m'épargner l'embarras où je fuis.
Charmé d'obliger cette belle
Damon n'hésite point à la faivre chez elle
Pour la confeiller fagement.
On l'introduit dans un appartement
Meublé fans art , mais où l'air qu'on refpire
Plonge le coeur dans ce tendre délire
Préfage heureux d'un doux enchantement.
Au récit des malheurs d'un objet plein de charmes.
Un coeur fenfible aifément s'attendrit.
A confoler la Dame , à calmer fes allarmes ,
Damon employa tant d'efprit ,
1
Qu'enfin elle cefla de répandre des larmes :
Ses yeux , dont la douleur avoit terni l'éclat
Brillèrent à l'inftant d'une clarté nouvelle.
Notre Sage dans cet état
La trouva mille fois plus belle.
Aux attraits de la volupté
Son ame plus longtemps he put être rebelle 3
11 tombe à fes genoux de plaifir tranſporté,
Et lui jurë en tremblant une ardeur éternelle.
Damon le cruz au comble du bonheur
*
OCTOBRE. 1759. 6г
Quand il vit que l'aveu de fa naiffante flâme ,
Bien loin de déplaire à la Dame,
Sembloit avoir porté le trouble dans fon coeur.
La converfation devint mêine affez vive.
Tout alloit bien , lorſqu'enfin l'oncle arrive.
On jage quel étoit cet oncle en queſtion.
Il entre furieux & s'adreffe à Damon ,
( Qu'il furprit fagement aux genoux de la belle. )
» Pour réparer l'affront fait à mon nom
» Choiſis , dit- il , de t'unir avec elle ,
>> Ou d'expirer fous le bâton.
Le Philofophe étoit un peu poltron :
Il eut trouvé bientôt une relfource
pour le tirer d'un pas auffi gliffant.
On en vouloit moins à lui qu'à fa bourſe
Il l'offrit on parut balancer un inſtanc
On lui fit grace enfin d'ascepter fon argent
>
Et notre amoureux Philofophea
Se trouva même encor trop heureux én fortant
De n'avoir effuyé que cette catastrophe.
Damon rentroit chez lui confus , triſte , acca
blé .....
9
Par un Billet qu'il trouve à dîner on l'invites
» Quand je m'enfermerai , dit-il , comme m
» hermite ,
» J'aurai toujours l'efprit troublé
>> De mon avanture maudite.
Je ne mangerai point : je m'en trouverai mat
T
L
62 MERCURE DE FRANCE.
>>Je puis chez mes amis prendre un repas frugal ;
> Et j'oublirai chez eux le chagrin qui m'agite.
Il vole au rendez-vous . On le trouve rêveur.
Le vin réjouit l'ame , & diffipe l'humeur ;
Ainfi penfoit Damon ; Damon boit , il s'enyvre.
Aux plaiſirs de la table on fait trève un moment ,
On jcue. Un jeu réglé n'est qu'un délaffement ,
Le Sage s'en amuſe , & l'infenfé s'y livre.
Il joue , & perd prefque dans un inftant
Jufqu'à fa dernière piſtole ,
Et le quadruple encor fur la parole.
Damon ne comptoit point fur cet événement.
L'humeur s'en mêle , on difpure , on s'échauffe;
Damon à fon ami donne un démenti net ;
Celui-cifurieux d'une telle apostrophe ,
Lui jette à la tête un cornet ,
Et crêve un ceil au Philofophe ,
Le fage Damon tentre au logis fans témoins ,
Yvre, fans une obole , avec un oeil de moins.
Pour comble de malheur , dans ce jour qu'il dé
reste ,
Il apprend en rentrant que la foudre ou la peſte
A pour jamais ruiné fon Fermier ;
Qu'il eft venu chez lui maint & maint créancier
Et qu'un Banquier ( feul efpoir qui lui reſte )
A dans une faillite enveloppé fon bien.
Ainfi Damon ſe vit par un revers funefteside
Le matin riche , & le foir n'ayant Fien
OCTOBRE. 1759. 63
Tant de maux imprévus lui tournent la cervelle :
Dans fon défaftre affreux enfin il fe rappelle
Qu'il lui reste à la Cour un puiffant protecteur ,
Digne par les talens de toute fa faveur ;
Un mortel, en un mot , que le Prince idolâtre.
Damon pour lui parler fe préfente chez lui
Un Mémoire à la main , & fur l'oeil un emplâtre ;
Il parvient à le voir ; mais quel furcroît d'ennui
Quand après le récit de fon fort déplorable,
» On lui répond , içi que venez-vous chercher ?
›› Mes bienfaits ne font point pour un mortel
» coupable ,
» Qui ne fait fes plaiſirs que du jeu , de la table :
Que les femmes , le vin , ant ſeuls droit de tou
>>> cher :
» Allez , & déformais cellez de m'approcher.
Damon fortoit outré de colere & de ragey
Lorfqu'en traverfant un ſalon ,
Quelques Dames exprès lui bouchant le paffage ,
A l'oreille tout haut fe difoient « c'eſt Damon :
» Mais il avoit jadis deux yeux à ſon vilage,
>> Difoit Fune ? Ab l'horreur ! hélas ! c'est biens
» dommage,
» Diſoit l'autre , il eſt borgne : ah le pauvre
" garçon !
C
Damon s'échappe enfin déteftant fon guignon,
A peine fon malheur cft- il fçu dans la Ville,
Des Records, des Huiffers démeublent fa mailop ;
64 MERCURE DE FRANCE.
Lui-même n'excitant qu'une pitié ſtérile
Se voit traîner bientôt , fans biens & fans afyle ,
Dans les cachots obfcurs d'une étroite prifon .
(
Là navré de trifteffe , & baigné dans les larmes ,
Etendu fur la paille , & la mort dans le coeur ,
Le fommeil lefurprit. Mais un fonge flateur
Pour un moment du moins ſuſpendit ſes allarines.
Il vit un efprit radieux
Qui traversant les airs auprès de lui s'arrêtes
Six aîles qu'il portoit s'étendoient jufqu'aux Cieux,
Mais il n'avoit ni pieds ni tête,
Ne reffembloit à rien. Que me veux- tu démon ,
Lui dit notre affligé ? Je ſuis ton bon génie ,
Lui répond l'autre. Eh bien rends-moi donc›, je
te prie ,
Ma ſageſſe , mon oeil , mes biens & ma maiſon ,
Reprit le prifonnier ; la fortune ennemie
A
M'a fait perdre en un jour tour , juſqu'à la
: raifon .
Enfuite il lui conta les malheurs de fa vie.
Nous n'éprouvons jamais ces maux dans ma patrie,
Lui dit l'Esprit aîlé . Quoi , s'écria Damon ,
Vous n'avez point chez vous de friponnes trai
treffes .
Qui de vos bourſes foient l'écueil ?
Point d'intimes amis à frivoles careffes
Qui gagnent votre argent & vous crêvent un oeil .
Point de Banquiers qui pillent vos richeffese
OCTOBRE. 1759 . 65
Point de ces Protecteurs qui par un fot orgueil
Vous accablent d'impoliteſſes !
Non rien de tout cela dit l'Etre aërien.
Chezn ous l'égalité fait notre unique bien.
Chacun de nous dans ce vafte hémisphère
Veille fur les mortels confiés à fes foins .
Nous prévenons leurs fotiles ; du moins
Nous les empêchons d'en trop faire
Quand de leurs actions nous fomines les témoins.
Ah , Monſeigneur ! en ce cas votre alteffe
La nuit paffée auroit bien dû venir ,
( Reprit alors Damon avec trifteffe , )
Pour empêcher la mienne , ou pour la prévenir.
J'étois alors auprès de ton malheureux frere .
Plus à plaindre que toi , dit l'habitant des Cieux ,
Efclave d'un Bacha cruel & fanguinaire ;
On l'empale demain par fon ordre févere
→ Pour avoir fur fa fille ofé jetter les yeux.
Mais monfeigneur le démon tutelaire
Dequoi fervez-vous donc , dit Damon en colère ,
Si vous n'empêchez pas qu'on ne foit malheu
reux ?
Ceffe de redouter un avenir funeſte .
Tes malheurs finiront , reprit l'Etre célefte : -
Tu feras toujours borgne : à cela près tes jours
Couleront deformais dans un pailible cours .
Mais renonce au projet , ridicule à ton âge ,
D'être vraîment heureux , & parfaitement lage.
66. MERCURE DE FRANCE.
LETTRE à Mademoiselle D. P.***
fur l'étude de l'Hiftoire.
LOR ' on m'a dit , Mademoifelle , que
vous aviez pour l'Hiftoire autant de goût
que les perfonnes de votre âge en ont en
général pour les Romans , & que votre
efprit , dont la folidité fe manifeftoit par
un amour vif pour tous les ouvrages qui
exigent de la réflexion , donnoit tout
lieu de croire que vous feriez un jour
honneur à votre fexe. La connoiffance
des différens peuples excite votre curiofité
, vous portez avec plaifir vos regards
fur tout les habitans de notre globe , c'eſt
dans l'Hiftoire que vous voulez étudier
le coeur & l'efprit humain , connoître
l'homme de tous les temps & de tous
les pays. Quelque pénible que foit cette.
étude par la continuité d'attention qu'elle
exige , la pénétration de votre efprit applanira
toutes les difficultés , la méditation
vous deviendra facile , l'habitude
vous la rendra même néceffaire . Vous
avez raifon d'avoir recours à l'Hiftoire
pour puifer les connoiffances que vous
voulez acquérir , en n'étudiant que vos
voifins , vos découvertes feroient très -fau--
OCTOBRE. 1759. 67
tives , ee feroit juger d'un tableau dont
vous ne verriez que la plus petite partie .
L'étude de l'Hiftoire me paroît d'autant
plus effentielle qu'elle eft le feul moyen
que nous ayons de connoître les différentes
nations qui nous environnent , nations
qui pour la plupart ne nous reffemblent
que par les mêmes befoins primitifs
& naturels , & par la raifon qui nous
infpire à tous l'amour de la vertu &
& l'horreur du vice , mais qui à tout autre
égard n'ont prefque rien de commun
avec nous. Cette étude fi importante eft
cependant négligée dans les endroits
mêmes deftinés à l'inftruction de la jeuneffe
:un jeune homme , étranger , pour
ainsi dire , parmi fes concitoyens , ignore
entiérement qu'il eft au- delà de l'Europe
des peuples nombreux & différens les
uns des autres ; il connoît imparfaitement
quelques nations Européennes dont il a
étudié les ouvrages , & il eft neuf fur tout
le refte ; mais vous avez fenti , Mademoifelle
, de quelle importance il eft de
connoître les moeurs , les loix & les
ufages des peuples ; vous les jugez
tous également dignes de votre attention
& de votre curiofité ? Notre terre
femblable à un point dans l'Univers
entier , vous a paru mériter les regards
68 MERCURE DE FRANCE.
de tout être raisonnable qui l'habite , &
qui ne veut point vivre ifolé parmi fes
femblables effectivement fi nous admirons
tous les jours des campagnes
riantes , de vaſtes prairies qui forment
un tapis de verdure ; fi nous voyons avec
étonnement des montagnes & des rochers
dont le fommet femble fe perdre dans
les nues , & qui entrouvrant leur fein
vomiffent des fleuves qui roulent leurs
eaux rapides d'un bout du monde à l'autre
; fi nous arrêtons nos regards fur le
nombre prefque infini d'infectes que nous
trouvons fous nos pas , à combien plus
forte raifon devons-nous voir avec furprife
cette variété finguliere d'hommes
dont la connoiffance nous touche de trop.
près pour nous être indifférente ? Familiarifée
avec les peuples les plus éloignés ,
vous ferez Citoyenne de l'Univers , vous
verrez difparoître ces préjugés nationaux
qui nous font fouvent regarder comme
ftupides & méprifables des peuples qui ,
à bien des égards , font plus eftimables
que nous ; les ufages , les vêtemens différens
des vôtres , ne vous paroîtront
plus ridicules & bizarres ; vous ne direz
pas avec ces hommes qui , concentrés au
dedans d'eux - mêmes ne connoiffent
les peuples lointains que par les richeffes.
>
OCTOBRE. 1759. 69
qu'on leur en apporte. Ah ! qu'il eftfingulier
d'être Perfan !
ود
Il me femble auffi que l'Hiftoire eft
une des chofes qui font les plus capables
d'infpirer l'amour de la vertu & l'horreur
du vice. Les couleurs avec lefquelles
un habile Hiftorien peint l'une & l'autre ,
excitent dans notre ame des impreffions
vives qui nous rendent la vertu aimable
& le vice odieux. » L'efprit , dit M. Bur-
»lamaqui , fe plaît à voir ou à entendre
» des traits d'équité , de bonne foi , d'hu-
»manité & de bénéficence : le coeur en
» eft touché & attendri : en les lifant
» dans l'Hiftoire on les admire & on loue
» le bonheur d'un fiècle , d'une nation ,
» d'une famille où de fi beaux exemples
»fe rencontrent ; mais pour les exemples
» du crime on ne peut ni les voir ni en
» entendre parler fans mépris & fans indignation.
" Qui eft- ce qui ne fent pas
du goût pour la vertu en lifant l'Hiftoire
d'Henri le Grand ? Qui eft- ce qui n'a pas
l'ame attendrie en voyant ce bon Roi
gémir fur la fatale néceffité où il fe
trouvoit de répandre le fang de fes fujets
, & retirer des bras de la mort une
Ville ingrate qui le méconnoiffoit &
juroit fa perte ? Peut-on s'empêcher de
répandre des larmes en voyant ce Pere
ور
70 MERCURE DE FRANCE.
de la Patrie alfaffiné au milieu de fes Sujets
dont il méditoit le bonheur ? Quelle
horreur n'a- t- on pas pour le vice en lifant
l'Hiftoire de Cromwel ? Sa fourberie , fa
diffimulation , fes violences , fes meurtres
ne donnent- ils pas de l'averfion pour le
crime ? Quel eft le Lecteur qui applaudiffe
à fes cruautés à moins qu'il ne foit luimême
un monftre accoutumé aux forfaits?
L'Hiftoire des grands hommes fécondera
en vous le germe de toutes les vertus , cous
les peuples vous feront égaux ; il ſuffica
d'être jufte & bon pour avoir un accès
favorable auprès de vous : les matheureux
de quelque nation qu'ils foient
trouveront chez vous des fecours auffi
prompts que dans leur Patrie : confidérant
la terre d'un point de vûe fort élevé,
elle ne vous paroîtra plus qu'une feute
Ville dont tous les hommes font les habitans
: vous aurez une ame vraiment
cofmopolite , & l'humanité a toujours éré
la vertu chérie des grands hommes : les
réflexions qu'il font fur le genre humain
le rendent à leurs veux digne de commifération
; leurs actions font toujours marquées
au coin de l'indulgence : mais ne
confondons point avec les hommes vraimeus
grands ces deftructeurs du genre
humain , ces fléaux de l'humanité , ces
OCTOBRE. 1759 . 71
>>
"}
hommes qui , pour ainfi dire , avides du
fang de leurs femblables , ne cherchent
que l'occafion de le répandre , plus pour
fatisfaire leur paffion que par amour de
la Patrie. » Ces politiques & ces Conqué-
» rans , dit un célebre Auteur , ne font
" que d'illuftres méchans ; c'eft à celui
qui domine fur les efprits par la force
» de la vérité , non à ceux qui font des
efclaves par violence , c'eft à celui qui
» connoît l'Univers , non à ceux qui le
défigurent que nous devons nos refpects.
Mais il y a , Mademoiselle , plufieurs
précautions à prendre en lifant l'Hif
toire ; précautions effentielles pour qui
veut s'iuftruire plutôt que s'amufer ; car
celui qui ne cherche dans l'étude de
'Hiftoire qu'un fimple délaffement , &
qui ne réfléchit point fur les différens
événemens qui paffent rapidement fous
fes yeux , n'en retire qu'un foible avantage
; mais celui qui lit en Philofophe
étudie l'homme en étudiant fes moeurs :
il ne faut point adopter indifféremment
tout Hiftorien , il faut connoître leur caractere
, l'élevation de leur efprit , le
temps où ils vivoient , s'ils pouvoient
dire la vérité , ou s'ils étoient obligés de
la taire l'efprit de parti empêche un
Hiftorien d'être jufte & exact ; on voit
72 MERCURE DE FRANCE.
toujours dans fes écrits une haine & une
animofité marquée contre les ennemis de
ce parti : il faut donc chercher un Hiftorien
impartial qui ait affez de courage
pour blamer le vice partout où il fe trouve
& donner des louanges à la vertu : comme
il en eft peu qui apportent dans leurs
écrits cette exactitude effentielle , vous
devez toujours être en garde contre
une crédulité aveugle & un pyroniſme
outré prefque auffi dangereux l'un que
l'autre , ils dégradent la raiſon , ils mettent
un obstacle invincible aux progrès
de l'efprit humain. Souvenez-vous que
la vérité eft prefque toujours enveloppée
de nuages épais que le Lecteur judicieux
doit écarter pour la découvrir . Heureux ,
Mademoifelle, ceux qui comme vous préferent
les Lettres à de puériles amuſemens
dont vous vous mocquez à un
âge où ils pourroient vous être encore
pardonnables ; votre efprit délivré de
mille préjugés prefque inféparables de la
foibleffe de votre fexe , fera le bouclier fur
lequel viendront s'émouffer les traits fatyrques
de l'envie qui vous pourfuivra à
proportion des éloges que vous méritez .
J'ai l'honneur d'être & c . J. C. D.
OCTOBRE. 1759 .
73
LE mot de l'Enigme du Mercure précédent
eft Soulier d'homme . Le mot du
Logogryphe françois eft Birloir , dans lequel
on trouve loir ( fouris ) , Loiré ( ria
vière ) , loi , Roi , bol , & or. Celui du
Logogryphe latin eft Palea , dans lequel
on trouve alea , lea , ea , & ala.
JE
ENIGM E.
E fuis le frere de mon pere :
Aux monftres des forêts d'abord abandonné ,
J'en fus préfervé par ma mere :
Et reçu dans ſon ſein bientôt je lui donnai
Un enfant, à la fois & mon fils & mon frere ,
Qui doit lui-même , s'il proſpere ,
Rendre à fon tour fécond le fein dont il eft né .

LOGO GRYPHE.
Mas cinq pieds pris de fuite & fans les defunir,
D'un projet infenſé te font reſſouvenir.
Ote-moi le premier ; victime de l'envie ,
Le plus vil inftrument me priva de la vie :
Ote encor le ſecond ; les profanes mortels
II. Vol. Ꭰ
74 MERCURE DE FRANCE.
Ont jadis encenſé mes fragiles autels.
Et quoiqu'un peu vieilli , l'on me met en uſage
Lorſque d'un bel objet on veut peindre l'image,
LOGOGRYPHUS,
Si quid I quid dat pars prima mei , pars altera rodit.
PRIM
ALTER.
RIMUM tolle pedem ; tibi jam fint omnia fauſtą ;
Inverfum , quid fint dicere nemo poteſt.
CHANSON.
Sur l'air : Qui veut paffer l'eau,
Je reçois dans mon bateau,
D U hameau c'étoit la fête ,
Vénus , on chantoit ton fils.
Chaque berger bien épris
Répétoit fur la mufette :
Amour, Amour , fous tes lois ,
Tous les bergers font des Rois,
Dans ces boccages champêtres ,
Belles , fuivez vos vainqueurs ;
OCTOBRE. 1759.
75
Tracez en lettres de fleurs
Sur l'écorce de nos hêtres :
Amour , Amour , fous tes Lois ,
Tous les bergers font des Rois.
Tircis , à la fleur de l'âge ,
N'a nì brebis , ni moutons.
Lifette aime fes chanfons,
Il n'en veut pas davantage.
Amour , Amour , &c.
Un Créfus
fexagénaire
Pour Églé prodigue l'or ;
Mais Silvandre eft fon tréfor :
Elle eft riche de lui plaire.
Amour , Amour , & c. ,
Colin n'a qu'une muſette ,
Deux moutons , un jeune oiſeau :
S'il a le coeur d'Ifabeau ,
Voilà la fortune faite.
Amour , Amour , & c.
Par M. POINSINET.
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE II
NOUVELLES LITTERAIRES.
EXTRAIT des Lettres Portugaifes , en
vers , par Madlle d'OL. ***
TOUT OUT le monde connoît les Lettres
Portugaifes en profe , dont celles- ci font
une imitation. Quel que foit l'Auteur qui
les a vérfifiées , il écrit avec beaucoup d'élégance
& de nobleffe ; fa vérfification eft
facile & nombreuſe ; mais quoique tout
refpire dans cette imitation l'amour le
plus tendre & le plus paffionné , la copie
n'a pas encore la chaleur de l'original ;
l'intérêt y eft affóibli à chaque inftant
par des longueurs que la gêne du vers
afouvent occafionnées.
L'Auteur , qui femble avoir fait une
Etude affidue des ouvrages de Racine ,
a pû voir avec quel art ce grand maître ,
en obfervant les paffages , les nuances ,
les gradations du fentiment , fçait varier
les mouvemens de la nature , & comme
il évite dans leur progreffion tout ce qui
peut la ralentir.
OCTOBRE . 1759 . 77
Le fujet de ces Lettres eft l'amour & la
douleur d'une Amante abandonnée . C'eſt
à fon Amant qu'elle écrit.
Quoi ! ces yeux enchanteurs , ces yeux remplis
de flâme ' ,
Ne m'exprimoient donc pas le trouble de ton
** ame ?
Les miens errans , craintifs , & conten's tour- àtour
,
Ne virent dans les tiens , cruel , que mon amour.
Aujourd'hui languiffans , ils ont perdu leur charmes
:
Eteints , prefqu'effacés , ils n'ont plus que des
larmes :
Sans deffein.. fans efpoir . au comble du malheur..
La cauſe m'en eft chere , & j'aime ma douleur,
Je vais Y fuccomber. Ma carriere eft finie ,
Je ne m'en plain trai pas , je t'ai donné ma vie ;
Expirante , j'envoie après toi mes foupirs ,
Mon crime & mes remords , l'erreur de mes defirs .
Sa raison lui reproche fes égaremens &
fa foibleffe pour un ingrat. Elle tâche de
le juftifier ; mais elle retombe dans le
défefpoir : & le fouvenir de fon bonheur
paffé , ce fouvenir qui lui eft cher encore ,
ne fait que renouveller fes peines.
Le renais pour fouffrir en revivant pour toi ,
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
Et ces maux fi cruels ont un charme pour moi,
Voilà de tant d'amour l'unique récompenfe...
N'importe... Je t'adore en perdant l'efpérance.
Souvent je veux te fuivre en mes emportemens ,
Je veux te rappeller tes perfides fermens ,
Je veux tout hazarder , je veux me fatisfaire ,
Te chercher , te trouver , te troubler ou te plaire ;
Honneur , vertu , raifon , je perds tout en un jour,
Je n'ai plus que mon coeur , mes pleurs & mon
amour.
Le plaifir de lui écrire fufpend & charme
fa douleur.
Que l'amour aifément foutient le déſeſpoir !
Je crois en t'écrivant te parler & te voir.
Elle lui reproche fa féduction .
A peine j'exiftois avant de te connoître ;
Pour me faire languir tu m'avois donné l'être.
J'étois tranquille alors ; j'euffe ignoré l'amour.
Pourquoi venir troubler un paifible féjour ?
Je vivois fans plaifirs , fans projets , fans allarmes.
Ne me ranimois-tu que pour verfer des larmes ?
Elle finit par s'en prendre au deftin ,
& tâche de croire qu'il l'aime encore.
Adieu ... rappelle- moi tes premieres ardeurs ,
Dûtcette image encore augmenter mes malheurs,
OCTOBRE. 1759. 79
Une tempête a empêché fon Amant
d'aborder en France , c'eft l'occafion de
fa feconde Lettre. Elle lui reproche de ne
l'en avoir pas inftruite lui-même : mais
fon indifférence , fon oubli , ne peuvent
la guérir.
Mon amour , malgré toi , fçaura me raſſurer.
Tu ne peux m'empêcher d'aimer & d'eſpérer .
Elle l'invite à fe juftifier.
Qu'il te feroit aifé de trouver une excuſe !
Tu n'as qu'à le vouloir... Moi-même je m'abuſe.
J'invente des raifons que tu ne cherches pas.
Elle fe rappelle encore les foins qu'il
prenoit de lui plaire , & le bonheur qu'ils
ont gouté ; mais quels en ont été les fruits?
Un fouvenir amer , de cruelles allarmes ,
L'image du paffé pour moi trop plein de charmes,
La certitude enfin du plus funefte fort ,
La honte & l'abandon , la douleur & la mort.
Je te dois des plaifirs que je conçois à peine ,
Mais auffi je te dois une eſpérance vaine.
Le fouvenir conftant de ces cruels plaifirs
Eternife en mon coeur mes malheureux defirs.
L'excès de fon amour & de fa foibleffe
l'a perdue.
Si , pour te mieux connoître & pour me raffurer ,
J'avois mis mon étude à te défeſpérer ,
Div
80 MERCURE DE FRANCE.
Si j'avois repouffé le charine qui m'entraîne ,
En voulant ellayer d'appelantir ta chaîne ,
De tes chagrins paffés tu m'aurois dû punir ;
Mais ton départ ... ô Ciel ! l'ai- je dû prévenir ?
Sans défiance & fans crainte elle lui
abandonnoit fon ame..
L'amour me déroboit fon funeſte poiſon ,
Je bravois l'avenir , je perdois la raiſon ;
J'étois d'un nouveau trait à chaque inſtant bleſſée.
Il falloit arrêter cette ardeur infenſée.
Que fefois- tu , cruel , de mes emportemens ?
Ton orgueil jouiffoit déjà de mes tourmens.
La France eft la patrie de cet amant
infidèle , & pour elle il a quitté Lisbonne;
mais , lui dit fon amante éperdue ,
Ton Prince , tes parens , ta gloire , ta patrie ,
Te font- ils plus qu'à moi mon honneur & ma vie?
Tu m'as tout enlevé , mes crimes font les tiens.
Tes devoirs étoient - ils plus facrés que les miens?
Ma douleur attendrit l'ame la plus auftère.
Qui fçait ma paffion la plaint & la révère.
Es tu feul infenfible à tant de maux ? .. Hélas !
Tu méprifes mes pleurs autant que mes appas.
Quand je veux me flatter , quand je relis ta lettre,
Une douleur nouvelle en mon ame pénètre ;
OCTOBRE. 1759.
Je crois te voir lafé d'un foible fouvenir ,
M'écrivant par honneur & preſſé de finir .
