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MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ DE DIE AU RO I.
AVRIL. 1759 .
PREMIER VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine .
Chez
Cochin
Filius inv
PopiinoSeraly.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , viš à vis la Comédie Françoiſe.
PISSOT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
1
REGLA
MI CENGIS.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure, rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer, francs
deport , les paquets & lettres , pour remet
tre , quant à la partie littéraire , à M.
MARMON TEL , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
fairevenir,ou qui prendront lesfrais duport
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
c'est- à- dire 24 livres d'avance , en s’abonnant
pour 16 volumes .
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci - deffus.
A ij
1
Onfupplie les perfonnes des provinces
d'envoyerpar la pofte , en payant le droit ,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en ſoit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis ,
referont au rebut.
On prie les perfonnes qui envoient des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
du
On
peut fe procurer
par
la voye
Mercure
le Journal
Encyclopédique
&
celui
de
Mufique
, de Liége
, ainfi
que
les autres
Journaux
, Eftampes
, Livres
&
Mufique
qu'ils
annoncent
.
Le Nouveau Choix fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes , & les conditions font
les mêmes pour une année,
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL.
1759.
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES
- EN VERS ET EN PROSE.
LE LOUP, L'AGNEAU ET LA FOURMI,
د ر
L
FABLE.
E féroce animal qu'un Loup !
( Difoit Annette la bergère)
» Il vient de dévorer , d'une dent carnaçière ,
» L'Agneau que j'aimois tant , qui me ſuivoit
>> partout ,
I. Vol.
À iij
8. MERCURE DE FRANCE.
» Et qu'à mon mariage on devoit mettre en
> broche ! >
Elle s'attendrifoit , & s'eftimoit beaucoup,
En faifoit au Loup ce reproche.
Près de là , le troupeau revenu de fa peur ,
Suivant l'instinct de la pure nature ,
Broutoit innocemment une fraîche pâture .
Je dis innocemment , au gré de maint Docteur ,
Non au gré d'une fourmillière
Pour qui la gent bêlante étoit très - meurtrière.
>> Ciel ! jufte Ciel ! ( crioient ces infectes langlans )
>> Tu permets qu'un monftre engloutille
A la fois nos Cités avec leurs habitans !
>> Sufcite un loup vengeur , à l'innocent propice ,
> Terrible au fourmicide : un loup de ta juftice
>> Sans doute eft le Miniftre adorable & divin. >>
Telle eſt notre logique , à tous tant que nous
fommes ;
Des Loups & des Agneaux , des Fourmis & des
Hommes ,
L'amour-propre eft en tout le mobile & la fin.
Nota. L'Auteur Anonyme de cette jolie Fable
m'a adreffé un Ouvrage plus important ; mais
je l'ai prié de lire jufqu'au bout le morceau qui
en eft l'objet ; j'attends qu'il ait pris cette peine ,
& qu'il veuille bien me marquer s'il perfifte dans
fon opinion.
AVRIL. 1759. 7.
HYPERMNESTRE
A LYNCE E ,
Héroïde.
DELE la région fouterraine ,
Du cachot où la crainte affiége mon efprit ;
Je te trace ces mots que l'on peut lire à peine:
Le jour n'éclaire point cette main qui t'écrit.
Semblableà mes foeurs homicides ,
Si du fang d'un époux j'avois fouillé ma main
La plus jeune des Danaïdes
N'auroit point à gémir de fon fort inhumain.
Couverte de ton fang , jouiffant de mon crime ,
Je ne remplirois pas ce Palais de mes cris ;
Ha !fimon pere au meurtre attache fon eftime ,
J'abhorre la faveur à ce funefte prix .
Tant de noeuds qu'on forma pour unir nos familles
Ont fervi de prétexte à fa férocité;
Et parmi les barbares filles
A fes ordres affreux , j'ai feule réfifté .
Le plus beau de mes jours,l'on me charge de chaînes
Pour avoir fauvé ceux d'un époux trop chéri :
Je fouffre enfin toutes les peines
Que je mériterois fi j'avois obéi.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Tigre altéré de fang , dont la rage écumante
Fait fervir les enfans aux plus injuftes coups ,
L'on ne peut donc s'offrir à fes yeux que fumante
Du meurtre même d'un époux .
Il redoute un oracle inique
Qui prédit que ton bras doit lai ravir le jour ;
Un oracle plus véridique
Nous dit de reſpecter l'hyménée & l'amour.
Arracher au trépas un Amant qu'on adore ,
Aux dépens de fes jours le lui faire éviter ;
Braver des fureurs qu'on abhorre :
Ce font les feules loix que j'ai dû conſulter.
Comment pouvois- je avoir , impie & parricide,
Le courage d'exécuter
Ce complot barbare & perfide ?
A peine ai - je celui de te le raconter.
Le temps étoit venu au gré des deſtinées ,
Où devoit s'accomplir ce facrifice affreux ;
Au flambeau de tant d'hyménées
La vengeance alluma fes yeux.
Le foleil s'obfcurcit , & d'un voile nocturne
Couvrit les airs rentrés dans le fein du cahos ;
La Fille même de Saturaе
Craignit d'habiter dans Argos.
Cet amour tant promis , cette foi fi jurée ,
Doit avoir pour garants les Monarques des Cieux :
4
AVRIL. 1759.
Le parjure trahit leur Majefté facrée ;
Ils voilent à regret ce complot odieux .
La nuit avoit mis fin au tumulte des Villes ,
Nos époux enyvrés de vins délicieux ,
Aux charmes du fommeil vont fe livrer tranquilles
;
Mais la mort veilloit autour d'eux .
Le poignard à la main , & de rage enflammées
Mes foeurs bravent du Styx les fupplices nouveaux
A manier le lin leurs mains accoutumées ,
Pour le glaive homicide ont quitté leurs fufeaux .
Tant de poignards levés font garants de leur zèle.
Par un Pere inhumain leur courroux eſt aigri :
Chacune en immolant le plus tendre mari
Penfe frapper un infidèle.
On n'entend tout- à - coup que des gémiſſemens
Le Palais eft baigné de fang mêlé de larmes :
La Ville de Junon , Argos dans fes allarmes ,
Croit toucher cette nuit à fes derniers momens.
L'époux affaffiné par celle qu'il adore ,
Victime des forfaits qu'on lui laiffe ignorer ,
Fait un dernier effort pour embraffer encore
L'épouſe , dont la main vient de le maſſacrer.
Plufieurs de ces guerriers terminent leur carrière
Sans jouir feulement d'un inftant de réveil ,
Av
10 MERCURE DE FRANCE
Et par un coup mortel , privés de la lumière ,
Ne font que changer de fommeil .
Sacriléges Auteurs d'une action fi noire ,
Olez -vous regarder le Ciel ?
De mes fours à jamais périfle la mémoire :
Je défavoue un fang fi traître & fi cruel.
Répandons des larmes amères ,
Gémillons tous les deux fur nos divers malheurs ;
Si la mort t'a ravi tes frères ,
Après tant de forfaits me refte t- il des foecurs ?
Trois fois , par l'ordre de mon pere ,
Je levai le fer fur ton fein ,
Et trois fois mon amour & ton deſtin profpere
Le firent tomber de ma main.
A t'immoler , en vain je m'excitois moi -même ,
Une fecrette horreur glaçoit mon coeur d'effroi :
J'oubliois ma fureur extrême ,
Et l'amour fe plaçoit entre mon glaive & toi.
> Fuis , dis-je, en t'éveillant, un Tyran fanguinaire
Dont envain le courroux voudroit armer le miens
>> Cette main rebelle à mon pere
» Se rougira plutôt de mon fang que du tien . -
>> Que fes filles lui foient cruellement ſoumiſes ,
»Que leurs époux fanglans s'endorment fans
» réveil ;
AVRIL. 1759.
II
» Ces facriléges entrepriſes
>> Font reculer d'effroi mon bras & le foleil .
» Moins Amans que Guerriers , par une audace
> extrême ,
>> Votre nombreufe armée en nous donnant la loi ,
›› Pour prix de la victoire exigea notre foi .
» Mais quel crime ai - je fait pour trahir ce que
>>j'aime ?
» Et dois je venger fur moi- même
» Un crime que l'amour a pardonné pour moi ?
>>Tes freres font déja dans le Royaume fombre ,
» Minos même attendri de leurs calamités ,
Prépare des tourmens pour mes foeurs inventés.
» La nuit au parricide a pû prèter fon ombre ,
>> Profites -en pour fuir ces murs enfanglantés .
و ر
Danaüs contemploit le fruit de tant de crimes ;
Mais fa fureur s'exhale en regrets fuperflus ,
Lorfqu'il recherche en vain parmi tant de victimes,
Le plus jeune enfant de Bélus.
C'eft peu de voir fumant dans cet affreux carnage ,
Tant de jeunes Héros par le fer terraflés ;
Et tant que l'unde vous le dérobe à farage ,
Son Palais dans le fang ne nage pas affez.
C'est moi feule que l'on accufe :
N'avoir pas fait ce crime , eft un crime d'Etat.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
J'allume contre moi fa fureur que j'abuſe ,
Le falut de tes jours eft fon affaffinat.
Par ces cheveux épars dans la tour on metraîne;
L'audace foule aux pieds & mon ſexe & mon
rang ,
Mais je mériterois une plus grande peine
Si j'avois répandu ton fang.
Pour avoir reſpecté la trame
Des jours de mon Amant à mes coups exposé ,
L'on me donne les noms dûs au forfait infame
Auquel mon bras s'eſt refuſé.
Viens arracher ta femme aux fureurs de l'envie :
Tu lui fais éprouver les plus cruels revers.
J'ai contenté mes veux en te donnant la vie ;
Il manque aux tiens encor de m'arracher des fers.
Oui , tu dois partager avec moi cet Empire ;
Ma main en fut le gage au pié de nos Autels.
Je fuis toute à Lyncée , & tant que je refpire ,
Rien ne peut dégager nos fermens folemnels.
Hélas ! mon cher Lyncée , encore
Ta foi n'a point reçu le prix de mon amour ;
Je te fis devancer le réveil de l'aurore ;
J'en craignis pour toi le retour,
Dans le lit nuptial je ne fongeois qu'au crime
Qui menaçoit tes jours de mes terribles coups.
AVRIL. 1759% 43
Je ne t'y reçus qu'en victime:
C'étoit plus le bucher que le lit d'un époux.
Que mes coupables foeurs gémiffent d'un veuvage
Qu'elles doivent à leurs forfaits ;
Moi qui n'ai point de part à leur perfide rage
T'aurai-je perdu pour jamais ?
Quand une Amante le reclame ,
Peux-tu lui refuſer , cher Prince , ton fecours ?
D'un retour généreux tu dois payer ma flamme.
Rappelle mes bienfaits & nos tendres amours .
Tu dois t'affeoir un jour au trône de ta femme :
J'ai pour dot mon Empire, & ta fuite & tes jours..
Tes armes , tes amis , ton bras, mon cher Lyncée,
Se doivent à ma liberté .
De l'obtenir d'un pere aurois-je la penſée ?
Non, qu'il ne foit jamais entre nous de traité.
Ses bienfaits font rougir , & l'amour d'un tel pere
Eft un fardeau pour des
grands coeurs.
Irai-je mandier fon amitié fincere ,
Pour avoir le fort de mes foeurs ?
D'un amour vertueux mes malheurs font la
preuve ,
Et je fais gloire de mes fers.
Une grace feroit une honteuse épreuve ,
Et je rendrois ma foi fufpecte à l'Univers.
14 MERCURE DE FRANCE .
Viens , vole dans ces lieux , ne te fais plus attendre ;
N'épargne s'il le peut que l'Auteur de mes jours.
A l'afpect de mes foeurs mets ce Palais en cendre ,
Qu'elles lifent leur crime aux flâmes de ces tours.
Viens , la reconnoiffance & l'amour t'y convie :
Il faur me délivrer ou terminer mon fort.
Cette prifon obfcure où je traîne ma vie
Eft plus cruelle que la mort.
Adieu , je vois venir ma fin d'un pas rapide ;
On ne laiffera pas mes amours impunis :
Et dans ce féjour parricide
L'innocence plaintive en vain pouffe des cris.
S'il faut à mon devoir que je fois immolće ,
Ou périr dans l'ennui de mes triftes liens ,
Fais graver fur mon Mauſolée
Le péril de tes jours rachetés par les miens.
Trace fur mon tombeau tes généreuſes plaintes ;
Rends l'avenir témoin des larmes d'un Amant :
Qu'Argos pleure mon fort , que mes cendres
éteintes
Partagent avec toi ce doux foulagement.
Je préfère des fleurs nouvellement éclofes
A la pompe d'un deuil lugubre & folemnel :
Témoins de tes foupirs , fur un tapis de roſes ,
Mes mânes jouiront d'un printemps éternel .
AVRIL. 1759. 15
Sur mes deftins encor je pourrois bien t'écrire ,
De toi , de mon amour j'aime à m'entretenir ;
Mais ma main , dont la force expire ,
M'avertit déjà de finir.
Oui , cette main jadis à tes baiſers ravie ,
Qui faifoit ton bonheur en des plus doux inftans,
Succombe fous le poids d'une chaîne ennemie ,
Et ne peut , tremblante , affoiblie ,
Parler à tes yeux plus longtemps.
SONNET
AUSOLEIL.
GRAND &
RAND & vafte flambeau , fource de la lumière
,
O Monarque du jour ! couronné de fplendeur ,
Dont l'éclat éblouit ma trop foible paupière,
Qu'éveille le defir d'admirer ta grandeur ;
Apprens-moi donc comment parcourant ta carrière
,
Tu nourris l'Univers par ta vive chaleur ;
Eft-ce à toi que je dois adreſſer ma prière ,
Soumettre ma raiſon , mon eſprit & mon coeur ?
Non,tu n'es point un Dieu , tu n'en es que l'image :
C'eſt à ton Créateur que je dois mon hommage.
Plus l'ouvrage eft parfait,plus l'Ouvrier eft grand
16 MERCURE DE FRANCE.
Et quand tu tiens de lui , de ce Maître fuprême ;
De tant de qualités l'affemblage étonnant ,
Combien n'en doit- il pas raſſembler en lui-même!
DISCOURS
SUR LA MODESTIE ,
Lú en la féance publique de l'Académie
des Sciences & Belles- Lettres de Dijon
le Dimanche 13 Août 1758. par M.
Guyot Avocat au Parlement , Docteur
aggrégé en l'Univerfité de la même Ville
& Membre de l'Académie.
Q
MESSIEURS ,
UELLE eft cette vertu dont l'air
eft fimple & noble à la fois , qui te- .
nant un jufte milieu entre l'abbaillement
& l'orgueil paroît s'oublier elle-même ,
plaît à tous & n'offenfe perfonne ? A cès
traits vous reconnoiffez la modeftie , Meffieurs
, & je ne crains pas d'en confacrer
l'éloge dans le fanctuaire des Sciences ,
où je la vois donner chaque jour un nouveau
luftre aux talens.
J'entends par la modeftie cette vertu
qui nous fait toujours juger des autres
AVRIL 1759 . 17
plus avantageufement que de nous - mêmes
. Je la diftingue de celle qui , n'ayant
prefque rien de commun avec elle que
le nom , forme le caractère le plus eftimable
d'un féxe enchanteur ; je ne m'occupe
pas non plus de l'humilité chrétienne
, qui n'eft , à vrai dire , que la perfection
de la modeftie , fanctifiée par la
Religion & qui rabbaiffant à nos yeux
nos bonnes qualités , groffit par un contrafte
édifiant , nos moindres défauts &
nous repréſente toujours comme infiniment
inférieurs à tous les autres .
Dans quelque état que l'homme fe
trouve placé , par la naiffance ou la fortune
, la modeftie eft le tréfor qu'il doit
conferver avec le plus de foin : cette vertu
fçaura le garantir de beaucoup de fautes ;
elle pourra même couvrir d'un voile officieux
celles qu'il aura la foibleffe de commettre
; c'eft une fidèle compagne qui le
foutiendra dans les routes prefque toujours
trompeuſes & gliffantes du bonheur ;
c'eft une égide qui repouffera les traits de
l'envie ; un vernis précieux qui donnera
de l'éclat & de la valeur aux talens ; c'eft
la marque & le principe du vrai courage
qu'elle dirigera toujours felon l'intérêt
public.
Développons la plupart de ces idées
18 MERCURE DE FRANCE.
& pour rendre plus fenfibles dans ce
court effai les avantages de la modeſtie ,
mettons - la quelquefois en oppofition
avec l'orgueil puiffe le contrafte faire
briller cette vertu comme l'ombre mêlée
propos fait fortir la lumière d'un tableau.
à
La profpérité eft fouvent dangereufe :
elle flatte ; mais elle eft inconftante &
précipite dans l'abîme ceux qu'elle femble
conduire au port.
Que d'exemples ne nous fournit pas
l'Histoire de ces triftes nauffrages , qui
ont appris à la postérité que la modeſtie
eft le guide le plus fûr qui puiffe nous en
préſerver !
La fortune toute aveugle que la dépeignent
les Poëtes ne laiffe pas de furprendre
, d'éblouir , d'aveugler même fes
favoris : elle commence par les embraſſer
& finit quelquefois par les étouffer.
De tous les préfens du Ciel il en eſt
peu de plus utiles que la modeftie : c'eft
particulièrement dans la profpérité , que
fon fecours devient plus néceſſaire , pour
empêcher l'homme de fe méconnoître
& de s'oublier , fuivant la penſée de l'Orateur
Romain , que les honneurs changent
les moeurs . Appliquons cette maxime
auffi rebattuë que fouvent confirmée
AVRIL. 1759. 19
par l'expérience , non feulement aux honneurs
, mais à tout état de profpérité ,
d'élévation , de puiffance , de richeffes.
Pénétrons les fentimens d'un homme
tranfporté rapidement d'une condition
médiocre , peut- être même abjecte , à une
fortune brillante. Nous l'avons vu paſſer
comme par enchantement du néant à la
grandeur. Le prodige eft - il achevé ? cet
homme nouveau eft moins frappé de l'éclat
qui l'environne qu'ébloui de l'idée
avantageufe de fes talens. Il leur attribue
fans héfiter cette étonnante métamorphofe
; il croit que fon rare mérite
déterminant les variations progreffives
de fa fortune a augmenté au moins , en
proportion égale avec elle ; fouvent même
fon coeur trop vain la croit encore inférieure
à ce qu'il devoit attendre .
Telle eft la fource empoifonnée qui
produit & multiplie les fautes , les vices ,
quelquefois les crimes ; de là le mépris ,
l'envie , l'indignation publique , la vengeance
qui accable l'orgueilleux ; car l'orgueil
, fi je l'ofe dire , amaffe fur la tête ,
un tréfor de colère qui l'écrafe tôt ou
tard le fuperbe Aman périt avec ignominie
après avoir conduit en triomphe le
modefte Mardochée.
Mais quelle preuve plus certaine peut20
MERCURE DE FRANCE.
on trouver des avantages de la modeſtie
que le fuffrage non fufpect de ceux qui
la négligent le plus ? Mettons deux orgueilleux
en concurrence ; confidérons
leurs mouvemens , leur agitation , la jaloufie
qui les excite , la haine qui les
dévore... Le rang auquel ils afpirent les
divifera moins que la découverte & le
combat réciproque de leur orgueil : chacun
d'eux voudroit que fon rival fût
moins haut , qu'il fût modefte ; enforte
que par une contradiction perpétuelle
l'orgueilleux même fait cas de la modeftie.
Mais il cherche à s'affranchir du joug
aimable d'une vertu qu'il veut trouver
partout ailleurs qu'en lui - même .
Quel pourroit être l'objet le plus digne
de nos voeux ! Seroit- il pour les grands
travaux une récompenfe plus glorieufe
& plus fatisfaifante que l'eftime publique !
L'homme eft né pour vivre en fociété
avec fes femblables , fon ardeur doit donc
concourir toute entière à mériter leur
bienveillance ; & quoi de plus propre à
gagner les coeurs que la modeftie !
Elle ne cherche point à fe faire valoir ,
elle n'entreprend rien au-deffus de ſes forces
, elle ne bleffe & n'attaque perfonne,
elle rend à tous avec empreffement les
égards qui leur font dûs , fans en exiger
AVRIL. 1759. 21
s pour elle , fans les difputer par des contradictions
frivoles ;
le mérite , le bonheur
d'autrui ne l'afflige pas , elle en voit ,
elle en fupporte l'éclat fans trouble , fans
agitation, elle n'éprouve que des mouvemens
de joie ; la fatisfaction des concitoyens
, des étrangers même forme la
portion la plus précieufe de la fienne ;
leurs vertus & leurs talens font pour
elle un modèle qu'elle fe propofe d'imiter
& le germe fécond de l'émulation
la plus noble.
L'un de fes effets les plus admirables ,
eft de forcer l'envie au filence , du moins
de rendre fes efforts impuiffans. Les exemples
perfuadent mieux que les raifonnemens
:rappellons nous ce Miniftre fameux
d'un Roi de Perfe qui , du rang de fimple
Berger avoit été élevé par fon Maître
au faîte des dignités. Il s'appelloit Mahamed-
Aly-Beg Tavernier l'avoit connu.
& le trait que je vais citer d'après ce
voyageur a paru fi frappant à un Auteur
eftimé, qu'il en a fait ufage en l'attribuant
à Efope.
Mahamed , digne par fes vertus des
bontés de fon Souverain & par fes fervices
de la reconnoiffance des Peuples ,
excita bientôt le murmure de l'envie ;
elle conçut & nourrit des foupçons
22 MERCURE DE FRANCE.
odieux qu'elle ne craignit pas de répandre
artificieufement devant le Roi : elle
ofa lui infinuer que fon favori élevoit
des édifices fomptueux , & poffedoit des
tréfors accumulés au préjudice de l'Etat .
Le Roi voulut fe convaincre par lui-même
en vifitant la maifon de fon Miniftre ;
il fut d'abord furpris de n'y rien trouver
que de fimple : l'or n'y brilloit pas comme
dans les Hôtels des autres Seigneurs
de fa Cour.
L'envie attentive à tout , fit obferver
au Monarque une porte fermée à trois
cadenats ; il commanda qu'on l'ouvrît .
Mahamed lui dit , qu'il avoit des raifons
pour empêcher l'entrée de cette chambre
; qu'elle renfermoit tout fon bien ;
que ce qui étoit dans le refte de fa maifon
appartenoit au Sophi. Repréfentezvous
, Meffieurs , la furpriſe du Monarque
& des Courtifans affemblés, lorfqu'au
lieu de richeffes entaffées , on n'apperçut
que
la houlette , l'outre , la flûte , & l'habit
de Berger qu'avoit portés autrefois
le Miniftre avant fon élévation. Voilà le
tréfor dont il repaifloit fes yeux chaque
jour , pour le rappeller le point d'où il
étoit parti. Ce Miniftre modefte demanda
pour grace unique la liberté de reprendre
les premiers habillemens , & de
AVRIL 1759. 23
retourner à fa première condition . Le
Roi attendri fe fit ôter fes propres habits
à l'heure même , & les donna au
Miniftre ; ce qui eft le plus grand honneur
que les Rois de Perfe puiffent faire
à un Sujet. Ainfi l'envie fut confondue
par une vertu fi fublime.
C'est une coutume prefque univerfelle
d'employer les plus grandes précautions
pour conferver dans les familles les terres
& les titres ; de là les fubftitutions
portées auffi loin que la prudence humaine
& la loi permettent de les étendre.
La modeftie infpire un autre genre
de fubftitution , moins brillant , mais
plus utile : il feroit digne d'une ame no¬
ble & généreufe , telle enfin que celle du
Miniftre dont nous venons de parler ,
de fubftituer avec fes autres biens les vêtemens
qui ont fervi avant que d'arriver
à la grandeur. Cette falutaire précaution
perpétueroit dans la defcendance la plus
reculée les fentimens de douceur , d'affabilité
, de modération , de juftice & d'équité.
Pourquoi fe glorifier en effet d'une
haute naiffance ? l'origine des Souverains
& des Bergers n'eft-elle pas la même ?
Ne fut- il pas un temps où tous étoient
égaux ? Selon la penſée d'un Poëte Fran24
MERCURE DE FRANCE.
çois l'un détéle le matin , & l'autre l'après-
dînée. La plupart de ces fleuves
que nous voyons rouler orgueilleuſement
leurs ondes , & fe précipiter enfin dans
le fein de la mer , ne fortent- ils pas d'un
foible ruiffeau ?
De tous les avantages de la condition
humaine il n'en eft peut-être pas de plus
équivoque & qui appartienne en quelque
forte moins à l'homme que celui de la
naiffance. Il n'y a contribué en rien ,
puifqu'il ne pouvoit rien avant que d'exifter.
Les dons de la nature , les qualités
du corps & de l'efprit font fufceptibles
de perfection par le travail & l'exerci-
.ce ; T'homme qui s'applique à l'étude &
à la pratique des vertus , auroit un prétexte
toujours condamnable , mais plus
plaufible , s'il s'enorgueilliffoit de ces richeffes
perfonnelles & indépendantes de
la naiffance ; mais la plus illuftre origine
, lorfqu'elle n'eft pas foutenue de la
nobleffe des fentimens & des actions ,
n'eft pour celui qui ofe s'en parer , qu'un
fardeau humiliant ; & ne vaudroit- il pas
bien mieux être un Plébéïen ignoré ,
qu'un Patricien méprifable : Indigne , dès
qu'il eft fans vertus , du nom célèbre
qu'il traîne plutôt qu'il ne le porte , fa
brillante naiffance fur laquelle il s'appuye
AVRIL 1759. 25
puye présomptueufement , pourroit le
faire comparer avec affez de jufteffe à une
ſtatue d'argile bizarrement élevée fur une
bafe d'or.
L'homme ne doit pas fe glorifier da→
vantage de ſes richeffes ; leur éclat paffager
donne-t-il le mérite , les qualités &
les vertus feules eftimables ? La fource
des richeffes eft quelquefois obfcure, équivoque
, illégitime : eft - elle pure ? Leur
poffeffion toujours douteuſe , incertaine ,
flottante devient encore fouvent fatale.
Combien de riches voluptueux en multipliant
d'inutiles befoins , en fe procurant
un trop immenfe fuperflu , font à la
fin conduits & livrés par les richeſſes
niêmes à l'indigence & au mépris ? Combien
de modernes Icares , pour vouloir
prendre un vol trop rapide & trop élevé ,
voyent fondre leurs aîles de cire , couvertes
de plumes de paon , & font auffitôt
précipités , fans emporter avec eux la
foible confolation de laiffer leur nom
au pays témoin de leur chûte ?
Defirable modeftie, que vous êtes néceffaire
à l'homme ! Vous abbaiffez heureuſement
l'enflure du coeur à laquelle
il n'eft que trop fujet ; vous préfervez
l'abus dangereux qu'il feroit de les biens ,
de fon pouvoir , en l'éclairant fur leur
I, Vol. B
26. MERCURE DE FRANCE.
ufage légitime. Pourquoi les fages régle
mens de nos Rois ne font-ils plus en
vigueur ? Pourquoi tous les rangs font- ils
à préfent mêlés & confondus par un faſte
prefque général & fi outré , qu'il occa
fionne fouvent de fingulières méprifes, de
bizarres épuivoques , en paroiffant mettre
de niveau les conditions les plus
éloignées ?
2
Je fçais que les partifans du luxe prétendent
qu'il eft utile à un Etat , qu'il
entretient la circulation des richeſfes
qu'il occupe une infinité d'ouvriers ;
mais pendant que tant de bras conduisent
& arrangent des fils d'or & de foie , les
campagnes font défertes & incultes , &
tous ces bras que fatigue une foie frivole
& fuperflue , feroient bien mieux
employés à cultiver la terre , & à lui
faire produire des richeffes préférables à
l'or , puifque fes fruits font les feuls biens
eflentiellement néceffaires à l'homme , &
la plupart des autres ne font des
fignes arbitraires de convention , des
préfens funeftes qui n'énervent pas feulement
les corps , mais amolliffent encore
les courages ; & ne fçavons – nous
pas que le luxe des Afiatiques avoit préparé
les victoires d'Alexandre ?
que
A
que
L'oferai-je dire ? femblable à ces vents
AVRIL. 1759. 27
deftructeurs dont la chaleur dévorante
defféche les plantes qui en font frappées ,
& les empêche de fe reproduire par de
nouvelles tiges , le luxe prive les Royaumes
de leur plus grande reffource en s'oppofant
à la population dont il eft l'ennemi
fecret & dangereux. Pour foutenir
fon fafte , on fe refufe aux voeux de la
Nature ; on aime mieux augmenter le
nombre de fes domeftiques que multiplier
fa famille.
L'oftentation n'eft - elle pas encore une
espèce de dureté à l'égard du pauvre ?
Faire briller l'or à fes yeux fur de magnifiques
étoffes qu'il voit changer chaque
jour , c'eft préfenter aux yeux foibles d'un
Malade une lumière ardente & importune
; c'eft lui renouveller fans ceffè l'idée
de fes malheurs ; c'eft le forcer de
faire un parallèle accablant de fon indigence
& du fuperflu qu'on étale à fa
vuë fans ménagement .
·
L'ufage des richeffes feroit - il donc -
défendu ? Non ; mais imitez la Nature.
La terre précieufe qui contient l'or &
l'argent dans fon fein , les couvre , les
diftribue en veines , & ne les montre pas
au-dehors avec profufion ; que la modeftie
couvre également les richeffes ; qu'elle
en prefcrive l'ufage légitime , & que l'hu-
Bij
18 MERCURE DE FRANCE.
manité en conduife quelque veine fecourable
dans le fein du malheureux . O !
vous , qui que vous foyez , qui vous enorgueilliffez
de vos richeffes , & prétendez
être recommandables à ce titre ,
quelle eft votre erreur ! Songez que
fi
les égards leur font dûs , tout ce que vous
poffedez ne vaut pas quelques toifes des
mines du Pérou , & que ces précieuſes
montagnes mériteroient bien plus de
confidération que vous.
Portons nos regards fur des biens plus
réels & préférables à toutes les richeſſes ,
fur le mérite , le génie , les talens , quel
luftre ne reçoivent-ils pas de la modeftie
, & combien au contraire l'orgueil &
la préfomption les obfcurciffent & les
déparent ! La modeftie eft en effet au
génie & aux talens ce qu'eft la pudeur à
la beauté ; elle y donne un nouvel éclat.
Qu'un homme d'un grand mérite ſoit
orgueilleux , il n'aura que de foibles
droits fur l'eftime & l'amour du Public ,
qui craint d'être fubjugué , ou s'il lui en
accorde , il ne le fait qu'avec peine &
réſerve. L'homme modeste , avec des talens
égaux , peut- être moins brillans , eſt
plus für de réunir les fuffrages : le premier
ne les obtient qu'en les arrachant , pour
ainti dire : le fecond les gagne avant que
de les demander ,
AVRIL 1759: 29
Il eft de ces hommes vains & fuperbes
entêtés d'eux-mêmes , toujours occu
pés de leur mérite réel ou prétendu , qui
dédaignent leurs égaux , méprifent leurs
inférieurs , & croyent furpaffer leurs fupérieurs.
Ils s'imaginent être formés d'u→
ne fubftance plus pure. Ils s'admirent &
femblent prendre la trompette & dire ,
admirez-nous auffi nous fommes de
grands hommes .
›
13
Dévoilons les mystères de la coquetterie
; voyons à fa toilette l'une de ces
femmes qui fe font une étude particuliere
& fuivie , un mérite néceffaire , quelquefois
utile , de leurs attraits ; livrée à
des rêveries agréables , elle fe contemple
dans un miroir , elle careffe des yeux fa
précieuſe image , elle réfléchit fur fes
charmes avec une complaifance inexpri
mable , & s'écrie au fond du coeur ! Oui,
je fuis la plus belle . Combien d'orgueilleux
lui reffemblent en ce point ! Enchantés
de leurs talens , ils en admirent
l'excellence ; trompés par la glace flateufe
que leur préfente l'amour- propre ,
l'illufion eft complette ; ils n'entrent jamais
en comparaifon avec perfonne , ou
s'ils s'abbaillent à la faire , qu'elle eft peu
favorable à l'objet rapproché & auffitôt
rejetté. Nos talens ne trouvent rien qui
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
les égale. Voilà l'expreffion de leurs fentimens.
Ecrivains orgueilleux, Auteurs enchantés
de vos productions fouvent futiles &
languiffantes , confidérez le divin Virgile
; comparez , fi vous l'ofez , vos écrits
à fon Poëme harmonieux & fublime :
comparez votre orgueil avec fa modeſtie.
Il ordonna , par fa derniere volonté , que
le chef- d'oeuvre du génie & du goût fût
enfeveli dans les flammes.
Philofophes audacieux, qui croyez tout
fçavoir , fouvent fans avoir beaucoup
étudié , conſidérez le plus fage du Paganifme
, admirez Socrate , qui pénétré de
Í'immenfité des chofes qu'il n'avoit pas
encore approfondies , penfoit ne rien
fçavoir. Puiffent ces exemples , puiffent
ces grands hommes infpirer la modeſtie
& bannir l'odieufe & téméraire préſomption
qu'on peut nommer à jufte titre le
fléau de la Société .
La modeftie au contraire en eft la
tectrice. Achevons , Meffieurs , fon éloge
proachievous
, Meliefs, fon pooe
par un trait qui en caractériſe encore les
avantages ; ajoutons qu'elle convient à
toutes les conditions , à tous les états ,
à tous les âges ; qu'elle en fera toujours
le plus utile & le plus bel ornement , &
furtout qu'on ne la croye pas incompa-
1
.
AVRIL 1759. 3r
·
tible avec le courage , puifqu'elle en eft
le figne le moins équivoque , le principe
le plus certain.
Jules -Céfar recommandoit particulièrement
la modeftie aux Militaires . Le Roi
Archidamus , qui a vêcu plufieurs , ficcles
avant lui , dans une Harangue aux Spartiates
fes Sujets , que Thucydide nous a
confervée , dit ces paroles remarquables :
Gardons notre première modeftie , qui eft la
fource de notre valeur & qui nous rend fouples
& obéiffans dux Loix. *
Mais pourquoi recourir aux Anciens ,
pourquoi fouiller , pour ainfi dire , dans
une terre étrangere , lorfque nous fommes
riches de notre propre fond ? Les
noms des Turenne , des Catinat , en
tappellant les prodiges de la valeur &
la perfection de l'Art Militaire , affocient
à cette noble idée le fouvenir touchant
de la plus rare modeftie dont ces illuftres
Guerriers cherchoient à couvrir l'éclat de
leurs vertus & de leurs triomphes.
Nous trouvons heureuſement dans notre
Hiftoire & dans ce fiécle même , un
glorieux combat de modeftie qui fut trèsutile
à la France.
* V. Thucydide , Traduction de Perrot d'Ablancourt
, Liv. 1. pag. 71. de l'Edit . in -12 . de
1662 .
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
L'Editeur des Mémoires du Maréchal
de Villars raconte que dans un tems critique
pour ce Royaume & à la veille d'une
action que Louis le Grand prévoyoit devoir
être générale & décifive , le Maréchal
de Boufflers plus ancien que le Maréchal
de Villars , offrit d'aller fervir fous
fes ordres , oubliant généreuſement le privilége
de fon rang dès qu'il s'agiffoit du
bien de l'Etat ; arrivé à l'Armée , on vit
alors le plus noble combat entre les
deux Généraux , aucus d'eux ne vouloit
commander ; chacun vouloit obéir ; ne
pouvant s'accorder ils terminérent cette
difpute rare & héroïque , en convenant
de partager avec égalité le Commandement
de l'Armée ; c'eft ainfi que la modeflie
s'élevant au- deffus des vaines diftinctions
› méprifant le point frivole
d'ancienneté , de rang , de préféance , ne
s'occupe que du bien de la patrie & forme
le témoignage le plus fenfible & les
preuves les plus certaines du vrai courage
& de l'Héroïfme .
Parcourons l'immenfité des tems ; rappellons
- nous les grands hommes , les
Artiſtes célèbres ; ils furent prefque tous
modeftes : la modeftie femble être , en
effet, l'appanage le plus ordinaire des vertus
& des talens' ; & convenons qu'en adAVRIL
1759. 33
mirant les titres glorieux de Conful , d'Orateur
Romain, de Prince de l'éloquence,
de pere & de libérateur de la patrie, qu'a
fi juftement réunis Ciceron , nous voudrions
intérieurement que la vérité permît
d'ajouter a fon éloge Il fut modefte .
S'il eft done vrai que le mérite le plus
éclatant & le plus folide ne peut obtenir
une grace entière pour l'orgueil qui le
ternit , combien doit paroître fingulière
& ridicule la vanité que l'on voit fouvent
naître & fe nourrir de qualités médiocres
& fi inférieures à celles de ce grandhomme.
La
A Mademoiſelle de
A jeune Aminte à qui mon zéle
M'empêche de rien refufer ,
Prétend que je rime pour elle
Des vers qui puiffent l'amufer.
En vain pour garder le filence
J'oppoſe mon inſuffiſance
A la loi qu'elle me prefcrit ;
Elle me traite d'indocile :
Comme tout lui paroît facile
On déplaît , fi l'on obéit.
Hé bien , puifqu'Aminte l'ordonne ,
Je dois foufcrire à fon projet,
B▾
3.4
MERCURE DE FRANCE
Mais en fecondant fon objet ,
Profiton's fans qu'on nous foupçonne
De la liberté qu'elle donne
Sur le choix d'un tendre fujet.
Aimables Nymphes du Permeſſe ,
Hâtez-vous d'embellir mes chants ,
Verfez fur mes foibles accens
Ce feu , cette éloquente y vrelfe
Dont la douceur charme les lens.
Si par cette douce harmonie
Que vous répandrez fur mes fons ,
Si par vos touchantes leçons
Mon Aminte étoit attendrie ,
Mufes , le bonheur de ma vie
Seroit le fruit de vos chanfons.
Du Dieu qui révere Amathonte ,
Je bravois les fers glorieux ;
Mais eft-il un coeur qu'il ne dompte,
S'il puife fes traits dans vos yeux ?
Par vous ma conquête facile
Fait fon triomphe & mon bonheur.
Une réſiſtance inutile
Eût moins fignalé mon vainqueur.
Chere Aminte , je vous adore ,
Cet aveu m'échappe à regret ;
Brulé du feu qui me dévore ,
A celle qui le fit éclore
J'oſe en dévoiler le fecret.
1
AVRIL. 1759.
Si les fentimens quej'exprime
Vous paroiffent injurieux ,
Si vous regardez comme un crime
L'amour que j'ai pris dans vos yeux ;
Pour juftifier mon audace
Songez que toujours au Parnaffe
L'art de tromper fut établi ,
Et que j'ai pu fans injuftice ,
Parler par un fimple caprice ,
D'un feu que je n'ai point fenti.
Ainfi donc , adorable Aminte ,
Sufpendez votre étonnement :
Mon amour pour être une feinte
N'attend que votre jugement.
Auffi charmante qu'inflexible
Si vous dédaignez mes tranfports,
Si pour vous rendre plus fenfible
Je ne fais que de vains efforts ,
Alors mon inutile hommage
N'eft que le jeu d'un coeur volage
Qui manque de réalité ;
Mais fi par un deftin contraire
J'avois le bonheur de vous plaire ,
Je n'ai dit que la vérité .
Par M. Audiffret , Juge Royal de Barjols en
Provence.
B vj
..I
36 MERCURE DE FRANCE.
1
BOUQUET.
QUEL
UELLE Symphonie éclatante
Frappe mon oreille en ce jour ?
Partout on rit , partout on chante ,
Et la mufette & le tambour ,
De la fêre la plus brillante
Nous annoncént l'heureux retour.
Des plaifirs la troupe riante ,
Pour habiter ce beau féjour ,
Sur les traces du tendre amour
Vient de quitter l'ifle charmante ,
Où Vénus a fixé fa Cour.
Les premiers rayons de l'Aurore
A peine brilloient à nos yeux,
Que les Graces & Terpficore ,
Après avoir d'un vol joyeux
Parcouru l'empire de Flore ,
Et cueilli le plus précieux
Des parfums que l'on voit éclore
Dans ces jardins délicieux ,
Ont fur la beauté qu'en cès lieux
A l'envi tout Mortel adore ,
Epuifé les tréfors heureux
D'un Art que toute Belle honore,
Art charmant , Art ingénieux
Par qui l'on embellit encore
Les attraits les plus merveilleux !
AVRIL 1759. 37
Déja la plus jeune d'entr'elles
D'un fouffle auffi pur que divin ,
A fur fes couleurs naturelles
Répandu l'éclat d'un beau tein.
L'autre de mille fleurs nouvelles
Va parer fa tête & fon fein.
L'Amour charmé de fon deffein
Arrange à fon tour les plus belles
Pour l'en couronner de fa main.
Enfin autour d'elle empreffées ,
Elles font de fes blonds cheveux
Mille boucles entrelaffées
'
De rubans , de fleurs & de noeuds
Sous cette parure élégante
Où l'art , de fa beauté naiſſante
Releve l'éclat naturel ,
La jeune Thereſe eft fi belle ,
Qu'on ne peut ni rien voir de tel
Ni vouloir rien voir après elle.
Elle feule unit à la fois
Des Graces l'aimable fourire ,
De l'Amour le piquant minois
A l'air noble & fier qu'on admire
Dans la chafte Nymphe des Bois.
Par cette fidelle peinture
Il eft facile de juger
Que fes beaux yeux fans y fonger
Font partout la même bleffure ,
Et qu'on n'en connoît le danger
38 MERCURE DE FRANCE.
5
Qu'après que leur victoire eft fure .
Heureux qui pourra mériter
D'en obtenir un regard tendre !
Malheureux qui ne peut prétendre
Qu'a la gloire de les chanter !
LETTRE
A Madame la Comteſſe D ******** ¸
Du toit de Philémon vertueuſe habitante ,
Baucis , écoute-moi . Que fais- tu loin des lieux
Où coule la Mayene , où fon onde ferpente ,
Où j'ai perdu dans toi mon eſpoir & mes Dieux ?
Que fais tu fur le Clain ? Je fais que le vrai Sage
Trouve en tous lieux l'afyle du bonheur.
Dans le Palais des Rois , comme au fond d'un
boccage ,
La joie eft dans les yeux & la paix dans fon coeur.
Heureux partout , le monde eſt ſa Patrie ;
La mienne , hélas ! eft celle de l'amour.
Ma Patrie eft la tienne , ô charmante Emilie !
C'eft celle où tu me vis enyvré tour- à-tour
Du plaifir de t'ainer , du defir de te plaire ,
Et de l'espoir d'affortir quelque jour
Les fleurs du Pinde & celles de Cithère.
Touché de tes appas , j'adorai tes vertus :
AVRIL. 17597 39
Je vis la beauté jointe a la Philoſophie ,
Les Graces s'égayant à côté d'Aſpafie .. ..
Trop ten fre fouvenir d'un bonheur qui n'eft plus !
Qui n'eft plus ! Quel penfer vient ici me furprendre
!
Je fuis moins malheureux : tu te fouviens de moi :
Tu fais franchir , d'un oeil aimable & tendre ,
L'efpace trop cruel qui m'éloigne de toi .
Pour moi je crois toujours te parler & t'entendre
Je te trouve partout ; tu me fuis en tous lieux
Dans l'ombre de la nuit tu m'es même préfente ,
Et ton image à jamais renaillante
;
Dans les bras du fommeil s'offre encor à mes yeux
Fixé par le deftin , dans cet obfcur aſyle ,
Qu'y ferois-je fans toi ? Dépourvu de fecours ,
Accablé du fardeau d'une troupe imbécille ,
Dans le trifte printemps que la parque me file ,
Toi feule es mon foutien , mon appui, mon recours
Je ne vis que pour toi. Ma plume obéiſſante
Retouche ce tableau dont frémira ton coeur :
J'expofe à tes regards cette fcène changeante
De crime & d'infortune , & de doute & d'erreur.
Tel eft le tourbillon qu'on appelle le monde.
Un voile épais fur ce globe jetté ,
Tient dans la nuit ou dans l'obscurité
Les tragiques forfaits dont fans ceffe il abonde
Au loin gémit la vérité :
Tourmentée ici-bas , inquiette , éperdue ,
40 MERCURE DE FRANCE.
T
Des fourbes & des fots elle craint la cohue.
Hélas ! je m'en fouviens ; humble dans fa beauté,
D'un air libre & charmant autrefois je l'ai vue ,
Dans ton boudoir entrer à demi nue ,
Et fans rougir s'affecir à mon côté.
Par M. de L. T.
ODE
SUR la mort de M. du Guay - Trouin ,
Lieutenant général des Armées navales
, &c. *
*
-
D'où partent ces clameurs funèbres
Triftes enfans de la douleur ?
Flambeaux , votre pâle lueur
Augmente l'horreur des ténèbres.
Eole fait frémir les airs ;
Neptune fait mugir les mers ;
Le Ceil s'entrouve , il étincelle.
Dieu puiffant , qui menacez-vous ?
Quelle redoutable nouvelle
Vient annoncer votre courroux ?
Elève du Dieu de la Thrace
Que Breft cultive dans fon fein ,
J'ai cru devoir publier cet éloge d'un homme illuftre
dont la mémoire eft précieuſe à la France , & dont l'exemple
est une leçon.
AVRIL 1759. 41
Le bruit de nos foudres d'airain-
N'exerce-t-il plus votre audace ?
Le falpêtre à coups redoublés ,
S'allume , part..... Vous vous troublez ;
Guerriers , vous répandez des larmes ,
Et laiffez tomber de vos mains
Ces armes , ces terribles armes
Le jufte effroi de nos voisins .
Que cette langueur accablante
Frappe mon coeur épouvanté !
Votre mâle intrépidité
Brava cent fois la mort préſente ;
D'où peutnaître votre terreur ?
Qu'entends-je ! ô récit plein d'horreur ! ´
Contre Du Guay la mort prépare
De tous fes traits les plus aigus.
Ce Héros,.. arrête , barbare !
C'en eft fait , ce Héros n'eft plus.
De la mer , prétendus Monarques ,
Dont Du Guay confondit l'orgueil ,
Bravez ce héros au cercueil ,
Et louez la fureur des Parques.
Pourquoi ce reproche odieux ?
Non , non , ce Peuple impérieux ,
Malgré les tranfports de fa rage ,
Au Guerrier dont il eft jaloux
Ne refufe point fon hommage ,
Même en expirant fous les coups.
42 MERCURE DE FRANCE.
Il meurt , ce Guerrier intrépide ,
Qu'au milieu des plus grands hazards ,
Contre Bellone & contre Mars ,
Pallas couvroit de fon égide. *
Il meurt dans le fein de la Paix .
Ses mânes feroient fatisfaits
Si terminant fa courſe heureuſe ,
Devant les remparts de Danifick **
Il eût eu la fin glorieufe
Des Ruiter , Turenne & Berwich.
Confolez-vous , ombre immortelle ;
Un plus honorable trépas
A votre fort ne pouvoit pas
Donner une gloire nouvelle.
Quand par un fentier peu battu ,
Jufqu'au faîte de la vertu
Le vrai héros a pû paroître ,
Sa gloire ne s'augmente plus.
Il est tout ce qu'il pouvoit être ;
D'autres honneurs font fuperflus.
Dieu des vers , ah ! fi de ma lyre ;
Ranimant les foibles accords ,
Tu fecondois les vifs tranfports
Que le nom de Du Guay m'infpire ,
Sur quel ton , fur quels nobles airs
* Il n'a jamais été bleffé .
** M. du Gary- Trouin defiroit beaucoup d'être envoyé
à Danzic , en 1733 .
L
AVRIL. 1759.
Annoncerois - je à l'Univers
Que le Léopard Britannique
Uniſſant ſes cruels efforts
Au courroux du Lyon Belgique ,
Viendroit expirer dans nos Ports ?
Oui , je franchirai les limites
Que des Dieux le dépit ſecret ,
Aux fiers defcendans de Japhet ,
Malgré le deftin , a prefcrites.
Méprifant les vents & les flots ,
J'accompagnerai mon Héros
Sur les mers du Riogenere ,
Et j'admirerai du Vainqueur ,
Dans l'un & dans l'autre hémisphère ,
Le même bras , le même coeur .
J'y verrai la valeur fuprême
Indépendante des climats ,
Parmi les feux & les frimats ,
Se diftinguer toujours la même.
Du Guay fous un Ciel étranger
Portant la mort & le danger ,
Fera retentir ſon tonnerre ,
Tel que fur Neptune tremblant ,
Aux yeux même de l'Angleterre ,
Il foudroyoit le Cumberland. *
C'est un des plus beaux exploits de M. Da G. Ta
-Voyez les Mémoires.
44 MERCURE DE FRANCE :
Où m'embarquai -je , téméraire ,
Pour chanter l'Achille Breton ?
Mufes , ordonnez à Pluton
De nous rendre l'ombre d'Homere :
Mais par d'impitoyables loix
On n'écoute plus votre voix
Au- delà des temps , du Cocythe.
Pour former de lugubres fons ,
Cherchez quelque anie favorite
Qui foit digne de vos leçons .
Voyez cette Ifle , où la fortune
De concert avec le Dieu Mars ,
Eleva d'orgueilleux remparts
Jufques dans le fein de Neptune:
Chez ces habitans redoutés ,;
Le héros que vous regrettez
Vit briller fa première aurore.
Mufes , ils ont fçu l'imiter ;
Par vos foins ils pourront encore
Eux feuls dignement le chanter.
- * M. Du G. T. étoit de Saint Malo. Le terrain des
accroiffemens qu'on a faits à cette Ville , a été pris fur la
mer , & les richelles acquifes par le commerce , ont fourni
à la dépenſe . C'eſt ce qu'on a exprimé dans l'Infcription
fuivante :
Hic fuerant naves , nunc ades , pontus amicus ,
Adibus his fumptum , præbuit atque locum.
Cette Infcription eft de M. de Maupertuis , né à Saint
Malo.
AVRIL 1759. 45
OBSERVATIONS
Sur une Harangue prononcée le 8 Janvier
dernier par le Profeffeur de Rhéthorique
du Collège Royal d'Orléans
dans laquelle on a prétendu démontrer
qu'il étoit plus aifé de fe faire un
grand nom par la voie des armes , que
par celle des Lettres . Utrum armis , an
litteris fama citiùs comparari poffit,
LIDE
Par un de fes Ecoliers,
'IDÉE avantageufe que je m'étois formée
de la Littérature, l'eftime particulière
que j'en avois conçue & que vous-même
m'aviez tant de fois infpirée , m'avoient
tellement prévenu en fa faveur que je n'ai
pû voir fans étonnement la manière dont
vous vous êtes élevé contr'elle dans la
Harangue que vous avez prononcée le 8
de ce mois. Quoi vous qui par état &
par profeffion devez la foutenir, vous ofez
attaquer ? Vous qui par devoir & par reconnoiffance
devez la protéger, vous ofez
la combattre ? Oubliant que c'eft à l'aimable
Littérature que vous êtes redevable
des applaudiffemens que vous avez
46 MERCURE DE FRANCE.
recueillis , vous vous montrez fon adver
faire. Sans refpect pour les Lettres , vous
mettez en uſage ce que l'éloquence a de
plus flatteur & de plus féduifant pour les
fubordonner aux armes. Partifan de Mars
& de Bellonne , abandonneriez- vous les
neuf Soeurs ?
Souffrez que je prenne en main la caufe
de la Littérature ; fouffrez que je la
venge des coups que vous lui avez portés.
Si le Public féduit par les charmes
d'une éloquente harangue , s'eft vû forcé
de vous donner fes fuffrages ; il n'a pas
prétendu adopter votre manière de penfer.
Un fyftême qui n'avoit d'autre mérite
que celui de vous avoir pour défenfeur
a pû pour quelques inftans éblouir les ef
prits , mais non pas les amener à la conviction.
Effayons par quelques obfervations de
rendre à la Littérature l'honneur que Vous
lui avez enlevé , & la juftifier des reproches
que vous lui faites. La vérité
exige cet hommage , auffi eft- ce d'elle
feule que j'emprunterai des armes ?
Quelque oppofés que paroiffent entre
eux le Guerrier & le Littérateur , ils ont
cela de commun qu'ils travaillent uniquement
pour la gloire : animés de nobles
motifs & de généreufes inclinations ,
AVRIL. 1759.
leur but eft l'immortalité. Egalement
utiles au bien de la fociété , ils y concou
rent également quoique par des voyes
différentes & des routes oppofées. Le
Guerrier valeureux qui fért fon Roi , fa
patrie , fes concitoyens , mérite nos hom+
mages ; le Sage & l'aimable Littérateur
qui nous inftruit & nous amufe , mérite
notre reconnoiffance .
Mais qu'il en eft peu qui connoiſſent
la véritable gloire ! Que de Guerriers illuftres
ne doivent leur réputation qu'à
des crimes heureux ! J'ouvre les faftes
du monde... qu'y vois - je ? d'illuftres
méchans décorés du beau titre de Conquérans
, des terreins incultes achetés
au prix du fang des hommes , des victoires
& des triomphes que les pleurs
& le dueil accompagnent. Céfar ( ditesvous
) , préfére l'Art Militaire à la gloire
qu'il pouvoit acquérir dans le Barreau ,
& la voie des armes lui paroît plus fûre
que celle de l'éloquence . Un pareil exemple
peut- il conclure contre les Lettres en
faveur des armes ? Céfar , de citoyen
vertueux devient le fléau de fa patrie ,
le Tyran de fes concitoyens , trempe
fes mains dans leur fang & ravit leur liberté.
Sont-ce des titres pour acquérir
la célébrité a
48 MERCURE DE FRANCE.
En vain pour élever les armes fur les
trophées de la Littérature , avez - vous
emprunté de l'Art ce que la vérité vous
refufoit ; en vain vous êtes- vous attaché
à nous la montrer fous le jour le plus
odieux & fous l'afpect le plus défavorable.
Forcé de convenir que la gloire
qu'elle procure eft plus pure , plus innocente
, que bien loin d'être contraire à
la félicité publique , elle en fait le plus
bel ornement , que fes lauriers ne font
point mêlés de cyprès , ni fes triomphes
arrofés de fang , vos traits font fans force
, vos efforts impuiffans , vos coups
n'ont pû lui nuire.
Tout prévenu cependant que je fuis
en faveur des Lettres , je ne prétends
pas ici donner la moindre atteinte à la
profeffion des armes ; je la refpecte trop
pour me montrer fon antagoniste. Défenfeur
des Lettres , je ne fuis point rival
des armes. La véritable valeur eft d'un
prix fans bornes & mérite une eftime fans
mefure. Quoi par exemple de plus digne
de notre admiration que l'hiftoire dePierre
du Terrail plus connu fous le nom de
Chevalier Bayard , l'homme de fon Sićcle
le plus courageux , & en même tems
le plus vertueux ? Ce Héros après des fervices
fignalés rendus aux Rois Charles
VIIL
AVRIL 1759. 49
-
VIII . Louis XII . & François I. fut bleſſe
à mort à la retraite de Rebec . * Après
s'être recommandé à Dieu , il ſe fait coucher
ſous un arbre le vifage tourné contre
l'ennemi , » n'ayant jamais tourné le
» dos devant lui ( dit-il ) je ne veux pas
»commencer à la fin de ma vie . Et puis il
chargea un Seigneur diftingué qui fe trouvoit
auprès de lui de dire au Roi qu'il mouroit
très content , parce qu'il mouroit
pour fon fervice , & que le feul regret
qu'il avoit étoit qu'avec la vie , il perdoit
le moyen de le fervir plus longtemps.
Un inftant après Charles de Bourbon qui
pourſuivoit l'armée des François paffa devant
l'endroit où expiroit ce généreux
Guerrier , lui témoigna combien il étoit
fenfible à l'état où il le voyoit réduit.
»Monfeigneur, je vous remercie, repartit
»fièrement Bayard , il n'y a point de pitié.
» en moi qui meurs en homme de bien ,
» fervant mon Roi ; il faut avoir pitié de
» vous qui portez les armes contre votre
و د
* Nota . En 1524. où nos troupes commandées
par l'Amiral de Bonnivet eurent quelque téfavantage
contre celles de l'Empereur Charles V.
commandées par Charles de Bourbon Connéta
ble de France.
1.Vol.
C
4
so MERCURE DE FRANCE,
» Prince , votre Patrie , & votre ferment ; »
enfuite il l'exhorta d'une voix mourante à
fe réconcilier avec fon Souverain & à quirter
le parti ou il s'étoit jetté.Que cet exemple
eft beau, qu'il eft grand , qu'il fait d'impreffion
fur mon coeur ! Trop mémorable
hiftoire, portion la plus noble de la littérature,
que ne te dois-je pas de m'avoir confervé
ce préciéux événement ! Mais que de
pareils exemples font rares, que les fiécles
font lents à nous les produire;que ces deux
titres de Chevalier fans peur & fans reproche
, qui ont été décernés à Bayard , fe
trouvent rarement réunis ! * En effet , fi
d'un côté je trouve l'héroïfme de la valeur
, de l'autre je trouve les forfaits les
plus inouis. D'un côté forcé d'admirer , de
l'autre forcé de détefter. Ici je vois le
héros , là je vois le traître. Ici le défenfeur
de l'Etat , là le destructeur. La fidé-
* J'ai rapporté ce trait d'Hiftoire parce qu'il
fournit la matière d'un fort beau contrafte , &
qu'en même-temps il fait fentir combien de pareils
exemples font rares. Les Contemporains
même de Bayard pouvoient à peine ſe perfuader
que tant de belles actions fuflent celles d'un homme,
& c'eft ce qui a donné lieu à une infinité de
Romans , où l'on n'a pas manqué de nous repréfenter
comme galant un Guerrier qui n'étoit rien ·
moins .
AVRIL. 1759. SI
lité d'un côté , de l'autre le parjure ;
tous deux courageux : mais l'un eſt vertueux
, l'autre criminel.
Quittons ces triftes images , reviens ,
aimable Littérature , les forfaits te font
inconnus , & fi tu as l'avantage de nous
procurer une gloire plus pure & plus innocente
, celle que tu nous promets eft
encore & plus prompte & plus aifée à
acquérir. C'est ce que je vais tâcher d'établir.
Pour le faire avec clarté , je pofe en
principe que plus les moyens font fimples
pour parvenir à un but , moins ils font
multipliés ; plus vite on y parvient, plus
furement on y arrive : c'eft par l'application
de ce principe tant aux armes
qu'aux lettres qu'il fera faci.e de décider
la queftion.
Il eft difficile de fe faire un grand nom
par la voie des armes , parce que la gloire
où afpire le Guerrier eft affervie à
une infinité d'évènemens . Efclave des occafions
, elle ne fauroit fe produire d'ellemême
, mille écueils l'environnent , mille
obftacles en retardent le progrès, les difficultés
fe fuccédent les unes aux autres , &
après de longues épreuves , & des tentatives
fouvent réitérées , on fe trouve encore
Cij
32 MERCURE DE FRANCE.
éloigné du but . Développons cette penfée.
La paix , l'heureufe paix régne fur la
terre. Les mortels fatisfaits font des voeux
pour fon éternelle durée ; au gré de leurs
defirs , elle ne fauroit trop longtems ſubfifter.
Le Guerrier feul s'en afflige regardant
avec dédain un repos contraire à fes
projets , il gémit dans l'impuiffance de ne
pouvoir acquérir la gloire dont il ſe flatoit.
Réduit à s'attrifter de ce qui fait la félicité
commune, la paix lui eſt à charge. Le beau
feu qui l'anime faute de matières & d'alimens
, fe rallentit , s'éteint & fe confume.
Tel eft le Guerrier en tems de paix.
Suppofons que le Ciel en courroux ait
exaucé fes voeux. Mars en fureur , l'Europe
enflammée préfente à fon courage
des objets dignes de lui. Albion , malgré
fes fermens , fe parjure, & contemple d'un
cil d'envie la gloire de l'empire des lys.
Le Guerrier vole , aucun obftacle ne le
retient , fon bras lui promet tout , fa valeur
ne connoît point de dangers , rien
n'arrête fon héroïque ardeur. Mais que de
hazards ,
, que d'incertitudes ! Qui promet
le fuccès ? qui répond de la victoire ? comment
fe flatter que de belles actions confondues
dans la foule des événemens feront
reconnues ? comment efperer qu'elAVRIL.
1759.
53
les pafferont au grand jour ? Mille rivaux,*
mille concurrens vous difputent ce prix ,
& à force pour ainfi dire de le partager ,
aucun n'eſt cenfé l'avoir obtenu , quoique
tous l'ayent mérité .
,
Enfin que de fragilité dans la gloire où
afpire le Guerrier ? il touche au comble de
fes defirs , fes efpérances fe réaliſent , il
eft fur le point de recueillir le fruit de fes
travaux tout concourt même à lui en
affurer les fruits les plus abondants , lorfqu'au
milieu de ces flateufes idées les jours
font moiffonnés , & en même temps que
la lumière lui eft ravie , fes projets de
gloire , de fortune & de grandeur s'anéantiffent
à jamais dans les ombres du tombeau.
A l'abri des allarmes , dans le fein du
repos le Littérateur ne connoît point cest
obftacles ; le chemin de la gloire eft pour
lui femé de fleurs. Peu d'écueils s'y rencontrent
, encore font-ils promptement
* J'aurois fouhaité rendre cette penſée un
peu plus claire , car elle exprime d'une maniè
re bien fenfible l'ardeur de tant de braves guerriers
qui combattent pour la gloire , & qui
s'étant également diftingués font cependant peu
parce que le nombre affoiblit pour
ainfi dire , & diminue le prix des belles actions de
chacun d'eux .
connus >
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
applanis. Elevé pour ainfi dire au- deffus
des événemens , il n'attend rien des autres.
Artifan de fa gloire , il ne la doit
qu'à lui feul . Que Mars s'abbreuve de fang
& de carnage , que la paix faffe revivre
la joie & l'abondance , les routes de la
gloire font toujours pratiquables. En effet
un génie heureux paroît , fon ouvrage
applaudi mérite du Public un favorable
accueil , il a de tous les coeurs captivé
les fuffrages. On bénit fon Auteur , on
s'empreffe à l'envi de le combler d'éloges ;
fon nom paffe de bouche en bouche ;
la renommée cette prompte meffagère n'a
pas affez de voix pour publier fa gloire.
Alors que de titres affurés , que de gages
conftans d'une heureufe immortalité
! jamais réputation fut- elle plus prompte
, plus aifée , plus rapide ? Littérature,
ce font tes prodiges, c'eſt à toi feule qu'ils
font réfervés , ce font les récompenfes
que tu deftines à ceux qui marchent fous
tes étendarts.
Enfin la Littérature eft l'empire de la
paix ; l'union & la concorde règnent dans
fon fein. La fureur des combats n'y pénétra
jamais. S'il s'éléve quelque divifion,
elle eft promptement terminée , mais fans
répandre de fang. Une douce liberté compagne
du bonheur prodigue àfes Sujets des'
7
AVRIL. 1759. 35
jours purs & tranquilles. Le defpotifme
n'y eft point connu ; nulle autorité que
celle donne le favoir & la vertu ; la
que
prééminence eft celle des talens , la fubordination
n'eft point honteufe, parce que
tout y eft grand. Précieufe Littérature que
ton empire eft doux , que tes Sujets font
heureux !
Que de prérogatives jufques ici fe réu
niffent en faveur de la Littérature ! Elles
font trop frappantes pour vouloir les méconnoître.
Vainement pour les obſcurcir
on la charge de reproches. Vainement
on veut la rendre complice de divers
abus qui s'élèvent parmi ceux qui la cultivent.
Tel eft ordinairement le langage
de l'ingratitude. Si des Littérateurs obfcurs
par de médiocres écrits aviliffent les
Lettres fi des Écrivains méprifables
abufent de leur commerce , fi l'on voit
quelquefois l'émulation dégénérer en
envie , la critique en calomnie , font- ce
des motifs raisonnables pour décrier les
Lettres peut -on légitimement leur en
faire un crime ?
•
La critique même , ce terrible fléau du
Littérateur , que vous nous repréſentez
avec des couleurs fi noires ', & dont vous
nous faites un tableau fi hideux , bien
loin d'être un obftacle à fa gloire , ne
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
fert qu'à en illuftrer l'éclat , & à en rehauffer
le prix. C'eft une redoutable barrière
, un feuil facré qui une fois franchi
en affure la durée & en fixe l'incertitude.
Le Critique honnête- homme eft un des
plus utiles Sujets de la Littérature . Arbitre
du bon goût , confervateur de l'honneur
littéraire , c'eſt dans fes mains qu'en eft le
précieux dépôt ; les droits lui en font confiés,
& fon fèvère tribunal eft chargé de les
maintenir. Ce n'eft pas le connoître que
de lui prêter des caractéres auffi bas que
ceux de l'envie & de la jaloufie . S'il
fe trouve des hommes vils qui oubliant les
nobles fentimens que la Littérature pref
crit à fes enfans , s'en fervent comme
d'un moyen pour fatisfaire quelque paffion
particulière , je le répéte encore ,
ce font de funeftes abus dont les Lettres
ne font pas refponfables. Bien loin de les
autorifer , elles les défavouent , dès - lors
elles n'en font plus complices , & on
ne doit plus les leur imputer.
Que leur Adverfaire reconnoiffe aujourd'hui
fon erreur ; que l'illufion qui
l'a féduit laiffe prévaloir la vérité ; pour
moi fans décider entre les armes & les lettres
, je me contente d'avoir lavé ces dernières
des reproches qu'on leur a faits . *
* Puiffe le jeune Auteur de cette apologie ne
jamais revenir de fon heureuſe prévention !
AVRIL 1759. 57
PORTRAITS.
LA fiere Delphire arrive -t - elle
dans une promenade , elle fe préfente
d'un air fi noble , fi affuré , fa démarche
eft fi remplie de grace qu'elle parvient
bientôt à fe faire diftinguer dans la foule
,
.
elle porte la tête haute & la tourne
de tous côtés avec complaifance , elle
Lourit gracienfement à tous ceux qui la
faluent : c'eft lui faire plaifir , elle aime
à être remarquée ; fi elle s'affied , c'eft
fur le premier rang , dans l'endroit le
plus commode pour attirer les regards ,
on la rencontre partout , aux Spectacles ,
aux Bals , aux promenades , dans le lieu
& dans le temps où il y a le plus de monde
, elle eft poffédée de la manie de fe
faire voir. On l'annonce dans une compagnie
, la joie fe répand en un moment
dans toute l'affemblée , & fe peint
fur tous les vifages : celui du vieil Harpagon
même , où le fombre chagrin a fixé
fon féjour , fe déride & laiffe échapper un
fouris , il fe met à rajuſter fon jabot , &
à redreffer fa coëffure : tout eft en mouvement
pour recevoir Delphire , on court
au-devant d'elle & chacun fe difpute
Cv
18 MERCURE DE FRANCE.
l'honneur de la faluer le premier , &
d'être affis à fes côtés : on fe pouffe , on fe
preffe autour d'elle , elle domine dans
fon cercle , on n'adreffe plus la parole
qu'à elle , on demande , & on attend
fon fentiment pour fe déterminer ; il décide
fans appel. Elle parle de tout &
auffi longtems qu'elle veut , fans être interrompuë
: elle n'ennuye jamais, fa converfation
féduit , enchante. Les plus petites
chofes ont dans fa bouche un intérêt
qui captive l'attention de tous fes
Auditeurs. Les modes nouvelles reffortiffent
fouverainement à fon tribunal ,
fon exemple fuffit pour les mettre en
vogue & pour les décréditer : elle aime
fe plaifir & ne le blâme dans perfonne ;
elle fe fait prier pour chanter , & eft
bien-aife qu'on l'en preffe , parce qu'elle
eft fure d'être applaudie. Elle eft capricieufe
, vive , légére , impatiente , elle
veut être obéie promptement , & tout
le monde s'empreffe à la fatisfaire : elle
eft belle.
Orphife marche la tête baffe , elle
s'enveloppe dans fa coeffe , & ne détourne
jamais les yeux. S'il lui arrive
d'aller dans une promenade, elle marche
fur le bord de l'allée & fe coule le long
des arbres elle voudroit ne point occu
AVRIL. 1759: 19
për de place , & n'être point apperçue ,
elle ne s'affied que dans le lieu le plus,
obfcur , elle n'y eft jamais qu'aux heures
où l'on ne rencontre perfonne ; on la
voit fouvent dans les Eglifes , elle y paffe
la journée , & eft bien-aife d'y être vue.
Paroît-elle dans une compagnie , on fe
contente de lui rendre les devoirs que
la politeffe exige. Enfuite on reprend la
converfation qu'elle avoit interrompuë.
Si elle y prend part , & s'il lui arrive de
dire fon avis , il n'eft d'abord que médiocrement
gouté ; on trouve même bien.
des raifons pour le combattre. S'eft- elle
une fois emparée de la converſation ,
l'ennui gagne peu - à-peu l'affemblée , &
le cercle diminue infenfiblement.En effet,
ce qu'elle dit paroît froid & ennuyeux ;
les chofes même les plus agréables perdent
de leur prix dans fa bouche ; quelquefois
auffi fon entretien roule fur des
matières peu intéreffantes ; elle vous parlera
du Sermon qu'elle vient d'entendre ,
d'une bonne oeuvre qu'elle vient de faire,
d'un Directeur qu'elle s'eft choifi depuis
peu. Elle publie hautement qu'elle fait
peu de cas de la beauté & de tous fes
agrémens ; elle s'efforce de prouver combien
la vertu lui eft préférable. Son air
grave & férieux , fa morale févère lui
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
donnent une certaine autorité ; elle cher→
che à s'attirer la confiance des jeunesgens
; elle veut remplir auprès d'eux le
rôle d'une mere ; elle leur donne des confeils
& des inftructions pour leur
apprendre
à fe conduire dans le monde , à le
connoître , à s'en défier , à fe préferver
de l'appas des vices qui y font adorés
aujourd'hui ; elle leur répéte fans ceffe
qu'ils fe gardent bien d'imiter les hommes
d'aujourd'hui , qui font devenus fans
goût , fans jugement , fans difcernement
pour ce qui mérite leurs adorations ; qu'ils
n'ont plus d'encens que pour des femmes
coquettes , frivoles , libertines , qui ne
méritent pas l'attachement des gens fenfés
, dont les hommages devroient être
réfervés à la vertu ; elle eft jaloufe de foins
& de complaifances : cependant perfonne
ne s'empreffe pour Orphife ; elle eft laide.
Par M. R. D. T.
SUR les différens genres d'écrire.
Par un Suiffe.
CEUX EUX qui font des Livres devroient
avoir beaucoup plus d'efprit que ceux qui
les lifent rarement la différence eft- elle
AVRIL 1759. 61
affez grande ; fouvent elle fe trouve en
fens contraire .
J'excepte de l'obligation d'avoir plus
d'efprit que fes Lecteurs ceux qui écrivent
dans des genres où l'application , le travail
& le tems font ce que l'efprit feul ne
pourroit faire. Les extrêmes de ces genres
font d'un côté l'Hiftoire , de l'autre les
Mathématiques. Un Sot doué d'une heureufe
mémoire , qui aura raffemblé beaucoup
de traits , & les aura placés felon le
temps où ils feront arrivés , fera un Livre
utile & même agréable aux gens d'ef
prit : un homme médiocre appliqué longtemps
à examiner les mêmes idées , & à
en tirer les conféquences , fera un Ouvrage
de Géométrie où les plus grands
génies trouveront dequoi s'inftruire.
Mais pour celui qui écrit dans un genre
qui ne dépend que des premieres vuës de
l'efprit , il faudroit furtout fi le genre appartient
à la vie civile , il faudroit que
cet Ecrivain fût bien fupérieur pour pouvoir
dire des chofes que le Lecteur n'ait
point penfées , ou ne foit pas en état de
penfer dès qu'il y tournera fon attention :
& il eft bien plus rare qu'on ne croit de
trouver un homme qui ait véritablement
plus d'efprit qu'un autre. La différence
entre les hommes ne confifte le plus fou
62 MERCURE DE FRANCE.
vent que dans la manière dont ils fe fer
vent de leur efprit .
Ceci , fans ce que nous venons de dire,
paroîtroit un paradoxe ; & après ce que
nous avons dit , le paroîtra peut-être encore
: mais fans manquer à ce qui eſt dû
au mérite d'enchaîner enſemble un grand
nombre de propofitions , il me femble
qu'il eft plus aifé de trouver l'homme qui
fera le Livre de Newton , que l'Auteur
d'un Recueil de penfées nouvelles & profondes
fur les objets de la vie civile.
Cependant le nombre de ceux qui en
treprennent des ouvrages de ce dernier
genre , furpaffe de beaucoup le nombre
de ceux qui s'attachent à l'autre : c'eſt
que dans l'un moins on eft capable de
réuffir , moins on fent fon incapacité ;
dans l'autre , on eft bientôt arrêté malgré
foi.
Nous avons beaucoup d'Ouvrages de
morale & de politique , & il en eft qu'on
lit avec quelque utilité & quelque plaiſir ;
mais on peut dire que le plus fouvent ce
n'eft que par quelque mérite étranger ou
par quelque illufion. La plupart ne contiennent
que des penfées fort communes
qu'on a taché par quelque tour de ſtyle
de faire paffer pour neuves ou ingénieufes
; mais le fond de ces penfées étant
AVRIL 1759. 63
trivial , l'apprêt qu'on leur donne ne fert
qu'à les rendre ridicules.
Je ne crois pas qu'il y ait une autrè
Nation auffi facile à tromper de la forte
que la Nation Françoife. Ses beaux ef
prits aujourd'hui comme fes petits-maîtres
font confifter le principal mérite
dans la parure ; & la penfée la plus platte
ou la plus fauffe les enchante fi elle
a l'air d'une Epigramme. On ne lit plus
à Paris d'autres Livres que ceux qui font
écrits de la forte : cent Romans qui paroiffent
tous les jours , ne font que des
Recueils de ces prétendues Epigrammes.
L'Hiftoire ne réuffit que par - là : cette
manie a tout infecté ; elle a gagné depuis
les Académies jufqu'au Barreau & à la
Chaire ; on l'a introduite dans les occafions
où il falloit parler avec le plus de
fimplicité & de dignité .
Combien en cela les François font- ils
éloignés des Grecs & des Romains à qui
ils voudroient fe comparer ? Tout l'art
de ceux-là confifioit dans la juſteſſe des
penfees & dans le choix des mots propres.
Les Grecs ôtoient à leurs Epigrammes
même cette pointe qu'on croit aujourd'hui
effentielle à l'Epigramme : les
Latins l'y laifferent ; & depuis que le
goût fut parmi eux en décadence
on
1
64
MERCURE
DE
FRANCE
.
la trouve dans quelques- uns de leurs ou
vrages férieux ; les François la mettent
partout , & font confifter l'efprit à aiguifer
& à contourner leurs phraſes .
Un de leurs ouvrages qu'ils eftiment le
plus , eft le Recueil de Réfléxions de M.
de la Rochefoucault. Examinez ce Livre ;
le
peu de pensées qui font vraies , fi vous
les traduifez en ftyle raisonnable , feront
bien communes ; prefque toutes les autres
font fauffes .
Les Anglois tombent dans le même.
vice. Plufieurs de leurs Ouvrages aujourd'hui
font écrits de ce ftyle que le plus
grand homme qu'ils ayent en appelloit
l'art de faire paroître les chofes plus ingénieufes
qu'elles ne font. Il l'évita cer
Art , & quelquefois on pourroit dire qu'il
l'évita trop. Bacon nous a laiffé un Ouvrage
précieux qui n'eft prefque pas
connu. Les penfées les plus profondes
fur tous les objets de la vie civile , y font
préfentées d'un ftyle fi fec , fi négligé , &
avec fi peu d'art , qu'elles ne paroiffent
rien aux efprits ordinaires : des pensées
communes , bien apprêtées , réuffiffent
mieux chez le gros des Lecteurs ; c'eſt
pour eux un double plaifir de profiter
d'une maxime utile , & de l'avoir devinée.
AVRIL 1759. 65
Il est une autre manière de préfenter
les chofes communes fous une forme
nouvelle ; c'eft de les mettre dans le bec
d'un oiſeau ou dans le procédé de quelque
animal la plupart des Lecteurs
font émerveillés des Fables de Phédre &
de la Fontaine . Si l'on ôtre à ces Ouvrages
le gré qu'on fçait à une bête de
parler , & le mérite d'une verfification
aiſée , rien ne ſera fi puérile. Elles ne ſeront
propres que pour la gouvernante
qui veut inftruire des enfans , ou pour
l'esclave qui n'ofe parler à fon maître.
Outre le ftyle , qui pour la plupart des
Lecteurs fait tout le mérite des Ouvrages
, on peut dire qu'une certaine médiocrité
ne contribue pas moins à leur
fuccès des pensées trop fortes ne font
pas pour tous les efprits . Il en eft peu
qui s'élèvent jufqu'à Bacon ; le plus grand
nombre s'accommodera mieux de la
Bruyere & de Gratien : il en eft qui doivent
s'en tenir à Holberg.
Tous ces recueils de penfées ont un
grand défaut : c'eft que différant fi effentiellement
des Ouvrages qui dépendent
de l'application du travail & du temps ,
ils font cependant faits de la même manière.
Un Auteur fe renferme dans fon
cabinet pour faire des pensées , prend la
66 MERCURE DE FRANCË.
plume & en fait : les plus grands génies
n'en produiront peut-être dans toute leur
vie que quelques- unes qui méritent d'être
éérites , & que le moment où les circonftances
ont fait naître : un homme
médiocre , avec du travail , du temps &
de la patience , en fait un gros Livre.
LA VERITÉ ,
A Mademoiselle de F*** , fille de Madame
la Ducheffe de F***.
Ces Vers ont été préſentés avec un Volume des
Fables de M. P.***
CETTE ETTE vertu qu'encenſe le vrai Sage
Depuis longtems ignorée à la Cour ,
Et qui préfére à ce brillant féjour
Les agrémens du paisible village ;
Ce don du Ciel , qui , dans le premier âge ,
Régnoit en paix chez nos fages ayeux ,
Et dont bientôt leurs perfides neveux
Ignoreront l'heureux ufage ,
L'aimable & douce vérité ,
Jeune & refpectable ÉMILIE ,
Pour plaire à notre esprit , aisément révolté
Par fa noble fincérité ,
A quelquefois befoin d'être embellie .
AVRIL 1759.
67
On lui fait le reproche , affez bien mérité
De négliger trop fa beauté.
Plus complaifante , plus affable ,
Mais de la vérité l'ennemie implacable ,
La flaterie à l'oeil doux , au coeur faux ,
Employant tout fon art à nous paroître aimable ,
Change en vertu nos plus groffiers défauts .
Vous la verrez un jour cette faulle Déeffe ,
» En habit de Marquis , en robe de Comteffe , *
Ofer faire entendre la voix
Dans l'augufte féjour des Rois ;
C'eft dans ces lieux , furtout , que fa bouche diſtile
Ce poifon dangereux autant qu'il paroît doux ,
Contre qui la vertu trouve à peine un aſyle ;
Mais tous les traits jamais n'atteindront juſqu'à
vous.
Depuis longtems , fans voile , fans nuage ,
L'augufte VÉRITÉ s'eft offerte à vos yeux ;
De CIDALISE , ici , les foins officieux
Ont fçu vous faire entendre & chérir fon langage.
Souffrez , qu'en cultivant un goût fi précieux ,
J'oſe de ſes attraits embellir mon hominage.
La FABLE , par des tours aimables , féduiſans ,
* Un de mes Amis vient de me faire remarquer que ,
ce vers étoit dans Boileau ; je me trouverois heureux de
me rencontrer avec un fi grand Maître , fi je ne devois
préfumer que ma mémoire m'aura fervi contre mon
intention ,
68 MERCURE DE FRANCE.
Par la naïveté de fon fimple langage ,
Prête à la VÉRITÉ des charmes féduifans
Qui nous la font encore eftimer davantage ;
Les plaifirs & les jeux , qui volent fur les pas ,
Donnent à fes leçons les plus touchans appas.
Vous y verrez partout l'honnête bienséance
Donner des loix à l'enjoûment ,
Le plaifir toujours vif , & toujours plus charmant
Se décorer des traits de la décence .
Par un récit agréable , enchanteur ,
En inftruifant , la FABLE fçait nous plaire ;
C'eſt un flambeau qui nous éclaire
Sur les replis de notre coeur .
Ne craignez point fon brillant étalage
La vertu peut admettre un léger badinage.
Mais quoi ? ...tous ces difcours font pour vous fuperflus.
Eft-il befoin qu'on vous éclaire ?
Ofez fuivre les pas de votre illuftre MERE ,
Vous aurez toutes les vertus.
**
MONTELLE.
AVRIL 1759. 69
IMITATION de l'Ode d'Horace .
A
Vixi puellis nuper idoneus .
UTREFOIS j'étois propre aux combats amoureux
,
Sur mes rivaux j'eus fouvent l'avantage .
Dans la carrière où brilla mon courage ,
Par les foins de l'amour je fus toujours heureux .
Hélas , de mes beaux jours la fleur qui s'eft fanée
Rend mes efforts & mes foins fuperflus !
Ma voix s'éteint . Aux graces deftinée ,
Ma lyre eft fufpendue au Temple de Vénus.
Oublions , chers amis , ces flambeaux & ces armes ,
Inftrumens redoutés de nos premiers exploits ,
Qui , la nuit en dépit des loix ,
Semoient l'horreur & les allarmes.
Si tu m'as diftingué parmi tes favoris ,
Déelle aimable de Cythère ,
Fais tomber fur Chloé le feu de ta colère ,
Et venge-moi de les mépris,
70 MERCURE DE FRANCE.
4.
IMITATION de l'Ode d'Horace.
Vitas hinnuleo me fimilis Chloé.
TUUfuis : ceffe de m'outrager.
Tel un faon d'un bois étranger ,
Autour d'une cimé écartée
Dont il ne peut se dégager ,
Cherche fa mere épouvantée.
Le lézard prompt à fe ranger
De fa courfe précipitée,
Le vol d'un oifeau paffager ,
Le bruit d'une feuille agitée ,
Tout l'épouvante ; & du danger
Sans ceffe l'importune image
Lui préfente fur fon paffage
Le chaſſeur prét à l'égorger.
Auffi timide & plus fauvage ,
Belle Chloé , fuis- je à tes yeux
Un tigre , un lion furieux ?
Quoi , fuivras-tu toujours ta mere ?
Eh , fuis plutôt d'aimables Dieux.
Il est temps d'embellir Cythère
De tes agrémens précieux.
Oui , banniffant une chimère ,
Dois à l'Amour , dois au myſtère
Mille plaifirs délicieux.
4
AVRIL.
1759.
71
LE mot de
l'Enigme du Mercure précédent
eft Diamant . Le mot du premier
Logogryphe et Prote , dans lequel on
trouve porte & trope. Celui du fecond
Logogryphe eft Bauf.
ENIGM E.
FRAGILE RAGILE compofé de vapeur & de vent , "
Je fuis... Quoi ? Devinez . Un fat ? un Petit-Maitre?
Point du tout. Un demi- Sçavant ?
Non plus. Une Coquette ? Oui , cela pourroit être.
Mais non. Qui fuis- je donc ? Un foufe me fait
naître ,
Et je péris en m'élevant.
Ah ! c'eft l'ambitieux. Non : mais pour me connoître
,
Voyez badiner un Enfant,
LOGOGRYPHE,
Mon pere quand il est bien vieux
En périllant me donne l'être .
Ses membres déchirés , à toi- même peut-être
Offrent en certain cas un fecours précieux .
Mon chefcoupé me change en un monftre odieux .
72 MERCURE DE FRANCE.
Ote-lui fon pié droit , je flatte tes oreilles
Par mes accords harmonieux .
Fais deux parts de mon tout au vieux temps
merveilles ,
des
La première portoit les Héros & les Dieux:
L'autre a porté Turenne , & par fois la Thiare.
Fidèle image de l'Avare ,
L'argent , l'or enfoui pour elle ont des appas.
Mais dans mon fein fécond que ne trouve-t-on pas?
Dans ce labyrinthe on s'égare.
Suis -moi , je garderai tes pas.
Volons aux bords du Nil ; contemples - y le Phare.
Dans les ruïnes de Memphis
Un oil perçant peut découvrir Icare ;
Et dans cette lle où fe pla.foit Cypris ,
L'arme cruelle de fon fils.
Ici régna Maufole , ici finit Byzance.
Je t'ai fait voir bien du Fays :
Es-tu las Revenons en France ,
Tu trouveras chez moi chair & poiffon ,
Et poiffon de plus d'une efpéce .
L'homme qui gravement fe promene à la Meſſe
A tout ce qu'il te faut deviner mon nom . pour
+
CHANSON
.
PAR
AR les accens de votre voix
On fe laiffe aifément réduire .
Apollon vous remit fa lyre ,
Et le tendre Amour fon carquois.
Triomphez , charmante Thémire ,
Tout cède à vos attraits vainqueurs.
Du Dieu qui régne fur les coeurs
Vos talens vous donnent l'Empire.
ARTICLE
Par les accens de votre voix On se
laisseaisément séduire,Apollon viremit sa
lire Et le tendre amour - son car-
-quois ;quois; Triomphes
charmanteThémire,Tout cède à vos attraits vain
-queurs: DuDieu qui règne surles coeurs Vos ta =
lens vous doivent l'empi .
re.
Gravé par Me Charpentie. Imprimépar Tournelle .
AVRIL 1759. 73
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES,
DISCOURS
DE MONSEIGNEUR L'EVESQUE
COMTE DE VALENCE ,
A la préfentation du Corps & du Coeur de
Son Alteffe Séréniffime Madame LA •
DUCHESSE D'ORLEANS , dans
l'Eglife Royale du Val de Grace fa
Sépulture.
LAA célébrité de ce convoi , la pompe
de ces funérailles , où la Religion raſſemble
les objets les plus touchans : ces voiles
chargés des dépouilles de la mort, qui
couvrent ces Autels & toute la furface
de ce Temple : le filence éloquent de ce
cercueil , ne nous difent que trop ce qu'il
renferme ; le Corps de Très - Haute , Très-
Puiffante &Excellente Princeffe , Louise-
HENRIETTE DE BOURBON - CONTY ,
Epoufe de Très- Haut , Très- Puiſſant &
I. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
Excellent Prince , LOUIS- PHILIPPE
DUC D'ORLEANS , Premier Prince du
Sang.
Les larmes amères que fa mort fait
couler de nos yeux ; la trifteffe & le faififfement
qu'Elle laiffe dans nos coeurs
font des témoignages publics des regrets
qu'Elle nous cauſe.
Ornée de toutes les graces de la Nature
, Elle feule ne s'en appercevoit pas :
fa beauté ne la rendoit pas vaine : Elle
en connoiffoit le fragile éclat : fûre d'ellemême
, Elle n'aimoit à fe diftinguer que
par les qualités de fon ame.
L'élévation de fon coeur répondait à
celle de fon rang : Elle le foutenoit avec
dignité , & ne le faifoit fentir qu'en le
rendant aimable aux autres .
Noble , généreufe , bienfaifante , Elle
avoit toujours les mains ouvertes. Son
inclination étoit de répandre : fa manière
de donner relevoit le mérite de fes dons :
Elle multiplioit fes libéralités par les
graces qu'Elle y mettoit.
Quel agrément n'avoit-elle pas le ta
lent de répandre dans la fociété ? Les
charmes & le naturel de fa converfation:
en écartoient le dégoût & l'ennui : on en
fortoit content d'Elle & de foi- même.
Un caractère fi aimable , felon le
AVRIL. 1759:
73
monde , ne fut point altéré pendant le
cours d'une lente & douloureuſe maladie
, qui lui annonçoit chaque jour une
fin prochaine au milieu de fa courfe &
dans le plus brillant de fa carrière. Sa
fermeté parut toujours au - deffus de fes
maux. Tout s'attendriffoit autour d'Elle ,
tout craignoit pour les jours. La plus
tendre Mere , deux Enfans charmans ,
une Maiſon choifie & diftinguée , les Miniftres
de fon falut fages & pleins de
zèle , tout s'allarmoit de la voir s'éteindre
comme une lueur qui n'avoit fait que
paroître ; Elle feule ne s'en troubloit pas.
On étoit furpris de la voir fi familière
avec les horreurs de la mort , qui la faififfoit
de toutes parts.
Avec quel courage n'avoit - elle pas
demandé les Sacremens de l'Eglife ? Avec
quel appareil & quelle pompe ne voulutelle
les recevoir ? Ce fut comme une
pas
efpéce de triomphe qu'Elle voulut préparer
à la Religion , au milieu du Peuple
innombrable de cette grande Ville , &
une réparation publique de fes fautes , à
laquelle Elle voulut intéreffer toute fon
augufte Famille , qui fe joignit à Elle ,
pour l'aider à effacer le fouvenir de celles
qu'Elle pouvoit fe reprocher.
Son ame a paru devant Dieu ! Quel eft
Dij
6 MERCURE DE FRANCE.
à préfent fon fort éternel : Ombres épaiffes
! Ténèbres profondes , qui la dérobent
à nos yeux : Nous n'y pouvons penfer
fans frayeur : tremblons fur nous-mêmes,
& adorons en filence la main toutepuiffante
qui l'a frappée.
Si les Jugemens de Dieu font terribles.
& plus terribles encore pour les Princes
de la Terre : il n'en eft pas moins pour
eux le Dieu des miféricordes. C'eſt un
Dieu bon , un Dieu infiniment bon : la
bonté eft le premier de fes attributs . C'eſt
le Dieu de la clémence & du pardon , &
qui aime à être appellé dans les Ecritures
, le Dieu de nos espérances ,
C'eft dans cette confiance qu'une grande
Princeffe , digne de celui qui lui
a donné le jour , ** qui dans le gouvernement
de ce vafte Empire , auquel il étoit
appellé par fa naiffance , a rempli avec
gloire le vuide que la mort de Louis XIV.
avoit laiffé dans toute l'Europe , vient
ici avec tout l'appareil du deuil qu'elle
porte dans le coeur vous demander ,
MADAME , & à toute votre fainte
Communauté , le fecours de vos prieres .
2.
C'eft par une efpèce de fucceffion que
celle que nous pleurons , trouve dans le
Sanctuaire & au milieu de vous le lieu
* Madame la Ducheffe de Modène ..
** Philippe d'Orléans , Regent,
AVRIL. 1759. 77
de fon repos . Son Coeur , ce Coeur que
Dieu avoit formé pour lui , va y être
placé avec ceux qui embelliffoient le
trône , & qui en faifoient l'amour & les
délices. Vous vous fouviendrez que par,
le Prince fon époux , elle eft auffi la petite-
fille d'une Reine , grande par ellemême
, plus grande encore par un ** fils
** Als
dont la naiffance , le régne & la mort ont
été une continuité de miracles.
Les chaftes Époufes de J. C. font les
véritables héroïnes de la Religion' : elles .
font bien puiffantes aux piés du trône de.
la grace. Offrez
pour elle avec l'encens
de vos voeux les faintes auftérités de votre.
pénitence ; & en verfant un torrent de
larmes fur les vanités du monde , encore
plus anéanties dans vos coeurs , que fous
vos pieds dans la pouffière des tombeaux ,
tâchez de purifier une ame qui s'eft lavée
dans le fang de l'Agneau.
Pour nous , en arrofant des larmes de
notre douleur les cendres de la Mere ,
nous demanderons à Dieu qu'il conferve,
qu'il béniffe fes tendres & précieux rejettons
pour la confolation de Monfeigneur
le Duc d'Orléans , fi digne des plus longs
jours par la nobleſſe , la bonté & la magnificence
de fon coeur.
Anne d'Autriche. Louis XIV.
D iij
78 MERCURE DE FRANCE:
MANDEMENT
DU MEME PRÉLAT ,
VI ordonne des Prières dans fon Dio
cèfe , dans la partie du Dauphiné
pour le repos de l'Ame de S. A. S. Madame
LA DUCHESSE D'ORLEANS,
Q
UEL deuil ne doit pas répandre dans
cette Province la mort de Madame
la Ducheffe d'Orléans ! Comptant fur fa
jeuneffe , nous réclamions le fecours du
Ciel , & tous nos voeux n'ont pû arrêter
le coup fatal qui vient de nous l'enlever.
L'opulence & la gloire éclatoient autour
d'Elle. A la plus haute naiffance ,
Elle joignoit le plus grand établiſſement ;
l'Étranger comme le Citoyen étoient attentifs
à lui plaire : partout Elle ne voyoit
autour d'Elle que des honneurs & des
refpects .
Mais que les penfées des hommes font
vaines. Lorfque cette Princeffe difoit dans
fa maladie : J'ai encore mon ame toute
entière : Celui devant qui toute fubftance
n'eft qu'un néant , avoit déjà mefuré des
jours heureux. Il en vouloit faire un
nouveau fpectacle de la mifére & de la
AVRIL. 1759.
fragilité humaine , pour nous montrer
que les Grands de la Terre , après avoir
paru avec plus d'éclat fur la Scène du
monde , ne vont pas moins fe perdre dans
l'oubli du tombeau.
Heureuſe cette Princeffe de n'y être
defcendue qu'après avoir paffé dans le
creufet des fouffrances & de la tribulation
, fi la Grace les a fanctifiées. Peutêtre
que fon coeur déjà trop épris des vanités
du monde , n'eût fongé qu'à s'en
remplir encore davantage. Dieu qui fe
fouvient de nous lors même que nous
l'oublions , s'eft preffé de rompre des liens
fi féduifans qui pouvoient l'y attacher
encore davantage.
Vous n'avez pû , mes très - chers Freres ,
apprendre qu'avec édification l'ardeur
avec laquelle Elle demanda les Sacremens
de l'Eglife , & que voulant dreffer
au Roi de gloire un trône dans fon coeur,
Elle fouhaita qu'il n'en prît poffeffion
qu'avec le plus grand appareil. Elle auroit
defiré que les hommages de toute
fon augufte Famille euffent pû réparer
ceux qu'elle pouvoit avoir à ſe reprocher
de ne lui avoir pas rendu.
Ne nous oublions pas nous - mêmes en
répandant nos coeurs devant le Dieu des
miféricordes , & fongeons qu'elle n'a fait
D iv
So MERCURE DE FRANCE.
que nous précéder. Vafes fragiles , nous
pouvons à chaque inftant être brifés. Nous
portons au-dedans de nous - mêmes une
réponse de mort. Travaillons à n'être pas
furpris , & à nous trouver prêts lorfque.
le Souverain Juge voudra nous redemander
notre ame. Elle en redoute moins
l'arrivée quand elle a fçu la prévenir , &
ce n'eft qu'en mourant tous les jours à
nous-mêmes que nous apprendrons dans
le cours de notre vie la plus grande & la
plus néceffaire de toutes les fciences , qui
eft celle de mourir chrétiennement.
RÉPONSE
DE Madame l'Abbeffe du Val- de- Grace.
MONSEIGN ONSEIGNEUR ,
Le Souverain Maître de nos jours les
a comptés ; & nul n'en peut prolonger
le cours au-delà des bornes qu'il leur a
prefcrites. Souvent il les réduits à une bien
petite meſure. Nous en avons aujourd'hui
la preuve dans la mort de l'augufte Princeffe
dont nous recevons avec un profond
refpect les triftes reftes . Heureuſe , fi purifiée
par une longue & pénible maladie ,
le Seigneur a daigné la regarder dans fa
AVRIL. 1759. 81
grande miféricorde. Nous ne cefferons jamais
de la demander pour elle ; afin que
délivrée qu'Elle eft maintenant des périls
de la grandeur & des mifères de cette
vie, elle jouiffe éternellement du bonheur,
qui doit être l'objet de nos efpérances &
l'unique terme de nos defirs ..
ΕΡΙΤ Η Α Ρ Η Ε
De fon Alteffe Séréniſſime
Madame LA DUCHESSE D'ORLEANS.
Hoc jacet in tumulo ftirpis Borbonix
Egregium decus ,
Que facro foedere Aurelianenfis Principis.
Thorum ingreffa , duplici laudabilis partu ,
Aftra duo terris edidit.
Coelo matura , Mortales exuvias
Reliquit , florente licet gaudens juventâ.
Hanc luget populus non fole nobilem
Genere ; divitias prodigâ fundentem dextrâ
Hanc defler Pauper ; longo confumpta morbo
Periit heu ! Simul & comitas , fimul & urbanitas .
Quifquis hæc legis , tu cohibe lachrymas :
Refpuit : magno fpiritu vidit ultima .
Huic benè precare ,
Conjugifque chariffimi diebus ,
Uxoris dies addat fupremum numen.
Obiit Ludovica Henrica Borbonia Conty ,
Duciffa Aurelianenfis ,
Anno reparatæ falutis M. DC C. LIX .
Etatis fuæ XXXIII.
Menfis Februarii , die X.
P. Eleuthere, Auguftin de la Place des Victoires.
W
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
NOTE DE M. MARMONTEL
SUR un Paffage du Livre des PRÉjugés
LÉGITIMES.
J'oso 15 croire mes foibles Ecrits irréprochables
du côté de la Religion ; mais
j'ai fait quelques articles de littérature &
de morale pour l'Encyclopédie: c'en étoit
affez pour être fufpect à l'Auteur zélé des .
Préjugés légitimes &c . Cet homme charitable
, à qui vraisemblablement je n'ai
fait aucun mal , a pris foin de falfifier un
paffage de l'article Gloire de ce Dictionnaire
; & c'étoit je crois le feul moyen
de le rendre répréhenfible.
Voici ce paffage tel qu'il eft dans l'Encycloplédie
, Tome VII. Page 720.
"
Fabius fe laiffe infulter dans le camp
» d'Annibal , & dèshonorer dans Rome.
pendant le cours d'une campagne. Au-
» roit-il pû fe réfoudre à mourir désho-
» noré , à l'être à jamais dans la mémoire
» des hommes ? N'attendons pas ces
" efforts de la foibleffe de notre nature ;
» la Religion feule en eft capable , & fes
facrifices mêmes ne font rien moins que
AVRIL. 1759 .
$3
"
» défintéreffés. Les plus humbles des
» hommes ne renoncent à une gloire pé-
» riffable qu'en échange d'une gloire
» immortelle. Ce fut l'efpoir de cette
» immortalité qui foutint Socrate &
» Caton . Un Philofophe ancien difoit :
» Comment veux- tu que je fois fenfible au
» bláme , fi tu ne veux pas que je fois
»fenfible à l'éloge ?
" A l'exemple de la Théologie , la
» Morale doit prémunir la vertu contre
l'ingratitude & le mépris des hommes ,
"3
» en lui montrant dans le lointain des
» temps plus heureux & un monde plus
juſte.
و د
و د
" La gloire accompagne la vertu com-
" me fon ombre , dit Sénèque ; mais
» l'ombre d'un corps tantôt le précède &
» tantôt le fuit ; de même la gloire tan-
» tôt devance la vertu & fe préfente la
première , tantôt ne vient qu'à fa fuite
lorfque l'envie s'eft retirée ; & alors
elle eft d'autant plus grande , qu'elle fe
montre plus tard.
"
"
33
C'eft donc une Philofophie auffi
dangereufe que vaine , de combattre
» dans l'homme le preffentiment de la
» poftérité , & le defir de fe furvivre.
» Celui qui borne fa gloire au court ef-
» pace de fa vie , eft efclave de l'opinion
1
L
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
ود
8: des égards : rebuté , fi fon ficcle eft
injufte ; découragé, s'il eft ingrat : impa-
» tient furtout de jouir, il veut recueillir ce
» qu'il féme ; il préfére une gloire précoce
» & paffagére , à une gloire tardive & du-
» rable : il n'entreprendra rien de grand.
33
"
ور
» Celui qui fe tranfporte dans l'avenir
» & qui jouit de fa mémoire , travaillera
» pour tous les fiécles , comme s'il étoit
»immortel que fes contemporains lui
» refufent la gloire qu'il a méritée , leurs
» neveux l'en dédommagent ; car fon imagination
le rend préfent à la postérité .
" C'eſt un beau fonge , dira- t- on . Hé
jouit - on jamais de fa gloire autrement
qu'en fonge ? Ce n'eft pas le petit nom-
» bre de fpectateurs qui nous environ-
» nent , qui forment le cri de la renom-
» mée. Votre réputation n'eft glorieufe
">
ود
""
ود
"
qu'autant qu'elle vous multiplie où
» vous n'êtes pas , où vous ne ferez ja-
» mais. Pourquoi donc feroit - il plus
» infenfé d'étendre en idée fon exiſtence
» aux fiécles à venir , qu'aux climats éloignés
? L'efpace réel n'eft pour vous qu'un
point , comme la durée réelle. Si vous
» vous renfermez dans l'un ou dans l'au-
» tre , votre ame y va languir abattue
» comme dans une étroite prifon. Le de-
» fir d'éternifer fa gloire eft un enthoufiafme
qui nous aggrandit , qui nous
"
AVRIL. 1759 . 85
élève au-deffus de nous mêmes & de
" notre ficcle ; & quiconque le raiſonne
" n'eft pas digne de le fentir.
On voit fi j'ai confondu la Religion
confolante , qui en échange d'une gloire
périffable , en promet une immortelle ,"
avec cette vaine & dangereufe Philofophie
qui détache de tout , & ne dédommage
de rien. Cependant voici comment
l'Auteur dont je me plains a préfenté
ce même Paffage , qu'il a marqué
avec des guillemets , comme une citation
littérale .
ود
" Quand je leur reprocherois , » ( aux
Encyclopédies )
» que dans l'Article
gloire , ils difent : Les plus humbles des
» hommes ne renoncent à une gloire pé-
» riffable qu'en échange d'une gloire im-
» mortelle ; que ce fut l'efpoir de cette
» immortalité qui foutint Socrate &
» Caton , de même que les Chrétiens
» que la Religion qui éloigne les hommes
» de l'amour d'une gloire mondaine , eſt
» donc une Philofophie auffi dangereufe
» que vaine , de combattre dans l'homme
» le preffentiment de la poftérité, & le de-
» fir de fe furvivre , & que quiconque rai-
» fonne l'enthoufiafme que ce defir occa-
»fionne en nous, n'eft pas digne de le fen-
» tir ... quand je reprocherois, dis-je, aux
وز
86 MERCURE DE FRANCE.
و د
Encyclopédiſtes toutes ces impiétés &c .
Je laiffe au Public à juger entre mon
Cenfeur & moi le Morceau que je
viens de tranfcrire étoit fufceptible d'un
mauvais fens , à moins d'être défiguré ,
comme il l'eft dans la citation. Cet Ecrivain
doit fentir lui-même combien fon
infidélité & le langage abfurde qu'il me
fait tenir , me donnent fur lui d'avantage.
Mais s'il penfe affez mal pour calomnier
celui qui ne l'offenfa jamais , je penfe
affez bien pour pardonner à celui qui
me calomnie.
EXTRAIT du Livre intitulé : L'Incrédulité
convaincue par les Prophéties , an◄
noncé dans le Mercure précédent.
CE n'eft E n'eft point ici un de ces libelles ou
l'on profane la caufe de la Religion , en
employant pour fa défenfe le menfonge
& la calomnie : méthode odieufe de ces
délateurs anonymes , que j'ai appellé des
méchans. C'eft le développement lumineux
des motifs de notre foi : c'eft l'expofé
fimple & frappant des preuves les
plus authentiques de la Religion révélée.
Oppofer à l'incrédulité les titres irrévocables
de la fainteté des Livres dont elle reAVRIL.
1759. 87
fufe le témoignage , c'eft la forcer dans
fes derniers retranchements ; c'eſt réduire
la raifon humaine à l'alternative preffante
ou d'être abfurde , ou d'être foumife.
L'Auteur de cet excellent ouvrage établit
pour principe que Dieu a prévu ce
qu'il a fait prédire ; & les objections contre
la prefcience divine font les premieres
qu'il détruit. La connoiffance pleine &
infaillible de l'avenir eft un attribut effentiel
de la Divinité ; mais comment la
concilier avec la liberté de l'homme ?
Cette impoffibilité apparente eft l'argument
familier du commun des Incrédules
; mais elle n'eft que la preuve de la
foibleffe de leur raifon .
Encore la raifon à l'aide de la foi
peut-elle s'élever jufqu'à concevoir l'accord
de ces deux vérités que Dieu voit
tout , & que l'homme eft libre. Pour cela
il fuffit de fe perfuader que le temps n'est
fucceffif que pour l'homme , & que l'avenir
eft préfent à Dieu. Dès-lors la fuprême
intelligence ne doit être confidérée
que comme témoin des déterminations
de la volonté humaine. Or il est évident
que le témoin le plus infaillible ne gêne
point la liberté de l'être qu'il voit agir.
Dieu a donc pu faire prédire l'avenir qui
lui eft préfent , foit pour manifefter fa
88 MERCURE DE FRANCE..
préfcience infinie , foit pour rendre plus
authentique la vérité de fes oracles .
Toutes les manières dont il lui a plu de
les autorifer font également refpectables .
Mais à ne confidérer que les impreffions
qu'en reçoit l'efprit humain , il femble
qu'il doive être plus étonné d'une prophétie
que d'un miracle. 1º. La matière ,
qui eft un être purement paffif, obéit à Dieu
fans réfiftance ; au lieu que dans l'accompliffement
de la prophétie , c'eft fouvent
un agent libre qui exécute ce qui a été
prédit. 2 ° . Les miracles font indubitables
pour quiconque les examine avec un peu
d'application , mais ils n'ont plus de témoins
oculaires ; au lieu que les évènenemens
annoncés par les Prophéties , ou
fe paffent fous nos yeux , ou font confignés
dans les Faftes de l'Hiftoire que perfonne
ne révoque en doute. 3 ° . On a pu
attribuer les miracles à la magie ; au lieu
que la préfcience des Actes libres eſt un
attribut incommunicable de la Divinité .
Auffi les Oracles du Paganifme n'ont- ils
jamais prédit que des évènemens Phyfiques
; & lorfqu'ils en ont annoncé quel
ques -uns où devoit influer la volonté
des hommes , on voit qu'ils fe font ménagé
un fubterfuge dans l'ambiguité de
leurs réponfés.
AVRIL. 1759. 89
و د
"J
L'Auteur démontre que le menfonge
n'a pas eu plus de part que la magie à
l'accompliffement des Prophéties ; & de
là vient la force victorieufe de cette
preuve de la Religion. Il y a eu des conteftations
entre les Juifs & les Chrétiens
fur l'application des Prophéties ; mais ils
font d'accord fur l'accompliffement , &
l'incrédulité n'en eft pas moins confonduë.
» Que fi elle croit pouvoir tirer quel-
» que avantage d'une prétendue obfcu-
» rité qu'il eft néanmoins très - facile de
diffiper , que répondra - t-elle à ces Prophéties
où les Juifs & les Chrétiens ,
» d'un commun accord , ont toujours
» trouvé le même accompliffement ? A
celles qui ont appellé Cyrus par fon
nom deux cens avant fa naiffance ? Qui
» ont annoncé fes conquêtes , le fiége &
» la prife de Babylone , la ruine entière
» & la profonde humiliation de cette
Ville autrefois fi puiffante & fi orgueilleufe
? A celles qui ont prédit avec tant
» de clarté la fuite des quatre plus grands
Empires qu'on ait vûs dans le monde ?
l'irruption de Xercès dans la Grèce ,
» celle d'Alexandre dans l'Afie ; la mar-
» che rapide & les prodigieufes victoires
» de ce Conquérant ; le partage de fes
États entre quatre Succefleurs qui ne
20
>>
»
go MERCURE DE FRANCE.
»feroient pas iffus de fon fang ? Les
» guerres & les trompeufes alliances des
" Rois d'Egypte & de Syrie ? Les fureurs
» d'Antiochus contre Jérufalem ?
""
En oppofant ainfi à l'incrédulité les
Prophéties , dont l'application eft la même
du côté des Juifs & du côté des Chrétiens
, le deffein de l'Auteur n'eft pas de
négliger celles qui regardent directement
Jeſus -Chrift ; il les employera contre les
Incrédules , mais fans fuppofer ( comme
on le fait en difputant avec les Juifs ) la
vérité de la révélation Judaïque . Du refte
perfuadé que les figures même les plus refpectables
font plus propres à l'édification
des Fidèles qu'à la conviction des ennemis
du Chriftianiſme , il fe borne quant à préfent
aux Prophéties purement littérales.
Ainfi tout fe réduit à deux vérités ,
l'une de droit, l'autre de fait . La première,
qué la prévifion certaine des actions libres
eft au deffus des lumières de toute
intelligence créée ; qu'elle eft réfervée à
Dieu feul ; & que par conféquent l'accompliffement
d'une Prophétie fur des
évènemens qui dépendent d'une cauſe qui
agit avec liberté , eft un témoignage inconteſtable
de l'inſpiration divine : la feconde
, que des évènemens de cette nature
prédits par les Prophétes , fe font
AVRIL 1759 .
و أ
accomplis à la lettre ; & celle - ci réfulte
de la confrontation pure & fimple de
l'évènement avec la Prophétie . Mais cela
fuppofe deux conditions ; l'une , que la
Prophétie ait défigné l'évènement prédit
d'une manière nette & préciſe , en forte
que l'application de la Prophétie ne ſoit
pas arbitraire , mais que l'évènement en
fixe & en détermine le fens ; l'autre , que
la Prophétie ait été confignée dans des
monumens publics & inaltérables avant
fon accompliffement.
ود
» Les Incrédules verront par cet expofé
, ajoute l'Auteur , qu'on n'a pas
» deffein de les furprendre ; qu'on ne prodigue
point à de légères preuves le nom
de démonftration ; & que fi la Religion
» Chrétienne leur ordonne de croire des
» Myſtères inconcevables , ce n'eft qu'a-
»
près en avoir acquis le droit par des
» motifs inconteftables de crédibilité.....
Ils verront que les Prophétes ont prédit
» non feulement des actions libres que
» Dieu feul a pû leur révéler , mais des
» évènemens fort éloignés des temps &
»des pays où ils vivoient , fans aucun
rapport à ce qui arrivoit fous leurs
yeux , contraires à toutes les idées de
» la prudence humaine , aux inclinations,
aux efpérances & aux projets des hom-
و ر
»
92 MERCURE DE FRANCE.
» mes qu'ils devoient le plus ménager ; »
& de cette dernière circonftance il tirecontre
Spinofa & Collins les plus forts
arguntens en faveur des Prophétes dont
ils ont voulu dégrader & avilir le minif
tere. Tel eft en fubftance le Difcours préliminaire
de cet Ouvrage , l'un des plus
importans qu'on ait entrepris pour la défenfe
de la Religion.
Il eft divifé en deux Parties ; la première
renferme les prédictions des évènemens
temporels ; la feconde contient les
Oracles vérifiés dans la perfonne de Je-.
fus-Chrift & dans fon Eglife.
Dans la première divifée en dix Chapitres
, l'Auteur expofe d'abord les Prophéties
temporelles contenues dans les
Livres de Moife , avec tous leurs caractères
d'autenticité.
C
Rien n'eft certain dans l'Hiftoire fi
l'on peut douter que Moife foit l'Auteur
du Pentateuque. Mais pour éviter toute
difficulté de la part des Incrédules , on
fe contente ici de pofer en fait , que le
Pentateuque eft au moins plus ancien que,
le Schifme des dix Tribus , fous le régne
de Roboam , fils de Salomon. La
conféquence d'un fait fi bien établi eft ,
que toutes les Prophéties contenues dans
le Livre de Moïfe , & dont l'accomplif
AVRIL 1759. 93
fement eft poftérieur à cette époque,font
incontestablement marquées du fceau de
la Divinité. Voilà leur date fixće : elles
font confignées dans un Livre public ,
faifant partie de la Religion & du Gouvernement
, dans les mains de deux Peuples
ennemis irréconciliables , ( les Samaritains
& les Juifs ) & refpectées de
l'un & de l'autre ; telles en un mot qu'il
étoit plus de l'intérêt des Ifraelites de
les fupprimer que d'en permettre la
fuppofition. Or quelles font ces Prophé-
-ties ?
L'Auteur n'infifte point fur celles de
Jacob ni fur le Teftament de Moiſe :
l'accompliffement en eft antérieur à l'époque
du Schifme des dix Tribus . Mais
le carnage des Amalécites vaincus par
Saul , que Moife fait prédire par Balaam ,
au Livre des Nombres ; mais la réprobation
de Saul à cauſe d'Agag , Roi d'Amalec
, nommé par le même Prophéte plufieurs
Siccles avant fa naiffance : ces évènemens
étoient trop voifins de l'époque
à laquelle on ne peut fe difpenfer de
rapporter le Livre qui les annonce, pour
qu'il foit permis de fuppofer que l'Oracle
qui les a prédits ait été forgé après
coup , fans être démenti au moins par le
rebelle & idolâtre Jeroboam. Le même
94 MERCURE DE FRANCE.
Balaam prédit la captivité des Cinéens :
la prédiction s'accomplit dans toutes fes
circonftances , & longtems après le Schif
me des Tribus. Il annonce que des armées
venues d'Italie (ou des côtes d'Occident )
traverferont les mers pour attaquer la
Syrie , en détruiront l'empire , fubjugueront
dans la fuite les Hébreux ; mais
qu'enfin ces formidables vainqueurs périront
eux mêmes : il l'annonce fept cent
ans avant la fondation de Rome , & des
trois prédictions , la première eft accomplie
par les deux Scipions & par
Pompée ; la feconde commencée fous
Hérode , eft confommée par Titus . Il
n'eft pas néceflaire de dire comment la
chute de l'Empire Romain a vérifié la
troifiéme.
Moife prédit aux Ifraelites que leur
terre fera défolée ; que réduits par leurs
ennemis à la plus horrible famine , ils
dévoreront leurs enfans ; qu'ils feront
difperfés parmi les Nations d'une extrémité
de la Terre à l'autre ; & tout cela
eft arrivé à la lettre. Moife leur annonce
qu'ils feront ramenés fur des vaiffeaux
en Egypte où il leur étoit défendu de re
tourner , qu'ils y feront vendus comme
efclaves , qu'il manquera même de Marchands
pour les acheter. Titus victorieux
AVRIL 1759. 95
des Juifs , envoye en Egypte tous les
captifs au-deffus de l'âge de dix-fept ans.
Ils y font vendus ; & leur multitude eft
fi grande , qu'à peine trouvent-ils des
acheteurs. Moife prédit la pénitence du
Peuple d'Ifrael & fon retour dans fa patrie
: cette prédiction s'accomplit fous le
régne de Cyrus ; & fi elle exige un fecond
retour après un fecond exil , elle
n'en fixe pas le temps. Les Chrétiens efpérent
que ce retour des Juifs , myftérieufement
annoncé , fera leur rentrée au
fein de l'Églife .
Les prédictions contenues en d'autres
Livres de l'Ancien Teftament font préfentées
dans le fecond Chapitre avec le
même caractére de vérité & de divinité
que celles du Pentateuque.
Depuis l'établiffement de la royauté
chez les Juifs , jufques à-peu-près leur
retour dans la Terre promiſe , il ne s'eft
rien paflé de remarquable dans Ifracl
qui n'ait été prédit. Samuel apprend à
Saül que le Royaume lui fera enlevé , &
que fon Succeffeur eft déja choiſi . Natan
annonce à David la mort de l'enfant qu'il
a eu de Bethfabée. Gad fait connoître à
-ce même Roi le fléau qui va punir fon orgueil.
Salomon eft averti que fon Royaumẹ
fera divifé , & que fa poftérité ne
96 MERCURE
DE FRANCE
.
doit régner que fur la Tribu de Juda . Le
Prophéte Ahias qui avoit prédit à Jeroboam
fon élévation future , lui annonce
la mort prochaine d'un de fes enfans , &
la deftruction de toute fa famille . Jéhu
fait la même prédiction à Baafa, ennemi
de la race de Jeroboam , & l'imitateur
de fes crimes ; & tout cela s'accomplit.
Sous l'impie Achab Dieu fufcite Elie &
Elifée ; leurs Prophéties font affez connuës
, & l'Auteur fe difpenfe de les rapporter
, pour éviter de trop longs détails.
Il ne refe plus qu'à démontrer que ces
prophéties n'ont point été fuppofées après
coup. Or elles font confignées dans les
quatre Livres des Rois , & dans les Paralipomênes
; & l'autorité de ces faftes pius
humiliants que glorieux pour les Juifs ,
n'a jamais été révoquée en doute parmi
eux. Tous les Peuples ont eu leur hiftoire
fabuleufe , mais ces fables flattent leur
orgueil ; & l'Auteur fait voir au contraire
que l'Hiftoire d'Ifrael eft accablante
pour ce Peuple.
Quant à l'époque de ces Livres hiftoriques
, il n'eft pas poffible d'en reculer la
compofition ni la publication au- delà
du temps d'Efdras. Si l'on veut donc abfolument
qu'Efdras en foit le Rédacteur ,
on eft au moins obligé de reconnoître
7
qu'il
AVRIL. 1759 . 97
qu'il les a compofées fur des Mémoires
fidèles qui avoient paffé fans interruption
jufqu'à lui , & jufqu'aux Juifs de fon
temps. La preuve en eft 1 ° . dans le refpect
des Juifs pour ces Livres qu'ils
avoient tant d'intérêt de défavouer , fi
la vérité ne leur en eût pas été connue.
2°. Dans les citations fréquentes des Annales
de la Nation & des Écrits anté
rieurs atteftés dans les Livres des Rois
& dans les Paralipomènes. L'Auteur du
Livre des Rois allégue conftamment le
Journal hiftorique des Rois d'Ifraël, pour
ceux qui ont régné fur les dix Tribus féparées
; & pour ceux qui ont régné à Jérufalem
, le Journal hiftorique des Rois de
Juda: preuve évidente que ces Livres ont
été compofés d'après les Faftes d'Ifrael.
Les Juifs & les Chrétiens croyent unanimement
que l'Hiftorien facré dans le
travail de fa rédaction a été conduit par
une lumière divine ; mais cette infpiration
eſt inutile à la conteftation préſente.
Dès qu'il eft prouvé que les Livres
des Rois forment une hiftoire exacte &
fidèle , il n'eft plus douteux que les Prophéties
qu'elles contiennent n'ayent précédé
les évènemens prédits .
L'Auteur finit ce Chapitre par une réfléxion
frappante fur la folemnité des
1. Vol.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
Prophéties. Le menfonge eût cherché les
ténèbres. La vérité infpirée ſe fait entendre
aux Rois au milieu de leur Cour &
environnés de leurs Peuples. C'eft ainfi
qu'elle annonçoit à Achab tantôt la féchereffe
& la ftérilité de la terre , tantôt
fa mort épouvantable & la deftruction de
fa poftérité. C'eſt ainfi qu'elle annonçoit à
ce même Achab & à Jofaphat la défaite
de leur armée vaincue par les Syriens
& c. Quoi de plus capable d'attirer l'attention
du Peuple , que les fignes dont
Jérémie & Ezechiel accompagnoient
leurs Prophéties ? Et le moyen de croire
que la poftérité de ce Peuple en eût
adopté le récit à moins qu'il ne fût ,
confacré dans fes Faftes ?
4
Mauditfoit devant le Seigneur , s'écria
Jofué après avoir détruit Jéricho , quiconque
la rebatira ; qu'il perde l'aîné de
Les enfans lorfqu'il en jettera la première
pierre ; & le dernier , lorsqu'il y fera
mettre les portes. Cinq cens ans après
un Citoyen de Bethel entreprend de rebâtir
Jéricho. Abiram , l'aîné de fes enfans
, meurt à la première pierre jettée ;
ainfi que le dernier de tous au moment
que les portes font pofées. Jeroboam
érige un Autel , & en préfence de tous
les Ifraëlites , un homme infpiré s'écrię
AVRIL. 1759. 99
2 Autel , Autel voici ce que dit le Seigneur:
il naîtra de la race de David un
Prince qui égorgera fur toi les Prêtres qui
t'encenfent , & brulera fur toi des os
d'hommes. Plus de trois cens cinquante
ans après , un Prince né de la famille de
David, appellé Jofias , accomplit l'Oracle
dans toutes fes circonftances . Or toutes
ces circonftances étoient libres dans
l'ordre moral , incertaines dans l'ordre
naturel : il eſt donc évident qu'il n'y a
que Dieu qui ait pû les prévoir , & qu'il
n'y a qu'un homme infpiré de Dieu qui
ait pû les prédire.
Le trofième Chapitre contient les prédictions
écrites dans les Livres prophétiques.
Ce ne fut que vers le régne d'Ofias
que les Prophétes écrivirent leurs Oracles.
Tous le nomment à la tête de leurs
Livres , à l'exception de Daniel qui ne
tarde pas à fe nommer dans le fien. La
plupart marquent expreffément la date
de leurs Prophéties. Il y en a qui ne l'ont
pas défignée avec la même précifion ; mais
l'on fçait à n'en pouvoir douter , qu'ils
ont écrit avant la captivité de Babylone
Agée , Zacharie & Malachie , les
derniers de tous , n'ont prophétifé que.
depuis le retour des Juifs dans la Terre-
Sainte. On a nié , mais fans aucune
E i
100 MERCURE DE FRANCE:
preuve , que les Prophéties de Daniel
fuffent fon ouvrage , & Porphire a prétendu
qu'elles avoient été faites d'après
les évènemens ; mais à cette opinion
l'Auteur oppofe le témoignage de l'Hif
torien Jofephe qui raconte qu'Aléxan¬
dre lut , en paffant à Jérufalem , les Prophéties
de Daniel où étoient annoncées
fes victoires fur les Perfes . Jofephe fuppofe
donc que ces Prophéties exiſtoient
au moins dans le temps d'Aléxandre , &
fon autorité eft de quelque poids contre
une opinion qui n'a aucun garant .
Les Juifs rejettent quelques paffages du
Livre de Daniel , qu'ils n'ont pas trouvé
dans leur Canon rédigé par Efdras ; mais
cela même prouve l'authenticité du refte
de ce Livre. Les paffages rejettés par les
Juifs ne contiennent aucune Prophétie.
Toute la partie Prophétique du Livre de
Daniel ', eft unanimement adoptée par
les Juifs & par les Chrétiens ; & il eft
refpecté parmi les Juifs , à l'égal du Pantateuque
, du Livre des Rois & des Paralipomènes.
Après en avoir prouvé invinciblement
l'authenticité & déterminé la
date , l'Auteur renvoye à la démonftra→
tion Evangélique de M. Huet , pour la
réfutation détaillée de l'opinion de Spinofa
fur les Livres des Prophétes ; & il s'en
AVRIL. 1759. TOP
ود
tient à un argument dont voici la conclufion.
» Il eft donc évident que dans
»la fuppofition des Incrédules , les Juifs
» ont dû étre convaincus de la fauffeté
» des Prophéties. Si cela eft , je demande
» comment avec un nouveau motif de
méprifer les Livres prophétiques &
» d'en détefter les Auteurs , ils ont refpecté
les uns , comme envoyés de Dieu,
» & retenu les autres , comme des Livres
infpirés. » Cet argument fi convaincant
au premier afpect ; le devient encore
plus par toutes les circonstances dont
l'Auteur le fortifie , & qui donnent à un
préjugé de vraiſemblance le caractère de
la démonftration.
ود
"
•
Il paffe au reproche d'obfcurité que
font les Incrédules au ftyle des Prophé
ties , & il fait voir 1 ° . que le ftyle prophétique
eft incompatible avec la juf
teffe & la fimplicité du langage de l'Hiftoire.
2 ° . Que plus de clarté dans les prédictions
eût gêné le libre arbitre , & rendu
l'accompliffement de la plupart des
prédictions , impoffible à moins d'un miracle.
Cette dernière réponſe , qui préfente
d'abord quelques difficultés , n'en
laiffera plus aucune fi l'on confidère que
l'incertitude ou l'erreur influe fur prefque
toutes les déterminations des hom-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
mes , & que les éclairer pleinement fur
l'avenir , c'eût été changer l'ordre naturel
des Actes libres , en ôtant aux choſes
prédites l'une des caufes qui devoient
concourir à leur accompliffement.
Le quatriéme Chapitre renferme les
prédictions des conquêtes de Cyrus , &
la prife de Babylone. Ifaïe nomme Cyrus
& s'accorde avec Xenophon fur tous les
détails des évènemens qu'il annonce. Jérémie
, avec moins de clarté , dit cependant
comme Ifaïe , que les Rois Médes
armeront contre Babylone leurs Sujets
& leurs Alliés. Marche , Prince des Elamites
; & toi , Méde , forme le Siége.
On voit dans le Chapitre cinquiéme ;
les prédictions de Daniel fur les Rois de
Perfe & fur Alexandre .
Ces Prophéties ont un degré d'évidence
qui n'est pas dans les Oracles des autres
Prophétes. Un Ange dit à Daniel dès la
troifiéme année du règne de Cyrus ,
irois Rois règneront encore dans la Perfe ,
& be quatrième aura des tréfors immenfes &
des troupes innombrables : fier de fes risheffes
& defa puiffance , il animera tous
les Peuples contre la Grèce. Ces trois Rois
font Cambife , l'ufurpateur Oropafte , &
Darius. Xercès eft le quatrième , & l'on
ne peut le méconnoître : car fi l'on préAVRIL
1759. 103
1
tend que Cyrus foit compris dans le calcul
du Prophète , dès-lors Oropaſte n'en
eft point ; & en effet Daniel n'a vraifemblablement
voulu parler que des Rois
légitimes. Le règne & les conquêtes d'Alexandre
, & la divifion de fon Empire
ne font pas moins clairement annoncés
par Daniel : c'eft le fujet du cinquième
Chapitre de cet Ouvrage. Il eft certain
que Daniel a parlé comme l'Hiftoire ; &
fi l'on reconnoît , comme on y eft obligé ,
que la prédiction a devancé les évènemens
il est évident qu'elle eft inf
pirée.
Dans le Chapitre fixième , la fondation
du Royaume d'Egypte & de celui de
Syrie , la généalogie de leurs Princes
leurs guerres , leurs fuccès divers , tour
femble préfent aux yeux de Daniel ; &
c'eft de là que Porphire a conclu que le
Livre de Daniel avoit été écrit par un
Juif contemporain d'Antiochus Epiphanés;
mais cette opinion démontrée fauffe,
il ne reste plus que les preuves évidentes
de l'infpiration d'un homme à qui l'avenir
fe manifeftoit , comme s'il eût été
préfent.
La fuite au Volume prochain.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
L'HISTOIRE Naturelle, par M. de Buffon
Tomefeptième , à Paris , chez Durand,
Libraire , rue du Foin.
L'HIS ' HISTOIRE Naturelle n'offre au
commun des Obfervateurs qu'un ſpectacle
affez peu intéreffant , & leur donne tout
au plus la connoiffance de quelques vérités
particulières , ftériles entre leurs
mains. Il n'appartient qu'à l'homme de
génie de pénétrer dans le fanctuaire de
la Nature , de juger de fes intentions &
de furprendre pour ainfi dire fes fecrets.
M. de Buffon eft fans doute un de
ces hommes privilégiés auxquels il eſt
donné d'ajouter aux connoiffances de leur
Siècle , & de hâter les progrès de la raifon.
A mesure qu'il avance dans l'hiſtoire
des faits , les rapports fe multiplient ,
les inductions fe confirment , l'édifice de
la Science s'élève , & acquiert en même
temps de la folidité.
Le Tome feptiéme de l'Hiftoire Naturelle
générale & particulière commence
par un difcours fur les Animaux carnaffiers.
L'homme appelle nuifibles ces
Animaux , & ils font en bien plus grand
AVRIL. 1759. 105
»
و د
. و و
nombre que ceux auxquels il donne le
nom d'utiles . » Mais ils ne font nuifi-
» bles , dit M. de Buffon , que parce
qu'ils font rivaux de l'homme , parce
qu'ils ont les mêmes appétits , le même
» goût pour la chair , & que pour fub-
» venir à un befoin de première néceffi-
» té , ils lui difputent quelquefois une
» proye qu'il réfervoit à fes excès ; car
» nous facrifions plus encore à notre in-
» tempérance qu'à nos befoins » ; mais
quelle que foit notre déprédation & celle
des animaux carnaffiers , la quantité
totale de fubftance vivante n'eſt point
diminuée dans la Nature. Si la deftruction
eft fouvent prématurée , elle hâte
des naiflances nouvelles ; & la mort violente
eft un ufage prefqu'auffi néceffaire
que la loi de la mort naturelle . C'eſt
par ces deux moyens de deftruction &
de renouvellement qu'eft bornée l'exubérance
de la Nature , & que s'entretient
fa jeunelle perpétuelle. L'extrême multiplication
des efpéces inférieures deftinées
à fervir de pâture aux autres , rend leur
deftruction néceffaire , & par conféquent
légitime. Cependant le motif par lequel
on voudroit en douter fait honneur à l'humanité.
Les Animaux font vraisemblablement
des êtres fenfibles, puifqu'ils ont des
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
fens il y auroit une eſpèce de cruauté à
facrifier fans néceffité ceux dont le fen
timent fe réfléchit vers nous en fe marquant
par les fignes de la douleur . Cette
fenfibilité des Animaux eft d'autant plus
grande que leurs fens font plus actifs
& plus parfaits. Le fentiment ne peut
pas être exquis dans ceux dont les fens
font obtus , & ceux auxquels il manque
quelque fens font privés de toutes les
fenfations qui y font relatives. On peut
mefurer le degré du fentiment par le
nombre & la variété des mouvemens
qui en font la fuite néceffaire , & le réfultat
apparent on peut encore l'eftimer
par des rapports phyfiques auxquels
on n'a pas encore fait affez d'attention.
» Pour que le fentiment , ( dit M. de
Buffon ) » foit au plus haut degré dans un
» corps aimé , il faut que ce corps falſe
un tout , lequel foit non feulement fenfible
dans toutes fes parties , mais en-
» core compofé de manière que toutes
ces parties fenfibles ayent entr'elles une
correfpondance intime ,
enforte que
39 l'une ne puiffe être ébranlée , fans communiquer
une partie de cet ébranlement
» à chacune des autres. Il faut de plus
qu'il y ait un centre principal & unique
auquel puiffent aboutir ces différens
23
AVRIL. 1759. 107
33
» ébranlemens , & fur lequel comme fur
» un point d'appui général & commun ſe
» faffe la réaction de tous ces mouvemens ;
» ainfi ceux qui ont plufieurs centres de
»fentiment , & qui fous une même enveloppe
femblent moins renfermer un
» un tout unique , un animal parfait ,
que contenir plufieurs centres d'exif-
"tence , féparés ou différens les uns des
>> autres , feront des êtres beaucoup moins
»fenfibles que les autres . Dans l'homme
» & dans les autres animaux qui lui
» reffemblent , le diaphragme paroît être
» le centre du fentiment. C'eft fur cette
partie nerveufe que portent les impreffions
de la douleur & du plaifir ;
» c'eft fur ce point d'appui que s'exercent
> tous les mouvemens du fyftême ſenſi →
»ble. Le diaphragme eft dans l'animal
» ce que le collet eft dans la plante ;
» tous deux les divifent tranfverfalement,
tous deux fervent de point d'appui aux
» forces oppofées.
ور
"
Il eft aife de s'appercevoir que toutes
les émotions , les faififfemens , les impreffions
fortes fe font fentir au dedans
du corps
à la région même du dia-
-phragme. Il n'y a au contraire nul indice
de fentiment dans le cerveatt , dont la
fubftance eft d'ailleurs par fon peu d'é-
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
lafticité incapable de propager les vibrations
ou les ébranlemens de fentiment .
Quelle que foit la matière qui fert de
véhicule au fentiment , & de quelque
manière que s'opère le mouvement mufculaire
qui en eft la fuite , il eft fûr que
les nerfs & les membranes font les feules
parties fenfibles dans le corps de l'animal.
Ce qui a pu faire penfer que le
centre de toute fenfibilité étoit dans le
cerveau , c'eft que les nerfs qui font les
organes du fentiment aboutiffent tous à
la cervelle . Plufieurs Phénomènes ont
encore accrédité cette opinion , & en
ont impofé à Defcartes même & à M.
de la Peyronnie. Le cerveau est beaucoup
plus étendu dans les animaux qui
ont beaucoup de fentiment , que dans
ceux qui en ont peu . Dès qu'il eft comprimé
, tout mouvement eft fufpendu ,
toute action ceffe ; & fi l'on bleffe le
cerveau jufqu'au corps calleux , la convulfion
, la privation du fentiment & la
mort même fuit ; mais au lieu de s'arrêter
à ces Phénomènes qu'on peut d'ailleurs
expliquer d'une manière fatisfaifante
, il falloit examiner la fubftance même
& l'organiſation du cerveau , on auroit
vû que la cervelle molle , inactive ,
n'eft qu'une eſpèce de mucilage à peine
AVRIL. 1759 . 109
organifé : on auroit vû que la glande pinéale
, le corps calleux , parties dans lefquelles
on a voulu mettre le fiége des
fenfations , ne tiennent point aux nerfs ,
qu'elles en font féparées de manière
qu'elles ne peuvent en recevoir les mouvemens.
Mais quelles feront donc les
fonctions de cette partie à laquelle on
en a attribué de fi nobles ?
» Le cerveau eft aux nerfs ', répond M.
» de Buffon , ce que la Terre eſt aux
» Plantes . Les dernières extrêmités des
» nerfs font les racines , qui dans tout
végétal font plus tendres , plus mol-
» les que le tronc ou les branches ; el-
"
les contiennent une matière ductile
» propre à faire croître & à nourrir l'ar-
» bre des nerfs ; elles tirent cette ma-
» tière ductile de la fubftance même du
» cerveau , auquel les artères rapportent
» continuellement la lymphe néceffaire
» pour y fuppléer. Le cerveau , au lieu
» d'être le fiége des fenfations , le principe
du fentiment ne fera donc qu'un
» organe de fécrétion & de nutrition ,
» mais un organe très- effentiel fans le
quel les nerfs ne pourroient ni croître
» ni s'entretenir.
ود
33
C'est donc faute d'avoir exactement
obfervé , que de grands hommes fe font
mépris fur le véritable fiége des fenfa
Tro MERCURE DE FRANCE.
tions , fur quoi M. de Buffon fait cette
réfléxion bien inftructive & bien vraie.
ود
"
» Le plus grand obſtacle à l'avance-
» ment des connoiffances de l'homme eft
» moins dans les chofes même que dans
» la manière dont il les confidére ; quel-
» que compliquée que foit la machine de
»fon corps , elle eft encore plus fimple
» que fes idées . Il eft moins difficile de
voir la Nature telle qu'elle eft , que
» de la reconnoître telle qu'on nous la
»repréfente ; elle ne porte qu'un voile ,
nous lui donnons un mafque , nous la
» couvrons de préjugés , nous fuppofons
" qu'elle agit comme nous agiffons , &
penfons . Cependant fes actes font évi-
» dens , & nos penfées font obfcures ;
» nous portons dans fes Ouvrages les
» abftractions de notre efprit , nous lui
prêtons nos moyens , nous ne jugeons
» de fes fins que par nos vues , & nous
mêlons perpétuellement à fes opéra-
» tions qui font conftantes , à fes faits
» qui font toujours certains , le produit
illufoire & variable de notre imagina-
» tion. »
>>
»
Ce qu'on appelle principe dans les
fciences abftraites n'eft fondé que fur
des fuppofitions. Dans les fciences qu'on
appelle réelles les principes ne font que
les conféquences des méthodes qu'on a
AVRIL. 1759. IIT
fuivies. Ceft par là que la route expérimentale
elle- même a produit plus d'erfeurs
que de vérités . La vraye ſcience ne
peut pas réfulter
de l'examen
de quelques
faits épars & ifolés . Elle n'eft que
la connoiffance
des rapports
obfervés
entre un grand nombre
de faits femblables
ou différens. Ainfi toutes les
fois que dans une méthode
on ne confidére
un Sujet qu'indépendemment
de
ce qui lui reffemble
& de ce qui en différe
, on ne parvient
à aucune connoiffance
réelle , on ne s'élève à aucun principe
général. C'eſt ce qui eft arrivé dans
l'étude de l'Anatomie
, faute d'avoir comparé
la nature avec elle - même dans les
différentes
espèces d'animaux
; auffi depuis
trois mille ans qu'on difféque
des
cadavres
humains
, l'Anatomie
n'eft- elle
encore qu'une nomenclature
, à peine at
- on fait quelques
pas vers tout objet
réel , qui eft la fcience de l'économie
animale.
» Nous avons fuivi partout dans le
» cours de cet Ouvrage , dit M. de Buf-
» fon , une méthode très- différente, com-
»parant toujours la Nature avec elle-
» même ; nous l'avons confidérée dans fes
» rapports , dans fes oppofés , dans fes
extrêmes. Si nous avons réuffi à répan
dre quelque lumière fur les Sujets ( que
12 MERCURE DE FRANCE.
» nous avons traités ) il faut moins l'attribuer
au génie , qu'à cette méthode que
» nous avons fuivie conftamment , & que
» nous avons rendue auffi générale , auffi
» étendue que nos connoiffances l'ont
permis.
n »
Quoiqu'en dife M. de Buffon , on attribuera
fes fuccès au génie , parce que c'eft
le génie qui fait trouver ces méthodes
lumineufes , auxquelles font dûs les progrès
des Sciences.
Tant qu'il refte des nouveaux animaux
à examiner , il refte des points à contater
dans les connoiffances qu'on a acquifes.
M. de Buffon ne veut donc pas
encore s'étendre fur la théorie du fentiment
& de l'appétit ; mais on a déja aſſez
de faits pour prouver , » Que l'homme ,
» dans l'état de nature ne s'eſt jamais
» borné à vivre d'herbes , de graines ou
» de fruits , & qu'il a dans tous les tems,
» auffi- bien que la plupart des animaux ,
» cherché à fe nourrir de chair. » En vain
plufieurs Philofophes ont- ils préconisé la
diète Pythagorique ; en vain les Poëtes
ont-ils voulu faire honneur aux hommes
du fiécle d'or d'un état de haute tempérance
, d'abftinence entière de chair ,
d'innocence , &c. Le tableau de ces vertus
idéales & de ce fiécle imaginaire et
و د
AVRIL 1759. 113
démenti par l'état réel de la Nature que
nous avons fous les yeux.
Il n'eft point vrai qu'il y ait une plus
grande diſtance de l'homme en pure nature
au Sauvage , que du Sauvage à nous.
A moins de prétendre que l'accroiffement
du corps humain fût bien plus prompt
qu'il ne l'eft aujourd'hui , il n'eft pas poffible
de foutenir que l'homme ait jamais
exifté fans former des familles , puifque
les enfans périroient s'ils n'étoient foignés
pendant plufieurs années.
Ainfi l'état de Nature eft un état
connu ; c'eft le Sauvage vivant dans le
défert , mais vivant en famille . C'eft
donc là ce qu'il faut examiner.
Or en cherchant quels font les appétits
, quel eft le goût de nos Sauvages ,
nous trouverons que tous préférent la
chair & le poiffon aux autres alimens ,
que l'eau pure leur déplaît, & qu'ils cherchent
le moyen de faire eux-mêmes , ou
de fe procurer une liqueur moins infipide.
Ce qui convient à leur goût convient à la
Nature. L'homme n'ayant qu'un eftomach
& des inteftins courts, périroit d'inanition
s'il ne fe nourriffoit que d'herbes & de
graines. Il ne pourroit , du moins dans
ces climats , ni fubfifter , ni fe multiplier ;
il faut qu'une nourriture plus abondante
en molécules organiques répare conti114
MERCURE DE FRANCE.
•
nuellement fes pertes , fans quoi il traîneroit
à peine une vie foible & languiffante.
» Voyez ces pieux Solitaires qui s'abf
» tiennent de tout ce qui a eu vie , qui ,
par de faints motifs , renoncent aux
dons du Créateur , fe privent de la
» parole , fuyent la fociété , s'enferment
» dans des murs facrés contre lefquels fe
» briſe la nature ; confinés dans ces afyles
» où l'on ne refpire que la mort , le vifage
mortifié , les yeux éteints , ils ne
jettent autour d'eux que des regards
languiffans. Ils vivent moins qu'ils ne
» meurent chaque jour par une mort anticipée
, & ne s'éteignent pas en fi-
»niffant de vivre , mais en achevant de
» mourir.
"
"
Pour acquérir & conferver une vigueur
complette , il ne fuffit pas d'ufer d'une
nourriture auffi folide que la chair , il
faut encore la varier. La variété en tout
genre eft néceffaire pour remplir le voeu
de la Nature , en donnant aux fens toute
leur étendue , & toute leur activité : mais
les excès font encore plus nuifibles que ,
l'abftinence .
Le goût pour la chair & pour les nourritures
folides eft l'appétit le plus général
de tous les animaux ; mais ce n'eft un
goût de néceffité que pour ceux qui comme
l'homme n'ont qu'un eftomach & des
AVRIL 1759.
inteftins courts . Les alimens ont deux
grands effets , l'un relatif à leur qualité ,
l'autre proportionné à leur volume, mais
tous deux également néceffaires . Pour
que l'animal foit nourri , il faut que les
molécules organiques féparées du marc
des alimens , au moyen de la digeftion ,
fe mêlent avec le fang , & s'affimilent
avec toutes les parties de fon corps . Mais
cela ne fuffit pas l'eftomach & les
boyaux ont befoin d'être toujours remplis
en partie , pour fe foutenir dans un
état de tenfion qui contrebalance les forces
des parties qui les avoifinent . Les
alimens avant de fervir à la nutrition du
corps lui fervent donc de left. Ce befoin
fe fait fentir aux animaux voraces ,
aux oifeaux , au point de les obliger d'avaler
de la terre , des cailloux &c.
"
:
» Et ce n'eft point par goût , mais par
néceffité , & parce que le plus preffant
n'eft pas de rafraîchir le fang par un
chyle nouveau , mais de maintenir l'équilibre
des forces dans les grandes
» parties de la machine animale.
ود
33
Ceft ainfi que M. de Buffon termine
fon difcours fur les animaux carnaffiers ,
mais il faut lire l'Ouvrage même , l'extraire
, c'eft malgré foi le mutiler . On
ne peut pas retrancher une de fes phra116
MERCURE DE FRANCE.
.
fes fans avoir à regretter une grande
idée , & quelle peine n'a-t-on pas à priver
le Lecteur de l'enchantement qui
réfulte de ce ftyle plein d'élévation &
de chaleur qui fait le mérite principal
de Pline , mais qui n'eft qu'un des caractères
de notre profond Naturaliſte ?
NOUVEL ESSAI fur les grands
Evènemens par les petites caufes. A
Amfterdam , 1759.
L'AU
' AUTEUR de cet Ouvrage avoit déja
fait paroître un Volume fous le même
titre il y a environ deux ans ; on en trouva
l'idée ingénieufe , mais on reprocha à
l'Auteur d'avoir rapporté des faits ou
trop petits ou trop communs , ou qui ne
rempliffoient pas l'objet qu'il devoit fe
propofer , quoiqu'il y eût d'ailleurs dans
Ice Livre des chofes curieufes & bien
écrites. On trouvera dans ce nouvel
Effai des traits d'Hiftoire plus piquans &
moins connus , plus de variété dans les
faits & dans le ftyle. L'Auteur écrit avec
efprit , avec vivacité , quelquefois avec
chaleur ; mais il n'a pas toujours aſſez de
naturel. Je vais rapporter un morceau
AVRIL
1759. 117
qui fera connoître la manière de cet Ecrivain,
& qui pourra plaire quoiqu'il n'aille
pas directement à fon objet .
La prononciation de la lettre q , cause
une grande difpute dans l'Univerfité de
Paris.
t Le célèbre Ramus ou la Ramée eft un
de ces Savans , qui par leurs veilles &
leurs travaux , ont diffipé les ténèbres
épaiffes de l'ignorance : ils ont rallumé
ces flambeaux qui avoient éclairé Athénes
& Rome , & que la barbarie avoit
éteints ils ont tiré de l'oubli ces monumens
éternels de l'efprit humain ; ils
ont enfin préparé le Siècle de Louis
XIV.
Les Médicis , les Léon X , les François
I , avoient tenté de réveiller le génie
endormi dans la nuit de l'ignorance :
malgré leurs efforts généreux , on trou
voit encore partout des traces de la barbarie
; le langage vulgaire n'étoit qu'un
mêlange de plufieurs jargons barbares ;
le Latin & le Grec étoient défigurés par
une prononciation gothique , adoptée &
enfeignée par les Profeffeurs de l'Univerfité.
Ramus eut affez de goût pour fentir
le ridicule de cet ufage , affez de har
dieffe pour le combattre , & affez de
18 MERCURE DE FRANCE.
force pour le détruire. Après avoir enfeigné
pendant plufieurs années la Philofophie
dans le Collège de Prêle à Paris ,
il obtint de Henri II , par le crédit du
Cardinal de Lorraine , la Place de Profeffeur
d'Eloquence au Collège Royal.
Lorfqu'il fe vit honoré de cette dignité ,
il fe fentit un nouveau zèle pour perfectionner
les Lettres & y travailler avec
une nouvelle ardeur. Le premier abus
qu'il attaqua fut la prononciation gothique
, qui s'étoit gliffée dans les Ecoles :
on prononçoit le qu comme le k, ainfi on
difoit kis au lieu de quis , kiskis au lieu
de quifquis , kankan au lieu de quanquam.
Ramus avertit fes Difciples de la défectuofité
de cette prononciation, & leur
dit qu'il falloit donner aux lettres leur
fon propre. Plufieurs Profeffeurs approuverent
& fuivirent ce fentiment , & l'on
n'entendit plus dans les Écoles ni Kankam
ni Kiskis . Mais les Docteurs de Sorbonne
piqués qu'on eût fait cette réponfe
, fans les confulter , s'affemblèrent
pour examiner le q & le k. Le q leur
déplut , ils fe déciderent en faveur du k
& quiconque prononçoit Quanquam
encouroit la cenfure de la Sorbonne.
Un jeune Eccléfiaftique peu docile ofa
AVRIL 1759. 119
>
prononcer dans une Thèfe publique
Quanquam : les Partifans de Kankam en
avertirent la Sorbonne, qui, pour punirce
Rébelle , déclara vacant un Bénéficeconfidérable
qu'il poffèdoit. Il fe pourvut au
Parlement , la caufe fut appellée , les
Docteurs s'y trouverent pour y foutenir
le Kankam. Ramus à la tête des Profeffeurs
du Collège Royal s'y rendit &
prouva avec fon éloquence ordinaire le
ridicule de ce procès. Le Parlement envoya
le jeune Eccléfiaftique en poffeffion
de fon Bénéfice , & le Kankam à décider
aux Grammairiens .
Il paroît que cette difpute a donné lieu
au Proverbe : Voilà un beau Kankam
lorfqu'on veut défigner une conteſtation
de peu de conféquence. Un autre
Eccléfiaftique fut chaffe des Claffes de
Sorbonne , parce qu'il difoit en foutenant
une Thèfe : Ego amo au lieu d'Ega
amat , comme c'étoit alors l'ufage,
*
120 MERCURE DE FRANCE.
LE CITOYEN ,
POEME , par M.VALLIER, Colonel
d'Infanterie , de l'Académie des Sciences
, Belles- Lettres & Arts d'Amiens ,
& de la Société Royale des Sciences &
Belles- Lettres de Nancy. A Nancy
&fe vend à Paris chez Sébaſtien Jorry,
vis- à-vis la Comédie Françoife , au
Grand Monarque & aux Cigognes.
L'AUTE 'AUTEUR de ce Poëme prouve par
fon exemple que la vie retirée a fon utilité
:
Les lauriers ne font pas toujours couverts de fang .
>
Il a confidéré le Citoyen fous trois
points de vue ; dans le rapport général
de fes talens avec fes devoirs ; dans l'application
de fes talens aux fonctions de
la vie publique ; dans l'ufage de ces mêmes
talens au ſein d'un loifir utile . Il part
de ce principe , que chacun a fes devoirs
comme chacun a fes talens . Mais dans
l'ufage de ces talens , on peut donner
dans trois fortes d'excès ; ou fe furcharger
de devoirs incompatibles par euxmêmes
, ou s'en impofer qu'il n'eft pas
en
AVRIL. 1759. 121
en nous de remplir ; ou abufer des facultés
qu'on a reçues de la Nature, en les faifant
fervir au malheur de l'humanité. Le
Cardinal de Richelieu eft l'exemple du
premier , le Prince de Condé & le Chancelier
Bâcon font les exemples du fecond,
Aléxandre & Charles XII font les exemples
du troifième.
Il étoit difficile au Cardinal de Richelieu
d'être en même temps un grand Miniftre
& un bon Evêque.
Attaché tout entier au timon de l'État ,
En lui le Politique efface le Prélat .
Bâcon , excellent Magiftrat , fembloit
promettre un Miniftre habile ;
Mais fon génie , à peine eft forti de ſa ſphère ,
Qu'il languit accablé du poids du Miniſtère.
Condé , fi étonnant dans les Armées ,
n'étoit plus le même dans un Conſeil &
à la tête d'une Ligue.
Il y décourageoit par fa timidité
Le parti qu'au combat animoit fa fierté.
Aléxandre mérita le nom de Grand
tant qu'il mérita le nom de Jufte ,
Mais que lui refta- t- il de fes conquêtes vaſtes ,
Et quels traits odieux deshonorent fes Faſtes ?
1. Vol. E
122 MERCURE DE FRANCE.
Comme lui ,jeune,ardent, mais bien plus vertueux,
Charles prend vers la gloire un vol impétueux.
Mais le malheur l'égare enfin comme
le bonheur avoit égaré Alexandre .
Après l'avoir vengé , Charles perdit l'État ,
Il vêcut en Héros , il mourut en Soldat.
Si la témérité peut fonder un Empire ,
Même témérité peut auffi le détruire.
Foible jouet du vent de la profpérité ,
Le vice d'Alexandre étoit la vanité.
Une fierté févère , invincible , intraitable
DeCharles malheureux rendit l'ame indomptable.
L'un abuſa du ſort qui le favorifoit
L'autre voulut dompter le fort qui l'écraſoit.
Là le Poëte s'élève contre la folie des
hommes qui décernent les premiers honneurs
aux plus terribles caufes de leurs
calamités. Il peint le caractère d'un Roi
bienfaifant & pacifique ; & cette idée le
conduit à l'éloge du Roi Stanislas , l'ami
& le contrafte de Charles XII.
Telle eût été la gloire acquife à vos travaux ,
Grand Roi qui m'entendez , vous l'ami du Héros
Dont le Nord admira le courage intrépide .
Vous marchez vers le Trône où la valeur vous
guide;
AVRIL 1759. 123
Un pouvoir au-deffus du pouvoir des humains
Vous enléve le Sceptre adoré dans vos mains.
Peuples , à ce revers funefte en apparence ,
Reconnoiffez enfin le bonheur de la France.
Ce Héros bienfaifant , ce Sage couronné
A commander au Nord n'étoit point deſtiné
En de plus doux climats,fous un Ciel plus propice
Ses yeux verront régner la paix & la juftice .
L'abondance & les Arts fleuriront à fa voix ,
Il doit à cet Empire une Reine & des Rois.
Quelle eft la conclufion de ce premier
Chant ?
Le Ciel difpenfateur des dons verfés fur nous
Ne nous a pas permis de les pofféder tous :
Il les a répandus comme des traits de flamme.
Sur l'emploi de ces dous laiffons agir notre ame.
Il finit par le précepte bien fage &
bien peu fuivi de mefurer fon ambition à
fa capacité ; & parmi les hommes illuftres
, il ne voit que le Maréchal de Catinat
qui ait rempli l'idée d'un grand homme
à tous égards.
Cátinat fut le feul qui dût à la Nature
Des vertus fans foibleffe & des dons fans meſure.
L'exacte équité , la haute fageffe , la
politique , l'éloquence , tous les talens
)
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
militaires au plus haut degré , le dévouement
au bien de l'Etat , la fermeté dans
les Confeils , fa modeftie dans les victoi-
'res, fon zèle à exécuter les projets même
qu'il n'approuvoit pas , fon ardeur & fa
conftance au travail , fa bonté populaire
& toujours acceffible , fa bienfaiſance ,
fa fimplicité , l'égalité de fon ame dans
l'une & dans l'autre fortune * , fon amour
pour les Arts qu'il protégéa fans oftentation
, & qui le fuivirent dans fa tetraite :
tels font les traits dont M. Vallier nous
a peint ce caractère unique,
Senfible à l'amitié , compatiffant , fincère ,
De la Philofophie il eut la fermeté ;
Son coeur n'en eut jamais la fière auſtérité,
Les douceurs que M. de Catinat
éprouva dans fa retraite , comparées au
tumulté & aux orages de fa vie publique ,
femblent inviter le Sage à l'obscurité &
à l'indépendance ; mais cet état même
Croirois-tu, difoit M. de Catinat à Palaprat ,
au milieu de la belle Campagne d'Italie , croirois-
tu qu'il y a huit jours que je n'ai fait un vers ?
M. le Maréchal , difoit Palaprat en louant fa
fimplicité , ferpit homme à jouer avec nous aux
quilles après avoir gagné une bataille . Et fi c'es
toit après l'avoir perdue , reprit ce grand- home
me , m'en eftimerois -tu moins ?
AVRIL. 1759 .
125
tient à la fociété par des devoirs .
;
L'homme inutile au monde eft comme enseveli :
Du fein de la moleffe il tombe dans l'oubli ;
Et lorfqu'il difparoît , la Terre foulagée ,
D'un importun fardeau fe trouve dégagée .
Quoique tous les exemples de ce premier
Chant foient pris dans les conditions
de la vie publique , le Poëte ne les a préfentés
que dans le rapport général des
talens avec les devoirs.
Dans le fecond Chant il confidére les
talens de l'homme public , appliqués aux
fonctions de chaque état en particulier ,
& il commence par celui d'un Roi.
Qu'il foit ferme à propos , fans être trop févère ,
Qu'il nous gouverne en Maître , & nous protège
en Père ,
Qu'il fe faffe une étude , un mérite , un devoir
D'étendre fes bienfaits en bornant fon pouvoir.
L'ambition d'un Roi n'eſt qu'un tiſſu de chaînes
Dont fon Peuple accablé porte feul tout le poids.
Il perd de fa puiffance en étendant les droits.
L'étude de l'Hiftoire & la connoiffance
des hommes lui font utiles en général ;
mais plus encore celles des Peuples qu'il
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
•
gouverne. Leurs talens , leurs facultés
leurs caractères ,
Il doit connoître tout , il doit tout exercer ,
Et tout homme eft utile à qui fçait le placer.
2
Les devoirs d'un Roi ont des
rapports
plus étendus ; & cette Loi de l'Univers
qu'on appelle le Droit des Gens , doit
être pour lui une régle inviolable.
Le Poëte , après avoir expofé en peu de
mots ces principes , reproche aux Peuples
la témérité avec laquelle ils jugent fouvent
la conduite des Souverains dont la
fageffe leur eft cachée.
Le choix des Miniftres eft un article
effentiel de l'art de règner.
Par eux le Souverain récompenfe & punit.
En traçant le caractère d'un Miniftre
fage , laborieux , intégre , tout entier à
l'Etat & détaché de lui-même , M. Vallier
fait fentir l'importance de cette place ,
les devoirs qu'elle impofe , les talens
qu'elle exige , les vertus qu'elle éprouve ,
& fans lefquelles les talens même deviennent
inutiles ou pernicieux au bien
public. Il donne pour modèle Sulli , &
les Miniftres qui ont fignalé le règne de
Louis XIV , dont il rappelle le cours
triomphant. Il fait fentir le danger dont
AVRIL 1759. 127
l'Eſpagne a été menacée fous un Miniftre
indolent & timide ; & dans la prompte
élévation de la République de Hollande ,
il fait voir ce que peuvent l'activité & la
vigilance d'un feul homme pour la profpérité
d'un Etat.
Ce Peuple pareffeux , ignorant & ftupide ,
Devient un Peuple altier , courageux , intrépide :
Tous ces marais bourbeux fe changent en canaux,
Ces Pêcheurs en Soldats , ces barques en vaiffeaux.
Ce Peuple fatigué de croupir dans la fange ,
La fecoue à la voix du Héros qui le venge.
Il fe forme un Etat , & des moeurs & des loix.
Sur la mer ,
fur la terre on refpecte fes droits.
( Les Anglois feuls n'en tiennent compte.)
Après les Miniftres viennent les Guerriers
, & à côté d'eux les Magiftrats.
Sillery , Lhopital , Séguier , Fleury , Pomponne ,
Lumières du Sénat , appuis de la Couronne;
Du Harlay , Lamoignon , & vous qui de Thémis
Dans un jour moins brillant futes les favoris ,
Et Pucele & Maingui , vrais Sages dont la gloire
Occupe un fi beau rang au Temple de Mémoire :
Vos refpectables noms , vos vertus font vos droits.
Oracles de Thémis , élevez votre voir,
Dites au Magiftrat que fon devoir auſtère
Le rend de l'Orphelin le tuteur & le Père ,
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
L'organe de la Loi , l'appui de l'équité ;
Qu'il doit aux pieds des Rois porter la vérité,
Leur préfenter du Peuple & les voeux & les larmes,
Et ne jamais au trône oppoſer d'autres armes.
Un des écueils de l'équité c'eft l'excès
de zèle pour le foible contre le fort ,
& le plaifir fecret qu'on éprouve à fe
croire le protecteur & l'appui du pauvre ,
en humiliant le riche puiffant. C'eſt ce
que M. le Chancelier Dagueffeau , ce
Magiftrat fi éloquent & fi fage a développé
dans fon difcours fur la grandeur d'a
me ; & M. Vallier n'a fait que verſifier
ce morceau. Il avoue avec une noble modeftie
qu'il a tâché d'employer les expreffions
mêmes de l'Orateur , en n'y
ajoutant que la rime.
Des fonctions importantes d'un Roi ,
d'un Miniftre , d'un Guerrier , d'un Magiftrat
, l'Auteur paffe aux travaux des
Arts méchaniques & libéraux , confidérés
dans leur rapport avec la force, la fplendeur
& la profpérité d'un Etat. Mais il
ne fait qu'effleurer cette partie importante
; & il feroit à fouhaiter qu'il eût
voulu l'approfondir.
Dans le troifième Chant , le plus ftérile
en apparence , & celui cependant
que le Poëre femble avoir traité avec le
plus de foin , il confidére le Citoyen dans
AVRIL. 1759. 129
la vie retirée , toujours occupé du bien
public.
L'homme, dit-il , fe fait une douce habitude
de la juftice & de la vertu. Celui
qui s'eft rendu ce penchant comme naturel
n'a plus aucune peine à le ſuivre.
Au joug de fes devoirs tous les goûts font dociles ;
Mais parmi fes devoirs , il en eft de tranquilles .
Un vertueux loifir peut occuper nos jours ,
Et des deftins du Sage il peut remplir le cours.
Un fleuve dont les eaux defcendent dans la plaine,
S'augmente des ruiffeaux qu'en fa courſe il ramène
:
Des tréfors qu'il raffemble il arroſe les champs :
Son cours fage & réglé porte à leurs habitans
Une fertilité qu'il procure à la terre .
Groffi de ces ruiffeaux , fon onde falutaire
Va les répandre au fein du fuperbe ſéjour
Qui s'enrichit des biens qu'il lui doit chaque jour.
C'eſt ainfi que le Sage , utile à fa Patrie ,
Lui peut faire adorer les inftans de fa vie ;
Il en fait fon étude , il en fait fon plaiſir ,
Il doit à fon Pays compte de fon loiſir .
Là il rappelle le fruit des veilles &
des travaux de nos Sçavans ;
Et quelle récompenfe en attend le fuccès ?
La gloire de fervir , d'honorer leur Patrie ,
De payer à l'Etat leur naiffance & leur vie.
F v
130 MERCURE
DE FRANCE
.
II parcourt
rapidement
les différentes
parties de la Littérature
dont l'utilité publique
eft l'objet.
Il donne des éloges à quelques- uns de
nos Auteurs célèbres , & s'arrête au portrait
d'un Philofophe Citoyen qui a facrifié
fa liberté , le bien le plus précieux
pour le Sage , à l'éducation d'un jeune
Prince dont l'efprit & le coeur font confiés
à fes foins par l'amour éclairé d'un
Pere. Ce Philofophe eft M. de Froncemagne
, Précepteur de Monfeigneur le
Duc de Chartres.
La vie privée a des fonctions moins
honorables , mais non moins effentielles ;
tels font les devoirs de Fils , d'Époux , de
Pere & d'Ami : telles font l'humanité ,
la bienfaifance , la pitié pour les malheureux.
Tous ces devoirs font des branches
de celui de bon Citoyen ; & l'homme
vertueux dans fon obfcurité , les remplit
tous avec le même zèle :
Il s'y livre par goût , il paffe fa jeuneſſe
A rendre à des parens qui formèrent fon coeur
Des foins religieux dont il fait fon bonheur.
Chaque jour qu'il leur doit , marqué par la tendreſſe
,
D'un Pere refpectable adoucit la vieilleffe :
Sa vertueufe Mere y trouve fon appui ,
Et l'heureux prix des pleurs qu'elle a verſés pour lui.
AVRIL. 1759. 131
Effrayé du joug de l'hymen , quand l'avarice
ou l'ambition l'impoſe , il fent le
prix des noeuds que l'eftime & l'inclination
mutuelle ont formés .
D'une aimable vertu les charmes innocens
Unis à la beauté , partagent fon encens :
•
Son amour , les defirs enfin fe font entendre ,
Ce coeur qui s'allarmoit , fe trouble & devient
tendre.
Les foupirs , les regards l'animent tour- à-tour ,
Et la Raifon ſe plaît à rendre heureux l'Amour.
Ces Epoux dont le Poëte peint le bonheur
, élèvent des Citoyens dans leurs
enfans , & c'est la plus chère de leurs occupations
; mais enfin libres de ce devoir ,
& rendus à eux-mêmes, ils vont finir leurs
jours dans une folitude paifible.
C'est là que de l'amour l'amitié prend la place :
Cet amour dont jamais l'image ne s'efface ,
Devient la fource alors d'un fentiment plus pur :
L'un paffe avec les ans ; l'autre durable & fûr ,
Refferre par les ans fes précieuſes chaînes .
C'est peu pour le Citoyen d'être heureux
lui-même , s'il ne fait des heureux.
Du Peuple qui le fert il reffent tous les maux ,
Récompenfe , foulage , anime fes travaux.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
Ces Mortels lui font chers: il leur doit fon bien-être.
L'Ami leur tend les bras & leur cache le Maître.
La vieilleſſe chez lui n'arrive qu'à pas lents ;
Elle y fait refpecter encor fes cheveux blancs.
Enfin l'inftant approche où fon ame tranquille
Va goûter d'autres biens dans un plus fûr afyle.
D'aucune crainte alors fon coeur n'eſt agité :
Son ame fent le prix de l'Immortalité.
J'en ai dit affez pour faire connoître
l'objet , le plan , les moeurs , le ftyle &
le ton de ce Poëme vraiment eftimable.
Si on l'examinoit comme un Ouvrage
claffique, on y trouveroit fans doute quelque
chofe à reprendre ; mais c'eft un
Militaire qui écrit. Il n'a pû ni dû faire
fon étude principale de l'Art des vers la
févérité d'une critique minutieuſe ſeroit
donc ici déplacée. L'objet de ce Poëme
eft utile , l'Auteur l'a rendu intéreflant.
Il y a même du côté de l'Art des beautés
dont un Écrivain confommé feroit
gloire , & je n'ai que des éloges à donner
au Militaire Citoyen qui occupe ainfi fes
momens de loifir.
AVRIL. 1759. 133
EXTRAIT du Livre intitulé : Réfléxions
critiques fur les différens Systêmes de
Tactique de Folard.
L'O'OUUVVRRAAGE de M. Folard a eu d'excellens
Critiques. On l'a accufé de ſe paffionner
pour fes fyftêmes , & de vouloir
les rendre exclufifs . Ses critiques en ont
faifi les côtés foibles avec plus ou moins
d'avantage ; mais tous ont contribué par
la difcuffion au développement & à la
connoiffance du vrai.
Aucun d'eux cependant n'avoit eu
d'autre objet que le fyftême fondamental
de Folard , celui de la Colonne. Le Livre
qui me tombe fous la main eft le premier
qui , fans s'attacher à combattre ce fyftême
, ait avancé & prouvé que Folard
avoit d'autres dangers. Le foin de les
faire connoître pour apprendre à les éviter
, a été l'objet de l'Auteur , comme
il l'annonce dans l'Avant- Propos. Ce Savant
Militaire fe fait connoître pour l'Auteur
du Folard abrégé qui parut en 17543
mais comme il a eu la modeftie de cacher
fon nom , je ne puis qu'imiter fon filence.
Il écrit pour fes Compatriotes ; il les
134 MERCURE DE FRANCE.
prend pour exemples . Il veut que l'autorité
des Henri IV , des Condé , des Turenne
, des Maréchaux de Luxembourg
& de Saxe , ait plus de poids chez les
François que l'autorité des Anciens , dont
les armes & la difcipline n'étoient pas
les mêmes. En effet , ce ne font pas de
vains regrets fur ce que nous pourrions
être : c'est l'art d'employer nos armées
telles qu'elles font qui nous procurera la
victoire & la paix . Cet Ouvrage eſt diſtribué
en treize Chapitres ; chacun d'eux
attaque un fyftême ou un ordre de bataille
favori de Folard . Après en avoir
expofé le danger , l'Auteur anonyme propofe
des moyens différens & des difpofitions
nouvelles . Il prétend que le plus
grand danger des fyftêmes exclufifs , c'eft
la variété du terrein & des circonstances
qui ne font pas toutes fufceptibles des
mêmes manoeuvres. Les fiennes font fimples
, & ne changent rien à celle des bataillons
& des efcadrons , qu'il faut employer
tels qu'ils font en temps de
guerre ; car alors il eft bien dangereux de
toucher à cette tactique intérieure .
» Puiffe , ( dit- il en finiffant fon Avant-
Propos ) » Puiffe cet Ouvrage donner ens
vie de relire Folard , & remettre en-
» core une fois fous les yeux des MiliAVRIL.
1759. 135
» taires un fi excellent affemblage de-
» maximes , de leçons & d'exemples.
Le premier Chapitre contient des rćfléxions
fur le feu oblique que M. Folard
prétend tirer de fa colonne. Le Critique
en démontre l'impoffibilité. Plufieurs
rangs de Soldats preffés , qui font
obligés pour faire feu de faire paffer le
bout de leurs armes entre les têtes de
ceux qui les précèdent , n'ont certainement
pas la liberté de chercher à droite
& à gauche des objets qu'ils ne fçauroient
voir , ni par conféquent ajufter. L'intervalle
des têtes de leurs camarades , forme
comme une efpèce de crénaux qui
donnent au fufil une direction perpendiculaire
au front du bataillon. Cete raifon
fans replique détruit feule le fyftême du
feu oblique , lorfqu'il fera fait par divifions
& par commandement.
Comme ce feu eft cependant trèsavantageux
, le Critique de Folard cherche
à le rendre poffible en adoptant le
feu que le Soldat fait à fa volonté , &
auquel la Nation Françoiſe doit plufieurs
de fes victoires . Ce feu qu'il nomme à la
Françoife , lui femble avoir de grands
avantages fur celui que M. Folard ap
pelle à la Hollandoife , & que le Criti
que ne laiffe pas que d'approuver à cerrains
égards.
136 MERCURE DE FRANCE.
Les avantages du feu à la Françoise
expofés dans ce premier Chapitre , font
la direction oblique , la direction horifontale
, la vivacité , la charge mieux
-faire , les coups plus fûrs , plus nombreux,
plus meurtriers , portant moins enſemble
& fur plus d'objets. Il ajoute que ce feu
eft plus inquiétant , & fe fait avec un
plus grand filence.
Le fecond Chapitre contient des réfléxions
fur le ſyſtême univerſellement répandu
dans Folard , d'entremêler des pelotons
de fufiliers ingambes , ou de gre
nadiers entre les efcadrons en plaine. Il
en examine d'abord la poffibilité : cela
lui donne lieu d'expliquer la manoeuvre
de la Cavalerie au moment du combat ,
& d'expofer des principes très - utiles ;
d'où il part pour nier qu'il foit poffible
d'établir entre les efcadrons les pelotons
propofés par Folard.Après avoir démontré
l'impoffibilité de cette méthode, il en fait
fentir encore l'inutilité . Mais ce ne font
pas toujours les raiſonnemens qui déterminent
les hommes , furtout quand on
les a féduits par des exemples mémorables.
Il falloit attaquer ce dernier retranchement
: l'Auteur a tourné à fon avantage
les exemples dont M. Folard autoriſe fon
fyftême. Le premier eft tiré de la guerre
AVRIL 1759. 137
qu'Annibal porta en.Lombardie , après
avoir traverfe les Pyrenées & les Alpes . Il
s'agit de Publius , qui avoit adopté ce fyltême,
dit Folard , à la bataille de Trebie.
Par l'examen attentif du texte , le Critique
prouve que ce qui caufa la perte
de la bataille , fut précisément ce mêlange
d'armes fait mal-à- propos.
Le fecond exemple , c'eft la bataille
de Pavie, où les Arquebufiers Bafques mis
fur les flancs des Gendarmes Efpagnols ,
cauferent la déroute de la Gendarmerie
Françoife , & la prife de François I. Voilà
un fait qui devroit affurer le triomphe
du fyftême de Folard. On eft tour
étonné , après avoir lû les réfléxions du
Critique , de voir combien mal- à-propos
cette opinion a eu du fuccès , & comme
elle eft démentie par les Auteurs contemporains
, & par les relations qu'ils ont
données de cette bataille. C'eft ainfi qu'il
combat Folard par fes propres armes , &
s'empare des exemples dont il s'étoit prévalu.
Il y joint ceux d'Henri IV à Coutras
, de Guftave à Lutzen , de Turenne
à Sintzeim & à Ensheim , lefquels , bien
loin de regarder ce fyftême comme avantageux
en plaine , ont ceffé de l'employer
dès qu'ils ont mis leur Cavalerie hors des
lieux fourrés & des terreins inégaux , où
138 MERCURE DE FRANCE.
il est néceffaire , pour fa fureté qu'elle
foit foutenue par l'arme qui peut feule
combattre dans ces fortes de terreins . Ce
Chapine , un des plus curieux de l'ouvrage
, mérite d'être lû avec attention.
Il y eft traité du nombre de rangs
fur lefquels doivent combattre les efcadrons
: & cette matière réduite en principes
, eft intéreſſante pour les gens de
l'Art. L'Auteur y attaque un ordre de bataille
par lequel Folard prétend combattre
avec avantage dans une plaine vingtquatre
efcadrons avec douze feulefoutenus
de douze Compagnies
de Grenadiers. L'un & l'autre Auteur ,
fuivant des principes différens , employent
beaucoup d'art pour s'affurer en
fpéculation un fuccès qui me femble
fort douteux dans la pratique. Il n'y a que
trop d'exemples qui ont jugé le Procès en
faveur du grand nombre.
ment
,
Le troisième Chapitre traite de la Mufique
Militaire : cet Art fait pour émouvoir
les hommes & pour réveiller les paffions
, fut confacré principalement à exciter
le courage. Nos deux Auteurs d'accord
fur le principe , ne différent que
dans l'efpèce d'inftrument que l'on doit
employer.
Les Chapitres quatre , cinq , fix , huit
AVRIL. 1759. 139
& neuf, regardent des ordres de batailles
propofés par Folard , & tous fondés fur
le fyftême des colonnes. Le Critique en
démontre la foibleffe & propofe à la place
des difpofitions qu'il croit plus avantageufes.
Ces détails ne font pas fufceptibles
d'extrait. Ils font eux-mêmes auffi
précis que peut le permettre la clarté
qu'ils exigent. Chaque ordre de M. Folard
eft expofé dans un plan , à côté duquel
eft celui que le Critique préfére.C'eft
aux Généraux , dit-il , à choifir & à fe
déterminer en conféquence des principes
de l'Art & des circonftances où ils fe
trouvent.
Folard avance en plufieurs endroits de
fon Ouvrage , & il l'avance comme un
principe de Guerre , qu'il ne faut point
dans une bataille attaquer les Villages .
Son Critique eût- il tort , on doit lui
fçavoir gré d'avoir mis fous les yeux des
Militaires les réfléxions dont il appuye
fon fentiment contre cette maxime. Ce
Chapitre qui eft le feptième , eft curieux :
c'est un tiffu d'exemples ; & les autorirés
font graves .
Le Grand Condé , M. de Turenne ,
le Prince Eugêne , Milord Malboroug ,
Louis XV , le Maréchal de Saxe ; dans
les journées de Nortlinguen , d'Einzheim,
140 MERCURE DE FRANCE.
d'Hoftet , de Ramillie , de Fontenoy,
& de Rocqux .
Dans le Chapitre onzième , le Critique
s'élève contre cette propofition de
Folard que la Cavalerie eft de peu d'usage
dans les attaques d'arriere -garde . Pour
attaquer un ennemi qui fe retire , il faut
marcher plus vite que lui puifqu'il faur
l'atteindre. C'eft l'ouvrage de la Cavalerie
, laquelle ayant bien plus de vîteffe ,
doit bien mieux remplir le premier objet.
Il ne faut pas fe commettre à une
affaire générale ; & la façon de ne pas
fe commettre eft d'employer des troupes
qui peuvent fe mouvoir & fe retirer avec
viteffe & revenir de même : c'eft encore
le propre de la Cavalerie.
C'eft après les mêmes principes que
dans le Chapitre onzième il établit un
ordre de bataille contraire au fyftême
de Folard , pour attaquer une arrièregarde
; & l'avantage de ce nouvel ordre
fondé en raifons folides & concluantes ,
eft rendu plus fenfible encore fur le plan
que l'Auteur en a donné.
Folard propofe de mettre toute la Cavalerie
Françoiſe en Dragons ; le Critique
, ǝn rendant à chacun de ces Corps
la juftice qui lui eft due , fait fentir la
différence de leur inftitution & de leurs
AVRIL 1759. 141
fonctions ; c'est l'objet du douzième Chapitre.
Il voudroit qu'au lieu de bottines
les Dragons euffent des bottes molles, qui
n'empêchent pas de marcher , & qui font
plutôt chauffées. Il n'approuve pas leur
ufage de rifquer leurs chevaux en toute
occafion , faute de laiffer affez d'hommes
pour les conduire . Il demande pour cela
un homme par trois chevaux : c'en eft
affez , dit - il , pour les faire retirer ou
fuivre au befoin.
Le dernier Chapitre regarde la profondeur
des Corps d'Infanterie & le
nombre des divifions. L'Infanterie , ditil
, rend deux genres de combat ; elle les
rend enſemble ou féparément ; mais le
paffage de l'un à l'autre eft prefque toujours
fi rapide , qu'on n'a pas le temps
de changer la difpofition des bataillons.
L'un de ces combats eft le feu ; il fe rendde
loin comme de près , & il exige peu
de rangs , afin que ceux de derrière ne
foient pas empêchés par ceux de devant .
L'autre combat eft le fer ; celui-là exige
de l'impulfion , de la folidité , de la profondeur
dans les rangs pour augmenter
la réfiftance & empêcher les flottemens.
Il faut donc un ordre intermédiaire qui
n'affoibliffe ni l'un ni l'autre de ces genres
de combat , & qui mette les bataillons
142 MERCURE DE FRANCE
en état de paſſer du feu au fer , & du fer
au feu , durant l'action . Cet ordre paroît
être celui de quatre rangs , qui laiffe aux
deux armes tout l'avantage poffible , en
les confervant toutes deux en état d'agir.
Non-feulement cet ordre paroît le plus
avantageux à l'Auteur pour le combat ,
mais il le croit encore néceffaire relativement
à la caftramétation dont il raifonne
par principe & fans préjugé , appuyant
tous fes raifonnemens avec folidité , & les
foumettant aux Maîtres de l'Art.
Ce Livre eft , je crois , l'ouvrage d'un
bon Militaire , & très-furement celui d'un
bon Citoyen.
ANACREON , Sapho , Mofchus , Bion ,
Tyrthée & c. traduits en vers François ,
par M. Poinfinet de Sivry , de la Société
Royale des Sciences & Belles - Lettres de
Lorraine. A Nancy , chez Pierre Antoi
ne, Imprimeur ordinaire du Roi, de l'Hôrel
-de- Ville , & c.
ÉTHOLOGIE ou le Coeur de l'homme
Ouvrage où , après avoir parlé des prin
cipes de toutes nos actions, on entre dans
le détail des vertus & des vices à l'égard
de Dieu , de foi- même , & de la fociété .
Par le Chevalier de Cramezel. A Rennes ,
chez Julien Vatar , pere , au coin de la
AVRIL. 1759. 143
Place du Palais , & rue de Bourbon, & Julien-
Charles Vatar fils , au coin des rues
Royale & d'Eftrées, au Parnaffe, & à Paris,
chez Savoye, rue S. Jacques, 2 vol . in- 16.
L'Extrait au Volume prochain.
MERCURE de Vittorio Siri , Tome quatorziéme.
A Paris , chez Durand , rue
du Foin.
ANALYSE de l'Ouvrage du Pape Benoît
XIV . fur les Béatifications & Canonifations
, approuvée par lui-même & dédiée
au Roi. A Paris , chez Hardy , rue Saint
Jacques , à la Colonne d'Or.
RECUEIL de Pièces & Mémoires concernant
le Réglement à faire entre la
Jurifdiction de la Confervation de Lyon
& les Jurifdictions Conſulaires . A Paris ,
chez P. G. Lemercier , Imprimeur du
Grand-Confeil du Roi , de la Ville , &
de la Jurifdiction Confulaire .
MOYEN de Population par la fuppreffion
des Milices , avec un remplacement
avantageux à nos armes. A Avignon ,
& fe vend à Paris chez Lambert , rue &
& à côté de la Comédie Françoife .
THESE Latine , fur l'ufage de la Mufique
en Médecine ; par l'Auteur du Traité
de l'ufage du François en Médecine. A
144 MERCURE
DE FRANCE .
Paris , chez la Veuve Quillau , Imprimeur
de l'Univerfité & de la Faculté de
Médecine.
LE BACHELIER de Salamanque , ou les
Mémoires & Avantures de Don Chérubin
de la Ronda , par M. le Sage. Nouvelle
édition . A Paris , chez Cailleau , quai des
Auguſtins , à Saint André.
ABRÉGÉ de l'Art des Accouchemens ,
dans lequel on donne les préceptes néceffaires
pour le mettre heureusement en
pratique. On y a joint plufieurs Obfervations
intéreffantes fur des cas finguliers
. Par Madame le Bourfier du Coudray
, ancienne Maîtreffe Sage- femme de
Paris. Prix so fols . A Paris , chez la
veuve Delaguette , rue S. Jacques à l'Olivier.
OBSERVATIONS
Chirurgicales fur les
Maladies de l'Urèthre , traitées fuivant
une nouvelle Méthode , par M. Daran.
Quatrième édition augmentée de nouvelles
Obfervations . A Paris , chez le
même Libraire.
NOUVELLES Obſervations
fur les deux
Syftêmes de la Nobleffe Commerçante
& Militaire, A Amfterdam.
TRAITÉ des Prêts de Commerce , ou de
l'intérêt
AVRIL. 1759. 145
l'intérêt légitime & illégitime de l'Argent.
Par M.... 4 vol. in- 12 . A Amfterdam
& fe vend à Paris , chez Vincent , rue
S. Severin , à l'Ange.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
SI
ECONOMIE POLITIQUE.
I la réputation dès longtemps acquife
aux lumières & à la fageffe de M.
de Silhouette , n'avoit pas fuffi pour détruire
le bruit populaire qui lui attribuoit
un Plan d'opérations directement oppofé
à fes vues , au moins la profeffion autentique
qu'il a faite de fes véritables intentions
, ne laifferoit - elle aucune inquiétude
à ce fujet. On voit qu'auffi bon Citoyen
que grand homme d'Etat , il frappe
au but important où tous les efforts de
la Nation doivent tendre , & qu'il s'attache
aux grands moyens qui peuvent y
concourir , dans la partie de fon adminiftration
.
Je crois devoir inférer ici ce Difcours
auquel toute la France applaudit , & qui
eft fi digne de concilier à M. de Silhouette
la confiance univerſelle.
1. Vol. G.
146 MERCURE DE FRANCE.
REPONSE de M. de Silhouette , Con-
-
trôleur général , à M. de Nicolaï ,
Premier Président de la Chambre des
Comptes , le Mars.
JE ne diffimule point l'étendue des
obligations que m'impofe la confiance
dont le Roi m'a honoré. Trouver à l'État
les reffources néceffaires pour repouffer
les injuftes attaques d'un Ennemi qui
voudroit envahir l'empire univerfel de la
mer & du commerce ; affermir de plus
en plus le crédit par la ftabilité des engagemens
fur lefquels il eft fondé ; exciter
& protéger l'induftrie ; foulager , lorfque
les circonftances le permettront , un Peuple
qui ne reffentiroit jamais le poids des
impôts & le malheur des temps , s'il ne
tenoit qu'à fon Souverain de l'en garantir :
voilà l'objet de mes devoirs comme celui
de mes voeux. C'eft dans la fuppreffion
des dépenfes inutiles , dans l'économie
des dépenfes néceffaires , & dans l'adminiftration
des branches du revenu public ,
l'on doit chercher les premières ref- que
fources pour fubvenir aux befoins de
AVRIL 1759 . 147
l'Etat. Les fyftêmes dangereux , dont les
moyens enfantés par la chimère & l'illufon
bouleverfent la nature des chofes , &
dont le Royaume a déjà éprouvé une
fois les funeftes effets , n'auront aucun
accès auprès du Trône . Je veillerai avec
foin à l'obfervation de l'ordre & de la
règle. Je fens combien les principes &
les Loix de la comptabilité , dont cette
illuftre Compagnie eft dépofitaire , font
importans à conferver dans leur intégrité
. Vous tenez , Monfieur , ces principes
de vos Ancêtres , qui depuis plufieurs
fiècles préfident cette Compagnie. En les
maintenant avec la juftice & les lumières
qui caractériſent le Magiftrat , vous rendez
un fervice effentiel au Roi & à l'Etat ;
& je compterai toujours au rang de mes
devoirs de faire parvenir à Sa Majefté les
témoignages conftans que cette Com→
pagnie lui donne de fon zèle & de fa
fidélité.
*
G ij
148 MERCURE DE FRANCE:
HISTOIRE NATURELLE.
ABREGE' de l'Hiftoire des Gallinfectes,
de M. de Réaumur , en forme de Lettre ,
pour fervir de fuité à l'Abrégé de l'Hiftoire
des Infectes. Par M. B.**
LEE * hazard m'a fait naître l'idée de
prendre quelque connoiffance de l'Hiftoire
des Infectes : les loifirs de la campagne
m'ont fourni l'occafion de fuivre un
certain temps cette étude , & j'ai cru que
vous me permettriez de vous offrir un
effai fur cette matière. Je ne vous annonce
pas des découvertes , elles font réſervées
à un plus long travail & à de meilleurs
yeux que les miens ; les petites obfervations
particulières vont fe perdre dans les
découvertes réelles & nombreufes des
Swamerdams, des Rhedis , des Valifnieri,
des Lifter & des Lynaus. M. de Réaumur
a paru , lui feul femble avoir épuifé la
matière ; on diroit qu'il eft le confident
de la Nature ; il a écrit fur les Infectes
* Cette espèce de Préface a été faite pour être
lue dans une Académie de Province , avant la
Lettre qui fuit,
AVRIL. 1759 . 149
comme il feroit peut- être à defirer qu'on
eût originairement écrit l'Hiftoire des Nations
. Ses Mémoires offrent un Journal
exact & circonftancié , où tout est bien
vû , parfaitement difcuté & fcrupuleufement
détaillé ; mais ce font ces mêmes
détails & les longueurs qu'ils entraînent
qui en rendent la lecture moins agréable.
Les Analyfes , les procédés donnent
des idées aux gens du métier , & de l'ennui
à tous les autres.
Peu de Lecteurs ont le courage de
fuivre les grandes Hiftoires : les Differtations
, les Critiques , les recherches
fçavantes font fouvent perdre l'enchaî
nement des faits ; le dégoût s'empare de
l'efprit , on ferme le Livre , on ne fçait
pas l'Hiftoire. Pour obvier à cet inconvénient
, on a imaginé des Abrégés , qui
préfentant la chaîne des évènemens , font
connoître les grandes révolutions , indiquent
les refforts qui les ont amenées ,
& laiffent une idée jufte , mais fimple &
précife , des moeurs & des ufages des
Peuples . Ces Abrégés faits avec art font
précisément la conféquence ou le réfultat
d'un long raifonnement : l'utilité des
grandes Hiftoires n'en eft pas moins
réelle ; fans leur fecours les Abrégés feroient
malfaits , ou n'auroient pas exifté.
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
་
•
C'eft fous ce point de vue qu'on doit
confidérer les Mémoires de M. de Réaumur
, & telle fut fans doute l'idée de M.
Pluche lorfqu'il traça une efquiffe légère
de l'Hiftoire des Infectes .
M. B **, Académicien célèbre , confrère
& ami de M. de Réaumur , a été plus ,
loin ; il a mis au jour 6 Volumes d'un
véritable Abrégé ; je ne crois pas en dire
trop en avançant qu'il a rendu à cette
petite partie de la Phyſique le même fervice
que M. de Fontenelle rendit autrefois
à la partie fyſtématique .
J'ignore pour quelle raifon il paroît
depuis longtemps avoir difcontinué fon
ouvrage : j'ai entrepris de le fuivre fans
me flatter de l'imiter ; mes recherches
font adreffées à la même Clarice pour
laquelle il a écrit fous le nom d'Arifte ,
& je dois avertir comme lui , qu'en dépouillant
l'Auteur des Mémoires , je n'ai
pas craint d'employer fes propres expreffions
lorfqu'elles ont pû fe lier au fil de
ma narration , comme auffi de lui affocier
les faits nouveaux que l'expérience
ou des fources étrangères m'ont fourni.
Il ne me refte plus qu'un mot à dire :
peut-être me reprochera-t- on d'entrete
nir cette fçavante Affemblée d'objets peu
dignes d'elle. Il s'en faut bien que j'enAVRIL.
1759. 151
vifage ainfi le fpectacle de la Nature ,
quel qu'il foit ; mais enfin fi ce reproche
avoit lieu , & que l'on regardât mes recherches
comme au - deffous d'un Académicien
, je répondrois , ainfi que le Chancelier
Bacon , lorfque la Reine Elizabeth
fut le voir dans une petite maifon qu'il
avoit bâtie avant fon élévation : » Pour-
» quoi , ( lui dit la Reine ) avez vous fait
» une fi petite maiſon ? Ce n'eſt pas moi
» qui ai fait ma maifon petite , ( repliqua
t-il ) » c'eſt Votre Majefté qui m'a fait
» trop grand pour ma maifon. »
LETTRE à Clarice.
QUOI ,
Lyon , le io Janvier.
Uo1 , Madame ! c'eft férieufement
que vous m'impofez la loi de continuer
l'Abrégé de l'Hiftoire des Infectes ? Je
me plaignois , comme vous , de ce que
l'élégant Auteur qui l'avoit commencée
pour votre inftruction , fe fût arrêté en fi
beau chemin ; mais plus je croyois mes
regrets fondés , moins j'avois lieu d'imaginer
que ce feroit fur moi que
vous jetteriez les yeux pour continuer
cet ouvrage . Sçavez - vous Madame ,
combien le mêtier de Continuateur eſt
périlleux ? Et quel modèle encore me
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
donnez-vous à fuivre ! Quoiqu'il en foit ,
vous le voulez ; toutes les raifons que je
pourrois alléguer viennent échouer contre
ce mot . Si vous ne trouvez pas en
moi cette clarté , cet agrément , cet heureux
choix de faits qui caractériſent Arifte,
vous compterez pour quelque choſe le
facrifice de mon amour - propre : vous
me lirez avec moins de plaifir , mais vous
ne ferez pas en droit de me blâmer.
Sur cette affurance j'entre en matière :
Vous avez reconnu * dans les chenilles
les inventeurs du vernis & de la foie.
Les teignes aquatiques vous ont donné
des leçons fur la pefanteur des folides
dans l'eau.
L'air & l'eau , que vous aviez toujours
regardés comme des élémens contraires
aux mêmes individus , excepté
pour quelques amphibies , vous ont paru
fucceffivement l'habitation des demoifelles
** , qui paffent la moitié de leur vie
dans l'eau ; & de poiffons qu'elles étoient,
deviennent un infecte allé , un oifeau
qui fend l'air avec impétuofité.
Les coufins vous ont offert en petit le
Précis de la plupart des matières traitées .
dans les fix Volumes de l'Abrégé de l'Hiftoire
des Infectes .
** Libella .
AVRIL. 1759. 153
même fpectacle , & vous ont fait voir
qu'ils nous auroient inftruits à nos dépens
de l'ufage du fyphon , fi nous l'euffions
ignoré.
En découvrant le véritable inftrument
du chant des cigales ; en reconnoiffant
que les mâles feuls en font doués , vous
avez vû que la fotte comparaifon que
l'on fait de votre fexe avec elles , n'avoit
de fondement que le préjugé & la manie
ordinaire de railler ceux à qui l'on eſt
foumis.
La vie de ces mouches voraces , à qui
l'on a donné le nom d'Ichneumon * , &
que l'on peut appeller un peuple de Caraibes
, vivant au milieu des nations policées
, vous a démontré que s'il eft un
fyftême vrai dans la Nature , c'eft un enchaînement
conftant de deftructions &
de renouvellemens , une circulation perpétuelle
, générale & reproductive .
* Les Égyptiens nommoient ainfi le petit quadrupède
qui mange , dit- on , les oeufs des crocodilles
& les fait mourir eux- mêmes en ſe jettant
dans leur gueule . On a donné le même
nom aux mouches dont il eft queſtion , parce
qu'elles détruifent les autres Infectes & ſe nourriffent
d'oeufs d'araignées. Il en eft une petite
efpèce qui venge toute la nation des mouches en
mangeant l'araignée elle- même.
Gv
154
MERCURE
DE FRANCE
.
*
D'autres mouches vous ont enſeigné
qu'elles poffédoient furement avant nous
l'art de carder , de filer , de fabriquer des
étoffes , de bâtir des maifons de terre &
de ciment. Il en eft qui percent le bois
& la pierre avec un feul inftrument fait
fervir de modèle à nos ouvriers.
pour
La reproduction enfin des polipes &
des pucerons vous a appris à vous défier
fagement de tous ces Romans fur la génération
auxquels le génie a plus de part
que le jugement.
En un mot , Clarice , vous n'avez plus
befoin de preuves pour être convaincue
que l'étude des Infectes n'eft pas une
étude de pur amufement. La Méchanique
, la Phyfique , l'Anatomie , les Arts
fe font enrichis des fruits de leurs travaux
ou des faits comparés qu'ils ont fournis.
Les cloportes , les fourmis , les cantarides
, les vers de terre & plufieurs autres,
vous ont prouvé de quelle utilité ils
peuvent être à la fanté des hommes lorfqu'ils
en auront reconnu les propriétés :
& pourquoi refuſeroit- on aux Infectes
l'honneur qu'on accorde avec tant de
raiſon aux Plantes ? Ce font de petits
Chymiftes qui donnant aux fucs qu'ils en
* Bourdons , Abeilles folitaires , Teignes, Mouches
à tanières , &c.
AVRIL 1759. 155
tirent une préparation nouvelle , leur
fourniffent certainement auffi de nouvelles
vertus. Les Obfervations du Naturaliſte
mettront le Médecin fur les voies ,
& inftruiront en même-temps la fociété
des moyens de détruire les Infectes malfaifans
qui l'incommodent.
La Métaphyfique eft le pays des fonges.
Plus on va , plus on s'apperçoit que les
objets vûs en grand ménent à l'erreur ;
nos organes ffoonntt bboorrnnééss par d'étroites
limites ; des faits , des détails , quelques
rapports conviennent mieux à notre foible
vue , ils font feuls pour nous l'appanage
de la vérité , & le tableau des variétés
inépuisables de la Nature eft du moins
un grand fpectacle qui inftruit l'homme ,
qui multiplie fes idées , qui élève fon
imagination , non pour l'égarer , mais
pour lui apprendre à fe connoître & à
s'humilier.
Voilà , Clarice , ce que vous vous êtes
dit cent fois en étudiant la vie , les
moeurs & les ufages de ces petits animaux
qu'un certain préjugé enfanté par
l'orgueil , fait regarder avec dédain. Dans
la vuë de vous confirmer dans ces idées ,
j'ai fait choix d'une famille d'Infectes
que leur utilité doit faire placer à côté
de l'abeille & du ver à foie , & leur fin-
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
gularité à la fuite des pucerons. Ne craignez
pas que je promette plus que je ne
peux tenir ; je m'engage à vous faire connoître
des êtres qui ne produifent leurs
femblables qu'après avoir perdu le mouvement
& pour ainfi dire la vie. Malgré
leur petiteffe , plufieurs d'entr'eux ne femblent
exifter que pour enrichir des états.
Ces Infectes font peu connus , ou plutôt
on ne les prend pas communément
pour ce qu'ils font , la fimplicité de leur
forme eft précisément ce qui la rend
fingulière. Repréfentez-vous une petite
boule collée à une branche d'arbre , conceyez
cette boule de la groffeur d'un
pois , & d'une couleur brune tirant fur le
marron , vous aurez une idée aſſez juſte
de la plus grande partie d'entr'eux.
Leur figure offre cependant quelques
variétés dans les espèces ; cette petite
boule n'eft pas toujours parfaitement
ronde quelquefois vous verrez une demi-
fphère ; cette fphère eft fouvent allongée
; d'autres ont la forme d'un rein ;
plufieurs reffemblent affez à un bateau
renverfé ; quelques - unes enfin ont la
figure d'une des coquilles d'une * Moule.
** Je doute qu'avec les meilleures Obfervations
on parvienne jamais à défigner précisément chaque
efpèce de Gallinfecte par le nom de l'arbre
AVRIL 1759. 157
Quant à la couleur , il en eſt de rougeâtres
, de noires , de jaunes ondées de
brun , & de brunes veinées de blanc :
d'ailleurs ce n'eft jamais que contre les
arbres qu'on rencontre ces animaux ; mais
il en eft peu qui en foient dépourvus : un
feul en nourrit fouvent plufieurs espèces
différentes. Vous fçaurez bientôt pourquoi
les Plantes qui ne réſiſtent pas à
l'hyver , n'en ont jamais.
Les deffeins que je joins à ma Lettre
ferviront à vous faire découvrir ce que
vous avez peut - être regardé cent fois
fans y faire attention : vos Jardiniers ,
>
fur lequel elle fe nourrit . Il feroit à defirer qu'on
pût en ufer ainfi à l'égard de tous les Infectes ,
la Médecine pourroit en tirer avantage , la qualité
des Plantes indiqueroit celle de l'Infecte ; M.
Lynaus a entrepris ce travail dans les dernières
éditions de la Méthode : mais peut- il être exact ?
Al'exception de quelques efpèces conftantes à quelques
Plantes , on en voit fouvent plufieurs mêlées
indifféremment fur la même. Nos ormes nos
pêchers &c. ont fouvent plufieurs Gallinfectes différentes
. L'expérience faite au Jardin du Roi confirme
cette réfléxion , on y a vû des Gallinfectes
du pays fe multiplier fur les arbres étrangers qu'on
y élève , au point de les endommager confidérablement
& l'on voit dans tous les Jardins ces
petits orangers qu'on nomme Chinois, parce qu'ils
viennent originairement de la Chine , couverts
de nos Gallinfectes en forme de batteau rene
verfé.
158 MERCURE DE FRANCE.
fans être fi Philofophes que vous , les ont
plus furement apperçus ; mais comme
le préjugé voit & n'examine pas , ils ont
pris pour des Galles un véritable infecte :
leur erreur eft pardonnable ; plus l'infecte
eft gros ; plus il eft parfait , moins il a
l'air d'avoir vie. De grands * Obfervateurs
n'ont pas mieux vû que ces bonnes gens ,
& c'eft pour fe conformer aux idées reçues
, auffi - bien qu'à une reffemblance
fingulière , que l'Auteur des Mémoires a
imaginé le nom de Gallinfecte. **
Je me bornerai à la vie de celle qui eft
la plus commune ; elle vous donnera une
idée des autres eſpèces , qu'il vous fera
libre d'obferver vous - même : mais permettez
- moi d'ajouter un mot fur celles
dont la fociété éprouve chaque jour l'utilité
je veux répondre par des faits à ces
beaux efprits , qui occupés à produire des
idées ou de grands mots , qui ne rendent
les hommes ni plus heureux ni meilleurs ,
marchent tête levée , & regardent en
pitié du haut de leur amour - propre le
modefte Obfervateur qui , le dos courbé
vers la terre , leur procure par fes re-
**
* M. le Comte de Marfigli.
En Latin Coccum ou Coccus , feptième genre
des hé miptères de M. Lynæus , dans fon fyltême
du règne animal .
AVRIL. 1759. 159
cherches les agrémens de la vie , & les
garantit des infirmités humaines .
Les Gallinfectes dont je vais vous entretenir
font celles qu'on voit fur les pêchers,
je les choifis parce que vous les trouverez
fans fortir de votre Parc .Vous fçavez
que ce n'eft point dans cette trifte faifon
où la Nature tient la nation des Infectes
captive dans l'engourdiffement ou
le fommeil, que l'on doit chercher à obferver
, mais dès que le printemps , en
réchauffant leurs organes , ranimera leur
être , tranfportez- vous vers ces beaux
efpaliers qui bordent votre terraffe ; c'eſt
au milieu de Mai & au commencement
de Juin que les Gallinfectes ont pris
leur accroiffement , & qu'il faut commencer
à les fuivre.
Vous en verrez alors contre l'écorce
de vos pêchers deux eſpèces différentes
une petite noire & rougeâtre , l'autre qui
préfente en petit la figure d'un bateau
renverfé ; arrêtons-nous à celle- ci.
NOTA. Je fuis obligé de renvoyer au Mercure prochain
la fuite de cet excellent morceau. La même
raifon me fait différer de donner au Public un Mémoire
très - bien raisonné fur l'emploi des Troupes
Etrangères .
160 MERCURE DE FRANCE.
EXTRAIT de la Séance publique de la ,
Société Littéraire de Clermont en Auvergne
, du 25. Août 1758 .
MR.
Dalmas ouvrit la Séance par un
Difcours fur l'émulation. M. Queriault lut
enfuite un Mémoire fur les Baromètres ;
Ce Mémoire annonce aux Phyficiens
deux obfervations qui méritent une attention
particulière.
L'Auteur ayant eu des raifons phyfiques
de douter que la hauteur du Mercure
fût la même dans deux Baromètres
de différent diamètre , en a fait conftruire
un toricellien à trois tuyaux , lefquels
font plongés dans le même récipient ,
faits avec les plus grandes précautions
& de diamètres différents dans le rapport
à-peu -près de quatre lignes , à deux &
demi , à deux .
Dans le tuyau le moins gros , le Mercure
s'élève à une ligne au-deffus du
tuyau le plus gros , & le tuyau moyen
donne une hauteur à- peu-près proportionnelle
. 2 ° . M. Queriault a obfervé
les variations dans le gros tuyau précédoient
celles des petits , & s'exécutoient
que
AVRIL 1759.
161
poravec
plus de promptitude : que des vents
violents , auxquels les petits tuyaux paroiffoient
infenfibles , agiffoient fur le
gros , & produifoient des ofcillations d'une
demi-ligne , quelquefois plus grandes.
Pour rendre fes Obfervations plus
exactes , l'Auteur a imaginé de faire
ter le récipient des Baromètres toricelliens
fur un trépié mobile , qui , au moyen
d'une vis , élève le récipient lorfque la
furface du Mercure eft au-deffous de la
ligne de niveau , ( bafe de la graduation
du Baromètre ) & l'abbaiffe lorfqu'elle
eft au-deffus.
La derniere Obfervation du Mémoire
roule fur la comparaison des Baromètres
toricelliens , avec ceux qui font coudés .
Il en a réfulté que le Baromètre coudé
eft toujours plus élevé que le toricellien .
Quelles que foient les caufes de ces
différences , le but du Mémoire eft furtout
de prévoir les inconvéniens des mefures
prifes , obfervations & expériences
qui peuvent être faites avec des Baromètres
de différentes formes ou diamètres ,
lefquels on ne peut regarder comme
comparables .
Ce Mémoire fut fuivi d'une Differtation
fur les principes des connoiffances
humaines de M. l'Abbé Garmage.
162 MERCURE DE FRANCE.
Le fens intime & l'évidence apprennent
à l'homme ce qu'il eft , & lui ouvrent
l'entrée de toutes les Sciences .
Tel eft en deux mots le réſultat de cette
Differtation. C'est par une fuite de Propofitions
, dépendantes les unes des autres
, que l'Auteur parvient à la démonf
tration de cette vérité.
Pour le fuivre dans fes raiſonnemens ,
il faut avec lui fe dépouiller de tous préjugés
, entrer dans cette carrière comme
nud , & denué de toutes connoiffances ;
douter même de fon exiftence ; & par fa
propre incertitude , percer les ténèbres
affreufes qui nous environnent.
C'eft en fortant par gradation de ces
ténèbres , que M. Garmage détruit les
funeftes principes du Matérialifme ; il
confond les Philofophes de cette Secte
par les feules armes de la raifon ; la matière
prend fous fa plume une forme foumife
aux loix d'un fuprême Modérateur ;
fon impuiffance eft démontrée , & l'être
penfant remis en fa place , jouit feul des
prérogatives de l'Immortalité. Il feroit
impoffible de donner une autre idée de
cet Ouvrage fans le copier entièrement :"
l'enchaînement des propofitions ne nous
permet pas de les déplacer .
M. Cortigier termina la féance par un
FEVRIER. 1759. 163
Mémoire pour fervir à l'Hiftoire ancienne
de l'Auvergne.
M. C. traite premièrement de l'origine
des Arvernes ; il établit que c'eſt avec
raifon que ces Peuples fe font regardés
comme defcendus des Troyens : non , à
la vérité de ces Troyens vaincus & fugi- ,
tifs dont les Romains fe glorifioient ,
mais de ces premieres Colonies , qui depuis
le déluge avoient eu en partage la
Phrygie hellefpontique , ou la Troade.
Il prouve par le dixième Chapitre de la
Génefe , que les defcendans ' de Japhet
pafferent de la partie occidentale de
l'Afie dans les Illes des Nations ; & l'on
entend , dit l'Auteur , par ces Illes , les
Pays dont les Côtes font baignées par les
eaux de la Méditerranée : ainfi l'Eſpagne
, les Gaules & l'Italie Y font comprifes.
M. C. regarde comme fauffe & abfurde
l'opinion des Peuples feptentrionaux
, qui voudroient nous perfuader par
des fictions que la population ne s'eft
faite que du nord au fud , & décide que
l'art de la navigation ayant déjà fait des
progrès du temps de Moïfe , c'eft par elle
que fe font faites les migrations des Peu-,
ples Orientaux dans les contrées métidionales
de l'Europe.
L'Auteur donne les étymologies des
164 MERCURE DE FRANCE.
noms Arvernes & Limagne , il s'attache
auffi à prouver que la douceur du climat
& la bonté du fol de l'Auvergne , les
exercices & les travaux de la vie paſtorale
qui y a toujours été très-floriffante ,
font les raifons qui ont fait des Arvernes
un Peuple puiffant & dominant parmi les
Celtes ; il paffe enfuite à l'hiftoire propre
des Arvernes , ou des habitans de la
Gaule Celtique , depuis l'an 160 de la
fondation de Rome jufques au Confulat
de Jules - Céfar dans la Province Romaine.
Il la divife en trois époques , l'établiffement
des Colonies Celtes dans l'Italie
, la Germanie & la Gréce ; les guerres
, le commerce & les alliances de ces
Peuples , la puiffance & les riche ffes des
Rois Auvergnats ; enfin , les progrès des
armes des Romains , les moyens dont ils
fe fervirent pour fubjuguer les Gaules ,
& la réduction de l'Auvergne en Province
Romaine , fous le nom de Gaule
Narbonnoife.
M. C. termine fon Mémoire par la
comparaifon de quelques Médailles du
Cabinet du Roi , où on lit les noms de
certains Rois Auvergnats en caractères
Grecs , avec d'autres monumens authentiques
, & décide qu'elles ont été frappées
dans les Gaules.
AVRIL 1759. 165
PRIX proposé par l'Académie des Sciences
, Belles-Lettres , & Arts de Lyon ,
pour l'année 1760 .
LACADE 'ACADÉMIE des Sciences & Belles-
Lettres de Lyon , réunie avec la Société
Royale des beaux Arts de la même Ville ,
par des Lettres-Patentes du Roi , enregiftrées
au Parlement, fous le titre d'Académie
des Sciences, Belles - Lettres & Arts,
s'empreffe de publier & d'exécuter les
intentions de feu M. Jean- Pierre Chrif
tin , Secrétaire perpétuel de la Société
Royale .
Će généreux Citoyen , également eftimable
par fes talens & par la douceur
de fes moeurs , après avoir donné les preuves
les plus conftantes de fon exactitude à
remplir les devoirs académiques , a voulu
laiffer après lui un monument de fon zéle
pour le bien public , pour l'honneur de
fa Patrie , pour le progrès des Sciences
& des Arts .
Il a fondé , par fon teftament , le prix
annuel d'une Médaille d'or , en faveur
des Savans qui voudront concourir au travail
propofé & jugé par l'Académię.
166 MERCURE DE FRANCE.
{
Les Sujets que cette Compagnie annoncera
chaque année , auront alternativement
pour objet : les Mathématiques , la
Phyfique & les Arts. ,
Conformément à cet ordre prefcrit par
la volonté du Fondateur , l'Académie propofe
,, pour le premier prix de Mathématiques
, qui fera diftribué à la fête de S.
Louis de l'année 1760 , le Sujet fuivant :
Trouver la figure des pales des rames
la plus avantageufe , & déterminer , relativement
à cette figure , la longueur la
plus convenable des rames des Galeres , celle
de leurs parties intérieure & extérieure ,
& la grandeur de leurs pales.
Toutes perfonnes pourront aſpirer à ce
prix. Il n'y aura d'exception que pour
Îes Membres de l'Académie , tels que les
Académiciens ordinaires, & les Vétérans.
Les Affociés réfidant hors de Lyon , auront
la liberté d'y concourir.
3 Ceux qui enverront des Mémoires
font priés de les écrire en François ou
en Latin , & d'une manière lifible.
Les Auteurs mettront une devife à la
tête de leurs Ouvrages . Ils y joindront
un billet cacheté , qui contiendra la même
devife , avec leurs nom demeure
& qualités. La Piéce qui aura remporté
le prix , fera la feule dont le billet fera
ouvert.
>
AVRIL 1759 . 167
On n'admettra point au concours les
Mémoires dont les Auteurs fe feront fait
connoître, directement ou indirectement,
avant la décision.
Les Ouvrages feront adreffés francs de
port à Lyon , chez M. Bollioud- Mermet ,
Secrétaire perpétuel de l'Académie , rue
de l'Arcenal ; ou chez M. le Préfident
de Fleurieu , auffi Secrétaire perpétuel ,
rue Boiffac ; ou chez Aimé Delaroche
Imprimeur de l'Académie , aux halles
de la Grenette ; qui les fera remettre
'entre les mains de MM. les Secrétaires.
Aucun Ouvrage ne fera reçu après le
premier Avril de chaque année. L'Académie
, dans fon Affemblée publique , qui
fuivra immédiatement la Fête de Saint
Louis , proclamera la Piéce qui aura
mérité les fuffrages.
Le prix eft une Médaille d'or , de la
valeur de 300 liv . Elle fera donnée à celui
qui , au jugement de l'Académie , aura
fait le meilleur Mémoire fur le Sujet propofé.
Cette Médaille fera délivrée à l'Auteur
même , qui ſe fera connoître , ou au porteur
d'une procuration de fa part , dreffée
en bonne formę.
168 MERCURE DE FRANCE.
r
ANNONCE de l'Académie des Belles-
Lettres de Marfeille.
LA mauvaiſe fanté de M. de la Viſclede ne lui
permettant pas de remplir les fonctions
de Secrétaire perpétuel de l'Académie
des Belles- Lettres de Marfeille ,
qu'il a exercées pendant plus de trente
ans avec tant de diftinction , l'Académie
a nommé pour fon Survivancier en
cette place M. Dulard , l'un de fes Membres.
Ceux qui écriront fur la Fondation
de Marfeille , Sujet de Pocfie qu'elle
a propofé pour le prix de cette année ,
font avertis d'adreffer leur Ouvrage , port
franc , à M. Dulard Secrétaire perpétuel
de l'Académie de Marfeille, en furvivance ,
rue de la Croix - d'Or. Il enverra fon récépiffé
à l'adreffe qui lui fera indiquée ,
ou il le remettra à la perfonne domici--
liée à Marseille qui lui préfentera l'Ouvrage
, qui doit être un Poëme à rimes
plates de cent vers au moins , & de
cent cinquante au plus .
PRIX
AVRIL, 1759. 169
PRIX proposé par l'Académie Royale
des Sciences & Belles -Lettres de Pruffe ,
pour l'année 1760 .
LEE Prix qui devoit être adjugé le 31
Mai 1758 , étoit celui de la Claffe de
Mathématique , fur la Queſtion énoncée
en ces termes :
Si la vérité des Principes de la Statique
& de la Méchanique eft néceffaire ou
contingente ?
Les Pièces qui ont été envoyées au
concours n'ayant pas fatisfait aux intentions
de l'Académie , le Prix a été renvoyé
à l'année 1760 , & les Pièces feront
reçues jufqu'au premier Janvier de ladite
année ; pendant lequel efpace de temps
on pourra envoyer de nouveaux Mémoires
, ou donner à ceux qui ont déjà été
envoyés un plus grand degré de perfection.
Il y avoit encore un Prix réservé pour
1758 , c'étoit celui de la Claffe de Belles-
Lettres , qui avoit pour objet les Monnoies
de Brandebourg. Comme on n'a
rien reçu non plus , magré ce délai , qui
I.Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
fût digne d'être couronné , l'Académie
abandonne cette Queſtion ; & la Claffe
de Belles- Lettres , qui doit préfentement
en propofer une nouvelle, en fubftitue une
autre , qui comprend les Chefs fuivant. "
Il s'agit,
1. De mettre dans un plus grand jour
que perfonne ne l'a encore fait , l'hiftoire
géographique des anciens Cantons de Brandebourg
, qu'on appelle dans la Langue du
moyen âge, Pagi , & en Allemand , Gauen.
de
2. De déterminer quelle a été la véritable
étendue de la Marche de Brandebourg fous
les Marggraves des Maifons d'Anhalt ,
Baviere , & de Luxembourg ? Quelles Provinces
ont été compriſes fous ce nom ? Quels
autres pays les Marggraves ont poffédé ?
Et quels Etats y ont appartenu à titre de
fiefs ? Ilfaudra éclaircir les noms que les
différentes Provinces du Brandebourg ont
porté pendant cet espace de tems , & les
variations qui font arrivées à cet égard.
Enfin on déterminera l'origine , l'époque ,
& l'occafion de la dénomination préfente
de toutes les Provinces qui compofent l'Etectorat
de Brandebourg.
3. On fera voir , tant par l'ancienne
grandeur de la Marche de Brandebourg ,
que par d'autres traits remarquables tirés
de l'Hiftoire de ce pays , que les anciens
AVRIL. 1759. ISI
Marggraves de Brandebourg ont de tout
tems joué un rôle des plus diftingués parmi
les Puiffances de l'Europe , furtout
parmi celles du Nord .
De quelque étendue que puiffent paroître
ces Queſtions, il ne fera pourtant pas difficile
de les refferrer dans les bornes d'une
Differtation Académique, pourvû que ceux
qui travailleront pour le Prix , fe donnent
la peine de répondre avec préciſion aux
Queſtions propofées , d'écarter tout ce qui
n'y appartient pas effentiellement , & de
ne rien avancer qui ne foit fondé fur des
Monumens dignes de foi , fans fe livrer
trop aux conjectures , ou ſe fier à des Auteurs
fujets à caution.
On invite des Savans de tout Pays , excepté
les Membres ordinaires de l'Académie
, à travailler fur cette Queſtion. Le
Prix , qui confifte en une Médaille d'or
du poids de cinquante Ducats , fera donné
à celui qui au jugement de l'Académie ,
aura le mieux réuffi . Les Piéces écrites
d'un caractère lifible feront adreffées à M.
le Profeffeur Formey , Secrétaire perpétuel
de l'Académie.
Le terme pour les recevoir eft fixé juſqu'au
1 Janvier 1760. après quoi on n'en
recevra abfolument aucune , quelque rai-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
fon de retardement qui puiffe être alle
guée en fa faveur.
On prie auffi les Auteurs de ne point
fe nommer , mais de mettre fimplement
une Devife , à laquelle ils joindront un Billet
cacheté qui contiendra avec la Devife
, leur Nom & leur demeure.
Le Jugement de l'Académie fera déclaré
dans l'Affemblée publique du 31 de Mai
1760.
On a été averti par le Programme de
l'année précédente que le Prix de la Claffe
de Philofophie Spéculative qui fera adjugé
le 31 Mai 1759. & pour lequel les Piéces
feront reçues jufqu'au 1 de Janvier de la
même année , concerne la Queſtion fuivante.
Quelle eft l'influence réciproque des Opinions
du Peuple fur le Langage , & du
Langage fur les Opinions ?
Il s'agit de faire voir par un nombre
d'Exemples choifis :
1. Combien il y a dans les Langues de
tours & d'expreffions bizarres , nés manifeftement
de telles ou telles Opinions reçues
chez les Peuples où ces Langues fe
font formées : ce premier point feroit le
plus facile.
2. L'effentiel feroit de montrer dans
certains tours de phrafe propres à chaque
Langue , dans certaines expreffions , &
AVRIL 1759. 173
jufques dans les racines de certains mots ,
les germes de telles ou telles Erreurs , ou
les obftacles à recevoir telles ou telles Vérités.
De ce double point de vue naîtroient
des réfléxions fort importantes. Après
avoir rendu fenfible , comment un tour
d'efprit produit une Langue , laquelle Langue
donne enfuite à l'efprit un tour plus
ou moins favorable aux idées.vrayes , on
pourroit rechercher les moyens les plus
pratiquables de remédier aux inconvéniens
des Langues.
Il reste encore le Prix de la Claffe de Philofophie
Expérimentale , renvoyé auſſi à
l'année 1759. fur la Queſtion énoncée en
ces termes. Déterminer, fil' Arfenic quife
trouve en grande quantité dans les Mines
métalliques de divers genres eft le véritable
principe des Métaux , ou bien , fi c'est une
fubftance qui en naiffe & en forte par voye
d'excrétion: Ce qu'ilfaut établirpar des Expériences
folides &fuffifamment réitérées .
Les Piéces feront reçues au concours
jufqu'au 1 de Janvier 1759 .
Nota. Dans la Lettre que M. Formey Secrétaire
de cette Académie m'a fait l'honneur de m'écrire
, il dément les Journaux qui lui ont attribué
le Livre intitulé l'Encyclopédie portative. J'aurois
inféré ici certe Lettre , fi elle avoit été moins flatreuſe
pour moi & moins humiliante pour d'autres.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE IV.
ARTS A GREABLES.
SCULPTURE.
RÉFLEXIONS
SUR LA SCULPTUR E.
Lues à l'Académie Royale de Peinture &
de Sculpture le 3 Février 1759 .
ON eft dans l'habitude de donner le
nom de Soeurs à la Peinture & à la Sculpture
: cette façon de parler me paroît
jufte quand elle eft prife en général ; mais
les rapports & les reffemblances qu'elles
préfentent aux yeux du Public, s'éloignent
confidérablement quand on les examine
avec réfléxion , & qu'on les regarde avec
les yeux de l'Art. Plufieurs Amateurs des
Arts m'ont paru furpris de ce qu'on n'a
prefque point écrit fur la Sculpture, tandis
que le plus petit Poëte & le plus médiocre
Auteur fe croit en état de décider fouverainement
du mérite des Peintres , &
AVRIL. 1759. 174
de parler de toutes les parties de la Peinture
: les raifons d'un filence fi profond ,
& d'un tel excès de réfléxions prétendues ,
fe trouvent dans l'effence des deux Arts :
je vais en donner une idée générale .
La Peinture frappe plus les fens , & le
fecours de la couleur lui donne le moyen
d'être plus approchée de la Nature ; nonfeulement
les richeffes & fon éclat la
répandent davantage dans le monde &
la font accueillir , mais les moyens géné
raux de fon exécution font fi familiers &
fi connus , que tous les hommes la regardent
comme une propriété. Ce n'eft pas cependant
fous ce point de vue, & dans cet
efprit qu'elle eft faite pour tout le monde .
La Sculpture plus renfermée dans fes
atteliers , moins en vue , plus difficile à
mouvoir, plus lente dans fes opérations ,
& moins étendue dans fes compofitions ,
non feulement racourcit & refferre , mais
obfcurcit la carrière toujours ouverte , par
rapport à la Peinture , aux efprits légers ,
aux petites têtes , enfin à nos Juges à la
mode : La facilité de parler , & le filence
font donc dépendans de la nature de cha
cun de ces Arts.
J'ai d'autant plus balancé à communi→
quer ces idées fur la Peinture , & fur la
Sculpture ,
, que ceux qui les pratiquent ,
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
,
femblent ne vouloir connoître que le
travail & l'exécution , dont les moyens
tranfmis du Maître à l'Elève font adoptés
dans l'école à dire le vrai , c'eſt une
efpéce de routine qui peut avoir un
avantage pour les hommes médiocres
& dont l'habitude favorife la pareffe ; mais
cette routine & le chemin frayé font
non feulement ennemis du grand ; mais
conduifent les Artiftes à méprifer la théorie
& à s'oppofer , généralement parlant ,
aux réfléxions que les Gens de Lettres peuvent
leur communiquer. Ce préjugé , la
fource du plus grand malheur desArts,n'eft
cependant qu'une prévention , abfolument
fauffe dans fon principe , & n'eft à proprement
parler qu'un mal entendu.
La plus légére réfléxion fait fentir que
la théorie d'un Art fert toujours à la perfeetion
de fa pratique , & les Artiſtes euxmêmes
prouvent tous les jours que ces
parties font inféparables : en effet ceux
dont les talens font fupérieurs , ne jouiroient
pas de la prééminence qu'on leur
accorde , fans l'union des parties effentielles
de la théorie , à la beauté du cifeau ,
à la perfection du trait , & à la grandeur
des idées. Je conviendrai qu'ils ne raifonneront
point avec méthode fur leur Art ,
qu'ils n'en écriront point avec ordre , auffi
n'eft- ce pas ce qu'on doit leur demander ;
AVRIL 1759. 177
mais ils en parleront avec jufteffe , avec
chaleur ; en un mot ils feront lumineux.
Auroient-ils ces avantages fi cette théorie
qu'ils méprifent , n'étoit intérieurement
placée dans leur tête: Elle s'y trouve; mais
à la vérité liée & confondue avec ce qu'ils
appellent leur pratique : on peut en être
d'autant plus affuré , que la théorie n'eſt
autre chofe que la raifon de l'Art , & que
les Artiftes fans s'en douter inettent cette
raifon continuellement en ufage : en effet
ils l'oppofent fans ceffe , foit aux critiques
que l'on peut faire de leurs productions ,
foit à celles que méritent à leurs yeux
les ouvrages de l'antique ou du moderne.
Pour faire mieux comprendre la Sculpture
aux gens du monde , qui n'ont aucune notion
des moyens de l'efprit & de la main
néceffaires à fes opérations , je crois qu'il
eft bon de comparer toutes fes parties
avec celles de la Peinture , d'indiquer les
portions qui leur font communes , &
qui établiffent leur fraternité ; enfin , de
préfenter la facilité & la difficulté qu'éprouvent
les uns ou les autres Artiftes :
cet arrangement me paroît le plus fimple
& le plus capable de faire connoître la
différence réelle de ces deux Arts.
Leur pere commun eft le génie , cette
portion de la Divinité impoffible à mé-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
connoître , plus impoffible à définir , qut
perce , qui produit , qui éclaire , qui crée,
& ne peut être confondue avec aucune
partie de l'efprit.
Cet agent univerfel plane également
fur les deux atteliers , & répand plus ou
moins d'étincelles qui s'échappent de fa
tête lumineufe ; heureux les Artiſtes affez
prompts pour les faifir , & affez recueillis
pour les placer convenablement !
L'imitation de la Nature eft conftamment
l'eſſence , la baſe , la propriété ,
enfin la mere commune de ces deux
Arts ; mais l'imitation feule ne produit
que des glaces ; elle n'eft qu'une efclave
fi le génie ceffe de l'accompagner ; c'est
lui qui fournit les grands moyens qui
conduisent à l'expreffion ; c'eft à lui que
l'on doit cette pénétration de l'objet ,
ce tranfport jufte & précis dont l'ame eft
affectée , & qui ſe réfléchit fur l'action.
La Peinture & la Sculpture ont un
befoin égal de recevoir les fecours d'un
Pere & d'une Mere auxquels elles doivent
l'existence , ou plutôt la reproduction
de chaque inftant de leur être cependant
loin de départir leurs dons à leurs.
filles chéries par les mêmes voies , le génie
& l'imitation les foumettent non feulement
à leur objet particulier , mais aux
AVRIL. 17598 17
moyens qui peuvent exalter la magnificence
de leurs fources , & faire naître
une admiration qui doit être rapportée à
fon principe
.
Un autre objet plus digne de ces effences
divines eft celui de tranfmettre à la
poftérité les grands exemples de morale
& d'héroïfme. Les hommes véritablement
fages & véritablement héros , n'ont peutêtre
pas eu befoin d'être encouragés par
les récompenfes honorables que les Arts
diftribuent ; mais ceux qui leur ont fuccédé
ont été conduits & échauffés par ce
payement de leurs bonnes actions ; ainfi
l'on peut dire que les monumens de l'Antiquité
ont été fouvent la fource des plus
grandes vertus ; car il eft conftant que
les exemples vivans ou trop voifins ne
font pas fur les hommes la même impreffion
que les ouvrages de Sculpture an
ciennement élevés à la vertu & à la
gloire : ceux-ci ne préfentent que l'exem
ple ifolé & dégagé de tous les défauts qui
pouvoient les obfcurcir ; les autres , c'eſtà-
dire , les modèles vivans ou trop voifins
, perdent leur éclat , & leur valeur eft
diminuée par l'amour - propre des hommes
, qui n'aiment point à être furpaflés
par leurs contemporains , & qui reçoi
vent les impreffious perfonnelles , les
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
idćes nationales , enfin tous les préjugés
qui font naître des préventions dont l'efprit
fe garantit avec peine. Conféquemment
à ces idées , les Arts doivent puifer
dans l'Antiquité les exemples néceffaires
à la foibleffe humaine.
J'efpere que vous me pardonnerez
d'autant plus cette digreffion , qu'il s'agit
ici d'examiner le mérite d'un Art que les
hommes ont chargé de tranfmettre à la
poftérité la grandeur des vertus & la
puiffance des Empires. Je reviens au détail
commencé.
La Peinture poffède de grands moyens
pour fe faire lire ; le fecours des deux
perfpectives , locale & aërienne , la
multiplicité des plans , la convenance
dans le fite , la facilité des acceffoires ,
l'inftant de tous les mouvemens , toutes
les pofitions réelles & imaginaires ; enfin
la couleur des objets. Quelle eft la
borne de tous ces avantages quand ils font
conduits par le génie ? Cet examen ne
conviendroit pas ici ; je ne fais cette légere
énumération que pour vous faire fentir
toutes les privations dont la Sculpture
eft accablée.
Elle ne peut exprimer que des figures
tenant fi bien à la terre, qu'elle eft obligée
de recourir prefque toujours à des appuis
AVRIL 1759.
181
capables de foutenir les jambes , & de les
mettre en état de réfifter à la pefanteur du
corps ; ce que je dis à cette occafion ne
regarde que les figures feules , & que la
Sculpture traite le plus ordinairement. Il
eft vrai qu'elle préfente auffi des groupes ;
mais en général le nombre des figures dont
ils font compofés , eft très -borné ; car il
eft rare d'en trouver , comme Pline en
décrit quelques -uns , plus étendus encore
que celui de Dircé , que nous appellons
le Taureau Farnèfe , ou femblables aux
bains d'Apollon que l'on voit à Verfailles.
Les bas-reliefs fourniffent à la Sculp
ture plufieurs des parties dont la Peinture
profite à fon gré ; ils lui donnent les
moyens de repréſenter une indication
de fite , de multiplications de plans , &
conféquemment de perfpective. Le basrelief
a de plus l'avantage de foumettre
le Spectateur au jour & au point de vuë
pour lefquels le Sculpteur l'a compofé.
J'ajouterai que femblable au Peintre , il
n'a qu'une furface à décorer ; qu'il peut
exprimer des actions variées à fa volonté,
& difpofer à fon choix de toutes les pofitions
de la Nature & de la fiction ; malgré
cette augmentation de fecours , chaque
Art étant renfermé dans les bornes
182 MERCURE DE FRANCE.
que fon effence lui prefcrit , ce genre
d'ouvrage eft à plufieurs égards tou
jours inférieur à la Peinture , & les basreliefs
laiffent fouvent à defirer , même
fans les comparer à des tableaux ; car il
eft certain qu'ils ont de grandes difficul
tés , & que l'on n'a pas toujours occa→
fion de dire en les voyant : cela est bien
entendu de bas- relief. Leur exécution demande
donc une intelligence particu
lière.
Après avoir furmonté la difficulté d'ap
puyer la figure , c'eft- à-dire , avoir trouvé
ce moyen fans faire tort à l'action, fans
qu'il paroiffe ni forcé ni poftiche , la Sculpture
eft obligée de trouver une pofition
heureuſe de tous les fens , & quiconque
n'a pas réfléchi fur cette difficulté , ne
conçoit pas la quantité de foins , & de
recherches néceffaires pour trouver le balancement
jufte & agréable pour toutes
les parties , pour tous les points de vuë.
On ne doit point oublier que la Peinture
ne travaille que pour unfeul afpect.
Les parties plus ifolées , & principalement
les bras ne contredifent pas moins
le Sculpteur , il doit avoir les raifons de
foutien & de folidité toujours préfentes à
Pefprit , elles font d'une fi grande néceffité
pour l'exécution , que pour ne pas
AVRIL. 1759.
183
s'en écarter il eft fouvent obligé de fe refufer
la plus heureufe expreffion . Quelle
contrainte dans la compofition ! Et de
quelles pefantes chaînes le génie fe trouve
accablé !
Les acceffoires concourent à l'action ,
& fervent à la faire connoître, leur fecours
eft d'une très-grande reffource pour les
Arts , l'éloquence même en fait ufage ,
car une épithète me paroît un acceffoire ,
ou fi l'on veut un attribut : le Peintre ne
doit craindre que d'en abufer, tandis que le
Sculpteur renfermé dans des bornes trèsétroites
, ne peut employer que des attri
buts fouvent fort généraux, puifqu'ils conviennent
quelquefois à plufieurs figures, &
qu'il ne peut les placer que fur les vêtemens,
fur la tête , dans les mains , & quelquefois
fur l'appui dont il a été queſtion.
Je ne parle point de la convenance des
pofitions par rapport à l'âge , & au caractère
, non plus que de la correction
du trait , des détails intérieurs , des attachemens
, & des émanchemens ; ces parties
font néceffaires à la Sculpture , comme
à la Peinture , mais cette dernière
n'ayant qu'une face , ou qu'un point de
vue à repréfenter , éprouve d'autant plus
de facilité , que fi le Peintre s'apperçoir
de quelqu'erreur , ou de quelque degré
184 MERCURE DE FRANCE.
de perfection qu'il peut ajouter , il eft
le maître d'effacer , de refaire , & de retoucher
le Sculpteur au contraire eſt
privé de cet avantage , il ne peut revenir
fur lui-même , dès l'inftant que fon
marbre eft dégroffi ; je paffe même fous
filence les contraintes que les dimenfions
du bloc lui ont fouvent occafionnées
pour y trouver la figure . Ces contraintes
ne font point les feules que cet Art éprouve
; la Peinture choifit celui des trois jours
qui peuvent éclairer une furface; la Sculpture
eft à l'abri du choix , elle les a tous ,
& cette abondance n'eft pour elle qu'une
multiplicité d'étude & d'embarras , car
elle eft obligée de confidérer & de
penfer toutes les parties de fa figure , &
de les travailler en conféquence ; c'eft
elle -même en quelque façon qui s'éclaire ,
c'eft fa compofition qui lui donne fes
jours , & qui diftribue fes lumières ; à
cet égard le Sculpteur eft plus créateur
que le Peintre mais cette vanité n'eft
fatisfaite qu'aux dépens de beaucoup de
réfléxions & de fatigues , tandis que le
Peintre a toutes les oppofitions de la
couleur , les accidens & les effets de toute
la Nature à fon commandement ,
produire l'accord & l'harmonie ; parties
qui concourent le plus à l'agrément, c'eſtpour
AVRIL. 1759 .
185
à- dire aux charmes de la vue. Tel n'eft
point le Sculpteur , il n'a pour lui que
le fçavoir & la fonte de fon cifeau , comme
le Peintre a celle de fon pinceau. L'imitation
de la chair eft l'objet & le principe
de ce travail , la chair mérite toute
l'attention de ces deux Arts , puiſqu'il
n'y a point de partie plus apparente , &
dont le fpectateur foit plus affecté ; elle
doit principalement fe faire fentir fur les
mufcles , qu'elle recouvre fans diminuer
leur jeu ni leur faillie , fans altérer ni
leur force , ni leur place ; mais quelle
différence dans les moyens d'exprimer
cette chair ? Le Sculpteur doit en chercher
les exemples dans les plus beaux
Ouvrages des Grecs , ils ont feuls donné
le modèle des profondes connoiffances
& de l'exécution fublime du cifeau : ils
mettoient toute leur confiance dans la
jufteffe & dans la beauté de leur travail
, & ne cherchoient point à furprendre
l'admiration par un contrafte dans les
pofitions ; la recherche de leur Art confiftoit
à le cacher profondément. Il feroit
à defirer que les Auteurs anciens euffent
fait quelque mention de leur manière
d'étudier , il eft conftant qu'elle doit
avoir été différente de la nôtre , car les
modernes , ceux mêmes qui ont le plus
186 MERCURE DE FRANCE.
copié , & qui ont été le plus pénétrés
d'admiration pour les Sculpteurs Grecs ,
n'ont jamais faifi ni leur ftyle , ni leur
faire. Nous voyons feulement par les
récits de Pline , que loin de négliger la
théorie , ils réfléchiffoient beaucoup fur
leur Art. Le grand nombre d'Artiſtes
dont il parle comme ayant écrit profondément
fur cette matière , ne permet
pas de leur refufer ces connoiffances.
Je reviens aux moyens que le Peintre
peut avoir pour exprimer la chair ; il lui
eft facile d'empâter fon ouvrage , & fans
parler des demi-teintes , de le foutenir
par des ombres larges , il peut aisément
le réveiller par des coups
de force dont
on lui fçait d'autant plus de gré , qu'ils
produifent une oppofition agréable &
un contrafte heureux avec cette même
chair , tandis que le Sculpteur ne peut
produire le même effet que par le plus
grand & le plus jufte terminé , fans avoir
pour lui aucun de ces hazards que la
chaleur & la fougue produifent quelquefois
fur un tableau , comme le feu & la
vivacité de l'imagination font naître un
bon mot que l'efprit & la réfléxion n'ont
jamais pu prévoir ; ces mêmes difficultés
fe trouvent dans la néceffité de cacher la
peine & le travail , obligation effentielle
AVRIL 1759. 187
dans toutes les opérations de l'efprit .
Quand les études du Peintre font arrê
tées , il peut fe livrer à fon feu , & fe
promener fur toutes les parties de fon
tableau ; il recouvre , il éteint, il rehaufle ;
le Sculpteur , avec un outil mordant qui
n'agit qu'à chaque fois qu'il eft frappé ,
& fans pouvoir remettre la matière qu'il
a emporté , ne peut arriver à l'accord
que par une attention lente & par un
favoir exact foumis à l'idée de l'enfemble
& de la totalité , qu'il doit avoir continuellement
préfens à l'efprit , fans pouvoir
l'abandonner , ni s'en diftraire un
inftant , depuis l'extrémité des pieds juſ
qu'à celle des cheveux. Que de coups de
cifeau correfpondans faut-il donner pour
faire agir & pour rendre fublime un ou
vrage de Sculpture ?
Les deux Arts doivent apporter une
grande attention à la manière de traiter
les draperies. On pourroit faire une longue
differtation fur les abus de ce genre ;
mais la Sculpture exige à cet égard encore
plus de foins que la Peinture. Le Bernin ,
dont les talens font recommandables ,
leur a donné beaucoup d'ampleur & de
mouvement : cette nouveauté eu des
fuites très - dangereufes. Pour éviter les
difficultés du nud , on s'eft livré en abu188
MERCURE DE FRANCE.
fant du Bernin , à l'excès des étoffes ; on
a oublié qu'elles doivent toujours rappeller
l'idée & la forme des principales
parties qu'elles recouvrent ; on n'a plus
penfé qu'à elles ; on les a regardées comme
l'objet principal : enfin d'abus en
abus , on eft parvenu en Italie comme
en France à les traiter avec une multiplicité
de gros plis & de mouvemens que
la Nature n'a jamais montrés ; auffi le
plus fouvent on les compofe féparément
avec curiofité , & fouvent contre l'effet
naturel du poids & du mouvement de
la figure qu'elles habillent ; ce qui n'eſt
point étonnant , puifqu'on les pofe fur le
mannequin , & qu'on les ajuſte à fa volonté.
Les Anciens font nos maîtres encore
dans cette partie : ce n'eft point par
ignorance , ni par pareffe qu'ils ont fait
choix de ce qu'on appelle improprement
draperies mouillées , mais les habillemens
qu'ils ont repréfentés étant compofés
de gazes , de toiles de coton , ou pour
mieux dire , de mouffelines , confervoient
le nud, & faifoient fentir tous les mouvemens
du corps d'une façon fi agréable que
l'oeil en étoit toujours fatisfait , & que la
Nature y gagnoit à de certains égards du
côté de la volupté.
AVRIL. 1759. 189
Il n'eft pas néceffaire de vous dire que
cette propofition ne peut être générale ,
& que la Religion exigeant une grande
modeftie , les figures qui en font dépen
dantes , ne peuvent laiffer voir beaucoup
de nud ; mais feroit- il impoffible de les
habiller avec des étoffes moins épaiffes ,
moins amples & moins chargées de grands
plis ? Quant à celles que nous empruntons
de la Fable , nous avons trop de raifons
pour fuivre les exemples que les Anciens
nous ont donnés.
On ne doit point alléguer pour l'avantage
du Sculpteur la facilité de mouler
les parties: fans entrer dans un détail dont
la Peinture peut également profiter , il
réfulteroit de cette opération , fi elle étoit
auffi certaine qu'on fe le perfuade par la
raifon que l'on n'eft pas au fait de l'Art ,
il réfulteroit, dis-je , que toutes les Statues
feroient bonnes parce qu'il n'y a point
de parties qu'on ne puiffe mouler , & copier
au compas ; cependant le contraire
n'eft que trop démontré : en effet non
feulement la Nature préfente quelquefois
des imperfections , mais toutes les parties
choifies & moulées ne fe r'accordent point
entre-elles , il faut au moins fuppléer les
jonctions ; de plus le caractère d'une partie
moulée eft ordinairement froid , af-
1
f
190 MERCURE DE FRANCE.
faiffe & ne convient point au Sujet entrepris
, enfin les proportions font différentes
. Cependant il ne faut pas croire
que cette facilité du monle n'ait fervi quelquefois
à des Sculpteurs ignorans , mais
il fera toujours facile de diftinguer le parti
qu'ils en ont tiré : la Nature perce ,
& du moment qu'il peut l'appercevoir
l'ail eft frappé du bon ou du mauvais
ufage qu'on en a fait. Ainfi l'on peut dire
en général qu'en fuppofant un degré égal
de médiocrité , le Sculpteur par le fecours
du moule paroîtra fupérieur au Peintre
quand ils voudront travailler de génie
l'un & l'autre. .
On croit affez généralement que les
couleurs vrayes placées fur un ouvrage de
fculpture doivent produire la plus parfaite
imitation : cet ufage pratiqué dans
les tems barbares de l'Antiquité , s'eft confervé
dans toute l'Europe jufqu'au renouvellement
des Arts ; on voit même encore
dans nos Villages plufieurs Statues de SS.
exactement barbouillées de différentes
couleurs: les fens groffiers de nos Payfans
font frappés de cet alliage , & c'eft le feul
parti qu'on puiffe en retirer , car je puis
affurer que quand Apelles & Lyfippe auroient
réuni leurs talens fur la même Statuë
, ils n'auroient rien produit d'agréaAVRIL.
1759. 191
ble , ni de fatisfaifant ; les deux Arts que
ces grands hommes ont illuftrés , perdent
également de leurs avantages en réunif
fant leurs moyens , & rien ne prouve autant
leur difference réelle que le produit
de leur affemblage.
La couleur placée fur une Statuë ne
produit , ni ne préfente aucun paffage :
les détails de la figure deviennent fixes ,
& immobiles ; & quoique phyfiquement
parlant , ils ne puiſſent être autrement ,
le pinceau & le cifeau produifent des
illufions , font penfer & imaginer le
mouvement qui convient à chaque partie,
& préfentent plufieurs détails des paffions
qu'ils ont faifis , & pris pour ainfi dire
à la volće .
L'examen d'une draperie me fervira de
comparaifon , & peut donner une idée de
la maniere dont cette opération de la
couleur détruit l'expreffion fine & délicate
des paffions. Je fuppofe cette draperie volante
, le Peintre fera fentir dans fon tableau
, ou fa légereté , ou la force du vent ,
ou celle de l'action. La Draperie du même
genre fera repréfentée par la Sculpture
beaucoup moins étendue , mais il fuffit
qu'elle puiffe paroître en l'air , dès l'inf
tant qu'elle aura été couverte de couleur ,
elle deviendra lourde , fes plis tres-beaux
pour
la Sculpture deviendront chargés , le
1
192 MERCURE DE FRANCE.
contour privé d'une oppofition , telle que
le Peintre la donne à fon gré dans un
tableau , deviendra de la plus grande pefanteur
, ainfi que tous les détails de fa
maffe ; d'ailleurs la faillie des parties traitées
en Sculpture , ne peut produire que
des effets durs & cruds , car la couleur
privée de ruption , de fonte & de fufpenfon
ne peut convenir à tous les afpects
d'une figure de ronde boffe , & l'ouvrage
fe trouvera néceffairement privé de toute
efpéce d'accord ; dès-lors on ne peut plus
le regarder que comme un affemblage
de maffes fans aucune liaiſon générale ,
ou particuliere.
Ainfi chacun de ces Arts demeurant
dans les bornes prefcrites par la Nature ,
doit s'attacher à les avantages , & furmonterfes
foibleffes par les fecours quelles fe
prêtent l'une à l'autre. La Peinture malgré
l'abondance, & la grandeur de fes moyens,
cherche toujours à produire le relief , &
par conféquent à imiter la Sculpture ;
celle-ci foumife à des matieres folides ,
ne peut être fufceptible d'accord & d'oppofitions
que par la variété du travail de
fon cifeau , & par le plus ou le moins de
prononcé dans les ombres ; elle ne peut
tirer cet accord que d'elle-même , où ce
qui eft abfolument femblable , que de la
couleur
AVRIL 1759. 19
Couleur unique de fa matière : pour plaire
& fe rendre recommandable , elle cherche
la fonte & l'accord de la peinture ;
elles fe prêtent donc mutuellement des
fecours, & en ce cas elles font foeurs ; mais
différentes dans leurs moyens pour arriver
au même but , elles ne peuvent fe
réunir.
Il réfulte de ces réflexions , fondées
fur l'effence & fur le détail de ces deux
Arts , que le Sculpteur ayant moins de
fecours , paroît avoir plus de mérite ,
quand il arrête & qu'il étonne le fpectateur
, pour lui faire fentir toute la grandeur
d'une action ; mais auffi que le fpectateur
a beſoin d'un plus grand nombre
de lumières pour le juger , & que par
conféquent la Peinture , plus à la portée
de tous les hommes & flattant davantage
leur pareffe , doit avoir plus d'amis & plus
de partifans.
M..
MUSIQUE.
LE FEBVRE , Organiſte de S. Louis en
l'Ifle , vient de donner au Public une Cantate nouvelle
, qui a pour titre , Athalante & Hippomène ,
à deux voix pour un deffus & une baffe- taille
avec fymphonie. Prix 3 liv . 12 f. Chez l'Auteur
Quai de Bourbon, Ile Saint-Louis; & aux adreffes
ordinaires.
I, Vol, I
194 MERCURE DE FRANCE.
A M. Blainville vient de donner au Public les
fecondes Leçons de ténèbres de chaque jour de la
@maine-fainte , avec accompagnement de violoncelle
ou d'orgue , dédiées à Madame la Mar
quife d'Arpajon. L'Auteur s'eft attaché , autant
qu'il lui a été poffible , à la beauté du chant & à
la vérité de l'expreffion , à varier les morceaux ,
& à les rendre favorables à la voix , fans qu'on
ait à fe plaindre de la difficulté , ni de la longueur,
On les trouve aux adreffes ordinaires .
Angelique , ou les Bergeries de Nerville , Cantatille
nouvelle , à voix feule de deffus ou de ·
haute-contre , avec fymphonie. Par M. le Chevavalier
d'Herbain. Partition & Parties féparées
Prix 3 livres.
Le Papillon , Ariette nouvelle , à voix feule de
deffus , avec deux violons & deux violoncelles.
Par M. le Chevalier d'Herbain. Prix 1 liv. 4 f
A Paris , chez Mlle. Vendôme , Graveufe de Mufique
, rue St. Jacques , vis- à-vis de celle de la
Parcheminerie. Chez Bayard , à la Règle d'Or
rue St. Honoré. Chez M. la Chevardiere , à la
Croix d'Or , rue du Roule , Mads . Caftagneri ,
la Mufique Royale , rue des Prouvaires , M. Le
menu , à la Clef d'or , rue du Roule
GRAVURE.
PLAN de la Ville de Bordeaux , dans lequel
on a obfervé les différens accroiffemens que cette
Ville a reçus juſqu'à ce fiècle ; avec un précis
géographique & hiftorique fur tous les objets intéreffans:
dédié & préfenté à M. de Tourny
Confeiller d'Etat : Feuille grand - Aigle. Par F,
AVRIL 1759. T95
Latte , Graveur , rue Saint- Jacques , au coin de
celle de la Parcheminerie: à la Ville de Bordeaux.
Prix livres.
3
Le fieur Chenu , Graveur , dont j'ai annoncé
trois Eftanpes , l'Apparition de l' Ange , le Vieillard
& fes Enfans , & la Vue du Château Saint-
Ange , dans le fecond Mercure de Janvier , demeure
rue de la Harpe , vis-à-vis le Caffé de
Condé.
LE
GEOGRAPHIE.
E fieur Robert de Vaugondy , Géographe
ordinaire du Roi , & de S. M. Polonoife , Duc de
Lorraine & de Bar , vient de mettre au jour une
Carte des Gouvernemens de Languedoc , Foix &
Rouffillon , en une feuille très- détaillée , de même
échelle que celles de la Normandie & de la Bretagne
, qu'il a publiées l'année pafflée , & accom
pagnée d'une Table Synoptique de la divifion
du Pays. Elle fe vend dans la maifon de M. Robert
, Géographe ordinaire du Roi , Quai de
I'Horloge du Palais , près le Pont- neuf.
Quoique l'Auteur doive publier dans peu d'au
tres ouvrages dans le même genre, il ne fe concentre
pas tant dans les opérations du Cabinet ,
qu'il ne trouve le tems d'enfeigner les Mathéma
tiques & la Géographie ; c'eft pourquoi les perfonnes
qui defirent d'avoir un Maître dans ces
parties , peuvent s'adreſſer à lui . On ne le trouve
que les après-midi , toutes les matinées étant
confacrées à donner fes leçons en Ville.
I ij
19% MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V.
SPECTACLES
.
OPERA.
ON continue de donner à ce Spectacle l'Opéra
de Pyrame & Thifbé : & les Jeudis , le Prologue
de Platée , l'Acte d'Alphée & Aréthufe , & celui
du Devin de Village. Dans ce dernier Acte , M.
Lombard a joué & chanté le rôle de Colin avec
bien du fuccès. Il feroit à fouhaiter qu'il fit le
même ufage de la voix dans le genre noble.
COMEDIE FRANÇOISE.
L E 18 Février , M. Broquin a débuté par le
rôle de Pafquin de l'Homme à bonne fortune , &
I continue fon début dans les rôles de Valet.
Le 28 , on a donné la Tragédie de Titus , qui ,
avec des beautés de détail , n'a pû foutenir l'é
preuve du théâtre. L'Extrait dans le prochain
Mercure.
Le 14 Mars , Mlle Rofalie , nouvelle Actrice ,
qui n'avoit paru fur aucun Théâtre , a débuté par
le rôle de Camille dans les Horaces . Le Public ,
peut -être fatigué des débuts , femble négliger
celui- ci , qui eft cependant bien digne de l'inté
reller.
Quelques efpérances qu'elle eût données dans
AVRIL. 1759. 197
le rôle de Camille , elle les a paffées de bien loin
dans celui d'Ariane , ce chef- d'oeuvre qui a fervi
de modèle à tant d'autres & qui eft , je crois , le
rôle d'Amante tragique le plus capable d'éprou
ver & de développer les talens.
Mlle Rofalie ne déclame point , elle parle, mais
avec nobleffe ; fon emportement même est décent;
fon gefte accompagne avec une préciſion & une
vérité fingulière le fentiment ou l'image qu'elle
doit rendre : fon vifage eft d'accord avec fà
voix ; fes filences font bien ménagés , fes paflages
d'un fentiment à l'autre auſſi naturels qu'il
eft poffible ; qu'elle retienne les mouvemens
de fon ame , qu'elle les faffe éclater , l'expreffion
en est toujours vive & jufte ; la diffimulation
feule n'a pas été affez marquée. J'ai obfèrvé .
de même qu'elle avoit à fe corriger d'un peu de
monotonie dans les fens fufpendus & dans les
finalés : mais fi le cinquième Acte d'Ariane
qu'elle avoit joué d'abord le plus foiblement , a
été le mieux rendu la feconde fois , fi dans l'intervalle
de deux jours elle a pâ changer tout le
jeu d'un Acte entier , à ne pas le reconnoître ,
quelle facilité n'aura-t-elle pas à corriger les fautes
de détail que l'on a pû lui reprocher ?
Sa voix eft foible , mais d'un caractère touchant:
elle fe fait entendre avec le ton naturel
de la parole ; & pour dire encore plus , elle a
fuffi au rôle de Camille & à celui d'Ariane.
Sa figure , fans être belle , eft pleine de vivacité
, & ne manque point de nobleffe : elle ne fe
refufe à l'expreffion d'aucune des affections de
fon ame. L'amour , la fierté , la douleur , la
colère, l'indignation , s'y peignent avec des traits
fenfibles ; & c'eft là , je crois , tout ce qu'exige
la perſpective du Théâtre. Le graffayement eft
I jij
198 MERCURE DE FRANCE.
un défaut ; mais le Public y eft accoûtumé : je
fuis même perfuadé que l'exercice peut l'adoucir ,
comme il remédie à la difficulté de refpirer , qui
eft le plus fouvent un effet de la crainte.
? Mlle Rofalie a débuté à la Cour le Jeudi 22
par le rôle d'Ariane ; & les encouragemens qu'elle
y a reçus lui font des témoignages non équivoques
d'un plein fuccès.
M. Brizart, qui a fuccédé à M. de Sarrazin dans
les rôles pathétiques de Rois , a fait depuis fon
début des progrès inconcevables . Il venoit de
jouer le rôle de Grand - Prêtre dans Athalie ,
avec une majefté , un enthouſiaſme , & des entrailles
dont le Public avoit été auffi charmé que
furpris. Il a mis le comble à fes fuccès dans le
rôle du Vieil Horace : toute fon ame enfin s'eft
développée , & il a faifi ce point de la Nature
noble & touchante , où il eſt fi difficile d'attein¬
dre , mais d'où l'on ne s'éloigne plus , dès qu'on
y eft une fois parvenu.
t
Le 12 Mars , on a donné au même Théâtre
la fauffe Agnès , Comédie en trois Actes , de
feu M. Néricault Deftouches. Le jeu de Mlle Dangeville
& de M. Préville en a fait tout le fuccès.
COMEDIE ITALIENNE.:
LB on a E premier Mars on a donné à ce fpectacle
une Comédie nouvelle en trois Actes , intitulée ,
L'Ennuyé , ou l'Embarras du choix . Certe
Pièce n'a point réuſſi .
Le 6 , on a remis Pyrame & Thifbé ancienne
Parodie de l'Opéra , fuivi de l'Amour Vainqueur
de la Magie , nouveau Ballet Pantomine . Il y a
dans cette Parodie queques traits de critique allez
plajfans.
AVRIL 17596 199
Le 10, la première repréfentation des Aman's
introduits dans le Sérail , ou le Sultan généreux ',
Ballet Héroï -Pantomine . Le 19 , le Ballet de
Thélémaque dans l'Ifle de Calypfo . Ces deux Billets
font de la compofition du fieur Pitrôt : il
ya danfe lui - même , & ils ont eur beaucoup
defuccès. Pen donnerai une idée dans le Mercure
prochain , avec quelques réfléxions fur ce
genre de fpectacle.
OPERA COMIQUE.
-
LE9 Mars on a donné la premiere repréſentation
de Blaife le Savetier. les paroles de M. Sedaine,
Auteur du Diable à quatre, & la Mufique de
M. Filidor. Cette petite Piéce , dont le fujer eft pris
des Contes de La Fontaine , a le mérite d'une
action vive & naturelle . La matique en eft fçavante
& pleine de feu mais l'on trouve qu'il y
manque ce mêlange de doux & de fort , de mouvement
& de repos , qui eft à l'égard des fons
ce que la diftribution de l'ombre & de la lumière
eft à l'égard des couleurs,
Le 20 on a donné pour la premiere fois la
Parodie au Parnaffe , petite Piéce où l'on parodie
les ouvrages nouveaux qui ont paru fur les autres
Théâtres.
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
DE NUREMBERG , le 8 Février.
Na eu avis que le projet concerté entre les
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Généraux des Alliés eft de former un camp nombreux
fous le canon de Caffel.
DE WESEL, le 12 Février.
Le fieur Caftellas , Maréchal- de-Camp , qui
commande dans cette Ville , vient d'être nommé
Infpecteur-général des Régimens Suiffes qui font
au fervice de France. S. M. Très- Chrétienne a
voulu par cette grace récompenfer les fervices
de cet Officier , & donner une nouvelle marque
d'égard à la Nation Suiffe.
Du 14.
La nouvelle convention entre Sa Majeſté Britannique
& le Roi de Pruffe , fut fignée ici le 7
·Décembre dernier. Les deux Rois font convenus ,
1.° De renouveller l'alliance qu'ils avoient contractée
par le Traité de Weſtminſter , du 16 Janvier
1756 , & par la Convention du 11 Avril
1758. 2. Que le Roi d'Angleterre , immédiatement
après l'échange des ratifications , fera remettre
au Roi de Pruffe la fomme de 670000.
livres fterlings , en un feul payement. 3.° Que le
Roi de Prufle emploiera cette famme à l'entretien
& à l'augmentation de fes armées . 4.° Que le
Roi d'Angleterre & le Roi de Prufle ne conclueront
aucun Traité de paix ou de trève , avec les
Puiffances engagées dans la guerre préfente, que
d'un commun confentement , & en s'y comprenant
expreffément l'un & l'autre,
Une pareille convention fut fignée le 17 du
mois dernier entre le Roi d'Angleterre & le Landgrave
de Heffe - Caffel .
*
On contin ue d'enlever les Matelots par force ,
pour compléter les équipages des Vaiffeaux du
Roi.
On a appris par une lettre du fieur Barton ,
Commandant du Vaiffeau de Guerre le Lichtfield,
le détail du naufrage de ce Vaiffeau fur les côtes
AVRIL 1759. 201
du Royaume de Maroc . Un bâtiment de tranfport
chargé de troupes , & une galiote à bombes
ont eu le même fort.
De la Haye les Mars.
Le 26 du mois dernier les Etats Genéraux furrent
affemblés pour prendre une dernière éfolution
au ſujet de l'armement des vingt- cing Vaif
feau de Guerre , & cet armement fut décidé . Les
Anglois ont levé le mafque en déclarant , par une
délibération folemnelle , vingt-fept de nos Vailfeaux
de bonne prife, par la feule raiſon que tou-
» tes les Marchandifes dont ils font chargés doiventêtre
prefumées appartenir au Roi de France,
>> à fes Vallaux & c. & que de cette manière ou
» d'autres , elles font fujettes à confifcation, »
DE MADRID le 13 Février.
Les efpérances qu'on avoit leues du rétabliffement
de la Santé du Roi , font beaucoup dimi
nuées.
DE GENES le 4 Février.
Mathieu Françore , élu Doge de cette Répu
blique , fut couronné folemnellement le 27 dw
mois dernier.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c .
Le 17 Février.
PROMOTION D'OFFICIERS GÉNÉRAUX.
LIEUTENANT GÉNÉRAL.
M. le Comte dé Monteynard.
MARÉCHAUX DE CAMP.
GARDES FRANÇOISES . MM. de Viſé & de Voifenon.
GARDES SUISSES. MM. Settiez , & le Baron de
Travers
LV
202 MERCURE DE FRANCE.
INFANTERIE . MM. le Chevalier de la Marck ,
le Baron de Tunderfeld , de Culaques , le Comte
de Rouffiac , de Courbuiffon , le Marquis de Fenelon
, le Comte d'Hamilton , le Comte de Bethune
, de la Morliere , le Baron du Blaiſel , le
Marquis de Gouy , le Marquis de Mailly , le
Comte de Choiſeul- Beaupré , de Bergerer, Gayon,
de Bruflard , le Marquis de Baffompiere, le Prince
de Robecq , le Marquis de Lemps & de Châtillon,
ARTILLERIE . M. Guyol de Guiran. ,
GÉNIE. MM. de Bourcet , & Filley.
MAISON DU ROI.
GARDES DU CORPS DE S. M. MM. le Chevalier
de S. Sauveur , le Marquis de Sesmaiſons
de Vareilles & de Champignelles.
GENDARMES BE LA GARDE . MM. le Vicomte
de Ségur & Filtz de Coffe.
CHEVAUX-LÉGERS DE LA GARDE . M. Channe
de Vezanne.
MOUSQUETAIRES. M. le Marquis de la Cheze.
GENDARMERIE. MM. le Marquis de Bacqueville
, de Folleville , de Lefperoux , le Comte de
Montecler.
CAVALERIE. MM. de la Refie , de Moulins ,
'd'Obenheim , de Cormainville , Marquis de Soye
court , de Saluces , de la Rochefoucauld - Langhac,
leComte de Galiffet , le Marquevilly , le Comte
de Vienne , le Marquis de la Viefville , le Comte
de Biffy , le Comte de Grammont , le Comte
d'Elpiés.
DRAGONS . M. le Chevalier de Mezieres , le
Marquis d'Amenzaga.
ÉTAT MAJOR.
FANTERIE. MM. le Vicomte de Sebourg , le
Marquis de Lugeac , le Marquis de Cornillon.
12
>
1
AVRIL. 1759 . 203
BRIGADIERS..
GARDES FRANÇOISES . MM. le Marquis de Bou
ville , le Chevalier de Champignelle , le Comte
d'Auteroche , le Comte de Lautrec .
GARDES SUISSES . MM . Gabriel - Joſeph Reynold
, & Etienne Caftellas .
INFANTERIE. MM. le Marquis de S. Herem ,
le Chevalier d'Ally , le Marquis de Contades , le
Comte de Caftellanne , le Chevalier de Chabrian,
de la Trefne , Warten , le Marquis de Montpouillan
, Mylord Ogilry , le Marquis de Vaubecourt
, Rofcomon , le Baron de Zuchmantel , le
Comte de Beaujeu , le Comte de Brienne le
Comte d'Efparbès , le Marquis de Peruffe d'Efcars
, le Baron de Rey , le Chevalier de Valence,
le Marquis de Juigné, Jenner , de Bulow , & du
Boufquet.
ARTILLERIE. M. Belidor.
›
GÉNIE. MM . du Portal , Chevalier , & Lambert.
MAISON DU ROI.
GARDES DU CORPS de S. M. MM. de Florishac,
de Cherifey , le Marquis de la Billarderie, de Caf
fini , de Morioles , le Chevalier d'Amfreville.
CHEVAUX-LÉGERS DE LA GARDE . M. le Marquis
d'Efquelbec.
MOUSQUETAIRES. M. de Bulſtrode .
GRENADIERS A CHEVAL . M. de Bonnaire.
GENDARMERIE . MM. le Vicomte de Sabran ,
le Comte d'Efclignac , de Boufflers , de Clermont-
Montaifon , le Marquis de Cruffol d'Amboife , le
Comte de Valentinois.
CAVALERIE. MM. Louis Rheingraff , le Prince
de Holſtein-Beck , le Baron de Stralenheim , le
Chevalier de Marcien , le Marquis de Montier ,
Comte de Poly , de S. André , de Pradel, Prince
d'Anhalt , le Chevalier de Nanclas , Nordmann ,
de la Roque , de Monciel )
1 vj
204 MERCURE DE FRANCE.
DRAGONS. MM. de la Badie , de la Porterie,
le Marquis de Montchenu.
ÉTAT MAJOR.
INFANTERIE. MM . Micault, Dongermain , le
Chevalier de Longaunay , le Chevalier de Chabor.
CAVALERIE, MM. de Valogny , de S. Sauveur ,
de Vault , le Marquis de Fumel.
DISPOSITION DES RÉGIMENTS.
INFANTERIE. La Reine , le Marquis de Cruffol
d'Amboife ; Limofin , le Comte de Miran ; Provence
, le Marquis de Grave ; Lorraine, le Comte
d'Aubigny ; Angoumois , le Chevalier de Blangy ;
Brie , le Marquis de Coiflin ; Royal - Barrois , le .
Marquis de Langeron.
CAVALERIE. Royal , le Marquis de Serrant .;
la Reine , le Sieur de Tourny ; Dauphin Etranger
, le Marquis de Vibraye ; Bourgogne , le
Comte de Coffé ; Grammont , le Marquis de
Balincourt ; la Viefville , le Marquis de Ste Aldegonde
; la Rochefoucauld , le Marquis de Sargeres
; Saluces , le Marquis de Seyfiel.
GRENADIERS -ROYAUX . Bergeret , le Vicomte
de Nardonne , Châtillon , le Marquis de Longannay
; Bruflart , le fieur le Camus.
Le Roi ayant jugé à propos d'employer en
qualité de Brigadier, en Baffe-Normandie le Comte
de Goyon , Brigadier , Meftre de Camp- Lieutenant
du Régiment du Colonel- Genéral des Dragons
, S. M. a difpofé de la Charge de Mestre
de Camp- Lieutenant de ce Régiment , en faveur
du Chevalier de Caraman , Major du Régiment
de Dragons de ce nom .
Le Roi a difpofé auffi du Régiment vacant par
la démiſſion du Marquis de S. Jal , en faveur du
Comte de Vogué , Capitaine réformé dans le Régiment
de Cavalerie d'Aquitaine.
AVRIL. 1759. 205
De Paris , le 10 Mars.
Le 2 de ce mois , le Roi fit dans la plaine des
Sablons , la revue du Régiment des Gardes-Françoifes
, & de celui des Gardes- Suiffes.
Le 28 Avril de l'année dernière , le fieur de
Lally , Lieutenant - Général des armées du Roi ,
débarqua à Pontichéry avec deux Bataillons de
fon Régiment , vers les deux heures après midi.
Le même jour à cinq heures , il détacha le
Comte d'Estaing avec deux Bataillons du Régiment
de Lorraine & trois cens hommes des Troupes
de l'Inde , pour aller inveftir Goudelour , &
partit dans la nuit avec un détachement du Corps
Royal de l'Artillerie , deux piéces de campagne ,
deux groffes piéces , & les deux Compagnies de
Grenadiers de fon Régiment , pour aller joindre
le Comte d'Estaing devant cette Ville , qui capitula
le quatrième jour.
Il fit tout de fuite inveftir le fort Saint-David;
& trois jour après fit emporter l'épée à la main
les trois forts qui en défendoient les approches. Les
difficultés du terrein ayant fufpendu l'arrivée
de l'Artillerie , il ne put faire ouvrir la tranchée
que le 20 Mai. Le fort Saint- David capitula le 2.
Juin , & la garnifon de fept ,cens vingt Anglois
& dix- fept cens Soldats noirs , a été faite priſonnière
de guerre.
Il envoya le même jour un détachement à onze
lieues du fort Saint- David à Divicottey , que la
garnifon Angloife avoit évacué.
Il s'eft trouvé cent quatre - vingt canons ou
mortiers , dans le fort Saint- David , & quatrevingt
piéces de canon dans Divicottey.
Le Marquis de Montmorency-Laval , Colonel
d'Infanterie , a été envoyé par le fieur de Lally ,
pour porter au Roi les détails de la prife des
forts.
206 MERCURE DE FRANCE.
Extrait du Journal de l'Efcadre des Indes ;
commandée par le Comte Daché , Chef d'Eſcadre
des Armées Navales .
Le 27 Janvier de l'année derniere , l'Eſcadre
commandée par le Comte Daché , partit de l'lflede-
France pour fe rendre dans l'Inde. Elle étoit
alors compofée d'un Vaiffeau du Roi , de huit
Vaiffeaux de la Compagnie des Indes & de deux
Frégates.
Le 28 Avril cette Eſcadre parut à la côte de Coromandel
, devant la Ville de Gondelour & le Fort
Saint-David à quatre lieues de Pondichery . Deux
Frégates Angloiles qui étoient à l'ancre , le jetterent
à la côte & s'y brûlerent. ( On a reçu depuis
que ces deux Frégates étoient le Brigdwater & le
Triton , chacune de 20 canons. )
Quoique l'Escadre eût befoin de rafraîchiffement
& d'eau , il fut réfolu de profiter de la confternation
que fon arrivée devant Gondelour mettoit
dans la Ville , pour la bloquer par mer ,
tandis que le fieur de Lally qui pafferoit à Pondichery,
y prendroit des Troupes , pour venir l'inveftir
par terre ; & en conféquence le Vaiffeau le
Comte de Provence , avec la frégate la Diligente ,
furent détachés à Pondichery avec le fieur de
Lally.
44 ,
Le lendemain 29 , la frégate la Silphyde , qui
faifoit la découverte , fit fignal d'une Efcadre de
neuf vaiffeaux. Elle étoit compofée de quatre
vaiffeaux de 70 canons , de trois de 60 , d'un de
& d'un de 20. Le combat fut engagé à
deux heures après - midi. Il fut très - vif de parc
& d'autre jusqu'à la nuit , fans que le vailleau le
Comte de Provence & la frégate la Diligente , qui
<arriverent alors de Pondichery ,, ayent pû être
d'aucun renfort. On s'attendoit le lendemain à
+
AVRIL 1759. 207
un fecond combat ; mais l'Efcadre Angloife maltraitée
s'étoit retirée vers Madras pour s'y réparer.
L'Eſcadre Françoiſe fe trouva le 30 Avril devant
Alemparvé , à fept lieues de Pondichery. Le
vaiffeau le Bien-Aimé , dont le cable fe rompit
dans la nuit , fut obligé de faire côte , & le perdit
; mais tout l'équipage fut fauvé.
Le 7 Mai l'Efcadre arriva à Pondichery , & y
débarqua les troupes , les munitions de guerre ,
& l'argent dont elle étoit chargée ; elle fe rendit
le lendemain 2 Juin devant Goudelour & le
Fort Saint- David , qui n'étant point fecouru par
l'Eſcadre Angloife , fut réduit à capituler.
L'Eſcadre parut le 4 Juin devant Divicottey ,
dont le Fort le rendit fans faire de réfiſtance.
Du 9 au 17 Juin , que l'Eſcadre revint à Pondichery
, elle a croifé fur l'Ifle de Ceylan & devant
Negapatnam & Karical . Elle s'eft emparée
dans fa croifiere d'un brigantin Anglois nommé
l'Expériment , Capitaine Whiteway , qui fut tout
de fuite envoyé à Pondichery.
Du 17 au 27 Juillet l'Eſcadre eft reſtée devant,
Pondichery à le réparer & ſe pourvoir de vivres.
Mais l'Ecadre Angloiſe ayant paru , le Comte Daché
fe mit fous voile, ayant avec lui le même nombre
de Vaiffeaux que dans le premier combat;
fi ce n'eft qu'au lieu du Vaiffeau le Bien- Aimé
qui avoit péri , & de la Frégate la Silphyde qui
étoit défarmée , il avoit pris le Vaiffeau le Comte
de Provence & la Frégate la Diligente.
Le 3 Août : ce jour - là le combat s'eft enga
gé avec la plus grande vivacité à une heure
après-midi , & a duré de la même force pendant
plus de deux heures . L'Eſcadre Angloife étoit
très-maltraitée ; & le Comte Daché auroit eu
tout l'avantage dans le fecond combat fans les
accidens qui furvinrent fur fon vaiffeau & fug
208 MERCURE DE FRANCE.
le Comte de Provence , par des artifices que les'
Anglois y jettèrent contre toutes les régles
& ufages de la guerre. Le Vaiffeau le Comte de
Provence en fur le premier maltraité ; le feu
prit à toutes les voiles & au mât d'artimon ; il
gagnoit la dunette , & auroit confumé le vaiffeau ,
fipar une manoeuvre hardie du fieur Bouvet, Commandant
le Duc de Bourgogne , celui - ci ne fût
venu le placer entre le Comte de Provence & le
vaiffeau Anglois , qui après lui avoir jetté les artifices
, continuoit de lui tirer fes bordées . Ce n'eſt
qu'avec des peines infinies que le fieur la Chaife
a pu parvenir à éteindre le feu des artifices. Il
en a été de même fur le Zodiaque ; avec cette
différence que les artifices des Anglois ayant
gagné la route aux poudres , le vaiffeau a été fur
le point de fauter en l'air. Les foins des Officiers,
& ceux du fieur Guillemain , Ecrivain , ont fauvé
le vaiffeau du danger où il étoit : mais après ces
accidens , l'Efcadre a été forcée de faire retraite ,
le Zodiaque formant l'arriere- garde ; & l'Eſcadre
étant venue mouiller le 4 devant Pondichery ,
s'y eſt emboffée en ligne , fans que les Anglois
foient venus l'attaquer de nouveau.
Les Vaiffeaux s'étant réparés dans le courant du
mois d'Août , le Comte Daché , a mis à la voile
de Pondichery le 3 Septembre , & eft arrivé le
13 Novembre à l'Ile de France , où il a trouvé
les Vaiffeaux du Roi le Minotaure , l'Illuftre &
Actifcommandés par les fieurs Froger de l'Eguille
, Chevalier de Ruis , & d'Ifle- Beauchaine ,
Lefquels fe font joints à l'Eſcadre.
*
Le Comte Daché a dépêché en France la Frégate
la Diligente , avec le fieur Earhantel , Enfeigne
de Vaiffeau , fur le Zodiaque , qui a ap
porté ce détail . Il y a eu fur l'Eſcadre 251 hom
imes tués , & 602 bleffés,
1
AVRIL. 1759. 200
DE VERSAILLES le 22 Février.
Le Baron de Beckers , Miniftre d'État & de
Conférence , Miniftre Plénipotentaire de l'Electeur
Palatin , eut le 11 une Audience particuliere
du Roi , dans laquelle il préfenta à Sa Majesté
fes Lettres de Créance.
Le 17 , le Roi a tenu fur les Fonds de Baptême ,
avec la Marquife de Pompadour , Dame du Palais
de la Reine, le Fils du Vicomte de Bouville ,
Commandeur de l'Ordre Royal & Militaire de S.
Louis , Capitaine de Vaiffeau du Roi . Le Baptême
a été fait à la Paroiffe de Notre-Dame. Sa Majesté
a été repréſenté par le Duc de Duras , Pair
de France , & premier Gentilhomme de la
Chambre.
Le 18 , le Roi a nommé Miniftre d'État le
Maréchal Prince de Soubife qui a pris en cette
qualité féance au Confeil de Sa Majesté.
Le Marquis de Chabannes , Sous- Lieutenant de
la feconde Compagnie des Moufquetaire de la
Garde , ayant obtenu du Roi la permiffion defe
démettre de cet emploi , Sa Majeflé a accordé la
Cornette vacante par cette démiffion , au Marquis
de Varennes- Nagu , Capitaine dans le Régiment
du Roi , Infanterie .
Le Roi a donné l'Abbaye de l'Eau , Ordre de
Citeaux , Diocèſe de Chartres , à la Dame de
Vauldrey , Abbeffe de Beauvoir.
L'Abbaye de Beauvoir , Ordre de Citeaux
Diocèle de Bourges , à la Dame Joly de Fleury ,
Religieufe du Monaftere de Foilly , Diocèfe de
Troyes.
Et l'Abbaye d'Effey , Ordre de S. Auguſtin ,
Diocèle de Sées , à la Dame de Beauville ; Religieufe
à l'Abbaye de Bonlieu , Diocèſe du Mans.
Du premier Mars.
Le 24 du mois dernier le Roi tint le Sceau
pour la quarante- cinquième fois.
210 MERCURE DE FRANCE:
Sa Majefté a difpofé du Régiment de Berry ;
Infanterie , vacant par la démiffion du Marquis
de Contades , en faveur du fieur Hugues , Capitaine
dans le Régiment du Roi , Infanterie ; de
celui de la Ferre , Infanterie , vacant par la promotion
du Marquis de Fenelon au grade de Maréchal
de Camp , en faveur du Marquis de Beaumont
, Ayde-Major- Général de l'Infanterie de
l'Armée ; de celui de Beauvoifis , Ipfanterie , vacant
par la promotion du Marquis de Lugeac
au grade de Maréchal de Camp , en faveur da
Chevalier de Clugny, Capitaine dans ce Régiment.
Le Roi a nommé Guidons de Gendarmerie ,
les fieurs Comte de Mornay de Monchevreuil ,
Colbert de Preffigny, Marquis de la Haye, Comte
de Chabannois , Comte de Flavacourt , Marquis
de Roquefort , Vicomte de la Riviere , & de Manneville.
Le Roi a accordé au Comte de Barbazan , Sénéchal
& Gouverneur de Bigore , le Commandement
de cette Province.
Du 8 .
Le 24. du mois dernier , les fieurs de Saint-
Germain , de Ballette , & de Boignorel , reçus
ci-devant Chevaliers de minorité dans les Ordrés
Royaux Militaires & Hofpitaliers de Notre- Damedu
Mont Carmel & dé Saint Lazare de Jérufalem
, furent admis dans l'appartement de Monfeigneur
le Duc de Berry ; & immédiatement
après la meſſe à faire leur profeffion , & à prononcer
leurs voeux entre les mains du Comte de
Saint- Florentin , Gérent & Adminiftrateur de ces
Ordres. Le Comte de Comminges fut enfuite reçu
Chevalier des mêmes Ordres. Le fieur Dorat de
Chameule prêta le même jour ferment en qualité
de Survivancier du fieur Dorat fon pere , dans
la Charge de Greffier & Secrétaire Général de
ces Ordres.
AVRIL. 1759. 211
Le fieur de Boullongne s'étant démis de la place
de Contrôleur Général des Finances. Sa Majesté
à nommé le fieur de Silhouette pour le remplacer.
Le fieur de Kergarfon , Enfeigne de Vaiffeau ,
Commandant la Corvette du Roi la Sardoine
qui revient de la Martinique & de S. Domingue
d'où il eft parti les Décembre , a rapporté que
ces Colonies étoient alors en bon état.
Le fieur de Bougainville, premier Aide de Camp
du Marquis de Montcalm , Lieutenant- Général ,
Commandant les Troupes Françoiſes en Canada ,
fous les ordres du Marquis de Vaudreuil , Gouverneur
& Lieutenant- Général de la Colonie , eft
arrivé de Québec pour rendre compte au Roi de
l'état de cette Colonie , & a eu l'honneur de préfenter
à S. M. les plans des forts & la Carte des
lieux qui font le théâtre de la guerre dans ce
pays. Ces plans ont été levés par le fieur de Crevecoeur
, Officier au Régiment de la Sarre , employé
dans le Génie , & qui s'eft fait beaucoup
de réputation par fa bravoure & fes talens . Le
Roi a accordé au fieur de Bougainville une gratification
, le brevet de Colonel , & la Croix de
Saint-Louis. Cet Officier arrivé de Québec au
commencement du mois de Janvier dernier, vient
de repartir pour le Canada.
Le Roi a nominé à l'Evêché d'Agde l'Abbé de
S. Simon de Sandricourt , Vicaire Général de
l'Evêché de Metz .
Sa Majesté a donné P'Abbaye Royale de Conches
, Ordre de S. Benoît , Diocèse d'Evreux ,
fur la démiffion de l'Abbé de S. Simon , à l'ancien
Évêque de Limoges , Précepteur de Monſeigneur
le Duc de Bourgogne;
Et l'Abbaye de Peffan , Ordre de S. Benoît ,
Diocèle d'Auch , à l'Abbé de Narbonne de Lara ,
Grand- Vicaire d'Agen.
212
MERCURE DE
FRANCE
Morts.
Le Sieur Pierre Loys de la Baume , Major de la
Ville de Beziers , mourut à Beziers le 9 de Février,
âgé de quatre- vingt- onze ans .
Meflite Antoine Antonin , Marquis de Longaunay
, Gouverneur de Carentan & Pondouvres , eft
mort en cette Ville le 13 , dans la foixante -uniéme
année de fon âge .
Dame Marie-Renée de Maupeou , Abbeffe de
l'Abbaye Royale de Farmoutier en Brie , Ordre de
S. Benoît , elt morte dans fon Abbaye le 15 , âgée
de foixante - trois ans.
Le fieur Rouault , Abbé de l'Abbaye de Saint-
Léonard de Chaume , Ordre de Citeaux , Diocèfe
de la Rochelle , mourut à la Rochefoucauld , le
16 , âgé de foixante-quinze ans.
Le fieur de Laire , Abbé Commendataire de
l'Abbaye d'Iffoire , Ordre de S. Benoît , Diocèſe
de Clermont , eft mort en fon Abbaye le premier
de Mars , dans la foixante-dix- huitieme année de
fon âge.
Mariages.
Le 25 Février Leurs Majeftés & la Famille
Royale fignerent le Contrat de mariage du Marquis
de Chamborand avec la Demoiſelle de Fontville.
Le 7 de ce mois le Prince de Heffe- Darmstadt,
à qui le Comte de la Marche avoit envoyé fa procuration
, époufa la Princefle Fortunée d'Eft , fille
du Duc de Modène ; & cette cérémonie fut faite
par le Cardinal Pozzobonelli , Archevêque de
Milan.
Le 10
la Comteffe de la Marche partit de
Milan dans les carroffes du Duc fon Pere ; & elle
AVRIL. 1759.
215
arriva le 20 au Pont de Beauvoifin , où elle fut
complimentée de la part du Prince de Conti & du
Comte de la Marche , par le Bailli de Chabriant ,
qui préfenta à cette Princeffe les Dames qui doivent
être auprès d'elle , & les Officiers deſtinés
la fervir.
Le 27 au matin , à quelque diſtance de Montetereau,
le Prince & la Princeffe de Conti, le Comte
de la Marche , la Ducheffe de Modene , & le Duc
de Penthièvre , qui s'étoient rendus à Nangis ,
Château du Comte de Guerchy , pour recevoir la
Comteffe de la Marche , mirent pié à terre pour
aller au- devant de cette Princeffe , qui étoit aufli
defcendue de fon carroffe, Après s'être embraffés ,
le Comte & la Comteffe de la Marche montèrent
dans le carroffe du Prince de Conti , & ils
arrivèrent vers le midi à Nangis , où le Cardinal
de Luynes leur donna la bénédiction nuptiale.
Le Prince & la Princeffe de Conti , le Comte
& la Comteffe de la Marche, féjournèrent le 27
à Nangis , d'où ils partirent le lendemain pour
fe rendre à Paris.
Les Mars , la Comteffe de la Marche , Princeffe
du Sang , fut préſentée au Roi , à la Reine
& à la Famille Royale. Le lendemain Leurs Majeftés
& la Famille Royale rendirent viſite à la
Comteffe de la Marche.
Jacques- Charles de Chabannes Curton , Comte
de Rochefort , Aurieres & autres lieux , Enfeigne
des Vailleaux du Roi , fils de Jean- Baptifte de
Chabannes, Marquis de Chabannes Curton , Chevalier
de l'Ordre Royal & Militaire de S. Louis ,
& de la feuë Dame Claire- Elifabeth de Roquefeuil
fon époufe , & neveu d'Antoine de Chabannes
, Marquis de Curton , Madic , Saint- Angeau
, & du Palais en Forez , a été marié le 10
Février dernier , dans l'Eglife Paroiffiale de Saint
214 MERCURE DE FRANCE
Sulpice , avec Marie-Elifabeth de Talleyrand Perigord
, Marquis de Talleyrand , Brigadier des
Armées du Roi , Colonel du Régiment de Normandie
, Menain de Monfeigneur le Dauphin ,
tué devant Tournai en 1755 , & de Dame Marie-
Elifabeth de Chamillard , Marquife de Talleyrand
, Dame du Palais de la Reine , fille de
Michel Marquis de Bani , & de Marie Françoife
de Rochechouard de Mortemart aujourd'hui
Princeffe de Chalais. La Comteffe de Chabannes
Curton eft foeur de M. de Talleyrand Perigord,
Comte de Perigord , Prince de Chalais , Grand
d'Espagne , & Menain de Monfeigneur le Dauphin.
Le Marquis de Chabannes Curton , pere
du nouveau marié , a été Major du Régiment
Royal Cravates , dans le temps que le Marquis
de Curton , fon frere aîné , mort Lieutenant Général
des Armées du Roi , il y a plufieurs années
à Prague , dans la guerre de Bohême , en
étoit Colonel , après avoir été Ayde de Camp
de Monfeigneur le Duc de Bourgogne. La Bénédiction
nuptiale a été donnée par l'Abbé de
Chamillart , frere de la Marquife de Talleyrand ,
le 20 Février à S. Sulpice.
Le 4 Mars la Comteffe de Chabannes Curton
fut préfentée au Roi , à la Reine & à la Famille
Royale.
J'ai lu,
APPROBATION.
'Ai lu, par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le premier Mercure du mois d'Avril , & je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 31 Mars 1759. GUIROY.
AVRIL
1759.
215
TABLE DES
ARTICLES.
ARTICLE
PREMIER.
PIECES
FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE,
FABLE : le Loup ,
l'Agneau & la Fourmi , p .
Hypermneſtre à Lyncée , Héroïde ,
Sonnet au Soleil ,
Difcours fur la Modeſtie ,
Vers à Mlle de *** ,
Bouquet ,
>
7
IS
16
33
36
38
40
Lettre à Madame la Comteffe D ***
Ode fur la mort de M. Duguay-Trouin
Obfervations fur une Harangue : Utrum armis
an litteris fama citiùs comparari poffit ,
Portraits ,
>
>
48
57
66
Sur les différens genres d'écrire, par un Suiffe, 60
La Vérité , à Mlle de F ***
Imitation de l'Ode d'Horace : Vixi puellis , 69
Imitation de l'Ode d'Horace : Vitas hinnyleo , 70
Mors de l'Enigme & des deux
Logogryphes du
Mercure précédent ,
Enigme , Logogryphe , Chanfon ,
7I
ibid:
ART. II.
NOUVELLES
LITTÉRAIRES,
Difcours de
Monſeigneur l'Evêque Comte de
Valence ,
73
Réponse de Madame l'Abbeſſe du Val de Grace ,
Epitaphe Latine de S. A. S. Madame la Ducheffe
d'Orléans ,
Note de M. Marmontel ,
Extrait du Livre intitulé :
L'Incrédulité convaincue
par les Prophéties ,
80
81
82
86
L'Hiftoire Naturelle , par M. de Buffon , Tome
216 MERCURE DE FRANCE.
feptiéme , 104
Nouvel Effai fur les grands événemens par les
petites caufes ,
Le Citoyen , Poëme , par M. Vallier ,
116
120
Extrait du Livre intitulé : Réfléxions Critiques fur.
les différens fyftèmes de Tactique de Folard ,
Annonces des Livres nouveaux ,
733
142 & fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
Economie politique ,
145
Réponſe de M. de Silhouette , Contrôleur Général
, à M. de Nicolaï , Premier Président de la
Chambre des Comptes
146
Hiftoire Naturelle, Abrégé de l'hiſtoire des Gallinfectes
, 148
La Société Littéraire de Clermont , 160
Académie de Lyon , 165
Académie de Marſeille ,
168
Académie de Pruſſe ,
169
ART. IV . ARTS AGRÉABLES.
Réfléxions fur la Sculpture , 174
Mufique ,
193
Gravure ,
194
Géographie ,
195
ART. V. SPECTACLES.
Opéra , 196
Comédie Françoiſe , ibid.
Comédie Italienne , 98
Opéra-Comique , 99
ART. VI. Nouvelles Politiques ,
ibid.
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis-à-vis la Comédie Françoife.
DE FRANCE ,
DÉDIÉ DE DIE AU RO I.
AVRIL. 1759 .
PREMIER VOLUME.
Diverfité , c'est ma devife . La Fontaine .
Chez
Cochin
Filius inv
PopiinoSeraly.
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JORRY , viš à vis la Comédie Françoiſe.
PISSOT , quai de Conti.
DUCHESNE , rue Saint Jacques.
CAILLEAU , quai des Auguftins.
CELLOT , grande Salle du Palais.
Avec Approbation & Privilége du Roi.
1
REGLA
MI CENGIS.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , Greffier Commis au
Greffe Civil du Parlement , Commis au
recouvrement du Mercure, rue Sainte Anne,
Butte Saint Roch , à côté du Sellier du Roi.
C'est à lui que l'on prie d'adreffer, francs
deport , les paquets & lettres , pour remet
tre , quant à la partie littéraire , à M.
MARMON TEL , Auteur du Mercure.
Le prix de chaque volume eft de 36 fols ,
mais l'on ne payera d'avance , en s'abonnant
, que 24 livres pour feize volumes ,
à raifon de 30 fols piéce.
Les perfonnes de province auxquelles on
enverra le Mercure par la pofte , payeront
pour feize volumes 32 livres d'avance en
s'abonnant , & elles les recevront francs
de port.
Celles qui auront des occafions pour le
fairevenir,ou qui prendront lesfrais duport
fur leur compte , ne payeront comme à
Paris , qu'à raifon de 30 fols par volume ,
c'est- à- dire 24 livres d'avance , en s’abonnant
pour 16 volumes .
Les Libraires des provinces ou des pays
étrangers qui voudront faire venir le
Mercure , écriront à l'adreffe ci - deffus.
A ij
1
Onfupplie les perfonnes des provinces
d'envoyerpar la pofte , en payant le droit ,
le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en ſoit
fait d'avance au Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis ,
referont au rebut.
On prie les perfonnes qui envoient des
Livres , Eftampes & Mufique à annoncer ,
d'en marquer le prix.
du
On
peut fe procurer
par
la voye
Mercure
le Journal
Encyclopédique
&
celui
de
Mufique
, de Liége
, ainfi
que
les autres
Journaux
, Eftampes
, Livres
&
Mufique
qu'ils
annoncent
.
Le Nouveau Choix fe trouve auffi au
Bureau du Mercure. Le format , le nombre
de volumes , & les conditions font
les mêmes pour une année,
MERCURE
DE FRANCE.
AVRIL.
1759.
ARTICLE PREMIER .
PIECES FUGITIVES
- EN VERS ET EN PROSE.
LE LOUP, L'AGNEAU ET LA FOURMI,
د ر
L
FABLE.
E féroce animal qu'un Loup !
( Difoit Annette la bergère)
» Il vient de dévorer , d'une dent carnaçière ,
» L'Agneau que j'aimois tant , qui me ſuivoit
>> partout ,
I. Vol.
À iij
8. MERCURE DE FRANCE.
» Et qu'à mon mariage on devoit mettre en
> broche ! >
Elle s'attendrifoit , & s'eftimoit beaucoup,
En faifoit au Loup ce reproche.
Près de là , le troupeau revenu de fa peur ,
Suivant l'instinct de la pure nature ,
Broutoit innocemment une fraîche pâture .
Je dis innocemment , au gré de maint Docteur ,
Non au gré d'une fourmillière
Pour qui la gent bêlante étoit très - meurtrière.
>> Ciel ! jufte Ciel ! ( crioient ces infectes langlans )
>> Tu permets qu'un monftre engloutille
A la fois nos Cités avec leurs habitans !
>> Sufcite un loup vengeur , à l'innocent propice ,
> Terrible au fourmicide : un loup de ta juftice
>> Sans doute eft le Miniftre adorable & divin. >>
Telle eſt notre logique , à tous tant que nous
fommes ;
Des Loups & des Agneaux , des Fourmis & des
Hommes ,
L'amour-propre eft en tout le mobile & la fin.
Nota. L'Auteur Anonyme de cette jolie Fable
m'a adreffé un Ouvrage plus important ; mais
je l'ai prié de lire jufqu'au bout le morceau qui
en eft l'objet ; j'attends qu'il ait pris cette peine ,
& qu'il veuille bien me marquer s'il perfifte dans
fon opinion.
AVRIL. 1759. 7.
HYPERMNESTRE
A LYNCE E ,
Héroïde.
DELE la région fouterraine ,
Du cachot où la crainte affiége mon efprit ;
Je te trace ces mots que l'on peut lire à peine:
Le jour n'éclaire point cette main qui t'écrit.
Semblableà mes foeurs homicides ,
Si du fang d'un époux j'avois fouillé ma main
La plus jeune des Danaïdes
N'auroit point à gémir de fon fort inhumain.
Couverte de ton fang , jouiffant de mon crime ,
Je ne remplirois pas ce Palais de mes cris ;
Ha !fimon pere au meurtre attache fon eftime ,
J'abhorre la faveur à ce funefte prix .
Tant de noeuds qu'on forma pour unir nos familles
Ont fervi de prétexte à fa férocité;
Et parmi les barbares filles
A fes ordres affreux , j'ai feule réfifté .
Le plus beau de mes jours,l'on me charge de chaînes
Pour avoir fauvé ceux d'un époux trop chéri :
Je fouffre enfin toutes les peines
Que je mériterois fi j'avois obéi.
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
Tigre altéré de fang , dont la rage écumante
Fait fervir les enfans aux plus injuftes coups ,
L'on ne peut donc s'offrir à fes yeux que fumante
Du meurtre même d'un époux .
Il redoute un oracle inique
Qui prédit que ton bras doit lai ravir le jour ;
Un oracle plus véridique
Nous dit de reſpecter l'hyménée & l'amour.
Arracher au trépas un Amant qu'on adore ,
Aux dépens de fes jours le lui faire éviter ;
Braver des fureurs qu'on abhorre :
Ce font les feules loix que j'ai dû conſulter.
Comment pouvois- je avoir , impie & parricide,
Le courage d'exécuter
Ce complot barbare & perfide ?
A peine ai - je celui de te le raconter.
Le temps étoit venu au gré des deſtinées ,
Où devoit s'accomplir ce facrifice affreux ;
Au flambeau de tant d'hyménées
La vengeance alluma fes yeux.
Le foleil s'obfcurcit , & d'un voile nocturne
Couvrit les airs rentrés dans le fein du cahos ;
La Fille même de Saturaе
Craignit d'habiter dans Argos.
Cet amour tant promis , cette foi fi jurée ,
Doit avoir pour garants les Monarques des Cieux :
4
AVRIL. 1759.
Le parjure trahit leur Majefté facrée ;
Ils voilent à regret ce complot odieux .
La nuit avoit mis fin au tumulte des Villes ,
Nos époux enyvrés de vins délicieux ,
Aux charmes du fommeil vont fe livrer tranquilles
;
Mais la mort veilloit autour d'eux .
Le poignard à la main , & de rage enflammées
Mes foeurs bravent du Styx les fupplices nouveaux
A manier le lin leurs mains accoutumées ,
Pour le glaive homicide ont quitté leurs fufeaux .
Tant de poignards levés font garants de leur zèle.
Par un Pere inhumain leur courroux eſt aigri :
Chacune en immolant le plus tendre mari
Penfe frapper un infidèle.
On n'entend tout- à - coup que des gémiſſemens
Le Palais eft baigné de fang mêlé de larmes :
La Ville de Junon , Argos dans fes allarmes ,
Croit toucher cette nuit à fes derniers momens.
L'époux affaffiné par celle qu'il adore ,
Victime des forfaits qu'on lui laiffe ignorer ,
Fait un dernier effort pour embraffer encore
L'épouſe , dont la main vient de le maſſacrer.
Plufieurs de ces guerriers terminent leur carrière
Sans jouir feulement d'un inftant de réveil ,
Av
10 MERCURE DE FRANCE
Et par un coup mortel , privés de la lumière ,
Ne font que changer de fommeil .
Sacriléges Auteurs d'une action fi noire ,
Olez -vous regarder le Ciel ?
De mes fours à jamais périfle la mémoire :
Je défavoue un fang fi traître & fi cruel.
Répandons des larmes amères ,
Gémillons tous les deux fur nos divers malheurs ;
Si la mort t'a ravi tes frères ,
Après tant de forfaits me refte t- il des foecurs ?
Trois fois , par l'ordre de mon pere ,
Je levai le fer fur ton fein ,
Et trois fois mon amour & ton deſtin profpere
Le firent tomber de ma main.
A t'immoler , en vain je m'excitois moi -même ,
Une fecrette horreur glaçoit mon coeur d'effroi :
J'oubliois ma fureur extrême ,
Et l'amour fe plaçoit entre mon glaive & toi.
> Fuis , dis-je, en t'éveillant, un Tyran fanguinaire
Dont envain le courroux voudroit armer le miens
>> Cette main rebelle à mon pere
» Se rougira plutôt de mon fang que du tien . -
>> Que fes filles lui foient cruellement ſoumiſes ,
»Que leurs époux fanglans s'endorment fans
» réveil ;
AVRIL. 1759.
II
» Ces facriléges entrepriſes
>> Font reculer d'effroi mon bras & le foleil .
» Moins Amans que Guerriers , par une audace
> extrême ,
>> Votre nombreufe armée en nous donnant la loi ,
›› Pour prix de la victoire exigea notre foi .
» Mais quel crime ai - je fait pour trahir ce que
>>j'aime ?
» Et dois je venger fur moi- même
» Un crime que l'amour a pardonné pour moi ?
>>Tes freres font déja dans le Royaume fombre ,
» Minos même attendri de leurs calamités ,
Prépare des tourmens pour mes foeurs inventés.
» La nuit au parricide a pû prèter fon ombre ,
>> Profites -en pour fuir ces murs enfanglantés .
و ر
Danaüs contemploit le fruit de tant de crimes ;
Mais fa fureur s'exhale en regrets fuperflus ,
Lorfqu'il recherche en vain parmi tant de victimes,
Le plus jeune enfant de Bélus.
C'eft peu de voir fumant dans cet affreux carnage ,
Tant de jeunes Héros par le fer terraflés ;
Et tant que l'unde vous le dérobe à farage ,
Son Palais dans le fang ne nage pas affez.
C'est moi feule que l'on accufe :
N'avoir pas fait ce crime , eft un crime d'Etat.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
J'allume contre moi fa fureur que j'abuſe ,
Le falut de tes jours eft fon affaffinat.
Par ces cheveux épars dans la tour on metraîne;
L'audace foule aux pieds & mon ſexe & mon
rang ,
Mais je mériterois une plus grande peine
Si j'avois répandu ton fang.
Pour avoir reſpecté la trame
Des jours de mon Amant à mes coups exposé ,
L'on me donne les noms dûs au forfait infame
Auquel mon bras s'eſt refuſé.
Viens arracher ta femme aux fureurs de l'envie :
Tu lui fais éprouver les plus cruels revers.
J'ai contenté mes veux en te donnant la vie ;
Il manque aux tiens encor de m'arracher des fers.
Oui , tu dois partager avec moi cet Empire ;
Ma main en fut le gage au pié de nos Autels.
Je fuis toute à Lyncée , & tant que je refpire ,
Rien ne peut dégager nos fermens folemnels.
Hélas ! mon cher Lyncée , encore
Ta foi n'a point reçu le prix de mon amour ;
Je te fis devancer le réveil de l'aurore ;
J'en craignis pour toi le retour,
Dans le lit nuptial je ne fongeois qu'au crime
Qui menaçoit tes jours de mes terribles coups.
AVRIL. 1759% 43
Je ne t'y reçus qu'en victime:
C'étoit plus le bucher que le lit d'un époux.
Que mes coupables foeurs gémiffent d'un veuvage
Qu'elles doivent à leurs forfaits ;
Moi qui n'ai point de part à leur perfide rage
T'aurai-je perdu pour jamais ?
Quand une Amante le reclame ,
Peux-tu lui refuſer , cher Prince , ton fecours ?
D'un retour généreux tu dois payer ma flamme.
Rappelle mes bienfaits & nos tendres amours .
Tu dois t'affeoir un jour au trône de ta femme :
J'ai pour dot mon Empire, & ta fuite & tes jours..
Tes armes , tes amis , ton bras, mon cher Lyncée,
Se doivent à ma liberté .
De l'obtenir d'un pere aurois-je la penſée ?
Non, qu'il ne foit jamais entre nous de traité.
Ses bienfaits font rougir , & l'amour d'un tel pere
Eft un fardeau pour des
grands coeurs.
Irai-je mandier fon amitié fincere ,
Pour avoir le fort de mes foeurs ?
D'un amour vertueux mes malheurs font la
preuve ,
Et je fais gloire de mes fers.
Une grace feroit une honteuse épreuve ,
Et je rendrois ma foi fufpecte à l'Univers.
14 MERCURE DE FRANCE .
Viens , vole dans ces lieux , ne te fais plus attendre ;
N'épargne s'il le peut que l'Auteur de mes jours.
A l'afpect de mes foeurs mets ce Palais en cendre ,
Qu'elles lifent leur crime aux flâmes de ces tours.
Viens , la reconnoiffance & l'amour t'y convie :
Il faur me délivrer ou terminer mon fort.
Cette prifon obfcure où je traîne ma vie
Eft plus cruelle que la mort.
Adieu , je vois venir ma fin d'un pas rapide ;
On ne laiffera pas mes amours impunis :
Et dans ce féjour parricide
L'innocence plaintive en vain pouffe des cris.
S'il faut à mon devoir que je fois immolće ,
Ou périr dans l'ennui de mes triftes liens ,
Fais graver fur mon Mauſolée
Le péril de tes jours rachetés par les miens.
Trace fur mon tombeau tes généreuſes plaintes ;
Rends l'avenir témoin des larmes d'un Amant :
Qu'Argos pleure mon fort , que mes cendres
éteintes
Partagent avec toi ce doux foulagement.
Je préfère des fleurs nouvellement éclofes
A la pompe d'un deuil lugubre & folemnel :
Témoins de tes foupirs , fur un tapis de roſes ,
Mes mânes jouiront d'un printemps éternel .
AVRIL. 1759. 15
Sur mes deftins encor je pourrois bien t'écrire ,
De toi , de mon amour j'aime à m'entretenir ;
Mais ma main , dont la force expire ,
M'avertit déjà de finir.
Oui , cette main jadis à tes baiſers ravie ,
Qui faifoit ton bonheur en des plus doux inftans,
Succombe fous le poids d'une chaîne ennemie ,
Et ne peut , tremblante , affoiblie ,
Parler à tes yeux plus longtemps.
SONNET
AUSOLEIL.
GRAND &
RAND & vafte flambeau , fource de la lumière
,
O Monarque du jour ! couronné de fplendeur ,
Dont l'éclat éblouit ma trop foible paupière,
Qu'éveille le defir d'admirer ta grandeur ;
Apprens-moi donc comment parcourant ta carrière
,
Tu nourris l'Univers par ta vive chaleur ;
Eft-ce à toi que je dois adreſſer ma prière ,
Soumettre ma raiſon , mon eſprit & mon coeur ?
Non,tu n'es point un Dieu , tu n'en es que l'image :
C'eſt à ton Créateur que je dois mon hommage.
Plus l'ouvrage eft parfait,plus l'Ouvrier eft grand
16 MERCURE DE FRANCE.
Et quand tu tiens de lui , de ce Maître fuprême ;
De tant de qualités l'affemblage étonnant ,
Combien n'en doit- il pas raſſembler en lui-même!
DISCOURS
SUR LA MODESTIE ,
Lú en la féance publique de l'Académie
des Sciences & Belles- Lettres de Dijon
le Dimanche 13 Août 1758. par M.
Guyot Avocat au Parlement , Docteur
aggrégé en l'Univerfité de la même Ville
& Membre de l'Académie.
Q
MESSIEURS ,
UELLE eft cette vertu dont l'air
eft fimple & noble à la fois , qui te- .
nant un jufte milieu entre l'abbaillement
& l'orgueil paroît s'oublier elle-même ,
plaît à tous & n'offenfe perfonne ? A cès
traits vous reconnoiffez la modeftie , Meffieurs
, & je ne crains pas d'en confacrer
l'éloge dans le fanctuaire des Sciences ,
où je la vois donner chaque jour un nouveau
luftre aux talens.
J'entends par la modeftie cette vertu
qui nous fait toujours juger des autres
AVRIL 1759 . 17
plus avantageufement que de nous - mêmes
. Je la diftingue de celle qui , n'ayant
prefque rien de commun avec elle que
le nom , forme le caractère le plus eftimable
d'un féxe enchanteur ; je ne m'occupe
pas non plus de l'humilité chrétienne
, qui n'eft , à vrai dire , que la perfection
de la modeftie , fanctifiée par la
Religion & qui rabbaiffant à nos yeux
nos bonnes qualités , groffit par un contrafte
édifiant , nos moindres défauts &
nous repréſente toujours comme infiniment
inférieurs à tous les autres .
Dans quelque état que l'homme fe
trouve placé , par la naiffance ou la fortune
, la modeftie eft le tréfor qu'il doit
conferver avec le plus de foin : cette vertu
fçaura le garantir de beaucoup de fautes ;
elle pourra même couvrir d'un voile officieux
celles qu'il aura la foibleffe de commettre
; c'eft une fidèle compagne qui le
foutiendra dans les routes prefque toujours
trompeuſes & gliffantes du bonheur ;
c'eft une égide qui repouffera les traits de
l'envie ; un vernis précieux qui donnera
de l'éclat & de la valeur aux talens ; c'eft
la marque & le principe du vrai courage
qu'elle dirigera toujours felon l'intérêt
public.
Développons la plupart de ces idées
18 MERCURE DE FRANCE.
& pour rendre plus fenfibles dans ce
court effai les avantages de la modeſtie ,
mettons - la quelquefois en oppofition
avec l'orgueil puiffe le contrafte faire
briller cette vertu comme l'ombre mêlée
propos fait fortir la lumière d'un tableau.
à
La profpérité eft fouvent dangereufe :
elle flatte ; mais elle eft inconftante &
précipite dans l'abîme ceux qu'elle femble
conduire au port.
Que d'exemples ne nous fournit pas
l'Histoire de ces triftes nauffrages , qui
ont appris à la postérité que la modeſtie
eft le guide le plus fûr qui puiffe nous en
préſerver !
La fortune toute aveugle que la dépeignent
les Poëtes ne laiffe pas de furprendre
, d'éblouir , d'aveugler même fes
favoris : elle commence par les embraſſer
& finit quelquefois par les étouffer.
De tous les préfens du Ciel il en eſt
peu de plus utiles que la modeftie : c'eft
particulièrement dans la profpérité , que
fon fecours devient plus néceſſaire , pour
empêcher l'homme de fe méconnoître
& de s'oublier , fuivant la penſée de l'Orateur
Romain , que les honneurs changent
les moeurs . Appliquons cette maxime
auffi rebattuë que fouvent confirmée
AVRIL. 1759. 19
par l'expérience , non feulement aux honneurs
, mais à tout état de profpérité ,
d'élévation , de puiffance , de richeffes.
Pénétrons les fentimens d'un homme
tranfporté rapidement d'une condition
médiocre , peut- être même abjecte , à une
fortune brillante. Nous l'avons vu paſſer
comme par enchantement du néant à la
grandeur. Le prodige eft - il achevé ? cet
homme nouveau eft moins frappé de l'éclat
qui l'environne qu'ébloui de l'idée
avantageufe de fes talens. Il leur attribue
fans héfiter cette étonnante métamorphofe
; il croit que fon rare mérite
déterminant les variations progreffives
de fa fortune a augmenté au moins , en
proportion égale avec elle ; fouvent même
fon coeur trop vain la croit encore inférieure
à ce qu'il devoit attendre .
Telle eft la fource empoifonnée qui
produit & multiplie les fautes , les vices ,
quelquefois les crimes ; de là le mépris ,
l'envie , l'indignation publique , la vengeance
qui accable l'orgueilleux ; car l'orgueil
, fi je l'ofe dire , amaffe fur la tête ,
un tréfor de colère qui l'écrafe tôt ou
tard le fuperbe Aman périt avec ignominie
après avoir conduit en triomphe le
modefte Mardochée.
Mais quelle preuve plus certaine peut20
MERCURE DE FRANCE.
on trouver des avantages de la modeſtie
que le fuffrage non fufpect de ceux qui
la négligent le plus ? Mettons deux orgueilleux
en concurrence ; confidérons
leurs mouvemens , leur agitation , la jaloufie
qui les excite , la haine qui les
dévore... Le rang auquel ils afpirent les
divifera moins que la découverte & le
combat réciproque de leur orgueil : chacun
d'eux voudroit que fon rival fût
moins haut , qu'il fût modefte ; enforte
que par une contradiction perpétuelle
l'orgueilleux même fait cas de la modeftie.
Mais il cherche à s'affranchir du joug
aimable d'une vertu qu'il veut trouver
partout ailleurs qu'en lui - même .
Quel pourroit être l'objet le plus digne
de nos voeux ! Seroit- il pour les grands
travaux une récompenfe plus glorieufe
& plus fatisfaifante que l'eftime publique !
L'homme eft né pour vivre en fociété
avec fes femblables , fon ardeur doit donc
concourir toute entière à mériter leur
bienveillance ; & quoi de plus propre à
gagner les coeurs que la modeftie !
Elle ne cherche point à fe faire valoir ,
elle n'entreprend rien au-deffus de ſes forces
, elle ne bleffe & n'attaque perfonne,
elle rend à tous avec empreffement les
égards qui leur font dûs , fans en exiger
AVRIL. 1759. 21
s pour elle , fans les difputer par des contradictions
frivoles ;
le mérite , le bonheur
d'autrui ne l'afflige pas , elle en voit ,
elle en fupporte l'éclat fans trouble , fans
agitation, elle n'éprouve que des mouvemens
de joie ; la fatisfaction des concitoyens
, des étrangers même forme la
portion la plus précieufe de la fienne ;
leurs vertus & leurs talens font pour
elle un modèle qu'elle fe propofe d'imiter
& le germe fécond de l'émulation
la plus noble.
L'un de fes effets les plus admirables ,
eft de forcer l'envie au filence , du moins
de rendre fes efforts impuiffans. Les exemples
perfuadent mieux que les raifonnemens
:rappellons nous ce Miniftre fameux
d'un Roi de Perfe qui , du rang de fimple
Berger avoit été élevé par fon Maître
au faîte des dignités. Il s'appelloit Mahamed-
Aly-Beg Tavernier l'avoit connu.
& le trait que je vais citer d'après ce
voyageur a paru fi frappant à un Auteur
eftimé, qu'il en a fait ufage en l'attribuant
à Efope.
Mahamed , digne par fes vertus des
bontés de fon Souverain & par fes fervices
de la reconnoiffance des Peuples ,
excita bientôt le murmure de l'envie ;
elle conçut & nourrit des foupçons
22 MERCURE DE FRANCE.
odieux qu'elle ne craignit pas de répandre
artificieufement devant le Roi : elle
ofa lui infinuer que fon favori élevoit
des édifices fomptueux , & poffedoit des
tréfors accumulés au préjudice de l'Etat .
Le Roi voulut fe convaincre par lui-même
en vifitant la maifon de fon Miniftre ;
il fut d'abord furpris de n'y rien trouver
que de fimple : l'or n'y brilloit pas comme
dans les Hôtels des autres Seigneurs
de fa Cour.
L'envie attentive à tout , fit obferver
au Monarque une porte fermée à trois
cadenats ; il commanda qu'on l'ouvrît .
Mahamed lui dit , qu'il avoit des raifons
pour empêcher l'entrée de cette chambre
; qu'elle renfermoit tout fon bien ;
que ce qui étoit dans le refte de fa maifon
appartenoit au Sophi. Repréfentezvous
, Meffieurs , la furpriſe du Monarque
& des Courtifans affemblés, lorfqu'au
lieu de richeffes entaffées , on n'apperçut
que
la houlette , l'outre , la flûte , & l'habit
de Berger qu'avoit portés autrefois
le Miniftre avant fon élévation. Voilà le
tréfor dont il repaifloit fes yeux chaque
jour , pour le rappeller le point d'où il
étoit parti. Ce Miniftre modefte demanda
pour grace unique la liberté de reprendre
les premiers habillemens , & de
AVRIL 1759. 23
retourner à fa première condition . Le
Roi attendri fe fit ôter fes propres habits
à l'heure même , & les donna au
Miniftre ; ce qui eft le plus grand honneur
que les Rois de Perfe puiffent faire
à un Sujet. Ainfi l'envie fut confondue
par une vertu fi fublime.
C'est une coutume prefque univerfelle
d'employer les plus grandes précautions
pour conferver dans les familles les terres
& les titres ; de là les fubftitutions
portées auffi loin que la prudence humaine
& la loi permettent de les étendre.
La modeftie infpire un autre genre
de fubftitution , moins brillant , mais
plus utile : il feroit digne d'une ame no¬
ble & généreufe , telle enfin que celle du
Miniftre dont nous venons de parler ,
de fubftituer avec fes autres biens les vêtemens
qui ont fervi avant que d'arriver
à la grandeur. Cette falutaire précaution
perpétueroit dans la defcendance la plus
reculée les fentimens de douceur , d'affabilité
, de modération , de juftice & d'équité.
Pourquoi fe glorifier en effet d'une
haute naiffance ? l'origine des Souverains
& des Bergers n'eft-elle pas la même ?
Ne fut- il pas un temps où tous étoient
égaux ? Selon la penſée d'un Poëte Fran24
MERCURE DE FRANCE.
çois l'un détéle le matin , & l'autre l'après-
dînée. La plupart de ces fleuves
que nous voyons rouler orgueilleuſement
leurs ondes , & fe précipiter enfin dans
le fein de la mer , ne fortent- ils pas d'un
foible ruiffeau ?
De tous les avantages de la condition
humaine il n'en eft peut-être pas de plus
équivoque & qui appartienne en quelque
forte moins à l'homme que celui de la
naiffance. Il n'y a contribué en rien ,
puifqu'il ne pouvoit rien avant que d'exifter.
Les dons de la nature , les qualités
du corps & de l'efprit font fufceptibles
de perfection par le travail & l'exerci-
.ce ; T'homme qui s'applique à l'étude &
à la pratique des vertus , auroit un prétexte
toujours condamnable , mais plus
plaufible , s'il s'enorgueilliffoit de ces richeffes
perfonnelles & indépendantes de
la naiffance ; mais la plus illuftre origine
, lorfqu'elle n'eft pas foutenue de la
nobleffe des fentimens & des actions ,
n'eft pour celui qui ofe s'en parer , qu'un
fardeau humiliant ; & ne vaudroit- il pas
bien mieux être un Plébéïen ignoré ,
qu'un Patricien méprifable : Indigne , dès
qu'il eft fans vertus , du nom célèbre
qu'il traîne plutôt qu'il ne le porte , fa
brillante naiffance fur laquelle il s'appuye
AVRIL 1759. 25
puye présomptueufement , pourroit le
faire comparer avec affez de jufteffe à une
ſtatue d'argile bizarrement élevée fur une
bafe d'or.
L'homme ne doit pas fe glorifier da→
vantage de ſes richeffes ; leur éclat paffager
donne-t-il le mérite , les qualités &
les vertus feules eftimables ? La fource
des richeffes eft quelquefois obfcure, équivoque
, illégitime : eft - elle pure ? Leur
poffeffion toujours douteuſe , incertaine ,
flottante devient encore fouvent fatale.
Combien de riches voluptueux en multipliant
d'inutiles befoins , en fe procurant
un trop immenfe fuperflu , font à la
fin conduits & livrés par les richeſſes
niêmes à l'indigence & au mépris ? Combien
de modernes Icares , pour vouloir
prendre un vol trop rapide & trop élevé ,
voyent fondre leurs aîles de cire , couvertes
de plumes de paon , & font auffitôt
précipités , fans emporter avec eux la
foible confolation de laiffer leur nom
au pays témoin de leur chûte ?
Defirable modeftie, que vous êtes néceffaire
à l'homme ! Vous abbaiffez heureuſement
l'enflure du coeur à laquelle
il n'eft que trop fujet ; vous préfervez
l'abus dangereux qu'il feroit de les biens ,
de fon pouvoir , en l'éclairant fur leur
I, Vol. B
26. MERCURE DE FRANCE.
ufage légitime. Pourquoi les fages régle
mens de nos Rois ne font-ils plus en
vigueur ? Pourquoi tous les rangs font- ils
à préfent mêlés & confondus par un faſte
prefque général & fi outré , qu'il occa
fionne fouvent de fingulières méprifes, de
bizarres épuivoques , en paroiffant mettre
de niveau les conditions les plus
éloignées ?
2
Je fçais que les partifans du luxe prétendent
qu'il eft utile à un Etat , qu'il
entretient la circulation des richeſfes
qu'il occupe une infinité d'ouvriers ;
mais pendant que tant de bras conduisent
& arrangent des fils d'or & de foie , les
campagnes font défertes & incultes , &
tous ces bras que fatigue une foie frivole
& fuperflue , feroient bien mieux
employés à cultiver la terre , & à lui
faire produire des richeffes préférables à
l'or , puifque fes fruits font les feuls biens
eflentiellement néceffaires à l'homme , &
la plupart des autres ne font des
fignes arbitraires de convention , des
préfens funeftes qui n'énervent pas feulement
les corps , mais amolliffent encore
les courages ; & ne fçavons – nous
pas que le luxe des Afiatiques avoit préparé
les victoires d'Alexandre ?
que
A
que
L'oferai-je dire ? femblable à ces vents
AVRIL. 1759. 27
deftructeurs dont la chaleur dévorante
defféche les plantes qui en font frappées ,
& les empêche de fe reproduire par de
nouvelles tiges , le luxe prive les Royaumes
de leur plus grande reffource en s'oppofant
à la population dont il eft l'ennemi
fecret & dangereux. Pour foutenir
fon fafte , on fe refufe aux voeux de la
Nature ; on aime mieux augmenter le
nombre de fes domeftiques que multiplier
fa famille.
L'oftentation n'eft - elle pas encore une
espèce de dureté à l'égard du pauvre ?
Faire briller l'or à fes yeux fur de magnifiques
étoffes qu'il voit changer chaque
jour , c'eft préfenter aux yeux foibles d'un
Malade une lumière ardente & importune
; c'eft lui renouveller fans ceffè l'idée
de fes malheurs ; c'eft le forcer de
faire un parallèle accablant de fon indigence
& du fuperflu qu'on étale à fa
vuë fans ménagement .
·
L'ufage des richeffes feroit - il donc -
défendu ? Non ; mais imitez la Nature.
La terre précieufe qui contient l'or &
l'argent dans fon fein , les couvre , les
diftribue en veines , & ne les montre pas
au-dehors avec profufion ; que la modeftie
couvre également les richeffes ; qu'elle
en prefcrive l'ufage légitime , & que l'hu-
Bij
18 MERCURE DE FRANCE.
manité en conduife quelque veine fecourable
dans le fein du malheureux . O !
vous , qui que vous foyez , qui vous enorgueilliffez
de vos richeffes , & prétendez
être recommandables à ce titre ,
quelle eft votre erreur ! Songez que
fi
les égards leur font dûs , tout ce que vous
poffedez ne vaut pas quelques toifes des
mines du Pérou , & que ces précieuſes
montagnes mériteroient bien plus de
confidération que vous.
Portons nos regards fur des biens plus
réels & préférables à toutes les richeſſes ,
fur le mérite , le génie , les talens , quel
luftre ne reçoivent-ils pas de la modeftie
, & combien au contraire l'orgueil &
la préfomption les obfcurciffent & les
déparent ! La modeftie eft en effet au
génie & aux talens ce qu'eft la pudeur à
la beauté ; elle y donne un nouvel éclat.
Qu'un homme d'un grand mérite ſoit
orgueilleux , il n'aura que de foibles
droits fur l'eftime & l'amour du Public ,
qui craint d'être fubjugué , ou s'il lui en
accorde , il ne le fait qu'avec peine &
réſerve. L'homme modeste , avec des talens
égaux , peut- être moins brillans , eſt
plus für de réunir les fuffrages : le premier
ne les obtient qu'en les arrachant , pour
ainti dire : le fecond les gagne avant que
de les demander ,
AVRIL 1759: 29
Il eft de ces hommes vains & fuperbes
entêtés d'eux-mêmes , toujours occu
pés de leur mérite réel ou prétendu , qui
dédaignent leurs égaux , méprifent leurs
inférieurs , & croyent furpaffer leurs fupérieurs.
Ils s'imaginent être formés d'u→
ne fubftance plus pure. Ils s'admirent &
femblent prendre la trompette & dire ,
admirez-nous auffi nous fommes de
grands hommes .
›
13
Dévoilons les mystères de la coquetterie
; voyons à fa toilette l'une de ces
femmes qui fe font une étude particuliere
& fuivie , un mérite néceffaire , quelquefois
utile , de leurs attraits ; livrée à
des rêveries agréables , elle fe contemple
dans un miroir , elle careffe des yeux fa
précieuſe image , elle réfléchit fur fes
charmes avec une complaifance inexpri
mable , & s'écrie au fond du coeur ! Oui,
je fuis la plus belle . Combien d'orgueilleux
lui reffemblent en ce point ! Enchantés
de leurs talens , ils en admirent
l'excellence ; trompés par la glace flateufe
que leur préfente l'amour- propre ,
l'illufion eft complette ; ils n'entrent jamais
en comparaifon avec perfonne , ou
s'ils s'abbaillent à la faire , qu'elle eft peu
favorable à l'objet rapproché & auffitôt
rejetté. Nos talens ne trouvent rien qui
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
les égale. Voilà l'expreffion de leurs fentimens.
Ecrivains orgueilleux, Auteurs enchantés
de vos productions fouvent futiles &
languiffantes , confidérez le divin Virgile
; comparez , fi vous l'ofez , vos écrits
à fon Poëme harmonieux & fublime :
comparez votre orgueil avec fa modeſtie.
Il ordonna , par fa derniere volonté , que
le chef- d'oeuvre du génie & du goût fût
enfeveli dans les flammes.
Philofophes audacieux, qui croyez tout
fçavoir , fouvent fans avoir beaucoup
étudié , conſidérez le plus fage du Paganifme
, admirez Socrate , qui pénétré de
Í'immenfité des chofes qu'il n'avoit pas
encore approfondies , penfoit ne rien
fçavoir. Puiffent ces exemples , puiffent
ces grands hommes infpirer la modeſtie
& bannir l'odieufe & téméraire préſomption
qu'on peut nommer à jufte titre le
fléau de la Société .
La modeftie au contraire en eft la
tectrice. Achevons , Meffieurs , fon éloge
proachievous
, Meliefs, fon pooe
par un trait qui en caractériſe encore les
avantages ; ajoutons qu'elle convient à
toutes les conditions , à tous les états ,
à tous les âges ; qu'elle en fera toujours
le plus utile & le plus bel ornement , &
furtout qu'on ne la croye pas incompa-
1
.
AVRIL 1759. 3r
·
tible avec le courage , puifqu'elle en eft
le figne le moins équivoque , le principe
le plus certain.
Jules -Céfar recommandoit particulièrement
la modeftie aux Militaires . Le Roi
Archidamus , qui a vêcu plufieurs , ficcles
avant lui , dans une Harangue aux Spartiates
fes Sujets , que Thucydide nous a
confervée , dit ces paroles remarquables :
Gardons notre première modeftie , qui eft la
fource de notre valeur & qui nous rend fouples
& obéiffans dux Loix. *
Mais pourquoi recourir aux Anciens ,
pourquoi fouiller , pour ainfi dire , dans
une terre étrangere , lorfque nous fommes
riches de notre propre fond ? Les
noms des Turenne , des Catinat , en
tappellant les prodiges de la valeur &
la perfection de l'Art Militaire , affocient
à cette noble idée le fouvenir touchant
de la plus rare modeftie dont ces illuftres
Guerriers cherchoient à couvrir l'éclat de
leurs vertus & de leurs triomphes.
Nous trouvons heureuſement dans notre
Hiftoire & dans ce fiécle même , un
glorieux combat de modeftie qui fut trèsutile
à la France.
* V. Thucydide , Traduction de Perrot d'Ablancourt
, Liv. 1. pag. 71. de l'Edit . in -12 . de
1662 .
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
L'Editeur des Mémoires du Maréchal
de Villars raconte que dans un tems critique
pour ce Royaume & à la veille d'une
action que Louis le Grand prévoyoit devoir
être générale & décifive , le Maréchal
de Boufflers plus ancien que le Maréchal
de Villars , offrit d'aller fervir fous
fes ordres , oubliant généreuſement le privilége
de fon rang dès qu'il s'agiffoit du
bien de l'Etat ; arrivé à l'Armée , on vit
alors le plus noble combat entre les
deux Généraux , aucus d'eux ne vouloit
commander ; chacun vouloit obéir ; ne
pouvant s'accorder ils terminérent cette
difpute rare & héroïque , en convenant
de partager avec égalité le Commandement
de l'Armée ; c'eft ainfi que la modeflie
s'élevant au- deffus des vaines diftinctions
› méprifant le point frivole
d'ancienneté , de rang , de préféance , ne
s'occupe que du bien de la patrie & forme
le témoignage le plus fenfible & les
preuves les plus certaines du vrai courage
& de l'Héroïfme .
Parcourons l'immenfité des tems ; rappellons
- nous les grands hommes , les
Artiſtes célèbres ; ils furent prefque tous
modeftes : la modeftie femble être , en
effet, l'appanage le plus ordinaire des vertus
& des talens' ; & convenons qu'en adAVRIL
1759. 33
mirant les titres glorieux de Conful , d'Orateur
Romain, de Prince de l'éloquence,
de pere & de libérateur de la patrie, qu'a
fi juftement réunis Ciceron , nous voudrions
intérieurement que la vérité permît
d'ajouter a fon éloge Il fut modefte .
S'il eft done vrai que le mérite le plus
éclatant & le plus folide ne peut obtenir
une grace entière pour l'orgueil qui le
ternit , combien doit paroître fingulière
& ridicule la vanité que l'on voit fouvent
naître & fe nourrir de qualités médiocres
& fi inférieures à celles de ce grandhomme.
La
A Mademoiſelle de
A jeune Aminte à qui mon zéle
M'empêche de rien refufer ,
Prétend que je rime pour elle
Des vers qui puiffent l'amufer.
En vain pour garder le filence
J'oppoſe mon inſuffiſance
A la loi qu'elle me prefcrit ;
Elle me traite d'indocile :
Comme tout lui paroît facile
On déplaît , fi l'on obéit.
Hé bien , puifqu'Aminte l'ordonne ,
Je dois foufcrire à fon projet,
B▾
3.4
MERCURE DE FRANCE
Mais en fecondant fon objet ,
Profiton's fans qu'on nous foupçonne
De la liberté qu'elle donne
Sur le choix d'un tendre fujet.
Aimables Nymphes du Permeſſe ,
Hâtez-vous d'embellir mes chants ,
Verfez fur mes foibles accens
Ce feu , cette éloquente y vrelfe
Dont la douceur charme les lens.
Si par cette douce harmonie
Que vous répandrez fur mes fons ,
Si par vos touchantes leçons
Mon Aminte étoit attendrie ,
Mufes , le bonheur de ma vie
Seroit le fruit de vos chanfons.
Du Dieu qui révere Amathonte ,
Je bravois les fers glorieux ;
Mais eft-il un coeur qu'il ne dompte,
S'il puife fes traits dans vos yeux ?
Par vous ma conquête facile
Fait fon triomphe & mon bonheur.
Une réſiſtance inutile
Eût moins fignalé mon vainqueur.
Chere Aminte , je vous adore ,
Cet aveu m'échappe à regret ;
Brulé du feu qui me dévore ,
A celle qui le fit éclore
J'oſe en dévoiler le fecret.
1
AVRIL. 1759.
Si les fentimens quej'exprime
Vous paroiffent injurieux ,
Si vous regardez comme un crime
L'amour que j'ai pris dans vos yeux ;
Pour juftifier mon audace
Songez que toujours au Parnaffe
L'art de tromper fut établi ,
Et que j'ai pu fans injuftice ,
Parler par un fimple caprice ,
D'un feu que je n'ai point fenti.
Ainfi donc , adorable Aminte ,
Sufpendez votre étonnement :
Mon amour pour être une feinte
N'attend que votre jugement.
Auffi charmante qu'inflexible
Si vous dédaignez mes tranfports,
Si pour vous rendre plus fenfible
Je ne fais que de vains efforts ,
Alors mon inutile hommage
N'eft que le jeu d'un coeur volage
Qui manque de réalité ;
Mais fi par un deftin contraire
J'avois le bonheur de vous plaire ,
Je n'ai dit que la vérité .
Par M. Audiffret , Juge Royal de Barjols en
Provence.
B vj
..I
36 MERCURE DE FRANCE.
1
BOUQUET.
QUEL
UELLE Symphonie éclatante
Frappe mon oreille en ce jour ?
Partout on rit , partout on chante ,
Et la mufette & le tambour ,
De la fêre la plus brillante
Nous annoncént l'heureux retour.
Des plaifirs la troupe riante ,
Pour habiter ce beau féjour ,
Sur les traces du tendre amour
Vient de quitter l'ifle charmante ,
Où Vénus a fixé fa Cour.
Les premiers rayons de l'Aurore
A peine brilloient à nos yeux,
Que les Graces & Terpficore ,
Après avoir d'un vol joyeux
Parcouru l'empire de Flore ,
Et cueilli le plus précieux
Des parfums que l'on voit éclore
Dans ces jardins délicieux ,
Ont fur la beauté qu'en cès lieux
A l'envi tout Mortel adore ,
Epuifé les tréfors heureux
D'un Art que toute Belle honore,
Art charmant , Art ingénieux
Par qui l'on embellit encore
Les attraits les plus merveilleux !
AVRIL 1759. 37
Déja la plus jeune d'entr'elles
D'un fouffle auffi pur que divin ,
A fur fes couleurs naturelles
Répandu l'éclat d'un beau tein.
L'autre de mille fleurs nouvelles
Va parer fa tête & fon fein.
L'Amour charmé de fon deffein
Arrange à fon tour les plus belles
Pour l'en couronner de fa main.
Enfin autour d'elle empreffées ,
Elles font de fes blonds cheveux
Mille boucles entrelaffées
'
De rubans , de fleurs & de noeuds
Sous cette parure élégante
Où l'art , de fa beauté naiſſante
Releve l'éclat naturel ,
La jeune Thereſe eft fi belle ,
Qu'on ne peut ni rien voir de tel
Ni vouloir rien voir après elle.
Elle feule unit à la fois
Des Graces l'aimable fourire ,
De l'Amour le piquant minois
A l'air noble & fier qu'on admire
Dans la chafte Nymphe des Bois.
Par cette fidelle peinture
Il eft facile de juger
Que fes beaux yeux fans y fonger
Font partout la même bleffure ,
Et qu'on n'en connoît le danger
38 MERCURE DE FRANCE.
5
Qu'après que leur victoire eft fure .
Heureux qui pourra mériter
D'en obtenir un regard tendre !
Malheureux qui ne peut prétendre
Qu'a la gloire de les chanter !
LETTRE
A Madame la Comteſſe D ******** ¸
Du toit de Philémon vertueuſe habitante ,
Baucis , écoute-moi . Que fais- tu loin des lieux
Où coule la Mayene , où fon onde ferpente ,
Où j'ai perdu dans toi mon eſpoir & mes Dieux ?
Que fais tu fur le Clain ? Je fais que le vrai Sage
Trouve en tous lieux l'afyle du bonheur.
Dans le Palais des Rois , comme au fond d'un
boccage ,
La joie eft dans les yeux & la paix dans fon coeur.
Heureux partout , le monde eſt ſa Patrie ;
La mienne , hélas ! eft celle de l'amour.
Ma Patrie eft la tienne , ô charmante Emilie !
C'eft celle où tu me vis enyvré tour- à-tour
Du plaifir de t'ainer , du defir de te plaire ,
Et de l'espoir d'affortir quelque jour
Les fleurs du Pinde & celles de Cithère.
Touché de tes appas , j'adorai tes vertus :
AVRIL. 17597 39
Je vis la beauté jointe a la Philoſophie ,
Les Graces s'égayant à côté d'Aſpafie .. ..
Trop ten fre fouvenir d'un bonheur qui n'eft plus !
Qui n'eft plus ! Quel penfer vient ici me furprendre
!
Je fuis moins malheureux : tu te fouviens de moi :
Tu fais franchir , d'un oeil aimable & tendre ,
L'efpace trop cruel qui m'éloigne de toi .
Pour moi je crois toujours te parler & t'entendre
Je te trouve partout ; tu me fuis en tous lieux
Dans l'ombre de la nuit tu m'es même préfente ,
Et ton image à jamais renaillante
;
Dans les bras du fommeil s'offre encor à mes yeux
Fixé par le deftin , dans cet obfcur aſyle ,
Qu'y ferois-je fans toi ? Dépourvu de fecours ,
Accablé du fardeau d'une troupe imbécille ,
Dans le trifte printemps que la parque me file ,
Toi feule es mon foutien , mon appui, mon recours
Je ne vis que pour toi. Ma plume obéiſſante
Retouche ce tableau dont frémira ton coeur :
J'expofe à tes regards cette fcène changeante
De crime & d'infortune , & de doute & d'erreur.
Tel eft le tourbillon qu'on appelle le monde.
Un voile épais fur ce globe jetté ,
Tient dans la nuit ou dans l'obscurité
Les tragiques forfaits dont fans ceffe il abonde
Au loin gémit la vérité :
Tourmentée ici-bas , inquiette , éperdue ,
40 MERCURE DE FRANCE.
T
Des fourbes & des fots elle craint la cohue.
Hélas ! je m'en fouviens ; humble dans fa beauté,
D'un air libre & charmant autrefois je l'ai vue ,
Dans ton boudoir entrer à demi nue ,
Et fans rougir s'affecir à mon côté.
Par M. de L. T.
ODE
SUR la mort de M. du Guay - Trouin ,
Lieutenant général des Armées navales
, &c. *
*
-
D'où partent ces clameurs funèbres
Triftes enfans de la douleur ?
Flambeaux , votre pâle lueur
Augmente l'horreur des ténèbres.
Eole fait frémir les airs ;
Neptune fait mugir les mers ;
Le Ceil s'entrouve , il étincelle.
Dieu puiffant , qui menacez-vous ?
Quelle redoutable nouvelle
Vient annoncer votre courroux ?
Elève du Dieu de la Thrace
Que Breft cultive dans fon fein ,
J'ai cru devoir publier cet éloge d'un homme illuftre
dont la mémoire eft précieuſe à la France , & dont l'exemple
est une leçon.
AVRIL 1759. 41
Le bruit de nos foudres d'airain-
N'exerce-t-il plus votre audace ?
Le falpêtre à coups redoublés ,
S'allume , part..... Vous vous troublez ;
Guerriers , vous répandez des larmes ,
Et laiffez tomber de vos mains
Ces armes , ces terribles armes
Le jufte effroi de nos voisins .
Que cette langueur accablante
Frappe mon coeur épouvanté !
Votre mâle intrépidité
Brava cent fois la mort préſente ;
D'où peutnaître votre terreur ?
Qu'entends-je ! ô récit plein d'horreur ! ´
Contre Du Guay la mort prépare
De tous fes traits les plus aigus.
Ce Héros,.. arrête , barbare !
C'en eft fait , ce Héros n'eft plus.
De la mer , prétendus Monarques ,
Dont Du Guay confondit l'orgueil ,
Bravez ce héros au cercueil ,
Et louez la fureur des Parques.
Pourquoi ce reproche odieux ?
Non , non , ce Peuple impérieux ,
Malgré les tranfports de fa rage ,
Au Guerrier dont il eft jaloux
Ne refufe point fon hommage ,
Même en expirant fous les coups.
42 MERCURE DE FRANCE.
Il meurt , ce Guerrier intrépide ,
Qu'au milieu des plus grands hazards ,
Contre Bellone & contre Mars ,
Pallas couvroit de fon égide. *
Il meurt dans le fein de la Paix .
Ses mânes feroient fatisfaits
Si terminant fa courſe heureuſe ,
Devant les remparts de Danifick **
Il eût eu la fin glorieufe
Des Ruiter , Turenne & Berwich.
Confolez-vous , ombre immortelle ;
Un plus honorable trépas
A votre fort ne pouvoit pas
Donner une gloire nouvelle.
Quand par un fentier peu battu ,
Jufqu'au faîte de la vertu
Le vrai héros a pû paroître ,
Sa gloire ne s'augmente plus.
Il est tout ce qu'il pouvoit être ;
D'autres honneurs font fuperflus.
Dieu des vers , ah ! fi de ma lyre ;
Ranimant les foibles accords ,
Tu fecondois les vifs tranfports
Que le nom de Du Guay m'infpire ,
Sur quel ton , fur quels nobles airs
* Il n'a jamais été bleffé .
** M. du Gary- Trouin defiroit beaucoup d'être envoyé
à Danzic , en 1733 .
L
AVRIL. 1759.
Annoncerois - je à l'Univers
Que le Léopard Britannique
Uniſſant ſes cruels efforts
Au courroux du Lyon Belgique ,
Viendroit expirer dans nos Ports ?
Oui , je franchirai les limites
Que des Dieux le dépit ſecret ,
Aux fiers defcendans de Japhet ,
Malgré le deftin , a prefcrites.
Méprifant les vents & les flots ,
J'accompagnerai mon Héros
Sur les mers du Riogenere ,
Et j'admirerai du Vainqueur ,
Dans l'un & dans l'autre hémisphère ,
Le même bras , le même coeur .
J'y verrai la valeur fuprême
Indépendante des climats ,
Parmi les feux & les frimats ,
Se diftinguer toujours la même.
Du Guay fous un Ciel étranger
Portant la mort & le danger ,
Fera retentir ſon tonnerre ,
Tel que fur Neptune tremblant ,
Aux yeux même de l'Angleterre ,
Il foudroyoit le Cumberland. *
C'est un des plus beaux exploits de M. Da G. Ta
-Voyez les Mémoires.
44 MERCURE DE FRANCE :
Où m'embarquai -je , téméraire ,
Pour chanter l'Achille Breton ?
Mufes , ordonnez à Pluton
De nous rendre l'ombre d'Homere :
Mais par d'impitoyables loix
On n'écoute plus votre voix
Au- delà des temps , du Cocythe.
Pour former de lugubres fons ,
Cherchez quelque anie favorite
Qui foit digne de vos leçons .
Voyez cette Ifle , où la fortune
De concert avec le Dieu Mars ,
Eleva d'orgueilleux remparts
Jufques dans le fein de Neptune:
Chez ces habitans redoutés ,;
Le héros que vous regrettez
Vit briller fa première aurore.
Mufes , ils ont fçu l'imiter ;
Par vos foins ils pourront encore
Eux feuls dignement le chanter.
- * M. Du G. T. étoit de Saint Malo. Le terrain des
accroiffemens qu'on a faits à cette Ville , a été pris fur la
mer , & les richelles acquifes par le commerce , ont fourni
à la dépenſe . C'eſt ce qu'on a exprimé dans l'Infcription
fuivante :
Hic fuerant naves , nunc ades , pontus amicus ,
Adibus his fumptum , præbuit atque locum.
Cette Infcription eft de M. de Maupertuis , né à Saint
Malo.
AVRIL 1759. 45
OBSERVATIONS
Sur une Harangue prononcée le 8 Janvier
dernier par le Profeffeur de Rhéthorique
du Collège Royal d'Orléans
dans laquelle on a prétendu démontrer
qu'il étoit plus aifé de fe faire un
grand nom par la voie des armes , que
par celle des Lettres . Utrum armis , an
litteris fama citiùs comparari poffit,
LIDE
Par un de fes Ecoliers,
'IDÉE avantageufe que je m'étois formée
de la Littérature, l'eftime particulière
que j'en avois conçue & que vous-même
m'aviez tant de fois infpirée , m'avoient
tellement prévenu en fa faveur que je n'ai
pû voir fans étonnement la manière dont
vous vous êtes élevé contr'elle dans la
Harangue que vous avez prononcée le 8
de ce mois. Quoi vous qui par état &
par profeffion devez la foutenir, vous ofez
attaquer ? Vous qui par devoir & par reconnoiffance
devez la protéger, vous ofez
la combattre ? Oubliant que c'eft à l'aimable
Littérature que vous êtes redevable
des applaudiffemens que vous avez
46 MERCURE DE FRANCE.
recueillis , vous vous montrez fon adver
faire. Sans refpect pour les Lettres , vous
mettez en uſage ce que l'éloquence a de
plus flatteur & de plus féduifant pour les
fubordonner aux armes. Partifan de Mars
& de Bellonne , abandonneriez- vous les
neuf Soeurs ?
Souffrez que je prenne en main la caufe
de la Littérature ; fouffrez que je la
venge des coups que vous lui avez portés.
Si le Public féduit par les charmes
d'une éloquente harangue , s'eft vû forcé
de vous donner fes fuffrages ; il n'a pas
prétendu adopter votre manière de penfer.
Un fyftême qui n'avoit d'autre mérite
que celui de vous avoir pour défenfeur
a pû pour quelques inftans éblouir les ef
prits , mais non pas les amener à la conviction.
Effayons par quelques obfervations de
rendre à la Littérature l'honneur que Vous
lui avez enlevé , & la juftifier des reproches
que vous lui faites. La vérité
exige cet hommage , auffi eft- ce d'elle
feule que j'emprunterai des armes ?
Quelque oppofés que paroiffent entre
eux le Guerrier & le Littérateur , ils ont
cela de commun qu'ils travaillent uniquement
pour la gloire : animés de nobles
motifs & de généreufes inclinations ,
AVRIL. 1759.
leur but eft l'immortalité. Egalement
utiles au bien de la fociété , ils y concou
rent également quoique par des voyes
différentes & des routes oppofées. Le
Guerrier valeureux qui fért fon Roi , fa
patrie , fes concitoyens , mérite nos hom+
mages ; le Sage & l'aimable Littérateur
qui nous inftruit & nous amufe , mérite
notre reconnoiffance .
Mais qu'il en eft peu qui connoiſſent
la véritable gloire ! Que de Guerriers illuftres
ne doivent leur réputation qu'à
des crimes heureux ! J'ouvre les faftes
du monde... qu'y vois - je ? d'illuftres
méchans décorés du beau titre de Conquérans
, des terreins incultes achetés
au prix du fang des hommes , des victoires
& des triomphes que les pleurs
& le dueil accompagnent. Céfar ( ditesvous
) , préfére l'Art Militaire à la gloire
qu'il pouvoit acquérir dans le Barreau ,
& la voie des armes lui paroît plus fûre
que celle de l'éloquence . Un pareil exemple
peut- il conclure contre les Lettres en
faveur des armes ? Céfar , de citoyen
vertueux devient le fléau de fa patrie ,
le Tyran de fes concitoyens , trempe
fes mains dans leur fang & ravit leur liberté.
Sont-ce des titres pour acquérir
la célébrité a
48 MERCURE DE FRANCE.
En vain pour élever les armes fur les
trophées de la Littérature , avez - vous
emprunté de l'Art ce que la vérité vous
refufoit ; en vain vous êtes- vous attaché
à nous la montrer fous le jour le plus
odieux & fous l'afpect le plus défavorable.
Forcé de convenir que la gloire
qu'elle procure eft plus pure , plus innocente
, que bien loin d'être contraire à
la félicité publique , elle en fait le plus
bel ornement , que fes lauriers ne font
point mêlés de cyprès , ni fes triomphes
arrofés de fang , vos traits font fans force
, vos efforts impuiffans , vos coups
n'ont pû lui nuire.
Tout prévenu cependant que je fuis
en faveur des Lettres , je ne prétends
pas ici donner la moindre atteinte à la
profeffion des armes ; je la refpecte trop
pour me montrer fon antagoniste. Défenfeur
des Lettres , je ne fuis point rival
des armes. La véritable valeur eft d'un
prix fans bornes & mérite une eftime fans
mefure. Quoi par exemple de plus digne
de notre admiration que l'hiftoire dePierre
du Terrail plus connu fous le nom de
Chevalier Bayard , l'homme de fon Sićcle
le plus courageux , & en même tems
le plus vertueux ? Ce Héros après des fervices
fignalés rendus aux Rois Charles
VIIL
AVRIL 1759. 49
-
VIII . Louis XII . & François I. fut bleſſe
à mort à la retraite de Rebec . * Après
s'être recommandé à Dieu , il ſe fait coucher
ſous un arbre le vifage tourné contre
l'ennemi , » n'ayant jamais tourné le
» dos devant lui ( dit-il ) je ne veux pas
»commencer à la fin de ma vie . Et puis il
chargea un Seigneur diftingué qui fe trouvoit
auprès de lui de dire au Roi qu'il mouroit
très content , parce qu'il mouroit
pour fon fervice , & que le feul regret
qu'il avoit étoit qu'avec la vie , il perdoit
le moyen de le fervir plus longtemps.
Un inftant après Charles de Bourbon qui
pourſuivoit l'armée des François paffa devant
l'endroit où expiroit ce généreux
Guerrier , lui témoigna combien il étoit
fenfible à l'état où il le voyoit réduit.
»Monfeigneur, je vous remercie, repartit
»fièrement Bayard , il n'y a point de pitié.
» en moi qui meurs en homme de bien ,
» fervant mon Roi ; il faut avoir pitié de
» vous qui portez les armes contre votre
و د
* Nota . En 1524. où nos troupes commandées
par l'Amiral de Bonnivet eurent quelque téfavantage
contre celles de l'Empereur Charles V.
commandées par Charles de Bourbon Connéta
ble de France.
1.Vol.
C
4
so MERCURE DE FRANCE,
» Prince , votre Patrie , & votre ferment ; »
enfuite il l'exhorta d'une voix mourante à
fe réconcilier avec fon Souverain & à quirter
le parti ou il s'étoit jetté.Que cet exemple
eft beau, qu'il eft grand , qu'il fait d'impreffion
fur mon coeur ! Trop mémorable
hiftoire, portion la plus noble de la littérature,
que ne te dois-je pas de m'avoir confervé
ce préciéux événement ! Mais que de
pareils exemples font rares, que les fiécles
font lents à nous les produire;que ces deux
titres de Chevalier fans peur & fans reproche
, qui ont été décernés à Bayard , fe
trouvent rarement réunis ! * En effet , fi
d'un côté je trouve l'héroïfme de la valeur
, de l'autre je trouve les forfaits les
plus inouis. D'un côté forcé d'admirer , de
l'autre forcé de détefter. Ici je vois le
héros , là je vois le traître. Ici le défenfeur
de l'Etat , là le destructeur. La fidé-
* J'ai rapporté ce trait d'Hiftoire parce qu'il
fournit la matière d'un fort beau contrafte , &
qu'en même-temps il fait fentir combien de pareils
exemples font rares. Les Contemporains
même de Bayard pouvoient à peine ſe perfuader
que tant de belles actions fuflent celles d'un homme,
& c'eft ce qui a donné lieu à une infinité de
Romans , où l'on n'a pas manqué de nous repréfenter
comme galant un Guerrier qui n'étoit rien ·
moins .
AVRIL. 1759. SI
lité d'un côté , de l'autre le parjure ;
tous deux courageux : mais l'un eſt vertueux
, l'autre criminel.
Quittons ces triftes images , reviens ,
aimable Littérature , les forfaits te font
inconnus , & fi tu as l'avantage de nous
procurer une gloire plus pure & plus innocente
, celle que tu nous promets eft
encore & plus prompte & plus aifée à
acquérir. C'est ce que je vais tâcher d'établir.
Pour le faire avec clarté , je pofe en
principe que plus les moyens font fimples
pour parvenir à un but , moins ils font
multipliés ; plus vite on y parvient, plus
furement on y arrive : c'eft par l'application
de ce principe tant aux armes
qu'aux lettres qu'il fera faci.e de décider
la queftion.
Il eft difficile de fe faire un grand nom
par la voie des armes , parce que la gloire
où afpire le Guerrier eft affervie à
une infinité d'évènemens . Efclave des occafions
, elle ne fauroit fe produire d'ellemême
, mille écueils l'environnent , mille
obftacles en retardent le progrès, les difficultés
fe fuccédent les unes aux autres , &
après de longues épreuves , & des tentatives
fouvent réitérées , on fe trouve encore
Cij
32 MERCURE DE FRANCE.
éloigné du but . Développons cette penfée.
La paix , l'heureufe paix régne fur la
terre. Les mortels fatisfaits font des voeux
pour fon éternelle durée ; au gré de leurs
defirs , elle ne fauroit trop longtems ſubfifter.
Le Guerrier feul s'en afflige regardant
avec dédain un repos contraire à fes
projets , il gémit dans l'impuiffance de ne
pouvoir acquérir la gloire dont il ſe flatoit.
Réduit à s'attrifter de ce qui fait la félicité
commune, la paix lui eſt à charge. Le beau
feu qui l'anime faute de matières & d'alimens
, fe rallentit , s'éteint & fe confume.
Tel eft le Guerrier en tems de paix.
Suppofons que le Ciel en courroux ait
exaucé fes voeux. Mars en fureur , l'Europe
enflammée préfente à fon courage
des objets dignes de lui. Albion , malgré
fes fermens , fe parjure, & contemple d'un
cil d'envie la gloire de l'empire des lys.
Le Guerrier vole , aucun obftacle ne le
retient , fon bras lui promet tout , fa valeur
ne connoît point de dangers , rien
n'arrête fon héroïque ardeur. Mais que de
hazards ,
, que d'incertitudes ! Qui promet
le fuccès ? qui répond de la victoire ? comment
fe flatter que de belles actions confondues
dans la foule des événemens feront
reconnues ? comment efperer qu'elAVRIL.
1759.
53
les pafferont au grand jour ? Mille rivaux,*
mille concurrens vous difputent ce prix ,
& à force pour ainfi dire de le partager ,
aucun n'eſt cenfé l'avoir obtenu , quoique
tous l'ayent mérité .
,
Enfin que de fragilité dans la gloire où
afpire le Guerrier ? il touche au comble de
fes defirs , fes efpérances fe réaliſent , il
eft fur le point de recueillir le fruit de fes
travaux tout concourt même à lui en
affurer les fruits les plus abondants , lorfqu'au
milieu de ces flateufes idées les jours
font moiffonnés , & en même temps que
la lumière lui eft ravie , fes projets de
gloire , de fortune & de grandeur s'anéantiffent
à jamais dans les ombres du tombeau.
A l'abri des allarmes , dans le fein du
repos le Littérateur ne connoît point cest
obftacles ; le chemin de la gloire eft pour
lui femé de fleurs. Peu d'écueils s'y rencontrent
, encore font-ils promptement
* J'aurois fouhaité rendre cette penſée un
peu plus claire , car elle exprime d'une maniè
re bien fenfible l'ardeur de tant de braves guerriers
qui combattent pour la gloire , & qui
s'étant également diftingués font cependant peu
parce que le nombre affoiblit pour
ainfi dire , & diminue le prix des belles actions de
chacun d'eux .
connus >
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
applanis. Elevé pour ainfi dire au- deffus
des événemens , il n'attend rien des autres.
Artifan de fa gloire , il ne la doit
qu'à lui feul . Que Mars s'abbreuve de fang
& de carnage , que la paix faffe revivre
la joie & l'abondance , les routes de la
gloire font toujours pratiquables. En effet
un génie heureux paroît , fon ouvrage
applaudi mérite du Public un favorable
accueil , il a de tous les coeurs captivé
les fuffrages. On bénit fon Auteur , on
s'empreffe à l'envi de le combler d'éloges ;
fon nom paffe de bouche en bouche ;
la renommée cette prompte meffagère n'a
pas affez de voix pour publier fa gloire.
Alors que de titres affurés , que de gages
conftans d'une heureufe immortalité
! jamais réputation fut- elle plus prompte
, plus aifée , plus rapide ? Littérature,
ce font tes prodiges, c'eſt à toi feule qu'ils
font réfervés , ce font les récompenfes
que tu deftines à ceux qui marchent fous
tes étendarts.
Enfin la Littérature eft l'empire de la
paix ; l'union & la concorde règnent dans
fon fein. La fureur des combats n'y pénétra
jamais. S'il s'éléve quelque divifion,
elle eft promptement terminée , mais fans
répandre de fang. Une douce liberté compagne
du bonheur prodigue àfes Sujets des'
7
AVRIL. 1759. 35
jours purs & tranquilles. Le defpotifme
n'y eft point connu ; nulle autorité que
celle donne le favoir & la vertu ; la
que
prééminence eft celle des talens , la fubordination
n'eft point honteufe, parce que
tout y eft grand. Précieufe Littérature que
ton empire eft doux , que tes Sujets font
heureux !
Que de prérogatives jufques ici fe réu
niffent en faveur de la Littérature ! Elles
font trop frappantes pour vouloir les méconnoître.
Vainement pour les obſcurcir
on la charge de reproches. Vainement
on veut la rendre complice de divers
abus qui s'élèvent parmi ceux qui la cultivent.
Tel eft ordinairement le langage
de l'ingratitude. Si des Littérateurs obfcurs
par de médiocres écrits aviliffent les
Lettres fi des Écrivains méprifables
abufent de leur commerce , fi l'on voit
quelquefois l'émulation dégénérer en
envie , la critique en calomnie , font- ce
des motifs raisonnables pour décrier les
Lettres peut -on légitimement leur en
faire un crime ?
•
La critique même , ce terrible fléau du
Littérateur , que vous nous repréſentez
avec des couleurs fi noires ', & dont vous
nous faites un tableau fi hideux , bien
loin d'être un obftacle à fa gloire , ne
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
fert qu'à en illuftrer l'éclat , & à en rehauffer
le prix. C'eft une redoutable barrière
, un feuil facré qui une fois franchi
en affure la durée & en fixe l'incertitude.
Le Critique honnête- homme eft un des
plus utiles Sujets de la Littérature . Arbitre
du bon goût , confervateur de l'honneur
littéraire , c'eſt dans fes mains qu'en eft le
précieux dépôt ; les droits lui en font confiés,
& fon fèvère tribunal eft chargé de les
maintenir. Ce n'eft pas le connoître que
de lui prêter des caractéres auffi bas que
ceux de l'envie & de la jaloufie . S'il
fe trouve des hommes vils qui oubliant les
nobles fentimens que la Littérature pref
crit à fes enfans , s'en fervent comme
d'un moyen pour fatisfaire quelque paffion
particulière , je le répéte encore ,
ce font de funeftes abus dont les Lettres
ne font pas refponfables. Bien loin de les
autorifer , elles les défavouent , dès - lors
elles n'en font plus complices , & on
ne doit plus les leur imputer.
Que leur Adverfaire reconnoiffe aujourd'hui
fon erreur ; que l'illufion qui
l'a féduit laiffe prévaloir la vérité ; pour
moi fans décider entre les armes & les lettres
, je me contente d'avoir lavé ces dernières
des reproches qu'on leur a faits . *
* Puiffe le jeune Auteur de cette apologie ne
jamais revenir de fon heureuſe prévention !
AVRIL 1759. 57
PORTRAITS.
LA fiere Delphire arrive -t - elle
dans une promenade , elle fe préfente
d'un air fi noble , fi affuré , fa démarche
eft fi remplie de grace qu'elle parvient
bientôt à fe faire diftinguer dans la foule
,
.
elle porte la tête haute & la tourne
de tous côtés avec complaifance , elle
Lourit gracienfement à tous ceux qui la
faluent : c'eft lui faire plaifir , elle aime
à être remarquée ; fi elle s'affied , c'eft
fur le premier rang , dans l'endroit le
plus commode pour attirer les regards ,
on la rencontre partout , aux Spectacles ,
aux Bals , aux promenades , dans le lieu
& dans le temps où il y a le plus de monde
, elle eft poffédée de la manie de fe
faire voir. On l'annonce dans une compagnie
, la joie fe répand en un moment
dans toute l'affemblée , & fe peint
fur tous les vifages : celui du vieil Harpagon
même , où le fombre chagrin a fixé
fon féjour , fe déride & laiffe échapper un
fouris , il fe met à rajuſter fon jabot , &
à redreffer fa coëffure : tout eft en mouvement
pour recevoir Delphire , on court
au-devant d'elle & chacun fe difpute
Cv
18 MERCURE DE FRANCE.
l'honneur de la faluer le premier , &
d'être affis à fes côtés : on fe pouffe , on fe
preffe autour d'elle , elle domine dans
fon cercle , on n'adreffe plus la parole
qu'à elle , on demande , & on attend
fon fentiment pour fe déterminer ; il décide
fans appel. Elle parle de tout &
auffi longtems qu'elle veut , fans être interrompuë
: elle n'ennuye jamais, fa converfation
féduit , enchante. Les plus petites
chofes ont dans fa bouche un intérêt
qui captive l'attention de tous fes
Auditeurs. Les modes nouvelles reffortiffent
fouverainement à fon tribunal ,
fon exemple fuffit pour les mettre en
vogue & pour les décréditer : elle aime
fe plaifir & ne le blâme dans perfonne ;
elle fe fait prier pour chanter , & eft
bien-aife qu'on l'en preffe , parce qu'elle
eft fure d'être applaudie. Elle eft capricieufe
, vive , légére , impatiente , elle
veut être obéie promptement , & tout
le monde s'empreffe à la fatisfaire : elle
eft belle.
Orphife marche la tête baffe , elle
s'enveloppe dans fa coeffe , & ne détourne
jamais les yeux. S'il lui arrive
d'aller dans une promenade, elle marche
fur le bord de l'allée & fe coule le long
des arbres elle voudroit ne point occu
AVRIL. 1759: 19
për de place , & n'être point apperçue ,
elle ne s'affied que dans le lieu le plus,
obfcur , elle n'y eft jamais qu'aux heures
où l'on ne rencontre perfonne ; on la
voit fouvent dans les Eglifes , elle y paffe
la journée , & eft bien-aife d'y être vue.
Paroît-elle dans une compagnie , on fe
contente de lui rendre les devoirs que
la politeffe exige. Enfuite on reprend la
converfation qu'elle avoit interrompuë.
Si elle y prend part , & s'il lui arrive de
dire fon avis , il n'eft d'abord que médiocrement
gouté ; on trouve même bien.
des raifons pour le combattre. S'eft- elle
une fois emparée de la converſation ,
l'ennui gagne peu - à-peu l'affemblée , &
le cercle diminue infenfiblement.En effet,
ce qu'elle dit paroît froid & ennuyeux ;
les chofes même les plus agréables perdent
de leur prix dans fa bouche ; quelquefois
auffi fon entretien roule fur des
matières peu intéreffantes ; elle vous parlera
du Sermon qu'elle vient d'entendre ,
d'une bonne oeuvre qu'elle vient de faire,
d'un Directeur qu'elle s'eft choifi depuis
peu. Elle publie hautement qu'elle fait
peu de cas de la beauté & de tous fes
agrémens ; elle s'efforce de prouver combien
la vertu lui eft préférable. Son air
grave & férieux , fa morale févère lui
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
donnent une certaine autorité ; elle cher→
che à s'attirer la confiance des jeunesgens
; elle veut remplir auprès d'eux le
rôle d'une mere ; elle leur donne des confeils
& des inftructions pour leur
apprendre
à fe conduire dans le monde , à le
connoître , à s'en défier , à fe préferver
de l'appas des vices qui y font adorés
aujourd'hui ; elle leur répéte fans ceffe
qu'ils fe gardent bien d'imiter les hommes
d'aujourd'hui , qui font devenus fans
goût , fans jugement , fans difcernement
pour ce qui mérite leurs adorations ; qu'ils
n'ont plus d'encens que pour des femmes
coquettes , frivoles , libertines , qui ne
méritent pas l'attachement des gens fenfés
, dont les hommages devroient être
réfervés à la vertu ; elle eft jaloufe de foins
& de complaifances : cependant perfonne
ne s'empreffe pour Orphife ; elle eft laide.
Par M. R. D. T.
SUR les différens genres d'écrire.
Par un Suiffe.
CEUX EUX qui font des Livres devroient
avoir beaucoup plus d'efprit que ceux qui
les lifent rarement la différence eft- elle
AVRIL 1759. 61
affez grande ; fouvent elle fe trouve en
fens contraire .
J'excepte de l'obligation d'avoir plus
d'efprit que fes Lecteurs ceux qui écrivent
dans des genres où l'application , le travail
& le tems font ce que l'efprit feul ne
pourroit faire. Les extrêmes de ces genres
font d'un côté l'Hiftoire , de l'autre les
Mathématiques. Un Sot doué d'une heureufe
mémoire , qui aura raffemblé beaucoup
de traits , & les aura placés felon le
temps où ils feront arrivés , fera un Livre
utile & même agréable aux gens d'ef
prit : un homme médiocre appliqué longtemps
à examiner les mêmes idées , & à
en tirer les conféquences , fera un Ouvrage
de Géométrie où les plus grands
génies trouveront dequoi s'inftruire.
Mais pour celui qui écrit dans un genre
qui ne dépend que des premieres vuës de
l'efprit , il faudroit furtout fi le genre appartient
à la vie civile , il faudroit que
cet Ecrivain fût bien fupérieur pour pouvoir
dire des chofes que le Lecteur n'ait
point penfées , ou ne foit pas en état de
penfer dès qu'il y tournera fon attention :
& il eft bien plus rare qu'on ne croit de
trouver un homme qui ait véritablement
plus d'efprit qu'un autre. La différence
entre les hommes ne confifte le plus fou
62 MERCURE DE FRANCE.
vent que dans la manière dont ils fe fer
vent de leur efprit .
Ceci , fans ce que nous venons de dire,
paroîtroit un paradoxe ; & après ce que
nous avons dit , le paroîtra peut-être encore
: mais fans manquer à ce qui eſt dû
au mérite d'enchaîner enſemble un grand
nombre de propofitions , il me femble
qu'il eft plus aifé de trouver l'homme qui
fera le Livre de Newton , que l'Auteur
d'un Recueil de penfées nouvelles & profondes
fur les objets de la vie civile.
Cependant le nombre de ceux qui en
treprennent des ouvrages de ce dernier
genre , furpaffe de beaucoup le nombre
de ceux qui s'attachent à l'autre : c'eſt
que dans l'un moins on eft capable de
réuffir , moins on fent fon incapacité ;
dans l'autre , on eft bientôt arrêté malgré
foi.
Nous avons beaucoup d'Ouvrages de
morale & de politique , & il en eft qu'on
lit avec quelque utilité & quelque plaiſir ;
mais on peut dire que le plus fouvent ce
n'eft que par quelque mérite étranger ou
par quelque illufion. La plupart ne contiennent
que des penfées fort communes
qu'on a taché par quelque tour de ſtyle
de faire paffer pour neuves ou ingénieufes
; mais le fond de ces penfées étant
AVRIL 1759. 63
trivial , l'apprêt qu'on leur donne ne fert
qu'à les rendre ridicules.
Je ne crois pas qu'il y ait une autrè
Nation auffi facile à tromper de la forte
que la Nation Françoife. Ses beaux ef
prits aujourd'hui comme fes petits-maîtres
font confifter le principal mérite
dans la parure ; & la penfée la plus platte
ou la plus fauffe les enchante fi elle
a l'air d'une Epigramme. On ne lit plus
à Paris d'autres Livres que ceux qui font
écrits de la forte : cent Romans qui paroiffent
tous les jours , ne font que des
Recueils de ces prétendues Epigrammes.
L'Hiftoire ne réuffit que par - là : cette
manie a tout infecté ; elle a gagné depuis
les Académies jufqu'au Barreau & à la
Chaire ; on l'a introduite dans les occafions
où il falloit parler avec le plus de
fimplicité & de dignité .
Combien en cela les François font- ils
éloignés des Grecs & des Romains à qui
ils voudroient fe comparer ? Tout l'art
de ceux-là confifioit dans la juſteſſe des
penfees & dans le choix des mots propres.
Les Grecs ôtoient à leurs Epigrammes
même cette pointe qu'on croit aujourd'hui
effentielle à l'Epigramme : les
Latins l'y laifferent ; & depuis que le
goût fut parmi eux en décadence
on
1
64
MERCURE
DE
FRANCE
.
la trouve dans quelques- uns de leurs ou
vrages férieux ; les François la mettent
partout , & font confifter l'efprit à aiguifer
& à contourner leurs phraſes .
Un de leurs ouvrages qu'ils eftiment le
plus , eft le Recueil de Réfléxions de M.
de la Rochefoucault. Examinez ce Livre ;
le
peu de pensées qui font vraies , fi vous
les traduifez en ftyle raisonnable , feront
bien communes ; prefque toutes les autres
font fauffes .
Les Anglois tombent dans le même.
vice. Plufieurs de leurs Ouvrages aujourd'hui
font écrits de ce ftyle que le plus
grand homme qu'ils ayent en appelloit
l'art de faire paroître les chofes plus ingénieufes
qu'elles ne font. Il l'évita cer
Art , & quelquefois on pourroit dire qu'il
l'évita trop. Bacon nous a laiffé un Ouvrage
précieux qui n'eft prefque pas
connu. Les penfées les plus profondes
fur tous les objets de la vie civile , y font
préfentées d'un ftyle fi fec , fi négligé , &
avec fi peu d'art , qu'elles ne paroiffent
rien aux efprits ordinaires : des pensées
communes , bien apprêtées , réuffiffent
mieux chez le gros des Lecteurs ; c'eſt
pour eux un double plaifir de profiter
d'une maxime utile , & de l'avoir devinée.
AVRIL 1759. 65
Il est une autre manière de préfenter
les chofes communes fous une forme
nouvelle ; c'eft de les mettre dans le bec
d'un oiſeau ou dans le procédé de quelque
animal la plupart des Lecteurs
font émerveillés des Fables de Phédre &
de la Fontaine . Si l'on ôtre à ces Ouvrages
le gré qu'on fçait à une bête de
parler , & le mérite d'une verfification
aiſée , rien ne ſera fi puérile. Elles ne ſeront
propres que pour la gouvernante
qui veut inftruire des enfans , ou pour
l'esclave qui n'ofe parler à fon maître.
Outre le ftyle , qui pour la plupart des
Lecteurs fait tout le mérite des Ouvrages
, on peut dire qu'une certaine médiocrité
ne contribue pas moins à leur
fuccès des pensées trop fortes ne font
pas pour tous les efprits . Il en eft peu
qui s'élèvent jufqu'à Bacon ; le plus grand
nombre s'accommodera mieux de la
Bruyere & de Gratien : il en eft qui doivent
s'en tenir à Holberg.
Tous ces recueils de penfées ont un
grand défaut : c'eft que différant fi effentiellement
des Ouvrages qui dépendent
de l'application du travail & du temps ,
ils font cependant faits de la même manière.
Un Auteur fe renferme dans fon
cabinet pour faire des pensées , prend la
66 MERCURE DE FRANCË.
plume & en fait : les plus grands génies
n'en produiront peut-être dans toute leur
vie que quelques- unes qui méritent d'être
éérites , & que le moment où les circonftances
ont fait naître : un homme
médiocre , avec du travail , du temps &
de la patience , en fait un gros Livre.
LA VERITÉ ,
A Mademoiselle de F*** , fille de Madame
la Ducheffe de F***.
Ces Vers ont été préſentés avec un Volume des
Fables de M. P.***
CETTE ETTE vertu qu'encenſe le vrai Sage
Depuis longtems ignorée à la Cour ,
Et qui préfére à ce brillant féjour
Les agrémens du paisible village ;
Ce don du Ciel , qui , dans le premier âge ,
Régnoit en paix chez nos fages ayeux ,
Et dont bientôt leurs perfides neveux
Ignoreront l'heureux ufage ,
L'aimable & douce vérité ,
Jeune & refpectable ÉMILIE ,
Pour plaire à notre esprit , aisément révolté
Par fa noble fincérité ,
A quelquefois befoin d'être embellie .
AVRIL 1759.
67
On lui fait le reproche , affez bien mérité
De négliger trop fa beauté.
Plus complaifante , plus affable ,
Mais de la vérité l'ennemie implacable ,
La flaterie à l'oeil doux , au coeur faux ,
Employant tout fon art à nous paroître aimable ,
Change en vertu nos plus groffiers défauts .
Vous la verrez un jour cette faulle Déeffe ,
» En habit de Marquis , en robe de Comteffe , *
Ofer faire entendre la voix
Dans l'augufte féjour des Rois ;
C'eft dans ces lieux , furtout , que fa bouche diſtile
Ce poifon dangereux autant qu'il paroît doux ,
Contre qui la vertu trouve à peine un aſyle ;
Mais tous les traits jamais n'atteindront juſqu'à
vous.
Depuis longtems , fans voile , fans nuage ,
L'augufte VÉRITÉ s'eft offerte à vos yeux ;
De CIDALISE , ici , les foins officieux
Ont fçu vous faire entendre & chérir fon langage.
Souffrez , qu'en cultivant un goût fi précieux ,
J'oſe de ſes attraits embellir mon hominage.
La FABLE , par des tours aimables , féduiſans ,
* Un de mes Amis vient de me faire remarquer que ,
ce vers étoit dans Boileau ; je me trouverois heureux de
me rencontrer avec un fi grand Maître , fi je ne devois
préfumer que ma mémoire m'aura fervi contre mon
intention ,
68 MERCURE DE FRANCE.
Par la naïveté de fon fimple langage ,
Prête à la VÉRITÉ des charmes féduifans
Qui nous la font encore eftimer davantage ;
Les plaifirs & les jeux , qui volent fur les pas ,
Donnent à fes leçons les plus touchans appas.
Vous y verrez partout l'honnête bienséance
Donner des loix à l'enjoûment ,
Le plaifir toujours vif , & toujours plus charmant
Se décorer des traits de la décence .
Par un récit agréable , enchanteur ,
En inftruifant , la FABLE fçait nous plaire ;
C'eſt un flambeau qui nous éclaire
Sur les replis de notre coeur .
Ne craignez point fon brillant étalage
La vertu peut admettre un léger badinage.
Mais quoi ? ...tous ces difcours font pour vous fuperflus.
Eft-il befoin qu'on vous éclaire ?
Ofez fuivre les pas de votre illuftre MERE ,
Vous aurez toutes les vertus.
**
MONTELLE.
AVRIL 1759. 69
IMITATION de l'Ode d'Horace .
A
Vixi puellis nuper idoneus .
UTREFOIS j'étois propre aux combats amoureux
,
Sur mes rivaux j'eus fouvent l'avantage .
Dans la carrière où brilla mon courage ,
Par les foins de l'amour je fus toujours heureux .
Hélas , de mes beaux jours la fleur qui s'eft fanée
Rend mes efforts & mes foins fuperflus !
Ma voix s'éteint . Aux graces deftinée ,
Ma lyre eft fufpendue au Temple de Vénus.
Oublions , chers amis , ces flambeaux & ces armes ,
Inftrumens redoutés de nos premiers exploits ,
Qui , la nuit en dépit des loix ,
Semoient l'horreur & les allarmes.
Si tu m'as diftingué parmi tes favoris ,
Déelle aimable de Cythère ,
Fais tomber fur Chloé le feu de ta colère ,
Et venge-moi de les mépris,
70 MERCURE DE FRANCE.
4.
IMITATION de l'Ode d'Horace.
Vitas hinnuleo me fimilis Chloé.
TUUfuis : ceffe de m'outrager.
Tel un faon d'un bois étranger ,
Autour d'une cimé écartée
Dont il ne peut se dégager ,
Cherche fa mere épouvantée.
Le lézard prompt à fe ranger
De fa courfe précipitée,
Le vol d'un oifeau paffager ,
Le bruit d'une feuille agitée ,
Tout l'épouvante ; & du danger
Sans ceffe l'importune image
Lui préfente fur fon paffage
Le chaſſeur prét à l'égorger.
Auffi timide & plus fauvage ,
Belle Chloé , fuis- je à tes yeux
Un tigre , un lion furieux ?
Quoi , fuivras-tu toujours ta mere ?
Eh , fuis plutôt d'aimables Dieux.
Il est temps d'embellir Cythère
De tes agrémens précieux.
Oui , banniffant une chimère ,
Dois à l'Amour , dois au myſtère
Mille plaifirs délicieux.
4
AVRIL.
1759.
71
LE mot de
l'Enigme du Mercure précédent
eft Diamant . Le mot du premier
Logogryphe et Prote , dans lequel on
trouve porte & trope. Celui du fecond
Logogryphe eft Bauf.
ENIGM E.
FRAGILE RAGILE compofé de vapeur & de vent , "
Je fuis... Quoi ? Devinez . Un fat ? un Petit-Maitre?
Point du tout. Un demi- Sçavant ?
Non plus. Une Coquette ? Oui , cela pourroit être.
Mais non. Qui fuis- je donc ? Un foufe me fait
naître ,
Et je péris en m'élevant.
Ah ! c'eft l'ambitieux. Non : mais pour me connoître
,
Voyez badiner un Enfant,
LOGOGRYPHE,
Mon pere quand il est bien vieux
En périllant me donne l'être .
Ses membres déchirés , à toi- même peut-être
Offrent en certain cas un fecours précieux .
Mon chefcoupé me change en un monftre odieux .
72 MERCURE DE FRANCE.
Ote-lui fon pié droit , je flatte tes oreilles
Par mes accords harmonieux .
Fais deux parts de mon tout au vieux temps
merveilles ,
des
La première portoit les Héros & les Dieux:
L'autre a porté Turenne , & par fois la Thiare.
Fidèle image de l'Avare ,
L'argent , l'or enfoui pour elle ont des appas.
Mais dans mon fein fécond que ne trouve-t-on pas?
Dans ce labyrinthe on s'égare.
Suis -moi , je garderai tes pas.
Volons aux bords du Nil ; contemples - y le Phare.
Dans les ruïnes de Memphis
Un oil perçant peut découvrir Icare ;
Et dans cette lle où fe pla.foit Cypris ,
L'arme cruelle de fon fils.
Ici régna Maufole , ici finit Byzance.
Je t'ai fait voir bien du Fays :
Es-tu las Revenons en France ,
Tu trouveras chez moi chair & poiffon ,
Et poiffon de plus d'une efpéce .
L'homme qui gravement fe promene à la Meſſe
A tout ce qu'il te faut deviner mon nom . pour
+
CHANSON
.
PAR
AR les accens de votre voix
On fe laiffe aifément réduire .
Apollon vous remit fa lyre ,
Et le tendre Amour fon carquois.
Triomphez , charmante Thémire ,
Tout cède à vos attraits vainqueurs.
Du Dieu qui régne fur les coeurs
Vos talens vous donnent l'Empire.
ARTICLE
Par les accens de votre voix On se
laisseaisément séduire,Apollon viremit sa
lire Et le tendre amour - son car-
-quois ;quois; Triomphes
charmanteThémire,Tout cède à vos attraits vain
-queurs: DuDieu qui règne surles coeurs Vos ta =
lens vous doivent l'empi .
re.
Gravé par Me Charpentie. Imprimépar Tournelle .
AVRIL 1759. 73
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES,
DISCOURS
DE MONSEIGNEUR L'EVESQUE
COMTE DE VALENCE ,
A la préfentation du Corps & du Coeur de
Son Alteffe Séréniffime Madame LA •
DUCHESSE D'ORLEANS , dans
l'Eglife Royale du Val de Grace fa
Sépulture.
LAA célébrité de ce convoi , la pompe
de ces funérailles , où la Religion raſſemble
les objets les plus touchans : ces voiles
chargés des dépouilles de la mort, qui
couvrent ces Autels & toute la furface
de ce Temple : le filence éloquent de ce
cercueil , ne nous difent que trop ce qu'il
renferme ; le Corps de Très - Haute , Très-
Puiffante &Excellente Princeffe , Louise-
HENRIETTE DE BOURBON - CONTY ,
Epoufe de Très- Haut , Très- Puiſſant &
I. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
Excellent Prince , LOUIS- PHILIPPE
DUC D'ORLEANS , Premier Prince du
Sang.
Les larmes amères que fa mort fait
couler de nos yeux ; la trifteffe & le faififfement
qu'Elle laiffe dans nos coeurs
font des témoignages publics des regrets
qu'Elle nous cauſe.
Ornée de toutes les graces de la Nature
, Elle feule ne s'en appercevoit pas :
fa beauté ne la rendoit pas vaine : Elle
en connoiffoit le fragile éclat : fûre d'ellemême
, Elle n'aimoit à fe diftinguer que
par les qualités de fon ame.
L'élévation de fon coeur répondait à
celle de fon rang : Elle le foutenoit avec
dignité , & ne le faifoit fentir qu'en le
rendant aimable aux autres .
Noble , généreufe , bienfaifante , Elle
avoit toujours les mains ouvertes. Son
inclination étoit de répandre : fa manière
de donner relevoit le mérite de fes dons :
Elle multiplioit fes libéralités par les
graces qu'Elle y mettoit.
Quel agrément n'avoit-elle pas le ta
lent de répandre dans la fociété ? Les
charmes & le naturel de fa converfation:
en écartoient le dégoût & l'ennui : on en
fortoit content d'Elle & de foi- même.
Un caractère fi aimable , felon le
AVRIL. 1759:
73
monde , ne fut point altéré pendant le
cours d'une lente & douloureuſe maladie
, qui lui annonçoit chaque jour une
fin prochaine au milieu de fa courfe &
dans le plus brillant de fa carrière. Sa
fermeté parut toujours au - deffus de fes
maux. Tout s'attendriffoit autour d'Elle ,
tout craignoit pour les jours. La plus
tendre Mere , deux Enfans charmans ,
une Maiſon choifie & diftinguée , les Miniftres
de fon falut fages & pleins de
zèle , tout s'allarmoit de la voir s'éteindre
comme une lueur qui n'avoit fait que
paroître ; Elle feule ne s'en troubloit pas.
On étoit furpris de la voir fi familière
avec les horreurs de la mort , qui la faififfoit
de toutes parts.
Avec quel courage n'avoit - elle pas
demandé les Sacremens de l'Eglife ? Avec
quel appareil & quelle pompe ne voulutelle
les recevoir ? Ce fut comme une
pas
efpéce de triomphe qu'Elle voulut préparer
à la Religion , au milieu du Peuple
innombrable de cette grande Ville , &
une réparation publique de fes fautes , à
laquelle Elle voulut intéreffer toute fon
augufte Famille , qui fe joignit à Elle ,
pour l'aider à effacer le fouvenir de celles
qu'Elle pouvoit fe reprocher.
Son ame a paru devant Dieu ! Quel eft
Dij
6 MERCURE DE FRANCE.
à préfent fon fort éternel : Ombres épaiffes
! Ténèbres profondes , qui la dérobent
à nos yeux : Nous n'y pouvons penfer
fans frayeur : tremblons fur nous-mêmes,
& adorons en filence la main toutepuiffante
qui l'a frappée.
Si les Jugemens de Dieu font terribles.
& plus terribles encore pour les Princes
de la Terre : il n'en eft pas moins pour
eux le Dieu des miféricordes. C'eſt un
Dieu bon , un Dieu infiniment bon : la
bonté eft le premier de fes attributs . C'eſt
le Dieu de la clémence & du pardon , &
qui aime à être appellé dans les Ecritures
, le Dieu de nos espérances ,
C'eft dans cette confiance qu'une grande
Princeffe , digne de celui qui lui
a donné le jour , ** qui dans le gouvernement
de ce vafte Empire , auquel il étoit
appellé par fa naiffance , a rempli avec
gloire le vuide que la mort de Louis XIV.
avoit laiffé dans toute l'Europe , vient
ici avec tout l'appareil du deuil qu'elle
porte dans le coeur vous demander ,
MADAME , & à toute votre fainte
Communauté , le fecours de vos prieres .
2.
C'eft par une efpèce de fucceffion que
celle que nous pleurons , trouve dans le
Sanctuaire & au milieu de vous le lieu
* Madame la Ducheffe de Modène ..
** Philippe d'Orléans , Regent,
AVRIL. 1759. 77
de fon repos . Son Coeur , ce Coeur que
Dieu avoit formé pour lui , va y être
placé avec ceux qui embelliffoient le
trône , & qui en faifoient l'amour & les
délices. Vous vous fouviendrez que par,
le Prince fon époux , elle eft auffi la petite-
fille d'une Reine , grande par ellemême
, plus grande encore par un ** fils
** Als
dont la naiffance , le régne & la mort ont
été une continuité de miracles.
Les chaftes Époufes de J. C. font les
véritables héroïnes de la Religion' : elles .
font bien puiffantes aux piés du trône de.
la grace. Offrez
pour elle avec l'encens
de vos voeux les faintes auftérités de votre.
pénitence ; & en verfant un torrent de
larmes fur les vanités du monde , encore
plus anéanties dans vos coeurs , que fous
vos pieds dans la pouffière des tombeaux ,
tâchez de purifier une ame qui s'eft lavée
dans le fang de l'Agneau.
Pour nous , en arrofant des larmes de
notre douleur les cendres de la Mere ,
nous demanderons à Dieu qu'il conferve,
qu'il béniffe fes tendres & précieux rejettons
pour la confolation de Monfeigneur
le Duc d'Orléans , fi digne des plus longs
jours par la nobleſſe , la bonté & la magnificence
de fon coeur.
Anne d'Autriche. Louis XIV.
D iij
78 MERCURE DE FRANCE:
MANDEMENT
DU MEME PRÉLAT ,
VI ordonne des Prières dans fon Dio
cèfe , dans la partie du Dauphiné
pour le repos de l'Ame de S. A. S. Madame
LA DUCHESSE D'ORLEANS,
Q
UEL deuil ne doit pas répandre dans
cette Province la mort de Madame
la Ducheffe d'Orléans ! Comptant fur fa
jeuneffe , nous réclamions le fecours du
Ciel , & tous nos voeux n'ont pû arrêter
le coup fatal qui vient de nous l'enlever.
L'opulence & la gloire éclatoient autour
d'Elle. A la plus haute naiffance ,
Elle joignoit le plus grand établiſſement ;
l'Étranger comme le Citoyen étoient attentifs
à lui plaire : partout Elle ne voyoit
autour d'Elle que des honneurs & des
refpects .
Mais que les penfées des hommes font
vaines. Lorfque cette Princeffe difoit dans
fa maladie : J'ai encore mon ame toute
entière : Celui devant qui toute fubftance
n'eft qu'un néant , avoit déjà mefuré des
jours heureux. Il en vouloit faire un
nouveau fpectacle de la mifére & de la
AVRIL. 1759.
fragilité humaine , pour nous montrer
que les Grands de la Terre , après avoir
paru avec plus d'éclat fur la Scène du
monde , ne vont pas moins fe perdre dans
l'oubli du tombeau.
Heureuſe cette Princeffe de n'y être
defcendue qu'après avoir paffé dans le
creufet des fouffrances & de la tribulation
, fi la Grace les a fanctifiées. Peutêtre
que fon coeur déjà trop épris des vanités
du monde , n'eût fongé qu'à s'en
remplir encore davantage. Dieu qui fe
fouvient de nous lors même que nous
l'oublions , s'eft preffé de rompre des liens
fi féduifans qui pouvoient l'y attacher
encore davantage.
Vous n'avez pû , mes très - chers Freres ,
apprendre qu'avec édification l'ardeur
avec laquelle Elle demanda les Sacremens
de l'Eglife , & que voulant dreffer
au Roi de gloire un trône dans fon coeur,
Elle fouhaita qu'il n'en prît poffeffion
qu'avec le plus grand appareil. Elle auroit
defiré que les hommages de toute
fon augufte Famille euffent pû réparer
ceux qu'elle pouvoit avoir à ſe reprocher
de ne lui avoir pas rendu.
Ne nous oublions pas nous - mêmes en
répandant nos coeurs devant le Dieu des
miféricordes , & fongeons qu'elle n'a fait
D iv
So MERCURE DE FRANCE.
que nous précéder. Vafes fragiles , nous
pouvons à chaque inftant être brifés. Nous
portons au-dedans de nous - mêmes une
réponse de mort. Travaillons à n'être pas
furpris , & à nous trouver prêts lorfque.
le Souverain Juge voudra nous redemander
notre ame. Elle en redoute moins
l'arrivée quand elle a fçu la prévenir , &
ce n'eft qu'en mourant tous les jours à
nous-mêmes que nous apprendrons dans
le cours de notre vie la plus grande & la
plus néceffaire de toutes les fciences , qui
eft celle de mourir chrétiennement.
RÉPONSE
DE Madame l'Abbeffe du Val- de- Grace.
MONSEIGN ONSEIGNEUR ,
Le Souverain Maître de nos jours les
a comptés ; & nul n'en peut prolonger
le cours au-delà des bornes qu'il leur a
prefcrites. Souvent il les réduits à une bien
petite meſure. Nous en avons aujourd'hui
la preuve dans la mort de l'augufte Princeffe
dont nous recevons avec un profond
refpect les triftes reftes . Heureuſe , fi purifiée
par une longue & pénible maladie ,
le Seigneur a daigné la regarder dans fa
AVRIL. 1759. 81
grande miféricorde. Nous ne cefferons jamais
de la demander pour elle ; afin que
délivrée qu'Elle eft maintenant des périls
de la grandeur & des mifères de cette
vie, elle jouiffe éternellement du bonheur,
qui doit être l'objet de nos efpérances &
l'unique terme de nos defirs ..
ΕΡΙΤ Η Α Ρ Η Ε
De fon Alteffe Séréniſſime
Madame LA DUCHESSE D'ORLEANS.
Hoc jacet in tumulo ftirpis Borbonix
Egregium decus ,
Que facro foedere Aurelianenfis Principis.
Thorum ingreffa , duplici laudabilis partu ,
Aftra duo terris edidit.
Coelo matura , Mortales exuvias
Reliquit , florente licet gaudens juventâ.
Hanc luget populus non fole nobilem
Genere ; divitias prodigâ fundentem dextrâ
Hanc defler Pauper ; longo confumpta morbo
Periit heu ! Simul & comitas , fimul & urbanitas .
Quifquis hæc legis , tu cohibe lachrymas :
Refpuit : magno fpiritu vidit ultima .
Huic benè precare ,
Conjugifque chariffimi diebus ,
Uxoris dies addat fupremum numen.
Obiit Ludovica Henrica Borbonia Conty ,
Duciffa Aurelianenfis ,
Anno reparatæ falutis M. DC C. LIX .
Etatis fuæ XXXIII.
Menfis Februarii , die X.
P. Eleuthere, Auguftin de la Place des Victoires.
W
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
NOTE DE M. MARMONTEL
SUR un Paffage du Livre des PRÉjugés
LÉGITIMES.
J'oso 15 croire mes foibles Ecrits irréprochables
du côté de la Religion ; mais
j'ai fait quelques articles de littérature &
de morale pour l'Encyclopédie: c'en étoit
affez pour être fufpect à l'Auteur zélé des .
Préjugés légitimes &c . Cet homme charitable
, à qui vraisemblablement je n'ai
fait aucun mal , a pris foin de falfifier un
paffage de l'article Gloire de ce Dictionnaire
; & c'étoit je crois le feul moyen
de le rendre répréhenfible.
Voici ce paffage tel qu'il eft dans l'Encycloplédie
, Tome VII. Page 720.
"
Fabius fe laiffe infulter dans le camp
» d'Annibal , & dèshonorer dans Rome.
pendant le cours d'une campagne. Au-
» roit-il pû fe réfoudre à mourir désho-
» noré , à l'être à jamais dans la mémoire
» des hommes ? N'attendons pas ces
" efforts de la foibleffe de notre nature ;
» la Religion feule en eft capable , & fes
facrifices mêmes ne font rien moins que
AVRIL. 1759 .
$3
"
» défintéreffés. Les plus humbles des
» hommes ne renoncent à une gloire pé-
» riffable qu'en échange d'une gloire
» immortelle. Ce fut l'efpoir de cette
» immortalité qui foutint Socrate &
» Caton . Un Philofophe ancien difoit :
» Comment veux- tu que je fois fenfible au
» bláme , fi tu ne veux pas que je fois
»fenfible à l'éloge ?
" A l'exemple de la Théologie , la
» Morale doit prémunir la vertu contre
l'ingratitude & le mépris des hommes ,
"3
» en lui montrant dans le lointain des
» temps plus heureux & un monde plus
juſte.
و د
و د
" La gloire accompagne la vertu com-
" me fon ombre , dit Sénèque ; mais
» l'ombre d'un corps tantôt le précède &
» tantôt le fuit ; de même la gloire tan-
» tôt devance la vertu & fe préfente la
première , tantôt ne vient qu'à fa fuite
lorfque l'envie s'eft retirée ; & alors
elle eft d'autant plus grande , qu'elle fe
montre plus tard.
"
"
33
C'eft donc une Philofophie auffi
dangereufe que vaine , de combattre
» dans l'homme le preffentiment de la
» poftérité , & le defir de fe furvivre.
» Celui qui borne fa gloire au court ef-
» pace de fa vie , eft efclave de l'opinion
1
L
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
ود
8: des égards : rebuté , fi fon ficcle eft
injufte ; découragé, s'il eft ingrat : impa-
» tient furtout de jouir, il veut recueillir ce
» qu'il féme ; il préfére une gloire précoce
» & paffagére , à une gloire tardive & du-
» rable : il n'entreprendra rien de grand.
33
"
ور
» Celui qui fe tranfporte dans l'avenir
» & qui jouit de fa mémoire , travaillera
» pour tous les fiécles , comme s'il étoit
»immortel que fes contemporains lui
» refufent la gloire qu'il a méritée , leurs
» neveux l'en dédommagent ; car fon imagination
le rend préfent à la postérité .
" C'eſt un beau fonge , dira- t- on . Hé
jouit - on jamais de fa gloire autrement
qu'en fonge ? Ce n'eft pas le petit nom-
» bre de fpectateurs qui nous environ-
» nent , qui forment le cri de la renom-
» mée. Votre réputation n'eft glorieufe
">
ود
""
ود
"
qu'autant qu'elle vous multiplie où
» vous n'êtes pas , où vous ne ferez ja-
» mais. Pourquoi donc feroit - il plus
» infenfé d'étendre en idée fon exiſtence
» aux fiécles à venir , qu'aux climats éloignés
? L'efpace réel n'eft pour vous qu'un
point , comme la durée réelle. Si vous
» vous renfermez dans l'un ou dans l'au-
» tre , votre ame y va languir abattue
» comme dans une étroite prifon. Le de-
» fir d'éternifer fa gloire eft un enthoufiafme
qui nous aggrandit , qui nous
"
AVRIL. 1759 . 85
élève au-deffus de nous mêmes & de
" notre ficcle ; & quiconque le raiſonne
" n'eft pas digne de le fentir.
On voit fi j'ai confondu la Religion
confolante , qui en échange d'une gloire
périffable , en promet une immortelle ,"
avec cette vaine & dangereufe Philofophie
qui détache de tout , & ne dédommage
de rien. Cependant voici comment
l'Auteur dont je me plains a préfenté
ce même Paffage , qu'il a marqué
avec des guillemets , comme une citation
littérale .
ود
" Quand je leur reprocherois , » ( aux
Encyclopédies )
» que dans l'Article
gloire , ils difent : Les plus humbles des
» hommes ne renoncent à une gloire pé-
» riffable qu'en échange d'une gloire im-
» mortelle ; que ce fut l'efpoir de cette
» immortalité qui foutint Socrate &
» Caton , de même que les Chrétiens
» que la Religion qui éloigne les hommes
» de l'amour d'une gloire mondaine , eſt
» donc une Philofophie auffi dangereufe
» que vaine , de combattre dans l'homme
» le preffentiment de la poftérité, & le de-
» fir de fe furvivre , & que quiconque rai-
» fonne l'enthoufiafme que ce defir occa-
»fionne en nous, n'eft pas digne de le fen-
» tir ... quand je reprocherois, dis-je, aux
وز
86 MERCURE DE FRANCE.
و د
Encyclopédiſtes toutes ces impiétés &c .
Je laiffe au Public à juger entre mon
Cenfeur & moi le Morceau que je
viens de tranfcrire étoit fufceptible d'un
mauvais fens , à moins d'être défiguré ,
comme il l'eft dans la citation. Cet Ecrivain
doit fentir lui-même combien fon
infidélité & le langage abfurde qu'il me
fait tenir , me donnent fur lui d'avantage.
Mais s'il penfe affez mal pour calomnier
celui qui ne l'offenfa jamais , je penfe
affez bien pour pardonner à celui qui
me calomnie.
EXTRAIT du Livre intitulé : L'Incrédulité
convaincue par les Prophéties , an◄
noncé dans le Mercure précédent.
CE n'eft E n'eft point ici un de ces libelles ou
l'on profane la caufe de la Religion , en
employant pour fa défenfe le menfonge
& la calomnie : méthode odieufe de ces
délateurs anonymes , que j'ai appellé des
méchans. C'eft le développement lumineux
des motifs de notre foi : c'eft l'expofé
fimple & frappant des preuves les
plus authentiques de la Religion révélée.
Oppofer à l'incrédulité les titres irrévocables
de la fainteté des Livres dont elle reAVRIL.
1759. 87
fufe le témoignage , c'eft la forcer dans
fes derniers retranchements ; c'eſt réduire
la raifon humaine à l'alternative preffante
ou d'être abfurde , ou d'être foumife.
L'Auteur de cet excellent ouvrage établit
pour principe que Dieu a prévu ce
qu'il a fait prédire ; & les objections contre
la prefcience divine font les premieres
qu'il détruit. La connoiffance pleine &
infaillible de l'avenir eft un attribut effentiel
de la Divinité ; mais comment la
concilier avec la liberté de l'homme ?
Cette impoffibilité apparente eft l'argument
familier du commun des Incrédules
; mais elle n'eft que la preuve de la
foibleffe de leur raifon .
Encore la raifon à l'aide de la foi
peut-elle s'élever jufqu'à concevoir l'accord
de ces deux vérités que Dieu voit
tout , & que l'homme eft libre. Pour cela
il fuffit de fe perfuader que le temps n'est
fucceffif que pour l'homme , & que l'avenir
eft préfent à Dieu. Dès-lors la fuprême
intelligence ne doit être confidérée
que comme témoin des déterminations
de la volonté humaine. Or il est évident
que le témoin le plus infaillible ne gêne
point la liberté de l'être qu'il voit agir.
Dieu a donc pu faire prédire l'avenir qui
lui eft préfent , foit pour manifefter fa
88 MERCURE DE FRANCE..
préfcience infinie , foit pour rendre plus
authentique la vérité de fes oracles .
Toutes les manières dont il lui a plu de
les autorifer font également refpectables .
Mais à ne confidérer que les impreffions
qu'en reçoit l'efprit humain , il femble
qu'il doive être plus étonné d'une prophétie
que d'un miracle. 1º. La matière ,
qui eft un être purement paffif, obéit à Dieu
fans réfiftance ; au lieu que dans l'accompliffement
de la prophétie , c'eft fouvent
un agent libre qui exécute ce qui a été
prédit. 2 ° . Les miracles font indubitables
pour quiconque les examine avec un peu
d'application , mais ils n'ont plus de témoins
oculaires ; au lieu que les évènenemens
annoncés par les Prophéties , ou
fe paffent fous nos yeux , ou font confignés
dans les Faftes de l'Hiftoire que perfonne
ne révoque en doute. 3 ° . On a pu
attribuer les miracles à la magie ; au lieu
que la préfcience des Actes libres eſt un
attribut incommunicable de la Divinité .
Auffi les Oracles du Paganifme n'ont- ils
jamais prédit que des évènemens Phyfiques
; & lorfqu'ils en ont annoncé quel
ques -uns où devoit influer la volonté
des hommes , on voit qu'ils fe font ménagé
un fubterfuge dans l'ambiguité de
leurs réponfés.
AVRIL. 1759. 89
و د
"J
L'Auteur démontre que le menfonge
n'a pas eu plus de part que la magie à
l'accompliffement des Prophéties ; & de
là vient la force victorieufe de cette
preuve de la Religion. Il y a eu des conteftations
entre les Juifs & les Chrétiens
fur l'application des Prophéties ; mais ils
font d'accord fur l'accompliffement , &
l'incrédulité n'en eft pas moins confonduë.
» Que fi elle croit pouvoir tirer quel-
» que avantage d'une prétendue obfcu-
» rité qu'il eft néanmoins très - facile de
diffiper , que répondra - t-elle à ces Prophéties
où les Juifs & les Chrétiens ,
» d'un commun accord , ont toujours
» trouvé le même accompliffement ? A
celles qui ont appellé Cyrus par fon
nom deux cens avant fa naiffance ? Qui
» ont annoncé fes conquêtes , le fiége &
» la prife de Babylone , la ruine entière
» & la profonde humiliation de cette
Ville autrefois fi puiffante & fi orgueilleufe
? A celles qui ont prédit avec tant
» de clarté la fuite des quatre plus grands
Empires qu'on ait vûs dans le monde ?
l'irruption de Xercès dans la Grèce ,
» celle d'Alexandre dans l'Afie ; la mar-
» che rapide & les prodigieufes victoires
» de ce Conquérant ; le partage de fes
États entre quatre Succefleurs qui ne
20
>>
»
go MERCURE DE FRANCE.
»feroient pas iffus de fon fang ? Les
» guerres & les trompeufes alliances des
" Rois d'Egypte & de Syrie ? Les fureurs
» d'Antiochus contre Jérufalem ?
""
En oppofant ainfi à l'incrédulité les
Prophéties , dont l'application eft la même
du côté des Juifs & du côté des Chrétiens
, le deffein de l'Auteur n'eft pas de
négliger celles qui regardent directement
Jeſus -Chrift ; il les employera contre les
Incrédules , mais fans fuppofer ( comme
on le fait en difputant avec les Juifs ) la
vérité de la révélation Judaïque . Du refte
perfuadé que les figures même les plus refpectables
font plus propres à l'édification
des Fidèles qu'à la conviction des ennemis
du Chriftianiſme , il fe borne quant à préfent
aux Prophéties purement littérales.
Ainfi tout fe réduit à deux vérités ,
l'une de droit, l'autre de fait . La première,
qué la prévifion certaine des actions libres
eft au deffus des lumières de toute
intelligence créée ; qu'elle eft réfervée à
Dieu feul ; & que par conféquent l'accompliffement
d'une Prophétie fur des
évènemens qui dépendent d'une cauſe qui
agit avec liberté , eft un témoignage inconteſtable
de l'inſpiration divine : la feconde
, que des évènemens de cette nature
prédits par les Prophétes , fe font
AVRIL 1759 .
و أ
accomplis à la lettre ; & celle - ci réfulte
de la confrontation pure & fimple de
l'évènement avec la Prophétie . Mais cela
fuppofe deux conditions ; l'une , que la
Prophétie ait défigné l'évènement prédit
d'une manière nette & préciſe , en forte
que l'application de la Prophétie ne ſoit
pas arbitraire , mais que l'évènement en
fixe & en détermine le fens ; l'autre , que
la Prophétie ait été confignée dans des
monumens publics & inaltérables avant
fon accompliffement.
ود
» Les Incrédules verront par cet expofé
, ajoute l'Auteur , qu'on n'a pas
» deffein de les furprendre ; qu'on ne prodigue
point à de légères preuves le nom
de démonftration ; & que fi la Religion
» Chrétienne leur ordonne de croire des
» Myſtères inconcevables , ce n'eft qu'a-
»
près en avoir acquis le droit par des
» motifs inconteftables de crédibilité.....
Ils verront que les Prophétes ont prédit
» non feulement des actions libres que
» Dieu feul a pû leur révéler , mais des
» évènemens fort éloignés des temps &
»des pays où ils vivoient , fans aucun
rapport à ce qui arrivoit fous leurs
yeux , contraires à toutes les idées de
» la prudence humaine , aux inclinations,
aux efpérances & aux projets des hom-
و ر
»
92 MERCURE DE FRANCE.
» mes qu'ils devoient le plus ménager ; »
& de cette dernière circonftance il tirecontre
Spinofa & Collins les plus forts
arguntens en faveur des Prophétes dont
ils ont voulu dégrader & avilir le minif
tere. Tel eft en fubftance le Difcours préliminaire
de cet Ouvrage , l'un des plus
importans qu'on ait entrepris pour la défenfe
de la Religion.
Il eft divifé en deux Parties ; la première
renferme les prédictions des évènemens
temporels ; la feconde contient les
Oracles vérifiés dans la perfonne de Je-.
fus-Chrift & dans fon Eglife.
Dans la première divifée en dix Chapitres
, l'Auteur expofe d'abord les Prophéties
temporelles contenues dans les
Livres de Moife , avec tous leurs caractères
d'autenticité.
C
Rien n'eft certain dans l'Hiftoire fi
l'on peut douter que Moife foit l'Auteur
du Pentateuque. Mais pour éviter toute
difficulté de la part des Incrédules , on
fe contente ici de pofer en fait , que le
Pentateuque eft au moins plus ancien que,
le Schifme des dix Tribus , fous le régne
de Roboam , fils de Salomon. La
conféquence d'un fait fi bien établi eft ,
que toutes les Prophéties contenues dans
le Livre de Moïfe , & dont l'accomplif
AVRIL 1759. 93
fement eft poftérieur à cette époque,font
incontestablement marquées du fceau de
la Divinité. Voilà leur date fixće : elles
font confignées dans un Livre public ,
faifant partie de la Religion & du Gouvernement
, dans les mains de deux Peuples
ennemis irréconciliables , ( les Samaritains
& les Juifs ) & refpectées de
l'un & de l'autre ; telles en un mot qu'il
étoit plus de l'intérêt des Ifraelites de
les fupprimer que d'en permettre la
fuppofition. Or quelles font ces Prophé-
-ties ?
L'Auteur n'infifte point fur celles de
Jacob ni fur le Teftament de Moiſe :
l'accompliffement en eft antérieur à l'époque
du Schifme des dix Tribus . Mais
le carnage des Amalécites vaincus par
Saul , que Moife fait prédire par Balaam ,
au Livre des Nombres ; mais la réprobation
de Saul à cauſe d'Agag , Roi d'Amalec
, nommé par le même Prophéte plufieurs
Siccles avant fa naiffance : ces évènemens
étoient trop voifins de l'époque
à laquelle on ne peut fe difpenfer de
rapporter le Livre qui les annonce, pour
qu'il foit permis de fuppofer que l'Oracle
qui les a prédits ait été forgé après
coup , fans être démenti au moins par le
rebelle & idolâtre Jeroboam. Le même
94 MERCURE DE FRANCE.
Balaam prédit la captivité des Cinéens :
la prédiction s'accomplit dans toutes fes
circonftances , & longtems après le Schif
me des Tribus. Il annonce que des armées
venues d'Italie (ou des côtes d'Occident )
traverferont les mers pour attaquer la
Syrie , en détruiront l'empire , fubjugueront
dans la fuite les Hébreux ; mais
qu'enfin ces formidables vainqueurs périront
eux mêmes : il l'annonce fept cent
ans avant la fondation de Rome , & des
trois prédictions , la première eft accomplie
par les deux Scipions & par
Pompée ; la feconde commencée fous
Hérode , eft confommée par Titus . Il
n'eft pas néceflaire de dire comment la
chute de l'Empire Romain a vérifié la
troifiéme.
Moife prédit aux Ifraelites que leur
terre fera défolée ; que réduits par leurs
ennemis à la plus horrible famine , ils
dévoreront leurs enfans ; qu'ils feront
difperfés parmi les Nations d'une extrémité
de la Terre à l'autre ; & tout cela
eft arrivé à la lettre. Moife leur annonce
qu'ils feront ramenés fur des vaiffeaux
en Egypte où il leur étoit défendu de re
tourner , qu'ils y feront vendus comme
efclaves , qu'il manquera même de Marchands
pour les acheter. Titus victorieux
AVRIL 1759. 95
des Juifs , envoye en Egypte tous les
captifs au-deffus de l'âge de dix-fept ans.
Ils y font vendus ; & leur multitude eft
fi grande , qu'à peine trouvent-ils des
acheteurs. Moife prédit la pénitence du
Peuple d'Ifrael & fon retour dans fa patrie
: cette prédiction s'accomplit fous le
régne de Cyrus ; & fi elle exige un fecond
retour après un fecond exil , elle
n'en fixe pas le temps. Les Chrétiens efpérent
que ce retour des Juifs , myftérieufement
annoncé , fera leur rentrée au
fein de l'Églife .
Les prédictions contenues en d'autres
Livres de l'Ancien Teftament font préfentées
dans le fecond Chapitre avec le
même caractére de vérité & de divinité
que celles du Pentateuque.
Depuis l'établiffement de la royauté
chez les Juifs , jufques à-peu-près leur
retour dans la Terre promiſe , il ne s'eft
rien paflé de remarquable dans Ifracl
qui n'ait été prédit. Samuel apprend à
Saül que le Royaume lui fera enlevé , &
que fon Succeffeur eft déja choiſi . Natan
annonce à David la mort de l'enfant qu'il
a eu de Bethfabée. Gad fait connoître à
-ce même Roi le fléau qui va punir fon orgueil.
Salomon eft averti que fon Royaumẹ
fera divifé , & que fa poftérité ne
96 MERCURE
DE FRANCE
.
doit régner que fur la Tribu de Juda . Le
Prophéte Ahias qui avoit prédit à Jeroboam
fon élévation future , lui annonce
la mort prochaine d'un de fes enfans , &
la deftruction de toute fa famille . Jéhu
fait la même prédiction à Baafa, ennemi
de la race de Jeroboam , & l'imitateur
de fes crimes ; & tout cela s'accomplit.
Sous l'impie Achab Dieu fufcite Elie &
Elifée ; leurs Prophéties font affez connuës
, & l'Auteur fe difpenfe de les rapporter
, pour éviter de trop longs détails.
Il ne refe plus qu'à démontrer que ces
prophéties n'ont point été fuppofées après
coup. Or elles font confignées dans les
quatre Livres des Rois , & dans les Paralipomênes
; & l'autorité de ces faftes pius
humiliants que glorieux pour les Juifs ,
n'a jamais été révoquée en doute parmi
eux. Tous les Peuples ont eu leur hiftoire
fabuleufe , mais ces fables flattent leur
orgueil ; & l'Auteur fait voir au contraire
que l'Hiftoire d'Ifrael eft accablante
pour ce Peuple.
Quant à l'époque de ces Livres hiftoriques
, il n'eft pas poffible d'en reculer la
compofition ni la publication au- delà
du temps d'Efdras. Si l'on veut donc abfolument
qu'Efdras en foit le Rédacteur ,
on eft au moins obligé de reconnoître
7
qu'il
AVRIL. 1759 . 97
qu'il les a compofées fur des Mémoires
fidèles qui avoient paffé fans interruption
jufqu'à lui , & jufqu'aux Juifs de fon
temps. La preuve en eft 1 ° . dans le refpect
des Juifs pour ces Livres qu'ils
avoient tant d'intérêt de défavouer , fi
la vérité ne leur en eût pas été connue.
2°. Dans les citations fréquentes des Annales
de la Nation & des Écrits anté
rieurs atteftés dans les Livres des Rois
& dans les Paralipomènes. L'Auteur du
Livre des Rois allégue conftamment le
Journal hiftorique des Rois d'Ifraël, pour
ceux qui ont régné fur les dix Tribus féparées
; & pour ceux qui ont régné à Jérufalem
, le Journal hiftorique des Rois de
Juda: preuve évidente que ces Livres ont
été compofés d'après les Faftes d'Ifrael.
Les Juifs & les Chrétiens croyent unanimement
que l'Hiftorien facré dans le
travail de fa rédaction a été conduit par
une lumière divine ; mais cette infpiration
eſt inutile à la conteftation préſente.
Dès qu'il eft prouvé que les Livres
des Rois forment une hiftoire exacte &
fidèle , il n'eft plus douteux que les Prophéties
qu'elles contiennent n'ayent précédé
les évènemens prédits .
L'Auteur finit ce Chapitre par une réfléxion
frappante fur la folemnité des
1. Vol.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
Prophéties. Le menfonge eût cherché les
ténèbres. La vérité infpirée ſe fait entendre
aux Rois au milieu de leur Cour &
environnés de leurs Peuples. C'eft ainfi
qu'elle annonçoit à Achab tantôt la féchereffe
& la ftérilité de la terre , tantôt
fa mort épouvantable & la deftruction de
fa poftérité. C'eſt ainfi qu'elle annonçoit à
ce même Achab & à Jofaphat la défaite
de leur armée vaincue par les Syriens
& c. Quoi de plus capable d'attirer l'attention
du Peuple , que les fignes dont
Jérémie & Ezechiel accompagnoient
leurs Prophéties ? Et le moyen de croire
que la poftérité de ce Peuple en eût
adopté le récit à moins qu'il ne fût ,
confacré dans fes Faftes ?
4
Mauditfoit devant le Seigneur , s'écria
Jofué après avoir détruit Jéricho , quiconque
la rebatira ; qu'il perde l'aîné de
Les enfans lorfqu'il en jettera la première
pierre ; & le dernier , lorsqu'il y fera
mettre les portes. Cinq cens ans après
un Citoyen de Bethel entreprend de rebâtir
Jéricho. Abiram , l'aîné de fes enfans
, meurt à la première pierre jettée ;
ainfi que le dernier de tous au moment
que les portes font pofées. Jeroboam
érige un Autel , & en préfence de tous
les Ifraëlites , un homme infpiré s'écrię
AVRIL. 1759. 99
2 Autel , Autel voici ce que dit le Seigneur:
il naîtra de la race de David un
Prince qui égorgera fur toi les Prêtres qui
t'encenfent , & brulera fur toi des os
d'hommes. Plus de trois cens cinquante
ans après , un Prince né de la famille de
David, appellé Jofias , accomplit l'Oracle
dans toutes fes circonftances . Or toutes
ces circonftances étoient libres dans
l'ordre moral , incertaines dans l'ordre
naturel : il eſt donc évident qu'il n'y a
que Dieu qui ait pû les prévoir , & qu'il
n'y a qu'un homme infpiré de Dieu qui
ait pû les prédire.
Le trofième Chapitre contient les prédictions
écrites dans les Livres prophétiques.
Ce ne fut que vers le régne d'Ofias
que les Prophétes écrivirent leurs Oracles.
Tous le nomment à la tête de leurs
Livres , à l'exception de Daniel qui ne
tarde pas à fe nommer dans le fien. La
plupart marquent expreffément la date
de leurs Prophéties. Il y en a qui ne l'ont
pas défignée avec la même précifion ; mais
l'on fçait à n'en pouvoir douter , qu'ils
ont écrit avant la captivité de Babylone
Agée , Zacharie & Malachie , les
derniers de tous , n'ont prophétifé que.
depuis le retour des Juifs dans la Terre-
Sainte. On a nié , mais fans aucune
E i
100 MERCURE DE FRANCE:
preuve , que les Prophéties de Daniel
fuffent fon ouvrage , & Porphire a prétendu
qu'elles avoient été faites d'après
les évènemens ; mais à cette opinion
l'Auteur oppofe le témoignage de l'Hif
torien Jofephe qui raconte qu'Aléxan¬
dre lut , en paffant à Jérufalem , les Prophéties
de Daniel où étoient annoncées
fes victoires fur les Perfes . Jofephe fuppofe
donc que ces Prophéties exiſtoient
au moins dans le temps d'Aléxandre , &
fon autorité eft de quelque poids contre
une opinion qui n'a aucun garant .
Les Juifs rejettent quelques paffages du
Livre de Daniel , qu'ils n'ont pas trouvé
dans leur Canon rédigé par Efdras ; mais
cela même prouve l'authenticité du refte
de ce Livre. Les paffages rejettés par les
Juifs ne contiennent aucune Prophétie.
Toute la partie Prophétique du Livre de
Daniel ', eft unanimement adoptée par
les Juifs & par les Chrétiens ; & il eft
refpecté parmi les Juifs , à l'égal du Pantateuque
, du Livre des Rois & des Paralipomènes.
Après en avoir prouvé invinciblement
l'authenticité & déterminé la
date , l'Auteur renvoye à la démonftra→
tion Evangélique de M. Huet , pour la
réfutation détaillée de l'opinion de Spinofa
fur les Livres des Prophétes ; & il s'en
AVRIL. 1759. TOP
ود
tient à un argument dont voici la conclufion.
» Il eft donc évident que dans
»la fuppofition des Incrédules , les Juifs
» ont dû étre convaincus de la fauffeté
» des Prophéties. Si cela eft , je demande
» comment avec un nouveau motif de
méprifer les Livres prophétiques &
» d'en détefter les Auteurs , ils ont refpecté
les uns , comme envoyés de Dieu,
» & retenu les autres , comme des Livres
infpirés. » Cet argument fi convaincant
au premier afpect ; le devient encore
plus par toutes les circonstances dont
l'Auteur le fortifie , & qui donnent à un
préjugé de vraiſemblance le caractère de
la démonftration.
ود
"
•
Il paffe au reproche d'obfcurité que
font les Incrédules au ftyle des Prophé
ties , & il fait voir 1 ° . que le ftyle prophétique
eft incompatible avec la juf
teffe & la fimplicité du langage de l'Hiftoire.
2 ° . Que plus de clarté dans les prédictions
eût gêné le libre arbitre , & rendu
l'accompliffement de la plupart des
prédictions , impoffible à moins d'un miracle.
Cette dernière réponſe , qui préfente
d'abord quelques difficultés , n'en
laiffera plus aucune fi l'on confidère que
l'incertitude ou l'erreur influe fur prefque
toutes les déterminations des hom-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
mes , & que les éclairer pleinement fur
l'avenir , c'eût été changer l'ordre naturel
des Actes libres , en ôtant aux choſes
prédites l'une des caufes qui devoient
concourir à leur accompliffement.
Le quatriéme Chapitre renferme les
prédictions des conquêtes de Cyrus , &
la prife de Babylone. Ifaïe nomme Cyrus
& s'accorde avec Xenophon fur tous les
détails des évènemens qu'il annonce. Jérémie
, avec moins de clarté , dit cependant
comme Ifaïe , que les Rois Médes
armeront contre Babylone leurs Sujets
& leurs Alliés. Marche , Prince des Elamites
; & toi , Méde , forme le Siége.
On voit dans le Chapitre cinquiéme ;
les prédictions de Daniel fur les Rois de
Perfe & fur Alexandre .
Ces Prophéties ont un degré d'évidence
qui n'est pas dans les Oracles des autres
Prophétes. Un Ange dit à Daniel dès la
troifiéme année du règne de Cyrus ,
irois Rois règneront encore dans la Perfe ,
& be quatrième aura des tréfors immenfes &
des troupes innombrables : fier de fes risheffes
& defa puiffance , il animera tous
les Peuples contre la Grèce. Ces trois Rois
font Cambife , l'ufurpateur Oropafte , &
Darius. Xercès eft le quatrième , & l'on
ne peut le méconnoître : car fi l'on préAVRIL
1759. 103
1
tend que Cyrus foit compris dans le calcul
du Prophète , dès-lors Oropaſte n'en
eft point ; & en effet Daniel n'a vraifemblablement
voulu parler que des Rois
légitimes. Le règne & les conquêtes d'Alexandre
, & la divifion de fon Empire
ne font pas moins clairement annoncés
par Daniel : c'eft le fujet du cinquième
Chapitre de cet Ouvrage. Il eft certain
que Daniel a parlé comme l'Hiftoire ; &
fi l'on reconnoît , comme on y eft obligé ,
que la prédiction a devancé les évènemens
il est évident qu'elle eft inf
pirée.
Dans le Chapitre fixième , la fondation
du Royaume d'Egypte & de celui de
Syrie , la généalogie de leurs Princes
leurs guerres , leurs fuccès divers , tour
femble préfent aux yeux de Daniel ; &
c'eft de là que Porphire a conclu que le
Livre de Daniel avoit été écrit par un
Juif contemporain d'Antiochus Epiphanés;
mais cette opinion démontrée fauffe,
il ne reste plus que les preuves évidentes
de l'infpiration d'un homme à qui l'avenir
fe manifeftoit , comme s'il eût été
préfent.
La fuite au Volume prochain.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
L'HISTOIRE Naturelle, par M. de Buffon
Tomefeptième , à Paris , chez Durand,
Libraire , rue du Foin.
L'HIS ' HISTOIRE Naturelle n'offre au
commun des Obfervateurs qu'un ſpectacle
affez peu intéreffant , & leur donne tout
au plus la connoiffance de quelques vérités
particulières , ftériles entre leurs
mains. Il n'appartient qu'à l'homme de
génie de pénétrer dans le fanctuaire de
la Nature , de juger de fes intentions &
de furprendre pour ainfi dire fes fecrets.
M. de Buffon eft fans doute un de
ces hommes privilégiés auxquels il eſt
donné d'ajouter aux connoiffances de leur
Siècle , & de hâter les progrès de la raifon.
A mesure qu'il avance dans l'hiſtoire
des faits , les rapports fe multiplient ,
les inductions fe confirment , l'édifice de
la Science s'élève , & acquiert en même
temps de la folidité.
Le Tome feptiéme de l'Hiftoire Naturelle
générale & particulière commence
par un difcours fur les Animaux carnaffiers.
L'homme appelle nuifibles ces
Animaux , & ils font en bien plus grand
AVRIL. 1759. 105
»
و د
. و و
nombre que ceux auxquels il donne le
nom d'utiles . » Mais ils ne font nuifi-
» bles , dit M. de Buffon , que parce
qu'ils font rivaux de l'homme , parce
qu'ils ont les mêmes appétits , le même
» goût pour la chair , & que pour fub-
» venir à un befoin de première néceffi-
» té , ils lui difputent quelquefois une
» proye qu'il réfervoit à fes excès ; car
» nous facrifions plus encore à notre in-
» tempérance qu'à nos befoins » ; mais
quelle que foit notre déprédation & celle
des animaux carnaffiers , la quantité
totale de fubftance vivante n'eſt point
diminuée dans la Nature. Si la deftruction
eft fouvent prématurée , elle hâte
des naiflances nouvelles ; & la mort violente
eft un ufage prefqu'auffi néceffaire
que la loi de la mort naturelle . C'eſt
par ces deux moyens de deftruction &
de renouvellement qu'eft bornée l'exubérance
de la Nature , & que s'entretient
fa jeunelle perpétuelle. L'extrême multiplication
des efpéces inférieures deftinées
à fervir de pâture aux autres , rend leur
deftruction néceffaire , & par conféquent
légitime. Cependant le motif par lequel
on voudroit en douter fait honneur à l'humanité.
Les Animaux font vraisemblablement
des êtres fenfibles, puifqu'ils ont des
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
fens il y auroit une eſpèce de cruauté à
facrifier fans néceffité ceux dont le fen
timent fe réfléchit vers nous en fe marquant
par les fignes de la douleur . Cette
fenfibilité des Animaux eft d'autant plus
grande que leurs fens font plus actifs
& plus parfaits. Le fentiment ne peut
pas être exquis dans ceux dont les fens
font obtus , & ceux auxquels il manque
quelque fens font privés de toutes les
fenfations qui y font relatives. On peut
mefurer le degré du fentiment par le
nombre & la variété des mouvemens
qui en font la fuite néceffaire , & le réfultat
apparent on peut encore l'eftimer
par des rapports phyfiques auxquels
on n'a pas encore fait affez d'attention.
» Pour que le fentiment , ( dit M. de
Buffon ) » foit au plus haut degré dans un
» corps aimé , il faut que ce corps falſe
un tout , lequel foit non feulement fenfible
dans toutes fes parties , mais en-
» core compofé de manière que toutes
ces parties fenfibles ayent entr'elles une
correfpondance intime ,
enforte que
39 l'une ne puiffe être ébranlée , fans communiquer
une partie de cet ébranlement
» à chacune des autres. Il faut de plus
qu'il y ait un centre principal & unique
auquel puiffent aboutir ces différens
23
AVRIL. 1759. 107
33
» ébranlemens , & fur lequel comme fur
» un point d'appui général & commun ſe
» faffe la réaction de tous ces mouvemens ;
» ainfi ceux qui ont plufieurs centres de
»fentiment , & qui fous une même enveloppe
femblent moins renfermer un
» un tout unique , un animal parfait ,
que contenir plufieurs centres d'exif-
"tence , féparés ou différens les uns des
>> autres , feront des êtres beaucoup moins
»fenfibles que les autres . Dans l'homme
» & dans les autres animaux qui lui
» reffemblent , le diaphragme paroît être
» le centre du fentiment. C'eft fur cette
partie nerveufe que portent les impreffions
de la douleur & du plaifir ;
» c'eft fur ce point d'appui que s'exercent
> tous les mouvemens du fyftême ſenſi →
»ble. Le diaphragme eft dans l'animal
» ce que le collet eft dans la plante ;
» tous deux les divifent tranfverfalement,
tous deux fervent de point d'appui aux
» forces oppofées.
ور
"
Il eft aife de s'appercevoir que toutes
les émotions , les faififfemens , les impreffions
fortes fe font fentir au dedans
du corps
à la région même du dia-
-phragme. Il n'y a au contraire nul indice
de fentiment dans le cerveatt , dont la
fubftance eft d'ailleurs par fon peu d'é-
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
lafticité incapable de propager les vibrations
ou les ébranlemens de fentiment .
Quelle que foit la matière qui fert de
véhicule au fentiment , & de quelque
manière que s'opère le mouvement mufculaire
qui en eft la fuite , il eft fûr que
les nerfs & les membranes font les feules
parties fenfibles dans le corps de l'animal.
Ce qui a pu faire penfer que le
centre de toute fenfibilité étoit dans le
cerveau , c'eft que les nerfs qui font les
organes du fentiment aboutiffent tous à
la cervelle . Plufieurs Phénomènes ont
encore accrédité cette opinion , & en
ont impofé à Defcartes même & à M.
de la Peyronnie. Le cerveau est beaucoup
plus étendu dans les animaux qui
ont beaucoup de fentiment , que dans
ceux qui en ont peu . Dès qu'il eft comprimé
, tout mouvement eft fufpendu ,
toute action ceffe ; & fi l'on bleffe le
cerveau jufqu'au corps calleux , la convulfion
, la privation du fentiment & la
mort même fuit ; mais au lieu de s'arrêter
à ces Phénomènes qu'on peut d'ailleurs
expliquer d'une manière fatisfaifante
, il falloit examiner la fubftance même
& l'organiſation du cerveau , on auroit
vû que la cervelle molle , inactive ,
n'eft qu'une eſpèce de mucilage à peine
AVRIL. 1759 . 109
organifé : on auroit vû que la glande pinéale
, le corps calleux , parties dans lefquelles
on a voulu mettre le fiége des
fenfations , ne tiennent point aux nerfs ,
qu'elles en font féparées de manière
qu'elles ne peuvent en recevoir les mouvemens.
Mais quelles feront donc les
fonctions de cette partie à laquelle on
en a attribué de fi nobles ?
» Le cerveau eft aux nerfs ', répond M.
» de Buffon , ce que la Terre eſt aux
» Plantes . Les dernières extrêmités des
» nerfs font les racines , qui dans tout
végétal font plus tendres , plus mol-
» les que le tronc ou les branches ; el-
"
les contiennent une matière ductile
» propre à faire croître & à nourrir l'ar-
» bre des nerfs ; elles tirent cette ma-
» tière ductile de la fubftance même du
» cerveau , auquel les artères rapportent
» continuellement la lymphe néceffaire
» pour y fuppléer. Le cerveau , au lieu
» d'être le fiége des fenfations , le principe
du fentiment ne fera donc qu'un
» organe de fécrétion & de nutrition ,
» mais un organe très- effentiel fans le
quel les nerfs ne pourroient ni croître
» ni s'entretenir.
ود
33
C'est donc faute d'avoir exactement
obfervé , que de grands hommes fe font
mépris fur le véritable fiége des fenfa
Tro MERCURE DE FRANCE.
tions , fur quoi M. de Buffon fait cette
réfléxion bien inftructive & bien vraie.
ود
"
» Le plus grand obſtacle à l'avance-
» ment des connoiffances de l'homme eft
» moins dans les chofes même que dans
» la manière dont il les confidére ; quel-
» que compliquée que foit la machine de
»fon corps , elle eft encore plus fimple
» que fes idées . Il eft moins difficile de
voir la Nature telle qu'elle eft , que
» de la reconnoître telle qu'on nous la
»repréfente ; elle ne porte qu'un voile ,
nous lui donnons un mafque , nous la
» couvrons de préjugés , nous fuppofons
" qu'elle agit comme nous agiffons , &
penfons . Cependant fes actes font évi-
» dens , & nos penfées font obfcures ;
» nous portons dans fes Ouvrages les
» abftractions de notre efprit , nous lui
prêtons nos moyens , nous ne jugeons
» de fes fins que par nos vues , & nous
mêlons perpétuellement à fes opéra-
» tions qui font conftantes , à fes faits
» qui font toujours certains , le produit
illufoire & variable de notre imagina-
» tion. »
>>
»
Ce qu'on appelle principe dans les
fciences abftraites n'eft fondé que fur
des fuppofitions. Dans les fciences qu'on
appelle réelles les principes ne font que
les conféquences des méthodes qu'on a
AVRIL. 1759. IIT
fuivies. Ceft par là que la route expérimentale
elle- même a produit plus d'erfeurs
que de vérités . La vraye ſcience ne
peut pas réfulter
de l'examen
de quelques
faits épars & ifolés . Elle n'eft que
la connoiffance
des rapports
obfervés
entre un grand nombre
de faits femblables
ou différens. Ainfi toutes les
fois que dans une méthode
on ne confidére
un Sujet qu'indépendemment
de
ce qui lui reffemble
& de ce qui en différe
, on ne parvient
à aucune connoiffance
réelle , on ne s'élève à aucun principe
général. C'eſt ce qui eft arrivé dans
l'étude de l'Anatomie
, faute d'avoir comparé
la nature avec elle - même dans les
différentes
espèces d'animaux
; auffi depuis
trois mille ans qu'on difféque
des
cadavres
humains
, l'Anatomie
n'eft- elle
encore qu'une nomenclature
, à peine at
- on fait quelques
pas vers tout objet
réel , qui eft la fcience de l'économie
animale.
» Nous avons fuivi partout dans le
» cours de cet Ouvrage , dit M. de Buf-
» fon , une méthode très- différente, com-
»parant toujours la Nature avec elle-
» même ; nous l'avons confidérée dans fes
» rapports , dans fes oppofés , dans fes
extrêmes. Si nous avons réuffi à répan
dre quelque lumière fur les Sujets ( que
12 MERCURE DE FRANCE.
» nous avons traités ) il faut moins l'attribuer
au génie , qu'à cette méthode que
» nous avons fuivie conftamment , & que
» nous avons rendue auffi générale , auffi
» étendue que nos connoiffances l'ont
permis.
n »
Quoiqu'en dife M. de Buffon , on attribuera
fes fuccès au génie , parce que c'eft
le génie qui fait trouver ces méthodes
lumineufes , auxquelles font dûs les progrès
des Sciences.
Tant qu'il refte des nouveaux animaux
à examiner , il refte des points à contater
dans les connoiffances qu'on a acquifes.
M. de Buffon ne veut donc pas
encore s'étendre fur la théorie du fentiment
& de l'appétit ; mais on a déja aſſez
de faits pour prouver , » Que l'homme ,
» dans l'état de nature ne s'eſt jamais
» borné à vivre d'herbes , de graines ou
» de fruits , & qu'il a dans tous les tems,
» auffi- bien que la plupart des animaux ,
» cherché à fe nourrir de chair. » En vain
plufieurs Philofophes ont- ils préconisé la
diète Pythagorique ; en vain les Poëtes
ont-ils voulu faire honneur aux hommes
du fiécle d'or d'un état de haute tempérance
, d'abftinence entière de chair ,
d'innocence , &c. Le tableau de ces vertus
idéales & de ce fiécle imaginaire et
و د
AVRIL 1759. 113
démenti par l'état réel de la Nature que
nous avons fous les yeux.
Il n'eft point vrai qu'il y ait une plus
grande diſtance de l'homme en pure nature
au Sauvage , que du Sauvage à nous.
A moins de prétendre que l'accroiffement
du corps humain fût bien plus prompt
qu'il ne l'eft aujourd'hui , il n'eft pas poffible
de foutenir que l'homme ait jamais
exifté fans former des familles , puifque
les enfans périroient s'ils n'étoient foignés
pendant plufieurs années.
Ainfi l'état de Nature eft un état
connu ; c'eft le Sauvage vivant dans le
défert , mais vivant en famille . C'eft
donc là ce qu'il faut examiner.
Or en cherchant quels font les appétits
, quel eft le goût de nos Sauvages ,
nous trouverons que tous préférent la
chair & le poiffon aux autres alimens ,
que l'eau pure leur déplaît, & qu'ils cherchent
le moyen de faire eux-mêmes , ou
de fe procurer une liqueur moins infipide.
Ce qui convient à leur goût convient à la
Nature. L'homme n'ayant qu'un eftomach
& des inteftins courts, périroit d'inanition
s'il ne fe nourriffoit que d'herbes & de
graines. Il ne pourroit , du moins dans
ces climats , ni fubfifter , ni fe multiplier ;
il faut qu'une nourriture plus abondante
en molécules organiques répare conti114
MERCURE DE FRANCE.
•
nuellement fes pertes , fans quoi il traîneroit
à peine une vie foible & languiffante.
» Voyez ces pieux Solitaires qui s'abf
» tiennent de tout ce qui a eu vie , qui ,
par de faints motifs , renoncent aux
dons du Créateur , fe privent de la
» parole , fuyent la fociété , s'enferment
» dans des murs facrés contre lefquels fe
» briſe la nature ; confinés dans ces afyles
» où l'on ne refpire que la mort , le vifage
mortifié , les yeux éteints , ils ne
jettent autour d'eux que des regards
languiffans. Ils vivent moins qu'ils ne
» meurent chaque jour par une mort anticipée
, & ne s'éteignent pas en fi-
»niffant de vivre , mais en achevant de
» mourir.
"
"
Pour acquérir & conferver une vigueur
complette , il ne fuffit pas d'ufer d'une
nourriture auffi folide que la chair , il
faut encore la varier. La variété en tout
genre eft néceffaire pour remplir le voeu
de la Nature , en donnant aux fens toute
leur étendue , & toute leur activité : mais
les excès font encore plus nuifibles que ,
l'abftinence .
Le goût pour la chair & pour les nourritures
folides eft l'appétit le plus général
de tous les animaux ; mais ce n'eft un
goût de néceffité que pour ceux qui comme
l'homme n'ont qu'un eftomach & des
AVRIL 1759.
inteftins courts . Les alimens ont deux
grands effets , l'un relatif à leur qualité ,
l'autre proportionné à leur volume, mais
tous deux également néceffaires . Pour
que l'animal foit nourri , il faut que les
molécules organiques féparées du marc
des alimens , au moyen de la digeftion ,
fe mêlent avec le fang , & s'affimilent
avec toutes les parties de fon corps . Mais
cela ne fuffit pas l'eftomach & les
boyaux ont befoin d'être toujours remplis
en partie , pour fe foutenir dans un
état de tenfion qui contrebalance les forces
des parties qui les avoifinent . Les
alimens avant de fervir à la nutrition du
corps lui fervent donc de left. Ce befoin
fe fait fentir aux animaux voraces ,
aux oifeaux , au point de les obliger d'avaler
de la terre , des cailloux &c.
"
:
» Et ce n'eft point par goût , mais par
néceffité , & parce que le plus preffant
n'eft pas de rafraîchir le fang par un
chyle nouveau , mais de maintenir l'équilibre
des forces dans les grandes
» parties de la machine animale.
ود
33
Ceft ainfi que M. de Buffon termine
fon difcours fur les animaux carnaffiers ,
mais il faut lire l'Ouvrage même , l'extraire
, c'eft malgré foi le mutiler . On
ne peut pas retrancher une de fes phra116
MERCURE DE FRANCE.
.
fes fans avoir à regretter une grande
idée , & quelle peine n'a-t-on pas à priver
le Lecteur de l'enchantement qui
réfulte de ce ftyle plein d'élévation &
de chaleur qui fait le mérite principal
de Pline , mais qui n'eft qu'un des caractères
de notre profond Naturaliſte ?
NOUVEL ESSAI fur les grands
Evènemens par les petites caufes. A
Amfterdam , 1759.
L'AU
' AUTEUR de cet Ouvrage avoit déja
fait paroître un Volume fous le même
titre il y a environ deux ans ; on en trouva
l'idée ingénieufe , mais on reprocha à
l'Auteur d'avoir rapporté des faits ou
trop petits ou trop communs , ou qui ne
rempliffoient pas l'objet qu'il devoit fe
propofer , quoiqu'il y eût d'ailleurs dans
Ice Livre des chofes curieufes & bien
écrites. On trouvera dans ce nouvel
Effai des traits d'Hiftoire plus piquans &
moins connus , plus de variété dans les
faits & dans le ftyle. L'Auteur écrit avec
efprit , avec vivacité , quelquefois avec
chaleur ; mais il n'a pas toujours aſſez de
naturel. Je vais rapporter un morceau
AVRIL
1759. 117
qui fera connoître la manière de cet Ecrivain,
& qui pourra plaire quoiqu'il n'aille
pas directement à fon objet .
La prononciation de la lettre q , cause
une grande difpute dans l'Univerfité de
Paris.
t Le célèbre Ramus ou la Ramée eft un
de ces Savans , qui par leurs veilles &
leurs travaux , ont diffipé les ténèbres
épaiffes de l'ignorance : ils ont rallumé
ces flambeaux qui avoient éclairé Athénes
& Rome , & que la barbarie avoit
éteints ils ont tiré de l'oubli ces monumens
éternels de l'efprit humain ; ils
ont enfin préparé le Siècle de Louis
XIV.
Les Médicis , les Léon X , les François
I , avoient tenté de réveiller le génie
endormi dans la nuit de l'ignorance :
malgré leurs efforts généreux , on trou
voit encore partout des traces de la barbarie
; le langage vulgaire n'étoit qu'un
mêlange de plufieurs jargons barbares ;
le Latin & le Grec étoient défigurés par
une prononciation gothique , adoptée &
enfeignée par les Profeffeurs de l'Univerfité.
Ramus eut affez de goût pour fentir
le ridicule de cet ufage , affez de har
dieffe pour le combattre , & affez de
18 MERCURE DE FRANCE.
force pour le détruire. Après avoir enfeigné
pendant plufieurs années la Philofophie
dans le Collège de Prêle à Paris ,
il obtint de Henri II , par le crédit du
Cardinal de Lorraine , la Place de Profeffeur
d'Eloquence au Collège Royal.
Lorfqu'il fe vit honoré de cette dignité ,
il fe fentit un nouveau zèle pour perfectionner
les Lettres & y travailler avec
une nouvelle ardeur. Le premier abus
qu'il attaqua fut la prononciation gothique
, qui s'étoit gliffée dans les Ecoles :
on prononçoit le qu comme le k, ainfi on
difoit kis au lieu de quis , kiskis au lieu
de quifquis , kankan au lieu de quanquam.
Ramus avertit fes Difciples de la défectuofité
de cette prononciation, & leur
dit qu'il falloit donner aux lettres leur
fon propre. Plufieurs Profeffeurs approuverent
& fuivirent ce fentiment , & l'on
n'entendit plus dans les Écoles ni Kankam
ni Kiskis . Mais les Docteurs de Sorbonne
piqués qu'on eût fait cette réponfe
, fans les confulter , s'affemblèrent
pour examiner le q & le k. Le q leur
déplut , ils fe déciderent en faveur du k
& quiconque prononçoit Quanquam
encouroit la cenfure de la Sorbonne.
Un jeune Eccléfiaftique peu docile ofa
AVRIL 1759. 119
>
prononcer dans une Thèfe publique
Quanquam : les Partifans de Kankam en
avertirent la Sorbonne, qui, pour punirce
Rébelle , déclara vacant un Bénéficeconfidérable
qu'il poffèdoit. Il fe pourvut au
Parlement , la caufe fut appellée , les
Docteurs s'y trouverent pour y foutenir
le Kankam. Ramus à la tête des Profeffeurs
du Collège Royal s'y rendit &
prouva avec fon éloquence ordinaire le
ridicule de ce procès. Le Parlement envoya
le jeune Eccléfiaftique en poffeffion
de fon Bénéfice , & le Kankam à décider
aux Grammairiens .
Il paroît que cette difpute a donné lieu
au Proverbe : Voilà un beau Kankam
lorfqu'on veut défigner une conteſtation
de peu de conféquence. Un autre
Eccléfiaftique fut chaffe des Claffes de
Sorbonne , parce qu'il difoit en foutenant
une Thèfe : Ego amo au lieu d'Ega
amat , comme c'étoit alors l'ufage,
*
120 MERCURE DE FRANCE.
LE CITOYEN ,
POEME , par M.VALLIER, Colonel
d'Infanterie , de l'Académie des Sciences
, Belles- Lettres & Arts d'Amiens ,
& de la Société Royale des Sciences &
Belles- Lettres de Nancy. A Nancy
&fe vend à Paris chez Sébaſtien Jorry,
vis- à-vis la Comédie Françoife , au
Grand Monarque & aux Cigognes.
L'AUTE 'AUTEUR de ce Poëme prouve par
fon exemple que la vie retirée a fon utilité
:
Les lauriers ne font pas toujours couverts de fang .
>
Il a confidéré le Citoyen fous trois
points de vue ; dans le rapport général
de fes talens avec fes devoirs ; dans l'application
de fes talens aux fonctions de
la vie publique ; dans l'ufage de ces mêmes
talens au ſein d'un loifir utile . Il part
de ce principe , que chacun a fes devoirs
comme chacun a fes talens . Mais dans
l'ufage de ces talens , on peut donner
dans trois fortes d'excès ; ou fe furcharger
de devoirs incompatibles par euxmêmes
, ou s'en impofer qu'il n'eft pas
en
AVRIL. 1759. 121
en nous de remplir ; ou abufer des facultés
qu'on a reçues de la Nature, en les faifant
fervir au malheur de l'humanité. Le
Cardinal de Richelieu eft l'exemple du
premier , le Prince de Condé & le Chancelier
Bâcon font les exemples du fecond,
Aléxandre & Charles XII font les exemples
du troifième.
Il étoit difficile au Cardinal de Richelieu
d'être en même temps un grand Miniftre
& un bon Evêque.
Attaché tout entier au timon de l'État ,
En lui le Politique efface le Prélat .
Bâcon , excellent Magiftrat , fembloit
promettre un Miniftre habile ;
Mais fon génie , à peine eft forti de ſa ſphère ,
Qu'il languit accablé du poids du Miniſtère.
Condé , fi étonnant dans les Armées ,
n'étoit plus le même dans un Conſeil &
à la tête d'une Ligue.
Il y décourageoit par fa timidité
Le parti qu'au combat animoit fa fierté.
Aléxandre mérita le nom de Grand
tant qu'il mérita le nom de Jufte ,
Mais que lui refta- t- il de fes conquêtes vaſtes ,
Et quels traits odieux deshonorent fes Faſtes ?
1. Vol. E
122 MERCURE DE FRANCE.
Comme lui ,jeune,ardent, mais bien plus vertueux,
Charles prend vers la gloire un vol impétueux.
Mais le malheur l'égare enfin comme
le bonheur avoit égaré Alexandre .
Après l'avoir vengé , Charles perdit l'État ,
Il vêcut en Héros , il mourut en Soldat.
Si la témérité peut fonder un Empire ,
Même témérité peut auffi le détruire.
Foible jouet du vent de la profpérité ,
Le vice d'Alexandre étoit la vanité.
Une fierté févère , invincible , intraitable
DeCharles malheureux rendit l'ame indomptable.
L'un abuſa du ſort qui le favorifoit
L'autre voulut dompter le fort qui l'écraſoit.
Là le Poëte s'élève contre la folie des
hommes qui décernent les premiers honneurs
aux plus terribles caufes de leurs
calamités. Il peint le caractère d'un Roi
bienfaifant & pacifique ; & cette idée le
conduit à l'éloge du Roi Stanislas , l'ami
& le contrafte de Charles XII.
Telle eût été la gloire acquife à vos travaux ,
Grand Roi qui m'entendez , vous l'ami du Héros
Dont le Nord admira le courage intrépide .
Vous marchez vers le Trône où la valeur vous
guide;
AVRIL 1759. 123
Un pouvoir au-deffus du pouvoir des humains
Vous enléve le Sceptre adoré dans vos mains.
Peuples , à ce revers funefte en apparence ,
Reconnoiffez enfin le bonheur de la France.
Ce Héros bienfaifant , ce Sage couronné
A commander au Nord n'étoit point deſtiné
En de plus doux climats,fous un Ciel plus propice
Ses yeux verront régner la paix & la juftice .
L'abondance & les Arts fleuriront à fa voix ,
Il doit à cet Empire une Reine & des Rois.
Quelle eft la conclufion de ce premier
Chant ?
Le Ciel difpenfateur des dons verfés fur nous
Ne nous a pas permis de les pofféder tous :
Il les a répandus comme des traits de flamme.
Sur l'emploi de ces dous laiffons agir notre ame.
Il finit par le précepte bien fage &
bien peu fuivi de mefurer fon ambition à
fa capacité ; & parmi les hommes illuftres
, il ne voit que le Maréchal de Catinat
qui ait rempli l'idée d'un grand homme
à tous égards.
Cátinat fut le feul qui dût à la Nature
Des vertus fans foibleffe & des dons fans meſure.
L'exacte équité , la haute fageffe , la
politique , l'éloquence , tous les talens
)
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
militaires au plus haut degré , le dévouement
au bien de l'Etat , la fermeté dans
les Confeils , fa modeftie dans les victoi-
'res, fon zèle à exécuter les projets même
qu'il n'approuvoit pas , fon ardeur & fa
conftance au travail , fa bonté populaire
& toujours acceffible , fa bienfaiſance ,
fa fimplicité , l'égalité de fon ame dans
l'une & dans l'autre fortune * , fon amour
pour les Arts qu'il protégéa fans oftentation
, & qui le fuivirent dans fa tetraite :
tels font les traits dont M. Vallier nous
a peint ce caractère unique,
Senfible à l'amitié , compatiffant , fincère ,
De la Philofophie il eut la fermeté ;
Son coeur n'en eut jamais la fière auſtérité,
Les douceurs que M. de Catinat
éprouva dans fa retraite , comparées au
tumulté & aux orages de fa vie publique ,
femblent inviter le Sage à l'obscurité &
à l'indépendance ; mais cet état même
Croirois-tu, difoit M. de Catinat à Palaprat ,
au milieu de la belle Campagne d'Italie , croirois-
tu qu'il y a huit jours que je n'ai fait un vers ?
M. le Maréchal , difoit Palaprat en louant fa
fimplicité , ferpit homme à jouer avec nous aux
quilles après avoir gagné une bataille . Et fi c'es
toit après l'avoir perdue , reprit ce grand- home
me , m'en eftimerois -tu moins ?
AVRIL. 1759 .
125
tient à la fociété par des devoirs .
;
L'homme inutile au monde eft comme enseveli :
Du fein de la moleffe il tombe dans l'oubli ;
Et lorfqu'il difparoît , la Terre foulagée ,
D'un importun fardeau fe trouve dégagée .
Quoique tous les exemples de ce premier
Chant foient pris dans les conditions
de la vie publique , le Poëte ne les a préfentés
que dans le rapport général des
talens avec les devoirs.
Dans le fecond Chant il confidére les
talens de l'homme public , appliqués aux
fonctions de chaque état en particulier ,
& il commence par celui d'un Roi.
Qu'il foit ferme à propos , fans être trop févère ,
Qu'il nous gouverne en Maître , & nous protège
en Père ,
Qu'il fe faffe une étude , un mérite , un devoir
D'étendre fes bienfaits en bornant fon pouvoir.
L'ambition d'un Roi n'eſt qu'un tiſſu de chaînes
Dont fon Peuple accablé porte feul tout le poids.
Il perd de fa puiffance en étendant les droits.
L'étude de l'Hiftoire & la connoiffance
des hommes lui font utiles en général ;
mais plus encore celles des Peuples qu'il
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
•
gouverne. Leurs talens , leurs facultés
leurs caractères ,
Il doit connoître tout , il doit tout exercer ,
Et tout homme eft utile à qui fçait le placer.
2
Les devoirs d'un Roi ont des
rapports
plus étendus ; & cette Loi de l'Univers
qu'on appelle le Droit des Gens , doit
être pour lui une régle inviolable.
Le Poëte , après avoir expofé en peu de
mots ces principes , reproche aux Peuples
la témérité avec laquelle ils jugent fouvent
la conduite des Souverains dont la
fageffe leur eft cachée.
Le choix des Miniftres eft un article
effentiel de l'art de règner.
Par eux le Souverain récompenfe & punit.
En traçant le caractère d'un Miniftre
fage , laborieux , intégre , tout entier à
l'Etat & détaché de lui-même , M. Vallier
fait fentir l'importance de cette place ,
les devoirs qu'elle impofe , les talens
qu'elle exige , les vertus qu'elle éprouve ,
& fans lefquelles les talens même deviennent
inutiles ou pernicieux au bien
public. Il donne pour modèle Sulli , &
les Miniftres qui ont fignalé le règne de
Louis XIV , dont il rappelle le cours
triomphant. Il fait fentir le danger dont
AVRIL 1759. 127
l'Eſpagne a été menacée fous un Miniftre
indolent & timide ; & dans la prompte
élévation de la République de Hollande ,
il fait voir ce que peuvent l'activité & la
vigilance d'un feul homme pour la profpérité
d'un Etat.
Ce Peuple pareffeux , ignorant & ftupide ,
Devient un Peuple altier , courageux , intrépide :
Tous ces marais bourbeux fe changent en canaux,
Ces Pêcheurs en Soldats , ces barques en vaiffeaux.
Ce Peuple fatigué de croupir dans la fange ,
La fecoue à la voix du Héros qui le venge.
Il fe forme un Etat , & des moeurs & des loix.
Sur la mer ,
fur la terre on refpecte fes droits.
( Les Anglois feuls n'en tiennent compte.)
Après les Miniftres viennent les Guerriers
, & à côté d'eux les Magiftrats.
Sillery , Lhopital , Séguier , Fleury , Pomponne ,
Lumières du Sénat , appuis de la Couronne;
Du Harlay , Lamoignon , & vous qui de Thémis
Dans un jour moins brillant futes les favoris ,
Et Pucele & Maingui , vrais Sages dont la gloire
Occupe un fi beau rang au Temple de Mémoire :
Vos refpectables noms , vos vertus font vos droits.
Oracles de Thémis , élevez votre voir,
Dites au Magiftrat que fon devoir auſtère
Le rend de l'Orphelin le tuteur & le Père ,
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
L'organe de la Loi , l'appui de l'équité ;
Qu'il doit aux pieds des Rois porter la vérité,
Leur préfenter du Peuple & les voeux & les larmes,
Et ne jamais au trône oppoſer d'autres armes.
Un des écueils de l'équité c'eft l'excès
de zèle pour le foible contre le fort ,
& le plaifir fecret qu'on éprouve à fe
croire le protecteur & l'appui du pauvre ,
en humiliant le riche puiffant. C'eſt ce
que M. le Chancelier Dagueffeau , ce
Magiftrat fi éloquent & fi fage a développé
dans fon difcours fur la grandeur d'a
me ; & M. Vallier n'a fait que verſifier
ce morceau. Il avoue avec une noble modeftie
qu'il a tâché d'employer les expreffions
mêmes de l'Orateur , en n'y
ajoutant que la rime.
Des fonctions importantes d'un Roi ,
d'un Miniftre , d'un Guerrier , d'un Magiftrat
, l'Auteur paffe aux travaux des
Arts méchaniques & libéraux , confidérés
dans leur rapport avec la force, la fplendeur
& la profpérité d'un Etat. Mais il
ne fait qu'effleurer cette partie importante
; & il feroit à fouhaiter qu'il eût
voulu l'approfondir.
Dans le troifième Chant , le plus ftérile
en apparence , & celui cependant
que le Poëre femble avoir traité avec le
plus de foin , il confidére le Citoyen dans
AVRIL. 1759. 129
la vie retirée , toujours occupé du bien
public.
L'homme, dit-il , fe fait une douce habitude
de la juftice & de la vertu. Celui
qui s'eft rendu ce penchant comme naturel
n'a plus aucune peine à le ſuivre.
Au joug de fes devoirs tous les goûts font dociles ;
Mais parmi fes devoirs , il en eft de tranquilles .
Un vertueux loifir peut occuper nos jours ,
Et des deftins du Sage il peut remplir le cours.
Un fleuve dont les eaux defcendent dans la plaine,
S'augmente des ruiffeaux qu'en fa courſe il ramène
:
Des tréfors qu'il raffemble il arroſe les champs :
Son cours fage & réglé porte à leurs habitans
Une fertilité qu'il procure à la terre .
Groffi de ces ruiffeaux , fon onde falutaire
Va les répandre au fein du fuperbe ſéjour
Qui s'enrichit des biens qu'il lui doit chaque jour.
C'eſt ainfi que le Sage , utile à fa Patrie ,
Lui peut faire adorer les inftans de fa vie ;
Il en fait fon étude , il en fait fon plaiſir ,
Il doit à fon Pays compte de fon loiſir .
Là il rappelle le fruit des veilles &
des travaux de nos Sçavans ;
Et quelle récompenfe en attend le fuccès ?
La gloire de fervir , d'honorer leur Patrie ,
De payer à l'Etat leur naiffance & leur vie.
F v
130 MERCURE
DE FRANCE
.
II parcourt
rapidement
les différentes
parties de la Littérature
dont l'utilité publique
eft l'objet.
Il donne des éloges à quelques- uns de
nos Auteurs célèbres , & s'arrête au portrait
d'un Philofophe Citoyen qui a facrifié
fa liberté , le bien le plus précieux
pour le Sage , à l'éducation d'un jeune
Prince dont l'efprit & le coeur font confiés
à fes foins par l'amour éclairé d'un
Pere. Ce Philofophe eft M. de Froncemagne
, Précepteur de Monfeigneur le
Duc de Chartres.
La vie privée a des fonctions moins
honorables , mais non moins effentielles ;
tels font les devoirs de Fils , d'Époux , de
Pere & d'Ami : telles font l'humanité ,
la bienfaifance , la pitié pour les malheureux.
Tous ces devoirs font des branches
de celui de bon Citoyen ; & l'homme
vertueux dans fon obfcurité , les remplit
tous avec le même zèle :
Il s'y livre par goût , il paffe fa jeuneſſe
A rendre à des parens qui formèrent fon coeur
Des foins religieux dont il fait fon bonheur.
Chaque jour qu'il leur doit , marqué par la tendreſſe
,
D'un Pere refpectable adoucit la vieilleffe :
Sa vertueufe Mere y trouve fon appui ,
Et l'heureux prix des pleurs qu'elle a verſés pour lui.
AVRIL. 1759. 131
Effrayé du joug de l'hymen , quand l'avarice
ou l'ambition l'impoſe , il fent le
prix des noeuds que l'eftime & l'inclination
mutuelle ont formés .
D'une aimable vertu les charmes innocens
Unis à la beauté , partagent fon encens :
•
Son amour , les defirs enfin fe font entendre ,
Ce coeur qui s'allarmoit , fe trouble & devient
tendre.
Les foupirs , les regards l'animent tour- à-tour ,
Et la Raifon ſe plaît à rendre heureux l'Amour.
Ces Epoux dont le Poëte peint le bonheur
, élèvent des Citoyens dans leurs
enfans , & c'est la plus chère de leurs occupations
; mais enfin libres de ce devoir ,
& rendus à eux-mêmes, ils vont finir leurs
jours dans une folitude paifible.
C'est là que de l'amour l'amitié prend la place :
Cet amour dont jamais l'image ne s'efface ,
Devient la fource alors d'un fentiment plus pur :
L'un paffe avec les ans ; l'autre durable & fûr ,
Refferre par les ans fes précieuſes chaînes .
C'est peu pour le Citoyen d'être heureux
lui-même , s'il ne fait des heureux.
Du Peuple qui le fert il reffent tous les maux ,
Récompenfe , foulage , anime fes travaux.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
Ces Mortels lui font chers: il leur doit fon bien-être.
L'Ami leur tend les bras & leur cache le Maître.
La vieilleſſe chez lui n'arrive qu'à pas lents ;
Elle y fait refpecter encor fes cheveux blancs.
Enfin l'inftant approche où fon ame tranquille
Va goûter d'autres biens dans un plus fûr afyle.
D'aucune crainte alors fon coeur n'eſt agité :
Son ame fent le prix de l'Immortalité.
J'en ai dit affez pour faire connoître
l'objet , le plan , les moeurs , le ftyle &
le ton de ce Poëme vraiment eftimable.
Si on l'examinoit comme un Ouvrage
claffique, on y trouveroit fans doute quelque
chofe à reprendre ; mais c'eft un
Militaire qui écrit. Il n'a pû ni dû faire
fon étude principale de l'Art des vers la
févérité d'une critique minutieuſe ſeroit
donc ici déplacée. L'objet de ce Poëme
eft utile , l'Auteur l'a rendu intéreflant.
Il y a même du côté de l'Art des beautés
dont un Écrivain confommé feroit
gloire , & je n'ai que des éloges à donner
au Militaire Citoyen qui occupe ainfi fes
momens de loifir.
AVRIL. 1759. 133
EXTRAIT du Livre intitulé : Réfléxions
critiques fur les différens Systêmes de
Tactique de Folard.
L'O'OUUVVRRAAGE de M. Folard a eu d'excellens
Critiques. On l'a accufé de ſe paffionner
pour fes fyftêmes , & de vouloir
les rendre exclufifs . Ses critiques en ont
faifi les côtés foibles avec plus ou moins
d'avantage ; mais tous ont contribué par
la difcuffion au développement & à la
connoiffance du vrai.
Aucun d'eux cependant n'avoit eu
d'autre objet que le fyftême fondamental
de Folard , celui de la Colonne. Le Livre
qui me tombe fous la main eft le premier
qui , fans s'attacher à combattre ce fyftême
, ait avancé & prouvé que Folard
avoit d'autres dangers. Le foin de les
faire connoître pour apprendre à les éviter
, a été l'objet de l'Auteur , comme
il l'annonce dans l'Avant- Propos. Ce Savant
Militaire fe fait connoître pour l'Auteur
du Folard abrégé qui parut en 17543
mais comme il a eu la modeftie de cacher
fon nom , je ne puis qu'imiter fon filence.
Il écrit pour fes Compatriotes ; il les
134 MERCURE DE FRANCE.
prend pour exemples . Il veut que l'autorité
des Henri IV , des Condé , des Turenne
, des Maréchaux de Luxembourg
& de Saxe , ait plus de poids chez les
François que l'autorité des Anciens , dont
les armes & la difcipline n'étoient pas
les mêmes. En effet , ce ne font pas de
vains regrets fur ce que nous pourrions
être : c'est l'art d'employer nos armées
telles qu'elles font qui nous procurera la
victoire & la paix . Cet Ouvrage eſt diſtribué
en treize Chapitres ; chacun d'eux
attaque un fyftême ou un ordre de bataille
favori de Folard . Après en avoir
expofé le danger , l'Auteur anonyme propofe
des moyens différens & des difpofitions
nouvelles . Il prétend que le plus
grand danger des fyftêmes exclufifs , c'eft
la variété du terrein & des circonstances
qui ne font pas toutes fufceptibles des
mêmes manoeuvres. Les fiennes font fimples
, & ne changent rien à celle des bataillons
& des efcadrons , qu'il faut employer
tels qu'ils font en temps de
guerre ; car alors il eft bien dangereux de
toucher à cette tactique intérieure .
» Puiffe , ( dit- il en finiffant fon Avant-
Propos ) » Puiffe cet Ouvrage donner ens
vie de relire Folard , & remettre en-
» core une fois fous les yeux des MiliAVRIL.
1759. 135
» taires un fi excellent affemblage de-
» maximes , de leçons & d'exemples.
Le premier Chapitre contient des rćfléxions
fur le feu oblique que M. Folard
prétend tirer de fa colonne. Le Critique
en démontre l'impoffibilité. Plufieurs
rangs de Soldats preffés , qui font
obligés pour faire feu de faire paffer le
bout de leurs armes entre les têtes de
ceux qui les précèdent , n'ont certainement
pas la liberté de chercher à droite
& à gauche des objets qu'ils ne fçauroient
voir , ni par conféquent ajufter. L'intervalle
des têtes de leurs camarades , forme
comme une efpèce de crénaux qui
donnent au fufil une direction perpendiculaire
au front du bataillon. Cete raifon
fans replique détruit feule le fyftême du
feu oblique , lorfqu'il fera fait par divifions
& par commandement.
Comme ce feu eft cependant trèsavantageux
, le Critique de Folard cherche
à le rendre poffible en adoptant le
feu que le Soldat fait à fa volonté , &
auquel la Nation Françoiſe doit plufieurs
de fes victoires . Ce feu qu'il nomme à la
Françoife , lui femble avoir de grands
avantages fur celui que M. Folard ap
pelle à la Hollandoife , & que le Criti
que ne laiffe pas que d'approuver à cerrains
égards.
136 MERCURE DE FRANCE.
Les avantages du feu à la Françoise
expofés dans ce premier Chapitre , font
la direction oblique , la direction horifontale
, la vivacité , la charge mieux
-faire , les coups plus fûrs , plus nombreux,
plus meurtriers , portant moins enſemble
& fur plus d'objets. Il ajoute que ce feu
eft plus inquiétant , & fe fait avec un
plus grand filence.
Le fecond Chapitre contient des réfléxions
fur le ſyſtême univerſellement répandu
dans Folard , d'entremêler des pelotons
de fufiliers ingambes , ou de gre
nadiers entre les efcadrons en plaine. Il
en examine d'abord la poffibilité : cela
lui donne lieu d'expliquer la manoeuvre
de la Cavalerie au moment du combat ,
& d'expofer des principes très - utiles ;
d'où il part pour nier qu'il foit poffible
d'établir entre les efcadrons les pelotons
propofés par Folard.Après avoir démontré
l'impoffibilité de cette méthode, il en fait
fentir encore l'inutilité . Mais ce ne font
pas toujours les raiſonnemens qui déterminent
les hommes , furtout quand on
les a féduits par des exemples mémorables.
Il falloit attaquer ce dernier retranchement
: l'Auteur a tourné à fon avantage
les exemples dont M. Folard autoriſe fon
fyftême. Le premier eft tiré de la guerre
AVRIL 1759. 137
qu'Annibal porta en.Lombardie , après
avoir traverfe les Pyrenées & les Alpes . Il
s'agit de Publius , qui avoit adopté ce fyltême,
dit Folard , à la bataille de Trebie.
Par l'examen attentif du texte , le Critique
prouve que ce qui caufa la perte
de la bataille , fut précisément ce mêlange
d'armes fait mal-à- propos.
Le fecond exemple , c'eft la bataille
de Pavie, où les Arquebufiers Bafques mis
fur les flancs des Gendarmes Efpagnols ,
cauferent la déroute de la Gendarmerie
Françoife , & la prife de François I. Voilà
un fait qui devroit affurer le triomphe
du fyftême de Folard. On eft tour
étonné , après avoir lû les réfléxions du
Critique , de voir combien mal- à-propos
cette opinion a eu du fuccès , & comme
elle eft démentie par les Auteurs contemporains
, & par les relations qu'ils ont
données de cette bataille. C'eft ainfi qu'il
combat Folard par fes propres armes , &
s'empare des exemples dont il s'étoit prévalu.
Il y joint ceux d'Henri IV à Coutras
, de Guftave à Lutzen , de Turenne
à Sintzeim & à Ensheim , lefquels , bien
loin de regarder ce fyftême comme avantageux
en plaine , ont ceffé de l'employer
dès qu'ils ont mis leur Cavalerie hors des
lieux fourrés & des terreins inégaux , où
138 MERCURE DE FRANCE.
il est néceffaire , pour fa fureté qu'elle
foit foutenue par l'arme qui peut feule
combattre dans ces fortes de terreins . Ce
Chapine , un des plus curieux de l'ouvrage
, mérite d'être lû avec attention.
Il y eft traité du nombre de rangs
fur lefquels doivent combattre les efcadrons
: & cette matière réduite en principes
, eft intéreſſante pour les gens de
l'Art. L'Auteur y attaque un ordre de bataille
par lequel Folard prétend combattre
avec avantage dans une plaine vingtquatre
efcadrons avec douze feulefoutenus
de douze Compagnies
de Grenadiers. L'un & l'autre Auteur ,
fuivant des principes différens , employent
beaucoup d'art pour s'affurer en
fpéculation un fuccès qui me femble
fort douteux dans la pratique. Il n'y a que
trop d'exemples qui ont jugé le Procès en
faveur du grand nombre.
ment
,
Le troisième Chapitre traite de la Mufique
Militaire : cet Art fait pour émouvoir
les hommes & pour réveiller les paffions
, fut confacré principalement à exciter
le courage. Nos deux Auteurs d'accord
fur le principe , ne différent que
dans l'efpèce d'inftrument que l'on doit
employer.
Les Chapitres quatre , cinq , fix , huit
AVRIL. 1759. 139
& neuf, regardent des ordres de batailles
propofés par Folard , & tous fondés fur
le fyftême des colonnes. Le Critique en
démontre la foibleffe & propofe à la place
des difpofitions qu'il croit plus avantageufes.
Ces détails ne font pas fufceptibles
d'extrait. Ils font eux-mêmes auffi
précis que peut le permettre la clarté
qu'ils exigent. Chaque ordre de M. Folard
eft expofé dans un plan , à côté duquel
eft celui que le Critique préfére.C'eft
aux Généraux , dit-il , à choifir & à fe
déterminer en conféquence des principes
de l'Art & des circonftances où ils fe
trouvent.
Folard avance en plufieurs endroits de
fon Ouvrage , & il l'avance comme un
principe de Guerre , qu'il ne faut point
dans une bataille attaquer les Villages .
Son Critique eût- il tort , on doit lui
fçavoir gré d'avoir mis fous les yeux des
Militaires les réfléxions dont il appuye
fon fentiment contre cette maxime. Ce
Chapitre qui eft le feptième , eft curieux :
c'est un tiffu d'exemples ; & les autorirés
font graves .
Le Grand Condé , M. de Turenne ,
le Prince Eugêne , Milord Malboroug ,
Louis XV , le Maréchal de Saxe ; dans
les journées de Nortlinguen , d'Einzheim,
140 MERCURE DE FRANCE.
d'Hoftet , de Ramillie , de Fontenoy,
& de Rocqux .
Dans le Chapitre onzième , le Critique
s'élève contre cette propofition de
Folard que la Cavalerie eft de peu d'usage
dans les attaques d'arriere -garde . Pour
attaquer un ennemi qui fe retire , il faut
marcher plus vite que lui puifqu'il faur
l'atteindre. C'eft l'ouvrage de la Cavalerie
, laquelle ayant bien plus de vîteffe ,
doit bien mieux remplir le premier objet.
Il ne faut pas fe commettre à une
affaire générale ; & la façon de ne pas
fe commettre eft d'employer des troupes
qui peuvent fe mouvoir & fe retirer avec
viteffe & revenir de même : c'eft encore
le propre de la Cavalerie.
C'eft après les mêmes principes que
dans le Chapitre onzième il établit un
ordre de bataille contraire au fyftême
de Folard , pour attaquer une arrièregarde
; & l'avantage de ce nouvel ordre
fondé en raifons folides & concluantes ,
eft rendu plus fenfible encore fur le plan
que l'Auteur en a donné.
Folard propofe de mettre toute la Cavalerie
Françoiſe en Dragons ; le Critique
, ǝn rendant à chacun de ces Corps
la juftice qui lui eft due , fait fentir la
différence de leur inftitution & de leurs
AVRIL 1759. 141
fonctions ; c'est l'objet du douzième Chapitre.
Il voudroit qu'au lieu de bottines
les Dragons euffent des bottes molles, qui
n'empêchent pas de marcher , & qui font
plutôt chauffées. Il n'approuve pas leur
ufage de rifquer leurs chevaux en toute
occafion , faute de laiffer affez d'hommes
pour les conduire . Il demande pour cela
un homme par trois chevaux : c'en eft
affez , dit - il , pour les faire retirer ou
fuivre au befoin.
Le dernier Chapitre regarde la profondeur
des Corps d'Infanterie & le
nombre des divifions. L'Infanterie , ditil
, rend deux genres de combat ; elle les
rend enſemble ou féparément ; mais le
paffage de l'un à l'autre eft prefque toujours
fi rapide , qu'on n'a pas le temps
de changer la difpofition des bataillons.
L'un de ces combats eft le feu ; il fe rendde
loin comme de près , & il exige peu
de rangs , afin que ceux de derrière ne
foient pas empêchés par ceux de devant .
L'autre combat eft le fer ; celui-là exige
de l'impulfion , de la folidité , de la profondeur
dans les rangs pour augmenter
la réfiftance & empêcher les flottemens.
Il faut donc un ordre intermédiaire qui
n'affoibliffe ni l'un ni l'autre de ces genres
de combat , & qui mette les bataillons
142 MERCURE DE FRANCE
en état de paſſer du feu au fer , & du fer
au feu , durant l'action . Cet ordre paroît
être celui de quatre rangs , qui laiffe aux
deux armes tout l'avantage poffible , en
les confervant toutes deux en état d'agir.
Non-feulement cet ordre paroît le plus
avantageux à l'Auteur pour le combat ,
mais il le croit encore néceffaire relativement
à la caftramétation dont il raifonne
par principe & fans préjugé , appuyant
tous fes raifonnemens avec folidité , & les
foumettant aux Maîtres de l'Art.
Ce Livre eft , je crois , l'ouvrage d'un
bon Militaire , & très-furement celui d'un
bon Citoyen.
ANACREON , Sapho , Mofchus , Bion ,
Tyrthée & c. traduits en vers François ,
par M. Poinfinet de Sivry , de la Société
Royale des Sciences & Belles - Lettres de
Lorraine. A Nancy , chez Pierre Antoi
ne, Imprimeur ordinaire du Roi, de l'Hôrel
-de- Ville , & c.
ÉTHOLOGIE ou le Coeur de l'homme
Ouvrage où , après avoir parlé des prin
cipes de toutes nos actions, on entre dans
le détail des vertus & des vices à l'égard
de Dieu , de foi- même , & de la fociété .
Par le Chevalier de Cramezel. A Rennes ,
chez Julien Vatar , pere , au coin de la
AVRIL. 1759. 143
Place du Palais , & rue de Bourbon, & Julien-
Charles Vatar fils , au coin des rues
Royale & d'Eftrées, au Parnaffe, & à Paris,
chez Savoye, rue S. Jacques, 2 vol . in- 16.
L'Extrait au Volume prochain.
MERCURE de Vittorio Siri , Tome quatorziéme.
A Paris , chez Durand , rue
du Foin.
ANALYSE de l'Ouvrage du Pape Benoît
XIV . fur les Béatifications & Canonifations
, approuvée par lui-même & dédiée
au Roi. A Paris , chez Hardy , rue Saint
Jacques , à la Colonne d'Or.
RECUEIL de Pièces & Mémoires concernant
le Réglement à faire entre la
Jurifdiction de la Confervation de Lyon
& les Jurifdictions Conſulaires . A Paris ,
chez P. G. Lemercier , Imprimeur du
Grand-Confeil du Roi , de la Ville , &
de la Jurifdiction Confulaire .
MOYEN de Population par la fuppreffion
des Milices , avec un remplacement
avantageux à nos armes. A Avignon ,
& fe vend à Paris chez Lambert , rue &
& à côté de la Comédie Françoife .
THESE Latine , fur l'ufage de la Mufique
en Médecine ; par l'Auteur du Traité
de l'ufage du François en Médecine. A
144 MERCURE
DE FRANCE .
Paris , chez la Veuve Quillau , Imprimeur
de l'Univerfité & de la Faculté de
Médecine.
LE BACHELIER de Salamanque , ou les
Mémoires & Avantures de Don Chérubin
de la Ronda , par M. le Sage. Nouvelle
édition . A Paris , chez Cailleau , quai des
Auguſtins , à Saint André.
ABRÉGÉ de l'Art des Accouchemens ,
dans lequel on donne les préceptes néceffaires
pour le mettre heureusement en
pratique. On y a joint plufieurs Obfervations
intéreffantes fur des cas finguliers
. Par Madame le Bourfier du Coudray
, ancienne Maîtreffe Sage- femme de
Paris. Prix so fols . A Paris , chez la
veuve Delaguette , rue S. Jacques à l'Olivier.
OBSERVATIONS
Chirurgicales fur les
Maladies de l'Urèthre , traitées fuivant
une nouvelle Méthode , par M. Daran.
Quatrième édition augmentée de nouvelles
Obfervations . A Paris , chez le
même Libraire.
NOUVELLES Obſervations
fur les deux
Syftêmes de la Nobleffe Commerçante
& Militaire, A Amfterdam.
TRAITÉ des Prêts de Commerce , ou de
l'intérêt
AVRIL. 1759. 145
l'intérêt légitime & illégitime de l'Argent.
Par M.... 4 vol. in- 12 . A Amfterdam
& fe vend à Paris , chez Vincent , rue
S. Severin , à l'Ange.
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
SI
ECONOMIE POLITIQUE.
I la réputation dès longtemps acquife
aux lumières & à la fageffe de M.
de Silhouette , n'avoit pas fuffi pour détruire
le bruit populaire qui lui attribuoit
un Plan d'opérations directement oppofé
à fes vues , au moins la profeffion autentique
qu'il a faite de fes véritables intentions
, ne laifferoit - elle aucune inquiétude
à ce fujet. On voit qu'auffi bon Citoyen
que grand homme d'Etat , il frappe
au but important où tous les efforts de
la Nation doivent tendre , & qu'il s'attache
aux grands moyens qui peuvent y
concourir , dans la partie de fon adminiftration
.
Je crois devoir inférer ici ce Difcours
auquel toute la France applaudit , & qui
eft fi digne de concilier à M. de Silhouette
la confiance univerſelle.
1. Vol. G.
146 MERCURE DE FRANCE.
REPONSE de M. de Silhouette , Con-
-
trôleur général , à M. de Nicolaï ,
Premier Président de la Chambre des
Comptes , le Mars.
JE ne diffimule point l'étendue des
obligations que m'impofe la confiance
dont le Roi m'a honoré. Trouver à l'État
les reffources néceffaires pour repouffer
les injuftes attaques d'un Ennemi qui
voudroit envahir l'empire univerfel de la
mer & du commerce ; affermir de plus
en plus le crédit par la ftabilité des engagemens
fur lefquels il eft fondé ; exciter
& protéger l'induftrie ; foulager , lorfque
les circonftances le permettront , un Peuple
qui ne reffentiroit jamais le poids des
impôts & le malheur des temps , s'il ne
tenoit qu'à fon Souverain de l'en garantir :
voilà l'objet de mes devoirs comme celui
de mes voeux. C'eft dans la fuppreffion
des dépenfes inutiles , dans l'économie
des dépenfes néceffaires , & dans l'adminiftration
des branches du revenu public ,
l'on doit chercher les premières ref- que
fources pour fubvenir aux befoins de
AVRIL 1759 . 147
l'Etat. Les fyftêmes dangereux , dont les
moyens enfantés par la chimère & l'illufon
bouleverfent la nature des chofes , &
dont le Royaume a déjà éprouvé une
fois les funeftes effets , n'auront aucun
accès auprès du Trône . Je veillerai avec
foin à l'obfervation de l'ordre & de la
règle. Je fens combien les principes &
les Loix de la comptabilité , dont cette
illuftre Compagnie eft dépofitaire , font
importans à conferver dans leur intégrité
. Vous tenez , Monfieur , ces principes
de vos Ancêtres , qui depuis plufieurs
fiècles préfident cette Compagnie. En les
maintenant avec la juftice & les lumières
qui caractériſent le Magiftrat , vous rendez
un fervice effentiel au Roi & à l'Etat ;
& je compterai toujours au rang de mes
devoirs de faire parvenir à Sa Majefté les
témoignages conftans que cette Com→
pagnie lui donne de fon zèle & de fa
fidélité.
*
G ij
148 MERCURE DE FRANCE:
HISTOIRE NATURELLE.
ABREGE' de l'Hiftoire des Gallinfectes,
de M. de Réaumur , en forme de Lettre ,
pour fervir de fuité à l'Abrégé de l'Hiftoire
des Infectes. Par M. B.**
LEE * hazard m'a fait naître l'idée de
prendre quelque connoiffance de l'Hiftoire
des Infectes : les loifirs de la campagne
m'ont fourni l'occafion de fuivre un
certain temps cette étude , & j'ai cru que
vous me permettriez de vous offrir un
effai fur cette matière. Je ne vous annonce
pas des découvertes , elles font réſervées
à un plus long travail & à de meilleurs
yeux que les miens ; les petites obfervations
particulières vont fe perdre dans les
découvertes réelles & nombreufes des
Swamerdams, des Rhedis , des Valifnieri,
des Lifter & des Lynaus. M. de Réaumur
a paru , lui feul femble avoir épuifé la
matière ; on diroit qu'il eft le confident
de la Nature ; il a écrit fur les Infectes
* Cette espèce de Préface a été faite pour être
lue dans une Académie de Province , avant la
Lettre qui fuit,
AVRIL. 1759 . 149
comme il feroit peut- être à defirer qu'on
eût originairement écrit l'Hiftoire des Nations
. Ses Mémoires offrent un Journal
exact & circonftancié , où tout est bien
vû , parfaitement difcuté & fcrupuleufement
détaillé ; mais ce font ces mêmes
détails & les longueurs qu'ils entraînent
qui en rendent la lecture moins agréable.
Les Analyfes , les procédés donnent
des idées aux gens du métier , & de l'ennui
à tous les autres.
Peu de Lecteurs ont le courage de
fuivre les grandes Hiftoires : les Differtations
, les Critiques , les recherches
fçavantes font fouvent perdre l'enchaî
nement des faits ; le dégoût s'empare de
l'efprit , on ferme le Livre , on ne fçait
pas l'Hiftoire. Pour obvier à cet inconvénient
, on a imaginé des Abrégés , qui
préfentant la chaîne des évènemens , font
connoître les grandes révolutions , indiquent
les refforts qui les ont amenées ,
& laiffent une idée jufte , mais fimple &
précife , des moeurs & des ufages des
Peuples . Ces Abrégés faits avec art font
précisément la conféquence ou le réfultat
d'un long raifonnement : l'utilité des
grandes Hiftoires n'en eft pas moins
réelle ; fans leur fecours les Abrégés feroient
malfaits , ou n'auroient pas exifté.
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
་
•
C'eft fous ce point de vue qu'on doit
confidérer les Mémoires de M. de Réaumur
, & telle fut fans doute l'idée de M.
Pluche lorfqu'il traça une efquiffe légère
de l'Hiftoire des Infectes .
M. B **, Académicien célèbre , confrère
& ami de M. de Réaumur , a été plus ,
loin ; il a mis au jour 6 Volumes d'un
véritable Abrégé ; je ne crois pas en dire
trop en avançant qu'il a rendu à cette
petite partie de la Phyſique le même fervice
que M. de Fontenelle rendit autrefois
à la partie fyſtématique .
J'ignore pour quelle raifon il paroît
depuis longtemps avoir difcontinué fon
ouvrage : j'ai entrepris de le fuivre fans
me flatter de l'imiter ; mes recherches
font adreffées à la même Clarice pour
laquelle il a écrit fous le nom d'Arifte ,
& je dois avertir comme lui , qu'en dépouillant
l'Auteur des Mémoires , je n'ai
pas craint d'employer fes propres expreffions
lorfqu'elles ont pû fe lier au fil de
ma narration , comme auffi de lui affocier
les faits nouveaux que l'expérience
ou des fources étrangères m'ont fourni.
Il ne me refte plus qu'un mot à dire :
peut-être me reprochera-t- on d'entrete
nir cette fçavante Affemblée d'objets peu
dignes d'elle. Il s'en faut bien que j'enAVRIL.
1759. 151
vifage ainfi le fpectacle de la Nature ,
quel qu'il foit ; mais enfin fi ce reproche
avoit lieu , & que l'on regardât mes recherches
comme au - deffous d'un Académicien
, je répondrois , ainfi que le Chancelier
Bacon , lorfque la Reine Elizabeth
fut le voir dans une petite maifon qu'il
avoit bâtie avant fon élévation : » Pour-
» quoi , ( lui dit la Reine ) avez vous fait
» une fi petite maiſon ? Ce n'eſt pas moi
» qui ai fait ma maifon petite , ( repliqua
t-il ) » c'eſt Votre Majefté qui m'a fait
» trop grand pour ma maifon. »
LETTRE à Clarice.
QUOI ,
Lyon , le io Janvier.
Uo1 , Madame ! c'eft férieufement
que vous m'impofez la loi de continuer
l'Abrégé de l'Hiftoire des Infectes ? Je
me plaignois , comme vous , de ce que
l'élégant Auteur qui l'avoit commencée
pour votre inftruction , fe fût arrêté en fi
beau chemin ; mais plus je croyois mes
regrets fondés , moins j'avois lieu d'imaginer
que ce feroit fur moi que
vous jetteriez les yeux pour continuer
cet ouvrage . Sçavez - vous Madame ,
combien le mêtier de Continuateur eſt
périlleux ? Et quel modèle encore me
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
donnez-vous à fuivre ! Quoiqu'il en foit ,
vous le voulez ; toutes les raifons que je
pourrois alléguer viennent échouer contre
ce mot . Si vous ne trouvez pas en
moi cette clarté , cet agrément , cet heureux
choix de faits qui caractériſent Arifte,
vous compterez pour quelque choſe le
facrifice de mon amour - propre : vous
me lirez avec moins de plaifir , mais vous
ne ferez pas en droit de me blâmer.
Sur cette affurance j'entre en matière :
Vous avez reconnu * dans les chenilles
les inventeurs du vernis & de la foie.
Les teignes aquatiques vous ont donné
des leçons fur la pefanteur des folides
dans l'eau.
L'air & l'eau , que vous aviez toujours
regardés comme des élémens contraires
aux mêmes individus , excepté
pour quelques amphibies , vous ont paru
fucceffivement l'habitation des demoifelles
** , qui paffent la moitié de leur vie
dans l'eau ; & de poiffons qu'elles étoient,
deviennent un infecte allé , un oifeau
qui fend l'air avec impétuofité.
Les coufins vous ont offert en petit le
Précis de la plupart des matières traitées .
dans les fix Volumes de l'Abrégé de l'Hiftoire
des Infectes .
** Libella .
AVRIL. 1759. 153
même fpectacle , & vous ont fait voir
qu'ils nous auroient inftruits à nos dépens
de l'ufage du fyphon , fi nous l'euffions
ignoré.
En découvrant le véritable inftrument
du chant des cigales ; en reconnoiffant
que les mâles feuls en font doués , vous
avez vû que la fotte comparaifon que
l'on fait de votre fexe avec elles , n'avoit
de fondement que le préjugé & la manie
ordinaire de railler ceux à qui l'on eſt
foumis.
La vie de ces mouches voraces , à qui
l'on a donné le nom d'Ichneumon * , &
que l'on peut appeller un peuple de Caraibes
, vivant au milieu des nations policées
, vous a démontré que s'il eft un
fyftême vrai dans la Nature , c'eft un enchaînement
conftant de deftructions &
de renouvellemens , une circulation perpétuelle
, générale & reproductive .
* Les Égyptiens nommoient ainfi le petit quadrupède
qui mange , dit- on , les oeufs des crocodilles
& les fait mourir eux- mêmes en ſe jettant
dans leur gueule . On a donné le même
nom aux mouches dont il eft queſtion , parce
qu'elles détruifent les autres Infectes & ſe nourriffent
d'oeufs d'araignées. Il en eft une petite
efpèce qui venge toute la nation des mouches en
mangeant l'araignée elle- même.
Gv
154
MERCURE
DE FRANCE
.
*
D'autres mouches vous ont enſeigné
qu'elles poffédoient furement avant nous
l'art de carder , de filer , de fabriquer des
étoffes , de bâtir des maifons de terre &
de ciment. Il en eft qui percent le bois
& la pierre avec un feul inftrument fait
fervir de modèle à nos ouvriers.
pour
La reproduction enfin des polipes &
des pucerons vous a appris à vous défier
fagement de tous ces Romans fur la génération
auxquels le génie a plus de part
que le jugement.
En un mot , Clarice , vous n'avez plus
befoin de preuves pour être convaincue
que l'étude des Infectes n'eft pas une
étude de pur amufement. La Méchanique
, la Phyfique , l'Anatomie , les Arts
fe font enrichis des fruits de leurs travaux
ou des faits comparés qu'ils ont fournis.
Les cloportes , les fourmis , les cantarides
, les vers de terre & plufieurs autres,
vous ont prouvé de quelle utilité ils
peuvent être à la fanté des hommes lorfqu'ils
en auront reconnu les propriétés :
& pourquoi refuſeroit- on aux Infectes
l'honneur qu'on accorde avec tant de
raiſon aux Plantes ? Ce font de petits
Chymiftes qui donnant aux fucs qu'ils en
* Bourdons , Abeilles folitaires , Teignes, Mouches
à tanières , &c.
AVRIL 1759. 155
tirent une préparation nouvelle , leur
fourniffent certainement auffi de nouvelles
vertus. Les Obfervations du Naturaliſte
mettront le Médecin fur les voies ,
& inftruiront en même-temps la fociété
des moyens de détruire les Infectes malfaifans
qui l'incommodent.
La Métaphyfique eft le pays des fonges.
Plus on va , plus on s'apperçoit que les
objets vûs en grand ménent à l'erreur ;
nos organes ffoonntt bboorrnnééss par d'étroites
limites ; des faits , des détails , quelques
rapports conviennent mieux à notre foible
vue , ils font feuls pour nous l'appanage
de la vérité , & le tableau des variétés
inépuisables de la Nature eft du moins
un grand fpectacle qui inftruit l'homme ,
qui multiplie fes idées , qui élève fon
imagination , non pour l'égarer , mais
pour lui apprendre à fe connoître & à
s'humilier.
Voilà , Clarice , ce que vous vous êtes
dit cent fois en étudiant la vie , les
moeurs & les ufages de ces petits animaux
qu'un certain préjugé enfanté par
l'orgueil , fait regarder avec dédain. Dans
la vuë de vous confirmer dans ces idées ,
j'ai fait choix d'une famille d'Infectes
que leur utilité doit faire placer à côté
de l'abeille & du ver à foie , & leur fin-
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
gularité à la fuite des pucerons. Ne craignez
pas que je promette plus que je ne
peux tenir ; je m'engage à vous faire connoître
des êtres qui ne produifent leurs
femblables qu'après avoir perdu le mouvement
& pour ainfi dire la vie. Malgré
leur petiteffe , plufieurs d'entr'eux ne femblent
exifter que pour enrichir des états.
Ces Infectes font peu connus , ou plutôt
on ne les prend pas communément
pour ce qu'ils font , la fimplicité de leur
forme eft précisément ce qui la rend
fingulière. Repréfentez-vous une petite
boule collée à une branche d'arbre , conceyez
cette boule de la groffeur d'un
pois , & d'une couleur brune tirant fur le
marron , vous aurez une idée aſſez juſte
de la plus grande partie d'entr'eux.
Leur figure offre cependant quelques
variétés dans les espèces ; cette petite
boule n'eft pas toujours parfaitement
ronde quelquefois vous verrez une demi-
fphère ; cette fphère eft fouvent allongée
; d'autres ont la forme d'un rein ;
plufieurs reffemblent affez à un bateau
renverfé ; quelques - unes enfin ont la
figure d'une des coquilles d'une * Moule.
** Je doute qu'avec les meilleures Obfervations
on parvienne jamais à défigner précisément chaque
efpèce de Gallinfecte par le nom de l'arbre
AVRIL 1759. 157
Quant à la couleur , il en eſt de rougeâtres
, de noires , de jaunes ondées de
brun , & de brunes veinées de blanc :
d'ailleurs ce n'eft jamais que contre les
arbres qu'on rencontre ces animaux ; mais
il en eft peu qui en foient dépourvus : un
feul en nourrit fouvent plufieurs espèces
différentes. Vous fçaurez bientôt pourquoi
les Plantes qui ne réſiſtent pas à
l'hyver , n'en ont jamais.
Les deffeins que je joins à ma Lettre
ferviront à vous faire découvrir ce que
vous avez peut - être regardé cent fois
fans y faire attention : vos Jardiniers ,
>
fur lequel elle fe nourrit . Il feroit à defirer qu'on
pût en ufer ainfi à l'égard de tous les Infectes ,
la Médecine pourroit en tirer avantage , la qualité
des Plantes indiqueroit celle de l'Infecte ; M.
Lynaus a entrepris ce travail dans les dernières
éditions de la Méthode : mais peut- il être exact ?
Al'exception de quelques efpèces conftantes à quelques
Plantes , on en voit fouvent plufieurs mêlées
indifféremment fur la même. Nos ormes nos
pêchers &c. ont fouvent plufieurs Gallinfectes différentes
. L'expérience faite au Jardin du Roi confirme
cette réfléxion , on y a vû des Gallinfectes
du pays fe multiplier fur les arbres étrangers qu'on
y élève , au point de les endommager confidérablement
& l'on voit dans tous les Jardins ces
petits orangers qu'on nomme Chinois, parce qu'ils
viennent originairement de la Chine , couverts
de nos Gallinfectes en forme de batteau rene
verfé.
158 MERCURE DE FRANCE.
fans être fi Philofophes que vous , les ont
plus furement apperçus ; mais comme
le préjugé voit & n'examine pas , ils ont
pris pour des Galles un véritable infecte :
leur erreur eft pardonnable ; plus l'infecte
eft gros ; plus il eft parfait , moins il a
l'air d'avoir vie. De grands * Obfervateurs
n'ont pas mieux vû que ces bonnes gens ,
& c'eft pour fe conformer aux idées reçues
, auffi - bien qu'à une reffemblance
fingulière , que l'Auteur des Mémoires a
imaginé le nom de Gallinfecte. **
Je me bornerai à la vie de celle qui eft
la plus commune ; elle vous donnera une
idée des autres eſpèces , qu'il vous fera
libre d'obferver vous - même : mais permettez
- moi d'ajouter un mot fur celles
dont la fociété éprouve chaque jour l'utilité
je veux répondre par des faits à ces
beaux efprits , qui occupés à produire des
idées ou de grands mots , qui ne rendent
les hommes ni plus heureux ni meilleurs ,
marchent tête levée , & regardent en
pitié du haut de leur amour - propre le
modefte Obfervateur qui , le dos courbé
vers la terre , leur procure par fes re-
**
* M. le Comte de Marfigli.
En Latin Coccum ou Coccus , feptième genre
des hé miptères de M. Lynæus , dans fon fyltême
du règne animal .
AVRIL. 1759. 159
cherches les agrémens de la vie , & les
garantit des infirmités humaines .
Les Gallinfectes dont je vais vous entretenir
font celles qu'on voit fur les pêchers,
je les choifis parce que vous les trouverez
fans fortir de votre Parc .Vous fçavez
que ce n'eft point dans cette trifte faifon
où la Nature tient la nation des Infectes
captive dans l'engourdiffement ou
le fommeil, que l'on doit chercher à obferver
, mais dès que le printemps , en
réchauffant leurs organes , ranimera leur
être , tranfportez- vous vers ces beaux
efpaliers qui bordent votre terraffe ; c'eſt
au milieu de Mai & au commencement
de Juin que les Gallinfectes ont pris
leur accroiffement , & qu'il faut commencer
à les fuivre.
Vous en verrez alors contre l'écorce
de vos pêchers deux eſpèces différentes
une petite noire & rougeâtre , l'autre qui
préfente en petit la figure d'un bateau
renverfé ; arrêtons-nous à celle- ci.
NOTA. Je fuis obligé de renvoyer au Mercure prochain
la fuite de cet excellent morceau. La même
raifon me fait différer de donner au Public un Mémoire
très - bien raisonné fur l'emploi des Troupes
Etrangères .
160 MERCURE DE FRANCE.
EXTRAIT de la Séance publique de la ,
Société Littéraire de Clermont en Auvergne
, du 25. Août 1758 .
MR.
Dalmas ouvrit la Séance par un
Difcours fur l'émulation. M. Queriault lut
enfuite un Mémoire fur les Baromètres ;
Ce Mémoire annonce aux Phyficiens
deux obfervations qui méritent une attention
particulière.
L'Auteur ayant eu des raifons phyfiques
de douter que la hauteur du Mercure
fût la même dans deux Baromètres
de différent diamètre , en a fait conftruire
un toricellien à trois tuyaux , lefquels
font plongés dans le même récipient ,
faits avec les plus grandes précautions
& de diamètres différents dans le rapport
à-peu -près de quatre lignes , à deux &
demi , à deux .
Dans le tuyau le moins gros , le Mercure
s'élève à une ligne au-deffus du
tuyau le plus gros , & le tuyau moyen
donne une hauteur à- peu-près proportionnelle
. 2 ° . M. Queriault a obfervé
les variations dans le gros tuyau précédoient
celles des petits , & s'exécutoient
que
AVRIL 1759.
161
poravec
plus de promptitude : que des vents
violents , auxquels les petits tuyaux paroiffoient
infenfibles , agiffoient fur le
gros , & produifoient des ofcillations d'une
demi-ligne , quelquefois plus grandes.
Pour rendre fes Obfervations plus
exactes , l'Auteur a imaginé de faire
ter le récipient des Baromètres toricelliens
fur un trépié mobile , qui , au moyen
d'une vis , élève le récipient lorfque la
furface du Mercure eft au-deffous de la
ligne de niveau , ( bafe de la graduation
du Baromètre ) & l'abbaiffe lorfqu'elle
eft au-deffus.
La derniere Obfervation du Mémoire
roule fur la comparaison des Baromètres
toricelliens , avec ceux qui font coudés .
Il en a réfulté que le Baromètre coudé
eft toujours plus élevé que le toricellien .
Quelles que foient les caufes de ces
différences , le but du Mémoire eft furtout
de prévoir les inconvéniens des mefures
prifes , obfervations & expériences
qui peuvent être faites avec des Baromètres
de différentes formes ou diamètres ,
lefquels on ne peut regarder comme
comparables .
Ce Mémoire fut fuivi d'une Differtation
fur les principes des connoiffances
humaines de M. l'Abbé Garmage.
162 MERCURE DE FRANCE.
Le fens intime & l'évidence apprennent
à l'homme ce qu'il eft , & lui ouvrent
l'entrée de toutes les Sciences .
Tel eft en deux mots le réſultat de cette
Differtation. C'est par une fuite de Propofitions
, dépendantes les unes des autres
, que l'Auteur parvient à la démonf
tration de cette vérité.
Pour le fuivre dans fes raiſonnemens ,
il faut avec lui fe dépouiller de tous préjugés
, entrer dans cette carrière comme
nud , & denué de toutes connoiffances ;
douter même de fon exiftence ; & par fa
propre incertitude , percer les ténèbres
affreufes qui nous environnent.
C'eft en fortant par gradation de ces
ténèbres , que M. Garmage détruit les
funeftes principes du Matérialifme ; il
confond les Philofophes de cette Secte
par les feules armes de la raifon ; la matière
prend fous fa plume une forme foumife
aux loix d'un fuprême Modérateur ;
fon impuiffance eft démontrée , & l'être
penfant remis en fa place , jouit feul des
prérogatives de l'Immortalité. Il feroit
impoffible de donner une autre idée de
cet Ouvrage fans le copier entièrement :"
l'enchaînement des propofitions ne nous
permet pas de les déplacer .
M. Cortigier termina la féance par un
FEVRIER. 1759. 163
Mémoire pour fervir à l'Hiftoire ancienne
de l'Auvergne.
M. C. traite premièrement de l'origine
des Arvernes ; il établit que c'eſt avec
raifon que ces Peuples fe font regardés
comme defcendus des Troyens : non , à
la vérité de ces Troyens vaincus & fugi- ,
tifs dont les Romains fe glorifioient ,
mais de ces premieres Colonies , qui depuis
le déluge avoient eu en partage la
Phrygie hellefpontique , ou la Troade.
Il prouve par le dixième Chapitre de la
Génefe , que les defcendans ' de Japhet
pafferent de la partie occidentale de
l'Afie dans les Illes des Nations ; & l'on
entend , dit l'Auteur , par ces Illes , les
Pays dont les Côtes font baignées par les
eaux de la Méditerranée : ainfi l'Eſpagne
, les Gaules & l'Italie Y font comprifes.
M. C. regarde comme fauffe & abfurde
l'opinion des Peuples feptentrionaux
, qui voudroient nous perfuader par
des fictions que la population ne s'eft
faite que du nord au fud , & décide que
l'art de la navigation ayant déjà fait des
progrès du temps de Moïfe , c'eft par elle
que fe font faites les migrations des Peu-,
ples Orientaux dans les contrées métidionales
de l'Europe.
L'Auteur donne les étymologies des
164 MERCURE DE FRANCE.
noms Arvernes & Limagne , il s'attache
auffi à prouver que la douceur du climat
& la bonté du fol de l'Auvergne , les
exercices & les travaux de la vie paſtorale
qui y a toujours été très-floriffante ,
font les raifons qui ont fait des Arvernes
un Peuple puiffant & dominant parmi les
Celtes ; il paffe enfuite à l'hiftoire propre
des Arvernes , ou des habitans de la
Gaule Celtique , depuis l'an 160 de la
fondation de Rome jufques au Confulat
de Jules - Céfar dans la Province Romaine.
Il la divife en trois époques , l'établiffement
des Colonies Celtes dans l'Italie
, la Germanie & la Gréce ; les guerres
, le commerce & les alliances de ces
Peuples , la puiffance & les riche ffes des
Rois Auvergnats ; enfin , les progrès des
armes des Romains , les moyens dont ils
fe fervirent pour fubjuguer les Gaules ,
& la réduction de l'Auvergne en Province
Romaine , fous le nom de Gaule
Narbonnoife.
M. C. termine fon Mémoire par la
comparaifon de quelques Médailles du
Cabinet du Roi , où on lit les noms de
certains Rois Auvergnats en caractères
Grecs , avec d'autres monumens authentiques
, & décide qu'elles ont été frappées
dans les Gaules.
AVRIL 1759. 165
PRIX proposé par l'Académie des Sciences
, Belles-Lettres , & Arts de Lyon ,
pour l'année 1760 .
LACADE 'ACADÉMIE des Sciences & Belles-
Lettres de Lyon , réunie avec la Société
Royale des beaux Arts de la même Ville ,
par des Lettres-Patentes du Roi , enregiftrées
au Parlement, fous le titre d'Académie
des Sciences, Belles - Lettres & Arts,
s'empreffe de publier & d'exécuter les
intentions de feu M. Jean- Pierre Chrif
tin , Secrétaire perpétuel de la Société
Royale .
Će généreux Citoyen , également eftimable
par fes talens & par la douceur
de fes moeurs , après avoir donné les preuves
les plus conftantes de fon exactitude à
remplir les devoirs académiques , a voulu
laiffer après lui un monument de fon zéle
pour le bien public , pour l'honneur de
fa Patrie , pour le progrès des Sciences
& des Arts .
Il a fondé , par fon teftament , le prix
annuel d'une Médaille d'or , en faveur
des Savans qui voudront concourir au travail
propofé & jugé par l'Académię.
166 MERCURE DE FRANCE.
{
Les Sujets que cette Compagnie annoncera
chaque année , auront alternativement
pour objet : les Mathématiques , la
Phyfique & les Arts. ,
Conformément à cet ordre prefcrit par
la volonté du Fondateur , l'Académie propofe
,, pour le premier prix de Mathématiques
, qui fera diftribué à la fête de S.
Louis de l'année 1760 , le Sujet fuivant :
Trouver la figure des pales des rames
la plus avantageufe , & déterminer , relativement
à cette figure , la longueur la
plus convenable des rames des Galeres , celle
de leurs parties intérieure & extérieure ,
& la grandeur de leurs pales.
Toutes perfonnes pourront aſpirer à ce
prix. Il n'y aura d'exception que pour
Îes Membres de l'Académie , tels que les
Académiciens ordinaires, & les Vétérans.
Les Affociés réfidant hors de Lyon , auront
la liberté d'y concourir.
3 Ceux qui enverront des Mémoires
font priés de les écrire en François ou
en Latin , & d'une manière lifible.
Les Auteurs mettront une devife à la
tête de leurs Ouvrages . Ils y joindront
un billet cacheté , qui contiendra la même
devife , avec leurs nom demeure
& qualités. La Piéce qui aura remporté
le prix , fera la feule dont le billet fera
ouvert.
>
AVRIL 1759 . 167
On n'admettra point au concours les
Mémoires dont les Auteurs fe feront fait
connoître, directement ou indirectement,
avant la décision.
Les Ouvrages feront adreffés francs de
port à Lyon , chez M. Bollioud- Mermet ,
Secrétaire perpétuel de l'Académie , rue
de l'Arcenal ; ou chez M. le Préfident
de Fleurieu , auffi Secrétaire perpétuel ,
rue Boiffac ; ou chez Aimé Delaroche
Imprimeur de l'Académie , aux halles
de la Grenette ; qui les fera remettre
'entre les mains de MM. les Secrétaires.
Aucun Ouvrage ne fera reçu après le
premier Avril de chaque année. L'Académie
, dans fon Affemblée publique , qui
fuivra immédiatement la Fête de Saint
Louis , proclamera la Piéce qui aura
mérité les fuffrages.
Le prix eft une Médaille d'or , de la
valeur de 300 liv . Elle fera donnée à celui
qui , au jugement de l'Académie , aura
fait le meilleur Mémoire fur le Sujet propofé.
Cette Médaille fera délivrée à l'Auteur
même , qui ſe fera connoître , ou au porteur
d'une procuration de fa part , dreffée
en bonne formę.
168 MERCURE DE FRANCE.
r
ANNONCE de l'Académie des Belles-
Lettres de Marfeille.
LA mauvaiſe fanté de M. de la Viſclede ne lui
permettant pas de remplir les fonctions
de Secrétaire perpétuel de l'Académie
des Belles- Lettres de Marfeille ,
qu'il a exercées pendant plus de trente
ans avec tant de diftinction , l'Académie
a nommé pour fon Survivancier en
cette place M. Dulard , l'un de fes Membres.
Ceux qui écriront fur la Fondation
de Marfeille , Sujet de Pocfie qu'elle
a propofé pour le prix de cette année ,
font avertis d'adreffer leur Ouvrage , port
franc , à M. Dulard Secrétaire perpétuel
de l'Académie de Marfeille, en furvivance ,
rue de la Croix - d'Or. Il enverra fon récépiffé
à l'adreffe qui lui fera indiquée ,
ou il le remettra à la perfonne domici--
liée à Marseille qui lui préfentera l'Ouvrage
, qui doit être un Poëme à rimes
plates de cent vers au moins , & de
cent cinquante au plus .
PRIX
AVRIL, 1759. 169
PRIX proposé par l'Académie Royale
des Sciences & Belles -Lettres de Pruffe ,
pour l'année 1760 .
LEE Prix qui devoit être adjugé le 31
Mai 1758 , étoit celui de la Claffe de
Mathématique , fur la Queſtion énoncée
en ces termes :
Si la vérité des Principes de la Statique
& de la Méchanique eft néceffaire ou
contingente ?
Les Pièces qui ont été envoyées au
concours n'ayant pas fatisfait aux intentions
de l'Académie , le Prix a été renvoyé
à l'année 1760 , & les Pièces feront
reçues jufqu'au premier Janvier de ladite
année ; pendant lequel efpace de temps
on pourra envoyer de nouveaux Mémoires
, ou donner à ceux qui ont déjà été
envoyés un plus grand degré de perfection.
Il y avoit encore un Prix réservé pour
1758 , c'étoit celui de la Claffe de Belles-
Lettres , qui avoit pour objet les Monnoies
de Brandebourg. Comme on n'a
rien reçu non plus , magré ce délai , qui
I.Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE.
fût digne d'être couronné , l'Académie
abandonne cette Queſtion ; & la Claffe
de Belles- Lettres , qui doit préfentement
en propofer une nouvelle, en fubftitue une
autre , qui comprend les Chefs fuivant. "
Il s'agit,
1. De mettre dans un plus grand jour
que perfonne ne l'a encore fait , l'hiftoire
géographique des anciens Cantons de Brandebourg
, qu'on appelle dans la Langue du
moyen âge, Pagi , & en Allemand , Gauen.
de
2. De déterminer quelle a été la véritable
étendue de la Marche de Brandebourg fous
les Marggraves des Maifons d'Anhalt ,
Baviere , & de Luxembourg ? Quelles Provinces
ont été compriſes fous ce nom ? Quels
autres pays les Marggraves ont poffédé ?
Et quels Etats y ont appartenu à titre de
fiefs ? Ilfaudra éclaircir les noms que les
différentes Provinces du Brandebourg ont
porté pendant cet espace de tems , & les
variations qui font arrivées à cet égard.
Enfin on déterminera l'origine , l'époque ,
& l'occafion de la dénomination préfente
de toutes les Provinces qui compofent l'Etectorat
de Brandebourg.
3. On fera voir , tant par l'ancienne
grandeur de la Marche de Brandebourg ,
que par d'autres traits remarquables tirés
de l'Hiftoire de ce pays , que les anciens
AVRIL. 1759. ISI
Marggraves de Brandebourg ont de tout
tems joué un rôle des plus diftingués parmi
les Puiffances de l'Europe , furtout
parmi celles du Nord .
De quelque étendue que puiffent paroître
ces Queſtions, il ne fera pourtant pas difficile
de les refferrer dans les bornes d'une
Differtation Académique, pourvû que ceux
qui travailleront pour le Prix , fe donnent
la peine de répondre avec préciſion aux
Queſtions propofées , d'écarter tout ce qui
n'y appartient pas effentiellement , & de
ne rien avancer qui ne foit fondé fur des
Monumens dignes de foi , fans fe livrer
trop aux conjectures , ou ſe fier à des Auteurs
fujets à caution.
On invite des Savans de tout Pays , excepté
les Membres ordinaires de l'Académie
, à travailler fur cette Queſtion. Le
Prix , qui confifte en une Médaille d'or
du poids de cinquante Ducats , fera donné
à celui qui au jugement de l'Académie ,
aura le mieux réuffi . Les Piéces écrites
d'un caractère lifible feront adreffées à M.
le Profeffeur Formey , Secrétaire perpétuel
de l'Académie.
Le terme pour les recevoir eft fixé juſqu'au
1 Janvier 1760. après quoi on n'en
recevra abfolument aucune , quelque rai-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
fon de retardement qui puiffe être alle
guée en fa faveur.
On prie auffi les Auteurs de ne point
fe nommer , mais de mettre fimplement
une Devife , à laquelle ils joindront un Billet
cacheté qui contiendra avec la Devife
, leur Nom & leur demeure.
Le Jugement de l'Académie fera déclaré
dans l'Affemblée publique du 31 de Mai
1760.
On a été averti par le Programme de
l'année précédente que le Prix de la Claffe
de Philofophie Spéculative qui fera adjugé
le 31 Mai 1759. & pour lequel les Piéces
feront reçues jufqu'au 1 de Janvier de la
même année , concerne la Queſtion fuivante.
Quelle eft l'influence réciproque des Opinions
du Peuple fur le Langage , & du
Langage fur les Opinions ?
Il s'agit de faire voir par un nombre
d'Exemples choifis :
1. Combien il y a dans les Langues de
tours & d'expreffions bizarres , nés manifeftement
de telles ou telles Opinions reçues
chez les Peuples où ces Langues fe
font formées : ce premier point feroit le
plus facile.
2. L'effentiel feroit de montrer dans
certains tours de phrafe propres à chaque
Langue , dans certaines expreffions , &
AVRIL 1759. 173
jufques dans les racines de certains mots ,
les germes de telles ou telles Erreurs , ou
les obftacles à recevoir telles ou telles Vérités.
De ce double point de vue naîtroient
des réfléxions fort importantes. Après
avoir rendu fenfible , comment un tour
d'efprit produit une Langue , laquelle Langue
donne enfuite à l'efprit un tour plus
ou moins favorable aux idées.vrayes , on
pourroit rechercher les moyens les plus
pratiquables de remédier aux inconvéniens
des Langues.
Il reste encore le Prix de la Claffe de Philofophie
Expérimentale , renvoyé auſſi à
l'année 1759. fur la Queſtion énoncée en
ces termes. Déterminer, fil' Arfenic quife
trouve en grande quantité dans les Mines
métalliques de divers genres eft le véritable
principe des Métaux , ou bien , fi c'est une
fubftance qui en naiffe & en forte par voye
d'excrétion: Ce qu'ilfaut établirpar des Expériences
folides &fuffifamment réitérées .
Les Piéces feront reçues au concours
jufqu'au 1 de Janvier 1759 .
Nota. Dans la Lettre que M. Formey Secrétaire
de cette Académie m'a fait l'honneur de m'écrire
, il dément les Journaux qui lui ont attribué
le Livre intitulé l'Encyclopédie portative. J'aurois
inféré ici certe Lettre , fi elle avoit été moins flatreuſe
pour moi & moins humiliante pour d'autres.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE IV.
ARTS A GREABLES.
SCULPTURE.
RÉFLEXIONS
SUR LA SCULPTUR E.
Lues à l'Académie Royale de Peinture &
de Sculpture le 3 Février 1759 .
ON eft dans l'habitude de donner le
nom de Soeurs à la Peinture & à la Sculpture
: cette façon de parler me paroît
jufte quand elle eft prife en général ; mais
les rapports & les reffemblances qu'elles
préfentent aux yeux du Public, s'éloignent
confidérablement quand on les examine
avec réfléxion , & qu'on les regarde avec
les yeux de l'Art. Plufieurs Amateurs des
Arts m'ont paru furpris de ce qu'on n'a
prefque point écrit fur la Sculpture, tandis
que le plus petit Poëte & le plus médiocre
Auteur fe croit en état de décider fouverainement
du mérite des Peintres , &
AVRIL. 1759. 174
de parler de toutes les parties de la Peinture
: les raifons d'un filence fi profond ,
& d'un tel excès de réfléxions prétendues ,
fe trouvent dans l'effence des deux Arts :
je vais en donner une idée générale .
La Peinture frappe plus les fens , & le
fecours de la couleur lui donne le moyen
d'être plus approchée de la Nature ; nonfeulement
les richeffes & fon éclat la
répandent davantage dans le monde &
la font accueillir , mais les moyens géné
raux de fon exécution font fi familiers &
fi connus , que tous les hommes la regardent
comme une propriété. Ce n'eft pas cependant
fous ce point de vue, & dans cet
efprit qu'elle eft faite pour tout le monde .
La Sculpture plus renfermée dans fes
atteliers , moins en vue , plus difficile à
mouvoir, plus lente dans fes opérations ,
& moins étendue dans fes compofitions ,
non feulement racourcit & refferre , mais
obfcurcit la carrière toujours ouverte , par
rapport à la Peinture , aux efprits légers ,
aux petites têtes , enfin à nos Juges à la
mode : La facilité de parler , & le filence
font donc dépendans de la nature de cha
cun de ces Arts.
J'ai d'autant plus balancé à communi→
quer ces idées fur la Peinture , & fur la
Sculpture ,
, que ceux qui les pratiquent ,
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
,
femblent ne vouloir connoître que le
travail & l'exécution , dont les moyens
tranfmis du Maître à l'Elève font adoptés
dans l'école à dire le vrai , c'eſt une
efpéce de routine qui peut avoir un
avantage pour les hommes médiocres
& dont l'habitude favorife la pareffe ; mais
cette routine & le chemin frayé font
non feulement ennemis du grand ; mais
conduifent les Artiftes à méprifer la théorie
& à s'oppofer , généralement parlant ,
aux réfléxions que les Gens de Lettres peuvent
leur communiquer. Ce préjugé , la
fource du plus grand malheur desArts,n'eft
cependant qu'une prévention , abfolument
fauffe dans fon principe , & n'eft à proprement
parler qu'un mal entendu.
La plus légére réfléxion fait fentir que
la théorie d'un Art fert toujours à la perfeetion
de fa pratique , & les Artiſtes euxmêmes
prouvent tous les jours que ces
parties font inféparables : en effet ceux
dont les talens font fupérieurs , ne jouiroient
pas de la prééminence qu'on leur
accorde , fans l'union des parties effentielles
de la théorie , à la beauté du cifeau ,
à la perfection du trait , & à la grandeur
des idées. Je conviendrai qu'ils ne raifonneront
point avec méthode fur leur Art ,
qu'ils n'en écriront point avec ordre , auffi
n'eft- ce pas ce qu'on doit leur demander ;
AVRIL 1759. 177
mais ils en parleront avec jufteffe , avec
chaleur ; en un mot ils feront lumineux.
Auroient-ils ces avantages fi cette théorie
qu'ils méprifent , n'étoit intérieurement
placée dans leur tête: Elle s'y trouve; mais
à la vérité liée & confondue avec ce qu'ils
appellent leur pratique : on peut en être
d'autant plus affuré , que la théorie n'eſt
autre chofe que la raifon de l'Art , & que
les Artiftes fans s'en douter inettent cette
raifon continuellement en ufage : en effet
ils l'oppofent fans ceffe , foit aux critiques
que l'on peut faire de leurs productions ,
foit à celles que méritent à leurs yeux
les ouvrages de l'antique ou du moderne.
Pour faire mieux comprendre la Sculpture
aux gens du monde , qui n'ont aucune notion
des moyens de l'efprit & de la main
néceffaires à fes opérations , je crois qu'il
eft bon de comparer toutes fes parties
avec celles de la Peinture , d'indiquer les
portions qui leur font communes , &
qui établiffent leur fraternité ; enfin , de
préfenter la facilité & la difficulté qu'éprouvent
les uns ou les autres Artiftes :
cet arrangement me paroît le plus fimple
& le plus capable de faire connoître la
différence réelle de ces deux Arts.
Leur pere commun eft le génie , cette
portion de la Divinité impoffible à mé-
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
connoître , plus impoffible à définir , qut
perce , qui produit , qui éclaire , qui crée,
& ne peut être confondue avec aucune
partie de l'efprit.
Cet agent univerfel plane également
fur les deux atteliers , & répand plus ou
moins d'étincelles qui s'échappent de fa
tête lumineufe ; heureux les Artiſtes affez
prompts pour les faifir , & affez recueillis
pour les placer convenablement !
L'imitation de la Nature eft conftamment
l'eſſence , la baſe , la propriété ,
enfin la mere commune de ces deux
Arts ; mais l'imitation feule ne produit
que des glaces ; elle n'eft qu'une efclave
fi le génie ceffe de l'accompagner ; c'est
lui qui fournit les grands moyens qui
conduisent à l'expreffion ; c'eft à lui que
l'on doit cette pénétration de l'objet ,
ce tranfport jufte & précis dont l'ame eft
affectée , & qui ſe réfléchit fur l'action.
La Peinture & la Sculpture ont un
befoin égal de recevoir les fecours d'un
Pere & d'une Mere auxquels elles doivent
l'existence , ou plutôt la reproduction
de chaque inftant de leur être cependant
loin de départir leurs dons à leurs.
filles chéries par les mêmes voies , le génie
& l'imitation les foumettent non feulement
à leur objet particulier , mais aux
AVRIL. 17598 17
moyens qui peuvent exalter la magnificence
de leurs fources , & faire naître
une admiration qui doit être rapportée à
fon principe
.
Un autre objet plus digne de ces effences
divines eft celui de tranfmettre à la
poftérité les grands exemples de morale
& d'héroïfme. Les hommes véritablement
fages & véritablement héros , n'ont peutêtre
pas eu befoin d'être encouragés par
les récompenfes honorables que les Arts
diftribuent ; mais ceux qui leur ont fuccédé
ont été conduits & échauffés par ce
payement de leurs bonnes actions ; ainfi
l'on peut dire que les monumens de l'Antiquité
ont été fouvent la fource des plus
grandes vertus ; car il eft conftant que
les exemples vivans ou trop voifins ne
font pas fur les hommes la même impreffion
que les ouvrages de Sculpture an
ciennement élevés à la vertu & à la
gloire : ceux-ci ne préfentent que l'exem
ple ifolé & dégagé de tous les défauts qui
pouvoient les obfcurcir ; les autres , c'eſtà-
dire , les modèles vivans ou trop voifins
, perdent leur éclat , & leur valeur eft
diminuée par l'amour - propre des hommes
, qui n'aiment point à être furpaflés
par leurs contemporains , & qui reçoi
vent les impreffious perfonnelles , les
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
idćes nationales , enfin tous les préjugés
qui font naître des préventions dont l'efprit
fe garantit avec peine. Conféquemment
à ces idées , les Arts doivent puifer
dans l'Antiquité les exemples néceffaires
à la foibleffe humaine.
J'efpere que vous me pardonnerez
d'autant plus cette digreffion , qu'il s'agit
ici d'examiner le mérite d'un Art que les
hommes ont chargé de tranfmettre à la
poftérité la grandeur des vertus & la
puiffance des Empires. Je reviens au détail
commencé.
La Peinture poffède de grands moyens
pour fe faire lire ; le fecours des deux
perfpectives , locale & aërienne , la
multiplicité des plans , la convenance
dans le fite , la facilité des acceffoires ,
l'inftant de tous les mouvemens , toutes
les pofitions réelles & imaginaires ; enfin
la couleur des objets. Quelle eft la
borne de tous ces avantages quand ils font
conduits par le génie ? Cet examen ne
conviendroit pas ici ; je ne fais cette légere
énumération que pour vous faire fentir
toutes les privations dont la Sculpture
eft accablée.
Elle ne peut exprimer que des figures
tenant fi bien à la terre, qu'elle eft obligée
de recourir prefque toujours à des appuis
AVRIL 1759.
181
capables de foutenir les jambes , & de les
mettre en état de réfifter à la pefanteur du
corps ; ce que je dis à cette occafion ne
regarde que les figures feules , & que la
Sculpture traite le plus ordinairement. Il
eft vrai qu'elle préfente auffi des groupes ;
mais en général le nombre des figures dont
ils font compofés , eft très -borné ; car il
eft rare d'en trouver , comme Pline en
décrit quelques -uns , plus étendus encore
que celui de Dircé , que nous appellons
le Taureau Farnèfe , ou femblables aux
bains d'Apollon que l'on voit à Verfailles.
Les bas-reliefs fourniffent à la Sculp
ture plufieurs des parties dont la Peinture
profite à fon gré ; ils lui donnent les
moyens de repréſenter une indication
de fite , de multiplications de plans , &
conféquemment de perfpective. Le basrelief
a de plus l'avantage de foumettre
le Spectateur au jour & au point de vuë
pour lefquels le Sculpteur l'a compofé.
J'ajouterai que femblable au Peintre , il
n'a qu'une furface à décorer ; qu'il peut
exprimer des actions variées à fa volonté,
& difpofer à fon choix de toutes les pofitions
de la Nature & de la fiction ; malgré
cette augmentation de fecours , chaque
Art étant renfermé dans les bornes
182 MERCURE DE FRANCE.
que fon effence lui prefcrit , ce genre
d'ouvrage eft à plufieurs égards tou
jours inférieur à la Peinture , & les basreliefs
laiffent fouvent à defirer , même
fans les comparer à des tableaux ; car il
eft certain qu'ils ont de grandes difficul
tés , & que l'on n'a pas toujours occa→
fion de dire en les voyant : cela est bien
entendu de bas- relief. Leur exécution demande
donc une intelligence particu
lière.
Après avoir furmonté la difficulté d'ap
puyer la figure , c'eft- à-dire , avoir trouvé
ce moyen fans faire tort à l'action, fans
qu'il paroiffe ni forcé ni poftiche , la Sculpture
eft obligée de trouver une pofition
heureuſe de tous les fens , & quiconque
n'a pas réfléchi fur cette difficulté , ne
conçoit pas la quantité de foins , & de
recherches néceffaires pour trouver le balancement
jufte & agréable pour toutes
les parties , pour tous les points de vuë.
On ne doit point oublier que la Peinture
ne travaille que pour unfeul afpect.
Les parties plus ifolées , & principalement
les bras ne contredifent pas moins
le Sculpteur , il doit avoir les raifons de
foutien & de folidité toujours préfentes à
Pefprit , elles font d'une fi grande néceffité
pour l'exécution , que pour ne pas
AVRIL. 1759.
183
s'en écarter il eft fouvent obligé de fe refufer
la plus heureufe expreffion . Quelle
contrainte dans la compofition ! Et de
quelles pefantes chaînes le génie fe trouve
accablé !
Les acceffoires concourent à l'action ,
& fervent à la faire connoître, leur fecours
eft d'une très-grande reffource pour les
Arts , l'éloquence même en fait ufage ,
car une épithète me paroît un acceffoire ,
ou fi l'on veut un attribut : le Peintre ne
doit craindre que d'en abufer, tandis que le
Sculpteur renfermé dans des bornes trèsétroites
, ne peut employer que des attri
buts fouvent fort généraux, puifqu'ils conviennent
quelquefois à plufieurs figures, &
qu'il ne peut les placer que fur les vêtemens,
fur la tête , dans les mains , & quelquefois
fur l'appui dont il a été queſtion.
Je ne parle point de la convenance des
pofitions par rapport à l'âge , & au caractère
, non plus que de la correction
du trait , des détails intérieurs , des attachemens
, & des émanchemens ; ces parties
font néceffaires à la Sculpture , comme
à la Peinture , mais cette dernière
n'ayant qu'une face , ou qu'un point de
vue à repréfenter , éprouve d'autant plus
de facilité , que fi le Peintre s'apperçoir
de quelqu'erreur , ou de quelque degré
184 MERCURE DE FRANCE.
de perfection qu'il peut ajouter , il eft
le maître d'effacer , de refaire , & de retoucher
le Sculpteur au contraire eſt
privé de cet avantage , il ne peut revenir
fur lui-même , dès l'inftant que fon
marbre eft dégroffi ; je paffe même fous
filence les contraintes que les dimenfions
du bloc lui ont fouvent occafionnées
pour y trouver la figure . Ces contraintes
ne font point les feules que cet Art éprouve
; la Peinture choifit celui des trois jours
qui peuvent éclairer une furface; la Sculpture
eft à l'abri du choix , elle les a tous ,
& cette abondance n'eft pour elle qu'une
multiplicité d'étude & d'embarras , car
elle eft obligée de confidérer & de
penfer toutes les parties de fa figure , &
de les travailler en conféquence ; c'eft
elle -même en quelque façon qui s'éclaire ,
c'eft fa compofition qui lui donne fes
jours , & qui diftribue fes lumières ; à
cet égard le Sculpteur eft plus créateur
que le Peintre mais cette vanité n'eft
fatisfaite qu'aux dépens de beaucoup de
réfléxions & de fatigues , tandis que le
Peintre a toutes les oppofitions de la
couleur , les accidens & les effets de toute
la Nature à fon commandement ,
produire l'accord & l'harmonie ; parties
qui concourent le plus à l'agrément, c'eſtpour
AVRIL. 1759 .
185
à- dire aux charmes de la vue. Tel n'eft
point le Sculpteur , il n'a pour lui que
le fçavoir & la fonte de fon cifeau , comme
le Peintre a celle de fon pinceau. L'imitation
de la chair eft l'objet & le principe
de ce travail , la chair mérite toute
l'attention de ces deux Arts , puiſqu'il
n'y a point de partie plus apparente , &
dont le fpectateur foit plus affecté ; elle
doit principalement fe faire fentir fur les
mufcles , qu'elle recouvre fans diminuer
leur jeu ni leur faillie , fans altérer ni
leur force , ni leur place ; mais quelle
différence dans les moyens d'exprimer
cette chair ? Le Sculpteur doit en chercher
les exemples dans les plus beaux
Ouvrages des Grecs , ils ont feuls donné
le modèle des profondes connoiffances
& de l'exécution fublime du cifeau : ils
mettoient toute leur confiance dans la
jufteffe & dans la beauté de leur travail
, & ne cherchoient point à furprendre
l'admiration par un contrafte dans les
pofitions ; la recherche de leur Art confiftoit
à le cacher profondément. Il feroit
à defirer que les Auteurs anciens euffent
fait quelque mention de leur manière
d'étudier , il eft conftant qu'elle doit
avoir été différente de la nôtre , car les
modernes , ceux mêmes qui ont le plus
186 MERCURE DE FRANCE.
copié , & qui ont été le plus pénétrés
d'admiration pour les Sculpteurs Grecs ,
n'ont jamais faifi ni leur ftyle , ni leur
faire. Nous voyons feulement par les
récits de Pline , que loin de négliger la
théorie , ils réfléchiffoient beaucoup fur
leur Art. Le grand nombre d'Artiſtes
dont il parle comme ayant écrit profondément
fur cette matière , ne permet
pas de leur refufer ces connoiffances.
Je reviens aux moyens que le Peintre
peut avoir pour exprimer la chair ; il lui
eft facile d'empâter fon ouvrage , & fans
parler des demi-teintes , de le foutenir
par des ombres larges , il peut aisément
le réveiller par des coups
de force dont
on lui fçait d'autant plus de gré , qu'ils
produifent une oppofition agréable &
un contrafte heureux avec cette même
chair , tandis que le Sculpteur ne peut
produire le même effet que par le plus
grand & le plus jufte terminé , fans avoir
pour lui aucun de ces hazards que la
chaleur & la fougue produifent quelquefois
fur un tableau , comme le feu & la
vivacité de l'imagination font naître un
bon mot que l'efprit & la réfléxion n'ont
jamais pu prévoir ; ces mêmes difficultés
fe trouvent dans la néceffité de cacher la
peine & le travail , obligation effentielle
AVRIL 1759. 187
dans toutes les opérations de l'efprit .
Quand les études du Peintre font arrê
tées , il peut fe livrer à fon feu , & fe
promener fur toutes les parties de fon
tableau ; il recouvre , il éteint, il rehaufle ;
le Sculpteur , avec un outil mordant qui
n'agit qu'à chaque fois qu'il eft frappé ,
& fans pouvoir remettre la matière qu'il
a emporté , ne peut arriver à l'accord
que par une attention lente & par un
favoir exact foumis à l'idée de l'enfemble
& de la totalité , qu'il doit avoir continuellement
préfens à l'efprit , fans pouvoir
l'abandonner , ni s'en diftraire un
inftant , depuis l'extrémité des pieds juſ
qu'à celle des cheveux. Que de coups de
cifeau correfpondans faut-il donner pour
faire agir & pour rendre fublime un ou
vrage de Sculpture ?
Les deux Arts doivent apporter une
grande attention à la manière de traiter
les draperies. On pourroit faire une longue
differtation fur les abus de ce genre ;
mais la Sculpture exige à cet égard encore
plus de foins que la Peinture. Le Bernin ,
dont les talens font recommandables ,
leur a donné beaucoup d'ampleur & de
mouvement : cette nouveauté eu des
fuites très - dangereufes. Pour éviter les
difficultés du nud , on s'eft livré en abu188
MERCURE DE FRANCE.
fant du Bernin , à l'excès des étoffes ; on
a oublié qu'elles doivent toujours rappeller
l'idée & la forme des principales
parties qu'elles recouvrent ; on n'a plus
penfé qu'à elles ; on les a regardées comme
l'objet principal : enfin d'abus en
abus , on eft parvenu en Italie comme
en France à les traiter avec une multiplicité
de gros plis & de mouvemens que
la Nature n'a jamais montrés ; auffi le
plus fouvent on les compofe féparément
avec curiofité , & fouvent contre l'effet
naturel du poids & du mouvement de
la figure qu'elles habillent ; ce qui n'eſt
point étonnant , puifqu'on les pofe fur le
mannequin , & qu'on les ajuſte à fa volonté.
Les Anciens font nos maîtres encore
dans cette partie : ce n'eft point par
ignorance , ni par pareffe qu'ils ont fait
choix de ce qu'on appelle improprement
draperies mouillées , mais les habillemens
qu'ils ont repréfentés étant compofés
de gazes , de toiles de coton , ou pour
mieux dire , de mouffelines , confervoient
le nud, & faifoient fentir tous les mouvemens
du corps d'une façon fi agréable que
l'oeil en étoit toujours fatisfait , & que la
Nature y gagnoit à de certains égards du
côté de la volupté.
AVRIL. 1759. 189
Il n'eft pas néceffaire de vous dire que
cette propofition ne peut être générale ,
& que la Religion exigeant une grande
modeftie , les figures qui en font dépen
dantes , ne peuvent laiffer voir beaucoup
de nud ; mais feroit- il impoffible de les
habiller avec des étoffes moins épaiffes ,
moins amples & moins chargées de grands
plis ? Quant à celles que nous empruntons
de la Fable , nous avons trop de raifons
pour fuivre les exemples que les Anciens
nous ont donnés.
On ne doit point alléguer pour l'avantage
du Sculpteur la facilité de mouler
les parties: fans entrer dans un détail dont
la Peinture peut également profiter , il
réfulteroit de cette opération , fi elle étoit
auffi certaine qu'on fe le perfuade par la
raifon que l'on n'eft pas au fait de l'Art ,
il réfulteroit, dis-je , que toutes les Statues
feroient bonnes parce qu'il n'y a point
de parties qu'on ne puiffe mouler , & copier
au compas ; cependant le contraire
n'eft que trop démontré : en effet non
feulement la Nature préfente quelquefois
des imperfections , mais toutes les parties
choifies & moulées ne fe r'accordent point
entre-elles , il faut au moins fuppléer les
jonctions ; de plus le caractère d'une partie
moulée eft ordinairement froid , af-
1
f
190 MERCURE DE FRANCE.
faiffe & ne convient point au Sujet entrepris
, enfin les proportions font différentes
. Cependant il ne faut pas croire
que cette facilité du monle n'ait fervi quelquefois
à des Sculpteurs ignorans , mais
il fera toujours facile de diftinguer le parti
qu'ils en ont tiré : la Nature perce ,
& du moment qu'il peut l'appercevoir
l'ail eft frappé du bon ou du mauvais
ufage qu'on en a fait. Ainfi l'on peut dire
en général qu'en fuppofant un degré égal
de médiocrité , le Sculpteur par le fecours
du moule paroîtra fupérieur au Peintre
quand ils voudront travailler de génie
l'un & l'autre. .
On croit affez généralement que les
couleurs vrayes placées fur un ouvrage de
fculpture doivent produire la plus parfaite
imitation : cet ufage pratiqué dans
les tems barbares de l'Antiquité , s'eft confervé
dans toute l'Europe jufqu'au renouvellement
des Arts ; on voit même encore
dans nos Villages plufieurs Statues de SS.
exactement barbouillées de différentes
couleurs: les fens groffiers de nos Payfans
font frappés de cet alliage , & c'eft le feul
parti qu'on puiffe en retirer , car je puis
affurer que quand Apelles & Lyfippe auroient
réuni leurs talens fur la même Statuë
, ils n'auroient rien produit d'agréaAVRIL.
1759. 191
ble , ni de fatisfaifant ; les deux Arts que
ces grands hommes ont illuftrés , perdent
également de leurs avantages en réunif
fant leurs moyens , & rien ne prouve autant
leur difference réelle que le produit
de leur affemblage.
La couleur placée fur une Statuë ne
produit , ni ne préfente aucun paffage :
les détails de la figure deviennent fixes ,
& immobiles ; & quoique phyfiquement
parlant , ils ne puiſſent être autrement ,
le pinceau & le cifeau produifent des
illufions , font penfer & imaginer le
mouvement qui convient à chaque partie,
& préfentent plufieurs détails des paffions
qu'ils ont faifis , & pris pour ainfi dire
à la volće .
L'examen d'une draperie me fervira de
comparaifon , & peut donner une idée de
la maniere dont cette opération de la
couleur détruit l'expreffion fine & délicate
des paffions. Je fuppofe cette draperie volante
, le Peintre fera fentir dans fon tableau
, ou fa légereté , ou la force du vent ,
ou celle de l'action. La Draperie du même
genre fera repréfentée par la Sculpture
beaucoup moins étendue , mais il fuffit
qu'elle puiffe paroître en l'air , dès l'inf
tant qu'elle aura été couverte de couleur ,
elle deviendra lourde , fes plis tres-beaux
pour
la Sculpture deviendront chargés , le
1
192 MERCURE DE FRANCE.
contour privé d'une oppofition , telle que
le Peintre la donne à fon gré dans un
tableau , deviendra de la plus grande pefanteur
, ainfi que tous les détails de fa
maffe ; d'ailleurs la faillie des parties traitées
en Sculpture , ne peut produire que
des effets durs & cruds , car la couleur
privée de ruption , de fonte & de fufpenfon
ne peut convenir à tous les afpects
d'une figure de ronde boffe , & l'ouvrage
fe trouvera néceffairement privé de toute
efpéce d'accord ; dès-lors on ne peut plus
le regarder que comme un affemblage
de maffes fans aucune liaiſon générale ,
ou particuliere.
Ainfi chacun de ces Arts demeurant
dans les bornes prefcrites par la Nature ,
doit s'attacher à les avantages , & furmonterfes
foibleffes par les fecours quelles fe
prêtent l'une à l'autre. La Peinture malgré
l'abondance, & la grandeur de fes moyens,
cherche toujours à produire le relief , &
par conféquent à imiter la Sculpture ;
celle-ci foumife à des matieres folides ,
ne peut être fufceptible d'accord & d'oppofitions
que par la variété du travail de
fon cifeau , & par le plus ou le moins de
prononcé dans les ombres ; elle ne peut
tirer cet accord que d'elle-même , où ce
qui eft abfolument femblable , que de la
couleur
AVRIL 1759. 19
Couleur unique de fa matière : pour plaire
& fe rendre recommandable , elle cherche
la fonte & l'accord de la peinture ;
elles fe prêtent donc mutuellement des
fecours, & en ce cas elles font foeurs ; mais
différentes dans leurs moyens pour arriver
au même but , elles ne peuvent fe
réunir.
Il réfulte de ces réflexions , fondées
fur l'effence & fur le détail de ces deux
Arts , que le Sculpteur ayant moins de
fecours , paroît avoir plus de mérite ,
quand il arrête & qu'il étonne le fpectateur
, pour lui faire fentir toute la grandeur
d'une action ; mais auffi que le fpectateur
a beſoin d'un plus grand nombre
de lumières pour le juger , & que par
conféquent la Peinture , plus à la portée
de tous les hommes & flattant davantage
leur pareffe , doit avoir plus d'amis & plus
de partifans.
M..
MUSIQUE.
LE FEBVRE , Organiſte de S. Louis en
l'Ifle , vient de donner au Public une Cantate nouvelle
, qui a pour titre , Athalante & Hippomène ,
à deux voix pour un deffus & une baffe- taille
avec fymphonie. Prix 3 liv . 12 f. Chez l'Auteur
Quai de Bourbon, Ile Saint-Louis; & aux adreffes
ordinaires.
I, Vol, I
194 MERCURE DE FRANCE.
A M. Blainville vient de donner au Public les
fecondes Leçons de ténèbres de chaque jour de la
@maine-fainte , avec accompagnement de violoncelle
ou d'orgue , dédiées à Madame la Mar
quife d'Arpajon. L'Auteur s'eft attaché , autant
qu'il lui a été poffible , à la beauté du chant & à
la vérité de l'expreffion , à varier les morceaux ,
& à les rendre favorables à la voix , fans qu'on
ait à fe plaindre de la difficulté , ni de la longueur,
On les trouve aux adreffes ordinaires .
Angelique , ou les Bergeries de Nerville , Cantatille
nouvelle , à voix feule de deffus ou de ·
haute-contre , avec fymphonie. Par M. le Chevavalier
d'Herbain. Partition & Parties féparées
Prix 3 livres.
Le Papillon , Ariette nouvelle , à voix feule de
deffus , avec deux violons & deux violoncelles.
Par M. le Chevalier d'Herbain. Prix 1 liv. 4 f
A Paris , chez Mlle. Vendôme , Graveufe de Mufique
, rue St. Jacques , vis- à-vis de celle de la
Parcheminerie. Chez Bayard , à la Règle d'Or
rue St. Honoré. Chez M. la Chevardiere , à la
Croix d'Or , rue du Roule , Mads . Caftagneri ,
la Mufique Royale , rue des Prouvaires , M. Le
menu , à la Clef d'or , rue du Roule
GRAVURE.
PLAN de la Ville de Bordeaux , dans lequel
on a obfervé les différens accroiffemens que cette
Ville a reçus juſqu'à ce fiècle ; avec un précis
géographique & hiftorique fur tous les objets intéreffans:
dédié & préfenté à M. de Tourny
Confeiller d'Etat : Feuille grand - Aigle. Par F,
AVRIL 1759. T95
Latte , Graveur , rue Saint- Jacques , au coin de
celle de la Parcheminerie: à la Ville de Bordeaux.
Prix livres.
3
Le fieur Chenu , Graveur , dont j'ai annoncé
trois Eftanpes , l'Apparition de l' Ange , le Vieillard
& fes Enfans , & la Vue du Château Saint-
Ange , dans le fecond Mercure de Janvier , demeure
rue de la Harpe , vis-à-vis le Caffé de
Condé.
LE
GEOGRAPHIE.
E fieur Robert de Vaugondy , Géographe
ordinaire du Roi , & de S. M. Polonoife , Duc de
Lorraine & de Bar , vient de mettre au jour une
Carte des Gouvernemens de Languedoc , Foix &
Rouffillon , en une feuille très- détaillée , de même
échelle que celles de la Normandie & de la Bretagne
, qu'il a publiées l'année pafflée , & accom
pagnée d'une Table Synoptique de la divifion
du Pays. Elle fe vend dans la maifon de M. Robert
, Géographe ordinaire du Roi , Quai de
I'Horloge du Palais , près le Pont- neuf.
Quoique l'Auteur doive publier dans peu d'au
tres ouvrages dans le même genre, il ne fe concentre
pas tant dans les opérations du Cabinet ,
qu'il ne trouve le tems d'enfeigner les Mathéma
tiques & la Géographie ; c'eft pourquoi les perfonnes
qui defirent d'avoir un Maître dans ces
parties , peuvent s'adreſſer à lui . On ne le trouve
que les après-midi , toutes les matinées étant
confacrées à donner fes leçons en Ville.
I ij
19% MERCURE DE FRANCE.
ARTICLE V.
SPECTACLES
.
OPERA.
ON continue de donner à ce Spectacle l'Opéra
de Pyrame & Thifbé : & les Jeudis , le Prologue
de Platée , l'Acte d'Alphée & Aréthufe , & celui
du Devin de Village. Dans ce dernier Acte , M.
Lombard a joué & chanté le rôle de Colin avec
bien du fuccès. Il feroit à fouhaiter qu'il fit le
même ufage de la voix dans le genre noble.
COMEDIE FRANÇOISE.
L E 18 Février , M. Broquin a débuté par le
rôle de Pafquin de l'Homme à bonne fortune , &
I continue fon début dans les rôles de Valet.
Le 28 , on a donné la Tragédie de Titus , qui ,
avec des beautés de détail , n'a pû foutenir l'é
preuve du théâtre. L'Extrait dans le prochain
Mercure.
Le 14 Mars , Mlle Rofalie , nouvelle Actrice ,
qui n'avoit paru fur aucun Théâtre , a débuté par
le rôle de Camille dans les Horaces . Le Public ,
peut -être fatigué des débuts , femble négliger
celui- ci , qui eft cependant bien digne de l'inté
reller.
Quelques efpérances qu'elle eût données dans
AVRIL. 1759. 197
le rôle de Camille , elle les a paffées de bien loin
dans celui d'Ariane , ce chef- d'oeuvre qui a fervi
de modèle à tant d'autres & qui eft , je crois , le
rôle d'Amante tragique le plus capable d'éprou
ver & de développer les talens.
Mlle Rofalie ne déclame point , elle parle, mais
avec nobleffe ; fon emportement même est décent;
fon gefte accompagne avec une préciſion & une
vérité fingulière le fentiment ou l'image qu'elle
doit rendre : fon vifage eft d'accord avec fà
voix ; fes filences font bien ménagés , fes paflages
d'un fentiment à l'autre auſſi naturels qu'il
eft poffible ; qu'elle retienne les mouvemens
de fon ame , qu'elle les faffe éclater , l'expreffion
en est toujours vive & jufte ; la diffimulation
feule n'a pas été affez marquée. J'ai obfèrvé .
de même qu'elle avoit à fe corriger d'un peu de
monotonie dans les fens fufpendus & dans les
finalés : mais fi le cinquième Acte d'Ariane
qu'elle avoit joué d'abord le plus foiblement , a
été le mieux rendu la feconde fois , fi dans l'intervalle
de deux jours elle a pâ changer tout le
jeu d'un Acte entier , à ne pas le reconnoître ,
quelle facilité n'aura-t-elle pas à corriger les fautes
de détail que l'on a pû lui reprocher ?
Sa voix eft foible , mais d'un caractère touchant:
elle fe fait entendre avec le ton naturel
de la parole ; & pour dire encore plus , elle a
fuffi au rôle de Camille & à celui d'Ariane.
Sa figure , fans être belle , eft pleine de vivacité
, & ne manque point de nobleffe : elle ne fe
refufe à l'expreffion d'aucune des affections de
fon ame. L'amour , la fierté , la douleur , la
colère, l'indignation , s'y peignent avec des traits
fenfibles ; & c'eft là , je crois , tout ce qu'exige
la perſpective du Théâtre. Le graffayement eft
I jij
198 MERCURE DE FRANCE.
un défaut ; mais le Public y eft accoûtumé : je
fuis même perfuadé que l'exercice peut l'adoucir ,
comme il remédie à la difficulté de refpirer , qui
eft le plus fouvent un effet de la crainte.
? Mlle Rofalie a débuté à la Cour le Jeudi 22
par le rôle d'Ariane ; & les encouragemens qu'elle
y a reçus lui font des témoignages non équivoques
d'un plein fuccès.
M. Brizart, qui a fuccédé à M. de Sarrazin dans
les rôles pathétiques de Rois , a fait depuis fon
début des progrès inconcevables . Il venoit de
jouer le rôle de Grand - Prêtre dans Athalie ,
avec une majefté , un enthouſiaſme , & des entrailles
dont le Public avoit été auffi charmé que
furpris. Il a mis le comble à fes fuccès dans le
rôle du Vieil Horace : toute fon ame enfin s'eft
développée , & il a faifi ce point de la Nature
noble & touchante , où il eſt fi difficile d'attein¬
dre , mais d'où l'on ne s'éloigne plus , dès qu'on
y eft une fois parvenu.
t
Le 12 Mars , on a donné au même Théâtre
la fauffe Agnès , Comédie en trois Actes , de
feu M. Néricault Deftouches. Le jeu de Mlle Dangeville
& de M. Préville en a fait tout le fuccès.
COMEDIE ITALIENNE.:
LB on a E premier Mars on a donné à ce fpectacle
une Comédie nouvelle en trois Actes , intitulée ,
L'Ennuyé , ou l'Embarras du choix . Certe
Pièce n'a point réuſſi .
Le 6 , on a remis Pyrame & Thifbé ancienne
Parodie de l'Opéra , fuivi de l'Amour Vainqueur
de la Magie , nouveau Ballet Pantomine . Il y a
dans cette Parodie queques traits de critique allez
plajfans.
AVRIL 17596 199
Le 10, la première repréfentation des Aman's
introduits dans le Sérail , ou le Sultan généreux ',
Ballet Héroï -Pantomine . Le 19 , le Ballet de
Thélémaque dans l'Ifle de Calypfo . Ces deux Billets
font de la compofition du fieur Pitrôt : il
ya danfe lui - même , & ils ont eur beaucoup
defuccès. Pen donnerai une idée dans le Mercure
prochain , avec quelques réfléxions fur ce
genre de fpectacle.
OPERA COMIQUE.
-
LE9 Mars on a donné la premiere repréſentation
de Blaife le Savetier. les paroles de M. Sedaine,
Auteur du Diable à quatre, & la Mufique de
M. Filidor. Cette petite Piéce , dont le fujer eft pris
des Contes de La Fontaine , a le mérite d'une
action vive & naturelle . La matique en eft fçavante
& pleine de feu mais l'on trouve qu'il y
manque ce mêlange de doux & de fort , de mouvement
& de repos , qui eft à l'égard des fons
ce que la diftribution de l'ombre & de la lumière
eft à l'égard des couleurs,
Le 20 on a donné pour la premiere fois la
Parodie au Parnaffe , petite Piéce où l'on parodie
les ouvrages nouveaux qui ont paru fur les autres
Théâtres.
ARTICLE VI.
NOUVELLES POLITIQUES.
DE NUREMBERG , le 8 Février.
Na eu avis que le projet concerté entre les
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Généraux des Alliés eft de former un camp nombreux
fous le canon de Caffel.
DE WESEL, le 12 Février.
Le fieur Caftellas , Maréchal- de-Camp , qui
commande dans cette Ville , vient d'être nommé
Infpecteur-général des Régimens Suiffes qui font
au fervice de France. S. M. Très- Chrétienne a
voulu par cette grace récompenfer les fervices
de cet Officier , & donner une nouvelle marque
d'égard à la Nation Suiffe.
Du 14.
La nouvelle convention entre Sa Majeſté Britannique
& le Roi de Pruffe , fut fignée ici le 7
·Décembre dernier. Les deux Rois font convenus ,
1.° De renouveller l'alliance qu'ils avoient contractée
par le Traité de Weſtminſter , du 16 Janvier
1756 , & par la Convention du 11 Avril
1758. 2. Que le Roi d'Angleterre , immédiatement
après l'échange des ratifications , fera remettre
au Roi de Pruffe la fomme de 670000.
livres fterlings , en un feul payement. 3.° Que le
Roi de Prufle emploiera cette famme à l'entretien
& à l'augmentation de fes armées . 4.° Que le
Roi d'Angleterre & le Roi de Prufle ne conclueront
aucun Traité de paix ou de trève , avec les
Puiffances engagées dans la guerre préfente, que
d'un commun confentement , & en s'y comprenant
expreffément l'un & l'autre,
Une pareille convention fut fignée le 17 du
mois dernier entre le Roi d'Angleterre & le Landgrave
de Heffe - Caffel .
*
On contin ue d'enlever les Matelots par force ,
pour compléter les équipages des Vaiffeaux du
Roi.
On a appris par une lettre du fieur Barton ,
Commandant du Vaiffeau de Guerre le Lichtfield,
le détail du naufrage de ce Vaiffeau fur les côtes
AVRIL 1759. 201
du Royaume de Maroc . Un bâtiment de tranfport
chargé de troupes , & une galiote à bombes
ont eu le même fort.
De la Haye les Mars.
Le 26 du mois dernier les Etats Genéraux furrent
affemblés pour prendre une dernière éfolution
au ſujet de l'armement des vingt- cing Vaif
feau de Guerre , & cet armement fut décidé . Les
Anglois ont levé le mafque en déclarant , par une
délibération folemnelle , vingt-fept de nos Vailfeaux
de bonne prife, par la feule raiſon que tou-
» tes les Marchandifes dont ils font chargés doiventêtre
prefumées appartenir au Roi de France,
>> à fes Vallaux & c. & que de cette manière ou
» d'autres , elles font fujettes à confifcation, »
DE MADRID le 13 Février.
Les efpérances qu'on avoit leues du rétabliffement
de la Santé du Roi , font beaucoup dimi
nuées.
DE GENES le 4 Février.
Mathieu Françore , élu Doge de cette Répu
blique , fut couronné folemnellement le 27 dw
mois dernier.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c .
Le 17 Février.
PROMOTION D'OFFICIERS GÉNÉRAUX.
LIEUTENANT GÉNÉRAL.
M. le Comte dé Monteynard.
MARÉCHAUX DE CAMP.
GARDES FRANÇOISES . MM. de Viſé & de Voifenon.
GARDES SUISSES. MM. Settiez , & le Baron de
Travers
LV
202 MERCURE DE FRANCE.
INFANTERIE . MM. le Chevalier de la Marck ,
le Baron de Tunderfeld , de Culaques , le Comte
de Rouffiac , de Courbuiffon , le Marquis de Fenelon
, le Comte d'Hamilton , le Comte de Bethune
, de la Morliere , le Baron du Blaiſel , le
Marquis de Gouy , le Marquis de Mailly , le
Comte de Choiſeul- Beaupré , de Bergerer, Gayon,
de Bruflard , le Marquis de Baffompiere, le Prince
de Robecq , le Marquis de Lemps & de Châtillon,
ARTILLERIE . M. Guyol de Guiran. ,
GÉNIE. MM. de Bourcet , & Filley.
MAISON DU ROI.
GARDES DU CORPS DE S. M. MM. le Chevalier
de S. Sauveur , le Marquis de Sesmaiſons
de Vareilles & de Champignelles.
GENDARMES BE LA GARDE . MM. le Vicomte
de Ségur & Filtz de Coffe.
CHEVAUX-LÉGERS DE LA GARDE . M. Channe
de Vezanne.
MOUSQUETAIRES. M. le Marquis de la Cheze.
GENDARMERIE. MM. le Marquis de Bacqueville
, de Folleville , de Lefperoux , le Comte de
Montecler.
CAVALERIE. MM. de la Refie , de Moulins ,
'd'Obenheim , de Cormainville , Marquis de Soye
court , de Saluces , de la Rochefoucauld - Langhac,
leComte de Galiffet , le Marquevilly , le Comte
de Vienne , le Marquis de la Viefville , le Comte
de Biffy , le Comte de Grammont , le Comte
d'Elpiés.
DRAGONS . M. le Chevalier de Mezieres , le
Marquis d'Amenzaga.
ÉTAT MAJOR.
FANTERIE. MM. le Vicomte de Sebourg , le
Marquis de Lugeac , le Marquis de Cornillon.
12
>
1
AVRIL. 1759 . 203
BRIGADIERS..
GARDES FRANÇOISES . MM. le Marquis de Bou
ville , le Chevalier de Champignelle , le Comte
d'Auteroche , le Comte de Lautrec .
GARDES SUISSES . MM . Gabriel - Joſeph Reynold
, & Etienne Caftellas .
INFANTERIE. MM. le Marquis de S. Herem ,
le Chevalier d'Ally , le Marquis de Contades , le
Comte de Caftellanne , le Chevalier de Chabrian,
de la Trefne , Warten , le Marquis de Montpouillan
, Mylord Ogilry , le Marquis de Vaubecourt
, Rofcomon , le Baron de Zuchmantel , le
Comte de Beaujeu , le Comte de Brienne le
Comte d'Efparbès , le Marquis de Peruffe d'Efcars
, le Baron de Rey , le Chevalier de Valence,
le Marquis de Juigné, Jenner , de Bulow , & du
Boufquet.
ARTILLERIE. M. Belidor.
›
GÉNIE. MM . du Portal , Chevalier , & Lambert.
MAISON DU ROI.
GARDES DU CORPS de S. M. MM. de Florishac,
de Cherifey , le Marquis de la Billarderie, de Caf
fini , de Morioles , le Chevalier d'Amfreville.
CHEVAUX-LÉGERS DE LA GARDE . M. le Marquis
d'Efquelbec.
MOUSQUETAIRES. M. de Bulſtrode .
GRENADIERS A CHEVAL . M. de Bonnaire.
GENDARMERIE . MM. le Vicomte de Sabran ,
le Comte d'Efclignac , de Boufflers , de Clermont-
Montaifon , le Marquis de Cruffol d'Amboife , le
Comte de Valentinois.
CAVALERIE. MM. Louis Rheingraff , le Prince
de Holſtein-Beck , le Baron de Stralenheim , le
Chevalier de Marcien , le Marquis de Montier ,
Comte de Poly , de S. André , de Pradel, Prince
d'Anhalt , le Chevalier de Nanclas , Nordmann ,
de la Roque , de Monciel )
1 vj
204 MERCURE DE FRANCE.
DRAGONS. MM. de la Badie , de la Porterie,
le Marquis de Montchenu.
ÉTAT MAJOR.
INFANTERIE. MM . Micault, Dongermain , le
Chevalier de Longaunay , le Chevalier de Chabor.
CAVALERIE, MM. de Valogny , de S. Sauveur ,
de Vault , le Marquis de Fumel.
DISPOSITION DES RÉGIMENTS.
INFANTERIE. La Reine , le Marquis de Cruffol
d'Amboife ; Limofin , le Comte de Miran ; Provence
, le Marquis de Grave ; Lorraine, le Comte
d'Aubigny ; Angoumois , le Chevalier de Blangy ;
Brie , le Marquis de Coiflin ; Royal - Barrois , le .
Marquis de Langeron.
CAVALERIE. Royal , le Marquis de Serrant .;
la Reine , le Sieur de Tourny ; Dauphin Etranger
, le Marquis de Vibraye ; Bourgogne , le
Comte de Coffé ; Grammont , le Marquis de
Balincourt ; la Viefville , le Marquis de Ste Aldegonde
; la Rochefoucauld , le Marquis de Sargeres
; Saluces , le Marquis de Seyfiel.
GRENADIERS -ROYAUX . Bergeret , le Vicomte
de Nardonne , Châtillon , le Marquis de Longannay
; Bruflart , le fieur le Camus.
Le Roi ayant jugé à propos d'employer en
qualité de Brigadier, en Baffe-Normandie le Comte
de Goyon , Brigadier , Meftre de Camp- Lieutenant
du Régiment du Colonel- Genéral des Dragons
, S. M. a difpofé de la Charge de Mestre
de Camp- Lieutenant de ce Régiment , en faveur
du Chevalier de Caraman , Major du Régiment
de Dragons de ce nom .
Le Roi a difpofé auffi du Régiment vacant par
la démiſſion du Marquis de S. Jal , en faveur du
Comte de Vogué , Capitaine réformé dans le Régiment
de Cavalerie d'Aquitaine.
AVRIL. 1759. 205
De Paris , le 10 Mars.
Le 2 de ce mois , le Roi fit dans la plaine des
Sablons , la revue du Régiment des Gardes-Françoifes
, & de celui des Gardes- Suiffes.
Le 28 Avril de l'année dernière , le fieur de
Lally , Lieutenant - Général des armées du Roi ,
débarqua à Pontichéry avec deux Bataillons de
fon Régiment , vers les deux heures après midi.
Le même jour à cinq heures , il détacha le
Comte d'Estaing avec deux Bataillons du Régiment
de Lorraine & trois cens hommes des Troupes
de l'Inde , pour aller inveftir Goudelour , &
partit dans la nuit avec un détachement du Corps
Royal de l'Artillerie , deux piéces de campagne ,
deux groffes piéces , & les deux Compagnies de
Grenadiers de fon Régiment , pour aller joindre
le Comte d'Estaing devant cette Ville , qui capitula
le quatrième jour.
Il fit tout de fuite inveftir le fort Saint-David;
& trois jour après fit emporter l'épée à la main
les trois forts qui en défendoient les approches. Les
difficultés du terrein ayant fufpendu l'arrivée
de l'Artillerie , il ne put faire ouvrir la tranchée
que le 20 Mai. Le fort Saint- David capitula le 2.
Juin , & la garnifon de fept ,cens vingt Anglois
& dix- fept cens Soldats noirs , a été faite priſonnière
de guerre.
Il envoya le même jour un détachement à onze
lieues du fort Saint- David à Divicottey , que la
garnifon Angloife avoit évacué.
Il s'eft trouvé cent quatre - vingt canons ou
mortiers , dans le fort Saint- David , & quatrevingt
piéces de canon dans Divicottey.
Le Marquis de Montmorency-Laval , Colonel
d'Infanterie , a été envoyé par le fieur de Lally ,
pour porter au Roi les détails de la prife des
forts.
206 MERCURE DE FRANCE.
Extrait du Journal de l'Efcadre des Indes ;
commandée par le Comte Daché , Chef d'Eſcadre
des Armées Navales .
Le 27 Janvier de l'année derniere , l'Eſcadre
commandée par le Comte Daché , partit de l'lflede-
France pour fe rendre dans l'Inde. Elle étoit
alors compofée d'un Vaiffeau du Roi , de huit
Vaiffeaux de la Compagnie des Indes & de deux
Frégates.
Le 28 Avril cette Eſcadre parut à la côte de Coromandel
, devant la Ville de Gondelour & le Fort
Saint-David à quatre lieues de Pondichery . Deux
Frégates Angloiles qui étoient à l'ancre , le jetterent
à la côte & s'y brûlerent. ( On a reçu depuis
que ces deux Frégates étoient le Brigdwater & le
Triton , chacune de 20 canons. )
Quoique l'Escadre eût befoin de rafraîchiffement
& d'eau , il fut réfolu de profiter de la confternation
que fon arrivée devant Gondelour mettoit
dans la Ville , pour la bloquer par mer ,
tandis que le fieur de Lally qui pafferoit à Pondichery,
y prendroit des Troupes , pour venir l'inveftir
par terre ; & en conféquence le Vaiffeau le
Comte de Provence , avec la frégate la Diligente ,
furent détachés à Pondichery avec le fieur de
Lally.
44 ,
Le lendemain 29 , la frégate la Silphyde , qui
faifoit la découverte , fit fignal d'une Efcadre de
neuf vaiffeaux. Elle étoit compofée de quatre
vaiffeaux de 70 canons , de trois de 60 , d'un de
& d'un de 20. Le combat fut engagé à
deux heures après - midi. Il fut très - vif de parc
& d'autre jusqu'à la nuit , fans que le vailleau le
Comte de Provence & la frégate la Diligente , qui
<arriverent alors de Pondichery ,, ayent pû être
d'aucun renfort. On s'attendoit le lendemain à
+
AVRIL 1759. 207
un fecond combat ; mais l'Efcadre Angloife maltraitée
s'étoit retirée vers Madras pour s'y réparer.
L'Eſcadre Françoiſe fe trouva le 30 Avril devant
Alemparvé , à fept lieues de Pondichery. Le
vaiffeau le Bien-Aimé , dont le cable fe rompit
dans la nuit , fut obligé de faire côte , & le perdit
; mais tout l'équipage fut fauvé.
Le 7 Mai l'Efcadre arriva à Pondichery , & y
débarqua les troupes , les munitions de guerre ,
& l'argent dont elle étoit chargée ; elle fe rendit
le lendemain 2 Juin devant Goudelour & le
Fort Saint- David , qui n'étant point fecouru par
l'Eſcadre Angloife , fut réduit à capituler.
L'Eſcadre parut le 4 Juin devant Divicottey ,
dont le Fort le rendit fans faire de réfiſtance.
Du 9 au 17 Juin , que l'Eſcadre revint à Pondichery
, elle a croifé fur l'Ifle de Ceylan & devant
Negapatnam & Karical . Elle s'eft emparée
dans fa croifiere d'un brigantin Anglois nommé
l'Expériment , Capitaine Whiteway , qui fut tout
de fuite envoyé à Pondichery.
Du 17 au 27 Juillet l'Eſcadre eft reſtée devant,
Pondichery à le réparer & ſe pourvoir de vivres.
Mais l'Ecadre Angloiſe ayant paru , le Comte Daché
fe mit fous voile, ayant avec lui le même nombre
de Vaiffeaux que dans le premier combat;
fi ce n'eft qu'au lieu du Vaiffeau le Bien- Aimé
qui avoit péri , & de la Frégate la Silphyde qui
étoit défarmée , il avoit pris le Vaiffeau le Comte
de Provence & la Frégate la Diligente.
Le 3 Août : ce jour - là le combat s'eft enga
gé avec la plus grande vivacité à une heure
après-midi , & a duré de la même force pendant
plus de deux heures . L'Eſcadre Angloife étoit
très-maltraitée ; & le Comte Daché auroit eu
tout l'avantage dans le fecond combat fans les
accidens qui furvinrent fur fon vaiffeau & fug
208 MERCURE DE FRANCE.
le Comte de Provence , par des artifices que les'
Anglois y jettèrent contre toutes les régles
& ufages de la guerre. Le Vaiffeau le Comte de
Provence en fur le premier maltraité ; le feu
prit à toutes les voiles & au mât d'artimon ; il
gagnoit la dunette , & auroit confumé le vaiffeau ,
fipar une manoeuvre hardie du fieur Bouvet, Commandant
le Duc de Bourgogne , celui - ci ne fût
venu le placer entre le Comte de Provence & le
vaiffeau Anglois , qui après lui avoir jetté les artifices
, continuoit de lui tirer fes bordées . Ce n'eſt
qu'avec des peines infinies que le fieur la Chaife
a pu parvenir à éteindre le feu des artifices. Il
en a été de même fur le Zodiaque ; avec cette
différence que les artifices des Anglois ayant
gagné la route aux poudres , le vaiffeau a été fur
le point de fauter en l'air. Les foins des Officiers,
& ceux du fieur Guillemain , Ecrivain , ont fauvé
le vaiffeau du danger où il étoit : mais après ces
accidens , l'Efcadre a été forcée de faire retraite ,
le Zodiaque formant l'arriere- garde ; & l'Eſcadre
étant venue mouiller le 4 devant Pondichery ,
s'y eſt emboffée en ligne , fans que les Anglois
foient venus l'attaquer de nouveau.
Les Vaiffeaux s'étant réparés dans le courant du
mois d'Août , le Comte Daché , a mis à la voile
de Pondichery le 3 Septembre , & eft arrivé le
13 Novembre à l'Ile de France , où il a trouvé
les Vaiffeaux du Roi le Minotaure , l'Illuftre &
Actifcommandés par les fieurs Froger de l'Eguille
, Chevalier de Ruis , & d'Ifle- Beauchaine ,
Lefquels fe font joints à l'Eſcadre.
*
Le Comte Daché a dépêché en France la Frégate
la Diligente , avec le fieur Earhantel , Enfeigne
de Vaiffeau , fur le Zodiaque , qui a ap
porté ce détail . Il y a eu fur l'Eſcadre 251 hom
imes tués , & 602 bleffés,
1
AVRIL. 1759. 200
DE VERSAILLES le 22 Février.
Le Baron de Beckers , Miniftre d'État & de
Conférence , Miniftre Plénipotentaire de l'Electeur
Palatin , eut le 11 une Audience particuliere
du Roi , dans laquelle il préfenta à Sa Majesté
fes Lettres de Créance.
Le 17 , le Roi a tenu fur les Fonds de Baptême ,
avec la Marquife de Pompadour , Dame du Palais
de la Reine, le Fils du Vicomte de Bouville ,
Commandeur de l'Ordre Royal & Militaire de S.
Louis , Capitaine de Vaiffeau du Roi . Le Baptême
a été fait à la Paroiffe de Notre-Dame. Sa Majesté
a été repréſenté par le Duc de Duras , Pair
de France , & premier Gentilhomme de la
Chambre.
Le 18 , le Roi a nommé Miniftre d'État le
Maréchal Prince de Soubife qui a pris en cette
qualité féance au Confeil de Sa Majesté.
Le Marquis de Chabannes , Sous- Lieutenant de
la feconde Compagnie des Moufquetaire de la
Garde , ayant obtenu du Roi la permiffion defe
démettre de cet emploi , Sa Majeflé a accordé la
Cornette vacante par cette démiffion , au Marquis
de Varennes- Nagu , Capitaine dans le Régiment
du Roi , Infanterie .
Le Roi a donné l'Abbaye de l'Eau , Ordre de
Citeaux , Diocèſe de Chartres , à la Dame de
Vauldrey , Abbeffe de Beauvoir.
L'Abbaye de Beauvoir , Ordre de Citeaux
Diocèle de Bourges , à la Dame Joly de Fleury ,
Religieufe du Monaftere de Foilly , Diocèfe de
Troyes.
Et l'Abbaye d'Effey , Ordre de S. Auguſtin ,
Diocèle de Sées , à la Dame de Beauville ; Religieufe
à l'Abbaye de Bonlieu , Diocèſe du Mans.
Du premier Mars.
Le 24 du mois dernier le Roi tint le Sceau
pour la quarante- cinquième fois.
210 MERCURE DE FRANCE:
Sa Majefté a difpofé du Régiment de Berry ;
Infanterie , vacant par la démiffion du Marquis
de Contades , en faveur du fieur Hugues , Capitaine
dans le Régiment du Roi , Infanterie ; de
celui de la Ferre , Infanterie , vacant par la promotion
du Marquis de Fenelon au grade de Maréchal
de Camp , en faveur du Marquis de Beaumont
, Ayde-Major- Général de l'Infanterie de
l'Armée ; de celui de Beauvoifis , Ipfanterie , vacant
par la promotion du Marquis de Lugeac
au grade de Maréchal de Camp , en faveur da
Chevalier de Clugny, Capitaine dans ce Régiment.
Le Roi a nommé Guidons de Gendarmerie ,
les fieurs Comte de Mornay de Monchevreuil ,
Colbert de Preffigny, Marquis de la Haye, Comte
de Chabannois , Comte de Flavacourt , Marquis
de Roquefort , Vicomte de la Riviere , & de Manneville.
Le Roi a accordé au Comte de Barbazan , Sénéchal
& Gouverneur de Bigore , le Commandement
de cette Province.
Du 8 .
Le 24. du mois dernier , les fieurs de Saint-
Germain , de Ballette , & de Boignorel , reçus
ci-devant Chevaliers de minorité dans les Ordrés
Royaux Militaires & Hofpitaliers de Notre- Damedu
Mont Carmel & dé Saint Lazare de Jérufalem
, furent admis dans l'appartement de Monfeigneur
le Duc de Berry ; & immédiatement
après la meſſe à faire leur profeffion , & à prononcer
leurs voeux entre les mains du Comte de
Saint- Florentin , Gérent & Adminiftrateur de ces
Ordres. Le Comte de Comminges fut enfuite reçu
Chevalier des mêmes Ordres. Le fieur Dorat de
Chameule prêta le même jour ferment en qualité
de Survivancier du fieur Dorat fon pere , dans
la Charge de Greffier & Secrétaire Général de
ces Ordres.
AVRIL. 1759. 211
Le fieur de Boullongne s'étant démis de la place
de Contrôleur Général des Finances. Sa Majesté
à nommé le fieur de Silhouette pour le remplacer.
Le fieur de Kergarfon , Enfeigne de Vaiffeau ,
Commandant la Corvette du Roi la Sardoine
qui revient de la Martinique & de S. Domingue
d'où il eft parti les Décembre , a rapporté que
ces Colonies étoient alors en bon état.
Le fieur de Bougainville, premier Aide de Camp
du Marquis de Montcalm , Lieutenant- Général ,
Commandant les Troupes Françoiſes en Canada ,
fous les ordres du Marquis de Vaudreuil , Gouverneur
& Lieutenant- Général de la Colonie , eft
arrivé de Québec pour rendre compte au Roi de
l'état de cette Colonie , & a eu l'honneur de préfenter
à S. M. les plans des forts & la Carte des
lieux qui font le théâtre de la guerre dans ce
pays. Ces plans ont été levés par le fieur de Crevecoeur
, Officier au Régiment de la Sarre , employé
dans le Génie , & qui s'eft fait beaucoup
de réputation par fa bravoure & fes talens . Le
Roi a accordé au fieur de Bougainville une gratification
, le brevet de Colonel , & la Croix de
Saint-Louis. Cet Officier arrivé de Québec au
commencement du mois de Janvier dernier, vient
de repartir pour le Canada.
Le Roi a nominé à l'Evêché d'Agde l'Abbé de
S. Simon de Sandricourt , Vicaire Général de
l'Evêché de Metz .
Sa Majesté a donné P'Abbaye Royale de Conches
, Ordre de S. Benoît , Diocèse d'Evreux ,
fur la démiffion de l'Abbé de S. Simon , à l'ancien
Évêque de Limoges , Précepteur de Monſeigneur
le Duc de Bourgogne;
Et l'Abbaye de Peffan , Ordre de S. Benoît ,
Diocèle d'Auch , à l'Abbé de Narbonne de Lara ,
Grand- Vicaire d'Agen.
212
MERCURE DE
FRANCE
Morts.
Le Sieur Pierre Loys de la Baume , Major de la
Ville de Beziers , mourut à Beziers le 9 de Février,
âgé de quatre- vingt- onze ans .
Meflite Antoine Antonin , Marquis de Longaunay
, Gouverneur de Carentan & Pondouvres , eft
mort en cette Ville le 13 , dans la foixante -uniéme
année de fon âge .
Dame Marie-Renée de Maupeou , Abbeffe de
l'Abbaye Royale de Farmoutier en Brie , Ordre de
S. Benoît , elt morte dans fon Abbaye le 15 , âgée
de foixante - trois ans.
Le fieur Rouault , Abbé de l'Abbaye de Saint-
Léonard de Chaume , Ordre de Citeaux , Diocèfe
de la Rochelle , mourut à la Rochefoucauld , le
16 , âgé de foixante-quinze ans.
Le fieur de Laire , Abbé Commendataire de
l'Abbaye d'Iffoire , Ordre de S. Benoît , Diocèſe
de Clermont , eft mort en fon Abbaye le premier
de Mars , dans la foixante-dix- huitieme année de
fon âge.
Mariages.
Le 25 Février Leurs Majeftés & la Famille
Royale fignerent le Contrat de mariage du Marquis
de Chamborand avec la Demoiſelle de Fontville.
Le 7 de ce mois le Prince de Heffe- Darmstadt,
à qui le Comte de la Marche avoit envoyé fa procuration
, époufa la Princefle Fortunée d'Eft , fille
du Duc de Modène ; & cette cérémonie fut faite
par le Cardinal Pozzobonelli , Archevêque de
Milan.
Le 10
la Comteffe de la Marche partit de
Milan dans les carroffes du Duc fon Pere ; & elle
AVRIL. 1759.
215
arriva le 20 au Pont de Beauvoifin , où elle fut
complimentée de la part du Prince de Conti & du
Comte de la Marche , par le Bailli de Chabriant ,
qui préfenta à cette Princeffe les Dames qui doivent
être auprès d'elle , & les Officiers deſtinés
la fervir.
Le 27 au matin , à quelque diſtance de Montetereau,
le Prince & la Princeffe de Conti, le Comte
de la Marche , la Ducheffe de Modene , & le Duc
de Penthièvre , qui s'étoient rendus à Nangis ,
Château du Comte de Guerchy , pour recevoir la
Comteffe de la Marche , mirent pié à terre pour
aller au- devant de cette Princeffe , qui étoit aufli
defcendue de fon carroffe, Après s'être embraffés ,
le Comte & la Comteffe de la Marche montèrent
dans le carroffe du Prince de Conti , & ils
arrivèrent vers le midi à Nangis , où le Cardinal
de Luynes leur donna la bénédiction nuptiale.
Le Prince & la Princeffe de Conti , le Comte
& la Comteffe de la Marche, féjournèrent le 27
à Nangis , d'où ils partirent le lendemain pour
fe rendre à Paris.
Les Mars , la Comteffe de la Marche , Princeffe
du Sang , fut préſentée au Roi , à la Reine
& à la Famille Royale. Le lendemain Leurs Majeftés
& la Famille Royale rendirent viſite à la
Comteffe de la Marche.
Jacques- Charles de Chabannes Curton , Comte
de Rochefort , Aurieres & autres lieux , Enfeigne
des Vailleaux du Roi , fils de Jean- Baptifte de
Chabannes, Marquis de Chabannes Curton , Chevalier
de l'Ordre Royal & Militaire de S. Louis ,
& de la feuë Dame Claire- Elifabeth de Roquefeuil
fon époufe , & neveu d'Antoine de Chabannes
, Marquis de Curton , Madic , Saint- Angeau
, & du Palais en Forez , a été marié le 10
Février dernier , dans l'Eglife Paroiffiale de Saint
214 MERCURE DE FRANCE
Sulpice , avec Marie-Elifabeth de Talleyrand Perigord
, Marquis de Talleyrand , Brigadier des
Armées du Roi , Colonel du Régiment de Normandie
, Menain de Monfeigneur le Dauphin ,
tué devant Tournai en 1755 , & de Dame Marie-
Elifabeth de Chamillard , Marquife de Talleyrand
, Dame du Palais de la Reine , fille de
Michel Marquis de Bani , & de Marie Françoife
de Rochechouard de Mortemart aujourd'hui
Princeffe de Chalais. La Comteffe de Chabannes
Curton eft foeur de M. de Talleyrand Perigord,
Comte de Perigord , Prince de Chalais , Grand
d'Espagne , & Menain de Monfeigneur le Dauphin.
Le Marquis de Chabannes Curton , pere
du nouveau marié , a été Major du Régiment
Royal Cravates , dans le temps que le Marquis
de Curton , fon frere aîné , mort Lieutenant Général
des Armées du Roi , il y a plufieurs années
à Prague , dans la guerre de Bohême , en
étoit Colonel , après avoir été Ayde de Camp
de Monfeigneur le Duc de Bourgogne. La Bénédiction
nuptiale a été donnée par l'Abbé de
Chamillart , frere de la Marquife de Talleyrand ,
le 20 Février à S. Sulpice.
Le 4 Mars la Comteffe de Chabannes Curton
fut préfentée au Roi , à la Reine & à la Famille
Royale.
J'ai lu,
APPROBATION.
'Ai lu, par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
le premier Mercure du mois d'Avril , & je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.
A Paris , ce 31 Mars 1759. GUIROY.
AVRIL
1759.
215
TABLE DES
ARTICLES.
ARTICLE
PREMIER.
PIECES
FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE,
FABLE : le Loup ,
l'Agneau & la Fourmi , p .
Hypermneſtre à Lyncée , Héroïde ,
Sonnet au Soleil ,
Difcours fur la Modeſtie ,
Vers à Mlle de *** ,
Bouquet ,
>
7
IS
16
33
36
38
40
Lettre à Madame la Comteffe D ***
Ode fur la mort de M. Duguay-Trouin
Obfervations fur une Harangue : Utrum armis
an litteris fama citiùs comparari poffit ,
Portraits ,
>
>
48
57
66
Sur les différens genres d'écrire, par un Suiffe, 60
La Vérité , à Mlle de F ***
Imitation de l'Ode d'Horace : Vixi puellis , 69
Imitation de l'Ode d'Horace : Vitas hinnyleo , 70
Mors de l'Enigme & des deux
Logogryphes du
Mercure précédent ,
Enigme , Logogryphe , Chanfon ,
7I
ibid:
ART. II.
NOUVELLES
LITTÉRAIRES,
Difcours de
Monſeigneur l'Evêque Comte de
Valence ,
73
Réponse de Madame l'Abbeſſe du Val de Grace ,
Epitaphe Latine de S. A. S. Madame la Ducheffe
d'Orléans ,
Note de M. Marmontel ,
Extrait du Livre intitulé :
L'Incrédulité convaincue
par les Prophéties ,
80
81
82
86
L'Hiftoire Naturelle , par M. de Buffon , Tome
216 MERCURE DE FRANCE.
feptiéme , 104
Nouvel Effai fur les grands événemens par les
petites caufes ,
Le Citoyen , Poëme , par M. Vallier ,
116
120
Extrait du Livre intitulé : Réfléxions Critiques fur.
les différens fyftèmes de Tactique de Folard ,
Annonces des Livres nouveaux ,
733
142 & fuiv.
ART. III. SCIENCES ET BELLES-LETTRES.
Economie politique ,
145
Réponſe de M. de Silhouette , Contrôleur Général
, à M. de Nicolaï , Premier Président de la
Chambre des Comptes
146
Hiftoire Naturelle, Abrégé de l'hiſtoire des Gallinfectes
, 148
La Société Littéraire de Clermont , 160
Académie de Lyon , 165
Académie de Marſeille ,
168
Académie de Pruſſe ,
169
ART. IV . ARTS AGRÉABLES.
Réfléxions fur la Sculpture , 174
Mufique ,
193
Gravure ,
194
Géographie ,
195
ART. V. SPECTACLES.
Opéra , 196
Comédie Françoiſe , ibid.
Comédie Italienne , 98
Opéra-Comique , 99
ART. VI. Nouvelles Politiques ,
ibid.
De l'Imprimerie de SEBASTIEN JORRY ,
rue & vis-à-vis la Comédie Françoife.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères