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1750, 10-11, 12, vol. 1-2
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MERCUR
DE
FRANCE
DEDIE
AU
R
OCTOBRE .
175
IGIT
UT
SPARGA
Chez
A
PARIS ,
ANDRE'
CAILLEAU ,
Jacques , à S André.
La Veuve
PISSOT, Quai d
à la defcente du Pont-Neuf.
JEAN DE
NULLY , au P
JACQUES
BARROI
des Auguftins , à la ville de
M. D C C. L
Avec
Approbation &
Privileged
HE NEW YORK
PUBLIC HERARY
ASTOR, LENOX AND
L
100
A VIS.
TILDEN 'FOU DAT DRESSE générale du Mercure eft
M. DE CLEVES D'ARNICOURT ,
ruë des Mauvais Garçons , fauxbourg Saint
Germain , à l'Hôtel de Mâcon. Nous prions
très - inftamment ceux qui nous adrefferont
des Paquets par la Poste , d'en affranchir le
Port , pour nous épargner le déplaifir de les
rebuter, & à eux, celui de ne pas voir paroître
leurs Ouvrages.
"Les Libraires des Provinces ou des Pays
Étrangers , qui fouhaiteront avoir le Mercure
de France de la premiere main , &plus promptement,
n'auront qu'à écrire à l'adreſſe ci- deſſus
indiquée ; on fe conformera très - exactement
leurs intentions.
"
Ainfi ilfaudra mettre fur les adreffes à M.
ds Cleves d'Arnicourt , Commis au Mercure
de France , rue des Mauvais Garçons , pour
remettre à M. l'Abbé Raynal.
(
PRIX XXX. SOLS,
eduMercure ef
D'ARNICOURT
,
auxbourg Saint
n. Nous prions
ous adrefferem
n affranchir
le
déplaifir
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es ou des Pays
voir le Mercure
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es adreffes
àM
nis au Mercure
Garçons
pour
OLS,
MERCUR
DE
FRANCE
DÉDIÉ
AU R
OCTOBRE.
1750
PIECES
FUGITIV
en Vers & en
Profe.
T
EPITRE DE M. R. D
Ecrite àfon ami
pendant fa
capti
Oi , que le deftin moins févére
A mis à l'abri du
danger ,
Pardonne ,je vais
t'affliger ;
Je prévois ta
douleur amére ,
Et je
voudrois la
ménager ,
Mais cet aveu m'eft
néceffaire ;
Un coeur accablé de miſere
N'afpire qu'à la
foulager,
Et mapeine devient legére.
Si tu
daignes la
partaget.
. A ij
4 MERCURE DE FRANCE.
Sitôt que le fort infidéle
Te dérobant à mes defirs ,
Eut par cette époque cruelle
Marqué la fin de mes plaifirs ,
Ami , tout me devint contraire ,
Et j'éprouvai de jour en jour
Le caprice trop ordinaire
De la fortune & de l'amour.
Souvent un Dieu plus favorable
Par d'utiles preffentimens
M'offroit l'image redoutable
De ces triftes évenemens ,
Mais un aveuglement funefte
Avoit obfcurci ma raiſon ;
Un feu que ma raiſon détefte
Me brûloit de fon noir poiſon.
Malgré cet oracle céleste ,
Qui par un avis manifefte
Vouloit m'épargner des douleurs ,
Artifan de mon infortune ,
J'étouffai la voix importune ,
Et je dédaignai ſes faveurs.
Depuis que le riant Zephire ,
Vainqueur de l'Aquilon fougueux ,
Exerce fon paifible empire
Sur la furface de ces lieux ,
Mon coeur inceffamment
foupire
Dans un esclavage ennuyeux ,
Tandis que tout ce qui refpire ,
OCTOBRE.
1750. S
Par le printems reffufcité ,
Nage dans l'aimable délire ,
Dans les flots de la volupté
Qu'une ardeur mutuelle infpire :
Moi feul triftement excepté ,
Je n'implore , je ne defire
Que la mort ou la liberté .
O vous , dont le tendre langage
Attendrit ici les échos ,
Citoyens du riant feuillage ,
Que j'apperçois fur ces côteaux
Du fein de mon antre fauvage ,
Etres heureux , libres oiſeaux !
Dans la fervitude ennemie
Od me plonge le fort jaloux ,
Oiſeaux , que je vous porte envie ,
Que votre fort me ſemble doux !
Dès qu'un Aftre plus falutaire
A rendu la plaine aux Zéphirs ,
Conduits par de nouvaaux defirs ,
Vous volez fur cet hémifphére ,
Pour goûter de nouveaux plaifirs
Dans les détours de la prairie.
Déja vous guettez les faveurs
De cette hirondelle chérie ,
Qui , pour irriter vos ardeurs ,
Par un amoureux artifice
Se cache un inſtant dans les fleurs ,
Et revient par un doux caprice
A iij
AVA
CURE DE FRANCE.
Vous
confoler de fes
rigueurs.
Jaloux
d'obtenir les
prémices
De fon coeur & de fes. appas ,
Tantôt fous ces
ambres
propices.
Vous livrez
d'aimables
combats ,
D'une aîle
volage ,
incertaine ,
Tantôt vous
effleurez les eaux.
De cette
paifible
fontaine ,
L'antique
ornement de la plaine ,.
Et
l'amour des jeunes
ormeaux ;
Puis
traçant des routes plus belles ,
Et vous
élançant vers les Cieux ,
Par
mille
concerts
gracieux ,
De vos
tendreffes
mutuelles
Vous allez
inftruire les
Dieux
Au fein de la
volupté pure
Achevez ainfi ces beaux jours ,
Ces jours
heureux où la nature
Se
reproduit pour les
amours
Bientôt les vents & les
orages
Reviendront
défoler les airs ,
Ennemis des triftes
hyvers
Vous
déferterez ces
rivages ,
Vous fuirez au- delà des mers ,
Et les
douceurs de vos
ramages
Charmeront un autre
univers.
Aimables
habitans du
monde ,
Oh ! que ne puis-je , ainfi que vous ,
Traverser les plaines de l'onde ,
OCTOBRE .
1750. 7
Ét conduit par un Dieu plus doux ,
Loin des mains qui trament ma perte ,
Et loin des perfides amours ,
Au fein de quelqu'Iſle déferte
Enfevelir mes triftes jours !
Hélas ! au plus fragile ouvrage
Sorti de fes fecondes mains ,
A ces pinfons gais & badins ,
Qui font réfonner le bocage ,›
La Nature prudente & fage
A permis de libres deftins ,
Et les tourmens de l'esclavage
Sont éprouvés par les humains.
Unique tréfor , dont le fage
Puiffe être justement épris ,
Tréfor dont j'ai connu l'uſage ,
Et dont je fentois tout le prix ,
Liberté fi long- tems perdue ,
Par les Dieux enfin attendris
Ne me feras-tu point rendue ?
Tes agrémens que je chéris ,
N'auroient ils donc frappé ma vûe ,
m'être auffi- tôt ravis ?
Que
pour
Dès le moment qui m'a vû naître
Tu fus l'objet de mes ſouhaits ;
Dès que j'appris à me connoître
Je ne formai de voeux fecrets ,
Je n'aimai mes jours & mon être ,
Que pour favourer à long traits
A iiij
8 MERCURE DEFRANCE .
Au fein d'une heureufe indolence ,
De la paisible
indépendance
Les plaifirs folides & vrais.
Malgré le malheur qui me preffe ,
Ami , garde-toi de penfer
Que mon coeur ait pû renoncer
Aux loix que l'aimable fageffe
En commun daigne nous tracer .
Plus le deftin jaloux m'expoſe
Aux outrages des coeurs pervers ,
Plus avec fermeté j'oppoſe
Le mépris à de tels revers ;
Ainfi dans une paix tranquille ,
Et calme au milieu des douleurs ,
Par un amufement utile
Je berce mes douces langueurs :
De la nuit , des Royaumes fombres ,
J'évoque les manes ſçavans ,
Et dans ces entretiens charmans ,
Je me confole avec les ombres
De l'injuftice des vivans.
Tantôt deux Emales célébres ,
Dont les écrits & le renom
Bravent a jamais les ténébres ,
Jufques dans ces manoirs funébres ,
Viennent embellir ma raifon ;
L'un , aidé des graces legeres
De la brillante fiction ,
Pour des malheurs imaginaires
OCTOBRE . 1750.
་་
M'arrache des larmes fincéres,
Et d'une douce illufion
Me faitfubir l'impreffion ;
L'autre , plus mâle & plus auftére
Par la force de fes couleurs ,
M'affervit à fon caractére ,
Et de la vérité levére
Faifant briller les traits vainqueurs ,
Sans enſévelir fa lumiere
Sous d'éblouiffantes erreurs ,
En m'effrayant , il ſçait me plaire ;
En me déchirant , il n'éclaire ;
En tonnant , il orne mes moeurs.
Pour cette main terrible & fainte ,
A qui je dois l'être & le jour ,
L'un enfin m'infpire la crainte ,
Et l'autre m'infpire l'amour :
J'ignore fi la jalousie
Nous fuit aux bords de l'acheron ,
Mais plus forte que fon poifon ,
Ma tablette réconcilie
Boffuet avec Fenelon.
Tantôt balançant les querelles
Qu'enfanta la Religion ,
Sous les ruines immortelles
De Port-Royal & Charenton ,
Je vois encor les étincelles
Des défolations cruelles
Qui confacrent ce double nom.
A v
10 MERCURE DE FRANCE ..
Mais les vains prestiges de Claude
Ne peuvent éblouir mes yeux ,
Dans les détours ingénieux
On démêle aifément la fraude-
De fes fophifines captieux.
Le défenfeur inébranlable
Des droits facrés de nos ayeux ,
Arnaud , ce rival redoutable ,
Chargé de l'intérêt des Cieux ,
Terraffe l'orgueil indomptable
Et des Claudes & des Jurieux.
De ces matieres épineufes
Où notre curiofité
3
Ne voit que des lueurs trompeufes ;
Dans une épaiffe obfcurité ,
Je vole avec rapidité
A ces vérités lumineuſes ,
Dont mon efprit eft enchanté.
J'admire les travaux infignes-
De ce Philofophe vanté ,
Ce flambeau de l'humanité ,
Ce Dieu que des mortels indignes
Ont fi long-tems perfécuté .
Je vois fous de magiques fignes
Le rebelle infini compté :
-
Je vois le charme heureux des lignes .
Affujettir l'immenfité ,
Et dans cette ardeur de connoître
Avec Malebranche emporté ,
OCTOBRE. 1750 II .
Je m'élance avec ce grand Maître
Au fein de la Divinité :
Là je puife avec volupté
La connoiffance de mon être´
Aux fources de la vérité .
Enfin de ces profonds abimes
L'écueil de nos vains jugemens ,
Ades images moins fublimes
Ramené par les fentimens ,
Les Dieux de la Littérature
Viennent délaffer mes efprits ,
Et dans leurs aimables écrits
Retrouvant par tout la nature
Peinte par les jeux & les ris ,
Mon coeur au milieu des ennuis
Retrouve la volupté pure
Jufques dans ces lieux ennemis.
Qu'importe , au bonheur de ma vie ,
L'ennui de la réalité ?
Lá réalité fi chérie
Vaut-elle la douce manie" "
D'une erreur dont je fuis flatré p²
Non , j'ai pefé la vanité
Des biens dont la foule eft ravie i
Mon ame n'eft point éblouie
D'une faufle félicité :
Du fentiment & du génie ,
Une douce Philofophie ,
Quelques Livres , de la fanté ,
Avji
12 MERCURE
DE FRANCE:
Et l'image de la beauté ,
Ami , voilà la volupté ,
Par tant de fages définie ,
Et qu'on n'a point encor goûté.
Mais qu'entends -je ? une voix chérie ,
Lorfque j'abandonne mes fens
Aux charmes de la rêverie ,
Annonce à mon ame attendrie
Leterme heureux de mes tourmenss.
O toi , qui durant les orages ,
Sçus conferver ta liberté ,
Quand j'échappe à tant de naufrages ,
Partages ma félicité.
La Divinité qu'on implore
N'eft jamais implorée envain.
Pour moi les Dieux ont fait éclore
Un jour plus pur & plus ferain :
Ainfila radieufe Aurore
Après un orage loudain ,
De nouveaux rayons ſe colore ,
De nouveaux feux le Ciel ſe dore ,
Et donne au Pilote incertain
Le gage d'un calme prochain.
Loin de ce féjour qu'on abhorre
Et dans ces tendres entretiens
Que j'ai perdus & que j'adore ,
Ami , je pourrai donc encore
Goûter mes plaifirs & les tiens.
Tantôt errans à l'avanture
OCTOBRE.
1750. 13
Dans ces jardins délicieux ,
Où l'art embellit la nature ,
Loin de la brillante impofture
Que le luxe étale en ces lieux ,
Couchés fur des lits de verdure
Et dans des bofqnets gracieux ,
Nous goûterons avec les Dieux
La félicité douce & pure
Qui fuit les Palais fomptueur.
Tantôt dans ces feftins aimables
Où préside la liberté ,
Entourés de mets délectables ,
Affaifonnés par la gayté,
Avec une riante troupe ,
Couronnés des plus belles fleurs
Nous puiferons à pleine coupe
L'oubli de nos longues douleurs.
Mais Life , l'inconftante Life ,
Qui peu fenfible à mes chagrins ,
Et d'autres feux fans doute éprife ,
Négligea mes triftes deftins ;
Ami , pourras- tu me la rendre ?
Me rendras- tu ces doux inftins ,
Où Life avec un fouris tendre
Calmoit mes ennuis dévorans ?
Oublions de funeftes charmes ,
Ou fi leur éclat dangereux
M'infpire encor quelques allarmes ,
Du moins dans ces dernieres larmes
14 MERCURE DE FRANGE
Noyons un amour malheureux.
Oui , je renonce à fon empire ,
Et n'eft- on point affez payé
Des foibles plaifirs qu'il inſpire
Par les plaifirs de l'amitié
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗
LETTRE
De M. Grimm a l'Auteur du Mercure ,fur
la Littérature Allemande.
L faut donc , Monfieur , puifque vous
la Littérature Allemande. Ce fujet aura
pour eux fans doute le mérite de la nouveauté
, mais j'ai grand peur que leurs préjugés
ne lui foient peu favorables . Plufieurs
d'entre eux ignorent qu'il y ait une Littérature
Allemande , & peut- être ne ſont - ce
pas ceux là qui en penfent le moins avantageufement.
Des beaux - efprits Allemands !
Quels termes pour des oreilles Françoiles !
Cependant l'esprit , ainfi que la fottife , elt
de toutes les Nations. Horace & Mevius
Boileau & Cotin ont été compatriotes , &
fila Thrace a eu fes Orphées , pourquoi
l'Allemagne n'auroit elle pas fes Poëtes ?
Il n'y a pas cent ans que la Patrie de Scha-
Kefpear , de Milton , du Comte de Rö--
OCT GBR E.
1750: THE
chefter,paffoit en France pour un pays barbare
où les Belles Lettres & la Poëfie ne
pouvoient avoir d'accès , & je penfe qu'une
telle expérience eft très- propre à nous
donner de la circonfpection , & à nous ap
prendre une fois pour toutes , que ce n'est
point le climat qui donne ou ôte le génie,
& que ce don célefte vient de plus loin .
Tout ce qui porte l'empreinte du génie,
de quelque part qu'il vienne , mérite l'attention
& l'eftime de l'homme de goût.
Laiffons aux Républiques politiques cet
efprit de prédilection pour les enfans nés
dans leurs murs. Dans la République des
Lettres nous ne devons méconnoître pour
concitoyens que ceux qui font nés fans talens
& fans goût pour les Beaux- Arts . Tous
ceux qui les aiment & qui s'y connoiffent,
font nos compatriotes ; le pays n'y fait
rien. Pour moi du moins qui fais peu de
cas de la querelle des Nations fur leurs
avantages réciproques , je ne reconnois aucune
difference entre elles , quand il s'agit
des Beaux Arts , & je fuis aufli glorieux &
auffi fier des talens & des ouvrages de
!!
l'Auteur de Zaïre , que fi j'étois né à Paris
ou qu'il fût né au fein de l'Allemagne,
Les génies fupérieurs font des préfens que
Ja Nature fait à l'humanité qu'ils éclairens,
& non pas à leur Patrie , qui fouvent les .
méconnoît
16 MERCURE DE FRANCE.
A prendre même les chofes dans un au
tre fens , la France a encore des raisons
particulieres de fe glorifier du progrès de
la Poëfie & des Belles - Lettres en Allemagne.
Ce font les grands hommes qu'elle a
produits , qui nous ont appris , finon l'Art
de penfer , l'Art peut être encore plus difficile
de développer nos penfées , de leur
donner cette forme élegante , & ce tour .
agréable , qui font toujours valoir le fond
des chofes , & qui fi fouvent en tiennent
lieu . Les Boileaux , les Corneilles , les
Racines , les Fontenelles , les Voltaires ont
été nos Maîtres , & cette admiration &
cette reconnoiffance qui leur font dûes ,
trop faciles peut- être à s'éteindre chez leurs
defcendans , ils les trouveront éternellement
parmi leurs Eleves .
Je fçais bien , Monfieur , & je l'avoue
fans honte , que je n'aurai point de génies
à célébrer qui foient dignes de figurer à
côté de ces hommes célébres . Nous n'avons
point de Moliere , & à en juger par
le ton que la Comédie a pris dans ce fiécle ,
je crains fort que la France n'en ait jamais
deux. Nous n'avons pas non plus des Corneilles
, des Racines , des Crebillons , des
Voltaires , & c. Que nous importe , puifque
ceux- làmêmes nous les avons ? Leurs
ou vrages immortels font l'ornement de
OCTOBRE. 1750. 17
S
e
S
LI
15
rs
le
nos Spectacles , comme du Théatre de
Paris , avec cette difference peut- être que
nous les fçavons mieux prifer. A Paris
on joue le Mifantrope & Cinna , pour
vingt hommes difperfés dans le Parterre ,
petit & précieux refte du bon & de l'ancien
goût. En Allemagne la Salle ne peut
jamais contenir tout le monde qui fe préfente
à la repréſentation de ces Piéces . On
eft chez nous avide des bonnes chofes ,
comme on l'eft à Paris des nouveautés.
Si les Poëtes du premier ordre nous
manquent , fi les beaux efprits font rares
parmi nous , nous avons mieux fans doute ,
de célébres Philofophes , à qui il n'a manqué
que la volonté pour être Poëtes &
beaux efprits ; d'illuftres Théologiens ,
dont l'éloquence n'avoit befoin pour être
admirée que de parler un Langage plus
connu. Ces grands hommes , & tant d'Artiftes
célébres en divers genres que l'Allemagne
à produits , ont tous brillé par la
partie qui fait toutes les autres , fçavoir le
génie , & fur tout par l'imagination qu'on
fe plaît à nous refufer. Que leur manquoit-
il donc pour plaire ? Des graces ,
me dira-t'on ; mais les graces ne font pas
le génie , elles s'acquerent par lui ; le goût
eft encore une chofe factice , qu'on trouve
toujours quand on la fçait chercher . L'inf
18 MERCURE DE FRANCE.
trument univerfel eft le génie avec lequel
tout le fait , & auquel rien ne peut ſup
pléer.
Pourquoi donc n'avons- nous ni Poëtes
ni Orateurs du premier ordre ? Peut-être
feroit-ce très -bien répondre que de fe
contenter de dire , que leur tems n'eſt
pas
encore venu . La France n'a pas toujours
ea des Boffuets & des Boileaux , & l'Allemagne
aura peut- être les fiens quelque
jour. Elle a appris du moins à admirer les
écrits de ces grands hommes , & ce n'eft
pas avoir fait peu de progrès dans les Let
tres que de fçavoir connoître & aimer le
beau.
C'est dans la conftitution politique de
l'Etat , & non dans le défaut de génie des
habitans , qu'il faut chercher la caufe de
la médiocrité de la Littérature Allemande .
Partagée entre tant de Princes , l'Allemagne
n'a point de Capitale qui réuniffe en
un centre tous les talens , dont le concours
fait naître cet efprit d'émulation fi néceffaire
aux Beaux Arts. La gloire de ceux
qui s'y diftinguent , ne peut s'étendre au
loin , leurs récompenfes mefurées aux facultés
des Souverains font toujours trop
bornées , & rien ne les excite à des efforts
extraordinaires. De plus , l'étude du droit
public , fi néceffaire à la fortune , & fi pré. ·
OCTOBRE. 1780. 19
judiciable aux talens , abforbe tout le loi
fir de la jeuneffe ftudieufe. Qui oferoit le
livrer à la poëfie , fûr du mépris de nos
Sçavans , qui ne veulent que du Grec &
du Latin , & fans appui du côté des
Grands , qui fouvent affectent de ne pas
fçavoir l'Allemand , & dont toutes les
vues tournées du côté de la politique éloignent
leur goût des talens agréables ? On
a beau dire que le génie bien décidé entraîne
, malgré qu'on en ait , & triomphe
de tous les obftacles , cela peut être vrai
pour un homme , & non pour une Nation ;
les talens fans appui font des plantes hors
de la terre. Le danger de périr eft évident .
Il y a un homme dans l'Europe qui fe leve
à cinq heures du matin , pour travailler à
répandre la félicité fur quatre cens lieues de
terrein, Cet homme par excellence , ce
Monarque célébre , dont le génie eft audeffus
des plus grandes chofes , & à qui
aucun détail ne paroît indigne d'attention
, s'il vouloit , pourroit bientôt ( &
c'est lui feul qui le pourroit ) donner à la
Langue Allemande le luftre qu'il a donné
à toutes les actions ; après avoir tout fait
pour fa gloire , il ne lui refte plus qu'à
ravailler pour celle de fon Pays ; c'eſt à:
Lui qu'il appartient de naturalifer en Alle
magne les Beaux Arts qu'il y fait fleurir.
20 MERCURE DE FRANCE.
Cet ouvrage fera le fien , ou ne fe fera
jamais , car s'il en déſeſpere , quel autre
l'ofera tenter ?
Quoiqu'il en foit , nos beaux efprits
n'en font que plus eftimables d'avoir , fans
protection & malgré tant d'obftacles ,
réuffi dans plufieurs parties des Belles Lettres.
Et voilà ce que vous voulez
que j'ex.
poſe à vos Lecteurs. Je tâcherai donc ,
Monfieur , de faire connoître ce que les
Allemands ont de meilleur dans chaque
genre de Littérature , & je cacherai , comme
de raiſon , avec grand foin , tout ce
qui ne nous fait point honneur , comme
chofe très- fuperflue à dire en France .
Pour exécuter ce deffein avec plus d'ordre
& de clarté, je commencerai par établir
certaines divifions ,
aufquelles on pourra
rapporter dans la fuite les Auteurs & les
matieres dont j'aurai à parler.
Je comprendrai dans la premiere tous
ces fiécles de l'antiquité , & du moyen
âge , qui ne nous ont laiffé que des monumens
de l'ignorance & de la barbarie de
ces tems-là. L'époque qui fervira de terme
à cette premiere divifion , fera l'établiſſement
de l'Imprimerie.
L'invention de cet Art important , dont
on eft redevable aux Allemands , en fera
une autre. Comme ils en ont été les in1
OCTOBRE
. 1750. 21
S
S
-S
e0
[
venteurs , ils s'en font auffi prévalus les
premiers , & nous avons dès ce tems - là
beaucoup de Livres imprimés ; furtout des
Traductions des anciens Auteurs , & c.
Le fiécle de Luther fera une troisième
époque , c'eft proprement celle de l'établiffement
des Lettres en Allemagne.
C'est alors qu'on commença à profiter de
l'exemple des Italiens , & à fe livrer à l'étude
des anciens , & de-là cette foule de
Latiniftes que l'Allemagne a produits , &
qui , s'ils ont eux- mêmes manqué de goût ,
с n'ont pas laiffé par leur fçavoir & par
leur travail , que de contribuer à faire renaître
celui de la bonne Littérature. C'eft
fartout dans ce tems- là qu'on commença
à perfectionner la Langue Allemande , &
comme dans prefque toutes les Provinces
Catholiques de l'Allemagne on parle un
fort mauvais Allemand , la culture de la
Langue & des Belles Lettres en général eft
reftée en partage aux Proteftans . Luther
lui-même eft le premier Ecrivain Allemand
, en rang ainfi qu'en date . Son ſtyle
eft pur & naturel , auffi eft- il parmi nous
d'une autorité claffique. On s'imagine
bien que les écrits d'un génie auffi vif &
auffi bouillant ne manquent point de chaleur.
Sa Poëfie eft pleine de nobleffe , de
jeu & de force. Il a fait plufieurs Pleau-
S
3
22 MERCURE DEFRANCE.
mes & Hymnes , qui font encore en uſage
dans les Eglifes Proteftantes , & j'ai entendu
chanter dans les Eglifes Catholiques
, en Baviere , quelques-unes des
Hymnes qu'il a traduites du Latin. Le
nombre des Comédies que nous avons de
ce tems là eft incroyable , j'aurai occafion
d'en parler.
Opitz de Boberfeld , qui a vécu dans
le fiècle dernier , cent ans après Luther ,
& durant cette funefte guerre de trente
ans qui ravagea fi cruellement l'Allemagne
, fera la quatrième époque , tems qui
ne fut guéres propre aux progrès des Arts
& des Sciences. Opitz de Boberfeld , Siléfien
, eft généralement appellé le Pere
des Poëtes Allemands . C'est le premier
de nos Poëtes de profeffion , dont la réputation
fe foit conftamment foutenue .
L'Empereur Ferdinand lui donna des titres
de nobleffe. Il étoit fort eftimé de
Uladiflas , Roi de Pologne & de Suéde ,
& de plufieurs Princes de fon fiécle . La
Siléfie étoit fi fiére d'avoir produit ce
Poëte , & quelques autres depuis lui , que
les Siléfiens s'imaginoient pendant longtems
être nés Poëtes , & furtout de pouvoir
juger en dernier reffort des ouvrages
d'efprit. Nous ne manquerons point d'occafion
de parler plus au long de ce Pere
OCTOBRE .
1750.
23
de notre Poëfie & de fes ouvrages , qu'on
a réimprimés de nos jours en Allemagne
& en Suiffe , avec tous les ornemens &
tou es les fuperfluités , dont on a foin de
rencherir les éditions des Auteurs Latins
& Grecs , fans oublier les variantes. Le
tems que renferme cette divifion , abonde
en génies qui fe font exercés dans tous les
genres de Belles Lettres , & s'étend jufqu'à
1720.
Les trente ans écoulés depuis , feront
ma cinquiéme & derniere divifion , à laquelle
je donnerai le nom de M. Gottfched
.
M. Gottſched , de l'Académie de l'Inftitut
de Bologne , & Profeffeur en Philofophie
& en Poëfie dans l'Univerfité de
Leipfic , eft né à Konigsberg , Capitale de
la Pruffe. Le feu Roi de Pruffe avoit pour .
les hommes grands le même penchant que
fon fils a pour les grands hommes . La
ftature du jeune Gottfched excita de la part
du pere , l'attention que le fils n'auroit
eue que pour fon efprit. Mais ces deux
Princes n'étant pas moins oppofés dans la
maniere de s'attacher les hommes , que
dans l'objet de leur inclination , M. Got: -
fched fe vit obligé de quitter furtivement
fa Patrie , pour échapper à des enrolleurs
qui cherchoient à l'enlever pour le fervice
24 MERCURE DE FRANCE.
du Roi. Il s'établit à Leipfic où il n'a ceffé
depuis ce tems - là de travailler avec ardeur
aux progrès de la Langue Allemande &
des Belles-Lettres , & il faut convenir que
l'Allemagne lui a des obligations très -elfentielles.
Il avoit lû , par un heureux hazard
peut-être , les grands hommes du fiécle
de Louis XIV . Corneille , Racine , Boileau ,
Saint Evremond . Il enrichit fes écrits de
ce que d'après les anciens , ces grands Maîtres
lui avoient enfeigné. Avant lui , il
n'y avoit guéres que les gens du monde
qui connuffent les Auteurs François ; les
Sçavans en général , peu curieux de la Littérature
moderne , ne lifoient guéres de
tous vos Ecrivains que les Commentateurs
& quelques Jurifconfultes , les feuls que
perfonne ne lit. On fçait que nos jeunes
gens , qui viennent à Paris pour fe former
les manieres , choififfent ordinairement
pour cela la feule compagnie , parmi laquelle
on foit difpenfé d'en avoir. Voilà
comment nos gens de Lettres choififfoient
les Livres pour fe former le goût . Les
jeunes gens qui n'étoient pas fans talens ,
fe trouvoient fans aucun guide pour les
diriger , & c'est une obligation qu'ils ont
à M. Gottfched de les avoir conduits à ces
fources du beau qu'ils ne connoiffoient
point , & d'avoir établi l'autorité de Boileau
OCTOBRE .
25 1750.
S
[
3
leau à côté de celle d'Horace ; Saint Evremont
à côté de Quintilien , & le grand
Corneille à côté du grand Sophocle. Le
Théatre Allemand doit à M. Gottfched
feul l'état où il fe trouve aujourd'hui , &
dont j'aurai à rendre compte à fon tour.
Voilà , Monfieur , une idée générale de
la Littérature Allemande , avec laquelle il
fera aifé au Lecteur de ranger dans un ordre
convenable ce que j'aurai à dire dans
la fuite fur cete matiere. Je fuis avec un
fincere & inviolable attachement , & c.
A Paris le 4 Août 1750 .
****************
TRADUCTION
D'une Chanfon Italienne de M. l'Abbé
Metaftafio , inferée dans le Mercure de
Juillet 1750.
LE voici ce moment terrible ,
Life , ma chere Life , adieu.
Comment me fera-t'il poffible
De vivre fans toi dans ce lieu ?
Dans une douleur immortelle
Je vivrai , féparé de toi ;
Et qui fçait fi toujours fidelle ,
Life fe fouviendra de moi ?
26 MERCURE DE FRANCE .
Permets , chere Life , par grace ,
'Au lieu de mon bonheur paffé ,
Que mon coeur te ſuive à la trace ,
Toujours de fon amour preflé ;
Dans la route où le fort t'appelle ,
Tu m'auras toujours près de toi ,
Mais qui fçait fi toujours fidelle ,
Life fe fouviendra de moi ?
*XX
Aux plus deferts de nos bocages
J'irai demander chaque jour ,
Même aux rochers les plus fauvages,
Le cher objet de mon amour.
Du foir à l'Aurore nouvelle ,
T'appeller fera mon emploi ;
Et qui fçait fi toujours fidelle ,
Life fe fouviendra de moi ?
****
Je viendrai vifiter fans ceffe
Les charmans , les aimables lieux
Où vivant près de ma Maîtreffe ,
Sans ceffe je vivois heureux.
Là , par ce que je me rappelle ,
Combien de regrets je prévoi;
Et qui fçait & toujours fidelle ,
Life fe fouviendra de moi ?
****
OCTOBRE . 1750.
27
Là, dirai- je , fur ce rivage ,
Life un jourfeignit du dédain
Mais pour finir ce badinage ,
Elle m'abandonna ſa main.
L'efpoir , la langueur mutuelle
Nous égaloient au plus grand Roi,
Et qui fçait fi toujours fidelle ,
Life fe fouviendra de moit
*
Combien vas-tu caufer d'allarmes ,
Life , dans ton nouveau ſéjour !
Que de coeurs épris de tes charmes ,
A l'envi te fefont la cour !
Ah ! dans cette foule nouvelle
D'amans qui t'offriront leur foi ,
Ah! qui fçait fi toujours fidelle ,
Life le fouviendra de moi ?
Penfe à cette douce bleſſure
Que tu me laiſſes dans le coeur ;
Songe combien fut toujours pure
Ma fincére , ma vive ardeur.
Penſe à cette heure trop cruelle
Qui va me féparer de toi ;
Penfe ... hélas ! ma Life fidelle
Se fouviendra-t'elle de moit
Bij
28 MERCURE DE FRANCE
SONNET
IRREGULIER ,
Imité d'un Sonnet Italien de M. Gio della
Calas , Cura , che di timor ti nutri
crefci , &c.
O
Toi que la crainte nourrit ,
Qui des maux des amans fais ton unique étude ,'
Fatale jaloufie , affreuse inquiétude ,
Pourquoi troubles - tu mon efprit a
Pourquoi cette langueur, à mon ame inconnue,
De mes plaifirs vient- elle interrompre le cours ?
Ne puis - je loin de toi couler mes heureux jours ,
Et mourir fans - t'avoir connue ?
Va,monftre affreux que l'Averne en courroux;
Laffé de tes forfaits , a vomi parmi nous ,
Toi, dont le noir venin s'eft gliffé dans mes veines.
Sors de mon coeur , va , retourne aux Enfers ;
Eprouves-en tous les tourmens divers ,
Et s'il fe peut , qu'ils furpaffent mes peines,
OCTOBRÉ, 1750. 29
AUTRE IMITATION
D'une Stance de l'Ariofte dans fon Roland
le Furieux : La Verginella è fimile à la
Rofa.
L
'Innocence eft comme une rofe ,
Qui fur fa tige écloſe ,
N'emprunte fon éclat d'aucun art étranger ,
Et qu'un tendre regard de Flore ,
L'haleine du Zéphire & les pleurs de l'Aurore ,
Rendent digne des foins d'un amoureux berger ;
Mais pour parer le fein de quelques belles,
A peine elle a quitté
La tige maternelle ,
Faveur , éclat , beauté ,
Four périt avec elle.
N. Guillemard , de Rouen.
В и
30 MERCURE DEFRANCE.
L
:::
SUITE
De l'Hiftoire des Croisades , par
M. de Voltaire .
Es Seigneurs Maîtres de Jérufalem
s'affembloient déja pour donner un
Roi à la Judée . Les Eccléfiaftiques fuivant
l'armée , fe rendirent dans l'affemblée &
déclarerent nulle l'élection qu'on alloit
faire , parce qu'il falloit, difoient- ils , faire
un Patriarche avant de faire un Souverain .
Cependant Godefroy de Bouillon fut
élu , non pas Roi , mais Duc de Jérusalem .
Quelques mois après arriva un Légat du
Pape , nommé Daim - barto , qui fe fit nommer
Patriarche par le Clergé . Et la premiere
chofe que fit ce Patriarche , ce fut de
prendre Jérufalem pour lui- même . Il fallut
que Godefroy de Bouillon , qui avoit
conquis la Ville au prix de fon fang , la
cédât à cet Evêque . Il fe réferva le Port de
Joppé & quelques droits dans Jérufalem ,
droits bien médiocres dans ce pays ruiné.
Sa Patrie qu'il avoit abandonnée , valoit
bien au- delà de ce qu'il avoit acquis en
Paleſtine .
Les mêmes circonftances produifent les
OCTOBRE. 1750. 316
n
t
e
2.

C
1
n
mêmes effets . On a vû que quand les fucceffeurs
de Mahomet eurent conquis tant
d'Etats , la difcorde les divifa ; les Croisés
éprouverent un fort à peu près femblable ;
Ils conquirent moins & furent divifés plutôt.
Voilà déja trois petits Etats Chrétiens
formés tout d'un coup en Afie , Antioche,
Jerufalem & Edeffe . Il s'en forma quelques
années après un quatrième ; ce fut celui de
Tripoli de Syrie , qu'eut le jeune Bertrand ,
fils du Comte de Touloufe ; mais pour conquérir
Tripoli , il fallut avoir recours aux
Vaiffeaux Vénitiens . Ils prirent alors
à la Croifade , & fe firent céder une partie
de cette nouvelle conquête .
part
Tous ces nouveaux Princes avoient promis
de faire hommage de leurs acquifitions
à l'Empereur Gree ; aucun ne tint fa
parole , & tous furent jaloux les uns des
autres. En peu de tems ces Etats divifés &
fubdivifés pafferent en beaucoup de mains
differentes . Il s'éleva , comme en France ,
de petits Seigneurs , des Comtes de Joppé
, des Marquis de Galilée , de Sydon ,
d'Acre , de Cézarée .
Soliman , qui avoit perdu Antioche &
Nicée , tenoit toujours la campagne , habitée
d'ailleurs par des Colons Mufulmans ;
& fous ce Soliman & après lui , on vit
dans la Syrie & dans l'Afie Mineure un
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
mélange de Chrétiens , de Turcs , d'Ara
bes , fe faiſant tous la guerre . Un Château
Turc étoit voifin d'un Château Chrétien ,
de même qu'en Allemagne , les tèrres des
Proteftans & des Catholiques font mutuellement
interceptées.
De ce million de Croifés , bien peu reftoient
alors. Au bruit de leurs fuccès , groffis
par la renommée , de nouveaux effains
partirent encore de l'Occident. Ce Prince
Hugues , frere de Philippe I. qui étoit retourné
en France avant la prife de Jérufalem
, fans avoir rien obtenu de fon frere ,
ramena une nouvelle multitude , groffie par
des Allemands & des Italiens . On en compta
trois cens mille ; mais en réduifant ce
nombre aux deux tiers , ce font encoredeux
cens mille hommes au moins qu'il
en coûta à la Chrétienté. Ceux- là furent
traités vers Conftantinople à peu près
comme les fuivans de Pierre l'Hermite.
Ceux qui aborderent en Afie , furent dé- .
truits par Soliman , & le Prince Hugues.
mourut,prefque abandonné dans l'Aſie Mineure.
Ce qui prouve peut- être encore la foibleffe
de la nouvelle Principauté de Jéru--
falem , c'eft l'établiſſement ( 1092) de ces .
Religieux Soldats , Templiers & Hofpita- .
liers. Il faut bien que ces Religieux , fon-.
OCTOBRE. 77508 33
des d'abord pour fervit les malades dans
les Hôpitaux , ne faffent pas en fûreté ,
puifqu'ils prirent les armes . D'ailleurs
quand la fociété générale eft bien gouvernée
, on ne fait gueres d'affociations particulieres.
Les Religieux confacrés au fervice
des bleffés , ayant fait voeu de fe battre
vers l'an 1118 , il fe forma tout d'un coup
une Milice femblable fous le nom de Tem
pliers , qui prirent ce titre , parce qu'ils demeuroient
auprès de cette Eglife , qui
avoit , difoit- on , été autrefois le Temple
de Salomon. Ces établiffemens ne font
dûs qu'à des François . Raimond Dupuis ,
premier Grand- Maître & Instituteur de la
Milice des Hofpitaliers , étoit de Dauphi
né. Les Fondateurs des Templiers étoient
d'autres François. A peine ces deux Ordres
farent- ils établis , par les Bulles des Papes,.
qu'ils devinrent riches & rivaux. Ils fe bat--
dirent les uns contre les autres auffi fou--
vent que contre les Mahométans . L'habit
blanc des Templiers & la robe noire des
Hofpitaliers étoient un fignal continuel
de combats. Bien- tôt après un nouvel Or
dre s'établit encore en faveur des Allemands
abandonnés dans la Paleſtine , & co :
fat l'Ordre des Moines Teutoniques , quit
devint après en-Europe une Milice de Moines
conquérans..
B₁ pv
34 MERCURE DE FRANCE
Enfin la fituation des Chrétiens étoit fi
peu affermie , que Baudouin , premier Roi
de Jérufalem , qui regna après la mort de
Godefroy , fon frere , fut pris prefque aux
portes de la Ville par un Prince Turc, dont
la veuve aima mieux bien-tôt après le relâ
cher à prix d'argent, que de venger par fa
mort le fac de Jérufalem.
1.
Les conquêtes des Chrétiens s'affoiblif.:
foient tous les jours ; les premiers con--
quérans n'étoient plus ; leurs fucceffeurs
étoient amollis ; déja l'Etat d'Edelle étoit
repris par les Turcs en 1140 , & Jérusalem .
menacée . Les Empereurs Grecs ne voyant :
dans les Princes d'Antioche , leurs voifins ,
que de nouveaux ufurpateurs , leur fai
foient la guerre, non fans juftice. Les Chrétiens
d'Alie , prêts d'être accablés de tous
côtés , folliciterent en Europe une nou
velle Croifade. Les Papes n'avoient pas
moins d'intérêt à défendre tant d'Eglifes .
qui devoient augmenter leurs droits &
leurs richeffes.
La France avoit commencé la premiere
inondation ; ce fut à elle qu'on s'adreffa
pour la feconde . Le Pape Eugene III , n'agueres
, Difciple de Saint Bernard , Fonda
teur de Clairvaux , choifit avec raifon fon
premier Maître pour être l'organe d'un
nouveau dépeuplement.
3
OCTOBRE 1750 . 35
Gi:
bi
Le
X
1-
2
1-
it
ht
5,
S
5
S
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1
Jamais Religieux n'avoit mieux concilié
que Bernard , le tumulte des affaires avec
l'austérité de fon Etat ; aucun n'étoit arrivé
comme lui à cette confidération purement
perfonnelle , qui eft au -deffus de l'au
torité même. Son contemporain l'Abbé
Suger étoit premier Miniftre de France ;
fon Difciple Eugene étoit Pape , mais Bernard
fimple Abbé de Clairvaux , étoit l'O
racle de la France & de l'Europe..
A Vezelai en Bourgogne ( 1146 ) fut
dreflé un échaffaut dans la Place publique ,
où Bernard parut à côté de Louis le Jeune,
Roi de France. Il parla d'abord , & le Roit
parla enfuite. Tout ce qui étoit préfent
prit la Croix ; le Roi la prit le premier des
mains de Saint Bernard. Le Miniftre Suger
ne fut point d'avis que le Roi abandonnât
le bien certain qu'il pouvoir faire à ſes ·
Etats , pour tenter en Syrie des conquêtes
incertaines ; mais l'éloquence de Bernard
& l'efptit du tems , fans lequel cette élo--
quence n'étoit rien , l'emporterent fur les
confeils du Miniftre.
On nous peint Louis le Jeune comme
un Prince plus rempli de ferupales que
de verru. Dans une de ces petites guerres
civiles que le Gouvernement féodal ren--
doit inévitables en France , les troupes du¹
Roi avoient brûlé l'Eglifé de Vitri , & lec
B - vj
36
MERCURE DE FRANCE
peuple réfugié dans cette Eglife avoit péris
dans les famines. On perfuada aifément
au Roi qu'il ne pouvoit expier qu'en Paleftine
ce crime , qui eût été mieux réparé
en France par une adminiftration fage. Sa
jeune femme Eléonore de Guyenne fe
croifa avec le Roi , foit qu'elle l'aimât
alors , foit qu'il fût de la bienféance de ces
tems d'accompagner fon mati dans de telles
guerres..
Bernard s'étoit acquis un crédit fi fingulier
, que dans une nouvelle affemblée à
Chartres , on le choifit lui- même pour être
le chef de la Croifade. Ce fait paroît prelque
incroyable. On avoit un Roi de France
& on choififfoit un Religieux ; mais tour
eft croyable de l'emportement des peuples.
S. Bernardavoit trop d'efprit pour s'expoferau
ridicule qui le menaçoit. L'exemple de
l'Hermite Pierre étoit récent. Il refufa.
De France il court en Allemagne . Il y
trouve un autre Religieux qui prêchoit las
Croifade. Il fait taire ce rival qui n'avoit
pas la miffion du Pape . Il donne enfin lui,
même la Croix rouge à l'Empereur Conrad
III , & il promet
publiquement des
victoires fur les Infidéles.
L'efpérance d'une victoire certaine entraîna
à la ſuite de l'Empereur & des Rois
de France la plupart des Chevaliers de leurs
OCTOBR.E. 1750.
37

a
C
Etats. On compta , dit- on , dans chacune
des deux armées foixante & dix mille gens
d'armes , avec une Cavalerie légere prodigieufe.
On ne compta point les Fantaffins
. Saint Bernard dans fes Lettres , dit
qu'il ne refta dans plufieurs Bourgs que
les femmes & les enfans ; on envoyoit une
quenouille & un fufeau à quiconque pouvoit
fe croifer & ne le faifoit pas. La plû--
part des femmes des Croifés fuivirent leurs
maris. On ne peut gueres réduire cette leconde
émigration , à moins de trois cens
mille perfonnes, ce qui joint aux treize cens.
mille que nous avons précédemment trouvés
, fait jufqu'à cette époque feize cens :
mille habitans tranfplantés. Les Allemands
partirent les premiers , & les François enfuite.
Il eft naturel que de ces multitudes
qui paffent fous un autre climat , les mala▾
dies en emportent une grande partie.
( 1147. ) L'intempérance fur tout caufa
la mortalité dans l'armée de Conrad vers
les plaines de Conftantinople ; de - là ces -
bruits répandus dans tout l'Occident , que
les Grecs avoient empoisonné les puits &
les fontaines . Les nêmes excès que les ·
premiers Croifés avoient commis furent :
renouvellés par les feconds , & donnerent
à . Manuel Commene les mêmes allarmes
qu'ils avoient. données à fon grand. pere-
Alexis
38 MERCURE DE FRANCE.
2 .
1
Conrad , après avoir paffé le Bofphore,
fé conduifit avec l'imprudence attachée à
ces expéditions. La Principauté d'Antio
che fubfiftoit. On pouvoit le joindre à ces -
Chrétiens de Syrie , & attendre le Roi de
France. Alors le grand nombre devoit
vaincre ; mais l'Empereur Allemand , jaloux
du Prince d'Antioche & du Roi de
France , s'enfonça au milieu de l'Afie Mineure.
Un Sultan d'Icone , plus habile que
lui , attira dans des rochers cette pefante
Cavalerie Allemande , fariguée , rebutée ,
incapable d'agir dans ce terrain. Les Turcs
n'eurent que la peine de tuer. L'Empereur
bleffé n'ayant plus , auprès de lui que quel
ques troupes fugitives , fe fauva vers An--
troche , & de- là fit le voyage de Jérufalem
en Pelerin , au lieu d'y paroître en Général
d'armée. Le fameux Fréderic Barberouffe,
fón neveu & fón fucceffeur à l'Empire
d'Allemagne , le fuivit dans fes voyages
apprenant chez les Turcs à exercer un courage,
que les Papes mirent depuis à de plus
grandes épreuves .
L'entreprife de Louis le Jeune eut le
même fuccès. Il faut avouer que fi ceux
qui l'accompagnoient n'eurent pas plus de
prudence que les Allemands , ils eurent
beaucoup moins de juftice. A peine fur-on
arrivé dans la Thrace , qu'un Evêque de
"
OCTOBRE. 17500 39'
Langres propofa de fe rendre maître de-
Conftantinople , felon le projet du Légat
du Pape dans la premiere Croifade ; mais
la honte d'une telle action étoit trop füre
& le fuccès trop incertain . L'armée Françoife
paffa l'Hellefpont fur les traces de
l'Empereur Conrad.
Il n'y a perfonne , je crois , qui n'ait obfervé
que ces puiffantes armées de Chré
tiens firent la guerre dans ces mêmes pays
où Alexandre remporta toujours la victoire
avec bien moins de troupes , contre des
ennemis incomparablement plus puiffans
que ne l'étoient alors les Turcs & les Arabes.
Il falloit qu'il y eût dans la difcipline
militaire des Princes Croilés un défaut radical
, qui devoit néceffairement rendre leur
courage inutile ; ce défaut étoit probablement
l'efprit d'indépendance que le
gouvernement
féodal avoit établi en Europe.
Des Chefs fans expérience & fans art
conduifoient dans des pays inconnus des
multitudés déreglées.
Le Roi de France , ( 1149 ) furpris comme
l'Empereur , dans des rochers vers Laodicée
, fut battu comme lui ; mais il effuya
dans Antioche des malheurs domestiques
plus fenfibles que les calamités publiques.
Raimond , Prince d'Antioche , chez lequel
il fe réfugia avec la Reine Eleonore,
40 MERCURE DE FRANCE.
fa femme , fut foupçonné d'aimer cette
Princeffe . On die même qu'elle oublioirtoutes
les fatigues d'un fi cruel voyage avec
un jeune Turc d'une rare beauté , nommé
Saladin. La conclufion de toute cette entreprise
, fat que l'Empereur Conrad retourna
prefque feul en Allemagne , & le
Koi ne ramena en France que fa femme &
quelques Courtifans. A fon retour il fic
caffer fon mariage avec Eléonore de Guyenne
, & perdit ainfi cette belle Province de
France , après avoir perdu en Afie la plus
floriffante armée que fon pays eût encore
mifefur pied. Mille familles défolées éclatterent
contre Saint Bernard.

Après ces malheureufes expéditions -
lés Chrétiens de l'Afe furent plus que jamais
divifés entr'eux . La même fureur regnoit
chez les Müfulmans . Le prétexte do -
la Religion n'avoit plus de part aux intérêts
politiques. Il arriva même vers l'an
1166 , qu'Amaury , Roi de Jerufalem , fa
ligna avec le Soudán d'Egypte contre les
Turcs . Mais à peine le Roi de Jerufalem A
avoit-il figné ce Traité qu'il le viola . Les
Religieux Hofpitaliers de Saint Jean de
Jerufalem l'affifterent de leur argent & de
leurs forces , qui n'étoient pas médiocres.
Ils efperoient foumettre l'Egypte , & ils >
furent tous obligés de retourner à Jérula--
9
OCTOBRE. 1750. 4T
lem , avec la honte d'avoir violé leur ferment
.
Au milieu de ces troubles s'élevoit le
Grand Saladin , neveu de Noradin , Soudan
d'Alep , il conquit la Syrie , l'Arabie ,
la Perfe , & la Mefopotamie . Un Religieux
Templier , nommé Mélieu , quitta
fon ordre & fa Religion pour fervir fous
ce Conquérant , & contribua beaucoup à
lai foumettre l'Armenie. Saladin , maître
de tant de Pays , ne voulut pas laiffer
au milieu de fes Etats le Royaume de Jérufalem.
De violentes factions déchiroient
petit Etat & hâtoient fa ruine. Gui de-
Lufignan , couronné Roi mais à qui on
difputoit la Couronne , raffembla dans la
Galilée tous ces Chrétiens divifés que le
péril réuniffoit , & marcha contre Saladin .
L'Evêque de Ptolemaïs , portant la chappe
par deffus fa cuiraffe , & tenant entre les
mains une Croix , encourageoit les troupes
à combattre fur ce même terrain où
leur Dieu avoit fait tant de miracles ; cependant
tous les Chrétiens furent tués ou
pris. Le Roi captif, qui ne s'attendoit
qu'à la mort , fut étonné d'être traité par
Saladin , comme aujourd'hui les prifonniers
de guerre le font par les Généraux.
les plus humains. Saladin préfenta de fải
main à Lufignan une coupe de liqueur ra
42 MERCURE DE FRANCE.
fraîchie dans de la neige. Le Roi après
avoir bû , voulut donner la coupe à un de
fes Capitaines , nommé Renaud de Châtillon
. C'étoit une coûtume inviolable
chez les Muſulmans , & qui fe conſerve
encore chez quelques Arabes , de ne point
faire mourir les prifonniers aufquels ils
avoient donné à boire & à manger. Ce
droit de l'ancienne hofpitalité étoit facré
pour Saladin. Il ne fouffrit pas que Renaud
de Châtillon bût après le Roi . Ce
Capitaine avoit violé plufieurs fois fa
promeffe ;le Vainqueur avoit juré de le
punir , & montrant qu'il fçavoit fe venger
comme pardonner , il fit abattre d'un
coup de fabre la tête de celui qu'il croyoit
perfide. Arrivé aux portes de Jérufalem , -
qui ne pouvoit plus fe défendre , il accorda
à la Reine , femme de Lufignan
une capitulation qu'elle n'efperoit pas. It
lui permit de fe retirer où elle voudroit.
( 1187 ) Il n'exigea aucune rançon des-
Grecs qui demeuroient dans la Ville , &
n'en reçut qu'une médiocre des Latins.
Lorfqu'il fit fon entrée dans Jerufalem
plufieurs femmes vinrent fe jetter à fes
pieds , en lui redemandant les unes leurs
maris , les autres leurs enfans , ou leurs
peres qui étoient dans fes fers. Il les leur
rendit avec une generofité qui n'avoit pas
"
OCTOBRE. 1750. 43
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encore eu d'exemple dans cette partie du
monde. Saladin fit laver avec de l'eau
rofe , par les mains même des Chrétiens ,
la Molquée qui avoit été changée en Eglife.
Il y plaça une Chaire ( 1187 ) magnifique
, à laquelle fon oncle Noradin ,
Soudan d'Alep , avoit travaillé lui - même ,
& fit graver fur la porte ces paroles. » Le
" Roi Saladin , Serviteur de Dieu , mit
cette infcription , après que Dieu eut
» pris Jérufalem par fes mains. Mais malgré
fon attachement à fa Religion , il rendit
aux Chrétiens Orientaux l'Eglife du
Saint Sépulcre. Si l'on compare certe conduire
avec celle des Chrétiens , lorfqu'ils
prirent Jérufalem , on voit avec douleur
quels font les Barbares. Il faut encore
ajouter que Saladin au bout d'un an , rendit
la liberté à Gui de Lufignan , lui faifant
jurer qu'il se porteroit jamais les armes
contre fon Libérateur. Lufignan ne
tint pas fa parole.
Pendant que l'Afie Mineure avoit été
le Théatre du zéle , de la gloire , des crimes
& des malheurs de tant de milliers de
Croifés , la fureur d'annoncer la Religion
les armes à la main , s'étoit répandue dans
le fond du Nord.
Nous avons vû Charlemagne convertir
Allemagne Septentrionale , qu'on appel44
MERCURE DE FRANCE.
loit Saxe , avec le fer & le feu. Nous avons
enfuite vû les Danois idolâtres faire trem
bler l'Europe , conquérir la Normandie ,
fans tenter jamais d'y faire recevoir l'Idolâtrie
. A peine le Chriftianifme fut affermi
dans le Dannemarck , dans l'ancienne
Saxe , & dans la Scandinavie , qu'on y
prêcha une Croifade contre les Payens du
Nord , qu'on appelloit Sclaves ou Slaves ,
& qui ont donné leur nom à ce Pays qui
touche à la Hongrie , & qu'on appelle
Sclavonie. Ils habitoient alors vers le
bord oriental de la mer Baltique ; l'Ingrie,
la Livonie , la Samogitie , la Curlande , la
Pomeranie , la Pruffe ; les Chrétiens s'ar
merent contre eux , depuis Bremen jufqu'au
fond de la Scandinavie. Plus de
cent mille Croifés porterent la deftruction
chez ces Idolâtres. On tua beaucoup de
monde ; on ne convertit perfonne . Cette
Croifade finit bientôt dans ce Pays affreux,
où les troupes ne pouvoient fubfifter long
tems , & où l'art de la guerre n'étoit
qu'un brigandage de Sauvages. On peut
encore ajouter la perte de ces cent mille:
hommes , aux feize cens mille que ces for
tes de guerres avoient coûté à l'Europe..
Cependant il ne reftoit aux Chrétiens .
d'Alie qu'Antioche , Tripoli , Joppé & la
Ville de Tyr, autrefois la dominatrice des
115
0-
18
y
5,
le
le
3,
:
mers , & alors un fimple refuge des vaincas.
Saladin poffedoit tout le refte , foit
par lui-même , foit par fon gendre , le
Sultan d'Iconium , ou de Cogni , qui gouvernoit
le pays , que nous appellons aujourd'hui
Caramanie.
Au bruit des victoires de Saladin , toute
l'Europe fut troublée. Le Pape Clement
II. remua la France , l'Angleterre , l'Allemagne.
Philippe- Augufte , qui regnoit alors en
France , & le vieux Henri II . Roi d'Angleterre
, fufpendirent leurs differends ,
& mirent toute leur rivalité à marcher à
l'envi au fecours de l'Afie . Ils ordonnerent
, chacun dans leurs Etats , que tous
ceux qui ne fe croiferoient pas , payeroient
le dixième de leurs revenus & de leurs
biens meubles pour les frais de l'armement
, c'est ce qu'on appelle la dixme faladine
, taxe qui fervoit de trophée à la gloire
du Conquérant.
Cet Empereur , Frederic Barberouffe ,
fi fameux par les perfécutions qu'il effuya
des Papes , & qu'il leur fit fouffrir , fe
croifa prefque au même tems , & fe fignala
le premier de tous . Il fembloit être deftiné
à être chez les Chrétiens d'Afie , ce que
Saladin étoit chez les Turcs. Politique
Grand Capitaine , éprouvé par la fortune ,
46 MERCURE DEFRANCE,
1
que
il conduifoit une armée de cent cinquante
mille combattans. Il prit la précaution
d'ordonner qu'on ne reçût aucun Croisé ,
qui n'eût au moins cent cinquante francs
d'argent comptant de notre monnoye
d'aujourd'hui , afin
chacun pût par
fon induſtrie , prévenir les horribles difet
tes qui avoient contribué à faire périr les
armées précédentes. Il lui fallut d'abord.
combattre les Grecs. La Cour de Conftantinople
, fatiguée d'être continuellement
menacée par les Latins , fit enfin une alliance
avec Saladin . Cette alliance révolta
l'Europe ; mais il est évident qu'elle
étoit indifpenfable , on ne s'allie point
avec fon ennemi naturel fans néceffité.
Nos alliances d'aujourd'hui avec les Turcs,
moins néceffaires peut -être , ne caufent
pas tant de murmure. Frederic s'ouvrit
un paffage dans la Thrace les armes à la
main , contre l'Empereur Ifaac l'Ange ;
& victorieux des Grecs , il gagna ( 1190 )
deux victoires contre le Sultan de Cogni ;
mais s'étant baigné tout en fueur dans les
eaux d'une riviere , qu'on croit être le
Cidnus , il en mourut & fes victoires futent
inutiles . Elles avoient coûté bien
cher fans doute , puifque fon fils , le Duc
Frederic de Suabe , ne put raffembler des
cent cinquante mille hommes qui avoient
OCTOBRE.
1750. 47
faivi fon pere , que fept à huit mille tout
eu plus. Il les conduifit à Antioche , &
joignit ces débris à ceux du Roi de Jerufalem
, Gui de Lufignan , qui vouloit encore
attaquer fon Vainqueur malgré la foi
des fermens , & malgré l'inégalité des armes.
Après plufieurs combats , dont aucun ne
fut décifif , ce fils de Frederic Barberoulle,
qui eût dû être Empereur d'Occident ,
perdit la vie près de Ptolemaïs , par la maladie
qui emportoit tous les Allemands
dans ces climats. Ceux qui ont écrit que
ce Prince mourut Martyr de la chafteré ,
& qu'il eût pû réchapper par l'ufage des
femmes , font à la fois des Panégyriftes
bien hardis , & des Phyficiens peu inftruits.
On en dit autant depuis du Roi de France
Louis VIII.
L'Afie Mineure étoit un gouffre où
l'Europe venoir fe précipiter ; non-feulement
cette armée immenfe de l'Empereur
Frederic étoit perdue ; mais des Flottes
d'Anglois , de François , d'Italiens , d'Almands
, précédant encore l'arrivée de Philippe-
Augufte , & de Richard Coeur de
Lion , avoient amené de nouveaux Croifés
& de nouvelles victimes. Le Roi de
France & le Roi d'Angleterre arriverent
enfin en Syrie , devant Ptolemaïs , qu'on
48 MERCURE DE FRANCE.
nomme Acre , ou Saint Jean d'Acre , Preque
tous les Chrétiens d'Orient s'étoient
raffemblés pour affiéger cette Ville , qu'on
regardoit comme la clef de ces pays. Saladin
étoit embarraffé vers l'Euphrate dans
une guerre civile. Quand les deux Rois
curent joint leurs forces à celles des Chrétiens
d'Orient , on compta plus de trois
cens mille combattans.
Ptolemaïs , à la vérité, fut prife , ( 1190.)
mais la difcorde, qui devoit néceffairement
divifer deux rivaux de gloire & d'intérêt ,
tels que Philippe & Richard , fit plus de
mal que ces trois cens mille hommes ne
firent d'exploits heureux. Philippe fatigué
de ces divifions , & plus encore de la
fupériorité & de l'afcendant que prenoit
en tout Richard fon vaffal , retourna dans
La Patrie , qu'il n'eût pas dû quitter peutêtre
, mais qu'il eût dû revcir avec plus de
gloire.
Richard demeuré maître du champ
d'honneur , mais non de cette multitude
de Croifés , plus divifés entre eux que ne
l'avoient été les deux Rois , déploya vainement
le courage le plus héroïque. Saladin,
qui revenoit vainqueur de la Méfopotamie
, livra bataille aux Croisés près de
Célarée. On vit ce Conquérant à la tête
de fes Mahometans , & Richard à celle des
Chrétiens ,
OCTOBRE. 1750. 49
5
S
S
e
1-
a
ic
e
P
He
he
i-
He
ce
es
Chrétiens , combattre l'un contre l'autre ,
comme deux Chevaliers en champ clos.
Richard eut la gloire de défarçonner Saladin
, ce fut prefque tout ce qu'il gagna
dans cette expédition mémorable. Les fatigues
, les maladies , les petits combats ,
les querelles continuelles ruinerent cette
grande armée , & Richard s'en retourna
avec plus de gloire, à la vérité que Philippe
Augufte , mais d'une maniere bien
moins prudente ; il partit avec un feul
Vaiffeau de cette côte de Syrie , vers laquelle
il avoit conduir un an auparavant
une flotte formidable , & fon Vailleau ,
ayant fait nauffrage fur les côtes de Vénife
, il traverfa déguifé & mal accompagné
la moitié de l'Allemagne. Il avoit offenfé
en Syrie par les hauteurs un Duc d'Autriche
, & il eut l'imprudence de paffer par
fes terres ; ce Duc d'Autriche le chargea
de chaînes & le livra à l'Empereur Henri
VI , qui le garda en prifon comme un ennemi
qu'il auroit pris en guerre. Il exigea
de lui cent mille marcs d'argent pour fa
rançon. L'Angleterre perdit ainfi bien
plus que la France à cette nouvelle Croifade
, dans laquelle un Empereur & deux
Rois puiffans & courageux , fuivis des forces
de l'Europe , ne purent prévaloir contre
Saladin.
C
so MERCURE DE FRANCE. 50
Ce fameux Mufulman , qui avoit fait un
Traité avec Richard , par lequel il laiffoit
aux Chrétiens le rivage de la mer depuis
Tyr jufqu'à Joppé , & le réfervoit tout le
refte , garda fidellement fa parole , dont il
étoit efclave. Il mourut ( 1195. ) quinze
ans après à Damas , admiré des Chrétiens
même. Il avoit fait porter dans fa derniere
maladie , au lieu du Drapeau qu'on élevoit
devant la porte , le drap qui devoit
l'enfevelir. Celui qui tenoit cet étendart
de la mort, crioit à haute voix , » voila tout
» ce que Saladin , vainqueur de l'Orient ,
» remporte de fes victoires.
On dit qu'il laiffa par fon teftament des
diftributions égales d'aumônes aux pauvres
Mahometans , Juifs & Chrétiens , voulant
faire entendre par ces difpofitions , que
tous les hommes font freres , & que pour
les fecourir , il ne faut pas s'informer de ce
qu'ils croyent , mais de ce qu'ils fouffrent.
Aufli n'avoit- il jamais perfécuté perfonne
pour fa Religion ; il avoit été à la fois
conquérant , humain & Philoſophe.
OCTOBRE. 1750. SB
.
e
LE PLAISIR ,
ODE
A M. le Chevalier de Reffegnier,
Dans les bras de la molleſſe ,
Couché fur un lit de fleurs ,
De ta fédùifante yvreffe
Goûte les fauffes douceurs ,
Voluptueux Epicure ,
Eſclave de la Nature ;
Qu'elle enflamme tes defirs !
Loin de noi tout vain ſyſtême ;
L'ail de la fageſſe même
Veillera fur mes plaifirs.
ce
-L
he
is
Oui , l'Autel où fe confument
Et ton coeur & ton encens ,
Eft le bucher où s'allument
Les remords les plus preffans.
Quand on foupire après elle ,
Sous une image infidelle ,
La volupté vous féduit ;
Mais eft- elle fatisfaite ?
L'ame languit inquiette ,
It le charme fe détruit.
C ij
52 MERCURE DE FRANCE,
Ainfi la vaine apparence
Des vertus que je vantois ,
Me confoloit de l'abfence.
Des jours que je regrettois.
Mais j'entendis Epicure ,
Soudain à mes voeux parjure ,
Mon foible coeur treffaillit.
Tu touches à ton Aurore ,
Dit-il , elle brille encore ;
Tu gémis , elle s'enfuit.
Attendons que les ténébres
Nous arrachent aux Amours ,
Et par des plaintes funébres
N'empoifonnons pas nos jours.
Qu'une éternelle tendreffe
Eteigne , allume fans ceffe ,
Le flambeau de tes defirs .
Que la décence timide
Soit moins le voile perfide ,
Que l'aiguillon des plaifirs .
Sur ce gazon vois Zéphire ,
Flore fuit devant les pas ;
Il l'atteint ; elle ſoupire ,
Rougit & lui tend les bras .
En fuccombant elle implore
OCTOBRF. 1750. 53
Contre un vainqueur qu'elle adore ,
Une vertu qu'elle craint.
Sa pudeur , tendre & craintive ,
Rend leur volupté plus vive ;
Fuit- elle ? Leur feu s'éteint.
Quand an fein de l'onde émue ,
La mer enfanta Cypris ,
De fa beauté toute nue
Les Dieux parurent furpris :
Ils volerent auprès d'elle ;
Mais la brillante immortelle
Ne put frapper que leurs yeux ,
Et fur l'onde plus tranquille
Ils roulent fa conque agile ,
Plus étonnés qu'amoureux.
+3x+
Bien-tôt l'austére fageffe ,
Qui pour les Dieux s'allarma
Voulut orner la Déeffe
D'un tiffu qu'elle forma.
Le fort trahit fon attente ,
Et fa ceinture décente
Fut la gloire de Vénus.
Les défirs fe rallumerent ;
Les coeurs féduits adorerent
Des traits qu'il ne voyoient plus.
1
1
Cij
$ 4 MERCURE DE FRANCE..
Zéphirs , volez fur fes traces ;
Soulevez ce voile heureux ,
Aux foins importuns des graces.
Oppofez vos tendres jeux.
Pour rendre Vénus plus belle ,
Ce tiflu jaloux recéle
L'effain fougueux des défirs.
Arrêtez ... les Dieux foupirent ,.
Plus contens , quand ils défirent
Qu'heureux au fein des plaifirs.
++
Le défir le plus frivole
Vaut mieux que la vérité ;
Le plaifir léger s'envole ,
Dès qu'il n'eft plus fouhaité.
Il naquit de l'efpérance ;
Il meurt dans la jouiffance ;
Le dégoût feul lui furvic ;
Et dans l'amoureux empire ,
Empreflé quand il défire ,
Il s'endort quand il jouit.
炒肉
Tout eft plaifir dans la vie
Pour qui fçait l'art d'en jouir ;
Par tout il fe multiplie ,
C'eft au coeur à le choifir.
Défire à ta foif avare :
OCTOBRE. 1750. 35
Le Ciel lui -même prépare
Des bienfaits toujours nouveaux.
Choifis : tu vois fur tes traces
Les Arts , la gloire , les graces ,
Le travail & le repos .
+3x+
Mais , ni l'Autan ni Borée ,
Ne donnent point les beaux jours ,
C'eft l'haleine tempérée
Des Zéphirs & des Amours.
Vois la timide Hirondelle ,
En paffant du bout de l'aile ,
Elle ofe effleurer les mers.
Evite un plaifir extrême ;
Plus vif que la foudre même ,
Il fuit comme les éclairs .
++
Sous les froids glaçons de l'âge ;
Plus ardent qu'en fon été ,
Anacreon , ce vrai ſage ,
Connut feul la volupté :
Il réprima la Nature ,
Moins pour vaincre fon murmure ;
Que pour éguifer les traits .
Ennemi de la licence ,
Il jouit avec prudence ,
Et fentit avec excès .
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
Ainfi parloit Epicure ,
Et ranimant mes defirs
Sur les loix de la Nature ,
Je réformois mes plaifirs.
Reffeguier , dont la tendreffe
Peut au Maître de Lucrece
Donner même des leçons ,
Qui joins aux talens d'Homere
L'art d'aimer , le don de plaire ,
L'art des combats aux Chanfons;
Tu fçais qu'après ma Thémire ,.
Mes amis furent mes Dieux ,
Et que fi je prends la lite ,
C'est pour Thémire & pour eux .
Ami , reçois mon hommage ,
Entre elle & toi je partage.
Ma tendreffe & mes accens,
Que n'ai - je ton art , Thémire
Pour chanter ce qu'il m'inſpire ,
Et peindre ce que tu fens !
Caftilbon .
OCTOBRE. 1750. $ 7
REMARQUE
Sur les Eclipfes annoncées dans la Connoiſſance
des tems de l'année 1750.
O
N s'apperçoit tous les jours du peu
d'accord qui regre dans la détermination
des phafes des Eclipfes , lorfqu'on
compare des calculs rédigés par diverfes
perfonnes : Soit certaines licences prifes en'
calculant , foit les differentés tables Aftro
nomiques qu'on employe , rien ne doit
moins furprendre.
Malgré ces differentes caufes de va
riation , je n'avois pas imaginé que ce--
la pût aller jufqu'au point d'annoncer un
plus grand nombre d'Eclipfes les uns que·
les autres , & je fus un peu étonné en par
courant la Connoiffance des tems ', que j'a
vois négligé d'examiner, de ne trouver que
cinq Eclipfes prédites pour l'année 1750,
trois de Soleil & deux de Lune , fçachant
que j'en avois trouvé quatre de Soleil &
deux de Lune.
Je foupçonnai que cela pouvoit venis
de ce que j'avois employé les tables de M.
de la Hire ; je communiquai n'es calculs ài
an fçavant Jéfaire de cette Ville , qui avoit
Cv
58 MERCURE DE FRANCE .
calculé les Eclipfes , comme M. Maraldi
, avec les Tables de M. Caffini , & je
fus ralfuré en appercevant combien nous
nous étions rencontrés.
L'Eclipfe qui a été omife dans la Connoiffance
des tems , étant calculée pour le
Méridien de Bordeaux , fera, environ dans
fon milieu, le 29 de Novembre à une heure
6 minutes 32 fecondes , felon les Tables
de M. de la Hire. L'argument de la Latitu
de fera , felon les mêmes Tables de 11 f..
14°, 5 min. 39 fecondes , par conféquent
l'Eclipfe eft bien poffible ; ayant ajouté la
parallaxe de la Lune corrigée & horizontale
avec le demi diamétre de la penombre
, on trouve 1º . 26 min . 6 fec. , ôtant
de cette quantité l'arc qui n'eft que 1º ,
22. m. 14 fec. il refte pour la partie
éclipſée 3 m. 52 fec. ainfi il y aura Eclipſe.
Deux raifons pourroient avoir conduit
à n'en point parler ; 1. elle fera fort petite
; 2 °. elle ne fera point visible dans
nos contrées ; quant au premier article , on
obferve Mercure fur le Soleil , on obſerve
une Eclipfe, lorfqu'elle commence & lorfqu'elle
va finir, pourquoi n'obferveroit- on
point notre petite Eclipfe du 29 Novembre
?
A l'égard de la feconde raifon , je ne
crois pas qu'elle ait eu lieu , puifque la
OCTOBRE. 1750. 59
Connoiffance des tems annonce tous le
ans , & notamment cette année des Eclipfe
qui ne font point viſibles ici ni même en
Europe.
De femblables omiffions pouvant jetter :
des foupçons fur les méthodes employées
dans les calculs Aftronomiques , j'ai crû
qu'il ne feroit pas hors de propos de faire
ces obfervations.
Le Chevalier de Chimbault , de l'Acade
mie de Bordeaux.
A Bordeaux , le 11 Juillet 1730..
qe qihe qe qß die da dhe disa ghi shy
Do
EPITRE
A M. R.... -
"O te vient , cher Damon , cet air fombie
& rêveur
Quoi! feroit-ce l'effet d'une tendre langueur ?
Daigne me confier le chagrin qui te preſſe .
Ah ! ce foupir exprime une vive tendreffe .....
On trahit ton eſpoir , on mépriſe tes feux :
Ami , fais pour guérir un effort généreux ;
Ne livre point ton coeur à l'amorce trompeufe
D'une paffion folle & fouvent malheureuſe ,
Et ne vas pas en vain filer le tendre amour. ";
Crois moi, chez le beau fexe il eft trop de détoury
C- vj
60 MERCURE DE FRANCE
Plus on aime une belle & plus on la rend fiere;
Ou fouvent on rencontre une coquette altiere ,
Qui vous croit trop heureux de l'honneur d'être.
admis
Près d'elle à faire nombre entre les favoris ,
Et qui prenant pour guide un aveugle caprice ,
Se rit de votre ardeur & fait votre fupplice.
Heureux , cent fois heureux l'homme fage &
prudent ,
Qui peut voir la beauté d'un ceil indifferent !
Dégagé de la fombre & trifte jalousie ,
Il goûte la douceur d'une tranquille vie ,
Et n'eft point en danger qu'une infenfible Iris :
Récompenfe fes foins par de cruels mépris ;
En un mot, il jouit d'une paix éternelle,.
Tandis qu'un coeur épris d'une beauté rebelle ,
Et celui même encor qui fe voit.écouté ,
Des plus fâcheux loucis eft fans ceffe agité ,
Et quoiqu'il foit conftant , difcret , fidéle & tendre,
Acmalle contretems chaque jour doit s'attendre.
Il n'eftpoint , j'en conviens , de plus parfait bonheur,
Qué celui d'attendrir & de gagner un coeur ,
Et des mains de l'amour recevoir la couronne ;
Mais fouvent le caprice ou le hazard la donne ;
Souvent le plas doux prix au fat eft deſtiné ,
Et le plus digne anant eft le moins fortuné ;
La raifon & l'amour font peu
d'intelligence ;
Grains d'en faire encor plus la trifte expérience...
Guerin ,
OCTOBRE.. 17.50.. 61
ésésésésésés ésés ésés á á á á á á á
REMARQUES.
Sur Nicolas Orefme , Evêque de Lifienx..
N. attribue à Nicolas Orefme , Evêque
de Lisieux ,un Traité de Antichrifto
& ejus miniftris , qui a été mis au
jour dans le Tome 1X de la grande Collec
tion donnée par les P P. Bénédictins , fous
ce titre , Veterum Scriptorum & Monumen-·
torum ampliffima Collectio. Mais il y a fur
cela quelques difficultés..
1. Dès le chapitre III de la premiere
partie de cet ouvrage , l'Auteur préfente
comme le figne le plus frappant & le plus
fenfible du prochain avenement de l'Antechrift
, la deftruction ou ceffation de
l'Empire Romain , qu'il fuppofe être ceffé
par la dépofition de l'Empereur Frédéric
II . Primum nobis occurrit deftructio ac defectus
feu ceffatio Imperii Romani. Et plus loin ::
A Julio Cefare incipiens , ferè per mille trecentum
annos , fecundum fidem Chronicorum ,
ufque ad Frederici quondam Romani li peratoris
, condemnationem fe extendit , in que
ROMANUM CESSASSE . VIDETUR IMPERIUM ,.
Comment Orefme , qui vivoit au tems de:
Charles V , Roi de France , dont il fucc
。、
62 MERCURE DE FRANCE
Précepteur , auroit- il pû s'exprimer ainf ,
l'Empire Romain ayant été relevé depuis
près d'un fiécle par Rodolphe de Hapfbourg
, Chef de l'augufte Maifon d'Autriche
, & étant alors actuellement fubfiftant
? N'y auroit- il point plutôt lieu de
conjecturer que cet ouvrage , qui n'a pas
toujours été donné à Orefme, a été compofé
dans le tems de la vacance de l'Empire ,
après la dépofition de Fréderic & avant.
l'élection de Rodolphe ?
?
2º. Au Chapitre XIV de la même par
tie , l'Auteur de cet ouvrage parlant de la
promeffe que J. C. fit à fes Apôtres au jour
de fon Afcenfion , dit qu'il y avoit envi
ron douze cens trente ou quarante ans que
cette promelle avoit été faite : Mille du
centi tringinta vel quadraginta anni jam flu--
xerunt à tempore illius promiffimis Domini.
Et comme l'Afcenfion de J. C. fe trouve
placée vers l'an 33 de l'Ere Chr . vulg. il
en résulte que cet Auteur écrivoir entre les
années 1260 & 1270 de l'Ere Chr. vulg.
C'étoit précisément le tems de la vacance
de l'Empire , qui dura depuis la dépofition
de Fréderic au Concile de Lyon en 1245 »
jufqu'à l'élection de Rodolphe en 1273 ;
mais il eft fort vrai - femblable qu'alors
Orefime n'étoit pas même né , puifqu'il ne
fut fait Evêque de Lifieux qu'en 1377..
:
OCTOBRE.
1750. 63
3º . Dans la fuite du même Chapitre , au
travers de plufieurs altérations fenfibles , qui
viennent des Imprimeurs ou des Copiftes,
on apperçoit les veftiges d'une époque encore
plus précife . La fin de l'article 31 paroît
avoir été originairement la conclufion
de ce Chapitre . Vient enfuite une réfle--
xion , qui paroît être un Poft -fcriptum : &
maintenant on lit. Sed id tantum ( ou plus
tôt il femble qu'il faudroit lire tamen ) . pratermittendum
non eft quòd quadragefima fecundâ
agnitione , ( la fuite prouve qu'il faut
lire , generatione ) à Chrifti Incarnatione
cumputatis generationibus triginta annorum
id eft , circa millefimum ducentefimum, ( ajoûtez
, fexagefimum ) annum Dominica Incarnationis
premiffa ( ou peut- être promiffa )
dicit ( Joachim Abbas ) impleri, in Libro IV.
de Concordia. It eft évident que 42 fois 30,
donnent 1260, & c'étoit auffi le calcul de
l'Abbé Joachim. Ainfi il eft certain qu'au
lieu de M. cc. on a du lire M. CC. LX .
L'Auteur continue , ou plutôt on lit aujourd'hui
dans fon ouvrage : Sed cum jam
poft tempus quo pramiffa ( ou promiffa ) promifit
impleri , fexaginta anni & amplius fint
elapfi , &c. De quelque maniere que l'on
veuille prendre cette phrafe , il eft difficile
que le mot fexaginta puiffe y fubfifter , ik
ne s'accorde ni avec l'époque que nous
64 MERCURE DE FRANCE.
avons rapportée dans l'art 2 de ces remar
ques , ni avec celle dont nous avons parlé
dans l'art , car 1260 & 60 , donneroient
r320. Ce fragment auroit donc été écrit
vers l'an 1320 , & cela même ne conviendroit
pas au tems d'Orefme . Mais de plus ,
que fera- t'on du paffage qui fixe cet ouvra
ge vers l'an 1260 ou 1270 ? Que fera - t'on :
du paffage qui le fixe au tems de la vacance
de l'Empire ? Les deux premieres époques
s'accordent ; il faut donc que ce foit
dans la troifiéme qu'il y ait méprife , non
de l'Auteur , mais des Imprimeurs ou des
Copiftes. Et en effet il y a dans ce Traité
plufieurs nombres évidemment altérés. Par
exemple , part. I ', chap . VI , art . 5 , on y
lit , Ifaias 61 , & il eft conftant qu'il faur
56 : la méprife vient évidemment de LXг.
pour LVI. Plus loin , chap . X , art. 2 , on
fit fob 12 , & il eft conftant qu'il faut 41 ..
La méprife vient encore évidemment de
XII pour XLI. Il y a donc lieu de foupçonner
qu'ici au lieu de 1x , d'où eft venu
fexaginta , il fandroit lire 1x , c'eſt à dire ,
novem . C'est à-dire que ce fragment aura pû
être écrit vers 1269 ou 1270 5 la vacance
dé l'Empire fubfiftoit encore, & cette troifiéme
époque conviendra avec iés deuxpremieres.
En vain objecteroit- on que s'il s'estè
OCTOBRE. 1750. 69
gliffé une méprife de Copiſte dans la troifiéme
époque , il peut y en avoir une autre
dans la feconde . La premiere époque
fuffit pour répondre à cette objection ,
parce qu'il n'eft pas poffible d'attribuer
celle-là à une faute de Copifte , ainfi la
premiere juftifie la feconde , & ces deux
enfemble fervent à rétablir la troifiéme.
5. Le tems de la vacance de l'Empire
après la dépofition de l'Empereur Frederic,
eft précisément le tems du démêlé qui s'éleva
entre Guillaume de S. Amour & les.
Religieux Mendians : ce fut vers 1256 que
ce Docteur compofa fon Livre de periculis
noviffimorum temporum ,qui fit alors tant de
bruit, & qui fut condamné dans cette même
année par le Pape Alexandre IV. Cet
ouvrage a beaucoup de rapport avec le
Traité de Antichrifto , attribué à Orefme ;
il y a dans ces deux Ecrits une grande conformité
de vûes. L'un & l'autre font envifager
de grands périls ; l'un & l'autre les
font envifager comme imminens ; l'un &
l'autre les attribuent à une inondation
d'hommes que l'Auteur regarde comme de
faux Prédicateurs & de faux Apôtres ; l'un
& l'autre affectent de ne les point nommer
, mais de les défigner d'une maniere fr
claire , qu'il eft impoffible de ne pas reconoître
que l'Auteur avoit en vûe les Or66
MERCURE
DEFRANCE.
dres Réguliers , &
particulierement les
Religieux Mendians. Cette conformité de
vûes , jointe avec les trois époques que
l'on vient de remarquer , donne lieu de
foupçonner que ces deux ouvrages pourroient
bien avoir été compofés dans le même
tems & peut- être par le même Auteur ,
c'est-à-dire , par Guillaume de S. Amour .
6º. J'ai déja fait
remarquer que cet ouvrage
n'a
pas toujours été attribué à Orefme
, & la variété de fentimens fur l'Auteur
de cet ouvrage , donne lieu de foupçonner
qu'il étoit originairement fans nom d'Auteur.
Il est fait mention de cette diverfité
de fentimens dans l'un des Supplémens du
Dictionnaire de Moreri , à l'article d'Oref
me , à qui l'Auteur de ce Supplément attribue
le Traité de Antichrifto
.
7°. S'il eft permis de conjcturer ce qui a
pû le faire attribuer à Orelme, ne pourroit
on point dire que c'eft peut être le déguifement
du nom même de Saint Anour ? En
retournant les lettres de S. Amore , il en
réfulte Orefma. Quelque Difciple de ce
Docteur n'auroit-il point pû déguifer ainfi
le nom de fon Maître ? Et n'auroit -il pointpû
arriver que dans les fiécles fuivans oneût
confondu ce nom déguifé avec le nom
véritable d'Oresme , autre Docteur qui eut
auffi une certaine réputation 2 :
OCTOBRE. 1750 . 61
Quoiqu'il en foit de cette derniere remarque
, au moins on peut , ce me femble ,
conclure des fix premieres , que l'Auteur
de cet ouvrage vivoit au tems de Guillau
me de Saint-Amour , & avoit les mêmesvûes
; que cet ouvrage a été compofé entre
les années 1260 & 1270 , dans la vacance
de l'Empire après la dépofition de
Frederic , & qu'ainfi il ne peut pas être de
Nicolas Orcfme , Evêque de Lifieux , qui
eft poftérieur d'un fiécle entier.
E. D. L. N. B.
薪淡淡淡淡洗洗洗法:淡淡選選洗洗
LE PRINTEMS ,.
IDYLL E.
Sur
l'herbage tendre
Le Ciel vient d'étendre
Un tapis de fleurs ,
Et l'Aurore arrofe
De fes douces pleurs
De la jeune roſe
Les vives couleurs.
Déja Philomêle
Ranime fes chants ,
Et l'onde fe mête
A fes fons touchans.
68 MERCURE DE FRANCE.
Sur un lit de mouſſe ,
Les Amours au frais,
Eguifent des traits
Qu'avec peine émouffe
La froide raifon ,
Qui croit qu'elle regne ,.
Quand elle dédaigne
La belle faifon.
Nos berceaux fe couvrent
Du fouple Jafmin ;
Nos yeux y découvrent
Le riant chemin
Par où le mystére ,
Servant nos défirs ,
Nous mene à Cithére
Chercher les plaiſirs.
Oui , de la Nature
La vive peinture
N'eft pas fans deffein;
Tant de fleurs nouvelles ,
Qui de tant de belles
Vont orner le fein ;
Le
tendre
ramage
Des
jeunes
oifeaux ;
Le doux bruit
des eaux...
Tour offre l'image
OCTOBRE.
69 1750.
D'un aimable Dieu ;
Tout lui rend hommage ,
Dans un fi beau lieu ,
Tout y peint fon feu.
Hélas ! quel dommage.
Qu'il dure fi peu !
Il pénetre l'ame ,
Ce feu trop fubtil ;
Mais pourquoi faut- il
Que de cette flamme
Que peint le Printems,
Tout en même tems
Trace à notre vue
La légereté ,
Souvent imprévue
Chez la volupté !
L'onde fugitive
A l'ame attentive
Peint à petit bruit
L'ardeur paffagere
Dont l'éclat féduit
Plus d'une bergere
Que l'amour conduit.
L'haleine légere
Du Zéphir badin ,
Qui dans ce jardin
Vole autour de Flore ;
70 MERCURE DE FRANCE.
Du vif incarnat ,
Qu'elle fait éclore ,
Le frivole éclat ;
De l'oifean volage
Les accords légers ,
"Peignent du bel âge
Les feux paffagers.
Tout ce qui refpire
Nous dit en ce tems ,
L'amoureux empire
Eft un vrai printems.
Il plaît , il enchante ,
On l'aime , on le chante ,
Soins trop fuperflus !
Vaut - il ce qu'il coûte !
A peine on le goûte
Qu'il n'eft déja plus.
OCTOBRE.
1750. 71
nonymy:Desem
LETTRE
Sur les avantages & les inconvéniens de
l'Imprimerie. Par M. Touffaint.
J
'Ai deffein depuis long tems, Monfieur,
de médire de l'Imprimerie ; il faut que
j'en paffe mon envie. Et ce qui vous pa
roîtra peut-être étrange , c'eft que je le falle
en réponſe même à une Lettre où vous
m'avez parlé de cet Art avec admiration .
Mais comment réfifter à la demangeaifon
de contredire , même un ami , quand on
penfe autrement que lui ? Tout ce que je
puis faire , c'eft de me rabattre à ne point
prononcer. J'oppoferai mes griefs à votre
apologie , & un tiers nous jugera.
39
» Quel plus beau fecret , dites- vous ,
que de faire avec quatre bras l'ouvrage
» de deux mille Copiftes , ou d'avoir en
vingt jours autant de copies d'un Livre
» qu'on en eût pu faire en vingt ans ? Què
» de tems & de frais épargnés ! Par quelle
» autre voye auroit- on pu porter la correc-
» tion dans plufieurs milliers d'exemplai-
» res jufqu'à la plus fcrupuleufe exactitu
» de ? Si l'on eût imprimé des Bibles avant
»Saint Jérôme , le Saint Docteur n'auroit
72 MERCURE DE FRANCE.
"pas eu à fe plaindre de la quantité immenfe
de fautes & d'altérations qui
avoient défiguré les Livres Saints , foit
par la négligence ou la malice des Copiftes.
L'impreffion donne aux ouvrages
» un état de confiftance invariable.
23
"
»
» Ce fiècle , le plus éclairé de tous , ne
» doit fans doute qu'à l'impreffion fon af-
» franchiffement des vieux préjugés & fes
» nouvelles connoiffances. Sans l'impreffion
, chaque découverte , en quelque
genre de fcience ou de littérature que
» ce foit , feroit un mystere qu'on fe diroit
» à l'oreille , qui de bouche en bouche
»prendroit une forme differente & diver-
» fes nuances , jufqu'à ce qu'enfin il perdît
>> entierement ce coloris lumineux, qui eft
» le caractére fpécifique de la vérité ; ( on
fçait comme les recettes & les fecrets ma-
» nufcrits fe perdent aifément. ) Les riches
» feuls pourroient acheter des Livres; c'eft-
» à-dire que ceux- là feuls en auroient, qui fe
>> foucient le moins d'en faire ufage ; & il
» y a tels ouvrages que leur rareté mettroit
» à un fi haut prix, qu'il n'y auroit que des
» Rois qui puffent fe les procurer. On
» n'auroit pas dans fa maifon, ou l'on n'au-
» roit que
difficilement , des formules de
»prieres , des inftructions , des Sermons .
» Et où la plupart de nos Prêtres iroient-
» ils
OCTOBRE. 1750. 73
ils eux mêmes chercher la décifion des
» Cas de confcience & des matériaux pour
" leurs Prônes ?
Vous avez , M. confirmé vos éloges par
quelques paffages d'Auteurs modernes , fort
honorables pour l'Art que vous vantez.
Vous m'apprenez qu'un Trinitaire,nommé
Gaguin , a dit , tant en profe qu'en vers ,
que l'invention des caractéres eft une découverte
d'une utilité merveilleufe : ( a )
Magnum litteris lumen & veritatis ftudiofis
auxilium : & ailleurs (6) :
Quod cita vix poterat perfcribere dextra quot annis
Menfe dat ars , nec ineft fordida menda libro.
Pluris erat nuper calamo ruganda papyrus ,
Quàm modo pragrandis veneat ipfe codex ;
Que l'Evêque Jean - Antoine Campanus ,
plus laconique que Gaguin , en a dit à
près autant en ce feul vers .
Imprimit illa die quantum vixfcribitur anno.
peu
Et pour contribuer à la gloire des Imprimeurs
, comme à celle de l'Imprimerie,
vous m'informez que M. Thibouft a compofé
fur fon Art le joli Diftique qui fuit.
( a) Art. metrific
(b ) Id, Epigr.
D
74 MERCURE DE FRANCE.
Nobilitant artes mutas as , marmora, faxum :
Pralum ari, faxo, marmoribufque prait.
Vous n'oubliez pas que Fernel a dit auffi
en Latin , je ne fçais où , ( ni vous non
plus fans doute , puifque vous n'avez pas
indiqué l'endroit ) que rien n'eft plus utile
que l'Imprimerie pour la propagation
des Sciences. Arte Librorum calcographica
nihil utilius eft ad omnium difciplinarum propagationem
; que Melanchton ( a) a trouvé
que c'étoit un don divin : Divinitùs donum
humano generi communicatum ; & Aventin ,
(b) un bienfair célefte : Magnum ac verè
divinum beneficium , & novum fcribendi gehaud
dubiè calitus revelatum,
C'est bien dommage que les anciens Romains
& les Grecs n'ayent point écrit fur
l'Imprimerie , vous n'auriez pas manqué ,
fans doute , de me les citer auffi , pour me
convaincre de l'excellence de cet Art , à3
peu près comme fi quelqu'un pour démontrer
la bonté du Punch , donnoit une liste
des gofiers Anglois qui en boivent dans
les Tabagies. Croyez- moi , laiffons - là les
autorités ; en matiere de raifonnement elles
ne font pour moi d'aucun poids , je me
défie au contraire de celui qui me les cite.
( a ) Chron, Melanchton.
(b) Annal. lib. xvij.
OCTOBRE.
1750. 75
11
n
15
i.
-a
ター
-U
ite
TO
J'aime mieux un bon argument de votre façon,
que cent citations d'auteurs.Que m'importe
ce que d'autres ont penfé , fi vous ne
me prouvez bien que je dois penfer comme
eux ?
Mais vous pouvez vous épargner même
les preuves ; je fuis pleinement perfuadé ,
comme vous & vos Auteurs , que l'Imprimerie
eft utile à plufieurs égards ; mais je
Jui connois des inconvéniens; il s'agit donc
de me convaincre que ces inconvéniens
& ces avantages bien balancés , il en réfulte
qu'elle foit plus utile que préjudiciable,
car fans cela on ne fçauroit dire abfolument
qu'une chofe eftutile. Voilă fur quoi
notre Juge doit prononcer.
Pour préparer la folution de cette queftion
, je devrois peut-être examiner d'abord
s'il eft utile à l'homme d'être fçavant.
Eft-ce là , me direz-vous , la matiere d'un
probléme ? Non , fi l'on s'en rapporte à la
vanité des Sçavans eux - mêmes ; mais eft ce
affez pour décider de l'excellence d'une
chofe que l'amour
s'en repaiffe ? propre
Et ne fe targue- t'il pas tous les jours de frivolités
, qui humilient plus l'homme qu'el
les ne le relevent ?
,
La fierté de Minutolo eft toujours en
proportion avec la largeur de fes boutonnieres.
Un brandebourg plus ou moins ri-
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
che , hauffe ou baiffe fon ton . Il étoit toutà-
fait humble , lorfqu'il portoit un drap
uni, l'orgueil l'étouffera, pour peu que fon
Tailleur ajoûte encore à la dorure. En
conclueriez - vous que la dorure est une
chofe utile ?
J'appelle une chofe utile à l'homme ,
celle qui rend fa condition meilleure. La
Science a- t'elle cet avantage ?
gros
J'ai vu Didace logé dans un réduit étroit ,
jouiffant d'un revenu médiocre , fans maî
treffe , fans cave , fans feu , pâlir & fécher
fur les Livres. Pour fruit de 20 années de
travaux eft enfin forti de fon cabinet un
manufcrit hériffé de Latin , de Grec &
d'Hébreu , que fon Libraire a mal payé , &
que le Public a peu acheté. Il comptoit au
moins fe dédommager par un peu de gloire ;
un adverfaire malin vient encore lui enlever
ce léger avantage .Une brochure paroît,
qui le convainc de cent bévûes . Il a pref
que toujours côtoyé la vérité ; mais il n'y
a jamais atteint. Cet affront le défeſpere ;
fon cerveau , déja épuifé par les veilles ,
acheve de fe démonter ; le docte Didace
extravague , & la femmelette qui le garde
dans fes accès de délire , ne voudroit pas ,
avec raifon , changer d'état avec lui,
Mettez en parallele avec Didace le bon
Agriot , ce riche Laboureur , votre voifin ,
OCTOBRE. 1750. 77
qui depuis cinquante ans cultive cent arpens
de terre , qu'ont cultivés fes peres
plus de deux fiécles avant lui ; fes grains ,
fes fruits , fes beftiaux , font fa nourriture
& fa richeffe : c'eft avec ces revenus qu'il
a élevé une nombreufe famille , qu'il a
marié fes filles , établi fes fils , fuftenté
de pauvres neveux , devenus orphelins dès
le bas âge , & foulagé même la mifere de
quelques campagnards de fon hameau. On
l'aime, on le bénit , on l'adore. On ne dit pas
de lui , Agriote a fait un méchant Livre ;
on ne dit pas non plus Agriote a fait un
bon Livre ; mais on dit à vingt lieues à la
ronde , que Agriote eft un digne homme
, qu'il eft officieux , bien- faifant , fimple
& reglé dans les moeurs . Orgueillenz
Sçavans , vains Philofophes , frivoles Littérateurs
, la renommée cù vous afpirez ,
a-t'elle rien d'auffi flateur que ces éloges ?
Si quelque Livre eft capable de vous en
mériter de pareils , faites- en , je vous le
confeille , finon laillez vos chimeres de
gloire , & allez apprendre à l'école d'Agriore
à être heureux & gens de bien .
Ce qu'un homme peut acquérir de Science
avec tous les foins , eft fi peu de choſe
& fi peu néceffaire , que ce n'eft pas la pei
ne d'y facrifier fa vie , fes plaifirs , fon
repos.
Diij
75 MERCURE DE FRANCE.
Cependant je vous ai promis, Monfieur ,
de n'être ni décifif ni tranchant. Courre
après les fciences qui voudra , je n'entends
pas m'y oppofer , & je conviendrai volontiers,
que fi elles font peu utiles au particulier
qui les cultive , elles le font quelquefois
au bien public & général , & c'eſt
toujours un fort beau trait à des Particuliers
que de fe dévouer pour le bien public .
Mais l'Art d'imprimer eft il lui- même
utile au progrès des Sciences ? Voilà notre
queftion , revenons- y .
Il en faut convenir . Par le fecours de
l'Imprimerie les connoiffances font devenues
plus vulgaires ; un torrent de lumiéres
s'eft répandu tout-à-coup , l'Europe entiere
en a été arrolee ; mais ce torrent en
s'élargiffant a perdu de fa profondeur ; depuis
qu'il n'eft plus d'ignorans , nos doctes
ne font que des demi - fçavans ; que
dis -je ? Des fpectres , des ombres de fçavans.
La peine qu'il en coûtoit avant l'lm
primerie pour s'initier dans une Science ,
étoit caufe qu'on n'en faifoit pas à demi ;
dès qu'on l'avoit effleurée , on la vouloit
approfondir. Les premiers élémens font ce
qui rebute davantage ; on ne fait plus que
fe jouer , quand on commence à voler de
Les propres aîles.
Une utilité qu'on ne fçauroit contefter
OCTOBRE. 1750. 79
à l'Art d'imprimer , c'eft d'avoir rendu
communs ce qu'on appelle les Auteurs
Claffiques, & les bons Traités en tous genres
de Sciences , d'Arts & de Belles Lettres ;
mais ces fortes d'ouvrages montent à un fi
petit nombre , que ce n'eft prefque pas la
peine de mettre ce fervice en ligne de
compte. Il n'eft perfonne qui n'eut aifément
le loifir de tranferire foi - même tous
ceux dont il pourroit avoir befoin , & il
trouveroit cet avantage à le faire , qu'après
les avoir tranferits , il en fçauroit , a
peu de choſe près , le contenu ; il y auroit
même un moyen d'en multiplier promptement
les copies , ce feroit de les dicter en
public à quelques milliers d'Auditeurs.
Vingt Profeffeurs à Paris dictent bien pendant
deux heures par jour de minces & indigeftes
raplaudies , qu'il eft fort à fouhaiter
que leurs difciples puiffent oublier.
Mais ne nous montrons point ingrats ,
rendons graces de bonne foi à I Imprimerie
de nous avoir fourni à difcrétion des Homeres,
des Démofthenes , des Hérodotes , des Pla
tons, des Virgiles , des Horaces , des Cicérons ,
des Tites Lives , des Vitruves, des Euclides,
des Plines, des Quintiliens; mais à condition.
qu'on nous permettra de nous plaindre de
ce qu'elle nous a auffi tranfmis les farras
des Commentateurs, fleaux de la Littératu
D iiij
80 MERCURE DE FRANCE.
re , gens la plupart fans délicateffe & fang
goût , & qu'il femble que Dieu n'ait créés
que pour gârer les marges des Livres.
Je vous entends d'ici prendre le parti
des faifeurs de Glofes , car je connois votre
foible pour ces fortes de Sçavantalles .
On eft bien heureux , dites- vous , quand
on n'entend que médiocrement les Langues
mortes , de trouver des gens qui nous
en levent les difficultés .
Je réponds premierement que c'eft ce
qu'ils ne font pas d'ordinaire ; leur grand
objet eft de faire étalage de leur fatiguante
érudition ; ils ont peut- être raifon , puifque
c'eft-là tout leur partage ; mais s'agitil
de pénétrer le fens d'un Auteur , quand
la difficulté vient de la fineffe d'une penfée
ou de fa profondeur ? Comme ce feroit
alors une affaire de délicateffe ou de génie,
le
Commentateur vous manque tout net
& vous laiffe courir après le fens . C'est foque
de nous repofer fur eux ; le chemin
le plus court, & le feul qui nous mene
fûrement à entendre les Auteurs Grecs ou
Latins , c'eft de fçavoir le Latin & le Grec.
Les érudits pourroient feulement quelquefois
vous apprendre des traits hiftoriques ,
d'où dépend l'intelligence de quelques paffages
; mais fi l'on réduifoit les Commentaires
à ce feul chef, ils feroient bien aclie
OCTOBR.E. 1750. 81
pas
courcis ; vingt lignes de notes fur 500 pages
de texte , pourroient quelquefois fuffire.
Ajoûtez que ces Mefieurs , dans l'application
des faits hiftoriques , ne font
toujours des garans bien fûrs . Il en faudra
donc revenir auffi fur ce point à fçavoir par
foi- même , & à puifer dans les fources mêmes
les lumieres dont on a befoin.
Mais je vous mets , Monfieur , beaucoup
plus à votre aife , je fuppofe que les Commentaires
nous facilitent infiniment l'intelligence
des Auteurs , & je réponds , ( ce
qui va beaucoup vous furprendre , ) que
c'eft tant pis. Le tems qu'on employoit de
plus à entendre les Auteurs avant qu'on les
cût commentés , croyez-vous qu'il fût perdu
? Pas plus que celui qu'employent de
jeunes Militaires aux exercices propres à
fe durcir à la fatigue . C'est l'exercice qui
fortifie l'ame.comme les corps . On ne s'en.
richit pas dans la République des Lettres ,
comme dans les Gouvernemens civils , par
des legs , des héritages ou des dons ; on
n'y eft riche que de fon propre travail , ou
fi la peine que les autres fe font donnés
avant nous , peut nous en fauver un peu ,
en même-tems elle nous nuit, en ce qu'elle
nous accoûtume à ne plus rien voir par
nos yeux.
La multiplicité des fecours nous gâte
D v
82 MERCURE DEFRANCE.
en nous rendant pareffeux ; les Analyſes ,
les Commentaires , les Scholies , les Paraphrafes
, qui tous font redevables de
leur existence à la facilité d'imprimer , en
rendant les Sciences aifées , les ont perdues
; ce font des voitures douces , par où
l'on s'eft imaginé qu'on arriveroit commodément
à l'augufte Temple de Minerves
mais s'il fe trouve fur la route une haye ,
un bourbier , un monticule , un ruilleau
où la voiture ne puiffe paffer , les jambes ,
faute d'exercice & d'habitude , refuferont
de fervice & laifferont le voyageur à moitié
chemin .
Je ne hais pas en matiere d'étude les
méthodes un peu pénibles , pourvû qu'elles
foient raifonnables ; il y a toujours à y
gagner. Je n'approuve les méthodes aifées
que pour les Grands , parce qu'ils le bor .
nent à fçavoir peu . Croyez vous que les
corps s'en portalfent mieux ,fi l'on ne mangeoit
que des alimens déja broyés , qui
n'euffent pas befoin de maftication ?
Ce que j'ai dit des Commentaires , peut
s'appliquer aux Traductions , ce font de
foibles fecours , des guides fouvent in
fidéles , mais toujours uifibles au progrès
des Sciences. Traduifez vous même un Livre
, vous devenez par - là capable d'en traduire
mille. Lifez la traduction d'un ouOCTOBRE.
1750. 83
-S ,
Pade
en

< ,
5,
es
E.9YT a
He
vrage , fi bonne que vous la fuppofiez ,
elle ne vous apprendra pas à en traduire
vous-même un autre. Vaugelas après fon
Quinte - Curce , eût pû traduire Tacite ,
mais les trois quarts de fes Lecteurs ne traduiroient
pas la Genèfe.
Que direz vous , Monfieur , pour laver
l'Imprimerie du reproche que j'ai à lui faire
, de nous conferver des milliers de fors
ouvrages , qui avant l'invention des carac
téres , ou feroient morts en naiffant , ou ne
feroient jamais nés ? Il falloit bien dans ce
fiécle d'or que les mauvais ouvrages périffent
; où fe feroit- il trouvé des hommes
allez opiniâtres contre le dégoût pour les
tranferire ? Au lieu qu'imprimés , quoique
peu répandus , ils fubfiftent néanmoins , &
ne laiffent de tems à autres de corrompas
pre les moeurs ou le goût de quelques
Lecteurs.
Vous répondrez que fi l'impreffion nous
rend de mauvais offices en perpétuant de
mauvais Livres , elle nous en rend de bons
en confervant les bons ouvrages.
Mais la chofe n'eft pas égale , ce n'eft
qu'à la propagation des mauvais Livres
que l'impreffion eft conftamment néceſſaire
, les bons fe répandroient bien fans cela.
Cette matiere me rappelle à l'efprit un
avis que j'ai toujours eu deffein de donner
D vj
84
MERCURE
DEFRANCE.
à Meffieurs les Traitans ; comme vous en
connoiffez , Monfieur , quelques-uns des
plus hupés, vous pourrez leur en faire part:
ce feroit qu'ils obtinffent ,
moyennant finance
, un Arrêt du Confeil qui leur accordât
une contribution fur les preffes à
tant la ligne
d'impreffion . C'eft pitié de
voir comme on prodigue le papier & les
caractéres pour des niaiferies , des verbiages
, des remarques triviales , qui traînent
par les rues & qu'on rencontre par tour.
En fait de Livres , je voudrois que toutfût
für
d'un ton d'oracle , à l'obfcurité près , &
qu'il fût défendu de faire dix volumes de
ce qui peut tenir en vingt pages , àpeine de
porter la nouvelle taxe double , dont moitié
tourneroit au profit defdits Traitans ,
& l'autre feroit applicable aux befoins
des pauvres Auteurs mal traités par leurs
Libraires.
Finiffons ( car il faut finir ) par un grief
bien important contre l'impreffion . Elle a
rendu tous les hommes raifonneurs . Tous
ont parcouru quelques volumes , & dès
qu'on a lû quatre Livres , on fe croit pref
que capable d'en faire ; cette préfomption
eft même d'autant moins abfurde , que
fouvent ce qu'on appelle un Livre , n'eft
pas un grand effort de génie ; mais l'amour
propre , induftrieux pour nous féduire , a
OCTOBRE. 1750. 85
foin de nous faire admirer ce qu'il nous
dit que nous pourrions faire , & cette fotte
vanité fait des têtes indociles , qui regimbent
contre les préceptes , les leçons &
l'autorité. La fubordination exige des fujets
humbles , & ce ne font pas les Livres
qui en font. Saint Paul dit que la Science
enfle. Ils ne font pas plus propres à former
des foldats , des Laboureurs & des
Artifans . Les Livres ont peut-être plus dépeuplé
les armées , les campagnes & les atteliers
, que la manie qu'ont les riches &
les Grands d'avoir vinge valets à leur faite .
Le moyen qu'un bel efprit aille rifquer à
une efcarmouche ou un affaut une tête toute
remplie d'idées nobles , de penfées fines
& de plans d'ouvrages ? Le moyen qu'une
main,deftinée à écrire une hiftoire galante,
à compofer des Idilles , des Epigrammes ,
des Madrigaux , aille au milieu d'un champ,
expofée au hâle , au brouillard , pouffer indécemment
une bêche , une charrue ? Et ce-
Jui qui fe croit né pour éclairer l'Univers ,
ira- t'il fe proftituer à faire un foulier , un
chapeau ?
Orez la multiplicité des Livres , effet
de l'impreffion , la difficulté d'en avoir
croiffant , il n'y aura prefque plus qu'une
prédeſtination décidée pour les Sciences &
les Belles Lettres , un afcendant infurmon86
MERCURE DE FRANCE.
table qui porte quelques hommes de génie
à s'y appliquer. Ils feroient en plus peric
nombre ; mais fupérieurs en mérite , euxmêmes
y gagneroient dans tous les fens ;
leur réputation en feroit plus brillante
parce qu'ils feroient des êtres plus rares ;
leurs récompenfes plus confidérables , parce
qu'ils n'auroient pas à les partager avec
tant d'autres ; leur confidération plus grande
, parce qu'ils feroient les feuls qu'on
eftimât capables d'être initiés dans la politique
, la légiflation , les traités.
Que l'Art d'imprimer n'exiftât point ,
les libelles contre l'Etat , contre la Religion
ou les moeurs , fe hazarderoient rarement.
Les Auteurs & les Copiftes craindroient
que leur écriture ne pût dépofer
contre eux . Il y a fans doute long- tems
que Mahomet feroit déchû de fa dignité
de Prophéte , fi on lifoit à Conftantinople.
Le premier Sultan qui y fera rouler des
Preffes , n'a qu'à mettre dans fon marché
de ne plus regner qu'à l'Européenne , &
Jes Mandemens des Imans auront toujours
bien plus de force , tant qu'ils ne feront
pas imprimés.
On peut lire , fans qu'il y air des Livres
imprimés ; mais ce n'eft jamais alors le
peuple qui lit ; c'eft un privilége réfervé
à ceux qui ont reçu d'ailleurs de l'éducaOCTOBRE.
87 1750.
tion :or le Gouvernement n'a rien à crain
dre de ces derniers. Si tous les hommes
voyoient clair , on ne les meneroit que
mieux ; il est encore plus aifé de conduire
un clairvoyant qu'un aveugle, à moins que
ce ne fût à un précipice qu'on eûr deffein
de le conduire. L'efpéce d'hommes les
plus difficiles à mener , ce font ceux qui
ne voyent qu'à demi : or c'eft toujours
ainfi que voit le peuple , quand il s'émancipe
à regarder.
Je me flatte , Monfieur , que vous voudrez
bien prêter un fens favorable à ce
que vous pourriez avoir trouvé de fingulier
dans ces opinions. La permiffion de
dire mon avis , m'eft d'autant plus dûe, que
je ne prétends pas faire loi. Je m'ouvre ,
comme à un ami , fur un fentiment qui peut
m'être particulier : or un ami doit me paffer
( ce que les pédans & les fuperftitieux
ne paflent guéres) de penfer autrement que
lui. Quelque Imprimeur peut-être un jour ,
fans reffentiment contre moi , ( car ces
là font bons Chrétiens ) pourra rendre
lai même public le mal que je dis de
fon Art : ce feroit alors pour vous un bel
exemple de tolérance .
gens
J'ai l'honneur d'être , &c.
SS
MERCURE
DEFRANCE.
asasisésésisésés és ésésisésésésesasesese
LES Lettres ont autant contribué à la gloire
de Louis XIV. qu'il avoit contribué à
leurs progrès.
P. OEM E.
Par M. le Marquis de
XIMENEZ.
.... Nec tu divinam Eneida tenta ,
Sedlongè fequere & veftigia femper adora.
ILs n'étoient plas ces jours , où par des foins
heureux ,
Du puiffant Charles- Quint , le rival généreux , ( 1 )
De nos champs défolés chaffant la barbarie ,
Tranfplanta les Beaux Arts au fein de fa Patrie ,
Et cultivoit les fruits de ces arbres naiffans ,
A l'abri de fon Trône autour de lui croiſfans.
Bientôt des factions la farouche licence ,
De leur germe encor foible étouffant la fêmence ,
Difperfa leurs rameaux defféchés & flétris ;
Le regne , hélas ! trop court du plus grand des
Henris ,
De ce Monarque humain , bienfaiſant , intrépide,
(1 ) François I. furnommé le Pere des Lettres :
c'est ce titre précieux que l'Hiftoire lui accorde ,
qui a placé fon nom à côté de celui de Charles-
Quint même , le plus puiffant des Princes de fon
fiècle.
OCTOBRE. 1750.
Ce regne éternifé dans une autre Enéïde * ,
A peine des François put effuyer les pleurs ,
Et la chute des Arts fut un de ſes malheurs.
Ils languiffoient , ces Arts , lorfqu'ils virent pa
roître ,
Sur le Trône des Lys , un Roi digne de l'être ,
Qui dans tous fes projets pour leur gloire entrepris
,
Eut l'immortalité pour objet & pour prix.
La vertu la mérite , & les Mufes la donnent ;
Rois , vous avez befoin que leurs mains vous cous
ronnent ,
Sans elles vos honneurs , vos titres impuiſſans ,
S'abîment avec vous dans les gouffres du tems.
Louis , d'un pas rapide entra dans la carriere
Les Mufes devant lui préfentcient la lumiere ,
Sa gloire en alluma le durable flambeau ,
Son regne étoit le leur , fon Trône leur berceau .
Elles lui devoient tout , & leurs mains immor
telles
Le couvroient des lauriers qu'il fit croître pour
elles.
Répondez à ma voix , fortez de vos tombeaux ,
Mortels , dont ce grand homme animoit lestravaux
,
Efprits de tous les tems , refpectables Génies , ~
Qui parcourant des Arts les routes infinies ,
* La Henriade , Poëme épique de M. de Voltaire
, & le feul dont la France fe glorifie .
go MERCURE DE FRANCE.
Sous les yeux d'un Héros par la gloire excité ,
Eclairates fon fiécle & la pofté :ité.
Parle, ô toi des Auteurs le juge & le modéle, ( 1 )
Qui de la vérité foutenant la querelle ,
Et donnant le précepte & l'exemple à la fois ,
Fis parler la Raifon pour en venger les droits.
Parois Emule heureux de l'aîné des Corneilles
( 2) ,
Toi , qui dans Athalie enchantois nos oreilles ,
Quand LOUIS t'échauffoit de fes puiffans regards
,
Dont le feu créateur enflammoit tous les Arts .
Ciceron de la Chaire , oracle de l'Eglife ( 3 ),
Viens faire entendre encore à notre ame ſurpriſe
Cette voix qui fembloit commander à la mort ,
Et du vainq-ieur de Lens éternifoit le fort.
Rapproche- toi , de lui , toi fon rival aimable (4).
Qui d'un crayon plus doux , non moins inimitable,
Nous peignis la Vertu fous les traits de l'Amour.
Quelle nuit tout à coup fait place au plus beau
jour ?
Dans fon cours plus certain la Phyfique épurée ,
Par d'antiques erreurs n'eft plus défigurée :
(1 ) M. Defpreaux.
(2 ) M. Racine on fçait qu'Athalie eft fon der
nier ouvrage dramatique & fon chef- d'oeuvre.
Que ne devoit-on pas en attendre , s'il eût continué
à travailler pour le Théatre ?
(3) M. Bofluet.
(4, M. de Fenelon .
OCTOBRE . 17 < 0. 98
On mefure la Terre , on meſure les Cieux ,
Le fein de la Nature eft ouvert à nos yeux .
Les tems étoient cachés dans des nuages fombres
,
Une Aurore nouvelle a diffipé leurs ombres ,
L'Antiquité produit fes plus beaux monumens ,
L'Hiftoire à leur claité compte & marque les
rams ;
L'Aiguille fçait tout peindre , & le Bronze refpire.
Spectacles des Romains ! prodiges qu'on admire ,
Dans un moins vafte eſpace avec art étalés
Des chefs - d'oeuvres nouveaux vous ont tous
égalés *.
Il eft des Rois fans force , & nés pour l'indolence,
Que la molleffe endort , que l'intérêt encenſe :
Phantômes élevés fur un Trône avili
Ils paffent comme un fonge & tombent dans l'oubli
;
Sous ces regnes de deuil , le mérite inutile
Languit découragé , dans un obfcur azile ,
Et des hommes divins y vivent inconnus ,
Mais laiffent en mourant un nom qui ne meurt
plus .
Illuftres malheureux ! vos ombres confolées
Abandonnent aux Rois l'orgueil des Maufolées ;
La mort y foule aux pieds le fafte qui les ſuit ,
Votre empire commence où leur regne eſt détruie,
* Les fètes données par Louis XIV. au Carouzel.
92
MERCURE DE FRANCE
C'eſt au defir conftant de furvivre à foi- même ,
C'eft à l'éciat pompeux de cet honneur fuprême,
C'est à l encens qu'on brûle aux autels des Titus ,
Que peut-être Louis devoit tant de vertus ,
Et cette noble ardeur de partager leur gloire ,
Lui mérita le nom que lui donne l'Hiſtoire.
Gloire , par qui les Rois
triomphent du trépas ,
C'est vous , qui de Louis marquâtes tous les pas .
Sous quels traits éclatans l'offrez vous à ma vue ,
Quand tenant d'une main la foudre fufpendue ;
Al Europe liguée il accorde la paix ,
Et de l'autre aux beaux Arts diſpenſe ſes bienfaits ?
Louis fit tout pour eux , & leur
reconnoiffance
Prépara leur triomphe & fut fa récompenſe :
S'il ranima les Arts par un foin paternel ,
Les Arts
reconnoiflans le rendent immortel.
Siécle heureux des talens ! Mufes , dont la la
miere
Perça le voile épais de l'ignorance altiere ,
La gloire de Louis fut votre unique appui ,
La vôtre eft fon ouvrage , & rejaillit fur lui.
Ainfi du
Laboureur furpaffant
l'efperance ,
La Terre dans les champs fait germer
l'abondance,
Et rend avec ufure au travail de fa main ,
Les dons & les tréfors qu'il verfa dans fon fein .
Ainfi , du Globe immenfe auteur de la lumiere ,
Les traits multipliés embrafent la matiere ,
Lorsque l'acier frappé pit fes rapides feux ,
Ramafle & réfléchit la chaleur qu'il tient d'eux,
OCTOBRE.
93 1750.
Anfi , puiffent les Arts , rivaux fans jaloufie ,
Farfer dans leur concorde une nouvelle vie !
Puifle un autre Louis , témoin de leur fplendeur ,
Etendre encor fa gloire en redoublanț la leur !
PRIERE A DIEU.
Daigne veiller , Grand Dieu , fur un peuple
fidéle ,
Qui porta le premier l'étendard de ta foi ;
Et &tu veux payer fon zéle ,
Prolonge les jours de fon Roi;
Louis en triomphant a terminé la guerre ,
La Victoire l'a défarmé ,
Qu'il foir le plus heureux des Princes de la terre ;
Comme il en eft le plus aimé !
Les mots des Enigmes & du Logogriphe
du Mercure de Septembre , font la lettre
X , l'affiche des Spectacles , la leure R , &
Tableau. On trouve dans le Logogriphe ,
ut , la , Abel , valet , Autel , Aube , Alte,
vale , ave , table , beau , bluet , bâteau , bleu
Albe , bal , ean , Eva , tuba , tela & ala.
94 MERCURE DE FRANCE.
9 : 9: DO
ENIGM E.
LAiffe mes pieds , Lecteur , dans leur ordre
or linaire ,
Tu trouveras maints objets differens.
Parcourre les Palais des Grands ,
Tu m'y verras commune & néceffaire .
Foulée impunément par gens de tout état ;
Avec plus ou moins grand éclat ,
Telle eft la loi dure & bizarre
Que l'homme n'impole en tout tems .
Reprends- moi fous un autre lens ,
Précieuſe à tes yeux , je deviendrai plus rare :
Mes faveurs autrefois , malgré tous leurs appas ,
N'eurent que de trop foibles charmes
Pour un jeune Héros , dont l'invincible bras
Fut depuis intrépide au milieu des allarmes.
Il m'abandonna
, pour des armes
Qn'il ne quitta qu'après un glorieux trépas..
Tu peux encore me voir fous une autre figure ,
Sans déranger de mon corps la ſtructure ,
C'est alors que mon feul afpe &t
Devroit à tout Chrétien infpirer le respect.
Par M. D. L. M.
OCTOBRE. 1750. 25
AUTR E.
' Ai huit membres , j'ai huit natures ,
Et huit differentes figures.
Suis moi , Lecteur , dans tous états ,
La même tu me trouveras .
D'abord , je fuis d'un grand uſage
Chez ceux qui , grace à leur ouvrage ,
Te fauvent maint rhume en hyver,
Souvent , tu me viens obſerver ,
Pour régler tes oeuvres divers .
Je fuis dans les longues traverſes ,
Sar mer d'inestimable prix.
A la toilette des Iris
J'ai deux emplois des plus utiles ,
Dans les Pays des Crocodiles
J'eus grande réputation .
Dans la fainte Religion ,
Souvent , au- deffus des Chapelles ,
Je fers d'étendart aux Fidéles.
Mais pour à coup sûr me trouver ,
Tu peux dans la iner me chercher .
Par le même.
96 MERCURE DE FRANCE.
LOGOGRIP HE .
Quoique je fois , Lecteur , connu de sour le
Et que vous m'étudiez toujours avec ardeur ,
Que pour me poffeder l'on me porte fur l'onde ,
De n'être point connu dans ce jour j'ai bien peur.
Des difputes fouvent je diffipe l'aigreur ,
J'inftruits les hommes à tout âge ,
Le grand , & le petit , l'ignorant & le fage,
Le jeune rarement me tient avec plaifir ,
L'homme fenfé chez moi , dans fon loiſir,
Avidement puiſe des connoiffances ;
Je fçais tout , & je fuis une clef des Sciences .
Mais j'ai trop dir , fans peine , je fuis sûr ,
On me devinera', rendons- nous plus obfcur.
De cinq pieds feulement ma ftructure eft formée ,
Mon nom offre à vos yeux la trifte deſtinée
Des hommes en âge avancés....
La terreur des affiégés ,
Le vengeur de plus d'une armée………、
Je forme douze mots Latins ,
Combinez- moi , vous trouverez Catin,
Ide , nate , naître , air , tonne , canne , taire ,
Acte , date , dicter , âne , nitre , Notaire ,
On peut auffi trouver une bonne boiffon...
D'un cruel Empereur le nom ;
Celui d'une utile riviere ,
Qui roule dans la Seine une onde pure & claire;
Un
OCTOBRE. 1750. 97
Un azile pour les Vaiffeaux ;
Du Roi de France un des plus beaux Châteaux ;
Chez moi vivent les Grands autant que dans
l'Hiftoire ;
L'on trouve la mémoire
D'un Sage de la Gréce , & d'un Prince Bourbon ;
Le célébre Corneille y jouit de fa gloire
Par ce qu'il a donné d'excellent & de bon .
Aifément on peut lire , onde , rond , nation ;
N'allons pas plus avant , ami Lecteur , peut-être
En voulant m'embrouiller , me ferois- je connoître.
AUTRE.
Dans le corps des mortels où je trouve un azile ,
J'allume d'ordinaire un feu féditieux ,
Et fi l'on attend trop , l'art devient inutile,
Et ne peut détourner mes effers dangereux .
De mes fept pieds , Lecteur , tu pourras voir éclore
Un des fils de Jacob , un Empereur Romain ;
L'Element , qui reçoit tout ce qui s'évapore ;
Le traître , le cruel , qui dans le fang humain.
A le premier trempé laparricide main ;
Une Ville par lui dans la fuite bâtie ;
Un métal préparé , du monde une partie ;
Le Pere vertueux de ce Roi d'Ifraël ,
Qui du Prophète Roi fut l'ennemi cruel ;
Pourfuis , & tu verras s'élever dans la que
Ce fils , qui de fon pere oublia les avis
E
98 MERCURE DE FRANCE.1
fuivis.
Qu'il regretta trop tard de n'avoir pas
Une mer fous fon nom dans la Fable eft connue ;
Une fille d'Atias ; un Poëte François ;
Du Zodiaque un figne ; un Prince en Amérique ;
Deux efpéces d'oifeaux ; deux notes de Mufique
Je finis , cher Lecteur , c'eft affez cette fois-
***************
R
NOUVELLES LITTERAIRES.
VIE
LA ede Pierre Aretin , parM. de Boisprean. A la Haye , chez Jean
Neaulme , 175o ; un volume in- 12.
Pierre Aretin , né à Arrezzo , Ville de
Tofcane , le 20 Avril 1492 , a fait tant de
bruit, qu'on ne fera pas fâché de connoître
le caractére de fon coeur & de fon éfprit,
A s'en tenir à l'idée qu'en donne l'Hiftoirien
dont nous annonçons l'ouvrage ,
Áretin fut un homme cauftique & avide ,
qui mania avec une effronterie égale l'adulation
la plus baffe & la fatyre la plus
effrenée. Il s'embarraffa peu de mentir
& de fe contredire ; l'intérêt dictoit fes
jugemens , & ceux aufquels il devoir tour
furent maltraités les premiers. Les réponfes
les plus folides , les reproches les mieux
fondés , les affronts , les corrections ne
purent temperer fa caufticité famélique.
Les châtimens publics avoient accoûtumé
OCTOBRE, 1752. 29
ne
fon front à l'infamie ; il fe confoloit en fe
prodiguant des éloges , & en décorant fes
Livres de fes portraits & d'infcriptions .
Il s'arrogea le titre & les fonctions de
Cenfeur : foit habitude ou mépris , on s'ac
coûtuma à cette ufurpation , & les Magiftrats
la tolererent .
Rien ne prouve mieux, la fottife de fes
contemporains , que la conduite des plus
grands Princes à fon égard . Charles -Quint
lui affigna une penfion de 100 écus fur
le Duché de Milan , & François I. fic fes
efforts pour le ranger de fon parti . Ces
Souverains avoient été en concurrence
pour l'Empire , & la rivalité de gloire
nourriffoit dans leur coeur une jalousie qui
éclata par des guerres fanglantes. Aretin
partageoit d'abord fes éloges entre ces
Monarques : la penfion décida fa plume ;
il ne chanta plus que fon bienfaiteur. Le
Duc d'Atri l'exhortant à continuer legale
diftribution de fon encens , il lui répondit
» Je fuis & ferai toujours ferviteur
de votre Maître. Mes écrits ont
» annoncé les vertus à toute la terre ; mais
»je ne vis pas de fumée
, & Sa Majesté
n'a pas daigné
s'informer
fi je mange
. La chaîne
qu'elle
m'avoit
promiſe
a été
»trois
ans en chemin
; il y en a quatre
qu'elle
ne m'a pas donné
le bon jour.
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
» Je me fuis rangé du côté de celui qui
» donne fans promettre. François fut
long -tems l'idole de mon coeur : le feu
» qui brûloit fur fon autel s'eft éteint faute
» d'alimens .
33
Aretin convaincu que la plupart des
hommes ne fe donnent pas là peine de
penfer par eux-mêmes , voulut donner le
ton au Public , & il y réuffit . Le plus
grand nombre répéta ce qu'il lui avoit entendu
dire , & rien n'eft plus indécent
que les éloges que fes adulateurs lui donnerent
, & que quelques- uns poufferent
jufqu'au fcandale. On lui difoit que fa
plume avoit affujetti plus de Princes , que
les plus fameux Conquérans n'en avoient
foumis par l'épée : qu'il méritoit les titres
de Gallique , de Pannonique , d'Ibérique ,
de Germanique , avec plus de juftice , que
les Empereurs aufquels la flatterie les avoit
décernés. On le citoit dans les Chaires ,
on l'appelloit la colonne de l'Eglife , le
guide des Prédicateurs le cinquiéme
Evangelifte. On foutenoit que fes Livres
étoient plus utiles à la fociété que les plus
beaux Sermons , ceux- ci ne parlant qu'aux
Simples , & les écrits portant la vérité dans
les Cabinets des Monarques. François
Riggardini a ofé écrire : » Je dirai vec
»affurance que vous êtes le Fils de Dieu ,
>
OCTOBRE. 1750. IOI
S'il eft la vérité dans le Ciel , vous l'êtes
fur la terre. Soyez sûr que Vénife mérite
feule de vous loger. Vous êtes l'or-
" nement de la terre , le tréfor de la mer ,
» & la gloire du Ciel . Vous êtes fembla-
» ble à la pelle d'or , qu'on pofe fur l'Au
» tel de Saint Marc le jour de la grande
" Foire. Gnatio de Sambrune ajoute :
Vous êtes la colonne , la lampe , la
fplendeur de l'Eglife : vous réuniffez la
» morale de Gregoire , la profondeur de
» Jerôme , la fubtilité d'Auguftin & le
style fententieux d'Ambroife . Vous êtes
» un nouveau Jean Baptifte pour décou-
» vrir , reprendre , corriger avec courage
la malice & l'hypocrifie. Vous êtes un
» fecond Jean l'Evangélifte pour prier ,
" pour exhorter , pour honorer les bons
& les vertueux . On peut vous appliquer
» ce que Jefus Chriſt adreſſe à S. Pierre :
» Beatus es , quia caro & fanguis non revelavit
» tibi , fed Pater nofter qui eft in coelis.
L'éclat de ces éloges fut quelquefois
temperé par des avantures humiliantes.
Tani parlant d'un babillard dit , qu'il
étoit plus riche en paroles qu'Aretin en
coups de bâtons . Tout cela ne le rendit pas
plus modefte. Il s'intitula l'homme libre
par la grace de Dieu : Divus Petrus Aretinus
, per divina grazia , homo liber , acer-
E jij
102 MERCURE DE FRANCE.
.
rimus virtutum ac vitiorum demonftrator. 11
s'imagina que le Public devoit être curieux
de la figure , & la préferoit à celle des
Alexandres & des Céfars. Si nous le
croyons , on la plaçoit fur le frontispice
' des Palais ; elle décoroit les appartemensles
plus fomptueux , elle faifoit l'ornement
des falles publiques ; on la peignoit juf
ques fur la porcelaine. Il ne fe contenta
pas d'être peint & gravé , il fit frapper des
médailles , l'une defquelles représente le
bufte d'un vieillard avec une grande barbe
, & ces mots : Divus Petrus Arctinus flagellum
Principum.
Cette hardieffe en impofa à la plupart
des Princes ; ils craignirent de s'attirer
une application particuliere de ce qu'il ne
difoit qu'en général . La mode s'introdui
fit de lui faire des préfens ; Soliman &
Barberouffe même fe plierent à la folie du
fiécle. Aretin comptoit parmi fes tributaires
, l'Empereur , l'Impératrice , François
I. Philippe Archiduc & Prince d'Efpagne
, le Marquis du Guaft , le Duc
d'Urbin Louis Gritti , Baudouin del
Monte , le Prince de Salerne , & c .
Tout cela pourroit faire croire qu'Aretin
fut un Ecrivain du premier ordre , cependant
ce n'eft pas l'opinion commune.
Tofcanella lui reproche un ftyle enflé &
OCTOBRE . 1750. 103
pea naturel. Guarini l'accufe de donner
dans l'hyperbole , & Fontamini d'outret
l'expreflion & la penfée. Malheureuſement
, dir M. de Boifpreaux , tous ces reproches
font fondés . On trouve par tout
un homme qui court après l'efprit , qui
ne dit rien comme un autre , qui cherche
à fe fingularifer par un jargon inintelligible
, qui veut rajeunir une penfée ufée
par un tour obfcur ou précieux , enforte
qu'un homme de bon goût ne peut foutenir
l'ennui d'une lecture auffi faftidieufe.
. Comme il n'y eut qu'une voix fur fon ignorance,
& qu'il étoit forcé d'en convenir, il
conçut une averfion pour les anciens , qui
retomboit fur leurs admirateurs : il traitoit
ces derniers de Plagiaires , & comparoit
ceux qui les prenoient pour modéles , à
des voleurs , qui croyoient cacher leur lar
cin en effaçant les armes du maître . On
ne peut lui refufer le feu & l'imagination .
Ses Comédies font remplies de fel & de
faillies , mais elles bleffent les régles du
Théatre & la pudeur ; ce ne font proprement
que des dialogues affez mal coufus.
Sa verfification eft dare , entortillée
fans graces & fans naturel : Ses Ragionamenii
font prefque la feule chofe qu'on
life de lui . Ceux qui voudront connoître
l'Aretin à ford , peuvent lire l'Hiftoire
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE.
dont nous venons de rendre
compte
, ils y trouveront
beaucoup
de particularités fingulieres
& piquantes
.
ESSAI fur l'homme de M. Pope , traduit
en vers François , par M. le Baron de
Schleiniz. A Helmstedt , 1749.
L'Auteur de cette Traduction eft un
homme de qualité , Allemand de naiffance
, fixé à la Cour de Brunfwik , & qui,
à ce qu'on nous affure , n'eft jamais venu
en France. Il feroit facile de relever dans
fa production quelques fautes de goût &
de Grammaire ; mais il eft plus agréable
de fe livrer au plaifir de voir notre Langue
cultivée , & cultivée avec fuccès par
des Etrangers du mérite de M. le Baron
de Schleinitz. Il fuffira de tranfcrire le
commencement de ce Poëme , pour donner
une idée jufte de tout l'ouvrage.
Réveillons-nous , Milord , de cette léthargie ,
Où la foible raiſon fe trouve enfevelie ;
Laiffons les préjugés captiver fous leurs loix
Le faftueux orgueil , l'appanage des Rois ,
Et puifque , malgré nous , de cette vie humaine
Le rapide torrent à la mort nous entraîne ,
Que la Parque nous laiffe à peine le lo fir
De voir , de contempler qu'il faut déja mourir.
Profitons du moment où le Ciel nous fit naître,
OCTOBRE . 1750. 105
Et tâchons , s'il fe peut , d'apprendre à nous connoître.
Dis- moi , qu'eſt- ce que l'homme › Un labyrinthe
affreux ,
De vices , de vertus un mêlange honteux ;
Des lâches paffions le bizarre affemblage
A mille foins divers le conduit d'âge en âge ,
Malgré tout fon défordre & fa variété ,
On apperçoit encor fa régularité.
Il s'éleve fouvent du fein de la baſſeffe.
Admirons fa grandeur & plignons fa foibleffe.
De contraires defirs tour à tour travaillé ,
Ainfi que dans un champ richement émaillé ;
Le printems fait éclore , avec la fleur utile ,
Et la ronce , & l'épine , & le chardon ſtèrile :
La vie eft ce jardin , où du Ciel defcendu ,
L'homme est toujours tenté par le fruit défendu.
DE la maniere de négocier avec les
Souverains , par M. de Callieres. Nouvelle
édition confidérablement augmentée par
M . ** . A Londres , chez Jean Nourſe , 1750 .
Deux volumes in- 12.
Cet ouvrage eft fi connu , qu'il paroît
inutile d'en donner l'extrait . Ceux qui
aiment tout ce qui a quelque rapport à la
politique , fçavent que le Livre que nous
annonçons eft écrit plus naturellement
qu'ingénieufement ; que les vûes en font
plus juftes que profondes , & que l'Auteur
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
avoit plutôt la connoiffance que le génie
des affaires . Nous avons trouvé dans la
nouvelle édition de ce Livre également
utile & agréable , & dont on ne sçauroit
trop recommander la lecture , fur tout aux
jeunes gens , quelques faits curieux que
nos Lecteurs feront peut -être bien aifes de
trouver ici .
Un Prélat qui étoit Ambaffadeur à Rome
s'attira la difgrace de François I. fon Maître
, pour n'avoir pas parlé avec vigueur
dans un Confiftoire où l'Empereur Charles-
Quint, rejettant fur le Roi tous les malheurs
de la guerre , fe vanta fauffement de
lui avoir offert de la terminer par un combat
particulier , & que François I. l'avoit
refulé . Ce Prince en fut fi indigné , qu'il
fit donner un démenti public à l'Empereur
, blâmâ publiquement la conduite de
fon Ambaffadeur , de ce qu'il ne l'avoir
pas fait fur le champ , & prit la réfolution
de ne plus envoyer pour les Ambaſſadeurs
à Rome que des gens d'épée , comme plus
propres à foutenir l'honneur de leur caractére.
On dit du Cardinal de Richelieu , que
c'étoit l'homme du monde qui avoit les
vûes les plus étendues dans les affaires politiques
; mais qu'il étoit irréfolu, quand il
s'agiffoit de choifir , & que le P. Joſeph ,
OCTOBRE. 1750 107
de
Capucin , qui étoit beaucoup moins éclairé
que ce Cardinal , lui étoit d'un grand fecours
en ce qu'il décidoit hardiment , & le
déterminoit fur le choix des divers def.
feins que le Cardinal lui communiquoit.
Au tems de la fronde , le Cardinal Mazarin
vouloit attirer un homme confidérable
dans fon parti . Pour y réuflir il char
gea M. de Faber de lui faire de grandes
promeffes , qu'il avoua n'être pas en état
d'exécuter. Faber refufa cette commiffion ,
& lui dit : Qu'il trouveroit affez de gens pour
porter de fauffes paroles , mais qu'il avoit be-
Join d'hommes accrédités pour en donner de
véritables , qu'il le prioit de le garderpour
ce dernier emploi.
Mazarin , avant d'être Cardinal , fut
envoyé pour une négociation importante.
vers le Duc de Feria , Gouverneur du Milanois
il avoit befoin de découvrir les
véritables fentimens de ce Duc fur l'affaire
dont il s'agiffoit ; il eut l'adreffe de le mettre
en colère , & il découvrit par ce moyen
ce qu'il n'auroit jamais pû pénétrer , fi ce
Duc avoit fçu retenir fes mouvemens . Ce
Cardinal s'étoit rendu fi abfolument maître
de tous les effets extérieurs que les paf
fions ont accoûtumé de produire , que ni
par les difcours , ni par aucun changement
far fon vifage , ni par aucun autre figne ,
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
on ne découvroit jamais rien de ce qu'il
penfoit , & cette qualité qu'il a poffedée
au fuprême degré , a beaucoup contribué à
le rendre l'un des plus grands Négociateurs
de fon tems.
Charles Emanuel , premier du nom
Duc de Savoye , entretenoit des intelligences
& des cabales en France , avec plufieurs
des principaux Seigneurs de la Cour
du Roi Henri IV. Il y vint fous prétexte
de rendre les refpects au Roi , mais à deffein
d'y fortifier fes pratiques par fon
adreffe & par fes libéralités , & de mettre
le Roi hors d'état de lui faire reftituer le
Marquifat de Saluffs , qu'il avoit ufurpé
durant les défordres de la Ligue. Le Roi
découvrit les intrigues de ce Duc , & mit
en délibération dans fon Confeil ce qu'il
avoit à faire là deffus . Le Confeil du Roi
fut d'avis , que le Duc étant venu fous une
fauffe apparence d'amitié pour troubler le
repos de l'Etat , le Roi étoit en plein droit
de s'affûrer de fa perfonne , comme d'un
ennemi , fans contrevenir au droit des gens,
& de ne le point laiffer fortir de France
qu'il ne lui eût reftitué le Marquifat de
Saluffes ; mais le Roi ne fut pas de l'avis
de fon Confeil : Le Duc , leur dit-il,
eft venu me trouverfur ma parole , s'il manque
à ce qu'il me doit , je ne veux pasfu vre unfi
OCTOBRE. 1750. 169
mauvais exemple, & j'en ai un trop beau dans
ma Maiſon pour ne le pas imiter.
Il vouloit parler du Roi François I. qui
laiffa paller en France l'Empereur Charles-
Quint , fans lui faire rendre le Duché de
Milan qu'il lui retenoit , quoique plufieurs
du Confeil du Roi fuffent d'avis , qu'il
falloit profiter de cette occafion pour recouvrer
cet Erat que l'Empetenr lui avoit
ufurpé , & qu'il avoit promis plufieurs fois
de lui rendre ; mais le Roi François I.
préfera l'honneur de garder la parole à
tout autre intérêt .
J'ai connu un illuftre & habile Ambaffadeur
qui ne négligeoit rien , & qui
jouant fouvent avec un grand Prince ,
fe laiffoit perdre exprès pour le mettre
de bonne humeur , ce qui ne manquoit
pas de lui réuflir , & de lui en faire avoir des
audiences plus favorables fur les affaires
qu'il avoit à traiter avec lui , & la perte
médiocre qu'il faifoit en jouant de cette for
te , n'étoit pas comparable aux grandes utilités
qu'il a tirées d'avoir réuffi à lui plaire.
Don Eftevan de Gamarre avoit fervi le
Roi d'Efpagne un grand nombre d'années
avec zéle & avec fidélité , tant à la guerre
que dans les négociations. Comme il fe
plaignoit de l'ingratitude de la Cour , un
Miniftre , fon parent , lui dit qu'il devoit
116 MERCURE DE FRANCE.
qu'il devoit imiter les autres Gouver
neurs , qui lorfque les troupes Françoifes
avoient remporté quelques avantages ,
alfuroient qu'elles avoient été bien battues
à quoi ce Miniftre ajoûta que le
Roi d'Espagne & fon Confeil croyent
ne pouvoir trop récompenfer ceux qui leur
mandoient de fi bonnes nouvelles , ni affez
oublier un homme comme lui , qui ne leur
en randoit que de fâcheufes. Alors ,
Do Estevan de Gimarre , furpris de ce
tableau de la Cour d'Efpagne que lui fit
fon parent : puifqu'il ne s'agit , lui répondit-
il , pour faire fortune en ce Pays- ci ,
que de battre les François par de fauffes
relations , je ne défefpere plus de mes affaires,
& il s'en retourna aux Pays - Bas , où il
profita fi bien des avis de fon parent , qu'il
s'attira bientôt plufieurs Mercedes , pour
me fervir du terme Efpagnol , & il vit
profperer les affaires à mefure qu'il travailloit
par fes dépêches , à ruiner en idée les
affaires des François.
.
Le feu Grand Duc de Tofcane , qui étoit
un Prince fort fage & fort éclairé , fe plaignoit
un jour à un Ambaffadeur de Vénife
, qui paffa à Florence allant à Rome ,
de ce que certe République lui avoit envoyé
, en qualité de Réfident , un homme
fans conduite & fans jugement : je n'en
OCTOBRE. 1750. 111
fuis pas furpris , lui dit l'Ambaſſadeur , car
nous avons beaucoup de fots à Vénife :
Nous avons aufli nos fots à Florence , lui répondit
le Grand Duc ; mais nous ne les envoyons
pas dehors pour yprendre fein de nos
affaires.
On fit dans l'un des fiècles précédens , une
raillerie bien fondée fur ce que la Cour
de France avoit envoyé un Evêque en qualité
d'Ambaſſadeur à Conftantinople , & un
mauvais Catholique à Rome en la même
qualité , ce qui fit dire , que l'un alloit pour
Convertir le Grand Turc , & l'autre pour être
converti par le Pape.
Quand le Duc de Milan Louis Sforce
fit fon accord avec Charles VIII . Roi de
France , il offrit de lui fournir deux Navires
à Génes , pour fecourir Naples qui
tenoit encore pour le Roi , & comme il
fut question d'accomplir cette promeffe ,
& que les François voulurent entrer dans
les Vaiffeaux , le Duc de Milan dit qu'il
ne pouvoit y laiffer mettre les François ,
parce que cette claufe n'étoit point exprimée
dans fon accord ; que fonengagement
n'étoit que pour fournir les feuls Navires
, & qu'il les délivroit conformément
aux termes de fon Traité , à qui Philippe
de Comines , Ambaffadeur du Roi de
France , fit cette réponſe : que fon
excep-
1
111 MERCURE DE FRANCE.
tion lui fembloit ridicule , car s'il lui of
froit une mule pour paffer les monts , &
qu'il ne lui permît pas de monter delfus ,
ce feroit pour lui un préfent fort inutile.
Lorfque Jean de Vega fut rappellé d'une
grande Ambaffade , Don Diego de Mendoça
fut envoyé en fa place , & fut fi
promptement expédié , qu'il trouva Jean
de Vega avant fon départ de la Cour , où
il avoit été Ambaffadeur ; entre autres
conferences qu'ils eurent enfemble , Vega
voulant laiffer quelque inftruction à fon
fucceffeur , lui dit : Je vous donne avis
que vous trouverez fort peu de vérité en
cette Cour ; les Miniftres ne la connoif
fent point & ne fçauroient la pratiquer ;
Mendoça lui repartit , ils ont trouvé en
moi à qui parler , car pour un menfonge je
leur en rendrai deux cens : à quoi Vega
répondit , je penfe tout autrement , & je
crois avoir fuivi le meilleur chemin : je
n'ai jamais répondu à tous leurs menfonges
que par des vérités , & par - là j'en fuis
venu à bour , car s'ils ne les ont pas crús ,
c'étoit un heureux moyen pour arriver au
but que j'aurois pû me propofer par le
menfonge , fans hazarder mon honneur.
Un grand Ambaffadeur , le Duc de Seſſa ,
perfuadé que le menfonge ne convenoit
pas à fa dignité , difoit fort fagement qu'il
OCTOBRE. 1750. 113.
ne croyoit pas que les bancs des Confef
fionnaux euflent été inventés pour d'autre
fujer que pour confeffer ce péché. Il y
trouvoit tant de lâcheté , qu'il croyoit
qu'il etoit impoffible de s'en ofer accufer
face à face.
Elifabeth , Reine d'Angleterre , fous
prétexte qu'il y avoit de la poste à Paris ,
differa la réception des Ambaſſadeurs de
France ; elle fçavqit qu'ils venoient pour
folliciter en faveur de la Reine d'Ecoffe
qu'elle avoit réfolu de faire mourir .
Don Pedre de Toléde , Ambaffadeur
pour le Roi d'Efpagne Philippe III . vers
Henri IV . Roi de France , fe trouvant un
Jour auprès du Roi , comme il vint à parler
familierement de fon Royaume de Navarre
, il lui dit , que le Roi d'Efpagne
fon Maître , le lui avoit ufurpé , que s'il
vivoit encore quelques années , il le
fçauroit bien recouvrer . Don Pedre lui
répondit tout ce qu'il jugea à propos pour
la juftification de fon Maître , & entre autres
chofes , qu'il avoit hérité de ce Royaume;
que la juftice avec laquelle il le poffedoit
lui aideroit à le défendre. Le Roi
lui répondit : Bien , bien , votre raiſon eſt
bonne jufqu'à que je fois dans Pampelune ;
mais alors nous verrons qui entreprendra
la défenſe contre moi . L'Ambaffadeur fe
114 MERCURE DEFRANCE.
leva là deffus , & s'en allant un peu vîte
devers la porte , le Roi lui demanda où
il alloit fi vîte : je m'en vais , dit il , attendre
votre Majefté à Pampelune pour la
défendre .
Les Ambaffadeurs de France defirant re
tirer la République de Venife de l'intelli
gence de l'Empereur Charles V , & dimi .
nuer la puiffance de ce Prince , tâchoient
fecrettement de porter les Vénitiens à faire
la paix avec le Turc , néanmoins ils témoignoient
en public de la vouloir détourner.
Pour cet effet , ils engagerent infenfiblement
les Ambaffadeurs de l'Empereur
à déclarer en plein Sénat,que l'Empe
reur & le Roi de France leur ordonnoient
de ne faire nul Traité avec aucun Prince
fans les avertir ; & quoique les Amballadeurs
Impériaux cuffent quelque retenue à
leur faire cette déclaration , ils furent enfin
déterminés par les Ambaffadeurs François
, fi bien que cette notification étant
faite , te Sénat , qui n'en connoiffoit pas la
fubtilité ni la fineffe , s'en crut offenfé, & jugea
fagement qu'il y alloit trop de leur
intérêt ; qu'ils ne pouvoient fouffrir aucune
apparence de fervitude ; que leur liberté
ne feroit point confervée, s'ils s'obligeoint
à cette néceflité : de maniere que
toute la République trouvant ces raifons
OCTOBRE. 1750. 115
St
C
C

fort bonnes & la déclaration trop impérieufe
, on envoya promptement un fecond
Ambaffadeur à Conftantinople , appellé
Louis Badour (contre celui qu'ils y avoient)
avec une commiffion expreffe de conclure
la paix avec le Turc ; ainfi les Ambaffadeurs
François firent réuflir adroitement
leur intention , en feignant néanmoins de
s'y oppofer.
M. Hotman , revenant de fon Ambaffade
de Suiffe en 1598 , les Cantons le prierent
de dire au Roi Henri IV qu'ils avoient befoin
d'un Tréforier avec de l'argent , &
non d'un Amballadeur avec des paroles.
Ce fut une action de courage que fit M.
Gilles de Noailles , Evêque de Dacqs , qui
fut envoyé en Ambaffade vers le Grand
Seigneur. C'est l'ufage à Conftantinople
que l'Ambaffadeur qui fe rend à l'audience
du Grand Seigneur , eft tenu par deux
Bachas qui le conduifent. M. de Noailles
fe débarralla des deux Bachas , & témoigna
qu'étant Ambaffadeur d'un grand Prince ,
il ne fouffriroit pas d'être conduit comme
un eſcave , & s'étant préſenté devant le
Sultan , il ne lui rendit pas d'autres honneurs
que ceux que l'on rend à toutes les
têtes couronnées. On remarque auffi qu'un
Ambaffadeur de l'Empereur Charles-Quint,
dans une audience qu'il eut du même Sub116
MERCURE DEFRANCE.
tan , fe tira avec efprit d'une incivilité
qu'on lui faifoit. Il étoit debout depuis
long-tems , & comme il craignoit qu'on
ne l'y laiffat plus qu'il ne convenoit , il
prend fon manteau & s'affied deffus . L'audience
finie , il laiffa fon manteau où il
l'avoit mis & fe retira . On l'avertit de reprendre
fon manteau , mais il répondit
que l'Ambaffadeur de l'Empereur n'avoir
pas accoûtumé de porter lui-même fon
fiége .
Sous la minorité de Charles IX , le
Grand Chancelier de l'Hôpital fit une action
d'équité , femblable à celle d'un Miniftre
de Bourgogne. Cet homme illuftre,
preffé par la Reine Catherine de Médicis ,
Régente , de fceller un Edit tout- à- fait injufte
, apporta les Sceaux à cette Princeffe ,
& lui dit brufquement ces paroles : Voilà
vos Sceaux , Madame , fcellez vous-même
votre Edit , car pour moi j'aimerois mieux
mourir que de le faire ; la Régente voyant
la réfolution de ce grand homme, & d'ailleurs
étant perfuadée que fa probité éclatoit
par tout le Royaume , aima mieux lui
adoucir l'efprit, que de le réprimander fur
l'excès de fa hardieffe , & par- là elle l'obligea
de reprendre les Sceaux .
L'Ambaffadeur du Roi de Dannemarck,
auprès d'Elifabeth , Reine d'Angleterre ,
OCTOBRE. 1750. 117
demanda juftice à cette Princeffe d'un
meurtre commis chez lui par un de fes domeftiques.
Elle n'en voulut pas connoître ,
& lui permit de le faire conduire en Dannemarck
pour en faire juftice .
Un Ambafladeur d'Efpagne à Venife ,
fit pendre un de fes valets aux fenêtres de
fon Hôtel , pour un crime énorme que ce
domestique avoit commis chez lui. Cependant
la Seigneurie de Venife affecta
de ne l'avoir pas apperçû.
LES Agrémens de la Campagne , in-4°.
A Leyde , chez Samuel Luchtmans , & fils .
A Amfterdam , chez Meynard Oyiwerf, &
fe trouve à Paris , chez Briaffon , Libraire,
rue S. Jacques , 1750.
Le premier Livre de cet ouvrage confidérable
traite du choix d'une maifon de
campagne , des embelliffemens qui lui conviennent
, des allées , des avenues , & c. Le
fecond roule tout entier fur les arbres , fur
la maniere de les choisir , de les planter ,
de les greffer , de les multiplier , &c. Le
troifiéme donne des lumieres très- détaillées
fur la culture des fleurs & des fruits
en général , & de quelques fortes en parti
culier , comme les figues , les grofeilles ,
les pêches , &c. Le quatriéme Livre eft
confacré tout entier à la vigne , fur laquel
118 MERCURE DE FRANCE.
le on dit tout ce qui peut fe dire d'agréable
& d'utile. Le cinquiéme Livre ne traite
que des arbres fauvages , qui font l'ornement
de nos parterres . Le reste du volume
enfeigne à cultiver les arbres des pays
chauds , dans les pays froids , & à cueillir
en hyver les fruits des autres faifons.
Nous avons trouvé dans cet ouvrage des
principes d'une faine Phyfique , des détails
intéreffans , des obfervations nouvelles
& beaucoup d'ordre. Le ftyle fe reffent
beaucoup du pays où a été imprimé ce
Livre.
LA SPECTATRICE , ouvrage traduit de
l'Anglois. A la Haye , chez Fréderic - Henri
Scheurleer.
Ce Livre est une mauvaiſe copie du Spectateur.
Pour en donner une idée à nos Lec
teurs , nous tranfcrirons le portrait d'un
malade imaginaire.
Thaumantius eft regardé par tous ceux
qui le connoiffent , comme un des plus
grands valétudinaires qu'il y ait au monde.
Il rremble à l'ouie d'une maladie dont une
feule perfonne eft attaquée , en fût- il éloigné
de plufieurs lieues , & il confulte d'abord
fon Médecin pour fçavoir fi des fymptômes
qu'il s'imagine fentir , ne font point
une marque qu'il a attrapé la même malaOCTOBRE.
1750. 119
die ; il fuit la Ville aufli -tôt que les liftes
mortuaires augmentent , & il y revient à
l'oue d'un enfant qui fera tombé malade à
la campagne. Il craint en été la fiévre con
tinue , & en hyver la fiévre tierce ; l'au
tomne & le printems le menacent de quelques
changemens fâcheux dans fa conftitution,
Il avoit oui dire que l'attitude
du corps en tirant des armes , dégageoit la
poitrine & prévenoit toute indifpofition
dans le poulmon , c'eft pourquoi il donnoit
les trois quarts de fon tems à cet exercice
; mais comme on lui dit enfuite que
ce mouvement étoit trop violent & trop
précipité ; qu'il pouvoit occafionner des
langueurs & des fueurs anéantiffantes &
dangereufes au corps humain , il mit de
côté les fleurets & ne voulut plus dès- lors
porter d'épée , de peur qu'un affront ne
l'obligeât de la tirer au préjudice de ſes
mufcles. Quand le vent eft à l'Eſt , il incommode
fes yeux ; s'il eft au Nord , il lui
donne un rhume ; eft il au Sud , il lui ôte
l'appétit ; à l'Oueft , il interrompt fa digeftion
; il ne peut tourner à aucun point
du compas fans incommoder Thaumantius,
& chaque variation lui infpire de nouvel
les terreurs . Il n'eft jamais fatisfait trois
minutes de fuite de la fituation du Soleil
ou de la Lune & de la température de l'air;
120 MERCURE DE FRANCE.
la continuelle perplexité où il eft au moindre
mouvement des Corps célestes ou terreftres
, l'a enfin rendu d'une humeur fi
chagrine , que vrai- femblablement elle ne
tardera pas à lui attirer ces mêmes maladies
qu'il craint le plus , & dont il prend
tant de peine à fe garantir.
RIZZARDI a imprimé à Breffe les Mémoires
de S. E. M. le Cardinal Querini. Parmi
les chofes curieufes qui fe trouvent dans
cet ouvrage , nous croyons qu'il faut dif
tinguer une Lettre que l'Evêque de Fréjus ,
depuis Cardinal de Fleuri , écrivit à D.
Querini , en quittant fon Evêché pendant
l'été de 1715. » Je n'ai pas eu un moment
» à moi , dit- il , depuis que je fuis ici , &
» la vie que je mene eft fi oppofée à mes
» projets , que j'ai regretté plus d'une fois
» ma folitude de Fréjus. En arrivant j'ai
» appris que le feu Roi étoit à l'extrémité,
» & qu'il m'avoit fait l'honneur de me
» nommer Précepteur de fon Petit- fils par
» un Codicile. S'il avoit été en état de
33
m'entendre , je l'aurois fupplié de me
» décharger d'un fardeau qui me fait trem
» bler ; mais après fa mort on n'a pas vou-
» lu m'écouter , & on m'a répondu que je
» ne pouvois réfifter aux volontés d'un Roi
» mourant , qui devoient m'être facrées .
» J'en.
OCTOBRE. 1750. 127
J'en ai été malade & je ne me confole
* pas de la perte de ma liberté. Voilà ,
»Monfieur , ma fituation préfente , & ain-
» fi votre joye de cet événement eft plus
" grande que la mienne.
CORPS des Poëtes Portugais qui ont écrit
en Latin . A Lisbonne , 1749. 7 vol. in -4°.
Ces Poëtes n'ont la plupart qu'un talent
médiocrre ; ils font inférieurs à tous égards
à nos Rapins, Commire , Santeuil , la Rue,
Vaniere , &c. Quand le goût de la Latinité
ne feroit pas aufli paffe qu'il l'eft parmi
nous , nous doutons fi on auroit tort de
ne pas faire un fort grand accueil au Recueil
que nous annonçons .
EXPLICATION Dogmatique & Polemique
de l'Ecriture Sainte , par le P. Widenhofer
, Jéfaite , en Latin. A Wirsbourg ,
chez Kleyer , 1749 , in- 12 , tome premier.
La Compagnie des Jéfuites a produit
une foule d'Interprétes de l'Ecriture Sainte.
Maldonat , Bellarmin , Corneille , de
la Pierre , Tirin , Menochius , & c. ont excellé
dans ce genre de Littérature. Il nous
paroît que le P. Widenhofer eft venu trop
tard pour égaler leur réputation ; l'érudi
tion , & cette érudition en particulier , eft
paffée de mode.
CONTINUATIO prelectionum Theologicarum
F
122 MERCURE DE FRANCE.
continentes
honorati Tournely, five tractatus de univerfa
Theologia Morali , tom . 89 ,
Tractatus I. de Confirmatione . II , de Eucharifta
de Sacrificio , opus ad juris Romani
Gallici romam exactum . In 8°. A Paris .
chez Garnier , rue Saint Jacques .
RECUEIL d'Arrêts , rendus fur plufieurs
queftions jugées dans des procès de rapport
en la quatriéme Chambre des Enquê
tes , par M..... Confeiller du Roi en
cette même Chambre . In -4° . A Paris ,
chez Quillau , pere , rue Galande.
TRAITE' des Playes d'armes à feu
avec des obſervations fur differens genres
de maladies , & plufieurs Méthodes nouvelles,
tant pour les opérations de Chirurgie
, que pour la réduction des frac
tures. Par M. Ravaton , Chirurgien Major
de l'Hôpital Militaire de Landau , &
Penfionnaire du Roi. In - 12 . A Paris ,
chez Delaguette , rue Saint Jacques.
OEUVRES de l'Abbé de Chaulieu , nouvelle
édition , par M. de Saint Marc. A
Amfterdam , & le vend à Paris , chez David
, rue S. Jacques ; Prault , fils , Quai
de Conty , & Durand , rue Saint Jacques ,
1750 , deux volumes in-16.
OCTOBRE. 1750. '123
Les Critiques déclament tous les jours
contre le goût du fiécle ; ils prétendent
qu'on ne parvient à lui plaire que par une
vicieufe affectation d'efprit. Pour toute
réponſe il n'y a qu'à leur faire remarquer
qu'on imprime vingt fois Chaulieu , tandis
qu'on n'imprime pas une fois Voi-
5 ture. L'édition que nous annonçons eft
plus nombreufe que les précédentes . Les
Poëfies du Marquis de la Fare , qu'on
mettoit à la fuite de celles de Chaulieu ,
feront imprimées à part ; elles formeront
un volume qui ne tardera pas à
¡ paroître.
OEUVRES de M. Regnard, nouvelle édition
A Paris , chez Prault , fils , Quai de
Conti , 1750. 3 volumes in- 16.
L'édition que nous annonçons eft agréa
ble, & augmentée du Carnaval de Venife,
Ballet qui n'avoit encore paru que dans
des Recueils d'Opera.
On vient d'imprimer une Epitre de M.
l'Abbé de Lautagnant à M. l'Abbé de la
Porte , fi connu par fes Obfervations fur
les Ecrits modernes . Cette Poëfie nous a
patu une des meilleures de l'Auteur ; nous
y avons trouvé de la gayeté , de la variété
& des images. Nous n'en tranferirons que
quelques vers qui contiennent des éloges
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
vrais & bien tournés. Voici comme on y
parle à M. P'Abbé de la Porte.
Livrez-vous à votre génie
Affaiſonnez toujours de fel
Une fage plaifanterie ;
Que jamais rien de perfonnel
N'empoiſonne la raillerie.
Quand vous voulez , vous préparez
Avec tant d'art une Satire ,
Que tous ceux que vous effleurez
Sont eux-mêmes forcés d'en rire,
Et jamais vous ne déchirez ;
Excepté dans certain voyage ,
Ceci ne foit dit qu'entre nous,
Je vous aurois trouvé plus fage ,
Si vous étiez refté chez vous ;
Mais n'en parlons pas davantage.
LA FABLE DES ABEILLES , ou les Fripons
devenus honnêtes gens , avec le Commentaire
où l'on prouve que les vices des
particuliers tendent à l'avantage du public,
traduit de l'Anglois de M. Mondeville , fur
la fixième édition . A Londres , chez Jean
Nourse , 1750 , 4 volumes in- 12.
Le but principal de cet ouvrage eft de
»faire voir , dit l'Auteur , qu'il eft impof-
» fible de jouir des plaifirs les plus délicats
de la vie , qui fe trouvent néceffairement
OCTOBRE . 129 1750.
f
dans une Nation induftrioufe , opulente
» & puiffante , & d'y voir en même - tems
>> fleurir l'innocence & les vertus , qu'on
»pourroit fouhaiter dans le fiécle d'or . Je
» me propofe de faire fentir qu'il y a de l'ab-
» furdité & même de l'extravagance de la
part de ceux qui fouhaitant que leur Pa-
» trie foit dans un étar d'opulence & de
» grandeur, & qui, empreffés à fe procurer
" tous les avantages qu'ils peuvent tirer de
» cette profpérité publique , ne ceffent de
» murmurer & de déclamer contre ces vices
& ces inconvéniens , qui depuis le
»commencement du monde jufqu'à pré-
»fent ont été inféparables de tous les
Royaumes & de tous les Etats célebres
par leursforces , par leurs richeffes & par
» leur politeffe.
D
»
"
» Pour remplir mon but , je parle d'a-
>> bord de la corruption & des fautes
» dont on accufe ordinairement les diffe-
« rentes profeffions & les differentes vocations.
Je fais voir enfuite que les vices
aufquels les particuliers s'abandonnent ,
» habilement ménagés , fervent à la gran-
» deur & au bonheur préfent de la fociété.
»Enfin en expofant les fuites néceffaires
» de l'honnêteté & de la vertu en général ,
» de la tempérance d'une Nation , du contentement
& de l'innocence des parti
"
F iij
116 MERCURE DE FRANCE.
» culiers , je démontre que fi tous les hommes
étoient ramenés des vices dont ils
» font naturellement fouillés , ils celle-
» roient par-là même d'être capables de
» former des fociétés vaftes , puillantes &
n polies. Dès - lors on ne verroit plus de
» ces Peuples célebres , tels qu'ont été ces
grandes Républiques & ces Monarchies
qui ont fleuri depuis la création.
Comme le Livre que nous annonçons
n'eft pas nouveau , nous n'en combattons.
pas les principes ; nous dirons feulement
que les longueurs , les répetitions , les obfcurités
, les épifodes qu'on y trouve , ne
doivent pas empêcher les gens d'efprit de
lire & peut-être d'examiner un ouvrage
lumineux & profond, qui intéreffe la Politique
, la Philofophie & la Religion . Ce
Livre , qui étoit rare, & cher avant l'édition
qui vient de paroître , va devenir ,
fans doute , commun , puifqu'on peut l'acquérir
à un prix modique.
ODE qui a remporté le prix de l'Aca- .
démie Françoise en 1750 , par M. le Chevalier
Laurès. A Paris , chez Brunet , Imprimeur
de l'Académie.
Lorfque cette Ode , dont le fujet eft que
Rien n'excite plus les talens que l'amour de
la gloire , fut lûë dans la féance publique

OCTOBRE. 1750 . 117
ils
de
de
es
ཀུཎྜ
75
de l'Académie , on y trouva beaucoup
de fageffe & d'élevation : l'impreffion a
confirmé le jugement avantageux qu'on
avoit porté de cet ouvrage . Nous en allons
copier quelques ftrophes qui nous ont
paru fort belles.
Tel que d'un oeil ardent mefurant la carriere ,
Au fignal dont retentit l'air ,
Un athléte de la barriere
S'élance plus prompt que l'éclair ?
Tels les fiers nourriffons des Filles de Mémoire
S'élevent au cri de la gloire ,
Et d'une afle de feu fendant l'azur des Cieux ,
Sur les traces de l'immortelle ,
Dans l'olympe vont avec elle
Se placer à côté des Dieux.
¥ 炒茶
D'où vient que les talens de leurs tiges fertiles
Par tout n'offrent point les honneurs &
Pourquoi près des ronces fteriles
Ne croit- il pas toujours des fleurs
La nature en fes dons inégale & biſarre ,
Ici prodigue , ailleurs avare ,
Au gré de fon caprice ouvre- t'elle fes mains +
Tantôt tendre , tantôt severe,
Seroit - elle à la fois la mere
Et la marâtre des humains

Fiiij
28 MERCURE DE FRANCE:
Mais Gloire ! & Soleil , puiffant moteur de
lame !
Ce n'eft qu'à tes divins regards
De lancer la feconde fåme
Qui fait éclore les Beaux Arts..
La tige en qui repofe une feve abondante ,
Panche fa tête languiffante ,
Si par l'altre du jour ſon ſein n'eſt animé ,
Et l'eſprit s'affoiblit comme elle,
Si le feu facré qu'il recele ,
Par ton foufle n'eſt animé.
*XX
Plutus , tesvils autels font entourés d'efclaves
Accablés fous le poids de l'or;
Les talens avec tes entraves
Pourroient-ils prendre un noble effor
Du coeur où l'avarice excite ſes orages ,
D'impurs & terreftres nuages
Yont fouiller de l'efprit les rayons lumineux :
C'eſt une
exhalajfongroffiere ,
Qui s'élevant de la matiere ,
Du Soleil fait pâlir les feux.
Le moyen d'être heureux , ou le Tem
ple de Cythere , avec les avantures de
Chanfi & de Ranné . A Amfterdam , chez.
Pierre Mortier, 1750.Deux volumes in- 12 .
Les trois ouvrages qui forment le Recueil
que nous annonçons , font de trois.
OCTOBRE. 1750. 129
Auteurs differens . Quoiqu'ils ne foient
pas tous également agréables , il n'y en a
aucun dans lequel il ne fe trouve de l'agrément.
L'un eft plus voluptueux , l'autre
plus naturel , & le troifiéme plus piquant.
pour
CHYMIE Médicinale , contenant la maniere
de préparer les remédes les plus ufités
, & la méthode de les employer
la guérifon des maladies. Par M. Malouin,
de l'Académie Royale des Sciences , Docteur
& ancien Profeffeur de Pharmacie en
la Faculté de Médecine de Paris , & Cenfeur
Royal . A Paris , chez d'Houri , Imprimeur-
Libraire , rue de la vielle Bouclerie
, 1750..
Nous avons expofé le plan du premier
tome de ce Livre dans le dernier Mercure,.
il nous refte à parler du fécond ; il comprend
les préparations des principaux remédes
tirés des métaux & des minéraux ,
& la méthode d'en ufer fagement.
On y trouve la compofition de certains »
remédes , dont les véritables récettes font
pen connues , comme de l'Eau de Luce , de
la liqueur Anodine minérale de Hoffman ,
& c. & ilparoît qu'on s'y eft plus particulierement
attaché aux remédes propres à guérir
les maladies les plus longues , ou les
plus rébelles , comine font les humeurs
froides & les maladies vénériennes , dont ›
Fyv
130 MERCURE DE FRANCE.
M. Malouin fait voir qu'il y a autant de
differentes efpéces , qu'il y a de differentes
fiévtes ; & qu'il en eft du mercure pour
la guérifon des maladies vénériennes ,
comme du Kinkina pour la guériſon des
fiévres le mercure ne convient pas dans
toutes, les maladies vénériennes , comme
le kinkina ne convient pas dans toutes les
fiévres , & lorfqu'ils y conviennent , ils
doivent être préparés & employés differemment
, fuivant les differens accidens de
ces maladies.
En général on reconnoît dans ce Livre ,.
que fon Auteur a une grande expérience
des chofes dont il parle. Il paroît n'avoir
rien négligé pour rendre fon ouvrage uti
le : tout le monde peut le lire & l'entendre.
On y trouve ce qu'il eft néceffaire de
fçavoir dans le gouvernement des malades
, pour les foulager & pour les guérir..
On y explique clairement les opérations.
qu'il faut faire pour préparer les remédes ,.
& les précautions qu'il faut prendre dans .
ce travail. On indique les differences , &
le choix des drogues fimples qu'on employe
pour faire les médicamens compo--
fés , & on donne les moyens de les conferver.
On enfeigne comment on peut s'affûrer
qu'un remède eft légitime & bien pré
OCTOBRE. 1750. 138
I
$
:
paré , & au contraire comment on peut
découvrir qu'il eft frelaté. Enfin on y détermine
les dofes des remédes dans les maladies
internes , & dans les externes.
Ce Livre eft d'autant plus précieux ,
que nous n'en avons point d'autre fur le
même plan. Le Public eft inondé , il eſt
vrai , de Livres qui renferment les com
pofitions des médicamens ; mais ils n'enfeignent
pas leurs vertus , ou ils ne font
que les indiquer en général , fans expliquer
la méthode de les employer à propos,
en diftinguant les cas où ils font falutaizes
, de ceux où ilsfont inutiles , & même
contraires .
Si quelques autres ouvrages traitent des
propriétés des médicamens , ils n'apprene
nent point les moyens de les compofer , &
-·les précautions qu'il faut prendre dans leur
préparation & dans leur choix.
Des raifonnemens de théorie fur la defeription
& la compofition des remédes &
fur leur méchanique , on façon d'agir ,
font le fonds de prefque tous les Livres
de Médecine : celui que nous annonçons
eft purement de pratique ; M. Malouin ne
વી
hazarde aucune conjecture : il n'y parle
que d'après l'obfervation & l'expérience .
F
vj
132 MERCURE DE FRANCE :
BEAUX- ARTS.
L'e Royale de Peinture & de Sculp-
'Expofition des ouvrages de l'Acadéture
, eft une preuve authentique du goût
que le Roi a pour les Arts , & de la protection
dont il les honore. Ses regards nepeuvent
tomber plus utilement fur perfonne
que fur les Artiftes. L'accueil qu'il
leur fait eft une diftinction flatteule pourle
talent qu'ils ont , une récompenfe pré-.
cieufe des chef- d'oeuvres qu'ils produifent
, & un motif puiffant qui les déter .
mine aux plus grands efforts pour conferver
fon eftime , ou pour la mériter. Les
expofitions publiques ont encore d'autres ·
avantages ; elles apprennent à diftinguer
les differens talens , elles forment ou con--
firment le goût de la Nation , enfia ellesrépandent
dans les Pays étrangers la répu
tation de l'Ecole Françoife..
M. de Tournehem , que fa place de
Directeur Général des Bârimens du Roi ,
Arts & Manufactures , rend le difpenfateur
des graces de Sa Majesté , montre un
empreffement égal à récompenfer les talens
avec équité , & à les exciter avec zéle.
Le fruit - de fes foins eft un Salon enrichi
des meilleurs ouvrages fortisde notre Ecole:
OCTOBRE.
1750. 133
[
depuis deux ans : l'enthoufiafme de Paris
à la vue de tant de beaux morceaux , doi :
prouveraux Etrangers que Paris eft la Vil
le des Arts .
Un petit Livre imprimé chez Colom
bat , & que l'on a débité au Salon même ,.
a inftruit tout le monde des fujets , da.
nombre , de la grandeur des ouvrages , &.
du nom de leurs Auteurs. Nous voudrions
être affez . éclairés pour donner au Public
des lumieres plus importantes ; mais nous
l'avouons fans peine : le fentiment de ceux :
qui comme nous ne font pas au rang des
connoiffeurs , & qui n'ont pas fait une
étude particuliere de la Peinture & du.
Deffeing, ne doit jamais décider.
Tout ce que nous nous permettrons de
dire , c'eft que l'Ecole Françoife fouțient
fa réputation , & que l'Europe entiere ne
raffembleroit pas dans un tems fi court un
aufi grand nombre d'ouvrages diftingués.
Ils ont fait fur le Public des impreffions
favorables : nous en avons remarqué quelques-
unes , & nous les allons rapporter ,.
non comme Juges , mais comme Hifto-
Fiens.
M. Carlo Vanloo , accoûtumé à traiter
les fujets d'Hiftoire avec cette fierté de pinceau
qu'on lui connoît , a plié fon génie a
des ouvrages d'un autre genre, Son Payfage
#34 MERCURE DE FRANCE.
de & pieds de large fur 3 & demi de haut ,
eft de la plus belle & de la plus facile
exécution ; elle répond à la franchiſe & à
la beauté de la couleur. Ce grand Artiſte
a embelli le Salon de plufieurs autres morceaux
d'un grand prix, mais l'admiration
publique s'eft fixée fur fon Payfage.
La belle Nativité de M. Boucher , de
5. pieds & demi , fur 4 de large , a produit
tout l'effet que cet aimable Peintre en
pouvoit attendre .
M. Reftoud a fait voir par fa continence:
de Scipion , qu'il ne faifoit pas toujours
des fajers de dévotion , & par le Portrait
de M. l'Archevêque de Bordeaux , il a
confirmé le fentiment reçu depuis long
tems , que le bon Peintre d'Histoire eft
généralement tout ce qu'il veut être.
"
M. Nattoire nous a fait voir dans un
riomphe de Bacchus , ce que la réunion
de la belle couleur & de la riche compofition
peuvent produire de flatteur aux
yeux. Ce tableau a 6 pieds de largeur fur
St de hauteur.
Indépendamment de l'enlevement d'Eu
rope , d'une Léda & de quelques autrestrès
beaux tableaux , que les bornes que
nous nous fommes - prefcrites , nous empê
chent de décrire , M.. Pierre nous a fait
voir dans une Préfentationau Temple un
OCTOBRE.. 1750. 13Я
30
JI
le
te
UC
Je
20
15
heureux compofé de richelles , de convenance
& de vagueffe..
Dans le nombre des tableaux de M ..
Oudri , qu'on peut regarder comme le plus
laborieux des hommes , & dont la fécondité
eft auffi heureufe que prodigienfe
on a été furtout frappé d'un petit morceau
peine fur cuivre ; il repréfente des oifeaux
de mer , qu'on appelle Mauves : ils
font blancs & peints fur un fonds de pa
reille couleur. La jufteffe & la tranfparence
des ombres donnent un merveilleux.
exemple aux Artiſtes , & prouvent que l'i
mitation ne redoute rien ; que l'objet, quel
qu'il foit , trouve toujours les oppofitions ,
& que l'Artiste ne doit s'en prendre qu'a
lui , quand il ne furmonte pas les obftacles.
Les Portraits peints par Meffieurs Nat
tier & Aved , ont paru cette année auffi
beaux que les années précédentes.
M. Delatour a donné de nouvelles preuves
de fes grands talens , par les beaux
paftels qu'il a expofés ; on ne peut lui re
fufer l'admiration que mériteront toujours
la précifion du trait & la parfaite intelli
gence.
M. Tocqué a réuni dans fes Portraits
la belle couleur , la reffemblance
, la juftelle
& le choix des attitudes. Peut- être
136 MERCURE DE FRANCE.
oer Artifte n'a - t'il jamais jetté plus d'éclat
que dans l'expofition de cette année .
Il nous eft impoffible de détailler tous "
les morceaux de Sculpture dont le Salon eft :
paré. La réputation de Meffieurs Adam
le Moine , &c. eft.faite , & nous n'oferions
nous flatter de l'étendre ni de l'augmenter
par nos éloges. Quoique M. Pigalle foit
dans le même cas , nous ne pouvons nous
empêcher de parler d'un enfant qu'il a
exécuté pour M, de Montmartel , & qui a
ffort fixé les regards par fon caractére ,
& les vérités qui s'y trouvent exprimées ::
il eft de marbre , & tient une cage d'un
travail remarquable par fon extrême lege--
reté & fa parfaite imitation .
"
M. Couftou nous a donné un bas relief
exécuté dans un des frontons du Château
de Belle-vûe : il repréfente des Divinités .
marines. Ce beau morceau a réuni tous les ·
fuffrages par le travail large & la beauté
de fon ordonnance .
Nous annonçons avec joye aux amateurs
des Arts , de quelque Pays qu'ils
foient , M. Saly , nouvellement arrivé de
Rome , & reçu depuis peu à l'Académie
comme un très -grand Sculpteur. Trois defes
ouvrages ont obtenu les plus grandséloges.
1. Un très-beau bufte d'homme ,
dont la chair eft bien exprinrée , & les or
OCTOBRE. 1750. 137
Bus
ch
19
er
bit
us
ia
e ,
EST
K
ils
de
ا گ ن م
nemens , ainfi que la perruqué , très-bien
rendus . 2°. Une figure de paftre , ou de
faune , grouppée avec un chevreau , qu'on
a trouvée aufli heureufement que fimplement
difpofée. 3 °. Une tête de jeune fille
qui eft très agréable , & dont le marbre
ne peut être mieux travaillé. Ces differens
morceaux d'un Artifte auffi étendu
dans les parties de fon Art ( car il deffine:
auffi bien qu'il modéle & qu'il compoſe )
nous font bien augurer de la ftatue du Roi
qu'il travaille pour la Ville de Valenciennes
, fa Patrie. Nous en parlerons lorf
qu'elle fera achevée .
M. Guay , Graveur en pierres , a préfenté
les heureux fruits de fon travail af
fidu , & de fon amour pour l'Art difficile
qu'il profeffe d'une maniere fi diftinguée.
Les empreintes qu'il a expofées ont pref
que toutes la gloire du Roi pour objet.
Le détail des belles Estampes qui embelliffent
le Salon , nous meneroit trop .
loin. Nous fommes d'autant plus difpenfés
d'en parler, que toutes ces Eftampes ont
été annoncées féparément , & à mesure
qu'elles ont été mises au jour.
Depuis que le Salon eft ouvert , l'Aca
démie a reçu M. Bachelier. La vérité , legrand
fini & la couleur franche de fesdeurs
, font efperer qu'il pouffera très138
MERCURE DEFRANCE.
loin fon talent : il marche fur les traces de
Vanhuyffen , un des plus grands Peintres
que la Hollande ait produit en ce genre .
Les morceaux de ce jeune Artiſte , que l'on
voit au Salon , ne fe trouvent point marqués
dans le Livre d'explication.
N
Mémoirefur M. Meffonier.
,
Ous venons de perdre M. Jufte-
Aurelle Meffonier , excellent Artifte
en plufieurs genres ; il avoit reçu de
la nature un génie fort étendu , une imagination
féconde , & une exécution trèsfacile.
Il eût été , s'il n'eut voulu s'attacher
qu'à une partie , bon Peintre , bon
Architecte
& bon Sculpteur , ou bien
Ofèvre du premier ordre. Il parcourut
tous ces genres , & il ne parvint à la perfection
d'aucun. Cependant il donna dabord
une efpéce de préference à l'Orfèvrerie
; le defir de fe perfectionner dans
cet Art l'attira à Paris , & l'engagea tente
fa vie à travailler des modéles avec plus
de délicateffe & de précision ril n'en exécuta
qu'un petit nombre , parce que les
differens talens aufquels il s'étoit exercé
favorifoient trop fon inconftance natu
relle. On peut affûret que les morceaux
d'orfêvrerie qu'il s'eft donné la peine de
terminer , font de la plus grande beauté.
OCTOBRE. 1750. 139
5
Cet éloge tombe plutôt fur l'exécution
que fur la compofition qui étoit outrée ,
parce qu'il vouloit trouver du nouveau ,
paroître fingulier , produire du piquant ,
en un mot devenir original , & fur tout ne
reffembler à perfonne.
Il eft arrivé de cette erreur , qui aurs
toujours les mêmes fuites , que le veritable
goût s'eft alteré , & que notre Artiſte
a eu des imitateurs , d'autant plus aifément
, que les chofes bizarres & irrégulicres
font mille fois plus faciles à produire
que celles qui font fages & conféquentes ;
on peut les regarder comme de fauffes
facilités , toujours ennemies du bon goût
& d'autant plus à redouter, qu'elles féduifent
les ignorans & trouvent des admirateurs
.
M. Meffonier évitoit toute efpéce de
fymmétrie jufques dans l'ornement , & pour
donner un exemple de l'abus auquel cette
imitation a pû conduire , nous avons vû
fes copiftes décorer & placer de côté des
confoles & des clefs de voutes , quoique
ees corps exigent néceffairement par leur
effence l'aplomb. le plus exact : ils n'ont
imité que fes défauts , & ils les ont répandus
dans toute l'Europe.
.
On voit par ce que nous venons de
dire , que dégoûté de l'orfêvrerie , Ma
140 MERCURE DE FRANCE.
Meffonier s'entêta de l'Architecture qu'it
traita dans le même efprit . Il avoit été féduit
par le goût du Boromini , qui dans la
compofition & le mouvement des parties
de ce grand Art , a cependant été toujours
plus conféquent , & n'a pas admis autant.
de véritables bizarreries que M. Meffonier,
qui ne s'eft plus appliqué le refte de ſa vie
qu'à delfiner des projets d'Eglifes , de Palais.
& de Monumens publics , qu'il n'achevoit
feulement pas , & dont l'exécu
tion prefque impoffible , étoit fouvent
gigantefque & toujours manierée . Avec
un peu plus de fimplicité , de déference
& de conftance , fon génie auroit été capable
de le rendre un très- grand homme ,
& il n'a été prefque qu'un deffinateur ingénieux.
Il eft vrai que fes deffeings pourront
être regardés encore plus que fes
écrits fur l'Architecture , qu'il prétendoit
étendre & embellir par fes idées nouvelles
.. M. Meffonier étoit Deffinateur du
Cabinet du Roi , & Orfèvre de Sa Majesté.
H eft mort à Paris le premier Août 1750 ,
à l'âge de cinquante-cinq ans. Il étoit né
à Turin , où fon pere qui étoit Provençal ,
s'étoit établi , & où il exerçoit avec quel
que fuccès la profeffion d'Orfèvre & de
Sculpteur. M. Vanloo , qui eft mort à Aix
en dernier lieu , avoit appris de lui à deſſi
ner..
OCTOBRE. 1750. 141
Il fut le feul Maître de fon fils qui n'a
point fait d'éleves , mais qui a eu trop
d'imitateurs ; ils commencent à rougir , &
par conféquent à fe refroidir . C'eft une
chofe à défirer pour les parties de l'Art, qui
Tegardent l'ornement , & dont l'étendue
eft fort confidérable & très- intéreffante.
ESTAMPES
More
NOUVELLES.
Oyreau , Graveur du Roi , vient de
mettre au jour une nouvelle Eſtampe
gravée d'après Wouvermens , elle a pour
titre ; La Fontaine de Venus ; le Tableau
original appartient à M. le Marquis de
Voyer d'Argenfon . La fuite des Wouvermens
de M. Moyreau eft nombreuſe &
choifie. Il a eu l'attention de ne graver des
bons Tableaux de ce Peintre , que ceux qui
n'avoient pas été gravés , ou dont les Eftampes
étoient devenues rares. M. Moyrean
demeure préfentement rue du Petit-
Pont Saint Severin , à l'Image Notre-
Dame.
Daullé , Graveur , rue des Noyers , vient
de mettre au jour une nouvelle Eftampe
gravée d'après un Tableau de M. Boucher,
qui a pour titre : Naiffance & Triomphe
de Venus , & qui appartient à M. Venerod,
excellent Peintre en miniature.
142 MERCURE DE FRANCE:
La Scéne de ce Tableau eft des plus
aimables , elle repréſente une mer douce- .
ment agitée : c'est le moment qui fuit la
nailfance de Venus , & ce moment devient
celui de fon triomphe. Cette Déelle
paroît fur un flot plus élevé que les autres
, à peu près dans l'attitude d'une femme
à demi couchée dans un bain , &
qu'on verroit par le dos ; elle a la tête
tournée vers l'épaule gauche , & careffe un
pigeon qu'elle tient de la main. Trois
Naïades agréablement groupées , la regar
dent avec admiration , & lui préfentent
dans une grande coquille du corail & des
perles. Derriere la Déeffe on voit deux
petits Amours groupés enſemble : celui
qui eft le plus près d'elle tient un pigeon ;
fur le devant du Tableau dans la partic
droite , deux grands Tritons groupés avec
un Dauphin , tiennent des conques marines
; l'un foufle dedans pour publier le
triomphe & la naiffance de la Déeſſe , &
l'autre regarde amoureuſemenr les Naïades
, Divinités fubalternes , conime n'ofant
par refpect regarder la Déeffe. Trois
Amours groupés avec un Dauphin occupent
la partie gauche du Tableau & le
milieu fur le devant. Au- deſſus de la Déeffe
& fur un fond d'un beau Ciel clair , voltigent
cinq Amours qui foutiennent un
OCTOBRE . 1750. 143
voile , comme pour la garantir de la chaleur
du Soleil : un de ces Amours femble
préceder la Déeffe & conduire les autres ;
il porte dans fes mains un carquois plein
de fléches : les autres répandent des fleurs :
deux pigeons volent au - deffous de ces
Amours. Les Naïades font élegamment
coiffées de leurs cheveux , aufli bien que
la Déeffe qui eft nue , mais dans une attitude
modefte. Sa figure eft de la plus élégante
proportion : à travers l'eau de la
mer & la draperie de linge fur laquelle
repofe Venus , on croit appercevoir quelque
partie d'une grande conque marine
qui lui fert comme de lit. Enfin dans cette
grande compofition tout refpire la grace
& la beauté l'expreffion , la touche , la
couleur & la perspective aërienne s'y trou
vent à un degré éminent , ainfi que la correction
du deffeing . M. Daullé a parfaitement
rendu le mérite de ce Tableau dans
toutes les parties , & cette feule Eftampe
prouve qu'il peut traiter les fujets d'Hiftoire
, auffi-bien que le portrait où il excelle.
On eût fouhaité qu'il eût défigné la
grandeur du Tableau . C'eſt une choſe
les Graveurs ne devroient pas négliger.
Comme les vers qui font au bas de cette
Eftampe nous ont paru agréables , nous les
allons copier.
que
144
MERCURE
DE FRANCE .
Quelle Divinité fort du gouffre des mers ?
Que d'Amours autour d'elle élancés dans les airs
Tritons , accourez tons de vos grottes profonde
Nymphes , préfentez lui l'hommage de vos ond
Déja tout teconnoft l'empire de fes yeux :
Leurs regards vont plus loin que les traits du te
nerre : i
Si les Dieux regnent fur la terre ,
Souveraine des coeurs , tu regnes fur les Dieux.-
Par M. le Brun.
Le Samedi 5 Septembre , l'Académi
Royale de Peinture & de Sculpture ti
une affemblée générale à cinq heurdu
foir , où M. le Normand de Tou
nehem , Directeur & Ordonnateur Gén
ral des Bâtimens de Sa Majefté , fit la diftribution
des grands Prix d'or de Peinture
& de Sculpture des concours de 1748
& 1749.
Concours de 1748.
Meffieurs , Hutin, Peintre , premier pt .
Pajou , Sculpteur , premier prix , de la Rue,
Peintre , fecond prix ; de la Traverſe ,
Peintre , fecond prix.
Concours de 1749.
Meffieurs, Briard, Peintre , premier prix;
Guyard, Sculpteur, premier prix ; M elling
Peintre,
OCTOBRE. 1750.
145
Peintre , fecond prix ; de la Rue , Sculpteur
,fecond prix.
Enfuite M. le Directeur Général diftribua
les Médailles d'argent pour les petits Prix
de
Deffeing.
CHANSON.
ODE
ANACREONTIQUE ,
3
A la Rofe.
TEndre T Endre Endre fruit des pleurs de l'Aurore ,
Objet des bailers du Zéphir ,
Reine de l'Empire de Flore ,
Hâte - toi de t'épanouir.
Que dis - je ? Hélas ! crains de paroître ,
Differe un moment de t'ouvrir.
L'inftant qui doit te faire naître ,
Eft l'inftant qui doit te Aétrir .
+3x+
Thémire eft une fleur nouvelle ,
Qui fubira la même loi ;
Rofe , tu dois périr comme elle ;
Elle doit briller comme toi.
*XXX+
Defcends de ta tige épineuſe ,
Prêtes -lai tes vives couleurs ;
G
146 MERCURE DE FRANCE.
Tu dois être la plus heureuſe ,
Comme la plus belle des fleurs .
+3x+
Va , meurs fur le fein de Thémire ,
Qu'il foit ton trône & ton tombeau .
Jaloux de ton fort , je n'afpire
Qu'au bonheur d'un trépas fi beau.
Si quelque main a l'imprudence
De venir troubler ton repos ,
Emporte avec toi ta défenſe ,
Garde une épine à mes rivaux .
**
Ta verras plus d'un jour peut - être
L'azile où tu vas pénetrer.
Un foupir te fera renaître ,
Si Thémire peut foupirer.
+X+
L'amour aura foin de t'inftruire
Du côté que tu dois pancher,
Eclatte à fes yeux , fans leur nuire ;
Pare fon fein , fans le cacher.
Qu'enfin elle rende les armes
Au Dieu qui ferra mes liens ,
Et qu'en voyant finir tes charmes ,
Elle apprenne à jouir des fiens .
OCTOBRE. 1750. 147
SPECTACLES.
'Académie Royale de Mufique don-
L'ale
na le Vendredi 28 Août , la premiere
repréſentation des fragmens compofés des
Actes d'Almazis , d'Ifmene & de Linus. Les
deux premieres Entrées avoient été repréfentées
à Versailles en 1747 & 1748 ,
mais elles n'avoient point encore été don-
Inées fur le Théatre de l'Opera ; les paroles
font de M. de Moncrif, la Mufique d'Almazis
eft de M. Royer , & celle d'Ifmene,
de Mrs Rebel & Francoeur.
Tout le monde s'eft rappellé avec plaifir
l'Acte de Linus , ajoûté à la reprffe du
Ballet de l'Empire de l'Amour en 1741 ,
& l'on fera toujours enchanté de ces paroles
galantes que le fils d'Apollon adreffe à
Ménide , Prêtreffe de Vénus .
Qu'un Temple où vous préfidez ,
Doit infpirer de zéle !
La ferveur fera fidelle ,
Les fermens toujours gardés ;
Mais on pourra douter fans ceffe ,
Si l'encens préſenté
S'adreffe à la Divinité ,
Ou s'offre à la Prêtreffe.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
L'admirable Duo qui termine la Scéne
a reçû les mêmes applaudiffemens que
dans
la nouveauté.
Extrait d'Almazis.
Il y a une Loi qui ordonne aux habitantes
des Ifles fortunées , fans doute pour
rendre les mariages plus faciles , d'accep
ter pour époux celui qui leur fera préſenté
par l'Ordonnatrice des Fêtes de l'Hymen .
Almazis , la plus diftinguée des filles d'une
de ces Ifles , a été deſtinée par l'Ordonnatrice
à Zamnis , qui en eft informé , mais on
lui a défendu de voir la Beauté dont il eft
enchanté , & par conféquent il ne peut
jouir du plaifir d'obtenir d'elle même ce
doux confentement qui feul peut rendre
heureux un amant tendre & délicat. Zamnis
fait connoître fon inquiétude & ou
vre ainfi la Scéne ,
Pour vous, belle Almazis , mon amour eft extrêmejj
Que ne m'a t'on permis le charme de vous voir
J'aurois paffé les jours content du feul efpoir
De vous obtenir de vous -même.
Devenu votre époux , fans confulter vos voeux ,
Comme vous j'ai fouffert d'une loi trop cruelle ,
Eh , quoi ! jamais une belle en ces lieux
N'apprend quel est l'amant qu'on unit avec elle,
Qu'après que de l'hymen on a formé les noeuds y
Pour vous , belle Almazis , & c .
OCTOBRE. 1750. 149
e
S
01
et
се
re
L'Ordonnatrice paroît à la tête des principales
habitantes de l'Ifle , & dit à Zamalternativement
avec le Chour.
Nous célebrons les jours heureux ;
La plus flatteufe conquête
Couronne vos tendres voeux.
Que vousdevez vous plaire à nos chants amoureux!
La fête , quoiqu'agréable , ne peut calmer
l'agitation de Zamnis , qui eft très - bien
exprimée par ces vers ,
Poffede-t'on l'objet qui nous enflamme ,
Quand fon penchant s'oppoſe à nos defirs ▸
Quel tourment d'affliger une ame
Dont la félicité feroit tous nos plaifirs !
L'Ordonnatrice tâche de raflûrer Zamnis,
qui fe retire .
Almazis arrive, couverte d'un voile; c'eft
encore une des conditions de la loi dans
la célebration des fêtes de l'hymen; elle eft
bien plus à plaindre que Zamnis , puifqu'elle
l'aime & qu'elle appréhende de
n'être pas unie avec lui ; les hommages
qu'on rend à Almazis la flattent peu , &
elle témoigne ainfi fes allarmes.
Ceffez ces foins offerts ,
Ceffez ce vain hommage ,
Vos jeux & vos conceits
G iij
50 MERCURE DE FRANCE.
M'annoncent l'esclavage ;
J'ignore à qui l'hymen m'engage ,
Et je fens l'horreur de mes fers .
L'Ordonnatrice & fa fuite s'éloignent.
Alors Almazis fe livre à fon penchant avec
impétuofité.
Zamnis ,mon cher Zamnis , ah ! trop flatteuſe erreur !
S'il étoit mon époux , je le verrois paroître ;
Il m'aime , fes regards m'ont peint fa vive ardeur ;
Il ne faut qu'un moment pour lire dans un coeur
La tendreffe qu'on y fait naître.
Zamnis, mon cher Zamnis,ah ! trop flatteufe erreur!
S'il étoit mon époux , je le verrois paroître.
Apprenons mon deftin . Je fuis feule , on me fuite
A l'Ordonnatrice qui reparoîs.
Venez & me livrez au fort qui me pourlait.
L'Ordonnatrice , après avoir tâché de
la confoler , apperçoit Zamnis , & dit d'un
air gai à Almazis.
Il vient l'heureux mortel, qui va porter vos fers.
Almazis baile fon voile.
Zamnis.
Ciel ! du voile odieux fes beaux yeux font couverts:
La Scéne entre ces deux Amans , qui
l'étoient devenus du premier coup d'oeil ,
eft intereffante. L'Ordonnatrice les unit , &
OCTOBRE. 1750. ISI.
la fête qui fe donne à cette occafion eft
brillante ; il y a un beau Choeur & un Pas
de cinq , bien deffiné par M. Lani & parfaitement
executé par Mrs Lionnois , Veftris
, Sody , Beat & Caillé.
L'Acte d'Ifmene eft plus gai que le précédent.
ACTEURS.
Ifmene , Nymphe ,
Daphnis , Berger ,
Cloé , Bergere ,
Daphnis feul.
Mlle Coupée.
M. de Chaffé.
Mile Jacquet.
Zéphirs , aimbles fleurs , & vous claire fontaine ,
Vous m'avez vâ cent fois fuivre les pas d'Ifmene ?
Apprenez-lui mes feux ,qu'ils puiffent la toucher.
Daphnis , dût il nourrir une tendieffe vaine ,
Au penchant de fon coeur ne veut point s'arracher.
Viens , vole, Amour , parle toi-même,
Fais triompher l'ardeur dont je fuis enflammé.
Si je ne puis me croire aimé ,
Je ne dirai jamais que j'aime.
Viens , vole , Amour , parle toi-même ,
Fais triompher l'ardeur dont je fuis enflammé ,
Mais je fens que le Dieu m'éclaire . . . . .
A la beauté la plus févere ,
Par un détour ingénieux ,
On peut peindre & voiler fes feux ,
C'eſt à la fois s'expliquer & fe taire .
G iiij
152 MERCURE DE FRANCE .
Ifmene vient ; Amour , favorife mes loins ,
J'attendrai le moment de la voit fans témoins,
On a crû devoir tranfcrire ce morceau
tout entier , qui a beaucoup plu.
Ifmene & Cloé arrivent , accompagnés
de bergers & de bergeres.
Ifmene eft d'une beauté raviffante , fuivant
ces paroles que Cloé lui adreffe alter
nativement avec le Choeur.
Qui vous voit , vous adore ;
Vous nous enchantez tous .
Teut-on former des voeux encore ,
Quand on est belle comme vous ?
Nos demi Dieux , avec un foin jaloux ,
Ont placé votre image au Temple de l'Aurore.
Qui vous voit , vous adore ,
Vous nous enchantez tous.
Ifmene avertit Cloé qu'elle vient dans
ce lieu folitaire pour y confulter le Dieu
des bois fur le deftin des Amans. Elle aime
Daphnis en fecret ; mais elle n'eft pas
tout-à-fait certaine d'en être aimée , & elle
chante cette Sarabande au milieu du Divertiffement
.
Dieu des ames ,
Quand tes Aammes
En fecret regnent fur nous ;
Quel martyre
OCTOBRE
1750. 150
5
Pour détruire
Un enchantement & doux !
On foupire ,
On veut lire
Dans le coeur de fon amant ,
Tant de peine
Ne nous mene
Qu'à l'aimer plus tendrement.
Cloé.
Vous voulez en ces lieux former des voeux fecrets's
Nous reviendrons bien-tôt célebrer le fuccès.
Ifmene feule.
O vous ! qui nous fites entendre
De l'obſcur avenir l'inévitable loi ;
A Daphnis , en fecret , j'ai deſtiné ma foi ;
Dites- moi fi fon coeur eft tendre ;
Mais gardez-vous de me l'apprendre .
Si c'est pour un autre que moi.
Quelque route que je prenne ,
Je le rencontre au matin ;
S'il eft des fleurs dans la plaine ;
Il en feme mon chemin ;
L'air qui me plaît davantage ,
Aux échos de ce bocage
Il le chante tout le jour ;
Mais Daphnis, regret extrême !
Ne m'a point dit , je vous aime ;
Non , Daphnis n'a point d'amour.
Gy
154 MERCURE DEFRANCE:
A la fête de l'Aurore
Je quittai bien- tôt les jeux ;
Il danfa , dit- on , encore ;
Mais l'ennui peint dans les yeux ;
Il fuivit bien- tôt mes traces ;
Je fus au Temple des Graces ;
Il parut dans le moment.
Mais Daphnis , furpriſe extrême
Ne me dit point , je vous aime ;
Non , Daphnis n'eft point amant..
On vient. Ah ! c'eſt lui - même.
La Scéne qui fuit a parû trop longue
quoiqu'elle foit galante. Daphnis y fait ingénieufement
la peinture de fes fentimens ,
en fuppofant un fonge qu'il veut raconter
à Ifmene ; elle n'a garde de refufer de l'entendre
: quand elle ne feroit pas curieuſe ,
une jeune perfonne qui a le coeur tendre ,
écoute toujours avec plaifir une hiftoire
d'amour ; d'ailleurs elle peut penfer que
c'eft la fienne fous d'autres noms , ou du
moins qu'elle y a beaucoup de rapport ;
elle s'apperçoit avec plaifir qu'elle ne s'eft
pas trompée , & Daphnis fe déclare .
Ifmene.
Daphnis je vous choisis , vous êtes mon vainqueur,
que dis - je , choisir ? j'obéis à mon coeur.
Oui , Daphnis , je vous aime.
Mais
OCTOBRE. 1750. 155
$
Daphnis.
Aveu charmant ! félicité fuprême !
Un feul mot a rempli les voeux que je formois.
Ifmene.
Depuis long-tems je vous aimois.
Daphnis.
Dans votre coeur je n'ofois lire.
Ifmene.
Depuis long-tems je vous aimois ,
Qu'il me tardoit de vous le dire !
Daphnis donne enfuite une fête à fa
maîtreffe ; Mlle Lani , qui avoit été abſente
pendant quelques mois , y a reparu plus
brillante que jamais.
L'ouverture , le Monolgue de Daphnis ,
& la charmante contredanfe qui finit l'Acte
, ont reçû de grands applaudiffemens.
Delaguette , Impriment , rue Saint
Jacques, vient d'imprimer la Double Extravagance
, Comédie en trois Actes & en
vers , de M. Bret , qui a eu douze repréfentations
au Théatre François . En voici
l'idée.
Orgon , qui a une fille à marier , s'eft mis
dans la tête que les jeunes gens ne rendoient
pas leurs femmes heureuſes , & a
pris la réfolution de marier la frenne à un
G vj
156, MERCURE DE FRANCE.
ancien ami qu'il n'a pas vû depuis trente
ans. Ce vieillard , auffi imbécile que le
prétendu beaupere, eft déterminé par Marine
, Suivante de Dorife , à prendre le ton
les manieres & les habits d'un jeune homme
on lui perfuade que fous ce déguiſement il
plaira plus aifément à fa Maîtreffe . Le hazard
fait que ce prétendant ait un fils
amoureux de la même perfonne ; plus fage
& plus adroit que fon pere , il fe déguiſe
en vieillard & en Médecin , pour gagner
la confiance d'Orgon . Ce double déguifement
produit des Scénes très- comiques ,
écrites très-naturellement . Le dénouement
eft tel qu'il devoit être. Dorife ne fe trompe
point fur l'âge des deux rivaux . Orgon
donne dans tous les piéges qu'on lui tend ,
& Marine , quieft dans les intérêts des deux
jeunes amans , fait fi bien que la piéce fe
termine par leur mariage. Pour mettre nos
Lecteurs en état de juger du ftyle de M.
Bret , nous allons tranfcrire la Scéne VIII
du ſecond Acte ; il nous paroît que c'eſt le
morceau de la piéce qui a été le plus applaudi.
DORISE , MARINE.
Marine.
Voyons fur fon coeur ce que la rufe opére ;
baut. Ma foi , c'eſt fort bien fait ; fi donc , les jeunes
gens
OCTOBRE. 1750. 157
Sont légers , glorieux , étourdis , imprudens ;
Je n'ai pas devant lui voulu vous contredire ,
Je me fuis contentée au fond du coeur d'en rire.
La chofe eft très plaiſante ; un vieillard amoureux
Eft une choſe affez ridicule à mes yeux ;
Mais un vieillard aimé .
Dorife.
Qui t'a dit que je l'aime ?
Marine.
Qui me la dit ! à moi ? Ce que j'ai vu moi- même.
Quelle douceur ! quel choix dans fes expreſſions !
Sa voix méme , Marine , a d'agréables fons.
Dorife.
Tu ne me parles plus de l'inconnu , Marine ?
Marine.
Mais je ne fçais pourquoi,
ll eft fi jeune.
·

Dorife.
Pourquoi ? bas , Je le devine.
Marine
Dorife.
Eh bien. ..
Marine.
Eh bien ! n'a- t'il pas tort
Il faut un âge mûr , & j'en tombe d accord ;
Je ne fuis plus pour lui , peut-être il vous oublie,
Et fi vous m'en croyez , il n'aura plus cavie ,
158 MERCURE DE FRANCE.
Ni même le pouvoir de revenir à vous ;
On vient de vous laiffer le choix de votre époux ;
C'estvous venger de lui, que d'en choiſir un autre】
Dorife.
Non ,je n'en ferai rien...
Marine.
Quel difcours eft le vôtre
Dorife.
Je fuis fûre qu'il m'aime....
Marine.
Et mais , fûre, pourquoi
Dorife.
C'eſt qu'il me l'a juré ……….
Marine.
Plaft-il ? ... A vous ……….
Dorife.
A moi....
Marine.
Vous l'avez vů ……….
Dorife.
Sans doute , il m'a peint fa tendreffe
D'une vivacité , d'un tranſport , d'une yvreffe ;
Je ne connoiffois pas cent chofes avant lui ;
Ah ! Marine, mon coeur s'eft ouvert aujourd'hui.
Marine .
Je tombe de mon haut. Expliquez- vous, de grace,
Car je vois quelque chofe en ceci qui me paſſe :
OCTOBRE. 1750. 159
L'inconnu , dites-vous , vous a parlé d'amour !
Dorife.
Ouí , Marine ....
Marine.
Comment , ce jour même !
Dorife.
Ce jour,
Marine.
Et vous l'aimez ?
Dorife.
Marine , ai-je pú m'en défendre ?
Et comment foutenir un regard auffi tendre
Un langage & doux. . . .
Marine.
Je ne fçais où j'en fuis . '. .
bas. Et que va devenir l'amant que j'introduis
Vous riez .....
Dorife.
Oui , je ris d'embarraffer Marine ,
Elle qui paffe ici pour adroite & pour fine.
Marine.
Et moi je ne ris point, & voudrois bien fçavoir
Quand ce nouvel amant a pû vous venir voir ,
Car je vous avertis que ce n'eft pas le même
Pour qui je vous parlois ....
Dorife.
Tu te trompes , & même
160 MERCURE DE FRANCE.
Je n'ai vu cet amant fi tendre qu'avec toi ;
Tu pourrois en agir autrement avec moi ,
Et je crois que d'abord je devois être inftruite. "
Marine.
De quoi parlez-vous donc ici ....
Dorife.
De ta conduite.
Je vois bien que mon pere a la plus grande part
A l'intrigue qu'ici tu conduis avec art ;
Mais pouvois- tu penfer que fottement déçue
Une fi forte erreur ne frappât point ma vûe ?
Le coeur fe trompe- t'il à ce qu'il doit aimer ?
Il n'a pas dit un mot qui n'ait fçu me charmer ;
Ta gayté , tes propos , fes regards , fon langage ,
Mon trouble ; tout enfin détruiſoit ton ouvrage ,
Et le voile tombé ne m'a fait voir en lui ,
Que l'inconnu pour qui tu parlois aujourd'hui ;
Ofe me démentir .
Marine.
Je n'en ferois pas crue ;
'Ah ! ah ! pour une Agnès vous avez bonne vûe !
Mais, dites moi, pourquoi trouver tant de défauts
Dans tous nos jeunes gens , comment , à quel propos
?
En le reconnoiffant , quelle étoit votre envie è
Dorife.
Cellede le punir de fa fupercherie.
OCTOBRE. 1750. 161
Marine.
O Nature , à cet âge , & dès le premier pas ,
Conter à fon amant ce qu'on ne pense pas !
Démêler d'un coup d'oeil un pareil ſtratagême !
En voir tous les refforts & me jouer moi- même ,
Vous irez loin un jour , & j'en ſuis caution .
Dorife.
Oh! j'ai bien dans l'efprit une autre opinion.
Quelle eft-elle ?
Eh bien ...
Marine.
Dorife.
Ce fils qu'a refufé mon pere ..
Marine.
Dorife.
Plus je l'entends , plus je le confidere ...
Après ....
Marine.
Dorife.
Il doit avoir un pere bien âgé...
Marine..
Dúffai- je , en vous manquant, recevoir mon congé,
Je vous embrafferai ; c'eft le vieillard lui-même ,
Dont mettant à profit le ridicule extrême,
J'ai trouvé le fecret d'arrêter le bonheur;
Et vous &votre pere il vous croit dans l'erreur ;
Feignez de l'écouter & de vous y méprendre ,
162 MERCURE DE FRANCE.
En le laiſſant aller , & fans pourtant vous rendre ;
Nous gagnerons le tems qu'il faut à mon deffein,
Et je verrai bientôt terminer votre hymen.
Dorife.
Que mon coeur eft troublé ! ....
Marine.
Trouble qu'on ne hait gueres ,
N'eft-il pas vrai ? Je fçais fur nous ce qu'il opére ;
Jouir de fon yvreffe eft le bien le plus doux :
Gardons bien cependant ces fecrets entre nous ,
Et paroiffez toujours docile , indifferente ;
Votre pere, trompé dans fa premiere attente ,
Protége votre amant, qu'il croit vieux comme lui;
Je veux qu'il vous le faffe époufer aujourd'hui.
Dorife.
Je tremble que lui-même il ne le reconnoiffe ;
Et comment a t'il pû lui cacher fa jeuneſſe ?
Marine.
Il n'y connoîra rien , c'eft un coup de mon art ;
Allez , vous n'avez rien à craindre à cet égard.
Dorife.
Tu ne peux trop compter fur ma reconnoiffance.
Marine.
Je cherche le fuccès plus que la récompenſe.
Mlle Riviere , jeune perfonne d'environ
douze ans , attachée à la Cour de Sa Majefté
le Roi de Pologne , a danfé fur le
OCTOBRE. .1750. 163
Théatre de la Comédie Françoife avec des
graces & une nobleffe fort fupérieures à
fon âge. M. Bouqueton & Mlle ſa fille ,
ont été auffi applaudis fur le même Théatre.
Les Comédiens François ont donné Lundi
31 Août une pièce de M. des - Mahis ,
intitulée aux deux premieres repréfentations
le Billet perdu , & depuis l'Impertinent.
Cette Comédie , qui eft en un Acte
& en vers , a le plus grand fuccès . Nous
en rendrons compte le mois prochain.
CONCERT SPIRITUEL.
Du 8 Septembre.
Le Concert , qui fut très - agréable , commença
par une fymphonie nouvelle . On
exécuta enfuite le Diligam te Domine , le plus
beau Motet de feu M. Madin. M. Goatzl,
Ordinaire de la Mufique du Roi dePologne,
Electeur de Saxe, joua un concerto de flute ,
avec beaucoup de goût & de jufteffe . Mile
Folliot, qui paroiffoit pour la premiere fois
au Concert Spirituel , chanta Exultate juſti,
de M. Cordelet ; on trouva qu'elle avoit
la voix belle & qu'elle prononçoit trèsbien
le Latin ; il eft à fouhaiter qu'on faffe
attention à ce talent & qu'on le perfectionne.
Mad.Taſca, Vénitienne , de la Muſique
164 MERCURE DE FRANCE .
de l'Empereur, joua dans le goût du Vivaldy
un concerto de violon , de fa compofition
. Le Concert finit par Dominus re- рас
gnavit , Motet à grand choeur de M. Mondonville
: Nous croyons inutile d'ajoûter
que ce Motet fut trouvé très beau .
CONCERTS A LA COUR.
Le Mercredi 12 Août , Lundi 17 , Mercredi
19 & Samedi 22 , on exécuta chez
Madame la Dauphine le Prologue & les
Actes du Ballet des Fêtes Grecques & Romaines
, de M. de Blâmont , Sur- Intendant
de la Mufique de la Chambre du Roi .
Mlles Chevalier , de Selle , Romainville ,
Mathieu , Canavas & Bezin ; Mrs Jeliotte ,
Poirier , Befche , Benoît & Joguet , en ont
chanté les rôles.
Le 27 , M. de Blâmont , Sur-Intendant
& Maître de la Mufique de la Chambre ,
& actuellement de Semeftre , fit chanter à
la Meffe du Roi le Te Deum , pour l'heureux
accouchement de Madame la Dauphine.
C'est le même qu'il compofa , par
ordre exprès , pour la cérémonie du Sacre
du Roi , & qui a fervi depuis le Mariage ,
à tous les grands évenemens qu'a célebrés
la Cour , tels font la Naiffance de MonOCTOBRE.
1750. 165
feigneur le Dauphin & de tous les autres
Enfans de France ; la Convalescence du
Roi , fes victoires & les conquêtes , à l'oc
cafion defquelles il a fait des changemens
& des augmentations confidérables . Ce
Te Deum fe vend gravé , avec plufieurs
Moters à une & deux voix , fans fymphonie
& avec fymphonie , chez la veuve Boi
vin , à la Régle d'or , rue Saint Honoré ,
& à la Croix d'or , chez le Clerc , rue du
Roule. Le prix eft de neuf livres,

NOUVELLES ETRANGERES,
D'ALGER , le 6 Juillet.
Si
Ur le bruit qui couroit que les Espagnols ar
moient pour venir attaquer cet Etat , on a
pris des précautions afin d'être en état de ſe défendre.
Les trois Beys , chargés du Gouvernement
des Provinces , ont eu ordre de former , chacun
dans leur Département , des Magafins pour la
fubfiftance d'un Corps de Troupes confidérable.
On a fait au Fort de Fanal , & aux autres qui
font à l'entrée du Port & dans le voisinage de la
mer , toutes les réparations dont ils avoient befoin
. Les douze mille Turcs , qui compofent les
troupes ordinaires de la République , ont été renforcés
de trois mille hommes , que la Régence a
obtenus du Grand Seigneur. Les quatre Nations
Maures , qui font obligées de fournir pour la dé
166 MERCURE DE FRANCE
fenfe de l'Etat un certain nombre d'hommes armés,
ont été averties de fe tenir piêtes à doubler leur
contingent , lorfqu'elles ' en feroient requifes. Les
trois Camps , que l'on forme tous les ans au Printems
, & que l'on nomme le Camp du Levant
le Camp du Ponent , & le Camp du Midi , ont été ·
cette année affemblés plus long - tems qu'à l'ordi- '
naire , afin d'exercer les troupes. Pour la Marine
elle confifte à préfent , outre le Vafleau Amiral ,
lequel appartient à la République , & s'appelle
Beylik , en vingt-quatre Vaiffeaux , tant grands
que petits fans compter les Barques , les Bâtimens
à rames , & les autres petits Bâtimens.
Quoique l'on crût avoir lieu de craindre de la
part des Efpagnols , l'Hôpital qu'ils ont ici , fondé
autrefois par un Capucin , Confeffeur de D. Juan
d'Autriche , & dirigé par les Religieux de la Merci,
n'a pas ceffé de jouir de la protection de la République.
M. Keppel , Chef d'Efcadre de la Flotte du Roi
d'Angleterre , étant arrivé le 10 dans cette Baye
avec quatre Vaiffeaux de guerre Anglois , ne mit
pied à terre que le 13 , à caufe d'une indifpofition
qui l'avoit retenu fur fon bord, Il fut falué de-
21 coups de canon , comine Miniſtre Plénipotentiaire
de Sa Majefté Britannique , & le Vaiſſeau
qui portoit fon Pavillon répondit par un pareil
nombre de coups. L'après-midi , accompagné de
M. Stanyford , Conful Britannique , ayant auffi
la qualité de Miniftre Plénipotentiaire , il fe rendit
à l'Audience du Dey avec une nombreufe fuite,
compofée en partie de plufieurs Officiers de la
garnifon de Port Mahon . Les deux Miniftres ,
après la communication de leurs Pleins Pouvoirs ,
préfenterent une Lettre du Roi leur Maître , qui
fut reçue du Dey avec beaucoup de refpect. M.
OCTOBRE.
1750. 167
Stanyford ayant paru à fon Audience l'épée au
côté , il a prétendu que cette diftinction n'appartenoit
qu'à M. Keppel . Il s'eft choqué de même
de ce que les Plénipotentiaires s'étoient rendus à
fon Audience l'après midi , tems où l'on eft admis
dans fon Appartement extérieur , avec la faculté
de s'y afleoir . En conféquence , il a fait dire le
lendemain aux Plénipotentiaires , que s'ils avoient
à traiter quelque chofe avec lui , ils euffent à fe
rendre à l'Audience ordinaire . Tous les jours ,
avant le Soleil levé , ce Prince s'affied à fa porte au
fond d'une grande Cour , fur un banc de pierre ,
couvert d'un tapis , lequel eft recouvert d'une
peau de Lion. Les quatre Grands Ecrivains ou
Secrétaires d'Etat , quelques autres Officiers & un
Interprête font affis auprès de lui . C'est là qu'en
fumant une longue pipe , il donne audience jufqu'à
neuf heures & demie du matin à tous ceux
qui fe préfentent , & même aux Efclaves. Les
deux Miniftres Anglois ont refufé de ſe trouver à
cette Audience commune , & M. Stanyford a prétendu
que fa qualité de Miniftre Plénipotentiaire
lai donnoit le droit de paroître l'épée au côté. Le
Dey , forcé de céder für ces deux articles , n'a pas
voulu qu'on entrât en conference fur l'objet de
leur Commiffion , jufqu'à ce que l'Envoyé que
cette Régence avoit ci-devant fait aller en Angle
terre , fût de retour & qu'il eût fait fon rapport
DE CONSTANTINOPLE , le 14 Juin.
E premier Dragoman a depuis peu remis à M.
Celfing , Envoyé Extraordinaire de Suéde ,
une Réponse au Mémoire que ce Miniftre avait
préfenté , quelque tems auparavant , à la Porte ,
au fujet des affaires du Nord. Il eft dit en fubftan-
2
168 MERCURE DE FRANCE.
ce dans cette Réponſe : Que le Miniftre de Suéde ;
réfident à la Sublime Porte , a représenté plufieursfois
que , quoique la Couronne de Suédefût en paix avec
celle de Ruffie , & qu'elle n'eût rien plus à coeur que
d'entretenir cette paix , on avoit cependant fait en
Ruffie des préparatifs de guerre , qui s'étoient d'autant
plus attiré l'attention de la Suéde , qu'ils avoient
été précédés de déclarations au fujet de certaines furetés
qu'on exigeoit pour le maintien de laforme préfente
du Gouvernement : Que la Sublime Porte , dans
le deffein d'entretenir la paix & l'amitié avec la Ruf
fie , avoit fait part à cette Cour des repréſentations
de la Suéde , en demandant amicalement des explications
propres à calmer les inquiétudes qu'elle auroit
infailliblement , fi la Couronne de Suéde étoit attaquée,
& que la Cour de Ruffie , en exposant en détail
les motifs de fes préparatifs de guerre , avoit déclaré
protefté qu'elle n'avoit en vûe que la paix du
Nord , & qu'elle étoit prête àſe contenter de certaines
conditions ,qui mettroient la forme du Gouvernement
actuel à l'abri de toute altération , en cas que Sa Majefte
Suédoife vint à quitter ce monde : Que depuis ,
il avoit étéfait depart d'autre des démarches , dont
la Ruffie n'avoit pas paru totalementfatisfaite ,
que d'ailleurs la Suéde avoit prétendu que fa réputation
,fon rang, & lepoint d'honneur auquel les Suédois
avoient toujours étéfermement attachés , ne lui
permettoient pas d'en faire davantage , fans s'avilir =
Que ce n'eft point à la Sublime Porte à juger ce differend
& qu'elle ne prétend pas décider fur le fonds de
conteftation : Qu'en qualité d'Amie & d'Alliée des
deux Puiffances , elle fouhaite que leurs déclarations
réciproques de n'avoir en vûe que de maintenir la
paix du Nord , produisent ce bon effet , & qu'elles
puiffent l'une & l'autre parvenir à s'entendre , en fe
dépouillant également de tous préjugés , foupçons , ou
défiances :
OCTOBRE.. 1750. 169
15
きる
défiances : Quefi , contre toute attente , les circonstan
ces viennent à changer , de maniere à rendre ce defir
de la paix infructueux , & que la Couronne de Suéde
Je trouve dans la néceffité de recourir à la puiſſante
affiftance de la Sublime Porte , alors fa Hauteffe , qui
tient de Dieu des forces refpectables pour protéger les
foibles , &fecourir ceux qui cherchent fon amitié , ne
pourra fe difpenfer de remplir avec autant de promptitude
que de bonne foi , les engagemens qu'elle a contractés
par les Traités qui fubfiftent entre elle & la
Couronne de Suéde , & nommément par celui du 22
de Septembre 1732 , renouvellé depuis peu , pour être
inviolablement obfervé felon sa forme & teneur :
Qu'ilfera donné connoiffance de cette réfolution de la
Sublime Porte au Miniftre de Suéde , afin que cette
Couronne fe tienne affûrée de l'exécution des articles
de ce Traité , qui fixent la maniere d'employer le fe-
Cours , ce qui ne doit pourtant avoir lieu que dans le
cas où la Suédefera lefée évidemment.
DU NORD.
DE PETERSBOURG , le 9 Août.
'Impératrice envoya dernierement , avant que
de quitter Pétershoff , un Gentilhomme de la
Cour à Jaraflow , ce qui fait croire qu'il eft réellement
question de rétablir le Duc Erneft de Biron
en Courlande. On parle même de la venue prochaine
d'une députation des Etats de ce Pays ;
pour fupplier l'Impératrice de permettre que ce
Duc retourne prendre poffeffion du Gouvernement
de fon Duché.
H
170 MERCURE DE FRANCE.
DE
WARSOVIE , le 14 Août.
LE
E 4 , jour deſtiné pour l'ouverture de la Diette
extraordinaire , leurs Majeftés , accompagnées
des Sénateurs , des Miniftres & des Nonces , allerent
à l'Eglife Collégiale de Saint Jean , où la
Meffe du Saint Efprit tut célébrée par l'Evêque de
Cujavie. Il y eut au milieu de la Meffe un Sermon
, prononcé par l'Abbé Swiniarski , Chanoine
de Gnefne , & Chancelier du Primat. Après la
Meffe , le Roi fe rendit au Sénat , & lorsqu'il ent
pris place fur fon Trône , M. Sieminfki , premier
Nonce de Léopol , lequel , ayant été Maréchal de
la derniere Diette ordinaire , étoit par cette raifon
Directeur de la Chambre des Nonces , demanda
Pagrément de Sa Majefté pour l'ouverture de la
Diette. Le Roi l'ayant accordé , les Nonces allerent
dans leur Chambre , où M. Sieminſki prit
le Bâton de Maréchal, & rangea les Députés , felon
l'ordre des Palatinats, Il ouvrit enfuite la Séance
par un Difcours , dans lequel , après avoir déploré
la mauvaiſe iſſue de la derniere Diette , il exhorta
l'Aflemblée à répondre avec chaleur aux bonnes intentions
du Roi , qui s'étoit propofé le rétabliſſement
de la Justice pour objet de cette Diette extraordinaire ;
& pour commencer par fuivre l'ordre établi par les
Loix , il invita les Nonces à procéder à l'élection
d'un Maréchal , & pria le premier Nonce de Cracovie
de donner la voix à celui qu'il defiroit que
l'on élût. A peine eût il achevé de parler , qu'un
des Nonces du Palatinat de Belsk dit : Qu'avant de
confentir à l'élection d'un Maréchal , il étoit à propos
defçavoir , pourquoi le Comte Rzewuski s'étoit démis
de fon Falatinat de Podolie , & s'étoit fait élire
Nonce. Il ajouta : Que fi c'étoit dans le deffein de
devenir Maréchal de la Diette , il feroit le premier à
OCTOBRE. 1750. 171
,1
1
de
sy eppofer , parce que ceferoit une chof A donneroit
attente aux Privileges de rire Equefte rut
appuyé par un des Nonces de Sendomii , qui pré
tendit , que la légitimation des Nonces devoit precéder
l'Election d'un Maréchal , & que cette légitimation
étoit d'autant plus néceffaire , qu'il y avoit
un Sénateur dans l'Affemblée Un Nonce de Lyda
, fecondé par beaucoup d'autres , répondit avec
force à ceux qui venoient de parler : Qu'il n'y
avoit point de Sénateur dans l'Aſſemblée , & que le
Comte Rzewuski n'avoit point eu d'autres vûes , en
fe fafant élire Nonce , que de trawller pour le bien
public , d'y contribuer avec fes Collégues par tous
les moyens poffibles : Qu'une démarche , fondéefur de
pareilles intentions , méritoit des éloges , & qu'au
lieu de fe livrer à des fcrupules mal fondés , on feroit
beaucoup mieux de procéder fur le champ à l'élection
d'un Maréchal. Après quelques pourparlers , on
vint à bout de perfuader au Nonce de Belsk de
rendre l'activité à la Chambre. Le Directeur l'en
ayant remercié , propofa d'aller aux voix pour
l'élection . Sur quoi le fixiéave Nonce de Cracovie
demanda. Qu'auparavant il luifat permis d'exposer
plufieurs chofes fur lesquelles il lui paroiffoit néceffaire
de déliberer. Les Nonces de Lithuanie s'oppoferent
à fa demande , & furent foûtenus par un Nonce
de Dobrzyn : mais un de ceux d'Ofwieczin leur
répondit : Que la demande du Nonce de Cracovie
étoit juste , & que la liberté des voix ne devoit jamais
étre gênée ; & fur ce que le Nonce de Dobrzyn
répliqua ; Qu'il étoit contre l'ordre établi de
traiter aucune matiere avant l'élection d'un Maréchal
, que c'étoit vouloir introduire un abus ; il
répartit : Que ,fi c'étoit un abus de ne vouloir pas
confentir d'abord à l'élection d'un Maréchal ,
étoit un autre que de vouloir mettre des bornes à la
c'en
Hij
172 MERCURE DEFRANCE.
ن م
liberté de la voix d'un Nonce. Les conteftations fur
ce fujet ayant duré jufqu'à huit heures du foir ,
l'Affemblée le fépara fans avoir rien fait . Il en fut
de même le lendemain . Le Directeur de la Cham
bre ouvrit cette feconde Séance , par dire : Que le
Roi avoit appris avec beaucoup de chagrin les difficul
tés furvenues la veille , & qu'il l'avoit chargé de
rappeller à l'Assemblée les Conftitutions de 1690 &
de 1736 , par lesquelles il avoit été réglé que l'on devoit
, avant que d'entrer dans la diſcuſſion d'aucune
affaire , procéder à l'élection d'un nouveau Maréchal.
- Il fit enfuite la lecture de ces Conftitutions . Le
Nonce d'Ofwieczin l'interrompit , & dit : Qu'il
les connoiffoit mais que , quoiqu'elles euffent ftatué ,
la régle n'en étoit pas moins de nepoint empêcher un
Nonce d'expofer ce qu'il avoit à dire , que l'on devoit
accorder au Nonce de Cracovie la permiffion de
parler , qu'il avoit demandée la veille . Un Nonce
de Wizna foutiat : Qu'il falloit fatisfaire aux Conftitutions
de 1690 de 1736 , & pria le premier
Nonce de Cracovie de donner fon fuffrage : mais
celui - ci s'en défendit, en difant : Qu'il ne le pouvoit
pas , à moins que fon Collégue n'eût obtenu la permiffion
de parler. La plupart des Nonces s'y oppofesenr
, & le refte de la Séance , jufqu'à trois heu
res après midi , fe paffa en difputes infructueufes.
Le 6 , le Directeur dit , en ouvrant la Séance :
Qu'il avoit ordre du Roi de représenter à l'Aſſemblée ,
que Sa Majesté avoit oui dire qu'on avoit répandu le
bruit , que la Diette ne fe borneroit pas aufeul objet
de la Reformation des Tribunaux , & que c'étoit ap
paremment ce qui mettoit la Chambre dans uneforte
de défiance mais que Sa Majesté l'avoit chargé
d'afürer la Chambre , qu'il ne feroit question dans
la Diette que de ce que les Univerfaux , & les Inftrucsions,
envoyées aux Diettines , avoient annoncé.
:
OCTOBRE. 1750. 173
voulut enfuite déferer la voix au premier Nonce de
Cracovie : mais il y eut de très fortes oppofitions ,
& les débats durerent jufqu'au moment que le
Comte Rzewuski , Nonce de Chelm , entra. Le
Nonce de Czerx qui le vit entrer , s'écria : Que le
Palatin de Podolie étoit dans la Chambre , & qu'il
n'accéderoit à rien , que ce Palatin nefut forti. Le
Nonce de Premyslie repartit : Que ce n'étoit point
le Palatin de Podolie , mais le Starefte de Chelm.
Les débats recommencerent alors , & s'animerent
fi fort , que la Séance fut limitée au lendemain.
M. Sieminski dit à l'ouverture de la Séance du 7 :
Que le Roi étoit extrêmement affligé de ce qu'il s'étoit
pallé trois jours ,fans qu'on eût élu le Maréchal de la
Diette , & que Sa Majefté exhortoit les Nonces à
accéder à cet Acte , qui luiferoit beaucoup deplaifir.
En conféquence , il pria le premier Nonce de Cracovie
de donner fa voix. Le Nonce de Sendomir
s'y oppofa , & dit : Que le Nonce de Czersk avoit
arrêté , la veille , l'activité de la Chambre , & ne
l'avoit pas encore rendue . Ce Nonce dit là - deffus :
Que ce n'étoit point fon deffein d'arrêter l'activité de
La Chambre ; mais qu'il demandois qu'on lui permît de
parler , pour s'expliquer fur ce qu'il avoit dit la veille.
Le Directeur , & la plupart des Nonces le priererent
& les autres oppofans , de fe défifter de leur
oppofition , & de laiffer procéder à l'élection d'un
Maréchal. Ce fut inutilement. Sur quoi le Nonce
de Cur prouva que les Loix obligeoient de voter
pour l'élection d'un Maréchal , avant que de parler
d'aucune autre matiere . Il ajouta : Qu'il prioit le
Nence de Czersk de reftituer l'activité à la Chambre ;
le Directeur d'ufer de fon pouvoir & de prendre
les avis des Nonces , pour fçavoirsi l'on pouvoit , lorf
la Chambre étoit en paffivité , diftribuerles voix.
Le Directeur ayant voulu diftribuer les voix , le
que
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE .
violé mani-
Nonce de Czersk demanda la premiere pour s'er
pliquer fur les motifs qui l'avoient engage d'arrê
ter l'activité de la Chambre. Il y eut alors de
nouveaux débats . Les Nonces de Cracovie , & Of
wiezin & de Bel K infifterent pour que le Nonce
de Czersk obtint ce qu'il demandoit ; & le Directeur
voulut limiter la Séance au lendemain :
mais M Wyrdzga , Nonce de Bels , s'écria :
Qu'il ne confentoit point à ce que la Séance fût limisée
; qu'il demandoit que la Diette ſe ſeparât ; &
qu'il proteftoit contre la limitation , fi , malgré ſon
oppofition , elle étoit acceptée. Enfuite , après avoir
renču juftice aux intentions du Roi , il dit d'un.
ton très animé : Que signifie la nouveauté , dont le
Palatin de Podolie vient de donner l'exemple ? A
gun ben fe démettre de fon alatinat pour entrer parmi
nous ? Par cette démarche , n'a v'il pas
feflement fon ferment de Sénateur ? Est ce que l'Or➡
dre Equeftre n'aurcit plus de Sujets propres à rempl
la Dignité de Maréchal Que penfera la postérité
d'une innovation qui nous outrage ? Que dira- t'elle ,
furtout , fi nous fommes affez lâches pour ne nous
pas oppofer Graces au Ciel , l'Ordre Equeftre renferme
affez de Sujets dignes de la place de Maréchal ,
fans qu'il foit befoin qu'un Sénateur se dégrade
lui même defon rang pour occuper cette place . Je protefte
donc devant Dieu & devant les hommes contre
cette nonveauté , fi peu conform : aux Loix & fi contraire
à nos usages . Je déclare que je n'accéde à rien
de ce qui pourroit étre réfolu dans cette Diette; &
qu'au contraire je m'y oppoje , en vertu de mon droit ,
fans néanmoins me rendre refponfable de fon mauvais
fuccès. En achevant ces mots , il fortit ; & l'Affemblée
fe fépara , demeurant limitée au lendemain
. Le 8 , à l'ouverture de la Séance , le Di.
recteur fut informé que M. Wyrdzga , en fortant.,.
OCTOBRE. 1750. 175
la veille , de la Chambre , avoit été faire enregiftrer
au Grod , ou Greffe de Warfovie , une Pro.
teftation de nullité contre tous les Actes de la
préfente Diette . On lui députa fur le champ fix
Nonces pour l'engager à rendre l'activité à la
Chambre. Ils revinrent quelque tems après , &
dirent que , l'ayant inutilement cherché , ils ne
doutorent point qu'il ne fût parti pour s'en retourner.
Il fut réfolu là - deffus de limiter la Séance jufqu'au
II ; & l'on chargea les fix Députés de continuer
à s'entremettre auprès de M. Wyrdzga , s'ils
pouvoient le trouver. On en chargea de même
les autres Nonces du Palatinat de Belsk . Le Roi
de fon côté donna commiffion au Prince Lubomarski
, Génézal de la Couronne ; de fe fervir des
raifons les plus fortes pour porter ce Nonce à ne
fe point oppofer aux bonne intentions de Sa
Majefté & des Etats du Royaume. On ne le trouva
point ; & le 11 , les fix Députés déclarerent dans
la Chambre : Qu'il ne falloit pas chercher davantage
M. Wyrdzga , parce qu'il étoit fürement parti,
Les autres Nonces de Belsk dirent : Qu'ils n'en dou
toient point , & qu'ils leur paroifoit que la Diette re
pouvoit pas fubfifter. Les Nonces , oppofés à l'Election
du Maréchal , foutinrent fortement , que la
Diette devoit fe féparer fur le champ : mais les autres
Nonces , n'ayant pas été de leur avis , la
Séance fut encore limitée au lendemain . Elle le
fut de même les jours fuivans : mais on n'y put
rien faire , la Chambre étant toujours de meurée
fans activité.
1
Hij
176
MERCURE
DEFRANCE :
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 8 Août.
ON apprendde Hongrie , que l'on y doit travailler
inceffamment à
l'exploitation des
mines d'or , d'argent , de cinabre & de vif- argent ,
nouvellement découvertes en plufieurs endroits du
Royaume , & particulierement dans le Comté de
Presbourg.
DE BERLIN , le 29 Août.
Π
Le 8 , le Margrave de Brandebourg- Bareith , &
Ja Margrave fon épouse , foeur du Roi , arriverent
à Potzdam , vers une heure après-midi , & furent
reçus de Sa Majefté avec les plus grandes marques
de tendreffe. Après le diner , la Mufique du Roi
exécuta un Concert dans
l'Appartement de la
Margrave . Il y en eut le lendemain un pareil , qui
fut fuivi d'un Divertiffement Italien. Le 10 , le
Palais de Sans- Souci fut illuminé . Le 11 , le Roi,
accompagné du Margrave & de la Margrave de
Brandebourg - Bareith , fe rendit en cette Ville . Le
Margrave & la Margrave allerent auffi- tô: chez
la Reine-Mere à Monbijou. Sa Majesté , ainfi
que la Reine Regnante & la Princefle Amélie , les
reçut avec toute la tendreffe poffible . Ils fouperent
avec le Roi & toute la Famille Royale chez
la Reine -Mere. Toute la famille Royale dîna le
12 chez la Reine- Regnante dans la Sale du Concert
, où toutes les Tables furent fervies en vailfelle
d'or. On foupa le foir chez la Reine- Mere à
Monbijou. Le 13 , le Roi fit préfent au Margrave
d'un fuperbe Phacton & de quatorze beaux chevaux.
Le 14 après- midi , le Roi , les Reines , le
OCTOBRE. 1750. 177
Margrave & la Margrave de Bareith , avec les
Princes & les Princeffes de la Maiſon Royale , fe
rendirent à Charlotenbourg , où le 17 , on repréfenta
le Maurais Riche , Comédie de M. d'Arnaud,
nouveau Membre de l'Académie Royale des
Sciences & Belles- Lettres de Prufle . On tira le
18 , un magnifique Feu d'artifice . Il y eut enfuite
un grand fouper , qui fut fuivi d'un Bal maſqué.
Toute la Cour revint le 22 , de Charlotenbourg
en cette Ville , pour y voir repréfenter l'Opéra de
Phaéton. On fut très - fatisfait de la Décoration du
Temple du Soleil . Le 24 au matin , le Roi , accompagné
des Princes , & la Reine & toutes les
Princeffes vêtues en Amazones , virent dans les
environs du Village de Pritz , les manoeuvres &
les exercices de fept Régimens d'Infanterie , des
Régimens des Gardes à cheval & des Gendarmes ,
d'un Régiment de Huffards & de plufieurs Compagnies
de Grenadiers & de Chaffeurs . Ces Troupes
exécuterent l'attaque du Village & differentes
efcarmouches. Le foir , il y eut une feconde repréſentation
de l'Opéra de Phaéton . Le 25 au foir,
on exécuta le Carroufel , auquel on fe difpofcit
depuis quelque tems , & dont on avoit fait pluheurs
répétitions en préfence de Sa Majesté . Un
gros détachement de la garnifon de cette Ville
occupoit les avenues , depuis la Place des Ecuries
jufqu'à l'enceinte préparée dans la grande Place
de parade. Ces places & les rues qui conduifeat
de Pune à l'autre , étoient illuminées de plusieurs
milliers de lampions , l'enceinte l'étoit de lampions
& de flambeaux. A huit heures , le Roi , les
deux Reines & les Princeffes , tant de la Maiſon
Royale qu'Etrangeres , fe rendirent dans une
grande Loge , tendue de magnifiques tapiferies ;
& leur nombreufe fuite fe plaça dans des Loges
Voifines, ly en avoit une féparée des autres , qui
HY
178 MERCURE DE FRANCE.
fut occupée par les Juges du Camp . Ceux que le
Roi avoit nommes étoient pour la premiere-
Quadrille , M. d'Arnim , M nitre d'Etat : pour la
feconde , le Lieutenant Général Bogiflus de Schwerin
; pour la troifiéme , le Weldt- Maréchal Keith ,
Gouverneur de cette Ville ; & pour la quatrième
le Comte de Acke , Lieutenant Général , Grand
Veneur & Commandant de cette même Ville . Sur
les neuf heures , les quatre Quadrilles , des Remains
, des Carthaginois , des Grecs & des Perfes ,
habillées , armées & montées dans le goût des Nations
qu'elles repréfentoient , partirent de la Place
des Ecuries , en bon ordre & conduites par leurs
Chefs pour le rendre dans l'enceinte , au bruit des
fanfares des trompettes & des tymbales , de la
Mufique Turque du Régiment d'Artillerie , & de
plufieurs auties fortes d'inftrumens de Mufique.
Elles avoient pour Chefs , celle des Romains , le
Prince de Prufje ; celle des Carthaginois , le Prince
Henri ; celle des Grecs , le Prince Ferdinand ; &
aelle des Perfes , le Margrave Charles . Les Chevaliers
Romains , étoient le Margrave Henri ; le Duc:
de Holftein Beck; M. de Chafeau , Majer du Régi
ment de Dragons de Barcith , M. de Bredow , Capitaine
des Gendarmes ; le Lieutenant de Mar
witz , & le Comte de Lambert. Les Chevaliers
Carthaginois , étoient le Prince de Lobkowitz ; le
Comte de Schafgorfch , Miniftre d'Etat & Grand .
Ecuyer ; le Comite Sulko a ski , le Comte de Lendorff
, Chambellan du Roi , & Meffieurs de
Wompfer & de Young. Les Chevaliers Grecs ,
étoient le Prince Ferdinand de Brunswick ; le
Prince Héréditaire de Hefe- d'Armftadt ; le Prince
Frederic Eugéne de Wirtemberg ; le Major Genéral
de Ziethen ,, le Baron de Lanckelman , Préfident
de la Régence de Minden , & le jeune Baron.
de Montolien . Les Chevaliers Berfes , étoient. le
OCTOBRE . 1750. 179
Comte de Schmettau , Miniftre d'Etat & Grand-
Veneur , le Major de Blumenthal , Commandant
des Gardes du Corps , M. de Kalkreuter , Lieutenant
des mêmes Gardes , le Baron de Prinken ,
Confeiller Privé , M. de Krofigh , Grand Foreftier
&M. de Brorker , Cornette des Gendarmes. Après
les joutes & les divers exercices du Carroufel , les
Quadrilles vinrent , au bruit des fanfares de tous
les Inftrumens , fe ranger devant la Loge de la
Cour , où , fuivant ce que les Juges du Camp
avoient décidé , la Princeſſe Amélie diftribua les
prix. Le Prince de Pruffe , le Prince Henri , & le
Prince Ferdinand de Brunswick reçurent chacun
une Bague garnie d'un Brillant de grand prix ; &
le Major Général de Ziethes deux beaux diamans.
Les Quadrilles allerent enfuite former devant la
Maison de l'Opéra deux lignes , entre lefquelles
leurs Majeftés & les Princefles pafferent, pour aller
voir une repréfentation de l'Opéra d'Iphigénie.
On foupa dans cette Maifon à plufieurs tables , &
le fouper fut fuivi d'un Bal mafqué , qui fut ouvert
par le Prince de Pruffe & la Princeffe Amélie . Le
17 , le Roi dîna chez la keine avec les Princes &
Princeffes de la Maifon Royale , les Princess
Etrangers , les Prince fles Etrangeres , & toutes less
perfonnes les plus diftinguées de la Cour . On fit:
enfuite , vers les cinq heures du foir , une feconde
exécution du Carroufel . Les Loges de l'enceinte
étoient ornées de verdure. Les prix furent encore
diftribués par la Princeffe Amélie , fuivant la décifion
des quatre Juges du Camp , lefquels étoient
ce jour- là les Weldts-Maréchaux Kalckstein &
Keith , le Lieutenant Général Comte de Hacke , &
M. d'Arnim , Miniftre d'Etat . Ces prix , confiftante
en des Armes travaillées en or & garnies de diamans
, furent donnés , le premier à M. de Kal reu
ter , le ſecond au Baron de Danke!man , le troifié
H vj
180 MERCURE DEFRANCE.
me au Comte Sulkowski , & le quatriéme an Ba
ron de Montolieu. Les Chevaliers , étant enfuite
remontés à cheval , ſe rendirent avec toute la Cour
à Monbijou chez la Reine- Mere . On y foupa dans
l'Orangerie , laquelle étoit magnifiquement illuminée
, & l'on fervit plufieurs Tables , formant
près de 400 couverts .
PORTUGAL.
DE LISBONNE , le 21 Juillet.
LE Vaiffeau de guerre , La Notre-Dame de
Lampadofa , commandé par le Capitaine de
Mer & de Guerre , Don Pedro Antonio de Etré ,
entra le 11 dans la riviere de cette Ville . Il étoit
parti du Port de Saint Sebaftien de Rio de Janeiro,
trente jours après la Flotte , que l'on efpérevoir
arriver ces jours - ci.
Le chargement de la Flotte , arrivée le 6 , de la
Baye de Tous les Saints , confifte en dix mille deux
cens vingt- deux caiffes , mille 36 quarts de caiffes
& 720 formes en cuirs , de fucre , 18 mille $ 44
rouleaux de tabac ; 98 mille 706 demi - cuirs tannés
d'Herte ; 11 cens 52 cuirs en poil , & 19 cens 6
cuirs imprimés pour meubles ; 341 barils de Mé
laffe , & 306 de farine de Semouille ; deux mille
330 quintaux de bois de couleur , 66 planches de
bois Jacaranda , & 19 cens baliveaux de bois dur
877 milliers de cocos , & 47 Eſclaves . Cette Flotte
apporte pour le compte des Particuliers en or
monnoyé , deux millions , 160 mille 600 cruzades
( 5 millions 401 mille 500 livres tournois ) & 12
cens 77 gros d'or en poudre , & pour le Roi , 504
mille 700 cruzades ( 1 million 367 mille soo
livres tournois ) & 22 mille 400 gros d'or en
poudre.
OCTOBRE . 1750. 181
L
ESPAGNE.
DE MADRID , le 11 Août.
E 30 du mois dernier & le z de celui- ci , les
Fregates La Nueftra Segnora de Monferrate , &
La Nueftra Segnora de la Carridad , arriverent dans
la Baye de Cadix. Elles reviennent de la Vera-
Cruz , dans la Nouvelle- Efpagne. La premiere
rapporte , entre autres effets , 514 mille 992 Pelos
Fuertes , ou Piaftres du Méxique , en argent monnoyé
, & deux mille en or ; 652 marcs d'ouvra →
ges d'argent : 266 mille soo vanilles ; 40 mille
350 livres de graine d'Ecarlate fine , & deux mille
700 de fauvage ; 23 mille 775 livres d'indigo ;
25 mille 75 livres de Jalap ; & deux mille so
livres de Cébadille , forte de poudre compofée
de differentes herbes , & que l'on prend en guife.
de tabac. La charge de la feconde Frégate confifte
, principalement en sos mille 510 Pefos Fuer
tes, en argent monnoyé ; mille 202 onces d'ouvrages
d'argent ; 21 mille vanilles , 20 mille livres.
de graine d'Ecarlate fine , & deux mille 700 de
fauvage ; 35 mille soo livres d'indigo ; & 10 mille
25 livres de Jalap.
On a appris depuis , par un Courier dépêché de
Lifbonne , que le nouveau Roi de Fortugal avoit
nommé M. Caravalho , Secretaire d'Etat des affai
res étrangères ; & M. de Mendoça , Secretaire
d'Etat de la Marine & des Indes.
ITALIE.
DE NAPLES , le 11 Août.
ONcommença , le 28 du mois dernier , à travailler
aux fondemens des nouveaux Bâtimens
, que le Roi fait ajouter au Palais Royal də
182 MERCURE DE FRANCE.
cette Ville. Les ouvriers en creufant , trouverent
quelques baffins d'argent, dont il y en eut trois de
préfentés à Sa Majefté. Comme on ne doute pas
qu'ils n'en ayent trouvé davantage , on les a mis
en prifon pour les examiner à ce fujet.
Depuis qu'on s'eft emparé de quelques Bâtimens
des Coríaires de Barbarie , on n'en voit plus
dans ces Parages , & la Navigation du Détroit ,
qui fépare les deux Siciles , eft entierement libre.
On continue cependant de pourvoir à la fûreté de
la mer , & les deux Galiottes du Roi font parties
dernierement pour aller dans la Mer Adriatique ,
protéger contre les Corfaires les Navires Marchands
, qui reviennent de la Foire de Sinigaglia.
Le Roi a renouvellé les défenfes faites aux Evê
ques du Royaume , fous peine d'encourir ſon indignation
, d'accorder , fans fa permiffion par
écrit , aux Officiers de guerre la permiflion de fe
marier.
Il entra ces jours derniers dans le Port de cette
Ville divers Bâtimens François , Anglois & Hol-
Tandois , chargés de Marchandifes pour la Foire
de Salerne . Les Officiers de la Douane s'étant
préfentés pour voir leurs Lettres de Mer , & l'état
des effets qu'ils avoient à bord , les Capitaines de
ces Navires leur contetterent le droit de faire cette
vifite , comme contraire à l'honneur de leurs Pa
villons . Ils en porterent même des plaintes aux
Miniftres & Confuls de leurs Nations ; & ceux ci
ayant fait leurs repréſentations à la Cour , il leur
fut répondu que les Commis de la Douanne n'a.
voient fait qu'ufer de leur droit . Cette réponse occafionna
des proteftations de la part de ces Minif
tres & Confuls , & fur le champ un des Bâtimens
Anglois remit à la voile avec fa charge..
OCTOBRE. 1750. 183
DE ROME , le 25 fuillet.
La République de Vénife, ayant été mécontente
de ce que , pour terminer les conteftations qu'elle
avoit avec l'Impératrice Reine,au fujet de la part e
du Patriarchat d'Aquilée , foumife à la domination
de cette Princefle , le Pape avoit pris le parti d'éta--
blir dans cette portion du Patriarchat un Vicaire
Apoftolique , a rappellé le Chevalier Pietro- Andrea
Cappello , fon Ambafladeur ordinaire auprès
de Sa Sainteté , en même tems qu'elle a fait fignifier
au Nonce réſident à Vénife , l'ordre de fortir
inceffamment des Etats de la République. Pour
exécuter les ordres qu'il avoit reçus , le Chevalier
Cappello fit payer tout ce qu'il pouvoit devoir
dans la Ville & dans les environs , il congédia les
perfonnes qui compofoient fa Maifon , & laiffa
aux gens de fa Livrée leurs habits avec la paye
d'un mois. Le 19 au matin , tous les Sujets de la
République qui font ici , fe rendirent au Palais
de Saint Marc , pour prendre congé de l'Ambafladeur
, & lui fouhaiter un heureux voyage. Un
peu après midi , il monta dans fon carroffe avec
Je Cardinal Rezzonico & les Abbés Benzoni &
Coloni , Vénitiens. Le Cardinal Querini le fuivit ,
ayant l'Ambaſſadrice dans fon Carroffe avec quelques
autres Prél . ts Vénitiens . Trois Caroffes de
P'Ambaffadeur marcherent après celui du Cardinal
Querini , & furent fuivis de ceux de l'Abbé Fatfent
, & de Meffieurs Molino & Cornaro . Ce fur
dans cet ordre que l'Ambaffadeur fortit de cette
Ville par la Porte del Popolo , hors de laquelle les
deux Cardinaux & les autres Vénitiens , qui l'avoient
accompagné par honneur , prirent congé de
lui. Il fe rendit enfuite avec les équipages de Ville
à Pontremole , où les voitures de campagne l'at
tendoient..
184 MERCURE DE FRANCE.
Le differend de cette Cour avec les Vénitiens ,
au fujet du Patriarchat d'Aquilée paroît devenir
de jour en jour plus férieux. Le Pape a déclaré
que , quelque loin que les chofes pûffent aller , il
ne fe croiroit pas refponfable des faites de fa déci
fion , parce qu'en établiffant un Vicaire Apoftolique
pour exercer la Jurifdiction Eccléfiaftique
dans la Ville d'Aquilée , & dans la partie la plus
confidérable de fon Territoire Patriarchal , foumiſe
à la domination de l'Impératrice Reine , il
n'avoit rien fait que de conforme à la juftice . Les
Archiducs d'Autriche , Maîtres du Frioul où la
' Ville d'Aquilée eft fituée , fe font toujours crus
en droit de nommer à ce Patriarchat . On étoie
même autrefois convenu que la République & les
Archiducs y nommeroient alternativement : mais
ces derniers n'ont jamais joui de leur droit , par
le foin que les Patriches d'Aquilée , Vénitiens &
réfidens à Vénife , ont toujours eu depuis ce temslà
, de fe choifir des Coadjuteurs , agréés par le
Sénat , & munis de Bulles du Saint Siége pour
leur fuccéder , enforte que depuis que l'on eft
convenu de la nomination alternative , le Patriarchat
n'a point encore vaqué. C'eſt contre cet uſage
que l'impératrice Reine a réclamé. Elle a pré
tendu que la tolérance de fes Prédéceffeurs n'a
voit pú prefcrire le droit , qu'ils avoient de nom
mer à leur tour un Patriarche. Le Pape , choifi des
deux côtés pour arbitre , a pris un tempérament
qu'il a crû propre à farisfaire également les deux
Puillances , qui laiffe les Vénitiens dans la poffeffion
, dont ils font fi jaloux , de nommer ſeuls le
Patriarche d'Aquilée , & qui doit contenter l'Im .
pératrice Reine , en ce qu'il fouftrait les Sujers de
cette Princeffe à la Jurifdiction d'un Prélat étranger.
C'eft par cette raiſon que Sa Sainteté , ſe regardant
à préfent comme n'ayant aucun interêt
OCTOBRE . 1750. 185
dans cette affaire , a réfolu de fe repofer des fuites
fur la Cour de Vienne & fur la République de Vénife
, qui font les deux Parties intéreffées .
DE VENISE , le 25 Août .
On continue de travailler avec une extrême diligence
aux armemens de mer , ordonnés par le
Sénat , & l'on compte que l'Efcadre qui s'équipe
ici , fera certainement en état de mettre à la voile
au commencement du mois prochain. On leve
auffi du monde dans les differentes Provinces de la
domination de la République , & le bruit qui s'étoit
répandu qu'elle prendroit à fon fervice quelques
Régimens étrangers , paroît être une choſe
décidée .
M. Innigo Carraccioli , Nonce du Pape , s'eft
retiré de cette Ville , conformément aux ordres du
Sénat ; mais en partant , il a déclaré qu'il croyoit
que l'on trouveroit bientôt moyen de concilier le
differend de la République avec Sa Sainteté ; &
qu'il n'iroit pas plus loin que Ferrare , pour être à
portée de revenir , dès que les chofes auroient pris
le train qu'il eſpéroit.
Le Chevalier Cappello , Ambaffadeur de cette
République , en partant de Rome , a voulu remet →
tre aux Cardinaux Miniftres une Proteftation contre
la décision du Pape au fujet du Patriarchas
d'Aquilée. Ces Miniftres le font excufés de la recevoir
, fous prétexte qu'elle feroit peut - être conçue
dans des termes qui pourroient mécontenter
le Pape & que S. S qui vouloit éviter tout ce qui
pourroit rendre l'accommodément de cette affaire
plus difficile, ne feroit plus maîtreffe de fuivre les
difpofitions naturelles à cet égard , quand elle ne
pourroit ignorer le contenu d'une Proteftation
dans laquelle elle craignoit de trouver des expref
186 MERCURE DE FRANCE.
frons contraires aux Droits du S. Siége , ainſi qu’I
fa propre Dignité. Ce refus n'empêchera pas que
cette Proteftation ne foit connue dans Rome , où
l'Ambaffadeur en a laiffé plufieurs exemplaires
entre les mains de differens Particuliers . La République
eft dans la ferme réfolution de ne point
abandonner la prétention au fujet de la Jurifdiction
du Patriarchat d'Aquilée , & l'on apprend de
Rome que le Pape eft , de fon côté , très réfolu de
foutenir la décision .
DE TURIN , le 29 Juillet.
Par un Acte folemnel , que le Comte de Sada ,
Amballadeur du Roi d'Elpagne , & le Chevalier
Oforio , Secretaire d'Etat au Département des
Affaires étrangeres , ont figné ces jours - ci , la
Province de Coni eft fpécialement affectée pour la
fireté de la Dot & du Douaire de l'Infante Dusheffe.
L
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 10 Août.
E Prince de Galles a confenti d'être Gouver
neur de la Compagnie qui s'eft chargée de la
Pêche du Harang. Cette Pêche réuffit très -bien .
Depuis les deux Barques qu'on a envoyées porter
du Harang , l'une à Hambourg & l'autre à Brème ,
on en a fait partir une troifiéme , chargée de 170
barils pour la premiere de ces deux Villes , & l'on
attend ici so autres barils .
Ces jours derniers on plaça dans la Tour une
très belle Statue équeftre du Roi Régnant , paimi
celles des Rois fes prédécefleurs.
Il eft venu depuis peu des Lettres de la Nouvelle
Yorck , du 28 Mai , lefquelles confirment que les
Espagnols continuent de faire des difpofitions pour
OCTOBRE. 1750. 187
aller ruiner Pétab'iffement Anglois de la Côte de
Mifqueto , & qu'ils y deftinent trois Vaifleaux de
guerre & quelques Armateurs , avec plufieurs autres
Bâtimens legers. Le Gouvernement avoit déja
Açú de pareilles Lettres ; mais il paroît perfuadé
que cet armement n'a pour objet que d'empêcher
les Navires Anglois d'aller trafiquer fur les Côtesdes
Indes Efpagnoles .
On fe plaint à Bofton dans la nouvelle Angleterre
, de la rareté des Eſpéces & de la décadence
entiere du Commerce.
Une Lettre de Nevis , du 20 de Juin , arrivée ces
jours ci , porte qu'en exécution des ordres du Roi
Elpagne pour empêcher fes Sujets d'Amérique
de faire aucun commerce avec les Etrangers , fix
Vaiffeaux Efpaynols & quelques autres Bâtimens
de la même Nation , s'étoient emparés dans les
Bayes de Honduras & de Campêche , de 25 Navires
Anglois & plufieurs Bâtimens François &
Hollandois
Actions, Banque , 134 , fept huitiémes , Indes ,.
184 ; Sud , 110 & demi ; Annuités , 105 , trois
huitiémies,
DE LIVOURNE , le 26 Juillet.
L'Empereur , par un nouveau Reglement pour
Ordre de Saint Etienne , oblige les Chevaliers
à faire à l'avenir des Caravanes fur les Vaiffeaux
de guerre fubftitués aux Galeres de ce Port . Pendant
leurs Caravanes ils auront la table des Capitaines
des Vaiffeaux qu'ils monteront , à compter
du jour de leur embarquement jufqu'à celui
de leur retour dans les Ports de Tofcane , & le
Tréfor du Grand Duché comptera aux Capitaines
ce qu'il faudra pour cette dépenfe extraordinaire..
Le même Reglement preferit aux Chevaliers des
188 MERCURE DE FRANCE.
quelle maniere ils doivent fe comporter durant
tout le tems de leurs Caravanes , & enjoint aux
Capitaines des Vaiffeaux de tenir un Journal exact
de la conduite des Chevaliers , pour en faire ,
leur retour , un fidéle rapport à l'Empereur , afin
qu'il foit en état de les récompenfer ou de les pu
nir , felon qu'ils l'auront mérité .
DE GENES , le 10 Août .
Il arriva le s , dans ce Port , un Navire Anglois
lequel , outre une grande quantité de marchandi
fes de prix , apportoit de Ĉadix so mille Piaſtres
effectives pour être remifes au Directeur de la
Pofte d'Espagne . On affûre que ce Directeur a
déja reçû d'Efpagne plus d'un million & deini de
Piaftres , dont on ignore abfolument la deſti
nation.
Le lendemain 6 , il y eut un ouragan qui caufa
beaucoup de dommage dans cette Ville & dans la
campagne des environs . Le tonnerre tomba dans
trois ou quatre endroits & tua quelques perfonnes.
蔬菜洗洗:洗洗洗業:潔洗洗洗:洗洗業業
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
IE.14 Août , pendant la Meffe du Roi ,M. de
Fumel , Evêque de Lodéve , prêta ferment de
fidélité entre les mains de Sa Majesté .
Le même jour , la Reine communia dans la Chapelle
du Château par les mains de l'Evêque de
Chartres , fon Premier Aumônier , & Madame la
Dauphine par les mains de l'Evêque de Bayeux ,fon
Premier Aumônier , dont elle entendit la Meffe
L
+
OCTOBRE. 1750. 189
Monfeigneur le Dauphin & Mefḍames de France
y communierent auffi par les mains de leurs Aumôniers
& Chapelains . L'après- midi , la Reine ace
compagnée de Monfeigneur le Dauphin & de Mef.
dames de France , affifta dans la même Chapelle
aux premieres Vêpres de la Fête de l'Affomption
de la SteVierge, auxquelles l'Abbé Gergois, Chapelain
ordinaire de la Chapelle de Mufique du Roi,
officia , & qui furent chantées par la Mufique.
Le 15 , Fête de l'Affomption , le Roi , la Reine ,
Monfeigneur le Dauphin & Mefdames de France
entendirent dans la Chapelle du Château , en bas ,
la grande Meffe , qui fut célebrée pontificalement
par l'Evêque d'Autun , & chantée par la Mufique,
L'après-midi , ils affifterent aux Vêpres chantées
par la Mufique , & à la Proceffion , qui fe fit dans
les Cours du Château. L'Abbé Gergois officia aux
Vêpres & à la Proceffion.
Le 30 Juillet , le Roi nomma M. Maigret de Serilly
à l'Intendance d'Alface , & M. Moreau de
Beaumont à celle du Comté de Bourgogne.
Le 11 Août , le Roi accompagne de plufieurs
Seigneurs de la Cour , partit à deux heures après
midi du Château de la Meute , pour aller chaffer
dans la plaine de Saint Denis . La Chaffe dura jufqu'à
fept heures du foir , que Sa Majefté , le trouvant
auprès de Saint Ouen , fe rendit chez le Prince
de Soubife , qui eut l'honneur de le recevoir à
la porte de fa Ma :fon , laquelle étoit fuperbement
illuminée. Il y eut un grand fouper. La table du
Roi étoit de 25 couverts. On fervit plufieurs autres
tables pour les perfonnes de la fuite de Sa Majefté.
On exécuta un Concert fur la riviere où l'on
ávoit fait une illumination , & l'on tira un feu
d'artifice dans l'Ifle vis à-vis Saint Ouen. Le Roi
repartit à deux heures & demie après minuit
pour aller coucher à la Meute. Cette fête fut våg
190 MERCURE DE FRANCE.
d'une très -grande quantité de monde , qui s'étoit
rendue chez le Duc de Gêvres , & dans les Maifans
voisines.
Le 15 , fête de l'Affomption de la Sainte Vier
ge , la Proceffion folemnelle de l'Eglife Métropo-
Titaine , qui le fait tous les ans à pareil jour , en
exécution du voeu de Louis XIII , fe fit avec les
cérémonies ordinaires. L'Archevêque de Paris y
officia , & le Parlement , la Chambre des Comptes,
la Cour des Aides & le Corps de Ville y affilterent
en la maniere accoûtumée .
Dans l'Affemblée tenue le 17. par le Corps de .
Ville , M. de Bernage fut continué dans la Place
de Prevôt des Marchan Is , & Mis Gaucherel , &
Bontemps , Notaire , furent élus Echevins . Le 20,
le Corps de Ville fe tendit à Verfailles , & le Duc
de Gêvres , Gouverneur de Paris , étant à la tête ,
il eut audience du Roi. Il fut préfenté par le Com
te d'Argenfon , Miniftre & Secretaire d'Etat , &
conduit par le Grand- Maître des Cérémonies . M.
de Bernage , continué dans la Place de Prevôt des
Marchands , & les deux nouveaux Echevins prêterent
entre les mains du Roi le ferment de fidélité ,
dont le Comte d'Argenfon fit la lecture , ainfi que
du Scrutin , qui fut préfenté à Sa Majesté par M.
Feydeau de Brou , Avocat du Roi au Châtelet de
Paris.
La Chambre d'Affrances générales de Paris a
déja établi fix Chambres particulieres en Province,
lefquelles font adminiftrées par des Directeurs né
gocians & intéreffés dans la Compagnie. Ces Di-,
recteurs font , à Marseille , Mrs Sibon , Secretaire
du Roi, & Etienne Sibon; à Bayonne , rs Julien la
Cofte & J. Cafaubon ; à la Rochelle , Mrs Rateau,
fils aîné & Paul Vivier ; à Rouen , Mrs P. Hermel
& Louvel, le jeune ; à Vannes , Mrs du Bordan, pere ,
Maire & Secretaire du Roi , du Bordan , fils &
"
1
OCTOBRE. 1750. 191
fcher ; à Saint Malo ,Mrs Louis Charles le Mercier
& Deflandes Daniel. Les autres Chambres
particulieres des Provinces feront inceffamment
établies. La Chambre d'Affûrances générales , qui
le tient actuellement dans la rue Aubri le Boucher,
doit fe tranfporter à la Saint Remi prochaine à
l'ancien Hôtel de Gêvres , rue de la Croix des petits
champs.
Le 20 , Actions , dix-huit cens cinquante- deux
& demi ; Billets de la premiere Loterie Royale ,
fept cens vingt ; Billets de la feconde , fix cens foixante-
deux.
Le 25 , Fête de S, Louis , Roi de France , dont
le Roi porte le nom , Sa Majefté , après avoir reçu
les complimens des Princes & Princeffes & Seigneurs
de la Cour , entendit dans la Chapelle du
Château la Meffe chantée par la Mufique.
Le-même jour , le Commandeur de la Cerda ,
Envoyé Extraordinaire du Roi de Portugal , eut en
long manteau de deuil , une audience particuliere
du Roi , dans laquelle il donna part à Sa Majefté
de la mort de Don Juan de Bragance , Roi de Portugal
, cinquiéme du nom. Il fut conduit à l'audience
par le Chevalier de Sainctor , Introducteur
des Ambaffadeurs.
Le 26, Madame la Dauphine commença le matin
à fentir des douleurs , & vers les fix heures du
Joir , elle accoucha heureufement d'une Princeffe,
qui fut ondoyée fur le champ par le Cardinal de
So ife , Grand Aumônier de France , en préfence
de leurs Majeftés , qui s'étoient rendues chez Madame
la Dauphine dans le moment qu'elle avoit
fenti des douleurs , & qui y font reftées jufquà ce
quelle ait été accouchée.
e Comte de la Galiffonniere , Chef d'Efcadre
de Armées Navales , & M. de Silhouette , Maître
& de: Requêtes de l'Hôtel du Roi , & Chancelier du,
14
1.92 MERCURE DE FRANCE.
Duc d'Orléans , Commiflaires de Sa Majesté pour
regler avec des Commiffaires Anglois les conteftations
relatives aux prifes faites à la Mer à l'occa
fion de la derniere guerre , & aux Poffeffions des
deux Nations en Amérique , furent préfentés à Sa
Majefté le 19 Aout par le Marquis de Payzieulx .
& Mrs de Shirley & Mildmay , Commiffaires du
Roi de la Grande- Bretagne , étant arrivés à Paris ,
les Conférences vont commencer inceffamment
entre eux.
Le 15 , Fête de Saint Louis , les Carmes du Grand
Convent , accompagnés du Corps de Ville , allelerent
, felon la coûtume , en Proceffion à la Chapelle
du Château des Tuilleries , où ces Religieux
chanterent la Meſſe .
L'Académie Françoife célebra le même jour la
Fête de Saint Louis dans la Chapelle du Louvre.
Pendant la Meffe , qui fut dite par l'Archevêque
de Sens , l'un des quarante de l'Académie , M. Rebel
, Sur- Intendant de la Mufique du Roi , fit executer
, avec l'intelligence & le goût qu'on lui connoît
, un Motet , compofé de quelques verfets des
Pleaumes XVIII & XXXII , mis en Mufique pat
Mrs Gilles & de la Lande. Il fut fuivi du Salvum
fac Regem , de la compofition de M. Rebel. Le Panégirique
du Saint fut enfuite prononcé par l'Abbe
de Boifmont , Chanoine de l'Eglife de Rouen ,
lequel , en s'attachant à ces paroles du Texte :
Spectaculum Mundo Angelis , peignit dans Saint
Louis , avec des traits de feu , de force & de génie,
Un Sage fur le Trône ,Spectacle pour le Monde ; un
Pénitent fous la Pourpre , Spectacle pour le Ciel.
L'Après- midi , l'Académie tint une Affemblée
publique , pour faire la lecture des Piéces jugées
dignes des Prix. Elle avoit propofé pour fujet du
Prix d'Eloquence , fondé par M. Balzac : Jusqu'à
quel point le fage doit avoir égard aux jugemens des
hommes,
OCTOBRE.
193 1750.
bommes , conformément à ces paroles de l'Epitre
aux Theffaloniciens , Ch . IV , V. 21 : Omnia probate
, quod bonum eft tenete. M. Chabaud , de l'Oratoire
, Membre des Académies de Villefranche
& de Pau , & Profeffeur de Réthorique à Boulogne-
fur Mer , a fait voir dans le Difcours couronné
, que le fage a égard aux jugemens des hommes ,
quand il le peut , & qu'il les méprife quand il le doit.
Le fujet du Prix de Poëfie , fondé par M. de Clermont-
Tonnerre , Evêque & Comte de Noyon ,
avoit été proposé dans ces termes : Les Lettres ont
autant contribué à la gloire de Louis XIV , qu'il avoit
contribué à leur progrès. Ce Prix a été réservé pour
l'année prochaine. Le Prix de Poëfie , fondé par
M. Gaudron , Secretaire du Roi , avoit pour ſujet :
Rien n'excite plus les talens que l'amour de la gloire.
L'Académie l'a décerné à une Ode du Chevalier
de Laurés , qui l'année paffée avoit remporté un
pareil Prix. Après qu'on eut achevé la lecture des
Piéces couronnées , M. Duclos fit part à l'Affemblée
d'un morceau de fa compofition , faifant par- .
tie d'un ouvrage plus étendu . Ce qu'il lut avoit
pour titre : Des hommes aimables , c'est - à- dire , felon
qu'il l'expliqua lui - même , de ces gens fi fort
à la mode , à qui les agrémens de leur converfation
font donner le titre d'aimables , quoique leur
méchanceté dût les faire détefter. L'Académicien
dans ce fragment , écrit de ce ftyle ingénieux , vif,
rapide & qui n'eft qu'à lui , développa des vérités
,dont il importe à la fociété que l'on foit
inftruit , & que les Auditeurs reçurent avec des
applaudiflemens , réitérés prefque à chaque phrafe.
M.de Marivaux termina la Séance par lire quelque
chofe de la fuite d'une Comparaison des grands
génies , dont il avoit lû le commencement dans
une autre Affemblée publique.
Les Académies Royales des Sciences & des Inf-
1
I
194 MERCURE DE FRANCE.
criptions & Belles- Lettres , célebrerent auffi la Fê
te de Saint Louis dans l'Eglife des Prêtres de l'Oratoire
. On chanta pendant la Meſſe le Pleaume
LXVIII , mis en Mufique par M. du Bouffet, Enfuite
l'Abbé Berthier de Sauvigny , Grand-Vicaire
de l'Evêché de Troyes , fit l'Eloge du Saint , &
montra , dans un Difcours très - Chrétien , Dien
exerçant fon empire fur Saint Louis , Saint Louis
étendant l'empire de Dieu fur fes Sujets .
Le foir du même jour , l'Académie Royale de
Mufique exécuta dans le Jardin des Tuilleries , le
Concert d'Inftrumens , qu'elle a coûtume d'y donner
tous les ans , à l'occafion de la Fête du Roi.
On a reçû de Lorraine le détail fuivant . Le 16
du mois de Juillet , un petit tuiffeau , qui n'a com
munément que deux pieds d'eau , & qui traverſe
la petite Ville de Sikes , pour aller , en fortant de
la Ville , fe jetter dans la Mofelle , crut en moins
d'une heure , jufqu'à 22 pieds au-deffus de fa
hauteur ordinaire. Cette inondation , dont on se
fe fouvient pas d'avoir jamais vû d'exemple dans
le Pays , fe répandit à droite & à gauche dans l'efpace
de 40 toifes , & fit un très grand ravage , Elle
entraina 33 maifons avec tout ce qu'elles renfer
moient , de maniere qu'il n'en reste aucun veftige,
Vingt-fept autres furent tellement endommagées ,
que n'étant pas poffible de les réparer , il fallut les
abatre . Comme cet accident arriva de jour , les
habitans de ces maifons eurent le tems , pour la
plûpart , de fe fauver. On compte environ vingt
perfonnes qui ont péri . Le Maréchal Duc de Belleİlle
, Gouverneur des Trois Evêchés , a pris des
mefures pleines de fagefle & de charité , pour foules
familles , que la perte de leurs maifons a
réduites dans le plus trifte état . Ces familles compofent
près de 400 perfonnes , auxquelles il ne
efte que l'habit qu'elles avoient fur elles , lorfque
ager
OCTOBRE.
1750.
195
ce défaftre eft arrivé. Quoique la Ville de Sirges
foit placée au-deffous de quelques montagnes ,
elle n'en a pas affez au- dellus d'elle , pour que
l'on puifle attribuer une inondation fi confidérable
& fi précipitée , à quelque écoulement d'eaux,
produit par des pluyes ordinaires. Des gens éclairés,
& qui fe font donnés la peine d'aller examiner
les lieux , mandent qu'il eft vraisemblable
que cet
accident ne peut être l'effet que d'un nuage trèsépais
, qui fe fondant tout à - coup à quelque diftan
ce au-deffus de Sirkes , aura fait en cet endroit à
peu près ce que les Trombes font fur mer.
On apprend de Dannemarck par une Lettre de
Friendenfbourg du 11 du mois d'Août , que le 6 ,
Sa Majesté Danoife s'étoit rendue dans l'Ile d'Ar
mace , pour y voir faire l'épreuve d'un Canon qui
doit tirer vingt coups par minute, Ce Prince accompagné
de fon Miniftre & du Grand Maréchal
de la Cour , entra dans une Loge de bois , que
l'Inventeur de la Machine avoit fait conftruire ,
pour y placer fon Canon , en faire leffai & cacher
fon fecret à la multitude des fpectateurs. Le premier
effai réuffit ; mais lorsqu'on voulut paſſei au
fecond , le feu, au lieu de prendre au Canon , pric
à la charge qu'on allait y mettre après ce coup ,
& le communiqua à deux barils de poudre & à
Cartouches qui étoient dans la Loge , & qui creverent
& fauterent en même tems Il y eut trois ou
quatre ouvriers tués ou bleffés. Les fpectateurs
qui virent de dehors le feu fortir avec impétuofité
dela Loge, fe perfuaderent qu'ils n'auroient jamais
le bonheur de revoir leur Roi. La crainte s'étant
bientôt convertie en fureur , ils étoient prêts à ſe
jetter fur l'Ingénieur pour le déchirer en pieces ,
lorfque le Roi parut. Il avoit les cheveux brûlés,
des impreffions de poudre fur le vifage & fur les
mains , & les habits percés en plufieurs endroits ,
I ij
196 MERCURE DE FRANCE .
fans avoir cependant aucune bleffure . Ce Prince ,
loin de paroître ému , s'employa même avec beaucoup
de fang froid à confoler l'Inventeur de la Machine
, & promit de lui marquer un jour pour voir
l'effai d'une autre Invention du même genre. Si
ce jeune Monarque a donné dans cette occafion
périlleufe une grande preuve de fa fermeté , il en
a fur le champ été récompenſé par la vive expreffon
de l'amour & de l'admiration de fes fidéles
Sujets.
Le 27 , Actions , dix huit cens cinquante ; Billets
de la premiere Loterie Royale , fept cens
vingt ; Billets de la feconde , fix cens foixante - un .
Madame la Dauphine étant heureuſement accouchée
d'une Princeffe , le 26 Août à fix heures
& un quart du foir , le Roi dépêcha fur le champ
M. Dufour, l'un de fes Geniilshommes ordinaires,
pour aller à Lunéville en porter la nouvelle au Roi
de Pologne , Duc de Lorraine & de Bar.
Le 27 , pendant la Meffe du Roi , la Mufique de
la Chapelle , en actions de graces de l'accouchement
de Madame la Dauphine , exécuta en préfence
de Leurs Majeftés & de toute la Famille Royale,
le Te Deum , de la compofition de M. de Blâmont,
Sur -Intendant & Maître de la Mufique de la
Chambre.
Madame la Dauphine & la Princeffe nouvellement
née fe portent auffi bien qu'on le peut defirer
La Reine alla le 29 , à l'Abbaye des Dames de
Saint Cyr. Le P de la Neuville , Jéfuite , y prêcha
devant Sa Majefté , & l'Evêque de Chartres officia
au Salut .
Le lendemain 30 , le Roi prit le deuil pour trois
femaines , à l'occafion de la mort du Roi de Portugal.
Le premier Septembre , le Comte d'Albemarle ,
Amballadeur Extraordinaire & Plénipotentiaire du
3 .
OCTOBRE . 197 1750.
5
24
Roi d'Angleterre , eut une audience particuliere
da Roi , à laquelle il fut conduit par le Chevalier
de Sainctot , Introducteur des Ambaffadeurs.
Le 26 Août , les Prevôt des Marchands & Echevins
, qui s'étoient rendus à l'Hôtel de Ville fur le
premier avis qu'ils avoient eu que Madame la
Dauphine avoit fenti quelques douleurs , reçurent
la nouvelle de fon heureux accouchement , & de
la naiffance d'une Princeffe , par M. de la Cour des
Bois , Exempt des Gardes du Corps , que le Roi
avoit envoyé pour en faire part au Corps de Ville.
Il arriva à l'Hôtel de Ville fur les fept heures &
demie du foir. Les Prevôt des Marchands & Echevins
firent annoncer cette nouvelle par le bruit dur
canon , & le foir il y eut dans la Place un feu de
bois. Le Roi ayant voulu rendre à Dieu de folemnelles
actions de graces de l'heureux accouchement
de Madame la Dauphine , & de la naiffance
Pune Princefle , & l'Archevêque de Paris ayant
reçû les ordres du Roi à ce fujet , on chanta le 30
dans l'Eglife Métropolitaine de cette Ville un To
Deum folemnel . L'Archevêque de Paris officia
pontificalement à cette Cérémonie , à laquelle le
Clergé , le Parlement , la Chambre des Comptes ,
la Cour des Aides & le Corps de Ville , qui y
avoient été invités de la part du Roi , fe trouverent
en Robes de cérémonie , & à leurs places ordinaires.
Le Te Deum fut chanté au bruit du canon de
la Ville & de la Baftille . Le foir , on tira un trèsbeau
feu d'artifice devant l'Hôtel de Ville , après
lequel toute la face de ce Bâtiment fut magnifiquement
illuminée par trois filets de Luftres & de
Lanternes , par des Chiffres & des Lires tracées en
lumiere , & par un grand Tranfparent , reprélentant
les Armes du Roi. Avant le feu d'artifice , les
Prevôt des Marchands & Echevins avoient fait
diftribuer quantité de pain & de viande au peuple,
I j
198 MERCURE DE FRANCE.
& fait couler du vin par quatre fontaines décorées
placées dans une des parties de la Place deſtinée à
cet effet. Ces fontaines étoient éclairées par des
Ifs , pofés fur des piédeftaux , & portant chacun
une grande quantité de lumieres. On avoit placé
entre les fontaines de vin deux Orqueftres , auffi
décorés , remplis de Joueurs d'Inftrumens . L'Hôtel
du Duc de Gêvres , Gouverneur de Paris , fut
illuminé le foir avec magnificence . Il y eut pareillement
une très - belle illumination chez M. de
Bernage ,Prevôt des Marchands, & chez l'un & l'autre
on fit couler des fontaines de vin , & l'on fit au
peuple une très ample diftribution de pain & de
viande. Les Echevins & les principaux Officiers
de la Ville en firent auffi diftribuer ; ils illuminerent
leurs Maifons , & dans tous ces endroits il y
avoit des Orqueftres remplis de Joueurs d'Inftrumens
. Le jour avoit commencé par une falve
des Boetes d'Artillerie & des canons de la Ville ,
qui fut épetée pendant le Te Deum & avant le feu
d'artifice. Il y eut le même foir , par toute la Vil
le des illuminations & d'autres marques de réjouiflance
.
Le premier Septembre , on célebra dans l'Eglife de
l'Abbaye Royale de S. Denis, en la maniere accou
tumée ,le Service folemnel,qui s'y fait tous les ans,
pour le repos de l'ame du feu Roi Louis XIV . M.
d'Avrincourt, Evêque de Perpignan , y officia pontificalement
.Le Prince de Dombes, le Comte d'Eu , le
Duc de Penthiévre , le Maréchal Duc de Noailles ,
& l'Abbé de Pomponne , Chancelier des Ordres
du Roi , y affifterent.
On apprend de Bruxelles que le Prince Charles de
Lorraine y étoit arrivé de Vienne le 23 Août fur
les huit heures du foir.
Du 3 Septembre. Actions , dix -huit cens cinquan
te-fept & demi ; Billets de la premiere Loterie
OCTOBRE. 1750. 199
Royale , fept cens vingt - un ; Billets de la feconde
fix cens foixante- un .
Le 6 Septembre au foir , le Roi partit de Verfailles
pour Choify. Il en revint le 9 au foir , avec
Meldames de France , qui y étoient allées le 8 .
Le même jour 6 , en conféquence d'un Mande
ment de l'Archevêque de Paris , on chanta dans
l'Eglife de la Paroifle de Notre - Dame le Te
Deum en actions de graces de l'heureux accouche
ment de Madame la Dauphine. Le Comte de
Noailles , Gouverneur de Verſailles , y affitta. Les
Invalides firent , pendant qu'on le chantoit , trois
décharges de moufqueterie , & le foir il y eut dans
toute la Ville des feux & des illuminations.
Le 3 , les Officiers de la Chambre de Madame la
Dauphine avoient fait chanter dans la même Eglife
, le Te Deum , auquel Monfeigneur le Dauphin
& Meldames de France avoient affifté . Les les
Officiers de la Bouche , du Gobelet & de la Fouriete
en avoient fait de même dans l'Eglife des Récolets.
L'Evêque de Bayeux , Premier Aumônier
de Madame la Dauphine , y avoit officie , ainfi
qu'au Salut, & la Reine , Monfeigneur le Dauphin
& plufieurs Seigneurs & Dames de la Cour y
avoient affifté.
Le Chapitre de Saint Maur des - Foffés- lez - Paris ,
ayant été réuni à celui de Saint Louis du Louvre
de cette Ville , l'Archevêque de Paris a difpofé des
Reliques de Saint Maur , Diſciple de Saint Benoît ,
& Fondateur de fon Ordre en France , en faveur
de D. René Lanneau , Général de la Congrégation
de Saint Maur , & le Dimanche 30 Août , on transféra
ces Reliques de la Chapelle de l'Archevêché
en l'Eglife de l'Abbaye Royale de S. Germain des
Prés , avec l'éclat & la dignité qu'exigeoit cette
*
Cérémonie.
Da 20 Septemble , Actions , dix - huit cens cin-
I in
200 MERCURE DEFRANCL
J
quante-deux & demi ; les Billets de la premiere
Loterie Royale , fept cens vingt , de la feconde ,
fix cens foixante-un.

LETTRE
A l'Auteur du Mercure.
E ne doute point , Monfieur , que vous n'ayez
pris quelque
me font furvenues depuis un an , fi le bruit en eft
venu jufqu'à vous. J'en épargnois le récit à votre
fenfibilité , mais je ne vous tairai pas une étrange
aventure qui m'arrive en ce moment , plus fingaliere
que toutes ces difgraces encore, & telle que je
m'en reffentirai le refte de ma vie . Ce que j'y trou
ve de piquant , c'est que je ne fçais ni à qui m'en
prendre , ni par où, ni comment je me la fuis attirée.
Ecoutez .
Je reçus dernierement un billet anonime , par
lequel on me prioit de me trouver un tel jour , à
telle heure , en telle rue , chez M. un tel ( que je
n'avois nullement l'honneur de connoître ,) &
qu'il me diroit de quoi il étoit queftion .
J'y fus tout bonnement au jour marqué , non
fans quelque petite émotion affez naturelle à l'approche
des dénoûmens de ces fortes d'affignations
miftérieufes . Voici en effet un coup de théatre
frappant, & qui aflûrément n'eft pas fi rebattu que
les nôtres .
Ce M. un tel étoit un Notaire , très- honnête hom
me & fort poli , qui tout en me voyant me préfen
ta la plume pour figner un Contrat de rente viagere
de 600 liv.conftituée à mon profit , fans que j'euffe
déboursé le premier fo ! du principal , & me remis.
un rouleau de 25 louis pour la premiere année
OCTOBRE. 1750. 201
1
Vous concevez bien le déluge de queſtions où le
devoient répandre ma ſurpriſe & ma reconnoiffan
ce ; point de nouvelles. L'homme public avoit fait
fa charge ; le filence étoit un article de les inftructions
; fon rôle eſt achevé , le mien commence , &
le mien eft de découvrir le noble Auteur de la piéce,
ou de mourir à la peine.
Ce n'eſt pas ici matiere à Monitoire , & c'en devroit
pourtant bien être une , ce me femble. La
Chaire n'eft- elle faite que pour y publier les actions
des malfaiteurs & la publication de celle - ci
n'édifieroit-elle pas bien autant qu'un bon Prône ?
Je vous le demande. Mais puifque ce n'eft pas l'u
fage, faites- moi un plaifir , Monfieur , aidez- moi
dans l'envie que j'ai de fçavoir à qui adrefler directement
des remercimens fi bien dûs ; faites voir
cette Lettre à un Perfonnage de votre connoiffan
ce , dont vous êtes bien voulu , qui eft fort répandu
dans le monde , qui veut tout fçavoir , qui à la
fin fçait tout & qui dit enfin tout ce qu'il fçait &
par de là. Il jafera , il fera jafer , & de la quelqu'un
viendra peut- être à révélation . Ce Perfonnage
eft le Public. Je fais très- particulierement &
avec toute l'estime & la confidération poffible ,
Monfieur , voire , & c.
Piron.
On ne m'en dédira pas ,
De Dieu c'eft être ici bas
Une image bien fenfible ,
Qu'être , de gaîté de coeur ,
Non-feulement bienfaiteur,
Mais bienfaiteur inviſible.
A Paris , le 15 Septembre 1750
IV
202 MERCURE DE FRANCE:
V
LETTRE
Du Sieur Thillaïe , Pompier de Rouen.
Ous avez annoncé , Monfieur , dans votre
Mercure du mois de Mars 1748 , que plufieurs
Certificats donnés en ma faveur , & entre
autres celui de Meffieurs de l'Académie des Sciences
de Paris , avoient déterminé le Roi à m'accorder
un Brevet en datte du 22 Juillet 1747 , par le
quel Sa Majesté me permet de faire vendre & débi
ter mes Pompes dans Paris , & dans toutes les autres
Villes du Royaume , avec défenſes de me troubler
dans ce commerce, fous quelque prétexte que
ce foit.
En conféquence de ce Brevet , j'ai fait afficher
mes Pompes à Paris au mois de Juin 1749 , & j'ai
prévenu le Public qu'elles avoient cinq avantages
confidérables.
Premierement , mes Pompes font toutes de cuivre
,& ne font fujettes à aucun relâchement ; j'en
fais de differentes grandeurs , & dont le produit
va par heure , depuis fix muids d'eau juſqu'à foixante
; deux hommes font agir celles qui donnent
depuis quatorze muids d'eau jufqu'à vingt- quatre ,
& quatre hommes fuffifent pour faire jouer celles
qui fourniffent , depuis le nombre de vingt quatre
muids jufqu'à celui de quarante. Un feul
homme peut tranfporter celles qui font au-deffous
de dix muids. La plus petite éleve l'eau du rèsde
chauffée à quarante pieds , & cela cont nuëment
& fans interruption , & quoiqu'elle ne foit
compofée que d'un feul corps de pompe , elle fuffir
pour arrêter un incendie qui n'a pas encore fait
de grands progrès les autres qui font d'un plu s
OCTOBRE , 1750. 203
grand produit , portent l'eau depuis cinquante
jufqu'à foixante - dix pieds de haur
En fecond lieu , mes pompes par la forme que
je donne à leur genouil , procurent la facilité de
diriger le jet de l'eau haut & bas , à droite & à
gauche , & de fe paffer en cas de befoin de boyaux
de cuir que l'on n'a pas toujours fous fa main ,
qui peuvent crêver , & qui rendent toujours les
autres pompes inutiles , lorfqu'ils viennent à leur
manquer.
Troifiémement , mes piftons font de cuivre &
enveloppés de cuir , de façon que s'ils deviennent
trop libres , on peut les enflier.
Quatrièmement , les fouspapes , les vis , &
généralement les piéces qui raccordent toute la
machine , font faites avec tant de foin & d'exace
titude , que l'air le plus comprimé n'y peut trou→
ver aucun paffage.
Cinquièmement , mes pompes font conftruites
f folidement que leur durée eft fans fin ; elles
peuvent devenir un meuble de famille qui paffe
des peres aux enfans ; elles ne font fufceptibles
d'aucuns frais d'entretien ; on les trouve toujours
en état de fervir , quand même on auroit été vinge
ans fans y toucher , & la perfonne la moins inf
troite peut le mettre au fait de démonter & remonter
celles dont il s'agit , en moins d'une demie
heure .
Tout ce que j'avance à ce ſujet n'eft pas une
vaine annonce , car je garantis mes ouvrages ; je
me fuis engagé par mon affiche à faire , quand j'en
ferai requis , mes expériences & mes démonftrations
publiquement , & en préfence des perfonnes
Jes plus expérimentées dans l'Art .
Je viens encore de donner depuis peu un fiziéme
avantage à plufieurs de mes pompes , que j'ai Hvrées
à Meffieurs de la Compagnie des Indes &
I vj
204 MERCURE DEFRANCE.
à la Foire de Guibray , qui confifte à les garantit
d'engorgement , défaut capital auquel les pompes
publiques font plus fujettes que les autres , & auquel
il eft important de remédier.
L'accueil que le Public fait à mes pompes , &
l'empreffement avec lequel plufieurs Seigneurs de
la Cour , & les Perfonnes conftituées en dignité
recherchent mes ouvrages , me donnent lieu de
penfer que j'ai atteint un degré de perfection ,
d'où je me promets de ne point fortir, à moins que
ce ne foit pour m'élever davantage par la fuite
d'expériences , & d'obfervations que j'ajoute les
unes aux autres , dans la vûe de faire encore , s'il
m'eft poffible , de nouveaux progrès .
Il doit m'être permis de prendre tous mes avan
tages , puifque mon fuccès a un rapport effentiel
avec l'intérêt public ; Meffieurs de l'Académie des
Sciences m'ont fait l'honneur d'affilter à mes expériences
, & je n'ai pas manqué de me munir d'un
Certificat dont je connois tout le prix , & qui doit
encore me fervir d'une bonne garantie auprès du
Public , entr'autres le Certificat de M. Belidor ,
Auteur très- célébre fur la matiere des pompes, qui
a augmenté de moitié le produit de la machine
hydraulique du Pont Notre-Dame de Paris , qui
fournit l'eau aux Fontaines publiques , fans rien
changer aux forces motrices , ce qui ſeul annonce
jufqu'où il porte la vue dans tout le reſte.
J'ai encore pardevers moi un fuffrage que je ne
laifferai pas tomber , c'eft celui de M. Berryer ,
Lieutenant Général de Police ; ce Magiftrat toujours
attentif au bien public , voulut voir l'effet de
mes pompes à fon Hôtel , & peu de jours après
il en fit faire une épreuve à un incendie qu'il y
avoit près Saint Roch ; il put juger avec tout le
Public , de la difference qu'il y eut du fervice de
mes pompes qu'on alla chercher chez les RR .
OCTOBRE.
1750. 205
PP. Feuillans , d'avec le fervice de celles qu'on'
employoit ordinairement,
Cependant ces fuccès m'ont exposé aux traits
de l'envie ,fans me mettre à couvert de ceux de la
critique , cette réflexion me conduit naturellement
à ce qui fait l'objet de ma Lettre.
J'apprends de Paris que le Sieur Hoden vient
de faire débiter des imprimés dans le public , par
lefquels il annonce qu'il a été reçu d'une voix
unanime Directeur Général des pompes de Rouen
dans le concours ordonné par Meffieurs les Maire
& Echevins , après l'expérience faite le 4 Décembre
1748 & le 29 Janvier 1749 ; je ne puis pas me
difpenfer de le relever fur ce fait ; s'il fe fût contenté
de s'annoncer pour Directeur des pompes de
Rouen , qu'il ne m'eût pas agacé , & que cela ne
tendît pas à la fois à démentir & à tromper le Pu
blic, je le laifferois jouir de fa faufle gloire , maisil
ne s'agit pas feulement ici de ma défenſe per--
fonnelle , l'intérêt public fe trouve lié avec le
mien , le Sieur Hoden peut être un très - habile
homme dans la fpéculation, avoir même mérité par
là quelque faveur , lorfqu'on a eu à difpofer de la
place de Directeur des pompes de Rouen , mais
il y a beaucoup de circonftances qui diminuent le
mérite de fon triomphe , & dont il importe que
le Public foit informé,
La place de Directeur des pompes de Rouen ,
s'étant trouvée vacante par la mort du Sieur Lerat,
beaucoup de perfonnes penfoient que cette place
devoit tomber de droit à fon neveu , attendu cette
qualité de parent , & en confidération de ce qu'il
avoit exercé long tems les fonctions de Pompier
du vivant de fon oncle ; Meffieurs de Ville inclinoient
à ce parti , mais ils furent engagés à mettre
cette place en concours. La carriere étant ou
verte , je m'y préfentai fur la foi de la promeffe
qui avoit été faite , de donner la place à celui des
266 MERCURE DE FRANCE.
ouvriers qui réuffiroit le mieux dans le concours ,
& qui feroit la meilleure pompe. Nous cúmes
cinq mois mes concurrens & moi , pour faire
chacun notre pompe. M. l'Intendant , & Mefheurs
de Ville , nous firent venir à leur Audience
le 21 Novembre 1748 , pour fçavoir fi nous
ferions en état de faire l'expérience de nos pompes
le 25 du même mois , nous nous y engageâmes
tous ; comme j'avois travaillé par principes, & d'après
les grands Maîtres , je fis imprimer un Mémoire
, où je m'attachai à établir les régles de mon
Art , c'étoit faire connoître à quel degré j'avois
porté mes connoiffances , & me toumettre en mê
me tems au jugement du Public , à qui j'offroistrois
manieres de me juger , l'une par ma pompe
même , l'autre par mon Mémoire , & la troifiéme
par la comparaifon que je fentois bien qu'il pouvoit
faire de la conſtruction de ma pompe avec les
·principes que j'avois établis . J'ai répandu mes Mémoires
dans le moment même où ils font fortis de
deffous la preffe.
J'en ai fait préfenter à Meffieurs de l'Académie
de Paris, à qui je dois mon premier effor , & à qui
je ne fçaurois penfer fans
que mon émulation fe
reveilie , j'en fis tenir un à M. Bélidor , qui étoit
pour lors à Nice , & qui honora cet écrit de fon
Certificat d'approbation . Suivant les loix du concours
, le jour des expériences n'auroit pas dû être
differé , cependant le Sieur Hoden n'eut pas plu
tôt vú mon Mémoire qu'il follicita un délai pour
avoir le tems de travailler à la pompe : on ne
comptoit apparemment que fur lui , & toute la
fête ne fe faifoit qu'à fon intention , puiſque lui ,
qui devoit être déchû de tout droit au concours
pour ne s'être pas trouvé prêt au tems marqué ,
obtint le délai qu'il demandoit.
Les conféquences de cette grace étoient faciles
à appercevoir , il n'étoit ni expéditif ni heureux
OCTOBRE. 1750. 207
dans l'entreprise de fa pompe , & on lui donnoit
le tems de fe rectifier. Je le fommai par Acte du
26 Novembre controllé le 27 : » De dépofer dans
le jour la pompe au Greffe de l'Hôtel de Ville
» à mes obéiflances d'y faire pofter la mienne , &
» en requerant que les poinpes fuflent cachettées
des cachets des concurrens , & reftaffent à ce lieu
» de dépôt , jufqu'au moment où les Juges vou
droient prononcer fur le degré de leurs bontés ,
& je concluois, que fi le Sieur Hoden ne vouloit
» point fatisfaire à ma fommation , i! feroit conftaté:
qu'il ne reculoit que pour avoir le tems de faire
»réformer fa pompe.
I fe garda bien d'obéir à cette fommation , il
profita du tems pour rajufter fa pompe , & illa
préfenta le 4 Décembre fuivant ; malgré toutes les
facilités qu'on lui avoit données il échoua à l'expérience
, & la mienne eut les fuffrages du Public,
qui m'a toujours été fidéle depuis , & à qui en revanche
j'ai confacré mes veilles.
Le Sieur Hoden , à qui on ne pouvoit pas en
core accorder la place , obtint un fecond délai pour
avoir le tems de faire une autre pompe ; je regardai
cette nouvelle grace qu'on lui faifoit comme une
contravention aux loix du concours , je ne me
ferois pas compromis dans ce concours , quoiqu'avec
des gens qui pouvoient m'être fupérieurs
par l'état ,fi j'avois pu imaginer que des confidérations
étrangeres à la pompe, duffent influer fur
la décifion d'une préference , qui ne devoit être
accordée qu'à la meilleure pompe préſentée dans
le premier délai fatal.
Ainfi je me retirat du concours pour n'être pas
compromis davantage , parce que le talent ne
doit pas l'être. Je fignifiai le 11 Janvier 1749 ma
déclaration , bien controllée , aux Sieurs Hoden &
Brunet , & au Greffe de l'Hôtel- de- Ville , por
108 MERCURE DE FRANCE.
95
ךָ כ
gant Que je n'étois entré dans la carriere de
Concours que parce qu'on l'avoit ouverte à
» d'autres perfonnes , & qu'on m'avoit paru difpofé
à m'y recevoir ; que je m'étois trouvé prêt
au tems fixé pour les expériences ; que fi le ter-
» me marqué pour les faire avoit été reculé , ce
n'avoit été qu'à mon préjudice , & en faveur du
» Sieur Hoden ; que depuis ce.tems je n'avois pas
retouché à mon ouvrage ; qu'en donnant de
bonne heure un Mémoire imprimé , je m'étois
mis totalement à découvert , que par - là j'avois
» fourni à mes concurrens le moyen de le rectifier
fur moi ; que malgré la prorogation du terme
ils n'avoient pas brillé à l'expérience ; qu'on
» leur donnoit encore un nouveau délai qui tournoit
contre moi ; que j'étois certain d'avoir la
»voix du public , que c'étoit à lui à me démentir,
s'il n'étoit pas vrai que ma pompe fût fupérieure
à celles de mes deux concurrens , que je confen
tois à perdre la place avec le tems qu'il m'en
» avoit coûté pour faire ma pompe , mais que je
vonlois qu'il fût conftaté que la bonté de l'ou-
» vrage ceffoit d'être le motif déterminant du ju
gement qui alloit être rendu , & la preuve de ma
fupériorité , je la tirois d'une propofition que je
faifois à la face du public , propofition qui confiftoit
en ce que je demandois , que Meffieurs de
Ville euffent la bonté de faire paffer les trois
pompes fous les yeux de Meffieurs de l'Acadé
mie des Sciences de Paris ; j'offrois de me charger
des frais du tranſport & des démarches néceffaires
, pour engager cette Académie à examiner
les trois pompes , & à prononcer fur le
mérite de chacune d'elles , à ce prix je ferois
rentré dans le concours , finon je perfiftois dans
5
80
02
ma retraite.
Comment le Sieur Hoden après cela ,fe hazarOCTOBRE.
1750 209
de-til à donner un avis imprimé au Public , dans
lequel il fe prodigue lui - même un encens qui ne
lui eft pas dû , après avoir bien dit des chofes telles
qu'elles, & qu'il aura de la peine à faire paffer : I1
veut , dit- il, inftruire le Public de tout, afin qu'à
l'avenir perfonne ne puiffe fe prévaloir de ſes
» découvertes comme a fait un de fes concurrens ,
»lequel , après s'être fait annoncer dans plufieurs
Gazettes & Journaux , comme conftructeur des
pompes bien fupérieures à toutes les précédentes
, a cependant été obligé de céder après l'expérience
du 4 Décembre 1748 , & n'a pas cru
devoir s'expofer au concours décifif du 29 Jan-
» vier 1749 , qu'il avoit lui-même follicité , pour
avoir le tems de rectifier la pompe.
-Eft-ce donc pour le faire accufer de faufleté que
le Sieur Hoden foutient des chofes qui font détruites
d'avance , par la fommation que je lui ar
fait faire le 29 Novembre 1748 , & par ma décla
ration du mois de Janvier 1749 Ces piéces aufquelles
j'ai donné une datte certaine par la fignifi-
Cation & par le controlle , fervent à prouver que
c'eft le Sieur Hoden lui-même qui a follicité fucceffivement
plufieurs délais pour avoir le tems de
fe rectifier. Je ne parle que d'après des preuves
certaines. Le Public eft inftruit de tout , & j'at
tous les jours lieu de m'appercevoir à mon avan→
tage , qu'on gagne bien mieux la confiance du
Public en lui donnant de bons ouvrages , qu'en luf
faifant de faufles annonces.
Je ne me borne pas à dire au Public , mes pom
pes font excellentes , mais je le prends pour Juge
de la qualité de mes ouvrages , c'eft dans le centre
même de Paris que je les lui expofe , & j'offre fur
la matiere tous les éclairciffemens qu'on voudra
ex ger de moi .
Le Sieur Hoden a voulu arrêter le cours de ma
réputation , & jetter les fondemens de la fienne,
210 MERCURE DE FRANCE.
55
>>
Quel moyen croyez - vous qu'il ait imaginé pour
cela ? Il s'eft muni d'un Certificat de quatre Académiciens
de Rouen ; çes Meffieurs n'ont pas parlé
au nom de l'Académie , il auroit fallu pour c
effet prendre d'autres précautions que celles qu'ils
ont prifes ; c'eft un petit fervice d'ami qu'ils n'ont
pas pú refufer au Si Hoden ; il faut les entendre ,
je ne fçais pas ce que le Public en penfera , ils
m'ont voulu critiquer , & ils ne m'ont point éclaité
Nous fouffignés , Membres de l'Académie
Royale des Sciences de Rouen , fur l'invitation
qui nous a été faite par le Sieur Hoden , Conf-
» tructeur de pompes , d'être préfens à des expériences
fur cette matiere , nous fommes
tranfportés chez lui , où nous avons vu une petite
» pompe à incendie conftruite par le Sieur Thi
laïe , donner en quatre minutes près d'un den i
muid d'eau , avec un ajuftage de deux jignes
deux tiers , & après que le Sieur Hoden eut fait
à cette même pompe les changemens & les additions
de fon invention , nous lui avons vû donner
en tems égal le double d'eau par un ajustage
de trois lignes & demie , & poiter cette eau
» quelques pieds plus haut qu'elle n'avoit fait dans
la premiere expérience , l'un & l'autre effai
ayant été fait ailément par un feul homme appli
qué à la manivellede lamachine , mais avec quelque
avantage de la part du mouvement du Sieur
Hoden ,eu égard à fa fimplicité . On ne voit pas
ce que ces Meffieurs veulent dire ; prétendent ils
que c'étoit cette fimplicité qui le faifoit réuflir ? Il
n'y a là rien de nouveau . Qui eft - ce qui en a jamais
douté ? Et puifque j'employe ordinairement un
mavement fimple pour avoir de la vîteffe , il faut
croire que c'étoit dans une autre vûë que j'avois
eu recours à un mouvement d'un autre genre
Pour nous affûrer , ajoutent-ils , fi la fupénorité
du produit promife par le Sieur Hoden ne po
OCTOBRE. 1750. 211
2
viendroit pas de fon mouvement , nous avons eu
la précaution de faire adapter le mouvement du
» Sieur Hoden à la pompe non rectifiée ; elle
» nous avoit donné le même produit qu'avec le
"
rouage du Sieur Thillaïe , d'où il réfultoit que
»le double produit rapporté ci deffus , dépendoir
uniquement des additions & corrections faites
par le Sieur Hoden , à cette pompe combinée
avec le diamètre de fon ajuftage . Belle merveille !
un mouvement fimple avec une roue de volée ,
n'a t'il pas plus de vieffe qu'un mouvement com
pofé Le produit d'une puiffance n'eft il pas tou
jours égal à la viteffe ? Le tron d'ajuftage étant
pius grand , il s'y trouve moins de réfiftance , &
dès lors la viteffe eft plus grande ; ce raiſonne
ment eft conféquent à ce principe général établi en
méchanique , qui eft que le produit d'une puissance
par fa vit ffe eft toujours égal au produit du poids par
fa viteffe. Avancer comme fait le Sieur Hoden
ou comme ceux qui ont la bonté de l'attefter fur
fa parole , que fa pompe donne un plus grand produit
d'eau qu une autre , c'eft comme fi l'on di
foit , qu'il a er uvé le moyen de faire tenir plus
d'eau dans un vafe quelconque , qu'il n'y en peut
naturellement tenir. Le Certificat de Meffieurs les
quatre Membres de l'Académie de Rouen ne donne
point d'idée affez nette ; on ne fait s'ils ont
voulu attacher le métite du mouvement du Steur
Hoden à la fimplicité de ce mouvement , ou aux
changemens qu'il a faits à ma pompe . Suivons le
Certificat : Le Sieur Hoden nous ayant enfuite
exposé l'intérieur de cette pompe , & les addi-
>>tions & corrections qu'il y avoit faires , nous
» avons trouvé dans leur méchanifme les princi
pales caufes du produit fupérieur donné par cet
inftrument dans la derniere expérience , mécha
» niſme qui nous a paru ajouter à la conſtruction
"
212 MERCURE DE FRANCE.
» des pompes, des perfections très précieufes & trèsdignes
de nos éloges . A Rouen , ce 30 Septem
bre 1748. Signé , Guerin , Secretaire pour les
DoSciences ; Boiftard de Premagny , Secretaire , G.-
Delaroche , le Cat , anciens Directeurs.
Eft ce la charité qui a engagé ces Meffieurs à
prononcer ainfi fans motiver leur décision , & fans
faire connoître les défauts de ma pompe ? N'étoitil
pas de leur devoir de donner un Certificat raifonné
Le Public à qui ils vouloient donner le ton,
méritoit bien qu'ils priffent cette peine , & puifque
leur objet étoit de le prévenir en faveur du Sieur
Hoden , ils étoient dans l'obligation de donner
les raifons de leur prédilection . Le mouvement de
cette pompe , que j'ai confti uit dans un autre goût
que celui de mes pompes ordinaires , & que ces
Meffieurs prétendent que le Sr Hoden a rectifiée ,
ce mouvement , dis -je, eft un rouage dans lequel la
force du levier étoit multipliée , mouvement que
' avois fait en petit pour en reconnoître l'effet , &
feulement par effai , & que j'ai depuis exécuté en
grand chez les PP. Recolets de Rouen , fur un
puits qui a quatre- vingt-dix pieds de profondeur ,
dont la pompe produit par heure huit à neuf maids
d'eau , & qu'un feul homme fait agir d'une main,
quoiqu'il y ait un poids confidérable à furmonter
; c'eft fur cette pompe que le Sieur Hoden autoit
dû travailler pour y déployer ce grand talent
qu'il croit que le Ciel lui a départi , mais com
ment auroit-il ofé faire cette tentative , puifqu'il
avoit déja échoué à ce puits ? Les Religieux Res
collets avoient fait marché avec lui pour y faire
une pompe , il la fit , il paffa un an entier à enfan
ter cet ouvrage , & au bout de l'an le réſultat de
toutes les peines & de fes réflexions , fut de gar
der cette pompe pour fon compte , il l'a vendue
aux PP. Benedictins de Saint Georges , à une lieuo
OCTOBRE . 1750. 215
de Rouen , je lui en ai reproché le défaut ; aprè
avoir rapporté tous les Certificats qu'on a voulu
lui donner dans un Mémoire qui ne contient que
ces Certificats pour toute fubftance , il n'auroit pas
du négliger d'en rapporter un des PP . Benedictins
, pour fe juftifier fur le peu de produit de cette
pompe , qui vient felon moi , de fon défaut de
principes.
Heureuſement ce ne feront point les annonces
qui décideront de la préference qu'il confeille au
Public de lui donner fur moi . Il varie lui-même
dans fes promeffes ; dans un Journal de 1741 , il
difoit qu'une pompe à main de fa façon , produi
foit huit muids d'eau & plus , par heure ; aujour
d'hui par les enfeignes publiques , il ne promet
plus que quatre muids & demi par heure , il s'étoit
donc trop avancé en 1741 , ou il est bien déchú
depuis.
Il étoit fi fier de fe trouver prefque feul fur le
champ de bataille, lorfque j'eus fait la retraite dont
je vous ai parlé , que dans un Mémoire qu'il préfenta
à Mrs les Maire & Echevins de Rouen , il
faifoit une parade perpétuelle de fes talens & de
fes prétendus fuccès ; il prétendoit m'avoir fourni
mes bonnes idées & avoir rectifié mes pompes,
Dois-je être furpris d'éprouver un pareil procede de
la part d'un homme dont je n'examine point la ca
pacité, mais qui préfumoit pourtant beaucoup trop
de les forces , puifqu'il a été juſqu'à dire dans une
apostille de fon Mémoire que la multitude d'expériences
qu'il a faites depuis vingt ans fur le méchanifme
des pompes , lui a fait connoître évidem
ment que Mrs Pitot Camus & Belidor n'ont point
» donné dans leurs ouvrages les véritables propor
>>tions des machines , & qu'il s'offre encore de
faire donner à toutes pompes conftruites dans
»leurs principes , moitié plus d'eau , fans riep
214 MERCURE DE FRANCE .
" changer ni à fon corps, ni à fon mouvement ?
Il eft frappé de l'idée qu'il a rectihé une pompe
de ma façon ; il ne l'a point rectifiée , puifqu'il en
a changé le mouvement , ainfi qu'il eft porté au
Certificat des quatre Protecteurs qu'il a dans l'Académie
de Rouen , & comme je le lui ai dit, la différence
du produit ne provient que de ce qu'il a donné
une plus grande vîteffe au moteur , ce qui n'étoit
pas mon objet , puifque dans l'occurrence
dont il s'agit , je cherchois à gagner en force au
lieu de gagner en vîtelle .
Je donnerois volontiers un confeil au Sieur Hoden
; il s'imagine avoir furpaflé les grands Maîtres,
fon mal eft au contraire de s'être écarté de leu: s
principes , ce ne fera que lorsqu'il aura reconnu
fon erreur , qu'il pourra éprouver autant de fuccès
heureux qu'il en a jufqu'ici effuyé de fâcheux.
Meffieurs Camus , Pitot & Belidor font bien vengés
, premierement , par le peu d'impreffion que
l'annonce du Sieur Hoden a faite dans le public ,
& en fecond lieu , parce que c'eft pour s'être écarté
de leurs principes , qu'il a échoué dans une pompe
qu'il a pofée l'année derniere à l'Hôpital Général
de Rouen , qui ne fait fon effet qu'iniparfaitement ,
quoique fon corps entier foit plongé dans l'eau ,
& qu'on n'ait pas plus de douze pieds à la monter
de la furface de l'eau au premier étage , il faut
employer à cette pompe une force au - deffus de
celle qui fuffiroit pour la mouvoir , fi elle étoit
affujettie aux principes que le Sieur Hoden méprife
, & aufquels je craindrois au contraire de ne
me pas conformer aflez exactement , comme leur
étant déja redevable de mes fuccès.
On fait auffi parade d'un Certificat du Sieur de
Vitry , Teinturier ; la matiere n'étoit pas de fa
compétence , mais la pompe que j'avois faite pour
lui , eft celle que le Sieur Hoden ſe vante d'avoir
OCTOBRE. 1750. 215
rectifiée , ainfi ce n'a pas été fous la dictée d'Apol
lon , mais fous celle du Sieur Hoden que le Sieur
de Vitry a écrit l'atteftation , dont le sieur Hoden
le fert aujourd'hui pour faire illufion ; mais n'en
déplaife au Sieur de Vitry , ce Certificat n'eft pas
conféquent , car fi les additions & les corrections
de ce Pompier étoient telles qu'on voudroit le faire
croire , pourquoi le Sieur de Vitry ne lui a t'il pas
confié une autre pompe qu'il a de ma façon , & qui
eft garnie d'un levier fimple & d'un autre côté,
pourquoi Meffieurs de Ville n'adoptent- ils pas les
fyftêmes du Sieur Hoden , eux qui font fi attentifs
au bien public ? Ce font ces faits qui découvrent
la vérité , le sieur Hoden auroit dû étudier & étam
blir les vrais principes , & laiffer à fes ouvrages le
foin de faire fon éloge.
J'ai cru devoir donner ces éclairciffemens au
Public & aux Puiffances , je n'enfouirai point
mes talens ; mais après cette précaution je laifferal
l'envie jouer fon rôle ; au lieu de répondre par des
difcuffions qui deviendroient déformais inutiles ,
je me bornerai à faire les pompes qui me font
commandées pour le fervice de Sa Majefte , &
pour tout ce qu'il y a de plus diftingué dans les
differens ordres de l'Etat , ce feront mes ouvrages
qui me ferviront d'apologie ; fi quelqu'un me furpalle,
je m'en rejouirai , parce que cela contribuera
au progrès de l'Art & au bien de l'Etat Je continue
de délivrer gratuitement les figures & les
defcriptions de mes pompes à ceux qui me les demandent
, je les prie feulement d'affianchir leurs
Lettres. Je fuis , & c.
P
TABLE.
IECES FUGITIVES en Vers & en Profe
Epitre de M. R. D. écrite à fon ami pendant
La captivité , 3
Lettre de M. Grimm à l'Auteur du Mercure fur la
Littérature Allemande ,
14
Traduction d'une Chanfon Italienne de M. l'Abbé
Metaftafio , inferée dans leMercure de Juillet , 25
Sonnet irrégulier , imité d'un Sonnet Italien de
M. Gio della Caſas , & c. 28
Autre Imitation d'une Stance de l'Ariofte dans fon
Roland le furieux , 29
Suite de l'Hiftoire des Croifades , par M. de Voltaire
,
39
Le Plaifir , Ode à M. le Chevalier de Reffeguier , s1
Remarque fur les Eclipfes annoncées dans la Connoiffance
des tems de l'année 1750 ,
Epitre à M. R.
57
59
Remarques fur Nic . Orefme, Evêque de Lifieux.6 1
Le Printems , Idylle ,
67
Lettre fur les avantages & les inconvéniens de
l'Imprimerie , par M. Touffaint , 71
Les Lettres ont autant contribué à la gloire de
Louis XIV , qu'il avoit contribué à leur progrès.
M.le Marquis de Ximenez , Poëme , par
Mots des Enigmes & du Logogriphe du Mercure
de Septembre ,
88
93
Enigmes & Logogriphes , 94
Nouvelles Litteraires , & c. 98
Beaux- Arts , & c.
132
Memoire fur M. Meffonier , 138
Estampes nouvelles ,
14L
Prix donnés par M. de Tournchem , 144
Chanfon notée . Ode anacréontique , 145
Spectacles ,
147
Concert Spirituel & Concerts de la Cour ,
Nouvelles Etrangeres ,
200
France , nouvelles de la Cour , de Paris, & c. 189
Lettre de M. Piron à l'Auteur du Mercure ,
Lettre du fieur Thillaie , Pompier de Rouen , 202
La Chanfon notée doit regarder la page 245
153
165
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ
AU
ROI.
NOVEMBRE . 1750 .
SPARG
GIT
UT
GAT:
141
144
141
147
14
100
18
41
Chez
A
PARIS ,
Ледини,
ANDRE' CAILLEAU , rue Saint
Jacques , à S. André.
La Veuve PISSOT, Quai de Conty ,
à la defcente du Pont-Neuf,
JEAN DE NULLY , au Palais ,
JACQUES BARROIS , Quai
des Auguftins , à la ville de Nevers.
M. DC C. L.
Avec Approbation & Privilege du Ro
A VIS.
L'AM. DE CLEVESD'ARNICOURT ,
'ADRESSE générale duMercure eft
à
ruë des Mauvais Garçons , fauxbourg Saint
Germain , à l'Hôtel de Mâcon. Nous prions
très - inftamment ceux qui nous adreſſeront
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir le
Port , pour nous épargner le déplaifir de les
rebuter, & à eux, celui de ne pas voir paroître
leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays
Etrangers , qui fouhaiteront avoir le Mercure
de France de la premiere main , &plus promptement
, n'auront qu'à écrire à l'adreffe ci-deffus
indiquée ; on fe conformera très-exactement à
leurs intentions.
Ainfi il faudra mettre fur les adreſſes à M.
de Cleves d'Arnicourt , Commis au Mercure
de France , rue des Mauvais Garçons , pour
remettre à M. l'Abbé Raynal.
PRIX XXX. SOLS.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO I. Αυ
NOVEMBRE. 1750.
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
VAUXHALL ,
POEM E ,
Précedé d'une Lettre à M. de Fontenelle.
AImable &fage Fontenelle ,
Toi , que dans le déclin des ans ,
Orne une guirlande immortel e
* Vauxhall eft un lieu aux environs de Londres ,
& l'ouvrage qui le décrit eft d'un Anglois ; mais
ce qui eft fort étonnant , l'Anglois n'eft jamais venu
en France , & l'ouvrage eft un Poëme ; c'eft
un phénoméne Littéraire.
A ij
4 MERCURE DE FRANCE.
.
De fleurs , que l'amour renouvelle ,
Et que ne peut Aétrir le tems ;
Sage Platon , divin Orphée ,
Que Minerve & que Cytherée
Empêchent même de vieillir ;
Où pourrai -je te découvrir a
Sera-ce au haut de l'Empirée ,
Où tu fuis les célestes Corps ;
Dans cette profonde contrée ,
Où tu fais badiner les morts ;
Ou fur les bords d'une fontaine ;
Près de Corylas & d'Iſméne ,
Dont tu fens & peins les tranſports ?
T'irai- je chercher au Portique ,
Dont tu dévoiles les leçons ;
Au fond de quelque Temple antique
Que tu dépeuples de démons ;
Ou bien au Spectacle magique ,
Dont ta Muſe anime les fons ?
Si dans ces demeures fublimes ,
Encor vers les terreftres lieux
Tu daignes abaiffer les yeux ,
Reçois avec ces foibles rimes ,
Mon encens , mon coeur & mes voeux .
Oui c'est à vous , c'eft au Peintre des
Graces , & à l'Interpréte de la fageffe que
j'offre des effais , dont l'exécution eft peutêtre
encore plus imparfaite que l'entreprife
ne fut téméraire. Mais l'une & l'autre le
NOVEMBRE . 1750 .
S
füffent- elles davantage , elles me fourniffent
du moins une occafion de m'adreffer
à "'homme , qui de toutes les beautés de la
France eft celle que je regrette le plus de
n'avoir jamais vûe. J'ai d'autant plus de
plaifir de vous rendre cet hommage , qu'il
ne fera foupçonné de partialité par aucun
de ceux qui ont lû vos ouvrages.
Vivez long- tems , vivez toujours aimable ,
Entre la fageffe & les is.
Vous feriez immortel , fi le fort équitable
Vous permettoit de vivre autant que vos Ecrits.
JE
VAUXHALL.
E chante une tive facrée ,
Des Graces aimable féjour ,
Où la divine Cythérée
Raflemble tous les foirs fa Cour .
Parmi cette troupe charmée ,
Sous les étendarts de l'Amour ,
On voit la pareffe animée ,
Le plaifir toujours renaiffant ,
La volupté défabulée
Du trouble & du déreglement ,
Et la vérité déguisée
Sous le voile de l'agrément.
Là , par une douce furprife ,
A ij
6 MERCURE DE FRANCE
La fagefle même autorife
Le defir & le fentiment.
Des Nymphes de la double Cime
J'avois brifé le joug chagrin ;
Mais Thémire veut que je rime .
Thémire ! que veut - elle ? en vain
Un fi doux fuffrage m'anime.
Que par un délire fublime
Un autre cherche à s'élever ;
Pour moi , fans effort & fans gêne
Sur le Permeffe , à l'Hypociêne
Thémire me fait arriver ;
Elle eft ma Mufe & mon Mécêne
Elle feule peut m'enflammer ;
Un regard échauffe ma veine ;
Un foutis fuffe pour rimer.
La Tamile , qui par fon, onde
Rend Londres la Reine des Mers ,
Et fur qui la fuperbe fonde
Le commerce de l'Univers ,
Baigne auffi le charmant azile
De l'amour , de la volupté ,
Le fleuve devenu Leché ,
Fait oublier avec la Ville ,
La foif de l'or & des travaux ,
Et dans l'ame la plus aigrie
Verfe le tranquile repos ,
Et la flateufe rêverie.
Le chagrin , le fouci , l'envie ,
NOVEMBRE. 1750. 7
Dans cette nouvelle Arcadie
Sont forcés de s'évanouir ;
A Londres on ufe la vie ;
A Vauxhall on fçait en jouir.
Suivant les fictions antiques ,
Et les defcriptions myftiques
Des Druides de l'ancien tems ,
Le feuls juftes & les vrais fages ,
Des Dieux innocentes images ,
Du monde rares ornemens ,
Paffoient au fortir de la vie ,
Dans une riante prairie.
Là , fous des arbres toujours verds ,
Et fur une rive Aleurie ,
D'une divine mélodie
Ils faifoient retentir les airs .
Ma Thémire , de l'Elysée
Pour vous les Jardins vont s'ouvrir ;
Des immortels favorisée ,
Vivez avant que de mourir.
Sous de favorables aufpices ,
Entrez dans ces aimables lieux ;
A ces fontaines de délices
Puifez un Nectar précieux ;
Recevez les tendres prémices
De ees oifeaux remplis de feux ,
Qui par leurs concerts amoureux ,
Interrompant leurs facrifices ,
Toujours vifs & toujours heureux ,
A iiij
8 MERCURE DEFRANCE,
Nous chantent de l'être comme eux .
Ici par un froid parallele
Je craindrois devous éloigner ,
Et plusria nte que fidelle ,
Ma Mufe veut vous épargner
Les refus du Nocher avare , (a)
Le trajet du fleuve fatal , (b)
L'aspect du féjour infernal ,
Et les foupiraux du Ténare. (c)
Laiffant cette route barbare
Aux effains des foibles Auteurs ,
Je fçaurai parfemer de fleurs
Celle qui vous eſt deſtinée .
Ces eaux font celles du Pénée ;
Ces champs font fes bords enchanteurs;
Les Graces tiennent lieu de Parques ;
Les defirs conduifent nos barques ;
Les Amours font Introducteurs.
Dans cette retraite charmante
Dans ce poëtique féjour ,
On voit vers le déclin du jour ,
(a) Les Bâteliers fe prévalent de la néceffité ou
l'on eft de fe fervir d'eux , pour rançonner ceux
qu'ils tranfportent .
(6) La crainte de Peau empêche bien des gens
d'aller à Vauxhall.
(c) Les vieilles milures du fauxbourg de Southwarck
, & la fumée noire qu'exhalent les cheminées
des Brafferies , Teintureries, & c. qui s'y troavent
, donnerent à l'Auteur l'idée de cette comparaiſon.
NOVEMBRE. 1750. 9
S'affembler l'élite riante
Et de la Ville & de la Cour.
Ainfi dans les Jardins que Flore
Au printems a fait refleurir ,
On voit au lever de l'Aurore
De jeunes Nymphes accourir.
Cet oeillet , qui vient de s'ouvrir ,
Enlevé par Eléonore ,
Affortiffant avec fon tein ,
Placé mollement fur fon fein
Heureux , achevera d'éclore ,
Et terminera fon deftin .
1
Le Jafmin eft du goût de Laure ;
La jeune Iris n'aime encor rien
Thémire préfere la rofe,
Comme elle eft fraîchement éclofe ,
Et fon goût décide du mien.
Ainfi dans la foule brillante
Des plaifirs que Vauxhall préſente ,
Et que l'art y fçait mêlanger ,
Chacun aime à fe partager.
Au fond d'une ame indifferente
Le plaifir ne peut pénétrer ,
Et la volupté n'eft piquante ,
Qu'autant qu'une infenfible pente
Porte le coeur à s'y livrer.
Dans ces lieux , bouffi d'opulence ,
Le Financier fair admirer
a mauffade magnificence ;
A v
10 MERCURE
DEFRANCE
Le Plumet plein de confiance ,
Se contente de le montrer ;
Tout entoué de l'audience ,
L'Avocat y court difputer ;
Enveloppé de fuffilance ,
Le Petit Colet firoter ;
Lolotte au fortir de l'enfance ,
Chercher une leçon d'aimer ;
Clarice effayer de charmer ;
La tendre & timide Conſtance ,
Attendre & craindre la préſence
De l'amant qu'elle y doit trouver
Damon ne voir fon Hortenfe ; que
Thémire tendrement rêver.
Loin d'ici , coeurs inacceffibles
A la tendreffe , à la gaité ;
Raffemblez-vous , ames fenfibles
Aux attraits de la volupté .
Délivrés des craintes pénibles ,
Renvoyez les foucis rongeurs ;
Confervez les defirs flateurs ;
Ne refpirez que la Nature ;
Dans ces Jardins délicieux ,
Goûtez le plaifir fans mefure ,
Et le raviflement des Dieux .
Au milieu d'un bois fpacieux ,
Dont les arbres par la Nature
Semblent plantés à l'aventure ,
Dans l'ordre le plus gracieux ,
NOVEMBRE. IN 1750.
Et de leurs rameaux faftueux
Ne laiffent percer la verdure
Qu'à la lumiere , & qu'aux Zéphirs ;
S'éleve un augufte portique ,
Sanctuaire de la Mufique ,
Et centre de tous les plaifirs.
Autour du Temple reſpectable ,
On trouve de charmans réduits ,
Que pour les plaifirs de la table
Comus & Minerve ont conftruits.
Les traits d'une peinture aimable
En embelliffent les Jambris
Par le plus brillant coloris :
Les jeux de la vive jeuneffe ,
Les foins de la froide vieilleffe ,
Y font retracés tour - à - tour ;
On y voit le tableau fidéle
Des fêtes du fils de Sémele ,
Et des triomphes de l'Amour.
Mais d'un Phidias la ftatue *
Attire on attention.
Orphée y paroît à ma vie ,
Ou bien le Chantre d'Albion.
Aux airs du moderne Amphion ,
De nouveau le ' marbre refpire.
J'y vois cet aimable délire ,
Qui feul mérite des lauriers.
* Cette Statue de M Handel , a été faite par M.
Roubillac , Sculpteur diſtingué.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Attentif aux fons de fa lyre ,
Un Génie empreflé d'écrire ,
Grave dans d'immortels cahiers
Ses airs , fes accords paffagers ;
Je l'entends même qui foupire
De perdre encor les plus légers .
Quelles douceurs furnaturelles !
Quels fons ! quels airs mélodieux !
Zéphir porte- t'il fur les ailes
Les Concerts des céleftes lieux >
Tantôt je marque la cadence
D'un vif & léger menuet ;
Par une douce violence
Je fens ranimer en fecret
Mon goût dominant pour la danſe ;
Mes mouvemens fuivent l'archet.
Tantôt la trompette guerriere ,
Sur les tons les plus éclatans ,
Exprime les combats fanglans
Et la victoire meurtriere .
Sons étouffés ! triftes accens ! *
Sanglots mêlés de cris perçans !
Lente & funebre fymphonie !
J'éprouve les charmes puiffans
De votre lugubre harmonie .
Les tymbales & le baffon
Il s'agit ici de la Marche des Morts , The Bead
March, morceau fameux d'un Concert Spirituel de
M. Handel , intitulé Saul.
NOVEMBRE. 1750. 15
Portent dans mon ame attentive
L'horreur , la confternation :
La langueur , la compaſſion ,
Suivent de la Aûte plaintive
Le touchant & douloureux for.
Ainfi par un contrafte étrange ,
Chaque nouvelle paffion
De moment en moment fe change ,
Et de ce furprenant mêlange
Naît une vive émotion .
A ces Concerts mélancoliques ,
Les cors de chaffe , les hautbois ,
Font fuccéder les airs ruftiques
Des heureux habitans des bois ,
Qui dans leurs paifibles retraites
Enfant leurs tendres chalumeaux ,
Raffemblent au fon des mufettes
Les Bergeres de leurs hameaux ,
Et danſent à leurs chanfonnettes
Sous les hêtres & les ormeaux .
Ainfi de leur heureufe vie
Coule mollement chaque jour ;
Chaque inftant eft une folie ;
Chaque fouffle , un foupir d'amour.
Dieux avec Thémire attendrie
Faites- moi berger à mon tour.
Cependant le Soleil s'apprête
A quitter ce Jardin charmant
Thétis fouffte impatiemment
14 MERCURE DE FRANCE.
t
Que Phébus fi long-tems s'arrête .
Le Dieu fe hâte lentement ,
Et vers Vauxhall tournant la tête ,
Il fe plonge languiffamment
Au fein de l'humide Elément ,
Vers fon immortelle conquête.
Alors par un paffage aifé ,
A la lumiere décroiffante
Succéde une nuit plus touchante ,
Que le jour qui s'eft éclipfé.
Mais quelle lumiere fubite ,
Eblouiffant mes yeux furpris ,
Par la vive fplendeur imite
La gloire des divins lambris
Les lampions dans le feuillage
M'offrent une brillante image
Des fruits du métal précieux ,
Que cachoient aux mortels avides
Les vigilantes Heſpérides .
Tels , lorfque l'Aftre radieux
Va le précipiter dans l'onde ,
Voit-on mille céleftes feux
De nouveau réjouir le monde ,
Et peupler les déferts des Cieux .
Je lens pourtant que dans ces lieux,
Où par une aimable impofture
Le goût cache l'art à mes yeux ,
Il me manque encor la Nature
Qui feule peut me plaire mieux.
+
MOVEMBRE: 1750. 25
Je la cherche fous ces feuillages ,
Od regne la tranquillité ,
Pour les amans & pour les fages ,
Aziles de la volupté.
C'eft-là qu'une douce folie ,
Troublant mon efprit enchanté ,
Des berceaux facrés d'Idalie
Retrouve la réalité.
Je fçais peupler ces promenades
Et de Nymphes & de Sylvains ;
Ces arbres logent des Dryades ;
L'air eft plein de Zéphirs badins ,
Dont les tumultueux effains
Sont empreffés autour de Flore ,
Et je crois même voir éclore
Des fleurs de leurs baifers divins.
La Lune à mes yeux eft Diane ,
Qu'une fecrette paffion
Conduit loin du peuple profane ,
Vers un nouvel Endymion.
Arbres touffus , facrés ombrages ,
Redoublez votre obſcurité !
Entretenez , Zéphits volages ,
La fraîcheur avec la gaité !
Chantez , oyleaux , dans vos ramages
Vos feux & votre liberté !
Lorfque Philoméle foupire
Ses tendres & plaintifs accens ,
Je feos que mon ame refpire
16 MERCURE DE FRANCE.
Son harmonie & fes tourmens.
La vive Fauvette m'inspire
Toutes les ardeurs du printems.
Ah ! que fes defirs languiffans
Jufques dans le coeur de Thémire
Ne paffent-ils avec ſes chants !
Qu'il eft doux dans cette retraite
Pour de véritables amans ,
D'ouvrir leur ame fatisfaite
A d'intimes raviffemens !
Plaifirs de deux coeurs innocens !
Feu divin langueur mutuelle !
Difcours confus ! doutes charmans !
Tranfports que l'amour renouvelle ,
Et que lui feul rend fi puiffans ! ..
Dans une douce rêverie
L'Univers tout entier s'oublie ,
Et les heures font des inftans.
Vous , qui de l'Enfant de Cythere
Craignez le poiſon féducteur ,
Fuyez de ce lieu folitaire ;
Défiez -vous de votre coeur ,
Ou n'oppofez plus la froideur
Aux feux de ce vainqueur aimable ,
l'obscurité
Que ces bois , que
Rendent encor plus redoutable
A qui chérit fa liberté .
Dans ces lieux par Lycas guidée
Un jour la jeune Galathée
NOVEMBRE. 1750. 17
Vouloit lui réfifter en vain ;
A chaque nouveau tour d'allée
Le fripon gagnoit du terrain ;
Il fçut l'obliger à la fin
D'oublier fon indifference ,
Et de fe foumettre au Deftin.
Dans un coeur fans expérience
L'Amour fait bien- tôt du chemin.
Mais quels nuages de coquettes
Profanant cet heureux féjour ,
Viennent par de fades fleurettes ,
Braver le pouvoir de l'Amour !
Par une coupable aflûrance
On les voit feindre une ignorance ,
Que leur coeur en fecret dément ,
Et fous un voile d'innocence
Couvrant un vain déguiſement ,
Imiter avec confiance
L'embarras d'un coeur qui balance ,
Et ne paffe qu'en réfiftant
Du vuide de l'indifference ,
Au trouble d'un premier penchant.
Feuillage épais , retraite fombre ,
Fandra- t'il même que votre ombre
Les exemte encor de rougir ?
Démon de la coquetterie ,
Monftre qu'on ne peut définir ,
Ris affecté, minauderie ,
Pudeur feinte , équivoque hardie ,'
18 MERCURE DE FRANCE.
Partez pour ne plus revenir.
A votre afpect de ces contrées ,
Sur l'aile d'un léger Zéphir ,
Vers les climats Hyperborées ,
Avec les Graces éplorées
Je vois l'Amour prêt à s'enfuir.
Cependant l'heure qui s'écoule ,
Me fait abandonner ces lieux ;
Je me replonge dans la foule
Parmi les plaifirs & les jeux.
Je vois ceux que le goût allie
Dans ces réduits délicieux ,
Y trouver la table des Dieux ,
Leur Nectar & leur Ambroisie.
Le malicieux Cupidon ,
Dans la coupe qu'Hebé préſente ,
Parmi la liqueur pétillante
Gliflant fes traits & fon poiſon ,
La rend encore plus piquante.
Il triomphe ; Vénus fourit ;
La troupe boit ; Bachus frémit
Que fon rival par fon adreffe ,
Dans cette favorable nuit ,
Plonge les mortels dans l'yvreffe ,
Et feul en recueille le fruit.
Enfin , de ce féjour d'Aftrée
Il faut malgré moi me bannir ;
Les Dieux dans la voûte éthérée
Goûtent feuls l'éternel plaifis.
NOVEMBRE. 1750. 19
Pour nous , notre vie eft mêlée
De maux nombreux , de biens légers ;
Faut-il que le defir fupplée
A des plaifirs fi paffagers ?
Lieux charmans , nouvel Elifée ,
Puifqu'il faut vous quitter enfin ,
Je pars , du moins dans la pensée
De vous trouver plus beaux demain.
Demain fur cette onde facrée
Je revolerai vers ces lieux,
Une plus piquante foirée
Les rendra plus délicieux..
Demain quelque beauté cachée
Frappera tout à - coup mes yeux ,
Et de nouveaux defirs touchée ,
Mon ame la fentira mieux.
Thémire , mon coeur vous adrefle
Ces vers qu'il foumit à vos loix ;
Enfans aifés de la pareffe ,
Et confaciés par votre choix ,
Ils font le fruit de ma tendreſſe ,
Et le tribut que je vous dois.
Vous feule fçûtes m'y contraindre ;
C'eſt à vous de me ſoutenir .
Soyez la premiere à me plaindre ,
Si je n'ai pas ſçû réuffic .....
Hélas ! j'ai crû que pour bien peindre
11 fuffifoit de bien fentir.
>
20 MERCURE DE FRANCE. '
M 光洗洗洗蒎淡淡淡說說濃
LE refpectable Auteur de la voix libre
du Citoyen , on obfervations fur le Gouvernement
de Pologne , ayant vu les Programmes
des Académies de Pau & de
Toulouſe , a daigné compofer les deux
Difcours qu'on va lire. Perfonne ne pouvoit
mieux prouver que le vrai bonheur
confifte à faire des heureux , qu'un homme
qui par la fuprême élevation de fon rang
peut faire le bonheur d'une Nation , &
qui par la bonté de fon coeur , montre tous
les jours un extrême penchant à le faire .
DISCOURS ,
Dans lequel on fait voir que le vrai bɔnheur
confifte à faire des heureux.
S'll eft naturel à l'homme de travailler à
fe rendre heureux , fi c'eſt - là fon unique
défir dès qu'il commence à vivre , &
fi ce défir l'occupe i fort , que la vie même
lui devient à charge dès qu'il ne peut le
remplir , rien ne lui eft fans doute plus néceffaire
, que de fçavoir en quoi confifte
le vrai bonheur , & quel est l'usage qu'il
en doit faire .
NOVEMBRE . 1750. 21
Le bonheur s'offre à lui de toutes parts ;
mais , ou il manque de le faifir , ou il le
faifit mal ; ou il ne le fent point , lorfqu'il
en jouit , ou il n'en jouit pas tranquillement
la crainte qu'il a de le perdre. par
Il est pourtant plus ordinaire à l'homme
de fe le figurer où il n'eft pas , & de
n'en juger que par fon goût & fes caprices .
Les uns le font conſiſter à fatisfaire leurs
paflions , les autres à les vaincre . Plufieurs
ne le trouvent que dans certaines paffions
qui les flattent , & jamais dans celles qu'ils
n'aiment point,
L'ambitieux , le plus riche des biens de
la fortune , voit ordinairement ces biens
avec indifference , & ne court qu'après la
gloire qui l'a féduit ; tandis que l'avare ,
infenfible à cette gloire , n'afpire qu'aux
richeffes , qu'il croit feules capables de le
Contenter .
Celui- là fe plaît dans l'agitation & le
travail ; celui- ci ne trouve de fatisfaction
que dans le repos & l'indolence . Mais tel
homme s'eftime heureux , qui ne l'eft pas ,
& tel paffe pour malheureux , dont le fort
eft digne d'envie.
Je me repréfente un homme comblé de
felicité ; mais ifolé , réduit à lui même &
feparé de tout commerce du monde . S'il
s'eft acquis une grande réputation , ea
22 MERCURE DE FRANCE.
fentira- t'il le prix , du moment qu'il n'a
perfonne qui l'admire , & qui fçache lui
préparer l'encens qui lui eft dû ? Que cet
homme poffede de grands biens , je le
veux. S'eftimera- t'il heureux dès qu'il eft
réduit à n'en pouvoir faire ufage ? Qu'il
ait un génie plein de force & de lumieres ,
il ne laiffera pas de fe déplaire fouvent ,
& comme une matiere embrafée qui agit
fur elle - même , ſon génie s'ufera par fa
propre ardeur. Que cet homme ait des
fentimens & de la vertu , il les connoîtra
tout au plus ; mais ne pouvant faire aucun
bien , il aura lieu de douter fi tout ce qu'il
fent , il peut le mettre en pratique . Qu'il
ait enfin les plus rares talens ; quel cas en
fera-t'il , dès qu'ils lui font inutiles , &
qu'il ne peut faire ufage du premier de tous
les talens : celui de les faire valoir ?
De ces vérités conftantes tirons une induction
néceffaire , & difons qu'un homme
ne fe fuffit pas à lui- même pour être
heureux , & qu'il ne peut l'être réellement,
qu'autant que fon bonheur peut fe
répandre fur les autres. Il eft vrai que
fouvent , c'eft affez de fe croire heureux
pour l'être , & qu'un amour propre déréglé
peut nous faire trouver des plaifirs
dans les chofes même les plus frivoles ;
mais cet amour propre , le premier de
NOVEMBRE. 1750. 23.
esi

tous les flatteurs , ne nous féduit que parce
qu'il nous perfuade que nous pouvons
tromper les autres & rarement nous
tromperoit-il , s'il ne nous repréfentoit
auffi aimables aux yeux de ceux qui nous
connoiffent , qu'il nous fait paroître aimables
à nos propres yeux.
C'est donc par l'eftime des autres que
nous nous eſtimons , & le bonheur que
nous ne pouvons trouver en nous - mêmes ,
nous ne l'attendons que des hommes avec
qui nous vivons . Mais combien plus , ce
bonheur , qu'il nous faut mendier en quelque
forte , nous fera- t'il plus affûré quand
nous l'acheterons , quand nous le mériterons
par nos bienfaits , quand nous nous
efforcerons de rendre heureux ceux qui
peuvent feuls nous rendre heureux nousmêmes
? Car enfin , le bonheur que l'on
procure aux autres , ne peut manquer de
réjaillir fur le coeur généreux qui le produit.
C'eft une eau , qui après avoir arrofé
des terres arides , remonte vers la fource
pour en couler de nouveau. Les biens dont
on jouit peuvent échapper des mains de
ceux qui les poffedent ; mais les biens que
la charité fait répandre , quoique fujets
aux caprices de la fortune , durent du
moins toujours par le plaifir , ou par la
gloire de les avoir fait fervir à faire des
heureux.
24 MERCURE DE FRANCE.
Formons-nous ici l'idée d'un Souverain ,
dont les Courtifans , dont tous les peuples
, dont tout le monde entier prévient
pllesesdéfirs. On l'idolâtre , cet homme ;
mais il ne peut ignorer que les hommages
qu'il reçoit , on les rend plutôt à fa dignité
qu'à fa perfonne , & qu'il les doit plus au
devoir , à l'ufage , à l'intérêt , qu'à un
amour pur & fincére . Parvenu à ce qu'on
appelle le fuprême bonheur , eft - il bien
convaincu qu'il le poffede ? Ses plaiſirs ne
fe nuifent- ils pas par leur continuité même
? Dans les plus grands plaifirs , ne fentil
le befoin d'autres plaiſirs , & de plus
pas
grands plaifirs encore ? Les chagrins l'ont
affiégé fur le Trône , ils s'y font affis avec
lui. Tout ce qui fatisfait les défirs , les réveille
; fes paffions croiffent par tout ce
qui les affouvit ; en croiffant , elles multiplient
fes peines ; elles renaiffent de leurs
cendres pour le tourmenter de nouveau ,
& fon coeur toujours vuide , toujours altéré
, toujours endurci aux plaifirs par les
plaifirs mêmes , ne jouit véritablement que
de fes inquiétudes & de fes dégoûts . Sa
grandeur elle-même , qui le prive des véritables
douceurs de la fociété , fait le malheur
de la vie , & il eft forcé de reconnoî
tre , qu'incapable de le fatisfaire , elle lui
eft moins donnée pour lui que pour les
autres,
NOVEMBRE. 1750. 25
antres , & que le premier de fes foins doit
être de faire des heureux pour le devenir
lui même, Donnez - moi un Souverain qui
ait de l'humanité & des entrailles , je lui
maintiers ce qui paroît incompatible avec
fon état des amis qui lui feront fentir les
dargers de la flatterie , & lui apprendront
par leur conduite , que les louanges les
Flus fircéres ne font pascelles qu'on s'empreffe
de lui donner , mais celles qui leur
échappent. Ce Prince , devenu par la
bonté de fon coeur , le Miniftre de la Providence
de Dieu fur fes peuples , ne peut
manquer de trouver dans fes bienfaits &
dans leur amour , de fûs garants de leur
refpect & de leur obéilance , il n'aura
point lieu de douter des éloges qu'on lui
donnera ; il feverra revivre avant que de
mourir , & jouira dès cette vie même de
l'immortalité qui lui eft affùrée pour les
tems à venir,
Ainfi tous les Héros , tous les Grands
Horomes , quels qu'ils foient , ne peuvent
goûter un bosh ur plus véritable que celui
qu'ils doivent procurer au refte des hu- .
mains. Leur vertu confifte , non à ravager
des Provinces , à faccager des Villes , à
faire égorger des malheureux , mais à rendre
leur Patrie & leurs Concitoyens heureux
, foit en écartant l'ennemi qui les
B
26 MERCURE DE FRANCE.
menace , foit en triomphant de celui qui
veut les fubjuguer . La gloire des conquêtes
est toujours fouillée par le fang. On
ne l'acquiert que par le carnage & la
mort , & fon plus noble appareil ne peut
fatter qu'autant qu'il eft funefte. Mais la
gloire la plus pure & la moins équivoque ,
eft de faire des heureux. Conquérir des
coeurs , c'est regner fur eux ; & ce regne
n'eft il pas préferable à celui qui ne ſe fou
tient que par la force & la puiffance , puifque
la puiffance & la force ne fe maintiennent
plus fûrement elles- mêmes que par
l'amour des peuples , qui font obligés d'obéir
?
Après tout,c'eft la Nature elle- même,qui
nous apprend qu'on ne peut être heureux
que par le bonheur d'autrui. A- t'on des
enfans ? On s'intéreffe à leur confervation
, & l'on oublie volontiers fes propres
befoins , pour ne s'occuper que de ce qui
leur eft utile ou néceffaire.
Tels font à peu près tous ceux qu'on
rend heureux ; ils font notre ouvrage ,
notre production , des enfans adoptifs ,
des créatures que nous avons formées , &
à qui nous redonnons en quelque forte
la vie qu'ils n'avoient reçuë que pour
la
traîner , ou la perdre dans la mifére & dans
la douleur,
NOVEMBRE. 1750. 27
બેઠક
Qu'est ce que le tendre amour , qui
fait le véritable contentement du coeur ?
Et d'où vient ce contentement fi aité à
fentir , & fi difficile à bien rendre ? Vientil
uniquement du plaifir d'aimer ? Non ,
fans doute , fa fource eft dans le plaific
qu'on a d'exciter dans l'objet qu'on aime
un retour de tendteffe , où il doit trouver
fon bor heur. L'unique but de a paffion ,
c'eft de rendre heureux ce qui l'a fait naître.
Que voit-on dans les fociétés , même
les plus indifferentes ? Chacun cherche à
s'y faire goûter : on s'y rend agréable pour
plaire , tant on eft perfuadé que pour faire
fon propre bonheur , on doit toujours
commencer par s'occuper de celui des autres.
Et quel plaifir plus fenfible , que de faire
des heureux ? Est- il rien qui flatte autant ,
que de procurer à des malheureux des gra
ces ou des fecours , qu'ils ne peuvent recevoir
que de leurs femblables , à qui Dieu
en a confié le foin ? Coopérateurs de fes
bontés , on entre dans fes fonctions , &
T'on s'éleve au-deffus de l'humanité. Sans
doute , ce feroit fe dégrader foi- même ,
que de la méprifer ; & n'y a- t'il pas une
efpece de grandeur à fentir ce que valent
les hommes
Bij
28 MERCURE DEFRANCE .
Le feul inconvénient et de faire des
ingrats ; mais l'ingratitude a- t'elle le pouvoir
de diminuer le prix des bienfaits , &
ne fert elle pas olutôt à les faire éclatter
avec plus de gloire ? Un coeur noble
bienfait doit- il attacher la récompenfe de
fes actions à des fentimens dont il n'eft
pas
le maître , plutôt qu'à la fatisfaction intérieur
qu'il en reffen:? S'il doit oublier
les plaisirs qu'il a fairs , peut il s'appercevoir
de la reconnoillance qu'il mérite ? Ne
fçait il pas que le moyen de l'obtenir , c'eſt
de n'en point exiger , & que la prétendre
comme un devoir , c'eft la révolter & l'autorifer
en que que forte à s'éteindre ?
Les riches , les grands , tous les hommes
, e fout donc maintenus , confervés
ici bas , que pour l'utilité des autres hommes.
Faite du bien , eft le feul plaifir qui
foit fans remords , fans troubles , fans
amertumes , le feul qui ne s'ufe point ,
puifque le long ufage qui endurcit le coeur
à tous les autres plaisirs , rend tous les jours
celui-ci plus fenfible. C'est ce qui paroît
plus clairement & par un contrafte bien
oppofé , dans l'indigne caractére de ceux
qui ne fondent leur bonheur que fur le
malheur des autres , ou qui rongés d'une
déteftable envie , fe font du bonheur des
la doule une fource éternelle de chagrin ;
NOVEMBRE. 1750. 29
-
3 il n'eft pas jufqu'à ces infâmes ca actéres ,
qu'on ne peut fe rappeller fans horreur ,
qui ne nous prouvent
invinciblement
,
que le plus grand de tous les bonheurs
confifte uniquement
à faire le bonheur des
autres.
ت ا و
SECOND DISCOURS ,
Dans lequel on fait voir que l'efperance est un
bien ,dont on ne connoit pas affezle prix.
I
Left étonnant , que l'homme , la plus
noble des créatures , foit rempli d'autant
d'imperfections qu'on en voit en lui.
Il paroît qu'il y a toujours quelque chofe
qui lui manque , puifqu'il ne paffe aucun
moment de la vie fans défirer. Tout ce
qu'il voit , tout ce qu'il entend , tout ce
qu'il imagine , excite dans fon coeur autant
de défirs , que rien ne peut éteindre ,
& qu'il lui eft prefque impoffible de remplir
; fa foibleffe ne peut répondre à la visvacité
de fon imagination , ni fon imagination
lui fournir les moyens de fe fatisfaire
; une éternelle inquiétude le dévore ,
& l'efperance eft feule capable de la calmer.
Quoique fouvent malheureux dans fes
projets , l'homme s'y attache avec ardeur ,
& le malheur même d'y avoir échoué , lui.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
fert prefque toujours de nouveau motifde
les pourfuivre. Cette foif qu'il ne peut
étancher , & qui le brûle fans ceffe ; ces
défirs toujours infatiables , & qu'il n'est
jamais sûr de contenter , lui deviendroient,
fans doute un fupplice affreux , fans l'efpérance
du fuccès dont il fe flatte , & qui
le rend du moins heureux par l'idée qu'il
fe fait , qu'il ne peut manquer de l'être .
En effet , l'efpérance ne le mene que par
des routes agréables , jufqu'au terme même
, où elle eft contrainte de l'abandonner
; elle feule a l'art de lui dérober le
fentiment du préfent , lorfqu'il eft défagréable
, & de lui rendre comme préfent
Pavenir gracieux , où il fe propofe d'arri
ver. Queique éloigné que foit ce qui plaît,
elle le rapproche ; on jouit d'un bonheur ,
tant qu'on l'efpére ; s'il échappe , on l'efpére
encore ; fi on l'acquiert , on fe promet
de le poffèder toujours.
Heureux ou malheureux , l'efpérance
nous foutient & nous anime ; & telle eft
Finconftance des chofes humaines , qu'elle
juftifie elle-même nos projets les plus
hardis , puifque par de continuelles viciffitudes
du bien & du mal , nous n'avons
pas plus de raifon de craindre ce que
nons déteftons , que d'efpérer ce que nous
défirons qui nous arrive .
.
NOVEMBRE. 1750. 31
Ne pourroit- on pas dire avec vérité ,
que l'efpérance eft pour nous comme une
feconde vie , qui adoucit les amertumes
de celle que nous tenons des mains du
Créateur Mais elle eft encore l'ame de
l'Univers , & le reffort le plus puiffant
pour en maintenir l'harmonie.
C'eſt par elle que le monde entier ſe
gouverne. Y feroit-on des loix, fi l'on n'en
efpéroit une fage police ? Y verroit- on des
Sujets obéillans , fi chacun d'eux par fa
foumiffion ne fe flattoit de contribuer au
bonheur de fa Patrie ? Que feroient les
Arts , & combien ne les jugeroit- on pas
inutiles , fans l'efpérance du fruit qu'on
en doit retirer ? Les Sciences ne feroient
elles pas négligées , les talens incultes , les
génies les plus heureux abrutis , fans l'efpoir
flatteur d'un goût plus sûr & plus
épuré dans tout ce qu'il importe de connoître?
le
Si l'on demande à un guerrier , ce qui
porte fi fouvent à expofer aux hazards
des jours qu'il pourroit fe rendre moins
périlleux ou plus tranquilles , il vous dira ,
que c'est l'efpérance de la gloire , qu'il
chérit, & qu'il préfere aux triftes douceurs
d'une vie obfcurément oifive. Le Négociant
traverſe les mers , mais il efpére fe
dédommager par fes richeffes , des crain-
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
tes qu'il aura effuyées parmi les tempêtes
& les écucils. Le Laboureur , courbé for
fa charrue , arrofe la terre de fes fa : ars ;
mais cette terre doit le nourrir , & il fe
difpenferoit de la cultiver , s'il n'en attendoit
sûrement le prix de fes peines.
Quelles que foient nos entreprifes, l'efpérance
en eft le motif, elle eft l'avantgoût
de nos fuccès , & du moins pour
quelque tems un bien réel au défaut de
celui qui nous échappe . C'est une joie anticipée
, qui trompe quelquefois ; mais `
qui , tant qu'elle fubfifte , donne un plaifir
qui ne le céde guéres à la jouillance de
celui qu'on fe promet , & qui etkice fou
vent tous les plaifirs qu'on a déja goûtés
dans la fituation la plus heureufe.
Et comment pourroit- on jouir tranquillement
de la vie , fi l'on ne vivoit d'un
jour à l'autre dans l'efpoir de la prolon
ger ? Il n'eft pas jufqu'aux malades , même
les plus défefperés , qui ne s'étourdif
fent fur les approches de la mort , & qui
n'efpérent de guérir prefque au moment
qu'ils expirent. Nous portons même nos
efpérances au delà de la mort , & lorfque
nous penfons le plus qu'elle eft inévitable,
nous tâchons de nous immortalifer dans
la mémoire des hommes. Pleins de cetre
flatteufe idée , nous fommes plus difpofés
NOVEMBRE . 1750. 33
à nous perdre fans retour dans les abîmes
de l'Eternité.
Pour tout dire enfin au fujet de l'efpérance
, dont on ne peut affez rehauffer le
prix , je dis qu'elle a part à toutes nos actions
. Faifons-nous bien ? Nous en attendons
la récompenfe : avons nous fair du
mal Nous en efpérons le pardon : nous
fommes- nous trompés ? Nous nous propofons
de nous corriger : avons nous fait
quelque perte ? Nous nous flattons de la
réparer & quelle reffource l'efpérance
n'eft - elle pas pour un mortel qui a eu le
malheur d'irriter fon : Dieu ? Il efpére du .
moins en fa miféricorde : & ici , comme
par tour ailleurs , cette même efpérance
qui excite nos défirs , fait que nous cherchons
avec plus de foin les vrais
de les fatisfaire .
moyens
E Roi de Pologne vient de faire dans
fes Etats un établiffement , dont on
doit reffentir à jamais les avantages. Il a
fait un fonds de dix mille livres de rente
pour cinq Avocats confultans , à qui devront
s'adreffer tous ceux qui auront des
procès à intenter ou à foûtenir. L'inten
tion de Sa Majesté Polonoife eft , r. D'éviter
à tous fes Sujets les dépenfes où les
B
34 MERCURE DE FRANCE.
procès entraînent , & qui fouvent , & trop
fouvent caufent la ruine des plus riches
Maifons. 2°. D'abolir toutes les chicanes
ufitées dans les procédures , & 3 ° . d'obvier
à la longueur des procès . Ces Avocats
Confultans , dont chacun jouira de 2000-
liv. de rente , feront comme le premier
Tribunal où devront reffortir toutes les
affaires litigieufes. Leurs avis , néceffairement
défintéreffés , feront fans doute préferables
à ceux de tous autres Avocats
dont plufieurs ne fondent leur fortune que
fur les querelles & fur les paffions des particuliers.
Ces Avocats feront fentir aux
Parties prêtes à plaider ce qu'elles ont à
craindre , ou à espérer de la décision des
Juges , & n'oublieront rien pour les accommoder.
Ce qui eft pour le moins auf
utile , c'eft que les affaires fur lefquelles ils
auront donné leur avis , fe trouvant déja
inftruites & prêtes à juger , les Cours de
Juflice où elles feront portées , fi les Parties
s'opiniâtrent à plaider , feront d'abord en
état de prononcer leur jugement , & les
affaires ne traîneront point auffi long - tems
qu'elles ont coûtume de faire. Nous invi
tons nos Lecteurs à lire la Déclaration du
Roi de Pologne, donnée le 20 Juillet 1750;
on verra mieux l'efprit qui la lui a fait
donner,
NOVEMBRE 1750. 35
fifa dhada didikgu : gh
Les oifeaux de Venus.
DIs moi , Céphife , as-tu vû quelquefois
Au mois de Mai l'oifeau de Cythérée ,
Suivre dans l'air fon amant e adorée ,
L'accompagner à la fontaine , aux bois ,
L'entretenir fur le faîte des toits ,
Goûter près d'elle une joie épurée ,
Et par des jeux renaiflans mille fois ,
Des plus longs jours abréger la durée ?
L'as-tu bien và dévoré de défir ,
Gémir d'amour , foupirer de plaifir ,
L'oeil teint en feu , les aîles étendues ,
De la maîtreffe adoucir les rigueurs ,
Lui demander , lui ravir des faveurs ,
Confondre , unir leurs ames éperdues ,
Et refpirer les foupirs de leurs coeurs ?
Un autre oifeau moins timide , auffi tendre ,
Et qu'au printems l'immortelle Cypris
Souvent préfere aux Cignes du Méandre ,
N'a- t'il jamais enflammé tes efprits ?
Quand fur un arbre , où , l'amante qu'il aime
Semble le fuir , & le chercher toujours ,
Où chaque branche , où chaque feuille même
Devient un trône , un lit pour les amours >
Toujours heureux , il défire fans ceffe ,
4
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
En obtenant il redemande , il preffe
Et pour fon coeur , que rien ne peut calmer
La jouiffance & toute fon yvreffe
N'eft qu'un beton de jouir & d'aimer ?
Dans ce canal , où deux fources fécondes
Viennent s'unir fur un fable argenté ,
Vois cet oifeau , qui fier de fa beauté ,
Trace en nageant un fillon dans les ondes ;,
L'objet charmant à qui fon coeur céda ,.
Etend fur lui fes ailes argentées ,
Et goûte au fein des ondes agitées
Mille plaifirs qu'eut envié Léda !
Vois le concert de tous les coeurs fidelles ,
Parcours les Cieux , & la terre & les mers ,
Céphife , hélas ! toutes ces étincelles ,
Qu'en fecouant fon flambeau dans les airs
Le Dieu d'amour répand dans l'univers ,.
Ses doux plaifirs , & fes peines cruelles ,,
L'égarement , la folie & P'erreur ,
Tout fentiment qui vit dans la nature ,
Pour toi Céphife , eft vivant dans mon coeur.
NOVEMBRE. 1750 : 37
དགུ ཀྱི་ : ་ཡུ % ®
LETTRE
AP Auteur du Mercure , fur la maniere de
critiquer les Piéces de Théatre.
Voici ,Monfieur , quelques idées qui
me font venues , à propos de vos extraits
des Piéces de Théatre , & particulierement
des Tragédies. Vous en ferez tel
ufage qu'il vous plaira. Comme il n'eft
point de genre de Littérature , dont la publicité
foit aufli foudaine & aufli générale,
il n'en eft point de plus univerfellement ,
ni de plus legérement critiqué.
La partie du fentiment eft du reffort de
toure perfonne bien organifée ; il n'eft
befoin ni de combiner , ni de réflechir
pour fçavoir fi l'on eft ému , & le fuffrage
du coeur eft un mouvement fubit & rapide .
Le Public à cet égard eft donc un excellent
Juge. La vanité des Auteurs mécontens
peut bien fe retrancher fur la legéreté
Françoife fi contraire à l'illufion , & fur
ce caractére enjoué qui nous diftrait de la
fituation la plus pathétique , pour faifir
une allufion ou une équivoque plaifante.
La figure , le ton , le gefte d'un Acteur ,
un bon mot placé à propos , cu tel autre
38 MERCURE
DE FRANCE .
incident plus étranger encore à la piéce .
ont quelquefois fait rire où l'on eût dɩ
pleurer ; mais quand le pathétique de l'ac .
tion eft foutenu , la plaifanterie ne fe foutient
point ; on rougit d'avoir ri , & l'on
s'abandonne au plaifir plus décent de verfer
des larmes . La fenfibilité & l'enjouement
ne s'excluent point , & cette alternative
eft commune aux François avec les
Athéniens , qui n'ont pas laiffé de couronner
Sophocle . Ceux- ci avoient peut- être
le fentiment plus vif , mais moins jufte &
moins délicat. Si fur le Théatre François
Hecube éplorée aux pieds d'Uliffe , lui
difoit pour l'attendrir en faveur de Polixene
qu'il veut facrifier : Vous ferez donc
forcé de m'immoler avec mafille ; & qu'Uliffe
répondit , comme dans Euripide : Et
qui m'y forcera ? Je ne connois point de mare
en ces lieux cet Uliffe nous paroîtroit
fort dur, pour ne rien dire de plus , & nous
ne permettrions pas qu'un pareil trait paffât
à la postérité. Quoiqu'il en fort de cette
conjecture , qu'il me feroit aifé d'appuyer ,
les François frémiffent à Rodogune , &
pleurent à Andromaque. Le vrai les touche
, le beau les faifit , & tout ce qui n'exige
ni étude ni réflexion , trouve en eux
de bons critiques.
Il n'en eft pas ainfi de la partie de l'Art.
NOVEMBRE . 39
1750. 1750.
Peu la connoiffent & tous en décident
J'ai fouvent entendu raifonner là deffus ,
& rarement parler raifon . J'ai lû une infinité
d'extraits & de critiques des ouvrages
de Théatre ; le jugement fur le Cid eft le
fcul qui m'ait fatisfait ; encore n'eft - ce
qu'une critique de détail où l'Académie
avoue qu'elle a fuivi une mauvaife méthode
, en fuivant la méthode de Scudéri.
L'Académie étoit un Juge éclairé , impartial
& poli ; perfonne ne l'a imitée . Scu
déri étoit un Cenfeur malin , groffier ,
fans lumieres , fans goût ; il a eu cent imitateurs.
Effrayé peut -être du mauvais fuccès de
quelques uns de vos prédéceffeurs , & dest
difficultés que préfentece genre de critique ,
vous avez , Mr , pris modeftement le parti
de ne parler des ouvrages de Théatre qu'en
fimple Hiftorien. C'eft beaucoup pour votre
commodité particuliere , mais ce n'eft rien
pour l'avantage du Public & des Lettres .
Je fuppofe que votre extrait embraffe &
développe tout le deffein de l'ouvrage ,
qu'on y remarque l'ufage & les rapports
de chaque fil qui entre dans ce tiffu ; l'analyfe
la plus exacte & la mieux détaillée ,
fera toujours un rapport infuffifant dont
P'Auteur aura droit de fe plaindre. Pour
vous en convaincre , Monfieur , rappellez40
MERCURE DE FRANCE
vous ce mot de Racine , ce qui me diftingue
de Pradon , c'est que je fçais écrire. Cet
aveu eft , fans doute , trop modefte ; mais
il est vrai du moins que nos bons Auteurs
different plus des mauvais par les détails &
le coloris , que par le fond & l'ordonnance.
Je ne fçais même fi fur un fimple expofé
des plans , on ne préfereroit pas Capiftron
à Racine. On croit avoir aflez fait,.
quand on a donné quelques échantillons
du ftyle ; mais ces citations font très- équivoques
, & ne laiffent préfumer que trèsvaguement
de ce qui les précede ou les
fuit , vû qu'il n'eft point d'ouvrage où
l'on ne trouve quelques endroits au- deffus
ou au- deffous du ftyle général de l'Auteur
. Vous êtes donc , Monfieur , injuſte
fans le vouloir , peut- être même par la
crainte de l'être , lorsque vous vous bornez
au fimple extrait , & à l'analyſe hiftorique
d'un ouvrage de Théatre. Que penferiezvous
d'un Critique qui pour donner une
idée du St. Jean de Raphael, fe borneroit à
dire , qu'il eft de grandeur naturelle , porté
fur un aigle , tenant une table de la maingauche
, & une plume de la main droite ?
Ileft des traits , fans doute , dont la beauté
n'a befoin que d'être indiquée pour être
fentie . Tel elt , par exemple , le cinquiéme
Acte de Rodo gune , tel eft le coup de gé
NOVEMBRÉ. 1750. 42
nie de ce Peintre , qui pour exprimer la
douleur d'Agamemmon au facrifice d'Iphigenie
, l'a r préfenté le vifage couvert
d'un voile . Mais ces traits font authi
rares que précieux : le mérite le plus général
des ouvrages de Peinture , de Sculp
tare , de Poëfie , eft dans l'exécution , &
dès qu'on le bornera à la fimple analyse
d'un ouvrage de goût pour le faire connoître
, on ſera auffi peu raifonnable , que
fi l'on prétendoit fur un plan géométral
faire juger de l'Architecture d'un Palais .
On vous en a donc impofé , Monfieur ,
lorfqu'on vous a fait entendre que le Public
fouhaitoit que vous fupprimafiiez
de vos extraits les réflexions & les remarques
inféparables de la bonne critique
parlez en fimple Hiftorien des ouvrages
purement didactiques , mais parlez en
homme de goût des ouvrages de goût.
Suppofons , Monfieur , que vous euffiez
à faire l'extrait de la Tragédie de Phédre
, croirez-vous avoir bien inftruit le
Public , fi par exemple vous aviez dit de
la Scéne de la déclaration de Phédre à
Hypolite ?
Phédre vient implorer la protection
d'Hyppolite pour fes enfans ; mais elle oublie
à fa vûe le deffein qui l'amene. Le
eur plein de fon amour , elle en laiſſe
42 MERCURE DE FRANCE.
échapper quelques marques; Hippolyte lui
parle de Thefee ; Phédte croit le revoir
dans fon fils ; elle fe fert de ce détour pour
exprimer la paffion qui la domine ; Hyppolite
rougit , & veut fe retirer. Phedre
le retient , ceffe de diffimuler , & lui
avoue en même tems la tendreffe qu'elle
a pour lui , & l'horreur qu'elle a d'ellemême.
Croiriez -vous de bonne foi , Monfieur
, trouver dans vos Lecteurs une imagination
affez vive pour fuppléer aux détails
qui font de cette efquifle un tableau
admirable ? Croiriez-vous les avoir mis à
portée de donner à Racine les éloges que
vous lui auriez refufés , en ne parlant de
ce morceau qu'en fimple Hiftorien ?
Si les bornes que je me preferis dans
cette Lettre , me permettoient un plus
long détail , je ferois , fuivant votre méthode
, l'extrait du Mifantrope ou de
Cinna , je ferois en même tems l'extrait
d'une mauvaife piéce du même genre , &
vous feriez forcé d'avouer , qu'un Lecteur,
qui n'en fçauroit pas davantage , auroit
raifon de balancer fur le mérite de l'une &
de l'autre .
Mais j'en ai dit affez pour vous convaincre
du tort, que peut faire votre façon
de rendre compte au Public des ouvrages
NOVEMBRE. 1750. 43
dramatiques. Quand vous faites à un Auteur
l'honneur de parler de lui , vous lui
devez les éloges qu'il mérite. Vous devez
au Public les critiques dont l'ouvrage eft
fufceptible , vous vous devez à vous - même
un ufage honorable de l'emploi qu'on vous
a confié . Cet ufage confifte à vous établir
médiateur entre les Auteurs & le Public ,
à éclairer poliment l'aveugle vanité des
uns , & à rectifier les jugemens précipités
de l'autre . C'eſt une tâche penible & difficile.
Mais avec vos talens , de l'exercice &
du zéle , on peut faire beaucoup pour le
progrès des Lettres , du goût & de la raifon.
a
Je l'ai déja dit , la partie du fentiment
a beaucoup de connoiffeurs , la partie de
l'Art en à peu , la partie de l'efprit en a
trop. J'entends par l'efprit cette fineffe de
perception qui analyfe tout , & même ce
qui ne doit pas être analyfé.
Si chacun de ces Juges fe renfermoit
dans les bornes qui lui font prefcrites , tout
feroit dans l'ordre ; mais celui qui n'a que
de l'efprit trouve plat tout ce qui n'eft que
fenti ; celui qui n'eft que fenfible , trouve
froid tout ce qui n'eft que penfé ; & celui
qui ne connoît que l'Art , ne fait grace ni
aux penfées ni aux fentimens , dès qu'on a
péché contre les régles. Voilà pour la
44 MERCURE DE FRANCE.
plupart des Juges . Les Auteurs de leur
côté ne font pas plus équitables . Ils traitent
de bornés ceux qui n'ont pas été frappés
de leurs idees , d'infenfibles ceux qu'ils
n'ont pas émûs , & de pedans , ceux qui
leur parlent des régles de l'Ar . Vous êtes
témoin de cette diffention ; daignez ,
Monfieur , en êire le conciliateur. Il faut
de l'autorité, direz vous ? Il vous eft facile
d'en acquerir. Donnez -vous la peine de
faire deux ou trois extraits , où vous examiniez
les caractéres & les moeurs en Philofophe
, le plan & la contexture de l'intrigue
en homme de l'Art , les détails & le
ftyle en homme de goût : à ces conditions
qu'il vous eft aifé de remplir , je vous fuis
garant de la confiance générale.
RAVICA POPOTACANDEDCISITA
EPITRE
Sur l'établiffement des Grenadiers de France.
Par M. de Vallier Colonel d'Infanterie.
R
Omaine légion , troupe vraiment guerriere
Qui fous les armes as blanchi ,
}
Dont ja ais la valeur n'a trouvé ae barriere ,
D'un habile Miniftre , ouvrage réflechi ;
Vous étiez de vos Corps & la force & la gloire
Votre Roi vous unit , pour affûrer vos coups ,
NOVEMBRE . 1750.
45
el
On eft fous vos drapeaux certain de la victoire ,
On eft für d'ajouter de beaux trairs à l'Hiftoire .
Que ne puis-je au combat .... fur vos pas ... avec
vous ,
Partageant vos hauts faits ; n'en e're plus jaloux !
Rappellerai - je à la mémoire
Ce que vous fîtes à Fribourg ,
Le fac de Bergoopfom qu'on aura peine à croire ,
Rocou Lauffel & Viſlenbourg....
A ce dernier , je matchois fur vos traces ,
Au défaut du canon , je vis vos ras plus sûrs ,
A travers mille feux vous ouvrir des efpaces ,
Abattre des rempars ,, & tenverfer des murs.
Accoûtumés aux horreurs de la guerre ,
Vous paroiffiez n'en craindre que la fin ,
Louis , qui dans vos mains avoit mis fon connerre
Veut aujourd'hui ' éteindre en faveur e la terre,
Et la paix qu'il rend change votre deftin .
Oui , ce Monarque à qui la France eft chere ;
Veut de tous les sujets affûrer le repos ,
Tour óter tout projet & tour ſoupçon de guerre,
Il a facfié des milliers de Heros ,
Moins aux puiffances dela terre ,
Qu'aux François dont il fent , & veut finir les
maux :
Jamais fans crainte , fans allar mes
L'Europe n'eût pu contempler
>
Tant de guerriers brûlans de reprendre les armes ,
falloitia calmer , l'empêcherde trembler.
46 MERCURE DE FRANCE.
Louis en le donnant a baigné de fes larmes
Cet ordre rigoureux , mais utile au bonheur ,
Dont il vouloit aux ens faire goûter les charmes ,
Et qu'il payoit lui feul en fe privant des armes
Dont il connoiffcoit la valeur :
Louis figne à regret , mais l'ordre eft néceffaire ;
D'Argenfon à regret , s'en voit dépofitaire ,
Le Maître & le Miniftre en gémiſſent tous deux ;
Mais pour le bien public il n'eft point d'autre voie
Et l'on défarme enfin ces hommes genéreux ,
Qui prodiguant leur fang le verfent avec joie ,
Quand la gloire du Maître en eft le prix heureux.
On en excepte au moins ces bandes valeureuſes ,
Ces vieux foldats , ces mortels aguerris ,
Fiers enfans du Dieu Mars , ces guerriers favoris ,
Par qui l'Empire a vû fes armes moins heureuſes ▸
Ses projets arrêtés , & fes laetiers flétris.
Tout est mis ici bas dans la jufte balance ,
Et par quelque talent chaque peuple eft fameux:
Mars a dans nos climas fait naître la vaillance ,
C'est le préfent que nous ont fait les Dieur.
Tout François eft né pour la gueire :
Le labouteur armé , devient un fier foldat ,
Du fein des voluptés , le Chef vole au combat :
Le coeur encor tout plein d'une ten dre chimére ;;
Occupé de parure & du defir de plaire ,
* Ordonnances des 11 Septembre , premier Oftobre ,
30 Octobre , 15 Novembre , 20 D cembre , 27 Décembre
1748 , 13 Janvier 1749.
NOVEMBRE. 47 1750 .
Tatend- il la trompette ? Il rit à fon éclat ;
Son goût pour les plaifirs devient ardeur guer
riere ,
Il n'eft fenfible alors qu'au feul bien de l'Etat.
Les François ont reçu la valeur en partage ;
Mais tous n'ont pas la prudence qu'il faut ; '
Pour modérer un trop bouillant courage.
Ardens , impatiens , ils volent à l'affaut ,
S'il faut attaquer un ouvrage :
S'il ne faut qu'affronter la mort,
On leur montre l'endroit, ils s'ouvrent un paffage,
Y trouvent un abîme , où s'y marquent un Port :
L'ardeur de repouffer le bras qui nous accable ( 1 ) ;
A nos fens animés fert toujours d'éguillon ...
Mais être en butte au feu d'un bataillon (2) ,
En voir fortir la flamme épouvantable,
Voir des rangs éclaircis par cent bouches d'aig
rain ,
Voir cent globes de feu ( 3 ) , miniftres du deftin
Qui traçant dans les airs fon ordre irrévocable
Annoncent le trépas qu'ils portent dans leur fein ,
En attendre l'effet d'un vifage ferein ,
Et n'offrir à la mort qu'un front inaltérable ;
La recevoir fans la douner ,
C'eftdu courage humain un effort admirable ;
Et le feul Grenadier peut n'en pas fri . onner.
( 1 ) Bravoure naturelle , defir de ſe défendre.
(2 ) Valeur reflechie des Grenadiers.
(3) La bombe
48 MERCURE DE FRANCE.
On voit la mort fans crai te , on en brave la rage ;
On la reçoit tranquillement ,
Mais il en faut avoir plus fouvent vu l'image (1 ) ,
Pour la porter plus lûrement.
On eft foldat dès qu'on le veut paroître ;
Les travaux , les dangers forment le Grenadier.
Le Miniftre attentif aux intérêts du Maître ,
Habile à bien pefer les talens du guerrier ,
Aux Héros qu'il conferve ( 2 ) allûre un nouvel
être ;
Et prévoyant jufqu'au fein de la paix ,
fçait que la difcorde en peut un jour renaître ;
Il les deftine à repouffer les traits.
Les inftans de fon miniftere
font tous marqués par des bienfaits :
Son coeur immole au bonheur de la terre
Tout ce qui peut fatter d'ambineux projets
Mais quand on eft auffi grand dans la guerre ,
On eft plus grand encor , en confeillant la paix .
4
a) Source d s binnes mannoeuvres à la guerre.
(2 ) Ordonnance du 15 Février 1749 qui afait
un corps des Compagnies de Grenadiers , tirées des
Bataillons reformés , lui a donné le nom de Grena❤
diers de France.
Le
NOVEMBRE. 1750. 49
mymy:D :DDDDD
E Public connoît déja depuis quel-
L ques mois les cinq premiers volumes

imprimés chez Hérant , rue Saint Jacques
, de l'Hiftoire Générale de Pologne
par M. le Chevalier de Solignac , Secretaire
du Cabinet & des Commandemens
du Roi de Pologne , Duc de Lorraine &
de Bar. Recherches exactes , choix dans
les faits , tranfitions ingénieufes , réflexions
fages , portraits bien deffinés , élégance
& pureté dans le ftyle ; tous ces
avantages concourent à faire de l'Hiftoire
de Pologne un Livre utile & agréable .
L'Auteur nous paroît avoir rempli les loix
qu'il rappelle dans fa Préface , & qu'il juge
néceffaires pour bien écrire une Hiftoire.
»Plufieurs Hiftoriens , dit- il , reffem-
» blent à ces Peintres , qui attentifs à copier
en détail tous les traits d'un vifage ,
» ne fentent point le rapport , la conve-
» nance de ces mêmes traits les uns avec
» les autres , ce je ne fçais quoi qui réful-
» te de leur affemblage , & en quoi confif-
» te précisément la reffemblance qu'il im-
»porte de faifir . Pourroit -on croire en
effet qu'il fuffife à un Hiftorien de re
cueillir & de mettre en ordre ce qu'il
C
D
+
59so MERCURE
DE FRANCE
.
"
» veut faire pafler à la Poſtérité ? Il faut
» qu'il développe ce qui en fait l'ame ,
qu'il en marque les vies & les deffeins ,
qu'il rende , pour ainsi dire , l'air & la
» maniere de tout ce qu'il raconte , qu'il
préfere même un portrait fidéle à un
»beau tableau , & qu'il y employe , non
» pas des couleurs d'imagination & de
» fantaisie , mais les couleurs mêmes du
fujet qu'il veut repréfenter. Des faits
» tout feuls , quoique rapportés avec ex ic
»titude & précifion , ne feront jamais
» qu'une Hiftoire infipide. Ils ne font que
» les dehors & l'apparence d'autres chofes
plus effentielles , qu'il eft néceffaire de
» mettre au jour. Toute Hiftoire a un in.
térieur qu'il faut approfondir . Comme
» elle n'a précisément en vûe que ce que
» les hommes ont fait , celle li doit être
eftimée plus parfaite qui découvre les
refforts qui les ont fait agit . Elle eft alors
»un corps plein de vie , & les actions y
≫ confervent toute la chaleur de la paffion,
» dont elles font les effers.
"
»
"
39
39
La digreffion fuivante , qui doit entrer
dans la fuite de l'Hiftoire de Pologne , i
nous étant tombée entre les mains , nous
avons crû qu'il nous feroit permis d'en fai
re part au Public. M. de Solignac à la fin
de fon fecond volume , ayant fait une ef
NOVEMBR B. 1750. It
pece de Differtation fur l'origine , les
maurs & les ufages des Tartares , a jugé néceffaire
auffi de faire connoître les Cofaques,
qui doivent figurer dans les derniers
volumes de fon ouvrage . Cette digreffion
eft intéreflante , elle eft du moins extrêmement
curieufe , & écrite avec un ordre,
une précifion & une élégance, qui doivent
la faire lire avec plaifir.
DIGRESSION
Sur les Cofaques.
ON connoît dans le Nord deux fortes
de Colaques , ceux qui s'étant mis
depuis deux fiécles fous la domination du
Czar de Mofcovie , habitent le long du
Tanais, & que l'on nomme Donskt, & ceux
dont il eft ici queftion , & qui ne font autres
que des payfans de l'Ukraine , que
Pennui du travail , le goût de l'indépen
dance , l'amour de la rapine , & peut-être
encore plus le défir de fe venger des Tarares
de Pérécop , qui avoient tant de fois
ravagé leurs champs & détruit leurs cabanes
, affemblerent dans les Illes du Borylthene
, où fans être proprement Citoyens,
ni
i foldats , ils ne laiffoient pas de vivre
Cij
J2 MERCURE DE FRANCE.
avec une espece de police , & de fe fait
redouter des peuples voifins.
Telle étoit du moins autrefois cette Nation
, que j'entreprends de faire connoître,
mais comme fon courage , fa fortune , fes
ufages , ont varié fouvent , je dois ne la
montrer ici que fous divers points de vûe,
pour ne rien confondre dans un tableau ,
qui plus curieux qu'intéreffant , demande
du moins de l'ordre & de la précifion , s'il
ne peut plaire abfolument par les couleurs
qui lui font propres.
Ainfi que les plus grands Etats , & avec
plus de raifon fans doute , la Nation des
Colaques , dont je veux parler , a eu des
époques de grandeur & d'abaiffement,
d'accroiffement
& de foibleffe . La premie
re époque de ces peuples eft celle de fo
établitlement , tems où ils étoient dans le
délire d'une liberté fauvage , qui épuifo
plus leurs forces qu'elle ne paroiffoit leut.
en donner. La feconde , eft celle où tom
bés tout- à-coup dans une espece de léthar
gie , fuite ordinaire des fymptômes vio
lens , ils fe dévouerent au fervice des Po
lonois , qui les traitant en vaffaux > al
lieu de les regarder comme des Alliés , les
protégerent moins qu'ils ne les maltraite
rent, & exciterent en eux de nouvelle
convulfions qui acheverent de les affoiblit
NOVEMBR É. 1750. 53
La troifiéme époque peut fe compter depuis
qu'ils ne peuvent employer leurs forces
& leur courage qu'au fervice de la
Ruffie , qu'ils faifoient trembler autrefois ,
& qui à préfent , quand fes intérêts le demandent
, délie leurs bras fans les craindre
& les renchaîne avec mépris , dès qu'elle
n'en a plus befoin.
C'eft en fuivant ces époques que je vais
parler d'un peuple dont l'Hiftoire que j'ai
entreprife, m'engage à donner un portrait
exact.
Je commence d'abord par l'étymologie
du mot Cofaque , qui , felon quelques
Auteurs , vient du mot Koza , qui en Efclavon
veut dire Chevre. Ea pétulance , la
rémérité , l'agilité de ces peuples les fit ,
fans doute , comparer d'abord aux animaux
que l'on connoiffoit les plus vifs & les
plus légers , & à qui rien n'eft inacceffible
dans les lieux mêmes du plus difficile
abord. D'autres ont dérivé ce nom des Bateaux
, dont ces peuples fe fervent dans
leurs courfes fur le Boryfthene , & les bateaux
s'appellent Kozi , en Polonois . Un
Auteur fort eftimé a tiré ce mot de leurs
courſes mêmes , que l'on pouvoit exprimer
par le mot Chodzie , qui fignifie aller &
venir, & d'où vrai femblablement on fit'
celui de Chodziaques , converti dans la
G iij
54
MERCURE DE FRANCE.
fuite en celui de Colaques , qui leur eft
refté .
On donne encore à ces peuples le nom
de Zaporowski , dont il eft bien plus ailé
de connoître l'étymologie . J'ai dit qu'ils
s'étoient fait un azile & comme un repaire
des Ifles da Boryfthene ; mais ces Ifles ne
font qu'au-delà des cataractes ou des fauts
de ce Acuve , qui font appellés Porobi en
Langue Polonoife , & c'eft de ce nom
qu'on a fait celui de Zaporowski , comme
qui diroit des gens d'au- delà ces cataractes.
On en compte treize , dont la derniere eft
à fept grandes lieues de celles qu'on rencon.
tre d'abord , & celle- ci à cinquante lieues
de Kiovie. Ces cataractes font formées
par
une chaîne de rochers qui s'étendent d'un
bord du fleuve à l'autre , quelques- uns à
fleur d'eau , prefque tous au - deffus , extrêmement
près les uns des autres , & où l'eau
qui dans tout le cours du deuve , a la plus
grande rapidité , fait des chûtes de 10 à
15 pieds de hauteur avec un bruit effroyable.
Il n'y a que les Cofaques qui ofent s'y
commettre avec leurs canots ; c'eft la premiere
épreuve qu'ils exigent de ceux qui
veulent s'engager dans leur Milice , & qui
doivent non- feulement fe précipiter dans
ces gouffres fans y être engloutis , mais en
NOVEMBRE. 1750. 55
remontant les franchir de nouveau avec autant
de hardieffe & de fûreté , ce qui pasoit
prefque incroyable.
Le premier de ces fauts s'appellent Kudak.
Tous les autres ont chacun leur nom ,
qu'il feroit inutile de rapporter. Les Cofaques
n'ont pas plutôt franchi le dernier,
appellé Wolny , qu'ils vont fe repofer dans
une Ifle , & y célébrer leur fuccès par des
repas de miller , qui ont fait donner à ce
licu le nom de Kaffawarite.
L'une des Ifles qu'ils habitent plus vofontiers
eft celle de Tomahsucka , qui fe
trouve plus près de la Ruffie que de la
Tartarie , & qui a environ trois quarts de
lieues de circuit. C'est une espece de montagne
au milieu des flots , toute couverte
de bois, & d'où l'on peut découvrir fort au
loin le cours de la riviere . C'étoit là autrois
, fi je puis parler air.fi , l'Académie
des Cofaques. Ils y apprenoient à s'endurcir
aux travaux , à la rigueur des tems ,
aux revers de la fortune. Ils venoient achever
d'y étouffer dans leur coeur jufqu'aux
moindres fentimens d'humanité , s'il en
reftoit encore à des hommes groffiers qui
ne cherchoient qu'à les perdre.
Auprès de cette Ifle,& vis-à - vis de l'endroit
où la riviere de Czeriomelik fe décharge
dans le Boryfthene , eft un amas
Cij
56 MERCURE DEFRANCE.
confus de petites Ifles couvertes d'arbuſtes
eu de rofeaux , fi épais qu'on ne fçauroit
voir les canaux qui les croifent & les féparent.
C'est dans les finuofités qu'elles
forment
, que les Cofaques ont coûtume
de cacher leur butin , ou du moins de tous
les effets qu'ils rapportent de leurs courfes
, ceux que l'eau ne peut point endommager.
Chacun fçait à peu près l'endroit
du dépôt des autres , mais ils ne ſe craignent
point. Un intérêt mutuel contient
leur avarice, & foutient parmi eux une inviolable
fidélité. Ils appellent ces bras tor
tueux du Boryfthene Skarbniza- Voyskowa ,
qui veut dire le tréfor de leur armée. Jamais
les Turcs n'ont pu les attaquer impunément
dans cette efpece de labyrinthe .
Ils ont perdu beaucoup de leurs Galeres
en les y pourfuivant ; une fois engagés
dans les détours de ce nouveau Méandre ,
ils n'ont pu en fortir, & les Cofaques les
couchant en joue au travers des rofeaux ,
les y ont fait périr, ou les ont forcés de fe
rendre .
C'est dans ces Ifles qu'ils conftruiſent
leurs bateaux , lorfqu'ils ont réfolu d'aller
faire le dégât fur les côtes de la mer Noire.
Ces bateaux font d'environ 60 pieds de
long , fur dix ou douze de large. Ils n'ont
point cette pièce de bois large & épaiffe
NOVEMBRE. 57 1750.
qui regne de la poupe à la proue de nos
moindres Bâtimens de mer ou de riviere ,
& qui fert de baze à tout le Vaiffeau . Au
lieu de cette quille ils employent un tronc
de Tilleul d'environ 45 pieds de longueur,
qu'ils ont l'art de creufer à un feu tent , &
'ils bordent & rehauffént enfuite de planches,
qui chevillées les unes fur les autres &
foutenues par des traverfes , vont toujours
en élargiffant , jufqu'à- ce qu'elles foient
arrivées à une hauteur raifonnable , qui eft
ordinaitement de 12 pieds:
Ces bateaux étant conftruits & gaudronnés
, ils y attachent en dehors & tout à
l'entour un cordon épais de rofeaux affemblés
& liés avec des cordes faites d'écorces
de Tilleul ou de Merifier ; ce cordon eft
d'autant plus utile , qu'il empêche leurs bateaux
d'enfoncer , même dans les plus
grands orages , même dans le cas qu'ils feroient
eau de tous côtés. Au refte ils font alfer
ces bateaux à rames;ils en ont ordinairement
15 à chaque bord; & comme ces efpeces
de canors font extrêmement longs , ils
fe fervent de deux gouvernaux pofés chacun
à l'un des bouts , & cela uniquement
pour ne pas perdre trop de tems à revirer,
forfque preffés dans un combat , ils font
obligés de voguer en arriere . Tels étoient
peu près les bateaux des anciens Sarma-
C- v
58 MERCURE DE FRANCE.
tes , dont Tacite & Strabon font mention,.
& dont ils louent la légereté & la vîteffe.
Les Colaques le mettent d'ordinaire foixante
à conftruire un bateau , & comme ils
l'achevent en quinze jours , ils peuvent enavoir
quatre-vingt ou cent de prêts en
deux ou trois femaines. Ils les armentchacun
de quatre ou fix fauconneaux ,
& ils s'y mettent au nombre de cinquante
ou environ , avec chacun deux
fufils , un fabre , fix livres de poudre &
du plomb à proportion. Leur bifcuit eft
dans un tonneau de quatre pieds de
diamétre & de dix pieds en longueur ;
ils ne l'en tirent que par le bondon . Ils .
ont auffi un poinçon de millet bouilli , &.
un autre de farine de millet détrempée ,.
qu'ils mêlent enfemble & qui leur fert denourriture
& de boiffon ; ils l'appellent
Salamaka , qui fignifie manger délicieux ; .
fans doute il ne peut manquer de paroîtretel
à des gens à qui la faim & la fatiguepourroient
affaifonner des mers beaucoup
plus infipides ou plus dégoûtans. Cette
nourriture eft la feule dont ils ufent dans.
leurs expéditions . Il leur eft alors défendu
de porter avec eux aucune liqueur qui
enyvre.
Avec ces bateaux les Cofaques ont fouvent
defcendu le Boryfthene & porté leurs
NOVEMBRE. 1750. 59
déprédations dans la Bulgarie , la Romanie
, la Natolie , & jufques dans les fauxbourgs
de Conft ntinople , malgré les Galeres
que les Tu cs entretiennent à Oczakow
pour leur fermer l'embouchure du
fleuve C'eft d'ordinaire en menaçant à
tout moment de leur paffage , que les Cofaques
trouvent le moyen de le fire fans
danger. Ils fatiguent leur ennemi pour le
furprendre , & l'épuifent par les manoeuvres
mêmes qu'ils n'ofent hazarder pour
le forcer.
A peine ont ils débouché dans la mer ;
qu'ils rargent la côte où ils ont deſſein
de pénétrer. Les lieux où elle eft la
moins faine , & où par confequent on fe
dome moins qu'ils prennent terre , font
ceux précisément qu'ils choififfent pour
aboder. Alors ne laillant dans chaque ba--
teau que deux ou trois hommes pour le
garder , ils vont tous enſemble à une lieué
foin , piller les villes & les campagnes
qu'ils farprennent fans défenfe , ou qu'ils
attaquent avec fareur , mais qu'ils faccagent
avec une promptitude qui leur répond !
autant du gain qu'ils fe propofent , que
de la fûreté de la retraite qu'ils veulent
faire fans danger ; c'eft la rapidité de las
foudre dont la chûte prévient l'éclair &
qui a déja tout écrafé quand elle fe diffipe.
G vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Rembarqués avec leur butin , ils retournent
dans leur pays ; mais toujours agités.
de la fureur des Pirateries , ils cherchent à
fe dédommager dans leur fuite même de
ce qu'elle ne leur a pas donné le loifir
d'emporter avec eux . On diroit que tout ,
juſqu'à la mer , doit être tributaire de leur
avarice, aufli la parcourent- ils plûtôt qu'ils
ne la traverfent , & s'ils découvrent au loin
quelque Galere ou quelque Vaiffeau , mêmême
du Grand Seigneur , ils cherchent à
s'en emparer , mais ils s'y prennent avec
adreffe.
Comme leurs bateaux de bas bord ne
peuvent être aisément apperçus , & qu'on
les diftingue à peine des flots qui les portent
, ils navigent hardiment vers leur
proye , & à mesure qu'ils en approchent ,
ils, tournent de façon , que fur la fin de la
journée ils puiffent avoir le Soleil à dos ;
dans cette pofition , une heure avant qu'il
ſe couche , ils s'avancent jufqu'à une lieue
près du Vaiffeau , & ne faifant que lou- ·
voyer , le gardent à vûs , pour qu'il ne
puifle leur échapper . Leur deffein eft de
l'attaquer la nuit ; dès qu'elle eft un peu
avancée , ils rament avec violence , ache
vent précipitamment leur route , la moi
tié de leur équipage fe tenant prêt au com
bat , & n'attendant que le moment d'enve
NOVEMBRE. 1750. 61
nir à l'abordage . Ils n'ont pas plutôt atteint
le Bâtiment, qu'à la maniere dont ils le furprennent
& dans les ténebres fur tout , on
les croiroit autant de monftres marins vomis
du fond des eaux pour punir la téméé
rité de ceux qui ofent s'y commettre..
Ce Bâtiment invefti tout- à - coup de 80-
ou 100 bareaux , contre lefquels le canon
qui ne peut les plonger , devient inutile
eft bientôt à la merci de ces Pirates , qui
après l'avoir pillé , le coulént à fond fans .
aucun regret , parce que, n'en fçachant :
point la manoeuvre , ils ne fçauroient ni
le condaire ni s'en fervir.
Cependant prêts à rentrer dans le Bory
thene , les Gardes des Turcs fe trouvent redoublées
à Oczakow , mais les Colaques ,
dé prefque toujours affoiblis par la perte
plufieurs d'entre eux , morts dans les combats
ou de maladie , peut être même par lé
naufrage, de quelques uns de leurs bateaux
moins folidement conftruits que les
autres , évitent de repaffer par. où ils font
venus , & vont fe jetter dans une anfe qui
eft à l'Eft d'Oczakow , ou l'eau de la mer
n'étant pas bien haute , ils font obligés de
fe mettre deux ou trois cens à tirer leurs
bateaux les uns après les autres , jufqu'à - cequ'ils
les ayent conduits dans le Borysthe
Re , trois lieues environ au- deffus de lá
-
62 MERCURE DE FRANCE.
rade où les Turcs les attendoient,
Quelquefois ils s'en retournent par les
Palus moeoudes , après avoir franchi le
Détroit qui eft e. tre Kiman & Kercy , à où
ils tombeat dans la riviere de Mius , qu'ils
remontent jufqu'où elle pe porter ba
teau. Ils entrent enfuite dans ceile de aczavola
, qui fe perd dans la Samare , &
fuivent cette derniere riviere jufqu'à une
lieue au-deffus de Kutak , où elle va fe jetter
dans le Boryfthene ; mais ce chemin ft
trop long pour des gens empreffés de P rtager
leurs dépouilles , & ce n'eft que da s
un befoin extrême qu'ils le préférent à celui
dont nous venons de parler.
Avec tant d'attention pour affûrer leur
retraite , il eft rare que les Cofaques ne la
faffent heureufement . En général leurs entrepriſes
ne manquent prefque jamais de
réu fir ; le bonheur les fuit , fi l'on peut let
dire aioli , jufques dans leurs difgraces ,
puifqu'elles leur laiffent du moins encore
le défir de les réparer. Toujours heureus
dès leur premier féjour dans les Illes du
Boryfthene , ils donnerent à plufieurs de
leurs voifins , furtout aux payfans de la
haut Volhynie , une extrême envie d'être
agrégés avec eux . La plupart voulure at
être Cofaques, & il leur fut aifé de- le:
devenir,
NOVEMBRE. 1750. 03%
Rien n'étoit plus féduifant pour des peuples
condamnés en naiffant à une éternelle
rudeffe , que de voir fe former devant eux :
une espece de République , où leurs paffions
ne feroient ni gênées par des loix , nii
découragées par des reproches . D'ailleursdes
hommes fa su curs & fans génie , ef.
pece de bêtes féroces , & nourris commeelles
dans les bois, devoivent naturellement:
aimer mieux acquérir tout d'un coup par le:
fang & les rapines , ce qu'ils ne gagnoient
que lentement par des fueurs & des pei
nes , plus capables d'abreger leur vie que
de la foutenir On vit même alors accou,
rit chez les Colaques tout ce qu'il y avoit
dans les Erats voifins de feélérats repris de-
Juftice , ou qui craignoient de l'être ; demalheureux
fans biens & fans appui ; de
gens inquiets & infociables ; de Nobles
fétris ou ruinés , qui n'avoient plus d'au
tre reffource que de vivre inconnus fimplement
, ou d'autre intérêt que de vivre .
De cette forte , les Iffes où les Cofaques
avoient fixé leur demeure , ne purent bientôt
plus contenir ces légions de nouveaux
habitans ; la plûpart fe répandirent dans
les terres , furtoat entre la Ville de Krovie
& celle de Czyrkaffi , qui devint peu de
tems après comme le centre de leurs retraites
& la réfidence même de leur Chef,
64 MERCURE.DE FRANCE
quand ils curent réfolu de s'en donner un ;.
car ils furent encore long tems fans avoir
d'autre maître que leurs befoins , d'autres
loix que leur avarice , d'autre regle dans
leurs courfes qu'une brutale témérité
Cependant des germes de talens , étouf--
fés jufqu'alors par une ruftique indifferen--
ce , fe développerent parmi eux . Ils entrevirent
l'utilité des Arts & les cultive--
rent. Ils firent de la poudre , des fabresdes
fufils. Ils fçurent ourdir des toiles ,
fabriquer des draps , apprêter des cuirs ;
en un mot , ils fçurent vivre ; il ne leur
reftoit que de fçavoir penſér ; mais leurs -
idées ne pouvant s'étendre au- delà de leur
génie , ile ne purent fe donner qu'un néceffaire
abfolu ; ils le prirent même pour
une espece de luxe , & fe crurent heureuxpar
une induftrie , qui ne differant gueres
de leur premiere ignorance , annonçoit
peut- être encore plus fûrement leur ftüpide
groffiereté.
Destinés par leur condition au foc &
la charuë , & preffés par leurs befoins , ils
fe mirent à travailler les terres; mais payés :
trop largement par l'étonnante fertilité du
terrein , de la culture qu'ils lui avoient
donnée , ils s'applaudirent du peu de travail
que cette culture - leur avoir coûté..
Leur pareffe augmenta , & il ne tint pas à
NOVEMBRE. 1750 65
eux qu'au. fein même de la fécondité ils ne
fuffent réduits à fe plaindre de leur indigence
. Un peuple que rien n'excitoit à un
travail férieux que le brigandage , ne pouvoit
être mieux que dans un pays fi fertile ;
mais ce pays méritoit un peuple plus digne
de l'habiter .
Ce fut fans doute l'idée de quelques Polonois
qui vinrent à l'envi y acheter des
biens & y fixer leur demeure. Rien ne
paroiffoit à redouter de leur part.. Accoûtumés
à pouffer la liberté jufqu'à l'excès ,
ils ne pouvoient vrai -femblablement qu'en
augmenter le goût dans une Nation où elle
a'avoit point de bornes. Une confiance.
réciproque unit bientôt les anciens & les.
nouveaux habitans de ces contrées. Le Polonois
, quoique entêté de fa nobleſſe
n'affecta point d'être au- deffus du Cofaque
, qu'il feignoit d'aimer , & le Cofaque,
fans oublier fa baffe origine , fe crut égal .
au Polonois , qu'il ne craignoit point .
Ainfi tandis que les uns toujours avides,
de butin , continuerent leurs courfes , fans
fe méfier d'aucune révolution dans leur
état , les autres abufant de la préfomptueu
fe fécurité qu'ils avoient fait naître , vou
lurent étendre leur pouvoir, & regarderent:
bientôt toute l'Ukraine comme une conquê
e qui pourroit fatisfaire en même-tems.
keur avarice & leur ambition..
66 MERCURE DE FRANCE.
La tyrannie , qui n'eft fage ordinairement
qu'une fois , & en cela feul qu'elle
attend patiemment le moment de paroître,
ne fur
point auffi lente en cette occafion
que le demandoit le génie de ceux qu'elle
avoit deffein de foumettre . Les Colaques
fe fentant enchaînés , fe firent fur le champ
des armes de leurs chaînes mêmes , & op- ор
primerent à leur tour les Polonois qui
s'étoient crus en état de les écraser.
#
Ceux- ci n'agifloient vrai -femblablement
que par l'inftigation de la République, qui
fourdement occupée de leur deffein , fe
préparoit à l'appuyer , s'il répondoit à ſes
efpérances , ou à le défavouer, fi le fuccès
n'en étoit point heureux. Elle prit bientôt
le parti le plus convenable à fes inté
rêts & à fa gloire même. Les Diettes s'éleveren:
contre l'injuftice des Polonois érablis
dans l'Ukraine , & quelque difficile:
qu'il foit de diffimuler avec ceux que l'on
méprife , elles affe&terent un extrême atta
chement pour les Colaques . Tout l'Erat
keur prodigua des marques de confiance &
d'amitié , & les fit du moins douter qu'il
eût eu part aux emportemens dont ils
avoient fujet de fe plaindre.
Quelle que fût la méchanceté
de ces peuples,
ils étoient
fimples
jufqu'à
l'imbécillité
:
Etourdis
par des careffes
qu'ils
n'atten
NOVEMBRE. 1750. 67
doient point, & trop fürs de la prééminence
qu'ils venoient de reprendre dans leur
Patrie , les Cofaques fe livrerent à la République
, & s'engagerent de la fervir , à
condition qu'elle ne fouffriroit point que
les Polonois établis chez eux y priffent jamais
aucun empire.
Rien n'étoit plus avantageux à la Pologne
que ce dévouement d'un peuple , qui
établi fur fes frontieres , pouvoit la garantir
de toute invafion , & qui paroiffoit
d'autant plus aifé à mettre fous le joug ›
qu'il venoit étourdiment s'y préfenter de
lui-même . Quoiqu'il en foit , les Cofaques
, tout féroces qu'ils étoient , fe piquant
de plus de fidélité dans les engagemens
qu'ils avoient pris , qu'on ne s'en
propofoit dans les promeffes qu'on leur
avoit faites , fe fignalerent dans prefque
routes les guerres que le Royaume eut à
foutenir, Ce fut fur tout contre les Tartares
de la Krimée que cette Nation fit éclatter
fa valeur , foit en repouffant ces Brigands
des bords du Boryfthene , lorfqu'ils
étoient prêts à le franchir, foit en les pourfuivant
dans le fond même de leurs contrées,
pour leur arracher les dépouilles qu'ils
rapportoient des Provinces qu'ils venoient:
de dévafter
.
Auffi redoutables à l'Empire Ottoman
88 MERCURE DE FRANCE.
les Cofaques ne perdirent aucune occafion
d'en affoiblir la puiffance. Sous le regné
de Henri de Valois , 7wan Woy wode de
Moldavie , les ayant appellés à fon ſecours.
contre les Turcs & les Palaques aſſemblés
pour lui ravir les Etats , ils montrerent autant
d'habileté que de courage dans des
batailles rangées ; heureux. par le défaut
même d'expérience , ils ne crurent qu'extraordinaire
ce qu'ils devoient s'imaginer
leur être impoffible; ils firent des fiéges, &.
fe rendirent maîtres de toutes les Villes.
qu'ils s'aviferent d'attaquer..
Des fervices encore plus importans , rendus
de tems à autre à la République , leur
attirerent des récompenfes qui parurent
allez conformes à leurs defirs . Ils obtinsent
des priviléges , des accroiffemens de.
Domaines , quelquefois même des fommes.
d'argent ; mais ces dons marquoient moins.
une reconnoiffance dûe à des alliés fidé..
les , qu'une gratification accordée à des Sujets
obéilfans. Ainfi Etienne Bathori leur.
ceda le Château de Trechtimirow , fitué fur
le Borysthene , avec un terrein d'environ
vingt milles d'Allemagne , qui reftoit à
défricher.
Trechtimirow devint alors leur Place d'armes
& la demeure de leur Chef. Ils y dé
goferent les . Drapeaux qu'ils portoient
NOVEMBRE. 1750. 60
dans leurs expéditions , & que la Republique
s'étoit arrogée le droit de leur donner,
pour leur apprendre à ne plus combattre
que fous fes ordres. Ilsy renfermerent leurs
canons , leurs moufquets , toutes leurs munitions
de guerre , & y firent la garde ,
ainfi que des foldats dans une Ville de
garnifon.
Differens des autres peuples , il falloit
les aguerrir pour les dompter , & n'entreprendre
de leur ravir leur indépendance
que par les moyens qui fervent le plus à la
maintenir. Portés naturellement à fe battre
fans regle , à ouvrir un combat & à ne
le point foutenir , à le préfenter de nouveau
& à l'éviter encore , ces hommes toujours
menaçans & toujours fugitifs , & qui
n'étoient en quelque forte invincibles
qu'en feignant à tout moment de ne pouvoir
le devenir , devoient perdre beaucoup
de leur courage , en fe laiffant difcipliner;
& combien peu devoit-on les craindre ,
dès qu'ils n'avoient plus de confiance
qu'aux murs d'une Place qu'on pouvoit
aifément leur enlever , & qu'ils ne pou
voient perdre qu'en perdant routes leurs
forces , qu'on y avoit raflemblées à deffein
?
Dès ce moment la République n'hésita
plus à leur faire fentir tout le poids de fon
70 MERCURE DE FRANCE.
autorité , & comme il arrive ordinaire
ment , fon autorité fut d'autant plus cruelde
qu'elle étoit injufte. Un de leurs Chefs
nommé Podkoa , ayant encouru l'indignation
des Polonois , à caufe d'une inva
hon qu'il avoit faite en Moldavie , fut jet
té dans les fers par Jean Zbaraski , Palatin
de Braczlaw , & bientôt après mis à mort
par ordre de Bathori , qui lui fit un crimé
du pouvoir que les Cofaques lui avoient
confié , comme fi ce pouvoir eût relevé de
La Couronne , par cela feul qu'il prétendoit
l'y affujettir.
Cet Acte de fouveraineté étourdit les
Cofaques , & comme il ne leur reftoit pas
même affez de fentiment pour fe plaindre,
On profita de ces momens pour achever
de les fubjuguer. Ni la reconnoiffance , ni
la justice , ni la Nature même , ne dirent
rien aux Polonois en leur faveur. L'infolence
& le pouvoir déciderent feuls des
intérêts de tous les anciens habitans de
PUkraine, On leur fit bientôt un devoir
de ce qui n'avoit été jufqu'alors qu'un effet
de leur attachement volontaire pour la
République. On choifit parmi eux les jeunes
gens les plus propres à porter les armes
, & ces malheureux , qu'on ne daignoit
pas même foudoyer , n'étoient pas ceux
qu'on épargnoit le plus dans les fiéges ,
NOVEMBRE. 1750.
76
ou qu'on expofoit le moins dans les com
bats.
Cependant on donna des loix à ceux qu'on
abandonnoit comme inutiles dans leur Pa
trie , & ces loix furent fi lévéres , qu'elles
fembloient ne leur laffer que la faculté de
vivre & de refpirer. Peut être les Polonois
en ufoient- ils ainfi par un motif de
politique , que juftifioit la férocité des peuples
qu'ils vouloient fubjuguer ; mais cette
férocité ne pouvoit qu'augmenter par la
rigueur des peines , & porter tôt ou tard
ces mêmes peuples à s'affranchir d'une ty,
rannie dont l'excès même annonçoit la
deſtruction.
. Sans attendre qu'elle finît d'elle- même ,
les Cofaques fçurent s'en dégager. Ils fe
faifirent des premieres armes que leur
fournit leur défefpoir. Ils inonderent la
Pologne , & n'y marquerent leur route
que par des vols & des meurtres , qu'ils
regardoient comme des gages de leurs fuccès
, & qui en furent aufli les premiers.
Dans l'ignorance où ils étoient de toutes
les vertus , ils s'en faifoient une de leur
vengeance , & c'eût été beaucoup pour la
République , s'ils ne lui euffent deftiné
que les mêmes chaînes qu'elle leur avoit
fait porter
.
Les incurfions qu'ils , firent dans le
72 MERCURE DE FRANCE.
Royaume , fouvent au nombre de 200000
combattans , furent fréquentes , extrêmement
vives , mais peu durables. Elles fe
reffentoient du génie de ces peuples , qui
fufceptibles de toutes les impreffions , &
n'en confervant aucune , n'étoient point
touchés du bien qu'on leur avoit fait , &
aimoient autant oublier une injuſtice , que
d'employer trop de tems on trop de peine
à s'en venger . Impatiens dans leurs fuccès
même, les Cofaques foutenoient rarement
par de nouveaux efforts ceux qu'ils avoient
déja faits dans la premiere chaleur d'une
révolte. Cette alternative d'ardeur & de
découragement peut s'appercevoir dans les
Décrets que la République ne ceffoit de
faire pour réfréner leur indocile orgueil;
Ces Décrets fubfiftent dans les Archives
du Royaume , & l'on y voit plus ou moins
d'indulgence ou de rigueur envers les Sujets
de cette Nation , à proportion que la
Pologne étoit ou plus fatisfaite de leur
foumiffion , ou plus indignée de leur infolence.
Les guerres que les Cofaques firent
alors , font une époque des plus brillantes.
C'eft la feconde dont j'ai voulu faire mention
, & dont je rappellerois ici tous les
évenemens , s'ils ne devoient entrer dans
le corpsde cette Hiftoire. Je n'ofe parler,
non
NOVEMBRE. 1750. 73
non plus de l'esclavage où ces peuples font
tombés depuis ; je ne pourrai me difpenfer
d'en montrer la caufe , & peut -être auffi
la rigueur dans les derniers volumes de cet
Ouvrage .
fl ne merefte donc pour achever le por
trait de cette Nation , qu'à décrire fes
meurs , & à les rendre, fi je puis , avec ces
nuances délicates qui peuvent mieux faire
fentir leur difference , ou leur rapport à
celles des autres peuples , & l'oppofition
même qu'elles ont entr'elles. Il en eft en
effet du caractère des Nations , comme de
celui de chaque homme en particulier.
Rien n'eft moins foutenu , ni moins uniforme
, & les peuples les plus policés n'ont
rien à cet égard qui puiffe les diftinguer
des peuples même les plus barbares.
Les Colaques ont naturellement de la
valeur ; mais une valeur farouche qui les
rend audacieux jufqu'à la témérité , violens
jufqu'à la fureur , cruels jufqu'à un
acharnement feroce. Ils ne fçavent ni donner
, ni demander grace à leurs ennemis .
Ils ne connoiffent point la pitié ; ils n'en
veulent point dans les autres .
Un courage fi brutal ne les rend pourant
pas invincibles. Ils ne fçavent ni atndre
l'occaſion , ni s'en fervir ; ni préve-
'r les dangers , ni s'en tirer ; ni pouffer
D
74
MERCURE DE FRANCE:
deurs fuccès , ni profiter de leurs fautes.
Ce n'eft proprement que leur façon de
combattre qui peut les faire redouter . Rarement
ils fe préfentent de front à l'ennemi
; ils cherchent d'abord à le furprendre,
& c'est presque toujours dans une nuit
obfcure , ou dans un tems de pluye & de
brouillards. Alors ils n'avancent qu'en fe
traînant fur le ventre à travers les herbes
& les buiffons ; ils s'élancent enfuite avec
fureur , & portent le carnage & la mort
où un moment auparavant on n'eût poine
Loupçonné qu'ils euffent le courage de pa-
Loître.
Cependant s'ils trouvent l'ennemi prêt
à les recevoir , ils l'infultent , comme j'ai
déja dit , plutôt qu'ils ne l'attaquent. Ils
le cherchent , & ils l'évitent ; ils fuyent ,
& ils reviennent ; ils fe difperfent , ils fe
rallient tour à tour. On ne voit plus en
eux que des fecoulfes de valeur , que femblent
réprimer fur le champ des mouve
ment de crainte. Leurs manoeuvres font
un nouveau stratagême , prefque toujours
plus heureux que le premier. Ils cherchent
aufer l'ardeur des troupes qu'ils ont en
tête; & ils réuffiffent mieux àla rallentir
ou à l'éteindre des combats toujours
indécis , & qui toujours interrompus reviennent
fans ceffe , que par une contipar

NOVEMBRE. 1750 75
Daité d'action , qui redoublant d'un mo
ment à l'autre , & ne pouvant durer longtems
, ranimeroit plutôt le courage de ces
troupes qu'elle ne feroit capable de l'at
tiédir.
De cette forte leurs échecs même , s'ils
en reçoivent , ne font jamais bien dangereux.
Ils fe retirent plus diffipés que vain
cus. Ils fe font craindre jufques dans leur
défaite , & réduifent l'armée qui les a repouffés
, à douter de fon bonheur , au milieu
même de fon triomphe.
Les Colaques n'ont pour armes que des
piftolets & des fufils , dont ils fe fervent
avec une adreffe extrême. Il n'est peutêtre
pas dans le monde de meilleurs ti-
Teurs que ces peuples , & ce talent ne les
abandonne point dans la chaleur d'un
combat , où d'ordinaire la précipitation le
fait perdre aux troupes , même les plus
aguerries. Je ne répéterai point ici ce que
j'ai dit ailleurs de leur marche en Tabord.
C'eft-là particulierement que brille leur
habileté à fe fervir de leurs armes , & que
les coups en font plus redoutables , parce
qu'ils font plus affûrés.
Endurcis à la peine, & naturellement forts
& robuftes , les Cofaques fouffrent aifément
la faim & la foif,le froid & le chaud,
toutes les injures du tems , toutes les in-
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
commodités de la vie. Comme ils ne connoiffent
point d'excès dans les biens , il
n'en eft point aufli dans les maux auquel
ils foient bien fenfibles ,
Leur façon de s'habiller eft extrêmement
fimple ; leur nourriture l'eft auffi . Ils fe
couvrent en hyver de peaux de moutons ,
affez mal préparées , & en été de draps de
laine affez legers , qu'ils manufacturent
eux-mêmes , & qu'ils ne fçavent teindre
d'aucune couleur . Leur nourriture la plus
ordinaire confifte en poiffon & en miller,
Leur pays n'étant qu'une plaine entrecoupée
de rivieres , ils ne fçauroient en aucun
tems manquer de poiffons. Ils en féchent
pourtant , & faute de fel , ils les confer
vent dans de la cendre. Une & grande fimplicité
de vie & de vêtemens , fait alléz
connoître la groffiereté de ces peuples ;
mais ils s'eftiment heureux , & ils le font
peut- être plus que des Nations plus policées.
Il ne leur faut presque rien pour les
néceffités de la vie , & rien ne fuffir aux
autres pour fatisfaire aux caprices de l'ɔpinion
, devenus des befoins auffi effentiels
que ceux de la vie même,
Les Cofaques fe furent à peine donnés
des Chefs ou des Généraux , qu'ils les obligerent
de fe conformer à leurs manieres ,
Le luxe ne leur parut jamais convenir qu'à
1
NOVEMBRE. 1750. 77
des
gens inutiles
, & ils veulent
que leur
Herman
, c'eft
ainfi
qu'ils
appellent
leur
Chef
, ne ceffe
de travailler
pour le bien
de leur Patrie
. Un fimple
rofeau
qu'il
porte
à la main
, eft la feule
marque
qui le diftingue
de ceux
qui ont bien
voulu
plier
fous
fon
empire
.
C'eft ordinaitement dans leur Nation
même qu'ils le choififfent ; s'ils prennent
un - Etranger qui foit noble , il faut
qu'il commence par oublier fon origine ,
qu'ils méprifent ; il faut qu'il s'abbaille à la
condition de ces roturiers obfcurs , & qu'il
fe dégrade, en quelque forte, pour paroître
digne du rang où ils prétendent l'élever .
Aufi ce n'a prefque jamais été que par des
motifs de défeſpoir ou de vengeance , que
des Gentilshommes Polonois ont confenti
à les gouverner. Ce furent ces motifs qui
leur donnerent autrefois Chmeinicki &
Mazeppa , les feuls Hermans qui par leurs
talens & leur courage , ayent paru fe
rappeller
leur naiffance, qu'ils avoient démentie
en s'affociant avec ces brigands.
Ils élifent leurs Chefs , plutôt par acclamations
que par fuffrages , & fic'eft l'un
d'entre eux , & qu'il refufe l'honneur
qu'ils lui déferent , ils le tuent fur le
shamp , comme un traître qui préfere fon
repos aux intérêts de la Nation. Ileft à
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
croire qu'il n'en eft aucun qui n'accepte le
sofeau qu'on lui offre ; mais la vanité ne
l'ayant donné qu'à regret , it eft bientôt
redemandé par caprice. Encore eft-ce un
bonheur de ne le céder qu'à l'inconſtance
d'un peuple , qui plus fouvent malfacre fes
Généraux au moindre échec qu'il a le malheur
d'effuyer dans fes expéditions militaires.
L'autorité d'un Hetman , tant qu'il eft
en charge , ne laiffe pas d'être bien grande.
Maître abfolu des autres Cofaques , il
peut ou les faire empaler , ou leur faire
trancher la tête , lorfqu'il les juge dignes
de mort.
Son pouvoir eft plus limité dans les affaires
générales. Il affemble alors le Con
feil , qu'ils appellent Ruds. Ce Confeit ,
où chacun a droit d'affifter , fe tient dans
une vafte campagne. Le Chef y paroît debout
& la tête découverte , fous l'étendart
de la Nation. C'eft- là , qu'après de pro
fondes inclinations vers la multitude , il
propofe avec douceur & modeftie le fujet
qui la lui a fait convoquer. C'eft ordinairement
dans ces affemblées qu'il tâche de
fe laver des fautes qu'on lui impute , qu'il
érale tous les préfens qu'il a reçus , & qu'il
demande la permiffion de les garder àſon
ufage.
1
"
NOVEMBRE. 1750.
1
79.
Des déferences , fi peu convenables par
font ailleurs , au Chef d'une Nation , font
des devoirs abfolus pour un Général des
Colaques. Il faut qu'il invite au lieu de
contraindre , qu'il plie plus fouvent qu'il
ne commande , & que foible & timide
devant les Sujets , il n'employe fon cou
Lage & la fermeté que contre les ennemis
de la Patrie. Plus jaloux de leur indépendance
qu'aucun autre peuple de l'univers ,
les Cofaques l'ont défendue autrefois avec
plus d'ardeur qu'ils ne défendoient leur
vie.
Tous leurs défauts concourent à leur
faire aimer la liberté. Ils font pour l'ordinaire
hautains , inconftans , méchans jufqu'à
la fcélerateffe . Comme ils ne connoiffent
aucune vertu , ils n'en affectent
pas
même les apparences , & ils ne fe refuſent
point à des penchans malheureux , qu'ils ne
eroyent pas avoir reçus pour les combattre.
L'artifice & le menfonge , marques
certaines de la petiteffe de l'efprit , paffent
chez eux pour des preuves de génie ; plus
un Cofaque eft fourbe , plus il eft refpecté
dans fa Nation .
On diroit que ces peuples ne s'eftiment
heureux , qu'autant qu'ils ne font point
raifonnables. De- là vient leur penchant à
l'yvrognerie , vice fi accrédité parmi eux ,
D iiij
So MERCURE DE FRANCE.
qu'ils ne cherchent point à l'excufer , &
qu'ils s'en font même un fujet de gloire.
En un mot , les Cofaques ne craignent
ni le déshonneur ni la confcience ; ils
ont cependant de l'induftrie , de la foupleffe
dans les manieres , & une adreffe
merveilleufe quand ils font dans le beſoin ,
ou dans la dépendance d'un maître , à ne
montrer de leurs défauts que ceux qui
peuvent leur être utiles . Ils fçavent prefque
tous par une espéce d'inftinct , que
c'est moins par de bonnes que par de mauvaifes
qualités qu'on réuffit à plaire ; que
La plupart des Grands ne fçavent que faire
des vertus d'un honnête homme , & que
l'art de les gagner , c'eft de fe montrer propre
à fervir leurs paffions , en leur découvrant
des penchans qui peuvent leur aider
à les fatisfaire .
Au refte les Cofaques font ordinairement
grands & bienfaits. Ils ont la plupart
un nés aquilin , les yeux bleus , les cheyeux
châtains , la taille dégagée . Ils profeffent
la Religion Grecque , qui par les
fuperftitions qu'ils y ont mêlées , ne contribue
pas à les rendre plus fages & plus
vertueux .
NOVEMBRE . 1750. SI
CATSCĐCĐCAVACA EDCACACACA
CANTATE
Pour Madame ***. Par M. Roy.
Lus fçavant qu'Apollon , l'Amour , le tendre
Amour
Fit éclore les Arts pour les amans fidelles :
Le talent aux foupiis affûre un doux retour ;
C'eftun charme vainqueur des belles.
Mais il fut trop fouvent négligé des humains;
Sexe charmant , l'Amour le remet dans tes mains
Naiſſez , Mufés , naiffez , foutiens de fon empire ;
Tantôt la mufette & la lyte
Vous rendent mille fons touchans ,
Tantôt la douceur de vos chants ,
Ajoute aux fentimens qu'un ſeul-regard inſpire.
Que l'Amour avec vous triomphe ſur la Scéne,,
Vous y ferez regner fans peine
La tendreffe. aveo l'enjouement ,.
Exercer cet enchantement ,
Qui féduit tour àtour les cours , & les entrainer
Naiflez , &c..
Hen eft parmi vous une qui doit primer,
Ceft en elle qu'on voit tous les talens paroître-
Qu'est-il befoin de la nommer ?
Qai de vous peurla méconnoître
Dv
82 MERCURE DE FRANCE..
Graces , pour la couronner ,
Cueillez les rofes de Cythere,
C'est un larcin que votre mere
Confent de vous pardonner..
Graces , &c .
Amour , vole fur fes pas ;
Elle eft ton plus parfait ouvrage ;
C'eft te rendre un nouvel hommage
Que de vanter les appas.
Prends les plus belles couleurs ,.
'Amour , feul Peintre digne d'elle ;
Offre aux yeux l'image fidelle
Que tu graves dans les coeurs.
L
'Académie des Sciences & Belles Let
tres de Dijon , adjugea le 23. du mois.
d'Août 1750 , dans une affemblée publi
que , le Prix de Morale à M. Rouffeau ,
Citoyen de Genéve , qui demeure actuellement
à Paris.
M. F'Abbé de Repas , Chanoine de Notre-
Dame de Dijon , & Honoraire de l'A
cadémie , ouvrit la Séance par une Differ
tation fur la prévention des gens de Lettres
, & fur la préoccupation aveugle des
Sçavans en faveur d'une Science , d'un
fystême ou d'un Auteur,
NOVEMBRE. 1750 83
L'efprit , dit M. de Repas , a fes mala
dies comme le corps , & il faudroit aux
hommes des Hippocrates dans la Morale ,
comme dans la Médecine. Il fuppofe enfuire
une infirmerie pour les malades d'ef
prit ; on y logeroit en fous-ordre ces efprits
prévenus qui voyent trouble ; &
pour traiter méthodiquement cette maladie
, il effaye de démontrer que la prévention
eft 1 : une fiévre de l'efprit , 2º. une
fiévre épidémique parmi les Sçavans , 3º.
une fiévre chaude,fource des querelles fcientifiques
, 4º. une fiévre contiaue , & pref
que incurable.
Premiere réflexion , fiévre d'efprit.
·
Il définir la fièvre qui affecte le corps ,
une intempérie chaude & féche du fang
& des humeurs , qui du coeur fe commu
nique à tout le corps ; & la fièvre de l'efprit
, l'intempérie d'un cerveau malade
qui n'a pas les qualités requifes pour juger
fainement des chofes. On ne peut parvenir
à ce jugement que par deux voies , par
celle de l'examen , & par la comparaifon
des opinions que l'on admet , & de celles
que l'on rejette , deux routes inconnues
à l'homme prévenu , 1 ° parce qu'il n'examne
pas ce qui eft la voie la plus courte
ou parce qu'il n'examine que fuperficiel

Dvi
S4 MERCURE DEFRANCE.
lement , ou parce qu'il n'examine qu'abufivement
, & avec un efprit.fceptique &
pirrhonien .
2°. Parce qu'il ne compare pas , ou qu'il
ne compare pas de bonne for ; parce qu'avec
un efprit étroit & limité , il s'égare
dans cette comparaifon , il s'enfuit de- là
que c'eft fa prévention , & non fa lumiere
qui eft le principe de fa perfuafion , maladie
du cerveau , & fiévre de l'efprit..
Fiévre épidémique.
Il eft certain qu'il faut un goût général
pour connoître dans chaque Science ce
qu'elle a d'eftimable , & que rien n'eft plus
déraisonnable , & cependant rien dé plus.
commun parmi les Sçavans , que ce goût
exclufif , effet de la prévention.
Les uns fe préviennent en faveur d'une
Science , les autres en faveur d'un Auteur:.
fi c'eft en faveur d'une Science , dès - lars.
elle eft la plus relevée de toutes les Sciences.
If eft peu de Sçavans . qui n'ayent ce.
préjugé , ou plutôt cette folie , qui tire fon .
principe de ce que dès l'enfance on a eu.
l'efprit tourné d'un certain côté..
M. de Repas cite les exemples des Sçavans
prévenus , qui voudroient faire de
leur humeur & de leur goût la régle du.
genre humain , & qui à la honte de la rai
NOVEMBRE. 1750. Esi
31

fon , perdent cet efprit d'équité qui donne
à chaque Science fon mérite & fon prix ,,
parce que chacune a fes richeffes & fes
beautés ; qu'un Sçavant par exemple s'entête
d'une Science ou d'un Auteur , c'en,
eft affez pour en faire l'apothéose. Il l'a
choiff pour maître , il ne parle que par fa
bouche; toutes les paroles font des oracles..
Defcartes indécis fur le fyftême du vuide
& du plein , s'enthoufiafime de fon Mentor
Merfenne , c'en eft affez ; & contre les,
propres idées , il adopte une hypothéfe qui
n'a nul fondement,dans la Nature , tant il
eft vrai que la prévention aveugle , & fait.
perdre les idées du fens commun : fiévre:
épidémique..
Fiévre chande..
Qui dit fiévre chaude , dit un tranfport
de l'efprit qui fait dire des chofes furprenantes
& extraordinaires , c'eft une fiévreallumée
par l'humeur colerique , deux effets
de la maladie qui affecte le Sçavant.
fortement prévenu . Nous en avons un
exemple dans les Anglois ; à quels excès :
n'ont- ils pas porté le culte & la vénération.
pour Newton ? I fuffit de lire cette faftucufe
& hyperbolique épitaphe , gravée.
fur fon tombeau à Westminster. A les entendre
, c'eft en lui, feul que la Nature a
MERCURE DE FRANCE.
reçu fon complément ; avant lui elle n'é
toit qu'ébauchée ; les ouvrages du Chancelier
Bacon ( dont il n'a été que le pla
giaire ) ne font plus que marchandifes de
rebut ; Scaliger , ce prodige de Sciences ,
n'eft plus l'homme divin , & tous nos Sça- t
vans , que des vers rampans fur la furface
des Sciences. Ces violens tranfports neprouvent-
ils pas que la prévention eſt anefiévre
chaude , alfumée par l'humeur colé
rique ? En voici les accès & les redoublemens.
Que deux Sçavans fe préviennent ,
pour ou contre une opinion , la difpute
s'échauffe , la bile s'enflamme , & les efprits
s'aigriffent. Que de querelles fcientifiques
entre les fectateurs d'Ariftote &
de Defcartes , entre les admirateurs de
Corneille & de Racine , entre les défenfeurs
de la Profe & de la Poëfie , les partifans
des tourbillons & de l'attraction !Que
de combats de plume ! De- là ces chaleurs
de difpute , ces traits malins , ces reparties
pleines d'animofité. Tels font les effets dela
prévention , fiévre chaude & ardente
→ & enfin
Fiévre continue & prefque incurable.
peut inftruire un ignorant , perfua--
der un incrédule; on ne peut convaincreun
On
NOVEMBRE. 1750 . 87.
1
entêté , furtout s'il eft fier & bilieux ; c'eft
une tête , dit Horace , que l'ellebore des.
trois anticires ne pourroit guérir. Tribus
anticiris infanabile caput.. On en tire la
preuve des principes de Mallebranche. II.
eft certain que les objets impriment leurs.
traces dans les fibres du cerveau : or les
traces qu'impriment dans le cerveau de:
F'homme préoccupé les objets de ſa préoccupation,
font fi profondes que ces fibres
demeurent toujours entr'ouvertes ; le paffage
continuel des efprits animaux , qui
entretient cette ouverture , .ne leur pera
met pas de fe fermer ; l'ame entraînée par
fes penfées , qui font liées à ces traces , demeure
l'efclave de fes penfées ; elle s'y applique
fi. fortement , que toute autre penfée
n'y peut trouver entrée ; de-là vient
que l'on ne s'apperçoit plus de ces écarts,
& que l'on déraifonne de fang froid.
Tribus anticiris , & c.
4
Pour remédier à ce mal par un fébri
fuge , on a confulté ces Hippocrates moraux
, ces hommes célebres qui ont tra
vaillé par des spécifiques à détruire les erreurs
, les travers & les maladies de l'ef
prit. Qu'ordonnent- ils contre la fièvre de
la prévention ?
. Premiere ordonnance , non temerè crea
dera,de ne donner de confentement en
88 MERCURE DE FRANCE.
ier qu'à des chofes évidentes. Seconde
ordonnance , de ne fe décider jamais fur
les raifons d'un feul parti . Troifiéme ordonnance
, de renoncer dans fes jugemens.
à toute vûe d'intérêt & de confidération
humaine. Quatriéme ordonnance , de ren--
dre juftice à toutes les Sciences & à tous
les Auteurs , & d'eftimer dans chacun la
partie dans laquelle il a excellé . La recette:
paroît fûre contre une prévention qui
n'eft point habituelle ; mais fi la maladie eft
longue & habituelle , on a décidé que
l'antidote étoit un préfervatif trop foible,.
que l'ellebore des trois anticires n'étoit
qu'un palliatif , & on l'a abandonnée :
comme une maladie déſeſperée.
Le but de M. l'Abbé de Repas a été d'amufer
en inftruifant , & il a fort bien rem
pli fon objet.
M. Gelot ,"Procureur du Roi au Bu
reau des Finances , Académicien Penfionnaire
, fit enfuite la lecture de l'Analyfe
de la piéce qui alloit être couronnée , &
de celles qui avoientbalancé les fuffrages .
de l'Académie ; mais auparavant il fit voir
quelles étoient les moeurs avant la renaiffance
des Lettres & des Arts .
Il s'agiffoit dans le problême que l'Aca--
démie avoit propofé pour cette année , -
de décider fi le rétabliſſement des Arts
i
NOVEMBRE. 1750. 89
=
& des Sciences avoir contribué à épurer
les moeurs.
M. Rouffeau a pris la négative , & il a
foutenu , que quoiqu'elles ayent pû les
épurer , elles ne l'ont cependant pas fait ,
& il a démontré qu'à mesure que les Arts
& les Sciences le font perfectionnés , les
moeurs fe font corrompues ; il le prouve
par ce qui s'eft paffé en Egypte , en Grèce,
à Rome , à Conftantinople & à la Chine.
Tandis que les Lacédemoniens , les
Scythes & les Suiffes préfervés de la contagion
des vaines connoiffances , conferverent
leur premiere fimplicité , leurs
moeurs étoient groffieres , mais pures , an
tant que l'humanité le comportoit ; les vices
au contraire conduits à Athénes par les
Beaux Arts , enchaînerent la liberté des
Grecs.
Quelques fages , il eft vrai , fe font garantis
de la corruption générale dans le
fein des Mufes , tels furent un Socrate à
Athénes & un Caton à Rome ; mais ce font
de ces exceptions qui confirment la régle
générale. La premiere partie du difcours
de M. Rouffeau eft terminée par cette réflexion
, que les voiles épais dont la Sageffe
éternelle a couvert les Sciences , font une
preuve qu'elle a voulu nous en préferver ,
comme une tende mere , qui arrache des
o MERCURE DE FRANCE.
armes dangereufes des mains de fon en
fant.
L'Auteur nous apprend dans la feconde
partie , que c'étoit une tradition paffée de
'Egypte en Gréce, qu'un Dieu , ennemi du
repos des hommes , avoit été l'inventeur
des Sciences ; nos vices leur ont donné la
maiffance , & nous ferions moins en doute
fur leurs avantages , fi elles la devoient à
nos vertus.
M. Rouffeau invective enfuite contre
cette foule d'Ecrivains obfcurs & de Lettrés
oififs , dont les vaines & futiles déclamations
, & les funeftes paradoxes fappent les
fondemens de la Foi & de la Vertu.
Les Arts , felon lui , ne font pas moins
dangereux pour les bonnes moeurs que pour
l'Etat ; ils ont amené le luxe , & le luxe
entraîne toujours la chûte des uns & des
autres.
D'un autre côté , les talens réglé fur le
mauvais goût de ceux pour qui on les employe
, dégradent les Arts & les Artiſtes.
Louis le Grand les avoit favoriſés ainſi
que les Sciences; il voulut que ces Sociétés
célébres, chargées du dangereux dépôt des
Sciences , & du dépôt facré des moeurs,
cuffent une attention particuliere à en
maintenir chez elles toe la pureté , & à
Yexiger dans tous les membres. qu'elles.ro
NOVEMBRE . 1750. 95
evroient , précaution dont l'Auteur tire
avantage pour fon fyftême , parce que l'on
ne cherche pas , dit- il , des remédes à des
maux qui n'exiftent pas tant d'établiffemens
en faveur des Sciences , annoncent
la crainte où l'on eft de manquer de Phi
lofophes , comme l'on avoit trop de Laboureurs.
Qu'enfeignent cependant ces prétendus
Sages ? Qu'il n'y a point de corps ; que tout
eft en repréſentation ; qu'il n'y a d'autre
fubftance que la matiere , ni d'autre Dieu
que le monde ; qu'il n'y a ni vertus ni vices:
que le bien & le mal ne font que des
chiméres.
Mais parmi les égaremens aufquels le
paganiſme a été livré , a- t'il rien laiffé qui.
puiffe être comparé aux monumens honeux
que lui a préparés l'Imprimerie fous le
regne de l'Evangile ? Les écrits impies des
Leucippes & des Diagoras font prefque
péris avec eux ; mais grace aux caractéres
typographiques , les rêveries de Hobbe &
de Spinofa refteront à jamais.
Si le progrès des Sciences & des Arts
n'a rien ajouté à notre véritable félicité ;
s'il a corrompu nos moeurs , fi leur corrup
tion a porté atteinte au bon goût ; que doit
on penfer de cette foule d'Auteurs élementaires
, qui ont écarté du Temple des.
92 MERCURE DE FRANCE.
Mufes les difficultés qui en avoient défendu
F'entrée , & que la Nature y avoit placées ,
comme une épreuve des forces de ceux qui
feroint tentés de ſçavoir ?
Que penferons - nous de ces Compilateurs
de Dictionnaires , fans le fecours defquels
une populace , indigne d'approcher
du Sanctuaire des Muſes , rebutée par les
difficultés , s'occuperoit à des Arts utiles à
la fociété ?
: Les Verulams les Defcartes , les Newtons
, ces Précepteurs du genre humain ,
n'ont point eu de maîtres ; c'eft à des génies
de cette trempe qu'il eft permis d'élever
des monumens à la gloire de l'efpric
humain ; mais fi l'on veut que rien ne foit
au -deffus du leur , il faut que rien ne foit
au -deffus de leurs efperances. Si les récompenfes
accordées à Ciceron & au Chancelier
Bacon euffent été bornées à une Chaire
dans une Univerfité pour l'an , & à une
penfion de l'Académie pour l'autre , croiton
qu'ils auroient travaillé avec la même
application à ces ouvrages qui feront l'admiration
de tous les fiécles ?
M. Rouffeau conclud en difant , que la
véritable ſcience confifte à rentrer en foi
même ; à écouter la voix de la Nature dans
le fibence des paffions , & que c'eſt-là la
véritable Philofophic.
NOVEMBRE. 1750. 93
Laiffons,dit il , à ces hommes célébres qui
s'immortalifent dans la République des
Lettres la gloire de fçavoir bien dire ; c'est
affez pour un homme qui vit fans ambition ,
de fe contenter de la gloire de bien faire.
L'Académie en couronnant l'ouvrage
de M. Rouffeau , n'a point prétendu adop
ter fes maximes de politique qui ne font
point à nos ufages , ni ce qu'il a dit de
l'inutilité des découvertes des Phyficiens
& des Géométres , en ce que, felon lui , elles
ne contribuent en rien au Gouvernement
de l'Etat , & à la pureté des moeurs ;
il eft en cela forti du problême , car ce
feroit lui donner une trop grande extenfion
, de regarder comme inutile tout ce
qui ne tend point directement à ce but.
La plupart des découvertes ont procuré de
grands avantages , qu'il n'eft pas permis
de les regarder avec indifference. Cependant
comme il a folidement démontré que
le rétabliffement des Arts & des Sciences
n'a
pas contribué à épurer les moeurs , l'Académie
a crû devoir décerner le prix à
la démonstration d'une question de fait
de la vérité de laquelle on ne peut dif
convenir , à moins de s'inferire en faux
contre l'expérience.
M. du Chaffelat , de Troyes en Cham
pagne , a foutenu la négative , ainfi que
94 MERCURE DE FRANCE.
M. Rouffeau ; l'Académie l'a jugé digne
de l'acceffit . Il a parfaitement démontré par
le fait même , combien la corruption des
moeurs étoit devenue générale depuis le
rétabliffement des Sciences , ce qui eft la
même chole que s'il avoit dit , qu'il n'avoit
pas contribué à épurer les moeurs,
Pour prouver la propoſition , il a parfa
couru les differentes meurs des Grecs avant
Periclès , celles du fiécle da fameux Dif
ciple de Zenon & d'Anaxagore , des Romains
avant & fous Augufte , celles d'Ita
talie , fous de Pontificat de Léon X. enfin
les nôtres fous le Regne de Louis XIV .
& par tous ces differens paralleles , & par
le portrait que le Pere Rapin a tracé des
moeurs de fon fiécle , il en conclut que ·les
fiécles les plus polis n'ont point été les plus
vertueux .
Parmi plufieurs Differtations fçavantes
qui ont été adreffées à l'Académie pour
l'affirmative de fon problême , celle de :
M. l'Abbé Talbert, Chanoine , Coadjuteur
de l'Eglife Métropolitaine de Befançon
lui a paru la mieux écrite .
Si l'Académie n'avoit confulté que fon
inclination & fon zéle pour les Lettres ,
elle fe feroit rangée du parti de M. Talbert
; mais c'eût été trahir celui de la vérité
, & faire tort aux Sciences , puiſqu'il
1
NOVEMBRE. 1750. 95.
a'arrive que trop fouvent , qu'en voulant
par un zéle mal entendu accorder à quelqu'un
des avantages dont il ne jouit pas
on donne lieu par cette partialité à des
doutes fur ceux qu'il pofféde véritablement.
Il n'eft que trop vrai que les Scien
ces ont produit plus de mal que de bien ,
parce que celui- ci n'eft jamais par fes effets
en railon égale avec l'autre . M. Talbert a
fait valoir l'utilité des Sciences & leur néceffité
; la question de droit a été épuisée
& mife dans le plus beau jour ; mais en
banne Logique on ne conclud jamais de
l'acte par le pouvoir ; il a négligé la queftion
de fait , la feule dont il s'agiffoit dans
le problême ; l'Académie ne demandoit pas
Gles Sciences pouvoient épurer les moeurs,
elle en est très perfuadée ; mais fi elles les
avoient réellement épurées , c'eſt à - dire , ſi
les hommes étoient devenus plus vertueux,
plus fincéres , plus équitables , à ne les
prendre que dans l'ordre moral ; c'eft à
ce point de fait qu'il falloit une démonf
tration , M. Talbert ne l'a point donnée ;
il a toujours argumenté du fair par le
Droit , au lieu qu'il falloit prendre une
route contraire , il fentoit fans doute la
difficulté du fuccès ; il devoit convenir de
bonne foi , que les Lettres utiles & néceffaires
à certains égards , n'ont pas toujours
96 MERCURE DE FRANCE.
produit l'effet qu'on devoit en attendre;'
faites pour éclairer l'homme , elles n'ont
que trop fouvent contribué à faire naître
des doutes ; ce qu'il a gagné du côté de
l'efprit, a été pris fur la tigidité des moeurs ;
par le commerce des Sciences , elles font
devenues plus douces & plus fociables ,
lles ont même dépouillé leur antique feocité.
L'éducation & l'ufage du monde
nt pû opérer ces changemens ; mais ce
' eft point de cette forte d'épurement dont
I s'agiffoit. Plus fçavans peut-être & plus
éclairés que nos peres , fommes- nous plus
gens qu'eux ? Voilà le point de la
honnêtes
lifficulté.
Quels vices en effet regnoient parmi eux,
qui ne reparoiffent aujourd'hui les mêmes,
ou fous des modifications differentes ? Ils
font plus rafinés , il eft vrai ; mais ils n'en
font pas moins des vices. C'eft faire grace
aux Lettres , de dire qu'ayant lors de leur
rétabliſſement trouvé les hommes déja corrompus
, elles les avoit laiffés dans le mê
me état ; c'eft affez pour les Sciences , que
l'Académie convienne, qu'elles pouvoient
épurer les moeurs , fi on n'en avoit point
abufé . Un femblable aveu de fa part n'aura
rien dont l'ignorance puille tirer le plus
leger avantage ; elle n'a point prétendu la
favorifer. On peut avec un grand fond
d'ignorance
NOVEMBRE. 1750. 97
!
d'ignorance n'avoir point de moeurs , il eft
poffible que l'on en ait avec de la fcience ;
la perverfité ou la rectitude du coeur en décident,
& les fciences ainfi , que l'ignorance,
n'en font que les caufes occafionnelles : une
Académie qui dévoile la turpitude du
coeur humain , & l'abus qu'il fait de fes
lumieres , n'eft point cenfèe avoir voulu
renouveller vis -à - vis des Sciences l'indifcrétion
indécente du Pere de Chanaan ,
& elle ne doit point en appréhender le
fort.
1
VERS
Sur l'accouchement de Madame la Dauphine,
le 26 Août.
SI F'augufte Marie & fon illuſtre Epoux
Ne nous donnent qu'une Princeffe ,
Loin d'en fentir moins d'allégreffe ,
Titons- en hardiment l'augure le plus doux.
D'un pas égal marchant à la victoire
Nous avons vu le Dauphin & le Roi ,
Fixer aux champs de Fontenoi ,
De l'Empire des lys le deſtin & la gloire
Mais l'Olive bientôt éclipfa les lauriers.
La Paix étoit le but de leurs travaux guerriers
Notre félicité fut leur plus cher ouvrage.
E
98 MERCURE
DE FRANCE
.
Heureux par leur amour , heureux par leur con
rage ,
Que nous manque- t'il donc ? Un troifiéme Louis,
Héritier des vertus & du Pere & du Fils.
La tendre Fleur qui vient d'éclore ,
Eft le gage certain de ce précieux fruit ;
Pourrions-nous ignorer que Dieu n'a fait l'Aurore
Que pour nous annoncer le Soleil qui la fuit è
Jefon,
AUTRES
Sur le même fujet.
Vous attendiez un Prince, adorable Dauphineş
Le Ciel , qui conduit tout. en décide autrement ;
Mais rien ne peut förtir d'une tige divine ,
Qui ne ferve toujours au monde d'ornement.
Précieux jour natal d'une jeune Déeffe ,
Vous décorez le Ciel du plus bel appareil :
De tous les coeurs François elle aura la tendreſſe;
C'eſt l'Aurore qui vient annoncer le Soleil .
Laffichard,
F¿
NOVEMBRE. 1750.
Nous
A M. PIRON ,
Sur fa Penfion.
Ous nous deffechons à ſcruter
Les décrets de la Providence ,
Et nous paffons à difputer
Des jours faits pour la jouiffance ,
Ton mystérieux Bienfaiteur
Eft femblable au fouverain Etre ,
Il parle moins aux yeux qu'au coeur
Tu dois l'aimer fans le connoître.
D. Bonneval.
REPONSES
Pour & contre ,
Ala Question proposée au Mercure du mois
de Septembre 1750 : Quel est l'amant qui
aime davantage , ou celui qui dit , Je vous
aime cent fois plus que je ne voudrois ; on
celui qui dit : Je voudrois vous aimer
cent fois plus que je ne vous aime.
JE
En faveur du premier.
E réponds à la Queſtion ,
Qui des deux aime davantage.
E ij
Do MERCURE DE FRANCE
Lequel pour l'objet qui l'engage
Semble avoir plus de paffion ,
De l'amant qui lui dit , dans fon malheur extrême;
Je vous aime cent fois plus que je ne voudrois ;
Ou de l'amant qui dit , au ſein du bonheur même
Je vous aime & voudrois vous aimer plus cent fois,
L'un montre une flamme complette ,
Dont , malgré les efforts , il ne peut rien ôter ;
L'autre avoue au contraire une ardeur imparfaite,
Dès qu'il afpire à l'augmenter.
En faveur du fecond,
Un amant dit à l'objet qui l'engage ,
Je vous aime cent fois plus que je ne voudrois :
Un autre amant s'exprime en ce langage ,
Je vous aime & voudrois vous aimer plus cent fois
Qui des deux aime davantage ?
L'un femble peindre fon ardeur ,
Et l'autre fa délicateffe ;
L'un fait l'éloge de fon coeur ,
L'autre celui de fa Maîtreffe.
Décidons. L'un fçait moins aimer ,
Dès qu'il veut aimer moins qu'il n'aime
L'autre aime plus , en cela même ,
Qu'il défire plus s'enflammer.
Doré.
NOVEMBRE.
1750. tor
LETTRE EN REPONSE
A M. * * *, fur la diſſolution du plomb dans
la veffic.
E ferois un ingrat , Monfieur , fi je
manquois de répondre à l'eftime , à l'amitié
& à la confiance dont vous m'honorez
depuis long- tems. Vous me marquez
que vous êtes allarmé de voir chez quelques
perfonnes , qui ne me connoiffent
que de nom, ma probité fufpectée depuis la
mort de M. de Poinfable , Gouverneur de
la Martinique , parce que des lettres venues
de ce pays- là, difent qu'en faifant l'ouverture
de fon corps , on a trouvé dans ſa
veffie la même fonde de plomb dont je difois
l'avoir débarraffé il y a quinze mois.
Vous me demandez des éclairciffemens fur
fa maladie, & fur la maniere dont je l'avois
guéri ; vous demandez encore ce que je
penfe de ces lettres. Il est bien aifé de vous
fatisfaire , & vous jugerez facilement fi
c'est moi qui en ai impofé, ou fi c'eft celui
qui a fait l'ouverture du défunt .
Il y a plufieurs années que M. de Poin
fable eut une rétention d'urine , caufée par
une inflammation au col de la veffie. ( Qui
feait fi cette inflammation n'étoit point un
A
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.

nouvel accident furvenu en conféquence
de quelque maladie plus ancienne qui
avoit déja netreci le canal de l'arethre ? * )
Ceux qui font au fait , fçavent que ces rétreciffemens
que fouvent on porte fans y
faire beaucoup d'attention , font une fuite
affez ordinaire de certaines maladies de la
jeuneffe , dont peu de gens fçavent fe garantir
, & qu'ils augmentent peu à peu
avec l'âge. L'inflammation fut fi grande
qu'il penfa mourir. Après avoir fait inutilement
tous les remedes que les Chirurgiens
du pays purent imaginer , un paffager
Anglois , fe difant Chirurgien , lui fit dans.
l'urethre des injections dont on ignore la
compofition , & enfin cette inflammation
fe termina par un abfcès qui ſe perça vers le
col de la veffie, & le pus
fortit par Puréthre
en très-grande abondance. Cela dura affez
long- tems & il guérit enfin ; mais l'urethre
& le col de la veffie, dont le rétreciffement
s'étoit accru par la cicatrice & par les injections
, ne laiffa plus fortir l'urine qu'en
un jet très fin . Pour peu qu'aux parties affectées
il fe fit de gonflement ou d'inflammation
, ce qui arrivoit affez fouvent , cela
rétreciffoit encore le paffage. Le malade fe
trouvoit alors obligé à le dilater par l'ufage
d'une fonde de plomb , qu'il fe mettoit
Vrethre , chemin par où l'urine s'écoule
NOVEMBRE. 1750. 103
lui- même quelques jours de fuite ; après
eela il en ceffoit l'ufage , en attendant un
nouveau befoin de la mettre.
Pour rendre cette fonde plus coulante ,
& qu'elle entrât plus facilement , fon Chirurgien
lui confeilla de la frotter de vifargent.
Sa fcience ne s'étendoit pas apparemment
jufqu'à fçavoir,que ce métal rend
tous les autres métaux caffans. Effectivement
M. D. P. ayant mis le 6 Mars 1749
fa fonde de plomb, elle fe caffa dans l'urethre
, de maniere qu'il n'en retira que
les deux tiers , le reste ayant coulé jufques
dans la veffie. Son peu de confiance aux
Chirurgiens du pays , qu'il connoifſoit ,
Pengagea à partir huit jours après pour venir
en France chercher du fecours. Il confulta
par écrit en Angleterre , ainfi qu'ailleurs
, bien des Médecins & Chirurgiens
avant que d'arriver à Paris. Il ne fentoit
point de douleur à la veffie ; mais il y fentoit
remuer la fonde de plomb dans tous
les mouvemens qu'il fe donnoit , ce qui lui
fatiguoit beaucoup l'imagination , relativement
aux fuites. il craignoit que le plomb
ne s'incruftât de gravier & ne devint le
noyau d'une pierre. Cela fit que pendant
toute la traversée il laiffa baigner dans fon
urine un morceau de fonde de plomb. Certe
épreuve le raffura un peu , parce que ni
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE.
le plomb , ni le pot de chambre , qu'exprès
on ne lavoit pas, ne s'incrufterent point de
gravier , comme cela arrive quand les urines
font difpolées à la pétrification par
leur qualité.
Arrivé à Paris , il confulta M. Vernage
& M. Cafteras , tous deux Docteurs en Médecine
, de grande réputation , & me confulta
enfuite .
Je crus pouvoir faire fondre la fonde de
plomb , & rendre ce métal coulant comme
le vif- argent , quoique dans la veffic , &
par-là lui épargner l'opération de la tai-
Ile , qui , felon tous les avis , étoit le feul
moyen de l'en délivrer. Mrs * les Médecins
fçachans les differentes épreuves que j'a
vois faites dans des vafes pour y fondre le
plomb , fans autre chaleur qu'une trèse
médiocre , & équivalente à la chaleur na
turelle , demanderent d'autres épreuves fur
desan i maux vivans . Vous fçavez que j'en
fis fur deux âneffes , dans la veffie deſquelles
je fis fondre un lingot de plomb que
j'y avois introduit ; que fous les yeux de
M.D. P. & chez lui- même , je fis deux fois ,
à huit jours l'un de l'autre , la même chofe
à un Crocheteur , qui voulut bien s'y
prêter ; cela a été affez public . Vous fçavez
que toutes ces épreuves réuffirent , &
* Yernage & Cafteras.
NOVEMBRE . 1750 .
1ος
vous avez vû le Crocheteur , qui fe porte
bien & qui ne fent aucune douleur.
Il n'en fallut pas davantage pour déterminer
M. D. P. à fe débarraffer de fa fonde
, encouragé par Mrs les Médecins qu'il·
avoit confultés , par M. Aftrue qu'il vit
encore , & par tous les amis . Je fuivis donc
la même méthode , dont tant d'épreuves
avoient conftaté l'utilité , & que tout an
tre auroit ſuivie en ma place.
Notre unique but étoit de fondre le
plomb de la veffie, & de le faire fortir avec
les urines & le mercure coulant qui fervi
roit à le diffoudre , car cela n'étoit pas capable
de guérir la maladie de l'urethre & du
col de la veffie.Ces parties étoient déja allez
affectées , pour craindre de les irriter & d'y
exciter une nouvelle inflammation . Par
cette raison j'évitai de me fervir de la
fonde d'argent pour faire entrer le mercure
dans la vellie , & je ne l'y fis couler que par
fon propre poids , l'introduifant dans le
commencement de l'urethre avec un petit
entonnoir.
1
Huit nuits furent employées à cette opé--
ration , & quatre auroient pû fuffire ; car
dès la quatrième j'eus une preuve preſ--
que complette que la fonde étoit entierement
fondue ; la voici . M. D. P. uri
nant couché fur le côté dans fon lit , fen-
Ev
166 MERCURE DE FRANCE
tit au col de la veffic quelque chofe qui y
étoit arrêté & qui le piquoit. Il me fit ré
veiller & j'y allai ; je penfai que la fonde,
qui devoit néceffairement fe fondre dans,
routes fes furfaces , devoit être réduite en
forme d'éguille plus au moins groffe , &
que probablement c'étoit elle qui s'étoit
arrêtée à l'orifice de la veffie ou dans fon.
col . En conféquence je crus qu'un peu demercure
coulant , introduit par l'urethre "
remporteroit cette aiguille jufques dans
la partie large de la veffie. J'en introdui- .
fis donc une petite quantité , & for le
champ la douleur ceffa , comme je l'avois
prévu. Je ne laiffai pas d'en mettre encore:
quatre autres nuits de fuite, pour être certain
de la fonte entiere , & les dernieres
fois on n'apperçut plus de plomb dans le
mercure lorfqu'il étoit forti , comme on
Py diftinguoit fenfiblement les premieres.
fois. Le plomb étant diffout , rendu coulant
comme le vif- argent & forti avec lui par
Purethre,fut enfuite féparé du vif-argent &
remis en maffe ; je penfai donc que tout.
étoit entierement fondu & forti..
Je crois , M. devoir prévenir une quef
tion que vous ne manqueriez pas de me
faire ,me demandant fitout le plomb a été
retrouvé quand on en a féparé le vif-argent..
La choſe a été impoffible , voici pourquo
NOVEMBRE. 1750. 107
Je le faifois couler dans la veffie fur les 10
à 11 heures du foir , pour qu'il y reflât
jufqu'au matin. Le malade, urinant la nuit
couché fur le côté , ne rendort que l'urine ;
mais en fe tournant pendant le fommeil, il
fortoit quelquefois du vif- argent fans qu'il
s'en apperçut , & on en trouvoit dans fes
draps ; il fe levoit entre 6 & fept heures ,
& rendoit avec fon urine la plus grande
partie du vif- argent , où une portion de
plomb diffour étoit mêlée. Dans la journée
il en fortoit encore affez fouvent fans
qu'il s'en apperçût , car ce métal étant en--
tré dans la vellie par fon propre poids
pendant que le malade étoit couché
quelques portions reftées dans les rides de
la veffie , fe préfentant à l'orifice quand
il étoit debout , franchiffoient encore le
col par leur poids & fortoient. On en a ¹
trouvé dans les bas , & les fentés du par
quer de fa chambre en étoient remplies.
Ainfi nous ne nous fommes jamais attendus
à retrouver tout le plomb & tout le vif-ar- ·
gent que j'avois employé . Vous fçavez que :
ces deux métaux pefent beaucoup , & que
pour peu qu'on en perde , on en perd plufrears
onces ; il s'en eft encore perdu dans
l'opération chymique qu'il a fallu faire :
pour féparer ces deux métaux. Je crois
avoir fuffitamment répondu à la quef--
IoS MERCURE DE FRANCE .
tion , ainfi je reprends ma narration .
La tranquillité d'efprit fuccéde aux
inquiétudes ; M. de P. fe fent guéri , &
il le publie à toute la France , parce qu'il
ne fent plus la fonde dans fa veffie , malgré
trois ou quatre rhumes affreux qu'il eut en
deux mois de tems , où les fecouffes de la
toux auroient dû la lui faire fentir plus
que jamais.
Pendant ces deux mois il eut plufieurs
fois en urinant ces ardeurs auxquelles il
étoit fujet , & le jet de l'urine devenant
plus fin , il fe mettoit affez fouvent une
fonde de plomb , comme ci- devant , mais
elle n'etoit pas frottée de mercure. Si ce
morceau de fonde , qui le fatiguoit avant
fon arrivée ici , avoit encore été dans la.
veffie , la fonde de plomb qu'il fe mettoit,
l'auroit frappé , comme la fonde d'argent
que nous introduifons dans la veffie , frapr
pe une pierre qui y eft ; mais ni lui ni moi.
ne.l'y avons jamais fenti ,
Il avoit coûtume de vivre dans un pays
chaud , & les rhumes trop fréquens qu'il
a effuyés ici , lui faifant connoître que ceclimat
ne lui convenoit pas , il part au
mois de Septembre pour retourner dans
fon Ifle. Là il publie avec joye que je
l'ai délivré de fon plomb fans lui faire
d'opéation . Il maltraite de paroles les
NOVEMBRE. 1750: 169
Chirurgiens du pays , ( ce n'eft pas ce qu'il
fit de mieux , car il n'en avoit pas d'autres
, & il pouvoit fe faire qu'il en eût befoin
un jour , ) & il m'écrit le 9 Mars .
1750 en ces termes : Monfieur , j'aurois
bien des reproches à me faire , fi je ne vous
donnois des nouvelles de mon arrivée en cette
Iſle en bien meilleure fanté que je n'aurois dû
l'efperer ; elle s'eft confidérablement raffermie
les quinze premiers jours que j'ai été à terre.
Il n'avoit donc plus fenti fa fonde , malgré
les fecouffes de la pofte & les fatigues de
la traversée. Il continue. Peu de tems après
J'ai fenti aux bourses des douleurs vives avec
deux accès de fièvre , & un tefticule s'est enflé..
Deux faignées & des cataplafmes ont calmé·
le tout. Hier le même gonflement m'a repris ame
ufticules j'espere , mon cher Monfieur , que·
vous voudrez bien avoir la bonté de me mar
quer votre fentiment & les remedés que je dois
employer pour éviter cela. Qui eft ce qui ne
fçait pas que les maladies du col de la veffie
& de l'urethre caufent fouvent ces gon
flemens à l'un ou à l'autre tefticule , parce
que c'eft dans le commencement de l'ure.
thre , qu'on nomme communément le col
de la veffie , que font les caroncules * qui
Taiffent échapper lá femence filtrée dans le
refticule ? Mais nous fçavons auffi que les .
* Caroncules , efpeces de Valvules..
LTO MERCURE DE FRANCE
maladies du corps de la veffie n'occaſionnent
pas de gonflement au tefticule , témoins
tous ceux qui ont une pierre dans la
veffie , & à qui il n'en arrive pas. Il eft à
remarquer que la lettre de M. D. P. ne dit
pas un mot de fon morceau de fonde qu'il
ne fent plus , & cela fe rapporte avec une
lettre que j'ai reçue de la Martinique , où
le Chirurgien qui m'écrit
pour m'inftruire
de cette mort & de ce qu'on dit avoir
trouvé dans la veffie ( car il n'y étoit pas )
s'explique en ces termes. En effet il ne fe
plaignoit plus de fa fonde depuis qu'il croyoit
l'avoir dans fa poche. "
!
Il ne me reste plus , M. qu'à vous dire ce
que je penfe de l'ouverture du corps, & de
la fonde de plomb que le Chirurgien dit
avoir trouvée dans la vellie. Comme il
avoit beaucoup maltraité tous les Chirurrurgiens
du pays fur leur peu de capacité,
la fuppofition de la fonde ne m'a pas étonné
; elle étoit néceffaire pour prouver ce
qu'ils avoient avancé , car quand M. D. P.
fut arrivé dans fon Ifle , lors même qu'il
fé fentoit le mieux rétabli , fuivant les ter
mes de fa lettre , le Chirurgien foutenoit
hautement que la diffolution de la fonde
en la veffie étoit impofible , & qu'elle y
éroit encore toute entiere , comme avant
fon voyage en France . Enfin , felon lui ,
}
NOVEMBRE. 1750. 11T
eela ne pouvoit être , puifqu'il ne le com
prenoit pas. Après la mort il a donc fallu :
la trouver, & pour la trouver il a fallu la.
mettre adroitement dans la veffie en l'ouvrant
; cela étoit d'autant plus facile qu'on
ne s'en méftoit pas. Combien de fois ,
trompant les yeux des affiftans qui nevoyent
qu'avec horreur & imparfaitement:
Fouverture d'un mort , n'avons- nous pas
tous tant que nous fommes , enlevé fans,
qu'on s'en apperçût des parties naturellement
formées d'une figure irréguliere , ou
que la maladie avoit rendues affez curieules
pour mériter d'être confervées ? 11.eft :
auffi facile de mettre que d'ôter , & alors .
perfonne ne le fçait que Dieu & celui qui
fait . Je le répete donc , je ne m'étonne
pas qu'on ait ôté de la veffie une fonde ,
puifqu'on l'y avoit mife ;mais pour vous .
fatisfaire , il ne fuffit pas de le dire , il faut
le prouver , c'eft ce que je vais faire par le
procès verbal même de l'ouverture qu'on
en a fait. L'ouverture que nous fimes le len
demain de la mort à fix heures du matin , of
frit à nos recherches lá veffie que nous eumes.<
beaucoup de peine à découvrir , tant elle étoit
racornie . Sans être un grand Anatomiſte ,.
on la trouve d'abord , fçachant où elle eſt±
placée, & il falloit qu'elle ne fût gueres racornic
pour contenir une fonde longue des
TT MERCURE DE FRANCE .
Trois pouces & plus . Elle étoit en outreſoudée:
avec le Rectum. Tout Anatomifte fçait que
la veffie , faine comme malade, vuide com
me pleine , tient par un titfu cellulaire à la
portion de l'inteftin rectam qu'elle touche.
Eft-ce là ce que le procès verbal en
tend par le terme fondé , terme que nous
autres Anatomiftes n'entendons point.
Suite néceffaire de l'inflammation qu'elle avoit
contractée dans les injections tormineufes dus
mercure , en forte qu'il fallut l'en séparer avec
le biftouri. Le mercure coulant avalé , mê-:
me en grande doſe , ne cauſe pas d'inflam
mation aux inteftins ; s'il en eûr caufé à la
veffie , la douleur , qui eft inféparable de:
l'inflammation,fe feroit fait fentir auffi tôt,
& nous euflions fufpendu fon intromiffion
dans la vellie. Il paroît que ces Mrs fontauffi
habiles en inflammation qu'en Anatomie..
En ayant fait l'ouverture , nous en vîmes™
fortir avec étonnement & en fon entier le
morceau de la fonde qu'il y avoit rompu . De.
là on veut conclure que je ne l'avois pas
fondu , & que j'avois abufé de la confiance
du malade , me contentant de guérir fon
imagination. Le mercure introduit par l'u
rethre n'a pu couler ailleurs que dans la
vefie. Je voudrois bien qu'on me donnât
la raifon phyfique pour laquelle le mercu--
I
NOVEMBRE. 1750. 123
re , fans toucher cette fonde ; a empêché
qu'elle ne fût balottée dans la veffie , & ne
fe fit fentir comme auparavant. J'ai montré
par bien des épreuves que le plomb fe difloud
dans le mercure coulant & s'amalga
me avec lui . Je dis plus , c'eft que ces deux.
métaux étant mis enfemble , fur tout lorfque
le mercure eft préparé , il eft impoffible
qu'il ne fe faffe pas une diffolution
parfaite du plomb. Et comme en huit foisil
en a paffé 32 onces dans la veffie de M.
D. P. cette quantité a dû néceffairement
diffoudre tout le morceau de fonde qui y
étoit. Depuis les lettres arrivées j'ai encore
introduit , dans la veffie de deux animaux
vivans, du plomb avec le mercure , en pré
fence de Médecins & Chirurgiens , &
même de tous ceux qui ont voulu en être
témoins : écoutez- les parler.
Nous fouffignés , Docteurs Régens en la
Faculté de Medecine de Paris , avons vû &
certifions ce qui fuit . Hier 20 Août 1750,
nous étant tanfportés chez M. le Dran , Maî
ure en Chirurgie, nous avons vû introduire.
dans la veffie d'une âneffe un lingot de
plomb, du poids d'un gros , & auffitôt on y
a introduit cinq onces de mercure coulant.
Nous avons vû mettre dans un bocal de
verre un pareil lingot de plomb de même
poids , fur lequel on a mis quatre onces de:
114 MERCURE DE FRANCE.
mercure coulant. Ce bocal ayant été rempli
d'urine , on l'a fermé d'un parchemin
ficelé & cacheté , puis on l'a mis au bain
marie fur du fable à un feu de lampe , pour
imiter , autant qu'il eft poffible, la chaleur
naturelle.
La porte du lieu où étoient l'âneffe & le
bocal a été fcellée , après quoi nous nous
fommes retirés.
Ce jourd'hui vingt- un , nous fommes retournés
chez M. le Dran , où nous avons
reconnu le fcellé de la porte ; l'ayant ouverte
, nous avons examiné le bocal qui
avoit été laiffé au bain marie , & nous y
avons trouvé le mercure où le plomb avoit
été mis . Nous avons rompu le cachet , ouvert
le bocal , & avons trouvé que le
plomb n'étoit plus en lingot , mais entie
rement diffour & coulant avec le vif- ar-
'gent.
L'âneffe avoit uriné & rendu la plus
grande partie du mercure dans une ter-
Fine.
On a tué l'animal & on en a fait l'ou
verture en'notre préfence. Nous n'avons
plus trouvé de plomb , mais un peu de
mercure ; le refte étant forti avec l'urine ,
le plomb diffout eft devenu coulant avec
lui. Nous avons trouvé la veffie faine &
en bon état , & ont figné , Meffieurs VerNOVEMBRE.
1750. 115
hage , Aftruc , Cafteras , Procope Couteaux
, Poiffonnier , Bercher , Lalouette,
Extrait des Regiftres de l'Académie Royale
de Chirurgie.
M. Le Dran , Maître & Membre de l'Académie
, ayant fouhaité de faire l'expérience
de la diffolution du plomb par le
mercure dans la veffie d'un animal vivant,.
fous les yeux de témoins irreprochables ,
demanda à la Compagnie , dans la féance
tenue le 18 Août 1750 , des Commiffaires
pour être préfens à cette opération
qu'il devoit faire fur une âneffe.
Les Commiffaires ont dit que s'étant ren→
dus le 20 Août chez M. le Dran, fous leurs
yeux & en préfence de plufieurs Médecins
& Chirurgiens de réputation , il a intro
duit dans la veffie de l'animal' un lingot deplomb
du poids d'un gros , à l'aide d'une
canule convenable par laquelle on avoit
vâ fortir l'urine ; qu'auffitôt il y avoit fait
paffer cinq onces de mercure coulant , &
qu'enfuite toutes les mefures convenables :
avoient été prifes pour recevoir ce qui
pourroit fortir de la veffie, & pour que rien.
ne pût faire fufpecter l'exactitude de l'expérience.
Qu'au bout de vingt- quatre heures l'a-.
nimal fut affommé , qu'on fépara la veffie
1
T
16 MERCURE DE FRANCE.
.
après avoir lié l'urethre , pour que rien ne
pût fortit par ce canal ; qu'elle fut mife
dans un baffin & fendue dans toute fa longueur
, qu'il s'en écoula beaucoup d'urine,
après quoi on n'apperçut dans fa cavité
qu'environ deux gros de mercure , le resteétant
forti avec de l'urine & beaucoup
d'excrémens , dans lefquels on ne trouva
aucun veftige de plomb , que d'ailleurs la
veffie a paru dans fon état naturel.
Meffieurs les Commiffaires ont ajoûté
que le 31 du même mois une feconde expérience,
à laquelle Mrs les Prevôts du
College de S. Côme furent invités par M.
le Dran , ayant été faite fuivant que l'Académie
l'avoit demandé , pour fçavoir fi la
diffolution du plomb ne fe faifoit pas en
un rems plus court que dans la précédente
épreuve ; ils ont vu faire l'introduction !
d'un bout de fonde de plomb, long de trois
pouces & plus, pefant un gros cinq grains,
que l'un d'eux avoit apporté , & tout de
fuite celle de quatre onces de mercure coulant;
que n'étant point fortis de chez M.
le Dran , cinq heures après l'animal a été
affommé & ouvert avec les attentions requifes
: qu'il n'étoit rien forti de la veffie ,
de forte qu'on y a trouvé avec une petite
quantité d'urine tout le mercure introduits,
que l'ayant examiné fcrupuleufement , .il.
NOVEMBRE.
1750. 117
he s'eft pû découvrir aucune parcelle de la
portion de fonde qui s'y étoit amalgamée
& rendue coulante comme lui . Ont ligné,
Mrs Puzos , Directeur, Benaumont, Chauvin
, Commiffaires; Mrs Suë , Coutavoz ,
Andouillé & Gervais , Prevôts ; Baffeul .
Vice-Secretaire & l'un des Commiffaires.
A Paris , ce 22 Septembre 17 50.
Voyez , M. de quelle maniere ces Certificats
s'énoncent. Ce font tous gens refpectables
par leur probité , par leurs talens ,
par les places qu'ils occupent , & bien differens
de la plupart de ceux qui , au fortir
des Ecoles , & fans avoir jamais pratiqué ,
vont chercher fortune dans les Ifles. Je
veux croire qu'ils y acquierent avec le tems
quelques connoiffances , mais malgré ce
la , quelle difference entre eux & ceux
dont je joins ici les Certificats ? Après tant
d'expériences , dont pas une n'a manqué
comment M. D. P. feroit-il le feul de qui
le plomb n'auroit pas été diffout ? Si on
yeut le nier , il faut nier la vérité de tant
de preuves fi bien conftatées & fi authentiques
Quelles reffources peut avoir à préfent
la jaloufie de ceux qui font au défefpoir
de ce que la guérifon de M. D. P. fi facile
& fi prompte , n'eft pas fortie de leur
Minerve , eux qui , s'ils étoient dans le
13 MERCURE DE FRANCE.
même cas auroient recours à la même mẻ.
thode pour le guérir ? Dira t'on , pour cou!
vrir la fupercherie qu'on a faite en introduifant
une fonde dans la veffie après la
mort , qu'elle y étoit placée de maniere
que
le mercure n'a pû la toucher ? Ce raifonnement
porte à faux , parce qu'alors la
veffie de M. D. P. contenoit 12 à 15 onces
d'urine , & ceux qui connoiffent la
ftructure de ce vifcére ,fçavent que dans ce
cas tout ce qui y eft, tombe néceffairement
dans le fond de la cavité , c'eft pour cela
qu'il y étoit baloté dans les divers mouve
mens . Il eft vrai que fuivant le procès ver
bal , la veffie étoit racornie. Cela peut s'être
trouvé lors de l'ouverture ; mais celá
n'étoit pas lorfque j'y ai introduit le mercure
coulant ; ainfi lui & le morceau de
fonde , polant dans le fond de la veffic ,
ont dû néceffairement s'amalgamer.
Pour prouver que ce morceau de fonde ,
tiré de la veffie , eft le même que celui que
M.D.P.y avoit avant que de partir des Ifles,
le procès verbal dit , qu'il étoit déja chargé
dans une defes extrémités de tartre d'urine ,
qui y étoit fortement adhérent. Qui eſt- ce qui
ne fçait pas qu'avec un deffein prémédité on
prend toutes les précautions qu'on imagine?
L'Art imite fi bien la Nature en tant
de chofes ; on fait des fleurs , des diamans
1
NOVEMBRE.
1750. 119
même qui imitent le naturel jufqu'à tromper
les yeux. De même il n'y a rien de fi
facile que d'incrufter un morceau de fonde
, ainfi cela ne prouve rien.
Le procès verbal continue , il étoit porté
par une de fes extrémités fur le col de la veffie
que nous avons trouvé caleux. Fiat lux. En
ouvrant la veffie d'un mort par fon fond .
on ne remarque au-dedans que fon orifice
, qui eft même affez ferré , lorfqu'elle
eft vuide d'urine. Ces Meffieurs me permettront
de leur dire que fon col eft hors
de fa cavité , de- même qu'un tuyau qui
fert de décharge à un réfervoir. Il eft enveloppé
des proftates , qui font des glandes
affez dures & affez groffes. Comment
donc le plomb , qu'on dit avoir trouvé
dans la veffie , a t'il pû porter par une de
fes extrémités fur le col qui n'eft pas dans
la cavité ? Ces Meffieurs ignorent appa
remment qu'il y a ici des Anatomiſtes .
S'ils ont pris la fermeté des proftates pour
une callofité , cela démontre l'étendue de
leur fçavoir . Suivons le procès verbal pour
en avoir une nouvelle preuve.
La membrane veloutée de la veffie étoit to
talement détruite , & nous y avons remarqué
plufieurs ulcéres & environ une coque d'enf
de pus épanché dans fa capacité. La mem
brane interne de la veffie eft liffe & très20
MERCURE DE FRANCE.
polie , ce qu'il eft aifé de voir lorfqu'elle
eft remplie d'urine ou foufflée, & nous n'y
connoillons point de velouté . Si elle eût
été détruite , on auroit vû à nud toutes les
fibres mufculeufes qui la couvrent & qui
opérent la contraction de ce vifcére . On
a pû trouver à cette membrane interne
quelques ulcéres qui ont fourni le pus
qu'on y a remarqué; mais ces ulcéres ont - ils
occafionné la fiévre double tierce dont les
accès fe font fuccedés pendant quinze
jours , & ne font- il pas plutôt la fuite de
cette fiévre qui a fait ſur la veffie un dépôt
fymptomatique ? La veffie étoit donc malade
, & on infere que c'eft la fonde ou le
mercure qui l'a rendue telle. Mauvaiſe
conclufion. Ce ne peut être le mercure
coulant , puifque des malades en ont avalé
jufqu'à deux livres dans des coliques de
miferere , & ne l'ont rendu que plus de
quinze jours après fans qu'il leur ait fait
aucun mal ; c'est ce qui m'a enhardi à en
introduire dans la veffie , qui n'eſt pas plus
fenfible que les inteftins. Seroit-ce donc la
fonde Non certainement , puifqu'elle
étoit fortie après fa diffolution . Mais combien
de veffies ne voyons - nous pas devenir
' malades fans qu'elles renferment de corps
étrangers , & combien voyons-nous de
gens qui ont la pierre qu'ils gardent longtems
NOVEMBRE. 122 1750.
tems fans que la veffie devienne malade :
Les maladies de veffie font très- communes
aux vieillards , & elles font très -fouvent
les fuites des maladies de l'urethre , parce
que l'urine y féjourne trop long-tems, & y
laiffe une espece de bourbier qui l'échauf
fant , l'ulcére enfin . Ainû donc la vellie a
devenir malade , quoiqu'il n'y eût plus
de fonde.
.
Le procès verbal finit par ces mots : Nous
certifions que lafonde n'a pas reçû laplus légere
impreffion du mercure. Celle qui s'étoit caffée
dans l'urethre avoit été frottée de mercure
, & c'est ce qui l'avoit rendue caffante
, mais celle qu'on a mis dans la veſſie en
'faiſant "' ouverture , n'en avoit paș la moindre
in preffion , parce qu'elle n'en avoit pas
été frottée ; c'eſt une précaution qu'on a
oublié d'avoir avant que de la mettre , &
cela feul eft prefque fuffifant pour infirmer
tout le procès verbal . Un certain Auteur a
eu raifon de dire qu'on ne s'aviſe jamais de
tout.
Ces Meffieurs ne difent pas où étoit la
cicatrice de l'ancien abfcès, qui a formé la
premiere rétention d'urine , ni en quel
état étoit l'urethre. La chofe en valoit bien
la peine , puifque c'étoit- là la fource de
toutes les maladies qui ont fuivi . Je m'étonne
qu'ils ayent oublié jufqu'à ce point
F
122 MERCURE
DE FRANCE
.
une occafion de s'inftruire ; s'ils ne font
pas plus attentifs à profiter de celles qui
peuvent le préfenter tous les jours , je
plains les Infulaires qui font dans la néceflité
de s'en fervir.
Je crois , Monfieur avoir pleinement fatisfait
à vos demandes , & je m'en rappor
te à votre difcernement ; jugez vous -mêla
me. Il ne manque à mes preuves que
dépofition de plufieurs témoins qui auroient
vâ introduire dans la veffie.du mort
le morceau de fonde en faifant l'ouverture
de fon corps ; mais c'eft- là un de ces cas
où l'on n'en appelle pas , & où l'on évite
d'en avoir. Je fuis , & c.
LE DRAN , Maitre & Membre de
l'Académie Royale de Chirurgie , & Chirure
gien Confultant des Armées du Roi,
NOVEMBRE . 1750 : 123
?
On a du expliquer les Enigmes & les
Logogriphes du Mercure d'Octobre par
pierre , aiguille , Dictionnaire & arfenic. On
trouve dans le premier Logogriphe ride ,
Canon , dic , ter , ride , ire , Dii , dicta , nato ,
tria , ne , dare , date , nati , Cidre , Neron
, Ionne , rade , Trianon , Caton , Condé ,
Cid& les autres mots qui font dans ce Logogriphe.
On trouve dans le fecond Afer ,
Cefar , air , Cain , Nais , acier , .Afie , Cis ,
Icare , la, racine, Aries , Inca , Cane, Srin,
re &fi.
新洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗
ENIG ME.
Quand on me voit on rit , on eſt joyeux ;
Je fais toujours efcorté du myitére ;
J'inquiete les curieux ;
Et le jaloux qui tient les yeux
Ouverts fur la moitié trop chere ,
Ne trouve pas fouvent avec moi fon affaire ;
Mon regne eft dans ces jours confacrés à Momus ;
Pour deviner en faut - il plus
J. F. Guichard.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
LOGOGRIPHE,
A Mon tout ordinairement
Je fers & de foutien , Lecteur , & de parure ;
Sept lettres forment ma ftructure ,
L'on y peut trouver aisément
Du corps humain une partie ;
Figure de Géométrie ;
Un des membres de l'oraiſon
Un parent ; une particule ;
Un fruit bon dans la Canicule ;
Du quel on fait une comparaiſon ;
Que plus d'une beauté taxe de ridicule
Et la plus grande fête en la froide faifon.
AUTR E.
Chez un peuple fameux dans l'Hiſtoire & la
Fable ,
De l'orgueil de ſes Rois je fus un monument.
Huit lettres font mon nom ; l'on y trouve af
amant ,
Connu par fon fort déplorable ;
Ce qui fert à faire un habit ,
Ce qu'a foin de cacher une vieille coquette ;
Une chofe très-rare ; un creux où l'eau croupit j
Ce qu'à quinze ans une fille fouhaite ;
Ce qu'on voit plus fouvent dans les mains d'un
feldar ,
NOVEMBRE. 1750. 125
Que dans celles d'un petit- maître.
Trois, quatre,cinq & huir,vont vous faire paroître
La choſe néceffaire au travail d'un forçat ;
Un homme à qui, trompés par l'efpérance ,
Bien des gens portent leur finance ;
L'endroit d'un Port où le Vaiffeau
Ne rencontre plus affez d'eau ;
Un Prince malheureux , comme Roi, comme pere;
Ce que plus d'un rimeur à la raison préfére ;
Les inftrumens d'un jeu connu dans les Caffés ;
Un péché capital , un jour de la femaine
De plus une févere peine
Que fouffriront les réprouvés ;
Une ville de Mofcovie ,
Avec un Duché d'Italie ;
Un nom qu'ont célébré le Taffe & l'Opera ;
Un Elément , & cætera.
AUTRE .
Pour peu que l'on me confidere ,
On trouve dans huit pieds, qui compofent monnom,
Celle qui n'eut jamais de mere ;
Un mot Latin , & plus d'une interjection ;
Une Ville de France ; une pièce d'argent.
Le premier de mes pieds , y joignant le ſeptiéme ,
Cher Lecteur , avec le huitiéme ,
Vous donneront un Elément.
Cherchez encor , vous trouverez une herbe
Dont la verdeur paffe en proverbe ;
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
Ce qu'en la bouche on n'aime pas fentir;
Un animal formé pour notre nourriture ,
Dont dans cinq , fix , fept , huit , le fruit viendra
s'offiir ;
Enfin un des fens de Nature.
Par M. Anfeaume.
NOUVELLES LITTERAIRES.
BSERVATIONS fur la guérifon de plufieurs
maladies notables , aigues &
chroniques, aufquelles on a joint l'hiftoire
de quelques maladies arrivées à Nancy &
dans les environs,, avec la méthode employée
pour les guérir. Par M. F. N. Mara
quet ,
ancien Médecin de la Cour de Lorraine
, &c. A Paris , chez Briaſſon , rue
Saint Jacques .
L'expérience eft une des parties les plus
effentielles de la Médecine ; c'est par elle
que l'on eft parvenu à la connoiffance des
proprietés des fimples , & à la guérifon des
malades ; c'eft elle qui en fait la baſe & le
fondement. Les Médecins des premiers
fiécles avoient grand foin de faire écrire
dans le Temple d'Efculape les remedes
avec lefquels ils guériffoient leurs malades,
afin d'en perpétuer le fouvenir. Le raifonNOVEMBRE..
1750. 127
hement eft néceffaire pour connoître les
maladies & leurs caufes ; mais les vertus
des remedes ne fe peuvent découvrir que
par l'ufage. Tels font , dit M. Marquet ,
les motifs qui l'ont engagé à communiquer
au public les précieux remedes qu'il a découverts
contre les maladies les plus défefperées.
On ne peut pas le foupçonner de
chercher à en impofer ; il nomme ordinairement
les malades qu'il a guéris , il indique
leur profeffion , leur âge & leur de
meure , & il s'offre à juftifier les guérifors
qu'il raconte , par des Certificats fignés
des malades mêmes , ou des perfonnes
qui en ont été les témoins.
HISTOIRE NATURELLE de l'Iflande , du
Groenland , du détroit de Davis , & d'autres
Pays fituées fous le Nord , traduire
de l'Allemand de M. Anderſon , par M.
** , de l'Académie Impériale , & de la
Société Royale de Londres . A Paris , chez
Sebaftien Forry , Quai des Auguftins , 1750 .
Deux volumes in- 12.
Perfonne , dit le Traducteur , n'étoit
plus capable de nous donner un bon ouvrage
fur ces Pays peu connus , que M.
Anderfon, La fituation avantageufe de la
Ville de Hambourg , & fon commerce
immenfe avec le Pays du Nord ; la dignité
de Chef de fa Patrie à laquelle fon mérite
Fi
128 MERCURE DE FRANCE:
l'avoit élevé , la liaifon intime avec les
Cours & les Académies Septentrionales
que fes rares talens lui avoient procurée ;
les belles connoiffances en fait de Phyfique
& d'Hiftoire naturelle qu'il avoit acquifes
dans fes voyages ; le précieux Cabinet
de curiofités qu'il poffédoit : tout
enfin confpiroit à l'envià le mettre en état
de nous donner un ouvrage parfait en ce
genre .
Il nous paroît que M. Anderfon a profité
des avantages qu'il avoit , & qu'on
trouve dans fes deux volumes tout ce qu'on
peut fouhaiter raisonnablement de fçavoir
fur les pays dont il parle.
MEMOIRES de Fanny Hill , volume in- 1 2.
en Anglois. C'eft un Roman en forme de
Lettres , écrites par une Courtilanne qui
a abjuré le vice : elle décrit en gémiſfant
à une amie , les differens pas qu'elle a faits
dans le chemin du crime , & les voies qui
l'ont conduite infenfiblement dans le précipice.
On vient de repréfenter à Londres une
Tragédie de M. Whitehead , intitulée :
Le Pere Romain. C'eft une imitation des
Horaces ; elle a réuffi au Théatre , & a été
méprifée à l'impreffion.
ELOGE funébre de M. Petit , Maître en
Chirurgie , &c. de l'Académie Royale des
NOVEMBRE . 1750. 129
Sciences & de la Société Royale de Londres
, Cenfeur Royal & ancien Directeur
de l'Académie Royale de Chirurgie . Par
M. Louis , Chirurgien gradué , Vice - Démonftrateur
Royal , Membre du Collége
& de l'Académie Royale de Chirurgic.
A Paris , chez P. G. le Mercier , in -4° .
PP. 40.
Jean- Louis Petit naquit à Paris d'une
> famille honnête , le 13 Mars 1674 ; on
remarqua en lui dès fa plus tendre enfance
une vivacité d'efprit , & une pénétration
peu communes à cet âge. M.
» Littre , célébre Anatomifte , & l'ami
particulier de fon pere , occupoit alors
» un appartement dans fa maifon : il con-
» çut bientôt pour le fils de fon ami une
» véritable tendreffe , à laquelle le jeune
»Petit parut toujours fort fenfible.
29
» La reconnoiffance, ou plutôt l'attache-
» ment de cet enfant le conduifoient quelquefois
à la chambre où M. Littre fai-
» foit fes diffections . Ces vifites aufquel-
» les une curiofité naturelle pouvoit aufli
» avoir quelque part , ont paru découvrir
« le germe des talens que la nature avoit mis
» en lui pour la Chirurgie. On le trouva
» un jour dans un grenier faifant.des plus
profondes recherches de M. Littre celui
» de fon amuſement . Il avoit enlevé un
33
Fv
130 MERCURE
DE FRANCE.
»
"
lapin , & fe croyant à couvert de toute
furprife , il le coupoit dans le deffein
» d'imiter ce qu'il avoit vû faire . M. Littre
regarda cela comme l'effet d'une difpofition
prématurée ; il auguta très- avan-
» tageufement de cette inclination , & fe
» fit un plaifir de la cultiver.
» Le jeune Petit avoit à peine ſept ans
» qu'il affiftoit regulierement aux leçons
» de M. Littre. Par-là il eut l'avantage
»d'être familiarifé avec les morts , avant
que d'avoir connu le fentiment d'horreur
qu'ils infpirent à la plupart des hom-
» mes. Il fit en peu de tems d'affez grands
»progrès dans la diffection ; en moins de
» deux ans M. Littre s'en rapporta à lut
»pour les préparations ordinaires , & il
lui confia enfuite le foin entier de fon
Amphithéatre.
33
"
» Placé en 1690 chez M. Gaſtel , célé-
»bre Chirurgien , le jeune Petit employa
principalement les deux ans qu'il y de-
» meura , à fuivre les cours publics & à fré-
» quenter les Hôpitaux . Perfonne ne mon-
» tra plus d'ardeur pour s'inftruire . M.
» Maréchal a raconté , qu'étant Chirargien-
Major de la Charité , & y allant de
grand matin faire le panfement , il avoit
» plufieurs fois trouvé le jeune Petit cou-
» ché & endormi fur les degrés de cet Hô-
"
39
1
"
NOVEMBRE . 131 1750.
pital. Il fe croyoit dédommagé de cette
» fatigue en s'affûrant par là d'une place
» commode , à côté du lit où il fçavoit
» qu'on feroit une opération de quelque
importance.
Nous ne fuivrons pas M. Louis dans le
détail où il eft entré des actions , des écrits
& des opérations de M. Petit tout le
monde fçait que cet homme illuftre & célébre
a perfectionné & honoré la Chirur
gie. Il eft mort le 20 Avril 1750 , au commencement
de fa foixante - dix- feptiéme
année.
" Son bon tempérament l'avoit fait
»jouir long-tems d'une fanté três égale.
» Son humeur étoit gaye , & il aimoit à re-
>> cevoir chez lui fes amis. Le plaifir d'être
avec eux ne prenoit rien fur fes occupations.
Son exactitude à fe rendre chez
» fes malades à l'heure précife , étoit fi
»grande, qu'elle devenoit gênante pour les
» Confultans , que des affaires imprévues
» auroient pû retenir quelque peu de tems
au-delà de l'heure marquée. Il étoit trèsaffidu
aux affemblées de l'Académie de
» Chirurgie. Cet Art étoit l'objet de fa
» plus forte inclination . Un bandage mal
appliqué , un appareil mal fait l'affec-
» toient plus fenfiblement qu'une infulte,
Il en effuya quelquefois de gens qui par
F'vj
132 MERCURE DEFRANCE.
» bien des raifons auroient dû avoir des
» égards , & plus de ménagement pour un
» homme d'un tel mérite . Non- feulement
» il ne cherchoit pas à tirer vengeance
» d'un outrage , mais on l'a vû s'intéreffer
» avec ardeur pour ceux qui le lui avoient
» fait , & leur rendre des fervices elfen-
» tiels , dont il leur milfoit ignorer l'Au-
» teur : ce qui fait l'éloge des bonnes qua-
» lités de fon coeur...
ود
ه و
ל כ
"
» Un mérite fi généralement reconnu
paroiffoit ne devoir contribuer qu'à l'a-
» vancement de la Chirurgie , & à donner
» plus de luftre & d'éclat à une Profeſſion
> fi intéreffante à la vie des hommes . Cependant
ce mérite même fervit de bafe
» aux argumens les plus forts & les plus
oppofés aux moyens de perfectionner
» la Chirurgie. La Déclaration qui or-
» donne , qu'à l'avenir on ne pourra exer-
» cer cet Art dans Paris fans y avoir été
» préparé par l'étude des Lettres , & fans
" avoir reçu le grade de Maître- ès- Arts ,
» étoit à peine obtenue , qu'on fit les oppofitions
les plus vives à cette Loi mé-
» morable , fi digne de l'amour du Roi
» pour fes Sujets. On crut avoir prouvé .
» que le Latin & la Philofophie étoient
»'inutiles aux Chirurgiens , en citant M.
» Petit par qui la Chirurgie avoit fait tant
99
NOVEMBRE. 1750. 133
ן כ
de progrès. Cet exemple étoit peu con-
» cluant : M. Petit étoit un homme rare
» dont le génie , la pénétration & le dif-
» cernement fuppléoient parfaitement à ce
"
des études plus profondes y auroient
» pû ajouter. Il avoit fenti lui- même com-
" bien le défaut de ces études avoit mis
» d'obftacles à fon avancement : c'eft ce
qui le détermina à apprendte la Langue
» Latine à l'âge de quarante ans. Il y réuf-
»fit affez pour pouvoir entendre les Livres
d'Anatomie & de Chirurgie écrits
" en cette Langue. Mais les qualités de
» fon efprit vif & pénétrant , & fa gran-
» de expérience lui avoient fourni ce
» qu'un autre n'auroit tiré qu'avec peine
» de la lecture des meilleurs Livres.It avoit
le fens jufte , & capable d'apprécier les
choles. C'eft par cette Logique natu
»relle qu'il parvint à connoître la Nature ,
» & à raifonner fur la liaifon de fes effets
» avec leurs cauſes.
Nous avons trouvé dans l'éloge dont
nous venons de donner l'extrait , des faits
choifis avec difcernement , des tranfitions
affez heureufes , des réflexions fages.
Le ftyle de l'Auteur ne nous a pas paru
tout-à fait formé ; mais à juger des progrès
qu'il fera par ceux qu'il a faits depuis un
an , on peut affûrer que M. Louis fera
134 MERCURE DE FRANCE.
beaucoup d'honneur , & fera très- utile à
l'Académie dont il eft Membre.
ESSAI fur le progrès des Beaux Arts.
A Angers , chez Barriere , troifiéme édition
. Cette édition eft fort fupérieure aux
deux autres , par le nombre & la bonté
des vers .
OEUVRES de M. Campiftron , de l'Académie
Françoife . Nouvelle édition , corrigée
& augmentée de plufieurs piéces qui
ne fe trouvent pas dans les éditions précédentes.
A Paris , par la Compagnie des
Libraires , 1750. Trois volumes in - 1 2 .
L'augmentation la plus importante de
cette édition eft une Tragédie qui n'avoit
jamais paru , intitulée Pomeia. Mademoifelle
le Couvreur fe difpofoit à en remplir
le principal rôle , lorfqu'elle mourut. Le
fuffrage de cette grande Actrice eft un préjugé
bien favorable pour la piéce .
TRAITE' de perfpective à l'ufage des
Artiftes , où l'on démontre géométriquement
toutes les pratiques de cette Science,
& où l'on enfeigne , felon la méthode de
M. le Clerc , à mettre toutes fortes d'ob
jets en perfpective , leur réverberation
dans l'eau & leurs ombres , tant au Soleil
qu'au flambeau. Par M. Edme- Sebaftien
Jeaurat , Ingénieur - Geographe du Roi ,
in-4° . A Paris , chez Jombert , Quai des
Auguftins.
NOVEMBRE. 1750. 135
La Science des ombres par rapport au
deffeing : ouvrage dans lequel fe trouvent
des régles démontrées pour connoître la
forme , la longueur & la largeur des om
bres que les differens corps portent , &
qu'ils produifent , tant fur les furfaces horizontales
, verticales ou inclinées , que fuz
des furfaces verticales , plattes , convexes
ouconcaves. Par M. Dupain , l'aîné , in- 8 °.
A Paris , chez fombert , Quai des Auguftins
.
VOYAGE autour du monde , fait dans
les années 1740 , 41 , 42 , 43 & 44 , par
George Anfon, Commandant en Chef l'Efcadre
de Sa Majefté Britannique , orné de
cartes & de figures en taille- douce , traduit
de l'Anglois , in- 12 . 4 vol . A Paris , chez
Quillan , pere , rue Galande , Quillau , fils,
rue Saint Jacques , Delormel , rue du Foin,
& Leloup , Quai des Auguftins.
› REFLEXIONS de Mlle *** , Comédienne
Françoife. A Paris , chez Delaguette ,
rue Saint Jacques , 1750. Brochure de 88
pages..
Pour mettre le Public à portée de juger
de cette Brochure , nous allons tranfcrire
une partie des réflexions qui nous ont
paru les plus agréables. Ceux de nos Lecteurs
qui aiment les Livres de morale
feront bien aifes que nous leur laillions le
136 MERGURE DE FRANCE.
foin de découvrir l'origine des penfées que
nous citons .
L'amour n'eft ni une vertu , ni un vice ,
c'eft une paffion née avec l'homme , & elle
prend la qualité qu'on lui donne , vertu
dans les ames bien nées , foibleffe & vice
dans les ames vulgaires.
Pour faire rire les perfonnes fenfées , il
faut être fou , bête , ou excellent Comédien
.
fe
La raillerie eft une injure déguifée ,
d'autant plus difficile à foutenir , qu'elle
porte une marque de fupériorité. Pour
n'être pas dangereufe , il faut qu'elle bleffe
les indifferens , fans bleffer les intéreffés,
On peut
mocquer d'un présomptueux
qui a quelque endroit ridicule ; mais il y a
de la honte à fe mocquer d'un fot . Les
fots font un genre d'hommes avec qui il
n'eft jamais permis d'avoir raifon ; c'eft
même une fottife de montrer trop d'efprit
avec eux ..
Il est rare que l'on aime ceux à qui l'on
obéit , & que ceux qui commandent veuillent
autre chofe que des refpects.
Les vertus & les vices des hommes dépendent
des moeurs de leur fiècle . Les fiécles
les moins polis , font les plus vicieux ;
la vertu s'épure à mefure que l'efprit s'éclaire
. On peut conclure de - là que l'efprit
eft le pere de la vertu .
NOVEMBRE. 1750. 137
L'homme dans la fortune méconnoît
tout le monde , & dans la difgrace il n'eſt
connu de perfonne.
La vertu emprunte quelque chofe des
belles perfonnes ; un mérite médiocre les
orne plus incomparablement , qu'un excel
lent mérite ne pare les autres . On diroit
que les belles perfonnes donnent à la vertu
même de l'éclat , au lieu que dans les femmes
moins accomplies , elle perd toujours
un peu de fon luftre ; confondue & comme
enfévelie dans une infinité de défauts , on
n'en difcute pas fi facilement les charmes.
Il faut être un peu trop bon pour l'être
affez .
La beauté frappe les yeux ; mais l'efprit
touche le coeur . On s'ennuye de voir un
objet , quelque beau qu'il foit ; mais on ne
fe laffe pas d'entendre une perfonne qui
penfe bien , & qui s'exprime de même .
Cependant les hommes ne courent qu'après
la beauté , & la plupart des femmes ne fe
rendent qu'au mérite. On fait confifter la
gloire du fexe dansfes appas , celle des hommes
réfide dans leurs vertus , & la vanité
porte les uns & les autres à faire un choixqui
leur faffe honneur .
Une des plus grandes vertus , c'eft la
franchife ; mais c'eft la plus mal payée .
L'amour de la gloire naît prefque tou138
MERCURE
DE FRANCE.
jours avec des talens propres
à les acque
rir : c'est une attention bien louable de la
Nature que les génies médiocres n'en
foient point
échauffés , puifqu'ils ne feroient
rien que de ridicule , malgré la nobleffe
de ce principe .
Le plus sûr moyen , & prefque le ſeul
que nous ayons , pour nous guérir de nos
foibleffes & de nos paffions , et de leur
oppofer des paffions contraires.
Le feul Philofophe eft en vie dans le
monde , les autres créatures font mortes
ou plongées dans le fommeil .
l'adverfité Il y a des coeurs nobles que
rend intraitables , & que la bonne fortune
au contraire. rend doux & genereux ;
c'eft qu'ils le trouvent auffi malheureux
d'avoir befoin des autres , qu'ils feroient
contens de les défobliger.
La lecture & la réflexion ont cela de
commun , qu'elles ne font utiles qu'aux
bons efprits , & qu'elles achevent de gâter
les autres.
L'infenfibilité d'une femme n'eft pas
d'un caractére qui la rende plus eftinable :
c'eft plutôt un vice de l'ame qui la prive
d'un fentiment naturel , qui naît des objets
aimables , & de l'impreffion même de la
vertu.
Le mariage eft le lien le plus général ,
NOVEMBRE. 1750. 139
le plus étendu de la fociété , & peut- être ,
celui qui unit le plus rarement un homme
avec une femme.
L'efperance a beau fous avoir trompés ,
nous nous fions toujours à elle.
L'orgueilleux , toujours attentif à perfuader
les autres d'un mérite qu'il n'a pas ,
ne parle & n'agit point naturellement. Si
Vous vous entretenez avec lui fur quelque
matiere , fi vous lui demandez fon fentiment
fur un ouvrage qui vient de paroftre
, n'attendez pas qu'il vous expofe fes
propres penfées , qu'il vous rende compte
Daïvement de fon impreffion ; il craint de
fe livrer ; il blâme où il approuve , felon,
qu'il fe croit faire honneur , en blåmant
ou en approuvant ; il n'a de fentiment décidé
fur rien ; il parle moins pour dire ce .
qu'il penfe , que pour faire croire qu'il
penfe bien.
Il y a de la ftupidité à acquiefcer à tout,
& de l'orgueil à ne confulter perfonne.
Il faut avoir dans le bonheur la modeftie
d'un homme indigent , & dans le malheur
l'affûrance d'un homme heureux.
De toutes les difgraces qui peuvent arriver
pendant la vie , le comble de l'infortune
, c'eft d'avoir été heureux.
LES Entretiens phyfiques d'Arifte &
d'Eudoxe , tome cinquième , fur les dé
140 MERCURE DE FRANCE.
couvertes récentes , & pour fervir de fupa '
plément aux quatre volumes de la feptiéme
édition . Par le Pere Regnault , de la
Compagnie de Jefus . A Paris , chez Damonneville
, Durand & David , 1750 .
Les nouveaux Entretiens que nous annonçons
, roulent fur l'électricité , la déclinaifon
de l'aimant ; les arbres écorcés ,
quelques traits de l'Hiftoire Naturelle ,
les congélations artificielles , la lumiere ,
le jeu des rayons rompus , quelques propriétés
des couleurs , la gêlée & la chaleur,
les lumieres feptentrionales qui ont paru
depuis 1729 ; differentes exhalaifons , divers
Problêmes de Botanique , la rofée ,
quelques propriétés de l'air , differentes
propriétés des fons , quelques phenoménes
du Thermométre , une illufion des
fens , & un phenoméne réel ; divers in
fectes , divers corps céleftes , les Cométes
de 1729 , 1737 , 1743 , 1744 , quelques
éclairciffemens de Phyfique , la mesure &
la figure de la terre . On trouvera dans les
augmentations le même ftyle , la même
méthode , les mêmes opinions qui ont
donné tant de vogue aux quatre premiers
volumes.
ABREGE' de l'Hiftoire de l'Ancien Tel
tament , où l'on a confervé , autant qu'il a
été poffible , les propres paroles de PEcri
NOVEMBRE. 1750. 14
ture Sainte , avec des éclairciffemens &
des réflexions , in- 12 . tomes 8 & 9. A Paris
, chez Defaini & Saillant , rue St. Jean
de Bauvais.
L'EXCELLENCE & la pratique de la dévotion
à la Sainte Vierge , avec les textes
choifis des Saints Peres , qui montrent la
tradition de tous les fiécles , fur la dévotion
à la Mere de Dieu. Par le Pere Jofeph
de Gallifet ; Jefuite , in - 12 . A Lyon , & fe̱ .
vend à Paris , chez le Mercier , rue Saint
Jacques .
HISTOIRE de la Jurifprudence Romaine,
contenant fon origine & fes progrès , depuis
la fondation de Rome juſqu'à préſent.
Par M. Antoine Terraffon , Ecuyer , Avocat
en Parlement ; in -folio . A Paris , chez
Cavelier ,, pere, Paulus Dumefnil & Nully.
MANIERE de bien nourrir & foigner les
enfans nouveaux nés. Par Michel Bermingham.
A Paris , chez Barois.
TRAITE' des effets & de l'ufage de la
faignée. Par M. Quefnay , Médecin Confultant
du Roi , nouvelle édition très-aug-
, mentée. A Paris , chez d'Houry , pere.
GEORGI EVERARDI Rumphii , Medici...
herbarium Amboinenfe , plurimas complectens
arbores ,frutices , herbas , plantas terreftres
& aquaticas, quæ in Amboïna & adjagentibus
reperiuntur inſulis , infuper varia
42 MERCURE DE FRANCE.
infectorum , animaliumque genera , pleraque
naturalibus eorum figuris depicta , &c. curâ
&ftudio Joannis Burmanni Medici , in -folio.
Amftelodami. Se vend à Paris chez Briaffon,
rue Saint Jacques .
HISTOIRE des Arabes , fous le Gouvernement
des Califeş , par M. l'Abbé de
Marigni, Quatre volumesin - 12 . A Paris ,
'chez la veuve Etienne & fils , Jean- Thomas
Heriffant , Defaint & Saillant.
HISTOIRE de l'Académie Royale des
Sciences & Belles - Lettres de Berlin , année
1748 , faifant le quatrième tome, in- 4 ° .
A Berlin , & fe vend à Paris chez Briaffon.
David le jeune , Libraire , Quai des
Auguftins , au Saint Efprit , à Paris , a reçu
d'Hollande quelques exemplaires des Livres
fuivans.
HISTOIRE Naturelle des oiſeaux in-4° .
3 volumes fur du papier Super-Royal , avec
plus de trois cens Estampes.
3
HISTOIRE de Charles XII. Roi de Suéde .
Par M. Nordberg , in- 4 °. 4 vol . munis de
plus de deux cens piéces authentiques.
BIBLIOTHEQUE Univerfelle de le Clerc ;
83 volumes, complettes. Idem. Britannique
50 parties complettes.
NOUVELLE Bibliothèque Germanique ;
commencée en 1746 , juſqu'en Juin 1750 ,
la fuite tous les trois mois, 12 vol.
NOVEMBRE. 1750. 143
MEMOIRES & Lettres d'Eſtrades ,,
volumes.
La Bible de Saurin ; 6 vol. in -fol. figures.
Papier Super - Royal , Idem . Papier
Royal.
Le Droit public Germanique , où l'on
voit l'Etat préfent de l'Empire , fes principales
loix & conftitutions , l'origine & l'agrandiffement
des plus confidérables Maifons
d'Allemagne , avec une Differtation
fur la Jurifdiction de l'Empereur , une aut
tre fur la forme du Gouvernement du
Corps Germanique , & une troifiéme fut
le Ban de l'Empire , in-8°. 2 vol.
LES Aventures de Joſeph Andrews & du
Miniftre Abraham Adams , par l'Auteur
de l'Enfant Trouvé. Traduites en François
par l'Abbé Desfontaines , in- 12 . 2 vol.
RECUEIL de Piéces Fugitives , par le
Pere Mallebranche, M.Devarignon , & au
tres Auteurs célébres , in- 8° . I vol.
HISTOIRE des voyages que les Danois
ont fait dans les Indes Orientales , depuis
1705 jufqu'à la fin de l'année 1736 , in-8°.
3 vol.
On trouve chez le même Libraire les
Elemens de Cofmographie , pour fervir
d'introduction à l'Hiftoire & à la Géogra
phie , 1 vol. figures , 3 liv . relié .
ESSAIS fur la conformité de la Médecine
144 MERCURE DE FRANCE .
des anciens & des modernes , ou comparaifon
entre la pratique d'Hippocrate ,
Galien , Sydenham & Boerhaave , dansles
maladies aigues , où l'on fait voir quelle
doit être la pratique de Médecine dans ces
maladies , traduit de l'Anglois in- 12 . I
vol. 1749. 2 liv . 10 f. relié.
HISTOIRE de la Jurifprudence Romaine,
contenant fon origine & fes progrès , depuis
la fondation de Rome jufqu'à préfent ;
le Code Papyrien & les Loix des douze
Tables , avec des Commentaires , l'Hiftoire
de chaque Loi en particulier , avec
les antiquités qui y ont rapport ; l'Histoire
des diverfes compilations qui ont été faites
des Loix Romaines , comment les mêmes
Loix fe font introduites , & de quelle
maniere elles s'obfervent chez les differens
peuples de l'Europe , l'énumeration
des éditions du Corps du Droit Civil . Les
vies & le Catalogue des ouvrages des Jurif
confultes , tant anciens que modernes ,
avec un recueil de ce qui nous refte de
Contrats , Teftamens , & autres Actes judiciaires
des anciens Romains , pour fervir
d'introduction à l'étude du Corps de Droit
Civil , & aux Loix Civiles , in -fol. 1 vol.
IS liv . relié.
Jean - Baptifte Coignard & Antoine
Boudet , Imprimeurs-Libraires à Paris , rue
Saint
NOVEMBRE . 1750 . 145
Saint Jacques , donnent avis que la feconde
édition des Euvres de M. Boffet ,
Evêque de Meaux , en 17 vol . in- 4 ° . étant
achevée , ils en délivrent actuellement les
exemplaires aux Soufcripteurs.
PROGRAMME
De l'Académie des Sciences & Belles Lettres
de Dijon , pour le prix de Médecine
de 1751.
'Académie , fondée par M. Hector-
L'Bernard Pouffier , Doyen du Parlement
de Bourgogne , annonce à tous les
Sçavans , que le prix de Médecine pour
l'année 1751 , confiſtant en une Médaille
d'or de la valeur de trente piftoles , fera
adjugé à celui qui aura le mieux réfolu le
problême fuivant :
Les jours critiques font- ils les mêmes en nos
climats , qu'ils étoient dans ceux où Hippo
crate les a obfervés , & quels égards doit- on
y avoir dans la pratique ?
Il fera libre à tous ceux qui voudront
concourir , d'écrire en François ou en Latin
, obfervant que leurs ouvrages foient
lifibles , & que la lecture de chaque Mémoire
rempliffe & n'excéde pas trois quarts
d'heure ou une heure ; les Mémoires francs
G
146 MERCURE DE FRANCE .
de port ( fans quoi ils ne feront pas retirés )
feront adreffés à M. Petit , Secretaire de
l'Académie , rue du Vieux - Marché , à
Dijon , qui n'en recevra aucun après le
premier d'Avril .
Et comme l'on ne sçauroit prendre trop
de précaution , tant pour rendre aux Sçavans
la juftice qui leur eft dûe , que pour
écarter , autant qu'il eft poffible , les brigues
& cet efprit de partialité , qui n'entraînent
que trop
que trop fouvent les fuffrages vers
les objets connus , ou qui les en détournent
par d'autres motifs également irréguliers
& indécens , l'Académie déclare que tous
ceux qui ayant travaillé fur le fujet donné
feront convaincus de s'être fait connoître
directement ou indirectement, avant qu'el
le ait porté fon jugement fur leurs ouvrages,
feront exclus du concours.
Pour obvier à ces inconvéniens , chaque
Auteur mettra au bas de fon Mémoire
une fentence ou devife , & y joindra une
feuille de papier cachetée , fur le dos de
laquelle fera la même devife , & fous le
cachet fon nom , fes qualités & fa demeure
, pour y avoir recours lors de la diftribution
du prix. Lefdites feuilles ainfi cachetées,
de façon qu'on ne puiffe y rien lire
à travers , ne feront point ouvertes avant
ce tems-là , & le Secretaire en tiendra un
NOVEMBRE . 1750. 147
Registre exact ; ceux qui exigeront de lui
un recepiffé de leurs ouvrages , le feront
expédier fous un autre nom que le leur
& dans le cas où celui qui auroit ufé de
cette précaution auroit obtenu le prix , il
fera obligé en chargeant une perfonne domiciliée
à Dijon , de fa procuration pardevant
un Notaire , & légalifeé par le
Juge, d'y joindre auffi le recepiffé . Si celui
à qui le prix fera adjugé n'eft point de Dijon
, il enverra pareillement fa procuration
en la forme fufdite , & s'il eft de cette
Ville , il viendra le recevoir en perfonne
le jour de la diftribution du prix , qui fe
fera dans une affemblée publique de l'Académie
, le Dimanche 22 du mois d'Août
1751 .
PRIX
Propofes par l'Académie Royale des Sciences,
Inferiptions & Belles - Lettres de Toulouse ,
pour les années 1750 1752.
A Ville de Toulouse , célébre les
Lprix qu'on y diftribue depuis longtems
à l'Eloquence , à la Poëfie , & aux
Arts , voulant contribuer auffi au progrès
des Sciences & des Lettres , a , fous le bon
plaifir du Roi , fondé un prix de la valeur
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
de soo liv. pour être diftribué tous les ang
par l'Académie Royale des Sciences , Infcriptions
& Belles Lettres , à celui qui ,
au jugement de cette Compagnie , aura le
mieux traité le fajet qu'elle aura propofé .
Le fujet doit être alternativemeut de
Mathématiques , de Médecine , & de Litté
rature .
L'Académie avoit propofé pour fujet du
prix double de cette année 1750. La caufe
physique de l'applatiſſement de la Terre , tel
qu'il a été déterminé par les opérations faites
au Cercle Polaire , en France, &fous l'Equateur.
Ce prix a été adjugé à la Piéce Nº . 4 .
qui a pour devife.
. Non proxima femper
Nota magis..

dont l'Auteur eft M. Clairaut , de l'Acadé
mie Royale des Sciences de Paris ; de celles
de Londres , de Berlin , d'Upfal , d'Edimbourg
, de l'Inftitut de Bologne , & c .
L'Académie propofa l'année derniere
pour fujet du prix de 1751. La théorie de
l'Ouie.
Eile propofe cette année pour fujet du
prix de 1752. L'état des Sciences & des
Arts , à Toulouse , fous les Rois Vifigots , &
quelles étoient les loix les moeurs de cet
NOVEMBRE . 1750. 149
te Ville , fous le Gouvernement de ces Princes.
Les Sçavans font invités à travailler fur
ces fujets , & même les Atlociés étrangers
de l'Académie. Les autres Académiciens
font exclus de prétendre au prix.
Ceux qui compoferont font priés d'é
crire en François ou en Latin , & de remettre
une copie de leurs ouvrages qui foit
bien lifible , furtout quand il y aura des
Calculs Algébriques.
Les Auteurs écriront au bas de leurs ouvrages
une Sentence ou Devife ; mais ils
n'y mettront point leur nom . Ils font exhortés
cependant à y attacher un billet féparé
& cacheté , qui contienne la même
Devife ou Sentence , avec leur nom , leurs
qualités & leur adreffe : l'Académie exige
même qu'ils prennent cette précaution ,
lorfqu'i's adrefferont leurs écrits au Secretaire.
Ce Billet ne fera point ouvert ,
fi la
Piéce n'a remporté le prix.
Ceux qui travailleront pour les prix ,
pourront adreffer leurs ouvrages à M.
l'Abbé de Sapte , Secrétaire perpétuel
de l'Académie , ou les lui faire remettte
par quelque perfonne domiciliée à Touloufe.
Dans ce dernier cas , il en donnera
fon recepiflé , fur lequel fera écrite
la Sentence de l'ouvrage avec fon nume-
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
ro , felon l'ordre dans lequel il aura été
reçu .
Les paquets adreffés au Secretaire doivent
être affranchis de port.
Les ouvrages ne feront reçus que jufqu'au
dernier Janvier des années , pour le
prix defquelles ils auront été compofés.
L'Académie proclamera dans fon Affemblée
publique , du 25 du mois d'Août
de chaque année , la Piéce qu'elle aura couronnée
.
Si l'ouvrage qui aura remporté le prix ,
a été envoyé au Secretaire en droiture , le
Tréforier de l'Académie ne délivrera ce
prix qu'à l'Auteur même , qui fe fera connoître
, ou au porteur d'une procuration
de fa part
.
S'il y a un recepiffé du Secretaire , le
prix fera délivré à celui qui le repréfentera
.
L'Académie qui ne preſcrit aucun Systême ,
déclare auffi qu'elle n'entend point adopter les
principes des ouvrages qu'elle couronnera .
se
NOVEMBRE. 1750. 151
L
BEAUX - ARTS.
E Sallon qui devoit finir , felon l'ufage
, le 25 du mois de Sept. dernier , a
été prolongé jufqu'au 8 d'Octobre , pour
faire voir au Public , les quatre Tableaux
de M. de Troy , qui n'étoient arrivés de
Rome que la veille de la clôture ; on a fort
approuvé cette diftinction accordée à l'âge
& au mérite de ce grand Peintre , depuis
longtems Directeur de l'Académie de
France à Rome , & l'on a été charmé de le
retrouver dans fes ouvrages tel qu'on l'avoit
vû à fon départ , c'est- à- dire , fecond,
facile & grand dans fes compofitions . Les
deux Tableaux de chevaler , repréſentant
Suſanne & les deux vieillards , & Lot
avec les deux filles , ont fait un grand plai
fir , principalement le dernier. Les deux
autres plus grands ont environ fept pieds
de haut , fur 8 de large , & repréfentent
l'entrevûe de la Reine de Saba avec Salomon
, & Abigail aux pieds de David : ils
ont été moins applaudis , malgré la richeffe
de leur ordonnance , & la facilité de leur
exécution ; on a trouvé Salomon trop
vieux , & on l'a pris pour Affuerus , &
l'on a fait au David les mêmes reproches
que l'on fit il y a deux ans , au Jaſon du
même Artike.
Giiij
152 MERCURE DE FRANCE .
LA GRAVURE ,
A M. le Comte d'Argenfon , Miniſtre &
Secretaire d'Etat , fur fon portrait peins
par M. Nattier.
Toi , que le Ciel forma pour aimer les talens,
Pour les encourager , & pour les bien connoître ,
Les ouvrages de l'Art , lorfqu'ils font excellens ,
A tes yeux ont droit de paroître .
Pourrois je ne pas t'avertir
Que des mains de Nattier un Tableau vient de
naître ,
Qui méritoit bien d'en fortir ,
Et dont l'heureux modéle eft fait pour aſſortir
L'habileté du plus grand Maître ?
Il a fait le portrait d'un Miniftre charmant ,
Qui fçait affocier l'utile & l'agréable ;
Qu'on aime avec ardeur , qu'on refpecte en l'ai
mant ,
Et dont le fçavoir incroyable ,
Embraffant à la fois mille divers objets ,
Enchante le Monarque autant que les Sujets .
N'attends pas que je te le nomme ;
De mon zéle indifcret il pourroit s'irriter ;
D'ailleurs le plus grand nom ne défigne qu'us
homme ;
La grandeur véritable eft de le mériter,
NOVEMBRE. 1750. 153
A le perpétuer , ce nom cher à la France,
Je borne mon empreffement ;
Par un fimple commandement
Tu peux m'en donner l'affûrance ;
Ordonne donc qu'inceffamment
Moa frere le Pinceau m'abandonne l'image
Que mon Burin veut publier ;
L'objet du plus fincére , & du plus tendre hom
mage ,
Peut-il trop fe multiplier !
ESTAMPES NOUVELLES .
Nous croyons faire plaifir aux amateurs
des Beaux Arts , en leur indiquant les Etampes
fuivantes : elles font recommandables
par ce qu'elles repréfentent , par le
nom du Peintre d'après qui elles ont été
gravées , & par la maniere dont elles le
font.
Les portraits de l'Empereur regnant ,
& de l'Impératrice , peints par M. Liotard,
& gravés pár Reinfperger. Ces deux Eftampes
fe vendent enfemble 4S fols , & 30
fols féparément.
Huit Eftampes , repréfentant des Turques
, 10 fols piéce , parmi lesquelles il y
en aune où l'on reconnoîtra aifément la
tête de l'Impératrice , & celle d'une de
fes filles , habillées comme les Dames de
Pera.
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
Plufieurs de ces Eftampes ont été gravées
excellemment par Cameratta , d'après
les deffeings de M. Liotard , qui les a faits
à Conftantinople d'après nature . Les habillemens
du Pays , la nature des étoffes ,
& leurs differens ornemens y font rendus
avec la plus grande vérité , la plus grande
élegance & la plus grande legereté.
Ces Eftampes fe vendent chez l'Auteur ,
rue de la Corderie ; près le Temple , chez
la veuve Chereau , rue Saint Jacques ;
chez Audran , & c .
Daullé , de l'Académie Royale de Peinture
& de Sculpture , vient de mettre au
jour une Eftampe qu'il a gravée , d'après
un Tableau original de Vandeik . Le nom
du Peintre & celui du Graveur promettent
quelque chofe d'agréable , & ne trompent
pas. On a intitulé cette Eftampe , L'enfant
qui joue avec l'Amour ; ne feroit- ce pas plutôt
l'Amour qui embraffe Pfiché ? Quoiqu'il
en foit , ce font deux beaux enfans
qui fe carreffent ils font debout ; l'un
tient un pigeon , & on voit à leurs pieds
un arc & un carquois .
Cette Eftampe fe vend à Paris chez
l'Auteur , rue des Noyers.
- NOVEMBRE. 1750. Iss
MAPPEMONDE Hiftorique
оц
Carte Chronologique , Géographique & Ginéalogique
des Etats & Empires du monde ,
rédigée par M. Barbeau de la Bruyere :
deux grandes feuilles enluminées & réunies
enfemble , qui fe vendent chez M. Philippe
Buache , Premier Géographe du Roi , Quai
de l'Horloge du Palais.
CE
Ette Carte eft faite dans un goût vrai
ment nouveau , & peut être trèsutile
à ceux qui s'appliquent à l'étude de
l'Histoire. On y voit la naiffance , l'accroiffement
, l'étendue, les differens états ou
les révolutions principales , le démembrement
, la fin & la durée de tous les Royaumes
, Empires , Répabliques , & grands
Peuples qui ont figuré fur la Terre , depuis
la difperfion des hommes après le
déluge , jufqu'à préfent. On a ainfi fous
un même point de vûe l'état du monde
entier , & les fondemens de toutes les
Hiftoires , anciennes & modernes ( même
celles qui nous font le moins connues en
Occident ) réduits avec ordie & avec précifion
en un feul corps , de façon qu'on
doit regarder cette Carte comme le Tableau
politique de l'Univers.
La Chronologie , où la Science des
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
Tems , y eft fimplifiée & débarraffée de fes
difficultés , autant qu'elle peut l'être. Les
principes de la Géographie de tous les
âges du monde s'y trouvent clairement
expofés par une méthode que l'on comprend
ailément par l'infpection de la Carte
, & le petit difcours dont l'Auteur l'a
accompagnée. Pour la partie Généalogique
, on en parlera dans un moment ; mais
on peut dire que ce plan eft vraiment la
Généalogie , comme la fucceffion des Peuples
& des Royaumes du monde.
Les grands Empires , foit anciens , fort
modernes , font colorés en plein pour les
faire mieux diftinguer , & afin que l'on
voie plus aifément , par les colonnes qu'ils
occupent , les pays dont ils ont été les
Maîtres ; certaines Nations fameufes ,
comme les Germains ou Allemands , & les
diverfes fortes de Tartares , qui ont fondé
hors de leurs Pays plufieurs Royaumes confidérables
, dont la plupart fubfiftent encore
, ont un liferé de même couleur dans
ces differens pays , ce qui fert à rappeller
tout à fon origine.
L'Auteur doit donner inceffamment une
Explication abregée de fa Mappemonde
Hiftorique , en faveur de ceux qui en
peuvent avoir befoin , pour fçavoir ce
que c'eft que les Peuples & les Royaumes
NOVEMBRE . 1750. 157
=་
3
dont il y eft parlé , furtout dans la Partie
Orientale. 1 annonce auffi deux Cartes
purement Géographiques , chacune d'une
feuille , où fe verra le rapport de la Géographie
de tous les tems , qui eft expliquée
par l'Hiftoire , & où les differens caractéres
ferviront à diftinguer le moderne ,
l'ancien & le moyen âge .
Il fe propofe de donner enfuite des
Cartes Chronologiques particulieres dans
le goût de fa Mappemonde Hiftorique ,
& de commencer par la France. Ces Cartes
feront divifées
par rapport aux Provinces
de chaque Etat ou Monarchie , & l'on
y doit voir les faits principaux d'une Hif
toire Nationale , fa Chronologie particuliere
, fes conquêtes , & les invafions des
peuples voifins , avec la Généalogie de fes
Princes , de la même maniere que l'on a
mis dans la Carte Générale , celle des Rois
de la troifiéme Race ; mais ce ne fera plus
fans doute alors une fimple Lifte Généalo
gique on y doit trouver les actions principales
de chaque Prince .
Meffieurs de l'Académie des Infcriptions
& Belles Lettres ont jugé ce plan
digne de leurs éloges.
158 MERCURE DEFRANCE.
LE BONHEUR D'ETRE AIME
P
CHANSON.
Ar le plus charmant des aveux
Delphire vient de couronner ma fâme ;
Je fuis au comble de mes voeux ;
Que de plaifirs vont regner dans mon ame !
L'excès de mon raviffement
Eft excufé par mon bonheur extréme :
Pourrois- je en parler froidement ?
J'ai le bonheur de plaire à ce que j'aime .
**+
De l'art de faire des Chanfons
J'entens vanter le pouvoir & les charmes ;
De nos mufettes les doux fons
Ont mi fouvent nos belles fous les armes ;
Je fçais un deftin plas touchant ;
Plaire à Delphire eft le talent fuprême ;
Je donnerois le plus beau chant
Pour le bonheur de plaire à ce que j'aime.
Si quelquefois de mes accens
J'ofe occuper la beauté que j'adore ,
Ils font l'ouvrage de mes fens ,
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY.
AUTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.
Je fuis aimé , je fuis amant ,
I NEW
YORK
NUS.C
LIBRARY
.
*ATOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
.
Ils
font
l'ouvrage
de
mes
fens
NOVEMBRE. 1750. 159
Le bel- efprit jamais ne les décore :
Sans aller au facré Vallon ,
Mon coeur m'inspire avec un foin extrême ;
Connoiffez- vous mon Apollon ?
C'eftle bonheur de plaire à ce que j'aime.
**+
Malheur aux infidélités !
Peut-on chérir des ardeurs paffageres ?
Quoi ! nous voulons de leurs bontés
Punir les coeurs de nos tendres bergeres ?
Un doux retour eft un tréfor ,
Dontje connnois le prix pour l'amour même ,
Et mon ardeur s'accroît encor
Par le bonheur de plaire à ce que j'aime.
Si je prens part à tous nos jeux ,
C'eft que j'y vois mon aimable Delphire .
Mes jeux , mes ris font dans les yeux ,
Ce font les feuls qui puiffent me fuffire ;
Peut -être que dans leurs loifirs
Quelques bergers blâmeront mon ſyſtême ;
Pour moi , je foade mes plaifis
Sur le bonheur de plaire à ce que j'aime.
3X+
Auteur de ce bonheur charmant ,
Fais , Dieu d'amour , qu'il foit inaltérable ;
Je fuis aimé , je fuis amant,
160 MERCURE DE FRANCE.
1
Eft- il un bien qui foit plus défirable ?
Lui feul il vaut les biens divers ,
Gloire , grandeurs , richeffes , Diadême ,
Que ferois je dans l'Univers
Sans le bonheur de plaire à ce que j'aime ?
*XXX
Echos , n'allez pas répéter
Ce que j'ai dit d'une douce victoire ,
C'eft à l'orgueil à fe flatter ;
J'ai de l'amour & non pas de la gloire ,
Le charme feul du fentiment
Nous fait goûter la volupté fuprême ,
Et je ne veux dans ce moment
Que le bonheur de plaire à ce que j'aime.
A TABL E.
Riches , vantez vos grands repas ;
Mon coeur content les voit fans jalouſie ;
Avec Delphire & les appas ,
Tout eft pour moi le Nectar , l'Ambroiſie .
Je fuis à la table des Dieux ;
Hébé me fert , me voilà Dieu moi- même ,
Puifque dans ces aimables lieux
J'ai le bonheur de boire à ce que j'aime.
1
NOVEMBRE. 1750 . IGE
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗:淡淡洗洗潔洗
SPECTACLES.
L'Impertinent ,Comédie en un Acte &
en vers de M. des Mihis , repréfentée
fur le Théatre François , & imprimée
après quinze repréſentations , chez Prault,
fils , Quai de Conti .
Cette Piéce eft écrite avec tant d'agrément
, que la légereté du ftyle doit faire
excufer celle de l'intrigue . On eft fi agréablement
amufé par le brillant des détails ,
qu'on n'a pas le tems de refléchir fur l'enfemble.
C'eft un cabinet orné de miniatures
, que l'oeil charmé parcourt féparément,
fans examiner fi elles ont entre elles cette
exacte liaison qui doit ne former qu'un
tableau. Le jeu fupérieur de l'Acteur , M.
Grandval , ajoûte à l'éclat du coloris , &
met le comble à la féduction .
Un billet perdu forme le noeud léger de
cette petite Comédie. Damis , qui ea eft
le Héros , l'ayant trouvé par hazard , en
fait un ufage conforme à fon caractére.
Comme ce billet eft conçû en termes généraux
, & qu'il reconnoît à l'écriture que
ce billet eft de Lindor , qu'il fçait être
amoureux de Rofalie , il le fait rendre à la
tante , pour engager cette derniere , qui fe
nomme Julie , à fe tourner du côté de Lin162
MERCURE DE FRANCE.
dor , & fe ménager par- là une prompte
rupture, dans le deffein de lier une nouvelle
intrigue avec Lucinde , qui exige , dit-il ,
auparavant qu'il fe faffe congédier dans
les regles .
Son début avec Julie met d'abord fon
impertinence dans un jour radieux . Voici
l'emploi de fa femaine..
J'eus Dimanche un billet pour fouper chez Mouthier
,
Avec le petit Duc & la groffe Comtefle :
Lundi , jour malheureux , un maudit créancier,
Automate indocile , homme fans politeffe ,
Sous prétexte qu'il doit lui-même & qu'on le
preffe ,
Me voulut fans délai contraindre à le payer.
J'allai le jour fuivant flatter un Financier ';
Mercredi je courus à la Piéce nouvelle ;
Tout le monde étoit pour, & moi je fus contre elle;
La Satyre embellit les plus fimples propos ,
Et l'admiration eft le ftyle des fots :
Jeudi j'eus de l'humeur, je me boudai moi - même ;
Le lendemain j'étois d'une folie extrême ;
Florife s'empara de moi pour tout le jour ;
Hier à tout Paris j'ai fait voir une vefte
D'un goût divin, l'habit le plus gai , le plus leſte ,
Où la Boutray , Paffau , raviffent tour- à - tour ,
Et j'arrive aujourd'hui tout plein de mon amour.
* Fameux Cuisinier.
NOVEMBRE.
1750. 163
Comme Julie lui répond que fa façon
d'aimer elt tout-à-fait commode , il lui
confeille par ces jolis vers de réprimer
fes vivacités .
La réputation dépend de l'apparence ;
L'air de fe préfenter , celui de recevoir ,
Le ton , l'extérieur font des riens d'importance ,
Le maintien , en un mot , eft le premier devoir ,
L'art de diffimuler eft le reffort du monde ,
Et l'équivalent des vertus .
Il mafque les vieilles querelles ,
I prête un air fincére aux amitiés nouvelles ,
L'amour même lui doit fon plus beau coloris ,
Et fous un froid maintien cachant les tendres
flammes ,
Il tient lieu de fageffe aux femmes ,
Et d'indifference aux maris.
Julie lui réplique que ,
La faufleté fouvent n'eft qu'un vice inutile ,
Dont la premiere duppe eft celle qui s'en fert.
Damis lui fait entendre très impertinemment
qu'elle a beau fe piquer d'être fincére;
qu'on lui refuſe net cette qualité , &
qu'on lui donne trente ans & par - delă .
Elle fait cette réponſe charmante.
Si vous m'aimiez encor , j'aurois affez d'attraits ,
164 MERCURE DE FRANCE.
Si je vous aimois moins , je ferois plus aimable ,
Ce font vos fentimens qui vieilliffent mes traits.
Dès que Damis a quitté la tante , il va
faire les preuves d'impertinence & de
noirceur avec la niéce. Après lui avoir dé
claré que Julie eft fa rivale , il lui dit
qu'elle a tort de divinifer le fentiment ,
& la cathéchife ainfi fur la conftance dont
elle fe pique.
Ce n'eft point- là du tout le fyftéme du jour ;
Vous prenez l'ennui pour l'amour ,
Et tandis qu'à dupper tout le monde s'occupe ,
Vous vous glorifiez de vouloir être duppe.
De la mode & du tems fçachez mieux profiter ;
Ce n'eft qu'aux coeurs ufés qu'on permet la conf
tance ;
Ce ridicule affreux a penfé perdre Hortenfe .
Tout dépend de bien débuter.
Par les plus brillantes peintures
Il faut commencer le Roman ,
Fixer l'attention , courir rapidement
D'avantures en avantures ,
Augmenter l'intérêt de moment en moment ,
Enfuite le filer un peu plus lentement ,
De l'amour par degrés diminuer les aîles ,
Et quand on croit en être à fon dernier amant ,
On peut crier alors contre les infidéles ,
Et finir par le fentiment.
J
NOVEMBRE.
1750. 165
Rofalie défaprouve ce fyftême , Damis
infifte en difant :
Vous allez débuter fur la fcéne du monde ;
Chaque rôle y demande une étude profonde ;
Mais le vôtre fur tout un jeu particulier.
Apprenez vos devoirs : du froid jargon des mines,
mots à double fens & d'allufions fines ,
Des
Se faire un fystéme fingulier ;
Avoir l'art de concilier
Une foule d'amans , qui , trompés l'un par l'autre ,
Vous engagent leur coeur fans engager le vôtre ;
Ne fouffrir qu'aucun d'eux vous quitte le premier ;
D'un air libre & riant tout dire & tout entendre ,
Où l'on promet d'aller toujours le faire attendre ;
Aniver en peftant contre quelqu'importun ;
Faire fur la parure une légere excufe ;
Commencer vingt propos & n'en finir aucun ;
Où l'on périt d'ennut ,jurer que l'on s'amufe ;
Refufer de l'efprit à toutes les beautés ;
Ufertout , épuifer trente fociétés ,
En un mot , être folle & fe croire jolie ,
Voilà ce qu'on appelle une femme accomplie.
Nous omettons beaucoup d'autres détails
dont cette Piéce eft remplie , pour en
venir au dénouement. La tracaflerie du
billet étant éclaircie , on ne fçait pas trop
de quelle maniere Julie prend un parti
digne d'elle . Une lettre de Lucinde , qui
166 MERCURE DE FRANCE.
lui découvre toute la perfidie de Damis ,
acheve de l'y déterminer. Il paroît dans la
ferme réfolution de mériter , comme il le
dit , le congé le plus authentique. Julie ,
qui a démêlé fon projet , avertit que loin
de s'y prêter , elle veut paroître au contraire
refferrer fa chaîne. Comme cette
Scéne eft la Scéne par excellence , & qu'el
le renferme le précis de la Piéce , nous allons
la donner en partie. Le Dialogue nous
en a paru fi bon , qu'on pourra croire qu'il
n'auroit tenu qu'à l'Auteur de nous donner
une Comédie bien dialoguée .
Fulie.
Qu'avez- vous donc , Damis, je vous trouve rêveun
Damis.
Madame , on l'eft toujours quand on a le coeur
tendre.
Julie.
Nous ferons mis au rang des grandes paffions ;
On n'a pas crû d'abord notre union bien sûre ;
Tout paroilloit en nous un fujet de rupture ;
Mais nous avons prouvé que nous nous convenions.
Ne méritez-vous pas
de fixer une femme ?
Damis.
Oui , quand on rougifloit d'avouer un amant ;
NOVEMBRE. 1750. 167
Mais on ne rougit plus que d'aimer conftammen
Julie.
Quel que foit là deſſus le préjugé vulgaire ,
De vous aimer toujours je me fais une loi.
Damis à part. મે
Non je ne parviendrai jamais à lui déplaire ;
Voila de ces malheurs qui n'arrivent qu'à moi.
Comment ?
Julie.
Damis.
Mais fi l'objet d'une telle foibleffe
N'attendoit qu'un prétexte & périffoit d'ennui ,
Car j'en connois beaucoup de cette efpece.
Julie.
Mais je redoublerois d'attention pour lui.
Damis.
Cela perd une femme , & l'amour qui s'endort
Eft plus humiliant que l'amour qui s'envole.
Julie.
Je crains peu qu'un amant , qui poffede mon coeur ,
Eprouve en mes liens le dégoût du bonheur ;
Mais s'il prenoit jamais une nouvelle chaîne ,
On me verroit bleſſer ma rivale & l'ingrat
Des traits les plus perçins que m'offriroit la haine,
Et porter le dépit jufqu'au plus grand éclat .
Damis.
C'eft montrer au public la plus grande foibleffe ,
Et faire voir aux gens que leur perte nous bleſſe.
168 MERCURE DE FRANCE.
Pour moi , fi répondant au billet d'aujourd'hui ,
Vous admettiez Lindor à l'honneur de vous plaire
Loin de vous reclamer & de rompre avec lui ,
Je le mettrois au fait de votre caractére.
Julie..
Ce dépit, cette aigreur me prouvent votre amour :
A vous rendre jaloux je fuis donc parvenue !
Il faut vous avouer que j'étois réfolue
De laiffer à Lindor quelqu'efpoir de retour ,
Pour éprouver votre tendreffe ,
Damis.
Vous piquez ma fincérité ;
Le billet de Lindor étoit pour votre niécè ,
Et par mon ordre feul , Lubin vous l'a porté.
Julie.
Que je vous fçais bon gré d'une telle injuftice !
Nous n'avions l'un & l'autre employé l'artifice
Que pour nous mieux prouver notre fidélité.
Julie fait venir fa niéce avec Lindor ;
elle les unit enſemble , & pour mieux confondre
Damis , elle lui lit la lettre de Lucinde
, qui défend en termes formels fa
porte à ce Héros d'impertinences. Il foutient
cette difgrace conformément à fon
caractére , & fort en s'écriant :
Comment donc ? J'ai trouvé deux femmes qui
s'eftiment ;
La rencontre eft unique , & l'on en parlera .
Le
NOVEMBRE. 1750. 169

Le Lundi 14 Septembre , M. Kin , qui
n'avoit jamais joué fur aucun Théatre public
, débuta à la Comédie Françoife. Ses
rôles de début ont été Titus , dans la Tragé
die de Brutus; Radamifte , dans la pièce de
ce nom ; fils , dans la Comédie de l'Enfant
Prodigue ; Zamore , dans la Tragédie d'Alzire
; Andronic , dans la pièce de ce nom ,
&c. Le public paroît avoir décidé que cet
Acteur à de l'intelligence , une expreffion
très -pathétique , un gefte fort noble & une
grande liberté dans les pofitions du Théatre.
Ces talens font balancés par quelques
défauts : M. Kin en a de frappans , il en a
peut-être qui font fans remede ; malgré
cela il remue , il touche , il entraîne , & il
n'a que vingt ans.
Les Comédiens Italiens ont donné le 22
du mois de Septembre , la premiere repréfentation
des Fauffes Inconftances , petite
Comédie en un Acte , & en profe , de M.
de Moiffi, Auteur du Provincial à Paris.
L'intrigae eft fondée fur un double traveftiffement
, pivot un peu trop afé , qui
lui donne un grand air de reffemblance
avec plufieurs autres piéces , & fingulierement
avec la Fête d'Auteuil. Clorinde ,
amoureuſe d'Erafte , fe déguiſe en Cavahier
pour le fuivre & l'épier dans une
campagne, où elle rend des foins à Clarice ,
H
170 MERCURE DEFRANCE.
qu'elle croit fa rivale. Elle eft accompagnée
d'une nouvelle femme de chambre ,
qui s'ett aufli traveftie en homme. Ce
dernier déguilement donne occafion à deux
méprifes , qui font tout le jeu & tout le
plaifant de la pièce . Cette Suivante eſt
mariée avec Arlequin , qui l'a quittée depuis
deux ans , & qui la reconnoît dans
cette campagne , où il a ſuivi Eraſte , ſon
Maître. Comme il prend Clorinde pour
un jeune homme , il croit fa femme infidelle
, & la rencontrant à l'écart tête à tête
, il lui témoigne fa rancune en mari des
plus roturiers , & vient après s'en applaudir
en plein théatre , en difant qu'il brûle
d'en faire autant au freluquet qui le des
honore . Ce faux Cavalier, qui l'entend , le
faifit au colet , & tirant l'épée , le menace
de le tuer ; Arlequin effrayé , implore
la bonté de fa femme , qui furvient ; mais
Clorinde ne lui accorde la vie qu'à condition
que la Soubrette lui rendra tous les
coups qu'elle en a reçus . Arlequin luimême
l'en prie , & lui préfente fa batte .
Elle feint de la prendre malgré elle , & le
bâtonne par obéiffance .
Erafte , de fon côté , abufé par le travel.
tiffement de la Suivante , la croit fon tival
, & joue par dépit l'amant près de Clarice
, ce qui donne lieu à une double ja
NOVEMBRE . 1750. 175
loufie entre lui & Clorinde. Un éclairciffement
qu'il a avec elle , le détrompe ,
& lui apprend que ce faux rival eft une
femme de chambre. 11 fe juftifie aux yeux
de fa Maîtreffe . L'hymen eft le fceau de
leur racommodement , & fon valet Arlequin
renoue avec la moitié.
Cette Piéce , qui réuffit , & dans laquelle
il y a quelques Scénes véritable,
ment comiques , eft fuivie d'un divertiffement
qui ne la dépare pas. Il eſt d'autant
plus agréable qu'il eft très- court. M. Ba
lette , revenu d'Italie , y danfe avec la
Dlle Camille un Pas , où il déploye beaucoup
de force , de grace & de légereté.
Cette Comédie eft imprimée chez Cailleau
, rue Saint Jacques , à S. André.
DAVID ,
RECONNU ROI D'ISRAEL.
Tragédie du Pere du Parc , qui a été repréfentée
le 5 Août au Collège de Louis be
Grand , pour la diftribution des prix , fondés
par Sa Majesté.
O
N lit au premier Livre des Rois ,
que David , après avoir vengé la
gloire d'Ifraël , & défait le plus redoutable
de fes ennemis , effuya de la part de
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
Sail , jaloux de fes fuccès , de longues &
de cruelles perfecutions. La mort de ce
Roi furieux , qui périt avec fa famille
dans un dernier combat contre les Philiftins
, mit David fur un Trône que le Ciel
lui avoit deftiné . C'étoit le fruit de fa patience
& le prix de fes vertus . Les premiers
jours de fon Regne font marqués au fecond
Livre des Rois . Cet évenement , un
des plus confidérables qui ait trouvé place
dans les faftes du Peuple de Dieu , a paru
propre au Pere du Parc à être mis fur un
Théatre , qui n'en admet guéres d'autres.
Il l'a manié en homme de goût , & avec le
refpect qu'on doit aux fources facrées , où
il a puifé. Il a confervé l'ordre & la vérité
des faits . Il ne s'en eft écarté , que quand
il a crû pouvoir le faire fans conféquence .
Il a fuppofé par exemple , le rappel de
David auprès de Saül , quelques jours avant
la défaite de ce Roi , quoique David eût
quitté la Cour depuis long- tems. A cela
près on retrouve dans fa Tragédie tout
ce qu'on a lû dans les Livres faints ; l'amitié
de Jonathas pour David , l'ombre de
Samuel , &c. La Scéne eft dans un Bois ,
où Saul campoit ordinairement pendant
la guerre qu'il eut avec les Philiftins.
Après ce court préambule qui étoit néceffaire
, entrons dans le détail , fuivons
NOVEMBRE 1750. 173
fe-
01
ce
00
d'Actes en Actes la marche du Poëte ;
montrons l'économie de fes Scénes , citonsen
même quelques morceaux traduits avec
fidélité , de la Langue dans laquelle il a
fait parler fes Acteurs . Quel dommage
qu'on ne puiffe les produire , tels qu'ils
font fortis de fa main ! On y admireroit
une latinité exquife , une verfification réguliere
, coulante , majeftucufe , un certain
Art d'orner fans affectation les penfées
, & d'ennoblir le fentiment fans enflure.
Mais combien de Lecteurs glifferoient
fur des citations toujours trop obfcures
pour eux , quelques claires qu'elles puif-
Lent être ?
Saül & Abner , Général de fes armées ,
ouvrent le premier Acte. Dès qu'ils paroiffent
, le fpectateur eft inftruit de leurs
intérêts & du caractére des principaux
perfonnages , fuivant la maxime des Légiflateurs
du Théatre.
Que dès les premiers vers l'action préparée ,
Sans peine , du fujet applaniffe l'entrée.
Saül en proye à une inquiétude dévorante
, l'efprit aigri par d'horribles fonges
, le front couvert de nuages , confie
à Abner le trouble de fon ame. La préfence
de David qu'il a rappellé , ne lui
préfage que des malheurs. Ses liaiſons
H iij
174 MERCURE DE FRANCE .
avec Jonathas qu'il a féduit , & toute fa
conduite décélent fes espérances & fes
projets téméraires . Abner , rival de David
, & qui afpire en fecret à la Couronne
de Saül , fur un bruit qui s'eft répandu
qu'elle ne pafferoit pas fur la tête de fes
enfans , confpire par de perfides confeils
contre le feul concurrent qu'il ait à craindre.
Seigneur , dit il au Roi , vous verrai-
je toujours livré à des chagrins qui empoifonnent
votre vie ? Ne puis -je en deviner
la caufe ? Ne pouvez - vous me la
déclarer ? Ecoute , répond Saul , connois
la main d'où partent les traits dont je fuis
atteint. Funeftes fonges , .nuit fatale ,
quelles affreufes images viennent troubler
mon coeur , dans les bras du fommeil ! J'ai
vû , Abner , j'ai vu l'ennemi fondre avec
impétuofité dans mon camp y porter le
fer & la flamme , égorger ma famille. J'ai
vû mon fang arrofer la terre couverte des
débris de ma grandeur , & pour comble de
difgraces , j'ai vû mon Diadême paffer fur
le front de cet odieux Sujet que tu vois
à ma Cour. Le perfide refpire encore ,
abufe du don que je lui fais de la vie .....
Volage Ifraël , peuple rebelle , acheve ton
ouvrage couronne David. Non , le tems
de regner n'eft pas encore venu pour lui .
Je préviendrai le moment de ma chûte &
il
NOVEMBRE. 1750 . 175
de fon élevation ... Cruelle réfolution !
Voudrois-je fouiller mon Sceptre , & devenir
le plus coupable des Rois : Ces dernieres
paroles de Saül paroillant incertain
de la maniere dont il doit le délivrer de
David , font craindre à Abner qu'il ne
laiffe rallentir fa vengeance. Il fe hâte de
lui offrir le fecours d'une main étrangere ,
& de le faire confentir à un crime néceffaire
à fa tranquillité. Saül , enhardi par
le difcours qu'il lui tient , franchit le pas
qui lui reftoit à faire , mande David , &
fe prépare à l'immoler de fa propre main .
Jonathas paroît dans le moment qu'il donne
l'ordre cruel d'amener David . Jonathas
, fils foumis & ami généreux , plein
de refpect pour les volontés de fon pere ,
& prêt à fe facrifier pour David , ignore
l'épreuve à laquelle on va mettre fon amitié.
Interrogé par le Roi , s'il balanceroit
à fauver les jours d'un pere en bute aux attentats
d'un Sujet audacieux , répond qu'il .
répandroit jufqu'à la derniere goutte de.
fon fang , & demande avec empreffement
le nom du coupable. On lui nomme David.
Jonathas frappé , comme d'un coup
de foudre , partagé entre un pere dont il
refpecte jufqu'aux fureurs , & un ami dont
il connoît l'innocence , fe précipite aux
genoux de Saül , & le conjure de fufpen-
Hiiij
176 MERCURE DEFRANCE.
dre les effets d'une colére qui lui coûteroit
un forfait. Saül lui reproche avec indignation
le zéle qu'il affecte pour David . Sçaistu
, lui dit- il , pour qui ton coeur prend
parti contre moi ? Le berger de Bethleem ,
l'indigne fils d'Ifaï m'a ravi les éloges d'Ifraël
. On l'a élevé dans des chants de
triomphe au-deffus de fon Roi. Il ne lui
manque plus que de monter à ma place ,
& de s'affeoir fur mon Trône. Ah ! s'écrie
Jonathas , ah ! mon pere , ce Trône que
Vous craignez qu'il ne vous enleve , n'a
jamais tenté la fimplicité de fon coeur. Il
borne fes defirs à vivre fous vos loix .
Confondu parmi vos plus fidéles Sujets ,
il fe contente pour prix de quelques exploits
, de l'amitié que je n'ai pû refufer à
fes vertus. Il voudroit pouvoir y joindre
la vôtre , & vous le croyez appliqué à
creufer un précipice fous vos pas ! Ces
mots prononcés avec une refpectueufe liberté
, accompagnés des prieres les plus
touchantes , & foutenus par des larmes ,
calment infenfiblement , quoique falfe
Abner , le courroux du Roi , & défarment
fa vengeance. Victoire précieuſe
pour Jonathas ! mais victoire paffagere fur
un coeur que mille foupçons toujours renaiffans
, rendront bientôt à tous les remords.
Abner , qui connoît le Roi , n'atNOVEMBRE.
1750. 177
tend que fon départ & celui de Jonathas ,
pour fe confoler d'une efpéce de trêve
qu'il a en main mille moyens de rompre.
Tout ce premier Acte que termine la Scéne
d'Abner refté feul , eft travaillé avec
tout le foin poffible .
Dans la prémiere Scéne du fecond Afte
paroiffent Jonathas , David & Pharès ,
confident de l'un & de l'autre . Pharès ,
qui prévoit les excès des tranfports jaloux
de Saül , exhorte David à fuir l'orage qui
menace fes jours. Jonathas ne peut confentir
à une fuite , qui mettroit entre lui
& fon ami une diftance dont fon coeur
friffonne. Il apprend à David ce qu'il a
fait auprès du Roi en fa faveur.. Il lui annonce
une paix cimentée par fes larmes
& dont le terme n'expirera qu'avec leur
amitié. David , fupérieur aux allarmes de
Pharès , David que les plus tendres fentimens
fixent auprès de Jonathas , abandonne
le foin de fa deſtinée au fouverain arbitre
des évenemens , & condamne le confeil
qu'on lui donne de fuir. Saül qui arrive
, va bien- tôt juftifier les frayeurs de
Pharès , & dérromper Jonathas. Il fe répand
d'abord en plaintes améres fur fon
fort , & défie le Ciel d'ajouter à fes malheurs.
Vous , malheureux , lui dit David !
vous , grand Roi , que tout concourt à
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
rendre heureux ! Je l'ai été , répond - il en
foupirant . Le Ciel verfa jadis fes faveurs
fur moi. Mais aujourd'hui la fource en eft
tarie. Tout m'importune , tout me déplaît
, j'abhorre jufqu'au nom de Roi que
je porte. Je ne fçais où me cacher , pour
me dérober aux furies qui déchirent mon
coeur , pour mettre mes jours à l'abri du
fer des Philiftins , qui m'afliégent dans
mon camp. Seigneur , réprend David , nos
refpects adouciront vos chagrins. Notre
courage vous répond de la défaite prochaine
de vos ennemis . Abner à la tête des
braves d'Ifraël , forme autour de votre
camp un rempart inacceffible . Moi - même ,
& pourquoi oublierois -je cette preuve
toute récente de mon zèle pour mon Roi ?
moi-même , j'ai pénétré dans les bataillons
des Philiftins. J'ai fait couler des
ruiffeaux de leur fang dans les plaines
qu'ils vouloient arrofer da nôtre . Mais ce
ne font encore là que les préludes d'une victoire
, dont vous ne tarderez pas à être
témoin , & qui ne vous laiffera plus d'ennemis
, fi vous daignez me compter au
nombre de vos vengeurs . Saül , que ce
difcours fait frémir , fent renaître au fond
de fon coeur la noire jaloufie. Il fe croit
outragé par des exploits qui effacent les
fiens. Il s'agite , il tonne , il éclatte , il ſe
NOVEMBRE . 1750. 179
plaint qu'on le livre aux mains d'un traître
qui en veut à fon Trône & à fa vie
David & Jonathas interdits & confondus ,
fe demandent l'un à l'autre quel eft l'objet
de ces éclats . Ils ofent le demander au
Roi , qui ne leur répond que par un ordre
qu'il donne à Jonathas de le fervir de fon
épée. David offre d'y joindre la fienne.
Qu'on préfente le coupable , qu'on indique
le chemin de fa retraite : il va tomber
fous les coups multipliés de deux épées
unies pour venger le même crime . Le coupable
eft nommé ; c'eft David . Jonathas
recule d'horreur. Il croyoit fon pere revenu
de fes injuftes préventions contre David
. Il s'étoit abufé . Un trait part de la
main du Prince furieux. Jonathas fuit .
avec David qu'il entraîne. Saül refte confus
d'avoir manqué fa victime , & du crime
qu'il alloit commettre . Cruelle envie ,
s'écrie t'il , implacable furie , qui verfes
ton poifon fur tout ce qui m'approche ,
pourquoi me forces tu de hair le plus vertueux
de mes Sujets ? Tandis qu'il déplore
les excès d'une paffion qui fait fon tourment,
Abner arrive à tems pour en rallumer
les étincelles , & pour préparer la ruine de
David , par des voies d'autant plus sûres ,
qu'elles feront plus difficiles à pénétrer.
Après avoir repréſenté à Sail tout ce que
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
la perfidie peut infpirer de plus noir , après
lui avoir montré tout ce qu'il a à craindre
d'un Sujet ambitieux qui a féduit le peuple
, dans la vue d'en obtenir la dignité
fuprême , Abner frappe un dernier coup ,
qui décide felon fes deffeins la deftinée
de David. Il faut vous réfoudre , dit -il
au Roi , à ramper fous la houlette du berger
de Bethléem , ou à me confier le foin de le
faire périr. Il explique fon projet : Saül y
donne les mains. C'eft dans des circonftances
où les Philiftins , honteuxde quelques
échecs qu'ils ont reçus , & préparés à la
vengeance , fe difpofent à affaillir le camp,
d'envoyer David contre eux à la tête d'un
millier de foldats , de lui déguifer le péril
qui l'attend , de ne lui préfenter que l'ap
pas d'une vaine gloire , & de quelques récompenfes
qui flattent fon ambition . Imprudent,
& fans expérience , fon bonheur
fera forcé de l'abandonner . Il trouvera fur
le champ de bataille une mort inévitable.
Sail , charmé d'un projet qui doit enfin
fixer dans fes mains le Sceptre qu'il reçut
autrefois de Samuel , à qui Dieu donna
le pouvoir d'élire les Rois , témoigne fon
contentement à Abner , & le quitte en ſe
repofant fur lui du fuccès. Abner s'ap
plaudit avec Abifa fon ami , du piége
où il ya faire tomber David. S'il l'évite
NOVEMBRE. 1750. ISI
15
contre toute vraisemblance , il fçaura tirer
de fon bonheur même de nouveaux
moyens de le perdre. Ses fuccès ne feront
qu'irriter davantage un Roi que l'envie
tourmente. Du fecond Acte qui finit ici ,
on eft impatient de paffer au troifiéme.
Le péril que David va courir , intéreffe
auffi vivement le fpectateur , que s'il étoit
à la place de Jonathas. Saül eft plaint ;
mais la colère de fon Dieu le pourfuit juftement.
La perfidie d'Abner fait faire des
voeux pour hâter fon fupplice. Ainfi l'Art
de la Tragédie éleve dans le coeur des paffions
paffageres , pour en corriger de plus
durables.
Le troifiéme Acte n'offre d'abord fur la
Scéne que Jonathas . Il vient d'apprendre
le nouveau triomphe de David fur les Philiftins.
Toujours précédé du Dieu des Armées
, ce guerrier ne livre point de combats
qui ne tournent à fa gloire. Chargé
de butin & de dépouilles , il a laiffé les
ennemis d'Ifraël dans la confternation . Jonathas
eft plus flatté de cette victoire , que
s'il l'avoit remportée lui - même. Mais que
de fujets de craindre , qu'elle n'ait des fuites
funeftes ! L'envie pourroit- elle laiffer
de grands fuccès impunis ? Il attend en
tremblant le retour du Héros . David s'offre
tout à coup à fes regards. Le plaifir de
182 MERCURE DEFRANCE.
mettre aux pieds de fon Roi les fruits de fa
victoire , ne lui permettoit pas de fe faire
long-tems attendre. Il déclare fon deffein
à Jonathas , qui lui dit : Ah ! qu'allez - vous
faire ? Voulez- vous changer en un jour
de deuil celui de votre triomphe ? Fuyez ,
mon cher David , fuyez une Cour , où
vous recevriez plus d'honneurs , fi vous en
méritiez moins . Jonathas explique le fujet
de fes frayeurs. Il a vû le Roi , au bruit
de la victoire de David , foupirer , s'agi
ter , menacer le vainqueur , lui prodiguer
des éloges , donner des ordres , les révoquer
le moment d'après. Fatale fituation
pour un Prince qu'un Sujet fidéle ne fçauroit
fervir fans l'outrager ! Triftes préfa
ges des nouvelles difgraces qui attendent
David ! Il s'étoit flatte fur la promeffe du
traître Abner , de voir finir fes malheurs
& la haine de Saül , s'il revenoit victorieux
d'un combat rifqué par fes ordres.
Et jamais la tempête ne gronda fur fa tête
avec plus de furie. Le feul appui qu'il ait
dans l'univers , c'eft Jonathas . Ils fe jurent
l'un à l'autre une amitié éternelle . Jonathas
, pour en ferrer davantage les nauds ,
préfente à David fon épée & fon baudrier.
Agréez , cher ami , ces gages de ma tendreffe.
Revêtez- vous des armes que j'ai
portées . Elles en recevront un nouvel
NOVEMBRE. 1750. 183
TOA
༢༢ བས
éclat. Si j'avois un Sceptre , j'en ornerois
vos mains. J'arracherois le Diadême de
deffus mon front , pour en couronner le
vôtre. Je croirois me conformer aux deffeins
d'un Dieu, qui n'éprouve votre vertu,
que pour vous frayer au Trône une route
plus sûre. Ne fuccombez pas fous le poids
de l'épreuve . Vos malheurs auront une
fin glorieufe. David foufcrit aux arrêts du
Dieu qui régle les deftinées des hommes.
Mais rien ne le peut confoler dans fon infortune
, que l'amitié de Jonathas . Eclairé
fur la vanité des honneurs qui féduiſent
les ames vulgaires , loin de les defirer ou
d'y prétendre , il voudroit n'avoir jamais
quitté la folitude , où s'écoulerent dans le
fein de l'innocence & de la paix fes premiers
ans. Déferts fortunés , bois folitai
res , afiles ignorés de la vertu & des plaifirs
innocens , vous me vîtes couler des
jours fereins. J'ignorois le tumulte des
Cours , & les hazards d'une vie expofée
aux trames des méchans. Je ne connoiffois
que mon coeur ; je regnois fur mon
troupeau. Rangé fous ma houlette , il ne
fe mouvoit que par mes loix . Affis fur un
Trône de gafon , Monarque exempt de
foins & d'inquiétudes , tout ce qui frappoit
mes yeux appartenoit à mon empire.
L'envie ne répandoit point fon venin
184 MERCURE DE FRANCE.
1
dans ce paifible féjour , elle n'y caufoit
point de trouble. Je paffois d'une aurore
à l'autre , fans m'appercevoir du cours rapide
des années . Heureux tems , momens
chers à mon fouvenir , que ne puis - je vous
voir renaître ! Ces regrets de David , qui
forment le tableau le plus touchant , font
interrompus par l'arrivée de Pharès , qui
vient lui annoncer ce qu'il a à craindre de
Saül prêt à fondre fur lui , & à l'immoler
aux accès de la plus violente fureur dont
il ait encore été tranfporté. Jonathas , qui
croit déja voir fon ami expirer fous les
coups de fon pere , le preffe de fair loin
d'un camp funefte à tous les deux , reçoit
fes adieux , & conjure le Ciel de veiller
fur les jours. Pharès , après le départ de
David , apprend à Jonathas que les Philiftins
à l'aide d'une nouvelle armée , qu'ils
viennent de recevoir dans leur camp ,
fe
difpofent à une action générale , où les
Ifraëlites doivent fuccomber. L'allarme
s'eft répandue parmi les troupes de Saül.
Ce Roi éperdu a interrogé les Prophétes ,
& fait couler le fang des victimes. Les
Prophetes ont gardé le filence , le Dieu de
Jacob n'a point fait entendre fa voix. Une
Pythoniffe feule a parlé . Elle a promis d'évoquer
l'ombre de Samuel . Elle a marqué
le lieu où il paroîtroit. Il va dévoiler an
NOVEMBRE. 1750. ISS
avenir que tous les Sages d'Ifraël ne fçauroient
percer . Pharès finit à peine ce récit
qui confterne Jonathas , que Saül paroît.
Le défefpoir eft peint fur fon front. Ses
yeux étinceleht de fureur. Jonathas s'éloigne.
David a pris la fuite. Sail , qui
venoit dans l'efpoir de le facrifier à fa rage,
outré de l'avoir encore manqué , ne fufpend
fes tranfports que pour écouter un
dernier projet d'Abner , toujours prêt à
tendre de nouveaux piéges à l'innocence ;
5. ce projet , la derniere reffource du perfide,
eft de divifer David & Jonathas , de piquer
l'ambition de celui- ci , de lui montrer
dans Saül , non plus un pere , mais un
Roi qui veut être obéi , un Roi libre de
difpofer de fon Trône , qu'il deftine déja
à Abner , comme la récompenfe de l'ini
mitié qu'il a vouée à David , fi Jonathas
perfifte à avoir pour cet odieux fujet des
fentimens qui dégradent fon coeur. On
voit dans ce troifiéme Acte tout ce qu'une
fage économie peut produire d'intéreffant :
David vainqueur & fugitif , Jonathas fenfible
à fa victoire , & pleurant fes difgraces
, Saul outré d'avoir manqué fa victi
me , Abner flatté de l'efperance de fupplanter
Jonathas fur le Trône , les Philiftins
prêts à renverfer ce même Trône ,
Pombre de, Samuel fur le point de paroî-
Ta
186 MERCURE DE FRANCE.
tre , tout Ifraël dans l'attente des évenemens
qui vont éclore . Il n'eft pas poffible
de marquer dans une pièce de cette nature
une gradation plus fenfible , & qui attache
davantage
.
Le quatriéme Acte débute par un de
ces traits , qu'on revoit toujours avec plais
fir fur la Scéne. C'est l'efperance d'un
Trône , facrifiée à l'amitié. Saül , fecondé
d'Abner , apprend à Jonathas & à toute la
Cour , le prix qu'il réferve au bras qui lui
livrera David. C'eft fon Sceptre. Jona
thas n'y peut plus prétendre , qu'en con
courant à la ruine de fon ami. Ce Sceptre
eſt deſtiné à Abner , s'il ne fe hâte de le lui
enlever. Foible ftratagême pour furpren
dre la vertu ! Que lui importe un Sceptre
qu'il ne vouloit devoir qu'à fa naiffance ,
& qu'il auroit partagé avec ce même Da
vid , contre lequel on veut qu'il confpire !
Le plaifir de regner vaut- il celui d'avoir
un ami ? Et quand la conquête d'une Cou
ronne joint le crime à la perte de ce qu'on
aime , ne devient-elle pas par un jufte
châtiment une fource éternelle de mal .
heurs ? Pendant que toute la Cour en fi
lence admire la réponſe généreufe de Jo
nathas , Abifa vient confterner le Roi par
cla nouvelle d'une défertion générale , fi
on n'en arrête promptement les progrès.
NOVEMBRE. 1750. 187
Les foldats fourds aux cris de leurs Chefs ,
abandonnent le camp pour ſe rendre auprès
de David . Abner part pour contenir
les féditieux . Paroiffent Eutaphe & Théomante
, députés par la Pythoniffe , que
m Saül a confultée , & qui l'a flatté de lui
faire entendre la voix de Samuel. Le premier
n'annonce que des profpérités : le
Génie qui l'infpire ne lui préfente que
d'agréables images. L'autre n'apperçoit
dans l'avenir que des malheurs : tout fe
revêt à les yeux des couleurs les plus fombres.
Sail , que leurs difcours oppofés
plongent dans une incertitude plus gran
de, demande qu'on évoque l'ombre de
Samuel. Il n'attend que d'elle l'éclaircif
fement de fon fort . A la voix de Théomante
, la terre s'ébranle , l'air fe couvre
de nuages , Samuel paroît , Samuel , l'organe
du Tout-puiffant , & l'oracle d'Ifraël .
Saül reconnoît en tremblant la main qui
le couronna. Il conjure le faint Prophete
de finir fes doutes , & de fixer le terme
de fes malheurs . Ne doit- il plus regner ?
Les Philiftins détruiront-ils fon Empire ?
Sont- ils les feuls ennemis qu'il ait à craindre
Apprends , dit l'ombre , ce que le
Dieu que tu as outragé a réfolu. Les victimes
, dont tu fais ruiffeler le fang fur fes
Autels ne fuffilent pas pour calmer fa
'
18SMERCURE DE FRANCE.
colere . Voici ce qu'il m'infpire de te dire.
Souviens- toi , ingrat , des faveurs dont je
t'ai comblé. Je t'ai appellé du ſein de la
poufliere fur le Trône. Ifraël s'eft abbaillé
devant toi , & a fléchi la tête fous un joug
nouveau. C'est moi qui te précédois dans
les combats , qui illuftrerent les premiers
jours de ton regne , moi , qui diffipois les
nations devant tes armées. Tu recueillois
le fruit de mes triomphes. Qu'as tu fait
pour reconnoître tant de bienfaits ? Tu
as profané mes Autels , en y faifant fumer
un encens que je ne voulois recevoir
que de la main de mon Pontife. Tu as
épargné des ennemis dont j'avois ordonné
la mort , & attenté à la vie de mes Miniftres
, fur le front de qui tu devois refpec
ter l'empreinte de ma fainteté. Moi-même
, ne m'as-tu pas oublié Il eft tems que
mon courroux éclatte . La foudre va partir.
C'en eft fait . Ton regne expire. Le
fils d'Ifaï va prendre ta place. La victoire
des Philiftins , ta mort , & la ruine entiere
de ta famille vont me venger de tes attentats.
L'ombre difparoît à ces mots , &
laiffe Saül plongé dans la douleur la plus
amére. Ce qui augmente fon défeſpoir ,!
c'eft le bonheur de David . Il va donc regner
! le Diadême va paffer fur fon front !
Cruelle penfée ! Jonathas & Pharès , touNOVEMBRE
. 1750. 189
chés de la déplorable fituation du plus infortuné
des Rois , s'efforcent d'effacer les
impreflions d'une prédiction , qu'ils lui repréfentent
comme douteufe. Jonathas ne
fonge pas qu'il joint au crime d'être né
d'un pere coupable , celui de méconnoître
la voix de fon Dieu. Ce trait ne fuffit-il
pas aux yeux d'un Maître qui ne laiffe rien
d'impuni , pour être enveloppé dans le
projet de fa vengeance ? L'arrivée d'Abiſa ,
dépêché par Abner , acheve ce que le dif
cours de Jonathas & de Pharès a commencé.
Il annonce à Saül David prêt à tomber
entre les mains d'Abner. Če Général ,
après avoir remis l'ordre dans le Camp
& fait rentrer les foldats dans le devoir ,
eft allé à la pourfuite de David. Il n'a
tardé à le joindre. Il tient fa proye tellement
enveloppée , qu'elle ne peut plus lui
échapper. Que le Roi fufpende pour quelques
momens l'attaque des Philiftins : on
va lui livrer David . A cette nouvelle Sail
treffaille de joie. Il donne fes ordres pour
contenir l'ennemi , & renvoye Abifa vers
Abner , afin de le preffer de lui amener David.
Jonathas touche à l'inftant fatal , où
il va perdre fon ami. Saül prépare déja
fon tras à frapper. Le contrafte du pere
& du fils fournit peut- être la Scéne la plus
in ér ffante de tout cet Acte, vraiment trapas
I
190 MERCURE DE FRANCE.
gique. Mais l'arrivée d'un courier fufpend
tout à coup les allarmes de l'un & la joie
de l'autre. Les Philiftins ont franchi les
obftacles , & attaqué le Camp d'Ifraël.
Abner au bruit du danger eft accouru pour
repouffer l'ennemi . Il paroît , & apprend
à Saül qu'il a laiffé David aux mains avec
fes foldats. Ils brûlent l'un & l'autre de le
voir fuccomber. Mais toutes leurs troupes
leur font néceffaires contre les Philiftins.
A quoi le réfoudront- ils ? Faut- il rappeller
les foldats qui font reftés à la pourfuite
de David ? Cruel embarras ! L'envie a bientôt
déliberé. Les foldats ont ordre de refter
, & de poursuivre vivement leur proye
Abifa va les commander. On entend le
fignal de l'approche des Philiftins. Jonathas
vole au combat. Saül & Abner le fuivent
, occupés de penſées bien differentes.
Saül fe rappelle la prédiction de Sa
muel : une mort certaine l'attend avecfa
famille fur le champ de bataille. Abner fe
repaît de l'efperance d'un Trône , le
maffacre de la race de Saül , & la mort de
David vont laiffer vuide & fans préten
dans. Il y adans l'Acte qu'on vient d'ana
lyfer , bien de ces incidens qui font regner
fur le Théatre une variété qu'on aime à y
voir. L'ombre de Samuel y fait -être
peutun
effet nouveau. La Scéne où elle paroît ,
que
NOVEMBRE. 1750. 191
étoit toute tracée dans des Livres dont
l'autorité eft facrée . C'eft une de ces Scénes
que Dieu lui-même a préparées , comme
s'exprime M. Racine à la tête de fon
Eſther.
Nous fommes parvenus au dernier Acte
de cette Tragédie. Jonathas dans le défordre
général , où l'irruption des Philiftins
a mis toute l'armée d'Ifraël , a crû devoir
fuppofer un ordre de fon pere , qui rappelloit
Abila avec les foldats qui affiée
geoient David. Abifa s'eft hâté d'obéir ,
& de joindre fa troupe au refte de l'armée.
Par-là David s'eft trouvé libre . Pharès
court lui apprendre à qui il doit fa liberté,
& le préparer au coup le plus fenfible dont
fon coeur pût être frappé. David fe rapproche
du Camp. Pharès continue le récit
déplorable de ce qui vient de fe paffer.
Jonathas efcorté de ce qu'il a pû raffembler
de foldats autour de lui , s'eft précipité
à travers les rangs de l'armée ennemie.
Accablé
par
le nombre , ce Prince coura
geux a vû trancher fes jours par une main
barbare. Mais en mourant il avoit encore
à la bouche le nom de David, Cruel évenement
pour le coeur d'un ami ! Jonathas
n'eft plus , s'écrie David , Jonathas , mon
appui , & mon unique reffource dans mes
malheurs. Il fe dépouilla pour moi de ces
192 MERCURE DE FRANCE.
·
armes que je porte . Elles me rappelleront
dans tous les inftans le fouvenir de fa tendre
amitié , fi l'excès de ma douleur me
permet de lui furvivre . Pendant que David
paye le tribut defes larmes au deftin
de Jonathas , arrive Nabal qui lui annonce
la mort du traitre Abner , que celle de
Sail , combattant à la tête d'un petit nombre
de foldats fidéles , va bientôt fuivre.
David ne triomphe point de la mort
d'Abner. Il ne penfe qu'à éloigner celle
de fon Roi. Pharès veut inutilement l'en
détourner. David oublie dans fon Roi
fon plus cruel ennemi . Dans le moment
qu'il part pour fignaler fon zéle & fa fidélité
, Achimas , Amalécite , vient met
tre à fes pieds la Couronne de Saül , dont
il a lui-même terminé les jours. David recule
d'effroi . Il ordonne fur le champ le
fupplice du cruel Amalécite. Les Guerriers
d'Ifraël an comble de leurs voeux , ne
laiffent pas à David le tems de pleurer la
mort de Saül . Affûrés de la victoire en
combattant fous fes étendarts , flattés de
l'espoir d'un Regne fecond en profpérités,
ils fe hâtent de le proclamer Roi. David
eft reconnu Roi d'Ifraël. Ici on croit devoir
faire remarquer une Scéne qui termine
toute la Tragédie . C'eft David , aux yeux
de qui fe dévoile tout à coup l'avenir. Ily
lit
NOVEMBRE . 1750 . 193
lit des évenemens , dont le merveilleux &
la contrarieté excitent fucceffivement dans
l'ame du Spectateur des mouvemens de
terreur & d'admiration . Telle eft à peu
près la Scéne du troifiéme Acte d'Athalie ,
où Joad, fubitement infpiré , prédit les réyolutions
de la postérité de Jacob.
Cieux , écoutez ma voix ; terre , prête l'oreille ...
Comment en un plomb vil l'or pur s'eft- il changé a
Quel eft dans le lieu faint ce Pontife égorgé ?
Pleure , Jerufalem , pleure , Cité perfide ,
Des Prophétes divins malheureufe homicide.
De fon amour pour toi , ton Dieu s'eft dépouillé ;
Ton encens à fes yeux eft un encens fouillé ...
Quelle Jerufalemn nouvelle
Sort du fond du défert brillante de clartés ,
Et porte fur le fronr une marque immortelle
Peuples de la terre , &c .
La Scéne qu'on va citer eft de la nature
de celle- ci . L'Auteur ( le Pere Duparc )
a faifi heureufement à la fin de fa Piéce ce
qu'il y avoit de plus capable d'aller au but
de la Tragédie , qui eft , fuivant la prati
que des Maîtres du Théatre , de frapper
un dernier coup , qui augmente le trouble
ou la furpriſe du Spectateur. Ainfi voiton
dans le chef d'oeuvre . de Sophocle ,
chef d'oeuvre , furtout pour qui fçait en
étudier les beautés dans la Langue origi
angu
I
194 MERCURE DEFRANCE .
naire , Oedipe effrayé d'un avenir déplorable
en étaler , en finiffant , l'image aux
yeux des Thébains qu'il étonne & qu'il
confterne . David dans une fituation differente
, s'il ne produit pas le même effet ,
remue également le coeur , en y créant d'autres
mouvemens . Reconnu Roi d'Ifraël ,
& élevé du fein des calamités au faîte de
و د
33
la grandeur , il voit tout à coup fortir de
l'obfcurité d'un avenir , jufqu'alors impénétrable
, une fuite de revers & de profpérités
dont il trace l'Hiftoire . » Dans quelles
régions fuis- je tranfporté ? Que
vois-je ? Un nouvel univers éclôs à mes
regards étonnés. Les tems fe précipitent
» devant moi comme les flots de la mer,
» Arrêtez , fiécles fugitifs , quelle foule
» d'évenemens prodigieux entraînez- vous
» dans votre cours ? Comment fuis je tom
» bé du fommet des grandeurs dans un
» abîme de maux : Noyé dans un Océan
» de larmes , pourquoi coulent elles de mes
» yeux ? Perfides , refpectez le Diadême
qui ceint mon front ..... Mais quelle
gloire m'environne D'où vient cet
» éclat qui m'éblouit ? Quel eft le nouveau
Monarque , devant qui les Rois de la
» terre baiffent une tête altiere ? C'eft le
» fils de Davi , c'eft l'efperance des Na-
"
"
tions, Les bords du Jourdain retentif
NOVEMBRE. 1750.
195
i
"
fent du bruit de fes bienfaits. L'univers
» a reçû fa Loi . Du Couchant à l'Aurore
» on bénit fon nom. Cieux ! quelle nou-
» velle fplendeur brille autour de lui : Je
» le vois s'élever au deffus de la cime des
» montagnes , & éclipfer la beauté du jour
» par l'éclat de fa gloire. Porté fur un
nuage rapide , il va prendre fa place à
» côté de l'Eternel , dont il partage l'empire
& le tonnerre. Peuples , profternez-
» vous : la foudre eft dans fes mains . Rois ,
faites regner la paix fur la terre ,
Le célébre Metaftafio , à la fin de fon Giu-
Jeppe Riconofcinto , fait dire auffi à Jofeph ,
après le récit des revers qui ont précedé
fon élevation :
Ah di chi mai
Immagine fon io ! Qualche grand'opra
Certo in Ciel fi matura ,
Di cui forfe è Giuſeppe ombra , è figura.
& c.
Après avoir fini l'extrait de cette Tragé
die , fort fupérieure à l'idée qu'on a tâché
d'en donner , il fe préfente une réflexion
bien naturelle ; c'eft que les éleves qui
tombent fous des Maîtres capables de don
ner de pareilles preuves de leuis talens &
de leur goût , ne fçauroient trop fe livrer
à leurs confeils .
Un Empereur écrivoit au Rhéteur Eu-
I ij
196 MERCURE DE FRANCE .
mene , en lui confiant l'inftruction publi
que de la jeunelle d'une partie des Gaules ,
ces paroles qu'on voudra bien nous permettre
de citer : Merentur & Galli noftri ut
corum liberis , quorum vita in Auguftodu
nenfium oppido ingenuis artibus eruditur ,
confulere cupiamus. Proinde quod aliud premium
his quàm illud conferre debemus , quod
nec dare poteft , nec eripere fortuna ? Unds
auditorio huic quod videtur interitu præceptoris
orbatum , te vel potiffimùm preficere debuimus
, cujus eloquentiam & gravitatem morum
habemus compertam. Hortamur ut profeffionem
oratoriam repetas , atque infupradita
civitate ad vita melioris ftudium adolef
centium excolas mentes ..... Louis le Grand ,
& fon augufte Succeffeur , ont dit auffi
aux Maîtres du Collège qui porte leur
nom Nos Sujets méritent que nous veillions
à l'éducation de leurs enfans , qui
étudient les Beaux Arts dans la Capitale.
Nous ne sçaurions leur procurer un plus
grand avantage que celui d'y être bien élevés
, & d'y acquerir des talens que la fortune
ne donne point , & ne peut enlever.
Travaillez donc à leur inftruction avec
autant de zéle que de capacité , & juſtifiez
notre choix . Mais en formant aux Sciences
cette brillante multitude de jeunes éleves
qui vous font confiés , jettez dans leurs
NOVEMBRE
. 197 - 1750.
coeurs , encore tendres & fufceptibles d'im
preffions heureuſes , les femences précieufes
de toutes les vertus , que nos bienfaits
& les circonstances feront éclore dans un
âge plus avancé.
Le Lundi 12 Octobre , les Comédiens
François repréfenterent une petite Comédie
, intitulée le Tribunal de l'Amour , qui
n'a pas réuffi.
NOUVELLES ETRANGERES.
DE CONSTANTINOPLE , le 4 Août.
E Ramafan , tems où les Mufulmans ne pre-
Soleil , commence aujourd'hui. Le Gouvernement
ne donne pendant ce tems , d'attention qu'aux affaires
courantes ,qui demandent une prompte expédition
, & les grandes affaires reftent fufpendues .
On eft actuellement ici tout- à- fait délivré de la
pefte ; mais comme les chaleurs y font exceflives ,
on appréhende qu'elle ne recommence bien - tôt .
Il y eut encore dernierement deux Incendies.
Plus de 200 maifons furent confumées par les flam
mes à Scutari , & du côté des fept Tours , les quartiers
des Bouchers & des Tanneurs furent prefque
enrierement réduits en cendres .
Quelques Cofaques , Sujets de l'Impératrice de
Ruffie , s'étant tranfportés il y a quelque tems
pour des affaires de commerce à Oczackow ; fu-
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
rent dénoncés comme efpions au Pacha , qui les
fit arrêter pour s'afûter de la vérité ; mais il ne
put empêcher la populace d'en malacrer deux
dont elle s'étoit faifie, La nouvelle n'en fut pas
plutôt arrivée ici , que le Grand - Seigneur fit partit
pour Oczacкow l'Aga des Janifaires , à la tête
d'un détachement de ce Corps , avec ordre de
S'informer , non- feulement des Auteurs du crime,
mais auffi de ceux qui , s'y pouvant oppoſer , ne
l'avoient pas fait , & de les punir tous avec la deraiere
rigueur.
I
DU NORD.
DE PETERSBOURG , le 28 Août.
A Flotte de l'Impératrice a mis depuis quef
que tems à la voile pour croifer le long des
côtes d'Efthonie , doubler l'Ile de Dagho , pallet
à l'Eft de l'Ile de Gothland , côtoyer la Courlande
& la Pruffe jufqu'à Dantzig , & revenir par la même
route fur les côtes de Finlande.
Le College de l'Amirauté , informé que l'on
' étoit relâché par rapport à l'exécution du Reglement
de Marine de 1737 pour les Navires Mar
chands , qui viennent dans les Potts de Ruflie ,
ces jours derniers ordonné que l'on tint la main à
ce qu'il fût dans la fuite oblervé plus exactement ,
furtout à l'égard des Articles III & XIX . Ces deux
Articles portent , Que lorsque les Bâtimens front
arrivés aux lieux de leur destination , les Maitres délivreront
d'abord aux Officiers, qui leur enferent la demande
une lifte de leur équipage & des paffagers qu'ils
auront à bord , avec la facture de leur cargaison ,
le
tout fans rien celer ou diffimuler , à peine d'étre punis
felon les loix Maritimes de Ruffie ; que les Capitaines,
NOVEMBRE. 1750. 199
des Navires étrangers feront obligés , en entrant dans
les Ports de l'Empire , de déclarer , foit au Collège de
l'Amirauté , foit aux Officiers qu'il aura prépofés , les
nombre & la qualité des paffagers qui feront dan
leurs Navires , & quand ils partiront , de déclarer de
méme les Sujets de l'Impératrice qui voudront fortir
de fes Etats avec eux ; que fi quelque Maître de Båtiment
emmene , avec connoiffance de caufe , quelque
perfonne accusée de crime , le Bâtiment fera confifqué,
& le Maîtrefoumis à la peine , à laquelle le criminel
auroit été condamné.
Les Commandans de differens Ports ont ordre
de faire défarmer la Flotte , dès qu'elle y fera de
retour , & d'en conferver cependant les équipages:
On vient d'apprendre que trois Frégates , parties
d'Archangel au mois de Mai dernier , ayant paffé
le Sund , étoient allées mouiller à la Rade de Coppenhague
, pour y prendre de nouvelles provifions
& fe rendre enfuite ici.
DE WARSOVIE , le 22 Août.
La Diette extraordinaire s'étant féparée fams
avoir pu s'occuper des objets qui l'avoient fait
convoquer , le Roi a réfolu de tenir le 25 un Senarus-
Confilium , après lequel il ne tardera pas à
faire expédier les Univerfaux pour la convocation
d'une Diette ordinaire à Grodno en Lithuanie .
Le 20 , le Comte Rzewuski , que l'on regardoit
comme Starofte de Chelm , depuis qu'il étoit rentré
dans l'Ordre Equeftre , pour être élu Nonce à
la Diette , dans l'efpérance d'en devenir le Maréchal
, fut revêtu de nouveau du Palatinat de Po
dolie , dont il reprit pofleffi n , en prêtant le ferment
de Sénateur .
On a appris depuis quelques jours que les Cofas
I iiij.
200 MERCURE DE FRANCE.
ques Haidamaques avoient fait de nouveaux rava
ges . Un de leurs Partis a pillé la Ville de Latyc
zew. Un autre a pillé la petite Ville de LowRow .
Un troifiéme en vouloit faire de même à Starofcille
; mais un détachement de troupes Polonoifes
, commandé par M. Michilowski , eft tombé
fur ce Parti , qu'il a forcé de prendre la fuite , en
abandonnant les armes & fes bagages , & en laiflant
plufieurs moits fur la place. Un détachement du
Palatinat de Podolie ayant atteint une autre troupe
de ces Brigands auprès de Letyn , l'a mife en fuite ,
après en avoir tué onze hommes & bleflé beaucoup
plus.
Le 18 Août , le Comte de Brulh , fils du Comte
de ce nom , premier Miniftre , fut inftallé dans la
Charge de Starofte de Warfovie par le Prince
Czartorinski , Palatin de Ruffie . Ce jeune Comte
n'ayant encore que 14 ans , il a fallu que le Roi
li permit , par une difpenfe , de prendre poffeffion
de cette Charge avant l'age preferit par les Loix.
Les grandes Charges vacantes furent remplies
le 20 .
Le Roi fe rendit le même jour fur les neuf heurres
du matin au Château pour faire l'ouverture du
Senatus- Confilium . Les propofitions , remifes de fa
part aux Sénateurs , avoient principalement pour
objet le rétabl flement de l'administration de la
Juftice dans les Tribunaux Généraux du Royaume,
& particulierement dans celui de Petticow , qui
juge des differends furvenus entre les Nobles de la
Grande- Pologne & de la Pruffe Il s'agiffoit aufli
de délibérer fur les moyens d'arrêter les brigandages
des Cofaques Haidamaques, Sa Majesté retourna
le 29 au Chateau pour arrêter le réſultat
du Senatus Confilium . Ce réfultat porte , 1 ° . Que
Le Roi , dont tous les foins ne tendent qu'à procurer la
NOVEMBRE . 1750. 201
profpérité du Royaume , voulant remedier au préjudice
caufé par la rupture de la derniere Diette , co voquera
le plutôt qu'il fera poffible , une nouvelle Diette extraordinaire,
& qu'il fera pour cet effet , expédier les
Univerfaux aux Diettes de Relation . 2 °. Que fon intention
étant que chacun jouiffe des avantages de la
tranquillité publique , fous la protection des anciennes
nouvelles Loix , il a refolu d'y recourir & d'en
exercer la rigueur contre ceux qui troubleront cette
tranquillité. 3 ° . Que bien que l'on ait déja fait avaneer
des troupes fur les frontieres Orientales du Royaume
, pour les proteger contre les courfes des Haidamaques
, les Staroftes n'en feront pas moins obligés , conformément
aux Loix , d'employer au méme objet les
treupes foumifes à leurs ordres , à peine contre ceux
qui manqueront à cette partie de leur devoir , d'étre
cités par l'Infligateur de la Couronne devant les Tribunaux
Affefforiaux , pour y rendre compte de leur
conduite, & qu'afin de fe mieux oppofer aux entrepri
fes de ces Brigands , les Miniftres d'Etat feront chargés
de convenir avec le Miniftre Plénipotentiaire de
la Cour de Ruffie , de quelle maniere les troupes de
deux Puiffances feront diftribuées , pour être à porté
d'agir de concert avec le Général qui commande
Kiorie. 4°. Que pour repondre au désir du Sénat tow
chant le rétablissement du Duc Erneft de Biron , le
Roi interpofera de nouveau fes bons offices à la Cour
de Ruffie. 5° . Que le Tréfor de la Couronne payera les
fommes néceffaires pour les réparations des Chateaux
de Warfovie & de Cracovie , & pour d'autres befoins
preffans de l'Etat . Après qu'on eut arrêté ce
Réfultat , on nomma les Sénateurs qui réfideront
auprès du Roi pendant les années 1751 & 1752
& l'Evêque de Cracovie fut choifi pour préfider
pendant le même tems à la Commiffion de
Radom,
e
Iv
202 MERCURE DE FRANCE.
On apprend par des lettres , venues du Palati
nat de Podolie , que les Cofaques Haidamaques y
continuent leurs ravages . Un Corps de ces Brigands
, qui fe tenoit depuis quelque tems dans les
forêts volfines de la frontiere de ce Palatinat ,
fondit vers le milieu du mois dernier dans le Village
de Janko , dont ils pillerent toutes les maifous
L'Echanfon & le Caiffier de Novogorod les ,
pourfuivirent à la tête d'un détachement des trou- .
pes de Podolie. Ils en blefferent 10 ; mais ils eurent
cinq hommes tués & ferent eux mêmes blef .
fés, Quelques jours après . les Haidamaques furprirent
la petite Ville de Krafno , qu'ils pillerent.
Il y tuerent un affez grand nombre d'habitans , &.
fe retirerent avec quelques prifonniers , du nomre
defquels étoit le Gouverneur , qu'ils maflacre .
rent enfuite .
DANNEMARCK
DE COPPENHAGUE , le 5 Septembres.
1 &
E 26 , M. Detleu de Reventlau , Chambellam ,
>
du Holftein en cette Ville , pour recevoir fes Inf
ructions , & fe rendre enfuite à la Cour de France
en qualité d'Envoyé Extraordinaire de S. M. On
ignore encore le tems de fon départ.
Par une Ordonnance du Roi , publiée depuis peu,
S. M. accorde aux Juifs Portugais , établis dans
ſes Etats , les mêmes avantage à Pégard du Commerce
, que les Rois fes Prédéceffeurs ont accor
dés aux Sujets des autres Nations.
Le Roi a fait délivrer ces jours- ci de fon tréfot
une fomme confidérable aux habitans de la petite .
Ville de Prefloe , pour les aider à réparer le don
NOVEMBRE. 203 1750.
mage que l'incendie , dont on a parlé derniere
ment, leur a caufés .
On apprend de Gluckstadt , qu'il y eft arrivé
d'Iflande plufieurs Navires richement chargés
On a appris de Norwége , qu'il y avoit eu le
dans la petite Ville de Stroinfted , une incendie
qui confuma 100 maifons , la Douane & fes magafins
avec tous les effets qu'ils renfermoient , &-
niême les Livres & papiers de la Douane .
ALLEMAGNE.
DE HANOVRE , le 1 Septembre.""
E nouveau Traité de Subfide entre S. M.'
Lomu Roide la Grande Bretagne , l'Electeur
de Baviere & les Etats Généraux des Provinces-
Unies des Pays - Bas , fut figné le 22 du mois dernier
à Herrenhaufen par le Duc de Newcaſtle , .
Sécretaire d'Etat ; par le Comte de Hallang , Miniftre
Plénipotentiaire de l'Electeur de Baviere , &
par le Lieutenant Général Baron Hop , Envoyé
Extraordinaire & Miniftre Plénipotentiaire des
Etats Généraux. Ce Traité contient huit articles
& porte en fubftance , I. Qu'il y aura une amitié
ferme durable entre les Parties contractantes. II.
Que S. M. Brit. & L. H. P. accordent à S. A Elect.
un fubfide annuel de 40 mille litres sterling ( c'est - àdire
, environ 9 cens 60 mille livres tournois ) les deux
tiers payables par la Grande-Bretagne , & l'autre
tiers par les Etats Généraux , de trois mois en trais
mois , à compter du 21 de Juillet dernier. III . Que
moyennant ce fubfide , l'Electeur s'engage à tenir un
corps de fix mille hommes d'Infanterie prét à marcher
à la premiere réquisition , pour le fervice des deux
Autres Parties contractantes. IV . Qu'on ne pourra
I vj` .
3
204 MERCURE DE FRANCE.
dans aucun cas employer ce Corps ni contre l'Empe
reur , ni contre l'Empire . V. Que come le Roi de la
Grande Bretagne les Etats Généraux n'ont en vùe
que le bien de l'Empire , S. A. E. s'engage & promet
de feconder les erts de S M B. tant à la Diette
Générale de l'Empire que dans le College Electoral.
VI. Que dans le cas où l'Elect ur feroit inquiété par
quelque fance en confidération du préfent Traité ,
S. M. B. L. H. P. s'engagent de l'affifter & de lui
procurer un jufte dédommagement des pertes qu'il
pourroit avoir faites à cette occafion. VII . Que ce
Traité fubfiftera pendant fix ans , à compter du 21
Juillet dernier , & que fi dans la fuite les Parties contractantes
jugent à propos de le renouveller , on y pourra
procéder dans l'espace de trois mois après la propofition
faite. VIII. Que les ratifications feront échangées
à Hanovre dans quatre femaines, à compter du jour
de la fignature..
DE VIENNE , le 13 Septembre.
Il y a quelques jours , que la Cour reçut une
Jettre des Princes Directeurs du Cercle du
Haut - Rhin , dans laquelle ils repréfentent à l'Empereur,
que la permiffion accordée aux Réformés de
Francfort de batir une Eglife dans l'enceinte de la
Ville , leur paroit fujette à de grands inconvéniens ;
que c'eft fournir matiere à des diffentions perpétuelles
entre les Luthériens les Réformés de la méme Ville,
& que , fauf le meilleur avis de S.M. I. ils penfent
que le mieux eft de laiffer les chofes comme elles font.
Le Comte George de Stahremberg eft nommé
pour aller à Lisbonne , en qualité de Miniftre de
I. M. I. complimenter le Roi de Portugal fur fon
avenement au Trône.
Le 13 , l'impératrice Reine, avec toute la Cour
NOVEMBRE.
1750. 205
affifta à la Proceffion folemnelle , qui fe fait ici
tous les ans , en actions de graces de ce qu'en
183 le Roi de Pologne , Jean Sobieski , força les-
Turcs à lever le fiége qu'ils avoient mis devant
cette Ville.
M. Pedzold , Réfident du Roi de Pologne ,
Electeur de Saxe , eft arrivé depuis quelques jours
en cette Ville , où l'on attend dans peu le Comte
de Fiemming , Envoyé Extraordinaire de Sa Majefté
Polonoife.
DE BERLIN , le 19 Septembre.
Les Fêtes , données ici par le Roi au Margrave
& à la Margrave de Brandebourg Bareith , ont été
fuivies d'autres prefque auffi brillantes , qui leur
ont été données par les Reines & par le Prince de
Pruffe. A chacune de ces fêtes 4 à 500 perfonnes
ont été traitées à differentes tables : Le Margrave
& la Margrave ont enfuite féjourné quelques jours
au Palais de Sans Souci . Le Margrave eft retourné
depuis dans fes Etats. Une maladie furvenue
tout à - coup , a fait refter ici la Princefle fon épou
fe, qui fe porte à préfent beaucoup mieux .
Le Chevalier Hamburi Williams , Envoyé Extraordinaire
du Roi de la Grande - Bretagne , re
vint ici le 13 , de Warſovie .
Le Baron de Cocceji , Grand - Chancelier , fe
rendit le même jour au Confiftoire fuprême , pour
y déclarer que l'intention de S. M. étoit d'établir
en cette Ville un Confiftoire Luthérien , auquel
seffortiffent tous les Confiftoires de la même Reli
gion , qui font dans les differentes Provinces de
Les Etats.
206 MERCURE DE FRANCE..
DE ROME , le 22 Août:
Dans plufieurs Conférences que le Cardinal
Valenti Gonzaga , Secretaire d'Etat , eut ces jours
paffes avec les Cardinaux Mellini & Portocarrero,
chargés des affaires des Cours de Vienne & de
Madrid , il leur parla des dépenfes que le paffage
des armées Espagnoles & Allemandes avoient occafionnées
durant la derniere guerre à l'Etat Eccléfiaftique:
& leur repréfentant combien la Cham
bre Apoftolique s'étoit épuifée pour faire préparer
des Etapes à toutes ces troupes , il infiſta fur la néceffité
de rembourfer promptement les fommes
avancées par le .Siége , & pria les deux Cardinaux
de mander à leurs Cours qu'elles étoient inftam
ment priées de ne pas différer davantage ce rem
bouſement.
Un Decret , émané de la Congrégation de
Pinquifition , le 19 Août , & publié ces jours
paffés , condamne un Ouvrage nouveau , com
ne contenant des propofitions auffi contraires à
la Foi qu'aux bonnes moeurs . Voici le titre de
cet Ouvrage . LE TAMBOUR ; Paraphraſe en vers
Sciolti , d'une Comédie traduite en profe par le St
Diftouches , fur l'original nglois de M. Addiffon.
A Florence , 1750 , chez André Bonducci Avec Ap
probation. La Preface de cette Comédie eft aufh
comprife dans la condamnation ; & le Décret défend
d'imprimer ou de faire imprimer , de lire on
de garder l'une ou l'autre , fons les peines conte
nues dans l'Index des Livres prohibés .
Le Nonce , qui réfile de la part de S. S. auprès
du Roi d'Espagne , a toujours joui feul du droit
d'accorder dans l'étendue de cette Monarchie , las
Dapenfes pour le mariage entre parens aux troi-
Séme & quatrième degrés. Depuis quelque tems
NOVEMBRE 1750. 207
SM: C. a fait demander au Pape , que tous les
Evêques de les Etats euffent à cet égard le mème
privilege que le Nonce. S. S. a nommé pour examiner
cette demande , une Congrégation de Cardinaux
, qui s'eft affemblée ces jours paflés . Onignore
encore ce que l'on y a réfolu.
Le Pere Cabral , chargé des affaires- de la Cour..
de Lifbanne , eut ces jours derniers une audience .
du Pape , auquel il remit une lettre , par laquelle.
le Roi de Portugal fait part à S. S. de la mort du,
Roi fon pere, & le Pape a depuis ordonné que:
l'on célebreroit le 23 un Service folemnei pour le
repos de l'ame de ce Prince ..
DE VENISE, le 5 Septembre..
La République a fait inftruire les Cours étran
geres du differend qui s'eft élevé entre elle & le
S. Siége. La Déclaration que les Miniftres ont eur
ordre d'y faire , porte , Que par un Bref du 1 , No.
vembre de l'année derniere , le Pape avoit établiun.
Vicaire Apoftolique pour exercer la Jurifdiction Spirituelle
dans la partie du Patriarchat d'Aquilée ,fituéa
dans les Etats de l'Impératrice Reine ; que par les ouvertures
d'accommodement qui s'étoient faites enfuite,
on avoit eu lieu d'efperer que ce Brefferoit révoqué 3
mais que bien loin qu'il l'eût été , la Cour de Rome
créé avoit , par un autre Bref du 27 Juin dernier ,
Evêque in Partibus Vicaire Apoftolique d'Aguilée,
le Comte d'Attimis , Chanoine de l'Eglife Cathédrale.
de Bale ; que la République n'a pu confidérer ce Bref
que comme préjudiciable à fon droit de Patronage , reconnu
confirmépar les Papes prédéceffeurs de Benoit
XIV; que ce droit eft fondé fur une poffeffion non in◄
serrompue de plufieurs fiécles , fuivant laquelle l'életien
du préfent Patriarche doit être regardée comman
208 MERCURE DEFRANCE.
légitime && canonique ; que la République , ayantfait
faire au rape des représentations inutiles à ce sujet ,
avoit été dans l'obligation de rappeller de Rome fon
Ambassadeur , après l'avoir chargé de protefter folemnellement
contre les deux Brefs dont il s'agit , & contre
tout ce qui pourroit être fait en conféquence ; qu'au
refie , comme elle n'a pour que de conferver un
droit dont elle est depuis fi long- tems en peffeffion , elle
a toujours pour le S Siége les mémes fentimens de vé
nération d'obéiſſance filiale , & qu'elle eft dans la
ferme intention d'y perfévérer inviolablement.
but
Le Roi de Sardaigne ayant offert à la Républi
que fes bons offices dans l'affaire dont il eft quef
tion , il s'eft tenu dernierement deux aflemblées
du Sénat. Les délibérations ont été fort longues ,
mais on en ignore le réſultat .
Le Cardinal Delfini , Patriarche d'Aquilée , fit
tenir il y a quelque tems au Cardinal Querini , une
Proteftation en fon nom contre la décifion du Pape
au fujet de fon Patriarchat. Il fe fert des mêmes
raifons que l'Ambaffadeur de cette République a
fait valoir dans les Proteftations qu'il a laiffées à
Rome en fe retirant.
Pour terminer le differend de cette République
avec le S. Siége , au fujet du Patriarchat d'Aqui
Jéé , on a propofé à Rome , de divifer ce Patriar
chat en deux Evêchés , dont l'un auroit pour fiége
Udine , & l'autre Gorice , à condition que le premier ,
fitué dans lapartie du Frioul , dépendante de la République
, feroit à fa nomination ; & que l'Impératrice-
Reine nommeroit au fecond , qui ſe trouveroit dans la
partie de cette Province foumise à fa domination. On
ignore ce que le Sénat penfera de cette propofition
.
Le Comte d'Attimis , nommé par le Pape Vi
caire Apoftolique du Patriarchat , pour la partie
NOVEMBRE. 1750 209
qui dépend de l'Impératrice - Reine , fe rendit der
Dierement à Aquilée , afin d'y prendre poffeffion
de la Dignité. On a fçû par un Exprès venu de
cette Ville , que ceux d'entre les Chanoines de l'
glife Patriarchale qui font attachés à la République
, avoient refufé d'être préfens à la prife de
poffeffion de ce Comte , & qu'ils s'étoient rétirés
en le voyant arriver. Après leur retraite , il fit fai .
re en préfence de quelques Chanoines , qui font
dans les intérêts de la Cour, Impériale , la lec
rare du Bref du Pape , qui l'établit Vicaire Apoftolique
, & du Refcrit de l'Impératrice- Reine, qui
le confirme dans cette qualité.
Août.
DE NAPLES , le 25 Août.
Le Roi a déclaré qu'il agiroit avec la derniere
févétité contre tous ceux qui feroient coupables
de crime de Rapt , & que même , en certains cas ,
ils feroient punis de mort.
La ftuation de la Ville de Barlette fur la Mes
Adriatique , la rendant très - propre au Commerce ,
le Roi a réfolu d'y faire conftruire un Port , où les
Vailleaux foient à l'abri dans les tens de tempête.
En conféquence, il a fait prendre fur fes Galeres un
certain nombre de Forçats , qui feront employés à
cet ouvrage,& que l'on vient d'envoyer à Barlette
fur deux schebeкcs , chargés des matériaux & des
outils néceffaires .
Sur les plaintes que l'on a faites au Roi de la
contrebande qui s'exerce depuis quelque tems fur
les côtes de la Calabre , Sa Majefté a ordonné que
l'on y fit aller deux Galiottes armées , pour empêcher
la continuation de ce défordre .
On a reçû avis que les Galeres du Roi & le
Vaiffeau de guerre , la Reine , le font emparés de
2ro MERCURE DE FRANCE.
quelques Corfaires de Barbarie, qu'ils ont conduits
à Meffine .
Il y a quelques jours qu'en creufant dans les
environs de cette Ville , on trouva dans la terre
une Statue de bronze avec fon piédeſtal , fur lequel
une Infeription prefque effacée laiffoit entre-,
voir que cette Statue avoit autietois été érigée en
Phonneur de Roger VII , Roi de Sicile . Le Roi
Pa fait tranfporter dans fon Palais , pour être mife
au rang des anciens monumens qu'on y conferve.
DE GENBS , le 7 Septembre.
Les Corfaires de Barbarie fe multiplient de plus
en plus , parce que , dès qu'ils ont fait une prife ,
ils l'atment en courfe. C'eft pour cette raison que
la Compagnie de Notre - Dame du Secours vient
d'acheter une petite Fregate , très -bonne voiliere,
que l'on arme actuellement , & qui doit inceffamment
mettre à la voile , pour aller de conferve
avec la grolle Barque de la Compagnie , donner la
chaff : à ces Corlaires.
M. Pinello partit il y a quelques jours , pour al
ler à Turin , en qualité d'Envoyé Extraordinaire
de cette République auprès du Roi de Sardaigne.
Il s'arrêtera quelque tems à Gavi pour en vifiter
les Fortifications .
la
Le Commerce est toujours uès languiflant
On attend avec impatience le Réglement pour
Banque de S. George , auquel on travaille , & dont
on fair efperer la publication avant la fin de l'hy
ver.
On regarde ici comme un chef- d'oeuvre le
modéle de la Statue de marbre que la République ,
par reconnoiflance , fait ériger au Maréchal Duc
de Richelieu , & qui doit être placée dans une NiNOVEMBRE.
1750. 2TF
the du Salon où le Grand Confeil s'affemble . Le
Sculpteur , qui pafle pour un des plus habiles de:
P'Europe , eft allé , depuis quelques jours , à Carrara
pour y choifir un Bloc qui lui convienne , &
ry faire dégroffir , felon fes proportions , afin que
Pon puifle le tranfporter plus facilement en cette
Ville
On compte que le Général Jean- Luc Pallavi
cini ne partira d'ici , pour aller prendre poffeffion
du Gouvernement de Milan , que dans les premiers
jours du mois prochain En attendaat , if
travaille à mettre dans les affaires un ordre dont
elles ont befoin : mais elles ne l'occupent pas uniquement.
Il donne une partie de fon tems à concerter
avec divers Officiers de Milan , qui fe rendent
ici les uns après les autres , les moyens d'exé
cuter un projet approuvé de l'impératrice Reine ,
par lequel , outre l'entretien des Tronpes , cette
Princeffe doit retirer de Milan tous les ans cent
mille florins , dans lefquels on croit que font compris
les appointemens de Gouverneur , ce Géné
ral ayant , dit on , refufè de les accepter .
Les dernieres nouvelles de Corfe ne parlent que
de la tranquill té qui regne dans cette ine.
Dans la tournée que M. le Marquis de Curzay
à faite au Cap Corfe , il a donné fon avis pour
plufieurs ouvrages néceffaires , furtout pour l'a
grandiflement des deux petits Ports de Roliano &
de Centuri , & pour les deileins d'un Môle qu'on
y doit conftruire.
On apprend en particulier de Baftia que l'Acas
démie des Belles - Lettres de Corte , établie dans
cette Ville , a tenu , le 23 du mois dernier , fa
Séance publique pour la diftribution du Prix fondé
Pannée paflée , par le même Officier Général ,
Protecteur de cette Académie. Ce Prix eft une:
212 MERCURE DE FRANCE.
Tabatiere d'or de la valeur de douze cens livres ,
argent de France ; & l'Académie l'a décerné à
PAbbé Bellet , Membre de l'Académie des Belles-
Lettres de Montauban . La lecture de fon Difcours
en François & en Italien , fut fuivie de celle
de differens Mémoires de quelques Académiciens.
On termina la Séance par lire un Programine ,
dans lequel il eft dit : Que l'Académie , dans fon
Aflemblée du 24 Aout 1751 , diftribuera deux Prix :
Que le premier , confiftant en une Médaille d'or d'une
valeur confiderable , eft destinépour le Difcours , daus
lequel en établiffant folidement : Quelle est la
vertu la plus néceffaire à un Héros , on fera connoître
ceux qui n'ont pas été jagés indigues de ce
titre , quoiqu'ils fuflent privés de la veitu pour
laquelle l'Auteur fe décidéra : Qu'une Médaille
de méme valeur que la premiere , formera le fecond
Prix , auquel les Corfes feuls pourront concourir ; &
qu'ellefera donnés au Difcours , dans lequel on démontrera
par des raifons & des autorités : Quelle
eft la vertu la plus néceffaire à l'homme : Que les
Difcours pour le premier Prix , auquel tous les Gens
de Lettres , fans diftinction de Nation , font almis à
concourir , à l'exception des Membres de l'Académie ,
feront compofés en profe Italienne , Françoise ou Latine,
& feront d'une demie heure de lecture : Que les
Auteurs nefe feront point connoître , en fignant leurs
ouvrages, & qu'ils y mettrontfeulement une Infeiption
ou Devife cachetée , qui ne fera vie qu'en cas
que le Difcoursfoit couronné : Que les Pièces deftinéts
a concourir , neferont reçues que jusqu'au premier de
Mai prochain exclufivement , & qu'elles feront adref
fees , A M. le Secrétaire perpétuel de l'Académie
des Belles - Lettres de Coife , à Baftia : Qu'apy s le
jugement de l'Académie , le Secrétaire aurofoin de
faire annoncer dans les Nouvelles publiques que
ls
NOVEMBRE. 1750. 213
Difcours , ayant telle Devife ou Sentence , a éte counné
: Que l'Auteur fe fera connoître alors en envoyant
une copie de fon ouvrage , avec une procuration
en bonne forme pour recevoir le Prix , en donnant
an Récépiffé . Que pour éviter aux Etrangers les frais
deport , ils pourront adreffer leurs paquets au Secrétaire
de l'Académie , Jous l'enveloppe du Marquis de
Curzay.
Toutes les affaires importantes font fufpendues ;
& les Nobles qui compofent le Petit - Confeil , ont
eu la permiflion de quitter la Ville pour aller à
leurs maifons de campagne . Il ne tefte actuelle
ment ici que huit ou neuf Sénateurs des plus âgés ,
qui fe rendent au Palais , pour travailler avec le
Doge aux affaires courantes du Gouvernement.
GRANDE BRETAGNE,
DE LONDRES , le 10 Septembre.
Die Parlement prorogé jufqu'au 30 de ce mois ,
Ans le Confeil de Régence qui fe tint le 3 .
le fut de nouveau jufqu'au 25 - d'Octobre. Les
Lords Régens examinerent en même tems le nouveau
Traité du Subfide avec l'Electeur de Baviere ,
figné à Herrenhaufen le 22 du mois dernier , &
l'ayant approuvé , ils y firent appofer le grand
Sceau du Royaume , & le renvoyerent le lendemain
à Hanovre.
Il fe tint le ro , un Confeil de Régence à Whitehall
, dans lequel on examina les follicitations
faites de la part de la République de Venife par
M. Bufinelli , fon Miniftre en cette Cour , pour
engager le Roi d'interpofer (es bons offices auprès
de la Cour de Vienne , afin que Paffaire du Patriarchat
d'Aquilée fe puifle terminer à l'amiable.
214 MERCURE DE FRANCE.
Ces follicitations ont été communiquées au Roi par
un Courier qui partit le lendemain pour Hanovre.
Le Navirele Richmont , arriva ces jours derniers
du Détroit de Davis , avec deux Baleines.
On apprend d'Hallifax dans la nouvelle Ecoffe,
par des lettres du 2 Juillet , que la Pêche avoit été
cette année très-abondante fur les Côtes de cette
Province , & qu'une feule Compagnie d'habitane
de cette Colonie avoit quinze mille quintaux de
Morue feche en état d'être tranſportés.
Le 23 de ce mois au foir , à l'occafion de l'an
niverfaire de la naiffance du Roi d'Espagne , le
Chevalier d'Abreu , qui fait ici par int rim les
fonctions de Miniftre de Sa Majesté Catholique ,
traita magnifiquement les Miniftres Etrangers qui
font en cette Ville , & plufieurs perfonnes de diftinction
de l'un & de l'autre fexe. Il y eut un bal
après le Souper.
Des Lettres venues du Nord de l'Ecoffe , contiennent
le détail fuivant . Le 24 du mois paffé , le
Régiment de Herbert , en garnifon au Fort Augufte
, fe difpofant à faire exécuter trois défer.
teurs , dont deux étoient Anglois , & le troifiéme
un Montagnard Ecoffois ; il vint des Lettres de
répit pour les deux Anglois, L'Ecoffois fut paffé
par les armes , parce qu'il avoit été jugé le plus
coupable. La nuit fuivante , le Colonel Herbert ,
& le Lieutenant Colonel Gray reçurent des Lettres
dans lesquelles on leur marquoit : Que les
Montagnards vengeroient la mort de leur camarade
fur tous les Anglois , qu'ils pourroient reacontrer ; &
qu'eux en particulier comme Officiers , devoient s'attendre
qu'ilsferoient massacres & leurs maiſons bríslées.
Le 29 , quelques Montaguards aflaffinerent
de la maniere la plus barbare un foldat Anglois ,
tombé malheureufement entre leurs mains. Lo
NOVEMBRE. 1750. 213
1 ; deux autres auroient infailliblement été traités
de.même , fi l'on n'avoit pas couru promptement
à leur fecours. On a depuis arrêté trois Montagnards
, foupçonnés d'avoir commis le meurtre
dont on vient de parler. Tous les jours on reçoit
dans les Quartiers du Régiment de Herbert des
lettres menaçantes Pour fe mettre à l'abri des
entreprifes d'une troupe de furieux , on a doublé
toutes les Gardes ; & les Patrouilles font fur pied
pendant toutes les nuits .
On a reçu avis que des Corfaires de Salé , &
d'autres Pirates de Barbarie s'étoient emparés de
plufieurs Navires Anglois , qui revenoient en Angleterre.
Le Maître du Navire La Venus , arrivé dernierement
de Rattan , dont il avoit quitté la Rade,
le 27 de Juin dernier , a rapporté qu'il y avoit un
grand nombre de petits Bâtimens Espagnols qui
croifoient à l'entrée des Baies de Honduras & de
Campêche , pour empêcher les Etrangers d'y faire.
aucun commerce , & que trois Vaiffeaux , partis ,
P'un de Philadelphie , l'autre de la Nouvelle-
Yorck , & le troifiéme de la Caroline , & deftines
tous trois pour la Baie de Honduras , avoient
été pris par les Espagnols,
Le Général Cornwalis a mandé qu'une partie
des Anglois & des Etrangers , que l'on a fait partir
en dernier lieu pour la Nouvelle- Ecoffe, étoient
arrivés. Dès que les autres y feront rendus , on
doit bâtir une nouvelle Ville , qui fera placée à
l'oppofite de celle d'Hallifax , de la même maniere
que Charles Town eft fituée à l'égard de Boſton ,
dans la Nouvelle- Angleterre. Hallifax paffe déja
pour avoir plus d'étendue que la Nouvelle Yorck ,
& fes Habitans font en bien plus grand nombre.
216 MERCURE DE FRANCE.
DE NEUFCHATEL EN SUISSE ,
le 23 Septembre.
Le Seion , torrent qui traverfe la partie baffe
de cette Ville , & dont le débordement fit de fi
grands ravages en 1576 , vient de rappeller la mémoire
de ce trifte évenement . Le 14 de ce mois ,
jour auquel , en 1714 , le feu réduifit en cendres
une partie de cette Ville , il y eut le foir un violent
orage , qui commença dans le Val - de- Rus ,
& qui fir enfler fi confidérablement le Seïon , que
ce torrent furmosta bientôt ou rompit fes digues ,
& répandit la défolation dans tous les lieux de fon
pallage . Il emporta d'abord les Ponts au- deffus
& au deffous de Valengin , un moulin & quanti é
d'arbres & d'autres Bois. L'orage continuant , il
groffit de plus en plus , & renverfa prefque entiere
ment les moulins du Vau- Seïon & ceux de la Prife.
Depuis ce dernier endroit jufqu'à la Ville , il entraîna
tout ce qui fe trouva le long de l'éclufe , les
digues , les ponts , les arbres , ies murailles , la
digue des moulins de la Ville , la plus grande partie
d'une Ferme voifine , & même une Tour qui
n'en étoit pas éloignée. Le grand pont de l'éclufe
fut emporté comme le refte : mais heureusement
il fut jetté fur une petite hauteur , près de la Ville ,
à laquelle il a bien épargné du dommage , en arie.
tant une partie de ce que les eaux rouloient avec
elles. Le torrent fe répandit alors impétueufement
dans la Ville , & renverfa la Boucherie & toutes
fes dépendances , avec un pont de bois voifin du
Lac. En moins d'une heure , la rue des Moulins ,
la grande - rue , & la tue de l'Hôpital furent fous
l'eau . La plupart des maifons de la premiere en
eurent jufqu'à fix pieds , & quelques- unes jufqu'au
premier
NOVEMBRE. 1750. 217
premier étage. La partie de la Ville , fituée fur le
Lac , fut plus ou moins inondée , felon la difference
de l'élevation du terrain : mais la Place des
Halles devint un fecond Lac. La premiere attention
fut de fecourir ceux que les canx enfermoient
dans leurs maifons. Toute la nuit , du 14 au 15 ,
un Bateau , que l'on avoit conduit du Lac à la rue
des Moulins , ne fit qu'aller & venir , pour porter
aux Habitans du Quartier les chofes qui leur
étoient néceflaires. Le 15 au matin , les eaux
commencerent à baiffer : mais elles ne fe retirerent
pas des mailons de cette rue , parce que le lit du
Scion étint rempli de teire , de fable & de débris
de toute espéce , fon niveau le trouvoit au deſſus
de celui du lol de ces maifons. Une groffe pluye ,
qui furvint la nuit du 17 au 18 , caufa de nouvelles
allarmes. L'eau couvrit une feconde fois la plus
grande partie de ce qu'elle avoit inondé la nuit du
14 au 15. Il y cut encore l'après - midi du 18 , de
la pluye mêlée de grêle. Comme les eaux portoient
avec violence vers la grande rue une partie
des matériaux qu'elles charioient , les Habitans
, craignant d'être enfévelis fous les ruines de
leurs mailons ébranlées , prirent , fur les 5 heures
du foir, le parti de les abandonner , & de faire tranf
porter ailleurs ceux de leurs effets que l'on pouvoit
enlever le plus aifément. Dans les autres
Quartiers expofés , on avoit pris , depuis le 15 ,
toutes les précautions poffibles pour mettre les
maifons en état de réfilter à l'impétuolité de l'eau.
La Baffe - Ville couroit les plus grands rifques , &
l'on s'occupa généralement à préferver quelquesuns
de fes ponts , qui fubfiftoient encore en entier
, & dont la ruine auroit confidérablement augmenté
le dommage que le Public & les Particu
liers ont fouffert. On ne peut pas encore en don
K
218 MERCURE DE FRANCE.
ner une jufte évaluation , Il fuffit de dire , qu'ou
tre un grand nombre d'ouvrages publics détruits ,
& de Biens de campagne dégradés , tous les Marchands
ont fait des pertes , & quelques - uns même
de très grandes. Il faut ajouter à ce qui retombe à
la charge du Public , l'eau qui manque à toutes les
Fontaines de la Ville , le débordement ayant emporté
, brifé , déplacé la plupart des canaux , &
compter parmi les pertes des Particuliers , le tort
que la grêle , tombée en abondance avec la pluye
du 18 , a fait aux vignobles de ce Territoire , les
plus renommés par la qualité de leurs vins . Le 19
& les jours fuivans , les eaux fe font écoulées ,
autant que le lit du Seion , prefque entierement
comblé , l'a pu permettre . Trois cens hommes ,
payés par la Ville , ont été d'abord employés de
nettoyer , & depuis on en a fait monter le nombre
jufqu'à fix cens . Des volontaires de tout âge , de
Lout fexe & de toute condition , prennent part au
travail , qui ne coûtera pas moins de peines que de
dépenfes. Il ne s'agit pas feulement de remettre
le lit du Seion dans fon premier état , il eft quel
tion de faire à ce torrent des coupures , qui puif
fent , dans un débordement , rallentir l'impétuofité
de ſes eaux , & de le contenir actuellement
par des digues , qui donnent le tems de faire les
differens ouvrages que l'on a projettés . Les Communautés
voisines le font empreflées de fournir à
cette Ville affligée le monde dont elle pear avoir
befoin , & de lui donner d'ailleurs tous les fecours
qui dépendoient d'elles . La petite Ville de Morat
a fait venir ici vinge travailleurs qu'elle paye , &
l'on s'eft avec joie chargé du foin de les loger&
de les nourrir . Deux perfonnes de cette Ville qui
font hab les dans les Méchaniques , ont propofé,
pour faciter le nettoyement du lit du torrent,
NOVEMBRE.
1750.
deux machines qu'elles ont inventées , & dont on
va faire l'effai. Les Habitans font d'ailleurs dans
l'intention de recevoir , avec autant de reconnoiffance
que de plaifir , les confeils que de
fçavans
Ingénieurs , ou d'autres perfonnes inftruites , voudront
leur donner pour l'acceleration des travaux ,
que la faifon ne permet pas de traîner en lop-
! gueur.
* 洗洗洗洗:洗洗洗業:洗洗洗: 洗洗洗泡
FRANCE.
L
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E 10 Septembre dernier , les Députés des Etats
d'Artois , conduits par M. de Gileux , Maître
des Cérémonies , & préſentés par le Prince Char
les de Lorraine , Gouverneur de la Province , &
par le Comte d'Argenfon , Miniftre & Secretaire
d'Etat , eurent audience de Sa Majesté. Ces Députés
font , pour le Clergé , l'Abbé de Fumal ,
Chanoine & Vicaire Général de Saint Omer , le
quel porta la parole ; pour la Nobleffe , le Mar
quis d'Ivergny , & pour le Tiers- Etat , M. Har
duin , Avocat en Parlement , ancien Echevin de
la Ville d'Arras,
Le 13 , le Comte de la Feuillade , Moufquetaire
de la Premiere Compagnie , étant préfenté par le
Duc d'Aumont , Premier Gentilhomme de la
Chambre , cut l'honneur , en qualité d'aîné de la
Maifon d'Aubuffon , d'offrir au Roi dans fon Cabinet
, une Médaille d'or , repréfentant d'un côté
le Groupe de la Place des Victoires , que le Maréchal
de la Feuillade fit élever en 1686 , en l'honmeur
du feu Roi Louis XIV . On lit autour
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
PATRI EXERCITUÙM ET DUCTORI SEMPAR
FELICI , & dans l'Exergue FRANC. VICE- COM.
D'AUBUSSON pofuit in arca publ. Lutetiarum , anno
1686, Au revers eſt la tête du même Monarque ;
certe Médaille eft un hommage , que les Aîvés de
la Maiſon d'Aubuffon rendent à Sa Majefté , &
qui fe renouvelle tous les cinq ans.
Le Marquis de Saint Germain , Ambaffadeur
ordinaire du Roi de Sardaigne , cut le 15 , une
audience particuliere de Sa Majefté. Il y fut con-
*duit par le Chevalier de Sain&tot , Introdu&teur
des Ambaffadeurs .
Le 9 , M. Louis Quinette , Négociant de Boulogne-
fur- Mer , ent l'honneur de préfenter à Sa
Majefté , à Choify, un Yacht , qu'il y avoit amené
de Boulogne. Ce Bâtiment , qui peut fervir à fe
promener fur les rivieres comme "fur la mer , eft
orné de Peintures , de Sculptures & de Dorures,
Outre une Chambre , garnie de glaces de Veniſe ,
& ayant une cheminée de marbre , dont les ornemens
font de cuivre doré , il y a dans ce petit Bâ
timent plufieurs autres endroits commodes.
eft monté de huir piéces de canon de bronze , qui
firent une triple décharge lorfque la Cour y entra.
. M. Wingou , Docteur en Médecine de la Faculté
de Paris , & Penfionnaire de l'Académic
Royale des Sciences , s'étant démis , à caufe de
fon grand âge , de la place de Profeffeur d'Anatomie
& de Chirurgie du Jardin du Roi , Sa Majesté
a nommé pour remplir cette Place , M. Ferrein ,
Docteur en Médecine des Facultés de Paris & de
Montpellier , Penfionnaire de l'Académie Royale
des Sciences , & Profelf ur de Médecine au Collége
Royal de France.
L'Académie des Jeux Floraux de Touloufe difibuera
, le 3 de Mai prochain , deux Prix d'Ode
NOVEMBRE. 1750. 2212
deux dePoëme; un d'Elégie , d'Eglogue ou d'Idille,
un de Sonnet , & deux de Difcours ; elle propofe
pour fujet de ces derniers : L'efperance eft un bien ,
denton ne connoit pas affez le prix.
L'Académie Royale des Sciences , Infcriptions ,
& Belles- Lettres de la même Ville , a donné pour
fajet du Prix de l'année prochaine : La Théorie de
Pouie , & propole pour le Prix de l'année 1752 ,
L'état des Sciences des Arts à Toulouse , fous les
Rois Vifigoths , & quelles étojent les Loix & les
moeurs de cette Ville fous le Gouvernement de ces
Princes.
Du 17 , Actions , dix huir cens cinquante- cinq ;
Billets de la premiere Loterie Royale , point de
Cours ; Billets de la feconde , fix cens foixante.
L'Académie des Belles -Lettres , Sciences &
Arts , établie à Bordeaux , avoit propofé l'année
paffée , deux fujets pour les Prix de 1751. Le premier
eft L'explication de la nature de laformation
de la grêle , & le fecond : S'il y a des médicamens
qui affectent certaines parties plutôt que d'autres
du corps humain, & quelleferoit la caufe de cet effet.
Elle deftine le Prix de 1752 , à la Differtation ,
dans laquelle on expliquera le mieux : La caufe
qui corrompt les grains du bled dans les épis , & qui
les noircit , avec les moyens de prévenir cet accident.
La même Académie a couronné cette année ,
deux Differtations fur les fujets propofés en 1748.
La premiere , dont M. Dutiliet , Directeur de la
Monnoye de Troyes , eft Auteur , a pour objet :
La ductilité des métaux , & les moyens de l'augmen
fer. M. Barberet , Médecin de Dijon , eft Auteur
de la feconde , fur la queftion : S'il y a quelqua
rapport entre les Phénoménes du Tonnerre &ceux de
Electricité.
Du 24 ,Actions , dix-huit cens cinquante-deux
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
1
Billets de la premiere Loterie Royale ,fept cens
dix- huit ; ceux de la feconde , fix cens foixanteun.
Le 1s du mois dernier , le Roi , Monfeigneu
lę Dauphin & Meſdames de France allerent au
Couvent des Dames de Saint Cyr.
Le 19 , le Roi de Pologue , Duc de Lorraine &
de Bar , arriva à Versailles incognito. Il a occupé
l'appartement du Comte de Clermont.
Madame la Dauphine releva de fes couches le
26 , & le foir il y eut un feu d'artifice , qui fut tiré
fur la terrafle du Château .
. Du premier Octobre , Actions , dix-huit cens
cinquinte-cinq ; Billets de la premiere Loterie
Royale , fept cens feize ; de la feconde , fix cens
foixante-un.
Le Roi de Pologne , Duc de Lorraine & de
Bar , prit congé du Roi le 3 au foir , & le lende
main , après avoir entendu la Mefle aux Recollets,
il partit pour retourner en Lorraine.
Le Dimanche 4 , Madame la Dauphine releva
de fes couches dans la Chapelle du Château, L'Evêque
de Bayeux , fon Premier Aumônier , en fic
la Cérémonie , en préfence du Curé de Notre-
Dame. Il dit enfuite la Meffe , pendant laquelle il
donna la Communion à Madame la Dauphine.
Le même jour au foir , le Roi partit pour Choify.
La Reine & Mefdames de France s'y rendirent
le lendemain.
Le 7 , le Roi , la Reine & Mefdames de France
partirent de Choify pour aller à Fontainebleau.
Le Roi a voulu qu'une partie de fes Tableaux
qui font à la Sur -Intendance des Bâtimens , fût
employée à décorer l'Appartement du Luxem
bourg , que le Reine d'Espagne occupoit ci deraut,
& que cet Appartement fût ouvert au Pu
NOVEMBRE. 1750. 223.
blic , deux fois la femaine. Sa Majefté , toujours
attentive à donner de nouvelles marques de fa
protection aux Beaux Arts , & à ceux qui les pro
feffent , en mettant fous leurs yeux les Chefd'oeuvres
des plus grands Maîtres , excite en eux
de plus en plus une noble émulation , & entretient
dans la Nation ce goût décidé pour la Peinture
, qui lui fait tant d'honneur dans toute l'Eu
rope. Le Cabinet du Luxembourg a été , pour la
premiere fois , ouvert an Public le 14 du mois dernier
, & continuera de l'être jufqu'au mois de Maî
prochain , les Mercredis & les Samedis de chaque
femaine , depuis neuf heures du matin jufqu'à midi.
Du mois de Mai au mois d'Octobre fuivant ,
on n'y entrera , les mêmes jours , qu'à trois heures
après midi jufqu'à fix heures du foir.
Du 7 , Actions , dix - huit cens cinquante ; Bil-
Jets de la premiere Loterie Royale , fept cens quatorze
; ceux de la feconde , fix cens forxante.
Le Roi vient d'accorder au Vicomte de Vence ,
Colonel réformé à la . fuite du Régiment Royal
Corfe , le Brevet de Colonel en fecond , avec le
Commandement de ce Régiment , en l'absence du
Comte de Vence , Maréchal de Camp des armées .
du Roi , Colonel de ce Régiment.
BENEFICES DONNE'S.
Le Roi a accordé l'Archevêché de Tours ,
M. de Coetlofquet , Evêque de Limoges.
3
L'Abbaye de la Couronne , Ordre de Saint Auguftin
, Diocéfe d'Angoulême , à l'Abbé de Bompar
, Grand Vicaire de Rhodes,
L'Abbaye de Baigne , Ordre de Saint Benoît
Diocéfe de Xaintes , à l'Abbé de Crillon , Grand
Vicaire de Narbonne .
Le Prieuré de Chaux , Ordre de Saint Benoît
Kiiij
224 MERCURE DE FRANCE.
Diocéfe de Besançon , à l'Abbé d'Apchon , Grand
Vicaire de Dijon.
MARIAGES ET MORTS.
Ous nous conformons avec plaisir à la loi que
articles , fur lefquels nous ne nous fetions pas fuffic
famment étendus , & nous fouhaitons que notre
attention en ceci excite les famil'es à nous envoyer
des Mémoires , dont nous ne manquetons
pas de faire ulage . Plus ces Mémoires feront détaillés
, plus ils feront dignes d'ètre préfentés au
Public , & de paffer à la potenté comme autant de
monumens autentiques . C'eft l'objet principal que
nous avons en vue , & c'eft ce qui fait le mérite
effentiel de cet article du Mercure.
Le 4 Août , Marie- Louis Caillebot , Marquis
de la Salle , Lieutenant Général des années du
Roi , & Sous-Lieutenant des Gendarmes de la
Garde de Sa Majefté , épouſa dans la Chapelle de
l'Hôtel de Laffay , Marie-Charlotte de Clermont ,
de la branche de Chafte , fille du fecond lit de feu
Charles Balthafar de Clermont , Comte de Rouf-
Gllon & de Marie-Heléne de Butler.
Le premier Septembre , Louis Marquis de Peraſſe
Defears , quatriéme fils de Louis- François Comte
Delcars , Seigneur de Saint Bonnet , Saint Ybart ,
La Roche l'Abeille , en Limouk , de la Renau
die , en Périgord , de Pranfac & Ortebife , en An-
Boumois , de la Roche- Live , en Anjou , Lieute
mant Général du haut & bas Limoufin , & des
Marie-Françoise Victoire de Verthamont de la
Ville-aux-Clercs , reçu Chevalier de Malthe de
NOVEMBRE. 1750. 225
minorité , Cornette au Régiment de Toulouſe .
Cavalerie , enfuite Lieutenant" & Capitaine dans.
celui de Santerre , Infanterie , Colonel d'Infante .
rie d'un Régiment de fon nom qui a été réformé ,
aujourd'hui l'un des feize Colonels du Régiment
des Grenadiers de France , époufa à Paris N.
d'Artaguette , four cadette de Madame de Cairvoifin
, fille du Receveur Général de ce nom.
Le Marquis de Peruffe , qui donne lieu à cet article
, a pour freres & foeurs , 1 °. François - Marie,
Marquis Defcars , Maréchal de Camp , marié
avec Emilie de Fitzjames , fille de Jacques de Fitz
james , Maréchal de France , Duc de Barwin , de
laquelle il a trois garçons & une fille.
2°. Jean François , Vicomte Defcars , Meftre
de-Camp , Brigadier des armées du Roi.
3°. Michel-Louis Defears de Saint Ybart , Ens
feigne de Vaiffeau.
4°. Jeanne-Theréfe Elizabeth Defcars
5. Marie-Anne Deſcars , Abbelle de Sainte
Croix de Poitiers .
6. Gabrielle- Marthe Defcars ; Religieufe dans
la même Abbaye.
7°. Autre-Gabrielle-Marthe Deſcars ^ , › Abbeſe÷
de Saint Aufonne d'Angoulême.
8. Marie Françoife Defcars , dire Mademoi
felle de Saint Ybart , à marier.
Hy a encore plufieurs autres branches de cette
Maifon , entre autres celle de Merville , ou ta
Rocquebrou , en Auvergne , qui eft l'aînée de tous
tes , fortie de Jacques Defcars , troifiéme fils de
Jacques de Peraffe , Comte Defcars , & d'Anne
de Lifejourdin , Dame de Merville , en Auveras
gne , qui avoit épousé en fecondes noces Jeanne
Aabuffon:
Celle de la Mose , en Languedoc , fortie d'As
226 MERCURE DE FRANCE.
net Defcars , fecond fils de François , Comte Def
cars , & de Françoife de Verrieres , qui quitta la
Croix de Mal he & fut Seigneur de la Motte , &
époula Paule de Montlezun , & eft mort Lieutenant
Général des armées du Roi , Gouverneur de
Hosfeur ; elle eft fur le point de s'éteindre .
Celle de Fialeix , fortie de celle de Saint- Bon
net par Jacques Defcars , fecond fils de Leonardo
Defcars , & de Catherine de Joignac de Forfac ,.
qui époula le 3 Février 1602 , Françoiſe de Cham
pagnac , d'où eft iflu Dominique Defears , reçu
Chanoine & Comte de Brioude en 1738 , Chanoine
& Prevôt de l'Eglife de Soiffons , Vicaire-
Général du Diocéfe ; Abbé de Notre - Dame du
Val , qui a deux freres qui ont fervi , & qui n'ont
point encore pris d'alliance , & une four Reli
gieufe , au Couvent de Saint Pardoux , Diocéle
de Perigueux , Ordre de Saint Dominique.
Cette Maiſon eft parente , ou alliée à celle de
Lufignan , par le mariage d'Emery de Perufle avec
Iolande de Lufignan , foeur de Hagues , cinquiéme
du nom , Comte de Lufignan , qu'il avoit
époufée avant 1060 ; il prenoit dès ce tems là la
qualité de Chevalier & de Vicomte de Peruffe ,,
qui affifta au Traité de Paix qui fut fait entre les
Comtes d'Orleans & de Paris en 1027 , comme un
des principaux Seigneurs du Royaume .
La Terre de Peruffe a paffé dans la Maifon de
Rockéchouart , par le mariage de Luce de Feruffe
avec Emery de Rochechouart , fixième du nom.
en 1201 , & enfuite dans celle de Boucher , & de
cette derniere dans celle d'Aubuflon , où elle eft
à préfent. Elle eft fruée auprès d'Aubuſſon , dans .
le Limoufin , où l'on voit encore les ruines d'un
vieux Château:
Les autres Maiſons diftinguées aufquelles celle
NOVEMBRE. 1750: 227
Defcars appartient , font celles d'Albret , de Conferans
, de Harcourt , de Rochechoait , de Sa.
lignac -la Motte-Fenelon , de Chabannois , de Segar
de Partenay , de Ventadour , de Pomp1.
dour , de Montberon , de Sainte Maure de Rocquefeuil
, de Pierre- Buffiere , de Sauvebeuf , de
Levis , de la Tour-Turenne , d'Arpajon, d'Aubuffon
, de Clermont , de Bourbon- Carancy , de l'Ifte
jourdin , de Beaufiemont , de Bourbon Malaufe
de Livron Bourbonne , de Crufiol , d Hautefort ,
de Beaumont du Repaire , & de plufieurs autres , '
non moins anciennes , quo que moins connues.
Il y a eu plufieurs Evêques de cette Mailon ,
on Cardinal , & un Evêque Duc de Langres ,
Commandeur de l'Ordre du Saint Efprit , deux
Chevaliers du même Ordre de la premiere Pro.
motion , des Gouverneurs de Province , des Ĉon--
feillers d'Etat , des Chambellans de nos Rois , des
Capitaines de cinquante & de cent hommes d'arines
,des Lieutenans Généraux des armées du Roi
& de Province , tel que le Comte Defears , à préfent
Lieutenant Général du haut & bas Limouſin ,
pere du Marquis de Peruffe qui a donné lieu à cer
article. La Maison Defears porte peur armes de
gueule aupal de vair. Voyez l'Hiftoire des Grands
Officiers de la Couronne:-
Le 22 , N. de Genlis , Brigadier des armées du
Roi , & Colonel des Volontaires de Dauphiné ,.
époufà à Aix en Provence N. de Pontevés -Gens ,
fille du Marquis de ce nom ; Commandant pour le
Roi à Pontevés.-
Le 24 Juin , mourat Jean-Biprifte- Jacques dut
Deffaud , Marquis de la Lande ( mentionné dans
lé Mercure d'Août ) ci -devant Colonel d'un Régi
ment de Dragons , Brigadier des armées du Roi ,
& Lieutenant Général de l'Orleanois . Il avoit
K vje
228 MERCURE DE FRANCE.
époufé Marie Anne de Trichi de Chamron , dont
i ne laiffe point d'enfans ; & étoit fils de Jean-
Baptifte du Deffaud , Marquis de la Lande , Licu
tenant Général des armées du Roi & de l'Orleannois
, & Gouverneur du Neuf- Brifac .
La Maiſon du Deffaud , connue en Bourgogne,
par fon attachement aux Ducs de la feconde Maifon
de Bourgogne , l'étoit plufieurs fiécles auparavant
par les titres qu'elle a confervés. On voit
an titre de l'an 1200 , où les Seigneurs de la Landefignerent
à une Tranflation de Reliques qui fe
fit fur leurs Terres , & par un autre datté de 1307 ,
deux Seigneurs du Deffaud qui y font qualifiés
Chevaliers , firent une confederation avec Ber
ard de la Tour du Pin. Il y a eu plufieurs brans
ches de leur nom , dont l'origine paroît perdue.
Il en refte deux aujourd'hui , dont l'aînée fubfifte
dans la perfonne de Loup Achille , Comte du Deffaud.
d'Ordou , Seigneur d'Annery , & autres.
lieux la feconde dans la perfonne de Jean- Bap
ute Jacques Charles du Deffand , Seigneur &
Marquis de la Lande , Colonel d'Infanterie , frere
puiné de celui qui donne lien à cet article , & à
qui il vient de fuccéder dans la Lieutenance. Géné--
pale, de l'Orleanois.
Le 21 Juillet , Marc-Antoine de Chugny , Prê
pre , Doyen & Chanoine de l'Eglife Collégiale de
Sain: Denis de Vergy , Seigneur de Praflay , Con
feiller Clerc au Parlement de Bourgogne , mourut
à Dijon dans la foixante-deuxième année de fon
âge , étant né le Avril 1689.
Le a Aour, Louis Bufile de Brancas , des Com--
tes de Forcalquier , Marquis de Gerefte , Maré
chal de France, Grand- d Efpagne de la premiere:
Claffe Chevalier, des Ordres du Roi & de celui:
de la Toifon d'or , Lieutenant Général pour. Sa
NOVEMBRE. 1750. 229
Majefté au Gouvernement de Provence , Gouver.
neur du Neuf- Brifac , & Confeiller d'Etat d'Epée ,
mourut à Paris dans la foixante- dix-neuviéme ang
née de forage , & fut inhumé à S. Sulpice.
Il étoit né le 19 , & avoit été baptisé le 20 Janvier
1672 ; il entra dans les Moufquetaires en
1689 , fit la campagne de 1690 , avec Monfei
gneur le Dauphin en Allemagne , & accompagna
Louis XIV. au fiége de Mons. En 1692 , il entra.
dans la Marine , & y fervit fept ans fur les Vaiffeaux
ou Galéres en qualité d'Enfeigne & de Lieu,
tenant , & fot des débarquemens aux fiéges de
Rofe , de Palamos- & de Barcelonne en 1694 ,
1695 & 1697. Etant repaffé dans le Service de
terre , il fut Meftre- de-Camp du Régiment d'Or
leans , Infanterie , en 1699. La guerre s'étant rallumée
, il entra dans Keifervert avant le fiége , le
foutint & y fut bleffé. Il fe fignala tellement à ce
fége , dans une fouie des plus vigoureufes qu'il
commanda, & dont le fuccès fut très grand , que le
Roi le fit Brigadier par une Promotion particulie
re , dont le Brever en datte du 4 Júin , lui fut envoyé
avant la reddition de la Place . Il acheva cette
campagne en Flandre fous Monfeigneur le Duc de
Bourgogne , & fit celle de 1703 , fous le Maréchal
de Villero . Il fut du détachement de Flandre ,
pour aller joindre: le Maréchal de Tallard devant
Landau , & .paſſi enfuite en Espagne avec les troupes
qui y furent envoyées. Hy fuivit Philippe V
à la campagne de Portugal , fut fait Maréchal de
Camp , le 26 Octobre 1704. Il fe trouva en 1705-
au Liége de Gibraltar , & en 1706 , à celui de Baralonne
: em 707 , il joignit avec un détachement
l'armée Espagnole , commandée par le Marquis .
de Bay , fur les frontieres de Portugal, & fut char
de la conduire du fége.de Ciudad Rodrigo
230 MERCURE DE FRANCE.
A la fin de cette année , il fut nommé Envoyé Exaordinaire
à Madrid , fut fait Commandeur de
FOrdre Royal & Militaire de Saint Louis le 8.
Mai 1709 , avec 3000 liv . de penfion . Lieutenant
Général des armées de Sa Majesté , le 29 Mars-
1710 ; il fervit en cette qualité cette même année
dans l'armée de Rouffillon , commandée par le
Duc de Noailles , & la commanda pendant le
Voyage que ce Général fit en Eſpagne. Le 12 Fé
vrier 1711 , il fut fait Gouverneur de Girone ,
dont l'année fuivante il foutint le blocus juſqu'aux
dernieres extrêmités avec toute la fermeté poflible.
En récompenfe de fes fervices Philippe V.
lui donna le Collier de la Toifon d'or au mois de
Février 1713 , & il fut nommé Ambaſſadeur Ex--
traordinaire auprès de ce Prince en 1714. De retour
de cette Ambaffade , il fut fait en 171f , Con
feiller du Confeil au- dedans du Royaume , Direc
teur Général des Haras du Royaume,& Lieutenant
Général au Gouvernement de Provence , le 3 Juillet
1718 , & Confeiller d'Etat d'Epée en 1719. Il tint
les Etats de Provence en 1720 , & fut en 1721 en--
voyé en cette Province pour appaifer les troubles
que las contagion y avoit caufés . Le 3 Juin 1724 ,
il fut fait Chevalier des Ordres du Roi , & retourna
Ambaffadeur Extraordinaire en Espagne en
1728: L'année fuivante le Roi lui donna le Goulvernement
du Neuf- Brifac , & le Roi d'Espagne
le fit Grand de la Premiere Claffe en 1730. La
Cérémonie s'en fit au Soto de Roma , près de Grenade
, où étoit alors cette Cour. De retour en
France , il reçut le Bâton de Maréchal en 1734 ,
fat fair enfuite Commandant en Chef pour le Roi
dans la Province de Bretagne ; & eur le Gouver
trement des Ville & Chareau de Nantes:
al époufa par contrat du 24 Janvier 169 , El .

231
NOVEMBRE. 1750.
fabeth Charlotte Candide de Brancas , fille de
Louis François de Brancas , Duc de Villars , & de
Louife Catherine Angélique de Futerau de Mai.
nieres , fa troifiéme femme , morte le 26 Aoûr
1746 , dont il laiffe , 1Louis Bufile de Brancas ,
dit le Comte de Forcalquier , Lieutenant Général
en furvivance au Gouvernement de Provence , né
le 18 Septembre 1710 , marié le 6 Mars 1744 avec
Fra çoite Renée de Carbonnel, filie unique de Re
né-Anne , Comte de Canifi & veuve de N. de Gon--
drin , Marquis d'Antin , dont N... née en 1743 .
2º. Louis- Paul , dir le Marquis de Brancas , né le
26 Mars 1718 , Mestre de Camp d'un Régiment
de Cavalerie de fon nom , marié en Mars 1747
avec Marie- Anne - Renée Grandhomme , fille de
Pierre Simon de Gifeux , Maître des Cérémonies
de France 3 Françoife Gabrielle , née le 7 Septembre
1703 , Abbefle de Preaux en 1732. 4°
Marie- Thérefe , née le z Avril 1716 , mariée le
12 Février 1756 avec Vincent de Larlan de Ker-
Cadio , Comte de Rochefort. 59. Marie-Jofephe ,.
Religienfe de la Vifitation à Paris le 26 Novem
bre 1725.
-Il étoit fils de Henri de Brancas II du nom & de
Dorothée de Cheilus , fille de Spririt de Cheilus
Seigneur de Saint Jean , Confeigneur de Venafque-
& de Saint Didier , & de Jeanne Chaftelier. Il eut
pour freres Henri- Ignace, Evêque de Lizieux , facré
en Janvier 191s ; Jean- Baptifte- Anteine , facré-
Evêque de la Rochelle le 21 Octobre 1725 puis
en 1729 Archevêque d'Aix ; & Buffle -Hyacinthe-
Touffaints, dit le Comte de Cerefte , Ambaladeur
en Suéde , puis Plénipotentiaire au Congrès de
Soilons
La Maifon de Brancas- eft originaire du Royau
me de Naples , où elle étoit très ancienne. Em
1393 , Bufile.de Brancas's'atracía aux intérêta» de
231 MERCURE DE FRANCE.
Louis II , Duc d'Anjou , Roi de Naples & Comte
de Provence. Ladillas de Hongrie , qui difputois
ce Royaume à Louis , l'ayant emporté fur fon
concurrent & s'étant rendu maître de Naples , Bufile
fe retira avec Louis en France , où il trouva!
les mêmes avantages dont il jouiffoit en Italie , &
y fit venir les enfans.
Le 16 , mourat au Château de Monpezat en
Quercy , Emmanuel de Cugnac, Comte de Giverfac,
Seigneur de Sermer , Loubejac , Saint Pompom, &
autres lieux , âgé d'environ 63 ans , marié deux
fois , 1 ° . le 19 Juillet 1709 , à Helene de Beaupoil
de Saint Aulaire de Lammary , morte en 1746 fansenfans
; 2 °. le 14 Août de la préfente année ,
N .... de Fumel , foeur de l'Evêque de Lodére.
Le Comte de Giverfac eft chef du nom & armes
de la Maifon de Cugnac , defcendant de la
branche de Cauflade , par Jean de Cugnac , Seigneur
de Canffade , Chevalier de l'Ordre du Roi ,
Gentilhomme ordinaire de la Chambre , Sénéchal
du Bazadois , Capitaine de cinquante Lances , Maréchal
des camps & armées de Sa Majesté , Seigneur
de Giverfic , Sermet , Saint Pompom , Alas,
Peruzel, & autres places, qui époufa le 10 Novem
bre 1950 Antoinette d'Hautefort , dont eft iffu
Marc de Cugnac , Seigneur de Giverlac, & autres
Terres ci- deffus énoncées , qui éponfa le zo Jan
vier 1598 , Polixene de Durfort , d'où font iffus ,
Brandelin & Perot de Cugnac. Brandelin de Cugnac
, Seigneur de Giverlac , &c. époufa le 12-
Septembre 1630 Paule du Lac de la Peisede , dont
il eut Mathieu-Paul de Cugnac , Seigneur de Giverfac
, qui époufa en 1644 Anne Ebrard de Saint
Sulpice, d'où font iffus Louis- Chriftophe ; & An--
toine de Gugnacs.
Louis Chriftophe de Cugnac , Seigneur de Givezkic,
a été marié deux fois , 1 °. le 7 Juillet 1636 .
NOVEMBRE. " 1710. 233
Louife de la Fond de Jean de Saint Projet , d'où
eft iffa le Comte de Giverfac , qui donne lieu à cet
asucle ; 2 °. à N ... de Beaupoil de Saint Aulaire
de Lammary , dont il n'y a point d'enfans . Antoi
ne de Cugnac , als de Mathieu- Paul de Cugnac
Seigneur de Giverlag , & d'Anne Ebrard de Sant
Sulpice , époufa en 1687 Marie de Vervais , Dame
de Peyrilhe , d'où font iffus , 1 ° . Jean - Louis de
Cugnac, 20. Jofeph de Cugnac , Grand Archidiacre
de Cahors , mort ; 3 ° N... de Cugnac , ancien
Capitaine au Régiment de Poitou , Chevalier
de l'Ordre Militaire de Saint Louis , & trois filles..
Jean -Louis de Cugnac , Seigneur de Perylhe ,
époula en 172a Marie de Fore de Rouffilhac , d'où
font iffus deux garçons & quatre filles , l'aîné Antoine
François de Cugnac , Moufquetaire du Roi
dans-la premiere Compagnie en 1745 , fubftitué
aux biens d'Emmanuel de Cugnac , Comte de Giverfac
, s'il n'y a point d'Enfans.
Et Emmanuel- Louis de Cugnac , Etudiant en
Sorbonne , Perot de Cugnac , fecond fils de Brandelin
de Cugnac , & de Polixene de Durfort , Seigneur
du Tourondel , épaufa en 1623 Marie de
Gontault de Saint Geniés , & fut pere de Henri de
Cugnac , Seigneur du Tourondel , qui époufa en
1658 Marie d'Abzac de la Douze , d'où eft venu
Charles de Cugnac , qui époufa le 4 Janvier 1694
Magdeleine de Gontault de Saint Geniés , qui a eu
quatre enfans.
1º. Jean- Guy de Cugnac , Capitaine au Régiment
de la Reine , Cavalerie , qui épousa le 9 Mai
1734 Jeanne Fardif , dont un garçon & deux filles;.
2º. N... de Cugnac du Exaiſleis , qui a auffi des
enfans ; 3 ° . N... de Cugnac , Capitaine dans le.
Régiment de Bourbon , Cavalerie , Chevalier de
POrdre Militaire de Saint Louis ; 4' . N .. de Cugnac
de la Cofte , Capitaine dans le Régiment de
Provence.
234 MERCURE DE FRANCE.
Il y a plufieurs autres branches de la Maifon de
Cugnac celle du Bourdet, en Xaintonge & Picardie
celle de Trigonant & du Montet , auprès de
Périgueux ; celle de Dampierre , établie dans l'Orléanois
en 1423 , dont eft iffue celle des Barons de
Veuilly en Galvelle , Généralité de Soiffons , & près
Château - Tierry. Voyez le Mercure du mois de
Décembre 174 , p . 186. La Maison de Cugnac
eft originaire da Périgord , & a toujours tenu un
rang diftingué entre les plus anciennes Maiſons de
la Province.
Dans la recherche de la Nobleffe , faite en 1667
par M. Pellot , Intendant de Guyenne , on produi.
fit plufiears Actes du 12 & 13 fécle . Dans un Acte
de 1200 , il eft rapporté que deux Seigneurs de
Cugnac partageren entre eux 120 Jurifdictions ,
avec les honneurs des Eglifes , & 200 Vaff: aux.
La Maison de Cugnac porte pour armes , giroané
d'agrent , & de gueule de buit pieces.
Pinfieurs Généalogiftes prétendent que la Maifon
d'Acunha , en Portugal , eft une branche for
tie de celle de Cugnac , tant par la conformité du
nom , que des armes , qui font des Girons de mêl
mémétail & de même quantité ,mais différemment
Bingés , comme c'étoit la coûtume des cadets d'ajoûter
ou diminuer ou ranger les piéces de leurs
armes autrement, pour le diftinguer de leurs aînés.
Il y a beaucoup d'autres familles Françoifes établies
en Portugal .
Le 26 Septembre , le Roi donna un bouquet
d'artifice à Madame la Dauphine , à l'occafion de
fes couches ; il fut tiré le foir fur la Terraffe du
Château de Versailles , au bout du parterre d'eau.
La difpofition de ce bouquet formo't une façade
de treillages peints en verd , avec niches , cham
NOVEMBRE. 1750. 235
Branles, parties ceintrées, formant differens plans,
couronnés à l'aplomb des pilaftres de vales & corbeilles.
Sur le devant étoit une terraffe faifant
avant corps , ce qui pouvoit donner en général à
ce morceau l'idée d'un boſquet éclairé par differens
fenx.
Au haut de la partie du milieu étoit le Chiffre
de la Princeffe , furmonté d'une Couronne , fervant
de print central à une grande gloire en nuages.
Sur les côtés de droite & de gauche , étoient nom
bre de morceaux de feux brilians, décrivant diffe-
Lentes piéces figurées , ce qui a produit plufieurs
tableaux qui le font fuccedés & renouvellés , foit
cafcades , chutes ,jets , groupes de luftres , Aeurs &
autres, tous ces momens ont été accompagnés
d'un nombre confidérable d'artifices d'air , tant fu
fees 'honneur , que de quantité de cailles , po's à
feu , mêlés de bombes d'un volume & d'un effet
extraordinaire. Ce bouquet a été terminé par un
coup de feu très- brillant , qui a formé une vodite
confidérable. Ces differens artifices , qui ont été
exécutés, partie par des Artificiers François,& parsie
par des Italiens , ont été fervis avec une préci
fion dont on a peu d'exemples.
M. le Duc d'Aumont , Pair de France , Premier
Gentilhomme de la Chambre du Roi , a ordonné
ce bouquet ; il a été conduit par M. de Cindré ,
Intendant & Contrôleur Général des Menus- Plaifirs
& Affaires de la Chambre de Sa Majefté , &
mis en execution par les Srs Slodtz , Deffinateurs:
du Cabinet du Roi, depuis la mort du St Mellonier..
LETTRE fur un Remedefpécifique, pour
les bomorragies de l'utérus.
Epuis quelques années que je m'applique à
Jú quantité d'Auteurs , il m'a femblé que les pertes
236 MERCURE DEFRANCE.
de fang des femmes , qui en mettent tant au tombeau
, n'ont pas excité toute l'attention que cette
maladie cruelle demandoit de la part des gens de
FArt. On fait que cette homorragie furvient
aux femmes quelquefois dans les tems périodiques
de leurs régles , quelquefois même tous les ro ou
15 jours ; qu'elle provient fouvent de leur fuppreffion
pendant quelques mois , que les femmes
grofles en font attaquées tant avant qu'après leur
acouchement , & que les fauffes couches en font
tatement exemptes. La méthode ordinaire pour
guérir cette maladie , quoique très-louable en ellemême
, & appuyée par le témoignage des grands
hommes qui ont exercé , ou qui exercent actuelle
ment la médecine , le trouve trop fouvent infuffifante
dans la guérilon de ces homorragies , qui
font quelquefois affez rebelles pour éluder toute
la fcience de ces grands Maîtres . Mon deffein eft
donc d'annoncer fimplement au Public l'heureuſe
découverte que j'ai faite du Reméde fpécifique de
ce mal , dont les fuites font fi funeftes ; je dois
cette découverte à une étude particuliere , à des
expériences réitérées , & peut- être au bazard , qui
a eu tant de part à toutes celles dont le genre huspain
a retiré le plus d'utilité . Je fuis très- certain
que ce Remede , qui eft une liqueur ftomachique
& cordiale , n'a rien en lui ni dans fes effets , de
nuifible ou de dangereux , & que les perfonnes les
plus délicates s'en peuvent fervir . Elles feront
guéries en en prenant deux ou trois fois au plus.
Il n'arrête pas les régles , quand on le prend dans
le tems de leur écoulement , de forte que l'on ne
doit pas appréhender qu'il en caufe l'obſtruction ,
car elles paroiffent au contraire couler plus librement
, après s'en être fervi . Cette liqueur dont la
bouteille fe vend 24 liv . fe débite chez M, Battaille,
Apoticaire , rue de la Montagne Sie Geneviève.
.
237
NOVEMBRE. 1750.
AUTRE à l'Auteur du Mercure.
A curiofité naturelle aux hommes , m'a engagé
de voir plufieurs Villes ; celle de Caudedebec
s'eft trouvée à ma rencontre , j'y arrivai affez
tôt pour voir l'Eglife , mais trop tard pour me confirmer
par més propres yeux d'un fait qui m'y a
été annoncé comme certain.
Du m'y a affûré qu'un Vitrier de cette Ville
ayant le fecret de peindre le verre , avoit réparé
parfaitement le dommage que les vitres de cette
Eglife avoient fouffert , comme partout ailleurs ,
fecret qu'il tient d'un vieillard qui avoit demeuré
chez lui en qualité d'ouvrier , lequel après le lui
avoir vendu eft allé ailleurs , fans que l'on fçache
le lieu de fa demeure. Perfuadé & furpris , comme
-Pest , je crois , toute la France , que ce fecret fait
perdu , malgré la multiplicité de ces ouvrages qui
femble nous prouver que le nombre a été grand de
ceux qui ont poffedé cet Art , je ne voulus pas
quitter cette Ville fans m'affûrer de cette vérité ,
en me tranſportant chez ce Vitrier qui fe nomme
le Brun. Je n'eus pas la fatisfaction de le trouver
, mais fon époule me confirma ce que je venois
d'apprendre , m'affûrant qu'il avoit fait conftruire
à cet effet des fourneaux ; qu'il peignoit
réellement tel deffein qu'on defiroit ,& qu'il travailloit
actuellement aux yîtres de l'Abbaye des Béné→
diftins de Saint Vandrille .
Mon deflein eft d'inftruire le public du reconvtement
de ce fecret , de coopérer avec le plus pur
désintereffement à l'avancement de celui qui le
poffede , puifqu'il ne me connoît nullement , & de
confoler les amateurs des Beaux - Arts qui gémiffent
dans la perfuafion que cette fcience eft anéan
tie , pourvû que Mis de Saint Vandrille ne fe refulent
pas à la priere que je leur fais par la préfen235
MERCURE DE FRANCE.
te de nous apprendre fi fon ouvrage eft de la beanté
de nos anciennes vitres peintes , car un Sçavant
de nos concitoyens m'a aflûté que le fecret de ce
genre de peinture n'a jamais tombé au néant ,
mais que ce n'eft ni la même pointure , ni la même
beauté des anciens . Je fuis , & c.
C. L. C.
De Rouen, le 28 Septembre 1750.
AVIS.
M certifie que Mille d'Arnolat tomba il y a
Adame Molé , Marquife de Lenoncourt ,
einq ans en apoplexie & paralifie de la moitié du
corps , accident qui la privoit de l'ulage de fes
membres , qu'ayant fait inutilement tous les remedes
les plus efficaces , M. le Marquis de Lenoncourt
lui donna celui du Sr Arnoult , Droguifte ;
que depuis l'ufage qu'elle en a fait , elle a acquis
entierement la liberté de tous les membres , au
point qu'elle marche comme avant fon accident.,
& que depuis cinq ans qu'elle porte toujours ce remede
, elle n'a point eu aucune rechûte .
M. de la Croix , Médecin à S. Bailleul en Flandre
, attefte que depuis quinze ans qu'il pratique
la Médecine en ce pays , il n'a vû aucune rechâte
d'apoplexie à tous ceux qui ont porté le remede
du Sr Arnoult , Droguiste,
Ces fuites du fuccès de ce remede font autant de
nouvelles preuves qu'il eft totalement different du
Sachet diftribué par la D. Rhodeffe , fous le nom
de veuve Arnoult ; auffi eft-elle hors d'état de rapporter
aucune preuve du fuccès de fon prétendu
remede.
Pour la fûreté du public , & afin qu'on ne puiffe
imputer au remede du Sr Arnoult les accidens d'a
poplexie qui n'arrivent que trop fouvent avec ces
NOVEMBRE. 1750. 239
Prétendas remedes , le Sr Arnoult déclare encore
qu'il n'a commis & qu'il ne commettra jamais
perfonne pour la diftribution de fon remede ; qu'il
ne s'eft jamais diftribué que chez lui , ci- devant
rue des cinq Diamans , & préfentement rue Quinquampoix
, vis-à- vis celle de Venife , toujours accompagné
d'un imprimé figné de fa main , fans lequel
on ne doit y ajoûter aucune foi.
AUTRE AVIS.
Le Sr Guillot , Expert pour des bras & des jambes
mouvans par refforts , demeure rue des vieux
Auguftins , près la Place des Victoires à l'Enfeigne
du Saint Efprit .
APPROBATION.
J'ir,le ordre deMonte fu préfent mois. A
'Ai lû , par ordre de Monfeigneur le Chance-
Paris , le z Novembre 1750 .
MAIGNAN DE SAVIGNY .
TABLE.
IECES FUGITIVES en Vers & en Profe.
Vauxhall , Poëme , précedé d'une Lettre à M.
de Fontenelle , 3
20
Difcours , dans lequel on fait voir que le vrai bonheur
confifte à faire des heureux ,
Autre , dans lequel on fait voir que l'espérance eft
un bien dont on ne connoît pas aflez le prix , 29
Etabliflement fait par le Roi de Pologne dans fes
Etats , pour cinq Avocats Confultans ,
Les Oiseaux de Vênus ,
33
35
Lettre à l'Auteur du Mercure , fur la maniere de
*
"
37
eriquer les Piéces de Théatre
Epitre fur l'Etabliffement des Grenadiers de Fran
ce , par M.de Vallier , Colonel d'Infanterie , 44-
Hiftoire générale de Pologne , par M le Chevalier
de Solignac , Secretaire du Cabinet & des Commandemens
de S M. le Roi de Pologne , 49
Digreffion far les Colaques ,
Cantate pour Mad ** > par M. Roy ,
81
Aflemblée publique de l'Académie des Sciences &
Belles- Lettres de Dijon , 82
Vers fur l'accouchement de Mad, la Dauphine , 97
Autres fur le même fujet , 98
99 AM. Piron , fur la Penfion ,
Réponfe pour & contre à une Queftion proposée
dans le Mercure de Septembre dernier , ibid.
Lettre en réponse à M. *** , fur la diffolution du
plomb dans la veffie ,
101
Mots des Enigmes & du Logogriphe des Mercure
d'Octobre ,
Enigmes & Logogriphes ,
Nouvelles Litteraires , & c.
123
ibid.
126
Programme de l'Acad . des Sciences & Belles- Let.
de Dijon pout le Prix de Médecine de 1751 , ibid.
Autre de l'Académie Royale des Sciences , Infcriptions
& Belles Lettres de Toulouse pour
1751 & 1752 ,
Beaux- Arts , & c.
·

147
151
La Gravure à M. le Comte d'Argenfon , fur fon
portrait peint par M. Nattier ,
Eftampes nouvelles ,
Mappemonde Hiftorique , & c.
Le bonheur d'être aimé, Chanſon ,
152
153
155
158
Spectacles. Ex . de la Comédie de l'Impertinent, 171
Nouvelles Etrangeres ,
197
France , nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 219
Mariages & Morts ,
Lettres & Avis ,
La Chanfon notée doit regarder lapage
224
237
158
1
MERCURE
DE FRANCE ,.
DÉDIÉ AU ROI.
DECEMBRE .
Chez
1750 .
SECOND VOLUME.
AGITUT
SPARGAR
APARIS ,
Lesuay
ANDRE CAILLEAU , rue Saint
Jacques , à S André.
La Veuve PISSOT, Quai de Conty ,
ala defcente du Pont- Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais.
JACQUES BARROIS , Quai
des Auguftins , à la ville de Nevers,
M. D C C. L..
Avec Approbation & Privilege du
A VÍS.
LAM. DE CLEVES D'ARNICOURT ,
'ADRESSE générale duMercure eft
à
ruë des Mauvais Garçons , fauxbourg Saint
Germain , à l'Hôtel de Mâcon. Nous prions
très - inftamment ceux qui nous adreſſeront
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir le
Port , pour nous épargner le déplaifir de les
rebuter, & à eux, celui de ne pas voir paroître
leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays
Etrangers , qui fouhaiteront avoir le Mercure
de France de la premiere main , &plus promp
tement, n'auront qu'à écrire à l'adreffe ci- deffus
indiquée ; on fe conformera très-exactement à
leurs intentions.
Ainfi ilfaudra mettrefur les adreſſes à M.
de Cleves d'Arnicourt , Commis an Mercure
de France , rue des Mauvais Garçons , poun
remettre à M. l'Abbé Raynal .
PAIX XXX, SOLS.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
DECEMBRE. 1750 .
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
RONDEAU IRREGULIER;
Sur l'Amour.
EN fait d'amour il n'eft plus d'eſclavage i
Le caprice eft le feul ufage ;
Lerefpect eft un fat ; le fecret un zéro.
Le goût ,le fentiment , connus du bon viel âge ;
Deux radoteurs exilés au Village.
Au champ d'amour il eft plus de Héros
Qu'au champ de Mars ; befoin n'eft de courage
Pour être brave & monter à l'affaut :
Etre effronté , c'eft être fage ,
II. Vol. A ij
4
MERCURE
DE FRANCE
,
Et l'efprit n'eft fouvent qu'un fot
En fait d'amour.
Le teint Aeuri , l'air coquet & volage ,
Les petits foins , enfans du badinage ,
Les jeux , les ris , que fçais-je ? Un rien , un mot ,.
Font dans un coeur cent fois plus de ravage
Que cheveux gris , que tête de calor ,
Que front ridé , fruit du libertinage ,.
Que maintfoupirs , maint langoureux propos ,
Détours ufés , ridicule langage ,
En fait d'amour.
Ce n'est le tout pour forcer une place ;
( și faut-il bien tout dire contre & pour ; )
Il eſt un art , une ſecrette trace ,
Qui mene au but , qui perce fans détour
Grilles, vérouils , murs , l'antre le plus fourd
Or çe furet dont le fuccès furpaffe
Efprit humain , rufe , adreffe & grimace ;
C'eft l'or ; le Roi du célefte léjour ,
Jupiter or pénétre , ouvre , terraffe
De Danaé l'impénétrable tour.
Jupiter Dieu , fans or , eût resté court.
Or , mieux que feu , fçait fondre coeur de glace
Qu'un Plumet regne , un Préfident l'efface ,
Un Abbé vient qui le chaffe à ſon tour
Et l'or en main , on joue à pafle paſſe,
En fait d'amour.
Par M. de Lugny
A Breft, le 12 Août 1750,
DÉCEMBRE. 1750. S
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie Royale de Chirurgie , à laquelle
préfida M. Puzos , Directeur , en
l'abfence de M. de la Martiniere , Premier
Chirurgien du Roi. Du 26 Mai 1750 .
Onfieur Hevin , Secretaire pour
M les Correfpondances , fit l'ouvertute
de la Séance ; il déclara que l'Acadé
mie n'avoit pas crû devoir adjuger le Prix
fur le fujet propofé pour cette année , &
qui confiftoit à déterminer le caractére des
Tumeurs ferophulcufes , leurs efpeces , leurs
fignes & leur cure. Ce n'eft pas que parmi
les Mémoires qu'elle a reçûs , la plupart
ne contiennent d'excellentes chofes , &
que la matiere n'y foit expofée & détaillée
avec affez d'étendue ; mais elle ne peut
diffimuler qu'il n'y en avoit aucun qui
fatisfit pleinement à la queftion . En effet
des Auteurs qui ont concouru pour le Prix ,
les uns ne fe font pas affez attachés à approfondir
le fujet & à y répandre de nouvelles
lumieres , & les autres qui avoient répondu
avec fuccès à la premiere partie de la
propofition fur le caractére diftinctif des
Tumeurs fcrophuleufes , ont trop légéro-
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
ment traité la feconde für le traitement
qui leur convient , de forte qu'on n'a pû
regarder les meilleurs de ces ouvrages que
commme des ébauches ou effais qui méritent
que leurs Auteurs travaillent à les
porter à un plus haut degré de perfection.
L'Académie qui connoît combien il fe
roit utile au Public & à l'Art , que la ma
tiere des écrouelles fût traitée folidement ,
s'eft déterminée à propofer de nouveau le
même fujet pour l'année 1752 , ne doutant
pas que ceux qui y ont déja travaillé
avec quelque fuccès , ( & notamment les
Auteurs des Mémoires , No. 5 , qui com-
Nº.
mence par ces mots : f'ai long- tems hésitéfi
j'entreprendrois de traiter une matiere auffi
épineufe , & No. 4 , qui a pour devife ,
Mors aquo pede pulfat pauperum tabernas
regumque turres ) ne faffent de nouveaux
efforts pour répondre à fes vûes ; elle déclare
en conféquence que le Prix fera double
, c'eft- à- dire que celui qui aura donné
le meilleur Mémoire , aura deux médailles
d'or de la valeur de soo liv.chacune , ou
unefeule de 1000 liv. au choix de l'Auteur.
M. Hevin annonça que l'Académie propofoit
pour le fujet du Prix de l'année
1751 , de déterminer ce que c'eft que la Mitaftafe
; les maladies Chirurgicales où elle arrive
, & celles qu'elle produit ; les cas où l'on
DECEMBRE. 1750. 7.
doit l'éviter , & ceux où il faut la procurer ,
& les moyens que l'on doit employer dans l'un
& l'autre cas , & que le Prix feroit une
médaille d'or de la valeur de 500 livres ,
conformément au legs de M. de la Peytonic
.
Depuis la derniere Affemblée publique ,
l'Académie a choisi pour Affociés Corref-
Fondans regnicoles ,
M. Charmerton , Maître ès Arts & en
Chirurgie , Profeffeur & Démonftrateur
d'Anatomie à Lyon , ci -devant Chirurgien
en chefdans l'Hôpital Général de la Chatité
de la même Ville : M. Charmerton a
remporté en 1748 le Prix de l'Académie
fur le fujet des Remedes Deflicatifs &
Cauftiques.
M, Flurant , Maître ès Arrs & en Chi
rurgie , & Chirurgien en chef de l'Hôpital
Général de la Charité de Lyon : M. Flurant
a remporté en 1749 le premier Prix fur.
la matiere des Médicamens Déterfifs.
Elle s'eft aggregée pour Affociés étrangers,
M. Guyot , Maître en Chirurgie , Accoucheur
, & l'un des Chirurgiens en chef
de l'Hôpital François de la Ville de Genéve
: M. Guyot eut en 1744 & en 1745
les deux premiers Acceffit au Prix far le
fujet des Médicamens Emolliens & des
Anodins.
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
M. Charron , Confeiller & Premiet
Chirurgien de leurs Majeftés le Roi & la
Reine de Pologne , & ci - devant Chirurgien
des camps & armées du Roi de France.
M. d'Acrell , Chirurgien Juré de Stoc
kolm , Membre de l'Académie Royale des
Sciences , & de la Société de la Chirurgie
de la même Ville , autrefois Chirurgien
des camps & armées du Roi de France.
M. Hevin fit les éloges hiftoriques de
M. Bruyeres , Maître ès Arts & en Chirur
gie , & Adjoint du Comité perpétuel de
l'Académie , & de M. de Médalon , Docteur
en Droit & en Médecine , Membre
de la Société Académique des Arts , ci -deyant
Médecin des camps & armées du Roi,
& de la Compagnie des Cent Suiffes de la
Garde ordinaire de Sa Majefté ; Médecin
de l'Infirmerie Royale & de la Charité de
Verfailles , & Affocié Correfpondant de
l'Académie Royale de Chirurgie , morts
depuis fa derniere Affemblée publique .
M. Louis lut enfuite l'éloge de M. Petit
Maître & Cenfeur Royal en Chirurgie,
Confeiller du Comité perpétuel , ci -devant
Directeur & Secretaire de cette Aca
démie , & Démonftrateur Royal en cette
Ecole , Affocié étranger de la Société Roya
le de Londres , & Penfionnaire de l'Académie
Royale des Sciences de Paris , mort
DECEMBRE
1750.
dans l'exercice de la prépofiture de cette
Compagnie , qu'il rempliffoit pour la troifiéme
fois.
M. le Dran lut un Mémoire fur les Rétentions
d'urine , maladies d'autant plus
communes , qu'elles peuvent furvenir par
differentes caufes .
Il fait dabord l'expofition anatomique
des parties qui fervent de réfervoir à l'urine
, afin de nous éviter la fuggeftion incommode
d'uriner fans celle à mefure
qu'elle fe fépare du fang , & il explique le
méchanifme par lequel la Nature évacue
cet excrément . Il fait enfuite obferver que
la rétention d'urine n'eft pas une maladie
par elle- même , mais qu'elle n'eft qu'on
accident , qui réfulte de quelques maladies
qui affligent les parties dont il a fait l'expofé
. Les unes , dit-il , attaquent la veffie '
dans fon corps , d'autres fon col , d'autres '
l'urethre.
>
Il commence par la paralyfie parfaite du
corps de la veffie , & il fait voir que la
veffie,ne pouvant fe refferrer pour en chaffer
l'urine , qui n'y eft en dépôt que pour
peu de tems , cet excrément y féjourne
la remplit plus qu'il ne faut , & que l'extenfion
forcée qu'il y occafionne eft fuivie
de l'engorgement de ces glandes , & de la
perte du reffort de fes me ubranes, à moins
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
qu'on ne prévienne cet accident par l'éva
cuation de l'urine . Ce n'eft pas ici le cas
où l'effet ceffe en ôtant la caufe ; ainfi l'accident
, qui eft la rétention d'urine , fixe
d'abord l'attention de l'Auteur , & il recommande
, fuivant les bonnes régles de
l'art , de commencer par fonder le malade
au plutôt. Il confeille même de continuer
l'ufage de la fonde jufqu'à ce que l'urine
commence à paffer par l'urethre à côté de
la fonde , ayant foin de faire dans la veflie
des injections convenables à fon état . L'arine
évacuée , il propofe de faire pendant
tout le tems que la fonde eft dans la vellic,
tous les remèdes capables de guérir la paralyfie
de la veffie , & tels que la Pathologie
les indique.
Il paffe à la paralyfie imparfaite , maladie
plus commune qu'on ne penfe , maladie
dans laquelle la veffie ne fe vuide jamais
entierement , maladie enfin dont on
ne s'apperçoit fouvent que quand la veffie
eft devenue malade , par la préfence du
bourbier urineux qui y refte. M. le Dran
donne les fignes auxquels on peut reconnoître
cette maladie avant qu'elle foit bien
avancée , & donne la méthode pour la
guérir par des injections qu'on doit faire
dans la veffie , à l'aide de la fonde , qui eft
alors auffi néceffaire que dans la paralyfie
parfaite.
DECEMBRE. 1750 .
Il y a , dit-il enfuite , bien d'autres maladies
dans lesquelles le corps de la veffie
fouffre , telle qu'eft fon inflammation &
plufieurs autres. Il remarque qu'elles ne
caufent pas de rétention d'urine , tout au
contraire , car la veffie ne peut , fans de
vives douleurs , être dilatée par cet excrément
qui y entre fans ceffe par les uretéres,
& les malades urinent à chaque inftant ,
ce qu'ils ne font qu'avec des douleurs plus
vives encore. L'Auteur paffe fous filence
ces maladies , fe contentant de donner les
fignes qui peuvent les faire diftinguer de
la rétention d'urine.
M. le Dran met pour troifiéme caufe de
la rétention d'urine , les maladies du col
de la veffie qui peut être enflammé , attaqué
d'une humeur de goutte , ou ferré par
le volume des glandes proftates , dures ou
même ſchirreuſes.
Dans ces trois cas où la veffie , quoique.
faine , n'a pas affez de force pour obliger
l'urine à écarter le col pour s'échapper par
cette voye qui lui eft deftinée , la vellie.
s'emplit plus qu'il ne faut , parce qu'il y
en entre toujours par les uretéres , & les
douleurs s'augmentent à proportion de ce
qu'elle s'emplit , parce que fon corps, qui
n'eft pas paralitique comme dans les cas
précédens , a confervé toute fa fenfibilité.
A vj
MERCURE DE FRANCE.
L'Auteur , après avoir détaillé les fignes
qui peuvent faire reconnoître quel eft le
caractére de la maladie, & où eft fon fiége,
recommande avant toutes chofes de fonder
le malade pour vuider la veffie , parce
qu'on l'a vu plufieurs fois s'étendre juſqu'à
l'ombilic , fe gangrenner & fe percer, faute
de ce fecours.
L'expérience apprend que dans ce cas
l'introduction de la fonde eft fouvent trèsdifficile
ou même impoffible dans les
cas où l'urethre fe trouve rétrefli , comme
on le voit très -fouvent. L'Auteur dit qu'il
a prefque toujours réuffi à introduire jufques
dans la veffie une bougie de corde à
boyau , plus ou moins fine , puis une plus
groffe , & ainfi fucceffivement de quart
d'heure en quart d'heure ; que ces cordes
fe gonflant par l'humidité , écartoient le
paffage trop étroit , faifoient uriner les
malades, & même ont fait un chemin plus
libre pour l'entrée de la fonde dont il vent
que l'on continue l'ufage jufqu'à ce que
l'urine paffe à côté d'elle par l'urethre.
Cela eft plus ou moins long-tems à venir ,
felon le degré de dilatation que le corps
de la veffie a fouffert , ce qui lui a fait
perdre plus ou moins la poffibilité de fe
refferrer pour en expulfer l'urine.
L'Auteur explique phyfiquement d'où.
DECEMBRE. 1750. 13
vient une espéce de fuppuration qui fe fair
dans la veffie lorfqu'on lui a laillé perdre
fon reffort , fuppuration fans laquelle la
veffie ne fe rétabliroit pas. Il donne les
moyens d'aider en cela la Nature , après
quoi il renvoye à la Pathologie pour le
traitement des trois maladies qui ont occafionné
la rétention d'urine .
Il finit par les rétentions caufées par
certaines maladies de l'urethre , lefquelles
par leur caractére , par l'inflammation qui
s'y joint , ou par la maladie de la veffie ,.
dont elles font la caufe occafionnelle , ferment
enfin le paffage à l'urine , ou mettent
la veflie hors d'état de fe contracter.
Il veut qu'on prévienne ce trifte état par
l'ufage des bougies appropriées aux differentes
maladies de l'urethre , pour le faire
fuppurer ou pour lui rendre fon diamétre,
fuivant les cas ; & fuppofant que, faute de
l'avoir fait , la rétention furvienne , il ne
propofe plus la fonde ; mais une opération
au périnée , par laquelle on faffe jufqu'à
la veffie un chemin libre pour la fortie de
l'urine , chemin qu'on puiffe tenir ouvert
affez long- tems pour guérir la veffie
les injections convenables, & l'urethre par
les fecours que l'Art indique.
par
Après cette lecture , M. Foubert lut
une Differtation fur les fiftules de l'an us
14 MERCURE DE FRANCE.
& du périnée : il parcourt d'abord fuccinctement
les differentes caufes aufquelles
ordinairement on affigne ces maladies ;
mais il avance un point qu'il regarde comme
certain , que la vraie & unique caufe
de toutes les fiftules , eft la préſence d'un
corps étranger , ou la perforation d'un canal
excréteur quelconque . Enfuite il paffe
à l'objet principal de la Differtation , qui
eft de prouver par diverfes obfervations ,
qu'il feroit très fouvent plus avantageux
de ne faire , à la plupart des grands dépôts
qui fe forment au perinée & à la marge
du fondement
qu'une incifion fimple ,
fuffifante cependant pour donner une iffue
libre à la matiere contenue dans leur
foyer , que d'opérer d'abord ces dépôts
dans toute leur étendue en qualité d'abf
cès fiftuleux voici les raifons principales ,
fur lesquelles M. Foubert fonde fon fenti
ment & fa pratique.
:
1 °. L'expérience lui a prouvé , ainfi
qu'à plufieurs Chirurgiens , que la plupart
de ces grands abfcès ouverts , ou naturellement
par la répugnance des malades ,
ou par . Art , mais fimplement , foit par le
cauftique , foit par l'inftrument , fe guériffent
quelquefois radicalement & en fort
peu de tems par le rapprochement complet
des parties divifées , ou pour mieux dire ,
DECEMBRE. 1750 15
par le recollement des parois du foyer de
l'abfcès , dont le tiffu cellulaire n'avoit pas
été entierement détruit & ufé par la fuppuration
. Il arrive donc en ce cas ce que
Pon voit très -familierement aux grands
dépôts laiteux qui furviennent aux mammelles
des femmes accouchées , & dont
l'ouverture , abandonnée , pour ainsi dire ,
à la nature , après avoir donné iffue à une
grande quantité de pus , fe guérit bientôt
par le rapprochement du tiffu graiffeux qui
avoit étéécarté par la préfence des matieres
purulentes , & par le récollement du vuide
de Labfcès.
2º. En fuppofant que cette fimple opération
ne mene pas le plus fouvent à une
cure radicale de la maladie , & qu'il reste
une fiſtule , il eft du moins certain , dir
M. Foubert , que l'opération s'en fait par
la fuite avec une plus grande connoiffance
de caufe , & de l'étendue qu'on doit don
ner aux incifions , & qu'en outre , on a
beaucoup moins de parties à incifer ou à
emporter , parce qu'il s'eft déja recollé une
grande partie des parois du foyer de l'abfcès
; en un mot la fiftule & l'opération de
viennent alors tout- à- fait fimples.
3 °. Si au contraire l'on opére d'abord
le dépôt , en qualité d'abfcès fituleux ,
on eft ordinairement obligé d'emporter
16 MERCURE DE FRANCE.
une grande partie des tégumens ufés ;
beaucoup de fubftances grailleufes , ou cellulaires
, & même charnues , d'enlever
profondément ce qui paroît émincé ou dénué
de l'inteftin , & alors on court rifque
de couper des vaiffeaux confidérables ,
dont on ne peut pour l'ordinaire arrêter le
fang que par une forte compreffion , qui
fait quelquefois naître d'autres accidens ;
ou du moins ces grands délabremens donnent
occafion à de nouvelles fontes , &
quelquefois à de nouveaux finus , par l'abondante
fuppuration qui s'établit nécelfairement
dans une playe d'une auffi grande
étendue : fouvent même il peut échapper
dans le tems de l'opération , des routes
ou clapiers éloignés des callofités , des
altérations , ou crevaffes à l'inteftin qui
s'oppofent à la guérifon , & qui exigent
tôt ou tard de nouvelles opérations. Quels
rifques ne court pas un malade pendant
tout le tems qu'exigent des opérations
répétées , & des fuppurations longues &
excellives ?
4°.Si la tumeur abfcédée eft du côté du
périnée , le Chirurgien eft fouvent fort
embarraffé à décider , fi c'eft l'uréthre ou
l'inteftin qui eft attaqué , & conféquemment
fur lequel de ces deux canaux il doit
opérer. En effet on a vû plus d'une fois ,
DECEMBRE. 1750. 17
après des opérations de la fiftule faite fur
le rectum , l'urine couler par la playe , parce
que l'uréthre étoit percé. Il paroît donc
au moins plus prudent d'attendre que la
maladie fe décele , & fe rende plus manifefte
, & de s'en tenir à l'ouverture fimple
du dépôt.
5°. S'il y a quelque virus dans le fajet
attaqué de la maladie , la méthode propofée
par M. Foubert , met bientôt le malade
en état de recourir aux fpécifiques avant
de fubir l'opération , qui fouvent n'eft plus
néceffaire , le malade fe trouvant guéri
& du virus & de la fiftale.
6°. Enfin cette méthode paroît du moine
devoir être employée en certains cas , pat
exemple dans le cas des grands dépôts qui
arrivent à l'anus dans des femmes qui font
en travail , ou prêtes d'accoucher ; dans des
fujets fort âgés qui ont le flux de ventre ,
ou qui font convaleféens de grandes maladies
, extrêmement maîgres & épuifés ,
& qui ne foutiendroient qu'avec beaucoup
de rifques les douleurs d'une grande opé
ration , & les fuppurations abondantes
qui en feroient la fuite.
M. Foubert termine fon Mémoire par
plufieurs obfervations relatives à ce der
nier point, & dont il paroît qu'on peut
conclure en faveur de la Méthode qu'il
propofe.
18 MERCURE DE FRANCE
Le troifiéme Mémoire qui fur lû dens
cette aflemblée , eft de M. Moreau. Une
femme qui avant 1743 avoit eu deux enfans
, devint enceinte pour la troifiéme
fois , & par les douleurs qu'elle reffentit
vers la fin de fa groffeffe , elle fe crut au
terme d'accoucher . Deux Sages -Femmes ,
& deux Accoucheurs qui la virent fucceffivement
, employerent tous les moyens
ordinaires pour remédier à une perte de
fang , accompagnée de vomiffement qui
lui prit , mais ne trouvant aucune difpofition
à l'accouchement , ils ne jugerent pas
à propos de procéder à cette opération .
Ces premiers accidens cefferent , & farent
fuccédés de naufées & de rapports de man
vaiſe odeur ; le dévoyement , la tenfion du
ventre , & unc leucophlegmacie générale
furyinrent ; mais un écoulement de matieres
jaunes & vertes qui fe fit pendant
trois mois par le vagin , diffipa une partie
de ces accidens. La fuppreflion de cer
écoulement donna naiffance à une tumeur
très -dure dans le lombe droit ; M. Hebrard
, Accoucheur , d'un mérite connu ,
'emplʊya , tant intérieurement qu'extérieurement
, tous les moyens capables de ré
foudre cette tumeur , & par fes foins , il
parvint du moins à rendre l'état de la malade
plus fupportable.
DECEMBRE. 1750. 19
En 1746 , les douleurs du ventre recommencerent
, & la tumeur du lombe droit
paffa à la région iliaque gauche ; la malade
ne voulut tenter aucun reméde , &
elle fouffrit ſes maux patiemment jufqu'au
mois d'Août 1747 , qu'elle crut encore
être au moment d'accoucher , par les douleurs
violentes qui fe firent fentir aux parties
qui ont coûtume d'en être atteintes
aux approches de l'accouchement. M. Hebrard
qui fut appellé , ne trouva rien du
côté de la matrice qui parût l'annoncer ;
mais ayant fenti dans le fondement un
corps dur & inégal , il en fit l'extraction :
c'étoit une portion d'os qu'il reconnut pour
la partie du coronal qui forme le bord
fupérieur de la foffe orbitaire. Quelques
jours après , il fe déclara à la région iliaque
gauche un abfcès gangreneux qui s'ouvrit
de lui -même , & donna iffue à beaucoup
de matieres , & peut-être à des
tions d'os d'enfant qu'on n'apperçut point,
faute d'examen . La malade fut tranfportée
à l'Hôtel - Dieu quelque tems après ;
elle y fut vifitée par M. Moreau ; ce Chirurgien
fit toutes les recherches néceffaires
pour s'inftruire de la caufe de cette ouverture
devenue fiftuleufe , qui donnoit une
iffue continuelle à des matieres ftercorales ,
& il apprit tout le détail qui précéde
por.
20 MERCURE DE FRANCE.
mais il fut détourné de tenter aucun
moyen curatoire par l'épuifement des for
ces de la malade qui étoit dans le maralme
parfait , & qui périt enfin au bout de
trois mois.
M. Moreau , curieux de découvrir après
la mort ce que la nature avoit caché du
vivant de la malade , fit l'ouverture du cadavre
, & il obferva , ( par le moyen d'un
ftilet , placé dans l'orifice fiftuleux avant
d'ouvrir les tégumens du ventre , pour ne
tien déranger de l'état des parties , ) que le
fond de la fiftule fe terminoit dans la portion
de l'inteftin colon qui forme I's romaine,
& qui étoit adhérente au péritoine
de maniere que , quoiqu'il y eût une gran
de partie de l'inteftin détruite , les matiè
res fortoient librement de la fiftule , fans
pouvoir s'épansher dans le ventre. A trois
travers de doigts de l'orifice fiftuleux , on
trouva la portion du coronal de l'enfant
qui fait la partie fupérieure de la foffe or
bitaire, & tout l'occipital qui étoit comme
chatonné dans les replis du colon . L'extrêmité
de cet inteftin traverſoir le baffin en
paffant par- deffus l'os facrum , & fermoit
adhérence avec le péritoine fur le mufcle
iliaque droit dans cet endroit de l'inteltin
étoient contenus les deux pariétaux
appliqués l'un fur l'autre , & très- exacteDECEMBRE
. 1750. 20
ment unis. On ne trouva au rectum aucune
cicatrice qui pût faire juger qu'il y eût
eu ouverture ou dilacération à cet inteftin ;
la matrice & le vagin , les trompes & les
ovaires étoient dans leur état naturel ; on
n'y obferva aucunes traces de groffeffe ,
d'accouchement , ni de perforation gane
gréneufe.
Il n'eft cependant pas douteux par tout
ce qui précéde , qu'il n'y ait eu groffeffe ,
que le foetus n'ait vêcu , & ne fe foit nourri
dans le ventre de fa mere pendant fix
mois , qu'il n'y ait féjourné mort pendant
quatre ans , & que les os du foetus , qu'on
n'a pas retrouvés , ne fe foient échappés ,
ou par l'ouverture du dépot gangréneux ,
ou par un abfcès aux environs du rectum
qui avoit pû donner iffue à plufieurs os
avant celui que M. Hébrard tira du fon
dement de la malade.
Il y a dans les Obfervateurs beaucoup
d'exemples d'enfans , formés & morts dans
la capacité du ventre hors de la matrice
qui fe font fait jour par des abfcès gangré
neux , à la circonference de cette capacité.
On a des preuves d'enfans morts dans la
matrice & fortis par des dépôts à l'ombilic,
& à d'autres parties du ventre , ou par le
fondement. L'Hiftoire de l'Académie
Royale des Sciences , année 1702 , cm
22 MERCURE DE FRANCE.
donne un exemple de M. Littre. M. Puzos
en a vû plufieurs dans fa pratique , &
l'Académie de Chirurgie , outre diverfes
obfervations pareilles qu'elle a reçues en
differens tems , a un exemple tout récent ,
d'une femme de Borderie , Village à une
lieue de Chabanois , quis, groffe d'un enfant
qu'elle avoit fenti remuer à la fin de
Septembre 1749 , eut , vers les premiers
jours de Février 1750 , un abfcès au nombril
: il s'y fit une ouverture de la largeur
d'un gros écu , par laquelle elle tira elle
même plufieurs os de fon enfant ; & continua
d'en tirer tous les jours par la playe
qui laiffoit écouler auffi des matieres ftercorales.
Cette femme fe levoit néanmoins
à fon ordinaire , & vivoit d'alimens grof
fiers ; elle dormoit bien , & étoit fans fié
vre ; enfin tout donnoit l'efperance d'une
guérifon prochaine , lorfque M, Palan ,
fon Chirurgien , en fit part , le vingt-feptiémé
Mars dernier , à M. de la Marti
niere , pour lui demander fes conſeils &
profiter de fes avis.
M. Puzos lut après un Mémoire fur la
manie laiteufe , furtout de celle qui arrive
à la fuite de l'accouchement.
Les dépôts laiteux qui furviennent vers
la fin des groffeffes ; ceux qui menacent ,
& paroiffent quelque tems après l'accou
DECEMBRE. 1750. 23
рец ment , ont été pendant des fiécles fi peu
connus & fi mal foignés , qu'on remarque
que la fupuration étoit leur terminaifon la
plus ordinaire , & que cette fupuration occafionnoit
prefque toujours fiftule , carie ,
gangrenne; que fouvent les membres , fur
lefquels s'étoit fait le dépôt fupuré , fe racourciffoient
, devenoient fans action , ou
mettoient quelquefois le Chirurgien dans
la néceffité de facrifier , par l'amputation ,
la partie malade ponr fauver le refte du

coups.
Selon M. Puzos , les recherches qu'on a
faites de nos jours fur tous les fignes qui
annoncent les dépôts laiteux , ont appris à
les prévenir quand ils ne font que menacer,
ou à les détruire dès leur naiffance ;
que fi ces dépôts fe trouvent déja fixés
fur quelque partie , l'art peut fournir les
moyens d'en éloigner la fuppuration , &
d'opérer peu à peu leur fonte & leur par
faire réfolution.
C'eſt donc un grand avantage pour ces
fortes de maladies , & un progrès marqué
pour l'Art des accouchemens, que d'être en
poffeffion de moyens prefque toujours sûrs,
de guérir tous les dépôts laiteux par réfo
lution , en quelque endroit , ou de quelque
nature qu'ils foient , pourvû que ceux qni
exercent cette profeffion par état déter24
MERCURE DE FRANCE.
miné , fçachent bien démêler les fignes qui
les annoncent , ou qui défignent leur naiffance
: qu'ils fe fervent avec célérité de
tous les moyens , capables de fondre & de
réfoudre des infiltrations , des engorgemens
, ou des tumeurs laiteufes , & qu'ils
foient convaincus par leur expérience , ou
par celle de leurs Maîtres , que le tems
qu'on perd avant de les traiter méthodi
quement , conduit ces tumeurs à l'induration
, qu'il les rend rebelles aux remédes
fondans , & qu'il met ces maladies dans la
néceffité de fuppurer , & d'effuyer les fu
neftes accidens dont on a parlé.
Récapituler tous les dépôts laiteux qui
ont fait depuis quelques années la matière
de plufieurs Mémoires,dit M.Puzos , &cela,
dans le tems limité d'une féance publique,
ce feroit s'éloigner de l'objet d'une affem
blée , qui ne doit fon attention qu'à des
fujets nouveaux & intéreffans , & qui no
les adopte , qu'autant qu'ils font clairement
détaillés , & bien prouvés par de fi
delles obfervations ..
Le dépôt laiteux que je me fuis pro
pofé de traiter , continue-t'il , m'a paro
remplir toutes ces vûes. C'eft oelui qui ,
fixé fur le cerveau , en dérange les fonctions
, qui fubftitue au bon jugement &
à la droite raifon , tous les écarts , pour ne
раб
DECEMBRE . 1750. 25
pas dire toutes les folies , dont un cerveau
troublé peut être capable.
Le cerveau efluye differens degrés d'alie
ration , fuivant le plus ou moins de lait qui
s'y dépofe. Ici , l'on n'apperçoit que de la
démence, ou de la ſtupidité ; là , c'est un efprit
qui ne s'égare que par accès ; ailleurs ,
deft une vraie folie , mais qui tantôt eft
morne , & tantôt furieufe , cependant on
a reconnu que les plus mauvais caractéres
de cette maladie ne s'établiffoient
que par laps de tems , que par la lenteur
& la foibleffe dont les remédes étoient
donnés , ou bien , lorfque rebuté de leur.
peu de fuccès , on abandonnoit trop tôt le
traitement.
Effectivement , qui fe régleroit dans la
cure de ces maladies fur les foibles accidens
qui accompagnent l'égarement d'efprit
dans fes commencemens , s'imagineroit
remettre aifément l'ordre dans les
fonctions du cerveau. On croiroit n'avoir
befoin que d'entretenir les lochies ,
qui n'ont pas encore eu le tems de fe fupprimer
; que de calmer une fiévre médiocre
; que de procurer la liberté du ventre ,
qui n'eft ni tendu , ni,douloureux . Mais
qu'il s'en faut bien que l'égarement d'efprit
céde à un auffi foible traitement,
L'expérience a fait connoître à M. Puzos ,
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
qu'on ne pouvoit attaquer trop vivement
cette maladie ; que rebelle aux remédes
pendant les premiers tems , on devoit perféverer
dans leur ufage pendant des mois
entiers : que bien loin de fe décourager
de leur peu d'effet , il falloit s'acharner à
combattre l'opiniâtreté d'un mal , par
tout ce qui pouvoir abattre & alterer la
malade , & foumettre enfin la maladie à
la conftance des remédes & à la perféverance
du Médecin .
Que de gens en effet découragés par la
longueur d'un traitement qui leur paroiffoit
aigrir le mal , au lieu de le diminuer ,
ont abandonné ces infenfés à leur trifte
fort , & ont laiffé dans des familles des
objets de douleur , que la patience , la perféverance
& des foins perpétués auroient
pû ramener à leur premier état ! Ce qui
donne lieu à M. Pazos de faire l'aveu qui
fuit.
Ce préjugé que j'avois hérité de mes
Maîtres , & qui ne m'a féduit que trop
long-tems , s'eft heureufement effacé de
mon efprit par des guérifons opérées fur
ces maladies. J'ai éprouvé bien des fois
que le dépôt laiteux fur le cerveau avec
égarement d'efprit , guériffoit auffi bien
que les dépôts faits fur les autres parties
du corps , que l'opiniâtreté à combattre
DECEMBRE. 1750.
27
cette maladie , & la perfeverance à donner
des remédes convenables , faifoient
tout le mérite & toute la fûreté du traitement
; que les raifons pour lefquelles les
dépôts fur le cerveau , avec égarement
d'efprit , étoient plus longs & plus difficiles
à guérir que ceux des autres parties ,
venoient 1 °. de ce que le cerveau étant un
corps mol & fans mouvement , ne pouvoit
en donner aux liqueurs arrêtées dans
quelques-unes de fes parties ; qu'il avoit
befoin de forces & de fecours étrangers ,
pour les défobftruer , & remettre le lait
arrêté , en voie de circulation .
2º. Qu'il étoit de notorieté anatomique
, que les vaiffeaux capillaires & les tif
fus cellulaires du cerveau étoient plus
fins & plus ferrés que par tout ailleurs ;
qu'il falloit en conféquence plus de tems
plus de remédes , & plus de patience pour
lever de pareils embarras , & pour redon
ner le jeu aux parties obftruées par le dépôt
laireux .
3 °. Que les remédes ayant plus de chemin
à faire , & ne pouvant parvenir au
cerveau que
proportionnément à l'égale
diftribution qui s'en faifoit dans toutes les
parties du corps la partie malade n'en recevoit
pas plus que les parties faines , &
que ce qu'elle en recevoit , devoit encore

Bij
2.8 MERCURE DE FRANCE.
être extrêmement diminué de force & de
vertu , par l'altération qu'une longue route
& differens filtres devoient opérer fur
ces remédes .
4°. Que le cerveau étant le vifcere le
plus éloigné des voies deftinées aux grandes
& fenfibles évacuations , il ne recevoit
que lentement , & de très- loin les fecours
procurés de proche en proche, par l'irritation
, les fecouffes & l'action immédiate
des purgatifs , tant fur les parties , que fur
les humeurs des premieres voics .
5° . Que les remédes topiques , fi favorables
aux dépôts des autres parties , n'étoient
d'aucune utilité à celui du cerveau ;
que la calotte offeufe en bornoit l'effet
bien en deçà de la maladie , & que leur
application feroit plus capable d'inquiéter
la malade que de la foulager.
Il ne reste plus à l'Auteur du Mémoire
que de fournir des preuves , qui puiffent
confirmer les deux propofitions qu'il a
avancées. Sçavoir , premierement, que les
dépôts laiteux fur le cerveau , avec égarement
d'efprit , guériffent aufli fûrement
que ceux des autres parties , pourvû qu'on
agiffe dans le traitement felon les régles
que l'Auteur prefcrit .
Secondement , que cette efpéce de dé
pôt demande néceffairement des remédęs
DECEMBRE. 1750. 29
plus actifs & plus fuivis , un tems bien
plus long , & une patience de la part du
Médecin , qu'aucune variation n'abatte &
ne rebute , parce qu'il y en a toujours de
confidérables à effuyer.
Trois obfervations choifies dans un plus
grand nombre , font les garans des deux
propofitions.
Premiere obfervation : ane femme fort
fenfée , & jeune encore , qui étoit accouchée
plufieurs fois fort heureufement , eut
à la fuite de fon dernier accouchement
des accidens qui porterent à la tête , & qui
cauferent de l'égarement dans fon efprit.
Ces accidens ne furvinrent qu'après douze
ou quinze jours d'un état qui ne laiffoit
rien à défirer pour le bien être , mais qui
fut troublé dans le tems qu'on s'y attendoir
le moins , par une fiévre aſſez vive ,
& d'autant plus fâcheufe,qu'elle parut être
l'effet d'un lait embarraflé dans le cerveaau.
La malade commença par fe refufer aux
bouillons , & plus encore aux remédes :
on ne parvenoit à lui faire prendre l'un &
l'autre que par artifice , on par une espéce
de violence , & on infiftoit moins fur les
alimens que fur les remédes , parce qu'il
étoit queftion d'abattre la malade par la
diminution de fes forces. Elle fut faignée
plufieurs fois , & en differentes parties ;
B iij
30 MERCURE DEFRANCE.
le refus qu'elle faifoit des purgatifs ordinaires
, obligeoit de mettre les vomitifs.
fouvent en jeu. Cependant la rufe venoit
quelquefois à bout de faire paffer des médicamens
plus doux . La grande boiffon
accommodée au goût de la malade , nous
étoit d'un grand fecours , & tenoit fouvent
lieu de nourriture . Malgré des évacuations
procurées par toutes les voies , foutenues
prefquejournellement , mais alliées
avec quelques cordiaux , dans la crainte
d'un trop grand affaiſſement ou avec
quelques narcotiques , quand il falloit réprimer
le trop de violence ou de volubilité
: malgré , dis je , une fuite de remédes
, qui devoit feconder nos foins & nos
efperances , tout paroiffoit aller de mal enpis
les deux premiers mois du traitement ::
ce ne fut qu'à la fin du troifiéme qu'on vit
la tranquillité reparoître ; que la malade
reconnut , & prit confiance aux gens qui
l'entouroient ; qu'elle confentit à prendre
des alimens , gradués en volume & en force
, & qu'enfin le corps & l'efprit parurent
dans leur état naturel.
Seconde obfervation : une femme de
condition , après vingt-cinq jours de couche
paffés fort heureufement , prit un peu
trop de confiance dans fa bonne fanté , &
cela peut- être trop tôt , des précautions.
DECEMBRE. 1750. 31
qu'elle auroit dû prendre plus long- tems :
une fiévre médiocre la faifit , qui n'auroit
donné nulle inquiétude , fi une abſence
d'efprit n'y eût été jointe. Peu de jours
après la tête s'égara davantage , mais on
empêcha la folie de fuivre le fimple égarement
, par la promptitude du fecours qu'on
donna à la malade. On employa les
moyens de toute efpéce pour procurer
d'abondantes évacuations de fang & d'humeurs
; on fut affez heureux pour arrêter
les progrès d'un état auffi menaçant , mais
il fallut trois ou quatre mois pour remettre
l'efprit de la malade dans fon affiette
ordinaire , & redreffer les fonctions du
cerveau.
Troifiéme obfervation : une jeune Dame
, accouchée fans accidens de fon fecond
enfant , fut attaquée , peu de jours après
fon accouchement , de fiévre , de douleurs
& de tenfion au bas ventre , d'inquiétudes
, d'infomnies , de chaleur brû
lante : les lochies diminuerent confidérablement
; tant d'accidens réunis menaçoient
de danger & d'une mort très - prochaine.
Heureufement les remédes employés
promptement eurent tout le fuccès
qu'on en pouvoit attendre ; la malade
parut approcher de la convalefcence , mais
par une fatale métaftafe , l'humeur alla
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE .
.
, par
fubitement embarraffer le cerveau. La tête
fut en peu de jours fi troublée , que la malade
ne connoiffoit perfonne : elle palloit
de la violence à la taciturnité , ellè refufoit
les alimens & les remédes qu'on lui
préfentoir ; il eft difficile de peindre un
-état plus trifte par la crainte d'une folie
confirmée days peu , & qui paroifoit de
nature à devoir durer : cependant ayant
commencé à abattre les forces par les évacuations
de toute efpéce , & foûtenues
habituellement tantôt rufe , tantôt
par violence , on obtint quelque diminution
dans les accidens , mais plus de cinq
mois fe pafferent à entretenir une guerre
perpétuelle entre la maladie & les remédes.
Les bains domeftiques nous furent
d'un fecours d'autant plus grand , qu'ils
plaifoient à la malade , & qu'elle y demeuroit
fort bien cinq à fix heures fans fe
laffer ; enfin après fix mois révolus d'af
fauts , livrés fans relâche à une maladie qui
ne les foûtenoit que trop bien , la raison
rappellée fut le prix de la perfeverance ;
la malade revint peu à peu dans fon bon
fens , & elle y paroît fi bien maintenue:
qu'elle exerce dans fa maifon les fonctions
d'une Maîtreffe fenfée ; mais les avis de
tous les Confultans ont été de ne plus expofer
cette Dame à retomber dans le même
état par une nouvelle groffeffe .
DECEMBRE. 1750. 33
M. Belloq fit la defcription d'an Inftru
ment qu'il a imaginé pour arrêter les hémorragies
qui fuivent quelquefois les opé
rations de la fiftule à l'Anus. De tous les
accidens qui fuivent les opérations de
Chirurgie , il n'en eft pas , dit M. Belloq
de plus dangereux , & qui exige un fecours
plus prompt que les hémorragies . L'Art ne
connoît que trois moyens pour les arrêter,
le cautere ou les ftyptiques ; la ligature &
lá compreffion ; les modernes ont rejetté
le feu , non-feulement parce qu'il paroît
trop cruel , mais encore parce qu'ils ont
reconnu l'infidélité de ce moyen , ainfi
que celle des typtiques . La ligature devient
fouvent impraticable dans le cas des
playes à l'Anus , lorfqu'on a été obligé de
prolonger les incifions fort haut dans le
Rectum ; il ne refte donc d'autre reffource:
que la compreffion dirigée avec art.
Elle s'exécute avec des bourdonnets , des
lambeaux de linge , des tentes ou groffes
méches , liés d'un bon fil ciré , placés &
arrangés en differens fens , mais de maniere
à faire une compreffion exacte fur
tous les points de la playe. Ce moyen peutquelquefois
devenir infuffifant , fur tout
entre des mains moins intelligentes , & en
ce cas le fang peut, on fortir à travers l'ap
pareil peu artiſtement appliqué , ou s'épan
By
34 MERCURE DE FRANCE
cher dans la cavité de l'inteftin ; ce dernier
accident , qui ne s'annonce ordinairement
que par les fignes de l'épuifement que caufe
au malade la perte de fon fang , peut
être prévenu par l'inftrument nouveau de
M. Belloq .
C'eft une espece de tourniquet qui a la
proprieté , par la conformation particu
liere , de faire fur tous les points des parois
de la circonférence intérieure du Rectum
une compreflion exacte & graduće ;
elle s'exécute en le dilatant ou en le refferrant
plus ou moins , fuivant le befoin.
Cet Intrument a trois avantages princi
paux qui en rendent l'invention fort utile.
1°. Il peut être employé par toutes fortes
de mains , même les moins expérimentées,
& remplir par conféquent toujours l'intention
qu'on le propofe d'arrêter l'hémorragie,
2°. Cet Inftrument a dans fon
centre un tuyau cilindrique qui , fì l'hémorragie
recommence , laiffe couler le
fang au- dehors , & avertit par conféquent
authi- tôt que la compreffion n'eft pas fuffifante
, & en ce cas on y remedie aifément
& fur le champ, en dilatant le tourniquer
de quelque degré de plus. 3º. Ce
tourniquet a un dernier avantage fur tous
les autres moyens , c'eft qu'en le relâchant
on peut faire uriner le malade & fans an
DECEMBRE. 1750.
35
cun dérangement de l'appareil , remettre
la compreffion au même point ; cet avantage
eft d'autant plus effentiel , qu'il épargne
au malade l'opération du cathétérilme,
à laquelle on eft fouvent obligé de recou
rir après les opérations de la fiftule , par
à la compreffion de l'appareil qui
gene le col de la veffie & le commencement
de l'urethre , & s'oppofe à la fortie
naturelle de l'urine.
rapport
On trouve dans le Mercure du mois de
Décembre , année 1748 , page 19 & fuiv.
à l'article de la Séance publique de l'Académie
Royale de Chirurgie , la defcription
d'un autre moyen fort ingénieux , employé
avec fuccès par M. Levret , pour la même
fin.
M. de la Malle termina la Séance par
la Defcription de deux nouveaux Inſtru
mens, qu'il a imaginés à l'occafion des
maux de gorge gangréneux , qui ont regné
à Paris depuis quelques années ; le premier
eft deftiné pour abaiffer la langue , & pour
faciliter au Chirurgien l'infpection exacte
du fond de la bouche. La fpatule , ou le
manche d'une cueillere dont on fe fert or
dinairement pour examiner la gorge , neproduifent
pas tout l'effet defiré. On feair
que la langue eft revêtue , principalement
vers fa -bafe , d'un grand nombre de hon
B- vj
36 MERCURE DE FRANCE.
pes nervenfes , & qu'à la plus legere irri
tation qu'elles fouffrent , cet organe entre
facilement en contraction ; & en effet l'application
de ces Inftrumens fur la bafe de
la langue excite fouvent des nauſées , ſuivies
de grands efforts , quelquefois même
de vomillement. La maniere dont ils agif
fent fur cet organe , contribue fûrement
auffi à la production de ces legers accidens
, car la fpatule , ou le manche de la
cueillere , n'ayant pas affez de furface pour
abaiffer & comprimer également la langue
dans toute fa largeur, on eft fouvent dans la
néceffité de relever plufieurs fois l'Inftru
mment,& de le replacer de nouveau,pour lui
donner la pofition jufte qui convient pour
faciliter la vûe & l'examen du gofier;
d'ailleurs cet Inftrument ne comprimequ'un
point de la langue , car à mefure que
cet organe s'affaiffe , il n'agit plus que par
fon extrêmité , ou par les parties latérales ,
& l'on n'en tire aucun avantage . En effet,
fi la langue cft feulement comprimée dans
fon milieu , fes bords fe relevent en forme
de gouttiere , ou & l'on n'appuye que fur
Fun des côtés de cet organe , le côté oppofé
fe contracte avec force , & alors la
Jangue fe dégage de l'Inftrument , ce qui
arrive bientôt , furtout dans les fujets où
elle fe contracte , en ſe voûtant , ou en
DECEMBRE. 1750. 37
Sarrondiffant . Cet inconvénient eft d'au
tant plus grand qu'il peut expofer le malade
à des accidens dans le cas où il faut
porter des inftrumens tranchans dans le
fond de la bouche.
Le fpeculum oris , ou le gloffocatoché
dont M. de la Malle effaya de fe fervir
ne remplit pas plus exactement l'intention
du Chirurgien pour l'infpection de la gorge
: il a , à la vérité , l'avantage par fa configuration
particuliere , de couvrir exactement
la langue , de ne pouvoir être déplacé
par
la contraction de cet organe ,
&. de la garantir du tranchant des Inftrumens
qu'on peut être obligé de porter dans
la bouche , mais , outre l'effroi qu'il caufe
au malade , & la gêire qu'il caufe au Chirurgien
, à qui il cache une partie de l'entrée
de la bouche , la compreffion qu'il·
fait fur la langue n'eft pas plus exacte que
celle de la fpatule ou du manche de la
cueilliere , parce que l'extrêmité de fa palette
eft un peu recourbée en deffus .
Le nouveau fpeculum oris , ou plutôt de
preffor lingua de M. de la Malle , fatisfait à
toutes les vûes de l'opérateur , & n'a pas
les inconvéniens des moyens précédens.
Il eft fait d'un feul morceau d'acier , dont
Pextrémité la plus large eft applatie , &
figurée à peu près comme la langue : on 2-
38 MERCURE DE FRANCE.
pratiqué dans la partie du manche où le
termine cette plaque , une efpéce de pont
ou d'arcade , propre à loger les dents & la
lévre inférieure . Il faut , dit l'Auteur ,
troduire l'Inftrument dans la bouche , en
conduifant l'extrêmité antérieure de fa
plaque vers le palais , jufqu'à ce que la
lévre & les dents fe trouvent engagés fous
le
inpont
, & l'on abaiffe enfuite doucement
la plaque de l'Inftrument fur la bafe de la
langue , qui eft à l'inftant affujettie , comprimée
également dans toute fon étendue,
& privée de tout mouvement. La largeur
de la plaque de l'Inftrument affujettit la
langue , autant de tems qu'il eft néceffaire
pour l'examen de la gorge , fans qu'on foit
obligé d'employer une grande force , &
fans qu'on ait à craindre que l'Inftrument
avance , recule , ou foit jetté fur les côtés ;
d'ailleurs la précaution de le porter dans
la bouche , en obfervant de ne point tou
cher à la langue , & furtout à fa bafe , prévient
l'inconvénient d'exciter au malade
des naufées & le vomiffement.
Le fecond Inftrument que M. de la
Malle montra à l'affemblée , est une espéce
de biftouri caché , deftiné pour fcarifier les
efchares gangréneufes , familieres dans les
maux de gorge dont on a parlé plus haut.
Le biftouri ordinaire , fuivant les obferva
DECEMBRE. 1750. 39
tions de l'Auteur , qui a vu un grand nom
bre de perfonnes attaquées de cette maladie
, ne fatisfait qu'imparfaitement à cette
opération ; les efchatres font pour l'ordi
naire très- épaiffes , dures , larges , & fort
étendues ; le biftouri eft fort court ; il faut
donc néceffairement introduire les doigts
dans la bouche , pour appuyer fur le dos
de l'Inftrument , & faciliter la fection des
efchares , ce qui cache à la vue de l'opérateur
une partie de ce qu'il fait , & de ce
qu'il doit faire , ou fi l'on ne prend pas
cette précaution , il eft à craindre que l'Inf
trument ne fe renverfe , & l'on eft obligé
d'y retourner à diverfes reprifes. La grande
lancette à abfcès , & par conféquent
auffi la pharyngotôme , dont la pointe &
le tranchant font très fins , & s'émouffent
aifément , font infuffifans pour cette opération
; d'ailleurs la maniere dont il faut
tenir ce dernier Inftrument pour le faire
agir , ne donne pas une force fuffifante
pour entamer profondément ces efchatres
comme il convient .
Ces inconvéniens ont fait imaginer à M.
de la Malle , d'après le pharyngotôme ordinaire
, un biftouri caché , dont la gaine
forme un long manche qui renferme deux
refforts, l'un destiné à tenir le biftouri hors
de fa gaine pour opérer , & l'autre à y fai
40 MERCURE DE FRANCE
re rentrer promptement la lame de cer
Inftrument. Cette lame eft pouflée hors de
la gaine par le moyen d'un bouton monté
à vis fur fon corps, & que l'on fait avancer
avec le doigt dans une rainure pratiquée fur
le manche, & là , par le moyen d'un reffort
qui trouve à s'arrêter à differens degrés ou
il fe préfente hors de la gaine , une
partie plus ou moins étendue de la lame du
biftouri , felon la profondeur néceffaire
des fcarifications ; lorfque l'opération eft
faite , ou fi pendant l'opération l'écoule
ment de quelque fluide fur le larinx occa
fionnoit de la toux au malade , il eft facile:
de faire rentrer la lame du biftouri dans la
gaine , en abaiffant le doigt indicateur fur
un autre bouton mobile , au-deffus duquel
ce doigt eft appliqué pour former un point
d'appui ferme pendant l'opération fur le
corps de l'Inftrument.
M. de la Malle en a fair plufieurs fois
ufage avec fuccès pour fcarifier les efcharres
gangreneufes du fond de la gorge , &
particulierement pour couper la luette , &
emporter des portions du voile du palais
& des amigdales.
Il fait obferver , en finiffant fon Memoi
re , qu'on peut faire à volonté , de ce mê
me Inftrument un pharyngorôme , en fubf
tituant la lame d'une grande lancette à cel
DECEMBRE. 1750 43
le du biftouri que l'on ôte facilement ; it
ne s'agira que d'ajoûter au manche un anneau
à vis dans un écrou qui lui eft deftiné
, & qui fervira à faire agir l'Inftrument
comme le pharyngotôme ordinaire.
LA MARMELADE.
PArles mains de Daphné des pêches apprêtées ,
Sans ordre en la poële jettées ,
Cuifoient à bouillons lents fur un feu modéré ,
Qu'elle-même avoit préparé.
Les Amours voloient autour d'elle ,
( Ils s'en écartent rarement )
Chacun d'eux s'empreffait à lui marquer fon zéles.
L'un, en paffant légèrement ,
AHumoit le feu d'un coup d'aile ;
L'autre à l'entretenir attaché constamment ,
Le ménageoit habilement .
En femme dès long - tems faite à leur badinage ,.
Daphné , d'un air aifé , la cuillere à la main ,
Gouvernoit ces mutins , préfidoit à l'ouvrage.
Tandis que chacun fonge -au foin qui le putage,
La Marmelade va fon train ,
Et déja du fond de l'àirain
Un parfum , préférable à ceux que l'Arabie÷
Renferme en fes vaftes déferts ,
Areplis ondoyans s'exhale dans les airs.
42 MERCURE DE FRANCE.
Les noyaux ajoûtés , Daphné , l'ame ravie ,
Voyoit d'un vifage content
L'eureux fuccès dont à l'inftans
Sa peine alloit être fuivie ,
Quand , par fon aftre dominé ,
Un Amour , au mal incliné ,
Détachant fa trouffe perfile ,
Qui fut de mille coeurs la fatale homicide ,
Sous la poële la fit voler.
L'éclair que nous voyons foudain étinceler ,
D'un éclat moins fubit s'allume dans la nue ;
L'airain gémit , la famme à travers s'infinue .
Au hazard de fes doigts tendres & délicats ,
Daphné , comme un autre Pallas ,
Pour enlever la poële entre dans la mêlée ;
Le fecouts vint trop tard , hélas !
La Marmelade fut brûlée .
Par M. Verrieres , de l'Académie Royale
des Belles- Lettres de Caën,
EPITRE
A ma Mufe.
P. Ars à l'inftant , vole , ma Muſe,
Vers l'objet qui fçut t'inſpirer ;
Heureux mille fois qui l'amuſe
C'eft à quoi tu dois afpirer.
DECEMBRE . 1750 .
43
Que Thémire , par fon fuffrage
Anime encore tes accens ;
Reads -lui le plus fincére hommage a
Offre-lui le plus pur encens ;
Peins- lui l'effet que fur nos ames
Font les attraits victorieux ;
Ce qu'en nous allume de flames ,
Le feu qui brille dans fes yeux ;
Mais comment dans cette peinture ,
Pouvoir exprimer tant d'ardeu.s
Il faut tracer d'après Nature ,
Celles dont brulent tous les coeurs ;.
Non , pour être en tout point fidelle ,.
Il eft un plus fimple moyen ;
Ce que chacun d'eux fent pour elle ,
Tu le trouveras dans le mien.
Doré.
¡
派派洗洗洗洗洗洗澡洗潔淡淡淡道
ASSEMBLE'E
De Academie des Seiences , Belles-Lettres
& Arts de Rouen.
L
'Académie des Sciences , Belles Lettres
& Arts de Rouen tint fon Affemblée
publique le Mardi 4 Août , dans la
Salle de l'Hôtel de Ville ; M. de Prémagny
, Secretaire , annonça la diftribution :
des Prix donnés par l'Académie , fçavoir ,
44 MERCURE DE FRANCE.
le Prix d'Eloquence fur la queftion , Si l'on
eft plus heureux d'être né avec des paffions
fortes qu'avec des paffions médiocres , au Difcours
qui a pour devife, Numquam affumet
ratio in adjutorium improvidos & violentes
impetus , dont l'Auteur eft M. l'Abbé Bellet
, de l'Académie de Montauban . M. de
Corio , au Collège d'Harcourt à Paris , eft
celui qui en a le plus approché.
Les Prix fondés par Mad. de Marle , &
par Mad. le Cat , pour les Eleves de l'Académie
de deffeing , dont M. Defcamps eft
Profeffeur , ont été remportés , fçavoir , le
premier Prix du Modéle , par M. L. lo
Mire ; le fecond , par M. Nic. Bellanger ;
celui de la Boffe , par L. M. Jacques Mulart
, & celui du deffeing, par M. J. Jac. le
Veau , tous de Rouen.
Les Prix d'Anatomie , fondés par M. le
Cat, pour l'Ecole Chirurgicale , dont il eſt
Profeffeur , ont été remportés , le premier
par M.-J. B. l'Echevin , d'Auberville , près
la Ville d'Eu. Le fecond , par M. Ant. du
Fay , de Rouen , les mêmes qui furent
couronnés l'année derniere. Le troifiéme ,
par Mrs Laurent Beaumont , de Rouen ,
& Jac. Simon de Saint Valery en Caux.
M. Jac. du Lys , de Rouen , en a le plusapproché.
Quant au Prix de Phyfique , dont le fu
DECEMBRE. 1750. 41.
jet étoit , les differences effentielles du fetus.
comparé à l'adulte , & les raifons de ces differences
, l'Académie a trouvé que les Mémoires
ne rempliffoient point for attente.
Celui qui a pour devife , Illa arcana , &c.
contient des recherches , mais on auroit
fouhaité qu'il eût été moins diffus , plus
éclairé des lumieres de la Phyfiologie ,
elagué de plufieurs explications peu phyfiques
, & que le fyftême principal de la
circulation du fétus fût folidement établi
fur de nouvelles mefures géométriques ,
vérifiées fur un grand nombre de fujets.
Dans l'efpérance que les Auteurs voudront
bien faire de nouveaux efforts , l'Académie
propofe le même fujet pour 1751 ,
& le Prix,qui eft une Médaille d'or de 300
livres , fondé par M. le Duc de Luxembourg
, fera double pour cette fois , & fera
diftribué à la Séance publique du Mardi
3 Août 1751. Les Auteurs adrefferont
leurs ouvrages ,
francs de port & fous la
forme ordinaire , à M. Guerin , Secretaire,
avant le premier de Juin prochain.
L'Académie propofe auffi de nouveau &
pour le même tems, le fujer d'Hiftoire , fçavoir
quelle étoit la fituation topographique.
de la nouvelle Neuftrie ou Normandie , fes
bornes, fes Villes , fes Ports , fes Places fortes
, & leurs noms lors de l'invafion des
46 MERCURE DEFRANCE.
Normans en 912. 2° . par rapport à la Religion
, s'il n'y reftoit pas quelques traces
du Paganifme, des Temples des faux Dieux,
& des cérémonies qui tinffent du culte des
Gaulois & des Romains . Le Prix eft une
Médaille de 300 livres . Les Mémoires fe
ront adreffés à M. de Prémagny.
Voici les Extraits des Mémoires lûs dans
cette Séance.
M. le Cat lut d'abord le réſultat de fes
obfervations météorologiques , par lequel
il paroît qu'il eft tombé depuis un an 25
pouces d'eau fur le territoire de Rouen , ce
qui fait 6 pouces de plus que l'année com
mune de Paris ; excès qui a été pareillement
obfervé les années précédentes.
Les plus grands froids de l'hyver dernier,
qui ont été le premier & le 16 Janvier ,
n'ont fait defcendre le Thermométre qu'à
3 degrés au- deffous du terme de la glace ,
& le plus grand chaud qui a été le 21 Juillet
, n'a porté le Thermométre qu'à 29
degrés.
Parmi plufieurs Aurores Boréales obfervées
à Rouen , & rapportées par M. le Cat,
il y en a une finguliere arrivée la nuit du
27 au 28 Février , qu'il appelle Aurore
Boréale bruyante , parce que plufieurs
perfonnes qui l'ont vû , ont obfervé
que les déflagrations étoient accom
DECEMBRE. 1750. 47
pagnées d'un bruit pareil à celui que fait
un Drapeau agité par le vent : cependant,
ajoûte M. le Cat , comme on fçait que
la plupart de ces Phénoménes font élevés
de 100 & 200 lieuës au- deffus de
la terre ; qu'à cette hauteur l'air eft bien
rare pour faire beaucoup de bruit , que
d'ailleurs le bruit le plus terrible ne fe
porte pas ordinairement fi loin , & qu'on
peut être trompé par des bruits étrangers
à cette Aurore il faut fufpendre
fon jugement fur ces Aurores Boréales
bruyantes , jufqu'à ce qu'un plus grand
nombre d'obfervations les ait confirmées ;
après quoi on pourra dire , pour les expliquer
, ou que les Aurores Boréales bruyantes
font moins élevées que les autres , оц
qu'elles mettent le feu à des vapeurs plus
voifines de nous , qui nous rendent le
bruit obfervé dans ces Aurores , qui en ce
cas là feroient mixtes .
>
Nous pafferons quelques autres obfervations
de cette nature , & entr'autres,
quelques conjectures fur des rapports obfervés
entre la matiere magnétique & les
Aurores Boréales , dirigées l'une & l'autre
du Nord Nord- Oueſt au Sud Sud - Eft ;
rapports fur lefquels on cite des obfervations
nouvelles de Celsius , Aftronome de
Suéde , qui fans doute les donnera au
S MERCURE DE FRANCE.
Public lui-même, & dans un grand détail
M. le Cat lut enfuite une piéce intitulée
, Mémoire pour fervir à l'Hiftoire phy
fique de la terre , confidérée du côté de fa
température ou de la chaleur intérieure dont
elle jonit.
M. le Cat avoit préparé pour cette
féance publique quelques autres Mémoi
res qui étoient plus de fon goût & du
genre de fcience auquel il eft attaché par
état , tels qu'une introduction à l'opération
de la taille , dont il fait actuellement
imprimer un Traité , & quelques
autres de cette nature ; mais quelqu'utile ,
quelque néceffaire que foit au Public la
pratique d'une pareille théorie , fon expofition
ne l'intéreffe guéres ; il s'en rapporte
volontiers aux gens de l'Art , &
d'ailleurs de quel voile couvrir la partie
anatomique d'une telle expofition aux
yeax du beau fexe qui décore ces affemblées
. M. le Cat a donc été forcé de
prendre encore le rôle de Phyficien .
Dans la Differtation que nous venons
d'annoncer , M. le Cat établit d'abord
par des faits nombreux qu'à la furface de
la terre , la chaleur va en diminuant vers
les régions élevées , de façon qu'au milieu
de la Zone torride même , en s'élevant
fur les Cordelieres à 2 ou 3000
toiles
DECEMBRE. 1750. 49
toifes perpendiculaires au deffus du niveau
de la Mer , on paffe infenfiblement
du plus grand chaud à un froid égal à
celui du Nord , quoique l'action du Soleil
foit en cette région plus directe &
plus dégagée de tous obftacles , qu'en aucun
autre climat du monde. D'où il conclut
que le Soleil n'eft point par lui-même
la caufe immédiate de la chaleur à
la furface de la terre ; mais feulement
le mobile d'un fluide actif, & pénétrant
répandu dans l'Armofphere , & plus denfe
ainfi que cette Atmosphére , à proportion
qu'il a une fituation plus baffe .
Il prouve enfuite qu'au- deffous de la
A furface de la terre , l'action du Soleil ne
concourt plus à la chaleur que dans l'épaiffeur
de quelques pieds ; que cependant
les fouterrains joüiffent encore par
eux-mêmes d'une chaleur confidérable , &
d'autant plus confidérable qu'ils font plus
profonds , puifque depuis 52 toiles do
profondeur jufqu'à 222 , le Thermométre
monte de plus de 6 degrés. Voilà donc
encore une néceffité d'admettre dans la terre
même un fluide, principe de la chaleur,
d'autant plus denfe & plus puiffant , qu'il
eft plus profondément fitué. En réüniſ-
Lant les deux progreffions , il en résulte
qu'il y a dans la terre & dans fon At-
II. Vol. C
So MERCURE DE FRANCE:
moſphere un fluide actif , principe immé
diat de la chaleur , dont la denfité & le
mouvement , & par conféquent la puiffance
, vont en augmentant vers le centre
commun de la terre & de l'Atmoſphere ,
& en diminuant vers leur circonference.
Ce que M. le Cat a d'abord établi par
les faits , il le prouve par des principes
qu'il appelle de la Saine Physique , & il
prétend que ce fluide actif eft un Agent
qui vient au fyftême général de l'Univers , &
fait une des roues de cette vafte machine.
Ce qu'il s'efforce de démontrer , en remplif
fant ici le plan de ce fyftême dont il avoit
déja donné une efquiffe en 1739 dans fon
Traité des Sens , à l'article de la lumiere ,
pag. 302 .
Quoique la bonne réfutation des fyftêmes
reçus , foit de leur en fubftituer un
meilleur , on fent mieux la bonté du dernier
, en expofant l'infuffifance de ceux
qui l'ont précédés. C'est ce que fait M. le
Cat , en ruinant le ſyſtême furanné du feu
central , en faisant voir avec nos Phyficiens
modernes , que tout ce qu'on attribuoit
à ce feu actuel , n'eft que l'effet de la
fermentation des matériaux fulphureux ,
métalliques & aqueux , qui compofent
notre globe , & en démontrant à ces der
niers , que tous ces matériaux feroient enDECEMBRE.
1750 .
ST
*ore inutiles, & refteroient dans une inaction
éternelle, fans fon fluide actif qui donne
la fluidité à l'eau , & devient l'agent ,
& comme l'ame de la fermentation fufdite.
Ce principe de la chaleur & fa gradation
une fois établis , on voit que la
terre étant applatie par les pôles , la furface
en cette Zône , fe trouve fituée dans
une couche plus baffe , plus denfe , plus
puiffante de cette matiere , & qu'à cet
égard les Etés du Nord doivent être plus
chauds que ne le comporte leur fituation
par raport au Soleil ; par la même raifon
l'eau bouillante pénétrée de cette matiere
du feu plus dente , plus puiffante , y doit
être plus chaude que dans les autres Zônes
; & dans la nôtre même cette eau
bouillante doit donner plus de chaleur
lorfque le mercure du Barométre eft haur ,
c'eft-à- dire , lorfque le vent nous apporte
un peu de cette Atmoſphere dente du
Nord . Au contraire , la terre à l'Equa-

* M. le Cat a prouvé dans un Mémoire , lû à la
Séance publique de 1748 , que les variations des
Barométres dépendent de l'air des differens climats
apporté par les vents ; que le mercure s'y footient
fort haut quand il regne un feul vent Nord Nord-
Eft ; qu'il y est très- bas , quand c'eſt un ſeul vent
Sud Sud-Queft , & que les élevations moyennes
dépendent des vents fitués entre ceux-ci , ou de
Jeur combinaiſon.
C ij
12 MERCURE DE FRANCE:
teur étant huit lieuës plus exhauffée , fa
furface s'y trouve dans une couche plus
rare , plus foible, de cette matiére du feu ,
& ainfi la chaleur y doit être moindre
qu'on ne doit l'attendre de fa fituation
fous le Soleil. Le même principe doit
rendre l'eau bouillante moins chaude dans
la Zône torride , & dans la nôtre même ,
lorfque le mercure du Barométre eft bas ,
c'est- à- dire , lorfque le vent nous a fourni
d'un air rare, analogue à celui de cette Zône.
Or tout cela eft d'accord avec les faits.
M. le Cat tire du même principe une
reffource pour placer à leur aife , dit- il ,
des habitans dans mercure & dans faturne ,
en donnant à mercure une Atmosphère de
cette matiere très- rare , & à faturne une
très denfe , aves un ample magafin de
mariere ignée. C'ett même de ce fond
qu'il tire la nature des aftres lumineux par
eux- mêmes , & il prétend que les étoiles
ou les Soleils de chaque monde ne font
tels , que parce que cette matiere ignée y
furpaffe de beaucoup la matiere terreftre
compacte , & c.
Enfin M. le Cat indique la plupart
des Phénomenes que produit cette Sphere
de matiere du feu pénétrant & environ
nant la terre , foit feule , foit combinée
avec le Soleil , tels que font les vapeurs
DECEMBRE. 1750. 53
aqueufes & ignées , la végétation , les
vents , les ouragans , les volcans , les eaux
minérales chaudes , les puits de feu des
Chinois , le tonnerre , les feux folets , les
météores de toute efpéce , &c. & enfin
les incendies fpontanés terreftres. M. le
Cat appelle de ce nom des incendies
qui prennent d'eux - mêmes à certaines
portions de la furface de la terre ,
parce que ces terres font fulphureufes
bitumineufes & vivement échauffées du
Soleil. I raporte trois obfervations des
plus authentiques de ces incendies arrivées
dans le Diocéfe d'Evreux , & plufieurs
autres obfervés dans les diverfes
Contrées de l'Europe.
Monfieur Maillet du Boullay , Adjoint
de l'Académie , lut enfuite un difcours
dans lequel il effaya de prouver , qu'il
ya entre les Grands Hommes , dans tous les
genres , des rapports qui doivent fervir à
les unir.
Il fit voir d'abord , que l'intérêt de
leur gloire , de leur bonheur , & des connoiffances
qu'ils cultivent , dépend de leur
union mutuelle , & que fi des motifs auffi
puiffans font peu d'impreflion fur leur
efprit , c'eft qu'ils ne connoiffent pas affez
les rapports qui font entr'eux, pour fentia
Ciij
$4 MERCURE DE FRANCE.
combien cette union feroit jufte & avan
tageufe.
Il établic enfuite en quoi confiftent ces
rapports. Il montra que le génie eft commun
à tous les Grands Hommes ; qu'il
leur cft néceffaire pour arriver à la perfection
& à des découvertes neuves dans
tous les genres ; qu'ils poflédent tous les
qualités effentielles qui le caractériſent ,
quoique chacun d'eux y joigne d'autres.
qualités particulières , propres au genre
pour lequel il a le plus de difpofition.
Les qualités effentielles au génie , &
communes à tous les Grands Hommes ,
font , felon M. M. D. B. le goût du vrai ,
l'étendue de l'efprit & des connoiffances,
la jufteffe du difcernement , la facilité à
faire paffer fes idées dans l'efprit des
autres.
Pour faire voir que la néceffité de ces
quatre qualités eft générale , M. M. D. B.
remarqua d'abord , que toutes les connoiffances
humaines peuvent fe rappor
ter aux Sciences ou aux Belles - Lettres ;
les beaux Arts tiennent aux premieres par
les principes, ou aux fecondes par le goût,
& l'imitation de la nature.
Il mit enfuite en parallele ces deux
efpéces générales de connoiffances. Parmi
les qualités effentielles au génie , quek
DECEMBRE. 1750. 55
ques unes paroiffent au premier coup
d'oeil plus propres aux Sciences qu'aux
Belles- Lettres , & d'autres plus néceffaires
aux Belles- Lettres qu'aux Sciences. Les
Sçavans fe prévalent affez fouvent de
leur goût pour le vrai , de la juſtelle &
de l'étendue de leur efprit. Les gens de
Lettres penfent que le génie fécond &
créateur , qui fait les Grands Hommes, leur
eft plus néceffaire qu'aux Sçavans , qui
ont des principes fûrs , & qui fuivent
une méthode certaine pour arriver au
but qu'ils fe propofent. Ils vantent auff
beaucoup la facilité avec laquelle ils font
paffer leurs idées dans l'efprit des autres ,
& les graces dont ils fçavent orner la
vérité par la beauté & la jufteffe de l'expreflion.
M. M. D. B. attaqua tous ces préju
gés , & fit voir que ces diverfes qualités
font auffi néceffaires aux Sçavans qu'aux
Gens de Lettres. Il remarqua cependant
que la facilité de faire paffer fes idées dans
Fefprit des autres , qui eft un don de la
nature , fort néceffaire aux Sçavans , au
moins à quelque degré , fe perfectionnoit
beaucoup par la culture des Belles-
Lettres. Ce qu'il confirma par l'exemple
de l'illuftre M..de Fontenelle , & de ceux
Cüiij.
56 MERCURE DE FRANCE.
qui, comme lui , ont réuni ces deux eſpèces
de connoiffances.
Cet exemple lui donna lieu de terminer
fon difcours , en faifant fentir tous
les avantages qui naîtroient de cette union
pour ceux qui les cultivent . Une connoiffance
réfléchie de leur mérite réciproque
leur feroit appercevoir qu'il y a entr'eux
de grands rapports . Ils apprendroient à
eftimer dans les autres ce même génie ,
dont ils font fi jaloux , & ils trouveroient
leur gloire particuliere dans la gloire générale
de tous ceux qui fe diftinguent
dans les Sciences , les Belles- Lettres , &
les Arts.
M. de la Roche lut un Mémoire fur
la culture & les propriétés du Peuplier
blanc ou Ypereau .
M. l'Abbé Yart lut un difcours fur les
Epitaphes , les Elégies & les Panégyriques
funèbres des Grecs , des Romains , des
François , & des Anglois. Après avoir
montré qu'il n'eft point de monument
plus durable de la gloire des hommes
que la Poëfie , il donna d'abord une idée
des Epitaphes Grecques avec la traduction
de quelques- unes de Callimaque ;
il fit connoître enfuite celles des Romains,,
DECEMBRE. 1750. 57
par
& s'arrêta particulierement aux Epitaphes
d'Aufone , d'où il paffa à la critique des
Epitaphes Françoifes , à laquelle il ajoura
quelques remarques littéraires fur le ftyle
qui convient aux infcriptions , en ftyle
lapidaire & aux Epitaphes. Il appliqua'
ces remarques à celles des Anglois , & furtout
de Waller , de Dryden , de Pope
d'Hamilton . Il fuivit à peu près le même
ordre par rapport aux Elégies & aux
Panégyriques. Il fit l'éloge des Elégies
de Bion par Mofchus , & d'Adonis , par
Bion , & occafion de la Poëfie grecque
, qui eft felon lui plus abondante en '
images , en expreffions & en fentimens
, que la latine . Il parla enfuite des
Panégyriques qui ont tiré leur nom des
affemblées publiques , où les Chefs de la
Gréce faifoient l'éloge funèbre de leurs
Hommes Illuftres , ufage obfervé
par les
Romains dans leur Tribune aux harangues,
où les Confuls & les Empereurs n'ont´
pas dédaigné de faire des Panégyriquesfunèbres.
Des Elégies & des Panégyriques
des Poëtes Latins & François , il
entra dans la critique de ceux des An--
glois ; il en cita quelques traits qui ca--
ractérisent leur génie inégal , & leur ftyle
prefque toujours fublime & ridicule ,
Dachant & guindé. Un extrait raifonné
C.v.
58 MERCURE DE FRANCE.
des Elégies plaifantes , & des Panégyris.
ques burlesques des Auteurs de la même:
nation termina & égaya ce fujet..
M. Pingré , Chanoine Régulier , Affo
cié de l'Académie , lut enfuite une obfervation
de l'Eclipfe de Lune du 19
Juin dernier , faite au Village de Champagne
à 3 quarts de lieuë , ou à 2 minutes
50 fecondes de degré Oueft de Beau--
mont fur Oyfe. Selon la Pendule réglée
le même jour à midi fur une Méridienne
tracée audit lieu , l'immersion totale
de la Lune dans l'ombre eft arrivée à 8
heures , 24 minutes , 58 fecondes ; l'émerfion
à 9 heures , 1 minutes , 40 fecond.
Donc le milieu de l'Eclipfe à 9 heures ,
8 minutes , 19 fecondes. Et pour Beau
mont à 9 heures , & minutes , 30 fecond.
Selon les Tables il devoit arriver à Rouen:
à 9 heures , 4 minutes , 3 fecondes . Donc
s'il n'y a point erreur dans les Tables ,
le Méridien de Beaumont eft de 4 min..
27 fec. d'heure , ou d'un degré 6 min .
so fecond. plus 50 oriental que celui de
Rouen . Le brouillard a empêché M. P..
d'obferver l'émerfion des taches & autres
phafes de l'Eclipfe .
La demeure de la Lune dans l'ombreeft
de 1 heure 26 minutes , 42 fecondes.
DECEMBRE. 1750. 59
Selon les Tables , elle ne devoit être que
d'une heure 25 min. 10 fecond. M. P. en
conclut que les Tables donnent la latitude
de la Lune un peu trop forte.
Au reste , de l'heure des obfervations
fufdites , il faudroit retrancher 33 fecondes
, fi la déclinaifon & l'afcenfion droite
de l'étoile a de Caffiopée , & de 8
du dragon font marquées dans la 68 ° Table
de M. Caffini . Ĉes 2 étoiles , felon la
Pendule , ont paffé par le même verti--
cal à 10 heures , 36 minutes , 36 fecond .
Selon le calcul , elles devoient y paller d'
10 heures , 36 minutes , fecondes . M. P.
dans ce calcul a fait au lieu defdites éroiles
, déterminé par M. Caffini , la correction
qu'exigeoit leur mouvement propre
depuis le commencement de 1741 , il n'a
pas même négligé la legére difference
que pouvoit occafionner l'aberration de
ces étoiles.
La Séance fut terminée par la lecture
d'une Epître en vers , fur l'art d'écrire &
de juger , par M. l'Abbé Fontaine .
Cvj
60 MERCURE DEFRANCE.
SUR L'AIR DU PRINTEM S
Du Carnaval du Parnaſſe..
A Mour ,fous ton empire:
Il n'eft donc que rigueur ?
Dès long tems je ſoupire ;
Soulage ma langueur .
Rends libre mon coeur ;
Ou mets au fein de ma Thémire ,,
Rends libre mon coeur ,
Ou mets- lui toute mon ardeur..
Amour , &c,
La Bergere cruelle ,
Dont je fuis amoureux ,
Me paroît infidelle ;
Elle brave mes feux ;
Pour me rendre heureux ,.
Que m'importe qu'elle foit belle ,.
Pour me rendre heureux ,
Si fon coeur dédaigne mes voeux??
La Bergere , & C.
A fes yeux fi j'explique
Mes tendres fentimens ,
DECEMBRE. 1750. G4
De fon regard critique
Elle glace mes fens ;
Amans trop conftans ,
De votre filence on le pique ;
Amans trop conftans ,
Parlez , êtes- vous mécontens ,.
A. les yeux , &c.
Encor moins fevere
Auprès de tes appas
Elle me laffoit faire ,.
Je ne parlerois pas.
Car dans ces combats ,.
Ou tout ne femble que myftere ,
Car dans ces combats
Je ne cherche que le trépas..
Encor , & c.
Adorable Bergere ,
Quittez votre courroux ;
Venez fur la fougere
Rendre mon fort plus doux.
Bergere , aimons- nous ;
Si rien dans moi ne peut vous plaire ;
Bergere , aimons- nous ,
Mon mérite fera dans vous..
Adorable , &c.
61 MERCURE DE FRANCE.
ENVOI
Belle C ... , mes vers ont eu votre fuffrage ;
Bour mon jeune Apollon c'eft fans doute flatteur;.
Mais je voudrois que l'amour de l'ouvrage:
Me conduisit à l'amour de l'Auteur.
Portelance..
25DDING :
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Belles - Lettres , Sciences
Arts , établie à Amiens , du premier
Octobre
1750.
A Société Littéraire d'Amiens , éri
LA Soncé L'inéraire d'fles Letres,
Sciences & Arts , par Lettres Patentes du
mois de Juin 1750 , enregistrées au Par
lement , le 7 Août fuivant , tint fon allemblée
publique le premier Octobre , pour
la lecture folemnelle des Lettres Patentes ,
dans une Salle du Palais Epifcopal , que.
M. l'Evêque d'Amiens , Honoraire de l'Académie
,
lui a donnée pour tenir les
Séances .
M. Greffet , de l'Académie Françoiſe ,
de l'Académie Royale de Berlin , & pour
vû de l'agrément du Roi pour la présidence
perpétuelle de la nouvelle Académie , ou
DECEMBRE. 1750. 635
1
writ la Séance par un Difcours très éloquent
, & rempli de toute la fenfibilitéd'un
vrai . Citoyen , qui avoit l'avantage
de rapporter dans fa Patrie un titre auffi
Honorable pour elle que les Lettres Patentes.
Il parla d'après la devife de l'Acadé
mie , fur la liberté Littéraire & Philofophique
, fur l'étendue que doit avoir cette
liberté , pour les progrès du génie & des
Arts , & fur les bornes que la raifon & la
Religion lui prefcrivent ; après avoir expofé
avec énergie tout ce qui peut exciter
& nourrir l'émulation , & tout ce qui doir
maintenir la décence & les moeurs aprèsl'éloge
du Roi , toujours prêt à encourager
& à confirmer par fes graces tous les établiffemens
qui tendent au bien de fes
Sujets , & l'expreffion de la reconnoiffan
ce publique , pour tous les foins que M..
le Duc de Chaulnes , Protecteur de l'Académie
, s'eft donnés pour cet établiſſement,
M. Greffer termina fon Difcours par une
action digne d'un coeur également Philo--
fophe & Citoyen . Voici fes termes .
» Les tems s'écoulent ; les races fe fuc--
cédent ; les hommes difparoiffent ; les
»Villes fe renouvellent ; d'autres Ci-
Le Temple de la Renommée fur la cime d'une -
montagne efcarpée , avec ces mots de Virgile...
Tentanda via eft..
MERCURE DE FRANCE.
19
» toyens , nos neveux , nos enfans ,
por:
teront ici nos noms , habiteront nos
murs , pofféderont nos biens prépa-
» rons - leur un bien nouveau , un dépôt
» de lumieres , de vertus & de gloire , un
" temple , où dans tous les tems les préceptes
de la raifon , des fentimens , des
» moeurs & de la Religion , foient unis à
la voix du génie , de tous les talens &
» de tous les Arts : voilà les vrais biens ,.
les biens inaltérables , & l'héritage leplus
cher que nous puiffions laiffer à nos
fucceffeurs. Tranfmettez - leur , Meſ-
» fieurs , dans tout fon luftre , & dans tous
fes avantages, ce bien nouveau qu'ils-tien-
» dront de vous , & que vous ne tenez
» que de vous - mêmes . Que les Jeunes Ci-
" toyens , inftruits par vos ouvrages , &
» formés par vos exemples , apprennent à
» mériter de s'affeon un jour ici ; qu'en
« flammés dès ce moment d'une généreuse
» émulation , ils fe pénétrent de l'amour
» des Arts & da bien public , en voyant
>> vos fêtes , vos honneurs , vos récoms
penfes , & la joie unanime de laPatrie.
" Dans cette fatisfaction univerfelle , it
»me refte , Meffieurs , à remplir un defit
» qui m'eft bien cher , le defir de vous
prouver ma reconnoiffance : vous avez-
>>bien voulu . vous repofer . fur moi- dus
"
27
33
DECEMBRE. 1750. 65
foin de folliciter & de hâter la perfec-
» tion de cet Etabliffement , en rendant
compte à fon illuftre Protecteur de vos
» travaux & de vos voeux ; fi mon zéle &
ןכ
mes foins out heureufement répondu à
" vos intentions , j'ai fervi ma Patrie ; c'eft
"un devoir que j'ai rempli , c'est une
obligation que je vous ai ; mais ce n'eft
point encore affez pour vous prouver
» combien je fuis Citoyen , & je ne
puis être content , que je n'aye confacré
" tout mon attachement pour mon Pays , &
» toute mon eftime pour vous , plutôt par
» des faits qui demeurent , que par des ex-
و د
preffions qui s'envolent. Tant que j'ai
» crû pouvoir être de quelque utilité ,
» quelque foible qu'elle fût , j'ai confervé,
"Meffieurs , l'honneur de vous préfider :
و د
des Ordres, émanés du Trône , ratifient
» en ma faveur cette flatteufe diftinction ,
» & le droit d'en jouir tout le tems de ma
« vie ; mais aujourd'hui , Meffieurs , quand
» cette utilité ceffe , quand tous mes voeux
» font fatisfaits , mon ministére eft rempli
, & je ne vois dans tout ce que cette
diftinction a de plus féduifant pour moi,
» que le plaifir pur de vous en faire un
»facrifice , & l'occafion de rendre un
" nouvel hommage à ma Patrie . Ce feroit
» une fituation trop pénible pour moi.,,
"
66 MERCURE DE FRANCE.
un fentiment trop importun , que d'être
» toujours un obftacle aux fonctions
» ticulieres & publiques des differens
» Directeurs que le fort mettra déformais
99
parà
la tête de l'Académie : l'émulation &
» les intérêts de la Compagnie en fouffri-
» roient , ainfi , Meffieurs , pénétré de la
plus refpectueufe & de la plus vive reconnoiffance
pour la grace , -dont le Roi
» a daigné m'honorer ici , je crois pouvoir
aujourd'hui remettre & facrifier tous les
» droits de cette grace même , fans man-
" quer aux devoirs de ma gratitude envers
» notre Monarque Augufte , & fans rif
» quer de déplaire à Sa Majefté , puiſque
» le bien public de cette Compagnie eft
l'unique motif de la démarche que je
»fais.
"
» Après la Séance actuelle , borné au
» rang d'Honoraire , je ne réſerverai
» Meffieurs , d'autre emploi dans vos af-
» femblées , que celui de partager vos tra-
» vaux & d'applaudir à vos fuccès : trop
"
fatisfait & trop flatté , fi cet acte volon
» taire de mon zéle pour vos intérêts &
pour votre gloire , me donne quelque
» droit fur votre eftime & fur votre ami
tié * !
* Le 2 Octobre , toute l'Académie affemblée
DECEMBRE. 1750. Gry
M. d'Amyens , Directeur de l'Acadé--
mie , lut enfuite le commencement del'Hiftoire
de la prife d'Amiens par les Efpagnols
, leri Mars 1597 , & de la reprifede
cette Ville par Henri le Grand , le 25
Septembre de la même année.
M. le Picart , Doyen de l'Académie de
Soiffons , lut la Traduction en vers François
, d'une Ode d'Horace .
M. Defmeri , Docteur en Médecine
lut un Mémoire fur la Botanique , & fur le
nouvel établiffement , fait à Amiens d'un
Jardin de Plantes .
M. Baron , Secretaire perpétuel , lut un
Difcours fur les avantages qui reviendroient
à la Société , & les Sciences entroient
dans l'éducation des femmes.
M. l'Abbé Clergé lut une Ode Fran
çoife fur l'établiſſement de l'Académie.
M. Vallier , Colonel d'Infanterie , Honoraire
de l'Académie , lut un Difcours en
vers , fur le même fujet , avec l'éloge du
Roi.
pria unanimement M. Greffet de reprendre la
Préfidence perpétuelle ; mais il perfifta dans fa
réfolution . Le 3 , l'Académie envoya cbez lui une
députation de quatre Académiciens , pour lui témoigner
les regrets de la Compagnie fur fa démif
fion , & le remercier des foins qu'il s'eft donnéss
pour l'établiffement de l'Académie.
68 MERCURE DE FRANCE.
M. Greffet termina la Séance par le
Programme des Prix de l'année prochaine :
il annonça que le Prix annuel de 300 liv.
fondé par l'Hôtel de- Ville d'Amiens ,
n'auroit point lieu en 1751 , M. le Duc de
Chaulnes , Gouverneur de la Ville , & Protecteur
de l'Académie , donnant une fomme
de 1100 liv. pour les Prix de cette premicre
année .
Programme de l'Académie des Belles -Lettres ,
Sciences & Arts d'Amiens.
L'Académie , dans fon affemblée publique
du 25 Août 1751 , Fête de S. Louis ,
Roi de France , diftribuera deux Médailles
d'or , chacune de la valeur de 600 liv. La
premiere fera adjugée à une Differtation
fur la matiere fuivante.
Examiner fi l'Histoire , la Phyfique , la
Géographie ancienne & moderne , fourniſſent
des connoiffances fuffifintes , pour établir que
Angleterre a fait partie du Continent.
La feconde fera adjugée à un Poëme ea
vers François , dont le fujet fera :
Combien les monumens publics fervent à établir
l'idée de la grandeur d'une Nation.
La Differtation fera reçue , foit en François
, foit en Latin. Le Poëme fera en
vers Alexandrins , il fera de 160 vers au
moins, & au plus de 200.-
DE CEMBRE . 1750. 69

Toutes fortes de perfonnes pourront
prétendre aux Prix , excepté les Membres
de l'Académie qui en doivent être les Juges.
Les Ouvrages ne feront reçus que
jufqu'au 15 Mai , inclufivment ; ils feront
affranchis de port , & adreffés à M. Baron ,
Secretaire perpétuel de l'Académie . Les Auteurs
font priés de lui adreffer trois copies
bien lifibles de leur ouvrage , avec une devife
ou une fentence , qui fera répétée
dans un papier feparé & cacheté , & qui
indiquera leur nom & leur adrefle.
L'Académie fe propofant de donner un
Recueil de fes differens ouvrages , on n'a
point crû devoir entrer dans un plus long
détail fur ceux qui ont été lûs à la Séance
publique du premier Octobre .
REPONSE A LA QUESTION ,
Propofée dans le Mercure de France , Septembre
, 1750 , page 214.
Ssi , malgré mon amour extrême ,
1
Eglé de fa gueur me fait fentir le poids ,
Dans mon dépit , je dis que j'aime
Plus que je e voudrois cent is . 1
Si par mes fons & à a conftance ,
Je trouve enfin l'heureux moment ,
70 MERCURE DE FRANCE.
Qui couronne mon eſperance ,
Tranfporté de plaifir & de reconnoiffance ,
Je defire d'aimer cent fois plus tendrement.
Mais qu'Eglé fe refufe à mon empreffement
Du qu'elle céde à ma perfeverance :
Dans l'un & l'autre mouvement,
Quelle qu'en foit la difference ,
Mon coeur l'adore également ,
Et l'on doit y trouver , je penſe ,
Même dégré de fentiment.
Le Chevalier de Galantine d'Orange.
****************
EXTRAIT
De la Séance publique de l'Académie des Belles-
Lettres de Corfe , tenue le 23 Août
1750 , pour la diftribution du Prix , fondé
en 1749 , par M. le Marquis de Curzay,
Protecteur.
A cérémonie commença par une
Meffefolemnelle , que l'Académie fit
chanter dans l'Eglife de la Conception ,
dite des François . M. Saporiti , Evêque
Diocéfain , y officia pontificalement , le
Chapitre , le Clergé , le Magiftrat , & le
Militaire François & Génois y affifterent ,
chacun dans les places qui leur avoient
DECEMBRE. 1750. 71
été affignées par le Maître des Cérémonies
de la Compagnie . Pendant la Meffe ,
M. Bozio , Abbé de Cinarca , & Membre
de l'Académie , prononça le Panégirique
de Saint Louis , dont on a été obligé de
devancer la Fête ; fon Difcours qui fut fort
applaudi , renfermoit , avec beaucoup d'adreffe
, l'Eloge de Sa Majesté Très -Chrétienne
, de la Sereniffime République ,
& des Miniftres de ces deux Puillances.
Enfuite , l'Académie fe rendit avec
fon Protecteur , à la grande Salle de ſes
affemblées publiques ; la féance commença
par un Difcours , prononcé par M.
le Chanoine Orticoni , un des Premiers.
Aumôniers du Roi des deux Siciles , &
Directeur en tour , fur l'origine des Prix ,
l'utilité de leur diftribution. Après quoi ,
on lut dans les deux Langues , la Differtation
fur les devoirs des Sujets envers leur
Souverain , que l'Académie a jugé digne
de remporter le Prix. M. l'Abbé Beller ,
comme on i'a annoncé ailleurs , Membre
de l'Académie des Belles Lettres de Montauban
, eft Auteur du Difcours couronné
& il reçut par procuration une Tabatiere
d'or , évaluée à douze cens livres de France
, qui étoit le Prix propofé.
Après la lecture de cet ouvrage , le Se
cretaire rendit compte au Public des tra72
MERCURE DE FRANCE.
vaux de l'Académie ; cet ouvrage qui renferme
l'extrait de quarante- trois Differtations
Hiftoriques , Morales & Phyfiques ,
va paroitre imprimé en François & en Italien.
M. de Chevrier lut enfuite une Differtation
fort ample & fort fçavante fur
Porigine de la Tragédie , & fes progrès depuis
les Grecs jufqu'à nous.
M. l'Abbé Semidei , Curé Primitif de
Bigaglia , & Aumônier ordinaire de Sa
Majefté Portugarfe , lut , après cette Differtation
, un premier volume de la vie
Agrippine. Le Public n'ignore pas que
c'eft à cet Auteur à qui nous devons i'Hif
toire des Hérefiarques , & la nouvelle vie de
Seneque.
M. d'Herbain fit enfuite la lecture d'une
Differtation fur l'origine du chant , & fes
progrès jufqu'à nous cet ouvrage fçavamment
écrit , avoit été envoyé précédemment
à une Académie célébre de France ,
qui l'a honoré d'une Approbation pleine
d'eloges.
M. Barbaggio fit part au Public d'une
Differtation fur l'origine , & les progrès de
la Médecine : cette Piéce égale par les recherches
fçavantes celle que le même
Académicien a donné il y a deux mois , fur
l'origine des monnoyes.
Le Directeur , ayant invité Meffieurs de
l'Academie
DECEMBRE.
1750. 73
l'Académie de lire quelques ouvrages de
Poëfie.
M. Aftolfi , Doyen de la Compagnie ,
lut un Poëme fur la navigation , qui fut fort
applaudi.
M. de Chevrier lut enfuite une Epitre
en vers François , portant pour titre :
l'Homme d'efprit dans la fociété ; cette Piéce
eft adreffée à M. d'Alcouffe , Capitaine au
Régiment de Tournaifis , Officier , dit
l'Auteur dans un petit Avertiffement ,
qui joint aux qualités militaires la fageffe
des moeurs & le goût des Lettres .
L'Auteur , parlant de ces gens qui vous
accablant du talent qu'ils ont , croyent
qu'en eux feuls tout l'efprit eft renfermé ,
dit :
Du Poëte orgueilleux de fes vers entêté ,
Qui ne fçait pas rimer , de stupide eft traité ;
Dans les calculs abftraits de la Géométrie
Le Mathématicien a l'air fombre & hautain,
Ne donne de l'efprit , & ne croit du génie
Qu'à ces gens ténébreux , qui le compas en mais
Ne parlent que Problême & Trigonométrie ;
Le Militaire altier , même auprès de ypris ,
N'entretient que d'affauts , & des Forts qu'il à
pris ;
Et l'Avocat couvert des lambeaux de l'Ecole ,
Nous cite à tout propos & Cujas & Bartole ,
11. Vol.
D
74 MERCURE DEFRANCE,
C'eft ainfi que chacun entiché de fon goût ,
Entretient les paflaus du talent qui l'attache.

A ce défaut , déja trop ordinaire
Succéde auffi la folle vanité ,
Si commune aux Auteurs ; tout bouffi d'arro
gance ,
Le Sçavant dans un cercle , où regne l'ignorance ;
Contre les fots éralant fon pouvoir ,
Les charge tour à tour du poids de fon fçavoir ;
Le Sage jouit- il d'une telle victoire ?
Se flatte - il de ce triomphe honteux ?
A vaincre un fot où peut être la gloire
Il faut le plaindre , hélas ! déja trop malheureux ?
De céder en aveugle aux efforts du génie ;
Si l'on veut l'accabler des fautes du deftin ,
C'eft à l'injure encor joindre la tyrannie ,
C'eft d'un homme expirant enfanglanter le fein.
M. de Chevrier , après quelques images,
finit ainfi fon Epitre :
... De foi-même le maître ,
Hors de fon cabinet , l'Auteur doit difparoitre ,
Pour ne montrer à la fociété
Qu'un Citoyen aimable , & rempli de gaîté.
Turenne , ce Héros fi connu dans l'Europe ,
N'étoit point dans Paris un trifte milantrope ,
Dont l'efprit fur chargé de projets & de plans ,
DECEMBRE. 1750. 75
Même au fein des plaifirs , ne trace que des camps,
Ce Vainqueur , dont la France annonçoit les merveilles
,
Dont l'Univers chantoit les glorieux fuccès ,
Pour louer nos Auteurs , applaudir à leurs veilles ,
Venoit fe delaffer au Théatre François ,
Et fuyant des flatteurs la cohue importune ,
Toujours à lui , toujours à fon deftin ,
Il pleuroit avec Rodogane ,
Et fourioit avec Scapin .
Du fiécle des Beaux Arts le fameux Satyrique ;
Boileau , ce digne objet de l'eftime publique ,
S'éloignoit de la Cour, & venoit dans Auteuil
Hanter avec Riquet l'if& le chevre -feuil.
*
C'est ainsi qu'un Auteur au centre du grand
monde ,
Sérieux ou badin , mais jamais affecté ,
Ecartant ailément fa fcience profonde ,
Doit fe plier au ton de la fociété.
Malheureux eft celui qui borué dans lui-même ,
Au gré de ſes défirs ne peut rompre fes fers ;
N'avoir qu'un ton , ne parler qu'un fyftême ;
C'eft être efclave au fein de l'univers.
On lut enfuite un Poëme de M. Xavier
oggi , Capitaine au Régiment de Corfe ,
fervice de la République de Génes ,
Affocié de l'Academie ; cet ouvrage qui
Jardinier de ce Poëte.
D ij
76 MERCURE DE FRANCE .
fut extrêmement goûté , eft intitulé Voyage
maritime.
La lecture de tous les ouvrages finie , la
Séance fe termina par celle du Programme
la diftribution des Prix de 1751 .
pour
Le Protecteur de l'Académie propoſe
pour le premier Prix une Médaille d'or d'un
prix confidérable , qui fera diftribuée le
25 Août de l'année prochaine , à celui qui
décrira avec plus de fondement , la vertu la
plus néceffaire à un Héros , avec une Differ
tation fur ceux qui l'ont été , fans avoir la
qualité , pour laquelle l'Auteur fe détermi
ner...
On avertit que le Difcours qui fera reçu
en profe Italienne , Françoife ou Latine ,
doit être d'une demie heure de lecture au
plus ; ceux qui concourreroar , font prévenus
de ne point le faire connoître ; en
fignant leur ouvrage , ils mettront feulement
une devife ou infcription cachetée ,
qui ne fera lûe qu'au cas que la Differtation
foit couronnée.
Les piéces deftinées à remporter le Prix,
ne feront reçues que jufqu'au premier Mai
exclufivement ; elles feront adreffées à M.
le Secretaire Perpétuel de l'icadémie des
Belles-Lettres de Corfe , à Biftia . Celui - ci !
aura foin , après le jugeme at de l'Acadé-!
ie , de faire annoncer dans les nouvelles;
<
*
5
DECEMBRE. 1750. 77
publiques , que le Difcours portant telle
infcription , a été couronné l'Auteur fe
fera connoître alors , en envoyant fur les
lieux copie de fon ouvrage, & une procuration
en bonne forme, à telle perfonne qu'il
voudra , laquelle recevra le Prix propofé
en donnant quittance .
Toutes les perfonnes feront admifes à
concourir , à la réferve de celles qui compofent
l'Académie ; pour éviter les frais de
port aux Etrangers , on les prévient qu'ils
pourront adreffer leurs paquets au Secretaire
de l'Académie , fous l'enveloppe de
M.le Marquis de Curzay.
Ce Protecteur , venant de fonder un
nouveau Prix en faveur de la Nation Corfe
feulement , il propofe une Médaille d'or ,
d'une valeur égale à la premiere , qui fera
adjugée à celui d'entre les Corfes , qui démontrera
par des raifons , & des autorités ,
quelle eft la vertu morale la plus néceffaire à
T'homme.
Les ouvrages pour ce fecond Prix ne feront
reçus que jufqu'au premier Avril exclufivement
; les Auteurs feront tenus de
mettre au bas de leurs Difcours , dans un
papier feparé & cacheté , leurs noms &
leurs qualités , afin que l'ouvrage ayant
été couronné , on puiffe fur le champ
en donner avis . Toutes les piéces écrites
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
en Latin , ou en Italien du ftyle moderne ,
feront adreffées au Secretaire Perpétuel ,
fous l'enveloppe du Protecteur ; tout Corfe
pourra concourir à ce Prix , fans exclufion
du premier , à l'exception des Académiciens
nationnaux.
A M. LE MARQUIS DE CALVIERE ,
Lieutenant des Gardes du Corps du Roi ,
Lieutenant Général des Armées de S. M.
fur fa Promotion de Commandeur de l'Or
dre de Saint Louis . Par M. Tanevot.
CE Roi , dont la Victoire adopta les projets ¿
Ε
Le pere & le Héros de fes heureux fujets ,
Que révere l'Europe , ou plutôt qu'elle adore ,
D'un honneur éclatant aujourd'hui te décore;
Ses auguftes bienfaits juſtement repartis ,
Au mérite avoué font toujours affortis ;
Rien n'obfcurcit fon choix , rien ne trompe ſa vûe ¿
Et la grace accordée , avoit été prévue.
fa
Que ce vainqueur brilloit au milieu des combats!
Sous les traits refpectés , que la gloire a d'appas !
Un feul de fes regards , que la bonté fait naître ,
Te payoit des travaux entrepris pour ton Maître,
Et ton ame volant au devant de ſes loix ,
Ne refpiroit alors que de nouveaux exploits.
DECEMBRE. 1750: 79
Ce n'eft pas feulement dans les Champs de Bellonne
Qu'il fait part des lauriers que lui - même moif
fonne ;
Sa magnanimité , prompte à tout prévenir ,
Ies fervices rendus garde un long fouvenir ;
Ses guerriers lui font chers ; préfente à fa penfée,
Leur valeur en tout tems fe voit récompenfée.
Tu l'éprouves , Calviere , & fa haute faveur
De ten zéle pour lui couronne la ferveur ;
Elle couronne un coeur & vertueux & tendre?
Louis fage en fes dons , fçait ainfi les répandre
Par ton efprit , tes moeurs , ton goût , tes fentie
mens ,
Admis d s fon aurore à fes amefemens ,
Tu vis croître en vertus ce rejetton céleste.
Le Monarque goûta ce Courtifan modefte ;
T'impofa le devoir , fi précieux pour toi ,
D'être le bouclier , le rempart de ton Roi.
Tu connus , jeune encor , la route légitime
Qui conduit aux honneurs, ainfi qu'à fon eftime ;
Tu la fuis, il fe plaît à remplir par degrés
Les deftins glorieux qu'il t'avoit préparés.
D iiij
So MERCURE DE FRANCE.
REPONSE *
De M. Gautier , à la défenfe d'un Philofophe
Anglois Newtonien & anonime , inferé
dans le Journal des Sçavans de Lon tres ,
intitulée , l'Azt Magazine , du mois d'Aoû
1750 , pages 363 & 364 .
Praifons que j'ai données fur l'impoffiprouver
géométriquement les
que
bilité de la réunion des rayons au centre
de l'image , dans la démonftration **
l'Auteur Anglois veut détruire , & les appuyer
d'un raifonnement encore plus décifif
& plus concluant , ( ce qui feroit cependant
inutile , l'Auteur n'ayant pas ré
pondu ad hoc ; ) Je dis .
Propofition.
Si les rayons font differemment réfrangibles
, ainfi que veulent nous le faire accroire
Mrs les Newtoniens ,il faut donc néceffairement
fuppofer qu'ils fe réfractent à
la premiere & à la deuxième furface du
Prifme. Cela eft inconteftable ; par conféquent
, la réfraction qui fe fait dans la
premiere furface du Prifme avant l'émer-
* Cette réponſe a été envoyée à Londres .
**
Voyez le Mercure de Mai 1750 , page 106
DECEMBRE. 1750. 8r
gence des rayons , eſt moindre que celle
qui fe fait à la fortie du Prifme , puifqu'il
eft vrai , comme Newton nous le dit ,
que les rayons fimples fe réfractent de l'air
dans le verre , à proportion de leur finus
d'incidence à celui de réfraction , comme
de 17 à 11 , & que cette proportion cft
en fortant du verre dans l'air , comme
de 11 à 17.
De plus, fi le rayon rouge, contenu dans
ce fimple rayon , eft le feul qui garde cette
proportion , par raport à fa denfité , ( ou
qui en approche davantage, ) il faut que le
rayon violet , plus foible & moins denfe
que tous ceux qui entrent dans la compofition
du blanc , fe réfracte beaucoup
plus de l'air dans le verre & du verre dans
l'air ; que le rayon rouge dont nous parlons
, & par conféquent ce rayon violet
aura une incidence plus oblique à la deuxiéme
furface du Prifme , en approchant
plus de la perpendiculaire de cette furface
, que le rouge ; mais au contraire
en fortant du verre dans l'air , l'émergence
étant à la réfraction , comme 11 à 17 ,
il faudra alors que le rayon violet , moins
denfe que le rouge , s'écarte doublement
de la perpendiculaire , & plus qu'il ne feroit
fans la féfraction interne du Prifme ,
non-feulement par raport à fa foibleffe ,
Dy
"
82 MERCURE DE FRANCE
mais encore par rapport à fa derniere incidence
, plus oblique que celle du rouge ,
comme je l'ai dit . Peut- on difconvenir
de ce fait ? Si le Philofophe Anglois a
oublié de réfléchir fur cette double réfraction
de chaque rayon héterogene , a
qui faut- il s'en prendre Cela étant , je
conclus.
Démonftration.
1°. Que moyennant cette doable réfraction
, les prétendus rayons foibles devroient
s'écarter du rayon rouge par un
plus grand angle que l'on ne l'a fuppofé
jufqu'à prefent.
2 °. Que de quelque façon que l'on détermine
les degrés de réfrangibilité de
chaque rayon en particulier , les homogénes
fuivant leur commune détermination
, étant paralleles entre eux , il devroit
arriver par ce que nous venons de dire ,
que les images des rayons violets feroient
bien plus retrecies fur le fpectre lumi-
Ineux de la chambre noire , que celle des
ayons rouges , & par conféquent que les
rayons étant plus ou moins approchés ,
fuivant leur differente refrangibilité , le
blanc de l'incidence devroit être different
de celui du continent de l'image . S'il
étoit poflible que les rayons fullent réuDECEMBRE.
83 1750.
nis , malgré leur croifement ; mais cela
n'arrivant jamais dans quelque pofition
que foit le prifme , lorfque les bandes
des couleurs paroiffent féparées au degré
que nous preferit M. Newton , ni même
de quelque grandeur que foit l'angle ré
fringent.
On concluera que le fyftême de M.
Newton eft infoutenable , puifqu'il eft
établi fur les differens degrés de réfrangibilité
des rayons colorés , plus ou moins
denfes , & par conféquent plus ou moins
réfrangibles , & que l'on ne trouve aucune
proportion de réfrangibilité détermi
née fur l'image , ni aucune difference aux
prétendues réunions de differente efpece ,
ainfi que cela devroit arriver.
NOUVELLES OBJECTIONS AU PHILOSOPHE
INCONNU .
1 °. Après avoir confidéré le rétrecif
fement des differens rayons homogenes ,
felon leur degré de réfrangibilité , contraire
à la prétendue réunion exacte des
rayons au centre de l'image , outre leurs
croifemens ; je veux bien confentir au
paralélifme qu'ils peuvent avoir entre eux,
N'eft-il pas véritable pour lors que fi ce paralelifme
exifte entre les homogénes & que
les degrés oppofés de réfrangibilité entre
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
les hétéregenes exiftent auffi , qu'il faut
alors néceffairement qu'à une certaine difrance
les plus réfrangibles, & les moins réfrangibles
s'écartent totalement entre eux ,
& par conféquent que les intermédiaires
gardent alors confulément le milieu de
l'image . Quelque Newtonien peut-il réfuter
cet argument ? Je demande donc à
quelle distance ce mélange héterogene des
rayons intermédiaires paroît , & s'il n'al
tere point la qualité du blanc.
Je ne fçais pas fi je me fais entendre.
Je dis que lorfque les rayons rouges &
les rayons violets font féparés entiérement,
des autres , comme les plus extrêmes
, & que les mitoyens demeurent dans
la confufion , ( ce que l'on verra dans la
figure fuivante , ) je demande dans ces
cas ce que deviennent les couleurs héterogénes
reftantes & mêlées entr'elles . Peuvent-
elles donner du blanc parfait ? Je ne
le crois pas , car au centre de l'image à
la diftance en question , il devroit y
avoir une couleur compofée au lieu du
blanc qui paroît toujours très- pur , &
fans aucune altération .
Il me reste à faire une autre Objection
aux Newtoniens avant de finir cette
differtation .
2º. Je dis que fi les rayons s'écartent ,
DECEMBRE.
1750. 85
fçavoir le premier du fecond , le fecond
du troifiéme , &c. & que de tous les
rayons , les homogénes qui ont de femblables
degrés de réftangibilité , fe fuivent
parallelement pour s'écarter des hétérogénes
, qu'arrivera-t-il ? ( fi nous nous
imaginons que cela foit ; ) Faudra - t - il
qu'ils fe féparent enfemble des héterogéne
à un certain point , & qu'en continuant
de fe féparer , ils s'écartent tout àfait
les uns des autres ; & enfin qu'étant
abfolument féparés , dans l'intervalle de
leur féparation , l'ombre de la muraille
reprenne fa place , puifque pour lors ces
intervalles ne peuvent être éclairés par
aucune espéce de rayon ?
Je laille à définir cette
propofition à
Meffieurs les Newtoniens . En attendant ,
je travaille à une nouvelle édition de ma
Chroagénefie , très ample & très - détaillée
contenant une infinité de nouvelles expériences
très- curieufes qui continuent
de confirmer mon fyftême , & de détruire
celui de Newton. Le Volume fera de
400 pages in- 12 . avec 20 Planches ; ( il
eft fous prelle. )
86 MERCURE DE FRANCE.
Explication des Figures Géométriques contre
le fyfteme de M. Newton , pour la
Differtation de M. Gautier.
FIGURE PREMIER E.
A, B , C , la coupe du Prifme .
D , E , le rayon incident & fupérieur prétendu
compofé .
H , I , le rayon incident inférieur .
E , & I , leurs points d'incidence & de
réfraction differente , fur la premiere
furface du Prifme.
EF , E C , la divifion prétendue duž
rayon fupérieur.
C , E , le rayon , violet, comme le plus réfrangible.
F , E , le rayon rouge , le plus denſe de
ceux qui compofent le blanc .
La perpendicule du point d'incidence du
rayon fupérieur D , E , eft la ligne poinlue
, a , E , b .
Le finus d'incidence de ce rayon , eft la
ligne ponctuée h , i
&
Le finus de réfraction du rayon rouge
E , F , qui part de ce rayon , eft m , n ,
l'on fuppofe par conféquent le finus du
rayon violet E , C , moins grand que celui
de fon collatéral , felon les loix de la
differente réfrangibilité ; donc fi les Newtoniens
avoient raifon , nous aurions alors
Gautier
m
A
H
86 MERCURE
DE FRANCE
Ga
Explication
des Figures
Géométriques
contre
lefyfteme
de M. Newton
, pour la
Differtation
de M. Gautier.
FIGURE
PREMIERE
.
la A , B , C , coupe
da Prifme
. D , E , le rayon
incident
& fupérieur
prétendu
compofé
. H, I , le rayon
incident
inférieur
.
E, & I , leurs
points
d'incidence
& de réfraction
differente
, fur la premiere
furface
du Prifme
.
EF , EC , la divifion
prétendue
da
rayon
fupérieur
.
C , E, le rayon , violet, comme leplusréfrangible
.
F , E , le rayon rouge , le plus denfe de
ceux qui compofent le blanc. La perpendicule du point d'incidenceda
rayon fupérieur D , E , eft la ligne poin
tue , a , E , b.
L: finus d'incidence de ce rayon ,eft la
ligne ponctuée h , i.
eft m ,, n,
&
Le finus de réfraction du rayon rouge
E , F , qui part de ce rayon ,
l'on fuppofe par conféquent le finus da
lui de fon collatéral , felon les loixde la
rayon violet E , C , moins grand que cedifferente
réfrangibilité
; doncfiles Newtoniens
avoient raifon , nousaurionsalors
Gautier,
m
D
"
D
H
THE
NEW
YORK PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONE
DECEMBRE. 1750. 87
deux nouvelles incidences fur la feconde
furface du Priſme , & par conféquent celle
du point C , ou du rayon violet feroit plus
oblique que celle du point F ou đu
rayon rouge.
Le finns d'incidence du
o , P.
>
rayon rouge feroit
Le finus d'incidence du rayon violet feroit
t , s.
La perpendicule du rayon rouge feroit c ;
F , q ,
d.
La perpendicule du rayon violet feroit
e , C , f.
Lefinus d'émergence du rayon rouge feroit
I , q.
Et le finus d'émergence du rayon violet le
roit x , ul .
Ces finus d'incidence & d'émergence
de la feconde furface, en fortant du verre ,
font entre eux comme 3 à 4 , ou fi l'on
veut comme 11 à 17 ; & ceux d'incidence
& de réfraction que nous avons vûs de la
premiere furface du Prifme , fent au contraire
comme 4 à 3 , ou comme 17 à 11 .
Je crois avoir démontré exactement ;
felon le fentiment des Newtoniens , la
route que doivent tenir les rayons fimples,
& celle des rayons differemment réfrangibles.
Cela étant fuppofé , les rayons violets
formeront les paralleles N O , & P
8s MERCURE DEFRANCE.
C, & les rayons rouges , les paralleles GF,
M & L ; alors n'eft il pas véritable que l'image
rouge G, M, devroit être plus grande
que l'image violette N , P, dans l'image
ve de la chambre noire ? C'eft pourtant ce
qui n'arrive jamais.
FIGURE SE COND E.
ABC, la coupe du Prifme.
D & E , les deux points de réfraction
ou d'émergence des deux rayons fimples ,
qui fe divifent & fe féparent , felon Newton
, en fept couleurs , prétendues primiyes.
I , le violet du rayon fupérieur ; a , l'indigo
; c , le bleu ; e , le verd ; g , le jaune ;
h , l'orangé , & H , le rouge de ce rayon.
G , le violet du rayon inférieur ; b , l'indigo
; d , le bleu ; f , le verd ; i , le jaune ;
1 , l'orangé , & F , le rouge.
L. M , efpace occupé par les feuls rayons
hétérogenes , fçavoir , indigos , bleus ,
verds , jaunes , orangés , & rouges ,
felon Newton , & auquel efpace il n'y
a point de rayons violets ni de rayons
rouges , & où cependant le blanc ( dans
les expériences primordiales ) paroît trèspur
, il faut donc dire que le blanc fe compofe
avec cinq couleurs comme avec fept.
Je prie les Newtoniens de s'accorder làDECEMBRE
. 1750 : 89
deffus , quant à moi je crois qu'il n'eſt
compofé ni avec fept , ni avec cinq.
G , a , efpace de la muraille , fur laquelle
après la féparation des rayons hétérogenes
, prétendus violets & bleus , il devroit
n'y avoir que de l'ombre & où cependant,
à telle diftance que ce foit , même
à 300 pieds & plus , s'il étoit poffible ,
cet espace eft toujours occupé par des
rayons inféparables. Donc il eft ridicule
de croire qu'il y a des rayons hétérogenes
& homogenes dans un même faifceau fufceptible
de differente réfrangilité.
VERS
Sur un Exercice militaire fait à Vendôme par
Le Régiment de Berri , commandé par M. le
Comte de Valbelle , en préfence des Dames.
D
Ieux ! qui peut donc troubler la paix de cet
azile ?
Quel orage imprévů s'éleve fur nos champs
L'écho de ces rochers, autrefois fi tranquille,
Répete des fons effrayans .
Le fer luit , l'airain gronde & la trompette fonne ;
Vendôme , quels affauts menacent tes remparts ?
Quoi ! jufqu'aux bords du Loir l'implacable Bel
lonne
go MERCUREDE FRANCE
Vient déployer fes étendarts.
Pourquoi cet appareil d'attaque & dé défenſe ?
Eh , qui peut ébranler notre félicité ?
Lorfqu'à tout l'Univers Louis vainqueur difpenfe
L'olive & la profpérité .
-vous a bruit de ce tonnerre ; Peuples, raffûrez - vo
Vez voir un effain des plus braves guerriers ;
Même au fein de la paix , l'image de la gueire
Leur offre de nouveaux lauriers .
Pour donner au beau fexe une fuperbe fère ,
Mais raffemble en ces lieux les Efcadrons brillans,
Valbelle les commande , & lui - même à leur tête
Fait manoeuvrer ces Combattans.
De fiéges , de combats , il donne des idées ,
Et les Nimphes du Loir l'approchant fans effroi ,
Il retrace à leurs yeux les célebres journées
De Lauffeldt & de Fontenoy.
Mais que vois -je au milieu de tant de fiers Alcides?
C'eft un enfant, il porte un bandeau fur les yeux ;
Sa main à chaque inftant lance des traits perfides,
Et tous les coups portent fur eux.
Mars envain s'eft flatté d'une pleine victoire ;
Dans ces champs où fon bras veut tout mettre à
rançon ,
Il eſt un Dieu malin , qui jaloux de fa gloire ,
Sçait manoeuvrer à la façon.
DECEMBRE. 1750.
Guerriers , qui nous montrez à gagner des batailles;
Ce font- là vos exploits ; nos Belles à leur tour ,
Vont auffi vous montrer par droit de répréfailles
Quels font les exploits de l'amour .
Des mains de ces beautés , pour prix de votre
adreffe ,
Vous allez recevoir des guirlandes de fleurs ;
Sous ces fleurs font cachés les noeuds que l'amour
treffe ,
Pour enchaîner vos jeunes coeurs.
C.
EPITAPHE
De M. Languet de Gergy , ancien Curé
de Saint Sulpice.
CI gft un grand Curé digne d'être un Prélat ;
Et même un Miniftre d'Etat ,
Salomon lui fervit d'exemple
Dans la conftruction d'un Temple ;
Mais pour aider les malheureux ,
Et trouver des moyens fages , induftrieux ,
Son coeur , fon efprit & fon zéle
N'eurent pas besoin de modéle ,
Tout le feu de fa charité
Ne féduifit jamais fon ame clairvoyante ;
Sa main libérale , & prudente ,
92 MERCURE DEFRANCE;
Ne flatta point l'oifiveté ,
Avec les fecours de Moyfe ,
Au milieu des deſerts affreux
Il auroit conduit les Hébreux
Jufques dans la Terre promife ;
Son zéle fut en butte à quelques traits malins ;
Mais on fçait qu'au fiécle où nous fommes ;
La critique des libertins
Sert à l'éloge des grands hommes.
D. Bonneval.
张洗洗洗洗洗洗洗洗:送送洗洗洗洗
JBfu
VERS
E fuis à moi , j'agis , je penfe ,
Quand je trouve une vérité ,
Elle eft la jufte récompenfe
D'un travail qui m'a peu coûté :
Dans une heureuſe intelligence
Entre mon efprit & mon coeur
Je fais confifter mon bonheur.
Au milieu de la Capitale ,
Où chacun s'agite à fon gré ,
Mon temas eft toujours mesuré ;
Mon ame eft comme une veftale
Qui conferve le feu facré ,
Et je n'admets point de rivale
Qui contraigne fa liberté.
Voilà ma vie , en vérité
DECEMBRE .
1750. 93
Je n'en fçais pas encor le terme ;
Le point eft de fe tenir ferme ,
Le jour que l'immortalité
Viendra nous ouvrir la barriere
De cette double éternité
Qui fixera notre carriere.
Heureux qui n'aura point erré !
Sans crainte il attendra la Parque ;
Riche , fameux , pauvre , ignoré ,
Quand il fera bien enterré ,
Il aura le fort d'un Monarque .
Par le même.
EPIGRAMME
C'est unjeune homme âgé de dix -sept ans que
l'Auteur fait parler.
Tu
U dis,Maître Léon, qu'à la fleur de mon âge
Pour compofer des vers & pompeux & brillans ,
J'ai befoin des fecours d'un docte perfonnage ,
Mais c'eft à tort que tu tiens ce langage ,
Je veux en ta présence exercer mes talens ;
Viens dans mon cabinet , tu tendras témoignage
Que fans confulter les fçavans ,
Il ne me faut que deux heures de tems
Pour faire fur toi même un excellent ouvrage .
Par M. Cottereau , Curé de Donnemarie,
Ce nom eft fuppafé.
94 MERCURE DE FRANCE.
ག : : ་ ❁ @@ Q ཡུ
LETTRE
Al Auteur du Mercure , par M. le Cat.
M
Onfieur , j'ai lû avec grand plaifir
dans votre Mercure de Novembre
dernier , une grande Lettre , où M. le
Dran fe juftifie d'un bruit fcandaleux que
fes ennemis avoient répandu contre lui ,
au fujet de la guérifon de M. de Poinfable.
Ce grand Chirurgien nous apprend enfin ,
Monfieur , que c'eft avec une injection de
mercure qu'il a fondu la fonde de plomb
de M. de Poinfable . Cette circonstance ,
Monfieur , & une autre que contient fa
Lettre , m'intéreffent très effentiellement.
Vous en allez juger par celle que j'eus
l'honneur d'écrire au R. P. T. le 14 Novembre
1749 , & qui a été déja inferée au
Journal de Trevoux , mois de Décembre
1749 ; mais que je vous prie inftamment ,
Monfieur , de publier de nouveau comme
faifant partie de celle- ci .
Je viens de lire , M. R. P. dans le Journal
des Sçavans de Novembre , p. 744 ,
une Lettre de M. le Dran , célébre Chirur
gien de Paris , au fujet de la cure qu'il a
faite à M. de Poinfable , Gouverneur de
DEUEMDR E. 1750.
95
la Martinique . Il eft dit dans cette Lettre
que M. de Poinfable a confulté de tous les
cotés des habiles Médecins & Chirurgiens
qu'on ne lui a donné d'autre confolation
dans fon malheur , que le confeil de fe faire
tailler, dès que le plomb l'incommoderoit beaucoup.
Si M. le Dran , M. R. P. s'etoit con
tenté de dire : La plupart de ceux que M,
de Poinfable a confultés , ne lui ont dorné
a'autre confolation , &c. je n'aurois rien à
dire ; mais comme il fait cette propofition
abfolument générale , je fuis obligé , pour
ma propre réputation , d'avertir le Public
qu'il y a ici une petite inadvertence , ou
erreur de la part de M. le Dran , qui a fort
bien pû être trompé là - deffus , par le técit
de ceux qui s'intéreffent au malade ; car je
connois la candeur & le défintéreffement
de ce grand & refpectable
Chirurgien
,
& j'en fuis fi convaincu
, auffi-bien que de
fon équité , que je fuis petfuadé
qu'il ne
prendra
pas en mauvaife
part l'anecdote
fuivante
. Voici ce que M. le Dran me fit
l'honneur
de m'écrire fur cette belle cure ,
dans une Lettre dattée du 23 Août 1749.
»Je ne fçais fi vous avez été confulté
»pour M. de Poinfable
, Gouverneur
de
» la Martinique
qui eft venu à Paris
» pour un morceau
de fonde de plomb du
C
96 MERCURE DE FRANCE.
poids de 6 gros , qui lui étoit reſté dans
» la veffie , parce que la fonde s'étoit caffée
» à la courbure de l'uréthre . Je le lui ai
fondu dans la veffie , & rendu coulant
» comme le vif- argent . Ainfi il l'a rendu
avec les urines , & avec l'injection , ce
» qui a été fait en huit jours , n'y employant
que fept à huit heures par jour.
» Je l'ai remis en lingot , il l'a dans fa poche
où il ne l'incommode plus. Avant
» de l'entreprendre , j'ai fait la preuve de
» la poffibilité fur un crocheteur , à qui ,
par deux fois , j'ai introduit dans la vef
fie un lingot de plomb du poids d'un
gros , & à qui je l'ai fondu de même en
deux jours. Vous ne ferez peut -être pas
fâché de cette nouvelle découverte. Le
> cas d'une fonde de plomb caffée dans la
veffie eft rare ; mais ce fecret pourroit
quelquefois être utile dans certaines
» playes d'armes à feu , où la ſtructure de
» la partie ne permet pas toujours de faire
des incifions convenables pour aller
» chercher la balle , & c .

Voici ma réponse à cet article de la Lettre
de M. le Dran , dans celle que j'eus
l'honneur de lui adreffer le 29 Août.
» Oui , Monfieur , j'ai été confulté pour
M. le Gouverneur de la Martinique , je
»lui
ود
DECEMBRE. 1750. 97
lui ai confeillé de ne point fe preffer de
D faire faire
l'opération ; mais d'effayer
» auparavant , ou de fondre les reftes de fa
" canule de plomb , ou d'en tirer les frag-
» mens . J'avois conçu qu'on pouvoit lui
fondre ce métal dans la veffie , par le
» moyen même qui avoit caufé fon acci-
» dent , c'eſt - à- dire , en lui
injectant du
» mercure crud dans la veffie. Au moins ,
»je me perfuadois que , fi ce diffolvant ne
» rendoit point ces fragmens tout-à-fait
liquides , il pourroit les rendre fi mous ,
qu'on les tireroit enfuite avec une fonde
» à pince , faite fur le méchaniſme d'une
» fonde qui fait le fujet de la planche 3 ° de
" mon Recueil , & que j'ai l'honneur de
» vous adreffer. Ce Monfieur doit avoir
» ma
confultation . De quelque façon que
» vous ayez réuffi , Monfieur , la cure eft
» très-heureufe , & je vous en félicite de
» tout mon coeur.
J'ignore parfaitement , M. R. P. fi l'injection
employée par M. le Dran , eft
celle de mercure crud que j'avois projetté
de faire à M. de
Poinfable , quand il me
fit confulter avant fon arrivée en France ;
mais ce qui eft bien fûr , c'est que je ne fuis
pas de ceux qui ne lui ont donné d'autre
confolation que le confeil de fe faire tailler
, &c. C'eft tout ce que j'avois à prou-
11. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
ver ,
& c.
après quoi j'ai l'honneur d'être ,
Le Cat..
A Rouen , le 14 Novembre
1749.
S'il eft étonnant , Monfieur , que M. le
Dran , après la lecture de ma Lettre du 29
Août , ait fait mettre dans le Journal des
Sçavans de Novembre , celle dont je me
plains au R. P. J. il l'eft bien davantage
que ce même Chirurgien , à qui cet endroit
du Journal de Trevoux à été lû en
pleine Académie , affecte encore dans fa
Lettre inferée au Mercure de Novembre
dernier , de dire que... felon tous les avis
des Médecins & Chirurgiens que M. de
Poinfable avoit confultés , l'opération de la
taille étoit le feul moyen de le délivrer de la
fonde de plomb qu'il avoit dans la veffie.
Vous voyez , Monfieur , que c'eft contre
fa propre fcience que M. le Dran avance
ce fait entierement contraire à la vérité .
Il n'eft
pas moins fingulier qu'il fe donne
encore ici pour l'inventeur de l'injection
du mercure coulant dans la veflie , aux fins
d'y fondre la fonde de plomb , quand il
fçait bien pofitivement que j'ai confeillé
cette injection à M. de Poinfable , ou à
M. Ribard , célébre Négociant de Rouen ,
qui me confulta de fa part , avant même
DECEMBRE.
1750. 99
!
>
qu'il fût arrivé en France , car la confultation
me fut faite le 24 Avril 1749. M.
de Poinfable arriva à Saint Malo , vers le
28 du même mois , & à Paris le 12 de Mai.
Il avoit alors entre les mains ma confultation
, & les Lettres de fes
Correfpondans ,
qui m'avoient confulté , comme il le té
moigne par une Lettre , dattée de Paris du
14 Mai , & adreffée à M. Chanvol , fon
Correfpondant au Havre , & celui de M.
Ribard de Rouen . Tout ce que j'avance
là , Monfieur , je ne crains point que qui
que ce foit le révoque en doute ; mais s'il
étoit poffible qu'il fe trouvât des incrédules
, je fuis en état de les convaincre par le
Livre des Copies de Lettres de ces célebres
Négocians , où j'ai été rechercher ces faits
& ces dattes.
Il est donc démontré , Monfieur , 1 ° . que
M. le Dran n'eft pas le feul qui ait confeillé
à M. de Poinſable de ne point ſe faire tailler,
mais d'effayer de fondre la fonde de
plomb dans fa veffie. 2 °. Que ce célébre
Chirurgien n'eft pas non plus l'inventeur
de l'injection de mercure crud dans la veffie
, à l'intention d'opérer cette diffolution .
Il eft poffible qu'on n'ait ni lû , ni commumuniqué
de vive voix mon avis à M. le
Dran ; mais il eft bien plus für encore que
ce n'eft pas le fien qui m'a inſpiré cette
E ij
100 MERCURE DE FRANCE .
idée , puifque je l'ai publiée environ trois
femaines , avant que M. de Poinſable vît
Meffieurs les Chirurgiens de Paris. Il me
femble , Monfieur , que dans ma Lettre ,
où M. le Dran réclame l'équité du Public
& fa juſtice , il devoit bien commencer par
exercer lui-même ces deux vertus qu'on
doit s'attendre de trouver dans un grand
homme comme lui.
J'ai l'honneur d'être , &c.
A Rouen , le 9
Novembre
1750.
. Le Cat
« ſaſɔ ɔ adhdhdhde for egen
REPONSE
De M. le Dran à la Lettre précédente.
E fuis très-fenfible , Monfieur , à la politeffe
avec laquelle vous me communiquez
la Lettre de M. le Cat , dont je
connois le mérite , & dont la réputation
fait un éloge auquel je n'ai rien à ajouter.
Je n'ai jamais prétendu l'altérer en rien ,
lorfque j'ai dit dans un petit écrit , que
fans ma participation , on infera dans un
des Journaux de 1749 , que tous les avis s'étoient
réunis pour laiffer le morceau defonde
de plomb dans la veffie de M. de Poinfable ,
jufqu'à ce qu'il en fouffrit affez pour l'obliger
àfe faire tailler.
DECEMBRE. 1750. 101
M.D. P. m'avoit bien dit , qu'il avoit
confulté M. le Cat & plufieurs autres ,
mais jamais il ne m'a dit que M. le Cat lui
cûr propofé le mercure coulant , comme
un diffolvant qui pouvoit le guérir , & je
ne l'ai jamais fçû , que par la Lettre que
M. le Cat m'écrivit en réponse àla mienne,
& qu'il rapporte en entier dans celle qu'il
vous envoye. J'y remarque qu'il ne dit
pas avoir propofé le mercure à M. D. P.
mais de ne pas faire l'opération , & d'effayer
auparavant de faire fondre les rettes
de fa canule , ou d'en tirer les fragmens.
J'avois , dit- il , conçû , qu'on pouvoit fondre
ce métal , par le même moyen qui
avoit caufé fon accident , &c. Le concevoir
ou le propofer , font deux chofes
bien differentes , cependant je ne puis que
louer beaucoup M. le Cat , dont l'imagination
fertile travaille de concert avec
nous à enrichir le grand Art de guérir.
Je puis de plus l'affûrer , que je ne l'ai
pas eu en vûe , quand j'ai dit dans ma Lettre
, inferée au Mercure d'Octobre 1750 .
Quelle reffource peut avoir à préfent la jaloufie
de ceux qui font au défefpoir , que la guérifon
de M. D. P. n'étoit pas fortie de leur Minerve.
Après tout , je veux bien partager
avec M. le Cat , & même lui céder entie
rement , puifque cela lui fait plaifir , la
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
découverte du mercure diffolvant , avec la
maniere de l'employer dans la vellie ,
ayant toujours moins fongé à me faire un
nom , qu'à être utile au genre humain dans
l'Art que je profeffe , en travaillant à fa
perfection , autant qu'il m'a été poffible.
J'ai toujours gémi de voir les difputes de
Science dégenerer en difputes d'amous
propre , ou même en perfonnelles.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Ce 19 Novembre 1750.
Le Dran.
On a dû expliquer les Enigmes & les
Logogriphes du premier volume de Décembre
, par chemife , Printems , Papillon &
fantaisie. On trouve dans le premier Logogriphe
, Lion , pain , Lapin, Nil, pion, Paon.
On trouve dans le fecond , fat , Sénat , âne,
faifan , Afie , Saint , Satan , niais , tein , anís,
plifane & Tanais.
ENIGM E.
Lus je prends de groffeur , & plus je deviens
belle ; Plus
Sans être , cher Lecteur , farouche ni cruelle ,
Je ne fçaurois fouffrir qu'on me vienne approcher :
Un élement feul a droit de me plaire ,
Cet élement n'eft pas la terre ,
DECEMBRE . 1750. 103
J'y péris du moment qu'on me la voit toucher.
Les enfans dans leurs jeux font de moi quelque
ufage ,
Et celui qui me forme eft utile en ménage .
J. F. Guichard.
LOGOGRIPHE.
Our s'oppofer , Lecteur , aux affauts des brigands
,
Jadis on s'avifa de me donner naiffance ;
Je combats , & fouvent détruis ces arrogans
Lorfqu'ils tombent en ma pui ' ance ;
De huit pieds fe forme mon tout ;
Les trois premiers , fans changer ma ftructure ,
Donnent un mot qui fert à titre de conjecture ;
Les trois derniers t'offriront , à mon goût ,
Une affez inauvaiſe monture.
Enfuite en combinant , en moi tu pourras voir
Certain legume ; une armure fauvage ;
Un domestique oifeau , qui dans l'humide plage
Sçait avec art plonger & le mouvoir ;
Ce qui fert à fixer fur l'élement fluide
Un corps auquel il faut un guide ;
L'endroit où de Bacchus le jus cft mis au fiais ;
Certain angle de mur , d'armoire ou cheminée ;
Une Ville que l'Hymenée
A rendu célébre à jamais ;
Le Héros d'un portrait de l'illuftre Moliere ;
Du corps une partie , un coquillage; enfia
E iiij
104 MERCURE DE FRANCE.
Un infecte rampant ; & certaine riviere
Qui fe décharge dans le Rhin.
AUTRE.
Aumoyen des dix pieds , dont je fuis compofé,
Curieux Lecteur , je m'apprête ,
Chacun d'eux étant tranfpofé ,
Et diverſement exposé ,
A te mettre martel en tête.
L'on trouve dans mon fein ce hardi porte - crête ,
Dont le chant eft fi matinal ;
L'Element néceffaire à former un canal ;
Un grand Evangelifte ; une mordante bête ;
L'oifeau de Jupiter ; un fot original ;
Un Saint que le Forgeron fête ;
Une Nymphe ; un legume ; un mal ;
L'ordinaire lien d'un fougueux animal ;
Le lieu que les humains défirent pour leur ame ;
Ce que cache plus d'une femme ;
Une des filles de Laban ;
Le berceau de Venus ; un ton de la mufique ¿
Epice ; jeu ; Sainte ; oiſeau domeftique ;
Ce dont on peut tirer le célefte élement ;
Le pivot que fatigue une tête follette ,
Qui tourne comme une girouette ;
Le réduit d'un mortel dépourvû de raiſon
Une chofe des plus utile
A toute la gent volatile ;
DECEMBRE. 1750. 105
Et cette espéce de prifon
Où bien fouvent elle devient docile .
JE
AUTR E.
E fuis , Lecteur , d'un naturel ,
'Actif , impétueux , furieux & cruel ,
Enfant de la colére , ainsi que du courage
Je parois rarement fans caufer de l'effroi ;
Je veux que tout céde à ma loi ;
Garde-toi , & tu peux , des effets de ma rage.
Mais parlons fur un autre ton ,
Cet aveu déja t'intéreffe ,
Et tu voudrois fçavoir mon nom ;
Huit pieds affez égaux vont t'en faire railon,
Aidés d'une certaine adreffe :
>
Je t'offre à cette fin cet homme du vieux tems ;
Qui par unjufte Arrêt vit périr tant de gens
Ce dont il fut l'auteur , enfuite la victime.
Une peau préparée , un animal , un crime ;
Un bien fort chancelant qu'on a le plus à coeur ,
Ce que toutbon Chrétien doit avoir en horreur ;
Leféjour des élus , une plante commune ;
Un fils de Jupiter , favorable à Neptune ;
L'apprêt de l'Hymenée , un Prophéte fameux ,
Enlevé d' ci-bus dans un char lumineux ;
Un inſtrument , un fruit que
potte ;
l'on mange en com
Ce beau vieillard du tems de la belle Javotte ;
Un corps bien délié , qui fans cefle en tous lieux
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
Veille à la fûreté d'un dépôt précieux ;
L'oifeau qui des Romains réveilla l'indolence ;
Un endroit où les Grands entroient en concur
rence ;
Ce que porte à regret mainte cloſe beauté ,
Un fruit qui des paffans craint peu l'avidité ;
Celle qui pour nos maux , trop ſenſible aux carreffes
,
Ecouta d'un trompeur les fatteufes promeffes ;
Un fait affez commun , funefte à fon auteur ,
Ce qu'au Chef des Hébreux dicta le Créateur ;
Un fouper mémorable , un poids , une partie ,
Qui renferme un tréfor aufli cher que la vie ; .
Ce qu'on ne doit point dire en voulant dire non ,
Et qu'aux amans les plus fidéles ,
Accordent rarement les belles ,
Mais qu'obtient l'époux fans façon ;
Deux fort proches parens , un beau fleuve , une
Ville ;
La fille d'Hermione , une Mufe , un berger ,
Et tant d'êtres diver s qui viendroient à la file ;
Mais c'eft aflez , Lecteur , il eft tems d'abreger,
Par M. de B... Officier d'Artillerie,
A Agen , ce 30 Septembre.
1
DECEMBRE. 1750. 107
On
AUTR E.
Mon corps eft compoſé de plus de cent pas
ties,
Qui toutes avec art enſemble réunies ,
Quoiqu'en petit volume, offrent pourtant aux yeux
De l'Univers entier le fpectacle pompeux,
Sitôt que je fuis né , d'une aîle fort legére
Je cours pour annoncer , ou la paix ou la guerre :
On me voit à la Cour , au Cabinet des Grands ,
A la Ville , au Village , & chez tous les Sçavans ,
Mériter de chacun le fuffrage & l'eftime .
Par fept lettres mon nom fe prononce & s'exprime;
Mais , fi pour un moment , tu veux les féparer ,
Et qu'à les tranfpofer , tu daignes t'amufer ,
Tu trouveras d'abord un élement liquide ,
Où la fureur des vents prefque toujours préfide ,
Un mal qui fait changer la parole & la voix ,
Et qui met bien fouvent la Mufique aux abois ;
Ce qu'au- deffus du lait on y voit qui furnage ;
Ce qui fert de clôture à la Ville , au Village ;
Ce qui donna naiffance autrefois à Venus .
Enfin , mon cher Lecteur , que dirai - je de plus ?
Même dans cet inftant , je fuis en ta préfence ,
Où je parle beaucoup fans rompre le filence.
Le B. de Bormes.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES LITTERAIRES .
CE
E Profpectus , qui eft l'ouvrage de M.
Diderot , & qui eft fort goûté du Public ,
mérite bien d'être lû dans fon entier ; mais
comme il eft trop long pour être inféré dans ce
Journal , nous nous bornerons à une fimple
efquiffe , dont nous exhortons fort nos Lecteurs.
à ne pasfe contenter. Ce font les Editeurs qui
parlent dans le Proſpectus , & qui parleront
dans toute la fuite de cet Extrait.
ENCYCLOPEDIE ou Dictionnaire
raifonné des Sciences , des Arts & des
Métiers , recueilli des meilleurs Auteurs ,
& c. Par une Société de Gens de Lettres.
Mis en ordre & publié par M. Diderot , &
quant à la Partie Mathématique , par M.
d'Alembert , de l'Académie Royale des
Sciences de Paris & de l'Académie Royale
de Berlin . Dix volumes in -folio , dont deux
de Planches en taille- douce , propofés par
Soufcription. A Paris , chez Briaffon , tue
Saint Jacques , à la Science ; David l'aîné ,
rue Saint Jacques , à la Plume d'or ; le
Breton , Imprimeur ordinaire du Roi , rue
de la Harpe ; Durand , rue Saint Jacques ,
à Saint Landry & au Griffon , 1751. Avec
Approbation & Privilége du Roi ,
DECEMBRE, 1750. 10g
L'ouvrage que nous annoncons , n'eſt
plus un Ouvrage à faire . Le Manufcrit &
les Deffeins en font complets. Nous pouvons
affûrer qu'il n'aura pas moins de huit
volumes , & de fix cens Planches , & que les
Volumes fe fuccéderont fans interruption .
Jufqu'ici perfonne n'avoit conçu un Ouvrage
aufli grand ; ou du moins perfonne
ne l'avoit exécuté. Leibnitz ,de tous les Sçavans
le plus capable d'en fentir les difficultés
, defiroit qu'on les furmontât . Cependant
on avoit des Encyclopédies , & Leibnitz
ne l'ignoroit pas , lorfqu'il en demandoit
une.
La plupart de ces Ouvrages parurent
avant le fiecle dernier , & ne furent pas
tout- à- fait méprifés . Mais que feroit - ca
pour nous que ces Encyclopédies ? Quel
progrès n'a- t-on pas fait depuis dans les
Sciences & dans les Arts ? Combien de vérités
découvertes aujourd'hui , qu'on n'en
trevoyoit pas alors ? Il faut avouer d'un
autre côté que l'augmentation prodigieufe
des matieres rend à d'autres égards un tel
Ouvrage beaucoup plus difficile . Mais ce
n'eft point à nous à juger fi les fucceffeurs
des premiers Encyclopédifies ont été hardis
ou présomptueux , & nous les laifferions
tous jouir de leur réputation , fans en excepter
Ephraim Chambers , le plus connu
110 MERCURE DEFRANCE.
d'entre eux , fi nous n'avions des raifons
particulieres de pefer le mérite de celui - ci .
L'Encyclopédie de Chambers n'eut peutêtre
jamais été faite , fi avant qu'elle parut
en Anglois , nous n'avions eu dans notre
Langue des ouvrages où Chambers a puifé
fans mefure & fans choix la plus grande
partie des chofes dont il a compofé fon
Dictionnaire . Qu'en auroient donc penfé
nos François fur une Traduction pure &
fimple : Il eût excité l'indignation des Sçavans
& le cri du Public , à qui on n'eût préfenté
fous un titre faftueux & nouveau ,
que des richeffes qu'il poffédoit depuis
long-tems.
Nous ne refufons point à cet Auteur la
juftice qui lui eft dûe. Il a bien fenti le mérite
de l'ordre encyclopédique , ou de la
chaîne par laquelle on peut defcendre fans
interruption des premiers principes d'une
Science ou d'un Art jufqu'à fes conféquences
les plus éloignées , &: remonter de fes
conféquences les plus éloignées jufqu'à ſes
premiers principes ; paffer imperceptiblement
de cette Science ou de cet Art à un
autre ; & s'il eft permis de s'exprimer ainsi,
faire , fans s'égarer ,le tour du Monde Littéraire
. Nous convenons avec lui que le plan
le Deffein defon Dictionnaire font excellens ,
mais nous ne pouvons nous empêcher de
DECEMBRE. 1750. III
pervoir
combien il eft demeuré loin de la
fection .
La Traduction entiere du Chambers nous
a paffé fous les yeux , & nous avons trouvé
une multitude prodigieufe de chofes à defirer
dans les Sciences ; dans les Arts Libéraux
, un mot où il falloit des pages ; &
tout à fupléer dans les Arts méchaniques.
Mais fans nous étendre davantage fur les
imperfections de l'Encyclopédie Angloife ,
nous annonçons que l'Ouvrage de Chambers
n'eft point la bafe fur laquelle nous
avons élevé ; que nous avons refait un
grand nombre de fes articles , & que nous
n'avons employé prefqu'aucun des autres
fans addition , correction , ou retranchement
; qu'il rentre fimplement dans la
elaffe des Auteurs que nous avons particuliérement
confultés , & que la difpofition
générale eft la feule chofe qui foit commune
entre notre Ouvrage & le fien .
Nous avons fenti avec l'Auteur Anglois ,
que le premier pas que nous avions à faire
vers l'exécution raifonnée & bien entendue
d'une Encyclopédie , c'étoit de former un
Arbre Généalogique de toutes les Sciences
& de tous les Arts , qui marquât l'origine
de chaque Branche de nos connoiffances ,
les liaifons qu'elles out entr'elles & avec la
Tige commune , & qui nous fervît à rap1-
2 MERCURE DE FRANCE.

peller les differens articles à leurs chefs. Ce
n'étoit pas une chofe facile. Il s'agilfoit de
tenfermer en une page le canevas d'un Ouvrage
qui ne fe peut exécuter qu'en plufieurs
volumes in-folio , & qui doit contenir
un jour toutes les connoiffances des hommes *.
A l'afpect d'une matiere aufli étendue
il n'eft perfonne qui ne falle avec nous la
réflexion fuivante. L'expérience journaliere
n'apprend que trop , combien il eft difficile
à un Auteur de traiter profondément
de la Science ou de l'Art dout il a fait toute
fa vie une étude particuliere ; il ne faut
donc pas être furpris qu'un homme ait
échoué dans le projet de traiter de toutes
·les Sciences & de tous les Arts . Ce qui doit
étonner , c'eft qu'un homme ait été affez
hardi & affez borné pour le tenter feul.
Celui qui s'annonce pour fçavoir tout ,
montre feulement qu'il ignore les limites
de l'efprit humain.
le
Nous avons inféré de - là que pour foutetenir
un poids aufli grand que
celui que
nous avions à porter , il étoit néceffaire de
partager , & fur le champ nous avons
jetté les yeux fur un nombre fuffifant de
Sçavans & d'Artiftes ; d'Artiftes habiles &
connus par leurs talens ; de Sçavans exer-
* Cet Arbre fe trouve à la fin du Proſpectus , &
pas un n'en eft des moindres ornemens.
DECEMBRE.
1750. 113
cés dans les genres particuliers qu'on avoit
à confier à leur travail. Nous avons diftribué
à chacun la partie qui lui convenoit
; les Mathématiques au Mathématicien
; les Fortifications à l'Ingénieur ; la
Chymie au Chymifte;l'Hiftoire ancienne &
moderne à un homme verfé dans ces deux
parties ; la Grammaire à un Auteur connu
par l'efprit philofophique qui regne dans
fes Ouvrages ; la Mufique , la Marine , l'Architecture
, la Peinture , la Médecine l'Hif
toire naturelle , la Chirurgie , le Jardinage
, les Arts Libéraux , les principaux d'entre
les Arts Méchaniques , à des hommes
qui ont donné des preuves d'habileté dans
ces differens genres : ainfi chacun n'ayant
été occupé que de ce qu'il entendoit , a été
en état de juger fainement de ce qu'en ont
écrit les Anciens & les Modernes , & d'ajouter
aux fecours qu'il en a tirés , des connoiffances
puifées dans fon
fonds :
propre
* Cet Article du Profpectus eft important , & répond
à une objection qu'on pourroit faire aux
Editeurs : l'Encyclopédie , comme l'annonce le
titre du Profpectus , eft l'ouvrage d'une SOCIETE
DE GENS DE LETTRES , à qui on a diftribué les
differentes parties qui la compofent. Le Public
verra leurs noms à la tête du premier Volume ,
chacun a fait , à proprement parler , un Dictionnaire
de la partie dont il s'eft chargé , & les Editeurs
ne font prefque que réunir enfemble tous
ces Dictionnaires.
114 MERCURE DEFRANCE.
perfonne ne s'eft avancé fur le terrain d'au
trui , ni ne s'eft mêlé de ce qu'il n'a peutêtre
jamais appris ; & nous avons eu plus
de méthode , de certitude , d'étendue , &
de détails qu'ils ne peut y en avoir dans la
plupart des Lexicographes. Il eft vrai que
ce plan a réduit le mérite d'Editeur à peu
de chofe ; mais il a beaucoup ajouté à la
perfection de l'Ouvrage , & nous penferons
toujours nous être acquis aſſez de
gloire , fi le Public eft fatisfait .
La feule partie de notre travail , qui fuppofe
quelqu'intelligence , c'eft de remplir
les vuides qui féparent deux Sciences ou
deux Arts , & de renouer la chaîne dans les
occafions où nos Collegues fe font repofés
les uns fur les autres de certains articles
qui paroiffant appartenir également à plufeurs
d'entre eux , n'ont été faits par aucun.
Nous allons maintenant paffer aux principaux
détails de l'exécution .
Toute la matiere de l'Encyclopédie peur
fe réduire à trois chefs ; les Sciences , les
Arts Libéraux , & les Arts Méchaniques.
Nous commencerons par ce qui concerne
les Sciences , & les Arts libéraux , & nous
finirons par les Arts Méchaniques .
On a beaucoup écrit fur les Sciences. Les
traités fur les Arts Libéraux fe font multipliés
fans nombre ; la République des LetDECEMBRE.
IIS 1750 .
tres en eft inondée . Mais combien peu
nent les vrais principes ?
don-
Entre tous les Ecrivains , on a donné la
préférence à ceux qui font généralement
reconnus pour les meilleurs. C'eft de là que
les principes ont été tirés. A leur expofition
claire & précife on a joint des exemples
ou des autorités conftamment reçues. La
coûtume vulgaire eft de renvoyer aux fources
, ou de citer d'une maniere vague ,
fouvent infidelle , & prefque toujours confufe
, enforte que dans les differentes parties
dont un article eft compofé, on ne fçait
exactement quel Auteur on doit confulter
fur tel ou tel point , ou s'il faut les confulter
tous , ce qui rend la vérification longue
& pénible . On s'eft attaché , autant qu'il a
été poffible , à éviter cet inconvénient , en
citant dans le corps même des articles , les
Auteurs fur le témoignage defquels on s'eft
appuyé , rapportant leur propre texte ,
quand il eft néceffaire ; comparant partout
les opinions ; balançant les raifons , propofant
des moyens de douter ou de fortir
de doute ; décidant même quelquefois ;
détruifant , autant qu'il eft en nous , les erreurs
& les préjugés , & tâchant furtout de
ne les pas multiplier & de ne les point perpétuer,
en protégeant fans examen des fentimens
rejettés , ou en profcrivant fans rai116
MERCURE DE FRANCE.
fon des opinions reçues. Nous n'avons pas
craint de nous étendre , quand l'intérêt de.
la vérité & l'importance de la matiere le
demandoient , facrifiant l'agrément , toutes
les fois qu'il n'a pu s'accorder avec l'inſtruction.
Ce font là toutes les précautions que nous
avions à prendre. Voilà les richeffes fur lefquelles
nous pouvions compter ; mais it
nous en eft furvenu d'autres que notre entreprife
doit , pour ainfi-dire , à fa bonne
fortune . Ce font des Manufcrits qui nous
ont été communiqués par des Amateurs ,
ou fournis par des Sçavans , entre lefquets
nous nommerons ici M. Formey , Secrétaire
perpétuel de l'Académie Royale des
Sciences & des Belles-Lettres de Pruffe .
Ce font encore des Recherches , des Obfervations
que chaque Artifte ou Sçavant ,
chargé d'une partie de notre Dictionnaire ,
Lenfermoit dans fon cabinet , & qu'il a
bien voulu publier par cette voie . De ce
nombre feront prefque tous les articles de
Grammaire générale & particuliere . * Nous
croyons pouvoir affûrer qu'aucun Ouvrage
connu ne fera ni auffi riche ni auffi inftructif
que le nôtre , fur les regles & les ufages
* On en croira fans peine les Editeurs , quand
ou fçaura que ces articles font pour la plupart ,
Pouvrage de M. du Marais.
DECEMBRE. 1750. 117
de la Langue Françoife , & même fur la
nature , l'origine & le philofophique des
Langues en général. Nous ferons donc part
au Public , tant fur les Sciences que fur les
Arts Libéraux , de plufieurs fonds littéraires
dont il n'auroit peut-être jamais eu
connoiffance.
Mais ce qui ne contribuera gueres moins
à la perfection de ces deux branches importantes
, ce font les fecours obligeans que
nous avons reçus de tous côtés ; protection
de la part des Grands ; accueil & communication
de la part de plufieurs Sçavans ,
Bibliotheques publiques , Cabiners particu
liers , Recueils , Portefeuilles , &c. tour
nous a été ouvert & par ceux qui cultivent
les Lettres , & par ceux qui les aiment.
Nous fommes principalement fenfibles
aux obligations que nous avons à M. l'Abbé
Sallier , Garde de la Bibliotheque du
Roi : aufli n'attendrons- nous pas pour l'en
remercier , que nous rendions , foit à nos
Collegues , foit aux perfonnes qui ont pris
intérêt à notre Ouvrage , le tribut de
louanges & de reconnoiffance qui leur
eft dû.
Voilà ce que nous avions à expoſer au Public
fur les Sciences & les Beaux Arts. La
partie des Arts méchaniques ne demandoit
ni moins de détails ni moins de foins. Ja
18 MERCURE DEFRANCE.
mais peut-être il ne s'eft trouvé tant de difficultés
raffemblées , & fi peu de fecours
pour les vaincre. On a trop écrit fur les
Sciences on n'a pas affez bien écrit fur la
plupart des Arts libéraux : on n'a preſque
rien écrit fur les Arts méchaniques ; car
qu'est-ce que le peu qu'on en rencontre
dans les Auteurs , en comparaifon de l'étendue
& de la fécondité du ſujet ? Tout
nous déterminoit donc à recourir aux Ouvriers.
On s'eft adreffé aux plus habiles de Paris
& du Royaume. On s'eft donné la peine
d'aller dans leurs Ateliers , de les interroger
, d'écrire fous leur dictée , de déveloper
leurs penfées , d'en tirer les termes
propres à leurs profeffions , d'en dreffer
des tables , de les définir , de converfer
avec ceux dont on avoit obtenu des mémoires
& ( précaution prefqu'indifpenfable
) de rectifier dans de longs & fréquens
entretiens avec les uns , ce que d'autres
avoient imparfaitement , obfcurément , &
quelquefois infidellement expliqué. Il eft
des Artiftes qui font en même tems gensde
Lettres , & nous en pourrions citer ici :
mais le nombre en feroit fort petit : la plûpart
de ceux qui exercent les Arts méchaniques
, ne les ont embraffés que par nécefité
, & n'operent que par inftinct. A peiDECEMBRE.
119 1750.
ne entre mille en trouve- t -on une douzaine
en état de s'exprimer avec quelque clarté
fur les inftrumens qu'ils emploient & fur
1es ouvrages qu'ils fabriquent . Nous avons
vû des Ouvriers qui travailloient depuis
quarante années , fans rien connoître à
leurs machines. Il nous a fallu exercer avec
eux la fonction dont fe glorifioit Socrate
la foction pénible & délicate de faire accoucher
les efprits , obftetrix animorum .
Mais il eft des métiers fifinguliers & des
manoeuvres fi déliées , qu'à moins de travailler
foi même , de mouvoir une machine
de fes propres mains , & de voir l'ouvrage
fe former fous fes propres yeux , il
eft difficile d'en parler avec précifion. Il a
donc fallu plufieurs fois fe procurer les machines
, les conftruire , mettre la main à
l'oeuvre , fe rendre , pour ainfi dire , apprentif,
& faire foi même de mauvais oùvrages
pour apprendre aux autres comment
on en fait de bons.
Voici la méthode qu'on a fuivie pour
chaque Art. On a traité , 1 °. de la matiere ,
des lieux où elle fe trouve , de la maniere
dont on la prépare , de fes bonnes & mauvaifes
qualités , de fes différentes efpeces ,
des opérations par tefquelles on la fait paffer
, foit avant que de l'employer , foit en
la mettant en oeuvre .
120 MERCURE DE FRANCE.
2º. Des principaux ouvrages qu'on en
fait , & de la maniere de les faire.
3°. On a donné le nom , la defcription ,
& la figure des outils & ' des machines , par
pieces détachées & par pieces affemblées ,
la coupe des moules & d'autres inftrumens ,
dont il eft à propos de connoître l'intérieur ,
leurs profils , &c.
4°. On a expliqué & repréfenté la main
d'oeuvre & les principales opérations dans
une ou plufieurs Planches , où l'on voit
tentôt les mains feules de l'Artifte , tantôt
l'Artifte entier en action , & travaillant à
l'ouvrage le plus important de fon Art.
5º. On a recueilli & défini le plus exactement
qu'il a été poffible les termes propres
de l'Arr .
Mais le peu d'habitude qu'on a,& d'écrire
& de lire des écrits fur les Arts , rend les
chofes difficiles à expliquer d'une maniere
intelligible. De-là naît le befoin de Figures
. On pourroit démontrer par mille
exemples qu'un Dictionnaire pur & fimple
de Langue , quelque bien qu'il foit fait ,
ne peut le paffer de Figures , fans tomber
dans des définitions obfcures ou vagues ;
combien donc à plus forte raifon ce lecours
ne nous étoit- il pas néceffaire ? Un coup
d'oeil fur l'objet ou fur la repréſentation
en dit plus qu'une page de difcours.
On
DECEMBRE. 1750. 127
par
On a envoyé des Deffinateurs dans les
Ateliers . On a pris l'efquille des machines
& des outils. On n'a rien omis de ce qui
pouvoit les montrer diftinctement aux
yeux. Dans le cas où une machine mérite
des détails par l'importance de fon ufage &
par la multitude de fes parties , on a paffé
du umple au compofé . On a commencé
affembler dans une premiere figure autant
d'élémens qu'on en pouvoit appercevoir
fans confufion. Dans une feconde figure ,
on voit les mêmes élémens avec quelques
autres. C'eft ainfi qu'on a formé fucceffivement
la machine la plus compliquée fan's
aucun embarras , ni pour l'efprit ni pour les
yeux. Il faut quelquefois remonter de la
connoiffance de l'ouvrage à celle de la machine
, & d'autres fois defcendre de la connoiffance
de la machine à celle de l'ouvrage.
On trouvera à l'article Art , des réflexions
philofophiques fur les avantages de ces
méthodes , & fur les occafions où il eft à
propos de préferer l'une à l'autre.
Il y a des notions qui font communes à
$ . prefque tous les hommes , & qu'ils ont
dans lefprit avec plus de clarté qu'elles n'en
peuvent recevoir du difcours. Il y a auffi
des objets fi familiers , qu'il feroit ridicule
d'en faire des figures. Les Arts en offre n
d'autres fi compofés , qu'on les repréfente
II. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
roit inutilement : dans les deux premiers
cas , nous avons fuppofé que le Lecteur
n'étoit pas entiérement dénué de bon fens
& d'expérience , & dans le dernier , nous
renvoyons à l'objet même . Il eft en tout un
jufte milieu , & nous avons tâché de ne le
pas manquer ici . Un feul Att dont on voudroit
tout dire & tout repréfenter , fourni
roit des volumes de difcours & de planches
. On ne finiroit jamais ſi l'on fe propofoit
de rendre en figures tous les états par
lefquels paffe un morceau de fer avant que
d'être transformé en aiguilles. Que le difcours
fuive le procédé de l'Artifte dans le
dernier détail ; à la bonne heure . Quant aux
Figures ,nous les avons reftraintes aux mouvemens
importans de l'ouvrier , & aux
feuls momens de l'opération qu'il eft
très -facile de peindre & très - difficile d'expliquer.
Nous nous en fommes tenus aux
circonftances effentielles , à celles dont la
repréſentation , quand elle est bien faite
entraîne néceffairement la connoiffance de
celles qu'on ne voit pas. Nous n'avons pas
voulu reffembler à un homme qui feroit
planter des guides à chaque pas dans une
route , de crainte que les voyageurs ne
s'en écartaffent : il fuffit qu'il y en ait par
tout où ils feroient exposés à s'égarer.
Au reſte , c'eſt la main d'oeuvre qui fait
·
DECEMBRE.
1750.
123
T'Artifte , & ce n'eft point dans les Livres
qu'on peut apprendre à manoeuvrer . L'Ar
tifte rencontrera feulement dans notre Ouvrage
des vûes qu'il n'eût peut-être jamais
eues , & des obfervations qu'il n'eûr faites
qu'après plufieurs années de travail . Nous
offrirons au Lecteur ftudieux ce qu'il eût
appris d'un Artiſte en le voyant opérer
pour fatisfaire fa curiofité , & à l'Artiſte
ce qu'il feroit à fouhaiter qu'il apprîc du
Philofophe pour s'avancer à la perfection .
Nous avons diftribué dans les Sciences &
& dans les Arts Libéraux , les Figures & les
Planches , felon le même efprit & avec la
même économie que dans les Arts Méchaniques
, cependant nous n'avons
re le nombre des unes & des autres , à
moins de fix cens.Les deux Volumes qu'el
les formeront , ne feront pas la
moins
intéreffante de
l'Ouvrage , par l'atpartie
la
tention que nous aurons de placer au verfo
d'une Planche ,
l'explication de celle qui
fera vis-à-vis , avec des renvois aux endroits
du
Dictionnaire auxquels chaque
Figure fera relative. Un Lecteur ouvre un
volume de Planches ; il
apperçoit une machine
qui pique fa curiofité : c'eft , fi l'on
veut , un Moulin à poudre , à papier , à
foie , à fucre , &c. il lira vis-à-vis , fig.
5º , § 1 ou 6o , &c. Moulin à poudre , Mou
pu rédui
Fij
4 MERCURE DE FRANCE
lin àfucre , Moulin à papier , Moulin à ſoie ,
&c. il trouvera enfuite une explication fuccincte
de ces machines avec les renvois aux
articles, Poudre , Papier , Sucre , Soie, &c.
La Gravure répondra à la perfection des
Deffeins , & nous espérons que les Planches
de notre Encyclopédie furpafferont
celles du Dictionnaire Anglois , autant en
beauté qu'elles les furpaffent en nombre.
Chambers a trente Planches. L'ancien projet
en promettoit cent vingt ; & nous en
donnerons fix cens au moins. Il n'eft pas
étonnant que la carrriere fe foit étendue
fous nos pas. Elle eft immenſe ; & nous ne
nous flattons pas de l'avoir parcourue.
Malgré les fecours & les travaux dont nous
venons de rendre compte , nous déclarons
fans peine , au nom de nos Collegues & au
nôtre , qu'on nous trouvera toujours dilpofés
à convenir de notre infuffifance , &
profiter des lumieres qui nous feront
communiquées. Nous les recevrons avec
reconnoiffance , & nous nous y conformerons
avec docilité , tant nous fommes perfuadés
que la perfection derniere d'une Encyclopédie
eft l'ouvrage des ficcles.Il a fallu
des fiecles pour commencer , il en faudra
pour finir ; mais à la postérité , & à
L'Eftre qui ne meurt point.
Tel eft le plan abrégé de l'immenſe & imporDECEMBRE.
1750. 125
tant Dictionnaire que nous annonçons. L'entreprife
eft digne de Mrs Diderot & d'Alembert,
deux des premiers hommes de l'Europe par
la fagacité , les connoiffances , l'efprit philofophi
que ; & quijoignent à ces avantages , le talent
d'écrire vivement, agréablement & facilement.
Conditions proposées aux Souferiptears.
Ce Dictionnaire fera impriméfur le même
Papier & avec les mêmes Caracteres
que le Projet. Il aura dix Volumes infolio
, dont huit de matiere , de deux
cens quarante feuilles chacun , & fix cens
Planches en taille douce , avec leur Explication
, qui formeront les Tomes IX. & X.
On ne fera admis à foufcrire que jufqu'au
premier Mai 1751 , & l'on payera en fouferivant.
бо liv
En Juin 1751 , en recevant le
premier Volume ,
En Décembre fuivant , le fecond
Volume ,
En Juin 1752 , le troifiéme Volume
,
En Décembre fuivant , le quatriéme
Volume .
36
24
24
24
24
24
En Juin 1753 , le cinquième Volume
,
En Décembre fuivant , le fixieme
Volume ,,
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE
.
En Juin 175.4 , le feptiéme Volume
,
En Décembre fuivant , le huitiéme
Volume , avec les fix cens.
Flanches en taille-douce , qui formeront
les Tomes LX & X ,
TOTAL ,
24.
40.
280 live
Les Soufcripteurs
font priés de retirer les Volumes
, à mesure
qu'ils
paroîtront
, & tout l'Ouvrage
un an après la livraiſon du dernier
Volume
, à faute de quoi ils perdront
les avances
qu'ils auront
faites ; c'est une claufe
expreffe
des conditions
, propofées
.
Ceux qui n'auront pas foufcrit,payeront
les Volumes à raifon de 25 liv. , chacun
en feuille , & les 600 Planches à raifon
de 172 liv. ce qui formera une fomme de
3.72 livres.
Dans le cas où la matiere de cet Ouvrage
produiroit un Volume de plus , les i
Soufcripteurs payeront ce Volume fept
livres de moins que ceux qui n'auront pas
foufcrit.
EPHEMERIDES Cofmographiques , où le
cours apparent & réel des Planettes eft dés
figné par des tables & repréfenté par des.
Planches d'après les obfervations & calculs
DECEMBRE. 1750. 127
aftronomiques pour l'année 1751 , & où
des éclairciffemens neufs fur divers articles
de Cofmographie & d'Aftronomie , d'Hiftoire
Naturelle & de Phylique , forment
une fuite de ceux qui ont été publiés dans
les Ephémérides de 1750. A Paris , chez
Durand , rue Saint Jacques. Le Cenfeur
qui a approuvé ce Livre , obſerve très - judicieulement
que l'illuftre Auteur zélé
pour la Religion , cherche à, montrer dans
Tous les ouvrages l'accord des Saintes Ecri
tures avec la Philofophie moderne .
On trouve chez Cailleau Libraire ruëS.
Jacques , plufieurs Almanach d'un nouveau
goût pour l'an 1751.
19. L'Almanach chantant fuivi de la lo
serie & des étrennes magiques , où M. Nau
donne le moyen de faire des préfens en
chanſons.
20. L'Almanach lirique , atronomique ,
☛ phyſique, qui réunit l'agréable à l'utile ,
& qui eft auffi de la façon de M. Nau .
3°. Calendrier lirique , mithologique ,
biftorique , fuivi de l'Ethomantie des Dames ,
ou de l'Art de deviner leurs caracteres. Il y a
douze numéros & douze couplers dont l'un
peint une coquette , l'autre une prude &c.
les petites loteries font très propres à anaufer
un grand nombre de compagnies.
F iiij
$29 MERCURE DE FRANCE.
14°. Les Tableites de Thalie , ou Calendrier
de l'esprit , & du coeur. On y trouve l'Oracle
des Théatres , & des prédictions fur
Pamour & fur le mariage.
5. L'Almanach des Francs-Maçons &
des Maçonnes, où l'on dévoile tous leurs fecrets.
-6°. L'Almanach des Théatres. On trouve
dans ce nouvel Almanach tont ce qui peut
piquer la curiofité , fur les trois principaux
Spectacles de Paris , la Comédie Francoife ,
la Comédie Italienne & l'Opéra . On n'a
rien négligé pour rendre ce petit Ouvrage
beaucoup plus parfait que ceux qui ont paru
dans le même genre les autres années .
On donne une hiftoire courte , mais exacte
de nos trois differens Théatres; on fait connoître
les Auteurs qui s'y font diftingués
& l'on celebre les talens des. Acteurs qui y
jouent actuellement . Pour ne rien laiffer à
défirer au Public fur cette matiere , on a
joint à tout cela un catalogue de toutes les
Pieces que chaque Théatre a adoptées , &
qui y font restées jufqu'à ce jour ; pour
rendre enfin ce Calendrier plus particulier
à l'année préfente , on y a mis la lifte des
Pieces qui ont été jouées durant le cours do
l'année derniere , avec la datte de leurs
premieres repréſentations .
Le même Libraire avertir le Public qu'il
1
DECEMBRE. 1750. 129
mis à la tête de l'édition qu'il a donnée de
Cenie, une eftampe qui repréſente le dénou
ment de la Piece : ainfi toutes les éditions :
où cette eftampe ne fera pas , feront des
éditions contrefaites..
LES MERVEILLES de la Nature , Alma--
nach pour l'année 1751 , contenant unc
courte explication de tout ce qui frappe:
nos yeux dans l'ordre de l'Univers. A Pa:
ris , chez Guillin , Quai des Auguftins , au
Lys d'or , 175 1
Nous croyons que cet Almanach réuffira,
parce qu'il eft bien fait , & parce qu'ili
roule fur une matiere agréable.
ALMANACH des Curieux pour l'année
1751 , où ils trouveront la réponſe:
agréable des demandes les plus diver
tiffantes , pour le réjouir dans les Com--
pagnies. A Paris , chez Giffey , rue de la
vicille Bouclerie:
ETRENNES HISTORIQUES , ou Mêlange :
curieux pour l'année 1751 , contenant
plufieurs remarques de Chronologie &
d'Hiftoire , enfemble les Nailfances &
Morts des Rois , Reines , Princes & Prin
ceffes de l'Europe , accompagnées d'épo
ques & de remarques que l'on ne trouve :
point dans les autres Calendriers , avec
un recueil de diverſes matieres utiles , cu-
Ev
130 MERC KE DE FRANCE
rieufes & amufantes. A Paris , chez le
même , rue de la vieille Bouclerie.
ALMANACH de Normandie pour l'année
1751. A Rouen , chez Befogne , fils.
On trouvera dans cet Almanach , quis
eft joliment imprimé , les choſes générales :
qu'on trouve dans les autres , & tout ce
qui concerne la Normandie en particu
lier , comme les differentes Cours & Jui
rifdictions , les Coches , les chemins , le:
départ des Couriers , &c..
DISSERTATION contenant de nouvelles
obſervations fur la fievre quarte , & l'eau‹
Thermele de Bourbonne en Champagne
par M. Juvet, Confeiller du Roi , Medecin .
de l'Hopital Royal & militaire de Bourbonne.
A Chaumont, chez G.Briden, Imprimeur
& Libraire de la Ville & du Collége, 1750..
Si l'on n'employe pas l'eau de Bourbonne.
contrela fievre quarte,ce n'eft,dit l'Auteur,
que l'effet du préjugé , cette cau la guérit
très bien ; elle guérit même la fiévre tierce
opiniâtre, pourvu qu'on en ufe avec les pré
cautions néceffaires ; les expériences répé
téesqu'il en a faites font les garans de ce
qu'il avance , quatorze ou quinze mille
malades ou bleffés lui ayant fourni des occafions
fréquentes de s'apperçevoir de l'er
reur où l'on l'on étoit à cet égard..
AE. 17507 131
M. Juvet fait voir que des parties fulfureufes
& volatiles, telles que celles que renferment
l'opium, le camphre, l'antimoine
les herbes aromatiques ,les fels volatiles &
les efprits tirés des animaux & des végétaux
, tous remedes que l'on preferit contre
la fièvre quarte , fe trouvent dans l'eau
de Bourbonne ..
Il vient aux differens féls fixes, que plu
fears Médecins des plus célébres ont confacrés
à la fièvre quarte , & après des recherches
analytiques de ces fels contenus
dans les plantes les plus fébrifuges , il
conclud que l'eau de Bourbonne ayant
beaucoup de fel fixe , neutre , puifqu'el
le en contient foixante grains par livre ,
doit auffi être fébrifuge.
II va plus loin , & il croit par diverfes
expériences que le fel de l'eau de Bourbonne
a la fupériorité far ces fels ; il s'eft attaché
à celles qu'il a faites avec le fang humain,&
qui font très curieufes. Il a éprouvé
qu'aucun fel ne produifoit fur ce fang l'effet
de celui de l'eau de Bourbonne , qui par
fon mélange avec lui a pris & confervé une
belle couleur d'écarlate , & une confiftence
déliée, tandis que les effets ne duroient
que vingt-quatre heures , plus ou moins ,.
dans les autres mélanges avec les autres
fels comme le fel Ammoniac , le Borax &e..
F. vj
132 MERCURE DE FRANCE.
Comme les abforbans & le fer font aufli
regardés comme fébrifuges , il en a cherché
dans l'eau de Bourbonne , & il y a
trouvé des abforbans qu'il compare aux
yeux d'écreviffes, au corail , &c ; il prétend:
aufli que cette eau eft ferrugineufe, & il en
donne plufieurs preuves.
L'Auteur, pour appuyer la Théorie de ſa
Differtation de la pratiqne, & de faits pu
blics , bien avérés , qui font le fceau de la
bonne Théorie , cite des malades guéris de
la fievre quarte , fur lefquels le quinquina
le mieux adminiftré avoit échoué , &.
après avoir fait un parallele da quinquina
& de fes préparations , même du fel effen- .
tiel de quinquina, avec l'eau de Bourbon.
ne , il n'hésite pas d'affirmer que l'eau de
Bourbonne , comme délayante , digeftive ,.
ftomachique , incifive , apéritive , diurétique
, évacuante , fortifiante & nervi
ne , ( qualités non conteſtées ) renferme
toutes les qualités requifes pour la guérifor
de la frevre quarte, & que fa vertu eft
même, fupérieure à celle du quinquina.
*
RECUEIL D'ARRESTS rendus dans des.
Procès de rapporten la quatriéme Cham
bre des Enquêtes , par M.... Confeiller
en la même Chambre . Chez Quillan , rue
Galande , près la rue du Fonare , 1750 »
it:-48%
DECEMBRE. 1750 135
1
Les Arrêts rédigés dans ce Recueil , l'ont
été par un des Magiftrats qui a été Juge
forfqu'ils ont été rendus.
La rédaction que l'on en donne, eft plu
tôt l'analyfe de la difcuffion des moyens .
ntiles aux Parties & néceffaires pour l'examen
des questions , qui a été fait les
par
Juges , que celle de tous les moyens qui
ont été employés..
Cette même rédaction contient auffi les:
véritables principes des Décisions.
De tous les Recueils qui ont déja paru ,
il y en a peu qui ayent ces avantages.
BEAUX- ARTS
DISSERTATIO NI
Sur une Médaille de grand bronze de l'Em
pereur Commode , du Cabinet de M. Beauvais
de l'Académie de Corione..
E Régne de l'Empereur Commode
LE
eft après celui d'Adrien , un de ceuxx
qui fourniffent les Médailles les plus curieufes
& les plus fingulieres de l'Empire :
Romain. Ce Prince étoit fils de Marc :
Aurele , le plus vertueux de tous les Empereurs
Payens , & de Fauftine la jeune ,
la femme la plus déréglée de fon tems .
134 ME RCURE DE FRANCE
Il fembloit que la Nature s'étoit attachée
à faire paffer dans l'ame de Commode ,
tous les vices honteux dont fa mere s'étoit
publiquement foüillée , & à lui refa
fer les moindres des vertus qui avoient
fait briller fon pere fur le premier trône:
du monde..
Quoique Marc Aurele eût donné tou
tes les attentions à procurer à fon fils une
éducation digne du rang fuprême où il étoit
deftiné , les perfonnes habiles qui furent
chargées de l'inftruire , & de lui former
les moeurs, neparent jamais parvenir à lur
infpirer des fentimens raisonnables ; fon
mauvais naturel rendit inutiles - les effortsque
l'on fit pour réprimer les paffions
honteufes auxquelles il s'abandónna dès fa
premiere jeuneffe , & ce Prince parut à
l'âge de 19 ans , qu'il parvint à l'Empire,
plus cruel & plus corrompu que tous les
Empereurs qui l'avoient précédé.
Le Senat qui étoit accoûtumé depuis les
Regnes des premiers Empereurs , à lear
prodiguer les éloges les plus outrés , &
fouvent les plus ridicules , ne les épargna
pas à Commode. Il fut le premier à quis
on donna le titre d'heureux , qu'on joi
gnit à celui de pieux ou de debonnaire ,
qu'Antonin & Marc Aurele avoient pottés
PIUS , FELIX. On le décora du beau:
.
DECEMBRE... 17502. 1355
d'Em-.
de
nom de Pere de la Patrie , ( que peu
pereurs ont mérité , PATER PATRIÆ ;
Père du Sénat , quoiqu'il eût fait mourir
grand nombre de Sénateurs , PATER SENATUS.
On le regarda comme l'augmen
tateur de la Pieté , AUCTOR PIETATIS ,
comme l'Auteur de la Félicité publique ,.
FELICITAS PUBLICA ; de l'allegreffe dont
on fuppofoit que les Citoyens étoient
remplis, LÆTITIÆ CIVIVM, & on lui at--
tribua la même vertu qu'à la Déeffe de la
fanté , SALUS GENERIS HUMANI..
1
Les Villes de la Grece ne furent pass
moins attentives que le Sénat de Rome :
à donner fur leurs Médailles dès louan--
ges
à ce Prince. On voit dans le Cabinet :
du Roi une Médaille de moyen Bronze :
frappée à Nicée , au revers de laquelle on :
lir :
i
ΚΟΜΜΟΔΟΥ BACIΛEONTOCO Κόσμος:
EYTTYBY. Commodo regnante mundus beatus
eft. Outre ces éloges qu'on lit fur les Mé--
dailles de ce Régne , on 7 remarque en--
core la baffeffe avec laquelle le Sénat applaudir
à la manie facrilege de Commodequi
fe regardoit comme un Dieu fur la
terre. On lui fit frapper des Médailles
avec les titres d'Hercule Romain , HERCVLI
ROMANO , de Jupiter le Jeune
Jovi JVVENII , de Jupiter très- excellent
lovi EXSVPERANTISSIMO.
3
30 MERCURE DE FRANCE.
Enfin quoique les extravagances & less
oruautés de ce Prince lui euffent attiré une
fin tragique , & que fa mémoire eût été
Alétrie par tous les Hiftoriens, cela n'empêcha
pas dans la fuite l'Empereur Gallien
de le mettre au rang des Dieux , Dr-
VO COMMODO..
Dans la fuite de Médailles de grand
Bronze que je poffède de cet Empereur ,
dont le nombre eft de plus de 120 , toutes.
differentes les unes des autres , tant Ro
maines que Grecques , il s'en trouve une
avec un revers fingulier , dont la Légende
ne paroît pas fufceptible d'une explication
raifonnable ; elle fat trouvée il ya 20 ans
à Lyon , par feu M. l'Abbé Roman, un des.
Hommes de fon tems , qui connoiffoit le:
mieux la fabrication des Médailles anti--
ques ; elle a paffé après la mort dans mɔn
cabinet , & a augmenté le grand' nombre
'de Médailles rares que je poffède de ce
Régne: Je vais , avant que d'entreprendre:
d'expliquer l'énigme dont cette Médaille
paroît enveloppée , en donner la defcriprion
.
On voit für lå premiere face de cette :
Médaille , la tête de l'Empereur , couronnée
de lauriers , tournée dé là gauche à la
droite , pour Légende , COMMODVS AVGVSIYs
far le revers,la figure d'une fem
DECEMBRE. 1750. 137
me affife & vêtuë de la robbe qu'on nomme
Stola, tournée de la droite à la gauche,
ayant le bras gauche appuyé fur la chaife
; elle tient de la main droite un globe
, pour Légende , DINA DINA PIA AVGVSTA
; dans le champ de la Médaille font
les deux lettres ordinaires S. C. Senatus
Confulto.
La premiere remarque que j'ai faite fur
cette Médaille , depuis qu'elle eft en ma
poffeflion , eft qu'elle eft d'une fabrication.
très-grefliére , & que par conféquent elle
n'a pas été frappée à Rome, où le goût exquis
pour la gravure des Médailles, furtout
de celles en or & en grand Bronze , avoit
été porté depuis le Régne de Trajan à ſa
plus haute perfection , ni dans aucunes:
des Villes de l'Italie où la même perfec-.
tion étoit établie . Il paroît donc que cette
piéce a été fabriquée dans une Ville des
Gaules ou d'Efpagne,
Les Ouvriers employés à la fabrication
des monnoyes , qui fe frappoient dans.
ces Provinces , travailloient groffiérement
& peu correctement , comme toutes les
Médailles ( qui ne font que de bronze , ),
qu'on y battoit , en font des preuves al
furées.
Cette remarque qui doit déterminer le
pais où la Médaille dont il eft question ,
38 MERCURE DE FRANCE.
a été faite , m'engage à avancer que fon
severs qui paroît extraordinaire , n'appar
tient point à la tête de Commode , à la
quelle il eft joint ; qu'il reprefente un
des Types de la confécration de Fauftine ,
la jeune , mere de Commode , que quelque
Monetaire aura appliqué par une de
ces méprifes , ( dont nous avons une infinité
d'exemples dans les Médailles an
tiques , ) à la tête de Commode.
Quoique Marc Aurele parût avoir beau
coup d'attachement pour Fauftine , il eft
certain que la reconnoiffance avoit plus
de part aux fentimens qu'il lui témoigna
toujours , que la tendreffe ; fon mariage
avec la fille d'Antonin lui avoit ouvert le
chemin à l'Empire. Tems heureux où on
vit fur le trône un Prince philofophe ,
gouverner l'univers avec les fentimens
d'un pere de famille. Cer Empereur n'ignoroit
pas les defordres affreux auxquels
fa femme s'abandonnoit ; mais la philo
fophie dont il faifoit prófeffion , le mettoit
au-deffus des difgraces qu'une femme
galante procure à un mari.
Fauftine mourut dans un Village au
pied du Mont-Taurus , lorfqu'elle fuivoit
Marc Aurele qui étoit paffé en Afie ; ce
Prince , que fa philofophie abandonna
dans cette occafion , la regretta comme
DECEMBRE. 1750. 139
il auroir pu faire la femme la plus vertueufe
. Il parut inconfolable dans fon malheur
, & il pria le Sénat de placer dans le
Ciel une femme qui avoir été la honte
& l'opprobre de la terre.
Tous les Ordres de l'Empire s'emprefferent
de mettre Fauftine au rang des nouvelles
Divinités , on lui érigea des Temples
, on établit des Colléges de Prêtres ,
pour avoir foin de fon culte ; de- là le
grand nombre de Médailles en or , en
argent , & en bronze qui repréfentent
la confécration de cette Impératrice , du
nombre defquelles eft , je crois , le revers
de la Médaille du Commode , dont je
parle , lequel reprefente un des Types
ordinaires des Apothéofes des femmes.
des Céfars.
"
On y voit Fauftine affife qui tient un
globe dans fa main droite , telle qu'elle:
fe trouve fur la plupart des autres Mé
dailles de fa confécration , fur lesquelles :
on lit pour Légende , AETERNITAS , OU:
CONSECRATIO , & quelquefois MATER
GASTRORVM. L'Ouvrier qui avoit gravé
la Médaille de Fauftine avec ce revers ,.
avoit fans doute mis de l'autre côté à
L'entour de la tête de cette Princeffe , la
Légende qui fuit , Rauftina mater Caftrorum,
& au revers , comme on le devroit
40 MERCURE DE FRANCE.
lire , s'il n'y avoit pas de faute de la part
du Graveur ; Diva pia Augufta. Ce qui
forme une Légende parfaite , & précité.
meat dans le goût des confécrations des
Princeses que l'on mettoit au rang des
Divinités.
(772
Je fupofe la Légende , revers de Faufti
ne , rela e avec celle de la tête , & lui
fervant de fuite , ce qui eft très- fréquent
fur les Médailles Romaines , & fans en
chercher d'autres exemples que dans Faultine
même , on lit fur plufieurs de fes
Médailles , du côté de la tête , Faustina
Augufta , & au revers , Pii Augufti Filia ;
ce qui ne forme qu'une même infcription ,
Cette piéce ayant été fuivant routes
apparences frappée dans un Païs où
les Ouvriers n'étoient point entendus
dans l'art de la gravure , il n'elt pas fur.
prenant qu'un Monétaire aura mal ortographié
le mot de DIVA, & aura gravé en
place DINA , qui ne fignifie rien dans le
langage des Romains , & l'aurapû mettre,
par méprife, ou peut- être par une maniere
d'acclamation , mis deux fois au lies
d'une.
les
A l'égard de l'erreur que l'on a faite
de joindre ce revers à une tête qui ne
Lui appartient point , les antiquaires fçavent
que cesfortes de méprifes font fré
DECEMBRE. 1750. 141
entes dans les Médailles Impériales de
bronze & d'argent , & il n'y a point de
cabinets un peu nombreux qui n'en prefentent
des exemples. J'en ai plufieurs de
cette espéce dans ma collection de grand
bronze , & entr'autres une Fauftine , la
jeune , qui a au revers pour infcription .
Victoria Angufti T. R. P. XVIII. Imp. 11.
Cof. IIL Le Type eft une Victoire qui
porte un étendart , & qui a à fes pieds
un captif. Ce revers qui repréfente la
conquête de l'Arménie par Verus , Gendre
& collégue de Marc Aurele , appartient à
ce dernier Prince.
Cer exemple que je pourrois multiplier ,
doit contribuer à autorifer mon fentiment
fur la Médaille de Commode , dont le
revers a paru extraordinaire ; mais dong
la fingularité ne doit être regardée , que
commme l'effet de la méprife d'un Ôuvrier
, qui a gravé le titre de Diva par
DINA , mis deux fois de fuite au lieu
d'une , & encore parce que ce même revers
fe trouve appliqué à une tête qui
ne lui convient pas.
242 MERCURE DE FRANCE:
LETTRE
A Monfieur ***.
E fuis bien mortifié , Monfieur , de né
pouvoir fatisfaire votre curiofité fut
les Tableaux nouvellement exposés au
Palais du Luxembourg. Les détails que
vous me demandez exigeroient de ma
part une connoiffance plus étendue des
principes de la Peinture ; contentez- vous
de quelques legéres réflexions .
Le Public s'eft empreffé d'admirer les
ouvrages immortels des Peintres les plus
célébres : les Peintres modernes aidés de
ces fecours , y puiferont des obfervations
utiles à leurs talens : l'étude de ces grands
hommes, qu'ils fe propofent d'imiter, peut
les éclairer , & leur faire connoître les
routes & les fources qui les ont conduits
à la perfection. Les amateurs trouveront
dans cette expofition un amuſement
d'autant plus aimable , qu'il peut fe varier
& fe renouveller fans ceffe. Comme
il leur manque ce coup d'oeil du Peintre ,
qui fçait faifir en un inftant les beautés
& les défauts d'un ouvrage , il leur faut
auffi plus de tems pour leur apprendre
à s'y connoître. Cette étude , loin d'être
DECEMBRE. 1750. 143
pénible , eft pour les perfonnes qui aiment
la Peinture , un véritable plaifir. Les
Etrangers, toujours avides des beautés qui
font le plus d'honneur à un pays , fe
font empreffés de voir une collection aufli
nombreuſe & auffi rare . S'il y avoit un
emplacement affez confidérable pour joüir
de tous les Tableaux des Grands- Maîtres
que le Roi poffède , l'Italie n'auroit rien
en ce genre qui pût nous faire regretter
les beautés qu'elle renferme : enfin cette
expofition peut être utile, même aux ignorans.
Les Romains ne connurent les Arts
aimables qu'après la conquête de la Gréce
; enrichis de fes dépouilles , ils aportérent
à Rome tout ce que cette Nation
avoit de plus rare en Peinture & en
Sculpture ; ils en décoroient leurs triomphes
, ils en ornérent leurs Temples , &
les lieux publics. Ces beautés leur de
vinrent familieres ; le goût de la Nation
s'épura , & le commerce qu'ils eurent
avec les Grecs , acheva de leur en faire
fentir tout le prix.
Il y a lieu de croire que la vue des
Tableaux du Luxembourg peut , à ceux
même qui n'y font attirés que par la curiofité
, leur faire naître le goût du beau ,
réformer leurs idées , & leur apprendre
à avoir pour les grands hommes qui ſe
#44 MERCURE DE FRANCE:
diftinguent dans cette Profeffion , toute
l'estime qu'ils méritent . La Peinture étant
un Art , qui par le moyen du deffein &
de la couleur , imite fur une fuperficie
plate tous les objets viſibles ; il faut convenir
en ce fens , que l'ignorant & l'hom
me d'efprit peuvent être frappés des mêmes
idées , & jouir d'une égale furpriſe.
L'ignorant n'eft fenfible qu'à limitation
fidelle de la nature ; ce fentiment eft univerfel
: l'homme d'efprit y joint un plaifir
plus vif , il peut bien juger fi le Tableau
rend. bien le fujet que le Peintre
s'eft propofé , foit dans l'allégorie , foit
dans l'Hiftoire ; il peut décider du choix
des attitudes , de l'expreffion , de la vérité
des caractéres ; mais fouvent ces con
noiffances ne fervent qu'à l'égarer. Rien
de plus commun que de parler de la Peinture
, rien de plus rare que d'en bien
parler. Outre la théorie , il y a encore
la pratique qui eft particulière aux
Peintres dans toutes les parties de l'Art ,
dans le deffein , la couleur , le clair obfcur
, &c. c'eft précisément fur ces differens
détails , que les faux connoiffeurs
portent des jugemens qui font pitié aux
Artiftes. Il est bien trifte pour eux dans
l'expofition des Tableaux qui fe fait au
Louvre , d'avoir de pareils Juges ; je crains
même
DECEMBRE.
1750. 145
>
même que celle du
Luxembourg ne leur
falle tort , quelques célébres qu'ils foient
en leur genre. Cette refpectueufe admiration
que l'on a pour
l'Antiquité , peut
influer fur le jugement du public , & lui
perfuader que rien n'eft beau en Peinture
que les ouvrages des Anciens qui fe font
diftingués depuis que Raphaël a rendu à
la Peinture tout fon éclat & l'a fait
fortir de l'ignorance & de la barbarie
gothique qui la défiguroit avant lui. L'Ecole
Françoife , qui eft aujourd'hui la plus
fçavante de l'Europe , & qui l'emporte
de beaucoup fur l'Italie moderne , aura
peine à le défendre contre cette aveugle
prévention : il femble qu'elle foit devenuë
une maladie héréditaire. Les Anciens
ont des défauts ils doivent en avoir
plus que les Peintres modernes , qui étant
venus les derniers , font à même de profiter
de leurs beautés , & d'éviter les
fautes dans lesquelles ils font tombés. La
Peinture embraffe tant de parties , qu'il
eft impoffible de les voir raffemblées dans
un même fajet. Les Tableaux
eftime le plus ,
perdroient bien de leur
prix , fi on en faifoit une critique févére .
Une chofe qui doit flater nos Peintres
modernes , eft de voir le rang diftingué
que tient l'École françoiſe au milieu des
II. Vol.
?
que
G
l'on
146 MERCURE DE FRANCE.
morceaux des plus grands Maîtres . Voüet,
le Pouflin , le Sueur , le Brun , Antoine
Coypel , Noël Coypel , la Foffe , Mignard
, le Moine , peuvent lutter à forces
égales contre ces céleftes Athlettes . *
Le platfond de le Moine que l'on voit
à Versailles , & qui repréfente l'Apothéofe
d'Hercule , cft le monument le plus
éclatant des progrès de la Peinture fous
le Régne de Louis XV. Cette vafte compofition
peut être regardée comme le plus
beau morceau de l'Europe : je fuis perfuadé
que les grands Maîtres de l'Ecole
Françoife ne le cédent point aux differentes
Ecoles , qui ont illuftré l'Italie & la
Flandre. Si j'ai précédemment paru craindre
que cette expofition du Luxembourg
ne nuisît à nos Peintres modernes , ce
n'eft point que je doute du mérite de
leurs ouvrages ; mais je m'apperçois qu'aujourdhui
on ne voit les Tableaux , que
pour y trouver des défauts.
Loin d'encourager les Artiftes par un
peu d'indulgence , il femble , au contraire
, que l'on foit charmé d'en arrêter les
Si je n'ai point nommé Blanchard , le Bourdon
, Jouvenet , & les Boulognes , qui tiennent
dans l'Ecole Françoife un rang fi diftingué , c'eft
qu'ils n'ont point d'ouvrages expofés au Luxembourg,
DECEMBRE . 1750. 147
progrès. Les critiques fanglantes & per
fonnelles , que l'on a répandues fur les derniers
falons du Louvre , en font une preu
ve bien convainquante. A peine en a - t il
paru deux qui fe reffentent de la politeffe
& des égards que l'on doit à ceux
qui fe diftinguent dans les talens . Le malheur
de ces fortes de brochures , ( quelque
pitoyables qu'elles foient , ) c'eſt
qu'elles fe vendent par toute la France , &
dans les païs étrangers. Ceux qui les lifent
ne connoiffent les Tableaux dont on leur
eft fait
parle , que fur le rapport infidèle qui leur
par des Auteurs fouvent de mauvaife
foi , & prefque toujours prévenus.
Accoûtumés à la maniere du Peintre qu'ils
aiment , ils ne trouvent rien de bon que
fes productions , & pour lui faire fervilement
la cour , ils dépriment le mérite de
fes confreres. Un habile homme n'eft point
flatté de cet éloge , il eft le premier à
louer fon rival. Meffieurs Coypel , Ref
tout , Vanloo , Boucher , Natoire , Pierre
* auroient tort de fe rebuter de pareilles
critiques ; le public éclairé rend à leurs ta-.
lens la juftice qu'ils méritent , & attend
* Quoique j'admire les ouvrages des Peintres
de l'Académie qui fe diftinguent dans les differens
genres , je n'ai prétendu parler dans cette
Lettre que des Peintres d'Hiftoire.
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
d'eux des ouvrages dignes de la réputation
qu'ils fe.font acquife à fi jufte prix,
Je fuis , & c. Sireul.
ESQUISSE allégorique en terre cuite ,
compofé par M. Adim , l'aîné , Sculpteur
ordinaire du Roi , & Profeffeur de l'Aca
démie Royale de Peinture & de Sculpture.
Quoiqu'on admire avec tous les Amateurs
, tout ce que les Arts ont fait pour
l'embelliffement des Palais & des Jardins
de nos Rois , & des lieux publics , on fouhaiteroit
y trouver plus de monumens de
notre Hiftoire. Il femble que par là nos
Artistes fe rendroient plus utiles à l'Etat,
Ils préfenteroient des vertus à imiter , des
exemples à fuivre ; & ils exciteroient plus
fortement parmi nous la noble émulation ,
qui forma parmi les Anciens , ces hommes
qui fe font acquis tant de gloire dans leur
tems ; & qui ont mérité cette vénération
qu'ont encore pour eux tous les peuples.
C'est par une fuite de cette réflexion ,
qu'on s'eft attaché à l'Efquiffe compofé par
M. Adam , l'aîné , & qu'on va tâcher d'ex
pliquer fon allégorie .
Il a placé la Statue Equeftre du Roi far
le fommet d'un rocher , qui lui fert de
Piédeftal. Ce Prince , couvert de fon atmure
, tient d'une main fon Sceptre &
DECEMBRE . 1750. 149
>
une branche de laurier , & de l'autre deux
lions en leffe . Le Courfier s'élance avec
impétuofité. Au côté droit du Roi eft la
France , appuyée fur le Globe de la Terre.
Elle regarde avec reconnoiffance fon Défenfeur
, qui lui a rendu la paix par fes
victoires : ce qui eft défigné par les lions
fymboles des ennemis qu'il a vaincus , &
par l'Envie abattue à la gauche de la Figu .
re. Auprès de la France font des enfans ,
avec des attributs des Sciences , des Arts
& du Commerce , que la Paix va faire refleurir.
L'un de ces enfans tient une corne
d'abondance .
Le rocher percé en deffous , en forme
d'arc à jour , les Armes de France , placées
au haut de chaque ceintre extérieur , & le
bouillon d'eau qui fort du ceintre de l'arc ,
& fe répand en nappes de part & d'autre ,
font allufion à la jonction des deux mers
par le Canal de Languedoc , & par une
fuite néceffaire au Commerce de la France.
L'Océan d'un côté , représenté par un
vieillard ; la Méditerranée de l'autre , fous
la figure d'une femme , qui regardent attentivement
& avec admiration le Héros
François , concourent avec les poiffons &
monftres marins , placés au fond des antres
du rocher , à développer ce point de
l'allégorie,
G iij
150 MERCUDE FRANCE.
A l'un des bouts du Piédeſtal eft la Vic.
toire , placée au- deffus d'un antre. Elle eft
caractérisée par la palme & le faifceau
d'armes qu'elle tient. Cette figure marche
fur un cafque. La Paix , placée à l'autre
bout , eft défignée par le rameau d'olivier
qu'elle tient d'une main , & la corne
d'abondance qu'elle tient de l'autre ; fou-
Jant aux pieds un bouclier & des armes
brifées , elle femble faire tomber toute
l'allégorie fur le dernier Traité de Paix ,
& fur les biens qu'il va produire. Cependant
, fans rien changer dans l'économie
de ce morceau , qui pourroit être placé
dans un baffin des Jardins de Sa Malèſté ,
& fans tomber dans la duplicité de fujet ,
on peut y voir un autre fens auffi noble .
Le Roi eft prêt à marcher contre l'ennemi
, & fon Courfier obéit à fon ardeur.
Il conduit des foldats vaillans , animés par
les récompenfes dont il tient le fymbole ,
intrépides , accoûtumés à vaincre. C'eft
ce que fignifient les lions qui renverfent
l'Envie. La Victoire debout , eft prête à le
fuivre. L'Etat , tranquile au- dedans , cultive
toujours les Sciences & les Arts , fait
encore fon Commerce . Pour tout dire ,
en un mot , la France verra , fans fe troubler
, fes voifins s'élever contre elle . Elle
attendra fans crainte & avec confiance la
DECEMBRE. 1750. 151
Paix que lui donnera fon Roi , puiffant
pår fes vertus "
puiffant par fes Sujets ,
puiffant par les reffources de fes Etats :
reffources inépuifables , & dont la corne
d'abondance , tenue par un enfant , eft le
fymbole.
Ce fens eft vrai - femblablement celui
que le Sculpteur a eu en vue , & pour le
quel il a ufé du privilége qu'ont les Mufes,
de parler des chofes pallées , comme les
voyant dans l'avenir , & de fonder l'avenir
fur le paffé.
MEMOIRE au fujet d'un nouveau Pendule
, qui bat une feconde à chaque vibration
, n'ayant que 18 pouces environ ,
depuis fon point de fufpenfion , jufqu'au
centre de fa lentille , & a de plus la proprieté
de remédier par lui- même , aux irrégularités
provenant de l'impreffion que
le chaud & le froid peuvent faire deffus
fa verge
.
Sans doute que ma propofition paffera
pour un paradoxe parmi certains Sçavans :
cependant rien n'eft plus vrai que le fond
de cette propofition . Jamais l'émulation
n'a été plus forte dans prefque tous les
Arts , qu'elle l'eft actuellement. L'Horlogerie
en particulier , nous en fournit des
preuves. Sans remonter à fon origine , fi
l'on obferve feulement ce qu'elle étoit il
Giiij
152 MERCURE DE FRANCE.
y a vingt- cinq ans , & qu'on la compars
avec ce qu'elle eft , l'on fera étonné de ſes
progrès. Sans entrer dans le détail de ce
qui reste à trouver dans l'Horlogerie ,
(détail qui feroit inconfidéré de ma part )
il m'a paru que de trouver un Pendule
raccourci qui puiffe battre les fecondes par
fes vibrations , feroit une chofe défirable
par plufieurs raifons.
La premiere eft que le Pendule ordinaire
pour battre les fecondes , ne pouvant avoir
moins de 36 pouces , 8 lignes & demie
dans notre climat , exige néceffairement
une boëte plus haute, que celui que je propofe
de 18 pouces environ . Tous ceux qui
connoiffent les Pendules à fecondes ordinaires
, fçavent qu'elles demandent des
boëtes d'environ 6 pieds & demi , & même
7 pieds , ce qui devient très - incommode
dans la plupart des appartemens ,
lefquels n'ont plus la même étendue qu'ils
avoient autrefois. Perfonne n'ignore les
difpofitions préfentes de ce que l'on appelle
petits appartemens ; nos Architectes
, étant obligés de fuivre le goût du
tems , font contraints de mettre tout à profit
, ce qui empêche que l'on puiffe trouver
facilement des places pour des Pendules
à fecondes ; auffi n'y voit on que des
Pendules à cartels , ou de celles qu'on ap
DECEMBRE. 1750. 153
A
pelle ordinairement Pendules à 15 jours,
& non à fecondes , quoique préférables à
toutes les autres .
Par ce nouveau Pendule il eft très -poffible
de fe conformer au goût d'apréfent ,
pouvant en placer dans les grands cartels
ordinaires , comme auffi dans des boëtes
qui ne demanderont pas plus de hauteur
que celles des Pendules à 15 jours , premiere
proprieté , comme l'on voit , qui
paroît inconteftable .
On m'objectera peut - être qu'il faut
toujours la même hauteur pour la defcente
des poids , qu'ainfi le raccourciffement du
Pendule devient inutile dans ce dernier
cas , à quoi je répondrai que cette difficulté
ne me fera point faite par les Maîtres
de l'Art ; ils fçavent trop bien que Ics
Pendules à remontoir peuvent fatisfaire à
la queftion , fans parler de Pendules à fufées
, lefquels pourroient avoir lieu en
bien des occafions.
Mais fans m'arrêter davantage fur les
raifons de préference , ni fur cette premiere
proprieté , il s'en découvre une autre
à l'afpect feul de ce pendule , laquelle
ne paroîtra pas moins fatisfaifante que la
premiere : c'eft d'avoir la propriété de remédier
par lui-même aux variations que
peuvent caufer le froid & le chaud fur
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
fa verge. Article fur lequel on s'eft beau
coup appliqué dans ces derniers tems , &
tout récemment M. Rivard. Il y a peu de
tems que cet Auteur a préfenté une Pendule
finguliere à Meffieurs de l'Académie
Royale des Sciences. Outre les differentes
propriétés que cette piéce renferme , elle
a de plus celle de remédier aux impreſfions
que peuvent caufer fur fa verge le
froid & le chaud , qualité fans doute fupérieure
à tout ce qu'elle peut avoir d'ailleurs.
Comme je ne communique point avec
l'Auteur de cette découverte , & que d'ailleurs
je ne cherche qu'à être utile à la Société
, il ne doit pas trouver mauvais que
je hazarde quelques idées , qui peuvent
être relatives à la découverte de fon pendule.
M'étant occupé long- tems de cette
matiere , j'ai toujours penfe qu'il ne feroit
pas impoffible , en faifant ufage de la difparité
des métaux , de fatisfaire à la queftion
préfente , fans employer les doubles
verges qui partent du même principe. Il
ne faut confidérer que l'effet du thermométre
de mercure pour en fentir la poffibilité
. Il me femble , que fi l'on prenoit
un canon de fer à qui l'on donneroit une
proportion convenable , pour qu'il pût
contenir une colonne d'un métal préparé .
4
DECEMBRE .
1750. 155
quelconque , le plus dilatable , & en même
tems le plus pelat par rapport à fon vo
lume , & qu'on l'ajoute à une lentilles
dont le poids foit proportionné à celui
du canon rempli de fa colonne , il eft
eft certain que la dilatation du canon qui
formeroit la verge du Pendule , étant
moindre que celle de la colonne intérieure
, la partie fupérieure de cette colonne
domineroit fur les variations qui arriveroient
au canon , ce qui empêcheroit les
changemens d'ofcillation , en fuppofant
toutefois que la proportion que le canon
& la colonne doivent avoir entr'eux , ait
été déterminée convenablement par la
conftruction.
Je ne nommerai point les diverfes matieres
qu'on peut employer pour former
cette colonne ; la chofe feroit inutile pour
ceux qui ne font point en état d'y réuffir ,
car il faut être un peu Géométre & Phyficien
pour parvenir à rendre ce procédé
exact , fans quoi la jufteffe qu'on s'en promettroit
pourroit être nulle.
Tout ceci bien confidéré , quand même
cette idée de conftru &tion ne feroit pas
directement celle de M. Rivard , il n'eft
pas moins conftant qu'elle paroît dériver
du même principe : cela fuppofé montre
donc vifiblement une difficulté que bien
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE:
au lieu
des Artiftes ne font point en état d'applanis;
que celui que je propoſe , n'en a
aucune ; tout ouvrier médiocre peut facilement
l'exécuter , n'étant compofé que
d'une verge de fer ou d'acier , & d'une
lentille avec fon regulateur , le tout muni
d'une fufpenfion , comme on le verra dans
un Mémoire particulier , que j'efpére rendre
public , avec le réfultat des expériences
faites au grand chaud & au grand
froid , aufquels je dois le foumettre inceffamment.
Par Magny , Ingénieur.
A l'Abbaye Saint Germain- des-Prés.
DOT 200POT 207 208 209 200 201-205 206 207 208 208 209
SPECTACLES.
Leudi 2 Novembre, une Tragédie
nouvelle , intitulée Amenophis ; quelque
jugement qu'on porte de cet ouvrage ,
que l'Auteur a retiré après la premiere repréfentation
, on ne peut nier que la piéce
ne foit d'un homme d'efprit , & d'un
homme vertueux . Nous en donnerons un
extrait très - détaillé dans le premier Mer-
Es Comédiens François ont donné,
cure.
DECEMBRE. 1750. 757
A MADAME DE GRAFIGNY
par Madame du Boccage.
ENtre Melpomene & Thalie ,
J'entendis hier grande rumeur :
Quoi ! Grafigny prête à ma foeur
Mes charmes , mon tendre génie ,
Dit la Mufe de la Terreur !
Si mes larmes l'ont embellie ,
Il me reste un poignard vengeur :
Qu'elle redoute ma furie.
L'autre reprit d'un ton moqueur
Tout fied bien à la Comédie ;
Naïve ou fauffe avec douceur ,
Changer de mafque eft ina manie :
Je veux dans ma coquetterie
Plaire à l'efprit , toucher le coeur ,
Rire felon ma fantaiſie ,
Et je fuis toujours applaudie ,
Quand j'amufe le ſpectateur ;
Je vous l'ai prouvé par Cénie ,
Ah ! pour en couronner l'Auteur ;
Réuniffons - nous , je vous prie
158 MERCURE DEFRANCE.
SUR la reprise de Cénie.
P Aroiffez , aimable Cénie ,
Revenez confoler le bon goût affligé ,
Le mauvais n'eſt pas corrigé ,
Malgré les confeils d'Uranie :
Vos attraits les plus féduifans
Sont cependant d'après nature;
Vous parlez à l'efprit , & vous charmez les fens ,
Sans que la raison en murmure.
Dans un fiécle où l'honneur n'a pas beaucoup
d'Autels ,
Grafigny , c'eft un Phenoméne ,
Qu'on vous ait accordé les tributs immortels ,
Qu'on n'accorde qu'à Melpomene.
Je dois pourtant vous révéler
Le fecret d'un pareil miracle ;
On veut envain le déguiſer.
La vertu dans les coeurs eft toujours un oracle ,
Qu'avec le fentiment on force de parler .
D. Bonneval.
♡♡
DECEMBRE. 1750. 159
CONCERTS DE LA COUR.
A Fontainebleau , mois d'Octobre.
E Lundi 26, le Mercredi 28 Octobre,
L &le
& le 9 Novembre ୨ , on chanta chez la
Reine , le Prologue & les cinq Actes de
l'Opéra de Roland. Mlles Romainville , de
Selle , Mathieu , Canavas , Godonnefche ,
& Bazin de Saintreufe en ont chanté les
rôles , ainsi que Meffieurs Benoît , Lagarde
, Poirier & Richer.
I. QUESTION.
On demande quel eft le perfonnage intéreffant
dans la Tragédie de Phédre , &
quel eft le genre d'intérêt qu'il infpire ?
II. QUESTION.
On demande quel eft le caractére diftinctif
de chacun des Ecrivains François
qui ont réuffi dans le Tragique , dans le
Comique & dans le Lyrique.
160 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES ETRANGERES.
DU NORD .
DE WARSOVIE , le 24 Octobre.
Es Lettres de Volhinie portent que le Prin
femblé un corps de deux mille Cofaques de fes
Vaffaux , s'étoit mis à la pourfuite des Cofaques
Haidamaques , & qu'après en avoir battu divers
Détachemens , il les avoit forcés d'abandonner
cette Province & les frontieres de l'Ukraine ; mais
que ces Brigands s'étoient jettés dans la balle Podolie.
Sur cette nouvelle , le Prince Sanguski ,
Maréchal du Grand Tribunal de la Couronne à
Petrikow , en a remis la Direction au plus ancien
Député de Volhinie , pour aller s'opposer aux
courfes des Haidamaques.
Plusieurs bandes affez nombreuſes de ces
Cofaques fe font répandues dans le Palatinat
de Brifacie , autrement la Polefie , Province de
Lithuanie. Ils ont été jusqu'à trois fois dans le
Village de Maffany , appartenant au Grand Veneur
de Novogorod . Après l'avoir entierement
pillé , ils y ont mis le feu. Le Grand-Veneur & fon
fils , qui s'étoient mis en devoir de les repouffer ,
ont été dangereufement bleffés. Ils font allés delà
piller Snepelice , Village appartenant à des
Moines de l'Ordre de Saint Bafile . Ils en ont agi
de même à Radin , où ils ont empalé un Payfan ,
qu'ils ont fait rotir vif devant un grand feu . Ils
ont fait le même traitement à trois autres Payfans
au Village de Bobriski. Ils ontpillé & brûlé celui de
DECEMBRE. 1750. 161
Kohorody , apprtenant au Grand Chancelier de la
Couronne. Le Général de l'Armée de Lithuanie ,
informé des ravages & des cruautés de ces Brigands,
a fait marcher un gros Détachement contre
eux. Plufieus ont été tués à coups de fabre , &
leurs corps expofés fur les grands chemins . On en
a d'ailleurs conduit quelques-uns à Latyczew ,
dans la Ruffie -Rouge , où on les a fait mourir par
differens genres de fupplices.
ALLEMAGNE,
DE VIENNE , le 31 Octobre.
L'Impératrice Reine a conferé le Titre de Confeiller
& Intime au Général Comte de
Hatfch , en le nommant pour aller régler les li
mites entre fes Etats & ceux de la République de
Venile , & terminer les differends qui ſubſiſtent à
ce fujet depuis plufieurs années.
DE DRESDE , le 13 Novembre.
Il vient d'arriver ici d'Hanovre une fomme
très - confidérable, que l'on dit y avoit été négociée
pour le fervice de cette Cour.
Le Marquis des Iffarts , Ambafladeur de Sa
Majesté Très- Chrétienne auprès du Roi & de la
République de Pologne , a fait part aux Minikres
du Roi , de la permiflion qu'il a obtenue du Roi
fon Maître d'aller faire un voyage à Paris , pour
y travailler au rétabliſſement de fa ſanté.
DE BERLIN , le 7 Novembre.
L'Académie Royale des Sciences & Belles- Les
162 MERCURE DE FRANCE.
tres de Pruffe , dans fon Affemblée du 29 , choifi
pour Affocié ordinaire M. Sulzer , Profelleur de
Mathématiques au Collège de Joachim , & pour
Affocié étranger , l'Abbé Raynal , Auteur du Mercure
de France & connu dans la République des
Lettres par plufieurs Ouvrages.
Le premier de ce mois , la Reine- Mere parut
en public pour la premiere fois depuis fa maladie ,
& reçut les complimens de toute la Cour fur le rétablillement
de la fanté,
O
ESPAGNE.
DE CADIX , le 28 Octobre,
Na appris de Madrid , qu'on y avoit figné
un Traité de commerce avec l'Angleterre.El
paroît par ce qu'il contient , que la Cour de Lon
dres ne doit pas en être mécontente , & qu'il fera
très-honorable & très-avantageux à la nôtre.
DE MADRID , le 17 Novembre.
L'Invincible , le Vainqueur , le Tigre , Vaiffeaux
'de guerre de 70 canons, étant à l'ancre à la Grana
dans le voifinagedu Ferrol , avec 4 Frégates d'avis,
le feu prit le 30 du mois dernier , à l'Avant de l'Invincible
, & fe communiqua fi rapidement à tous le
Vaiffeau , qu'on n'y put apporter aucun fecours.
Les cables qui l'attachoient aux ancres , ayant été
bien - tôt brûlés , il fut jetté contre la Poupe du
Vainqueur , qui fut auffi confuiné , fans qu'on pur
éteindre le feu. Ces deux Vaiffeaux , conſtruits à
la Havane , en étoient venus avec la premiere
Flotte , qui partit des Indes Occidentales après
la conclufion de la paix. On venoit de les carener,
"
DECEMBRE . 163 1750.
& l'on devoit dans peu les remettre en mer. On a
Lauvé le Tigre & les quatre autres Bâtimens.
L
ITALI E.
DE ROME, le 7 Novembre.
A femaine paffée le Pape alla voir le P. François
Retz , Général des Jéfuites , dans la Maifon
de Saint André du Noviciat , & comme il
étoit revenu de la campagne quelques jours auparavant
avec une légere indifpofition , S. S. lui avoit
fait défendre de fortir de fa chambre . Depuis ,
l'incommodité du P. Retz étant devenue une maladie
dangereufe , on expofa , pendant plufieurs
jours , le Saint Sacrement dans l'Eglife de Jefus de
la Maifon Profeffe , dans celle de Saint Ignace &
dans celle du Noviciat , pour obtenir de Dieu qu'il
luisendît la fanté. Ce Pere eft actuellement beau
coup mieux.
DE FLORENCE , le 30 Octobre.
L'Edit de S. M. I. pour l'établiffement d'ane
Chambre Héraldique , duquel on a déja parlé , fut
publié le 8. Il a deux objets ; de mettre une diftination
dans la Nobleffe , & de rendre au Droit
de Bourgeoisie fon ancienne (plendeur. Il établit ,
ainfi qu'on l'a dit , deux Claffes de Nobleffe ; l'une
des Nobles Patriciens , & l'autre des fimples Nobles
. Il fixe les Villes de ce Grand - Duché , dans
lefquelles les deux Claffes feront admifes & celles
qui n'auront que la feule Clafle des fimples Nobles.
A l'égard du Droit de Bourgeoifie , il ne
P'accorde qu'à ceux dont le revenu eft affez fort
pour fupporter 10 florins de Décimes , & le refufe
164 MERCURE DE FRANCE.
à tous ceux qui jufqu'à préfent n'ont payé les Décimes
que par tête . Les familles de ces derniers ,
après un examen convenable , feront enregistrées
au Greffe du Palais , appellé des Réformations.
DE BOLOGNE , le 28 Octobre.
L'Univerfité de cette Ville , avec l'agrément da
Pape , a difpofé depuis quelque tems d'une Chaire
vacante de Mathématiques , en faveur de la Signora
Maria Gaetana Agnefi , de Milan , qui n'a point
voulu l'accepter jufqu'à ce qu'elle fe fût affûrée du
confentement de S. S. à laquelle elle a écrit pour
le lui demander. La réponſe du Pape contient en
termes très-gracieux les éloges qu'il croit dus au
mérite de cette Dame , & fon approbation de la
juſtice rendue à fes talens. En conféquence , cette
Sçavante doit fe rendre le mois prochain en cette
Ville , pour exercer publiquement les fonctions
de Profefleur de Mathématiques.
DE VENISE , le 13 OFobre.
La Compagnie des Négocians qui vient de fe
former à Triefte , & les mesures qu'elle prend
pour établir un commerce reglé avec le Port de
Livourne, s'attirent toute l'attention de cette Répu
blique , qui mettant au rang de fes prérogatives le
Domaine fuprême de la Mer Adriatique, eft actuel.
lement occupée à chercher les moyens les plus
propres à faire refpecter fa poffeffion.
DE GENES , le a Novembre.
Les Membres du Grand - Confeil ont été invités
par des Lettres Circulaires du Gouvernement à reDECEMBRE.
1750. 165
venir ici de leurs campagnes , pour affiſter aux Délibérations
far diverfes affaires importantes , &
principalement fur un Projet approuvé par le Petit-
Confeil , pour le rétabliffement du crédit de la
Banque de Saint George.
On apprend de Barcelone , qu'on y avoit fçu par
un Navire venu d'Alger , que les habitans de la
Province de Conftantine , laquelle eft fituée dans
les montagnes de ce Royaume , ayant pris les armes
contre leur Dey , s'étoient mis en marche au
nombre de plus de 30 mille hommes , pour al
ler demander au Dey d'Alger qu'il leur procurât
une ſatisfaction fur quelques violences dont ils fe
plaignent , & que ce dernier avoit envoyé contre
eux un Détachement de troupes reglées pour les
diffiper & les obliger à quitter les armes.
On a fçu par le Maître d'une Tartane Françoiſe,
venant de la Goulette de Tunis , qu'on armoit
dans ce Port quatre Schebecks & cinq Galiotes ,
qui devoient inceffamment mettre à la voile pour
venir croiler dans la Méditerranée .
DE TURIN , le 3 Novembre.
Le Roi a réduit l'intérêt des Obligations , qui
font à la charge de l'Etat , de 5 à 4 pour cent , en
ordonnant que les Propriétaires d'ob`igations ,
qui ne voudront pas confentir à cette réduction ,
feront remboutfés dans le commencement de l'année
prochaine .
L'Impératrice , Reine de Hongrie & de Boheme
, a accordé aux Sujets du Roi , le libre paffage
du Sel par le Milanès , avec exemption de tous
Droits d'entrée & de fortie .
Il y a quelque tems qu'il vint ici de Racconiggi,
une. Relation imprimée , rendue publique par les
166 MERCURE DE FRANCE.
deux Capucins qui y font nommés. Voici en fubftance
ce qu'elle contient. Le 2 de Septembre , le
P. Valerien de Foffano , Prêtre , & le F. Laurent
de Mondovi , Frere Lai , allant de Mondovi à
Foffano , le tromperent de chemin aur environs
du Torrent Peffo , & fuivant les routes écartées
d'un Bois qu'ils ne connoiffoient pas , ils arriverent
fur le bord d'une riviere très- efcarpée . Le
premier objet qui s'offrir à leur vûe , ce fut deux
Marchands de Frabola entourés de voleurs , aufquels
ils demandoient la vie à genoux , après leur
avoir donné tout leur argent . Les deux Capucins ne
balancerent pas ; & s'étant recommandés à Dieu ,
& à leur Pere Saint François , ils jetterent leurs
manteaux , & coururent fur le champ attaquer les
voleurs. Après s'être battus contre eux affez longtems
, ils vinrent à bout de leur ôter leurs armes ;
à l'un un piftolet , à l'autre une arquebule , au
troifiéme un couteau . Un quatrième , qui faifoit
le guet à quelque diſtance fur le chemin , ayant
entendu du bruit , accourut promptement , tira
fur les Capucins un coup de fufil , qui ne les atteignit
pas ; & prit auffi tot la fuite. Les deux Religieux
firent rendre aux Marchands tout leur argent
, qui montoit à deux mille livres de Piémont ;
& renvoyerent les trois voleurs , fans argent &
fans armes , après les avoir exhortés chrétiennement
à changer de vie. Ils prirent enfuite les deux
Marchands en leur Compagnie & les conduisirent
en fûreté à Foffano .
On efpere que la groffeffe de l'Infante Ducheffe
de Savoie fera déclarée inceffammen'.
On travaille actuellement à mettre toutes les
troupes , & particulierament l'Infanterie , fur le
pied complet; & pour y réuffit plus facilement , le
Roi,par une Ordonnance du 25 Septembre dernier,
DECEMBRE. 1750. 167
a prolongé , juſqu'à la fin de Janvier prochain , le
tems qu'il avoit accordé aux déferteurs de fes
troupes pour fe rendre à leurs Drapeaux . Une autre
Ordonnance , du 29 Avril de cette année , con.
tenoit un pardon général pour tous ceux qui leroient
revenus avant le 29 d'Octobre.
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES , le 12 Novembre.
Es, le Prince de Galles , accompagné du Due
de Chandos & du Comte de Bute , & fuivi
d'un Détachement des Gardes à cheval , ſe rendit
dans fon caroffe de parade à la Halle des Poiffonies
, afin d'y recevoir , en qualité de Gouverneur
de la Compagnie , établie pour la Pêche du Harang
, la Charte de l'Octroi accordé par le Gouvernement
à cette Compagnie.
Le même jour , l'Ailemblée générale de la
Banque prit la réfolution de prêter au Gouvernement
, fur le pied de trois pour cent d'intérêt , un
million 32 mille 200 liv . St. pour être employées à
payer le Capital des Annuités , pour lesquelles on
n'a pas foufcrit , & pour acquitter l'emprunt fait
fur le Contrôle de l'Argenterie . Cette fomme fera
remboursée à la Banque fur les premiers excédens
du fonds d'Amortiffement , & garantie par un Acte
de la prochaine Séance du Parlement.
Les Lords Régens ont écrit au Roi une Lettre
de félicitation , fur la conclufion du Traité avec
l'Espagne. Ils ont écrit auffi à M. Keene , pour approuver
la conduite , & pour l'affûrer de la fatisfaction
que le Roi en a. Ils lui marquent en même
tems , que , comme Sa Majesté doit inceffamment
revenir dans ce Royaume , on a crû qu'il
168 MERCURE DE FRANCE.
étoit à propos d'attendre fon retour , pour procéder
à la ratification du Traité.
Il est arrivé depuis quelques jours , dans la Tamife,
un Navire nommé Le Roi George , lequel revient
de la Baye d'Hudfon , richement chargé
pour le compte de la Compagnie d'Hudfon-Baie
Par des Lettres écrites de Tétuan , le 27 de Sep.
tembre , par M. Pettigrew , Conful Britannique ,
le Gouvernement a appris que ce Conful avoit
conclu un Traité de Paix & d'amitié entre Sa Majefté
Britannique & Hadge Mohamed Temim ,
Alcaide de cette Place , & que les anciens Traités
de Paix & d'amitié , entre la Grande Bretagne &
P'Empereur de Maroc , étoient renouvellés & confirmés
par ce nouveau Traité , que l'Alcaïde avoit
envoyé à l'Empereur pour être ratifié . M. Pettigrew
eft en même tems convenu du rachat de 65,
Anglois , Efclaves à Téruan & à Fez , & felon fes
Lettres , ces Esclaves devoient s'embarquer incel
famment pour être tranfportés à Gibraltar , &
de là en Angleterre . Il mande encore que la Pefte
avoit ceffé fur toutes les Côtes de Maroc & de
Fez , & qu'elle fe diffipoit aufli dans l'intérieur da
Pays.
Le 15 , fur les dix heures du matin , le Roi de
barqua à Harwich ; & fur les onze heures du foir ,
il arriva au Palais de Saint James en parfaite fa
té , au milieu des acclamations du peuple , &
bruit d'une décharge du canon de la Tour & du
Parc. Il y eut toute la nuit des illuminations &
d'autres rejouiffances publiques . Sa Majesté fur
reçue à la defcente du caroffe par le Duc de Cum
berland. Le Prince & la Princefle de Galles , avec
les Princes & Princeſſes leurs Enfans , fe rendirent
immediatement après au Palais , pour feliciter le
Roi fur fon heureux retour. Le lendemain matin ,
DECEMBRE. 1750. 169
Sa Majesté reçut les complimens de toute la Cour ,
& les Lords Régens lui remirent leur Commiffion.
Suivant les dernieres nouvelles de la Virginie ,
on n'y fera cette année qu'une très petite récolte
de tabac. Prefque tous les plans en ont été ruinés
par un très grand vent qu'il fit le 29 Août , lequel
dura vingt quatre heures fans intervalle , & fut
fuivi d'une grofle pluye , qui ne ceffa point pendant
dix jours confécutifs , de tomber avec la même
abondance .
Dans l'Aflemblée , que la Compagnie de la
Pêche du Harang tint le 18 , il fut reglé que fon
Fonds capital feroit de soo mille livres Sterling ;
& que les Soufcripteurs payeroient , trente jours
après leur foumiffion , dix pour cent des fommes
pour lesquelles ils auroient fouferit, Les Soufcriptions
s'ouvrent aujourd'hui chez Meffieurs
Surman , Hoare , Child & Drummond , Banquiers
de cette Ville.
Il regne actuellement une grande maladie parmi
les chevaux , laquelle en très- peu de tems eft
devenue prefque générale dans toute l'Angleterre.
Elle commence par une espéce de rhume , qui
cauſe à ces animaux un grand écoulement par les
marines. Cet écoulement eft fuivi d'étourdiffemens
, qui les emportent en moins de dix jours.
Les gros Vaiffeaux de guerre de la Flotte du
Roi feront à l'avenir pourvûs de pompes d'une
nouvelle invention , lefquelles ferviront , non- feulement
à pomper l'eau , fans qu'il y faille em
ployer continuellement un nombre de Matelots
mais encore à tirer dehors les impuretés qui s'amaflent
dans les Vaiffeaux.
11. Vol H
>
170 MERCURE DE FRANCE.
PROVINCES - UNIES.
DE LA HAYE , le 13 Novembre.
E Conte de Bentinck , Seigneur de Rhoon &
Le de • Miniftre Plénipotentiaire
des Etats Généraux à la Cour de Vienne ,
étant revenu depuis quelque tems de celle d'Hannovre
, où les ordres de L. H. P. l'avoient fait
aller , remit ces jours paflés au Président de l'Affemblée
des Etats Généraux , deux magnifiques
Bagues de diamans , qu'il avoit reçûes de la part
de l'Empereur & de l'impératrice Douairiere , lorf
qu'il avoit quitté leur Cour. Il le pria de les pré
fenter à l'Affemblée de L. H. P. & de fçavoir ,
elles trouvoient bon qu'il les acceptât . Le Préfi
dent , ayant porté ces deux Bagues à l'Affemblée ,
les Etats Généraux permirent au Comte de Bentinck
d'accepter ce préfent , comme un gage de la
fatisfaction que leurs Majeftés Impériales avoient
eue de fa conduite .
Des Lettres de Lubec portent que le Baron de
Wedderkopf, Chambellan du Prince Succeffeur de
Suéde , y étoit arrivé de Stockholm , chargé d'une
Commiffion , relative au deffein que ce Prince a
de remettre l'Evêché de Lubec au Prince Frederic-
Augufte , fon frere , lequel en eft Coadjuteur, On
affûre que cette affaire eft fur le point d'être con
lommée.
On mande de Darmstadt que M. d'Urhull ,
Confeiller Privé du Margrave de Bade - Dourlach ,
y étoit depuis peu , pour régler les articles da
Contrat de mariage de ce Prince avec la Princeſſe
Caroline de Helle -Darmstadt.
DECEMBRE. 1750. 171
蔬洗洗洗:洗洗洗洗:洗洗洗洗:洗洗洗淋
L
FRANC E.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c .
E 16 Novembre , le Roi partit de Fontainebleau
pour fe rendre à Choifi . Monfeigneur le
Dauphin & Madame la Dauphine y fuivirent Sa
Majefté quelques heures après.
Le 17 , la Reine & Mefdames de France fe rendirent
auffi à Choifi.
Sur le rapport de M. de Machault , Contrôleur
Général des Finances , le Roi a déja accordé une
remiſe de trois millions fur la Taille de l'année
prochaine , & les Intendans des Provinces viennent
d'en faire la répartition dans leurs Généralités
.
Sa Majesté vient d'accorder au Marquis de Saint
Herem la Survivance de la Place de Capitaine &
Gouverneur des Parcs & Château de Fontainebleau
, dont le Marquis de Montmorin , fon pere,
eft pourvû.
Sur la demande de M. Helvetius , Confeiller
d'Etat, Premier Médecin de la Reine , Docteur
Régent de la Faculté de Médecine de Paris , Infpecteur
des Hôpitaux Militaires , & Membre de
P'Académie Royale des Sciences , le Roi a donné
à M. de la Vigne , Docteur de la même Faculté
& Médecin ordinaire de la Reine , la furvivance
de la place de Premier Médecin de cette Princeffe,
pour en rempiir dès à préfent les fonctions , toutes
les fois que M. Helvetius ne pourra pas avoir
l'honneur de fervir Sa Majesté .
L'Election de Paris vient de faire arrêter le
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
nommé Techerot , à qui l'on a faifi fur lui , &
cachés dans fon lit , plus de trente faux poinçons ,
tant de la Mailon commune des Orfèvres , que de
la Ferme de la Marque d'Or & d'Argent. Il y a
plus d'un an que l'on travailloit à découvrir la
fource de quantité de matieres d'or & d'argent ,
répandues depuis quelque tems dans le Public ,
qui fe trouvant fauffement marquées , peuvent
n'être pas au Titre.
Le 13 Novembre , l'Académie Royale des
Infcriptions & Belles Lettres reprit les exercices
par fon Affemblée publique ordinaire. On y lut
quatre fçavans Mémoires. Dans le premier ,fr
les Mumies d'Egypte , le Comte de Caylus traitoit
hiftoriquement de la maniere d'embaumer les corps
ehez les Egyptiens , tel'e qu'Hérodote & Diodore de
Sicile la décrivent ; des drogues qui compofoient les
embaumemens , & du commerce que les Arabes ont
fait des Mumics. On lut enfuite un cinquième &
dernier Mémoire de M. de la Curne de Sainte
Palaye , Sur la Chevalerie ancienne . Il rouloit fur
La décadence & la chûte totale de la Chevalerie , regardée
comme Etabliffement politique. M. Tercier ,
Premier Commis des Affaires Etrangeres , fit après
cela la lecture d'un Mémoire fur la Langue Allemande
, dans lequel il prouva ; Que de toutes les
Langues que l'on parle actuellement en Europe , cette
Langue eft celle qui conferve le plus de vestiges defon
ancienneté. Le dernier Mémoire , dont M. Ra-*
cime étoit Autear , avoit pour titre : De l'utilité
de la Tragédie , & contenoit l'Examen de la Définition
qu'Ariftote donne de la Tragédie dans le Fragmeni
de fa Poëtique, qui eft venu jufqu'à nous,
L'Académie Royale des Sciences tint le lende
main fon Affemblée publique ordinaire, M. de
Fouchy , Secretaire Perpétuel , ouvrit la Séance
DECEMBRE. 1750. 173
:
par l'éloge de M. Croufaz , Affocié Etranger.
M. de la Condamine lut enfuite le commence
ment de la Préface Hiftorique d'un ouvrage qu'il
doit publier , & qui contiendra le détail des opérations
, faites au Pérou par quelques Membres de
cette Académie , pour déterminer la figure de la
Terre. Le but de cette Préface eft d'exposer en
abregé les differentes occupations , qui ont fait durer
dix ans le voyage de ces Académiciens. M. de la
Condamine ne put rendre compte dans cette lecture
, que de ce qui s'étoit paffé pendant les années
1735 & 1736. La Séance fut terminée par un
Mémoire de M. Ronelle , dans lequel il fe propofa
; 10. de prouver , que les fondemens de l'Art
des Embaumemens , parmi les Egyptiens , font en partie
contenus dans la defcription qu'Hérodote nous en a
laiſſée , 2º. de déterminer par expérience les matieres
qui entroient dans ces Embrumemens
Du 18 : Actions , 18 cens 55 , Billets de la Premiere
Loterie Royale , 745 : Billets de la feconde ,
684.
Le 21 Novembre , la Reine , Monfeigneur les
Dauphin , Madame la Dauphine & Meldames de
France , arriverent à Versailles de Choifi , pour
dîner. Le Roi s'y rendit pour fouper.
Le 24 , on prit le deuil de Mademoiſelle de la
Roche-sur-Yon , pour douze jours.
M. Larcher , Ingénieur du Roi , avoit dreffé ,
pour le retour de Sa Majefté , dans la grande Ga.
lerie , le plan en relief de la Ville & des environs
de Namur, Le Roi , après avoir témoigné la fatis .
faction de cet ouvrage , a ordonné qu'il fût tranfporté
dans la Galerie du Louvre . Le travail en
eft confidérable . Il eft exécuté en bois , & il y a
des piéces qui pefent , à ce que l'on dit , plus de
700 livres.
H iij
174 MERCUREDE FRANCE.
Le 23 , les Lecteurs & Profeffeurs Royaux , en
Langue Hébraïque , en Langue Syriaque , en
Langue Grecque , en Eloquence , en Philofophie
Grecque & Latine , en Mathématiques , en Médecine
& en Droit Canon , recommencerent leurs
Jeçons au Collège Royal de France.
Du 26 : Actions , 18 cens 55 ; Billets de la premiere
LoterieRoyale , 748 ; Billets de la feconde,
point de prix fixe.
Le 29 du mois paffé , premier Dimanche de
l'Avent , le Roi , la Reine , Monfeigneur le Dauphin
, Madame la Dauphine , & Meldames de
France , affifterent en bas dans la Chapelle du
Château , au Sermon de l'Abbé Poule , Docteur
de Sorbonne.
Le premier de ce mois , le Baillif de Froulay,
Ambaladeur ordinaire de la Religion de Malte ,
eut une audience particuliere du Roi , à laquelle ik
fut conduit par le Chevalier de Sainctot , Introducteur
des Ambaffadeurs.
M. Dagueffeau , Chancelier de France , ne fe
croyant plus en état , vú fon grand âge & fes infirmités
, de continuer avec la même affiduité, dans
cette premiere Charge du Royaume , les fervices
importans qu'il y a rendus au Roi & à l'Etat depuis
1717 , & ayant demandé au Roi la permiſſion
de fe retirer , Sa Majesté lui a accordé cette permiffion
avec beaucoup de marques de bonté & de
fatisfaction de fes fervices . En conféquence il remit
en fon Hôtel à Paris , le 27 Novembre dernier
, à M. le Comte de Saint Florentin , Secre
taire d'Etat , ayant le Département de la Maiſon
du Roi , fa démiffion paffée pardevant Notaires ,
& les clefs de la caflette des Sceaux . MM . Dз-
gueffeau & de Frêne , Confeillers d'Etat ordinaires
, fes fils , monterent dans fon caroffe , avec M
DECEMBRE 1750. 175
le Comte de Saint Florentin , & le Lieutenant des
Gardes du Chancelier , qui précédoient le carolle .
Ils defcendirent à Veríailles à l'appartement de
M. le Comte de Saint Florentin . L'après midi ,
à l'arrivée de Sa Majefté , M. le Comte de Saint
Florentin & MM. Dagueffeau & de Frêne , fe rendirent
avec le même Officier à l'appartement du
Roi. MM. Dagueffeau & de Frêne furent introduits
dans le Cabinet de Sa Majesté , fuivis du Lieutenant
des Gardes du Chancelier , portant la Caffette
des Sceaux , qui fut remife fur le Bureau de
Sa Majefté , & M. le Comte de Saint Florentin préfenta
en même tems à Sa Majeſté l'acte de démiſſion
& les clefs des Sceaux.
Le Duc d'Orléans , Premier Prince de Sang .
a depuis peu fait préfent à la Maifon de Sorbone ,
d'une fomme confidérable pour y fonder une
Chaire en Langue Hébraïque , qui fera remplie
par un Docteur de la Maiſon .
Du 3 Décembre , Actions , 18 cens 7 livres 10
fols , Billetsde la premiere Loterie Royale , 744 ,
Billets de la feconde , 684.
LETTRE
A l'Auteur du Mercure.
L feroit à fouhaiter , Monfieur , que les ac
générofité
fuflent confacrées à l'immortalité , & perpétuées
dans la mémoire des hommes , fur tout quand
elles ont rapport à leur utilité ou à leur confervation.
L'exemple nous porte à la vertu plus puiffamment
que les meilleurs traités de morale. Vo
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE.
tre Journal doit être le Livre de vie du mérite !
comme il eſt celui des talens , & je crois vous
faire dans le récit d'un évenement arrivé à la Colonie
de Cayenne , un préfent d'autant plus agréa .
ble & au public , que ce qui eft beau , lorſqu'il eft
vrai , nous frappe de loin , & nous remue bien autrement
que de près , & qu'à l'égard de la vérité',
vous en trouverez les preuves dans le Mémoire ,
& dins les Certificats que je vous adrefle.
Les Avril 1749 , Meffieurs Bouteillier , Officiers
de Milice à Cayenne , revenoient de leurs
Habitations à la Ville , dans leur canot armé de
quatre Efclaves . M. Molinier , Arpenteur Royal
de cette Colonie , qui faifoit la même route dans
le fien , les trouva auprès de la Paroiffe de Roura ,
Quartier de Doyac , où il mit pied à terre . Le
vent étoit forcé , & la mer grolle . Le Batiment de
Mellieurs Bouteillier étoit garotté & embarraffe de
provifions & d'effets de toute efpéce . Cette confidération
les engagea à prier M. Molinier , dont
ils connoiffoient la fermeté , de les accompagner.
Il leur promit , dès qu'il auroit entendu la Meffe,
de faire force de rames pour les joindre , & pour
les aider de tous fes fecours dans leur paffage . Lis
&
continuerent dans cette confiance leur route ,
trouverent à l'embouchure de la rivière un autre
canot appartenant à M. Baduel , chargé de
dix -huit perfonnes , tant libres qu'efclaves , & de
beaucoup de bagages . Ces deux canots fe crurent
plus forts réunis , & entrerent dans la riviere
enfemble . A peine y furent- ils engagés , qu'ils fre- mirent trop tard du danger qu'ils alloient courir
dans leur traverfée jufqu'à Cayenne. La mer n'étoit
qu'une écume ; les courans étoient plus maîtres
des canots que le gouvernail . Des lames épouvantables
fembloient le jouer d'eux , & les mena :
DECEMBRE. 1750. 177
çoient d'un naufrage prochain . Tantôt élevés juſ
qu'aux nues , tantôt précipités dans des abîmes ,
incertains du fort l'un de l'autre. Ce fpectacle leur
fit voir leur perte aflûrée , fi une feule vague alloit
les furprendre , & ils employoient pour les éviter
toutes les précautions que la prudence humaine
& l'art de gouverner pouvoient leur fuggérer.
Mais que peuvent l'Art & les précautions contre
des montagnes d'eau qui les enfeveliffoient de
toutes parts , & que la rage du vent faifoit groffic
à chaque inftant. Il faut connoître la mer pour fe
figurer une pareille image , & entrer dans la fitua
tion de ceux , qui accoûtumés par état à cette profeflion
, courent dans une navigation un peu longue
des rifques fréquens de leur vie .
9
Environ au milieu de leur traversée , les colonnes
d'eau , fe fuccédant avec plus de rapidité &
de violence les unes aux autres , il en fondit une
fur le canot de M. Baduel qui renverfa dans un
moment le canot les dix- huit perfonnes qu'il
contenoit , & tous les bagages dans la mer . Meffieurs
Bouteillier faifis d'effroi à cette vûe , n'attendirent
plus que leur perte , & elle devint en ef.
fet inévitable , par le zéle avec lequel ils fauverent
tous ceux qui vinrent à la nage chercher leur falut
dans leur Bâtiment , que ce nouveau poids chargea
fiprodigieufement , que l'eau y entroit déja de
toutes parts. Dieu ne permit pas qu'une conduite
auffi généreuſe fût funefte à ces deux braves Citoyens.
M. Molinier n'avoit perdu aucuns momens au
fortir de la Meffe , & fon canot plus fort & meilleur
à la marche , avoit prefque doublé le chemin
des deux autres , de forte qu'il fut témoin de leur
défaftre. Une fcéne auffi effrayante le pénétra de
douleur. La crainte qui l'avoit glacé jufques- là
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
pour lui- même , fe diffipe . Il fuyoit toute à l'heus
re le péril , il ne le voit plus , & cherche une mort
prefque certaine pour rendre la vie à fes compatriotes.
Ses efclaves épouvantés refuſent d'obéir ,
& abandonnent leurs rames . Mais la vue d'une
épée prête à les percer , & d'un danger plus prochain
, les leur fait reprendre. Un inftant plus tard ,
c'en étoit fait de Meffieurs Bouteillier & de leur
canot. Il court d'abord au trifte refte des naufragés
, qui déja épuifés & fans force lutoient encore
fur les eaux contre la mort. Il aborde tout de
fuite le canot prêt à périr , prend entre les bras
tous ces malheureux retirés des eaux , & tous les
bagages , dont le poids mettoit Meffieurs Bouteil
lier en perdition . 11 pouffe de- là vers le canot per
du , retire tous les effets qui flottoient encore . Le
fien exposé à toute la fureur de la mer , fe remplie
d'eau. D'une main il fauve fes camarades , de
l'autre il répare fes propres défordres : il fe porte
par tout en même tems , & femble fe multiplier.
Son gouvernail fe rompt dans tous ces mouvemens.
Cependant il donne de fi bons ordres , &
manoeuvre fi bien lui-même pour fuppléer à cet
accident , qu'ils abordent tous au plus prochain
rivage. Là , fon premier foin eft de foulager les
naufragés à qui il vient de conferver la vie . A leur
arrivée à Cayenne , ils l'appellent tous leur pere
& leur libérateur. Toute la Colonie l'environne
& le félicite . Mais auffi humble que s'il n'eût eû
aucuns fuccès , il rapporte à Dien toutes les louanges
qu'on lui donne il gémit de n'avoir pu fauver
toute la troupe , & pleure la mort de quatre perfonnes
que la mer avoit dérobées à fes empreffemens.
::
Voilà , Monfieur , une Hiftoire du Nouveau
Monde , qui peut être fort utile à l'ancien , qui
DECEMBRE. 1750. $79
m'a paru propre à plaire à tous ceux qui aiment le
bien & les gens de bien, & à orner votre Livre , qui
ne doit pas être uniquement confacré à la Science ,
mais quelquefois auffi à la vertu.
Dignum laude virum muſa vetat mori, Hor.
A Breft , le 12 Août 1750.
Lugny.
NAISSANCES , MARIAGE
Morts.
E 14 Octobre , naquit au Château de Pont-
Pleurtuit , Diocéfe de Saint Malo , Claude- Touffaint-
Louis , fils de Claude- Louis du Breil , Comte
de Pontbriant , Baron de la Houlle , Seigneur du
Pin , de la Garde , de la Ville - au - Prevôr , & autres
lieux , Chevalier de l'Ordre de Saint Louis , Capitaine
Général des Gardes - Côtes du Département
de Pontbriand , Gouverneur de l'Ile & Fort des
Ebiliens ; & de Renée - Françoife - Eliſabeth du
Breil , Comteffe de Pontbriand , fon époufe. Il a
été tenu fur les Fonts par Hyacinthe Luch , Luce
& Marie de Lacherie , au nom , & comme fondés
de Procuration de Claude - Touflaint Marot
Comte de la Garaye , Commandeur & Grand
Hofpitalier des Ordres Royaux & Militaires de
Notre- Dame du Mont- Carmel & de Saint Lazare ,
oncle maternel du Comte de Pontbriand , & de
Jeanne , Marquife du Guefclin , ayeule mater
nelle de la Comteffe de Pontbriand .
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
Le Comte de Pontbriand avoit épouſé en premieres
nôces Françoife - Gabrielle d'Epinai , morte
en 1748 , dont il n'avoit eu qu'une fille , mariée en
1738 à N. Comte de Brue. Le 23 Décembre, 17.3
il époufa fa coufine germaine , fille de François-
Louis Mathurin du Breil de Pontbriand , & de
Marie Anne de Saint Gilles Perconnays. Tous
ces noms font extrêmement connus en Bretagne ,
& alliés aux premieres Maifons de cette Piovince
.
Lè 17 Novembre , a été baptifé à Paris dans la
Paroille de Saint Roch , Jean-Louis , né le mê.ne
jour , fils de Louis - Hilaire du Bouchet , Comte
de Sourches , Chevalier de Saint Louis , ci- devant
Capitaine de Dragons au Régiment de Languedoc
, & de Louife Françoife le Vayer , mariée le
18 Janvier 1747. Le parrain a été Jean- François
le Vayer , Maître des Requêtes , frere de la Comteffe
de Sourches , & la maraine Hilaire Urfule
de Thiervault , époufe de Louis - François du Bonchet
, Comte de Sourches , Lieutenant Générat
des armées du Roi , du 20 Février 1734 , mariée le
23 Octobre 1715 , grande mere paternelle de l'enfant.
La Maison du Bouchet eft une des plus illuftres
de la Province du Maine par fon ancienneté , fes
alliances & fes fervices militaires. André Bou .
chet , ou Eofchet , & Alberic , & André les deux
fils , furent témoins dans une Charte de Guillaume,
Evêque du Mans , qui fe trouva au Cartulaire de
cette Eglife fol . 15. jest. 35. verfo. Cet Evêque paroft
être Guillaume de Paffavant , qui a fiégé depuis
1142 jufqu'en 1186 .
Cette Maifon a été partagée en plufieurs branches.
Jeanne du Boucher , alle de Gobert da
Boucher , feule héritiere de la branche ainée ,
DECEMBRE. 1750 : 181
Epoufa 1º . Hugues IV. Comte de Vendômois
Vicomte de Châteaudun . 2 °. Robert IV . Comté
de Bethune , de Ponthieu & d'Alençon , dernier
des anciens Comtes d'Alençon , dont elle n'eut
point d'enfans. L'an 1209 , elle fit donation d'une
métairie à l'Abbaye de Perfeigne , laquelle fut
confirmée par Geoffroi , fon fils , Vicomte de Châteaudun
elle eft inhumée au Château de l'Abbaye
de Peifeigne. Jeanne du Bouchet étoit tanté
de Robert , premier chef d'une branche des Seis
gneurs du Boucher , Barons , puis Marquis de
Sourches , qui fut tenu fur les Fonts de Baptême
par elle & fon mari , qui lui donna ſon nom. De
cette branche est fortie celle des Seigneurs du
Bouchet Maleftre , éteinte en 1739 par la mort de
Jacques du Bouchet , Lieutenant four le Roi à
Longwy. La branche des Seigneurs du Bouchet
Puygreffier , a fini en la perfonne de Jeanne du
Bouchet , Comteffe de Secondigny , premiere
fenimie d'Artus de Coffé , Maréchal de France.
Guillaume du Bouchet , feptiéme defcendant dè
Robert , Lieutenant & Connétable de la Ville &
Châtel du Mans , époufa le 24 Juillet 1459 , Jeanne
de Vaffé , qui lui apporta en mariage la Terre
& Châtellenie de Sourches , dont lui & fes defcendans
ont depuis porté le nom . François , fon arriere-
petit fils , fut Gentilhomme Ordinaire de lå
Chambre du Roi , Chevalier de fon Ordre , & Capiraine
de Cinquante Lances , par provifion du
29 Janvier 1583 ; Lieutenant Général des armées
de Sa Majesté en Bretagne. Il époufa le 15 Avril
1556 Sidoine du Pleffis Liancourt , tante de Gabrielle
, mariée le premier Mars 1611 , à François ,
Duc de la Rochefoucault, La Terre & Châtellenie
de Sourches fut érigée en Baronie par Lettres
Patentes , données au mois d'Août 1598 , en fa132
MERCURE DE FRANCE.
veur d'Honorat , fon fils , Gentilhomme Ordinaire
de la Chambre du Roi , Chevalier de fes Ordres.
Jean du Bouchet , fils de ce dernier , Confeiller
d'Etat , pourvû de la Charge de Prévôt de l'Hôtel
du Roi , & grande Prévôté de France , le 17 Décembre
1643 , obtint l'érection de la Baronie de
Sourches en Marquifat en 1642 , fut fait Chevalier
des Ordres du Roi , à la Promotion du 31 Décembre
1661 , & mourut le premier Février 1677.
Le Marquis de Sourches , Chefde la Maiſon du
Bouchet , eft le quatriéme poffeffeur de la Charge
de Grand Prevôt de France , & coufin germain du
Comte de Sourches , qui donne lieu à cet article .
Voyez les Mercures de Juin 1746 , & le ſecond
volume de Décembre 1747 , Juin 1748 , & l'Hiftoire
des Grands Officiers de la Couronne.
Les Armes de cette Maiſon font au 1. & au 4.
d'argent à deux faces de fable écartelées au 2 &
au 3 , de celles de Chambés Montforeau d'azur ,
au lion d'argent armé , couronné & lampaffé de
gueules , champ femé de fleurs de lys d'argent fans
nombre .
La Comteffe de Sourches , nouvellement accouchée
, eft fille de Jean-Jacques le Vayer , Confeiller
du Roi en fes Confeils , Maître des Requêtes
ordinaire en fon Hôtel , & Préfident au grand
Confeil , mort le 8 Février 1740 , & d'Anne-
Louife Dupin. Elle a pour frere Jean- François ,
Seigneur des Châtellenies de Saint Denis- de Sable,
la Daviere , Jaufay , Saint Cellerin , Bonperoux
& autres lieux , Confeiller du Roi en fes Confeils,
& Maître des Requêtes Ordinaire de fon Hôtel
marié le 21 Fevrier 1746 à Marie-Françoise de
Catinat .Elle avoit pour four ainée Marie- Françoife
le Vayer , mariée en 1736 , à Jacques- François de
Moreau , Marquis d'Avrolles , Chevalier de l'OxDECEMBRE.
1790. 183
dre Royal & Militaire de Saint Louis , Capitaine
au Régiment des Gardes Françoifes , mort peu de
jours après le combat d'Ettingen des bleffures qu'il
avoit reçues , dont un fils Jacques- Henri de Moreau
, Marquis d'Avrolles .
·
Le 26 Octobre , Victor Maurice , Marquis
de Caraman , Colonel d'un Régiment de Dra
gons de fon nom , époufa Marie -Anne - Gabrielle
Alface de Boufful , Princeffe de Chimay . Ce mariage
a été célébré à Lunéville , à la Cour du Roi
de Pologne , qui dans cette occafion a honoré les
deux familles des marques les plus glorieufes de
bienveillance & de diftinction . La cérémonie des
Fiançailles ſe fit le 25 , dans le Cabinet du Roi ,
& celle duMariage le lendemain dans la Chapelle
du Château . Sa Majefté a fait l'honneur à Madefelle
de Chimay de la conduire à l'Autel à l'une
& l'autre cérémonie , dont M. l'Abbé de Caraman
, Chanoine de l'Eglife de Paris , a fait la célé
bration.
Victor-Maurice , qui a donné lieu à cet article,
eft fils de Victor-Pierre- François de Caraman ,
Lieutenant Général des Armées du Roi , & de
Louife-Magdeleine-Antoinette Portail ; fon Bifaycul
Pierre- Paul de Riquet , Baron de Bonrepos ,
Comte de Caraman , en faveur de qui le Roi
érigea le Canal de communication des mers en
Languedoc en Fief noble , relevant immédiatement
de la Couronne , étoit arriere- petit fils de
Requier de Riquety , frere d'Honoré de Riquety ,
qui a fait la branche aînée , connue fous le nom
de Marquis de Mirabeau , ainfi qu'il paroît par
le Jugement des Commiffaires établis pour la recherche
de la Nobleffe , du 20 Janvier 1670 , qui
fur leurs titres maintint Jean - Mathias & Pierre-
Paul de Riquet , Comre de Caraman, mort Lieute184
MERCURE DE FRANCE.
nant Général des Armées du Roi , dans la poffeffion
du nom & des Armes de Riquery . Cette Maifon
eft une des plus anciennes de la République de
Florence , & connue dès le douzième fiécle , fous
le nom d'Arriquety. Ce n'cft qu'enjt 350 qu'ils s'établirent
en France , où ils ont formé les deux
branches de Mirabeau & de Caraman , l'une éta
blie en Provence , & l'autre en Languedoc .
Louis - Jacques Chapt de Raftignac , Archevêque
de Tours , Commandeur de l'Ordre du
Saint Efprit , Abbé de Marmoutier , de la Couronne
, de la Sainte Trinité de Vendôme , & de
Vauluifant, Docteur en Théologie de la Maifon &
Société de Sorbonne , mourut le 12 Août 1750, dans
fa Maifon de Plaifance , près de Tours , âgé d'environ
65 ans . Il avoit été facré Evêque de Tulles
en 1722 , & transferé à l'Archevêché de Tours
en 1723.
La Maifon de Chapt de Raftignac , originaire
da Limousin , & établie depuis plufieurs fiécles
dans le Périgord , eft connue par Chartes authentiques
depuis l'an 1073 au plus tard , & il y a de
fortes raifons de croire qu'elle eft une Branche
collatérale des anciens Sires de Chabanois , appellés
Principes Cabanenfes , par un Auteur qui écrivoit
il y plus de 700 ans ; Fondateurs de l'Abbaye
de l'Eiterp , au Diocèle de Limoges , vers l'an
980 , ilus en droite ligne d'Abon Cat , * qui fuit.
* On
In ne croit pas qu'il foit néceſſaire de prouver que
Cat Chatfont précisément la méme choſe ; & qu'il
n'y a d'autre difference entre ces deux mots que la
maniere differente d'écrire ou de prononcer le nom de
eet animal domefique . Ménage , dans fon Dictionnaire
Etymologique
de la Langue Françoife , au më
Chat , a déja fait la même obfervation d'après la noDECEMBRE.
185 1750.
Abon , furnommé Cat- Armat , vivoit fous le regne
de Charles le Simple , vers l'an 895 , & fut le
trifayeul d'Ainard , Sile de Chabanois , qui époufa.
Barield d'Angoulême ,foeur de Foulques , dit Taillefer
, Comte d'Angoulême , mort en 1087.
-sorieté publique , &ce qu'il en a dit doit fuffire . » De
»Catus ou Cattus , dit- il , ( ce qui fignifiefin , ruſé ,
» adroit ) nous avons fait premierement Cat ; c'eft
ainfi que ce mot fe prononce encore aujourd'hui en
» Normandie , en Ficardie , dans le bas Languedoc


en Angleterre ; les Allemans difent auffi Catz , yo
» de Cat nous avons fait enfuite Chat , comme Char
" bon de Carbo , & Chambre de Camera. Mais
que fignifie le mot Armat ou Armé joint à celui de
Cat dans le furnom d'Abon ? On fçait que les anciens
Romains fe fervoient pour abattre & renverser les
murailles des Villes qu'ils affiégeoient , d'une machine
qu'ils appelloient Bélier , parce qu'elle étoit faite d'une
longue poutre , dont l'extrémité étoit armée d'une tête
de Bélier d'airain. Cette machine , qui par fucceffion
de tems, a dú fouffrir divers changemens dans fa
conftruction , parce que tout s'altére on se perfectionne,
a été en ufage juſqu'à l'invention du canon , & elle
a auffi changé de nom . Pour la conduire jufqu'au pied
du mur , les travailleurs fe mettoient à couvert &
comme en embuscade fous une efpece de mantelet ou
de galerie, qui pour cette raison , difent quelques Antiquaires
, fut appelé Chat . Mais quelques raifons
qu'on ait eu de lui donner ce nom , elle l'a porté , ¿
il y en a deuxfortes de Chats , l'un deftiné à miner la
muraille en creuſant par deſſous , ou en la ſappant par
les fondemens ; l'autre à frapper le carps même du mur
dans fon élévation , comme le Belier , pour le jeter
par terre , on douna à ceux - ci le nom de Chats
Chateils , en Latin Cati caftellati , parce qu'ils
186 MERCURE DE FRANCE.
Abon Cat II du nom , ſouſcrivit à une donation
faite à l'Abbaye de l'Efterp , vers l'an 1093 , par
Jourdain V , Sire de Chabanois , qui comptoit
Abon-Cat-Armat pour fon cinquiéme ayeul.
Guy Cat ou Cati ( c'eft le farnom Latin de la
Maifon de Chapt ) foufcrivit avec Aimery , fon
fils, à la fondation du Prieuré de la Péruze , au
Diocèle de Limoges , faite avant l'an 1073 , par
Jourdain IV , Sire de Chabanois.
Aimery Cati , I du nom , dont on vient de parler
dans l'article de Guy , fon pere , eft vrai - femblablement
le même Aimery Car ou Catus de Faneis
, qui fit du bien à l'Abbaye de l'Efterp , vers
l'an 1093 , & dont le furaom eft le nom d'un Fief,
étoient défendus par des tours des beffrois . Du Cange
, dans fon Glofaire Latin , auffi-bien que dans fes
Obfervations fur l'Hiftoire de Saint Louis par Joinville
, page 68 fuivantes , & les nouveaux Editeurs
du même Gloffaire au mot Catus , prouvent tout ceci
par plufieurs autorités.
On voit maintenant pourquoi le mot ArmatSe tresve
joint à celui de Cat dans le furnom d'Abon ; puifque
le Chat étoit une machine de guerre , il n'eſt pas
Surprenant que cette machine fût armée d'une maniere
ou d'une au re . Celle qui étoit accompagnée de
tourelles ou de châteaux , fut bien appellée Catus.
caftellatus. Peut - être Abon inventa - t'il une nouvelle
maniere de l'armer ou de la fortifier. S'il l'a per
fectionnée , s'il s'en eft fervi avec avantage dans qaelque
operation militaire où il fe fera fignalé , comme on
peut le conjecturer , il est bien croyable qu'il en aura
siré fon furnom; & dans cette fuppofition ce mot
Chat , qui paroit d'abord ne préfenter qu'une idée
baffe , n'a cependant rien que de glorieux pour lui &
pour toute fa poftérité
DECEMBRE . 1750. 187
appellé Chadefeyne , c'eft-à- dire Chat de Feyne ,
contigu à la Terre de Lage- au- Chat , fituée près
la Ville de Saint Yrier , en Limoulin , & poffedée
de toute antiquité par la Maifon de Chapt de Raftignac.
Aimery Chat , II du nom , Chevalier , appellé
indifferemment Chat & Cati , dans les Titres Latins
qui le concernent , vivoit en 1 194 , & fut préfent
vers l'an 1210 au Traité de mariage de Raimond
IV , Vicomte de Turenne, avec Heliz , filie
de Guy II , Comte d'Auvergne.
Bernard Chat , I du nom , frere du précédent ,
confentit en 1194 à une vente faite au Monaftére
de la Faye , près Chalucet en Limouſin .
Bernard Chat , II du nom , Chevalier , aſſiſta en
1252 à l'hommage rendu par Raimond IV , Vicomte
de Turenne , à l'Abbaye de Tulles.
Aimery Chat ou Cati , III du nom , Chevalier ,
dit lo Peytavis ou la Petavi , fils d'Aimery II , af
fifta au même hommage en 1252, & paroît encore
dans un Acte du 28 Novembre 1290 .
Sei- Bernard Chat , III du nom , Damoiſeau ,
gneur de Lage au Chat ( Terre contigue au Fief
de Chadefeyne , c'est à dire Chat de Feyne , dont
on vient de parler dans l'article d'Aimery I ,furnommé
Catus de Faneis , étoit marié en 1260 avec
Raimonde de Salagnac , fille d'Aimery , Seigneur
de Salagnac , & d'Anne de Ferrieres , lequel Aimery
de Salagnac devoit appartenir de bien près
à Bofon de Salagnac , élu Archevêque de Bordeaux
en 1296.
Bernard Chat , IV du nom ( fils du précédent )
Damoiſeau , Seigneur de Lage au Chat , & Cofeigneur
de Maulac , fit hommage en 1288 de fa
Terre de Lage au Chat , au Chapitre de Saint
Yrier , comme les prédéceffeurs l'avoient fait de
188 MERCURE DE FRANCE.
toute antiquité , recognovit ſe tenere &predeceffores ™
fuos antiquitus tenuile.
Guichard Chat , I du nom , Chevalier , Cofeigneurde
Maulac , vivoit en 1328.
Guichard Chat , II du nom , Chevalier , Sei-.
gneur de Lage au Chat , fonda dans l'Eglife de
Saint Yrier en 1368 un anniverfaire pour le Pape
InnocentVI.avec la famille duquel il est très- vraifemblable
que la fierne étoit liée de parenté.
Aimery Chat ( frere du précédent ) Prince de
l'Empire , Evêque de Volterre en Toscane , puis
de Bologne en Italie , & enfuite de Limoges, Tréforier
de l'Eglife Romaine , Confeiller du Roi &
du Duc d'Anjou . Gouverneur & Réformateur
Souverain & Général dans les Diocèles de Limages
& de Tulles , & dans la Vicomté de Limoges ,
mourut le 10 Novembre 1390.
Guillaume Chat eft nommé au nombre des
Grands- Vicaires députés des Eglifes d'Agde , de
Caftres , de Limoges, & c. qui fe trouverent comme
l'élite des plns fages & des plus doctes da tems
à l'affemblée des Prélats convoqués par le Roi
Charles VI , en 1395 , pour travailler à l'union de
P'Eglife .
Aimery Chat , IV du nom ( fils de Guichard II )
Damoifeau , Seigneur de Lage au Chat & de
Maufac ,vivoit en 1390,époufa 1 ° .Marguerite Fla .
mens , d'une très -ancienne Maifon , fiile de Mre.
Hélie Flamenc & de Marguerite de Comboin ,
Leur de noble & puiffant Seigneur N ... Vicomte
de Combo: n ; 2 °. Agnès de la Renie , fille de
Raoul de la Renie, Chevalier. Ifabeau Chat , ou de
Lage- au- Chat , Dame de Chamberis , fon arrierepetite
fille , en la perfonne de laquelle a fini cette
branche de Lage-au - Chat , époufa en 1499 Hugues
de Carbonnieres , Ecuyer, Seigneur de Jayac , & lui
DECEMBRE. 1750. 189
Torta en dot la Terre de Chamberis .
Jean Chat , I du nom , Seigneur de la Germanie
( frete du précédent ) épouſa l'héritiere de Jalhés
& de Raftignac.
Antoine Chat , fon fils , Damoifeau , Seigneur
de Jalhés & de Raftignac , épouſa avant l'an 1445
Jeanne Boutier , fille de Jean Boutier , Seigneur de
Sédières en Limousin , & de Marguerite de Beaufort.
Jean Chat , II du nom ( fils du précédent ) Damoifeau
, Seigneur de Raftignac & de Jalhés , vivoir
en 1471.
Aimar Chat , fon frere , Abbé de Saint Romain
de Blaye en 1498 , & auffi de Saint Sauveur de
Blaye , fut nommé Evêque de Bazas ; mais cette
nomination n'eut pas lieu.
Jean Chat ou Chapt , III du nom ( fils de Jean
11 ) Damoifeau , Seigneur de Raftignac , de Jal
hés , du Pouget , de Saint Rabier , de Lage au
Chat ,ou de la Jouchats , de Servai , du Cerf ou
du Cern , de la Bachellerie , de la Tour del Bofcq,
de Saint Antoine de Fallac ou Faulac , de Cour
gnac, de Lamanceaux , des enclaves de la Paroiffe
d'Azerac , Cofeigneur de Ciourac , qualifié noble
puiflant Seigneur , époufa en 1509 Françoise de
Serval , Dame de Serval & de Ciourac. De ce
mariage il eut un fils qui fuit.
Claude Chat on Chapt de Raftignac , Seigneur
de Raftignac , du Pouget & de la Jouchat , époufa
en 1535 Agnès de Mo tberon , fille d'Adrien de
Montberon , Baron d'Archiac & de Martas , Confeiler
& Chambellan du Roi , Capitaine de la
Ville de Blaye , & de Marguerite d'Archiac. De ce
mariage il eut pour enfaus , 1º . Adrien Chapt de
Raftignac , dont on parlera après Raimond , fon
frere; 2. Louis Chapt de Raftignac , Cofeigneux
190 MERCURE DE FRANCE.
i
de Ciourac , tué en 1569 au fiége de Mucidan ; 3 °.
Antoine Chapt de Raftignac , Seigneur de Brignac ,
de Laxion , de Cubjac , de Birac & de Courniac
tué en 1579 d'un coup d'arquebuſe , portant les
armes pour le fervice du Roi contre la Ligue , &
Commandant alors la Nobleffe de Périgord ; 4°.
Raimond Chapt , qui fuit.
Raimond Chapt de Raftignac , Seigneur de
Meffillac , de Pleaux , de Griffol , de Montagnac ,
de Poumeyrols , & c. Chevalier de l'Ordre du Roi,
Capitaine de Cinquante hommes d'armes de fes
Ordonnances , Gentilhomme Ordinaire de fa
Chambre , Gouverneur , Lieutenant Général ( ou
Lieutenant de Roi ) & Baillif de la Haute -Auvergne
, Gouverneur d'Aurillac , & nommé à l'Ordre
du Saint Efprit , qualifié noble & puiſſant Seigneur,
contribua beaucoup au gain des batailles d'Ifloire
en 1590, & de Villemur en 1592 ; fe diſtingua dans
plufieurs autres occafions , & fut tué par une main
ennemie d'un coup de fauconneau le 26 Janvier
1596 , à la Fere , où il étoit allé pour traiter de
quelques affaires avec le Roi. Le célebre Hiftorien
de Thou , parlant de lui , l'appelle un homme
d'un courage infatigable , Virum indefeffa virtutis.
Il eut pour fils Bertrand Chapt de Raftignac , Seigneur
de Meffillac, Chevalier de l'Ordre du Roi
en 1629.
Adrien Chapt de Raftignac , fon frere , Seigneur
de Raftignac & du Pouget , Cofeigneur de Ciourac
,Guidon d'une Compgnie de Cinquante Lances
des Ordonnances du Roi , qualifié noble , haut
puiffant Seigneur, épousa en 1565 Jeanne d'Hau
tefort , fille de Jean , Seigneur d'Hautefort , Gentilhomme
de la Chambre du Roi de Navarre, Gou
verneur pour ce Prince des Comté de Périgord &
Vicomté de Limoges , & de Catherine de ChabanDECEMBRE.
1750 . 191
nes. De ce mariage il eut un fils , qui fuit.
Jean Chapt de Raftignac , IV du nom , appelle
Le Comte de Raftignac , Seigneur , puis Marquis de
Raftignac , Seigneur du Pouget , de Saint Rabier ,
de Belveys , de Laftours , de Paleyrac , Baron de
Luzech, Capitaine de Cinquante hommes d'Armes
des Ordonnances du Roi , Gentilhomme ordinaire
de la Chambre , Conſeiller en fon Confeil d'Etat ,
& Maréchal de Camp , qualifié haut & puiſſant Seigneur
, époufa , 1 ° . en 1604 , Jacquette de Génouillac
, fille de Louis de Génouillac , Baron de Gour .
don , Seigneur de Vaillac , & Chevalier de l'Ordre
du Roi, Capitaine de Cinquante hommes d'Armes
de fes Ordonnances , Confeiller d'Etat , Gouverneur
de Bordeaux & du Château- Trompette ,
nommé à l'Ordre du Saint Efprit , & d'Anne de
Montberon - de- Fontaine. 2°. Jeanne de Laftours ,
Baronne de Laftours , fille de Jean Baron de Laftours,
premier Baron du Limoufin , & de Françoiſe
Gentil . Du premier lit naquit un fils , qui fuit.
Jean- François Chapt de Raftignac , appellé le
Comte de Raftignac , Baron de Luzech , Seigneur
de Coulonges , de Peyrignac , de Saint Rabier , de
Laftours, de Belveys & de Paleyrac , Colonel d'un
Régiment de fon nom , Maréchal de Camp , Chevalier
de l'Ordre du Roi,& Capitaine de Cinquante
hommes d'Armes , qualifié haut & puiſſant Seigneur
, époula en 1625 Gabrielle de Sediére , fille
de François de Sediére , Seigneur de Coulonges
Gentilhomme Ordinaire de la Chambre du Roi ,
Chevalier de fon Ordre , & de Magdeleine de la
Forêt , Dame de Peyrignac. De ce mariage il eut
un fils , qui fuit .
François Chapt , Marquis de Raftignac , Baron
de Luzech , Seigneur de Coulonges , de Sarazac ,
de Saint Rabier , de Peyrignac , de Paleyrac ,
192 MERCURE DE FRANCE.
Sargat & de Serval , époula en 1872 Jeanne- Gabrielle
de Clermont-Vertillac, tille de Jacques-Victor
de Clermont- Touchebeuf, Comte de Clermont
, Baron de Gramat , de Tegra , de Betfe , de
Saint Projet , &c. & de Jeanne , Marquise de
Gaulejac de Pechcalvel.
M. l'Archevêque de Tours eft né de ce mariage.
Jacques Gabriel Chapt , fon frere , appellé le
Comte de Raftignac , Baron de Luzech , Seigneur
de Peyrignac , de Sarazac , de Clermont , de Combebonnet
, &c . né en 1677 , n'a pas eu d'enfans de
fon mariage accordé en 1701 , avec Maie -Anne
de Narbonne-Arnouil, fille de Louis de Narbonne-
Arnouil , dit le Comte de Clermont , Seigneur de
Combebonnet , de Montfort , de Caftelnau ,
& de Magdeleine de Souillac - d'Azerac.
Armand-Hyppolite- Gabriel Chapt ( autre frère
de l'Archevêque de Tours ) appellé le Vicomte de
Raftignac , Marquis de Raftignac , Seigneur de
Coulonges , de la Beffe , de Milhac , du Peuch , du
Mouftier , de Cabirac , du Sabloux & de la Roque
Saint Chriftophe , Chevalier de l'Ordre Militaire
de Saint Louis , époula en 1722 Françoile Foucaud
de la Beffe , fille de Pierre Foucaud , Seigneur de
la Beffe , de Milhac, du Peuch , & c. & d'Ilabeau de
Vallal. Il mourut le 18 Août 1748 , & a laiſſé un
fils & une fille , qui fuivent.
Jacques Jean Chapt de Raftignac , Marquis de
Raftignac , né en 1728.
Marie-Anne-Pétronille Chapt de Raftignac, née
en 1729.
Il y a trois autres branches , celles de Firbeys ,
de Laxion & de Puiguilhem .
Peyrot Chapt de Raftignac , Seigneur de Laxion ,
de Courniac , de Nanteuil , d'Eyferat , de Turffac,
de Saint Jory la Bloux & du Pouget , Chevalier
de
DECEMBRE.
1750. 193
de l'Ordre du Roi , eft le Chef de ces trois branches.
Il époufa en 1599 , Marguerite Chapt de Raftignac
, la coufine germaine , héritiere des Terres
de Laxion & de Saint Jory , fille d'Antoine Chapt
de Raftignac , Seigneur de Brignac , & de Marguerite
de Calvimont,
La branche de Firbeys eft fondue dans celle de
Puiguilhem .
Charles Chapt de Raftignac, Marquis de Laxion ,
Comte de Lambertie & de Panfol , Seigneur de
Corgniac , d'Eyzerat , de Nanteuil de Saint Joryla-
Bloux , de Vaunac en partie, de la Navoye , de la
Foreft - Beron , de Lage & en partie de l'Ile Saint
Macaire, aujourd'huiChef de la branche de Laxion ,
a épousé en 1724 , Marie -Jacqueline Eléonore d'Aydie
de Riberac, fille de Blaife d'Aydie , Seigneur des
Bernardieres , de Montcheuil , & c. & de Louife-
Thérèze Charlotte - Diane de Baultru de Nogent.
De cemariage il a plufieurs enfans , dont l'un eft
Chevalier de Malte.
Pierre-Louis Chapt de Raftignac , Seigneur de
Paiguilhem , de Villars , de Milhac , de Lencontrade
, de Firbeys , de Monchapeix & de la Glodie ,
aujourd'hui Chefde la branche de Puiguilhem , a
auffi plufieurs enfans de fon mariage accordé en .
1734 avec Suſanne - Anne du Lau , fille de Jean-
Armand du Lau , Seigneur d'Allemans , & de Julie-
Antoinette de Beaupoil de Sainte Aulaire , foeur de
Marc-Antoine Front de Beaupoil de Sainte Aulaire,
Marquis de Lanmarie , Lieutenant Général des
Armées du Roi , Chevalier de fes Ordres & Ambaffadeur
en Suéde .
Pierre-Jean Chapt de Raftignac , Abbé de Barbeaux
, ci-devant Agent Général du Clergé de
France , eft frere du précédent.
Le dérail qu'on vient de donner , a été tiré de
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
la Généalogie de cette Maifon de Chapt de Rafti
gua, compriſe dans le troifiéme Regiſtre de la No.
bleffe de France , qui va paroître en deux volumes
au mois de Décembre, prémice des Ouvrages de
M. de Sérigny , Juge d'Armes de France en ſurvi
vance de M. d'Hozier ,fon pere , Juge d'Armes de
France, Chevalier Doyen de l'Ordre du Roi, Cons
feiller en fes Confeils , Maître ordinaire en fa
Chambre des Comptes de Paris , &c.
Le 29 Septembre , Bertrand-Gabriel du Guefelin,
ancien Officier au Régiment du Roi ,mourut en fon
Château de Beaucé au Maine , âgé de 58 ans ,
étant
né le 27 Juillet 1692. Il avoit épousé par Contrar
du 17 Juillet 1725 Marie- Anne Phelipeaux , fille
d'Antoine Phelipeaux , Seigneur d'Herbaut , Con
feiller au Parlement de Metz & Intendant de la
Marine , & de Jeanne Gallon . Il étoit fils de René
du Guefclin & de Marie Sourdrille , Dame d'Efcoublere.
René étoit de la branche des Seigneurs
de Beaucé , qui a commencé en la perfonne de Ga
briel du Guefclin , fils puîné de Bertrand du Guelclin
, & de Julienne du Châtelier. Bertrand mou
rut en 1586, & étoit le feiziéme defcendant de Richer,
que l'on prend pour tige de cette Maiſon, &
qui vivoit au commencement du XI. fécle.
Il eft peu de noms auffi refpectables en France
que celui de du Guefclin. La haute réputation que
fe fit dans fon tems par fes vertus & les exploits le
fameux Connétable Bertrand du Guesclin, à répan
du fur toute la famille un éclat qui ne s'éteindra
jimais. La France ne fut pas le feul théatre de la
gloire de ce grand homme ; l'Efpagne lui dut fa dé
livrance du regne barbare de Pierre le Cruel , & cl
le conferve cherement la pofterité d'un fils naturel
qu'il y laiffa, qui ,fuivant les coûtumes du pays ,
au défaut d'enfans légitimes , en eur les honneurs
& les prérogatives .
DECEMBRE. 1750. 195
Dazed
Le 7 Octobre , Charles - Armand , Comte de
Maillebois , fils du Maréchal de ce nom , mourut à
Paris , âgé de 20 ans , & fut inhumé à S. Roch.
Le premier Novembre , Guy -Omer Talon ,
Ecuyer ordinaire du Roi , mourut , âgé de 72 ans ,
& fut inhumé à Saint Sulpice .
Le 3 , Marie- Agnès de Gondrecourt , épouſe de
N. Fontaine , Confeiller- Secretaire du Roi , Maifon
, Couronne de France & de fes Finances , &
ancien Fermier Génral , mourut & fut inhumé à
Notre-Dame de Bonne- Nouvelle,
Le 4 , Henri Gafpard de Caze de la Bove , Maître
des Requêtes ordinaires de l'Hôtel du Roi , & Inzendant
de la Généralité de Champagne & de fes
frontieres , mourut à Langres , âgé de 40 ans . Il
étoit fils du Fermier Général de ce nom , &
avoit époufé une fille de N. de Boulogne , Intendant
des Finances,
Les , Nicolas Jolly , Secretaire du Roi , mourut,
& fut inhumé à Saint Roch.
Le 10 , Elifabeth- Rofalie d'Eftrées de Tourpes ,
Dame d'Oudeauville , fremiere Baronne du Bou-
Tenois , de Parentie , Surques , Loquintaix & Neuville
, & Dame du Domaine de Beaufort en Val-
Mée , & Princeffe en partie de Tingri , mourut âgée
le 78 ans , & fut inhumée à Saint Roch. Elle étoit
elle de Jean Comte d'Eftrées de Nanteuil & de
Tourpes , Maréchal & Vice - Amiral de France
iceroi de l'Amérique , Gouverneur de Nantes &
Pays Nantois , Chevalier des Ordres du Roi ,
de Marie-Marguerite Morin , fille de N. Morin,
eigneur de Château -Neuf, Secretaire du Roi ,
'il époula en 1658 , & morte le 15 Mai 1714 ,
Petite fille de François Annibal , I du nom Duc
Eftrées , Pair & Maréchal de France , & de fa
remiere femme Marie de Béthune,
I is
196 MERCURE DE FRANCE.
Le 13 , Charles Claude- Ange Dupleix de Bacquen
coutr,Secretaire du Roi , &' l'un des Fermiers Généraux
de S. M. mourut à Paris âgé de 54 ans , & fur
inhumé à Saint Euftache.
Le 14 , Jean Gascoing , Chevalier de S. Lazare,
& Gentilhomme Servant ordinaire du Roi , Confeiller-
Préfident & Lieutenant Général de Saint
Pierre-le -Moutier , mourut , & fut inhumé à Saint
Eustache.
Le 23 , Charles- Louis Chauvelin , Marquis de
Grofbois , mourut âgé de 30. ans , fur la Paroifle
de Saint Sulpice , & fut tranfporté aux Carmes de la
Place Maubert. Il étoit fils unique de Germain-
Louis Chauvelin , Miniftre d'Etat & Commandeur
des Ordres du Roi , & n'avoit point encore pris
d'alliance . Il laiſſe trois ſoeurs.
Le 25 , Edmond Etienne Seigneur de Malmai
fon , Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire de
Saint Louis, ancien Capitaine de Dragons, Ecuyer
de feue S. A. R. Madame , mourut & fut inhumé
à Saint Germain l'Auxerrois .
Maurice Comte de Saxe , Duc de Courlande & de
Semigalle, Maréchal Général des Canaps & Armées
du Roi , Chevalier de l'Ordre de l'Aigle Blanc ,
mourut le 30 Nov. au Château de Chambord, après
huit jours de maladie , n'étant âgé que de 54 ans .
Il avoit été comblé de marques d'eftime & de
bienfaits par le Roi qu'il avoit bien fervi , & de
louanges par toute la Nation , qui s'étoit empreflée
à rendre juftice à fon mérite . Objet d'amour & de
confiance pour les troupes qu'il commandoit &
qu'il animoit par fon exemple , il s'étoit rendu redoutable
à celles qu'il avoit à combattre. Aufli
fçavant par théorie dans toutes les parties de
l'Art de la guerre , qu'habile à réduire en pratique
tout ce qu'il peut enſeigner ; aulli propre aux atDECEMBRE.
1750. 197
+
tentions de la guerre deffenfive qu'à l'activité de
l'offenfive , incapable d'être retardé dans la carriere
de la gloire , ni par le dérangement de fa fanté,
ni par les obftacles des faifons , ni par les difficultés
imprévues , il joignit au courage le plus intrépide
, la fagefle & l'étendue des vues dans les projets
, la vivacité , l'ordre & le coup d'oeil dans l'exécution
& la folidité des mesures pour affûrer les
fuites des fuccès. La Campagne de 1744 ; les Ba
tailles de Fontenoy , de Raucoux & de Lawffelds ;
Bruxelles & dix-huit Bataillons emportés au milieu
de l'hyver ; l'incomparable marche qui con
duifit l'Armée Françoife devant Maëftricht , &
mit les ennemis hors d'état de fecourir cette Place;
quantité d'autres actions éclatantes affûrent à la
mémoire de ce Grand Général une immortalité
dûe à la fupériorité de fes talens.
EPITAPHE
De M. le Maréchal de Saxe.
PPar le malheur inftruit dès fes plus jeunes ans ,
Cher au peuple, à l'armée, au Prince, à la victoire,
Redouté des Anglois , haï des Courtifans ,
Il ne manque rien à la gloire.
D
VERS
Sur le même fujet.
Es foudres de Louis Miniftre prompt , terrible
,
Par fes combats il compta fes fuccès ,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Et l'effroi de fon nom fut l'ame de la paix.
France, qui dois ta gloire à fon bras invinciblez
Que tes cris juftement éclattent fur fon fort!
lae te fit jamais gémir que de fa mort.
Le Chevalier Laurés,
AUTRES
Sur le même fujet.
It eft réduit en poudre
L
Ce Turenne nouveau , le Prince des Guerriers;
Ses triomphes & fes lauriers
N'ont pu défendre , hélas ! fa tête de la foudre ;
La mort l'a fait tomber fous fes coups meurtriers
France , de ton Héros confacre la mémoire ;
Grave fur fon tombeau nos larmes , tes foupirs;
Maurice meurt pleuré de la Victoire ,
De Mars , de Louis , des plaifirs.
Il vêcut affez pour fa gloire ,
Et trop peu pour nos défirs.
Raoult.
Le 21 Août , Catherine le Bret , veuve de N
Goffelin , mourut dans la Paroiffe de Bleville,
Diocèle de Rouen , âgée de 105 ans , & y fut inhumée.
DÉCEMBRE. 1750. 199
ARRESTS NOTABLES.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , du 11
Août , qui maintient le fieur Comte de Tavannes
, le feur Duc de Châtillon , & les repréfentans
le fieur le Veneur , dans le droit de péage par
eux prétendu fur la riviere de Seine , au lieu dit
Conflans- Sainte- Honorine.
AUTRE du 23 , qui ordonne qu'il fera procedé
par Meffieurs les Intendans des Provinces &
Généralités du Royaume , à l'adjudication de la
fourniture de l'Etape aux troupes de Sa Majesté
pendant l'année 1751.
AUTRE du même jour , qui proroge jufqu'au
premier Octobre 171 , le pouvoir accordé à Mef-
Geurs les Intendans des Généralités ou la Taille eft
perfonnelle , de faire procéder pardevant eux , ou
ceux qu'ils commettront , à la confection des rôles
des Tailles dans les Villes , Bourgs & Paroiffes où
ils jugeront à propos.
AUTRE du même jour , qui ordonne que les
particuliers qui feront compris dans les états de
répartition de la Capitation de l'année 1751 , fefont
tenus de payer, outre la portée de leurs taxes,
les quatre fols pour livre d'icelles .
AUTRE du même jour , portant reglement au
fujet du renouvellement des Baux courans de la
feconde moitié des Octrois des Villes , dont l'expiration
ne doit arriver que poftérieurement au
dernier Décembre 1750.
I ii
200 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE du 6 Septembre , qui ordonne que
les Syndics & Jurés des Communautés des Maîtres
Chaircutiers , des Bouchers & des Vitriers , feront
tenus , chacun en droit foi , de compter devant
le Sieur Lieutenant Général de Police , du
produit des droits qui ont été attribués à ces Communautés
pour leur faciliter la réunion des Offices
créés par l'Edit de Février 1745 .
AUTRE du 10 , en interpretation du Réglement
du 24 Décembre 1743 , concernant la
Cincaillerie de la Ville de Thiers.
AUTRE du même jour , portant réglement
pour la fabrique des Cadis du Lavaunage , & des
Serges & autres Etoffes qui le font à Uzès & dans
les environs.
AUTRE du même jour , portant réglement
pour la fabrique des Cordelats & Redins de Mazamet
, Boiffeffon & autres lieux de la Province de
Languedoc ; & pour plufieurs autres étoffes du
Diocête de Caftres.
AUTRE du même jour , portant réglement
pour la fabrique des Etoffes qui le font dans le Vivarais.
AUTRE du même jour , portant réglement
pour la fabrique des Etoffes du Lavaunage & des
Sevennes.
EDIT DU ROI , donné à Versailles au
mois de Septembre , portant création de cinquante
places ou charges Léréditaires de Barbiers Perruquiers
, Baigneurs & Etuvistes de la Ville & fauxbourgs
de Paris .
DECEMBRE.
1750.
201
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , da 13
Octobre , qui ordonne que les Cens & Rentes feigneuriales
feront payés aux Seigneurs , fans retenue
du Vingtiéme de la parr des Cenfitaires.
AUTRE du même jour , qui fixe le prix des
Tabacs du crû de la Louifiane , à trente livres le
quintal , dont vingt -fept livres dix fols feront
payées par le Fermier , & deux livres dix fols par
le Roi; défigne les ports pour l'entrée defdits Tabacs
, & établit des
précautions pour
empêcher l'abus
& la fraude , tant au droit de trente fols par
livre pefant de Tabac , qu'à la Ferme du Tabac.
AUTRE du même jour , qui fixe à fix mois
pour toute
préfixion & délai , par grace & fans
efpérance d'aucun autre délai , le Vila de tous les
effers
concernant
l'ancienne
Compagnie Royale
de la Chine.
AUTRE du 14 , qui
prononce des peines
contre un Libraire.
AUTRE du 19 , qui ordonne que les Offices
de
Subftituts des
Procureurs du Roi ,
Procureurs
poftulans,Notaires, Huiffiers &
ArpenteursRoyaux ,
dont
l'hérédité n'aura point été payée au premier
Janvier prochain , pour dernier délai ,
demeureront
fupprimés .
DECLARATION du Roi , donnée à Fo
tainebleau le 20 , concernant les Mendians.
AUTRE du 25 ,
concernant les Gages inter
médiaires & autres droits.
I v
202 MERCURE DEFRANCE!
ORDONNANCE du Roi , du 30 , pour
mettre à deux cens hommes chacune des douze
Compagnies du Régiment de fes Gardes- Suiffes.
AUTRE du 8 Novembre , pour établir des
Sous-Lieutenans dans fon Régiment d'Infanterie.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , du 21 ;
portant injonction aux Officiers des Elections , de
fe conformer exactement aux reglemens généraux
du Confeil , dans l'adjudication des baux de la feconde
moitié des Octrois des Villes , Bourgs &
Paroiffes de leur reſſort .
EDIT DU ROI , donné à Fontainebleau , 10
mois de Novembre , portant création d'une Ñɔbleffe
militaire.
Louis par la grace de Dieu , Roi de France ,
& de Navarre. A tous préfens & à venir ; falut
Les grands exemples de zéle & de courage que la
Noblefle de notre Royaume a donnés pendant le
cours de la derniere guerre , ont été fi dignement
fuivis par ceux qui n'avoient pas les mêmes avantages
du côté de la naiffance , que nous ne perdrons
jamais le fouvenir dela généreuse émulation
avec laquelle nous les avons vû combattre & vain.
cre nos ennemis. Nous leur avons déja donné des
témoignages authentiques de notre fatisfaction
par les grades , les honneurs & les autres récom
penfes que nous leur avons accordés. Mais nous
avons confidéré que ces graces , perfonnelles à
ceux qui les ont obtenues , s'éteindront un jour
avec eux ; & rien ne nous a paru plus digne de la
onté dn Souverain , que de faire paffer jufq'ui
feur poftérité les diftinctions qu'ils ont fi juftement
acquifes par leurs fervices. La Nobleffe la plus anDECEMBRE.
1750. 203
cienne de nos Etats , qui doit fa premiere origine à
la gloire des Armes , verra fans doute avec plai
fir que nous regardons la communication de fes
priviléges comme le prix le plus flateur que puif
fent obtenir ceux qui ont marché fur les traces
pendant la guerre. Déjà annoblis par leurs actions ,
ils ont le mérite de la Nobleffe , s'ils n'en ont pas
encore le titre , & nous nous portons d'autant plus
volontiers à le leur accorder , que nous fupplée-
Fons par ce moyen à ce qui pouvoit manquer à la
perfection des Loix précédentes, en établifant dans
notre Royaume une Nobleffe militaire , qui puiffe
s'acquerir de droit par les armes , fans lettres particuliéres
d'ennobliflement. Le Roi Henri IV.
avoit eu le même objet dans l'article XXV . de
l'Edit fur les tailles , qu'il donna en 1600 ; mais la
difpofition de cet article ayant effuyé plufieurs
changemens par des Loix poftérieures , nous avons
eru devoir , en y ftatuant de nouveau par une Loi
expreffe , renfermet cette grace dans de juftes bornes.
Obligés de veiller avec une égale attention a
bien général & particulier des differens Ordres de
notre royaume , nous avons craint de porter trop
loin un privilége dont l'effet feroit de fuicharger
le plus grand nombre de nos fujets , qui fuppor
tent le poids des tailles & des autres impofitions.
C'est cette confideration qui nous a forcés de mettre
des limitations à notre bienfait , pour concilier la
faveur que méritent nos Officiers militaires avec
l'intérêt de nos fujets taillables , au foulagement
defquels nous ferons toujours difpofés à pourvoir
de la maniére la plus équitable & la plus conforme
à notre affection pour nos peuples. A ces caufes ,
& autres à ce nous mouvant , de l'avis de notre
Confeil , & de notre certaine fcience , pleine puitfance
& autorité royale , nous avons , par notre
3 vj
204 MERCURE DE FRANCE.
préfent Edit perpétuel & irrevocable , dit , ſtatué
& ordonné , diions , ftatuons & ordonnons , voulons
& nous plait ce qui fuit.
ART. I. Aucun de nos fujets fervant dans nos
troupes en qualité d'Officier , ne pourra être
impofé à la taille pendant qu'il confervera cette
qualité.
II . En vertu de notre préfent Edit , & du jour
de fa publication , tous Officiers Généraux non
nobles , actuellement à notre fervice , feront &
demeureront annoblis avec leur poftérité née & à
naîne en légitime mariage.
III Voulons qu'à l'avenir le grade d'Officier
Général confere la nobleffe de droit à ceux qui y
parviendront , & à toute leur poftérité légitime,
lors née & à naître , & jouiront nofdits Officiers
Généraux de tous les droits de la Nobleffe , à com
pter du jour & datte de leurs Lettres & Brevets .
IV. Tout Officiet non noble , d'un grade infé
rieur à celui de Maréchal - de Camp , qui aura été
par nous créé Chevalier de P'Ordre royal & mili
taire de Saint Louis , & qui le retirera après trente
ans de fervice non interrompus , dont il en aura
paflé vingt avec la commillion de Capitaine, jouira
fa vie durant de l'exemption de la taille .
V. L'Officier dont le pere aura été exempt de la
taille en exécution de l'article précédent , s'il veut
jouir de la même exemption en quittant notre fervice
, fera obligé de remplir auparavant toutes les
conditions prefcrites par l'article IV.
VI. Réduifons les vingt années de commiffion
de Capitaine , exigées par les articles ci dellus , à
dix- huit sns pour ceux qui auront eu la Commií
fion de Lieutenant - Colonel , à feize pour ceux qui
auront eu celle de Colonel , & à quatorze pour
ceux qui auront eu le grade de Brigadier.
I
DECEMBRE.
17508 205
VII. Pour que les Officiers non nobles , qui au
rent accompli leur tems de fervice , puiflent juftifier
qu'ils ont acquis l'exemption de la taille accordée
par les articles IV & V , voulons que le Secrétaire
d Etat chargé du département de la guer
re , leur donne un certificat , portant qu'ils nous
ont fervi le tems preferit par les articies IV & VI ,
en tel corps , & dans tel grade .
VIII. Les Officiers , devenus Capitaines & Chevaliers
de l'Ordre de Saint Louis , que leurs bleffures
mettront hors d'état de nous continuer leurs
fervices , demeureront difpenfés de droit du tems
qni en restera lors à courir : Voulons en ce cas ,
que le certificat mentionné en Particle précédent ,
fpécifie la qualité des bleffures defdits Officiers ,
les occafions de guerre dans lesquelles ils les ont
reçûes , & la néceffité dans laquelle ils fe trouvent
de fe retirer.
IX. Ceux qui mourront à notre fervice , après
êre parvenus au grade de Capitaine , mais fans
avoir rempli les autres conditions impolées par les
articles IV & VI , feront cenfés les avoir accomplies
, & s'ils laiffent des fiis légitimes qui foient à
notre fervice , ou qui s'y deftinent , il leur fera
donné , par le Secrétaire d'Etat chargé du départe
ment de la guerre , un certificat , portant que leur
pere nous fervoit au jour de la moit dans tel corps
& dans tel grade .
X. Tout Officier , né en légitime mariage ,
dont le pere & l'ayeul auront acquis l'exemption
de la taille , en exécution des articles ci - deflus , fera
noble de droit , après toute fois qu'il aura été
par nous créé Chevalier de l'Ordre de Saint Louis ;
qu'il nous aura fervi le tems prefcrit par les articles
IV. & VI , ou qu'il aura profité de la difpenfe ac
cordée par l'article VIII : Voulons pour le mettre
206 MERCURE DE FRANCE.
en état de juftifier de fes fervices perfonnels , qu'il
Fui foit delivré un certificat , tel qu'il eft ordonné
par les articles VII & VIII , felon qu'il fe fera
Trouvé dans quelqu'un des cas prévus par ces arti
cles , & qu'en conféquence il jouifle de tous les
droits de la Nobleffe , du jour daté dans ledit cerrificat
.
XI. La Nobleffe acquife eu vettu de l'article
précédent , paffera de droit aux enfans légitimes de
ceux qui y feront parvenus , même à ceux qui feront
nés avant que leurs peres foient devenus aobles
; & fi l'Officier qui remplit ce troifiéme degré
, meurt dans le cas prévu par l'article IX , il
aura acquis la Nobleffe : Voulons pour en affûret
la preuve , qu'il foit délivré à fes enfans légitimes.
un certificat tel qu'il eſt mentionné audit artiele
IX.
XII. Dans tous les cas où nos Officiers feront
obligés de faire les preuves de la Nobleffe aequife
en vertu de notre préfent Edit , outre les Actes de
célébration & Contrats de mariage , Extraits bapsittaires
& mortuaires , & autres titres néceffaires
pour établir une filiation légitime , ils feront tenus
desepréfenter les Commiffions des grades des Of
ficiers qui auront rempli les trois dégrés ci - deffus
établis , leurs provifions de Chevaliers de l'Ordre
de Saint Louis , & les certificats à eux délivrés en
éxécution des articles VII , VII , IX , X , & XI ;
felon que lefdits Officiers auront rempli les conditions
auxquelles nous avons attaché l'exemption
de la taille & la Nobleffe ; ou felon qu'ils auront
été difpenfes defdites conditions , par bleffures , ou
par mort , conformément aux difpofitions du pré
fent Edit.
XIII . Les Officiers non nobles , actuellement à
motre fervice , jouiront du bénéfice de notre préDECEMBRE.
1750. 207
fent Edit , à mefure que le tems de leurs fervices
prefcrit par les articles IV , VI & VIII , fera accompli
, quand même ce tems auroit commencé à
courir avant la publication de notre Edit.
XIV .N'entendons néanmoins par l'article précédent
, accorder auxdits Officiers d'autre avan
rage rétroactif, que le droir de remplir le premier
degré. Défendons à nos Cours , & à toutes Jurif
dictions qui ont droit d'en connoître , de les ad
mettre à la preuve des fervices de leurs peres &
ayeux , retirés ou morts à notre fervice avant la
publication de notre préfent Edit.,
XV. Pourront nofdits Officiers dépofer pour
minutes , chez tels Notaires-Royaux qu'ils jugeront
à propos, les Lettres , Brevets & Commiffions
de leurs grades , ainfi que les certificats de
nos Secrétaires d'Etat chargés du département de
la guerre , dont leur fera délivré des expéditions ,
qui leur ferviront ce que de raifon. Si donnons en
mandement à nos amés & feaux Confeillers les
gens tenant nos Cours de Parlement , Chambre
des Comptes & Cour des Aides à Paris , que notre
préfent Edit ils ayent à faire lire , publier & régiftrer
, & le contenu en icelui garder & obſerver ſelon
fa forme & teneur , fans y contrevenir , ni
permettre qu'il y foit contrevenu , nonobftant tous.
Edits , Déclarations , Arrêts , Réglemens & autres
chofes à ce contraires , auxquelles nous avons désogé
& dérogeons par notre préfent Edit : car tel
eft notre plaifir . Et afin que ce foit chofe ferme &
ftable à toujours , nous y avons fait mettre notre
fcel. Donné à Fontainebleau au mois de Novembre
, l'an de grace mil fept cens cinquante , & de
notre regne le trente -fixième, Signé LOUIS . Er
plus bas , par le Roi , M. P. DE VOYER D'ARGEN
SON. Vifa DAGUESSEAU. Vu au Confeil , Ma
208 MERCURE DE FRANCE .
CHAULT : Et fcellé du grand fceau de cire verte.
Régifiré , oui , ce réquerant le Procureur Général du
Roi , pour être exécuté felon fa forme & teneur ; &
copies callarionnées envoyées aux Bailliages & Sénéchauffées
du reffort , pour y être lies , publiées & regifirées
: Enjoint aux Subftituts du Procureur Général
du Roi d'y tenir la main , & d'en certifier la
Cour dans le mois , fuivant l'Arrêt de ce jour . A
Paris , en Parlement , le vingt cinqniéme jour de
Novembre milfept cent cinquant . Signé YSABEAU.
F
AVIS.
Illion avertit le Public qu'il fait & vend les véritables
Bifcuits du Palais Royal , depuis trois
fols jufqu'à fix ; Bifcuits & Gâteaux de Savoye , Gâ
teaux d'amande ; des coeurs de bifcuits , des rofes
& des bonnets Turcs ; Macarons d'amande amere;
Mallepins, Pralines, feringués & des coeurs de Maffepin
, Maffepins royaux & au Chocolat à la fleur
d'orange. Conferves de fleur d'orange en gâteaux
& en coeurs & pralinées ; il fait auffi les parfaites
Méringues , tant liquides que feches , & tout ce
qui concerne l'Office .
Il continue de fabriquer les Chocolats vanillés
& de fanté , ambrés & à la fleur d'orange &
fans fucre , depuis quarante fols jufquà huit livres ;
Pistaches & Pastilles fines, depuis trois livres jufqu'à
fix. Il fait auſſi un Chocolat naturel pour les perfonnes
qui font incommodées de l'eftomach & de la
poitrine , & un Beure de Cacao caraqué, fimple & à
la vanille , bon pour les maux de poitrine & pour
les brûlures , les lévres gerfees & les boutons, pour
toutes fortes de maladies de la peau ; il le vend en
gros & en détail ; & des Sirops d'orgeat , de capi
DECEMBRE. 1750. 209
laire , de limon & guimauve , & Pâte de guimauve,
Pâte d'orgeat . Il demeure dans l'Abbaye Saint
Germain des Prez , Cour des Religieux , rue Childebert
, la quatriéme boutique après la fontaine.
Son Enfeigne eft à la Croix de Chevalier ; il y a fur
l'appui de la boutique une montre avec des Bifcuits.
AUTRE.
La veuve du Sieut Simon Bailly renouvelle au
Public fes affûrances , qu'elle continue de fabri
quer les véritables Savonettes legeres , & pains de
pâte pour les mains , de pure crême de favon ,
dont elle feule a le fecret : comme plufieurs fe
mêlent de les contrefaire , & les marquent com.
me elle , pour n'être point trompé , il faut s'adreffer
chez elle , rue Pavée Saint Sauveur , au bout
de celle du petit Lyon , à l'Image Saint Nicolas ,
une porte cochere , prefque vis - à - vis la rue Fran
çoife , quartier de la Comédie Italienne .
AUTR E.
Le Sicur le Comte , feul Vinaigrier ordinaire du
Roi , donne avis , qu'indépendemment des differens
Vinaigres qu'il a inventés & compofés , au
nombre de plus de foixante , tant de table , que
bains & toilettes , & qu'il vend depuis cinq ans ,
qu'il vient de finir le nouveau Vinaigre aftringent ,
à l'ufage des Dames , dont les moindres bouteilles
font de 6 liv. Il y a des bouteilles de 24 1. Il continue
de vendre les corbeilles galantes , garnies de
differentes fortes de vinaigre.
I demeure Place de l'Ecole , près le Pont - neuf,
à la Renommée .
* 10 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE.
A la Renommée des Pomades d'Huvé , rue
Saint Denis , entre Saint Leu & le Sépulchre , du
même côté , vis- à- vis la rue de la Chanverrerie.
Charon , Marchand Parfumeur , gendre du feu
Sieur Lorpheure : Par Brevet du 3 Octobre 1750 ,
de M. Chicoyneau , Premier Médecin de Sa Majefté
, & de Meffieurs de la Commiſſion Royale
de Médecine , après avoir vû la compofition de la
Pommade & Baume d'Huvé , & les Certificat's
concernans les bons effets , il eft permis au Sieur
Charon de continuer de compofer , vendre & diftribuer
ladite Pommade & Baume d'Huvé , pour
la guérifon des boutons & dartres , dans laquelle il
n'entre aucun fard . Elle blanchit la peau , ôre les
rougeurs de la petite verole , humecte le teint ,
quand il eft lec & rude , préferve du hâle , lorf
qu'on eft exposé au grand air ; le Baume joint à la
Pommade , efface les taches de rouffeur. Les pots
de pommade & les phioles de Baume font de is
pićce.
AUTR E.
Le Steur Bourier , Marchand de couleurs , rae
du Roule , à l'Aigle de Pruffe , avertit le Public' ,
qu'outre le fecret qu'il a trouvé , de porter à la
derniere perfection toutes fortes de Paſtels , par la
maniere dont il les compofe , & dont il les roule ,
il s'eft encore étudié à imprimer fes toiles , de
façon , que les Peintres les plus difficiles en font
très- contens. Le même ne réuffit pas moins bien
dans les affortimens qu'il fait des couleurs en huile
& en mignature , qu'il envoye dans les differentes
parties du Royaume , auffi bien que dans les Pays
Etrangers.
DECEMBRÉ. 1750. 211
AUTRE.
Les effets merveilleux du Topique de M. le
Chevalier Harrington le confirment de jour en
jour par les guériſons d'une infinité de perfonnes
dont les membres étoient amortis , d'autres qui
fouffroient de violentes douleurs de thumatisme ,
qui ont récouvré une fanté parfaite , tant à Paris
que dans les Provinces . Ce fpécifique fait marcher
droit les boiteux qui le font par l'accident de
nerfs retirés ou trop tendus , les amolliffant de
façon , qu'ils reviennent dans l'état natnrel où ils
doivent être ; il fait auffi marcher en peu de jours
les enfans noués , le tout par une douce tranſpira
ion qui ôte la malignité des humeurs.
M. le Chevalier Harrington , Auteur de ce reméde
extérieur , fait fa réfidence ordinaire à fon
Château de la Brouffe , par Lambale à Matignon ,
en Bretagne , & à Paris chez le Sieur de Neef,
Maître Tailleur , rue des grands Auguftins , vis
à- vis la rue Chriftine.
AUTRE.
Le Sieur Claude Valade , qui après fon cours
de Philofophie a fait fon unique étude de la Pharnacie
& de la Chymie , & qui a cultivé ces deux
Sciences fous les plus habiles Maîtres , & en particulier
fous les Profeffeurs Royaux , a fait depuis
quelques années la découverte d'un Bechique fou
verain pour les maladies de la poitrine ( annoncé
dans le Journal des Sçavans du mois d'Octobre
dernier ) approuvé par un Brevet authentique
dont nous joindrons ici la ſubſtance. » M. le Premier
Médein.... En cooféquence de la délibé
Fation prife au Bureau de la Commiffion Royale
212 MERCURE DEFRANCE.
"
de Médecine , le 21 Août 1750 , fur les Certifi
» cats des Médecins , & d'autres perfonnes dignes
de foi , produits par le Sieur Valade , concernant
» les bons effets d'un Sirop Bechique de fa com
pofition permet au Sieur Vala le de compofer
& débiter ledit Sirop Bechique , reconnu comme
reméde efficace pour le foulagement & la gué
rifon radicale du rhume , des toux invétérées ,
" oppreffion & douleurs de poitrine , & un puiffant
palliatif dans l'afthme humide , & c Ce
Bechique , auquel l'Auteur a donné une odeur &
un goût agréable , fans en altérer la bonté , con
vient à toutes fortes de perfonnes , aux cafans
mêmes , & aux femmes enceintes , qui peuvent en
ufer fans aucun inconvénient , & pourvû que Pon
fuive fcrupuleufement la méthode prefcrite dans
Pinftruction qu'il a fait imprimer , en conféquence
de l'Approbation de Meffieurs les Médecins , il
répond du fuccès de fon reméde. Son Bureau pour
le débit de fon Bechique eft toujours chez la veuve
Mouton , Marchande Apoticaire de Paris , rue
Saint Denis , vis - à - vis le Roi François , où l'on
donne gratis à ceux qui fouhaitent en avoir l'im
primé qui en explique les vertas & l'ufage . S'il y
a quelques perfonnes en Province , qui après avoir
reconnu les bonnes qualités de ce Bechique
veuille en avoir un Bureau pour le débiter , ils
auront la bonté de s'adreffer à l'Auteur , chez le
Sieur Fournier , Maître Chandelier , rue du Petit-
Carreau , à Paris . On aura foin d'affranchit les
Lettres qu'on lui écrira , de même que celles qu'on
écrira à fon Bureau.
AUTR E.
M. Faignet , qui a commencé avec fuccès la
DECEMBRE . 1750. 213
Penfion d'Alfort , vient de prendre à lui feul la
Penfion de l'Hôtel de Vauvré. Il montre particulierement
le Latin , & à cette étude principale il
joint l'Ecriture & l'Arithmétique , le Deffeing , la
Danfe & la Géographie. A Patis , rue de Seine ,
attenant le Jardin du Roi.
AUTR E.
Par Brevet du Roi , Mlle de la Croix avertis
qu'elle eft la feule , dans toute l'étendue du Royaume
, qui a le fecret du Rob pectoral : ce reméde
eft très- gracieux à prendre , & bon pour tous ceux
qui font attaqués du poulmon , inflammation , ou
abfcès dans la poitrine ; il eft auffi propre pour les
rhumes & coqueluches , tels invétérés qu'ils foient,
& peut fe rranfporter par tout le Royaume. Les
bouteilles de pinte font de quarante huit livres ;
elle en a d'autres bouteilles à proportion ,de vingtquatre
, douze & fix livres . La Dile de la Croix de
meure à préfent rue des Boucheries , Fauxbourg
Saint Germain , dans le paffage de la Treille , dans
le Bâtiment neuf, au fecond appartement , à Paris.
On nous écrit de Crefpy en Vallois , que Monfieur
de Montlinot , pere de M. de la Bruère , Préfident
premier du Prefidial , a parlé fort éloquemment
à l'ouverture des Audiences fur les devoirs du
Magiftrat. Si on nous envoye ce Difcours , com
me on nous le promet , nous l'infererons dans le
premier Mercure,
APPROBATION.
J'er, ordrede le deFrases
'Ai lû , par ordre de Monfeigneur le Chancedu
préfent mois. A Paris , le 19 Décembre 1750.
MAIGNAN DE SAVIGNY,
TABLE.
IECES FUGITIVES en Vers & en Profe.
Rondeau irrégulier fur l'Amour , 3
Séance publique de l'Académie Royale de Chirurgie
,
La Marmelade ,
Epitre ,
Aflemblée de l'Académie des Sciences ,
Lettres & Arts de Rouen ,
4L
42
43
Sur l'Air du Printems du Carnaval du Par-
60
62
naffe ,
Séance publique de l'Académie des Belles- Lettres,
Sciences & Arts , établie à Amiens ,
Réponse à la Queftion proposée dans le Mercure
de Septembre , page 214 ,
69
Extrait de la Séance publique de l'Académie des
Belles Lettres de Corle , 70
A M. le Marquis de Calviere , Lieutenant des Gards
du Corps du Roi , Lieutenant Général des
Armées de Sa Majefté , fur la Promotion de
Commandeur de l'Ordre de Saint Louis , par
M. Tanevot ,
78
Réponse de M. Gautier à la défenle d'un Philofophe
Anglois Newtonien & anonime , inférée
dans le Journal des Sçavans de Londres , intitulé
l'Azt Magazine ,
Vers fur un Exercice militaire fait à Vendôme
le Régiment de Berri ,
80
par
89
Epitaphe de M. Languet de Gergy , ancien Curé
de Saint Sulpice ,
Vers ,
Epifiramme par M. Cottereau ,
91
92
93
94 Lettre à l'Auteur du Mercure par M. le Cat ,
Réponse de M. le Dran à la lettre précédente, 109
Mots des Enigmes & des Logogriphes du premier
volume du Mercure de Décembre ,
Enigme & Logogriphes ,
10 ,
ibid.
Nouvelles Litteraires.Profpectus de l'Encyclopédie,
ou Dictionnaire raifonné des Sciences , des Arts
& des Métiers , par Mrs Diderot & d'Alem-
} err ,
Ephemerides Cofmographiques ,
Almanach chantant ,
108
126
127
Almanach lirique, aftronomique & phyfique , ibid.
Calendrier lirique , mythologique & hiftorique ,
fuivi de l'Ethomancie des Dames , ibid,
Les Tablettes de Thalie , ou Calendrier de l'efprit
& du coeur , 123
L'Almanach des Francs-Maçons & des Maçonnes
,
L'Almanach des Theatres ,
Les Merveilles de la Nature ,
Almanach des Curieux ,
Etrennes hiftoriques ;
ibid.
ibid.
129
ibid.
ibid.
130 Almanach de Normandie ,
ibid.
Diflertation contenant de nouvelles obfervations
fur la fievre quarte , & l'eau Thermele de Bourbonne
en Champagne ,
Recueil d'Arrêts rendus dans des Procès de rapport
en la quatriéme Chambre des Enquêtes, par
M.... Confeiller en la même Chambre , 132
Beaux- Arts . Differtation fur une Médaille de
grand bronze de l'Empureur Commode , du
Cabinet de M. Beauvais de l'Académie de Cor
tone ,
133
142
Lettre à M. * * *
Efquifle allégorique en terre cnite , compofée par
M. Adam, l'aîné , Sculptear , ordinaire du Roi,
& Profeffeur de l'Académie Royale de Peinture
& de Sculpture , 148
Mémoire au fujet d'un nonveau Pendule , 151
Spectacles. Amenopbis , nouvelle Tragédie repréfentée
au Théatre François , 156
A Mad. de Grafigny , par Mad. du Boccage , 157
Sur la reprife de Cénie ,
Concerts à la Cour ,
Questions ,
Nouvelles Etrangeres . Du Nord , & c.
158
د ز و
ibid.
160
France . Nouvelles de la Cour , de Paris , 171
Lettre à l'Auteur du Mercure , 175
Naiffances , Mariage & Morts
179
Epitaphe de M.le Maréchal de Saxe ,
197
Vers fur le même ſujet ,
ibid.
'Autres fur le même ſujet ,
198
Arrêts notables ,
199
Avis , 208 , &ſuiv.
La Plancke doit regarder la page
De l'Imprimerie de J. BULLOT.
86
MERCURE
DE
FRANCE ,
DÉDIÉ
AU
ROI.
AV
DECEMBRE .
1750 .
PREMIER
VOLUME.
LIGIT
UT
SPARGAT
Chez
APARIS ,
Le
Suau
ANDRE'
CAILLEAU , rue Saint
Jacques , à S André.
La Veuve
PISSOT, Quai de Conty ,
àla défcente du Pont- Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais.
JACQUES BARROIS , Quai
des Auguftins , à la ville de Nevers .
M. DC C. L.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
A VIS.
LAM. DE CLEVES D'ARNICOURT ,
'ADRESSE générale du Mercure eft
rue des Mauvais Garçons , fauxbourg Saint
Germain , à l'Hôtel de Mâcon . Nous prions
très - inflamment ceux qui nous adrefferent
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir le
Port pour nous épargner le déplaifir de les
rebuter, & à eux, celui de ne pas voir paroître
leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays
Etrangers , quifouhaiteront avoir le Mercure
de France de la premiere main , plus promptement,
n'auront qu'à écrire à l'adreffe ci-deſſus
indiquée ; on fe conformera très-exactement à
leurs intentions.
Ainfi il faudra mettre fur les adreſſes à M.
de Cleves d'Arnicourt , Commis au Mercure
de France , rue des Mauvais Garçons , pow
remettre à M. l'Abbé Raynal,
PAIX XXX. SOLS .
Complete
1750
เซน แง
invitons les curieux qui ont ramaffé des
morceaux de cette beauté , à nous en faire
part.
1. Vol. A ij
THE NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
ASTOR , LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
.
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU RO I.
DECEMBRE . 1750 .
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
L
A Piéce fuivante qui eft de M.
l'Abbé de B .... fut lûe & extrêmement
applaudie , il y a quelques
années dans une affemblée
publique de l'Académie Françoife. Nous
invitons les curieux qui ont ramaffé des
morceaux de cette beauté , à nous en faire
part.
I. Vol. A ij
4 MERCURE DE FRANCE
VERS
Sur la Campagne de Flandres , en 1747:
LE peuple inconftant comme l'onde ,
Triomphe , ou tremble au premier bruit ;
L'erreur ici- bas vagabonde ,
Invente , exagére , ou détruit ;
Mais la vérité qui la fuit
Rend bientôt la lumiere au monde.
Jouet des plus vaines terreurs ,
Foible à la fois & téméraire
Le public à force d'erreurs
S'inftruit , fe corrige & s'éclaire ;
Ses jugemens plus mefurés
Se forment fur l'avis du fage ;
Ce n'eft plus une fauffe image
Qui frappe fes yeux égarés ,
C'eft la vérité fans nuage ,
Dont les rayons font épurés.
Ainfi lorfque la renoinmée
Annonça nos derniers exploits * ;
Le peuple crut que notre armée
Au fignal du plus grand des Rois
Avoit enchaîné fous nos loix
L'Aigle de carnage affamée ,
*
Lauffeld.
DECEMBRE.
1750.
Le Lion fi fier autrefois ,
Le Léopard vaincu deux fois ,
Et l'Hydre toujours animée
Contre l'Alcide des François.
Juges infenfés que nous fommes ,
Nous voulons au fein des loifirs
Régler les fuccès des grands hommes
Sur l'yvreffe de nos defirs :
Affis fous des berceaux , tranquiles
Nous interrogeons les Héros ,
Nous blâmons des lenteurs utiles ,
Et dans le fein d'un doux repos
Nous forçons les camps & les Villes.
La fortune fans balancer
Nous doit l'empire de la terre ;
Le fort incertain de la guerre
Selon nos voeux doit fe fixer ;
Maîtres abfolus du tonnerre ,
C'eft à nous feuls à le lancer,
Mais fi la fanglante victoire
Vend cher la palme à nos guerriers ;
Alors tremblans dans nos foyers ,
Nous gemiflons fur notre gloire ,
Et nous pleurons fur nos lauriers
C'étoit peu d'avoir pris des Villes * ;
Que défendoit le Dieu des eaux ;
D'avoir rendu nos fiers rivaux
Juges & témoins immobiles
* La Flandre Hollandoife.
A jij
6 MERCURE DE FRANCE.
De nos incroyables travaux ;
C'étoit peu d'avoir mis en poudre ,
L'Anglois indomptable aux revers ;
D'avoir chaflé dans les déferts
L'aigle qu'épouvantoit la foudre.
Il falloit voir les Alliés ,
Abandonnés par la fortune ,
Vaincus , confondus , foudroyés ,
Tomber d'une chûte commune.
Nous fremiflons que des remparts *
Couverts de foldats innombrables ,
Soutiennent nos premiers regards ,
Et nous voulons dans les hazards ,
Que les François invulnerables ,
Portent la mort de toutes parts.
Ainfi la trompeule apparence
Die d'abord tous nos Arrêts ;
Ainfi la crainte , ou l'ignorance ,
Change nos lauriers en cyprès ;
Mais , malgré l'erreur du vulgaire ,
La raison qui fuit tout excès,
Brille bientôt , & nous éclaire
Sur nos revers ou nos fuccès ;
Nous avouons que la victoire
N'a point démenti nos efforts ;
Notre bonheur & notre gloire ,
Egalent enfin nos tranſports,
Cette Ville fi redoutable ,
*
Bergoopfoom .
DECEMBRE. 1750. 7.
Que Bellonne & le Dieu des Mers
Efperoient de rendre imprenable ,
Vient par fa chûte épouventable
D'écrafer vingt peuples divers ;
Le Germain fuit , & le Batave ,
Victime de fes propres loix ,
Gemit d'obéir en efclave ,
Lui qui marchoit égal aux Rois .
Les murs que le Belge répare ,
Devant Louis vont s'écrouler ;
La terre femble s'ébranler
Aux bruits des foudres qu'il prépare ,
Et Maftricht commence à trembler.
O vous , qui veillez fur la terre ,
Confetvez les jours précieux ;
C'eft pour la paix qu'il fait la guerre ;
Image & digne fang des Dieux ,
Comme eux il lance le tonnerre .
HARANGUE
Faite au Roi à fon retour.
SIRE ,
Les fuccès rapides n'ont acquis aux Prin
ces les plus heureux , que le titre de Conquerans
; les obftacles vaincus de toutes
parts vous ont mérité celui de Héros ; &
votre amour conftant pour la paix , au milieu
des profpérités de la guerre , vous
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
affure à jamais les noms de Sage & da
Pere de la Patrie.
HISTOIRE TRAGIQUE
De Ludovifio Carantani , Milanois , & de
fes deux filles.
Ine condamne l'empire tyrannique que
L'y a aucune perfonne judicieufe qui
des parens déraisonnables exercent fouvent
fur leurs enfans , pour les contraindre ,
malgré eux , d'embraffer un état pour lequel
ils n'ont aucune vocation . Mais fi la
liberté doit être plaine & entiere , c'eft furtout
, lorfqu'il s'agit d'embraffer la vie Religieufe
. Dieu veut une oblation pure , un
facrifice volontaire , la confécration du
coeur. Toute autre lui eft défagréable .
L'Hiftoire que nous allons rapporter ,
eft un exemple bien frappant des fuites
funeftes que peut avoir une contrainte fi
injufte. Elle eft arrivée à Varéfe , Ville
du Milanois , & on nous la donne pour
très-certaine.
Ludovifio Carantani , natif de Varese ,
n'avoit eu que deux filles de fon mariage ,
avec une femme qui lui avoit apporté des
biens confidérables. La tendreife qu'u
DECEMBRE . 1750. 9
pere raifonnable doit partager également
entre tous fes enfans , étoit tombée toute
entiere fur l'aînée de ces deux filles , qui
fe nommoit Victoria ; Carantani l'aimoit
uniquement : il s'en falloit cependant beaucoup
qu'elle fût auffi aimable qu'Olimpia ,
fa cadette. Cette injufte préference fe manifefta
dès leur plus tendre enfance . Vic
toria avoit toutes les careffes de fon
pere ,
& tous les efforts de fa foeur ne pouvoient
obtenir de lui la moindre marque de tendreffe.
Heureufement pour elle , fa mere
la dédommageoit un peu de cette indifference
; mais la mort lui ayant enlevé cette
confolation , elle fe vit bientôt en bute à
une infinité de contradictions & de mauvais
traitemens de la part de fon pere & de fa
four. Comme il n'avoit d'attention que.
pour cette derniere , dont il avoit fait fon
idole , il réfolut , pour la rendre heureuſe,
de la marier le plus avantageufement qu'il
lui feroit poffible . Il ne lui étoit pas difficile
de réuffir. Outre les richeffes qu'il pof
fedoit , Victoria étoit très- belle . Ce double
appas lui attira un grand nombre de
foupirans , parmi lesquels Carantani
voit choifir celui qui lui paroîtroit le
plus propre à contribuer au bonheur de fa
fille . Pour y réuffir encore mieux , il mit
Olimpia dans un Convent , & fit courir le
pou-
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
bruit qu'elle étoit réfolue d'embraffer la
vie Religieufe. Par cette prétendue renonciation
au monde , Victoria devenoit un
des plus riches partis du Pays ; aufli le
nombre de fes amans augmenta encore ,
& elle fe vit alors recherchée par les Cavaliers
des meilleures familles , qui tous
s'emprefferent à lui faire leur cour.
Le pere , charmé de voir l'effet de fa
' rufe , s'en felicitoit , dans l'efperance qu'elle
réuffiroit immanquablement. Comme
il n'avoit jamais eu que des procédés fort
durs avec l'aimable Olimpia , il ſe perſuadoit
que la vie douce & tranquille que
l'on mene dans les Convens , auroit pour
elle des attraits aufquels elle fe laifferoit
furprendre . Elle lui plut effectivement au
point qu'elle confentit , à la follicitation
de plufieurs dévotes de fes parentes , gagnées
par fon pere , à prendre l'habit de
Novice. Mais il eft cerrains momens dans
la vie où la nature parle d'un ton bien different
de celui de la dévotion . Olimpia ,
quoique jeune , vive & d'une compléxion
naturellement galante , alloit être la victime
de fon peu d'expérience , & la dupe
de fes parentes , lorfque le jour de la cérémonie
elle apperçut dans l'affemblée un
aimable Cavalier , qui fit fur fon jeune
coeur une impreffion des plus vives. Elle
DECEMBRE. 1750. II
n'eut pas plutôt fenti la premiere atteinte
de l'amour , qu'elle ne put plus fouffrir
le Convent , & ne regarda plus qu'avec
horreur le facrifice qu'elle avoit été fur le
point de faire de fa liberté , & de tous les
avantages que lui promettoit le monde .
Envain les Religieufes & fes dévotes
parentes , qui s'apperçurent bientôt de fon
changement , s'efforcerent de la ramener
à fa premiere réfolution . Toute la réponſe
' elles en reçûrent , fut que n'étant pas
d'une pire condition que fa four , elle ne
prétendoit pas fe facrifier à fon ambition ,
ni à celle de fon pere ; que fon deffein &
fa vocation étoient de fe marier auffi - bien
qu'elle , & qu'elle les prioit d'engager fon
pere à lui accorder pour époux un jeune
Cavalier aimable & d'une très-bonne famille
, qui avoit pris de l'inclination pour
elle.
On fe figure fans peine quel dut être
l'étonnement du Signor Carantani , lorſqu'il
apprit une réfolution qui renverſoit
fon plan de fortune pour .fa chere Victoria.
Il pria les Religieufes & fes parentes de
redoubler leurs efforts pour faire changer
Olimpia de réfolution . Loin d'y réaffir ,
elles ne firent qu'irriter davantage fa paffion
, & augmenter fon dégoût pour la vie
monaftique. Elle ne le cacha point à fon
1
A vj
12 MERCURE DE FRANCE..
pere même , qui vint la voir plufieurs fois,
pour découvrir l'effet de leurs remontrances.
Il y joignit les fiennes , qui n'eurent
pas plus de fuccès . Enfin , voyant que cet
expédient ne lui réuffiffoit point , il eut
recours aux menaces , & l'ailûrá , que
f
elle n'embrasfoit pas le parti de la Religion
, il alloit la ramener chez lui , où elle
pouvoit s'attendre qu'elle feroit la plus
malheureufe de toutes les créatures .
Olimpia , qui connoiffoit la dureté da
coeur de fon pere , par la longue & cruelle
épreuve qu'elle en avoit faite , ne douta
point qu'il ne lui tint parole. Elle s'efforça
de le fléchir , & de l'émouvoir par tout ce
qu'elle put imaginer de plus tendre. Ses
difcours , fes raifons , fes larmes ne firent
aucune impreffion fur ce coeur de rocher.
Il n'en devint que plus intraitable.
Comme ce changement dérangeoit fon
projet , au point qu'il étoit prêt à faire
manquer le mariage de fa chere Victoria,
dont l'amant comm ncoit à fe refroidir
pour elle , il en fut fi transporté de colére ,
qu'étant allé voir Olimpia un autre jour
il lui dit dans un accès de fureur , que fi
elle ne fe refolvoit pas à fe faire Religieuse à
la fin de fon noviciat qui approchoit , elle ne
mourroitjamais que defa main. Je ne mourai
point de la vôtre , lui répliqua tranquilDECEMBRE.
1750. 15
cet
lement cette aimable fille , fi vous me for
cez d'embrasfer ce parti . Je vous ai cent
fois représenté la répugnance que j'ai pour
état. Vous voulez que je me facrifie à lafortune
de ma foeur , & à la tentreffe exceſſive
que vous avez toujours eu pour elle . Vous ferez
obéi , won très-cher pere , s'il m'eft abfo-
Lument impoffible de vous faire changer de réfolution.
Par- là , je vous épargnerai le crime
dont vous me menaceż ; mais vous & ma soeur
pleurerez toute votre vie le cruel facrifice que
vous me forcez de vous faire . Elle ajouta ,
qu'il pouvoit ordonner , quand il le jugeroit
à propos , tous les apprêts de cette
trifte cérémonie ; après quoi elle fe retira .
Carantani , qui ne fçavoit apparamment
pas jufqu'où peut aller le défefpoir d'une
fille , lorfque l'amour s'eft une fois emparé
de fon coeur , s'applaudiffoit de l'avoir fait
changer de réfolution. I alla d'un air
triomphant l'annoncer à fa chere Victoria ,
& à fon amant qui étoit alors avec elle.
Cette bonne nouvelle les mit au comble
de leur joie . Comme le terme fixé pour la
profeffion d'Olimpia approchoit , le Signor
Carantani fit tous les préparatifs ordinaires
dans ces fortes de cérémonies , &
comme s'il eût apprehendé que cette pauvre
fille ignorât à qui il la facrifoit , il
prit fes arrangemens pour que le mariage
14 MERCURE DE FRANCE.
de fon aînée fe célébrât aufli le même
jour.
Tout étoit prêt pour cette double cérémonie
, lorfque la veille du jour qu'elle
devoit le faire , Olimpia crut devoir tenter
encore un dernier effort pour fléchir fon
pere , s'il étoit poffible, & le détourner d'un
facrifice fi barbare. Elle employa pour
cet effet tout ce que la raifon , la nature ,
& la Religion purent lui fuggerer de plus
touchant. Mais Carantani , toujours inébranlable
dans fa réfolution , n'en devint
que plus furieux . Il lui réitéra les menaces
qu'il lui avoit déja faites , & les réitéra par
les plus exécrables fermens. Songez-y bien ,
au nom de Dieu , mon très cher pere lui dit
d'un air défilé l'aimable & trifte Olimpia ,
fongez-y bien , pendant qu'il eft encore tems.
Vous tene? dans vos mains le fil de mes jours.
Si vous perfiftez à exiger que je les facrifie à
la fortune de ma foeur , vous fentirez d'une
maniere terrible toute l'horreur du facrifice
auquel vous me forcez l'un & l'autre. Un
plus long entretien ne feroit qu'augmenter encore
votre courroux , qui n'est déja que trop
grand : fouffrez que je me retire ; j'attends
demain votre derniere réponse . Elle décidera
de mon fort. Si elle ne m'est pas favorable,
tremblez pour les fulles funeftes qu'elle aura.
Elle quita le parloir en achevant ces mots.
DECEMBRE. 18 1750.
Carantani , à qui ces dernieres paroles
auroient dû defliller les yeux , les prie
pour une de ces menaces , qui n'échappent
que trop fouvent aux perfonnes qu'une
paffion galante que l'on traverfe , met hots
d'elles mêmes ; mais qui ne font point ordinairement
fuivies de leur effet ; il n'y
fit pas feulement la moindre attention :
uniquement occupé des préparatifs pour
la noce de fa fille , il ne penfa qu'à donner
les ordres pour qu'elle fût des plus
magnifiques.
Déja les parens , qui avoient été invités
à cette double cérémonie , s'étoient affemblés
dans l'Eglife du Monaſtére de
Sanmartino , c'étoit le nom de l'Abbaye
dans laquelle l'aimable Olimpia devoit
faire fa profeffion. Déja cette trifte victi
me étoit ornée de toutes les parures mondaines
, dont on ne les revêt dans ces rencontres
, que pour les en dépouiller un
moment après. Prête à être conduite à
l'Autel , au pied duquel elle alloit être facrifiée
, & voyant qu'il n'y avoit plus rien
à efperer pour elle , cette infortunée , renfermant
dans fon fein l'horrible défefpoir
qui s'emparoit alors de fon ame , demanda
aux Religieufes qui étoient autour d'elle .
la permillion de monter feule dars fa cel
lule , fous prétexte de s'y recueillir pen16
MERCURE DE FRANCE.
dant quelques momens , pour méditer fur
la grande action qu'elle alloit faire . On la
lui accorda. Mais que cette permiflion
coûta peu de tems après , de larmes aux
Religieufes & à toute l'affemblée !
En effet , Olimpia étant montée , non
dans fa cellule comme elle l'avoit dit , mais
dans un grenier qui étoit au - deffus , après
Y avoir déploré la rigueur de fon fort , &
prié Dieu de lui pardonner fa mort , attache
à une des poutres un cordon qu'elle
avoit pris à une des Religieufes à qui il
fervoit de ceinture , le paffe à fon cou ,
s'élance de deffus un petit banc fur lequel
elle étoit montée , & meurt de cette trifte
maniere.
Cependant tous fes parens , qui étoient
depuis près d'une heure affemblés dans l'Eglife
, attendoient avec impatience que
la
cérémonie commençât. On fait avertir
l'Abbeffe , qui de fon côté n'eft pas moins
étonnée qu'eux de ce retardement , elle en
demande la caufe aux Religieufes , qui lui
répétent ce qu'Olimpia leur avoit dit ; on
l'attend encore près d'une heure , au bout
de laquelle elle ne paroît point . On va la
chercher dans fa cellule , où on ne la trouve
point . On parcourt toute la Maiſơn , où
l'on n'en apprend aucune nouvelle. Enfin ,
près bien des recherches inutiles , une des
DECEMBRE. 1750.
gre
Religieufes s'aviſe de monter dans le
nier. Quel trifte , quel affreux fpectable !
Elle y apperçoit Pinfortunée Olimpia faus
vie , & pendue au cordon fatal avec lequel
elle venoit de terminer les jours .
A cet effrayant afpect la terreur la faifit,
elle fe précipite , pour ainfi dire , du haut
de l'efcalier en bas , & courant au Choeur
où les Religieufes étoient affemblées , elle
y jette la plus terrible allarme par fes cris
& fes lamentations. Du Choeur l'effroi
paffe auffi- tôt dans l'Eglife , où tous les
parens apprennent , avec la derniere confternation
, la mort fubite de la malheureufe
Olimpia , dont l'Abbeffe leur cache
prudemment les affreufes circonftances . Ils
n'en veulent rien croire d'abord . Ils demandent
à la voir , & fortant en foule de
l'Eglife , les Dames , & Carantani lui - même
, par le privilége que lui donnoit fa
qualité de pere , entrent dans le Couvent ,
malgré l'Abbeffe & fes Religieufes . Quel
fpectacle affreux pour un pere , pour une
foeur , pour toute une famille ! Une fille
des plus aimables , victime d'un défeſpoir
des plus violens , & dont toute l'horreur
étoit encore peinte fur fon vifage !
Quelque grande qu'eût été pour elle la
dureté de Carantani , il ne put foûtenir
cette trifte vûë fans verfer un torrent de
IS MERCURE DE FRANCE.
larmes , & fans donner lui-même les mårques
d'un défefpoir auffi violent que celui
qui venoit de faire périr fon aimable fille.
Il reconnut , mais trop tard , que par fon
inflexibilité il en avoit été lui -même le
bourreau. Cette affreufe idée , qui n'étoit
que trop conforme à la vérité , le fait enfuir
avec précipitation du Convent , & de
la Ville même. Il monte à cheval pour aller
cacher dans une de fes maifons de campagne
, fa honte , fa douleur & les remords.
Mais le Ciel en vouloit faire un
exemple capable d'effrayer à jamais tous
les parens qui pourroient être tentés de
l'imiter. Il n'avoit pas effectivement fait
encore fix milles , que fon cheval ayant
pris le mors aux dents , le jetta par terre ,
mais de façon qu'un de fes pieds fe trouva
embarraffé dans l'étrier . La fougue de cet
animal , & l'impétuofité avec laquelle il
couroit , ne lui ayant pas permis de fe débarraffer
, le criminel & malheureux Carantani
éprouva un fort encore bien plus
trifte & plus cruel que fon infortunée
fille. Traîné par fon cheval , qui couroit à
toute bride, fon corps fracaffé & déchiré , ne
fut bientôt plus qu'une playe , & fa déplorable
vie fe termina avec des douleurs fi
cruelles , qu'il eft beaucoup plus aifé de fe
les figurer que de les exprimer. Tout mort
DECEMBRE . 1750 19
qu'il étoit , il fembla que la juftice divine
voulût fe manifefter jufques fur fon cadavre
, dont la tête & les bras fe détacherent
à la fin , après des milliers de fecouffes des
plus violentes , que la fougue du cheval
lui fit effuyer le long du chemin . Elle ne
fe rallentit que lorsqu'il fut de retour chez
fon maître , où l'on peut s'imaginer quelle
confternation & quel effroi cet animal
jetta , lorfqu'on l'y vit arriver avec ce cadavre
tout déchiré & tout fanglant. La
trifteffe où l'on y étoit déja , & qui n'étoit
que trop grande , fut bien redoublée par
ce nouveau malheur .
y
Victoria , qui fut auffi témoin de cet affreux
fpectacle , ne put réfifter à tant d'infortunes
arrivées dans un jour où elle s'étoit
attendue de voir le comble de fa félicilité.
Quelles triftes nôces pour elle ! La
mort de fa foeur , la perte de fon amant ,
qui refufa d'entrer dans une famille que
cette mort venoit de déshonorer ; le fpectacle
hideux d'un pere , qui venoit de périr
d'une maniere fi cruelle & fi tragique , firent
fur elle une fi violente révolution ,
qu'elle en mourut deux jours après , laiffant
dans la mort & dans les triftes évenemens
qui l'avoient occafionnée , une inftruction à
jamais mémorable aux peres & aux meres
fur la conduite qu'ils doivent tenir avec
leurs enfans.
10 MERCURE DE FRANCE .
སྒྱུའ :ཉྩེ༽ ཉུ
DIALOGUE.
INTERLOCUTEURS ,
PLUTUS , LA VANITE , LE LUXE
JE
Plutus.
E n'y puis plus tenir; fa fureur eft extrême
Madame , votre fils que vous avez gâté ,
S'il n'abandonne ſon ſyſteme ,
Détruira ma Divinité ,
Et s'anéantira lui- même.
La Vanité.
On blâme avec facilité
Des goûts que l'on n'a plus , c'eſt le ton d'u
vieux pere ;
Défaites-vous , Plutus , de cette auftérité ,
Ce ton déplaît toujours & ne corrige guere.
Le Luxe.
Oubliez- vous que par ies goûts divers
Je fais honneur au Dieu dont je tiens la naiſſance ?
Vous voyez par mes foins tous vos trélors ouverts)
Si l'on m'aime , l'on vous encenſe,
Et vous devez, mon pere , à ma magnificence
Les hommages de l'Univers .
La Vanité.
Ila raifon ; le Luxe eft l'idole adorée
DECEMBRE. 1750 . 20
1
fl voit dans tous les lieux fa faveur implorée ;
Sa gloire eft l'ouvrage d'un jour" ;
Roi de tous les efprits, charme de tous les âges
Amuſement des fols & le foible des fages ,
Il en triomphe tour- à- tour ,
Et fervant la beauté qui vole fur ſes traces ,
Près d'elle quelquefois il ramene les graces ,
Et fournit des traits à l'Amour.
Plutus.
"
C'est ainsi que la complaiſance
De vos éloges féducteurs
Entretient fon extravagance ;
Vous lui vantez envain l'encens & les honneurs
Dontil jouit par tout ; funefte récompenſe ,
S'il renonce pour eux à la gloire des moeurs
Dans les jours de fon premier âge ,
Que mon fils étoit loin de ce libertinage ,
Dont il eft aujourd'hui follement entêté !
D'une noble fimplicité
Il fentoit le prix & l'ufage ;
La raifon regloit fes défirs.
Quand on fçait les borner , on peut les fatisfaire
Sûr d'être heureux & de me plaire ,
Au fein de la fageffe il trouvoit des plaifirs.
Mais grace à vos belles maximes ,
La conduite qu'il tient m'inſpire un juſte effroi ;
Les erreurs bien fouvent font la fource des crimes
Le caprice eft fon guide & la mode eft fa loi ;
22 MERCURE DE FRANCE .
Occupé tour à tour de mille bagatelles ,
Je le vois courir après elles.
L'art de fixer leur prix fait fon unique emploi.
A peine en jouit- il, que femblable à l'abeille ,
Il défire un nouveau butin ;
La feule nouveauté le flatte & le réveille ,
Il renverfe le foit l'idole du matin ,
Et j'ai vu rarement le bijou de la veille ;
Etre celui du lendemain.
Encor fi fon goût légitime ,
Oubliant quelquefois le frivole agrément ,
Laifoit aux Beaux- Arts qu'il anime ,
Le choix de l'utile ou du grand ;
Mais esclaves de fa manie ,
Forcés de fe foumettre à fa bizarrerie ,
Les Arts , pour amufer fa puerilité ,
Bornent l'effort de leur génie
A ces fragiles riens dont la futilité
Dégrade les dons d'Cranie.
Le Luxe.
Cette leçon fent le courroux ;
Mon pere ; épargnez -moi ce rigoureux langage,
La Vanité.
Confole toi , mon fils , tu ferois bien plus fage,
Que Plutus en feroit jaloux.
C'est par toi feul que fleurit un Empire ;
Ta préfence y fait naître & ranime les Arts.
Des bouts de l'Univers ta voix puiffante attire
Ces mortels que la gloire inſpire ,
DECEMBRE. 1750. 23.
Et qui flattés de tes regards ,
Font ces chef-d'oeuvres qu'on admire.
Du regne des premiers Céfars
Rappelle-toi, mon fils ,le bonheur & la gloire ;
Ces favoris de la victoire
Regnoient fur l'Univers , & tu regnois fur eux ;
De leurs fêtes & de leurs jeux
La pompe , la magnificence ,
Ces hardis monumens élevés en tous lieux ,
Dont les vaftes débris frappent encor nos yeux ,
Furent l'effet de ta puiffance ;
Mars en fit des Héros , toi feul en fis des Dieux!
Le Luxe.
Madame ,fi j'ai fait de fi rares merveilles ,
Je les dois plus à vos confeils ,
Qu'à mes travaux & qu'à mes veilles ,
Et vous feule avez l'art d'animer mes pareils.
Plutus .
Et voilà le malheur que ma raifon déplore ;
Tant que la Vanité fera votre Mentor ;
Les mortels verront- ils éclore
Les jours heureux de l'âge d'or ?
Du fort de ces Romains quelle fut la conftance ;
Quand ils fouffrirent que chez eux
Le Luxe vint fouffler l'abus de l'opulence !
Bientôt fon excès monstrueux
Précipita leur décadence ,
Et les rendit plus malheureux .
24 MERCURE DE FRANCE.
Tel que l'Aftre brillant qui fort du fein de l'onde
Pour enrichir chaque faifon ,
Tel le Luxe embel it le monde ,
Quand il eft dirigé par la faine raiſon ;
Mais fi la mode , la folie ,
Le caprice & la vanité
Gouvernent fon Empire au gré de leur manie ,
Son éclat impofteur devient un incendic
Dont la funefte activité
S'étend jufqu'aux tréfors utiles à la vie ,
Et ne laiffe, en ceffant, à l'homme épouvanté
Que le travail & l'induftrie ,
Pour combattre fa pauvreté .
La Vanité.
Dù prenez-vous, Plutus , ces principes fublimes ?
Ils ont dans votre bouche un agrément nouveau ;
Apprend-on les belles maximes
A calculer fur un bureau ?
Juge des vins & de la bonne chere ;
Je croyois que Plutus bornoit là fes talens ;
Mais j'étois dans l'erreur ; c'eft un Docteur févére,
Dont les fermons font excellens ;
Peut-être que les miens font bien moins éloquens;
Mais n'ont-ils pas le don de plaire ?
Le Luxe.
Je ne décide point entre vous & mon pere ;
Faifant le bien , le mal , fans penchant, fans effort,
C'est à qui me guide & m'éclaire ,
Qu'ilfaut s'en prendre fi j'ai tort.
Plutus
DECEMBRE.
25 1750.
Plutus.
Affreufe vérité , mais qu'il vous faut
entendre !
La
Vanité.
2 Je la trouve fort à
propos .
En lui rien
n'étant à
reprendre ,
C'est mon éloge en peu de mots.
N'eft ce pas , dites - moi , par fon fecours utile
Que Paris des Beaux- Arts eft devenu l'azile ,
Que le goût dans fon fein a repris ſon éclat è
Plutus.
Et moi dans
l'Univers je ne vois point de Ville
Où du bons fens on faffe moins d'état.
La Vanité,
Du bon fens ! Que ce mot eft dur à mon oreille &
Vous ferez déclaré l'ennemi du bon ton ,,
Si vous
reflulcitez cette trifte
merveille ,
Le bon fens n'eft plus de faiſon.
Ce fiécle eft le fiécle des graces ,
De
l'enjoûment de la gaîté.
On ne veut que bons mots , que riantes furfaces
Où brillent l'agrément, l'efprit ,la nouveauté
L'énergie au ton mâle & la froide clarté ,
Avec l'ordre à l'air concerté ,
Ont pris leur effot vers les Claffes.
Du grand même on eft rebuté ,
On fuit en le voyant monté fur fes échaffes ;
Tandis qu'on vole fur les traces
1. Vol.
B
26 MERCURE DEFRANCE
.
De l'aimable légereté.
Plutus.
Et vous applaudiffez à ce fiècle volage ,
Créateur des Pantins , Auteur du perfiflage ,
Que la frivolité conduit dans fes projets ;
Follement curieux de clinquant , d'affiquets ,
De cent diverfes porcelaines ,
De leurs frivoles marmouſets ,
Dont toutes les maifons font pleines ,
Et qui rendent Paris , n'en déplaife aux François ,
Le Temple des colifichets !
La Vanité.
Prétendez -vous ainfi réformer la Nature ?
Laiffez le monde comme il eft ;
On révolte par la cenfure ,
C'eſt par le plaifir feul qu'on plaît.
Plutus.
La Vanité jamais ne céde ;
J'attendrois vainement que mon fils plus heureux
Reçût de votre main l'efficace remede
Qui fait tout l'objet de mes voeux ;
Mais cependant le mal empire;
Les François tous les jours du Luxe plus épris ;
Se livrent fans réserve à fes goûts inouis ;
Si la raifon enfin n'arrête leur délire ,
Qui fera le garant que leur brillant empire
Le modéle & l'effroi de tous les ennemis ,
Ne verra pas ternir la fplendeur de fes list
DECEMBRE.
1750 .
27
Moi. Vous riez.
La Vanité.
Plutus.
Sans doute , a ce garant aimable
Qui voudroit ne pas fe fier
J'en pourrois
pourtant eſſayer ,
Si vous étiez plus
raisonnable .
Ne vous
méprenez point fur ma févérité ,
Elle n'eft point le fruit des dégoûts de mon âge ;
Dans les limites d'un goût fage ,
Si le luxe pouvoit fixer fa liberté ,
Vous me verriez moi - même admirer fon
ouvrages
Il
orneroit les Arts Tans flétrir les vertus ;
Mais par
malheur l'excès fut toujours fon partage ;
" Et fi j'en
applaudis l'uſage ,
Je dois en blâmer les abus.
De la dépense qui
l'accable ,
Supprimez le faux goût , la fuperfluité ,
Retranchez de fon être , & ce trait admirable
Donnant à fes attraits de la folidité ,
Son regne fera plus durable ,
Et vos plaifirs en fûreté.
Pourquoi ces chars tout brillans de dorure ,
Ou tant d'arts à la fois fe difputent le prix ,
Pour rendre hommage à la figure
De la plupart de mes Commis ?
Pourquoi tous ces feftins où l'art de la cuifine,
Bij
28 MERCURE
DE FRANCE:
Fécond en mets délicieux ,
Se fait un jeu d'y préfenter aux yeux
Mille énigmes divers qu'avec peine on devine?
Mais dont l'élégance affaffine ,
Immolant à l'opinion
Les goûts de la Nature & ceux de la raifon ,
Altére les préfens que leur main nous deſtine ;
Et change fans effroi l'aliment en poiſon ?
Pourquoi ces parures de Fées ,
Ce fpectacle changeant & d'atours & de goûts,
De l'enfant de Paphos ingénieux trophées ,
La ruine ou la honte , hélas ! de tant d'époux
Pourquoi ces valets inutiles ,
De leur Maître , qu'ils n'aiment pas ;
Efpions dangereux ou complices ferviles ,
Souvent traîtres, toujours ingrats ?
Pourquoi
tant de fecrets aziles ,
Tant de Temples honteux où le vice adoré
Sous les traits impofteurs
des beautés les plus viles,
Se nourrit de l'encens d'un mortel eny vré ?
Pourquoi... mais je le vois, vous fouffrez à m'ene
tendre ;
Malgré vous dans vos yeux éclatte le dépit ,
J'en gemis ,je connois ce que l'on peut attendre
De la vanité qui rougit.
Raifon , viens éclairer & le fils & la mere ,
De ton flambeau fais briller à leurs yeux
DECEMBRE. 1750 . 29?
La plus éclatante lumiere ;
Que tes fages confeils les rendent vertueux ,
Du moins de ces mortels qu'entraîne leur foibleffe,
Que ta voix diffipe l'erreur !
Les ramener à la ſageſſe ,
C'eft les rapprocher du bonheur.
Par M. de Saint Roman , de Montpellier.
L
A Comédie fuivante a été jouée dans
une Société & n'a pas été imprimée
on y reconnoîtra aifément la maniere fine
& ingénieufe de M. de Marivaux .
LA COLONIE ,
COMED I E.
ACTEURS.
Arthenice , femme noble.
Madame Sorbin , femme d'Artifan.
M. Sorbin , mari de Mad . Sorbin .
Timagene , homme noble.
Lina , fille de Mad . Sorbin .
Perfinet , jeune homme du peuple , amant
de Lina.
Hermocrate , autre Noble.
Troupe defemmes, tant nobles que du peuple.
La Scéne eft dans une Ifle , où font abordés
tous les Acteurs.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
SCENE PREMIERE .
ARTHENICE , MADAME SORBIN
A
Arthenice.
H çà , Madame Sorbin , ou plutôt
ma compagne , car vous l'êtes , puifque
les femmes de votre état viennent de
vous revêtir du même pouvoir dont les
femmes nobles m'ont revêtue moi- même ;
donnons-nous la main , uniffons- nous &
n'ayons qu'un même efprit toutes deux .
Mad. Sorbin lui donnant la main.
Conclufion , il n'y a plus qu'une femme
& qu'une pensée ici.
Arthenice.
Nous voici chargées du plus grand intérêt
que notre fexe ait jamais eu , & cela
dans la conjoncture du monde la plus fapour
difcuter notre droit vis à-vis vorable
les hommes.
Mad. Sorbin.
Oh , pour cette fois- ci , Meffieurs , nous
compterons enſemble.
Arthenice.
Depuis qu'il a fallu nous fauver avec eux
dans cette Ifle où nous nous fommes fixées,
le Gouvernement de notre patrie a ceffé.
Mad. Sorbin.
Oui , il en faut, un tout neuf ici , &
DECEMBRE.
1750. 31
l'heure eft venue , nous voici en place d'avoir
juſtice , & de fortir de l'humilité ri-
3 dicule qu'on nous a impofée depuis le
commencement du monde : plutôt mourir
que d'endurer plus long- tems nos affronts.
Arthenice.
Fort bien , vous fentez - vous en effet un
courage qui réponde à la dignité de votre
emploi ?
Mad. Sorbin.
Tenez , je me foucie aujourd'hui de la
vie comme d'un féru ; en un mot comme
en cent , je me facrifie , je l'entreprens.
Mad. Sorbin veut vivre dans l'Hiftoire &
non pas dans le monde.
Aribenice.
Je vous garantis un nom immortel,
Mad. Sorbin.
Nous , dans vingt mille ans, nous ferons
encore la nouvelle du jour.
Arthenice.
Et quand même nous ne réuffitions pas,
nos petites- filles réufliront.
Mad, Sorbin.
Je vous dis que les hommes n'en reviendront
jamais. Au furplus , vous qui m'exhortez
; il y a ici un certain M. Timagene
qui court après votre coeur ; court - il encore
? Ne l'a - t'il pas pris ? Ce feroit - là un
furieux fujet de foibleffe humaine , prenez
y garde . Biiij
32 MERCURE DEFRANCE.
Arthenice.
Qu'est - ce que c'est que Timagene, Mad.
Sorbin , je ne le connois plus depuis notre
projet , tenez ferme & ne fongez qu'à
m'imiter.
Mad. Sorbin.
Qui ? moi! Eh où eft l'embarras ? Je n'ai
qu'un mari , qu'est- ce que cela coûte à laiffer
, ce n'eft pas là une affaire de coeur.
Artbenice.
Oh , j'en conviens . -
. Mad. Sorbin.
Ah çà, vous fçavez bien que les hommes
vont dans un moment s'affembler fous des
tentes , afin.d'y choisir entre eux deux .
hommes qui nous feront des loix ; on a
battu le tambour pour convoquer l'af,
femblée.
Eh bien ?
Arthenice.
Mad, Sorbin.
Eh bien ? Il n'y a qu'à faire battre le
tambour auffi pour enjoindre à nos femmes
d'avoir à méprifer les réglemens de ces
Meffieurs , & dreffer tout de fuite une
belle & bonne Ordonnance de féparation
d'avec les hommes qui ne fe doutent en
core de rien.
Arthenice.
C'étoit mon idée , fi non qu'au lieu du
DECEMBRE . 33 1750 .
tambour , je voulois faire afficher notre
Ordonnance à fon de trompe.
Mad. Sorbin.
Ouida , la trompe eft excellente & fort
convenable.
Arthenice,
Voici Timagene & votre mari qui paffent
fans nous voir.
Mad. Sorbin.
C'est qu'apparemment ils vont fe rendre
au Confeil ; fouhaitez-vous que nous
les appellions ?
Arthenice.
Soit , nous les interrogerons fur co
qui fe paffe. Elle appelle Timagene.
Mad. Sorbin appelle auffi.
Hola , notre homme.
SCENE II.
Les Acteurs précédens , M. SORBING
TIMAGEN E,
Timagene.
Ah ! pardon , belle Arthenice , je ne
vous croyois pas fi près.
M. Sorbin.
Qu'est- ce que c'eft que tu veux , ma femme
, nous avons hâte .
Mad. Sorbin..
Eh là là , tout bellement , je veux vous
By
34 MERCURE DE FRANCE .
voir , M. Sorbin , bon jour ; n'avez - vous
rien à me communiquer , par hazard ou
autrement ?
M. Sorbin.
Non , que veux- tu que je te communique
,fi ce n'eft le tems qu'il fait , ou l'heure
qu'il eft ?
Arthenice.
Et vous , Timagene , que m'apprendrezvous
? Parle - t'on des femmes parmi vous ?
Timagene.
Non , Madame , je ne fçais rien qui les
concerne , on n'en dit pas un mot.
Arthenice,
Pas un mot , c'eft fort bien fait,
Mad. Sorbin,
Patience , l'Affiche vous réveillera.
· M. Sorbin.
Que veux-tu dire avec ton Affiche ?
Mad. Sorbin
Oh rien , c'eſt que je me parle.
Arthenice.
Eh ! dites-moi , Timagene , où allezvous
tous deux d'un air fi penfif ?
Timagene..
Au Confeil où l'on nous appelle , & où
la Nobleffe & tous les Notables d'une part,
& le Peuple de l'autre , nous menacent cet
honnête homme & moi , de nous nommer
pour travailler aux loix , & j'avoue que
DECEMBRE. 1750.
35
mon incapacité me fait déja trembler .
Mad. Sorbin.
Quoi , mon mari , vous allez faire des loix?
M. Sorbin.
Hélas , c'est ce qui fe publie , & ce qui
me donne un grand fouci.
Mad. Sorbin.
Pourquoi , M. Sorbin : Quoique vous
foyez maffif & d'un n'aturel un peu lourd,
je vous ai toujours connu un très- bon gros
jugement qui viendra fort bien dans cette
affaire-ci ; & puis je me perfuade que ces
Meffieurs auront le bon efprit de deman--
der des femmes pour les affifter , comme
de raiſon .
M. Sorbin.
Ah ! tais- toi avec tes femmes , il est bien
queſtion de rire ?
Mad. Sorbin.
Mais vraiment , je ne ris pas.
M. Sorbin.
Tu deviens donc folle,
Mad. Sorbin.
I
Pardi , M. Sorbin , vous êtes un petit élû
du peuple bien impoli ; mais par bonheur
cela fe paffera avec une Ordonnance , je
drefferai des loix auffi , moi .
M. Sorbin , il rit.

Toi ! hé hé hé hé.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE
Timagene , riant.
Hé hé hé hé ....
Arthenice.
Qu'y a - t'il donc là de fi plaifant ? Elle a
raifon , elle en fera , j'en ferai moi - même .
Timagene.
Vous , Madame ?
Des loix !
M. Sorbin , riant.
Affûrément .
Arthenice.
M. Sorbin , riant.
Ah bien tant mieux , faites , amufez
vous , jouez une farce ; mais gardez-nous
votre drôlerie pour une autre fois , cela eft
trop bouffon pour le tems qui court.
Timagene.
Pourquoi ? La gayeté est toujours de faifon
Arthenice.
La gayeté , Timagene ?
Mad, Sorbin.
Notre drôlerie , M. Sorbin ? Courage,
on vous en donnera de la drôlerie .
M. Sorbin.
Laiffons-là ces rieufes , Seigneur Timagene
, & allons nous- en ; adieu , femme
rand merci de ton affiftance.
Arthenice.
Attendez, j'aurois une ou deux reflexions
à communiquer à M. l'Ela de la Noblete.
DECEMBRE . 1750.
ነን .
Timagene,
Arthenice.
Parlez , Madame .
Un
peu d'attention; nous avons été obli
gés , grands & petits , Nobles , Bourgeois,
& gens du peuple , de quitter notre Patrie
pour éviter la mort ou pour fuir l'efclavage
de l'ennemi qui nous a vaincus.
M. Sorbin.
Cela m'a l'air d'une harangue , remettonsla
à tantôt , le loifir nous manque.
Mad, Sorbin.
Paix , malhonnête.
Ecoutons,
Timagene.
Arthenice,
Nos Vaiffeaux nous ont portés dans ce
pays fauvage , & le pays eft bon.
M. Sarbin.
Nos femmes y babillent trop.
Encore.
Mad. Sorbin en colere.
Arthenice.
Le deflein eft formé d'y refter , & comme
nous y fommes tous arrivés pêle-mêle, que
la fortune y eft égale entre tous , que perfonne
n'a droit d'y commander , & que
tout y eft en confufion , il faut des maîtres,
il en faut un ou plufieurs , il faut des loix .
38 MERCURE DEFRANCE.
Timagene.
Hé , c'est à quoi nous allons pourvoir ,
Madame.
M. Sorbin,
Il va y avoir de tout cela en diligence ,
on nous attend pour cet effet.
Arthenice.
Qui , nous? Qui entendez- vous par nous?
M. Sorbin.
Eh pardi , nous entendons , nous , ce ne
peut pas être d'autres.
Arthenice.
Doucement , ces loix , qui eft- ce qui va
les faire , de qui viendront-elles ?
M. Sorbin , en dérifion .
De nous.
Des hommes !
Mad, Sorbin.
M. Sorbin.
Apparemment.
Arthenice.
Ces Maîtres , ou bien ce Maître , de qui
le tiendra- t'on ?
Mad. Sorbin , en dérifion .
- Des hommes.
M. Sorbin.
Eh ! apparemment.
Arthenice.
Qui fera-t'il ?
DECEMBRE. 1750
33
Mad. Sorbin.
Un homme.
M. Sorbin.
Eh qui donc ?

Arthenice.
Et toujours des hommes & jamais de
femmes , qu'en pensez- vous , Timagene ?
car le gros jugement de votre Adjoint ne
va pas jufqu'à fçavoir ce que je veux dire.
Timagene.
J'avoue , Madame , que je n'entends pas
bien la difficulté non -plus .
Arthenice.
Vous ne l'entendez pas ? Il fuffit , laiffez
nous.
M. Sorbin , à fa femme.
Dis-nous donc ce que c'eft.
Mad, Sorbin.
Tu me le demandes , va - t'en.
Timagene.
Mais , Madame.
Arthenice.
Mais , Monfieur , vous me déplaifez là.
M. Sorbin , à fa femme.
Que veut- elle dire ?
Mad, Sorbin
Mais va porter ta face d'homme ailleurs
M. Sorbin.
A qui en ont-elles ?
40 MERCURE DE FRANCE:
Mad, Sorbin.
Toujours des hommes, & jamais de fem
mes , & ça ne nous entend pas.
M. Sorbin.
Eh bien , après?
Mad. Sorbin.
Hum ? Le butord , voilà ce qui eft après .
Timagene.
Vous m'affligez , Madame ,fi vous me
laiffez partir fans m'inftruire de ce qui
vous indifpofe contre moi.
Arthenice.
Partez , Monfieur , vous le fçaurez au
retour de votre Confeil.
Mad. Sorbin.
Le tambour vous dira le refte , ou bien
le placard au fon de la trompe.
M. Sorbin .
Fiffre , trompe ou trompette , il ne m'im;
porte gueres ; allons , M. Timagene .
Timagene.
Dans l'inquiétude où je fais , je reviendrai
, Madame , le plutôt qu'il me fera
poffible.
SCENE III.
MAD. SORBIN , ARTHENICE.
Arthenice.
C'est nous faire un nouvel outrage que
de ne no us pas entendre .
DÉCEMBRE . 1750. 41
Mad. Sorbin.
C'eft l'ancienne coûtume d'être impertinent
de pere en fils ,qui leur bouche l'efprit.:
SCENE IV.
MAD. SORBIN , ARTHENICE , LINA ,
PERSINET.
Perfinet.
Je viens à vous , vénérable & future
belle-mere , vous m'avez promis la charmante
Lina, & je fuis bien impatient d'être
fon époux; je l'aime tant, que je ne fçaurois
plus fupporter l'amour fans le mariage.
Arthenice à Mad. Sorbin .
Ecartez ce jeune homme , Mad. Sorbin ,
les circonstances préfentes nous obligent
de rompre avec toute fon efpece.
Mad. Sorbin.
Vous avez raiſon , c'eft une fréquenta
tion qui ne convient plus.
Perfinet.
J'attends réponſe.
Mad. Sorbin.
Que faites- vous-là , Perfinet ?
Perfinet.
Hélas ! je vous intercede , & j'accom
pagne ma nompareille Lina .
Mad. Sorbin
Retournez vous- en.
42 MERCURE DE FRANCE
Lina.
Qu'il s'en retourne ! eh ! d'où vient , ma
mere ?
Mad. Sorbin.
Je veux qu'il s'en aille , il le faut , le cas
le requiert , il s'agit d'affaire d'Etat.
Lina.
Il n'a qu'à nous fuivre de loin.
Perfinet.
Oui , je ferai content de me tenit hum
blement derriere .
Mad. Sorbin.
Non , point de façon de fe tenir , je
n'en accorde point , écartez - vous , ne nous
approchez pas jufqu'à la paix .
Lina,
Adieu , Perfinet , jufqu'au revoir ,
n'obſtinons point ma mere.
Perfinet.
Mais qui eft ce qui a rompu la paix?
Maudite guerre , en attendant que tu finiffes
, je vais m'affliger tout à mon aife ,
en mon petit particulier.
SCENE V.
ARTHENICE , MAD. SORBIN , LINA.
Lina.
Pourquoi donc le maltraitez vous , ma
mere ? Eft- ce que vous ne voulez plas
DECEMBRE.
43 1750:
qu'il m'aime , ou qu'il m'époule ?
Mad, Sorbin.
Non , ma fille , nous fommes dans une
occurrence où l'amour n'eft plus qu'un
for.
>
Lina.
Hélas ! quel dommage !
Arthenice.
Et le mariage , tel qu'il a été juſqu'ici ,
n'eft plus auffi qu'une pure fervitude que
nous aboliffons , ma belle enfant , car il
faut bien la mettre un peu au fait pour la
confoler,
Lina.
Abolir le mariage ! Eh !
que
mettra-t'on
à la place ?
Mad. Sorbin.
Rien.
Lina.
Cela eft bien court.
Arthenice.
Vous fçavez , Lina , que les femmes
jufqu'ici ont toujours été foumiſes à leurs
maris.
Lina,
Oui , Madame , c'eft une coûtume qui
n'empêche pas l'amour.
Mad, Sorbin,
Je te défends l'amour.
44 MERCURE DE FRANCE
Lina:
Quand il y eft , comment l'ôter ? Je ne
F'ai pas pris , c'eft lui qui m'a prife , &
puis je ne refufe pas la foumillion .
Mad, Sorbin.
Comment foumife , petite ame de fervante
, jour de Dieu , foumife , cela peut- il
forrir de la bouche d'une femme ? Que je
ne vous entende plus proferer cette hotreur-
là , apprenez que nous nous révol
tons /
Arthenice.
Ne vous emportez point , elle n'a pas
été de nos déliberations , à caufe de fon
âge , mais je vous réponds d'elle , dès
qu'elle fera inftruite . Je vous affure qu'elle
fera charmée d'avoir autant d'autorité que
fon mari dans fon petit ménage , & quand
il dira , je veux , de pouvoir répliquer ,
moi , je ne veux pas.
Lina , pleurant.
Je n'en aurai pas la peine ; Perfinet &
moi , nous voudrons toujours la même
chofe ; nous en fommes convenus entre
nous.
Mad. Sorbin.
Prends y garde avec ton Perfinet ; fi- ta
n'as pas des fentimens plus relevés , je te
retranche du noble corps des femmes ,
refte avec ma camarade & moi pour apDECEMBRE
1750. 45
prendre à confidérer ton importance ; &
furtout qu'on fupprime ces larmes qui font
confufion à ta mere , & qui rabaiffent no
tre mérite.
Arthenice.
Je vois quelques - unes de nos amies qui
viennent , & qui paroiffent avoir à nous
parler , feachons ce qu'elles nous veulent,
SCENE V I.
ARTHENICE , MAD . SORBIN , LINA , QUATRE
FEMMES , dont deux tiennent cha
cun un bracelet de ruban rayé.
Une des Députées .
Venerables compagnes , le fexe qui vous
a nommées les chefs , & qui vous a choifies
pour le défendre , vient de juger à propos
dans une nouvelle déliberation , de vous
conferer des marques de votre dignité , &
nous vous les apportons de fa part . Nous
fommes chargées en même tems de vous
jurer pour lui une entiere obéillance ,
quand vous lui aurez juré entre nos mains
une fidélité inviolable ; deux articles effentiels
aufquels on n'a pas fongé d'abord.
Arthenice.
Illuftres Députées , nous aurions yolontiers
fupprimé le fafte dont on nous pare .
Il nous auroit fuffi d'être ornées de nos
46 MERCURE DEFRANCE.
vertus ; c'est à ces marques qu'on doit nous
reconnoître.
Mad, Sorbin.
N'importe , prenons toujours ; ce fera
deux parures au lieu d'une.
Arthenice.
Nous acceptons cependant la diftinction
dont on nous honore , & nous allons nous
acquitter de nos fermens , dont l'omiffion
a été très-judicieufement remarquée ; je
commence.
Elle met fa main dans celle d'une
des Députées.
Je fais voeu de vivre pour foûtenir les
droits de mon fexe opprimé ; je confacre
ma vie à fa gloire ; j'en jure par ma dignité
de femme , par mon inexorable fierté de
coeur, qui eft un préfent du Ciel; il ne faut
pas s'y tromper ; enfin par l'indocilité d'eſprit
que j'ai toujours eue dans mon mariage
, & qui m'a préfervée de l'affront d'obéir
à feu mon bouru de mari ; j'ai dit. A
vous , Madame Sorbin.
Mad, Sorbin.
pour
Approchez , ma fille , écoutez - moi , &
devenez à jamais célébre , feulement
avoir affifté à cette action fi mémorable .
Elle met fa main dans celle d'une
des Députées.
Voici mes paroles : vous irez de niveau
Avite
DECEMBRE.
47 1750 .
avec les hommes ; ils feront vos camarades
, & non pas vos maîtres ; Madame
vaudra par tout Monfieur , ou je mourrai
la peine. J'en jure par le plus gros juron
que je fçache ; par cette tête de fer qui ne
pliera jamais , & que perfonne jufqu'ici ne
peut fe vanter d'avoir réduite , il n'y a qu'à
en demander des nouvelles.
Une des
Députées.
Ecoutez à préfent ce que toutes les femmes
que nous repréfentons vous jurent à
leur tour. On verra la fin du monde , la
race des hommes s'éteindra avant que nous
ceffions d'obéir à vos ordres ; voici déja
une de nos compagnes qui accourt pour
vous reconnoître,
SCENE VIL
LES DEPUTE'ES , ARTHENICE , MAD. SORbin
, Lina , une FEMME qui arrive .
La Femme.
Je me hâte de venir rendre hommage
à nos
Souveraines , & de me ranger fous
leurs loix .
Arthenice.
Embraffons - nous , mes amies ; notre
ferment mutuel vient de nous impofer de
grands devoirs , & pour vous exciter à
remplir les vôtres , je fuis d'avis de vous
48 MERCURE DE FRANCE . '
retracer en ce moment une vive image de
l'abaiffement où nous avons langui jufqu'à
ce jour ; nous ne ferons en cela que nous
conformer à l'utage de tous les chefs de
parti.
Mad. Sorbin.
Cela s'appelle exhorter fon monde
avant la bataille.
Arthenice,
Mais la décence veut que nous foyons
allifes , on en parle plus à fon aife.
Mad, Sorbin.
Il y a des bancs là bas , il n'y a qu'à les
approcher,
A Lina.
Allons , petite fille , allerte,
Lina.
Je vois Perfinet qui paffe , il eft plus fort
que moi , & il m'aidera fi vous voulez.
Une des femmes.
Quoi ! Nous employerions un homme ?
Arthenice.
Pourquoi non ? Que cet homme nous
ferve , j'en accepte l'augure,
Mad. Sorbin .
C'est bien dit ; dans l'occurrence pré
fente , cela nous portera bonheur.
A Lina.
Appellez -nous ce domeftique.
Lina
4
DECEMBRE. 1750. 49
7
Lina , appelle.
Perfinet , Perfinet .
SCENE VIII.
Tous les Acteurs précédens , PERSINET .
Perfinet , accourt.
Qu'y a-t'il , mon amour ?
Lina.
Aidez-moi à pouffer ces bancs jufqu'ici.
Perfiner.
Avec plaifir , mais n'y touchez pas , vos
petites mains font trop délicates , laiffezmoi
faire.
Il avance les bancs. Arthenice & Mad.
Sorbin , après quelques civilués s'affoyent les
premieres ; Perfinet & Lina s'affoyent tous
deux au même bout.
Arthenice à Perfinet.
J'admire la liberté que vous prenez
petit garçon , ôtez - vous de- là , on n'a plus
befoin de vous.
Mad, Sorbin.
Votre ſervice eft fait , qu'on s'en aille.
Lina,
Il ne tient prefque pas de place , ma
mere , il n'a que la moitié de la mienne.
Mad, Sorbin.
A la
porte ,
vous dit - on .
Vol. I. C
so MERCURE DE FRANCE:
Perfinet,
Voilà qui eft bien dur !
SCENE IX.
LES FEMMES SUSDITES,
Arthenice , après avoir touffe & craché.
L'oppreffion dans laquelle nous vivons
fous nos tyrans , pour être fi ancienne ,
n'en eft pas devenue plus rajfonnable ;
n'attendons pas que les hommes fe corrigent
d'eux-mêmes ; l'infuffifance de leurs
loix a beau les punir de les avoir faites à
leur tête & fans nous , rien ne les ramene
à la justice qu'ils nous doivent , ils onţ
oublié qu'ils nous la refuſent,
Mad. Sorbin,
Auffi le monde va , il n'y a qu'à voir,
Arthenice.
Dans l'arrangement
des affaires , il eft
décidé que nous n'avons pas le fens com,
mun , mais tellement décidé , que cela va
tout feul , & que nous n'en appellons pas
nous-mêmes.
Une des femmes.
Hé! Que voulez -vous ? On nous crie dès
le berceau , vous n'êtes capables de rien ,
ne vous mêlez de rien , vous n'êtes bonnes
à rien qu'à être fages ; on l'a dit à nos
meres qui l'ont crû , qui nous le répétent ;
DECEMBRE. 1750.
on a les oreilles rebattues de ces mauvais
propos ; nous fonimes douces , la parete
s'en mêle , on nous mene comme des moutons.
Mad. Sorbin.
Oh ! pour moi , je ne fuis qu'une femme,
mais depuis que j'ai l'âge de raifon, le
mouton n'a jamais trouvé cela bon.
Arthenice.
Je ne fuis qu'une femme , dit Madame
Sorbin , cela eft admirable !
Mad. Sorbin.
Cela vient encore de cette moutonmerie
.
Arthenice.
Il faut qu'il y ait en nous une défiance
bien louable de nos lumieres pour avoir
adopté ce jargon- là ; qu'on me trouvé
des hommes qui en difent autant d'eux ;
cela les paffe ; revenons au vrai pourtant :
vous n'êtes qu'une femme , dites- vous ?
Hé !que voulez- vous donc être pour être
mieux ?
Mad, Sorbin.
Eh ! Je m'y tiens , Meſdames , je m'y
tiens , c'eſt nous qui avons le mieux , &
je bénis le Ciel de m'en avoir fait participante
, il m'a comblé d'honneur , & je lui
en rends des graces nompareilles.
C ij
52 MERCURE DE FRANCE.
Une des femmes.
Hélas ! cela est bien jufte .
Arthenice.
Pénétrons - nous donc un peu de ce que
nous valons , non par orgueil , mais par
reconnoiffance.
Lina.
Ah! Si vous entendiez Perfiner là- def
fus , c'est lui qui eft pénétré fuivant nos
Une des femmes.
mérites.
Perfinet n'a que faire ici , il eft indécent
de le citer .
Mad. Sorbin.
Paix , petite fille ; point de langue ici ,
rien que des oreilles ; excuſez , Meídames,
pourfuivez , la camarade.
Arthenice.
Examinons ce que nous fommes , & ar
rêtez-moi , fi j'en dis trop ; qu'est- ce qu'u
ne femme , feulement à la voir ? En vérité,
ne diroit-on pas que les Dieux en ont fait
l'objet de leurs plus tendres complaifances?
Une des femmes.
Plus j'y rêve , & plus j'en fuis convaincue.
Une des femmes.
Cela eft inconteftable .
Une autre femme.
Abfolument incontestable .
DECEMBRE . 1750.
33
Une autrefemme.
C'est un fait.
Arthenice.
Regardez-la , c'eft le plaifir des yeux
Une femme.
Dites les délices.
Arthenice.
Souffrez que j'acheve.
Unefemme.
N'interrompons point.
Une autre femme.
Oui , écoutons.
Une autre femme.
Un peu de filence.
Une autre femme.
C'est notre chef qui parle.
Une autre femme.
Et qui parle bien.
Lina.
Pour moi , je ne dis mot.
Mad. Sorbin.
Se taira t'on , car cela m'impatiente ?
Arthenice.
Je recommence ; regardez la , c'eft le
plaifir des yeux : les graces & la beauté,déguifées
fous toutes fortes de formes , fe difputent
à qui verfera le plus de charmes
fur fon vilage & fur la figure. Eh ! Qui
eft-ce qui peut définir le nombre & la
variété de ces charmes ? Le fentimear les
C iij
34 MERCURE DEFRANCE.
faifit , nos expreffions n'y fçauroient atteindre.
Toutes les femmes fe redreffent ici.
Arthenice continue.
La femme a l'air noble , & cependant
fon air de douceur enchante.
Les femmes ici prennent un air doux .
Unefemme.
Nous voilà.
Chut.
Mad. Sorbin
;
Arthenice.
C'eft une beauté fiere , & pourtant une
beauté mignarde ; elle imprime un refpect
qu'on n'ole perdre , fi elle ne s'en mêle ;
elle infpire un amour qui ne fçauroit fe
taire dire qu'elle est belle , qu'elle eft
aimable , ce n'est que commencer fon portrait
; dire que fa beauté furprend , qu'elle
Occupe , qu'elle attendrit , qu'elle ravit ,
c'eft dire , à peu près , ce qu'on en voit
ce n'eft pas effleurer ce qu'on en penfe.
Mad. Sorbin .
Et ce qui eft encore incomparable , c'eft
de vivre avec toutes ces belles chofes là,
comme fi de rien n'étoit ; voilà le furprenant
, mais ce que j'en dis n'eft pas pour
interrompre
, paix.
Arthenice.
le Venons à l'efprit, & voyez combien l
DÉCEMBRE. 1750. 55
nôtre a paru redoutable à nos tyrans , ju
gez-en par les précautions qu'ils ont pri-
Les pour l'étouffer , pour nous empêcher
d'en faire ufage ; c'eft à filer , c'eft à la quenouille
, c'eft à l'économie de leur maiſon ,
c'eft au miférable tracas d'un ménage
enfin c'eft à faire des noeuds , que ces
Meffieurs nous condamnent .
Une femme.
Véritablement , cela crie vengeance.
Arthenice.
On bien , c'eſt à fçavoir prononcer fur
des ajustemens , c'eſt à les réjouir dans
leurs foupers , c'eft à leur infpirer d'agréables
paffions , c'eft à regner dans la bagatelle
, c'est à n'être nous- mêmes que la
premiere de toutes les bagatelles ; voilà
Toutes les fonctions qu'ils nous laiffent ictbas
; à nous qui les avons polis , qui leur
avons donné des moeurs , qui avons corrigé
la ferocité de leur ame ; à nous , fans
qui la terre ne feroit qu'un féjour de fauvages
, qui ne mériteroient pas le nom
d'hommes.
Une des femmes.
Ah ! les ingrats ; allons , Mefdames ,
fuprimons les foupers dès ce jour .
Une autre.
Et pour des paffions , qu'ils en cherchent.
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
Mad. Sorbin.
En un mot comme en cent , qu'ils filent
à leur tour.
Arthenice.
Il est vrai qu'on nous traite de charmantes
, que nous fommes des aftres, qu'on
nous diftribue des teints de lys & de rofes,
qu'on nous chante dans des vers , où le
Soleil infulté pâlit de honte à notre afpect ,
& comme vous voyez , cela eft conſidérable
; & puis les tranfports , les extafes , les
défefpoirs dont on nous régale , quand il
nous plaît.
Mal. Sorbin.
Vraiment , c'est de la friandife qu'on
donne à ces enfans.
Une autre femme.
Friandife , dont il y a plus de fix mille
ans que nous vivons .
Arthenice.
Eh ! qu'en arrive- t'il ? Que par fimplicité
nous nous entêtons du vil honneur de leur
plaire , & que nous nous amufons bonnement
à être coquettes , car nous le fommes,
il en faut convenir.
Une femme.
Est - ce notre faute ? Nous n'avons que
cela à faire .
Artbenice.
Sans doute ; mais ce qu'il y a d'admiraDECEMBRE.
1750. 37
ble , c'eft que la fupériorité de notre ame
eft fi invincible, fi opiniâtre, qu'elle réfifte
à tout ce que je dis là , c'eft qu'elle éclatte
& perçe encore à travers cet aviliffement
où nous tombons ; nous fommes coquettes
d'accord , mais notre coquetterie même.
eft un prodige.
fait.
Une femme.
Oh ! tout ce qui part
Arthonice.
de
nous > eft
par
Quand je fonge à tout le génie , tonte
la fagacité , toute l'intelligence que chacune
de nous y met en fe jouant , & que
nous ne pouvons mettre que là , cela eft
immenfe , il y entre plus de profondeur
d'efprit qu'il n'en faudroit pour gouverner
deux mondes comme le nôtre , & tant d'ef
prit eft en pure perte.
Mad, Sorbin en colere..
Ce monde- ci n'y gagne rien ; voilà ce
qu'il faut pleurer.
Arthenice.
Tant d'efprit n'aboutir qu'à renverfer de
petites cervelles qui ne fçauroient le foû--
tenir , & qu'à nous procurer de fots complimens
, que leurs vices & leur démence ,
& non pas leur raifon , nous prodiguent ;
leur railon ne nous a jamais dit que
injures..
des
Cv
58 MERCURE DE FRANCE!
Mad. Sorbin.
Allons , point de quartier ; je fais voeu
d'être laide , & notre premiere Ordonnance
fera que nous tâchions de l'être
toutes.
A Arthenice.
N'eſt-ce pas , camarade ?
J'y confens.
Arthenice.
Une des femmes.
D'être laides : Il me paroît à moi , que
c'eft prendre à gauche.
Une autre femme.
Je ne ferai jamais de cet avis- là , non
plus.
Une autrefemme.
Eh mais , qui est - ce qui pourroit en
ètre : Quoi s'enlaidir exprès pour fe ven
ger des hommes ? Eh ! tout au contraire ,
embellifons- nous , s'il eft poffible , afin
qu'ils nous regrettent davantage .
One autre femme.
Oui , afin qu'ils foupirent plus que
jamais à nos genoux , & qu'ils meurent de
douleur de fe voir rebutés ; voilà ce qu'on
appelle une indignation de bon fens , &
Vous êtes dans le faux , Madame Sorbin ,
tout à fait dans le faux.
Mad, Sorbin
Ţâ, ta , ta, ta , je t'en réponds , em
DECEMBRE. 1750. 59
belliffons-nous pour retomber ; de vingt
galans qui le meurent à nos genoux , il n'y
en a quelquefois pas un qu'on ne réchappe
, d'ordinaire on les fauve tous ; ces
mourans-là nous gagnent trop , je connois
bien notre humeur , & notre Ordonnance
tiendra , on fe rendra laide , au furplus
ce ne fera pas fi grand dommage , Mefdames
, & vous n'y perdrez pas plus que
moi.
Une femme.
Oh ! doucement , cela vous plaît à dire,
vous ne jouez pas gros jeu ; vous , votre
affaire eft bien avancée.
Une autre.
Il n'eft
pas
étonnant
que vous faffiez
bon marché de vos graces.
Une autre.
On ne vous prendra jamais pour un
aftre.
Lina.
Tre Dame , ni vous non plus pour une
éteile.
Une femme.
Tenez , ce petit étourneau , avec fon
caquet.
Mad. Sorbin.
Ah ! pardi , me voilà bien ébahie ; eh !
dites donc , vous autres pimbéches , est- ce
que vous croyez être jolies ?
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Une autre.
Eh ! mais , fi nous vous reffemblons ,..
qu'eft-il befoin de s'enlaidir ? Par où s'y
prendre ?
Une autre.
It eft vrai que la Sorbin en parle bien
à fon aife.
Mad. Sorbin.
Comment donc , la Sorbin , m'appeller
la Sorbin ?
Lina.
Ma mere , une Sorbin.
Mad. Sorbin.
Qui eft ce qui fera donc Madame icis,
me perdre le refpect de cette maniere ?
Arthenice à l'autre femme.
Vous avez tort , ma bonne , & je trouve
le projet de Madame Sorbin très - fage,
Une femme.
Ah , je le crois ; vous n'y avez pas plus
d'interêt qu'elle.
Arthenice.
Qu'est ce que cela fignifie ? M'attaquer
moi-même ?
Mad, Sorbin.
Mais , voyez ces guenons , avec leur vifion
de beauté ; oui , Madame Arthenice ,.
& moi , qui valons mieux que vous , vou
lons , ordonnons & prétendons , qu'on
s'habille mal , qu'on fe coëffe de travers
& qu'on fe noircife le vifage au foleil,
DECEMBRE .
1750. 61
Arthenice.
Et pour contenter ces femmes ci , notre
Edit n'exceptera qu'elles , il leur fera permis
de
s'embellir , fi elles le peuvent .
Mad. Sorbin.
Ah ! que c'est bien dit ; oui , gardeztous
vos affiquets, corfers, rubans, avec vos mines
& vos fimagrées qui font rire , avec vospetites
mules ou pantouffles , où l'on écrafe
un pied qui n'y fçauroit loger , & qu'on
veut rendre mignon en dépit de fa taille
parez- vous , parez vous , il n'y a pas de
conféquence.
Une des femmes .
Jufte Ciel ! qu'elle eft groffiere ! N'a- t'on
pas fait là un beau choix ?
Arthenice.
Retirez -vous , vos fermens vous lient ,
obéiffez ; je romps la féance .
Une desfemmes..
Obéi ez ; voilà de grands airs.
Une des femmes..
Il n'y a qu'à fe plaindre , il faut crier.
Toutes les femmes.
Oui , crions , crions , repréfentons ..
Mad. Sorbin..
Favoue que les poingts me demangent..
"
Arthenice,
25
Retirez-vous vons dis- je ,,ou je vous >
ferai mettre aux arrêts..
62 MERCURE DE FRANCE.
Une des femmes , en s'en allant avec
les autres.
Y
C'est votre faute , Mesdames , je ne voulois
ni de cette artifane ni de cette
princeffe , je n'en voulois pas , mais l'on
pas écoutée. ne m'a
SCENE X.
ARTHENICE , MAD . SORBIN , LINA.
Lina.
Hélas ! ma mere , pour appaifer tout ,
laiffez- nous garder nos mules & nos corfets.
Mad. Sorbin.
Tais-toi , je t'habillerai d'un fac fi w
me raifonne.
Arthenice.
Modérons nous , ce font des folles; nous
avons une Ordonnance à faire , allons la
tenir prête.
Mad. Sorbin.
Partons ; à Lina , & toi , attends ici que
les hommes fortent de leur Confeil , ne
t'avife pas de parler à Perfinet , s'ik venoit
, au moins , me le promets-tu ?
Lina.
Mais .... oui , ma mere.
Mad. Sorbin.
Et viens nous avertir , dès que les hom
mes paroîtront , tout auffitôt.
DECEMBRE.
1750.
SCENE XI.
LINA, un moment feule , PERSINET.
Quel train ! Quel défordre ! quand me
mariera-t'on à cette heure ? Je n'en fçais
plus rien.
Perfinet.
Eh bien , Linz , ma chere Lina , contezmoi
mon délaftre , d'où vient que Mad.
Sorbin me chaffe ? J'en fuis encore tout
Tremblant , je n'en puis plus , je me meurs.
Lina.
Hélas ! ce cher petit homme , fi je pouvois
lui parler dans fon affliction .
Perfinet.
Eh bien ! vous le pouvez , je ne fuis
ailleurs.
Lina.
pas
Mais on me l'a défendu , on ne veut pas
feulement que je le regarde , & je fuis fûre
qu'on m'épie.
Perfinet.
Quoi ! me retrancher vos yeux >
Lina.
Il est vrai qu'il peut me parler lui , on
me m'a pas ordonné de l'en empêcher.
Perfinet.
Lina , ma Lina , pourquoi me mettezvous
à une lieue d'ici : Si vous n'avez pas
64 MERCURE DE FRANCE.
compaffion de moi, je n'ai pas long- tems d
vivre , il me faut même actuellement un
coup d'oeil pour me foutenir.
Lina.
Si pourtant dans l'occurence , il n'y avoir
qu'un regard qui pût fauver mon Perfinet,
oh , ma mere auroit beau dire , je ne le
laifferois pas mourir. Elle le regarde.
Perfinet.
Ali ! le bon remede , je fens qu'il me rend
la vie ; répetez , m'amour , encore un tour
de prunelle pour me remettre tout-à-fait.
Lina.
Et s'il ne fuffifoit pas d'un regard , je lui
en donnerois deux , trois , tant qu'il fau
droit. Elle le regarde.
Perfinet.
Ah ! me voila un peu revenu , dites- moi
le reste à préfent , mais parlez- moi de plus
près , & non pas en mon abfence.
Lina.
Perfinet ne fçait pas que nous fommes
révoltées..
Perfinet.
Révoltées contre moi ?
Lina.
Er que ce font les affaires d'Etat qui
nous font contraires .
Perfinet.
Eh ! de quoi le mêlent-elles :
DECEMBRE. 1750.
65
Lina.
Et que les femmes ont réfolu de
verner le monde & de faire des loix.
Perfinet.
Eft ce moi qui les en empêche ?
Lina.
gou-
Il ne fait pas qu'il va tout à l'heure
nous être enjoint de rompre avec les hommes.
Perfinet.
Mais non pas avec les garçons ?
Lina.
Qu'il fera enjoint d'être laides & mal
faites avec eux , de peur qu'ils n'ayent du
plaifir à nous voir , & le tout par le moyen
d'un placard au fon de la
Perfinet.
trompe.
Et moi je défie toutes les trompes & tous
les placards du monde de vous empêcher
d'être jolie.
Lina.
De forte que je n'aurai plus ni mules ni
corfet , que ma coëffure ira de travers &
que je ferai peut être habillée d'un fac ;
voyez à quoi je reffemblerai ?
Perfinet.
Toujours à vous , mon petit coeur.
Lina.
Mais voilà les hommes qui forrent , jje
66 MERCURE
DE FRANCE:
m'enfuis pour avertir ma mere ! ah ! Per-
Snet , Perfinet. Elle fuit.
Perfinet.
Attendez donc , j'y fuis ; ah ! maudites
loix , faifons ma plainte à ces Meffieurs.
SCENE
XII.
M. SORBIN , HERMOCRATE , TIMAGENE,
UN AUTRE HOMME , PERSINET .
Hermocrate.
Non , Seigneur Timagene
nous ne
pouvons pas mieux choifir ; le peuple n'a
pas hélité fur M. Sorbin , le refte des Citoyens
n'a eu qu'une voix pour vous , & nous fommes en de bonnes mains .
Perfinet.
Meffieurs , permettez l'importunité , je
viens à vous , M. Sorbin , les affaires d'État
me coupent la gorge , je fuis abîmé ,
Vous croyez que vous aurez un Gendre ,
& c'est ce qui vous trompe , Mad. Sorbin
m'a caffé tout net jufqu'à la paix , on vous
caffe auffi , on ne veut plus des perfonnes
de notre étoffe , toute face d'homme eſt
bannie , on va nous retrancher à fon de
trompe , & je vous demande votre protection
contre un tumulte.
M. Sorbin.
Que voulez - vous dire ,
mon
fils :
DECEMBRE. 67 1750.
Qu'est-ce que c'eft qu'un tumulte ?
Perfinet.
C'eft une émeute , une ligue , un tintamare,
un charivari fur le gouvernement du
Royaume ; vous fçaurez que les femmes fe
font mifes tout en un tas pour être laides ,
elles vont quitter les pantouffles , on parle
même de changer de robes,de fe vêtir d'un
fac ,& de porter les cornettes de côté pour
nous déplaire ; j'ai vû préparer un grand
colloque , j'ai moi même approché les
bancs pour la commodité de la converfation
, je voulois m'y affeoir , on m'a chaffè
comme un gredin , le monde va périr , &
fe tout à caufe de vos loix , que ces braves
Dames veulent faire en communauté avec
vous,& dont je vous confeille de leur céder
la moitié de la façon ,comme cela est juste.
Timagene.
Ce qu'il nous dit eft- il poffible ?
Perfinet.
Qu'est- ce que c'est que des loix ? Voilà une
belle bagatelle en comparaifon de la tendreffe
des Dames.
Timecrate.
Retirez-vous , jeune homme.
Perfinet.
Quel vertigo prend-il donc à tout le mon
de ? De quelque côté que j'aille , on me dit
partout , va-t'en , je n'y comprens rien.
1
6S MERCURE DE FRANCE.
M. Sorbin.
Voilà donc ce qu'elles vouloient dire
tantôt ?
Timagene.
Vous le voyez.
Hermocrate.
Heureufement l'avanture eft plus comique
que dangereufe .
Un autre homme.
Sans doute .
M. Sorbin.
Ma femme eft têtue , & je gage qu'elle a
tour ameuté ; mais attendez-moi là, je vais
voir ce que c'eft , & je mettrai bon ordre
à cette folie là quand j'aurai pris mon ton
de maître , je vous fermerai le bec à cela ,
ne vous écartez pas , Meffieurs . Il fort par
un côté.
Timagene.
Ce qui me furprend , c'eft qu'Arthenice
fe foit mife de la partie.
SCENE XIII.
TIMAGENE , HERMOCRATE , L'AUTRE
HOMME, PERSINET , ARTHENICE, MAD,
SORBIN , UNE FEMME , avec un tambour,
& LINA , tenant une Affiche .
Arthenice.
Meffieurs , daignez répondre à notre
queftion ; vous allez faire des Reglemens
DECEMBRE. 1750. 69
pour la République , n'y travailleronsnous
pas de concert ? A quoi nous deſtinez-
vous là-deſſus ?
Hermocrate.
A rien , comme à l'ordinaire.
Un autre homme.
C'est à-dire , à vous marier quand vous
ferez filles , à obéir à vos maris quand vous
ferez femmes, & à veiller fur votre maifon ,
on ne fçauroit vous ôter cela , c'eft votre lot .
Mad. Sorbin,
Eft -ce là votre dernier mot ? Battez tambour;
& à Lina , & vous , allez afficher
l'Ordonnance à cet arbre.
On bat le tambour & Lina affiche.
Hermocrate.
Mais qu'eft ce que c'est que cette mauvaife
plaifanterie- là Parlez leur donc
Seigneur Timagene , fçachez de quoi il
cft queſtion.
Timagene.
Voulez - vous bien vous expliquer , Madame
?
Mad. Sorbin .
Lifez l'Affiche , l'explication y eft.
Arthenice.
Elle vous apprendra que nous voulons
nous mêler de tout , être affociées à tout ,
exercer avec vons tous les emplois , ceux
de finance , de judicature & d'épée .
70 MERCURE DE FRANCE
Hermocrate.
D'épée , Madame
?
Arbenice.
Oui d'épée , Monfieur , ſçachez que jufqu'ici
nous n'avons été poltronnes que par
éducation.
Mad. Sorbin.
Mort de ma vie , qu'on nous donne des
armes , nous ferons plus méchantes que
vous ; je veux que dans un mois nous ma❤
nions le piftolet comme un éventail , je
tirai ces jours paffés fur un Perroquet , moj
qui vous parle.
Arthenice.
Il n'y a que de l'habitude à tout,
Mad. Sorbin.
De-même qu'au Palais à tenir l'audience,
à être Préfidente , Confeillere , Intendan
te , Capitaine ou Avocate.
Un Homme.
Des femmes Avocates?
Mad, Sorbin.
Tenez donc , c'eft que nous n'avons pas
la langue aflez bien pendue , n'eft-ce pas ?
Arthenice.
Je pense qu'on ne nous difputera pas le
don de la parole,
Hermocrate,
Vous n'y fongez pas , la gravité de la
Magiftrature & la décence du Bareau , ne
DECEMBRE. 1750. 71
s'accorderoient jamais avec un bonnet
quarré fur une cornette .
Arthenice.
Et qu'eft- ce que c'eft qu'un bonnet quar
ré , Meffieurs ? Qu'a- t'il de plus important
qu'une autre coëffure ? D'ailleurs , il n'eſt
pas de notre bail , non plus que votre Code
, jufqu'ici c'eft votre Juftice & non pas
la nôtre , Juftice qui va comme il plaît à
nos beaux yeux , quand ils veulent s'en
donner la peine , & fi nous avons part
à l'inftitution des loix , nous verrons ce
que nous ferons de cette Juftice-là , auffi,
bien que du bonner quarré , qui pour
roit bien devenir octogone fi on nous fache
; la veuve ni l'orphelin n'y perdront
rien,
Un Homme.
Et ce ne fera pas la feule coëffure
nous tiendrons de vous.
Mad. Sorbin.
que
Ah ! la belle pointe d'efprit , mais fina
lement , il n'y a rien à rabattre , finon lifez
notre Edit , votre congé eft au bas de la
page.
Hermocrate.
Seigneur Timagene , donnez vos or
dres & délivrez-nous de ces criailleries.
Timagene.
Madame ....
72 MERCURE
DE FRANCE.
Arthenice,
Monfieur , je n'ai plus qu'un mot à dire
, profitez en ; il n'y a point de Nation
qui ne fe plaigne des defaurs de fon gouvernement
; d'où viennent-ils ces défauts ?
C'est que notre efprit manque à la terre
dans l'inftitution de fes loix , c'eft que vous
ne faites rien de la moitié de l'efprit humain
que nous avons , & que vous n'employez
jamais que la vôtre , qui eft la plus
foible.
Mad. Sorbin.
Voilà ce que c'eft , faute d'étoffe l'habit
eft trop court.
Arthenice.
C'eft que le mariage qui fe fait entre
les hommes & nous , devroit auffi fe faire
entre leurs penfées & les nôtres ; c'étoit
l'intention des Dieux , elle n'eft pas rem
plie , & voilà la fource de l'imperfection
des loix , l'Univers en eft la victime , &
nous le fervons en vous réſiſtant . J'ai dit ,
il feroit inutile de me répondre , prenez
votre parti , nous vous donnons encore
une heure , après quoi la féparation eſt
fans retour , fi vous ne vous rendez pas ;
fuivez-moi , Mad. Sorbin , fortons.
Notre
Mad, Sorbin, en fortant.
part d'efprit falue la vôtre.
SCENE
DECEMBRE 1750. 78
.SCENE XIV .
M. SORBIN , rentre quand elles fortents
tous les Acteurs précédens , PERSINET.
M. Sorbin , arrêtant Mad, Sorbin .
Ah ! je vous trouve donc , Mad . Sorbin,
je vous cherchois.
Arthenice.
Finiffez avec lui , je vous reviens prendre
dans le moment.
M. Sorbin , à Mad. Sorbin.
Vraiment je fuis très charmé de vous
voir , & vos déportemens font tout à- fait
divertiffans.
Mad. Sorbin.
Oui , vous font-ils plaifir , M. Sorbin ?
Tant mieux , je n'en fuis encore qu'au
préambule.
M. Sorbin.
Vous avez dit à ce garçon que vous ne
prétendiez plus fréquenter les gens de fon
étoffe , apprenez -nous un peu la raiſon
que vous entendez par- là.
Mad. Sorbin.
Quida , j'entends tout ce qui vous reffemble
, M. Sorbin.
M. Sorbin.
Commentdites-vous cela , Madame la
... cornette ?
' I. Vol. D
14 MERCURE DE FRANCE;
Mad, Sorbin.
Comme je le penfe , & comme cela
tiendra , M. le chapeau.
Timagene
'Doucement , Mad. Sorbin , Gied-il bien
à une femme auffi fenfée que vous l'êtes ,
de perdre jufques-là les égards qu'elle doit
à fon mari ?
Mad. Sorbin.
A l'autre avec fon jargon d'homme ;
c'eft justement parce que je fuis fenfée que
cela fe pafle ainfi . Vous dites que je lui
dois , mais il me doit de même ; quand il
me payera , je le payerai , c'eft de quoi je
venois l'accufer exprès .
Perfinet.
Eh bien , payez , M. Sorbin , payez
payons tous.
M. Sorbin.
Cette effrontée !
Hermocrate.
Vous voyez bien que cette entreprife ne
fçauroit fe foutenir.
Mad. Sorbin.
Le courage nous manquera peut-être ;
oh ! que nenni , nos melures font prifes
tout eft réfolu , nos paquets font faits.
Timagene.
Mais où irez-vous ?
DECEMBRE. 1750 75
Mad. Sorbin
Toujours tout droit ; de quoi vivrezvous
? De fruits , d'herbes , de racines , de
coquillages , de rien : s'il faut , nous pêcherons
, nous chafferons , nous deviendrons
fauvages , & notre vie finira avec
honneur & gloire , & non pas dans l'humilité
ridicule où l'on veut tenir des per
fonnes de notre excellence.
Perfinet.
Et qui font le fujet de mon admiration,
Hermocrate.
Cela va jufqu'à la fureur . A M. Sorbin,
répondez - lai donc.
M. Sorbin.
Que voulez-vous ? C'eft une rage que
cela , mais revenons au bon fens ; fçavezvous
, Mad, Sorbin ; de quel bois je mo
chauffe ?
Mad. Sorbin.
Eh là , le pauvre homme avec fon bois ,
c'est bien à lui à parler de cela ; quel radotage
!
M. Sorbin.
Du radotage ! à qui parlez- vous , s'il
vous plaît : No fuis- je pas l'élu du peuple ?
Ne fuis- je pas votre mari , votre maître ,
& le chef de la famille ?
Mad. Sorbin.
Vous êtes , vous êtes ..... Eft -ce que
Dij
76 MERCURE DE FRANCE:
vous croyez me faire trembler avec le c
talogue de vos qualités que je fçais mieux
que vous ? Je vous confeille de crier garre;
tenez , ne diroit-on pas qu'il eft juché
fur l'arc-en- ciel ? Vous êtes l'élu des hom-
& moi l'élue des femmes ; vous êtes
mon mari , je fuis votre femme , vous êtes
le maître & moi la maîtreffe ; à l'égard du
chef de famille , allons bellement , il y a
deux chefs ici , vous êtes l'un , & moi l'autre
, partant quitte à quitte .
Perfinet.
Elle parle d'or , en vérité.
M. Sorbin,
Cependant , le refpect d'une femme.
Mad. Sorbin.
Cependant le refpect eft un fot; finil
fons , M. Sorbin , qui êtes élu , mari , maître
& chefde famille , tout cela eft bel &
bon , mais écoutez - moi pour la derniere
fois , cela vaut mieux ; nous difons que le
monde est une Ferme , les Dieux là - baut
en font les Seigneurs , & vous autres hommes
,depuis que la vie dure , en avez toujours
été les Fermiers rous feuls , & cela
n'eft pas juste , rendez- nous notre part de
la Ferme ; gouvernez , gouvernons ; obéif
fez , obéiffons ; partageons le profit & la
perte ; foyons maîtres & valets en commun
; faites ceci , ma femme ; faites ceci ,
DECEMBRE. 1750. 77
mon homme ; voila comme il faut dire ,
voila le moule où il faut jetter les loix ,
nous le voulons , nous le prétendons , nous
Y
fommes butées ; ne le voulez- vous pas à
Je vous annonce & vous fignifie en ce cas
que votre femme , qui vous aime , que
Vous devez aimer, qui eft votre compagne,
votre bonne amie , & non pas votre petite
fervante , à moins que vous ne foyez fou
petit ferviteur , je vous fignifie que vous
ne ne l'avez plus , qu'elle vous quitte
qu'elle rompt ménage & vous remet la
clef du logis j'ai parlé pour moi , ma fille
que je vois là-bas & que je vais appeller ,
va parler pour elle . Allons , Lina , approchez
, j'ai fait mon office , faites le vôtre ,
dites votre avis fur les affaires du tems.
SCENE X.V..
Les Hommes les Femmes fufdits , PERSI
NET , LINA..
Lina.
Ma chere-mere , mon avis .
Timagene.
La pauvre enfant tremble de ce que
vous lui faites faire..
Mad, Sorbin.
Vous en dites la raison, c'est que ce n'ei
D iij.
78 MERCURE DE FRANCE:
qu'un enfant : courage , ma fille , pronon
cez bien & parlez haut .
Lina.
Ma chere mere , mon avis , c'eft , comme
vous l'avez dit , que nous foyons Dames
& maîtreffes par égale portion avec ces
Meffieurs ; que nous travaillions comme
eux à la fabrique des loix , & puis qu'on
tire, comme on dit , à la courte paille pour
fçavoir qui de nous fera Roi ou Reine , finon
que chacun s'en aille de fon côté, nous
à droite , eux à gauche du mieux qu'on
pourra. Eft- ce là tout , ma mere ?
Mad, Sorbin,
Vous oubliez l'article de l'amant ?
C'est
que
Lina.
c'eft le plus difficile à retenir ,
votre avis eft encore que l'amour n'eft
plus qu'un fot.
Mad, Sorbin.
Ce n'eft pas mon avis qu'on vous dèmande
, c'eſt le vôtre.
Lina.
Hélas ! le mien feroit d'emmener mon
amant & .fon amour avec nous.
Perfinet.
* Voyez la bonté de coeur , le beau natupour
l'amour. rel
Lina.
ifOui , mais on m'a commandé de vous
DECEMBRE.
1750. 79
déclarer un adieu dont on ne verra ni le
bout ni la fin.
Perfinet
Miféricorde !
M. Sorbin
ピコン
Que le Ciel nous affifte ; en bonne foi ,
eft-ce là un régime de vie , notre femme ?
Mad, Sorbin.
Allons , Lina , faites la derniere révérence
à M. Sorbin , que nous ne connoiffons
plus , & retirons- nous fans retourner la
tête. Elles s'en vont.
SCENE XVI.
Tous les Acteurs précédens.
Perfinet.
Voilà une départie qui me procure la
mort , je n'irai jamais jufqu'au foupé .
Hermocrate.
Je crois que vous avez envie de pleurer,
M. Sorbin .
M. Sorbin.
Je fuis plus avancé que cela , Seigneur
Hermocrate , je contente mon envie.
Perfinet.
Si vous voulez voir de belles larmes &
d'une belle groffeur , il n'y a qu'à regarder
les miennes.
D iiij
So MERCURE DE FRANCE.
M. Sorbin.
J'aime ces extravagantes-là plus que je
ne penfois , il faudroit battre , & ce n'eft.
pas ma maniere de coûtume.
Timagene.
J'excufe votre attendriffement..
Perfinet.
Qui eft-ce qui n'aime pas le beau fexe 2-
Hermocrate.
Laiffez nous , petit homme.
Perfinet.
C'est vous qui êtes le plus mutin de la
bande , Seigneur Hermocrate, car voila M.
Sorbin qui eft le meilleur acabit d'homme
; voila moi , qui m'afflige à faire plaifir;.
voila le Seigneur Timagene qui le trouve
bon , perfonne n'eft tigre , il n'y a que
vous ici qui portiez des griffes , & fans
vous nous partagerions la Ferme..
Hermocrate.
Attendez , Meffieurs , on en viendra à
un accommodement , fi vous le fouhaitez ,
puifque les partis violens vous déplaifent ;
mais il me vient une idée , voulez- vous
Tous en fier à moi?
Timagene.
Soit , agiffez , nous vous donnons nos
pouvoirs.
M. Sorbin.
Et même ma Charge avec , on me la
permet.
DECEMBRE.. 1750.
Sr.
Hermocrate.
Courez , Perfinet , rappellez les , hâtezę :
vous , elles ne font pas loin.
Perfinet
Oh pardi , j'irai comme le vent , je fauce
comme un cabri.
Hermocrate.
Ne manquez pas auffi de m'apporter ici
tout à l'heure une petite table & de quoi
écrire..
Perfinet
Tout fubitement.
Timagene...
Voulez-vous que nous nous retirions ??
Hermocrate.
Oui, mais comme nous avons la guerre
avec les Sauvages de cette lle , revenez
tous deux dans quelques momens ; nous dire
qu'on les voit defcendre en grand nombre
de leurs montagnes & qu'ils viennent
nous attaquer, rien que cela ; vous pouvez
auffi amener avec vous quelques hommes
qui porteront des armes , que vous leur
préfentesez pour le combat.
Perfinet revient avec une table', où il y ado
Pencre du papier une plume.
Perfinet , pofant la table.
Ces belles perfonnes me fuivent , &
voila pour vos écritures , Monfieur le No
Dy
S2 MERCURE DE FRANCE.
taire , tâchez de nous griffonner le papier
far ce papier.
Timagene.
Sortons.
SCENE XVII.
HERMOCRATE ,
ARTHENICE,
MADAME SORBIN .
Hermocrate à Arthenice.
Vous l'emportez , Madame , vous triom
phez d'une réfiftance qui nous priveroit du
bonheur de vivre avec vous ,& qui n'auroit
pas duré long-tems fi toutes les femmes de
la Colonie reffembloient à la noble Arthenice,
fa raifon, fa politeffe , fes graces & fa
naillance nous auroient déterminé bien ,
vite ; mais à vous parler franchement le
caractére de Mad. Sorbin , qui va partager
avec vous le pouvoir de faire des loix ,
nous a d'abord arrêtés , non qu'on ne li
eroye femme de mérite à fa façon , mais la
petiteffe de fa condition , qui ne va pas
ordinairement fans rufticité , difent- ils.
Mad. Sorbix.
Tre Dame, ce petit perfonnage avec fá
petite condition.
Hermocrate.
Ce n'eft pas moi qui parle , je vous dis
se qu'on a penfé , on ajoûte même qu'Ars
DECEMBRE.
1750.
thenice , polie comme elle l'eft , doit avoir
bien de la peine à
s'accommoder de vous.
Arthenice à part , à Hermocrate.
Je ne vous confeille pas de la fâcher.
Hermocrate.
Quant à moi, qui ne vous accufe de
rien , je m'en tiens à vous dire de la
part de ces Meffieurs, que vousaurez part à
Tous les emplois, & que j'ai ordre d'en dreffer
l'Acte en votre préfence ; mais voyez
avant que je commence fi vous avez encore
quelque chofe de particulier à demander.
Arthenice.
Je n'infifterai plus que fur un article.
Mad. Sorbin.
Et moi de-même ; il y en a un qui me
déplaît , & que je retranche , c'eft la Gentilhommerie
, je la caffe pour
ôter les petites
conditions, plus de cette baliverne- là.
Arthenice.
Comment donc , Mad. Sorbin , vous
fupprimez les Nobles ?
Hern.ocrate.
J'aime affez cette fuppreffion.-
Arthenice..
Vous , Hermocrate ?
Hermocrate.-
Pardon , Madame , j'ai deux petites raifons
pour cela, je fuis Bourgeois & Phi
lofophe.
D vj
S+ MERCURE DE FRANCE
Mad. Sorbin,
Vos deux raifons auront contentement .
je commande en vertu de ma pleine puiffance
, que les nommées Arthenice & Sorbin
foient tout un , & qu'il foit auffi beau :
de s'appeller Hermocrate ou lanturlu , que
Timagenes qu'est - ce que
c'est que
noms qui font des gloires ?
Hermocrate.
des
En vérité elle raiſonne comme Socrates.
rendez-vous , Madame , je vais écrire .
Arthenice.
Je n'y confentirai jamais , je fuis née -
avec un avantage que je garderai , s'il vous
plaît , Mad. l'Artilanne.
Mad. Sorbin.
Eh allons donc , camarade , vous aveztrop
d'efprit pour être mijaurée ..
Arthenice.
Allez - vous juftifier de la rufticité dont
on vous accufe.
Mad. Sorbin.
Taifez-vous- donc , il m'eft avis que je vois .
un enfant qui pleure après fon hocher.
Hermocrate.
Doucement , mes Dames , laiffons cet
article-ci en litige , nous y reviendrons.
Mad. Sorbin.
Dites le vôtre , Madame l'élûe, la noble
DECEMBR.E.. 1750..
89.
Arthenice..
lar
Il.eft un peu plus fenfé que le vôtre ,
Sorbin , il regarde l'amour & le mariage .
soute infidélité deshonore une femme , je
veux que l'homme foit traité de- même.
Mad. Sorbin.
Non, cela ne vaut rien , & je l'empêche .
Arthenice.
Ce que je dis ne vaut rien ?
Mad. Sorbin ..
Rien du tout , moins que rien.
Hermocrate.
Je ne ferois pas de votre fentiment la
deffus , Mad. Sorbin , je trouve la choſe
équitable , tout homme que je fuis...
Mad. Sorbin.
Je ne veux pas moi ; l'homme n'eft pass
de notre force , je compâtis à fa foibleffe, le:
monde lui a mis la bride fur le cou en fait r
de fidélité & je la lui laiffe, il ne sçauroit al---
ler autrement:pour ce qui eft de nous autres :
femmes , de confufion nous n'en avons pas
même affez., j'en ordonne encore une dole;,
plus il y en aura , plus nous ferons hono
rables , plus on en connoîtra la grandeur
de notre vertu...
Arthenice..
Cette
extravagante !
Mad Sorbin,
Dame, je parle en femme de petit éta
86 MERCURE DE FRANCE:
Voyez-vous , nous autres petites femmes ,
Bous ne changeons ni d'amant ni de mari ,
au lieu que des Dames , il n'en eft pas demême
, elles fe moquent de l'ordre & font.
comme les hommes ;mais mon reglement
les rangera..
Hermocrate.
Que lui répondez vous , Madame , &
que faut-il que j'écrive ?
Arthenice:
Eh ! le moyen de rien ftatuer avec cette;
Harangere ?
SCENE XVIII
Les Acteurs précédens , TIMAGENE , M
SORBIN , QUELQUES HOMMES qui
tiennent des armes.
Timagene , à Arthenice.
Madame , on vient d'appercevoir une
foule innombrable de Sauvages qui defeendent
dans la plaine pour nous attaquer,
nous avons déja affemblé les hommes , bâtezvous
de votre côté d'affembler les femmes,
& commandez- nous aujourd'hui avec Mad .
Sorbin , pour entrer en exercice des em
plois militaires ; voilà des armes que nous.
vous apportons.
Mad, Sorbin,
Moi , je vous fais le Colonel de l'affaire,,
DECEMBRE
1750. 87
Les hommes feront encore Capitaines juf
qu'à ce que nous nous fçachions le métier..
M. Sorbin..
Mais venez du moins batailler..
Arthenice.
La brutalité de cette femme-là ' me dé
goûte de tout , & je renonce à un projet
impraticable avec elle..
Mad. Sorbin.
Sa fotte gloire me raccommode avec
vous autres , viens , mon mari , je te par--
donne , va te battre , je vais à notre mé
nage,.
Timagene
Je me réjouis de voir l'affaire termi
minée , ne vous , inquietez point , Meſda--
mes , allez vous mettre à l'abri de la
guer
re , on aura foin de vos droits , dans les
ufages qu'on va établir.
MERCURE DE FRANCE:
VALOVIROZABA VIPANDPAYI:LA
LE LIS ET LA MARGUERITE..
Fable à Mlle ***..
M'En croirez- vous , jeune Philis #
Là fortune n'eft pas le fonds du vrai mérite, -
A côté d'un fuperbe Lis ,
L'humble & timide Marguerite
Se plaignoit du deftin qui fi cruellement
La faifoit languir fur la terre , . .
Tandis que le Lis hautement
D'un magnifique parterre
Etoit le plus bel ornement.
De fon côté le Lis fuperbe
Traitoit la Marguerite affez arrogamment ,
La regardant comme de l'herbe
Que l'on foule aux pieds fierement
Des deux parts , pure frénéfie ; .
L'amour propre & la jaloufie-
Dérailonnent également.
Léandre en ce même noment ;
Occupé de l'amour dont fon ame eft faifie ;
Vient cueillir un bouquet pour un objet char
mant ;
Et quelle fleur par cet amang
DECEMBRE.
175.00
Penfez- vous qui fut choike e
Le Lis ? ... Oh ! non affûrement.
Ce fut la Marguerite , oui , Philis , elle- même ;
Que par goût & par choix Léandre vint cueillie
Pour la beauté qu'il aime ,
Tandis que tout rempli de fa grandeur fuprême ,
Le Lis dans le jardin eut le tems de vieillir.
E NVO I..
La fortune paroît vous avoir maltraitée ,
I hilis , mais , entre nous , par tant d'autres .
droits
Le Ciel vous a fi bien dotée ,
Que fur notre ame enchantée
Vous pouvez conferver de véritables droits
Yous avez une mere aimable & refpe &ée ;.
On l'appelleroit votre foeur ,
Si l'on pouvoit régler fon nom fur la douceurs
Que par fa chere fille elle foit écoutée ,
Ses exemples & fes leçons
Vous formeront au bien de toutes les façons .
Le foin d'en profiter; une figure aimable ,
De l'efprit & de la candeur ,
Voilà votre tréfor , beaucoup plus estimable
Que l'opulence & la grandeur.
Oui , je vous trouve plus touchante
Avec ces traits charmans ornés par la pudeur,.
Qu'avec l'éclat que l'on nous chante
90 MERCURE
DE FRANCE .
Et qui trop fouvent nous enchante
Dans le crime entouré d'une fauffe fplendeur.
Peffelier.
000660000000000000000000
L
AUTRE FABLE.
Le Ver de terre & le Ver à foye.
Es fots aux vrais talens ont toujours faits l
guerre ;
Un ver qui rampoit fur la terre
Au pied d'un meurier blanc , où s'étoit accroché
L'infecte merveilleux qui fabrique la foye ,
Lui dit , pauvre animal , dans ta coque attaché ,
Tu files ta prifon avec bien de la joie.
Ce n'eft pas tout encore , il faudra t'enterrer
Au bout de la befogne ; ah ! c'eft être bien dupe ;
Va , laiffe - là , croi-moi , le travail qui t'occupe ,
Et que l'orgueil de l'homme attend pour le parer.
. Ade tels fentimens doit-on perter envie,
Répond le ver laborieux ?
Mon trépas et plus glorieux
Que ne le peut être ta vie.
Si j'expire dans ma priſon ,
J'emporterai du moins la gloire
De laiffer aux mortels cette riche to fon
Qui fera chéric ma mémoire .
En fe rendant utile à la postérité,
DECEMBRE. 1750.
- On en devance les fuffrages ;
Eh ! n'eft ce pas jouir de l'immortalité
Que de revivre en les ouvrages ?
Par le même.
L
SUITE
De Hiftoire des Croisades , par
M. de Voltaire.
'Ardeur des Croisades ne s'amortiffoit
pas. L'intérêt des Papes , les prédications
des Religieux , le point d'honneur
Pefprit de Chevalerie, l'efpérance de vaincre
ceux que Godefroi de Bouillon avoit
vaincus autrefois ; tout fervoit à nourrir
cette flamme qui embrafoit toujours l'Europe.
Les guerres de Philippe Augufte contre
l'Angleterre & contre l'Allemagne
n'empêchérent pas qu'un grand nombre
de Seigneurs François ne fe croifât encore..
Le principal moteur de cette nouvelle
émigration fut un Prince Flamand , ainfi
que Godefroi de Bouillon , Chef de la:
premiere. C'étoit Baudouin Comte de
Flandres. Quatre mille Chevaliers , neuf
mille Ecuyers , & vingt mille hommes de
92 MERCURE DE FRANCE:
pied compoférent cette Croifade , qu'ota
peut appeller la cinquième .
Venife devenoit de jour en jour une
République redoutable qui appuyoit fon
commerce par la guerre. Il fallut s'adreffer
à elle préférablement à tous les Rois
de l'Europe . Elle s'étoit mife en état
d'équiper des Flottes que les Rois d'Angleterre,
d'Allemagne , de France , ne pouvoient
alors fournir. Ces Républicains
induftricux gagnérent à cette Croifade de
l'argent & des terres. Premiérement , ils
fe firent payer quatre vingt cinq mille
marcs d'argent pour tranfporter feulement
l'armée dans le trajet ; fecondement, ils fe
fervirent de cette armée même , à laquelle
ils joignirent cinquante Galéres pour
faire d'abord des conquêtes en Dalmatiefur
les Chrétiens au profit de la République."
Le Pape Innocent les excommunia , foir
pour la forme , foir qu'il eraignît déja
leur grandeur , & ces Croifés excommu
niés n'en prirent pas moins Zara & fon
territoire, qui accrue les forces de Venife.
Cette Croifade fut differente de toutes
les autres , en ce qu'elle trouva Conftantinople
divifée , & que les autres avoient
eu en tête des Empereurs affermis . Les
Vénitiens ,le Conte de Flandres , le Marquis
de Montferrat , joints à eux , enfin
DECEMBRE. 1750. DE

Les Principaux Chefs toujours politiques,
quand la multitude n'eft que violente ,
Virent que le tems étoit venn d'exécuter
l'ancien projet contre l'Empire des Grecs.
Ifaac l'Ange avoit été privé de la liberté
& de la vue par fon frere Alexis .
-Le fils d'Ifaac avoit un parti. Les Croisés
Jui offrirent leur dangereux fecours . A
leur approche l'ufurpateur s'enfuit de
Conftantinople , & les Croifés exigérent
pour s'être montrés,deux cens mille marcs
d'argent du jeune Alexis , & la foumiffion
de l'Eglife Grecque à l'Eglife Latine. De
tels auxiliaires furent également odieux à
tous les partis.
Ils campoient hors de la Ville, toujours
pleine de tumulte. Le jeune Alexis dételté
des Grecs pour avoir introduit les La-
-tins , fut immolé bien- tôt à une nouvelle
-faction . Un de fes parens furnommé Myrfyflos
ou Mirtille , l'étrangla de ſes mains.
Les Croifés alors , qui avoient le prétexte
de vanger leur Créature , profitérent
des féditions qui défoloient la Ville ,
pour la ravager , fous couleur de juftice.
Ils y entrérent prefque fans réfiftance
& ayant tué tout ce qui fe prefenta , ils
s'abandonnérent à tous les excès de la
-fureur & de l'avarice.
Nicetas & Villehardoüin affûrent que
94 MERCURE DE FRANCE.
le feul butin des Seigneurs de France fut
de quarre cens mille marcs d'argent , fans
compter les meubles précieux , les chevaux
& les équipages. La plupart des Eglifes
furent pillées , & ce qui marque affez le
caractére de la Nation ,qui n'a jamais chan
gé , les François danférent avec les femmes
dans le Sanctuaire de l'Eglife de Sainte
Sophie ; mais ce qui ne caractériſe pas
moins les Grecs , ils vinrent en procef
fion avec leur Clergé implorer la mife
ricorde de leurs deftructeurs contre lefquels
ils auroient pû fe défendre. Ce fut
pour la premiere fois que la Ville de
Conftantinople fut prife & faccagée , &
elle le fut par des Chrétiens qui avoient
fait vou de ne combattre que les Infidéles.
Dans tous ces petits combats qui s'étoient
donnés entre les Grecs & les Latins
depuis la premiére Croiſade , & particuliérement
dans cette prife de Conftantinople
, on ne voit pas que ce feu grégeois
, tant vanté par les Hiftoriens , ait
fait le moindre effet . S'il étoit tel qu'on
le dit ; fi l'eau même lui fervoit d'aliment
, il eût toujours donné fur terre &
fur mer une victoire affurée. Si c'étoit
quelque chofe de femblable à nos Phofphores
, & à cette huile étherée , nouvel
DECEMBRE. 1750. 91
lement découverte , l'eau pouvoit à la
vérité le conferver , mais il n'auroit point
eu d'action dans l'eau : fa flamme même
n'eût point été bien pénétrante & bien
deſtructive . On ajoute qu'on ne l'éteignoit
qu'avec de l'urine , du vinaigre & du fable.
C'est ainfi à la vérité qu'on éteint
T'huile étherée enflammée ; mais il paroît
affez difficile qu'on eût toujours de quoi
arrêter l'incendie. Enfin malgré ce fecret
, les Turcs avoient enlevé prefque
toute l'Afie mineure , & les Latins leur
arrachérent le refte.
Le plus puiffant des Croifés , Baudouin ,
Comte de Flandres , fe fit élire Empereur.
Ce nouvel ufurpateur condamna l'autre
ufurpateur Mirtille à être précipité du
haut d'une Colonne . Les autres Croifés
partagérent l'Empire. Les Vénitiens fe
donnérent les principales Ifles vers le Peloponefe
, celle de Candie , & plufieurs
Villes des Côtes de Phrygie, qui n'avoient
point fubi le joug des Turcs . Le Mar.
quis de Montferrat prit la Theffalie . Villchardouin,
Maréchal de Champagne, pric
pour lui l'Achaie ou la Gréce propre.
ment dite. Un Gentilhomme de Bour
gogne, nommé la Roche , s'empara d'Athé
nes & de Thébes. De -là vinrent les Sires
de Thébes , & les Ducs d'Athénes . Un
MERCURE DE FRANCE;
A
Seigneur d'Avefne, du-Comté de Hainault,
eut l'lfle d'Eubée ou le Négrepont pout`
Con partage ; ainfi Baudouin n'eut guéres
pour lui que la Thrace & la Moëlie. A
l'égard du Pape , il y gagna du moins
pour un tems une partie de l'Eglife d'Orient
, dans laquelle il y avoit des Evêchés
à donner , & de l'argent à recueillir.
Cette conquête eut pû avec le tems
waloir un Royaume. Conftantinople étoit
autre chofe que Jérufalem.
Innocent III. donna le Pallium ( c'eſt
Ja marque du Métropolitain ) à Thomas
Morofini , Vénitien , élu Patriarche de
Conftantinople par les Croifés. On vic
enfin , le Patriarche des Grecs faire ferment
de fidélité à celui de Rome. Innocent
écrivoit à Morofini , » le Saint Sié-
» ge de Rome a donné rang à votre Egliſe
» entre les Patriarchales , & l'a tirée de
la pouffiere » Ce Pape , en parlant ainsi,
ignoroit ou feignoit d'ignorer l'antiquité;
mais l'ignorance même tenoit fouvent
lieu de droit.
Ces Croisés , qui ruinoient des Chrétiens
leurs freres , auroient pû bien , plus
aifément que tous leurs prédéceffeurs , chalfer
les Turcs de l'Afie . Les Etats de Saladin
étoient déchirés. Mais de tant de
Chevaliers , qui avoient fait vou d'aller
fecourir
DECEMBRE. 1750. 27
L
Tecourir Jérusalem , il ne paffa en Syrie
que le petit nombre de ceux qui
ne purent avoir part aux dépouilles des
Grecs. De ce petit nombre , fut Simon
de Monfort , qui ayant envain cherché
un état en Grèce & en Syrie , retourna
enfuite en France , & fe mit à la tête d'une
Croifade contre les Albigeois.
Il reftoit beaucoup de Princes de la
famille Impériale des Comménes , qui ne '
perdirent point courage dans la deftruction
de leur Empire ; un d'eux , qui portoit
auffi le nom d'Alexis , fe réfugia
avec quelques Vaiffeaux vers la Colchride
, & là entre la mer & le Mont Caucafe
, forma un petit Etat qu'on appella
l'Empire de Trébizonde , ( tant on abufoit
de ce mot d'Empire ) Ce petit Etat
fubfifta jufqu'au tems de Mahomet fecond.
Téodore Lafcaris reprit Nicée , & s'établit
dans la Bythinie , en fe fervant à propos
des Arabes contre les Turcs. Il fe
donna auffi le titre d'Empereur , & fit
élire un Patriarche de fa Communion ,
D'autres Grecs , unis avec les Turcs mê
me , appellerent à leur fecours leurs anciens
ennemis , les Bulgares , contre le
nouvel Empereur , Baudouin de Flandres,
qui jouit à peine de fa conquête. Vaincu
par eux près d'Andrinople , on lui cou-
1. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
pa les bras & les jambes , & il expira en
proye aux bêtes féroces.
Dans ces fecoufles de tant d'Etats , &
au milieu de tant de dévaftations , les
Princes , qu'on appelle Latins , ne confervérent
leur foible Empire à Conſtantinople
que 58 années , jufqu'en 1261. Ce
tems ne fuffit pas pour réunir l'Eglife
Grecque avec la Latine . Rome ne put
que faire célébrer l'Office en Latin chez
un peuple qui abhorroit cette Langue , &
donner quelques tems les bénéfices aux
Italiens. Le Patriarche Grec contreminoit
lePatriarche Latin . Les Grecs haïffoient les
Chrétiens Romains plus que les Turcs.
Pendant ce tems-là même une autre Croifade
contre d'autres Chrétiens défoloit la
France. C'eft celle qui dépeupla le Languedoc,
& qui extermina les Albigeois. Il
faut attendre pour en parler , que celles de
l'Orient foient finies.
On s'étonne que les fources de ces émigrations
ne tariffent pas. On pourroic
s'étonner du contraire. Les efprits des
hommes étoient en mouvement. Les Confeffeurs
ordonnoient aux Pénitens d'aller
à la Terre-Sainte. Les fauffes nouvelles
qui en venoient tous les jours , donnoient
de faulles efpérances. Il partoit de tons
les pays de l'Europe des Pélerins armés
DECEMBRE . 99 1750 .
fans aucuns Chefs ; véritables Chevaliers
errans.
Un Moine, Breton , nommé Erloin conduifit
en Syrie , vers l'an 1204 , une
multitude de Bretons. La veuve d'un Roi
de Hongrie fe croifa avec quelques fem
mes , croyant qu'on ne pouvoit gagner
le Ciel que par ce voyage ; elle alla mourir
à Prolémais. Cette maladie épidémique
paffa jufqu'aux enfans , & il y en
cut des milliers, qui conduits par des Maîtres
d'écoles & des Moines quittérent les .
maifons de leurs parens , fur la foi de
ces paroles » Seigneur , tu as tiré ta gloire
des enfans. Leurs conducteurs en vendi
rent une partie aux Mulfulmans. Le refte
périt de mifére.
L'Etat d'Antioche étoit ce que les Chrétiens
avoient confervé de plus confidérable
en Syrie. Le Royaume de Jérufalem ,
bien moindre en effet , n'exiftoit plus que
dans Prolemaïs. Cependant l'opinion de
l'Occident étoit qu'il falloit un Roi de
Jérufalem . Emeri de Lufignan , Roi titulaire
, étant mort vers l'an 1205 , l'Evêque
de Ptolemaïs propofa d'aller demander
en France un Roi de Judée à Philippe
Augufte , efpérant qu'avec ce nouveau
Roi on recevroit des fecours. Philippe
Augufte nomma un Cadet de la Mailon
E ij
Too MERCURE DEFRANCE
de Brienne en Champagne , qui avoit
peine un patrimoine . On voit par le
choix du Roi quel étoit le Royaume.
Plufieurs Chevaliers fe joignirent à ce
Roi de Jérufalem , & chacun fit le voyage
à fes dépens.
Ce Roi titulaire de Judée , ces Chevaliers
, quelques Bretons , qui avoient paffé
la mer , plufieurs Princes Allemands ,
qui venoient de tems en tems , un Duc
d'Autriche , un Roi de Hongrie , nommé
André fuivi d'affez belles troupes , les
Templiers , les Hofpitaliers , les Evêques
de Munfter & d'Utrecht , tout cela pouvoit
faire encore une armée de Conquéquérans
, fi elle avoit eu un Chef ; mais
c'eft ce qui manqua toujours.
Le Roi de Hongrie s'étant retiré , un
Comte de Hollande entreprit ce que tant
de Rois & de Princes n'avoient pu faire.
Le Pape lui donna le titre de Connétable
des Croisés. Les Chrétiens fembloient
toucher au tems de fe relever . Leurs ef
pérances s'accrurent par l'arrivée d'une
foule de Chevaliers , qu'un Légat du Pape
leur amena. Un Archevêque de Bordeaux,
les Evêques de Paris , d'Angers , d'Autun
, de Beauvais , accompagnérent le Légar
avec des troupes confidérables. Quatre
mille Anglois , autant d'Italiens , vin,
DECEMBRE.
1750.
: rent fous diverfes Bannieres enfin Jean
de Brienne qui étoit arrivé à Ptolemaïs
prefque feul , fe trouvoit à la tête de
près de cent mille combattans.
Saphadin , frere de Saladin , qui avoit
joint depuis peu l'Egypte à fes autres
Etats , venoit de démolir le refte des murailles
de Jérufalem,qui n'étoit plus qu'un
Bourg ruiné. Le vou de tous les Croi
fés étoit de reprendre Jérufalem ; l'entreprife
paroiffoit très-aifée , furtout vers la
fin du régne de Saphadin , dont le Gouvernement
s'affoibliffoit ; mais les premiers
objets d'une entreprife changent
toujours avec le tems . Saphadin paroif
foit mal affermi dans l'Egypte. Les Croifés
crurentpouvoir s'en emparer. Ils étoient
prefque auffi près du Nil que du Jourdain
, & l'Egypte valoit mieux que Jérufalem
.
De
Ptolemaïs , que les Chrétiens
nom--
moient S. Jean d'Acre , le trajet eft court
aux
embouchures du Nil. Les Vaiffeaux
qui avoient porté tant de Chrétiens de
prefque tous les Ports de l'Europe , les
portérent dans trois jours vers
l'ancienne
Pélufe .
Près des ruines de Pélufe , eft élevée
Damiette fur une chauffée qui la défend
des inondations du Nil. Elle fubfifte en :
E iij.
102 MERCURE DE FRANCE.
core , & eft une clefde l'Egypte. Les Croi
Lés commencérent le fiége pendant la der,
niere maladie de Saphadin , & le continuérent
après la mort. Meledin , l'aîné de
fes fils, régnoit en Egypte , & paffoit pour
aimer les loix , les fciences & le repos plus
que la guerre. Corradin Sultan de Damas,
fon frere , à qui la Syrie étoit tombée en
partage , vint le fecourir contre les Chrétiens.
Le nége qui dura deux ans , fut
mémorable en Europe , en Afie , & en
Afrique.
Saint François d'Affife qui établiffoit
alors fon Ordre, & qui envoyoit fes Compagnons
dans toutes les parties de la tetre
connue , palfa lui - même au Camp des
affiégeans , & s'étant imaginé qu'il pour
roit aifément convertir le Sultan Méle
din , il s'avança avec fon Compagnon ,
frere Illuminé , vers le camp des Egypriens.
On les prit , on les conduisît au Sultan.
S. François le prêcha en Italien
Langue que probablement le Sultan ignoroit.
Il propofa à Méledin de faire allumer
un grand feu , dans lequel fes Imans
d'un côté , François & Illuminé de l'autre,
fe jetteroient pour faire voir quelle étoit
la Religion véritable. Méledin répondit
en riant , que fes Prêtres n'étoient pas
hommes à fe jetter au feu pour leur foi a
1
DECEMBRE. 1750. 103 .
Alors François propofa de s'y jetter tout
feul. Méledin lui dit que s'il acceptoir
une pareille propofition , il paroîtroit
douter de fa Religion , & qu'en cela il
offenferoit fon peuple. Enfuite il renvoya
François avec bonté , voyant qu'il ne pou
voit être un efpion dangereux. Si ce fait
n'étoit attefté par des Hiftoriens qui
étoient au Siége de Damiette , & s'il n'étoit
une puiffante preuve de ce que peut
un efprit perfuadé , je ne le rapporte
Fois
pas..
Damiette cependant fur prife après
deux ans de Siége , & fembloit ouvrir le
chemin à la conquête de l'Egypte ; mais
Pelage Albano , Bénédictin Efpagnol , Légat
du Pape & Cardinal , voulant abfolu
ment commander feul F'Armée , fut caufe
de fa perte. Le Légat prétendoit que
le Pape étant le Chef de toutes les Croifades
, celui qui le repréfentoit en étoit
incontestablement le Général , & que le
Roi de Jérufalem , n'étant Roi que par
la permiffion du Pape , devoit obeir en
tout au Légat. Il eft évident que le Cardinal
avoit plus de crédit que le Roi , qui
ne défendit fes droits qu'en fe retirantde
l'armée avec quelques Troupes . Ces
divifions confumérent du tems . Il fallut
écrire à Rome. Le Pape ordonna au Roj
E iiij
04 MERCURE DE FRANCE.
de retourner au Camp , & le Roi y retourna
pour fervir fous le Bénédictin .
Ce Général engagea l'armée entre
deux bras du Nil , précisément au tems
où ce fleuve , qui nourrit & défend l'Egypte,
commençoit à fe déborder . Le Sultan
par le fecours des Ecla'es inonda
le Camp des Chrétiens , d'un côté , & brû .
la lears Vaiffeaux , de l'autre. Le Nil qui
croiffoit , menaçoit d'engloutir l'armée
du Légat. Elle le trouvoit dans l'état où
l'on peint les Egyptiens de Pharaon , quand
ils virent la Mer prête à retomber fur
eux .
Les Contemporains conviennent que
dans cette extrêmité on traita avec le Sultan
, & qu'il daigna traiter. Il fe fit rendre
Damiette , il renvoya l'armée en Phénicie
, après avoir fait jurer que de huit
ans on ne lui feroit la guerre. Il garda
le Roi Jean de Brienne , en ôtage. Il eft
bien furprenant qu'il accordât des conditions
fi douces ; mais on dit qu'il étoit
le plus humain des hommes. On pourroit
ajoûter peut- être que les . Chrétiens
avoient encore quelques reffources , puiſqu'on
ne les fit pas tous efclaves .
Ils n'avoient plus d'efpérance que dans
l'Empereur Frédéric II . qui alors combattoit
les Papes , avec lefquels il avoit plus
DECEMBRE . 1750.
105
d'intérêts à démêler qu'avec les Turcs.Jean
de Brienne forti d'otage , lui donna fa fille,
& les droits au Royaume de Jérufalem ,
pour dot . Le Pape Grégoire IX. qui aimoit
beaucoup mieux envoyer l'Empereur
en Afie , que le voir en Italie , le pref
foit d'accomplir le voeu qu'on avoit exigé
de lui.
L'Empereur Frédéric II . concevoit trèsbien
l'inutilité des Croifades , & le dan--
ger dont celle- ci étoit pour les intérêts;
mais il falloit ménager les efprits des peuples
, & éluder les coups des Papes . 11 me:
femble que la conduite qu'il tint , eft un
modéle de la plus parfaite politique. Il
négocie à la fois avec le Pape & avec
le Sultan Méledin . Son Traité étant figné:
avec le Sultan & lui , il part pour la Pa--
leſtine , mais avec un cortége plûtôt qu'a•
vec une armée , pour ne le pas trop dé--
garnir en Europe. A peine eft il arrivé:
qu'il rend public le Traité par lequel on :
lui céde Jérufalem , Nazareth , & quelques
Villages , dont´ni lui ni le Sultan
ne fe foucioient guéres. Il fait répandre
dans l'Europe , que fans verfer une goutte
de fang, il a repris les Saints Lieux . Par-là
il fatisfait à fon veu . Il impofe filence à
fes ennemis il fe met en état de retour--
ner avec gloire en Italie , & d'y être plus
15
Ev
r06 MERCURE DE FRANCE .
que jamais redoutable au Pape , qui oppofoit
des excommunications à cette politique
profonde. On lui reprochoit d'avoir
laiffé par le Traité une Moſquée dans Jérufalem.
Le Patriarche de cette Ville le
traitoit d'Athée . Ailleurs il étoit regardé
comme un Prince qui fçavoit régner .
Au refte , pour avoir quelque idée de
ce qu'étoit Méledin , & de la manieredont
les Arts étoient cultivés chez fes:
Sujets , je ne dois pas obmettre qu'il fit:
prefent à Frédéric II . d'une Tente à pluheurs
Appartemens , dans l'un defquels
le plafond reprefentoit le Ciel & les
mouvemens des Aftres , exécutés par des
refforts cachés , ouvrage qui fuppofoit:
une affez grande connoiffance de l'Aſtronomie
& des Méchaniques .
Il faut avouer , quand on lit l'Hiftoirede
ces tems , que ceux qui ont imaginé
des Romans de Chevalerie , n'ont guéres
pû aller par leur imagination au- de- là de
ce que fournit ici la vérité. C'eft peu que
nous ayons vû quelques années auparavant
un Comte de Flandres , qui ayant
fait vou d'aller à la Terre- Sainte , fe fai--
fit en chemin de l'Empire de Conftanti
nople. C'eft peu que Jean de Brienne ,.
Cadet de Champagne , fans patrimoine
devenu Roi de Jérufalem , ait été fur le
i
DECEMBRE. 1750. 107
point de fubjuguer l'Egypte . Ce même
Jean de Brienne n'ayant plus d'Etats , marche
prefque feul au fecours de Conftantinople
, que les Princes de la Maifon de
Comméne tâchoient toujours de reffaifir .
Harrive pendant un interrégne , & on
Vélit Empereur.
Son Succeffeur Baudouin II. dernier
Empereur Latin de Conftantinople , tou
jours preffé par les Grecs , couroit , une
Bulle du Pape à la main , implorer envain '
le fecours de tous les Princes de l'Europe 3
tous les Princes alors étoient hors de chez
eux. Les Empereurs d'Occident couroient
à la Terre- Sainte : les Empereurs de Conftantinople
alloient en Occident : les Pa
pes étoient prefque toujours en France ,
les Rois prêts à partir pour la Paleſtine..
On publioit des Croifades , tantôt contre
les Turcs , tantôt contre les Grecs , tantôt
contre Frédéric fecond..
Thibaud de Champagne, Roi de Navar
re , fi célébre par fon amour pour la Reine
Blanche , mere de S. Louis , & par
fess
chanfons , fut auffi un de ceux qui s'embarquérent
alors pour la Páleftine . Il revint
la même année ,& c'étoit être heureux.
Environ 76 Chevaliers François ,
qui voulurent le fignaler avec lui , furent
zous is & menés au Grand Caire , au
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
Neveu de Méledin , nommé Melecfala ,
qui ayant hérité des Etats & des vertus
de fon Oncle , les traita humainement ,
& les lailla enfin retourner dans leur Patrie
pour une rançon modique.
. En ce tems , le territoire de Jérusalem
n'appartient plus ni aux Syriens , ni aux
Egyptiens , ni aux Chrétiens , ni aux Mufulmans.
Une révolution , qui n'avoit
point d'exemple encore dans l'Hiftoire
connue du monde , donnoit une nouvelle
face à la plus grande partie de l'Afie . Gingiskan
& fes Tartares , dont on parlera
après les Croisades , avoit franchi le Caucafe
, le Taurus , l'Immaüs. Les Peuples
qui fuyoient devant eux , comme des bêtes
féroces chaffées de leur repaire par
d'autres animaux plus terribles , fondoient
à leur . tour fur les terres aban-.
données.
Les Habitans du Chorazan qu'on
nomma Corafmins , pouffés par les Tartares
, le précipitérent fur la Syrie , ainfi
que les Goths au quatrième fiècle , chaffés
par des Scythes , étoient tombés fur l'Empire
Romain. Ces Corafmins idolâtres
égorgérent ce qui reftoit à Jérufalem de
Turcs , de Chrétiens , de Juifs , & détruifirent
également les Eglifes & les Mof
quées. Les Chrétiens qui reftoient dans.
DECEMBRE. 1750. 10:
Antioche , dans Tyr , dans Sydon , fufpendirent
quelque tems leurs querelles.
particulieres , pour réfifter à ces nouveaux
brigands. Ces Chrétiens étoient
alors ligués avec le Soudan de Damas , cas
tantôt alliés de l'Egypte qui obéiffoit à
Melecfala , tanter réunis avec le Soudande
Syrie , ils tâchérent alors de conferver
par
par un peu de politique les Côtes dont
la poffeflion alloit à tout moment leur
échaper. Les Templiers , les Chevalierss
de S. Jean , les Chevaliers Teutoniques ,
étoient des défenfeurs toujours armés . L'Eu
rope fourniffoit fans ceffe quelques Volontaires.
Enfin , ce qu'on put ramaffer
combattit les Corafmins. La défaite des
Croisés fut entiére. Ce n'étoit pas là le
terme de leurs malheurs. De nouveaux
Turcs vinrent ravager ces Côtes de Syrie
après les Corafmins , & exterminérent
prefque tout ce qui reftoit de Chevaliers.
Mais ces torrens paffagers laifférent
toujours aux Chrétiens les Villes de la
Côte trop bien fortifiées pour être affié-..
gées par ces multitudes fans ordre , qui
paroiffoient & difparoiffoient comme des
Oifeaux de proye.
Les Latins renfermés dans leurs Villes :
maritimes fe virent alors fans fecours , &
leurs querelles augmentoient leurs malPro
MERCURE DE FRANCE:
Heurs. Les Princes d'Antioche n'étoient
occupés qu'à faire la guerre à quelques
Chrétiens d'Arménie. Les factions des
Vénitiens , les Génois , & les Pifans ſe
difputoient la Ville de Ptolémaïs. Les
Templiers & les Chevaliers de S: Jean fe
difputoient auffi . Toute l'Europe refroidie
n'envoyoit prefque plus de ces Pelerins
armés , dont le cours n'avoit guéres été
interrompu pendant 150 années . Les efpérances
des Chrétiens s'éteignoient ,
quand S. Louis entreprit la derniere
Croisade:
VERS
AM. Gigot de Garville , en lui envoyant
le Traité de Ciceron de l'Amitié.
UN tien touche les Dieux ', &· les Rois , & les
Belles :
Le coeur donne du prix aux moindres bagatelless
Ami , tendrement regretté ,
O vous , des vrais amis le plus parfait modéle ,-
Si Plutus fecondoit ma fenfibilité ; -
Le plus riche bijou , par la mode inventé,
Monument précieux du coeur le plus fidéle , -
Par noi-même en ce jour vous feroit préfenté
L'Hiftoire de l'Amitié mème:
DECEMBRE. 1750 TII
Eftl'unique préfent que je vous puiffe offrir ;
En l'ouvrant , votre coeur le plaît à s'attendrir :
"Garville , vous m'aimez autant que je vous aimes
Oui , votre coeur au mien pour jamais eft lié ;
Je n'ai plus de vaines allarmes ,
Puifque je vois couler vos larmes
Sur le Livre de l'Amitié.
Ce fameux Ciceron , dont la bouche éloquente-
A charmé tant de fois le peuple & le Sénat ,
Craignoit plus que la mort la honte d'être ingrat .
J'aime à voir pour Milon fon amitié conftante : :-
Tandis que l'Univers admire fes talens ,
N'envions que les fentimens ;
Moins touchans & moins vifs , lorfque fon Elos
quence
Faifoit rougir dans l'Audience
Catilina , Verrès , Antoine & Clodius ,-
Que lorsqu'il écrivoit à fon cher Atticus .
Le Poëte Archias avoit été fon Maître ;
Il défendit fa cauſe , il appuya fes droits ,
Avec plus de plaifir & de gloire peut- être ;
Qu'il n'avoit plaidé pour des Rois.
L'Eloquence du carur eft facile à connoître.
Ami , fi vous cherchez d'où vous eft parvenu
Ce nouvel effai de ma veine ,
Vous pouvez découvrir fans peine ,.
Ou l'inconnue , ou l'inconnu .
La Tourterelle au fond da plus fombre bocage
Fait retentir les aits de fons attendriflans ;
Mais pour déplorer fon veuvage ,,

172 MERCURE
DE FRANCE
Elle fe cache envain fous un épais feuillage ,
On la connoît bientôt à ſes triftes accens ;
L'Amant en l'écoutant foupire davantage ;
Elle cherche en tous lieux l'objet de les amours ,
Et les tendres regrets la trakiffènt toujours.
L. C. D. M..
EPITRE
A M. Piron , fur l'heureuſe rencontre qu'il a
faite de fix cens livres de rente. Par M.
des Forges-Maillard.
Quand un mortel, digne de vivre-
Cent & cent ans , & par de-là ,
Laiffant , après ces fiécles - là ,
Aux riches furvivans un grand exemple à fuivre :
Piron , quand ce mortel , généreux , inconnu ,
Que le fon de ta lyre enchante ,
Te fait par un hazard , à propos furven ,
Trouver fix cens livres de rente ,
Dont très-bien ,fubitò , malgré tes mauvais yeux ;
Tu fignesdes deux mains l'acte mystérieux ;
Il prouve en ta faveur , contre ta Comédie ,
Qhe l'Art des vers , Poëte ingénieux ,
Salé , noble , faillant , vif, leger , gracieux ,
N'eft pas toujours une Métromanie.—
DECEMBRE. 1750. 112
************** 茶洗洗洗
N
LETTRE
Sur Mile Lenclos.

Ous avons été élevés , vous & moi
Monfieur , dans l'admiration de
Mlle Lenclos , & vous vous fouvenez ,
fans doute , combien nous avons regretté
de n'avoir pas été témoins des chofes char
mantes que nous en avons entendu raconter.
L'efperance de lire quelques jours les
détails de fa vie , vous confoloit ; pour
moi,je n'ai jamais penfé que rien fût capable
de dédommager de ne l'avoir pas connuë.
On peut donner quelques idées du caractére
de l'efprit , & de la confidération ,
dont jouiffoit Mlle l'Enclos , mais la vie de
Ninon ne peut être écrite; cependant la mode
de parler d'elle augmente tous les jours ,
on répere quelques-uns de fes bons mots ,
on la cite dans tous les ouvrages d'agré
ment : tout cela me fait craindre que quelque
Auteur , dans l'envie de plaire au public
, & fans connoître l'impoffibilité de
l'entreprise , ne défigure le caractére de
Ninon , en lui donnant les moeurs d'aujourd'hui
. Cette Hiftoire fera peut- être
quelque Roman Métaphyfique , dans le
goût des Lettres qui ont paru depuis quel
314 MERCURE DE FRANCE.
que tems fous le nom de cette illuftre fille ,
& qui loin de ratracer ſon caractére & fon
efprit , préfentent des idées abfolument
oppofées ; cependant à la faveur du nom
elles ont été enlevées avec une rapidité
qu'elles ne méritoient affûrément pas.
Malgré la difpofition que je vois dans les
efprits fur l'Histoire de Ninon , je ne puis
imaginer qu'on ofe jamais l'entreprendre :
c'étoit le lentunent des hommes d'efprit
qui l'ont connue ; aucun d'eux n'a voulu
courir le rifque de fe faire plus de tort qu'à
elle-même. Les Auteurs communs , dont le
nombre étoit exceffif, & qui fourniffoient
alors la manufacture de Barbin , n'ont
pas même ofé l'entreprendre dans les tems
que plus voisins des faits , ils n'ignoroient
pas encore les détails d'une vie peu inportante
comme hiftorique , mais à qui ces
mêmes détails auroient pû tout au moins
fervir d'excufe ou de prétexte. Nous ne
Connoiffons plus que quelques traits d'une
perfonne aufli finguliere , & qui ne tiennent
même qu'aux véritables agrémens de
l'efprit ; comment les enchaffer ? Comment
les amener d'une façon digne de
l'objet ? Le peu que j'en ai entendu conter,
& le petit nombrede faits que j'en ai lus ,
foit imprimés , foit dans les manufcrits
que vous confervez. , me font regarder la
DECEMBRE.
1750. 175
shofe comme impoffible . Quel Peintre eft
capable , en effet , de rendre la candeur &
la vérité jointes aux graces naturelles , &
furtout à une phyfionomie qui change , &
qui varie felon les impreffions du coeur &
de l'efprit ? Ce Portrait feroit d'autant
- moins reffemblant , qu'il faut en quelque
façon l'entreprendre aujourd'hui fur un
récit. L'Hiftorien feroit- il plus heureux ?
Tout ce qui eft dépourvû d'intérêt ne
peut plaire. Tel eft le propre d'une Hiftoire
uniquement remplie de galanteries
répetées de la même perfonne ; quelques
variées qu'elles foient , elles dégoûtent , &
quand ces avantares regardent une femme,
le lecteur fe prête encore moins , & fa
critique eft d'autant plus amére que fon
dégoût eft plus grand.
Quelque forte que foit cette raifon
elle eft une des moindres.
On ne mettra jamais fur le Théatre ;
du moins fans échouer , Alexandre , Dom
Quichote , &c. Les idées de grandeur &
de ridicule font formées fi conftamment
dans chaque tête en particulier , qu'un Auteur
ne peut amener perfonne à l'idée qu'il
s'eft faite de l'héroilme ou du ridicule ; fes
idées font bonnes , mais elles ne font
celles qu'on s'eft faites .
pasa
Je crois l'exemple parfaitement jufte fur
16 MERCURE DEFRANCE
le jugement qu'on peut porter de Mile
Lenclos.
Voyons quelle peut être aujourd'hui la
fituation du public à fon égard.
Lorfque les jeunes gens l'entendent nommer
, l'imagination ne leur présente qu'une
fille entretenue, dégagée des préjugés ,
qui avoit de l'efprit , & difoit de bons
mots.
Les gens de bien gémiffent & levent les
yeux au Ciel , ils ne voyent dans les éloges
qu'on lui donne que le libertinage ,
& même la débauche applaudis dans fa
perfonne.
Les gens du monde , pour lefquels cette
finguliere fille s'éloigne déja conſidérable◄
ment , puifqu'elle eft morte fort âgée au
commencement du fiécle , n'ont pas un
jugement bien établi fur fon compte. En
général les Anecdotes de ceux qui com
pofent aujourd'hui le plus grand monde ,
remontent tout au plus à l'année précédente
, & la chofe ne pent guéres être autrement
, quand on néglige toute eſpéce
de converfation.
J'ai vû des gens qui paffent pour inf
traits , & qui cependant confondent Ninon
avec Marion de Lorme . Que refte
roit -il pour Juges ? Un très petit nombre
de perfonnes de bonne compagnie , déja
DECEMBRE.
1750. 117
d'un certain âge , qui ont entendu les éloges
de leurs peres , & qui fe rappellent
avec plaifir quelques traits que peu de
gens ignorent ; cependant ils feroient les
premiers à critiquer ce qu'on pourroit
leur apprendre , ou leur retracer de cette
belle ame , vouée à la probité ; il leur fuffit
de fçavoir qu'elle a tenu une place dif
tinguée pour l'efprit & le goût , parmi les
hommes célébres du fiécle de Louis XIV .
La critique de ce petit nombre , fur l'applaudiffement
duquel on auroit dû compter
, feroit fondée fur des traits qui leur
paroitroient differens , ou qui ne répondroient
pas à l'idée avec laquelle ils ont
vêcu .
Ainfi tous les états fe réuniroient en
quelque façon pour critiquer ce qu'on leur
préfenteroit , & dans la vérité ils auroient
tous raifon , car ils partent tous d'un point
effentiel , ils veulent être fatisfaits & amufés.
Ce n'eft pas tout , Mlle Lenclos étoit
en quelque façon un problème pour ceux
qui l'ont connue , qui ont vêcu dans fa
fociété , qui en ont été aimés , & qui l'ont
adorée. Comment peut-elle être repréfentée
aujourd'hui par quelqu'un qui n'auroit
peur être pas fenti fon mérite , qu'elle
n'auroit peut-être pas voulu voir , & qui
De peut avoir d'elle que des idées peu
118 MERCURE DE FRANCE.
fuftes , altérées , & capables en un mot de
La dégrader.
Sans être fauffe ni diffimulée , Mlle
Lencfos n'étant pas vue des mêmes yeux ,
ne fe montroit pas à tout le monde d'une
façon femblable , & quoiqu'elle fût la
femme la plus fincére , fans y faire la
moindre réflexion , elle n'avoit jamais
d'efprit que le néceffaire , ne fe foucioit
jamais d'en avoir , & regrettoit encore
moins de n'en avoir pas montré.
Quand on voudra parler de Ninon , on
ne trouvera pas fon compte par les voies
ordinaires , & comme il faut être Philofophe
pour fentir tout fon mérite , il faudroit
auffi , pour en retracer quelques
traits , bannir toutes les idées qu'on exige
& qu'on attribue à fon fexe. Il ne faut
envifager qu'un honnête homme en elle ,
& joindre tous les agrémens d'un tel homme
aux graces de la plus aimable des femmes
, qui ne gâtoit jamais par aucune efpéce
de vanité , la juſteſſe , la probité , le
naturel , l'efprit & l'imagination qu'elle
avoit reçus du Ciel.
L'éducation de Ninon n'ayant mis aucun
frein à la vivacité de fes goûts , elle s'y
livra fans aucun ménagement , & la vérité
de fon caractére en bannit abfolument l'art
& la faufferé : il ne pourroit donc y avoir
DECEMBRE. 1750. 119
dans le récit de fes galanteries , ni la vaciété
d'une coquetterie rafinée , ni les incidens
d'une infidélité découverte ; & fon
efprit étoit trop jufte pour y produire des
évenemens romanefques , que la contrainte
d'une famille , & les décences d'un état
Occafionnent dans une paffion. Ninon vivoit
avec fc2 amant fans contrainte , tant
que fongoût duroit , & elle renvoyoit fon
amant quand elle ne l'aimoit plus ; voilà
Ninon. Mais ce tableau ne donnera point
une idée jufte de Mlle Lenclos , & ne la
fera certainement pas connoître , telle
qu'elle a été connue & admirée dans un
fiécle éclairé dont elle a fait l'ornement.
Après avoir donné les plus grands éloges
, & avoit admiré les vertus d'un coeur
affez bien né , & affez bien formé pour
conferver des fentimens fi purs & fi honnê-
Les avec une conduite fi galante , il fau
droit néceffairement jetter un voile fur les
premieres années de Ninon , & la prendre
au moment , ou pour fe fervir de fa
propre
expreffion , elle s'étoit fait homme , &
pour lors c'est Mile Lenclos ; c'est une
fille dont l'ame noble & élevée , dont le
coeur droit & fincére eit fidéle dans l'amitié
; dont l'efprit jufte , éclairé, brillant, eft
plein d'agrémens ; enfin , dont la conduite
refpectable, par rapport aux loix de la fo20
MERCURE DE FRANCE.
ciété , en a fait les délices. Quel eft l'Anteur
capable d'exécuter une telle entreprife
? Je voudrois qu'il exiſtât.
M. l'Abbé de Château -neuf a fait un
Traité fort agréable fur la Mufique des
Anciens ; il paroît n'avoir entrepris cet
ouvrage que pour avoir le plaifir de parler
de Mite Lenclos , fous le nom de Leontium.
En effet tout ce qui la regarde eft vif &
délicieux , & d'un ton bien different da
refte ; il avoit été fon amant , il étoit devenu
fon ami & fon admirateur ; il la connoifoit
bien , & defiroit de la faire connoître
, il auroit été plus capable que perfonne
de nous préfenter la vie de Ninon
par les côtés les plus favorables ; ſon efprit
auroit compofé fon tableau , & le fentiment
lui auroit donné les couleurs ; mais
la délicateffe de ce même fentiment , & la
jufteffe de fon efprit lui firent fentir l'im
poffibilité de trouver des nuances pour
paffer de Ninon à Mlle Lenclos : il s'eft
contenté d'indiquer celle- ci fous l'aspect
où elle étoit vue dans le cercle dont elle
faifoit les délices. La Maifon de Leontium
nous eft montrée dans le Dialogue de
l'Abbé de Château - neuf , comme un centre
où l'efprit & les talens fe raffembloient ;
heureux de recevoir les couronnes que
Leontium fçavoit diftribuer avec tant de
jufteffe
C
C
DECEMBRE.
121 1750 .
jufteffe. Il fait fentir avec une grace admirable
la fenfibilité de Mlle Lenclos , & la
fineffe de fon goût , par la façon dont elle
écoute un joueur
d'Inftrument qui donne
occafion à la
Differtation. Voici comment
l'Abbé de Château- neuf nous décrit ce
moment. On remarquoit fur le vifage de
Leontium les differens
mouvemens & les paffions
que le Muficien tâchoit
d'exprimer , car
elle trouvoit de
l'expreſſion où nous ne trouvions
fouvent que de l'harmonie , & l'on eût
dit que chaque fon étoit pour elle un fentiment.
L'Abbé de Château-neuf nous fait voir
enfuite de quel prix étoit le fuffrage de
Mile Lenclos , par l'effet qu'il produific
fur le
Muficien .
L'impreffion vive qu'il faifoit
fur l'ame de Mile Lenclos paffa dans la
fienne & fembloit , en fe reproduifant en lui ,
redoubler la tendreffe de fon jeu. On peut ju
ger, continue l'Abbé de Château-neuf
du plaifir qu'il faifoit , par celui qu'il devoit
reffentir lui-même, d'avoir pourjuges des oreil
Les fi délicates , & de fe trouver au fortir du
Nord , qui étoit fon pays , transporté , pour
ainfi dire , fur un Théatre de l'ancienne Gréces
auffi étoit-il aife de
s'appercevoir qu'il
jouiffoit alors de fon Art pour la premiere fois,
& qu'il ne s'étoit jamais fenti fi puiſſamment
infpiré.
Convenez , Monfieur , que cette
petite efquiffe de la fenfibilité & du goût
1. Vol. F
122 MERCURE DE FRANCE.
de Mille Lenclos eft un morceau précieux ;
& que quelqu'un qui difoit auffi - bien ,
& qui paroît prendre autant de plaifir à
ce qu'il difoit , fe feroit abandonné aux
charmes de décrire , fi fon efprit n'avoit
arrêté fon coeur ; mais il a trouvé - plus de
douceur à nous entretenir des charmes de
la fociété de Mlle Lenclos , & à nous com
muniquer fon enthoufiafme , que de gloire
à être Hiftorien exact des évenemens communs
de la vie de Ninon ..
Avant l'Abbé de Château - neuf , Platon
* avoit introduit Afpafie dans un de
fes Dialogues ; mais cet homme divin a
foigneufement évité de parler de fes avantures
; il ne la met en fcéne avec Socrate
& d'autres grands hommes , que comme
une femme, célébre par fes graces & par
fon efprit. Il annoblit fon caractére par la
converfation qu'il lui fit avoir avec des
Philofophes , il embellit & donne de l'intérêt
à fon Dialogue , par le piquant qu'u
ne femme aimable & fpirituelle répandra
toujours fur les matieres qu'elle pourra
traiter. Au reste , la fupériorité que Platon
lui donne dans ce Dialogue fur ces
grands hommes , ne les avilit point ; c'eſt
en quoi confifte l'art , l'efprit & les con-
* Voyez Agathon , traduit par M. Remond ,
Recueil de divers Ecrits.
4
DECEMBRE.
1750. 123
noiffances de Platon , car les hommes ne
font point
humiliés , quand ils font touchés
d'ailleurs les graces , les talens &
l'efprit des
femmes leur
procurent des
plaifirs , & ne bleffent point leur amour
propre ; mais l'idée d'une
Courtifane auroit
détruit tout le charme de cet
agréable
tableau , & jetté un ridicule fur tous les
perfonnages .
Je viens ,
Monfieur , de
fatisfaire par
ces foibles
réflexions la
délicateffe de mon
coeur pour la mémoire de Mlle Lenclos.
Que ne puis- je , en
échauffant les efprits
par les idées de la
fingularité de fon carac
tére , de la beauté, de fon efprit , enfin de
la nobleffe de fon ame , les refroidir fur la
curiofité puérile
d'apprendre le détail
des galanteries de Ninon ?
Je fuis , & c.
Les mots de
l'Enigme & des
Logogriphes
du
Mercure de
Novembre, font le mafque
, Colomne ,
Pyramide &
écheveau. On
trouve dans le premier
Logogryphe col,
cône , nom , onele , on , melon & Noel.
Fij
124 MERCURE DE FRANCE,
ENIGM. E.
Corps fans pieds , bras fans mains ,
Je me donne à connoître ,
Néceffaire aux humains ;
Sans tête je dois être .
Je fais pour leurs befoins.
Fréquemment recherchée,
Prefque toute cachée ,
Je n'en parois pas moins.
Lecteur , pour me rendre plus claire ;
D'abord la terre me produit ,
Toutefois je fuis d'ordinaire ,
Plus belle de jour que de nuit.
Je fuis affez fouvent parée ;
On m'ajoute des agrémens ,
Et pour avoir longue durée ;
Je ne dois pas fervir long- tems.
On fçait , lorfque nous fommes nues ;
Nous diftinguer du haut en bas ;
Plufieurs d'entre nous font fendues ,
Et les autres ne le font
pas.
Par M. M****
DECEMBRE . 1750. 125
J
AUTRE.
Eune & toujours nouveau , depuis long-tems
j'ai l'être ;
De mes freres c'eft moi , qui fuis le plus charmant
Je leur prépare à tous le doux plaiûr de naître.
Paroiffent-ils ? Hélas ! Je fuis dans le néant.
C'estpour le bien commun que mon fidéle pere
Souvent me reproduit d'une nouvelle mere ;
Si , quand je ne fuis plus , je caufe des regrets ,
Ma naiffance les chaffe , & répand mille attraits.
Chacun the trouve doux , gracieux , agréable ,
Favori des amours , aux amans favorable .
Sur le plus grand de l'Art j'ai le prix du pinceau î
Mieux que lui , je fçais faire un fuperbe tableau.
J'augmente , j'embellis , j'anime , je décore ;
Par des jeux , par des chants , au Parnaffe on
m'honore.
Lecteur qui me poflédes , ou chez qui j'ai brillé ,
'Ah ! qué l'on te verroit content , émerveillé ,
Si jouiffant de moi par un double avantage,
A ton gré tu pouvois en faire encore ufage !
Par le même,
Fiij
126 MERCURE DEFRANCE.
LOGOGRIPH E.
J'Ai grand nombre de fectateurs ;
Moins au Village qu'à la Ville ;
Je fuis de divertes couleurs .
Rarement même lieu deux fois me fert d'azile ;
Je fuis ami de la legereté ;
L'inconftance eft mon appanage ;
Pour exemple je fais cité ,
Lorfqu'un amant devient volage
Si tous ces traits , Lecteur , ne peuvent éclaircis
Ce qui te cache mon image ,
Je vais t'aider à percer le nuage ;
Teut-être pourras - tu bientôt me découvrir ;
L'on trouve dans mon fein une Ville fameufe ,
Et ce dont ne peut fe pafler
La Ducheffe ni l'écoffeule ;
Sur mon terrein veux- tu cha Ter ?
Tu pourras rencontrer bête peu dangereufe ;
Mais fort difficile à laffer :
En moi l'on voit un fleuve allez confidérable ,
Dans le Pays des Abyffins ;
Un animal prefque indomptable ,
Qui cependant , dit on , eft l'ami des Dauphins
Plante , dont on tire avantage ;
Terme de plufieurs jeux ;
Un oifeau des plus orgueilleux ,
Qui de fes plumes fait un pompeux étalage ;
DECEMBRE. 1750 . 127
J'en dirois plus , mais je crains de m'étendre,
Lecteur , je fuis à la merci ,
Si tu me vois , hâte- toi de me prendre ,
Car j'ai fort peu de tems à demeurer ici.
AUTRE.
È Tre enfanté du caprice de l'homme ,
Je n'ai ni corps , ni figure , ni forme ;
Rien cependant n'eft fouftrait à mes loix ;
Je fuis la régle & du peuple & des Rois .
Combinez les neuf pieds qui forment ma ftruc
ture ,
Yous trouverez un fot , plein d'orgueil & d'en'
Alure ;
Un fage Aréopage , un ftupide animal ,
De l'oifeau de Junon un éclatant rival ;
De la machine ronde une immenfe Contrée ,
Le nom des Citoyens de la voûte azurée ;
Un Ange à Dieu rébelle , un homme fans efprit,
Ce que le fexe envie , & que l'âge flétrit .
La graine d'une plante , utile & néceffaire ;
Un breuvage infipide , au malade ordinaire.
Un grand fleuve du Nord , dont le cours tortueux ;
Va ſe perdre à la fin dans un marais fameux .
Lecteur , à tant de traits, peux- tu me méconnoître
A tout ce que tu fais je préfide peut- être.
Par M. F *** , fils , à Conftantinople.
F iiij
128 MERCURE DE FRANÇE ,
ཉྩེ༽ ཀུར་ ཀུ: ལྕིད་ ཀྱི ༼༽❁ གུ ❁
NOUVELLES LITTERAIRES .
LANS & Journaux des fiéges de la der
niere guerre de Flandres , raffemblés
par deux Capitaines étrangers au fervice
de France ; in- 4° . A Strasbourg , chez Melchior
Paufchinger , & fe trouve à Paris ,
chez Biafon , 1750.
Meffieurs d'Illens & Funck , Auteurs
de cet important ouvrage , ne prétendent
pas donner une Hiftoire des Siéges , ni les
Plans des Villes affiégées , mais feulement
les Plans & les Journaux des attaques ; ils
ont même affecté de retrancher de ces
Plans & de ces Journaux tout ce qui n'y
étoit pas effentiel , & ils ont évité avec
foin d'entrer dans aucune espéce de raifoanement.
Sans examiner fi l'idée que ces
Meffieurs ont eue , eft la meilleure qu'ils
pûffent avoir , nous ofons affûter qu'ils ont
parfaitement exécuté leur projet. Les Jour
naux des attaques font faits avec beaucoup
d'ordre , de précifion & de vérité ; mais
ils ont la fechereffe, inévitable dans un travail
de cette nature . Les Plans nous ont
paru de la plus grande beauté , & d'une
exactitude , à laquelle il ne paroît pas pol
fible de rien ajouter. Nous prononçons ,
.:
DECEMBRE. 1750. 129
d'autant plus hardiment fur ce Livre , que
nous parlons d'après de très-habiles Gra
veurs , & des Officiers d'une très- grande
réputation .
TRAITE' de la caufe & des phenoménes
de l'électricité , par M. Boullanger ; deux
volumes in- 8 °. 1750. A Paris , de l'Imprimerie
de la veuve David , rue de la Huchette
, au nom de Jefus , & fe vend chez
Pecquet , Libraire , même demeure .
Ce Livre paffe pour un des Traités les
plus complets , les plus exacts , & les plus
méthodiques qu'on nous ait donnés fur
une matiere auffi curieufe , auffi impor
tante , & auffi célébre que l'électricité.
L'AUTEUR LAQUAIS , Ouvrage nouveau
& fort intéreffant pour la Livrée ,
par un projet pour l'établitfement d'une
maifon de retraite pour les Domeftiques.
Par Jacques Violet de Wagnon ; deux volumes
in- 12. A Avignon , chez Girard , &
fe vend à Paris , chez Langlois , rue Saine
Jacques , 1750 .
ALPHABET pour les enfans , contenant
les huit leçons de la méthode de M. de
Launay , pour apprendre à lire le François
& le Latin , par un fyftême li ailé , quon y
fait plus de progrès en trois mois , qu'en
trois ans par la méthode ancienne & ordidinaire.
Quatrième édition , revûe & cor-
E v
130 MERCURE.DE FRANCE.
rigée , in- 12. A Paris , chez Robinot
Chaubert , Debats , Hauchereau , 1750.
On vient d'imprimer le Difcours qui a
remporté le Prix de Morale à l'Academie
de Dijon , fur cette queftion : Si le rétablif
fement des Sciences & des Arts a contribué à
épurer les moeurs,
M. Rouffeau, de Genève , a réuni dans cet
Ouvrage l'Erudition , l'Eloquence & la Philofophie.
Nous ne craignons pas d'avancer
que c'eft un de plus beaux Difcours qui
ayent été couronnés dans les Académies.
On en donnera un extrait un peu étendu
dans le Mercure prochain.
VANDA , Reine de Pologne , Tragédie.
A Paris , chez Caillean , rue Saint Jacques,
1750 .
Cette Piéce, repréfentée en 1747 , vient
d'être imprimée. Nous y avons trouvé ,
comme dans les autres ouvrages de M.
Linan , de la correction dans le ftyle , de la
fagelle dans les penfées , affez de connoiffance
du Théatre . On y chercheroit inutilement
le génie qui fait les Poëtes.
LE MARCHAND de Londres , ou l'Hif
toire de George Barnwell , Tragédie Bourgeoile
, traduite de l'Anglois de M. Lilo.
Seconde édition. A Londres , chez Jean
Nourſe , 1750.
Cet ouvrage , un des plus célébres du
DECEMBRE . 1750.
131
Théatre Anglois , a réuffi en France par la
fingularité du fujet , & par l'élegance de la
traduction . M. Clement a fait l'occafion
d'une nouvelle édition
› pour traduire
deux Scénes qu'il avoit crû devoir fupprimer.
LETTRES de M. ** , à fon ami. A Amfterdam
, 1750. C'eft une des plus infipides
brochures qu'on nous ait données depuis
long- tems. Le plan , les détails & le ftyle
de l'ouvrage , tout y eft barbare.
PROJET , dans lequel on propofe diverfes
Méthodes pour les Quadratures des lignes
courbes. A Paris , chez Jofeph Ballot,
rue Saint Etienne des Grès , in- 8 °. 1750.
L'Auteur de cet ouvrage y applique fa
Méthode au Cercle ; les diverfes expref--
fions analitiques qu'il trouve , donnent
le rapport approché du Cercle au Dianiétre
, tel qu'Archimède & les autres Géométres
l'ont déterminé : c'est- à-dire , que
fi le demi Diamétre eft un demi, la circonference-
eft 3. 141592 , & c.
LES DETAILS MILITAIRES de M. de
Chenneviéres feront inceffamment en vente.
A Paris , chez Jombert , & à Versailles,
chez Fournier. Tous ceux qui connoiffent
l'Auteur s'attendent à un ouvrage profond,
exact , méthodique, agréable même , autant
que la matiere le pourra permettre .
F vj
132 MERCURE DE FRANCE
RECUEIL de plufieurs piéces d'Elo
quence & de Poëfie prefentées à l'Académie
des Jeux Floraux , l'année 1750 ,
avec les Difcours prononcés dans les Affemblées
publiques de l'Académie .
Touloufe , chez Claude-Gilles le Camus ,
& fe trouve à Paris chez de Laguette , ruë
S. Jacques.
A
On trouvera dans ce Receuil des recherches
qui ne s'y trouvent pas ordinairement.
Il eft à fouhaiter que cette Litté
rature foit du goût d'une Ville ,où l'on ale
tems , les talens & les fecours néceflaires
pour la cultiver avec fuccès.
NOUVEAUXx Mémoires d'Hiftoire ,
de Critique & de Littérature,par M. l'Abbé
Dartigni , tome 3 ° . A Paris , chez Debure
l'aîné , 1750.
Les deux premiers Volumes de ces Mémoires
ont beaucoup réuffi , & leur fuccès
n'à furpris perfonne . L'Auteur choifit
prefque toujours des points de Littérature
utiles ou agréables , & il a une fagacité
finguliere pour y voir ce qu'il y a
de plus utile & de plus agréable. Le troifiéme
Volume n'eft pas inférieur aux deux
premiers pour les recherches ; mais il nous
paroît que M. l'Abbé Dartigni auroit dû
s'en tenir à l'Erudition . On fent qu'il eft
moins famillier avec les matiéres de goût,
DECEMBRE. 1750. 133
Par exemple , dans le Catalogue qu'il
fait des bons Ecrivains de la Nation actuellement
vivans , il en a mis plufieurs
qui font moins que médiocres , & il n'a
pas dit un mot de Meffieurs les Abbés
de la Bletterie & de Léclufe , du P. Berruyer
, &c. Nous croyons encore qu'il a
traité avec trop de mépris l'Abbé Houteville
, que quelques méprifes , quelques
hardieffes dans le ftyle , & un peu de
déclamation n'empêchent pas d'être un
Théologien fort inftruit , un Métaphyfi
cien fubtil & un Ecrivain éloquent.
NOUVELLES obfervations microfcopiques
avec des découvertes intéreffantesfur
la compofition & la décompofition
des corps organifés , par M. Needham ,
de la Société Royale de Londres , avec
figures . A Paris , chez Ganeau , Libraire
rue S. Severin , 1. vol . in- 12 . 1750.
2
De toutes les découvertes que le Microſcope
nous a mis à portée de faire ,
on peut affûrer qu'il n'y en a point de
plus curieufes que celles qui fe troavent .
dans cet ouvrage . L'Auteur parle d'abord
des obfervations qu'il a faites fur le Calmar
, & il décrit fort au long de petites
machines conftruites avec un art admirable
, qu'il a découvertes dans la laitte
de cet animal. Il a fouvent eu le plaise
134 MERCURE DE FRANCE .
de voir ces machines fingulieres entrer
en jeu , aufſi- bien que les globules de la
poufliere des étamines , des plantes dont
il s'élance , dès qu'ils font humectés , une
traînée de matiere très fubtile . Il fait voir
auffi que les filamens du bled ergoté ſont
de vraies anguilles dont le mouvement
fe manifefte après une legére macération.
Il donne enfuite differentes obfervations
d'Hiftoire Naturelle , qui font de nouvelles
preuves de fon habileté à pénétrer
les fecrets de la nature .
Dans la feconde partie de cet Ouvra
ge , l'Auteur rapporte des expériences encore
plus furprenantes fur la décompofition
des corps organifés. Il a furtout examiné
un grand nombre d'infufions de plantes
, & il a trouvé conftamment , qu'à mefure
que ces fubftances fe décompofoient ,
il s'y engendroit un nombre prodigieux
d'animalcules , fans qu'on pût foupçonner
qu'ils tiraffent leur origine d'oeufs ou
infectes répandus dans l'Atmofphére ,
car il a eu foin de prendre toutes les précautions
néceffaires pour prévenir ces fortes
d'objections. La décompofition des
fubftances animales lui a fait voir les mêmes
Phénoménes ; il tire de- là des conféquences
très étendues ; il s'éléve même
peu-à-peu à des raisonnemens métaphy&-
DECEMBRE. 1750. 135
ques ,
extrêmement abftraits , pour appuyer
fes nouvelles idées. Quand l'Auteur voudra
prendre la peine de mettre plus d'or
dre , de précifion & de clarté dans fon
Ouvrage qu'il ne donne que comme un
effai , il nous paroît extrêmement propre
à le porter à la perfection . Peu d'Obfervateurs
ont la pénétration & la fagacité
de M. Néedham. On trouve à la fin
du Volume une defcription du beau microfcope
de M. Paffement , déja fi connut
par les teleſcopes à réflexion , & autres
Inftrumens d'optique .
" LE CIEL REFORME' , effai de traduction
de partie du Livre Italien Spaccio della
Beftia Trionfante , in- 12. 1750. L'origi
nal de ce Livre a été vendu avec la Cena
de y cinevi , onze cens trente- deux livres ,
à la mort de M. l'Abbé de Rothelin. Le
prix exceffif prouve que l'Ouvrage eft
fingulier , s'il n'eft pas bon. C'est un cours
de Morale de la façon de Jordanus Buchers
, célébre Dominicain .
NOUVEL EXAMEN de l'ufage général
des Fiefs en France pendant les onziéme
, douzième , treiziéme & quatorziéme
Siécles , pour fervir à l'intelligence
des plus anciens titres du Domaine de
la Couronne & de l'Hiftoire , par M.
Bruffel , Confeiller du Roi , Auditeur
136 MERCURE DE FRANCE.
ordinaire de fes Comptes. A Paris , au
Palais, chez Jean de Nully , Libraire, Gran- 1
de Salle , du côté de la Cour des Aides ,
à l'Ecu de France , & à la Palme , 1750 ,
2 vol. in-4° , reliés 18 .
, La
On imprime chez Ballard deux Ouvrages
, qui ont pour titre : L'un
Science du Calcul numérique , ou l'Arithmétique
raisonnée , traitée profondément. Ouvrage
théorique & pratique , pour l'Inftruction
de la Jeuneffe : foit pour le Commerce
, la Finance , & les Arts , où tout eft
ramené à fon principe , démontré dans un
ardre naturel , & facile à pouvoir foi- même
s'en inſtruire en très-peu de tems . L'autre
, L'Algébre , on la Science du Calcul
littéral , facile à apprendre , où tout est démontré
dans un ordre naturel , & les chofes
nettement expliquées , & traitées plus à
fond , & pouffees plus loin que l'on n'a fait
jufqu'ici. Par M. Gallimard .
Les deux Volumes , in- 8°. ; L. 12 C
brochés , fe vendront , à Paris , chez
Bauche , le Pere , Quai des Auguftins
chez Quillan , Pere , ruë Galande , à l'Annonciation
: chez Chaubert , rue du Hur
pois chez Saillant , rue Saint-Jean- de-
Beauvais chez Ballard , rue Saint- Jeande
Beauvais , & chez Quillan , Fils , rue
Saint Jacques , vis-à - vis la rue des Ma-
J
DÉCEMBRE . 1750. 137
thurins. Ces deux Ouvrages paroîtront
au commencement du mois de Janvier
1751 .
Henri Thomas , Imprimeur - Libraire , rue
de la Boucherie à Nancy , vient d'imprimer
, Lettres Diverfes & Critiques , 2 volumes
in- 12 , par Madame Leprince D. B.
La feconde Partie du Tome 2 eft une
Lettre critique à l'Auteur du Livre intitule
, les Moeurs, avec un Avis aux Parens &
aux Maîtres fur l'éducation des enfans .
Ayec Approb, Prix 2 liv de France,broché,
TRAITE' des Sections coniques & au
tres Courbes anciennes , appliquées ou
appliquables à la Pratique de differens
Arts , tels tels que l'Artillerie , l'Architectu
Fe , la construction des Miroirs ardens ,
des Télescopes , des Lunettes , des Porte-
voix , des Echos , des Cornets acouſtiques
, & e. avec un petit Traité de la Cycloïde
, où l'on fait voir comment cette
Courbe a contribué à perfectionner les
Horloges à pendule. Le tout accompagné
de Notes ou de Differtations hiftoriques
& critiques fur l'origine & le progrès des
Sciences & des Arts qui font entrés dans
le Plan de cet Ouvrage , par M. De la
Chapelle , de la Société Royale de Londres.
A Paris , chez Quillan , fils , Librai
138 MERCURE DE FRANCE.
re , cue Saint Jacques , vis- à- vis celle des
Mathurins , 1750. vol . in - 8 °. avec beaucoup
de Planches.
Nous ne croyons pas pouvoir donner
une idée plus juſte de cet Ouvrage , qu'en
copiant le jugement tout-à-fait honora
ble que l'Académie des Sciences en a
porté.
Extrait des Regifres de l'Académie Royals
des Sciences
Nous avons examiné , par ordre de
l'Académie , un Traité des Sections conigar
& des autres Courbes anciennes ,
aini que de la Cycloïde , compofé par M.
de La Chapelle , de la Société Royale de
Londres.
L'Auteur , après avoir montré les propriétés
de ces Courbes par le moyen de
Aude , explique les ufages qu'on en
a fait dans differens Arts . Ainsi , àl'article
de la Parabole , il donne la Théorie
da Jet des Bombes , & le Calcul de l'Excavation
des Mines. A l'article de l'Ellipfe
, il explique l'ufage qu'on en a fait , ſe ,
on qu'on en peut faire pour les Miroirs
brulins & pour les verres de Lunettes.
A l'article de l'Hyperbole , il montre auffi
Fapplication de cette Courbe aux recherches
de Catoptrique & de Dioptrique.
DECEMBRE. 1750. 139
Enfin , à l'article de la Cycloïde , il fait
voir comment la Théorie de cette Courbe
a fervi à perfectionner les Pendules , &
comment elle y fert encore , en quelque
maniere , par les petits Arcs de cercle qu'on
leur fait décrire, L'Auteur traite aufli des
Echos & des Porte- voix , & il joint à
toutes ces Recherches des Differtations
fur chaque Découverte , fur l'origine des
Sciences & des Arts qui font entrés
dans fon Plan , ainfi que des obfervations
fur les expériences propres à confirmer
la Théorie .
>
M. de la Chapelle donne les Tangentes
des differentes Courbes , dont il parle ,
en regardant ces Tangentes comme des
Sécantes , dont les Points d'interfection
avec la Courbe fe confondent , & il
trouve la Quadrature des mêmes Courbes
par la méthode des limites , qu'il
avoit expliquée dans fes Inftitutions de Géometrie
, déja approuvées par l'Académie ,
de forte que , fans employer le Calcul
differentiel & intégral , il ne laiffe
de faire concevoir aux commençans la
vraie Métaphyfique de ces Calculs .
pas
Nous croyons donc que ce nouvel Ouvrage
de M. de la Chapelle fera utile à
ceux qui fe deftinent à l'étude de la haute
Géométrie , & de fon application à la
140 MERCURE DEFRANCE.
Phyfique , tant parce que l'Auteur y renferme
plufieurs matieres auparavant épatfes
dans, differens Livres , que parce qu'il
les a traitées avec beaucoup de foin & de
clarté. Signé , Caffini , d'Alembert.
Queftio medica , an calor animalis ab attritu
in capillaribus . C'est - à - dire , qu'on
examine dans cette Differtation foutenue
aux écoles de Médecine de Paris , par
M. Lavirotte , fi la chaleur anigiale vient
du frottement des globules du fang dans
les vaiffeaux capillaires.
On fçait affez que les animaux ont en
eux un principe de chaleur , & que leur
température furpaffe celle de l'Atmoſphére
; mais on n'avoit pas fait attention que
la chaleur interne de ces êtres animés
étant conftamment la même , il devoit
s'en engendrer une quantité beaucoup
plus grande dans les tems froids , où les
animaux perdent néceffairement plus de
leur chaleur acquife , que dans les tems
chauds. Il fuit de là que la caufe, qui produit
, cette chaleur doit être proportionnelle
au froid , & fuivre les mêmes pério
des d'accroiffement. M. Lavirotte prétend
que ces conditions fe trouvent dans
le frottement des globules rouges du fang,
qui traverfent les vailleaux capillaires
DECEMBRE . 1750. 147
Son opinion eft que l'agitation des fluides
ne fuffit pas pour engendrer de la
chaleur ; mais les globules rouges du fang
pris à part , doivent être regardées comme
des corps folides , dont le Diametre
étant un peu plus grand que celui des
vaiffeaux capillaires , ils font obligés d'y
changer de figure , & y éprouvent un
frottement qui a toutes les conditions requifes
pour la production de la chaleur,
Or plus le froid extérieur augmente , plus
ces petits vaiffeaux fe trouvent refferrés ;
plus le frottement doit être grand , &
plus par conféquent il y aura de chaleur
engendrée , enforte que malgré les alternatives
du chaud & du froid , la chaleur
abfolue des animaux refte la même . Per
Specta hac mechanica ratio , dit l'Auteur ,
amicam animalium generi providentis natura
manum oftendit.
D'ailleurs les petits animaux , ayant
plus de furface à proportion que les
grands , ils éprouvent néceffairement
de plus grandes pertes de chaleur ; il faut
donc qu'ils ayent en eux la puiffance
d'en engendrer davantage , pour que leur
tempéramment foit toujours le même.
L'Auteur obferve très bien que par - là
même que les petits animaux ont plus
de furface , ils ont plus de vaiffeaux ca142
MERCURE DE FRANCE.
pillaires que les grands , ce qui les met
en état d'engendrer une plus grande quantité
de chaleur.
M. Lavitotte nous a paru dans cette
Thefe , Phyficien , Médecin , & homme
de goût. Il conjecture heureufement , il
raifonne folidement , & il écrit purement.
Nous fouhaiterions que les obfer
vations de Leuwenhock , qui fervent de
fondement à fon fyftême , fuffent un peu
plus confirmées.
LE 25€ Août dernier, jour de Saint Louis , l'Académie des Belles - Lettres
de Marfeille tint , comme de coûtume, fon
Affemblée publique dans la Salle de l'Arfenal
, deftinée à fes exercices .
M. de Chalamont de la Vifclede , Secretaire
perpétuel , & Chancelier cette
année, faifant fonction de Directeur , ouyrit
la féance par un Difcours fur les
qualités que l'Académie ſouhaite trouvør
dans les Difcours qui lui font prefentés
pour le concours.
>
. On lut le Difcours couronné , dont
l'Auteur eft nommé ci - deffous . M. Dulard
lut une Idyle intitulée , le Rappel
de l'Amonr daus l'Olympe.
M. l'Abbé Aillaud.lut une Differtation
DECEMBRE. 1750. 143
Tur les Colonies des Marfeillois .
M. de Chalamont de la Vifclede termina
la Séance par la lecture d'une Ode
intitulée , les Defirs.
Cette Académie a adjugé felon l'uſage
le Prix , fondé par M. le Maréchal Duc
de Villars , à un Difcours fur le Sujet
qu'elle avoit propofé , dont l'Auteur eſt
M. l'Abbé Bellet , Prêtre Prébendé de la
Cathédrale de Montauban , qui avoit déja
remporté deux fois le Prix d'Eloquence
par le jugement de cette Académie.
Elle avertit le Public que le 25 Aoûr ,
Jour & Fête de Saint Louis de l'année
prochaine 1751 , elle adjugera le Prix à
une Piéce de Poëfie de 100 Vers au plus ,
& de So. au moins , qui fera une Ode
ou Poëme à rimes plates , dont le Sujet
fera la Lumiere.
Ce Prix fera une Médaille d'Or de la
valeur de 300 livres , portant d'un côté
le Bufte de M. le Maréchal Duc de Villars
, Fondateur & Protecteur de l'Académie
, & fur le revers ces mots : Premium
Academia Maffilienfis , entourés d'u
ne Couronne de Laurier.
On adreffera les Ouvrages , comme
de- coûtume , à M. de Chalamont de la
Vifclede , Secretaire perpétuel de l'Académie
des Belles Lettres de Marſeille ,
144 MERCURE DEFRANCE.
rue de l'Evêché , à Marfeille . On affranchira
les Paquets à la Pofte , fans quoi
ils ne feront point retirés. Ils ne feront
reçûs que jufqu'au premier Mai inclufivement.
Il eft d'une importance extrême pour
le Gouvernement de l'Etat , que les Miniftres
chargés d'y veiller , foient inftruits
de la valeur des Denrées dans chaque
Province du Royaume , & qu'ils foient
exactement informés de la variation à
mefure qu'il en furvient dans le prix , parce
que ce n'eft que par là qu'ils peuvent
juger de l'abondance ou de la difette ;
& que des connoiffances qu'ils acquiérent
à cet égard , dépendent abfolument les
opérations qui concernent l'entretien &
la circulation du Commerce , l'application
des fecours pour le foutien des Recouvremens
, le maintien de la Police , la difpofition
& la fubfiftance des Troupes
, la fixation du prix des vivres & des
fourages, l'adjudication des Etapes, & une
infinité d'autres objets qui intéreffent également
le fervice du Roi & l'ordre public.
C'eft en vue de procurer ces connoiffances
, qu'en chaque Généralité les Subdélégués
ont été mis dans l'ufage de fournir
, au commencement & au milieu de
chaque
DECEMBRE. 1750. 145
chaque mois , des états du prix auquel chaque
efpéce de grains , légumes & autres,
denrées , a été vendues dans les differens.
Marchés , & d'en adreffer des copies, l'une
à M. le Contrôleur Général , l'autre à l'Intendant
auquel ils font fubordonnés : &
que MM. les Intendans , de leur part, ont
auffi été mis dans l'ufage d'envoyer , chaque
mois , aux Miniftres de la Finance &
de la Guerre, des états généraux qui raflemblent
fous un même point de vûë ce qu'ils
ont appris des differentes fubdélégations
qui compofent leurs Généralités.
Les états de MM . les Intendans ne fçauroient
avoir d'exactitude , qu'autant qu'ils
en trouvent dans ceux de
leursSubdélégués ,
& ceux- ci dépendent des Mémoires que les
Subdélgués reçoivent de la part des Officiers
qui exercent la Police dans les lieux
où fe tiennent les principaux Marchés.
Ces états relatifs doivent annoncer le
• prix des denrées fur le pied de la réduction
des poids & des mesures du Pays à ceux
de Paris : c'eft- à- dite , du marc pour les
chofes qui fe vendent au poids , du fep- .
tier pour les bleds , les menus grains &
légumes ; du fac pour les avoines ; du muid
& de la pinte pour les boiffons , de la corde
pour les bois.de chauffage.
il eft donc néceffaire pour les compofer
I. Vol. G
146 MERCURE DE FRANCE:
avec juftelle , de connoître parfaitement ,
rant la valeur des poids & la continence
des mefures du Païs , que le rapport qu'ils
ont avec ceux de Paris.
Les plaintes que le Confeil a fouvent
faites , de ne pouvoir former aucune opération
folide en conféquence des états qui
lui font jufqu'à prefent parvenus de la Gé
néralité de Montauban , ont fait douter
avec raifon qu'on le fût affez attaché à
acquerir ces connoiffances. M. l'Intendant
a remedié à ce defordre , en faifant répan .
dre un Ouvrage qui levé toutes les difficultés.
Il eft imprimé à Mautauban , chez
Teulienes , & il merite l'attention de tous
les bons Citoyens.
BEAUX - ARTS.
Tableaux du Roi , placés dans le Palais
du Luxembourg.
La raffembler ce qu'il y a de plus ra
A Magnificence des Princes confifte
re & de plus beau dans tous les genres ;
mais il eft un emploi de cette magnificence
, plus digne encore de leur gran
deur , & qui la rend plus complette &
plus étendue ; c'est la facilité qu'ils proDECEMBRE.
1750. 147
(
-
curent , non feulement à leurs Sujets ,
d'admirer & étudrer ces richeffes , mais
aux Etrangers qu'ils attirent , & qu'ils
payent des peines & des fatigues de leur
voyage par la fatisfaction qu'ils donnent
à leur curiofité.
M. de Tournehem convaincu de ces
vérités , vient d'exécuter un projet fi
fimple , que tout le monde croit l'avoir
imaginé , & fi heureux que plufieurs perfonnes
voudroient faire penfer qu'elles
en ont fourni l'idée .
Il a voulu rendre publique une trèspetite
partie des Tableaux du Roi , pour
entretenir dans la Nation ce goût que
le monde peut feul donner aux Arts , &
que les Arts lui rendent à leur tour.
Ces Chef- d'oeuvres avoient été jufqu'ici
entaffés & rangés par piles à la Sur- In-
Stendance de Verfailles , fous le prétexte
de concourir fucceffivement à la décoration
des appartemens d'un Château dont
les magnificences & les richeffes ont été
célébrées dans le monde entier. M. de
Tournehem en a fait apporter un nombre
fuffifant pour remplir quelques piéces de
l'appartement que feue Madame la Duchelle
de Berri occupoit dans le Palais de
Luxembourg , & il a donné ordre que
deux fois la femaine , en Hyver le matin ,
G ij
148 MERCURE DE FRANCE .
en Eté l'après-midi , les portes fullent
ouvertes pendant deux heures à tout le
monde , pour les voir , les étudier , lès
admirer , & même les critiquer . En un
mot , il a réglé pour la Peinture un établiffement
pareil à celui de Bibliothéques
publiques pour les Sciences.
L'ouverture de cet appartement a été
faite le 15 du mois d'Octobre , & le
Public a goûté cette nouveauté aufli utile
que magnifique. Indépendamment des
autres avanrages qu'elle procure , elle a
celui de donner à a Sur- Intendance de
Verfailles une place néceffaire pour mettre
en vûë , au moins la plus grande partie
des autres Tableaux du Roi qui ne
font point rendus dans les appartemens.
On peut donc aujourd'hui fatisfaire fa
curiofité fans beaucoup de peine fur ces
Chef-d'oeuvres de l'Art , peu connus des
François même , & tout- à- fait inconnus
aux Etrangers , qui partoient fans qu'il
leur eût été poflible de les voir & de
les comparer à ceux qu'on avoit eu grand
foin de leur montrer dans les autres Pays.
2
La nouvelle décoration du Luxembourg
prefente des Tableaux de toutes les Ecoles
; il paroit décidé qu'elle ne fera pas
toujours exactement la même . Les Tableaux
qui pourront être néceffaites ailDECEMBRE.
1750 .
149
leurs , feront auffi- tôt remplacés par d'autres
. On aura foin de renouveller tous
les trois mois les deffeings des Grands- Maîtres
, qui font exposés dans le même lieu
fous des glaces , & qui produifent l'effet
le plus agréable & le plus capable d'inf
truire ; il femble en quelque façon , quand
on voit les premiéres idées de ces grands.
hommes , que l'on foit plus près de leur
ame & de leur génie. Les tables & les
cheminées font ornées de Vafes d'Albâtre
& de Porphire , dont les formes font
fimples & agréabies ; elles le doivent
être de plufieurs Buftes antiques , de
marbre & de bronze , d'une grandeur
convenable à ces places. Ainfi le Luxembourg
, magnifique par fon Architecture ,
enrichi par la fuperbe Galerie de Rubens ,
ajoûte à ces magnificences , celle des rares
productions que nous devons à plufeurs
autres fiécles .
1
C'eft par de tels exemples qu'un Prince
donne des preuves de fa magnificence
& de fa protection
pour les Arts . Si d'un
côté il échauffe le génie des Artiſtes , en
les mettant à portée de voir fans obftacle
des Ouvrages
confacrés par l'admiration
publique , & que leur fortune ne leur permet
pas de poffeder , de l'autre il apprend
aux gens du monde à fentir le mérite des
Giij
150 MERCURE DE FRANCE.
Modernes , & à devenir indulgens pour
l'Ecole Françoife , dont fouvent ils exigent
plus que des Ecoles Errangeres. En
effet , celui qui aura été frappé d'un défaut
dans l'ouvrage d'un ancien Maître ,
feraconftamment charmé de ne pas remarquer
la même imperfection dans le Tableau
qu'il fait faire , ou s'il l'a trouve , il
doit néceffairement être plus porté à l'excufer
, & devenir plus modéré dans fa critique.
Les connoiffances augmentent , &
les Arts fe perfectionnent néceffaitement
par de femblables communications .
Le Catalogue raifonné de tous les Tableaux
du Roi , auquel M. l'Epicié Secretaire
de l'Academie de Peinture , travaille
, & qui fera fûrement exact , eſt artendu
avec impatience ; il fera connoître
à l'Europe entiere les trefors que le Roi
poffede en ce genre.
On vend un petit Livre , imprimé chez
Prault , pere. Il inftruit du nom des Maitres
, du nombre & du fujet des Tableaux
placés dans le Palais du Luxembourg.
LES AMATEURS des Beaux Arts , dont
le nombre augmente fenfiblement à Paris ,
ne fe laffent point d'admirer une découverte
également heureufe & finguliere.
M. Picaut a trouvé le fecret d'enlever
de deffus le bois , la toile , & le plâtre ,
DECEMBRE. 1750. 151
les peintures qui dépériffent & qui méritent
d'être confervées ; il en a déja fair
quelques expériences ; la premiere fur un
plafond peint fur plâtre , par feu M.
Coypel , Premier Peintre du Roi ; ce précieux
morceau qui étoit au Château de
Choify , eft maintenant au Louvre dans
la Galerie d'Apollon : la feconde expérience
a été faite fur un grand Tableau
d'André Del Sarte , que l'on voit aujour
d'hui au Luxembourg dans le grand appar
tement ; celui- ci étoitpeint fur bois.. Ces
Peintures ont été enlevées & remifes fur
toilefans aucune altération.M. Picaut continue
à exercer fon talent fur plufieurs Tableaux
du Roi , qui , n'auroient pas beſoin
de ces réparations , fi Meffieurs les Directeurs
des Bâtimens & les Premiers Pein
tres du Roi avoient eu le zéle qu'on remarque
dans les bons Citoyens qui rempliffent
aujourd'hui ces places.
M. Picaut demeure à Verfailles , à l'Hôtel
de la Sur-Intendance des Batimens du
Roi.
Gi }
152 MERCURE DE FRANCE
VERS
A M. Boucher , fur fon Tableau représentans
deux bergeres , dont l'une envoye par une
colombe un billet doux à fon amant.
Boucher , dont le pinceau galant
Fait naître par tout fur les traces
L'efprit , la volupté , les graces ;
Je t'admire en te cenfurant.
J'ai vu ta nouvelle bergére ;
A fon air doux , tendre & charmant ;
Afes regards de fentiment ,
A fa taille noble & legére ,
Heureux , ai - je dit , le berger ,
En qui cette Life timide ,
Toate prête de s'engager ,
Craint de ne trouver qu'un perfide !
Mais à tout ce brillant amas
De pompons & de falbalas ,
Leberger m'a femblé devoir plus craindre qu'elle,
Life bientôt le quittera ;
Une bergere d'Opéra
Ne refte pas long- tems fidelle.
DECEMBRE. 1750.. 193
VERS
Sur l'enfant de marbre , de M. Pigalle ,
tenant une cage , paroiffant faché de ce
qu'on lui a enlevéfon oifeau.
L'Aimable enfant ! ah ! 'qu'il eft beau ! !
Ah ! que fa trifteſſe eſt naïve !
Qui peut ainfi faire au cifeau
D'un marbre une chair molle & vive ?
C'eft Pigalle, Auteur du Mercure ;
Ce Dieu , charmé de fa figure ,
A rendu fon talent divin ;
Tout eft chef- d'oeuvre fous fa main.
ESTAMPES NOUVELLES .
Roy ,Graveur , Quai des Orfèvres ,
vient de mettre en vente le portrait
de M. Languet de Gergy , ancien Curé de
Saint Sulpice . Cette Eftampe eft remarquable
par l'homme très célébre qu'elle
repréfente , & par la parfaite reffemblance
.
Il fe répand dans le monde une jolie
Eftampe , gravée au premier coup , & à
l'eau- forte , dans le goût de ce que les Italiens
appellent Caricatourè , mot que nous
avons rendu par celui de charge . Elle re-
Gv :
154 MERCURE
DE FRANCE.
préfente un aveugle des Quinze- vingts ,
conduit par fon chien en laiffe ; il eft debout
devant un Tableau , qui eft fur un
chevalet ; il tient d'une main une plume ,
& de l'autre un papier , dans lequel on
lit : Lettresfur les Tableaux du Salon . Cette
ingénieufe Eftampe nous a paru la meilleure
réponse que l'on pût faire aux mauvaifes
brochures , qui ont paru depuis
quelque tems fur cette matiere, Le Deffinateur
& le Graveur de cette Eftampe ,
n'ont pas jugé à propos de fe faire connoître.
On a lû avec plaifir une Lettre fur les
Tableaux , adreffée à Madame V ……. C'eſt V...
une ironie affez plaifante , par laquelle un
prétendu connoiffeur , en portant desjugemens
fur la Peinture , fait la critique de
ceux qui jugent à tort & à travers de ce
bel Art. Voici cette Lettre qui eft fans
nom d'Auteur.
LETTRE
Sur les Tableaux , 1750. à Mad. V *** .
M
Adame , j'avois toujours differé à
vous dire mon fentiment fur les
Tableaux expofés dans le Salon du Louvre
, parce que je m'étois bifarrement figuré
,, que pour juger les ouvrages de
DECEMBRE . 1750 255
Peinture , il falloit fçavoir peindre , on du
moins avoir long-tems réflechi fur cette
matiere ; mais les excellentes brochures
qui ont paru , & qui paroiffent tous les
jours , m'ont affez fait voir qu'il fuffifoit
de fçavoir les termes de l'Art , que , graces
à Dieu , je n'ignore pas , pour écrire de
très-gros volumes , & même donner des
leçons aux Artiftes.
Parlons maintenant du Salon , dont la
décoration a quelque chofe de pitorefque ;
une quantité de Tableaux y eft placée avec
toute l'intelligence poffible , les uns penchés
, les autres perpendiculaires : ceux - ci
ont le jour en face , & fur ceux- là il ne fait
que gliffer ; cependant on peut dire en
tout, que les clairs font trop bruns , & les
bruns trop clairs.
On doit admirer malgré cela , l'élegance
du coloris , & la pâte du deffeing ;
les figures font généralement nues ou habillées
; ce qui jette dans l'enſemble une
variété prodigieufe . Il feroit pourtant à
défirer , que ceux qui ont exposé des Tableaux
d'Hiftoire , fe fuffent un pen ref
fouvenus de la touche heurtée du Correge
, des
graces nobles de Téniere , de la
gentilleffe de Michel Ange , & des expreffions
de Corneille
Polembourg ; mais
quoique toutes ces chofes manquent dans
Gvj
156 MERCURE DE FRANCE.
ces ouvrages , on eft étonné de n'y rien
défirer . On admire dans les portraits la
plus profonde érudition , la fimple vérité
dans les Tableaux d'Hiftoire , le pathétique
dans les animaux & dans le paysage ,
& la noble fierté dans les fleurs ; on peut
dire en un mot , que l'Ecole Françoiſe fe
diftingue terriblement cette année ; mais
elle brilleroit bien davantage , fi Meffieurs
les Peintres vouloient un peu confulter ,
ou plutôt fuivre le fentiment de ceux qui
ont la bonté d'écrire les merveilleufes brochures
qui paroiffent depuis plufieurs années
; on verroit alors ,
D'un Pinceau délicat l'artifice agréable ;
Du plus affreux objet faire un objet aimable."
Mais à la honte du fiécle & des Arts ,
nous voyons tous les jours les plus fameux
Artiftes préferer le fentiment d'un homme
qui a appris à peindre & à raifonner , à
celui d'un Auteur qui écrir en vers comme
en profe , & qui par des tours ingénieux
fçait envelopper les penfées les plus fimples.
J'efpére , Madame , vous donner
dans ma premiere , un détail de chaque ouvrage
en particulier ; je jugerai en homme
éclairé , fans m'embarraffer de ce que diront
les Auteurs des Tableaux ; leur fuffrage
m'importe peu , fi mes Lettres ont le
DE
152
EMBRE. 1750 .
ن م
bonheur de vous plaire , & qu'ellesfe venden
bien. Je fuis , & c.
LETTRE
De M. d'Anville , à l'Auteur du Mercure ;
fur la publication d'une nouvelle Carte de
l'Afrique.
A
› le
Près avoir mis au jour , Monfieur
des Cartes très amples de l'Amérique
Septentrionale & Méridionale
grand Prince , dont les lumieres & le
goût pour les Sciences m'engagent à la
compofition des ouvrages de ce genre , en
même tems que fes bienfaits en procurent
la
publication , ayant défiré que j'entrepriffe
de fuite les autres parties du monde ,
c'eft maintenant l'Afrique que je mets fous
les yeux du Public , & pour qu'il en foit
prévenu , je vous fupplic de vouloir bien
inferer cette Lettre dans le Mercure de
France.
La nouvelle Carte d'Afrique ' répond à
celles qui l'ont précédée par l'étendue que
je lui ai donnée , & elle comprend trois
feuilles , qui peuvent fe divifer en deux
parties de feuille & demie chacune , &
dont la divifion eft donnée par le paffage
M. le Duc d'Orleans.
158 MERCURE DE FRANCE .
de la ligne équinoxiale , qui partage prefque
avec égalité , & à quelques degrés près,
ce que l'Afrique occupe d'efpace en latitude
, ou du Nord au Sud. Si les Cartes
qui ont paru fous les mêmes aufpices , joignent
à la précifion qu'on a tâché d'y met
tre , une grande élegance d'exécution
celle- ci ne leur paroîtra pas inférieure par
le même endroit , la magnificence du Prin
ce donnant lieu de ne rien épargner fur
cet article .
Les bornes de cette Lettre ne me permettront
point d'entrer en difcuffion fut
les moyens de conftruction des differentes
parties de l'ouvrage. Je crois néanmoins
qu'il tireroit quelque avantage de l'analyfe
que j'en pourrois faire , & le travail
de l'Auteur feroit même plus en évidence.
Le mérite d'une nouvelle Carte de l'Afrique
confiftera moins dans la repréfentation
de quelque découverte fort étendue
dans ce Continent , que dans l'amélioration
des parties , dont on avoit déja quel
que connoiffance . Mais on ne fait pas
moins l'avancement de la Géographie par
ce moyen-là que par un autre. Il fuffira de
confronter la Carte dont il s'agit , avec
toutes celles qui avoient été données fur
le même fujet , pour connoître combien
elle en differe , & le caractère de détail
DECEMBRE. 17507 reg
qu'elle exprime , peut même difpofer à en
juger favorablement. J'ai fait des études
particulieres fur les parties plus importantes
, ayant inême traité la totalité du fujer,
dans une étendue , quatre fois plus grande
en furface qu'il ne paroît dans la Carte
publiée , ce qui a dû naturellement mettre
plus de précifion dans ce qui y eft figuré .
Le cours du Nil , y compris l'Abiffinie ,
les bords de la Mer Rouge , fourniront
des circonstances locales , très- nouvelles.
Les Royaumes de Barbarie ont été travaillés
avec beaucoup de foin . Les Côtes &
le continent du Sénéga , la Guinée , Congo
& Angola , & la partie oppofée de l'Ethiopie
Orientale , l'Ile de Madagaſcar ,
ont acquis un degré de jufteffe que je ne
leur avois point donné dans quelques morceaux
compofés antérieurement , & qui
ont vu le jour. La partie intérieure de
l'Afrique , fur laquelle nous fommes fi dénués
de connoiffance , & fans efpoir même
d'en acquerir d'une maniere qui fatisfaffe
pleinement , ou à peu près ; cette
partie , dis-je , offre néanmoins quelques
circonstances nouvelles dans la nouvelle
Afrique , par lefquelles on entrevoit
la difpofition générale de quelques objets
principaux en cet intérieur. Mais , nonobftant
ce qu'on a employé d'étude à recher160
MERCURE DE FRANCE.
cher tout ce qui pouvoit améliorer & ag
grandir la Géographie de l'Afrique ; la
nouvelle Carte paroîtra plus nue que
les autres en divers .endroits , mais par
une raifon qui doit tourner à fon avantage.
C'eft qu'on n'y a point affecté ,
comme il est évident qu'on l'a fait dans les
précédentes , d'étendre les parties connues
au-delà de leurs juftes bornes , & de donncr
des places & des formes à des Pays
dont le nom eft à peine donné ; ce qui ne
peut produire que de fauffes idées dans la
tête de ceux qui ne puifent point les connoiffances
Géographiques dans les fources
mêmes d'où elles coulent , & ne peuvent
en difcerner le fort & le foible .
Je fuis véritablement mortifié , Monfieur
, de n'avoir pas le loifir d'entrer dans
un plus grand détail fur ce fujet. Mais
ne doutez pas que l'analyfe, d'une pareille
Carte ne pût être la matiere d'un Livre ,
dont l'utilité ne toucheroit peut- être pas
un affez grand nombre de Lecteurs , pour
ne pouvoir fe difpenfer de le compofer.
Je fuis actuellement occupé de la Carte
d'Afie ,
, quej'ai lieu de regarder comme le
plus grand travail de Géographie qui me
foit impofé. Pour traiter cet important
fujet avec l'étendue qui fuffife à une juſte
curiofité , & qui admette le détail des con
7
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DECEMBRE. 1750. 161
iffances que j'ai raffemblées , je lui ai
nné fix feuilles , & l'ouvrage eft néanins
affez avancé pour pouvoir efperer
rendre public vers la fin de l'année proaine.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Ce 15 Novembre 1750.
CHANSON.
Air tendre à Mlle B **** .
E voulois de l'Amour éviter les allarmes ;
Je craignais ce cruel Vainqueur .
s plus doux chants & mille charmes
Viennent de féduire mon coeur.
es attraits de Philis on ne peut le défendre ;
はla voix & les yeux je me trouve enchanté.
Pour conferver la liberté ,
ne faudroit , hélas ! ni la voir , ni l'entendre.
162 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES
.
VERS
Adreffés à Mile Folliot ,qui a chanté trois fois
le rolle de Cloé dans l'Acte d'Ifmene , & qui
a été extrèmement applaudie.
ACcens mélodieux , expreffion , cadence ,
Qu'embelliffoit encore une aimable décence ,
O Cloé , t'ont fuumis le Public enchanté ;
Dans un indifferent , fi quelqu'us lepeut être ,
Ce fuccès mérité ne peut avoir fait naître
Qu'ar fentiment de volupté ;
Mais dans un tendre amant , dont l'ail perçant
pénétre
Dans l'avenir l'affreuſe vérité ,
Le plaifir qu'il y verſe eft bien mêlé ďallames ;
Je prévois les rivaux que ta voix & tes charmes
Vont fufciter à mon ardeur.
Pour balancer leur éclat féducteur ,
Je n'aurai que mes feux , mes foupirs , & .mes
larmes ;
Jain fecours ! Un brillant & funefte vainqueur
M'effacera bientôt de ta mémoire
Ah ! Cloé , faut- il que ta gloire
Coûte , hélas ! fi cher à mon coeur k
DECEMBRE. 1750. 163
L'Académie Royale de Mufique a quitté
les Fragmens , après vingt quatre repréfentations
, & a repris le 25 Octobre pour
la ttoifiéme fois le Carnaval du Parnaffe.
Cet ouvrage de Meffieurs Fuzelier &
Mondonville , qui a fi bien réuffi dans la
nouveauté , a encore beaucoup de fuccès.
Mlle Fel , que des maladies continuelles
avoient empêché de chanter depuis près de
fix mois , a repris les rôles de Florine , & de
Thalie. Le retour d'une Actrice, fi chérie
& fi admirée , a été célébré avec un enthoufiafme
, qui eft la preuve la plus sûre ,
& la récompenfe la plus flatteufe d'un talent
unique.
Le Carnaval du Parnaffe eft gravé partition
in folio , & fe vend chez le Clerc ,
rue du Roule , & chez Boivin , rue Saint
Honoré.
A Mlle Riviere , danfant à la Comédie
Françoife.
MADRIGAL.
QUel coeur a jamais réfifté
A certaine jeune beauté ,
Dans l'art de plaire très - habile ,
L'aimable mere de l'Amour
N'a que trois graces dans fa Cour ,
Et Riviere en a plus de mille,
Fuzelier:
64 MERCURE DE FRANCE.
Lorsqu '
AUTRE.
Orfqu'on voit la jeune Riviere
Danfer fur les bords de Cythere ,
Que d'Amours volent fur fes pas
Que l'on célébre fes appas ,
Les Graces même l'applaudiffent ,
Les échos au loin retentiffent,
Vénus feule fous les ormeaux ,
Faifant la Déeffe fauvage ,
Se fouftrait au fond d'un boccage ,
Feignant d'écouter les oifeaux.
Par le même.
Mercredi 18 Novembre , les Comédiens
ont repris Cenie. Le goût du Public
pour cette charmante Piéce , eft aufli vif:
qu'il le fut dans la nouveauté . Nous en
rendrons compte avec le foin dû. aux excellens
ouvrages. Cailleau , Libraire , rue
Saint Jacques , vient de l'imprimer.
CONCERT SPIRITUEL.
Du premier Novembre.
L commença par une fymphonie del
Signor Graun , enfuite Requiem aternam ,
célébre Motet à grand choeur de feu
M. Gilles , dans lequel M. Royer avoit
fait grand nombre de changemens agréa
DECEMBRE.
1750. 163
bles : M. Daquin , Organifte du Roi , y
joua feul un carillon. Une fymphonie à
deux cors de chaffe , de M. l'Abbé , fils.
M. Malines chanta Sunt breves mundı roſa,
petit Motet de feu Signor Cariffimi . M.
Gavinies joua feul un Concerto tout-àfait
gracieux , de fa compofition , & il le
joua avec cette fupériorité de talent que
tout le monde lui connoît. Le Concert
finit par Deprofundis , Motet à grand choeur
de M. Mondonville. Ce morceau , & fon
Venite , paffent pour les deux Chef d'oeu
vres de ce grand Muficien ,
Concert Spirituel , du 2 Novembre..
Il commença par une fymphonie , enfuite
Dominus regnavit , agréable Moter
à grand choeur de feu M. de Lalande ,
dans lequel M. Gelin , Baffe taille nou
velle , chanta le récit Nubes & caligo. Sa
voix fut trouvée étendue , fonore , gracieufe
, legére , & le germe de fa cadence
parut extrémement beau & facile.Une ſym
phonie de M. l'Abbé , fils . Mlle Folliot
chanta Conferva me , petit Motet de M.
Fanton , Maître de la Mufique de la Sainte-
Chapelle. M. Gavinies joua feul . Le
Concert finit
par Requiem aternam , de feu
M. Gilles .
166 MERCURE DE FRANCE.
CONCERTS A LA COUR.
Mois de Septembre à Versailles.
L
E Mercredi 9 , le Samedi 12 , le Lundi
14 , & le Mercredi 16 , on chanta
chez la Reine le Prologue & les cinq Actes
de l'Opéra de Jephie.
Mlles Lalande , Mathieu , de Selle &
Canavas. Meffieurs Poirier , Beſche , Benoît
, Godonnefche & Joguet , en ont
chanté les rôles.
Mois d'Octobre à Fontainebleau.
Le Lundi 12 , le Mercredi 14 , & le
Mercredi 21 , on chanta chez la Reine les
Actes du Ballet de l'Europe Galante.
Miles Romainville , Mathieu , Lalande,
Godonnefche & Guedon . Meffieurs La
garde , Bazire , Richer , Poirier & Joguet,
en ont chanté les rôles.
Mlle Lullie débuta à la Comédie Fran-
Coife , le Jeudi 8 Octobre : fon rôle de dé
but a été Agnès , dans l'Ecoles des Femmes :
& le Dimanche , 12 du même mois , Aricie,
dans Phédre & Hyppolite. Elle a danfé dans
tous les Ballets.
1
DECEMBRE. 1750.
167
NOUVELLES ETRANGERES.
D'ALGER , le 20 Septembre.
L
A femaine derniere il entra dans ce Port un
Vaiffeau Danois , venant de Coppenhague , &
chargé de munitions de guerre , dont le Roi de
Dannemarck s'eft engagé de faire préfent tous les
ans au Dei & à la Régence , en vertu du Traité
que cette derniere a fait avec la Majesté Danoife,
M. Keppel , Chef d'Efcadre de la Flotte du Roi
d'Angleterre , & M. Stanyfort , Conful Anglois en
cette Ville , l'un & l'autre Miniftres Plénipotentiaires
de S. M. Br, ont fait ici de vaines inſtances
pour la reftitution du Paquebot , le Prince Frédéric,
& pour obtenir une fatisfaction convenable à l'égard
des autres fujets que les Anglois croyoient
avoir de fe plaindre de cette Régence. M. Keppel
déterminé par l'inutilité de fa Négociation , à s'en
retourner au plutôt , prit le 18 fon audience de
congé du Dey , qu'il pria de faire attention qu'un
grand Roi , tel que celui de la Grande - Bretagne , n'avoitpas
coutume de demander en vain desfatisfactions.
Le Dey lui répondit : Que les Algériens étoient dans
la difpofition de fatisfaire S. M. Br. & la Nation
Angloife fur tout ce qui pourroit arriver à l'avenir
mais que fi on avoit eu par le paſsé quelques raifons
de fe plaindre , il les fallort oublier & n'y pluspenfer
Que les Paquebots de la Couronne Britannique no
courroient à l'avenir aucun riſque d'être arrêtés , pourvú
qu'ils fuſſent munis de passeports du Roi , & que
les Navires Marchands des Anglois ne feroient poins
faifis par les Armateurs Algériens , s'il avoient ſoin
de se pourvoir de paffoports de la Régence ; mais que
168 MERCURE DE FRANCE.

!
les uns ou les autres négligeoient de prendre ces précautions
néceffaires , les Armateurs feroient en droit
de les arrêter d'en confiquer les cargaifons. La
reftitution du Paquebot , le Prince Frédéric & les
fatisfactions demandées par S. M. Br. n'étoient
pas les feuls objets de la Négociation des Plénipotentiaires
Anglois . Il avoient auffi propofé au
Dey & au Divan , d'accorder à leur Nation fur la
Cote d'Alger un établiſſement pareil à celui que les
François y ont depuis plufieurs années; mais cette pro- !
pofition ne fut pas écoutée. Après que M. Keppel )
eut pris fon audience de congé , il retourna fur fon
Vailleau. Toute l'Efcadre mit hier à la voile &
fit route pour Port Mahon .
Les prifes , amenées ici depuis quelque tems par
les Armateurs de cet Etat , ne confiftent qu'en
deux petits Navires Portugais , chargés de fel & de
fucre , & deux Batimens Napolitains , dont les
équipages le font lauvés à terre.
DE CONSTANTINOPLE , le 6. Septembre.
Le Ramafan , ou grand jeûne des Turcs , étant
fini , on vient de commencer le Bairam , lequel eſt
en quelque façon le tems de Pâques pour les Mahométans.
Il eft deſtiné par la coûtume à des réjouiffances
publiques & particulieres , & l'on prépare
des courfes de Bague , des feux d'artifice &
d'autres divertiffemens pour l'amulement du
Grand - Seigneur . Dans ce même tems les Minif
tres de la Porte donnent à Sa Hauteſſe de magnifiques
repas , dont les deflerts font fournis par les
Miniftres étrangers , & ces repas font accompagnés
de préfens au Grand - Seigneur. C'eft pour
fatisfaire à cette coûtume que le Grand Vifir ayant
appris que le Baron de Hochepied , Amballade ur
des
DECEMBRE.
1750. 169
des Etats Généraux , avoit dans fa Sale d'audience
un très-beau Luftre de cristal , fait en Angleterre ,
envoya dernierement chez ce Miniftre le Chef des
Eunuques noirs , avec un Chiaoux & les Banquiers
du Serrail , pour lui dire de fa part que , comme
ce Luftre méritoit d'être offert à S. H. il le prioit
inftamment de le lui céder & d'en recevoir le prix.
L'Ambafladeur répondit qu'il étoit extrémement
fatisfait de ce que cette pièce avoit été jugée digne
d'être préfentée au Grand- Seigneur , & qu'il prioit
le Grand-Vifir d'en accepter le préfent.
DU NORD.
DE WARSOVIE , le 26 Septembre.
Ce qui fait actuellement l'objet de la principa
le attention dans ce Royaume , eft le fuccès des
Diétines pour l'élection des Députés au Grand
Tribunal de la Couronne , ou de Petricow ,
afin de remettte en activité ce Tribunal , la premiere
Cour de Juftice de Pologne , & celle à laquelle
toutes les autres refortiffent. De ces Diétines
, les unes ont fubfifté , d'autres fe font féparées
fans avoir rien fait.
On vient d'établir une Commiffion chargée de
faire réparer, paver & éclairer les rues de cette Vil-
Je , afin qu'elles répondent mieux à la dignité de
Capitale d'un Royaume.
Il y a quelque tems que quatre mille Ruffes
font entrés fur les terres de la République , pour
contribuer à contenir les Cofaques Haidamaques .
On dit ici que ces troupes ne ferviront pas feulement
à cette fin , & qu'elles font deftinées princi
palement à s'opposer aux entreprifes de quelques
Maifons puillantes , afin d'empêcher qu'il ne le
forme une Confédération .
1. Vol.
H
170 MERCURE DEFRANCE.
*
ALLEMAGNE,
DE VIENNE , le 17 Octobre.
L Minitre d'Etas Privé & de Conférence , le
E 4 de ce mois , l'Impératrice Reine déclara
Weldt Maréchal Comte de Bathiani , Gouverneur
de l'Archiduc Jofeph, & ce Comte commença le
10 àtenir chez lui les Conférences avec les MiniLtres
d'Etat.
Les , le Comte Georges de Stahrenberg, nommé
Miniftre de cette Cour à celle de Portugal ,
partit pour fe rendre à Liſbonne .
Le Marquis d'Hautefort , Ambaffadeur de Sa
Majefté Très Chrétienne en cette Cour , arriva
hier fur les trois heures après midi dans cette Ville,
accompagné de la Marquife fon épouſe.
Le Comte de Haugwitz , dont on fuit ici les
idées dans les nouveaux arrangemens que l'on a
faits pour les Finances , vient d'être pourvu par
I'Imperatrice Reine , de la Vice - Préfidence de la
Cour des Monnoyes.
On a reçû la nouvelle fuivante par des lettres
venues de la Baffe Hongrie. Sur les avis du Pacha
de Bolnie , les Commandans des troupes que l'Impératrice
Reine a dans le vo fia , avoient pris
les mefures convenables pour e.npécher que les Ja
niflaires , lor qu'ils changeroient de quartiers , ne
fe répandiffent ,suivant leur coûtume , dans les Villages
de la domination de cette Princeffe , & qu'ils
n'y can affent du defordre. Les Janitaires , qui
compofer la Garnifon de Zwornick , réfidence
du Pacha , n'eurent pas plutôt connoiffance des
précautions que l'on avot prifes en Hongrie ,
qu'ils s'attrouperent au nombre de plufieurs mille
DECEMBRE . 1750. 171
qu'ayant arboré l'étendart de la rébellion , ils
pillerent la haute & bafle Ville . Le Pacha & deux
Hauts Officiers, qui voulurent avec quelques troupes
s'opposer à leur révolte , furent griévement blef
fés, & les féditieux ,fans égard pour l'état dangereuz
où se trouvoient leurs Généraux , les chafferent du.
Palais & de la Ville . Ils continuerent à peller , en
maffacrant tout ce qui leur faifoit la moindre réfiftance
, & ne cefferent le pillage que pour mettre
lè feu par tout dans la Ville & dans les environs.
On compte qu'il a péri dans ce tumulte plus de 300
Mufulmans , & que le nombre des bleffés eft beau
coup plus confidérable .
DE BERLIN , le 17 Octobre.
On eft à préfent en état de parler avec étendue
de la nouvelle Compagnie Pruffienne qui va s'établit
à Embden. L'Octroi du Roi , daté du premier
Septembre , porte ; 1. Qu'il fera permis au Chevatier
de la Touche de faire pour lui pour la Compagnie
, des établiffemens de Commerce dans les Port's de
S. M. & pour cet effet , de faire conftruire à Embden
des magasins , de s'y pourvoir de tout ce qui peut être
néceſſaire à la conftruction des Vaiffeaux . 11. Que la
Ville d'Embden accordera gratis à la Compagnie un
emplacement, le plus près de la mer 'qu'ilfera poffible.
III. Que la Compagnie y pourra faire confiruire des
forges , y former des corderies , établir une Manufacture
de toiles à voile , fans payer aucun droit pour
les matieres du crû des Etats de S. M. IV. Que le
Roi accorde à la Compagnie pour 15 ans du premier
Janvier 1751 au premier Janvier 1766 , l'Octroi b
Privilége pour toutes les fortes de commerce qu'elle
voudra entreprendre. V. Qu'elle pourra tous les ans
onyoyer à la Chine deux Navires duport de tonneaux.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
qu'elle jugera à propos . VI . Que les marchandifes ven
dues par tranfit aux étrangers , feront exemptes de
tous droits. Vil. Que toutes les marchandifes fabriquées
dans les Etats de S. M. lesquelles feront tranf
portées par la Compagnie dans les pays étrangers , ne
payeront aucun droit de fortie . VIII . Que les marchandifes
de la Chine , dont l'entre eſt défendue dans les
Etat de S.M. comme pouvant nuire aux Fabriques&
Manufactures qui yfont établies , n'y feront point introduites
, mais qu'elles feront déposées à Embdenpour
étre vendues à l'étranger , & que la fortie en fera
cartifice à S. M. IX . Que la Compagnie pourra ( pour
le Port d'Embden feulement ) envoyer des Batimens
à la péche du Harang , de la Molue & de la Baleine,
X Qu'enfe conformant aux Reglemens qui concernent
la Navigation , elle pourra fare tout commerce
dans les Ports étrangers où le Pavillon Pruffien peut
ére reçû . XI . Quelle aura deux Bateaux fur l'Elbe
pour naviger de Berlin à Hambourg , afin de facili
ter fon commerce à Berlin ; mais à condition qu'elle
ne tranſportera que fes propres effets , pour ne point préjudicior
à ceux qui jouiffent du privilége de la navigation
fur l'Elbe. XII . Qu'elle pourra acheter à
Konisberg des Sujets de S. M. les grains É autres
denrées en quoi le commerce de ce pays confifte , pour
les transporter chez l'étranger , excepté lorfque S. M.
en défendra la fortie pour quelque cause que ce foit,
XIII. Que le Roi permet an Chevalier de la Touche
de former fa Compagnie par voye de foufcription on
d'Actions , que les étrangers qui s'y voudront intérefer
,jouirons des mêmes priviléges & libertés que
Les Sujets de S. M. XIV . Que les Seigneurs les
Gentilshommes pourront entrer dans cette Compagnie
de Commerce , fans déroger. XV. Que les Effets de
la Compagnie nepourront être faifis pour aucune dette
particuliere , & que fes Actions , comme meubles , ne
DECEMBRE .
1750. 173
pourront être sujettes à aucune hipotéque , pour quel
que raison que ce foit . XVI . Que la Compagnie ne
levera fes Matelors qu'en Ooft - Frife , & qu'elle ne
Pourra ,fans une permiffion expreffe du Roi , employer
pour la navigation aucun fujet des autres Etats de
S.
M.XVII. Qu'elle fera authorifée à fe pourvoir de
tous les hommes qui feront néceffaires pour fa navigat
tion & fon commerce . XVIII. Que le Roi la fera
jouir des avantages des Traités de Commerce qu'il
fera avec d'autres Souverains . XIX . Qu'en tems de
guerre elle pourra armer fes Bâtimens contre les ennemis
de la Couronne , & que pour la
dédommager de
Cette dépense
extraordinaire , le Rot n'exigera rien de
Toutes les prifes qu'elle pourra faire . XX . Quefelon
Les
circonstances les progrès qu'elle fera , le Roi
promet de lui accorder la proprieté
Seigneurie des
Terres , Places & Ifles qu'elle pourra conquérir en
Afrique ou en Amérique fur les ennemis de l'Etat
ou qu'elle opera , foir qu'elles foient défertes ou
habitées par les Barbares ; qu'elle en rendra foi
hommage à S. Men lui préfentant une Coarouve d'or
du poids de 106 mares , & qu'en
confidération dis
dépenfes qu'elle aura faites pour
augmenter la gloire
de la Couronne & la richesse des Sajets du Roi, S. M.
renonce en faveur de la Compagnie , à tous Droits de
Seigneurie fur les Mines & Miniéres d'or , d'argent ,
de cuivre & de plomb , & même aux droits d'esclavage
qui lui pourroient appartenir à caufe de fa Souveraineté
de ces Terres , Places on Ijles , XXI . Que le
Roi accordera fa protection à la Compagnie toutes les
fois qu'elle la réclamera . XXII . Enfin qu'il lui per
met de faire les Statuts &
Reglemens qu'elle crotr
les plus
convenables , & qu'il les
confirmera , s'il en
eft befoin.
Il eft dit dans le Projet
d'Affociation , rendu
public prefque en même-tems que cet Octroi :
.
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
Qu'un nombre d'Intéreſſés , qui ne feront point tenus.
de rien fournir au de-là de leur premier engagement ,
exécuteront cette entrepriſe , & qu'il: rempliront par
feufer ption deux mille Actions , qui formeront un capital
d'un million d'écus courans , femme fuffifance,
au moyen d'une prudente adminiftration pour tout ce
que la Compagnie trouvera bon d'entreprendre ; que
Tes Sujets du Roi qui s'y voudront intérejer , feront
préférés, & pourrantſouſcrire juſqu'au dernierjour de
cette année ; que chaque Action fora de 500 Riſdales,
payables en quatre portions égales de 125 Rifdales.
chacune, dont la premiere fera payée comptant en
Jouferivant , & les trois autres les premier d'Avril ,
premier de Juillet & premier d'Octobre 1751 ; que
des trois payemens à terme fe feront en Billets au porteur
, & que ces Billets feront déposés à la Caïff:', on
Comptant l'argent du premier payement.
Outre l'Octroi & le Projet d'Affociation , il a
paru des Articles de Convention pour ſervir de Reglement
à la Compagnie , lefquels font : 1. Que pour
affurerlafolidité de l'entrepriſe , le capital d'un million
de Rifdales fera déposé dans une Caiſſe fous trois
clefs , dont deux Directeurs ou Syndics de la Compagnie
auront chacun une & le Caiffier la troiſiéme ;
qu'on ne pourra sirer aucune fomme de cette Caiſſe gé
nérale qu'en présence des trois poffeffeurs des clefs , &
it que fi quelqu'un d'eux ne peut pas s'y trouver,
pourra fe faire représenter par un dès Intereſſés. II ,
Que de la grande Caifle on tirera pour les befoins jour
naliers une felite Caffe de dix wille Rifdales confiée
au Caffier feul , lequel en rendra compte toutes les
fais qu'il enfera requis , & que dans la premiere affemblée
des Intereffés ce Caiffier (era choisi de leur
confentement unanime . III . Qu'il fera chargé de recevoir
les premiers fonds de chacun des Affociés ; de
faire les payemens des achats, de Navires & de mar,
DECEMBRE. 1750. 175

chandises ou autres ; de faire remettre les fonds nëceffaires
aux divers Correspondans , qui , pour le rembourſement
de leurs avances , feront authoriſés à tirer
fur lui des Lettres de change , à mesure qu'ils auront
fait ces avances ; de recevoir & de déposer dans la
Caife générale les fonds que ie Commerce fera rentrer
à la Compagnie , & d'en faire la répartition aux Actionnaires
dans les tems fixés pour donner des Dividendes.
IV. Que l'on établira à Berlin une Chambre
ou Direction générale des affaires , composée de Sept
Directeurs choisis par les Intéreffés , & qu'il y aura
dans la Direction un Teneur de Livres , des Commis
& des Copifies aux gages de la Compagnie . V. Que
rout Propriétaire de 10 Actions ou plus , aura voix
délibérative dans les affemblées , ¿ tre ceux qui n'en
auront pas ce nombre auront la liberté de s'unir
plufieurs enfemble & de nommer un d'entre eux qui
pourra les repréfenter , en se faisant voir porteur de 10
Actions . VI. Que les comptes des Directions particulie
res d'Embden , de Stettin de Konigsberg , ainfi
que ceux de: differens Commiffionnaires , feront envoyés
tous les ans à lafin d'Octobre à la Direction générale
de Berlin , où les Livres de rafon feront vâs , examinés
arrétés , afin que par le Bilan général que l'on
en tirera , les Intéreſſés puiſjent , à volonté , voir l'état
actuel de la Compagnie . VII. Qu'elle fera tous les
deux ans un compte général de ſes Effets ; qu'aucun
Intéreffé ne pourra fe retirer , qu'en vendant fes Actions
à un autre qui confervera le même droit , en forte
que le capital de la Compagnie ne foit point diminué,
& que l'on conviendra de la forme qui s'obſervera pour
faire les achats , lès ventes , les armemens , les équipages
les payemens de gages. VIII . Qu'afin de ne
pas confondre les differens objets , on ouvrira des comptes
particuliers pour chaque armement & chaque entreprise
, & qu'il y aura un dépôt de tous les Papiers ,
Hüij
176 MERCURE DE FRANCE.
Titres , Factures , Connoiffemens , Lettres , Program
mes Mémoires, concernans la Compagnie , afin que
les Intereffés puiffent en tout tems connoltre leur fitua
tion & le produit de la Société. IX . Que l'on tiendra
des Regiftres Balances e régle , dans l'ordre le &
plus fimple & le plus clair , afin que l'on puiffe ,
de-même en tout tems , en prendre connoifance ou en
tirer des extraitsfans rien déplacer ; que les Regiflres
feront cottés && paraphés, que toutes les délibérations
fans exception , ainsi que les arrétés de chacune des
Caifles ,feront inferits dans un Regiftre particulier &
fignés de tous les Intéreflés qui feront préfens. X.
Qu'après le retour de plusieurs Bâtimens de la Compagnie,
& felon les progrès de fes opérations , les Intéreflés
délibéreront fur fes bénéfices regleront le Dividende
qu'elle devra payer pour le produit net de fes
entreprifes, & que , fans aucune retenue ni délai , ce
payemement fe fera fur une affignation au Caffier ,
payable au Porteur. XI . Qu'il fera loué à Berlin uns
maifon pour fervir au dépôt de la Caffe des Papiers,
ainfi qu'a loger le Caiffier les principaux Commis
& dans laquelle se tiendront les affemblées , dont la
premiere eft indiquée au 30 de ce mois d'Ottobre ,
que ceux qui voudront fouferire , s'adrefferont au Chevalier
de la Touche , ou à M. Jean Georges Merck ,
Banquier à Berlin , jufqu'à cette premiere affemblée,
dans laquelle le Caiffier feranommé & author:fé à recevoir
les Fonds & Billets , & à délivrer les Reconnoiffances.
DE DRESDE , le 19 Octobre.
Le Roi & la Reine revinrent hier às heures du
foir dans cette Ville en parfaite fanté. Ils étoient
partis de Warfovie le 8 , & le 12 ils étoient arrivés
au Château de Pforten , appartenant au Comte de
DECEMBRE. 17.50. 177
Brulh , Premier Miniftre , qui n'avoit rien négligé
pour les recevoir avec la plus grande magnificence.
L. M. s'y font arrêtées fix jours Le Prince
Xavier & le Prince Charles s'y étoient rendus . Le
Comte de Brulh revint en cette Ville quelques
heures après L. M. qui reçurent à leur arrivée les
complimens de la Nobleffe , tant fur leur retour ,
que fur la groffeffe de la Princefle Royale & Elec-.
torale , que l'on avoit déclarée à la Cour les jours
précédens , & pour laquelle on avoit ordonné des
Prieres publiques. Le Roi , avant fon départ de
Warfovie , avoit eu la fatisfaction de voir réuffic
les mesures qu'il avoit prifes pour l'élection d'un
Maréchal du Grand Tribunal de la Couronne à-
Petrikow. Cette Election s'étant faite le en
faveur du Prince Sanguski , Pouverture du Tri- ,
bunal fe fit le lendemain ,& l'on nomma dans cette
premiere Séance deux Députés pour aller à War--
fovie rendre compte au Roi de tout ce qui s'étoit ,
paffé. Ces Députés y arriverent le 8 de grand ma
tin , & furent admis auffi - tôt à l'audience du Roi ,
qui leur fit l'accueil le plus gracieux. L. M. partirent
immédiatement après cette audience . La
veille on avoit célebré à la Cour de Pologne , avec
beaucoup de magnificence , l'anniverfaire de la ,
naiffance du Roi , qui étoit entré dans la cinquante-
cinquième année , & quelques jours auparavant
S. M. avoit envoyé à Petrikow l'Ordre de l'Aigle-
Blanc à M. Woronicz , Starofte de Kiovie.
Le Baron de Malzhan , nouveau Miniftre du
Roi de Pruffle en cette Cour, eft ici depuis quel
ques jours.
17
HY
178 MERCURE DEFRANCE
PORTUGAL.
DE LISBONNE , le 28 Septembre.
E 7 de ce mois , jour de l'anniverſaire de la
Lea7ance de la Reine Mere, avoit été fixé par
le Roi Don Jofeph pour fa preftation folemnelledu
ferment que les nouveaux Rois font à leur aveement
à la Couronne , & pour la réception de la
foi & hommage. On avoit conftruit pour cette
cérémonie dans la grande Place devant le Palais
Royal , une galerie de 30 pieds de large fur 370
de long. Elle étoit tendue & revêtue de toutes
parts de velours , & de damas cramoifi , garmi de
galons & de franges d'or , & difpofée de maniereque
des balcons du Palais , des fenêtres des maifons
dont la Place eft environnée , & du dedans de la
Place même , une foule incroyable de ſpectateurs -
pouvoit voir commodément toute la cérémonie:
Le Roi fe rendit à l'endroit le plus élevé de la galorie
, où le Cardinal Patriarche & les Evêques de-
Portalegre & de Saint Paul étoient placés pour fai
re la fonction de témoins. S M. s'étant miſe à genour,
& pofant la main droite fur une Croix d'or
placée fur un Miffel ouvert , jura & promit,
la
avec
a grace de Dieu, de conduire & dé gouverner ſes Peu--
ple's lignement & équitablement , de leur adminiftrerlajustice
avec toute l'exactitude que la fragilité humaine
peut permettre , de les maintenir dans la
jomiffance de tous leurs bons ufages & privileges , ainfi
que des graces, faveurs , libertés & franchises qui
leur avoient été ci- devant accordées & confumées par
Les Rois fes Prédéceffeurs . Auffitôt que le Roi le fut
relevé & fe fut placé ſur un trône , l'fant D. Pedre
, frere de S. M. lequel repréfentoit le Grand
Connétable de Portugal ; les Iafaus D. Antoine
DECEMBRE. 1750. 179
& D. Emmanuel , oncles du Roi , le Seigneur D.
Jean , fils légitimé de feu l'Infant D. François , &
le Duc de Cadaval , Premier Prince du Sang de la
Maiſon de Bragance , prêterent fucceflivement ferment
& jurerent par les Saints Evangiles , fur lefquels
ils pofoient actuellement leurs mains , qu'ils reconnoifloient
pour leur Res pour leur véritable &
légitime Seigneur le Très - Haut & Très -Puiſſant Roi
D. Jofeph leur Maître , auquel ils rendoient obéiffan
ce & hommage , conformément aux Capitulations go
aux Coutumes du Royaume . Enfurte le principal
Roi d'Armes , qui porte le nom de Portugal , cria
par trois fois à haute voix : Que c'étoit le bon plaifir
de S. M. que le même ferment lui fut prêté in fa
main baifée par tous les Grands , les Titres Ecclefiaf
tiques Séculiers , & par tous autres de la Nobleffe
indiftinctement , déclarant que perfonne par- là ne
fouffriroit aucun dommage ou préjudice dans fon rang
on droit de préféance. Après cette preftation de ferment
, le Roi tenant fon Sceptre à la main , & futvi
de toute l'Affemblée , fe rendit à l'Eglife Pa
triarchale , où il affifta au Te Deum chanté par la
Mufique de fa Chapelle , & au Service Divin célebré
par le Cardinal Patriarche, qui termina la Solemnité
par donner la Bénédiction au Roi & à tou
te la Famille Royale avec une Relique de la vraye
Croix . Cette Cérémonie étant purement Nationnale
, on n'y avoit point affigné de places aux Miniftres
étrangers , mais on les avoit invités de fe
trouver le foir au Palais. Hs y complimenterent
BeursMajeftés. Pendant la nuit , il y eut des illuminations
, des feux de joye & d'autres réjouiffan
oes publiques dans toute la Ville..
H
180 MERCURE DE FRANCE.
ESPAGNE.
DE MADRID , le 6 Octobre.
1 Es Négocians de Cadix ont envoyé des Députés
en cette Ville , pour renouveller auprès
du Roi les inftances qu'ils ont déja faites , aña
d'ob enir de S. M. que les Galions & la Fotille
continuent de partir pour les Indes Occidentales
dans un tems réglé , comme il te pratiquoir ci-devant
Le Miniftere a répondu : Que les Etats du
Roi en merique étoient à préfent fuffilammentfournis
de marchandifes d'Europe , & qu'il n'étoit nulle,
ment néceffaire que les Galions ou la Flotille y enportaffent
d'autres : Que cependant Sa Majeflé étoit
dans la difpofition de remettre les choſes fur l'ancien
pied , dès que le changement des circonftances en feroit
voir la néceffité.
On a appris depuis peu de jours que quelquesans
des Bâtimens que le Roi a fait armer en guerre
, avoient attaqué , à la vûe des côtes de Catalo
gne , fix Schebecks Algériens , & qu'après un combat
de plufieurs heures , ils en avoient coulé deux
à fonds & mis les quatre autres hors d'état de tenir
la Mer. Des Lettres de Ceuta portent que les
deux Vaiffeaux de guerre , qui dernierement y
ont tranfporté des troupes , en étoient partis pour
aller donner la chaffe aux Corfaires.
Sur l'avis que la Cour a reçû qu'il ſe fait dans
l'Andaloufie un commerce clandeftin par la voye
de Gibraltar , d'où l'on introduit dans le Royau
me des marchandifes défendues , la réfolution eft
prife , dit- on , de reftraindre la communication
entre cette Place & les lieux du voisinage.
On a fçu par un des derniers Couriers d'Italie ,
que le irecteur de la Polte d'Espagne à Rome
avoit difparu fubitement avec une fomme nèsDECEMBRE.
1750. IST
confidérable en piaftres , qu'il avoit entre les mains
pour la faire valoir dans le commerce de Banque ,
conformément à ce qui fe pratique par cette Cour
en differens Etats , & que l'on avoit mis du monde
en campagne pour le chercher & fe faifir de fa
perfonne.
ITALI E.
DE NAPLES , le 13 Octobre.
Le Confeiller D. Ferdinando Porcinari eft char
gé de négocier avec les Directeurs des deux Banques
publiques de cette Ville , l'emprunt d'une
fomme que l'on deftine à bâtir ici des Cafernes
pour le logement de la Garnifon . On compte
qu'il en coûtera plus de 140 mille ducats .
=
Les travaux du Port de Barlette fur le Golfe
Adriatique fe continuent avec tant de célérité ,
qu'on efpere qu'au printems prochain les plus
gros Vailleaux de guerre y pourront entrer.
Les Corfaires de Barbarie , après s'être éloignés
pendant quelque tems des côtes de ce Royaume ,
commencent à s'en rapprocher . Un s'empara dernierement
d'une Barque Napolitaine à la hauteur
de Capri. Un autre a pris depuis deux Tartanes de
cette Ville . Dès que la Cour en fut informée , deux
Galiottes reçurent ordre d'aller inceffaminent donner
la chaffe à ces Corfaires. Elles font actuelleent
en mer. D'autre part , le Schebeck le Saint
Antoine , qui croifoit dans la mer de Sicile , tencontra
ces jours paffés un Corfaire de Tunis qu'il
prit après quatre heures d'un combat fort vif. De
87 hommes qui compofoient l'équipage , il ne
s'en fauva qu'onze ; le refte fut fait prifonnier.
Comme ce que l'on a fait jufqu'à prefent pour
forcer les Coilaires à ne plus in efter les mers de ce
1.82. MERCURE DEFRANCE.
I
Royaume, n'a pas été fuffant , le Roi a réfeks
de faire un armement confidérable de Frégates
de Schebecks & de Tartanes , pour l'employer à
cette fin. Cet armement ne fe pouvant faire qu'à
grands frais , S. M. pour y fubvenir , a demandé
au Pape la Bulle de la Croifade , & S..S; par la
Bulle qu'elle vient d'accorder , permet au Roi de
lever für le Clergé la fomme à laquelle ces frais .
pourront monter.
DE ROME , le 19 Septembre
Des Lettres de Conftantinople portent que le
Mufti , ayant été dépofé & exilé à Burfe , on a mis
on fa place une perfonne , à qui fon- défintéreffement
donne beaucoup de crédit auprès du Grand-
Seigneur & du Peuple.
D'autres Lettres , venues du même endroity
annoncent que le Prince Héraclius , fils de Te
mert-Mirza , Prince de Géorgie , s'étant mis à la
tête de 80 mille hommes pour marcher au fecours
de Schah Nub , avoit battu cinq des Princes Per
fans révoltés , qui s'étoient avancés à la rencon
tre. Il a recouvré par cette victoire la Couronnes
le Manteau & les autres ornemens Royaux , qu'il
conferve avec refpect dans une caffette qu'il a fais
fceller par quelques Princes Perfans qui l'accom
pagnent. Il a fait publier enfuite qu'il les remettroit
à celui qui feroir proclamé Roi de Perſe , &
refteroit tranquille Poffeffeur du Trône. Quoique
ce Prince Héraclius foit Tributaire du Grand- Seigneur
, il s'eft attiré la confiance des - Perfans , en
leur failant connoître qu'il avoit ordre du Schah-
Nub lui même , de le fecourir ; & , pour que fa
conduite ne cau at point d'ombrage aux Turcs , il
afait tenir au Pacha d'Erzerum une Copie de l'O
DECEMBRE. 1750.
183
dre qu'il avoit reçu du Schah , & l'a informé dess
Bailons qui l'obligeoient de s'y conformer.
DE FLORENCE , le zo Octobre.
On a publié depuis quelques jours un Edit , pare
lequel Sa Majefté Impériale établit en cette Ville
une Chambre Héraldique. Tous les Nobles y por--
teront les preuves de l'ancienneté de leur Noblefle,
afin d'être diftribués dans les deux Claffes ,
doivent les diftinguer à l'avenir. Ceux qui jufti
qui
fieront une filiation de deux cens ans de Nobleffe ,.
compoferont la Clafle des Patriciens . Tous ceux
qui ne remonte ont pas jufques- là , feront relegués.
dans la Claffe des Nobles.
On apprend de Milan , que l'Impératrice Reiney
vient auffi d'établir une pareille Chambre , de--
vant laquelle ceux qui font qualifiés Princes , Ducs,.
Comtes & Barons , juftiferont la poffeffion deleurstitres
depuis l'an 1640-
Il eft parti ces jours- ci de Livourne un Vaif
feau pour Lisbonne , afin d'y charger du fucre brut,,
& de le tranfporter enfuite à Triefte . La Compagnie
de Commerce , qui s'eft formée dans cette
derniere Ville , & dont le Capital eft de deux mil
lions , a réfola d'y établir diverſes Manufactures
on Fabriques , & entre autres , une Rafinerie de
Sucre , dont eile efpere faire un grand commerce:
en Allemagne..
DE VEN.ISE, le 17 Octobre..
M. Bafinelli , Réfident de cette République à la
Cour de Londres , ayant rempli le tems de fas
Commiffion , le Sénat a nommé M. Petro Vigno
la, pour aller le remplaces.
184 MERCURE DE FRANCE.
On a reçu depuis peu, plufieurs Lettres de Smyrne
, qui parlent des affaires de Perfe . Ce Royaume
eft actuellement en proye aux entreprises de
deux Factions très - puiffantes , dont chacune a
pour Chefune perfonne en état de fe faire redouter
, & tout y eft en confufion plus que jamais. II
y eat , au mois de Juin dernier , un grand tumulte
à pahan. Les principaux quartiers de cette
Capitale furent pillés , & les Etrangers ne furent
pas plus épargnés que les Perfans .
DE MILAN , le 3 Octobre. -
Le Général Comte Jean - Luc Pallavicini ,.
Gouverneur Général de ce Duché , arriva le 29 du
mois paflé , de Génes en cette Ville , & prit fur le
champ poffeffion du Gouvernement.
On vient de publier ici , par ordre de la Cour
de Vienne , un espéce de Tarif , qui fixe les differens
prix aufquels on pourra fe procurer les diffe .
rens titres de Prince , de Duc , de Marquis , de
Comte , & les fimples Lettres de Nobleffe , ou de
Naturalifation. Ces Taxes , plus ou moins fortes ,
felon la nature de ce que les perfonnes voudront
acquérir , reftent fubordonnées à la volonté de
l'impératrice- Reine , qui s'eft réfervé de les modérer
, plus ou moins , felon le mérite des pere ,
fonnes.
DE MODENE , le 21 Octobre.
Le Duc & le Prince Héréditaire allerent dernierement
à Castelnuovo dans la Grafignana , &
pendant qu'ils y étoient , le Sénat de Lucques les
fit folliciter fi vivement d'honorer cette Républi
que de leur préfence , qu'ils ne purent le refuler:
DECEMBRE. 1750. 185
#
"
à cette invitation . Ils partirent , le 11 de ce mois
de Calftelnuovo , & lorfqu'ils furent arrivés à Ber
go di Lucca , ils trouverent un Noble Lucquoi
qui les complimenta au nom de la République
en leur préfentant une grande abondance de toutes
fortes de rafraîchiffemens. Il leur offrit auffi
huit voitures , tant caroffes que chaiſes , avec des
chevaux de pofte , dont L. A. S , & leur fuite fe
fervirent. A un mille de Lucques , toute la Nobleffe
Lucquoife , en habits de cérémonie , vint à
leur rencontre avec quatre Sénateurs , chargés de
faire les honneurs au Duc , & un cinquième pour
les faire au Prince . Ils trouverent à Lucques qu'on
avoit tout difpofé pour que leur entrée le fît avec
magnificence. L. A. S. après s'être un peu repofées
dans le Palais , fe rendirent au Théatre . If
étoit illuminé magnifiquement & rempli de toute
la Noblefle & des principaux Habitans de la Ville .
Après l'Opéra , le Sénat leur fit fervir un fuperbe
Souper. L. A. S. s'arrêterent trois jours dans cette
Ville , & le 15 , elles en partirent pour fe rendre
à Maffa. La Ducheffe Douairierie les y reçut
d'une maniere , qui montra combien elle avoit de
joie de voir le Prince Héréditaire , qu'elle voyoit
pour la premiere fois depuis qu'il eft devenu fon
gendre Le 18 , le Duc & le Prince quitterent
Maffa pour retourner à Saffuolo , par le nouveau
chemin que l'on acheve actuellement.
Le Duc l'avoit été voir le mois dernier , & fatisfait
du zéle & de la promptitude avec lefquels
les Travailleurs avançoient ce grand ouvrage , il
leur avoit fait diftribuer des gratifications confidérables.
Ce chemin a cent cinq milles de long , traverfe
l'Appennin & les montagnes de la Grafignana
, & va finir à Maffa & à Lavenza. Dans la
longueur fe rencontre la montagne de Tambura ,
186 MERCURE DE FRANCE.
laquelle étant extrêmement escarpée , faifoit crain
dre qu'on ne fût obligé d'abandonner l'entrepriſe :
mais , en adouciffant infenfiblement les deux pentes
oppofées de cette montagne , on en a fait une
route , non feulement pratiquable , mais même
com.node. Les travaux de toute cette route ont
été conduits par l'Abbé Vandelli , Directeur de
Pentreprife. On a lieu de fe premettre qu'il en
reviendra de grands avantages à cet Etat , par la
facilité que la fituation de Maffa-donne de communiquer
avec la mer . On pourra , par le moyen
de ce chemin , établir un commerce direct avec les
Navues qui viennent négocier fur les Côtes d'Ita
lie . Cet Etat produit quantité de deniées , dont il
trouvera par là le moyen de fe défaire avec avanage.
On tire des cartieres de Maffa & de Carrara
des marbres très eftimés , & dernierement un Navite
Anglois , s'étant arrêté ſur cette Côte , échan
gea fes Marchandifes , contre une certaine quantité
de ces marbres , & contre des denrées da Modénois
. Cer eflai fait concevoir les plus heureuſes
efperances , & le Duc , voulant en faciliter l'accomplffement
, a pour dix ans affranchi de tous
Droits & de toutes Impofitions les Marchandiſes.
qui feront apportées par cette nouvelle ronte. Il a
Léduit en même tems, à très- peu de chofes le Droit
d'ancrage , pour les Vailleaux qui viendront aborder
à la Côte de Maſſa.
DE GENES , le 5 Oftolre.
On travaille actuellement à l'enregistrement de
tous les biens fonds , mifons , jardins , &c. de
ette Ville & de les fauxbourgs , qui font renfermés
dans l'enceinte des grandes murailles . On doit
inpofer fur tous ces biens une taxe confidérable ,
DECEMBRE. 1750. 187
qui fera , dit on , employée au rétabliffement de la
Banque de Saint Georges. Comme cette taxe ne:
tombera que fur la Nobleffe & les gens riches
fans que le menu peuple y ait part , on a lieu d'efperer
qu'à cet égard tout fe paffera tranquiliement
Le Doge qui devoit , felon la coûtume , tenir
Chapelle avec les Colléges dans l'Eghfe de Saint
Dominique tous les jours de la Neuvaine de Notre-
Dame du Rofaire , n'a pû cette année la tenir
que trois jours , faute d'un nombie fufflant de se
nateurs pour l'accompagner,
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES, le 8 Octobre.
Lommedeis,liv. la fois fterling, la vente de
E 4 du mois , l'on a fait à la Bourſe , pour la
quatre barils de harangs , pris aux Côtes de Shet-
Jand , & apprêtés par les Phlibots Anglois. Cette
Pêche et actuellement l'objet de la principale attention
, & l'on ne néglige rien pour qu'elle puiffe
produire tous les effets que l'on s'en promet. On
compte qu'elle amenera beaucoup d'argent dans
ces Royaumes , & qu'elle occupera quantité de.
Matelots , que l'on fera toujours à portée d'employer
autrement , dès que les circonftances l'exigeront.
Outre ces avantages que le Gouvernement
fe propofe de retirer de cet établiffement , il ea.
réfultera de très confidérables pour les Particuliers.
Dans le dernier Confeil de Régence , l'Amiral
Vernon , le Général Oglethorpe , & l'Alder .
man Théodore Jarflen remitent aux Loids Régens
, qui l'approuverent , la Lifte des perfonnes.
qui font à la tête de la Compagnie , formée pour
Pentreprife de cette Pêche.
188 MERCURE DE FRANCE.
Le 21 du mois dernier , le Navire le Tryal attiva
du Groenland à Edimbourg. Il n'a pris aucune
baleine , & n'a pêché que quelques chevaux
marins. On attribue ce manque de fuccès à ce que
le mauvais tems l'a forcé de mettre fix femaines
à faire un voyage qui fe fait ordairement en quatorze
jours , joint à ce qu'il s'eft trouvé pris par
les glaces pendant quelque tems , à neuf degrés
du Pôie. Le Merry -Jack , autre Navire revenant
du Groenland , arriva ces jours derniers dans la
Tamife , ne rapportant qu'une feule baleine.
Quoique cette pêche n'ait réaffi que très médiocrement
cette année , l'encouragement , donné par
la derniere Séance du Parlement , a fait prendre
aux Intereffés la réfolution d'y envoyer Pannée
prochaine un plus grand nombre de Vaiffeaux.
526 505 500 500 500 500 600 500 600 600 606
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E9 Octobre dernier , Don François Pignatelli
, Ambaffadeur d'Efpagne , chargé d'une
Commiffion particuliere de Sa Majesté Catholique ,
fit dans l'Eglife de l'Abbaye Royale de Saint Ger
main des-Prés , la cérémonie d'armer Chevalier
de l'Ordre de Calatrava , le Marquis de Maenza
Seigneur Elpagnol , auquel le Prieur de l'Abbaye
donna Thabit du même Ordre.
On apprend de Lisbonne , du premier Septembre
, que le nouveau Roi de Portugal , voulant
faire refpecter par les Corfaires de Barbarie les
Côtes de fon Royaume d'Algarve , où ces Pirates.
ont quelquefois eu l'audace de faire des defcentes,
DECEMBRE. 1750. 189
& de piller quelques Villages , avoit ordonné que
l'on armat en guerre dans ce Royaume , un Schebeck
& quelques petits Bâtimens , dont il a donné,
par un Décret du 26 Août , le commandement
à Gafpard Pinheiro du Camara Manoel , avec les
appointemens de Capitaine-Lieutenant.
Du 14 , Actions , 18 cens 52 livres 10 fols ; Billets
de la premiere Loterie Royale , 1714 ; de la
feconde , 662
Le 10 , Monfeigneur le Dauphin & Madame la
Dauphine le rendirent à Fontainebleau de Verfailles.
Le 15 , jour de la Fête de Sainte Théréfe , la
Reine, Monfeigneur le Dauphin , Madame la Dauphine
, & Mefdames de France , allerent entendre
la Melle aux Baffes- Loges.
Le 18 , fur les fix heures du foir , Madame Sophie
& Madane Louife arriverent de Fontevrauld
en cette Ville , & furent reçues de la Reine & de
la Famille Royale avec les plus grands témoignages
de tendreffe. Tous les Princes & Princeffes du
Sang s'étoient rendus chez la Reine pour l'arrivée
de ces Princeffes. Le Roi , Monfeigneur le
Dauphin & Madame Victoire étoient allés au- devant
d'elles jufqu'au de là de la pofte de Bouron ,
& l'entrevue avoit été marquée par les démonftrations
les plus vives de joie & de fenfibilité . Ces
Princeffes , élevées dans l'Abbaye de Fontevrauld
depuis l'année 1738 , en partirent le 14 de ce mois,
accompagnées de la Maréchale Ducheffe de Duras
, leur Dame d'Honneur , chargée par le Roi
de la conduite ; de la Marquife de Clermont Galerande
, leur Dame d'Atour ; des Comteffes de
Coigny & de Caftelane , Dames de Compagnie ,
& des Demoiselles de Welderen & de Braque ,
Demoiselles de Confiance ; d'un Détachement de
190 MERCURE DE FRANCE.
la Maiſon du Roi ; de quatre Pages de la Petite-
Ecurie , commandés par les Chevaliers d'Allard &
de la Valette , Ecuyers de Sa Majefté , nommés
pour fervir ces Princeffes en la même qualité ; de
dix - huit Gardes du Corps , y compris un Brigadier
& un Sous- Brigadier , aux Ordres de M. de Veillère
, Exempt de la Compagnie Ecofloife. Elles
coucherent le 14 , à Tours ; le 15 , à Amboife ;
Je 16 , à Cleri , & le 17 , au Château de Bellegarde.
Durant toute la route , elles ont vu les
peuples s'empreffer également partout à fe préfenser
en foule for leur paflage , & leur témoigner
par mille acclamations , les voeux qu'i's forment
pour leur bonheur & pour celui de leurs Majeſtés ,
& de toute la Famille Royale,
On apprend de Verſailles , qu'à la fin de la femaine
derniere , Madame avoit été très - malade ,
& même en quelque danger ; mais que le 19 & le
20 elle avoit paru parfaitement rétablie.
Le 19 , après une Meſſe folemnelle du S. Efprit ,
le Chancelier de France pola la premiere pierre du
Bâtiment de la nouvelle Communauté du Curé de
Saint Roch.
Des lettres de Lifbonne du premier de Septem
bre, marquent qu'il y venoit d'arriver de la Baye
de Tous les Saints un Vaiſleau , lequel a rapporté
que l'on avoit appris dans ce Port par deux Navires
venus des Indes , que le premier d'Août 1749 ,
Anaverdi Kan , Nabab ďArčatte , avoit été battu
par le Nabab Chandafaed , fecouru des François ,
qu'auffitôt après la défaite , il avoit offert volon
tairement à la Couronne de Portugal la Ville de
San-Thomé , nommée autrement Méliapor , &
tous les Villages fournis à la Jurifdiction ; que le
27 du même mois d'Août , le P. Antonio de la Puficaçam
, Religieux Francifcain , né dans les InDECEMBRE.
1750. 191
des d'une famille illuftre & defcendant des deux
Maifons de Caftio & de Noronha , avoit , en préfence
de plufieurs Portugais, tant Européens qu'A
fiatiques , pris poffeffion , au nom du Roi de Portugal
, de la Ville de San- Thomé , qu'il s'étoit
conftitué lui- même Abaldar ou Gouverneur de
tout le District , & que fur le champ il en avoit
fait part au Marquis d'Alorna, Viceroi & Capitai
ne Général des Indes Portugaifes , afin qu'il donrât
les ordres néceffaires. Suivant les Relations
venues en France de Pondichery par le Vaiffeau
l'Apollon , entré dans le Port de Breft le 19 de Mars
de cette année , la Ceffion dont il s'agit ne peut
pas être l'ouvrage du Nabab que l'on vient de
nommer. Anaveidi Kan étoit un des Chefs des
Marattes , Peuples de lindoftan , que les Maures
avoient anciennement fubjugués , & qui depuis
environ 20 ans ont fecoué le joug du Mogol , &
font continuellement des courfes dans les Provinces
de la Côte de Coromandel . En 1737 , ils tuerent
, chafferent ou firent prifonniers de guerre
pre que tous les Seigneurs Maures qui gouvernoient
les Etats les plus voifins de Pondichery.
Chandafaeb , Nabab de Trichenapaly & Gendre
du Nabab d'Arcatte fut un de leurs prifonniers.
Après une négociation de plufieurs années , il ob
tint fa liberté des Maranes , à condition de leur
payer 16 Lacs de Roupies ( 4 millions Tournois , le
Lac valant 100 mille Roupies , & la Roupie so fols
de notre monnoye . ) Comme ancien ami des François
, il eut recours , à,M . Dupleix , Général de la
Nation dans les Grandes - Indes , & le pia de l'aider
à raflembler cette fomme Le Général François
, la trouvant exorbitante , agit fi puillamment
auprès de Ragogibouzulu , Général des Marattes,
qu'il le fit confentir à le contenter de deux Lace
192 MERCURE DE FRANCE .
de Roupies ( soo mille francs. ) Dès que Chandafaeb
fut libre , il traita avec Nizamelmoulouck ,
Lieutenant Général de l'Empire Mogol , de la Na.
babie d'Arcatte,dont Anaverdi- Kan s'étoit emparé.
Ces chofes s'étant paffées pendant que les Anglois
affiégeoient Pondichery , Chandafaeb ne put être
fecouru par les François , qu'après que l'on eut
reçu la nouvelle de la Paix conclue en Europe,
Son fils , qui depuis 1737 n'avoit point quitté Pondichery
, convint alors des conditions aufquelles
on lui donneroit du fecours , & M. Dupleix fit
marcher auffi tôt deux mille Cipaies , foixante
Caffres , & 420 François . Chandafaeb , à la tête
de dix à douze mille hommes , la plus grande partie
de Cavaletie , étoit entré dans les Etats de fon
ennemi , qui s'avançoit à la rencontre avec lept
mille hommes de Cavalerie , fix mille d'Infanterie,
& vingt piéces de canon. Ces forces , fupérieures
aux fiennes , l'obligeoient de fe retirer , lorſque
Je fecours le joignit à dix lieuës d'Arcatte. Anaverdi-
Kan alla fe renfermer auffi tôt dans un Camp retranché
qu'il borda de fon Artillerie Ce Camp
étoit couvert , d'un côté , par une montagne inacceffible
de toutes parts ; de l'autre , par un ruiffeau
profond , qui formoir un marais , & l'on n'y
pouvoit aborder que par ce marais même. Les
François s'y prélenterent le 31 de Juillet au matin,
& non le premier d'Août , comme portent les
nouvelles de Lisbonne. Leur ardeur étoit fi grande
que , quoiqu'ils fuffent à jeun , ils voulurent for
le champ attaquer les retranchemens . Ils les forcerent
, après avoir été repouflés trois fois , &
l'action ne dura guéres plus d'une heure. Les
principaux Officiers d'Anaverdi Kan , fes plus proches
parens , & ce Nabab lui- même , difent no
Relations , furent tués au centre de l'attaque
Mounouroudi - Kan "
DECEMBRE 1750. 193

Mounouroudi-Kan , fon frere , fut fait prifonnier.
Mafous-Kan , fon fils , rallia ce qu'il put de Cavalerie
, & côtoyant la montagne , alla ſe jetter fur
les Troupes de Chandafaeb , qui n'avoient point
eu part à l'action . Les François & leurs Cipaies
chargerent Mafous- Kan en queue , acheverent
de mettre la Cavalerie en déroute , & l'obli.
gerent de fe rendre prifonniers de guerre aux gens
de Chandafaeb , qui , dans l'inftant qu'il avoit
vú le Drapeau François arboré fur les retranchemens
ennemis , s'étoit mis à la pourfuite des
fuyards. Il y eut plus de mille hommes tués
des troupes d'Anaverdi- Kan , & le nombre des
bleflés fut beaucoup plus confidérable . Les François
perdirent un Officier avec dix Dragons ou
Fantaffins , & leurs bleffés furent au nombre de
foixante dix . Le Comte d'Auteuil , qui les commandoit
, reçut un coup de feu à la cuiffe. Chandafaeb
eut peu de monde de tué , & fit un butin
immenfe. Auffi- tôt après la victoire , la plus grande
partie de la Cavalerie ennemie s'enrôla dans fon
armée , & le reconnut pour Souverain , en lui prêtant
ferment de fidélité . Son premier foin , dès
qu'il fut rétabli dans la Nababie d'Arcate , fut de
remplir les conditions aufquelles il avoit obtenu
du fecours. Il fit remettre au Général François le
Paravana , ou l'Acte de Ceffion de la Ville de
Vilnour , & de fes dépendances , confiftant en 45
Villages , qui bordent le territoire de Pondichery
Du 22 : Actions , 18 cens ss ; Billets de la premiere
Loterie Royale , 714 ; Billets de la feconde , 662 .
Au mois d'Octobre , dernier Monfeigneur le
Dauphin prit féance, pour la premiere fois , au
Confeil des Dépêches .
La Ducheffe Douairiere de Brancas , nommée
en furvivance , Dame d'Honneur de Madame la
1. Vol. I
194MERCURE DE FRANCE.
Dauphine , prêta ferment le 28 , pour cette Char
ge , entre les mains de cette Princeffe.
Le même jour , le Commandeur de la Cerda ,,
Envoyé Extraordinaire du Roi de Portugal , eut
une audience particuliere du Roi. Il y fut conduit
, ainsi qu'à celle de la Reine , par le Chevalier
de Sainctor , Introducteur des Ambaſſadeurs.
Le Roi a nommé depuis peu , pour la Maiſon
de Madame Henriette & de Madame Adelaïde ,
Premier Aumônier , l'Evêque de Meaux ; Chevalier
d'Honneur , le Baron de Montmorency ,
Commandeur des Ordres de Sa Majesté , Dame
d'Honneur , la Ducheffe de Beauvilliers ; Premier
Ecuyer , le Marquis de l'Hôpital , Ambaffadeur
Extraordinaire de Sa Majefté auprès du Roi des
Deux Siciles , & Chevalier de l'Ordre de Saint
Janvier.
Sa Majefté a auffi nommé la Marquise de Ciermont
Galerande pour remplir la Charge de Dame
d'Atour de Meldames Victoire , Sophie , &
Louife-Marie , & pour accompagner ordinairement
ces Princeffes , la Comtefie de Coigny , la
Marquife de Boafers , la Conteffe de Caftellanne
la Marquife de Château Regnauld , la Marquife
de Goifbrunt , & la Com effe de Molde.
La Duch fle de Beauvilliers a été nommée pour
remplir , près de Meldames de France , la place
que la Ducheffe Douairiere de Brancas occupoit.
Le Roi a donné la place d'Hiftoriographe de
France à M. du Clos l'un des Quarante de l'Académie
Françoife , focié de l'Académie Royale
des Iafcriptions & Belles Lettres.
Du 28 : Atto is , 18 cens 62 ; Billets de la premiete
Loterie Royale , 722 ; B llets de la feconde ,
672.
Le 31 Octobre , veille de la Fête de tous les
DECEMBRE. 1750. 195
Saints , la Reine communia par les mains de l'Evêque
de Chartres , fon Premier Aumônier. Monfeigneur
le Dauphin , Madame la Dauphine , &
Meldames de Fra ce communicrent auffi par les
mains de leurs Aumôniers & Chapelains . L'aprèsmidi
, le Roi , la Reine , Monfeigneur le Dauphin ,
Madame la Dauphine & Meldames de France
affifterent en bas dans la Chapelle du Château
aux premieres Vêpres de la Fête , qui furent chantées
par la Mufique.
Le lendemain , jour de la Fêre , le Roi , la Reine
& toute la Famille Royale affifterent en bas dans
la Chapelle à la Meffe , au Sermon de l'Abbé
Poule , Docteur de Sorbonne , & aux Vêpres.
L'Evêque de Meaux officia à la Meffe & à Vêpres ,
qui furent chantées par la Mufique.
Le Comte de Kaunitz-Rittberg , venu en France
pour réfider auprès du Roi , en qualité d'Ambaffadeur
ordinaire de l'Empereur & de l'Imperatrice
Reine de Hongrie & de Boheme , arriva le premier
en cette ville. Le lendemain , il ent fa premiere
audience particuliere du Roi. Il fut conduit
à cette audience , ainfi qu'à celles de la Reine , de
Monfeigneur le Dauphin , de Madame la Dauphine
& de Mefdames de France , par le Chevalier
de Sainetot , Introducteur des Ambaffadeurs.
Le 27 du mois paflé , le Comte de Kaunitz-
Rittberg , Ambaffadeur de l'Empereur & de l'Impératrice-
Reine de Hongrie & de Bohéme auprès
de Sa Majefté , arriva dans cette Ville .
Le Roi a difpofé en faveur de M. Batteux ,
Chanoine de l'Eglife de Reims , & Profeffeur d'Eloquence
au Collège de Navarre , de la Place de
Profeffeur en Philofophie Gecque & Latine au
College Royal de France , vacante par la morg
de l'Abbé Terraflon.
Iij
196 MERCURE DE FRANCE.
D. Romain de la Londe , Licencié ès Loix &
Grind Prieur de l'Abbaye Royale & Exemption
de Fécamp , Ordre de Saint Benoît , Diocèle de
Rouen , étant affifté de tout le Clergé Séculier &
Régulier de la Ville , bâtifa , le 30 Septembre dernier
, dans l'Eglife de l'Abbaye , deux Juifs Portugais
, nouvellement convertis à la Foi Chrétienne.
Ces Néophites étoient vêtus de robes de ſatin
blanc . Ils coinmunierent à la Meſſe Solemnelle ,
qui fut célébrée enfuite en actions de graces , &
qui fut chantée par la Mufique de l'Abbaye. L'an
cut pour Parrain le Commandeur de la Cerda ,
Envoyé Extraordinaire du Roi de Portugal en
cette Cour , & pour Marraine la Marquife de
Mouchy , veuve du feu Marquis Paon , Chevalier
de l'Ordre Militaire de Saint Louis , & Brigadier
des armées du Roi. Le Parrain de l'autre fut le
Marquis d'Houdetot , & la Marraine l'époufe de
M. de Beaunay , Chevalier , Seigneur de Boishymont.
Du 4 : Actions , 18 cens 62 livres , 10 fols , Billets
de la premiere Loterie Royale , 738 ; Billets
de la feconde , 685.
Les Religieux de la Trinité & de la Merci , qui
étoient alles à Alger pour racheter les François
qui y étoient Efclaves , en font revenus le 20 Septembre
, à Marseille , avec cent foixante - onze
François , qu'ils ont rachetés des fonds de leurs
Collectes. Ils fe propofent de les conduire dans
les principales villes du Royaume , pour y faire
voir le bon ufage qu'ils font des Aumônes des Fidéles
, & s'en procurer de nouvelles pour aller racheter
les François , qui font en efclavage dans les
autres Etats de Barbarie. Ces François n'ont point
été pris , ni faits Efclaves fous le Pavillon du Roi ,
mais fur les Navires au ſervice des autres PuiflanDECEMBRE
. 1750. 197
ces , qui n'ont point de Traités avec les Régences
de Barbarie. Les Religieux de la Trinité ont ra
cheté cent cinq Efclaves , & les Religieux de la
Merci foixante & fix.
Le 12 Nov. l'ouverture du Parlement fe fit avec
les cérémonies accoûtumées par une Meffe foleinnelle
, qui fut célébrée par l'Abbé de Sailly , Chanoine
& Grand- Chantre de la Sainte Chapelle , &
Aumônier de Madame la Dauphine. M. de Mauaffif-
Y
Premier Préfident , & les Chambres
peou ,
terent.
La Cour des Aides recommença le même jour
fes Séances. M. de Lamoignon de Blancmefnil ,
Premier Préfident , en fit l'ouverture par un Difcours
très éloquent Sur l'Amour de la Vérité. M.
Bellanger , Premier Avocat Général , parla enfuite
avec une pareille éloquence , Sur l'amour que l'on
doit avoir pourfa Profeffion.
M. Bertin de Bellifle , Maître des Requêtes ordinaire
de l'Hôtel du Roi , vient d'être nommé
par Sa Majesté à l'Intendance de Rouſſillon , à la
place de feu M. de Ponte , Comte d'Albaret , lequel
étoit en même tems Premier Préfident de la
Cour Souveraine de Perpignan , & Intendant de
la Province .
Le Marquis de Cruffol , Maréchal des camps.
& armées du Roi , fut nommé dernierement par
Sa Majefté , pour aller en qualité de fon Min : ftre
Plénipotentiaire réfider à la Cour de Parme.
Le 10 , les Actions étoient à dix huit cens cinquante
-deux livres , dix fols ; les Billets de la premiere
Loterie Royale ,à fept cens quarante- huit
livres , & les Billets de la feconde Loterie Royale ;
à fix cens quatre-vingt- fix .
I ii!
195 MERCURE DE FRANCE.
BENEFICES DONNE'S.
LbRodanommé
de TarbesàDio-
E Roi a nommé l'Evêque de Tarbes à l'AB
céfe de Rouen .
L'Abbé de Gafeq . Vicaire Général d'Evreux ,
à l'Abbaye de Saint Martin de Nevers , Ordre de
Saint Auguftin .
L'Abbé de Serray , Comte de Brioude , à l'Ab
baye de Thiers , Ordre de Saint Benoit , Diocéfe
de Clermont.
La Dame de Cendres , Religieufe de Citeaux ,
à l'Abbaye de Mercaire , mênie Ordre , Diocéle
de Mende .
L'Abbé le Grand , Vicaire Général de Nevers ,
au Prieuré de Ramerue , Ordre de Saint Benoît ,
Diocéfe de Troyes.
L'Abbé de Baudry , au Doyenné de S. Martin
de Tours.
NAISSANCE
ET MORTS.
E 14 Novembre , au matin , Madame la Com.
Lt.14 au aconcha d'une fille , qui
fut baptifée le lendemain à l'Egliſe de Saint Sulpice
, fa Paroifle , & nommée Marie -Charlotte.
Le 12 Août , Louis Conftant , Marquis de Beau
ci-de- veau , M. ftre de Camp de Cavalerie ,
vant Enfeigne des Gendarmes , mourut , âgé de
29 ans , & fut inhumé à Saint Euftache ,
Le 13 , François de Pont , Seigneur d'Egrivay ,
des Gendarmes de la Garde du Roi , Capitaine de
Cavalerie , mourut & fut inhumé à Saint Germain.
de l'Auxerrois,
.DECEMBRE
. 1750. 199
Le 19, Marie - Louiſe de Seigle , veuve de Louis-
Henri Jacques Marquis de Luigné , mourut , âgée
de 66 ans , & fut inbumée à S. Sulpice.
Le 20 , Jacques de Gagnian Comte de Vilennes
Mestre de Camp de Cavalerie , Chevalier de l'Ordre
Royal & Militaire de Saint Louis , Baron de
Louplande , Seigneur de la Chapelle , Rainfouin
& autres lieux , mourut âgé de 58 ans , & fut inhumé
à Saint Sulpice.
Il étoit fils de François de Gagnian , Marquis de
Vilennes , Lieutenant Général des armées du Roi,
Lieutenant de fes Gardes du Corps , Gouverneur
des Ville & Château de Niort en Poitou , mort en
1738 I refte de cette Maifon , fortie du Comté
de Flandres , & établie depuis plus de quatre fiécles
dans le Maine , Louis - Jacques Fernand de Gagnion
, Marquis de Vilennes , Capitaine de Cavalerie
, & Marie-Antoinette de Vilennes , frere &
feeur , de pere feulement , de celui qui donne lieu
à cet article.
Le 25 , Anne d'Ambly , veuve de Gafton -Jean-
Baptifte de Teiras , Chancelier de S. A. R. M. le
Duc d'Orléans , Régent du Royaume , mourut ,
âgée de 80 ans , & fut inhumée à Saint Sulpice.
Le 3 Septembre , N. Deshats - Gendron , fi connu
dans toute l'Europe par fon habileté dans la cure
des maladies des yeux , mourut , âgé de 88 ans. Il
avoit été Médecin de feu Monfieui , frere du Roi
Louis XIV , & du feu Duc d'Orléans. Il laiffe un
neveu de fon nom & fon éleve , qui fait ſa réſiden .
ce en cette Ville , & dont les talens & le zéle pour
les pauvres font déja connus du l'ublic .
Le 6 , Anne - Genevieve Bertin , époufe d'Antoine-
Guillaume de Tredefond ,
de Sau-
Seigneur
vagnat , Chevalier d'honneur au Prefidial de Clermont
Ferrant , mourut & fut inhumée à Saint Nicolas
des Champs. I iiij .
200 MERCURE DE FRANCE.
Le 7 , Pierre Pongin de Nomion , Confeiller , Se
cre taire du Roi , Maiſon , Couronne de France
& de fes Finances , Receveur Général des Finan
ces de la Généralité de Bourges, mourut & fut in
humé à Saint Eustache.
Le 9 , Claude Nerot , Chevalier de l'Ordre de
Saint Michel , Secretaire du Roi , Garde Général
des meubles de la Couronne , monrut , âgé de 79
ans , & fut inhumé à Saint Eustache .
Jean Jacques Briffart , Ecuyer , Confeiller Subftitut
de M. le Procureur Général du Parlement
, mourut à Paris, le 14 , âgé de 23 ans &
demi paffés , étant né le 9 Décembre 1727. Il
étoit fils de Jacques Briffart , Ecuyer , Seigneur de
Triel , Chanteloup , Eucquemont , Thun & autres
lieux , Confeiller , Secretaire du Roi , Maiſon ,
Couronne de France & de ſes Finances , & de Dame
Marie- Role Teffier , fon épouse , morte le 9
Novembre 1734 , & frere d'Augufte Simon Briffart
, Ecuyer, dont nous avons annoncé le mariage
dans le Mercure de Juin dernier.
• Le 15 Meffire Jean Simon Briſart , Abbé
Commendataire de l'Abbaye Royale de S. Martin
de Nevers , Prieur du Chapitre de S. Orens d'Auch,
& Maître des Requêtes de la Reine , mourut fubitement
, au moment qu'il partoit pour le convoi
de fon neveu , dont on vient d'annoncer le décès.
Il étoit frere de M. Briffart , Secretaire du Roi , cideffus
nommé , & âgé de 68 ans , 7 mois , un jour,
étant né le 14 Février 1682 .
Le même jour, Jean Terraffon , Prêtre du Diocéfe
de Lyon , l'un des Quarante de l'Académie
Françoife , Affocié vétéran de l'Académie Royale
des Sciences & Profeffeur de Mathématiques au
Coliége Royal de France , mourut , âgé de S4 ans.
Le 18 , Catherine- Françoife Brilart de Silleri ,
DECEMBRE. 1750. 201
veuve de Pierre Alleman , Comte de Montmartin
Lieutenant de Roi en Dauphiné , mourut , âgée de
78 ans , au Château de Saint Point en Mâconnois .
Le Comte de Montmartin , veuf en premieres nôces
de N ... de Sêve , l'avoit épousée le 2 Mai
1697. Elle étoit fille aînée de Roger Brûlart de
Silleri , Marquis de Puyfieulx , Lieutenant Général
des armées du Roi , Chevalier de fes Ordres , &
Ambaffadeur en Suiffe , & de Claudine Godet de
Kenneville. Elle étoit four de Félix - François Brû.
lart , Marquis de Silleri , Colonel d'un Régiment
d'Infanterie de fon nom , Brigadier des armées du
Roi , tué fans alliance à la Bataille d'Almanza le
27 Juillet 1707 ; de Gabrielle Charlotte , veuve en
1714 de François Jofeph Marquis de Blanchefort ,
Site & Baron d'Afnois , décédé le 16 Janvier 1740,
& de Claudine , décédée en 1737 , veuve depuis
1731 de Pierre Brûlart , Marquis de Genlis , fon
coufin. Elle laifle de fon mariage une fille unique,
mariée au Marquis de Saint Point , Baron de Sennaret
& des Etats de Languedoc , qui a pour foeur
confanguine du premier lit du Comte de Montmartin
, Madame la Maréchale de Balincourt.
La nuit du 26 au 27 , Mre Abraham- LouisDuc de
Harcourt , Pair de France , Prélat Commandeur
des Ordres du Roi , Abbé des Abbayes Royales
de N. D. de Signy , Ordre de Cîteaux , Diocèle
de Reims , & de Saint Taurin , Ordre de Saint Benoît
, Congrégation de Saint Maur , Diocèle d'Evreux
, Docteur en Théologie de la Faculté de Paris
; Chanoine & Doyen honoraire de l'Eglife
Métropolitaine de Paris , y mourut dans la cinquante
fixieme année de fon âge. Ce Seigneur ,
refpectable par fes vertus Chrétiennes & Mora.
les , n'a furvécu que 78 jours à fon frere le
Maréchal Duc de Harcourt , mort le 10 Juillet
I V
202 MERCURE DE FRANCE..
dernier. Voyez le Mercure de Septembre.
Dans le même mois , Charles- Achilles deMont-
Louis , Marquis de Brivaque , Comte de Beaumanoir
, mourut en fon Château de Gatinoy , âgé de-
100 an & quelques jours , étant né le 30 Septembre
1550. Il laifle d'Eleonore de Cramezel ,.
Dame de Mont- Louis , fon épouse en fecondes .
nôces , actuellement âgée de 44 ans , Charles-
Achilles de Mont - Louis , âgé de 20 ans , qui vient
d'être admis dans l'Ordre de Maite . Ce jeune
Chevalier a prouvé 18 degrés de nobleffe du côté
de fon pere & onze du côté de la mere , dont un
des Ancêtres fut annobli en 1189 par le Roi d'An--
gleterre , en confidération des fervices qu'il lui
avoit rendus.
Il eft mort depuis peu dans la Paroiffe d'Atray ,.
Election de Pithiviers , Diocèle d'Orléans , deux
femmes , dont l'une , âgée de 102 ans , le nommoit
Marie Phelipeau , & l'autre , âgée de 105
ans , fe nommoit Marie Chiffet.
Le 2 Octobre , Leon Madaillan de l'Esparre ,.
Marquis de LaJay, Brigadier des armées du Roi ,
mourut , âgé de 72 as , fur la Paroiffe de Saint:
Sulpice , & fur tranſporté à Laffay , Diocèfe du
Mans. Il étoit fils du fecond lit d'Armand Madaillan
de l'Efp.rie , Marquis de Laßlay , Licutenant
Général au Gouvernement de Breffe , Bugey,
Gex & Valromey , Chevalier des-Ordres du Roi ,
& de Marie- Anne Pajot , fa feconde femme , &
petit-fils de Louis de Madaillan de l'Esparre , Marquis
de Montataire , & de Sufanne Vipart- de- Sain
te Croix , la premiere femme . Il a eu deux foeurs ,
fçavoir , 1 °. Marie- Conftance- Adelaide , fille du
premier lit , marée à Gafpard Alexandre Comte
de Coligni , 2 ° . Anne - Louife , née du troifiéme lit ,
& mariée à Simon Gabriel , Marquis d'O.`Il avoit
DECEMBRE. 1750. 203
époufé au mois d'Avril 1711 , fa propre tante ,
Reine Madaillan de l'Esparre , fiile de Louis Marquis
de Montataire & de Marie- Therele Rabutin ,
fa feconde femme dont il n'a point eu d'enfans.
Le 10 , Pierre-Jacques Marion Dumefnil , ancien
Capitaine au Régiment de Piémont , mourut :
agé de 48 ans , & fut inhumé à S. Euftache .
Le 12 , Marie-Anne Millau , éponſe de N. Baudouin
, Prefident , Tréforier de France de la Généralité
de Bordeaux , mourut & fut inhumée a Saint
Jacques du Haut Pas.
Le même jour , Mre Jean deFay d'Haftie de Silly,
Piêtre du Diocèle de Laon , Prieur de Notre-Dame
de Caffan , Ordre de Saint Auguftin , Diocèle
de Beziers , mourut , âgé de 87 ans , & fut inhumé
à Saint Sulpice.
Le même jour est décédée au Monaftere des
Dames de la Vifitation de Nancy , Dame Marie-
Therefe de Beauvau , Douairiere de Jofeph Com
te des Armorfes , Seigneur de Jaulny en Lorraine ,
Chambellan de feu S. A R. Léopold , Duc de Lor--
raine , & Grand -Baillif de Pont-à Mouffon . Aut
jour de fon décès , arrivé le 9 Novembre 1749 elle
fé retira dans ce Monaftére . Elle étoit fille de Louis ·
de Beauvau , Chevalier , Seigneur des Pins , de la
Fondriere , & autres heuz , mort en 1692 , & de
Jeanne Langlois , fon époufe , morte au Château
des Pins au mois de Septembre 1690. Louis
de Beauvan , Seigneur des Pins , éroir frere puîné
de Jacques Louis de Beauvau , Seigneur de Rivaranne
, Courquoi & Boizé , de la Broffe , Theniou ,
Ja Buffiere , Hazac , Lormet , & autres lieux , pere
de Louiſe de Beauvau , Dame de la Broffe , Thé--
niou , la Baffiere , Hazac & Lormer , veuve de
François Comte de Rochefort, de la véritable Maifon
du nom de Rochefort , qui a poflede les plus
Ivj
204 MERCURE DE FRANCE.
grandes Charges du Royaume , dont Guillaume &
Guy de Rochefort , Chanceliers fous le Regne de
Louis XI , Roi de France . Ils étoient tous deux
de la Branche de Beauvau , du Rivau & de Rivaranne
, iffus de Louis de Beauvau , frere puîné de
François de Beauvau , Seigneur de Rivaranne ,
Beugny & Crifcé en Touraine . Louis de Beau.
vau , Seigneur de Rivaranne , Courquoi & Boifé ,
avoit épousé Louife de la Chenaye , par Contrat
paffé le 23 Novembre 1649 , au Château des Pins,
Prevôté de Soing en Sologne . Elle étoit fille &
feule héritiere de Pierre de la Chenaye , Seigneur
de la Broffe , Théniou , & de Claude de Brulebauit.
On prétend que cette Maiſon de Beauvau defcend
d'Ingelger , Comte d'Anjou , qui vivoit l'an
889 , & que de lui la Branche cadette de ce Prince
a duré jufquà Foulques d'Anjou , Chevalier , Seigneur
de Briolay , qui épouſa Berthe de Mayenne,
dont il eut Foulques II du nom , Seigneur de Beauvau
& de Jarzay, lequel tefta & mourut l'an 1000 ,
trois jours après Pâques . Ce Teftament eft gardé
dans les Archives du Riveau , où le Sceau dudit
Seigneur eft repréſenté à cheval. La Branche aînée
de cette Maifon eft Meffieurs les Princes de Craon
& de Beauvau, pere & fils , Princes du Saint Empire,
qui font Grands d'Eſpagne de la premiere Claffe.
Les Seigneurs de cette Maifon ont été employés
dans les plus grandes Charges Militaires & dans
celles de la Maifon du Roi , & ont eu plufieurs Archevêques
& Evêques , & Commandeurs des Ordres
du Roi. Ils ont pris les plus belles alliances
du Royaume , comme celle d'Ifabeau de Beauvau ,
Dame de la Roche fur- Yon , qui époufa par Contrat
, paffé à Angers le 9 Novembre 1454 ; Jean de
Bourbon , Comte de Vendôme , buitiéme Ayeul
& Ayeule du Roi Louis XV , à préfent regnant.
DECEMBRE
. 1750. 205
A l'égard de la Maifon des Armoiſes , elle eſt
l'une des plus illuftres ,étant fortie en ligne directe
& mafculine des anciens Comtes de Flandres , pore
tant les mêmes Armes , ils ont eu de grandes Seigneuries
, & font alliés aux meilleures Maifons du
Royaume de France & de Lorraine , notamment
Jofeph , Comte des Armoifes , qui avoit épousé
Marie-Therèle de Beauvau , & fon frere puîné ,
Etienne , Marquis des Armoiles , Seigneur d'Aulnoy
& de Jaulny , a époufé Anne de Beauvau ,
fille de feu M. le Maréchal de Beauvau de Lorrai
De , frere aîné du Prince de Craon , leſquels mari
& femme font vivans.
La Dame qui donne lieu à cet article , a été inhumée
dans la Chapelle de Beauvau , en l'Egliſe
des RR . PP . Minimes de Nancy.
Le 14 , Dom Hyacinthe Maurice , Religieux
Benedictin de la Congrégation de Saint Maur
Hiftoriographe des Etats de Bretagne , mourut à
Paris au Monaftére des Blancs- manteaux , âgé de
58 ans , & y fut inhumé.
Le même jour , Jean - Baptiste- François , Marquis
de Siougeat , Capitaine de Dragons , au Régiment
du Roi , mourut âgé de 28 ans , & fut inhumé
à Saint Euſtache.
Le même jour , Antoine Marie de Ponte , Comte
d'Alberet de Letoul , Seigneur d'Armiflant &
de Combelongue , la Quatouze , & c . Confeiller
du Roi en fes Confeils , Premier Préſident du Con-
1 eil Souverain de Rouffillon , Intendant de la
Province & Comté de Foix , mourut âgé de 59
ans , & fut inhumé à Saint Euftache .
Le 16 , Genevieve Sufanne de Breget , époule
de N.de Favieres , Confeiller au Parlement , mourut
, & fut inhumée à Saint Nicolas - du - Chardonnet.
206 MERCURE DE FRANCE.
Le même jour , Honoré - Guillaume Parel Pont
tevez , Seigneur du Revefte , mourur âgé de so
ans , & fut inhumé à Saint Sulpice.
Le 17. Mre Gabriel Antoine de Lavaulx , de la
branche de Vrecourt, Chanoine de l'Eglife Primatiale
de Lorraine,mourut à Nancy dans la foixantecinquième
année de fon âge. Il étoit fils de Charlės
II. Comte de la Vaulx , Baron de Vrecourt ,
Capitaine de Cavalerie au Service de France , &
deMarie -Urfule d'Auzainvillée qu'il avoit épousée
en 1685.
Charles II. étoit fils de Charles I. Comte de
Lavaulx , Capitaine de Cavalerie , & Lieutenant
au Service de France , & de Jeanne Dailly , Rochefort
, Dame de Vannes , & autres lieux , qu'il
avoit épousée en 16 ; 2.
Charles I. étoit fils d'Erard It. Comte de La.
vaulx , Baron de Vrecourt , Premier Gentilhomme
de la Chambre de Henri Dac de Lorraine , en '
1615 , puis Grand Chambelian du Duc Charles
IV , & de Veronique de Lurzelbourg - de- Salfbourg.
C'eft de cet Erard que font forties les troisbranches
de la Maiſon de Lavaulx , qui ſubſiſtent
aujourd'hui fous les noms , 1º . de Neuf- Château ,
2º.de Saint Ouin & de Semerecourt , 3 ° de Vrecourt.
Celle ci eft repréſentée par Charles IV.
Comte de Lavaulx , Baron de Vrecourt , Guidon
de Gendarmerie , & neveu de Gabriel- Antoine qui
donne lieu à cet article
La Maison de Lavaulx , connue en Lorraine
depais plufieurs fécles , s'y vint établir dans le
treiziéme . Elle eft originaire du Comté de Chiny,
d'où elle a paffé dans le Luxembourg & le Barrois,
par les différentes ailinces qu'elle a prifes dans le
Barrots . Flie eft très - ancienne & très - illaftre , & %
tkatle troifiéme rang dans les Alfiles , comme la²
DECEMBRE..
1750. 207
troifiéme Maifon pariée & fiefée de l'ancienne-
Chevalerie de ces Etats..
Cette Maiſon a pour armes écartelé au premier
& au quatrième de fable à trois herfes renverséesà
trois pointes d'argent , au fecond & au troifiéme
de fable à trois tours d'argent 2 , 1 , crénelées &
aniffonnées de fable ,fupports deux Sauvages au >
naturel. Voyez le Crayon de la Nobleſſe de Lorraine,
par Hufon ; 'Hiftoire de Luxembourg , par le Pere
Bertholet , Jefuite , & l'Armorial de Lorraine.
Le 19 , Anne-Françoife Thuillier , veuve de-
Guillaume Choart , Marquis dé Buzenval , Colonel
de Cavalerie , ci - devant Capitaine Lieutenant:
de la Compagnie des Chevau - Legers de la Gardede
la Reine d'Espagne , mourut à Paris âgée de 53
ans ,fur la Paroille de Saint Sulpice , & fut tranf
portée à Ruel.
Le 25 , François Trahan de Beau'ans , ancien
Capitaine de Cavalerie des Milices de Saint Domingue,
& Lieutenant des Gardes de la Porte de :
Sa Majefté , mourut âgé de 63 ans , & fut inhumé :
à Saint Euftache..
"
Le 2 Novembre , Louife-Julie de la Tour d'Auvergne
veuve de François - Armand de Rohan ,.
Prince de Montbazon , mourut fur la Paroiffe de
Sainte Marie Magdeleine de la Ville - l'Evêque , &
fut tranfportée dans l'Eglife des RK. PP. Feuillans
de la rue Saint Honoré . Elle étoit file de Godefio
-Maurice de la Tour , Duc de Bouillon , Pair
& Grand Chambellan de France , & de Marie-
Anne de Mancini . Elle fut mariée le 28 Juin
1698 , & eut un fils qui mourut en 1705 , âgé de
trois ans & étoit veuve depuis le 26 Juin 1717.
Elle étoit foeur d'Emanuel Théodore , Duc de ·
Bouillon , pere de Charles- Godefroi , aujourd'hui
Duc de Bouilion..
208 MERCURE DE FRANCE.
506 506 506 506 504 500 906 326 505 : 503 506 502 505 50%
ARRESTS NOTABLES.
ARRESTdu Confeild'Etat du Roi,du 27
Fevrier , portant confifcation d'une piéce
de drap , faifie fur la veuve de Jofeph Delarue , &
la condamne en l'amende de 300 livres pour contravention
réſultante de l'enlevement des plombs
de Manufacture.
AUTRE du 24 Juin , pour l'ouverture de
l'Annuel de l'année 1751 .
AUTRE contradictoire de la Cour des Aides,
du 15 Juillet , qui infirme une Sentence du Grenier
à fel de Sainte Suzanne , du 16 Décembre
1749 , pour avoir renvoyé le nommé Jacques Corbin
, Fermier au Bignonné , Paroifle de Sauge , de
la demande du Fermier, fous prétexte que la grange
dudit Corbin , dans laquelle il a été faifi da
faux fel gris de Bretagne , ne ferme point à clef, &
qu'elle eft éloignée de plus de cent pas de fa maifon
, confifque le faux fel & condamne ledi Corbin
en deux cens livies d'amende , & aux dépens
des caufes principales d'appel & de demande.
ORDONNANCE du Roi , du même jour ,
pour regler le nombre des Officiers de les troupes
de Cavalerie & de Dragons , qui auront congé
par Semestre.
AUTRE du même jour , pour régler le nom.
bre des Officiers de fes troupes d'Infanterie Françoife
, qui auront congé par Semeftre.
DECEMBRE . 1750. 209
du 19,
ARREST du Confeil d'Etat du Roi ,
qui fixe à fix fols par douzaine les droits de fortie
de la rovince de Languedoc fur les Peaux de
moutous , chevreaux , & autres paflées en chamois,
qui pafferont à l'étranger , & ordonne que celles
qui feront destinées pour la consommation du
Royaume , acquitteront les droits , conformément
à l'Arrêt du 2 Janvier 1748 , à raifon de douze fois
cinq deniers par douzaine pour la Foraine , & de
trois fols un denier pour le Parifis defdits droits .
DECLARATION du Roi , du 26 , en faveur
de l'Hôtel -Dieu & de l'Hôpital Général de Paris.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi , du 28 ,
qui permet l'entrée dans le Royaume pendant une
année , à compter du 18 Septembre 1750 , des
Beures venant d'Angleterre, d'Ecoffe & d'Irlande,
en payant les droits qui font dûs.
AUTRE du 3 Août , portant Réglement pour
les Manufactures établies dans l'Hôpital Général
de Paris.
AUTRE du 4 , portant Réglement pour la
répartition du remboufement du prix des Offices
des Siéges , fupprimés par Edit du mois d'Avril
1749 , & autres Edits , entre les Officiers des Bailliages
& Sénéchauffées auxquels lefdits Siéges ont
été réunis.
DECLARATION du Roi , du 16 , qui
ordonne que la levée du droit de dix fols d'augmentation
fur chaque muid de vin entrant dans la
Ville & fauxbourgs de Paris , fera continuée pen.
dant fix années , à commencer du premier Octobre
prochain , en faveur de l'Hôpital Général .
210 MERCURE DE FRANCE.
AUTRE du même jour , pour continuer an
profi: de l'Hôpital Général & de l'Hôpital des
Enfans.trouvés , la perception pendant fix années
à commencer au premier Janvier 1751 , du vingtiéme
fur tous les droits qui fe levent dans la Ville,
fauxbourgs & banlieue de Paris .
ARREST du Conſeil d'Etat du Roi , du 18 ,
qui ordonne l'exécution des Arrêts du Confeil &
Lettres Patentes des 4 & 13 Septembre 1717 , 24
Novembre & 22 Décembre 1722 , en conféquence
, permet aux Sous Fermiers des Aides des Généralités
de Paris , Châlons , Amiens & Soiffons , de
percevoir aux premiers Bureaux d'entrée deĺdites
Généralités , à commencer au premier Octobre
1750 , les Droits de Gros , Augmentation & autres
y joints , fur les vins & autres boiffons venant des
Jeux exemts d'iceux , deftinés pour l'étendue defdites
fous-Fermes , ou pour pafler par icelles &
aller à l'étranger , ou dans les Provinces réputées
étrangeres , même fur ceux qui emprunteront le
paffage dans lefdites Généralités . Ordonne en outre
qu'il en fera ulé pour les eaux - de-vie comme
par le paffé & conformément aux Arrêts du
Confeil & Lettres Patentes du 4 Juin 1726 & 2
Mars 1728.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi & Lettres
Patentes fur icelui , données à Compiegne le 30-
Juin . Regiftrées au Parlement de Bretagne , le 20
Août , portant reglement pour la Jauge des Bàtitimens
qui chargent des fels dans le terroir de
Guerrande.
ORDONNANCE du Bureau des Financesde
la Généralité de Paris , du 21 , portant defen
DECEMBRE. 1750. 21E
r
fes aux Tonneliers , Marchands de vin & autres
de relier , battre , faire relier & battre aucun tonneau
dans les rues , ou autres voies publiques .
AUTRE du même jour , portant établiffement
de cinq Corps-de gardes de jour de Guet à
cheval , dans la Ville de Paris .
AUTRE du Roi , du 23 , portant établiffement
de fept nouveaux Corps -de- gardes de Guet à
pied , dans la Ville de Paris.
AVIS.
LLissen formede Buffet, de Bibliothèque &de
E Sieur Dufresne , Menuifier , a inventé des
Secretaire , qui peuvent également fervir aux Valets
& aux Maîtres , qui débarraffent extrêmement
les appartemens & les anti- chambres , & qui .
deviennent des Lits en baldaquin, lorfque la houffe
eft tendue. Ces Lits fourniffent d'ailleurs toutes
les commodités de la garderobe.
Le même Ouvrier qui inventa il y a dix ans , les
Perfiennes , ou jaloufies des fenêtres , pour garantir
des injures de l'air , vient d'imaginer une croifée
en Manfarde , à couliffe , fans montant au milieu
, ce qui eft d'une très- grande commodité &
fort élegant. Le Sieur Dufrelne loge rue du Four
Saint Honoré , du côté de Saint Euſtache .
Nous avons eu la curiofité de voir le travail du
Sieur Dufresne, & nous avons été enchantés de la
jufteffe de fes idées , de l'élegance de fon travail.
Cet Ouvrier nous a paru plein d'émulation , & nous.
le croyons pour le moins , auffi fenfible au plaisir d'exseller
dansfa Profeffion , qu'à l'avantage d'y trouver
212 MERCURE DE FRANCE.
fa fortune. Nous invitons les Curieux à voir les inventions
d'un homme qui a une forte de génie , ¿
toute la docilité qu'il faut pour profiter des bons confeils
qu'on lui donnera.
LETTRE
Al'Auteur du Mercure , au fujet d'un reméde
spécifique pour les homorragies de
l'uterus , communément appellées pertes de
Lang.
'Ai trouvé , Monfieur , un réméde fpécifique
pour les homorrhagies , dont les femmes font
tourmentées fouvent , & qui d'ordinaire mettent
leur vie en très-grand danger.
Tout le monde fçait qu'il y a une analogie fin--
guliere entre l'estomach & l'uterus ; qu'on ne ſoit
donc point étonné , fi je propofe ici pour la gué
rifon de ces homorrhagies , une liqueur ftomachique
& cordiale , fruit d'une étude particuliere ,
d'expériences réitérées , & peut - être du hazard ,
qui a beaucoup de part à toutes les découvertes .
Je fuis très - certain que ce reméde n'a rien en
lui ni daus fes effets , de nuifible ou de dangereux,
& que les perfonnes les plus délicates s'en
peuvent fervir. Une bouteille , prife en deux mitins
à jeun fuffira , à moins que la perte n'ait duré
des années , auquel cas il faut en avoir deux ,
quoique une feule m'ait fuffi pour en guérir de
quatre & cinq années de durée . Ce qu'il y a de
furprenant en cette liqueur eft , qu'elle n'arrête
pas les régles , quand on en prend dans le tems de
keur écoulement , de forte que l'on ne doit pas
DECEMBRE. 1750 . 213
appréhender , qu'elle en puiffe caufer l'obſtruction
; au contraite , elles paroiffent couler plus
librement. Cette liqueur fe prépare & fe vend à
mon logis , chez M. Battaille , Apoticaire , rue
Montagne Sainte Geneviève , vis à vis le Collége
de la Marche , à un Louis d'or la Bouteille .
Je fuis , & c.
AVIS.
J. B. Lavery.
Monfieur Albert ,Docteur enMédecine de la
Faculté de Montpellier , fut récompensé par
le Roi , & par les Etats de Languedoc en 1748 ,
pour avoir perfectionné les Rouges de Garence
& indiqué des circonftances de manipulation pour
rendre cette couleur plus vive , fans avoir beſoin
d'aucun avivage.
Ce Médecin encouragé par ces récompenfes ,
s'eft uniquement occupé de tout ce qui peut contribuer
à perfectionner & à affûrer les couleurs . Ces
recherches n'ont pas abouti à des expériences purement
curieuſes , il a corrigé plufieurs opérations
de teintures. Il est le premier qui ait introduit
dans les Manufactures de Languedoc l'ufage
du vitriol bleu pour les verts celadons , ayant dirigé
à cet effet plufieurs expériences en grand ; il a
trouvé & communiqué aux Fabriques de Rouen,
un procédé pour teindre le fil & le coton en jaune ,
& par conféquent en vert de bon teint , qui réfifte
très -parfaitement aux débouillis du favon . Cette
découverte , qu'on défiroit depuis long - tems , eft
extrêmement utile , & lui a mérité de la part des,
douze Jurandes des Toiliers , Paflementiers de
Rouen , un préfent,
214 MERCURE DE FRANCE.
Dans le courant de l'année derniere il reçut
plufieurs ordres de la part de M. le Maréchal de
Richelieu , & de M. le Nain , pour faire la recherche
de quelque couleur riche & brillante , dont
le Roi vouloit faire quelque uniforme. Il a fait
à cette occafion un grand nombre d'expériences ,
& il a trouvé des nouvelles nuances de cramoify
de bon teint , qui furpaflent tout ce qui a jamais
été fait en ce genre . Ses couleurs ont mérité l'ap
probation du Roi , qui s'en eft réfervé une nuancé:
elles font vives & nobles , & de fi bon goûr qu'elles
deviennent à la mode.
M. Albert eft auffi parvenu à imiter parfaitement
le vert de Saxe , dans toutes les nuances qu'on
peut defirer , & ce n'eft qu'au Sieur Moinery ,
Marchand Teinturier des Gobelins , qu'il a communiqué
les differens procédés de teinture , & à
qui on pourra s'adrefler pour toutes ces couleurs,
APPROBATION
.
Jlier ,le ordre le Chances
Ai lu , par ordre de Monfeigneur le Chancedu
préfent mois. A Paris , le 2 Décembre 1750.
MAIGNAN DE SAVIGNY .
TABLE .
FUGITIVES en Vers & en Profe.
Pyersfur la Campagne de Flandre en 1747, 4
Harangue faite au Roi à fon retour ,
7
Hiftone Tragique de Ludovifio Carantani , Milanos
& de les deux filles ,
Dialogue ,
8
20
1
29
88
90
91
La Colonie , Comédie par M. de Marivaux ,
Le Lis & la Marguerite , Fable à Mlle ***
Le ver de terre & le ver à foye , autre Fable ,
Suite de l'Histoire des Croiſades , par M. de Voltaire
,
Vers à M. Gigot de Garville , en lai envoyant le
Traité de Ciceron de l'Amitié ,
Epitre à M. Piron , fur l'heureuſe rencontre qu'il a
faite de fx cens livres de rente , par M. des
Forges Maillard ,
Lettre fut Mlle Lenclos ,
110
112
113
Mots de l'Enigme & des Logogriphes du Mercure
de Novembre ,
Enigmes & Logogriphes ,
123
124
Nouvelles Litteraires . Plans & Journaux des Siéges
de la derniere guerre,
128
Traité de la caufe & des phénoménes de l'Electricité
,
Vanda , Reine de Pologne , Tragédie ,
Le Marchand de Londres , aurre Tragédie ,
Lettres de M. ** à fon ami ,
129
130
ibid.
131
Les détails militaires de M. de Chennevieres , ibid.
Recueil de plufieurs Piéces d'Eloquence & de
Poëfie , &c. 132
Nouveaux Mémoires d'Hiftoire , de Critique & de
Littérature , par M. l'Abbé Dartigni , T. III . ibid.
Nouvelles Obfervations microfcopiques , 133
Le Ciel réformé , 135
ibid.
Nouvel examen de l'ufage général des Fiefs en
France ,
La science du Calcul numérique, & l'Algébre, 136
Lettres diveries & critiques ,
Traité des Sections coniques , &c.
137
ibid.
Queftio medica , an calor animalis ab at ritu in capillaribus
,
140
142
Aflemblée publique & Programme de l'Academie
des Belles -Lettres de Marteille ,
Réflexion fur la fixation du prix des Denrées , 146
Beaux-Arts. Tableaux du Roi , placés dans le Palais
du Luxembourg ,
146
Vers à M. Boucher , fur fon Tableau repréfentant
deux bergeres , dont l'une envoye par une Co- ,
lombe un billet doux à ſon amant , 152
Autres fur l'enfant de marbre de M. Pigalle , te-
• nant une cage , & paroiffant fâché de ce que
on lui a enlevé fon oiſeau ,
Eftampes nouvelles ,
Lettre fur les Tableaux , à Mad . V *** ,
153
ibh.
154
Autre de M. d'Anville , à l'Auteur du Mercure ,
fur la publication d'une nouvelle Carte de l'Afrique
,
Chanton , Air tendre à Mlle B **
Spectacles . Vers adreffés à Mlle Folliot , &c.
Madrigal à Mlle Riviere , par M. Fuzelier ,
Autre , par le même ,
Concert Spirituel ,
Concerts à la Cour ,
157
161
162
163
164
ibid
165
167
188
193
ibid.
208
Début de Mlle Lullie à la Comédie Françoile ,ibi.
Nouvelles Etrangeres ,
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
Bénéfices donnés ,
Naiffance & Morts ,
Arrêts notables ,
Avis du Se du Frefne , Menuifier , &c. 211
Lettre à l'Auteur du Mercure , fur un remede fpécifique
pour les homorragies de l'uterus , 212
Avis de M. Arbert , Docteur en Médecine , au fujet
des Rouges de Garance ,
La Chanfon noté doit regarder la page
De l'Imprimerie de J. BULLOT.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le