L'autre jour , de mes maux l'unique confidente ,
Hors de ces triftes murs me conduifit mourante ;
Le hafard nous mena vers ces lieux fortunés ,
Aujour l'hui pour jamais aux larmes deſtinés ,
Où la première fois tu t'off is à ma vûe ;
Alors de mon malheur parcourant l'étendue ,
Je fentis mon efpoir s'éteindre & s'allumer :
Je crus recommencer à te perdre , à t'aimer.
Je cherchois à graver plus avant dans mon ame
Tous les évènemens de ma funefte flâme ;
Je rappellois tes torts , tes promeffes , mes droits ;:
J'aurois voulu fentir tous mes maux à la fois ,
J'ai même defiré ... Le deftin me ravale
Au point de fouhaiter d'avoir une rivale.
Je verrois des raifons du moins pour m'oublier
Je pourrois effayer de te juftifier....
Je pourrois me flater qu'une nouvelle flâme
Ne m'a point effacée encore de ton ame ;
Qu'une heureuſe rivale en m'arrachant ton coeur,
Ne pourra t'empêcher de fentir mon malheur...
Mais peut-être qu'une autre , infenfible ou cruelle,
Et te connoiffant mieux , & plus maîtreffe d'elle
T'accable de mépris... Soumis à fes rigueurs ,
Trahis - tu fans remords tes fermens & més pleurs ?
Je ne m'arrête point à quelques incorrections
, à quelques vers foibles & né-
#
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
gligés que l'Auteur a dû appercevoir en
relifant fon ouvrage ; mais le point fur
lequel j'infifte , c'eft le défaut de gradation
, de filiation dans les fentimens. La
nature , même dans le trouble , obferve
une certaine marche : un tel mouvement
en amène un autre ; & l'art du Poëte
confifte à obferver dans leur génération
l'ordre qu'obferve la nature . It ſemble
d'abord ridicule de prétendre qu'il y ais
une méthode , un plan à fuivre dans
une Lettre paffionnée , & cepandant rien
n'eft plus certain. Mais c'eft peu de la
froide fpéculation de l'efprit pour imiter
& peindre le tumulte des paffions ; il faut
Pentoufiafme du génie , la pleine illufion
d'une ame fenfible , vivement émue , &
pénétrée de fon objet.
EXTRAIT du Mémoire fur la maniere
la plus fimple & la plus füre de rappeller
les noyés à la vie : annoncé dans
le premier Mercure d'Octobre.
SANS compter les dangers inſéparables
de la navigation , le bain public eſt une
efpéce de fléau par les accidens qu'il occafionne
. Les fleuves qui arrofent nos
OCTOBRE. 1759 . 83
villes reffemblent à ces monftres de la
fable , auxquels on devoit tous. les ans
un tribut de victimes humaines. Mais
dans le nombre des noyés dont on défefpere
trop fouvent , il en eft en qui les
fonctions de la vie ne font que fufpendues
fous les apparences de la mort , &
qui ne périffent en effet que par un abandon
précipité , ou par des fecours mal
entendus. L'Académie de Befançon a été
infpirée par l'humanité même lorfqu'elle
a donné pour fujet du prix de cette année
, le moyen de les rappeller à la vie.
M. Ifnard , dont le Mémoire a été couronné
, s'eft propofé deux objets : 1 ° . de
faire fentir combien les fecours qu'on
eft dans l'ufage d'adminiftrer aux malheureux
qu'on a retirés de l'eau, font pernicieux
ou inutiles ; 2° . d'en propofer de
plus efficaces.
Il examine d'abord quelle eft la cauſe
de la mort des noyés.
M. Louis , Chirurgien célébre , a démontré
que l'eau qui entre dans les ponmons
& qui en chaffe l'air , eft la caufe
de leur dilatation & de la mort qui en
elt la fuite. Les expériences qu'il a faites
ne laiffent aucun doute là- deſſus ; & l'art
des plongeurs en eft une nouvelle preuve.
La grande inſpiration que fait le plon-
D vj
of MERCURE DE FRANCE.
geur avant que de fe précipiter dans l'eau,
retient le fang à l'entrée de l'artère pulmonaire
: & à mesure qu'il laiffe échapper
l'air qui gonfloit les bronches ( ou
canaux de l'air dans les poumons ) le fang
pénètre dans la fubftance du poumon par
les ramifications de l'artère. Il faut donc
une nouvelle infpiration pour faire paffer
ce fang dans la veine pulmonaire , qui le
conduit au coeur. De -là vient que le plongeur
eft obligé de revenir fur l'eau infpirer
un nouvel air. S'il infpiroit pendant
fon immerſion , il eft évident qu'il infpireroit
de l'eau , & qu'elle pénétreroit par
les mêmes canaux qui portent l'air dans
le poumon. C'eft précisément ce qui arrive
à ceux qui fe noyent. Ainfi leur fang
ne ceffe de circuler qu'au défaut du nouvel
air , pour le pouffer dans la veine
pulmonaire & pour le conduire au coeur.

Aprés avoir établi la véritable caufe
qui fait périr les noyés , M. Ifnard cherche
les moyens de rappeller à la vie ceux en
qui les fonctions n'en font que fufpendues.
Les fecours que l'on peut leur
» donner , dit-il , ne tendent 1 °°.. qu'à
» rétablir la chaleur naturelle & la circu-
» lation arrêtée ? 2 ° . qu'à débarraffer la
poitrine & le cerveau du fang dont ils
font engorgés ; 3 ° . à vuider les bronches
» du fluide qui a été inſpiré,
7
OCTOBRE. 1759. &5
Tous les moyens qu'on eft dans l'ufage
d'employer en Europe, comme parmi les
nations barbares, pour arriver à fes fins ,
leur font directement oppofés . Il s'agit
de rétablir la circulation en réchauffant
Je malheureux que l'on vient de retirer
de l'eau , & on le laiffe étendu fur le
rivage , fouvent tout nud , expofé à l'air
froid. Si l'on tâche de le réchauffer , c'eſt
en le préfentant à un feu exceſſif qui
opère une rarefaction fubite des liqueurs
plus dangereufe peut- être que leur ftagnation
ou repos accidentel.
Dans la vue de vuider la capacité de
l'eftomac d'une abondance d'eau qui n'y
eft point , on fecoue , on agite le noyé ,
on le fufpend par les pieds , on le berne ,
on lui donne la torture dans un tonneau
défoncé. Si par ces mouvemens violens
& déréglés on vient à ranimer la circulation
du fang , ces fituations forcées
ces fecours cruels, ne font- ils pas , dit M.
Inard , plus propres à furcharger le cerveau
qu'à le débarraffer ?
On a cru fauffement , ajoute- t- il , que
les noyés meurent pour avoir avalé une
une grande quantité d'eau ; & pour obvier
à un mal imaginaire , on travaille à
leur procurer réellement la mort , en
voulant les en préferver.M.Louis a obſervés
86 MERCURE DE FRANCE.
qu'il n'entre pas plus d'eau dans l'eſtomac
d'un noyé , que dans celui d'un homme
altéré qui en boit beaucoup.
On a fuppofé que les noyés mouroient
apoplectiques de - là l'ufage vulgaire de
les agiter violemment , de leur verfer dans
la bouche des liqueurs fpiritueufes , & c.
M. Louis a réprouvé tous ces moyens :
cependant les liqueurs fpiritueufes dans
la bouche des noyés peuvent fervir , dit
M. Ifnard , comme les fternutatoires à
ranimer les organes.
>
M. Louis , qui confeille les fternutatoires
veut auffi qu'on ſouffle un air
chaud dans la bouche , en pinçant les
narines. Il recommande les frictions faites
avec des linges chauds fur toute l'habitude
du corps , & il ordonne les émétiques ,
après qu'on eft parvenu à avoir quelque
figne de vie , & que les organes ont repris
leurs fonctions. Il a obfervé que la
faignée du pied a été tentée inutilement :
il n'en eft pas ainfi de celle de la jugulaire.
M. le Baron de Haller , dont le nom
eft auffi célèbre en médecine qu'en pocfie,
affure que cette faignée eft très - propre à
rétablir la circulation fufpendue dans les
noyés.
L'irritation caufée dans les inteftins
OCTOBRE. 17597 87
par la chaleur & la fumée fimulante du
tabac , peut concourir au fuccès de la
faignée de la jugulaire. On peut , dit
M. Ifnard , fe fervir dans un cas preffant
d'une pipe , ou d'un chalumeau , pour
fouffler dans le corps la fumée qu'on
tirera d'une pipe allumée ; & quand le
fouffleur fera las , ou dégouté , fubftituer
à la fumée un fuppofitoire de tabac du
Brezil.
Pour éviter l'inconvénient du dégoût ,
M. Louis confeille d'employer un inftrument
plus commode & plus utile que la
pipe. Cet inftrument a été décrit par
Thomas Bartholin , & perfectionné par
M. Mufchenbroeck. M. Ifnard en donne
la figure à la fin de fon Mémoire. Cet
inftrument eft compofé de quatre pieces :
1. d'une boète d'yvoire ou de bois ,
doublée de fer blanc , où l'on brûle le
tabac , & qui eft percée à ſa bafe : 2°. d'un
tuyau qui fert d'un couvercle à cette
boete , ayant dans fa partie fupérieure
une embouchure femblable à celle d'une
trompette , & à fon col un robinet ou
foupape , pour interrompre quand on
veur la communication entre la bocte &
l'embouchure : 3 ° . d'un tuyau de cuir
fléxible , entouré d'un fil de léton en
fpirale , qui par une extrémité s'applique
88 MERCURE DE FRANCE.
à l'orifice inférieur de la boëte où eft le
tabac ; & par l'autre bout , à l'orifice latéral
de la canule : 4° . de cette canule
qui , dans fa partie fupérieure , n'a d'autre
ouverture que l'orifice latéral auquel
s'adapte le tuyau de cuir , mais qui ,
vers l'extrémité qui doit être infinuée ,
eſt percée de plufieurs trous dans fa circonférence
, à- peu- près comme une flûte,
fans toutefois être percée au bout.
T
6
Si j'ai bien décrit cet inftrument , l'on
conçoit qu'en foufflant par l'embouchure
du couvercle , on pouffe la fumée du
tabac dans le tuyau de cuir , & de- là
dans la canule , qui la porte dans les inteftins
, fans aucun dégout pour celui qui
fouffle.
: Cette méthode , & celle de la faignée
à la jugulaire , ont eu des effets miracu
feux. M. Ifnard en cite des exemples .
Un matelot fut précipité dans la mer
par un coup de vent. Il fut fubmergé , il
perdit le mouvement & la connoiffance ;
il étoit pourtant revenu vers la ſurface
de l'eau , la tête en bas , le corps plié ,
& ne paroiffant que par le dos . On le
retira de la mer , & on le ramena à bord
fans beaucoup d'efpoir de le fauver. Cependant
on l'enveloppa dans des peaux
de moutons écorchés dans le moment.
OCTOBRE. 1759% 89
cette chaleur naturelle le ranima peu-àpeu
à l'aide de la faignée de la jugulaire ,
des vomitifs , & de la fumée du tabac
qu'on lui infinua dans les inteftins , la
circulation fe rétablit , & il fut rapellé à
la vie par ces fecours.
Un mouffe qu'on avoit ranimé par le
même traitement , une heure après avoir
été tiré de l'eau , étoit affez revenu à lui
même pour pouvoir avaler de l'eau tiéde
avec de l'huile d'olive , qui le fit beaucoup
vomir ; après cela des lavemens
firent tout l'effet qu'on pouvoit défirer.
Il ne put cependant articuler quelques
paroles que fix heures après qu'il eut éré
tiré de l'eau , fans fe reffouvenir de ce
qui lui étoit arrivé , ayant la fièvre & un
affoupiffement lethargique qui détermina
à le faigner plufieurs fois. Le lendemain.
on le fit purger , après quoi il parut être
bien ; la fièvre s'étoit calmée jufqu'au
fixieme jour , qu'elle le reprit de même
que l'affoupiffement , ce qui obligea de
le faire encore faigner du bras , enfuite
à la jugulaire , & deux jours après on le
fit repurger ; de forte qu'il s'eft bien trouvé
, & fans aucun accident , le douzieme
jour. Voilà un traitement fuivi qui peut
fervir d'exemple & de guide.
Hrefte , dit M. Ifnard , à dégorger les
90 MERCURE DE FRANCE .
bronches du poumon. Le noyé rapellé à
la vie a encore la refpiration gênée . On
l'excitera à vomir , en lui introduifant à
diverfes repriſes dans l'ofophage une
plume avec les barbes , & employant les
potions émétifées , l'oximel fcillitique, & c.
dirigés fuivant les cas par la prudence
des gens de l'art.
L'uſage fi abfurde & fi commun de fufpendre
les noyés par les pieds , eft inutile
& pernicieux dans tous les cas. La méthode
la plus douce & la plus fimple de
procurer l'évacuation des eaux , eft celle
dont fe fervit M. du Molin , Médecin de
Cluni , pour rappeller à la vie une fille
noyée ; ce fut de l'envelopper dans une
couche , de quatre doigts d'épaiffeur , de
cendres chaudes qui n'avoient point ſervi
à la leffive . M. du Molin a rendu raiſon de
ce phénomène. La chaleur des cendres &
leurs fels pénétrans en font la double
caufe ; & de tous les fecours qu'on peut
adminiftrer aux noyés , celui- ci eft peutêtre
le plus falutaire : au défaut des cendres
, le fable des rivietes , & furtout
celui de la mer , échauffé par l'ardeur du
foleil , peut fervir efficacement ; fi le fable
eft trop brûlant , il eft aifé d'en tempérer
la chaleur ; & s'il eft froid , on a prefque
par tout le moyen de l'échauffer. M. du
OCTOBRE. 1759. 21¹
Molin a publié depuis peu , qu'on peut
fuppléer aux cendres des végétaux par
celles du charbon de pierre , des terres
bitumineufes , des fientes defféchées , &
furtout par le fel marin réduit en poudre,
qui doit effectivement agir avec plus de
vivacité .
Enfin M. Ifnard recommande , comme
le premier foin qu'on doit avoir , de dépouiller
le noyé de tous fes habits , de
l'envelopper le plutôt qu'on peut de bonnes
couvertures , & à leur défaut , dit il ,
les affiftans peuvent y fuppléer en ſe dépouillant
eux-mêmes d'une partie de leurs
vêtemens , pour effuyer & revêtir promptement
le noyé. Cet habit , cette chemiſe
encore animée de la chaleur naturelle
d'un homme en fanté , font le fecours le
plus effentiel & le plus décifif pour la vie
de ce malheureux ils donnent le temps
de le tranfporter , fi l'éloignement de
l'habitation n'eft pas grand. Et quel homme
feroit affez barbare pour lui refufer
ce fecours ? Un gobelet de vin tiéde eft
le cordial le plus fimple & le plus aifé à
trouver. Si le noyé ne peut pas encore
avaler ce vin , le picotement qu'il excitera
dans la bouche pourra le ranimer peuàpeu.
:
Voici comment M. Ifnard réfume luimême
fon Mémoire.
92 MERCURE DE FRANCE.
Le bain de cendres , dans des lieux habités
, & le bain de fable au dégré de la
chaleur animale , fi c'eft dans les lieux
déferts ; les peaux de moutons , fi c'eft
dans de longs voyages , & en pleine mer,
où l'on n'auroit ni cendres , ni fable ; &
la fumée du tabac inférée dans les inteftins
; les potions expectorantes après
la faignée de la jugulaire , qui aura rétabli
la circulation ; & les autres petits fecours
que nous avons indiqués , font les
moyens les plus fûrs , les plus fimples &
fes plus efficaces pour conferver tous lés
ans des millions de citoyens .
L'objet important de ce Mémoire m'a
engagé à en donner un extrait détaillé.
Le Mercure eft un livre populaire , &
c'eft aux chofes qui intéreffent le peuple
que je dois toute mon attention .
LETTRE fur l'éducation par rapport
aux langues. Annoncé dans le Mercure
de Septembre.
LEE projet propofé dans cette Lettre
me paroît fage & bien conçu . L'Auteur
part de ces vérités reconnues : que les
enfans perdent beaucoup de temps dans
OCTOBRE. 1759. 93
les collèges à mal apprendre le latin ,
& que l'étude des langues vivantes leur
feroit au moins auffi utile que l'étude
des langues mortes. Le moyen d'augmen...
ter les avantages de l'éducation publique , ..
feroit donc , dit- il , qu'au lieu d'em-..
ployer des dix ou douze années dans
و د
» une feule Académie , on paffât fucceffi-
» vement dans fix colléges où l'on enfeigneroit
autant de langues . »
"
Le premier feroit le collège latin. Lesenfans
y entreroient à l'age de fept ans , «
& n'y refteroient que deux années . De là:
on pafferoit au collège italien , de l'italien
à l'efpagnol , de celui- ci à l'anglois ; &
le cours d'étude finiroit par le collége
de Philofophie. L'Auteur n'exige que
deux années dans chacun de ces colléges
; & il prouve par bien des exemples
qu'on peut apprendre une langue en
deux ans. Il eft certain qu'en fuppofant
de la part des maîtres nne bonne méthode
& une extrême application , c'en
feroit affez , pour le plus grand nombre
des élèves.
Ce projet , dit l'Auteur , n'attaque
» ni les préjugés de la nation , ni la forme
» du gouvernement ; il eft fimple dans
»fon principe , intéreffant dans fon ob94
MERCURE DE FRANCE.
» jet , fûr dans fa fin , & facile dans fon
» exécution .
» On compte à Paris douze colléges
» de plein exercice. De ces colléges il
» y en a fix où l'on compte à peine par
» chaque claffe dix écoliers. Le feul
» moyen de les repeupler feroit de les
» deſtiner à l'interprétation des différentes
langues ; les revenus en font fon-
» dés fans aucun profit pour la patrie ;
» qu'on les applique à cette fin , & ces
» Académies deviendront fuffifantes par
» le concours d'élèves que les parens
» enverroient de toutes parts.
» Il en a beaucoup coûté à Richelieu
»pour faire conftruire la Sorbonne , &
» davantage à Mazarin pour fonder un
» feul collège , & lui faire porter fon
» nom ; il n'en coûteroit rien au Miniſtre
qui préfenteroit cette nouvelle deſtination
de fix colléges , ni au Prince
qui l'ordonneroit.
و د
و د
» Voilà mon projet , dit l'Auteur : fera-
» t-il gouté L'importance de fon objet
» le fait croire. Sera-t-il reçu ? La certi-
» tude de fon fuccès le fait défirer. Enfin
» fera-t-il exécuté ? La facilité de l'exé-
» cution pourroit bien en obtenir l'ordre.
» Nous ne pouvons que le fouhaiter, J'ai "
OCTOBRE. 1759. 95
jetté mon cri , c'eft celui du coeur , le
» cri du citoyen : vous m'euffiez fait un
» crime de l'étouffer.
TABLETTES anecdotes & hiftoriques des
Rois de France , depuis Pharamond
jufqu'à Louis XV ; contenant les traits
remarquables de leur hiftoire , leurs
actions fingulieres , leurs maximes &
leurs bons mots. Par M. D. D. & c .
A Paris chez Clément & Robuftel , quai
des Auguftins , 1759. 3 vol. in- 12,
C´IST une eſpèce d'enfance perpétuelle
, dit un Ancien , d'ignorer ce qui
s'eft fait avant nous. L'utilité de l'hiftoire
eft affez reconnue , & l'hiftoire de fon
pays eft fans doute la plus importante
de toutes cependant les jeunes - gens
qui lifent avec tant d'avidité l'hiftoire
Grecque & Romaine , ont de la peine à
foutenir la lecture de nos hiftoires de
France. Ce qui les rend faftidieufes &
rebutantes , c'eſt fans doute la prolixité ;
trop de circonftances minutieufes & de
détails politiques & militaires; le peu d'attention
que les Hiftoriens ont apportée
à la partie morale & philofophique de
96 MERCURE DE FRANCE .
"
T'hiftoire , & fur tout le défaut de gout
& de châleur que l'on trouve dans leur
ſtyle. On a morcelé l'Hiftoire de France ;
on l'a préfentée fous mille formes pour
en rendre l'étude agréable ; mais prefque
aucune des méthodes qu'on a employées
n'a pû remplir cet objet .
.ور
و ر
L'Auteur de ces Tablettes a cherché
une nouvelle méthode , non pour donner
une connoiffance fuffifante de notre hiftoire
, mais pour en faire naître le goût.
» Conduire à l'utile par la voie de l'agrément
, dit l'Auteur , voilà mon pro-
» jet. Si je n'y fuis pas parvenu , je ne
» l'ai pas rempli . Je n'ai pas prétendu
» donner une hiftoire fuivie , des faits liés ,
», & dont l'enchaînement mérite le nom
majeftueux d'Hiftoire de France. Mon
» but eft de la faire aimer , & non de la
» faire connoître de ce palais immenſe
je ne montre que le parterre , encore
n'y fais - je remarquer que quelques
» fleurs ; mais leur éclat a un charme qui
» peut attirer le lecteur , & l'engager à
parcourir l'édifice tout entier.
ور
"
و ر
"
L'Auteur s'eft donc propofé de recueillir
, en fuivant toujours l'ordre chronologique
des règnes , les bons mots & les
paroles remarquables de nos Rois , & les
principaux traits de leur vie . Un recueil
de
OCTOBRE. 1759. 97
de cette nature a d'autres avantages que
l'agrément ces traits naïfs ou plaifans ,
qui échappent aux Princes dans les occafions
où ils s'obfervent le moins , font
peut-être plus propres à nous peindre
fidèlement leur caractère , que les actions
d'appareil & d'éclat dans lefquelles leur
ame fe dérobe fous le mafque de la politique
ou de la gravité. » On peut dire
qu'on y voit nos Rois peints par eux-
» mêmes ; c'eft dans leurs mains qu'on
» trouve le pinceau ; ce font eux- mêmes
qui diftribuent les couleurs & qui for-
» ment les traits qui les caractériſent . »
»
L'Auteur , comme s'il eût craint qu'on
ne défapprouvât le plan de fon ouvrage ,
le juftifie par plufieurs exemples chez les
Anciens & les Modernes . S'il avoit befoin
d'autorité , il en trouveroit une bien
refpectable dans Saint Louis , qui regardoit
les actions particulières & les mots
remarquables des grands hommes comme
un moyen d'inftruction auffi für que folide.
» Saint Louis , avant que de s'aller
» coucher , dit Joinville , le plus fou-
»vent faifoit venir fes enfans devant lui ,
» & leur recordoit les beaux dits & faits
» des Rois & autres Princes anciens , &
leur difoit qu'ils les devoient retenir
II. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
18
pour y prendre exemple : & pareille-
» ment leur montroit les faits des mau-
» vais hommes , qui par luxures , rapi-
» nes , avarices , orgueuil , avoient perdu
» leur terre & feigneurie , & les exhor-
» toit d'en avoir fouvenance afin de ne
"" faire comme eux. »
Parmi les traits que l'Auteur a rapportés
, je vais choifir ceux qui me paroî
tront les plus propres à peindre les moeurs
de la nation , dans fes différens périodes,
& le caractère de ceux qui l'ont gouvernée.
J'obferverai d'abord qu'il ne faut
pas donner trop de confiance à l'hiftoire
des commencemens de notre monarchie.
L'origine de tous les peuples eft ordinairement
obfcure ; d'ailleurs les préjugés
& l'ignorance des premiers temps joints
à l'efprit de parti qui a pû conduire la
plume des anciens écrivains , ont dû répandre
bien des nuages , & accréditer
bien des fauffetés : auffi un lecteur attentif
& philofophe ne lira qu'avec une extrême
défiance l'hiftoire de la première
race de nos Rois.
Le Pere Daniel & M. le Préfident Hénault
n'ont point mis au nombre des Rois
de France Pharamond & fes fucceffeurs ;
ils ont regardé Clovis comme le fondateur
de la monarchie . M. D. n'adopte
OCTOBRE. 1759. 99
point ce fentiment , & il regarde comme
une espèce d'injuftice de retrancher le
nom de Pharamond des faftes de notre
hiftoire ; il croit que Grégoire de Tours
n'a point parlé de ce Prince , parce que
fon zèle pour le chriftianifme ne lui a pas
permis de s'arrêter fur des noms payens.
Nous ne rapporterons fur la vie des quatre
premiers Rois que la bonne fortune qui
arriva à Childeric : Bafine , Reine de
Thuringe , étant devenue amoureuſe de
ce Prince , le fuivit , & le Roi lui ayant
demandé » pourquoi elle avoit quitté la
»Patrie & un pays où elle régnoit , pour
» venir à fa Cour : Je fuis venue ici , lui
répondit la Princeffe , » parce que je fuis
» charmée de votre mérite ; fi j'avois cru
» trouver au delà des mers un héros plus
» brave & plus galant que vous , j'aurois
» été l'y chercher. » Cette nouvelle Taleftris
fut bien reçue , & fut mere de Clovis.
"
Clovis , à qui on a donné le furnom
de Grand , fouilla fes grandes actions par
des cruautés plus grandes encore ; il fit
périr ou de fa propre main ou par la voie
de l'affaffinat & de la trahifon , tous les
Princes de fa maifon qui lui portoient
ombrage. Grégoire de Tours dit de lui ,
que Dieu affujétiffoit tous les jours fes ennemis
fous fa main , parce qu'il marchoit
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
devant lui dans la fincérité de fon coeur ,
& qu'il faifoit devant fes yeux les chofes
qui lui étoient agréables.
Ce Prince s'étant recommandé à Saint
Martin de Tours la veille d'une bataille ,
alla au tombeau de ce Saint pour le remercier
de la victoire qu'il avoit obtenue
; il préfenta le cheval qu'il avoit
monté le jour de la bataille ; mais y ayant
regret à fon départ , il demanda à le racheter,
& en offrit cinquante marcs d'argent.
On voulut lui rendre le cheval ;
mais le Saint ne permit pas qu'il pût
fortir de l'écurie : le Roi augmenta la
fomme de la moitié , & le cheval fortit.
Clovis , encore nouveau chrétien , ne pût
s'empêcher de dire : Saint Martin fert bien
Les amis ; mais il leur vend fes fervices un
peu cher.
On ne trouve dans l'hiftoire de ces premiers
Rois que des traits de férocité &
de barbarie qui font frémir l'humanité.
Childebert , fils de Clovis , parmi plufieurs
cruautés , fit égorger deux de fes
neveux par la main de fon propre frere .
D'un autre côté , il fit bâtir l'Abbaye de
Saint Germain-des - prés , & l'Eglife Cathédrale
de Paris , & on lit dans fon
épitaphe , le pieux , le religieux , le juſtę
Childebert.
OCTOBRE. 1759 . 101
Chérebert fut un Prince doux , généreux
, bienfaifant ; il cultiva les arts , &
fit fleurir la Juftice, qu'il rendoit lui-mêmė :
cèpendant à peine Chérebert figure -t- il
parmi nos Rois , parce qu'il n'étoit ni
guerrier , ni conquérant . Il fe rendit
odieux aux Eccléfiaftiques par la fermeté
avec laquelle il foutint les droits de fa
couronne contre plufieurs Prélats qu'il
condamna à une groffe amende . On ou
blia fes vertus , on le traita d'impie & de
perfécuteur , & il fut peint fous des couleurs
odieufes dans l'hiftoire de Grégoire
de Tours.
Chilperic premier fut un des hommes
les plus fçavans & les plus éloquens de
fon fiécle . On a vanté fa générofité , fa
valeur , fon amour pour la juftice ; &
c'eft un de nos Rois que Grégoire de
Tours a le plus maltraité : il est vrai que
ce Prince parloit fort librement des Evêques
; il appelloit celui- ci étourdi , celuilà
orgueilleux ; l'un attaché aux biens ,
l'autre à fes plaifirs . Nos coffres demeurent ·
vuides , difoit - il fouvent , fuivant Grégoire
de Tours lui- même , tandis que les
richeffes que nous devrions avoir paffent
aux Eglifes : les Evêques deviennent des
Rois : notre gloire diminue , & notre honneur
transféré aux Evêques , s'avilit.
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
,
Dagobert I ayant fubjugué les Saxons ,
euc la cruauté de faire couper la tête à
tous ceux qui excédoient la longeur de
fon épée. Il bâtit & dota richement
l'Abbaye de S. Denis. Cela lui a valu bien
des éloges de la parr des Moines auxquels
il n'a pas tenu de le faire paffer
pour Saint. Clovis II fon fils , employa les
richeffes que fon pere avoit raflemblées à
S. Denis pour nourrir dans un temps de
famine les pauvres , qui fuivant l'expreffion
des SS. PP . font les vrais temples du
Seigneur. Le Clergé & les Moines firent
tout ce qu'ils purent pour le faire paſſer
pour infenfé. Ces différéns traits recueillis
parmi cent autres , peuvent faire
juger des motifs qui ont conduit la plume,
& réglé les jugemens des Auteurs de nos
anciennes chroniques.
Charlemagne fcelloit les ordres qu'il
donnoit avec le pommeau de fon épée ,
où étoit gravé fon fceau , & difoit , voilà
mes ordres ; & voilà ce qui les fera ref
pecter de mes ennemis , ajoutoit - il en
montrant fon épée. Ses Etats étoient fi
brillants fous fon régne , que les Ambaffadeurs
d'un Calife de Babylone difoient,
qu'en Afie ils voyoient des Maîtres fouvent
braves , fouvent éclairés , mais ordinairement
capricieux & cruels ; qu'en Occident
OCTOBRE. 1759 103
ils avoient vu un peuple de Rois , auxquels
obéifoit un nombre innombrable d'ar-
·mées toures couveries d'or & de fer ; que
les Rois avoient pourtant un chefqui étoit
le Roi des Rois , mais qu'eux & lui ne
vouloient jamais que la même chofe ; que
tous obéifoient en fa préfence , quoique
tous fuffent libres , & véritablement Rois .
Louis V , le dernier Roi de la race
Carlovingienne , eft un de ceux auxquels
on a donné le nom de Fainéant , Ce Prince
n'avoit cependant tout au plus que vingt
ans quand il eft mort , & n'a régné qu'environ
quinze mois .
Robert , furnommé le Pieux , a été le
premier de nos Rois qui ait été excommunié
par un Pape , & le premier qui
ait été canonifé . On connoît affez la caufe
de fon excommunication , & les effets
incroyables qu'elle produifit fur l'efprit
de fes fujets même les plus attachés : tout
le monde l'abandonna , il ne lui refta que
deux domestiques pour le fervir , qui même
crainte de la contagion , jettoient au feu
tous les vafes qui avoient été fur la table.
de Robert , lequel manqua plus d'une fois
des chofes néceffaires à la vie. Ce Prince
avoit eu pour précepteur le fameux Gerbert
, le plus fçavant homme de fon
temps , que fes inventions méchaniques
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
firent paffer pour forcier & magicien , &
qui n'en fut pas moins élevé dans la fuire
fur le trône Pontifical.
Louis le Gros étendit l'autorité Royale,
& réprima le premier les abus du gouvernement
féodal . Dans le combat de Brenneville
, un cavalier Anglois prit les rênes
du cheval que montoit ce Prince , & cria le
Roi eft pris. Louis lui déchargea un coup
de la maffe d'arme dont il étoit armé &
le renverfa par terre , en difant , avec ce
fang froid qui caracterife la véritable valeur
, fçache qu'on ne prend jamais le Roi,
pas même au jeu des échecs.
Philippe Augufte donna à la Couronne
de France un éclat qu'elle n'avoit point.
eu depuis Charlemagne : lorfqu'il demandoit
aux Eccléfiaftiques des fubfides pour
fubvenir aux frais des guerres qu'il eut à
foutenir pendant tout fon régne , ils ne
manquoient pas de s'en excufer fur leurs
priviléges , & fur ce qu'il n'étoit pas permis
d'employer le bien des PAUVRES à des
ufages profanes . Ils promettoient d'affifter
le Roi de leurs prieres. Les Seigneurs de
Coucy , de Rhetel , & plufieurs autres ,
s'étant mis à piller leurs biens , ils recou-
રે
rurent à la protection du Roi , qui leur
dit , qu'il étoit peu en état de les aider ;
OCTOBRE. 1759 . 105
pour en
cependant , ajouta- t-il , je vous promets
de vous affifter de ma recommandation au
près de Coucy & des autres. Le pillage
continua. Les Prélats redoublerent leurs
plaintes , fupplierent le Roi d'employer
l'autorité des armes contre leurs ennemis :
très-volontiers , leur dit-il , mais
venir là il faut avoir des troupes , & pour
avoir des troupes il faut de l'argent . Le
mal preffoit , le Clergé entendit ce que
cela fignifioit , il paya ,
il paya , & les pillages
cefferent. « Le détour marque de la foi-
» bleffe , dit l'Auteur ; mais dans quel
» temps s'en fervoit-on ? Dans un temps
» où les foudres de Rome faifoient trem-
» bler les moins timides , & où la doctrine
» de Gregoire VII mettoit en un clin d'oeil
» toute l'Europe en feu.
On trouve dans l'hiftoire de S. Louis
un trait bien remarquable. Marguerite de
Provence fon époufe étoit à la veille
d'accoucher , lorfque ce Prince fut pris.
Damiette où elle étoit enfermée alloit
tomber entre les mains des infidelles.
Avant que d'accoucher , elle fit fortir tous
ceux qui étoient dans fa chambre , à l'exception
d'un vieillard revêtu de l'ordre
de Chevalerie : fe jettant alors à genoux ,
dit la Chronique , elle lui requit un don
que le Chevalier luiaccorda par ferment.
''
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
Sire Chevalier , lui dit la Reine , fur la
foi que vous m'avez donnée , je vous conjure
de me couper la tête , fi les Sarrafins
prennent cette Ville , avant que je puiffe
tomber entre leurs mains. La réponse du
Chevalier ne fut pas moins généreufe ,
dit notre Auteur , que la priere qui lui
étoit faite Très -volontiers , Madame ,
j'y avois déja pensé , & j'étois réfolu de
le faire , fi la place étoit prife. Il y a
dans ce trait fingulier un mêlange de
grandeur , de courage & de férocité qui
appartient à des moeurs, plus fortes que
les nôtres , & qu'il eft difficile d'apprécier.
On connoît affez les démêlés de Philippe
le Bel avec Boniface VIII . Nous
n'en rapporterons qu'un feul trait. Ce
Pape fuivant les traces du fameux Gregoire
VII , auroit voulu que tous les Rois
fuffent allés à la conquête de la Terre
fainte Philippe étoit alors en guerre
avec Edouard Roi d'Angleterre ; Boniface
fit dire aux deux Rois , qu'ils euffent à
conclure une trêve , fous peine d'excommunication
Je ne prends la loi de perfonne,
répondit Philippe , pour gouverner mes
Etats ; Dieu & la Religion donnent au
Pape le droit de m'exhorter , mais ils ne
lui donnent pas celui de me commander.
Quelques- uns de fes Courtifans lui con-
[
OCTOBRE. 1759. 107
feilloient de punir l'Evêque de Pamiers ,
& de fe venger de ce Prélat , en partie
auteur de fes démêles avec Boniface VIII.
Je te puis , répondit il , mais il est beau
de le pouvoir & de ne le pas faire .
Ce fut lui qui rendit le Parlement fedentaire
à Paris , en donnant à la Juftice
fon Palais pour domicile.
Philippe le Long fuccéda à la Couronne,
à l'exclufion de Jeanne Reine de Navarre,
fille de Louis Hulin fon frere & fon prédéceffeur.
C'eft le premier exemple de la
force de la loi falique , qui fut confirmée
par les Pairs affemblés en Parlement en
13 16.Il avoit conçu le deffein d'introduire
en France un feul poids & une feule mefure;
mais pourles frais de cette réformation
on propofa un nouveau fubfide , & l'impôt
ne pouvant fe lever , le réglement demeura
là.
Charles IV , dit le Bel , fut le premier
qui permit au Pape de lever des décimes
fur le Clergé de France , pour y avoir
part. C'eft une tache à la vie de ce Prince
qui n'avoit pas befoin d'un pareil détour.
Après la funefte journée de Creffy
en 1 3 46,0ù périt la plus grande partie de
la Nobleſſe de France , & où Philippe de
Valois fit des actions d'une valeur extraor
dinaire , ce Prince arriva de nuit au châ-
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
teau de Brai en Picardie. Le Seigneur du
château qui étoit fur fes gardes , ayant
demandé qui va la ? La fortune de la
France , répondit Philippe.
Charles V , furnommé le Sage & l'Eloquent
, a été le premier de nos Rois qui
ait porté le titre de Dauphin ; le premier
qui ait mis un impôt fur le fel & fur les
vins ; le premier qui ait fixé la majorité
des Rois , & le temps de leur facre à 14
ans premier qui ait donné en titre le
gouvernement des Provinces ; le premier
qui depuis Charlemagne ait donné aux
Lettres un éclat réel ; le premier qui ait
procuré à la France une traduction françoife
de la Bible ; le premier enfin qui ait
eu une bibliothèque royale , laquelle après
avoir été longtemps à Fontainebleau , a
fait le fondement de l'immenfe & précieuſe
collection que le Roi poffède aujourd'hui.
Charles VII fe livroit au repos & aur
plaifir , & s'amuſoit à danſer des ballets.
ou à deffiner des parterres , tandis que
les Anglois , dit Duhaillan , parcouroient
fes Etats la craye à la main . Comme il
faifoit exécuter un Ballet qu'il avoit i maginé
, il demanda à quelques -uns de fes
courtisans ce qu'ils penfoient de la fête
Ne trouvé -je pas bien leur dit - il , le
OCTOBRE. 1759 100
moyen de me divertir ? Eh ! oui , Sire ,
lui répondit un brave ferviteur , il faut
convenir qu'on ne fçauroit perdre une cou
ronne plus gaiment . Au lieu de fe fâcher
de la liberté de cette réponſe , Charles en
fut touché , & penfa au rétabliſſement
de fes affaires .
On fçait de quel moyen fe fervit la
belle Agnès de Sorel pour réveiller dans
le coeur de ce Prince l'amour de fon devoir
& de fa gloire ; mais tout le monde
ne connoît pas des vers de Baïf fur ce
fujet , parmi lesquels on en trouve d'une
naïveté fine & piquante , & qu'on peut
lire fans avoir befoin d'indulgence , quoi
qu'en dife l'Auteur des Tablettes.
Ce Roi comme un Pâris enchanté d'une Hélène,
De l'ardeur de l'amour portant fon ame pleine ,
Eftimoit prefque moins perdre fa royauté ,
Que de fa douce amie éloigner la beauté.
Charles,'quoique l'Anglois ravageât fon royaume,
Jamais qu'à contre coeur ne prenoit le héaume ,
Volontiers nonchalant de fon peuple & defo ,
Pour mieux faire l'amour eût ceffé d'être Roi :
Content d'être berger avecque fa bergere ...
Baif après ces vers rapporte la leçon
qu'Agnès fit à Charles VII , & qu'elle finit
ainfi :
110 MERCURE DE FRANCE
Si l'honneur ne vous peut de l'amour divertir ,
Vous puiffe au moins l'amour de l'honneur avertir..
Elle tint ce propos , & la voix amoureuſe
Du gentil Roi toucha la vertu généreuse ,
Qui longtemps comme éteinte en fon coeur crou
piffoit ,
Sous la flâme d'amour qui trop l'affoupiſſoit.
A la fin fa vertu s'enflâma , renforcée
'Par le même flambeau qui l'avoit effacée.
Avec de grands défauts Charles avoit
des vertus & des qualités aimables : il
aimoit la juftice , les arts', & furtout la
vérité ; qu'eft- elle devenue ? diſoit - il quelquefois
, il faut qu'elle foit morte ; & elle
eft morte fans trouver de Confeffeur. Sa
mort fut affreufe ; il fe laiffa mourir de
faim dans la crainte d'être empoisonné
par fon fils.
Toute la vie de Louis XI juftifie ce
qu'on a dit de lui , qu'il n'étoit ni bonfils,
ni bon père , ni bon mari , ni bon ami , ni
bon fujet , ni bon Roi. Avec beaucoup
d'efprit & de lumières , il donna dans les
excès de la fuperftition la plus aveugle &
la plus abfurde. Il rompoit fans fcrupule
les engagemens les plus facrés lorsqu'il
n'avoit pas juré par pafques Dieu , ou
fur la Croix de Saint Lô d'Angers ; alors
il n'ofoit fe parjurer , crainte de mourir
OCTOBRE. 1799*
le
dans l'année. Sans celle tourmenté par les
frayeurs de la mort , il n'y eut point de
Saints qu'il n'invoquât , point de pélérinage
qu'il ne fît , tant qu'il put voyager ;
point de reliques qu'il ne fît apporter ,
tout pour prolonger fes jours. Il s'étoit
voué à Saint Eutrope , & écoutant attentivement
l'Oraifon que récitoit un Prêtre,
il entendit qu'on y demandoit la fanté de
l'ame avec celle du corps : n'est - ce pas ,
dit- il , en demander trop à Dieu , & l'im
portuner ? Retranchez de cette prière la
fanté de l'ame , & ne demandez que celle
du corps ; l'un viendra après l'autre . Ses
principes en politique étoient ceux de
Tibère ; on lui demandoit combien lui
valoit la France ? C'eft , dit - il , un pré
que je fauche tous les ans , & d'auffi près
qu'il me plaît. Comparons cette réponſe
avec celle qu'Henri IV fit au Duc Charles:
Emmanuel de Savoie , qui lui faiſoit la
même queſtion : Elle me vaut ce que je
veux , dit Henri IV. Le Duc trouvant
cette réponſe vague , le preffa de s'expliquer
plus précisément : le Roi ajouta ,
Oui , ce que je veux ; parce qu'ayant le
coeur de mon peuple , j'en aurai ce que je
voudrai ; &fi Dieu me laiffe encore quelque
temps à vivre , je ferai en forte qu'il n'y
aura point de laboureur. en mon royaume
112 MERCURE DE FRANCE.
qui n'ait le moyen d'avoir
une poule dans
fon pót. Après un inftant
de filence
il
ajouta , & cela ne m'empêchera
pas d'avoir encore de quoi entretenir
des troupes
pour
mettre à la raifon ceux qui choqueroni
mon autorité
.
Charles VIII , le dernier de la branche
royale de Valois , a été le premier de nos
Rois qui a porté la couronne fermée telle
qu'elle eft aujourd'hui ; il réduifit les fept
millions fept cent mille livres de fubfides
que levoit Louis XI à douze cens mille
livres , & avoit conçu quelque temps
avant fa mort les projets du gouvernement
le plus fage & le plus doux pour
les peuples. La réforme du Clergé & celle
de la Juftice étoient les premiers objets
qui devoient l'occuper. La fuppreffion des
épices des Juges étoit réfolue , & tout
Evêque non réfident devoit être privé des
fruits de fon Evêché .
Louis XII fut proclamé à fon de trompe
Pere du peuple ; c'eft le plus beau nom
que les hommes puiffent donner à un
homme , & jamais Prince ne l'a mieux
mérité. Un bon pafteur , difoit- il , re
fçauroit trop engraiffer fon troupeau . C'est
une maxime qu'il n'a jamais perdue de vue
dans tout fon régne. Ce Prince avoit beaucoup
d'efprit & de lumières ; il aimoir
OCTOBRE. 1759. 113
les gens de lettres , les encourageoit , &
les entretenoit dans fes momens de loifir ;
diftinction encore plus flatteufe pour un
homme de lettres que les gratifications
& les penfions. Le jugement qu'il portoit
fur les Hiftoriens Grecs & Romains , &
fur les nôtres , fait honneur à fon efprit .
» Les Grecs , difoit- il , ont fait peu de
» chofe , mais ce peu brille da plus grand
éclat par les embelliffemens qu'y ajoute
» l'éloquence de ces Ecrivains. Les Ro-
» mains ont beaucoup fait , & ils ont
» trouvé des plumes qui ont égalé la
grandeur de leurs actions. Les François,
» moins heureux , en ont beaucoup plus
fait les Grecs , & autant que les
que
» Romains , mais ils n'ont pas eu l'art de
» tranſmettre leurs actions à la poſtérité .
"
"
ود
ود
On lui repréfentoit que la Reine prenoit
trop d'empire fur lui ; il faut bien ,
répondit - il , fouffrir quelque chofe d'une
femme , quand elle aime fon honneur &
fon mari.
Les théologiens de fon temps étoient
fans ceffe divifés fur des queftions ridicules
ou même dangereufes ; que ces Meffieurs
s'accordent entr'eux s'ils veulent ,
difoit le Roi , mais qu'ils ne nous étourdiffent
point de leurs querelles , dont ni
moi ni tout autre bon chrétien n'avons
affaire.
114 MERCURE DE FRANCE.
... Un fanfaron avoit reçu une bleffure au
vifage , & s'en faifoit un titre pour demander
des récompenfes. Le Roi dit : c'eft
fa faute s'il a été bleſſé ; que ne fuyoit- il,
fans regarder derriere lui.
Il comparoit les grands Seigneurs à
Diomède , & les nobles de campagne à
Actéon ; les uns font mangés par leurs
chevaux & les autres par leurs chiens .
"
L'amour , difcit ce Prince , eft le roi des
jeunes gens , & le tyran des vieillards.
: François I étoit fi charmé du bon air
& de la preftance de Léon X , qu'il ne
manquoit jamais d'affifter au Service lorf
que le Pape célébroit . On a tort , difoit- il ,
de penfer que les cérémonies ne contribuent
point à la piété ; quand je vois le Pape
en habits pontificaux , je ne puis m'empê
cher d'être frappé de cet éclat extérieur qui
concilie à la religion je ne fçais quelle
grandeur particuliere qui échappe à notre
foibleffe . Si mon ame n'étoit pas tout- àfait
convaincue , les fens me conduiroient
à la conviction.
Lorfque François I fut fait prifonnier
à Pavie , un foldat Eſpagnol pénétra dans
fa tente , & lui préfenta a genoux une
balle d'or : » Sire , lui dit- il , je connoiffois
»le courage deVotre Majefté , & voilà une
balle d'or que j'avois fait fondre pour
OCTOBRE. 1799
IIS
pas
»vous tuer , une fi belle vie ne devant
» finir fans une diftinction particuliere ; je
» n'ai pas trouvé l'occafion de m'en fervir,
» & je prends la liberté de vous la pré-
» fenter. » François lui fit accueil & récompenfa
la fingularité de cette idée.
Une femme s'étant jettée à fes genoux
pour lui demander juftice d'un gentilhomme
qui avoit affaffiné fon fils : levezvous
, lui dit le Roi , il n'eft pas néceſſaire
de fe mettre à genoux pour me demander
juftice , je la dois à tous mes fujets ; à la
bonne heure fi c'étoit une grace.
L'auteur des Tablettes s'exprime affez
fingulièrement fur la fcience de François I.
Il étoit fi fçavant , dit - il , que quelques
auteurs ont écrit qu'il fçavoit le latin , &
il décide enfuite que ce Prince ne le fçavoit
pas. Cette manière de raiſonner ne
concluroit pas beaucoup en faveur des
connoiffances de François I. Il échappe à
notre auteur des négligences de cette efpèce
, qu'il y auroit de l'humeur à relever
dans un ouvrage de cette nature.
On a à la Bibliothèque du Roi un trèsbeau
manufcrit contenant les oeuvres poëtiques
de François I. La jolie épigramme
qu'il fit à la louange d'Agnès Sorel eft
partout. On connoit moins celle qu'il fit
graver fur le tombeau de la belle Laure ,
116 MERCURE DE FRANCE.
·
fi célébre par la tendreffe & les fonnets
de Pétrarque.
En petit lieu compris vous pouvez voir
Ce qui comprend beaucoup par renommée.
Plume , labeur , la langue & le fçavoir
Furent vaincus par l'amant de l'aimée.
O! gentille ame , étant tant eftimée ,
Qui te pourra louer qu'en fe taifant ?
Car la parole eft toujours réprimée
Quand le fujet furmonte le difant.
Il fut le premier qui introduifit les
femmes à fa Cour ; une Cour fans femmes ;
difoit- il , eft une année fans printemps ,
un printemps fans rofes.
Ce Prince fe déguifoit fouvent , &
alloit fans cortège chez un payfan poury
apprendre ce qu'on penfoit de lui & de
l'état du royaume. Il trouvoit ſouvent
fous la chaumière d'un laboureur la vérité
qu'on lui déroboit à fa Cour , & il y
entendoit quelquefois des éloges d'autant
plus flatteurs , qu'on ne fupprimoit
pas les ombres qui pouvoient obfcurcir
le tableau.
Il difoit : que les Souverains com-
» mandoient aux peuples , & les loix aux
» Souverains. » Digna vox imperantis legibus
fe fubditum profiteri : c'étoit la maxime
de Trajan.
OCTOBRE. 1759. 117
Aucun de nos Rois n'avoit porté la
magnificence dans les bâtimens & la richeffe
dans les meubles auffi loin que
François I. On l'accufa de prodigalité
envers les favoris . Il eut des guerres con
tinuelles à foutenir pendant fon règne ;
& à fa mort il laiffa neuf cens mille écus
dans fes coffres.
François I aimoit les bons mots. Il
jouoit un jour à la paume avec l'Abbé de
Beaulica , qui fit un coup de raquette qui
décida la partie ; le Roi piqué du coup lui
dit , pefte foit de toi , je te donne au diable
de bon coeur. Sire , vous me faites bien
de la grace , lui répondit - il je te fais
grace reprit le Roi étonné. Oui , Sire ,
de ne pas me donner à mes moines . Combien
avez vous de religieux dans votre
Abbaye lui demanda le Roi . Je fçais le
compte de mes moines , répondit l'Abbé ,
mais j'ignore celui de mes religieux . Tout
cela caractériſe un homme d'efprit , &
l'irrégularité des moeurs du temps.
·
Henri II permit & honora même de fa
préfence le célèbre duel de Jarnac & de la
Chataigneraye, où celui - ci reçut une bleffure
dont il mourut. Henri , qui l'aimoit ,
s'engagea alors par ferment à ne plus accorder
de duels. Le long attachement de
ce Prince pour Diane de Poitiers, etoit plus
118 MERCURE DE FRANCE.
une affaire d'habitude & de foibleffe
qu'une paffion. Diane de Poitiers paffoit
pour avoir du gout pour le Maréchal de
Briffac , & le Roi , qui le fçavoit , ne les
en aimoit pas moins l'un & l'autre. On
prétend même qu'ayant furpris le Maréchal
avec la Ducheffe , il lui laiffa le temps
de fe cacher fous le lit ; mais voulant
faire voir qu'on ne le trompoit pas , il
demanda des confitures féches , & en
jetta une boëte fous le lit ; tiens , dit- il,
Briffac , ilfaut que tout le monde vive .
"
»
» Ce n'est que fous le règne d'Henri
» II , & par une ordonnance de la fin de
» l'année 1549 , que l'on a commencé
» de marquer fur les monnoies l'année
» de leur fabrication , & de faire con-
» noître par des chiffres fi le Roi , du-
» quel elles portent l'image, eft le premier,
» le fecond , & c. de fon nom. Il y eut
auffi fous fon règne des loix fomp-
» tuaires > redigées par le Chancelier
» Olivier , qui font connoître combien
» le luxe avoit gagné en France depuis
» Louis XII. L'établiffement des Préfi-
» diaux fut encore fon ouvrage , & il
» donna le droit de juger en dernier ref-
» fort aux Prévôts des Maréchaux , eu
égard au nombre infini de brigands'
» dont la France étoit infectée ; »
"
Le reste au Mercure prochain.
OCTOBRE. 1759. 119
T
ELOGES de Mrs Baffuel , Malaval &
Verdier,prononcés aux écoles de Chirur
gie , par M. Louis , Profeffeur & Cenfeur
royal , Chirurgien- major , adjoint
de l'hôpital de la Charité , de l'Acadé
mie des fciences , belles- lettres & arts de
Lyon & de celle de Rouen & c. A Paris ,
chez Pierre Guillaume Cavelier
braire . 1759.
Li-
CES Ces éloges n'anoncent pas au premier
coup d'oeil une lecture bien intéreffante
& il ne falloit pas moins que le nom de
M. Louis , pour attirer fur eux les regards
du Public. On fçait ce qu'on peut attendre
de la plume de ce jeune & habile
Chirurgien ; & ce nouvel ouvrage eft bien
fait pour juftifier & pour accroitre fa réputation.
La vie laborieufe & uniforme
de trois hommes occupés à la pratique
de leur art , ne préfentoit guères d'incidens
propres à piquer la curiofité : tous
les trois , quoique très - eftimables dans
leur profeffion , n'ont point eu cette célébrité
que des places importantes , des découvertes
effentielles , ou des circonstances
fingulieres , peuvent feules donner , & qui
120 MERCURE DE FRANCE.
3
1
répand une forte d'éclat & d'intérêt fur
les plus petits détails . M. Louis a donc
été obligé de fuppléer à la féchereffe &
à la ftérilité du fujet par des traits ingénieux
, des vues générales fur les principes
de fon art , & des réflexions utiles
à les progrès.
Je ne m'arrêterai point aux détails hif
toriques de ces éloges , & je me contenterai
de recueillir quelques traits qui
puiffent donner une idée du caractère
d'efprit & du ftyle de l'auteur .
M. Louis, après avoir dit que M. Baffuel
fut chargé du foin de plufieurs hôpitaux ,
ajoute les réflexions fuivantes. L'exercice
habituel de la chirurgie dans les hôpi-
» taux pendant un temps fort long , n'eft
pas un garant bien fûr que ceux qui
» s'y font livrés ayent acquis une expé-
» rience confommée. Surchargés par la
» multitude des malades , plus encore
» qu'ils ne font diftraits par la diverfité des
maladies , ils peuvent n'entrevoir que
» confufément les objets qui demandent
» le plus d'attention : l'occupation jour-
» nalière devenant , pour ainsi dire , une
peine de corps , un travail fatiguant ,
» elle permet difficilement la méditation
tranquille des différens phénomènes
que la Nature préfente avec tant de
» variété
"
"
OCTOBRE. 1759 .
121
و ر
"
variété dans le grand nombre des maux
auxquels les hommes font fujets. Le
» feul exercice ne peut jamais donner
» l'habileté néceffaire ; puifque cette ha-
» bileté confifte effentiellement à appli--
» quer avec difcernement & avec mé-
» thode les régles de l'art aux cas particuliers
, fi différens les uns des autres ,
jufques dans la même efpéce , par la
» combinaifon d'une infinité de circonf-
» tancès qui les caractérisent. Ce difcer-
" nement & cette méthode dans le choix
» & l'ufage des moyens, exigent une lon-
" gue fuite de préceptes feientifiques. St
» les lumières de la théorie n'éclairent
»l'efprit d'un homme qui ofe fe charger
» de la vie de fes concitoyens , il pourra
» bien parvenir avec le temps à fe faire
» une pratiqué d'habitude & une routine
plus ou moins affurée ; mais elle fera
» néceflairement très - bornée , & certai-
» nement acquife par un trop grand nombre
de fautes.
و ر
و د
و د
"
pas
M. Louis eft attentif à ſaiſir tous les
acceffoires intéreffans qui peuvent enrichir
fes éloges . En parlant des obligations
que contracte un élève vis - à - vis de celui
qui lui a enfeigné les principes de fon
il rappelle le ferment qui fe pratiquoit
chez les anciens , & qui fait honart
,
II. Vol.
F
122 MERCURE DE FRANCE .

و د
>>
pour
neur à leurs moeurs , mais qui paroîtra
fans doute étranger aux nôtres. « Les
» premiers maîtres de l'art nous ont laiffé
fur ce point un modéle bien refpec-
» table. Dans le fein du paganifme , ces
» grands hommes fentirent affez la dignité
de la nature humaine établir un
» ferment dont Hyppocrate a confervé le
» formulaire dans fes écrits . On invo-
» quoit tous les dieux & toutes les déeffes,
» & on les prenoit à témoin des obliga-
» tions qu'on contractoit en fe dévouant
» à l'art de guérir. On juroit de regarder
» comme fon pere celui de qui on avoit
appris l'art , de tenir lieu de frere à
» fes enfans ; & en cas qu'ils vouluffent
» embraſſer la même profeffion , on s'en-
» gageoit par ferment à les inftruire avec
» tout le foin poffible , par des préceptes
abrégés & des explications étendues.
» Ces principes font admirables , & pref-
» crivent à tout homme la néceffité de
s'y conformer. La loi du ferment n'a-
» joute rien aux obligations effentielles.
ود
29
ود
M. Louis , fans diffimuler dans fes
éloges les petits défauts des hommes qu'il
loue , fçait leur donner une tournure
adroite , & faire difparoître ce qu'ils pourroient
avoir d'odieux ou de ridicule. Il
paroît que M. Baffuel aimoit beaucoup
la difpute , & n'abandonnoit pas volon":
OCTOBRE. 1759. 123
r
tiers fon opinion. « J'ai fouvent vu , dit
M. Louis , qu'il avoit raiſon fur le fond
»des queftions agitées , quoique ceux
» avec qui il difputoit n'euffent point tort.
» Ce paradoxe fera éclairci , fi l'on con-
» vient que dans la diverfité des avis ,
» ceux qui les foutiennent ne ſe perſuadent
" pas affez qu'il ne fuffit pas de s'entendre
»foi- même, pour être entendu des autres.
M. Baffuel fuccéda au célébre M. Quefnay,
dans la place de Secrétaire perpétuel
de l'Académie de chirurgie ; mais la multiplicité
& l'affujettiffement de fes occupations
particulieres , ne lui permirent
pas de la remplir longtemps avec toute
fexactitude néceffaire. « On ne connoît
point affez , dit M. Louis , les occupa-
» tions pénibles d'un chirurgien , que le
» hazard des circonftances n'a pas élevé
"
à cette forte de réputation qui introduit
» chez les riches & les grands . Il faut
» que l'artifan , le manoeuvre , les gens
» du menu peuple foient fecourus. L'ap-
» pas du gain ne dicte ni manége ni fou-
»pleffe pour s'emparer de leur confiance.
» Ils ne la donnent qu'aux perfonnes qui
joignent le défintéreffement à l'huma-
» nité. Voilà les reffources que nous avons
» pour être honorés des pauvres .
"
M. Louis termine l'éloge de M. Baffuel
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
par ce trait , qui honore le défintéreffement
de cet habile chirurgien , & prouve
l'idée que M. Louis a de fon art & de la
vertu. S'il n'a pas joui dès cette vie
» du bonheur promis à celui qui eft at-
» tentif au beſoin du pauvre , c'eft qu'il
ne s'eft pas regardé foi - même comme
» le but de fes travaux. On eft prefque
» fûr d'enlever les fuffrages , & d'obtenir
» des témoignages apparens d'eftime
و ر
و د
و ر

lorfqu'on les recherche avec avidité ;
»mais ils ne dédommageroient point un
» honnête homme du tems précieux qu'il
» auroit donné à cette intrigue : il s'applique
à bien faire , & fent qu'il n'y
» réuffiroit pas s'il n'étoit occupé qu'à
» faire dire de lui qu'il a bien fait. »
Cette réflexion noble & fenfée peut s'étendre
à tous les états qui doivent avoir
la vertu pour principe , & le bien public
pour objet.
و ر
M. Louis paffe à l'éloge de M. Malaval .
Ce chirurgien , né au fein du calviniſme ,
& ramené enfuite au catholiciſme par
M. Hecquet fon ami , a eu une grande
répuration , méritée par fon habileté dans
la pratique , & par des obfervations utiles
aux progrès de l'art . M. Malaval fut nommé
chirurgien du Roi en fa Cour de Parlement
; cette place a des fonctions qui
OCTOBRE. 1759. 125
r
font fouffrir l'humanité , & que le public
eft tenté de regarder comme odieufes .
Telle eft l'obligation d'affifter à la queftion
que l'on donne aux criminels . M.
Louis nous préfente ces mêmes fonctions
fous l'afpect le plus refpectable « Le chirurgien
, dit-il , eft alors un juge établi
» par la fageffe de la loi , pour réclamer
» les droits de la nature contre la rigueur
» des ordonnances . » Cette vue eft grande,
vraie , noblement exprimée , & digne de
M. de Montefquieu .
"
сс
M. Malaval a vécu juſqu'à l'âge de 89
ans ; mais dans les dernieres années de
fa vie , l'efprit fe fentit de la foibleffe du
corps , & à la fin les facultés intellectuelles
s'éclipferent tout - à - fait. « Il
" mourut par la défaillance infenfible
" que l'âge apporte , fans pouvoir être
» troublé ni agité des réflexions que la
» connoiffance d'une deftruction pro-
» chaine fait naître , même dans les ames
» les mieux préparées , & qui jouiffent
» de toute leur raifon. Ce qui paroîtra
furprenant dans l'état où a été M. Ma-
» laval pendant les dernieres années de
fa vie , c'eft qu'à l'occafion d'un mot
qui frappoit fon oreille dans une con-
» verfation à laquelle il ne pouvoit plus
prendre de part , il récitoit avec chaleur
و ر
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
» un affez grand nombre de vers , ou des
" pages entieres d'ouvrages en profe qui
» lui étoient familiers , & où fe trouvoit
»le mot qui lui fervoir , pour ainfi dire ,
» de réclame. Je rapporte , dit M. Louis,
» ce fait , dont j'ai été plufieurs fois le
» témoin , comme un phénomène fingu-
» lier du méchanifme de la mémoire.
>>
M. Louis commence l'éloge de M.
Verdier par cette réflexion , qui n'eft
malheureusement que trop vraie : » l'opinion
la plus générale des contempo-
>> rains , n'eft pas une règle affez füre
»pour juger du mérite : la plupart des
» hommes , occupés à fe faire valoir , ne
»font guère attentifs qu'à la réputation
» de leurs émules pour en retarder les
progrès , & trouvent qu'il eft plus aifé
» de fuivre fur le compte des autres l'impulfion
du vulgaire , que de fecouer le
» joug de la prévention , en entrant dans
» les détails d'un examen réfléchi . »
"
ود
Après quelques années d'étude à Montpellier
, M. Verdier vint à Paris ; il y régnoit
alors une émulation finguliére entre
les Profeffeurs & les Démonftrateurs d'Anatomie
. M. Duverney & M. Arnaud
partageoient les écoles : cette rivalité ,
dit M. Louis , » excite au travail , &
» contribue néceffairement au progrès de
OCTOBRE. 1759. 127
» l'art , furtout lorfqu'elle ne dégénère
point en haine perfonnelle . Mais la po-
» liteffe & les égards réciproques ne font
» pas naître la confiance entre des parti-
» culiers défunis d'opinion , & qui cher
» chent également pour fruit de leurs traquelque
préférence dans l'eftime
publique. M. Verdier dût à fes bonnes
qualités l'amitié de différentes perſon-
» nes qui ne s'en témoignoient guéres.
En mettant autant de difcrétion dans
» fa conduite , qu'il montroit d'envie
d'apprendre , il étoit accueilli par tout,
» & profitoit des lumières de tous. »
و ر
ود
"
M. Arnaud adopta M. Verdier pour
fon élève , & il lui donna une preuve
affez particulière de fon affection. Un
homme s'étoit confié aux foins de M.
Arnaud pour l'opération de la fiftule à
Panus ; & ce fut l'élève qui opéra fous les
yeux du Maître , fans que le malade s'en
apperçût. La cure fut des plus heureuſes ,
& M. Verdier s'applaudiffoit de ce premier
fuccès ; mais , dit M. Louis , comme
il n'avoit opéré qu'en profitant d'un abus
de confiance , je fuis perfuadé que dans
un âge plus mûr il fe feroit refusé à l'oecafion
de recueillir des fuffrages par cette
voie. Cette réflexion eft un fentiment de
Fiv
428 MERCURE DE FRANCE.
juftice qui né peut venir que d'une ame
droite & élevée.
"
Perfonne n'a eu plus de réputation que
M. Verdier pour les démonftrations anatomiques
; perfonne auffi n'a réuni autant
de talens avec autant de zèle & d'exactitude.
Il ne parloit jamais en public fans
s'y être préparé expreffément , & fans
avoir repaffé dans fon efprit les faits principaux
qu'il devoit expofer , & dont il fe
feroit reproché d'avoir obmis la moindre
circonftance. » Ce n'étoit point la gloire
» qu'il cherchoit par tant d'application ;
» tout autre ſe pardonneroit ce motif, en
» faveur du bien qu'il produit ; mais M.
» Verdier fe conduifoit par des principes
» plus relevés : Je ferois coupable , difoitil
, des fautes que les jeunes gens com-
» mettroient par mon peu d'attention à les
» bien inftruire. » Cet exemple de févérité
envers foi même eft un beau modèle à
propofer à tous ceux qui font chargés de
l'inftruction publique dans tous les genres .
Voici comme M. Louis termine le portrait
de ce vertueux Profeffeur : » plein
» de probité & de politeffe il cherchoit
» par fes égards à ne déplaire à perfonne .
Il prononçoit volontiers ce mot qui étoit
» comme la devife , ami de tout le monde.
و د
"
و د
OCTOBRE. 1759 129
La vraie amitié n'eft pas fi générale, auſſi
» ne doit-on entendre ici par le terme
» d'amitié , qu'une complaifance d'habi-
» tude , & la déférence qu'on a pour les
» fentimens des autres dans les chofes
» indifférentes.
Les traits que je viens de rapporter
font fuffifants pour faire juger du ftyle
de M. Louis , & de l'attention qu'il a eue
de tourner toujours les faits hiſtoriques
au profit de la morale , & à la perfection
de la chirurgie. On trouvera d'ailleurs
dans le cours de fes éloges des difcuffions
fçavantes , traiteés avec clarté , & qui
annoncent un homme profondément inftruit
fur les principes & fur l'hiftoire de
fon art. Une plume étrangere en parcil
cas eût été froide & ftérile.
ESSAI géographique fur les Ifles Britanniques
, pour joindre à la Carte de ces
Ifles ; en cinq grandes feuilles. Par M.
BELLIN , Ingénieur de la Marine . A
Paris , chez Nyon , quai des Auguftins,
à l'Occafion. 1759.
LE titre de ce Livre annonce quel en
eft l'objet l'Auteur l'a divifé en trois
Parties ; la premiere contient la defcription
géographique des Ifles Britanniques
Fy
130 MERCURE DE FRANCE.
& des Provinces qui les compofent , avec
des Tables en forme d'Itinéraire pour
l'intérieur du Pays . La feconde Partie
contient le Routier ou Portuland , c'eftà-
dire la defcription des côtes , ports ,
havres , mouillages & dangers qu'il faut
connoître pour naviger autour de ces
Ifles. La troifième contient l'analyse des
Cartes , dans laquelle l'Auteur rend
compte de la méthode qu'il a fuivie pour
leur conftruction.
La réputation de M. Bellin forme un
préjugé en faveur de l'exactitude de cet
ouvrage. On n'attend pas de moi que j'en
donne un extrait : des détails géographi
ques n'en font pas fufceptibles : c'est un
Livre qu'il faut lire avec les Cartes fous
les yeux. Je me contenterai de raffembler
quelques idées générales fur le gou
vernement , les ufages & le commerce
d'une nation dont il nous importe de
connoître la conftitution , les reffources
& le génie. Ces détails , qui pourront paroître
fuperflus aux gens inftruits , ne le
feront pas pour la plus grande partie des
lecteurs .
On donne le nom d'Ifles Britanniques
à deux grandes Ifles & à un grand nombre
de petites, qui en font voifines, fituées
dans la mer du nord , entre le cinquan
OCTOBRE. 1759. 131
tième & le foixantième degré de latitude
feptentrionale .
La plus grande de ces Ifles , qu'on appelle
la grande Bretagne , & qui a de
fongueur , du nord au fud , plus de deux
cens vingt lieues communes de France ,
fe divife en deux Parties ; l'Angleterre
vers le midi , & l'Ecoffe vers le nord . Elles
ont fait longtemps deux Royaumes féparés
; mais l'Ecoffe ayant été réunie à l'Ângleterre
, elle eft aujourd'hui au rang de
fes Provinces .
La feconde des deux grandes Ifles Britanniques
eft l'Irlande , appellée autrefois.
Hybernie , petite Bretagne , & Bretagne
occidentale , parce qu'elle eft à l'occident
de la grande Bretagne . Elle faifoit auffi
un Royaume féparé , qui avant été conquis
par les Anglois , a paffé fous leur domination
, & fe trouve , comme l'Ecoffe,
réunie à la couronne d'Angleterre.
Les petites Ifles qui font partie des
Ifles Britanniques , & qui font prefque
toutes fituées autour de la grande Bretagne
, tant au nord qu'à l'oueft , font en
très- grand nombre, connues fous les noms.
d'Wefternes , Orcades , & Schetland.
Le Gouvernement d'Angleterre eft un
Gouvernement mixte : il n'eft ni Monarchique
, ni Démocratique , ni Arif


A
+
F vj
432 MERCURE DE FRANCE.
tocratique ; mais il tient des trois . Le
Roi , les Grands & le Peuple , partagent
le pouvoir légiflatif. Le Roi difpofe
de toutes les charges eccléfiaftiques
, civiles & militaires : la juftice fe
rend en fon nom. Il envoie & reçoit des
Ambaffadeurs , contracte des alliances
fait la paix , & peut même déclarer la
guerre a fa volonté ; mais alors il la fait
à fes dépens. Quand il s'agit d'établir de
nouvelles loix , ou d'abroger les anciennes
, le Roi ne le peut faire que du confentement
de la nation , repréfentée par
le Parlement.
Le Roi peut de fa feule autorité convoquer
, caffer ou proroger le Parlement.
Il eft compofé de la Chambre haute ou des
Pairs , & de la Chambre des Communes
ou Chambre baffe . La Chambre haute eft
compofée des Seigneurs Eccléfiaftiques ,
féculiers , Princes du Sang , grands Officiers
de la Couronne , Ducs , Marquis ,
Comtes, Barons, Archevêques & Evêques.
On les nomme en général Pairs , Lords.
ou Mylords ils font en tout 204 ; fçavoir
, 188 pour l'Angleterre , & 16 pour
l'Ecoffe.
La Chambre baffe eft l'affemblée des
députés des Comtés, des Villes & Bourgs,
au nombre de 513 pour l'Angleterre , &
OCTOBRE. 1759.
133
45 pour l'Ecoffe. Ces deux Chambres délibèrent
féparément fur les mêmes affaires
, & fe communiquent leurs délibérations.
Quand il s'agit d'accorder des fubfides
, de lever des taxes nouvelles fur le
Peuple , ou faire quelques changemens
aux loix de l'Etat , il faut abfolument le
concours des deux Chambres , & le confentement
du Roi.
L'Auteur , en parlant des partis qui
divifent l'Angleterre, les diftingue encore
en Wighs & en Thoris , quoique ces deux
partis ne fubfiftent plus aujourd'hui , fuivant
l'idée qu'on y avoit d'abord attachée .
On ne connoît plus que le parti de la
Cour & celui de l'oppofition. Il y a un
troifième parti , celui des Jacobites ; ce
font ceux qui reftent attachés au Prétendant
: mais il eft trop foible , & la févérité
des loix ne lui permet pas de fe montrer
à découvert .
On évalue actuellement les dettes de
la nation Britannique environ à quatre
vingt millions fterlins , qui font dix- huit
cens quarante millions de nos livres tournois.
On peut fe convaincre de la jufteffe
de cette réduction par le calcul , fur le
pied de 24 liv. 1o fenviron la livre ſterling.
Les revenus de l'Angleterre formés
des divers droits d'entrée & d'acife , &
134 MERCURE DE FRANCE.
autres droits fixes & ordonnés , qui monrent
à 450000 l . fterlings ; des taxes fur
1 .
les terres , à deux fchellins par livre , formant
un million de livres fterlings , & de
ceux de la taxe fur la dréche , pour faire
la bierre , revenant à 750000 1. fterlings,
donnent un total de 6250000 l . fterlings.
Le produit des taxes fur les terres eft deftiné
à l'entretien des troupes de terre ,
& celui de la taxe fur la dréche et affecté
aux dépenfes de la marine. Le total de
la dépenfe revient à celui de la recette :
on y comprend 1000000 ft. pour la lifte
civile , ou revenu du Roi ; 3500000 ft .
pour les intérêts des dettes nationales ,
& l'amortiffement fucceffif des capitaux ;
F000000 ft . pour l'entretien des troupes
de terre ; 75000 ft. pour entretien de la
marine. La recette & la dépenſe étant
égales , il faut néceffairement lorsqu'il
furvient des évènemens , foit de guerre
ou d'armement de vaiffeaux, foit pour des
fubfides étrangers ou toute autre dépense
extraordinaire , que l'Etat faffe des emprunts
, & augmente les taxes , & furtout
celle des terres qu'on double en temps de
guerre. Les emprunts augmentent les
dettes, la taxe des terres charge extrêmement
les propriétaires des biens - fonds ,
& fait des mécontens ; d'où l'on peut
OCTOBRE . 1759.
135
conclure qu'il s'en faut beaucoup que la
Grande Bretagne foit en état de foutenir
des dépenfes
extraordinaires ; & que les
reffources de fon commerce ne font pas
fuffifantes pour acquitter jamais les dettes
actuelles de la nation , qui ne font qu'augmenter
tous les ans.
A l'égard de la fomme d'efpéces monnoyées
, nationales & étrangeres , ayant
cours dans le commerce les écrivains
nationaux les plus inftruits ne la font:
monter qu'à dix-huit millions fterlings ,
qui font quatre cent trente- quatre mil
lions de notre monnoye.
La Religion Catholique a fleuri en Angleterre
depuis le troifieme fiécle jufqu'au
temps du fchifme fameux d'Henri VIIL
Ce Prince , par mécontentement contre
le Pape qui s'étoit oppofé à fon mariage
avec Anne de Boulen , fécularifa plufieurs
Abbayes régulieres , fupprima les
autres , & fe déclara chef de l'Eglife anglicane
.
Marie fa fille , qui fuccéda à Edouard VE
fon frere, effaya de rétablir le catholiciſme,
& d'y éteindre le fchifme ; mais Elifabeth
fa foeur lui ayant fuccédé en 1558 , cette
Reine donna une nouvelle atteinte aux
dogmés catholiques , en établiſſant une
prétendue réforme dans l'Eglife anglicane
136 MERCURE DE FRANCE.
qui fupprima le dogme de la préfence
réelle , & de la transfubftantiation dans
le myftere de l'Euchariftie , l'invocation
des Saints , le purgatoire,& le célibat des
prêtres l'Eglife anglicane conferva les
habits facerdotaux , & la hiérarchie eccléfiaftique.
Quant à la liturgie , elle en
conferva auffi le fond ; mais infenfiblement
on y fit divers changemens , & .
enfin on en forma une nouvelle en langue
vulgaire .
On a confervé auffi les deux Métropoles
; mais en général les revenus eccléfiaftiques
ont bien diminué , ayant été
envahis par les féculiers , ou appliqués à
d'autres ufages enforte qu'aujourd'hui
plufieurs Evêques en Angleterre n'ont pas
mille écus de revenu. De- là vient fans
doute qu'on ne voit pas les gens de condition
prendre en Angleterre le parti de
l'Eglife .
,
Le Roi nomme à toutes les prélatures ,
que l'Archevêque de Cantorbery confére
en qualité de Primat. Le Clergé d'Angleterre
compofé d'Archevêques , Evêques
Chanoines & Curés , tient quelquefois
des affemblées par permiffion du Roi ;
elles font divifées comme le Parlement
en deux chambres , dont la premiere eft
remplie par les Eccléfiaftiques du premier
OCTOBR E. 1759. 137
ordre , & la feconde l'eft par ceux du fecond
ordre.
La Religion dominante eft celle des
Epifcopaux , qui fe foutiennent malgré les
efforts qu'ont fait en divers temps les
Calviniftes purs , ou Presbyteriens , pour
abolir l'Epifcopat. On appelle les Presbytériens
Puritains, parce qu'ils font profef
fion de fuivre l'Ecriture purement . On les
appelle auffi non conformistes , ainfi
que tous ceux qui ne fuivent pas la Religion
dominante. On appelle non - jureurs
tous les membres de l'Egife Anglicane
qui ne veulent point prêter ferment
contre le Prétendant. Pour entendre ceci
il faut fçavoir que fuivant le ferment du
Teft , par lequel on renonce au Pape , à
la transfubftantiation , & c. il faut auffi
abjurer le Prétendant ; & qu'on ne peut
obtenir ni dignités , ni emplois Eccléfiaftiques
, Civils , ou Militaires , ni fe faire
naturalifer, qu'on n'ait prêté ce ferment.
On tolére auffi en Angleterre d'autres
Religions, comme les Quakers ou Trembleurs
, les Anabaptiftes , Luthériens &
Millenaires , auxquels on permet le libre
exercice de leur Religion , que les loix.
défendent févèrement aux Catholiques ;
cependant il y en a , & même des Evêques ,
mais ils fe tiennent cachés , & ne font
138 MERCURE DE FRANCE.
aucun exercice de catholicifme que dans
le fecret.
Au refte ce grand nombre de Religions
autorisées ou fouffertes en Angleterre,fait
qu'à proprement parler il n'y en a aucune
, furtout parmi les Grands.
Le commerce de l'Angleterre eft immenfe.
Londres eft comme le centre de
tout le commerce intérieur ; de- là vient
ce grand concours de navires & de bateaux
, & même de voitures de terre
qu'on y voit continuellement .
Quant au tranfport des marchandifes
par eau , on peut juger du grand nombre
de navires , de matelots & de bateliers
employés en Angleterre , par le feul commerce
du charbon de terre , qui occupe
cinq cens navires pendant prefque toute
l'année , & dont les matelots paffent pour
les meilleurs qui foient en Angleterre .
C'eft pourquoi on entretient toujours ce
commerce fur ce pied , & l'on fait venir
le charbon par mer à Londres , de plus
de cent lieues , quoiqu'il y en ait des
mines plus voifines ; ce qui conferve
une pepinière de bons matelots toujours
prêts pour le fervice de l'Etat .
Le commerce extérieur est encore plus
confidérable , puifqu'il n'y a pas de pays
dans l'Univers où l'Angleterre ne l'ait
OCTOBRE . 1759. 139
porté & étendu , par toutes fortes de
moyens.
Ses principales marchandiſes font les
laines , dont il le fait une quantité prodigieufe
de draps & d'étoffes ; l'étain , le
plomb , le cuivre , le charbon de terre ,
le bled , le poiffon falé & fumé , & furtout
le harang & le faumon ; les cuirs ,
les fuifs , le fafran & c . Plufieurs de fes
manufactures font auffi fort recherchées ,
particulièrement les fatins , les damas ,
beaucoup de menus ouvrages en acier ,
& toutes fortes d'inftrumens de mathématiques.
Le commerce dans les pays étrangers
fe fait, principalement à Londres , par différentes
compagnies ou fociétés de marchands
, foutenues par le Gouvernement,
& fous la protection & l'autorité du Roi.
Il en faut excepter le commerce de l'Amérique
, qui eft confidérable , & pour
lequel il n'y a pas de compagnie particuliere
, hors celui de la Baye de Hudfon ,
qui en a une.
Les principales compagniesfont 1 °.celle
des Indes occidentales , fçavoir, l'ancienne
& la nouvelle,qui ont été unies enſemble :
leur commerce s'étend dans tout ce qu'on
appelle l'Orient , depuis la Perfe juſqu'à
la Chine : ces compagnies ont des comp
140 MERCURE DE FRANCE.
4
}
toirs & des établi femens confidérables
dans toutes les parties de l'Inde.
2º. La compagnie du Levant ou de
Turquie , établie par la Reine Elifabeth ,
& dont les priviléges ont été augmentés
par fon fucceffeur Jacques I fon commerce
eft confidérable & très riche.
3º La compagnie des marchands avantutiers
, la plus ancienne de toutes , établie
il y a près de quatre cens ans par
Edouard I , pour tranſporter la laine hors
du Royaume ; mais elle tranfporte aujourd'hui
les draps tout fabriqués.
4°. La compagnie de Ruffie ou de
Molcovie , établie fous le régne d'Edouard
VI , à l'occafion de la découverte
d'Archangel , faite par les Anglois dans
l'océan feptentrional , que l'on croyoit
autrefois impraticable .
5 °. La compagnie Royale d'Afrique ,
établie par Charles II , qui lui donna.
plein pouvoir de trafiquer fur toute la
côte d'occident d'Afrique , depuis Salé ,
au midi de la Barbarie , jufqu'au Cap de
Bonne Espérance , défendant à tous fés
fes fujets de le mêler de ce commerce.
L'auteur ne parle point du commerce
de l'Affiente , qui fut accordé à la nation
Angloife par le Traité d'Utrecht . Il remarque
feulement que comme ce comOCTOBRE.
1759: 141
merce étoit,ou du moins fembloit être peu
avantageux dans fon principe , on confentit
que les Anglois envoyaffent dans
les mêmes Indes un vaiffeau chargé des
marchandifes d'Angleterre & d'Europe ;
& de la maniere dont s'y prenoient les
Anglois pour faire le commerce , ce feul
vaiffeau leur rapportoit plus de vingt mile
lions de livres fterlings de bénéfice : mais
à force d'argent ils ont eu l'adreffe d'obtenir
un fecond vaiffeau par le Traité de
Seville ; ce qui a perdu non feulement le
commerce des autres Nations dans l'Amérique
Espagnole , mais encore celui de
l'Espagne même.
Les Anglois avoient trouvé le fecret
de faire leur commerce de l'Affiente de
maniere qu'un feul vaiffeau leur rapportoit
plus de vingt millions de livres fterlings
, ce qui faifoit près de quatre cent
foixante millions de livres de notre monnoye
cela paroît incroyable ; mais voici
ce que faifoit le capitaine Anglois pour
tromper les gardes côtes Efpagnols .
Ce vaifeau , qu'on appelloit Vaifeau
de permiffion , étoit toujours chargé à une
affez grande diftance du continent , & il
faifoit tranfporter de nuit & furtivement
les marchandifes dans de petites barques ;
le grand vaiffeau abordoit très- rarement ,
142 MERCURE DE FRANCE.
&
mais fe rempliffoit de marchandiſes , que
le Capitaine tiroit de la Jamaïque : ainfi
le magafin général étoit dans cette Ifle ,
& le vaiffeau de permiffion étoit un magaſin
ambulant qui fe rempliffoit & ſe déchargeoit
continuellement.
PRINCIPES difcutés , pour faciliter
l'intelligence des Livres prophétiques ,
& fpécialement des Pfeaumes , relativement
à la Langue originale. Tome IX .
A Paris chez Claude Hériffant , rue neuve
Notre Dame.
Je rendrai compte inceffamment des
derniers volumes de cet ouvrage.
LETTRES hiftoriques , pour fervir de
fuite à l'hiftoire des révolutions de la
Grande-Bretagne , & à l'hiſtoire militaire
& civile des Ecoffois au fervice de France.
AEdimbourg, & fe trouvent à Paris chez
Ganeau , rue S. Severin .
RÉCRÉATIONS littéraires , ou penſées
choifies fur differents fujets d'hiſtoire , de
morale , de critique &c. Avec un Eſſai
fur la trahifon. Par M. Lautour , Lieutenant
Général des Eaux & Forêts de France
en la Table de marbre du Palais à Rouen .
E
OCTOBRE . 1759 . 143
A la Haye , & fe vend à Paris chez
Briaffon , & Duchefne , rue S. Jacques ;
Chaubert , quai des Auguftins ; Ganeau ,
rue S. Severin , & Durand , rue du foin .
LIVRES nouvellement arrivés des pays
étrangers , chez Briaffon , Libraire , rue
S. Jacques , à la Science : à Paris.
.
ANACREONTIS Oda &
fragmenta, gr. &
lat. cum notis Joan. Conr. de Paw , 4 °
Trajecti , 1732.
Ariftaneti Epiftolæ , gr. & lat . cum notis
Jo. Merceri J. C. de Paw, 8 ° .Trajecti ,
1737.
Epictetus , græcè , in - 32 . Glafgua ,
1751.
D'Arnaud ( Georg. ) Differtationes de
jure fervorum & c. 4° . Leovardi , 1744.
Ejufdem. Conjecture variæ de jura
civili , 4° . Leovardi , 1744.
Lechij (Ant. ) Geometria practica, Theoretica
, & Trigonometria, & fectiones conicæ,
8 °. 4 vol. Milano , 1753 & 1758.
Ejufdem. Newtonis arithmetica , 8 °:
vol.
3
L'Uomo , del Marchefe Gorini Corio ,
in-4°. Luca , 1750 .
Effais fur l'hiftoire naturelle de la mer
144 MERCURE DE FRANCE.
Adriatique , trad. de l'Italien de Vital
Donati , 4° fig. enlumin. La Haye , 1758.
Effais fur l'Hiftoire naturelle des Coralinės
& autres productions marines ,
trad . de l'Anglois de Jean Ellis , 4 ° . fig.
La Haye , 1756.
Plutarchi apophtegmata , gr. & lat. cum
annotationibus variorum , edente Mich .
Mattaire , 4° Lond. 1741 .
Goldoni , nuovo Teatro comico , 8º.
2 vol. Torino , 1758.
Elémens de Géometrie d'Euclides , expliqués
par Konig & par Kuipers , 4º.
La Haye , fig. 1758.
Schewencke ( M. Guil. ) Catalogus
plantarum horti Hagenfis , 8 °. Hage ,
1752 .
Trioen ( Conr. ) Obfervationes Medico
chirurgica , 4° fig. Lugd Bat . 1743 .
Vriemoet ( Em . L. ) Athena Frifiace ,
4º. Leovanij , 1758.
Bruyn ( G. G, de. ) Differtatio de progreffu
in Ethices per rationem . 4°. Lugd.
Batavorum. 1758.
Gaubij ( H.D. ) Inftitutiones Pathologica.
8 ° . Leydæ . 1758 .
La fuite au prochain Mercure,
ARTICLE
OCTOBRE. 1759. 145
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES- LETTRES.
MEDECINE.
SUITE de la feconde Lettre de M. de la
Condamine , à M. *** Confeiller a . P.
d. D. Pourfervir de réponse à lafeconde
Lettre de M. Gaullard & à fon défi.
( Mercure d'Août 1759. )
moIN de réduire prefque au néant le
nombre de ceux qui n'ont jamais la petite
yérole , je fais vraisemblablement ce nombre
plus grand que ne le fuppofe M. G.
C'eft de quoi il ne fe doute pas. Il croit
peut - être comme bien d'autres , que
c'eft beaucoup que d'évaluer à un quart
ou à un tiers le nombre de ceux qui n'ont
jamais cette maladie , au lieu que je fuis
perfuadé & que j'ai même prouvé que la
moitié ou plus de la moitié des hommes
meurt fans l'avoir , favoir deux cinquièmes
qui meurent au berceau ou dans les deux
premieres années de la vie , des convulfions
, des vers , des dents, du rachitis, &c.
II. Vol. G
¥46 MERCURE DE FRANCE.
L
& une autre partie confidérable qui meurt
dans une âge plus avancé avant que d'avoir
payé le tribut à la petite vérole . Or cette
derniere portion jointe aux deux cinquiémes
, détruits par les maladies de l'enfance
& les avortemens , fait au moins la
moitié du genre humain, qui échappe à cette
maladie , non par incapacité de la contracter
, mais feulement par une mort
prématurée. Si l'on veut outre cela fuppofer
un certain nombre de fujets incapables
de prendre la petite vérole , ce qui me
paroît plus que douteux , le nombre de
ceux qui ne l'ont jamais en deviendra d'autant
plus grand : elle fera donc d'augint
plus meurtriere pour la partie du
humain qui refte expofée à ce fléau . D
loppons cette conféquence.
Pour eftimer le revenu d'une terre on ſe
contente de faire une fomme de ce qu'elle
a produit en dix ans. On en prend la
dixième partie à laquelle on évalue le produit
moyen annuel . Pour juger exactement
des effets de la petite vérole , au lieu de
dix anuées , M. Jurin, en a pris 42 , & il
a trouvé que fur plus d'environ mille morts
de toutes fortes de maladies pendant le
cours de ces 42 années , plus de 64, mille
-avoient été la victime de la petite vérole,
.ce qui fait à très -peu-près la 14 partie.
me
OCTOBRE . 1759 147
Une focieté de médecins & de chirurgiens
de Roterdam a , depuis lui , pouffé ce calcul
julqu'à 66 ans ; ils ont trouvé la même
proportion fur le total montant à 1500
mille , quoiqu'elle foit fort variable d'une
année à l'autre depuis un 8me & 9me jufqu'à
un 33 , un 63 me, & même un 149me.
C'eſt donc une vérité incontestable , qu'en
prenant un milieu , la petite vérole moiffonne
, année commune , la quatorzième
partie du genre humain. Si donc la moitié
des hommes meurt avant que de l'avoir , ce
tribut d'un quatorziéme du total doit être
levé fur la moitié furvivante. Or le quatorziéme
d'un tout eft le feptiéme de fa
moitié. Donc de fept malades de la petite
vérole , il en meurt communément un , fi
la moitié des hommes ne l'a jamais ; &
plus d'un fi plus de la moitié des hommes.
en eft exempte. Donc il s'en faut beaucoup
que j'aie exagéré le nombre de ceux que
la petite vérole fait périr .
Mais que dira M. G. fi je lui prouve
que c'eft lui- même qui réduit preſqu'à
rien le nombre de ceux qui n'ont jamais
la petite vérole ? C'eft un principe faux
abfolument faux , felon lui , que de fuppofer
cette maladie mortelle à un fur fept de
ceux qui enfont attaqués : il s'en fant beaucoup
fi on l'en croit qu'elle ne foit fi dan-
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
géreufe. Eh bien , que faut- il faire pour me
rapprocher de la vérité ? M. G. veut il
qu'il ne meure de la petite vérole qu'un
malade fur quatorze ? Je le veux . Mais
qu'il prenne garde à la conféquence . Il eft
prouvé que de quatorze hommes qui naiffent
il doit en mourir un de la petite vérole.
Donc chaque mort de la petite vérole fuppoſe
14 naiflances. Or puifqu'on veut qu'il
ne meure qu'un feul malade de la petite
vérole fur 14 , chaque mort fuppofe 14
malades de cette maladie : donc il y aura
autant de malades de la petite vérole que
de naiffances : donc tous les hommes fans
exception auront la petite vérole. Ce qui
eft évidemment faux & précisément l'oppofé
de ce que prétend M. G.
J'ai fait mon poffible pour lui épargner
cette contradiction. Je l'ai averti , page
45 de mon fecond mémoire , que prétendre
d'unepart qu'un très-grand nombre d'hommes
( échappés aux dangers de l'enfance )
n'ont jamais la petite vérole , & de l'autre
que cette maladie n'eft pas fort dangereufe
, c'étoit avancer deux chofes contradictoires
, puifque plus on fuppofoit de
privilegiés , moins il reftoit de fujets pour
acquitter le tribut conftant & fatal d'un
quatorziéme de l'efpece humaine ; que par
conféquent il falloit opter entre deux fups
OCTOBRE . 1759. 149
pofitions dont l'une excluoit l'autre & convenir
que fi la petite vérole eft moins
commune que je ne l'ai fuppofé , elle
fera d'autant plus meurtriere pour le nombre
de ceux qui l'auront , & que plus on
la fuppofera bénigne , plus elle fera générale.
M. G. au lieu d'opter , veut établir
à la fois deux fuppofitions incompatibles.
Ou il a lû ma démonſtration & n'a pas
voulu m'entendre , ou il ne l'a pas lûe ,
& il a tort de me contredire fans avoir
une idée bien nette de ce qu'il contredit ;
ou , enfin , il m'a bien entendu & cherche
à faire illufion à ceux qui ne fuivent
pas de près notre difpute . Je fuis fort embarraffé
dans le choix de l'une de ces trois
fuppofitions.
Les calculs d'Angleterre fur les inoculations
, dit M. G. feront vrais ou faux ;
pour lui qui vit en France , voici le fren : Il
va nous offrir un modele de jufteffe &
d'impartialité. Je connois , dit M. G. page
167 , quatre vingt , mettons pour la facilité
du calcul , cent inoculés à Paris ; fur ce
nombrej'en fçais AU MOINS deux morts,
& j'en ai cité trois qui ont eu la petite
vérole après l'inoculation .
Que de chofes dans ce peu de mots ! Je
demande bien pardon à M. G. d'être obligé
de le contredire fi cruement. Mais il
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
s'agit ici de l'intérêt public , qui m'oblige
à m'infcrire en faux contre fon affertion .
Quant aux deux inoculés morts à Paris ,
M. G. entend fans doute Mile. Chatelain
la cadette , & le fils cadet de M. Caze. Il
eft vrai que l'un & l'autre font morts : il
eft vrai qu'ils avoient été inoculés . Mais
s'agit - il ici de faire la lifte des inoculés
morts , ou de compter ceux qui font morts
de l'inoculation ? Je ne trouve point étrange
que M. G. range dans cette derniere
claffe Mile Chatelain. Il avoit un prétexte
fpécieux pour mettre fur le compte de
l'infertion la faute de ceux qui n'ont pas
averti l'inoculateur d'une circonftance qui
devoit rendre l'opération dangéreuſe . Mais
quant au fils de M. de Caze , après l'infor
mation juridique qui conftate la chûte de
cet enfant fur la tête , trois ſemaines
avant fa mort , après le rapport des médecins
& du doyen de la Faculté , qui
ont affifté à l'ouverture de fon corps , &
reconnu un dépôt féreux dans le cerveau,
avant que le fait de la chûte fût connu
ni des parens , ni de l'inoculateur , ( Mercure
de Juin 1759 ) après toutes les circonftances
& les détails de la derniere
lettre de M. Hofty , ( Mercure de Juillet ,
II vol. ) après les nouveaux témoignages
qu'il y joint & qui ne laiffent aucun doute
OCTOBRE. 1759. 151
*
fur la caufe de la mort de l'enfant , n'y at
- il pas autre chofe que de l'aveuglement
à ofer dire que ces faits mériteroient bien
que le miniftere public ufât du droit qu'il
a de parler & d'agir ? Le miniftere public
n'a -t-il pas fuffifament agi quand M. le
lieutenant général de police a permis une
information juridique de témoins & renvoyé
M. Hofty pardevant le commiſſaire
Chenu pour la recevoir ? Quelles preuves
faut- il de plus à M. G. qui a vu toutes ces
piéces imprimées ? On ne lui refuſera
pas de faire une nouvelle information &
de contredire la premiere juridiquement ,
s'il l'ofe mais pourquoi cherche - t- il à
répandre des doutes qu'il n'a pas ? Non
feulement fon expreffion fait entendre que
le jeune Caze , mort d'une chûte , a péri par
Pinoculation , il en fait même foupçonner
un troifiéme en difant qu'il en connoît à
Paris deux au moins . Que fignifie cet au
moins Indiqueroit- il pour troifiéme victime
de la petite vérole artificielle feu M.
le comte de Gifors , dont nous pleurons
encore la perte ? M. G. eft conféquent : fi
l'inoculation a dû préferver le jeune Caze
d'une chûte , elle pouvoit bien garantir
M. de Gifors d'un coup de fufil .
* Voyez Mercures de Juin & Juillet 1759.
52 MERCURE DE FRANCE.
Voilà donc trois morts que M. G. met
fur le compte de l'inoculation , quand on
peut à peine en foupçonner une. Ce n'eſt
pas affez : Il ajoûte ces mots remarquables
dont le public lui demande compte par
ma voix.
Sur ce nombre ( de 80 ou 100 inoculés
à Paris ) j'en ai cité trois , dit M. G.
qui ont eu la petite vérole après l'inoculation
. Je relis fa lettre d'un bout à l'autre
,je vois qu'il cite le jeune la Tour ; c'eſt
le fujet de la difpute préfente. Mais quel
autre auroit- il pû citer à Paris ? Je ne
fçache que l'auteur de la lettre anonyme
inferée dans le mercure de Décembre
1758 , qui ait eu l'impudence de dire qu'il
venoit d'apprendre que plufieurs inoculés
avoient eu la petite vérole à Paris . J'ai défié
cet anonyme de fe nommer ou de prouver
les faits calomnieux qu'il avance je
lui offrois s'il les prouvoit une réparation
autentique , & je confentois à paffer moimême
pour calomniateur. L'anonyme fe
taît : plus jaloux de la réputation de cet auteur
que lui - même , M. Gaullard ne lui
trouve d'autre tort que d'avoir pris un
mafque pour ofer dire la vérité . (p. 152
& 153 ) Ce n'eft pas tout : il ne s'apperçoit
pas qu'il contredit celui dont il
fait l'apologie. L'anonyme avoue qu'il
OCTOBRE. 1759 . 153
regarde comme apocryphe la nouvelle des
autres faits ſemblables à celui du jeune de
la Tour , & M. G. en compte deux autres à
Paris : il prétend même les avoir cités dans
fa lettre . Il est vrai qu'il cite un Hollandois
& un Anglois à la page 162 ; mais ces deux
étrangers inoculés ou non dans leur pays ,
ne font pas du nombres des inoculés à
Paris ; & c'eft SUR CE NOMBRE que M. G.
nous affure qu'il EN a trois.
Je connois 80 ou 100 INOCULÉS A PARIS.
Sur ce NOMBRE j'en fçais AU MOINS deux
morts ; & J'EN ai cité TROIS qui ont eu
la petite vérole. Que M. G. qui connoît ſi
bien la valeur des expreffions m'aprenne à
qualifier une propofition que l'auteur
donne pour vraie , quoiqu'il en connoiſſe
bien la fauffeté. Qu'il me dife s'il eft
honnête d'induire fes lecteurs en erreur ,
en effayant de perfuader aux étrangers &
aux gens de province , que fur 80 ou
100 perfonnes inoculées à Paris depuis
quatre ans , l'inoculation ait été funefte
au moins à deux , ( c'eft-à- dire peut- être
à trois , ) & inutile à trois autres en ne
Les garantiffant pas d'une feconde petite
vérole ; quand il eft d'une notoriété pu
blique qu'à l'égard des morts tout le réduit
à l'accident de Mlle Chatelain , d'autant
plus malheureux qu'il pouvoit & de
J
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
voit être prévu ; & quand M. G. ... luimême
, pour qui toute éruption à la peau
qui commence par le vifage eft une vraie
petite vérole , ne peut citer d'autre cas
de cette efpéce que celui du jeune de la
Tour, Encore une fois je demande à M. G.
à quelle intention & de quel droit au lieu
de deux foupçons dont un n'appartient
qu'à lui , il allégue cinq ou fix faits dont
il fçait que quatre au moins font faux :
eft -ce refpecter le public & la vérité ?
Eft-ce fe refpecter foi même ? M. G. a fort
bien fait de protefter qu'il ne répondroit
plus ; il lui feroit un peu trop difficile de
répondre à ces questions.
C'eft fur des mémoires auffi fidéles que
ceux qu'a lopte M. G. que la gazette hollandoife
de Rotterdam du 21 Juillet dernier,
dit à l'article de Paris , que l'inocula
tion va être févérement défendue en France,
à l'occafion de plufieurs morts très fubites
qu'elle a occafionnées. De quelque
part que foit venu cet avis que le gazetier
prétend avoir reçu de Paris , l'abſurdité s'y
joint à la mauvaiſe foi Eft on jamais mort
fubitement de la petite vérole ? Cet article
copié par toutes les gazettes Hollandoifes
n'étoit pas deftiné pour celles qui paroiffent
en notre langue , & qu'on reçoit à
Paris , où l'impofture eût été trop viſible,
OCTOBRE. 1759. ISS
Il ne pouvoit trouver de créance que hors
de France , & paroît avoir été fabriqué
uniquement pour Rotterdam , dans la vue
d'affoiblir l'impreffion qu'a dû faire le
nouveau traité d'une fociéte de médecins
& de chirurgiens de cette ville en faveur
de l'inoculation . Cependant il a été copié
par la gazette Angloife intitulée : London
Chronicle , ( 4 Août ) par quelques gazettes
Italiennes entr'autres celles de
Pefaro ; fans doute il a paffé dans les gazettes
Allemandes . On auroit bien de la
peine à faire faire le même chemin à une
vérité.
>
Rien n'eft plus propre à réconcilier avec
l'inoculation les gens de bonne for les
plus prévenus contre cette méthode , que
de voir de quelles armes on s'eft toujours
fervi pour la combattre. Litez , Monfieur,
ce qui s'eft paffé en Angleterre quand elle
commençoit à s'y répandre toutes les
calomnies que M. Jurin fe laffa de réfu
ter , & qui le découragèrent à la fin .
Miladi Worley Montagu m'a prédit il y a
trois ans que j'en ferois auffi rebuté . Elles
ont été renouvellées en Hollande ; mais
elles n'ont pas encore achevé leur tournée
en Europe. Paffe encore quand elles ne
font que ridicules . Telles font celles qu'on
imprime lérieufement en Italie , par exem
G vi
156 MERCURE DE FRANCE .
ple , que l'inoculation détruit plus d'hom
mes que la petite vérole naturelle : que le
Roi de Pruffe l'a défendue dans fes Etats
fous des peines grièves contre les inoculateurs
& les inoculés : qu'il y a un concile
aſſemblé en France pour décider s'il eft
permis de rendre bénigne une maladie fouvent
mortelle , &c. Ne vient- on pas de
répandre à Paris le bruit qu'un jeune homme
récemment arrivé de Pondicheri, d'où
il avoit rapporté le certificat de fon inoculation
, étoit mort d'une feconde petite
vérole ? Ce jeune homme eft à Paris depuis
dix ans je l'ai vu : il eft hors d'affaire : on
n'inocule point à Pondicheri , il n'a aucun
veftige d'inoculation , il ne fait ce que
c'eft . Remontez à la fource de toutes les
hiftoires pareilles , vous ne trouverez rien
de vrai. Je reviens à mon fujet.
Je propofois dans ma réponſe la queftion
fuivante : Lequel des deux court un
plus grand rifque de la vie , ou celui qui
attend en pleine fanté que la petite vérole
le faififfe , ou celui qui la prévient en fe
faifant inoculer ? J'ai dit que cette queftion
ne fe pouvoit décider que par l'expérience
, que fa folution dépendoit de la
comparaison d'un grand nombre de fairs
auxquels il falloit appliquer le calcul des
probabilités , qui eft une branche de la
OCTOBRE. 1759. IST

Géométrie . J'ai dit que comparer les liſtes
de morts de deux maladies examiner
quelle eft la plus nombreuſe , en conclure
de quelle part eft le plus grand danger par
un calcul dont les principes font démontrés
, n'étoit ni le fujet d'un cas de
confcience , ni celui d'une thèse de médecine
, comme le prétend M. G. Tout cela
eft de la derniere évidence.
De deux rifques que l'on compare , l'un
doit être plus grand que l'autre , à moins
qu'ils ne le trouvent précisément
égaux
ce qui feroit un hazard unique. Sans décider
de quelle part le rifque eft le plus
grand , je demande 1º . Si de deux risques
inégaux dont l'un eft inévitable
, il eft
permis de choisir le moindre ? Ce qui mérite
à peine d'être mis en question. 2 °. Si
dans le même cas où l'un des deux rifques
eft inévitable , la raifon , la confcience
la charité n'obligent pas de choisir le
moindre
& je laiffe la décision de ce
dernier cas aux théologiens. 3 °. Lorfque
quelqu'un
, perfuadé de l'utilité générale
de l'inoculation
, ſe détermine
à fe foumettre
à cette épreuve , je le renvoie au
médecin pour décider du temps , du lieu ,
des circonstances
; & pour le préparer à
l'opération , M. G. me cite au tribunal
de la faculté , dont , fuivant lui , j'ai uſurpé
les droits ,
158 MERCURE DE FRANCE.
:
Enfin , je dis que s'il eft prouvé qu'il y
ait plus de danger à attendre la petite
vérole qu'à la prévenir , il faut fe faire
inoculer. M. G. appelle mon problême ,
il veut dire mon argument , un fophifme ,
& cela parce que , dit- il , il eft poffible
de n'avoir jamais la petite vérole. Il n'eft
pas vrai , ajoute til , que de ces deux
rifques l'un foit inévitable . ( pag. 166. )
M. G. auroit il trouvé un milieu entre attendre
la petite vérole & la prévenir ?
Peut il dire qu'il n'y a pas de rifque à
l'attendre ? Ne prétend - il pas qu'il y a
beaucoup de rifque à fe faire inoculer ,
feule manière de prévenir cette maladie ?
Voila donc deux rifques dont l'un eft
inévitable , & entre lefquels il ne nous
refte plus que le choix.
Le rifque d'attendre la petite vérole eft
à la vérité compofé de deux autres , fçavoir
du rifque de l'avoir tôt ou tard , &
du rifque d'en mourir fi jamais on en eft
atteint. Mais ce rifque , tout composé
qu'il eft , eſt calculable : il dépend d'une
part du dégré de probabilité de ne point
avoir la maladie , & de l'autre du dégré
de probabilité d'en réchapper fi on l'a .
C'est donc , je le répéte , une affaire de.
calcul , & le problême ne peut fe résoudre
qu'en appliquant aux faits les régles con
OCTOBRE. 1759 159
nues des géomètres pour mesurer les dégrés
de probabilité . La folution , encore
une fois , n'en appartient donc ni au
théologien ni au médecin .
}
J'ai prouvé ailleurs , d'après des faits reconnus
vrais , que le rifque de mourir un
jour de la petite vérole que court en pleine
fanté l'adulte qui ne l'a pas encore eue ,
n'eft que d'une foixante & dixieme partie
moindre que le rifque de celui qui eft actuellement
atteint de la maladie. Je m'étois
flatté qu'en fupprimant les formules
algébriques , i'avois mis cette vérité à la
portée de tout lecteur qui voudroit y don
ner une légère attention , & je vois qu'un
homme d'efprit ne m'entend pas. J'efpere
que d'autres moins clairvoyans & moins
prévenus que lui m'entendront . Mais , réflexion
faite , je puis ceffer de m'éronner
qu'il ne m'ait pas entendu : j'ai même
dequoi le confoler de ce petit malheur.
Je me félicitois d'avoir rendu , comme
je viens de le dire , ma démonſtration
fenfible à tout le monde en la dépouillant
de tout appareil géométrique , lorfque
quelqu'un dont je ne donnerois pas une
affez heute idée , en difant que fon nom
feul eft fynonim , d'homme de beaucoup
d'esprit , m'a dit avec une ingénu té qui
ne convient qu'aux talens fupérieurs , qu'il
1
7
160 MERCURE DE FRANCE.
m'avouoit que dès que je lui parlois d'un
feptième & de la dixième partie d'un ſeptieme
, il ne m'entendoit plus. Affurément
celui dont je parle a beaucoup plus de lumieres
que tous ces ufuriers qui calculent
fi bien l'intérêt de l'intérêt ; mais la plûpart
de ceux qui , avec une imagination:
vive , ne s'occupent habituellement que
d'éloquence de poëfie , & de matieres de
goût , n'ont pas acquis l'habitude de donuer
à leur efprit le dégré d'attention fuffifant
pour combiner les moindres rapports
de nombres , & la répugnance qu'ils
fe fentent pour toute efpéce de calcul ,
leur perfuade qu'ils en font incapables.
S'il en eft ainfi d'un affez grand nombre
de gens de lettres , que fera ce du commun
des gens du monde , & de cette moitié
du genre humain à laquelle l'autre ne réfifte
point ? Voilà ce qui fait que fi peu
de gens font en état d'avoir un avis à eux
fur la question préſente toute fimple qu'elle
eft. De ce petit nombre il faut encore retrancher
ceux qui ne l'ont point examinée,
parce qu'aucun intérêt fuffifant ne les y a
déterminés . Enfin il faut mettre à part
Ies gens prévenus ou intéreffés , par quelque
motif que ce puiffe être , à s'élever
contre la nouvelle méthode. Toutes ces
déductions faites , au lieu d'être furpris
t
OCTOBRE . 1759 161
1
que l'inoculation ait beaucoup de contra
dicteurs , on s'étonnera peut- être qu'elle
ait tant de partilans .
M. G. ( pag. 167 ) laiſſe à qui voudra
le foin de vérifier les calculs d'Angleterre.
Ils font publics , & depuis longtemps n'ont
plus befoin de vérification ; mais en voici
un qui m'avoit échappé . M. Hofty , par
fon rapport imprimé dans tous les Journaux
à ſon retour de Londres en 1756 ,
nous apprit que dans les quatre dernières
années expirées le 14 Mai 1755 , il n'étoit
mort qu'un inoculé fur 473 dans
l'hôpital de l'inoculation . Il y a quelque
chole à changer à ce nombre. Je vois
dans un écrit publié l'année fuivante par
les adminiftrateurs de cet hôpital , que
du 21 Décembre 1751 au 21 Décembre
1755 , dans un intervalle égal de quatre
années , il n'étoit mort qu'un de 593 inoculés
, & la plupart adultes.
Mais ce font des gen choifis , dit M. G.
Oui fans doute : car fur un pareil nombre
de perfonnes prifes au hazard & non foumiles
à l'inoculation , plus d'une payeroit
le tribut à la nature dans le terme de la
cure ordinaire d'une petite vérole , & nous
ne prétendons pas que l'inſertion préſerve
ceux qui la fubiffent de tous les accidens.
auxquels la vie humaine eft fujette. Pour
762 MERCURE DE FRANCE.
JUSTIFIER par des calculs les fuccès de
l'inoculation , il faudroit , ajoute M. G.
( pag. 166 ) avoir inoculė les bons & les
mauvais fujets indifféremment ; on ne l'a
point fait , & on n'a eu garde de le faire.
C'est justement ce qu'on a fait dans les
premiers temps , & ce que M. G. ne devroit
pas ignorer.
Je le renvoie fans ceffe aux écrits de M.
Jurin & de fes contemporains , c'eſt - àdire
, aux élémens de la doctrine de l'inoculation.
Il y apprendroit que dans les com
mencemens en Angleterre & en Amérique,
on inoculoit à tout âge & fans choix ,
enfans à la mamelle , vieillards de 70 ans ,
femmes groffes , négres , efclaves , juftement
foupçonnés de porter dans leur fang
le virus vénérien . Alors en ne faifant aucune
déduction pour tous les accidens
étrangers à l'inoculation , M. Jurin trouva
qu'il mouroit un inoculé fur 6o . Quand il
en fût mort un fur comme le fuppofèrent
les ennemis de la nouvelle méthode,
le rifque de la petite vérole naturelle , qui
fur so en enlève communément fept , &
fouvent huit ou dix , eût encore été huit
fois , ou tout au moins fept fois plus grand
que celui de l'inoculation pratiquée au
hazard. Les avantages de cette pratique
font donc établis dans tous les cas , par
{
OCTOBRE. 1759 : 163
comparaiſon aux dangers de la petite vérole
naturelle . Et ne fuffiroit- il pas pour
décider la queftion , d'être le maître de choifir
l'âge , la faiton , le lieu , & toutes les
circonftances qui concourent à rendre
bénigne une maladie prefqu'inévitable ,
que de s'expofer à la contracter dans le
temps d'une épidémie meurtrière au milieu
d'une campagne éloignée de tout fecours ,
peut- être en voyage , peut être fous une
tente , dans des difpofitions de corps ou
d'efprit , telles que la frayeur , qui fuffilent
pour en augmenter le danger ? Dans ces
circonftances , le jeune homme le mieux
conftitué , le plus fain , le plus robuſte , &
dont quelquefois la maladie par des fignes
équivoques trompe la prudence du médecin
, eft fouvent celui qui court le plus dé
rifque ; ce rifque , qui eft au mins d'un
fur fept fi le fujet eft déjà malade , n'eft
guère moindre comme je l'ai déja fait
voir , pour celui qui jouit encore de toute
fa fanté. Le rifque eft évidemment pour
celui- ci de plus d'un fur huit , & il augmente
avec l'âge tant qu'il n'a pas payé le
fatal tribut. Tout cela eft démontré fans
réplique. Jufqu'à préfent le mal étoit fans
remède ; la Providence nous en offre un .
Tel fur la vie duquel il n'y avoit que huit,
fix ou quatre à parier contre un , peut

164 MERCURE DE FRANCE
changer fon fort , & fe mettre au pair
avec celui qui fe préfente à l'hôpital de
Londres , & dont il ne meurt qu'un fur
près de 600. Peut- on , à moins d'être barbare
, être convaincu de cette vérité fans
en avertir ceux qui l'ignorent ? Peut - on
ne pas plaindre ceux qui ne veulent pas
s'en inftruire ? Seroit - il poffible, Monfieur,
que vous fuffiez de ce nombre , & que dans
la crainte chimérique que l'inoculation de
M. votre fils ne fût en pure perte, vous hé
htaffiez encore à mettre fa vie en fûreté ?
Vous favez que celui de Madame d'Epinai,
qu'elle a conduit à Genève , eft inoculé depuis
15 mois , & que depuis ce temps il rend
de fréquentes vifites à tous les malades de
la petite vérole : Mais vous ignorez fans
doute que la mere , dont le tempérament
étoit ufé par les infirmités & par les remèdes
, eft non feulement guérie par M.
Tronchin de fes diverfes infirmités , auxquelles
s'étoit joint un ulcère dans les
reins , mais qu'elle vient d'être inoculée
elle-même , & qu'elle eft prête à revenir
à Paris en parfaite fanté. Cet exemple
n'achevera-t-il pas de diffiper les doutes
que la première lettre de M. Gaullard
vous avoit infpirés ? Vous avez regardé
comme inconteftables tous les faits qu'il
avançoit.
OCTOBRE. 1759. 365
J'ai déjà prouvé que M. G. ne fe piquoit
pas d'exactitude dans les faits : En
voici une nouvelle preuve . Que diroit - il
fi je m'avifois , pour orner ma réponſe ,
d'inventer une hiftoire fur fon compte , &
de la donner pour vraie , de fuppofer , par
exemple , que le dépit de n'avoir pas été
appellé pour une inoculation , l'a mis de
mauvaiſe humeur contre les inoculateurs ?
Ne pourrois-je pas donner à cette prétendue
anecdote un air de vraiſemblance ? La
malignité ſeule n'aideroit- elle pas à la perfuader
? Je vois déjà M. G. s'indigner de
cette fiction . Je me mets à ſa place , qu'il
fe mette à la mienne. Une telle hiftoire ,
fi je la faifois, feroit peut-être moins fauſſe,
mais à coup fûr ne le feroit pas plus que
le petit roman imaginé par M. G. fur mon
compte , & dont il fait part au public dans
fa Lettre, p. 169. Voici les paroles : C'eût
été pour M. de la C. un grand triomphe
de rapporter de Rome un brefpour autorifer
l'inoculation ; les lumières du Saint
Père le mirent à l'abri de la féduction des
calculs ; il tint bon contre toutes les tentatives
du géomètre , &c . Voilà un fait articulé
bien précisément avec toutes fes
circonftances. Je fçais que M. G. a dit
qu'il en avoit des preuves , & je dis moi
966 MERCURE DE FRANCE.
qu'il eft de la même fabrique que les deux
ou trois morts de l'inoculation à Paris , &
les deux ou trois inoculés attaqués d'une
feconde petite vérole.
Je ne m'en tiendrai pas à la fimple négation.
Ce ne fut qu'à la fin de 1754 que
je pus fatisfaire le defir que j'avois depuis
30 ans de faire le voyage d'Italie , fans
prévoir que ce voyage donneroit lieu à
des commentaires de plus d'une espèce.
Quelqu'un , avant mon départ de Paris ,
s'avifa de me demander en plaifantant fi
j'allois folliciter un bref en faveur de l'inoculation
: cette plaifanterie fe répandit à
Rome , & trouva des gens qui la prirent
férieufement : mais je défie M. Gaullard &
tout autre d'en citer un feul témoin . Ce
n'eft pas tout : M. le Duc de Choifeuil étoit
alors Ambaffadeur de France à Rome ;
il me fit l'honneur de me loger chez lui
pendant un an , & de me préfenter au feu
Pape Benoît XIV , ainfi qu'à feu M. le
Cardinal Valenti , fecrétaire d'état ; c'eft
lui à qui j'ai l'obligation des graces dont
le S. Pere m'a comblé : il voudra bien me
permettre de le prendre à témoin que je
n'ai jamais fait la moindre tentative tendante
à folliciter un pareil bref ; ce que S.
Exc. n'auroit pas ignoré , j'aurois plutôt
OCTOBRE. 1759. 167
craint de multiplier les obftacles que de
des lever par l'iinpétration de ce bref.
Le projet que me prête M. G. étoit fi
loin de ma pensée , que je ne répondis pas
même aux avances que me fit fur ce ſujet
le Cardinal premier Miniftre , en me donnant
quelques exemplaires de la traduction
italienne de mon premier mémoire , faite
par fon ordre , & en me faifant entendre
que G pour introduire l'inoculation en
France , on n'attendoit que l'approbation
du S. Siége , la choſe ne fouffriroit pas de
difficulté. M. G. a donc jugé tout auffi
légèrement de mes démarches à Rome
que de la nature de la maladie du jeune
la Tour.
M. Gaullard m'accordera , dit - il , volontiers
que la plupart & mêmefi je veux
tous fes raisonnemens portent à faux , p.
27. Je prends acte de cette confeffion de
mon adverfaire ; mais , ajoute- t-il , pour
les chofes de fait , il faut que M. de la C.
en convienne . Ici M. G. répète fes exemples
; je répète donc que j'y ai fuffilamment
répondu , foit en les infirmant , foit
en les admettant ; que dès ma première
lettre j'ai fait voir , en les fuppofant vrais ,
combien peu ils tireroient à conféquence.
M. G. paroît lui- même fentir la foiblefle
68 MERCURE DE FRANCE
de fes répliques ; & c'eft fans doute pour
en détourner l'attention du lecteur qu'il
termine fa lettre par un défi qu'il me fait.
Je rapporterai fes propres termes .
Le refte de la lettre contenant le défi de
'M. Gaullard , & la réponse de M. de la
Condamine qui l'accepte , fe trouvent dans
le Mercure de Septembre.
ACADEMIES.
PRIX proposé par l'Acad. des Sciences ,
Belles Lettres & Arts de Lyon.
·
Pour l'année 1761.
L'A' ACCAADDÉÉMIE des Sciences , Belles-
Lettres & Arts de Lyon , propofe pour
le Prix de Phyfique fondé par M. Chrif
tin , qui fera diftribué à la fête de Saint
Louis 1761 , le sujet fuivant::
:
Quelles font les caufes qui font pouffer
le vin ? Quels font les moyens de prévenir
cet accident & d'y remédier , fans que la
qualité du vin devienne nuifible à la fanté?
Toutes perfonnes pourront aſpirer à ce
Prix. Il n'y aura d'exception que pour les
Membres de l'Académie , tels que les
Académiciens
OCTOBRE. 1759 169
Académiciens ordinaires , & les Vétérans.
Les Affociés réfidant hors de Lyon , auront
la liberté d'y concourir.
>
Ceux qui enverront des Mémoires
font priés de les écrire en François ou
en Latin , & d'une maniere lifible.
Les Auteurs mettront une devife à la
tête de leurs Ouvrages. Ils y joindront
un Billet cacheté , qui contiendra la même
devife , avec leurs nom , demeure
& qualités. La Piece qui aura remporté
le Prix , fera la feule dont le Billet fera
ouvert.
On n'admettra point au concours les
Mémoires dont les Auteurs fe feront fait
connoître directement ou indirectement ,
avant la décifion.
Les Ouvrages feront adreffés,francs de
port , à Lyon ,
Chez M. Bollioud-Mermet , Secrétaire
perpétuel de l'Académie, rue de l'Arcenal
Ou chez M. le Préfident de Fleurieu ,
auffi Secrétaire perpétuel , rue Boiffac
Ou chez Aimé de la Roche , Imprimeur
de l'Académie , aux Halles de la
Grenette , qui les fera remettre entre les
mains de MM . les Secrétaires .
Aucun Ouvrage ne fera reçu après le
Fremier Avril 1761. L'Académie , dans
fon affemblée publique , qui fuivra im-
11. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
médiatemeut la fête de S.. Louis , pro
clamera la Piece qui aura mérité les
fuffrages.
Le Prix eft une Médaille d'or , de la
valeur de 300 liv. Elle fera donnée à
celui qui , au jugement de l'Académie
aura fait le meilleur Mémoire fur le fujet
propofé.
Cette Médaille ſera délivrée à l'Auteur
même , qui fe fera connoître , ou au porteur
d'une procuration de fa part , dreffée
en bonne forme.
ASSEMBLE'E publique de l'Académie
royale des Belles- Lettres de la Rochelle
tenue le 16 Mai 1759 .
L'ACAD
ACADÉMIE a tenu dans la grande
falle de l'Hôtel- de -Ville , à la manière
accoutumée , fon Affemblée publique , à
laquelle M. le Maréchal de Séneterre a
affifté. M. de la Garde , Directeur , a ouvert
la féance par un Mémoire , où il
montre que la méthode de l'affinage
de l'or avec le ciment eft la meilleure.
M. Arcere a lû enfuite un autre Mémoire
de M. Lefévre de Saint Marc , affocié de
l'Académie , fur le pouvoir que la dignité
OCTOBRE. 1759 171
de Patrice donnoit aux exargues de Ravenne
, & fur la forte d'autorité que les
Romains eurent deffein de déférer à
Charles Martel , à Pepin , à Carloman ,
à Charlemagne , en les déclarant Patrices
de Rome.
Ce fecond Mémoire a été fuivi d'un
autre de M. Dreux du Radier , auffi affocié
de l'Académie , fur la nobleffe &
la chevalerie gauloifes . La féance a été
terminée par la lecture d'une Ode de M.
de Bologne , tirée du Pfeaume Attendite
popule meus ... dont voici quelques ftrophes.
Ifraël triomphoit de plus d'une victoire ,
Il vantoit fa valeur & fes exploits guerriers :-
Tandis qu'il s'applaudit , enyvré de fa gloire ,
Il voit brifer fon arc & flétrir fes lauriers.
Dans fon aveugle confiance
Un bras de chair fut fon appui:
Il ofa rompre l'alliance
Que le Seigneur fit avec lui ;
D'un Dieu vengeur jufte victime ,
Son audace égale à fon crime
Au Jourdain trouva fon écueil .
Le cédre altier lève la tête ,
La foudre tombe , la tempête-
Anéantit fon fol orgueil...
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
1
Tu fçais , grand Dieu ! tu fçais combien l'homme
eſt fragile !
Au gré de ta fureur pourrois-tu le punir ?
Tu vas porter tes coups fur un vafe d'argile ,
Sur un fouffle qui part pour ne plus revenir !
Combien de fois , fous tes aufpices ,
Et fugitifs & voyageurs ,
Dans les momens les plus propices
Bravèrent- ils tes feux vengeurs !
Combien de fois , cherchant toi-même
Des fils ingrats que ton coeur aime,
T'en vit-on preffer le retour !
Au premier cri de leur mifére ,
Déployer les bontés d'un pere
Et les tréfors de ton amour !
Jacob de ces faveurs perdrois- tu la mémoire
Tandis qu'épouvanté de les fléaux nombreux
L'habitant du Nil même en conſerve l'hiftoire ,
Et frémit au feul nom du vengeur des Hébreux ...
Aux éclats brûlans de la foudre
La grêle joint fes coups tranchans ;
Arbres , troupeaux réduits en poudre ,
De leurs débris couvrent les champs,
Sous les afpects les plus finiftres , .
Des enfers les affreux Miniftres
Sément la flâme & la terreur,
OCTOBRE. 1759. 171
Du quadrupède à l'homme même ,
L'exécuteur de l'anathême .
Etend fon glaive & fa fureur.
Partout l'hymen en pleurs regrette fes prémices
Dans un fang odieux partout le bras vengeur
Pourfuit un fils impie , abhorré pour les vices ,
Qui fur le front d'un pere imprima la rougeur.
Quel fut ton fort , race perfide !
Après avoir brifé tes fers ,
Comme un troupeau foible & fans guide ,
Il t'affembla dans les déferts .
Tu dois à la magnificence
Ces lieux conquis par fa puiffance
Qu'il te promit par fes fermens ,
Ce mont fameux dont l'Arche fainte
Devoit orner l'heureufe enceinte ,
Et confacrer les fondemens.
En faveur d'Ifraël prodiguant fes largeffes,
Des fières nations qu'il chaffa devant lui
&
Il livre en fon pouvoir les champs & les richeffes ,
Les palais fomptueux qu'il habite aujourd'hu
Digne fils d'intraitables peres ,
Dans ton aveugle impiété ,
De leurs révoltes ordinaires
Tu confommas l'iniquité !
Tel qu'un arc qui perd ſa ſoupleſſe ,
Hiij
74 MERCURE DE FRANCE
L'enfant chéri de la promeffe
Fut inutile à fes deffeins.
Tu portas tes voeux fanatiques
A des Dieux vils & fantaſtiques
Qu'ont ofé fabriquer tes mains .
Il le vit ; & dès- lors tu n'eus plus en partage
Que les travaux , les fers , l'opprobre , la douleur ,
Et rendant à fon tour outrage pour outrage ,
Il dédaigna des cris qu'arrachoit le malheur...
Tu vis ta fleur la plus brillante
Sans pitié tomber fous leurs coups ;
La jeune épouſe défaillante
Redemander fon jeune époux.
Ces Prêtres Saints , qui pour tes crimes
Répandoient le fang des victimes ,
A tes yeux répandre le leur:
Veuves en pleurs , vierges captives ,
Exhaler leurs ames plaintives
Parmi l'opprobre & la douleur.
Toutes ces Pièces feront inférées dans
le nouveau Recueil que l'Académie ſe
propofe de donner au public.
751
OCTOBRE. 1759. 179
SEAN CE publique de l'Académie des
Sciences , des Belles - Lettres & des Arts
de Rouen , tenue le premier Août 1759 .
A
M. de Miromenil , Vice- Directeur ,
préfida à cette Séance en l'abſence de
M. de Premagny , Directeur.
M. le Cat , Secrétaire pour les Sciences,
l'a ouverte par le compte qu'il a rendu à
cette Affemblée des travaux de la Compagnie
pendant l'année académique.
Il a enfuite lû l'extrait d'un Mémoire
confidérable qu'il avoit fait fur les comètes
à l'occafion de celle de cette année.
Tout le fond de ce Mémoire eft pris
dans trois autres qu'il lut en 1744 à l'Académie
fur le Cartéfianiſme & le Newtonianiſme
; il a quatre parties.
Dans la premiere partie , M. le Cat
fait voir la doctrine du retour des
que
comètes n'eft pas nouvelle ; que non feulement
les plus fenfés des Phyficiens Grecs
& Romains ont été de cette opinion ,
mais encore qu'au renouvellement de la
Phyſique , Deſcartes & Gaffendi ont penſé
comme ces anciens , & que Defcartes dit
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
expreffément que fi la difpofition des
tourbillons pouvoit être comprife , on
prédiroit le retour des comères auffi certainement
que les éclipfes. Enfin , felon
M. le Cat, c'eft M. Caffini qui le premier
a tracé non feulement le cours que doivent
fuivre les comères de 1652, 1664,
& 1680 , mais encore le période entier .
de celle de 1680 , qu'il affura être la
même qui avoit paru en 1657 ; que fon
période étoit de 103 ans un mois moins
dix fept jours ; d'où il eft aifé de conclure
qu'elle doit être attendue en 1783
ou 1784. Et comme fi ce grand Aftronome
, ajoute M. le Cat , avoit prévu l'in
juftice qu'on lui fait aujourd'hui d'attribuer
cet honneur à M. Halley , il donna:
à l'Académie en 1699 un Mémoire intitulé
, Du retour des Comètes ; & M. de
Fontenelles, dans l'extrait qu'il en donne,
dit
que M. Caffini apporte tant de preuves.
de ce retour , qu'il femble être l'Aftronome
prédit par Appollonius ; car cet ancien
Phyficien prévit qu'un jour on calculeroit
le période de ces aftres. M. le Cat fait remarquer
encore que M. Halley étoit préfent
en1680 , 81 , aux obfervations de M.
Caffini ; que ce n'eft que d'après lui qu'il
a prédir le retour de la comète de 1759, &
OCTOBRE. 17597
177
que le feul avantage qu'il aye , c'eft d'avoir
eu le bonheur de s'adreffer à une
.comète d'un période plus court , & qui
eft revenue avant celle de Caffini.
M. le Cat, fidèlement atraché à la Phyfique
méchanique , à la Phyfique cartéfienne
, fe propofe enfuite d'expliquer ce
cours des comètes dans le fyftême du
plein ; pour cela il faut en établir la néceffité
, & ruiner par conféquent les fondemens
du Newtonianifme , fi accrédité
aujourd'hui. C'eft ce qu'il a le courage:
d'entreprendre dans la feconde partie. Le
vuide & l'attraction immatérielle , ne font
felon lui , que des hypothèfes mathématiques
, commodes pour calculer les phenoménes
aftronomiques, mais abfolument
fauffes dès qu'on veut les réaliſer en cauſes
phyfiques. Il croit le prouver 1. par des
argumens directs contre le vuide & l'attraction
; 2 °. par des
preuves du plein de
contiguité & de fa néceffité ; 3 ° . par l'irapuiffance
des forces attractives & projectiles
à produire les orbes elliptiques
des planettes , ce qu'il croit démontrer ;
4°. & enfin par les aveux de Newto
même fur tous ces points , & par ceux
d'un de fes plus zélés fectateurs Maclaurin
Dès que le vuide & Pattraction font
des chimères ou de purès fuppofitions mas
Hw
178 MERCURE DE FRANCE .
thématiques , & que le plein de contiguité
eft démontré , ( ce plein de contiguité admet
les vuides difféminés ) il faut bien
en revenir à un fyftême méchanique du
monde. C'eſt par ce fyftême d'un monde
tour matériel que l'auteur prétend réaliſer
les calculs des Newtoniens ; & c'eft - là
l'objet de la 3 partie de fon Mémoire.
e
NOTA. Je fouhaiterois pouvoir donner
l'extrait de ce Mémoire curieux , mais
les bornes du volume ne me le permettent
pas.
PRIX proposé par l'Académie Royale
des Sciences & Belles - Lettres de Prufe ,
pour l'Année 1761.
LE
E Prix de Philofophie fpéculative ,
propofé en 1757 fur la Queſtion ,
Quelle eft l'influence réciproque des opinions
du Peuple fur le Langage , & du
Langage fur les Opinions ?
a été adjugé , dans l'Affemblée, publique
du 31 de Mai 1759 , à M. Jean David
Michaëlis , Profeffeur de Philofophie , &
Membre de la Société royale à Gottingen.

OCTOBRE. 1759 . 179
On devoit adjuger le même jour le Prix
de la Claffe de Philofophie expérimentale
, renvoyé à cette année , fur la Queftion
énoncée en ces termes :
Déterminer fi l'Arfenic qui fe trouve en
grande quantité dans les Mines métalliques
de divers genres , eft le véritable
principe des Métaux , ou bien fi c'est
une fubftance qui en naiffe & en forte
par voie d'excrétion : ce qu'il faut éta
blir par des expériences folides & fuffi
famment réitérées.
Les Pièces qui avoient concouru en
757 , n'ayant point répondu aux vûes
de l'Académie , elle avoit été obligée de
rappeller à ceux qui y prétendent la néceffité
indifpenfable de faire à ce fujet
des expériences qui fuffent non feulement
folides , mais encore fuffisamment
réitérées. Comme elle n'a encore rien
reçu de pleinement fatisfaifant , la Queftion
feroit préfentement dans le cas d'être
abandonnée. Cependant , vû fon importance
, on accorde un dernier délai d'un
an ; de forte que les Pièces doivent être
remifes d'ici au 1 Janvier 1760.
La même Claffe propofe une nouvelle
Queftion pour l'année 1761 .
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
On demande ::
Si tous les Etres vivans , tant du règne
animal que du règne végétal , fortent
d'un auf fécondé par un germe , ou
par une matière prolifique analogue au
germe ?
Quelque parti qu'embraffent ceux qui
travailleront à la folution de ce problême
, l'Académie exige qu'ils confirment:
leur fentiment par de nouveaux argumens
& par de nouvelles expériences.
On invite les Sçavans de tout Pays ,
excepté les Membres ordinaires de l'Aca--
démie , à travailler fur cette Queſtion. Le
Prix , qui confifte en une Médaille d'or
du poids de cinquante ducats , fera donné
à celui qui , au jugement de l'Académie ,
aura le mieux réuffi. Les Pièces écrites :
d'un caractère lifible feront adreffées à
M. le Profeffeur Formey , Secrétaire per--
pétuel de l'Académie .
Le terme pour les recevoir eft fixé jufqu'au
1 Janvier 1760 ; après quoi on n'en
recevra abfolument aucune , quelque raifon
de retardement qui puille être allé
guće en fa faveur .
On prie auffi les Auteurs de ne point :
fe nommer , mais de mettre fimplement:
une devife , à laquelle ils joindront un
OCTOBRE. 1759. 181
Billet cacheté qui contiendra avec la deviſe
leur nom & leur demeure.
Le jugement de l'Académie fera déclaré
dans l'Affemblée publique du 31
Mai 1760.
O Na été averti par le Programme de
l'année précédente , que le Prix de la
Claffe de Belles - Lettres , qui fera adjugé
le 31 Mai 1760 , & pour lequel les Picces
feront reçues jufqu'au 1 de Janvier de
la même année , concerne la Queſtion
fuivante.
Il
s'agit ,
1.° De mettre dans un plus grand jour
que perfonne ne l'a encore fait , l'hiftoire
géographique des anciens Cantons de Brandebourg
, qu'on appelle dans la Langue:
du moyen áge , Pagi , & en Allemand ,
Gauen.
2.° De déterminer quelle a été la véritable
étendue de la Marche de Brandebourg
fous les Marggraves des Maifons d'Anhalt,
de Bavière & de Luxembourg ? Quelles
Provinces ont été comprifes fous , ce nom ? -
Quels autres Pays les Marggraves ont
poffédé ? Et quels Etats y ont appartenu à
titre de Fiefs ? Ilfaudra éclaircir les noms
que les différentes Provinces de Brander
152 MERCURE DE FRANCE.
bourg ont portés pendant cet espace de
temps , & les variations qui font arrivées
à cet égard. Enfin on déterminera l'origine
, l'époque , & l'occafion de la dénomination
préfente de toutes les Provinces
qui compofent l'Electorat de Brandebourg.
3..º On fera voir , tant par l'ancienne
grandeur de la Marche de Brandebourg
que par d'autres traits remarquables tirés
de l'Hiftoire de ce Pays , que les anciens
Marggraves de Brandebourg ont de tout
temps joué un rôle des plus diftingués parmi
les Puiffances de l'Europe , furtout
parmi celles du Nord.
Il reste encore le Prix de la Claffe de
Mathématique , fur la Queſtion :
Si la vérité des principes de la Statique
& de la Méchanique eft néceffaire ou contingente
?
Les Pièces qui ont été envoyées au
concours en 1758 n'ayant pas fatisfait
aux intentions de l'Académie , le Prix at
auffi été renvoyé à l'année 1760 , & les
Pièces feront reçues jufqu'au 1 Janvier
de ladite année ; pendant lequel espace
de temps on pourra envoyer de nouveaux
Mémoires , ou donner à ceux qui ont
déjà été envoyés un plus grand degré de
perfection.
OCTOBRE. 1759. 183
ARTICLE IV.
BEAUX ARTS.
ARTS UTILE S.
ECONOMIE POLITIQUE.
MEMOIRE tendant à rendre les Muriers
& les Vers à foye moins fujets à périr.
Par M. Rodier , Infpecteur des nouvelles
manufactures.
Lferoit fans doute très-avantageux que
les muriers greffés duraffent auffi longtemps
que les muriers fauvageons , car il
périt tous les ans grand nombre de muriers
dans ceux des Cantons du Bas-Languedoc
, où l'on greffe d'après ce fyftême,
que c'eft un avantage réel de multiplier
la feuille des muriers fans multiplier les
arbres ; fyftême louable , mais fâcheux
de la maniere dont on s'y prend.
Il n'eft pas
douteux que le murier étant
greffe rend plus de feuilles que s'il eût
refté fauvageon , & que la feuille en eft
plus nourriffante , mais il eſt auſſi à obſer184
MERCURE DE FRANCE.
ver que tout fauvageon cultivé exifte pendant
des fiécles , au lieu que l'extenfion
des feuilles produite par la greffe , occafionne
dans l'arbre une diffipation de féve
prématurée qui en accelère le dépériffement.
On trouve en fouillant dans les Archives
des Communautés de Haut & Bas-
Languedoc , qu'en 1300 & en 1400 , on
y avoit fait des effais en muriers noirs ; &
ce même murier noir , autrement dit mutier
de Dames , que l'on n'a cru juſqu'à
préfent digne d'être cité qu'à eaufe de fon
fruit , a l'écorce auffi dure & auffi réfiftible
que celle du chêne. Je pourrois en
défigner plufieurs qui font plantés depuis
un temps immémorial , au lieu que perfonne
ne peut nous préfenter des muriers
greffés depuis so ans .
Jai encore découvert que la première
époque de nos , plantations en muriers
blancs eft celle - ci .
On propofa dans l'Affemblée des Etats
feans à Alby en 1604, de donner lieu dans
la Province à un nouveau négoce .
Il fut en conféquence délibéré d'effayer
le murier blanc , & d'en faire des pépinières
publiques , dont les plaines de Lavaur
, les environs d'Alais & autres lieux
annoncent encore les effets , la greffe
On en fait du Sirop & du Ratafiat..
OCTOBRE . 1759 185
F
n'étant point établie alors fur ce genre
de plant.
M. de Vantadour , qui préfidoit à l'Affemblée
pour le Roi,fut prié d'en écrire à
Henri IV , & l'affaire réuffit.
La Province a accrû confidérablement
ces plantations en divers quartiers , &
c'eft à l'aide des encouragemens & de bien
des facilités dont les Pays de Vivarais &
des Sévennes ont nommément profité.
Mais pour revenir à mon but , pourquoi
ne pas femer par préférence de la graine
de murier noir à l'effet de fe procurer des
pépinières originaires de cette femence ?
On grefferoit par ce moyen le murier
blanc fur les fujets provenus de la mure
noire , & l'on feroit affuré de cette manière
que le murier blanc participant d'une
écorce dure & peu délicate , réfiſteroit
mieux aux injures du temps. Deux espéces
d'écorce y étant réunies , il réfulteroit
peut-être de cette innovation un genre de
plant robufte , & nullement languiffant ,
puifqu'il eft démontré que la greffe n'influe
en rien fur les racines , & que les
muriers blancs périffent ordinairement
par les racines , & par les branches tanque
le murier noir n'eft fujet à aucune
forte de maladie.
dis
Appliquons donc à l'avenir la greffe
fur des jeunes plants de cette nature.
186 MERCURE DE FRANCE.
M. l'Abbé Nollet me mandoit il y a
deux ans , qu'il s'eft convaincu par luimême
qu'on greffe en Piémont depuis
quarante ans , & qu'on y eft fort attentif
à donner aux muriers une forme évafée.
De cette manière le murier eft délivré
de fon bois inutile , dont la taille doit
être réitérée ſur cet arbre , à mesure qu'il
en a befoin , & dès qu'on a achevé d'en
cueillir la feuille.
On a encore ouï dire qu'en Calabre &
en Siçile le ver à foie eft nourri avec la
feuille du murier noir , & qu'on la coupe
à mesure qu'on en donne aux vers naiffans.
Dans les hautes Sévennes , & dans les
Bontieres , Pays plus froids que le refte
de Languedoc , cette feuille eft miſe à
profit felon la même méthode.
Mon avis fera toujours qu'on préfère la
feuille du murier blanc , fans néanmoins
paffer fous filence pour l'intérêt public
une feconde propriété que j'apperçois , d'après
l'expérience dans le murier noir ; expérience
d'autant plus intéreffante qu'elle
tend à conferver à nos Fabriques une partie
de ces vers à foie qui périffent atteints
de la jauniffe , ou calcinés en forme de
mufcardins.
Dès qu'une chambrée de vers à foie
commence à dépérir , ce qui arrive ordinairement
à la troifiéme ou à la quatrième
OCTOBRE. 1759. 187
mue , il fera à propos 1º. de changer la
la litière des vers * ; 2 °. de cueillir promptement
des feuilles fur le murier noir , lefquelles
ferrées légèrement dans des draps
y refteront pendant trois ou quatre heures,
afin que cette pâture acheve de fermenter.
Cette pâture ayant fué de cette manière ,
après une légère action ou deux de frottedont
le but fera de la rendre plus
fouple & plus facile à être percillée , &
rongée , on en donnera indiftinctement
aux vers , & l'on s'appercevra bientôt que
ceux qui doivent périr n'y réſiſteront pas.
ment ,
Elle fera en même temps une épreuve
& un purgatif pour les vers fains , & l'on
fera fûr de cette manière que ceux qui ref
tent ne confumeront pas la feuille fans efpoir
de profit.
Plufieurs pourvoyeurs à ce genre d'éducation
font parvenus en tâtonnant à faire
cette découverte , qu'il fera avantageux de
répandre.
Mon attachement à l'utile me fera
fouhaiter qu'il plaiſe à nos Phyficiens de
feconder mes vues pour la confervation
des muriers & des chenilles qui nous donnent
la foye , objets qui forment maintetenant
dans nos Pays méridionaux une
branche effentielle d'agriculture & de
-commerce.
* Il faut furtout alors leur donner de l'air.

188 MERCURE DE FRANCE.
3
OBSERVATION importante pour
le Commerce.
IL paroît depuis peu un petit Recueil
de piéces concernant la compétence de
l'Amirauté de France, imprimé à Paris chez
d'Houry 1759. Il y a à la tête de cet Ouvrage
un long Avertiffement fervant d'inf
truction , dans lequel l'Auteur repréſenté
lesJurifdictions Confulaires comnie entreprenant
fans ceffe fur les Amirautés , pendant
que les dernières au contraire s'efforcent
d'artirer fans ceffe devant elles les
affaires de Commerce , au grand préjudice
des Négocians, qui effuyent par-là des frais
& des retardemens confidérables. Sans
entrer actuellement dans une difcuffion
auffi importante , on fe bornera à examiner
un paffage de l'Avertiffement dont on
vient de parler. Il eft conçu en ces termes.
( page 6. ) » Le Code Marchand ( c'eft
l'Ordonnance de 1673 ) » ayant été rédigé
fur les Mémoires de Conimerçans
» fort habiles d'ailleurs , mais remplis dès
» idées faftueufes des Juges Confulaires ,
» il fut fort facile à ces Commerçans de
»fe faire attribuer les compétences qu'ils
» voulurent. Auffi trouve-t- on dans l'Ar-
ود
"
و د
OCTOBKE. 1759. 189
ticle 7 duTitre 12 de cette Ordonnance ,
» que lesJuges connoîtront des différents à
» caufe des affurances , groffes avantures ,
promeffes , obligations & contrats concernant
le Commerce de la mer , le
» frêt & nautage des vaiffeaux.
"
Si l'Auteur du Recueil avoit pris la
peine de lire les Edits de création des
Confulats , & notamment celui de Paris ,
du mois de Novembre 1563 , il y auroit
trouvé la difpofition de l'Ordonnance de
1673 : » Connoîtront, y eft - il dit , lefdits
» Juges & Confuls de tous procès ou dif-
» férents qui feront ci - après mus entre
» Marchands pour fait de marchandiſe
» feulement , .. foit que lesdits différends
procèdent d'obligations , cédulles , récépiffés
, lettres de change ou crédit ;
réponſes , affurances , tranfport de det-
» tes & novation d'icelles , comptes , cal-
» culs ou erreurs en iceux , compagnies ,
fociétés , ou affociation jà faites ou qui
fe feroient ci- après. »
"
"
מ
L'Ordonnance de 1673 n'a donc fait
que confirmer ce qui étoit déjà établi :
ainfi l'Auteur du Recueil eft dans une
grande erreur lorfqu'il avance , à la vérité
fans aucune preuve , que les Jurifdictions
Confulaires n'ont été créées que
pour le commerce de terre , & que le
190 MERCURE DE FRANCE.
commerce de mer eft effentiellement du
reffort des Amirautés : c'eft fuppofer bien
gratuitement que nos Rois ont été moins
attentifs à favorifer le commerce de mer
que celui de terre : il eft aifé néanmoins
de fentir que le premier eft encore plus
important que l'autre. L'érection des
Confulats dans les villes maritimes dépofe
formellement contre cette fuppofition ,
& les difpofitions des Edits ne laiffent
aucun doute à cet égard : les motifs de
tous ces Edits font le bien public , l'abréviation
de tous procès & différents
entre marchands qui doivent négocier enfemble
de bonne foi fans être aftreints
aux fubtilités des loix & ordonnances.
Que trouve-t-on dans ces motifs qui foit
moins intéreffant pour le commerce de
mer que pour celui de terre ? Le tems des
armateurs n'eft-il pas auffi précieux que
celui des trafiquans ? La bonne foi n'eftelle
pas auffi importante dans les grandes
affaires que dans les petites ? N'eft- il pas
auffi intéreffant de fouftraire des négocians
aux fubtilités de la chicanne que les marchands
? Les opérations des premiers auroient
- elles moins de rapport avec le
bien public que celles des derniers ? Mais
voici quelque chofe de plus formel dans
l'Edit des création des Confuls de Nantes
OCTOBRE. 1759.
du 10 Octobre 1564 ; il eft dit , » ayant
» égard au commerce & trafic de marchandiſe
qui fe fait ordinairement en
» notredite ville de Nantes , tant entre
» nos fujets qu'autres marchands étran-
" gers , pour leur donner plus grand
» moyen de venir négocier & trafiquer
» par ci-après &c. » Ces expreffions , furtout
celles, tant entre nos fujets qu'autres
marchands étrangers , ne dénotent - elles
pas clairement le commerce maritime ?
Il fuffiroit , pour finir abfolument cette
controverfe , de réfléchir fur ce qui détermina
Charles IX à créer des Confulats.Ce
Prince ayant affifté en la grand'Chambre
du Parlement au jugement d'un procès
entre deux marchands que l'on renvoya
fans dépens, après avoir confumé la meilleure
partie de leurs biens à la pourſuite
de ce procès pendant dix ou douze années,
fut fi frappé de cet inconvénient par
rapport au commerce , qu'il réfolut d'établir
des tribunaux dans les principales
villes , où les différents des marchands fe
vuideroient fans frais. Mézerai, en parlant
de cet établiſſement , fait des voeux pour
qu'il y ait des Confulats dans toutes les
villes du Royaume , & que la fouveraineté
de leurs jugemens aille à mille écus :
elle feroit , dit-il plaiſamment , ſécher ſur
192 MERCURE DE FRANCE
pied la chicane qui meurt d'envie de
mettre la griffe fur un morceau auffi gras
que le commerce. C'eft donc une pure
imagination que de prétendre que les
négocians furprirent en 1673 en faveur
des Confulats la connoiffance du commerce
de mer. Le Miniftre étoit trop
éclairé pour fe laiffer furprendre. Il faut
plutôt dire que Louis XIV penfa comme
Charles IX ; il feroit à fouhaiter que les
chofes fuffent reftées fur le même pied
pour le commerce maritime , & qu'on
n'eût attribué aux Amirautés que la police
, les teftamens & la fucceffion de ceux
qui meurent en mer. Les Amirautés portent
leurs prétentions au point de vouloir
connoître de tous différents pour des
billets ou lettres de change dont la valeur
provient originairement de marchandifes
venues par mer or dans les Villes
maritimes , prefque toutes les marchandifes
four dans ce cas. Ce fyftême ne tend
donc à rien moins qu'à détruire abfolument
les Jurifdictions Confulaires dans
les Villes maritimes , ou du moins à les
rendre inutiles ; ce qui eft évidemment
contraire au bien du commerce & aux
intentions falutaires du Légiflateur.
ARTS
OCTOBRE. 1759. 193
I
ARTS
AGRÉABLES.
GRAVURE.
I paroît deux nouvelles Eftampes de M. Duflos ;
l'une , intitulée , la Nourrice qui remue l'Enfant ;
l'autre , la Nourrice qui ramène l'Enfant. Elles le
vendent à Paris chez l'auteur , rue des Noyers ,
chez M. Haté , Serrurier.
M. Moyreau , Graveur du Roi en fon Académie
Royale de Peinture & fculpture , vient de
mettre au jour une nouvelle Etampe , gravée
d'après le Tableau original de Claude le Lorrain ,
qui eft au Cabinet.de M. Peilhon , Secretaire du
Roi , dont le fujet est une converſation de matelots.
A Paris chez l'Auteur ; rue des Mathurins,
vis- à- vis celle des Maçons.
·On délivre actuellement au Public les Cartes
fuivantes :
Une grande Carte en une feuille extrêmement
détaillée de la partie feptentrionale du Landgraviat
de Helle Caffel , avec une partie du
Duché de Brunswick, de la Thuringe & c. Dreffée
fur les lieux , pour fervir , tant à l'intelligence.
des Campagnes qui fe feront dans ce pays , qu'à
celle de M. le Maréchal Prince dc Soubife , de
1758. Par M. Carlet de la Roziere , Capitaine de
Dragons, Aide de Camp de M. le Duc de Broglie
; alfujettie aux obfervations aftronomiques de
MM. de l'Académie Royale des Sciences , par le
Chevalier de Beaurain , Géographe ordinaire du
Roi , & ci-devant de l'éducation de Monfeigneur
le Dauphin ; dédiée & préfentée au Roi.
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
Cette Carte a été copiée à Caffel fur la Carte
originale manufcrite du Landgrave. Quoiqu'elle
ait été levée avec foin , l'on y a fait beaucoup
d'augmentations & de corrections ; les pofitions
des Batailles & des Camps y font défignées ; ony
trouvera des chiffres près de la plus grande partie
des villes , bourgs & villages , qui marquent la
quantité des mailons qu'ils contiennent ; & ceux
qui font fur les chemins expriment les diftances
qu'il y a d'un lieu à un autre.
Carte du Cercle de Weftphalie , où font les
Comtés d'Oftfrife , d'Oldembourg , de Bentheim ,
d'Hoye , de la Lippe , de Tecklenbourg , de la
Mark ; les Evéchés de Munfter , d'Ofnabrug &
Paderborn ; la Principauté de Minden ; les Duchés
de Berg , de Weftphalie , de Clêves , &c.
Pour rendre cette Carte plus intéreffante ,
l'on y a ajouté par furcroît tous les Comtés de
l'Empire , ainsi que les Abbayes d'hommes & de
femmes , dépendantes du Cercle de Weftphalie ,
qui y font défignées par une couleur.
Nouvelle Carte du Royaume de Pruffe , divifé
en fes trois Cercles , & fubdivifé en dix Territoi
res , ou grand Baillages.
Cette Carte a été corrigée & augmentée de
beaucoup de chofes qui ne fe trouvent fur aucune
de celles qui l'ont précédée . Tous les noms
effentiels y ont été traduits en François , en forte
qu'elle eft la feule qui puiffe être d'ufage aux Fran
çois qui lifent la Géographie de ce Royaume &
des pays voifins.
Carte du Marquifat & Electorat de Brande
bourg. Affujettie aux obfervations Aftronomiques
de MM. de l'Académie Royale des Sciences.
Ces Cartes ont été éxécutées avec tout le foin
poffible : M. le Chevalier de Beaurain n'épargne
rien pour continuer de fe rendre digne de l'ac
1
OCTOBRE . 1759 195
cueil favorable que le Public a fait à fes ouvrages.
Elles ont été dédiées & préfentées au Roi . A Paris
chez l'Auteur , rue Pavée , la premiere porte
cochere à gauche en entrant par le Quai des Auguftins
.
ARTICLE V.
SPECTACLE S.
OPERA.
LE mardi 2 Oftobre , on a 'remis au Théâtre
le Devin de Village , à la place de l'Acte de l'Amour
Saltimbanque , des Fêtes Vénitiennes ; &
Mlle Arnoud a joué le rôle de Colette , commeje
l'avois annoncé.
F
On peut regarder l'Acte du Devin de Village
comme le modèle d'un genre de Paſtorale Françoife
, plus vrai que tout ce qu'on a vu fur ce
même Théâtre , & plus noble que tout ce qu'on
a donné fur le Théâtre Italien & fur celui de
l'Opéra Comique. C'eft ce choix de la belle nature
dans les moeurs & dans le langage des Bergers
; ce milieu entre Seladon & Lucas qu'il falloit
faifit , & qui rend l'Acte du Devin'de Village original
& nouveau dans un genre qui fembloit
puifé. Mais cette vérité noble & fimple que le
Poëte Muficien a fi bien exprimée , demande
dans les Acteurs une naïveté qui n'ait rien de bas ,
des graces qui n'ayent rien d'affecté , d'éru lié ; en
un mot un art qui ne foit que l'imitation de la
nature dans fa belle fimplicité , & avec beaucoup
de talent on peut ne pas y réullir. Celai de Mile.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
1
Arnoud eft décidé pour le genre héroïque ; le pa+
thétique de fa voix , la vive expreffion de fes
traits , la nobleffe & la chaleur de fon action :
tout cela demandoit une forte de violence pour
être réduit au dégré de la vérité paftorale ; & ,
avec tout l'art poffible , ce point étoit trop éloigné
d'elle pour y atteindre du premier coup. Il n'eft
donc pas furprenant qu'elle n'ait pas faifi d'abord
le vrai caractère de Colette ; mais c'eft une chofe
curieufe que de voir avec quelle adreffe elle ellaye
fucceffivement différentes manières de le rendre ,
& par combien de nuances elle a paffé pour arriver
au naturel. C'eft dans cette facilité à varier
fon jeu qu'on reconnoît les avantages de l'intelligence
& les reffources du talent. A la cinquieme
repréfentation il n'y avoit prefque plus rien à défirer
; & il faut avouer que ce qu'elle a bien faifi ,
perfonne ne peut le mieux rendre.
COMEDIE FRANÇOISE,
LEE Lundi premier Octobre , on a remis au
Théâtre, l'Ambitieux , Piéce en cinq Actes & en :
vers de M. Deftouches.
Dans la Préface que l'Auteur a mife à la tête de
fon Ouvrage , il répond aux critiques qu'on en
avoit faites, & l'on voit qu'elles étoient les mêmes
qu'on fait encore aujourd'hui. Le férieux du
fujer, & le manque de comique dans le caractère
principal ; l'extravagance du caractère de Dona
Beatrix , & lala diffonance de ce caractère avec
les autres perfonnages de la Piéce ; enfin la démarche
de l'Infante d'Arragon , peu décente dans
nos moeurs tout cela eft juftifié dans cette Préface
avec beaucoup d'adreffe ; mais l'apologie
OCTOBŘE. 1759. 197
peut être ingénieufe , fans que la critique en foir
moins fondée du refte la Piéce en général a fait
une impreffion favorable. Le rôle du Miniftre a
été parfaitement bien joué par M. Grandval .
Les Jeudis & les Dimanches on a donné des
Tragédies de Corneille : après Sertorius les Horaces
, & après les Horaces Nicomede. Mlle Clai
ron a joué les rôles de Camille & de Laodice
comme celui de Viriate , c'eſt- à- dire , dans un
dégré de perfection qu'on ne peut imaginer.
M. Grandval a rempli les rôles de Sertorius &
de Nicomède avec beaucoup de nobleffe & de
vérité.
Le Samedi 13 , Mlle . Clairon , dans le rôle
'Idamée , de l'Orphelin de la Chine , a fait couler
des ruifleaux de larmes . Ce n'eft point une Actrice,
c'eſt une Mere , c'eft la Nature même dans les
fituations les plus pathétiques , les plus intérelfantes
. Le fpectateur attendri ne fort pas un moment
de l'illafon ,
Le goût du Public pour la danfe , a introduit
l'ufage d'égayer la Scène Françoife par des Bal→
lets on en donne un actuellement de la compofition
de M. Bellecour , qui fait le plus grand
plaifir. Hilas grave fur un arbre le nom d'Ifmène .
Ilmène y grave le nom d'Hilas ; ils le trouvent
enfemble au pied de cet arbre' ; Hilas eſt preſſant,
Ifiène eft timide , elle héfite , mais elle cède. Sa
mere les furprend , ils lui demandent pardon. La
mere d'Ifmène fe laiffe attendrir , & conſent an
bonheur d'Hilas . Toute cette action s'exécute fur
des airs qui l'expriment : le Public fçait les paroles
de ces airs , & les geftes les lui rappellent. Mlle,
Allard danfe & joue le rôle d'Hilas avec des graces
charmantes. Mlle. Guimard s'acquitte fort bien
de celui d'Ifmène . Cette Paftorale ingénieufe eft
un des plus jollis Ballers qu'on ait encore vâs dans
⚫e genre.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Ceux qui apprécient le talent d'une Actrice par
Tintelligence , la chaleur & la vérité, ont appris
avec regret la retraite de Mlle Rofalie.
COMEDIE ITALIENNE.
O N vient de donner à ce Spectacle une Pafolie
de l'Interméde Italien , intitulé : La Dona
Superba. Les Ariettes dont cet Ouvrage eft rempli,
en font l'agrément & le fuccès. Il étoit tems
qu'une nouveauté agréable rappellât le Public à
ce Théâtre qu'il fembloit avoir abandonné. Il
eft certain qu'il ne peut fe foutenir qu'au moyen
des Piéces nouvelles ; & il fe trouve à cet égard
dans des circonftances difficiles.
OPERA - COMIQUE.
UN action vive & continue , un ſtyle ferre E
& concis , ont fait reconnoître M. Sedaine pour
l'Auteur de la petite Piéce intitulée : l'Huitre &
les Plaideurs : elle eft de M. Filidor . La Mufique
de cette Piéce confiſte en deux Duo , deux Ariettes
, & une efpéce de Choeur en fix parties. Le
ftyle de ce fçavant Muficien y eft remarquable, &
ces morceaux ont été applaudis.
L'Acte intitulé Nina , qu'on a remis auThéâtre,
a paru froid , lorfqu'au lieu des enfans qui le
jouoient dans la nouveauté , on y a vu des Acteurs
, qui n'ont pas la naïveté , l'enjouement &
les graces de l'enfance.
L'Acte de la Veuve indécife , qui a été trouvé
dans le portefeuille de feu M. Vadé , Poëte ingénieux
dans ce genre ; mais , felon moi , avanta-
Ни
OCTOBRE. 1759.
199
geufement remplacé par l'Auteur des paroles du
Peintre amoureux , & par celui du Médecin de
l'Amour ; cet Acte , dis- je , a été mis en mufique
par M. Duny. Une jolie intrigue , des paroles
gaies , des fcénes décousues , un style négligé ;
nne mufique vive , facile à retenir ; des tableaux
naturels , & peints de main de Maître tel eft
le caractère de ce petit Opéra . Du refte on eft
toujours étonné de l'aifance , de la précifion &
de la juftelle avec lefquelles la Mufique de ces fortes
d'Ouvrages eft exécutée , fans que l'action y
perde rien de fa chaleur & de fa gaîté.
Le 22 du mois de Septembre , un Cofaque
exécuta fur ce Théâtre un pas qui eft vraiſemblablement
la feule danfe de fon pays. Il s'accompagne
d'une efpéce de mandoline. La fingularité
de cette danfe terre à terre , confifte dans des
écarts & des pofitions du corps qui nous ſemblent
très-pénibles , & dans lefquels cependant il ne
paroit point gêné. Sa danfe eft vive , légere ,
& mefurée avec beaucoup de préciſion.
Le premier Octobre on a joué les Epreuves de
Amour , Piéce nouvelle , dont les paroles font
du fieur Anfeaume. Les Entrepreneurs ont obtenu
cette année trois jours de prolongation. Le compliment
de la clôture a été une petite Piéce inti-
•tulée : Départ de l'Opéra- Comique. C'eſt une jolie
Parodie du retour de l'Opéra- Comique , Piéce
par laquelle ce Spectacle avoit commencé.
NOTA. Comme quelques - uns des fujets que
T'Opéra-Comique employe , alléguent , pour différer
de payer leurs dettes , un manque de payement
de la part des Directeurs , ceux- ci m'ont
prié d'inftruire le Public , qu'ils fe font fait une
régle inviolable de ne jamais laiffer un fol de
dettes d'une Foire àl'autre.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
SUPPLEMENT à l'Article Médecine.
EXTRAIT d'une Lettre de M. Boucher,
Médecin de Lille en Flandre.
U NE conteſtation élevée entre M. Boucher &
M. Chaftanet , Chirurgien de la même Ville , a
donné lieu à quelques écrits de part & d'autre.
Et dans la réponſe de M. Chaſtanet , inférée dans
le Mercure de Novembre 1748. M. Boucher a cru
voir des perfonnalités injurieufes .
Il s'agit de fçavoir fi la maladie du nommé
Jean Planque , habitant de Sainghein en Weppe ,
étoit la gangrène épidemique qui régnoit alors
dans ce canton , & qu'on appeloit feu Saint-Antoine
, ou la fuite d'un ulcère occafionné par une
playe qu'il s'étoit faite avec une gaule en travaillant
dans fon jardin , M. Boucher avoit produit
des témoignages qui prouvoient que c'étoit un ulcere
; M. Chaftanet en a produit de contradictoires
& qui ont prouvé que c'étoit la gangrène
féche , appellée feu Saint- Antoine. M. Boucher
rappelle dans la lettre les témoignages d'après
lefquels il avoit contredit le rapport de M. Chaf
tanet. Le premier de ces témoignages que M.
Boucher veut bien me permettre de ne donner
que par extrait , eft celui du ficur Ramette , Chie
rurgien réfidant dans le Village de Sainghein.
Il déclare comme témoin oculaire , que la maladie
du nommé Planque n'étoit point la gang ène
épidémique , qu'elle n'étoit que la fi ire d'un vieux
ulcere que le fujet avoit porté deux ans & qui
avoit été tout- à- fait néglé , comme le nommé
Planque le lui a dit lui-même en venant le
confulter. Le fecond témoignage eft celui de la
OCTOBRE. 1759 201
veuve de Planque , atteftant les mêmes faits
avec des circonftances encore plus détaillées. Ce
témoignage de la veuve Planque a été contredit
par elle - même. ( voy . Merc. de Novembre 1758.
p. 182. ) Au défaveu de cette femme M. Boucher
oppofe le certificat des Médecins & Chirurgiens
qui avoient reçu fa premiere déclaration , dans
lequel ils atteftent qu'elle fut exactement telle
que M. Boucher l'a produite. » Nous certifions ,
» de plus , ajoutent- ils , que ladite veuve dans
tout le cours de fa déclaration , ne parut affec-
>> tée que de l'inquiétude ou de la crainte de nuire
» en quelque chofe à fon Curé ou à M. Chaftanet,
» & qu'à chaque fois qu'elle exprimoit fon inquiérude
à cet égard , elle ajoutoit , comme par ré-
» flexion , les paroles fuivantes : mais je ne peux
après tout déclarer que la vérité . ›› •
M. Boucher a recueilli de nouveaux témoignages.
Deux neveux de Planque , habitans d
mêmeVillage de Sainghein , ont déclaré en Juftice
& fous ferment, être très mémoratifs queJeanPlanque
a porté pendant deux ans ou environ , une playe
ou ulcere , à la jambe , provenue d'un accident qui
lui eft arrivé dansfon jardin , au mois de Septembre
1747 ; & que ladite playe eft venue enfi mauvais
état , que l'on a jugé néceffaire de lui couper la
jambe...
Un laboureur du mêmeVillage , appellé Barge,
attefte les mêmes chofes , dont il dit avoir eu
pleine connoillance , comme voifin de l'habitation
de Jean Planque . Le barbier de Sainghein attefte
auffi qu'il a ralé Jean Planque pendant les deux
années qui ont précédé la mort , & que dans tout
ce tems ou à peu-près , il a vû ledit Planque avec
un ulcere à la jambe droite , qui étoit lafuite d'une
bleffure qu'il s'étoit faite dansfon jardin ; que cet
ulcere eft devenu enfin fi mauvais , qu'environ deux
,
202 MERCURE DE FRANCE.
mois avant la mort dudit Planque , les chairs en
ont paru noires & mortes : ce qui l'a engagé à dimander
à l'atteftant de lui enlever avec fon rafoir
ces chairs mortes , à quoi celui-ci s'eft prété...
Jean François Planque a attefté que fon pere ,
avec qui il a toujours demeuré , étant au mois de
Septembre 1747 , à travailler à fon jardin , a eu
le malheur de fe bleffer à la jambe droite , que
cette bleffure eft devenue dans l'espace de deux ans
qu environ en fi mauvais état , que l'on a jugê
à propos de lui fcier la jambe ; ce qui a étéfait
par un Chirurgien de Lille vers la fin du mois de
Décembre 1749 , & qu'environ vingt quatre heures
après cette opération , fon pere eft mort
,
M. Boucher fait obferver dans ces témoignages
une exacte conformité avec la premiere declaration
de la veuve Planque , non feulement par
rapport à la maladie intérieure à la gangrène
mais encore pour le terme de la mort , eu'égard
à la date de l'amputation .
Si ces témoignages contradictoires à ceux que
M Chaftanet a eu pour lui , laiffent encore en
doute le fond de leur difpute , au moins doiventils
juftifier pleinement M. Boucher du reproche
d'imprudence & de mauvaiſe foi. Du refte l'objet
primitif de cette difcuffion eft le fentiment:
de M. Boucher pour le retardement de l'amputation
dans la gangrène féche ; & fa lettre contient
de nouvelles obfervations pour autoriſer ſa doctrine.
Comme elles peuvent être fort utiles ,
je me propofe d'en rendre compte dans le Mercure
prochain.
OCTOBRE. 1759. 203
ARTICLE VI.
NOUVELLES
POLITIQUES.
De WARSOVIE , le 15 Septembre.
ON mande de Stettin qu'il y a dans cette
Ville quinze mille foldats Pruffiens malades ou
bleffés . On a été obligé de les entafler dans les
hôpitaux & dans les Eglifes . On a ordonné à tous
les habitans de fournir du linge pour les panfemens.
Les Magiftrats appréhendent que la Ville
ne foit infectée , & ils prennent toutes fortes de
précautions pour la préferver de ce malheur.
De l'Armée Autrichienne , le 18 Septembre.
Le Baron de Beck , à qui le Maréchal de Daur
avoit envoyé ordre de marcher à Gorlitz , nous
informa qu'un de fes Officiers détaché du côté de
Bruntzlau , avoit enlevé fur le chemin de Glogau
trente tonneaux de farine deftinés pour l'armée
ennemie.
De l'Armée de l'Empire , le 12 Septembre.
Le Général Wunſch , après la capitulation de
Drefde , s'eft retiré à Torgau . Le Prince de Deux-
Ponts avoit ordonné au Baron de Saint-André de
fe porter diligemment fur Torgau avec fon corps
d'Infanterie & de Cavalerie , pour couper cette
retraite au Général Wunſch ; mais étant arrivé
trop tard à fa deſtination , il a été forcé de camper
près de Torgau.
Le 8 de ce mois le Général Wunſch fir fortit
Ivj
204 MERCURE DE FRANCE.
toute fa cavalerie de cette derniere Ville pour
attaquer le Baron de Saint- André , qui força d'a
bord l'ennemi de rentrer dans la Place ; mais un
moment après la Cavalerie Ptuffienne fit une
feconde fortie. Ayant deux piéces de canon en
avant de chaque efcadron , & étant foutenue d'un
corps d'Infanterie , elle chargea la Cavalerie du
Baron de Saint- André , qui ayant beaucoup fouffert
du feu du canon , fut mife en déroute . La
Cavalerie Pruffienne prit alors notre Infanterie en
fanc , qui a été fort maltraitée , & qui peut- être
auroit été détruite fi le Général de Rhot n'eût.
remédié à tout ce défordre. Il commandoit la
Cavalerie dans cette feconde action , à la place du
Général Tranfmansdorf qui avoit été bleſſé dans
le premier combat. Il la rallia promptement , &
érant revenu à la charge , il arrêta les progrès dé
Ia Cavalerie ennemie,
Les Pruffiens attaquoient en même temps un
corps de Croates pofté dans un champ de vignes 5:
mais le Général Ried qui les commandoit , & qui
a eu dans cette action deux.chevaux tués fous lui,
les repouffa . On ne fcait pas encore quelle eft la
ja perte du Baron de faint- André. Il a rejoint
L'armée du Prince de Deux- Ponts , qui avoit
envoyé un régiment de Cavalerie & un régimens.
de Hullards pour protéger fa retraite..
La garnifon Pruthienne fortit de Dreſde le 8 ..
Elle a perdu plus de deux mille hommes par la
défertion.
Il y a actuellement dans Drefde , ou fous le
canon de cette Ville , quarante mille hommes ,
dont vingt huit mille Autrichiens , & douze mille
hommes des troupes de l'Empire..
Du 16..
Le 1s nous fumes informés que le Générat
Wunſch avoit marché a Leipfick ; & qu'après une
OCTOBRE. 17597 205
courte attaque la garniſon de cette place s'étoit
rendue prifonniere de guerre.
DE HAMBOURG , le 14 Septembre.
Le Général d'ltzemplitz eft mort à Stettin des
bleflures qu'il avoit reçues à la bataille de Cunnerfdorff.
Il étoit âgé de 72 ans.
On mande de Stralfund que l'Efcadre Suédoife
composée de huit galeres & de plufieurs barques ,
attaqua le ro de ce mois près de l'ifle d'Ufedom
douze navires Pruffiens armés en guerre. Après
une vive canonade qui dura trois heures , les
galeres allerent à l'abordage , & prirent huit navires
ennemis. La garnifon de l'ifle , compofée
de fix cens hommes , a été faite prifonniere de
guerre.
DE MADRID , le 18 Septembre.
Le 11 de ce mois , jour défigné par la Reine
Douairiere pour faire la proclamation du Roi
Charles III , le Comte d'Altamira , Gouverneur
de Madrid , fe rendit fur les trois heures après.
midi à l'Hôtel de Ville , accompagné de plufieurs
Seigneurs & Gentilshommes à cheval . Le Corregidor
& les autres Officiers de Ville y étoient
allemblés avec les quatre Hérauts d'armes. Ils
fe joignirent au Comte d'Altamira , & tout ce
cortege fe rendit au Palais de Buenretiro. On
avoit dreffé un grand échafaud au-dellous du
balcon de l'appartement de la Reine Douairiere.
Un des Hérauts d'armes monta fur cet échafaud
en préfence de Sa Majefté & de l'Infant Don
Louis , qui étoient placés fur le balcon . Il fit faire
filence. Alors le Comte d'Altamira fit la proclamation
en difant : Vive le Roi Don Charles III,
notre Seigneur, que Dieu conferve . Cette céré
monie fut fuivie de grandes réjouillances.
206 MERCURE DE FRANCE.
W
DE LONDRES , le 16 Septembre.
L'Amiral Bofcawen a laiffé le commandement
de fon Efcadre à l'Amiral Broderick. Il s'eft détaché
avec trois vaiffeaux pour amener ici les
vaiffeaux François dont il s'eft emparé fur les
côtes de Portugal. Il mande que le combat a été
très- difputé, & que quoique l'ennemi fùt inférieur
de beaucoup , il s'eft défendu avec une bravoure
extraordinaire. Il ajoute que plufieurs de nos
vaiffeaux ont beaucoup fouffert , & quequelquesuns
ont été mis hors de combat.
La Cour a fait publier le détail fuivant de la
prife du Fort de Niagara dans l'Amérique Septentrionale
. Le 22 Juillet , le général Johnſon
fut averti qu'un corps ennemi compofé de douze
cens François , & de cinq cens Sauvages , s'avançoit
du faut de Niagara , pour fecourir le Fort
de ce nom . Le 23 , il fit occuper le chemin qui
eft entre le faut & le Fort par les troupes légeres,
foutenues de plufieurs piquets d'Infanterie , de
tous les grenadiers , & d'un gros détachement
tiré du quarante-fixieme Régiment .Il pourvut à
la garde de la tranchée , & fit ſes difpofitions
pour le combat . Le 24 , l'ennemi parut , & attaqua
nos troupes en tournant leur flanc. L'attaque
fut pouffée avec tant de vivacité , qu'en
moins d'une heure les principaux Officiers furent
engagés au milieu de nos rangs. Cette ardeur de
T'ennemi lui devint funefte. Il fe trouva séparé
en plufieurs pelotons , qui furent enveloppés &
accablés par nos troupes beaucoup plus nombreufes.
Les fieurs Aubri & de Ligneri , qui commandoient
ce détachement , fe rendirent prifon
niers de guerre , après avoir reçu l'un & l'autre
plufieus bleffures. La garnifon du Fort qui n'a
voit plus d'eſpérance d'être ſecourue , capitula le
OCTOBRE. 1759.
207
25. Elle a été conduite à la nouvelle Yorck . Tour:
ce qu'il y avoit d'habitans dans le Fort a eu permiffion
de le retirer à Montreal.
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &u
DE VERSAILLES le 15 Septembre.
MA
Adame la Dauphine accoucha très-heu
reufement le 23 de ce mois , à cinq heures &
un quart du matin , d'une Princeſſe qui fut ondoyée ·
par l'Evêque d'Auton , premier Aumônier du
Roi en préfence du Vicaire de la paroiffe du Château
Cette Princeffe fut remile enfuite à la
Comtelle de Marían , Gouvernante des enfans de
France.
Le Roi a donné l'Abbaye de Mouzon ,
ordre
de S. Benoît , Diocèfe de Rheims , à l'Abbé de
Rohan-Guimenée , Chanoine de Strasbourg ;
Celle de Cherbourg , Ordre de Saint Auguſtin ,
Diocèle de Coutances , à l'Abbé de Mury , Docteur
de Sorbonne ;
Celle de Niſors , Ordre de Cîteaux , Diocèfe de
Comminges , a l'Abbé de Laftic , Vicaire Géné
ral du même Diocèfe ;
Celle de Moreuil , Ordre de S. Benoît , Dio
cèle d'Amiens , à l'Abbé d'Inguimbert , Vicaire
Général du même Diocèfe ;
Et l'Abbaye régulière de Chaloché , Ordre de
Citeaux, Diocèle d'Angers , à Don Contaud , Re
ligieux du même Ordre.
Du 4 Octobre.
Le 29 du mois dernier le Roi tint le Scean
208 MERCURE DE FRANCE.
Sa Majefté a difpofé du Gouvernement de
T'e de Ré , vacant par la mort du fieur de
Irincé , en faveur du Comte de Rezilly.
Le Roi a donné le Régiment de Briffac,
vacant par la mort du Duc de Coffé , au Chevalier
de Lemps ; celui de Rouergue , vacant
par la mort du fieur de Sechelles , au Comte de
Champagne- Chapton.
DE PARIS , le 6 Octobre.
On vient d'apprendre par des lettres de Vienne,
que le 21 du mois dernier , le Prince de Deux-
Ponts avoit attaqué près de Meiffen le corps de
troupes Pruffiennes aux ordres des généraux
Wunsch & Finck ; & qu'après une réfiftance des
plus opiniâtres , l'ennemi avoit été chalé de
tous les poftes qu'il occupoit , avec perte de plufieurs
canons & de beaucoup de foldats tués &
bleffés.
II paroît plufieurs Arrêts du Confeil d'Etat du
Roi : un du 14 Septembre , portant nomination
de Commiffaires de Sa Majesté à la Ferme générale
des Poftes ; deux du 24 , dont l'un décharge
du droit de fubvention les propriétaires des fonds
qui vendront des vins & cidres de leur crû , & les
autres perfonnes non hôteliers ou cabaretiers ofdinaires
qui ne vendront des vins & cidres qu'accidentellement
; l'autre ordonne que les quatre
nouveaux fols pour livre établis par I'E lit du mois
de Septembre , n'auront pas lieu fur le bled , le
feigle , le méteil , l'orge , la farine qui provient
defdits grains ; les pois , les féves , les lentilles ,
le ris , & autres légumes ; un du 16 , qui nomme
des Commiflaires pour procéder à la liquidation
des Offices fupprimés par les Edits des mois
d'Août & Septembre dernier : un autre du 27 du
même mois, qui ordonne qu'il fera furcis juf
OCTOBRE. 1759. 207
qu'au premier Décembre prochain a l'exécution
des Lettres Patentes du 5 Septembre ; un du 28 ,
qui difpenfe du payement des quatre nouveaux
fols pour livres , la marchandiſe de poiffon de
mer fec & falé ; & un du 7 Octobre , qui régle en
faveur des Officiers fur les ports , quais , halles &
marchés de la ville de Paris , fupprimés par Edit
du mois de Septembre dernier , un traitement
provifionnel , jufqu'au remboursement de la finance
de leurs Offices.
77
AVIS.
Sur le chemin de Francfort à Manheim , il a
été trouvé par un foldat François , un écrain contenant
une paire de boucles d'oreilles , & une
bague de diamans d'un grand prix . Ceux ou celles
qui l'auront perdu , s'adrefferont à M. le Procureur
du Roi du Baillage de Rouen , entre les
mains duquel l'écrain & les diamans ont été
déposés par celui qui les a trouvés . Le tout leur
fera remis après une défignation exacte.
MORTS.
Charles François de Joy de Mianne , ci- devant
Gouverneur de la citadelle d'Arras , ancien Brigadier
des Armées du Roi , eft mort au Château
de Lechafferie , en Bas- Poitou , le 7 Août , âgé
de foixante- dix- neuf ans . J
Dame Marie - Anne - Laurent Meſſageot , veuve
de Meffire Jean-Baptifte d'Areau , Marquis de
Poupeliniere , mourut le 11 Septembre, à Paris,
dans la cinquante - neuvieme année de fon âge.
Antoine de Chabannes , Marquis de Curton ,
210 MERCURE DE FRANCE:
+
ci-devant Colonel d'un Régiment d'Infanterie ,
eft mort à Paris le 1 Octobre dans la foixante &
quatorzième année de fon âge . Il avoit commencé
à fervir dès fa premiere jeunelle , & avoit
fait toute la guerre depuis 1704 juſqu'à la Paix
générale ; fucceffivement Capitaine de Cavalerie
& Colonel du Régiment de Coftentin , Infanterie,
en Italie & en Flandres , & à la tête duquel il
eut la cuiffe callée . Son Régiment fut réformé à
la Paix générale, & il obtint une penfion de quinze
cens livres pour fa réforme , & les appointemens
de Colonel réformé à la fuite du Régiment de
Bourbonnois.
>
Il étoit frere de Jacques de Chabannes , Marquis
de Curton Lieutenant général des armées
du Roi , mort fans enfans dans la derniere
guerre de Bohême , & lui fuccé la comme le premier
dans l'ordre de la ligne mafculine aux fubftitutions
des Marquifat de Curton dans la Guienne
près de Bordeaux , & du Palais dans le Forêt.
Il avoit époufé en 1750 Charlote - Jofephine de
Gironde , fille d'André de Gironde , Seigneur de
Buron en Auvergne , & de Claude Boiſtel , dont il
a eu une fille unique Anne-Marguerite de Chabannes
Curton , âgée de quatre ans.
Par la mort les fubftiturions des terres de la
maifon de Chabannes , en Guienne & en Auvergne
, & de la maifon de Rivoire du Palais dans
le Forêt , dont étoit fa grand'mere Gabrielle-
Françoiſe de Rivoire du Palais , Dame de Chabannes
Curton , & fille du Marquis de Rivoire
du Palais , & de la Dame de Montboiffier fa
femme ; font ouvertes en faveur de Jean- Baptifte
de Chabannes Curton , Comte de Rochefort en
Auvergne , fon frere puîné , qui devient l'aîné de
la maifon de Chabannes.
OCTOBRE. 1759.
211
SUITE du Catalogue de M. le Chevalier
BLONDEAU DU CHARN AGE.
NOMS
DES MAISONS
ALABAT. 1. G. &
ALABONNE.
ALADEN T.
ALLAIRE.
ALLAIS.
NOMBRE
DES TITRE So
1.
I.
I.
Z.
ALLAI X.
ALAMA N.
ALAMARGOT.
ALAMARTINE. I. G. & 1. A.
ALAMEA U.
ALAR D. 1. G. &
ALARY.
ALAUX .
ALEA UM E.
ALBANE L.
ALBERT.
ALBERTA S. 1. G. &
ALBERTHIN.
ALBIAC.
ALBIAT ( d' ).
ALBON.
ALBRET.
ALBRIGNO.
LLEGRAIN , OU ALLEGR & N .
ALLEGRE . I. G. &
6.
2.
87.
I a
2.0.
212 MERCURE DE FRANCE.
NOMS
DES MAISONS.
ALEHAN.
ALE MAIGNE
ALEMAN T.
NOMBRE
DES TITRE S.
1 .
2 .
23:
ALESME ( d').
ALEN.
ALENCE' ( ď }%
A LENÇON.
*
ALES P1' E.
ALEPS.
A LER.
A LES SEA U. R.
ALESSO.!
ALEXANDRE
A LIBERT.
ALICHA M P. R. &
ALIER ( d )
ALIE'S. ( d )
ALIGE .
ALIGRE ( d' ) . R. &
ALIGRE T. G. &

ALLIMLHER.
ALINTON ,
10 .
3.
2.
8 .
2.
5 .
5.
14.
1 .
1 .
22.
I.
I.
1.
ALIO T. R.
.11.
ALIX .
A LIXAN T. R. &
2.
4
ALIX BRETON. I.
ALMAIGNE.
ALMAYS ( d³ ).
ALMAS ( d' ).
ALMAURY. R.
I.
T.
OCTOBRE , 1759. 213
NOMBRE
DES TITRES ,
NOMS
DES MAISONS,
ALMERA 9. 1 .
ALNASSAR.
ALLONEA U.
ALLONVILLE,
A LOU. 3 .
ALOUGNY. I. G.
ALPOZZO ( d ' ) .
ALUSSON. R
ALVARES.
ALVASSA T
ALVEQUI N.
ALVIN.
AMA DO N.
AMADOR.
AMALUI.
I
1.
8.
1 .
2.
·
AMAND .
AMANJO N.
AMANZE . 1. A. R, &
A MAURY.
AMBLARD,
AMBOISE .
AMBRA Y.
.ag b .
8 .
2.
7.
AMCE.
3.
A MEIL..
AMELEN, OU A MELAIN.
I.
AMELINE. 2.
AMELLO N, 21.
AMELO T.
AMESTON , ou ADMESTON,
La fuite au Mercure prochair ,
214 MERCURE DE FRANCE.
Fautes à corriger dans le premier Mercure
d'Octobre.
Page 143. L'annonce du Livre intitulé Storia
univerfale , facra e profana, Tomo V, eft la fuite
de la traduction Italienne de M. Hardion ; & fe
vend à Paris chez G. Defprez , rue S. Jacques .
Page 197. ligne 15. de Bernei : lifez de Bernoy.
Ibid. ligne 18. Benet : lifez Bellet .
Page 209.ligne 12. Béthune : lifez Bellunce.
Dans ce Volume.
P. 35. I. 27. Annibal Caco : lifez Annibal Caro .
Page 85. ligne 3. fes fins : lifez ces fins.
Page 87. ligne 22. qui fert d'un couvercle : lifeg
qui fert de couvercle.
Page 146. ligne 26. plus d'environ mille morts ;
lifez environ 900 mille morts.
Ibid. lig. 29. la victime : lifez les victimes.
Page 153. ligne 10. a trois : lifez a cité trois.
Ibid. ligne 27. d'une : lifez de .
APPROBATION.
'Ai lu, par ordre de Monfeigneur le Chancelier ,
le fecond Mercure du mois d'Octobre , & je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion .
A Paris , ce 15 Octobre 1759. GUIRÖY.
1
OCTOBRE. 1759. 215:
TABLE DES
ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
LA Mère , l'Enfant & les Chars . Fable . Page 5
Les avantages de l'adverfité . Fable.
Le Trophée.
Vers préfentés à Madame de R***. le jour de
La fête.
Vers fur le Portrait d'une jeune Dame.
Epitre à M. le Marquis de la G***.
Synonimes François.
Lettre a M. d'Alembert , fur l'Art de traduire.
Imitation de l'Ode d'Horace , Beatus ille
qui procul negotiis , &c.
Jufqu'a quel point les fens influent-ils dans
les Ouvrages de goût ?
Damon , ou le Sage infenfé. Conte moral ,
en vers.
Lettre fur l'étude de l'Hiftoire.
Enigme & Logogryphe.
Chanfon.
7.
ΤΟ
14
Is
20
30
43
49
581
661
737
74
ART. II. NOUVELLES LITTÉRAIRE S.
Extrait des Lettres Portugaises en vers , par
Mlle d'Ol***.
Extrait du Mémoire fur la manière la plus
fimple & la plus fûre de rappeller les
noyés à la vie.
Lettre fur l'éducation par rapport aux làngues.
Tablettes anecdotes & hiſtoriques des Rois
de France.
76
82
92
95
Effai géographique fur les Ifies Britanniques. 129
Annonces des Livres nouveaux. 142 &fuiv,
216 M ERCURE DE FRANCE.
ART. III . SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
MÉDECINE.
Suite de la feconde Lettre de M. de la Condamine.
ACADEMIES.
Programme de l'Académie de Lyon .
Aflemblée publique de l'Académie de la Rochelle.
de celle de Rouen.
Programme de l'Académie de Pruffe.
ART. IV . BEAUX - ARTS .
ARTS UTILES .
ECONOMIE POLITIQUE,
Mémoire tendant à rendre les muriers & les
Vers à foie moins fujets à périr. Par M.
Rodier.
145
168
170
175
178
183
Oblervations importantes pour le Commerce. 188 .
ARTS AGRÉABLES. Gravure .
ART. V. SPECTACLES.
Opéra.
Comédie Françoiſe.
Comédie Italienne,
Qpéra- Comique.
193
195
196
198
Ibid.
Supplément à l'Article Médecine.
Extrait d'une Lettre de M. Boucher , Médecin
de Lille en Flandre .
2
Avis. 2
Morts.
ART. VI. Nouvelles Politiques .
I 3.
Suite du Catalogue de M. le Chevalier Blon-
2 deau du Charnage.
200
203
209
Ibid.
211
De l'Imprimerie de SRBASTIEN JO RRY,
rue & vis-a-vis la Comédie Françoife.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le