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MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
Chez
JUILLET
2755.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine.
Cechin
Fitoresinve
PapillonSculp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT , quai de Conti.
( DUCHESNE , rue Saint Jacques.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
BIBLIOTHECA
REGLA
MONACENSIS.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis an
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'eſt à lui qu'on prie d'adreffer , francs
deport , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. de Boiffy',
Auteur du Mercure.
Le prix eft de 36 fols , mais l'on ne payera
d'avance , en s'abonnant , que 21 livres pour
Tannée , à raifon de quatorze volumes . Les
volumes
d'extraordinaire feront également de
30fols pour les Abonnés , & fe payeroni avec
Tannée qui les fuivra.
Les perfonnes de province auxquelles on
lenverra par la pofte , payeront 31 livres
10 fols d'avance en s'abonnant , & elles le
recevront franc de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du portfur
leur compte , ne payeront qu'à raison de 30
fols par volume , c'eft- à - dire 21 livres d'avance
, en s'abonnant pour
l'année , fans les
extraordinaires.
Les
Libraires des
provinces ou des pays
A ij
étrangers, qui voudront faire venir le Mer
cure , écriront à l'adreffe ci - deffus.
On Jupplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres;
afin que le payement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
refteroni au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état
de répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi
Mercredi & Jeudi de chaque semaine, aprèsmidi.
On peut fe procurer par la voie du Merles
Licure
, les autres Journaux , ainsi que
vres , Estampes & Mufique qu'ils annoncent.
}
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET. 1755 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A M. L'ABBÉ DE ***
. Par Madame de ***
Vous en répondrez devant Dieu
De m'avoir trop ennorgueillie ;
Entre la Balourdife & l'efprit de faillie ,
Javois pris un juſte milieu :
Sans ofer me coëffer du poëtique liere ;
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Contente de fçavoir , & penfer & fentir ,
Abbé , je fourniffois ma modefte carriere ,
Et vous m'en avez fait fortir.
A de la profe mal rimée ,
Qui m'échappe à tort à travers ,
Je n'étois point accoutumée
A prodiguer le nom de vers :
Mais vaine de votre fuffrage ,
J'ai dit : verfifions .... Il fe peut après tout ,
Que d'un talent en moi le germe fe dégage ,
J'en dois croire le Dieu du goût.
J'invoque vainement les Mufes & les graces ,
Vous feul donnez au bon le coloris du beau ;
Des Térences & des Horaces
J'apperçois bien en vous l'affemblage nouveau ,
Mais tel modele à ſuivre eft un peſant fardeau.
Si vous m'appellez fur vos traces ,
Au moins de l'ignorance ôtez - moi le bandeau
Chaque habitant de la voûte azurée
Vient vous feconder à ſon tour :
Moi par aucunje ne fuis infpirée.
Le Dieu qui difpenfe le jour ,
Momus , Minerve , Cithérée ,
Dans votre cabinet ont fixé leur fejour ,
Et votre plume fut tirée
D'une des aîles de l'amour.
JUILLET.
7 1755
LE PHILOSOPHE MILITAIRE.
Est-il un fort plus heureux que le mien ?
Dans ma petite folitude
Je n'ai que ce qu'il faut de bien.
Pour vivre fans inquiétude.
Je me fuis fait de tout tems une loi
D'être réglé dans ma conduite ;
Cependant jamais je n'évite
Le plaifir quand il s'offre à moi.
Une douce philofophie ,
Que Dieu fait parler dans mon coeur
Seule eft la régle de ma vie ,
Et la caufe de mon bonheur.
A Corbi fous un toît ruftique ,
Au milieu des champs & des bois ,
C'eft-là que fouvent je m'applique
A regner dans mon coeur , à lui donner des loix .
C'eft- là que quand je vois fans ceffe
Mes paffions flater mes fens ,
Je crois voir des flateurs la troupe enchantereffe
M'offrir un infipide encens.
A iv
S MERCURE DE FRANCE.
Verſailles ; Je vois Corbi du même oeil que
Souverain de mon coeur j'y vis en liberté :
L'innocence , la probité ,
Sont les remparts , font les murailles
Qui défendent notre cité.
Corbi n'est qu'une foible image
De ce qu'il fut anciennement ;
Mais au moins a-t-il l'avantage ,
S'il eft petit , d'être charmant .
Rien de plus gai , rien de plus agréable :
Il n'a point de Paris l'éclat tumultueux ;
Le plaifir eft moins vif , mais il eſt plus durable
Mais il eft plus délicieux .
睁
Fait pour Paris , le fard ne peut rien far nos ames
Il feroit inutile en ces lieux écartés :
Autant on voit de jeunes Dames ,
Autant on compte de beautés.
Après le portrait fi fincere
Que je vous trace de ces lieux ,
Comment peut-on ne pas fe plaire.
Dans un féjour digne des Dieux,
De Sauvigny , Gendarme , à Corbi .
JUILLET. 1755. 9
LET TRE
A L'AUTEUR DU MERCURE ,
Sur le projet d'un nouveau Dictionnaire plus
utile que tous les autres.
M
ONSIEUR , je fuis François , mais
malheureuſement j'arrive de ma
province. Je m'étois laiffé perfuader qu'avant
de me rendre à la capitale , ce centre
où tout ce qu'il y a de bon & de mauvais
vient aboutir , il m'étoit effentiel de meubler
ma tête de belles connoiffances , & de
tout ce qui peut orner l'efprit d'un jeune
homme , afin de n'être point déplacé parmi
les honnêtes gens : En conféquence ,
comme je ne me figurois rien de plus agréable
que de venir à Paris , & d'y tenir mon
coin dans les compagnies fans avoir l'air
provincial , je prenois avec une ardeur
incroyable des idées un peu plus que fuccintes
de toutes les fciences & de toutes
les parties des belles lettres : Je m'attachois
principalement à l'étude de ma langue , me
doutant bien que ce feroit à cela qu'on feroit
le plus d'attention , & que la maniere
de parler étoit l'étiquette des Provinciaux.
Je m'étois même procuré le dictionnaire
Αν
10 MERCURE DE FRANCE.
néologique , afin de n'être pas plus embarraflé
qu'un autre fur les termes nouveaux
& précieux mais croiriez - vous
Monfieur , que malgré toutes mes précautions
& tous mes foins je n'en fuis pas plus
avancé. Je fuis précisément dans le cas
d'un répondant qui s'eft long- tems préparé
fur les principaux points de fa thefe , &
qu'on argumente fur toute autre chofe.
En quelque endroit que j'aille , on ne dit
pas un mot de ce que jai étudié , & l'on
parle de chofes qui font tout- à- fait neuves
pour moi. Modes dans les habits , modes
dans les ameublemens , modes dans les
équipages , modes dans la cuifine , modes
de toute efpece ; voilà avec les nouvelles
du jour ce qui fait l'entretien de tous les
gens comme il faut. Je fuis fi neuf fur toutes
ces matieres qu'on me prend tout- à- fait
pour un étranger , on ne me fait pas même
Phonneur de me regarder comme un provincial
: j'ai beau m'obferver & m'étudier
à parler comme les autres , je fuis tout
auffi embarraffé que le premier jour , non
feulement pour le tour & la conftruction
des phrafes , mais même fur les termes.
Je tache de retenir quelque chofe dans un
cercle pour aller vite briller en le débitant
dans un autre , comme font la plupart des
gens à la mode , mais je confonds les mots
JUILLET . 1755 .
1755 41
des
& j'ai le chagrin de m'appercevoir que je
fais rire les autres. A table , fi on me demande
d'un plat , je fers d'un autre ; ce
qui me femble être de la viande eſt du
poiffon , ce qui me paroît poiffon eft légume
, & je prends de la volaille pour
écreviffes , tant on a porté loin l'art de
maſquer tout ce que l'on mange . Les noms
feuls des différens ragoût qui ont déja
frappé mon oreille effrayent ma mémoire.
Les coëffures des Dames & même celle des
hommes , par je ne fçais quel rapport avec
les événemens du fiécle , changent auffi
fouvent de formes & de noms qu'il furvient
de circonftances nouvelles dans les
affaires du tems , ou dans les phénomenes
naturels . Nos meubles , grace aux recherches
des heureux du fiécle & à l'art ingénieux
de nos ouvriers , ne reffemblent plus
à ceux de nos peres. Ces induſtrieux Dédales
, fous prétexte de rendre les chofes
plus commodes , multiplient les inutilités.
Habiles à faire tourner notre légereté à leur
profit & à fe faire un fonds folide de notre
goût pour les futilités , ils femblent
avoir envie d'épuifer toutes les combinaifons
des figures , & chaque nouvelle
forme reçoit un nouveau nom ; mais tout
cela n'eft rien en comparaifon du nombre
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
immenfe d'équipages de différente eſpe
ce , dont Paris voit avec empreffement fes
promenades décorées , & qui nous font
l'honneur de nous éclabouffer ou de nous
faire avaler la pouffiere . Quel plaifir au
fortir de cette belle & agréable promenade
des Boulevards de s'entretenir dans un
cercle de gens d'efprit & du bon ton de
toutes les jolies chofes qu'on y a vûes ,
de faire un éloge emphatique des voitures
les plus leftes , des peintures les plus gaies ,
des vernis les plus beaux , enfin des jolis
chevaux , des harnois brillans , des robes
de goût & afforties aux couleurs du carroffe
, & de s'entr'exciter à faire encore
mieux le Jeudi ou le Dimanche fuivant :
mais auffi quel chagrin de ne pouvoir rendre
un compte exact de tout ce qu'on a
vû , faute de fçavoir les noms de toutes
ces admirables inventions modernes , &
quelle mortification pour un jeune homme
qui veut fe faire une réputation dans
le monde d'être arrêté à chaque inſtant ,
de confondre fans ceffe les termes & de
ne fçavoir pas diftinguer les cabriolets
les culs-de -finge , les diables , les defobligeantes
, les vis - à - vis , les folo , les foufflets
, les dormenfes , les fabots , les phaëtons ,
les ..
>
JUILLET. 1755. 3
Ma foi, fur tant de mots ma mémoire chancelle . *
Voilà précisément ce qui me défefpere ,
& ce qui m'oblige , Monfieur , à prendre
la liberté de vous écrire. Vous pourrez ,
en rendant ma lettre publique ,faire naître
à quelque bel efprit verfé dans toutes ces
connoiffances précieufes , & qui n'aura
rien de mieux à faire , une idée que je
m'étonne n'être encore venue à perfonne,
dans le tems & dans le pays où nous vivons
: c'est le projet d'un dictionnaire qui
expliqueroit tous ces termes de nouvelle
fabrique , & qui nous en fixeroit la jufte
valeur & la vraie fignification. Quoi ! on
a la manie de tout mettre en dictionnaire
, jufqu'aux ſciences mathématiques. On
nous donne par ordre alphabétique des
théorêmes , des fermons , des vérités métaphyfiques
, des régles mêmes pour la conduite
des moeurs , & perfonne ne s'eft encore
avifé de travailler à l'explication des
termes nouveaux de cuifine , d'ajuftemens,
d'équipages & de meubles. Voilà pourtant
, fi je ne me trompe , une vraie mariere
à dictionnaire. Le nom feul de ces
fortes d'ouvrages emporte l'idée de l'ex-
4
* M. Deftouches. Dans la Çomed. du Glorieux
'Act. S.
"
14 MERCURE DE FRANCE.
plication des mots d'une langue , & affurement
je ne vois pas qu'il y en ait qui
reviennent plus fouvent dans la converfation
que ceux dont il eft ici queftion . Comme
le befoin que j'ai d'un pareil livre m'en
a fait fentir toute l'importance , & que
j'ai long- tems médité & réfléchi fur ce
projet , je veux bien communiquer mes
idées & tracer le plan felon lequel je conçois
qu'on pourroit l'exécuter. L'ouvrage
, en imprimant d'un caractere un peu
moins gros que de coutume , & en fupprimant
pour la commodité du lecteur ce
qu'on appelle les reffources de la Librairie
, fauf à le faire payer plus cher , pourra
-93
être réduit à un volume in - 8°. fous le titre
de » Dictionnaire portatif de tous les
» termes nouveaux & en ufage parmi un
» certain monde , concernant la table , les
équipages , les ameublemens , les ajuſte-
» mens , tant d'hommes que de femmes ,
» & les modes de toute efpece , pour fervir
de monument à la conftance & au
bon goût de la nation ; ouvrage extrê-
» mement utile à tous ceux qui veulent
» fe répandre & paroître bonne compagnie ,
avec des anecdotes , & c.
Vous voyez , Monfieur , que le titre de
l'ouvrage intéreffe & promet beaucoup ;
mais la maniere de l'exécuter peut encore
JUILLET. 1755. IS
,
furpaffer l'attente du lecteur , & je la crois
fufceptible de beaucoup d'agrémens . L'auteur
pourra à chaque article , outre l'étymologie
, la définition & la critique des
termes , donner des anecdotes auffi curieufes
qu'intéreffantes. La matiere eft affez
ample , & la provifion des ridicules n'eft
pas prête à être épuifée . Pour un qui difparoît
il en renaît dix . Combien de jolies
chofes à nous apprendre , combien d'aventures
amufantes à nous raconter , combien
d'apoftilles qu'on peut placer à propos
de
chaque efpece de mode différente ? L'origine
& la commodité des vis-à -vis , l'hiftoire
& l'étymologie des cabriolets- la
généalogie d'un brillant équipage qu'on a
vû paffer fucceffivement d'une Actrice à
une honnête femme , & d'une honnête
femme à une Actrice ; les différentes fcenes
que nos jeunes éventés nous donnent
tous les jours fur les Boulevards ; leurs
difputes & la fage retenue de quelquesuns
d'entr'eux ; la defcription de cette délicieufe
promenade qui eft bordée d'un
côté par des derrieres de maifon & de l'autre
par les égoûts , la voirie & quelques
fauxbourgs en perfpective ; les embelliffemens
qui s'y font tous les jours en élevant
à menus frais des cabarets à bierre mal
alignés , mauvaifes copies d'un joli petit
*
16 MERCURE DE FRANCE.
>
caffé gardé par un Suiffe pour empêcher
les laquais de boire avec leurs maîtres , &
diverfes baraques pour les géans , les nains,
les marionettes , les danfeurs de corde ,
les finges , & autres curiofités ; ces parades.
fi fpirituelles qui amufent également le
petit peuple & les gens à équipages ; ces
parties fines auffi promptement exécutées
que formées , de s'en aller après- minuit ,
d'un air évaporé faire relever les joueurs
de marionettes pour s'ennuyer , bâiller
& fe perfuader au fortir de là qu'on s'eft
bien amufé parce qu'on a fait quelque chofe
d'extraordinaire ; ces différentes fortes
de voitures à la file les unes des autres ,
dont les plus maffives écrafent les plus
leftes , les difputes des cochers , les cris
des Dames , le contrafte burleſque du car
roffe d'un grand Seigneur vis - à- vis de celui
d'un Sou -fermier , d'un demi - équipage de
Médecin à côté de la berline d'un convalefcent
en bonnet fourré , de la voiture
noble & décente d'un Abbé à la fuite d'un
vis-à vis lefte & brillant d'une fille à talent
, le tout entrelardé de remifes & de
fiacres poudreux ; la même confusion &
peut -être encore plus bizarre parmi ce
qu'on appelle l'infanterie ; cette cohue mal
compofée de gens de toute efpece qui fe
coudoient , qui fe preffent , & qui s'obfti
1
JUILLET . 1755. 17
nant à fe promener toujours dans un efpace
très-limité , s'aveuglent & s'étranglent.
de pouffiere malgré les attentions du fucceffeur
de M. Jofeph Outrequin ; les beautés
de tout âge étalées fur des chaifes , &
qui prendroient grand plaifir à voir la
foule & à en être vûes fi on ne leur marchoit
pas fur les pieds , & fi on ne leur faifoit
pas avaler la pouffiere ; les Dames qui
veulent mettre pied à terre pour mieux
refpirer , & qui font obligées de remonter
en leurs carroffes & de s'y enfermer pour
ne pas étouffer ; les bourgeoifes du Marais
en gand panier qui ont la patience de refter
affifes jufqu'à la nuit fermée , malgré
les incommodités de la promenade , pour
ne pas paroître s'en retourner à pied ; des
jeunes filles qui jouent les Agnés & qui
amufent deux hommes à la fois ; fur des
chaiffes un peu plus à l'écart certaines
beautés d'une autre efpece , moins honnêtes
à la vérité , mais peut- être moins fourbes
, qui attendent un fouper ; les honnêtes
gens confondus avec la canaille , parmi
des foldats ivres qui vous infultent ,
des pauvres qui vous demandent l'aumône
, des artifans qui reviennent de la guinguette
, des marchands de ptifane avec.
leurs maudites fontaines , dont le robinet
femble s'alonger tout exprès pour vous
18 MERCURE DE FRANCE.
meurtrir les bras ; des nourrices affifes aux
pieds des arbres qui donnent à têter à leurs
enfans , & qui jurent & peftent contre les
cabriolets dont elles appréhendent les reculades
, & encore plus contre les jeunes
fous qui veulent faire le métier de leurs
cochers fans y rien entendre ; enfin tous
ces objets divers forment un tableau bien
varié , dont le détail ne peut manquer de
plaire étant amené à propos.
Au refte , quelque habile que foit l'auteur
, il ne faut pas qu'il fe repofe trop fur
fes propres lumieres , il doit tout voir
tout confulter , & n'épargner aucune démarche
pour perfectionner fes recherches.
Il faudra qu'il fe trouve affidument aux
fpectacles , aux promenades , principalement
fur les cours , qu'il fréquente les
gens de l'art , qu'il fe rende dans les cuifines
des Fermiers Généraux , & même
des Commis , qu'il aille vifiter les boutiques
des
felliers
,
des
marchands
de
modes
, des
bijoutiers
&
autres
marchands
de
fuperfluités
pour
les
confulter
&
pour
s'entretenir
avec
eux
: c'eft
fouvent
avec
ces
gens
- là
qu'on
puife
les
lumieres
les
plus
folides
, &
pour
peu
qu'on
fçache
les
interroger
&
les
faire
parler
, on
profite
plus
avec
eux
qu'avec
les
livres
: par
ce
moyen
il
fera
informé
de
la
premiere
main
de
JUILLET. 1755. 19
toutes les admirables variations qui font
furvenues dans nos modes , il fera en état
d'en faire l'hiftoire , de fixer le fens de
chaque terme , d'en donner la véritable
étymologie , & d'expofer au jufte la circonftance
de l'événement , foit politique ,
foit phyfique qui y a donné lieu . Il apprendra
aux lecteurs étonnés que ce n'eſt
pas toujours aux ouvriers qu'on doit les
belles découvertes dans ce genre , & que
fouvent c'eſt à la fagacité & aux réflexions
fages de certaines têtes qu'on croiroit occupées
du bien public que nous fommes
redevables de la tournure d'une manche ,
ou de la forme d'un fiége de cocher : ainfi
il affurera la gloire & l'invention à celui à
qui elle est dûe.
Comme il eft vraisemblable qu'il y aura
des changemens & des augmentations à
faire tous les ans , on pourra donner le
fupplément gratis à ceux qui auront foufcript
, jufqu'à ce que tous les termes qui
font aujourd'hui en ufage étant vieillis &
tout à-fait tombés après une longue période
, * par exemple , de vingt ans on foit
* On lit dans nos Auteurs comiques qui vivoient
il y a quarante ou cinquante ans , des
termes alors en ufage pour fignifier des mots
tout-à-fait inconnus , la ftinkerque , la malice ,
l'innocente , la fouris.
20 MERCURE DE FRANCE.
obligé de recommencer un autre vocabulaire
.
Voilà , Monfieur , le projet que j'ai
conçu , & que j'aurois exécuté fi je m'étois
fenti en état de le faire. Je vous prie d'en
faire part au public , afin que fi quelqu'un
fe fent affez de capacité , de mérite & de
patience , il le mette en exécution ; je puis
répondre d'un grand nombre de foufcripteurs.
J'ai l'honneur d'être , &c.
JUILLET. 1755. ΣΤ
L'OURS ET LE RAT,
OU L'OURS PHILOSOPHE
Certain
FABLE.
Ertain Ours mal léché n'ayant ri de fes
jours ,
S'avifa de vouloir devenir philofophe.
On dit que Jupiter fit de la même étoffe
Les Philofophes & les Ours.
Tout fage étant d'humeur un tant foit peu
tale ,
Un Ours peut embraffer cette profeſſion.
Celui que j'introduis choifit dans la morale
Pour premiere vertu la modération .
Au fond d'un bois obfcur un antre folitaire
Lui parut propre à fon projet.
bru
Rien dans ce lieu caché ne le pouvoit diftraire,
Il eft vrai ; mais auffi feul en cette forêt ,
Quel mérite avoit- il de vaincre la colere ?
Tout hermite eft bâti de cette façon là :
Ils cherchent les déferts , les bois , lafolitudes
Hé ! mes amis , ce n'eft pas là
Que l'on peut de fon coeur faire une heureuſe
étude ;
Le vice y dort, mais n'y meurt pas
22 MERCURE DE FRANCE.
Il n'eft pas étonnant qu'à l'abri de l'injure
La vengeance foit fans appas.
Loin de tout bienfaiteur , c'eft chofe auffi trèssûre
Que vous ne ferez point ingrats.
Pauvres , vous ne fçauriez abufer des richeffes ;
Payer des flateurs , des maîtreffes ,
Intenter d'injuftes procès.
Seuls , j'imagine bien que vous êtes difcrets :
Vous ne pouvez tromper par de fauffes careffes
Que quelques images de Saints :
Mais quel exemple auffi donnez - vous aux hu
mains ?
Je reviens à notre Ours qui plein d'un zéle extrême
,
Et brûlant d'arriver à la perfection ,
Refléchiffoit fur l'art de ſe vaincre foi- même.
Un Rat interrompit fa méditation :
De notre fage alors le cerveau ſe dérange.
Il fe livre aux accès d'une fureur étrange ;
Rugit après ce Rat comme après un lion ,
Le pourfuit , l'atteint & fe venge.
Vertueux fans effort dans un lâche loifir ,
On cache des penchans que l'on devroit pour
fuivre ;
Ce n'eft qu'un feu couvert toujours prêt à revivre:
JUILLE T.
23 1755
Bientôt au moindre fouffle il fçaura nous trahir.
Le coeur pour le former a beſoin d'exercice ,
Contre les paffions ardent à fe roidir ,
Jamais par la retraite il ne faut qu'il fléchiffe :
On doit édifier le monde & non le fuir.
EPITRE
A ÉGLÉ ,
Par Mademoiselle Loifeau.
C'Eft un peu tard acquitter ma parole ;
Mais , Eglé , le tems qui s'envole
A paffé trop rapidement.
L'excufe doit te paroître frivole ;
Abrégeons donc le compliment.
Ecoute le récit d'un fait intéreſſant ;
C'eft de tes agrémens l'époque curieufe :
Ceci n'eft point hiftoire fabuleuſe ,
Charmante Eglé , l'autre jour je l'appris
De l'aimable fils de Cipris.
Morphée avec l'Amour eut de tout tems que
relle
L'Amour le redoutoit plus que les autres Dieux ;
Le tranquille fommeil s'emparant d'une belle ,
Voiloit le charme de fes yeux.
C'en étoit fait de fa puiflance s
24 MERCURE DE FRANCE.
Il ne faut qu'un regard d'une jeune beauté
Pour furprendre la liberté
D'un coeur qui veut en vain s'armer d'indiffé
rence.
Par un coup d'oeil l'inconftant arrêté ,
Ne fent plus le poids de fa chaîne ,
Et le plaifir qui le rameine
S'offre à lui fous les traits de la variété.
L'enfant aîlé quitte Cithere ;
Guidé par fon courroux , il voudroit de la terre
Bannir Morphée & fa trifte langueur :
Mais aux mortels il eft trop néceffaire ,
Un teint fleuri lui doit fa plus vive couleur ;
C'eft lui qui des appas conferve la fraîcheur .
Que faire ? Amour , jaloux de foutenir la gloire ,
Imagine un moyen d'être enfin le vainqueur .
Les pavots deformais vont hâter fa victoire ,
Et ferviront à dompter plus d'un coeur.
Pour triompher des ames les plus fieres ,
A la beauté , ce Dieu donna longues paupieres.
Une belle pour lors dans les bras du fommeil ,
Parut avoir de nouveaux charmes.
Ses attraits pour l'Amour font de nouvelles armes,
Et rendent plus touchant le moment du réveil .
L'aftre du jour à travers un feuillage ,
Fait briller fes rayons , mais leurs feux font plus
doux :
De deux beaux yeux il nous offre l'image ;
Les paupieres font cet ombrage
Qui
JUILLET. 1755 . 25
Qui rend certain le fuccès de leurs coups ,
Le regard s'attendrit & bleffe davantage.
Depuis cette victoire , Amour n'a plus d'égal .
C'eft ainfi que fon art triompha de Morphée ;
Il goûte le plaifir de foumettre un rival ,
Et fes pavots lui fervent de trophée .
Si de la fiction , permife dans les vers ,
Quelqu'un croît ici que j'abuse ;
Je puis convaincre l'univers ,
Eglé juftifiera les tranfports de ma muſe.
En la voyant , d'un Dieu l'on reffent tous les
traits .
Oui , belle Eglé , tes féduifans attraits ,
Jufques dans le fommeil confervent leur puiffance.
De fes douceurs jouis en affurance ,
L'Amour qui s'eft fixé pour jamais fous ta loi ,
Lorfque tu dors veille pour toi.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
IL EUT TORT.
Hiftoire vraisemblable.
E dansle monde environné que de torts .
H! qu'est- ce qui ne l'a pas ? on n'eſt
Ils font néceffaires , ce font les fondemens
de la fociété ; ils rendent l'efprit liant , ils
abaiffent l'amour- propre. Quelqu'un qui
auroit toujours raifon feroit infupportable
. On doit pardonner tous les torts ,
excepté celui d'être ennuyeux , celui là eft
irréparable. Lorsqu'on ennuye les autres ,
il faut refter chez foi tour feul comme
l'opéra d'Ajax . Je demande ce que l'on
deviendroit s'il alloit faire fes vifites dans
les maiſons ?
Paffons à l'hiftoire de Mondor. C'étoit
un jeune homme malheureufement né ; il
avoit l'efprit jufte , le coeur tendre & l'ame
douce voilà trois grands torts qui en
produiront bien d'autres.
:
En entrant dans le monde , il s'appliqua
principalement à tâcher d'avoir toujours
raifon. On va voir comme cela lui réuffit.
Il fit connoiffance avec un homme de la
cour ; la femme lui trouva l'efprit jufte ,
parce qu'il avoit une jolie figure ; le mari
JUILLE T. 1755. 27
lui trouva l'efprit faux , parce qu'il n'étoit
jamais de fon avis.
La femme fit beaucoup d'avances à la
jufteffe de fon efprit ; mais comme il n'en
étoit point amoureux , il ne s'en apperçut
pas. Le mari le pria d'examiner un traité
fur la guerre qu'il avoit compofé à ce
qu'il prétendoit. Mondor après l'avoir lû
lui dit tout naturellement qu'en examinant
fon ouvrage , il avoit jugé qu'il feroit
un fort bon négociateur pour un traité de
paix.
Dans cette circonftance , un régiment
vint à vacquer , un petit Marquis avorté
trouva l'auteur de cour un génie tranfcendant
, & traita fa femme comme fi elle
eût été jolie , il eut le régiment : le Marquis
fut Colonel. Mondor ne fut qu'un
homme vrai ; il eut tort.
Cette aventure le rebuta , il perdit toutes
vûes de fortune , vint à Paris vivre en
particulier , & forma le projet de s'y faire
des amis . Ah ! bon Dieu , comme il eut
tort ! il crut en trouver un dans la perfonne
du jeune Alcipe ; Alcipe étoit aimable ,
avoit le maintien décent & les propos
d'un homme effentiel .
Un jour il aborda Mondor avec un air
affligé , auffi tôt Mondor s'affligea ( car il
n'y a point de plus fottes gens que les gens
B ij
28 MERCURE DE FRANCE.
d'efprit qui ont le coeur bon ) ; Alcipe lui
dit qu'il avoit perdu cent louis fur fa parole
, Mondor les lui prêta fans vouloir de
billet ; il crut par là s'être acquis un ami.
Il eut tort : il ne le revit plus .
que
Il donna dans les gens de lettres ; ils le
jugerent capable d'examiner leurs piéces :
ils obtinrent audience de lui plus aifément
du public : il y en eut un en qui Mondor
crut reconnoître du talent , il lui fembla
digne de la plus grande févérité : il
lût fon ouvrage avec attention : c'étoit une
Comédie ; il retrancha des détails fuper-
Alus , exigea plus de fonds , demanda à
l'auteur de mieux enchaîner fes fcènes , de
les faire naître l'une de l'autre , de mettre
toujours les acteurs en fituation , de prendre
bien plus garde à la jufteffe du dialogue
qu'au faux brillant de l'efprit , de
foutenir fes caracteres , de les nuancer
finement fans trop les contrafter ; il lui
fit remarquer que les pacquets de vers
jettent prefque toujours du froid fur l'action
. Voilà les confeils qu'il donna à l'auteur
; il corrigea fa piéce en conféquence ;
il éprouva que Mondor l'avoit mal confeillé.
Les comédiens ne trouverent pas
qu'elle fût jouable.
Cela le dégoûta de donner des avis. Le
même auteur qui auroit dû ſe dégoûter de
JUILLET. 1755. 29
faire des pièces , en compofa une autre qui
n'étoit qu'un amas de fcènes informes &
découfues . Mondor n'ofa pas lui confeiller
de ne la point donner ; il eat tort , la piéce
fur fifflée . Cela le jetta dans la perpléxité
s'il donnoit des confeils , il avoit tort ; s'il
n'en donnoit pas , il avoit tort encore. Il
renonça au commerce des beaux efprits &
fe lia avec des fçavans ; il les trouva prefqu'auffi
triftes que des gens qui veulent
être plaifans . Ils ne vouloient parler que
lorfqu'ils avoient quelque chofe à dire , ils
fe taifoient fouvent. Mondor s'impatienta
& ne parut qu'un étourdi . Il fit connoiffance
avec des femmes à prétentions , autre
méprife : il fe crut dans un climat plus voifin
du foleil ; c'étoit le pays des éclairs ,
où prefque toujours les fruits font brûlés
avant que d'être murs ; il remarqua que
la plupart de ces Dames n'avoient qu'une
idée qu'elles fubdivifoient en petites penfées
abftraites & luifantes ; il s'apperçut
que tout leur art n'étoit que de hâcher
l'efprit ; il connut le tort qu'il avoit eu de
rechercher leur fociété ; il voulut y briller ,
il parut lourd ; il voulut y raifonner , il
parut gauche en un mot , il déplût quoiqu'il
fçût fort bien fes auteurs latins , &
fentit qu'on ne pouvoit pas dire à un jeune
Biij
30 MERCURE DE FRANCE .
homme voulez - vous réuffir auprès des
femmes , lifez Ciceron.
Mondor étoit l'homme du monde le
plus raisonnable , & ne fçavoit quel parti
prendre pour avoir raifon. Il éprouva que
dans le monde les torts viennent bien
moins de prendre un mauvais parti que
d'en prendre un bon mal adroitement.
Il avoit voulu être courtifan , il s'étoit
caffé le coû ; il avoit cherché à fe faire des
amis , il en avoit été la dupe ; il avoit vu
de beaux efprits , il s'en étoit laffé ; des
fçavans , il s'y étoit ennuyé ; des femmes ,
il y avoit été ennuyeux : il entendit vanter
le bonheur de deux perfonnes qui s'aiment
véritablement , il crut que le parti le plus
fenfé étoit d'être amoureux ; il en forma
le projet , c'étoit précisément le moyen de
ne le pas devenir . Il examinoit toutes les
femmes ; il mettoit dans la balance les
agrémens & les talens de chacune , afin de
fe déterminer pour celle qui auroit une .
perfection de plus. Il croyoit que l'amour
eft un dieu avec lequel on peut marchander.
Il eut bean faire cette revûe , il eut beau
s'efforcer d'être amoureux , cela fut inutile
; mais un jour fans y penfer , il le devint
de la perfonne la plus laide & la plus capricieufe
: il fe remercia de fon choix,; il
JUILLET. 1755. 31
vit cependant bien qu'elle n'étoit pas belle ;
il s'en applaudiffoit ; il fe flattoit de n'avoir
point de rivaux : il avoit tort ; il ignoroit
que les femmes les plus laides font les plus
coquettes. Il n'y a point de minauderie
point de regard , point de petit difcours
qui n'ait fon intention : elles fe donnent
autant de foin pour faire valoir leur figure
, qu'on en prend ordinairement pour
faire rapporter une mauvaiſe terre . Cela
leur réuflit ; les avances qu'elles font flattent
l'orgueil , & la vanité d'un homme
efface prefque toujours la laideur d'une
femme.
:
Mondor en fit la trifte expérience ; il
fe trouva environné de concurrens ; il en
fut inquiet il eut tort ; cela le conduifit
à un plus grand tort , ce fut de fe marier.
Il traita fa femme avec tous les égards
poffibles : il eut tort ; elle prit fa douceur
pour foibleffe de caractere & le maîtrifa
durement ; il voulut fe brouiller : il eut
tort ; cela lui menagea le tort de fe raccommoder
; dans les raccommodemens ,
il eut deux enfans , c'eft-à-dire deux torts :
il devint veuf , il eut raiſon ; mais il en fit
un tort : il fut fi affligé qu'il fe retira dans
fes terres.
Il trouva dans le pays un homme riche ,
mais qui vivoit avec hauteur , & ne voyoit
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
en avoit
aucun de fes voiſins , il jugea qu'il avoit
tort il eut : autant d'affabilité que l'autre
peu , il eut grand tort ; fa maifon
devint le réceptacle de gentillaftres qui
l'accablerent fans relâche. Il envia le fort
de fon voifin , & s'apperçut trop tard que
le malheur d'être obfedé eft bien plus fâcheux
que le tort d'être craint . On lui fit
un procès pour des droits de terres ; il aima
mieux céder une partie de ce qu'on lui
demandoit injuſtement que de plaider ; il
fe comporta en honnête homme , donna à
dîner à fa partie adverfe , & fit un accommodement
defavantageux : il eut tort . Un
fi bon procédé fe répandit dans la province
; tous fes petits voifins voulurent profiter
de fa facilité , & reclamer fans aucun titre
quelque droit chymérique ; il eut vingt
procès pour en avoir voulu éviter un , cela
le révolta ; il vendit fa terre , il eut tort :
il ne fçut que faire de fes fonds. On lui
confeilla de les placer fur le concert d'une
grande ville voifine qui étoit très - accrédité.
Le Directeur étoit un joli homme qui s'étoit
fait Avocat pour apprendre à fe connoître
en mufique . Mondor lui confia fon argent ,
il eut grand tort. Le concert fit banqueroute
au bout d'un an malgré la gentilleffe
de M. l'Avocat . Cet événement ruina Mondor
, il fentit le néant des chofes d'ici - bas ;
JUILLET. 1755. 33
il voulut devenir néant lui - même ; il fe fit
Moine , & mourut d'ennui : voilà fon dernier
tort.
ÉLOGE DU MENSONG E.
A Damon.
Vieillirons- nous dans les entraves ,
Martyrs de notre auſtérité ?
Cher Damon , de la vérité
Ne verra-t-on que nous d'efclaves ?
De ce perfonnage onéreux
Abjurons la morgue importune ,
Et fans faire les rigoureux
Mentons , puifque tout ment
commune .
I
fuivons la loi
>
Tu ris : tu prens cette leçon
Pour un frivole badinage ;
Mais je prétens à ce foupçon
Faire fuccéder ton fuffrage.
Raifonnons . Entraîné par une vaine erreur
Tu crus la vérité digne de préférence ;
Mais par quel attrait féducteur
Mérite - t- elle ta conſtance ?
Eft-ce par un air fec , un ton ſouvent grondeur ?
Sans foupleffe , fans complaifance ,
Que fait-elle pour le bonheur? -
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
Peut- elle l'emporter fur un rival aimable ?
Le menfonge riant , ce zélé bienfaicteur
Au contraire toujours affable ,
Par de là nos defirs nous comble de faveurs.
C'eſt lui dont la main fecourable
Sur un affreux deftin fçait répandre des fleurs ;
Il féduit les efprits , il enchaîne les coeurs :
Nous lui devons enfin l'utile & l'agréable.
Damon , je n'exagere point ;
Sui moi pour éclaircir ce point.
Cet efpace inconnu d'où nous vient la lumiere ,
Où des foleils fans nombre étincellent fans fin ,
Fut jadis une mer de fubtile matiere ,
S
Où le noyoit l'efprit humain.
Mon impofteur par la bonté féconde ,
Dans ce cahos vous fabriqua des cieux ;
Fit mieux encor ; il les peupla de Dieux
Qu'il enfanta pour régir ce bas-monde.
A chacun d'eux il impofa fes loix ;
Son premier-né fut armé du tonnerre ;
L'un fit aimer , l'autre alluma la guerre ;
Ainfi de tous il fixa les emplois.
Il leur bâtit des temples fur la terre ,
Sur leurs autels il fit fumer l'encens ;
Bref, il voulut que de ces Dieux naiffans
L'homme attendît les biens & la mifere .
De tel événement vulgaire
Qu'on croiroit digne de mépris ,
Souvent il fçut faire un myſtere >
JUILLET.
35 1755 .
Lui donnant à propos ce divin caractere ,
Qui du peuple étonné fubjugue les efprits .
Autrefois à fon gré les Vautours , les Corneilles
Prophétifoient dans l'air par d'utiles ébats ;
Le bourdonnement des abeilles
Préfageoit le fort des combats ,
Et cent fois il fixa le deftin des états
Par d'auffi burlesques merveilles .
Combien de conquérans & de héros fameux
Verroient retrancher de leur gloire ,
S'il laiffoit redire à l'hiftoire
Ce que le fort a fait pour eux ;
S'il ne nous déguifoit leurs honteufes foibleffes ;
Et fi d'un voile généreux ,
Il ne couvroit leurs petiteffes.
Laiffant à part ces hauts objets ;
C'est dans le commerce ordinaire ,
Que du menfonge néceffaire
Tu vas admirer les bienfaits .
Pour ne point offenfer notre délicateffe ,
Il s'y montre toujours fous un titre emprunté ;
Gardant l'incognito fons ceux de politeffe ,
D'amitié , d'amour , de tendreffe ,
Souvent même de charité,
Seul il fait tous les frais de la fociété .
Suppofons un moment que le ciel en colere
Contraignit les mortels par un arrêt févere ,
A peindre dans leurs moeurs & dans tous leurs
diicours ,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Ces fecrets fentimens dont ils gênent le cours ;
Quelle honte pour notre espece !
Paris plus effrayant que les antres des ours
Deviendroit un féjour d'horreur & de trifteffe !
Tu verrois , cher ami , les trois quarts des humains
S'accablant tour à tour de leur indifférence ,
De leur haine , de leurs dédains ,
S'annoncer par leur arrogance
Qu'ils font prêts d'en venir aux mains.
Tu verrois des enfans , des héritiers avides ,
Sur des biens à venir trop lents
Attacher fans pudeur des regards dévorans
Et par des foupirs homicides
Compter les jours de leurs parens.
Dans les chaînes du mariage
Des captifs inquiets , victimes de l'humeur
Feroient par leur bifarre aigreur
Un enfer de leur eſclavage,
Maint ami prétendu , léger , intéreffé ,
Négligeant de voiler fon ame déteftable ,
Ne fe montreroit empreffé
>
Que pour l'amufement , la fortune & la table.
L'incorrigible protégé
Dans les yeux du patron , ou glacés ou mauffades
,
Dans d'affligeantes rebuffades
Liroit clairement fon congé.
Un amant brutal & volage
JUILLET. 1755 . 37
Sans prélude , fans petits foins ,
Offriroit à ſa belle un infipide hommage
Toujours reglé fur fes befoins.
L'amante fans fard , fans fineffe ,
Soumise à fon vainqueur dès le premier inſtant ;
Ne prendroit d'autre avis pour marquer la foibleffe
,
Que celui d'un groffier penchant.
Leurs defirs amortis diffipant toute ivreffe
Un prompt & fot dégoût finiroit le roman .
Tel feroit l'homme vrai guidé par la nature .
Mais détournons les yeux de ce tableau pervers ,
Et parcourons le bien que l'utile impofture
Fait en réformant l'univers .
L'intérêt , l'envie & la haine
Frémiffent vainement dans l'abîme des coeurs ;
La bienféance les enchaîne.
Et dérobe au grand jour leurs perfides noirceurs.
L'homme , bien loin d'être farouche ,
D'un amour fraternel , prend les dehors trompeurs
;
Ses
yeux font careffans , fes geftes ſont Aateurs ,
Et le miel coule de fa bouche.
A travers les égards , les doux empreffemens ,
Les foins refpectueux , la tendre inquiétude ;
Les yeux même les plus perçans
Pourroient-ils découvrir l'avide ingratitude
Des héritiers & des enfans ?
Si maudire leur joug & perdre patience ,
38 MERCURE DE FRANCE.
Eft le deftin fecret, d'une foule d'époux ,
Le fçavoir vivre & la décence
De la tendreffe encor confervent l'apparence ,
Et couvrent au moins les dégoûts.
D'équivoques amis le monde entier foifonne
Mais le peu de fincérité ,
L'intérêt & la vanité
Dont à bon droit on les foupçonne
S'éclipfent fous l'amenité ,
Sous l'air fagement affecté
De n'en vouloir qu'à la perfonne.
Le moins fenfible protecteur
Sous un mafqne riant déguiſant ſa froideur ,
D'une féduifante fumée
Sçait repaître l'ame affamée
D'un fuppliant perfécuteur .
L'amour ne feroit qu'un fonge ,
Une puérilité ;
Mais l'officieux menfonge ,
L'érige en divinité ;
Redoutable par fes armes ,
Ou foumettant à fes charmes
Le coeur le plus indompté ,
Il change en idolâtrie
Notre goût pour la beauté.
L'art de la coquetterie
lui feul inventé ,
Fut par
Et fans la fupercherie
Seroit-il exécuté ?
JUILLE T. 1755. 39
Pour obtenir douce chance ,
L'amant jure la conftance
Et projette un autre amour :
L'amante trompe à fon tour ;
Feint une pudeur craintive ,
Et pour s'affurer d'un coeur ,
Cache l'ardeur la plus vive
Sous l'air froid & la rigueur.
Friands de tendres premices
Cherchons-nous la nouveauté ?
Malgré leur habileté ,
Nos belles font les novices ;
Un ton de naïveté ,
Mille obligeans artifices
Flattent notre vanité .
Si l'ufage des délices
Eteint leur vivacité ;
Le jeu fçavant des caprices
Rameine la volupté.
C'eft ainfi qu'une folie
Devient par la tricherie
I
Le plaifir le plus vanté.
C'eſt ainfi que dans la vie
Mutuelle duperie ,
Fait notre félicité.
Si tu veux ajoûter un dégré d'évidence
Aux preuves de mon fentiment ,
Suivons notre Protée exerçant fa puiſſance
Sur ces arts renommés ou regne l'agrément.
40 MERCURE DE FRANCE.
Sans lui que feroit l'éloquence ?,
Un infupportable talent .
Prives la de fes fleurs ; elle eft fans véhémence ,
Elle rampe fans ornemens :
Mais ces brillantes fleurs , métaphore , hyperbole
,
Allégorie & parabole ,
Et cent noms qu'à citer je perdrois trop
de tems ,
Du menfonge orateur font les noms différens .
En vain fa rare modeftie
Permet qu'on invoque Apollon ;
Je ne m'y méprens point ; il eft le feul génie
Qui préfide au facré vallon .
Pere de toute illufion ,
Seul il peut fouffler la manie
De plaire par la fiction .
Vois-tu prendre aux vertus , à chaque paſſion ,
Un corps , la parole & la vie ?
C'est lui qui les perfonnifie.
Il déraiſonne enfin dans tout égarement
D'une bouillante fantaisie :
Oui , mentir agréablement
Fait tout l'art de la poësie.
Que vois - je , cher Damon ? que d'objets raviffans
!
Arrêtons-nous à ce ſpectacle ,
Où tout eft chef- d'oeuvre & miracle ,
Où tout enleve l'ame en furprenant les fens.
Quel pouvoir divin ou magique
JUILLET.
1755. 41
Fait qu'une efpace fi borné
Paroît vaſte à mes yeux , & le plus magnifique
Que jamais nature ait orné ?
Qui fçut y renfermer ces fuperbes montagnes ,
Ces rochers , ces fombres forêts ,
Ces fleuves effrayans , ces riantes campagnes ,
Ces riches temples , ces palais ?
Quel génie ou démon pour enchanter ma vûe ,
A fes ordres audacieux
Fit obéir le ciel , la terre & l'étendue ?
Sans doute , quelqu'il foit , c'eft l'émule des
Dieux.
Une amulante fymphonie
Des chantres des forêts imite les accens !
Que dis-je ? roffignols , ah ! c'est vous que j'entens
,
De vos tendres concerts la champêtre harmonie
Me fait goûter ici les charmes du printemps.
Des ruiffeaux , l'aimable murmure
Vient s'unir à vos fons dictés par la nature :
On ne me trompe point , tout eft vrai , je le ſens.
Mais grands Dieux ! quel revers étrange !
Le plaifir fuit , la ſcène change ;
Eole à leur fureur abandonne les vents.
Quels effroyables fifflemens !
L'air mugit , le tonnerre gronde !
Un defordre bruyant , le choc des élémens ,
Tout femble m'annoncer le dernier jour du
monde !
42 MERCURE DE FRANCE.
Fuyons vers quelqu'antre écarté ,
Echappons , s'il fe peut , à ce cruel orage ....
Mais je rougis de ma fimplícité.
J'ai pris pour la réalité
Ce qui n'en étoit que l'image.
Ces murmures , ces bruits , ces champêtres concerts
,
Ne font dûs qu'aux accords d'une adroite mufique
;
Et ces payfages divers
Sont les jeux d'un pinceau que dirigea l'optique.
Mais de ces arts ingénieux
Comment s'opperent les merveilles ?
Servandoni ment à nos yeux ,
Et Rameau ment à nos oreilles.
En un mot tout ment ici-bas ;
A cet ordre commun , il n'eft rien de rebelle.
Eh ! pourquoi l'univers ne mentiroit- il pas
Il imite en ce point le plus parfait modele.
L'or des affres , l'azur des cieux
Sont une éternelle impofture ;
Toute erreur invincible à nos fens curieux
Eft menfonge de la nature.
Mais tu verrois fans fin les
preuves s'amaffer,
Si j'approfondiflois un fujet fi fertile ;
Pour terminer j'en omets mille ,
Dans la crainte de te laffer.
Je te laiffe à pourſuivre une route facile.
Réfléchis à loiûr : & , tout bien médité ,
JUILLE T. 1755. 43
Tu diras comme moi que notre utilité
A prefque interdit tout azile
A l'impuiffante vérité.
Où fe reffugira cette illuftre bannie >
L'abandonnerons-nous à tant d'ignominie ?
Non : retirons la par pitié.
Logeons la dans nos coeurs : que toute notre vie ,
Elle y préfide à l'amitié.
44 MERCURE DE FRANCE. "
PORTRAITS
DE CINQ FAMEUX PEINTRES
J
D'ITAL I E.
Jacques Baffan.
' Admire un heureux choix dans ces ſujets
champêtres .
Ils mettent fous mes yeux l'efprit des livres
faints .
Quel pinceau ferme & gras ! non , non les plus
grand maîtres ,
D'un fuccès plus brillant n'ont pas eu leurs fronts
ceints.
Loin de noyer la touche , il eft plein de franchife
,
L'expreffion s'y trouve , & l'effet en ſurprend.
Payfage , animaux , portraits , tout y maîtriſe.
Tromper eft pour le Peintre un triomphe écla
tant.
Annibal Carrache.
La maniere , le goût qu'Annibal fe forma ,
A fes Maîtres enfin fervirent de modele.
De fon feu la Peinture avec foin l'anima ;
Et bientôt à Bologne il s'y montra fidele .
JUILLET.
1755. 45
Quel ouvrage * divin ! je vois la poëſie
Applaudir au pinceau de ce fier féducteur ;
Et pleine du tranfport dont le beau l'a faifie
Elle fourit , embraffe , & reconnoît fa foeur. >
Camille Proccaffini .
Qui préfente à mes yeux ces contours reffentis ?
Seroit-ce le pinceau d'un ſecond Michel-Ange ?
L'ordonnance , la main , l'efprit , le coloris ,
Tout fe difpute ici le prix de la louange .
Ce corps vit , il fe meut par un pouvoir divin ,
L'expreffion ravit dans ce bel air de tête.
Si Camille à fa fougue eût roujours mis un frein ,
Nature l'eût créé fon premier interprête.
Paul Veroneze.
Que de feu , de grandeur , quelle magnificence !
Non , non , Peintre charmant , tu n'a point de
rivaux .
Plus ton pinceau s'éleve , & plus fon excellence
Immortalife tes travaux.
Tes chefs-d'oeuvres font ceux du génie & des
ces :
L'amateur éclairé les dévore des yeux :
gra-
On peut regarder la galerie Farnese peinte à
Bologne , comme un vrai poëme. Le Pouffin difoit
que dans cet ouvrage Annibal avoit furpaflé tous
Les Peintres , qui l'avoient précédé & qu'il s'étois
auffifurpaffé lui-même.
46 MERCURE DE FRANCE.
-
La nature partout y reconnoît les traces
Et s'étonne d'y voir le coloris des Dieux .
Carle Maratte.
2
La Peinture fourit aux graces de Maratte ?
C'eſt le reftaurateur du divin Raphaël .
Ce qui fait le grand Maître en fes tableaux éclate,
Il rend l'ame & les traits de la Reine du ciel.
A ce dernier talent * on crut qu'il ſe bornoit :
Mais peignant Conſtantin qui renverſe l'idole ,
Il détruifit le faux bruit qui couroit.
En vain fa modestie aux honneurs s'oppofoit ,
Il en reçut au Capitole.
On difoit qu'il nefçavoit bien peindre que des
Vierges, fes confreres le nommoient par dérision
Carluccio delle Madonne ; mais le baptiftaire de
S. Jean de Latran fit bientôt ceffer ce bruit.
JUILLET. 1755. 47
DIALOGUE
PAR M. DE BASTIDE.
La Ducheffe Mazarin , Saint- Evremond.
LA DUCHESSE.
Oudrez- vous toujours me paroître
Voucher Your Que dans l'autre
monde vous ne fentiffiez pas le ridicule de
votre paffion , à la bonne heure ; cela n'eſt
pas tout - à - fait inconcevable. Quoique
vieux & prefqu'ufé , vous pouviez eſpérer
de faire naître un caprice ; j'étois vive &
légere , vous aviez de l'efprit , de la complaifance
, de la fineffe , beaucoup d'ufage
des femmes , toutes chofes qui avec du
tems & de la patience peuvent produire
les révolutions les plus fingulieres dans un
coeur de la trempe du mien . Mais à préfent
que pouvez - vous attendre de vos
beaux fentimens ? il n'y a plus de caprice
à eſpérer.
SAINT-EVREMOND.
Vous avez jugé de ma paffion par l'opinion
que les hommes vous donnoient
48 MERCURE DE FRANCE.
•
de l'amour permettez moi de vous dite
que vous ne l'avez pas bien connue . Il eſt
un amour général que tous les hommes
fentent , auquel ils donnent les titres les
plus nobles , & fans l'empire duquel ils
auroient à un certain âge peu de vrais
plaifirs & peut être peu de vrai mérite.
Cet amour là eft l'effet naturel du feu de
l'âge on le place honnêtement dans le
coeur ; mais il n'eft que dans le fang &
dans l'imagination . Celui qui le fent lui
donne une origine illuftre , & prend de
bonne-foi fes fenfations pour des fentimens.
Celui qui l'examine le réduit à ce
qu'il eft , & ne le diftingue point du defir
machinal, mais déguifé des faveurs. Ce qui
fait qu'il aura toujours en fa faveur la prévention
publique , & qu'on ne le connoîtra
jamais pour ce qu'il eft véritablement ,
ou que fi on le connoît fon empire n'en
fera pas plus défert. Il eft un autre amour
beaucoup plus noble & beaucoup plus rare
que le premier . Il fe forme de l'impreffion
délicate de la beauté , de l'eftime fympathides
vertus & des talens , de l'attrait
que
féduifant de l'efprit , du rapport des ames
& de la douceur de l'habitude . Il naît
s'augmente & fe foutient par le feul attrait
qui la fait naître. Le defir des faveurs ne
lui eft ni néceſſaire , ni étranger ; il deſire
avec
JUILLET. 1755. 49
avec délicateffe & jouit avec oeconomie.
Cet amour là eft l'effet de l'honnêteté de
l'ame & des réfléxions de l'efprit . Dans le
printemps de la vie , on le regarde comme
une idée de roman ; dans l'âge mur , on le
chérit comme un fentiment délicieux . Voilà
l'amour que je fentois pour vous & que je
fens encore : il eft précisément dans l'ame ,
il a trouvé la mienne telle qu'il lui en falloit
une , & il s'y eſt conſervé.
LA DUCHESSE.
Je ne vous concevois pas tout à l'heure ;
je vous conçois encore moins à préfent.
Si vous fentiez véritablement cet amour
fi délicat à qui les faveurs ne font pas néceffaires
, pourquoi étiez - vous fi jaloux des
préférences que je paroiffois accorder à
d'autres qu'à vous ? vous voyez bien que
cette feule contradiction entre vos idées
& vos fentimens prouve que vous venez
de peindre une chimere.
SAINT-EVREMOND.
Je vous retrouve bien dans vos jugemens
; mais votre vivacité n'a plus fur
mon efprit ce pouvoir dont elle abuſoit ;
la mort a détruit l'inégalité qui étoit entre
nos efprits , la matiere n'agit plus , je puis
vous fuivre & vous arrêter. Souffrez que
C
Jo MERCURE DE FRANCE.
je vous defabuſe. De ce que l'on gâte une
chofe , doit- on conclurre qu'elle n'exiſte
pas ? je gâtois l'amour pur dont je brûlois
pour vous , parce que j'avois connu trop
Fard un amour i délicat ; l'habitude des
plaifirs avoit donné le ton à la machine ;
j'étois jaloux , parce que lorfque l'on a
trop accordé à la matiere , elle ne cede
jamais tout à l'efprit ; mais dans le fond
de mon coeur je rougiffois de ma jaloufie ,
je ne me diffimulois pas que j'étois encore
loin de mériter , de fentir la noble ardeur
dont vous me pénétriez .
LA DUCHESSE.
Cette
noble
ardeur
& toutes
vos
belles
idées
n'étoient
qu'une
erreur
de votre
efprit.
Un
fi parfait
amour
feroit
mieux
connu
des hommes
s'il exiftoit
réellement
,
on en verroit
quelques
traces
dans
le
monde
, & je ne l'ai encore
vû que
dans
vos métaphifiques
raifonnemens
.
SAINT-EVREMOND.
Je ne dirai pas qu'il foit bien commun ;
mais il n'eft pas fi rare que vous vous
l'imaginez , il y a même des coeurs à qui
feul il convient.
LA DUCHESSE.
Tant pis pour ces cours là. Les hommes
JUILLE T. 1755.
ST
font faits pour penfer tous de même ; ceux
qui fe féparent du corps général , fût- ce
pour penfer mieux , ont moins de plaifirs
& plus de peines ; ils trouvent plus de difficulté
à s'affortir , ils font heureux fans
témoins ; s'ils en ont , leur bonheur paſſe
pour un ridicule , il faut qu'ils paffent lear
vie à le juftifier , ils trouvent à peine le
moment d'en jouir.
SAINT-EVREMOND.
Ils l'augmentent en le juftifiant , ou
bien ils dédaignent d'en prendre la peine ;
ils fe contentent d'être heureux en euxmêmes.
Croyez - vous que le bonheur ne
foit que dans l'éclat ? ⠀
LA DUCHESSE.
Si ce que vous foutenez étoit vrai , je
trouverois tous les hommes à plaindre. Ils
ne feroient plus heureux qu'en particulier ,
il n'y auroit plus entr'eux cette fociété que
leurs plaifirs forment. Croyez moi , il faut
aux hommes plufieurs objets de bonheur :
fi vous diminuez le cercle de leurs plaifirs ,
vous diminuerez celui de leurs intérêts &
de leurs idées . Le monde entier ne fera
plus pour chacun qu'un très - petit eſpace ;
à une ligne du point de leur félicité , il n'y
aura plus rien qui mérite leurs foins : le
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
i
monde ainfi divifé fera bientôt détruit ; il
faut que les chofes foient comme elles
font , elles n'auroient pas tant duré fi elles
n'étoient pas bien .
La naifance de l'ennui , conte traduit de
l'Anglois , par Miſſ Rebecca .
A U fiécle d'or où l'on ne croit plus guères ,
Pandore n'avoit point reçu le don fatal ,
Qui recéloit notre mifere ,
Et le bonheur n'étoit mêlangé d'aucun mal.
Point de ces noms affreux d'homicide & de guerre
Qu'enfanta le tien & le mien ;
L'innocence regnoit , on s'en trouvoit fort bien :
Source des vrais plaifirs elle en peuploit la terre ,
Chaque mortel avoit le fien.
Dans ces jours fortunés Alifbeth prit naiffance.
Son père étoit pafteur , devot envers les Dieux ,
Autant qu'Enée étoit pieux ,
Bon , généreux ; mais que fert qu'on l'encenſe ?
Les hommes l'étoient tous , & pour le peindre
mieux
Il avoit avec eux parfaite reffemblance ,
Et rien ne le diftinguoit d'eux .
Il cheriffoit fon fils , & de fa deſtinée
Voulant pénétrer le ſecret ,
Que fon ame fut étonnée
Lorfqu'on lui prononça ce funefte decret ;
JUILLET 3755 . 13
( »> De l'ennui dévorant ton fils fera la proye. ) .
Ce monftre encor n'exiſtoit pas e
Mais l'Oracle annonçoit qu'il viendroit à grands
pas ,
Et qu'il feroit l'ennemi de la joie.
On fe peint aisément ce que dût reffentir
Le pere d'Alifbeth ; fa douleur fut amere.
Mais plus le fort menace une tête fi chère ,
Plus il cherche à la garentin
Plaifir , ce fut à vous qu'il remit fon enfance ,
Par mille jeux nouveanx vous filiez les loisirs ,
Et du vent de votre aîle , écartant la licence ,
Vous allumiez fes innocens defirs .
Alifbeth cependant formoit fouvent des plaintes ,
Inftruit du fort qui l'attendoit.
Toujours tremblant il fe perfuradoit
L'ennui moins cruel que fes craintes.
Quand le plaifir s'éloignoit un inftant ,
Il fentoit augmenter fon trouble.
Refléchiffons , dit - il : fi ma frayeur redouble
Quand je vois échapper ce Dieu trop inconftant ,
Fixons- le pour toujours , c'eft me rendre content ,
Et detourner les malheurs de l'Oracle .
Ce projet n'avoit pas peu,de difficulté ;
Mais de tout tems fut cette vérité
Que le defir s'accroit par un obftacle .
Un jour que le plaifir dormoit ,
Ravi d'avoir trouvé ce moyen falutaire
De diffiper tout ce qui l'allarmoit ,
C iij
$4 MERCURE DE FRANCE.
Alifbeth s'enfonça dans un bois folitaire.
Là , par quelques mots enchanteurs ,
Dont il connoiffoit l'énergie ,
Il invoqua les noires Soeurs ;
( Heureux , s'il eût toujours ignoré la magie !)
Trop favorables à ſes voeux
Les Parques près de lui bientôt fe raffemblerent
On dit qu'à leur afpect hideux
Tous les fens d'effroi fe glacerent
Et que du trio ténébreux
Pour la premiere fois les fronts fe dériderent.
Filles du Stix , puiffantes Déités ,
Dit Alifbeth , voyez un miférable ,
Qui pour finir fon deftin déplorable ,
N'efpere plus qu'en vos bontés .
Fiere Atropos , c'est toi que je réclame ;
Prêtes moi tes cifeaux , qu'ils m'ôrent du danger ;
Si d'un inftant de trop ce fil va s'alonger :
Ah ! que toi ni Cloto n'en craigne point de blâme
;
Celui dont elle ourdit la trâme ,
Te bénira de ne point l'abréger.
Lachefis à ces mots fourit avec malice ,
Et les trois Soeurs qu'amufent nos revers ,
Voulurent fervir un caprice ,
Qu'elles jugeoient funefte à l'univers.
Alifbeth en obtient le dépôt qu'il demande ,
Au Dieu qu'il veut fixer il vole promptement
Il fommeilloit encor , il faifit ce moment.
JUILLET. 1755 . 31
Les alles du plaifir font la premiere offrande.
Que l'ennemi qu'il appréhende
Reçoit de fon égarement à
Mais déja le plaifir qu'une flateuſe image
Dans les bras du
repos
avoit
trop
Pour éprouver la trifte vérité
arrêté ,
Voit diffiper cet aimable nuage.
Il s'éveille , & cédant à fa pente volage
Veut fuir avec légereté.
Ses efforts pour la liberté
L'inftruiſent de fon eſclavage.
Des inutiles foins qu'il mettoit en ufage
Alifbeth ſe faifoit un jeu :
༢
Mais que fon bonheur dura peu.
Chaque inſtant fon captiflui ſemble moins aimable
;
Il lui devient bientôt indifférent ,
Au bâillement qui le furprend
Succéde un dégoût véritable :
11foupire , & le Dieu juftement irrité
Lançant un regard effroyable ,
Lui montre ainfi le fruit de fa témérité.
Malheureux ! qu'as- tu fait des chaînes éternelles
Ponr cauſer tes regrets me fixent aujourd'hui ;
>> Ton horofcope eft accompli ;
» Le plaifir privé de fes aîles
» N'eft autre choſe que Pennui
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Lettre apologétique d'un Gentilhomme
Italien à M. l'Abbé Prevot.
Sur l'article du Journal étranger de Janvier
1755 qui a pour titre Introduction à
la partie hiftorique .
,
Lus l'Italie a fçu apprécier & goûter la
Plaine morale que vous avez répandue
dans vos Romans , chefs - d'oeuvre d'une
imagination vive & féconde , & d'un coeur
qui fans effort a adopté la vertu & réprouvé
le vice , plus elle a dû être fenfible aux
idées defavantageufes que vous donneriez
de fes habitans à qui n'en jugeroit que
d'après vos fuffrages. Mere des fciences &
des arts elle fe voit à regret accufée par
un juge auffi intégre qu'éclairé , d'en être
devenue la marâtre , & de n'avoir pas voulu
conferver chez elle ce goût même qui y
avoit pris naiffance .
Affez malheureux pour être né dans un
pays qui neſe reſſemble plus , je le ne fuis pas
au point de négliger entierement fa réputation
. L'amour de la patrie, peut- être le
defir d'être éclairé par vos lumieres , m'ont
fait entreprendre fa juftification . Ces deux
principes qui me guident , méritent l'inJUILLET.
1755. 57
dulgence d'un auteur vertueux : daignez
en leur faveur pardonner à un étranger
des fautes de ftyle ou de langage.
Tous les étrangers conviennent , ditesvous
, Monfieur , que cette belle partie de
l'Europe n'est plus que la dépofitaire oifive
des travaux de fes ancêtres ; les écoles n'y
font plus des corps fubfiftans de peinture
L'art reste encore ; mais les ouvriers manquent
à lart.
..
Sans entrer dans une difcuffion , qui n'eſt
point de ma compétence , fur la derniere
de ces phrafes , qui pourroit être regardée
même par un François comme peu intellible
, permettez que j'en examine ce qui
fait mon objet : La vérité.
Pour que l'Italie fut la dépofitaire oifive
des travaux de fes ancêtres , il faudroit
néceffairement , de deux chofes l'une , ou
qu'on n'y travaillât plus du tout dans les
mêmes genres , ou qu'on trouvât ( chez.
fes voisins qui fe font élevés , tandis qu'elle
s'eft malfoutenue ) des Artiftes fort fupérieurs.
Quant à la premiere de ces propofitions
il faudroit , Monfieur , que vous euffiez
paffé vos jours dans le trifte tombeau de
Selima , pour ignorer avec quelle ardeur
on cultive encore en Italie la peinture , la
fculpture & l'architecture .
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
La feconde propofition mérite un , per
plus d'être difcutée.
Quoiqu'il foit peut- être vrai que nous
ne fuivions pas d'affez près les grands modeles
du fiécle de Léon X , il faut voir fi
les arts de l'Italie font fr fort dégénérés
dans le nôtre , qu'on ne puiffe les comparer
à ceux de fes voifins .
Peut-être , Monfieur , avec l'étendue
de connoiffances que vous poffedez , découvrirez-
vous parmi eux des Peintres fupérieurs
à l'Espagnolet , au Trévifan , à Sebaftien
Coucha , à Solimene , à Carle Maratte
, au Tripolo , au Piazzetta, au Panini ,
tous de ces derniers tems , & dont quelques-
uns jouiffent encore de leur réputation.
La France qui a fur ce point le tort
de ne pas penfer comme vous ,
tache en
attendant d'enrichir fes galeries des ouvrages
de ces Artiftes médiocres , guidés uniquement
par leur inſtinct mêlé de goût &
de raison , tandis que notre pauvre Italie
n'a pas encore décoré les fiennes des motceaux
rares & précieux de vos Peintres
modernes : non qu'elle leur refufât le génie
& le talent , mais parce qu'elle les croiroit
un peu moins approchant des grands
modeles de Raphaël , du Titien , des Carraches
dont elle eft l'oifive dépofitaire . Les
noms fameux de leurs fucceffeurs que je
JUILLET. 1755. 59
*
e
S
viens de vous indiquer , vous prouveront
du moins que les ouvriers ne manquent
point à l'art , au moins dans ce genre.
L'architecture & la fculpture s'y fou
tiennent de même avec un vif empreffement
d'atteindre à la perfection des grands
modeles . Un homme de condition qui s'eft
adonné en homme de génie * au premier
de ces arts , ne nous laifferoit point regretter
le fiécle de Vitruve , s'il ne falloit
que du talent pour exécuter de grandes
chofes. Tout ce qui nous refte de la belleantiquité
, eft devenu inimitable ; non
pas faute de goût ni de lumieres dans nos
artiftes , mais faute de moyens dans ceux
qui les emploient. Où prendroient nos
Architectes les fonds néceffaires à la conftruction
de ces thermes , ces amphithéatres
, ces cirques , ces arcs de triomphe ,
ces temples , ces palais , ornemens de l'ancienne
Rome ? Maîtreffe de l'univers elle
pouvoit fournir à ces dépenfes prodigieufes.
Des Etats dont les bornes font refferrées
, les revenus médiocres , les citoyens.
peu riches , ne peuvent fans donner dans le
ridicule , envifager de fi grands objets ..
Pour juger fainement du talent des . Ar-
M. le Comte Alfieri , Architecte de ş. M. le
Roi de Sardaigne.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE .
tiftes, il faut examiner fi dans la proportion
des moyens , feurs ouvrages ont atteint le
vrai beau . Sans remonter plus haut que le
Pontife regnant , je ne vous citerai de Rome
que la feule fontaine de Trevi : oppofez
-lui , Monfieur , la plus belle des vôtres.
Ecoutez vos Artiftes même les plus diftingués
, vos Académiciens jufqu'au Mécene
qui dirige , qui éclaire , qui anime leurs
travaux , tous éleves de l'Italie , ils lui doivent
trop pour ne pas prendre fa défenfe.
Ce feroit entrer dans une difcuffion dont
on eſt déja fatigué , que de m'étendre ici
fur notre Mufique ; il fuffit qu'en général
on lui accorde la fupériorité,
J'aime fi fort , Monfieur , à m'en rapporter
à vos décifions , que je ne vous
difputerai point l'origine de la langue
italienne. Je crois avec vous qu'elle tire
fa fource du Grec & du Latin ; mais je ne
fçaurois vous paffer , Monfieur , cette application
que vous nous fuppofez à décliner
de notre fource : nous y puifons
journellement , non feulement les termes ,
mais les phrafes entieres ; & nos Académiciens
della Crufca en adoptent entierement
la fyntaxe . Ce n'eft , décidez -vous , qu'a
Rome & à Florence qu'elle fe conferve dans
toute sa pureté. Mais que diriez - vous de
quelqu'un qui affureroit qu'on ne parle
JUILLET. 1755. 61.
•
François qu'à Blois , & Allemand qu'à
Leipfick ? Vous avez confondu avec la
langue même les différens idiômes du même
peuple que vous appellés en France
patois. Penfez-y , Monfieur , & lifez nos
écrits modernes , vous verrez que les gens
de lettres parlent ou du moins écrivent
auffi-bien à Naples qu'à Rome , à Padoue
qu'à Florence , & ainfi de toutes les langues
de l'univers.
Pardonnez , fi j'appelle auffi de l'arrêt
que vous prononcez fur le mérite de cette
langue : Vous avez la bonté de lui accorder
la moleffe & la douce harmonie, mais
vous lui refufez la force & l'énergie :
Souffrez , Monfieur , une queftion qui ne
doit jamais offenfer un homme de lettres
lorfqu'il cherche la vérité. La connoiffezvous
affez cette langue & les morceaux de
force qu'elle a produits , pour donner un
certain dégré d'autenticité à l'oracle que
vous prononcez ? Lifez , s'il vous plaît ,
ces huit ou dix vers que je cite au hazard ,
de quelqu'un qui n'eft pas auteur de profeffion
, ( c'eft le defefpoir d'un amant ; )
vous me direz de bonne foi fi vous connoiffez
un crayon plus noir & plus énergique.
* M. le Comte Pietro Scoti de Sarmato.
62 MERCURE DE FRANCE.
Tra balge & rupi impenetrabile fia
Latro ritiro ; urli di lupi ogn'ora ,
Turbino i fonni , e la nafcente aurora »
Tarda ritorni a ricondurre il giorno .
Torbida luce de Digiuno fuoco .
Qual ne i fepolcri la pietà racchiude
O poco fcemi , o cresca orrore al loco ,
Qui federommi al mio dolor Vicino ,
Stanco d'effer materia all' atra incude
Del fiero amore del crudel destino.
Je me flate , Monfieur , que vous ne
refuferez pas plus à ces vers la force &
l'énergie que le fon & l'harmonie : La
peinture y eft affreufe , mais d'une vérité
frappante ; & ne diroit -on pas que l'imagination
qui en a broyé les couleurs , avoit
pris fes nuances dans Cleveland , ou l'Hom
me de qualité ?
. Mais laiffons enfin les arts agréables
pour nous élever jufqu'aux fciences fublimes.
Je fuis trop preffé de vous remercier
de ce que au nom de toute ma nation >
vous lui permettez d'avoir fes Hiftoriens ,
fes Philofophes & fes Poëtes , pour m'arrêter
plus long-tems à des objets fur lefquels
je crois l'avoir fuffisamment juftifiée.
Je crois voir cependant que ce petit éloge
n'eft qu'un buiffon de fleurs deftiné à cacher
un ferpent : J'apperçois trop que vous
JUILLET. 1755. 63
S
e
"
nous refuſez la folidité néceffaire pour
les recherches profondes , la juſtelle d'efprit
fans laquelle on ne peut imaginer ,
fuivre & détailler un fyftême , la longue
& patiente méditation par laquelle on parvient
à la connoiffance des vérités philofophiques.
MM. d'Alembert & Clairault ,
Mathématiciens françois , que l'Italie fait
gloire d'honorer & de refpecter , vous diront
cependant qu'ils eftiment un Marquis
Poleni , un Zachieri , & beaucoup d'autres
dont les noms peut-être vous font inconnus
des études différentes détournoient
votre attention ) ; mais ils n'ont
point échappé aux autres Mathématiciens
de l'Europe. M. Morand , que les étrangers
n'en eftiment pas. moins , parce que
la France l'admire , daigne avouer Morgagni
& Molinelli . Vous n'avez point de
Botaniste qui ne faffe le plus grand cas de
Pontedera , & la Tofcane feule fournit
plufieurs Naturaliftes dont les Buffon &
les Réaumur n'ignorent dès long- tems ni
l'exiſtence ni le mérite . Ajoutons à ces
noms célebres deux femmes illuftres dignes
rivales de votre Emilie , Mefdames Baffi &
Agnesi que les Italiens & les étrangers admirent
également , & dans leurs profonds.
écrits & dans les chaires de Profeffeurs ,
que la premiere remplit à Bologne .
MERCURE DE FRANCE.
-
Si vous aviez connu , Monfieur , tous
ces noms déja confacrés dans les faftes
du fçavoir , auriez vous foupçonné nos
Philofophes de ne pouvoir fe garantir des
préjugés de la Magie & de l'Aftrologie ? à
ce foupçon ma réponſe eft bien fimple :
Long - tems avant les procès fameux de
Gauffredi , d'Urbain Grandier , de la Maréchale
d'Ancre & d'autres affaires d'éclat ,
qui plus récemment ont occupé la France ,
nos Philofophes & nos fçavans ne parloient
déja plus de Magie. A l'égard de
l'Aftrologie lifez vos hiftoriens , ils vous
diront que la France commença de s'en
entêter lorfque l'Italie achevoit de s'en
defabufer ; mais avouons de bonne foi
qu'on s'en moque aujourd'hui autant d'un
côté que de l'autre.
» Il s'en faut beaucoup que l'Italie mo-
» derne ait des modeles à nous offrir , ni
» qu'elle approche de ceux qu'elle a reçus
comme nous de l'Italie latine . Tel eft ,
Monfieur , votre jugement au fujet de
l'hiftoire ; il eft vrai que nous n'avons plus
les Tites Live , les Salufte , les Tacite ,
& c , mais nous refuferez - vous Guicciardin
, Macchiaveli , Bembo , Davila , Frapaolo
; & de nos jours les Gianoni , les
Muratori & les Burnamici . Vous avez
affurement lû ces hiftoriens , convenez
JUILLET. 1755 . 65
qu'ils auroient mérité votre approbation.
Sur l'éloquence de la chaire , vous êtes
encore en défaut ; vous nous accufez ,
Monfieur , d'un vice que nous condamnons
dans le mauvais fiécle du Seicento
où les Biſchicci , les Allegories , & mille
autres puérilités de même nature rempla-.
çoient fouvent la morale , l'onction & le
raifonnement. Revenus nous - mêmes de
notre erreur paffée nous déplorons les fautes
de nos ancêtres , & nous blâmons autant
les modernes qui y retombent que ,
ceux qui nous condamnent fans nous connoître.
Que répondriez-vous à un critique
qui jugeroit vos prédicateurs fur les fermons
de Coiffeteau , ou fur les capucinades
de vos Miffionaires.
Je ne vous fuivrai point à la piſte dans
le labyrinthe des phrafes un peu entortil
lées , où vous déclamez contre notre genre.
dramatique : Je ne vous faifirai qu'au paffage
, où vous imaginez ne pas bleffer la
vraiſemblance en ofant avancer qu'en Italie
c'est l'imperfection de la fociété , le peu de
commerce entre les deux fexes qui a retardé.
les progrès du théatre comique. Je refpecte
trop les gens de lettres , & vous particulierement
, Monfieur , pour vous paffer
les propofitions que vous hazardez à ce
fujer.
66 MERCURE DE FRANCE.
Vous , Monfieur , qui fçavez , & qui
nous apprenez fi bien les incurs de tant
de peuples dont on connoit à peine les
noms , comment avez - vous pu imaginer
les deux fexes auffi féparés que vous les
fuppofez en Italie ? fi moins attaché à vos
Penates vous aviez daigné employer quelques
mois feulement à la connoiffance de
nos climats , vous auriez vû avec plaifir
que les deux fexes y font bien plus réunis
qu'à Paris. Là au lieu de fe raffembler à
l'heure d'un fouper on fe voit toute la
journée , toutes les maifons font ouvertes
à la bonne compagnie depuis le matin jufqu'affez
avant dans la nuit , coutume qui
rend inutile chez nous l'établiffement de
ces petites maifons où chacun à Paris fembile
chercher plutôt un afyle pour la liberté
& pour le plaifir qu'un théatre du fentiment
& des grandes paffions.
Je ferai , fi vous voulez , un peu plus
d'accord avec vous fur la rareté que vous
croyez voir en Italie de certains ouvrages
de pur agrément , tel que les pieces fugiti
ves , les effais , les mêlanges de littérature &
de poësie , & tant d'autres productions légeres
dont la France abonde , & qui peuvent
recevoir le nom de libertinage d'efprit.
Mais hélas ! Monfieur , croiriez - vous de
bonne foi que nous duffions tant vous G13-
JUILLET. 1755. 67
vier cette abondance , & vous fembler f
fort à plaindre de n'écrire guères que pour
notre raiſon ?
Telles font , Monfieur , les obfervations
que j'ai crû devoir faire fur votre introduction
à la partie hiftorique. Avec moins
d'envie de mériter vos éloges , j'aurois
peut-être négligé la défenſe de ma patrie.
Je vous crois trop d'efprit , de modération
& d'impartialité pour ne pas m'en fçavoir
quelque gré. Un Journal étranger eft fait
pour plaire à toute l'Europe ; il ne faut
donc point qu'il prenne trop le goût du
terroir qui l'a produit ; & fi jamais il étoit
permis de s'écarter du vrai , du moins il
feroit plus fûr de flater que de cenſurer
trop légerement des nations entieres : celles-
ci pourroient à leur tour apprécier trop
vite l'auteur fur l'étiquete de l'ouvrage.
68 MERCURE DE FRANCE.
Le mot E mot de l'Enigme du fecond volume du
Mercure de Juin eft les Quilles . Celui du
Logogryphe eft Matadores , dans lequel on
trouve modes , Sem , or , atômes , dôme , Eft,
orme , amer, rame , rat , mets ; Mars , Dieu ;
armes; Mars , planette ; Mars , mois ; mars,
ou fer ; Adam , mot , ame , dames , damas ,
mort Mores , Arts , dot , aftre , dos , Rome,
dam , os , dés , mer , Ode , re. 2
ENIGM E.
Cinq voyelles , une confonne
Forment mon nom ;
Et je porte fur ma perfonne
De quoi l'écrire fans crayon.
JUILLET. 1755. 69
du
On
م ز
95,
Q
LOGO GRYPHE,
Uatorze pieds , Lecteur , forment mon exif
tence ;
*
Je fuis depuis long- tems fameux & d'importance,
De villes dans mon fein je renferme un Etat :
Des mortels dont la taille eft peu propre au com,
bat ,
D'autres qui fe peignoient le corps & le vifage ;
Le Dieu qui le premier mit la flûte en uſage ;
Le champs fatal qui vit périr tant de Romains ;
Un fleuve dans l'Egypte , un faint Evangélifte ;
La femme de Jacob , un grand naturaliſte ;
Le roi des animaux , l'adjoint de Marius ;
Ce qui fit expirer la femme de Brutus ;
Un nom propre à la mer , une vierge voilée ;
Un arbre peu commun pour border une allée .
Ce fyftême fondé fur bien des accidens ,
Qui procure du pain quand on n'a plus de dents.
Un fort qu'on eût furpris fans le bruit que fit
Poye ;
Un vin rouge excellent que d'Efpagne on envoye,
La mere d'Apollon , du Pape un Député ;
Un ami de Dion , Philoſophe vanté.
Le pere de Jafon , un fameux Aftronome ,
Et l'auftere Cenfeur qui fut l'appui de Rome.
10 MERCURE DE FRANCE.
CHANSON.
Tircis voyant que fa Lifette
S'attendriffoit en l'écoutant ,
N'avoit recours qu'à fa mufette ,
Et ne s'exprimoit qu'en chantant.
Tu m'enchantes , dit la folette ;
Mais veux-tu chanter tout le jour ?
Hé , quoi ! Tircis , le tendre amour
N'a-t-il donc pas d'autre interprête 2
Vois- tu fous ce naiffant feuillage
Ces oifeaux badiner entr'eux ?
Ils interrompent leur ramage
Pour prouver autrement leurs feux.
Tes tendres chants & ta mufette
Peuvent m'amufer à leur tour ,
Mais , quoi ! Tircis , le tendre amour
N'a-t-il donc pas d'autre interprete ?
Sur l'Air du Majeur.
Amans , qui près d'une coquette
Croyez la charmer par vos fors
"Sçachez qu'ainsi que pour Lifette ,
Chanfons pour elle font chanfons.
Vos tendres chants , votre mufette ,
Peuvent l'amufer à leur tour ?
Mais pour mieux exprimer l'amour
Changez quelquefois d'interprete.
GE
9
7
CHANSON
Nouvelle .
Majeur.
Lircis voyantque sa Li - sette
'attendrissoit en l'l'coutant
www
avoit re cours qu'a sa Muset-te
•
Et ne s'exprimoit qu'en chantant.
Tu m'enchantes, dit la Follette ).
Mais veux tu chanter tout lejour?
o
o
He quoi?Circis, le tendre Amour
Vat-il donepas d'autre interprete ?
HHH
Mineur.
же
Vois tu sous ce naissantfeuillage
Ces Oiseaux ba - di-ner entre eux.
Ils interrompent leur Rama -ge
Courprouver autrement leurs jeux
Castendres chants et få e
fa Muset-le
Couveut m'amu-ser à leur tour
Mais quoi ?Cirois,le tendre Amour,
Nat- il donepas d'autre in ter-pre-te ?
La Musique est de MeDxxx et Beauvais
Euillet 1755.
JUILLET. 1755. 71
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
EMOIRES du Comte de Banefton
Mécrits par le Chevalier de Forceville ,
en deux parties in- 12 . Se trouvent chez
Duchefne , rue S. Jacques , au Temple du
Goût , 1755 .
L'expofition de ce roman excite la curiofité
la plus vive. Un françois enterré
tout vivant au nord de l'Angletterre dans
une maiſon iſolée , où il n'eft fervi que
par un payfan & une payfanne qui ne l'entendent
pas , où perfonne n'entre jamais.
Un homme enfin qui ne paroît point le
jour & qui ne fort que la nuit , annonce un
héros fingulier dont on brûle de fçavoir
l'hiftoire. Le Chevalier de Forceville qui
arrive dans ce pays pour y recueillir une
fucceffion , parvient par un incident que
je fupprime à pénétrer dans ce tombeau.
Il reconnoît dans le cadavre animé qui
l'habite , le Comte de Banefton qu'il a vû
autrefois en France , & dont il étoit l'ami .
Il veut l'obliger de retourner avec lui dans
fa patrie ; mais tout ce qu'il peut en obtenir
eft de lui apprendre les raiſons qui
72 MERCURE DE FRANCE.
l'ont déterminé à s'enfevelir dans cette habitation
fauvage. Il lui fait un récit détaillé
de fa vie . Il lui conte d'abord les premiers
écarts de fa jeuneffe ; c'eft la partie de ce
roman la moins intéreffante : elle n'eft
qu'une foible imitation des confeffions du
Comte de .... La feconde attache beaucoup
plus par le beau caractere de Mlle de
Mareville , qui joint à la naiſſance , aux
grands biens , les graces extérieures & toutes
les beautés de l'ame , une douceur furtout
qui la rend adorable & qui méritoit
un fort plus heureux . Elle préfère le Comte
de Banefton à tous fes rivaux ; il eſt le plus
heureux des maris ; mais l'auteur donne à
cette femme accomplie une rivale trop
odieufe. Le contrafte eft révoltant : on n'a
jamais réuni tant de noirceur ; c'est une
charge de Cleveland . Léonore dont le nom
eft trop doux à prononcer pour le donner
à un monftre fi noir & fi barbare , Léonore
, dis-je , furpaffe en cruauté Cléopatre
dans Rodogune , & qui plus eft Atrée.
Les crimes de la premiere ont pour objet
le trône, qui les ennoblit, & ceux de l'autre
font fondés fur la plus cruelle des injures ,
qui motive fa vangeance ; mais l'exécrable
Léonore eft méchante pour l'être. Elle ne
s'eft déterminée à fixer fa demeure près de
la terre du Comte de Banefton , & à fe lier
avec
JUILLET. 1755. 73
de
=
avec fon aimable époufe , que dans l'affreufe
vûe de troubler de gaité de coeur
leur union vertueufe. Elle n'employe l'art
le plus raffiné pour captiver le coeur du
mari , que pour percer celui de la femme.
Comme le crime féducteur réuffit toujours
mieux que la vertu fans artifice , elle parvient
à fe faire aimer du Comte de Banefton
en dépit de lui-même , elle le rend
X non feulement coupable , mais encore imbécile
au point de l'engager à quitter la
France & à fe rendre à Venife avec elle ,
exprès pour l'aider à cacher plus facilement
че un accouchement adultere. Elle a même
l'impudence de mettre la Comteffe de la
partie avec fon fils unique , fans oublier
la gouvernante . Cet étrange voyage eft
ainfi arrangé pour la commodité du roman.
La barbare Léonore avoit befoin de fe
faire accompagner de toute cette famille
infortunée pour l'immoler fucceffivement à
fa fureur. Elle fait noyer la gouvernante ,
elle précipite le fils du haut d'une terraffe ,
empoifonne la mere : le Comte lui- même
eft fur le point de fubir un pareil fort pour
avoir refufé d'époufer cette furie après la
mort de fa femme ; mais par une jufte
méprife Léonore perit du poifon qu'elle
avoit deſtiné à fon amant , & lui fait en
expirant l'aveu de toutes ces horreurs. Le
ne
e
D
74 MERCURE DE FRANCE.
Comte de Banefton déchiré de douleur
fait embaumer les corps de fa femme & de
fon fils , & va s'enterrer avec eux au fond
de l'Angleterre , d'où rien ne peut le tirer.
Cette complication de cruautés accumulées
les unes fur les autres bleffe la vraifemblance
autant que l'humanité . De tels
monftres n'exiftent point dans la nature ,
ou s'il s'en trouve un par hazard , il faut
l'étouffer & non pas le peindre. L'auteur
paroît avoir du talent pour traiter le roman
dans le grand intérêt ; il a dans M. l'Abbé
Prevôt un excellent maître en ce genre :
mais on doit l'avertir de ne pas outrer fon
modele. Qu'il donne de la force à fes caracteres
plutôt que de la noirceur , & qu'il
tâche de nous attendrir fans nous effrayer.
HISTOIRE & regne de Louis XI ,
par Mlle de Luffan , 6 vol . A Paris , chez
Piffot , quai de Conti , 1755 .
On peut compter Mlle de Luffan parmi
nos bons écrivains. Le roman où elle a excellé
l'a placée à côté de l'auteur de Cleveland.
L'hiftoire où elle réuffit l'approche
du Tacite françois.
*
Louis XI eft dédié à S. A. S. Mgr le
Prince de Condé. V. A. S. dit l'auteur ,
y verra les manoeuvres fourdes & mena-
* M. Duclos.
JUILLE T. 1755. 75
ur
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rer.
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ayer.
XI ,
chez
rmi
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oche
le
eur,
enagées
de ce Monarque , en oppofition
avec la véhémence & la préfomption de
Charles dernier Duc de Bourgogne , &
par quelles routes différentes leur haine
réciproque fe manifefte. Ce contraſte ( fi
j'ai bien traité cette hiftoire ) doit y jetter
un genre d'intérêt qui donnera matiere à
d'utiles réfléxions .
de mots .
Voilà l'idée générale de l'ouvrage & fon
bût particulier expliqués en peu
Je n'en puis donner un meilleur précis , &
je m'y borne.
HISTOIRE de Louis XII , 3 vol . A
Paris , chez Lottin , rue S. Jacques , au
Coq , 1755.
Elle eft précédée d'une préface , où l'auteur
nous dit que l'hiftoire eft un pédagogue
agréable , un cenfeur poli & un prédicateur
perfuafif, tout muet qu'il eft. Il
ajoûte que l'hiftoire générale du monde
nous préfente pour l'ordinaire des événemens
, dont la plupart nous font tout- àfait
étrangers , des perfonnages que nous
n'avons que peu ou point d'intérêt de connoître
, & des moeurs fouvent incompatibles
avec les nôtres : que l'hiftoire de notre
pays au contraire nous met fous les yeux
une fuite de faits qui nous touchent , des
perfonnages avec lefquels nous partageons
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
la gloire ou le deshonneur , & des moeurs
qui deviennent la régle des nôtres. C'eſt
une vérité fenfible qu'on ne peut conteſter ;
mais ce qu'il hazarde dans une note au
commencement de fon premier livre , me
paroît plus difficile à accorder. » On ne
trouve , dit- il , dans aucun auteur le tems
» de la naiffance de Louis XII ; mais il eft
» certain qu'il eft né au mois de Mars 1462 .
Si aucun écrivain n'en a parlé , fur quoi
fonde-t-il fa certitude ?
ور
On fera peut - être bien aiſe de voir le
portrait qu'il fait d'un Monarque que fa
bonté a rendu fi intéreſſant. Le voici :
Les exercices du corps rendirent ce
Prince fi nerveux , qu'il n'y avoit point de
jeunes Seigneurs de fon âge qu'il ne terrafsât.
Pour ceux qui étoient d'un âge plus
avancé & d'un tempéramment plus vigoureux
, il entroit volontiers en lice contre
eux ; & s'il n'avoit pas la gloire de remporter
la victoire , il avoit celle de n'être
pas vaincu & de fortir du combat à armes
égales . Au jeu , il étoit charmant ; il regardoit
la perte & le gain avec la même
indifférence ... Il lui étoit ordinaire de
remettre à ceux qui jouoient contre lui la
perte qu'ils faifoient , ou de diftribuer aux
affiftans le gain provenant du jeu . A ces
avantages , Louis réuniffoit une phifionoJUILLET.
1755. ブブ
e
e
mie peu commune . Il avoit les yeux étin
cellans comme le feu , le nez un peu long
& retrouffé , les traits du vifage tels qu'une
femme touchée des charmes de la beaut
té pourroit les fouhaiter. Il étoit de moyenne
taille , mais extrêmement fort & robufte.
Par la conftitution de fon corps , qui étoit
bonne & faine , il jouiffoit d'une fanté
parfaite , dont il étoit fans doute redevable
à fa tempérance , au travail & aux exercices
du corps.
A cette peinture de Louis XII , je vais
joindre le portrait de Louis XI , par Mille
de Luffan. Par la comparaifon , le lecteur
fera mieux en état de décider lequel des
deux auteurs a mieux faifi la reffemblance
& le vrai coloris , c'eft- à- dire cette élégante
fimplicité , & cette vérité préciſe que l'hiftoire
demande. C'eft à lui de prononcer ,
je m'en rapporte à fon jugement
.
Louis XI , dit Mlle de Luffan , n'avoit
pas reçu de la nature les mêmes avantages
que Monfieur ; il étoit grand fans avoir
bon air. Il fe courboit un peu & affectoit
de ne porter que des habits fimples ; il n'en
mettoit de riches que les jours de cérémonie.
Alors on ne pouvoit difconvenir qu'il
n'eût l'air d'un Prince.
L'inégalité de fes traits fembloit marquer
les variations de fon caractere . Sa tête
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
n'étoit ni groffe , ni petite , & s'élevoit un
peu en pointe. Il avoit le front petit , les
yeux gros , à fleur de tête & vacillans , le
reint blanc & uni , les cheveux courts , les
narrines larges , les levres groffes & verméilles
, les dents belles , le menton pointu
, le cou délié & un peu court , la poitrine
étroite , les mains & les bras longs ,
& menus , les cuiffes maigres ; la jambe
bienfaite , quoiqu'il marchất mal.
Le DICTIONNAIRE APOSTOLIQUE
à l'ufage de MM . les Curés des villes & de
la campagne , & de tous ceux qui fe deftinent
à la chaire , par le P. Hyacinte de
Montargon , Auguftin de Notre - Dame
des Victoires , Prédicateur du Roi , Aumônier
& Prédicateur du Roi de Pologne ,
Duc de Lorraine & de Bar , tome 8° , & 2°
& dernier des myſteres , vol . in - 8 ° . 4 liv .
en blanc & liv. relié.
S
Il comprend la Réfurrection & l'Afcenfion
de N. S. J. C. la defcente du S. Efprit
fur les Apôtres , le Myftere de la Trinité
l'Euchariftie en tant que Sacrifice & confiderée
comme Sacrement . Le neuvieme volume
eft fous preffe , & il comprendra les
fêtes de la Sainte Vierge , & paroîtra à la
Touffaints. Chez Lottin , rue S. Jacques ,
au Coq , où fe trouvent tous les livres à
l'ufage du Diocèfe de Paris .
JUILLET. : 1755. 79
La troifieme partie des TABLETTES DE
THEMIS , dont j'ai annoncé les premieres
parties dans le Mercure précédent , vient
de paroître , & fe vendez les mêmes
Libraires. Elle contient la chronologie des
Préfidens , Chevaliers d'honneur , Avocats
& Procureurs généraux des Chambres des
Comptes de France & de Lorraine , des
Cours des Aides & de celles des Monnoies ;
les Prevôts des Marchands de Paris & de
Lyon , & la lifte des Bureaux des Finances ,
Préfidiaux , Bailliages , Sénéchauffées &
Prevôtés , avec une table alphabétique des
noms de famille.
L'auteur invite de nouveau ceux qui
poffedent des terres érigées en titre de
Marquifat , Comté , Vicomté & Baronie ,
de lui envoyer copie des lettres patentes
d'érection , ou au moins des extraits avec
des mémoires inftructifs tant fur lesdites
terres , que fur la généalogie de leur famille,
dont on marquera exactement l'état actuel
avec le blafon des armes , obfervant de
faire écrire ces mémoires très- lifiblement ,
fur-tout les noms propres , & de les adref,
fer francs de port , à M. Chafot , rue des
Canettes , près S. Sulpice , à Paris.
TELLIAMED , ou entretiens d'un Philofophe
Indien avec un Miffionnaire Fran-
Diiij
80 MERCURE DE FRANCE.
çois fur la diminution de la mer , par M.
de Maillet . Nouvelle édition , revûe , corrigée
& augmentée fur les originaux de
l'auteur , avec une vie de M. de Maillet
2 vol. in- 12 . Ce livre fingulier fe trouve
chez Duchesne , rue S. Jacques , au Temple
du Goût.
HISTOIRE de Simonide & du fiécle
où il a vêcu , avec des éclairciffemens chronologiques
, par M. de Boiffy fils , 2 vol.
in- 12 , prix 2 liv. 10 fols broché. A Paris ,
chez Duchefne, rue S. Jacques , au Temple
du Goût , 1755.
Cet ouvrage eft précédé d'une préface
raifonnée. Nous en donnerons l'extrait le
mois prochain.
ELEMENS DE DORIMASTIQUE * ,
ou de l'art des effais , divifés en deux parties
, la premiere théorique & la feconde
pratique , 4 vol. in- 12 . A Paris , chez,
Briaffon , rue S. Jacques , à la Science .
Ce livre eft traduit du latin de M. Cramer
, & le traducteur eft du choix de M.
Par élémens de Dorimaftique , on entend
cette partie de la chymie qui concerne l'effai
des minéraux , lequel n'eft autre chofe qu'un
examen rigoureux de ces mêmes fubftances fait
en petit.
JUILLET: 1755. 81
4.
DIde
et,
Ove
emécle
DIOvol.
ris ,
ple
face
it le
par.
nde
hez
Cra-
M.
tend
u'un
fait
Rouelle. On ne peut faire un plus grand
éloge de l'un & de l'autre. M. de V. dans
fon avertiffement déclare modeftement
que c'eſt à M. Rouelle qu'il doit le peu
qu'il fçait en chymie . Non content , dit-il ,
de me fournir les éclairciffemens qui m'étoient
néceffaires , fur ce que j'avois appris
dans fes leçons particulieres , que j'ai eu
le bonheur de fuivre plufieurs années , il
a bien voulu auffi m'apprendre à en faire
ufage. Ces remarques étoient néceſſaires ;
elles feront au public un garant du mérite
de l'ouvrage qu'on lui préfente & de
l'exactitude de ma traduction , & elles me
fourniffent l'occafion de témoigner ma
reconnoiffance à mon illuftre maître & de
la rendre publique.
Un pareil aveu le loue plus que tout
ce que nous pourrions dire en fa faveur.
VOYAGE de Paris à la Rocheguion ,
en vers burleſques , divifé en fix chants ,
par M. M *** . Se trouve à Paris , chez
Cailleau , quai des Auguftins , & Chardon
fils , rue S. Jacques près la fontaine S. Severin
, à la Couronne d'or , 1 liv. broché .
Ce poëme eft dédié à l'ombre de Scarron .
Je crois qu'il ne le fera pas revivre.
I
ESSAI HISTORIQUE , critique
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
philologique , politique , moral , littéraire
& galant , fur les lanternes , leur origine
leur forme , leur utilité , &c. par une fociété
de gens de Lettres.
>
Cette brochure en profe fe trouve
chez Ganeau , rue S. Severin , & peut
fervir de pendant au Voyage en vers cideffus
indiqué. Elle eft adreffée au Docteur
Swift ; mais je doute qu'il veuille y
mettre fon attache pour la faire paſſer à la
postérité , comme l'auteur l'en prie.
HUDIBRAS , poëme héroïcomique
tiré de l'Anglois de M. Samuel Butler ,
avec des notes & des figures. Se vend chez
Defpilly , Libraire , rue S. Jacques , à la
vieille Pofte .
La guerre civile & la fecte des Puritains
tournée en ridicule , font le fujet de
ce poëme qui eft compofé de neuf chants .
On n'en a publié que le premier avec une
préface & la vie de l'auteur. Qu'on juge
par ce début de l'élégance de la traduction .
Le noir démon des guerres civiles & la
pâle difcorde , fa foeur bien- aimée , avoit
lâché parmi nous leurs plus gros ferpens ;
29
l'envie aux yeux verons & fournois ,
»nous échauffoit la bile par fes mauvais
"propos ; déja nous commencions à nous
quereller fans trop fçavoir pourquoi ,
JUILLET. 17559 83
DCY
EI ,
ez
de
ts.
ne
ge
on.
Si
femblables à des gens ivres qui balbutient
» de colere , & le gourment pour exalter
» une fille de théâtre , nous nous battions
» déja comme des fous & des enragés pour
le fimulacre de la religion.. Nos épaules
devenues les tambours de l'Eglife recevoient
au lieu de coups de baguettes ,
» une grêle de coups de poings , & c . Je
m'arrête là , je ne puis aller plus loin. Sur
cet échantillon , je crois qu'on dira ( com
me M. de Voltaire ) que ce poëme eft intraduifible
ou du moins qu'il est mal
traduit.
»
Le tome cinquieme des LEÇONS DE
PHYSIQUE EXPERIMENTALE , par
M. l'Abbé Nollet , de l'Académie royale
des Sciences , de la Société royale de Londres
, Maître de Phyfique de Monfeigneur
le Dauphin , & Profeffeur de Phyfique expérimentale
, vient de paroître , & fe vend
Paris , chez Guérin & Delatour , rue S.
Jacques à Saint Thomas d'Aquin
3 liv. en feuilles , & 3 liv. 2 f. 6 den.
broché.
Il est augmenté de 10 fols attendu qu'il
a cent pages , & quatre ou cinq planches
en taille douce plus que les tomes précédens
; mais l'auteur déclare qu'il n'a confenti
à cette augmentation que pour ce
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
1
volume feulement. Il fe plaint dans le
même avertiſſement qu'il fe répand en
France & dans les pays étrangers des exemplaires
contrefaits qui fourmillent de fautes.
Il defavoue ces éditions furtives , &
ne reconnoît pour fon ouvrage que ce qui
eft contenu dans celles qui fe font fous fes
yeux à Paris , chez les fieurs Guerin &
Delatour.
Ce volume contient la quinzieme , la
feizieme & la dix-feptieme leçons fur la
lumiere & fur fes propriétés. Nous en
parlerons une autrefois plus au long. On
ne peut faire trop fouvent mention d'un
auffi excellent ouvrage , ni donner de
chaque partie un précis trop foigné.
TABLETTES GEOGRAPHIQUES
pour l'intelligence des hiftoriens & des
poëtes latins , 2 vol . Chez Lottin , rue S.
Jacques au Coq , 1755.
Elles font de M. Philippe de Pretot qui
a fi bien mis à profit les fages confeils de
fon illuftre pere , & qui a hérité de fon
fçavoir. Elles font imprimées fur le
même papier , & dans le même format
que les poëtes & les hiftoriens , dont il
nous a donné une édition fi juftement eftimée
, & peuvent leur fervir de notes .
JUILLET. 1755. 85
ES
e
1
TRAITÉ du beau effentiel dans les
arts , appliqué particulierement à l'architecture
, & démontré phyfiquement & par
l'expérience. Avec un traité des proportions
harmoniques , où l'on fait voir que
c'eft de ces feules proportions que les
édifices généralement approuvés empruntent
leur beauté invariable. On y a joint
les deffeins de ces édifices & de plufieurs
autres , compofés par l'auteur fur les proportions
& leurs différentes divifions harmoniques
tracées à côté de chaque deffein,
pour une plus facile intelligence. Les cinq
Ordres d'architecture des plus célebres Architectes
, & l'on démontre qu'il font reglés
par les proportions. Plufteurs effais
de l'auteur fur chacun de ces Ordres , avec
la maniere de les exécuter fuivant les principes
, & un abregé de l'hiftoire de l'architecture.
Par le S. C. E. Brifeux , Architecte ,
auteur de l'art de bâtir les maifons de
campagne , 2 vol . en un in-fol. 1752. Les
deux volumes au burin avec 98 planches ,
fervant de fuite à l'art de bâtir les maifons
de campagne. Ce traité fe trouve chez la
veuve Gandouin , Libraire , quai des Auguftins
, à la Belle Image , la premiere
boutique du côté des Auguftins , à la defcente
du Pont-Neuf.
86 MERCURE DE FRANCE.
MANUEL DES DAMES DE CHARITÉ ,
troifieme édition , revûe , corrigée & augmentée
de plufieurs remedes choifis , extraits
des Ephémérides d'Allemagne. A Paris
, chez de Bure l'aîné , quai des Auguftins
, à l'image Ș . Paul. 1755 .
Ce livre utile contient plufieurs formules
de médicamens faciles à préparer ,
dreffées en faveur des perfonnes charitables
, qui diftribuent des remedes aux pauvres
dans les villes & dans les campagnes ,
avec des remarques néceffaires pour faciliter
la jufte application des remedes qui
y font contenus.
Dans l'annonce que nous avons faite de
l'Oryctologie qui fe vend chez le même
Libraire , il nous eft échappé une erreur
que nous devons corriger ; nous avons
fait honneur de tous les frais de l'impreffion
à M. le Baron de Sparre , qui n'a contribué
que pour la dépenfe de la premiere
planche. C'eft de Bure feul qui a fait celle
du livre entier.
LE TRIOMPHE DE JESUS -CHRIST
dans le defert . Poëme facré , traduction libre
en vers françois du Paradis reconquis
de Milton ; Par M. Lancelin. A Paris ,
chez Defaint & Saillant , rue S. Jean de
Beauvais ; & chez Lambert , rue de la Co
médie françoiſe , au Parnaſſe.
JUILLE T. 1755. 87
Quoique M. Lancelin ait mis en vers
le Poëme le moins parfait de Milton , on
doit toujours lui fçavoir gré de fon effort.
Il s'eft peut- être effayé par le plus foible
pour tenter un jour le plus fort . On peut
même dire à la rigueur qu'il a commencé
par le plus difficile . Le Paradis perdu réunit
tout ce qui peut élever l'efprit & " lui
fervir de reffource , le fublime des idées ,
la variété des images , & la chaleur de
l'action. Le Paradis reconquis eft admira
ble par fa morale , mais le fonds en eſt
trifte & monotone ; il ne peut fe foutenir
que par la beauté des détails , & par un
coloris fupérieur , qui eft peut-être la partie
dans tour original la plus malaiſée à
traduire. C'est au public , connoiſſeur en
Poëfie , à décider fi M. Lancelin y a réuffi.
Pour moi je me borne au devoir de Journaliſte
: j'indique fimplement fa traduction.
PILOT BOUFI , Tragédie en cinq
actes , avec préface. Prix 1 livre 4 fols ; fe
vend chez Duchefne , rue S. Jacques.
Cette Tragédie , dont le héros eft un frot
teur & l'héroïne une foubrette , paroît une
imitation d'Arcagambis , avec cette diffé
rence qu'Arcagambis parodie le Cothur
ne dansle noble , & que Pilot boufi le tra88
MERCURE DE FRANCE.
veftit dans le plus bas . Ce drame m'a paru
très-bienfait pour amufer l'antichambre ,
mais peu digne de pénétrer jufqu'à l'appartément.
Je ne puis me flater d'être lû de la
livrée ; cette raiſon me diſpenſe d'en donner
l'extrait.
il
REPONSE à la réfutation que M. Dibon
vient de faire de deux écrits publiés ,
y a un an , en faveur de M. de Torrès ,
& dont nous avons parlé dans le premier
Mercure de Juin.
M. Carboneil , Docteur en Médecine , eft
l'auteur de cette réponſe. Il eft d'abord trèsfcandalifé
que M. Dibon doute de fon exifftence
, ainfi que de celle de M. Bertrand ,
Médecin comme lui . Vous affurez , lui dit- il ,
que nous ne fommes que des Eires de raison ,
dans le tems que votre ouvrage paroit , on
nous voit tous deux , & l'on apprend que M.
Bertrand eft fur le point d'obtenir une charge
de Médecin ordinaire du Roi . L'auteur
fe plaint enfuite de ce que M. Dibon traite
de chimerique la guérifon de ce dernier ,
qui la publie & la certifie lui-même . M.
Carboneil ajoute que MM . Morand
Dieuxaide & Fernandès ont conftaté l'état
de ce malade , & que c'eft fous les yeux
de MM. Falconnet , Vernage , Lavirote &
Sanchez qu'il a été radicalement guéri. Il
>
JUILLET. 1755. 89
forme une autre plainte au fujet de la lettre
du malade de cent cinquante lieues
que M. Dibon a rapportée feule , fans faire
mention de celle que ce malade écrivit à
fon pere avant fon départ. Pour la juftification
& la gloire de M. de Torrès , M. Carboneil
a inféré cette derniere lettre dans
fa réponſe. Elle contient l'éloge le plus
grand de fon ami , & la reconnoiffance la
plus vive du malade qui fe trouve guéri
après huit ans de fouffrances.
Nous rapportons les faits tels qu'on les
expofe de part & d'autre ; c'eft aux Maîtres
de l'art à les vérifier & à prononcer d'après
eux . Nous nous tenons à cet égard dans une
parfaite neutralité , comme nous l'avons
promis , & comme il convient à tout Journaliſte
.
90 MERCURE DE FRANCE .
SUITE d'une difcuffion fur la nature
du goût , où après avoir prouvé
que fes principes font invariables
qu'ils ne font pointfujets aux ré
volutions de la mode , on examine
s'ils font foumis au pouvoir du
tems , & à la différence des climats
, & quels fontfes objets principaux.
A révolution des tems , la fuc-
L ceffion des différens âges font
fans doute plus à redouter pour le goûr ,
que l'empire momentanée de la mode.
Rien , dit - on , pour le tems n'eft facré .
La force de cet agent eft terrible , je l'avoue
, mais poufferoit- il la barbarie jufqu'à
faire fentir au bon goût les triftes
effets de fon pouvoir ? Aidé par l'enchaînement
des événemens humains , favorifé
par quelques circonftances décifives
, il peut étendre ou refferrer fa domination.
Parcourons nos annales , confultons
l'antiquité , jettons nos regards fur les
peuples qui nous environnent , & nous
JUILLET. 1755. 91
verrons qu'il eft encore de fon reffort de
transferer le trône du bon goût d'une nation
dans une autre. Pour cela détruit - il
fes principes ? non : je le dis avec confiance
; ce fier deftructeur refpecte les monumens
précieux qui conftatent les progrès
de l'efprit humain . Villes fécondes en
grands hommes ! Athenes , Rome , vous n'avez
pas été à l'abri de fes coups ! Orateurs
immortels , Démosthenes , Ciceron , vous
vivez , & le tems , loin de vous faire outrage
, a réuni fous vos loix tous les peu
ples du monde lettré. C'eft le tems qui ,
de tant de nations différentes en a formé
une feule & même république , & vous
en êtes les premiers citoyens.
Par quel fecret les poëtes , les peintres ,
les muficiens , les fculpteurs , tant anciens
que modernes , fe font-ils fouftraits à la loi
commune ? comment ont-ils reçu une nouvelle
vie de la postérité ? c'est parce que
dans leurs ouvrages on trouve l'expreffion
fidele de la belle nature. Heureufe expreffion
! elle fait les délices de l'homme de
goût , je dis plus , de tous ceux fur qui la
raifon n'a pas perdu tous fes droits ; expreffion
enfin qui , par le choix judicieux
des ornemens , la vivacité des images ,
nous rend les traits de la nature fous autant
de formes , qu'elle varie elle- même
92 MERCURE DE FRANCE.
fes mouvemens & fes opérations.
Convenons néanmoins qu'il eft des tems
critiques pour les talens. Ce n'est point
en jettant les fondemens d'une monarchie
qu'un fouverain peut fe flater de faire fleurir
les beaux arts. En vain effayeroit- il
de fixer le bon goût dans fes Etats , tandis
que , le fer à la main , il en difputera
les limites contre fes voifins. Il étoit refervé
à Athenes d'enfanter fes plus grands
hommes dans les plus grands périls . Peri
clès , Ifocrate , Demofthenes , fe font formés
au fein de la tempête , il eſt vrai ; mais
l'éloquence , chez cette nation , étoit une
qualité indifpenfable. L'Orateur & le Capitaine
prefque toujours étoient réunis dans
la même perfonne ; & chez nous ils feroient
deux grands hommes : la paix eft
donc la mere des beaux arts , le trône du
bon goût n'est jamais mieux placé que dans
fon temple. Le trouble , l'agitation , fuites
inevitables de la guerre , rendent les ef
prits prefque incapables de toute autre application
; un ébranlement violent dure encore
après que la caufe en a ceffé . L'ame
fortie de fon affiette ordinaire par les fecouffes
qu'elle a éprouvées , ne recouvre pas
fi-tôt le calme & la tranquilité néceffaires
pour reprendre le fil délié d'une étude fuivie.
(
JUILLET. 1755. 93
S
Il eſt donc des tems plus favorables que
d'autres aux talens ; mais pour cela le tems
n'attaque point le bon goût dans fon principe.
La gloire dont jouiffent tant d'autears
célébres , celle qui a été le prix des
travaux illuftres de tous ceux qui ſe font
diftingués , foit dans la pénible carriere
des hautes fciences , foit dans celle d'une
littérature fine & exquife , les honneurs
qu'ils ont reçus dans tous les fiecles , l'eftime
, l'admiration dont ils font en pofleffion
depuis tant d'années , l'application
des artiſtes de nos jours à mériter les fuffrages
de l'homme de goût , leurs fuccès enfin
ne font- ce pas là des preuves démonfratives
que le fentiment du beau , du vrai ,
eft de tous les âges , & qu'un goût épuré
pour ce beau , pour ce vrai , feul eft exempt
des variations qu'éprouvent le refte des
chofes humaines .
8 (b) De tout tems on eft convenu de la dif.
férence de l'air qui regne dans les climats
; mais on a parlé diverfement de fes
effets . Il feroit égalememt abfurde de dire
que l'air ne peut rien fur le bon goût , ou
de prétendre qu'il peut tout. Saififfons un
jufte milieu : la différence de la température
de l'air forme celle des climats ; fon
(b ) Climats,
94 MERCURE DE FRANCE.
influence n'eſt point chimérique , l'air agit
fur le corps , le corps imprime fes mouvemens
à l'ame , & fes mouvemens font
fouvent proportionels à ceux que le corps
éprouve ; il fuffit de refpirer pour s'en
convaincre. Mais fi l'union du corps & de
l'ame foumet cette derniere partie à une
certaine dépendance à l'égard de la premiere
, fi celle- ci eft foumife à fon tour
aux influences de l'air qui varie dans chaque
climat , peut- on en conclure que l'ame
foit fervilement fubordonnée dans toutes
fes opérations à ces deux caufes , qui d'ailleurs
lui font fi inférieures ? Un efprit fain
ne jugeroit-il pas autrement ? Il verroit ,
fans doute , dans une fubordination mutuelle
, une nouvelle preuve de l'attention
du fouverain être qui veille à la confervation
de ces deux fubftances hétérogenes.
Quelque foit l'effet de l'air fur le
corps , & celui du corps fur l'ame , jamais
on ne prouvera que le concours de ces
deux puiffances , foit auffi abfolu qu'on fe
le perfuade communément. En vain m'objectera
- t-on que l'air eft une caufe générale
qui foumet à fon pouvoir tous les
hommes ; fans vouloir fe fouftraire à fa
puiffance , ne peut - on pas examiner quelles
en font les limites ? un oeil éclairé en
reconnoîtra l'étendue , il eft vrai , mais il
}
JUILLE T. 1755. 95
I
215
es
Le
la verra bornée , cette étendue , par la fage
prudence de Dieu - même.
Interrogeons l'Hiftoire , appellons à notrè
fecours la Phyfique fous un même point
de vûe , celle- ci nous repréfentera les habitans
de ce vafte univers caracterisés par
des attributs particuliers , cette autre , après
un mûr examen , jugera de la conftitution
de leurs climats ; & elles décideront toutes
deux que l'influence de l'air ne peut dans
aucune région , tyranifer le corps au point
d'interdire à l'ame l'exercice de fes plus
es nobles fonctions . L'heureufe pofition de
l'Arabie & de l'Egypte a fait éclore , diton
, au milieu de leurs peuples les principes
des beaux arts. C'eſt dans le fein de
cette terre féconde , qu'on a vû germer les
élémens de toutes les fciences. Pourquoi
les habitans de ces contrées fortunées fontils
fi différens de ce qu'ils étoient autrefois
? quelle étrange métamorphofe ? la narure
du climat leur avoit été fi favorable
dabord : pourquoi n'eſt- elle plus leur bienfaictrice
qu'eft devenue cette fagacité
cette pénétration qui les rendoit fi profonds
dans l'étude des hautes fciences ? L'air d'un
fiecle a un autre , éprouve à la vérité des
variations aufquelles le corps eft foumis ;
mais comme les émanations de la terre
conſtituent principalement les qualités de
96 MERCURE DEFRANCE
l'air , & comme les qualités de ces émanations
dépendent de la nature des corps qui
les forment , il s'enfuit que ces corps n'ayant
pas pû changer entierement de nature , leurs
émanations ne font pas affez différentes
de ce qu'elles étoient autrefois , pour altérer
les qualités de l'air au point de caufer
des changemens aufli prodigieux que nous
le remarquons dans les Egyptiens : ont- ils
d'ailleurs perdu quelque chofe de cette vivacité
, de ce feu dont ils étoient doués
anciennement ? il a feulement changé d'objet.
L'amour des fciences a été remplacé
par celui des plaifirs.
S'il eft vrai que la bonne température
de l'air faffe éclore le bon goût , le génie
Efpagnol ne devroit - il pas porter l'empreinte
de l'excellence de fon terrein ? ce
pendant pourroit- on le définir fans tomber
dans des contradictions ? Ce peuple a droit
de réaliſer dans fa vie privée les peintures
extravagantes dont le ridicule fait le principal
mérite de fes ouvrages.
Les Grecs , autrefois fi déliés , font- ils
reconnoiffables ? contens de croupir aujourd'hui
dans une molle oifiveté , ils cedent
aux nations étrangeres la gloire de
connoître le prix des ouvrages de leurs
peres ; & leur ignorance groffiere forcetoit
quiconque voudroit les rapprocher de leurs
ancêtres
JUILLET. 1755 . 97
"
ES
ancêtres , à avouer la différence du parallele.
Si la température de l'air influe tellement
fur le progrès des fciences , fi la bonté
de cet air produit le bon goût , fi fes
mauvaiſes qualité le détruifent entierement
, pourquoi voit- on une différence fi
prodigieufe entre les Athéniens & les habitans
de la Beotie? Dira- t-on que la fituation
des deux pays a produit cette fingularité
remarquable ? y auroit- il de la vraifemblance
ne fçait- on pas qu'ils n'étoient
féparés que par le mont Cytheron ? cette
diftance auroit- elle produit un phénomene
de cette espéce ?
N'avons nous pas vû d'ailleurs des changemens
uniformes dans le caractere des
mêmes peuples , fans qu'il foit arrivé aucune
révolution dans leur climat ? Le Perfan
, fous Darius , eft - il le même que fous
le regne des Arfacides ? Avant les victoires
de Charles XII , eut - on foupçonné les
Mofcovites de valeur & avant les fuccès
du Czar , eut- on cru qu'on pouvoit les
policer ? fi la puiffance de l'air étoit telle
qu'on fe l'imagine vulgairement , l'ame
des Indiens , amollie en quelque forte
la chaleur du climat , feroit - elle capable
des plus terribles refolutions ? confidérons
les peuples du nord , un froid glacial en-
E
par
9 $ MERCURE DE FRANCE.
?
gourdit leurs membres , leurs fibres compactes
s'émeuvent à peine : manquent- ils
ponr cela de raifon n'ont- ils pas le jugement
fain ne comparent- ils pas avec facilité
? eft- il un peuple qui poffede à un plus
haut dégré la perception des rapports.
Avouons donc que tout climat peut être
celui des beaux arts. Par tout où il y a des
hommes , il y a de la raiſon , du fens , du
jugement , & les fciences y peuvent être cultivées
; il n'eft donc point de régions inacceffibles
au bon goût , & s'il en eft encore où
les fciences n'ayent pas pénétré , l'éducation
que reçoivent les fujets , les occupations
auxquelles l'Etat les oblige de fe livres
, la forme du gouvernement , les qualités
& les difpofitious de ceux à qui ils
obéiffent , y contribuent , fans doute , plus
puiffamment que le climat. Ce n'eft donc
point par les dégrés de latitude qu'on mefure
l'empire du goût.
(c) Que fe propofent les artiſtes ? l'imitation
de la belle nature : quel eft le but de
l'homme de goût de fentir & de juger le
dégré de cette heureufe imitation . L'objet
eft commun , les opérations font différentes
: le premier produit , enfante ; le fecond
approuve ou condamne . Une tendre
( c ) Objets du goût.
JUILLET. 1755. 99
Se
S
complaifance peut aveugler l'un , fur les
défauts de fes plus cheres productions ;
Pautre eft un juge éclairé , équitable , févere
, quoique fenfible. L'idée archetype
eft pour celui-ci un trait de lumiere qui le
dirige dans le cours entier de l'exécution
de fon ouvrage ; elle guide , elle éclaire .
l'autre dans les décifions les plus délicates.
La nature , comme une glace fidele , tranfmet
à tous deux les traits principaux de
ce divin original : c'eft de ce point qu'ils
partent , c'eft dans ce centre qu'ils fe réuniffent.
Confultent-ils cette copie ? l'un y
lit l'éloge ou la cenfure de fon ouvrage , il
y trouve une matiere inépuifable d'imitation
F'autre y découvre une fource de
plaifirs épurés , de ces plaifirs refervés
au noble & rare exercice d'une faculté fenfible
& intelligente . L'objet du travail de
Partiſte eft auffi folide que le domaine de
l'homme de goût eft étendus je vois tous
les grands maîtres de l'univers s'envier la
gloire d'exciter le plus de mouvemens dans
fon ame.
(d)Par l'art d'un pinceau créateur , une
toile , une foible toile , vit , refpire , la fiction
prend la couleur de la vérité , l'ame
du fpectateur frappée , faifie , émue , fe
(d ) Peinture .
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
livre avec impétuofité aux délicieuſes agitations
qu'elle éprouve chaque trait femble
fe réfléchir fur elle -même , il s'y imprime
, il s'y colore ; rien n'échappe , tout
eft vivement fenti. Ici une touche gracieufe
& légere attire , flate , féduir l'homme de
goût entre dans le myftere , il voit la na
ture fourire à cet artifte bien aimé ; là un
craïon mâle, vrai , nerveux, peint noblement
de nobles objets ; il fixe , il attache , mais
il ne fatigue pas la vérité fut fon guide ,
le fuffrage de l'homme de goût eft fa récompenfe.
Quel eft ce pinceau fier & menaçant
crée- t- il de nouvelles paffions ?!
non : il maîtrife celles de mon ame: ce
peintre m'étonne , m'éfraye , mais il me
Douche. Ici l'imitation Femporte fur la réa
lité ; des objets véritables , mais auffi terribles
ne produiroient en moi que des fentimens
lugubres ou tumultueux ; font- ils
repréſentése? ma fituation eft moins critique
, l'éloignement de l'objet réel me raffure
: je goûte le plaifir de l'émotion , je
n'en fens point le défordre ; émotion vrai
ment digne d'un être penfant ; de fimples
fenfations n'en font pas le terme : des objets
ainfi exprimés fervent de dégrés à l'ameils
l'élevent jufqu'à la fource des
perfections : c'eft en elle que l'homme de
goût juftifie fes plaifirs , & l'artiſte ſes
fuccès. S
1
JUILLET .. 1755. 101
10
Et
De
Is
f
(e) Ici, un cifeau donne du fentiment à un
marbre froid , brute , infenfible ; une main
le guide , le héros eft reproduit. Art heureux
qui , pour tenir de plus près à la na◄
ture , ne produit que plus difficilement
des chef- d'oeuvres en ce genre , les artiftes
excellens font auffi rares que les beautés
parfaites , ou les héros accomplis. Pour
me toucher , j'exige des Phidias , ou des
Puget ; des Praxitelle ou des Girardon . Le
fond où ces artistes ont puifé les traits qui
vivifient leurs ouvrages , les préferve de
l'inconftance de l'efprit humain dans fes
jugemens : en quelque fiécle que paroiffent
des morceaux auffi achevés , la copie forcera
les hommes malgré leurs préjugés à
remonter jufqu'à l'original.
par
(f)C'eft en le confultant que s'eft ennobli
cet art , né de la néceflité , ébauché par
l'ignorance , défiguré & perfectionné
le luxe. L'imitation de la belle nature s'y
fait moins remarquer ; ce n'eft cependant
que de fa main qu'il reçoit fes charmes &
fes agrémens ; elle fit entendre fa voix à
Vitruve : il prit goût à fes leçons , l'idée
du fouverain modele qu'elle offrit à fes
yeux lui en développa les principes , &
parce qu'il ne s'écarta point de ce guide ,
(e ) Sculpture .
(f) Architecture .
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
l'homme de goût l'a établi le légiflateur de
ceux qui lui fuccederont à jamais.
(g ) Quels plaifirs ne lui procure pas cet
art dont le mérite confifte à rendre fidelement
celui des autres avec quelle vérité
n'expofe- t- il pas à nos yeux les majestueufes
productions de l'Architecture & de la
Sculpture. Le burin eft l'imitateur du pinceau
, fans vouloir en être le rival'; it
s'immortalife en éternifant les artiftes . Sans
doute qu'en faveur des gens de goût la
nature a laiffé échapper de fon fein cet
art ingénieux : fi elle a fait le ferment de
ne produire que rarement des grands hommes
; elle l'a modifiée en quelque forte
en confiant à la Gravûre le foin de multiplier
leurs chef- d'oeuvres. Cet art mérite
d'exercer le talent de l'artifte , parce qu'il
peut ne travailler que d'après le génie des
grands maîtres. Mais fi la gloire le touche
, que fon oeil pénétrant fe familiarife
en quelque forte avec le fublime de l'i
dée archetype ; l'exacte obfervation de
cette regle univerfelle a fait le mérite de
de ceux qu'il imite , elle feule l'immortalifera
comme eux .
(b) C'eſt par cette voie que fe font placés
au temple de Mémoire les créateurs de la
(g ) Gravure.
(b ) Mufique.
JUILLET. 1755. 103
t
1.
mufique. Cette four aînée des beaux arts
répand l'aménité fur les travaux de l'homme
de goût la douceur de fes accords
charme fes fens , fon ame épuifée de reflexions
reprend une nouvelle activité ,
après s'être livrée aux délices d'une ivreffe
momentanée ; l'harmonie fufpend fa
fée , comment n'en reconnoîtroit- elle pas
les droits ? ceux qu'elle exerce fur elle font
fi naturels !
pen-
Jufqu'ici l'artiſte a fourni aux plaifirs
de l'homme de goût ; l'homme de lettres
n'y contribue pas moins efficacement. Ceux
qu'il lui procure ayant moins à démêler
avec la matiere , ont plus de rapport avec
la nobleffe de fon origine , les belles connoiffances
forment fon véritable élément
tous ceux qui cultivent les belles lettres
avec fuccès , ont droit à fon eftime , parce
qu'ils font partie de fon bonheur.
(i) Cependant quelque fouveraine que
foit l'éloquence fur fon ame , elle la maîtrife
plus fouvent qu'elle ne la remplit. O!
vous , qui fûtes l'oracle de votre fiécle ,
Boffuet , l'orateur de ma nation , vos foudres
m'annoncent votre puiffance , je la
reconnois , vous me captivez , vous m'enchaînez
; mais je découvre en portant vos
(i ) L'éloquence.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
fers un autre maître que vous ; vous n'êtes
point l'orateur dont j'ai l'idée , vous me
le repréfentez feulement. Tant il eſt vrai
que les objets intermédiaires , quels qu'ils
foient , ne ralentiffent point la marche
d'une ame dégagée du preftige des fens ;
ils ne forment que le milieu à travers
lequel elle s'élève avec rapidité , jufques à
la fource des perfections .
( k) C'est dans cette fource que le Poëte
puife le fublime dont l'homme de goût
connoît fi bien les effets. Les auteurs de
notre fiécle qui ont obtenu fon fuffrage
ont mérité fa critique . L'heureufe alliance
d'un fentiment exquis & d'une droite raifon
, ont établi de tout tems l'homme de
goût le juge du poëte ; ce génie formé de
deux contraires le jugement & l'enthoufiafme
.
( 1 ) Quelques fatisfaifans que foient les
objets que j'ai parcourus , l'homme de goût
n'y eft pas borné : fans prétendre à l'univerfalité
des connoiffances , il fçait étendre
fa fphere , & fes propres reflexions
lui fourniffent toujours les plaifirs les plus
délicats. L'étude des langues eft digne de
fes foins ; il s'y livre , mais le défir d'aggrandir
fon efprit en eft plutôt le motifque,
( k ) Poëfie.
( 1 ) Etabliffement des Langues ,
JUILLET. 1755. 105
l'envie d'orner fa mémoire ; pour lui l'établiſſement
des langues n'eft point le réfultat
de l'affemblage bizarre & fortuit de
fyllabes & de mots : il voit la connexion
intime de l'art de la parole à celui de penfer
, les efforts réunis du métaphyficien
délié , & de l'homme de goût , feuls ont
été capables de concevoir & d'executer un
projet auffi immenſe .
?
Ávec quelle complaifance ne jette- t - il
pas fes regards dans le lointain là il découvre
les peuples de l'univers tyrranifés
par les paffions , féparés par la différence
des religions , divifés par l'intérêt , & réunis
par le goût ; fon difcernement lui fait
appercevoir , il eft vrai , que ce point dans
lequel les nations conviennent n'eſt pas
indivifible ; mais la nature lui en découvre
la caufe ; le petit efpace qu'elle a laiffé
libre en donnant plus de jeu aux inclinations
de chaque peuple , caractériſe leur
génie particulier.
J'ai montré que le beau , le vrai en tout
genre , faifoient impreffion fur l'homme de
goût. Ce n'eft point le tirer de la foule , il
a des prérogatives ; repréfentons - nous les
nous aurons fon caractere diſtinctif. Quoique
la faculté de fentir le vrai , le beau
foit la nourriture de toute ame qui n'eft
point dégénérée , convenons qu'il y a au
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
tant de dégrés dans ce fentiment exquis
que les connoiffeurs diftinguent de tons
différens dans les couleurs. Offrez un tableau
aux yeux d'un homme de bon fens
fans culture , & à ceux d'an efprit mûri &
perfectionné par l'étude ; il eft bean , s'écriront
ils tous deux : l'expreffion eft la
même , l'impreffion ne l'eft pas. Dans le
premier , ce tableau reveille une ame oifive
, qui avoit oublié d'ufer de fes richeffes
; l'objet fenfible renouvelle heureufement
l'idée archetype , gravée dans le
fond de cet être fans qu'il le foupçonnât.
Le défaut de penfer l'empêchoit d'en faire
une féconde application ; la reffemblance
des traits fe fait jour , l'ame fe ranime , &
les perfections de l'original qu'elle ne peut
méconnoître la font juger fainement du
mérite de la copie . D'un oeil pénétrant
mais refpectueux , l'homme de goût leve le
voile qui interdit au refte des mortels , le
fpectacle de Dieu même repréfenté dans
fes ouvrages ; l'habitude de refléchir lui a
acquis le droit ineftimable d'être en fociété
avec la nature & fon auteur. Il faifit
avec rapidité tout ce qui a trait à cet
objet intéreffant ; quoique les objets materiels
l'affectent fenfiblement , cependant
il accorde moins au plaifir d'être émû qu'à
celui de comparer & de réfléchir ; chez
f
JUILLET. 1755. 107
lui le fentiment du beau eft vif , éclairé ,
foutenu , fon jugement eft fain , vrai , irrévocable.
Une exacte perception des rapports
en eft le principe , une profonde connoiffance
de caufe en eft le fondement.
Tels font les titres précieux dont la nature
décore ceux qui , par une reflexion
continue , ont appris à connoître les perfections
de leur auteur dans celles qu'elle:
renferme elle - même. En vain me flatterois-
je que ces confidérations fur la nature
du goût , augmenteront le nombre des
amateurs. Réduire fous les loix d'une faine
philofophie , ce que quelques perfonnes ,
peut- être trop intéreffées , vouloient regarder
comme abandonné à la bizarrerie
des goûts , aux révolutions de la mode
des tems , & à la différente température
des climats , c'étoit mon deffein. J'ai fait
quelques efforts pour remonter aux fources
du beau ; puiffent- ils ne pas paroître
inutiles à celui dont j'ai foutenu les droits.
Cette fuite eft de M. Guiard , de Troyes.
La premiere partie de fon ouvrage a été
imprimée dans le Journal de Verdun ,
mois de Mai 17 5 3 .
MÉTHODES NOUVELLES pour apprendre
à lire aifément & en peu
de tems
même par maniere de jeu & d'amufement ,
E vj
ros MERCURE DE FRANCE.
auffi inftructives pour les Maîtres que
commodes aux peres & meres , & faciles.
aux enfans.
Voilà tous les avantages qu'on peut defirer
, réunis dans le feul titre . On y joint.
les moyens de remédier à plufieurs équivoques
& bizarreries de l'ortographe fran
çoife :c'est encore un nouveau mérite qu'il
n'eft pas aifé d'avoir.
Le nom de l'Auteur eft prefque un chiffre.
C'eft S. Ch . Ch . R. d. N. & d . P. Comme
on ne voit plus d'ouvrage fans épigraphe
, celui- ci a la fienne , qui eft tirée de
Ş. Jerôme , épitre à Læta. Non funt contemnenda
quafi parva , fine quibus magna conftare
non poffunt . Il fe vend chez Lottin , rue
S. Jacques , au Coq. 1755.
Le Libraire avertit qu'on trouvera chez
lui au premier Août prochain différens
alphabets en quinze planches pour fervir
de premieres leçons aux enfans. On y trouvera
auffi le livre que nous annonçons relié
en carton & parchemin pour leur en
faciliter l'acquifition.
JUILLE T. 1759. 109
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
ALGEBRE.
Réfléxions fur la méthode employée par M.
G.... Ecuyer , Officier de Madame la
Dauphine & de la Société littéraire de
Senlis , pour réfoudre le problême qu'il a
propofé dans le Mercure du mois de Mai
dernier. Par M. Bezout , Maître de
Mathématiques.
'Ai avancé & fuffifamment démontré
J'ai curéde Juin dernier , que
les nombres 551 , 431 , 311 étoient les
feuls qui fatisfaifoient à toutes les conditions
du problême , & les raifonnemens.
fur lefquels j'ai appuyé mon affertion ont
pû donner à connoître que la forme indéterminée
que donnoit M. G. à la folution
du problême , ne pouvoit venir
que de ce
qu'il auroit fous- entendu ( par quelque
caufe que ce puiffe être ) l'expreffion de
quelques-unes des conditions du problême..
C'est l'opinion dans laquelle j'ai toujours
été & dans laquelle j'ai été confirmé en
110 MERCURE DE FRANCE.
donnant à u quelques valeurs dans les expreffions
de x , y , z qu'a données M. G.
& en dernier lieu par la lecture de fa méthode.
M. G. après avoir rappellé les 6 , 7 &
8 conditions de fon énoncé , pourſuit en
difant , l'on fera donc pour remplir les 7 &
buitieme conditions cette analogie , & c. 140 :-
61 ::
x + 9
4
:
-
y4 420p 3369.
7
::
4
28
210p - 1059 + 7 ; au moyen de cette ana-
7
logie , il réduit à une feulen les deux indéterminées
p & q , & transforme les valeurs
préparées de x , y , z en celles qu'il
avoit annoncées .
Mais la folution eft - elle achevée ? toutes
les conditions du problême ont - elles été
parcourues & exprimées ? Il me femble
que non ; car je ne vois aucune expreffion
du rapport de la perte faite au premier
pofte à la perte faite au troifieme.
Cependant, dira -t- on , les nombres 551 ,
431 , 311 trouvez par cette méthode
fatisfont à toutes les conditions du problême
? cela eft vrai ; mais c'eft par hazard .
Un nombre qui fatisfait à certaines conditions
demandées a encore la propriété de
fatisfaire à beaucoup d'autres qu'on ne lui
demande pas. D'ailleurs pour fe convaincre
que c'est par hazard qu'ils fatisfont à
JUILLET. 1755. FII
cette derniere condition : on n'a qu'à réfoudre
le problême comme s'il étoit énoncé
fans cette même condition , & alors la
question qui fera effectivement indéterminée
aura pour les nombres les plus fimples
qui rempliffent fes conditions , les
mêmes nombres 551 , 431 , 311.
que Je ne crois pas non plus qu'on dife
le rapport
de la perte faire au premier
pofte à la perte faire au fecond , détermine ,
ces deux chofes ; 1 ° . le rapport de la perte
faite au premier pofte à la perte faite au
troifieme ; 2 °. que la perte faite à ce troifieme
pofte foit le tiers du nombre des
troupes qu'on y avoit envoyées : le problême
dans ce cas feroit à la vérité indéterminé
, & on auroit eu raifon de fousentendre
la derniere condition , parce
qu'elle auroit été renfermée dans la précédente
; mais c'eft ce qu'on ne voit point
& qu'on ne peut voir , car les équations
que fourniffent ces deux conditions , font
très-différentes & ne peuvent être conclues
l'une de l'autre.
Il fait de là 1 ° . qu'abſtraction faite des
nombres , 43 I , 311 , tous les autres
qui font annoncés dans le Mercure de
Mai , doivent manquer à la huitieme condition
, & ils y manquent en effet.
2 °. Qu'abſtraction faite des mêmes
112 MERCURE DE FRANCE.
nombres 51 , & c. tous les autres qu'on
propofe de nouveau , comme trouvés par
la huitieme condition manquent néceffairement
à la feptieme , & ils y manquent
en effet.
Enfin de ce que des deux différentes
manieres qu'on propofe pour trouver x ,
y, z, la premiere en omettant ( ainfi qu'il
paroît ) la huitieme condition ; la feconde
en omettant la feptieme condition , il
en réfulte des valeurs différentes ; on en
doit , ce me femble , conclure que les feptieme
& huitieme conditions font trèsdifférentes
entr'elles ; qu'elles doivent par
conféquent fournir chacune une équation
& déterminer le problême , ainfi que je
l'ai avancé .
Nous donnerons le Mercure prochain
la réponſe de M. G. dans laquelle il a la
noble franchife de convenir qu'il s'eft
trompé , & que fon problême eſt en effet
déterminé comme M. Bezout le prétend .
JUILLET. 11755. 113
HISTOIRE NATURELLE.
Lettre à l'Auteur du Mercure.
ONSIEUR , il eft indifférent de
M quelle façon l'on enrichit la République
des Lettres , foir par des ouvrages
fuivis , foit par des morceaux détachés ,
foit même par des Almanachs , nous avons
toujours obligation à ceux qui cherchent
à nous inftruire ; mais dans quelqu'ouvrage
que ce foit , il faut être vrai : c'eft ce qui
manque dans la lettre de M. l'Abbé Jacquîn
fur les pétrifications d'Albert . *
L'eau du puits du fieur de Calogne eft
effectivement à trente - cinq pieds jufques
à fon niveau , mais la carriere n'en a pas
tant ; elle n'a , comme on l'a dit dans l'al
manach d'Amiens , que vingt à vingt - deux
pieds de profondeur. Il y a de la contradiction
dans ce que dit M. l'Abbé Jacquin.
L'eau du puits eft à trente- cinq pieds , & il
donne quarante-huit à cinquante pieds de
profondeur à la carriere ; or comment auroit-
on pû creufer quinze pieds au - deffous
de l'eau fans en être inondé 2 cepen-
* Premier Mercure de Juin 1755 , pag. 159.
^
114 MERCURE DE FRANCE.
dant toute la carriere eft totalement féche ,
& ce puits la traverſe dans le milieu ; c'eſt
par lui que le fieur de Calogne a monté
les pierres qu'il a tirées.
Il eſt à remarquer que les ponts qui fe
trouvent fur la riviere d'Albert , n'ont pas
à vue d'oeil plus de dix pieds fous voûte ,
& que cette riviere eft pleine de fources.
Les terres font de différentes nuancesbrunes
dans la carriere , ainfi que les pétrifications
, mais il eft vrai qu'elles blan
chiffent à l'air.
Il fembleroit , fuivant M. Jacquin , que
les coquillages qui fe trouvent dans cette
carriere font pétrifiés ; ils ne le font nulleils
font au naturel.
ment ,
M. Jacquin n'a pas bien vifité les marais
; s'il l'avoit fait avec atention , il y
auroit trouvé des fougeres , fur- tout lorf
qu'il y a des arbres , & que le fol eft fablonneux.
Il faut fçavoir exagérer pour donner
foixante pieds à la cafcade ; quand M.
Jacquin reviendra dans fa patrie , qu'il
prenne la peine de retourner fur les lieux
la toife à la main , qu'il prenne fes mefures
perpendiculaires , alors il pourra
donner des dimenfions juftes.
Comme je crois que ces réflexions peuvent
être de quelque utilité pour
les caJUILLET.
1755.
م ا
rieux , je crois auffi devoir vous les envoyer
, Monfieur , pour être inférées dans
votre Mercure du mois prochain.
Je n'ai ici que l'intérêt du vrai , c'eſt
pourquoi il eft inntile de me nommer .
J'ai l'honneur d'être , & c.
A Peronne , ce 15 Juin 1753.
MEDECINE.
Lettre de M. Dequen , Docteur en Médecine
, de la Faculté de Montpellier , à un
Médecin de fes amis , fur un accident arrivé
dans le cuvage de M. le Comte de la
Queuille , Brigadier des armées du Roi ,
Colonel du Régiment de Nice , au château
de Chateaugay , près de Riom en Auvergne.
A
le
Vez -vous entendu parler , Monfieur
, d'un accident arrivé chez M.
le Comte de la Queuille , à Chateaugay ,
24 du mois d'Avril dernier ? il n'eft pas ,
on peut le dire , abfolument nouveau ;
mais il me paroît accompagné de circonftances
affez frappantes pour mériter peutêtre
un peu de votre attention.
On avoit achevé de vuider le matin une
116 MERCURE DE FRANCE.
cuve où l'on avoit confervé pendant l'hiver
fix à fept cens pots de vin de notre
mefure , qui , comme vous le fçavez , à
quinze pintes le pot , font un objet de
neuf à dix mille pintes de Paris.
Environ trois quarts d'heure après
l'avoir découverte , le fommelier de la
maiſon , nommé Joli , eut l'imprudence
de commander à un jeune domeſtique de
feize à dix-fept ans d'y entrer avec un balai
pour la nettoyer & en faire fortir la
lie . Cet enfant lui repréfenta le danger
auquel il vouloit l'expofer , & qu'il devoit
d'autant plus connoître que peu de
jours avant il étoit forti lui-même à la
hâte & à demi- mort d'une cuve pareille ,
quoique découverte depuis fept à huit
jours. Joli s'obftina , on ne fçait pas trop
pourquoi , & le petit domeftique effrayé
de fes menaces eut le malheur de lui obéir ;
mais à peine fut-il defcendu dans la cuve
qu'il tomba roide , fans connoiffance &
fans mouvement. Joli ne l'entendant pas
travailler ni repondre aux commandemens
réiterés qu'il lui en faifoit , vit bien alors ,
mais trop tard , les fuites de fon impru→
dence ; il faute dans la cuve pour le fecourir
, en criant à un marmiton qui fe trouvoit
auffi dans le cuvage , de lui faire ve
nir du fecours . Il fe baiffe pour relever
JUILLET. 1755. 117
l'enfant qui fe mouroit , & tombe dans le
même érar que lui.
Le marmiton court au château , il trouve
dans la cuiſine un payfan , un des Gardes
chaffe , le Cuifinier & un laquais ; it
leur apprend l'embarras de Joli. On vole
à fon fecours. L'allarme fe répand dans le
château : Maîtres , Domèstiques , tout le
monde s'empreffe de gagner le cuvage. Le
payfan qui étoit un jeune homme de vingtdeux
ans , fort & vigoureux , arrive , &
defcendde premier dans cette cuve funefte ,
il veut encore fe baiffer pour relever ces
deux perfonnes qu'il voyoit fans mouvement
& dans l'inftant , comme s'il eût
été frappé de la foudre , il tombe lui-même
immobile , & pour ainfi dire mort : "Le
Garde-chaffe qui venoit après lui fuit fon
exemple , & fubit le même fort.
3
Le Cuifinier qui defcendoit le troifie
me , voyant ce trifte fpectacle , & fe fentant
tout-à- coup étouffer par les vapeurs
qui s'élevoient , remonte au plus vîte au
haut de la cuve , il arrête le laquais qui
avoit déja une partie du corps dedans , &
tous deux hors d'état de fecourir les mousans
, bornerent leurs foins à empêcher de
défcendre ceux qui les fuivoient ; mais le
zéle de tous ces domeftiques pour fauver
la vie à leurs camarades étoit fi grand ,
118 MERCURE DE FRANCE.
qu'ils voyoient à peine un danger: aufil
effrayant. Un paltrenier fe jette dans la
cuve , & fe trouve pris auffi tôt ; mais
comme le haut en étoit déja bordé de
beaucoup de monde , il fut affez heureux
pour qu'on le faifit aux cheveux dans le
moment qu'il alloit tomber , & qu'on le
retira évanoui . Il en fut de même d'un
poftillon , à qui on paffa une corde fous
les bras dans le tems qu'il defcendoit , &
qu'on arracha à la mort par ce moyen ; ils
revinrent l'un & l'autre dès qu'ils furent
expofés à l'air extérieur.
Dans le trouble où l'on étoit , ne voyant
aucune reſſource pour retirer ces quatre
hommes de la cuve , on prit le parti de la
rompre; mais comme les cercles en étoient
très -forts, garnis de bandes de fer , & que
les douves en étoient unies par des chevilles
, l'opération fut longue , & ces malheureux
étoient morts , lorfqu'on fut à
portée de leur donner du fecours .
1. Cependant on avoit envoyé chercher
un Chirurgien au bourg le plus près . Dès
qu'il fut arrivé , on effaya de les faigner ;
il ne fortit de fang qu'une ou deux gouttes
de l'ouverture qui fut faite au plus
jeune , qui le premier étoit entré dans la
cuve . Les autres n'en donnerent pas . On
leur jetta de l'eau au vifage ; on leur mit
JUILLET. 119 1755 .
des eaux fpiritueufes dans la bouche &
dans le nez . Tous ces foins furent inutiles.
Il ne parut aucun figne de vie.
Il eft conftant , Monfieur , qu'on ne peut
attribuer la caufe de ces morts , qu'aux
vapeurs ou efprits ardens du vin qui s'étoient
ramaffés dans cette cuve , & qui
continuoient de s'exhaler de la lie qui y
reftoit. On ne peut pas en reconnoître.
d'autre. Le vin étoit très- naturel & fort
bon. Il avoit été vendu en détail à des
marchands de nos montagnes , qui en
avoient débité déja la plus grande partie
dans leurs cabarets , fans que perſonne ſe
fut plaint d'en avoir reçu la moindre incommodité.
J'aurois bien fouhaité avoir
été averti à tems pour voir par l'ouverture
de ces cadavres les effets que ces efprits
pénétrans avoient produits fur les différentes
parties qui en avoient fouffert l'im
preffion. M. le Comte de la Queuille qui
me fit appeller deux jours après pour voir
Madame la Comteffe fon époufe , que la
frayeur & la douleur de cet événement
avoient fort incommodée , me dit avoir
été faché de ne me l'avoir pas
mandé plutôt
; mais qu'il n'y avoit penfé qu'après
l'enterrement .
Je fus donc forcé de me borner à interroger
ceux qui avoient manqué à être
120 MERCURE DE FRANCE.
3
enveloppés dans ce malheur. Le palfrenier
& le poftillon ne me donnerent pas de
grands éclairciffemens. La maniere prompte
dont ils avoient été pénétrés de la vapeur
, la connoiffance qu'ils avoient perdu
à l'inftant , ne leur avoient pas laiffé le
tems de s'appercevoir de ce qui avoit produit
leur évanouiffement. Le Cuifinier qui
n'avoit reçu cette vapeur qu'à demi , & qui
s'étoit toujours reconnu , fut plus en état
de me rendre compte de ce qu'il en avoit
reffenti. Il me dit qu'elle lui étoit montée
au nez avec tant de force , qu'il en avoit
été fubitement étourdi , & qu'il avoit en
même-tems & par la même caufe , fenti
que la refpiration lui manquoit.
Je m'informai auffi de l'état de ces malheureux
après qu'on les eût retirés de la
cuve ; ils étoient femblables en tout à
ceux qui font morts fuffoqués. Une Demoiſelle
qui avoit travaillé à leur donner
du fecours , m'en dit une feule particularité
qui l'avoit frappée : c'eft qu'en leur
ouvrant la bouche pour y introduire des
eaux fpiritueuſes , elle avoit trouvé leurs
gencives , leurs dents , leur palais & leur
langue , blancs , deffechés & comme à demi-
cuits. J'en conclus que ces vapeurs
volatiles & pénétrantes ont produit deux
principaux effets , que je regarde comme
la
JUILLE T. 1755. 1-21
la caufe de la mort prefque fubite de ces
quatre hommes , 1 ° . qu'entraînées par l'air
avec abondance & rapidité dans la cavité
du nez & des finus qui y aboutiffent , elles
ont fecoué & picotté vivement les petites
pointes nerveufes de la membrane pituitaire
faciles à ébranler. Cette irritation
communiquée au cerveau a produit dans
tous les nerfs une contraction fpafmodique
, une conftriction qui a intercepté
dans l'inftant l'écoulement des efprits animaux
vers les organes des fens & vers les
mufcles ; ce qui a donné lieu à la privation
fubite des fenfations & des mouvemens.
2 °. Qu'entraînées pareillement au tems
de l'inſpiration dans la trachée artere &
dans les poulmons , elles les ont crepés ,
defféchés & comme cuits , ainfi qu'on l'a
obfervé aux gencives , au palais & à la
langue ; ce qui a rendu les véficules d'autant
plus incapables d'être dilatées , & de
céder à l'impulſion de l'air , que ce fluide
toujours extrêmement chargé de ces vapeurs
, & conféquemment peu élastique ,
au lieu de vaincre cette réfiftance ne faifoit
que l'augmenter de plus en plus par
l'irritation continuelle des efprits qu'il y
portoit fans ceffe de forte que la refpiration
bientôt fuffoquée a produit néceffairement
une ceffation totale de la circula
F
122 MERCURE DE FRANCE.
1
tion du fang , qui dans quelques minutes
a fait périr ces malheureux.
Ce que j'avance ſe trouve confirmé
par
le prompt rétabliſſement du palfernier &
du poftillon , qui ont eu le bonheur d'étre
retirés de la cuve avant que les poulmons
euffent été confidérablement affectés. Affez
élaftique pour en vaincre la réſiſtance , l'air
extérieur a rétabli la refpiration , & rendu
à la circulation fa liberté naturelle . Le
poſtillon a feulement confervé pendant
quelques jours un affoibliffement , effet
fenfible des violentes fecouffes que les
nerfs avoient fouffertes.
Il n'eft pas nouveau , comme je l'ai annoncé
, Monfieur , de voir périr des gens
dans de grandes cuves en foulant_une
vendange qui fermente . Enivrés & étourdis
par les efprits que la fermentation évapore
, ils tombent dans le vin , & périffent
bientôt noyés s'ils ne font pas fecourus à
tems ; mais dans ce cas- ci il paroît finguhier
de les voir périr prefque fubitement
dans une cuve vuide , où il y avoit à peine
deux ou trois lignes de lie répandue fur le
fond , dans une cuve découverte depuis
plus de trois quarts-d'heure ; de voir enfin
arriver cet accident au mois d'avril , dans
un tems où la fermentation n'eft plus fenfible.
On peut cependant rendre raifon
de ces effets furprenans.
JUILLET. 1755. 123
1º. On fera moins étonné de la promptitude
de la mort de ces quatre hommes ,
fi l'on fait attention qu'ils fe font tous
baiffés ; le petit domeftique pour balayer
& faire fortir la lie , & lestrois autres fucceffivement
pour releyer ceux qui étoient
tombés avant eux ; qu'en inclinant ainfi
la face vers le fond de la cuve & en s'enfonçant
dans le plus épais de la vapeur
ils l'ont humée directement avec la plus
grande abondance , & le font exposés à fa
plus vive impreffion ; au lieu que le Cuifinier
qui n'y eft pas entièrement defcendu
& qui eft demeuré debout , n'en a reçu
qu'une petite portion , qui n'ayant agi que
foiblement lui a laiffé le tems de
gagner
le haut de la cuve , & de retourner à l'air
pur.
2º. On trouve dans la configuration &
dans la fituation de cette cuve la raifon du
fecond effet ; c'est-à-dire comment les vapeurs
avoient pu s'y ramaffer en une auffi
grande quantité dès qu'il n'y avoit pas de
vin , & y demeurer renfermées malgré la
communication qui depuis trois quartsd'heure
étoit ouverte avec l'air extérieur.
C'étoit une grande cuve , d'environ neuf
pieds de profondeur , dont la circonférence
ne répondoit pas à la hauteur , faite en
forme de cône coupé , qui avoit fon fond
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
à la bafe & l'ouverture au fommet , dont
l'ouverture enfin étoit peu éloignée du toît
du cuvage : A quoi on peur ajouter que le
vin n'en ayant pas été tiré tout d'un trait
mais à repriſes , les efprits qui s'exhaloient
fans ceffe de celui qui y reftoit , au lieu
de s'attacher à la couverture de la cuve ,
comme il feroit arrivé fi elle avoit continué
d'être pleine , ferépandoient & demeuroient
fufpendus dans l'air qui prenoit
à chaque fois la place du vin tiré ; deforte
que la Cuve s'eft trouvée remplie par
dégrés d'un air extrêmement chargé de
ces vapeurs , dont les plus baffes n'ont pas
pu fe difliper , foit a caufe de la profondeur
de la cuve , foit à caufe de fa figure
conique & de la moindre étendue de fon
ouverture , foit enfin à caufe de la proximité
du toît.
ter ,
3. Les raifons que je viens de rapporfont
affez voir comment l'évaporation
ordinaire qui fe fait du vin , a pu , fans le
fecours de la fermentation , fournir beaucoup
de
vapeurs dans cette cuve . Il faut
obferver de plus que la chaleur printaniere
qui ranime & fait monter la féve dans les
plantes , excite dans le vin une feconde
fermentation , qui , quoique moins fenfible
que la premiere , ne laiffe pás d'être
confidérable. Les vins blancs fpiritueux ,
JUILLE T. 1755. 123
tels que ceux de Champagne , mis en
bouteilles au mois de Mars & d'Avtil les
caffent , font partir les bouchons , & s'élancent
en mouffe par l'ouverture. Ils font
tranquilles au contraire , & ne produifent
aucun de ces effets violens fi on les y met
dans d'autres faifons : Or c'eft précisément
fur la fin de Mars & dans le courant d'Avril
que cette cuve avoit été vuidée , c'eftà-
dire au tems de cette feconde fermentation
, & elle a dû être très- grande dans
une auffi grande quantité de vin , parce
que les chaleurs ont été très- vives pendant
tout ce tems dans cette province , &
que cette cuve étoit placée à côté d'une
porte expofée au plein midi ; il n'eft donc
pas furprenant qu'il s'y foit fait une grande
évaporation d'efprits.
Il me femble qu'on peut comparer cette
cave à une efpece de méphitis. La feule
différence que j'y vois , c'eft que là ce font
des vapeurs minérales , fulphureufes ou
falines , & qu'ici ce font des foufres végétaux
, exaltés & volatifés par la fermentation.
Je trouve une certaine affinité entre
fes effets & ceux de la fameuse Mofère de
la Grotte du Chien , près du lac Agnano
dans le royaume de Naples. Les hommes
plongés dans la vapeur de la cuve , comme
les animaux plongés dans celle de la
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
grotte font tombés fubitement évanouis ,
& font morts bientôt dès qu'il n'a pas été
poffible de les en retirer affez vâte. Ceux
qui ont eu le bonheur d'être remis promp
tement à l'air extérieur , font revenus de
même fans aucune fuite fâcheufe ; & fi les
hommes font tombés fans mouvement dès
l'inftant qu'ils fe font baiffés dans la cuve ,
au lieu que les animaux dans la vapeur de
la grotte s'agitent quelque tems par des
mouvemens convulfifs , cela vient fans
doute de ce que cette vapeur plus groffiere
& moins pénétrante que les efprits ardens
du vin , ne porte pas au nez , & n'affecte
pas le genre nerveux , de à de maniere à y caufer
cette conftriction fubite , qui a intercepté
le cours de ces efprits .
Dans l'impoffibilité où l'on étoit de re
tirer affez vite ces malheureux de la vapeur
, y auroit-il eu quelque moyen de
les empêcher de périr ? Je crois qu'en arrofant
le dedans de la cuve de beaucoup
d'eau , on y auroit peut- être réuffi . D'un
côté les gouttes de ce fluide en fe précipitant
, auroient précipité avec elles les efprits
répandus dans l'air , & lui auroient
rendu fa pureté & ſon reffort ; & de l'autre
celles qui feroient tombées fur le corps
de ces mourans , auroient pu en rappellant
la force fiftaltique des vaiffeaux , ranimer
JUILLET. 1755 . 127
la circulation qui s'éteignoit . L'expérience
apprend que les animaux à demi - fuffoqués
dans la grotte du Chien reprennent
beaucoup plus vite leurs efprits , fi on les
plonge dans l'eau du lac Agnano ; mais
il auroit fallu employer ce moyen à tems :
ce qui auroit été difficile dans ce cas , à
caufe de l'éloignement qui fe trouve du
cuvage à la fontaine.
Enfin , Monfieur , fi cet accident eft
pour ceux qui font dans le cas de faire
vuider de pareilles cuves , un avertiffement
de ne point y expofer perfonne fans
avoir donné à la vapeur le tems de fe diffiper
, ou du moins fans l'avoir précipitée
avec de l'eau , il n'en préfente pas un moins
important pour ceux qui font un ufage immodéré
du vin & des liqueurs ardentes ;
car fi ces efprits appliqués au- dehors ont
produit des effets auffi prompts & auffi
funeftes , combien ne doivent - ils pas en
produire de fâcheux , lorfque pris intérieurement
avec excès , & circulant dans la
maſſe des humeurs ils fe portent au cerveau
, & agiffent immédiatement fur les
fibres médullaires & nerveufes ?
J'ai l'honeur d'être , & c.
A Riom en Auvergne , le 15 Mai 1755 .
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
M
Lettre à l'Auteur du Mercure.
ONSIEUR , j'ai toujours eu des doutes
obftinés , fur la poffibilité où nous
fommes , de reconnoître infailliblement
par l'ouverture des cadavres , les caufes
éloignées & immédiates des maladies du
corps humain. M. l'Abbé Raynal votre prédéceffeur
, affure néanmoins dans le Mercure
de Septembre 1751 , pages 149 & fuivantes
, " que les avantages qui résultent
» de l'ouverture des cadavres , foumettent
» alors à l'examen des fens , la cauſe même
» qui avoit produit la maladie , &c » .
C'eft à l'occafion des obfervations Anatomiques
tirées de l'ouverture d'un grand
nombre de cadavres , propres à découvrir
les caufes des maladies , & leurs remedes ,
par M. Barrere , médecin à Perpignan , & c.
que M. l'Abbé Raynal , nous donne ce
moyen prefque comme certain de nous
inftruire fur cette matiere. J'ai parcouru
avec des yeux avides , & j'ai lu enfuite
avec toute l'application poffible le Livre en
queſtion , Edition de 1753 , mais je n'y ai
point trouvé ce que l'Auteur & M. l'Abbé
Raynal promettent. Si on nous eut promis
de nous montrer par l'ouverture des cadavres
les cauſes certaines de la mort , au lieu
JUILLET . 1755 129
de
de celles des maladies , on y auroit infiniment
mieux réuffi . En effet , Monfieur ,
qu'apperçoit-on dans la tête d'un homme
mort d'une fievre maligne , d'une phrénéfie
, d'une apoplexie & dans les maladies
caufées par de fortes paffions de l'ame.
Comme dans les fix premieres obfervations
de l'Auteur , on trouvera les vaiffeaux de
la dure-mere & ceux du cerveau , farcis &
gorgés d'un fang épais & noirâtre , quelque
épanchement de férofités dans l'un ou
l'autre des ventricules , des
grumeaux
fang caillé dans les finus , qu'on prend pour
des concrétions polipeufes ; il eft aifé de
fentir que ces accidens font plûtôt l'effet de
la maladie , que fa caufe , & que ces
mêmes effets font évidemment celle de la
mort. Un empiéme , des dépôts particuliers
dans le poulmon , & les ulcères qu'on
trouve dans l'ouverture des cadavres de
ceux qui font morts d'une de ces maladies
de poitrine , n'annoncent pas la caufe qui
a produit ces défordres , mais feulement
leurs effets , en faifant fuccomber le malade
à la force de ces accidens , lorfque la capacité
de la poitrine a éré remplie par un
épanchement , qui a fuffoqué le malade ,
ou que fon poulmon a été fondu en partie ,
par d'abondantes fupurations , &c. Voilà
donc encore des caufes de mort , & non de
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
maladies. Les eaux épanchées dans le ventre
d'un hydropique , font- elles la caufe de
l'hydropifie ; un abcès au foye fe produitil
de lui-même , pour caufer les accidens
qui font périr le malade , non fans doute ;
& quoiqu'on fçache en général que cet
abcès eft la fuite de quelque inflammation
locale ou générale de ce vifcère , on n'eſt
pas plus inftruit , fut ce qui a donné lieu à
cette inflammation , pour être en état de
F'attaquer dans fon principe , & de lá prévenir
même afin d'éviter de bonne heure
les fuites funeftes qu'elle peut avoir.
En attendant , Monfieur , le grand ou .
vrage que Monfieur Barrere doit publier
& dont celui qu'il a donné n'eft que l'ef
quiffe , je perfifte toujoujours dans mes
doutes fur l'infuffifance de l'ouverture des
cadavres pour découvrir la caufe des maladies.
Je fouhaite ardemment qu'il réuffiffe ,
mais ce ne fera aſſurément pas comme il a
déja fait , en prenant les effets d'une maladie
pour fa cauſe.
Je vous prie , Monfieur , d'inférer la
préfente dans un de vos Mercures , non
dans la vûe de diminuer en rien le mérité
de l'ouvrage de M. Barrere , mais feulement
pour convaincre de plus en plus lè
public , qu'il eft des caufes infenfibles de
maladies , que toute la fagacité de l'efprit
JUILLET. 1755. 131
& que
humain , ne fçauroit appercevoir ,
dans bien des cas , l'Aphorifme d'Hippocrate
, fublatâ caufâ tollitur effectus , eſt d'une
exécution impoffible.
J'ai l'honneur d'être , & c.
A Toulouse , ce 25 Avril 1755 .
CHIRURGIE.
Lettre écrite à M.M · ...
Profeffeur en
Chirurgie , par M. Boucher , Capitaine
d'Infanterie.
Centrerent , c'eft un militare qui va
'Eft un époux , Monfieur , qui va vous
vous écrire ; c'eft affez vous en dire pour
mériter votre indulgence. Ce préambule
vous feroit inutile fi j'étois initié dans l'art
de la Chirurgie. Ecrivant à un maître tel
que vous , je n'aurois befoin que de m'énoncer
, vous m'entendriez clairement ;
mais il s'agît de vous parler une langue qui
m'eft étrangere , & de vous donner à deviner
le plus aifement que je pourrai. Ce
fera donc , Monfieur , l'amour conjugal
qui fera mon interprête ; c'eft lui qui m'en
gage aujourd'hui à vous rendre compte
d'une maladie que j'ai d'autant mieux étu
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
diée qu'elle m'a tant effrayé pour les jours
de ma chere femme.
:
Vous ne me remettez peut - être plus ,
Monfieur , & par conféquent il eft néceffaire
de vous dire qui je fuis. Mon nom
n'eft pas fuffifant pour vous remettre fur
la voie il faut vous dire qu'au mois de
Décembre dernier je vous invitai chez
moi , rue Poifforniere , avec M. M ....
Chirurgien major de l'Hôtel - Dieu , pour
vous confulter fur la maladie dont ma
femme étoit attaquée depuis treize ans.
Cette maladie , Monfieur , étoit la plus
terrible fiftule qu'on ait jamais eue Ma femme
eft créole , de l'ifle de Bourbon , & elle
attribue cette maladie à une chûte qu'elle
fit quelques années avant que je l'époufalfe
, d'une terraffe de vingt pieds de haut
le moins. Cette chûte ne lui caufa
que quelques douleurs & meurtriffures
qui fe diffiperent en peu de tems , par lesfecours
qu'on lui donna. Elle n'eût aucun
fymptome de fiftule , mais un an après notre
mariage elle mit au monde un fils ,
foit effer de la groffeffe ou de la couche ,
elle commença à fentir des douleurs à l'anus
, qui cefferent néanmoins lorfqu'elle
fut rélevée & rétablie de cette premiere
couche. Elle fut environ trois ans fans depour
venir enceinte , pendant lequel tems elle
JUILLET. 1755. 133
ne fentit aucune douleur ; mais l'étant
devenue , fur le neuvieme mois de fa grof
feffe il fe forma en neuf jours un dépot
fi confidérable qu'elle fouffrit nuit & jour
toutes les douleurs qu'un panari violent
peut occafionner . Les Chirurgiens de l'ifle
peu au fait de leur métier , encore moins
de ces fortes de maladies , ne regarderent
ce dépôt que comme un abcès . Lorfque la
matiere fut bien formée la tumeur perça
d'elle-même , & vuida une quantité prodigieufe
de pûs. Cette évacuation foulagea
fubitement & totalement la malade
qui accoucha le lendemain d'une fille qui fe
porte très bien aujourd'hui . Nos Docteurs
laifferent fermer le fac de lui-même , &
fans doute le loup fut enfermé dans la bergerie
, puifqu'à une troifieme grofieffe
l'abcès reparur. Pour lors d'autres Chirurgiens
de vaiffeaux qui fe trouverent là ,
martyriferent la malade à grands coups de
biftouris , & s'efforcerent de cueillir un
fruitqquuiin'étoit pas mûr , & qu'ils ne con,
noiffoient fans doute pas ; cependant elle
accoucha d'un garçon bien à terme , mais
mort par une peur qu'un incendie avoit
caufée à la mere chez elle . L'abcès diſparut
donc encore , & tant que ma femme ne
devenoit pas groffe elle ne fe fentoit de
rien. A la quatrieme groffeffe l'abcès re134
MERCURE DE FRANCE.
commença , à la cinquieme de même ; &
enfin à la fixieme qui eft arrivée l'année
derniere , il fe forma fur le dernier mois.
Mon épouſe fouffrit beaucoup , le Chirurgien
du logis qui avoit foin d'elle depuis
fon arrivée en Europe , me confia que cet
abcès étoit fiftuleux , pour lors je lui rapportai
tout ce que je viens d'avoir l'honneur
de vous dire , & il la panſa en conféquence.
Elle étoit trop avancée dans fa
groffeffe pour entreprendre la guérifon
d'une pareille maladie ; mais loin de la
traiter comme on avoit fait aux Indes , au
contraire il eut grand foin de conferver
cet abcès ouvert , & de donner iffue à la
matiere qu'il fourniffoit journellement ;
il la panfoit deux fois par jour , & au terme
de neufmois elle accoucha d'une fille pleine
de fanté , & cela fans accident. Le
Chirurgien de la maifon continua à la
panfer exactement pendant deux mois depuis
fa couche , après lequel tems il me
confeilla lui-même de vous appeller au fecours
, me déclarant que la maladie étoit
une fiftule.
Voici , Monfieur , où la grande hiſtoire
commence . Vous eûres la bonté de vous,
rendre chez moi avec M. M..... mon
Chirurgien y étoit , & on vous rendit
compte de tout ce que je viens de vous
JUILLET. 1755. 135
répéter. La malade étoit bien prévenue
qu'elle avoit une fiftule , mais elle n'étoit
point portée pour l'opération , parce que
quelques perfonnes lui avoient confeillé
les cauftiques. Vous fondâtes vous-même
le mal , & fuivant votre avis , ainfi que.
celui de M. M. . . . vous jugeâtes que
c'étoit une fiftule borgne ; même , me
dires-vous alors , fans clapier & fans que
l'inteftin fût offenfé , car vous fuppofiez
encore une grande diſtance entre le vice &
l'inteftin. Eh bien , Monfieur , l'événement
a fait voir le contraire , & je m'en fuis
convaincu par ce que j'ai vû . Mais fuivez
moi , s'il vous plaît : vous jugeates donc
la fiftule borgne ordinaire , en un mot
point confidérable ; je vous demandai ce
qu'il y avoit à faire , vous me fites l'honneur
de me dire qu'il falloit faire l'opération
, que cela feroit peu de chofe , & que
ma femme n'avoit aucun rifque à courir ;
je vous dis que la malade ne s'y réfoudroit
jamais , & qu'elle préféreroit de fe faire
guérir par les cauftiques. M. Braffant
me dites vous fur le champ , peut la
guérir ; mais je fuis furpris qu'on préfere
des fouffrances de cinq à fix mois à
une minute & demie. Cependant , continuates-
vous , je vous confeille de commencer
par lui guérir l'efprit. Elle préfere cè
>
136 MERCURE DE FRANCE.
•
remede , il faut le lui donner. Il détruit
par le feu ce que le nôtre détruit par le fer.
Ho! nous y voilà , Monfieur. Riez tant
qu'il vous plaira de mon extravagance ;
mais je ne veux point difputer avec vous.
Je prétens vous prouver que les événemens
dont je vous ai parlé , font feuls
capables de faire connoître les maladies.
De plus , je prétends vous démontrer que
la méthode des cauftiques eft préférable à
l'opération , fur-tout à de pareilles fiftulles.
Je vous vois déja me railler & me tourner
en ridicule : n'importe , je me hazarde , &
m'encourage ; c'eft que ma femme eft guérie.
Je commence.
La fiſtulle , Monfieur , me paroît à préfent
un terrier de lapin , lequel dans l'intérieur
forme la figure de ziczac. Si je pouffe
un bâton par fon ouverture , il arrive que
je trouve bientôt une réſiſtance , mais ce
n'eft pas le fond du terrier ; & quand j'emporterois
toute la furface , jufqu'à la profondeur
qui en a procuré la réfiftance au
bâton , je n'aurois pas encore découvert le
fond de mon gîte. Or la fonde me paroît de
même dans une fiftulle à un pouce , deux
pouces , & plus , fi vous voulez ; elle peut
fentir un arrêt qui paroît être le fond , mais
fouvent ce n'est que l'endroit où le finus
prend un détour, & qui s'étend encore à une
JUILLET. 1755 . 137
··
certaine profondeur , où il en prend encore
une autre. Comment la fonde peut - elle
nous dire tout cela ? Non , il est donc impoffible
de juger d'une fiftulle par la fonde
, & pour voir ce qu'il y a dans un vafe ,
il faut le découvrir. Je fçais qu'avec l'inf
trument on emporte plus que moins , &
qu'enfuite les cifeaux fuppléent au befoin ,
mais le fang accable & peut fort bien empêcher
de voir un malin finus qui pourſuit
fa route bien au-delà de ce qu'on s'imaginoit
; néanmoins l'opération guérit radicalement
la fiftulle , je le fçais , j'en conviens
; mais jamais elle n'eût guéri celle
de ma femme , puifque l'inftrument n'auroit
pû aller à la profondeur , & qu'encore
une fois on ne la croyoit pas confiderable .
Je fuis moralement sûr qu'elle eût été manquée
, elle n'auroit pas été la premiere ;
mais en outre quel rifque n'eut - elle point
couru ? les fouffrances des panfemens , les
douleurs de la garderobe , les rifques du
dévoiement , d'une fiévre , d'une hémoragie,
en un mot , un nombre de jours dans
un lit à fouffrir & à vivre fans manger.
Or par la méthode de M. Braffant avec fon
cauftique , il eft impoffible qu'il manque
une fiftulle , lorsqu'il la traitera lui- même,
& fon malade ne court aucun des rifques
que je viens de dire ; il eft vrai qu'on
138 MERCURE DE FRANCE.
fouffre le martyre. On dit qu'il en a guéri
& qu'il en a manqué : je foutiens qu'il n'en
a manqué aucun , à moins que ce foit des
gens aufquels les douleurs ont fait abandonner
le remede ; mais quand on voudra
les fouffrir , on eft sûr de la guérifon . Il
n'y a peut-être jamais eu perfonne que ma
femme qui ait fouffert une quantité fi prodigieufe
de cauftiques, puifqu'elle en a eu 33 ;
mais fi elle avoit abandonné au trentieme ,
sûrement elle n'eût point été guérie. J'appellai
donc M. Braffant le lendemain de votre
vifire. Je ne lui parlai point de la confultation
qui avoit été faite la veille , je lui
dis fimplement que ma femme étoit attaquée
d'une fiftulle depuis 13 ans . Je lui fis
le détail de cette maladie tel que j'avois
eu l'honneur de vous le faire , & j'ajoûtai
que la malade ayant oui parler de fa méthode
la préféroit à l'opération . Il vit fon
mal & le confidera long - tems ; il tâta les
environs , & jugea que la fiftulle étoit confidérable
, affurant que l'inteftin étoit offenfé
; mais qu'il étoit sûr de la guérifon
radicale , fi la malade vouloit avoir de la
confiance & du courage , parce que fon
remede étoit violent : ma femme s'y livra
toute entiere , fur-tout efpérant de pouvoir
guérir fans opération . Elle lui demanda le
régime qu'elle avoit à fuivre ; mais quelle
JUILLET. 1755. 139
fut fa joye & ſa ſurpriſe lorfque M. Braifant
lui dit qu'elle n'avoit qu'à vivre à fon
ordinaire & conferver fon apétit.
Avouez , Monfieur , que voilà un régime
bien doux & bien différent de celui que
l'oppération exige. La malade avoit été
préparée , & deux mois s'étoient écoulés
depuis fa couche , ce qui fit que M. Braffant
la commença le lendemain 10 Décembre
1754. Il lui appliqua le premier cauftique
à 9 heures du matin , qui fit l'effet
qu'il en attendoit. La malade fouffrit la
douleur que ce remede lui caufa avec un
courage héroïque ; elle fouffroit , mais elle
difoit elle-même que c'étoit fupportable.
M. Braffant vint la voir le foir , & il fut
furpris de trouver une femme fi courageufe.
Le lendemain matin il vint la panſer ,
les cauftiques avoient brûlé une quantité
de chairs qui commençoient à former un
efcard , ils avoient occafionné un gonflement
confidérable dans toutes les parties
fpongieufes & vicieuſes . Le troifieme jour
cet efcard tomba & occafionna une ouverture
affez confidérable , procura la facilité
à M. Braffant de voir différens finus renfermés
dans cette partie ; il les atraqua les
uns après les autres par fes cauftiques , &
plus il en détruifoit , plus l'ouverture s'agrandiffoit
& la profondeur paroiffoit,
140 MERCURE DE FRANCE.
Après que la malade eut fupporté dix aà
douze cauftiques , pour lors M. Braffant vit
clairement toute l'étendue du mal ; il s'ap
perçut que l'inteftin étoit percé , qu'un
finus fe pourfuivoit droit au gros boyau ;
il tint toujours ce finus découvert , & s'attachant
à détruire toutes les parties qui
l'environnoient & qui étoient offenſées ; il
y parvint par la fuite , & c'eft ce qui prolongea
la guérifon pour lors , il ne luf
refta plus que le finus principal , ou le fond
du fac qu'il attaqua avec tant de fuccès ,
que le 30 Avril il vit tout le vice détruit ,
& parvint à une guérifon radicale & certaine.
Voilà , Monfieur , tout le détail que
mon affiduité aux panfemens me permet
de vous faire ; mais vous ne pouvez vous
imaginer l'étendue de ce mal , & je crois
fermement que l'opération ne l'eût point
guéri , d'autant mieux qu'on ne jugeoit
point cette fiftulle fi confidérable. Remarquez
que par la méthode de M. Braffant
il n'y a point de fiévre à craindre , point
de dévoiement à appréhender , point de
régime à garder & point de douleurs en
allant à la garderobbe , en un mot point
de danger à courir pour le malade rout
cela , Monfieur , ne me feroit point balancer
à préferer cette méthode à l'opération
d'autant mieux encore qu'il eft impoffible
>
JUILLET. 1755 141
qu'on laiffe la moindre chofe par cette fa-
Con de traiter une fiftulle .
Il me reste encore à vous parler d'un
article auquel peu de Chirurgiens ajoûtent
foi , c'eft fur l'efpéce de cauftique dont
M. Braffant fe fert. Je crois réellement que
ce cauftique eft à lui feul & à fon fils , &
je ferois porté à croire qu'un autre que lui
qui voudroit traiter la fiftulle par ces cauftiques
y échoueroit , n'ayant ni la pratique
, ni de cauſtique de M. Braffant : ne
feroit-ce pas cela qui auroit donné lieu de
croire au public que fi M. Braffant en a
guéri , il en a auffi manqué? Cela fe pourroit
bien , Monfieur , & j'en ferois convaincu
, fi quelqu'un me difoit avoir été
manqué par M. Braffant , pere ou fils.
Je fuis fâché , Monfieur , de vous avoir
distrait & peut-être ennuyé par mon verbiage
; mais paffez-le moi en faveur de la
joye que me caufe la guériſon de ma femme
, & de la part que vous avez bien vou
lu prendre à fa maladie.
J'ai l'honneur d'être , & c.
BOUCHER.
Paris , ce 2 Mai 1755 .
142 MERCURE DE FRANCE .
MECHANIQUE.
Machines nouvelles à curer les porte
& les rivieres.
LEGieur Theveu, architecte , connu par pluhieurs
machines propres à approfondir & à
curer le lit des rivieres , & faciliter l'entrée des navires
dans les ports , en a exécuté une qu'il a employée
avec un grand fuccès à curer le port de
Rouen , qu'il a recreufé de plus de fept pieds de
profondeur ; la machine agiffant à dix-neuf pieds
au-deffous de la furface de l'eau ,
Malgré la dureté du terrein elle en enlevoit par
jour dix-huit à vingt toifes cubes. Avec le fecours
de la même machine , il a arraché & enlevé plus
de trois cens pieux de douze à quinze pieds de fiche,
élevés feulement de fix pouces au- deffus du terrein,
& enfoncés à dix -fept pieds au- deffous de la fuperficie
des eaux .
' L'auteur s'eft fervi d'une autre machine , auffi
de fa compofition , examinée & approuvée par
Meffieurs de lA'cadémie des Sciences , pour enlever
du fond de la riviere des blocs de pierre de dix-fept
à dix-huit pieds cubes .
Le fieur Theveu fe tranſportera dans les endroits
où il fera néceffaire de faire quelques- unes des
opérations ci-deffus indiquées , les perfonnes qui
voudront l'employer , lui feront l'honneur de lui
écrire à Paris , chez M. Lange , Sculpteur de
M. le Duc d'Orléans , rue du Vert- bois ; & à
Rouen , chez M. Duboc , à la Barbacane.
JUILLET. 1755. 143
ARTICLE I V.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
RE
MUSIQUE.
C
ECUEIL d'airs de contredanfes
menuets , & vaudevilles nouveaux
chantés fur les théâtres de l'Académie
royale de Mufique & de l'Opéra Comique
, lefquels fe jouent fur toutes fortes
d'inftrumens : 13 partie , prix 24 fols.
A Paris , chez M. Boivin , rue S. Honoré ,
à la Regle d'or ; M. le Clerc , rue du Roule ,
à la Croix d'or ; Mlle Caftagnery , rue des
Prouvaires , au Luth royal ; & le fieur
Duchefne , rue S. Jacques , au Temple du
Goût.
Le Deffert des petits foupers , fixieme ,
feptieme , huitieme , neuvieme & dixieme
parties. A Paris , aux mêmes adreffes.
Chaque partie 24 fols.
144 MERCURE DE FRANCE.
DU
LETTRE
PERE CASTEL ,
A M. Rondet , Mathématicien , fur la Réponfe
au P. L. J. au sujet du Clavecin
des couleurs.
V
Ous vous honorez , Monfieur , en
m'honorant. J'aime fur-tout la décence:
je vous fçais gré d'avoir preffenti l'embarras
où j'allois être d'entrer en lice avecun
adverfaire dans lequel je devois beaucoup
me refpecter moi - même. Je ne vous connoiffois
pas malin. Vous aimez à prolonger
votte triomphe , & vous gardez le plus beau
pour le dernier. Pour toute apologie vous
pouviez dire comme Scipion accufe devant
le peuple : Meffieurs , allons au Capitole
remercier les Dieux de ce qu'à pareil jour
Numance ou Carthage ont été foudroyées.
( Car duo fulmina Belli , Șcipiadas , dit Virgile
) . Meffieurs , pouviez- vous dire , remercions
Dieu de ce que le clavecin a joué
avec l'applaudiffement de 200 perfonnes
le premier de l'an 1755 , pour les étrennes
du public . Il avoit bien joué devant cinquante
perfonnes , qui battirent des mains
à quatre repriſes , le 21 de Décembre 1754,
le
JUILLET. 1755. 145
le jour de faint Thomas , Apôtre , qui en
eft le Patron. Chaque art , chaque métier
a le fien.
J'aime les arts , vous le fçavez mon
cher Monfieur , je les aime dans le vrai ,
en géometre , en homme même , & avec
une forte de paffion ; je les chéris en citoyen
, ne connoiffant d'autre reffource
momentanée aux befoins renaiffans de
l'humanité. Par le fentiment , j'ofe dire
plus que par la fenfation : Humani à me
nil alienum puto. Je fuis vivement affecté
des befoins de mon prochain , & je ne
m'en connois d'autre bien preffant que
celui d'y pourvoir en commun , felon la
mefure de mes petits talens , dont toute la
fingularité , ce me femble , n'eft que d'être
en commun & fort gratuitement au ſervice
du public , felon le devoir de mon état &
l'efprit de ma vocation .
les®
Plein de cet amour affez pur pour
arts , je gémis donc de les voir tomber par
une ambition de ftyle & de bel- efprit qui
ne remplace point la noble émulation ni
le vrai goût du travail , caractérisé par ce
beau vers de Virgile que j'inculque à tous
venans :
Difce puer virtutem ex me , verumque laborem.
C'eſt ce verus labor qui n'eſt point afſſez
G
146 MERCURE DE FRANCE.
connu . J'en gémirois bien davantage ſi je,
pouvois me croire auteur de cette décadence
des arts. Peut- être les montai -je trop
haut , les mets-je à trop haut , prix ? En
doublant la mufique , je n'õte rien à la
mufique vulgaire , que j'ai même un peu
perfectionnée ,, peut-être il y a 30 ans ,
avant & depuis mon clavecin.
Point d'éloge en effet auquel j'aie été
plus fenfible , qu'à celui du brillant M. de
Voltaire , qui dit que j'aggrandis la carriere
des arts , de la nature , des plaifirs.
Plaiſirs honnêtes , plaifirs même d'efprit ,
tels que la mufique , la peinture , les couleurs
, les belles nuances de toutes chofes.
En faveur de cet éloge , je lui en paffai un
autre moins brillant , où il dit du clavecin
il y a travaillé de fes mains. Il le dit en
grand poete ( vates ) par une forte d'infpiration
qui a droit d'infpirer ce travail.
Entre têtes , je ne dis rien des coeurs ,
l'enthoufiafme eft contagieux , fur-tout
lorfqu'il eft à l'uniffon de deux autres têtes,
telles qu'un Montefquieu & un Fontenelle
, dont le premier en réponſe à bien des
chofes , m'écrivoit , il y a un an , faites le
clavecin , & tout ira ; & le dernier m'envoya
dire , il y a neuf mois , qu'il ne vouloit
pas mourir fans voir le clavecin : ce
qui auroit dû peut-être m'empêcher de le
JUILLET . 1755. 147
faire fi vîte , fi j'étois fuperftitieux avec
gens peu fufpects fur l'article , mais dont la
miféricorde divine peut couronner la vie
de bel-efprit d'une fin folidement reli-›
gieufe & chrétienne , comme on vient de
le voir dans un événement qui m'afflige-t
roit trop , fans la bonne fans la bonne part que Dieu a
bien voulu me donner dans cette vraie
confolation .
Bien des découvertes fe perdent avec
leurs auteurs immortels en paroles &
mortels en réalité . Voici de quoi le public
doit remercier Dieu avec moi , c'est qu'il
m'ait laiffé furvivre 30 ans à la premiere
idée de mon clavecin . De fçavant fpéculatif
, il m'a régulierement fallu devenir.
artifte de goût , & enfin artifan de fait , &
comme de métier. Sutor erit fapiens ; c'eſt
de moi qu'Horace l'a dit.
Quand j'annonçai cette bagatelle , point
fi bagatelle , dit- on , en 1725 ; ce n'étoit
en effet qu'une idée , & je n'avois nulle
intention de l'exécuter. J'en pris acte dans
le même Journal ( le Mercure ) au ſujet
d'un foi-difant Philofophe Gafcon , anonyme
à cela près , qui me fommoit familierement
d'y mettre la main. A quoi je repli .
quai trop fierement peut- être : Monfieur ,
Monfieur , je fuis Géometre , jefuis Philofophe,
& ne fuis lubier , facteur , on faiſeur
G ij
148 MERCURE DE FRANCE.
d'orgues ni de clavecin. Dieu m'en a puni ,
Jai fait un orgue en quatre jeux de rofeau
de mes mains depuis ce tems - là. Mais en
ce tems-là , je n'étois pas même artiſte , &
l'anonyme , que j'ai bien reconnu depuis ,
n'étoit ni un Voltaire , ni un Fontenelle ,
ni un Montefquieu pour m'infpirer.
Je devins artifte en 1735 , dans mes fix
grandes lettres à l'illuftre Préfident que je
n'ofe fi fouvent nommer ; & tout le monde
convint que l'art du clavecin étoit démontré
en douze dégrés bien tranchés de coloris
, & en douze octaves précifes de clairobfcur
, faifant en tout 144 nuances ou
demi-teintes , depuis le grand noir jufqu'au
blanc extrême, en parallele exact aux douze
demi- tons chromatiques , & aux douze
octaves de grave aigu , faifant 144 demitons
de fon depuis le plus bas tuyau poffible
de 64 pieds qui râle , jufqu'à celui
de deux ou trois lignes qui glapit,
L'art eft chofe encore trop fine pour
ceuxqui n'ont que des yeux pour en juger :
j'eus beau montrer & démontrer tout cela
en nature , fur des papiers colorés , dans
des rubans même & des étoffes faites exprès
, & que tout le monde a vûes avec
empreffement , je puis même dire admirées
C'étoient bien là les propres cordes , les
propres touches du clavecin , aufquelles il
JUILLET. 1755. 149
ne manquoit plus que la groffe facture des
ouvriers en titre pour le monter . Point du
tout , il s'éleva une voix qui dit que le
clavecin étoit démontré vrai en théorie , mais
qu'il étoit faux & infaifable en pratique. Er
de ce feul coup de langue le clavecin non
monté fut démonté , tout mon art réduit
à rien , & mes étoffes , rubans & couleurs
au pillage , comme s'il s'agiffoit de
l'élection d'un Roi de Pologne , où le fuffrage
d'un feul eft l'oracle de la multitude
.
J'ai toujours dit , toujours éprouvé du
moins que les paroles de l'envie étoient de
foi efficaces : elles intimident , elles découragent
, elles tiennent en arrêt un inventeur.
Cela feul d'avoir déclaré le clavecin
infaiſable , l'a rendu tel pendant 20 ans ;
car s'il ne m'a fallu que 10 ans pour devenir
artifte , il m'en a fallu deux fois 10 enfuite
pour devenir artifan , en me dégradant toujours
de l'efprit au goût & du goût au travail
des mains , qui eft pourtant le vrai goût
de néceffité , de bon fens même , au lieu
de tout ce babil de bel- efprit , non faifeur
, mais fimplement difcoureur , qui
dégrade les arts & l'humanité , la raifon
même. Car homo natus ad laborem .
Je reconnois cependant avec plaifir , en
honnête-homme , que fi j'ai perdu à cela
G iij
50 MERCURE DE FRANCE.
du repos & une honnête fatisfaction d'efprit
, le public y a gagné . Par ces prétendues
dégradations , comme de moi-même
je me fuis toujours rapproché du public ,
de fes befoins , de fes plaifirs . C'eft bien
lui qui me difoit toujours faites le clavecin
, & foyez plutôt maçon fi c'est votre talent.
Le public entend fur- tout fes intérêts. Le
clavecin lui auroit trop coûté dans fa primeur.
Je n'ai fait que le mûrir , le rendre
pratiquable. En 1725 , on ne l'auroit pas
fait pour 100 , 000 écus écus par les mains des
Ouvriers & artiſtes qui s'offroient affez à
moi , mais avec des bouches plus qu'avec
des mains , & avec plus d'appétit que de
fçavoir faire. En 1735 , je n'eftimois plus
la facture du clavecin que 20 , Goo écus :
en 45 › 10 , ooo écus ou même 1000 guinées
, difois-je aux Anglois. Il y a 3 ans
que je le voyois faifable pour 100 louis ,
quelqu'un le mettoit à 2000 écus ; & voilà
qu'aujourd'hui je viens de le faire fans
Ouvriers pour 50 écus.
On m'a prié de dire tout cela naïvement
, & je fuis bien aife de compter tout
au public pour n'avoir jamais à compter
avec lui. Qu'on s'en prenne à la langue fi
je fais des jeux de mots . Encore cft- il bon
de jouer , à propos de clavecin ; & deformais
on ne me défieroit pas impunément
JUILLET.
1755. Ist
de faire jouer tout ce que les hommes traitent
de plus férieux dans leurs prétendues
affaires qui ne font que jeu , difent les
plus experts même.
En tout cas , je ne furfais point mon
ouvrage , & j'aggrandis la carrière des arts
en écartant les artiftes , les ouvriers , les
mains , & tout ce qui n'eft que bouche &
appétit au fervice du public : car les bouches
mangent les arts , on ne fçauroit trop
le répéter. Plus on m'a difputé la poffibilité
du clavecin , plus j'ai pris à tâche d'en
conftater la facilité & d'en fimplifier la
pratique. Et puifque toutes mes démonftrations
ne m'ont fervi de rien , me voilà
de démonftrateur devenu monftrateur , ou
montreur de curiofité , de rareté , de fingularité
, puifque ce mot plaît tant à la
pluralité de deux ou trois beaux efprits .
Je veux bien en convenir ; la chofe eft
finguliere , rare & curieufe , de colorer le
fon , de faire fonner la couleur , de rendre
l'aveugle juge des couleurs par l'oreille , &
le fourd juge du fon par l'oeil. Autrefois je
m'en défendois comme d'un beau meutre :
aujourd'hui je me livre à tout le paradoxe
de mon entrepriſe depuis que j'en ai fait
un jeu . Or je n'avois promis qu'un jeu .
Et en bonne- foi , mon cher ami , vous le
fçavez , vous le voyez , vous en avez vû
•
G iiij
152 MERCURE DE FRANCE.
tous les progrès nuancés ; n'eft- ce pas un
jeu de trouver même fi difficile , fi impoffible
, en tirant un cordon , une targette ;
en baiſſant une touche d'ouvrir une foupape
de lumiere , lorfqu'on ouvre une foupape
de fon , & de faire voir bleu , lorfqu'on
entend nt , rouge en entendant ſol ;
de faire voir du clair , lorfqu'on entend
de l'aigu , du fombre , en entendant du
grave ?
Du refte , il n'y a que du bien dans mon
projet , & quand je ne réuffirois pas à aggrandir
la carriere des arts , je n'ôte rien à
fa grandeur , & perfonne n'a droit de la
refferrer , de la borner plus qu'elle n'eſt
jufqu'ici bornée & refferrée . Ce n'eft pas
moi qui ai le premier affirmé l'harmonie
des couleurs , de la peinture , de l'architecture.
Je n'ai fait que les démontrer &
les montrer. Avant moi Pline , les Grecs ,
Felibien même , en avoient beaucoup difcouru
par inftinct , par fentiment , en gens
d'efprit , en experts. Mais voilà peut - être
comme on aime les chofes dans le nuage ,
dans le myftere , dans ce fameux je ne fçais
quoi dont les littérateurs font tant d'éloges.
On a voulu voir & revoir mes couleurs ,
& je crois que je ne les ai que trop montrées
, & que je n'y ai été que trop d'abord
JUILLET. 1755. 153
en mal habile artifte , en mauffade ouvrier.
Elles ont ébloui , fatigué , offufqué la vûe
les yeux . M. de Voltaire le difoit , le prédifoit
, le préfentoit ainfi il y a 20 ans . Ne
montrons donc point tant , diſcourons en
fimples littérateurs , en poëtes même . Horace
, le poëte du goût , définit l'harmonie
une unité , une fimplicité : Denique fit
quod vis fimplex dum taxat & unum. Ailleurs
il la définit l'ordre , la régularité : Ordinis
hac virtus erit & verus. Les peintres la
font confifter dans l'entente des couleurs ,
dans l'unité du deffein , dans le beau toutenfemble.
Tout cela ne vient il pas au fimple accord
des parties confonantes des muſiciens,
vrais juges en cette matiere : Et puis la
vraie étymologie du mot harmonie décide
de tout. Apta commiffura , junctura , difent
les Grecs , que je traduirois même plus littéralement
, ce me femble , par apta unitas ,
comme Horace , fimplex unitas ; car il y a
du monas dans harmonie. En un mot , variété
& unité , variété de parties , unité de
tout , font l'harmonie en tout genre felon
tout le monde. Eft - ce que les couleurs
manquent de variété en elles- mêmes ? Il y
en a autant que de fons . Eft- ce que la nature
, eft- ce que l'art n'en font pas tous
les jours des grouppes , des contraftes
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
des affortimens , des accords charmans ?
Mais c'est l'architecture , calomniée à
mon occafion , que je me reprocherois de
laiffer retomber dans une barbarie pis que
gothique , en l'abandonnant à l'enharmonie
où on l'a réduit. Quoi ! un grand ,
fuperbe & majestueux édifice , une bafilique
telle que S. Pierre de Rome , Notre-
Dame de Paris , & mille autres magnifiques
temples du Seigneur. Un palais de
Roi , le Louvre , le Luxembourg , le Vatican
même , & des millions de palais &
d'hôtels n'ont donc point d'harmonie ,
d'union de parties , de régularité , d'ordre ,
d'accord , de beau tout- enſemble , capable
d'impofer à l'oeil , de charmer l'efprit ?
Je vois , j'entends , je fens dequoi il s'a
git. Nos adverfaires fe trompent en habiles
gens . Ils me battent de mes armes : ils me
prennent en géometre, lorfque je leur échape
en artifte , & me dérobe à leurs yeux fçavans
en artifan. Odi profanum vulgus , me
difent- ils noblement. Il y a long-tems que
j'ai obfervé que la géométrie eft une fcience
fublime , mais fiere , guindée & abftraite
, qui n'éclaire que la plus haute
région de l'efprit , dédaignant de rayoner
fur des mains. Auffi m'en fuis- je toujours
préparé l'échapatoire , fice terme eft permis
à un artifan , & vous ai répété vingt fois ,
JUILLET. 1755. 155
mon cher Monfieur , que l'efprit géométri
que valoit mieux dans les arts que la géométrie
même & en perfonne.
La géométrie , qu'il me foit permis de
le redire , eft le corps fec , le fquelete décharné
de tous les objets fenfibles , réduits
non à leurs linéamens propres , comme le
deffein , mais à leurs dimenfions vagues ,.
longueur , largeur , profondeur , lignes ,
furfaces & points extrêmes , figures marginales
,, coupes & profils. Les arts ne
manient point toutes ces impalpabilités là
vrais fpectres , vains fantômes dans l'uſage
ordinaire de la vie.
Nommément l'harmonie , les anciens
l'ont tout-à- fait alembiquée & rendue immaniable
, en la remontant aux proportions
géométriques , compliquées avec les
proportions arithmétiques , complication
qui acheve d'en débouter les arts . Or on la
voit dans ces différences de nombres combinées
avec leurs rapports : car qui dit
difference , dit de l'arithmétique ; & qui
dit rapport
dit du géométrique. Et tout
eft dit .
Parce qu'on n'a pû ou fçû retrouver
l'harmonie des muficiens même , & à plus
forte raifon des peintres & des architectes ,
dans cette proportion foi-difant harmonique
, on a conclu néant d'harmonie pour
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
ces derniers arts , comme fi les mesures ;
par exemple , d'une colonne , de fon renflement
, de fa bafe , de fon piédeſtal , focle
, couronnement , corniche , volute , architrave
, & d'un fimple fefton même ,
n'étoient pas chofes déterminées par des
nombres précis dans les fimples devis d'un
architecte comme fi la détermination du
module ne fondoit pas tous les rapports
des parties d'un ornement , d'un bâtiment
même tout entier. Or qui dit nombre ,
rapports quelconques , modules & détermination
, dit évidemment harmonie ; harmonie
même ici pour les yeux , n'y manquant
que le jeu pour en faire un clavecin.
Le feul plaifir de l'oeil ou de tout autre
de nos fens , ne peut-être qu'un plaifir
d'harmonie : car tel qui m'avoue que le
jeu de mon clavecin fait ou fera plaifir à
voir , fe croit un habile homme à me difputer
que ce plaifir foit un plaifir d'harmonie
, comme s'il pouvoit y en avoir
d'autre. On ne chicane pas les plaifirs , &
l'on feroit mieux de fe rendre acceffible à
celui -ci , que de me forcer à le tout analyfer
. La plupart de nos plaifirs analyfés
ne font plus des plaifirs : ils font faits pour
être fentis & non pour être connus . Con
noître eft un plaifir d'efprit , la plûpart ne
s'en foucient gueres. Dès que nos plaifirs
JUILLET. 1755 . 157
font le réſultat de plufieurs fentimens caufés
par une fucceffion , ou une diverfité
d'objets , de mouvemens & d'opérations ;
il eft hors de doute que ce réſultat doit
être un & fimple , naiffant du concert &
de l'accord de toutes les parties , objets ,
mouvemens & fentimens qui le compofent .
Pour moi , je ne conçois que l'enfer ubi
nullus ordo ,fed fempiternus horror inhabitat ,
& j'aime à penfer que le paradis eft tout
harmonie.
C'est tout franc la bonne & belle littérature
, & le bon goût même de toutes
chofes qui me paroiffent de tous les arts
les plus tombés , par un bel- efprit foidifant
de philofophie bien plus que de
géométrie. Sans géométrie même ni arithmétique
, il ne m'a fallu qu'an peu de
goût de la belle nature , pour trouver que
le bleu mene au verd par le celadon , le
verd au jaune par l'olive , le jaune au
rouge par l'aurore & l'orangé , le rouge
aux violets par les cramoifis ; les violets.
nous ramenant au bleu pour recommencer
une nouuelle octave nuancée de coloris , à
l'aide du clair- obfcur , dont voici les dégrés
Le noir ténébreux mene à l'obfcur , l'obfcur
au fombre , le fombre au brun , le
brun au foncé , le foncé au férieux , le
158 MERCURE DE FRANCE.
férieux au majeftuenx , le majestueux au
noble , le noble au beau , le beau au gracieux
, le gracieux au joli , au gai , le gai
au clair , le clair au blanc , le blanc au
lumineux éblouiffant qui ne fe laiffe point
voir , mais par qui tout eft vû . Sont- ce làdes
termes mais on en a vû les échantillons
, il y a zo ans , & tous les jours ces
termes nous fervent à caractériſer les couleurs.
Eft-ce ma faute s'il y a des efprits ,
des yeux même pour qui les termes ne
font que des termes , des mots , verba &
voces.
J'aurois pû me fervir des mots un peu
plus techniques de gris noir , gris brun
gris d'ardoife , gris de fouris , & c. J'ai
mieux aimé me fervir des termes qui réveillent
des fentimens. Les anciens difoient
les couleurs , c'eſt le clair-obfcur qui eft un
mêlange d'ombre & de lumiere . Je fuis
avec beaucoup de confidération , mon cher
Monfieur , & c.
L. CASTEL.
JUILLET. 1755. 159
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
Mercure du mois de Juin de l'année 2355.
'Ne ſociété de Gens de Lettres , vient
Une publier un nouveau volume de fes
Mémoires *.
C'eſt une chofe admirable que la vertueufe
ténacité avec laquelle cet illuftre
corps s'attache à multiplier fes découvertes
fur nos antiquités françoiſes.
J'en rendrai compte , non fuivant l'ordre
felon lequel les Mémoires font arrangés
dans le volume , mais en mettant de
1
* Ces mémoires font d'autant plus rares , qu'ils
font l'ouvrage des fçavans qui font à naître , &'
qu'ils ont été faits plufieurs fiecles après le nôtre.
Jufqu'ici l'érudition avoit employé fa fagacité à
débrouiller le cahos des tems paffés , mais elle
étend aujourd'hui fes lumieres jufqu'à percer les
ténébres d'un âge à venir. C'eft donner un être à
la poffibilité , c'eft réaliſer les conjectures , & ( ce
que j'eftime le plus dans ce morceau , c'eft trouver
une maniere auffi nouvelle qu'ingénieufe , de
louer le fiecle préfent , fans bleffer la modeftie de
perfonne. Je crois faire un vrai préſent au public
de l'inférer dans mon journal.
160 MERCURE DE FRANCE.
fuite ceux qui traittent des matieres qui ont
du rapport les unes aux autres. Ainfi , je
rapporterai d'abord ceux qui concernent
l'Architecture antique .
Le premier eft celui du célébre M. Scarcher
, déja connu par tant d'ouvrages remplis
de la plus profonde érudition , il y
traite des reftes d'Architecture de l'ancienne
ville de Paris . Il prouve d'abord d'une
maniere irréſiſtible que le quartier de la
Cour , que nous diftinguons fous le nom
de quartier de Verſailles , étoit autrefois
hors de la ville de Paris , & qu'il y avoit
même une étendue confidérable de terrein
inhabité entre l'une & l'autre , il prétend
qu'alors la ville n'avoit qu'environ une
lieue d'étendue . On eft furpris , fans doute,
de voir que cette ville magnifique ait eû
de fi foibles commencemens . Cependant it
eft difficile de fe refufer à la force des preuves
qu'il a recueillies avec un courage infatigable
dans une quantité prodigieufe
d'anciens livres qu'il lui a fallu parcourir.
Il entreprend de prouver que la ville finiffoit
où l'on voit à préfent cette admirable
ftatue du grand Roi Louis XV . qui fue
furnommé par fes fujets le Bien- aimé
comme on le voit par les infcriptions de
la ftatue qui nous refte auffi bien confervée
que fi elle fortoit de la fonte , & qui
,
JUILLET. 1755. 161
durera moins encore que la mémoire d'un
fi beau titre & la gloire de ce grand Monarque
.
Enfuite il fait voir par un raifonnement
très étendu & plein d'érudition , que le
pont qu'on nomme Royal a pris fon nom
de cette ftatue, contre le fentiment de quelques-
uns qui croyent qu'il fe nommoit
ainfi avant qu'elle fut érigée, Ce qu'il dit
fur ce fujer eft fi evident qu'il ne ſemble
pas qu'on puiffe le contefter d'avantage .
11 paffe enfuite à des recherches trèscurieufes
fur le merveilleux bâtiment du
Louvre , il réfute furabondamment le mémoire
donné dans la même Société l'année
précédente où l'on avoit avancé que ce fuperbe
édifice avoit été achevé & porté à fon
entiere perfection fous le regne de Louis
XIV. fondé fur l'autorité des Hiftoires ,
confervées dans les anciennes bibliothetheques
; il fait voir qu'il a été long-temps
abandonné à caufe des guerres qui ont troublé
la fin du XVIIe fiécle & le commencement
du XVIII , & qui ont affuré à la
France la fupériorité fur fes voifins , la
fplendeur & le repos dont elle jouit depuis
ces deux fiécles également célébres. Il rapporte
à ce fujet un trait d'hiftoire curieux
où l'on voit que celui qui étoit alors à la
tête des Arts , fecondant avec zele & avec
162 MERCURE DE FRANCE.
un goût peu commun , les intentions & l'inclination
du Roy régnant , pour les grandes
chofes , entreprit de reftaurer & d'achever
cet édifice , dont une partie tomboit
en ruine. Il fixe la datte de cet important
événement vers le milieu du XVIIIe fiécle.
Il détruit enfuite entiérement l'objection
la plus impofante que fon antagonifte
avoit alléguée contre la vérité de ce fait
qui étoit le peu de vraisemblance qu'il
trouvoit à croire qu'une perfonne en place
pût avoir abandonné la gloire de conftruire
de nouveaux édifices , & s'être contentée
de celle d'amener à leur fin les ouvrages
commencés par fes prédéceffeurs , qui
méritoient d'être confervés à la postérité.
M. Scarcher fait voir combien cette idée
eft fauffe , & qu'elle n'eft fondée que fur
la reffemblance que nous fuppofons entre
les hommes d'alors , & ceux du temps où
nous vivons. Il eft bien vrai que de nos
jours nous voyons rarement achever les
grandes entreprifes , parce qu'il eft du bon
air de ne point fuivre les maximes ni les
idées de fes prédéceffeurs , mais il n'en
étoit pas ainfi dans ces temps héroïques ;
chacun mettoit fa gloire à contribuer autant
qu'il étoit en lui à celle du Roy
régnant , & lorfque le moyen le plus digne
avoit été trouvé par fon devancier , on le
JUILLET
. 1755. 163
fuivoit fans difficulté . D'ailleurs , on ne
peut pas dire que le Supérieur de ces tempslà
fe foit uniquement borné à fuivre ou à
finir ce que les autres avoient tracé. Il nous
refte plufieurs édifices très confidérables
& d'une grande beauté qui ont été com
mencés & achevés fous ce regne.
On ne peut trop admirer la facilité & la
juftefle avec laquelle notre Sçavant éclaircit
ces temps que leur éloignement
nous
rend fi obfcurs. Si d'une part il nous fait
voir avec certitude
que ce fuperbe bâtiment
a été négligé pendant quelques
années
, en même temps il s'éleve avec la plus
grande force contre ceux qui ont avancé
que pendant long-temps cet édifice a été
environné
d'écuries , de petites maiſons ,
même d'échoppes
. Il fait voir quelle abfurdité
il y a à penfer que dans un fiécle auff
éclairé , on ait fouffert une pareille profanation
, ce qu'il dit là - deffus eft rempli
d'éloquence
.
"J'abrege quantité de réflexions non moins
curieufes qu'il fait fur les beautés du Louvre
& qu'il faut lire dans l'original , pour
paffer à ce qu'il dit fur l'Eglife antique de
fainte Génevieve de la montagne. Il croit que cet admirable édifice a été bâti le
par
même architecte que le fuperbe périftile du
Louvre . La tradition reçue jufqu'à préfent
164 MERCURE DE FRANCE.
étoit que cette égliſe avoit été commencée
vers le milieu du dix - huitiéme fiécle : en
admettant
fes preuves , preuves il faudroit en établir
la datte environ un fiécle plûtôt , ce
qui répugne un peu à la beauté de fa confervation
, cependant les raifons qu'il apporte
ne font point à rejetter. Il s'appuie
fur le fentiment de nos plus habiles architectes
, qui en confidérant la noble fimplicité
du goût de cette architecture , y recon--
noiffent le même ſtile qu'au Louvre , quoique
dans une compofition différente. Ils
prétendent que le goût du dix- huitiéme
fiécle a été inférieur , à en juger par quel
ques reftes de bâtimens dont la datte eſt
certaine & par quelques écrits de ces
temps-là qui font remplis de plaintes contre
le mauvais goût qui régnoit alors , &
où l'on en explique les défauts de maniere
à nous en donner une idée affez diftincte.
Or , on ne voit aucun de ces défauts ni
dans cette églife , ni au Louvre ; au contraire
ces édifices font encore les regles du
vrai beau.
La feconde preuve qu'il tire du nom
de l'architecte , fait voir avec quelle fagacité
il éclaircit les antiquités les plus épineufes.
L'hiftoire nous a confervé le nom
de l'architecte de ce beau periftile du Louvre
qui regarde le Levant , il fe nommoit
JUILLET. 1755. 165
Perrault . M. Scarcher prouve à travers
mille difficultés que c'eft ce même nom qui
eft tracé à fainte Genevieve , & qui eft tellement
effacé , qu'il n'y a qu'un homme
auffi verfé dans les antiquités que M. Scarcher
, qui puiffe nous en donner l'intelligence.
La premiere difficulté qui fe rencontre
eft que le nom de Perrault eft compofé
de huit lettres & qu'on n'en apperçoit
que fept dans les foibles traces qui reftent
fur ce marbre ; mais nous verrons bien- tôt
comment on doit expliquer cela . Les deux
dernieres lettres de ce nom , qui fe voyent
encore affez diftinctement , font OT, & il
y a tout lieu de croire que celle qui les
précede eft une L. M. Scarcher prouve premierement
par un grand nombre d'autorités
refpectables que les anciens François
prononçoient la diphtongue au , de même
que la lettre o , & qu'ainfi ils mettoient indifféremment
l'une pour l'autre. Cette découverte
répond en même temps d'une ma
niere évidente à la premiere difficulté des
fept premieres lettres qui fe trouvent à
fainte Génevieve au lieu de huit
, que
mande fa fuppofition , car il eft clair qu'ici
la lettre o tient lieu de deux . Il refte la difficulté
de L qui fe trouve avant l'O , au
lieu que dans le nom de Perrault , elle fe
trouve après an. 11 y fatisfait du moins
de166
MERCURE DE FRANCE.
d'une maniere probable , en difant qu'il eſt
poffible que la modeftie de l'architecte
l'ayant empêché d'y mettre lui-même ſon
nom , il n'a été mis qu'après la mort , &
que ceux qui l'ont gravé , l'ont ainfi défiguré
, ou par corruption , ou plûtôt parce
que c'étoit en effet la véritable prononciation
de ce temps -là , comme nous voyons
encore dans le nôtre que les Allemands
prononcent Makre quoiqu'ils écrivent Maker
, ainfi on peut avoir prononcé OLT ,
quoiqu'il foit écrit LOT. Nous nous fommes
un peu étendus fur cet article , quoique
nous l'ayons beaucoup abrégé , parce
que c'eft un des plus importans de ce fçavant
mémoire & celui où l'on découvre la
plus rare érudition ; s'il y a quelque choſe
qui paroiffe inadmiffible , c'eft cet excès
de modeftie qu'il ſuppoſe dans un architecte
; mais encore une fois , nous ne devons
pas juger des hommes de ces fiécles
vertueux par ceux du nôtre . Il reste encore
une objection. Plufieurs fçavans ont prétendu
que la premiere lettre de ce nom eſt
une S , & qu'il eft difficile avec les traces
qui en reftent d'en faire un P *. C'eſt là
* Il y en a qui vont plus loin . Ayant de meilfeurs
yeux , ils ont cru entrevoir une ƒavant / , &
fuppléant à la diphtongue qui manque , ils ont
Gonjecturé que le véritable nom de l'architecte
JUILLE T. 1755. 1755 167
qu'il faut voir M. Scarcher employer toutes
les forces de fon éloquence pour y trouver
un P , il faut le lire dans l'original ,
mais il eft vrai qu'il eft bien difficile quand
on l'a lû de ne l'y pas trouver avec lui ,
malgré les difficultés que préfente l'infpection
du marbre.
M. Scarcher traite enfuite des reſtes an
tiques de l'Eglife de faint Pierre & faint
Paul , qu'une tradition fans fondement
nomme faint Sulpice . Il démontre que nous
n'avons pas cet édifice ( dont il ne refte
prefque que le portail ) tel qu'il a été bâti .
Que les arcades qui font au fecond ordre ,
y ont été conftruites depuis par quelque
raifon de folidité occafionnée par les ravages
du temps , & qu'il n'y a nulle apparence
qu'un architecte de ce mérite eut mis ces
maffifs au fecond ordre n'en ayant pas mis
au premier , c'eft-à- dire , le fort fur le
foible. Il prouve encore que les coloffes
monftrueux qui font fur les tours , ont été
pareillement ajoûtés par quelque raifon de
dévotion populaire , qui a voulu que l'on
vit les patrons de cette églife les plus
grands qu'il étoit poffible ; que les tours
ont été terminées en ligne droite par l'architecte
premier auteur de cet édifice , &
étoit Sauflot ou Souflot. J'avoue que je ferois afſen
de ce dernier fentiment.
168 MERCURE DE FRANCE.
que le couronnement que nous y voyons
maintenant eft une augmentation faite
dans un fiecle où le goût avoit dégénéré.
Il ne paroît pas auffi bien fondé , lorfqu'il
foutient que le fronton eft dans le même
cas d'être venu après coup. Il prétend
décider le problême qui embarraffe tous
nos architectes , c'est - à - dire , l'impoffi
bilité qu'il y a que l'églife dont nous jugeons
par quelques arcades demi ruinées
qui fubfiftent encore , puiffe avoir été liée
avec ce portail . En effet , on ne voit aucune
hauteur ni aucune ligne qui y ait du rapport.
Il dit qu'alors l'intérieur de l'églife
étoit à deux ordres l'un fur l'autre ſemblables
à ceux du portail avec un rang de galleries
regnant tout au tour, que cette églife
ayant été détruite ou par quelque accident
ou par la barbarie des fiecles fuivans , on a
édifié à fa place ce bâtiment irrégulier qui
s'y accorde fi peu ; ce qui donne quelque
vraisemblance à fa fuppofition , c'eft qu'indépendamment
de leur peu de rapport avec
le portail ces fragmens qui nous reftent
n'en ont pas même entr'eux . Ce fentiment
n'eft cependant pas fans difficulté , on a
peine à concevoir que dans l'efpace de
temps qui s'est écoulé depuis fa premiere
conftruction , une églife auffi bien bâtie
que celle qui devoit tenir à ce portail , ait
été
JUILLET. 1755. 169
1
été détruite , relevée une feconde fois auffi
folidement que nous le voyons par ces
reftes , & encore ruinée . On ne peut que ›
difficilement ſuppoſer qu'elle ait été abbattue
exprès , d'ailleurs nous ne connoiffons
point de fiecle de barbarie depuis ces temps
mémorables. Les arts ont toujours été floriffans
, & n'ont fait que fe perfectionner
jufqu'au point d'élévation où nous les
voyons maintenant. M. Scarcher permettra
que nous ne nous rendions pas encore
fur cet article , & que nous attendions des
le
preuves
plus fortes que temps & fon
profond
fçavoir lui feront découvrir
.
Notre favant auteur paffe enfuite à un
refte de bâtiment ancien qu'on croit avoir
été une églife fous l'invocation de faint
Roch. Ce qu'on trouve de plus fatisfaiſant
dans les réflexions de M. Scarcher fur cette
églife , ce font les raifons dont il s'appuye
pour détruire le fentiment de ceux qui foutiennent
que le double focle qui porte les
arcades de la nef a été apparent dans fa
premiere conftruction . Il fait voir que le
focle d'enbas étoit la fondation qui fe trouvoit
enfevelie dans l'intérieur du terrein
qu'il n'eft vifible que parce qu'on a baiſſé
le terrein intérieur de l'églife , & combien
il eft ridicule de penfer que jamais aucun
architecte fe foit avifé de mettre deux fo-
H
170 MERCURE DE FRANCE.
cles l'un fur l'autre , & fi élévés que les
bazes des colonnes font de beaucoup audeffus
de la vûe. Il établit une feconde
preuve fur ce qu'on trouve par d'anciennes
eftampes qu'on croit gravées dans ces mêmes
tems , qu'il y a eu 15 ou 16 marches
pour monter à cette églife , au lieu qu'à
préfent il ne s'en trouve que cinq. Selon
fon idée , on a détruit les marches qui
montoient jufqu'au niveau du premier
focle. Ce fentiment n'eft probable que dans
la fuppofition que les marches que l'on y
voit maintenant ne font point du tout les
anciennes , car il auroit fallu pour monter
jufqu'à la hauteur des bazes du portail
qu'elles n'euffent laiffé aucun pallier ; ce
qui , quoique poffible , laiffe quelque doute
, d'autant plus qu'en calculant la hauteur
& l'enfoncement que produifent un
nombre de marches femblables à celles qui
reftent , on n'y trouve pas un rapport jufte
avec le nombre des marches indiquées dans
l'eftampe , il eft vrai qu'il ajoute une raifon
plaufible pour remédier au défaut de
jufteffe du calcul de ces marches , il fait
remarquer que naturellement le terrein
des villes fe hauffe par un abus auquel on
ne fonge point à tenir la main , parce que
l'on apporte toujours & qu'on ne remporte
jamais. Tout ceci porta un caractere de
JUILLET. £ 755. 171
vraisemblance auquel on a peine à fe
refufer.
€
Ilentreprend de prouver que cette égliſe
précede au moins d'un fiecle le bâtiment
du Louvre , c'est- à- dire , avant que la bonne
architecture fut bien connue . Premierement
, par le défaut infupportable des bazës
& des chapiteaux des colomnes qui ſe pénetrent
avec les pilaftres , défaut ridicule
qu'on n'eut jamais fouffert dans un fiecle
plus éclairé. Secondement , par les fauffes
courbes qui font l'enfoncement des efpeces
de niches où font les petites portes de
l'églife . Il prétend que ces courbes font
les effais par où l'on a commencé avant
que de trouver les formes régulieres . Cette
feconde preuve n'eft pas de la force de la
premiere , car on trouve plufieurs édifices
dont la datte eft certaine , & qui font conftruits
plus d'un fiecle & demi après , où
l'on voit ces mêmes courbes employées &
de plus mauvaifes encore , d'ailleurs plufieurs
fçavans prétendent que le propre de
l'efprit humain , eft de trouver d'abord
tout naturellement le fimple qui eft le vrai
beau ; & que le goût ne fe corrompt qu'à
force de vouloir aller au- delà.
Au refte , il eft fi difficile de pénétrer
dans ces tems anciens , que les conjectures
vraisemblables doivent être regardées
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
comme des démonftrations. Ce mémoire.
renferme quantité de recherches intéref
fantes aufquelles je renvoye le lecteur
être
pour ne pas trop long.
Nouveau projet de décoration pour les
L
Théatres.
' économie d'accord avec le bon goût
& la raison , a porté M *** à conftruire
un théatre dans fon château , où il
a fupprimé les couliffes & les bandes
du haut de la ſcene , qui repréfentent tantôt
le ciel , d'autres fois le plafond d'un
appartement , des berceaux d'allées , ou la
voûte d'une caverne . Toute la ſcene confifte
en un très- beau fallon , figuré par des
peintures plates , tant en haut qu'en bas ;
& quand cela a été fait , on a trouvé que
cela étoit bon .
Au fond du théatre il y a deux piliers
de chaque côté ; ils font fort éclairés par
derriere , & font voir un tableau qui
change felon les pieces que l'on repréſente.
Tantôt c'est une place publique que
l'on voit , tantôt un palais , une forêt , la
mer , ou des jardins,
Ainfi l'endroit de la fcene eft dormant ;
il eft compofé d'un plafond , & de deux
côtés richement ornés d'architecture , méJUILLE
T. 1755 .
173
nuiferie fculptée , ftatues & glaces , des
chandeliers à plufieurs branches , torcheres
& bras qui éclairent fort la fcene . On
y a ménagé deux portes de chaque côté
pour l'entrée & la fortie des Acteurs , ce
qui fait le même effet que les couliffes .
Aux quatre coins de la fcene font quatre
gros piliers , deux fur le devant furmontés
d'un fronton d'où defcend la toile ,
& les deux du fond avec pareil fronton ,
Ou
corniche pour encadrer la ferme ,
comme j'ai dit. Une de ces fermes ou décorations
, peut être affortie avec la ſcene,
& ne former qu'un bel appartement.
Il m'a paru que cette maniere de décorer
un théatre avoit de grands avantages
fur celle des couliffes changeantes & des
bandes d'en- haut qui les accompagnent
.
Toute illufion de l'art doit être rendue la
plus vraisemblable qu'il eft poffible ; celle
des couliffes approche trop près de l'oeil
du fpectateur , pour ne pas paroître pauvre
& groffiere. La perfpective , la dégradation
de lumiere , & les proportions des
perfonnages avec le lieu de la fcene ne
peuvent jamais s'y rencontrer . L'on apperçoit
par les couliffes le jeu des machines
& le travail des Machiniftes : l'on y
voit tous les coopérateurs étrangers au
fpectacle , & on y place même des fpecta-
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
teurs , dont la préfence & les mouvemens
choquent toujours la vérité des repréſentations.
Remarquons à ce fujet deux chofes intéreffantes
; l'une , combien les loges , balcons
, ou amphithéatre placés fur le théatre
, jettent de confufion dans les repréfentations
de l'Opéra ou de la Comédie ,
& combien les fpectateurs mêlés avec les
Acteurs y font nuifibles & indécens ; l'autre
obfervation eft que par ce même ufage
auquel on a accoutumé le public , on a
déja adopté mon fyftême , en deftinant
pour la fcene un lieu différent de celui
des décorations . Au théatre de Fontainebleau
, par exemple , la ſcene ſe paffe entre
deux rangs de loges , & la décoration
ne change qu'au fond du théatre ; mais
il feroit bien mieux d'adopter entierement
, ou de rejetter tout - à - fait ce fyftême.
Il confifte à deftiner un lieu exprès &
exclufivement pour la fcene , à l'imitation
des anciens. Ce lieu ne peut être mieux
entendu qu'en un très- beau fallon , & tout
un côté en feroit ouvert pour laiffer voir
celui que defire le fujet de la piece , on le
fuppoferoit joint aux lieux divers où fe
paffe l'action . Illufion pour illufion , le
fpectateur le prêtera facilement à la moinJUILLET.
1755. 175
dre des deux . Tout eft orné dans les repréfentations
dramatiques ; on y parle en
vers ou en chants ; les perfonnages les plus
fatigués fortans d'un naufrage , y font parés
& bien mis , les payfans y font galamment
vêtus. Ne peut- on pas fuppofer de
même qu'ils s'avancent vers le public , &
dans un lieu qui eft au public pour parler
de leurs intérêts , lorfqu'on voit par le
fond du théatre qu'ils en traitent dans
une chambre , dans une place , ou dans
une campagne ? L'on fuppofera que ce fallon
eft bâti fur le bord d'une forêt ou
d'une rue par cette illufion on ennoblit
la repréſentation , & par celle des couliffes
& de tout ce qui s'y paffe , on l'avilit.
Le jeu des machines , comme vols ,
chars , gloires , doit fe paffer au fond du
théatre & hors du lieu de la fcene , pour
en mieux cacher les défauts .
La raifon d'économie feroit miférable
fi le fpectacle ne s'en trouvoit pas mieux ;
en récompenfe fi l'on veut calculer les
frais , on pourra augmenter de dépenfe &
de magnificence fur d'autres chofes . La
ſcene en fera mieux éclairée par des flambeaux
apparens que par ceux qui font à
moitié cachés derriere les couliffes ; l'on
pourra renouveller plus fouvent les décorations
& le fallon de la fcene ; l'on pro-
Hiv
•
176 MERCURE DE FRANCE.
fitera des progrès de l'architecture moderne
& du deffein d'ornement.
La falle ( ou lieu des loges & des fpectateurs
) ne doit jamais avoir rien de commun
avec la fcene qui fe cache derriere
un rideau jufqu'au commencement de la
repréſentation : ce font , pour ainfi dire ,
deux pays différens ; l'on ne devroit orner
la falle qu'avec la plus grande fimplicité
pour contrafter & faire briller davantage
la magnificence & l'éclat du fpectacle
quand la toile fe leve .
On ne doit rien épargner pour la beauté
de la ferme du ond du théatre. Dans
le plan que je propofe , ce devroit être
autant de tableaux exquis peints par les
meilleurs Maîtres , & toujours d'un coloris
frais ; ils ne doivent jamais être difpofés
en deux parties , ce qui y forme au
milieu une raye noire & defagréable ; ces
tableaux feroient plus ou moins reculés &
diftans des deux colonnes de la fcene , felon
les lieux qu'ils repréfenteroient & les
machines qui devroient paroître dans cette
diſtance. On y verroit donc quelquefois
le théatre très- profond avec des morceaux
avancés , comme portiques , tours , arbres ,
rochers , &c. mais jamais de couliffes .
L'on pourroit effayer ce projet au théatre
de l'Opéra qui y eſt tout difpofé , l'on
JUILLE T. 1755 177
formeroit un fallon des fix premieres couliffes
de chaque côté , & le goût du public
décideroit .
HORLOGERIE.
Lettre du fieur Caron fils , Horloger du Roi ,
à l'Auteur du Mercure.
M
ONSIEUR , je fuis un jeune artifte
qui n'ai l'honneur d'être connu du
public que par l'invention d'un nouvel
échappement à repos pour les montres, que
l'Académie a honoré de fon approbation
& dont les Journaux ont fait mention l'année
paffée . Ce fuccès me fixe à l'état d'horloger
, & je borne toute mon ambition à
acquerir la ſcience de mon art ; je n'ai jamais
porté un oeil d'envie fur les productions
de mes confreres :( cette lettre le
prouve ) mais j'ai le malheur de fouffrir
fort impatiemment qu'on veuille m'enlepeu
de terrein que l'étude & le travail
m'ont fait défricher ; c'eſt cette chaleur
de fang dont je crains bien que l'âge
ne me corrige pas , qui m'a fait défendre
avec tant d'ardeur les juftes prétentions
que j'avois fur l'invention de mon échappement
, lorfqu'elle me fut conteftée il y
ver le
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
a environ dix- huit mois. L'Académie des
Sciences , non feulement me déclara auteur
de cet échappement , mais elle jugea
qu'il étoit dans fon état actuel le plus parfait
qu'on eut encore adapté aux montres ;
cependant elle fçavoit , & je voyois bien
qu'il étoit fufceptible de quelques perfections
, mais la néceffité de conftater
promptement mon titre , à laquelle mon
adverfaire me força en publiant fes fauffes
prétentions , m'empêcha de les y ajouter.
Alors devenu poffeffeur tranquille de mon
échappement , j'ai donné tous mes foins
à le rendre encore fupérieur à lui-même ,
& c'est l'état où il eft maintenant ; mais
en même-tems trop bon citoyen pour en
faire un myftere , je l'ai rendu public autant
qu'il m'a été poffible. Les divers écrits
que cet échappement a occafionné & le
jugement que l'Académie en a porté , attirant
fur fui l'attention des Horlogers , il
devint l'objet des réflexions & des recherches
de quelques- uns des plus habiles d'entr'eux
: deforte que pendant que j'y ajoutois
les petites perfections qui lui manquoient
, M. de Romilly s'apperçut qu'effectivement
il en étoit fufceptible ; il y travailla
de fon côté , & préſenta à l'Académie
en Décembre 1754 le changement
qu'il y avoit fait ; le foir même de fa préJUILLET.
1755. 179
fentation M. Le Roy m'en ayant apporté la
nouvelle , je demandai fur le champ à
l'Académie , qu'en faveur de ma qualité
d'Auteur , elle voulut bien examiner avant
tout l'état de perfection auquel j'avois moimême
porté mon échappement. Cette perfection
étoit des repos plus près du centre
& des arcs de vibrations plus étendus ,
elle y confentit , & l'examen qu'elle fit
des piéces que nous préfentâmes , l'un &
l'autre lui montra que M. Romilly avoit
atteint le même but que moi en travaillant
fur le même fujer : ainfi l'Académie
toujours équitable dans les jugemens , ne
voulant pas accorder plus d'avantage fur
cette perfection à ma qualité d'Auteur de
l'échappement qu'à l'antériorité de préfentation
de M. de Romilly , qui n'eft
effectivement que d'un feul jour , a dévré
à chacun de nous le certificat fuivant
, que je publie d'autant plus volontiers
que M. de Romilly qui a jugé mon
échappement digne de fes recherches , eft
un très galant homme , & que j'eftime véritablement
d'ailleurs je ferois fâché que
cette petite concurrence entre lui & moi
pût être envisagée comme une difpute femblable
à la premiere ; l'émulation qui ani
me les honnêtes gens mérite un nom plus
honorable . J'ai l'honneur d'être , & c .
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Extrait des Regiftres de l'Académie royale
des Sciences , du 11 Juin 1755.
MM. de Mairan, de Montigni & Le Roi,
qui avoient été nommés pour examiner une
montre à fecondes , à laquelle eſt adapté
l'échappement du fieur Caron fils , perfectionné
par le fieur Romilly , Horloger ,
citoyen de Genêve , & par lui préſentée
à l'Académie , avec un mémoire fur les
échappemens en général , en ayant fait
leur rapport , l'Académie a jugé que le
changement fait à cet échappement , &
qui permet d'en rendre le cylindre auſſi
petit qu'on le juge à propos , de rapprocher
les points de repos du centre , & de
donner aux arcs du balancier plus de trois
cens dégrés d'étendue , étoit ingénieux &
utile , mais en même- tems elle ne peut douter
que le fieur Caron n'ait de fon côté
porté fon échappement au même dégré de
perfection ; puifque le jour même que M.
Le Roi, l'un des Commiffaires , lui en donna
connoiffance en Décembre 1754 , cet
Horloger lui fit voir un modele de fon
échappement qu'il avoit perfectionné , auquel
il travailloit alors, & dont la roue d'échappement
avoit les dents fouillées par
derriere , & étoit exactement femblable
à la conftruction du fieur Romilly , dont
JUILLET. 1755. 181
C
il n'avoit cependant point eu de communication
; d'ailleurs dans la boîte de preuve
que le fieur Caron dépofa en Septembre
1753 au Secrétariat de l'Académie , &
qui eft jufques à préfent reftée entre les
mains de MM. les Commiflaires , il y a
plufieurs petits cylindres dont les repos
font très -près du centre , mais qu'il n'eut
pas alors le tems de perfectionner.
Ainfi le mérite d'avoir amené cette in--
vention au point de perfection dont elle
étoit ſuſceptible , appartient également au
fieur Romilly & au fieur Caron fon auteur
; mais le fieur Romilly en a préſenté
la premiere exécution : en foi de quoi j'ai
figné le préfent certificat. A Paris , ce 14
Juin 1715.
Grandjean de Fouchy , Secrétaire
perpétuel de l'Académie royale
des Sciences.
Je profite de cette occafion pour répondre
à quelques objections qu'on a faites fur
mon échappement dans divers écrits rendus
publics. En fe fervant de cet échappement
, a - t-on dit , on ne peut pas faire des
montres plates , ni même de petites montres.
Ce qui fuppofé vrai , rendroit le meilleur
échappement connu très - incommode , des
182 MERCURE DE FRANCE.
faits feront toute ma réponſe. Plufieurs
expériences m'ayaut démontré que man
échappement corrigeoit par fa nature les
inégalités du grand reffort fans aucun befoin
d'un autre régulateur , j'ai fupprimé
de mes montres toutes les piéces qui exigeoient
de la hauteur au mouvement ,
comme la fufée , la chaîne , la potence. ,
toute roue à couronne , fur- tout celles dont
l'axe eft parallele aux platines dans les
montres ordinaires , & toutes les piéces
que ces principales entraînoient à leur fuite.
Par ce moyen je fais des montres auffi
plates qu'on le juge à propos , & plus plates
qu'on en ait encore faites , fans que
cette commodité diminue en rien de leur.
bonté. La premiere de ces montres fimplifiées
eft entre les mains du Roi. Sa Majefté
la porte depuis un an , & en eft trèscontente.
Si des faits répondent à la premiere
objection , des faits répondent également
à la feconde . J'ai eu l'honneur de
préfenter à Mme de Pompadour ces jours
paffés une montre dans une bague, de cette
nouvelle conftruction fimplifiée , la plus
petite qui ait encore été faite ; elle n'a que
quatre lignes & demie de diametre , &
une ligne moins un tiers de hauteur entre
les platines . Pour rendre cette bague plus
commode , j'ai imaginé en place de clef
JUILLET. 1755. 183
un cercle autour du cadran , portant un
petit crochet faillant ; en tirant ce crochet
avec l'ongle , environ les deux tiers.
du tour du cadran , la bague eft remontée ,
& elle va trente heures. Avant que de la
porter à Mme de Pompadour , j'ai vû cette
bague fuivre exactement pendant cinq
jours ma pendule à fecondes , ainfi en
fe fervant de mon échappement & de ma
conftruction on peut donc faire d'excellentes
montres auffi plates & auffi petites
qu'on le jugera à propos.
J'ai l'honneur d'être , & c.
CARON fils , Horloger du Roi.
Rue S. Denis , près celle de la Chanvererie.
A Paris , le 16 Juin 1755 .
Remarques de M. de Lalande de l'Académie
royale des Sciences fur un ouvrage d'Horlogerie.
Onfieur J .... ci -devant Horloger à
M Saint-Germain-en- Laye vient de publier
ces jours paffés une addition à * fon
Traité des échappemens, dans laquelle il con-
* Ce traité , ainfi que l'addition , fe trouve chez
Jombert , fue Dauphine.
184 MERCURE DE FRANCE.
tinue des confidérations fur le nouvel
échappement de M. Lepaute qu'il avoit
commencées en 1754. dans le fecond volume
du mercure de Juin . Depuis un an il
a eu le tems d'accroître fes prétentions ,
aufli ne fe contente- t- il plus comme auparavant
de reprocher à cet échappement en
montres des défauts qu'il n'a pas , il ofe
aujourd'hui s'en attribuer à lui- même les
perfections , & comme le feul juge du mérite
d'une nouvelle invention , il entreprend
de montrer les erreurs où il prétend que
l'Académie est tombée.
Cependant M. J. ne fait que répéter ce
qu'il avoit déja dit fur les chûtes des chevilles
& fur l'inégalité des rayons de la
roue , j'ai fait voir dans une lettre inférée
au mercure du mois d'Août 17 54 , qu'il étoit
abfolument faux que cet échappement ,
bien exécuté , eut aucune chûte , ou que
les rayons de la roue fuffent inégaux , la
difficulté ne peut donc venir que de ce que
M. J. n'a point encore conçu la véritable
difpofition de cet échappement.
Il faut mettre au même rang ce que dit
M. J. de l'impulfion de la roue fur les
plans au moment ou chaque cheville quitte
les arcs de repos ; rien n'empêche qu'on ne
donne à ces plans , tout comme aux courbes
de l'échappement à cylindre , une
JUILLET. 17557
courbure fuffifante pour imprimer peu de
force au balancier dans le commencement
de la pulfion . Cette courbure n'augmentera
point l'arc conftant ou la levée de l'échappement
au -delà de trente ou quarante
degrés , qui eft celle de toutes les bonnes
montres .
Il y a beaucoup de vaine gloire de la
part de M. J. à prétendre que les perfections
que j'ai fait valoir dans cet échappement
, étoient le fruit de ſes converſations ; la
prétention à cet égard eft auffi fauffe qu'injurieufe
; cet échappement fortit en 1753
des mains de M. Lepaute dans le même
état de perfection où il eft actuellement .
fi l'on eut eu befoin de fecours , les auroiton
demandé à M. J. qui non - feulement
n'entendoit point alors l'échappement , mais
qui prouve encore aujourd'hui par des objections
triviales que faute de s'y être exercé
lui- même , il ne l'a point entendu . M. J.
dit encore page 239 , qu'il a connoiffance
de la variété des montres où cet échappement
eft appliqué ; c'eſt un fait fuppofé
dont le public d'ailleurs pourra juger fans
lui , & le jugement du public a été juſqu'à
préfent fort contraire à cette allégation ,
puifque le grand nombre de montres où il
a été appliqué , vont avec toute la précifion
poffible
.
186 MERCURE DE FRANCE.
Pour ce qui eft de la diffipation de l'huile
, l'expérience a prouvé qu'en en mettant
fur le cylindre ( qui eft un peu arrondi de
bas en haut , & qui ne touche point à la
roue ) elle s'y étendoit & s'y confervoit
fort long-temps. L'huile fait même ici
beaucoup mieux fon effet que dans l'échappement
à cylindre , où l'on voit très-fouvent
une rainure profonde faite dans le
cylindre par les pointes des dents , ce qui
ruine en peu de temps toute l'exactitude
d'une montre. Au refte , M. J. fait un rai- `
fonnement ( page 220 ) fur l'attraction ou
fur la direction des huiles qui tendroit à
prouver que l'huile ne fe conferve jamais
dans une même place , ce qui eft
contraire à l'expérience ; il ne fuffit pas de
connoître la regle , il faut fçavoir en ménàger
l'application.
Le prix des montres faites avec le nouvel
échappement , n'ôte rien , ce me femble
, à leur bonté ; il eft bien fûr qu'elles
coûtent moins que les montres à cylindre
ne coûtoient dans les premiers tems qu'elles
parurent ; elles ne coûtent pas aujourd'hui
plus que les montres à cylindre les
plus parfaites ; au refte, cela ne dépend que
du nombre plus ou moins grand des artiftes
qui y travaillent. Lorfque Charles V. fut
obligé d'appeller du fond de l'Allemagne
JUILLE T. 1755. 187
Henri de Vic , pour faire à Paris une horloge
, elle coûta fans doute plus que celles
qui fe font aujourd'hui beaucoup mieux
par les ouvriers de tourne- broches.
J'ai répondu dans la lettre que je viens
de citer , à toutes les autres difficultés que
M. J. avoit faites ; mais je ne fçai pourquoi
ce que j'ai dit des montres plattes lui paroît
fi éloigné des regles de la pratique ; quelque
foit fon avis là- deffus , on ne peut
s'empêcher de reconnoître avec tout le
monde dans les montres abfolument plates,
un reffort trop foible , une réſiſtance trop
grande de la part des frottemens ; des roues
trop nombrées par rapport à leurs pignons ,
qui par conféquent doivent produire
moins d'uniformité dans le rouage , le défaut
des jours , la trop grande proximité
des pieces , qui caufe toujours au bout de
peu de temps des frottemens du barillet
contre la petite platine & fur la grande
roue moyenne , de la roue de longue tige
avec la platine des pilliers , une grande
variation dans l'engrénage de la roue de
champ , tout cela eft de théorie autant que
de pratique.
Ce que M. J. appelle théorie , n'eſt
qu'un bon fens éclairé qu'il auroit grand
tort de rejetter , ce n'eft pas en exécutant
d'une maniere fupérieure qu'on perfection188
MERCURE DE FRANCE.
nera l'horlogerie , c'eft par la réflexion , le
raifonnement , l'examen , le calcul , la
combinaiſon des forces , des frottemens ;
quant à la difficulté d'exécution , c'eſt une
choſe affez arbitraire , qui dépend preſque
uniquement de l'habitude que plufieurs
perfonnes ont contractée , on fçait que ce
qui étoit d'abord très- difficile , peut devenir
fort aifé & fort commun .
Après cela , j'imagine que l'on trouvera
un peu de petiteffe & de ridicule dans le
confeil que me donne M. J. page 230 de
refter dans les bornes de la théorie jusqu'à
nouvel ordre , & de ne point raifonner fut
les chofes de pratique ; faut- il avoir limé
pendant trente ans pour connoître la force
d'un reffort , le mauvais effet d'un frottement
, pour diftinguer un grand arc d'un
plus petit , & une forme rectiligne d'une
forme circulaire . Pour voir fi les aîles d'un
pignon font égales , faut-il en avoir travaillé
deux ou trois mille ; la jufteffe de
l'oeil , l'ufage du compas ou des verres eſtil
réfervé exclufivement aux horlogers ; je
demande enfin en quoi confiftent les principes
particuliers de l'art ( page 228 ) que
M. J. prétend me faire regarder comme
un miſtère impénétrable pour moi , & fans
lequel je ne fçaurois juger du mécanisme
d'un échappement ; s'il ne me fuffit pas
JUILLET.
1755 189
d'en avoir vû faire , d'en avoir examiné
d'en avoir fait , d'en avoir éprouvé plufieurs
, pour en connoître les propriétés &
les défauts ; j'attendrai avec plaifir qu'on
m'inftruife de ce j'ignore à cet égard .
J'avouerai cependant que les avantages
de cette grande pratique qui forme l'entoufiafme
de M. J. me paroiffent bien méprifables
dans la circonftance préfente , en
voyant malgré fa fupériorité dans ce genre,
les contradictions où il tombe toutes les
fois qu'il s'agit de raifonner ou d'approfondir.
Il nous rappelle , par exemple , ( page
222 ) que dans fes premieres confidérations
, il avoit démontré les vices de la manivelle
qu'on employe dans le nouvel
échappement ; il infifte encore fur la divifion
qu'elle apporte dans la grandeur des arcs,
Lefpace qu'elle occupe inutilement , le poids
dont elle charge les pivots , la prife qu'elle
donne à l'air , les défauts de conftruction , les
difficultés d'exécution , qui ne croiroit après
cela M. J. bien affermi dans fon préjugé
contre cette manivelle ; on fe tromperoit
cependant beaucoup , puifqu'à la page fuivante
223 , ligne 3 , il dit que l'obftacle de
la manivelle eft plus dans l'imagination que
dans la réalité furtout relativement à la prife
qu'elle peut donner à l'air.
190 MERCURE DE FRANCE.
Mais pour faire voir encore mieux combien
la grande pratique de M. J. eft aveugle
, ſtérile , incertaine & peu propre à le
faire juger fainement d'une nouvelle invention
d'horlogerie , je vais montrer en
comparant deux paffages de fon livre, qu'il
ne connoît pas même en véritable artiſte ,
l'échappement à cylindre auquel il travaille
depuis quinze ans.
M. J. nous dit page 103 de fon Traité
des échappemens , qu'il a enfin déterminé la
nature des courbes qui doivent être placées
à la circonférence de la roue , en leur donnant
cette propriété , qu'étant divisées en
parties égales , ces parties operent chacune des
quantités de levée égales , il employe pluheurs
pages pour apprendre à former cette
courbe , & il lui donne de grands éloges ;
on s'imagine d'abord que ces recherches
font le fruit d'une expérience confommée ,
& que fans aller plus loin , elles peuvent
fervir de regle à tout le monde. On doit
être fort étonné en lifant un autre chapitre
de trouver ( page 116 ) en parlant de la
même courbe , que s'étant attaché à cette
courbe , il n'en avoit pas été plus fatisfait
que d'une autre qui après une très- profonde
fpéculation , lui avoit fait faire les plus.
mauvais échappemens ; il ajoûte qu'il n'eſt
d'aucune importance que chacune des parJUILLET.
1755. 191
ties de la courbe faffe décrire des arcs
égaux , & il démontre enfin qu'on doit rejetter
cette courbe. M. J. étoit- il moins éclairé,
lorfqu'il fit fa démonſtration de la page
103 , qu'en faifant celle de la page 116 ,
ou a-t-il mis vingt ans d'intervalle entre
ces deux chapitres ?
Il est donc clair que pour bien faire
une piece d'horlogerie , il n'eft pas toujours
néceffaire de fçavoir ce que l'on fait , ni
pourquoi l'on opere ; le coup de main qui
eft la feule qualité effentielle dans la pratique
n'apprend point à juger des effets que
doit avoir une machine , avant que de les
avoir éprouvé dans toutes les fituations &
dans toutes les circonstances.
Ainfi M. J. réduit lui -même à rien tout
ce qu'il a écrit là- deffus , & montre que
ce n'est qu'au hazard qu'il nous a fatigué
jufqu'à préfent de fes réflexions fur ces
matieres : l'intérêt fut d'abord fon principal
motif , il fe perfuada que venant demeurer
à Paris , & étant obligé de s'y faire
connoître , il falloit s'annoncer par un livre,
il prit pour fon fujet l'échappement à cylindre
, il apprit aux horlogers la maniere
dont il s'y prenoit pour le bien exécuter ;
il falloit s'en tenir-là ; l'adreffe & le talent
d'une heureuſe exécution , ne pouvoient
ſe tranſmettre au public ; mais en voulant
192 MERCURE DE FRANCE.
approfondir il s'égara ; il a cru depuis être
obligé de défendre l'échappement qu'il
avoit adopté contre un nouvel échappement
qui lui eft fupérieur , & qui alloit
faire abandonner l'ufage du premier ; mais
fes idées fe font confondues en voulant
foutenir un jugement qu'il avoit d'abord
hafardé. Il l'a fait fans équité , fans connoiffances
, fans égards , & il a préfervé le
public par fes contradictions des erreurs
qu'il avoit entrepris de répandre.
A Paris , le 22 Juin 1755 .
ARTICLE
JUILLET. 1755 193
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
L
E7 Juin les Comédiens François
donnerent Britannicus. Le fieur Rofimont
, qui avoit déja débuté l'année paſfée
, y joua le rôle de Burrhus. Le 14 , il
repréſenta Agamemnon dans Iphigenie , &
le 19 Dom Diegue , dans le Cid. Il a un
pathétique qui peut toucher en province ,
mais qui n'a pas eu le même bonheur à
Paris .
la
Le 23 un nouveau Roi parut fur la
fcène c'eft le fieur Dumenil qui étoit de
troupe de Compiegne. Il a débuté pour
la premiere & derniere fois par le rôle de
Palamede dans Electre . Pour me renfermer
dans le bien qu'on en peut dire , il a une
très belle voix.
On annonce encore pour Samedi prochain
28 , un troisieme Acteur qui doit
jouer Mitridate. Je fouhaite pour le bien
du théâtre françois que fon regne foit plus
long.
I
#
194 MERCURE DE FRANCE.
Le Jeudi 26 on donna la premiere repréfentation
de Zelide , Comédie en un
acte , en vers avec un divertiffement. Elle
fut précédée de Manlius , Tragédie de
la Foffe. M. Renout eft l'auteur de cette
petite Féérie qui a été très- bien reçue du
public , & qui annonce du talent.
COMEDIE ITALIENNE.
Es Comédiens Italiens continuent le
Maître de Musique. Ils l'ont joué le
21 Juin pour la dixieme fois. Il étoit précédé
de la Fête d'Amour, & fuivi du Mai ,
ce qui formoit un fpectacle auffi varié
qu'amufant. Plus on voit ce drame , plus
on en trouve les détails agréables.
Le 28 on en donna la treizieme repréfentation.
Nous promettons l'extrait pour
le Mercure d'Août.
Le 19 un nouveau docteur parut dans
les Anneaux magiques , Comédie italienne ,
& fut généralement applaudi. Une nou
velle Actrice italienne joua , dans la même
piece un rôle d'amoureuſe . Le public la
reçut avec bonté. Les débuts gagnent tous
les théâtres. Nous en parlerons . plus au
long le mois prochain , fuppofé qu'ils durent
.
JUILLET. 1755 195
ARTICLE SIXIEME.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU NOR D.
DE WARSOVIE , le 31 Mai.
HALY AGA, Ambaffadeur du Grand Seigneur ,
nople , & l'on attend inceffamment ce Miniftre .
On a effuyé à Polen un affreux orage , accompa-.
gné de grêle , dont les grains étoient d'une groffeur
extraordinaire. Le feu du ciel eft tombé fur
le village de Stipulke en Lithuanie , & a brûlé .
douze maiſons & quatorze granges.
On mande de Conftantinople que le nouveau
Grand Vifir vient d'obtenir pour fon fils la charge
d'Imbrahor , ou de Grand Ecuyer de Sa Hauteffe.
Les mêmes lettres ajoutent que vraisemblable .
ment le KiflarAga , ou Chef des Eunuques Noirs ,
ne demeurera pas long- tems en place , & qu'il
aura pour fucceffeur le Hafnadar Aga , ou Tréforier
de la caſſette du Sultan.
DE FRAUSTADT , le 26 Mai.
Ce matin l'Ambaffadeur de Sa Hauteſſe a eu
fon audience de congé du Roi ; il avoit eu fa
premiere audience le 22. Sa Majefté a repris cet
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
après-midi le chemin de Drefde. Pendant ſon fé
jour ici , elle a conféré le Palatinat de Volhinie
au Comte Potocki , & le Palatinat de Novogorod
au Prince Jablonowski . Le Comte Malachowski ,
Starofte d'Ofwieczim , a été pourvû de la charge
de Grand Ecuyer Tranchant de la Couronne , &
la place de Stolnitz de Lithuanie a été donnée au
fecond fils du Comte de Poniatowski , Caftellan
de Cracovie. Sa Majefté a fait choix du Comte de
Mnifzeck , Grand Chambellan de Lithuanie , pour
aller complimenter le Grand Seigneur fur ſon avénement
au Trône.
DE STOCKHOLM le › 30 Mai.
On a détaché douze cens hommes des Régimens
d'Uplande & de Sudermanie , pour travailler
aux fortifications en Finlande. Ils font partis depuis
quelques jours à bord de cinq galeres qui doivent
les tranfporter à Helfingford.
-
Les Auteurs des deux ouvrages que l'Académie
royale des Belles lettres couronna l'année derniere
, ont enfin ceffé de cacher leurs noms. Le
fieur Toncld , Auditeur de la Cour , a compofé la
differtation à laquelle le prix d'hiftoire a été adjugé.
La piece qui a remporté le prix de poëfie
eft du fieur Ancherfen , Profeffeur d'Eloquence
& Bibliothécaire de l'Univerfité à Coppenhague.
Par des Lettres circulaires que le Roi vient de
faire expédier , la Diete générale du Royaume eft
convoquée pour le 13 du mois d'Octobre prochain.
Le renouvellement des traités entre la Suede
& la Porte fera l'un des principaux objets des
délibérations de cette affemblée. Le fieur Celfing,
frere du Miniftre qui réfide de la part de cette
Cour à Conftantinople , est chargé de porter la
JUILLET . 1755. 197
réponſe du Roi à la Lettre que le Sultan a écrite à
Sa Majesté.
DE COPPENHAGUE, le 1 Juin..
La femaine derniere le Roi fit près d'Elfeneur
la revûe de fon Régiment d'Infanterie . Sa Majeſté
arriva ici le 24. Hier elle fe rendit avec le
Prince Royal au camp qu'elle a ordonné de former
près de cette ville ; & elle vit les troupes qui
s'y font raffemblées , faire diverſes manoeuvres
militaires.
Il a été réfolu dans une affemblée générale que
les actionnaires de la Compagnie Afiatique ont
tenue depuis peu d'augmenter de trois cens mille
écus de Banque le fond de cette Compagnie.
Un détachement de deux cens hommes doit
s'embarquer à bord des deux vaiffeaux qu'on arme
Four protéger la navigation des Danois dans la
Méditerranée. Le Roi eft retourné à Friedens
bourg .
ALLEMAGN E.
DE VIENNE , le 31 Mai.
Hadgi Ali Effendi , Envoyé extraordinaire du
Grand Seigneur , rendit le 22 vifite aux fieurs
de Gundel & de Binder , Référendaires de la Cour,
Il alla le même jour à la Comédie Françoife. On
ne fçait pas encore quand il aura fes audiences
de congé. Ce Miniftre montre beaucoup d'empreffement
à voir tout ce qui peut être dignè
de curiofité dans cette capitale & dans les envi.
rons. Le Baron de Penckler eſt attendu inceffamment
de retour de Conftantinople. Le Comte de
I iij
198 MERCURE DEFRANCE.
Colloredo , qui réfide en qualité d'Envoyé extraordinaire
de leurs Majeftés Impériales auprès
du Roi de la Grande- Bretagne , eft venu ici pour
recevoir de nouvelles inftructions , avant de fe
rendre à Hanovre.
On conftruit dans le jardin de Binder un vaſte
bâtiment ,,
pour y placer diverfes manufactures.
Les principaux féditieux de Croatie font arrêtés
ou difperfès , & la tranquillité eft rétablie dans
cette Province..
DE DRESDE , le 2 Juin.
Depuis le 27 du mois dernier , le Roi eft de
retour de Frauftadt. Sa Majefté n'a employé que
dix-huit heures à revenir de cette ville. Le Comte
de Soltikow , qui va remplacer à Hambourg le
Knés Gallitzin en qualité d'Envoyé extraordinaire
de l'Impératrice de Ruffie auprès du Cercle de
la Baffe-Saxe , fut préfenté le 29 à leurs Majeftés
& à la Famille royale. Le Roi a permis au Comte
de Flemming , fon Miniftre à la Cour de Vienne ,
de fe rendre ici. On compte qu'avant de retourner
en Autriche , il ira complimenter de la part
du Roi Sa Majefté Britannique fur fon arrivée
dans fes Etats d'Allemagne . Sa Majesté a donné
au Prince Maximilien , fecond fils du Prince-
Royal , le Régiment d'infanterie qui étoit vacant..
DE SCHWEDT , le 3 Juin.
Avant-hier le Roi de Pruffe arriva du camp de
Stargard en cette ville , & la cérémonie des fiançailles
de la Princeffe , feconde fille du Margrave ,
avec le Prince Ferdinand , frere de Sa Majefté
Pruſſienne , ſe fit avec la plus grande pompe. Le
JUILLET. 1755 . 199
mariage de ce Prince & de cette Princeffe , fera
célébré dans le mois d'Août à Berlin.
DE BERLIN , le 7 Juin.
Le Roi revint ici le 2 de ce mois , & Sa Majeſté
partit avant-hier pour Magdebourg. Elle doit y
faire la revue des troupés qui font campées près
de Pitzphul . De Magdebourg le Roi fe rendra à
Cleves, & enfuite à Embden. Le Prince héréditaire
de Heffe - Darmstadt , & le Prince Ferdinand de
Brunfwic , accompagnent Sa Majesté .
L'Académie royale des Sciences & Belles - lettres
tint avant-hier une féance publique à l'occafion
de l'anniverfaire de l'avènement du Roi au trône.
Le Prince Frederic - Henri- Charles , fecond fils
du Prince de Pruffe , honora cette affemblée de ſa
préfence. Le fieur Formey , Secrétaire perpétuel
de la Compagnie, annonça que le prix de la claffe
de Philofophie fpéculative , pour cette année , avoit
été adjugé à la Piece , no. 7 , ayant pour devife :
Nihil mortalibus arduum eft. İl informa en même
tems l'affemblée que l'auteur de ce Mémoire
eft le fieur Adolphe - Frederic Reinhard , Secre.
taire de Juftice du Duc de Mecklenbourg - Strelitz.
Après que le fieur de Maupertuis , Prefident de
l'Académie , eut lû l'éloge du feu Président de
Montefquieu ; le fieur Eller , Directeur , fit la defcription
d'un monftre Cyclope , né le premier Février
de cette année dans cette Capitale. L'Académie
propoſe pour le Sujet du prix , que la claſſe
de Philofophie expérimentale doit donner en 1757,
de déterminer , Si l'arfenic qui fe trouve en grande
quantité dans les mines métalliques de divers genres
, eft le véritable principe des métaux , ou fi
c'est une fubftance qui en naît & qui en fort par
voie d'excrétion.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
DE HANOVRE , le 7 Juin.
Toutes les troupes commandées pour former
un camp dans la plaine de Bult , s'y affemblent
aujourd'hui. On y conduifit hier un train d'artillerie
de trente pieces de canon.
Il est arrivé de Vienne le 28 du mois dernier ,
un courier avec des lettres de M. Keith , Miniftre
Plénipotentiaire de la Grande-Bretagne auprès de
leurs Majeftés Impériales. Le Comte de Holderneff
alla fur le champ rendre compte à Sa Majefté
du contenu de ces dépêches . Cette Cour
eft convenue d'un Cartel avec celle de Mayence ,
pour l'extradition réciproque des déferteurs .
On attend ici dans quelques jours la Princeffe
épouse du Prince héréditaire de Heffe -Caffel , &
les trois Princes fes fils . Le Roi fait travailler à
trois épées d'or , qu'il deftine pour ces Princes .
Sa Majefté a ordonné de fortifier la ville de Staden.
On va bâtir ici un nouvel Hôtel des Monnoies.
DE RATISBONNE , les Juin.
Sur le bruit qui s'eft répandu que les fujets Proteftans
de l'impératrice Reine , tranſplantés en
Hongrie & en Tranfilvanie , y éprouvoient de
mauvais traitemens , les Miniftres de cette Princeffe
à la Diete , ont diftribué un Mémoire pour
détruire ces fauffes allégations.
DE CLEVES , le 4 Juin.
La Régence a reçu un refcrit par lequel le Roi
lui enjoint de laiffer à la Communauté de Rons
dorff le libre exercice de la Religion Réformée.
JUILLET. 1755. 201
ESPAGNE.
DE LISBONNE , le Is Mai.
Deux des vaiffeaux deſtinés à croiſer ſur les côtes
de ce Royaume , mirent à la voile il y a quelques
jours. Ils ont pris fous leur convoi plufieurs
bâtimens Hollandois , qu'ils doivent eſcorter jufqu'au
cap de Finifterre."
DE MADRID , le 3 Juin.
On a célébré le 30 du mois dernier, avec beau
coup de magnificence , la Fête de Saint Ferdinand
dont le Roi porte le nom . Le foir , après
un divertiffement en mufique , leurs Majeftés fe
rendirent dans les jardins qui , par le goût nouveau
dans lequel ils étoient illuminés , offroient
un coup d'oeil des plus frappans. Un très- beau fea
d'artifice termina cette éclatante journée.
Le Roi a créé Grand d'Efpagne de la premiere
claffe le Marquis de Sarria , Lieutenant- Général
de ſes armées , & Colonel du Régiment des Gar
des Efpagnoles.
ITALI E.
DE NAPLES , le 19 Mai.
L'Infante , troifiéme fille de leurs Majeftés , eft
morte le 11 de ce mois au foir dans le château
de Portici. Cette Princeffe qui fe nommoit Marie-
Anne , étoit née le 3 de Juillet de l'année derniere .
Son corps fut apporté ici le 13 , pour être inhumé
dans le tombeau de la Famille royale.
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Le Marquis Fogliani dont la fanté eft par
faitement rétablie , fe difpofe à aller bientôt prendre
poffeffion de la Vice- royauté de Sicile. On
croit que Sa Majefté veut partager entre deux Miniftres
les départemens dont il étoit chargé , en
donnant au Marquis Tanucci celui des Affaires
étrangeres, & au Marquis Gregori ceux de la Guerre
& de la Marine..
Une felouque a conduit à l'Ifle de Nifita vingtdeux
Turcs faits efclaves fur une galiotte qu'elle
a coulée à fond près du canal de Piombino.
Les dernieres nouvelles de Sicile annoncent la
mort du Comte de Grimau , qui y exerçoit par inserim
les fonctions de Viceroi ..
DE ROME , le 7 Juin..
Le 23 Mai , le Margrave de Bareith prit la route.
Naples. La Margrave n'y fuivit ce Prince que
quelques jours après.
Sa Sainteté a accordé au Comte Paul de Canale
la furvivance de la charge de Gouverneur des armes
de l'Etat Eccléfiaftique , poffedée par le Bailli
Antinori.
L'Académie des Arcades vient d'aggréger à fon:
corps le Duc Clement - François de Baviere. Elle a
mis auffi au nombre de fes membres l'Abbé de:
la Baume , auteur du Poëme en Profe , qui a pour:
titre la Chriftiade , ou le Paradis reconquis.
DE FLORENCE , le 22 Mai .
Des détachemens ont été poftés en différen
endroits le long des côtes de ce Grand Duché ,
particulierement à l'embouchure de l'Arno , pouroppofer
aux defcentes que les Algériens pourroient
tenter. Selon les lettres de Livourne , un
JUILLET. 1755. 203
feloucon deſtiné à protéger la pêche du corail , a
attaqué trois petits bâtimens corfaires de Tripoli.
Deux ont été coulés à fond , & le troifiéme a pris
la fuite. On mande de Viterbe qu'une nuit de la
ſemaine avant la derniere , on y a effuyé trois violentes
fecouffes de tremblement de terre. L'allarme
fut telles que cette même nuit on fit une Proceffion
folemnelle , à laquelle tous les habitans
affifterent pour demander à Dieu d'être délivrés
de ce fléau .
DE LIVOURNE , le 5 Juiz.
Il paroît que la croifiere des vaiffeaux de guerre
de l'Empereur en a impofé aux barbarefques . Ces
corfaires , depuis quelque tems , ne s'approchent
plus des parages de ce Grand Duché.
Les lettres de Naples marquent qu'une polacre
d'Alger , qui troubloit la navigation entre là Sicile
& la Calabre , a été prife par le Capitaine
Peppe , commandant un des chabecs de Sa Majefté
Sicilienne. On a fait cinquante eſclaves à bord
de ce bâtiment .
DE VENISE , le 18 Mai.
On a été informé par un navire arrivé du Levant
, que le Capitan Pacha croiſe actuellement
dans l'Archipel , & qu'il a reçu ordre du Grand-
Seigneur , d'empêcher que les Algériens n'y trou
bla Tent la navigation des vaiffeaux Hollandois.
Le même bâtiment a rapporté que Mehemet Kan,
chef des Aghuans , s'eft mis fur les rangs pour difputer
la Couronne de Perfe. Ce nouveau compétiteur
eft à la tête d'une armée de cent mille hom
mes. Sa premiere expédition a été contre la ville
Ivj
204 MERCURE DE FRANCE.
de Meched , dont la prife lui a frayé le chemin
plufieurs autres fuccès. Il marche vers la capitale
du Royaume , dans le deffein d'y affiéger Azad
Kan , fi ce rival , qui eft le feul dont il ait à 1edouter
la concurrence , y demeure renfermé.
DE GENES , le 25 Mai.
Suivant les nouvelles d'Afrique , la Milice s'eft
de nouveau foulevée à Alger , & elle a exigé la
dépofition de quelques membres du Divan. Le
Dey , craignant les fuites de cette fermentation ,
doublé la garde de fon palais. Les mêmes avis
portent que tous les corfaires de Tunis , à l'excep¬
tion de deux , font rentrés dans leur port.
DE MILAN , le 27 Mai.
Après une longue féchereffe qui faifoit craindre
la perte totale de la récolte , eft enfin furvenue
une pluie abondante. Une maladie épidémique
fait beaucoup de ravages à Novare . Elle fe
manifefte par une fievre ardente , & elle emporte
en quatre ou cinq jours les perſonnes qu'elle at¬
taque.
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 12 Juin.
Tous les Officiers des vaiffeaux de guerre qui
font à Chatham & dans la riviere de Medway
ont ordre de fe rendre fur leurs bords. Il eſt arrivé
à Portsmouth quatre vaiffeaux de la Compagnie
des Indes Orientales , par lefquels on a appris
qu'il y avoit cu un grand incendie à Canton , &
JUILLET . 1755 . 205
*
que cet accident avoit caufé aux Anglois une perte
confidérable. On a reçu avis par quelques navires
revenus de Smirne , que l'Ile de Metelin avoit
beaucoup fouffert d'un tremblement de terre ; que
plus de deux mille fept cens maiſons avoient été
renverfées , & que plufieurs Infulaires avoient péri
fous les ruines de leurs habitations. Le bruit fe répand
que les Saletins ont déclaré la guerre à la
Grande-Bretagne , & qu'ils ont enlevé deux bâtimens
Anglois.
Une fregate arrivée le 30 du mois dernier à
Cork en Irlande , a rapporté que le 18 elle avoit
rencontré l'efcadre de l'Amiral Bofcawen. Deux
vaiffeaux de guerre partiront dans peu pour la
nouvelle Ecoffe. Le 6 , un bâtiment chargé de
munitions & de plufieurs foldats de recrues , fit
voile pour cette colonie. Les équipages des vaiffeaux
que les Commiffaires de l'Amirauté ont ordonné
d'armer à Spithead , font prefque complets.
On les exerce régulierement à la manoeuvre . Toutes
les nouvelles troupes de marine fe rendent
fucceffivement à Portsmouth & à Plymouth. Les
navires le Prince Edouard & le Grantham , appartenans
à la Compagnie des Indes Orientales ,
font entrés ces jours- ci dans la Tamile. Le premier
vient de Bombay ; le fecond de Bencolen.
La Compagnie attend plufieurs autres bâtimens .
On a appris par le vaiffeau l'Ilchefter , venant de la
Chine , que le 29 du mois d'Octobre dernier il y
avoit eu à Wampoa un grand incendie , dans lequel
quatre magafins , dont deux appartenoient
aux Anglois, & les deux autres aux Suédois, avoient
été réduits en cendres . Selon les nouvelles d'Amérique
, la colonie de Philadelphie ayant fourni
un fubfide de quinze mille livres fterlings , on a
diftribué les deux tiers de cette fomme dans les au
206 MERCURE DE FRANCE.
tres colonies Angloifes, pour fubvenir à une partie
des dépenfes qu'exige la levée des troupes .
On parle de former un camp dans Hyde Parc.
Le bruit court qu'on en formera auffi un de
tre mille huit cens hommes en Irlande .
qua-
Avant-hier ,fur une lettre anonyme qu'on trouva
dans la rue du Marché au foin , & qui portoit
qu'il y avoit des armes & de la poudre cachées
dans la maifon de l'Opera , les Directeurs de ce
fpectacle furent conduits en prifon, Bientôt on a
reconnu que cette accufation étoit une calomnie
inventée par quelqu'un de leurs ennemis. Moyennant
l'acte que le Parlement , dans fa derniere
Seffion , a donné en faveur des débiteurs inſolvables
, plus de douze cens perfonnes en cette feule
ville , recouvreront leur liberté. Le nombre de
celles qui , dans le refte de la Grande- Bretagne ,
profiteront de cet acte , monte au moins à cinq
mille.
PAYS - BAS.
DE LA HAYE , le 13 Juin.
Le Chevalier de la Quadra , qui depuis la mort
du Marquis del Puerto jufqu'à l'arrivée du Marquis
de Grimaldi , a été chargé des affaires de Sa
Majefté Catholique auprès de leurs Hautes Puiffances
, partit le 31 pour Hanovre . Il y remplira
les fonctions de Miniftre de la Cour de Madrid
pendant le féjour du Roi de la Grande - Bretagne
dans fon Electorat .
Les vaiffeaux le Sloterdyk , l'Espérance , le Kei
kenhof, le Cattendyk , le Bevalligheid , le Pilswaart
& le Rotterdam , appartenans à la Compagnie des
Indes Orientales , font arrivés au Texel. Ces bâJUILLET.
1755 207
timens viennent de Batavia , de Bengale & de Ceylan
. Ils ont laiffé au Cap de Bonne - Efpérance le
vaiffeau le Rhoon , qui revient de la Chine. Le
premier de ce mois les vaiffeaux de guerre le Waterland
& le Maarfen firent voile du Texel pour
aller protéger la navigation des navires Hollandois
dans la Méditerranée. » }
M. de Kauderbach , Réfident du Roi de Pologne
Electeur de Saxe , remit le 9 un Mémoire
au fieur de Gefler , Président de l'Affemblée des
Etats Généraux . Le lendemain , le Colonel York,
Envoyé extraordinaire du Roi de la Grande Bretagne,
eut une conférence avec quelques Seigneurs
de la Régence. M. Paravicini , ci -devant Conful .
de la nation Hollandoife à Alger , eft arrivé d'A
frique.
DE BRUXELLES , le 14 Juin.
Il y a ordre d'augmenter jufqu'à cent trentecinq
hommes chaque compagnie des Régimens
d'infanterie nationaux . Les deux derniers bataillons
du Régiment de Platz arriverent ici de Luxembourg
le 31 du mois dernier.
M. Molinari , Internonce du Pape en cette
Cour , a fait fçavoir à M. Van Haren , Député
des Etats Généraux des Provinces-Unies , que les
deux frégates Papales qui croifent fur les côtes de
l'Etat Eccléfiaftique , avoient ordre d'y garantir
les navires Hollandois des infultes des Algériens .
Cette déclaration a été reçue par M. Van-Haren
avec les marques d'une fincère reconnoiffance .
11 a affuré M. Molinari qu'il en informeroit au
plutôt leurs Hautes Puiffances , dans la perfuafion
qu'elles n'y feroient pas moins fenfibles .
208 MERCURE DE FRANCE.
D'ANVERS , le 4 Juin.
La tour de l'Eglife Paroiffiale de Saint - André
s'écroula fubitement le 30 du mois dernier à dix
heures & demie du foir . L'Eglife en a été confidérablement
endommagée , ainfi que plufieurs
maiſons voisines. Heureufement , perfonne n'a été
tué ni bleffé. Quelques heures plutôt , cet accident
auroit coûté la vie à trois ou quatre mille
habitans qui affiftoient au Salut dans cette Eglife..
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &6.
LE Roi fit le 6 Juin , au Champ de Mars dans le
parc de Marly , la revue des quatre Compagnies
des Gardes du Corps , de celles des Gendarmes &
des Chevaux - Legers de la Garde de Sa Majefté ,
des deux Compagnies des Moufquetaires , & de
celle des Grenadiers à Cheval. Sa Majefté paffa
dans les rangs , & les vit défiler. La Reine , Monfeigneur
le Dauphin , Madame la Dauphine , Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , Madame & Mefdames
de France affifterent à cette revue. Madame
la Dauphine qui avance heureuſement dans
fa groffeffe , ne s'eft point trouvée indifpofée de
cette promenade.
Nous joignons ici l'état de la revue du Roi ,
pour les deux Compagnies de fes Moufquetaires ,
tel qu'il nous a été envoyé.
JUILLET. 1755. 209
PREMIERE COMPAGNIE.
LE ROI , Capitaine ,
M. DE JUMILHAC , Capitaine - Lieutenant.
M. DE PERUSSY , premier Sous- Lieutenant.
M. DE CARVOISIN , fecond Sous- Lieutenant.
M. DE LA CHEZE , premier Enſeigne.
M. DE CUCÉ , fecond Enfeigne.
M. DE LA VAUPAILLERE , premier Cornette.
M. DE MONTILLET , fecond Cornette.
Maréchaux des Logis.
M. de Banne , premier Aide-major.
M. de Brunville .
M. de Chavigny.
M. de Bulftrode , fecond Aide- major.
M. du Rouret.
M. Huet.
M. de Nacquart.
M. de Beauclair.
M. de la Brulerie .
M. Dorvilliers.
}
M. La Foreft ,
M. Roberic , S
Moufquetaires préfens
Surnuméraires , abfens ou malades
Sous Aides-majors.
·
Total de la Compagnie
· :
286
88
• · 374
SECONDE COMPAGNIE. ›
LE ROI, Capitaine.
M. LE COMTE LE LA RIVIERE , Capitaine-Lieute
nant.
}
210 MERCURE DE FRANCE.
M. DE MONTBOISSIER , premier Sous - Lieutenant,
M. DE CHABANNES , fecond Sous- Lieutenant.
M. DE BISSY , premier Enfeigne.
M. DE VILLEGAGNON , fecond Enfeigne.
M. DE LA GRANGE , premier Cornette .
M. LE CHEVALIER DE VATAN , fecond Cornette.
Maréchaux des Logis.
M. de Savoify.
M. de Pidoux , abfent malade.
M. de Kerravel .
M. de la Gohiere , abfent malade.
M. de Garriffon , premier Aide- major.
M. de Montfort , abſent malade .
M. de Neufont..
M. de Vervan , abſent malade.
M. Dufou.
M. Ancelet , fecond Aide-major.
· 195
Moufquetaires en pied préfens
Moufquetaires en pied abfens malades ,
Moufquetaires furnuméraires préfens , 143
Total 343
On apprend par les lettres de Moulins, du 6 Juin ,
que la nuit du 2 au 3 le feu y a pris au château ,
dans l'appartement occupé par le Marquis des
"Gouttes , Capitaine des vaiffeaux du Roi. Les fecours
n'ont pû être auffi promts que l'exigeoit la
circonftance ; & le corps du château a été prefque
totalement réduit en cendres . On ne fçait pas
encore à quoi peut monter la perte caufée par cetincendie.
Il y a eu deux hommes tués , & plufieurs
bleffés , par l'écroulement des charpentes.
Le 6, au départ du courier , le feu étoit encore
JUILLET . 1755. 21T
dans les bas appartemens , mais il n'y avoit aucun
danger pour le refte du château . Si le vent qui
foufoit avec violence dans le commencement de
l'embraſement , cût continué , une partie de la
ville eût couru un très - grand rifque. M. de
Lherbouché , un des Aumôniers de la Gendarmerie
, dont l'Etat-Major eft en quartier à Moulins ,
a rendu en cette occafion des fervices importans.
Touché des cris de la Marquife des Gouttes , qui
demandoit qu'on fauvât fes enfans , il ſe rendit
courageufement avec un feul domeſtique à leur
appartement qui étoit déja tout en feu ; & il les
retira du milieu des flammes . Il s'eft porté avec la
même intrépidité dans tous les lieux les plus périlleux
, où la préfence pouvoit être de quelque
utilité.
Le 7 , le Roi revint de Trianon où il étoit allé
le s.
Le Comte de Sartirane , Ambaſſadeur ordinaire
du Roi de Sardaigne , eut le 8 une audience particuliere
du Roi , à laquelle il fut conduit par le
Marquis de Verneuil , Introducteur des Ambaffadeurs.
La Marquife de la Ferté fut préfentée le même
jour à leurs Majeftés & à la Famille royale ,.
par la Comteffe de Marfan , Gouvernante des Enfans
de France . Le même jour , la Marquife de
Lhopital préfenta la Marquife de Merinville.
Le Roi partit le 9 pour Crecy , où Sa Majeſté
demeura jufqu'au 14 ; elle y retourna le 16 , & en
revint le 21.
Sa Majesté a accordé les honneurs de Grands-
Croix de l'Ordre royal & militaire de S. Louis
.au Comte de la Riviere , Capitaine-Lieutenant de
la feconde Compagnie des Moufquetaires ; au
Baron de Zurlauben , Colonel du Régiment des
212 MERCURE DE FRANCE.
Gardes-Suiffes ; & au Vicomte du Suzy , Major
des Gardes du Corps.
M. de Buffy , premier Commis des Affaires
étrangeres , a été nommé par le Roi , pour fe
rendre à Hanovre en qualité de Miniftre de Sa
Majefté auprès du Roi de la Grande-Bretagne.
M. L'Abbé , Comte de Bernis , Ambaſſadeur du
Roi auprès de la République de Veniſe , eſt arrivé
depuis quelques jours ; & il a eu l'honneur
de rendre fes reſpects à Sa Majefté.
Dom Jean-François de Brezillac , Bénédictin
de la Congrégation de S. Maur , a préfenté au
Roi le fecond volume de l'hiftoire des Gaules &
des conquêtes des Gaulois .
L'Affemblée générale du Clergé a accordé par
une délibération unanime le fecours de feize millions
, demandé de la part du Roi par les Commiffaires
de Sa Majeſté.
Sa Majeflé a accordé au fieur de Senozan , fils
du Préſident de Senozan , & petit -fils de M. de
Lamoignon , Chancelier de France , l'agrément de
la charge d'Avocat général au Grand Confeil ,
qu'avoit M. Seguier, Avocat général au Parlement.
Monfeigneur le Dauphin vint le 16 de ce mois
fur les fix heures du foir , fe promener à cheval
dans le Cours.
Madame la Dauphine fut faignée le 21 par
précaution .
Le 24, le Baron Wan Eyck , Envoyé extraordinaire
de l'Electeur de Baviere , eut fa premiere
audience publique du Roi.
Le Marquis du Châtelet Lomont , Lieutenant
général des armées du Roi , a obtenu le Gouvernement
de Toul qui vaquoit par la mort du Comte
de Caſteja.
Sa Majeſté a nommé Commandeur de l'Ordre
JUILLET . 213
1755 .
royal & militaire de S. Louis le Marquis de Balincourt
, Lieutenant général de ſes armées , & Lieutenant
des Gardes du Corps dans la Compagnie
de Villeroi .
Le Roi a difpofé du Régiment d'Infanterie allemande
, vacant par la mort du Maréchal -Comte
de Lowendalh , en faveur du Comte de Lowendalh
fon fils , Capitaine dans le même Régiment.
En même-tems Sa Majefté a déclaré qu'elle
augmentoit de quatorze mille livres la penfion
de deux mille écus , dont jouiffoit déja là Maréchale
de Lowendalh .
La Brigade des Gardes du Corps , que le feu
Marquis de Varneville commandoit dans la Compagnie
de Villeroi , a été donnée au fieur de la
Ferriere , Maréchal de camp , Exempt dans cette
Compagnie , & Aide-major des Gardes du Corps.
M. de Cherifey fuccede à M. de la Ferrière
dans la place d'Aide- major.
Le marquis de Calvieres , Lieutenant - général
des armées du Roi, Commandeur de l'Ordre de S.
Louis , & Lieutenant des Gardes du Corps , ayant
demandé la permiffion de fe demettre de fa Brigade
: Sa Majesté en a diſpoſé en faveur du Chevalier
de Scepeaux , Meftre de camp de Cavalerie.
Le Roi a accordé au Marquis de Calvieres ,
outre la retraite ordinaire , l'expectative d'une
place de Grand-Croix dans l'Ordre de S. Louis.
Les vaiffeaux le Duc de Bourgogne & le Duc
d'Orléans , appartenans à la Compagnie des Indes
, font arrivés , l'un le 8 , l'autre le 21 , a port
de l'Orient. M. Dupleix , ci -devant Gouverneur
général des établiffemens de la Compagnie dans
PInde , eft de retour par le dernier de ces deux
vaiffeaux.
Le nommé Songeux , Maître Maçon , eft mort
214 MERCURE DE FRANCE.
à Fontainebleau , âgé de cent cinq ans.
Le 26 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix-fept cens foixante- dix-fept livres
dix fols ; les billets de la feconde lotterie royale
à fept cens cinquante-deux. Les billets de la pres
miere lotterie étoient à huit cinquante-deux.
BENEFICES DONNÉS.
Lefteaux,Diocefe de Troyes, à l'Abbé Mignot,
E Roi a donné l'Abbaye de Sellieres , Ordre de
Confeiller-Clerc au Grand- Confeil ; P'Abbaye
Réguliere de Saint-Sulpice , Ordre de S. Benoît ;
Dioceſe de Rennes , à la Dame de la Bourdonnaye
, Religieufe de l'Ordre de Fontevrault ; le
Prieuré conventuel & électif de Boutteville , Or
dre de S. Auguſtin , Dioceſe de Saintes , à l'Abbé
de Barret , Vicaire général de l'Evêché de Bazas.
Sa Majesté a nommé à l'Evêché de Marſeille
vacant par le décès de M. de Belfunce de Caf
telmoron , M. Jean- Baptifte de Belloy , Evêque
de Glandeve , à la charge de deux mille huit cens
livres de penfions :
SCAVOIR ,
1000 livres à M. Olivier , Prêtre du Dioceſe de
Marſeille ;
1000 livres à M. Pierre de Châteauneuf de la
Saigne , Prêtre du Dioceſe de Mende ;
800 livres à M. Ange- Jofeph Dalleman , Prê
tre du Dioceſe de Carpentras.
Le Roi a donné l'Abbaye de Saint Arnoul , Ordre
de S. Benoît , Diocefe & ville de Metz , va-
Cânte par le décès de M. de Belfunce , à M. Fran-
1
JUILLET. " 1755. 215
çois - Joachim de Pierre de Bernis , Soudiacre ,
Comte de Lyon , & Ambaſſadeur du Roià Veniſe.
L'Abbaye de Chambons , Ordre de Câteaux ,
Dioceſe de Viviers , vacante par le décès de M. de
Belfunce , à M. René-Jofeph-Marie de Gouyon
de Vaurouault , à la charge de quatre mille deux
cens livres de penſions :
SCAVOIR ,
1200 livres à M. Schier , Grand Vicaire de
Rouen ;
12,00 livres à M. Laugier dè Rouffet de Beanrecueil
, Grand Vicaire de Senez ;
1000 livres à M. Gaubert , Prêtre ;
800 livres à M. de Boifmilon Dorgeville , Prê
tre du Dioceſe d'Evreux.
L'Abbaye de Maizieres , Ordre de Câteaux
Diocefe de Châlons-fur-Saone , vacante par le
décès de M. Hennequin d'Ecquevilly , à M. de
Romilley , à la charge de 3400 livres de penſions.
S ç AVOIR ,
1200 livres à M. d'Aguille , Grand Vicaire de
Condom ;
800 livres à M. Château de la Fayette ;
800 livres à M. Cliquet de Fontenai , Prêtre
du Dioceſe de Paris ;
600 livres à M. Bonvallet des Broffes , Prêtre
du Diocefe de la Rochelle.
216 MERCURE DE FRANCE.
I
MARIAGES ET MORTS.
E 1 Février , François- Philibert de Bonvouft ;
Mcflire
>
Philibert de Bonvouft , Marquis de Prulay , Ca
pitaine-Lieutenant des Gendarmes Dauphins , &
de Dame Marie de la Grange , fut marié le premier
Février à Damoiſelle Marie- Louife -Françoiſe
Durey de Noinville , fille de Meffire Jacques-
Bernard Durey de Noinville , Maître des Requê
tes , & Préfident honoraire au Grand- Confeil , &
de Dame Marie -Françoife- Pauline de Simiane.
La cérémonie fut faite dans la Chapelle de l'hôtel
de Pons , par l'Evêque de Gap.
Jean-Paul-François de Noailles , Comte d'Ayen,
Gouverneur & Capitaine des Chaffes de S. Germain-
en- Laye en furvivance , époufa le 4 Février
Damoiſelle Henriette-Anne- Louife Dagueffeau ,
fille de Meffire Jean- Baptiste- Paulin Dagueffeau
de Frefnes , Confeiller d'Etat ordinaire , & de
feue Dame Anne- Louife-Françoiſe Dupré. La
Bénédiction nuptiale leur fut donnée par l'Archevêque
de Rouen , dans la Chapelle de l'hôtel de
Machault. Le Comte d'Ayen eft fils de Louis de
Noailles , Duc d'Ayen , Chevalier des Ordres du
Roi , Lieutenant général des Armées de Sa Majefté
, Capitaine de la Compagnie Ecoffoife des
Gardes du Corps , Gouverneur de la Province de
Rouflillon , en furvivance , Gouverneur & Capiraine
des Chaffes de S. Germain- en - Laye , & de
Catherine - Françoife - Charlotte de Coffé de
Briffac.
Meffire Simon-Claude Graffin , Maréchal des
Camps & Armées du Roi , Lieutenant pour Sa
Majeſté
JUILLET. 1755. 217
Majefté , & Commandant des Ville & Citadelle de
Saint -Tropez , fut marié le 6 Mars en fecondes
noces , à Damoiſelle Marguerite- Françoife- Genevieve
de Vion de Teffancourt de Maifoncelle ,
fille de feu Meffire René de Vion , Seigneur de
Teffancourt - Maiſoncelle , & de Dame Marie-
Marguerite de la Salle.
ma-
Meffire Jofeph-Augufte le Camus , fils de Meffire
Barthélemi le Camus , Gouverneur de Mevoillon
, & de Dame Jeanne de Caufans , fut
rié le 18 à Damoiſelle Antoinette-Nicole le Camus
, fille de Meffire Nicolas le Camus , Commandeur
des Ordres du Roi , & ci - devant Premier
Préfident de la Cour des Aydes .
Le 8 Avril , Meffire Jean- Baptiste- Calixte de
Montmorin , Marquis de Saint - Herem , Colonel
d'un Régiment d'Infanterie de fon nom fuc
marié à Damoiſelle Amable- Emilie - Gabrielle le
Tellier de Souvré , fille de Meffire François - Louis
le Tellier , Comte de Rebenac , Marquis de Souvré
, Chevalier des Ordres du Roi , Lieutenant
général des Armées de Sa Majesté , & Lieutenant
général pour le Roi dans les Provinces de haute
& baffe-Navarre & de Bearn , Maître de la Garderobe
de Sa Majefté , & de feue Dame Jeanne-
Françoiſe Dauvet des Marefts. La Bénédiction
nuptiale leur fut donnée dans la Chapelle de la
Congrégation de S. Sulpice , par l'Evêque d'Agen.
Leur contrat de mariage avoit été figné le 6 par
Leurs Majeftés & par la Famille royale . Le Marquis
de Saint- Herem eft fils de Meffire Jean-
Baptifte-François , Marquis de Montmorin , Lieutenant
général des Armées du Roi , & Gouverneur
de Fontainebleau , & de Dame Conftance-Lucie
de Valois de Villette.
La Maiſon de Montmorin qui tire fon nom
K
21S MERCURE DE FRANCE.
par
d'une terre en Auvergne , doit être comptée parmi
les premieres de cette Province & les plus anciennes
du Royaume . Elle n'eft pas moins illuftre
fon ancienneté . Calixte I , fes alliances que par
Seigneur de Montmorin , qui vivoit fous le regne
du Roi Lothaire , & qui eft mentionné dans une
charte du Prieuré de Saucillange , avec Hugues
fon fils , eft le 9e ayeul de Geoffroi , Seigneur de
Montmorin , qui vivoit en 1417 , & qui de fa
femme Dauphine de Thinieres , eut pour fecond
fils Jacques de Montmorin , Seigneur de Saint-
Herem , du chef de fa femme Jeanne Gouge , dire
de Charpaigne , mere de Gilbert de Montmorin ,
qui d'Alix de Chalancon eut Jean de Montmorin ,
Seigneur de Saint- Herem , allié en 1490 à Marie
de Chazeron. Leur fils François de Montmorin ,
Gouverneur de la haute & baffe- Auvergne , eut de
Jeanne de Joyeuſe , Gafpard de Montmorin ,
Gouverneur d'Auvergne après fon pere , & Jean ,
qui époufa Gabrielle de Murol , Dame du Broc
de Gignac , & de Saint - Bonnet. Leur fils Gafpard
de Montmorin , Seigneur de Saint-Herem , fut
allié à Claude de Chazeron , mere de Gilbert-
Gafpard de Montmorin , décedé le 27 Février
1660 , laiffant de Catherine de Caftille , François-
Gafpard & Edouard de Montmorin , qui ont formé
les deux branches qui fubfiftent aujourd'hui.
François -Gafpard , l'aîné fut grand Louvetier de
France en 1655 , Gouverneur & Capitaine des
Chaffes de Fontainebleau . Son fils Charles- Louis
de Montmorin , qui eut la furvivance de cette
derniere Charge , eft ayeul par ſa femme Marie-
Genevieve Rioult de Douilly, du Marquis de
Montmorin qui donne lieu à cet article.
Voyez l'Hiftoire des Grands Officiers de la
Couronne , t. 8. p . 813 , & les Tablettes hiftoriques
, t. 4. p . 419 .
JUILLE T. 1755. 219
Meffire Charles- Adrien , Comte de Ligny , Vicomte
de Damballe , Meftre de Camp de Cavalerie
, époufa le 17 Avril Demoiſelle Elifabeth-
Jeanne de la Roche de Rambures , fille de Meffire
Louis-Antoine de la Roche , Marquis de Rambures
, Maréchal des Camps & Armées du Roi , &
de Dame Elifabeth - Marguerite de Saint- Georges
de Verac. La Bénédiction nuptiale leur fut donnée
par l'Evêque de Meaux , dans la Chapelle
particuliere de l'hôtel de Rothelin . Le Comte de
Ligny eft veuf de Dame Reine -Magdeleine de '
Hunoffthein.
Marie-François- Henri de Francquetot , Marquis
de Coigny , Meftre de Camp général des
Dragons de France , & Gouverneur de Choify-le-
Roi , fils de feu Jean- Antoine- François de Francquetot
, Comte de Coigny & de Dame Théreſe-
Jofephe-Corentine de Nevet , & petit-fils du Maréchal
de France de ce nom , fut marié le 21 à
Dame Marie-Jeanne- Olimpe de Bonnevie , Dame
des Ville & Marquifat de Vervins , veuve de
Louis- Augufte , Vicomte de Chabot.
Voyez les Tablettes hiſtoriques , 3e part. p . 60,
& 4 part . p . 310..
Armand , Marquis de Bethune , Meftre de
Camp général de la Cavalerie , veuf de Dame
Marie- Edmée de Boullongne , a épousé le 22 Avril
Damoiselle Louiſe- Théreſe Crozat de Thiers , fille
de Meffire Antoine - Louis Crozat de Thiers , Brigadier
des Armées du Roi & Lecteur du cabinet
de Sa Majefté , & de Marie - Louife-Auguftine de
Laval-Montmorenci . L'Evêque de Blois leur donna
la Bénédiction nuptiale dans la Chapelle du château
de Brunoy.
Meffire Jean -Fréderic de la Tour- Dupin de
Gouvernet , Comte de Paulin , Marquis de la
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
Roche- Chalais , Colonel dans le Corps des Gre
nadiers de France , a été marié le 24 à Demoiſelle
Cecile- Marguerite-Séraphine Guignot de Monconfeil,
fille de Meffire Etienne Guignot , Marquis
de Monconfeil , Lieutenant général des Armées
du Roi & Inspecteur général de l'Infanterie , &
de Dame Cécile - Thérefe Rioult de Curfay. Leur
contrat de mariage avoit été figné le 22 par leurs
Majeftés & par la Famille royale.
Meffire François de Laftic , Comte de Laftic ,
Capitaine de Cavalerie dans le Régiment de Saint-
Jal , fut marié le 30 à Demoiſelle Anne Charron
de Menars , fille de feu Meffire Michel-Jean-
Baptifte Charron , Marquis de Menars , Brigadier
d'Infanterie , Capitaine des Chaffes de la Capitainerie
de Blois & Gouverneur du Château de ladite
Ville , & de Dame Anne de Caftres de la
- Rivierre. La Bénédiction nuptiale leur fut donnée
dans l'Eglife de Saint Sulpice , par l'Evêque de
Comminges. Le Comte de Laftic eft fils de Meffire
François , Marquis de Laftic , Maréchal des Camps
& Armées du Roi , & Lieutenant des Gardes du
Corps , & de Dame Magdeleine-Héleine Camus
de Pontcarré.
Le 2 Mars eft mort à Paris Louis de Rouvroi ,
Duc de Saint-Simon , Pair de France , Grand d’Efpagne
de la premiere claffe , Chevalier des Ordres
du Roi, Vidame de Chartres, Gouverneur des Ville,
Château & Citadelle de Blaye , ainfi que du Fort
de Medoc , Grand Bailli & Gouverneur de Senlis ,
& du Pont Saint- Maxence. Ce Seigneur étoit âgé
de 30 ans. Il avoit été du Confeil de Régence &
Ambaffadeur extraordinaire du Roi en Espagne.
Par cette mort fe trouve éteinte la Duché-
Pairie de Saint-Simon , & la derniere branche de
l'illuftre Maifon de Rouvroi- Saint- Simon , ne
JUILLET. 1755 . 221
reftant de cette branche Ducale que Marie-Chrif
tinc - Chrétienne de Saint-Simon , fille unique de
Jacques- Louis de Rouvroi S.Simon , Duc de Ruffec ,
mort en 1746 , & de Catherine - Charlotte- Thérefe
de Gramont , fille d'Antoine , Duc de Gramont.
Elle eft petite- fille du Duc dont nous annonçons
la mort & a époufé le 10 Décembre 1749 ,
Charles-Maurice Grimaldi , appellé Comte de
Valentinois.
Il y a encore trois autres branches de la Maifon
de Saint- Simon , aînées de la Ducale . La premiere
fubfifte dans la perfonne de Claude , Bailli de
Saint-Simon , qui a été Général des Galeres de
Malche en 1735 & 1736 , & de Claude de Saint-
Simon , Evêque de Metz , fon frere. La feconde
a pour chef Louis- Gabriel de Saint-Simon , Marquis
de Montbleru , veuf depuis le mois de Décembre
1753 , de Catherine-Marguerite Pineau
de Lucé , de laquelle il a quatre garçons & quatre
filles. La troifieme branche fubfifte dans cinq
garçons & une fille , enfans de Louis François de
Saint-Simon , Marquis de Sandricourt , Lieutenant
général des Armées du Roi , mort en 1749 ,
& de Marie- Louife- Gabrielle de Gourgues , mortè
cn 1753.
Marie-Thérefe- Emmanuelle Cafimire- Genevieve
de Béthune , époufe de Louis - Augufte Fouquet
de Belle-Ifle , Duc de Gifors , Pair & Maréchal de
France , Prince du S. Empire Romain , Chevalier
des Ordres du Roi & de l'Ordre de la Toifon d'or,
Gouverneur des Ville & Citadelle de Metz & du
pays Meffin , Commandant en chef dans les trois
Evêchés , frontiere de Champagne & pays de Luxembourg
, & Lieutenant général des Duchés de
Lorraine & de Bir , aft morte le 3 dans la 46€
année de fon âge.
K iij
222
MERCURE DE FRANCE.
Dame Françoife - Marie - Eliſabeth Couvay ,
époufe de Louis Balb- Bertons , Marquis de Crillon
, Maréchal des Camps & Armées du Roi ,
mourut à Paris le 6 Mars âgée de 30.
Le Comte de Rohan , Chambellan , Grand
Fcuyer & Grand Veneur de l'Infant Duc de Parme
, eft mort à Parme le 7 Mars .
Diane-Henriette de Bafchi d'Aubaïs , épouſe
de Jofeph de Montainard , Marquis de Montfrin ,
Comte de Souternon , eft morte le 18 au château
de Montfrin en Languedoc , dans fa 44° année.
Voyez Bafchi, 4. part. des Tablettes hiftoriques
, pag. 170 , 212 , 217 & 32 5. & Montainard ,
ibid. pag. 110 & 158.
Meffire Matthieu-Henri Molé de Champlaftreux
, fils de Meffire Matthieu-François Molé ,
fecond Préfident du Parlement , eft mort le 20 dans
fa 7e année.
Catherine - Charlotte - Thérefe de Gramont
veuve de Jacques- Louis de Saint- Simon , Duc de
Ruffec , Pair de France, Vidame de Chartres, Chevalier
de la Toifon d'or, mourut en cette ville le 21
agée de 48 ans . Elle avoit été mariée en premieres
nôces à Philippe- Alexandre , Prince de Bournonville
, mort en 1727. Elle étoit fille d'Antoine de
Gramont , Pair & Maréchal de France , Lieutenant
général de Navarre & de Bearn , Colonel du Régiment
des Gardes-Françoifes , & de Marie- Chrif
tine de Noailles.
Le fieur Jacques Molin , Médecin de la Faculté
de Montpellier , & l'un des Médecins confultans
du Roi , eft mort le 21 Mars âgé de 92 ans. Ses
lumieres , fon expérience & fes fuccès , l'ont fait
compter , avec juftice , au nombre des plus grands
Médecins de ce fiecle.
Meffire Nicolas- Alexandre de Ségur , Préfident
JUILLE T. 1755. 223
honoraire du Parlement de Bordeaux , eft mort le
24 dans la cinquante-huitieme année de fon âge.
Meffire Pierre de Forges , Marquis de Châteaubrun
, eft mort le 28 en fon château de Châteauvieux
, âgé de 75 ans . Il laiffe deux fils & trois
filles de fon fecond mariage avec Dame Gabrielle
de la Marche , fille de Meffire François de la Marche
, Baron de Fins , & de feu Gabrielle de Montmorenci.
Augufte-Henri , Comte de Friefe , Maréchal
des Camps & Armées du Roi , Meftre de Camp
d'un Régiment de Cavalerie légere de fon nom ,
& Colonel- Lieutenant du Régiment de Madame
la Dauphine , mourut à Paris le 29 Mars âgé de
27 ans .
Meffire Guillaume Raffin d'Hauterive , Abbé
de l'Abbaye de Belleville , Ordre de Saint Auguftin
, Diocèse de Lyon , eft mort le 31 dans fa
78e année.
Le 2 Avril , Meffire Jofeph- Philibert d'Apchier,
Comte deVabres,des Deux Chiens & de la Baume,
Grand Sénéchal d'Arles , eft mort en cette ville
dans la 69° année de fon âge.
Dame Marie -Jofephe le Duc , veuve de Meffire
Jules , Marquis de Grave , eft morte le 6 Avril
âgée de 70 ans.
Dame Catherine-Félicité -Arnauld de Pompon
ne , veuve de Meffire Jean-Baptifte Colbert , Mar
quis de Torcy , Commandeur des Ordres du Roi ,
Miniftre & Secrétaire d'Etat , ayant le département
des Affaires étrangeres , & Surintendant des
Poftes , mourut à Paris le 7 âgée de 77 ans.
Dame Marie -Magdeleine Čamus de Pontcarré ,
veuve de Meffire Louis- Balthazard de Ricouart
Comte d'Herouville , mourut le 12 du même mois.
Meffire Jochim l'Efpinette-le- Mairat , Seigneur
K iiij
224 MERCURE DE FRANCE.
de Nogent , Préſident de la Chambre des Comp
tes , eft mort le 15 âgé de 74 ans .
Meffire Gabriel Tachereau de Baudry , Confeiller
d'Etat ordinaire & Intendant des Finances ,
mourut en cette ville le 22 âgé de 82 ans.
Meffire Jean-Baptifte de Francheville , Préfident
du Parlement de Bretagne , mourut le 29 âgé de
67 ans.
Meffire Jean Bart , Vice-Amiral , Grand- Croix
de l'Ordre royal & militaire de Saint Louis , eſt
mort à Dunkerque fur la fin d'Avril.
Le 4 Mai , Meffire Nicolas Malezieu , Major
de Carabiniers , fils de Meffire Pierre de Malezicu,
Commandeur de l'Ordre royal & militaire de
S. Louis & Lieutenant général des Armées du
Roi , & de Dame Marthe Stoppa , mourut à Paris
dans la 34 année de fon âge .
Don Manuel Gallevon , Comte de la Cerda •
Commandeur de l'Ordre de Chrift , & Envoyé
extraordinaire du Roi de Portugal auprès de Sa
Majefté , mourut le 9 en cette ville âgé de 60
ans.
Meffire Charles - Louis de Biaudos , Comte de
Cafteja , Maréchal des Camps & Armées du Roi
Gouverneur de Toul & de Saint- Dizier , ci devant
Ambaffadeur de Sa Majefté en Suede , eft mort le
10 dans la 72 ° année de fon âge.
Dame Marie-Françoife- Victoire de Verthamon
, veuve de Meffire Louis de Perruffe , Comte
d'Efcars , Lieutenant général pour le Roi au Gouvernement
du haut & bas Limoufin , mourut le
12 au château d'Eſcars , dans la 72º année de fon
âge .
Jean - Marie de Bourbon , Duc de Châteauvilain
, fils de Louis-Jean-Marie de Bourbon , Duc
de Penthievre , & de feue Marie- Thérefe- Félicité
JUILLE T. 1755. 225
'Eft , Princeffe de Modene , mourut le 19 à Paris,
âge de fix ans , fix mois & deux jours.
Mre Marc- René des Ruaux de Rouffiac , Abbé
de l'Abbaye de Notre-Dame de Sellieres , Ordre
de Citeaux , Diocèfe de Troyes & Vicaire Général
de l'Evêché de Sarlat , mourut à Verſailles le
25 dans fa quarante- cinquiéme année.
Meffire Pierre-Emmanuel , Marquis de Roquelaure
, eft mort dans le mois de Mai , dans fon
château en Auvergne , âgé de quatre- vingt - deux
ans.
Meffire Samuel de Meherenc , Comte de Varennes
, l'un des Lieutenans de Roi dans la Province
de Flandres , Lieutenant pour Sa Majefté &
Commandant au Gouvernement de Béthune , eſt
mort en Normandie dans fa foixante- dix- huitieme
année.
L'Eglife de France vient de perdre un Prélat digne
des premiers temps. Son nom manque à la
lifte des Princes de l'Eglife , dont la pourpre eut
reçu un nouvel éclat , s'il en eut été décoré,
il en
Henri-François- Xavier de Bel unce de Caftelmoron
, étoit né en Décembre 1571. Il entra dans
la Société des Jéfuites en Septembre 1691 ,
fortit pour être grand- Vicaire de l'Evêque d'Agen ;
il fut nommé à l'évêché de Marfeille en 1709 , &
facré à Paris en 1710 pendant l'affemblée du Clergé
à laquelle il étoit député en qualité de fuffragant
de la province d'Arles . La peffe arrivée à Marfeille
en 1720 , & qui dura toute l'année 1721. fit éclater
fa charité, fon courage & fon zèle , & nous fit voir
un fecond Charles -Boromée . M. le Régent ne tarda
pas à récompenfer tant de vertus , en le nommant
le 16 Octobre 1723 à l'Evêché de Laon , feconde
pairie du royaume . Il en étoit d'autant plus
digue qu'il refufa ce nouvel honneur , pour fe
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
conſerver tout entier à fon troupeau pour lequel
il avoit facrifié fes biens , & tant de fois expofé fa
vie. Il continua de vieillir dans les travaux apoftoliques
, parcourant fon diocèfe en fimple miflionnaire
, & verfant partout avec profuſion ſes inftructions
& fes aumônes. Clément XI. lui envoya
le pallium , & l'honora de plufieurs brefs : ce Pape
mourut au moment où il alloit le faire cardinal :
on ne doit pas omettre que ce Prélat a refufé depuis
l'archevêché de Bordeaux . Il est mort le 4
Juin , au même jour où la ville de Marſeille renouvelle
tous les ans la confécration qu'il fit pendant
les horreurs de la pefte , de lui & de tout fon
peuple au facré coeur de Jefus. Les regrets de tous
les habitans de cette ville , & les honneurs rendus
à cet illuftre Prélat , éterniferont à jamais la mémoire
& leur reconnoiffance.
Sa Maiſon eſt trop connue pour entrer ici dans
un grand détail : originaire de Navarre , & portant
dans fes armes depuis un tems immémorial
celles de Bearn , elle fe perd dans les tems les plus
reculés . La fuite non interrompue des ancêtres de
M. de Marſeille , remonte à un Guillaume de Belfunce
, Vicomte de Macaye qui tefta en 1209. Les
Seigneurs de Belfunce font en poffeffion du titre
de Vicomtes depuis le douzieme fiecle. Les chroniques
de Bayonne rapportent l'entreprise d'un
cadet de Belfunce qui combattit un monftre à trois
têtes , & qui fut écrasé par ce monftre après l'avoir
tué. L'événement fabuleux ou véritable en eft
confervé par ce qui fe voit dans leurs armes ; c'eſt
un dragon qu'ils ont ajouté à leur écu par la permiffion
du Roi de Navarre Charles III , dit le
Noble. Ils pofféderent les premieres charges dans
la maifon des Rois de Navarre. Le titre de Ricombre
qui répond à celui de haut & puiſſant SeiJUILLET.
1755. 227
gneur , fut concédé à Guillaume- Arnaud de Belfunce
par le Roi Charles II , dit le Mauvais , &
parmi les maifons de Navarre établies en France
, on ne connoît que celles de Grammont de
Luxe & de Belfunce qui foient parvenues à cette
dignité. Les illuftres alliances que les feigneurs
de Belfunce ont contractées , foit par des filles
données , foit par des filles reçues en mariage ,
répondent bien à la nobleffe de cette maiſon . Elle
eft alliée aux maiſons de Grammont , d'Eſchau ,
d'Armindaris , d'Arambure , d'Urtubre de Luxe ,
de Montmorency - Luxembourg , Gontaud de
Saint - Geniès , de Foix , de Navailles , d'Elbeuf ,
Pompadour , Rothelin , de Leffe du Coudrai proche
parent de Georges Duc de Virtemberg , Caumont-
la-Force , Montalambert- Moubaux , Beaumont
des Junies , la Lane , Fumel de Monfegur
d'Albret , de Tallerant , de Montpefat , de Goth ,
maifon du Pape Clement V. de Bourdeille , Caftelnau
de Clermont - Lodeve , Pardaillant , de
Roye- Rouffy , de la Rochefoucault , Candale de
Foix , Gontaud-Biron , d'Aydie de Riberac , Théobon
, de Pons , Fumel , Beaupoil - Saint- Aulaire ,
Harcourt -Beuvron , de Chapt de Raftignac , Dur
fort de Duras , de Bearn de Braffac , &c.
Il ne refte de la branche de M. l'Evêque de
Marſeille que le Marquis de Belfunce de Caftelmoron
fon petit neveu , fils de feu Antonin Armand
, Comte de Belfunce , Grand Louvetier de
France , & d'Alexandrine-Charlotte Sublet d'Heudicourt
, & petit-fils de Charles- Gabriel de Belfunce
, Marquis de Caſtelmoron , &c. Capitaine-
Lieutenant des Gendarmes Bourguignons , Lieuten
ant général des armées du Roi , Gouverneur &
Sén échal des provinces d'Agenois & Condommois,
& de Cécile - Genevieve de Fontanieu.
Kvj
228. MERCURE DE FRANCE.
Le chef de la branche aînée de cette maiſon , eft
Armand , Vicomte de Belfunce , Colonel du régiment
de ce nom .
Louis-François- Alexandre Savary , Seigneur &
Marquis de Lancofme , Chevalier de l'Ordre
royal & Militaire de Saint Louis , ci - devant
capitaine de Grenadiers au Régiment de
Richelieu , eft décédé le 12 Juin 1755 , dans
fon Château de Lancofme en Touraine , âgé de
foixante ans , il étoit chef du nom & armes de
Savary, & avoit épousé par contrat de mariage du
9 Janvier 1725 , damoiſelle Marie - Anne de Vaillant
, fille de Meffire François de Vaillant , Chevalier
, Seigneur d'Avignon , & de Dame Marguerite
de la Bouchardiere , dont font iffus trois fils ,
fçavoir ,
Louis-Jean-Baptifte Savary , Seigneur & Marquis
de Lancofne , Capitaine dans le régiment de
Bourgogne , cavalerie, marié à Damoiselle Louife-
Renée de Roncée.
Louis-Alexandre Savary- Lancoſme , chevalier
de Malthe.
Louis - François Savary- Lancofme , Prêtre , Bachelier
de la Faculté de Théologie de Paris , à la
fin de fa Licence.
Il y a une autre branche de la maiſon de Savary,
connue depuis 200 ans fous le nom de Bréves , de
laquelle eft aîné Paul - Louis- Jean - Baptifte - Camille.
de Savary- Breves , appellé le Marquis de Jarzé ,
parce qu'il a hérité du Marquifat de Jarzé en Anjou
dans la fucceffion collatéralle de Marie- Urbain-
René du Pleffis , Marquis de Jarzé , décédé
fans enfans.
Voyez à l'article des Morts & mariages du fe-.
cond volume de Juin , il y eft parlé très au long des
deux branches de cette maiſon.
}
JUILLET . 1755. 229
ARRESTS NOTABLES.
Arrêt de la Chambre des Comptes,du 22 Février
1755 , qui ordonne que toutes les renres
créées par le Roi fur les Aydes & Gabelles
fur les Tailles , fur les Poftes , ou fous telle autre
dénomination que ce foit , conferveront leur nature
d'immeubles .
Ordonnance du Roi , pour régler la diftribution.
des Congés d'ancienneté , du premier Mai 175 5 .
De par le Roi. Sa Majesté voulant régler le nombre
des Cavaliers , Dragons & Soldats de fes troupes
, aufquels il devra être délivré des congés
d'ancienneté pendant l'hiver prochain , Elle a ordonné
& ordonne ce qui fuit :
ART. I. Il fera délivré deux congés abfolus dans
chaque compagnie de fufiliers , de grenadiers &
d'ouvriers , & dans celles de cavalerie & de dragons
à cheval , & trois congés dans chaque compagnie
du régiment royal-artillerie , de mineurs
& de dragons à pied , le tout autant qu'il fe trouvera
dans lesdites compagnies un pareil nombre
de cavaliers , dragons & foldats , dont les enga- ,
gemens feront expirés.
II Ces congés feront délivrés le premier du
mois de Septembre prochain , dans les régimens ,
qui ne font point du nombre de ceux qui ont
reçu des ordres pour camper , & dans ces derniers
, à la féparation des camps où ils auront
fervi ,
III. On renvoyera par préférence les cavaliers ,.
dragons & foldats de chaque compagnie , dont
230 MERCURE DE FRANCE.
les engagemens feront expirés les premiers ; &
s'il s'en trouve plufieurs dans une même compagnie
qui ayent fini le tems de leur fervice de la
même date , ils tireront au fort.
IV. Lorsqu'un cavalier , dragon ou foldat qui
devra avoir fon congé d'ancienneté , préférera de
renouveller fon engagement dans la même compagnie
, celui qui le fuivra ne pourra demander
d'être congédié à la place.
V. Celui qui étant redevable à fon capitaine
de quelques avances , ne fera pas en état de le
rembourfer à l'échéance de fon congé , fera
obligé de continuer à fervir dans la même compagnie
, jufqu'à ce que s'étant acquitté , il puiffe
reprendre fon rang dans la diftribution des congés
; & cependant le congé qu'il auroit dû avoir
s'il n'eût pas été redevable , fera donné au plus
ancien de ceux qui feront en droit de l'obtenir
après lui.
VI. Le Capitaine payera de fon côté à ceux
qui feront congédiés , ce qu'il pourra leur devoir ;
& il aura l'option de leur laiffer leur habit , ou de
leur donner à chacun quinze livres , en les renvoyant
avec la vefte & le chapeau.
VII. Sa Majefté ayant fixé le prix des engagemens
à la fomme de trente livres , fon intention
eft qu'aucun cavalier , dragon ou foldat ne puiffe
obtenir fon congé abfolu qu'après avoir reftitué
à fon Capitaine ce qu'il auroit reçû d'engagement
au-delà de cette fomme , & il en fera ufé à l'égard
de ceux qui ne pourront y fatisfaire , comme il
eft porté à l'article V. Entend néanmoins Sa Ma-'
jefté que le Capitaine ne pourra rien répéter de
ce qu'il aura donné au- delà de trente livres , à
ceux qui auront fervi pendant trois années de
guerre de plus que leur premier engagement , ou
JUILLET. 1755- 231
qui auront rempli confécutivement deux engagemens
de fix ans dans la même compagnie.
VIII. Ceux qui ont été admis aux places de
fergent , caporal , anfpeffade & grenadier dans
l'infanterie & les dragons à pied , & à celles de
brigadier dans la cavalerie & les dragons à cheval ,
ou qui le feront par la fuite , ferviront pendant trois
années dans lefdites placés au-delà du tems porté
par leurs engagemens précédens , lefquelles trois
années feront comptées pour ceux qui auront
paffé fucceffivement à plufieurs haute-payes , du
jour qu'ils auront reçû la derniere defdites hautepayes.
Si cependant dans le nombre de ceux qui
feront propres à remplir lefdites places , il s'en
trouve qui confentent de renouveller leur engagement
pour fix années , elles leur feront données
par préférence ; & les mêmes conditions s'obferveront
à l'égard des foldats- apprentifs du régiment
Royal-artillerie , & des compagnies de mineurs &
d'ouvriers qui feront paffés ou pafferont à l'avenir
aux places de fergent & aux haute-payes de fappeurs
, bombardiers , canoniers , mineurs ,
vriers , fous-maître ou maître- ouvriers.
IX. Quoique fuivant le réglement du 3 Janvier
1710 aucun fergent , brigadier , cavalier , dragon
ou foldat , ne puiffe être reçu à l'Hôtel royal
des Invalides, qu'il n'ait au moins vingt ans de
fervice actuel & confécutif , ou qu'il n'ait été
eftropié au fervice de Sa Majefté fon intention
eft cependant que ceux aufquels , après avoir renouvelle
deux fois des engagemens de fix ans
dans la même compagnie , il furviendra pendant
le cours de leur troifieme engagement , des infirmités
qui les mettent hors d'état de continuer
leur fervice , foient reçus audit Hôtel.
X. L'intention de Sa Majefté étant que les Ca232
MERCURE DE FRANCE.
valiers , Dragons & Soldats fervent pendant tout
le temps pour lequel ils s'engagent , elle veut
qu'aucun d'eux ne puiffe prétendre fon congé abfolu
, qu'après avoir porté les armes & fait réellement
le fervice dans la compagnie pendant fix années
entieres ; & que ceux qui fe feront abſentés
par des congés limités , pour leurs affaires particulieres
, foient obligés de fervir à leur troupe un
temps égal à celui de leur abfence , par - delà le
terme de leur engagement. Quant à ceux qui fè
feront abfentés aller travailler à des recrues ,
pour
ils feront réputés avoir fervi pendant tout le temps
de leur congés , où il fera fait mention pour cet
effet , des motifs pour lefquels ils auront été accordés
; & il fera tenu par le Major de chaque
régiment , un état exact de ces congés , duquel il
délivrera une copie au Commiffaire des guerres
qui en aura la police , pour y avoir recours en
cas de befoin .
XI. Tiendront de même lefdits Majors , un
état des engagemens limités de chaque compagnie
, dans lequel ils feront mention des fommes
qu'ils vérifieront avoir été données ou promiſes
pour lefdits engagemens , afin que le Commiffaire
des guerres , auquel ils feront tenus de le communiquer
, puiffe en envoyer un extrait au mois
d'Octobre prochain , au Secrétaire d'Etat ayant
le département de la guerre , lequel extrait contiendra
le fignalement des cavaliers , dragons &
foldats qui auront été congédiés , & de ceux qui
en renouvellant leur engagement , ou en paffant
aux haute-payes , auront préféré la continuation
de leur fervice à leur congé abfolu , pour du tout
être rendu compte à Sa Majefté , laquelle veut
que la préfente Ordonnance foit exécutée , nonobftant
ce qui pourroit être contraire aux préJUILLE
T. 1755. 233
cédentes , aufquelles elle a dérogé & déroge pour
ce regard feulement.
Ordonnance du Rei fur l'exercice de l'Infanterie
, du 6 Mai 1755. A Paris , de
l'Imprimerie royale.
Voici les titres contenus dans cette Ordonnance
.
Des obligations des Officiers , & de la maniere
dont ils doivent porter les armes & en faluer.
De l'école du foldat ,
De la formation & affemblée des Bataillons ,
Du maniment des armes ,
De la marche ,
Des manoeuvres des armes
De la marche ,
>
Des manoeuvres par rang & par
files ,
Des évolutions pour rompre & réformer les
Bataillons ,
De la colonne ,
De l'exercice du feu ,
Des batteries de tambours , & des fignaux relatifs
aux évolutions ,
'Des revûes.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 4 Mai
1755 , qui proroge pour cinq années l'attribution
donnée aux Intendans pour connoître des conteftations
nées & à naître fur l'exécution des régle
mens des 27 Janvier 1739 & 18 Septembre 1741 ,
fur la fabrication du papier.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 6 Mai 1755
concernant les indemnités accordées aux Procuxeurs
du Roi de différens fiéges , pour papier &
234 MERCURE DE FRANCE .
parchemin tymbrès , dont le fonds n'a pas été ordonné
par l'Arrêt du 7 Juin 1740 , & autres rendus
poftérieurement .
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi ,du 20 Mai 1755 ,
portant réglement pour les droits & épices dûs.
aux bureaux des finances par ceux qui ont à s'y
faire inftaller & recevoir , ou à y prêter ferment ,
ainsi que pour les vérification & attache des provifions
d'offices , l'enregistrement des contrats
d'aliénation du Domaine de Sa Majeſté , & autres
droits énoncés audit arrêt .
Ordonnance du Bureau des Finances de la Généralité
de Paris , du 6 Juin 1755 , qui ordonne
que les échoppes pofées au-devant & le long de
la grille qui ferme l'enceinte où eft fituée la figure
équeftre de Henri IV fur le Pont- neuf , feront
fupprimées , ainfi que celles fur & au bas des marches
des trottoirs : Fait défenſes d'en pofer à l'as
venir , & à toutes perfonnes de percevoir aucuns
droits pour la pofition defdits échoppes.
A VIS
Tene,donne avis qu'il a acquis , & qu'il Illiard , Libraire , quai des Auguſtins , à S.
vend les livres fuivans.
Méditations fur des paffages choifis de l'écriture
fainte pour tous les jours de l'année ; par le
P. Segneri , traduit de l'Italien. Cinq volumes
in- 12 , relié. 12 liv.10 fols.
Réflexions fur le nouveau Teftament , avec des
notes par le P. Lallemand. 12 vol. in- 12 . 30 liv.
JUILLET. 1755. 235
Les quatre fins de l'homme , avec des réflexions
capables de toucher les pécheurs les plus endurcis ,
& de les ramener dans la voie du falut ; par M.
Rouault , Curé de Saint- Pair-fur-mer . 1 volume
relié , 1 liv. 16 f.
I
Les tables aftronomiques dreffées par les ordres
& la magnificence de Louis XIV ; par M. de la
Hire. I vol. in-4° . figures , relié. 7 liv.
Supplément à la méthode pour étudier l'hiftoire
; par M. l'Abbé Langlet du Frefnoy. 2 vol. in-
4° , grand papier , relié , 21 liv.
L
Le même livre en 3 vol. in-12 , 9 liv.
AUTRE.
સે
E Sieur Neilfon , Chirurgien écoffois , reçu
S. Côme , pour la guérifon des hernies ou defcentes
, traite ces maladies avec beaucoup de fuccès
, par le fecours de bandages élastiques qu'il a
inventés pour les hommes , femmes & enfans.
Ces bandages font fort approuvés , non feulement
à cauſe qu'ils font très - legers & commodes à porter
jour & nuit , mais ils font auffi très utiles
par rapport à leurs refforts qui compriment la
partie malade , ferment exactement l'ouverture
qui a permis la defcente , & réfiftent aux impulfions
que font les parties intérieures , foit à cheval
ou à pied. En envoyant la meſure priſe autour
du corps fur les aînes , marquant fur-tout l'état
de la defcente & le côté malade on eft affuré de
les avoir juftes , auffi -bien que ceux qu'il fait pour
le nombril.
Il donne fon avis , & felon l'âge & le tempérament
, il prépare des remedes qui lui font parti
culiers & convenables à ces maladies.
236 MERCURE DE FRANCE.
Voyant que les chaffeurs & ceux qui courent à
cheval ou en chaiſe , qui prêchent , chantent , danfent,
font des armes , &c. font continuellement
expofés à ces maladies ; il a aufli inventé des bandages
élastiques très - légers , commodes & néceffaires
à porter pendant ces exercices , ou d'autres
violens , pour fe garantir des maux , & prévenir
les incommodités qui arrivent tous les jours.
Sa demeure eft à Paris , fur le quai de la Mégifferie
oude la Feraille , près le Pont- neuf, au Coq.
Nota. Il ne reçoit point de lettre fans que le
port en foit payé.
AUTR E.
Hallé de laTouche , expert Dentiste , reçu
S. Côme , eft feul poffeffeur de trois remedespour
les dents , un opiat , une effence &
un élixir.
L'
'Opiat auquel il a donné le nom d'opiât ture ,
n'eft compofé que de fimples. Il n'a ni goût
ni odeur ; il a la vertu d'empêcher les dents
de fe gâter & de tomber ; il conferve l'émail ,
prévient la carie , empêche le tartre ou limon de
s'y attacher , préferve les gencives de tout accident
, de fluxions , d'abcès , de fiftule .
Cet opiat conferve les dents dans une parfaite
blancheur , dégonfle les gencives , les raffermit
au point qu'il n'eft pas néceffaire de recourir fou
vent aux inftrumens , qui ne fervent qu'à les détruire
; on peut s'en fervir pour les enfans depuis
einq à fix ans , par ce moyen on empêche la carie
JUILLET. 1755. 237
des dents de lait , qui bien fouvent par négligence
entraînent avec elles celles qui leur fuccedent.
L'effence s'appelle effence pruffienne, elle eft fpiritueule,
pénétrante, defficative , balfamique & anti-
fcorbutique ; elle a la vertu de guérir les affec
tions fcorbutiques , locales de la bouche qui s'atta
chent aux gencives , elle raffermit les dents dans
leur alvéole , quand même elle commenceroient à
s'ébranler différentes maladies ; elle adoucit
l'àcreté des liqueurs qui arrofent la bouche & les
gencives ; elle détruit cette faumure qui ronge
les vaiffeaux capillaires des gencives , & occafion
ne quelquefois des ruptures de vaiffeaux & des hémorragies.
Ces parties fe relachant les fibres fe
defuniffent , le fang y abonde en trop grande
quantité , la férotfié y croupit ; delà ces ulceres ,
ces fungofitées qui déchauffent & déracinent les
dents.
Par
Enfin cette effence détruit tous les petits ulce
rés ou aphtes qui fe multiplient dans la bouche ,
rafraîchit les levres , donne une odeur agréable
& détruit la puanteur , qui fouvent eft une ſuite
de mauvais foin , ou des maladies ci-deſſus énoncées
que cette effence guérit.
L'Auteur s'étant appliqué férieufement & depuis
plufieurs années à la perfection de fon art ,
a découvert que ce qui étoit le plus pernicieux
aux dents & aux gencives , étoit de fe fervir fouvent
de feremens , & en conféquence il a imagi
né après fon expérience les remedes qu'il propofe
au public.
Pour éviter le nettoyemeut , il fe fert d'un Elixir
qui ala propriété d'enlever le tartre , les taches
noires de deffus les dents , & les blanchit fur le
champ , fans leur faire aucun tort , ni aux autres
parties de la bouche , qu'il préferve & guérit de
toutes les maladies qui leur font ordinaires,
238 MERCURE DE FRANCE.
Il travaille à tout ce qui regarde l'ornement de
la bouche , rend les dents égales entr'elles , les
fépare les redreffe , en met d'artificielles & de :
naturelles , fans qu'elles expofent à la mauvaiſe
odeur ; les plombe , foit en or , argent ou plomb ;
il tire les dents , les racines caffées , fuffent- elles
couvertes par les gencives.
Il travaille gratis pour les pauvres , depuis deux
heures jufqu'à cinq : depuis & avant ces heures
il va en ville où il a l'honneur d'être appellé.
Son nom & fon cachet font fur fes boîtes &
bouteilles.
Les boîtes d'opiat font de trois livres ; les bouteilles
d'effence de trente fols , trois livres , fix
livres , douze livres , & vingt- quatre ; & ſon élixir
eft de trente fols , & de trois livres ,
Ces remedes fe peuvent tranfporter dans les
pays étrangers , fans fe corrompre jamais.
Il donne la maniere facile de fe fervir des remedes
ci -deffus.
Sa demeure & fon enfeigne font , rue S. Honoré,
au Caffé des Beaux Arts , vis- à- vis l'Opéra , (au
coin de la rue Fromenteau , place du Palais royal .
Il n'y a que chez l'Auteur que lesdits remedes
fe difttribuent.
J'Aer
APPROBATION.
' Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le Mercure de Juillet , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , ce 30 Juin 1755.
GUIROY
239
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
Ers à M. l'Abbé de ***
de ***
>
, par Madame
pages
7 Le Philofophe militaire
Lettre à l'Auteur du Mercure , fur le projet d'un
nouveau Dictionnaire plus utile que tous les
autres ,
3
9
23
L'Ours & le Rat , ou l'Ours philofophe , fable , 21
Epître à Eglé , par Mademoiſelle Loifeau ,
Il eut tort. Hiftoire vraisemblable ,
Eloge du menfonge à Damon ,
Portraits de cinq fameux Peintres d'Italie ,
Dialogue par M. de Baftide ,
26
33
44
47
La naiffance de l'ennui , conte traduit de l'anglois
,
52
Lettre apologétique d'un Gentilhomme italien , à
M. l'Abbé Prevôt ,
56
Mots de l'Enigme & du Logogryphe du fecond
volume du Mercure de Juin ,
Enigme & Logogryphe ,
Chanfon ,
68
69
70
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Extraits , Précis ou Indications des Livres nouveaux
, 71
Suite d'une difcution fur la nature du goût , 90
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES,
Algébre, Réflexions fur la méthode employée par
M. G. pour réfoudre le problême qu'il a propofé
dans le Mercure du mois de Mai dernier.
Par M. Bezout , 109
240
Hiftoire naturelle. Lettre à l'Auteur du Mercure ,
au fujet de la Lettre de M. l'Abbé Jacquin fur
les pétrifications d'Albert , 113
Médecine, Lettre de M. Dequen , fur un accident
arrivé dans le cuvage de M. le Cointe de la
Queuille ,
Lettre à l'Auteur du Mercure fur la poffibilité de
connoître par l'ouverture des cadavres les
caufes des maladies ,
Chirurgie. Lettre écrite à M.... au ſujet d'une fiſtule
confidérable ,
IIS
128
131
Mécanique. Nouvelles machines pour curer les
ports de mer ,
ART. IV. BEAUX ARTS.
Mufique. Recueil d'airs , &c .
142
143
Lettrre du P. Caftel à M. Rondet , au ſujet dù
clavecin des couleurs , 144
Architecture. Mercure du mois de Juin de l'année
2355 , 159
Nouveau projet de décoration pour les théâtres ,
172
Horlogerie. Lettre du fieur Caron fils , à l'Auteur
du Mercure , 177
Remarques de M. de Lalande , de l'Académie des
Sciences , fur un ouvrage d'Horlogerie, 183
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoiſe ,
193
Comédie Italienne , 194
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres , 195
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 208
Bénéfices donnés , 214
Mariages & Morts , 216
Arrêts notables ,
229 /
Avis divers ,
La Chanfon notée doit regarder la page 70.
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
Chez
JUILLET
2755.
Diverfité, c'est ma devife. La Fontaine.
Cechin
Fitoresinve
PapillonSculp
A PARIS ,
CHAUBERT , rue du Hurepoix.
JEAN DE NULLY , au Palais.
PISSOT , quai de Conti.
( DUCHESNE , rue Saint Jacques.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
BIBLIOTHECA
REGLA
MONACENSIS.
AVERTISSEMENT.
LE Bureau du Mercure eft chez M.
LUTTON , Avocat , & Greffier- Commis
au Greffe Civil du Parlement , Commis an
recouvrement du Mercure , rue Sainte Anne ,
Butte Saint Roch , entre deux Selliers.
C'eſt à lui qu'on prie d'adreffer , francs
deport , les paquets & lettres , pour remettre ,
quant à la partie littéraire , à M. de Boiffy',
Auteur du Mercure.
Le prix eft de 36 fols , mais l'on ne payera
d'avance , en s'abonnant , que 21 livres pour
Tannée , à raifon de quatorze volumes . Les
volumes
d'extraordinaire feront également de
30fols pour les Abonnés , & fe payeroni avec
Tannée qui les fuivra.
Les perfonnes de province auxquelles on
lenverra par la pofte , payeront 31 livres
10 fols d'avance en s'abonnant , & elles le
recevront franc de port.
Celles qui auront des occafions pour le faire
venir , ou qui prendront les frais du portfur
leur compte , ne payeront qu'à raison de 30
fols par volume , c'eft- à - dire 21 livres d'avance
, en s'abonnant pour
l'année , fans les
extraordinaires.
Les
Libraires des
provinces ou des pays
A ij
étrangers, qui voudront faire venir le Mer
cure , écriront à l'adreffe ci - deffus.
On Jupplie les perfonnes des provinces d'envoyerpar
la pofte , enpayant le droit , le prix
de leur abonnement , ou de donner leurs ordres;
afin que le payement en foit fait d'avance au
Bureau.
Les paquets qui neferont pas affranchis
refteroni au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état
de répondre chez le fieur Lutton ; & il obfervera
de rester à fon Bureau les Mardi
Mercredi & Jeudi de chaque semaine, aprèsmidi.
On peut fe procurer par la voie du Merles
Licure
, les autres Journaux , ainsi que
vres , Estampes & Mufique qu'ils annoncent.
}
MERCURE
DE FRANCE.
JUILLET. 1755 .
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
A M. L'ABBÉ DE ***
. Par Madame de ***
Vous en répondrez devant Dieu
De m'avoir trop ennorgueillie ;
Entre la Balourdife & l'efprit de faillie ,
Javois pris un juſte milieu :
Sans ofer me coëffer du poëtique liere ;
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
Contente de fçavoir , & penfer & fentir ,
Abbé , je fourniffois ma modefte carriere ,
Et vous m'en avez fait fortir.
A de la profe mal rimée ,
Qui m'échappe à tort à travers ,
Je n'étois point accoutumée
A prodiguer le nom de vers :
Mais vaine de votre fuffrage ,
J'ai dit : verfifions .... Il fe peut après tout ,
Que d'un talent en moi le germe fe dégage ,
J'en dois croire le Dieu du goût.
J'invoque vainement les Mufes & les graces ,
Vous feul donnez au bon le coloris du beau ;
Des Térences & des Horaces
J'apperçois bien en vous l'affemblage nouveau ,
Mais tel modele à ſuivre eft un peſant fardeau.
Si vous m'appellez fur vos traces ,
Au moins de l'ignorance ôtez - moi le bandeau
Chaque habitant de la voûte azurée
Vient vous feconder à ſon tour :
Moi par aucunje ne fuis infpirée.
Le Dieu qui difpenfe le jour ,
Momus , Minerve , Cithérée ,
Dans votre cabinet ont fixé leur fejour ,
Et votre plume fut tirée
D'une des aîles de l'amour.
JUILLET.
7 1755
LE PHILOSOPHE MILITAIRE.
Est-il un fort plus heureux que le mien ?
Dans ma petite folitude
Je n'ai que ce qu'il faut de bien.
Pour vivre fans inquiétude.
Je me fuis fait de tout tems une loi
D'être réglé dans ma conduite ;
Cependant jamais je n'évite
Le plaifir quand il s'offre à moi.
Une douce philofophie ,
Que Dieu fait parler dans mon coeur
Seule eft la régle de ma vie ,
Et la caufe de mon bonheur.
A Corbi fous un toît ruftique ,
Au milieu des champs & des bois ,
C'eft-là que fouvent je m'applique
A regner dans mon coeur , à lui donner des loix .
C'eft- là que quand je vois fans ceffe
Mes paffions flater mes fens ,
Je crois voir des flateurs la troupe enchantereffe
M'offrir un infipide encens.
A iv
S MERCURE DE FRANCE.
Verſailles ; Je vois Corbi du même oeil que
Souverain de mon coeur j'y vis en liberté :
L'innocence , la probité ,
Sont les remparts , font les murailles
Qui défendent notre cité.
Corbi n'est qu'une foible image
De ce qu'il fut anciennement ;
Mais au moins a-t-il l'avantage ,
S'il eft petit , d'être charmant .
Rien de plus gai , rien de plus agréable :
Il n'a point de Paris l'éclat tumultueux ;
Le plaifir eft moins vif , mais il eſt plus durable
Mais il eft plus délicieux .
睁
Fait pour Paris , le fard ne peut rien far nos ames
Il feroit inutile en ces lieux écartés :
Autant on voit de jeunes Dames ,
Autant on compte de beautés.
Après le portrait fi fincere
Que je vous trace de ces lieux ,
Comment peut-on ne pas fe plaire.
Dans un féjour digne des Dieux,
De Sauvigny , Gendarme , à Corbi .
JUILLET. 1755. 9
LET TRE
A L'AUTEUR DU MERCURE ,
Sur le projet d'un nouveau Dictionnaire plus
utile que tous les autres.
M
ONSIEUR , je fuis François , mais
malheureuſement j'arrive de ma
province. Je m'étois laiffé perfuader qu'avant
de me rendre à la capitale , ce centre
où tout ce qu'il y a de bon & de mauvais
vient aboutir , il m'étoit effentiel de meubler
ma tête de belles connoiffances , & de
tout ce qui peut orner l'efprit d'un jeune
homme , afin de n'être point déplacé parmi
les honnêtes gens : En conféquence ,
comme je ne me figurois rien de plus agréable
que de venir à Paris , & d'y tenir mon
coin dans les compagnies fans avoir l'air
provincial , je prenois avec une ardeur
incroyable des idées un peu plus que fuccintes
de toutes les fciences & de toutes
les parties des belles lettres : Je m'attachois
principalement à l'étude de ma langue , me
doutant bien que ce feroit à cela qu'on feroit
le plus d'attention , & que la maniere
de parler étoit l'étiquette des Provinciaux.
Je m'étois même procuré le dictionnaire
Αν
10 MERCURE DE FRANCE.
néologique , afin de n'être pas plus embarraflé
qu'un autre fur les termes nouveaux
& précieux mais croiriez - vous
Monfieur , que malgré toutes mes précautions
& tous mes foins je n'en fuis pas plus
avancé. Je fuis précisément dans le cas
d'un répondant qui s'eft long- tems préparé
fur les principaux points de fa thefe , &
qu'on argumente fur toute autre chofe.
En quelque endroit que j'aille , on ne dit
pas un mot de ce que jai étudié , & l'on
parle de chofes qui font tout- à- fait neuves
pour moi. Modes dans les habits , modes
dans les ameublemens , modes dans les
équipages , modes dans la cuifine , modes
de toute efpece ; voilà avec les nouvelles
du jour ce qui fait l'entretien de tous les
gens comme il faut. Je fuis fi neuf fur toutes
ces matieres qu'on me prend tout- à- fait
pour un étranger , on ne me fait pas même
Phonneur de me regarder comme un provincial
: j'ai beau m'obferver & m'étudier
à parler comme les autres , je fuis tout
auffi embarraffé que le premier jour , non
feulement pour le tour & la conftruction
des phrafes , mais même fur les termes.
Je tache de retenir quelque chofe dans un
cercle pour aller vite briller en le débitant
dans un autre , comme font la plupart des
gens à la mode , mais je confonds les mots
JUILLET . 1755 .
1755 41
des
& j'ai le chagrin de m'appercevoir que je
fais rire les autres. A table , fi on me demande
d'un plat , je fers d'un autre ; ce
qui me femble être de la viande eſt du
poiffon , ce qui me paroît poiffon eft légume
, & je prends de la volaille pour
écreviffes , tant on a porté loin l'art de
maſquer tout ce que l'on mange . Les noms
feuls des différens ragoût qui ont déja
frappé mon oreille effrayent ma mémoire.
Les coëffures des Dames & même celle des
hommes , par je ne fçais quel rapport avec
les événemens du fiécle , changent auffi
fouvent de formes & de noms qu'il furvient
de circonftances nouvelles dans les
affaires du tems , ou dans les phénomenes
naturels . Nos meubles , grace aux recherches
des heureux du fiécle & à l'art ingénieux
de nos ouvriers , ne reffemblent plus
à ceux de nos peres. Ces induſtrieux Dédales
, fous prétexte de rendre les chofes
plus commodes , multiplient les inutilités.
Habiles à faire tourner notre légereté à leur
profit & à fe faire un fonds folide de notre
goût pour les futilités , ils femblent
avoir envie d'épuifer toutes les combinaifons
des figures , & chaque nouvelle
forme reçoit un nouveau nom ; mais tout
cela n'eft rien en comparaifon du nombre
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
immenfe d'équipages de différente eſpe
ce , dont Paris voit avec empreffement fes
promenades décorées , & qui nous font
l'honneur de nous éclabouffer ou de nous
faire avaler la pouffiere . Quel plaifir au
fortir de cette belle & agréable promenade
des Boulevards de s'entretenir dans un
cercle de gens d'efprit & du bon ton de
toutes les jolies chofes qu'on y a vûes ,
de faire un éloge emphatique des voitures
les plus leftes , des peintures les plus gaies ,
des vernis les plus beaux , enfin des jolis
chevaux , des harnois brillans , des robes
de goût & afforties aux couleurs du carroffe
, & de s'entr'exciter à faire encore
mieux le Jeudi ou le Dimanche fuivant :
mais auffi quel chagrin de ne pouvoir rendre
un compte exact de tout ce qu'on a
vû , faute de fçavoir les noms de toutes
ces admirables inventions modernes , &
quelle mortification pour un jeune homme
qui veut fe faire une réputation dans
le monde d'être arrêté à chaque inſtant ,
de confondre fans ceffe les termes & de
ne fçavoir pas diftinguer les cabriolets
les culs-de -finge , les diables , les defobligeantes
, les vis - à - vis , les folo , les foufflets
, les dormenfes , les fabots , les phaëtons ,
les ..
>
JUILLET. 1755. 3
Ma foi, fur tant de mots ma mémoire chancelle . *
Voilà précisément ce qui me défefpere ,
& ce qui m'oblige , Monfieur , à prendre
la liberté de vous écrire. Vous pourrez ,
en rendant ma lettre publique ,faire naître
à quelque bel efprit verfé dans toutes ces
connoiffances précieufes , & qui n'aura
rien de mieux à faire , une idée que je
m'étonne n'être encore venue à perfonne,
dans le tems & dans le pays où nous vivons
: c'est le projet d'un dictionnaire qui
expliqueroit tous ces termes de nouvelle
fabrique , & qui nous en fixeroit la jufte
valeur & la vraie fignification. Quoi ! on
a la manie de tout mettre en dictionnaire
, jufqu'aux ſciences mathématiques. On
nous donne par ordre alphabétique des
théorêmes , des fermons , des vérités métaphyfiques
, des régles mêmes pour la conduite
des moeurs , & perfonne ne s'eft encore
avifé de travailler à l'explication des
termes nouveaux de cuifine , d'ajuftemens,
d'équipages & de meubles. Voilà pourtant
, fi je ne me trompe , une vraie mariere
à dictionnaire. Le nom feul de ces
fortes d'ouvrages emporte l'idée de l'ex-
4
* M. Deftouches. Dans la Çomed. du Glorieux
'Act. S.
"
14 MERCURE DE FRANCE.
plication des mots d'une langue , & affurement
je ne vois pas qu'il y en ait qui
reviennent plus fouvent dans la converfation
que ceux dont il eft ici queftion . Comme
le befoin que j'ai d'un pareil livre m'en
a fait fentir toute l'importance , & que
j'ai long- tems médité & réfléchi fur ce
projet , je veux bien communiquer mes
idées & tracer le plan felon lequel je conçois
qu'on pourroit l'exécuter. L'ouvrage
, en imprimant d'un caractere un peu
moins gros que de coutume , & en fupprimant
pour la commodité du lecteur ce
qu'on appelle les reffources de la Librairie
, fauf à le faire payer plus cher , pourra
-93
être réduit à un volume in - 8°. fous le titre
de » Dictionnaire portatif de tous les
» termes nouveaux & en ufage parmi un
» certain monde , concernant la table , les
équipages , les ameublemens , les ajuſte-
» mens , tant d'hommes que de femmes ,
» & les modes de toute efpece , pour fervir
de monument à la conftance & au
bon goût de la nation ; ouvrage extrê-
» mement utile à tous ceux qui veulent
» fe répandre & paroître bonne compagnie ,
avec des anecdotes , & c.
Vous voyez , Monfieur , que le titre de
l'ouvrage intéreffe & promet beaucoup ;
mais la maniere de l'exécuter peut encore
JUILLET. 1755. IS
,
furpaffer l'attente du lecteur , & je la crois
fufceptible de beaucoup d'agrémens . L'auteur
pourra à chaque article , outre l'étymologie
, la définition & la critique des
termes , donner des anecdotes auffi curieufes
qu'intéreffantes. La matiere eft affez
ample , & la provifion des ridicules n'eft
pas prête à être épuifée . Pour un qui difparoît
il en renaît dix . Combien de jolies
chofes à nous apprendre , combien d'aventures
amufantes à nous raconter , combien
d'apoftilles qu'on peut placer à propos
de
chaque efpece de mode différente ? L'origine
& la commodité des vis-à -vis , l'hiftoire
& l'étymologie des cabriolets- la
généalogie d'un brillant équipage qu'on a
vû paffer fucceffivement d'une Actrice à
une honnête femme , & d'une honnête
femme à une Actrice ; les différentes fcenes
que nos jeunes éventés nous donnent
tous les jours fur les Boulevards ; leurs
difputes & la fage retenue de quelquesuns
d'entr'eux ; la defcription de cette délicieufe
promenade qui eft bordée d'un
côté par des derrieres de maifon & de l'autre
par les égoûts , la voirie & quelques
fauxbourgs en perfpective ; les embelliffemens
qui s'y font tous les jours en élevant
à menus frais des cabarets à bierre mal
alignés , mauvaifes copies d'un joli petit
*
16 MERCURE DE FRANCE.
>
caffé gardé par un Suiffe pour empêcher
les laquais de boire avec leurs maîtres , &
diverfes baraques pour les géans , les nains,
les marionettes , les danfeurs de corde ,
les finges , & autres curiofités ; ces parades.
fi fpirituelles qui amufent également le
petit peuple & les gens à équipages ; ces
parties fines auffi promptement exécutées
que formées , de s'en aller après- minuit ,
d'un air évaporé faire relever les joueurs
de marionettes pour s'ennuyer , bâiller
& fe perfuader au fortir de là qu'on s'eft
bien amufé parce qu'on a fait quelque chofe
d'extraordinaire ; ces différentes fortes
de voitures à la file les unes des autres ,
dont les plus maffives écrafent les plus
leftes , les difputes des cochers , les cris
des Dames , le contrafte burleſque du car
roffe d'un grand Seigneur vis - à- vis de celui
d'un Sou -fermier , d'un demi - équipage de
Médecin à côté de la berline d'un convalefcent
en bonnet fourré , de la voiture
noble & décente d'un Abbé à la fuite d'un
vis-à vis lefte & brillant d'une fille à talent
, le tout entrelardé de remifes & de
fiacres poudreux ; la même confusion &
peut -être encore plus bizarre parmi ce
qu'on appelle l'infanterie ; cette cohue mal
compofée de gens de toute efpece qui fe
coudoient , qui fe preffent , & qui s'obfti
1
JUILLET . 1755. 17
nant à fe promener toujours dans un efpace
très-limité , s'aveuglent & s'étranglent.
de pouffiere malgré les attentions du fucceffeur
de M. Jofeph Outrequin ; les beautés
de tout âge étalées fur des chaifes , &
qui prendroient grand plaifir à voir la
foule & à en être vûes fi on ne leur marchoit
pas fur les pieds , & fi on ne leur faifoit
pas avaler la pouffiere ; les Dames qui
veulent mettre pied à terre pour mieux
refpirer , & qui font obligées de remonter
en leurs carroffes & de s'y enfermer pour
ne pas étouffer ; les bourgeoifes du Marais
en gand panier qui ont la patience de refter
affifes jufqu'à la nuit fermée , malgré
les incommodités de la promenade , pour
ne pas paroître s'en retourner à pied ; des
jeunes filles qui jouent les Agnés & qui
amufent deux hommes à la fois ; fur des
chaiffes un peu plus à l'écart certaines
beautés d'une autre efpece , moins honnêtes
à la vérité , mais peut- être moins fourbes
, qui attendent un fouper ; les honnêtes
gens confondus avec la canaille , parmi
des foldats ivres qui vous infultent ,
des pauvres qui vous demandent l'aumône
, des artifans qui reviennent de la guinguette
, des marchands de ptifane avec.
leurs maudites fontaines , dont le robinet
femble s'alonger tout exprès pour vous
18 MERCURE DE FRANCE.
meurtrir les bras ; des nourrices affifes aux
pieds des arbres qui donnent à têter à leurs
enfans , & qui jurent & peftent contre les
cabriolets dont elles appréhendent les reculades
, & encore plus contre les jeunes
fous qui veulent faire le métier de leurs
cochers fans y rien entendre ; enfin tous
ces objets divers forment un tableau bien
varié , dont le détail ne peut manquer de
plaire étant amené à propos.
Au refte , quelque habile que foit l'auteur
, il ne faut pas qu'il fe repofe trop fur
fes propres lumieres , il doit tout voir
tout confulter , & n'épargner aucune démarche
pour perfectionner fes recherches.
Il faudra qu'il fe trouve affidument aux
fpectacles , aux promenades , principalement
fur les cours , qu'il fréquente les
gens de l'art , qu'il fe rende dans les cuifines
des Fermiers Généraux , & même
des Commis , qu'il aille vifiter les boutiques
des
felliers
,
des
marchands
de
modes
, des
bijoutiers
&
autres
marchands
de
fuperfluités
pour
les
confulter
&
pour
s'entretenir
avec
eux
: c'eft
fouvent
avec
ces
gens
- là
qu'on
puife
les
lumieres
les
plus
folides
, &
pour
peu
qu'on
fçache
les
interroger
&
les
faire
parler
, on
profite
plus
avec
eux
qu'avec
les
livres
: par
ce
moyen
il
fera
informé
de
la
premiere
main
de
JUILLET. 1755. 19
toutes les admirables variations qui font
furvenues dans nos modes , il fera en état
d'en faire l'hiftoire , de fixer le fens de
chaque terme , d'en donner la véritable
étymologie , & d'expofer au jufte la circonftance
de l'événement , foit politique ,
foit phyfique qui y a donné lieu . Il apprendra
aux lecteurs étonnés que ce n'eſt
pas toujours aux ouvriers qu'on doit les
belles découvertes dans ce genre , & que
fouvent c'eſt à la fagacité & aux réflexions
fages de certaines têtes qu'on croiroit occupées
du bien public que nous fommes
redevables de la tournure d'une manche ,
ou de la forme d'un fiége de cocher : ainfi
il affurera la gloire & l'invention à celui à
qui elle est dûe.
Comme il eft vraisemblable qu'il y aura
des changemens & des augmentations à
faire tous les ans , on pourra donner le
fupplément gratis à ceux qui auront foufcript
, jufqu'à ce que tous les termes qui
font aujourd'hui en ufage étant vieillis &
tout à-fait tombés après une longue période
, * par exemple , de vingt ans on foit
* On lit dans nos Auteurs comiques qui vivoient
il y a quarante ou cinquante ans , des
termes alors en ufage pour fignifier des mots
tout-à-fait inconnus , la ftinkerque , la malice ,
l'innocente , la fouris.
20 MERCURE DE FRANCE.
obligé de recommencer un autre vocabulaire
.
Voilà , Monfieur , le projet que j'ai
conçu , & que j'aurois exécuté fi je m'étois
fenti en état de le faire. Je vous prie d'en
faire part au public , afin que fi quelqu'un
fe fent affez de capacité , de mérite & de
patience , il le mette en exécution ; je puis
répondre d'un grand nombre de foufcripteurs.
J'ai l'honneur d'être , &c.
JUILLET. 1755. ΣΤ
L'OURS ET LE RAT,
OU L'OURS PHILOSOPHE
Certain
FABLE.
Ertain Ours mal léché n'ayant ri de fes
jours ,
S'avifa de vouloir devenir philofophe.
On dit que Jupiter fit de la même étoffe
Les Philofophes & les Ours.
Tout fage étant d'humeur un tant foit peu
tale ,
Un Ours peut embraffer cette profeſſion.
Celui que j'introduis choifit dans la morale
Pour premiere vertu la modération .
Au fond d'un bois obfcur un antre folitaire
Lui parut propre à fon projet.
bru
Rien dans ce lieu caché ne le pouvoit diftraire,
Il eft vrai ; mais auffi feul en cette forêt ,
Quel mérite avoit- il de vaincre la colere ?
Tout hermite eft bâti de cette façon là :
Ils cherchent les déferts , les bois , lafolitudes
Hé ! mes amis , ce n'eft pas là
Que l'on peut de fon coeur faire une heureuſe
étude ;
Le vice y dort, mais n'y meurt pas
22 MERCURE DE FRANCE.
Il n'eft pas étonnant qu'à l'abri de l'injure
La vengeance foit fans appas.
Loin de tout bienfaiteur , c'eft chofe auffi trèssûre
Que vous ne ferez point ingrats.
Pauvres , vous ne fçauriez abufer des richeffes ;
Payer des flateurs , des maîtreffes ,
Intenter d'injuftes procès.
Seuls , j'imagine bien que vous êtes difcrets :
Vous ne pouvez tromper par de fauffes careffes
Que quelques images de Saints :
Mais quel exemple auffi donnez - vous aux hu
mains ?
Je reviens à notre Ours qui plein d'un zéle extrême
,
Et brûlant d'arriver à la perfection ,
Refléchiffoit fur l'art de ſe vaincre foi- même.
Un Rat interrompit fa méditation :
De notre fage alors le cerveau ſe dérange.
Il fe livre aux accès d'une fureur étrange ;
Rugit après ce Rat comme après un lion ,
Le pourfuit , l'atteint & fe venge.
Vertueux fans effort dans un lâche loifir ,
On cache des penchans que l'on devroit pour
fuivre ;
Ce n'eft qu'un feu couvert toujours prêt à revivre:
JUILLE T.
23 1755
Bientôt au moindre fouffle il fçaura nous trahir.
Le coeur pour le former a beſoin d'exercice ,
Contre les paffions ardent à fe roidir ,
Jamais par la retraite il ne faut qu'il fléchiffe :
On doit édifier le monde & non le fuir.
EPITRE
A ÉGLÉ ,
Par Mademoiselle Loifeau.
C'Eft un peu tard acquitter ma parole ;
Mais , Eglé , le tems qui s'envole
A paffé trop rapidement.
L'excufe doit te paroître frivole ;
Abrégeons donc le compliment.
Ecoute le récit d'un fait intéreſſant ;
C'eft de tes agrémens l'époque curieufe :
Ceci n'eft point hiftoire fabuleuſe ,
Charmante Eglé , l'autre jour je l'appris
De l'aimable fils de Cipris.
Morphée avec l'Amour eut de tout tems que
relle
L'Amour le redoutoit plus que les autres Dieux ;
Le tranquille fommeil s'emparant d'une belle ,
Voiloit le charme de fes yeux.
C'en étoit fait de fa puiflance s
24 MERCURE DE FRANCE.
Il ne faut qu'un regard d'une jeune beauté
Pour furprendre la liberté
D'un coeur qui veut en vain s'armer d'indiffé
rence.
Par un coup d'oeil l'inconftant arrêté ,
Ne fent plus le poids de fa chaîne ,
Et le plaifir qui le rameine
S'offre à lui fous les traits de la variété.
L'enfant aîlé quitte Cithere ;
Guidé par fon courroux , il voudroit de la terre
Bannir Morphée & fa trifte langueur :
Mais aux mortels il eft trop néceffaire ,
Un teint fleuri lui doit fa plus vive couleur ;
C'eft lui qui des appas conferve la fraîcheur .
Que faire ? Amour , jaloux de foutenir la gloire ,
Imagine un moyen d'être enfin le vainqueur .
Les pavots deformais vont hâter fa victoire ,
Et ferviront à dompter plus d'un coeur.
Pour triompher des ames les plus fieres ,
A la beauté , ce Dieu donna longues paupieres.
Une belle pour lors dans les bras du fommeil ,
Parut avoir de nouveaux charmes.
Ses attraits pour l'Amour font de nouvelles armes,
Et rendent plus touchant le moment du réveil .
L'aftre du jour à travers un feuillage ,
Fait briller fes rayons , mais leurs feux font plus
doux :
De deux beaux yeux il nous offre l'image ;
Les paupieres font cet ombrage
Qui
JUILLET. 1755 . 25
Qui rend certain le fuccès de leurs coups ,
Le regard s'attendrit & bleffe davantage.
Depuis cette victoire , Amour n'a plus d'égal .
C'eft ainfi que fon art triompha de Morphée ;
Il goûte le plaifir de foumettre un rival ,
Et fes pavots lui fervent de trophée .
Si de la fiction , permife dans les vers ,
Quelqu'un croît ici que j'abuse ;
Je puis convaincre l'univers ,
Eglé juftifiera les tranfports de ma muſe.
En la voyant , d'un Dieu l'on reffent tous les
traits .
Oui , belle Eglé , tes féduifans attraits ,
Jufques dans le fommeil confervent leur puiffance.
De fes douceurs jouis en affurance ,
L'Amour qui s'eft fixé pour jamais fous ta loi ,
Lorfque tu dors veille pour toi.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
IL EUT TORT.
Hiftoire vraisemblable.
E dansle monde environné que de torts .
H! qu'est- ce qui ne l'a pas ? on n'eſt
Ils font néceffaires , ce font les fondemens
de la fociété ; ils rendent l'efprit liant , ils
abaiffent l'amour- propre. Quelqu'un qui
auroit toujours raifon feroit infupportable
. On doit pardonner tous les torts ,
excepté celui d'être ennuyeux , celui là eft
irréparable. Lorsqu'on ennuye les autres ,
il faut refter chez foi tour feul comme
l'opéra d'Ajax . Je demande ce que l'on
deviendroit s'il alloit faire fes vifites dans
les maiſons ?
Paffons à l'hiftoire de Mondor. C'étoit
un jeune homme malheureufement né ; il
avoit l'efprit jufte , le coeur tendre & l'ame
douce voilà trois grands torts qui en
produiront bien d'autres.
:
En entrant dans le monde , il s'appliqua
principalement à tâcher d'avoir toujours
raifon. On va voir comme cela lui réuffit.
Il fit connoiffance avec un homme de la
cour ; la femme lui trouva l'efprit jufte ,
parce qu'il avoit une jolie figure ; le mari
JUILLE T. 1755. 27
lui trouva l'efprit faux , parce qu'il n'étoit
jamais de fon avis.
La femme fit beaucoup d'avances à la
jufteffe de fon efprit ; mais comme il n'en
étoit point amoureux , il ne s'en apperçut
pas. Le mari le pria d'examiner un traité
fur la guerre qu'il avoit compofé à ce
qu'il prétendoit. Mondor après l'avoir lû
lui dit tout naturellement qu'en examinant
fon ouvrage , il avoit jugé qu'il feroit
un fort bon négociateur pour un traité de
paix.
Dans cette circonftance , un régiment
vint à vacquer , un petit Marquis avorté
trouva l'auteur de cour un génie tranfcendant
, & traita fa femme comme fi elle
eût été jolie , il eut le régiment : le Marquis
fut Colonel. Mondor ne fut qu'un
homme vrai ; il eut tort.
Cette aventure le rebuta , il perdit toutes
vûes de fortune , vint à Paris vivre en
particulier , & forma le projet de s'y faire
des amis . Ah ! bon Dieu , comme il eut
tort ! il crut en trouver un dans la perfonne
du jeune Alcipe ; Alcipe étoit aimable ,
avoit le maintien décent & les propos
d'un homme effentiel .
Un jour il aborda Mondor avec un air
affligé , auffi tôt Mondor s'affligea ( car il
n'y a point de plus fottes gens que les gens
B ij
28 MERCURE DE FRANCE.
d'efprit qui ont le coeur bon ) ; Alcipe lui
dit qu'il avoit perdu cent louis fur fa parole
, Mondor les lui prêta fans vouloir de
billet ; il crut par là s'être acquis un ami.
Il eut tort : il ne le revit plus .
que
Il donna dans les gens de lettres ; ils le
jugerent capable d'examiner leurs piéces :
ils obtinrent audience de lui plus aifément
du public : il y en eut un en qui Mondor
crut reconnoître du talent , il lui fembla
digne de la plus grande févérité : il
lût fon ouvrage avec attention : c'étoit une
Comédie ; il retrancha des détails fuper-
Alus , exigea plus de fonds , demanda à
l'auteur de mieux enchaîner fes fcènes , de
les faire naître l'une de l'autre , de mettre
toujours les acteurs en fituation , de prendre
bien plus garde à la jufteffe du dialogue
qu'au faux brillant de l'efprit , de
foutenir fes caracteres , de les nuancer
finement fans trop les contrafter ; il lui
fit remarquer que les pacquets de vers
jettent prefque toujours du froid fur l'action
. Voilà les confeils qu'il donna à l'auteur
; il corrigea fa piéce en conféquence ;
il éprouva que Mondor l'avoit mal confeillé.
Les comédiens ne trouverent pas
qu'elle fût jouable.
Cela le dégoûta de donner des avis. Le
même auteur qui auroit dû ſe dégoûter de
JUILLET. 1755. 29
faire des pièces , en compofa une autre qui
n'étoit qu'un amas de fcènes informes &
découfues . Mondor n'ofa pas lui confeiller
de ne la point donner ; il eat tort , la piéce
fur fifflée . Cela le jetta dans la perpléxité
s'il donnoit des confeils , il avoit tort ; s'il
n'en donnoit pas , il avoit tort encore. Il
renonça au commerce des beaux efprits &
fe lia avec des fçavans ; il les trouva prefqu'auffi
triftes que des gens qui veulent
être plaifans . Ils ne vouloient parler que
lorfqu'ils avoient quelque chofe à dire , ils
fe taifoient fouvent. Mondor s'impatienta
& ne parut qu'un étourdi . Il fit connoiffance
avec des femmes à prétentions , autre
méprife : il fe crut dans un climat plus voifin
du foleil ; c'étoit le pays des éclairs ,
où prefque toujours les fruits font brûlés
avant que d'être murs ; il remarqua que
la plupart de ces Dames n'avoient qu'une
idée qu'elles fubdivifoient en petites penfées
abftraites & luifantes ; il s'apperçut
que tout leur art n'étoit que de hâcher
l'efprit ; il connut le tort qu'il avoit eu de
rechercher leur fociété ; il voulut y briller ,
il parut lourd ; il voulut y raifonner , il
parut gauche en un mot , il déplût quoiqu'il
fçût fort bien fes auteurs latins , &
fentit qu'on ne pouvoit pas dire à un jeune
Biij
30 MERCURE DE FRANCE .
homme voulez - vous réuffir auprès des
femmes , lifez Ciceron.
Mondor étoit l'homme du monde le
plus raisonnable , & ne fçavoit quel parti
prendre pour avoir raifon. Il éprouva que
dans le monde les torts viennent bien
moins de prendre un mauvais parti que
d'en prendre un bon mal adroitement.
Il avoit voulu être courtifan , il s'étoit
caffé le coû ; il avoit cherché à fe faire des
amis , il en avoit été la dupe ; il avoit vu
de beaux efprits , il s'en étoit laffé ; des
fçavans , il s'y étoit ennuyé ; des femmes ,
il y avoit été ennuyeux : il entendit vanter
le bonheur de deux perfonnes qui s'aiment
véritablement , il crut que le parti le plus
fenfé étoit d'être amoureux ; il en forma
le projet , c'étoit précisément le moyen de
ne le pas devenir . Il examinoit toutes les
femmes ; il mettoit dans la balance les
agrémens & les talens de chacune , afin de
fe déterminer pour celle qui auroit une .
perfection de plus. Il croyoit que l'amour
eft un dieu avec lequel on peut marchander.
Il eut bean faire cette revûe , il eut beau
s'efforcer d'être amoureux , cela fut inutile
; mais un jour fans y penfer , il le devint
de la perfonne la plus laide & la plus capricieufe
: il fe remercia de fon choix,; il
JUILLET. 1755. 31
vit cependant bien qu'elle n'étoit pas belle ;
il s'en applaudiffoit ; il fe flattoit de n'avoir
point de rivaux : il avoit tort ; il ignoroit
que les femmes les plus laides font les plus
coquettes. Il n'y a point de minauderie
point de regard , point de petit difcours
qui n'ait fon intention : elles fe donnent
autant de foin pour faire valoir leur figure
, qu'on en prend ordinairement pour
faire rapporter une mauvaiſe terre . Cela
leur réuflit ; les avances qu'elles font flattent
l'orgueil , & la vanité d'un homme
efface prefque toujours la laideur d'une
femme.
:
Mondor en fit la trifte expérience ; il
fe trouva environné de concurrens ; il en
fut inquiet il eut tort ; cela le conduifit
à un plus grand tort , ce fut de fe marier.
Il traita fa femme avec tous les égards
poffibles : il eut tort ; elle prit fa douceur
pour foibleffe de caractere & le maîtrifa
durement ; il voulut fe brouiller : il eut
tort ; cela lui menagea le tort de fe raccommoder
; dans les raccommodemens ,
il eut deux enfans , c'eft-à-dire deux torts :
il devint veuf , il eut raiſon ; mais il en fit
un tort : il fut fi affligé qu'il fe retira dans
fes terres.
Il trouva dans le pays un homme riche ,
mais qui vivoit avec hauteur , & ne voyoit
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
en avoit
aucun de fes voiſins , il jugea qu'il avoit
tort il eut : autant d'affabilité que l'autre
peu , il eut grand tort ; fa maifon
devint le réceptacle de gentillaftres qui
l'accablerent fans relâche. Il envia le fort
de fon voifin , & s'apperçut trop tard que
le malheur d'être obfedé eft bien plus fâcheux
que le tort d'être craint . On lui fit
un procès pour des droits de terres ; il aima
mieux céder une partie de ce qu'on lui
demandoit injuſtement que de plaider ; il
fe comporta en honnête homme , donna à
dîner à fa partie adverfe , & fit un accommodement
defavantageux : il eut tort . Un
fi bon procédé fe répandit dans la province
; tous fes petits voifins voulurent profiter
de fa facilité , & reclamer fans aucun titre
quelque droit chymérique ; il eut vingt
procès pour en avoir voulu éviter un , cela
le révolta ; il vendit fa terre , il eut tort :
il ne fçut que faire de fes fonds. On lui
confeilla de les placer fur le concert d'une
grande ville voifine qui étoit très - accrédité.
Le Directeur étoit un joli homme qui s'étoit
fait Avocat pour apprendre à fe connoître
en mufique . Mondor lui confia fon argent ,
il eut grand tort. Le concert fit banqueroute
au bout d'un an malgré la gentilleffe
de M. l'Avocat . Cet événement ruina Mondor
, il fentit le néant des chofes d'ici - bas ;
JUILLET. 1755. 33
il voulut devenir néant lui - même ; il fe fit
Moine , & mourut d'ennui : voilà fon dernier
tort.
ÉLOGE DU MENSONG E.
A Damon.
Vieillirons- nous dans les entraves ,
Martyrs de notre auſtérité ?
Cher Damon , de la vérité
Ne verra-t-on que nous d'efclaves ?
De ce perfonnage onéreux
Abjurons la morgue importune ,
Et fans faire les rigoureux
Mentons , puifque tout ment
commune .
I
fuivons la loi
>
Tu ris : tu prens cette leçon
Pour un frivole badinage ;
Mais je prétens à ce foupçon
Faire fuccéder ton fuffrage.
Raifonnons . Entraîné par une vaine erreur
Tu crus la vérité digne de préférence ;
Mais par quel attrait féducteur
Mérite - t- elle ta conſtance ?
Eft-ce par un air fec , un ton ſouvent grondeur ?
Sans foupleffe , fans complaifance ,
Que fait-elle pour le bonheur? -
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
Peut- elle l'emporter fur un rival aimable ?
Le menfonge riant , ce zélé bienfaicteur
Au contraire toujours affable ,
Par de là nos defirs nous comble de faveurs.
C'eſt lui dont la main fecourable
Sur un affreux deftin fçait répandre des fleurs ;
Il féduit les efprits , il enchaîne les coeurs :
Nous lui devons enfin l'utile & l'agréable.
Damon , je n'exagere point ;
Sui moi pour éclaircir ce point.
Cet efpace inconnu d'où nous vient la lumiere ,
Où des foleils fans nombre étincellent fans fin ,
Fut jadis une mer de fubtile matiere ,
S
Où le noyoit l'efprit humain.
Mon impofteur par la bonté féconde ,
Dans ce cahos vous fabriqua des cieux ;
Fit mieux encor ; il les peupla de Dieux
Qu'il enfanta pour régir ce bas-monde.
A chacun d'eux il impofa fes loix ;
Son premier-né fut armé du tonnerre ;
L'un fit aimer , l'autre alluma la guerre ;
Ainfi de tous il fixa les emplois.
Il leur bâtit des temples fur la terre ,
Sur leurs autels il fit fumer l'encens ;
Bref, il voulut que de ces Dieux naiffans
L'homme attendît les biens & la mifere .
De tel événement vulgaire
Qu'on croiroit digne de mépris ,
Souvent il fçut faire un myſtere >
JUILLET.
35 1755 .
Lui donnant à propos ce divin caractere ,
Qui du peuple étonné fubjugue les efprits .
Autrefois à fon gré les Vautours , les Corneilles
Prophétifoient dans l'air par d'utiles ébats ;
Le bourdonnement des abeilles
Préfageoit le fort des combats ,
Et cent fois il fixa le deftin des états
Par d'auffi burlesques merveilles .
Combien de conquérans & de héros fameux
Verroient retrancher de leur gloire ,
S'il laiffoit redire à l'hiftoire
Ce que le fort a fait pour eux ;
S'il ne nous déguifoit leurs honteufes foibleffes ;
Et fi d'un voile généreux ,
Il ne couvroit leurs petiteffes.
Laiffant à part ces hauts objets ;
C'est dans le commerce ordinaire ,
Que du menfonge néceffaire
Tu vas admirer les bienfaits .
Pour ne point offenfer notre délicateffe ,
Il s'y montre toujours fous un titre emprunté ;
Gardant l'incognito fons ceux de politeffe ,
D'amitié , d'amour , de tendreffe ,
Souvent même de charité,
Seul il fait tous les frais de la fociété .
Suppofons un moment que le ciel en colere
Contraignit les mortels par un arrêt févere ,
A peindre dans leurs moeurs & dans tous leurs
diicours ,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Ces fecrets fentimens dont ils gênent le cours ;
Quelle honte pour notre espece !
Paris plus effrayant que les antres des ours
Deviendroit un féjour d'horreur & de trifteffe !
Tu verrois , cher ami , les trois quarts des humains
S'accablant tour à tour de leur indifférence ,
De leur haine , de leurs dédains ,
S'annoncer par leur arrogance
Qu'ils font prêts d'en venir aux mains.
Tu verrois des enfans , des héritiers avides ,
Sur des biens à venir trop lents
Attacher fans pudeur des regards dévorans
Et par des foupirs homicides
Compter les jours de leurs parens.
Dans les chaînes du mariage
Des captifs inquiets , victimes de l'humeur
Feroient par leur bifarre aigreur
Un enfer de leur eſclavage,
Maint ami prétendu , léger , intéreffé ,
Négligeant de voiler fon ame déteftable ,
Ne fe montreroit empreffé
>
Que pour l'amufement , la fortune & la table.
L'incorrigible protégé
Dans les yeux du patron , ou glacés ou mauffades
,
Dans d'affligeantes rebuffades
Liroit clairement fon congé.
Un amant brutal & volage
JUILLET. 1755 . 37
Sans prélude , fans petits foins ,
Offriroit à ſa belle un infipide hommage
Toujours reglé fur fes befoins.
L'amante fans fard , fans fineffe ,
Soumise à fon vainqueur dès le premier inſtant ;
Ne prendroit d'autre avis pour marquer la foibleffe
,
Que celui d'un groffier penchant.
Leurs defirs amortis diffipant toute ivreffe
Un prompt & fot dégoût finiroit le roman .
Tel feroit l'homme vrai guidé par la nature .
Mais détournons les yeux de ce tableau pervers ,
Et parcourons le bien que l'utile impofture
Fait en réformant l'univers .
L'intérêt , l'envie & la haine
Frémiffent vainement dans l'abîme des coeurs ;
La bienféance les enchaîne.
Et dérobe au grand jour leurs perfides noirceurs.
L'homme , bien loin d'être farouche ,
D'un amour fraternel , prend les dehors trompeurs
;
Ses
yeux font careffans , fes geftes ſont Aateurs ,
Et le miel coule de fa bouche.
A travers les égards , les doux empreffemens ,
Les foins refpectueux , la tendre inquiétude ;
Les yeux même les plus perçans
Pourroient-ils découvrir l'avide ingratitude
Des héritiers & des enfans ?
Si maudire leur joug & perdre patience ,
38 MERCURE DE FRANCE.
Eft le deftin fecret, d'une foule d'époux ,
Le fçavoir vivre & la décence
De la tendreffe encor confervent l'apparence ,
Et couvrent au moins les dégoûts.
D'équivoques amis le monde entier foifonne
Mais le peu de fincérité ,
L'intérêt & la vanité
Dont à bon droit on les foupçonne
S'éclipfent fous l'amenité ,
Sous l'air fagement affecté
De n'en vouloir qu'à la perfonne.
Le moins fenfible protecteur
Sous un mafqne riant déguiſant ſa froideur ,
D'une féduifante fumée
Sçait repaître l'ame affamée
D'un fuppliant perfécuteur .
L'amour ne feroit qu'un fonge ,
Une puérilité ;
Mais l'officieux menfonge ,
L'érige en divinité ;
Redoutable par fes armes ,
Ou foumettant à fes charmes
Le coeur le plus indompté ,
Il change en idolâtrie
Notre goût pour la beauté.
L'art de la coquetterie
lui feul inventé ,
Fut par
Et fans la fupercherie
Seroit-il exécuté ?
JUILLE T. 1755. 39
Pour obtenir douce chance ,
L'amant jure la conftance
Et projette un autre amour :
L'amante trompe à fon tour ;
Feint une pudeur craintive ,
Et pour s'affurer d'un coeur ,
Cache l'ardeur la plus vive
Sous l'air froid & la rigueur.
Friands de tendres premices
Cherchons-nous la nouveauté ?
Malgré leur habileté ,
Nos belles font les novices ;
Un ton de naïveté ,
Mille obligeans artifices
Flattent notre vanité .
Si l'ufage des délices
Eteint leur vivacité ;
Le jeu fçavant des caprices
Rameine la volupté.
C'eft ainfi qu'une folie
Devient par la tricherie
I
Le plaifir le plus vanté.
C'eſt ainfi que dans la vie
Mutuelle duperie ,
Fait notre félicité.
Si tu veux ajoûter un dégré d'évidence
Aux preuves de mon fentiment ,
Suivons notre Protée exerçant fa puiſſance
Sur ces arts renommés ou regne l'agrément.
40 MERCURE DE FRANCE.
Sans lui que feroit l'éloquence ?,
Un infupportable talent .
Prives la de fes fleurs ; elle eft fans véhémence ,
Elle rampe fans ornemens :
Mais ces brillantes fleurs , métaphore , hyperbole
,
Allégorie & parabole ,
Et cent noms qu'à citer je perdrois trop
de tems ,
Du menfonge orateur font les noms différens .
En vain fa rare modeftie
Permet qu'on invoque Apollon ;
Je ne m'y méprens point ; il eft le feul génie
Qui préfide au facré vallon .
Pere de toute illufion ,
Seul il peut fouffler la manie
De plaire par la fiction .
Vois-tu prendre aux vertus , à chaque paſſion ,
Un corps , la parole & la vie ?
C'est lui qui les perfonnifie.
Il déraiſonne enfin dans tout égarement
D'une bouillante fantaisie :
Oui , mentir agréablement
Fait tout l'art de la poësie.
Que vois - je , cher Damon ? que d'objets raviffans
!
Arrêtons-nous à ce ſpectacle ,
Où tout eft chef- d'oeuvre & miracle ,
Où tout enleve l'ame en furprenant les fens.
Quel pouvoir divin ou magique
JUILLET.
1755. 41
Fait qu'une efpace fi borné
Paroît vaſte à mes yeux , & le plus magnifique
Que jamais nature ait orné ?
Qui fçut y renfermer ces fuperbes montagnes ,
Ces rochers , ces fombres forêts ,
Ces fleuves effrayans , ces riantes campagnes ,
Ces riches temples , ces palais ?
Quel génie ou démon pour enchanter ma vûe ,
A fes ordres audacieux
Fit obéir le ciel , la terre & l'étendue ?
Sans doute , quelqu'il foit , c'eft l'émule des
Dieux.
Une amulante fymphonie
Des chantres des forêts imite les accens !
Que dis-je ? roffignols , ah ! c'est vous que j'entens
,
De vos tendres concerts la champêtre harmonie
Me fait goûter ici les charmes du printemps.
Des ruiffeaux , l'aimable murmure
Vient s'unir à vos fons dictés par la nature :
On ne me trompe point , tout eft vrai , je le ſens.
Mais grands Dieux ! quel revers étrange !
Le plaifir fuit , la ſcène change ;
Eole à leur fureur abandonne les vents.
Quels effroyables fifflemens !
L'air mugit , le tonnerre gronde !
Un defordre bruyant , le choc des élémens ,
Tout femble m'annoncer le dernier jour du
monde !
42 MERCURE DE FRANCE.
Fuyons vers quelqu'antre écarté ,
Echappons , s'il fe peut , à ce cruel orage ....
Mais je rougis de ma fimplícité.
J'ai pris pour la réalité
Ce qui n'en étoit que l'image.
Ces murmures , ces bruits , ces champêtres concerts
,
Ne font dûs qu'aux accords d'une adroite mufique
;
Et ces payfages divers
Sont les jeux d'un pinceau que dirigea l'optique.
Mais de ces arts ingénieux
Comment s'opperent les merveilles ?
Servandoni ment à nos yeux ,
Et Rameau ment à nos oreilles.
En un mot tout ment ici-bas ;
A cet ordre commun , il n'eft rien de rebelle.
Eh ! pourquoi l'univers ne mentiroit- il pas
Il imite en ce point le plus parfait modele.
L'or des affres , l'azur des cieux
Sont une éternelle impofture ;
Toute erreur invincible à nos fens curieux
Eft menfonge de la nature.
Mais tu verrois fans fin les
preuves s'amaffer,
Si j'approfondiflois un fujet fi fertile ;
Pour terminer j'en omets mille ,
Dans la crainte de te laffer.
Je te laiffe à pourſuivre une route facile.
Réfléchis à loiûr : & , tout bien médité ,
JUILLE T. 1755. 43
Tu diras comme moi que notre utilité
A prefque interdit tout azile
A l'impuiffante vérité.
Où fe reffugira cette illuftre bannie >
L'abandonnerons-nous à tant d'ignominie ?
Non : retirons la par pitié.
Logeons la dans nos coeurs : que toute notre vie ,
Elle y préfide à l'amitié.
44 MERCURE DE FRANCE. "
PORTRAITS
DE CINQ FAMEUX PEINTRES
J
D'ITAL I E.
Jacques Baffan.
' Admire un heureux choix dans ces ſujets
champêtres .
Ils mettent fous mes yeux l'efprit des livres
faints .
Quel pinceau ferme & gras ! non , non les plus
grand maîtres ,
D'un fuccès plus brillant n'ont pas eu leurs fronts
ceints.
Loin de noyer la touche , il eft plein de franchife
,
L'expreffion s'y trouve , & l'effet en ſurprend.
Payfage , animaux , portraits , tout y maîtriſe.
Tromper eft pour le Peintre un triomphe écla
tant.
Annibal Carrache.
La maniere , le goût qu'Annibal fe forma ,
A fes Maîtres enfin fervirent de modele.
De fon feu la Peinture avec foin l'anima ;
Et bientôt à Bologne il s'y montra fidele .
JUILLET.
1755. 45
Quel ouvrage * divin ! je vois la poëſie
Applaudir au pinceau de ce fier féducteur ;
Et pleine du tranfport dont le beau l'a faifie
Elle fourit , embraffe , & reconnoît fa foeur. >
Camille Proccaffini .
Qui préfente à mes yeux ces contours reffentis ?
Seroit-ce le pinceau d'un ſecond Michel-Ange ?
L'ordonnance , la main , l'efprit , le coloris ,
Tout fe difpute ici le prix de la louange .
Ce corps vit , il fe meut par un pouvoir divin ,
L'expreffion ravit dans ce bel air de tête.
Si Camille à fa fougue eût roujours mis un frein ,
Nature l'eût créé fon premier interprête.
Paul Veroneze.
Que de feu , de grandeur , quelle magnificence !
Non , non , Peintre charmant , tu n'a point de
rivaux .
Plus ton pinceau s'éleve , & plus fon excellence
Immortalife tes travaux.
Tes chefs-d'oeuvres font ceux du génie & des
ces :
L'amateur éclairé les dévore des yeux :
gra-
On peut regarder la galerie Farnese peinte à
Bologne , comme un vrai poëme. Le Pouffin difoit
que dans cet ouvrage Annibal avoit furpaflé tous
Les Peintres , qui l'avoient précédé & qu'il s'étois
auffifurpaffé lui-même.
46 MERCURE DE FRANCE.
-
La nature partout y reconnoît les traces
Et s'étonne d'y voir le coloris des Dieux .
Carle Maratte.
2
La Peinture fourit aux graces de Maratte ?
C'eſt le reftaurateur du divin Raphaël .
Ce qui fait le grand Maître en fes tableaux éclate,
Il rend l'ame & les traits de la Reine du ciel.
A ce dernier talent * on crut qu'il ſe bornoit :
Mais peignant Conſtantin qui renverſe l'idole ,
Il détruifit le faux bruit qui couroit.
En vain fa modestie aux honneurs s'oppofoit ,
Il en reçut au Capitole.
On difoit qu'il nefçavoit bien peindre que des
Vierges, fes confreres le nommoient par dérision
Carluccio delle Madonne ; mais le baptiftaire de
S. Jean de Latran fit bientôt ceffer ce bruit.
JUILLET. 1755. 47
DIALOGUE
PAR M. DE BASTIDE.
La Ducheffe Mazarin , Saint- Evremond.
LA DUCHESSE.
Oudrez- vous toujours me paroître
Voucher Your Que dans l'autre
monde vous ne fentiffiez pas le ridicule de
votre paffion , à la bonne heure ; cela n'eſt
pas tout - à - fait inconcevable. Quoique
vieux & prefqu'ufé , vous pouviez eſpérer
de faire naître un caprice ; j'étois vive &
légere , vous aviez de l'efprit , de la complaifance
, de la fineffe , beaucoup d'ufage
des femmes , toutes chofes qui avec du
tems & de la patience peuvent produire
les révolutions les plus fingulieres dans un
coeur de la trempe du mien . Mais à préfent
que pouvez - vous attendre de vos
beaux fentimens ? il n'y a plus de caprice
à eſpérer.
SAINT-EVREMOND.
Vous avez jugé de ma paffion par l'opinion
que les hommes vous donnoient
48 MERCURE DE FRANCE.
•
de l'amour permettez moi de vous dite
que vous ne l'avez pas bien connue . Il eſt
un amour général que tous les hommes
fentent , auquel ils donnent les titres les
plus nobles , & fans l'empire duquel ils
auroient à un certain âge peu de vrais
plaifirs & peut être peu de vrai mérite.
Cet amour là eft l'effet naturel du feu de
l'âge on le place honnêtement dans le
coeur ; mais il n'eft que dans le fang &
dans l'imagination . Celui qui le fent lui
donne une origine illuftre , & prend de
bonne-foi fes fenfations pour des fentimens.
Celui qui l'examine le réduit à ce
qu'il eft , & ne le diftingue point du defir
machinal, mais déguifé des faveurs. Ce qui
fait qu'il aura toujours en fa faveur la prévention
publique , & qu'on ne le connoîtra
jamais pour ce qu'il eft véritablement ,
ou que fi on le connoît fon empire n'en
fera pas plus défert. Il eft un autre amour
beaucoup plus noble & beaucoup plus rare
que le premier . Il fe forme de l'impreffion
délicate de la beauté , de l'eftime fympathides
vertus & des talens , de l'attrait
que
féduifant de l'efprit , du rapport des ames
& de la douceur de l'habitude . Il naît
s'augmente & fe foutient par le feul attrait
qui la fait naître. Le defir des faveurs ne
lui eft ni néceſſaire , ni étranger ; il deſire
avec
JUILLET. 1755. 49
avec délicateffe & jouit avec oeconomie.
Cet amour là eft l'effet de l'honnêteté de
l'ame & des réfléxions de l'efprit . Dans le
printemps de la vie , on le regarde comme
une idée de roman ; dans l'âge mur , on le
chérit comme un fentiment délicieux . Voilà
l'amour que je fentois pour vous & que je
fens encore : il eft précisément dans l'ame ,
il a trouvé la mienne telle qu'il lui en falloit
une , & il s'y eſt conſervé.
LA DUCHESSE.
Je ne vous concevois pas tout à l'heure ;
je vous conçois encore moins à préfent.
Si vous fentiez véritablement cet amour
fi délicat à qui les faveurs ne font pas néceffaires
, pourquoi étiez - vous fi jaloux des
préférences que je paroiffois accorder à
d'autres qu'à vous ? vous voyez bien que
cette feule contradiction entre vos idées
& vos fentimens prouve que vous venez
de peindre une chimere.
SAINT-EVREMOND.
Je vous retrouve bien dans vos jugemens
; mais votre vivacité n'a plus fur
mon efprit ce pouvoir dont elle abuſoit ;
la mort a détruit l'inégalité qui étoit entre
nos efprits , la matiere n'agit plus , je puis
vous fuivre & vous arrêter. Souffrez que
C
Jo MERCURE DE FRANCE.
je vous defabuſe. De ce que l'on gâte une
chofe , doit- on conclurre qu'elle n'exiſte
pas ? je gâtois l'amour pur dont je brûlois
pour vous , parce que j'avois connu trop
Fard un amour i délicat ; l'habitude des
plaifirs avoit donné le ton à la machine ;
j'étois jaloux , parce que lorfque l'on a
trop accordé à la matiere , elle ne cede
jamais tout à l'efprit ; mais dans le fond
de mon coeur je rougiffois de ma jaloufie ,
je ne me diffimulois pas que j'étois encore
loin de mériter , de fentir la noble ardeur
dont vous me pénétriez .
LA DUCHESSE.
Cette
noble
ardeur
& toutes
vos
belles
idées
n'étoient
qu'une
erreur
de votre
efprit.
Un
fi parfait
amour
feroit
mieux
connu
des hommes
s'il exiftoit
réellement
,
on en verroit
quelques
traces
dans
le
monde
, & je ne l'ai encore
vû que
dans
vos métaphifiques
raifonnemens
.
SAINT-EVREMOND.
Je ne dirai pas qu'il foit bien commun ;
mais il n'eft pas fi rare que vous vous
l'imaginez , il y a même des coeurs à qui
feul il convient.
LA DUCHESSE.
Tant pis pour ces cours là. Les hommes
JUILLE T. 1755.
ST
font faits pour penfer tous de même ; ceux
qui fe féparent du corps général , fût- ce
pour penfer mieux , ont moins de plaifirs
& plus de peines ; ils trouvent plus de difficulté
à s'affortir , ils font heureux fans
témoins ; s'ils en ont , leur bonheur paſſe
pour un ridicule , il faut qu'ils paffent lear
vie à le juftifier , ils trouvent à peine le
moment d'en jouir.
SAINT-EVREMOND.
Ils l'augmentent en le juftifiant , ou
bien ils dédaignent d'en prendre la peine ;
ils fe contentent d'être heureux en euxmêmes.
Croyez - vous que le bonheur ne
foit que dans l'éclat ? ⠀
LA DUCHESSE.
Si ce que vous foutenez étoit vrai , je
trouverois tous les hommes à plaindre. Ils
ne feroient plus heureux qu'en particulier ,
il n'y auroit plus entr'eux cette fociété que
leurs plaifirs forment. Croyez moi , il faut
aux hommes plufieurs objets de bonheur :
fi vous diminuez le cercle de leurs plaifirs ,
vous diminuerez celui de leurs intérêts &
de leurs idées . Le monde entier ne fera
plus pour chacun qu'un très - petit eſpace ;
à une ligne du point de leur félicité , il n'y
aura plus rien qui mérite leurs foins : le
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
i
monde ainfi divifé fera bientôt détruit ; il
faut que les chofes foient comme elles
font , elles n'auroient pas tant duré fi elles
n'étoient pas bien .
La naifance de l'ennui , conte traduit de
l'Anglois , par Miſſ Rebecca .
A U fiécle d'or où l'on ne croit plus guères ,
Pandore n'avoit point reçu le don fatal ,
Qui recéloit notre mifere ,
Et le bonheur n'étoit mêlangé d'aucun mal.
Point de ces noms affreux d'homicide & de guerre
Qu'enfanta le tien & le mien ;
L'innocence regnoit , on s'en trouvoit fort bien :
Source des vrais plaifirs elle en peuploit la terre ,
Chaque mortel avoit le fien.
Dans ces jours fortunés Alifbeth prit naiffance.
Son père étoit pafteur , devot envers les Dieux ,
Autant qu'Enée étoit pieux ,
Bon , généreux ; mais que fert qu'on l'encenſe ?
Les hommes l'étoient tous , & pour le peindre
mieux
Il avoit avec eux parfaite reffemblance ,
Et rien ne le diftinguoit d'eux .
Il cheriffoit fon fils , & de fa deſtinée
Voulant pénétrer le ſecret ,
Que fon ame fut étonnée
Lorfqu'on lui prononça ce funefte decret ;
JUILLET 3755 . 13
( »> De l'ennui dévorant ton fils fera la proye. ) .
Ce monftre encor n'exiſtoit pas e
Mais l'Oracle annonçoit qu'il viendroit à grands
pas ,
Et qu'il feroit l'ennemi de la joie.
On fe peint aisément ce que dût reffentir
Le pere d'Alifbeth ; fa douleur fut amere.
Mais plus le fort menace une tête fi chère ,
Plus il cherche à la garentin
Plaifir , ce fut à vous qu'il remit fon enfance ,
Par mille jeux nouveanx vous filiez les loisirs ,
Et du vent de votre aîle , écartant la licence ,
Vous allumiez fes innocens defirs .
Alifbeth cependant formoit fouvent des plaintes ,
Inftruit du fort qui l'attendoit.
Toujours tremblant il fe perfuradoit
L'ennui moins cruel que fes craintes.
Quand le plaifir s'éloignoit un inftant ,
Il fentoit augmenter fon trouble.
Refléchiffons , dit - il : fi ma frayeur redouble
Quand je vois échapper ce Dieu trop inconftant ,
Fixons- le pour toujours , c'eft me rendre content ,
Et detourner les malheurs de l'Oracle .
Ce projet n'avoit pas peu,de difficulté ;
Mais de tout tems fut cette vérité
Que le defir s'accroit par un obftacle .
Un jour que le plaifir dormoit ,
Ravi d'avoir trouvé ce moyen falutaire
De diffiper tout ce qui l'allarmoit ,
C iij
$4 MERCURE DE FRANCE.
Alifbeth s'enfonça dans un bois folitaire.
Là , par quelques mots enchanteurs ,
Dont il connoiffoit l'énergie ,
Il invoqua les noires Soeurs ;
( Heureux , s'il eût toujours ignoré la magie !)
Trop favorables à ſes voeux
Les Parques près de lui bientôt fe raffemblerent
On dit qu'à leur afpect hideux
Tous les fens d'effroi fe glacerent
Et que du trio ténébreux
Pour la premiere fois les fronts fe dériderent.
Filles du Stix , puiffantes Déités ,
Dit Alifbeth , voyez un miférable ,
Qui pour finir fon deftin déplorable ,
N'efpere plus qu'en vos bontés .
Fiere Atropos , c'est toi que je réclame ;
Prêtes moi tes cifeaux , qu'ils m'ôrent du danger ;
Si d'un inftant de trop ce fil va s'alonger :
Ah ! que toi ni Cloto n'en craigne point de blâme
;
Celui dont elle ourdit la trâme ,
Te bénira de ne point l'abréger.
Lachefis à ces mots fourit avec malice ,
Et les trois Soeurs qu'amufent nos revers ,
Voulurent fervir un caprice ,
Qu'elles jugeoient funefte à l'univers.
Alifbeth en obtient le dépôt qu'il demande ,
Au Dieu qu'il veut fixer il vole promptement
Il fommeilloit encor , il faifit ce moment.
JUILLET. 1755 . 31
Les alles du plaifir font la premiere offrande.
Que l'ennemi qu'il appréhende
Reçoit de fon égarement à
Mais déja le plaifir qu'une flateuſe image
Dans les bras du
repos
avoit
trop
Pour éprouver la trifte vérité
arrêté ,
Voit diffiper cet aimable nuage.
Il s'éveille , & cédant à fa pente volage
Veut fuir avec légereté.
Ses efforts pour la liberté
L'inftruiſent de fon eſclavage.
Des inutiles foins qu'il mettoit en ufage
Alifbeth ſe faifoit un jeu :
༢
Mais que fon bonheur dura peu.
Chaque inſtant fon captiflui ſemble moins aimable
;
Il lui devient bientôt indifférent ,
Au bâillement qui le furprend
Succéde un dégoût véritable :
11foupire , & le Dieu juftement irrité
Lançant un regard effroyable ,
Lui montre ainfi le fruit de fa témérité.
Malheureux ! qu'as- tu fait des chaînes éternelles
Ponr cauſer tes regrets me fixent aujourd'hui ;
>> Ton horofcope eft accompli ;
» Le plaifir privé de fes aîles
» N'eft autre choſe que Pennui
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Lettre apologétique d'un Gentilhomme
Italien à M. l'Abbé Prevot.
Sur l'article du Journal étranger de Janvier
1755 qui a pour titre Introduction à
la partie hiftorique .
,
Lus l'Italie a fçu apprécier & goûter la
Plaine morale que vous avez répandue
dans vos Romans , chefs - d'oeuvre d'une
imagination vive & féconde , & d'un coeur
qui fans effort a adopté la vertu & réprouvé
le vice , plus elle a dû être fenfible aux
idées defavantageufes que vous donneriez
de fes habitans à qui n'en jugeroit que
d'après vos fuffrages. Mere des fciences &
des arts elle fe voit à regret accufée par
un juge auffi intégre qu'éclairé , d'en être
devenue la marâtre , & de n'avoir pas voulu
conferver chez elle ce goût même qui y
avoit pris naiffance .
Affez malheureux pour être né dans un
pays qui neſe reſſemble plus , je le ne fuis pas
au point de négliger entierement fa réputation
. L'amour de la patrie, peut- être le
defir d'être éclairé par vos lumieres , m'ont
fait entreprendre fa juftification . Ces deux
principes qui me guident , méritent l'inJUILLET.
1755. 57
dulgence d'un auteur vertueux : daignez
en leur faveur pardonner à un étranger
des fautes de ftyle ou de langage.
Tous les étrangers conviennent , ditesvous
, Monfieur , que cette belle partie de
l'Europe n'est plus que la dépofitaire oifive
des travaux de fes ancêtres ; les écoles n'y
font plus des corps fubfiftans de peinture
L'art reste encore ; mais les ouvriers manquent
à lart.
..
Sans entrer dans une difcuffion , qui n'eſt
point de ma compétence , fur la derniere
de ces phrafes , qui pourroit être regardée
même par un François comme peu intellible
, permettez que j'en examine ce qui
fait mon objet : La vérité.
Pour que l'Italie fut la dépofitaire oifive
des travaux de fes ancêtres , il faudroit
néceffairement , de deux chofes l'une , ou
qu'on n'y travaillât plus du tout dans les
mêmes genres , ou qu'on trouvât ( chez.
fes voisins qui fe font élevés , tandis qu'elle
s'eft malfoutenue ) des Artiftes fort fupérieurs.
Quant à la premiere de ces propofitions
il faudroit , Monfieur , que vous euffiez
paffé vos jours dans le trifte tombeau de
Selima , pour ignorer avec quelle ardeur
on cultive encore en Italie la peinture , la
fculpture & l'architecture .
Cv
58 MERCURE DE FRANCE.
La feconde propofition mérite un , per
plus d'être difcutée.
Quoiqu'il foit peut- être vrai que nous
ne fuivions pas d'affez près les grands modeles
du fiécle de Léon X , il faut voir fi
les arts de l'Italie font fr fort dégénérés
dans le nôtre , qu'on ne puiffe les comparer
à ceux de fes voifins .
Peut-être , Monfieur , avec l'étendue
de connoiffances que vous poffedez , découvrirez-
vous parmi eux des Peintres fupérieurs
à l'Espagnolet , au Trévifan , à Sebaftien
Coucha , à Solimene , à Carle Maratte
, au Tripolo , au Piazzetta, au Panini ,
tous de ces derniers tems , & dont quelques-
uns jouiffent encore de leur réputation.
La France qui a fur ce point le tort
de ne pas penfer comme vous ,
tache en
attendant d'enrichir fes galeries des ouvrages
de ces Artiftes médiocres , guidés uniquement
par leur inſtinct mêlé de goût &
de raison , tandis que notre pauvre Italie
n'a pas encore décoré les fiennes des motceaux
rares & précieux de vos Peintres
modernes : non qu'elle leur refufât le génie
& le talent , mais parce qu'elle les croiroit
un peu moins approchant des grands
modeles de Raphaël , du Titien , des Carraches
dont elle eft l'oifive dépofitaire . Les
noms fameux de leurs fucceffeurs que je
JUILLET. 1755. 59
*
e
S
viens de vous indiquer , vous prouveront
du moins que les ouvriers ne manquent
point à l'art , au moins dans ce genre.
L'architecture & la fculpture s'y fou
tiennent de même avec un vif empreffement
d'atteindre à la perfection des grands
modeles . Un homme de condition qui s'eft
adonné en homme de génie * au premier
de ces arts , ne nous laifferoit point regretter
le fiécle de Vitruve , s'il ne falloit
que du talent pour exécuter de grandes
chofes. Tout ce qui nous refte de la belleantiquité
, eft devenu inimitable ; non
pas faute de goût ni de lumieres dans nos
artiftes , mais faute de moyens dans ceux
qui les emploient. Où prendroient nos
Architectes les fonds néceffaires à la conftruction
de ces thermes , ces amphithéatres
, ces cirques , ces arcs de triomphe ,
ces temples , ces palais , ornemens de l'ancienne
Rome ? Maîtreffe de l'univers elle
pouvoit fournir à ces dépenfes prodigieufes.
Des Etats dont les bornes font refferrées
, les revenus médiocres , les citoyens.
peu riches , ne peuvent fans donner dans le
ridicule , envifager de fi grands objets ..
Pour juger fainement du talent des . Ar-
M. le Comte Alfieri , Architecte de ş. M. le
Roi de Sardaigne.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE .
tiftes, il faut examiner fi dans la proportion
des moyens , feurs ouvrages ont atteint le
vrai beau . Sans remonter plus haut que le
Pontife regnant , je ne vous citerai de Rome
que la feule fontaine de Trevi : oppofez
-lui , Monfieur , la plus belle des vôtres.
Ecoutez vos Artiftes même les plus diftingués
, vos Académiciens jufqu'au Mécene
qui dirige , qui éclaire , qui anime leurs
travaux , tous éleves de l'Italie , ils lui doivent
trop pour ne pas prendre fa défenfe.
Ce feroit entrer dans une difcuffion dont
on eſt déja fatigué , que de m'étendre ici
fur notre Mufique ; il fuffit qu'en général
on lui accorde la fupériorité,
J'aime fi fort , Monfieur , à m'en rapporter
à vos décifions , que je ne vous
difputerai point l'origine de la langue
italienne. Je crois avec vous qu'elle tire
fa fource du Grec & du Latin ; mais je ne
fçaurois vous paffer , Monfieur , cette application
que vous nous fuppofez à décliner
de notre fource : nous y puifons
journellement , non feulement les termes ,
mais les phrafes entieres ; & nos Académiciens
della Crufca en adoptent entierement
la fyntaxe . Ce n'eft , décidez -vous , qu'a
Rome & à Florence qu'elle fe conferve dans
toute sa pureté. Mais que diriez - vous de
quelqu'un qui affureroit qu'on ne parle
JUILLET. 1755. 61.
•
François qu'à Blois , & Allemand qu'à
Leipfick ? Vous avez confondu avec la
langue même les différens idiômes du même
peuple que vous appellés en France
patois. Penfez-y , Monfieur , & lifez nos
écrits modernes , vous verrez que les gens
de lettres parlent ou du moins écrivent
auffi-bien à Naples qu'à Rome , à Padoue
qu'à Florence , & ainfi de toutes les langues
de l'univers.
Pardonnez , fi j'appelle auffi de l'arrêt
que vous prononcez fur le mérite de cette
langue : Vous avez la bonté de lui accorder
la moleffe & la douce harmonie, mais
vous lui refufez la force & l'énergie :
Souffrez , Monfieur , une queftion qui ne
doit jamais offenfer un homme de lettres
lorfqu'il cherche la vérité. La connoiffezvous
affez cette langue & les morceaux de
force qu'elle a produits , pour donner un
certain dégré d'autenticité à l'oracle que
vous prononcez ? Lifez , s'il vous plaît ,
ces huit ou dix vers que je cite au hazard ,
de quelqu'un qui n'eft pas auteur de profeffion
, ( c'eft le defefpoir d'un amant ; )
vous me direz de bonne foi fi vous connoiffez
un crayon plus noir & plus énergique.
* M. le Comte Pietro Scoti de Sarmato.
62 MERCURE DE FRANCE.
Tra balge & rupi impenetrabile fia
Latro ritiro ; urli di lupi ogn'ora ,
Turbino i fonni , e la nafcente aurora »
Tarda ritorni a ricondurre il giorno .
Torbida luce de Digiuno fuoco .
Qual ne i fepolcri la pietà racchiude
O poco fcemi , o cresca orrore al loco ,
Qui federommi al mio dolor Vicino ,
Stanco d'effer materia all' atra incude
Del fiero amore del crudel destino.
Je me flate , Monfieur , que vous ne
refuferez pas plus à ces vers la force &
l'énergie que le fon & l'harmonie : La
peinture y eft affreufe , mais d'une vérité
frappante ; & ne diroit -on pas que l'imagination
qui en a broyé les couleurs , avoit
pris fes nuances dans Cleveland , ou l'Hom
me de qualité ?
. Mais laiffons enfin les arts agréables
pour nous élever jufqu'aux fciences fublimes.
Je fuis trop preffé de vous remercier
de ce que au nom de toute ma nation >
vous lui permettez d'avoir fes Hiftoriens ,
fes Philofophes & fes Poëtes , pour m'arrêter
plus long-tems à des objets fur lefquels
je crois l'avoir fuffisamment juftifiée.
Je crois voir cependant que ce petit éloge
n'eft qu'un buiffon de fleurs deftiné à cacher
un ferpent : J'apperçois trop que vous
JUILLET. 1755. 63
S
e
"
nous refuſez la folidité néceffaire pour
les recherches profondes , la juſtelle d'efprit
fans laquelle on ne peut imaginer ,
fuivre & détailler un fyftême , la longue
& patiente méditation par laquelle on parvient
à la connoiffance des vérités philofophiques.
MM. d'Alembert & Clairault ,
Mathématiciens françois , que l'Italie fait
gloire d'honorer & de refpecter , vous diront
cependant qu'ils eftiment un Marquis
Poleni , un Zachieri , & beaucoup d'autres
dont les noms peut-être vous font inconnus
des études différentes détournoient
votre attention ) ; mais ils n'ont
point échappé aux autres Mathématiciens
de l'Europe. M. Morand , que les étrangers
n'en eftiment pas. moins , parce que
la France l'admire , daigne avouer Morgagni
& Molinelli . Vous n'avez point de
Botaniste qui ne faffe le plus grand cas de
Pontedera , & la Tofcane feule fournit
plufieurs Naturaliftes dont les Buffon &
les Réaumur n'ignorent dès long- tems ni
l'exiſtence ni le mérite . Ajoutons à ces
noms célebres deux femmes illuftres dignes
rivales de votre Emilie , Mefdames Baffi &
Agnesi que les Italiens & les étrangers admirent
également , & dans leurs profonds.
écrits & dans les chaires de Profeffeurs ,
que la premiere remplit à Bologne .
MERCURE DE FRANCE.
-
Si vous aviez connu , Monfieur , tous
ces noms déja confacrés dans les faftes
du fçavoir , auriez vous foupçonné nos
Philofophes de ne pouvoir fe garantir des
préjugés de la Magie & de l'Aftrologie ? à
ce foupçon ma réponſe eft bien fimple :
Long - tems avant les procès fameux de
Gauffredi , d'Urbain Grandier , de la Maréchale
d'Ancre & d'autres affaires d'éclat ,
qui plus récemment ont occupé la France ,
nos Philofophes & nos fçavans ne parloient
déja plus de Magie. A l'égard de
l'Aftrologie lifez vos hiftoriens , ils vous
diront que la France commença de s'en
entêter lorfque l'Italie achevoit de s'en
defabufer ; mais avouons de bonne foi
qu'on s'en moque aujourd'hui autant d'un
côté que de l'autre.
» Il s'en faut beaucoup que l'Italie mo-
» derne ait des modeles à nous offrir , ni
» qu'elle approche de ceux qu'elle a reçus
comme nous de l'Italie latine . Tel eft ,
Monfieur , votre jugement au fujet de
l'hiftoire ; il eft vrai que nous n'avons plus
les Tites Live , les Salufte , les Tacite ,
& c , mais nous refuferez - vous Guicciardin
, Macchiaveli , Bembo , Davila , Frapaolo
; & de nos jours les Gianoni , les
Muratori & les Burnamici . Vous avez
affurement lû ces hiftoriens , convenez
JUILLET. 1755 . 65
qu'ils auroient mérité votre approbation.
Sur l'éloquence de la chaire , vous êtes
encore en défaut ; vous nous accufez ,
Monfieur , d'un vice que nous condamnons
dans le mauvais fiécle du Seicento
où les Biſchicci , les Allegories , & mille
autres puérilités de même nature rempla-.
çoient fouvent la morale , l'onction & le
raifonnement. Revenus nous - mêmes de
notre erreur paffée nous déplorons les fautes
de nos ancêtres , & nous blâmons autant
les modernes qui y retombent que ,
ceux qui nous condamnent fans nous connoître.
Que répondriez-vous à un critique
qui jugeroit vos prédicateurs fur les fermons
de Coiffeteau , ou fur les capucinades
de vos Miffionaires.
Je ne vous fuivrai point à la piſte dans
le labyrinthe des phrafes un peu entortil
lées , où vous déclamez contre notre genre.
dramatique : Je ne vous faifirai qu'au paffage
, où vous imaginez ne pas bleffer la
vraiſemblance en ofant avancer qu'en Italie
c'est l'imperfection de la fociété , le peu de
commerce entre les deux fexes qui a retardé.
les progrès du théatre comique. Je refpecte
trop les gens de lettres , & vous particulierement
, Monfieur , pour vous paffer
les propofitions que vous hazardez à ce
fujer.
66 MERCURE DE FRANCE.
Vous , Monfieur , qui fçavez , & qui
nous apprenez fi bien les incurs de tant
de peuples dont on connoit à peine les
noms , comment avez - vous pu imaginer
les deux fexes auffi féparés que vous les
fuppofez en Italie ? fi moins attaché à vos
Penates vous aviez daigné employer quelques
mois feulement à la connoiffance de
nos climats , vous auriez vû avec plaifir
que les deux fexes y font bien plus réunis
qu'à Paris. Là au lieu de fe raffembler à
l'heure d'un fouper on fe voit toute la
journée , toutes les maifons font ouvertes
à la bonne compagnie depuis le matin jufqu'affez
avant dans la nuit , coutume qui
rend inutile chez nous l'établiffement de
ces petites maifons où chacun à Paris fembile
chercher plutôt un afyle pour la liberté
& pour le plaifir qu'un théatre du fentiment
& des grandes paffions.
Je ferai , fi vous voulez , un peu plus
d'accord avec vous fur la rareté que vous
croyez voir en Italie de certains ouvrages
de pur agrément , tel que les pieces fugiti
ves , les effais , les mêlanges de littérature &
de poësie , & tant d'autres productions légeres
dont la France abonde , & qui peuvent
recevoir le nom de libertinage d'efprit.
Mais hélas ! Monfieur , croiriez - vous de
bonne foi que nous duffions tant vous G13-
JUILLET. 1755. 67
vier cette abondance , & vous fembler f
fort à plaindre de n'écrire guères que pour
notre raiſon ?
Telles font , Monfieur , les obfervations
que j'ai crû devoir faire fur votre introduction
à la partie hiftorique. Avec moins
d'envie de mériter vos éloges , j'aurois
peut-être négligé la défenſe de ma patrie.
Je vous crois trop d'efprit , de modération
& d'impartialité pour ne pas m'en fçavoir
quelque gré. Un Journal étranger eft fait
pour plaire à toute l'Europe ; il ne faut
donc point qu'il prenne trop le goût du
terroir qui l'a produit ; & fi jamais il étoit
permis de s'écarter du vrai , du moins il
feroit plus fûr de flater que de cenſurer
trop légerement des nations entieres : celles-
ci pourroient à leur tour apprécier trop
vite l'auteur fur l'étiquete de l'ouvrage.
68 MERCURE DE FRANCE.
Le mot E mot de l'Enigme du fecond volume du
Mercure de Juin eft les Quilles . Celui du
Logogryphe eft Matadores , dans lequel on
trouve modes , Sem , or , atômes , dôme , Eft,
orme , amer, rame , rat , mets ; Mars , Dieu ;
armes; Mars , planette ; Mars , mois ; mars,
ou fer ; Adam , mot , ame , dames , damas ,
mort Mores , Arts , dot , aftre , dos , Rome,
dam , os , dés , mer , Ode , re. 2
ENIGM E.
Cinq voyelles , une confonne
Forment mon nom ;
Et je porte fur ma perfonne
De quoi l'écrire fans crayon.
JUILLET. 1755. 69
du
On
م ز
95,
Q
LOGO GRYPHE,
Uatorze pieds , Lecteur , forment mon exif
tence ;
*
Je fuis depuis long- tems fameux & d'importance,
De villes dans mon fein je renferme un Etat :
Des mortels dont la taille eft peu propre au com,
bat ,
D'autres qui fe peignoient le corps & le vifage ;
Le Dieu qui le premier mit la flûte en uſage ;
Le champs fatal qui vit périr tant de Romains ;
Un fleuve dans l'Egypte , un faint Evangélifte ;
La femme de Jacob , un grand naturaliſte ;
Le roi des animaux , l'adjoint de Marius ;
Ce qui fit expirer la femme de Brutus ;
Un nom propre à la mer , une vierge voilée ;
Un arbre peu commun pour border une allée .
Ce fyftême fondé fur bien des accidens ,
Qui procure du pain quand on n'a plus de dents.
Un fort qu'on eût furpris fans le bruit que fit
Poye ;
Un vin rouge excellent que d'Efpagne on envoye,
La mere d'Apollon , du Pape un Député ;
Un ami de Dion , Philoſophe vanté.
Le pere de Jafon , un fameux Aftronome ,
Et l'auftere Cenfeur qui fut l'appui de Rome.
10 MERCURE DE FRANCE.
CHANSON.
Tircis voyant que fa Lifette
S'attendriffoit en l'écoutant ,
N'avoit recours qu'à fa mufette ,
Et ne s'exprimoit qu'en chantant.
Tu m'enchantes , dit la folette ;
Mais veux-tu chanter tout le jour ?
Hé , quoi ! Tircis , le tendre amour
N'a-t-il donc pas d'autre interprête 2
Vois- tu fous ce naiffant feuillage
Ces oifeaux badiner entr'eux ?
Ils interrompent leur ramage
Pour prouver autrement leurs feux.
Tes tendres chants & ta mufette
Peuvent m'amufer à leur tour ,
Mais , quoi ! Tircis , le tendre amour
N'a-t-il donc pas d'autre interprete ?
Sur l'Air du Majeur.
Amans , qui près d'une coquette
Croyez la charmer par vos fors
"Sçachez qu'ainsi que pour Lifette ,
Chanfons pour elle font chanfons.
Vos tendres chants , votre mufette ,
Peuvent l'amufer à leur tour ?
Mais pour mieux exprimer l'amour
Changez quelquefois d'interprete.
GE
9
7
CHANSON
Nouvelle .
Majeur.
Lircis voyantque sa Li - sette
'attendrissoit en l'l'coutant
www
avoit re cours qu'a sa Muset-te
•
Et ne s'exprimoit qu'en chantant.
Tu m'enchantes, dit la Follette ).
Mais veux tu chanter tout lejour?
o
o
He quoi?Circis, le tendre Amour
Vat-il donepas d'autre interprete ?
HHH
Mineur.
же
Vois tu sous ce naissantfeuillage
Ces Oiseaux ba - di-ner entre eux.
Ils interrompent leur Rama -ge
Courprouver autrement leurs jeux
Castendres chants et få e
fa Muset-le
Couveut m'amu-ser à leur tour
Mais quoi ?Cirois,le tendre Amour,
Nat- il donepas d'autre in ter-pre-te ?
La Musique est de MeDxxx et Beauvais
Euillet 1755.
JUILLET. 1755. 71
ARTICLE II.
NOUVELLES LITTERAIRES.
EMOIRES du Comte de Banefton
Mécrits par le Chevalier de Forceville ,
en deux parties in- 12 . Se trouvent chez
Duchefne , rue S. Jacques , au Temple du
Goût , 1755 .
L'expofition de ce roman excite la curiofité
la plus vive. Un françois enterré
tout vivant au nord de l'Angletterre dans
une maiſon iſolée , où il n'eft fervi que
par un payfan & une payfanne qui ne l'entendent
pas , où perfonne n'entre jamais.
Un homme enfin qui ne paroît point le
jour & qui ne fort que la nuit , annonce un
héros fingulier dont on brûle de fçavoir
l'hiftoire. Le Chevalier de Forceville qui
arrive dans ce pays pour y recueillir une
fucceffion , parvient par un incident que
je fupprime à pénétrer dans ce tombeau.
Il reconnoît dans le cadavre animé qui
l'habite , le Comte de Banefton qu'il a vû
autrefois en France , & dont il étoit l'ami .
Il veut l'obliger de retourner avec lui dans
fa patrie ; mais tout ce qu'il peut en obtenir
eft de lui apprendre les raiſons qui
72 MERCURE DE FRANCE.
l'ont déterminé à s'enfevelir dans cette habitation
fauvage. Il lui fait un récit détaillé
de fa vie . Il lui conte d'abord les premiers
écarts de fa jeuneffe ; c'eft la partie de ce
roman la moins intéreffante : elle n'eft
qu'une foible imitation des confeffions du
Comte de .... La feconde attache beaucoup
plus par le beau caractere de Mlle de
Mareville , qui joint à la naiſſance , aux
grands biens , les graces extérieures & toutes
les beautés de l'ame , une douceur furtout
qui la rend adorable & qui méritoit
un fort plus heureux . Elle préfère le Comte
de Banefton à tous fes rivaux ; il eſt le plus
heureux des maris ; mais l'auteur donne à
cette femme accomplie une rivale trop
odieufe. Le contrafte eft révoltant : on n'a
jamais réuni tant de noirceur ; c'est une
charge de Cleveland . Léonore dont le nom
eft trop doux à prononcer pour le donner
à un monftre fi noir & fi barbare , Léonore
, dis-je , furpaffe en cruauté Cléopatre
dans Rodogune , & qui plus eft Atrée.
Les crimes de la premiere ont pour objet
le trône, qui les ennoblit, & ceux de l'autre
font fondés fur la plus cruelle des injures ,
qui motive fa vangeance ; mais l'exécrable
Léonore eft méchante pour l'être. Elle ne
s'eft déterminée à fixer fa demeure près de
la terre du Comte de Banefton , & à fe lier
avec
JUILLET. 1755. 73
de
=
avec fon aimable époufe , que dans l'affreufe
vûe de troubler de gaité de coeur
leur union vertueufe. Elle n'employe l'art
le plus raffiné pour captiver le coeur du
mari , que pour percer celui de la femme.
Comme le crime féducteur réuffit toujours
mieux que la vertu fans artifice , elle parvient
à fe faire aimer du Comte de Banefton
en dépit de lui-même , elle le rend
X non feulement coupable , mais encore imbécile
au point de l'engager à quitter la
France & à fe rendre à Venife avec elle ,
exprès pour l'aider à cacher plus facilement
че un accouchement adultere. Elle a même
l'impudence de mettre la Comteffe de la
partie avec fon fils unique , fans oublier
la gouvernante . Cet étrange voyage eft
ainfi arrangé pour la commodité du roman.
La barbare Léonore avoit befoin de fe
faire accompagner de toute cette famille
infortunée pour l'immoler fucceffivement à
fa fureur. Elle fait noyer la gouvernante ,
elle précipite le fils du haut d'une terraffe ,
empoifonne la mere : le Comte lui- même
eft fur le point de fubir un pareil fort pour
avoir refufé d'époufer cette furie après la
mort de fa femme ; mais par une jufte
méprife Léonore perit du poifon qu'elle
avoit deſtiné à fon amant , & lui fait en
expirant l'aveu de toutes ces horreurs. Le
ne
e
D
74 MERCURE DE FRANCE.
Comte de Banefton déchiré de douleur
fait embaumer les corps de fa femme & de
fon fils , & va s'enterrer avec eux au fond
de l'Angleterre , d'où rien ne peut le tirer.
Cette complication de cruautés accumulées
les unes fur les autres bleffe la vraifemblance
autant que l'humanité . De tels
monftres n'exiftent point dans la nature ,
ou s'il s'en trouve un par hazard , il faut
l'étouffer & non pas le peindre. L'auteur
paroît avoir du talent pour traiter le roman
dans le grand intérêt ; il a dans M. l'Abbé
Prevôt un excellent maître en ce genre :
mais on doit l'avertir de ne pas outrer fon
modele. Qu'il donne de la force à fes caracteres
plutôt que de la noirceur , & qu'il
tâche de nous attendrir fans nous effrayer.
HISTOIRE & regne de Louis XI ,
par Mlle de Luffan , 6 vol . A Paris , chez
Piffot , quai de Conti , 1755 .
On peut compter Mlle de Luffan parmi
nos bons écrivains. Le roman où elle a excellé
l'a placée à côté de l'auteur de Cleveland.
L'hiftoire où elle réuffit l'approche
du Tacite françois.
*
Louis XI eft dédié à S. A. S. Mgr le
Prince de Condé. V. A. S. dit l'auteur ,
y verra les manoeuvres fourdes & mena-
* M. Duclos.
JUILLE T. 1755. 75
ur
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rer.
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faut
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fon
s caqu'il
ayer.
XI ,
chez
rmi
■ exeve
oche
le
eur,
enagées
de ce Monarque , en oppofition
avec la véhémence & la préfomption de
Charles dernier Duc de Bourgogne , &
par quelles routes différentes leur haine
réciproque fe manifefte. Ce contraſte ( fi
j'ai bien traité cette hiftoire ) doit y jetter
un genre d'intérêt qui donnera matiere à
d'utiles réfléxions .
de mots .
Voilà l'idée générale de l'ouvrage & fon
bût particulier expliqués en peu
Je n'en puis donner un meilleur précis , &
je m'y borne.
HISTOIRE de Louis XII , 3 vol . A
Paris , chez Lottin , rue S. Jacques , au
Coq , 1755.
Elle eft précédée d'une préface , où l'auteur
nous dit que l'hiftoire eft un pédagogue
agréable , un cenfeur poli & un prédicateur
perfuafif, tout muet qu'il eft. Il
ajoûte que l'hiftoire générale du monde
nous préfente pour l'ordinaire des événemens
, dont la plupart nous font tout- àfait
étrangers , des perfonnages que nous
n'avons que peu ou point d'intérêt de connoître
, & des moeurs fouvent incompatibles
avec les nôtres : que l'hiftoire de notre
pays au contraire nous met fous les yeux
une fuite de faits qui nous touchent , des
perfonnages avec lefquels nous partageons
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
la gloire ou le deshonneur , & des moeurs
qui deviennent la régle des nôtres. C'eſt
une vérité fenfible qu'on ne peut conteſter ;
mais ce qu'il hazarde dans une note au
commencement de fon premier livre , me
paroît plus difficile à accorder. » On ne
trouve , dit- il , dans aucun auteur le tems
» de la naiffance de Louis XII ; mais il eft
» certain qu'il eft né au mois de Mars 1462 .
Si aucun écrivain n'en a parlé , fur quoi
fonde-t-il fa certitude ?
ور
On fera peut - être bien aiſe de voir le
portrait qu'il fait d'un Monarque que fa
bonté a rendu fi intéreſſant. Le voici :
Les exercices du corps rendirent ce
Prince fi nerveux , qu'il n'y avoit point de
jeunes Seigneurs de fon âge qu'il ne terrafsât.
Pour ceux qui étoient d'un âge plus
avancé & d'un tempéramment plus vigoureux
, il entroit volontiers en lice contre
eux ; & s'il n'avoit pas la gloire de remporter
la victoire , il avoit celle de n'être
pas vaincu & de fortir du combat à armes
égales . Au jeu , il étoit charmant ; il regardoit
la perte & le gain avec la même
indifférence ... Il lui étoit ordinaire de
remettre à ceux qui jouoient contre lui la
perte qu'ils faifoient , ou de diftribuer aux
affiftans le gain provenant du jeu . A ces
avantages , Louis réuniffoit une phifionoJUILLET.
1755. ブブ
e
e
mie peu commune . Il avoit les yeux étin
cellans comme le feu , le nez un peu long
& retrouffé , les traits du vifage tels qu'une
femme touchée des charmes de la beaut
té pourroit les fouhaiter. Il étoit de moyenne
taille , mais extrêmement fort & robufte.
Par la conftitution de fon corps , qui étoit
bonne & faine , il jouiffoit d'une fanté
parfaite , dont il étoit fans doute redevable
à fa tempérance , au travail & aux exercices
du corps.
A cette peinture de Louis XII , je vais
joindre le portrait de Louis XI , par Mille
de Luffan. Par la comparaifon , le lecteur
fera mieux en état de décider lequel des
deux auteurs a mieux faifi la reffemblance
& le vrai coloris , c'eft- à- dire cette élégante
fimplicité , & cette vérité préciſe que l'hiftoire
demande. C'eft à lui de prononcer ,
je m'en rapporte à fon jugement
.
Louis XI , dit Mlle de Luffan , n'avoit
pas reçu de la nature les mêmes avantages
que Monfieur ; il étoit grand fans avoir
bon air. Il fe courboit un peu & affectoit
de ne porter que des habits fimples ; il n'en
mettoit de riches que les jours de cérémonie.
Alors on ne pouvoit difconvenir qu'il
n'eût l'air d'un Prince.
L'inégalité de fes traits fembloit marquer
les variations de fon caractere . Sa tête
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
n'étoit ni groffe , ni petite , & s'élevoit un
peu en pointe. Il avoit le front petit , les
yeux gros , à fleur de tête & vacillans , le
reint blanc & uni , les cheveux courts , les
narrines larges , les levres groffes & verméilles
, les dents belles , le menton pointu
, le cou délié & un peu court , la poitrine
étroite , les mains & les bras longs ,
& menus , les cuiffes maigres ; la jambe
bienfaite , quoiqu'il marchất mal.
Le DICTIONNAIRE APOSTOLIQUE
à l'ufage de MM . les Curés des villes & de
la campagne , & de tous ceux qui fe deftinent
à la chaire , par le P. Hyacinte de
Montargon , Auguftin de Notre - Dame
des Victoires , Prédicateur du Roi , Aumônier
& Prédicateur du Roi de Pologne ,
Duc de Lorraine & de Bar , tome 8° , & 2°
& dernier des myſteres , vol . in - 8 ° . 4 liv .
en blanc & liv. relié.
S
Il comprend la Réfurrection & l'Afcenfion
de N. S. J. C. la defcente du S. Efprit
fur les Apôtres , le Myftere de la Trinité
l'Euchariftie en tant que Sacrifice & confiderée
comme Sacrement . Le neuvieme volume
eft fous preffe , & il comprendra les
fêtes de la Sainte Vierge , & paroîtra à la
Touffaints. Chez Lottin , rue S. Jacques ,
au Coq , où fe trouvent tous les livres à
l'ufage du Diocèfe de Paris .
JUILLET. : 1755. 79
La troifieme partie des TABLETTES DE
THEMIS , dont j'ai annoncé les premieres
parties dans le Mercure précédent , vient
de paroître , & fe vendez les mêmes
Libraires. Elle contient la chronologie des
Préfidens , Chevaliers d'honneur , Avocats
& Procureurs généraux des Chambres des
Comptes de France & de Lorraine , des
Cours des Aides & de celles des Monnoies ;
les Prevôts des Marchands de Paris & de
Lyon , & la lifte des Bureaux des Finances ,
Préfidiaux , Bailliages , Sénéchauffées &
Prevôtés , avec une table alphabétique des
noms de famille.
L'auteur invite de nouveau ceux qui
poffedent des terres érigées en titre de
Marquifat , Comté , Vicomté & Baronie ,
de lui envoyer copie des lettres patentes
d'érection , ou au moins des extraits avec
des mémoires inftructifs tant fur lesdites
terres , que fur la généalogie de leur famille,
dont on marquera exactement l'état actuel
avec le blafon des armes , obfervant de
faire écrire ces mémoires très- lifiblement ,
fur-tout les noms propres , & de les adref,
fer francs de port , à M. Chafot , rue des
Canettes , près S. Sulpice , à Paris.
TELLIAMED , ou entretiens d'un Philofophe
Indien avec un Miffionnaire Fran-
Diiij
80 MERCURE DE FRANCE.
çois fur la diminution de la mer , par M.
de Maillet . Nouvelle édition , revûe , corrigée
& augmentée fur les originaux de
l'auteur , avec une vie de M. de Maillet
2 vol. in- 12 . Ce livre fingulier fe trouve
chez Duchesne , rue S. Jacques , au Temple
du Goût.
HISTOIRE de Simonide & du fiécle
où il a vêcu , avec des éclairciffemens chronologiques
, par M. de Boiffy fils , 2 vol.
in- 12 , prix 2 liv. 10 fols broché. A Paris ,
chez Duchefne, rue S. Jacques , au Temple
du Goût , 1755.
Cet ouvrage eft précédé d'une préface
raifonnée. Nous en donnerons l'extrait le
mois prochain.
ELEMENS DE DORIMASTIQUE * ,
ou de l'art des effais , divifés en deux parties
, la premiere théorique & la feconde
pratique , 4 vol. in- 12 . A Paris , chez,
Briaffon , rue S. Jacques , à la Science .
Ce livre eft traduit du latin de M. Cramer
, & le traducteur eft du choix de M.
Par élémens de Dorimaftique , on entend
cette partie de la chymie qui concerne l'effai
des minéraux , lequel n'eft autre chofe qu'un
examen rigoureux de ces mêmes fubftances fait
en petit.
JUILLET: 1755. 81
4.
DIde
et,
Ove
emécle
DIOvol.
ris ,
ple
face
it le
par.
nde
hez
Cra-
M.
tend
u'un
fait
Rouelle. On ne peut faire un plus grand
éloge de l'un & de l'autre. M. de V. dans
fon avertiffement déclare modeftement
que c'eſt à M. Rouelle qu'il doit le peu
qu'il fçait en chymie . Non content , dit-il ,
de me fournir les éclairciffemens qui m'étoient
néceffaires , fur ce que j'avois appris
dans fes leçons particulieres , que j'ai eu
le bonheur de fuivre plufieurs années , il
a bien voulu auffi m'apprendre à en faire
ufage. Ces remarques étoient néceſſaires ;
elles feront au public un garant du mérite
de l'ouvrage qu'on lui préfente & de
l'exactitude de ma traduction , & elles me
fourniffent l'occafion de témoigner ma
reconnoiffance à mon illuftre maître & de
la rendre publique.
Un pareil aveu le loue plus que tout
ce que nous pourrions dire en fa faveur.
VOYAGE de Paris à la Rocheguion ,
en vers burleſques , divifé en fix chants ,
par M. M *** . Se trouve à Paris , chez
Cailleau , quai des Auguftins , & Chardon
fils , rue S. Jacques près la fontaine S. Severin
, à la Couronne d'or , 1 liv. broché .
Ce poëme eft dédié à l'ombre de Scarron .
Je crois qu'il ne le fera pas revivre.
I
ESSAI HISTORIQUE , critique
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
philologique , politique , moral , littéraire
& galant , fur les lanternes , leur origine
leur forme , leur utilité , &c. par une fociété
de gens de Lettres.
>
Cette brochure en profe fe trouve
chez Ganeau , rue S. Severin , & peut
fervir de pendant au Voyage en vers cideffus
indiqué. Elle eft adreffée au Docteur
Swift ; mais je doute qu'il veuille y
mettre fon attache pour la faire paſſer à la
postérité , comme l'auteur l'en prie.
HUDIBRAS , poëme héroïcomique
tiré de l'Anglois de M. Samuel Butler ,
avec des notes & des figures. Se vend chez
Defpilly , Libraire , rue S. Jacques , à la
vieille Pofte .
La guerre civile & la fecte des Puritains
tournée en ridicule , font le fujet de
ce poëme qui eft compofé de neuf chants .
On n'en a publié que le premier avec une
préface & la vie de l'auteur. Qu'on juge
par ce début de l'élégance de la traduction .
Le noir démon des guerres civiles & la
pâle difcorde , fa foeur bien- aimée , avoit
lâché parmi nous leurs plus gros ferpens ;
29
l'envie aux yeux verons & fournois ,
»nous échauffoit la bile par fes mauvais
"propos ; déja nous commencions à nous
quereller fans trop fçavoir pourquoi ,
JUILLET. 17559 83
DCY
EI ,
ez
de
ts.
ne
ge
on.
Si
femblables à des gens ivres qui balbutient
» de colere , & le gourment pour exalter
» une fille de théâtre , nous nous battions
» déja comme des fous & des enragés pour
le fimulacre de la religion.. Nos épaules
devenues les tambours de l'Eglife recevoient
au lieu de coups de baguettes ,
» une grêle de coups de poings , & c . Je
m'arrête là , je ne puis aller plus loin. Sur
cet échantillon , je crois qu'on dira ( com
me M. de Voltaire ) que ce poëme eft intraduifible
ou du moins qu'il est mal
traduit.
»
Le tome cinquieme des LEÇONS DE
PHYSIQUE EXPERIMENTALE , par
M. l'Abbé Nollet , de l'Académie royale
des Sciences , de la Société royale de Londres
, Maître de Phyfique de Monfeigneur
le Dauphin , & Profeffeur de Phyfique expérimentale
, vient de paroître , & fe vend
Paris , chez Guérin & Delatour , rue S.
Jacques à Saint Thomas d'Aquin
3 liv. en feuilles , & 3 liv. 2 f. 6 den.
broché.
Il est augmenté de 10 fols attendu qu'il
a cent pages , & quatre ou cinq planches
en taille douce plus que les tomes précédens
; mais l'auteur déclare qu'il n'a confenti
à cette augmentation que pour ce
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
1
volume feulement. Il fe plaint dans le
même avertiſſement qu'il fe répand en
France & dans les pays étrangers des exemplaires
contrefaits qui fourmillent de fautes.
Il defavoue ces éditions furtives , &
ne reconnoît pour fon ouvrage que ce qui
eft contenu dans celles qui fe font fous fes
yeux à Paris , chez les fieurs Guerin &
Delatour.
Ce volume contient la quinzieme , la
feizieme & la dix-feptieme leçons fur la
lumiere & fur fes propriétés. Nous en
parlerons une autrefois plus au long. On
ne peut faire trop fouvent mention d'un
auffi excellent ouvrage , ni donner de
chaque partie un précis trop foigné.
TABLETTES GEOGRAPHIQUES
pour l'intelligence des hiftoriens & des
poëtes latins , 2 vol . Chez Lottin , rue S.
Jacques au Coq , 1755.
Elles font de M. Philippe de Pretot qui
a fi bien mis à profit les fages confeils de
fon illuftre pere , & qui a hérité de fon
fçavoir. Elles font imprimées fur le
même papier , & dans le même format
que les poëtes & les hiftoriens , dont il
nous a donné une édition fi juftement eftimée
, & peuvent leur fervir de notes .
JUILLET. 1755. 85
ES
e
1
TRAITÉ du beau effentiel dans les
arts , appliqué particulierement à l'architecture
, & démontré phyfiquement & par
l'expérience. Avec un traité des proportions
harmoniques , où l'on fait voir que
c'eft de ces feules proportions que les
édifices généralement approuvés empruntent
leur beauté invariable. On y a joint
les deffeins de ces édifices & de plufieurs
autres , compofés par l'auteur fur les proportions
& leurs différentes divifions harmoniques
tracées à côté de chaque deffein,
pour une plus facile intelligence. Les cinq
Ordres d'architecture des plus célebres Architectes
, & l'on démontre qu'il font reglés
par les proportions. Plufteurs effais
de l'auteur fur chacun de ces Ordres , avec
la maniere de les exécuter fuivant les principes
, & un abregé de l'hiftoire de l'architecture.
Par le S. C. E. Brifeux , Architecte ,
auteur de l'art de bâtir les maifons de
campagne , 2 vol . en un in-fol. 1752. Les
deux volumes au burin avec 98 planches ,
fervant de fuite à l'art de bâtir les maifons
de campagne. Ce traité fe trouve chez la
veuve Gandouin , Libraire , quai des Auguftins
, à la Belle Image , la premiere
boutique du côté des Auguftins , à la defcente
du Pont-Neuf.
86 MERCURE DE FRANCE.
MANUEL DES DAMES DE CHARITÉ ,
troifieme édition , revûe , corrigée & augmentée
de plufieurs remedes choifis , extraits
des Ephémérides d'Allemagne. A Paris
, chez de Bure l'aîné , quai des Auguftins
, à l'image Ș . Paul. 1755 .
Ce livre utile contient plufieurs formules
de médicamens faciles à préparer ,
dreffées en faveur des perfonnes charitables
, qui diftribuent des remedes aux pauvres
dans les villes & dans les campagnes ,
avec des remarques néceffaires pour faciliter
la jufte application des remedes qui
y font contenus.
Dans l'annonce que nous avons faite de
l'Oryctologie qui fe vend chez le même
Libraire , il nous eft échappé une erreur
que nous devons corriger ; nous avons
fait honneur de tous les frais de l'impreffion
à M. le Baron de Sparre , qui n'a contribué
que pour la dépenfe de la premiere
planche. C'eft de Bure feul qui a fait celle
du livre entier.
LE TRIOMPHE DE JESUS -CHRIST
dans le defert . Poëme facré , traduction libre
en vers françois du Paradis reconquis
de Milton ; Par M. Lancelin. A Paris ,
chez Defaint & Saillant , rue S. Jean de
Beauvais ; & chez Lambert , rue de la Co
médie françoiſe , au Parnaſſe.
JUILLE T. 1755. 87
Quoique M. Lancelin ait mis en vers
le Poëme le moins parfait de Milton , on
doit toujours lui fçavoir gré de fon effort.
Il s'eft peut- être effayé par le plus foible
pour tenter un jour le plus fort . On peut
même dire à la rigueur qu'il a commencé
par le plus difficile . Le Paradis perdu réunit
tout ce qui peut élever l'efprit & " lui
fervir de reffource , le fublime des idées ,
la variété des images , & la chaleur de
l'action. Le Paradis reconquis eft admira
ble par fa morale , mais le fonds en eſt
trifte & monotone ; il ne peut fe foutenir
que par la beauté des détails , & par un
coloris fupérieur , qui eft peut-être la partie
dans tour original la plus malaiſée à
traduire. C'est au public , connoiſſeur en
Poëfie , à décider fi M. Lancelin y a réuffi.
Pour moi je me borne au devoir de Journaliſte
: j'indique fimplement fa traduction.
PILOT BOUFI , Tragédie en cinq
actes , avec préface. Prix 1 livre 4 fols ; fe
vend chez Duchefne , rue S. Jacques.
Cette Tragédie , dont le héros eft un frot
teur & l'héroïne une foubrette , paroît une
imitation d'Arcagambis , avec cette diffé
rence qu'Arcagambis parodie le Cothur
ne dansle noble , & que Pilot boufi le tra88
MERCURE DE FRANCE.
veftit dans le plus bas . Ce drame m'a paru
très-bienfait pour amufer l'antichambre ,
mais peu digne de pénétrer jufqu'à l'appartément.
Je ne puis me flater d'être lû de la
livrée ; cette raiſon me diſpenſe d'en donner
l'extrait.
il
REPONSE à la réfutation que M. Dibon
vient de faire de deux écrits publiés ,
y a un an , en faveur de M. de Torrès ,
& dont nous avons parlé dans le premier
Mercure de Juin.
M. Carboneil , Docteur en Médecine , eft
l'auteur de cette réponſe. Il eft d'abord trèsfcandalifé
que M. Dibon doute de fon exifftence
, ainfi que de celle de M. Bertrand ,
Médecin comme lui . Vous affurez , lui dit- il ,
que nous ne fommes que des Eires de raison ,
dans le tems que votre ouvrage paroit , on
nous voit tous deux , & l'on apprend que M.
Bertrand eft fur le point d'obtenir une charge
de Médecin ordinaire du Roi . L'auteur
fe plaint enfuite de ce que M. Dibon traite
de chimerique la guérifon de ce dernier ,
qui la publie & la certifie lui-même . M.
Carboneil ajoute que MM . Morand
Dieuxaide & Fernandès ont conftaté l'état
de ce malade , & que c'eft fous les yeux
de MM. Falconnet , Vernage , Lavirote &
Sanchez qu'il a été radicalement guéri. Il
>
JUILLET. 1755. 89
forme une autre plainte au fujet de la lettre
du malade de cent cinquante lieues
que M. Dibon a rapportée feule , fans faire
mention de celle que ce malade écrivit à
fon pere avant fon départ. Pour la juftification
& la gloire de M. de Torrès , M. Carboneil
a inféré cette derniere lettre dans
fa réponſe. Elle contient l'éloge le plus
grand de fon ami , & la reconnoiffance la
plus vive du malade qui fe trouve guéri
après huit ans de fouffrances.
Nous rapportons les faits tels qu'on les
expofe de part & d'autre ; c'eft aux Maîtres
de l'art à les vérifier & à prononcer d'après
eux . Nous nous tenons à cet égard dans une
parfaite neutralité , comme nous l'avons
promis , & comme il convient à tout Journaliſte
.
90 MERCURE DE FRANCE .
SUITE d'une difcuffion fur la nature
du goût , où après avoir prouvé
que fes principes font invariables
qu'ils ne font pointfujets aux ré
volutions de la mode , on examine
s'ils font foumis au pouvoir du
tems , & à la différence des climats
, & quels fontfes objets principaux.
A révolution des tems , la fuc-
L ceffion des différens âges font
fans doute plus à redouter pour le goûr ,
que l'empire momentanée de la mode.
Rien , dit - on , pour le tems n'eft facré .
La force de cet agent eft terrible , je l'avoue
, mais poufferoit- il la barbarie jufqu'à
faire fentir au bon goût les triftes
effets de fon pouvoir ? Aidé par l'enchaînement
des événemens humains , favorifé
par quelques circonftances décifives
, il peut étendre ou refferrer fa domination.
Parcourons nos annales , confultons
l'antiquité , jettons nos regards fur les
peuples qui nous environnent , & nous
JUILLET. 1755. 91
verrons qu'il eft encore de fon reffort de
transferer le trône du bon goût d'une nation
dans une autre. Pour cela détruit - il
fes principes ? non : je le dis avec confiance
; ce fier deftructeur refpecte les monumens
précieux qui conftatent les progrès
de l'efprit humain . Villes fécondes en
grands hommes ! Athenes , Rome , vous n'avez
pas été à l'abri de fes coups ! Orateurs
immortels , Démosthenes , Ciceron , vous
vivez , & le tems , loin de vous faire outrage
, a réuni fous vos loix tous les peu
ples du monde lettré. C'eft le tems qui ,
de tant de nations différentes en a formé
une feule & même république , & vous
en êtes les premiers citoyens.
Par quel fecret les poëtes , les peintres ,
les muficiens , les fculpteurs , tant anciens
que modernes , fe font-ils fouftraits à la loi
commune ? comment ont-ils reçu une nouvelle
vie de la postérité ? c'est parce que
dans leurs ouvrages on trouve l'expreffion
fidele de la belle nature. Heureufe expreffion
! elle fait les délices de l'homme de
goût , je dis plus , de tous ceux fur qui la
raifon n'a pas perdu tous fes droits ; expreffion
enfin qui , par le choix judicieux
des ornemens , la vivacité des images ,
nous rend les traits de la nature fous autant
de formes , qu'elle varie elle- même
92 MERCURE DE FRANCE.
fes mouvemens & fes opérations.
Convenons néanmoins qu'il eft des tems
critiques pour les talens. Ce n'est point
en jettant les fondemens d'une monarchie
qu'un fouverain peut fe flater de faire fleurir
les beaux arts. En vain effayeroit- il
de fixer le bon goût dans fes Etats , tandis
que , le fer à la main , il en difputera
les limites contre fes voifins. Il étoit refervé
à Athenes d'enfanter fes plus grands
hommes dans les plus grands périls . Peri
clès , Ifocrate , Demofthenes , fe font formés
au fein de la tempête , il eſt vrai ; mais
l'éloquence , chez cette nation , étoit une
qualité indifpenfable. L'Orateur & le Capitaine
prefque toujours étoient réunis dans
la même perfonne ; & chez nous ils feroient
deux grands hommes : la paix eft
donc la mere des beaux arts , le trône du
bon goût n'est jamais mieux placé que dans
fon temple. Le trouble , l'agitation , fuites
inevitables de la guerre , rendent les ef
prits prefque incapables de toute autre application
; un ébranlement violent dure encore
après que la caufe en a ceffé . L'ame
fortie de fon affiette ordinaire par les fecouffes
qu'elle a éprouvées , ne recouvre pas
fi-tôt le calme & la tranquilité néceffaires
pour reprendre le fil délié d'une étude fuivie.
(
JUILLET. 1755. 93
S
Il eſt donc des tems plus favorables que
d'autres aux talens ; mais pour cela le tems
n'attaque point le bon goût dans fon principe.
La gloire dont jouiffent tant d'autears
célébres , celle qui a été le prix des
travaux illuftres de tous ceux qui ſe font
diftingués , foit dans la pénible carriere
des hautes fciences , foit dans celle d'une
littérature fine & exquife , les honneurs
qu'ils ont reçus dans tous les fiecles , l'eftime
, l'admiration dont ils font en pofleffion
depuis tant d'années , l'application
des artiſtes de nos jours à mériter les fuffrages
de l'homme de goût , leurs fuccès enfin
ne font- ce pas là des preuves démonfratives
que le fentiment du beau , du vrai ,
eft de tous les âges , & qu'un goût épuré
pour ce beau , pour ce vrai , feul eft exempt
des variations qu'éprouvent le refte des
chofes humaines .
8 (b) De tout tems on eft convenu de la dif.
férence de l'air qui regne dans les climats
; mais on a parlé diverfement de fes
effets . Il feroit égalememt abfurde de dire
que l'air ne peut rien fur le bon goût , ou
de prétendre qu'il peut tout. Saififfons un
jufte milieu : la différence de la température
de l'air forme celle des climats ; fon
(b ) Climats,
94 MERCURE DE FRANCE.
influence n'eſt point chimérique , l'air agit
fur le corps , le corps imprime fes mouvemens
à l'ame , & fes mouvemens font
fouvent proportionels à ceux que le corps
éprouve ; il fuffit de refpirer pour s'en
convaincre. Mais fi l'union du corps & de
l'ame foumet cette derniere partie à une
certaine dépendance à l'égard de la premiere
, fi celle- ci eft foumife à fon tour
aux influences de l'air qui varie dans chaque
climat , peut- on en conclure que l'ame
foit fervilement fubordonnée dans toutes
fes opérations à ces deux caufes , qui d'ailleurs
lui font fi inférieures ? Un efprit fain
ne jugeroit-il pas autrement ? Il verroit ,
fans doute , dans une fubordination mutuelle
, une nouvelle preuve de l'attention
du fouverain être qui veille à la confervation
de ces deux fubftances hétérogenes.
Quelque foit l'effet de l'air fur le
corps , & celui du corps fur l'ame , jamais
on ne prouvera que le concours de ces
deux puiffances , foit auffi abfolu qu'on fe
le perfuade communément. En vain m'objectera
- t-on que l'air eft une caufe générale
qui foumet à fon pouvoir tous les
hommes ; fans vouloir fe fouftraire à fa
puiffance , ne peut - on pas examiner quelles
en font les limites ? un oeil éclairé en
reconnoîtra l'étendue , il eft vrai , mais il
}
JUILLE T. 1755. 95
I
215
es
Le
la verra bornée , cette étendue , par la fage
prudence de Dieu - même.
Interrogeons l'Hiftoire , appellons à notrè
fecours la Phyfique fous un même point
de vûe , celle- ci nous repréfentera les habitans
de ce vafte univers caracterisés par
des attributs particuliers , cette autre , après
un mûr examen , jugera de la conftitution
de leurs climats ; & elles décideront toutes
deux que l'influence de l'air ne peut dans
aucune région , tyranifer le corps au point
d'interdire à l'ame l'exercice de fes plus
es nobles fonctions . L'heureufe pofition de
l'Arabie & de l'Egypte a fait éclore , diton
, au milieu de leurs peuples les principes
des beaux arts. C'eſt dans le fein de
cette terre féconde , qu'on a vû germer les
élémens de toutes les fciences. Pourquoi
les habitans de ces contrées fortunées fontils
fi différens de ce qu'ils étoient autrefois
? quelle étrange métamorphofe ? la narure
du climat leur avoit été fi favorable
dabord : pourquoi n'eſt- elle plus leur bienfaictrice
qu'eft devenue cette fagacité
cette pénétration qui les rendoit fi profonds
dans l'étude des hautes fciences ? L'air d'un
fiecle a un autre , éprouve à la vérité des
variations aufquelles le corps eft foumis ;
mais comme les émanations de la terre
conſtituent principalement les qualités de
96 MERCURE DEFRANCE
l'air , & comme les qualités de ces émanations
dépendent de la nature des corps qui
les forment , il s'enfuit que ces corps n'ayant
pas pû changer entierement de nature , leurs
émanations ne font pas affez différentes
de ce qu'elles étoient autrefois , pour altérer
les qualités de l'air au point de caufer
des changemens aufli prodigieux que nous
le remarquons dans les Egyptiens : ont- ils
d'ailleurs perdu quelque chofe de cette vivacité
, de ce feu dont ils étoient doués
anciennement ? il a feulement changé d'objet.
L'amour des fciences a été remplacé
par celui des plaifirs.
S'il eft vrai que la bonne température
de l'air faffe éclore le bon goût , le génie
Efpagnol ne devroit - il pas porter l'empreinte
de l'excellence de fon terrein ? ce
pendant pourroit- on le définir fans tomber
dans des contradictions ? Ce peuple a droit
de réaliſer dans fa vie privée les peintures
extravagantes dont le ridicule fait le principal
mérite de fes ouvrages.
Les Grecs , autrefois fi déliés , font- ils
reconnoiffables ? contens de croupir aujourd'hui
dans une molle oifiveté , ils cedent
aux nations étrangeres la gloire de
connoître le prix des ouvrages de leurs
peres ; & leur ignorance groffiere forcetoit
quiconque voudroit les rapprocher de leurs
ancêtres
JUILLET. 1755 . 97
"
ES
ancêtres , à avouer la différence du parallele.
Si la température de l'air influe tellement
fur le progrès des fciences , fi la bonté
de cet air produit le bon goût , fi fes
mauvaiſes qualité le détruifent entierement
, pourquoi voit- on une différence fi
prodigieufe entre les Athéniens & les habitans
de la Beotie? Dira- t-on que la fituation
des deux pays a produit cette fingularité
remarquable ? y auroit- il de la vraifemblance
ne fçait- on pas qu'ils n'étoient
féparés que par le mont Cytheron ? cette
diftance auroit- elle produit un phénomene
de cette espéce ?
N'avons nous pas vû d'ailleurs des changemens
uniformes dans le caractere des
mêmes peuples , fans qu'il foit arrivé aucune
révolution dans leur climat ? Le Perfan
, fous Darius , eft - il le même que fous
le regne des Arfacides ? Avant les victoires
de Charles XII , eut - on foupçonné les
Mofcovites de valeur & avant les fuccès
du Czar , eut- on cru qu'on pouvoit les
policer ? fi la puiffance de l'air étoit telle
qu'on fe l'imagine vulgairement , l'ame
des Indiens , amollie en quelque forte
la chaleur du climat , feroit - elle capable
des plus terribles refolutions ? confidérons
les peuples du nord , un froid glacial en-
E
par
9 $ MERCURE DE FRANCE.
?
gourdit leurs membres , leurs fibres compactes
s'émeuvent à peine : manquent- ils
ponr cela de raifon n'ont- ils pas le jugement
fain ne comparent- ils pas avec facilité
? eft- il un peuple qui poffede à un plus
haut dégré la perception des rapports.
Avouons donc que tout climat peut être
celui des beaux arts. Par tout où il y a des
hommes , il y a de la raiſon , du fens , du
jugement , & les fciences y peuvent être cultivées
; il n'eft donc point de régions inacceffibles
au bon goût , & s'il en eft encore où
les fciences n'ayent pas pénétré , l'éducation
que reçoivent les fujets , les occupations
auxquelles l'Etat les oblige de fe livres
, la forme du gouvernement , les qualités
& les difpofitious de ceux à qui ils
obéiffent , y contribuent , fans doute , plus
puiffamment que le climat. Ce n'eft donc
point par les dégrés de latitude qu'on mefure
l'empire du goût.
(c) Que fe propofent les artiſtes ? l'imitation
de la belle nature : quel eft le but de
l'homme de goût de fentir & de juger le
dégré de cette heureufe imitation . L'objet
eft commun , les opérations font différentes
: le premier produit , enfante ; le fecond
approuve ou condamne . Une tendre
( c ) Objets du goût.
JUILLET. 1755. 99
Se
S
complaifance peut aveugler l'un , fur les
défauts de fes plus cheres productions ;
Pautre eft un juge éclairé , équitable , févere
, quoique fenfible. L'idée archetype
eft pour celui-ci un trait de lumiere qui le
dirige dans le cours entier de l'exécution
de fon ouvrage ; elle guide , elle éclaire .
l'autre dans les décifions les plus délicates.
La nature , comme une glace fidele , tranfmet
à tous deux les traits principaux de
ce divin original : c'eft de ce point qu'ils
partent , c'eft dans ce centre qu'ils fe réuniffent.
Confultent-ils cette copie ? l'un y
lit l'éloge ou la cenfure de fon ouvrage , il
y trouve une matiere inépuifable d'imitation
F'autre y découvre une fource de
plaifirs épurés , de ces plaifirs refervés
au noble & rare exercice d'une faculté fenfible
& intelligente . L'objet du travail de
Partiſte eft auffi folide que le domaine de
l'homme de goût eft étendus je vois tous
les grands maîtres de l'univers s'envier la
gloire d'exciter le plus de mouvemens dans
fon ame.
(d)Par l'art d'un pinceau créateur , une
toile , une foible toile , vit , refpire , la fiction
prend la couleur de la vérité , l'ame
du fpectateur frappée , faifie , émue , fe
(d ) Peinture .
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
livre avec impétuofité aux délicieuſes agitations
qu'elle éprouve chaque trait femble
fe réfléchir fur elle -même , il s'y imprime
, il s'y colore ; rien n'échappe , tout
eft vivement fenti. Ici une touche gracieufe
& légere attire , flate , féduir l'homme de
goût entre dans le myftere , il voit la na
ture fourire à cet artifte bien aimé ; là un
craïon mâle, vrai , nerveux, peint noblement
de nobles objets ; il fixe , il attache , mais
il ne fatigue pas la vérité fut fon guide ,
le fuffrage de l'homme de goût eft fa récompenfe.
Quel eft ce pinceau fier & menaçant
crée- t- il de nouvelles paffions ?!
non : il maîtrife celles de mon ame: ce
peintre m'étonne , m'éfraye , mais il me
Douche. Ici l'imitation Femporte fur la réa
lité ; des objets véritables , mais auffi terribles
ne produiroient en moi que des fentimens
lugubres ou tumultueux ; font- ils
repréſentése? ma fituation eft moins critique
, l'éloignement de l'objet réel me raffure
: je goûte le plaifir de l'émotion , je
n'en fens point le défordre ; émotion vrai
ment digne d'un être penfant ; de fimples
fenfations n'en font pas le terme : des objets
ainfi exprimés fervent de dégrés à l'ameils
l'élevent jufqu'à la fource des
perfections : c'eft en elle que l'homme de
goût juftifie fes plaifirs , & l'artiſte ſes
fuccès. S
1
JUILLET .. 1755. 101
10
Et
De
Is
f
(e) Ici, un cifeau donne du fentiment à un
marbre froid , brute , infenfible ; une main
le guide , le héros eft reproduit. Art heureux
qui , pour tenir de plus près à la na◄
ture , ne produit que plus difficilement
des chef- d'oeuvres en ce genre , les artiftes
excellens font auffi rares que les beautés
parfaites , ou les héros accomplis. Pour
me toucher , j'exige des Phidias , ou des
Puget ; des Praxitelle ou des Girardon . Le
fond où ces artistes ont puifé les traits qui
vivifient leurs ouvrages , les préferve de
l'inconftance de l'efprit humain dans fes
jugemens : en quelque fiécle que paroiffent
des morceaux auffi achevés , la copie forcera
les hommes malgré leurs préjugés à
remonter jufqu'à l'original.
par
(f)C'eft en le confultant que s'eft ennobli
cet art , né de la néceflité , ébauché par
l'ignorance , défiguré & perfectionné
le luxe. L'imitation de la belle nature s'y
fait moins remarquer ; ce n'eft cependant
que de fa main qu'il reçoit fes charmes &
fes agrémens ; elle fit entendre fa voix à
Vitruve : il prit goût à fes leçons , l'idée
du fouverain modele qu'elle offrit à fes
yeux lui en développa les principes , &
parce qu'il ne s'écarta point de ce guide ,
(e ) Sculpture .
(f) Architecture .
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
l'homme de goût l'a établi le légiflateur de
ceux qui lui fuccederont à jamais.
(g ) Quels plaifirs ne lui procure pas cet
art dont le mérite confifte à rendre fidelement
celui des autres avec quelle vérité
n'expofe- t- il pas à nos yeux les majestueufes
productions de l'Architecture & de la
Sculpture. Le burin eft l'imitateur du pinceau
, fans vouloir en être le rival'; it
s'immortalife en éternifant les artiftes . Sans
doute qu'en faveur des gens de goût la
nature a laiffé échapper de fon fein cet
art ingénieux : fi elle a fait le ferment de
ne produire que rarement des grands hommes
; elle l'a modifiée en quelque forte
en confiant à la Gravûre le foin de multiplier
leurs chef- d'oeuvres. Cet art mérite
d'exercer le talent de l'artifte , parce qu'il
peut ne travailler que d'après le génie des
grands maîtres. Mais fi la gloire le touche
, que fon oeil pénétrant fe familiarife
en quelque forte avec le fublime de l'i
dée archetype ; l'exacte obfervation de
cette regle univerfelle a fait le mérite de
de ceux qu'il imite , elle feule l'immortalifera
comme eux .
(b) C'eſt par cette voie que fe font placés
au temple de Mémoire les créateurs de la
(g ) Gravure.
(b ) Mufique.
JUILLET. 1755. 103
t
1.
mufique. Cette four aînée des beaux arts
répand l'aménité fur les travaux de l'homme
de goût la douceur de fes accords
charme fes fens , fon ame épuifée de reflexions
reprend une nouvelle activité ,
après s'être livrée aux délices d'une ivreffe
momentanée ; l'harmonie fufpend fa
fée , comment n'en reconnoîtroit- elle pas
les droits ? ceux qu'elle exerce fur elle font
fi naturels !
pen-
Jufqu'ici l'artiſte a fourni aux plaifirs
de l'homme de goût ; l'homme de lettres
n'y contribue pas moins efficacement. Ceux
qu'il lui procure ayant moins à démêler
avec la matiere , ont plus de rapport avec
la nobleffe de fon origine , les belles connoiffances
forment fon véritable élément
tous ceux qui cultivent les belles lettres
avec fuccès , ont droit à fon eftime , parce
qu'ils font partie de fon bonheur.
(i) Cependant quelque fouveraine que
foit l'éloquence fur fon ame , elle la maîtrife
plus fouvent qu'elle ne la remplit. O!
vous , qui fûtes l'oracle de votre fiécle ,
Boffuet , l'orateur de ma nation , vos foudres
m'annoncent votre puiffance , je la
reconnois , vous me captivez , vous m'enchaînez
; mais je découvre en portant vos
(i ) L'éloquence.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
fers un autre maître que vous ; vous n'êtes
point l'orateur dont j'ai l'idée , vous me
le repréfentez feulement. Tant il eſt vrai
que les objets intermédiaires , quels qu'ils
foient , ne ralentiffent point la marche
d'une ame dégagée du preftige des fens ;
ils ne forment que le milieu à travers
lequel elle s'élève avec rapidité , jufques à
la fource des perfections .
( k) C'est dans cette fource que le Poëte
puife le fublime dont l'homme de goût
connoît fi bien les effets. Les auteurs de
notre fiécle qui ont obtenu fon fuffrage
ont mérité fa critique . L'heureufe alliance
d'un fentiment exquis & d'une droite raifon
, ont établi de tout tems l'homme de
goût le juge du poëte ; ce génie formé de
deux contraires le jugement & l'enthoufiafme
.
( 1 ) Quelques fatisfaifans que foient les
objets que j'ai parcourus , l'homme de goût
n'y eft pas borné : fans prétendre à l'univerfalité
des connoiffances , il fçait étendre
fa fphere , & fes propres reflexions
lui fourniffent toujours les plaifirs les plus
délicats. L'étude des langues eft digne de
fes foins ; il s'y livre , mais le défir d'aggrandir
fon efprit en eft plutôt le motifque,
( k ) Poëfie.
( 1 ) Etabliffement des Langues ,
JUILLET. 1755. 105
l'envie d'orner fa mémoire ; pour lui l'établiſſement
des langues n'eft point le réfultat
de l'affemblage bizarre & fortuit de
fyllabes & de mots : il voit la connexion
intime de l'art de la parole à celui de penfer
, les efforts réunis du métaphyficien
délié , & de l'homme de goût , feuls ont
été capables de concevoir & d'executer un
projet auffi immenſe .
?
Ávec quelle complaifance ne jette- t - il
pas fes regards dans le lointain là il découvre
les peuples de l'univers tyrranifés
par les paffions , féparés par la différence
des religions , divifés par l'intérêt , & réunis
par le goût ; fon difcernement lui fait
appercevoir , il eft vrai , que ce point dans
lequel les nations conviennent n'eſt pas
indivifible ; mais la nature lui en découvre
la caufe ; le petit efpace qu'elle a laiffé
libre en donnant plus de jeu aux inclinations
de chaque peuple , caractériſe leur
génie particulier.
J'ai montré que le beau , le vrai en tout
genre , faifoient impreffion fur l'homme de
goût. Ce n'eft point le tirer de la foule , il
a des prérogatives ; repréfentons - nous les
nous aurons fon caractere diſtinctif. Quoique
la faculté de fentir le vrai , le beau
foit la nourriture de toute ame qui n'eft
point dégénérée , convenons qu'il y a au
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
tant de dégrés dans ce fentiment exquis
que les connoiffeurs diftinguent de tons
différens dans les couleurs. Offrez un tableau
aux yeux d'un homme de bon fens
fans culture , & à ceux d'an efprit mûri &
perfectionné par l'étude ; il eft bean , s'écriront
ils tous deux : l'expreffion eft la
même , l'impreffion ne l'eft pas. Dans le
premier , ce tableau reveille une ame oifive
, qui avoit oublié d'ufer de fes richeffes
; l'objet fenfible renouvelle heureufement
l'idée archetype , gravée dans le
fond de cet être fans qu'il le foupçonnât.
Le défaut de penfer l'empêchoit d'en faire
une féconde application ; la reffemblance
des traits fe fait jour , l'ame fe ranime , &
les perfections de l'original qu'elle ne peut
méconnoître la font juger fainement du
mérite de la copie . D'un oeil pénétrant
mais refpectueux , l'homme de goût leve le
voile qui interdit au refte des mortels , le
fpectacle de Dieu même repréfenté dans
fes ouvrages ; l'habitude de refléchir lui a
acquis le droit ineftimable d'être en fociété
avec la nature & fon auteur. Il faifit
avec rapidité tout ce qui a trait à cet
objet intéreffant ; quoique les objets materiels
l'affectent fenfiblement , cependant
il accorde moins au plaifir d'être émû qu'à
celui de comparer & de réfléchir ; chez
f
JUILLET. 1755. 107
lui le fentiment du beau eft vif , éclairé ,
foutenu , fon jugement eft fain , vrai , irrévocable.
Une exacte perception des rapports
en eft le principe , une profonde connoiffance
de caufe en eft le fondement.
Tels font les titres précieux dont la nature
décore ceux qui , par une reflexion
continue , ont appris à connoître les perfections
de leur auteur dans celles qu'elle:
renferme elle - même. En vain me flatterois-
je que ces confidérations fur la nature
du goût , augmenteront le nombre des
amateurs. Réduire fous les loix d'une faine
philofophie , ce que quelques perfonnes ,
peut- être trop intéreffées , vouloient regarder
comme abandonné à la bizarrerie
des goûts , aux révolutions de la mode
des tems , & à la différente température
des climats , c'étoit mon deffein. J'ai fait
quelques efforts pour remonter aux fources
du beau ; puiffent- ils ne pas paroître
inutiles à celui dont j'ai foutenu les droits.
Cette fuite eft de M. Guiard , de Troyes.
La premiere partie de fon ouvrage a été
imprimée dans le Journal de Verdun ,
mois de Mai 17 5 3 .
MÉTHODES NOUVELLES pour apprendre
à lire aifément & en peu
de tems
même par maniere de jeu & d'amufement ,
E vj
ros MERCURE DE FRANCE.
auffi inftructives pour les Maîtres que
commodes aux peres & meres , & faciles.
aux enfans.
Voilà tous les avantages qu'on peut defirer
, réunis dans le feul titre . On y joint.
les moyens de remédier à plufieurs équivoques
& bizarreries de l'ortographe fran
çoife :c'est encore un nouveau mérite qu'il
n'eft pas aifé d'avoir.
Le nom de l'Auteur eft prefque un chiffre.
C'eft S. Ch . Ch . R. d. N. & d . P. Comme
on ne voit plus d'ouvrage fans épigraphe
, celui- ci a la fienne , qui eft tirée de
Ş. Jerôme , épitre à Læta. Non funt contemnenda
quafi parva , fine quibus magna conftare
non poffunt . Il fe vend chez Lottin , rue
S. Jacques , au Coq. 1755.
Le Libraire avertit qu'on trouvera chez
lui au premier Août prochain différens
alphabets en quinze planches pour fervir
de premieres leçons aux enfans. On y trouvera
auffi le livre que nous annonçons relié
en carton & parchemin pour leur en
faciliter l'acquifition.
JUILLE T. 1759. 109
ARTICLE III.
SCIENCES ET BELLES - LETTRES.
ALGEBRE.
Réfléxions fur la méthode employée par M.
G.... Ecuyer , Officier de Madame la
Dauphine & de la Société littéraire de
Senlis , pour réfoudre le problême qu'il a
propofé dans le Mercure du mois de Mai
dernier. Par M. Bezout , Maître de
Mathématiques.
'Ai avancé & fuffifamment démontré
J'ai curéde Juin dernier , que
les nombres 551 , 431 , 311 étoient les
feuls qui fatisfaifoient à toutes les conditions
du problême , & les raifonnemens.
fur lefquels j'ai appuyé mon affertion ont
pû donner à connoître que la forme indéterminée
que donnoit M. G. à la folution
du problême , ne pouvoit venir
que de ce
qu'il auroit fous- entendu ( par quelque
caufe que ce puiffe être ) l'expreffion de
quelques-unes des conditions du problême..
C'est l'opinion dans laquelle j'ai toujours
été & dans laquelle j'ai été confirmé en
110 MERCURE DE FRANCE.
donnant à u quelques valeurs dans les expreffions
de x , y , z qu'a données M. G.
& en dernier lieu par la lecture de fa méthode.
M. G. après avoir rappellé les 6 , 7 &
8 conditions de fon énoncé , pourſuit en
difant , l'on fera donc pour remplir les 7 &
buitieme conditions cette analogie , & c. 140 :-
61 ::
x + 9
4
:
-
y4 420p 3369.
7
::
4
28
210p - 1059 + 7 ; au moyen de cette ana-
7
logie , il réduit à une feulen les deux indéterminées
p & q , & transforme les valeurs
préparées de x , y , z en celles qu'il
avoit annoncées .
Mais la folution eft - elle achevée ? toutes
les conditions du problême ont - elles été
parcourues & exprimées ? Il me femble
que non ; car je ne vois aucune expreffion
du rapport de la perte faite au premier
pofte à la perte faite au troifieme.
Cependant, dira -t- on , les nombres 551 ,
431 , 311 trouvez par cette méthode
fatisfont à toutes les conditions du problême
? cela eft vrai ; mais c'eft par hazard .
Un nombre qui fatisfait à certaines conditions
demandées a encore la propriété de
fatisfaire à beaucoup d'autres qu'on ne lui
demande pas. D'ailleurs pour fe convaincre
que c'est par hazard qu'ils fatisfont à
JUILLET. 1755. FII
cette derniere condition : on n'a qu'à réfoudre
le problême comme s'il étoit énoncé
fans cette même condition , & alors la
question qui fera effectivement indéterminée
aura pour les nombres les plus fimples
qui rempliffent fes conditions , les
mêmes nombres 551 , 431 , 311.
que Je ne crois pas non plus qu'on dife
le rapport
de la perte faire au premier
pofte à la perte faire au fecond , détermine ,
ces deux chofes ; 1 ° . le rapport de la perte
faite au premier pofte à la perte faite au
troifieme ; 2 °. que la perte faite à ce troifieme
pofte foit le tiers du nombre des
troupes qu'on y avoit envoyées : le problême
dans ce cas feroit à la vérité indéterminé
, & on auroit eu raifon de fousentendre
la derniere condition , parce
qu'elle auroit été renfermée dans la précédente
; mais c'eft ce qu'on ne voit point
& qu'on ne peut voir , car les équations
que fourniffent ces deux conditions , font
très-différentes & ne peuvent être conclues
l'une de l'autre.
Il fait de là 1 ° . qu'abſtraction faite des
nombres , 43 I , 311 , tous les autres
qui font annoncés dans le Mercure de
Mai , doivent manquer à la huitieme condition
, & ils y manquent en effet.
2 °. Qu'abſtraction faite des mêmes
112 MERCURE DE FRANCE.
nombres 51 , & c. tous les autres qu'on
propofe de nouveau , comme trouvés par
la huitieme condition manquent néceffairement
à la feptieme , & ils y manquent
en effet.
Enfin de ce que des deux différentes
manieres qu'on propofe pour trouver x ,
y, z, la premiere en omettant ( ainfi qu'il
paroît ) la huitieme condition ; la feconde
en omettant la feptieme condition , il
en réfulte des valeurs différentes ; on en
doit , ce me femble , conclure que les feptieme
& huitieme conditions font trèsdifférentes
entr'elles ; qu'elles doivent par
conféquent fournir chacune une équation
& déterminer le problême , ainfi que je
l'ai avancé .
Nous donnerons le Mercure prochain
la réponſe de M. G. dans laquelle il a la
noble franchife de convenir qu'il s'eft
trompé , & que fon problême eſt en effet
déterminé comme M. Bezout le prétend .
JUILLET. 11755. 113
HISTOIRE NATURELLE.
Lettre à l'Auteur du Mercure.
ONSIEUR , il eft indifférent de
M quelle façon l'on enrichit la République
des Lettres , foir par des ouvrages
fuivis , foit par des morceaux détachés ,
foit même par des Almanachs , nous avons
toujours obligation à ceux qui cherchent
à nous inftruire ; mais dans quelqu'ouvrage
que ce foit , il faut être vrai : c'eft ce qui
manque dans la lettre de M. l'Abbé Jacquîn
fur les pétrifications d'Albert . *
L'eau du puits du fieur de Calogne eft
effectivement à trente - cinq pieds jufques
à fon niveau , mais la carriere n'en a pas
tant ; elle n'a , comme on l'a dit dans l'al
manach d'Amiens , que vingt à vingt - deux
pieds de profondeur. Il y a de la contradiction
dans ce que dit M. l'Abbé Jacquin.
L'eau du puits eft à trente- cinq pieds , & il
donne quarante-huit à cinquante pieds de
profondeur à la carriere ; or comment auroit-
on pû creufer quinze pieds au - deffous
de l'eau fans en être inondé 2 cepen-
* Premier Mercure de Juin 1755 , pag. 159.
^
114 MERCURE DE FRANCE.
dant toute la carriere eft totalement féche ,
& ce puits la traverſe dans le milieu ; c'eſt
par lui que le fieur de Calogne a monté
les pierres qu'il a tirées.
Il eſt à remarquer que les ponts qui fe
trouvent fur la riviere d'Albert , n'ont pas
à vue d'oeil plus de dix pieds fous voûte ,
& que cette riviere eft pleine de fources.
Les terres font de différentes nuancesbrunes
dans la carriere , ainfi que les pétrifications
, mais il eft vrai qu'elles blan
chiffent à l'air.
Il fembleroit , fuivant M. Jacquin , que
les coquillages qui fe trouvent dans cette
carriere font pétrifiés ; ils ne le font nulleils
font au naturel.
ment ,
M. Jacquin n'a pas bien vifité les marais
; s'il l'avoit fait avec atention , il y
auroit trouvé des fougeres , fur- tout lorf
qu'il y a des arbres , & que le fol eft fablonneux.
Il faut fçavoir exagérer pour donner
foixante pieds à la cafcade ; quand M.
Jacquin reviendra dans fa patrie , qu'il
prenne la peine de retourner fur les lieux
la toife à la main , qu'il prenne fes mefures
perpendiculaires , alors il pourra
donner des dimenfions juftes.
Comme je crois que ces réflexions peuvent
être de quelque utilité pour
les caJUILLET.
1755.
م ا
rieux , je crois auffi devoir vous les envoyer
, Monfieur , pour être inférées dans
votre Mercure du mois prochain.
Je n'ai ici que l'intérêt du vrai , c'eſt
pourquoi il eft inntile de me nommer .
J'ai l'honneur d'être , & c.
A Peronne , ce 15 Juin 1753.
MEDECINE.
Lettre de M. Dequen , Docteur en Médecine
, de la Faculté de Montpellier , à un
Médecin de fes amis , fur un accident arrivé
dans le cuvage de M. le Comte de la
Queuille , Brigadier des armées du Roi ,
Colonel du Régiment de Nice , au château
de Chateaugay , près de Riom en Auvergne.
A
le
Vez -vous entendu parler , Monfieur
, d'un accident arrivé chez M.
le Comte de la Queuille , à Chateaugay ,
24 du mois d'Avril dernier ? il n'eft pas ,
on peut le dire , abfolument nouveau ;
mais il me paroît accompagné de circonftances
affez frappantes pour mériter peutêtre
un peu de votre attention.
On avoit achevé de vuider le matin une
116 MERCURE DE FRANCE.
cuve où l'on avoit confervé pendant l'hiver
fix à fept cens pots de vin de notre
mefure , qui , comme vous le fçavez , à
quinze pintes le pot , font un objet de
neuf à dix mille pintes de Paris.
Environ trois quarts d'heure après
l'avoir découverte , le fommelier de la
maiſon , nommé Joli , eut l'imprudence
de commander à un jeune domeſtique de
feize à dix-fept ans d'y entrer avec un balai
pour la nettoyer & en faire fortir la
lie . Cet enfant lui repréfenta le danger
auquel il vouloit l'expofer , & qu'il devoit
d'autant plus connoître que peu de
jours avant il étoit forti lui-même à la
hâte & à demi- mort d'une cuve pareille ,
quoique découverte depuis fept à huit
jours. Joli s'obftina , on ne fçait pas trop
pourquoi , & le petit domeftique effrayé
de fes menaces eut le malheur de lui obéir ;
mais à peine fut-il defcendu dans la cuve
qu'il tomba roide , fans connoiffance &
fans mouvement. Joli ne l'entendant pas
travailler ni repondre aux commandemens
réiterés qu'il lui en faifoit , vit bien alors ,
mais trop tard , les fuites de fon impru→
dence ; il faute dans la cuve pour le fecourir
, en criant à un marmiton qui fe trouvoit
auffi dans le cuvage , de lui faire ve
nir du fecours . Il fe baiffe pour relever
JUILLET. 1755. 117
l'enfant qui fe mouroit , & tombe dans le
même érar que lui.
Le marmiton court au château , il trouve
dans la cuiſine un payfan , un des Gardes
chaffe , le Cuifinier & un laquais ; it
leur apprend l'embarras de Joli. On vole
à fon fecours. L'allarme fe répand dans le
château : Maîtres , Domèstiques , tout le
monde s'empreffe de gagner le cuvage. Le
payfan qui étoit un jeune homme de vingtdeux
ans , fort & vigoureux , arrive , &
defcendde premier dans cette cuve funefte ,
il veut encore fe baiffer pour relever ces
deux perfonnes qu'il voyoit fans mouvement
& dans l'inftant , comme s'il eût
été frappé de la foudre , il tombe lui-même
immobile , & pour ainfi dire mort : "Le
Garde-chaffe qui venoit après lui fuit fon
exemple , & fubit le même fort.
3
Le Cuifinier qui defcendoit le troifie
me , voyant ce trifte fpectacle , & fe fentant
tout-à- coup étouffer par les vapeurs
qui s'élevoient , remonte au plus vîte au
haut de la cuve , il arrête le laquais qui
avoit déja une partie du corps dedans , &
tous deux hors d'état de fecourir les mousans
, bornerent leurs foins à empêcher de
défcendre ceux qui les fuivoient ; mais le
zéle de tous ces domeftiques pour fauver
la vie à leurs camarades étoit fi grand ,
118 MERCURE DE FRANCE.
qu'ils voyoient à peine un danger: aufil
effrayant. Un paltrenier fe jette dans la
cuve , & fe trouve pris auffi tôt ; mais
comme le haut en étoit déja bordé de
beaucoup de monde , il fut affez heureux
pour qu'on le faifit aux cheveux dans le
moment qu'il alloit tomber , & qu'on le
retira évanoui . Il en fut de même d'un
poftillon , à qui on paffa une corde fous
les bras dans le tems qu'il defcendoit , &
qu'on arracha à la mort par ce moyen ; ils
revinrent l'un & l'autre dès qu'ils furent
expofés à l'air extérieur.
Dans le trouble où l'on étoit , ne voyant
aucune reſſource pour retirer ces quatre
hommes de la cuve , on prit le parti de la
rompre; mais comme les cercles en étoient
très -forts, garnis de bandes de fer , & que
les douves en étoient unies par des chevilles
, l'opération fut longue , & ces malheureux
étoient morts , lorfqu'on fut à
portée de leur donner du fecours .
1. Cependant on avoit envoyé chercher
un Chirurgien au bourg le plus près . Dès
qu'il fut arrivé , on effaya de les faigner ;
il ne fortit de fang qu'une ou deux gouttes
de l'ouverture qui fut faite au plus
jeune , qui le premier étoit entré dans la
cuve . Les autres n'en donnerent pas . On
leur jetta de l'eau au vifage ; on leur mit
JUILLET. 119 1755 .
des eaux fpiritueufes dans la bouche &
dans le nez . Tous ces foins furent inutiles.
Il ne parut aucun figne de vie.
Il eft conftant , Monfieur , qu'on ne peut
attribuer la caufe de ces morts , qu'aux
vapeurs ou efprits ardens du vin qui s'étoient
ramaffés dans cette cuve , & qui
continuoient de s'exhaler de la lie qui y
reftoit. On ne peut pas en reconnoître.
d'autre. Le vin étoit très- naturel & fort
bon. Il avoit été vendu en détail à des
marchands de nos montagnes , qui en
avoient débité déja la plus grande partie
dans leurs cabarets , fans que perſonne ſe
fut plaint d'en avoir reçu la moindre incommodité.
J'aurois bien fouhaité avoir
été averti à tems pour voir par l'ouverture
de ces cadavres les effets que ces efprits
pénétrans avoient produits fur les différentes
parties qui en avoient fouffert l'im
preffion. M. le Comte de la Queuille qui
me fit appeller deux jours après pour voir
Madame la Comteffe fon époufe , que la
frayeur & la douleur de cet événement
avoient fort incommodée , me dit avoir
été faché de ne me l'avoir pas
mandé plutôt
; mais qu'il n'y avoit penfé qu'après
l'enterrement .
Je fus donc forcé de me borner à interroger
ceux qui avoient manqué à être
120 MERCURE DE FRANCE.
3
enveloppés dans ce malheur. Le palfrenier
& le poftillon ne me donnerent pas de
grands éclairciffemens. La maniere prompte
dont ils avoient été pénétrés de la vapeur
, la connoiffance qu'ils avoient perdu
à l'inftant , ne leur avoient pas laiffé le
tems de s'appercevoir de ce qui avoit produit
leur évanouiffement. Le Cuifinier qui
n'avoit reçu cette vapeur qu'à demi , & qui
s'étoit toujours reconnu , fut plus en état
de me rendre compte de ce qu'il en avoit
reffenti. Il me dit qu'elle lui étoit montée
au nez avec tant de force , qu'il en avoit
été fubitement étourdi , & qu'il avoit en
même-tems & par la même caufe , fenti
que la refpiration lui manquoit.
Je m'informai auffi de l'état de ces malheureux
après qu'on les eût retirés de la
cuve ; ils étoient femblables en tout à
ceux qui font morts fuffoqués. Une Demoiſelle
qui avoit travaillé à leur donner
du fecours , m'en dit une feule particularité
qui l'avoit frappée : c'eft qu'en leur
ouvrant la bouche pour y introduire des
eaux fpiritueuſes , elle avoit trouvé leurs
gencives , leurs dents , leur palais & leur
langue , blancs , deffechés & comme à demi-
cuits. J'en conclus que ces vapeurs
volatiles & pénétrantes ont produit deux
principaux effets , que je regarde comme
la
JUILLE T. 1755. 1-21
la caufe de la mort prefque fubite de ces
quatre hommes , 1 ° . qu'entraînées par l'air
avec abondance & rapidité dans la cavité
du nez & des finus qui y aboutiffent , elles
ont fecoué & picotté vivement les petites
pointes nerveufes de la membrane pituitaire
faciles à ébranler. Cette irritation
communiquée au cerveau a produit dans
tous les nerfs une contraction fpafmodique
, une conftriction qui a intercepté
dans l'inftant l'écoulement des efprits animaux
vers les organes des fens & vers les
mufcles ; ce qui a donné lieu à la privation
fubite des fenfations & des mouvemens.
2 °. Qu'entraînées pareillement au tems
de l'inſpiration dans la trachée artere &
dans les poulmons , elles les ont crepés ,
defféchés & comme cuits , ainfi qu'on l'a
obfervé aux gencives , au palais & à la
langue ; ce qui a rendu les véficules d'autant
plus incapables d'être dilatées , & de
céder à l'impulſion de l'air , que ce fluide
toujours extrêmement chargé de ces vapeurs
, & conféquemment peu élastique ,
au lieu de vaincre cette réfiftance ne faifoit
que l'augmenter de plus en plus par
l'irritation continuelle des efprits qu'il y
portoit fans ceffe de forte que la refpiration
bientôt fuffoquée a produit néceffairement
une ceffation totale de la circula
F
122 MERCURE DE FRANCE.
1
tion du fang , qui dans quelques minutes
a fait périr ces malheureux.
Ce que j'avance ſe trouve confirmé
par
le prompt rétabliſſement du palfernier &
du poftillon , qui ont eu le bonheur d'étre
retirés de la cuve avant que les poulmons
euffent été confidérablement affectés. Affez
élaftique pour en vaincre la réſiſtance , l'air
extérieur a rétabli la refpiration , & rendu
à la circulation fa liberté naturelle . Le
poſtillon a feulement confervé pendant
quelques jours un affoibliffement , effet
fenfible des violentes fecouffes que les
nerfs avoient fouffertes.
Il n'eft pas nouveau , comme je l'ai annoncé
, Monfieur , de voir périr des gens
dans de grandes cuves en foulant_une
vendange qui fermente . Enivrés & étourdis
par les efprits que la fermentation évapore
, ils tombent dans le vin , & périffent
bientôt noyés s'ils ne font pas fecourus à
tems ; mais dans ce cas- ci il paroît finguhier
de les voir périr prefque fubitement
dans une cuve vuide , où il y avoit à peine
deux ou trois lignes de lie répandue fur le
fond , dans une cuve découverte depuis
plus de trois quarts-d'heure ; de voir enfin
arriver cet accident au mois d'avril , dans
un tems où la fermentation n'eft plus fenfible.
On peut cependant rendre raifon
de ces effets furprenans.
JUILLET. 1755. 123
1º. On fera moins étonné de la promptitude
de la mort de ces quatre hommes ,
fi l'on fait attention qu'ils fe font tous
baiffés ; le petit domeftique pour balayer
& faire fortir la lie , & lestrois autres fucceffivement
pour releyer ceux qui étoient
tombés avant eux ; qu'en inclinant ainfi
la face vers le fond de la cuve & en s'enfonçant
dans le plus épais de la vapeur
ils l'ont humée directement avec la plus
grande abondance , & le font exposés à fa
plus vive impreffion ; au lieu que le Cuifinier
qui n'y eft pas entièrement defcendu
& qui eft demeuré debout , n'en a reçu
qu'une petite portion , qui n'ayant agi que
foiblement lui a laiffé le tems de
gagner
le haut de la cuve , & de retourner à l'air
pur.
2º. On trouve dans la configuration &
dans la fituation de cette cuve la raifon du
fecond effet ; c'est-à-dire comment les vapeurs
avoient pu s'y ramaffer en une auffi
grande quantité dès qu'il n'y avoit pas de
vin , & y demeurer renfermées malgré la
communication qui depuis trois quartsd'heure
étoit ouverte avec l'air extérieur.
C'étoit une grande cuve , d'environ neuf
pieds de profondeur , dont la circonférence
ne répondoit pas à la hauteur , faite en
forme de cône coupé , qui avoit fon fond
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
à la bafe & l'ouverture au fommet , dont
l'ouverture enfin étoit peu éloignée du toît
du cuvage : A quoi on peur ajouter que le
vin n'en ayant pas été tiré tout d'un trait
mais à repriſes , les efprits qui s'exhaloient
fans ceffe de celui qui y reftoit , au lieu
de s'attacher à la couverture de la cuve ,
comme il feroit arrivé fi elle avoit continué
d'être pleine , ferépandoient & demeuroient
fufpendus dans l'air qui prenoit
à chaque fois la place du vin tiré ; deforte
que la Cuve s'eft trouvée remplie par
dégrés d'un air extrêmement chargé de
ces vapeurs , dont les plus baffes n'ont pas
pu fe difliper , foit a caufe de la profondeur
de la cuve , foit à caufe de fa figure
conique & de la moindre étendue de fon
ouverture , foit enfin à caufe de la proximité
du toît.
ter ,
3. Les raifons que je viens de rapporfont
affez voir comment l'évaporation
ordinaire qui fe fait du vin , a pu , fans le
fecours de la fermentation , fournir beaucoup
de
vapeurs dans cette cuve . Il faut
obferver de plus que la chaleur printaniere
qui ranime & fait monter la féve dans les
plantes , excite dans le vin une feconde
fermentation , qui , quoique moins fenfible
que la premiere , ne laiffe pás d'être
confidérable. Les vins blancs fpiritueux ,
JUILLE T. 1755. 123
tels que ceux de Champagne , mis en
bouteilles au mois de Mars & d'Avtil les
caffent , font partir les bouchons , & s'élancent
en mouffe par l'ouverture. Ils font
tranquilles au contraire , & ne produifent
aucun de ces effets violens fi on les y met
dans d'autres faifons : Or c'eft précisément
fur la fin de Mars & dans le courant d'Avril
que cette cuve avoit été vuidée , c'eftà-
dire au tems de cette feconde fermentation
, & elle a dû être très- grande dans
une auffi grande quantité de vin , parce
que les chaleurs ont été très- vives pendant
tout ce tems dans cette province , &
que cette cuve étoit placée à côté d'une
porte expofée au plein midi ; il n'eft donc
pas furprenant qu'il s'y foit fait une grande
évaporation d'efprits.
Il me femble qu'on peut comparer cette
cave à une efpece de méphitis. La feule
différence que j'y vois , c'eft que là ce font
des vapeurs minérales , fulphureufes ou
falines , & qu'ici ce font des foufres végétaux
, exaltés & volatifés par la fermentation.
Je trouve une certaine affinité entre
fes effets & ceux de la fameuse Mofère de
la Grotte du Chien , près du lac Agnano
dans le royaume de Naples. Les hommes
plongés dans la vapeur de la cuve , comme
les animaux plongés dans celle de la
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
grotte font tombés fubitement évanouis ,
& font morts bientôt dès qu'il n'a pas été
poffible de les en retirer affez vâte. Ceux
qui ont eu le bonheur d'être remis promp
tement à l'air extérieur , font revenus de
même fans aucune fuite fâcheufe ; & fi les
hommes font tombés fans mouvement dès
l'inftant qu'ils fe font baiffés dans la cuve ,
au lieu que les animaux dans la vapeur de
la grotte s'agitent quelque tems par des
mouvemens convulfifs , cela vient fans
doute de ce que cette vapeur plus groffiere
& moins pénétrante que les efprits ardens
du vin , ne porte pas au nez , & n'affecte
pas le genre nerveux , de à de maniere à y caufer
cette conftriction fubite , qui a intercepté
le cours de ces efprits .
Dans l'impoffibilité où l'on étoit de re
tirer affez vite ces malheureux de la vapeur
, y auroit-il eu quelque moyen de
les empêcher de périr ? Je crois qu'en arrofant
le dedans de la cuve de beaucoup
d'eau , on y auroit peut- être réuffi . D'un
côté les gouttes de ce fluide en fe précipitant
, auroient précipité avec elles les efprits
répandus dans l'air , & lui auroient
rendu fa pureté & ſon reffort ; & de l'autre
celles qui feroient tombées fur le corps
de ces mourans , auroient pu en rappellant
la force fiftaltique des vaiffeaux , ranimer
JUILLET. 1755 . 127
la circulation qui s'éteignoit . L'expérience
apprend que les animaux à demi - fuffoqués
dans la grotte du Chien reprennent
beaucoup plus vite leurs efprits , fi on les
plonge dans l'eau du lac Agnano ; mais
il auroit fallu employer ce moyen à tems :
ce qui auroit été difficile dans ce cas , à
caufe de l'éloignement qui fe trouve du
cuvage à la fontaine.
Enfin , Monfieur , fi cet accident eft
pour ceux qui font dans le cas de faire
vuider de pareilles cuves , un avertiffement
de ne point y expofer perfonne fans
avoir donné à la vapeur le tems de fe diffiper
, ou du moins fans l'avoir précipitée
avec de l'eau , il n'en préfente pas un moins
important pour ceux qui font un ufage immodéré
du vin & des liqueurs ardentes ;
car fi ces efprits appliqués au- dehors ont
produit des effets auffi prompts & auffi
funeftes , combien ne doivent - ils pas en
produire de fâcheux , lorfque pris intérieurement
avec excès , & circulant dans la
maſſe des humeurs ils fe portent au cerveau
, & agiffent immédiatement fur les
fibres médullaires & nerveufes ?
J'ai l'honeur d'être , & c.
A Riom en Auvergne , le 15 Mai 1755 .
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
M
Lettre à l'Auteur du Mercure.
ONSIEUR , j'ai toujours eu des doutes
obftinés , fur la poffibilité où nous
fommes , de reconnoître infailliblement
par l'ouverture des cadavres , les caufes
éloignées & immédiates des maladies du
corps humain. M. l'Abbé Raynal votre prédéceffeur
, affure néanmoins dans le Mercure
de Septembre 1751 , pages 149 & fuivantes
, " que les avantages qui résultent
» de l'ouverture des cadavres , foumettent
» alors à l'examen des fens , la cauſe même
» qui avoit produit la maladie , &c » .
C'eft à l'occafion des obfervations Anatomiques
tirées de l'ouverture d'un grand
nombre de cadavres , propres à découvrir
les caufes des maladies , & leurs remedes ,
par M. Barrere , médecin à Perpignan , & c.
que M. l'Abbé Raynal , nous donne ce
moyen prefque comme certain de nous
inftruire fur cette matiere. J'ai parcouru
avec des yeux avides , & j'ai lu enfuite
avec toute l'application poffible le Livre en
queſtion , Edition de 1753 , mais je n'y ai
point trouvé ce que l'Auteur & M. l'Abbé
Raynal promettent. Si on nous eut promis
de nous montrer par l'ouverture des cadavres
les cauſes certaines de la mort , au lieu
JUILLET . 1755 129
de
de celles des maladies , on y auroit infiniment
mieux réuffi . En effet , Monfieur ,
qu'apperçoit-on dans la tête d'un homme
mort d'une fievre maligne , d'une phrénéfie
, d'une apoplexie & dans les maladies
caufées par de fortes paffions de l'ame.
Comme dans les fix premieres obfervations
de l'Auteur , on trouvera les vaiffeaux de
la dure-mere & ceux du cerveau , farcis &
gorgés d'un fang épais & noirâtre , quelque
épanchement de férofités dans l'un ou
l'autre des ventricules , des
grumeaux
fang caillé dans les finus , qu'on prend pour
des concrétions polipeufes ; il eft aifé de
fentir que ces accidens font plûtôt l'effet de
la maladie , que fa caufe , & que ces
mêmes effets font évidemment celle de la
mort. Un empiéme , des dépôts particuliers
dans le poulmon , & les ulcères qu'on
trouve dans l'ouverture des cadavres de
ceux qui font morts d'une de ces maladies
de poitrine , n'annoncent pas la caufe qui
a produit ces défordres , mais feulement
leurs effets , en faifant fuccomber le malade
à la force de ces accidens , lorfque la capacité
de la poitrine a éré remplie par un
épanchement , qui a fuffoqué le malade ,
ou que fon poulmon a été fondu en partie ,
par d'abondantes fupurations , &c. Voilà
donc encore des caufes de mort , & non de
Fv
130 MERCURE DE FRANCE.
maladies. Les eaux épanchées dans le ventre
d'un hydropique , font- elles la caufe de
l'hydropifie ; un abcès au foye fe produitil
de lui-même , pour caufer les accidens
qui font périr le malade , non fans doute ;
& quoiqu'on fçache en général que cet
abcès eft la fuite de quelque inflammation
locale ou générale de ce vifcère , on n'eſt
pas plus inftruit , fut ce qui a donné lieu à
cette inflammation , pour être en état de
F'attaquer dans fon principe , & de lá prévenir
même afin d'éviter de bonne heure
les fuites funeftes qu'elle peut avoir.
En attendant , Monfieur , le grand ou .
vrage que Monfieur Barrere doit publier
& dont celui qu'il a donné n'eft que l'ef
quiffe , je perfifte toujoujours dans mes
doutes fur l'infuffifance de l'ouverture des
cadavres pour découvrir la caufe des maladies.
Je fouhaite ardemment qu'il réuffiffe ,
mais ce ne fera aſſurément pas comme il a
déja fait , en prenant les effets d'une maladie
pour fa cauſe.
Je vous prie , Monfieur , d'inférer la
préfente dans un de vos Mercures , non
dans la vûe de diminuer en rien le mérité
de l'ouvrage de M. Barrere , mais feulement
pour convaincre de plus en plus lè
public , qu'il eft des caufes infenfibles de
maladies , que toute la fagacité de l'efprit
JUILLET. 1755. 131
& que
humain , ne fçauroit appercevoir ,
dans bien des cas , l'Aphorifme d'Hippocrate
, fublatâ caufâ tollitur effectus , eſt d'une
exécution impoffible.
J'ai l'honneur d'être , & c.
A Toulouse , ce 25 Avril 1755 .
CHIRURGIE.
Lettre écrite à M.M · ...
Profeffeur en
Chirurgie , par M. Boucher , Capitaine
d'Infanterie.
Centrerent , c'eft un militare qui va
'Eft un époux , Monfieur , qui va vous
vous écrire ; c'eft affez vous en dire pour
mériter votre indulgence. Ce préambule
vous feroit inutile fi j'étois initié dans l'art
de la Chirurgie. Ecrivant à un maître tel
que vous , je n'aurois befoin que de m'énoncer
, vous m'entendriez clairement ;
mais il s'agît de vous parler une langue qui
m'eft étrangere , & de vous donner à deviner
le plus aifement que je pourrai. Ce
fera donc , Monfieur , l'amour conjugal
qui fera mon interprête ; c'eft lui qui m'en
gage aujourd'hui à vous rendre compte
d'une maladie que j'ai d'autant mieux étu
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
diée qu'elle m'a tant effrayé pour les jours
de ma chere femme.
:
Vous ne me remettez peut - être plus ,
Monfieur , & par conféquent il eft néceffaire
de vous dire qui je fuis. Mon nom
n'eft pas fuffifant pour vous remettre fur
la voie il faut vous dire qu'au mois de
Décembre dernier je vous invitai chez
moi , rue Poifforniere , avec M. M ....
Chirurgien major de l'Hôtel - Dieu , pour
vous confulter fur la maladie dont ma
femme étoit attaquée depuis treize ans.
Cette maladie , Monfieur , étoit la plus
terrible fiftule qu'on ait jamais eue Ma femme
eft créole , de l'ifle de Bourbon , & elle
attribue cette maladie à une chûte qu'elle
fit quelques années avant que je l'époufalfe
, d'une terraffe de vingt pieds de haut
le moins. Cette chûte ne lui caufa
que quelques douleurs & meurtriffures
qui fe diffiperent en peu de tems , par lesfecours
qu'on lui donna. Elle n'eût aucun
fymptome de fiftule , mais un an après notre
mariage elle mit au monde un fils ,
foit effer de la groffeffe ou de la couche ,
elle commença à fentir des douleurs à l'anus
, qui cefferent néanmoins lorfqu'elle
fut rélevée & rétablie de cette premiere
couche. Elle fut environ trois ans fans depour
venir enceinte , pendant lequel tems elle
JUILLET. 1755. 133
ne fentit aucune douleur ; mais l'étant
devenue , fur le neuvieme mois de fa grof
feffe il fe forma en neuf jours un dépot
fi confidérable qu'elle fouffrit nuit & jour
toutes les douleurs qu'un panari violent
peut occafionner . Les Chirurgiens de l'ifle
peu au fait de leur métier , encore moins
de ces fortes de maladies , ne regarderent
ce dépôt que comme un abcès . Lorfque la
matiere fut bien formée la tumeur perça
d'elle-même , & vuida une quantité prodigieufe
de pûs. Cette évacuation foulagea
fubitement & totalement la malade
qui accoucha le lendemain d'une fille qui fe
porte très bien aujourd'hui . Nos Docteurs
laifferent fermer le fac de lui-même , &
fans doute le loup fut enfermé dans la bergerie
, puifqu'à une troifieme grofieffe
l'abcès reparur. Pour lors d'autres Chirurgiens
de vaiffeaux qui fe trouverent là ,
martyriferent la malade à grands coups de
biftouris , & s'efforcerent de cueillir un
fruitqquuiin'étoit pas mûr , & qu'ils ne con,
noiffoient fans doute pas ; cependant elle
accoucha d'un garçon bien à terme , mais
mort par une peur qu'un incendie avoit
caufée à la mere chez elle . L'abcès diſparut
donc encore , & tant que ma femme ne
devenoit pas groffe elle ne fe fentoit de
rien. A la quatrieme groffeffe l'abcès re134
MERCURE DE FRANCE.
commença , à la cinquieme de même ; &
enfin à la fixieme qui eft arrivée l'année
derniere , il fe forma fur le dernier mois.
Mon épouſe fouffrit beaucoup , le Chirurgien
du logis qui avoit foin d'elle depuis
fon arrivée en Europe , me confia que cet
abcès étoit fiftuleux , pour lors je lui rapportai
tout ce que je viens d'avoir l'honneur
de vous dire , & il la panſa en conféquence.
Elle étoit trop avancée dans fa
groffeffe pour entreprendre la guérifon
d'une pareille maladie ; mais loin de la
traiter comme on avoit fait aux Indes , au
contraire il eut grand foin de conferver
cet abcès ouvert , & de donner iffue à la
matiere qu'il fourniffoit journellement ;
il la panfoit deux fois par jour , & au terme
de neufmois elle accoucha d'une fille pleine
de fanté , & cela fans accident. Le
Chirurgien de la maifon continua à la
panfer exactement pendant deux mois depuis
fa couche , après lequel tems il me
confeilla lui-même de vous appeller au fecours
, me déclarant que la maladie étoit
une fiftule.
Voici , Monfieur , où la grande hiſtoire
commence . Vous eûres la bonté de vous,
rendre chez moi avec M. M..... mon
Chirurgien y étoit , & on vous rendit
compte de tout ce que je viens de vous
JUILLET. 1755. 135
répéter. La malade étoit bien prévenue
qu'elle avoit une fiftule , mais elle n'étoit
point portée pour l'opération , parce que
quelques perfonnes lui avoient confeillé
les cauftiques. Vous fondâtes vous-même
le mal , & fuivant votre avis , ainfi que.
celui de M. M. . . . vous jugeâtes que
c'étoit une fiftule borgne ; même , me
dires-vous alors , fans clapier & fans que
l'inteftin fût offenfé , car vous fuppofiez
encore une grande diſtance entre le vice &
l'inteftin. Eh bien , Monfieur , l'événement
a fait voir le contraire , & je m'en fuis
convaincu par ce que j'ai vû . Mais fuivez
moi , s'il vous plaît : vous jugeates donc
la fiftule borgne ordinaire , en un mot
point confidérable ; je vous demandai ce
qu'il y avoit à faire , vous me fites l'honneur
de me dire qu'il falloit faire l'opération
, que cela feroit peu de chofe , & que
ma femme n'avoit aucun rifque à courir ;
je vous dis que la malade ne s'y réfoudroit
jamais , & qu'elle préféreroit de fe faire
guérir par les cauftiques. M. Braffant
me dites vous fur le champ , peut la
guérir ; mais je fuis furpris qu'on préfere
des fouffrances de cinq à fix mois à
une minute & demie. Cependant , continuates-
vous , je vous confeille de commencer
par lui guérir l'efprit. Elle préfere cè
>
136 MERCURE DE FRANCE.
•
remede , il faut le lui donner. Il détruit
par le feu ce que le nôtre détruit par le fer.
Ho! nous y voilà , Monfieur. Riez tant
qu'il vous plaira de mon extravagance ;
mais je ne veux point difputer avec vous.
Je prétens vous prouver que les événemens
dont je vous ai parlé , font feuls
capables de faire connoître les maladies.
De plus , je prétends vous démontrer que
la méthode des cauftiques eft préférable à
l'opération , fur-tout à de pareilles fiftulles.
Je vous vois déja me railler & me tourner
en ridicule : n'importe , je me hazarde , &
m'encourage ; c'eft que ma femme eft guérie.
Je commence.
La fiſtulle , Monfieur , me paroît à préfent
un terrier de lapin , lequel dans l'intérieur
forme la figure de ziczac. Si je pouffe
un bâton par fon ouverture , il arrive que
je trouve bientôt une réſiſtance , mais ce
n'eft pas le fond du terrier ; & quand j'emporterois
toute la furface , jufqu'à la profondeur
qui en a procuré la réfiftance au
bâton , je n'aurois pas encore découvert le
fond de mon gîte. Or la fonde me paroît de
même dans une fiftulle à un pouce , deux
pouces , & plus , fi vous voulez ; elle peut
fentir un arrêt qui paroît être le fond , mais
fouvent ce n'est que l'endroit où le finus
prend un détour, & qui s'étend encore à une
JUILLET. 1755 . 137
··
certaine profondeur , où il en prend encore
une autre. Comment la fonde peut - elle
nous dire tout cela ? Non , il est donc impoffible
de juger d'une fiftulle par la fonde
, & pour voir ce qu'il y a dans un vafe ,
il faut le découvrir. Je fçais qu'avec l'inf
trument on emporte plus que moins , &
qu'enfuite les cifeaux fuppléent au befoin ,
mais le fang accable & peut fort bien empêcher
de voir un malin finus qui pourſuit
fa route bien au-delà de ce qu'on s'imaginoit
; néanmoins l'opération guérit radicalement
la fiftulle , je le fçais , j'en conviens
; mais jamais elle n'eût guéri celle
de ma femme , puifque l'inftrument n'auroit
pû aller à la profondeur , & qu'encore
une fois on ne la croyoit pas confiderable .
Je fuis moralement sûr qu'elle eût été manquée
, elle n'auroit pas été la premiere ;
mais en outre quel rifque n'eut - elle point
couru ? les fouffrances des panfemens , les
douleurs de la garderobe , les rifques du
dévoiement , d'une fiévre , d'une hémoragie,
en un mot , un nombre de jours dans
un lit à fouffrir & à vivre fans manger.
Or par la méthode de M. Braffant avec fon
cauftique , il eft impoffible qu'il manque
une fiftulle , lorsqu'il la traitera lui- même,
& fon malade ne court aucun des rifques
que je viens de dire ; il eft vrai qu'on
138 MERCURE DE FRANCE.
fouffre le martyre. On dit qu'il en a guéri
& qu'il en a manqué : je foutiens qu'il n'en
a manqué aucun , à moins que ce foit des
gens aufquels les douleurs ont fait abandonner
le remede ; mais quand on voudra
les fouffrir , on eft sûr de la guérifon . Il
n'y a peut-être jamais eu perfonne que ma
femme qui ait fouffert une quantité fi prodigieufe
de cauftiques, puifqu'elle en a eu 33 ;
mais fi elle avoit abandonné au trentieme ,
sûrement elle n'eût point été guérie. J'appellai
donc M. Braffant le lendemain de votre
vifire. Je ne lui parlai point de la confultation
qui avoit été faite la veille , je lui
dis fimplement que ma femme étoit attaquée
d'une fiftulle depuis 13 ans . Je lui fis
le détail de cette maladie tel que j'avois
eu l'honneur de vous le faire , & j'ajoûtai
que la malade ayant oui parler de fa méthode
la préféroit à l'opération . Il vit fon
mal & le confidera long - tems ; il tâta les
environs , & jugea que la fiftulle étoit confidérable
, affurant que l'inteftin étoit offenfé
; mais qu'il étoit sûr de la guérifon
radicale , fi la malade vouloit avoir de la
confiance & du courage , parce que fon
remede étoit violent : ma femme s'y livra
toute entiere , fur-tout efpérant de pouvoir
guérir fans opération . Elle lui demanda le
régime qu'elle avoit à fuivre ; mais quelle
JUILLET. 1755. 139
fut fa joye & ſa ſurpriſe lorfque M. Braifant
lui dit qu'elle n'avoit qu'à vivre à fon
ordinaire & conferver fon apétit.
Avouez , Monfieur , que voilà un régime
bien doux & bien différent de celui que
l'oppération exige. La malade avoit été
préparée , & deux mois s'étoient écoulés
depuis fa couche , ce qui fit que M. Braffant
la commença le lendemain 10 Décembre
1754. Il lui appliqua le premier cauftique
à 9 heures du matin , qui fit l'effet
qu'il en attendoit. La malade fouffrit la
douleur que ce remede lui caufa avec un
courage héroïque ; elle fouffroit , mais elle
difoit elle-même que c'étoit fupportable.
M. Braffant vint la voir le foir , & il fut
furpris de trouver une femme fi courageufe.
Le lendemain matin il vint la panſer ,
les cauftiques avoient brûlé une quantité
de chairs qui commençoient à former un
efcard , ils avoient occafionné un gonflement
confidérable dans toutes les parties
fpongieufes & vicieuſes . Le troifieme jour
cet efcard tomba & occafionna une ouverture
affez confidérable , procura la facilité
à M. Braffant de voir différens finus renfermés
dans cette partie ; il les atraqua les
uns après les autres par fes cauftiques , &
plus il en détruifoit , plus l'ouverture s'agrandiffoit
& la profondeur paroiffoit,
140 MERCURE DE FRANCE.
Après que la malade eut fupporté dix aà
douze cauftiques , pour lors M. Braffant vit
clairement toute l'étendue du mal ; il s'ap
perçut que l'inteftin étoit percé , qu'un
finus fe pourfuivoit droit au gros boyau ;
il tint toujours ce finus découvert , & s'attachant
à détruire toutes les parties qui
l'environnoient & qui étoient offenſées ; il
y parvint par la fuite , & c'eft ce qui prolongea
la guérifon pour lors , il ne luf
refta plus que le finus principal , ou le fond
du fac qu'il attaqua avec tant de fuccès ,
que le 30 Avril il vit tout le vice détruit ,
& parvint à une guérifon radicale & certaine.
Voilà , Monfieur , tout le détail que
mon affiduité aux panfemens me permet
de vous faire ; mais vous ne pouvez vous
imaginer l'étendue de ce mal , & je crois
fermement que l'opération ne l'eût point
guéri , d'autant mieux qu'on ne jugeoit
point cette fiftulle fi confidérable. Remarquez
que par la méthode de M. Braffant
il n'y a point de fiévre à craindre , point
de dévoiement à appréhender , point de
régime à garder & point de douleurs en
allant à la garderobbe , en un mot point
de danger à courir pour le malade rout
cela , Monfieur , ne me feroit point balancer
à préferer cette méthode à l'opération
d'autant mieux encore qu'il eft impoffible
>
JUILLET. 1755 141
qu'on laiffe la moindre chofe par cette fa-
Con de traiter une fiftulle .
Il me reste encore à vous parler d'un
article auquel peu de Chirurgiens ajoûtent
foi , c'eft fur l'efpéce de cauftique dont
M. Braffant fe fert. Je crois réellement que
ce cauftique eft à lui feul & à fon fils , &
je ferois porté à croire qu'un autre que lui
qui voudroit traiter la fiftulle par ces cauftiques
y échoueroit , n'ayant ni la pratique
, ni de cauſtique de M. Braffant : ne
feroit-ce pas cela qui auroit donné lieu de
croire au public que fi M. Braffant en a
guéri , il en a auffi manqué? Cela fe pourroit
bien , Monfieur , & j'en ferois convaincu
, fi quelqu'un me difoit avoir été
manqué par M. Braffant , pere ou fils.
Je fuis fâché , Monfieur , de vous avoir
distrait & peut-être ennuyé par mon verbiage
; mais paffez-le moi en faveur de la
joye que me caufe la guériſon de ma femme
, & de la part que vous avez bien vou
lu prendre à fa maladie.
J'ai l'honneur d'être , & c.
BOUCHER.
Paris , ce 2 Mai 1755 .
142 MERCURE DE FRANCE .
MECHANIQUE.
Machines nouvelles à curer les porte
& les rivieres.
LEGieur Theveu, architecte , connu par pluhieurs
machines propres à approfondir & à
curer le lit des rivieres , & faciliter l'entrée des navires
dans les ports , en a exécuté une qu'il a employée
avec un grand fuccès à curer le port de
Rouen , qu'il a recreufé de plus de fept pieds de
profondeur ; la machine agiffant à dix-neuf pieds
au-deffous de la furface de l'eau ,
Malgré la dureté du terrein elle en enlevoit par
jour dix-huit à vingt toifes cubes. Avec le fecours
de la même machine , il a arraché & enlevé plus
de trois cens pieux de douze à quinze pieds de fiche,
élevés feulement de fix pouces au- deffus du terrein,
& enfoncés à dix -fept pieds au- deffous de la fuperficie
des eaux .
' L'auteur s'eft fervi d'une autre machine , auffi
de fa compofition , examinée & approuvée par
Meffieurs de lA'cadémie des Sciences , pour enlever
du fond de la riviere des blocs de pierre de dix-fept
à dix-huit pieds cubes .
Le fieur Theveu fe tranſportera dans les endroits
où il fera néceffaire de faire quelques- unes des
opérations ci-deffus indiquées , les perfonnes qui
voudront l'employer , lui feront l'honneur de lui
écrire à Paris , chez M. Lange , Sculpteur de
M. le Duc d'Orléans , rue du Vert- bois ; & à
Rouen , chez M. Duboc , à la Barbacane.
JUILLET. 1755. 143
ARTICLE I V.
BEAUX - ARTS.
ARTS AGRÉABLES.
RE
MUSIQUE.
C
ECUEIL d'airs de contredanfes
menuets , & vaudevilles nouveaux
chantés fur les théâtres de l'Académie
royale de Mufique & de l'Opéra Comique
, lefquels fe jouent fur toutes fortes
d'inftrumens : 13 partie , prix 24 fols.
A Paris , chez M. Boivin , rue S. Honoré ,
à la Regle d'or ; M. le Clerc , rue du Roule ,
à la Croix d'or ; Mlle Caftagnery , rue des
Prouvaires , au Luth royal ; & le fieur
Duchefne , rue S. Jacques , au Temple du
Goût.
Le Deffert des petits foupers , fixieme ,
feptieme , huitieme , neuvieme & dixieme
parties. A Paris , aux mêmes adreffes.
Chaque partie 24 fols.
144 MERCURE DE FRANCE.
DU
LETTRE
PERE CASTEL ,
A M. Rondet , Mathématicien , fur la Réponfe
au P. L. J. au sujet du Clavecin
des couleurs.
V
Ous vous honorez , Monfieur , en
m'honorant. J'aime fur-tout la décence:
je vous fçais gré d'avoir preffenti l'embarras
où j'allois être d'entrer en lice avecun
adverfaire dans lequel je devois beaucoup
me refpecter moi - même. Je ne vous connoiffois
pas malin. Vous aimez à prolonger
votte triomphe , & vous gardez le plus beau
pour le dernier. Pour toute apologie vous
pouviez dire comme Scipion accufe devant
le peuple : Meffieurs , allons au Capitole
remercier les Dieux de ce qu'à pareil jour
Numance ou Carthage ont été foudroyées.
( Car duo fulmina Belli , Șcipiadas , dit Virgile
) . Meffieurs , pouviez- vous dire , remercions
Dieu de ce que le clavecin a joué
avec l'applaudiffement de 200 perfonnes
le premier de l'an 1755 , pour les étrennes
du public . Il avoit bien joué devant cinquante
perfonnes , qui battirent des mains
à quatre repriſes , le 21 de Décembre 1754,
le
JUILLET. 1755. 145
le jour de faint Thomas , Apôtre , qui en
eft le Patron. Chaque art , chaque métier
a le fien.
J'aime les arts , vous le fçavez mon
cher Monfieur , je les aime dans le vrai ,
en géometre , en homme même , & avec
une forte de paffion ; je les chéris en citoyen
, ne connoiffant d'autre reffource
momentanée aux befoins renaiffans de
l'humanité. Par le fentiment , j'ofe dire
plus que par la fenfation : Humani à me
nil alienum puto. Je fuis vivement affecté
des befoins de mon prochain , & je ne
m'en connois d'autre bien preffant que
celui d'y pourvoir en commun , felon la
mefure de mes petits talens , dont toute la
fingularité , ce me femble , n'eft que d'être
en commun & fort gratuitement au ſervice
du public , felon le devoir de mon état &
l'efprit de ma vocation .
les®
Plein de cet amour affez pur pour
arts , je gémis donc de les voir tomber par
une ambition de ftyle & de bel- efprit qui
ne remplace point la noble émulation ni
le vrai goût du travail , caractérisé par ce
beau vers de Virgile que j'inculque à tous
venans :
Difce puer virtutem ex me , verumque laborem.
C'eſt ce verus labor qui n'eſt point afſſez
G
146 MERCURE DE FRANCE.
connu . J'en gémirois bien davantage ſi je,
pouvois me croire auteur de cette décadence
des arts. Peut- être les montai -je trop
haut , les mets-je à trop haut , prix ? En
doublant la mufique , je n'õte rien à la
mufique vulgaire , que j'ai même un peu
perfectionnée ,, peut-être il y a 30 ans ,
avant & depuis mon clavecin.
Point d'éloge en effet auquel j'aie été
plus fenfible , qu'à celui du brillant M. de
Voltaire , qui dit que j'aggrandis la carriere
des arts , de la nature , des plaifirs.
Plaiſirs honnêtes , plaifirs même d'efprit ,
tels que la mufique , la peinture , les couleurs
, les belles nuances de toutes chofes.
En faveur de cet éloge , je lui en paffai un
autre moins brillant , où il dit du clavecin
il y a travaillé de fes mains. Il le dit en
grand poete ( vates ) par une forte d'infpiration
qui a droit d'infpirer ce travail.
Entre têtes , je ne dis rien des coeurs ,
l'enthoufiafme eft contagieux , fur-tout
lorfqu'il eft à l'uniffon de deux autres têtes,
telles qu'un Montefquieu & un Fontenelle
, dont le premier en réponſe à bien des
chofes , m'écrivoit , il y a un an , faites le
clavecin , & tout ira ; & le dernier m'envoya
dire , il y a neuf mois , qu'il ne vouloit
pas mourir fans voir le clavecin : ce
qui auroit dû peut-être m'empêcher de le
JUILLET . 1755. 147
faire fi vîte , fi j'étois fuperftitieux avec
gens peu fufpects fur l'article , mais dont la
miféricorde divine peut couronner la vie
de bel-efprit d'une fin folidement reli-›
gieufe & chrétienne , comme on vient de
le voir dans un événement qui m'afflige-t
roit trop , fans la bonne fans la bonne part que Dieu a
bien voulu me donner dans cette vraie
confolation .
Bien des découvertes fe perdent avec
leurs auteurs immortels en paroles &
mortels en réalité . Voici de quoi le public
doit remercier Dieu avec moi , c'est qu'il
m'ait laiffé furvivre 30 ans à la premiere
idée de mon clavecin . De fçavant fpéculatif
, il m'a régulierement fallu devenir.
artifte de goût , & enfin artifan de fait , &
comme de métier. Sutor erit fapiens ; c'eſt
de moi qu'Horace l'a dit.
Quand j'annonçai cette bagatelle , point
fi bagatelle , dit- on , en 1725 ; ce n'étoit
en effet qu'une idée , & je n'avois nulle
intention de l'exécuter. J'en pris acte dans
le même Journal ( le Mercure ) au ſujet
d'un foi-difant Philofophe Gafcon , anonyme
à cela près , qui me fommoit familierement
d'y mettre la main. A quoi je repli .
quai trop fierement peut- être : Monfieur ,
Monfieur , je fuis Géometre , jefuis Philofophe,
& ne fuis lubier , facteur , on faiſeur
G ij
148 MERCURE DE FRANCE.
d'orgues ni de clavecin. Dieu m'en a puni ,
Jai fait un orgue en quatre jeux de rofeau
de mes mains depuis ce tems - là. Mais en
ce tems-là , je n'étois pas même artiſte , &
l'anonyme , que j'ai bien reconnu depuis ,
n'étoit ni un Voltaire , ni un Fontenelle ,
ni un Montefquieu pour m'infpirer.
Je devins artifte en 1735 , dans mes fix
grandes lettres à l'illuftre Préfident que je
n'ofe fi fouvent nommer ; & tout le monde
convint que l'art du clavecin étoit démontré
en douze dégrés bien tranchés de coloris
, & en douze octaves précifes de clairobfcur
, faifant en tout 144 nuances ou
demi-teintes , depuis le grand noir jufqu'au
blanc extrême, en parallele exact aux douze
demi- tons chromatiques , & aux douze
octaves de grave aigu , faifant 144 demitons
de fon depuis le plus bas tuyau poffible
de 64 pieds qui râle , jufqu'à celui
de deux ou trois lignes qui glapit,
L'art eft chofe encore trop fine pour
ceuxqui n'ont que des yeux pour en juger :
j'eus beau montrer & démontrer tout cela
en nature , fur des papiers colorés , dans
des rubans même & des étoffes faites exprès
, & que tout le monde a vûes avec
empreffement , je puis même dire admirées
C'étoient bien là les propres cordes , les
propres touches du clavecin , aufquelles il
JUILLET. 1755. 149
ne manquoit plus que la groffe facture des
ouvriers en titre pour le monter . Point du
tout , il s'éleva une voix qui dit que le
clavecin étoit démontré vrai en théorie , mais
qu'il étoit faux & infaifable en pratique. Er
de ce feul coup de langue le clavecin non
monté fut démonté , tout mon art réduit
à rien , & mes étoffes , rubans & couleurs
au pillage , comme s'il s'agiffoit de
l'élection d'un Roi de Pologne , où le fuffrage
d'un feul eft l'oracle de la multitude
.
J'ai toujours dit , toujours éprouvé du
moins que les paroles de l'envie étoient de
foi efficaces : elles intimident , elles découragent
, elles tiennent en arrêt un inventeur.
Cela feul d'avoir déclaré le clavecin
infaiſable , l'a rendu tel pendant 20 ans ;
car s'il ne m'a fallu que 10 ans pour devenir
artifte , il m'en a fallu deux fois 10 enfuite
pour devenir artifan , en me dégradant toujours
de l'efprit au goût & du goût au travail
des mains , qui eft pourtant le vrai goût
de néceffité , de bon fens même , au lieu
de tout ce babil de bel- efprit , non faifeur
, mais fimplement difcoureur , qui
dégrade les arts & l'humanité , la raifon
même. Car homo natus ad laborem .
Je reconnois cependant avec plaifir , en
honnête-homme , que fi j'ai perdu à cela
G iij
50 MERCURE DE FRANCE.
du repos & une honnête fatisfaction d'efprit
, le public y a gagné . Par ces prétendues
dégradations , comme de moi-même
je me fuis toujours rapproché du public ,
de fes befoins , de fes plaifirs . C'eft bien
lui qui me difoit toujours faites le clavecin
, & foyez plutôt maçon fi c'est votre talent.
Le public entend fur- tout fes intérêts. Le
clavecin lui auroit trop coûté dans fa primeur.
Je n'ai fait que le mûrir , le rendre
pratiquable. En 1725 , on ne l'auroit pas
fait pour 100 , 000 écus écus par les mains des
Ouvriers & artiſtes qui s'offroient affez à
moi , mais avec des bouches plus qu'avec
des mains , & avec plus d'appétit que de
fçavoir faire. En 1735 , je n'eftimois plus
la facture du clavecin que 20 , Goo écus :
en 45 › 10 , ooo écus ou même 1000 guinées
, difois-je aux Anglois. Il y a 3 ans
que je le voyois faifable pour 100 louis ,
quelqu'un le mettoit à 2000 écus ; & voilà
qu'aujourd'hui je viens de le faire fans
Ouvriers pour 50 écus.
On m'a prié de dire tout cela naïvement
, & je fuis bien aife de compter tout
au public pour n'avoir jamais à compter
avec lui. Qu'on s'en prenne à la langue fi
je fais des jeux de mots . Encore cft- il bon
de jouer , à propos de clavecin ; & deformais
on ne me défieroit pas impunément
JUILLET.
1755. Ist
de faire jouer tout ce que les hommes traitent
de plus férieux dans leurs prétendues
affaires qui ne font que jeu , difent les
plus experts même.
En tout cas , je ne furfais point mon
ouvrage , & j'aggrandis la carrière des arts
en écartant les artiftes , les ouvriers , les
mains , & tout ce qui n'eft que bouche &
appétit au fervice du public : car les bouches
mangent les arts , on ne fçauroit trop
le répéter. Plus on m'a difputé la poffibilité
du clavecin , plus j'ai pris à tâche d'en
conftater la facilité & d'en fimplifier la
pratique. Et puifque toutes mes démonftrations
ne m'ont fervi de rien , me voilà
de démonftrateur devenu monftrateur , ou
montreur de curiofité , de rareté , de fingularité
, puifque ce mot plaît tant à la
pluralité de deux ou trois beaux efprits .
Je veux bien en convenir ; la chofe eft
finguliere , rare & curieufe , de colorer le
fon , de faire fonner la couleur , de rendre
l'aveugle juge des couleurs par l'oreille , &
le fourd juge du fon par l'oeil. Autrefois je
m'en défendois comme d'un beau meutre :
aujourd'hui je me livre à tout le paradoxe
de mon entrepriſe depuis que j'en ai fait
un jeu . Or je n'avois promis qu'un jeu .
Et en bonne- foi , mon cher ami , vous le
fçavez , vous le voyez , vous en avez vû
•
G iiij
152 MERCURE DE FRANCE.
tous les progrès nuancés ; n'eft- ce pas un
jeu de trouver même fi difficile , fi impoffible
, en tirant un cordon , une targette ;
en baiſſant une touche d'ouvrir une foupape
de lumiere , lorfqu'on ouvre une foupape
de fon , & de faire voir bleu , lorfqu'on
entend nt , rouge en entendant ſol ;
de faire voir du clair , lorfqu'on entend
de l'aigu , du fombre , en entendant du
grave ?
Du refte , il n'y a que du bien dans mon
projet , & quand je ne réuffirois pas à aggrandir
la carriere des arts , je n'ôte rien à
fa grandeur , & perfonne n'a droit de la
refferrer , de la borner plus qu'elle n'eſt
jufqu'ici bornée & refferrée . Ce n'eft pas
moi qui ai le premier affirmé l'harmonie
des couleurs , de la peinture , de l'architecture.
Je n'ai fait que les démontrer &
les montrer. Avant moi Pline , les Grecs ,
Felibien même , en avoient beaucoup difcouru
par inftinct , par fentiment , en gens
d'efprit , en experts. Mais voilà peut - être
comme on aime les chofes dans le nuage ,
dans le myftere , dans ce fameux je ne fçais
quoi dont les littérateurs font tant d'éloges.
On a voulu voir & revoir mes couleurs ,
& je crois que je ne les ai que trop montrées
, & que je n'y ai été que trop d'abord
JUILLET. 1755. 153
en mal habile artifte , en mauffade ouvrier.
Elles ont ébloui , fatigué , offufqué la vûe
les yeux . M. de Voltaire le difoit , le prédifoit
, le préfentoit ainfi il y a 20 ans . Ne
montrons donc point tant , diſcourons en
fimples littérateurs , en poëtes même . Horace
, le poëte du goût , définit l'harmonie
une unité , une fimplicité : Denique fit
quod vis fimplex dum taxat & unum. Ailleurs
il la définit l'ordre , la régularité : Ordinis
hac virtus erit & verus. Les peintres la
font confifter dans l'entente des couleurs ,
dans l'unité du deffein , dans le beau toutenfemble.
Tout cela ne vient il pas au fimple accord
des parties confonantes des muſiciens,
vrais juges en cette matiere : Et puis la
vraie étymologie du mot harmonie décide
de tout. Apta commiffura , junctura , difent
les Grecs , que je traduirois même plus littéralement
, ce me femble , par apta unitas ,
comme Horace , fimplex unitas ; car il y a
du monas dans harmonie. En un mot , variété
& unité , variété de parties , unité de
tout , font l'harmonie en tout genre felon
tout le monde. Eft - ce que les couleurs
manquent de variété en elles- mêmes ? Il y
en a autant que de fons . Eft- ce que la nature
, eft- ce que l'art n'en font pas tous
les jours des grouppes , des contraftes
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
des affortimens , des accords charmans ?
Mais c'est l'architecture , calomniée à
mon occafion , que je me reprocherois de
laiffer retomber dans une barbarie pis que
gothique , en l'abandonnant à l'enharmonie
où on l'a réduit. Quoi ! un grand ,
fuperbe & majestueux édifice , une bafilique
telle que S. Pierre de Rome , Notre-
Dame de Paris , & mille autres magnifiques
temples du Seigneur. Un palais de
Roi , le Louvre , le Luxembourg , le Vatican
même , & des millions de palais &
d'hôtels n'ont donc point d'harmonie ,
d'union de parties , de régularité , d'ordre ,
d'accord , de beau tout- enſemble , capable
d'impofer à l'oeil , de charmer l'efprit ?
Je vois , j'entends , je fens dequoi il s'a
git. Nos adverfaires fe trompent en habiles
gens . Ils me battent de mes armes : ils me
prennent en géometre, lorfque je leur échape
en artifte , & me dérobe à leurs yeux fçavans
en artifan. Odi profanum vulgus , me
difent- ils noblement. Il y a long-tems que
j'ai obfervé que la géométrie eft une fcience
fublime , mais fiere , guindée & abftraite
, qui n'éclaire que la plus haute
région de l'efprit , dédaignant de rayoner
fur des mains. Auffi m'en fuis- je toujours
préparé l'échapatoire , fice terme eft permis
à un artifan , & vous ai répété vingt fois ,
JUILLET. 1755. 155
mon cher Monfieur , que l'efprit géométri
que valoit mieux dans les arts que la géométrie
même & en perfonne.
La géométrie , qu'il me foit permis de
le redire , eft le corps fec , le fquelete décharné
de tous les objets fenfibles , réduits
non à leurs linéamens propres , comme le
deffein , mais à leurs dimenfions vagues ,.
longueur , largeur , profondeur , lignes ,
furfaces & points extrêmes , figures marginales
,, coupes & profils. Les arts ne
manient point toutes ces impalpabilités là
vrais fpectres , vains fantômes dans l'uſage
ordinaire de la vie.
Nommément l'harmonie , les anciens
l'ont tout-à- fait alembiquée & rendue immaniable
, en la remontant aux proportions
géométriques , compliquées avec les
proportions arithmétiques , complication
qui acheve d'en débouter les arts . Or on la
voit dans ces différences de nombres combinées
avec leurs rapports : car qui dit
difference , dit de l'arithmétique ; & qui
dit rapport
dit du géométrique. Et tout
eft dit .
Parce qu'on n'a pû ou fçû retrouver
l'harmonie des muficiens même , & à plus
forte raifon des peintres & des architectes ,
dans cette proportion foi-difant harmonique
, on a conclu néant d'harmonie pour
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
ces derniers arts , comme fi les mesures ;
par exemple , d'une colonne , de fon renflement
, de fa bafe , de fon piédeſtal , focle
, couronnement , corniche , volute , architrave
, & d'un fimple fefton même ,
n'étoient pas chofes déterminées par des
nombres précis dans les fimples devis d'un
architecte comme fi la détermination du
module ne fondoit pas tous les rapports
des parties d'un ornement , d'un bâtiment
même tout entier. Or qui dit nombre ,
rapports quelconques , modules & détermination
, dit évidemment harmonie ; harmonie
même ici pour les yeux , n'y manquant
que le jeu pour en faire un clavecin.
Le feul plaifir de l'oeil ou de tout autre
de nos fens , ne peut-être qu'un plaifir
d'harmonie : car tel qui m'avoue que le
jeu de mon clavecin fait ou fera plaifir à
voir , fe croit un habile homme à me difputer
que ce plaifir foit un plaifir d'harmonie
, comme s'il pouvoit y en avoir
d'autre. On ne chicane pas les plaifirs , &
l'on feroit mieux de fe rendre acceffible à
celui -ci , que de me forcer à le tout analyfer
. La plupart de nos plaifirs analyfés
ne font plus des plaifirs : ils font faits pour
être fentis & non pour être connus . Con
noître eft un plaifir d'efprit , la plûpart ne
s'en foucient gueres. Dès que nos plaifirs
JUILLET. 1755 . 157
font le réſultat de plufieurs fentimens caufés
par une fucceffion , ou une diverfité
d'objets , de mouvemens & d'opérations ;
il eft hors de doute que ce réſultat doit
être un & fimple , naiffant du concert &
de l'accord de toutes les parties , objets ,
mouvemens & fentimens qui le compofent .
Pour moi , je ne conçois que l'enfer ubi
nullus ordo ,fed fempiternus horror inhabitat ,
& j'aime à penfer que le paradis eft tout
harmonie.
C'est tout franc la bonne & belle littérature
, & le bon goût même de toutes
chofes qui me paroiffent de tous les arts
les plus tombés , par un bel- efprit foidifant
de philofophie bien plus que de
géométrie. Sans géométrie même ni arithmétique
, il ne m'a fallu qu'an peu de
goût de la belle nature , pour trouver que
le bleu mene au verd par le celadon , le
verd au jaune par l'olive , le jaune au
rouge par l'aurore & l'orangé , le rouge
aux violets par les cramoifis ; les violets.
nous ramenant au bleu pour recommencer
une nouuelle octave nuancée de coloris , à
l'aide du clair- obfcur , dont voici les dégrés
Le noir ténébreux mene à l'obfcur , l'obfcur
au fombre , le fombre au brun , le
brun au foncé , le foncé au férieux , le
158 MERCURE DE FRANCE.
férieux au majeftuenx , le majestueux au
noble , le noble au beau , le beau au gracieux
, le gracieux au joli , au gai , le gai
au clair , le clair au blanc , le blanc au
lumineux éblouiffant qui ne fe laiffe point
voir , mais par qui tout eft vû . Sont- ce làdes
termes mais on en a vû les échantillons
, il y a zo ans , & tous les jours ces
termes nous fervent à caractériſer les couleurs.
Eft-ce ma faute s'il y a des efprits ,
des yeux même pour qui les termes ne
font que des termes , des mots , verba &
voces.
J'aurois pû me fervir des mots un peu
plus techniques de gris noir , gris brun
gris d'ardoife , gris de fouris , & c. J'ai
mieux aimé me fervir des termes qui réveillent
des fentimens. Les anciens difoient
les couleurs , c'eſt le clair-obfcur qui eft un
mêlange d'ombre & de lumiere . Je fuis
avec beaucoup de confidération , mon cher
Monfieur , & c.
L. CASTEL.
JUILLET. 1755. 159
ARTS UTILES.
ARCHITECTURE.
Mercure du mois de Juin de l'année 2355.
'Ne ſociété de Gens de Lettres , vient
Une publier un nouveau volume de fes
Mémoires *.
C'eſt une chofe admirable que la vertueufe
ténacité avec laquelle cet illuftre
corps s'attache à multiplier fes découvertes
fur nos antiquités françoiſes.
J'en rendrai compte , non fuivant l'ordre
felon lequel les Mémoires font arrangés
dans le volume , mais en mettant de
1
* Ces mémoires font d'autant plus rares , qu'ils
font l'ouvrage des fçavans qui font à naître , &'
qu'ils ont été faits plufieurs fiecles après le nôtre.
Jufqu'ici l'érudition avoit employé fa fagacité à
débrouiller le cahos des tems paffés , mais elle
étend aujourd'hui fes lumieres jufqu'à percer les
ténébres d'un âge à venir. C'eft donner un être à
la poffibilité , c'eft réaliſer les conjectures , & ( ce
que j'eftime le plus dans ce morceau , c'eft trouver
une maniere auffi nouvelle qu'ingénieufe , de
louer le fiecle préfent , fans bleffer la modeftie de
perfonne. Je crois faire un vrai préſent au public
de l'inférer dans mon journal.
160 MERCURE DE FRANCE.
fuite ceux qui traittent des matieres qui ont
du rapport les unes aux autres. Ainfi , je
rapporterai d'abord ceux qui concernent
l'Architecture antique .
Le premier eft celui du célébre M. Scarcher
, déja connu par tant d'ouvrages remplis
de la plus profonde érudition , il y
traite des reftes d'Architecture de l'ancienne
ville de Paris . Il prouve d'abord d'une
maniere irréſiſtible que le quartier de la
Cour , que nous diftinguons fous le nom
de quartier de Verſailles , étoit autrefois
hors de la ville de Paris , & qu'il y avoit
même une étendue confidérable de terrein
inhabité entre l'une & l'autre , il prétend
qu'alors la ville n'avoit qu'environ une
lieue d'étendue . On eft furpris , fans doute,
de voir que cette ville magnifique ait eû
de fi foibles commencemens . Cependant it
eft difficile de fe refufer à la force des preuves
qu'il a recueillies avec un courage infatigable
dans une quantité prodigieufe
d'anciens livres qu'il lui a fallu parcourir.
Il entreprend de prouver que la ville finiffoit
où l'on voit à préfent cette admirable
ftatue du grand Roi Louis XV . qui fue
furnommé par fes fujets le Bien- aimé
comme on le voit par les infcriptions de
la ftatue qui nous refte auffi bien confervée
que fi elle fortoit de la fonte , & qui
,
JUILLET. 1755. 161
durera moins encore que la mémoire d'un
fi beau titre & la gloire de ce grand Monarque
.
Enfuite il fait voir par un raifonnement
très étendu & plein d'érudition , que le
pont qu'on nomme Royal a pris fon nom
de cette ftatue, contre le fentiment de quelques-
uns qui croyent qu'il fe nommoit
ainfi avant qu'elle fut érigée, Ce qu'il dit
fur ce fujer eft fi evident qu'il ne ſemble
pas qu'on puiffe le contefter d'avantage .
11 paffe enfuite à des recherches trèscurieufes
fur le merveilleux bâtiment du
Louvre , il réfute furabondamment le mémoire
donné dans la même Société l'année
précédente où l'on avoit avancé que ce fuperbe
édifice avoit été achevé & porté à fon
entiere perfection fous le regne de Louis
XIV. fondé fur l'autorité des Hiftoires ,
confervées dans les anciennes bibliothetheques
; il fait voir qu'il a été long-temps
abandonné à caufe des guerres qui ont troublé
la fin du XVIIe fiécle & le commencement
du XVIII , & qui ont affuré à la
France la fupériorité fur fes voifins , la
fplendeur & le repos dont elle jouit depuis
ces deux fiécles également célébres. Il rapporte
à ce fujet un trait d'hiftoire curieux
où l'on voit que celui qui étoit alors à la
tête des Arts , fecondant avec zele & avec
162 MERCURE DE FRANCE.
un goût peu commun , les intentions & l'inclination
du Roy régnant , pour les grandes
chofes , entreprit de reftaurer & d'achever
cet édifice , dont une partie tomboit
en ruine. Il fixe la datte de cet important
événement vers le milieu du XVIIIe fiécle.
Il détruit enfuite entiérement l'objection
la plus impofante que fon antagonifte
avoit alléguée contre la vérité de ce fait
qui étoit le peu de vraisemblance qu'il
trouvoit à croire qu'une perfonne en place
pût avoir abandonné la gloire de conftruire
de nouveaux édifices , & s'être contentée
de celle d'amener à leur fin les ouvrages
commencés par fes prédéceffeurs , qui
méritoient d'être confervés à la postérité.
M. Scarcher fait voir combien cette idée
eft fauffe , & qu'elle n'eft fondée que fur
la reffemblance que nous fuppofons entre
les hommes d'alors , & ceux du temps où
nous vivons. Il eft bien vrai que de nos
jours nous voyons rarement achever les
grandes entreprifes , parce qu'il eft du bon
air de ne point fuivre les maximes ni les
idées de fes prédéceffeurs , mais il n'en
étoit pas ainfi dans ces temps héroïques ;
chacun mettoit fa gloire à contribuer autant
qu'il étoit en lui à celle du Roy
régnant , & lorfque le moyen le plus digne
avoit été trouvé par fon devancier , on le
JUILLET
. 1755. 163
fuivoit fans difficulté . D'ailleurs , on ne
peut pas dire que le Supérieur de ces tempslà
fe foit uniquement borné à fuivre ou à
finir ce que les autres avoient tracé. Il nous
refte plufieurs édifices très confidérables
& d'une grande beauté qui ont été com
mencés & achevés fous ce regne.
On ne peut trop admirer la facilité & la
juftefle avec laquelle notre Sçavant éclaircit
ces temps que leur éloignement
nous
rend fi obfcurs. Si d'une part il nous fait
voir avec certitude
que ce fuperbe bâtiment
a été négligé pendant quelques
années
, en même temps il s'éleve avec la plus
grande force contre ceux qui ont avancé
que pendant long-temps cet édifice a été
environné
d'écuries , de petites maiſons ,
même d'échoppes
. Il fait voir quelle abfurdité
il y a à penfer que dans un fiécle auff
éclairé , on ait fouffert une pareille profanation
, ce qu'il dit là - deffus eft rempli
d'éloquence
.
"J'abrege quantité de réflexions non moins
curieufes qu'il fait fur les beautés du Louvre
& qu'il faut lire dans l'original , pour
paffer à ce qu'il dit fur l'Eglife antique de
fainte Génevieve de la montagne. Il croit que cet admirable édifice a été bâti le
par
même architecte que le fuperbe périftile du
Louvre . La tradition reçue jufqu'à préfent
164 MERCURE DE FRANCE.
étoit que cette égliſe avoit été commencée
vers le milieu du dix - huitiéme fiécle : en
admettant
fes preuves , preuves il faudroit en établir
la datte environ un fiécle plûtôt , ce
qui répugne un peu à la beauté de fa confervation
, cependant les raifons qu'il apporte
ne font point à rejetter. Il s'appuie
fur le fentiment de nos plus habiles architectes
, qui en confidérant la noble fimplicité
du goût de cette architecture , y recon--
noiffent le même ſtile qu'au Louvre , quoique
dans une compofition différente. Ils
prétendent que le goût du dix- huitiéme
fiécle a été inférieur , à en juger par quel
ques reftes de bâtimens dont la datte eſt
certaine & par quelques écrits de ces
temps-là qui font remplis de plaintes contre
le mauvais goût qui régnoit alors , &
où l'on en explique les défauts de maniere
à nous en donner une idée affez diftincte.
Or , on ne voit aucun de ces défauts ni
dans cette églife , ni au Louvre ; au contraire
ces édifices font encore les regles du
vrai beau.
La feconde preuve qu'il tire du nom
de l'architecte , fait voir avec quelle fagacité
il éclaircit les antiquités les plus épineufes.
L'hiftoire nous a confervé le nom
de l'architecte de ce beau periftile du Louvre
qui regarde le Levant , il fe nommoit
JUILLET. 1755. 165
Perrault . M. Scarcher prouve à travers
mille difficultés que c'eft ce même nom qui
eft tracé à fainte Genevieve , & qui eft tellement
effacé , qu'il n'y a qu'un homme
auffi verfé dans les antiquités que M. Scarcher
, qui puiffe nous en donner l'intelligence.
La premiere difficulté qui fe rencontre
eft que le nom de Perrault eft compofé
de huit lettres & qu'on n'en apperçoit
que fept dans les foibles traces qui reftent
fur ce marbre ; mais nous verrons bien- tôt
comment on doit expliquer cela . Les deux
dernieres lettres de ce nom , qui fe voyent
encore affez diftinctement , font OT, & il
y a tout lieu de croire que celle qui les
précede eft une L. M. Scarcher prouve premierement
par un grand nombre d'autorités
refpectables que les anciens François
prononçoient la diphtongue au , de même
que la lettre o , & qu'ainfi ils mettoient indifféremment
l'une pour l'autre. Cette découverte
répond en même temps d'une ma
niere évidente à la premiere difficulté des
fept premieres lettres qui fe trouvent à
fainte Génevieve au lieu de huit
, que
mande fa fuppofition , car il eft clair qu'ici
la lettre o tient lieu de deux . Il refte la difficulté
de L qui fe trouve avant l'O , au
lieu que dans le nom de Perrault , elle fe
trouve après an. 11 y fatisfait du moins
de166
MERCURE DE FRANCE.
d'une maniere probable , en difant qu'il eſt
poffible que la modeftie de l'architecte
l'ayant empêché d'y mettre lui-même ſon
nom , il n'a été mis qu'après la mort , &
que ceux qui l'ont gravé , l'ont ainfi défiguré
, ou par corruption , ou plûtôt parce
que c'étoit en effet la véritable prononciation
de ce temps -là , comme nous voyons
encore dans le nôtre que les Allemands
prononcent Makre quoiqu'ils écrivent Maker
, ainfi on peut avoir prononcé OLT ,
quoiqu'il foit écrit LOT. Nous nous fommes
un peu étendus fur cet article , quoique
nous l'ayons beaucoup abrégé , parce
que c'eft un des plus importans de ce fçavant
mémoire & celui où l'on découvre la
plus rare érudition ; s'il y a quelque choſe
qui paroiffe inadmiffible , c'eft cet excès
de modeftie qu'il ſuppoſe dans un architecte
; mais encore une fois , nous ne devons
pas juger des hommes de ces fiécles
vertueux par ceux du nôtre . Il reste encore
une objection. Plufieurs fçavans ont prétendu
que la premiere lettre de ce nom eſt
une S , & qu'il eft difficile avec les traces
qui en reftent d'en faire un P *. C'eſt là
* Il y en a qui vont plus loin . Ayant de meilfeurs
yeux , ils ont cru entrevoir une ƒavant / , &
fuppléant à la diphtongue qui manque , ils ont
Gonjecturé que le véritable nom de l'architecte
JUILLE T. 1755. 1755 167
qu'il faut voir M. Scarcher employer toutes
les forces de fon éloquence pour y trouver
un P , il faut le lire dans l'original ,
mais il eft vrai qu'il eft bien difficile quand
on l'a lû de ne l'y pas trouver avec lui ,
malgré les difficultés que préfente l'infpection
du marbre.
M. Scarcher traite enfuite des reſtes an
tiques de l'Eglife de faint Pierre & faint
Paul , qu'une tradition fans fondement
nomme faint Sulpice . Il démontre que nous
n'avons pas cet édifice ( dont il ne refte
prefque que le portail ) tel qu'il a été bâti .
Que les arcades qui font au fecond ordre ,
y ont été conftruites depuis par quelque
raifon de folidité occafionnée par les ravages
du temps , & qu'il n'y a nulle apparence
qu'un architecte de ce mérite eut mis ces
maffifs au fecond ordre n'en ayant pas mis
au premier , c'eft-à- dire , le fort fur le
foible. Il prouve encore que les coloffes
monftrueux qui font fur les tours , ont été
pareillement ajoûtés par quelque raifon de
dévotion populaire , qui a voulu que l'on
vit les patrons de cette églife les plus
grands qu'il étoit poffible ; que les tours
ont été terminées en ligne droite par l'architecte
premier auteur de cet édifice , &
étoit Sauflot ou Souflot. J'avoue que je ferois afſen
de ce dernier fentiment.
168 MERCURE DE FRANCE.
que le couronnement que nous y voyons
maintenant eft une augmentation faite
dans un fiecle où le goût avoit dégénéré.
Il ne paroît pas auffi bien fondé , lorfqu'il
foutient que le fronton eft dans le même
cas d'être venu après coup. Il prétend
décider le problême qui embarraffe tous
nos architectes , c'est - à - dire , l'impoffi
bilité qu'il y a que l'églife dont nous jugeons
par quelques arcades demi ruinées
qui fubfiftent encore , puiffe avoir été liée
avec ce portail . En effet , on ne voit aucune
hauteur ni aucune ligne qui y ait du rapport.
Il dit qu'alors l'intérieur de l'églife
étoit à deux ordres l'un fur l'autre ſemblables
à ceux du portail avec un rang de galleries
regnant tout au tour, que cette églife
ayant été détruite ou par quelque accident
ou par la barbarie des fiecles fuivans , on a
édifié à fa place ce bâtiment irrégulier qui
s'y accorde fi peu ; ce qui donne quelque
vraisemblance à fa fuppofition , c'eft qu'indépendamment
de leur peu de rapport avec
le portail ces fragmens qui nous reftent
n'en ont pas même entr'eux . Ce fentiment
n'eft cependant pas fans difficulté , on a
peine à concevoir que dans l'efpace de
temps qui s'est écoulé depuis fa premiere
conftruction , une églife auffi bien bâtie
que celle qui devoit tenir à ce portail , ait
été
JUILLET. 1755. 169
1
été détruite , relevée une feconde fois auffi
folidement que nous le voyons par ces
reftes , & encore ruinée . On ne peut que ›
difficilement ſuppoſer qu'elle ait été abbattue
exprès , d'ailleurs nous ne connoiffons
point de fiecle de barbarie depuis ces temps
mémorables. Les arts ont toujours été floriffans
, & n'ont fait que fe perfectionner
jufqu'au point d'élévation où nous les
voyons maintenant. M. Scarcher permettra
que nous ne nous rendions pas encore
fur cet article , & que nous attendions des
le
preuves
plus fortes que temps & fon
profond
fçavoir lui feront découvrir
.
Notre favant auteur paffe enfuite à un
refte de bâtiment ancien qu'on croit avoir
été une églife fous l'invocation de faint
Roch. Ce qu'on trouve de plus fatisfaiſant
dans les réflexions de M. Scarcher fur cette
églife , ce font les raifons dont il s'appuye
pour détruire le fentiment de ceux qui foutiennent
que le double focle qui porte les
arcades de la nef a été apparent dans fa
premiere conftruction . Il fait voir que le
focle d'enbas étoit la fondation qui fe trouvoit
enfevelie dans l'intérieur du terrein
qu'il n'eft vifible que parce qu'on a baiſſé
le terrein intérieur de l'églife , & combien
il eft ridicule de penfer que jamais aucun
architecte fe foit avifé de mettre deux fo-
H
170 MERCURE DE FRANCE.
cles l'un fur l'autre , & fi élévés que les
bazes des colonnes font de beaucoup audeffus
de la vûe. Il établit une feconde
preuve fur ce qu'on trouve par d'anciennes
eftampes qu'on croit gravées dans ces mêmes
tems , qu'il y a eu 15 ou 16 marches
pour monter à cette églife , au lieu qu'à
préfent il ne s'en trouve que cinq. Selon
fon idée , on a détruit les marches qui
montoient jufqu'au niveau du premier
focle. Ce fentiment n'eft probable que dans
la fuppofition que les marches que l'on y
voit maintenant ne font point du tout les
anciennes , car il auroit fallu pour monter
jufqu'à la hauteur des bazes du portail
qu'elles n'euffent laiffé aucun pallier ; ce
qui , quoique poffible , laiffe quelque doute
, d'autant plus qu'en calculant la hauteur
& l'enfoncement que produifent un
nombre de marches femblables à celles qui
reftent , on n'y trouve pas un rapport jufte
avec le nombre des marches indiquées dans
l'eftampe , il eft vrai qu'il ajoute une raifon
plaufible pour remédier au défaut de
jufteffe du calcul de ces marches , il fait
remarquer que naturellement le terrein
des villes fe hauffe par un abus auquel on
ne fonge point à tenir la main , parce que
l'on apporte toujours & qu'on ne remporte
jamais. Tout ceci porta un caractere de
JUILLET. £ 755. 171
vraisemblance auquel on a peine à fe
refufer.
€
Ilentreprend de prouver que cette égliſe
précede au moins d'un fiecle le bâtiment
du Louvre , c'est- à- dire , avant que la bonne
architecture fut bien connue . Premierement
, par le défaut infupportable des bazës
& des chapiteaux des colomnes qui ſe pénetrent
avec les pilaftres , défaut ridicule
qu'on n'eut jamais fouffert dans un fiecle
plus éclairé. Secondement , par les fauffes
courbes qui font l'enfoncement des efpeces
de niches où font les petites portes de
l'églife . Il prétend que ces courbes font
les effais par où l'on a commencé avant
que de trouver les formes régulieres . Cette
feconde preuve n'eft pas de la force de la
premiere , car on trouve plufieurs édifices
dont la datte eft certaine , & qui font conftruits
plus d'un fiecle & demi après , où
l'on voit ces mêmes courbes employées &
de plus mauvaifes encore , d'ailleurs plufieurs
fçavans prétendent que le propre de
l'efprit humain , eft de trouver d'abord
tout naturellement le fimple qui eft le vrai
beau ; & que le goût ne fe corrompt qu'à
force de vouloir aller au- delà.
Au refte , il eft fi difficile de pénétrer
dans ces tems anciens , que les conjectures
vraisemblables doivent être regardées
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
comme des démonftrations. Ce mémoire.
renferme quantité de recherches intéref
fantes aufquelles je renvoye le lecteur
être
pour ne pas trop long.
Nouveau projet de décoration pour les
L
Théatres.
' économie d'accord avec le bon goût
& la raison , a porté M *** à conftruire
un théatre dans fon château , où il
a fupprimé les couliffes & les bandes
du haut de la ſcene , qui repréfentent tantôt
le ciel , d'autres fois le plafond d'un
appartement , des berceaux d'allées , ou la
voûte d'une caverne . Toute la ſcene confifte
en un très- beau fallon , figuré par des
peintures plates , tant en haut qu'en bas ;
& quand cela a été fait , on a trouvé que
cela étoit bon .
Au fond du théatre il y a deux piliers
de chaque côté ; ils font fort éclairés par
derriere , & font voir un tableau qui
change felon les pieces que l'on repréſente.
Tantôt c'est une place publique que
l'on voit , tantôt un palais , une forêt , la
mer , ou des jardins,
Ainfi l'endroit de la fcene eft dormant ;
il eft compofé d'un plafond , & de deux
côtés richement ornés d'architecture , méJUILLE
T. 1755 .
173
nuiferie fculptée , ftatues & glaces , des
chandeliers à plufieurs branches , torcheres
& bras qui éclairent fort la fcene . On
y a ménagé deux portes de chaque côté
pour l'entrée & la fortie des Acteurs , ce
qui fait le même effet que les couliffes .
Aux quatre coins de la fcene font quatre
gros piliers , deux fur le devant furmontés
d'un fronton d'où defcend la toile ,
& les deux du fond avec pareil fronton ,
Ou
corniche pour encadrer la ferme ,
comme j'ai dit. Une de ces fermes ou décorations
, peut être affortie avec la ſcene,
& ne former qu'un bel appartement.
Il m'a paru que cette maniere de décorer
un théatre avoit de grands avantages
fur celle des couliffes changeantes & des
bandes d'en- haut qui les accompagnent
.
Toute illufion de l'art doit être rendue la
plus vraisemblable qu'il eft poffible ; celle
des couliffes approche trop près de l'oeil
du fpectateur , pour ne pas paroître pauvre
& groffiere. La perfpective , la dégradation
de lumiere , & les proportions des
perfonnages avec le lieu de la fcene ne
peuvent jamais s'y rencontrer . L'on apperçoit
par les couliffes le jeu des machines
& le travail des Machiniftes : l'on y
voit tous les coopérateurs étrangers au
fpectacle , & on y place même des fpecta-
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
teurs , dont la préfence & les mouvemens
choquent toujours la vérité des repréſentations.
Remarquons à ce fujet deux chofes intéreffantes
; l'une , combien les loges , balcons
, ou amphithéatre placés fur le théatre
, jettent de confufion dans les repréfentations
de l'Opéra ou de la Comédie ,
& combien les fpectateurs mêlés avec les
Acteurs y font nuifibles & indécens ; l'autre
obfervation eft que par ce même ufage
auquel on a accoutumé le public , on a
déja adopté mon fyftême , en deftinant
pour la fcene un lieu différent de celui
des décorations . Au théatre de Fontainebleau
, par exemple , la ſcene ſe paffe entre
deux rangs de loges , & la décoration
ne change qu'au fond du théatre ; mais
il feroit bien mieux d'adopter entierement
, ou de rejetter tout - à - fait ce fyftême.
Il confifte à deftiner un lieu exprès &
exclufivement pour la fcene , à l'imitation
des anciens. Ce lieu ne peut être mieux
entendu qu'en un très- beau fallon , & tout
un côté en feroit ouvert pour laiffer voir
celui que defire le fujet de la piece , on le
fuppoferoit joint aux lieux divers où fe
paffe l'action . Illufion pour illufion , le
fpectateur le prêtera facilement à la moinJUILLET.
1755. 175
dre des deux . Tout eft orné dans les repréfentations
dramatiques ; on y parle en
vers ou en chants ; les perfonnages les plus
fatigués fortans d'un naufrage , y font parés
& bien mis , les payfans y font galamment
vêtus. Ne peut- on pas fuppofer de
même qu'ils s'avancent vers le public , &
dans un lieu qui eft au public pour parler
de leurs intérêts , lorfqu'on voit par le
fond du théatre qu'ils en traitent dans
une chambre , dans une place , ou dans
une campagne ? L'on fuppofera que ce fallon
eft bâti fur le bord d'une forêt ou
d'une rue par cette illufion on ennoblit
la repréſentation , & par celle des couliffes
& de tout ce qui s'y paffe , on l'avilit.
Le jeu des machines , comme vols ,
chars , gloires , doit fe paffer au fond du
théatre & hors du lieu de la fcene , pour
en mieux cacher les défauts .
La raifon d'économie feroit miférable
fi le fpectacle ne s'en trouvoit pas mieux ;
en récompenfe fi l'on veut calculer les
frais , on pourra augmenter de dépenfe &
de magnificence fur d'autres chofes . La
ſcene en fera mieux éclairée par des flambeaux
apparens que par ceux qui font à
moitié cachés derriere les couliffes ; l'on
pourra renouveller plus fouvent les décorations
& le fallon de la fcene ; l'on pro-
Hiv
•
176 MERCURE DE FRANCE.
fitera des progrès de l'architecture moderne
& du deffein d'ornement.
La falle ( ou lieu des loges & des fpectateurs
) ne doit jamais avoir rien de commun
avec la fcene qui fe cache derriere
un rideau jufqu'au commencement de la
repréſentation : ce font , pour ainfi dire ,
deux pays différens ; l'on ne devroit orner
la falle qu'avec la plus grande fimplicité
pour contrafter & faire briller davantage
la magnificence & l'éclat du fpectacle
quand la toile fe leve .
On ne doit rien épargner pour la beauté
de la ferme du ond du théatre. Dans
le plan que je propofe , ce devroit être
autant de tableaux exquis peints par les
meilleurs Maîtres , & toujours d'un coloris
frais ; ils ne doivent jamais être difpofés
en deux parties , ce qui y forme au
milieu une raye noire & defagréable ; ces
tableaux feroient plus ou moins reculés &
diftans des deux colonnes de la fcene , felon
les lieux qu'ils repréfenteroient & les
machines qui devroient paroître dans cette
diſtance. On y verroit donc quelquefois
le théatre très- profond avec des morceaux
avancés , comme portiques , tours , arbres ,
rochers , &c. mais jamais de couliffes .
L'on pourroit effayer ce projet au théatre
de l'Opéra qui y eſt tout difpofé , l'on
JUILLE T. 1755 177
formeroit un fallon des fix premieres couliffes
de chaque côté , & le goût du public
décideroit .
HORLOGERIE.
Lettre du fieur Caron fils , Horloger du Roi ,
à l'Auteur du Mercure.
M
ONSIEUR , je fuis un jeune artifte
qui n'ai l'honneur d'être connu du
public que par l'invention d'un nouvel
échappement à repos pour les montres, que
l'Académie a honoré de fon approbation
& dont les Journaux ont fait mention l'année
paffée . Ce fuccès me fixe à l'état d'horloger
, & je borne toute mon ambition à
acquerir la ſcience de mon art ; je n'ai jamais
porté un oeil d'envie fur les productions
de mes confreres :( cette lettre le
prouve ) mais j'ai le malheur de fouffrir
fort impatiemment qu'on veuille m'enlepeu
de terrein que l'étude & le travail
m'ont fait défricher ; c'eſt cette chaleur
de fang dont je crains bien que l'âge
ne me corrige pas , qui m'a fait défendre
avec tant d'ardeur les juftes prétentions
que j'avois fur l'invention de mon échappement
, lorfqu'elle me fut conteftée il y
ver le
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
a environ dix- huit mois. L'Académie des
Sciences , non feulement me déclara auteur
de cet échappement , mais elle jugea
qu'il étoit dans fon état actuel le plus parfait
qu'on eut encore adapté aux montres ;
cependant elle fçavoit , & je voyois bien
qu'il étoit fufceptible de quelques perfections
, mais la néceffité de conftater
promptement mon titre , à laquelle mon
adverfaire me força en publiant fes fauffes
prétentions , m'empêcha de les y ajouter.
Alors devenu poffeffeur tranquille de mon
échappement , j'ai donné tous mes foins
à le rendre encore fupérieur à lui-même ,
& c'est l'état où il eft maintenant ; mais
en même-tems trop bon citoyen pour en
faire un myftere , je l'ai rendu public autant
qu'il m'a été poffible. Les divers écrits
que cet échappement a occafionné & le
jugement que l'Académie en a porté , attirant
fur fui l'attention des Horlogers , il
devint l'objet des réflexions & des recherches
de quelques- uns des plus habiles d'entr'eux
: deforte que pendant que j'y ajoutois
les petites perfections qui lui manquoient
, M. de Romilly s'apperçut qu'effectivement
il en étoit fufceptible ; il y travailla
de fon côté , & préſenta à l'Académie
en Décembre 1754 le changement
qu'il y avoit fait ; le foir même de fa préJUILLET.
1755. 179
fentation M. Le Roy m'en ayant apporté la
nouvelle , je demandai fur le champ à
l'Académie , qu'en faveur de ma qualité
d'Auteur , elle voulut bien examiner avant
tout l'état de perfection auquel j'avois moimême
porté mon échappement. Cette perfection
étoit des repos plus près du centre
& des arcs de vibrations plus étendus ,
elle y confentit , & l'examen qu'elle fit
des piéces que nous préfentâmes , l'un &
l'autre lui montra que M. Romilly avoit
atteint le même but que moi en travaillant
fur le même fujer : ainfi l'Académie
toujours équitable dans les jugemens , ne
voulant pas accorder plus d'avantage fur
cette perfection à ma qualité d'Auteur de
l'échappement qu'à l'antériorité de préfentation
de M. de Romilly , qui n'eft
effectivement que d'un feul jour , a dévré
à chacun de nous le certificat fuivant
, que je publie d'autant plus volontiers
que M. de Romilly qui a jugé mon
échappement digne de fes recherches , eft
un très galant homme , & que j'eftime véritablement
d'ailleurs je ferois fâché que
cette petite concurrence entre lui & moi
pût être envisagée comme une difpute femblable
à la premiere ; l'émulation qui ani
me les honnêtes gens mérite un nom plus
honorable . J'ai l'honneur d'être , & c .
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Extrait des Regiftres de l'Académie royale
des Sciences , du 11 Juin 1755.
MM. de Mairan, de Montigni & Le Roi,
qui avoient été nommés pour examiner une
montre à fecondes , à laquelle eſt adapté
l'échappement du fieur Caron fils , perfectionné
par le fieur Romilly , Horloger ,
citoyen de Genêve , & par lui préſentée
à l'Académie , avec un mémoire fur les
échappemens en général , en ayant fait
leur rapport , l'Académie a jugé que le
changement fait à cet échappement , &
qui permet d'en rendre le cylindre auſſi
petit qu'on le juge à propos , de rapprocher
les points de repos du centre , & de
donner aux arcs du balancier plus de trois
cens dégrés d'étendue , étoit ingénieux &
utile , mais en même- tems elle ne peut douter
que le fieur Caron n'ait de fon côté
porté fon échappement au même dégré de
perfection ; puifque le jour même que M.
Le Roi, l'un des Commiffaires , lui en donna
connoiffance en Décembre 1754 , cet
Horloger lui fit voir un modele de fon
échappement qu'il avoit perfectionné , auquel
il travailloit alors, & dont la roue d'échappement
avoit les dents fouillées par
derriere , & étoit exactement femblable
à la conftruction du fieur Romilly , dont
JUILLET. 1755. 181
C
il n'avoit cependant point eu de communication
; d'ailleurs dans la boîte de preuve
que le fieur Caron dépofa en Septembre
1753 au Secrétariat de l'Académie , &
qui eft jufques à préfent reftée entre les
mains de MM. les Commiflaires , il y a
plufieurs petits cylindres dont les repos
font très -près du centre , mais qu'il n'eut
pas alors le tems de perfectionner.
Ainfi le mérite d'avoir amené cette in--
vention au point de perfection dont elle
étoit ſuſceptible , appartient également au
fieur Romilly & au fieur Caron fon auteur
; mais le fieur Romilly en a préſenté
la premiere exécution : en foi de quoi j'ai
figné le préfent certificat. A Paris , ce 14
Juin 1715.
Grandjean de Fouchy , Secrétaire
perpétuel de l'Académie royale
des Sciences.
Je profite de cette occafion pour répondre
à quelques objections qu'on a faites fur
mon échappement dans divers écrits rendus
publics. En fe fervant de cet échappement
, a - t-on dit , on ne peut pas faire des
montres plates , ni même de petites montres.
Ce qui fuppofé vrai , rendroit le meilleur
échappement connu très - incommode , des
182 MERCURE DE FRANCE.
faits feront toute ma réponſe. Plufieurs
expériences m'ayaut démontré que man
échappement corrigeoit par fa nature les
inégalités du grand reffort fans aucun befoin
d'un autre régulateur , j'ai fupprimé
de mes montres toutes les piéces qui exigeoient
de la hauteur au mouvement ,
comme la fufée , la chaîne , la potence. ,
toute roue à couronne , fur- tout celles dont
l'axe eft parallele aux platines dans les
montres ordinaires , & toutes les piéces
que ces principales entraînoient à leur fuite.
Par ce moyen je fais des montres auffi
plates qu'on le juge à propos , & plus plates
qu'on en ait encore faites , fans que
cette commodité diminue en rien de leur.
bonté. La premiere de ces montres fimplifiées
eft entre les mains du Roi. Sa Majefté
la porte depuis un an , & en eft trèscontente.
Si des faits répondent à la premiere
objection , des faits répondent également
à la feconde . J'ai eu l'honneur de
préfenter à Mme de Pompadour ces jours
paffés une montre dans une bague, de cette
nouvelle conftruction fimplifiée , la plus
petite qui ait encore été faite ; elle n'a que
quatre lignes & demie de diametre , &
une ligne moins un tiers de hauteur entre
les platines . Pour rendre cette bague plus
commode , j'ai imaginé en place de clef
JUILLET. 1755. 183
un cercle autour du cadran , portant un
petit crochet faillant ; en tirant ce crochet
avec l'ongle , environ les deux tiers.
du tour du cadran , la bague eft remontée ,
& elle va trente heures. Avant que de la
porter à Mme de Pompadour , j'ai vû cette
bague fuivre exactement pendant cinq
jours ma pendule à fecondes , ainfi en
fe fervant de mon échappement & de ma
conftruction on peut donc faire d'excellentes
montres auffi plates & auffi petites
qu'on le jugera à propos.
J'ai l'honneur d'être , & c.
CARON fils , Horloger du Roi.
Rue S. Denis , près celle de la Chanvererie.
A Paris , le 16 Juin 1755 .
Remarques de M. de Lalande de l'Académie
royale des Sciences fur un ouvrage d'Horlogerie.
Onfieur J .... ci -devant Horloger à
M Saint-Germain-en- Laye vient de publier
ces jours paffés une addition à * fon
Traité des échappemens, dans laquelle il con-
* Ce traité , ainfi que l'addition , fe trouve chez
Jombert , fue Dauphine.
184 MERCURE DE FRANCE.
tinue des confidérations fur le nouvel
échappement de M. Lepaute qu'il avoit
commencées en 1754. dans le fecond volume
du mercure de Juin . Depuis un an il
a eu le tems d'accroître fes prétentions ,
aufli ne fe contente- t- il plus comme auparavant
de reprocher à cet échappement en
montres des défauts qu'il n'a pas , il ofe
aujourd'hui s'en attribuer à lui- même les
perfections , & comme le feul juge du mérite
d'une nouvelle invention , il entreprend
de montrer les erreurs où il prétend que
l'Académie est tombée.
Cependant M. J. ne fait que répéter ce
qu'il avoit déja dit fur les chûtes des chevilles
& fur l'inégalité des rayons de la
roue , j'ai fait voir dans une lettre inférée
au mercure du mois d'Août 17 54 , qu'il étoit
abfolument faux que cet échappement ,
bien exécuté , eut aucune chûte , ou que
les rayons de la roue fuffent inégaux , la
difficulté ne peut donc venir que de ce que
M. J. n'a point encore conçu la véritable
difpofition de cet échappement.
Il faut mettre au même rang ce que dit
M. J. de l'impulfion de la roue fur les
plans au moment ou chaque cheville quitte
les arcs de repos ; rien n'empêche qu'on ne
donne à ces plans , tout comme aux courbes
de l'échappement à cylindre , une
JUILLET. 17557
courbure fuffifante pour imprimer peu de
force au balancier dans le commencement
de la pulfion . Cette courbure n'augmentera
point l'arc conftant ou la levée de l'échappement
au -delà de trente ou quarante
degrés , qui eft celle de toutes les bonnes
montres .
Il y a beaucoup de vaine gloire de la
part de M. J. à prétendre que les perfections
que j'ai fait valoir dans cet échappement
, étoient le fruit de ſes converſations ; la
prétention à cet égard eft auffi fauffe qu'injurieufe
; cet échappement fortit en 1753
des mains de M. Lepaute dans le même
état de perfection où il eft actuellement .
fi l'on eut eu befoin de fecours , les auroiton
demandé à M. J. qui non - feulement
n'entendoit point alors l'échappement , mais
qui prouve encore aujourd'hui par des objections
triviales que faute de s'y être exercé
lui- même , il ne l'a point entendu . M. J.
dit encore page 239 , qu'il a connoiffance
de la variété des montres où cet échappement
eft appliqué ; c'eſt un fait fuppofé
dont le public d'ailleurs pourra juger fans
lui , & le jugement du public a été juſqu'à
préfent fort contraire à cette allégation ,
puifque le grand nombre de montres où il
a été appliqué , vont avec toute la précifion
poffible
.
186 MERCURE DE FRANCE.
Pour ce qui eft de la diffipation de l'huile
, l'expérience a prouvé qu'en en mettant
fur le cylindre ( qui eft un peu arrondi de
bas en haut , & qui ne touche point à la
roue ) elle s'y étendoit & s'y confervoit
fort long-temps. L'huile fait même ici
beaucoup mieux fon effet que dans l'échappement
à cylindre , où l'on voit très-fouvent
une rainure profonde faite dans le
cylindre par les pointes des dents , ce qui
ruine en peu de temps toute l'exactitude
d'une montre. Au refte , M. J. fait un rai- `
fonnement ( page 220 ) fur l'attraction ou
fur la direction des huiles qui tendroit à
prouver que l'huile ne fe conferve jamais
dans une même place , ce qui eft
contraire à l'expérience ; il ne fuffit pas de
connoître la regle , il faut fçavoir en ménàger
l'application.
Le prix des montres faites avec le nouvel
échappement , n'ôte rien , ce me femble
, à leur bonté ; il eft bien fûr qu'elles
coûtent moins que les montres à cylindre
ne coûtoient dans les premiers tems qu'elles
parurent ; elles ne coûtent pas aujourd'hui
plus que les montres à cylindre les
plus parfaites ; au refte, cela ne dépend que
du nombre plus ou moins grand des artiftes
qui y travaillent. Lorfque Charles V. fut
obligé d'appeller du fond de l'Allemagne
JUILLE T. 1755. 187
Henri de Vic , pour faire à Paris une horloge
, elle coûta fans doute plus que celles
qui fe font aujourd'hui beaucoup mieux
par les ouvriers de tourne- broches.
J'ai répondu dans la lettre que je viens
de citer , à toutes les autres difficultés que
M. J. avoit faites ; mais je ne fçai pourquoi
ce que j'ai dit des montres plattes lui paroît
fi éloigné des regles de la pratique ; quelque
foit fon avis là- deffus , on ne peut
s'empêcher de reconnoître avec tout le
monde dans les montres abfolument plates,
un reffort trop foible , une réſiſtance trop
grande de la part des frottemens ; des roues
trop nombrées par rapport à leurs pignons ,
qui par conféquent doivent produire
moins d'uniformité dans le rouage , le défaut
des jours , la trop grande proximité
des pieces , qui caufe toujours au bout de
peu de temps des frottemens du barillet
contre la petite platine & fur la grande
roue moyenne , de la roue de longue tige
avec la platine des pilliers , une grande
variation dans l'engrénage de la roue de
champ , tout cela eft de théorie autant que
de pratique.
Ce que M. J. appelle théorie , n'eſt
qu'un bon fens éclairé qu'il auroit grand
tort de rejetter , ce n'eft pas en exécutant
d'une maniere fupérieure qu'on perfection188
MERCURE DE FRANCE.
nera l'horlogerie , c'eft par la réflexion , le
raifonnement , l'examen , le calcul , la
combinaiſon des forces , des frottemens ;
quant à la difficulté d'exécution , c'eſt une
choſe affez arbitraire , qui dépend preſque
uniquement de l'habitude que plufieurs
perfonnes ont contractée , on fçait que ce
qui étoit d'abord très- difficile , peut devenir
fort aifé & fort commun .
Après cela , j'imagine que l'on trouvera
un peu de petiteffe & de ridicule dans le
confeil que me donne M. J. page 230 de
refter dans les bornes de la théorie jusqu'à
nouvel ordre , & de ne point raifonner fut
les chofes de pratique ; faut- il avoir limé
pendant trente ans pour connoître la force
d'un reffort , le mauvais effet d'un frottement
, pour diftinguer un grand arc d'un
plus petit , & une forme rectiligne d'une
forme circulaire . Pour voir fi les aîles d'un
pignon font égales , faut-il en avoir travaillé
deux ou trois mille ; la jufteffe de
l'oeil , l'ufage du compas ou des verres eſtil
réfervé exclufivement aux horlogers ; je
demande enfin en quoi confiftent les principes
particuliers de l'art ( page 228 ) que
M. J. prétend me faire regarder comme
un miſtère impénétrable pour moi , & fans
lequel je ne fçaurois juger du mécanisme
d'un échappement ; s'il ne me fuffit pas
JUILLET.
1755 189
d'en avoir vû faire , d'en avoir examiné
d'en avoir fait , d'en avoir éprouvé plufieurs
, pour en connoître les propriétés &
les défauts ; j'attendrai avec plaifir qu'on
m'inftruife de ce j'ignore à cet égard .
J'avouerai cependant que les avantages
de cette grande pratique qui forme l'entoufiafme
de M. J. me paroiffent bien méprifables
dans la circonftance préfente , en
voyant malgré fa fupériorité dans ce genre,
les contradictions où il tombe toutes les
fois qu'il s'agit de raifonner ou d'approfondir.
Il nous rappelle , par exemple , ( page
222 ) que dans fes premieres confidérations
, il avoit démontré les vices de la manivelle
qu'on employe dans le nouvel
échappement ; il infifte encore fur la divifion
qu'elle apporte dans la grandeur des arcs,
Lefpace qu'elle occupe inutilement , le poids
dont elle charge les pivots , la prife qu'elle
donne à l'air , les défauts de conftruction , les
difficultés d'exécution , qui ne croiroit après
cela M. J. bien affermi dans fon préjugé
contre cette manivelle ; on fe tromperoit
cependant beaucoup , puifqu'à la page fuivante
223 , ligne 3 , il dit que l'obftacle de
la manivelle eft plus dans l'imagination que
dans la réalité furtout relativement à la prife
qu'elle peut donner à l'air.
190 MERCURE DE FRANCE.
Mais pour faire voir encore mieux combien
la grande pratique de M. J. eft aveugle
, ſtérile , incertaine & peu propre à le
faire juger fainement d'une nouvelle invention
d'horlogerie , je vais montrer en
comparant deux paffages de fon livre, qu'il
ne connoît pas même en véritable artiſte ,
l'échappement à cylindre auquel il travaille
depuis quinze ans.
M. J. nous dit page 103 de fon Traité
des échappemens , qu'il a enfin déterminé la
nature des courbes qui doivent être placées
à la circonférence de la roue , en leur donnant
cette propriété , qu'étant divisées en
parties égales , ces parties operent chacune des
quantités de levée égales , il employe pluheurs
pages pour apprendre à former cette
courbe , & il lui donne de grands éloges ;
on s'imagine d'abord que ces recherches
font le fruit d'une expérience confommée ,
& que fans aller plus loin , elles peuvent
fervir de regle à tout le monde. On doit
être fort étonné en lifant un autre chapitre
de trouver ( page 116 ) en parlant de la
même courbe , que s'étant attaché à cette
courbe , il n'en avoit pas été plus fatisfait
que d'une autre qui après une très- profonde
fpéculation , lui avoit fait faire les plus.
mauvais échappemens ; il ajoûte qu'il n'eſt
d'aucune importance que chacune des parJUILLET.
1755. 191
ties de la courbe faffe décrire des arcs
égaux , & il démontre enfin qu'on doit rejetter
cette courbe. M. J. étoit- il moins éclairé,
lorfqu'il fit fa démonſtration de la page
103 , qu'en faifant celle de la page 116 ,
ou a-t-il mis vingt ans d'intervalle entre
ces deux chapitres ?
Il est donc clair que pour bien faire
une piece d'horlogerie , il n'eft pas toujours
néceffaire de fçavoir ce que l'on fait , ni
pourquoi l'on opere ; le coup de main qui
eft la feule qualité effentielle dans la pratique
n'apprend point à juger des effets que
doit avoir une machine , avant que de les
avoir éprouvé dans toutes les fituations &
dans toutes les circonstances.
Ainfi M. J. réduit lui -même à rien tout
ce qu'il a écrit là- deffus , & montre que
ce n'est qu'au hazard qu'il nous a fatigué
jufqu'à préfent de fes réflexions fur ces
matieres : l'intérêt fut d'abord fon principal
motif , il fe perfuada que venant demeurer
à Paris , & étant obligé de s'y faire
connoître , il falloit s'annoncer par un livre,
il prit pour fon fujet l'échappement à cylindre
, il apprit aux horlogers la maniere
dont il s'y prenoit pour le bien exécuter ;
il falloit s'en tenir-là ; l'adreffe & le talent
d'une heureuſe exécution , ne pouvoient
ſe tranſmettre au public ; mais en voulant
192 MERCURE DE FRANCE.
approfondir il s'égara ; il a cru depuis être
obligé de défendre l'échappement qu'il
avoit adopté contre un nouvel échappement
qui lui eft fupérieur , & qui alloit
faire abandonner l'ufage du premier ; mais
fes idées fe font confondues en voulant
foutenir un jugement qu'il avoit d'abord
hafardé. Il l'a fait fans équité , fans connoiffances
, fans égards , & il a préfervé le
public par fes contradictions des erreurs
qu'il avoit entrepris de répandre.
A Paris , le 22 Juin 1755 .
ARTICLE
JUILLET. 1755 193
ARTICLE V.
SPECTACLES.
COMEDIE FRANÇOISE.
L
E7 Juin les Comédiens François
donnerent Britannicus. Le fieur Rofimont
, qui avoit déja débuté l'année paſfée
, y joua le rôle de Burrhus. Le 14 , il
repréſenta Agamemnon dans Iphigenie , &
le 19 Dom Diegue , dans le Cid. Il a un
pathétique qui peut toucher en province ,
mais qui n'a pas eu le même bonheur à
Paris .
la
Le 23 un nouveau Roi parut fur la
fcène c'eft le fieur Dumenil qui étoit de
troupe de Compiegne. Il a débuté pour
la premiere & derniere fois par le rôle de
Palamede dans Electre . Pour me renfermer
dans le bien qu'on en peut dire , il a une
très belle voix.
On annonce encore pour Samedi prochain
28 , un troisieme Acteur qui doit
jouer Mitridate. Je fouhaite pour le bien
du théâtre françois que fon regne foit plus
long.
I
#
194 MERCURE DE FRANCE.
Le Jeudi 26 on donna la premiere repréfentation
de Zelide , Comédie en un
acte , en vers avec un divertiffement. Elle
fut précédée de Manlius , Tragédie de
la Foffe. M. Renout eft l'auteur de cette
petite Féérie qui a été très- bien reçue du
public , & qui annonce du talent.
COMEDIE ITALIENNE.
Es Comédiens Italiens continuent le
Maître de Musique. Ils l'ont joué le
21 Juin pour la dixieme fois. Il étoit précédé
de la Fête d'Amour, & fuivi du Mai ,
ce qui formoit un fpectacle auffi varié
qu'amufant. Plus on voit ce drame , plus
on en trouve les détails agréables.
Le 28 on en donna la treizieme repréfentation.
Nous promettons l'extrait pour
le Mercure d'Août.
Le 19 un nouveau docteur parut dans
les Anneaux magiques , Comédie italienne ,
& fut généralement applaudi. Une nou
velle Actrice italienne joua , dans la même
piece un rôle d'amoureuſe . Le public la
reçut avec bonté. Les débuts gagnent tous
les théâtres. Nous en parlerons . plus au
long le mois prochain , fuppofé qu'ils durent
.
JUILLET. 1755 195
ARTICLE SIXIEME.
NOUVELLES ÉTRANGERES.
DU NOR D.
DE WARSOVIE , le 31 Mai.
HALY AGA, Ambaffadeur du Grand Seigneur ,
nople , & l'on attend inceffamment ce Miniftre .
On a effuyé à Polen un affreux orage , accompa-.
gné de grêle , dont les grains étoient d'une groffeur
extraordinaire. Le feu du ciel eft tombé fur
le village de Stipulke en Lithuanie , & a brûlé .
douze maiſons & quatorze granges.
On mande de Conftantinople que le nouveau
Grand Vifir vient d'obtenir pour fon fils la charge
d'Imbrahor , ou de Grand Ecuyer de Sa Hauteffe.
Les mêmes lettres ajoutent que vraisemblable .
ment le KiflarAga , ou Chef des Eunuques Noirs ,
ne demeurera pas long- tems en place , & qu'il
aura pour fucceffeur le Hafnadar Aga , ou Tréforier
de la caſſette du Sultan.
DE FRAUSTADT , le 26 Mai.
Ce matin l'Ambaffadeur de Sa Hauteſſe a eu
fon audience de congé du Roi ; il avoit eu fa
premiere audience le 22. Sa Majefté a repris cet
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
après-midi le chemin de Drefde. Pendant ſon fé
jour ici , elle a conféré le Palatinat de Volhinie
au Comte Potocki , & le Palatinat de Novogorod
au Prince Jablonowski . Le Comte Malachowski ,
Starofte d'Ofwieczim , a été pourvû de la charge
de Grand Ecuyer Tranchant de la Couronne , &
la place de Stolnitz de Lithuanie a été donnée au
fecond fils du Comte de Poniatowski , Caftellan
de Cracovie. Sa Majefté a fait choix du Comte de
Mnifzeck , Grand Chambellan de Lithuanie , pour
aller complimenter le Grand Seigneur fur ſon avénement
au Trône.
DE STOCKHOLM le › 30 Mai.
On a détaché douze cens hommes des Régimens
d'Uplande & de Sudermanie , pour travailler
aux fortifications en Finlande. Ils font partis depuis
quelques jours à bord de cinq galeres qui doivent
les tranfporter à Helfingford.
-
Les Auteurs des deux ouvrages que l'Académie
royale des Belles lettres couronna l'année derniere
, ont enfin ceffé de cacher leurs noms. Le
fieur Toncld , Auditeur de la Cour , a compofé la
differtation à laquelle le prix d'hiftoire a été adjugé.
La piece qui a remporté le prix de poëfie
eft du fieur Ancherfen , Profeffeur d'Eloquence
& Bibliothécaire de l'Univerfité à Coppenhague.
Par des Lettres circulaires que le Roi vient de
faire expédier , la Diete générale du Royaume eft
convoquée pour le 13 du mois d'Octobre prochain.
Le renouvellement des traités entre la Suede
& la Porte fera l'un des principaux objets des
délibérations de cette affemblée. Le fieur Celfing,
frere du Miniftre qui réfide de la part de cette
Cour à Conftantinople , est chargé de porter la
JUILLET . 1755. 197
réponſe du Roi à la Lettre que le Sultan a écrite à
Sa Majesté.
DE COPPENHAGUE, le 1 Juin..
La femaine derniere le Roi fit près d'Elfeneur
la revûe de fon Régiment d'Infanterie . Sa Majeſté
arriva ici le 24. Hier elle fe rendit avec le
Prince Royal au camp qu'elle a ordonné de former
près de cette ville ; & elle vit les troupes qui
s'y font raffemblées , faire diverſes manoeuvres
militaires.
Il a été réfolu dans une affemblée générale que
les actionnaires de la Compagnie Afiatique ont
tenue depuis peu d'augmenter de trois cens mille
écus de Banque le fond de cette Compagnie.
Un détachement de deux cens hommes doit
s'embarquer à bord des deux vaiffeaux qu'on arme
Four protéger la navigation des Danois dans la
Méditerranée. Le Roi eft retourné à Friedens
bourg .
ALLEMAGN E.
DE VIENNE , le 31 Mai.
Hadgi Ali Effendi , Envoyé extraordinaire du
Grand Seigneur , rendit le 22 vifite aux fieurs
de Gundel & de Binder , Référendaires de la Cour,
Il alla le même jour à la Comédie Françoife. On
ne fçait pas encore quand il aura fes audiences
de congé. Ce Miniftre montre beaucoup d'empreffement
à voir tout ce qui peut être dignè
de curiofité dans cette capitale & dans les envi.
rons. Le Baron de Penckler eſt attendu inceffamment
de retour de Conftantinople. Le Comte de
I iij
198 MERCURE DEFRANCE.
Colloredo , qui réfide en qualité d'Envoyé extraordinaire
de leurs Majeftés Impériales auprès
du Roi de la Grande- Bretagne , eft venu ici pour
recevoir de nouvelles inftructions , avant de fe
rendre à Hanovre.
On conftruit dans le jardin de Binder un vaſte
bâtiment ,,
pour y placer diverfes manufactures.
Les principaux féditieux de Croatie font arrêtés
ou difperfès , & la tranquillité eft rétablie dans
cette Province..
DE DRESDE , le 2 Juin.
Depuis le 27 du mois dernier , le Roi eft de
retour de Frauftadt. Sa Majefté n'a employé que
dix-huit heures à revenir de cette ville. Le Comte
de Soltikow , qui va remplacer à Hambourg le
Knés Gallitzin en qualité d'Envoyé extraordinaire
de l'Impératrice de Ruffie auprès du Cercle de
la Baffe-Saxe , fut préfenté le 29 à leurs Majeftés
& à la Famille royale. Le Roi a permis au Comte
de Flemming , fon Miniftre à la Cour de Vienne ,
de fe rendre ici. On compte qu'avant de retourner
en Autriche , il ira complimenter de la part
du Roi Sa Majefté Britannique fur fon arrivée
dans fes Etats d'Allemagne . Sa Majesté a donné
au Prince Maximilien , fecond fils du Prince-
Royal , le Régiment d'infanterie qui étoit vacant..
DE SCHWEDT , le 3 Juin.
Avant-hier le Roi de Pruffe arriva du camp de
Stargard en cette ville , & la cérémonie des fiançailles
de la Princeffe , feconde fille du Margrave ,
avec le Prince Ferdinand , frere de Sa Majefté
Pruſſienne , ſe fit avec la plus grande pompe. Le
JUILLET. 1755 . 199
mariage de ce Prince & de cette Princeffe , fera
célébré dans le mois d'Août à Berlin.
DE BERLIN , le 7 Juin.
Le Roi revint ici le 2 de ce mois , & Sa Majeſté
partit avant-hier pour Magdebourg. Elle doit y
faire la revue des troupés qui font campées près
de Pitzphul . De Magdebourg le Roi fe rendra à
Cleves, & enfuite à Embden. Le Prince héréditaire
de Heffe - Darmstadt , & le Prince Ferdinand de
Brunfwic , accompagnent Sa Majesté .
L'Académie royale des Sciences & Belles - lettres
tint avant-hier une féance publique à l'occafion
de l'anniverfaire de l'avènement du Roi au trône.
Le Prince Frederic - Henri- Charles , fecond fils
du Prince de Pruffe , honora cette affemblée de ſa
préfence. Le fieur Formey , Secrétaire perpétuel
de la Compagnie, annonça que le prix de la claffe
de Philofophie fpéculative , pour cette année , avoit
été adjugé à la Piece , no. 7 , ayant pour devife :
Nihil mortalibus arduum eft. İl informa en même
tems l'affemblée que l'auteur de ce Mémoire
eft le fieur Adolphe - Frederic Reinhard , Secre.
taire de Juftice du Duc de Mecklenbourg - Strelitz.
Après que le fieur de Maupertuis , Prefident de
l'Académie , eut lû l'éloge du feu Président de
Montefquieu ; le fieur Eller , Directeur , fit la defcription
d'un monftre Cyclope , né le premier Février
de cette année dans cette Capitale. L'Académie
propoſe pour le Sujet du prix , que la claſſe
de Philofophie expérimentale doit donner en 1757,
de déterminer , Si l'arfenic qui fe trouve en grande
quantité dans les mines métalliques de divers genres
, eft le véritable principe des métaux , ou fi
c'est une fubftance qui en naît & qui en fort par
voie d'excrétion.
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
DE HANOVRE , le 7 Juin.
Toutes les troupes commandées pour former
un camp dans la plaine de Bult , s'y affemblent
aujourd'hui. On y conduifit hier un train d'artillerie
de trente pieces de canon.
Il est arrivé de Vienne le 28 du mois dernier ,
un courier avec des lettres de M. Keith , Miniftre
Plénipotentiaire de la Grande-Bretagne auprès de
leurs Majeftés Impériales. Le Comte de Holderneff
alla fur le champ rendre compte à Sa Majefté
du contenu de ces dépêches . Cette Cour
eft convenue d'un Cartel avec celle de Mayence ,
pour l'extradition réciproque des déferteurs .
On attend ici dans quelques jours la Princeffe
épouse du Prince héréditaire de Heffe -Caffel , &
les trois Princes fes fils . Le Roi fait travailler à
trois épées d'or , qu'il deftine pour ces Princes .
Sa Majefté a ordonné de fortifier la ville de Staden.
On va bâtir ici un nouvel Hôtel des Monnoies.
DE RATISBONNE , les Juin.
Sur le bruit qui s'eft répandu que les fujets Proteftans
de l'impératrice Reine , tranſplantés en
Hongrie & en Tranfilvanie , y éprouvoient de
mauvais traitemens , les Miniftres de cette Princeffe
à la Diete , ont diftribué un Mémoire pour
détruire ces fauffes allégations.
DE CLEVES , le 4 Juin.
La Régence a reçu un refcrit par lequel le Roi
lui enjoint de laiffer à la Communauté de Rons
dorff le libre exercice de la Religion Réformée.
JUILLET. 1755. 201
ESPAGNE.
DE LISBONNE , le Is Mai.
Deux des vaiffeaux deſtinés à croiſer ſur les côtes
de ce Royaume , mirent à la voile il y a quelques
jours. Ils ont pris fous leur convoi plufieurs
bâtimens Hollandois , qu'ils doivent eſcorter jufqu'au
cap de Finifterre."
DE MADRID , le 3 Juin.
On a célébré le 30 du mois dernier, avec beau
coup de magnificence , la Fête de Saint Ferdinand
dont le Roi porte le nom . Le foir , après
un divertiffement en mufique , leurs Majeftés fe
rendirent dans les jardins qui , par le goût nouveau
dans lequel ils étoient illuminés , offroient
un coup d'oeil des plus frappans. Un très- beau fea
d'artifice termina cette éclatante journée.
Le Roi a créé Grand d'Efpagne de la premiere
claffe le Marquis de Sarria , Lieutenant- Général
de ſes armées , & Colonel du Régiment des Gar
des Efpagnoles.
ITALI E.
DE NAPLES , le 19 Mai.
L'Infante , troifiéme fille de leurs Majeftés , eft
morte le 11 de ce mois au foir dans le château
de Portici. Cette Princeffe qui fe nommoit Marie-
Anne , étoit née le 3 de Juillet de l'année derniere .
Son corps fut apporté ici le 13 , pour être inhumé
dans le tombeau de la Famille royale.
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Le Marquis Fogliani dont la fanté eft par
faitement rétablie , fe difpofe à aller bientôt prendre
poffeffion de la Vice- royauté de Sicile. On
croit que Sa Majefté veut partager entre deux Miniftres
les départemens dont il étoit chargé , en
donnant au Marquis Tanucci celui des Affaires
étrangeres, & au Marquis Gregori ceux de la Guerre
& de la Marine..
Une felouque a conduit à l'Ifle de Nifita vingtdeux
Turcs faits efclaves fur une galiotte qu'elle
a coulée à fond près du canal de Piombino.
Les dernieres nouvelles de Sicile annoncent la
mort du Comte de Grimau , qui y exerçoit par inserim
les fonctions de Viceroi ..
DE ROME , le 7 Juin..
Le 23 Mai , le Margrave de Bareith prit la route.
Naples. La Margrave n'y fuivit ce Prince que
quelques jours après.
Sa Sainteté a accordé au Comte Paul de Canale
la furvivance de la charge de Gouverneur des armes
de l'Etat Eccléfiaftique , poffedée par le Bailli
Antinori.
L'Académie des Arcades vient d'aggréger à fon:
corps le Duc Clement - François de Baviere. Elle a
mis auffi au nombre de fes membres l'Abbé de:
la Baume , auteur du Poëme en Profe , qui a pour:
titre la Chriftiade , ou le Paradis reconquis.
DE FLORENCE , le 22 Mai .
Des détachemens ont été poftés en différen
endroits le long des côtes de ce Grand Duché ,
particulierement à l'embouchure de l'Arno , pouroppofer
aux defcentes que les Algériens pourroient
tenter. Selon les lettres de Livourne , un
JUILLET. 1755. 203
feloucon deſtiné à protéger la pêche du corail , a
attaqué trois petits bâtimens corfaires de Tripoli.
Deux ont été coulés à fond , & le troifiéme a pris
la fuite. On mande de Viterbe qu'une nuit de la
ſemaine avant la derniere , on y a effuyé trois violentes
fecouffes de tremblement de terre. L'allarme
fut telles que cette même nuit on fit une Proceffion
folemnelle , à laquelle tous les habitans
affifterent pour demander à Dieu d'être délivrés
de ce fléau .
DE LIVOURNE , le 5 Juiz.
Il paroît que la croifiere des vaiffeaux de guerre
de l'Empereur en a impofé aux barbarefques . Ces
corfaires , depuis quelque tems , ne s'approchent
plus des parages de ce Grand Duché.
Les lettres de Naples marquent qu'une polacre
d'Alger , qui troubloit la navigation entre là Sicile
& la Calabre , a été prife par le Capitaine
Peppe , commandant un des chabecs de Sa Majefté
Sicilienne. On a fait cinquante eſclaves à bord
de ce bâtiment .
DE VENISE , le 18 Mai.
On a été informé par un navire arrivé du Levant
, que le Capitan Pacha croiſe actuellement
dans l'Archipel , & qu'il a reçu ordre du Grand-
Seigneur , d'empêcher que les Algériens n'y trou
bla Tent la navigation des vaiffeaux Hollandois.
Le même bâtiment a rapporté que Mehemet Kan,
chef des Aghuans , s'eft mis fur les rangs pour difputer
la Couronne de Perfe. Ce nouveau compétiteur
eft à la tête d'une armée de cent mille hom
mes. Sa premiere expédition a été contre la ville
Ivj
204 MERCURE DE FRANCE.
de Meched , dont la prife lui a frayé le chemin
plufieurs autres fuccès. Il marche vers la capitale
du Royaume , dans le deffein d'y affiéger Azad
Kan , fi ce rival , qui eft le feul dont il ait à 1edouter
la concurrence , y demeure renfermé.
DE GENES , le 25 Mai.
Suivant les nouvelles d'Afrique , la Milice s'eft
de nouveau foulevée à Alger , & elle a exigé la
dépofition de quelques membres du Divan. Le
Dey , craignant les fuites de cette fermentation ,
doublé la garde de fon palais. Les mêmes avis
portent que tous les corfaires de Tunis , à l'excep¬
tion de deux , font rentrés dans leur port.
DE MILAN , le 27 Mai.
Après une longue féchereffe qui faifoit craindre
la perte totale de la récolte , eft enfin furvenue
une pluie abondante. Une maladie épidémique
fait beaucoup de ravages à Novare . Elle fe
manifefte par une fievre ardente , & elle emporte
en quatre ou cinq jours les perſonnes qu'elle at¬
taque.
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 12 Juin.
Tous les Officiers des vaiffeaux de guerre qui
font à Chatham & dans la riviere de Medway
ont ordre de fe rendre fur leurs bords. Il eſt arrivé
à Portsmouth quatre vaiffeaux de la Compagnie
des Indes Orientales , par lefquels on a appris
qu'il y avoit cu un grand incendie à Canton , &
JUILLET . 1755 . 205
*
que cet accident avoit caufé aux Anglois une perte
confidérable. On a reçu avis par quelques navires
revenus de Smirne , que l'Ile de Metelin avoit
beaucoup fouffert d'un tremblement de terre ; que
plus de deux mille fept cens maiſons avoient été
renverfées , & que plufieurs Infulaires avoient péri
fous les ruines de leurs habitations. Le bruit fe répand
que les Saletins ont déclaré la guerre à la
Grande-Bretagne , & qu'ils ont enlevé deux bâtimens
Anglois.
Une fregate arrivée le 30 du mois dernier à
Cork en Irlande , a rapporté que le 18 elle avoit
rencontré l'efcadre de l'Amiral Bofcawen. Deux
vaiffeaux de guerre partiront dans peu pour la
nouvelle Ecoffe. Le 6 , un bâtiment chargé de
munitions & de plufieurs foldats de recrues , fit
voile pour cette colonie. Les équipages des vaiffeaux
que les Commiffaires de l'Amirauté ont ordonné
d'armer à Spithead , font prefque complets.
On les exerce régulierement à la manoeuvre . Toutes
les nouvelles troupes de marine fe rendent
fucceffivement à Portsmouth & à Plymouth. Les
navires le Prince Edouard & le Grantham , appartenans
à la Compagnie des Indes Orientales ,
font entrés ces jours- ci dans la Tamile. Le premier
vient de Bombay ; le fecond de Bencolen.
La Compagnie attend plufieurs autres bâtimens .
On a appris par le vaiffeau l'Ilchefter , venant de la
Chine , que le 29 du mois d'Octobre dernier il y
avoit eu à Wampoa un grand incendie , dans lequel
quatre magafins , dont deux appartenoient
aux Anglois, & les deux autres aux Suédois, avoient
été réduits en cendres . Selon les nouvelles d'Amérique
, la colonie de Philadelphie ayant fourni
un fubfide de quinze mille livres fterlings , on a
diftribué les deux tiers de cette fomme dans les au
206 MERCURE DE FRANCE.
tres colonies Angloifes, pour fubvenir à une partie
des dépenfes qu'exige la levée des troupes .
On parle de former un camp dans Hyde Parc.
Le bruit court qu'on en formera auffi un de
tre mille huit cens hommes en Irlande .
qua-
Avant-hier ,fur une lettre anonyme qu'on trouva
dans la rue du Marché au foin , & qui portoit
qu'il y avoit des armes & de la poudre cachées
dans la maifon de l'Opera , les Directeurs de ce
fpectacle furent conduits en prifon, Bientôt on a
reconnu que cette accufation étoit une calomnie
inventée par quelqu'un de leurs ennemis. Moyennant
l'acte que le Parlement , dans fa derniere
Seffion , a donné en faveur des débiteurs inſolvables
, plus de douze cens perfonnes en cette feule
ville , recouvreront leur liberté. Le nombre de
celles qui , dans le refte de la Grande- Bretagne ,
profiteront de cet acte , monte au moins à cinq
mille.
PAYS - BAS.
DE LA HAYE , le 13 Juin.
Le Chevalier de la Quadra , qui depuis la mort
du Marquis del Puerto jufqu'à l'arrivée du Marquis
de Grimaldi , a été chargé des affaires de Sa
Majefté Catholique auprès de leurs Hautes Puiffances
, partit le 31 pour Hanovre . Il y remplira
les fonctions de Miniftre de la Cour de Madrid
pendant le féjour du Roi de la Grande - Bretagne
dans fon Electorat .
Les vaiffeaux le Sloterdyk , l'Espérance , le Kei
kenhof, le Cattendyk , le Bevalligheid , le Pilswaart
& le Rotterdam , appartenans à la Compagnie des
Indes Orientales , font arrivés au Texel. Ces bâJUILLET.
1755 207
timens viennent de Batavia , de Bengale & de Ceylan
. Ils ont laiffé au Cap de Bonne - Efpérance le
vaiffeau le Rhoon , qui revient de la Chine. Le
premier de ce mois les vaiffeaux de guerre le Waterland
& le Maarfen firent voile du Texel pour
aller protéger la navigation des navires Hollandois
dans la Méditerranée. » }
M. de Kauderbach , Réfident du Roi de Pologne
Electeur de Saxe , remit le 9 un Mémoire
au fieur de Gefler , Président de l'Affemblée des
Etats Généraux . Le lendemain , le Colonel York,
Envoyé extraordinaire du Roi de la Grande Bretagne,
eut une conférence avec quelques Seigneurs
de la Régence. M. Paravicini , ci -devant Conful .
de la nation Hollandoife à Alger , eft arrivé d'A
frique.
DE BRUXELLES , le 14 Juin.
Il y a ordre d'augmenter jufqu'à cent trentecinq
hommes chaque compagnie des Régimens
d'infanterie nationaux . Les deux derniers bataillons
du Régiment de Platz arriverent ici de Luxembourg
le 31 du mois dernier.
M. Molinari , Internonce du Pape en cette
Cour , a fait fçavoir à M. Van Haren , Député
des Etats Généraux des Provinces-Unies , que les
deux frégates Papales qui croifent fur les côtes de
l'Etat Eccléfiaftique , avoient ordre d'y garantir
les navires Hollandois des infultes des Algériens .
Cette déclaration a été reçue par M. Van-Haren
avec les marques d'une fincère reconnoiffance .
11 a affuré M. Molinari qu'il en informeroit au
plutôt leurs Hautes Puiffances , dans la perfuafion
qu'elles n'y feroient pas moins fenfibles .
208 MERCURE DE FRANCE.
D'ANVERS , le 4 Juin.
La tour de l'Eglife Paroiffiale de Saint - André
s'écroula fubitement le 30 du mois dernier à dix
heures & demie du foir . L'Eglife en a été confidérablement
endommagée , ainfi que plufieurs
maiſons voisines. Heureufement , perfonne n'a été
tué ni bleffé. Quelques heures plutôt , cet accident
auroit coûté la vie à trois ou quatre mille
habitans qui affiftoient au Salut dans cette Eglife..
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &6.
LE Roi fit le 6 Juin , au Champ de Mars dans le
parc de Marly , la revue des quatre Compagnies
des Gardes du Corps , de celles des Gendarmes &
des Chevaux - Legers de la Garde de Sa Majefté ,
des deux Compagnies des Moufquetaires , & de
celle des Grenadiers à Cheval. Sa Majefté paffa
dans les rangs , & les vit défiler. La Reine , Monfeigneur
le Dauphin , Madame la Dauphine , Monfeigneur
le Duc de Bourgogne , Madame & Mefdames
de France affifterent à cette revue. Madame
la Dauphine qui avance heureuſement dans
fa groffeffe , ne s'eft point trouvée indifpofée de
cette promenade.
Nous joignons ici l'état de la revue du Roi ,
pour les deux Compagnies de fes Moufquetaires ,
tel qu'il nous a été envoyé.
JUILLET. 1755. 209
PREMIERE COMPAGNIE.
LE ROI , Capitaine ,
M. DE JUMILHAC , Capitaine - Lieutenant.
M. DE PERUSSY , premier Sous- Lieutenant.
M. DE CARVOISIN , fecond Sous- Lieutenant.
M. DE LA CHEZE , premier Enſeigne.
M. DE CUCÉ , fecond Enfeigne.
M. DE LA VAUPAILLERE , premier Cornette.
M. DE MONTILLET , fecond Cornette.
Maréchaux des Logis.
M. de Banne , premier Aide-major.
M. de Brunville .
M. de Chavigny.
M. de Bulftrode , fecond Aide- major.
M. du Rouret.
M. Huet.
M. de Nacquart.
M. de Beauclair.
M. de la Brulerie .
M. Dorvilliers.
}
M. La Foreft ,
M. Roberic , S
Moufquetaires préfens
Surnuméraires , abfens ou malades
Sous Aides-majors.
·
Total de la Compagnie
· :
286
88
• · 374
SECONDE COMPAGNIE. ›
LE ROI, Capitaine.
M. LE COMTE LE LA RIVIERE , Capitaine-Lieute
nant.
}
210 MERCURE DE FRANCE.
M. DE MONTBOISSIER , premier Sous - Lieutenant,
M. DE CHABANNES , fecond Sous- Lieutenant.
M. DE BISSY , premier Enfeigne.
M. DE VILLEGAGNON , fecond Enfeigne.
M. DE LA GRANGE , premier Cornette .
M. LE CHEVALIER DE VATAN , fecond Cornette.
Maréchaux des Logis.
M. de Savoify.
M. de Pidoux , abfent malade.
M. de Kerravel .
M. de la Gohiere , abfent malade.
M. de Garriffon , premier Aide- major.
M. de Montfort , abſent malade .
M. de Neufont..
M. de Vervan , abſent malade.
M. Dufou.
M. Ancelet , fecond Aide-major.
· 195
Moufquetaires en pied préfens
Moufquetaires en pied abfens malades ,
Moufquetaires furnuméraires préfens , 143
Total 343
On apprend par les lettres de Moulins, du 6 Juin ,
que la nuit du 2 au 3 le feu y a pris au château ,
dans l'appartement occupé par le Marquis des
"Gouttes , Capitaine des vaiffeaux du Roi. Les fecours
n'ont pû être auffi promts que l'exigeoit la
circonftance ; & le corps du château a été prefque
totalement réduit en cendres . On ne fçait pas
encore à quoi peut monter la perte caufée par cetincendie.
Il y a eu deux hommes tués , & plufieurs
bleffés , par l'écroulement des charpentes.
Le 6, au départ du courier , le feu étoit encore
JUILLET . 1755. 21T
dans les bas appartemens , mais il n'y avoit aucun
danger pour le refte du château . Si le vent qui
foufoit avec violence dans le commencement de
l'embraſement , cût continué , une partie de la
ville eût couru un très - grand rifque. M. de
Lherbouché , un des Aumôniers de la Gendarmerie
, dont l'Etat-Major eft en quartier à Moulins ,
a rendu en cette occafion des fervices importans.
Touché des cris de la Marquife des Gouttes , qui
demandoit qu'on fauvât fes enfans , il ſe rendit
courageufement avec un feul domeſtique à leur
appartement qui étoit déja tout en feu ; & il les
retira du milieu des flammes . Il s'eft porté avec la
même intrépidité dans tous les lieux les plus périlleux
, où la préfence pouvoit être de quelque
utilité.
Le 7 , le Roi revint de Trianon où il étoit allé
le s.
Le Comte de Sartirane , Ambaſſadeur ordinaire
du Roi de Sardaigne , eut le 8 une audience particuliere
du Roi , à laquelle il fut conduit par le
Marquis de Verneuil , Introducteur des Ambaffadeurs.
La Marquife de la Ferté fut préfentée le même
jour à leurs Majeftés & à la Famille royale ,.
par la Comteffe de Marfan , Gouvernante des Enfans
de France . Le même jour , la Marquife de
Lhopital préfenta la Marquife de Merinville.
Le Roi partit le 9 pour Crecy , où Sa Majeſté
demeura jufqu'au 14 ; elle y retourna le 16 , & en
revint le 21.
Sa Majesté a accordé les honneurs de Grands-
Croix de l'Ordre royal & militaire de S. Louis
.au Comte de la Riviere , Capitaine-Lieutenant de
la feconde Compagnie des Moufquetaires ; au
Baron de Zurlauben , Colonel du Régiment des
212 MERCURE DE FRANCE.
Gardes-Suiffes ; & au Vicomte du Suzy , Major
des Gardes du Corps.
M. de Buffy , premier Commis des Affaires
étrangeres , a été nommé par le Roi , pour fe
rendre à Hanovre en qualité de Miniftre de Sa
Majefté auprès du Roi de la Grande-Bretagne.
M. L'Abbé , Comte de Bernis , Ambaſſadeur du
Roi auprès de la République de Veniſe , eſt arrivé
depuis quelques jours ; & il a eu l'honneur
de rendre fes reſpects à Sa Majefté.
Dom Jean-François de Brezillac , Bénédictin
de la Congrégation de S. Maur , a préfenté au
Roi le fecond volume de l'hiftoire des Gaules &
des conquêtes des Gaulois .
L'Affemblée générale du Clergé a accordé par
une délibération unanime le fecours de feize millions
, demandé de la part du Roi par les Commiffaires
de Sa Majeſté.
Sa Majeflé a accordé au fieur de Senozan , fils
du Préſident de Senozan , & petit -fils de M. de
Lamoignon , Chancelier de France , l'agrément de
la charge d'Avocat général au Grand Confeil ,
qu'avoit M. Seguier, Avocat général au Parlement.
Monfeigneur le Dauphin vint le 16 de ce mois
fur les fix heures du foir , fe promener à cheval
dans le Cours.
Madame la Dauphine fut faignée le 21 par
précaution .
Le 24, le Baron Wan Eyck , Envoyé extraordinaire
de l'Electeur de Baviere , eut fa premiere
audience publique du Roi.
Le Marquis du Châtelet Lomont , Lieutenant
général des armées du Roi , a obtenu le Gouvernement
de Toul qui vaquoit par la mort du Comte
de Caſteja.
Sa Majeſté a nommé Commandeur de l'Ordre
JUILLET . 213
1755 .
royal & militaire de S. Louis le Marquis de Balincourt
, Lieutenant général de ſes armées , & Lieutenant
des Gardes du Corps dans la Compagnie
de Villeroi .
Le Roi a difpofé du Régiment d'Infanterie allemande
, vacant par la mort du Maréchal -Comte
de Lowendalh , en faveur du Comte de Lowendalh
fon fils , Capitaine dans le même Régiment.
En même-tems Sa Majefté a déclaré qu'elle
augmentoit de quatorze mille livres la penfion
de deux mille écus , dont jouiffoit déja là Maréchale
de Lowendalh .
La Brigade des Gardes du Corps , que le feu
Marquis de Varneville commandoit dans la Compagnie
de Villeroi , a été donnée au fieur de la
Ferriere , Maréchal de camp , Exempt dans cette
Compagnie , & Aide-major des Gardes du Corps.
M. de Cherifey fuccede à M. de la Ferrière
dans la place d'Aide- major.
Le marquis de Calvieres , Lieutenant - général
des armées du Roi, Commandeur de l'Ordre de S.
Louis , & Lieutenant des Gardes du Corps , ayant
demandé la permiffion de fe demettre de fa Brigade
: Sa Majesté en a diſpoſé en faveur du Chevalier
de Scepeaux , Meftre de camp de Cavalerie.
Le Roi a accordé au Marquis de Calvieres ,
outre la retraite ordinaire , l'expectative d'une
place de Grand-Croix dans l'Ordre de S. Louis.
Les vaiffeaux le Duc de Bourgogne & le Duc
d'Orléans , appartenans à la Compagnie des Indes
, font arrivés , l'un le 8 , l'autre le 21 , a port
de l'Orient. M. Dupleix , ci -devant Gouverneur
général des établiffemens de la Compagnie dans
PInde , eft de retour par le dernier de ces deux
vaiffeaux.
Le nommé Songeux , Maître Maçon , eft mort
214 MERCURE DE FRANCE.
à Fontainebleau , âgé de cent cinq ans.
Le 26 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix-fept cens foixante- dix-fept livres
dix fols ; les billets de la feconde lotterie royale
à fept cens cinquante-deux. Les billets de la pres
miere lotterie étoient à huit cinquante-deux.
BENEFICES DONNÉS.
Lefteaux,Diocefe de Troyes, à l'Abbé Mignot,
E Roi a donné l'Abbaye de Sellieres , Ordre de
Confeiller-Clerc au Grand- Confeil ; P'Abbaye
Réguliere de Saint-Sulpice , Ordre de S. Benoît ;
Dioceſe de Rennes , à la Dame de la Bourdonnaye
, Religieufe de l'Ordre de Fontevrault ; le
Prieuré conventuel & électif de Boutteville , Or
dre de S. Auguſtin , Dioceſe de Saintes , à l'Abbé
de Barret , Vicaire général de l'Evêché de Bazas.
Sa Majesté a nommé à l'Evêché de Marſeille
vacant par le décès de M. de Belfunce de Caf
telmoron , M. Jean- Baptifte de Belloy , Evêque
de Glandeve , à la charge de deux mille huit cens
livres de penfions :
SCAVOIR ,
1000 livres à M. Olivier , Prêtre du Dioceſe de
Marſeille ;
1000 livres à M. Pierre de Châteauneuf de la
Saigne , Prêtre du Dioceſe de Mende ;
800 livres à M. Ange- Jofeph Dalleman , Prê
tre du Dioceſe de Carpentras.
Le Roi a donné l'Abbaye de Saint Arnoul , Ordre
de S. Benoît , Diocefe & ville de Metz , va-
Cânte par le décès de M. de Belfunce , à M. Fran-
1
JUILLET. " 1755. 215
çois - Joachim de Pierre de Bernis , Soudiacre ,
Comte de Lyon , & Ambaſſadeur du Roià Veniſe.
L'Abbaye de Chambons , Ordre de Câteaux ,
Dioceſe de Viviers , vacante par le décès de M. de
Belfunce , à M. René-Jofeph-Marie de Gouyon
de Vaurouault , à la charge de quatre mille deux
cens livres de penſions :
SCAVOIR ,
1200 livres à M. Schier , Grand Vicaire de
Rouen ;
12,00 livres à M. Laugier dè Rouffet de Beanrecueil
, Grand Vicaire de Senez ;
1000 livres à M. Gaubert , Prêtre ;
800 livres à M. de Boifmilon Dorgeville , Prê
tre du Dioceſe d'Evreux.
L'Abbaye de Maizieres , Ordre de Câteaux
Diocefe de Châlons-fur-Saone , vacante par le
décès de M. Hennequin d'Ecquevilly , à M. de
Romilley , à la charge de 3400 livres de penſions.
S ç AVOIR ,
1200 livres à M. d'Aguille , Grand Vicaire de
Condom ;
800 livres à M. Château de la Fayette ;
800 livres à M. Cliquet de Fontenai , Prêtre
du Dioceſe de Paris ;
600 livres à M. Bonvallet des Broffes , Prêtre
du Diocefe de la Rochelle.
216 MERCURE DE FRANCE.
I
MARIAGES ET MORTS.
E 1 Février , François- Philibert de Bonvouft ;
Mcflire
>
Philibert de Bonvouft , Marquis de Prulay , Ca
pitaine-Lieutenant des Gendarmes Dauphins , &
de Dame Marie de la Grange , fut marié le premier
Février à Damoiſelle Marie- Louife -Françoiſe
Durey de Noinville , fille de Meffire Jacques-
Bernard Durey de Noinville , Maître des Requê
tes , & Préfident honoraire au Grand- Confeil , &
de Dame Marie -Françoife- Pauline de Simiane.
La cérémonie fut faite dans la Chapelle de l'hôtel
de Pons , par l'Evêque de Gap.
Jean-Paul-François de Noailles , Comte d'Ayen,
Gouverneur & Capitaine des Chaffes de S. Germain-
en- Laye en furvivance , époufa le 4 Février
Damoiſelle Henriette-Anne- Louife Dagueffeau ,
fille de Meffire Jean- Baptiste- Paulin Dagueffeau
de Frefnes , Confeiller d'Etat ordinaire , & de
feue Dame Anne- Louife-Françoiſe Dupré. La
Bénédiction nuptiale leur fut donnée par l'Archevêque
de Rouen , dans la Chapelle de l'hôtel de
Machault. Le Comte d'Ayen eft fils de Louis de
Noailles , Duc d'Ayen , Chevalier des Ordres du
Roi , Lieutenant général des Armées de Sa Majefté
, Capitaine de la Compagnie Ecoffoife des
Gardes du Corps , Gouverneur de la Province de
Rouflillon , en furvivance , Gouverneur & Capiraine
des Chaffes de S. Germain- en - Laye , & de
Catherine - Françoife - Charlotte de Coffé de
Briffac.
Meffire Simon-Claude Graffin , Maréchal des
Camps & Armées du Roi , Lieutenant pour Sa
Majeſté
JUILLET. 1755. 217
Majefté , & Commandant des Ville & Citadelle de
Saint -Tropez , fut marié le 6 Mars en fecondes
noces , à Damoiſelle Marguerite- Françoife- Genevieve
de Vion de Teffancourt de Maifoncelle ,
fille de feu Meffire René de Vion , Seigneur de
Teffancourt - Maiſoncelle , & de Dame Marie-
Marguerite de la Salle.
ma-
Meffire Jofeph-Augufte le Camus , fils de Meffire
Barthélemi le Camus , Gouverneur de Mevoillon
, & de Dame Jeanne de Caufans , fut
rié le 18 à Damoiſelle Antoinette-Nicole le Camus
, fille de Meffire Nicolas le Camus , Commandeur
des Ordres du Roi , & ci - devant Premier
Préfident de la Cour des Aydes .
Le 8 Avril , Meffire Jean- Baptiste- Calixte de
Montmorin , Marquis de Saint - Herem , Colonel
d'un Régiment d'Infanterie de fon nom fuc
marié à Damoiſelle Amable- Emilie - Gabrielle le
Tellier de Souvré , fille de Meffire François - Louis
le Tellier , Comte de Rebenac , Marquis de Souvré
, Chevalier des Ordres du Roi , Lieutenant
général des Armées de Sa Majesté , & Lieutenant
général pour le Roi dans les Provinces de haute
& baffe-Navarre & de Bearn , Maître de la Garderobe
de Sa Majefté , & de feue Dame Jeanne-
Françoiſe Dauvet des Marefts. La Bénédiction
nuptiale leur fut donnée dans la Chapelle de la
Congrégation de S. Sulpice , par l'Evêque d'Agen.
Leur contrat de mariage avoit été figné le 6 par
Leurs Majeftés & par la Famille royale . Le Marquis
de Saint- Herem eft fils de Meffire Jean-
Baptifte-François , Marquis de Montmorin , Lieutenant
général des Armées du Roi , & Gouverneur
de Fontainebleau , & de Dame Conftance-Lucie
de Valois de Villette.
La Maiſon de Montmorin qui tire fon nom
K
21S MERCURE DE FRANCE.
par
d'une terre en Auvergne , doit être comptée parmi
les premieres de cette Province & les plus anciennes
du Royaume . Elle n'eft pas moins illuftre
fon ancienneté . Calixte I , fes alliances que par
Seigneur de Montmorin , qui vivoit fous le regne
du Roi Lothaire , & qui eft mentionné dans une
charte du Prieuré de Saucillange , avec Hugues
fon fils , eft le 9e ayeul de Geoffroi , Seigneur de
Montmorin , qui vivoit en 1417 , & qui de fa
femme Dauphine de Thinieres , eut pour fecond
fils Jacques de Montmorin , Seigneur de Saint-
Herem , du chef de fa femme Jeanne Gouge , dire
de Charpaigne , mere de Gilbert de Montmorin ,
qui d'Alix de Chalancon eut Jean de Montmorin ,
Seigneur de Saint- Herem , allié en 1490 à Marie
de Chazeron. Leur fils François de Montmorin ,
Gouverneur de la haute & baffe- Auvergne , eut de
Jeanne de Joyeuſe , Gafpard de Montmorin ,
Gouverneur d'Auvergne après fon pere , & Jean ,
qui époufa Gabrielle de Murol , Dame du Broc
de Gignac , & de Saint - Bonnet. Leur fils Gafpard
de Montmorin , Seigneur de Saint-Herem , fut
allié à Claude de Chazeron , mere de Gilbert-
Gafpard de Montmorin , décedé le 27 Février
1660 , laiffant de Catherine de Caftille , François-
Gafpard & Edouard de Montmorin , qui ont formé
les deux branches qui fubfiftent aujourd'hui.
François -Gafpard , l'aîné fut grand Louvetier de
France en 1655 , Gouverneur & Capitaine des
Chaffes de Fontainebleau . Son fils Charles- Louis
de Montmorin , qui eut la furvivance de cette
derniere Charge , eft ayeul par ſa femme Marie-
Genevieve Rioult de Douilly, du Marquis de
Montmorin qui donne lieu à cet article.
Voyez l'Hiftoire des Grands Officiers de la
Couronne , t. 8. p . 813 , & les Tablettes hiftoriques
, t. 4. p . 419 .
JUILLE T. 1755. 219
Meffire Charles- Adrien , Comte de Ligny , Vicomte
de Damballe , Meftre de Camp de Cavalerie
, époufa le 17 Avril Demoiſelle Elifabeth-
Jeanne de la Roche de Rambures , fille de Meffire
Louis-Antoine de la Roche , Marquis de Rambures
, Maréchal des Camps & Armées du Roi , &
de Dame Elifabeth - Marguerite de Saint- Georges
de Verac. La Bénédiction nuptiale leur fut donnée
par l'Evêque de Meaux , dans la Chapelle
particuliere de l'hôtel de Rothelin . Le Comte de
Ligny eft veuf de Dame Reine -Magdeleine de '
Hunoffthein.
Marie-François- Henri de Francquetot , Marquis
de Coigny , Meftre de Camp général des
Dragons de France , & Gouverneur de Choify-le-
Roi , fils de feu Jean- Antoine- François de Francquetot
, Comte de Coigny & de Dame Théreſe-
Jofephe-Corentine de Nevet , & petit-fils du Maréchal
de France de ce nom , fut marié le 21 à
Dame Marie-Jeanne- Olimpe de Bonnevie , Dame
des Ville & Marquifat de Vervins , veuve de
Louis- Augufte , Vicomte de Chabot.
Voyez les Tablettes hiſtoriques , 3e part. p . 60,
& 4 part . p . 310..
Armand , Marquis de Bethune , Meftre de
Camp général de la Cavalerie , veuf de Dame
Marie- Edmée de Boullongne , a épousé le 22 Avril
Damoiselle Louiſe- Théreſe Crozat de Thiers , fille
de Meffire Antoine - Louis Crozat de Thiers , Brigadier
des Armées du Roi & Lecteur du cabinet
de Sa Majefté , & de Marie - Louife-Auguftine de
Laval-Montmorenci . L'Evêque de Blois leur donna
la Bénédiction nuptiale dans la Chapelle du château
de Brunoy.
Meffire Jean -Fréderic de la Tour- Dupin de
Gouvernet , Comte de Paulin , Marquis de la
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
Roche- Chalais , Colonel dans le Corps des Gre
nadiers de France , a été marié le 24 à Demoiſelle
Cecile- Marguerite-Séraphine Guignot de Monconfeil,
fille de Meffire Etienne Guignot , Marquis
de Monconfeil , Lieutenant général des Armées
du Roi & Inspecteur général de l'Infanterie , &
de Dame Cécile - Thérefe Rioult de Curfay. Leur
contrat de mariage avoit été figné le 22 par leurs
Majeftés & par la Famille royale.
Meffire François de Laftic , Comte de Laftic ,
Capitaine de Cavalerie dans le Régiment de Saint-
Jal , fut marié le 30 à Demoiſelle Anne Charron
de Menars , fille de feu Meffire Michel-Jean-
Baptifte Charron , Marquis de Menars , Brigadier
d'Infanterie , Capitaine des Chaffes de la Capitainerie
de Blois & Gouverneur du Château de ladite
Ville , & de Dame Anne de Caftres de la
- Rivierre. La Bénédiction nuptiale leur fut donnée
dans l'Eglife de Saint Sulpice , par l'Evêque de
Comminges. Le Comte de Laftic eft fils de Meffire
François , Marquis de Laftic , Maréchal des Camps
& Armées du Roi , & Lieutenant des Gardes du
Corps , & de Dame Magdeleine-Héleine Camus
de Pontcarré.
Le 2 Mars eft mort à Paris Louis de Rouvroi ,
Duc de Saint-Simon , Pair de France , Grand d’Efpagne
de la premiere claffe , Chevalier des Ordres
du Roi, Vidame de Chartres, Gouverneur des Ville,
Château & Citadelle de Blaye , ainfi que du Fort
de Medoc , Grand Bailli & Gouverneur de Senlis ,
& du Pont Saint- Maxence. Ce Seigneur étoit âgé
de 30 ans. Il avoit été du Confeil de Régence &
Ambaffadeur extraordinaire du Roi en Espagne.
Par cette mort fe trouve éteinte la Duché-
Pairie de Saint-Simon , & la derniere branche de
l'illuftre Maifon de Rouvroi- Saint- Simon , ne
JUILLET. 1755 . 221
reftant de cette branche Ducale que Marie-Chrif
tinc - Chrétienne de Saint-Simon , fille unique de
Jacques- Louis de Rouvroi S.Simon , Duc de Ruffec ,
mort en 1746 , & de Catherine - Charlotte- Thérefe
de Gramont , fille d'Antoine , Duc de Gramont.
Elle eft petite- fille du Duc dont nous annonçons
la mort & a époufé le 10 Décembre 1749 ,
Charles-Maurice Grimaldi , appellé Comte de
Valentinois.
Il y a encore trois autres branches de la Maifon
de Saint- Simon , aînées de la Ducale . La premiere
fubfifte dans la perfonne de Claude , Bailli de
Saint-Simon , qui a été Général des Galeres de
Malche en 1735 & 1736 , & de Claude de Saint-
Simon , Evêque de Metz , fon frere. La feconde
a pour chef Louis- Gabriel de Saint-Simon , Marquis
de Montbleru , veuf depuis le mois de Décembre
1753 , de Catherine-Marguerite Pineau
de Lucé , de laquelle il a quatre garçons & quatre
filles. La troifieme branche fubfifte dans cinq
garçons & une fille , enfans de Louis François de
Saint-Simon , Marquis de Sandricourt , Lieutenant
général des Armées du Roi , mort en 1749 ,
& de Marie- Louife- Gabrielle de Gourgues , mortè
cn 1753.
Marie-Thérefe- Emmanuelle Cafimire- Genevieve
de Béthune , époufe de Louis - Augufte Fouquet
de Belle-Ifle , Duc de Gifors , Pair & Maréchal de
France , Prince du S. Empire Romain , Chevalier
des Ordres du Roi & de l'Ordre de la Toifon d'or,
Gouverneur des Ville & Citadelle de Metz & du
pays Meffin , Commandant en chef dans les trois
Evêchés , frontiere de Champagne & pays de Luxembourg
, & Lieutenant général des Duchés de
Lorraine & de Bir , aft morte le 3 dans la 46€
année de fon âge.
K iij
222
MERCURE DE FRANCE.
Dame Françoife - Marie - Eliſabeth Couvay ,
époufe de Louis Balb- Bertons , Marquis de Crillon
, Maréchal des Camps & Armées du Roi ,
mourut à Paris le 6 Mars âgée de 30.
Le Comte de Rohan , Chambellan , Grand
Fcuyer & Grand Veneur de l'Infant Duc de Parme
, eft mort à Parme le 7 Mars .
Diane-Henriette de Bafchi d'Aubaïs , épouſe
de Jofeph de Montainard , Marquis de Montfrin ,
Comte de Souternon , eft morte le 18 au château
de Montfrin en Languedoc , dans fa 44° année.
Voyez Bafchi, 4. part. des Tablettes hiftoriques
, pag. 170 , 212 , 217 & 32 5. & Montainard ,
ibid. pag. 110 & 158.
Meffire Matthieu-Henri Molé de Champlaftreux
, fils de Meffire Matthieu-François Molé ,
fecond Préfident du Parlement , eft mort le 20 dans
fa 7e année.
Catherine - Charlotte - Thérefe de Gramont
veuve de Jacques- Louis de Saint- Simon , Duc de
Ruffec , Pair de France, Vidame de Chartres, Chevalier
de la Toifon d'or, mourut en cette ville le 21
agée de 48 ans . Elle avoit été mariée en premieres
nôces à Philippe- Alexandre , Prince de Bournonville
, mort en 1727. Elle étoit fille d'Antoine de
Gramont , Pair & Maréchal de France , Lieutenant
général de Navarre & de Bearn , Colonel du Régiment
des Gardes-Françoifes , & de Marie- Chrif
tine de Noailles.
Le fieur Jacques Molin , Médecin de la Faculté
de Montpellier , & l'un des Médecins confultans
du Roi , eft mort le 21 Mars âgé de 92 ans. Ses
lumieres , fon expérience & fes fuccès , l'ont fait
compter , avec juftice , au nombre des plus grands
Médecins de ce fiecle.
Meffire Nicolas- Alexandre de Ségur , Préfident
JUILLE T. 1755. 223
honoraire du Parlement de Bordeaux , eft mort le
24 dans la cinquante-huitieme année de fon âge.
Meffire Pierre de Forges , Marquis de Châteaubrun
, eft mort le 28 en fon château de Châteauvieux
, âgé de 75 ans . Il laiffe deux fils & trois
filles de fon fecond mariage avec Dame Gabrielle
de la Marche , fille de Meffire François de la Marche
, Baron de Fins , & de feu Gabrielle de Montmorenci.
Augufte-Henri , Comte de Friefe , Maréchal
des Camps & Armées du Roi , Meftre de Camp
d'un Régiment de Cavalerie légere de fon nom ,
& Colonel- Lieutenant du Régiment de Madame
la Dauphine , mourut à Paris le 29 Mars âgé de
27 ans .
Meffire Guillaume Raffin d'Hauterive , Abbé
de l'Abbaye de Belleville , Ordre de Saint Auguftin
, Diocèse de Lyon , eft mort le 31 dans fa
78e année.
Le 2 Avril , Meffire Jofeph- Philibert d'Apchier,
Comte deVabres,des Deux Chiens & de la Baume,
Grand Sénéchal d'Arles , eft mort en cette ville
dans la 69° année de fon âge.
Dame Marie -Jofephe le Duc , veuve de Meffire
Jules , Marquis de Grave , eft morte le 6 Avril
âgée de 70 ans.
Dame Catherine-Félicité -Arnauld de Pompon
ne , veuve de Meffire Jean-Baptifte Colbert , Mar
quis de Torcy , Commandeur des Ordres du Roi ,
Miniftre & Secrétaire d'Etat , ayant le département
des Affaires étrangeres , & Surintendant des
Poftes , mourut à Paris le 7 âgée de 77 ans.
Dame Marie -Magdeleine Čamus de Pontcarré ,
veuve de Meffire Louis- Balthazard de Ricouart
Comte d'Herouville , mourut le 12 du même mois.
Meffire Jochim l'Efpinette-le- Mairat , Seigneur
K iiij
224 MERCURE DE FRANCE.
de Nogent , Préſident de la Chambre des Comp
tes , eft mort le 15 âgé de 74 ans .
Meffire Gabriel Tachereau de Baudry , Confeiller
d'Etat ordinaire & Intendant des Finances ,
mourut en cette ville le 22 âgé de 82 ans.
Meffire Jean-Baptifte de Francheville , Préfident
du Parlement de Bretagne , mourut le 29 âgé de
67 ans.
Meffire Jean Bart , Vice-Amiral , Grand- Croix
de l'Ordre royal & militaire de Saint Louis , eſt
mort à Dunkerque fur la fin d'Avril.
Le 4 Mai , Meffire Nicolas Malezieu , Major
de Carabiniers , fils de Meffire Pierre de Malezicu,
Commandeur de l'Ordre royal & militaire de
S. Louis & Lieutenant général des Armées du
Roi , & de Dame Marthe Stoppa , mourut à Paris
dans la 34 année de fon âge .
Don Manuel Gallevon , Comte de la Cerda •
Commandeur de l'Ordre de Chrift , & Envoyé
extraordinaire du Roi de Portugal auprès de Sa
Majefté , mourut le 9 en cette ville âgé de 60
ans.
Meffire Charles - Louis de Biaudos , Comte de
Cafteja , Maréchal des Camps & Armées du Roi
Gouverneur de Toul & de Saint- Dizier , ci devant
Ambaffadeur de Sa Majefté en Suede , eft mort le
10 dans la 72 ° année de fon âge.
Dame Marie-Françoife- Victoire de Verthamon
, veuve de Meffire Louis de Perruffe , Comte
d'Efcars , Lieutenant général pour le Roi au Gouvernement
du haut & bas Limoufin , mourut le
12 au château d'Eſcars , dans la 72º année de fon
âge .
Jean - Marie de Bourbon , Duc de Châteauvilain
, fils de Louis-Jean-Marie de Bourbon , Duc
de Penthievre , & de feue Marie- Thérefe- Félicité
JUILLE T. 1755. 225
'Eft , Princeffe de Modene , mourut le 19 à Paris,
âge de fix ans , fix mois & deux jours.
Mre Marc- René des Ruaux de Rouffiac , Abbé
de l'Abbaye de Notre-Dame de Sellieres , Ordre
de Citeaux , Diocèfe de Troyes & Vicaire Général
de l'Evêché de Sarlat , mourut à Verſailles le
25 dans fa quarante- cinquiéme année.
Meffire Pierre-Emmanuel , Marquis de Roquelaure
, eft mort dans le mois de Mai , dans fon
château en Auvergne , âgé de quatre- vingt - deux
ans.
Meffire Samuel de Meherenc , Comte de Varennes
, l'un des Lieutenans de Roi dans la Province
de Flandres , Lieutenant pour Sa Majefté &
Commandant au Gouvernement de Béthune , eſt
mort en Normandie dans fa foixante- dix- huitieme
année.
L'Eglife de France vient de perdre un Prélat digne
des premiers temps. Son nom manque à la
lifte des Princes de l'Eglife , dont la pourpre eut
reçu un nouvel éclat , s'il en eut été décoré,
il en
Henri-François- Xavier de Bel unce de Caftelmoron
, étoit né en Décembre 1571. Il entra dans
la Société des Jéfuites en Septembre 1691 ,
fortit pour être grand- Vicaire de l'Evêque d'Agen ;
il fut nommé à l'évêché de Marfeille en 1709 , &
facré à Paris en 1710 pendant l'affemblée du Clergé
à laquelle il étoit député en qualité de fuffragant
de la province d'Arles . La peffe arrivée à Marfeille
en 1720 , & qui dura toute l'année 1721. fit éclater
fa charité, fon courage & fon zèle , & nous fit voir
un fecond Charles -Boromée . M. le Régent ne tarda
pas à récompenfer tant de vertus , en le nommant
le 16 Octobre 1723 à l'Evêché de Laon , feconde
pairie du royaume . Il en étoit d'autant plus
digue qu'il refufa ce nouvel honneur , pour fe
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
conſerver tout entier à fon troupeau pour lequel
il avoit facrifié fes biens , & tant de fois expofé fa
vie. Il continua de vieillir dans les travaux apoftoliques
, parcourant fon diocèfe en fimple miflionnaire
, & verfant partout avec profuſion ſes inftructions
& fes aumônes. Clément XI. lui envoya
le pallium , & l'honora de plufieurs brefs : ce Pape
mourut au moment où il alloit le faire cardinal :
on ne doit pas omettre que ce Prélat a refufé depuis
l'archevêché de Bordeaux . Il est mort le 4
Juin , au même jour où la ville de Marſeille renouvelle
tous les ans la confécration qu'il fit pendant
les horreurs de la pefte , de lui & de tout fon
peuple au facré coeur de Jefus. Les regrets de tous
les habitans de cette ville , & les honneurs rendus
à cet illuftre Prélat , éterniferont à jamais la mémoire
& leur reconnoiffance.
Sa Maiſon eſt trop connue pour entrer ici dans
un grand détail : originaire de Navarre , & portant
dans fes armes depuis un tems immémorial
celles de Bearn , elle fe perd dans les tems les plus
reculés . La fuite non interrompue des ancêtres de
M. de Marſeille , remonte à un Guillaume de Belfunce
, Vicomte de Macaye qui tefta en 1209. Les
Seigneurs de Belfunce font en poffeffion du titre
de Vicomtes depuis le douzieme fiecle. Les chroniques
de Bayonne rapportent l'entreprise d'un
cadet de Belfunce qui combattit un monftre à trois
têtes , & qui fut écrasé par ce monftre après l'avoir
tué. L'événement fabuleux ou véritable en eft
confervé par ce qui fe voit dans leurs armes ; c'eſt
un dragon qu'ils ont ajouté à leur écu par la permiffion
du Roi de Navarre Charles III , dit le
Noble. Ils pofféderent les premieres charges dans
la maifon des Rois de Navarre. Le titre de Ricombre
qui répond à celui de haut & puiſſant SeiJUILLET.
1755. 227
gneur , fut concédé à Guillaume- Arnaud de Belfunce
par le Roi Charles II , dit le Mauvais , &
parmi les maifons de Navarre établies en France
, on ne connoît que celles de Grammont de
Luxe & de Belfunce qui foient parvenues à cette
dignité. Les illuftres alliances que les feigneurs
de Belfunce ont contractées , foit par des filles
données , foit par des filles reçues en mariage ,
répondent bien à la nobleffe de cette maiſon . Elle
eft alliée aux maiſons de Grammont , d'Eſchau ,
d'Armindaris , d'Arambure , d'Urtubre de Luxe ,
de Montmorency - Luxembourg , Gontaud de
Saint - Geniès , de Foix , de Navailles , d'Elbeuf ,
Pompadour , Rothelin , de Leffe du Coudrai proche
parent de Georges Duc de Virtemberg , Caumont-
la-Force , Montalambert- Moubaux , Beaumont
des Junies , la Lane , Fumel de Monfegur
d'Albret , de Tallerant , de Montpefat , de Goth ,
maifon du Pape Clement V. de Bourdeille , Caftelnau
de Clermont - Lodeve , Pardaillant , de
Roye- Rouffy , de la Rochefoucault , Candale de
Foix , Gontaud-Biron , d'Aydie de Riberac , Théobon
, de Pons , Fumel , Beaupoil - Saint- Aulaire ,
Harcourt -Beuvron , de Chapt de Raftignac , Dur
fort de Duras , de Bearn de Braffac , &c.
Il ne refte de la branche de M. l'Evêque de
Marſeille que le Marquis de Belfunce de Caftelmoron
fon petit neveu , fils de feu Antonin Armand
, Comte de Belfunce , Grand Louvetier de
France , & d'Alexandrine-Charlotte Sublet d'Heudicourt
, & petit-fils de Charles- Gabriel de Belfunce
, Marquis de Caſtelmoron , &c. Capitaine-
Lieutenant des Gendarmes Bourguignons , Lieuten
ant général des armées du Roi , Gouverneur &
Sén échal des provinces d'Agenois & Condommois,
& de Cécile - Genevieve de Fontanieu.
Kvj
228. MERCURE DE FRANCE.
Le chef de la branche aînée de cette maiſon , eft
Armand , Vicomte de Belfunce , Colonel du régiment
de ce nom .
Louis-François- Alexandre Savary , Seigneur &
Marquis de Lancofme , Chevalier de l'Ordre
royal & Militaire de Saint Louis , ci - devant
capitaine de Grenadiers au Régiment de
Richelieu , eft décédé le 12 Juin 1755 , dans
fon Château de Lancofme en Touraine , âgé de
foixante ans , il étoit chef du nom & armes de
Savary, & avoit épousé par contrat de mariage du
9 Janvier 1725 , damoiſelle Marie - Anne de Vaillant
, fille de Meffire François de Vaillant , Chevalier
, Seigneur d'Avignon , & de Dame Marguerite
de la Bouchardiere , dont font iffus trois fils ,
fçavoir ,
Louis-Jean-Baptifte Savary , Seigneur & Marquis
de Lancofne , Capitaine dans le régiment de
Bourgogne , cavalerie, marié à Damoiselle Louife-
Renée de Roncée.
Louis-Alexandre Savary- Lancoſme , chevalier
de Malthe.
Louis - François Savary- Lancofme , Prêtre , Bachelier
de la Faculté de Théologie de Paris , à la
fin de fa Licence.
Il y a une autre branche de la maiſon de Savary,
connue depuis 200 ans fous le nom de Bréves , de
laquelle eft aîné Paul - Louis- Jean - Baptifte - Camille.
de Savary- Breves , appellé le Marquis de Jarzé ,
parce qu'il a hérité du Marquifat de Jarzé en Anjou
dans la fucceffion collatéralle de Marie- Urbain-
René du Pleffis , Marquis de Jarzé , décédé
fans enfans.
Voyez à l'article des Morts & mariages du fe-.
cond volume de Juin , il y eft parlé très au long des
deux branches de cette maiſon.
}
JUILLET . 1755. 229
ARRESTS NOTABLES.
Arrêt de la Chambre des Comptes,du 22 Février
1755 , qui ordonne que toutes les renres
créées par le Roi fur les Aydes & Gabelles
fur les Tailles , fur les Poftes , ou fous telle autre
dénomination que ce foit , conferveront leur nature
d'immeubles .
Ordonnance du Roi , pour régler la diftribution.
des Congés d'ancienneté , du premier Mai 175 5 .
De par le Roi. Sa Majesté voulant régler le nombre
des Cavaliers , Dragons & Soldats de fes troupes
, aufquels il devra être délivré des congés
d'ancienneté pendant l'hiver prochain , Elle a ordonné
& ordonne ce qui fuit :
ART. I. Il fera délivré deux congés abfolus dans
chaque compagnie de fufiliers , de grenadiers &
d'ouvriers , & dans celles de cavalerie & de dragons
à cheval , & trois congés dans chaque compagnie
du régiment royal-artillerie , de mineurs
& de dragons à pied , le tout autant qu'il fe trouvera
dans lesdites compagnies un pareil nombre
de cavaliers , dragons & foldats , dont les enga- ,
gemens feront expirés.
II Ces congés feront délivrés le premier du
mois de Septembre prochain , dans les régimens ,
qui ne font point du nombre de ceux qui ont
reçu des ordres pour camper , & dans ces derniers
, à la féparation des camps où ils auront
fervi ,
III. On renvoyera par préférence les cavaliers ,.
dragons & foldats de chaque compagnie , dont
230 MERCURE DE FRANCE.
les engagemens feront expirés les premiers ; &
s'il s'en trouve plufieurs dans une même compagnie
qui ayent fini le tems de leur fervice de la
même date , ils tireront au fort.
IV. Lorsqu'un cavalier , dragon ou foldat qui
devra avoir fon congé d'ancienneté , préférera de
renouveller fon engagement dans la même compagnie
, celui qui le fuivra ne pourra demander
d'être congédié à la place.
V. Celui qui étant redevable à fon capitaine
de quelques avances , ne fera pas en état de le
rembourfer à l'échéance de fon congé , fera
obligé de continuer à fervir dans la même compagnie
, jufqu'à ce que s'étant acquitté , il puiffe
reprendre fon rang dans la diftribution des congés
; & cependant le congé qu'il auroit dû avoir
s'il n'eût pas été redevable , fera donné au plus
ancien de ceux qui feront en droit de l'obtenir
après lui.
VI. Le Capitaine payera de fon côté à ceux
qui feront congédiés , ce qu'il pourra leur devoir ;
& il aura l'option de leur laiffer leur habit , ou de
leur donner à chacun quinze livres , en les renvoyant
avec la vefte & le chapeau.
VII. Sa Majefté ayant fixé le prix des engagemens
à la fomme de trente livres , fon intention
eft qu'aucun cavalier , dragon ou foldat ne puiffe
obtenir fon congé abfolu qu'après avoir reftitué
à fon Capitaine ce qu'il auroit reçû d'engagement
au-delà de cette fomme , & il en fera ufé à l'égard
de ceux qui ne pourront y fatisfaire , comme il
eft porté à l'article V. Entend néanmoins Sa Ma-'
jefté que le Capitaine ne pourra rien répéter de
ce qu'il aura donné au- delà de trente livres , à
ceux qui auront fervi pendant trois années de
guerre de plus que leur premier engagement , ou
JUILLET. 1755- 231
qui auront rempli confécutivement deux engagemens
de fix ans dans la même compagnie.
VIII. Ceux qui ont été admis aux places de
fergent , caporal , anfpeffade & grenadier dans
l'infanterie & les dragons à pied , & à celles de
brigadier dans la cavalerie & les dragons à cheval ,
ou qui le feront par la fuite , ferviront pendant trois
années dans lefdites placés au-delà du tems porté
par leurs engagemens précédens , lefquelles trois
années feront comptées pour ceux qui auront
paffé fucceffivement à plufieurs haute-payes , du
jour qu'ils auront reçû la derniere defdites hautepayes.
Si cependant dans le nombre de ceux qui
feront propres à remplir lefdites places , il s'en
trouve qui confentent de renouveller leur engagement
pour fix années , elles leur feront données
par préférence ; & les mêmes conditions s'obferveront
à l'égard des foldats- apprentifs du régiment
Royal-artillerie , & des compagnies de mineurs &
d'ouvriers qui feront paffés ou pafferont à l'avenir
aux places de fergent & aux haute-payes de fappeurs
, bombardiers , canoniers , mineurs ,
vriers , fous-maître ou maître- ouvriers.
IX. Quoique fuivant le réglement du 3 Janvier
1710 aucun fergent , brigadier , cavalier , dragon
ou foldat , ne puiffe être reçu à l'Hôtel royal
des Invalides, qu'il n'ait au moins vingt ans de
fervice actuel & confécutif , ou qu'il n'ait été
eftropié au fervice de Sa Majefté fon intention
eft cependant que ceux aufquels , après avoir renouvelle
deux fois des engagemens de fix ans
dans la même compagnie , il furviendra pendant
le cours de leur troifieme engagement , des infirmités
qui les mettent hors d'état de continuer
leur fervice , foient reçus audit Hôtel.
X. L'intention de Sa Majefté étant que les Ca232
MERCURE DE FRANCE.
valiers , Dragons & Soldats fervent pendant tout
le temps pour lequel ils s'engagent , elle veut
qu'aucun d'eux ne puiffe prétendre fon congé abfolu
, qu'après avoir porté les armes & fait réellement
le fervice dans la compagnie pendant fix années
entieres ; & que ceux qui fe feront abſentés
par des congés limités , pour leurs affaires particulieres
, foient obligés de fervir à leur troupe un
temps égal à celui de leur abfence , par - delà le
terme de leur engagement. Quant à ceux qui fè
feront abfentés aller travailler à des recrues ,
pour
ils feront réputés avoir fervi pendant tout le temps
de leur congés , où il fera fait mention pour cet
effet , des motifs pour lefquels ils auront été accordés
; & il fera tenu par le Major de chaque
régiment , un état exact de ces congés , duquel il
délivrera une copie au Commiffaire des guerres
qui en aura la police , pour y avoir recours en
cas de befoin .
XI. Tiendront de même lefdits Majors , un
état des engagemens limités de chaque compagnie
, dans lequel ils feront mention des fommes
qu'ils vérifieront avoir été données ou promiſes
pour lefdits engagemens , afin que le Commiffaire
des guerres , auquel ils feront tenus de le communiquer
, puiffe en envoyer un extrait au mois
d'Octobre prochain , au Secrétaire d'Etat ayant
le département de la guerre , lequel extrait contiendra
le fignalement des cavaliers , dragons &
foldats qui auront été congédiés , & de ceux qui
en renouvellant leur engagement , ou en paffant
aux haute-payes , auront préféré la continuation
de leur fervice à leur congé abfolu , pour du tout
être rendu compte à Sa Majefté , laquelle veut
que la préfente Ordonnance foit exécutée , nonobftant
ce qui pourroit être contraire aux préJUILLE
T. 1755. 233
cédentes , aufquelles elle a dérogé & déroge pour
ce regard feulement.
Ordonnance du Rei fur l'exercice de l'Infanterie
, du 6 Mai 1755. A Paris , de
l'Imprimerie royale.
Voici les titres contenus dans cette Ordonnance
.
Des obligations des Officiers , & de la maniere
dont ils doivent porter les armes & en faluer.
De l'école du foldat ,
De la formation & affemblée des Bataillons ,
Du maniment des armes ,
De la marche ,
Des manoeuvres des armes
De la marche ,
>
Des manoeuvres par rang & par
files ,
Des évolutions pour rompre & réformer les
Bataillons ,
De la colonne ,
De l'exercice du feu ,
Des batteries de tambours , & des fignaux relatifs
aux évolutions ,
'Des revûes.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 4 Mai
1755 , qui proroge pour cinq années l'attribution
donnée aux Intendans pour connoître des conteftations
nées & à naître fur l'exécution des régle
mens des 27 Janvier 1739 & 18 Septembre 1741 ,
fur la fabrication du papier.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 6 Mai 1755
concernant les indemnités accordées aux Procuxeurs
du Roi de différens fiéges , pour papier &
234 MERCURE DE FRANCE .
parchemin tymbrès , dont le fonds n'a pas été ordonné
par l'Arrêt du 7 Juin 1740 , & autres rendus
poftérieurement .
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi ,du 20 Mai 1755 ,
portant réglement pour les droits & épices dûs.
aux bureaux des finances par ceux qui ont à s'y
faire inftaller & recevoir , ou à y prêter ferment ,
ainsi que pour les vérification & attache des provifions
d'offices , l'enregistrement des contrats
d'aliénation du Domaine de Sa Majeſté , & autres
droits énoncés audit arrêt .
Ordonnance du Bureau des Finances de la Généralité
de Paris , du 6 Juin 1755 , qui ordonne
que les échoppes pofées au-devant & le long de
la grille qui ferme l'enceinte où eft fituée la figure
équeftre de Henri IV fur le Pont- neuf , feront
fupprimées , ainfi que celles fur & au bas des marches
des trottoirs : Fait défenſes d'en pofer à l'as
venir , & à toutes perfonnes de percevoir aucuns
droits pour la pofition defdits échoppes.
A VIS
Tene,donne avis qu'il a acquis , & qu'il Illiard , Libraire , quai des Auguſtins , à S.
vend les livres fuivans.
Méditations fur des paffages choifis de l'écriture
fainte pour tous les jours de l'année ; par le
P. Segneri , traduit de l'Italien. Cinq volumes
in- 12 , relié. 12 liv.10 fols.
Réflexions fur le nouveau Teftament , avec des
notes par le P. Lallemand. 12 vol. in- 12 . 30 liv.
JUILLET. 1755. 235
Les quatre fins de l'homme , avec des réflexions
capables de toucher les pécheurs les plus endurcis ,
& de les ramener dans la voie du falut ; par M.
Rouault , Curé de Saint- Pair-fur-mer . 1 volume
relié , 1 liv. 16 f.
I
Les tables aftronomiques dreffées par les ordres
& la magnificence de Louis XIV ; par M. de la
Hire. I vol. in-4° . figures , relié. 7 liv.
Supplément à la méthode pour étudier l'hiftoire
; par M. l'Abbé Langlet du Frefnoy. 2 vol. in-
4° , grand papier , relié , 21 liv.
L
Le même livre en 3 vol. in-12 , 9 liv.
AUTRE.
સે
E Sieur Neilfon , Chirurgien écoffois , reçu
S. Côme , pour la guérifon des hernies ou defcentes
, traite ces maladies avec beaucoup de fuccès
, par le fecours de bandages élastiques qu'il a
inventés pour les hommes , femmes & enfans.
Ces bandages font fort approuvés , non feulement
à cauſe qu'ils font très - legers & commodes à porter
jour & nuit , mais ils font auffi très utiles
par rapport à leurs refforts qui compriment la
partie malade , ferment exactement l'ouverture
qui a permis la defcente , & réfiftent aux impulfions
que font les parties intérieures , foit à cheval
ou à pied. En envoyant la meſure priſe autour
du corps fur les aînes , marquant fur-tout l'état
de la defcente & le côté malade on eft affuré de
les avoir juftes , auffi -bien que ceux qu'il fait pour
le nombril.
Il donne fon avis , & felon l'âge & le tempérament
, il prépare des remedes qui lui font parti
culiers & convenables à ces maladies.
236 MERCURE DE FRANCE.
Voyant que les chaffeurs & ceux qui courent à
cheval ou en chaiſe , qui prêchent , chantent , danfent,
font des armes , &c. font continuellement
expofés à ces maladies ; il a aufli inventé des bandages
élastiques très - légers , commodes & néceffaires
à porter pendant ces exercices , ou d'autres
violens , pour fe garantir des maux , & prévenir
les incommodités qui arrivent tous les jours.
Sa demeure eft à Paris , fur le quai de la Mégifferie
oude la Feraille , près le Pont- neuf, au Coq.
Nota. Il ne reçoit point de lettre fans que le
port en foit payé.
AUTR E.
Hallé de laTouche , expert Dentiste , reçu
S. Côme , eft feul poffeffeur de trois remedespour
les dents , un opiat , une effence &
un élixir.
L'
'Opiat auquel il a donné le nom d'opiât ture ,
n'eft compofé que de fimples. Il n'a ni goût
ni odeur ; il a la vertu d'empêcher les dents
de fe gâter & de tomber ; il conferve l'émail ,
prévient la carie , empêche le tartre ou limon de
s'y attacher , préferve les gencives de tout accident
, de fluxions , d'abcès , de fiftule .
Cet opiat conferve les dents dans une parfaite
blancheur , dégonfle les gencives , les raffermit
au point qu'il n'eft pas néceffaire de recourir fou
vent aux inftrumens , qui ne fervent qu'à les détruire
; on peut s'en fervir pour les enfans depuis
einq à fix ans , par ce moyen on empêche la carie
JUILLET. 1755. 237
des dents de lait , qui bien fouvent par négligence
entraînent avec elles celles qui leur fuccedent.
L'effence s'appelle effence pruffienne, elle eft fpiritueule,
pénétrante, defficative , balfamique & anti-
fcorbutique ; elle a la vertu de guérir les affec
tions fcorbutiques , locales de la bouche qui s'atta
chent aux gencives , elle raffermit les dents dans
leur alvéole , quand même elle commenceroient à
s'ébranler différentes maladies ; elle adoucit
l'àcreté des liqueurs qui arrofent la bouche & les
gencives ; elle détruit cette faumure qui ronge
les vaiffeaux capillaires des gencives , & occafion
ne quelquefois des ruptures de vaiffeaux & des hémorragies.
Ces parties fe relachant les fibres fe
defuniffent , le fang y abonde en trop grande
quantité , la férotfié y croupit ; delà ces ulceres ,
ces fungofitées qui déchauffent & déracinent les
dents.
Par
Enfin cette effence détruit tous les petits ulce
rés ou aphtes qui fe multiplient dans la bouche ,
rafraîchit les levres , donne une odeur agréable
& détruit la puanteur , qui fouvent eft une ſuite
de mauvais foin , ou des maladies ci-deſſus énoncées
que cette effence guérit.
L'Auteur s'étant appliqué férieufement & depuis
plufieurs années à la perfection de fon art ,
a découvert que ce qui étoit le plus pernicieux
aux dents & aux gencives , étoit de fe fervir fouvent
de feremens , & en conféquence il a imagi
né après fon expérience les remedes qu'il propofe
au public.
Pour éviter le nettoyemeut , il fe fert d'un Elixir
qui ala propriété d'enlever le tartre , les taches
noires de deffus les dents , & les blanchit fur le
champ , fans leur faire aucun tort , ni aux autres
parties de la bouche , qu'il préferve & guérit de
toutes les maladies qui leur font ordinaires,
238 MERCURE DE FRANCE.
Il travaille à tout ce qui regarde l'ornement de
la bouche , rend les dents égales entr'elles , les
fépare les redreffe , en met d'artificielles & de :
naturelles , fans qu'elles expofent à la mauvaiſe
odeur ; les plombe , foit en or , argent ou plomb ;
il tire les dents , les racines caffées , fuffent- elles
couvertes par les gencives.
Il travaille gratis pour les pauvres , depuis deux
heures jufqu'à cinq : depuis & avant ces heures
il va en ville où il a l'honneur d'être appellé.
Son nom & fon cachet font fur fes boîtes &
bouteilles.
Les boîtes d'opiat font de trois livres ; les bouteilles
d'effence de trente fols , trois livres , fix
livres , douze livres , & vingt- quatre ; & ſon élixir
eft de trente fols , & de trois livres ,
Ces remedes fe peuvent tranfporter dans les
pays étrangers , fans fe corrompre jamais.
Il donne la maniere facile de fe fervir des remedes
ci -deffus.
Sa demeure & fon enfeigne font , rue S. Honoré,
au Caffé des Beaux Arts , vis- à- vis l'Opéra , (au
coin de la rue Fromenteau , place du Palais royal .
Il n'y a que chez l'Auteur que lesdits remedes
fe difttribuent.
J'Aer
APPROBATION.
' Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancelier
, le Mercure de Juillet , & je n'y ai rien
trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris , ce 30 Juin 1755.
GUIROY
239
TABLE DES ARTICLES.
ARTICLE PREMIER.
PIECES FUGITIVES EN VERS ET EN PROSE.
Ers à M. l'Abbé de ***
de ***
>
, par Madame
pages
7 Le Philofophe militaire
Lettre à l'Auteur du Mercure , fur le projet d'un
nouveau Dictionnaire plus utile que tous les
autres ,
3
9
23
L'Ours & le Rat , ou l'Ours philofophe , fable , 21
Epître à Eglé , par Mademoiſelle Loifeau ,
Il eut tort. Hiftoire vraisemblable ,
Eloge du menfonge à Damon ,
Portraits de cinq fameux Peintres d'Italie ,
Dialogue par M. de Baftide ,
26
33
44
47
La naiffance de l'ennui , conte traduit de l'anglois
,
52
Lettre apologétique d'un Gentilhomme italien , à
M. l'Abbé Prevôt ,
56
Mots de l'Enigme & du Logogryphe du fecond
volume du Mercure de Juin ,
Enigme & Logogryphe ,
Chanfon ,
68
69
70
ART. II. NOUVELLES LITTERAIRES.
Extraits , Précis ou Indications des Livres nouveaux
, 71
Suite d'une difcution fur la nature du goût , 90
ART. III. SCIENCES ET BELLES LETTRES,
Algébre, Réflexions fur la méthode employée par
M. G. pour réfoudre le problême qu'il a propofé
dans le Mercure du mois de Mai dernier.
Par M. Bezout , 109
240
Hiftoire naturelle. Lettre à l'Auteur du Mercure ,
au fujet de la Lettre de M. l'Abbé Jacquin fur
les pétrifications d'Albert , 113
Médecine, Lettre de M. Dequen , fur un accident
arrivé dans le cuvage de M. le Cointe de la
Queuille ,
Lettre à l'Auteur du Mercure fur la poffibilité de
connoître par l'ouverture des cadavres les
caufes des maladies ,
Chirurgie. Lettre écrite à M.... au ſujet d'une fiſtule
confidérable ,
IIS
128
131
Mécanique. Nouvelles machines pour curer les
ports de mer ,
ART. IV. BEAUX ARTS.
Mufique. Recueil d'airs , &c .
142
143
Lettrre du P. Caftel à M. Rondet , au ſujet dù
clavecin des couleurs , 144
Architecture. Mercure du mois de Juin de l'année
2355 , 159
Nouveau projet de décoration pour les théâtres ,
172
Horlogerie. Lettre du fieur Caron fils , à l'Auteur
du Mercure , 177
Remarques de M. de Lalande , de l'Académie des
Sciences , fur un ouvrage d'Horlogerie, 183
ART. V. SPECTACLES.
Comédie Françoiſe ,
193
Comédie Italienne , 194
ARTICLE VI.
Nouvelles étrangeres , 195
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 208
Bénéfices donnés , 214
Mariages & Morts , 216
Arrêts notables ,
229 /
Avis divers ,
La Chanfon notée doit regarder la page 70.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères